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SUPERCHERIES LITTERAIRES.
IMPRrMFRIK DF. UALLANTVNE F.T CfF,
RDI.MIIOl'KG HT LONIÏRFS.
SUPERCHERIES LITTERAIRES,
PASTICHES,
SUPPOSITIONS D'AUTEUR,
DANS LES LETTRES ET DANS LES ARTS.
I.ju(i^-
C^
PAR. OCTAVE DELEPIERRE,
LONDRES:
N. TRUbNER et CIE-, 6o l'ATEBNOSTER ROW.
t- 7- ^fc
A MONSIEUR JULES DEVAUX,
Ministre de la Maison du Roi des Belges,
Permettez moi de vous offrir cet
essai d'un compatriote, comme un té-
moignage de ses sentiments affectueux.
D'une famille où l'amour des lettres
est inné, vous accueillerez, j'espère,
avec indulgence, ces recherches litté-
raires sur un sujet qui pourra vous
distraire un moment de vos graves
occupations.
Si le livre vous amuse et vous pré-
sente quelques renseignements assez
peu connus, c'est tout ce que désire
votre dévoué serviteur.
DELEPIERRE.
EPIGRAPHES
Je fais venir d'Astrakan
Ivcs papyri de Gengis Kan,
Et du couvent de Thabor,
Un Nabucodonosor !
Enfin je suis à la piste
D*un antique papyrus
Prouvé par un helMnistc,
Autographe de Cadmus 1
Che non men che saper, dubbiar m*agg;rata.
Aussi bien que savoir, doutei: \ son mérite.
— Dante^ Infirtw,
Omnibus est aliquid fructus excerpcre libris,
Et nullus sine fruge liber, sine floribus hortus.
PRELIMINAIRES.
NOUS avons cherché à donner
dans deux précédents ouvrages,
une définition, aussi claire que pos-
sible, du Cetiton et de la Parodie. Il
est peut-être plus difficile d'établir la
théorie du Pastiche et ses rapports
avec les genres similaires. Par leurs
étroites affinités, ils semblent souvent
se confondre entr eux.
On demanderait en vain la défini-
tion du Pastiche aux auteurs du 1 7™''
et du 18"** siècles. Remarquons que
l'Académie Française, jusqu'en 1835,
ne donnait pas le droit de cité, à ce
vocable d'origine italienne. 1 1 a trouve
A
2 Préliminaires.
place dans la sixième édition, où on
lit : " Pastiche en littérature se dit
d'un ouvrage où Ton imite les idées et
le style de quelqu'écrivain célèbre;
exemple : Certaines réflexions de ce
moraliste sont un-pastiche où il a imité
le raisonnement et le style de Pascal."
Cette définition est évidemment in-
complète. MM. Barré, Langlois et
Régnier, auteurs de Lexiques Com-
plémentaires du Dictionnaire de l'Aca-
démie, se préoccupent si peu de dis-
tinguer entre les divers genres, qu au
mot Pastiche^ ils renvoient le lecteur à
ce qui est dit au mot Centon !
Littre se contente de répéter la dé-
finition de TAcadémîe, et donne deux
exemples, dont le premier qualifie le
pastiche de Singerie^ et le second
prend ce mot dans le sens figuré.
M. Patin, au tome i*"" de ses
** Etudes sur la poésie latine," fait
mieux comprendre la différence entre
■ *
Préliminaires. 3
les deux significations, lorsqu'il dit:
" La littérature grecque, à sa déca-
dence, finit par s'imiter elle-même, se
copier, et remonter, par le pastiche,
vers son passé."
Et encore : ** L'Epopée artificielle
des Alexandrins, pastiche élégant de
l'épopée primitive, dont elle affectait
la naïveté."
Nodier, qui a décrit jusqu'à vingt-
deux sortes de supercheries littéraires,
a cherché à établir la distinction entre
l'imitation, la similitude d'idées, la sup-
position d'auteur, de livres et de pas-
sages, rintercalation, les suppléments
et les Pastiches. Mais ces distinc-
tions ne comportent pas toujours des
différences assez marquées pour em-
pêcher qu'on ne les confonde parfois.
Ainsi les suppositions d'auteur, les
intercalations, les suppléments ne
sont souvent que de véritables Pas-
tiches. Il est facile de comprendre
4 Préliminaires.
d'où vient ce défaut de précision.
D abord Pastiche et imitation ont une
bien étroite affinité : —
" Lucanus et Appulus aficeps^
Nam Venusitius arat Jinem sub utrumquc colonusJ^
Comme dit Horace : —
" Suis-je enfant de la Fouille ou de la Lucanie ?
Je ne le dirai pas : le colon Venousin
Laboure également Tun et l'autre terrain."
D'autre part, on ne parle du Pas-
tiche en France que depuis quatre-
vingts ans à peine. Si dans le temps
où Boileau écrivait au duc de Vivonne
ses deux ingénieuses lettres dans le
genre de Voittirey et dans celui de
BalzaCy on Teut félicité sur la perfec-
tion de ces deux excellents pastiches,
il eut très probablement dit : " Vous
trouvez donc ma double imitation
digme des deux épistolaires modèles ? **
Nous ne connaissons que quatre
auteurs qui se soient spécialement
■ T 1
Préliminaires. 5
occupés du Pastiche : Ch. Nodier, que
nous venons de citer,^ N. Cfiatelain^
le marquis du Roure^ et Quèrard^
Gabriel Peignât en a parlé, mais sans
entrer dans les détails.
Querardy complétant le travail de
Nodier, a consacré un chapitre de
r Introduction à ses Supercheries, aux
imposteurs en littérature. Il y traite
des concessions littéraires, des usurpa-
tions de réputation, des ouvriers lit-
téraires à façon, des impostures de
certains libraires-éditeurs, du pastiche,
etc.; et il donne une liste curieuse,
quoiqu'incomplète, des bibliographes
^ Questions de litte'rature légale.
' Pastiches et imitations libres du style de
quelques écrivains du 17"''' et du 18°**" siècles.
' Réflexions siu: le style original (gr. 8°, tiré à
soixante exemplaires).
* Supercheries Httéraires, 5 vol., 8°. Nous
avons aussi consulté avec utilité les Curiosités
littéraires, de M. Lalannc.
6 Préliminaires.
qui se sont occupés des pseudonymes
et des ouvrages sur le plagiat.
Le marquis du Roure^ qui nous
offre des pastiches des plus célèbres
écrivains français, est d'opinion que
Ion contrefait sans peine- quelques
défauts de style, mais qu'il faut de
rares qualités pour imiter des perfec-
tions : " De là vient, ajoute-t-il, la
facilité avec laquelle le parodiste et le
faiseur de pastiches copient la manière
spéciale des écrivains dits originaux,
tandis qu'ils ne peuvent qu a grande
peine atteindre les auteurs modèles."
En effet, il faut avoir les reins bien
forts, dit Montaig7ie, pour entreprendre
de marcher de front avec ces gens là.
Dans le court avant-propos des
pastiches de Nicolas Chatelaiii, il fait
observer à juste titre, qu'il faudrait, ce
qui est bien impossible, que chaque
fois qu'un imitateur quelconque s'at-
tache à copier un modèle, il revêtît
Préliminaires. 7
Torganisation de l'auteur ; qu'il devint
tour à tour Bernardin de St Pierre,
Voltaire, Madame de Se vigne, etc.
M. Châtelain, pour ménager à la
sagacité du lecteur, dans son volume
de pastiches, un plaisir assez piquant,
y a glissé des pages des originaux, ce
qui prouvera, dit-il, que quoique Ton
fasse, on demeure toujours à neuf
cents lieues d un cap, qu'on avait folle-
ment essayé d'atteindre, comme l'a sî
bien exprimé Madame de Sévigné.^
Un esprit paradoxal dirait que le
pastiche et la supposition d'auteur
remontent bien au delà du Christian-
isme ; il y a même plus d'un traité sur
les livres antédiluviens.
^ Nous retrouverons plus loin M. Châtelain
commettant bien d'autres pastiches, mais qu'il
n'avoue pas cette fois ci.
Il appartenait à un écrivain si exercé en ce
genre, de disserter in extaiso sur la théorie,
Malheureusement la préface de son livre ne
fournit aucun renseignement.
8 Préliminaires,
Les Gnostîques avaient fabriqué
des Rêvêlatiofis qu'ils attribuèrent à
Adam.
Les Sabéens prétendaient qu'il avait
composé des livres existant encore,
sur la culture de la terre.
Le Livre d'Enoch a joui pendant
des siècles d'une haute autorité. Le
savant Allemand H. Ewald a prouvé
que c'était la compilation d'un juif qui
vivait près de cent ans avant l'ère
chrétienne.
On pourrait facilement prolonger la
liste de ces supercheries que les Grecs
continuèrent à mettre en pratique.
La vie d'Homère, attribuée à Héro-
dote, forme évidemment une suite
d'aventures imaginées pour rendre
compte de la possibilité des deux
épopées placées sous son nom. Il
n'existe plus guère de doute aujour-
d'hui, que ce nom a été pour les Grecs
l'occasion d'une fable pareille à beau-
Préliminaires. 9
coup d'autres. Emile Burnouf montra
qu'il signifie simplement arrangeur, et
personnifie en quelque sorte la fonc-
tion ordinaire des Rapsodes. 1
"J'ai quitté, dit Dugas-Montbel^
sans regret, mon Homère fabuleux,
pour retrouver d'antiques poésies
nationales pleines de vie et de can-
deur."
On peut considérer les Rhéteurs
de la Grèce et de Rome comme ayant
établi la théorie du pastiche. On sait
qu'ils étaient dans l'usage de donner
à composer à leurs élèves des lettres
et des discours sous le nom d'écrivains
illustres. C'était un exercice d'école.
Telles sont les lettres du Scythe Ana-
charsis, de Thémistocle, de Pythagore,
^ Histoire de la littérature grecque, tome i.
p. 92.
* Histoire des Poésies d'Homère. La ques-
tion du reste a été savamment discutée par
Fréd. A. Woiff, dans ses " Proiegomena ad
Homerum.*'
I o Prélimmaires.
de Platon, de Démosthènes ; et celles
de Xénophon même, habituellement
insérées dans ses œuvres, ne sont que
des pastiches, disent les savants.^
La critique moderne, en Allemagne,
est allée plus loin au sujet de Platon,
jusqu'à supprimer la moitié de l'œuvre
authentique de ce philosophe. Léo
Allatins a même soutenu doctement
le beau paradoxe que Platon n'avait
jamais rien écrit. Il est certain que
l'antiquité elle-même, peu soupçon-
neuse à cet égard, reconnaissait dans
les éditions publiées sous le nom de
Platon, beaucoup d'ouvrages sup-
posés. Dix - neuf seulement sont
indiqués par Aristote. Nous ne
devons pas nous étonner de ces
doutes. L'époque qui s'écoule entre
Platon et Cicéron, voit naître, ou
plutôt se développer, l'industrie des
* Eugène Talbot, Introduction aux œuvres
complètes de Xénophon.
Préliminaires. 1 1
faussaires, encouragés par la formation
des grandes bibliothèques d'Alex-
andrie, de Pergame, et bientôt du
Palatin à Rome, et par le prix géné-
reux donné par les Ptolémées et les
Attales à tous ceux qui venaient leur
offrir des manuscrits anciens.
M. Ed, C/iaignety qui nous fournit
ces renseignements dans "La vie et
les écrits de Platon" (Paris, Didier,
1871), donne l'analyse de 59 des
Dialogues de cet auteur, mais treize
sont considérés par lui comme non
authentiques, et comme suppositions
d'auteur.
Montaigne craignait les surprises de
ce genre : " Nous n'osons louer, dit-il,
les belles inventions, ni les forts argu-
ments des auteurs, que nous n ayons
prins instruction de quelque scavant,
si ceste pièce leur est propre, ou si
elle est estrangière, jusques lors je me
tiens toujours sur mes gardes.*'
1 2 Préliminaires.
" Ces falsifications ne doivent-elles
pas nous jeter dans la défiance, ajoute
Bayie, sur mille choses que les anciens
ont écrites, et dont nous n avons plus
les originaux ? "
C'est rhîstorien Dion qui lui suggère
cette réflexion, Dio?t qui a inséré dans
son ouvrage le pastiche d'une haran-
gue de Ciccron contre M arc- Antoine
qu'il avait composée lui-même. On
reconnaît la fraude à deux faits qu'il
rapporte, et qui sont opposés à ce que
l'histoire de Cicéron nous apprend.
Nodier a exprimé une idée semblable
à celle de BaylCy mais dans le sens
inverse, lorsqu'il avoue qu'il est dis-
posé à croire qu'à la renaissance des
lettres, beaucoup d'auteurs modernes
ont mis leurs productions sous des
noms anciens et célèbres.
Il y a un côté philosophique de
r histoire des pastiches et des supposi-
Préliminaires. 13
tions d auteur qu'a indiqué M. S.
Van de Weyer, ministre de Belgique
en Angleterre, dans la première série
de la collection de ses opuscules, — côté
philosophique qu'il a développé dans
un essai fort piquant, qui paraîtra dans
la troisième série. C'est que de tout
temps les sectes religieuses, les écoles
philosophiques, les coteries littéraires,
les partis politiques, les charlatans
scientifiques de toute espèce, ont
audacieusement employé le pastiche
ou la supposition d'auteur, dans l'in-
térêt de leurs dogmes, de leurs prin-
cipes, de leurs passions, de leurs
jalousies, de leur haîne et de leurs
spéculations, sur la crédulité, la bêtise,
la méchanceté humaine.
Ces sortes de fabrications destinées
à • noircir des adversaires, ont été
réduites en un art pareil à celui de la
logique, dit UIsraéli, dans deux
14 Préliminaires.
articles de ses Ctiriositics of Litera-
turc}
L'adresse consisterait à faire con-
sidérer ces faux, comme servant
d'autorité historique. . . . Pretium
non vile laborum. Rappelons encore
pour mémoire, entr'autres la lettre
supposée c\aAbgary roi d'Edesse, en
Mésopotamie, aurait écrite à Jésus-
Christ, d'après Eusèbe de Cêsarte, et
la réponse du Sauveur, en langue
syriaque. Elles étaient conservées en
original, dans les archives d'Edesse,
où Eusèbe en fit une traduction
grecque. Dans la même classe est
la lettre de Ponce-Pilate sur la vie
du Christ, et celle envoyée au Sénat
Romain, par Publius Lentulus, Pro-
consul de Judée.^ De très bonne
^ Political Forgeries and Fictions. Political
Nicknames.
^ Croirait-on possible en 187 1, qu'un auteur
nous rapporte, comme authentique, qu'en 1820
Préliminaires. 1 5
heure les Chrétiens suppléèrent par
des pastiches à la perte de documents
connus. On savait que Saint Paul
avait envoyé une épître aux Laodi-
céens. Comme elle se perdit par la
suite, on la remplaça en imitant le
style des autres écrits de TApôtre.
Saint yérome, Saint Augustift et
LactancCy n'ont-ils pas regardé presque
comme authentique la fameuse corres-
pondance qui aurait eu lieu entre
Saint Paul et Senèqtie le philosophe ?
Le texte de cette correspondance existe
encore. Devenue suspecte depuis le
grand dénicheur de traditions, Didier
les commissaires de Tarmée française en faisant
des fouilles dans l'ancienne cité (TAquUaj au
royaume de Naples, découvrirent dans un vase
antique de marbre blanc, une plaque en cuivre
contenant inscrite la condamnation de Jésus !
Voir The Truth of the Bible, par le rever^.
Bourchicr Wrey Saville.
i6 Préliminaires,
Erasme, elle est aujourd'hui apocryphe,
de laveu de tout le monde. ^
Ne passons point sous silence une
composition d'une longue étendue,
** V Histoire du Combat Apostolique''
publiée sous le nom à'Abdyas, évêque
de Babylone. L'auteur est resté in-
connu, mais il y en a une version latine,
et le traducteur porte le nom imagi-
naire de yules r africain. On ne fini-
rait pas à citer toutes ces fraudes.
Non seulement on substituait des
ouvrages altérés aux véritables, ou
on prétendait avoir retrouvé des livres
perdus, mais on en créait qui n'avaient
jamais existé. Les écoles d'Alexan-
drie et de Pergame étaient les officines
où s'élaboraient sans cesse ces pro-
^ Voir Ch. Aubertin, Etudes critiques sur les
rapports supposas entre Scnèque et St Paul.
Paris, 1857. 8**.
• -'"*•* 1. -T 1A' 1- "r-^- "? ''
Préliminaires. 1 7
duits d'une érudition vouée au men-
songe.^
Le canon de Muratori, qui est de
la fin du second siècle, met en garde
contre ces fraudes, produits d'un zèle
mal-entendu.* Quelques savants pré-
tendent que Philon de Byblos, auteur
de cette époque, avait réuni ainsi des
ouï-dire historiques et mythologiques,
pour en composer Tceuvre du Phéni-
cien Sanchonioton que Philon dit avoir
traduite du grec*
^ On trouve d'intéressants détails sur ce sujet
dans l'ouvrage de A. Chassang, "Histoire du
Roman dans l'antiquité grecque et latine," etc.
I voL 8°, page %i^ et suîv. Paris, 1862,
* Credner, zur Geschichte des Kanons, p. 76.
* Joh. H. Ursinus et DodwelL
Voir aussi (i.) Feuillet de Couches^ qui, dans
ses Causeries (Tun Curieux^ a réuni plusieurs
faits intéressants sur les Epistolaires-Pastiches
anciens et les écrits supposés; (2.) Les Evan-
giles Apocryphes^ traduits et annotés par Gustave
Brunet ; ainsi que (3.) Etudes sur les Evangiles
B
1 8 Préliminaires.
L'abbé Migne^ nous parle d un très
ancien manuscrit grec de la Biblio-
thèque d'Augsbourg, contenant dix-
huit psaumes attribués à Salomon, et
où le style de l'Ecriture Sainte et des
prophètes Hébreux est imité avec
habileté. L'auteur inconnu a cherché
à s'inspirer de David, d'Isaïe, et
d'Ezéchiel, pour en composer un pas-
tiche remarquable.
Au second siècle l'Apocalypse de
Saint Jean n'était-elle pas considérée
comme l'œuvre de Cermthus, et omise
conséquemment dans la liste des livres
du Nouveau Testament par le Concile
de Laodicée ? Il est bien connu que
l'authenticité de cette Révélation est
une question encore indécise parmi les
savants en science biblique.
Apocryphesy par Michel Nicolas ; (4.) The Apo-
cryhal Acts of the Apostles, from Syriac MSS.
By Edward Noms. 2 vols. London, 187 1.
1 Dictionnaire des Apocryphes, t. L p. 940.
Préliminaires. 19
Les livres à' Hermès Trismégisie ont
joui d'une grande autorité pendant les
premiers siècles de l'Eglise, et ses
écrits passaient pour des monuments
authentiques de l'ancienne théologie
des Egyptiens. Ce n'est qu'un pas-
tiche que Ton place aujourd'hui parmi
les dernières productions de la philo-
sophie grecque. On n'a pas établi
avec certitude l'origine, Pauteur, ni la
date des livres qui portent le nom
d! Hermès Trismégiste. Casaubon les
attribuait à un Juif ou à un Chrétien ;
l'auteur du Panthéon ^gypitorum^
Jablonski, croit y reconnaître l'œuvre
d'un Gnostique.^
Parmi les anciens auteurs grecs pro-
fanes, plusieurs pièces ont été re-
gardées comme faisant partie de ces
sortes de supercheries. On sait que
^ Voir Traduction complète d'Hermès Tris-
mégiste, etc., par Lmns Mknard. i voL 8^
Paris: Didier. 1866.
20 Préliminaires.
la première édition à'Anacréon fut
publiée à Paris, par Henri Etienne,
en 1554. Il fut d'abord soupçonné
d'avoir fabriqué ces poésies ; mais
quoique cette supposition excessive
soit tombée, il est évident à cette
heure, que toutes les pièces ne remon-
tent pas au lyrique de Téos. Les
érudits s'accordent en général à ne
considérer que trois ou quatre odes
du recueil publié par Henri Etienne
comme remontant au contemporain
de Cambyse et de Polycrate, Les
autres sont très postérieures, de simples
pastiches, anacréontiques seulement, au
même titre que tant d'autres j olies pièces
légères de notre littérature moderne.^
Des contemporains de Bion et de
Moschus ont commencé à raffiner le
genre.
Plus tard, et même sous les Em-
^ Sainte Beuve, ** Essai critique sur la poésie
Française au 16"** siècle."
Préliminaires. 2 1
pereurs Romains, les riches voluptueux
disaient, peut-être, à la fin des ban-
quets, aux chanteurs grecs : " Faites
nous de TAnacréon !"
Deux siècles avant TEre Chrétienne,
Alexandrie fut le centre d'une active
fabrication de pastiches et d'écrits
apocryphes. Les Juifs Hellénistes,
pour se venger de l'injuste mépris
des Grecs, voulurent prouver que les
grands philosophes de la Grèce avaient
puisé à pleines mains dans les écrits
de l'ancienne Alliance. A défaut de
preuves historiques pour soutenir leur
thèse, ils produisirent de prétendues
poésies d'Orphée, de la Sibylle, des
sages de la Grèce, qu'ils avaient com-
posées eux-mêmes, ou bien encore des
poésies d'une antiquité réelle, dans
lesquelles ils glissèrent des vers, ex-
posant quelques unes des grandes
doctrines du Mosaïsme.^ C'est ainsi
^ Voir " Etudes critiques sur TAncien Testa-
22 Préliminaires.
que naquirent les livres apocryphes
de Zostrietty de Zoroastrey et autres
productions où la fraude était mise au
service de l'enthousiasme ^ fanatique.
Nous retrouvons le Pastiche en
honneur au troisième siècle. A la
tête des écoles de Besançon et de
Lyon se trouvait le rhéteur Titien^ qui
avait porté plus loin qu'aucun de ses
contemporains le talent et la gloire
de ce genre.
Il composa un recueil de lettres à
l'imitation de celles de diverses femmes
illustres de l'antiquité. On l'appelait
le Singe de son temps. " On a beau-
coup parlé de la littérature facile, dit
M. Ampère ; il y a aussi la littérature
singe, qu'il ne faut pas oublier."^
ment," par Michel Nicolas, page 149, i voL 8®.
Paris: Michel Le vy. 1866.
^ " Philosophie et Religion," par Ad. Franck,
page 3, 8°. Paris: Didier. 1867.
2 J. J. Ampère, " Histoire littéraire de la
Préliminaires. 23
Les deux siècles suivants virent
naître un système poétique curieux.
Les Chrétiens furent saisis de la ma-
nie de reprendre les formes poétiques
de l'antiquité, et de les appliquer aux
idées nouvelles.
Synestus composait des odes sacrées
à rimitation d'Anacréon. Apollinaire
faisait la même chose, prenant Pindare
pour modèle. On composait de l'his-
toire sainte avec des lambeaux de
Virgile.^ Plusieurs poètes suivirent
cet exemple ; en un mot, on tenta une
contrefaçon chrétienne de l'antiquité
profane. U n peu plus tard les pastiches
d'actes authentiques étaient d'un em-
ploi assez fréquent à Rome. Il n'y
France avant le 12°' siècle," tome i. p. 193,
et tome ii. p. 195.
^ Voir notre " Revue Analytique des ouvrages
écrits en centons depuis les temps anciens,
jusqu'au 19™*' siècle/' London: Triibner, 1868,
in 8° de 505 pages.
24 Préliminaires.
avait personne en ces temps d'igno-
rance et de ténèbres, dont les agents
dévoués au Sacré Collège eussent à
craindre un examen critique.^ Ce sys-
tème dura longtemps, car le journal
de Trévoux (Mars 1716) nous apprend
qu'au douzième siècle, un moine de St
Médard, nommé Guernonl se voyant
à l'heure de la mort, s'accusa publique-
ment d'avoir parcouru-plusieurs monas-
tères et d'y avoir fabriqué des pastiches
de Chartres en leur faveur.
Nos pieux ancêtres du douzième
siècle s'avisaient d'un expédient fort
simple pour sanctionner l'existence de
^ Découvertes des ruses qui se pratiquent es
disputes de la foy, quand on n'en peut rendre
raison, par un docteur Catholique. Paris : Cl.
Chapelet. 16 13.
Histoire Littéraire de la France, 4°, tome iv.
P- 3-
Le Pape et les Conciles, par Janus.
Blondcl, Pseudo-Isidorus et Turrianus Vapu-
lantes.
Préliminaires. 25
traditions profondément gravées dans
la mémoire, ils fabriquaient des docu-
ments constatant leur origine. Une
fraude pieuse dans ce temps-là était
une invention reçue, destinée à remplir
une lacune historique ou religieuse.^
Qîms natura negat^ prœbuit arte
maSy comme dit Claudien.
La chose était portée si loin, que l'an
1 500 le Pape Gélose se crut obligé de
publier un décret De libris recipiendis
et non recipiendis^ où il établit la dis-
tinction entre les ouvrages authen-
tiques et ceux qui étaient forgés.
" Le monde est plein d'impostures
et de suppositions, s'écrie Guez de
Balzac^ je dis même le monde savant,
celui qu'on appelle la république des
lettres."
Erasme au seizième siècle se plai-
^ Les Manuscrits Français de la Bibliothèque
du Roi, etc, par Paulin, tome i. p. 162. Paris :
Techener. 1836.
20 Préliminaires.
gnait avec amertume de ne posséder
aucun texte des Pères de l'Eglise qui
n'eut été falsifié.^ Les auteurs clas-
siques ont subi le même sort Un
célèbre philologue allemand a dé-
montré que des seize satires de Juvé-
nal onze seulement sont authentiques,
et que les autres sont apocryphes :
" C'est, dit-il, une spéculation de quel-
que libraire avide, qui se sera associé
quelque poète famélique au moment où
l'engoûment du public pour Juvénal
venait de s'accroître par la mort ré-
cente de ce dernier.^
Une question desupposition d'auteur
ou de pastiche qui n'est pas encore
résolue, est celle du Pervigiliunt VeneriSy
hymne que l'on chantait à la fête de
Vénus. On Ta attribué entr'autres à
Z.wr^r^«^,poètecarthaginois du sixième
^ Curiosités littéraires, par Ludovic Lalanne.
* Otto Ribbeck: Der echte und der unechte
Juvenal. Berlin, 1869.
Préliminaires. ttj
sîècle, sous le règ^e de Trasîmond, roi
des Vandales. Le motif de ce soupçon
est qu'on y rencontre des imitations
frappantes de Lucrèce y de Virgile et
à* Ovide, dans les descriptions de la
puissance de Vénus, et des effets du
printemps, imitations que l'on rencontre
déjà dans les Vers-Centons de Luxa-
rius} L'antiquité douteuse et l'origine
problématique de ce morceau ont
donné lieu à des hypothèses et à des
conjectures de toutes les façons.
Cabaret Dupaty, qui en a publié une
traduction en prose, à Paris, en 1842,
suppose que c'est un pastiche de Paul
Manuce et de F. Pithou. Toutefois
jusqu'à présent, les plus savants cri-
tiques n'ont pu s'accorder sur l'auteur
de ce charmant poème, quoiqu'ils aient
parcouru toute l'échelle de la littérature
romaine, depuis l'aurore du siècle
^ Comme ou peut le voir dans notre Cen-
toniana.
28 Préliminaires.
d'Auguste jusqu'à la première nuit de
barbarie des Goths et des Vandales.^
Il serait très difficile de rappeler
toutes les mystifications désignées sous
les noms de pastiches, suppositions
d'auteur, intercalations, etc., et restées
r plus ou moins célèbres dans les annales
• de l'érudition. Ce sont probablement
I ces nombreux mensonges littéraires qui
I ont suggéré la singulière idée, soutenue
^ ' avec esprit par Jean Hardouin^ que
l'Enéide avait été composée par un
ij moine du moyen âge, et que Virgile
j n'avait écrit que les éclogues et les
1 géorgiques. Il affirmait en outre que
deux ou trois écrivains de la même
période étaient les auteurs des epitres
r
^ Voir " Conjectures sur l'auteur de la Veillée
de VénuSy' par M. de CayroL Abbeville, Juin
1839, in 8°.
Les Nouvelles Littéraires^ tome xi. p. 366,
contiennent des lettres du Président Bouhier au
P. Oudin, relatives au Penngilium Veneris.
Préliminaires. 29
et discours d'Horace (Epîstolae et Ser-
mones). L'un avaît composé les odes, le
second les épodes, et le troisième l'art
poétique. Cette thèse du reste conve-
nait parfaitement à l'original, qui consa-
crait 250 pages in folio, dans ses Athei
Detecti, à la preuve que Jansénius,
Malebranche, Quesnel, Antoine Ar-
nauld, Pascal, Descartes et autres
philosophes, n'étaient que des athées.^
A notre avis le centon, la parodie
et le pastiche sont unis par d'intimes
^ M. Vernet, professeur de Théologie à
Genève, a fait en latin Fépitaphe de Hardouin,
En voici la traduction :
" Dans l'attente du jugement, ici repose le
plus paradoxal des hommes; Français de nation,
Romain de croyance, merveille du monde lettré.
Il fut adorateur et destructeur de la vénérable
antiquité; et doctement fou, il répéta, tout
éveillé, des songes inouïs. A la fois pieux et
sceptique, il eut la crédulité d'un enfant, Taudace
d'un jeune homme, Textravagance d'un vieillard.
Enfin, pour tout dire en un mot, Ici repose
Hardouin.
30 Préliminaires.
rapports. Après avoir traité les deux
premiers sujets, nous désirons com-
pléter cette espèce de trilogie plaisante,
par un exposé des faits les plus re-
marquables dans les divers genres de
supercheries, innocentes ou coupables,
qu'offre Thistoire de la République
des Lettres.
Afin d'établir un certain ordre dans
ce travail, nous le diviserons en trois
sections.
i*' Les pastiches et suppositions
d'auteur, composés avec l'intention
de tromper les lecteurs.
2"*" Les suppléments d'auteur, inter-
calations, et pastiches, composés comme
exercice de style, ou amusement.
3°"* Des pastiches - imitations, et
suppositions d'auteur, dans les beaux
arts.
\m » ill
SECTION PREMIÈRE.
PASTICHES ET SUPPOSITIONS D'AUTEUR
PLUS OU MOINS COUPABLES.
' ' Corpus putat esse quod umbra est,**
— Ovide.
"TA vérité et le mensonge ont
-*--/ souvent leurs visages con-
formes, et leurs allures pareilles."
Cette pensée de Montaigne est la
base des compositions dont nous
allons nous occuper.
Dans tous les pays et à toutes les
époques, les supercheries littéraires
sont fréquentes. Pour mieux déconcer-
ter la critique, les auteurs de pastiches
ont souvent cherché dans les temps
anciens des noms célèbres, afin d'étayer
32 Essai sur Le Pastiche.
leurs écrits d'une autorité împosante.
" Cette sorte de mensonge, dit la sa-
vante Marie de Gournay, trouve son
excuse dans la bêtise d'une part du
monde, qui croit beaucoup mieux la
vérité sous la barbe chenue des vieux
siècles, et sous un nom d'antique et
pompeuse vogue."
Tous les auteurs ne montrent pas
la même indulgence. L'infatigable bi-
bliog^phe Quérard lança ses foudres
de guerre contre les supercheries de
la littérature française. Il donne avec
trop de sévérité le nom de faussaires
en littérature à ceux qui s'en mêlent,
sans faire grande distinction entr'eux.
Quelqu'un, par contre, a dit plai-
samment : " N'est-ce pas au contraire
de l'humilité et du désintéressement
littéraire, que de prêter son esprit aux
morts, et de se cacher tout vivant sous
la peau d'un illustre défunt ?"
Le lecteur a vu dans l'introduction
Essai sur Le Pastiche. 33
que chez les ancîens et dès les premiers
siècles de notre ère, les falsifications de
ce genre ne faisaient pas défaut.
On peut citer entr autres, comme
un morceau des plus heureux, les 217
hexamètres fabriqués à l'imitation du
poète gnomique Phocylide} et si bien
réussis qu'on les a insérés dans les
œuvres de ce dernier.^
Ovide jouit d'une grande célébrité
au moyen âge, car nos aïeux trouvaient
dans ses Métamorphoses et \Art
^ L'auleur de ce pastiche est resté inconnu.
Duché (le tragique), le premier traducteur
français du recueil de sentences et de préceptes
de morale de Phocylide^ a ajouté à sa traduction
de véritables pastiches de Labruyhre.
^ Coupé, dans ses Soirées littéraires^ tome iv.
p. 49, s'obstine à nommer notre auteur grec,
Procylide, Il a donné une autre traduction des
maximes gnomiques ou sentencieuses de Phocy-
lide. Voir, au sujet des poètes de cette famille,
Emile Egger, Mémoires de littérature ancienne^
tome i. p. 229.
C .
34 Essai sur Le Pastiche.
d'aimcTy de quoi satisfaire leur pen-
chant pour les histoires merveilleuses
et les contes erotiques.
Aussi règne à cette époque la fan-
taisie de certains poètes de publier leurs
œuvres sous son nom, mais ces pas-
tiches réussirent rarement. On compte
jusqu'à treize de ces imitations.^ Une
des plus importantes, le poème de
Vetulây déjà cité par RicJmrd de
Bury, dans son Philobiblion, fut
publié à Cologne en 1470, comme
ç£.y\\x^ à!! Ovide. Voici comment 7?^^^/
^ Consolatio ad Liviam Augustam.
Carmen PanegyricuraadCalpurniumPisoneni.
Elegia de Philomelâ.
De Pulice. — Soranium.
Epigrammata Scholastica de Virgilii xii.
Hbris ^neidos.
De Cuculo. De Aurorâ. De Limace.
De quatuor humoribus.
De ludo latrunculorum.
De Fortunâ.
De Vetull
Essai sur Le Pastiche. 35
Holcothy dans son commentaire sur La
Sagesse raconte l'histoire inventée
alors pour faire croire à l'authenticité
de ces trois chants, mais sous une pru-
dente réserve: ^^ An sit liber Ovidiiy
deus novitr
Le poète, desespérant d'être rappelé
de son exil, composa ce dernier poème
pour y retracer la vie qu'il avait jadis
consacrée à l'amour. En mourant, il
avait ordonné que cette composition
intitulée Vetula fût enterrée avec lui.
On la retrouva dans un cimetière public
d'un faubourg de la ville de DioscuriaSy
capitale de la Colchide; ce manu-
scrit fut porté à Constantinople, par
ordre du roi de ce dernier pays, et
Léon, protonotaire du sacré palais, et
secrétaire de l'Empereur Vatace^ le
publia. On ajoutait que dans le même
tombeau se trouvait aussi l'inscription
funéraire d'Ovide ! Natidé^ cite encore
^ Dans le Dialogue de Masairat, p. 225.
36 Essai sur Le Pastiche.
plusieurs autres témoignages sur ce
même poème attribué à Ovide.
Bay'le dit qu'il faudrait être bien
dupe pour s'imaginer que la Vctula
soit de ce poète. ** II n'est pas néces-
saire, ajoute-t-il, d'être grand clerc
pour pouvoir jurer, sans nulle ombre
de témérité qu'Ovide n'a jamais fait
un poème aussi barbare que celui-là,
et que c'est la production d'un Chrétien
du Bas-Empire."
Ici notre savant critique se trompe,
comme l'a prouvé M. Cocheris, qui,
dans une introduction de la traduction
de ce poème, par ^ean Lefèvre, dé-
montre que de tous les écrivains que
l'on pourrait regarder comme auteur
de ce pastiche, aucun ne semble réunir
en sa faveur autant de présomptions
que Rie/tard de Faur7iival^ chancelier
de l'église d'Amiens. Admirateur
d'Ovide, clerc habile, auteur de pro-
ductions fort estimées de son temps.
Essai sur Le Pastiche. 37
il a laissé plusieurs poèmes qui ne
sont que des imitations de VArt
(V aimer et du Remède d'amour}
A plusieurs reprises les romans grecs
ont fourni l'occasion de pastiches qui
parfois ont eu cours assez longtemps
comme authentiques. Par exemple,
Hiiet a accepté comme tel un ouvrage
tout moderne : " Du vrai et parfait
amour," attribué à Afhénagoras
d'Athènes, un des premiers défenseurs
du Christianisme. On n'a jamais vu
le texte grec de ce livre, dont la tra-
duction française a été publiée pour
la première fois à Paris en 1599. Il
est bien prouvé aujourd'hui que
l'ouvrage est une fiction du prétendu
traducteur. C'est le premier modèle
de toutes ces suppositions de romans
^ La Vieille, ou les dernières amours d'Ovide,
poème français du 14""* siècle, etc. etc., par
Hippolyte Cocheris. Paris: A. Aubry. 1861.
Un vol. petit en 8**.
38 Essai sur Le Pastiche.
traduits du grec que Montesquieu n'a
pas dédaigné d'emprunter dans le
Temple de G7iide}
Une supposition d'auteur qu'il ne
fut pas aussi facile de reconnaître, et
qui est encore aujourd'hui une énigme,
est l'inscription que Pétrarque est sup-
posé avoir tracée sur son exemplaire
de Virgile, et dans laquelle il fait
mention de sa première rencontre avec
Laure, dans l'église de Sainte Claire ;
le 6 avril 1327, jour de Vendredi Saint.^
Une supercherie plus difficile, qui
traversa comme authentique même le
dix-huitième siècle sceptique et railleur,
sans être démentie ni mise en doute,
est la curieuse Ordonnance Royale,
^ Etudes de littérature ancienne et étrangère,
par Villemain, Paris : Didier. 1846.
Les Romanciers grecs et latins, par Victor
Chauvin, Paris: Hachette. 1864.
* Malheureusement pour celui qui imita si
bien l'écriture de Pétrarque, il est prouvé, que
le 6 avril de cette année était un lundi
Essai sur Le Pastiche. 39
relative aux mœurs à Avignon, donnée
par la Reine yeanne de NapleSy en 1 347.
M. Jules Courtet a montré que le
savant Astruc a été la dupe d'une
plaisante mystification, en insérant ces
statuts apocryphes pour la première
fois en 1 736, dans son traité De Morbis
Venereis. Ils étaient Tœuvre de M.
Garcin et de ses amis. On fabriqua
une copie d'un prétendu original, qu'ils
firent parvenir à Astruc}
Les savants et les hommes de lettres
se donnèrent souvent, au seizième
siècle, le plaisir de se mystifier les uns
les autres, et parfois le public, par ces
sortes de pastiches ou de suppositions
^ Voir les détails de cette affaire dans la
Rame Archéoiogique^ deuxième année, 1845,
3°**' livraison. Sur la foi (ÏAs/ruCy cette Ordon-
nance Royale fut mise par Papon dans son
"Histoire de Provence," et par Merlin^ dans
son " Répertoire de Jurisprudence," tome
i. p. 761. Non infima iaus est^ comme dit
Horace.
40 Essai sur Le Pastiche.
d'auteur. Le plaisant conteur Des
Periers essaya, mais ne réussit guère,
à faire croire que le Cymbalunt mundi
était un ouvrage ancien.
Dans la préface, il dit à son ami
Tryocan^ qu'il n'était que le traducteur
de ce petit livre : "Il y a huit ans que
je te promis de te rendre en langaîge
françois, le petit traité que je te mon-
trai, intitulé : Cymbalunt mu7idi, lequel
j'avais trouvé dans une vieille librairie
d'un monastère qui est auprès de la
cité de Dabas."
Le célèbre italien Sigonius fit pren-
dre pendant longtemps un de ses pas-
tiches pour le traité de Cicéron, " De
Consolatione," q^6\q^ A ntoine Ricco-
boni eut déjà tâché de dévoiler la
supercherie, en publiant le ** De Con-
solatione, edito sermone sub nomine
Ciceronis." Tiraboschi ne découvrit
qu'en 1785, à Modène, des lettres
privées qui prouvaient la fabrication.
Essai sur Le Pastiche. 4 1
Ce pastiche Cicéronien était habile-
ment composé par un savant que
Hallanty dans son histoire de la Lit-
térature de l'Europe, nomme le prince
des antiquaires du seizième siècle.
Vers cette époque une super-
cherie littéraire qui fit bien plus de
bruit, fut celle âiAnnius ou Nannius
de Viterbcy qui,
" Veteris non inscius œviy*
publia à Rome en 1498 un recueil de
parties des ouvrages originaux de
Bérose, de Fabius Pictor, de Manéthon,
de Caton,^ etc., qu'il prétendit avoir re-
trouvés à Mantoue. Ce recueil, monu-
ment curieux de l'ignorance et de la
crédulité, fut reçu avec une grande
faveur par toute l'Europe savante, car
chaque peuple trouvait son origine
dans les fables de ces prétendus his-
* Annii Viterbiensis Coramentarii in auctores
diverses de antiquitatibus, cum textu, in folio.
Cette première édition est extrêmement rare.
42 Essai sur Le Pastiche.
toriens. Il eut les honneurs de la
réimpression à Paris, à Venise et à
Bâle.
La critique ne fit justice de cette
supposition d'auteur, qu'à la fin du
seizième siècle, longtemps après la
mort de l'inventeur. Nicéron distingue
quatre partis qui furent engagés dans
cette querelle ; ceux qui considéraient
toute la collection comme un pastiche;
les partisans d'une authenticité parfaite ;
ceux qui regardaient les fragments
comme faux, mais qui prétendaient
qu' A nnzus avait été trompé lui-
même ; et enfin le juste milieu main-
tenait, qu'une partie était fausse, et
l'autre authentique. Le Bérose com-
mençait son histoire avant le Déluge,
et avançait que les Chaldéens avaient
fidèlement conservé leurs archives
historiques.*
^ Le Dictionnaire de Bayle cite les principaux
auteurs qui ont parlé de ce pastiche.
Essai sur Le Pastiche. 43
Pour mieux faire croire à l'authen-
ticité de l'œuvre, Annius y avait joint
de longs commentaires, contenant des
passages d'auteurs anciens bien connus.
On rapporte qu'un auteur mourut
de chagrin lorsque l'imposture fut
découverte, parcequ'il avait fondé un
long et savant travail sur cette publi-
cation.
C'est au seizième siècle que com-
mença la manie des commentaires
interminables. Afin de les rendre
plus intéressants, leurs auteurs prê-
taient à Ennius ou à quelqu'autre
poète perdu, des vers de leur façon,
souvent fort heureux. C'est ainsi que
le hollandais Paul Merulay auteur
d'une histoire universelle, soutint avoif
trouvé un traité, ** De veterum poeta-
rum continentiâl^ d'un certain Cal-
pumius Pison, grammairien du temps
de Trajan. Il en citait des passages
qui firent fortune parmi les savants ;
44 Essai sur Le Pastiche.
maïs personne ne vit alors, ni plus
tard, le manuscrit que Theureux
Merula avait trouvé, disait-il, dans la
bibliothèque de Saint Victor.
" Oh, my prophétie soûl !"
aurait pu s'écrier Rabelais, comme
Hamlet, en décrivant les amusantes
richesses littéraires de cette abbaye.
La France, TEspagne, l'Italie, l'Europe
entière semblaient s'être donné le mot
pour ces sortes de supercheries.
Le cardinal Sadolet, ce prélat qui
fut appelé le Fénélon du seizième
siècle, composait d'ingénieuses épi-
grammes, qu'il disait tirées d'anciens
manuscrits latins à lui envoyés par ses
amis.
Il cherchait à persuader de la vérité
de cette découverte les hommes de
lettres en rapport avec lui.
Les suppositions de passages et de
pièces de peu d'étendue, dit Nodier,
Essai sur Le Pastiche. 45
placées sous le nom d un auteur ancien
célèbre, ont sans doute le mérite de la
difficulté bravée, car les objets de
comparaison qui peuvent éclairer le
lecteur, sont à la portée de tout le
monde ; et néanmoins que de savants
du premier ordre ont été pris pour
dupes !
Le monde littéraire s'amusa long-
temps de Terreur dans laquelle tomba
Joseph Scaliger. Dès l'âge de 1 8 ans
il se piquait de discerner les différents
caractères de tous les siècles. Muret
lui montra un jour quelques vers qu'il
disait avoir reçus d'Allemagne, et tirés
d'un vieux manuscrit. Scaliger, après
les avoir lus attentivement, lui assura
sans balancer, qu'ils étaient d'un vieux
comique latin nommé Trabea, et sûr
de son opinion, il les inséra dans son
commentaire sur Varron, De re rus-
ticâ, auquel il travaillait alors. Tel
est le récit de Casier, dans son Apo-
46 Essai sur Le Pastiche.
bgie citée par Bayle ; mais Muret
nous apprend que ce fut lui-même qui
suggéra que ces vers étaient de
Trabea; et d'autres qu'il montra en
même temps, du comique Attius, et
que Scaliger le crut sur parole.^ Ayant
complètement pris le savant au piège,
il avoua sa supercherie pour montrer
combien peu de confiance on pouvait
avoir dans la sagacité critique d'un
écrivain qui voulait faire considérer
son jugement en littérature comme in-
faillible.
Scaliger se vengea par une épi-
gramme des plus sanglantes : —
" Qui rigidœflammas évaserai ante Tolosœ^
MuretuSy fumos vendidit iUe tnihiP^
Il justifiait ainsi cette spirituelle
^ Voir rAnti'BaiileiàQ Ménage, chap. Ixxxiii.,
et le Dictionnaire de Bayîe, pour les détails.
* Ces flammes de la rigoureuse Toulouse se
rapportent à une accusation devant le Parle-
Essai sur Le Pastiche. 47
boutade de Nodier, que la plus par-
donnable des supercheries littéraires
est celle que Ton pardonne le moins,
parceque le public ne veut pas qu'on
se serve de sa crédulité même pour lui
procurer du plaisir, et que rien ne com-
pense Toutrage fait à sa vanité. Le res-
sentiment du savant pour une méprise
qui cependant ne pouvait Thumilier, ne
surprend en aucune façon, lorsque Ton
connait le caractère de Scaliger ; il
n'était pas homme à en rire. Mais
conçoit-on facilement que le joyeux
Rabelais ait gardé une profonde ran-
cune au Vénitien Pontanus ( Tanpontis,
comme il l'appelle) de lui avoir fait
prendre pour une pièce antique, un
certain " Contractus venditionis anti-
guis Rontanorum temporibus initus^*
que lauteur de Pantagruel, trompé,
ment de cette ville, pour un crime qui était alors
puni par le feu, auquel il paraîtrait que Muret
échappa.
48 Essai sur Le Pastiche.
publia à Lyon, avec une belle épître
dédicatoire et sous un titre solennel :
Ex reliquiis vtnerandœ antiquitatis !^
Il est singulier que Scaliger, sachant
par expérience que Muret imitait si
bien les anciens poètes latins, qu'on
pouvait aisément s'y tromper, s'y soit
néanmoins laissé prendre une seconde
fois, comme le raconte Vossius, dans
son commentaire sur Catulle? Menken,
qui cite le fait, ajoute que Douza, le
fils, fut induit en erreur de la même
manière par Jérôme Groslot de Lîsle,
. ^ Voir les Matafiasiennes^ 8°, p. 60. Lyon,
1837. Ce chânnant opuscule fut publié sans nom
d'auteur, par M, Rostain, de Lyon, un des plus
savants bibliophiles de France, et toujours prêt
à mettre ses connaissances littéraires au service
de ses amis. On trouve dans cette brochure des
détails fort intéressant sur plusieurs autres pas-
tiches latins qui ont déjoué la perspicacité des
lettrés des 17"" et 18™* siècles.
2 "Menken, de la Charlatanerie des savants,"
p. 83, édit. de 1721.
Essai sur Le Pastiche. 49
à l'occasion du Pervigilium Veneris}
dont on ne connaît que les quatre vers
suivants :
" Nemo tentis mentulis det, nemo nervis otium.
Ecce passeres salaces, ecce rauci turtures,
Hâc nuper virente myrto nos amoris admonent
Cum puellis dulce inire vesti contubemium,
Nemo tentis," etc. etc.
Quelquefois le critique trompé ne veut
pas être désabusé et persiste dans
Terreur. Henri Estienne avait inséré
dans ses Satyrici Minores, une satire
De Lite y qu'il croyait ancienne, et qui
était du Chancelier de VHospitaL Le
* Français Noël, dans ses notes sur Cattdle,
tome i. p. 343, assure au contraire que ce fut
van derDoes qui voulut imiter le tour que Muret
avait joué, et qui prétendit qu'un de ses amis
avait vu, dans une bibliothèque de France, un
Pervigilium Veneris différent de celui que nous
possédons, et dont il rapporte quatre vers. " On
trouva à ce fragment, ajoute Noèl^ un goût et un
ton antique ; et quand on fut détrompé, on se
consola, comme Scaligery par des injures."
D
50 Essai sur Le Pastiche.
philologue Boxhom ne voulut jamais
croire J. F. Gronovius, qui le prévint
de la supercherie, et soutint que
VHospital devait avoir découvert cette
pièce excellente, et qu'il pouvait citer
des savants qui l'avaient lue dans des
manuscrits anciens! Cest peut-être
une semblable conviction qui engagea
Aide le jeune à publier Philodoxios
Fabula^ comme pièce ancienne, quoi-
qu'il ne soit pas probable qu'il ignorât
<\vl Albert Eybe en avait déjà donné
quelques scènes dans sa Margarita
poeticay où elle est attribuée à Charles
(fArezzo^ de la famille des Marsuppini,
mort à Florence, en 1453.*
Malgré l'étude profonde de l'anti-
^ Lepidi Comici Veteris Philodoxios Fabula,
ex antiquitate eruta ab Aldo Manucio, in 8°.
Lucae, 1558. Ce livre extrêmement rare a
été vendu jusqu*à dix guinées à la vente de la
Bibliothèque de B, Butler.
2 Voir Rerwuard.
Essai sur Le Pastiche, 5 1
quité que possédaient incontestable-
ment les savants de cette époque, on
serait presque tenté de douter de leur
esprit critique, lorsqu'on les voit se
tromper aussi fréquemment
Guez de Balzac^ un des créateurs de
la langue française, et. dont le grand
Corneille, Gassendi, Sarrasin, etc.,
s'accordent à vanter le talent pour la
versification latine, a été à son tour la
cause d'une mystification (dont on a
cherché à le justifier), quoiqu'il eut pris
d'amples précautions pour cacher sa
petite supercherie. Il inséra dans ses
œuvres,^ parmi ses poésies et épîtres
latines, un morceau intitulé : " Indig-
natio in poetas Neronianorum tem-
porum^ majoris operis fragmentum'^
Il déclare qu'il avait trouvé dans un
parchemin pourri en plusieurs endroits,
et à demi rongé de vieillesse, des vers
d'un auteur inconnu sur les hommages
^ Deux volumes in fol., p. 38. Paris, 1665.
52 Essai sur Le Pastiche.
prodigués à Néron, que les Chrétiens
croyaient être T Antéchrist. Il faut que
l'auteur ait écrit sous le règne de
Néron, ajoute-t-il, quoique son carac-
tère soit plus ancien, et qu'il ait
cherché une autre manière, et une
plus belle expression que celle des
écrits de ce temps-là. Mais de plus,
nos amis du pays latin trouvent que
son génie est hardi.
y. Ch. Wernsdorff^ éditeur d'un
recueil estimé, les Poetœ Latini
MinoreSy inséra ce fragment d'une
trentaine de vers, comme l'œuvre du
poète Turnus, Bunnann et plusieurs
autres crurent également à l'authen-
ticité de cette pièce. A. Perreau, le
traducteur de Perse, a fait, dit-il,
d'inutiles recherches (et on peut l'en
croire), pour se procurer le manuscrit
d'où Balzac avait tiré ces beaux vers ;
et le savant Boissonade jugea que la
conjecture était probable, qui les attri-
Essai sur Le Pastiche. 53
buait au satirique 7«r;««^, contem-
porain de Martial. Seulement il
exprimait de grands regrets que
Balzac, qui le premier les avait publiés,
n'eut pas pris le soin de nous faire
connaître leur origine, et la source d'où
il tenait son vieux manuscrit.
Cette prétendue satire de Tumus
fut reconnue véritable par LemairCy
Natcdet, QuicJierat, et traduite par
Théry, Ach. Perreau et CJiarpentier,
dans les collections classiques !
Le spirituel auteur des Matana-
siennes a voulu disculper Balzac y et
prouver que si on avait lu avec plus
d'attention les lettres de celui-ci
adressées à Conrart, à Chapelain, et à
d'autres, ainsi que ses ** Entretiens, ou
dissertations littéraires," on aurait
vu que l'auteur n'avait pas l'intention
de tromper les savants.
Il faut avouer pourtant que Balzac
aimait ces jeux d'esprit, et s'exprimait
54 Essai sur Le Pastiche.
d'un air de grande bonne foî, en les
présentant comme anciens ; et excellent
latiniste comme il l'était,^ il n'est pas
étonnant qu'il déçut quelquefois le
public lettré. Dans son quatrième
discours, adressé à Madame la Mar-
quise de Rambouillet, il cite des
paroles de Cassius et de Caton, une
lettre de Fabricius à Pyrrhus, un
billet de César à Cléopâtre, comme
extraits d'un vieux manuscrit, qui lui
est heureusement tombé entre les
mains. Toutefois ici, comme la sup-
position est flagrante, il ajoute une
explication, qui laisse entrevoir la
vérité : " L'auteur de ce manuscrit
n'est pas un inconnu, un enfant de la
terre ; il a un nom et un pays, et porte
^ Le philosophe Gassendi lui a rendu ce
témoignage, ** Balzacius cui nemo, non gallicè
modo, sed latine etiam scribentîum elegantiae
palmam non facile cedat.*'
Essai sur Le Pastiche. 55
des marques de sa naissance. Il est
vrai pourtant, Madame, que je ne vous
parle pas si affirmativement de la vérité
de ces lettres qu'il ne vous soit permis
de suspendre encore votre jugement.
" Puîsqu'en ce pays de Grèce, il y a
quantité de gens de bonne volonté et
de grand loisir ; puisque Ifes sophistes
ont servi de secrétaires à Phalaris et
à d'autres princes, je ne sais combien
de siècles après leur mort, ils pourraient
bien avoir rendu le même service à
César. Au surplus, si ces pièces ont
été contrefaites, c'a été, je pense, à peu
près au siècle d'Auguste."
Ce demi-aveu même laisse exister le
doute, par les derniers mots, sur l'in-
tention de Balzac d'induire en erreur
Madame de Rambouillet.
Suffit-il pour empêcher le lecteur
d'être pris au piège, que dans une
édition des poésies latines de Balzac,
56 Essai sur Le Pastiche.
publiée par Ménage en 1650,^ on
trouve, à la page 189, huit petites
pièces de vers avec l'intitulé : Ficta
pro antiquis, sous lequel l'éditeur a
placé le fragment attribué à Turnus ?
La France n'était pas le seul pays
où Ton pratiquait ces sortes de super-
cheries; en Espagne le pastiche et
les suppositions d'auteur prospéraient
singulièrement.
Le biscayen Antonio de Guevaray
moine franciscain, auteur de plusieurs
ouvrages, pourvu de deux évêchés, et
historiographe de Charle-Quint, ouvre
la marche par son Horloge des Princes^
espèce de roman philosophique dont
^ Joann. Ludov. Balzacii Canninum libri iil,
in 8°. Paris, 1650.
Ces peccadilles contribuèrent peut-être à faire
traiter si rudement Balzac par le P. Gouluy
général des Feuillants, qui écrivit contre lui
deux volumes d'injures. Bautni disait de
Balzac, qu'il était attractif (V injures.
Essai sur Le Pastiche. 57
Marc-Aurèle est le héros, et qui res-
semble à la Cyropédie de Xénophon.'
L'auteur prétendit qu'il avait traduit
cet ouvrage sur un manuscrit très
ancien trouvé à Florence. Le public
ajouta foi à cette assertion ; mais enfin
un professeur de littérature au collège
de SortUy nommé Petro de Rua^ prouva
que c'était une œuvre moderne, et
défia l'auteur de montrer le manu-
scrit.
Guevara fut alors assailli de toute
* Relax de Principes,
On sait que est ouvrage a fourni à Lafontaine
son admirable fable du 'paysan du Danube^
d'après une traduction française par R. B. De la
Grisey conduit en Espagne, après la bataille de
Pavie.
Cette traduction, revue et corrigée par N. De
Herberay^ seigneur des Essarts, fut suivie de si
près par Lafontaine, qu'il s'appropria non seule-
ment toutes les idces, mais même les expressions
du traducteur. Voyez Tédition des Fables de
Lafontaine, par KobcrL
58 Essai sur Le Pastiche.
part, avec d'autant plus d'anîmosîté
que les pastiches d'Annius de Viterbe
avaient récemment encore excité la
colère des savants.
"Je m'imagine, dit Bayle^ dans son
dictionnaire, que le succès qu'avait en
d'abord le Marc-Aurèle de Guevara^
encouragea l'anglais Thomas Elyot à
une fraude du même genre."
Cet auteur publia à Londres, sous le
règne de Henri VIII., un ouvrage
qu'il prétendit avoir traduit sur un
manuscrit grec à'Encolpius, auquel
Alexandre Sévère était fort attaché, et
qui est connu pour avoir publié la vie
de cet empereur.
Elyot avançait qu'un gentilhomme
napolitain, nommé Puderico^ lui avait
prêté l'original. Le public fut trompé
pendant quelque temps ; mais Wottoity
dans son Histoire Romaine, fit voir
sans réplique, que ce n'était là qu'une
supposition d auteur.
Essai sur Le Pastiche. 59
Revenons à l'Espagne, où l'époque
dont nous parlons pourrait être dé-
signée comme Tâge d'or des super-
cheries littéraires. Au nombre des
plus remarquables, on trouve Thistoire
de la conquête de l'Espagne par les
Arabes, traduite d'une chronique con-
temporaine des événements.
Les écrivains du pays, pleins de foi
en l'authenticité de ce document, s'en
servirent pour la composition de leur
histoire ; mais voilà qu'après un exa-
men trop tardif, Don Nicolas Antonio
commença à jeter des doutes sur le
livre. Bientôt d'autres critiques en-
trent dans la même voie, et enfin la
fraude non seulement est prouvée,
maïs on découvre même quel en est
l'auteur. Micluulde Lmia, interprète
d'Arabe, au service de Philippe III.,
avait calqué son œuvre avec beaucoup
d'art sur d'anciens documents peu
connus.
6o Essai sur Le Pastiche.
C'est aussi en ces temps que le
jésuite, y érbme Higtieray s'associa Tori-
albuy son confrère, lequel prétendit avoir
trouvé dans la bibliothèque de Fulde en
Allemagne, un manuscrit que Higuera
enrichit de notes, pour éclaircir diffé-
rentes parties du texte ; puis une copie
du tout fut envoyée à J. CalderoUy qui
le publia à Saragosse, sous le titre de :
'' Fragmentum Chronici Flav, D ex tri
cunt chronico Marci Maximiy et addi"
tionibus S. Branlionis et Helecanir
Ces ouvrages supposés étaient com-
posés avec beaucoup plus d'ingéniosité
que ceux de Bérose et de Manéthon,
dont nous avons parlé ci-dessus.
C'est ce qui fut la cause que l'on eut
bien plus de foi en leur authenticité.
Toutefois comme les savants ne
purent jamais obtenir de voir le
manuscrit original, et remarquèrent
quelques anachronismes, des doutes
commencèrent à s'élever. Puis Gabriel
Essai sur Le Pastiche. 6 1
Pennoty augustin de la Navarre, publia
un examen de la chronique, dans lequel
il donnait d'excellentes raisons pour
prouver Fin vraisemblance de ces docu-
ments, et malgré la défense qu'entreprit
Th. VargaSy la supposition d'auteur
fut définitivement reconnue par le
monde lettré.*
Higuera n'eut pas le chagrin de voir
ce résultat, car il mourut en i6i i, huit
ans avant la publication de cette his-
toire critique, et soutenant toujours
l'antiquité de son œuvre.
Ceci se passait sous Philippe III.,
gouverné, de même que l'Espagne, par
le duc de Lerme. Dix ans plus tard
^ Voir Historia critica de los falsos croni-
cones de Senor Alcantara. L'auteur décrit avec
précision l'origine, la formation, et les vicissitudes
de ces chroniques.
Pour ce qui concerne les supercheries litté-
raires de l'Espagne, on doit consulter l'excellente
histoire de la littérature de l'Espagne, par George
Ticknor, 3 vols. 8**.
62 Essai sur Le Pastiche.
Philippe IV. montait sur la trône,
encore mineur, sous la tutelle du
duc d'Olivares, qui créait comte de la
Rocay un des plus habiles écrivains
de pastiches trompeurs qu'ait produits
l'Espagne.
" Don Juan Antonio de Vera y
Zunîga " annonça qu'il avait dé-
couvert un in 4° imprimé à Burgos en
1499, renfermant cent et cinq lettres
de Ferdinand Gomez de Cibdareal^
médecin et confident du Roi Jean III.,
recueil intitulé : " Centon Epistolario."
Cette correspondance, qui avait eu lieu
entre 1425 et 1454, rapportait des
faits très intéressants, et des détails
anecdotiques sur des événements d'une
haute importance. Pendant près de
deux cents ans, ce livre réimprimé
en 1775? par le secrétaire de
l'Académie Historique d'Espagne, fut
cité comme autorité dans maints
ouvrages. Dans l'intervalle, l'esprit
Essai sur Le Pastiche. 63
de recherches et d'examen avait fait
des progrès. L'on analysa plus
scrupuleusement, et Ton trouva
d'abord que dans aucune chronique,
histoire, ni correspondance, on ne ren-
contre le nom d'un Gomez de Cibda-
real, médecin et confident du Roi
Jean.
Cependant les renseignements sur
la cour de ce souverain sont abondants.
Ensuite aucun manuscrit de cette cor-
respondance avec les principaux per-
sonnages du royaume, n'existe nulle
part Enfin tous les bibliographes
s'accordèrent à dire que l'édition
de Burgos de 1499 est fictive, et
accuse une impression postérieure à
1600.
L'ouvrage présente aussi plusieurs
anachronismes dans les faits et dans
le style. On y rencontre des phrases
et l'emploi de mots inconnus avant la
première moitié du seizième siècle.
64 Essai sur Le Pastiche.
Somme toute, la supposition d'auteur
devînt évidente, et fut duement con-
statée.
On voit, comme nous Tavons dit,
que c'était vraiment en Espagne Tâge
d'or des supercheries littéraires.
L'Italie et la France ne restaient
pas en arrière dans la même voie.
" Vesiigia retrb
Observata sequor^^
semblait être la devise.
Martin Fumée^ sieur de Genillé,
publia en 1599, comme traduit du grec
d'Athénagoras, philosophe Athénien,
qui florissait vers la fin du deuxième
siècle, " Les amours honnêtes de
Théogone et de Charide ; de Férécide
et de Mélangénie."
Ce fut, comme presque toujours,
l'impossibilité de trouver la moindre
trace du texte grec de ce livre, qui
éveilla les soupçons, et Ton reconnut
bientôt que c'était encore là, une sup-
Essai sur Le Pastiche. 65
position d'auteur et un pastiche de
romans connus.^
" Corpus putat esse^ quod umbra est,"
Une supercherie d'une toute autre im-
portance fut pratiquée en Italie un
peu plus tard.
Curzio yngkerami^ érudit qui s'était
occupé toute sa vie d'antiquités, publia
des fragments d'histoire ,étrusque soi-
disant écrits par un certain Prosper
FesulantiSy en l'an 700 de Rome.
On y établissait entr'autres faits
historiques, qu'il y avait eu des rap-
ports entre les Etrusques et les
^ Voir Struviusy De dociis impostoribus,
A propos de ce roman, rappelons ici la dis-
cussion qui n'est pas encore fermée, au sujet
d'un autre roman grec, beaucoup plus célèbre,
** Daphnis et Chloky' que quelques critiques re-
gardent comme un pastiche élégant du neuvième
siècle, œuvre ingénieuse et patiente d'un homme
de goût, égaré dans la barbarie d'un âge ignorant.
Consultez Les Romanciers Grecs ei Latins^ par
Victor Chauvin, p. 134.
E
66 Essai sur Le Pastiche.
Hébreux; que le roi David avait
imité, dans ses écrits, ceux de Noé et
de ses descendants. Cette chronique
rapporte même des discours et des
anecdotes de Noé.^
Léon AUatius et Henri Ernst
eurent beau donner des preuves de la
fausseté de cet ouvrage, yngherami
défendit Tauthenticité de sa décou-
verte, en faisant imprimer à Florence,
en 1637, un gros in 4*" intitulé, " Dis-
corso sopra Topposizione fatte air anti-
chità Toscane." Attaqué de nouveau
avec renfort d'arguments, il céda, et
s'excusa, en disant qu'il s'en était laissé
imposer par un faussaire. Ceux qui se
sont occupés de la question, pensent
qu'il y a des raisons pour croire en sa
bonne foi.*
Le souvenir de cette invention était
1 D'Israeli,"Curiosities of Literature," tom.iii.
^ Dictionnaire Critique de Bayle, et Huet :
Traité de l'origine des Romans.
Essai sur Le Pastiche. 67
presque effacé, lorsqu'un aventurier
sicilien, Joseph Valla, annonça qu'il
avait découvert les livres de Tite-Live
qui nous manquent C'était une tra-
duction en Arabe qu'il avait achetée
d'un Français, lequel avait enlevé le
manuscrit des rayons de la biblio-
thèque de Constantinople.
Il ajoutait qu'il possédait aussi un
codex, provenant de la même source,
et contenant l'histoire de la Sicile
durant la domination des Arabes.
Comme il montrait les manuscrits
arabes, il obtint la confiance, et ces
trésors historiques attirèrent honneurs
et pensions sur leur heureux pos-
sesseur. Le roi de Naples lui fournit
de l'argent pour continuer ses re-
cherches. Enfin, un volume fut pu-
blié, mais un orientaliste découvrit,
peu après, que le texte du manuscrit
arabe sur la Sicile avait été falsifié,
page par page, et presque ligne par
68 Essai sur Le Pastiche.
ligne. L'original ne contenait autre
chose qu'une histoire de Mahomet et
de sa famille.
Valluy condammé à l'emprisonne-
ment et menacé de la torture, avoua
sa malheureuse supercherie.^
Le Portugal, à son tour, vît le pastiche
s'emparer d'un petit chef-d'œuvre, les
Lettres Portugaises^ écrites vers 1663,
par Mariana Alcaforada^ et telle-
ment admirées dans le siècle de Louis
XIV., qu'elles étaient comparées à
celles d'Héloïse à Abailard. La meil-
leure édition en a été donnée par M.
de SoMza^ qui démontra l'authenticité
* Ilyeutplusieurssavantsdecenom: V Laurent
Valla^ au xv°* siècle, qui réfuta la prétendue
donation de Constantin ; a"*' George Valla^ qui
fleurit vers la fin du même siècle, et expira
comme Thérésiai-que Arius; 3"* Nicolas Valia,
à la même époque, traducteur de l'Iliade et
d'Hésiode. Notre faussaire a été oublié par
Bayie, Voir "Curiosités Littéraires," ^^zxLalanne,
« Paris : F. Didot 1824, In 12°.
Essai sur Le Pastiche. 69
des cinq* premières, maïs qui émît
ropînîon que les sept autres n'étaient
qu'un pauvre pastiche fabriqué par
un écrivain français, dans un but de
spéculation de librairie.' C'est un
mélange d'affectation et de recherche
en contradiction avec les usages por-
tugais.
Les écrivains de faux mémoires,
tels que nous en verrons un si
grand nombre au dix-neuvième siècle,
avaient déjà un modèle à suivre dès
le dix-septième.
Sandras de Courtilz, né en 1644,
fut célèbre en ce genre. Il composa
les Mémoires de D'Artagnan,* de la
Marquise de Fresne^ à^ La Fontaine^
du Marquis de MontbrtcUy etc. Sa
^ Consultez, à ce sujet,** l'Histoire Littéraire du
Portugal et du Brésil," par^. ^Ferdinand Denis ^
ouvrage devenu rare et qui mériterait d'être
réimprimé.
* Lesquels Alexandre Dumas n*a fait que
copier dans ses ** Trois Mousquetaires."
70 Essai sur Le Pastiche.
manie était poussée si loin, qu'il pu-
bliait parfois de faux mémoires lorsque
les véritables existaient : tels sont ceux
du Marquis de Langallerie^ sur la
guerre d'Italie, écrits par lui-même
dans sa prison à Vienne, et publiés
par Gautier de Fagel^ en 1 743.^
Toutes les productions sémi-his-
toriques de cet auteur fécond ne
méritent aucune confiance.
Arrêtons-nous ici un moment à des
suppléments d'auteur, véritables pas-
tiches, parcequ'ils ne furent jamais
avoués par ceux qui les composèrent
avec l'intention de tromper le public.
Aujourd'hui, l'authenticité de plu-
sieurs fragments ajoutés au roman
satirique de Pétroney n'a plus de par-
tisans; mais il y eut une époque où ils
soulevèrent leS passions de la critique,
^ Niceron a consacré un article à Sandras de
Courtiiz, ainsi que Quérard^ dans ses " Super-
cheries Littéraires," tome il p. 523.
Essai sur Le Pastiche. 7 1
et passèrent par des phases assez
curieuses pour nous engager à entrer
dans quelques détails.
On sait que c'est au Pogge^ ce cé-
lèbre dénicheur de manuscrits anciens,
que nous devons la première connais-
sance d'un livre de Pétrone,Mécou verte
encore bien partielle, car il parait que
les nombreux écrivains qui n'ont cessé
de citer cet auteur pendant les six
premiers siècles de notre ère, avaient
des textes beaucoup plus complets
que les nôtres.
Un très-ancien manuscrit, provenant
des dépouilles du sac de la ville d^
Bude, lorsqu'elle fut prise par le
fameux Mathias Corvin, passa de la
bibliothèque de ce prince, dans celle
de Pierre Pi t hou}
Ce savant le compara avec d'autres
manuscrits du SatyricoUy et trouva
qu'il contenait des additions impor-
1 1380-1459. « i 539-1596.
72 Essai sur Le Pastiche.
tantes. Comme il n'y avait pas le
moindre doute sur son authenticité, il
le publia. Les commentaires qui sui-
virent cette publication, excitèrent la
curiosité, et les savants ambitionnèrent
la gloire de compléter l'œuvre de
Pétrone. C'est alors que yean Lucius^
de Frau, en Dalmatie, publia à
Padoue, en 1664, un nouveau manu-
scrit découvert dans la bibliothèque
de Nicholas Cippi. Il contenait un
fragment inconnu considérable,^ qui
fut reproduit par les presses des prin-
cipales villes de l'Europe.
On mit une ardeur extrême à at-
•
taquer l'authenticité du manuscrit de
Frau. On s'imagina que les additions
n'étaient qu'un jeu d'esprit de quelque
^ Il commence par les mots : " Ipsc nescit quid
habmV (chap. 37), et finit par: ^^ Ex incendia
fugimus (chap. 78), ce qui fait 41 chapitres,
(moins le 55"* déjà connu), sur les 141 qu'on
trouve dans le Pétrone de Burmann et dans
celui à! Anton.
Essai sur Le Pastiche. 73
savant, qui avait su imiter le style de
Tauteur latin. Enfin, le célèbre Lyon-
nais, yacob SpoHj se convainquit, après
avoir soigneusement examiné le manu-
scrit, que le fragment nouveau était
bien authentique, et cette opinion fut
généralement adoptée.^
L'œuvre encore incomplète de
Pétrone en était là, lorsqu'en 1693,
François Nodot, officier français, publia
à Paris, un Satyricon soi-disant com-
plet d'après le manuscrit original d'un
renégat grec, manuscrit d'une antiquité ^
de mille ans, et acheté durant le siège
de Belgrade.
Malheureusement on ne put jamais
obtenir de voir ni l'original, ni la copie
que Nodot dit avoir prise. Les débats
prouvèrent que nous n'avions ici
qu'un véritable pastiche, et même un
^ Voir " Nouvelles recherches historiques
et critiques sur Pétrone," par J. E. Pétrequin.
I vol. gr. in 8". Paris ; Ballière. 1869.
74 Essai sur Le Pastiche.
pastiche maladroit d'après une savante
critique.*
Ce fut Basnage qui poussa le cri
d'alarme, dès que le Pétrone de
Nodot vit le jour. Celui-ci se défen-
dit d'être l'auteur de ces additions,
avec une ténacité qui ne s'est jamais
démentie. L'auteur des Matana-
siennes^ que nous avons déjà cité,
conjecture que cette dénégation pour-
rait bien être fondée, et montre qu'il
y a des probabilités pour croire que
*ces derniers fragments furent corn-
posés par Nicolas Chorier^ auteur
^ Voir "Observations sur le Pétrone trouvé
à Belgrade en 1688, et imprimé à Paris, en
1693, et ^ Lyon, Tannée suivante," i vol. in 12°,
de 2 1 4 pages.
Cela n'a pas empêché que tous les éditeurs
de Pétrone depuis 1693, jusqu'aujourd'hui, ont
cru devoir reproduire les fragments de Nodot,
parcequ'ils remplissent ingénieusement les la-
cunes du récit. Néanmoins tous s'accordent à
les déclarer supposés.
Essai sîir Le Pastiche. 75
de XAloysia^ et par son ami P.
Ltnage.
Depuis longtemps les discussions
relatives au Pétrone de Nodot avaient
cessé, et la question était chose
jugée, lorsque l'attention des érudits
fut réveillée en i Soc, par la publication
d'un nouveau passage de l'auteur
latin, trouvé, disait-on, dans la biblio-
thèque de Saint-Gall. Il remplissait
la lacune que l'on soupçonnait dans
l'endroit du chapitre 26, où Encolpe
regarde avec Quartilla^ par les fentes *
de la porte, les jeux de Giton et de la
petite Pannychis.
Ce fragment n'est qu'un pastiche,
dît Charles Brunet, dans son " Manuel
du Libraire;" mais lauteur, caché sous
le nom de Lallemand, a imité avec
tant de perfection l'esprit et la manière
de Pétrone, que plusieurs savants s'y
trompèrent d'abord.^ Le véritable
^ Noël, dans son édition de CatulUy a repro-
76 Essai sur Le Pastiche.
auteur était Joseph Marchéna, littéra-
teur espagnol, employé dans Tadmi-
nîstration de Tarmée du Rhin.^ En-
couragé par ce premier succès, il fit
ensuite imprimer chez Firmin Didot,
un prétendu fragment de Catulle^ qui
cette fois ne trompa personne : ^
" Fructu non respondente lahori^^
comme dit Ovide.
Afin de résumer tout ce qui re-
gardait les pastiches de Pétrone^ nous
avons interrompu Tordre chronologique
duit le morceau qu'il considère aussi comme
une parfaite imitation de Toriginal. Il est omis
dans la traduction de Pétrone, par Béguin de
Guérie, mais texte et traduction sont donnés
dans le Pétrone de Baillard, publié sous la
direction de Nisard,
^ G. Peignot a décrit l'historique des super-
cheries de Nodot et de Marchéna, dans son
" Dictionnaire raisonné de Bibliologie," et dans
son " Répertoire de Bibliographie Universelle."
2 Frédéric Schoell, Répertoire de la Littéra-
ture ancienne, 2 vols. 8**. Paris, 1803.
Essai sur Le Pastiche. 77
de notre récit Revenons à la fin du
dix-septième siècle.
On sait que Louis Racine avait fait
des notes marginales à de fausses lettres
de Madame de Maintenant si parfaite-
ment imitées, que ces notes sur les
détails qu'elles renferment, ont été
reconnu fondées de tous points.
Voltaire, que l'on retrouve partout,
quelque sujet que Ton traite, s'est
moqué de ces lettres et des pastiches
en général, dans son " Commentaire
Historique" qui n'a pas été reproduit
dans toutes les éditions: " En France,
dit-il, nous avons eu de puissants génies
à deux sols la feuille, qui ont fait des
lettres dé Ninon, de Maintenon, du
Cardinal Alberoni, de la Reine Chris-
tine, de Mandrin, etc. Le plus naturel
de ces beaux esprits était celui qui
disait:^ Je m'occupe à-présent à faire
des pensées de La Rochefoucauld."
^ Capron, dentiste très connu de son temps.
78 Essai sur Le Pastiche.
Après ce ton dédaigneux pour ceux
qui composent des pastiches, soup-
çonnerait-on que Voltaire se fût laissé
aller . plus d'une fois à essayer de
tromper le monde en ce genre ? Trois
lettres de Caius Memmius Gemellus à
Cicéron} présentées une fois au public
comme traduites du latin en russe, sur
un manuscrit de la bibliothèque du
Vatican, et du russe en français, furent
réimprimées dans les " Questions sur
l'Encyclopédie," où, pour mieux faire
croire à leur authenticité, il prévient
le crédule lecteur que les savants les
ont reconnues pour être véritablement
de Memmius. Dans une lettre à
D'Alembert, du 27 Novembre 1772,
Voltaire en parle dans le même sens,
et soutient sa fraude, qui fut bientôt
avérée. On peut dire que c'était là
^ Ce fut pour ce Memmius que Lucretius
Carus composa son grand poème, " De naturâ
renim."
Essai sur Le Pastiche. 79
une plaisanterie ; mais la bonne foi ne
peut guère admettre que tant de pré-
cautions soient prises pour Tentourer
de toutes les apparences de la vérité.
Si Voltaire est, d'après Quérard,
l'écrivain français qui a poussé le plus
loin la manie de la supposition d'auteur
et du pseudonyme, il s'est néanmoins
laissé prendre au même piège. On
lit dans sa " Philosophie de l'Histoire :"
"Un hasard fort heureux a procuré à
la bibliothèque de Paris, un ancien
livre des Brames, c'est VEzotir- Védam,
ou commentaire des Védas, écrit avant
l'expédition d'Alexandre dans l'Inde.
C'est un des plus précieux manuscrits
de l'Orient." Il en reparle encore
dans La Défotse de mon oncle.
Or cet " Ezour-Védam " que le
Baron de Sainte-Croix publia en fran-
çais, en 1778, n'est qu'un pastiche
religieux.
Le manuscrit sanscrit, bien loin de
8o Essai sur Le Pastiche.
renfermer la véritable doctrine des
anciens Brahmes, tend à saper cette
doctrine pour la remplacer par celle
du Christianisme.
Les savants ont établi que ce pré-
tendu commentaire des Védas a été
fabriqué par quelque missionnaire
catholique, mettant en pratique le
veris fa Isa reniiscet d'Horace. On
a trouvé dans la bibliothèque des
missionnaires à Pondicherry d'autres
parties des Védas, travesties de la
même manière.^
Une supercherie à peu près du
même genre a trompé le savant
* Voir Asiatic Researches^ vol. xiv., Calcutta,
1822, in 4^, oti Ton trouve à ce sujet une notice
de Francis Ellis.
La traduction française de ce faux Ezour-
Védam, avec observations préliminaires de 172
pages, et des éclaircissements historiques de
259 pages, 2 vols, in 12°, Yverdon, imprimerie
de M. De Felice, 1778, est devenu un livre fort
rare. Il existe aussi une traduction allemande.
Essai sur le Pastiche. 8 1
sanscritîste, Sir William Jones. Un
Hindou, désireux de s attirer la faveur
des pieux Européens, composa un
pastiche d'un nombre de versets du
Purana^ dans lesquels il introduisit
l'histoire de Noé et de ses enfants,
sous la désignation de Satyavatra.
Il communiqua ce travail au capitaine
Wil/ordy lequel en fit part à Sir Wil-
liamJoneSyqui en donna une traduction
comme un fragment des plus curieux.
Ce ne fut qu'après la collation de
plusieurs manuscrits des Puranas,
qu'on s'aperçut de la fraude.^
Malheureusement toutes ces fraudes
n'ont pas été découvertes si vite.
Une publication qui attira latten-
tion publique au dix-huitième siècle,
trompa les historiens pendant vingt
ans. Ce fut /a Rym-Kronyck^ etc. door
Broeder Klaas Kolyn^ publiée dans les
" Analecta Belgica," de Gérard Duni-
^ " Curiosities of Literature," par Isaac d'Israeli.
F
82 Essai sur Le Pastiche.
bar, et attribuée à un Bénédictin de
TAbbaye d'Egmont, près de Haarlem,
qui vivait vers la fin du douzième
siècle. Cet ouvrage obtint la con-
fiance générale, et on le cita dans
nombre de travaux historiques. A la
longue cependant le doute s'éveilla,
et enfin les recherches de Wagenaary
de Van Wyn, et d'autres critiques,
prouvèrent que le moine était bien
innocent dans cette cause, et que
c'était l'œuvre d'un avocat de Boîs-le-
Duc, nommé Henri Graftanty aidé
d'un graveur, Régnier de Graaf. Ce
fut ce dernier qui révéla la vérité, lors
de la vente à Corneille van Alkemade,
du manuscrit original.^
La France, au siècle dernier (et
durant celui-ci, comme nous le verrons
bientôt) a été peut-être de tous les
^ Voir Foppens, " Bibliotheca Belgica ;" Van
Wy n, " Loisirs Domestiques ; " et Ypey, " H istoire
de la Langue Hollandaise."
Essai sur Le Pastiche. 83
pays, le plus fécond en pastiches et
en supercheries littéraires, comme le
prouvent suffisamment les travaux bi-
bliographiques de Tinfatigable Quérard.
De 1757 à 59 l'habile ministre de
Louis XV., Choiseuly composa, dans
un intérêt politique, un curieux pastiche
dans une collection de lettres supposées
écrites d'Amérique par le général
français, Marquis de Monicalm, à son
cousin M. De Berryer^ résidant en
France. On y trouve une très-juste
appréciation de la situation des
colonies d'Amérique, et une prédic-
tion bien nette de la Révolution qui
se préparait Ces lettres eurent le
plus grand retentissement dans les
deux continents. Bancrofty dans son
Histoire des Etats Unis, les qualifie
nettement de contrefaçon.^
* VoL iv. chap. ix. page 128, en note. Voir
aussi Notes and Queries^ 4™* Série, viii.. Novem-
bre II, 187 1, page 397.
84 Essai sur Le Pastiche.
Les Mémoires de Bachaumont rap-
portent qu'en 1773, un pamphlétaire
inconnu, hostile aux derniers ministres
de Louis XV., fit paraître une soi-
disant lettre du père Caussin au Cardinal
de Richelieu^ qui contrefaisait merveil-
leusement le style figuré de ce temps-
là, ainsi que la manière du vieux
Jésuite. Elle peut être considérée
comme un pastiche remarquable, ajoute
notre auteur.
Nous avons déjà signalé un des plus
fameux pasticheurs de cette époque,
Courtilz de Sandras}
Lors de la nouveauté du poème de
Voltaire, " La Guerre de Genève,"
la société de Paris courut après les
chants épars de cet ouvrage, dont
^ A notre époque il a trouvé un continuateur
du genre, qui, par sa prodigieuse fécondité, a
surpassé son modèle, nous voulons parler de
Lamothe-Langoriy au sujet duquel on peut con-
sulter Quérard,
Essai sur Le Pastiche. 85
on avait le premier sans le second, le
troisième sans le quatrième. C'est
alors que Cazotte imagina de donner
le septième chant de la Guerre de
Genève, pour satisfaire Timpatience du
public, et pour jouer un tour au poète.
Il l'intitula septième chant, pour flatter
l'espérance des amateurs auxquels il
eut la satisfaction d'entendre dire,
trompés qu'il étaient, que puisqu'il.
y avait sept chants, on pouvait se
flatter d'en avoir au moins douze.
Pendant huit jours l'ouvrage passa
pour être de la même main que le
commencement
On y suppose les événements des
gme çx. 6"™^ chants qui n'ont jamais
été faits par Voltaire. Vachine, la
sorcière dont la baguette a causé les
désordres précédents, métamorphose
l'Ennui en brouillard épais qui
s'appesantit sur la ville. Les dames
de Genève pour se dérober à son
86 Essai sur Le Pastiche.
influence, se sauvent à Ferney, chez
Voltaire : —
" Déjà l'Ennui, par le bruit écarté,
Craignant bientôt d'entendre la trompette,
Abandonnait les murs de la cité :
Vers les Grisons méditant sa retraite,
Il s'éloignait d'un vol pénible et lourd.
Opprimant Tair qui lui livre passage.
Oii vas-tu donc ? es-tu fou ? es-tu sourd ?
Arrete-toi, retarde ton voyage,
Dit une voix dont il connaît l'accent.
Il reconnaît la sorcière, et descend."
''La Guerre de Genève, une des
taches de la vieillesse de Voltaire,
dit La Harpe^ misérable production,
aussi mal conçue que mal écrite, eut
pourtant un moment de succès, et
donna lieu à un plaisant pastiche."
Pendant quelque temps, Horace
parut être en France l'auteur ancien
dont on affectionna de donner des
^ "Cours de Littérature,'' tome iii., page 224,
édition in 8" d'Agasse, an vii.
Essai sur Le Pastiche. 87
pastiches au public. Sans parler d'une
huitaine d'hexamètres placés à la
tête de la dixième satire du 1*^ livre/
ni des vingt vers imaginés par je ne
sais quel confrère de Nodot^ pour
remplir un vide que plusieurs avaient
soupçonné dans Tode à Manucius
Plancus^ racontons la découverte de
M. Edm. Ch. Genêt f frère de Madame
Cam/fan,dcdtux petitesodes d'Horace,
jusqu' alors inconnues. Elles avaient
été trouvées par un prince Gaspar
^ Voir rédition de Daciery et le Dictionnaire
de Bayk^ à Tarticle Lucilius.
2 M. F. Parison dit les avoir trouvés écrits
sur un vieil exemplaire d^Horcue qui paraissait
avoir appartenu à G. Bachet de Mèziriac\ —
" Auraient-ils-été fabriqués par le savant acadé-
micien?" suggère Fauteur du pamphlet d'où
nous tirons ces renseignements.
' Alors jeune secrétaire d'ambassade, et qui
devait être plus tard ministre de France aux
Etats Unis, où il présenta au Président Jackson^
une fausse médaille de Jules César qu'il prétendit
avoir déterrée.
88 Essai sur Le Pastiche.
Pallavicini, dans un vieux manuscrit
de Rome. On n'explique pas com-i
ment une copie passa du noble per-
sonnage à M. Genêt
Quoiqu'il en soit, celui-ci s'empressa
de communiquer cette précieuse trou-
vaille au savant (TAnsse de Villoison,
qui les inséra dans les notes d'une
édition de Daphnis et Chloé dont il
s'occupait alors. Ces deux odes nou-
velles étant venu à la connaissance du
prince Egon de Furstemberg, qui faisait
imprimer à Prague une édition de
luxe d'Horace} il les intercala dans
son texte.
Lemaire, Van der Bourg et d'autres
ont montré que ces vers ne peuvent
être attribués au grand poète romain,
et que même le prince Pallavicini ne
^ Deux volumes in 8°. Cette édition publiée
sans date, et sans nom d'imprimeur, était en-
tièrement destinée à des présents. Cest un
livre d'une excessive rareté.
Essai sur Le Pastiche. 89
fut pas le plus adroît des faiseurs de
pastiches, car nul autre ne doit être
réputé coupable de la composition de
ces vers que cet homme de loisir
trouva tout simple de mettre sur le
compte (t Horace. ^
" Hahet sua qtiisque pericuîa lusus/*
On a du reste de lui, d autres essais
en ce genre.
Il est possible qu'il ait été encou-
ragé par le succès des Lettres de Gan-
ganelli (Clément XIV.), fabriquées
par le Marquis de Caraccioliy et pu-
bliées en 1 779. Tout le monde en a été
longtemps la dupe. Il en fut de même
des vigoureux pamphlets qui rendirent
* Voir sur toute cette affaire une curieuse
brochure anonyme, intitulée : ** Une imposture
littéraire, appendice aux Mélanges Philologiques
de Chardon de la Rochette, d'après son manu-
scrit complété par P. F. T. Servan de Sugtiy ;
in 8° de 39 pages/' Ces deux odes pastiches
out trouvé place dans l'édition polyglotte
d'Horace, par Monfaîcon,
ço Essai sur Le Pastiche.
Boulanger odieux aux catholiques, et
dont Damilaville étBÀt l'auteur, comme
maintenant on le sait à n'en pas
douter. ^
Une des plus heureuses super-
cheries de la dernière moitié de ce
siècle, fut la chanson attribuée à
Marie Stuart : —
** Adieu ! plaisant pays de France,
O ma patrie
La plus chérie.
Qui a nourri ma jeune enfance."
Elle parut pour la première fois en
1765, dans XAntliologie Française
(4 vol. 8^), comme tirée du manuscrit
de Buckinghantj et la supposition fut
répétée jusque dans la première
édition de la Biographie Univer-
selle de Michaud. Cependant dans
le volume de Septembre 1781, de
^ Nodier, " Questions de Littérature Légale,**
page 74.
Essai sur Le Pastiche. 91
r Esprit des Joumatix^ on prouve déjà
que la Reine d'Ecosse, qui n'a jamais
fait que de très pauvres vers, ne peut
être Fauteur de ceux-ci.
Philareste Chasle^ Viollet-le-Duc^
et Sainte Betive^ eurent beau répéter
la même chose, M. Dargand, dans une
vie de Marie Stimrt^ publiée il y a
peu de temps, persiste à dire : " Ces
vers sont désormais inséparables du
nom de cette reine, qui les acheva
quelques semaines plus tard à Holy-
rood."
Il faut restituer ces vers à un
journaliste, Meunier d£ Querlon, fabri-
^ " Mélanges d'Histoire et de Littérature," par
M. De Yillmfagne,
* Revue des deux mondes, du i*' Juin 1844.
^ Bibliothèque Poétique, 2*"* Partie, page 20.
* ** Derniers Portraits Littéraires," page 63.
M. Feuillet de Couches a également donné
quelques détails sur ces vers, dans ses Caur
séries (Tun Curieux ^ tome iv., page 424.
92 Essai sur Le Pastiche.
cant d'autres pastiches ingénieux,^ et
qui finitparavouer son innocente fraude,
dans une lettre à Mercier de St Léger.
La fille de Querlon, dont la mémoire
anecdotique était encore fraîche, dans
un âge avancé, s'égayait volontiers sur
la crédulité publique, à propos des
suppositions d'auteur et des pastiches
de-son père. Celui-ci avait puisé
ridée dans Brantôme qui fait exprimer
en prose, à Marie Stuart, les mêmes
regrets, presque dans les mêmes termes
que r Anthologie lui prête en vers.
N'oublions pas, à propos de cette
chanson supposée, de rappeler des
pastiches vraiment tragiques, des vers
et des lettres de cette reine d'Ecosse,
qui ont principalement contribués à sa
condamnation. L'innocence ou la
culpabilité de Marie Stuart est une
^ Voir "Les Innocentes Impostures, ou
Opuscules par M .*' Magdebourg, 1761.
" UEsprit dans Thistoire," par Ed. Fournier,
page m.
Essai sur Le Pastiche. 93
questîon historique qui dépend de
l'authenticité ou de la fausseté d'une
correspondance avec le Comte de Both-
welly son troisième mari.
Cette correspondance était renfer-
mée dans un coffret d'argent ayant
appartenu à François 11.^ et que Both-
well oublia dans le château d'Edim-
bourg, lorsqu'il prit la fuite.
Deux publications récentes ont
renversé l'accusation qu'avait soutenue
M. Mignet, dans sa " Vie de Marie
Stuart," et elles ont prouvé jusqu'à
l'évidence, que les lettres et papiers
qui ont formé la base de la condamna-
tion, n'étaient que de mauvais pas-
tiches et une coupable supposition
d'auteur.^ Ils furent forgés par les
^ Voir : L. Wiesener, " Marie Sluart et le
Comte de Bothwell." Paris, 1863. 8^
«* Maiy Stuart and the Casket Letters." By
T. F. N., with an Introduction by H. Glassford
Bell. London: Hamilton, Adams & Co. 1870.
8^ Voir aussi le Gentleman^ s Magazine de 1760,
94 Essai sur Le Pastiche.
ennemis de la reîne, surtout par le
traître Bîuhanan^ et Ton y énonce des
sentiments et des faits, en contradic-
tion directe avec la vérité.
Z. Wiesener qualifie de la manière
suivante les documents accusateurs :
" Le mensonge y est flagrant partout ;
le mensonge par insinuation, le men-
songe qui se ménage, en détournant
le sens des faits, le mensonge qui les
suppose hardiment, le mensonge qui,
à propos, sait approprier à ses fins un
lambeau de vérité, ou se cacher
derrière elle, le mensonge qui s'atten-
drit, celui qui s'indigne, en un mot, un
chef-d'œuvre de mensonge. Et c'est
par de pareils documents que Mignet
s'est laissé guider ! *
Les Lords se réunissent en armes
contre la reine, au commencement de
Juin, sous prétexte des faits men-
* L. Wiesener fournit les preuves de cet
enchaînement de mensonges.
Essai sur Le Pastiche. 95
donnés dans ces lettres ; elle est faite
prisonnière le 1 5 de ce mois, enfermée
le 16 à Lochleven, et ce n'est que le 20
que se trouve le coffret ! Le 26 Juin,
une proclamation dénonce Bothwell^
comme meurtrier de Damley^ et publie
l'emprisonnement de la reine; mais
nulle mention n'est faite de ces lettres
si terriblement accusatrices.
Le 17 Juillet suivant, un acte du
Conseil de Régence ôte à Marie
Stuart sa liste civile, mais dans les
motifs, rien encore quant aux lettres.
Bien plus, dans tous les Conseils tenus
par les révoltés, du 20 Juin au 4 Dé-
cembre, il n' y a pas la moindre allu-
sion à ces pièces fatales. Un ambas-
sadeur français arrive en Ecosse, le
23 Juin, pour prendre connaissance des
causes de la captivitié de la souveraine,
mais on ne lui parle aucunement de
cette correspondance. Throgmortoft,
l'envoyé de la reine Elisabeth, n'en
96 Essai sur Le Pastiche.
sait rien non plus. Ce n'est que
lorsqu'une assemblée générale a prié
le Régent et les Lords du Parlement
de faire connaître les causes de la
détention de Marie^ qu'il est enfin fait
mention de ces coupables lettres, dans
un acte du Conseil secret du 4 Dé-
cembre 1567, et c'est le 20 Juin que
le coffret avait été trouvé !
La reine d'Angleterre demande
qu'on lui communique ces documents,
et on en transmet une traduction en
Anglais, sous prétexte que plusieurs
sont écrites en écossais, dialecte ignoré
de Marie. Enfin l'accusée elle-même,
malgré ses demandes réitérées, ne
put jamais obtenir de voir ces pièces,
même en copie, quoiqu'elle déclarât
pouvoir prouver leurfausseté. En effet,
le contenu montre à l'évidence que
Buclianan les traduisit en latin, sur un
texte écossais, et nous venons de le
dire, la reine ne parlait pas ce dialecte.
Essai sur Le Pastiche. 97
Ce qui démontre encore mieux la
fraude, c'est que le régent Murray
soutint plus tard, à Londres, que les
originaux étaient en français, assertion
contradictoire. Jamais ces originaux
ne furent communiqués, jamais ils ne
furent imprimés, et ils disparurent dès
le seizième siècle, ne laissant subsister
que les menteuses accusations de
Buchanan.
Mignet, dans son ouvrage cité plus
haut, a consacré l'appendice G. de
son premier volume, à Texamen de
l'authenticité de ces lettres de Marie
Stuart, et il se pose ces deux ques-
tions : — I. Les copies qui nous restent
de ces documents, sont-elles con-
formes, quant au contenu, aux
originaux perdus ou détruits ? 2.
Ces originaux étaient-ils de la main
de Marie ?
Mignet répond affirmativement ;
mais le professeur Wiesener démontre
G
98 Essai sur Le Pastiche.
sans réplique que c'est sans preuves
valables.^
Après cette digression rétrospective
que le pastiche de Meunier de Querlon
nous a mis en mémoire, revenons à la
fin du 1 8"** siècle, et parlons d'une
supposition d'auteur et de pastiches
^ Ces cassettes supposées, de lettres d^amour,
ont, à plusieurs reprises, servi à calomnier
d'illustres personnages. La prétendue cassette
de Monsieur le Grande renfermant les poulets
écrits à Saint-Mars^ a répandu, de son temps,
de cruelles médisances. N'en fut-il pas de
même, plus tard, des mille mensonges sortis de
la merveilleuse cassette de ce fat de Lauzunf
Une des plus cruelles de ces inventions, moins
atroce pourtant que les lettres à Bothwelly fut
la cassette du surintendant Fouquet, Louis XIV.
seul avec sa mère et Le Tellier^ virent les
véritables lettres de cette cassette, et celles qui
auraient causé trop de scandale, furent brûlées.
Néanmoins les passions du moment et l'envie
en répandirent bientôt de supposées, en pro-
fusion. Voir : Causeries (Pun Curieux, tome ii.
page 503.
Essai sur Le Pastiche. 99
qui ont fait grand bruit, et sur le
compte desquels on ne sait la vérité
que depuis très-peu de temps.
La question avait été examinée par
les plus célèbres critiques ; mais ré-
cemment M. Antoine Macé Ta résolue
par la publication de documents iné-
dits.^
Comme c'est une des curiosités de
l'histoire des pastiches, donnons un ré-
sumé de la discussion. M. Raynouard,
dans le Journal des SavaftlSy n'hésite
pas à mettre les poésies de Clotilde
sur la même ligne que les inventions
du poète anglais Chattertojt et que les
Poésies OccitaniqueSy habile pastiche
^ " Les Poésies de Clotilde de Surville, études
nouvelles, suivies de documents inédits," par
Antoine Macé, Grenoble, 1870. Un vol. in
8^
L'abbé Brizard ne produisit pas un aussi long
doute par son Fragment de Xènophon^ trouvé
dans les ruines de Palmyre, et qu'il publia en
1783.
loo Essai sur Le Pastiche.
du style des troubadours, publié par
Fabre (fOlivet^ précisément à la même
époque, et chez le même éditeur chez
lequel Vanderbourg avait fait paraître
son recueil.
Villemain déclare que ces œuvres
de Clotilde sont une petite con-
struction gothique élevée à plaisir par
un moderne architecte. Daunou et
Ségur suivent la même opinion.
Sainte Beuve consacre à cette ques-
tion une étude spéciale : "M. De
Surville, dit-il, profita de l'espèce
d'engouement qui, pendant plus de
trente ans,* et jusqu'en 89, s'attachait
à la renaissance de la vieille poésie
française, sous sa forme naïve et
chevaleresque. Rien ne manquait en
^ Qu'on lise comme un exemple du roman
pastiche de cette époque, et qui eut un instant
de grande vogue : " L'Histoire amoureuse de
Pierre le Long et de Blanche Bazu," par Sau-
vigny.
Essai sur Le Pastiche, i o i
laîr, en quelque sorte, pour susciter
ici ou là un SurmlleJ*
Enfin aux yeux de la critique, la
question paraissait décidée, résolue,
tranchée définitivement. Quoique les
écrivains que nous venons de nommer
ne s'entendent pas sur l'auteur de ces
poésies, les uns les donnant au Mar-
quis de Surville, les autres à Vander-
bourg, tous s'accordent du moins à
proclamer qu'elles sont de fabrication
moderne, et n'ont rien d'authentique.
Dans le Journal de C Instruction
Publique} M. Macé commence par
analyser vingt-huit documents inédits,
d'une authenticité qui défie tout soup-
çon, et toute espèce de doute. Il en
déduit que tous les critiques précé-
dents se sont trompés. Il examine
les jugements, les opinions et les
systèmes accrédités jusqu'alors, par
^ Tome xxxii. des 3 1 Janvier, 4 FeVrier, et 23
Mars, 1863.
I02 Essai sur Le Pastiche.
des écrivains qui sont justement cé-
lèbres, mais auxquels manquaient les
pièces du procès. Il prouve la faiblesse
des arguments les plus convainquants :
d abord que ces poésies sont trop
parfaites pour le 1 5"* siècle ; que
l'orthographe est fautive ; que Fauteur
observe des règles de versification que
ce siècle ne connaissait pas, etc. etc. etc.
Quant aux faits vraiment irréfu-
tables comme, par exemple, que dans
cette œuvre on combat le système
astronomique de Ptoléfnée, en faveur
de celui de CoperniCy qui n'était qu'un
tout jeune enfant, même à la fin de la
longue vie de C lo tilde ; 2^ qu'on y
réfute les doctrines matérialistes de
Lucrèce y dont le poème ne fut retrouvé
que l'année même de la naissance de
Copernic {i^Ti) ; 3^ qu'on y fait men-
tion des sept satellites de la planète
de Saturne, qui n'ont été découverts
et observés qu'aux i y""' et 1 8°' siècles,
Essai sur Le Pastiche. 103
par Huyg/tenSy D. Cassini et W. Her-
schell.cçs trois arguments, en apparence
formidables, sont réduits à néant par
la simple raison que les pièces où se
trouvent tous ces faits, n'existent pas
dans la première édition des poésies
de Clotilde, donnée par Vanderbourgy
en 1803.^ On ne les rencontre pour
la première fois que dans une publi-
cation faite en 1826, sous le titre de :
" Poésies inédites de Clotilde de Sur-
ville, par M. M. De Roujoux et
Nodier."
" Il est très curieux, fait observer
Sainte Beuve, de voir Nodier se faire
le champion de Clotilde^ au point de
publier en son honneur ses poésies
inédites, tandis que dans ses 'Questions
* Paris, Nepveu éditeur, in 8^, in 12*», et in
18®, avec gravures d'après Colin, élève de
Girodet. Ce même libraire Nepveu publia, en
1824, une nouvelle édition du recueil livré au
public par Van der Bourgs mais les pastiches de
Nodier- Roujoux ne s'y trouvent pas davantage.
1 04 Essai su y Le Pastiche.
de Littérature Légale/ il attaque leur
authenticité, et il les attribue au Mar-
quis de SurvîUe." ^
Du reste la plupart de ces poésies
soi-disant inédites, sont simplement
transcrites du youmal Littéraire de
Lausanne^ publié de 1 794 à 1 798, et
rédigé par Madame la Chanoînesse de
Polier.^ C'est dans ce journal qu'avec
maints autres contributeurs, le Mar-
quis de Surville inséra les premiers ex-
traits des œuvres de Clotilde. Jamais
toutefois il ne donna comme composées
par sa parente, les pièces publiées par
Nodier.
Madmne Potier avait, sur sa de-
mande, communiqué à ce dernier di-
vers manuscrits qu'elle n'avait pas jugé
à propos d'insérer dans son journal.
^ "Tableau de la Poésie Française au
xvi"»« siècle."
* Dix volumes in 8°, avec Tépigraphe : //
emprunte d^ailleurs ce qui fait son iclat.
Essai sur Le Pastiche. 105
M. Macé produit des pièces de poésîe
du Marquis de Surville, et démontre
par leur comparaison avec celles de
Clotilde, qu'il était incapable d'inventer
celles-ci.
Le style, ainsi que le fond des com-
positions du marquis, sont pauvres
d'idées, sans harmonie et sans rhythme.
Or, les pièces évoquées furent écrites
de 1782 à 1787, lorsque de Surville
est supposé avoir fabriqué les manu-
scrits de son aïeule.
Pour ceux qui regardent Vander-
ôûurg^ comme auteur et arrangeur, c'est
pis encore. Il ne se trouvait pas en
Europe en 1787, et il ne put jamais,
dit-il lui-même, dans une lettre con-
fidentielle, se procurer les numéros
du Journal Littéraire de Lausanne où
se trouvaient les pièces qu'il aurait
inventées.
Raynouard et Daunou ont eu vrai-
ment la main malheureuse.
io6 Essai sur Le Pastiche.
Il est prouvé que le frère du Mar-
quis de Surville avait vu entre les
mains de celui-ci, de vieux manuscrits
récemment découverts dans des papiers
de famille, et qu'il les avait péniblement
transcrits avec laide d'un feudîste.
M. M. Villeneuve, Dupetit-Thotiart,
et d'autres personnes, dont la sincérité
ne peut être mise en doute, donnent
témoignage qu ils ont vu le Marquis
de Surville, avant et pendant l'émigra-
tion, absorbé par le déchiffrement de
manuscrits, qui disparurent très vrai-
semblablement dans Tauto-da-fé qui
consuma les titres et papiers de famille
des Surville, à Veviers, pendant la
terreur.
Une fouled'autres raisons qu'il serait
trop long de développer ici, et qu'on
peut lire dans l'ouvrage de M. Macé,
prouve l'existence d'une femme poète
au I s"*" siècle, ayant composé de très
beaux vers, inspirés par l'amour
Essai sur le Pastiche. 1 07
maternel, l'affection conjugale et de
nobles sentiments patriotiques. Ces
vers cependant ne nous sont pas par-
venus dans leur originalité, ou, si Ton
veut, dans leur rudesse primitive.
Néanmoins tous ceux que Vanderbourg^
en homme de sens et de goût, a insérés
dans son recueil, en faisant un choix
et un triage rigoureux, ne sont vrai-
semblablement que très peu altérés,
falsifiés, gâtés et embellis, dans le sens
moderne. Telle a été jusqu'à la fin
de sa vie, l'opinion de Vanderbourg^
comme cela résulte de deux lettres
tout récemment publiées, qu'il écrivait
à M. ^ Surville, jernie, en 1822 et
1824, au moment où il préparait une
nouvelle édition des poésies A^CloHlde.
Les originaux ont incontestablement
existé, mais ils furent remaniés par
Jeanne de Vallon^ au 1 7™* siècle, et
par le Marquis de Surville, au dix-
huitième. Un éminent critique a com-
I o8 Essai sur Le Pastiche.
paré ces vers à un excellent tableau
original, retouché par des mains plus
ou moins habiles.
On sait que le Marquis de Surville
fut traduit devant un conseil de guerre,
condamné à mort et fusillé le 2 Octobre
1 798, au Puy-en-Velay, comme criminel
d'État.
Ici se présente un nouvel exemple
de rîncurie et de la négligence des
biographes au sujet de cette victime
de la Révolution. Barbier, Charles
Brunet, et Quérard répètent, on ne
sait pourquoi, que le marquis fut con-
damné comme voleur de diligences !
Nodier, qui prétend l'avoir rencontré
deux fois, le fait mourir à La
Flèche.^
* M, Leher, tome i. p. 271, du catalogue
raisonné de sa bibliothèque, léguée à la ville
de Rouen, fait mention d'un portrait de Ciotilde
de SurvilU, peint à Taquarelle, d'après un émail
de M**** Jaquototy et ajoute : " Ce portrait,
Essai sur Le Pastiche. 109
Si, dans ce que nous venons de rap-
porter, Ton a regardé comme des
pastiches des pièces de poésie qui
n'en étaient pas, un poète, aussi du
15"* siècle, a passé jusqu'en ces der-
niers temps pour authentique, lorsque
ses compositions étaient Tœuvre d'un
autre. En effet, avant l'édition des
VauX'de-Vire, publiée en 181 1, par
les soins de M. Asseltn^ sous-préfet de
Vire, le nom d^ Olivier Basselin était
peu connu hors de la Normandie.
Quant aux chansons de ce poète
Virois, elles étaient à peu près
ignorées.* Quoiqu'il existât deux ex-
emplaires d'une édition de 1670, qui
plein de chamies, n'est, comme la publication
de Vanderbaurg, que le rêve d'un talent ad-
mirable." C'est dommage que Leber n'ait pu
lire l'ouvrage de Macè,
^ Voir l'Introduction de la nouvelle édition
des Vaux-de-Vire d'Olivier de Basselin et de
Jean le Houx, par le Bibliophile Jacob, i vol.
12**. Paris : A. Delahays. 1858.
I lo Essai sur Le Pastiche.
contenait des chansons sous le nom
de VauX'de-Vtre, le nom d^ Olivier
Basselin ne s'y trouvait pas même
mentionné. Aussi notre poète
normand n'avait qu'une vague
existence avant la publication de
1811, et aurait pu être rejeté dans
le mystérieux domaine des auteurs
imaginaires. Jusqu'aujourd'hui aucun
document nouveau, depuis la notice
de M. Asselifiy ne s'est produit, qui
puisse établir avec certitude à quelle
époque vivait Olivier Basselin.
Jean Le Houx^ un des meilleurs
poètes du milieu du 16"* siècle,
fit imprimer d'anciennes chansons qui
passèrent pour avoir été composées
par Basselin, et y mêla les siennes
propres. Il n'eut pas grand'chose à
faire pour s'approprier ces anciens
Vaux-de-Vire, il n'eut qu'à les re-
cueillir de la bouche des anciens du
pays, ou plutôt qu'à les écrire, comme
Essai sur Le Pastiche. 1 1 1
il les avaît appris quand il commençait
lui-même à faire des chansons. En
les recueillant le premier, Le Houx
les rajeunit, si toutefois il ne les a pas
composés lui-même sous le nom
à!Oltvier Basselitty connu en Nor-
mandie à cause d'une ancienne chan-
son qui se chantait du temps de
Guillaume Cretiity et dans laquelle il
était fait mention de ce nom. Du
reste Jean Le Hotix ne voulant pas
sans doute qu'on l'accusât plus tard
de plagiat, a rassemblé tout ce qu'on
savait par tradition de la vie à^ Olivier
Basselifiy dans un de ses Vaux-de-Vire
qu'il adresse à Farin du GasL
** Q\i Olivier Basselin et Jean Le
Houx ne fassent qu'un seul et même
poète, conclut le Bibliophile Jacob^
peu importe ; ce n'est pas Horace, ce
n'est pas Anacréon, c'est un bon
biberon qui chante le cidre et le vin
avec une gaieté toute gauloise."
1 1 2 Essai sur Le Pastiche.
Cette opinion n a pour but que de
laîsser indécise la question de savoir
si -c'est yean Le Hotix ou Basselin qui
a composé les chansons. Si plusieurs
des célèbres Vaux-de-Vire, soi-disant
de ce dernier, sont l'œuvre d'un poète
beaucoup plus moderne, Jean Le
Houx, un grand nombre aussi sont le
produit d'un jeu d'esprit de M. Julien
Travers, membre de la société des
antiquaires de la Normandie, qui en
a fait l'aveu à la réunion des délégués
des sociétés savantes à la Sorbonne,
au mois d'avril 1866.^
Moncrt/y lecteur de la Reine Marie
Leczinska, a fait une substitution
semblable, d'une chanson de sa com-
position, en 1 742, à une des pièces de
Robert de Champagne} Ce même
^ Voir la Revue des sociétés savantes,
quatrième série, tome iii. pages 445 et 574.
^ Voir la curieuse anecdote du Duc de Luynes,
dans les Mémoires, année 1742, tome ix. p. 188.
Essai sur Le Pastiche. 1 1 3
écrivain, dans un choix d'anciennes
chansons, donné au public, rima encore,
dans le ton du bon vieux temps, ses
deux célèbres romances : " Les con-
stantes amours d'Alix et d'Alexis," et
" Les infortunes inouïes de la tant
belle Comtesse de Saulx." Elles trom-
pèrent longtemps bien des lecteurs.
Dans VAlmanach des Muses ^ publié
par Santreau de Marsy^ en 1765,
les rondeaux, triolets et fabliaux, soi-
disant anciens, foisonnent, les vers
pastiches ne manquent pas, les sup-
positions d'auteur non plus, et Ton
prêtait surtout des chansons aux
anciens rois de France.^
Avant d'entamer le sujet, en ce qui
concerne le siècle présent, voyons ce
qu'a produit l'Angleterre en pastiches
et suppositions d'auteur, au dix-
huitième.
^ Sainte Beuve " Histoire Critique de la
Poésie Française au xvi"*« siècle."
H
1 1 4 Essai sur Le Pastiche.
Nous croyons que bien peu de
pastiches dans ce pays présentent
Toriginalité de celui du célèbre docteur
Johnson, que le docteur Matty^ bio-
graphe de William Pitt, inséra dans
son livre, même du vivant de John-
son, comme un exemple "de l'élo-
quence du noble lord, dans le style
vigoureux de Démosthhtes, uni à la
manière spirituelle et ironique de
Cicéron"
Voici comme la chose arriva. Dans
le Gentlematis Magazine, édité alors
par Edward Cave, on trouve, à partir
du mois de Juin 1 738, jusqu'en Février
1 743, une analyse des débats du parle-
ment anglais, sous le titre de ** Debates
in the Senate of Lilliput." Il était à
cette époque strictement défendu
d'imprimer quoique ce fût, des dis-
cussions et discours du parlement ;
de là, la nécessité de déguiser plus ou
moins les discours. Or, le docteur
Essai sur Le Pastiche. 115
yohnso7i n'avait jamais assisté à
aucune des séances ; mais Edward
Cave avait gagné un des huissiers, et
fut mis à même de prendre note du
sujet de la discussion et des noms des
orateurs, ainsi que des principaux
points de leurs arguments. Ces
matériaux étaient communiqués à
yohjtson, qui s'en servait pour com-
poser son compte-rendu des débats.
On peut voir dans le Ge7itlemafCs
Magazine^ de l'époque, le discours de
ce dernier, que la biographie de Pitt
par le docteur Matty cite comme un
exemple remarquable de l'éloquence
de son héros, et qui est véritablement
un excellent pastiche de la manière
du ministre anglais.^
Nous ne citerons que pour mémoire
l'Alphabet Formosan, et la Traduction
Formosanedela BibleparP^^/;;^;/^-2^^r,
^ Voir The Proof Sheet^ Journal Littéraire
Américain, de Mars, 1869, 2"® vol. No. 5, p. 67.
1 1 6 Essai sur Le Pastiche.
que Tévêque de Londres Contpton avait
placés parmi les curiosités les plus
précieuses de sa bibliothèque.
Il y a lieu de s'arrêter plus long-
teqips sur les poèmes d'Ossian, que
son premier éditeur, Macpherson^ est
supposé avoir fabriqués. Ils eurent
d'abord un tel succès, qu'admirés par
Goethe et par Schiller y ils furent bientôt
traduits en allemand, en français,
en italien, en danois, en polonais, et
en latin.
Enfin pourtant on réfléchit qu'il
était presque incroyable que des
poèmes aussi longs que Fingal et
Tentera, nous eussent été transmis par
la tradition oralp seule, depuis un laps
de plusieurs siècles. Finalement le
docteur Samuel Johnson, alors au
zénith de sa renommée, déclara que
le tout n'était qu'une impudente super-
cherie. Sans employer un langage
aussi violent, Malcolm Laing et David
Essai sur Le Pastiche. 1 1 7
Hume développèrent des opinions
analogues.
PhilaresteChasles, dans ses ** Etudes
sur le dix-huitième siècle," est du
même avis : ** La sentimentalité de
Richardson, la tristesse de Young, la
chevalerie de Tressan, le parallélisme
de la Bible, composent ce pastiche.
L'auteur fit disparaître les Ecossais
du quatrième siècle, hommes nus, à
demi sauvages, avec un petit bouclier
de cuir ou d'écorce, un dard, et des
canots creusés dans un tronc d'arbre.
Il les remplace par des héros généreux,
des filles mélancoliques ; il invente
des armures d'acier, de grandes fêtes
dans des tourelles, dont les murs sont
couverts de mousse et de lierre, de
jolis vaisseaux traversant la mer, etc."
M. Laingy auteur d'une histoire
d'Ecosse, examine non - seulement
presque chaque ligne de la traduction
de Macpkersany mais une foule d'au-
1 1 8 Essai sur Le Pastiche.
très ouvrages, anciens et modernes,
relatifs à ce sujet, et il arrive à la con-
clusion que l'ensemble est pris à cent
sources diverses, et que ce n'est qu'une
espèce de centon.
C'était là, à peu près, le sentiment
général lorsqu'un nouveau champion
est entré dans la lice, et a cherché à
prouver l'authenticité des poèmes
d'Ossian, dans une magnifique édition
publiée aux frais du Marquis de
Bute}
Dans une dissertation préliminaire
de 66 pages, le nouvel éditeur établit
d'abord que cette publication renferme
^ "The Poems of Ossian, in the original
Gaëlic, with a literal translation into English,"
&€., by the Rev. Archibald Clerk, &c. William
Blackwood, 1870, 2 vol. gr. in 8°. Le texte
gaëlic ou Erse avait déjà été publié en partie,
avec la version en prose, 10, en 1762 : ** Fingal,
an epic poem in six books ;" 2°, en 1763,
"Temora, an epic in eight books/' Il fut
publié en entier en 1806.
Essai sur Le Pastiche. 1 1 9
des poèmes en partîe autres que ceux
donnés par Macpherson. " Plusieurs,
dit-il, remontent à une haute antiquité,
et mon texte ressemble peu à celui de
mon prédécesseur, composé de vagues
généralités, tandis qu'ici on trouva par-
tout une fraîcheur primitive, un riche
coloris, et des détails entièrement
gaéliques. Il serait aussi impossible
de reconstruire Homère avec la tra-
duction de Pope, qu'Ossian avec celle
de Macpherson."
On a droit d'exiger, semble-t-il, du
nouvel éditeur qu'il ait connaissance
des recherches antérieures pour établir
Tauthenticité des œuvres d'Ossian. Or^
en 1 806 une enquête avait été établie
pour s assurer de ce point^ Les con-
clusions du comité, composé des
^ Report of the Committee of the Highland
Society of Scotland, appointed to inquire
into the authenticity of the Poems of
Ossiajn.
I20 Essai sur Le Pastiche.
hommes les plus versés dans Thistoire
du pays et de la langue, furent que
Macpherson avaît adapté et amalgamé
d'anciennes poésies erses, dans les-
quelles il était question d'Ossîan et de
Fingal. Lorsque la Société Ecossaise
travailla à cette enquête, elle ne put
décourvir aucun manuscrit original,
remontant à l'époque supposée des
poèmes publiés par Macpherson^ et
nul n'a été découvert depuis.
Cependant la littérature keltique est
l'objet de plus de recherches que
jamais, et les travaux de Reeves^ de
Henthom Todd, et d'autres antiquaires,
ont étonné la présente génération par
les lumières qu'ils ont jetées sur les
institutions civiles et sociales de
l'époque du Fingal de Macp/ierson.
Ces renseignements sont irréconcili-
ables avec les institutions et les mœurs
des poèmes de ce dernier. Pourtant,
chose étrange ! M. Arckibald Clerk
Essai sur Le Pastiche. 1 2 1
ne fait aucune mention des recherches
des savants que nous venons de
nommer. Ne les a-t-il pas connus ?
ou n a-t-il pu les contredire ?
En attendant, n'est-on pas justifié
en rejettant TOssian dans la région
fabuleuse de la louve de Romulus, et
des héros Merlin, Hengîst et Horsa ?
Quant au texte nouveau de l'édition
de M. Clerk, qui n'est appuyée que
sur des manuscrits relativement mo-
dernes, nous adoptons l'opinion de
réditeur du Saturday Review^ du 28
Janvier 1871, qui se récuse dans cette
querelle, parcequ'il ne sait pas le
Gaélique ; mais qui avoue néanmoins
qu'il n'a pas la moindre foi dans l'exis-
tence du poète Ossian}
^ Fin Magnussen a prouvé, dans son Essai,
en danois, sur Ossian^ que ce nom se rapporte
à une source Scandinave éf non pas keltique.
On peut aussi consulter sur l'édition de M.
Clerk un intéressant article dans le journal The
1 22 Essai s ter Le Pastiche,
Si Macpherson fit fortune avec ses
supercheries, il en fut bien autrement
de rinfortuné Tliomas Chatterton, dont
les poèmes supposés du moine Rowley
sont pourtant bien supérieurs au
pseudo-Ossian, et dont lauteur périt
de misère en 1770.
Ces compositions pastiches sont
tellement remarquables que nous nous
y arrêterons un moment. Warton,
rhistorien critique de la poésie an-
glaise, regarde ce jeune homme, ou
plutôt cet adolescent, comme un pro-
dige de génie, qui eût été un des plus
grands poètes de l'Angleterre, s'il fût
arrivé à Tâge d'homme.
Dans la chambre aux archives de
Téglise de Sainte Marie, de Redcliffe
Hill, à Bristol, étaient enfermés depuis
de bien longues années, six ou sept
Scotsman, du 7 Mars 1871,011 Ton rappelle que
les héros de Fingal appartiennent à des tradi-
tions irlandaises plutôt qu'écossaises.
Essai sur Le Pastiche. 1 23
vieux coffres de chêne, contenant une
quantité considérable d'anciens par-
chemins, chartes, contrats de vente
et d'achats, etc., que l'opinion publique
faisait remonter jusqu'à l'époque de la
guerre des deux Roses.
Au nombre de ces coffres en était
un, cerclé de fer, et à six serrures,
mentionné dans des documents du
XV™'. siècle, sous le nom de Coffre de
William Canynge, Vers 1 730, tous ces
coffres avaient été forcés, les pièces con-
sidérées comme les plus importantes,
dans l'intérêt de l'église, déposées
dans un autre local, et le reste aban-
donné comme inutile. Cette chambre
aux archives était attenante à la
maison paternelle de Chatterton, des-
cendant d'une longue suite de bedaux
de l'église de Sainte Marie, depuis
cent cinquante ans.
La famille se servait des parchemins
abandonnés, à toute sorte d'usages.
1 24 Essai sur Le Pastiche.
Le père en recouvrait les livres des
élèves de son école, et la mère en
découpait des patrons d'habillements.
Le jeune Chatterton, d'abord d'une
intelligence assez obtuse en apparence,
devint amoureux, ainsi que s'exprime
sa mère *'fell in love," d'un vieux manu-
scrit à lettres capitales enluminées, et
celle-ci, mettant cette passion à profit,
se servit de ce manuscrit pour ap-
prendre à lire à son fils.
L'enfant ayant été admis à l'école
publique de Bristol, commença à
donner dès-lors, comme le prouvent
des témoignages contemporains, des
preuves d'une intelligence et d'une
pénétration exceptionnelles. A douze
ans, affirment des personnes chez
lesquelles il se rendait souvent au
sortir de l'école, il avait déjà conçu
l'idée d'une série d'anciens poèmes de
Tliomas Rowley, moine du xv"* siècle,
poèmes dont quelques-uns devaient
Essai sur Le Pastiche. 1 25
plus tard embarrasser de savants
critiques, des littérateurs habiles, et
nombre d'éditeurs instruits. En avait-
il découvert des traces parmi les vieux
parchemins, au milieu desquels il pas-
sait des heures entières à peindre des
lettres anciennes, et à copier de vieilles
écritures ? C'est ce que nous verrons
tout à l'heure.
Chatterton avait à peine quinze ans,
lorsqu'il donna à un de ses amis,
George Catcott, une ballade en vieux
style : " The Bristow Tragédie l^ si
parfaitement imitée, qu'elle eut plus
tard l'honneur d'être considérée par
Horace Walpole^ comme un des pas-
tiches du Dr Percy, l'éditeur des
" Relies of Ancient English Poetry."
A l'antiquaire Barrett il fit pré-
sent d'un autre poème, " The Battle
of Hastings," supposé écrit par le
moine Saxon Turgot, et traduit par
Thomas Rowley, en 1469. Barrett,
1 26 Essai sur Le Pastiche.
qui avait reçu la copîe écrite de la
main de Chatterton, insista à plusieurs
reprises pour voir l'original, et enfin
celui-ci finit par avouer que c'était son
propre ouvrage.' Comme imitation
d'une pièce ancienne, le critique avoue
que c'est là une production étonnante
pour un adolescent. D'autres mor-
ceaux succédèrent, donnés à d'autres
amis, et toujours supposés écrits par
le moine du xv"*® siècle.
On ne voulut pas admettre alors, et
même bien longtemps après, que le
jeune poète fut capable d'écrire rien
de pareil. On fut persuadé qu'il avait
découvert tout cela dans les coffres de
la chambre aux archives.
Aujourd' hui un examen plus attentif
' Sur toutes les suppositions d'auteur, imita-
tions, et pastiches de notre jeune homme, voir
l'excellente Etude biographique en anglais,
par Daniel Wiison. Un vol. in 8**. Macmillan,
1869.
Essai sur le Pastiche. 1 27
et plus minutieux, ainsi qu'une critique
plus exercée, ne laissent plus aucun
doute sur la supercherie.
Ce n'était pas seulement le style et
la manière du quinzième siècle, que
Chatterton savait imiter avec beaucoup
de talent, mais encore on trouve insérés
dans ses œuvres, bien d'autres imita-
tions, par exemple, deux pastiches par-
faits à'Ossiafty que, par une ignorance
facile à expliquer dans un enfant de
de seize ans, il dit être traduit du
Saxon. ^
En 1766, beaucoup de personnes
avaient encore une foi entière dans
l'existence d'un William Canynge^
maire de Bristol, du temps de CJiaiicer,
^ Lorsqu'on lit une ode composée par Pope
à douze ans, et une autre par Cowiey à treize,
on peut avec vraisemblance supposer, vu les
circonstances, qu'un parent, un ami, ou un pro-
fesseur leur est venu en aide. Quant à Chat-
tertofij il n'avait ni parent, ni ami, ni professeur
pour l'aider.
1 28 Essai sur Le Pastiche.
de ses descendants à Tépoque de la
guerre des deux Roses, et du bon
moine Rowley. Il a fallu plus de
vingt cinq ans pour détromper le
public.
M. Daniel Wilson a fait voir dans
sa biographie que la prose et les vers
de Chatterton présentent l'ensemble
d'un roman historique où sont groupés
des caractères très fidèlement dessinés,
pleins de vie, et doués parfois d'une
tendresse toute lyrique. Peu d'an-
glais même savent quelle riche veine
de poésie et de fiction romantique se
trouve cachée dans les poésies de
Rowley^ lorsqu'on leur ôte leur antique
phraséologie.
Nous citerons deux exemples ; le
premier est une ode à la Liberté, sup-
posé chantée par un chœur de Saxons,
à la fin d'une scène où le roi Edouard
le Confesseur avoue sa partialité pour
les Normands.
Essai sur Le Pastiche. 1 29
*'When /^AW//i?/«, dressed in blood-stained vest,
To every knight her war-song sung,
Upon her head wild weeds were spread,
A gory anlace by her hung.
She danced on the heath,
She heard the voice of Deaih ;
Pale-eyed Affright^ with heart of silver hue,
In vain assailed her bosom to acale ; ^
She heard unflemed' the shrieking voice of woe,
And sadness, in the owlet, shake the dale.
She shook her burled^ spear ;
On high she jeste^ her shield ;
Her foemen ail appear,
And Aie along the field/' &c.
Cette ode finît abruptement, et le
professeur Daniel Wilson, en cîtant ce
morceau, dit que rien de plus poétique
n'a été écrit sur ce sujet, depuis la
magnifique apostrophe à la Liberté,
par l'ancien poète Barèour, dans le
poème de Brtue.
Voici la seconde pièce, extraite du
poème dramatique à^yElla.
* To freeze. * Undismayed.
* Pointed. * Raised.
I
130 Essai sur Le Pastiche.
C'est une complainte chantée par
un Ménestrel de la cour : —
" Hark! the raven flaps his wings,
In the briared dell below,
Hark! the death-owl loud doth sing
To the nightmares as they go.
My love is dead,
Gone to her death-bed,
Ail under the willow-tree.
" See ! the white moon shines on high ;
Whîter is my true love's shroud \
Whiter than the moming sky,
Whiter than the evening cloud.
My love is dead, &c.
" With my hands I '11 fix the briars
Round her holy corse to gre (grow).
Elûn Faeries, light your fires ;
Hère my body still shall be.
My love is dead, &c
V Corne with acor-cup and thom,
Drain my heart's-blood ail away ;
Life and ail its good I scorn,
Danse by night or feast by day.
My love is dead, &c"
Essai sur Le Pastiche. 1 3 1
Le drame à'yEllUy dans le goût
antique, est le chef-d'œuvre de Chat-
terton, et fut transcrit sur le manuscrit
écrit de sa propre main, en date de
1 769, lorsqu'il n'avait que seize ans.
En quittant l'école de Bristol, Chat-
terton était entré, en qualité de clerc,
chez un notaire de cette ville. Bientôt
fatigué de cette vie d'asservissement, il
partit pour Londres, le 29 Avril 1770,
flattant sa mère et sa sœur de la per-
spective de brillants succès littéraires
dans la capitale. Il emportait avec lui
plusieurs poèmes écrits en style du 1 5"*
siècle, qui aurait formé un volume suffi-
sant, dit Daniel Wilsofiy pour établir la
fortune et la gloire d'un poète, quelqu'il
fût.
Horace Walpole avait publié en
1 764, son pastiche du ** Castle of
Otranto," d'après un manuscrit ita-
lien, affirmait-il, âCOmphrio Muralto,
trouvé dans une ancienne bibliothèque.
132 Essai sur Le Pastiche.
et imprimé à Naples en 1529.
Il jouissait du reste d'une brillante
réputation littéraire et d'une grande
fortune.
Il était donc tout naturel que
Chatterton songeât à s'adresser à ce
personnage important, romancier,
dramatiste, et poète, pour faire accepter
au public les écrits du moine Rowl^.
D'ailleurs, il avait écrit au grand
seigneur qu'il invoquait son appui
comme fils d'une pauvre veuve qui
avait grand'peine à soutenir sa famille,
et que ce qu'il avait composé jusqu'a-
lors ne lui avait rapporté ni renom-
mée ni argent. Puis dans une autre
lettre, accompagnée d'une histoire
supposée de la peinture en Angleterre,
écrite par le moine Rowley en 1469,
pour Maître Canynge, il annonçait à
Walpole qu'il avait en sa possession
encore plusieurs autres manuscrits
anciens qu'il lui offrait On a pré-
Essai sur Le Pastiche. 133
tendu que cette dernière lettre n'était
point parvenue à son adresse ; mais il
est bien établi aujourd'hui que Wal-
pole les reçut toutes les deux.
Quant à la première, il ne peut ex-
ister de doute, l'adresse était exacte,
la lettre était fermée avec un pain à
cacheter ; et adresse, timbre de la poste,
et pain à cacheter peuvent encore se
voir à présent au Musée Britannique,
parmi nombre d'autres authographes
du jeune homme.
Une réponse de Walpole lui-même
prouve qu'il avait reçu l'autre lettre.
Ainsi,dit le révérend Walter W. Skeat^
" When afterwards Walpole had the
hardihood to deny that he ever re-
1 " The. Poetical Works of Thomas Chatter-
ton, with an Essay on the Rowley Poems, &€.*•
2 vol. 8®. Bell and Dalby: London, 187 1.
Dans cette excellente édition on a suivi un
système conseillé dans la Biographie du pro-
fesseur Wilson, citée plus haut, celui de changer
les mots archaïques en anglais moderne.
134 Essai sur Le Pastiche.
ceived the pièce in question, in this
falsehood he stands self-convîcted/'
Walpole fit valoir encore une autre
excuse, après la catastrophe ; c'est que
Chatterton avait voulu le tromper, le
mystifier. Il semble qu'il n'avait
guère le droit de se montrer si sus-
ceptible, lui qui avait fabriqué une
lettre supposée écrite par le Roi de
Prusse, Frédéric, où il tournait Jean
Jacques Rousseau en ridicule, avec
une amère ironie, et où toutes les
convenances étaient blessées.^ Celui-
ci en fut cruellement affecté.
Chatterton, repoussé avec hauteur
* Cette lettre fut écrite au moment oh David
Hume flattait et caressait le plus J. J. Rous-
seau, et il avoue avoir pris part à ce persiflage ;
plus particulièrement odieux envers un homme
alors proscrit, qui se mettait entièrement à la
disposition de ceux qu'il croyait ses amis.
Voir sur Taffaire de cette supposition d'auteur,
** l'Histoire de la Vie et des Ouvrages de
J- J. Rousseau, par Musset-Pathay."
Essai sur Le Pastiche. 135
par Walpole, et profondément blessé,
vécut pendant quelque temps du pro-
duit de ses articles dans les journaux
littéraires ; mais bientôt en proie à la
misère et à la faim, mécontent du
monde, sauvage, ulcéré, trop fier pour
accepter des secours, le jeune homme
mit fin à sa vie par le poison, à Tâge
de dix-sept ans, laissant à la postérité
des preuves de la plus haute intelli-
gence poétique. On trouva sa cham-
brette jonchée d'une masse de papiers
déchirés sans doute dans son déses-
poir ; et ainsi fut détruite peut-être plus
d'une œuvre remarquable.
Walpole, qui aurait pu le sauver,
écrivait, longtemps après la mort du
poète, dans une lettre à la Comtesse
d'Ossory, " Chatterton was a gigantic
genius."
En effet, s'adaptant à tous les genres
de styles, il sut prendre tour-à-tour,
avoue la critique anglaise, l'esprit
136 Essai sur Le Pastiche.
satirique de Churchill^ le ton noble,
maïs amer, de Junius, la rude vigueur
de Smollett, singer parfois la douceur
rhythmique et les antithèses de Pope,
la grâce travaillée de Gray et de
Colltns, ou bien, encore sous le man-
teau du moine Saxon Rowley, rivaliser
avec l'héroïque affectation d'Ossian.
Il est probable, dit le professeur
Daniel Wilson, que la puissance in-
tellectuelle de Chatterton a rarement
été surpassée, et peut-être n a-t-elle
jamais été égalée au même âge.
Aussi après sa mort, ce fut un con-
cert de magnifiques éloges en prose
et en vers. Sir Herbert Croft fu tun
des premiers à faire connaître au
public le génie et le sort fatal de
Chatterton.* Malone, dans ses obser-
vations sur les poèmes A^Rowley, le re-
^ " Ix)ve and Madness. A story too true,*'
&c. I voL 8*. London, 1780.
Dans le Mcnthly Magazine de Novembre
Essai sur Le Pastiche. 137
garde comme le plus grand poète qu'ait
produit l'Angleterre depuis Shake-
speare. Le docteur Johnson avoue
que •* This is the most extraordinary
young man that has encountered my
knowledge." Coleridge, Wordsworth^
et une foule d'autres auteurs exaltent la
vigueur de son génie.
A côté du phénomène douloureux
qu'offre cette existence tourmentée, à
peine ose-t-on nommer le pseudo-
Shakespeare, Irelandy héros de la
petite pièce après la tragédie, comme
le dit Phildreste Chastes.
Samuel Ireland, le père, avait passé
sa vie à voyager sur les bords de
l'Avon, pèlerinage dont il consigna les
résultats dans un curieux volume tout
rempli de crédulité.
1799, Sotithey a fait connaître par quelle
supercherie peu honorable Sir Herbert Croft
s'empara des nnanuscrits de Chatterton et les
publia.
138 Essai sur Le Pastiche.
William Irelandy le fils, voyant son
père disposé à bîen payer une signa-
ture de Shakespeare, lui apporta suc-
cessivment un reçu, un acte par-devant
notaire, et des lettres d^amour de la
jeunesse de cet illustre écrivain. Cet
appât eut du succès, et notre jeune
homme s'enhardit à fabriquer d'autres
documents, griffonnés sur de vieux
parchemins souillés, salis et enfumés.
Il couronna son œuvre par une tragé-
die du Roi Lear corrigée, et par une
autre tragédie soi-disant inédite du
même auteur, intitulée, Vortigem et
Rowena.
L'excellent père publia, sur beau
papier, la fraude de son fils, de la
meilleure foi du monde. L'imitation
était assez adroite pour qu'elle trompât
d'abord quelques érudits. On discuta
sur les dates, on analysa la couleur de
l'encre, la forme des lettres, etc.^
1 " Le Dix-huitième Siècle en Angleterre :
Essai sur Le Pastiche. 139
Malone, le savant commentateur et
critique de Shakespeare, signala le
premier ce pastiche. Néanmoins la
tragédie de Vortigern fut représentée
comme originale, sur le théâtre de
Drury Lane, dont Sheridan était alors
directeur. Trois cents livres sterlings
furent payées au père du pasticheur,
avec droit de partage aux bénéfices
pour les 60 premières représentations.
Il y a lieu de s'étonner qu'un écrivain
dramatique tel que Sheridan s'en
soit laissé imposer, car la pièce était
assez mauvaise pour qu'elle tombât
dès la première représentation. Huit
jours auparavant, Malone avait pro-
clamé partout que ce drame n'était
Etudes Humoristiques par Philareste Chasles."
Un vol. 12®. Paris, 1846.
Le même auteur a donné aussi, comme on
l'a vu ci-dessus, quelques renseignements sur
Ossian et sur Chatterton ; mais ils sont de tous
points insuffisants pour l'appréciation de ces
supercheries littéraires.
140 Essai sur Le Pastiche.
incontestablement qu'une super-
cherie.
Lorsque tous ses pastiches eurent
été complètement éventés, Ireland
fils publia ses Confessiofis^ livre très
curieux, où il explique l'origine et le
mode de fabrication de ces fraudes,
ainsi que le profit qu'il en a retiré.
On y rencontre aussi nombre d'anec-
dotes sur l'époque, des extraits des
deux tragédies, et diverses autres com-
positions di Ireland, qui ne manquent
pas de talent.^ On pourrait même
dire qu'en Angleterre, aux i8"*et ig"'
siècles, ceux qui ont cherché à tromper
les lecteurs, en se couvrant d'un
masque plus on moins ancien, ont
montré un talent supérieur à celui
* " The Confessions of William Henry Ire-
land, containing the particulars of his fabrica-
tions of the Shakespeare manuscripts, together
with anecdotes and opinions of many distin-
guished persons." i vol. S"", avec fac-similés.
London, 1805.
Essai sur Le Fastiche. 14 1
de leurs confrères dans les autres
pays.
Q}xo\Q^Allan Cunningham, vraî
poète en son genre, ne tienne pas à
beaucoup près dans la république des
lettres, le même rang que l'adolescent
de Bristol, il offre un cas analogue,
sauf le fatal dénoûment, et qui montre
combien est grande cette tentation de
déguisement littéraire.
En 1809, M. R. H. Crontek faisait
un pèlerinage en Ecosse pour y dé-
couvrir de vieilles chansons du pays.
Il rencontra à Dumfries le jeune Allan
Cunningham^ qui gagnait dix-huit
shellings par semaine comme maçon,
mais qui possédait une connaissance
extraordinaire de la poésie populaire
de l'Ecosse, en même temps qu'une
lecture étendue en ce genre. Il
s'essayait même à faire des vers, et
produisit quelques morceaux à M.
Cromek, que ce critique reçut d'un air
1 4 2 Essai sur Z> Pastiche.
de grande condescendance, car il
n'avait nul goût pour la poésie mo-
derne. Son ambition était de rivaliser
avec l'évêque Percy et Walter Scott^
en publiant les œuvres de quelque
vieux barde oublié. Le jeune maçon
avec la perspicacité de sa race, s'aper-
çut bien vite de ce faible, et chercha à
le satisfaire en apportant à Cromek
d'anciennes pièces de vers que celui-ci
déclara divins ! — " Dites-moi, je vous
prie, écrivait-il à un de ses correspon-
dants à Londres, quels sont les noms
des anciens poètes de Nithsdale et de
Galloway ? "
Le correspondant, qui n'était pas
disposé à inventer un nouveau Rowl^^
répondit d'une manière évasive, et les
pastiches du jeune homme ignoré
furent publiés dans un beau volume,
portant sur le titre le nom de Cromek,
comme éditeur. Les critiques de 1^
capitale félicitèrent leur confrère de la
Essai sur Le Pastiche. 143
riche trouvaille qu'il avait faite dans
une région stérile jusqu'alors en ce
genre. Ce ne fut que plus tard que
la ruse se découvrit
On s'est très rarement occupé en
Angleterre de ces supercheries en
littérature. Il appartenait à Isaac
d*Israeli de donner un résumé de ce
sujet, mais il n'en a guère tiré partie
dans ses mélanges fort curieux d'ail-
leurs, et annonçant une vaste lecture.
Les quelques pages qu'il y a consa-
crées, ne contiennent pas même l'indi-
cation des sources qu'on pourrait con-
sulter.*
Si chaque genre, à son tour, a son
âge d'or en littérature, celui du pastiche
et des suppositions d'auteur est în-
^ Ses trois courts chapitres sur la matière,
sont : — 1^ Celui sur les imposteurs littéraires;
2*. Celui consacré aux imitateurs remarquables;
et 3^ Le chapitre sur les faux littéraires (lite-
rary forgeries). Ce dernier est le plus intéres-
sant.
144 Essai sur La Pastiche.
contestablement le dix-neuvième
siècle. Le nombre en est si cohsidé-
rable, que nous ne ferons mention que
des plus curieux.
En 1803, Barbie de Bercenay et
Sulplice Imberty comte de la Platière,
is'amusèrent à publier une correspon-
dance très bien imitée, de Louis XVI.
avec ses frères, et plusieurs person-
nages célèbres, pendant les derniers
années de son règne.
M. Beuchot^ dans la " Bibliographie
de la France," convainquit les plus
incrédules que ces lettres, acceptées
comme authentiques, étaient sup-
posées.
Les plus habiles critiques sont quel-
quefois pris au piège du pastiche, mais
il arrive aussi que le contraire a lieu, et
quec'est le mystificateurqui est mystifié.
Paul Lacroix, le prince des pas-
ticheurs et de la pastichomanie, qui
nous a conservé la mention d'une
Essai sur Le Pasticlie. 1 45
partie des siens,^ comme documents
pour l'histoire du genre, est un exemple
du fait II publia dans un catalogue,
avant que le manuscrit authentique et
autographe eut passé dans la biblio-
thèque de S. A. R. le Duc (TAumale,
que "les historiettes de Tallemant
des Réaux étaient évidemment un
ouvrage supposé, que M. De Mon-
merqué^ de concert avec Taschereau^
qui possède si bien son xvii"* siècle,
auraient déterré à la bibliothèque du
roi, dans les recueils d'anecdotes de
Falconety ou bien extrait des manu-
scrits de Conrarty à l'arsenal."
L'écrivain qui inventait un sixième
livre de Pantagruel^ des Mémoires
^ Voir rintroduction aux Mémoires de
Messire Jean de Laval, Comte de Chateaubriand.
Genève, 1868. Un vol. in 18*, tirage à cent
exemplaires numérotés.
^ Il ne fut toutefois jamais publié que le
prologue et le premier chapitre.
Lors de la publication de ce pastiche, un
K
146 Essai sur Le Pastiche.
du Cardinal Dubois, de Gabrielle
(fEsirées, etc., etc., n'aurait pas dû
se fourvoyer ainsi. Rappelons en
passant que la publication de ces
Mémoires de Tallemant des Réaux a
contribué à laver la tache qu'un autre
pasticheur avait imprimée au parle-
ment de Grenoble, pour un arrêt qui
fut regardé comme authentique pen-
dant plus de deux cents ans.^
journal de Paris, en annonçant ce sixième livre,
disait : La lecture de ce livre inédit convaincra
les plus incrédules, qu'il ne peut être attribué
qu'au véritable auteur de Pantagruel.
* Article Sauvage^ tom. iil p. 93, de Tédit, in
12% de 1840. Cet arrêt supposé, rendu en
1637, fut inséré par plusieurs jurisconsultes
dans les recueils d'ordonnances et dans les com-
mentaires. C'est sur la donnée de cet arrêt qu'a
été composé le livre, intitulé, Lucina sine
concubitu, ^zxjohn Hill, qui prit le pseudonyme
ai Abraham Johnson. Mercier de Compïègne
publia cette plaisanterie en français.
Dans "Les Mémoires de Fléchier" (Paris,
Hachette, in 12*, 1862), sur les Grands jours
Essai sur Le Pastiche. 147
L'incorrigible Paul Lacroix publia
en 1828 un autre pastiche qui réussit
encore mieux que les précédents. Ce
fut une lettre de Clément Marot à la
sœur de François I, sur le recueil de
ses contes, et qui fournissait la preuve
des liaisons intimes qui avaient exis-
tées entre ces deux personnages
célèbres.
Citons encore du même écrivain la
traduction de l'ode d'Horace, ** Pastor,
cum traheret," etc., attribuée au prince
qui fut depuis Louis XVI IL Quand
elle fut publiée en 1829, on ne doutait
pas que ce souverain en fut véritable-
ment l'auteur.^
M. Fauriel^ désireux de contribuer
(TAuvergney en 1669, l'auteur fait mention, à la
page 127, d'un cas à peu près semblable à
Tarrêt supposé de Grenoble.
* Dans "Les Supercheries Littéraires dévoi-
lées " par Quêrard, tome iii. page 9, on trouve
de longs détails sur ces pastiches.
148 Essai sur Le Pastiche.
à la réputation de son jeune ami Pros-
per Mérimée l'engagea à recueillir et à
publier une collection de poésies lUy-
riennes, qui, disait-il, ne pouvaient
manquer de réussir en France, d'après
ce qu'il en avait entendu réciter dans
le pays. Un an après ce conseil, en
1827, Mérimé fit paraître La Guzla,
chants Illyriens d'Hyacinthe Maglano-
wich.
Rien ne faisait soupçonner le pas-
tiche au public, mais Fauriel ne tarda
pas à le reconnaître, et fut très mécon-
tent qu'un ami eut essayé de le
prendre pour dupe.
Néanmoins ces originaux supposés
eurent un grand succès, et un naïf
Allemand non-seulement les traduisît
en vers, mais il prétendit même avoir
su retrouver, sous la version française,
le mouvement et le rhythme de l'ori-
ginal.
A cette époque, le mensonge litté-
Essai sur Le Pastiche. 149
raire se rencontraît partout en France,
même dans les sermons. Serieys
publia à Paris, en 18 10, sous le titre
de ** Sermons inédits de Bourdaloue,"
deux pastiches assez bien faits de ce
célèbre prédicateur.
Presque tous les Mémoires, soi-
disant inédits des i6"% 17"* et iS"*'
siècles rentrent dans cette catégorie.
On commença même à attaquer les
anciens auteurs latins, comme l'avait
fait Hardouin.
Eugène Du Mesnil voulut établir
que le poème de Lucretius Carus,
avait été composé par ^ean Pontanus,
de Naples. Il en donnait quinze
différentes raisons.
Nous aimons à croire que ce n'était
là, pour M. Du Mesnil, qu'un para-
doxe, car pour l'existence de ce
poème nous avons le témoignage de
Cicéron, de Stace, de Quintilien.
Puis on se demande comment Pon-
1 50 Essai sur Le Pastiche.
tanus, voulant faire un pastiche qu'il
attribuait à un auteur plus jeune que
CtcéroHy et de douze ans seulement
plus âgé que Virgile, aurait affecté
les tournures archaïques familiaires
à Lucrèce, quoiqu'elles ne soient pas
étonnantes chez celui-ci, comme le re-
marque fort bien Bayle.
Plusieurs bibliophiles se donnèrent
la peine de défendre l'authenticité du
poème de Lucrèce, dans un journal
littéraire.^ On pourrait donner à
cette défense le titre de Love's
labour losL
Une supposition d'auteur plus a-
droite que la précédente, fut celle de
M. E. Begin, qui, dans une histoire
des rues de Metz, fit intervenir dans
son récit Claudius Numatianus Ruti-
lius, et donna la traduction française
de deux lettres, supposées écrites par
ce poète latin du v"* siècle.
' U Intermédiaire ùw 29 Juin 1870.
Essai suy Le Pastiche. 151
Entraîné par l'exemple de la
France, le célèbre poète italien Léo-
pardi s*amusait à publier en 1826
une traduction faite au xiv™* siècle,
d'après une version latine d'une chro-
nique grecque, relatant l'histoire des
Saints Pères du Mont Sinaï. Il imita
si bien le vieux style italien, que de
fins connaisseurs y furent pris. Du reste
cet écrivain aimait assez à mystifier
ses amis et le public, car il publia, peu
de temps après, deux odes grecques
dans le genre d'Anacréon, et la traduc-
tion d'une ode à Neptune, protestant
qu'il avait trouvé, dans un vieux manu-
scrit, ces débris jusqu'alors inconnus
de la littérature hellénique.^
La manie des supercheries littér-
aires était dans l'air. Un peu plus
tard, un étudiant allemand nommé
^ Gustave Brunet, " Essai sur les Bibliothèques
Imaginaires," i vol. 8", p. 383. Paris: Techener.
1862.
152 Essai sur Le Pastiche.
Wagenfeld composa une traduction
grecque de Thistorien phénicien
Sanclioniaton^ supposée faite par
Philon de Biblos. Ce travail décelait
une profonde connaissance des antiqui-
tés sémitiques.
L'auteur prétendit que le manuscrit
original avait été trouvé dans un cou-
vent de Portugal. Le directeur du
Lycée de Hanovre, le savant Grotefend,
fut trompé par Técolier au point
d'écrire un avant-propos pour le
travail de Wagenfeld, intitulé, " Ana-
lyse de rhîstoire primitive des Phéni-
ciens, par Sanchoniaton, faite sur le
manuscrit nouvellement retrouvé de
la traduction complète de Philon,
avec des observations de M. F. Wa-
genfeld."
On y avait inséré un fac-similé de
l'original ; seulement comme le texte
grec ne paraissait pas, et que les
savants ne pouvaient en obtenir Tin-
m0
Essai sur Le Pastiche. 1 53
spection, des doutes s'élevèrent, et
toutes les circonstances de la trou-
vaille ayant été mûrement pesées, il
fut prouvé, même au Directeur du
Lycée de Hanovre, qu'il n*y avait
jamais eu dans cette affaire qu'une
très adresse et très habile supposition
d'auteur.
Mais c'est plus particulièrement en
France que réussissent ces jeux
d'esprit
Comment en serait-il autrement
lorsque même les esprits les plus
graves cherchent à tromper le public,
ne fut-ce que pour quelque temps, et
prennent plaisir à la déception et à la
crédulité des lecteurs ?
Le premier quart du dix-huitième
siècle s'ouvrit par un petit ouvrage
rempli d'un parfum attique et que
l'auteur, qui ne s'avouait que le traduc-
teur, disait avoir trouvé parmi les
manuscrits d*un évéquegrec. Il ajou-
1 54 Essai sur Le Pastiche.
tait, " On ne sait ni le nom de
l'auteur nî le temps auquel il a vécu ;
tout ce qu'on peut dire, c est qu'il n'est
pas antérieur à Sapho, parcequ'il en
parle dans son ouvrage."
Le succès fut si grand que les sept
chants de ce poème en prose, soi-
disant grec, furent bientôt traduits
dans presque toutes les langues.
L'auteur garda assez longtemps le
secret, cur l'ouvrage ayant paru en
1729, l'auteur écrit à son ami l'abbé
de Guasco, en 1742, "Je voudrais que
vous fussiez de retour à Paris, avant que
je parte, et je me réserve de vous dire
alors le secret du Temple de Gnide^
Il était naturel que Charles de
Secondât, Baron de Montesquieu, et
Président du Parlement de Bordeaux,
cherchât à cacher son nom ; mais il
n'était pas besoin de tacher à induire en
erreur ses amis aussi bien que le public.
Ce ne fut que plus tard qu'il avoua
% ^
Essai sur Le Pastiche. 1 55
ce pastiche, dans une lettre où il disait
qu'il n avait eu d'autre but que de
faire une peinture poétique de la
volupté. Depuis lors, bien des écri-
vains, s'appuyant d'un si grand nom,
crurent pouvoir regarder le public
comme leur jouet, et rire de sa crédu-
lité.
Aux exemples que nous en avons
déjà donnés, en voici quelques autres.
M . Louis Lazare mit en circulation
avec succès des lettres du roi Henri
IV., jusqu'au jour où M. Berger de
Xivrey eut démontré d'une façon per-
emptoire que ce n'étaient que des
pastiches. Nullement découragé par
cet échec, le même écrivain, un peu
plus tard, présenta aux lecteurs, dans
Le Peuple Français^ un article intitulé,
'' Edilité Parisienne, de longues cita-
tions d'histoire anecdotique soi-disant
inédites, dans lesquelles le style ancien
est très bien iniité ; mais l'auteur se
1 56 Essai sur Le Pastiche.
garde bien de laisser soupçonner que
ce n'est là qu'une supercherie." ^
L'audace des contrefacteurs était
telle qu'ils n'hésitaient pas à tromper
le gouvernement même. Sous le
ministère de M. de Villemain, le grec
Mindide Minas eut mission d'explorer
les vieilles collections de livres et de
manuscrits de son pays, et rapporta
du couvent de Sainte Laura, au mont
Athos, un manuscrit inédit des fables
et apoloques de Babrius.* Le savant
Helléniste Boissonnade fut chargé de
l'éditer. Or dans l'intervalle, M.
Minas vendit au Musée Britannique,
à Londres, un manuscrit renfermant
95 fables du même Babrius, dont M.
1 Voir le No. du 27 Août 1869.
2 La critique a décidé qu'on ne peut placer
cet auteur au-dessous du troisième siècle.
Ainsi ce poète est postérieur à Phèdre^ qu*il
surpasse, dans l'opinion de quelques-uns, par
la précision élégante de son style.
Essai sur Le Pastiche. 1 57
G. Cor7iewall Lewis publia une édition
à Londres en 1859.^
On espérait que c'était le complé-
ment, ou la seconde partie, comme le
dît le titre latin, du recueil incomplet
rapporté d'Orient par Minas et que
le ministère français faisait éditer.
Malheureusement pour les savants,
M. Dubner démontra, dans le journal
de l'instruction publique du 1 5 Févr.
1860, que ces nouvelles fables étaient
des pastiches, auxquels Thelléniste
anglais sétait laisser pendre trop
facilement*
Nous avons cité dans l'introduction,
le volume de pastiches composés par
M. Châtelain. Cet écrivain ne montra
pas toujours la même franchise.
^Babrii Fabulae i£sopeae e codice manu-
scripto : partem secundam nunc primum edidit
G. Comewall Lewis. Un voL îîi 8*.
* Voir Egger, " Mémoires de Littérature An-
cienne," tome i. page 490, et suir.
1 58 Essai sur Le Pastiche.
En 1 837, il publia quatre lettres de Vol-
taire à Madame Du Deffand, au sujet
du jeune Benjamin Constant de Re-
becque. Dans une note explicative, il
prétend que ces lettres furent laissées
par M"* du Deffand à Horace Walpole.
** Il parait, ajoute-t-il, que M. B. Con-
stant a fait l'acquisition des originaux
qui le concernaient, de Walpole lui-
même, qui ne voulut point céder les
réponses de M"** du Deffand. Au
reste, cette négociation explique pour-
quoi les lettres que nous livrons au
public, ne se trouvent dans aucune des
collections des œuvres de Voltaire."
Ne croyant point encore cette ex-
plication suffisante, et pour établir
sans réplique Tauthenticité des docu-
ments, Châtelain va jusqu'à avancer
que des membres de la famille de
Benjamin Contsant l'avaient assuré
que la Biographie U ni verselle se trom-
pait en donnant 1767 comme date de
Essai sur Le Pastiche. 1 59
sa naissance,^ tandis quil est né en
1759» ce qu'on pouvaît vérifier chez
M. Chevillard^ père, notaire, rue du
Bac, No. 15.
Nom de notaire, rue, numéro, toutes
ces indications étaient fausses. L'ex-
trait de baptême du grand publiciste,
prouve qu'il est bien réellement né le
29 Octobre 1767.* La même année
que Châtelain poussait ainsi la super-
cherie littéraire jusqu'au mensonge,
Toulouse voyait paraître un magnifique
in 8°, tiré à cinquante exemplaires
seulement, et imprimé en or, argent et
couleurs, à l'imitation des anciens
manuscrits. Le Carya Magalonensis^
chronique de Montpellier, durant les
premières années du xiv"* siècle,
^ Ce qui ne lui aurait donné que l'âge de
6 ou 7 ans, quand il demanda des lettres de
recommandation en 1774, pour se présenter
chez Madame du Deffand,
* Quérard, " Supercheries Littéraires."
1 6o Essai sur Le Pastiche.
acceptée comme authentique, eut une
seconde édition en 1844, avec la
traduction en regard, par M. A.
Moquift' Tandon. L'ouvrage trompa
la clairvoyance des critiques les plus
éprouvés.
M. Raynouard lui-même, dont les
décisions semblaient infaillibles, écrivit
au traducteur pour le féliciter d'avoir
mis en lumière un livre qu'il considérait
comme devant ajouter des renseigne-
ments curieux à l'histoire de la langue
d'Oc. Quelques journaux de Toulouse
et de Montpellier furent induits en
erreur, comme le savant philologue.
Mais M. Fortoul^ alors professeur à
Toulouse, depuis ministre de l'instruc-
tion publique, déclara, " qu'il regardait
le Carya Magaloneneis comme une
contrefaçon habile et exacte de cette
langue romane qui a eu autrefois
tant de gloire, et qui est aujourd'hui
le sujet de tant d'études."
Essai sur Le Pastiche. i6i
Le secret avaît été bîen gardé, car
Fauteur de ce pastiche Tavait confié à
quelques amis, en distribuant la pre-
mière édition. Enfin il souleva tout-
à-fait le voile.^
Deux véritables héros pour la fabri-
cation de pastiches et de fausses pièces,
ont étonné le dix-neuvième siècle.
Le premier est le grec Simonidès, qui
commença sa carrière en ce genre, en
arrivant à Athènes avec un grand
nombre des manuscrits les plus rares,
tant sacrés que classiques, provenant,
assurait-il, du couvent du Mont Athos.
Parmi eux se trouvait un ancien
Homère^ avec un commentaire com-
plet d' Eustathtus. Un examen minu-
tieux prouva que ce n'était guère que
la copie de l'édition du poète grec, par
Wolf, les erreurs y comprises.
En 1851, Simonidh proposa à
^ ** Les Ecrivains pseudonymes,'* etc., par
Quérard. i vol. pp. 335. Paris, 1854.
L
1 62 Essai sur Le Pastiche.
Constantinople, la publication d'un
Sanclioniaton complet, et promit en
outre des inscriptions cunéiformes
avec traduction en phénicien, et des
manuscrits arabes en caractères sy-
riaques, renfermés dans une boîte de
métal qu'il avait aidé à déterrer, mais
qu'on découvrit malheureusement qu'il
avait enfouie lui-même en ce lieu.
Arrivé en Angleterre en 1853, il
présenta à la Société Royale de
Littérature de Londres, quatre livres
de l'Iliade qu'il tenait de son oncle
Bénedictus, moine du Mont Athos.
Dans une des séances de la société, il
prononça un discours sur un Dic-
tionnaire Hiéroglyfique Egyptien dont
il avait connaissance, et sur des
chroniques Babyloniennes en caractères
cunéiformes.
Les lettrés trop crédules admirèrent
le zèle infatigable qui avait pu ras-
sembler de pareils trésors.
Essai sur Le Pastiche. 1 63
Simonidcs extremêlait adroitement
les vrais manuscrits avec les faux.
Le Musée Britannique lui en acheta
onze exempts de tout soupçon. Ce
n'était là, comme nous allons le voir,
que préparer habilement ses plans.
Il fit alors une excursion en Alle-
magne, et il y mystifia un instant des
savants tels que Bunsen^ Lepsitis, et
W. Dindorf. Le manuscrit d' UranïoSy
contenant un fragment de l'ancienne
histoire d'Egypte, fut accepté par ce
dernier comme authentique, et d'après
ses conseils, l'université d'Oxford fit
imprimer un spécimen de ce document.
Peu de temps après, Lepsius, qui
s'était aussi intéressé à cette trouvaille,
annonça qu'après un examen plus
attentif, il avait reconnu, que le texte
de ce manuscrit était pris en partie
dans ses propres ouvrages à lui, et en
partie dans ceux de Btmscn. Tischen-
dorf confirma cette opinion et dé-
1 64 Essai sur Le Pastiche.
montra de son côté que VUranios
n'étaît qu'une fraude littéraire.
Sintonidès^ qui était parvenu à vendre
ce manuscrit à l'Académie de Berlin,
pour cinq mille dollars, fut arrêté à
Leipsig, au moment où il prenait le
chemin de l'Angleterre. On le con-
duisit à Berlin, où il fut mis en prison
et traduit devant une cour de justice.
Il échappa toutefois à une condamna-
tion, en conséquence de l'omission de
certaines formalités légales, mais néan-
moins, le 30 Mars 1856, la police lui
donna l'ordre de quitter le pays.
Simonidès revint en Angleterre, et
y fit valoir bien haut son acquittement,
preuve, disait-il, de son innocence et
des calomnies auxquelles il avait été
en butte.
Renouant le fil de ses anciens rap-
ports avec les savants du pays, il leur
fit entendre qu'il avait connaissance
d'une foule de manuscrits précieux,
Essai sur Le Pastiche. 165
inconnus, dont un était de la main de
\ Empereur Théodose!
M. Mayer^ zélé Egyptiologue de
Liverpool, non seulement lui acheta
des pièces fort anciennes, mais encore
lui donna accès à son Musée, le priant
d'expliquer plusieurs papyri qu'il lui
confia.
Par ses conseils, M. Mayer fit pu-
blier, à grands frais, avec les explica-
tions de Simonidès, un beau volume,
contenant entr'autres certaines por-
tions de l'évangile de Saint Mathieu,
supposées écrites par Nicolas d'An-
iioche^ sous la dictée de Tapôtre lui-
même ! ^
Le journal littéraire {Athenœunù)
examina soigneusement ces pièces, et
* " Fac-Similes of certain portions of the
Gospel of St Matthew, and of the Epistles of
St James and St Jude, written on papyrus, in
the first century, etc. etc. Edited and illustrated,
by Constantin Simonidôs.'* In fol. London :
Triibner, 1862.
1 66 Essai sur Le Pastiche.
les déclara fausses. Mais Taudace ou
ringénîosîté de notre grec ne s'effrayait
pas si vite.
Il pouvait montrer aux incrédules,
disait-il, des documents plus curieux
encore. Entr'autres un traité théo-
logique égyptien, écrit sur une peau
de femme, au premier siècle ! Aussi,
un poème grec ^ŒnopidèSy tracé sur
une peau semblable, à la même date !
On peut aisément s'imaginer que
tout ceci ne servait guère à augmenter
la confiance du public.
Simonidès, ayant eu à subir de très
vives attaques du savant Tischendorf,
songea à s'en venger d'une manière
assez curieuse. Les érudits se rapel-
lent le bruit que fit la découverte, au
Mont Athos, du fameux Codex Sinal-
ticus, ou texte de l'Evangile, par
Tischendorf, qui en fit présent à l'Em-
pereur de Russie, et qui exposa
l'historique complet de cette décou-
Essai sur Le Pastiche. 167
verte dans un petit volume, supérieu-
rement imprimé à Leipsig, sous le
titre de " Sinalbibely ihre Entdeckung,
Herausgabe, und Erwerbung"
Simonidès publia que ce manuscrit
n'avait aucune authenticité, puisque
c'était lui-même qui l'avait composé.
Il expliquait tout au long les circon-
stances de cette fabrication.^
Dans une lettre du 17 Janvier, du
journal cité ci-dessus, on répondit que
Simonidès cherchait à se parer des
plumes du paon, et qu'en 1862, il
n'avait pas même connaissance du
célèbre codex, lorsqu'il en fut ques-
tion, en sa présence, à l'Université de
Cambridge. A lexandre von Humboldty
qui avait suivi toute cette controverse
avec grand intérêt, nommait Simonidès
une énigme vivante et un nœud gor-
dien insoluble.
' Supplément au journal T7ie Guardian^ du
3 Septembre et du 21 Novembre 1863.
i68 Essai sur Le Pastiche.
En 1867, on annonça, dans les
journaux, la mort de notre fameux
grec, arrivée à Constantînople ; mais
deux ans après, le révérend Donald
Owen le retrouva à Saint-Pétersbourg,
préparant pour la presse " des docu-
ments historiques de grande impor-
tance, par rapport aux droits du
Gouvernement russe."
Comme il lui était arrivé quelquefois
de se rendre à lui-même, sous un autre
nom, témoignage de Tauthenticité de
ses pastiches, il n'y aurait pas lieu de
s'étonner si Simonidès se présentait de
nouveau un jour incognito, comme
témoin de l'authenticité de tout ce
qu'on lui a contesté.*
Ces fabrications de faux documents
mirent la puce à l'oreille des archivistes,
à ce qu'il parait, car M. R. K Le M en
qui remplissait ce poste dans le dé-
* GentUmatCs Magazine^ Octobre et Novem-
bre 1865.
Essai sur Le Pastiche. 169
partement de Quimper, accusa M. De
la Villemarquéy de faire passer pour
vraies des supercheries pareilles.^
Cet écrivain disait avoir découvert
dans une église près de Morlaix, en
Bretagne, les poésies d'un ancien poète
du pays, Quin-Clan^ dont de très
courts fragments seulement avaient
échappés à la destruction. Ces poésies
appartiennent aux 5°* et 6"* siècles.
Ce Quin-Çlan était le Merlin des
Bretons, sinon le véritable Merlin des
romans de chevalerie.* Malheureuse-
ment ce précieux manuscrit disparut
très peu de temps après sa découverte,
et ne fut plus jamais retrouvé. Quel-
que temps après M. de la Villemarqué
fit paraître son volume intitulé Barzas-
Breizy ou chants populaires de la 6re-
^ Voir Athenœum^ du ii Avril 1868.
« Voir Le Courrier Français^ du 28 Octobre
1835 ; et un article de M. Francisque Michel
dans le ForeignQuarterly Review^ à* A.yxi\ 1836.
1 70 Essai sur Le Pastiche.
tagne, dont partie du texte était de
pure imagination, dit M. Le Men.
Ce qui frappa d*abord le plus notre
critique, ce fut Tensemble et l'admi-
rable suite des Barzas-Breiz. Si
quelqu'un avait eu l'idée de présenter,
par épisodes, l'histoire complète de la
Bretagne, il n'aurait pas pu mieux
S réussir. Il ne manque pas un chaînon
depuis les Druides jusqu'aux Chouans.
Cette suite parfaite suscita des soup-
çons, et un examen critique ne fit que
les confirmer. On peut diviser ces
chants ou petits poèmes, en deux
! classes. D'abord les soi-disant contes
anciens, tels que La prédiction de
Gwenc^hlany La marche d^ Arthur, La
submersion de la ville dLs, Le tribut
de Nomenoë, Le vin des Gaulois, les-
quels M. Le M en regarde comme de
simples fabrications.
Puis viennent les chants dont les
prototypes sont bien connus, mais qui
Essai sur Le Pastiche. 1 7 1
ont été modifiés pour leur donner un
caractère historique et une apparence
d'ancienneté, tels que Les vêpres des
Genouilles, et plusieurs autres, où les
anachronismes abondent.
Terminons en citant textuellement
notre critique, ** Depuis vingt ans, j'ai
parcouru toutes les parties de la
Bretagne, et principalement le Finis-
tèrey et j'ai passé bien de jours dans les
lieux mêmes où M. de la Villemarqué
dit avoir recueilli ses anciennes chan-
sons et poèmes. J'ai pris des ren-
seignements auprès de ceux qui con-
naissent le mieux les mœurs et les
coutumes de la Bretagne, nommément
Messieurs P. Protix et Lugel, nos deux
meilleurs poètesbretons contemporains,
dont la compétence pour juger de
chants nationaux, est incontestable.
Ils m'affirment qu'ils n'ont jamais
rencontré dans la Basse Bretagne les
noms de Gwenc'hlan, ^Arthur, de
1 72 Essai sur Le Pastiche.
Merlifiy de Nominoë, soît dans des
poèmes connus, soit dans des traditions
populaires.
" J'ai aussi consulté les inspecteurs
des écoles primaires qui reçurent
Tordre du ministre de Tinstruction
publique, de 1851 à 1853, de rassem-
bler les chansons populaires des dis-
tricts ruraux, et j'ai reçu les mêmes
réponses négatives.
" M. à' A r bais de Tubainville^ corres-
pondant de r Institut de France, a
demandé des explications, dans la
Revue Critique àxi 23 Novembre 1867 ;
mais l'éditeur des Barzas-Breiz avait
jusqu'en Avril 1868, gardé le plus
profond silence."
Nous ignorons si des explications
ont été données depuis, mais l'accusa-
tion nous a paru assez singulière pour
n'être pas passée sous silence. Enfin,
quand même une grande partie des
Barzas-Breiz ne feraient que re-
ij
Essai sur Le Pastiche. 1 73
produire Thistoire embellie des poèmes
(TOssiafiy M. De la Villemarquéy par
ses nombreuses publications sur la
littérature de la Bretagne, en a ravivé
le souvenir, dans une sphère très
étendue.
A cette époque l'Angleterre, aussi
bien que la France, présentait de ces
supercheries sur une assez grande
échelle. Citons entr'autres une
fabrication systématique des lettres de
Lord ByroUy de Skelley^ et de KeatSy
qui étonna la ville de Londres, de
1850a 1852. Ces faux autographes
étaient si bien contrefaits qu'ils
déçurent tous les collecteurs anglais.
L'éditeur Moxon acheta très cher
dans une vente publique, une série de
ces lettres, et en publia vingt-cinq, avec
une introduction pompeuse du poète
Robert Browning.
Après un long et soigneux examen,
elles furent reconnues n'être que des
*
t
I» •
1 74 Essai sur Le Pastiche.
pastiches. Le premier soupçon s'éleva
par un singulier hasard. M. Moxon
avait présenté un exemplaire de sa
publication au poète Tennyson^ chez
lequel M. Palgrave, jetant par acci-
dent les yeux sur ces lettres, en
rencontra une qui faisait partie d'un
article du Qtuirterly Review de 1 840,
écrit par son père, Sir Francis Pal-
grave. La chose étant prouvée. Pal-
grave informa aussitôt Moxon, qu'il y
avait là un plagiat, et l'éveil ainsi donné,
toutes les autres lettres furent dis-
cutées, l'une après l'autre, et l'on
acquit l'évidence d'une complète super-
cherie, M. yohn Murrayy un des
plus grands éditeurs de l'Angleterre,
avait aussi été pris au piège. Il avait
acheté au libraire White, quarante-sept
lettres supposées autographes de
Lord Byron, pour cent-vingt-trois
livres sterling et six shellings, à raison
de deux guinées et demi la pièce.
Essai sur Le Pastiche. 1 75
L'affaire de Moxon avait rendu
soupçonneux M. Murray, qui» possé-
dant un nombre considérable de docu-
ments, poèmes et lettres de la main
du noble poète, examina scrupuleuse-
ment ses nouvelles acquisitions, les
soumit à des connaisseurs, les confronta
avec d'autres originaux, et enfin il lui
fut démontré que lettres et notes de
Byron, de Slielley, et de Keats, n'étaient
que d'habiles pastiches.
Le libraire White, qui en avait vendu
une grande partie, expliqua, dans une
lettre à M. Murray^ le système ori-
ginal dont une femme s'était servi
pour lui en imposer, en excitant sa
compassion pour la détresse où se
trouvait un fils naturel de Byron}
Un des plus savants collectionneurs
de France fut dans le cas de devoir se
^ Ce récit est trop long pour trouver place ici,
mais on peut en lire les détails dans le
Athaiœiun du 6 et du 20 Mars 1853 î àaxi^
1 76 Essai sur Le Pastiche.
défendre contre une accusation du
même genre que la précédente. Il
possédait nombre de lettres de l'époque
de la Révolution de 93, et dans un
triage, il en vendit plusieurs, entre
autres vingt-cinq lettres autographes
de la Reine Marie- Antoinette y ac-
quises par M. ^Hunolstein^ qui allait
publier une nouvelle édition de son
ouvrage sur cette infortunée princesse.
Ces autographes excitèrent l'atten-
tion du public, à la suite d'une dis-
cussion sur leur authenticité, et M.
UArndt, conservateur de la Biblio-
thèque Impériale à Vienne, fit voir,
par la forme et par le fond, qu'ils n'é-
taient que des pastiches qui avaient
trompé la perspicacité de M. Feuillet
de Conches.
Nous avons parlé ci-dessus de deux
la Literary Gazette^ de la même date, et dans
\esFrincipia Typographica de S. Leigh Sotherby,
Londres, 1858, 3 vol. in fol.
Essai sur Le Pastiche. 1 77
véritables héros pour la fabrication de
documents supposés, le premier,
Simonidèsy dont les hauts faits ont été
décrits. Le second fut Vrain Lucas,
dont il nous reste à rappeler l'étonnante
audace en ce genre.
Le 8 Juillet 1867, T Académie des
Sciences de Paris entendit, pour la
première fois, M. Michel Chas les ^
mathématicien très distingué, parler
des autographes rares et précieux
qu'il avait acquis à grands frais.
Dans le courant du même mois, M.
Prospère Faugère^ auteur de nombreux
travaux sur Pascal, et M. Bénard
d'Evreux,écrivirent à l'Académie pour
lui signaler quelques-uns de ces faux
autographes,* que M. Chas les avait
fait insérer dans les bulletins de cette
société savante. Cet avertissement
^ Il s'agissait de deux lettres de Biaise Pascal
écrites au chimiste anglais Boyle, et de quatre
notes.
M
1 78 Essai sur Le Pastiche.
n'empêcha pas celui-ci de continuer
sans retard la publication de documents
j semblables, qu41 continuait à soutenir
i parfaitement authentiques.
Le bruit de cette discussion attira
l'attention des savants de l'Angleterre,
et Sir David Brewster écrivît d'Edim-
bourg, à l'Académie de Paris, pour
démontrer l'impossibilité d'avoir foi
en ces pièces, qui impliquaient une
correspondance entre Pascal, dans le
déclin de l'âge, avec Newton^ un en-
fant de douze ans !
Nonobstant, M. Chas les défendait
pied-à-pied, les pièces qu'il avait
produites.
Il y avait déjà cent cinquante lettres
et notes publiées dans les " Comptes-
rendus," concernant Pascal^ et M.
Michel Chasles annonçait que dans sa
collection il y avait deux mille lettres
de Galilée.
" Quos Deus perdere vult^prius dementat,*'
Essai sur Le Pastiche. 1 79
Deux ou trois mois plus tard, Téton-
nement redouble. Le crédule acadé-
micien présente un premier fascicule
de ces lettres de Galilée, où Ton trouve
qu'il s'était occupé des lx)is de la
pesanteur avec Pascal, alors seulement
âgé de dix-sept ans.
Ici r Italie se soulève à son tour, et
prouve que Galilée n'a jamais écrit en
français, qu'il ne savait probablement
pas.
Malgré tout, l'Académie déclare, le
5 Août 1869, que toutes ces pièces
portaient le cachet de l'authenticité.
On s'appuyait surtout sur une lettre de
Galilée \ Louis XIII., paraphée par
Louis XIV., manu propriâ.
Pendant ce temps, les accusations
de faux pleuvaient de toute part.
M. Breton (De Champ) démontre que
seize notes de Pascal, et deux frag-
ments d'une lettre de Galilée, ne se
composaient que de passages litté-
i8o Essai sur Le Pastiche.
ralement copiés dans " L'Histoire des
Philosophes Modernes," par-^/^râ5«^r^
Savérien.
M. Sylvain Van de W^er^ Ministre
de Belgique à Londres, aussi fin
connaisseur en bibliographie qu'habile
diplomate, écrivit au Daily News, le
lo Mai 1869, une lettre dans laquelle,
surprenant le faussaire la main dans le
sac, il montre qu'une lettre supposée de
Milton à Louis XIV., sur son voyage
en Italie, était prise, phrase par phrase,
dans la notice sur Milton, que M.
Villemain avait insérée dans ses
Mélanges.
M. W. G. Clarke publie une lettre
dans la Pall-Mall Gazette, du 27 Sep-
tembre de la même année, au sujet de
plusieurs autographes supposés de
Shakespeare, écrits en français, et y
donne la preuve que ces pièces sont
tellement remplies d'anachronismes
et d'invraisemblances, qu'on ne peut
Essai sur Le Pastiche. 1 8 1
assez s'émerveiller de l'extrême igno-
rance de M. Chastes.
Finalement, M. Le Verrier lit un
mémoire à l'Académie, démontrant que
les lettres de Newton, de Pascal, de
Malherbe, de Rotrou, de Montesquieu,
de Maupertuîs, de Louis XIV., de
Leibnîtz, etc., etc., n'étaient composées
que de fragments copiés dans les
ouvrages de Voltaire, de Thomas, du
Duc de La Vallière, de Chauffepîé, et
autres.
Les procédés de fabrication étaient
maintenant mis à découvert
Cette colossale manufacture de pas-
tiches allait chercher ses sujets jus-
qu'au delà de Fère chrétienne. Il y
avait des lettres de Jutes César et
des empereurs romains, plusieurs des
rois mérovingiens, de Charlemagne,
d'Alcuin, des Apôtres, de Boèce, de
Cassiodore, de Grégoire de Tours, de
Saint Augustin.
i82 Essai sur Le Pastiche.
M. Michel Chas les déclara, en pleine
académie, qu'il avait acheté plus de
vingt mille de ces pastiches, et qu'il
avait payé au fabricateur plus de cent
cinquante mille francs !
Ce qui doit vraiment faire douter
que le collectionneur, tout grand mathé-
maticien qu'il fut, était compos mentisy
c'est que parmi ces autographes il y
en avait du sage Thaïes, de Pythagore,
de Sapho, de Lazare le ressuscité, de
la Madeleine. Bien plus, ceux de Jules
César et des empereurs romains
étaient écrits en français !
Nous ne pouvons nous empêcher de
donner un spécimen ou deux : —
Lettre de Sapho a Phaon.
Sapho à son irh-amé Fhaon, salut
" Très chier amé, près de ces bords chaxmans
oîi la veue admire en s'égarant, une immense
estendue, où la plaine des mers et la vouste des
cieux semblent dans le lointaing se confondre,
Essai sur Le Pastiche. 183
... ce fut là que embrasé par l'amour, tu me
donna {sic) le premier baisé, et me pressa de le
rendre," etc., etc.
DÉFI DE Jules César a Vercingetorix.
Juin (sic) César au Chief des Gaulois.
**J'envoy devers toy un mien amé qui te
dira le but de mien voyage ; je veus covrir de
mes soldats la terre qui t'a veu naistre. C'est
en vain que tu la vouldras défendre. Tu es
brave, je le say, mais aussi le serai, s*il plaist
aux Dieux. Ains rend moy tes armes, ou pré-
pare toy à combatre. Ce vi. des Kal. de
Jullius." *
On comprend aisément que ce ne
fut que tout à la fin que ces dernières
merveilles se produisirent. Les lettres
des savants de France et d'Italie
étaient composées avec adresse.
^ L'écriture des originaux imite celle du
dixième ou du onzième siècle, et Lucas disait
qu'il ne les avait donnés que comme traduction
d'antiques documents détruits.
184 Essai sur Le Pastiche.
Le fabricateur, VrainLtuas^o^x n'avait
reçu qu'une demie éducation, et qui ne
savait ni le grec ni le latin, se gardait
bien de les tirer de son imagination.
Il copiait ses phrases dans les ouvrages
de ceux qui faisaient l'objet de ses pas-
tiches, ou sophistiquait légèrement les
originaux existants.
La confiance inspirée par le mérite
éminent du collectionneur, et le respect
imposé par son caractère, peuvent,
jusqu'à un certain point, contribuer à
excuser l'erreur dans laquelle l'Aca-
démie des Sciences est tombée.
L'affaire ayant été portée devant
les tribunaux, les experts trouvèrent
plus de vîngft-sept mille de ces pièces,
émanant de six cent soixante per-
sonnages célèbres.^ L'ensemble des
^ De Pascal, 1745 ; de Newton, 622 ; plus de
trois mille de Galilée ; six cents de Montaigne,
etc. Jamais le stupide aveuglement d'un ama<
teur d'autographes a-t-il été poussé jusque-là ?
Essai sur Le Pastiche. 185
circonstances exposées dans le procès,
sert à expliquer comment la discussion
sur ces pastiches a pu durer deux
années, comment les bulletins des
Comptes-rendus leur ont accordé plus
de 400 pages, et comment cette société
savante a pu déclarer authentiques 38 1
pièces fausses.
Vrain Lucas ne fut condamné qu'à
deux ans de prison et 500 francs
d'amende.
Cette affaire, où il reste encore de
nombreuses obscurités à éclaircir, sera
pour l'avenir l'une des plus extraordi-
naires des supercheries littéraires et
de la manie des autographes poussée
jusqu'à la folie.^
A la suite de cet exposé d'une
1 Deux ouvrages donnent tous les détails dé-
sirables: i**,Une Fabrique de Faux Autographes,
ou Récit de l'Affaire Vrain Lucas, par Henri
Bordier et Emile Mabile, i vol. 4°. Paris :
Techener,i87o. 2°, "Défense de B. Pascal," etc.,
i86 Essai sur Le Pastiche.
supercherie qui ruina le renom de
haute intelligence d'un homme de
mérite, racontons celle qui servit au
contraire à rehausser la réputation
d'un rédacteur de journal.
La surprise ne dura à la vérité qu'un
jour, mais elle produisit des pastiches
qui méritent d'être conservés.
Signé par M. De Villemessani^ le
Figaro du 8 Juin 1870, annonçait au
public que son journal (bien connu par
etc., par Faugère, i vol. 4**. Paris : Hachette,
1868.
Il y a lieu de s'étonner que Vrain Lucas ait
si mal réussi dans ses pastiches de lettres de
Jules César et autres personnages de ces époques
reculées, lorsqu'il aurait pu prendre pour modèles
nombre de ces sortes de fausses lettres parmi
les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, à
Paris, telles que la lettre ^^Ypocras à Cêsar^
à*Arisiote à Alexandre^ du Prestre Jehan à
r Empereur de Consfantinople^ etc. Paulin Paris,
tomes 5 et 6, de sou analyse de ces manuscrits,
et Ferdinand Denis, dans Le Monde enchanté^
les avaient déjà fait connaître.
Essai sur Le Pastiche. 187
ses principes impérialistes) avait été
vendu au parti républicain, à des condi-
tions telles, que sans blesser gravement
les intérêts de sa famille, il ne lui était
pas permis de refuser. Les noms les
plus retentissants s'étaient associés à
la nouvelle rédaction : Victor Hugo,
George Sand, Emmanuel Arago, Louis
Blanc, Edgar Quinet, Félix Pyat Ils
avaient envoyé leurs lettres d'adhésion
en prose et en vers, et y développaient
leurs principes les plus républicains.
Ces pastiches étaient composés avec
adresse, et on rapporte que quelques
lecteurs trompés, ont déchiré le jour-
nal sans le lire jusqu'au bout. Ces
imitations représentaient non seule-
ment les théories sociales et politiques
des républicains avancés, mais encore
leur style et leur manière.
•' O justice ! O représailles ! disait
F. Pyat, en terminant sa lettre, quand
viendrez- vous ? Certes, quoiqu'on dise,
i88 Essai sur Le Pastiche.
je hais le meurtre, le sang, la poudre
et les balles ; mais je hais encore plus
les tyrans de la terre, et je veux
anéantir les uns par les autres."
" J'oublierai Tinsulte et Toutrage,
s'écrie Edgar Quinet ; l'oubli d'un mal
personnel, voilà qui est humain ; mais
le crime qui atteint les autres, le mal
fait à mes frères, l'exil de nos amis,
les morts de nos parents, — oh ! les
oublier, ce ne serait pas d'un homme,
mais d'un tigre ! " . . .
Le pastiche le plus remarquable
dans ces lettres d'adhésion, est un
poème de cent vingt-huit vers, par
Victor Hugo, intitulé " La Presse des
Mouchards."
Voici le commencement et quelques
vers de la fin de ce morceau, dans
equel on a très bien saisi le style des
Châtiments : —
'^ Parceque dix-huit ans sur ce crime ont passé,
La honte serait bue et le sang efiacé !
-^
Essai sur Le Pastiche. 189
Et que le Plébiscite absout le fils d'Hortense,
Décembre et Lambessa sont de peu d'im-
portance !
Parceque ce César, roi des bourgeois félons
Sur le peuple qui râle, a mis ses deux talons!
Il faudrait bâillonner la Némésis-Tonnerre,
Et laisser le vautour bien repu dans son aire !
Non, ce n'est point fini.
• • • • •
Oh ! que je suis heureux, sur mon rocher
superbe !
L'aigle vole au zénith, autour de moi croit
l'herbe ;
O rocs de Guemesey, vagues, vents opportuns.
Qui portez jusqu'à moi sa brise et ses parfums;
Antres et bois touffus, si chers à mes études,
Sol de la liberté, sauvages solitudes,
Flots du sombre océan, de senteurs pénétrés,
Séparez mon courroux de ctsMandrins\Qitrés\
Ne me laissez pas voû- la France pâle et maigre,
Livrée aux appétits de cette haute-pègre !
Ne me laissez pas voir mes amis aux tombeaux,
Et sur leurs corps souillés, le bec de ces
corbeaux !
Car je suis seul et vieux, pauvre proscrit, sans
armes.
Le yeux levés au ciel, et tout gonflés de
larmes ! "
1 90 Essai sur Le Pastiche.
Plusieurs autres articles ultra-révolu-
tionnaires remplissaient ce numéro du
journal, dont il se vendit un nombre
très considérable, et que le public
s'attendait à voir saisi le lendemain
par la police.
La surprise cessa lorsque le numéro
suivant fit connaître que ce n'était
qu'une supercherie littéraire.
SECTION SECONDE.
DES PASTICHES COMPOSES COMME EXER-
CICE DE STYLE OU AMUSEMENT, ET
DES SUPPLÉMENTS d' AUTEUR ET
INTERCALATIONS.
" Idem dtw quum faciunt^ non tamen est idem y
— PuBLius Syrus.
"NT DUS ne pouvons mieux com-
^ ^ mencer cette section, qu'en ci-
tant les paroles d'un habile pasticheur,
pour expliquer ce qui engage un
écrivain à ce labeur d'imitation : —
** La première impulsion à laquelle il
faut attribuer le goût d'imiter différents
auteurs, c'est le charme secret et in-
volontaire que l'on éprouve à leur
lecture, c'est la convenance de leurs
pensées, la beauté de leurs sentiments.
1 92 Essai sur Le Pastiche.
la magie de leur style qui nous séduit
On ne peut manquer de perfectionner
son propre goût, par l'imitation des
plus beaux modèles." ^
Cependant il faut bien y prendre
garde, il y a un écueil en naviguant
dans ces eaux, et notre auteur y a
échoué, comme nous lavons vu ci-
dessus.
Après avoir présenté au lecteur un
précis historique de la plupart des
pastiches anciens et modernes, sup-
positions d'auteur et supercheries,
composés avec l'intention plus ou
moins prolongée de mettre en défaut
la sagacité du public,* donnons une
^ Avant-propos du recueil des Pastiches de
N. Châtelain.
' Nous disons lapluparty parceque les anciens
seuls occuperaient un fort volume en ce genre,
et les modernes, au moins trois ou quatre.
Chez les premiers, par exemple, à commencer
par Homère^ qu'on lise le 3"** livre de la Science
Nouvelle^ de Vico * De la découverte du véri-
Essai sur Le Pastiche. 1 93
esquisse de ceux qui ne furent qu'un
amusement et un exercice de style.
"Un homme d'esprit, dit labbé
d'Artigny, qui se serait fait une par-
faite étude d'un auteur, pourrait sans
table Homère," et l'on verra que de pages il
faudrait consacrer aux Rapsodes dont les chants
divers ont formé ^Iliade et V Odyssée,
Tous les savants sont persuadés aujourd'hui
que les différentes productions publiées sous le
nom de l'antique Orphée^ ne sont pas de lui.
Platotiy dans sa République^ s'exprime avec
mépris sur ces poèmes que des charlatans
décoraient des noms ^Orphée et de Musée,
Onomacrite, au rapport d'Hérodote, était un
faussaire de profession. Saint Clément d'Alex-
andrie lui attribue les poèmes d' Orphée, Box-
hom et Barthius n'ont-ils pas attribué à un
poète ancien, la satire de Lite, du chancelier
LHbpitan
Qui n'a pas entendu parler de Phalaris, tyran
d'Agrigente, dont les célèbres épitres, écrites six
cents ans avant Jesus-Christ, dans le dialecte
attique usité sous les Antonins, ont donné lieu
à la controverse remarquable entre le savant
Bentley et Charles Boy le 9 Déjà Phoiius les
N
»
I
ê
1 94 Essai sur Le Pastiche.
doute si bien Timiter, qu'il serait
difficile de distinguer le style de Tun,
de celui de lautre." ^
Nodier raconte une anecdote assez
curieuse qui prouve la vérité de cette
opinion. A la fin du siècle dernier, il
y avait un pauvre auteur dont la
fureur était de correspondre avec les
hommes de génie du temps. Comme
ses lettres restaient presque toujours
regardait comme apocryphes, et les raisons
qu'en donna Bentley^ ont été analysées avec
élégance par Hippolyie Rigault dans son histoire
de la querelle des anciens et des modernes.
Les curieux pourront encore trouver dans
cette dissertation de Bentley^ Texamen des fausses
lettres de Thémistocle, d'Eiuripide, de Socrate,
et des fables Ësopiques.
Du même genre est la lettre tV Alexandre à
Olympias et à Aristote, sur les merveilles de
rinde, qui a joui si longtemps d'une étrange
autorité, et que Berger de Xivrey a insérée dans
ses Traditions Tèratologiques,
^ Nouveaux Mélanges d'Histoire et de
Littérature, tome L, p. 358.
Essai sur Le Pastiche. 1 95
sans réponse, il prenait le parti de
s'en faire lui-même, et il y mettait
tant d'art, que J. J. Rousseau^ lisant
dans une feuille publique, un de ces
singuliers pastiches qui lui était at-
tribué, n'osa pas affirmer que la réponse
n'était pas réellement de lui, tant
l'auteur avait imité heureusement le
style de Rousseau.^
^ L*embarras et le doute de Rousseau ressem-
blent à ce que dut éprouver Voiture par
l'espièglerie de Madame de Rambouillet. Il
avait lu un sonnet de sa façon à un indis-
cret ami, qui le retint et en donna copie à la
Marquise.
Celle-ci le fit imprimer et introduire dans un
de ces recueils de vers, alors si nombreux.
Quand Voiture vint réciter ce sonnet à l'hôtel,
on lui montra le livre. Le sonnet imprimé et
le sien étant tout un, le poète finit par croire
que ces vers qu'il s'imaginait avoir composés, il
s'en était ressouvenu seulement. On rit long-
temps avant de le désabuser. (** Précieux et
Précieuses," par Ch, Z. Livet, i vol. 8", p.
30. Paris, 1859.)
1 96 Essai sur Le Pastiche.
Dans les temps anciens on pourrait,
peut-être sous un double rapport,
ajouter comme pastiches, à ceux que
nous avons cités dans l'introduction,
le roman grec de Nicetas EugenianuSy
" Les amours de Drosille et de Chari-
cles." L'auteur avoue franchement
qu'il ne vise pas à l'originalité, et qu'il
ne fait qu'imiter Prodrome (auteur du
12"* siècle), qui composa en vers
ïambes irréguliers, le poème de ** Rho-
dante et Dosiclès." En effet, Eugeni-
anus copie scrupuleusement toutes les
situations du roman de Prodrome, et
de plus, dit Boissonnade^ elles ne sont
décrites qu'avec des centons mal-
assortis d'Anacréon, de Théocrite, de
Bion, de Moschus, et de Musée.
Les deux romans de " Ihéa-
gène et CHariclée," par Hélio-
dore, et de " Leucippe et Clitophon,"
d^ Achille Tatius, doivent se placer dans
la même catégorie. Tous deux ont
Essai sur Le Pastiche. 1 97
une ressemblance tellement frappante,
qu'il est impossible d'y voir deux
œuvres originales, et dont l'une ne
soit pas le pastiche de l'autre. Mais
lequel des deux est le plus ancien
ouvrage, est une question non encore
résolue d'une manière absolue.^
Les pastiches latins sont assez fré-
quents aux 1 6°^ et 1 7"'' siècles, et c'est
surtout à ces époques que l'on peut
voir les intimes rapports qu'il y a, entre
ce genre et les centons. Nous avons
donné, dans un précédent ouvrage,*
quelques renseignements sur des
auteurs dont les écrits se rappro-
chent d'avantage du pastiche, que
du genre dans lequel nous les avons
classés. Ainsi, UAnacreon C histianus
^ Voir " Les Romans Grecs et Latins," par
Victor Chauvin, in 12^ Paris : Hachette, 1864.
et Boissonnade, "Critiques Littéraires."
^ " Revue Analytique des ouvrages écrits
en centons, depuis les temps anciens, jusqu'au
19"* siècle." Londres: Triibner, 1868.
1 98 Essai sur Le Pastiche.
que le jésuite Gilbert youin publia
en 1634, et dont Titon du Tillet vante
l'élégance, est un vrai pastiche, avec
lequel voulut rivaliser, plus d'un demi
siècle plus tard, le célèbre professeur
de grec à l'université de Cambridge,
yoshua BarneSy en publiant sous le
même titre, deux odes anacréontiques,
pour prouver, disait-il, que G. youin
n'avait pas assez approfondi le rythme
poétique et la langue du poète grec.
Ce genre d'amusement était assez
commun alors. Le jésuite Famino
Strada inséra dans ses " Prolusiones
Academicae," des essais et des ha-
rangues, pastiches latins qu'il n'aurait
eu qu'à supposer tirés de quelque
vieille bibliothèque, en y ajoutant un
commentaire, pour prouver l'identité
de style avec celui des auteurs qu'il
avait imités. ^
Ml ne faut pas pousser trop loin les rapports,
souvent intimes, qui existent entre l'imitation et
Essai sur Le Pastiche. 1 99
On est étonné du grand nombre et
parfois du tour agréable de ces sortes
d'imitation de Fantiquité profane, que
la ferveur ascétique et la mysticité
ont fait composer, dans la langue des
auteurs grecs et latins, pendant plus de
le pastiche, sinon on arriverait à dire avec
Macrobe, que Vii^le dans sa description de la
ruine de Troie, et de son cheval de bois, ne
donne qu'un pastiche de Pisandre qu'il a copié
assez littéralement II en serait de même du
4"** livre de TEnéïde, qui n'est guère qu'une
décalque de l'amour de Médée pour Jason,
dans le 4"* livre des Argonautiques d'Apollonius.
La couleur et presque tous les traits du tableau
de la peste du 3"* livre des Georgiques sont pris
dans la description qu'en a faite Lucrèce, dans
son 6°** livre.
Au commencement de l'Enéide la tempête et
les plaintes de Vénus à Jupiter sont une véritable
imitation-pastiche du i*' livre de ia guerre Pu-
nique de Nevius.
Ainsi parle Macrobe^ qui continue cet examen
pendant près de 250 pages in 8°, dans le 5™* et
6"* livres de ses Saturnales,
200 Essai sur Le Pastiche.
deux siècles en France, en Italie, en
Belgique et en Allemagne.
Le père Benardin Stephonio^ dont
les vers posthumes furent publiés à
Rome, in 1655, et qui avait com-
mencé par écrire, comme exercice,
des imitations chrétiennes, en mètre
et en rythme, anacréontîques, com-
posa un excellent pastiche de -Pervi-
gilium Veneris^ qui se lit encore au-
jourd'hui avec plaisir.^
Pour montrer combien il eut été
facile à ces écrivains de tromper les
lecteurs, nous pouvons citer Tanecdote
que Tabbé Régnier Desmarais raconte
lui-même dans ses Mémoires.*
^ In Natalibus Christi noctem, Cannen
trochaïcum, en voici le début :
" CraB amemuB, sodales, cras amasse sit necensitas,
Gras béate ut nunquam amavimos, béate si unquam
amavimus.**
" " Mémoires de Littérature" (par Sallengre),
tome i., page 64.
Essai sur Le Pastiche. 20 1
"A mon retour en France, dît-il,
je me mis à entretenir commerce de
lettres avec diverses personnes en
Italie, et particulièrement avec l'abbé
de Strozzi^ résident pour le roî,
à Florence. J'écrivais toujours en
italien. Or, ayant composé alors une
ode, et l'ayant envoyée à labbé
Strozzi, il s'en servit pour faire une
tromperie à deux ou trois académi-
ciens de la Crusca^ de ses amis. Pour
cet effet, il supposa que Léo AllatiuSy
bibliothécaire du Vatican, lui avait
écrit qu'en revoyant le manuscrit de
Pétrarque, qui y est conservé, il en
avait trouvé deux feuillets collés, et
que les ayant séparés, il y avait trouvé
l'ode qu'il lui envoyait. La chose
parut d'abord difficile à croire, ensuite
la conformité du style et des manières
la rendit vraisemblable, et quand elle
fut éclaircie, M. le Prince Léopold,
protecteur de l'Académie de la Crusca,
202 Essai sur Le Pastiche.
u
II
1/
II
auquel l'abbé Strozzi faisait voir
toutes mes lettres, proposa à TAca-
démie de m'élire, ce qu'elle fit."
Dans un volume que nous croyons
très rare et que ne possède pas le
Musée Britannique,! on rencontre des
pièces de vers en latin, en français,
en italien, en hollandais, parmi les-
quelles se trouvent quelques pastiches
de l'époque dont nous occupons.^
Ce ne fut pas la poésie seulement
qui cultiva ce genre. Les vies d' Anni-
bal et de Scipion qu'on trouve dans
l'édition du Plutarque, publiée par
Campanus, furent composées par
Donat d'Acciaioli, son contemporain.
Plusieurs écrivains ont de bonne foi
cité ces vies comme étant de Plu-
* ** Lusus imaginis Jocosœ, sive Echus à
variis poetis, variis linguis et numeris exculti."
Ex bibliothecâ Theod. Dousae, accessit M.
Schoockii dissertatio de naturâ soni et échus.
Ultrajecti. Acad. Typog. 1638, in 8vo.
Essai sur Le Pastiche. 203
tarque. yean Rtialdus, qui ajouta
beaucoup de notes à Tédition de cet
auteur, en 1624, imputa la supposi-
tion de ces biographies, à la malice
(TAcciaioli. "Afin de donner plus
de crédit à son ouvrage, dit-il, l'auteur
débita qu'il avait traduit ces vies du
grec de Plutarque."
Rualdus avait tort d'accuser le
Florentin de vouloir tromper ses lec-
teurs, car dans une de ses lettres à
Pierre de Médicis, il avoue qu'il n' a
eu d'autre intention que de composer
des pastiches, recueillis, dit-il, de
divers auteurs grecs et latins.^
Dans une pièce anonyme qu'on
peut lire au troisième volume des
Mémoires de Littérature de Tabbé
d'Artigny, qui a pour titre " De-
scription du Château de Delphes," et
^ Voir " Histoire de TAcadémie Royale,
des Inscriptions et Belles Lettres," tome iii. page
286, in 8vo. Amsterdam, 1731.
204 Essai sur Le Pastiche.
censée avoir été envoyée de St
Pétersburg à un journaliste de Paris,
Avril 1750, on énumère assez longue-
ment les principales raretés que ren-
ferme la bibliothèque de ce château.
Or ces livres cités ne sont que des
suppositions d'auteur; ainsi il men-
tionne les œuvres de L. Varius^ ce
célèbre poète tragique, dit-il, ami
d'Horace et de Virgile, qui y sont en
six volumes '} ce manuscrit est unique.
On trouve encore dans cette biblio-
thèque, un ^* Pétrone complet en
vingt-huit livres, et écrit en lettres
rouges."
On pourrait parfois confondre le
^ Cette supposition d'un manuscrit de Z.
VariuSj donna peut-être Tidée au médecin de
Groeningue, HurkinSy de mettre sur le compte
de ce poète latin, une tragédie de Progné^ com-
posée par un Vénitien du seizième siècle.
Il y a un mémoire intéressant de Aug.
Weichai, intitulé **,Dissertatio de Lucio Vario."
Lipsiae, 1829.
Essai sur Le Pastiche. 205
pastiche et la parodie, comme dans
l'exemple donné par Boileau, en imi-
tation des vers de Chapelain^ dont il
imite admirablement la rauque et
barbare harmonie. C'est là le pastiche
critique ou satyrique que Rabelais a
aussi employé avec succès dans son
discours de Técolier Limousin, pas-
tiche des " Angoisses de Dame Héli-
senne de Crenne,"^ disent quelques
commentateurs ; mais plutôt du Champ-
fleury de Geoffrey Tory, où Ton ren-
contre des phrases toutes semblables.
Ne semble-t-il pas que Rabelais a
voulu aussi faire un pastiche-parodie
du "Triumphus Caesareus," o^^Kirker
a mis à la tête de son "Œdipus
iEgyptiacus," et qui est composé de
vingt-cinq langues, lorsque Panurge
1 Rigoley regarde ce nom comme un pseu-
donyme. Les ouvrages qui portent ce nom
d'auteur, ne furent pas publiés avant 1538; or
le second livre de Pantagruel, 011 se trouve ce
discours, parut en 1532.
2o6 Essai sur Le Pastiche.
dans son discours d'introduction à
Pantagruel, emploie successivement
quantité de dialectes dont plusieurs ne
sont que du baragouin ?
Le pastiche, la parodie et le centon
se rapprochent souvent de telle
manière, que la théorie du Recteur
David Hopp, peut presque faire ap-
pliquer aux trois genres, ce qu'il dit de
la parodie seulement : " Auctorum
sententias ad dissimilia argumenta
transferre, servatis quantum fieri po-
test, ipsorum verbis."
Giles MenagCy auquel ses contempo-
rains reprochaient d'être centoniste,
parodiste et plagiaire, paraît s'ac-
cuser involontairement d'être tout cela,
dans cinquante ou soixante pages de
" l'Anti-BaiUet."^
C'est surtout dans les temps mo-
dernes qu'on a employé cette imitation
satirique du style, comme une œuvre
* Edition en 4to de 1728.
Essai sur Le Pastiche. 207
de critique littéraire ; et comme étude,
elle a son utilité et son mérite. L'on
a souvent écrit qu'en fait de style,
l'écrivain ne doit chercher à imiter
personne, que chacun a son style à
lui, d'après son tempérament et la
tournure de ses idées. Il n'en est pas
moins vrai qu'on ne perd jamais rien
à chercher, en commençant à écrire, à
prendre pour modèles les grands
écrivains. Dans ce sens, s'essayer aux
pastiches des auteurs célèbres, peut
avoir son bon côté. Ce n'est jamais
en vain que l'on s'approche de ces
foyers de l'intelligence ; il en reste
sur la pensée et sur la forme qu'on lui
donne, un mystérieux rayonnement.
Aussi même les grands écrivains
Balzac, Boileau, La Bruyère, et
d'autres, n'ont pas dédaigné de
s'amuser parfois à cet exercice.
Outre la parodie de Racine auquel
Boileau contribua, ce satiriste s'enten-
2o8 Essai sur Le Pastiche.
dait très bien aussi au pastiche véri-
table. Dans ses œuvres on en rencontre
deux extrêmement bien faits. L'un
d'après Balzac écrivant des Champs
Elysées à M. le duc de Vivonne, au
sujet de ses victoires, qui, dit-il,
réveillent des gens endormis depuis
trente ans, etc., l'autre, d'après Voi-
ture, au même seigneur, aussi pour le
complimenter sur ses hauts faits.
La Bruyère a composé un agréable
pastiche d'après Montaigne^ au cha-
pitre cinq, " De la société et de la
conversation ."
** Je veux avoir mes coudées fran-
ches, et estre courtois et affable à mon
point, sans remords ne conséquence. Je
ne puis du tout estriver (lutter) contre
mon penchant, et aller au rebours de
mon naturel qui m'emmeine vers celui
que je treuve à ma rencontre. Quand
il m'est égal, et qu'il ne m'est point
ennemy, j'anticipe sur son accueil, je
Essai sur Le Pastiche. 209
le questionne sur sa disposition et
santé ; je luy fait offre de mes ser-
vices, sans tant marchander sur le
plus ou sur le moins, ne estre, comme
disent aucuns, sur le qui-vive.
"Celuy-là me deplaist qui, par la
cognoissance que j'ay de ses coustumes
et façons d'agir, me tire de ceste
liberté et franchise. Comment me
ressouvenir tout à propos, et d'aussy
loing que je vois cet homme, d'em-
prunter une contenance grave et im-
portante, et qui l'avertisse que je crois
le valoir bien, et au de là ; pour cela
de me rementevoir de mes bonnes
qualités et conditions, et des siennes
mauvaises, pour en faire la comparai-
son ? C'est trop de travail pour
moy, et ne suis du tout capable de si
roide et si subite attention," etc.
Au chapitre cinq " de la cour," La
Bruyère a un autre passage en vieux
style que M. Augier croit être aussi
o
2 1 o Essai sur Le Pastiche.
un pastiche, mais Tauteur ne le donne
pas pour une imitation de Montaigne,
ainsi qu'il le fait dans celle que nous
venons de citer. Walckenaeri^tïis^ que
La Bruyère donne ici une citation vraie.
Ne pourrait-on pas regarder comme
un pastiche mal réussi, les '' Essais
dans le goût de ceux de Montaigne,"
composés en 1736 par le Marquis
d'Argenson, réimprimés à Amster-
dam en 1 785 ?
Nous citerons plus loin d'autres
pastiches d'après Montaigne^ qui, avec
Balzac, le grand épistolier, a été
l'objet de fréquentes imitations de
cette espèce. Une des plus élaborées
d'après ce dernier écrivain, est " La
Comédie des Comédies," composée des
passages les plus ampoulés de Balzac,
dont on cherche à faire ressortir le
ridicule.^
^ Cet opuscule publié sous le nom de Péchier^
est très probablement de Renk Bary.
I
Essai sur Le Pastiche. 2 1 1
On se rappelle le bruit que fit,
dans le temps, la querelle entre
Madame Dacier et Lamotte sur
la prééminence àts anciens. Elle
avait défendu Homère en style fort
lourd et plein de pédanterie, et son
antagoniste lui répondit dans ses
" Réflexions sur la critique," avec une
grâce et une politesse que (CAlembert
qualifie de chef-d'œuvre d'élégance.*
L'année qui suivit l'essai de M"*
Dacier, "sur les causes de la cor-
ruption du goût," un anonyme publia
à Paris, sous le même titre, un pastiche
de cet essai, dans lequel il prétend que
le véritable moyen de ramener le bon
goût chez les modernes, est de revenir
à l'étude de la cuisine chez les an-
ciens. ** Les peuples, dit-il, changent
* "Eloge de Lamotte." Au sujet de cette
querelle, voir le tome iv. de La Bibliothhque
Française, de Tabbé Goujct^ et Le Cours de Lit-
térature de La Harpe.
.*
212 Essai sur Le Pastiche.
leur goût moral, en changeant leur
cuisine. Si les grecs modernes,
malgré l'influence du soleil levant,^
restent dans l'avilissement, c'est
qu'ils ne se nourrissent plus à la
manière dé leurs ancêtres"* Il con-
clut que, si Ton proscrivait la cuisine
moderne en la remplaçant par celle
(VApichiSy tous les Chapelains seraient
des Homères, les Desmarets^ des Vtr-
gtles^ les poètes lyriques, des Pindares,
les avocats, des Démosthhies?
La même année que parut l'attaque
1 ^me Dacier avait parlé, de la renaissance
du bon goût "chez les nations favorisées des
regards du soleil levant," phrase dont les mau-
vais plaisants s'étaient égayés.
' Il est curieux de comparer cette idée émise
en plaisantant, avec le système sérieux de M.
Taine^ dans son ** Histoire de la Littérature
Anglaise," sur Tinfluence exercée par la nour-
riture sur les idées littéraires d'Angleterre.
^ On trouve l'analyse de ce pastiche-cri-
tique dans "Z^ Càrf-d^auvre (Tun ifuonnUy*
tome ii. page 464.
Essai sur Le Pastiche. 213
de M*"* DacieTy fut publié pour la pre-
mière fois, par de Saint Hyacinthe,
" Le Chef-d'œuvre d'un inconnu."
Cette satire peut être considérée
comme une réunion de divers pas-
tiches des commentaires niais et sans
fin du 1 7"® siècle, qui égaraient l'esprit
et corrompaient le goût. Souvent en
effet, les Burmann^ les Scaliger^ les
Sclioppius, et autres s'emparaient de
l'ouvrages d'un ancien, moins pour en
éclaircir le sens, que pour faire un
vain étalage d'érudition et de pédan-
terie. Un des plus curieux exemples
de ces sortes de commentaires, lequel
Palissot a présenté comme la véritable
source du "Chef-d'œuvre d'un in-
connu," est un traité latin sur le " Can-
tique des Cantiques," où le moine
flamand Titelman emploie trois cents
pages de petit texte très serré, pour
nous donner des explications sau-
grenues et indécentes, sur le poème
2 14 Essai sur Le Pastiche.
hébreux. Toutes les fictions étaient
pour ces savants des emblèmes ingé-
nieux qui, sous des dehors bizarres,
cachent les secrets les plus mystérieux
de la nature, les préceptes les mieux
raisonnes de la morale et les plus
utiles maximes de la politique.^
L'abbé Galiani^ Tami intime de
Madame cPEpigny^ réussît aussi très
bien à se jouer des savants par des
pastiches. Il publia à Naples un re-
cueil, contenant un certain nombre de
pièces attribuées aux académiciens
* " Chef-éPœuvre d'un inconnUy^ tome L page
324, de rédition, donnée par Leschevin^ et qui
a effacé toutes les autres.
Il existe plusieurs imitation-pastiches de cet
ouvrage, comme on peut en voir les détails
dans les notes du second volume.
CervanteSy dans sa préface de Don Quichotte,
a aussi tourné en ridicule, comme Saint-
Hyacinthe, les commentateurs et leurs notes
marginales, leurs citations et leurs folles ima-
ginations.
Essai sur Le Pastiche. 215
de cette capitale, et où îl avait singé,
avec un rare bonheur, leur manière
d'écrire. Comme c'était un éloge
funèbre du bourreau, le public fut
d'abord étonné, mais la mystification
fut aussitôt avouée aux applaudisse-
ments universels.
Un pastiche de la plaisanterie de
Sénèque sur la mort de l'Empereur
Claude^ a été inséré, par un anonyme,
dans l'histoire de Pierre de Montmaur,
par de Sallengre. Il est intitulé " Mon-
mor Parasitosycophantosophistœ îlTro-
Xpairoôetûaïf;^* c'est à dire : la Mar-
mitodéïfication de Montmaur. Cette
pièce latine n'a rien de commun avec la
MétanwrpJiose de Gomor en marmite^
que l'on trouve dans le même recueil,
et qui est l'œuvre de Dalibray.
L'abbé Desfontaines que la colère
de Voltaire a trop fait déprécier, a
composé un pastiche-critique amusant
des harangues officielles de l'Académie
2 16 Essai sur Le Pastiche.
Française,^ dont il fit ressortir Tenflure
et le ridicule.
L'imitation d'une ancienne tragédie
latine composée au 1 6°* siècle, comme
amusement littéraire, par Gregorio
Corrario, vénitien, protonotaire apo-
stolique, trompa si bien un pauvre
savant hollandais, Nicolas HeerkefiSy
qu'il crut cette pièce composée par
Lucitis Varius^ poète tragique du
temps d'Auguste. Il avait reçu le
manuscrit d'un religieux d'un couvent
d'Allemagne où il avait fait un voyage.
On douta de cette origine sans raisons
suffisantes, noussemble-t-il ; et, parceque
Heerkens fit plusieurs tentatives pour
faire imprimer cette tragédie comme
une pièce ancienne inédite, tandis que
l'abbé Morelli découvrit qu'elle avait
déjà été imprimée en 1558, on accusa
1 Discours de remerciement prononcé par
Messire Christophe Mathanasius, lorsqu'il fut
reçu à l'Académie Française.
Essai sur Le Pastiche. 2 1 7
le savant hollandais de vouloir mystifier
le public. A notre avis, c'était lui qui
était le mystifié, et en lisant les détails
de cette affaire dans le 3°* vol. des Mé-
langes de Chardon de la Rochette, nous
ne pouvons que plaindre Heerkens de
n'avoir pas su qu'un Vénitien s'était
amusé à composer une tragédie latine
à l'imitation des anciens.
A propos de pastiche de tragédie,
rappelons celle ^Iphigéfiie de M. M.
Leclerc et CoraSy où les auteurs ont
suivi pas à pas la tragédie du même
nom, que Rotrou avait donnée trente-
cinq ans auparavant.
En comparant les deux pièces, on
voit qu'ils ont employé les mêmes
situations, la même marche, souvent
les mêmes pensées.
PaiiHydans'' Etudes sur les tragiques
grecs," dit que cette triste IphigéniCy
pour laquelle ils se disputèrent tous
deux, ressemblait trop à celle de
2 1 8 Essai sur Le Pastiche.
RotraUf pour qu'ils y eussent droit
l'un ou l'autre.
On connaît l'épigramme de Racine : —
*' Entre LecUrc et son ami Coras^
Tous deux auteurs rimans de compagnie,
N'a pas longtemps s'ourdissaient grands
débats,
Sur le propos de leur Iphigènie,
Coras lui dit : La pièce est de nom crû !
Leclerc répond: Elle est mienne, et non
vôtre !
Mais aussitôt que Fourrage a paru
Ils n'ont voulu l'avoir fait l'un ni l'autre."
Parmi les hommes de talent qui, par
une pure fantaisie, ont employé leur
plume à imiter le style des grands
écrivains, il faut placer Nicolas Châte-
lain. Ce littérateur, né à Rotterdam
en 1769, se fit naturaliser en Suisse, et
fixa sa résidence à Rolle, dans le
canton de Vaud, où il mourut vers le
milieu de notre siècle. Il nous a
laissé deux collections de pastiches,^
^ i"", '' Pastiches, ou imitations libres de style
Essai sur Le Pastiche. 219
où une vingtaine d'auteurs sont très
spirituellement imités et critiqués.
Dans les lettres de Livry^ il renferme
dans un cadre fictif, ses propres idées,
et il les exprime dans un style très
rapproché de celui de modèle.
Ce jeu d'esprit a reçu son titre de
la délicieuse campagne de Livry^ où
M°**. de Sévigné est supposée se retirer
pour rendre compte tout à son aise, à
M°**. De GrignaUy avec l'aide de son
fils et de Corbinelliy des ouvrages
nouveaux.
Chateaubriand a une grande part
dans cette satire spirituelle du style
moderne.
Quêrardy à l'article Sévigné, dît que
cette publication est un pastiche, sans
être une mystification, puisqu'on y
de quelques écrivains des 17"* et 18"* siècles."
I vol. in 8^ Paris : Cherbuliez, 1855.
2®, "Lettres de Livry, ou Madame de Sévigné,
juge d'outre-ridicule." 8®. Genève, 1835.
220 Essai sur Le Pastiche.
fait l'analyse d'ouvrages de l'époque
actuelle, et il l'attribue à N. Châtelain.
Toutefois M. Rostain, le savant biblio-
phile de Lyon, n'est pas éloigné de
croire qu'il est l'ouvrage de feu M.
Gaultier^ professeur distingué de
Genève, où cette brochure a, selon
toute apparence, été composée.^
La première des quinze lettres que
renferme ce recueil commence ainsi : —
" Voilà qui est dit, ma fille, j'y con-
sens : pour satisfaire à votre curiosité,
et amuser votre paresse, je vous en-
verrai, à fur et à mesure qu'ils paraî-
tront, des extraits de tous ces ouvrages
nouveaux et si bizarres qui nous pour-
suivent. Vous jugerez des pensées
et du style, et par cela même des
auteurs.
" M. De Pomponne en prit l'autre
^ Elle se compose de 103 pages. Imprimée à
Paris en 1835, elle est devenue fort rare, et méri-
terait d'être réimprimée.
Essai sur Le Pastiche. 22 1
jour un hoquet à force de rire ; nous
crûmes le perdre pour ce chîen de
livre."
Dans la troisième lettre, elle raconte
une visite qu elle a faite à M. De Sainte
Beuve, célèbre casuiste, qui occupa en
1 643, une des chaires royales de théo-
logie, et qui était lié avec ce que Técole
de Port-royal renfermait d'hommes les
plus méritans.
"Je le trouvai les mains jointes, dit
M"*. De Sévigné ; quand il me vit, il
s'empoigna la tête, et me dit. Madame,
vous connaissez tous mes chagrins;
j'ai un neveu qui fait des romans, et
quels romans ! "
La-dessus il examine le style de
Volupté^ du Saint Beuve du 1 9"* siècle,
et après avoir lu le portrait de religieuse
que l'auteur y décrit, il ajoute, "Il n'est
pas permis d'écrire ainsi. Un visage
macèri avec un éclair d'' aurore inalté-
rable ; une créature dont la chair est
222 Essai sur Ix Pastiche.
contrite, et puîs un suaire qui illumine,
un amoureux sourire intérieur qui ne
dissipe jamais le perpétuel nuage I "
La lettre continue ainsi et finit par
la critique des poésies de Joseph
Delonne et des Consolations.
La quatrième lettre expose les
plaintes que fait Guez de Balzac, de
son fils naturel qui, dit-il, fait des
Scènes de la vie privée, par douzaines,
et détruit la langue par ses tours et
ses expressions étranges.^
Dans deux autres lettres bien imi-
tées, Victor Hugo est moins maltraité
que Sainte Beuve et Balzac, et les
dernières plaisantent d'une manière
^ Il est curieux de comparer à plus de trente
ans de distance, cette opinion sur le style de
Balzac, avec celle de H, Taine, dans ses '* Nou-
veaux Essais de Critique." Elle est singulière-
ment sévère : " Son style choque ou étourdit,
dit-il, c'est un artiste violent, malade, hors de
qui les idées font péniblement explosion en
style chargé, tourmenté, excessif," etc.
Essai sur Le Pastiche. 223
très agréable, sur les expressions et
les tendres sentiments de M. flfe Cha-
teaubriand pour M"*, de Récamier.
Il est à regretter que N. Châtelain
n'ait pas inséré dans son recueil de
Pastiches et imitations libresy une autre
lettre de M"*, de Sévigné, publiée en
1829, sous le titre de " Visite de M°*.
de Sévigné, à Toccasion de la Révoca-
tion del'Edit de Nantes." C'est untour
de force vraiment remarquable, car il
est impossible de mieux imiter le style.
Deux nouvelles lettres pastiches du
même auteur, sur cet axiome politique,
" Il faut mater le peuple par la pros-
périté," ont été publiées en 1839, dans
un opuscule intitulé La Muselière.
Châtelain rappelle, dans un appen-
dice, que M"*. Lespinasse, cette char-
mante lectrice de M"", du Deffand^ a
ajouté deux chapitres pastiches au
voyage sentimental de Sterne. Elle
y célèbre avec grâce et bonheur deux
224 Essai sur Le Pastiche.
bonnes actions de cette dame. Ces
chapitres ont été insérés dans les
œuvres posthumes de d^Alembert.
On se rappelle la vogue qu'eurent
durant la première moitié de ce siècle,
les Mémoires du fameux Prince Eu-
gène de Savoie. Les faits y sont si
bien exposés (comme aurait pu le faire
le héros qui humilia si fort Louis XIV.)
que le public s y laissa prendre d'abord,
mais la supercherie fut découverte par
Fontanes^ et aussitôt avouée par le
Prince de Ligne.
En donnant à son tour un recueil de
pastiches de quelques grands écri-
vains, le Marquis du Roure exprime,
après chacun des sept morceaux qu'il
compose, son jugement sur l'original,
afin de montrer le mécanisme, si
nous pouvons employer ce mot, de ces
sortes de compositions.^
* "Réflexions sur le Style Original."
Ce livre est extrêment rare, n'ayant été tiré
Essai sur Le Pastiche. 225
" L'originalité, dans Tacception litté-
raire, ne saurait être un mérite en soi,
dit l'auteur, car elle tient souvent à
certains défauts de l'écrivain, à ce qu'on
nomme dans les arts, soit de l'esprit,
soit de la main, la manière. Il perd
ou néglige la trace des vrais modèles,
pour faire autrement qu'eux.
** De là vient que les pastiches les
plus habilement dessinés, déguisent
les beautés de l'original, au lieu de les
reproduire, parceque ces pastiches,
étant faits d'après des parties sail-
lantes, c'est à dire, défectueuses, réu-
nissent en faisceau des défauts qui,
dans le type, sont du moins en-
tremêlés de beautés véritables."
Voici son opinion sur La Bruyère :
" Des ridicules extérieurs, et souvent
qu'à soixante exemplaires pour être distribués
aux personnes dont le nom est imprimé en tête
de chaque exemplaire.
226 Essai sur Le Pastiche.
des circonstances puériles, choisis de
préférence, pour représenter un carac-
tère; l'affectation de terminer ses
tableaux par un trait inattendu, des
réticences, des détours, des op-
positions de mots ; enfin, ce style
prophétique qu'il faut souvent de-
viner, comme le disait Boileau, du
style de La Bruyère, voilà ce que j'ai
imité. Il y a de tout cela chez le
peintre des Caractères, mais ce n'est
pas là ce qu'on admire dans le por-
trait d'Irèfie, au chapitre de l'homme ;
dans celui à^ Antistfiène^ au chapitre
de jugements ; dans celui d^Emire, au
chapitre des femmes; en un mot, ce
n'est pas là ce qui met La Bruyère au
premier rang des moralistes et des
écrivains."
Après le pastiche d'après J. J.
Rousseau, il ajoute :
" On peut reconnaître dans l'auteur
de rHéloise à la multiplicité des anti-
Essai sur Le Pastiche. 2.2ri
thèses, à des sentiments paraphrasés,
enfin à un certain arrangement artifi-
ciel de mots, que son feu part de la
tête, plutôt que de l'âme ; qu'il ne se
perd pas de vue dans ses plus fortes
émotions; enfin qu'il est encore so-
phiste dans ses épanchements, et c'est
par là que nous l'avons trouvé soumis
aux contrefacteurs."
Ces remarques sont très propres à
bien faire comprendre la théorie du
pastiche, comme amusement litté-
raire.^
^ Si dans les exemples qui suivent, le pastiche
a souvent la fonne, soit de la parodie, soit du
centon, c'est qu'il est souvent difficile d'éviter
la confusion des trois genres. C'est ainsi que
Théodore Zuinger^ dans son vaste travail ency-
clopédique intitulé " Theatrum humanae vitae "
(5 vol. in fol), les fait descendre tous, des rap-
sodes grecs : " Epici olim, dit-il, sua carmina
recitabant et interpretabantur, donec rapsodi
hoc munus invasêre, et Homeri primum, mox
cœterorum poetarum illustrium simias se pro-
228 Essai sur Le Pastiche.
Une brochure de 52 pages, publiée
à Lyon, en 1 8 10,^ y occasionna quelque
scandale, comme pastiche d'un véri-
table compte-rendu, mais où Ton avait
imité le style, et entremêlé des re-
marques et des réflexions d'une cri-
tique très plaisante, sur les compositions
littéraires de plusieurs auteurs Lyon-
nais de l'époque, prosateurs et poètes.
Une critique-pastiche du même
genre, mais d'une plus haute portée,
et très sévère pour plusieurs des noms
célèbres du commencement de notre
fessi sunt, et ex iisdem centones consuerent.
Digressîs enim rapsodis et recitationem inter-
mittentibus, lusus gratiâ, prodibant parodi qui
omnia à rapsodis pronunciata, cum risu, inver-
terent, et prseter rem seriam propositam, alia
ridicula subinferrens. £rgo ut satyra ex tra-
gœdia, mimus è comedia, sic parodia et cen-
tones, de rapsodia nati sunt."
^ L'Académie de Lyon en 1809, ou analyse
raisonnée du compte-rendu des travaux de cette
Académie.
Essai sur Le Pastiche. 229
siècle, parut en 182 1, sous le titre de
" L'Elysée, ou quelques scènes de
l'autre monde." On lattribue à Cadet
de Gasstcourt.
Le sujet est Napoléon L paraissant
devant le tribunal qui juge les rois, et
la description de la séance extraordi-
naire de l'Académie Elyséenne, à
l'occasion de l'admission de Napoléon
au nombre des immortels.
Une idée assez originale, c'est que
les ombres de tous ces grands person-
nages sont sous la condition imposée
par le destin, de ne plus rien dire de
nouveau. Ce qui fait que pour ne
pas repenser sans cesse (comme s'ex-
prime Mercier^ à la page 44), elles
puisent leurs discours dans les pro-
ductions contemporaines, dont elles
reproduisent les formes et les idées.
KwiSiMercier.àasis une conversation
avec M"* De Staël, veut lui faire nu
compliment et lui dit, " Vous vous
230 Essai sur Le Pastiche.
avancez comme l'aurore, votre bouche
est comme une grenade entr'ouverte,
et vos yeux sont purs comme les pis-
cines de l'Hésébon. Vous êtes bril-
liante comme une des roses mystiques
sur un trône de candeur, semblable à
la galère athénienne chargée de por-
ter les présents sacrés de Cérès. O !
je vous en conjure par les chevreuils
des montagnes, soutenez-moi avec
des fleurs et des fruits, car mon âme
s'est fondue à votre voix."^
Dans le discours prononcé par M"**'
De Staël devant l'Académie, elle fait
un brillant panégyrique de Napoléon,
en imitant les formes de ses " Considé-
rations sur les Révolutions."
Après plusieurs autres discours sa-
tiriques, cette séance de l'immortelle
Académie est terminée par des cou-
plets, des cantates et des chants d'apo-
* Les Martyrs^ et le Génie du Christianisme,
passim.
Essai sur Le Pastiche. 23 1
théose des écrivains les plus plats et
les plus flagorneurs, de la littérature
du premier empire.
L'emphase, souvent exagérée, de
Chateaubriand, a naturellement donné
lieu à de faciles pastiches. Un des
plus amusants est, " L'Itinéraire de
Pantin au Mont Calvaire,"^ qui fut lu
par toute la France, à cette époque, et
dont la lecture, même aujourd'hui, est
encore très plaisante.
" Souvent aux rayons de la lune qui
alimente les rêveries, au bord du ruis-
seau où les blanchisseuses de mon
pays rendent à leur linge sa blancheur
première, je croyais voir le Génie des
* " Itinéraire de Pantin au Mont Calvaire,
en passant par la rue Mouffetard, le Faubourg
St Marceau, ceux de St Jacques et de St Ger-
main, les Quais, les Champs Elysées, etc., etc. ;
ou, Lettres inédites de Chactas à Atala, ouvrage
écrit en style brillant, et traduit pour la pre-
mière fois du Bas- Breton," par M. De Chateau-
teme. In 8vo de 220 pages. Paris, 181 1.
232 Essai sur Le Pastiche.
souvenirs assis pensivement à mes
côtés. Triste, mollement étendu sur
une botte de paille, ressemblant à un
jeune homme assis sur les bords d'un
volcan, je voulais entretenir ceux qui
m'environnaient; toutes mes prome-
nades étaient muettes. Vastes déserts
des hommes, bien plus tristes que
ceux des bois, vous ne disiez rien à mon
cœur. La parole distraite se perdait
sur ma langue immobile. U ne grande
âme doit contenir plus de chagrin
qu'une petite, et je n'étais occupé
qu'à rapetisser ma vie."
Un jour Chactas veut mourir, mais
une lettre d'Atala le sauve.
"Je disais au monde un éternel
adieu, quand j'aperçus venir de loin le
facteur du village, semblable au Génie
des airs, secouant sa chevelure bleue,
embaumée de la senteur des pins ; il
s'avançait, heureux messager.
"Que me remit-il.^ une lettre d'Atala!
Essai stcr Le Pastiche. 233
à moî, quî depuis des siècles ne lisais
plus pour m'amuser, qu'Homère et la
Bible ; qui cherchais à fondre dans les
teintes du désert, et dans les senti-
ments particuliers de mon cœur, les
couleurs de ces deux grands et éternels
modèles." ^
Parmi les innombrables académies
que vit briller l'Italie, se distingue
celle des Arcades. Les membres cul-
tivaient beaucoup le pastiche. Un
d'eux, savant recommandable à bien
des titres, Valperga de Caluso, fit im-
primer à Turin, en 181 3, deux épitres
d^Horace, adressées à l'Empereur
^ Ce pastiche a de la ressemblance avec la cri-
tique qu'on trouve dans "Saint Géran, ou la
nouvelle langue française,'' et dans " La suite
de Saint Géran, Itinéraire de Lutèce au Mont
Valerien," ouvrage dont nous avons parlé dans
V Essai sur la Parodie. Toutefois ceux-ci ren-
trent plutôt dans la classe des centons, que
l'Itinéraire de Pantin, oh l'on imite le style et
les formes de langage, sans copier toujours
les phrases mêmes.
234 Essai sur Le Pastiche.
Auguste. Dans la première, l'auteur
déplore la mort de Mécène ; l'autre est
une espèce de protestation contre cer-
taines théories littéraires. La pru-
dente loyauté de Valperga s'épargna
la supposition, si commode et si com-
mune, d'un vieux manuscrit récemment
découvert, et ne se cacha point d'avoir
composé un pastiche que Ton était
disposé à croire authentique, tant il
était bien fait.^
Dans les premières années de ce
siècle, M. Mênégault publia sous le
nom d'Angélique Rose Gaétan, un
pastiche, tour de force original. Les
522 vers dont se compose le Mérite
des femmes, par Legouvé, sont ap-
pliqués, avec identiquement les mêmes
rimes, au Mérite des hommes.^
" La raison de ceci, dit malicieuse-
* Voir " Une imposture littéraire," page 24.
Nous avons déjà cité cette rare plaquette.
' Ce poème de Legouvé a souvent été soumis
Essai sur Le Pastiche. 235
ment lavant-propos, c'est que n'ayant
pu trouver un dictionnaire de Richelet,
dans tout mon département, et n'étant
guère maîtresse de la rime, j'ai tout
uniment suivi celles du Mérite des
femmes!'''
Le lecteur a vu, dans la première
section, des pastiches pris pour des
compositions anciennes, mais qu'un
écrit auquel l'auteur a mis son nom,
soit regardé comme l'œuvre d'un an-
tique grammairien, c'est ce qui est
plus rare. Boissonnade, en rendant
compte, dans ses Mélanges, de la tra-
duction en prose de l'Iliade, par le
Prince Lebnm^ raconte que le traduc-
teur mit à son livre un discours
préliminaire en grec, qui aurait fait
beaucoup d'honneur à un helléniste de
profession, et que, trompé par l'ar-
à la critique des pastiches et des parodies, tels
que \jt D'emèrite des femmes^ par Pelletier; le
Mérite des femmes travesti^ etc. etc.
236 Essai sur Le Pastiche.
chaïsme de ce morceau, un anglais écri-
vît une dissertation pour prouver que
c'était là évidemment une composition
antique.
La même chose aurait pu facilement
arriver à M. Victor Leclerc lorsqu'il
publia en grec de bon aloi (en 18 14),
son poème grec de Lysis, trouvé sous
les ruines du Parthénon, et traduit en
vers français décasyllabes; mais il
avoua qu'il en était l'auteur, à ses
amis, et joignit au poème, une tra-
duction en vers du Pervigiltum
Veneris.
En ¥ YdMce.Rabelaisçt Montaigne ont
très souvent été le sujet de pastiches,
comme on a pu le voir ci-dessus ;
donnons en encore deux exemples
de notre époque.
Ch. Nodier^ dans l'Histoire du Roi
de Bohème, à l'article Navigation,
décrit ainsi la position de Tom-
bouctou : —
Essai sur Le Pastiche. 237
"... Des Tombuctiens rien ne
vous sera présentement narré en ceste
magnificque et seîgnieurîale histoire,
que ne treuvîez jà grabelé aux livres
de Navigaige. Toutesfois n'en croyez
mie ce fol ravasseur de Claude Ptolé-
mée géographe, car il ne dégoise de
Tombouctou que gaffes, bourdes,
trupheries, gaberies Lucianicques, et
phantasies abhorrentes à nature, telles
que hommes cacamorphes et Siléniens
à la queue de six empans. Mercy de
dieu, que n'en avez vous de tant sup-
pellative amplitude, vous aultres pail-
lards de plat païs. Tombuctiens sont
gens à priser entre tous humains,
frisques, guallants, coquarts, bien ad-
venants en leur maintien, bien advan-
tagéz en nez, idoines à tous jeux
plaisants, bons rencontres et honnestes
devis, et voulentiers aymants mieulx
cent messes dictes, qu'un voyrre de
vin bu.
238 Essai sur Le Pastiche.
" Au demeurant, féaulx subjects,
beaux payeurs d'imposts, et furent
aussy bons chrétiens que le fustes
oncques."
Quant à MontaignCy le comte de Pey-
ronnet, un des ministres de Charles X.
en fit un pastiche des mieux réussis,
durant son imprisonnement.*
" Au temps que je fis un précédent
chapitre sur la solitude, poinct ne
m'advisai-je que c'estoit une thèse
double, et un subject à deux faces.
De la volontaire, bien argumentai-je
assez pertinemment et abondamment.
De l'involontaire, je n'en dis mot, et
ne scais pourquoy. Si est ce que la
dernière a bien aultrement besoing
d'admonition et de rencofort.
* Pensées d'un prisonnier. 2 vol. in 12®.
Bruxelles: Dumont, 1834.
Ce livre plein d'une noble philosophie
pratique, et d'un style pur et correct, sera
toujours lu avec plaisir.
Essai sur Le Pastiche. 239
** Aujourd'huy le veulx amender.
Ces forcenées discordes m'y ont
faict songier, qui mettent tout en
branle et en combustion. Vray est
qu'on ne peult meshuy assurer de
rien, et que tel sommeille bonnement
chez soy, n'ayant faict à aulcuns ni
tort, ni dommage, qui à Tadventure
en sera osté à son réveil et mis en la
geôle, avec force maltraictement et
pilleries en sus. Sera-ce rayson qu'il
s aille pour cela, désoler et pendre ?
Je me suis tasté et exprouvé l'esprit
en ce subject n'y a guère, et tiens-je
pour seure que de ceste incommodité
là, il en soit comme de plusieurs ses
pareilles, lesquelles tant plus on les
envisaige de loing, tant plus vous
semblent-elles oultrageuses. Mais que
ne soyez assez fol pour laisser prendre
et enserrer vostre esprit, de mesmes
temps que vostre personne ; bien vous
veulz-je estre pleige et caultion que le
240 Essai sur Le Pastiche.
reste vous sera tellement quellement
légier à souffrir. Uessentîel est que
l'âme soît libre. Gaîgnier ce poinct
là, c'est ville gaîgnée ; et est comme
il fault faire nargue à vostre geôlier,
ne luy laissant de son prisonnier que
la moindre part, en luy robbant
l'aultre."
Nous avons vu plus haut comment
Châtelain, dans ses Lettres de Livty,
avait critiqué le style de Sainte Beuve,
qui, dans son roman Volupté, n'avait
pas encore atteint la vigueur montrée
depuis dans ses Lundis. Balzac, dans
une de ses nouvelles, " Un prince de
la Bohème," fait aussi la satire de ce
langage précieux. Nathan esquisse
le portrait d'un raffiné, en se tenant
toujours dans les eaux de Monsieur de
Sainte Beuve, dit Balzac : " On voit
dans cette existence une vie dégagée,
mais sans point d'arrêt. Ce n'est plus
le velouté de la fleur, mais il y a du
Essai sur Le Pastiche. 24 1
grain desséché plein, fécond, qui assure
la moisson d'hiver. . . . Ne trouvez-
vous pas que ces choses annoncent
quelque chose d'inassouvi, d'inquiet,
ne s'analysant pas, ne se décrivant
pas, mais se comprenant, et qui s'en-
flammerait en flammes épaises et
hautes, si l'occasion de se déployer ar-
rivait ? C'est Vcuedia du cloître, quel-
que chose d'aigri, de fermenté dans
rinoccupation croupissante des forces
juvéniles, une tristesse vague et ob-
scure ..." Assez ! assez ! s écria la
Marquise impatientée; vous me donnez
des douches à la cervelle !"
Après une autre tirade dans le même
genre, la Marquise demande : ** Ah !
çà, mon cher Nathan, quel galimatias
me faites-vous là ?" ** Madame,répondit
Nathan, vous ignorez la valeur de ces
phrases précieuses ; je parle en ce mo-
ment le Saifite BeuvCy une nouvelle
langue française."
Q
242 Essai sur Le Pastiche.
Balzac ne s'attendait guère à être
traité de la même façon, et à plus juste
titre peut-être, si Ton en croit la cri-
tique de M. Taine}
En 1833, M. De Latouche publia
une édition des poésies ^ André Ché-
nicTy augmentée de pièces inédites et
posthumes. A cette occasion, le célèbre
chansonnier Béranger prétendit, d'a-
bord de bonne fois sans doute, ensuite
par entêtement, que la plupart des
poésies à^ André Chénier étaient de
De Latouche, et il répétait sans cesse
cette opinion extraordinaire. Il est
vrai que De Latouche nia ; mais la fa-
tuité n'était pas son moindre défaut, et
il laissa entrevoir qu'il avait beaucoup
paré son poète, pour le montrer au
public.
Ce peu de franchise dans la dénéga
* Nouveaux Essais de critique et d'histoire^
page 6^, oh une très sévère analyse est faite du
style de Balzac.
Essai sur Le Pastiche. 243
tion confirma l'idée de Béranger, qui
n'avait jamais été initié par ses études
à la belle antiquité, et il ne vit plus
désormais dans Cfiénier, que des pas-
tiches par De Latouclte. Confondre
ainsi ces deux écrivains, c'était faire
preuve d un goût douteux en poésie.^
Si Déranger voulait voir un pastiche
dans les vers d'André Chénier, Napo-
léon III a été accusé de n'avoir rien
inventé et d'avoir tout pastiché, comme
écrivain, comme politique, et comme
socialiste, par M. J^iles Clartie, dans
son ouvrage " L'Empire, les Bonapar-
tes et la Cour," où, en parlant de la
fameuse théorie des hommes providen-
tiels, mise en avant dans la "Vie de
César," il montre qu'elle est empruntée
* Voir la préface de l'édition critique des
œuvres d'André Chénier, par M. Bec de Fou-
quières, i vol. gr. in 8®. Paris: Charpentier, 1862;
et une note de Sainte Beuve^ dans le Chateau-
briand, tome ii. p. 303.
244 Essai sur Le Pastiche.
tout au long à Hegel, dans son écrit
sur J ules César, et sur sa mission dans
le monde.
On a composé en France plusieurs
ouvrages d'assez longe haleine, qui
sont de véritables pastiches, tels que
les Contes drolatiques de Balzac, dont
le style, les formes et les idées de Ra-
bêlais sont imités avec une certaine
affectation, ** car, dit-il, dans une de
ses historiettes, on treuve éternellement
dans ses escripts resplandissants, ceste
bonne philosophie à laquelle besoing
sera de toujours recourir."
Deux fois la plume facile de Jules
yanin s'est exercée, avec succès, à
cette sorte de plaisanterie, dont la dif-
ficulté augmente en raison de la lon-
geur des œuvres que Ion imite.
" L'âne mort et la femme guilloti-
née," est un pastiche-critique sanglant
des romans à sensation, et il en dé-
veloppe le motif dans sa préface : " Je
Essai sur Le Pastiche. 245
dois à la critique, pour m'excuser de
l'affreux cauchemar que je me suis
donné à moi-même, d'expliquer que,
pour n'être pas dupe de ces émotions
fatigantes d'une douceur factice, dont
on abuse à la journée, j'ai voulu m'en
rassasier une fois pour toutes, et dé-
montrer invinciblement aux âmes
compatissantes, que rien n'est d'une
fabrication facile, comme la grosse
terreur. Dans ce système, il faut voir
avec les yeux du corps, bien plus qu'a-
vec ceux de l'esprit, pour être dans le
vrai. Ainsi je choisis par exemple un
vaste emplacement ténébreux, sur le
bord d'un précipite, ou sur le haut de
quelque montagne; je creuserai autour
un large fossé que le temps a rempli
d'une boue noire et verte; sous ce fossé
je placerai une prison féodale aux
murs suintants, où je logerai à mon
gré des forçats, des sorcières, des
bourreaux, des cadavres, et autres
246 Essai sur Le Pastiche.
agréables habitants bien digne de cet
Eden."
L'autre pastiche de y, yanin était
plus audacieux, car il faut avoir les
reins forts pour imiter Denis Diderot^
le père de yacques le Fataliste et de
V Encyclopédie. Et cependant le vo-
lume, où il raconte les dernières années
de la vie du Neveu de Rameau, est,
pour rimagination et pour le style,
d'une vérité qui fait illusion dabord.
C'est la raison pour laquelle nous
avons choisi de le citer ici, au lieu de
le placer au rang des suppléments
d'auteur.
Dans aucun de ceux-ci les écrivains
ne se sont astreints à une aussi rigou-
reuse imitation du style de leurs mo-
dèles ; ce qui en fait un véritable pas-
tiche,^ et en même temps un livre qu'on
^ La fin (Tun monde et du Ne^jeu de Rameau.
I vol. in 12*. Paris: Collection Helzel, 1861.
Cet ouvrage est épuisé depuis longtemps.
Essai sur Le Pastiche. 247
lit avec plaisir, jusqu'à la dernière
page.
Tout le monde sait le bruit que fit
en 1807, ^^ découverte de P. L.
Courier^ dans la Bibliothèque Lauren-
tienne, à Florence, d'un manuscrit de
la pastorale de Longus. Il contenait
un passage assez long, resté jusqu'alors
inconnu.
P. L. Courier fit tirer en 18 10, soi-
xante exemplaires seulement de la
version àiAmyot, de cette pastorale,
dans laquelle il introduisit une traduc-
tion du fragment nouvellement décou-
vert, pastiche si parfait du premier
traducteur, que très peu de lecteurs
pourraient reconnaître l'interpolation
sans avoir été prévenus.
Rappelons aussi un pastiche à peu
près du même genre, composé par un
autre érudit du premier ordre.
M. Littré, voulant montrer que le
français du 1 2°*® siècle était plus capa-
248 Essai sur Le Pastiche.
ble de réproduire Homère, dans une
langue plus conforme au génie de
l'antiquité, que le français moderne,
traduisit le premier livre de Ylliade,
dans le français de cette époque. C'est
un ingénieux tour de force/
L'amusement littéraire du pastiche
a été cultivé en Angleterre, surtout
comme satire, tantôt en adoptant un
nom ancien, tantôt en imitant, d'une
manière outrée, le plan et le style
d'ouvrages modernes, ce qui donne à
ces compositions un air de parodie.
On en trouve, entr'autres, deux
exemples amusants dans le receuil
célèbre de Poetry of the Anti-yacobin,
extraits d'une publication hebdoma-
daire de la fin du siècle dernier, rem-
plie de satires politiques et jeux d'es-
^ Voir " La Poésie Homérique et l'ancienne
Poésie Française," dans la Revue des deux
Mondes^ du i" Juillet 1847.
Essai sur Le Pastiche. 249
prît, des hommes les plus célèbres de
répoque.
M. R. Payne Knight ayant publié
un poème didactique en six livres, in-
titulé " The Progress of Civil Society,"
le fameux Canning et ses amis, en
firent un pastiche-parodie, accompagné
de notes critiques et philosophiques,
sous le titre de ** The Progress of
Man."
Vers le même temps un Docteur
Darwin publia " The Loves of Plants
and Economy of Végétation," dont on
fit les plus magnifiques éloges, et que
le même Canning et son collègue
Frère parodièrent dans un poème ridi-
cule, ** The Loves of the Triangles."
Dans le même genre est une bro-
chure, aujourd'hui très rare, et impri-
mée à Oxford en 1865, sous le titre
de " The Dynamic of a Particle, with
an Excursus on the New Method of
Evaluation as applied to tt."
250 Essai sur Le Pastiche.
L'introduction est très originale ;
nous en donnerons un extrait dans
nos REMARQUES de la fin du volume.
En Angleterre, le pastiche prenait
généralement les allures de la parodie,
comme on peut le voir dans notre
essai sur ce dernier genre, où les
pièces du Bon Gaultier^ par le poète
Tliéodore Martin, et celles publiées
par le pamphlétaire Hone, sont de
véritables pastiches.
De notre temps, c'est encore, en
prenant la satire pour guide, que
Tliackcray a fait le pastiche de la ma-
nière et du style de plusieurs roman-
ciers renommés.^
* ** Novels by Eminent Hands."
Le pastiche-parodie de Harry Lorrequer^ par
Charles Lrccr, est surtout une pièce inimitable.
A propos de pastiches des romanciers en An-
gleterre, rappelons pour mémoire ceux de la
célèbre Aphra Bchn^ qui donna comme authen-
tiques les lettres de ses amants de Flandre,
qu'elle employa dans la composition de ses
Essai sur Le Pastiche. 25 1
La manière de Sir Bulwer Lytton,
de Lever, de James et de D'Israéli
est si fidèlement imitée, qu'on ne
peut s'empêcher de reconnaître immé-
diatement la forme de la pensée et le
style des originaux, sauf l'exagération
requise pour en faire la critique.
Un auteur américain a adopté le
même moyen pour faire la satire des
romans d'écrivains français, et tour à
tour M. Bret Harte a appliqué la fé-
rule sur Alexandre Dumas, Victor
Hugo, Michelet, aussi bien que sur
Ch. Dickens, Charlotte Bronté, Wilkie
Collins, et autres. Seulement, comme
il est d'habitude en Amérique d'outrer
toute chose, Bret Harte s'est aban-
donné à la parodie.
romans. La fraude était évidente de la part
de celle qui s'était inventé un mari imaginaire ;
aussi personne ne s'y laissa prendre.
Voir la nouvelle édition qu'on vient de pu-
blier des œuvres ^Aphra Behn, 6 vol. in 8*.
Londres: Pearson, 187 1.
252 Essai sur Le Pastiche.
En 1862, Sir G, C. Lewis publia,
sous le nom de Joannes BrowniuSy un
pastiche très bien fait et trop peu
connu, des explications que donnent
souvent les antiquaires, d'antiques in-
scriptions trouvées en Italie et ail-
leurs/
L'auteur présente d'abord tous les
détails de la manière qu'eut lieu la
découverte de cette inscription compo-
sée de six lignes, ne contenant cha-
cune qu'un seul mot. En voici deux
des plus longs :
TIIECOWIUMPEDOVERTHEMOON
TOSEESUCHFINESPORT.
Vient ensuite l*explication savante,
tirée du latin combiné avec le grec, et
* Inscriptio Antiqua in Agro Bruttio nuper
Reperta; edidit et interpretatus est Johannes
Brownius, A. M. ^dis Christi quondam alum-
nus. Oxonii, in 8* de huit pages.
Essai sur Le Pastiche. 253
prouvant que la pierre indiquait le
lieu où se faisaient des sacrifices ex-
piatoires.
Cette explication est pleine du
humour anglais.
La Belgique présente aussi quel-
ques exemples du pastiche satirique.
A Tépoque où Victor Hugo était à
Tapogée de sa gloire, et avant qu'on
eut reconnu les pieds d'argile du Co-
losse, après la publication de son ga-
limatias sur Shakespeare^ de ses chan-
sons des bois et de sa fameuse lettre
aux Allemands, lors du siège de Paris,
M. Alvin^ un des écrivains les meux
connus de la Belgique, fit paraître les
Recontemplations ^ où il fait ressortir
les énormités du style de Victor
Hugo,
Dans un "Supplément au Diction-
naire de TAcadémie Française," un
trentaine de pages très amusantes sont
consacrées à des extraits des Contem-
254 Essai sur Le Pastiche.
plations^ dont les hardiesses absurdes
de langage sont à peine croyables.
Les vers suivants sont adressés au
poète exilé.
" Lève-toi sur ton roc, regarde, songeur sombre,
Tourne vers moi ce front qui resplendit dans
Tombre,
Etends ton bras géant au-dessus du détroit ;
Car le bras de la mer pour le tien est étroit.
"Reçois ce premier né, doux fruit de mes
entrailles !
Fallût-il les lancer par dessus les murailles
De la Chine, j'irais t'offrir tout palpitants.
Ces flots, frais écoulés de ma veine, à vingt
ans.
**Ma vie, en ces feuillets, n'est point écrite
toute,
J'en suis à la première étape de la route,
Je n'y reflète point encore un front blêmi,
Bien que j'aie en mon cœur plus d'une fois
gémi."
Une des pièces la mieux réussie dans
ce recueil, est celle intitulée " Pécheur
Essai sur Le Pastiche. 255
d'hommes;' mais elle est trop longue
pour la donner ici.
Un autre écrivain belge, M. ChaloUy
homme d'esprit et de science, dit Que-
rard.mais effréné mystificateur,^ exerça
ce talent à l'occasion d'une société de
savants qui se forma à Paris, en 1851,
sous le titre de Société Sphragistique,
Elle publia des travaux très utiles
sur l'archéologie.*
M. C /talons s'empara du prospectus
de cette société, et en publia un pas-
tiche aliéna par aliéna, annonçant la
formation d'une société nationale de
Boutonistique, composée de savants
antiquaires.
Elle se proposait de publier un re-
cueil de documents et de mémoires
^ On se souvient encore de son catalogue
de Fortsas.
■ Recueil des travaux de la Société de
Sphragistique. Paris, 1851 — 1855. Quatre
volumes in 8*, remplis de gravures des diffé-
rents sceaux du moyen-âge.
256 Essai sur Le Pastiche.
relatifs à l'étude spéciale des fibules de
Tantiquîté, du moyen-âge, des temps
modernes et des autres époques, — le
tout accompagné de planches gravées
d'après les originaux.
Suivent les noms des membres fon-
dateurs, du président, du secrétaire, de
larchiviste-trésorier et du gérant. On
promet un bulletin mensuel, et le pro-
spectus se distribue chez M. Auguste
Deck, libraire à Bruxelles, où l'on
peut souscrire.
Entr'autres raisons de la formation de
la société, Tauteur nous dit que "jus-
qu'à ce jour les antiquaires de tous les
pays avaient porté les investigations les
plus profondes sur les monnaies, sur les
armes, sur les vases, sur les cruches, etc. ,
mais ils avaient dédaigné les fibules et
les boutons. Le nombre considérable
de ces objets qui existe dans la remar-
quable collection de M. le Major * ♦ *
à Gand, a suggéré d'en faire l'histo-
Essai sur Le Pastiche. 257
rique, à commencer par les fibules ba-
byloniennes, trouvées par le D'. Lin-
gardy jusqu'aux boutons fossiles des
habitations des lacs."
Cette plaisanterie eut un grand suc-
cès, et les journaux français, entr'autres
le Cltarivari, dans son No. du 26 Juil-
let, accorda un long article à ce pas-
tiche.
On a pu voir ci-dessus que les ré-
dacteurs du Figaro sont assez habiles
en ce genre; mais Tun d'eux, M. Albert
Milland, a surpassé ses collègues dans
un pastiche extrêmement bien réussi
de la scène du sonnet de Trissotin,
insérée dans le No. du Mardi 20 Fé-
vrier 1872. Il vient lire à Philaminte
et à Armande, le recueil de ses satires
qu'il avait justement publié alors, sous
le titre de Petite Némésis.
Chacun des traits comiques de cette
scène est imité d'une manière char-
mante.
R
i
258 Essai sur Le Pastiche.
Les suppléments d'auteur rentrent
naturellement dans la classe des pas-
tiches avoués, car nul ne songerait à
remplir une lacune dans un auteur, soit
ancien, soit moderne, sans chercher à
imiter le modèle.
La plupart des auteurs de l'antiquité
ne sont point parvenus dans leur inté-
\ grité, jusqu'à nous. Il est bien difficile
\ de suppléer de longues lacunes, et
même des livres entiers, en imitant le
style et la manière des grands écrivains
d'une époque reculée. Les mœurs,
les coutumes, les usages ont changé.
Cependant nous allons voir que
pour les auteurs latins, quelques sa-
vants ont assez bien réussi en ce genre.
Les plus anciens suppléments et
continuations d'ouvrage remontent à
Hofucre. L'histoire de la littérature
nous fait connaître plusieurs continua-
tions de ses deux grands poèmes.
D'abord il y a Arctijws de Milct, au-
Essai sur Le Pastiche. 259
teur d'une Ethiopide en neuf mille vers,
faisant suite à T Iliade et qui s étend
jusqu'à la prise d'Ilion. Puis vient
Leschcre de Mytilène, dont le récit
était la destruction même de Troie, et
qu'on appelait la Petite Iliade.
Le Trézénien Agias, dans une
épopée en cinq livres, racontait le re-
tour des vainqueurs de Troie, formant
ainsi une continuation de l'Odyssée;
on rencontre ensuite la Tdlégonie, autre
suite du même poème, qui commence
par les funérailles des Prdtefidants,
finit par la mort d' Ulysse^ tué sans être
reconnu, par Télégone, le fils qu'il avait
eu de Circé^ et formant ainsi la fin du
cycle troyen.
Otfried Millier^ dans son histoire
de la littérature grecque, pense que
les Rapsodes Homériques, à force de
réciter continuellement les poèmes
d'Homère, en étaient venus tout natu-
rellement à concevoir l'idée d'y ajouter
26o Essai sur Le Pastiche.
des morceaux d'un caractère analogue,
de leur propre composition. Ils ratta-
chaient ces poèmes au commencement
ou à la fin de ceux d'Homère.
Pour les poètes anciens de l'Empire
romain, la même chose à peu près eut
lieu dès le i6™* siècle. Leurs œuvres
furent ou achevées ou continuées.
Un des premiers parmi les savants
qui entreprirent cette tâche, fut ^ean
Baptiste de Boulogne, qui publia en
15 19 la fin du 8°"* livre des Argonau-
tiques de Valerius FlaccuSy et y ajouta
un 9"* et un lo""* livre, très bien imi-
tés, d après la critique.^
Quoiqu'Ovide ait annoncé lui-même
qu'il n'avait composé que six livres de
ses Fastes, les savants persistaient à se
* Voir rédition Aldinc de 1528, in 8', et
celle de Lyon, 1548, in 12*.
■ Trist lib. ii. Eleg. i", v. 549 —
" Sez ego Fastonim scripsi totidemque libelles,
£t tibi sacratum sors mea rupit opus."
9
Essai sur Le Pastiche. 261
disputer si le plan de Touvrage ne
faisait pas croire qu'il devait se com-
poser de douze livres.
Là dessus, Celtes Prolucius, un des
premiers qui, à la renaissance des
lettres, ressuscita la poésie latine en
Allemagne, écrivit pour s'amuser, le
commencement d'un 7'"* livre, de sa
propre main, sur une ancienne édition
d'Ovide, en ajoutant que le manuscrit
des six derniers livres, se trouvait dans
le presbytère d'un village près d'Ulm.
Ce ballon d'essai n'eut pour résultat
que de faire rire aux dépens des sa-
vants.
Une autre suite est donnée, vaille qui
vaille, par Barth. Morisot^ polygraphe
dijonnais de quelque réputation.
Il existe sur les Fastes un autre sup-
plément beaucoup moins connu, et qui
n'a été tiré qu'à très petit nombre.
C'est une brochure d'une douzaine de
pages, composée par un jeune littéra-
202 Essai sur Le Pastiche.
teur marseillais, il y a près de vingt
ans, et qui ne fait preuve, ni d'une pro-
fonde érudition, ni d'une imagination
brillante.
Lorsque le style l'emporte sur le
fond, dans une œuvre littéraire, il est
dangereux de vouloir suppléer à ce
qui peut manquer à un grand poète.
Ainsi Maffeo Vegio, dont Virgile fut
Tun de ses grands dieux, dit Bayle, a
voulu donner une conclusion au poème
de l'Enéide, qui est imprimée à la
suite de plusieurs éditions de Virgile
du i6™** siècle. Ce supplément a été
critiqué par Baillet;^ c'est toutefois
le plus connu des ouvrages de Maffeo,
et il a été traduit en français.*
Miclul de Ville7teuve, poète obscur,
a voulu, lui aussi, " facere experimen-
tum in profugo iEneâ."
^ Jugement sur les poètes, No. 1222, tome iv.
page 13, ddit. de 1725, in 4*.
" Par Morahault. Cologne, 181 6, in i6'.
Essai sur Le Pastiche. 263
Enfin, Joseph Michaud, auteur du
** Printemps d'un Proscrit," a, dit-on,
ajouté un 13™® livre à TiCnéide, mais
nous n'avons pu nous procurer ce tra-
vail, pour en juger.
On sait qu'il se rencontre dans ce
poème, un certain nombre de vers
inachevés. Il n'était guère possible
que des latinistes modernes n'éprou-
vassent le besoin d'alonger ces tron-
çons poétiques, et de leur donner les
justes dimensions de l'hexamètre.
Nous avons en ce genre deux ou trois
essais assez malheureux, qui ne valent
guère la peine d'être cités.
On agita souvent, au 1 7™® siècle, la
question de savoir si l'histoire ^Alex-
andre le Grand, par Quinte-Curce,
était vraiment de cet auteur. Gui
Patin, dans sa 212™® lettre (édît. de
Reveille-Parise) rapporte qu'un de ses
régents lui avait dit que l'auteur de ce
livre était un savant italien, qui l'avait
264 Essai sur Le Pastiche.
composé il y a environ trois cent
ans.
Le Père le Tellier pense que le si-
lence, que les anciens ont gardé au
sujet de Quint c-Cttrcc, est un motif
pour croire que c est un ouvrage mo-
derne. Bayle^ dans son Dictionnaire,
n'est pas de cette opinion, mais il l'ap-
puie d'une bien faible raison: ** Comme
cette histoire est belle et bien écrite,
dit-il, on a tort de croire qu'un auteur
du moyen-âge Tait composée."
Ce point d'histoire n'est encore nul-
lement éclairci, car on ne compte pas
moins de treize opinions sur le temps
où vécut Qtiintc-Curce. La plus pro-
bable est celle qui fixe cette époque
\ au premier siècle de l'ère chrétienne,
^i; Vigfieuil Marville pense (Mélanges,
l tome iî. p. 302) qu'il est peu probable
V qu'un écrivain, qui aurait fait un livre
capable de l'immortaliser, s'il s'était
fait connaître, ait bien voulu sacrifier
Essai sur Le Pastiche. 265
sa gloire, à celle d'un Quinte-Curce
imaginaire.
Nous croyons qu'un des plus anciens
suppléments de cet auteur fut com-
posé par Christophe Bruno, moine de
Bavière. D'autres suppléments ont
été copiés sur un manuscrit de l'abbaye
de Saint-Victor, par les frères Masson,
assez connus des savants, mais ils n'en
ont point découvert Tauteur.
Scaliger les attribuait à François Pé-
trarque}
Ceux de ^ean Freinsheim sont les
plus célèbres. Le savant allemand se
proposait de combler les lacunes de
nombre d'auteurs anciens. Il com-
mença par Quifite-Curce, et de tous
ses compétiteurs, il est celui qui rap-
pelle le mieux la manière de l'original.
Plusieurs fois on avait cru avoir re-
* Voir à ce sujet " Bibliothèque Choisie" de
M. Colomiès. Paris, 1731, un vol. 8*, page
256.
266 Essai sur Le Pastiche.
trouvé les décades qui manquent à
rhistoire de Tite-Live^ malgré Tordre
du Pape Grégoire I, de faire brûler
tous les manuscrits qu'on trouverait
de cet auteur, sous prétexte des super-
stitions que contenaient ces décades.^
Freinsheim résolut de reproduire les
décades perdues, et il en acheva soi-
xante livres, qui lui valurent une
grande renommée.
Rollin pensait que la réussite était
si étonnante, que de pareils supplé-
ments auraient consolé le public de la
perte des ouvrages de l'antiquité, que
le temps avait dévorés. Toutefois ce
travail d'imitation n'est pas égal par-
tout, dit la critique. Après le 44™**
^ Coiomihj page 40 de sa Bibliothèque Choi-
sie^ ajoute à ces renseignements que ce fut ce
même Pape qui fit brûler les manuscrits d'-^-
franiusy de Nœvius, à*EnniuSy et d'autres poètes
latins, dont il ne nous reste que quelques frag-
ments.
Essai sur Le Pastiche. 2.(ri
chapitre du livre Ixii., le pastiche
est moins heureux. Frdnsheim nous
apprend lui-même qu'il trouva la tâche
trop laborieuse. ** Renonçons, dit-il,
à jouer plus longtemps un rôle que
nous ne pouvons plus soutenir; a-
vouons le temps où nous vivons et le
nom de Jean Freinsheim que nous
portons."
Les suppléments de Tite-Live ne
sont pas aussi estimés que ceux de
Quinte-Curce}
Depuis Freinsheim^ Ch. Cellarius,
en 1688, a donné des suppléments de
ce dernier auteur latin, que Fabricius
trouve concis et élégants. Christian
jfuncker en a fait paraître encore de
nouveau, à Dresde, en 1700.
Le zèle et le savoir, pour compléter
ce qui nous manque des anciens au-
teurs latins, ont excité, avec un égal
^ Doujd réunit les 95 livres de Tite-Livc dans
une édition à l'usage du Dauphin.
268 Essai sur Le Pastiche.
succès, les savants de la France et de
TAUemagne.
Charles de Brosses a eu pour Scdluste
la même passion que Freinsheim pour
Quinte-Ctirce. Rassemblant des cen-
taines de fragments de cet auteur, et
comblant les lacunes, il en a formé un
tout homogène complet. " C'est, sans
doute, un assez singulier projet, dit
La Harpe, et qui demande toute la
constance d'un érudit, que de réunir
en un tout régulier, des fragments in-
formes qui nous restent de Salluste}
Ce qui est surtout digne d'éloges, c'est
la profonde connaissance que De
Brosses montre partout, de l'histoire,
des écrivains et des mœurs de Rome.
Il semble y avoir vécu, et être entré
* Salluste, Histore de la République ro-
maine dans le cours du 7"' siècle, en partie
traduite du latin sur Toriginal, en partie réta-
blie et composée sur les fragments qui nous res-
tent de ses livres perdus. Dijon, 1777. 3 vol. 4*.
Essai sur Le Pastiche. 269
dans le secret des acteurs qu'il met en
scène."
Villemain déclare qu'au dessous de
Bossuet et de Montesquieu^ il n'y a pas
en français, un plus beau fragment
d'histoire ancienne, que cette restaura-
tion d'après l'antique, et proclame le
Président De Brosses un de ces hommes
rares qui doivent être placés les pre-
miers, après les hommes de génie.
Le 4"'*' volume devait contenir le
texte de l'histoire rétablie, avec les
suppléments en latin. Le manuscrit
en était achevé, quand De Brosses
mourut. Ce manuscrit fut communi-
qué au jésuite Gabriel Brotier^ qui
n'en approuva pas la publication. Tout
fait croire qu'il est perdu.
Tacite eut son tour, et ce fut le sa-
vant que nous venons de nommer,
qui eut la hardiesse de vouloir rem-
plir les lacunes de l'historien romain,
hardiesse qui fut heureuse, au juge-
270 Essai sur Le Pastiche.
ment de la plupart des savants de
l'Europe.'
On sait que le Dialogue des orateurs
{qui a été contesté à Tacite, mais qui est
probablement de lui) a d'assez longues
lacunes. Nous n'avons ni le commen-
cement ni la fin du discours de Mater-
nus, et celui de Messala laisse aussi
beaucoup à désirer. G. Broder a
cherché, par d'ingénieux efforts, à sup-
pléer ce qui nous manque, et il a con-
jecturé habilement les arguments de
Messala}
Parmi ceux qui ont le mieux réussi
dans ces suppléments aux poètes la-
' Néanmoins M. Eâme Ferlet, dans ses " Ob-
servations sur les Histoires de Tacite," 2 vol. 8°,
Paris, i8or, a fait une critique violente du
travail de Brotier. Il est fâcheux que, lorsqu'il
peut avoir parfois raison au fond, il ait toujours
tort par la forme.
' Ce Dialogue des orateurs est l'examen
de la question de prés&nce des anciens ora-
teurs ou des modernes, question agitée de nou-
^
Essai sur Le Pastiche, tti i
tins anciens, on doit ranger Thomas
May, tour à tour au service de Char-
les I d'Angleterre et du parlement de
Cromwell.
Il fit paraître en anglais (1630), puis
en latin, la Pharsale de Lticain qu'il
conduisit jusqu'à la mort de César.
Ce travail se recommande par le
mérite du style et par l'invention ;
Johnson en faisait beaucoup de cas, et
il fut annoté et réimprimé plusieurs
fois. On l'a traduit en français en
1816 et en 1819.
N'oublions pas une autre continua-
tion moins connue et très curieuse, par
un maître d'école écossais du nom de
Robert Forbcs, qui publia à Edim-
bourg, à l'imprimerie de R. Fleming,
veau violemment, et généralisée sous Louis
XIV.
Voir " Histoire de la Querelle des Anciens
et des Modernes" par Hippolyte Rigault. Paris,
1856, un vol. in 8".
272 Essai sur Le Pastiche.
en 1750, une "Suite de la Satire de
Boileau sur la Ville de Paris."
Dans un avant-propos au lecteur,
Forbes dit qu'il n'a pas la présumption
de lutter avec Boileau, mais qu'il veut
seulement l'imiter,
" D'ailleurs, ajoute-t-il, comme j'ai
vu Paris avec d'autres yeux que n'a
fait cet auteur, et que ne fait tout Pa-
piste, j'ai cru que cette ébauche pouvait
entrer à la suite de la satire."
Cette brochure de dix pages est
devenue très rare.'
Nous ne pouvons nous occuper des
manuscrits inédits, quoique bien des
suppléments puissent y être enfouis:
Ainsi Paulin Paris, dans son " Ana-
lyse des Manuscrits de la Bibliothèque
du Roi," tome r. p. 39, fait mention
de Commentaires de César, traduits et
augmentés par un anonyme.
I Voir les Notes and Queria, du 23 Mars,
1S73, No. Z2I, page 234.
Essai sur Le Pastiche. 273
Il arrive parfois que les auteurs
anciens ont annoncé une continuation
que nous ne possédons pas. Ainsi
Ludcfi à la fin du second livre de son
Histoire Véritable^ dit qu'il allait dé-
crire les merveilles qu'il avait vues
aux Antipodes. Il eut été très intéres-
sant de voir ce qu il eut imaginé sur
ce thème, plusieurs siècles avant l'ère
chrétienne. On ignore si ces livres
annoncés sont perdus, ou si jamais
Lucien ne les a écrits; mais le neveu
de cTAblancourt a continué cette his-
toire, et (f Ablancourt 2l fait imprimer
cette continuation à la fin de sa tra-
duction. Elle est intitulée, " Descrip-
tion de la République des Animaux;
Hommage qu'ils viennent rendre au
Phœnix ; Passage de Lucien aux An-
tipodes; Bataille des Animaux contre
les Sauvages ; Pacification par l'entre-
mise de Lucien^
L'auteur du supplément, par une
s
274 Essai sur Le Pastiche.
idée bizarre, avoue qu'il n'a pas cm
devoir imiter le philosophe de Samo-
sate, en écrivant des choses qui n'ont
aucun fondement dans la raison, et
qu'il n'a rien écrit qui n'ait quelque
sens allégorique, ou quelqu'instruction
mêlée avec le plaisir. Quel dommage
qu'il n'ait pas déraisonné comme Lu-
cien !
Le grand succès, obtenu par des
romans, a souvent fait naître la pensée
d'en donner une continuation, maïs
presque toujours cette tentative a
peu réussie.
Citons en quelques-uns seulement.
Le Tout fones in hisMarriage State,
est loin d'avoir la valeur artistique du
roman de Fielding, dont Coleridge,
dans son Table- Talk, a certes exagéré
le mérite lorsqu'il dit, " Upon my word,
1 think the Œdipus, the Alckentist,
and Tom yones are the three most
perfect plots ever planned."
Essai sur Le Pastiche. 275
La suite de la Marianne de Ma-
rivaux, est très spirituelle. La ma-
nière et le style de l'auteur sont bien
imités.^
Le continuateur du Candide de Vol-
taire, dont nous ignorons le nom, n'a
pas aussi bien réussi. ^
De même, certains éditeurs de
La Nouvelle Héloîse ne se sont guère
tirés heureusement d'une nouvelle
lettre de Saint Pretix, qu'ils ont inter-
calée.
On sait que Scarron ne publia que
les deux premières parties du Roman
Comique.
* Par M"' Ricoboni, morte en 1792, femme
du comédien, et auteur dramatique de ce
nom.
La Harpe en fait un grand éloge, " Elle par-
tage avec M"** De Tencin la gloire de disputer
la palme à nos . meilleurs romanciers. Peu
de femmes, peu d'hommes même, ont pensé
avec autant de finesse et écrit avec autant
d'esprit"
276 Essai sur Le Pastiche.
Après sa mort on parla d'une
conclusion de ce roman, qu'un homme
de mérite allait donner au public, d'a-
près les mémoires laissés par Scarron.
Cet ouvrage ne paraissant pas, une
première suite fut publiée par A.
Offray qui présente, en 1 7 chapitres,
la fin du roman.
Une seconde suite par Presckac,
continue en 20 chapitres, les aven-
tures de Ragotin, et de la troupe des
comédiens; mais sans amener une
conclusion de l'ouvrage.
Une continuation, peut-être moins
difficile à composer, fut donnée au
public par le Duc De Levis, mort
en 1830 ; ce fut celle des contes de
Zénéide et des Quatre Facardins
^Antoine Hamilton. On rapporte
que celui-ci avait écrit une seconde
partie de ce dernier conte, qui avait
été montrée en manuscrit à Crébillon
fils, par Mademoiselle Hamilton.
Essai sur Le Pastiche. 277
Malheureusement il n'emporta pas
ces papiers en se retirant, comme il
aurait pu le faire. Lorsqu'il revînt
enfin les demander, il apprit qu'ils
avaient été mis au feu.
TROISIÈME SECTION.
DES PASTICHES, IMITATIONS ET SUPPOSI-
TIONS d'auteur, dans les beaux
ARTS.
"JUtn n'titèeau qtu livrai, le vrai seul vaut dt For,
Parfois U faux ftmrtant st vind f lut chtr tntffr."
1 ES curiosités artistiques pastichées
■*-^ ont leur prix, à aussi juste titre
que les Bibelots historiques.
Quoique l'on trouve disséminés dans
une foule d'ouvrages, quelques rensei-
gnements sur les contrefaçons et les
faussetés dans les beaux arts, il n'existe
guère d'exposé général sur ces sortes
de pastiches.
C'est pourtant la première significa-
tion de ce dernier vocable, selon le
grand dictionnaire de Littré, qui le
Essai sur Le Pastiche. 279
définît, " L'imîtàtîon servile de la main,
de la manière de composer et du colo-
ris du peintre, du graveur ou du sculp-
teur, sous le nom duquel le pasticheur
veut produire son ouvrage."
De ces imitations, faites dans Tinten-
tion de tromper, naissent beaucoup de
confusion et de défiance, un dommage
irréparable pour les acheteurs de bonne
foi ou inexperts, et quelquefois même
un dommage certain pour des vendeurs
honnêtes et loyaux, comme nous en
verrons des exemples.
Cette falsification dans les arts re-
monte presqu'au haut que celle dans
les lettres.
Pline V Ancien (Histoire Natur.
XXXV. 2) signale déjà comme pure-
ment imaginaire, le portrait à' Homère,
venu de la Grèce, dont plusieurs copies
sont arrivées jusqu'à nous, et sont
demeurées classiques.
Au témoignage de Phèdre le fabu-
28o Essai sur Le Pastiche.
liste, né sous le règne d'Auguste, et
mort du temps de Néron, les Romains
aussi étaient déjà dans Thabitude de
pratiquer ces sortes de fraudes :
" Ut quidam artifices nostro faciunt seculo,
Qui pretium operibus majus inveniunt novis,
Si marmori adscripserunt Praxitelem suo,
Myronem argento."
"Comme ces artistes de notre siècle,
qui, pour trouver de leurs ouvrages
modernes un prix plus élevé, inscri-
vent au bas d'une statue de marbre, le
nom de Praxitèle, ou celui de Myron,
sur une statue d'argent." ^
Chez nous ce n'est guère qu'à la
Renaissance que ce système a recom-
mencé à se développer.
^ Pour avoir une idée de la perfection que
les artistes anciens savaient donner à leur tra-
vail, voir Tanecdote rapportée par Pline^ lirre
xxxvi., chap. 5, au sujet d*une Vénus, et Ausone^
épigram 57, au sujet d'une vache en airain de
Myron.
Essai sur Le Pastiche. 28 1
Tous ceux qui ont visité T Italie, la
contré par excellence pour cette es-
pèce de duperie, n'ignorent pas les
nombreux pastiches d'antiques, en
marbre, en fonte, en terre cuite, etc.,
qu'on y rencontre.
A ndreznz imitsât les plats de faïence
à reflet métallique, le fabricant Min-
ghetti de Bologne, les vases à ara-
besques, sur fond bleu, du 16"* siècle,
au point d'induire en erreur les com-
missaires des expositions publiques.
Jeaji Bastianini était d'une telle
habileté, que plusieurs bustes et bas-
reliefs, taillés par son ciseau, ornent
aujourd'hui des Musées d'Europe,
comme œuvre du moyen-âge. Un
buste du poète florentin Jértnie Béni-
vienij acheté à l'hôtel Druot à Paris,
pour treize mille six cent francs, par
le Comte de Nieuwekerke, Directeur
Général des Musées du Louvre, et un
buste en terre cuite, représentant le
282 Essai sur Le Pastiche.
fameux moine yjrtme Savonarola,
vendu à dix mille francs, comme une
œuvre d'art du 15"' siècle, et jugée
telle par d'éminents artistes de l'Eu-
rope, sont dus au travail de ce
sculpteur.
Tous ces faits et bien d'autres, sont
rappelés dans un livre assez peu connu*
à^ Alexandre Foresi, où l'on trouve
nombre d'anecdotes sur des amateurs
de curiosités qui, quoique très instruits,
sont trompés chaque jour dans tous
les genres d'antiquités.'
Ces supercheries artistiques remon-
tent assez haut en Italie. Vasari
raconte que l'Amorino, sculpté à Flo-
rence par Michel-Ange, fut acheté à
' Tour de Babel, ou objets d'art faux pris
pour vrais, i vol 8*. Florence: A. Bcttini,
1868.
' Les émaux fonnent une exception, lors-
qu'ils contiennent du rouge, parce que l'email
rouge ancien n'a jamais pu être imite par les
Essai sur Le Pastiche. 283
Rome, comme une œuvre grecque, par
le Cardinal Saint George, qui était
pourtant un fin connaisseur.
Cette anecdote a été souvent racon-
tée, et de plusieurs manières différentes.
Voici en quels termes elle est rappor-
tée par l'auteur d'une dissertation latine
sur la nécessité et les moyens d'imiter
l'antiquité dans la littérature et les
arts : *' Michel-Ange fit une statue de
Cupidon endormi, qu'il enterra dans
un endroit où il savait qu'on devait
creuser. Lorsqu'on la découvrit, on
la trouva si belle qu'on la considéra
comme le produit d'un ancien sculp-
teur grec, et en présence de Michel-
Ange on la mit bien au dessus des
sculptures modernes. L'artiste sourit,
et montra à ces connaisseurs son nom
inscrit dans un coin du marbre." (Les
Matanasiennes.)
Le peintre Mignard fit acheter, par
Monsieur, frère de Louis XIV., un
284 Essai sur Le Pastiche.
prétendu tableau de Guida, qui ^vait
été peint par Boullogne, et que celui-ci
affirma être authentique. Mignard
ne se vengea de cette surprise qu'en
engageant le trompeur à faire toujours
des Guida, et à ne plus peindre de
Baullogne.
Luca Giardana a inondé les galeries
de l'Europe de ses pastiches. Enfin
on ne sait pas encore bien assurément
lequel est l'original du Léan X. degli
UjffiziyOu de celui du Musée de Naples.
Que de bustes, que de portraits des
grands hommes, ne sont rien moins
que les personnages qu'ils sont censés
représenter.
A l'époque du conclave, d'où sortît
l'élection de LA>n XII. un iconographe
bien connu, voulant spéculer sur le
portrait du Pape futur et devancer
tous les autres artistes, copia la face
du maitre de l'hôtel où il se trouvait,
et la grava. Aussitôt que l'élection fut
Essai sur Le Pastiche. 285
connue, il mit le nom, on tira, et la
postérité croît encore à ce beau portrait
de Léon XII.!
Le peintre flamand David Teniers
avait un talent rare pour le pastiche.
Il fit des Rubens et des Bassano, que
Ton prit longtemps pour des originaux.
Parfois cette manie devient une
violente passion. L'artiste Terenzio,
connu dans les annales des arts pour
la supériorité avec laquelle il contrefai-
sait les peintures anciennes, ne put
survivre au chagrin d'avoir été décou-
vert.
Nodier fait observer avec raison
qu'il ne faut pas appeler pastiche, la
copie exacte d'un tableau ou d'une
sculpture, espèce de travail très utile
aux élèves. Cette imitation ne mérite
ce nom, généralement pris en mauvaise
part, que lorsqu'elle est accompagnée
de la prétention de tromper l'opinion
publique.
286 Essai sur Le Pastiche.
Pour se sauvegarder contre ces su-
percheries, un anglais proposa en 1858
de former une société d'assurance pour
la découverte et la prévention de ces
faux dans les arts ; mais la proposition
n'eut pas de suite/ et c'est fâcheux,
car ils sont souvent chose sérieuse,
tant pour les artistes, que pour les
antiquaires et les archéologues.
Un portrait de Montaigne, et ses
portraits sont rares, figure avec hon-
neur dans une galerie célèbre de
Londres. Le docteur Payen, si connu
par ses travaux relatifs au philosophe
Périgourdin, eut connaissance de ce
portrait, et à sa demande, le ministre
de Belgique en Angleterre, Monsieur
Van de Weyer, lui en fit parvenir une
copie exacte. Après examen, Payen
désappointé, se convainquit que ce
^ Notes and Qutrits du 13 Novembre 1870,
et 2"* série, voL vL, page 395. Aussi voL xi,
pages 191 et 230.
Essai sur Le Pastiche. 287
portrait était celui de François de
Médias, père de la célèbre Marie}
Un statuaire fut chargé par la muni-
cipalité de Paris, de faire pour l' Hôtel-
de-ville une statue de Gtiillaume
Budée. Elle était encore en place,
avant le sac de Paris par les Corn-
munistes. Les portraits qu'on pré-
senta à l'artiste, ne lui plurent pas, et
il moula la tête de son portier. Pauvre
Budêe !
On pourrait citer cent exemples
pareils ; néanmoins le public croit, et
est satisfait.^
^ Voir les Causeries (Tun Curieux^ par Feuillet
de Conches, tome iii., pages 36 et suiv., oli
Ton trouve des détails intéressants à ce sujet
■ Pour voir jusqu'oU peut aller la passion
dans les querelles d'objets d'art faux, pris pour
vrais, on n'a qu'à lire les pièces à l'appui
produites par M. Alexandre Foresiy au sujet
des bustes àt Jean Bastianini, achetés comme
étant du 16"* siècle par le Comte de Nicu-
wekcrke.
288 Essai sur Le Pastiche.
Toutes les branches des beaux
arts ont été l'objet de ces sortes de
supercheries.
Les numismates recherchent les
monnaies ou médailles romaines en or,
connues en Angleterre, sous le nom
de Bekker forgeries. Plusieurs sont
des compositions entièrement fictives,
d'autres sont frappées d'après des
types anciens connus. Pendant un
certain temps ces fausses pièces trom-
pèrent les connaisseurs et trouvèrent
place dans des cabinets renommés,
sans exciter le moindre soupçon.
Sestiniixxt le premier qui, en 1823, les
déclara fausses.
Les matrices en existent encore ;
Bekker lui-même publia une liste de
ces pastiches, lorsque la fraude eut été
découverte, liste qui comprend plus de
trois cent pièces.
Il existait en Angleterre, et peut-
être existe-t-il encore, pour l'exporta-
Essai sur Le Pastiche. 289
tion en Turquie, en Grèce et à Rome
une sorte de fabrique de copies de
médailles et danciennes monnaies
étrangères, lesquelles ont souvent
trompé les collectionneurs.
Les contrefaçons sont parfois si
parfaites, que le doute existe encore
aujourd'hui. Par exemple la monnaie
connue sous le nom à^Didrachmesd'ory
ou Staters d'Athènes y est regardée par
les uns comme un pastiche, et par les
autres comme authentique.
Quant aux articles d'antiquité, E-
trusques, Egyptiens, Grecs ou Romains,
le curieux doit être bien plus encore
sur ses gardes, car on en trouve en Eu-
rope, des manufactures bien connues.
En 1843, on vendit publiquement
à Londres, une collection d ornements
Etrusques en or, venue, disait-on, de
Gènes, mais probablement fabriquée
dans la première de ces villes.
Le Grec Giovanni d'Athanasi était
T
290 Essai sur Le Pastiche.
l'agent chargé de les faire vendre. Au
bout d'un certain temps, ces divers
articles furent reconnus comme étant
tout-à-fait modernes.
Vers la même époque, un Italien,
du nom de Castellari, voyant combien
il était facile de faire passer pour an-
tiques.des ouvrages qui ne l'étaient pas,
se mit à fabriquer une autre collection
d'objets en or, en imitation des orne-
ments trouvés dans les tombeaux de
l'ancienne Etrurie. Il serait facile
d'étendre beaucoup la liste de ces
sortes de supercheries ; mais mention-
nons d'autres branches des Beaux-
Arts.
Nous avons déjà cité plus haut
quelques faits relatifs à' la gravure.
On sait que de temps à autre, on est
parvenu à imiter merveilleusement les
estampes de maîtres anciens.
Les faux Marc Antoine Raimondi,
LucoivanL^dm.Albert Durer, Hollar
Essai sur Le Pastiche. 291
et autres, sont très nombreux. La
plupart sont gravés avec Tintentîon de
tromper les collectionneurs. Il y a pour-
tant de ces gravures-pastiches qui ne
furent composées que comme études ;
entr'autres la collection de vingt-deux
estampes par Vivant-Denon^ qui voulut,
par ces pastiches de quelques célèbres
graveurs, acquérir la facilité d*exécu-
tion et rhabitude de rendre exactement
le style des diverses écoles, et Torigi-
nalité des différents maîtres.^
On en trouve les détails dans
plusieurs ouvrages bien connus, qui
traitent de la gravure. Le lecteur
peut y recourir.
Les pastiches en peinture sont peut-
être encore plus abondants.
1 Monuments des arts du dessin chez les
peuples tant anciens que modernes, recueillis
par le Baron Denon, pour servir à l'histoire
des arts, etc. etc. 4 vol in fol., avec 315 pi.
Paris: Firmin Didot 1829,
292 Essai sur Le Pastiche.
Les voyageurs savent qu'à Rome il
y en a des fabriques régulières.
Les amateurs anglais se rappellent
qu'il a existé à Lambeth, pendant assez
longtemps, une manufacture de ta-
bleaux, lancés dans le commerce,
comme sortis du pinceau de Morland.
Si Van Dyck n'était pas mort à
quarante et un ans, mais avait vécu
aussi longftemps que Titien, encore
n'aurait-il pas eu le temps de peindre
lamoitié des portraits qu'on lui attribue.
Les faux Raphaël et Titien se ren-
contrent fréquemment à Londres.
Terminons notre Essai sur les Pas-
tiches par ces mots de Pline le
jeune : —
" Verum de hïs plura fortasse quam
debui, sed pauciora quam voluî."
viii. 16.
REMARQUES.
Page 9.
F. A. WoLFF. De l'Origine des Epopées
Homériques.
L'académicien S**- Croix a publié en 1798, une
** Réfutation du Paradoxe littéraire de Fred.
Aug. Wolff, sur les poésies d'Homère/' II
affirme, dans cette brochure de 60 pages, que
l'usage de l'écriture précéda chez les Grecs, la
guerre de Troie, de plus de trois siècles ; que
riliade et l'Odyssée furent écrits dès l'origine;
que l'unité d'action et la gradation d'intérêt, sont
sensibles, et prouvent l'intégrité de l'un et de
l'autre poème ; enfin, que les plus célèbres cri-
tiques de l'antiquité n'ont pas hésité à attribuer
ces œuvres à Homère.
Page is.
Pastiche de Cicèron par Dion.
Dans le No. du mois d'avril 18 18, de \ Hermès
Romanus^ page 1320, on trouve une notice som^
294 Remarques.
maire des étranges discussions dont les œuvres
oratoires de Cicéron ont été Tobjet, chez les
Anglais et les Allemands, durant les vingt
premières années de ce siècle.
M. Guillaume Duvair a composé une assez
curieuse Anti-Milonienne en français.
Page 13.
Les réflexions de M. Van de Weyer ont une
grande conformité avec celles du vieux A.
Bailiety dans son "Traité des auteurs ài^vsé&i*
et avec celles dey! Christ Mylius^ dans la pré-
face de sa "Bibliotheca Anonymorum," etc.,
Hambourg, 1740.
Page 16.
Correspondance de St Paul et de SÉNkQUE.
L'antiquité nous a légué des doutes, en assez
grand nombre, sur ce qui regarde ces sortes
de pastiches. Elle possédait les lettres de
Comklie^ la mère des Gracchi^àoxiX, Cicèran faisait
grand cas, comme on le voit dans le Brutus.
Il s*est trouvé naturellement des savants
Allemands pour contester Tauthenticité de celles
Remarques. 295
de ces lettres que nous avons encore, et d'autres
savants pour les défendre.
Victor Cucheval dans son " Histoire de l'Élo-
quence Latine," cite de deux ces lettres, œuvre
de Comélie, dit-il, ou de quelque déclamateur
ancien.
Le même écrivain démontre aussi qu'on ne
saurait trop répéter qu'il faut résolument regarder
comme pastiches, toutes les harangues que Tite-
Live et les autres historiens placent dans la
bouche des rois, des consuls, des sénateurs, et des
tribuns, avant l'époque de Caton V ancien. Ce ne
sont que de véritables exercises de rhéteurs, qui
ne reposent sur aucun document authentique.
Ce n'est qu'à partir de Caton que l'art oratoire
a ses monuments vrais, soit par fragments, soit
complets.
Page 19.
Hermès Trismégiste.
L Histoire delà Philosophie Hermétique (3 voL
12**) nous dit qu'il y eut au moins deux Hermès^
Mercure^ ou Thot^ tous deux rois d'Egypte, le
premier fils d'Osiris et d'Isis, nommé AthotiSy
le second, Siphoas^ qui vivait environ 800 après
AthotiSy et 1900 avant l'ère chrétienne. A
296 Remarques.
cause de sa science extraordinaire, il fiit sur-
nommé le second ThoL Les Grecs le connu-
rent sous le nom de Hermès ou Mercure Tris-
mkgistey c'est a dire Trh Grand,
C'est celui-ci auquel on attribuait, dans les
premiers siècles du christianisme^ tous les ou-
vrages que Ton écrivait sur les sciences.
Page 26.
Pervigilium Veneris.
Il y a peu de pièce ancienne de vers, qui nous
soit parvenue d'une manière plus incorrecte que
celle-ci, et les nombreuses variantes et explica-
tions des commentateurs sont sans fin. Aussi
ce poème qui n'a pas cent vers, a-t-il donné
lieu à une édition Varionim de 208 pages, et
un index des auteurs cités, comprenant deux
cent quatre-vingt-dix noms !
Page 28.
Le p. Hardouin.
Le savant p3rrrhonisme de cet écrivain a sus-
cité au dogme classique qu'il attaquait, de nom-
breux et ardents défenseurs. Ce fut une véri-
Remarques. 297
table réaction, et Burmann se vit bientôt le
chef d'un parti qui pouvait prendre pour mot
d'ordre, " Réhabilitation de TAntiquité."
En parlant des folles visions de Hardouin,
on ne peut manquer de signaler un Belge con-
temporain, Peerlkamp, qui déclare interpolé et
apociyphe, le tiers environ des vers que dix-huit
siècles avaient admis comme d'Horace. Ce
même écrivain que Sainte Beuve appelle Tin-
génieux, Tosé, le téméraire en conjectures,
enlève aussi à Virgile non seulement des vers
çà et là, mais des épisodes tout entières. Voir
tome onze des Nouveaux Lundis.
Page 34.
La Philomèle d'Ovide.
Ch. Nodier publia ce poème en 1828, avec
la grotesque version de Marolles^ et il adopta
sur son auteur, l'opinion de Wernsdorff, lequel
veut que ce soit l'ouvrage d'un Albius Ovidius
Juvefitinus.
Page 39.
Au sujet à'AstruCy disons que son livre, ayant
pour titre " Conjectures sur les Mémoires ori-
298 Remarques.
ginaax dont Moïse s'est servi pour la Composi-
tion de la Genèse," peut donner lieu à une
quasi-mjTstification, vu que ce titre alléchant se
réduit à soutenir la thèse, que des écrivains
antérieurs à Moïse lui ont fourni des documents
historiques sur les temps voisins de la création.
Quant à ces chroniqueurs primitifs, il n'en dé-
signe aucun, et pour cause. Il ne traite pas
non plus, la question de Tinvention de récri-
ture. On s'attendrait à une plus piquante révé-
lation.
Page 41.
Annius de Vitsrbe.
f
, Quoiqu'on ait accusé ce fameux Jacobin
d'imposture littéraire, on a quelquefois outré
I les choses, comme Pineda^ le Père Andrt Schot
et GorapiuSy qui l'ont traité de la manière du
' monde la plus indigne et la plus passionnée.
Notre siècle paraît être un peu mieux disposé à
' son ^ard, comme le montrent quelques pas-
sages de l'ouvrage de Salverte^ sur les noms
[ d'hommes, de peuples et de lieux.
Dans la note A. du i*' volume se trouve une
dissertation de 63 pages sur le degré probable
Remarques. 299
d'authenticité du recueil publié par Annius de
VUerbe.
On dit qu' Annius fut empoisonné en 1502
par le Duc de Valentinois. Il avait été fort at-
taché au Pape Alexandre VI^ mais il eut le
malheur, la dernière année de sa vie, de s'attirer
rinimitié de Bargia, en disant quelquefois à ce
prince, des vérités qui ne lui faisaient pas plaisir.
On trouve sur Annius des détails, que ne
donne pas Bayle^ dans " Fragments d'histoire
et de littérature," un volume in 12% la Haye,
A. Moetiens, 1706.
M. F, Lenormant vient de publier à Paris un
*' Essai de Commentaire des Fragments de
Bèrose** oli entr'autres recherches très curieuses,
on trouve des renseignements sur les Biblio-
thèques de Ninive, dont les livres étaient une
collection de briques, et les parchemins, des
surfaces de terre cuite.
Page 50.
B G X H G R N.
Dans l'édition complette des Carmina Mi-
chaelis Hospitaliiy d'Amsterdam 1732, l'éditeur
s'égaie un peu dans la préface sur la méprise du
savant belge Boxhornius^ et il en transcrit le
300 Remarques.
commentaire qui a pour titre, "Ad satjrram
anonymi de Lite, animadversîones." Ce sont
trois pages assez plaisantes.
Page 53.
quicherat.
Ce savaDt académicien a fait plus tard, amende
honorable au sujet des deux ou trois impru-
dentes citations qui accusaient un excès de
déférence pour les témérités de Wemsdgrff.
Quicherat fit insérer en Septembre 1869,
dans le Journal de l'Instruction Publique, un
article triïs développé sur le prétendu fragment
du pofete Tumus, qui avait mis, disait-il, sa cri-
tique en défaut
n y a deux savants de ce nom, que de graves
auteurs ont confondus. Il est vrai que l'oncle
et le neveu, homonymes en tous sens, paraissent
avoir résolu d'embarrasser la postérité, par la
conformité de leurs travaux.
Remarques. 30 1
Page 70.
PÉTRONE.
L'on publia en 1687 une traduction de ce
poète-romancier, dans laquelle le traducteur
trouva le secret d'en faire un écrivain grave et
un philosophe austère, qui peut même être lu
par les dévotes dans leurs moments de délasse-
ment Cela rappelle qu'il y a peu de temps,
on publia en Angleterre une traduction de fane
d*or^ pour les dames.
Page 86.
La Guerre de Genève.
Voltaire publia un cinquième chant; mais il
ne fit jamais le sixième.
Voici un autre extrait du pastiche de Cazotte,
qui aurait dû ouvrir de suite, les yeux du
public :
Dans le château l'on n'entend point de bruit ;
Le philosophe était encore au lit.
Pressé de vivre et plus pressé d'écrire.
Il s'amusait à se voler sa nuit,
Qu'il employait trop souvent à médire.
Au point du jour il s'endormit enfin.
Saint Athanase et Messer Arétin,
Deux in-quarto lui servaient de coussin.
302
Retnarques.
Mais U paupière était à peine close,
Que la Déesse aux doigts couleur de rose,
Ouvrait la porte aux songes du matin.
Sous un berceau de fleurs et de verdure,
Ob l'art discret fait valoir la nature,
Il est couché sur l'œillet et le thym.
Trois dëités apparaissent soudain :
C'est Idamé, c'est Jocaste et Zaïre,
C'est le Couvreur, c'est Clairon, c'est Gaus«D,
Que des amours environne l'essiùro.
Autour de qui tout s'embrase et soupire.
" Viens," lui dit-on, avec un doux sourire,
" Auteur charmant, dont le pinceau divin
" Sur tous les cccurs nous a donné l'empire ;
" Viens te livrer à l'amoureux délire!"
Le vieil Athlète en voyant tant d'appas,
Des premiers feux ressentait la puissance.
Vers le plaisir qui l'appelle, i! s'élance.
Pour l'arrêter on lui fait violence !
Il se récrie t Eh ! quel est l'inhumain ... ?
C'est Jean Fréron, la férule à la main ;
" Retire-loi, galant sexagénaire.
Et laisse-là ce prestige de l'art,
Ces oripeaux, ces grimaces, ce fard,"
C'est sur ce ton que parlait le pcndard !
" Eh ! que veux-tu, bourreau de ma vieillesse t"
IL^^
Remarques. 303
C'est ce passage qui fit qu'un homme de
lettres s'écria : *' Voyez, comme le grand homme
ne craint pas de plaisanter de lui-même!"
Cazotte était présent et entendit ce propos.
Page 97.
Marie Stuart et M. Mignet.
On peut consulter avec fruit sur cette mal-
heureuse reine:
!• Histoire de Marie Stuart, avec pièces
justificatives et remarques, (par Fréron et de
Marsy). 2 voL in 12®, Londres, 1742.
2"* Histoire de Marie Stuart, décapitée à
Londres le 18 Février 1587, rédigée sur des
pièces originales, par Mercier de Compiègne.
1795, 2 parties en un volume in 8**, figures.
3* De Maria Stuarta conscripsit P. Ad. Ché-
ruel. Rotomagi, 1849, in 8*.
4* Mémoires de Melvil.
Il était le ministre et Tami de la reine d'E-
cosse, et ses mémoires sont un des plus pré-
cieux monuments historiques de ce règne.
5* The Castles, Palaces, and Prisons of Mary
of Scotland, by Charles Mackie. London, 1849,
un fort volume, gr. in 8*, avec de nombreuses
gravures.
304
Remarques.
Il est curieux d'observer t^ Edouard- MarU'
Oeliinger, dans son grand ouvrage de 2137
pages : " Bibliographie Biographique Univer-
selle, etc.," ait oublié de faire mention des
ouvrages relatifs Jt Marie Stuart,
Page
[03.
Charles Bninet, par erreur, à l'article Clotilde,
date ainsi la première édition de ses poésies ;
"Paris, an IX (1803);" mais il y a là sans
doute une faute d'impression. Au lieu de an
IX, il fallait an XI, année qui correspond à
1803.
11 y a un article assez curieux sur le Journal
littéraire de Lausanne, dans le 3""° volume, page
91, des Soirées Littéraires de Coupé.
Page 146.
Arrêt du Parlement de Grenoble,
Arrêt, rendu le 13 Février 1637, en faveur de
la Dame d'Aiguemère, sur la naissance d'un
sien fils, arrivée quatre ans après l'absence de
son mari, et sans avoir eu connaissance d'aucun
homme ;
Remarques. 305
Soutenant la dite Dame qu'encore que véri-
tablement le sieur d'Aiguemère n'ait été de
retour d'Allemagne, et ne Tait vue ni connue
depuis quatre ans, néanmoins la vérité est telle
que, s'étant imaginé en songe, la personne et
l'attouchement du sieur d'Aiguemère, elle reçut
les mêmes sentiments de conception et de
grossesse qu'elle eut pu recevoir en sa présence.
Vu en la dite Cour les attestations, avis et
raisons de plusieurs médecins de Montpellier,
sages-femmes, matrones, et autres personnes de
qualité, sur la possibilité et la réalité des faits
que dessus ;
Informations faites à la requête du Procureur-
Général ;
Tout considéré ;
La Cour ordonne que l'enfant dont est ques-
tion, sera déclaré fils légitime et vrai héritier du
sieur d'Aiguemère ;
Condamne les sieurs de la Forge et de Bourg-
le-Mont, appelans et demandeurs, à tenir la
dite Dame d'Aiguemère, pour femme de bien et
d*honneur, dont ils lui donneront acte, après la
signification du présent, etc.
(Guy Pape, annoté par Chorier.)
A l'époque de ce jugement, plusieurs savants
argumentèrent sur la puissance de l'imagination,
croyant à l'arrêt et au fait qu'il avait établi.
U
3o6 Remarques.
Page 148.
La Guzla, Chants Illyriques.
Le pasticheur a pris toutes les précautions
pour cacher sa supercherie. En tête de la no-
tice sur la vie imaginaire d'Hyacinthe Maglano-
vich, est placée une gravure du barde slave qui
joue de la Guzla, espèce de guitare n'ayant
qu'une seule corde. Puis il nous apprend qu'il
est Italien et sa mère une Morlaque ; qu'il a
traduit ces chants de la Dalmatie, de la Bosnie,
et de la Croatie, en français, parce qu'il est ha-
bitué à considérer la France comme sa patrie ;
enfin il entremêle ses compositions, de ballades
dont les sujets sont pris dans les ouvrages où il
est question de véritables poésies illyriques.
Ce livre, malgré son succès, est tombé dans
l'oubli, quoique très bien fait, et on le trouve
difficilement.
Nous avons dit que c'était, vers cette époque,
un véritable cacothymie, de composer des pas-
tiches. Des professeurs d'histoire, même à
l'Académie de Paris, s'en mêlaient
M. Auguste Trognon publia " l'Histoire ad-
mirable du Franc Harderad et de la vierge
Aurélia, Légende du 7"** siècle, retrouvée en
1800 à Aurillac et traduite par un amateur
d'antiquités françaises."
Remarques. 307
Ce livre ayant été très bien accueilli du public,
Tauteur donna peu de temps après : " Le Livre
des Gestes du Roi Childebert III., Chronique du
8"** siècle ; découvert à Tabbaye de Saint Julien,
à Brioude."
Ce pastiche-ci, qui est bien fait, était difficile,
car une douzaine de lignes nous restent à peine
dans toute la collection des savants Bénédictins,
sur les Rois Fainéants et leur présence aux as-
semblées du Champ-de-Mai.
Les deux ouvrages sont devenus assez rares.
Page 152.
Sanchoniaton.
Court de Gebelin^ dans ses All^ories Orieti'
taies ou Fragments de Sanchoniaton^ Paris, 1773,
in 4% donne un abrégé de ce que Ton sait sur
cet auteur phénicien, et cite les ouvrages des
savants qui sont d'opinion qu'il n'exista jamais,
ainsi que de ceux qui croient authentique son
histoire.
Page 162.
SiMONIDÈS.
On trouve dans les Prifuipia Typographica de
M. Sotherby^ 3 vol., in fol*, Londres, 1858, un
3o8 Remarques.
récit détaillé des supercheries de ce Grec, dans
le 2"' vol. page ii8.
A la page 133, est l'historique des lettres
supposées de Byron, de Shelley et de Keats.
Page 190.
Fin de la Première Section.
Au nombre des auteurs qui ont fait mention
de suppositions d'auteur, aucun, à notre con-
naissance, n'a parlé de Touvrage du savant Père
MènestrieTy intitulé "Bibliothèque Curieuse et
Instructive de divers ouvrages anciens et mo-
dems, de Littérature et des Arts." (2 vol. in 12%
à Trévoux, 1706.)
Il renferme pourtant un chapitre sur notre
sujet, et comme c'est un ouvrage peu connu, en
voici un extrait :
** Il y a des livres supposés qui n'ont jamais
été, ou attribués à d'autres qu'à leurs véritables
auteurs. Ainsi au bout des ouvrages de Saint
Augustin^ on ajoute divers ouvrages qui lui
ont été faussement attribués. On a fait la
même chose à la fin des ouvrages de Saint Am-
broise et d'autres Pères, ce qui est arrivé par
l'inadvertance des copistes, avant l'invention de
l'imprimerie.
Remarques. 309
'* Les anciens moines assemblaient pour leur
usage, en un corps, divers traités et ouvrages,
sans distinguer les auteurs, ce que les savants
s'efforcent de faire aujourd'hui, par la différence
des styles, et d'après divers anachronismes et
citations," etc.
Page 195.
Voiture (Note i).
Cette anecdote sur Voiture^ est loin d'être un
fait singulier dans l'histoire littéraire. Il n'est
pas extraordinaire qu'une chose nous demeure
dans l'esprit, et que l'auteur de cette chose
s'efface de notre mémoire. Ménage dans son
** Anti-Baillet" rapporte que Racan lui avait
souvent raconté qu'étant en garnison à Calais
en 1608, à l'âge de 19 ans, il composa quelques
vers sur la crainte de la mort. Quelque temps
après, se trouvant à Paris, il récita ces vers à un
de ses amis qui lui dit qu'il ne donnait point
dans ce panneau, et que ces vers étaient pris
dans " Les tablettes de la vie et de la mort," par
le poète Mathieu, Or Racan jure qu'il n'avait
jamais vu ce livre.
Ménage ajoute qu'il avait aussi ouï dire à
3IO Remarques.
Corneille qu'il avait écrit ces deux vers célèbres
de son Polyeucte : —
Et comme elle a l'éclat du verre,
Elle en a la fragilité,
sans soupçonner le moins du monde qu'ils
fussent de GodeaUy Evêque de Vence, dans une
ode au Cardinal de Richelieu^ composée quinze
ans avant le Polyeucte.
Leonardo Salviatiy au premier livre de ses
** Avertissements de la langue Italienne," affirme
qu'un poète de son temps, qui n'avait jamais vu
les sonnets du Cardinal Bembo, en avait fait de
tous semblables.
Page 205.
Le Champfleury de Geoffrey Tory.
Rabelais n'a pas seulement imité, mais copié
ce passage dans Geoffrey Tory, On lit tex-
tuallement dans son livre, imprimé au plus tard
en 1529, " Despumons la verbocination latiale,
et transfrétons la Sequane au crépuscule, puis
déambulons par les quadrivies et platées de
Lutèce, et comme vérisimiles amorabondes,
captivons la bénévolence de Tomnigène et uni-
forme sexe féminin."
Remarques. 31 1
Peut-être était-ce une plaisanterie tradi-
tionnelle parmi les écoliers de l'Université de
Paris.
L'âge d'or, pour le langage prétencieux, tiré
du grec et du latin, fut en France, le règne
de Henri II, et de Charles /X, et Ronsard le
premier en introduisit l'usage à la Cour, oli
c'était la mode d'Hélisenner, de Pindariser et
d'Homériser. Ceux qui ne savaient pas le
grec, se rabattaient sur le latin. On avait
mal au ckrlbre; on avait \tfemores rompues, ou
les crures enflées ; on appelait sa maîtresse sa
chère Entélichie,
Page 206.
GiLES MÉNAGE.
Ce savant avait une mémoire qui tenait du
prodige. Au sujet des plagiats, il disait, ''Je
me souviens fort bien de ce que j'ai prêté, mais
je ne me souviens pas de ce que j'ai emprunté."
Page 236.
PokME DE Lvsis.
La brochure de 26 pages, qui contient ce
poème, est devenue très rare. Il est divisé en
312
Remarques.
trois chants, le i"- est intitulé Saphe, le a""-
Corinne, et le 3" Ismine.
A U suite, est la traduction de l'Hymne à
Vénus, dont voici un extrait : —
Demain dans le sein amoureux
De la terre fertilisée,
Jupiter en douce rosée
Va descendre du haut des cieux.
D'oîi vient cette flamme immortelle ?
Quelle force toujours nouvelle
Rajeunit l'antique univers ?
O Vénus ! ton âme féconde
Pénètre, environne le monde.
Et tu peuples les flots déserts.
Tout s'embrase de ta puissance,
Tout reconnaît la Déit^
Qui donne aux êtres la naissance,
Et l'amour et la volupté
On peut comparer ces vers, aux idées ex-
primées par Lucrice, dans son invocation à
Vénus.
Page 338.
Comte de Peybonnet en Prison.
Vigneul de Marville dans ses " Mélanges de
Littérature," tome l, p. 215, rapporte plusieurs
Remarques. 3 1 3
exemples de prisonniers qui se sont consolés
avec les Muses, de la perte de leur liberté.
Coupé, dans ses " Soirées Littéraires " tome x.,
p. 103, a ajouté plusieurs autres exemples à
cette liste, qu'il ne prolonge pas, dit-il, parce-
qu'il finirait peut-être par faire aimer Tétat de
prisonnier.
Page 249.
The Dynamic of a Particle.
Cette brochure imprimée à Oxford en 1869,"
commence par une préface, raillerie très plaisante
sur la géométrie. En voici un extrait : —
" It was a lovely autumn evening, and the
glorious effects of chromatic aberration were
beginning to show themselves in the atmosphère,
as the earth revolved away from the great
western luminary, when two/htfs mighthavebeen
observed wending their weary way across a plane
superficies. The elder of the two had, by long
practice, acquired the art of lying evenly between
his extrême points ; but the younger, in her
girlish impetuosity, was ever longing to diverge
and become an hyperbola, or some such roman-
tic and boundless curve. They had lived and
loved j fate and the intervening superficies had
314
Remarques.
hitherto kept them asunder; but this was no
longer to be : a Une had intersected them,
tnaking the tvo interior angles, on the same
side of it, togcther less than two right angles
It was a moment never to be forgotten, and, as
they joumeyed on, a whisper thrilled along the
superâcics in isochronous waves of sound : Yesl
we shall at length meet, if continually produced !
{Jacobi's Course of Mathematics, chap. i.)
" We hâve commenced with the above quota-
tion as a striking illustration of the advantage
of introducing the human élément into the
hitherto barren région of mathematics.
" Who shall say what germ of romance yet
unobserved, may not underlîe the subject 7
"Who can tell whether the Paraileliigram,
which, in our ignorance, we hâve defined and
drawn, and the whole of whosc properties we
profess to know, may not be ail the while
panting for exterior angles, sympathetic with
the interior, or suUenly repining at the fact that
it cannot be inscTibed in a circle P" &c.
Page as 5.
Pastiches-Parodies de Chaloms.
Ce n'est pas à tort que Quérard a qualifié t
savant Belge, d'effréné mystificateur.
Remarques. 3 1 5
Il serait difficile d'énumérer toutes ses plai-
santeries en ce genre ; nous ne ferons mention
ici que d'une collection très peu connue en
dehors de la Belgique, composée de cinq ou six
petits traités Rabelaisiens, publiée en 1857, à
Bruxelles chez Decq, sous le titre de Œuvres
philosophiques^ médicales^ posthumes^ humanitaires^
et complettes du Docteur Cloetboom,
Le traité de Boutonistique fut probablement
suggéré à M. Chalons par une dissertation
publiée en 1842 par la Société de Bibliophiles
de Reims, sous le titre de " Histoire Chronolo-
gique, Pathologique, Économique, Artistique,
Soporifique, et Melliflue, du très noble, très ex-
cellent et très vertueux pain d'épice de Reims."
Le célèbre Grosley^ mort en 1785, avait
donné l'élan, par ses Mémoires de P Académie de
Troyes en Champagne^ à ces dissertations, ré-
flexions et mémoires sur des sujets ridicules ou
puériles, satire ingénieuse, spirituelle et ironique,
de la gravité souvent burlesque, avec laquelle
des académies plus célèbres discutent sur des
questions souvent aussi peu importantes que
celles qui occupa l'Académie de Troyes.
3i6 Remarques.
Pagk 257.
Sonnet de Tkissotin.
M.A.Millaud'kBmie.
Ne trouverez-vous pas inconvenant, Madame,
Que je fasse moi-même à mes vers la réclame ?
Ce livre auquel je crois que vous ferez accueil.
Est des vers que j'écris, le modeste recueil.
Armanit.
Vos Ntmisis T
MUlaud.
Oui-dà.
Bitise.
Vos fines épigtammes ?
MUlaud.
Par&it!
Philaminte.
Vos savoureux pastiches ?
mUaud.
Oui, Mesdames.
BèUse.
Quoi t dans ce charmant livre oh l'âme sait rêver.
Dans ce petit format, nous pourrons retrouver
Tant de vers sémilants, donnant la comédie?
L'illustre Gambeita, le pieux Gavardiel
Tous \sijula, depuis Â^r; jusqu'à Simon t
Remarques. 3 1 7
Millaud.
Les Jujules !
Armande,
Il a tout Tesprit d'un démon.
Phiiaminte,
Le conte de Noël dans lequel Thiers dépose
Au foyer solennel son petit soulier rose ?
Les vers sur Girard in ? Le pastiche à! Hugo f
Nous avons tout cela la dedans ?
Millaud.
A gogo !
Page 258.
Suppléments d'Homère.
Nous n'avons pas cité les poèmes du Cretois
DictySy et du Phrygien Darh (qu'on suppose
avoir été retrouvés, l'un à Tépoque d'Auguste,
l'autre au temps de Néron), parceque ces ou-
vrages, fabriqués au 3"* ou 4"* siècle, ne sont
point des continuations d'Homère. Le faux
Darh s'éloigne encore plus que le faux Dictys^
des légendes grecques, sur la guerre de Troie.
Chacun de ces poèmes est la contre-partie de
l'autre. D'un côté c'est le Grec qui parle, de
l'autre, c'est le Troyen.
3i8
Remarques.
On a publié anciennement, comme ëtant de
Comiiius Nipos, et traduction de DarislePhry-
gim, un poème latin en 6 chants, intitulé " De
Bello Tiojano," et un autre ouvrage en prose,
aussi sur la prise de Troie ; mais c'est une erreur
que Schall a relevée dans son Histoire de la
Littérature Romaine.
Ce sont les œuvres du moine anglais Joseph
licanus, ou Devonius, c'est-à-dire du Devonshiref
qui les composa vers la fin du 12"* siècle.
Dictys, Darès et Iscanus ont été publiés réu-
nis, en 1762, à Amsterdam.
Continuations de Romans.
Migud Cerratita avait publié son histoire de
Don Quichotte en 1604, et en donna la seconde
partie en i6ig, ce qui n'empêcha pas AvUlane-
da (pseudonyme qu'on n'a point encore dénias-
quée) de publier une suite aux deux premières
sorties du Chevalier de la Manche, sous te titre
de "Second Volume de l'ingénieux Hidalgo
Don Quichotte."
EmiU Chasles, dans son ouvrage sur Cer-
vantes et ses oeuvres, a rudement traité cette
continuation d'Avellanedà, que Gemiond de
Remarques. 319
Lavigne, dans sa traduction, a soutenu être
au moins égale en mérite à l'original.
G. de Lavigne a publié aussi une traduction
de la célèbre CtlestinCy roman resté longtemps
inachevé, et qui eut plusieurs continuateurs
oubliés aujourd'hui, à l'exception de Fernando
de RojaSf qui sut si bien imiter le style de la
première partie, que quelques-uns pensèrent qu'il
était l'auteur de tout Touvrage, quoique son
travail ne parut que plusieurs années plus tard.
Presque tous les romans espagnols de renom
ont eu des suppléments. Un inconnu donna
une continuation de Lazarille de TormeSj de
Don Diego de Metidoza; un pseudonyme, Lujan
de Sayavedra, composa une seconde partie de
Guzman d^Alfarache^ du vivant même de l'au-
teur, Mateo Aleman.
Page 286.
Faux Portrait de Montaigne.
Le nombre des soi-disants portraits historiques
originaux est assez considérable. Un doute
artistique intéressant, encore à éclaircir, est
celui du portrait d^ Albert Durer^ peint par lui-
même, en 1498.
Kugler veut que l'original soit dans la coUec-
320 Remarques,
tion florentine Dt^i Uffuzi^ portrait présenté à
Charles I, d'Angleterre, par la ville de Nurem-
berg, et vendu dans la collection de ce souverain,
après sa décapitation.
Mais comme Philippe IV. d'Espagne fut un
des principaux acheteurs à cette vente, on sou-
tient que le portrait de Florence n'est qu'un
replica de celui de la Galerie Royale de Madrid,
véritable original.
Dans les Notes and Queries du 13 Avril 1872,
No 224, 4"' série, on trouve une curieuse anec-
dote sur le portrait de Chatterton, dont une
copie, insérée par John Dix, alias John I^oss^
dans une édition de la vie de ce poète, publiée
à Bristol, en 1S37, fut réputée authentique
jusqu'en 1857. Chatterton, comme Shakespeare,
n'a pas laissé, l'image de ses traits, à la postérité.
Page 290.
Fausses Médailles.
Le lecteur a pu lire dans la première section,
ce qui concerne Annius de Viterbe et ses anti-
quités de Bérose, de Manethon, etc. Ce savant
s'occupait beaucoup aussi de numismatique.
Ses ennemis ont prétendu qu'il falsifiait les
médailles, ainsi que les textes anciens; qu'il
Remarques. 32 1
faisait graver des inscnpti(^s, les cachait dans
les vignes, près de Viterbe, les déterrait ensuite
et les portait en triomphe aux magistrats, leur
faisant accroire que leur ville était beaucoup plus
ancienne que Rome, puisque, d'après ces in-
scriptions, elle avait été bâtie par Isis et Osiris^
deux mille ans avant Romulus.
(Soirées Littéraires de Coupé, tome vi., page 55.)
Page 296.
Comment discerner les Fausses Médailles.
Un excellent petit traité sur ce sujet, et sur
les auteurs qui l'ont traité, est celui de M. de
Montigfiy : '* De la falsification des Médailles
antiques et des Faussaires. "Paris ; J. Techener,
Ï845.
Les premières pièces fausses qui parurent,
furent des médailles imaginaires.
Les plus habiles faussaires de monnaies ro-
maines furent Jcfin Cavino et Alexandre Bas-
siano, connus sous le nom de Padouans, et
associés vers 1540.
On indique dans ce traité, quels furent ceux
qui s'acquirent le plus de renommée dans la
falsification des médailles.
X
i
322 Remarques.
Le fameux Baker, mort k Hamboui^, en
1830, non content 9'imiter, inventa à pUiûr.
On a le catalogue de ces produits.
Page 393.
L'abbé Michel Fourmont.
Une note perdue du manuscrit, durant le
tirage, sur les nombreuses supercheries littéraires
de Fourmont, membre de l'Académie des In-
scriptions, sous Louis XV., et professeur de
Syriaque au Collège Royal, nous oblige à nous
borner ici, à renvoyer les curieux à un long et
intéressant article, sur ce célèbre faussaire
(dans les Notes and Queries du 4 Mai 1873,
page 368), dont Quirard a oublié de raconter
l'histoire dans ses " Supercheries Littéraires."
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS.
FACB
Abgar, roi d'Edesse,
• •
• •
14
Abdias, .
• •
• •
16
Alexandrie, Manufacture de Pastiches,
• ■
21
Alcaforada (Mariana),
• •
68
Anacréon,
• •
20
Annius de Viterbe,
» •
41
Apocalypse,
» •
18
Astruc, .
t •
39
Anti-Jacotin (Poetry of the),
k •
248
Alvin,
• • 4
1 •
253
Ablancourt (d'),
• • i
•
273
Bai^-ac (Guez de),
• • 1
•
51
Balzac (Romancier),
• ■ •
240 et 244
Babrius, .
• • i
•
156
Basselin (Olivier),
• • •
•
109
Barzas Breiz (chants bretons).
•
169
Bentley, .
•
193
Berose,
•
42
Byron (Lord),
•
173
Bret Hartc,
•
251
Bcrangcr,
, •
242
324 Table des noms.
Cadet de Gassicourt,
PAGB
229
Carya Magalonensis,
IS9
Cérinthus (réputé auteur de l'Apocaljrpse),
18
Châtelain, ....
7ctiS7
Chatterton (Thomas),
124
Chasles (Michel),
177
Chef-d'œuvre d'un Inconnu,
213
Cibdareal (Ferdinand Gomez de),
62
Clotilde de Surville,
99
Choiseul (Pasticheur),
83
Courtilz (Sandras de),
69
Cunningham (Allan),
141
Chénier (André),
242
Courier (Paul Louis),
«47
Chalons, .....
25s
Dacier (Madame),
211
De Ligne (Prince),
224
Du Mcsnil (Eugène),
149
Du Roure (Marquis), ...
6et 2«4
L'Elysée, ou scènes de l'autre monde, .
229
Elyot (Thomas), ....
98
Enoch (Livre de),
8
Elzour-Vedam, ....
79
Feuillet de Couches, .
176
Figaro (Le), ....
186 et 257
Fumée (Martin), ....
64
Gelase (Pape), ....
«S
Guerre de Genève,
85
Table des noms.
325
PAGB
Gnevara (Antonio de), .
S6
Guzla, Chants Illyriens, .
148
Hardouin,
28
Hennés Trismëgiste,
19
Higuera (Jérôme),
60
Homère,
. 8 et 193 et 258
Hôpital (ChanceUer de 1'),
49
Horace, . . . .
88
Ingherami (Curzio),
65
Iphigénie de Rotrou,
217
Itinéraire de Pantin,
231
Ireland (William).
137
Jeanne de Naples,
39
Johnson (Le docteur),
114
Jules TAfricain, .
16
Juvénal, .
26
Janin (Jules),
244
Ki.AAS Kolyn, .
81
Keats,
173
Lacroix (Paul),
144
La Bruyère,
207
Lazare (Louis), .
155
Lamotte,
21X
Lebrun (Prince),
23s
Leclerc (Victor),
236
Leopardi,
151
Lettres Portugaises,
68
Lettres de Livry,
219
'■ -^ K T." ■ T- ►•Wî
^^^mm
. ■ -y
326
Table des noms.
Lucu (Vrtîn), .
Luiut, (Michael de),
Lewis (Sir G. C.>,
Latovche (De), .
Mackobb,
MacphenoD,
Marie Stitait,
Marie Antoinette,
Marchena (Joseph),
Matanisieniics,
U^ritedcs Femmes,
Méiiméc <Proîpcr),
Menilall'aal), .
Mînolde Minas, .
Moncrif, .
Uontesquieu,
Montmaiu (Piene de).
Muret,
NODtKK (Charle*),
Nodot (Fianfois),
NapoUÔn III, .
OsDONNAHCK de Jeume de Napka,
Ovide, ....
Table des noms. 327
Pétrarque,
Pétrone, .
Platon, .
Philon de Byblos,
Perviglium Veneris,
Phocylide,
Phalaris, .
Peyronnet (Comte de),
Ponce Pilate,
Prince de Ligne, .
Psalmanazar,
Purana
Quichotte (Don),
Rabelais,
Robert de Champagne,
Romans Grecs,
Rocca (Comte de la),
Rostain (Bibliographe),
Rousseau (J. J.),
Sadolet (Cardinal),
Scaliger, . •
Sandras de Courtilz,
Sanchoniaton,
Sallengre,
Sigonius, .
Sénèque, •
Shelley, •
Strada (Famineo),
Surville (Marquis de).
PACK
38
70
10
17
26 et 200
33
193
238
14
224
"5
81
214
47
112
37 et 196
62
48
195
44
45
69
17 et 152
"5
40
15
«73
198
99
328
Table des noms.
Sainte Beave
Suppl6n«nU d'anteor,
Teufle de Guide,
Tallemuit des R^ui,
Th&ckeraf,
Toro Jones,
Valla (Joseph),
Villcmarqu^ (de la),
Vîtcrbe (Annius),
Voltaire, .
Wacsnpbld,
xinopuon,
ZUNtoA, (Don Joao Antonio de Venf),
UNIVERSITY or MCHIQAN
3 9015 03463 50
BOCK CARD
DO NOT REMOVE
A Charge willba mode
if thiscardismutilatwl
r
EU
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GRADUATE UBRARY
THE UNIVERSITY OF MICHIGAN
ANN ARBOR, MICHIGAN
r
GL
lu
DO NOT REMOVE
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MUTILATE CAR