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Full text of "Supercheries littéraires, pastiches, suppositions d'auteur, sans les lettres et dans les arts"

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SUPERCHERIES LITTERAIRES. 



IMPRrMFRIK DF. UALLANTVNE F.T CfF, 
RDI.MIIOl'KG HT LONIÏRFS. 



SUPERCHERIES LITTERAIRES, 

PASTICHES, 

SUPPOSITIONS D'AUTEUR, 
DANS LES LETTRES ET DANS LES ARTS. 



I.ju(i^- 



C^ 



PAR. OCTAVE DELEPIERRE, 




LONDRES: 
N. TRUbNER et CIE-, 6o l'ATEBNOSTER ROW. 



t- 7- ^fc 



A MONSIEUR JULES DEVAUX, 

Ministre de la Maison du Roi des Belges, 



Permettez moi de vous offrir cet 
essai d'un compatriote, comme un té- 
moignage de ses sentiments affectueux. 

D'une famille où l'amour des lettres 
est inné, vous accueillerez, j'espère, 
avec indulgence, ces recherches litté- 
raires sur un sujet qui pourra vous 
distraire un moment de vos graves 
occupations. 

Si le livre vous amuse et vous pré- 
sente quelques renseignements assez 
peu connus, c'est tout ce que désire 
votre dévoué serviteur. 

DELEPIERRE. 



EPIGRAPHES 

Je fais venir d'Astrakan 
Ivcs papyri de Gengis Kan, 
Et du couvent de Thabor, 
Un Nabucodonosor ! 
Enfin je suis à la piste 
D*un antique papyrus 
Prouvé par un helMnistc, 
Autographe de Cadmus 1 

Che non men che saper, dubbiar m*agg;rata. 

Aussi bien que savoir, doutei: \ son mérite. 

— Dante^ Infirtw, 



Omnibus est aliquid fructus excerpcre libris, 
Et nullus sine fruge liber, sine floribus hortus. 



PRELIMINAIRES. 



NOUS avons cherché à donner 
dans deux précédents ouvrages, 
une définition, aussi claire que pos- 
sible, du Cetiton et de la Parodie. Il 
est peut-être plus difficile d'établir la 
théorie du Pastiche et ses rapports 
avec les genres similaires. Par leurs 
étroites affinités, ils semblent souvent 
se confondre entr eux. 

On demanderait en vain la défini- 
tion du Pastiche aux auteurs du 1 7™'' 
et du 18"** siècles. Remarquons que 
l'Académie Française, jusqu'en 1835, 
ne donnait pas le droit de cité, à ce 
vocable d'origine italienne. 1 1 a trouve 

A 



2 Préliminaires. 

place dans la sixième édition, où on 
lit : " Pastiche en littérature se dit 
d'un ouvrage où Ton imite les idées et 
le style de quelqu'écrivain célèbre; 
exemple : Certaines réflexions de ce 
moraliste sont un-pastiche où il a imité 
le raisonnement et le style de Pascal." 

Cette définition est évidemment in- 
complète. MM. Barré, Langlois et 
Régnier, auteurs de Lexiques Com- 
plémentaires du Dictionnaire de l'Aca- 
démie, se préoccupent si peu de dis- 
tinguer entre les divers genres, qu au 
mot Pastiche^ ils renvoient le lecteur à 
ce qui est dit au mot Centon ! 

Littre se contente de répéter la dé- 
finition de TAcadémîe, et donne deux 
exemples, dont le premier qualifie le 
pastiche de Singerie^ et le second 
prend ce mot dans le sens figuré. 

M. Patin, au tome i*"" de ses 
** Etudes sur la poésie latine," fait 
mieux comprendre la différence entre 



■ * 



Préliminaires. 3 

les deux significations, lorsqu'il dit: 
" La littérature grecque, à sa déca- 
dence, finit par s'imiter elle-même, se 
copier, et remonter, par le pastiche, 
vers son passé." 

Et encore : ** L'Epopée artificielle 
des Alexandrins, pastiche élégant de 
l'épopée primitive, dont elle affectait 
la naïveté." 

Nodier, qui a décrit jusqu'à vingt- 
deux sortes de supercheries littéraires, 
a cherché à établir la distinction entre 
l'imitation, la similitude d'idées, la sup- 
position d'auteur, de livres et de pas- 
sages, rintercalation, les suppléments 
et les Pastiches. Mais ces distinc- 
tions ne comportent pas toujours des 
différences assez marquées pour em- 
pêcher qu'on ne les confonde parfois. 
Ainsi les suppositions d'auteur, les 
intercalations, les suppléments ne 
sont souvent que de véritables Pas- 
tiches. Il est facile de comprendre 



4 Préliminaires. 

d'où vient ce défaut de précision. 
D abord Pastiche et imitation ont une 
bien étroite affinité : — 

" Lucanus et Appulus aficeps^ 
Nam Venusitius arat Jinem sub utrumquc colonusJ^ 

Comme dit Horace : — 

" Suis-je enfant de la Fouille ou de la Lucanie ? 
Je ne le dirai pas : le colon Venousin 
Laboure également Tun et l'autre terrain." 

D'autre part, on ne parle du Pas- 
tiche en France que depuis quatre- 
vingts ans à peine. Si dans le temps 
où Boileau écrivait au duc de Vivonne 
ses deux ingénieuses lettres dans le 
genre de Voittirey et dans celui de 
BalzaCy on Teut félicité sur la perfec- 
tion de ces deux excellents pastiches, 
il eut très probablement dit : " Vous 
trouvez donc ma double imitation 
digme des deux épistolaires modèles ? ** 

Nous ne connaissons que quatre 
auteurs qui se soient spécialement 



■ T 1 



Préliminaires. 5 

occupés du Pastiche : Ch. Nodier, que 
nous venons de citer,^ N. Cfiatelain^ 
le marquis du Roure^ et Quèrard^ 
Gabriel Peignât en a parlé, mais sans 
entrer dans les détails. 

Querardy complétant le travail de 
Nodier, a consacré un chapitre de 
r Introduction à ses Supercheries, aux 
imposteurs en littérature. Il y traite 
des concessions littéraires, des usurpa- 
tions de réputation, des ouvriers lit- 
téraires à façon, des impostures de 
certains libraires-éditeurs, du pastiche, 
etc.; et il donne une liste curieuse, 
quoiqu'incomplète, des bibliographes 

^ Questions de litte'rature légale. 

' Pastiches et imitations libres du style de 
quelques écrivains du 17"''' et du 18°**" siècles. 

' Réflexions siu: le style original (gr. 8°, tiré à 
soixante exemplaires). 

* Supercheries Httéraires, 5 vol., 8°. Nous 
avons aussi consulté avec utilité les Curiosités 
littéraires, de M. Lalannc. 



6 Préliminaires. 

qui se sont occupés des pseudonymes 
et des ouvrages sur le plagiat. 

Le marquis du Roure^ qui nous 
offre des pastiches des plus célèbres 
écrivains français, est d'opinion que 
Ion contrefait sans peine- quelques 
défauts de style, mais qu'il faut de 
rares qualités pour imiter des perfec- 
tions : " De là vient, ajoute-t-il, la 
facilité avec laquelle le parodiste et le 
faiseur de pastiches copient la manière 
spéciale des écrivains dits originaux, 
tandis qu'ils ne peuvent qu a grande 
peine atteindre les auteurs modèles." 

En effet, il faut avoir les reins bien 
forts, dit Montaig7ie, pour entreprendre 
de marcher de front avec ces gens là. 

Dans le court avant-propos des 
pastiches de Nicolas Chatelaiii, il fait 
observer à juste titre, qu'il faudrait, ce 
qui est bien impossible, que chaque 
fois qu'un imitateur quelconque s'at- 
tache à copier un modèle, il revêtît 



Préliminaires. 7 

Torganisation de l'auteur ; qu'il devint 
tour à tour Bernardin de St Pierre, 
Voltaire, Madame de Se vigne, etc. 

M. Châtelain, pour ménager à la 
sagacité du lecteur, dans son volume 
de pastiches, un plaisir assez piquant, 
y a glissé des pages des originaux, ce 
qui prouvera, dit-il, que quoique Ton 
fasse, on demeure toujours à neuf 
cents lieues d un cap, qu'on avait folle- 
ment essayé d'atteindre, comme l'a sî 
bien exprimé Madame de Sévigné.^ 

Un esprit paradoxal dirait que le 
pastiche et la supposition d'auteur 
remontent bien au delà du Christian- 
isme ; il y a même plus d'un traité sur 
les livres antédiluviens. 

^ Nous retrouverons plus loin M. Châtelain 
commettant bien d'autres pastiches, mais qu'il 
n'avoue pas cette fois ci. 

Il appartenait à un écrivain si exercé en ce 
genre, de disserter in extaiso sur la théorie, 
Malheureusement la préface de son livre ne 
fournit aucun renseignement. 



8 Préliminaires, 

Les Gnostîques avaient fabriqué 
des Rêvêlatiofis qu'ils attribuèrent à 
Adam. 

Les Sabéens prétendaient qu'il avait 
composé des livres existant encore, 
sur la culture de la terre. 

Le Livre d'Enoch a joui pendant 
des siècles d'une haute autorité. Le 
savant Allemand H. Ewald a prouvé 
que c'était la compilation d'un juif qui 
vivait près de cent ans avant l'ère 
chrétienne. 

On pourrait facilement prolonger la 
liste de ces supercheries que les Grecs 
continuèrent à mettre en pratique. 

La vie d'Homère, attribuée à Héro- 
dote, forme évidemment une suite 
d'aventures imaginées pour rendre 
compte de la possibilité des deux 
épopées placées sous son nom. Il 
n'existe plus guère de doute aujour- 
d'hui, que ce nom a été pour les Grecs 
l'occasion d'une fable pareille à beau- 



Préliminaires. 9 

coup d'autres. Emile Burnouf montra 
qu'il signifie simplement arrangeur, et 
personnifie en quelque sorte la fonc- 
tion ordinaire des Rapsodes. 1 

"J'ai quitté, dit Dugas-Montbel^ 
sans regret, mon Homère fabuleux, 
pour retrouver d'antiques poésies 
nationales pleines de vie et de can- 
deur." 

On peut considérer les Rhéteurs 
de la Grèce et de Rome comme ayant 
établi la théorie du pastiche. On sait 
qu'ils étaient dans l'usage de donner 
à composer à leurs élèves des lettres 
et des discours sous le nom d'écrivains 
illustres. C'était un exercice d'école. 
Telles sont les lettres du Scythe Ana- 
charsis, de Thémistocle, de Pythagore, 

^ Histoire de la littérature grecque, tome i. 
p. 92. 

* Histoire des Poésies d'Homère. La ques- 
tion du reste a été savamment discutée par 
Fréd. A. Woiff, dans ses " Proiegomena ad 
Homerum.*' 



I o Prélimmaires. 

de Platon, de Démosthènes ; et celles 
de Xénophon même, habituellement 
insérées dans ses œuvres, ne sont que 
des pastiches, disent les savants.^ 

La critique moderne, en Allemagne, 
est allée plus loin au sujet de Platon, 
jusqu'à supprimer la moitié de l'œuvre 
authentique de ce philosophe. Léo 
Allatins a même soutenu doctement 
le beau paradoxe que Platon n'avait 
jamais rien écrit. Il est certain que 
l'antiquité elle-même, peu soupçon- 
neuse à cet égard, reconnaissait dans 
les éditions publiées sous le nom de 
Platon, beaucoup d'ouvrages sup- 
posés. Dix - neuf seulement sont 
indiqués par Aristote. Nous ne 
devons pas nous étonner de ces 
doutes. L'époque qui s'écoule entre 
Platon et Cicéron, voit naître, ou 
plutôt se développer, l'industrie des 

* Eugène Talbot, Introduction aux œuvres 
complètes de Xénophon. 



Préliminaires. 1 1 

faussaires, encouragés par la formation 
des grandes bibliothèques d'Alex- 
andrie, de Pergame, et bientôt du 
Palatin à Rome, et par le prix géné- 
reux donné par les Ptolémées et les 
Attales à tous ceux qui venaient leur 
offrir des manuscrits anciens. 

M. Ed, C/iaignety qui nous fournit 
ces renseignements dans "La vie et 
les écrits de Platon" (Paris, Didier, 
1871), donne l'analyse de 59 des 
Dialogues de cet auteur, mais treize 
sont considérés par lui comme non 
authentiques, et comme suppositions 
d'auteur. 

Montaigne craignait les surprises de 
ce genre : " Nous n'osons louer, dit-il, 
les belles inventions, ni les forts argu- 
ments des auteurs, que nous n ayons 
prins instruction de quelque scavant, 
si ceste pièce leur est propre, ou si 
elle est estrangière, jusques lors je me 
tiens toujours sur mes gardes.*' 



1 2 Préliminaires. 

" Ces falsifications ne doivent-elles 
pas nous jeter dans la défiance, ajoute 
Bayie, sur mille choses que les anciens 
ont écrites, et dont nous n avons plus 
les originaux ? " 

C'est rhîstorien Dion qui lui suggère 
cette réflexion, Dio?t qui a inséré dans 
son ouvrage le pastiche d'une haran- 
gue de Ciccron contre M arc- Antoine 
qu'il avait composée lui-même. On 
reconnaît la fraude à deux faits qu'il 
rapporte, et qui sont opposés à ce que 
l'histoire de Cicéron nous apprend. 
Nodier a exprimé une idée semblable 
à celle de BaylCy mais dans le sens 
inverse, lorsqu'il avoue qu'il est dis- 
posé à croire qu'à la renaissance des 
lettres, beaucoup d'auteurs modernes 
ont mis leurs productions sous des 
noms anciens et célèbres. 

Il y a un côté philosophique de 
r histoire des pastiches et des supposi- 



Préliminaires. 13 

tions d auteur qu'a indiqué M. S. 
Van de Weyer, ministre de Belgique 
en Angleterre, dans la première série 
de la collection de ses opuscules, — côté 
philosophique qu'il a développé dans 
un essai fort piquant, qui paraîtra dans 
la troisième série. C'est que de tout 
temps les sectes religieuses, les écoles 
philosophiques, les coteries littéraires, 
les partis politiques, les charlatans 
scientifiques de toute espèce, ont 
audacieusement employé le pastiche 
ou la supposition d'auteur, dans l'in- 
térêt de leurs dogmes, de leurs prin- 
cipes, de leurs passions, de leurs 
jalousies, de leur haîne et de leurs 
spéculations, sur la crédulité, la bêtise, 
la méchanceté humaine. 

Ces sortes de fabrications destinées 
à • noircir des adversaires, ont été 
réduites en un art pareil à celui de la 
logique, dit UIsraéli, dans deux 



14 Préliminaires. 

articles de ses Ctiriositics of Litera- 
turc} 

L'adresse consisterait à faire con- 
sidérer ces faux, comme servant 
d'autorité historique. . . . Pretium 
non vile laborum. Rappelons encore 
pour mémoire, entr'autres la lettre 
supposée c\aAbgary roi d'Edesse, en 
Mésopotamie, aurait écrite à Jésus- 
Christ, d'après Eusèbe de Cêsarte, et 
la réponse du Sauveur, en langue 
syriaque. Elles étaient conservées en 
original, dans les archives d'Edesse, 
où Eusèbe en fit une traduction 
grecque. Dans la même classe est 
la lettre de Ponce-Pilate sur la vie 
du Christ, et celle envoyée au Sénat 
Romain, par Publius Lentulus, Pro- 
consul de Judée.^ De très bonne 

^ Political Forgeries and Fictions. Political 
Nicknames. 

^ Croirait-on possible en 187 1, qu'un auteur 
nous rapporte, comme authentique, qu'en 1820 



Préliminaires. 1 5 

heure les Chrétiens suppléèrent par 
des pastiches à la perte de documents 
connus. On savait que Saint Paul 
avait envoyé une épître aux Laodi- 
céens. Comme elle se perdit par la 
suite, on la remplaça en imitant le 
style des autres écrits de TApôtre. 

Saint yérome, Saint Augustift et 
LactancCy n'ont-ils pas regardé presque 
comme authentique la fameuse corres- 
pondance qui aurait eu lieu entre 
Saint Paul et Senèqtie le philosophe ? 
Le texte de cette correspondance existe 
encore. Devenue suspecte depuis le 
grand dénicheur de traditions, Didier 

les commissaires de Tarmée française en faisant 
des fouilles dans l'ancienne cité (TAquUaj au 
royaume de Naples, découvrirent dans un vase 
antique de marbre blanc, une plaque en cuivre 
contenant inscrite la condamnation de Jésus ! 

Voir The Truth of the Bible, par le rever^. 
Bourchicr Wrey Saville. 



i6 Préliminaires, 

Erasme, elle est aujourd'hui apocryphe, 
de laveu de tout le monde. ^ 

Ne passons point sous silence une 
composition d'une longue étendue, 
** V Histoire du Combat Apostolique'' 
publiée sous le nom à'Abdyas, évêque 
de Babylone. L'auteur est resté in- 
connu, mais il y en a une version latine, 
et le traducteur porte le nom imagi- 
naire de yules r africain. On ne fini- 
rait pas à citer toutes ces fraudes. 
Non seulement on substituait des 
ouvrages altérés aux véritables, ou 
on prétendait avoir retrouvé des livres 
perdus, mais on en créait qui n'avaient 
jamais existé. Les écoles d'Alexan- 
drie et de Pergame étaient les officines 
où s'élaboraient sans cesse ces pro- 



^ Voir Ch. Aubertin, Etudes critiques sur les 
rapports supposas entre Scnèque et St Paul. 
Paris, 1857. 8**. 



• -'"*•* 1. -T 1A' 1- "r-^- "? '' 



Préliminaires. 1 7 

duits d'une érudition vouée au men- 
songe.^ 

Le canon de Muratori, qui est de 
la fin du second siècle, met en garde 
contre ces fraudes, produits d'un zèle 
mal-entendu.* Quelques savants pré- 
tendent que Philon de Byblos, auteur 
de cette époque, avait réuni ainsi des 
ouï-dire historiques et mythologiques, 
pour en composer Tceuvre du Phéni- 
cien Sanchonioton que Philon dit avoir 
traduite du grec* 

^ On trouve d'intéressants détails sur ce sujet 
dans l'ouvrage de A. Chassang, "Histoire du 
Roman dans l'antiquité grecque et latine," etc. 
I voL 8°, page %i^ et suîv. Paris, 1862, 

* Credner, zur Geschichte des Kanons, p. 76. 

* Joh. H. Ursinus et DodwelL 

Voir aussi (i.) Feuillet de Couches^ qui, dans 
ses Causeries (Tun Curieux^ a réuni plusieurs 
faits intéressants sur les Epistolaires-Pastiches 
anciens et les écrits supposés; (2.) Les Evan- 
giles Apocryphes^ traduits et annotés par Gustave 
Brunet ; ainsi que (3.) Etudes sur les Evangiles 

B 



1 8 Préliminaires. 

L'abbé Migne^ nous parle d un très 
ancien manuscrit grec de la Biblio- 
thèque d'Augsbourg, contenant dix- 
huit psaumes attribués à Salomon, et 
où le style de l'Ecriture Sainte et des 
prophètes Hébreux est imité avec 
habileté. L'auteur inconnu a cherché 
à s'inspirer de David, d'Isaïe, et 
d'Ezéchiel, pour en composer un pas- 
tiche remarquable. 

Au second siècle l'Apocalypse de 
Saint Jean n'était-elle pas considérée 
comme l'œuvre de Cermthus, et omise 
conséquemment dans la liste des livres 
du Nouveau Testament par le Concile 
de Laodicée ? Il est bien connu que 
l'authenticité de cette Révélation est 
une question encore indécise parmi les 
savants en science biblique. 

Apocryphesy par Michel Nicolas ; (4.) The Apo- 
cryhal Acts of the Apostles, from Syriac MSS. 
By Edward Noms. 2 vols. London, 187 1. 
1 Dictionnaire des Apocryphes, t. L p. 940. 




Préliminaires. 19 

Les livres à' Hermès Trismégisie ont 
joui d'une grande autorité pendant les 
premiers siècles de l'Eglise, et ses 
écrits passaient pour des monuments 
authentiques de l'ancienne théologie 
des Egyptiens. Ce n'est qu'un pas- 
tiche que Ton place aujourd'hui parmi 
les dernières productions de la philo- 
sophie grecque. On n'a pas établi 
avec certitude l'origine, Pauteur, ni la 
date des livres qui portent le nom 
d! Hermès Trismégiste. Casaubon les 
attribuait à un Juif ou à un Chrétien ; 
l'auteur du Panthéon ^gypitorum^ 
Jablonski, croit y reconnaître l'œuvre 
d'un Gnostique.^ 

Parmi les anciens auteurs grecs pro- 
fanes, plusieurs pièces ont été re- 
gardées comme faisant partie de ces 
sortes de supercheries. On sait que 

^ Voir Traduction complète d'Hermès Tris- 
mégiste, etc., par Lmns Mknard. i voL 8^ 
Paris: Didier. 1866. 



20 Préliminaires. 

la première édition à'Anacréon fut 
publiée à Paris, par Henri Etienne, 
en 1554. Il fut d'abord soupçonné 
d'avoir fabriqué ces poésies ; mais 
quoique cette supposition excessive 
soit tombée, il est évident à cette 
heure, que toutes les pièces ne remon- 
tent pas au lyrique de Téos. Les 
érudits s'accordent en général à ne 
considérer que trois ou quatre odes 
du recueil publié par Henri Etienne 
comme remontant au contemporain 
de Cambyse et de Polycrate, Les 
autres sont très postérieures, de simples 
pastiches, anacréontiques seulement, au 
même titre que tant d'autres j olies pièces 
légères de notre littérature moderne.^ 

Des contemporains de Bion et de 
Moschus ont commencé à raffiner le 
genre. 

Plus tard, et même sous les Em- 

^ Sainte Beuve, ** Essai critique sur la poésie 
Française au 16"** siècle." 



Préliminaires. 2 1 

pereurs Romains, les riches voluptueux 
disaient, peut-être, à la fin des ban- 
quets, aux chanteurs grecs : " Faites 
nous de TAnacréon !" 

Deux siècles avant TEre Chrétienne, 
Alexandrie fut le centre d'une active 
fabrication de pastiches et d'écrits 
apocryphes. Les Juifs Hellénistes, 
pour se venger de l'injuste mépris 
des Grecs, voulurent prouver que les 
grands philosophes de la Grèce avaient 
puisé à pleines mains dans les écrits 
de l'ancienne Alliance. A défaut de 
preuves historiques pour soutenir leur 
thèse, ils produisirent de prétendues 
poésies d'Orphée, de la Sibylle, des 
sages de la Grèce, qu'ils avaient com- 
posées eux-mêmes, ou bien encore des 
poésies d'une antiquité réelle, dans 
lesquelles ils glissèrent des vers, ex- 
posant quelques unes des grandes 
doctrines du Mosaïsme.^ C'est ainsi 

^ Voir " Etudes critiques sur TAncien Testa- 



22 Préliminaires. 

que naquirent les livres apocryphes 
de Zostrietty de Zoroastrey et autres 
productions où la fraude était mise au 
service de l'enthousiasme ^ fanatique. 

Nous retrouvons le Pastiche en 
honneur au troisième siècle. A la 
tête des écoles de Besançon et de 
Lyon se trouvait le rhéteur Titien^ qui 
avait porté plus loin qu'aucun de ses 
contemporains le talent et la gloire 
de ce genre. 

Il composa un recueil de lettres à 
l'imitation de celles de diverses femmes 
illustres de l'antiquité. On l'appelait 
le Singe de son temps. " On a beau- 
coup parlé de la littérature facile, dit 
M. Ampère ; il y a aussi la littérature 
singe, qu'il ne faut pas oublier."^ 

ment," par Michel Nicolas, page 149, i voL 8®. 
Paris: Michel Le vy. 1866. 

^ " Philosophie et Religion," par Ad. Franck, 
page 3, 8°. Paris: Didier. 1867. 

2 J. J. Ampère, " Histoire littéraire de la 



Préliminaires. 23 

Les deux siècles suivants virent 
naître un système poétique curieux. 
Les Chrétiens furent saisis de la ma- 
nie de reprendre les formes poétiques 
de l'antiquité, et de les appliquer aux 
idées nouvelles. 

Synestus composait des odes sacrées 
à rimitation d'Anacréon. Apollinaire 
faisait la même chose, prenant Pindare 
pour modèle. On composait de l'his- 
toire sainte avec des lambeaux de 
Virgile.^ Plusieurs poètes suivirent 
cet exemple ; en un mot, on tenta une 
contrefaçon chrétienne de l'antiquité 
profane. U n peu plus tard les pastiches 
d'actes authentiques étaient d'un em- 
ploi assez fréquent à Rome. Il n'y 

France avant le 12°' siècle," tome i. p. 193, 
et tome ii. p. 195. 

^ Voir notre " Revue Analytique des ouvrages 
écrits en centons depuis les temps anciens, 
jusqu'au 19™*' siècle/' London: Triibner, 1868, 
in 8° de 505 pages. 



24 Préliminaires. 

avait personne en ces temps d'igno- 
rance et de ténèbres, dont les agents 
dévoués au Sacré Collège eussent à 
craindre un examen critique.^ Ce sys- 
tème dura longtemps, car le journal 
de Trévoux (Mars 1716) nous apprend 
qu'au douzième siècle, un moine de St 
Médard, nommé Guernonl se voyant 
à l'heure de la mort, s'accusa publique- 
ment d'avoir parcouru-plusieurs monas- 
tères et d'y avoir fabriqué des pastiches 
de Chartres en leur faveur. 

Nos pieux ancêtres du douzième 
siècle s'avisaient d'un expédient fort 
simple pour sanctionner l'existence de 

^ Découvertes des ruses qui se pratiquent es 
disputes de la foy, quand on n'en peut rendre 
raison, par un docteur Catholique. Paris : Cl. 
Chapelet. 16 13. 

Histoire Littéraire de la France, 4°, tome iv. 

P- 3- 

Le Pape et les Conciles, par Janus. 

Blondcl, Pseudo-Isidorus et Turrianus Vapu- 
lantes. 



Préliminaires. 25 

traditions profondément gravées dans 
la mémoire, ils fabriquaient des docu- 
ments constatant leur origine. Une 
fraude pieuse dans ce temps-là était 
une invention reçue, destinée à remplir 
une lacune historique ou religieuse.^ 

Qîms natura negat^ prœbuit arte 
maSy comme dit Claudien. 

La chose était portée si loin, que l'an 
1 500 le Pape Gélose se crut obligé de 
publier un décret De libris recipiendis 
et non recipiendis^ où il établit la dis- 
tinction entre les ouvrages authen- 
tiques et ceux qui étaient forgés. 

" Le monde est plein d'impostures 
et de suppositions, s'écrie Guez de 
Balzac^ je dis même le monde savant, 
celui qu'on appelle la république des 
lettres." 

Erasme au seizième siècle se plai- 

^ Les Manuscrits Français de la Bibliothèque 
du Roi, etc, par Paulin, tome i. p. 162. Paris : 
Techener. 1836. 



20 Préliminaires. 

gnait avec amertume de ne posséder 
aucun texte des Pères de l'Eglise qui 
n'eut été falsifié.^ Les auteurs clas- 
siques ont subi le même sort Un 
célèbre philologue allemand a dé- 
montré que des seize satires de Juvé- 
nal onze seulement sont authentiques, 
et que les autres sont apocryphes : 
" C'est, dit-il, une spéculation de quel- 
que libraire avide, qui se sera associé 
quelque poète famélique au moment où 
l'engoûment du public pour Juvénal 
venait de s'accroître par la mort ré- 
cente de ce dernier.^ 

Une question desupposition d'auteur 
ou de pastiche qui n'est pas encore 
résolue, est celle du Pervigiliunt VeneriSy 
hymne que l'on chantait à la fête de 
Vénus. On Ta attribué entr'autres à 
Z.wr^r^«^,poètecarthaginois du sixième 

^ Curiosités littéraires, par Ludovic Lalanne. 
* Otto Ribbeck: Der echte und der unechte 
Juvenal. Berlin, 1869. 



Préliminaires. ttj 

sîècle, sous le règ^e de Trasîmond, roi 
des Vandales. Le motif de ce soupçon 
est qu'on y rencontre des imitations 
frappantes de Lucrèce y de Virgile et 
à* Ovide, dans les descriptions de la 
puissance de Vénus, et des effets du 
printemps, imitations que l'on rencontre 
déjà dans les Vers-Centons de Luxa- 
rius} L'antiquité douteuse et l'origine 
problématique de ce morceau ont 
donné lieu à des hypothèses et à des 
conjectures de toutes les façons. 
Cabaret Dupaty, qui en a publié une 
traduction en prose, à Paris, en 1842, 
suppose que c'est un pastiche de Paul 
Manuce et de F. Pithou. Toutefois 
jusqu'à présent, les plus savants cri- 
tiques n'ont pu s'accorder sur l'auteur 
de ce charmant poème, quoiqu'ils aient 
parcouru toute l'échelle de la littérature 
romaine, depuis l'aurore du siècle 

^ Comme ou peut le voir dans notre Cen- 
toniana. 



28 Préliminaires. 

d'Auguste jusqu'à la première nuit de 

barbarie des Goths et des Vandales.^ 

Il serait très difficile de rappeler 

toutes les mystifications désignées sous 

les noms de pastiches, suppositions 

d'auteur, intercalations, etc., et restées 

r plus ou moins célèbres dans les annales 

• de l'érudition. Ce sont probablement 

I ces nombreux mensonges littéraires qui 

I ont suggéré la singulière idée, soutenue 

^ ' avec esprit par Jean Hardouin^ que 

l'Enéide avait été composée par un 
ij moine du moyen âge, et que Virgile 

j n'avait écrit que les éclogues et les 

1 géorgiques. Il affirmait en outre que 

deux ou trois écrivains de la même 
période étaient les auteurs des epitres 

r 

^ Voir " Conjectures sur l'auteur de la Veillée 
de VénuSy' par M. de CayroL Abbeville, Juin 
1839, in 8°. 

Les Nouvelles Littéraires^ tome xi. p. 366, 
contiennent des lettres du Président Bouhier au 
P. Oudin, relatives au Penngilium Veneris. 



Préliminaires. 29 

et discours d'Horace (Epîstolae et Ser- 
mones). L'un avaît composé les odes, le 
second les épodes, et le troisième l'art 
poétique. Cette thèse du reste conve- 
nait parfaitement à l'original, qui consa- 
crait 250 pages in folio, dans ses Athei 
Detecti, à la preuve que Jansénius, 
Malebranche, Quesnel, Antoine Ar- 
nauld, Pascal, Descartes et autres 
philosophes, n'étaient que des athées.^ 
A notre avis le centon, la parodie 
et le pastiche sont unis par d'intimes 

^ M. Vernet, professeur de Théologie à 
Genève, a fait en latin Fépitaphe de Hardouin, 
En voici la traduction : 

" Dans l'attente du jugement, ici repose le 
plus paradoxal des hommes; Français de nation, 
Romain de croyance, merveille du monde lettré. 
Il fut adorateur et destructeur de la vénérable 
antiquité; et doctement fou, il répéta, tout 
éveillé, des songes inouïs. A la fois pieux et 
sceptique, il eut la crédulité d'un enfant, Taudace 
d'un jeune homme, Textravagance d'un vieillard. 
Enfin, pour tout dire en un mot, Ici repose 
Hardouin. 



30 Préliminaires. 

rapports. Après avoir traité les deux 
premiers sujets, nous désirons com- 
pléter cette espèce de trilogie plaisante, 
par un exposé des faits les plus re- 
marquables dans les divers genres de 
supercheries, innocentes ou coupables, 
qu'offre Thistoire de la République 
des Lettres. 

Afin d'établir un certain ordre dans 
ce travail, nous le diviserons en trois 
sections. 

i*' Les pastiches et suppositions 
d'auteur, composés avec l'intention 
de tromper les lecteurs. 

2"*" Les suppléments d'auteur, inter- 
calations, et pastiches, composés comme 
exercice de style, ou amusement. 

3°"* Des pastiches - imitations, et 
suppositions d'auteur, dans les beaux 
arts. 



\m » ill 



SECTION PREMIÈRE. 

PASTICHES ET SUPPOSITIONS D'AUTEUR 
PLUS OU MOINS COUPABLES. 



' ' Corpus putat esse quod umbra est,** 

— Ovide. 



"TA vérité et le mensonge ont 
-*--/ souvent leurs visages con- 
formes, et leurs allures pareilles." 
Cette pensée de Montaigne est la 
base des compositions dont nous 
allons nous occuper. 

Dans tous les pays et à toutes les 
époques, les supercheries littéraires 
sont fréquentes. Pour mieux déconcer- 
ter la critique, les auteurs de pastiches 
ont souvent cherché dans les temps 
anciens des noms célèbres, afin d'étayer 



32 Essai sur Le Pastiche. 

leurs écrits d'une autorité împosante. 
" Cette sorte de mensonge, dit la sa- 
vante Marie de Gournay, trouve son 
excuse dans la bêtise d'une part du 
monde, qui croit beaucoup mieux la 
vérité sous la barbe chenue des vieux 
siècles, et sous un nom d'antique et 
pompeuse vogue." 

Tous les auteurs ne montrent pas 
la même indulgence. L'infatigable bi- 
bliog^phe Quérard lança ses foudres 
de guerre contre les supercheries de 
la littérature française. Il donne avec 
trop de sévérité le nom de faussaires 
en littérature à ceux qui s'en mêlent, 
sans faire grande distinction entr'eux. 

Quelqu'un, par contre, a dit plai- 
samment : " N'est-ce pas au contraire 
de l'humilité et du désintéressement 
littéraire, que de prêter son esprit aux 
morts, et de se cacher tout vivant sous 
la peau d'un illustre défunt ?" 

Le lecteur a vu dans l'introduction 



Essai sur Le Pastiche. 33 

que chez les ancîens et dès les premiers 
siècles de notre ère, les falsifications de 
ce genre ne faisaient pas défaut. 

On peut citer entr autres, comme 
un morceau des plus heureux, les 217 
hexamètres fabriqués à l'imitation du 
poète gnomique Phocylide} et si bien 
réussis qu'on les a insérés dans les 
œuvres de ce dernier.^ 

Ovide jouit d'une grande célébrité 
au moyen âge, car nos aïeux trouvaient 
dans ses Métamorphoses et \Art 

^ L'auleur de ce pastiche est resté inconnu. 
Duché (le tragique), le premier traducteur 
français du recueil de sentences et de préceptes 
de morale de Phocylide^ a ajouté à sa traduction 
de véritables pastiches de Labruyhre. 

^ Coupé, dans ses Soirées littéraires^ tome iv. 
p. 49, s'obstine à nommer notre auteur grec, 
Procylide, Il a donné une autre traduction des 
maximes gnomiques ou sentencieuses de Phocy- 
lide. Voir, au sujet des poètes de cette famille, 
Emile Egger, Mémoires de littérature ancienne^ 
tome i. p. 229. 

C . 



34 Essai sur Le Pastiche. 

d'aimcTy de quoi satisfaire leur pen- 
chant pour les histoires merveilleuses 
et les contes erotiques. 

Aussi règne à cette époque la fan- 
taisie de certains poètes de publier leurs 
œuvres sous son nom, mais ces pas- 
tiches réussirent rarement. On compte 
jusqu'à treize de ces imitations.^ Une 
des plus importantes, le poème de 
Vetulây déjà cité par RicJmrd de 
Bury, dans son Philobiblion, fut 
publié à Cologne en 1470, comme 
ç£.y\\x^ à!! Ovide. Voici comment 7?^^^/ 

^ Consolatio ad Liviam Augustam. 
Carmen PanegyricuraadCalpurniumPisoneni. 
Elegia de Philomelâ. 
De Pulice. — Soranium. 
Epigrammata Scholastica de Virgilii xii. 
Hbris ^neidos. 
De Cuculo. De Aurorâ. De Limace. 
De quatuor humoribus. 
De ludo latrunculorum. 
De Fortunâ. 
De Vetull 



Essai sur Le Pastiche. 35 

Holcothy dans son commentaire sur La 
Sagesse raconte l'histoire inventée 
alors pour faire croire à l'authenticité 
de ces trois chants, mais sous une pru- 
dente réserve: ^^ An sit liber Ovidiiy 
deus novitr 

Le poète, desespérant d'être rappelé 
de son exil, composa ce dernier poème 
pour y retracer la vie qu'il avait jadis 
consacrée à l'amour. En mourant, il 
avait ordonné que cette composition 
intitulée Vetula fût enterrée avec lui. 
On la retrouva dans un cimetière public 
d'un faubourg de la ville de DioscuriaSy 
capitale de la Colchide; ce manu- 
scrit fut porté à Constantinople, par 
ordre du roi de ce dernier pays, et 
Léon, protonotaire du sacré palais, et 
secrétaire de l'Empereur Vatace^ le 
publia. On ajoutait que dans le même 
tombeau se trouvait aussi l'inscription 
funéraire d'Ovide ! Natidé^ cite encore 

^ Dans le Dialogue de Masairat, p. 225. 



36 Essai sur Le Pastiche. 

plusieurs autres témoignages sur ce 
même poème attribué à Ovide. 

Bay'le dit qu'il faudrait être bien 
dupe pour s'imaginer que la Vctula 
soit de ce poète. ** II n'est pas néces- 
saire, ajoute-t-il, d'être grand clerc 
pour pouvoir jurer, sans nulle ombre 
de témérité qu'Ovide n'a jamais fait 
un poème aussi barbare que celui-là, 
et que c'est la production d'un Chrétien 
du Bas-Empire." 

Ici notre savant critique se trompe, 
comme l'a prouvé M. Cocheris, qui, 
dans une introduction de la traduction 
de ce poème, par ^ean Lefèvre, dé- 
montre que de tous les écrivains que 
l'on pourrait regarder comme auteur 
de ce pastiche, aucun ne semble réunir 
en sa faveur autant de présomptions 
que Rie/tard de Faur7iival^ chancelier 
de l'église d'Amiens. Admirateur 
d'Ovide, clerc habile, auteur de pro- 
ductions fort estimées de son temps. 



Essai sur Le Pastiche. 37 

il a laissé plusieurs poèmes qui ne 
sont que des imitations de VArt 
(V aimer et du Remède d'amour} 

A plusieurs reprises les romans grecs 
ont fourni l'occasion de pastiches qui 
parfois ont eu cours assez longtemps 
comme authentiques. Par exemple, 
Hiiet a accepté comme tel un ouvrage 
tout moderne : " Du vrai et parfait 
amour," attribué à Afhénagoras 
d'Athènes, un des premiers défenseurs 
du Christianisme. On n'a jamais vu 
le texte grec de ce livre, dont la tra- 
duction française a été publiée pour 
la première fois à Paris en 1599. Il 
est bien prouvé aujourd'hui que 
l'ouvrage est une fiction du prétendu 
traducteur. C'est le premier modèle 
de toutes ces suppositions de romans 

^ La Vieille, ou les dernières amours d'Ovide, 
poème français du 14""* siècle, etc. etc., par 
Hippolyte Cocheris. Paris: A. Aubry. 1861. 
Un vol. petit en 8**. 



38 Essai sur Le Pastiche. 

traduits du grec que Montesquieu n'a 
pas dédaigné d'emprunter dans le 
Temple de G7iide} 

Une supposition d'auteur qu'il ne 
fut pas aussi facile de reconnaître, et 
qui est encore aujourd'hui une énigme, 
est l'inscription que Pétrarque est sup- 
posé avoir tracée sur son exemplaire 
de Virgile, et dans laquelle il fait 
mention de sa première rencontre avec 
Laure, dans l'église de Sainte Claire ; 
le 6 avril 1327, jour de Vendredi Saint.^ 

Une supercherie plus difficile, qui 

traversa comme authentique même le 

dix-huitième siècle sceptique et railleur, 

sans être démentie ni mise en doute, 
est la curieuse Ordonnance Royale, 

^ Etudes de littérature ancienne et étrangère, 
par Villemain, Paris : Didier. 1846. 

Les Romanciers grecs et latins, par Victor 
Chauvin, Paris: Hachette. 1864. 

* Malheureusement pour celui qui imita si 
bien l'écriture de Pétrarque, il est prouvé, que 
le 6 avril de cette année était un lundi 



Essai sur Le Pastiche. 39 

relative aux mœurs à Avignon, donnée 
par la Reine yeanne de NapleSy en 1 347. 

M. Jules Courtet a montré que le 
savant Astruc a été la dupe d'une 
plaisante mystification, en insérant ces 
statuts apocryphes pour la première 
fois en 1 736, dans son traité De Morbis 
Venereis. Ils étaient Tœuvre de M. 
Garcin et de ses amis. On fabriqua 
une copie d'un prétendu original, qu'ils 
firent parvenir à Astruc} 

Les savants et les hommes de lettres 
se donnèrent souvent, au seizième 
siècle, le plaisir de se mystifier les uns 
les autres, et parfois le public, par ces 
sortes de pastiches ou de suppositions 

^ Voir les détails de cette affaire dans la 
Rame Archéoiogique^ deuxième année, 1845, 
3°**' livraison. Sur la foi (ÏAs/ruCy cette Ordon- 
nance Royale fut mise par Papon dans son 
"Histoire de Provence," et par Merlin^ dans 
son " Répertoire de Jurisprudence," tome 
i. p. 761. Non infima iaus est^ comme dit 
Horace. 



40 Essai sur Le Pastiche. 

d'auteur. Le plaisant conteur Des 
Periers essaya, mais ne réussit guère, 
à faire croire que le Cymbalunt mundi 
était un ouvrage ancien. 

Dans la préface, il dit à son ami 
Tryocan^ qu'il n'était que le traducteur 
de ce petit livre : "Il y a huit ans que 
je te promis de te rendre en langaîge 
françois, le petit traité que je te mon- 
trai, intitulé : Cymbalunt mu7idi, lequel 
j'avais trouvé dans une vieille librairie 
d'un monastère qui est auprès de la 
cité de Dabas." 

Le célèbre italien Sigonius fit pren- 
dre pendant longtemps un de ses pas- 
tiches pour le traité de Cicéron, " De 
Consolatione," q^6\q^ A ntoine Ricco- 
boni eut déjà tâché de dévoiler la 
supercherie, en publiant le ** De Con- 
solatione, edito sermone sub nomine 
Ciceronis." Tiraboschi ne découvrit 
qu'en 1785, à Modène, des lettres 
privées qui prouvaient la fabrication. 



Essai sur Le Pastiche. 4 1 

Ce pastiche Cicéronien était habile- 
ment composé par un savant que 
Hallanty dans son histoire de la Lit- 
térature de l'Europe, nomme le prince 
des antiquaires du seizième siècle. 

Vers cette époque une super- 
cherie littéraire qui fit bien plus de 
bruit, fut celle âiAnnius ou Nannius 
de Viterbcy qui, 

" Veteris non inscius œviy* 

publia à Rome en 1498 un recueil de 
parties des ouvrages originaux de 
Bérose, de Fabius Pictor, de Manéthon, 
de Caton,^ etc., qu'il prétendit avoir re- 
trouvés à Mantoue. Ce recueil, monu- 
ment curieux de l'ignorance et de la 
crédulité, fut reçu avec une grande 

faveur par toute l'Europe savante, car 
chaque peuple trouvait son origine 
dans les fables de ces prétendus his- 

* Annii Viterbiensis Coramentarii in auctores 
diverses de antiquitatibus, cum textu, in folio. 
Cette première édition est extrêmement rare. 



42 Essai sur Le Pastiche. 

toriens. Il eut les honneurs de la 
réimpression à Paris, à Venise et à 
Bâle. 

La critique ne fit justice de cette 
supposition d'auteur, qu'à la fin du 
seizième siècle, longtemps après la 
mort de l'inventeur. Nicéron distingue 
quatre partis qui furent engagés dans 
cette querelle ; ceux qui considéraient 
toute la collection comme un pastiche; 
les partisans d'une authenticité parfaite ; 
ceux qui regardaient les fragments 
comme faux, mais qui prétendaient 
qu' A nnzus avait été trompé lui- 
même ; et enfin le juste milieu main- 
tenait, qu'une partie était fausse, et 
l'autre authentique. Le Bérose com- 
mençait son histoire avant le Déluge, 
et avançait que les Chaldéens avaient 
fidèlement conservé leurs archives 
historiques.* 

^ Le Dictionnaire de Bayle cite les principaux 
auteurs qui ont parlé de ce pastiche. 



Essai sur Le Pastiche. 43 

Pour mieux faire croire à l'authen- 
ticité de l'œuvre, Annius y avait joint 
de longs commentaires, contenant des 
passages d'auteurs anciens bien connus. 

On rapporte qu'un auteur mourut 
de chagrin lorsque l'imposture fut 
découverte, parcequ'il avait fondé un 
long et savant travail sur cette publi- 
cation. 

C'est au seizième siècle que com- 
mença la manie des commentaires 
interminables. Afin de les rendre 
plus intéressants, leurs auteurs prê- 
taient à Ennius ou à quelqu'autre 
poète perdu, des vers de leur façon, 
souvent fort heureux. C'est ainsi que 
le hollandais Paul Merulay auteur 
d'une histoire universelle, soutint avoif 
trouvé un traité, ** De veterum poeta- 
rum continentiâl^ d'un certain Cal- 
pumius Pison, grammairien du temps 
de Trajan. Il en citait des passages 
qui firent fortune parmi les savants ; 



44 Essai sur Le Pastiche. 

maïs personne ne vit alors, ni plus 
tard, le manuscrit que Theureux 
Merula avait trouvé, disait-il, dans la 
bibliothèque de Saint Victor. 

" Oh, my prophétie soûl !" 

aurait pu s'écrier Rabelais, comme 
Hamlet, en décrivant les amusantes 
richesses littéraires de cette abbaye. 
La France, TEspagne, l'Italie, l'Europe 
entière semblaient s'être donné le mot 
pour ces sortes de supercheries. 

Le cardinal Sadolet, ce prélat qui 
fut appelé le Fénélon du seizième 
siècle, composait d'ingénieuses épi- 
grammes, qu'il disait tirées d'anciens 
manuscrits latins à lui envoyés par ses 
amis. 

Il cherchait à persuader de la vérité 
de cette découverte les hommes de 
lettres en rapport avec lui. 

Les suppositions de passages et de 
pièces de peu d'étendue, dit Nodier, 



Essai sur Le Pastiche. 45 

placées sous le nom d un auteur ancien 
célèbre, ont sans doute le mérite de la 
difficulté bravée, car les objets de 
comparaison qui peuvent éclairer le 
lecteur, sont à la portée de tout le 
monde ; et néanmoins que de savants 
du premier ordre ont été pris pour 
dupes ! 

Le monde littéraire s'amusa long- 
temps de Terreur dans laquelle tomba 
Joseph Scaliger. Dès l'âge de 1 8 ans 
il se piquait de discerner les différents 
caractères de tous les siècles. Muret 
lui montra un jour quelques vers qu'il 
disait avoir reçus d'Allemagne, et tirés 
d'un vieux manuscrit. Scaliger, après 
les avoir lus attentivement, lui assura 
sans balancer, qu'ils étaient d'un vieux 
comique latin nommé Trabea, et sûr 
de son opinion, il les inséra dans son 
commentaire sur Varron, De re rus- 
ticâ, auquel il travaillait alors. Tel 
est le récit de Casier, dans son Apo- 



46 Essai sur Le Pastiche. 

bgie citée par Bayle ; mais Muret 
nous apprend que ce fut lui-même qui 
suggéra que ces vers étaient de 
Trabea; et d'autres qu'il montra en 
même temps, du comique Attius, et 
que Scaliger le crut sur parole.^ Ayant 
complètement pris le savant au piège, 
il avoua sa supercherie pour montrer 
combien peu de confiance on pouvait 
avoir dans la sagacité critique d'un 
écrivain qui voulait faire considérer 
son jugement en littérature comme in- 
faillible. 

Scaliger se vengea par une épi- 
gramme des plus sanglantes : — 

" Qui rigidœflammas évaserai ante Tolosœ^ 
MuretuSy fumos vendidit iUe tnihiP^ 

Il justifiait ainsi cette spirituelle 

^ Voir rAnti'BaiileiàQ Ménage, chap. Ixxxiii., 
et le Dictionnaire de Bayîe, pour les détails. 

* Ces flammes de la rigoureuse Toulouse se 
rapportent à une accusation devant le Parle- 



Essai sur Le Pastiche. 47 

boutade de Nodier, que la plus par- 
donnable des supercheries littéraires 
est celle que Ton pardonne le moins, 
parceque le public ne veut pas qu'on 
se serve de sa crédulité même pour lui 
procurer du plaisir, et que rien ne com- 
pense Toutrage fait à sa vanité. Le res- 
sentiment du savant pour une méprise 
qui cependant ne pouvait Thumilier, ne 
surprend en aucune façon, lorsque Ton 
connait le caractère de Scaliger ; il 
n'était pas homme à en rire. Mais 
conçoit-on facilement que le joyeux 
Rabelais ait gardé une profonde ran- 
cune au Vénitien Pontanus ( Tanpontis, 
comme il l'appelle) de lui avoir fait 
prendre pour une pièce antique, un 
certain " Contractus venditionis anti- 
guis Rontanorum temporibus initus^* 
que lauteur de Pantagruel, trompé, 

ment de cette ville, pour un crime qui était alors 
puni par le feu, auquel il paraîtrait que Muret 
échappa. 



48 Essai sur Le Pastiche. 

publia à Lyon, avec une belle épître 
dédicatoire et sous un titre solennel : 
Ex reliquiis vtnerandœ antiquitatis !^ 
Il est singulier que Scaliger, sachant 
par expérience que Muret imitait si 
bien les anciens poètes latins, qu'on 
pouvait aisément s'y tromper, s'y soit 
néanmoins laissé prendre une seconde 
fois, comme le raconte Vossius, dans 
son commentaire sur Catulle? Menken, 
qui cite le fait, ajoute que Douza, le 
fils, fut induit en erreur de la même 
manière par Jérôme Groslot de Lîsle, 

. ^ Voir les Matafiasiennes^ 8°, p. 60. Lyon, 
1837. Ce chânnant opuscule fut publié sans nom 
d'auteur, par M, Rostain, de Lyon, un des plus 
savants bibliophiles de France, et toujours prêt 
à mettre ses connaissances littéraires au service 
de ses amis. On trouve dans cette brochure des 
détails fort intéressant sur plusieurs autres pas- 
tiches latins qui ont déjoué la perspicacité des 
lettrés des 17"" et 18™* siècles. 

2 "Menken, de la Charlatanerie des savants," 
p. 83, édit. de 1721. 



Essai sur Le Pastiche. 49 

à l'occasion du Pervigilium Veneris} 
dont on ne connaît que les quatre vers 
suivants : 

" Nemo tentis mentulis det, nemo nervis otium. 
Ecce passeres salaces, ecce rauci turtures, 
Hâc nuper virente myrto nos amoris admonent 
Cum puellis dulce inire vesti contubemium, 
Nemo tentis," etc. etc. 

Quelquefois le critique trompé ne veut 
pas être désabusé et persiste dans 
Terreur. Henri Estienne avait inséré 
dans ses Satyrici Minores, une satire 
De Lite y qu'il croyait ancienne, et qui 
était du Chancelier de VHospitaL Le 

* Français Noël, dans ses notes sur Cattdle, 
tome i. p. 343, assure au contraire que ce fut 
van derDoes qui voulut imiter le tour que Muret 
avait joué, et qui prétendit qu'un de ses amis 
avait vu, dans une bibliothèque de France, un 
Pervigilium Veneris différent de celui que nous 
possédons, et dont il rapporte quatre vers. " On 
trouva à ce fragment, ajoute Noèl^ un goût et un 
ton antique ; et quand on fut détrompé, on se 
consola, comme Scaligery par des injures." 

D 



50 Essai sur Le Pastiche. 

philologue Boxhom ne voulut jamais 
croire J. F. Gronovius, qui le prévint 
de la supercherie, et soutint que 
VHospital devait avoir découvert cette 
pièce excellente, et qu'il pouvait citer 
des savants qui l'avaient lue dans des 
manuscrits anciens! Cest peut-être 
une semblable conviction qui engagea 
Aide le jeune à publier Philodoxios 
Fabula^ comme pièce ancienne, quoi- 
qu'il ne soit pas probable qu'il ignorât 
<\vl Albert Eybe en avait déjà donné 
quelques scènes dans sa Margarita 
poeticay où elle est attribuée à Charles 
(fArezzo^ de la famille des Marsuppini, 
mort à Florence, en 1453.* 

Malgré l'étude profonde de l'anti- 

^ Lepidi Comici Veteris Philodoxios Fabula, 
ex antiquitate eruta ab Aldo Manucio, in 8°. 
Lucae, 1558. Ce livre extrêmement rare a 
été vendu jusqu*à dix guinées à la vente de la 
Bibliothèque de B, Butler. 

2 Voir Rerwuard. 



Essai sur Le Pastiche, 5 1 

quité que possédaient incontestable- 
ment les savants de cette époque, on 
serait presque tenté de douter de leur 
esprit critique, lorsqu'on les voit se 
tromper aussi fréquemment 

Guez de Balzac^ un des créateurs de 
la langue française, et. dont le grand 
Corneille, Gassendi, Sarrasin, etc., 
s'accordent à vanter le talent pour la 
versification latine, a été à son tour la 
cause d'une mystification (dont on a 
cherché à le justifier), quoiqu'il eut pris 
d'amples précautions pour cacher sa 
petite supercherie. Il inséra dans ses 
œuvres,^ parmi ses poésies et épîtres 
latines, un morceau intitulé : " Indig- 
natio in poetas Neronianorum tem- 
porum^ majoris operis fragmentum'^ 

Il déclare qu'il avait trouvé dans un 
parchemin pourri en plusieurs endroits, 
et à demi rongé de vieillesse, des vers 
d'un auteur inconnu sur les hommages 

^ Deux volumes in fol., p. 38. Paris, 1665. 



52 Essai sur Le Pastiche. 

prodigués à Néron, que les Chrétiens 
croyaient être T Antéchrist. Il faut que 
l'auteur ait écrit sous le règne de 
Néron, ajoute-t-il, quoique son carac- 
tère soit plus ancien, et qu'il ait 
cherché une autre manière, et une 
plus belle expression que celle des 
écrits de ce temps-là. Mais de plus, 
nos amis du pays latin trouvent que 
son génie est hardi. 

y. Ch. Wernsdorff^ éditeur d'un 
recueil estimé, les Poetœ Latini 
MinoreSy inséra ce fragment d'une 
trentaine de vers, comme l'œuvre du 
poète Turnus, Bunnann et plusieurs 
autres crurent également à l'authen- 
ticité de cette pièce. A. Perreau, le 
traducteur de Perse, a fait, dit-il, 
d'inutiles recherches (et on peut l'en 
croire), pour se procurer le manuscrit 
d'où Balzac avait tiré ces beaux vers ; 
et le savant Boissonade jugea que la 
conjecture était probable, qui les attri- 



Essai sur Le Pastiche. 53 

buait au satirique 7«r;««^, contem- 
porain de Martial. Seulement il 
exprimait de grands regrets que 
Balzac, qui le premier les avait publiés, 
n'eut pas pris le soin de nous faire 
connaître leur origine, et la source d'où 
il tenait son vieux manuscrit. 

Cette prétendue satire de Tumus 
fut reconnue véritable par LemairCy 
Natcdet, QuicJierat, et traduite par 
Théry, Ach. Perreau et CJiarpentier, 
dans les collections classiques ! 

Le spirituel auteur des Matana- 
siennes a voulu disculper Balzac y et 
prouver que si on avait lu avec plus 
d'attention les lettres de celui-ci 
adressées à Conrart, à Chapelain, et à 
d'autres, ainsi que ses ** Entretiens, ou 
dissertations littéraires," on aurait 
vu que l'auteur n'avait pas l'intention 
de tromper les savants. 

Il faut avouer pourtant que Balzac 
aimait ces jeux d'esprit, et s'exprimait 



54 Essai sur Le Pastiche. 

d'un air de grande bonne foî, en les 
présentant comme anciens ; et excellent 
latiniste comme il l'était,^ il n'est pas 
étonnant qu'il déçut quelquefois le 
public lettré. Dans son quatrième 
discours, adressé à Madame la Mar- 
quise de Rambouillet, il cite des 
paroles de Cassius et de Caton, une 
lettre de Fabricius à Pyrrhus, un 
billet de César à Cléopâtre, comme 
extraits d'un vieux manuscrit, qui lui 
est heureusement tombé entre les 
mains. Toutefois ici, comme la sup- 
position est flagrante, il ajoute une 
explication, qui laisse entrevoir la 
vérité : " L'auteur de ce manuscrit 
n'est pas un inconnu, un enfant de la 
terre ; il a un nom et un pays, et porte 

^ Le philosophe Gassendi lui a rendu ce 
témoignage, ** Balzacius cui nemo, non gallicè 
modo, sed latine etiam scribentîum elegantiae 
palmam non facile cedat.*' 



Essai sur Le Pastiche. 55 

des marques de sa naissance. Il est 
vrai pourtant, Madame, que je ne vous 
parle pas si affirmativement de la vérité 
de ces lettres qu'il ne vous soit permis 
de suspendre encore votre jugement. 

" Puîsqu'en ce pays de Grèce, il y a 
quantité de gens de bonne volonté et 
de grand loisir ; puisque Ifes sophistes 
ont servi de secrétaires à Phalaris et 
à d'autres princes, je ne sais combien 
de siècles après leur mort, ils pourraient 
bien avoir rendu le même service à 
César. Au surplus, si ces pièces ont 
été contrefaites, c'a été, je pense, à peu 
près au siècle d'Auguste." 

Ce demi-aveu même laisse exister le 
doute, par les derniers mots, sur l'in- 
tention de Balzac d'induire en erreur 
Madame de Rambouillet. 

Suffit-il pour empêcher le lecteur 
d'être pris au piège, que dans une 
édition des poésies latines de Balzac, 



56 Essai sur Le Pastiche. 

publiée par Ménage en 1650,^ on 
trouve, à la page 189, huit petites 
pièces de vers avec l'intitulé : Ficta 
pro antiquis, sous lequel l'éditeur a 
placé le fragment attribué à Turnus ? 

La France n'était pas le seul pays 
où Ton pratiquait ces sortes de super- 
cheries; en Espagne le pastiche et 
les suppositions d'auteur prospéraient 
singulièrement. 

Le biscayen Antonio de Guevaray 
moine franciscain, auteur de plusieurs 
ouvrages, pourvu de deux évêchés, et 
historiographe de Charle-Quint, ouvre 
la marche par son Horloge des Princes^ 
espèce de roman philosophique dont 

^ Joann. Ludov. Balzacii Canninum libri iil, 
in 8°. Paris, 1650. 

Ces peccadilles contribuèrent peut-être à faire 
traiter si rudement Balzac par le P. Gouluy 
général des Feuillants, qui écrivit contre lui 
deux volumes d'injures. Bautni disait de 
Balzac, qu'il était attractif (V injures. 



Essai sur Le Pastiche. 57 

Marc-Aurèle est le héros, et qui res- 
semble à la Cyropédie de Xénophon.' 

L'auteur prétendit qu'il avait traduit 
cet ouvrage sur un manuscrit très 
ancien trouvé à Florence. Le public 
ajouta foi à cette assertion ; mais enfin 
un professeur de littérature au collège 
de SortUy nommé Petro de Rua^ prouva 
que c'était une œuvre moderne, et 
défia l'auteur de montrer le manu- 
scrit. 

Guevara fut alors assailli de toute 

* Relax de Principes, 

On sait que est ouvrage a fourni à Lafontaine 
son admirable fable du 'paysan du Danube^ 
d'après une traduction française par R. B. De la 
Grisey conduit en Espagne, après la bataille de 
Pavie. 

Cette traduction, revue et corrigée par N. De 
Herberay^ seigneur des Essarts, fut suivie de si 
près par Lafontaine, qu'il s'appropria non seule- 
ment toutes les idces, mais même les expressions 
du traducteur. Voyez Tédition des Fables de 
Lafontaine, par KobcrL 



58 Essai sur Le Pastiche. 

part, avec d'autant plus d'anîmosîté 
que les pastiches d'Annius de Viterbe 
avaient récemment encore excité la 
colère des savants. 

"Je m'imagine, dit Bayle^ dans son 
dictionnaire, que le succès qu'avait en 
d'abord le Marc-Aurèle de Guevara^ 
encouragea l'anglais Thomas Elyot à 
une fraude du même genre." 

Cet auteur publia à Londres, sous le 
règne de Henri VIII., un ouvrage 
qu'il prétendit avoir traduit sur un 
manuscrit grec à'Encolpius, auquel 
Alexandre Sévère était fort attaché, et 
qui est connu pour avoir publié la vie 
de cet empereur. 

Elyot avançait qu'un gentilhomme 
napolitain, nommé Puderico^ lui avait 
prêté l'original. Le public fut trompé 
pendant quelque temps ; mais Wottoity 
dans son Histoire Romaine, fit voir 
sans réplique, que ce n'était là qu'une 
supposition d auteur. 



Essai sur Le Pastiche. 59 

Revenons à l'Espagne, où l'époque 
dont nous parlons pourrait être dé- 
signée comme Tâge d'or des super- 
cheries littéraires. Au nombre des 
plus remarquables, on trouve Thistoire 
de la conquête de l'Espagne par les 
Arabes, traduite d'une chronique con- 
temporaine des événements. 

Les écrivains du pays, pleins de foi 
en l'authenticité de ce document, s'en 
servirent pour la composition de leur 
histoire ; mais voilà qu'après un exa- 
men trop tardif, Don Nicolas Antonio 
commença à jeter des doutes sur le 
livre. Bientôt d'autres critiques en- 
trent dans la même voie, et enfin la 
fraude non seulement est prouvée, 
maïs on découvre même quel en est 
l'auteur. Micluulde Lmia, interprète 
d'Arabe, au service de Philippe III., 
avait calqué son œuvre avec beaucoup 
d'art sur d'anciens documents peu 
connus. 



6o Essai sur Le Pastiche. 

C'est aussi en ces temps que le 
jésuite, y érbme Higtieray s'associa Tori- 
albuy son confrère, lequel prétendit avoir 
trouvé dans la bibliothèque de Fulde en 
Allemagne, un manuscrit que Higuera 
enrichit de notes, pour éclaircir diffé- 
rentes parties du texte ; puis une copie 
du tout fut envoyée à J. CalderoUy qui 
le publia à Saragosse, sous le titre de : 
'' Fragmentum Chronici Flav, D ex tri 
cunt chronico Marci Maximiy et addi" 
tionibus S. Branlionis et Helecanir 

Ces ouvrages supposés étaient com- 
posés avec beaucoup plus d'ingéniosité 
que ceux de Bérose et de Manéthon, 
dont nous avons parlé ci-dessus. 
C'est ce qui fut la cause que l'on eut 
bien plus de foi en leur authenticité. 
Toutefois comme les savants ne 
purent jamais obtenir de voir le 
manuscrit original, et remarquèrent 
quelques anachronismes, des doutes 
commencèrent à s'élever. Puis Gabriel 



Essai sur Le Pastiche. 6 1 

Pennoty augustin de la Navarre, publia 
un examen de la chronique, dans lequel 
il donnait d'excellentes raisons pour 
prouver Fin vraisemblance de ces docu- 
ments, et malgré la défense qu'entreprit 
Th. VargaSy la supposition d'auteur 
fut définitivement reconnue par le 
monde lettré.* 

Higuera n'eut pas le chagrin de voir 
ce résultat, car il mourut en i6i i, huit 
ans avant la publication de cette his- 
toire critique, et soutenant toujours 
l'antiquité de son œuvre. 

Ceci se passait sous Philippe III., 
gouverné, de même que l'Espagne, par 
le duc de Lerme. Dix ans plus tard 

^ Voir Historia critica de los falsos croni- 
cones de Senor Alcantara. L'auteur décrit avec 
précision l'origine, la formation, et les vicissitudes 
de ces chroniques. 

Pour ce qui concerne les supercheries litté- 
raires de l'Espagne, on doit consulter l'excellente 
histoire de la littérature de l'Espagne, par George 
Ticknor, 3 vols. 8**. 



62 Essai sur Le Pastiche. 

Philippe IV. montait sur la trône, 
encore mineur, sous la tutelle du 
duc d'Olivares, qui créait comte de la 
Rocay un des plus habiles écrivains 
de pastiches trompeurs qu'ait produits 
l'Espagne. 

" Don Juan Antonio de Vera y 
Zunîga " annonça qu'il avait dé- 
couvert un in 4° imprimé à Burgos en 
1499, renfermant cent et cinq lettres 
de Ferdinand Gomez de Cibdareal^ 
médecin et confident du Roi Jean III., 
recueil intitulé : " Centon Epistolario." 
Cette correspondance, qui avait eu lieu 
entre 1425 et 1454, rapportait des 
faits très intéressants, et des détails 
anecdotiques sur des événements d'une 
haute importance. Pendant près de 
deux cents ans, ce livre réimprimé 
en 1775? par le secrétaire de 
l'Académie Historique d'Espagne, fut 
cité comme autorité dans maints 
ouvrages. Dans l'intervalle, l'esprit 



Essai sur Le Pastiche. 63 

de recherches et d'examen avait fait 
des progrès. L'on analysa plus 
scrupuleusement, et Ton trouva 
d'abord que dans aucune chronique, 
histoire, ni correspondance, on ne ren- 
contre le nom d'un Gomez de Cibda- 
real, médecin et confident du Roi 
Jean. 

Cependant les renseignements sur 
la cour de ce souverain sont abondants. 
Ensuite aucun manuscrit de cette cor- 
respondance avec les principaux per- 
sonnages du royaume, n'existe nulle 
part Enfin tous les bibliographes 
s'accordèrent à dire que l'édition 
de Burgos de 1499 est fictive, et 
accuse une impression postérieure à 
1600. 

L'ouvrage présente aussi plusieurs 
anachronismes dans les faits et dans 
le style. On y rencontre des phrases 
et l'emploi de mots inconnus avant la 
première moitié du seizième siècle. 



64 Essai sur Le Pastiche. 

Somme toute, la supposition d'auteur 
devînt évidente, et fut duement con- 
statée. 

On voit, comme nous Tavons dit, 
que c'était vraiment en Espagne Tâge 
d'or des supercheries littéraires. 

L'Italie et la France ne restaient 
pas en arrière dans la même voie. 

" Vesiigia retrb 

Observata sequor^^ 

semblait être la devise. 

Martin Fumée^ sieur de Genillé, 
publia en 1599, comme traduit du grec 
d'Athénagoras, philosophe Athénien, 
qui florissait vers la fin du deuxième 
siècle, " Les amours honnêtes de 
Théogone et de Charide ; de Férécide 
et de Mélangénie." 

Ce fut, comme presque toujours, 
l'impossibilité de trouver la moindre 
trace du texte grec de ce livre, qui 
éveilla les soupçons, et Ton reconnut 
bientôt que c'était encore là, une sup- 



Essai sur Le Pastiche. 65 

position d'auteur et un pastiche de 
romans connus.^ 

" Corpus putat esse^ quod umbra est," 

Une supercherie d'une toute autre im- 
portance fut pratiquée en Italie un 
peu plus tard. 

Curzio yngkerami^ érudit qui s'était 
occupé toute sa vie d'antiquités, publia 
des fragments d'histoire ,étrusque soi- 
disant écrits par un certain Prosper 
FesulantiSy en l'an 700 de Rome. 

On y établissait entr'autres faits 
historiques, qu'il y avait eu des rap- 
ports entre les Etrusques et les 

^ Voir Struviusy De dociis impostoribus, 
A propos de ce roman, rappelons ici la dis- 
cussion qui n'est pas encore fermée, au sujet 
d'un autre roman grec, beaucoup plus célèbre, 
** Daphnis et Chloky' que quelques critiques re- 
gardent comme un pastiche élégant du neuvième 
siècle, œuvre ingénieuse et patiente d'un homme 
de goût, égaré dans la barbarie d'un âge ignorant. 
Consultez Les Romanciers Grecs ei Latins^ par 
Victor Chauvin, p. 134. 

E 



66 Essai sur Le Pastiche. 

Hébreux; que le roi David avait 
imité, dans ses écrits, ceux de Noé et 
de ses descendants. Cette chronique 
rapporte même des discours et des 
anecdotes de Noé.^ 

Léon AUatius et Henri Ernst 
eurent beau donner des preuves de la 
fausseté de cet ouvrage, yngherami 
défendit Tauthenticité de sa décou- 
verte, en faisant imprimer à Florence, 
en 1637, un gros in 4*" intitulé, " Dis- 
corso sopra Topposizione fatte air anti- 
chità Toscane." Attaqué de nouveau 
avec renfort d'arguments, il céda, et 
s'excusa, en disant qu'il s'en était laissé 
imposer par un faussaire. Ceux qui se 
sont occupés de la question, pensent 
qu'il y a des raisons pour croire en sa 
bonne foi.* 

Le souvenir de cette invention était 

1 D'Israeli,"Curiosities of Literature," tom.iii. 
^ Dictionnaire Critique de Bayle, et Huet : 
Traité de l'origine des Romans. 



Essai sur Le Pastiche. 67 

presque effacé, lorsqu'un aventurier 
sicilien, Joseph Valla, annonça qu'il 
avait découvert les livres de Tite-Live 
qui nous manquent C'était une tra- 
duction en Arabe qu'il avait achetée 
d'un Français, lequel avait enlevé le 
manuscrit des rayons de la biblio- 
thèque de Constantinople. 

Il ajoutait qu'il possédait aussi un 
codex, provenant de la même source, 
et contenant l'histoire de la Sicile 
durant la domination des Arabes. 
Comme il montrait les manuscrits 
arabes, il obtint la confiance, et ces 
trésors historiques attirèrent honneurs 
et pensions sur leur heureux pos- 
sesseur. Le roi de Naples lui fournit 
de l'argent pour continuer ses re- 
cherches. Enfin, un volume fut pu- 
blié, mais un orientaliste découvrit, 
peu après, que le texte du manuscrit 
arabe sur la Sicile avait été falsifié, 
page par page, et presque ligne par 



68 Essai sur Le Pastiche. 

ligne. L'original ne contenait autre 
chose qu'une histoire de Mahomet et 
de sa famille. 

Valluy condammé à l'emprisonne- 
ment et menacé de la torture, avoua 
sa malheureuse supercherie.^ 

Le Portugal, à son tour, vît le pastiche 
s'emparer d'un petit chef-d'œuvre, les 
Lettres Portugaises^ écrites vers 1663, 
par Mariana Alcaforada^ et telle- 
ment admirées dans le siècle de Louis 
XIV., qu'elles étaient comparées à 
celles d'Héloïse à Abailard. La meil- 
leure édition en a été donnée par M. 
de SoMza^ qui démontra l'authenticité 

* Ilyeutplusieurssavantsdecenom: V Laurent 
Valla^ au xv°* siècle, qui réfuta la prétendue 
donation de Constantin ; a"*' George Valla^ qui 
fleurit vers la fin du même siècle, et expira 
comme Thérésiai-que Arius; 3"* Nicolas Valia, 
à la même époque, traducteur de l'Iliade et 
d'Hésiode. Notre faussaire a été oublié par 
Bayie, Voir "Curiosités Littéraires," ^^zxLalanne, 

« Paris : F. Didot 1824, In 12°. 



Essai sur Le Pastiche. 69 

des cinq* premières, maïs qui émît 
ropînîon que les sept autres n'étaient 
qu'un pauvre pastiche fabriqué par 
un écrivain français, dans un but de 
spéculation de librairie.' C'est un 
mélange d'affectation et de recherche 
en contradiction avec les usages por- 
tugais. 

Les écrivains de faux mémoires, 
tels que nous en verrons un si 
grand nombre au dix-neuvième siècle, 
avaient déjà un modèle à suivre dès 
le dix-septième. 

Sandras de Courtilz, né en 1644, 
fut célèbre en ce genre. Il composa 
les Mémoires de D'Artagnan,* de la 
Marquise de Fresne^ à^ La Fontaine^ 
du Marquis de MontbrtcUy etc. Sa 

^ Consultez, à ce sujet,** l'Histoire Littéraire du 
Portugal et du Brésil," par^. ^Ferdinand Denis ^ 
ouvrage devenu rare et qui mériterait d'être 
réimprimé. 

* Lesquels Alexandre Dumas n*a fait que 
copier dans ses ** Trois Mousquetaires." 



70 Essai sur Le Pastiche. 

manie était poussée si loin, qu'il pu- 
bliait parfois de faux mémoires lorsque 
les véritables existaient : tels sont ceux 
du Marquis de Langallerie^ sur la 
guerre d'Italie, écrits par lui-même 
dans sa prison à Vienne, et publiés 
par Gautier de Fagel^ en 1 743.^ 

Toutes les productions sémi-his- 
toriques de cet auteur fécond ne 
méritent aucune confiance. 

Arrêtons-nous ici un moment à des 
suppléments d'auteur, véritables pas- 
tiches, parcequ'ils ne furent jamais 
avoués par ceux qui les composèrent 
avec l'intention de tromper le public. 

Aujourd'hui, l'authenticité de plu- 
sieurs fragments ajoutés au roman 
satirique de Pétroney n'a plus de par- 
tisans; mais il y eut une époque où ils 
soulevèrent leS passions de la critique, 

^ Niceron a consacré un article à Sandras de 
Courtiiz, ainsi que Quérard^ dans ses " Super- 
cheries Littéraires," tome il p. 523. 



Essai sur Le Pastiche. 7 1 

et passèrent par des phases assez 
curieuses pour nous engager à entrer 
dans quelques détails. 

On sait que c'est au Pogge^ ce cé- 
lèbre dénicheur de manuscrits anciens, 
que nous devons la première connais- 
sance d'un livre de Pétrone,Mécou verte 
encore bien partielle, car il parait que 
les nombreux écrivains qui n'ont cessé 
de citer cet auteur pendant les six 
premiers siècles de notre ère, avaient 
des textes beaucoup plus complets 
que les nôtres. 

Un très-ancien manuscrit, provenant 
des dépouilles du sac de la ville d^ 
Bude, lorsqu'elle fut prise par le 
fameux Mathias Corvin, passa de la 
bibliothèque de ce prince, dans celle 
de Pierre Pi t hou} 

Ce savant le compara avec d'autres 
manuscrits du SatyricoUy et trouva 
qu'il contenait des additions impor- 

1 1380-1459. « i 539-1596. 



72 Essai sur Le Pastiche. 

tantes. Comme il n'y avait pas le 
moindre doute sur son authenticité, il 
le publia. Les commentaires qui sui- 
virent cette publication, excitèrent la 
curiosité, et les savants ambitionnèrent 
la gloire de compléter l'œuvre de 
Pétrone. C'est alors que yean Lucius^ 
de Frau, en Dalmatie, publia à 
Padoue, en 1664, un nouveau manu- 
scrit découvert dans la bibliothèque 
de Nicholas Cippi. Il contenait un 
fragment inconnu considérable,^ qui 
fut reproduit par les presses des prin- 
cipales villes de l'Europe. 

On mit une ardeur extrême à at- 

• 

taquer l'authenticité du manuscrit de 
Frau. On s'imagina que les additions 
n'étaient qu'un jeu d'esprit de quelque 

^ Il commence par les mots : " Ipsc nescit quid 
habmV (chap. 37), et finit par: ^^ Ex incendia 
fugimus (chap. 78), ce qui fait 41 chapitres, 
(moins le 55"* déjà connu), sur les 141 qu'on 
trouve dans le Pétrone de Burmann et dans 
celui à! Anton. 



Essai sur Le Pastiche. 73 

savant, qui avait su imiter le style de 
Tauteur latin. Enfin, le célèbre Lyon- 
nais, yacob SpoHj se convainquit, après 
avoir soigneusement examiné le manu- 
scrit, que le fragment nouveau était 
bien authentique, et cette opinion fut 
généralement adoptée.^ 

L'œuvre encore incomplète de 
Pétrone en était là, lorsqu'en 1693, 
François Nodot, officier français, publia 
à Paris, un Satyricon soi-disant com- 
plet d'après le manuscrit original d'un 
renégat grec, manuscrit d'une antiquité ^ 
de mille ans, et acheté durant le siège 
de Belgrade. 

Malheureusement on ne put jamais 
obtenir de voir ni l'original, ni la copie 
que Nodot dit avoir prise. Les débats 
prouvèrent que nous n'avions ici 
qu'un véritable pastiche, et même un 

^ Voir " Nouvelles recherches historiques 
et critiques sur Pétrone," par J. E. Pétrequin. 
I vol. gr. in 8". Paris ; Ballière. 1869. 



74 Essai sur Le Pastiche. 

pastiche maladroit d'après une savante 
critique.* 

Ce fut Basnage qui poussa le cri 
d'alarme, dès que le Pétrone de 
Nodot vit le jour. Celui-ci se défen- 
dit d'être l'auteur de ces additions, 
avec une ténacité qui ne s'est jamais 
démentie. L'auteur des Matana- 
siennes^ que nous avons déjà cité, 
conjecture que cette dénégation pour- 
rait bien être fondée, et montre qu'il 
y a des probabilités pour croire que 
*ces derniers fragments furent corn- 
posés par Nicolas Chorier^ auteur 

^ Voir "Observations sur le Pétrone trouvé 
à Belgrade en 1688, et imprimé à Paris, en 
1693, et ^ Lyon, Tannée suivante," i vol. in 12°, 
de 2 1 4 pages. 

Cela n'a pas empêché que tous les éditeurs 
de Pétrone depuis 1693, jusqu'aujourd'hui, ont 
cru devoir reproduire les fragments de Nodot, 
parcequ'ils remplissent ingénieusement les la- 
cunes du récit. Néanmoins tous s'accordent à 
les déclarer supposés. 



Essai sîir Le Pastiche. 75 

de XAloysia^ et par son ami P. 
Ltnage. 

Depuis longtemps les discussions 
relatives au Pétrone de Nodot avaient 
cessé, et la question était chose 
jugée, lorsque l'attention des érudits 
fut réveillée en i Soc, par la publication 
d'un nouveau passage de l'auteur 
latin, trouvé, disait-on, dans la biblio- 
thèque de Saint-Gall. Il remplissait 
la lacune que l'on soupçonnait dans 
l'endroit du chapitre 26, où Encolpe 
regarde avec Quartilla^ par les fentes * 
de la porte, les jeux de Giton et de la 
petite Pannychis. 

Ce fragment n'est qu'un pastiche, 
dît Charles Brunet, dans son " Manuel 
du Libraire;" mais lauteur, caché sous 
le nom de Lallemand, a imité avec 
tant de perfection l'esprit et la manière 
de Pétrone, que plusieurs savants s'y 
trompèrent d'abord.^ Le véritable 

^ Noël, dans son édition de CatulUy a repro- 



76 Essai sur Le Pastiche. 

auteur était Joseph Marchéna, littéra- 
teur espagnol, employé dans Tadmi- 
nîstration de Tarmée du Rhin.^ En- 
couragé par ce premier succès, il fit 
ensuite imprimer chez Firmin Didot, 
un prétendu fragment de Catulle^ qui 
cette fois ne trompa personne : ^ 

" Fructu non respondente lahori^^ 

comme dit Ovide. 

Afin de résumer tout ce qui re- 
gardait les pastiches de Pétrone^ nous 
avons interrompu Tordre chronologique 

duit le morceau qu'il considère aussi comme 
une parfaite imitation de Toriginal. Il est omis 
dans la traduction de Pétrone, par Béguin de 
Guérie, mais texte et traduction sont donnés 
dans le Pétrone de Baillard, publié sous la 
direction de Nisard, 

^ G. Peignot a décrit l'historique des super- 
cheries de Nodot et de Marchéna, dans son 
" Dictionnaire raisonné de Bibliologie," et dans 
son " Répertoire de Bibliographie Universelle." 

2 Frédéric Schoell, Répertoire de la Littéra- 
ture ancienne, 2 vols. 8**. Paris, 1803. 



Essai sur Le Pastiche. 77 

de notre récit Revenons à la fin du 
dix-septième siècle. 

On sait que Louis Racine avait fait 
des notes marginales à de fausses lettres 
de Madame de Maintenant si parfaite- 
ment imitées, que ces notes sur les 
détails qu'elles renferment, ont été 
reconnu fondées de tous points. 
Voltaire, que l'on retrouve partout, 
quelque sujet que Ton traite, s'est 
moqué de ces lettres et des pastiches 
en général, dans son " Commentaire 
Historique" qui n'a pas été reproduit 
dans toutes les éditions: " En France, 
dit-il, nous avons eu de puissants génies 
à deux sols la feuille, qui ont fait des 
lettres dé Ninon, de Maintenon, du 
Cardinal Alberoni, de la Reine Chris- 
tine, de Mandrin, etc. Le plus naturel 
de ces beaux esprits était celui qui 
disait:^ Je m'occupe à-présent à faire 
des pensées de La Rochefoucauld." 

^ Capron, dentiste très connu de son temps. 



78 Essai sur Le Pastiche. 

Après ce ton dédaigneux pour ceux 
qui composent des pastiches, soup- 
çonnerait-on que Voltaire se fût laissé 
aller . plus d'une fois à essayer de 
tromper le monde en ce genre ? Trois 
lettres de Caius Memmius Gemellus à 
Cicéron} présentées une fois au public 
comme traduites du latin en russe, sur 
un manuscrit de la bibliothèque du 
Vatican, et du russe en français, furent 
réimprimées dans les " Questions sur 
l'Encyclopédie," où, pour mieux faire 
croire à leur authenticité, il prévient 
le crédule lecteur que les savants les 
ont reconnues pour être véritablement 
de Memmius. Dans une lettre à 
D'Alembert, du 27 Novembre 1772, 
Voltaire en parle dans le même sens, 
et soutient sa fraude, qui fut bientôt 
avérée. On peut dire que c'était là 

^ Ce fut pour ce Memmius que Lucretius 
Carus composa son grand poème, " De naturâ 
renim." 



Essai sur Le Pastiche. 79 

une plaisanterie ; mais la bonne foi ne 
peut guère admettre que tant de pré- 
cautions soient prises pour Tentourer 
de toutes les apparences de la vérité. 

Si Voltaire est, d'après Quérard, 
l'écrivain français qui a poussé le plus 
loin la manie de la supposition d'auteur 
et du pseudonyme, il s'est néanmoins 
laissé prendre au même piège. On 
lit dans sa " Philosophie de l'Histoire :" 
"Un hasard fort heureux a procuré à 
la bibliothèque de Paris, un ancien 
livre des Brames, c'est VEzotir- Védam, 
ou commentaire des Védas, écrit avant 
l'expédition d'Alexandre dans l'Inde. 
C'est un des plus précieux manuscrits 
de l'Orient." Il en reparle encore 
dans La Défotse de mon oncle. 

Or cet " Ezour-Védam " que le 
Baron de Sainte-Croix publia en fran- 
çais, en 1778, n'est qu'un pastiche 
religieux. 

Le manuscrit sanscrit, bien loin de 



8o Essai sur Le Pastiche. 

renfermer la véritable doctrine des 
anciens Brahmes, tend à saper cette 
doctrine pour la remplacer par celle 
du Christianisme. 

Les savants ont établi que ce pré- 
tendu commentaire des Védas a été 
fabriqué par quelque missionnaire 
catholique, mettant en pratique le 
veris fa Isa reniiscet d'Horace. On 
a trouvé dans la bibliothèque des 
missionnaires à Pondicherry d'autres 
parties des Védas, travesties de la 
même manière.^ 

Une supercherie à peu près du 
même genre a trompé le savant 

* Voir Asiatic Researches^ vol. xiv., Calcutta, 
1822, in 4^, oti Ton trouve à ce sujet une notice 
de Francis Ellis. 

La traduction française de ce faux Ezour- 
Védam, avec observations préliminaires de 172 
pages, et des éclaircissements historiques de 
259 pages, 2 vols, in 12°, Yverdon, imprimerie 
de M. De Felice, 1778, est devenu un livre fort 
rare. Il existe aussi une traduction allemande. 



Essai sur le Pastiche. 8 1 

sanscritîste, Sir William Jones. Un 
Hindou, désireux de s attirer la faveur 
des pieux Européens, composa un 
pastiche d'un nombre de versets du 
Purana^ dans lesquels il introduisit 
l'histoire de Noé et de ses enfants, 
sous la désignation de Satyavatra. 
Il communiqua ce travail au capitaine 
Wil/ordy lequel en fit part à Sir Wil- 
liamJoneSyqui en donna une traduction 
comme un fragment des plus curieux. 
Ce ne fut qu'après la collation de 
plusieurs manuscrits des Puranas, 
qu'on s'aperçut de la fraude.^ 

Malheureusement toutes ces fraudes 
n'ont pas été découvertes si vite. 

Une publication qui attira latten- 
tion publique au dix-huitième siècle, 
trompa les historiens pendant vingt 
ans. Ce fut /a Rym-Kronyck^ etc. door 
Broeder Klaas Kolyn^ publiée dans les 
" Analecta Belgica," de Gérard Duni- 

^ " Curiosities of Literature," par Isaac d'Israeli. 

F 



82 Essai sur Le Pastiche. 

bar, et attribuée à un Bénédictin de 
TAbbaye d'Egmont, près de Haarlem, 
qui vivait vers la fin du douzième 
siècle. Cet ouvrage obtint la con- 
fiance générale, et on le cita dans 
nombre de travaux historiques. A la 
longue cependant le doute s'éveilla, 
et enfin les recherches de Wagenaary 
de Van Wyn, et d'autres critiques, 
prouvèrent que le moine était bien 
innocent dans cette cause, et que 
c'était l'œuvre d'un avocat de Boîs-le- 
Duc, nommé Henri Graftanty aidé 
d'un graveur, Régnier de Graaf. Ce 
fut ce dernier qui révéla la vérité, lors 
de la vente à Corneille van Alkemade, 
du manuscrit original.^ 

La France, au siècle dernier (et 
durant celui-ci, comme nous le verrons 
bientôt) a été peut-être de tous les 

^ Voir Foppens, " Bibliotheca Belgica ;" Van 
Wy n, " Loisirs Domestiques ; " et Ypey, " H istoire 
de la Langue Hollandaise." 



Essai sur Le Pastiche. 83 

pays, le plus fécond en pastiches et 
en supercheries littéraires, comme le 
prouvent suffisamment les travaux bi- 
bliographiques de Tinfatigable Quérard. 
De 1757 à 59 l'habile ministre de 
Louis XV., Choiseuly composa, dans 
un intérêt politique, un curieux pastiche 
dans une collection de lettres supposées 
écrites d'Amérique par le général 
français, Marquis de Monicalm, à son 
cousin M. De Berryer^ résidant en 
France. On y trouve une très-juste 
appréciation de la situation des 
colonies d'Amérique, et une prédic- 
tion bien nette de la Révolution qui 
se préparait Ces lettres eurent le 
plus grand retentissement dans les 
deux continents. Bancrofty dans son 
Histoire des Etats Unis, les qualifie 
nettement de contrefaçon.^ 

* VoL iv. chap. ix. page 128, en note. Voir 
aussi Notes and Queries^ 4™* Série, viii.. Novem- 
bre II, 187 1, page 397. 



84 Essai sur Le Pastiche. 

Les Mémoires de Bachaumont rap- 
portent qu'en 1773, un pamphlétaire 
inconnu, hostile aux derniers ministres 
de Louis XV., fit paraître une soi- 
disant lettre du père Caussin au Cardinal 
de Richelieu^ qui contrefaisait merveil- 
leusement le style figuré de ce temps- 
là, ainsi que la manière du vieux 
Jésuite. Elle peut être considérée 
comme un pastiche remarquable, ajoute 
notre auteur. 

Nous avons déjà signalé un des plus 
fameux pasticheurs de cette époque, 
Courtilz de Sandras} 

Lors de la nouveauté du poème de 
Voltaire, " La Guerre de Genève," 
la société de Paris courut après les 
chants épars de cet ouvrage, dont 

^ A notre époque il a trouvé un continuateur 
du genre, qui, par sa prodigieuse fécondité, a 
surpassé son modèle, nous voulons parler de 
Lamothe-Langoriy au sujet duquel on peut con- 
sulter Quérard, 



Essai sur Le Pastiche. 85 

on avait le premier sans le second, le 
troisième sans le quatrième. C'est 
alors que Cazotte imagina de donner 
le septième chant de la Guerre de 
Genève, pour satisfaire Timpatience du 
public, et pour jouer un tour au poète. 
Il l'intitula septième chant, pour flatter 
l'espérance des amateurs auxquels il 
eut la satisfaction d'entendre dire, 
trompés qu'il étaient, que puisqu'il. 
y avait sept chants, on pouvait se 
flatter d'en avoir au moins douze. 

Pendant huit jours l'ouvrage passa 
pour être de la même main que le 
commencement 

On y suppose les événements des 
gme çx. 6"™^ chants qui n'ont jamais 
été faits par Voltaire. Vachine, la 
sorcière dont la baguette a causé les 
désordres précédents, métamorphose 
l'Ennui en brouillard épais qui 
s'appesantit sur la ville. Les dames 
de Genève pour se dérober à son 



86 Essai sur Le Pastiche. 

influence, se sauvent à Ferney, chez 
Voltaire : — 

" Déjà l'Ennui, par le bruit écarté, 
Craignant bientôt d'entendre la trompette, 
Abandonnait les murs de la cité : 
Vers les Grisons méditant sa retraite, 
Il s'éloignait d'un vol pénible et lourd. 
Opprimant Tair qui lui livre passage. 
Oii vas-tu donc ? es-tu fou ? es-tu sourd ? 
Arrete-toi, retarde ton voyage, 
Dit une voix dont il connaît l'accent. 
Il reconnaît la sorcière, et descend." 



''La Guerre de Genève, une des 
taches de la vieillesse de Voltaire, 
dit La Harpe^ misérable production, 
aussi mal conçue que mal écrite, eut 
pourtant un moment de succès, et 
donna lieu à un plaisant pastiche." 

Pendant quelque temps, Horace 
parut être en France l'auteur ancien 
dont on affectionna de donner des 



^ "Cours de Littérature,'' tome iii., page 224, 
édition in 8" d'Agasse, an vii. 



Essai sur Le Pastiche. 87 

pastiches au public. Sans parler d'une 
huitaine d'hexamètres placés à la 
tête de la dixième satire du 1*^ livre/ 
ni des vingt vers imaginés par je ne 
sais quel confrère de Nodot^ pour 
remplir un vide que plusieurs avaient 
soupçonné dans Tode à Manucius 
Plancus^ racontons la découverte de 
M. Edm. Ch. Genêt f frère de Madame 
Cam/fan,dcdtux petitesodes d'Horace, 
jusqu' alors inconnues. Elles avaient 
été trouvées par un prince Gaspar 

^ Voir rédition de Daciery et le Dictionnaire 
de Bayk^ à Tarticle Lucilius. 

2 M. F. Parison dit les avoir trouvés écrits 
sur un vieil exemplaire d^Horcue qui paraissait 
avoir appartenu à G. Bachet de Mèziriac\ — 
" Auraient-ils-été fabriqués par le savant acadé- 
micien?" suggère Fauteur du pamphlet d'où 
nous tirons ces renseignements. 

' Alors jeune secrétaire d'ambassade, et qui 
devait être plus tard ministre de France aux 
Etats Unis, où il présenta au Président Jackson^ 
une fausse médaille de Jules César qu'il prétendit 
avoir déterrée. 



88 Essai sur Le Pastiche. 

Pallavicini, dans un vieux manuscrit 
de Rome. On n'explique pas com-i 
ment une copie passa du noble per- 
sonnage à M. Genêt 

Quoiqu'il en soit, celui-ci s'empressa 
de communiquer cette précieuse trou- 
vaille au savant (TAnsse de Villoison, 
qui les inséra dans les notes d'une 
édition de Daphnis et Chloé dont il 
s'occupait alors. Ces deux odes nou- 
velles étant venu à la connaissance du 
prince Egon de Furstemberg, qui faisait 
imprimer à Prague une édition de 
luxe d'Horace} il les intercala dans 
son texte. 

Lemaire, Van der Bourg et d'autres 
ont montré que ces vers ne peuvent 
être attribués au grand poète romain, 
et que même le prince Pallavicini ne 

^ Deux volumes in 8°. Cette édition publiée 
sans date, et sans nom d'imprimeur, était en- 
tièrement destinée à des présents. Cest un 
livre d'une excessive rareté. 



Essai sur Le Pastiche. 89 

fut pas le plus adroît des faiseurs de 
pastiches, car nul autre ne doit être 
réputé coupable de la composition de 
ces vers que cet homme de loisir 
trouva tout simple de mettre sur le 
compte (t Horace. ^ 

" Hahet sua qtiisque pericuîa lusus/* 

On a du reste de lui, d autres essais 
en ce genre. 

Il est possible qu'il ait été encou- 
ragé par le succès des Lettres de Gan- 
ganelli (Clément XIV.), fabriquées 
par le Marquis de Caraccioliy et pu- 
bliées en 1 779. Tout le monde en a été 
longtemps la dupe. Il en fut de même 
des vigoureux pamphlets qui rendirent 

* Voir sur toute cette affaire une curieuse 
brochure anonyme, intitulée : ** Une imposture 
littéraire, appendice aux Mélanges Philologiques 
de Chardon de la Rochette, d'après son manu- 
scrit complété par P. F. T. Servan de Sugtiy ; 
in 8° de 39 pages/' Ces deux odes pastiches 
out trouvé place dans l'édition polyglotte 
d'Horace, par Monfaîcon, 



ço Essai sur Le Pastiche. 

Boulanger odieux aux catholiques, et 
dont Damilaville étBÀt l'auteur, comme 
maintenant on le sait à n'en pas 
douter. ^ 

Une des plus heureuses super- 
cheries de la dernière moitié de ce 
siècle, fut la chanson attribuée à 
Marie Stuart : — 

** Adieu ! plaisant pays de France, 
O ma patrie 
La plus chérie. 
Qui a nourri ma jeune enfance." 

Elle parut pour la première fois en 
1765, dans XAntliologie Française 
(4 vol. 8^), comme tirée du manuscrit 
de Buckinghantj et la supposition fut 
répétée jusque dans la première 
édition de la Biographie Univer- 
selle de Michaud. Cependant dans 
le volume de Septembre 1781, de 

^ Nodier, " Questions de Littérature Légale,** 
page 74. 



Essai sur Le Pastiche. 91 

r Esprit des Joumatix^ on prouve déjà 
que la Reine d'Ecosse, qui n'a jamais 
fait que de très pauvres vers, ne peut 
être Fauteur de ceux-ci. 

Philareste Chasle^ Viollet-le-Duc^ 
et Sainte Betive^ eurent beau répéter 
la même chose, M. Dargand, dans une 
vie de Marie Stimrt^ publiée il y a 
peu de temps, persiste à dire : " Ces 
vers sont désormais inséparables du 
nom de cette reine, qui les acheva 
quelques semaines plus tard à Holy- 
rood." 

Il faut restituer ces vers à un 
journaliste, Meunier d£ Querlon, fabri- 

^ " Mélanges d'Histoire et de Littérature," par 
M. De Yillmfagne, 

* Revue des deux mondes, du i*' Juin 1844. 
^ Bibliothèque Poétique, 2*"* Partie, page 20. 

* ** Derniers Portraits Littéraires," page 63. 
M. Feuillet de Couches a également donné 

quelques détails sur ces vers, dans ses Caur 
séries (Tun Curieux ^ tome iv., page 424. 



92 Essai sur Le Pastiche. 

cant d'autres pastiches ingénieux,^ et 
qui finitparavouer son innocente fraude, 
dans une lettre à Mercier de St Léger. 

La fille de Querlon, dont la mémoire 
anecdotique était encore fraîche, dans 
un âge avancé, s'égayait volontiers sur 
la crédulité publique, à propos des 
suppositions d'auteur et des pastiches 
de-son père. Celui-ci avait puisé 
ridée dans Brantôme qui fait exprimer 
en prose, à Marie Stuart, les mêmes 
regrets, presque dans les mêmes termes 
que r Anthologie lui prête en vers. 

N'oublions pas, à propos de cette 
chanson supposée, de rappeler des 
pastiches vraiment tragiques, des vers 
et des lettres de cette reine d'Ecosse, 
qui ont principalement contribués à sa 
condamnation. L'innocence ou la 
culpabilité de Marie Stuart est une 

^ Voir "Les Innocentes Impostures, ou 
Opuscules par M .*' Magdebourg, 1761. 

" UEsprit dans Thistoire," par Ed. Fournier, 
page m. 



Essai sur Le Pastiche. 93 

questîon historique qui dépend de 
l'authenticité ou de la fausseté d'une 
correspondance avec le Comte de Both- 
welly son troisième mari. 

Cette correspondance était renfer- 
mée dans un coffret d'argent ayant 
appartenu à François 11.^ et que Both- 
well oublia dans le château d'Edim- 
bourg, lorsqu'il prit la fuite. 

Deux publications récentes ont 
renversé l'accusation qu'avait soutenue 
M. Mignet, dans sa " Vie de Marie 
Stuart," et elles ont prouvé jusqu'à 
l'évidence, que les lettres et papiers 
qui ont formé la base de la condamna- 
tion, n'étaient que de mauvais pas- 
tiches et une coupable supposition 
d'auteur.^ Ils furent forgés par les 

^ Voir : L. Wiesener, " Marie Sluart et le 
Comte de Bothwell." Paris, 1863. 8^ 
«* Maiy Stuart and the Casket Letters." By 
T. F. N., with an Introduction by H. Glassford 
Bell. London: Hamilton, Adams & Co. 1870. 
8^ Voir aussi le Gentleman^ s Magazine de 1760, 



94 Essai sur Le Pastiche. 

ennemis de la reîne, surtout par le 
traître Bîuhanan^ et Ton y énonce des 
sentiments et des faits, en contradic- 
tion directe avec la vérité. 

Z. Wiesener qualifie de la manière 
suivante les documents accusateurs : 
" Le mensonge y est flagrant partout ; 
le mensonge par insinuation, le men- 
songe qui se ménage, en détournant 
le sens des faits, le mensonge qui les 
suppose hardiment, le mensonge qui, 
à propos, sait approprier à ses fins un 
lambeau de vérité, ou se cacher 
derrière elle, le mensonge qui s'atten- 
drit, celui qui s'indigne, en un mot, un 
chef-d'œuvre de mensonge. Et c'est 
par de pareils documents que Mignet 
s'est laissé guider ! * 

Les Lords se réunissent en armes 
contre la reine, au commencement de 
Juin, sous prétexte des faits men- 

* L. Wiesener fournit les preuves de cet 
enchaînement de mensonges. 



Essai sur Le Pastiche. 95 

donnés dans ces lettres ; elle est faite 
prisonnière le 1 5 de ce mois, enfermée 
le 16 à Lochleven, et ce n'est que le 20 
que se trouve le coffret ! Le 26 Juin, 
une proclamation dénonce Bothwell^ 
comme meurtrier de Damley^ et publie 
l'emprisonnement de la reine; mais 
nulle mention n'est faite de ces lettres 
si terriblement accusatrices. 

Le 17 Juillet suivant, un acte du 
Conseil de Régence ôte à Marie 
Stuart sa liste civile, mais dans les 
motifs, rien encore quant aux lettres. 
Bien plus, dans tous les Conseils tenus 
par les révoltés, du 20 Juin au 4 Dé- 
cembre, il n' y a pas la moindre allu- 
sion à ces pièces fatales. Un ambas- 
sadeur français arrive en Ecosse, le 
23 Juin, pour prendre connaissance des 
causes de la captivitié de la souveraine, 
mais on ne lui parle aucunement de 
cette correspondance. Throgmortoft, 
l'envoyé de la reine Elisabeth, n'en 



96 Essai sur Le Pastiche. 

sait rien non plus. Ce n'est que 
lorsqu'une assemblée générale a prié 
le Régent et les Lords du Parlement 
de faire connaître les causes de la 
détention de Marie^ qu'il est enfin fait 
mention de ces coupables lettres, dans 
un acte du Conseil secret du 4 Dé- 
cembre 1567, et c'est le 20 Juin que 
le coffret avait été trouvé ! 

La reine d'Angleterre demande 
qu'on lui communique ces documents, 
et on en transmet une traduction en 
Anglais, sous prétexte que plusieurs 
sont écrites en écossais, dialecte ignoré 
de Marie. Enfin l'accusée elle-même, 
malgré ses demandes réitérées, ne 
put jamais obtenir de voir ces pièces, 
même en copie, quoiqu'elle déclarât 
pouvoir prouver leurfausseté. En effet, 
le contenu montre à l'évidence que 
Buclianan les traduisit en latin, sur un 
texte écossais, et nous venons de le 
dire, la reine ne parlait pas ce dialecte. 



Essai sur Le Pastiche. 97 

Ce qui démontre encore mieux la 
fraude, c'est que le régent Murray 
soutint plus tard, à Londres, que les 
originaux étaient en français, assertion 
contradictoire. Jamais ces originaux 
ne furent communiqués, jamais ils ne 
furent imprimés, et ils disparurent dès 
le seizième siècle, ne laissant subsister 
que les menteuses accusations de 
Buchanan. 

Mignet, dans son ouvrage cité plus 
haut, a consacré l'appendice G. de 
son premier volume, à Texamen de 
l'authenticité de ces lettres de Marie 
Stuart, et il se pose ces deux ques- 
tions : — I. Les copies qui nous restent 
de ces documents, sont-elles con- 
formes, quant au contenu, aux 
originaux perdus ou détruits ? 2. 
Ces originaux étaient-ils de la main 
de Marie ? 

Mignet répond affirmativement ; 
mais le professeur Wiesener démontre 

G 



98 Essai sur Le Pastiche. 

sans réplique que c'est sans preuves 
valables.^ 

Après cette digression rétrospective 
que le pastiche de Meunier de Querlon 
nous a mis en mémoire, revenons à la 
fin du 1 8"** siècle, et parlons d'une 
supposition d'auteur et de pastiches 

^ Ces cassettes supposées, de lettres d^amour, 
ont, à plusieurs reprises, servi à calomnier 
d'illustres personnages. La prétendue cassette 
de Monsieur le Grande renfermant les poulets 
écrits à Saint-Mars^ a répandu, de son temps, 
de cruelles médisances. N'en fut-il pas de 
même, plus tard, des mille mensonges sortis de 
la merveilleuse cassette de ce fat de Lauzunf 
Une des plus cruelles de ces inventions, moins 
atroce pourtant que les lettres à Bothwelly fut 
la cassette du surintendant Fouquet, Louis XIV. 
seul avec sa mère et Le Tellier^ virent les 
véritables lettres de cette cassette, et celles qui 
auraient causé trop de scandale, furent brûlées. 
Néanmoins les passions du moment et l'envie 
en répandirent bientôt de supposées, en pro- 
fusion. Voir : Causeries (Pun Curieux, tome ii. 
page 503. 



Essai sur Le Pastiche. 99 

qui ont fait grand bruit, et sur le 
compte desquels on ne sait la vérité 
que depuis très-peu de temps. 

La question avait été examinée par 
les plus célèbres critiques ; mais ré- 
cemment M. Antoine Macé Ta résolue 
par la publication de documents iné- 
dits.^ 

Comme c'est une des curiosités de 
l'histoire des pastiches, donnons un ré- 
sumé de la discussion. M. Raynouard, 
dans le Journal des SavaftlSy n'hésite 
pas à mettre les poésies de Clotilde 
sur la même ligne que les inventions 
du poète anglais Chattertojt et que les 
Poésies OccitaniqueSy habile pastiche 

^ " Les Poésies de Clotilde de Surville, études 
nouvelles, suivies de documents inédits," par 
Antoine Macé, Grenoble, 1870. Un vol. in 
8^ 

L'abbé Brizard ne produisit pas un aussi long 
doute par son Fragment de Xènophon^ trouvé 
dans les ruines de Palmyre, et qu'il publia en 

1783. 



loo Essai sur Le Pastiche. 

du style des troubadours, publié par 
Fabre (fOlivet^ précisément à la même 
époque, et chez le même éditeur chez 
lequel Vanderbourg avait fait paraître 
son recueil. 

Villemain déclare que ces œuvres 
de Clotilde sont une petite con- 
struction gothique élevée à plaisir par 
un moderne architecte. Daunou et 
Ségur suivent la même opinion. 

Sainte Beuve consacre à cette ques- 
tion une étude spéciale : "M. De 
Surville, dit-il, profita de l'espèce 
d'engouement qui, pendant plus de 
trente ans,* et jusqu'en 89, s'attachait 
à la renaissance de la vieille poésie 
française, sous sa forme naïve et 
chevaleresque. Rien ne manquait en 

^ Qu'on lise comme un exemple du roman 
pastiche de cette époque, et qui eut un instant 
de grande vogue : " L'Histoire amoureuse de 
Pierre le Long et de Blanche Bazu," par Sau- 
vigny. 



Essai sur Le Pastiche, i o i 

laîr, en quelque sorte, pour susciter 
ici ou là un SurmlleJ* 

Enfin aux yeux de la critique, la 
question paraissait décidée, résolue, 
tranchée définitivement. Quoique les 
écrivains que nous venons de nommer 
ne s'entendent pas sur l'auteur de ces 
poésies, les uns les donnant au Mar- 
quis de Surville, les autres à Vander- 
bourg, tous s'accordent du moins à 
proclamer qu'elles sont de fabrication 
moderne, et n'ont rien d'authentique. 

Dans le Journal de C Instruction 
Publique} M. Macé commence par 
analyser vingt-huit documents inédits, 
d'une authenticité qui défie tout soup- 
çon, et toute espèce de doute. Il en 
déduit que tous les critiques précé- 
dents se sont trompés. Il examine 
les jugements, les opinions et les 
systèmes accrédités jusqu'alors, par 

^ Tome xxxii. des 3 1 Janvier, 4 FeVrier, et 23 
Mars, 1863. 



I02 Essai sur Le Pastiche. 

des écrivains qui sont justement cé- 
lèbres, mais auxquels manquaient les 
pièces du procès. Il prouve la faiblesse 
des arguments les plus convainquants : 
d abord que ces poésies sont trop 
parfaites pour le 1 5"* siècle ; que 
l'orthographe est fautive ; que Fauteur 
observe des règles de versification que 
ce siècle ne connaissait pas, etc. etc. etc. 
Quant aux faits vraiment irréfu- 
tables comme, par exemple, que dans 
cette œuvre on combat le système 
astronomique de Ptoléfnée, en faveur 
de celui de CoperniCy qui n'était qu'un 
tout jeune enfant, même à la fin de la 
longue vie de C lo tilde ; 2^ qu'on y 
réfute les doctrines matérialistes de 
Lucrèce y dont le poème ne fut retrouvé 
que l'année même de la naissance de 
Copernic {i^Ti) ; 3^ qu'on y fait men- 
tion des sept satellites de la planète 
de Saturne, qui n'ont été découverts 
et observés qu'aux i y""' et 1 8°' siècles, 



Essai sur Le Pastiche. 103 

par Huyg/tenSy D. Cassini et W. Her- 
schell.cçs trois arguments, en apparence 
formidables, sont réduits à néant par 
la simple raison que les pièces où se 
trouvent tous ces faits, n'existent pas 
dans la première édition des poésies 
de Clotilde, donnée par Vanderbourgy 
en 1803.^ On ne les rencontre pour 
la première fois que dans une publi- 
cation faite en 1826, sous le titre de : 
" Poésies inédites de Clotilde de Sur- 
ville, par M. M. De Roujoux et 
Nodier." 

" Il est très curieux, fait observer 
Sainte Beuve, de voir Nodier se faire 
le champion de Clotilde^ au point de 
publier en son honneur ses poésies 
inédites, tandis que dans ses 'Questions 

* Paris, Nepveu éditeur, in 8^, in 12*», et in 
18®, avec gravures d'après Colin, élève de 
Girodet. Ce même libraire Nepveu publia, en 
1824, une nouvelle édition du recueil livré au 
public par Van der Bourgs mais les pastiches de 
Nodier- Roujoux ne s'y trouvent pas davantage. 



1 04 Essai su y Le Pastiche. 

de Littérature Légale/ il attaque leur 
authenticité, et il les attribue au Mar- 
quis de SurvîUe." ^ 

Du reste la plupart de ces poésies 
soi-disant inédites, sont simplement 
transcrites du youmal Littéraire de 
Lausanne^ publié de 1 794 à 1 798, et 
rédigé par Madame la Chanoînesse de 
Polier.^ C'est dans ce journal qu'avec 
maints autres contributeurs, le Mar- 
quis de Surville inséra les premiers ex- 
traits des œuvres de Clotilde. Jamais 
toutefois il ne donna comme composées 
par sa parente, les pièces publiées par 
Nodier. 

Madmne Potier avait, sur sa de- 
mande, communiqué à ce dernier di- 
vers manuscrits qu'elle n'avait pas jugé 
à propos d'insérer dans son journal. 

^ "Tableau de la Poésie Française au 
xvi"»« siècle." 

* Dix volumes in 8°, avec Tépigraphe : // 
emprunte d^ailleurs ce qui fait son iclat. 



Essai sur Le Pastiche. 105 

M. Macé produit des pièces de poésîe 
du Marquis de Surville, et démontre 
par leur comparaison avec celles de 
Clotilde, qu'il était incapable d'inventer 
celles-ci. 

Le style, ainsi que le fond des com- 
positions du marquis, sont pauvres 
d'idées, sans harmonie et sans rhythme. 
Or, les pièces évoquées furent écrites 
de 1782 à 1787, lorsque de Surville 
est supposé avoir fabriqué les manu- 
scrits de son aïeule. 

Pour ceux qui regardent Vander- 
ôûurg^ comme auteur et arrangeur, c'est 
pis encore. Il ne se trouvait pas en 
Europe en 1787, et il ne put jamais, 
dit-il lui-même, dans une lettre con- 
fidentielle, se procurer les numéros 
du Journal Littéraire de Lausanne où 
se trouvaient les pièces qu'il aurait 
inventées. 

Raynouard et Daunou ont eu vrai- 
ment la main malheureuse. 



io6 Essai sur Le Pastiche. 

Il est prouvé que le frère du Mar- 
quis de Surville avait vu entre les 
mains de celui-ci, de vieux manuscrits 
récemment découverts dans des papiers 
de famille, et qu'il les avait péniblement 
transcrits avec laide d'un feudîste. 

M. M. Villeneuve, Dupetit-Thotiart, 
et d'autres personnes, dont la sincérité 
ne peut être mise en doute, donnent 
témoignage qu ils ont vu le Marquis 
de Surville, avant et pendant l'émigra- 
tion, absorbé par le déchiffrement de 
manuscrits, qui disparurent très vrai- 
semblablement dans Tauto-da-fé qui 
consuma les titres et papiers de famille 
des Surville, à Veviers, pendant la 
terreur. 

Une fouled'autres raisons qu'il serait 
trop long de développer ici, et qu'on 
peut lire dans l'ouvrage de M. Macé, 
prouve l'existence d'une femme poète 
au I s"*" siècle, ayant composé de très 
beaux vers, inspirés par l'amour 



Essai sur le Pastiche. 1 07 

maternel, l'affection conjugale et de 
nobles sentiments patriotiques. Ces 
vers cependant ne nous sont pas par- 
venus dans leur originalité, ou, si Ton 
veut, dans leur rudesse primitive. 
Néanmoins tous ceux que Vanderbourg^ 
en homme de sens et de goût, a insérés 
dans son recueil, en faisant un choix 
et un triage rigoureux, ne sont vrai- 
semblablement que très peu altérés, 
falsifiés, gâtés et embellis, dans le sens 
moderne. Telle a été jusqu'à la fin 
de sa vie, l'opinion de Vanderbourg^ 
comme cela résulte de deux lettres 
tout récemment publiées, qu'il écrivait 
à M. ^ Surville, jernie, en 1822 et 
1824, au moment où il préparait une 
nouvelle édition des poésies A^CloHlde. 
Les originaux ont incontestablement 
existé, mais ils furent remaniés par 
Jeanne de Vallon^ au 1 7™* siècle, et 
par le Marquis de Surville, au dix- 
huitième. Un éminent critique a com- 



I o8 Essai sur Le Pastiche. 

paré ces vers à un excellent tableau 
original, retouché par des mains plus 
ou moins habiles. 

On sait que le Marquis de Surville 
fut traduit devant un conseil de guerre, 
condamné à mort et fusillé le 2 Octobre 
1 798, au Puy-en-Velay, comme criminel 
d'État. 

Ici se présente un nouvel exemple 
de rîncurie et de la négligence des 
biographes au sujet de cette victime 
de la Révolution. Barbier, Charles 
Brunet, et Quérard répètent, on ne 
sait pourquoi, que le marquis fut con- 
damné comme voleur de diligences ! 
Nodier, qui prétend l'avoir rencontré 
deux fois, le fait mourir à La 
Flèche.^ 

* M, Leher, tome i. p. 271, du catalogue 
raisonné de sa bibliothèque, léguée à la ville 
de Rouen, fait mention d'un portrait de Ciotilde 
de SurvilU, peint à Taquarelle, d'après un émail 
de M**** Jaquototy et ajoute : " Ce portrait, 



Essai sur Le Pastiche. 109 

Si, dans ce que nous venons de rap- 
porter, Ton a regardé comme des 
pastiches des pièces de poésie qui 
n'en étaient pas, un poète, aussi du 
15"* siècle, a passé jusqu'en ces der- 
niers temps pour authentique, lorsque 
ses compositions étaient Tœuvre d'un 
autre. En effet, avant l'édition des 
VauX'de-Vire, publiée en 181 1, par 
les soins de M. Asseltn^ sous-préfet de 
Vire, le nom d^ Olivier Basselin était 
peu connu hors de la Normandie. 
Quant aux chansons de ce poète 
Virois, elles étaient à peu près 
ignorées.* Quoiqu'il existât deux ex- 
emplaires d'une édition de 1670, qui 

plein de chamies, n'est, comme la publication 
de Vanderbaurg, que le rêve d'un talent ad- 
mirable." C'est dommage que Leber n'ait pu 
lire l'ouvrage de Macè, 

^ Voir l'Introduction de la nouvelle édition 
des Vaux-de-Vire d'Olivier de Basselin et de 
Jean le Houx, par le Bibliophile Jacob, i vol. 
12**. Paris : A. Delahays. 1858. 



I lo Essai sur Le Pastiche. 

contenait des chansons sous le nom 
de VauX'de-Vtre, le nom d^ Olivier 
Basselin ne s'y trouvait pas même 
mentionné. Aussi notre poète 
normand n'avait qu'une vague 
existence avant la publication de 
1811, et aurait pu être rejeté dans 
le mystérieux domaine des auteurs 
imaginaires. Jusqu'aujourd'hui aucun 
document nouveau, depuis la notice 
de M. Asselifiy ne s'est produit, qui 
puisse établir avec certitude à quelle 
époque vivait Olivier Basselin. 

Jean Le Houx^ un des meilleurs 
poètes du milieu du 16"* siècle, 
fit imprimer d'anciennes chansons qui 
passèrent pour avoir été composées 
par Basselin, et y mêla les siennes 
propres. Il n'eut pas grand'chose à 
faire pour s'approprier ces anciens 
Vaux-de-Vire, il n'eut qu'à les re- 
cueillir de la bouche des anciens du 
pays, ou plutôt qu'à les écrire, comme 



Essai sur Le Pastiche. 1 1 1 

il les avaît appris quand il commençait 
lui-même à faire des chansons. En 
les recueillant le premier, Le Houx 
les rajeunit, si toutefois il ne les a pas 
composés lui-même sous le nom 
à!Oltvier Basselitty connu en Nor- 
mandie à cause d'une ancienne chan- 
son qui se chantait du temps de 
Guillaume Cretiity et dans laquelle il 
était fait mention de ce nom. Du 
reste Jean Le Hotix ne voulant pas 
sans doute qu'on l'accusât plus tard 
de plagiat, a rassemblé tout ce qu'on 
savait par tradition de la vie à^ Olivier 
Basselifiy dans un de ses Vaux-de-Vire 
qu'il adresse à Farin du GasL 

** Q\i Olivier Basselin et Jean Le 
Houx ne fassent qu'un seul et même 
poète, conclut le Bibliophile Jacob^ 
peu importe ; ce n'est pas Horace, ce 
n'est pas Anacréon, c'est un bon 
biberon qui chante le cidre et le vin 
avec une gaieté toute gauloise." 



1 1 2 Essai sur Le Pastiche. 

Cette opinion n a pour but que de 
laîsser indécise la question de savoir 
si -c'est yean Le Hotix ou Basselin qui 
a composé les chansons. Si plusieurs 
des célèbres Vaux-de-Vire, soi-disant 
de ce dernier, sont l'œuvre d'un poète 
beaucoup plus moderne, Jean Le 
Houx, un grand nombre aussi sont le 
produit d'un jeu d'esprit de M. Julien 
Travers, membre de la société des 
antiquaires de la Normandie, qui en 
a fait l'aveu à la réunion des délégués 
des sociétés savantes à la Sorbonne, 
au mois d'avril 1866.^ 

Moncrt/y lecteur de la Reine Marie 
Leczinska, a fait une substitution 
semblable, d'une chanson de sa com- 
position, en 1 742, à une des pièces de 
Robert de Champagne} Ce même 

^ Voir la Revue des sociétés savantes, 
quatrième série, tome iii. pages 445 et 574. 

^ Voir la curieuse anecdote du Duc de Luynes, 
dans les Mémoires, année 1742, tome ix. p. 188. 



Essai sur Le Pastiche. 1 1 3 

écrivain, dans un choix d'anciennes 
chansons, donné au public, rima encore, 
dans le ton du bon vieux temps, ses 
deux célèbres romances : " Les con- 
stantes amours d'Alix et d'Alexis," et 
" Les infortunes inouïes de la tant 
belle Comtesse de Saulx." Elles trom- 
pèrent longtemps bien des lecteurs. 
Dans VAlmanach des Muses ^ publié 
par Santreau de Marsy^ en 1765, 
les rondeaux, triolets et fabliaux, soi- 
disant anciens, foisonnent, les vers 
pastiches ne manquent pas, les sup- 
positions d'auteur non plus, et Ton 
prêtait surtout des chansons aux 
anciens rois de France.^ 

Avant d'entamer le sujet, en ce qui 
concerne le siècle présent, voyons ce 
qu'a produit l'Angleterre en pastiches 
et suppositions d'auteur, au dix- 
huitième. 

^ Sainte Beuve " Histoire Critique de la 
Poésie Française au xvi"*« siècle." 

H 



1 1 4 Essai sur Le Pastiche. 

Nous croyons que bien peu de 
pastiches dans ce pays présentent 
Toriginalité de celui du célèbre docteur 
Johnson, que le docteur Matty^ bio- 
graphe de William Pitt, inséra dans 
son livre, même du vivant de John- 
son, comme un exemple "de l'élo- 
quence du noble lord, dans le style 
vigoureux de Démosthhtes, uni à la 
manière spirituelle et ironique de 
Cicéron" 

Voici comme la chose arriva. Dans 
le Gentlematis Magazine, édité alors 
par Edward Cave, on trouve, à partir 
du mois de Juin 1 738, jusqu'en Février 
1 743, une analyse des débats du parle- 
ment anglais, sous le titre de ** Debates 
in the Senate of Lilliput." Il était à 
cette époque strictement défendu 
d'imprimer quoique ce fût, des dis- 
cussions et discours du parlement ; 
de là, la nécessité de déguiser plus ou 
moins les discours. Or, le docteur 



Essai sur Le Pastiche. 115 

yohnso7i n'avait jamais assisté à 
aucune des séances ; mais Edward 
Cave avait gagné un des huissiers, et 
fut mis à même de prendre note du 
sujet de la discussion et des noms des 
orateurs, ainsi que des principaux 
points de leurs arguments. Ces 
matériaux étaient communiqués à 
yohjtson, qui s'en servait pour com- 
poser son compte-rendu des débats. 

On peut voir dans le Ge7itlemafCs 
Magazine^ de l'époque, le discours de 
ce dernier, que la biographie de Pitt 
par le docteur Matty cite comme un 
exemple remarquable de l'éloquence 
de son héros, et qui est véritablement 
un excellent pastiche de la manière 
du ministre anglais.^ 

Nous ne citerons que pour mémoire 
l'Alphabet Formosan, et la Traduction 
Formosanedela BibleparP^^/;;^;/^-2^^r, 

^ Voir The Proof Sheet^ Journal Littéraire 
Américain, de Mars, 1869, 2"® vol. No. 5, p. 67. 



1 1 6 Essai sur Le Pastiche. 

que Tévêque de Londres Contpton avait 
placés parmi les curiosités les plus 
précieuses de sa bibliothèque. 

Il y a lieu de s'arrêter plus long- 
teqips sur les poèmes d'Ossian, que 
son premier éditeur, Macpherson^ est 
supposé avoir fabriqués. Ils eurent 
d'abord un tel succès, qu'admirés par 
Goethe et par Schiller y ils furent bientôt 
traduits en allemand, en français, 
en italien, en danois, en polonais, et 
en latin. 

Enfin pourtant on réfléchit qu'il 
était presque incroyable que des 
poèmes aussi longs que Fingal et 
Tentera, nous eussent été transmis par 
la tradition oralp seule, depuis un laps 
de plusieurs siècles. Finalement le 
docteur Samuel Johnson, alors au 
zénith de sa renommée, déclara que 
le tout n'était qu'une impudente super- 
cherie. Sans employer un langage 
aussi violent, Malcolm Laing et David 



Essai sur Le Pastiche. 1 1 7 

Hume développèrent des opinions 
analogues. 

PhilaresteChasles, dans ses ** Etudes 
sur le dix-huitième siècle," est du 
même avis : ** La sentimentalité de 
Richardson, la tristesse de Young, la 
chevalerie de Tressan, le parallélisme 
de la Bible, composent ce pastiche. 
L'auteur fit disparaître les Ecossais 
du quatrième siècle, hommes nus, à 
demi sauvages, avec un petit bouclier 
de cuir ou d'écorce, un dard, et des 
canots creusés dans un tronc d'arbre. 
Il les remplace par des héros généreux, 
des filles mélancoliques ; il invente 
des armures d'acier, de grandes fêtes 
dans des tourelles, dont les murs sont 
couverts de mousse et de lierre, de 
jolis vaisseaux traversant la mer, etc." 

M. Laingy auteur d'une histoire 
d'Ecosse, examine non - seulement 
presque chaque ligne de la traduction 
de Macpkersany mais une foule d'au- 



1 1 8 Essai sur Le Pastiche. 

très ouvrages, anciens et modernes, 
relatifs à ce sujet, et il arrive à la con- 
clusion que l'ensemble est pris à cent 
sources diverses, et que ce n'est qu'une 
espèce de centon. 

C'était là, à peu près, le sentiment 
général lorsqu'un nouveau champion 
est entré dans la lice, et a cherché à 
prouver l'authenticité des poèmes 
d'Ossian, dans une magnifique édition 
publiée aux frais du Marquis de 
Bute} 

Dans une dissertation préliminaire 
de 66 pages, le nouvel éditeur établit 
d'abord que cette publication renferme 

^ "The Poems of Ossian, in the original 
Gaëlic, with a literal translation into English," 
&€., by the Rev. Archibald Clerk, &c. William 
Blackwood, 1870, 2 vol. gr. in 8°. Le texte 
gaëlic ou Erse avait déjà été publié en partie, 
avec la version en prose, 10, en 1762 : ** Fingal, 
an epic poem in six books ;" 2°, en 1763, 
"Temora, an epic in eight books/' Il fut 
publié en entier en 1806. 




Essai sur Le Pastiche. 1 1 9 

des poèmes en partîe autres que ceux 
donnés par Macpherson. " Plusieurs, 
dit-il, remontent à une haute antiquité, 
et mon texte ressemble peu à celui de 
mon prédécesseur, composé de vagues 
généralités, tandis qu'ici on trouva par- 
tout une fraîcheur primitive, un riche 
coloris, et des détails entièrement 
gaéliques. Il serait aussi impossible 
de reconstruire Homère avec la tra- 
duction de Pope, qu'Ossian avec celle 
de Macpherson." 

On a droit d'exiger, semble-t-il, du 
nouvel éditeur qu'il ait connaissance 
des recherches antérieures pour établir 
Tauthenticité des œuvres d'Ossian. Or^ 
en 1 806 une enquête avait été établie 
pour s assurer de ce point^ Les con- 
clusions du comité, composé des 

^ Report of the Committee of the Highland 
Society of Scotland, appointed to inquire 
into the authenticity of the Poems of 
Ossiajn. 



I20 Essai sur Le Pastiche. 

hommes les plus versés dans Thistoire 
du pays et de la langue, furent que 
Macpherson avaît adapté et amalgamé 
d'anciennes poésies erses, dans les- 
quelles il était question d'Ossîan et de 
Fingal. Lorsque la Société Ecossaise 
travailla à cette enquête, elle ne put 
décourvir aucun manuscrit original, 
remontant à l'époque supposée des 
poèmes publiés par Macpherson^ et 
nul n'a été découvert depuis. 
Cependant la littérature keltique est 
l'objet de plus de recherches que 
jamais, et les travaux de Reeves^ de 
Henthom Todd, et d'autres antiquaires, 
ont étonné la présente génération par 
les lumières qu'ils ont jetées sur les 
institutions civiles et sociales de 
l'époque du Fingal de Macp/ierson. 
Ces renseignements sont irréconcili- 
ables avec les institutions et les mœurs 
des poèmes de ce dernier. Pourtant, 
chose étrange ! M. Arckibald Clerk 




Essai sur Le Pastiche. 1 2 1 

ne fait aucune mention des recherches 
des savants que nous venons de 
nommer. Ne les a-t-il pas connus ? 
ou n a-t-il pu les contredire ? 

En attendant, n'est-on pas justifié 
en rejettant TOssian dans la région 
fabuleuse de la louve de Romulus, et 
des héros Merlin, Hengîst et Horsa ? 

Quant au texte nouveau de l'édition 
de M. Clerk, qui n'est appuyée que 
sur des manuscrits relativement mo- 
dernes, nous adoptons l'opinion de 
réditeur du Saturday Review^ du 28 
Janvier 1871, qui se récuse dans cette 
querelle, parcequ'il ne sait pas le 
Gaélique ; mais qui avoue néanmoins 
qu'il n'a pas la moindre foi dans l'exis- 
tence du poète Ossian} 

^ Fin Magnussen a prouvé, dans son Essai, 
en danois, sur Ossian^ que ce nom se rapporte 
à une source Scandinave éf non pas keltique. 
On peut aussi consulter sur l'édition de M. 
Clerk un intéressant article dans le journal The 



1 22 Essai s ter Le Pastiche, 

Si Macpherson fit fortune avec ses 
supercheries, il en fut bien autrement 
de rinfortuné Tliomas Chatterton, dont 
les poèmes supposés du moine Rowley 
sont pourtant bien supérieurs au 
pseudo-Ossian, et dont lauteur périt 
de misère en 1770. 

Ces compositions pastiches sont 
tellement remarquables que nous nous 
y arrêterons un moment. Warton, 
rhistorien critique de la poésie an- 
glaise, regarde ce jeune homme, ou 
plutôt cet adolescent, comme un pro- 
dige de génie, qui eût été un des plus 
grands poètes de l'Angleterre, s'il fût 
arrivé à Tâge d'homme. 

Dans la chambre aux archives de 
Téglise de Sainte Marie, de Redcliffe 
Hill, à Bristol, étaient enfermés depuis 
de bien longues années, six ou sept 

Scotsman, du 7 Mars 1871,011 Ton rappelle que 
les héros de Fingal appartiennent à des tradi- 
tions irlandaises plutôt qu'écossaises. 



Essai sur Le Pastiche. 1 23 

vieux coffres de chêne, contenant une 
quantité considérable d'anciens par- 
chemins, chartes, contrats de vente 
et d'achats, etc., que l'opinion publique 
faisait remonter jusqu'à l'époque de la 
guerre des deux Roses. 

Au nombre de ces coffres en était 
un, cerclé de fer, et à six serrures, 
mentionné dans des documents du 
XV™'. siècle, sous le nom de Coffre de 
William Canynge, Vers 1 730, tous ces 
coffres avaient été forcés, les pièces con- 
sidérées comme les plus importantes, 
dans l'intérêt de l'église, déposées 
dans un autre local, et le reste aban- 
donné comme inutile. Cette chambre 
aux archives était attenante à la 
maison paternelle de Chatterton, des- 
cendant d'une longue suite de bedaux 
de l'église de Sainte Marie, depuis 
cent cinquante ans. 

La famille se servait des parchemins 
abandonnés, à toute sorte d'usages. 



1 24 Essai sur Le Pastiche. 

Le père en recouvrait les livres des 
élèves de son école, et la mère en 
découpait des patrons d'habillements. 

Le jeune Chatterton, d'abord d'une 
intelligence assez obtuse en apparence, 
devint amoureux, ainsi que s'exprime 
sa mère *'fell in love," d'un vieux manu- 
scrit à lettres capitales enluminées, et 
celle-ci, mettant cette passion à profit, 
se servit de ce manuscrit pour ap- 
prendre à lire à son fils. 

L'enfant ayant été admis à l'école 
publique de Bristol, commença à 
donner dès-lors, comme le prouvent 
des témoignages contemporains, des 
preuves d'une intelligence et d'une 
pénétration exceptionnelles. A douze 
ans, affirment des personnes chez 
lesquelles il se rendait souvent au 
sortir de l'école, il avait déjà conçu 
l'idée d'une série d'anciens poèmes de 
Tliomas Rowley, moine du xv"* siècle, 
poèmes dont quelques-uns devaient 




Essai sur Le Pastiche. 1 25 

plus tard embarrasser de savants 
critiques, des littérateurs habiles, et 
nombre d'éditeurs instruits. En avait- 
il découvert des traces parmi les vieux 
parchemins, au milieu desquels il pas- 
sait des heures entières à peindre des 
lettres anciennes, et à copier de vieilles 
écritures ? C'est ce que nous verrons 
tout à l'heure. 

Chatterton avait à peine quinze ans, 
lorsqu'il donna à un de ses amis, 
George Catcott, une ballade en vieux 
style : " The Bristow Tragédie l^ si 
parfaitement imitée, qu'elle eut plus 
tard l'honneur d'être considérée par 
Horace Walpole^ comme un des pas- 
tiches du Dr Percy, l'éditeur des 
" Relies of Ancient English Poetry." 

A l'antiquaire Barrett il fit pré- 
sent d'un autre poème, " The Battle 
of Hastings," supposé écrit par le 
moine Saxon Turgot, et traduit par 
Thomas Rowley, en 1469. Barrett, 



1 26 Essai sur Le Pastiche. 

qui avait reçu la copîe écrite de la 
main de Chatterton, insista à plusieurs 
reprises pour voir l'original, et enfin 
celui-ci finit par avouer que c'était son 
propre ouvrage.' Comme imitation 
d'une pièce ancienne, le critique avoue 
que c'est là une production étonnante 
pour un adolescent. D'autres mor- 
ceaux succédèrent, donnés à d'autres 
amis, et toujours supposés écrits par 
le moine du xv"*® siècle. 

On ne voulut pas admettre alors, et 
même bien longtemps après, que le 
jeune poète fut capable d'écrire rien 
de pareil. On fut persuadé qu'il avait 
découvert tout cela dans les coffres de 
la chambre aux archives. 

Aujourd' hui un examen plus attentif 

' Sur toutes les suppositions d'auteur, imita- 
tions, et pastiches de notre jeune homme, voir 
l'excellente Etude biographique en anglais, 
par Daniel Wiison. Un vol. in 8**. Macmillan, 
1869. 




Essai sur le Pastiche. 1 27 

et plus minutieux, ainsi qu'une critique 
plus exercée, ne laissent plus aucun 
doute sur la supercherie. 

Ce n'était pas seulement le style et 
la manière du quinzième siècle, que 
Chatterton savait imiter avec beaucoup 
de talent, mais encore on trouve insérés 
dans ses œuvres, bien d'autres imita- 
tions, par exemple, deux pastiches par- 
faits à'Ossiafty que, par une ignorance 
facile à expliquer dans un enfant de 
de seize ans, il dit être traduit du 
Saxon. ^ 

En 1766, beaucoup de personnes 
avaient encore une foi entière dans 
l'existence d'un William Canynge^ 
maire de Bristol, du temps de CJiaiicer, 

^ Lorsqu'on lit une ode composée par Pope 
à douze ans, et une autre par Cowiey à treize, 
on peut avec vraisemblance supposer, vu les 
circonstances, qu'un parent, un ami, ou un pro- 
fesseur leur est venu en aide. Quant à Chat- 
tertofij il n'avait ni parent, ni ami, ni professeur 
pour l'aider. 



1 28 Essai sur Le Pastiche. 

de ses descendants à Tépoque de la 
guerre des deux Roses, et du bon 
moine Rowley. Il a fallu plus de 
vingt cinq ans pour détromper le 
public. 

M. Daniel Wilson a fait voir dans 
sa biographie que la prose et les vers 
de Chatterton présentent l'ensemble 
d'un roman historique où sont groupés 
des caractères très fidèlement dessinés, 
pleins de vie, et doués parfois d'une 
tendresse toute lyrique. Peu d'an- 
glais même savent quelle riche veine 
de poésie et de fiction romantique se 
trouve cachée dans les poésies de 
Rowley^ lorsqu'on leur ôte leur antique 
phraséologie. 

Nous citerons deux exemples ; le 
premier est une ode à la Liberté, sup- 
posé chantée par un chœur de Saxons, 
à la fin d'une scène où le roi Edouard 
le Confesseur avoue sa partialité pour 
les Normands. 



Essai sur Le Pastiche. 1 29 

*'When /^AW//i?/«, dressed in blood-stained vest, 
To every knight her war-song sung, 
Upon her head wild weeds were spread, 
A gory anlace by her hung. 
She danced on the heath, 
She heard the voice of Deaih ; 
Pale-eyed Affright^ with heart of silver hue, 

In vain assailed her bosom to acale ; ^ 
She heard unflemed' the shrieking voice of woe, 
And sadness, in the owlet, shake the dale. 
She shook her burled^ spear ; 

On high she jeste^ her shield ; 
Her foemen ail appear, 
And Aie along the field/' &c. 

Cette ode finît abruptement, et le 
professeur Daniel Wilson, en cîtant ce 
morceau, dit que rien de plus poétique 
n'a été écrit sur ce sujet, depuis la 
magnifique apostrophe à la Liberté, 
par l'ancien poète Barèour, dans le 
poème de Brtue. 

Voici la seconde pièce, extraite du 
poème dramatique à^yElla. 

* To freeze. * Undismayed. 

* Pointed. * Raised. 

I 



130 Essai sur Le Pastiche. 

C'est une complainte chantée par 
un Ménestrel de la cour : — 

" Hark! the raven flaps his wings, 
In the briared dell below, 
Hark! the death-owl loud doth sing 
To the nightmares as they go. 
My love is dead, 
Gone to her death-bed, 
Ail under the willow-tree. 

" See ! the white moon shines on high ; 
Whîter is my true love's shroud \ 
Whiter than the moming sky, 
Whiter than the evening cloud. 
My love is dead, &c. 

" With my hands I '11 fix the briars 
Round her holy corse to gre (grow). 
Elûn Faeries, light your fires ; 
Hère my body still shall be. 
My love is dead, &c 

V Corne with acor-cup and thom, 
Drain my heart's-blood ail away ; 
Life and ail its good I scorn, 
Danse by night or feast by day. 
My love is dead, &c" 



Essai sur Le Pastiche. 1 3 1 

Le drame à'yEllUy dans le goût 
antique, est le chef-d'œuvre de Chat- 
terton, et fut transcrit sur le manuscrit 
écrit de sa propre main, en date de 
1 769, lorsqu'il n'avait que seize ans. 

En quittant l'école de Bristol, Chat- 
terton était entré, en qualité de clerc, 
chez un notaire de cette ville. Bientôt 
fatigué de cette vie d'asservissement, il 
partit pour Londres, le 29 Avril 1770, 
flattant sa mère et sa sœur de la per- 
spective de brillants succès littéraires 
dans la capitale. Il emportait avec lui 
plusieurs poèmes écrits en style du 1 5"* 
siècle, qui aurait formé un volume suffi- 
sant, dit Daniel Wilsofiy pour établir la 
fortune et la gloire d'un poète, quelqu'il 
fût. 

Horace Walpole avait publié en 
1 764, son pastiche du ** Castle of 
Otranto," d'après un manuscrit ita- 
lien, affirmait-il, âCOmphrio Muralto, 
trouvé dans une ancienne bibliothèque. 



132 Essai sur Le Pastiche. 

et imprimé à Naples en 1529. 
Il jouissait du reste d'une brillante 
réputation littéraire et d'une grande 
fortune. 

Il était donc tout naturel que 
Chatterton songeât à s'adresser à ce 
personnage important, romancier, 
dramatiste, et poète, pour faire accepter 
au public les écrits du moine Rowl^. 
D'ailleurs, il avait écrit au grand 
seigneur qu'il invoquait son appui 
comme fils d'une pauvre veuve qui 
avait grand'peine à soutenir sa famille, 
et que ce qu'il avait composé jusqu'a- 
lors ne lui avait rapporté ni renom- 
mée ni argent. Puis dans une autre 
lettre, accompagnée d'une histoire 
supposée de la peinture en Angleterre, 
écrite par le moine Rowley en 1469, 
pour Maître Canynge, il annonçait à 
Walpole qu'il avait en sa possession 
encore plusieurs autres manuscrits 
anciens qu'il lui offrait On a pré- 



Essai sur Le Pastiche. 133 

tendu que cette dernière lettre n'était 
point parvenue à son adresse ; mais il 
est bien établi aujourd'hui que Wal- 
pole les reçut toutes les deux. 

Quant à la première, il ne peut ex- 
ister de doute, l'adresse était exacte, 
la lettre était fermée avec un pain à 
cacheter ; et adresse, timbre de la poste, 
et pain à cacheter peuvent encore se 
voir à présent au Musée Britannique, 
parmi nombre d'autres authographes 
du jeune homme. 

Une réponse de Walpole lui-même 
prouve qu'il avait reçu l'autre lettre. 
Ainsi,dit le révérend Walter W. Skeat^ 
" When afterwards Walpole had the 
hardihood to deny that he ever re- 

1 " The. Poetical Works of Thomas Chatter- 
ton, with an Essay on the Rowley Poems, &€.*• 
2 vol. 8®. Bell and Dalby: London, 187 1. 

Dans cette excellente édition on a suivi un 
système conseillé dans la Biographie du pro- 
fesseur Wilson, citée plus haut, celui de changer 
les mots archaïques en anglais moderne. 



134 Essai sur Le Pastiche. 

ceived the pièce in question, in this 
falsehood he stands self-convîcted/' 

Walpole fit valoir encore une autre 
excuse, après la catastrophe ; c'est que 
Chatterton avait voulu le tromper, le 
mystifier. Il semble qu'il n'avait 
guère le droit de se montrer si sus- 
ceptible, lui qui avait fabriqué une 
lettre supposée écrite par le Roi de 
Prusse, Frédéric, où il tournait Jean 
Jacques Rousseau en ridicule, avec 
une amère ironie, et où toutes les 
convenances étaient blessées.^ Celui- 
ci en fut cruellement affecté. 

Chatterton, repoussé avec hauteur 

* Cette lettre fut écrite au moment oh David 
Hume flattait et caressait le plus J. J. Rous- 
seau, et il avoue avoir pris part à ce persiflage ; 
plus particulièrement odieux envers un homme 
alors proscrit, qui se mettait entièrement à la 
disposition de ceux qu'il croyait ses amis. 

Voir sur Taffaire de cette supposition d'auteur, 
** l'Histoire de la Vie et des Ouvrages de 
J- J. Rousseau, par Musset-Pathay." 



Essai sur Le Pastiche. 135 

par Walpole, et profondément blessé, 
vécut pendant quelque temps du pro- 
duit de ses articles dans les journaux 
littéraires ; mais bientôt en proie à la 
misère et à la faim, mécontent du 
monde, sauvage, ulcéré, trop fier pour 
accepter des secours, le jeune homme 
mit fin à sa vie par le poison, à Tâge 
de dix-sept ans, laissant à la postérité 
des preuves de la plus haute intelli- 
gence poétique. On trouva sa cham- 
brette jonchée d'une masse de papiers 
déchirés sans doute dans son déses- 
poir ; et ainsi fut détruite peut-être plus 
d'une œuvre remarquable. 

Walpole, qui aurait pu le sauver, 
écrivait, longtemps après la mort du 
poète, dans une lettre à la Comtesse 
d'Ossory, " Chatterton was a gigantic 
genius." 

En effet, s'adaptant à tous les genres 
de styles, il sut prendre tour-à-tour, 
avoue la critique anglaise, l'esprit 



136 Essai sur Le Pastiche. 

satirique de Churchill^ le ton noble, 
maïs amer, de Junius, la rude vigueur 
de Smollett, singer parfois la douceur 
rhythmique et les antithèses de Pope, 
la grâce travaillée de Gray et de 
Colltns, ou bien, encore sous le man- 
teau du moine Saxon Rowley, rivaliser 
avec l'héroïque affectation d'Ossian. 
Il est probable, dit le professeur 
Daniel Wilson, que la puissance in- 
tellectuelle de Chatterton a rarement 
été surpassée, et peut-être n a-t-elle 
jamais été égalée au même âge. 

Aussi après sa mort, ce fut un con- 
cert de magnifiques éloges en prose 
et en vers. Sir Herbert Croft fu tun 
des premiers à faire connaître au 
public le génie et le sort fatal de 
Chatterton.* Malone, dans ses obser- 
vations sur les poèmes A^Rowley, le re- 

^ " Ix)ve and Madness. A story too true,*' 
&c. I voL 8*. London, 1780. 

Dans le Mcnthly Magazine de Novembre 



Essai sur Le Pastiche. 137 

garde comme le plus grand poète qu'ait 
produit l'Angleterre depuis Shake- 
speare. Le docteur Johnson avoue 
que •* This is the most extraordinary 
young man that has encountered my 
knowledge." Coleridge, Wordsworth^ 
et une foule d'autres auteurs exaltent la 
vigueur de son génie. 

A côté du phénomène douloureux 
qu'offre cette existence tourmentée, à 
peine ose-t-on nommer le pseudo- 
Shakespeare, Irelandy héros de la 
petite pièce après la tragédie, comme 
le dit Phildreste Chastes. 

Samuel Ireland, le père, avait passé 
sa vie à voyager sur les bords de 
l'Avon, pèlerinage dont il consigna les 
résultats dans un curieux volume tout 
rempli de crédulité. 

1799, Sotithey a fait connaître par quelle 
supercherie peu honorable Sir Herbert Croft 
s'empara des nnanuscrits de Chatterton et les 
publia. 



138 Essai sur Le Pastiche. 

William Irelandy le fils, voyant son 
père disposé à bîen payer une signa- 
ture de Shakespeare, lui apporta suc- 
cessivment un reçu, un acte par-devant 
notaire, et des lettres d^amour de la 
jeunesse de cet illustre écrivain. Cet 
appât eut du succès, et notre jeune 
homme s'enhardit à fabriquer d'autres 
documents, griffonnés sur de vieux 
parchemins souillés, salis et enfumés. 
Il couronna son œuvre par une tragé- 
die du Roi Lear corrigée, et par une 
autre tragédie soi-disant inédite du 
même auteur, intitulée, Vortigem et 
Rowena. 

L'excellent père publia, sur beau 
papier, la fraude de son fils, de la 
meilleure foi du monde. L'imitation 
était assez adroite pour qu'elle trompât 
d'abord quelques érudits. On discuta 
sur les dates, on analysa la couleur de 
l'encre, la forme des lettres, etc.^ 

1 " Le Dix-huitième Siècle en Angleterre : 



Essai sur Le Pastiche. 139 

Malone, le savant commentateur et 
critique de Shakespeare, signala le 
premier ce pastiche. Néanmoins la 
tragédie de Vortigern fut représentée 
comme originale, sur le théâtre de 
Drury Lane, dont Sheridan était alors 
directeur. Trois cents livres sterlings 
furent payées au père du pasticheur, 
avec droit de partage aux bénéfices 
pour les 60 premières représentations. 
Il y a lieu de s'étonner qu'un écrivain 
dramatique tel que Sheridan s'en 
soit laissé imposer, car la pièce était 
assez mauvaise pour qu'elle tombât 
dès la première représentation. Huit 
jours auparavant, Malone avait pro- 
clamé partout que ce drame n'était 

Etudes Humoristiques par Philareste Chasles." 
Un vol. 12®. Paris, 1846. 

Le même auteur a donné aussi, comme on 
l'a vu ci-dessus, quelques renseignements sur 
Ossian et sur Chatterton ; mais ils sont de tous 
points insuffisants pour l'appréciation de ces 
supercheries littéraires. 



140 Essai sur Le Pastiche. 

incontestablement qu'une super- 
cherie. 

Lorsque tous ses pastiches eurent 
été complètement éventés, Ireland 
fils publia ses Confessiofis^ livre très 
curieux, où il explique l'origine et le 
mode de fabrication de ces fraudes, 
ainsi que le profit qu'il en a retiré. 
On y rencontre aussi nombre d'anec- 
dotes sur l'époque, des extraits des 
deux tragédies, et diverses autres com- 
positions di Ireland, qui ne manquent 
pas de talent.^ On pourrait même 
dire qu'en Angleterre, aux i8"*et ig"' 
siècles, ceux qui ont cherché à tromper 
les lecteurs, en se couvrant d'un 
masque plus on moins ancien, ont 
montré un talent supérieur à celui 

* " The Confessions of William Henry Ire- 
land, containing the particulars of his fabrica- 
tions of the Shakespeare manuscripts, together 
with anecdotes and opinions of many distin- 
guished persons." i vol. S"", avec fac-similés. 
London, 1805. 



Essai sur Le Fastiche. 14 1 

de leurs confrères dans les autres 
pays. 

Q}xo\Q^Allan Cunningham, vraî 
poète en son genre, ne tienne pas à 
beaucoup près dans la république des 
lettres, le même rang que l'adolescent 
de Bristol, il offre un cas analogue, 
sauf le fatal dénoûment, et qui montre 
combien est grande cette tentation de 
déguisement littéraire. 

En 1809, M. R. H. Crontek faisait 
un pèlerinage en Ecosse pour y dé- 
couvrir de vieilles chansons du pays. 
Il rencontra à Dumfries le jeune Allan 
Cunningham^ qui gagnait dix-huit 
shellings par semaine comme maçon, 
mais qui possédait une connaissance 
extraordinaire de la poésie populaire 
de l'Ecosse, en même temps qu'une 
lecture étendue en ce genre. Il 
s'essayait même à faire des vers, et 
produisit quelques morceaux à M. 
Cromek, que ce critique reçut d'un air 



1 4 2 Essai sur Z> Pastiche. 

de grande condescendance, car il 
n'avait nul goût pour la poésie mo- 
derne. Son ambition était de rivaliser 
avec l'évêque Percy et Walter Scott^ 
en publiant les œuvres de quelque 
vieux barde oublié. Le jeune maçon 
avec la perspicacité de sa race, s'aper- 
çut bien vite de ce faible, et chercha à 
le satisfaire en apportant à Cromek 
d'anciennes pièces de vers que celui-ci 
déclara divins ! — " Dites-moi, je vous 
prie, écrivait-il à un de ses correspon- 
dants à Londres, quels sont les noms 
des anciens poètes de Nithsdale et de 
Galloway ? " 

Le correspondant, qui n'était pas 
disposé à inventer un nouveau Rowl^^ 
répondit d'une manière évasive, et les 
pastiches du jeune homme ignoré 
furent publiés dans un beau volume, 
portant sur le titre le nom de Cromek, 
comme éditeur. Les critiques de 1^ 
capitale félicitèrent leur confrère de la 



Essai sur Le Pastiche. 143 

riche trouvaille qu'il avait faite dans 
une région stérile jusqu'alors en ce 
genre. Ce ne fut que plus tard que 
la ruse se découvrit 

On s'est très rarement occupé en 
Angleterre de ces supercheries en 
littérature. Il appartenait à Isaac 
d*Israeli de donner un résumé de ce 
sujet, mais il n'en a guère tiré partie 
dans ses mélanges fort curieux d'ail- 
leurs, et annonçant une vaste lecture. 
Les quelques pages qu'il y a consa- 
crées, ne contiennent pas même l'indi- 
cation des sources qu'on pourrait con- 
sulter.* 

Si chaque genre, à son tour, a son 
âge d'or en littérature, celui du pastiche 
et des suppositions d'auteur est în- 

^ Ses trois courts chapitres sur la matière, 
sont : — 1^ Celui sur les imposteurs littéraires; 
2*. Celui consacré aux imitateurs remarquables; 
et 3^ Le chapitre sur les faux littéraires (lite- 
rary forgeries). Ce dernier est le plus intéres- 
sant. 



144 Essai sur La Pastiche. 

contestablement le dix-neuvième 
siècle. Le nombre en est si cohsidé- 
rable, que nous ne ferons mention que 
des plus curieux. 

En 1803, Barbie de Bercenay et 
Sulplice Imberty comte de la Platière, 
is'amusèrent à publier une correspon- 
dance très bien imitée, de Louis XVI. 
avec ses frères, et plusieurs person- 
nages célèbres, pendant les derniers 
années de son règne. 

M. Beuchot^ dans la " Bibliographie 
de la France," convainquit les plus 
incrédules que ces lettres, acceptées 
comme authentiques, étaient sup- 
posées. 

Les plus habiles critiques sont quel- 
quefois pris au piège du pastiche, mais 
il arrive aussi que le contraire a lieu, et 
quec'est le mystificateurqui est mystifié. 

Paul Lacroix, le prince des pas- 
ticheurs et de la pastichomanie, qui 
nous a conservé la mention d'une 



Essai sur Le Pasticlie. 1 45 

partie des siens,^ comme documents 
pour l'histoire du genre, est un exemple 
du fait II publia dans un catalogue, 
avant que le manuscrit authentique et 
autographe eut passé dans la biblio- 
thèque de S. A. R. le Duc (TAumale, 
que "les historiettes de Tallemant 
des Réaux étaient évidemment un 
ouvrage supposé, que M. De Mon- 
merqué^ de concert avec Taschereau^ 
qui possède si bien son xvii"* siècle, 
auraient déterré à la bibliothèque du 
roi, dans les recueils d'anecdotes de 
Falconety ou bien extrait des manu- 
scrits de Conrarty à l'arsenal." 

L'écrivain qui inventait un sixième 
livre de Pantagruel^ des Mémoires 

^ Voir rintroduction aux Mémoires de 
Messire Jean de Laval, Comte de Chateaubriand. 
Genève, 1868. Un vol. in 18*, tirage à cent 
exemplaires numérotés. 

^ Il ne fut toutefois jamais publié que le 
prologue et le premier chapitre. 

Lors de la publication de ce pastiche, un 

K 



146 Essai sur Le Pastiche. 

du Cardinal Dubois, de Gabrielle 
(fEsirées, etc., etc., n'aurait pas dû 
se fourvoyer ainsi. Rappelons en 
passant que la publication de ces 
Mémoires de Tallemant des Réaux a 
contribué à laver la tache qu'un autre 
pasticheur avait imprimée au parle- 
ment de Grenoble, pour un arrêt qui 
fut regardé comme authentique pen- 
dant plus de deux cents ans.^ 

journal de Paris, en annonçant ce sixième livre, 
disait : La lecture de ce livre inédit convaincra 
les plus incrédules, qu'il ne peut être attribué 
qu'au véritable auteur de Pantagruel. 

* Article Sauvage^ tom. iil p. 93, de Tédit, in 
12% de 1840. Cet arrêt supposé, rendu en 
1637, fut inséré par plusieurs jurisconsultes 
dans les recueils d'ordonnances et dans les com- 
mentaires. C'est sur la donnée de cet arrêt qu'a 
été composé le livre, intitulé, Lucina sine 
concubitu, ^zxjohn Hill, qui prit le pseudonyme 
ai Abraham Johnson. Mercier de Compïègne 
publia cette plaisanterie en français. 

Dans "Les Mémoires de Fléchier" (Paris, 
Hachette, in 12*, 1862), sur les Grands jours 



Essai sur Le Pastiche. 147 

L'incorrigible Paul Lacroix publia 
en 1828 un autre pastiche qui réussit 
encore mieux que les précédents. Ce 
fut une lettre de Clément Marot à la 
sœur de François I, sur le recueil de 
ses contes, et qui fournissait la preuve 
des liaisons intimes qui avaient exis- 
tées entre ces deux personnages 
célèbres. 

Citons encore du même écrivain la 
traduction de l'ode d'Horace, ** Pastor, 
cum traheret," etc., attribuée au prince 
qui fut depuis Louis XVI IL Quand 
elle fut publiée en 1829, on ne doutait 
pas que ce souverain en fut véritable- 
ment l'auteur.^ 

M. Fauriel^ désireux de contribuer 

(TAuvergney en 1669, l'auteur fait mention, à la 
page 127, d'un cas à peu près semblable à 
Tarrêt supposé de Grenoble. 

* Dans "Les Supercheries Littéraires dévoi- 
lées " par Quêrard, tome iii. page 9, on trouve 
de longs détails sur ces pastiches. 



148 Essai sur Le Pastiche. 

à la réputation de son jeune ami Pros- 
per Mérimée l'engagea à recueillir et à 
publier une collection de poésies lUy- 
riennes, qui, disait-il, ne pouvaient 
manquer de réussir en France, d'après 
ce qu'il en avait entendu réciter dans 
le pays. Un an après ce conseil, en 
1827, Mérimé fit paraître La Guzla, 
chants Illyriens d'Hyacinthe Maglano- 
wich. 

Rien ne faisait soupçonner le pas- 
tiche au public, mais Fauriel ne tarda 
pas à le reconnaître, et fut très mécon- 
tent qu'un ami eut essayé de le 
prendre pour dupe. 

Néanmoins ces originaux supposés 
eurent un grand succès, et un naïf 
Allemand non-seulement les traduisît 
en vers, mais il prétendit même avoir 
su retrouver, sous la version française, 
le mouvement et le rhythme de l'ori- 
ginal. 

A cette époque, le mensonge litté- 



Essai sur Le Pastiche. 149 

raire se rencontraît partout en France, 
même dans les sermons. Serieys 
publia à Paris, en 18 10, sous le titre 
de ** Sermons inédits de Bourdaloue," 
deux pastiches assez bien faits de ce 
célèbre prédicateur. 

Presque tous les Mémoires, soi- 
disant inédits des i6"% 17"* et iS"*' 
siècles rentrent dans cette catégorie. 
On commença même à attaquer les 
anciens auteurs latins, comme l'avait 
fait Hardouin. 

Eugène Du Mesnil voulut établir 
que le poème de Lucretius Carus, 
avait été composé par ^ean Pontanus, 
de Naples. Il en donnait quinze 
différentes raisons. 

Nous aimons à croire que ce n'était 
là, pour M. Du Mesnil, qu'un para- 
doxe, car pour l'existence de ce 
poème nous avons le témoignage de 
Cicéron, de Stace, de Quintilien. 
Puis on se demande comment Pon- 



1 50 Essai sur Le Pastiche. 

tanus, voulant faire un pastiche qu'il 
attribuait à un auteur plus jeune que 
CtcéroHy et de douze ans seulement 
plus âgé que Virgile, aurait affecté 
les tournures archaïques familiaires 
à Lucrèce, quoiqu'elles ne soient pas 
étonnantes chez celui-ci, comme le re- 
marque fort bien Bayle. 

Plusieurs bibliophiles se donnèrent 
la peine de défendre l'authenticité du 
poème de Lucrèce, dans un journal 

littéraire.^ On pourrait donner à 
cette défense le titre de Love's 

labour losL 

Une supposition d'auteur plus a- 

droite que la précédente, fut celle de 

M. E. Begin, qui, dans une histoire 

des rues de Metz, fit intervenir dans 

son récit Claudius Numatianus Ruti- 

lius, et donna la traduction française 

de deux lettres, supposées écrites par 

ce poète latin du v"* siècle. 

' U Intermédiaire ùw 29 Juin 1870. 



Essai suy Le Pastiche. 151 

Entraîné par l'exemple de la 
France, le célèbre poète italien Léo- 
pardi s*amusait à publier en 1826 
une traduction faite au xiv™* siècle, 
d'après une version latine d'une chro- 
nique grecque, relatant l'histoire des 
Saints Pères du Mont Sinaï. Il imita 
si bien le vieux style italien, que de 
fins connaisseurs y furent pris. Du reste 
cet écrivain aimait assez à mystifier 
ses amis et le public, car il publia, peu 
de temps après, deux odes grecques 
dans le genre d'Anacréon, et la traduc- 
tion d'une ode à Neptune, protestant 
qu'il avait trouvé, dans un vieux manu- 
scrit, ces débris jusqu'alors inconnus 
de la littérature hellénique.^ 

La manie des supercheries littér- 
aires était dans l'air. Un peu plus 
tard, un étudiant allemand nommé 

^ Gustave Brunet, " Essai sur les Bibliothèques 
Imaginaires," i vol. 8", p. 383. Paris: Techener. 
1862. 



152 Essai sur Le Pastiche. 

Wagenfeld composa une traduction 
grecque de Thistorien phénicien 
Sanclioniaton^ supposée faite par 
Philon de Biblos. Ce travail décelait 
une profonde connaissance des antiqui- 
tés sémitiques. 

L'auteur prétendit que le manuscrit 
original avait été trouvé dans un cou- 
vent de Portugal. Le directeur du 
Lycée de Hanovre, le savant Grotefend, 
fut trompé par Técolier au point 
d'écrire un avant-propos pour le 
travail de Wagenfeld, intitulé, " Ana- 
lyse de rhîstoire primitive des Phéni- 
ciens, par Sanchoniaton, faite sur le 
manuscrit nouvellement retrouvé de 
la traduction complète de Philon, 
avec des observations de M. F. Wa- 
genfeld." 

On y avait inséré un fac-similé de 
l'original ; seulement comme le texte 
grec ne paraissait pas, et que les 
savants ne pouvaient en obtenir Tin- 






m0 



Essai sur Le Pastiche. 1 53 

spection, des doutes s'élevèrent, et 
toutes les circonstances de la trou- 
vaille ayant été mûrement pesées, il 
fut prouvé, même au Directeur du 
Lycée de Hanovre, qu'il n*y avait 
jamais eu dans cette affaire qu'une 
très adresse et très habile supposition 
d'auteur. 

Mais c'est plus particulièrement en 
France que réussissent ces jeux 
d'esprit 

Comment en serait-il autrement 
lorsque même les esprits les plus 
graves cherchent à tromper le public, 
ne fut-ce que pour quelque temps, et 
prennent plaisir à la déception et à la 
crédulité des lecteurs ? 

Le premier quart du dix-huitième 
siècle s'ouvrit par un petit ouvrage 
rempli d'un parfum attique et que 
l'auteur, qui ne s'avouait que le traduc- 
teur, disait avoir trouvé parmi les 
manuscrits d*un évéquegrec. Il ajou- 



1 54 Essai sur Le Pastiche. 

tait, " On ne sait ni le nom de 
l'auteur nî le temps auquel il a vécu ; 
tout ce qu'on peut dire, c est qu'il n'est 
pas antérieur à Sapho, parcequ'il en 
parle dans son ouvrage." 

Le succès fut si grand que les sept 
chants de ce poème en prose, soi- 
disant grec, furent bientôt traduits 
dans presque toutes les langues. 
L'auteur garda assez longtemps le 
secret, cur l'ouvrage ayant paru en 
1729, l'auteur écrit à son ami l'abbé 
de Guasco, en 1742, "Je voudrais que 
vous fussiez de retour à Paris, avant que 
je parte, et je me réserve de vous dire 
alors le secret du Temple de Gnide^ 

Il était naturel que Charles de 
Secondât, Baron de Montesquieu, et 
Président du Parlement de Bordeaux, 
cherchât à cacher son nom ; mais il 
n'était pas besoin de tacher à induire en 
erreur ses amis aussi bien que le public. 

Ce ne fut que plus tard qu'il avoua 



% ^ 



Essai sur Le Pastiche. 1 55 

ce pastiche, dans une lettre où il disait 
qu'il n avait eu d'autre but que de 
faire une peinture poétique de la 
volupté. Depuis lors, bien des écri- 
vains, s'appuyant d'un si grand nom, 
crurent pouvoir regarder le public 
comme leur jouet, et rire de sa crédu- 
lité. 

Aux exemples que nous en avons 
déjà donnés, en voici quelques autres. 

M . Louis Lazare mit en circulation 
avec succès des lettres du roi Henri 
IV., jusqu'au jour où M. Berger de 
Xivrey eut démontré d'une façon per- 
emptoire que ce n'étaient que des 
pastiches. Nullement découragé par 
cet échec, le même écrivain, un peu 
plus tard, présenta aux lecteurs, dans 
Le Peuple Français^ un article intitulé, 
'' Edilité Parisienne, de longues cita- 
tions d'histoire anecdotique soi-disant 
inédites, dans lesquelles le style ancien 
est très bien iniité ; mais l'auteur se 



1 56 Essai sur Le Pastiche. 

garde bien de laisser soupçonner que 
ce n'est là qu'une supercherie." ^ 

L'audace des contrefacteurs était 
telle qu'ils n'hésitaient pas à tromper 
le gouvernement même. Sous le 
ministère de M. de Villemain, le grec 
Mindide Minas eut mission d'explorer 
les vieilles collections de livres et de 
manuscrits de son pays, et rapporta 
du couvent de Sainte Laura, au mont 
Athos, un manuscrit inédit des fables 
et apoloques de Babrius.* Le savant 
Helléniste Boissonnade fut chargé de 
l'éditer. Or dans l'intervalle, M. 
Minas vendit au Musée Britannique, 
à Londres, un manuscrit renfermant 
95 fables du même Babrius, dont M. 

1 Voir le No. du 27 Août 1869. 

2 La critique a décidé qu'on ne peut placer 
cet auteur au-dessous du troisième siècle. 
Ainsi ce poète est postérieur à Phèdre^ qu*il 
surpasse, dans l'opinion de quelques-uns, par 
la précision élégante de son style. 



Essai sur Le Pastiche. 1 57 

G. Cor7iewall Lewis publia une édition 
à Londres en 1859.^ 

On espérait que c'était le complé- 
ment, ou la seconde partie, comme le 
dît le titre latin, du recueil incomplet 
rapporté d'Orient par Minas et que 
le ministère français faisait éditer. 
Malheureusement pour les savants, 
M. Dubner démontra, dans le journal 
de l'instruction publique du 1 5 Févr. 
1860, que ces nouvelles fables étaient 
des pastiches, auxquels Thelléniste 
anglais sétait laisser pendre trop 
facilement* 

Nous avons cité dans l'introduction, 
le volume de pastiches composés par 
M. Châtelain. Cet écrivain ne montra 
pas toujours la même franchise. 

^Babrii Fabulae i£sopeae e codice manu- 
scripto : partem secundam nunc primum edidit 
G. Comewall Lewis. Un voL îîi 8*. 

* Voir Egger, " Mémoires de Littérature An- 
cienne," tome i. page 490, et suir. 



1 58 Essai sur Le Pastiche. 

En 1 837, il publia quatre lettres de Vol- 
taire à Madame Du Deffand, au sujet 
du jeune Benjamin Constant de Re- 
becque. Dans une note explicative, il 
prétend que ces lettres furent laissées 
par M"* du Deffand à Horace Walpole. 
** Il parait, ajoute-t-il, que M. B. Con- 
stant a fait l'acquisition des originaux 
qui le concernaient, de Walpole lui- 
même, qui ne voulut point céder les 
réponses de M"** du Deffand. Au 
reste, cette négociation explique pour- 
quoi les lettres que nous livrons au 
public, ne se trouvent dans aucune des 
collections des œuvres de Voltaire." 

Ne croyant point encore cette ex- 
plication suffisante, et pour établir 
sans réplique Tauthenticité des docu- 
ments, Châtelain va jusqu'à avancer 
que des membres de la famille de 
Benjamin Contsant l'avaient assuré 
que la Biographie U ni verselle se trom- 
pait en donnant 1767 comme date de 



Essai sur Le Pastiche. 1 59 

sa naissance,^ tandis quil est né en 
1759» ce qu'on pouvaît vérifier chez 
M. Chevillard^ père, notaire, rue du 
Bac, No. 15. 

Nom de notaire, rue, numéro, toutes 
ces indications étaient fausses. L'ex- 
trait de baptême du grand publiciste, 
prouve qu'il est bien réellement né le 
29 Octobre 1767.* La même année 
que Châtelain poussait ainsi la super- 
cherie littéraire jusqu'au mensonge, 
Toulouse voyait paraître un magnifique 
in 8°, tiré à cinquante exemplaires 
seulement, et imprimé en or, argent et 
couleurs, à l'imitation des anciens 
manuscrits. Le Carya Magalonensis^ 
chronique de Montpellier, durant les 
premières années du xiv"* siècle, 

^ Ce qui ne lui aurait donné que l'âge de 
6 ou 7 ans, quand il demanda des lettres de 
recommandation en 1774, pour se présenter 
chez Madame du Deffand, 

* Quérard, " Supercheries Littéraires." 



1 6o Essai sur Le Pastiche. 

acceptée comme authentique, eut une 
seconde édition en 1844, avec la 
traduction en regard, par M. A. 
Moquift' Tandon. L'ouvrage trompa 
la clairvoyance des critiques les plus 
éprouvés. 

M. Raynouard lui-même, dont les 
décisions semblaient infaillibles, écrivit 
au traducteur pour le féliciter d'avoir 
mis en lumière un livre qu'il considérait 
comme devant ajouter des renseigne- 
ments curieux à l'histoire de la langue 
d'Oc. Quelques journaux de Toulouse 
et de Montpellier furent induits en 
erreur, comme le savant philologue. 
Mais M. Fortoul^ alors professeur à 
Toulouse, depuis ministre de l'instruc- 
tion publique, déclara, " qu'il regardait 
le Carya Magaloneneis comme une 
contrefaçon habile et exacte de cette 
langue romane qui a eu autrefois 
tant de gloire, et qui est aujourd'hui 
le sujet de tant d'études." 



Essai sur Le Pastiche. i6i 

Le secret avaît été bîen gardé, car 
Fauteur de ce pastiche Tavait confié à 
quelques amis, en distribuant la pre- 
mière édition. Enfin il souleva tout- 
à-fait le voile.^ 

Deux véritables héros pour la fabri- 
cation de pastiches et de fausses pièces, 
ont étonné le dix-neuvième siècle. 
Le premier est le grec Simonidès, qui 
commença sa carrière en ce genre, en 
arrivant à Athènes avec un grand 
nombre des manuscrits les plus rares, 
tant sacrés que classiques, provenant, 
assurait-il, du couvent du Mont Athos. 
Parmi eux se trouvait un ancien 
Homère^ avec un commentaire com- 
plet d' Eustathtus. Un examen minu- 
tieux prouva que ce n'était guère que 
la copie de l'édition du poète grec, par 
Wolf, les erreurs y comprises. 

En 1851, Simonidh proposa à 

^ ** Les Ecrivains pseudonymes,'* etc., par 
Quérard. i vol. pp. 335. Paris, 1854. 

L 



1 62 Essai sur Le Pastiche. 

Constantinople, la publication d'un 
Sanclioniaton complet, et promit en 
outre des inscriptions cunéiformes 
avec traduction en phénicien, et des 
manuscrits arabes en caractères sy- 
riaques, renfermés dans une boîte de 
métal qu'il avait aidé à déterrer, mais 
qu'on découvrit malheureusement qu'il 
avait enfouie lui-même en ce lieu. 

Arrivé en Angleterre en 1853, il 
présenta à la Société Royale de 
Littérature de Londres, quatre livres 
de l'Iliade qu'il tenait de son oncle 
Bénedictus, moine du Mont Athos. 
Dans une des séances de la société, il 
prononça un discours sur un Dic- 
tionnaire Hiéroglyfique Egyptien dont 
il avait connaissance, et sur des 
chroniques Babyloniennes en caractères 
cunéiformes. 

Les lettrés trop crédules admirèrent 
le zèle infatigable qui avait pu ras- 
sembler de pareils trésors. 



Essai sur Le Pastiche. 1 63 

Simonidcs extremêlait adroitement 
les vrais manuscrits avec les faux. 
Le Musée Britannique lui en acheta 
onze exempts de tout soupçon. Ce 
n'était là, comme nous allons le voir, 
que préparer habilement ses plans. 

Il fit alors une excursion en Alle- 
magne, et il y mystifia un instant des 
savants tels que Bunsen^ Lepsitis, et 
W. Dindorf. Le manuscrit d' UranïoSy 
contenant un fragment de l'ancienne 
histoire d'Egypte, fut accepté par ce 
dernier comme authentique, et d'après 
ses conseils, l'université d'Oxford fit 
imprimer un spécimen de ce document. 
Peu de temps après, Lepsius, qui 
s'était aussi intéressé à cette trouvaille, 
annonça qu'après un examen plus 
attentif, il avait reconnu, que le texte 
de ce manuscrit était pris en partie 
dans ses propres ouvrages à lui, et en 
partie dans ceux de Btmscn. Tischen- 
dorf confirma cette opinion et dé- 



1 64 Essai sur Le Pastiche. 

montra de son côté que VUranios 
n'étaît qu'une fraude littéraire. 

Sintonidès^ qui était parvenu à vendre 
ce manuscrit à l'Académie de Berlin, 
pour cinq mille dollars, fut arrêté à 
Leipsig, au moment où il prenait le 
chemin de l'Angleterre. On le con- 
duisit à Berlin, où il fut mis en prison 
et traduit devant une cour de justice. 
Il échappa toutefois à une condamna- 
tion, en conséquence de l'omission de 
certaines formalités légales, mais néan- 
moins, le 30 Mars 1856, la police lui 
donna l'ordre de quitter le pays. 

Simonidès revint en Angleterre, et 
y fit valoir bien haut son acquittement, 
preuve, disait-il, de son innocence et 
des calomnies auxquelles il avait été 
en butte. 

Renouant le fil de ses anciens rap- 
ports avec les savants du pays, il leur 
fit entendre qu'il avait connaissance 
d'une foule de manuscrits précieux, 



Essai sur Le Pastiche. 165 

inconnus, dont un était de la main de 
\ Empereur Théodose! 

M. Mayer^ zélé Egyptiologue de 
Liverpool, non seulement lui acheta 
des pièces fort anciennes, mais encore 
lui donna accès à son Musée, le priant 
d'expliquer plusieurs papyri qu'il lui 
confia. 

Par ses conseils, M. Mayer fit pu- 
blier, à grands frais, avec les explica- 
tions de Simonidès, un beau volume, 
contenant entr'autres certaines por- 
tions de l'évangile de Saint Mathieu, 
supposées écrites par Nicolas d'An- 
iioche^ sous la dictée de Tapôtre lui- 
même ! ^ 

Le journal littéraire {Athenœunù) 
examina soigneusement ces pièces, et 

* " Fac-Similes of certain portions of the 
Gospel of St Matthew, and of the Epistles of 
St James and St Jude, written on papyrus, in 
the first century, etc. etc. Edited and illustrated, 
by Constantin Simonidôs.'* In fol. London : 
Triibner, 1862. 



1 66 Essai sur Le Pastiche. 

les déclara fausses. Mais Taudace ou 
ringénîosîté de notre grec ne s'effrayait 
pas si vite. 

Il pouvait montrer aux incrédules, 
disait-il, des documents plus curieux 
encore. Entr'autres un traité théo- 
logique égyptien, écrit sur une peau 
de femme, au premier siècle ! Aussi, 
un poème grec ^ŒnopidèSy tracé sur 
une peau semblable, à la même date ! 

On peut aisément s'imaginer que 
tout ceci ne servait guère à augmenter 
la confiance du public. 

Simonidès, ayant eu à subir de très 
vives attaques du savant Tischendorf, 
songea à s'en venger d'une manière 
assez curieuse. Les érudits se rapel- 
lent le bruit que fit la découverte, au 
Mont Athos, du fameux Codex Sinal- 
ticus, ou texte de l'Evangile, par 
Tischendorf, qui en fit présent à l'Em- 
pereur de Russie, et qui exposa 
l'historique complet de cette décou- 



Essai sur Le Pastiche. 167 

verte dans un petit volume, supérieu- 
rement imprimé à Leipsig, sous le 
titre de " Sinalbibely ihre Entdeckung, 
Herausgabe, und Erwerbung" 

Simonidès publia que ce manuscrit 
n'avait aucune authenticité, puisque 
c'était lui-même qui l'avait composé. 
Il expliquait tout au long les circon- 
stances de cette fabrication.^ 

Dans une lettre du 17 Janvier, du 
journal cité ci-dessus, on répondit que 
Simonidès cherchait à se parer des 
plumes du paon, et qu'en 1862, il 
n'avait pas même connaissance du 
célèbre codex, lorsqu'il en fut ques- 
tion, en sa présence, à l'Université de 
Cambridge. A lexandre von Humboldty 
qui avait suivi toute cette controverse 
avec grand intérêt, nommait Simonidès 
une énigme vivante et un nœud gor- 
dien insoluble. 

' Supplément au journal T7ie Guardian^ du 
3 Septembre et du 21 Novembre 1863. 



i68 Essai sur Le Pastiche. 

En 1867, on annonça, dans les 
journaux, la mort de notre fameux 
grec, arrivée à Constantînople ; mais 
deux ans après, le révérend Donald 
Owen le retrouva à Saint-Pétersbourg, 
préparant pour la presse " des docu- 
ments historiques de grande impor- 
tance, par rapport aux droits du 
Gouvernement russe." 

Comme il lui était arrivé quelquefois 
de se rendre à lui-même, sous un autre 
nom, témoignage de Tauthenticité de 
ses pastiches, il n'y aurait pas lieu de 
s'étonner si Simonidès se présentait de 
nouveau un jour incognito, comme 
témoin de l'authenticité de tout ce 
qu'on lui a contesté.* 

Ces fabrications de faux documents 
mirent la puce à l'oreille des archivistes, 
à ce qu'il parait, car M. R. K Le M en 
qui remplissait ce poste dans le dé- 

* GentUmatCs Magazine^ Octobre et Novem- 
bre 1865. 



Essai sur Le Pastiche. 169 

partement de Quimper, accusa M. De 
la Villemarquéy de faire passer pour 
vraies des supercheries pareilles.^ 
Cet écrivain disait avoir découvert 
dans une église près de Morlaix, en 
Bretagne, les poésies d'un ancien poète 
du pays, Quin-Clan^ dont de très 
courts fragments seulement avaient 
échappés à la destruction. Ces poésies 
appartiennent aux 5°* et 6"* siècles. 
Ce Quin-Çlan était le Merlin des 
Bretons, sinon le véritable Merlin des 
romans de chevalerie.* Malheureuse- 
ment ce précieux manuscrit disparut 
très peu de temps après sa découverte, 
et ne fut plus jamais retrouvé. Quel- 
que temps après M. de la Villemarqué 
fit paraître son volume intitulé Barzas- 
Breizy ou chants populaires de la 6re- 

^ Voir Athenœum^ du ii Avril 1868. 

« Voir Le Courrier Français^ du 28 Octobre 
1835 ; et un article de M. Francisque Michel 
dans le ForeignQuarterly Review^ à* A.yxi\ 1836. 



1 70 Essai sur Le Pastiche. 

tagne, dont partie du texte était de 
pure imagination, dit M. Le Men. 

Ce qui frappa d*abord le plus notre 
critique, ce fut Tensemble et l'admi- 
rable suite des Barzas-Breiz. Si 
quelqu'un avait eu l'idée de présenter, 
par épisodes, l'histoire complète de la 
Bretagne, il n'aurait pas pu mieux 

S réussir. Il ne manque pas un chaînon 

depuis les Druides jusqu'aux Chouans. 
Cette suite parfaite suscita des soup- 
çons, et un examen critique ne fit que 
les confirmer. On peut diviser ces 
chants ou petits poèmes, en deux 

! classes. D'abord les soi-disant contes 

anciens, tels que La prédiction de 
Gwenc^hlany La marche d^ Arthur, La 
submersion de la ville dLs, Le tribut 
de Nomenoë, Le vin des Gaulois, les- 
quels M. Le M en regarde comme de 
simples fabrications. 

Puis viennent les chants dont les 
prototypes sont bien connus, mais qui 



Essai sur Le Pastiche. 1 7 1 

ont été modifiés pour leur donner un 
caractère historique et une apparence 
d'ancienneté, tels que Les vêpres des 
Genouilles, et plusieurs autres, où les 
anachronismes abondent. 

Terminons en citant textuellement 
notre critique, ** Depuis vingt ans, j'ai 
parcouru toutes les parties de la 
Bretagne, et principalement le Finis- 
tèrey et j'ai passé bien de jours dans les 
lieux mêmes où M. de la Villemarqué 
dit avoir recueilli ses anciennes chan- 
sons et poèmes. J'ai pris des ren- 
seignements auprès de ceux qui con- 
naissent le mieux les mœurs et les 
coutumes de la Bretagne, nommément 
Messieurs P. Protix et Lugel, nos deux 
meilleurs poètesbretons contemporains, 
dont la compétence pour juger de 
chants nationaux, est incontestable. 
Ils m'affirment qu'ils n'ont jamais 
rencontré dans la Basse Bretagne les 
noms de Gwenc'hlan, ^Arthur, de 



1 72 Essai sur Le Pastiche. 

Merlifiy de Nominoë, soît dans des 
poèmes connus, soit dans des traditions 
populaires. 

" J'ai aussi consulté les inspecteurs 
des écoles primaires qui reçurent 
Tordre du ministre de Tinstruction 
publique, de 1851 à 1853, de rassem- 
bler les chansons populaires des dis- 
tricts ruraux, et j'ai reçu les mêmes 
réponses négatives. 

" M. à' A r bais de Tubainville^ corres- 
pondant de r Institut de France, a 
demandé des explications, dans la 
Revue Critique àxi 23 Novembre 1867 ; 
mais l'éditeur des Barzas-Breiz avait 
jusqu'en Avril 1868, gardé le plus 
profond silence." 

Nous ignorons si des explications 
ont été données depuis, mais l'accusa- 
tion nous a paru assez singulière pour 
n'être pas passée sous silence. Enfin, 
quand même une grande partie des 
Barzas-Breiz ne feraient que re- 



ij 



Essai sur Le Pastiche. 1 73 

produire Thistoire embellie des poèmes 
(TOssiafiy M. De la Villemarquéy par 
ses nombreuses publications sur la 
littérature de la Bretagne, en a ravivé 
le souvenir, dans une sphère très 
étendue. 

A cette époque l'Angleterre, aussi 
bien que la France, présentait de ces 
supercheries sur une assez grande 
échelle. Citons entr'autres une 
fabrication systématique des lettres de 
Lord ByroUy de Skelley^ et de KeatSy 
qui étonna la ville de Londres, de 
1850a 1852. Ces faux autographes 
étaient si bien contrefaits qu'ils 
déçurent tous les collecteurs anglais. 

L'éditeur Moxon acheta très cher 
dans une vente publique, une série de 
ces lettres, et en publia vingt-cinq, avec 
une introduction pompeuse du poète 
Robert Browning. 

Après un long et soigneux examen, 
elles furent reconnues n'être que des 



* 

t 



I» • 



1 74 Essai sur Le Pastiche. 

pastiches. Le premier soupçon s'éleva 
par un singulier hasard. M. Moxon 
avait présenté un exemplaire de sa 
publication au poète Tennyson^ chez 
lequel M. Palgrave, jetant par acci- 
dent les yeux sur ces lettres, en 
rencontra une qui faisait partie d'un 
article du Qtuirterly Review de 1 840, 
écrit par son père, Sir Francis Pal- 
grave. La chose étant prouvée. Pal- 
grave informa aussitôt Moxon, qu'il y 
avait là un plagiat, et l'éveil ainsi donné, 
toutes les autres lettres furent dis- 
cutées, l'une après l'autre, et l'on 
acquit l'évidence d'une complète super- 
cherie, M. yohn Murrayy un des 
plus grands éditeurs de l'Angleterre, 
avait aussi été pris au piège. Il avait 
acheté au libraire White, quarante-sept 
lettres supposées autographes de 
Lord Byron, pour cent-vingt-trois 
livres sterling et six shellings, à raison 
de deux guinées et demi la pièce. 



Essai sur Le Pastiche. 1 75 

L'affaire de Moxon avait rendu 
soupçonneux M. Murray, qui» possé- 
dant un nombre considérable de docu- 
ments, poèmes et lettres de la main 
du noble poète, examina scrupuleuse- 
ment ses nouvelles acquisitions, les 
soumit à des connaisseurs, les confronta 
avec d'autres originaux, et enfin il lui 
fut démontré que lettres et notes de 
Byron, de Slielley, et de Keats, n'étaient 
que d'habiles pastiches. 

Le libraire White, qui en avait vendu 
une grande partie, expliqua, dans une 
lettre à M. Murray^ le système ori- 
ginal dont une femme s'était servi 
pour lui en imposer, en excitant sa 
compassion pour la détresse où se 
trouvait un fils naturel de Byron} 

Un des plus savants collectionneurs 
de France fut dans le cas de devoir se 

^ Ce récit est trop long pour trouver place ici, 
mais on peut en lire les détails dans le 
Athaiœiun du 6 et du 20 Mars 1853 î àaxi^ 



1 76 Essai sur Le Pastiche. 

défendre contre une accusation du 
même genre que la précédente. Il 
possédait nombre de lettres de l'époque 
de la Révolution de 93, et dans un 
triage, il en vendit plusieurs, entre 
autres vingt-cinq lettres autographes 
de la Reine Marie- Antoinette y ac- 
quises par M. ^Hunolstein^ qui allait 
publier une nouvelle édition de son 
ouvrage sur cette infortunée princesse. 

Ces autographes excitèrent l'atten- 
tion du public, à la suite d'une dis- 
cussion sur leur authenticité, et M. 
UArndt, conservateur de la Biblio- 
thèque Impériale à Vienne, fit voir, 
par la forme et par le fond, qu'ils n'é- 
taient que des pastiches qui avaient 
trompé la perspicacité de M. Feuillet 
de Conches. 

Nous avons parlé ci-dessus de deux 

la Literary Gazette^ de la même date, et dans 
\esFrincipia Typographica de S. Leigh Sotherby, 
Londres, 1858, 3 vol. in fol. 



Essai sur Le Pastiche. 1 77 

véritables héros pour la fabrication de 
documents supposés, le premier, 
Simonidèsy dont les hauts faits ont été 
décrits. Le second fut Vrain Lucas, 
dont il nous reste à rappeler l'étonnante 
audace en ce genre. 

Le 8 Juillet 1867, T Académie des 
Sciences de Paris entendit, pour la 
première fois, M. Michel Chas les ^ 
mathématicien très distingué, parler 
des autographes rares et précieux 
qu'il avait acquis à grands frais. 

Dans le courant du même mois, M. 
Prospère Faugère^ auteur de nombreux 
travaux sur Pascal, et M. Bénard 
d'Evreux,écrivirent à l'Académie pour 
lui signaler quelques-uns de ces faux 
autographes,* que M. Chas les avait 
fait insérer dans les bulletins de cette 
société savante. Cet avertissement 

^ Il s'agissait de deux lettres de Biaise Pascal 
écrites au chimiste anglais Boyle, et de quatre 
notes. 

M 



1 78 Essai sur Le Pastiche. 

n'empêcha pas celui-ci de continuer 
sans retard la publication de documents 
j semblables, qu41 continuait à soutenir 

i parfaitement authentiques. 

Le bruit de cette discussion attira 
l'attention des savants de l'Angleterre, 
et Sir David Brewster écrivît d'Edim- 
bourg, à l'Académie de Paris, pour 
démontrer l'impossibilité d'avoir foi 
en ces pièces, qui impliquaient une 
correspondance entre Pascal, dans le 
déclin de l'âge, avec Newton^ un en- 
fant de douze ans ! 

Nonobstant, M. Chas les défendait 
pied-à-pied, les pièces qu'il avait 
produites. 

Il y avait déjà cent cinquante lettres 
et notes publiées dans les " Comptes- 
rendus," concernant Pascal^ et M. 
Michel Chasles annonçait que dans sa 
collection il y avait deux mille lettres 
de Galilée. 

" Quos Deus perdere vult^prius dementat,*' 



Essai sur Le Pastiche. 1 79 

Deux ou trois mois plus tard, Téton- 
nement redouble. Le crédule acadé- 
micien présente un premier fascicule 
de ces lettres de Galilée, où Ton trouve 
qu'il s'était occupé des lx)is de la 
pesanteur avec Pascal, alors seulement 
âgé de dix-sept ans. 

Ici r Italie se soulève à son tour, et 
prouve que Galilée n'a jamais écrit en 
français, qu'il ne savait probablement 
pas. 

Malgré tout, l'Académie déclare, le 
5 Août 1869, que toutes ces pièces 
portaient le cachet de l'authenticité. 
On s'appuyait surtout sur une lettre de 
Galilée \ Louis XIII., paraphée par 
Louis XIV., manu propriâ. 

Pendant ce temps, les accusations 
de faux pleuvaient de toute part. 
M. Breton (De Champ) démontre que 
seize notes de Pascal, et deux frag- 
ments d'une lettre de Galilée, ne se 
composaient que de passages litté- 



i8o Essai sur Le Pastiche. 

ralement copiés dans " L'Histoire des 
Philosophes Modernes," par-^/^râ5«^r^ 
Savérien. 

M. Sylvain Van de W^er^ Ministre 
de Belgique à Londres, aussi fin 
connaisseur en bibliographie qu'habile 
diplomate, écrivit au Daily News, le 
lo Mai 1869, une lettre dans laquelle, 
surprenant le faussaire la main dans le 
sac, il montre qu'une lettre supposée de 
Milton à Louis XIV., sur son voyage 
en Italie, était prise, phrase par phrase, 
dans la notice sur Milton, que M. 
Villemain avait insérée dans ses 
Mélanges. 

M. W. G. Clarke publie une lettre 
dans la Pall-Mall Gazette, du 27 Sep- 
tembre de la même année, au sujet de 
plusieurs autographes supposés de 
Shakespeare, écrits en français, et y 
donne la preuve que ces pièces sont 
tellement remplies d'anachronismes 
et d'invraisemblances, qu'on ne peut 



Essai sur Le Pastiche. 1 8 1 

assez s'émerveiller de l'extrême igno- 
rance de M. Chastes. 

Finalement, M. Le Verrier lit un 
mémoire à l'Académie, démontrant que 
les lettres de Newton, de Pascal, de 
Malherbe, de Rotrou, de Montesquieu, 
de Maupertuîs, de Louis XIV., de 
Leibnîtz, etc., etc., n'étaient composées 
que de fragments copiés dans les 
ouvrages de Voltaire, de Thomas, du 
Duc de La Vallière, de Chauffepîé, et 
autres. 

Les procédés de fabrication étaient 
maintenant mis à découvert 

Cette colossale manufacture de pas- 
tiches allait chercher ses sujets jus- 
qu'au delà de Fère chrétienne. Il y 
avait des lettres de Jutes César et 
des empereurs romains, plusieurs des 
rois mérovingiens, de Charlemagne, 
d'Alcuin, des Apôtres, de Boèce, de 
Cassiodore, de Grégoire de Tours, de 
Saint Augustin. 



i82 Essai sur Le Pastiche. 

M. Michel Chas les déclara, en pleine 
académie, qu'il avait acheté plus de 
vingt mille de ces pastiches, et qu'il 
avait payé au fabricateur plus de cent 
cinquante mille francs ! 

Ce qui doit vraiment faire douter 
que le collectionneur, tout grand mathé- 
maticien qu'il fut, était compos mentisy 
c'est que parmi ces autographes il y 
en avait du sage Thaïes, de Pythagore, 
de Sapho, de Lazare le ressuscité, de 
la Madeleine. Bien plus, ceux de Jules 
César et des empereurs romains 
étaient écrits en français ! 

Nous ne pouvons nous empêcher de 
donner un spécimen ou deux : — 

Lettre de Sapho a Phaon. 
Sapho à son irh-amé Fhaon, salut 

" Très chier amé, près de ces bords chaxmans 
oîi la veue admire en s'égarant, une immense 
estendue, où la plaine des mers et la vouste des 
cieux semblent dans le lointaing se confondre, 



Essai sur Le Pastiche. 183 

... ce fut là que embrasé par l'amour, tu me 
donna {sic) le premier baisé, et me pressa de le 
rendre," etc., etc. 



DÉFI DE Jules César a Vercingetorix. 
Juin (sic) César au Chief des Gaulois. 

**J'envoy devers toy un mien amé qui te 
dira le but de mien voyage ; je veus covrir de 
mes soldats la terre qui t'a veu naistre. C'est 
en vain que tu la vouldras défendre. Tu es 
brave, je le say, mais aussi le serai, s*il plaist 
aux Dieux. Ains rend moy tes armes, ou pré- 
pare toy à combatre. Ce vi. des Kal. de 
Jullius." * 



On comprend aisément que ce ne 
fut que tout à la fin que ces dernières 
merveilles se produisirent. Les lettres 
des savants de France et d'Italie 
étaient composées avec adresse. 

^ L'écriture des originaux imite celle du 
dixième ou du onzième siècle, et Lucas disait 
qu'il ne les avait donnés que comme traduction 
d'antiques documents détruits. 



184 Essai sur Le Pastiche. 

Le fabricateur, VrainLtuas^o^x n'avait 
reçu qu'une demie éducation, et qui ne 
savait ni le grec ni le latin, se gardait 
bien de les tirer de son imagination. 
Il copiait ses phrases dans les ouvrages 
de ceux qui faisaient l'objet de ses pas- 
tiches, ou sophistiquait légèrement les 
originaux existants. 

La confiance inspirée par le mérite 
éminent du collectionneur, et le respect 
imposé par son caractère, peuvent, 
jusqu'à un certain point, contribuer à 
excuser l'erreur dans laquelle l'Aca- 
démie des Sciences est tombée. 

L'affaire ayant été portée devant 
les tribunaux, les experts trouvèrent 
plus de vîngft-sept mille de ces pièces, 
émanant de six cent soixante per- 
sonnages célèbres.^ L'ensemble des 

^ De Pascal, 1745 ; de Newton, 622 ; plus de 
trois mille de Galilée ; six cents de Montaigne, 
etc. Jamais le stupide aveuglement d'un ama< 
teur d'autographes a-t-il été poussé jusque-là ? 



Essai sur Le Pastiche. 185 

circonstances exposées dans le procès, 
sert à expliquer comment la discussion 
sur ces pastiches a pu durer deux 
années, comment les bulletins des 
Comptes-rendus leur ont accordé plus 
de 400 pages, et comment cette société 
savante a pu déclarer authentiques 38 1 
pièces fausses. 

Vrain Lucas ne fut condamné qu'à 
deux ans de prison et 500 francs 
d'amende. 

Cette affaire, où il reste encore de 
nombreuses obscurités à éclaircir, sera 
pour l'avenir l'une des plus extraordi- 
naires des supercheries littéraires et 
de la manie des autographes poussée 
jusqu'à la folie.^ 

A la suite de cet exposé d'une 

1 Deux ouvrages donnent tous les détails dé- 
sirables: i**,Une Fabrique de Faux Autographes, 
ou Récit de l'Affaire Vrain Lucas, par Henri 
Bordier et Emile Mabile, i vol. 4°. Paris : 
Techener,i87o. 2°, "Défense de B. Pascal," etc., 



i86 Essai sur Le Pastiche. 

supercherie qui ruina le renom de 
haute intelligence d'un homme de 
mérite, racontons celle qui servit au 
contraire à rehausser la réputation 
d'un rédacteur de journal. 

La surprise ne dura à la vérité qu'un 
jour, mais elle produisit des pastiches 
qui méritent d'être conservés. 

Signé par M. De Villemessani^ le 
Figaro du 8 Juin 1870, annonçait au 
public que son journal (bien connu par 

etc., par Faugère, i vol. 4**. Paris : Hachette, 
1868. 

Il y a lieu de s'étonner que Vrain Lucas ait 
si mal réussi dans ses pastiches de lettres de 
Jules César et autres personnages de ces époques 
reculées, lorsqu'il aurait pu prendre pour modèles 
nombre de ces sortes de fausses lettres parmi 
les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, à 
Paris, telles que la lettre ^^Ypocras à Cêsar^ 
à*Arisiote à Alexandre^ du Prestre Jehan à 
r Empereur de Consfantinople^ etc. Paulin Paris, 
tomes 5 et 6, de sou analyse de ces manuscrits, 
et Ferdinand Denis, dans Le Monde enchanté^ 
les avaient déjà fait connaître. 



Essai sur Le Pastiche. 187 

ses principes impérialistes) avait été 
vendu au parti républicain, à des condi- 
tions telles, que sans blesser gravement 
les intérêts de sa famille, il ne lui était 
pas permis de refuser. Les noms les 
plus retentissants s'étaient associés à 
la nouvelle rédaction : Victor Hugo, 
George Sand, Emmanuel Arago, Louis 
Blanc, Edgar Quinet, Félix Pyat Ils 
avaient envoyé leurs lettres d'adhésion 
en prose et en vers, et y développaient 
leurs principes les plus républicains. 
Ces pastiches étaient composés avec 
adresse, et on rapporte que quelques 
lecteurs trompés, ont déchiré le jour- 
nal sans le lire jusqu'au bout. Ces 
imitations représentaient non seule- 
ment les théories sociales et politiques 
des républicains avancés, mais encore 
leur style et leur manière. 

•' O justice ! O représailles ! disait 
F. Pyat, en terminant sa lettre, quand 
viendrez- vous ? Certes, quoiqu'on dise, 



i88 Essai sur Le Pastiche. 

je hais le meurtre, le sang, la poudre 
et les balles ; mais je hais encore plus 
les tyrans de la terre, et je veux 
anéantir les uns par les autres." 

" J'oublierai Tinsulte et Toutrage, 
s'écrie Edgar Quinet ; l'oubli d'un mal 
personnel, voilà qui est humain ; mais 
le crime qui atteint les autres, le mal 
fait à mes frères, l'exil de nos amis, 
les morts de nos parents, — oh ! les 
oublier, ce ne serait pas d'un homme, 
mais d'un tigre ! " . . . 

Le pastiche le plus remarquable 
dans ces lettres d'adhésion, est un 
poème de cent vingt-huit vers, par 
Victor Hugo, intitulé " La Presse des 
Mouchards." 

Voici le commencement et quelques 
vers de la fin de ce morceau, dans 
equel on a très bien saisi le style des 
Châtiments : — 

'^ Parceque dix-huit ans sur ce crime ont passé, 
La honte serait bue et le sang efiacé ! 



-^ 



Essai sur Le Pastiche. 189 

Et que le Plébiscite absout le fils d'Hortense, 
Décembre et Lambessa sont de peu d'im- 
portance ! 
Parceque ce César, roi des bourgeois félons 
Sur le peuple qui râle, a mis ses deux talons! 
Il faudrait bâillonner la Némésis-Tonnerre, 
Et laisser le vautour bien repu dans son aire ! 
Non, ce n'est point fini. 

• • • • • 

Oh ! que je suis heureux, sur mon rocher 

superbe ! 
L'aigle vole au zénith, autour de moi croit 

l'herbe ; 
O rocs de Guemesey, vagues, vents opportuns. 
Qui portez jusqu'à moi sa brise et ses parfums; 
Antres et bois touffus, si chers à mes études, 
Sol de la liberté, sauvages solitudes, 
Flots du sombre océan, de senteurs pénétrés, 
Séparez mon courroux de ctsMandrins\Qitrés\ 
Ne me laissez pas voû- la France pâle et maigre, 
Livrée aux appétits de cette haute-pègre ! 
Ne me laissez pas voir mes amis aux tombeaux, 
Et sur leurs corps souillés, le bec de ces 

corbeaux ! 
Car je suis seul et vieux, pauvre proscrit, sans 

armes. 
Le yeux levés au ciel, et tout gonflés de 
larmes ! " 



1 90 Essai sur Le Pastiche. 

Plusieurs autres articles ultra-révolu- 
tionnaires remplissaient ce numéro du 
journal, dont il se vendit un nombre 
très considérable, et que le public 
s'attendait à voir saisi le lendemain 
par la police. 

La surprise cessa lorsque le numéro 
suivant fit connaître que ce n'était 
qu'une supercherie littéraire. 



SECTION SECONDE. 



DES PASTICHES COMPOSES COMME EXER- 
CICE DE STYLE OU AMUSEMENT, ET 
DES SUPPLÉMENTS d' AUTEUR ET 
INTERCALATIONS. 



" Idem dtw quum faciunt^ non tamen est idem y 

— PuBLius Syrus. 



"NT DUS ne pouvons mieux com- 
^ ^ mencer cette section, qu'en ci- 
tant les paroles d'un habile pasticheur, 
pour expliquer ce qui engage un 
écrivain à ce labeur d'imitation : — 
** La première impulsion à laquelle il 
faut attribuer le goût d'imiter différents 
auteurs, c'est le charme secret et in- 
volontaire que l'on éprouve à leur 
lecture, c'est la convenance de leurs 
pensées, la beauté de leurs sentiments. 



1 92 Essai sur Le Pastiche. 

la magie de leur style qui nous séduit 
On ne peut manquer de perfectionner 
son propre goût, par l'imitation des 
plus beaux modèles." ^ 

Cependant il faut bien y prendre 
garde, il y a un écueil en naviguant 
dans ces eaux, et notre auteur y a 
échoué, comme nous lavons vu ci- 
dessus. 

Après avoir présenté au lecteur un 
précis historique de la plupart des 
pastiches anciens et modernes, sup- 
positions d'auteur et supercheries, 
composés avec l'intention plus ou 
moins prolongée de mettre en défaut 
la sagacité du public,* donnons une 

^ Avant-propos du recueil des Pastiches de 
N. Châtelain. 

' Nous disons lapluparty parceque les anciens 
seuls occuperaient un fort volume en ce genre, 
et les modernes, au moins trois ou quatre. 
Chez les premiers, par exemple, à commencer 
par Homère^ qu'on lise le 3"** livre de la Science 
Nouvelle^ de Vico * De la découverte du véri- 



Essai sur Le Pastiche. 1 93 

esquisse de ceux qui ne furent qu'un 
amusement et un exercice de style. 

"Un homme d'esprit, dit labbé 
d'Artigny, qui se serait fait une par- 
faite étude d'un auteur, pourrait sans 

table Homère," et l'on verra que de pages il 
faudrait consacrer aux Rapsodes dont les chants 
divers ont formé ^Iliade et V Odyssée, 

Tous les savants sont persuadés aujourd'hui 
que les différentes productions publiées sous le 
nom de l'antique Orphée^ ne sont pas de lui. 
Platotiy dans sa République^ s'exprime avec 
mépris sur ces poèmes que des charlatans 
décoraient des noms ^Orphée et de Musée, 
Onomacrite, au rapport d'Hérodote, était un 
faussaire de profession. Saint Clément d'Alex- 
andrie lui attribue les poèmes d' Orphée, Box- 
hom et Barthius n'ont-ils pas attribué à un 
poète ancien, la satire de Lite, du chancelier 
LHbpitan 

Qui n'a pas entendu parler de Phalaris, tyran 
d'Agrigente, dont les célèbres épitres, écrites six 
cents ans avant Jesus-Christ, dans le dialecte 
attique usité sous les Antonins, ont donné lieu 
à la controverse remarquable entre le savant 
Bentley et Charles Boy le 9 Déjà Phoiius les 

N 



» 

I 

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1 94 Essai sur Le Pastiche. 

doute si bien Timiter, qu'il serait 
difficile de distinguer le style de Tun, 
de celui de lautre." ^ 

Nodier raconte une anecdote assez 
curieuse qui prouve la vérité de cette 
opinion. A la fin du siècle dernier, il 
y avait un pauvre auteur dont la 
fureur était de correspondre avec les 
hommes de génie du temps. Comme 
ses lettres restaient presque toujours 

regardait comme apocryphes, et les raisons 
qu'en donna Bentley^ ont été analysées avec 
élégance par Hippolyie Rigault dans son histoire 
de la querelle des anciens et des modernes. 

Les curieux pourront encore trouver dans 
cette dissertation de Bentley^ Texamen des fausses 
lettres de Thémistocle, d'Eiuripide, de Socrate, 
et des fables Ësopiques. 

Du même genre est la lettre tV Alexandre à 
Olympias et à Aristote, sur les merveilles de 
rinde, qui a joui si longtemps d'une étrange 
autorité, et que Berger de Xivrey a insérée dans 
ses Traditions Tèratologiques, 

^ Nouveaux Mélanges d'Histoire et de 
Littérature, tome L, p. 358. 



Essai sur Le Pastiche. 1 95 

sans réponse, il prenait le parti de 
s'en faire lui-même, et il y mettait 
tant d'art, que J. J. Rousseau^ lisant 
dans une feuille publique, un de ces 
singuliers pastiches qui lui était at- 
tribué, n'osa pas affirmer que la réponse 
n'était pas réellement de lui, tant 
l'auteur avait imité heureusement le 
style de Rousseau.^ 

^ L*embarras et le doute de Rousseau ressem- 
blent à ce que dut éprouver Voiture par 
l'espièglerie de Madame de Rambouillet. Il 
avait lu un sonnet de sa façon à un indis- 
cret ami, qui le retint et en donna copie à la 
Marquise. 

Celle-ci le fit imprimer et introduire dans un 
de ces recueils de vers, alors si nombreux. 
Quand Voiture vint réciter ce sonnet à l'hôtel, 
on lui montra le livre. Le sonnet imprimé et 
le sien étant tout un, le poète finit par croire 
que ces vers qu'il s'imaginait avoir composés, il 
s'en était ressouvenu seulement. On rit long- 
temps avant de le désabuser. (** Précieux et 
Précieuses," par Ch, Z. Livet, i vol. 8", p. 
30. Paris, 1859.) 



1 96 Essai sur Le Pastiche. 

Dans les temps anciens on pourrait, 
peut-être sous un double rapport, 
ajouter comme pastiches, à ceux que 
nous avons cités dans l'introduction, 
le roman grec de Nicetas EugenianuSy 
" Les amours de Drosille et de Chari- 
cles." L'auteur avoue franchement 
qu'il ne vise pas à l'originalité, et qu'il 
ne fait qu'imiter Prodrome (auteur du 
12"* siècle), qui composa en vers 
ïambes irréguliers, le poème de ** Rho- 
dante et Dosiclès." En effet, Eugeni- 
anus copie scrupuleusement toutes les 
situations du roman de Prodrome, et 
de plus, dit Boissonnade^ elles ne sont 
décrites qu'avec des centons mal- 
assortis d'Anacréon, de Théocrite, de 
Bion, de Moschus, et de Musée. 

Les deux romans de " Ihéa- 
gène et CHariclée," par Hélio- 
dore, et de " Leucippe et Clitophon," 
d^ Achille Tatius, doivent se placer dans 
la même catégorie. Tous deux ont 



Essai sur Le Pastiche. 1 97 

une ressemblance tellement frappante, 
qu'il est impossible d'y voir deux 
œuvres originales, et dont l'une ne 
soit pas le pastiche de l'autre. Mais 
lequel des deux est le plus ancien 
ouvrage, est une question non encore 
résolue d'une manière absolue.^ 

Les pastiches latins sont assez fré- 
quents aux 1 6°^ et 1 7"'' siècles, et c'est 
surtout à ces époques que l'on peut 
voir les intimes rapports qu'il y a, entre 
ce genre et les centons. Nous avons 
donné, dans un précédent ouvrage,* 
quelques renseignements sur des 
auteurs dont les écrits se rappro- 
chent d'avantage du pastiche, que 
du genre dans lequel nous les avons 
classés. Ainsi, UAnacreon C histianus 

^ Voir " Les Romans Grecs et Latins," par 
Victor Chauvin, in 12^ Paris : Hachette, 1864. 
et Boissonnade, "Critiques Littéraires." 

^ " Revue Analytique des ouvrages écrits 
en centons, depuis les temps anciens, jusqu'au 
19"* siècle." Londres: Triibner, 1868. 



1 98 Essai sur Le Pastiche. 

que le jésuite Gilbert youin publia 
en 1634, et dont Titon du Tillet vante 
l'élégance, est un vrai pastiche, avec 
lequel voulut rivaliser, plus d'un demi 
siècle plus tard, le célèbre professeur 
de grec à l'université de Cambridge, 
yoshua BarneSy en publiant sous le 
même titre, deux odes anacréontiques, 
pour prouver, disait-il, que G. youin 
n'avait pas assez approfondi le rythme 
poétique et la langue du poète grec. 

Ce genre d'amusement était assez 
commun alors. Le jésuite Famino 
Strada inséra dans ses " Prolusiones 
Academicae," des essais et des ha- 
rangues, pastiches latins qu'il n'aurait 
eu qu'à supposer tirés de quelque 
vieille bibliothèque, en y ajoutant un 
commentaire, pour prouver l'identité 
de style avec celui des auteurs qu'il 
avait imités. ^ 

Ml ne faut pas pousser trop loin les rapports, 
souvent intimes, qui existent entre l'imitation et 



Essai sur Le Pastiche. 1 99 

On est étonné du grand nombre et 
parfois du tour agréable de ces sortes 
d'imitation de Fantiquité profane, que 
la ferveur ascétique et la mysticité 
ont fait composer, dans la langue des 
auteurs grecs et latins, pendant plus de 

le pastiche, sinon on arriverait à dire avec 
Macrobe, que Vii^le dans sa description de la 
ruine de Troie, et de son cheval de bois, ne 
donne qu'un pastiche de Pisandre qu'il a copié 
assez littéralement II en serait de même du 
4"** livre de TEnéïde, qui n'est guère qu'une 
décalque de l'amour de Médée pour Jason, 
dans le 4"* livre des Argonautiques d'Apollonius. 
La couleur et presque tous les traits du tableau 
de la peste du 3"* livre des Georgiques sont pris 
dans la description qu'en a faite Lucrèce, dans 
son 6°** livre. 

Au commencement de l'Enéide la tempête et 
les plaintes de Vénus à Jupiter sont une véritable 
imitation-pastiche du i*' livre de ia guerre Pu- 
nique de Nevius. 

Ainsi parle Macrobe^ qui continue cet examen 
pendant près de 250 pages in 8°, dans le 5™* et 
6"* livres de ses Saturnales, 



200 Essai sur Le Pastiche. 

deux siècles en France, en Italie, en 
Belgique et en Allemagne. 

Le père Benardin Stephonio^ dont 
les vers posthumes furent publiés à 
Rome, in 1655, et qui avait com- 
mencé par écrire, comme exercice, 
des imitations chrétiennes, en mètre 
et en rythme, anacréontîques, com- 
posa un excellent pastiche de -Pervi- 
gilium Veneris^ qui se lit encore au- 
jourd'hui avec plaisir.^ 

Pour montrer combien il eut été 
facile à ces écrivains de tromper les 
lecteurs, nous pouvons citer Tanecdote 
que Tabbé Régnier Desmarais raconte 
lui-même dans ses Mémoires.* 

^ In Natalibus Christi noctem, Cannen 
trochaïcum, en voici le début : 

" CraB amemuB, sodales, cras amasse sit necensitas, 
Gras béate ut nunquam amavimos, béate si unquam 
amavimus.** 

" " Mémoires de Littérature" (par Sallengre), 
tome i., page 64. 



Essai sur Le Pastiche. 20 1 

"A mon retour en France, dît-il, 
je me mis à entretenir commerce de 
lettres avec diverses personnes en 
Italie, et particulièrement avec l'abbé 
de Strozzi^ résident pour le roî, 
à Florence. J'écrivais toujours en 
italien. Or, ayant composé alors une 
ode, et l'ayant envoyée à labbé 
Strozzi, il s'en servit pour faire une 
tromperie à deux ou trois académi- 
ciens de la Crusca^ de ses amis. Pour 
cet effet, il supposa que Léo AllatiuSy 
bibliothécaire du Vatican, lui avait 
écrit qu'en revoyant le manuscrit de 
Pétrarque, qui y est conservé, il en 
avait trouvé deux feuillets collés, et 
que les ayant séparés, il y avait trouvé 
l'ode qu'il lui envoyait. La chose 
parut d'abord difficile à croire, ensuite 
la conformité du style et des manières 
la rendit vraisemblable, et quand elle 
fut éclaircie, M. le Prince Léopold, 
protecteur de l'Académie de la Crusca, 



202 Essai sur Le Pastiche. 



u 

II 

1/ 

II 



auquel l'abbé Strozzi faisait voir 
toutes mes lettres, proposa à TAca- 
démie de m'élire, ce qu'elle fit." 

Dans un volume que nous croyons 
très rare et que ne possède pas le 
Musée Britannique,! on rencontre des 
pièces de vers en latin, en français, 
en italien, en hollandais, parmi les- 
quelles se trouvent quelques pastiches 
de l'époque dont nous occupons.^ 

Ce ne fut pas la poésie seulement 
qui cultiva ce genre. Les vies d' Anni- 
bal et de Scipion qu'on trouve dans 
l'édition du Plutarque, publiée par 
Campanus, furent composées par 
Donat d'Acciaioli, son contemporain. 
Plusieurs écrivains ont de bonne foi 
cité ces vies comme étant de Plu- 



* ** Lusus imaginis Jocosœ, sive Echus à 
variis poetis, variis linguis et numeris exculti." 
Ex bibliothecâ Theod. Dousae, accessit M. 
Schoockii dissertatio de naturâ soni et échus. 

Ultrajecti. Acad. Typog. 1638, in 8vo. 



Essai sur Le Pastiche. 203 

tarque. yean Rtialdus, qui ajouta 
beaucoup de notes à Tédition de cet 
auteur, en 1624, imputa la supposi- 
tion de ces biographies, à la malice 
(TAcciaioli. "Afin de donner plus 
de crédit à son ouvrage, dit-il, l'auteur 
débita qu'il avait traduit ces vies du 
grec de Plutarque." 

Rualdus avait tort d'accuser le 
Florentin de vouloir tromper ses lec- 
teurs, car dans une de ses lettres à 
Pierre de Médicis, il avoue qu'il n' a 
eu d'autre intention que de composer 
des pastiches, recueillis, dit-il, de 
divers auteurs grecs et latins.^ 

Dans une pièce anonyme qu'on 
peut lire au troisième volume des 
Mémoires de Littérature de Tabbé 
d'Artigny, qui a pour titre " De- 
scription du Château de Delphes," et 

^ Voir " Histoire de TAcadémie Royale, 
des Inscriptions et Belles Lettres," tome iii. page 
286, in 8vo. Amsterdam, 1731. 



204 Essai sur Le Pastiche. 

censée avoir été envoyée de St 
Pétersburg à un journaliste de Paris, 
Avril 1750, on énumère assez longue- 
ment les principales raretés que ren- 
ferme la bibliothèque de ce château. 

Or ces livres cités ne sont que des 
suppositions d'auteur; ainsi il men- 
tionne les œuvres de L. Varius^ ce 
célèbre poète tragique, dit-il, ami 
d'Horace et de Virgile, qui y sont en 
six volumes '} ce manuscrit est unique. 
On trouve encore dans cette biblio- 
thèque, un ^* Pétrone complet en 
vingt-huit livres, et écrit en lettres 
rouges." 

On pourrait parfois confondre le 

^ Cette supposition d'un manuscrit de Z. 
VariuSj donna peut-être Tidée au médecin de 
Groeningue, HurkinSy de mettre sur le compte 
de ce poète latin, une tragédie de Progné^ com- 
posée par un Vénitien du seizième siècle. 

Il y a un mémoire intéressant de Aug. 
Weichai, intitulé **,Dissertatio de Lucio Vario." 
Lipsiae, 1829. 




Essai sur Le Pastiche. 205 

pastiche et la parodie, comme dans 
l'exemple donné par Boileau, en imi- 
tation des vers de Chapelain^ dont il 
imite admirablement la rauque et 
barbare harmonie. C'est là le pastiche 
critique ou satyrique que Rabelais a 
aussi employé avec succès dans son 
discours de Técolier Limousin, pas- 
tiche des " Angoisses de Dame Héli- 
senne de Crenne,"^ disent quelques 
commentateurs ; mais plutôt du Champ- 
fleury de Geoffrey Tory, où Ton ren- 
contre des phrases toutes semblables. 
Ne semble-t-il pas que Rabelais a 
voulu aussi faire un pastiche-parodie 
du "Triumphus Caesareus," o^^Kirker 
a mis à la tête de son "Œdipus 
iEgyptiacus," et qui est composé de 
vingt-cinq langues, lorsque Panurge 

1 Rigoley regarde ce nom comme un pseu- 
donyme. Les ouvrages qui portent ce nom 
d'auteur, ne furent pas publiés avant 1538; or 
le second livre de Pantagruel, 011 se trouve ce 
discours, parut en 1532. 



2o6 Essai sur Le Pastiche. 

dans son discours d'introduction à 
Pantagruel, emploie successivement 
quantité de dialectes dont plusieurs ne 
sont que du baragouin ? 

Le pastiche, la parodie et le centon 
se rapprochent souvent de telle 
manière, que la théorie du Recteur 
David Hopp, peut presque faire ap- 
pliquer aux trois genres, ce qu'il dit de 
la parodie seulement : " Auctorum 
sententias ad dissimilia argumenta 
transferre, servatis quantum fieri po- 
test, ipsorum verbis." 

Giles MenagCy auquel ses contempo- 
rains reprochaient d'être centoniste, 
parodiste et plagiaire, paraît s'ac- 
cuser involontairement d'être tout cela, 
dans cinquante ou soixante pages de 
" l'Anti-BaiUet."^ 

C'est surtout dans les temps mo- 
dernes qu'on a employé cette imitation 
satirique du style, comme une œuvre 
* Edition en 4to de 1728. 



Essai sur Le Pastiche. 207 

de critique littéraire ; et comme étude, 
elle a son utilité et son mérite. L'on 
a souvent écrit qu'en fait de style, 
l'écrivain ne doit chercher à imiter 
personne, que chacun a son style à 
lui, d'après son tempérament et la 
tournure de ses idées. Il n'en est pas 
moins vrai qu'on ne perd jamais rien 
à chercher, en commençant à écrire, à 
prendre pour modèles les grands 
écrivains. Dans ce sens, s'essayer aux 
pastiches des auteurs célèbres, peut 
avoir son bon côté. Ce n'est jamais 
en vain que l'on s'approche de ces 
foyers de l'intelligence ; il en reste 
sur la pensée et sur la forme qu'on lui 
donne, un mystérieux rayonnement. 
Aussi même les grands écrivains 
Balzac, Boileau, La Bruyère, et 
d'autres, n'ont pas dédaigné de 
s'amuser parfois à cet exercice. 
Outre la parodie de Racine auquel 
Boileau contribua, ce satiriste s'enten- 



2o8 Essai sur Le Pastiche. 



dait très bien aussi au pastiche véri- 
table. Dans ses œuvres on en rencontre 
deux extrêmement bien faits. L'un 
d'après Balzac écrivant des Champs 
Elysées à M. le duc de Vivonne, au 
sujet de ses victoires, qui, dit-il, 
réveillent des gens endormis depuis 
trente ans, etc., l'autre, d'après Voi- 
ture, au même seigneur, aussi pour le 
complimenter sur ses hauts faits. 

La Bruyère a composé un agréable 
pastiche d'après Montaigne^ au cha- 
pitre cinq, " De la société et de la 
conversation ." 

** Je veux avoir mes coudées fran- 
ches, et estre courtois et affable à mon 
point, sans remords ne conséquence. Je 
ne puis du tout estriver (lutter) contre 
mon penchant, et aller au rebours de 
mon naturel qui m'emmeine vers celui 
que je treuve à ma rencontre. Quand 
il m'est égal, et qu'il ne m'est point 
ennemy, j'anticipe sur son accueil, je 



Essai sur Le Pastiche. 209 

le questionne sur sa disposition et 
santé ; je luy fait offre de mes ser- 
vices, sans tant marchander sur le 
plus ou sur le moins, ne estre, comme 
disent aucuns, sur le qui-vive. 

"Celuy-là me deplaist qui, par la 
cognoissance que j'ay de ses coustumes 
et façons d'agir, me tire de ceste 
liberté et franchise. Comment me 
ressouvenir tout à propos, et d'aussy 
loing que je vois cet homme, d'em- 
prunter une contenance grave et im- 
portante, et qui l'avertisse que je crois 
le valoir bien, et au de là ; pour cela 
de me rementevoir de mes bonnes 
qualités et conditions, et des siennes 
mauvaises, pour en faire la comparai- 
son ? C'est trop de travail pour 
moy, et ne suis du tout capable de si 
roide et si subite attention," etc. 

Au chapitre cinq " de la cour," La 

Bruyère a un autre passage en vieux 

style que M. Augier croit être aussi 

o 



2 1 o Essai sur Le Pastiche. 

un pastiche, mais Tauteur ne le donne 
pas pour une imitation de Montaigne, 
ainsi qu'il le fait dans celle que nous 
venons de citer. Walckenaeri^tïis^ que 
La Bruyère donne ici une citation vraie. 

Ne pourrait-on pas regarder comme 
un pastiche mal réussi, les '' Essais 
dans le goût de ceux de Montaigne," 
composés en 1736 par le Marquis 
d'Argenson, réimprimés à Amster- 
dam en 1 785 ? 

Nous citerons plus loin d'autres 
pastiches d'après Montaigne^ qui, avec 
Balzac, le grand épistolier, a été 
l'objet de fréquentes imitations de 
cette espèce. Une des plus élaborées 
d'après ce dernier écrivain, est " La 
Comédie des Comédies," composée des 
passages les plus ampoulés de Balzac, 
dont on cherche à faire ressortir le 
ridicule.^ 

^ Cet opuscule publié sous le nom de Péchier^ 
est très probablement de Renk Bary. 



I 



Essai sur Le Pastiche. 2 1 1 

On se rappelle le bruit que fit, 
dans le temps, la querelle entre 
Madame Dacier et Lamotte sur 
la prééminence àts anciens. Elle 
avait défendu Homère en style fort 
lourd et plein de pédanterie, et son 
antagoniste lui répondit dans ses 
" Réflexions sur la critique," avec une 
grâce et une politesse que (CAlembert 
qualifie de chef-d'œuvre d'élégance.* 
L'année qui suivit l'essai de M"* 
Dacier, "sur les causes de la cor- 
ruption du goût," un anonyme publia 
à Paris, sous le même titre, un pastiche 
de cet essai, dans lequel il prétend que 
le véritable moyen de ramener le bon 
goût chez les modernes, est de revenir 
à l'étude de la cuisine chez les an- 
ciens. ** Les peuples, dit-il, changent 

* "Eloge de Lamotte." Au sujet de cette 
querelle, voir le tome iv. de La Bibliothhque 
Française, de Tabbé Goujct^ et Le Cours de Lit- 
térature de La Harpe. 



.* 



212 Essai sur Le Pastiche. 

leur goût moral, en changeant leur 
cuisine. Si les grecs modernes, 
malgré l'influence du soleil levant,^ 
restent dans l'avilissement, c'est 
qu'ils ne se nourrissent plus à la 
manière dé leurs ancêtres"* Il con- 
clut que, si Ton proscrivait la cuisine 
moderne en la remplaçant par celle 
(VApichiSy tous les Chapelains seraient 
des Homères, les Desmarets^ des Vtr- 
gtles^ les poètes lyriques, des Pindares, 
les avocats, des Démosthhies? 

La même année que parut l'attaque 

1 ^me Dacier avait parlé, de la renaissance 
du bon goût "chez les nations favorisées des 
regards du soleil levant," phrase dont les mau- 
vais plaisants s'étaient égayés. 

' Il est curieux de comparer cette idée émise 
en plaisantant, avec le système sérieux de M. 
Taine^ dans son ** Histoire de la Littérature 
Anglaise," sur Tinfluence exercée par la nour- 
riture sur les idées littéraires d'Angleterre. 

^ On trouve l'analyse de ce pastiche-cri- 
tique dans "Z^ Càrf-d^auvre (Tun ifuonnUy* 
tome ii. page 464. 



Essai sur Le Pastiche. 213 

de M*"* DacieTy fut publié pour la pre- 
mière fois, par de Saint Hyacinthe, 
" Le Chef-d'œuvre d'un inconnu." 
Cette satire peut être considérée 
comme une réunion de divers pas- 
tiches des commentaires niais et sans 
fin du 1 7"® siècle, qui égaraient l'esprit 
et corrompaient le goût. Souvent en 
effet, les Burmann^ les Scaliger^ les 
Sclioppius, et autres s'emparaient de 
l'ouvrages d'un ancien, moins pour en 
éclaircir le sens, que pour faire un 
vain étalage d'érudition et de pédan- 
terie. Un des plus curieux exemples 
de ces sortes de commentaires, lequel 
Palissot a présenté comme la véritable 
source du "Chef-d'œuvre d'un in- 
connu," est un traité latin sur le " Can- 
tique des Cantiques," où le moine 
flamand Titelman emploie trois cents 
pages de petit texte très serré, pour 
nous donner des explications sau- 
grenues et indécentes, sur le poème 



2 14 Essai sur Le Pastiche. 

hébreux. Toutes les fictions étaient 
pour ces savants des emblèmes ingé- 
nieux qui, sous des dehors bizarres, 
cachent les secrets les plus mystérieux 
de la nature, les préceptes les mieux 
raisonnes de la morale et les plus 
utiles maximes de la politique.^ 

L'abbé Galiani^ Tami intime de 
Madame cPEpigny^ réussît aussi très 
bien à se jouer des savants par des 
pastiches. Il publia à Naples un re- 
cueil, contenant un certain nombre de 
pièces attribuées aux académiciens 

* " Chef-éPœuvre d'un inconnUy^ tome L page 
324, de rédition, donnée par Leschevin^ et qui 
a effacé toutes les autres. 

Il existe plusieurs imitation-pastiches de cet 
ouvrage, comme on peut en voir les détails 
dans les notes du second volume. 

CervanteSy dans sa préface de Don Quichotte, 
a aussi tourné en ridicule, comme Saint- 
Hyacinthe, les commentateurs et leurs notes 
marginales, leurs citations et leurs folles ima- 
ginations. 



Essai sur Le Pastiche. 215 

de cette capitale, et où îl avait singé, 
avec un rare bonheur, leur manière 
d'écrire. Comme c'était un éloge 
funèbre du bourreau, le public fut 
d'abord étonné, mais la mystification 
fut aussitôt avouée aux applaudisse- 
ments universels. 

Un pastiche de la plaisanterie de 
Sénèque sur la mort de l'Empereur 
Claude^ a été inséré, par un anonyme, 
dans l'histoire de Pierre de Montmaur, 
par de Sallengre. Il est intitulé " Mon- 
mor Parasitosycophantosophistœ îlTro- 
Xpairoôetûaïf;^* c'est à dire : la Mar- 
mitodéïfication de Montmaur. Cette 
pièce latine n'a rien de commun avec la 
MétanwrpJiose de Gomor en marmite^ 
que l'on trouve dans le même recueil, 
et qui est l'œuvre de Dalibray. 

L'abbé Desfontaines que la colère 
de Voltaire a trop fait déprécier, a 
composé un pastiche-critique amusant 
des harangues officielles de l'Académie 



2 16 Essai sur Le Pastiche. 

Française,^ dont il fit ressortir Tenflure 
et le ridicule. 

L'imitation d'une ancienne tragédie 
latine composée au 1 6°* siècle, comme 
amusement littéraire, par Gregorio 
Corrario, vénitien, protonotaire apo- 
stolique, trompa si bien un pauvre 
savant hollandais, Nicolas HeerkefiSy 
qu'il crut cette pièce composée par 
Lucitis Varius^ poète tragique du 
temps d'Auguste. Il avait reçu le 
manuscrit d'un religieux d'un couvent 
d'Allemagne où il avait fait un voyage. 
On douta de cette origine sans raisons 
suffisantes, noussemble-t-il ; et, parceque 
Heerkens fit plusieurs tentatives pour 
faire imprimer cette tragédie comme 
une pièce ancienne inédite, tandis que 
l'abbé Morelli découvrit qu'elle avait 
déjà été imprimée en 1558, on accusa 

1 Discours de remerciement prononcé par 
Messire Christophe Mathanasius, lorsqu'il fut 
reçu à l'Académie Française. 



Essai sur Le Pastiche. 2 1 7 

le savant hollandais de vouloir mystifier 
le public. A notre avis, c'était lui qui 
était le mystifié, et en lisant les détails 
de cette affaire dans le 3°* vol. des Mé- 
langes de Chardon de la Rochette, nous 
ne pouvons que plaindre Heerkens de 
n'avoir pas su qu'un Vénitien s'était 
amusé à composer une tragédie latine 
à l'imitation des anciens. 

A propos de pastiche de tragédie, 
rappelons celle ^Iphigéfiie de M. M. 
Leclerc et CoraSy où les auteurs ont 
suivi pas à pas la tragédie du même 
nom, que Rotrou avait donnée trente- 
cinq ans auparavant. 

En comparant les deux pièces, on 
voit qu'ils ont employé les mêmes 
situations, la même marche, souvent 
les mêmes pensées. 

PaiiHydans'' Etudes sur les tragiques 
grecs," dit que cette triste IphigéniCy 
pour laquelle ils se disputèrent tous 
deux, ressemblait trop à celle de 



2 1 8 Essai sur Le Pastiche. 

RotraUf pour qu'ils y eussent droit 
l'un ou l'autre. 

On connaît l'épigramme de Racine : — 

*' Entre LecUrc et son ami Coras^ 
Tous deux auteurs rimans de compagnie, 
N'a pas longtemps s'ourdissaient grands 

débats, 
Sur le propos de leur Iphigènie, 
Coras lui dit : La pièce est de nom crû ! 
Leclerc répond: Elle est mienne, et non 

vôtre ! 
Mais aussitôt que Fourrage a paru 
Ils n'ont voulu l'avoir fait l'un ni l'autre." 

Parmi les hommes de talent qui, par 
une pure fantaisie, ont employé leur 
plume à imiter le style des grands 
écrivains, il faut placer Nicolas Châte- 
lain. Ce littérateur, né à Rotterdam 
en 1769, se fit naturaliser en Suisse, et 
fixa sa résidence à Rolle, dans le 
canton de Vaud, où il mourut vers le 
milieu de notre siècle. Il nous a 
laissé deux collections de pastiches,^ 

^ i"", '' Pastiches, ou imitations libres de style 



Essai sur Le Pastiche. 219 

où une vingtaine d'auteurs sont très 
spirituellement imités et critiqués. 

Dans les lettres de Livry^ il renferme 
dans un cadre fictif, ses propres idées, 
et il les exprime dans un style très 
rapproché de celui de modèle. 

Ce jeu d'esprit a reçu son titre de 
la délicieuse campagne de Livry^ où 
M°**. de Sévigné est supposée se retirer 
pour rendre compte tout à son aise, à 
M°**. De GrignaUy avec l'aide de son 
fils et de Corbinelliy des ouvrages 
nouveaux. 

Chateaubriand a une grande part 
dans cette satire spirituelle du style 
moderne. 

Quêrardy à l'article Sévigné, dît que 
cette publication est un pastiche, sans 
être une mystification, puisqu'on y 

de quelques écrivains des 17"* et 18"* siècles." 
I vol. in 8^ Paris : Cherbuliez, 1855. 

2®, "Lettres de Livry, ou Madame de Sévigné, 
juge d'outre-ridicule." 8®. Genève, 1835. 



220 Essai sur Le Pastiche. 

fait l'analyse d'ouvrages de l'époque 
actuelle, et il l'attribue à N. Châtelain. 
Toutefois M. Rostain, le savant biblio- 
phile de Lyon, n'est pas éloigné de 
croire qu'il est l'ouvrage de feu M. 
Gaultier^ professeur distingué de 
Genève, où cette brochure a, selon 
toute apparence, été composée.^ 

La première des quinze lettres que 
renferme ce recueil commence ainsi : — 

" Voilà qui est dit, ma fille, j'y con- 
sens : pour satisfaire à votre curiosité, 
et amuser votre paresse, je vous en- 
verrai, à fur et à mesure qu'ils paraî- 
tront, des extraits de tous ces ouvrages 
nouveaux et si bizarres qui nous pour- 
suivent. Vous jugerez des pensées 
et du style, et par cela même des 
auteurs. 

" M. De Pomponne en prit l'autre 

^ Elle se compose de 103 pages. Imprimée à 
Paris en 1835, elle est devenue fort rare, et méri- 
terait d'être réimprimée. 



Essai sur Le Pastiche. 22 1 

jour un hoquet à force de rire ; nous 
crûmes le perdre pour ce chîen de 
livre." 

Dans la troisième lettre, elle raconte 
une visite qu elle a faite à M. De Sainte 
Beuve, célèbre casuiste, qui occupa en 
1 643, une des chaires royales de théo- 
logie, et qui était lié avec ce que Técole 
de Port-royal renfermait d'hommes les 
plus méritans. 

"Je le trouvai les mains jointes, dit 
M"*. De Sévigné ; quand il me vit, il 
s'empoigna la tête, et me dit. Madame, 
vous connaissez tous mes chagrins; 
j'ai un neveu qui fait des romans, et 
quels romans ! " 

La-dessus il examine le style de 
Volupté^ du Saint Beuve du 1 9"* siècle, 
et après avoir lu le portrait de religieuse 
que l'auteur y décrit, il ajoute, "Il n'est 
pas permis d'écrire ainsi. Un visage 
macèri avec un éclair d'' aurore inalté- 
rable ; une créature dont la chair est 



222 Essai sur Ix Pastiche. 

contrite, et puîs un suaire qui illumine, 
un amoureux sourire intérieur qui ne 
dissipe jamais le perpétuel nuage I " 

La lettre continue ainsi et finit par 
la critique des poésies de Joseph 
Delonne et des Consolations. 

La quatrième lettre expose les 
plaintes que fait Guez de Balzac, de 
son fils naturel qui, dit-il, fait des 
Scènes de la vie privée, par douzaines, 
et détruit la langue par ses tours et 
ses expressions étranges.^ 

Dans deux autres lettres bien imi- 
tées, Victor Hugo est moins maltraité 
que Sainte Beuve et Balzac, et les 
dernières plaisantent d'une manière 

^ Il est curieux de comparer à plus de trente 
ans de distance, cette opinion sur le style de 
Balzac, avec celle de H, Taine, dans ses '* Nou- 
veaux Essais de Critique." Elle est singulière- 
ment sévère : " Son style choque ou étourdit, 
dit-il, c'est un artiste violent, malade, hors de 
qui les idées font péniblement explosion en 
style chargé, tourmenté, excessif," etc. 



Essai sur Le Pastiche. 223 

très agréable, sur les expressions et 
les tendres sentiments de M. flfe Cha- 
teaubriand pour M"*, de Récamier. 

Il est à regretter que N. Châtelain 
n'ait pas inséré dans son recueil de 
Pastiches et imitations libresy une autre 
lettre de M"*, de Sévigné, publiée en 
1829, sous le titre de " Visite de M°*. 
de Sévigné, à Toccasion de la Révoca- 
tion del'Edit de Nantes." C'est untour 
de force vraiment remarquable, car il 
est impossible de mieux imiter le style. 

Deux nouvelles lettres pastiches du 
même auteur, sur cet axiome politique, 
" Il faut mater le peuple par la pros- 
périté," ont été publiées en 1839, dans 
un opuscule intitulé La Muselière. 

Châtelain rappelle, dans un appen- 
dice, que M"*. Lespinasse, cette char- 
mante lectrice de M"", du Deffand^ a 
ajouté deux chapitres pastiches au 
voyage sentimental de Sterne. Elle 
y célèbre avec grâce et bonheur deux 



224 Essai sur Le Pastiche. 

bonnes actions de cette dame. Ces 
chapitres ont été insérés dans les 
œuvres posthumes de d^Alembert. 

On se rappelle la vogue qu'eurent 
durant la première moitié de ce siècle, 
les Mémoires du fameux Prince Eu- 
gène de Savoie. Les faits y sont si 
bien exposés (comme aurait pu le faire 
le héros qui humilia si fort Louis XIV.) 
que le public s y laissa prendre d'abord, 
mais la supercherie fut découverte par 
Fontanes^ et aussitôt avouée par le 
Prince de Ligne. 

En donnant à son tour un recueil de 
pastiches de quelques grands écri- 
vains, le Marquis du Roure exprime, 
après chacun des sept morceaux qu'il 
compose, son jugement sur l'original, 
afin de montrer le mécanisme, si 
nous pouvons employer ce mot, de ces 
sortes de compositions.^ 

* "Réflexions sur le Style Original." 
Ce livre est extrêment rare, n'ayant été tiré 



Essai sur Le Pastiche. 225 

" L'originalité, dans Tacception litté- 
raire, ne saurait être un mérite en soi, 
dit l'auteur, car elle tient souvent à 
certains défauts de l'écrivain, à ce qu'on 
nomme dans les arts, soit de l'esprit, 
soit de la main, la manière. Il perd 
ou néglige la trace des vrais modèles, 
pour faire autrement qu'eux. 

** De là vient que les pastiches les 
plus habilement dessinés, déguisent 
les beautés de l'original, au lieu de les 
reproduire, parceque ces pastiches, 
étant faits d'après des parties sail- 
lantes, c'est à dire, défectueuses, réu- 
nissent en faisceau des défauts qui, 
dans le type, sont du moins en- 
tremêlés de beautés véritables." 

Voici son opinion sur La Bruyère : 
" Des ridicules extérieurs, et souvent 

qu'à soixante exemplaires pour être distribués 
aux personnes dont le nom est imprimé en tête 
de chaque exemplaire. 



226 Essai sur Le Pastiche. 

des circonstances puériles, choisis de 
préférence, pour représenter un carac- 
tère; l'affectation de terminer ses 
tableaux par un trait inattendu, des 
réticences, des détours, des op- 
positions de mots ; enfin, ce style 
prophétique qu'il faut souvent de- 
viner, comme le disait Boileau, du 
style de La Bruyère, voilà ce que j'ai 
imité. Il y a de tout cela chez le 
peintre des Caractères, mais ce n'est 
pas là ce qu'on admire dans le por- 
trait d'Irèfie, au chapitre de l'homme ; 
dans celui à^ Antistfiène^ au chapitre 
de jugements ; dans celui d^Emire, au 
chapitre des femmes; en un mot, ce 
n'est pas là ce qui met La Bruyère au 
premier rang des moralistes et des 
écrivains." 

Après le pastiche d'après J. J. 
Rousseau, il ajoute : 

" On peut reconnaître dans l'auteur 
de rHéloise à la multiplicité des anti- 



Essai sur Le Pastiche. 2.2ri 

thèses, à des sentiments paraphrasés, 
enfin à un certain arrangement artifi- 
ciel de mots, que son feu part de la 
tête, plutôt que de l'âme ; qu'il ne se 
perd pas de vue dans ses plus fortes 
émotions; enfin qu'il est encore so- 
phiste dans ses épanchements, et c'est 
par là que nous l'avons trouvé soumis 
aux contrefacteurs." 

Ces remarques sont très propres à 
bien faire comprendre la théorie du 
pastiche, comme amusement litté- 
raire.^ 

^ Si dans les exemples qui suivent, le pastiche 
a souvent la fonne, soit de la parodie, soit du 
centon, c'est qu'il est souvent difficile d'éviter 
la confusion des trois genres. C'est ainsi que 
Théodore Zuinger^ dans son vaste travail ency- 
clopédique intitulé " Theatrum humanae vitae " 
(5 vol. in fol), les fait descendre tous, des rap- 
sodes grecs : " Epici olim, dit-il, sua carmina 
recitabant et interpretabantur, donec rapsodi 
hoc munus invasêre, et Homeri primum, mox 
cœterorum poetarum illustrium simias se pro- 



228 Essai sur Le Pastiche. 

Une brochure de 52 pages, publiée 
à Lyon, en 1 8 10,^ y occasionna quelque 
scandale, comme pastiche d'un véri- 
table compte-rendu, mais où Ton avait 
imité le style, et entremêlé des re- 
marques et des réflexions d'une cri- 
tique très plaisante, sur les compositions 
littéraires de plusieurs auteurs Lyon- 
nais de l'époque, prosateurs et poètes. 

Une critique-pastiche du même 
genre, mais d'une plus haute portée, 
et très sévère pour plusieurs des noms 
célèbres du commencement de notre 

fessi sunt, et ex iisdem centones consuerent. 
Digressîs enim rapsodis et recitationem inter- 
mittentibus, lusus gratiâ, prodibant parodi qui 
omnia à rapsodis pronunciata, cum risu, inver- 
terent, et prseter rem seriam propositam, alia 
ridicula subinferrens. £rgo ut satyra ex tra- 
gœdia, mimus è comedia, sic parodia et cen- 
tones, de rapsodia nati sunt." 

^ L'Académie de Lyon en 1809, ou analyse 
raisonnée du compte-rendu des travaux de cette 
Académie. 



Essai sur Le Pastiche. 229 

siècle, parut en 182 1, sous le titre de 
" L'Elysée, ou quelques scènes de 
l'autre monde." On lattribue à Cadet 
de Gasstcourt. 

Le sujet est Napoléon L paraissant 
devant le tribunal qui juge les rois, et 
la description de la séance extraordi- 
naire de l'Académie Elyséenne, à 
l'occasion de l'admission de Napoléon 
au nombre des immortels. 

Une idée assez originale, c'est que 
les ombres de tous ces grands person- 
nages sont sous la condition imposée 
par le destin, de ne plus rien dire de 
nouveau. Ce qui fait que pour ne 
pas repenser sans cesse (comme s'ex- 
prime Mercier^ à la page 44), elles 
puisent leurs discours dans les pro- 
ductions contemporaines, dont elles 
reproduisent les formes et les idées. 

KwiSiMercier.àasis une conversation 
avec M"* De Staël, veut lui faire nu 
compliment et lui dit, " Vous vous 



230 Essai sur Le Pastiche. 

avancez comme l'aurore, votre bouche 
est comme une grenade entr'ouverte, 
et vos yeux sont purs comme les pis- 
cines de l'Hésébon. Vous êtes bril- 
liante comme une des roses mystiques 
sur un trône de candeur, semblable à 
la galère athénienne chargée de por- 
ter les présents sacrés de Cérès. O ! 
je vous en conjure par les chevreuils 
des montagnes, soutenez-moi avec 
des fleurs et des fruits, car mon âme 
s'est fondue à votre voix."^ 

Dans le discours prononcé par M"**' 
De Staël devant l'Académie, elle fait 
un brillant panégyrique de Napoléon, 
en imitant les formes de ses " Considé- 
rations sur les Révolutions." 

Après plusieurs autres discours sa- 
tiriques, cette séance de l'immortelle 
Académie est terminée par des cou- 
plets, des cantates et des chants d'apo- 

* Les Martyrs^ et le Génie du Christianisme, 
passim. 



Essai sur Le Pastiche. 23 1 

théose des écrivains les plus plats et 
les plus flagorneurs, de la littérature 
du premier empire. 

L'emphase, souvent exagérée, de 
Chateaubriand, a naturellement donné 
lieu à de faciles pastiches. Un des 
plus amusants est, " L'Itinéraire de 
Pantin au Mont Calvaire,"^ qui fut lu 
par toute la France, à cette époque, et 
dont la lecture, même aujourd'hui, est 
encore très plaisante. 

" Souvent aux rayons de la lune qui 
alimente les rêveries, au bord du ruis- 
seau où les blanchisseuses de mon 
pays rendent à leur linge sa blancheur 
première, je croyais voir le Génie des 

* " Itinéraire de Pantin au Mont Calvaire, 
en passant par la rue Mouffetard, le Faubourg 
St Marceau, ceux de St Jacques et de St Ger- 
main, les Quais, les Champs Elysées, etc., etc. ; 
ou, Lettres inédites de Chactas à Atala, ouvrage 
écrit en style brillant, et traduit pour la pre- 
mière fois du Bas- Breton," par M. De Chateau- 
teme. In 8vo de 220 pages. Paris, 181 1. 



232 Essai sur Le Pastiche. 

souvenirs assis pensivement à mes 
côtés. Triste, mollement étendu sur 
une botte de paille, ressemblant à un 
jeune homme assis sur les bords d'un 
volcan, je voulais entretenir ceux qui 
m'environnaient; toutes mes prome- 
nades étaient muettes. Vastes déserts 
des hommes, bien plus tristes que 
ceux des bois, vous ne disiez rien à mon 
cœur. La parole distraite se perdait 
sur ma langue immobile. U ne grande 
âme doit contenir plus de chagrin 
qu'une petite, et je n'étais occupé 
qu'à rapetisser ma vie." 

Un jour Chactas veut mourir, mais 
une lettre d'Atala le sauve. 

"Je disais au monde un éternel 
adieu, quand j'aperçus venir de loin le 
facteur du village, semblable au Génie 
des airs, secouant sa chevelure bleue, 
embaumée de la senteur des pins ; il 
s'avançait, heureux messager. 

"Que me remit-il.^ une lettre d'Atala! 



Essai stcr Le Pastiche. 233 

à moî, quî depuis des siècles ne lisais 
plus pour m'amuser, qu'Homère et la 
Bible ; qui cherchais à fondre dans les 
teintes du désert, et dans les senti- 
ments particuliers de mon cœur, les 
couleurs de ces deux grands et éternels 
modèles." ^ 

Parmi les innombrables académies 
que vit briller l'Italie, se distingue 
celle des Arcades. Les membres cul- 
tivaient beaucoup le pastiche. Un 
d'eux, savant recommandable à bien 
des titres, Valperga de Caluso, fit im- 
primer à Turin, en 181 3, deux épitres 
d^Horace, adressées à l'Empereur 

^ Ce pastiche a de la ressemblance avec la cri- 
tique qu'on trouve dans "Saint Géran, ou la 
nouvelle langue française,'' et dans " La suite 
de Saint Géran, Itinéraire de Lutèce au Mont 
Valerien," ouvrage dont nous avons parlé dans 
V Essai sur la Parodie. Toutefois ceux-ci ren- 
trent plutôt dans la classe des centons, que 
l'Itinéraire de Pantin, oh l'on imite le style et 
les formes de langage, sans copier toujours 
les phrases mêmes. 



234 Essai sur Le Pastiche. 

Auguste. Dans la première, l'auteur 

déplore la mort de Mécène ; l'autre est 
une espèce de protestation contre cer- 
taines théories littéraires. La pru- 
dente loyauté de Valperga s'épargna 
la supposition, si commode et si com- 
mune, d'un vieux manuscrit récemment 
découvert, et ne se cacha point d'avoir 
composé un pastiche que Ton était 
disposé à croire authentique, tant il 
était bien fait.^ 

Dans les premières années de ce 
siècle, M. Mênégault publia sous le 
nom d'Angélique Rose Gaétan, un 
pastiche, tour de force original. Les 
522 vers dont se compose le Mérite 
des femmes, par Legouvé, sont ap- 
pliqués, avec identiquement les mêmes 
rimes, au Mérite des hommes.^ 

" La raison de ceci, dit malicieuse- 

* Voir " Une imposture littéraire," page 24. 
Nous avons déjà cité cette rare plaquette. 
' Ce poème de Legouvé a souvent été soumis 



Essai sur Le Pastiche. 235 

ment lavant-propos, c'est que n'ayant 
pu trouver un dictionnaire de Richelet, 
dans tout mon département, et n'étant 
guère maîtresse de la rime, j'ai tout 
uniment suivi celles du Mérite des 
femmes!''' 

Le lecteur a vu, dans la première 
section, des pastiches pris pour des 
compositions anciennes, mais qu'un 
écrit auquel l'auteur a mis son nom, 
soit regardé comme l'œuvre d'un an- 
tique grammairien, c'est ce qui est 
plus rare. Boissonnade, en rendant 
compte, dans ses Mélanges, de la tra- 
duction en prose de l'Iliade, par le 
Prince Lebnm^ raconte que le traduc- 
teur mit à son livre un discours 
préliminaire en grec, qui aurait fait 
beaucoup d'honneur à un helléniste de 
profession, et que, trompé par l'ar- 

à la critique des pastiches et des parodies, tels 
que \jt D'emèrite des femmes^ par Pelletier; le 
Mérite des femmes travesti^ etc. etc. 



236 Essai sur Le Pastiche. 

chaïsme de ce morceau, un anglais écri- 
vît une dissertation pour prouver que 
c'était là évidemment une composition 
antique. 

La même chose aurait pu facilement 
arriver à M. Victor Leclerc lorsqu'il 
publia en grec de bon aloi (en 18 14), 
son poème grec de Lysis, trouvé sous 
les ruines du Parthénon, et traduit en 
vers français décasyllabes; mais il 
avoua qu'il en était l'auteur, à ses 
amis, et joignit au poème, une tra- 
duction en vers du Pervigiltum 
Veneris. 

En ¥ YdMce.Rabelaisçt Montaigne ont 
très souvent été le sujet de pastiches, 
comme on a pu le voir ci-dessus ; 
donnons en encore deux exemples 
de notre époque. 

Ch. Nodier^ dans l'Histoire du Roi 
de Bohème, à l'article Navigation, 
décrit ainsi la position de Tom- 
bouctou : — 



Essai sur Le Pastiche. 237 

"... Des Tombuctiens rien ne 
vous sera présentement narré en ceste 
magnificque et seîgnieurîale histoire, 
que ne treuvîez jà grabelé aux livres 
de Navigaige. Toutesfois n'en croyez 
mie ce fol ravasseur de Claude Ptolé- 
mée géographe, car il ne dégoise de 
Tombouctou que gaffes, bourdes, 
trupheries, gaberies Lucianicques, et 
phantasies abhorrentes à nature, telles 
que hommes cacamorphes et Siléniens 
à la queue de six empans. Mercy de 
dieu, que n'en avez vous de tant sup- 
pellative amplitude, vous aultres pail- 
lards de plat païs. Tombuctiens sont 
gens à priser entre tous humains, 
frisques, guallants, coquarts, bien ad- 
venants en leur maintien, bien advan- 
tagéz en nez, idoines à tous jeux 
plaisants, bons rencontres et honnestes 
devis, et voulentiers aymants mieulx 
cent messes dictes, qu'un voyrre de 
vin bu. 



238 Essai sur Le Pastiche. 

" Au demeurant, féaulx subjects, 
beaux payeurs d'imposts, et furent 
aussy bons chrétiens que le fustes 
oncques." 

Quant à MontaignCy le comte de Pey- 
ronnet, un des ministres de Charles X. 
en fit un pastiche des mieux réussis, 
durant son imprisonnement.* 

" Au temps que je fis un précédent 
chapitre sur la solitude, poinct ne 
m'advisai-je que c'estoit une thèse 
double, et un subject à deux faces. 
De la volontaire, bien argumentai-je 
assez pertinemment et abondamment. 
De l'involontaire, je n'en dis mot, et 
ne scais pourquoy. Si est ce que la 
dernière a bien aultrement besoing 
d'admonition et de rencofort. 

* Pensées d'un prisonnier. 2 vol. in 12®. 
Bruxelles: Dumont, 1834. 

Ce livre plein d'une noble philosophie 
pratique, et d'un style pur et correct, sera 
toujours lu avec plaisir. 



Essai sur Le Pastiche. 239 

** Aujourd'huy le veulx amender. 
Ces forcenées discordes m'y ont 
faict songier, qui mettent tout en 
branle et en combustion. Vray est 
qu'on ne peult meshuy assurer de 
rien, et que tel sommeille bonnement 
chez soy, n'ayant faict à aulcuns ni 
tort, ni dommage, qui à Tadventure 
en sera osté à son réveil et mis en la 
geôle, avec force maltraictement et 
pilleries en sus. Sera-ce rayson qu'il 
s aille pour cela, désoler et pendre ? 
Je me suis tasté et exprouvé l'esprit 
en ce subject n'y a guère, et tiens-je 
pour seure que de ceste incommodité 
là, il en soit comme de plusieurs ses 
pareilles, lesquelles tant plus on les 
envisaige de loing, tant plus vous 
semblent-elles oultrageuses. Mais que 
ne soyez assez fol pour laisser prendre 
et enserrer vostre esprit, de mesmes 
temps que vostre personne ; bien vous 
veulz-je estre pleige et caultion que le 



240 Essai sur Le Pastiche. 

reste vous sera tellement quellement 
légier à souffrir. Uessentîel est que 
l'âme soît libre. Gaîgnier ce poinct 
là, c'est ville gaîgnée ; et est comme 
il fault faire nargue à vostre geôlier, 
ne luy laissant de son prisonnier que 
la moindre part, en luy robbant 
l'aultre." 

Nous avons vu plus haut comment 
Châtelain, dans ses Lettres de Livty, 
avait critiqué le style de Sainte Beuve, 
qui, dans son roman Volupté, n'avait 
pas encore atteint la vigueur montrée 
depuis dans ses Lundis. Balzac, dans 
une de ses nouvelles, " Un prince de 
la Bohème," fait aussi la satire de ce 
langage précieux. Nathan esquisse 
le portrait d'un raffiné, en se tenant 
toujours dans les eaux de Monsieur de 
Sainte Beuve, dit Balzac : " On voit 
dans cette existence une vie dégagée, 
mais sans point d'arrêt. Ce n'est plus 
le velouté de la fleur, mais il y a du 



Essai sur Le Pastiche. 24 1 

grain desséché plein, fécond, qui assure 
la moisson d'hiver. . . . Ne trouvez- 
vous pas que ces choses annoncent 
quelque chose d'inassouvi, d'inquiet, 
ne s'analysant pas, ne se décrivant 
pas, mais se comprenant, et qui s'en- 
flammerait en flammes épaises et 
hautes, si l'occasion de se déployer ar- 
rivait ? C'est Vcuedia du cloître, quel- 
que chose d'aigri, de fermenté dans 
rinoccupation croupissante des forces 
juvéniles, une tristesse vague et ob- 
scure ..." Assez ! assez ! s écria la 
Marquise impatientée; vous me donnez 
des douches à la cervelle !" 

Après une autre tirade dans le même 
genre, la Marquise demande : ** Ah ! 
çà, mon cher Nathan, quel galimatias 
me faites-vous là ?" ** Madame,répondit 
Nathan, vous ignorez la valeur de ces 
phrases précieuses ; je parle en ce mo- 
ment le Saifite BeuvCy une nouvelle 
langue française." 

Q 



242 Essai sur Le Pastiche. 

Balzac ne s'attendait guère à être 
traité de la même façon, et à plus juste 
titre peut-être, si Ton en croit la cri- 
tique de M. Taine} 

En 1833, M. De Latouche publia 
une édition des poésies ^ André Ché- 
nicTy augmentée de pièces inédites et 
posthumes. A cette occasion, le célèbre 
chansonnier Béranger prétendit, d'a- 
bord de bonne fois sans doute, ensuite 
par entêtement, que la plupart des 
poésies à^ André Chénier étaient de 
De Latouche, et il répétait sans cesse 
cette opinion extraordinaire. Il est 
vrai que De Latouche nia ; mais la fa- 
tuité n'était pas son moindre défaut, et 
il laissa entrevoir qu'il avait beaucoup 
paré son poète, pour le montrer au 
public. 

Ce peu de franchise dans la dénéga 

* Nouveaux Essais de critique et d'histoire^ 
page 6^, oh une très sévère analyse est faite du 
style de Balzac. 



Essai sur Le Pastiche. 243 

tion confirma l'idée de Béranger, qui 
n'avait jamais été initié par ses études 
à la belle antiquité, et il ne vit plus 
désormais dans Cfiénier, que des pas- 
tiches par De Latouclte. Confondre 
ainsi ces deux écrivains, c'était faire 
preuve d un goût douteux en poésie.^ 
Si Déranger voulait voir un pastiche 
dans les vers d'André Chénier, Napo- 
léon III a été accusé de n'avoir rien 
inventé et d'avoir tout pastiché, comme 
écrivain, comme politique, et comme 
socialiste, par M. J^iles Clartie, dans 
son ouvrage " L'Empire, les Bonapar- 
tes et la Cour," où, en parlant de la 
fameuse théorie des hommes providen- 
tiels, mise en avant dans la "Vie de 
César," il montre qu'elle est empruntée 

* Voir la préface de l'édition critique des 
œuvres d'André Chénier, par M. Bec de Fou- 
quières, i vol. gr. in 8®. Paris: Charpentier, 1862; 
et une note de Sainte Beuve^ dans le Chateau- 
briand, tome ii. p. 303. 



244 Essai sur Le Pastiche. 

tout au long à Hegel, dans son écrit 
sur J ules César, et sur sa mission dans 
le monde. 

On a composé en France plusieurs 
ouvrages d'assez longe haleine, qui 
sont de véritables pastiches, tels que 
les Contes drolatiques de Balzac, dont 
le style, les formes et les idées de Ra- 
bêlais sont imités avec une certaine 
affectation, ** car, dit-il, dans une de 
ses historiettes, on treuve éternellement 
dans ses escripts resplandissants, ceste 
bonne philosophie à laquelle besoing 
sera de toujours recourir." 

Deux fois la plume facile de Jules 
yanin s'est exercée, avec succès, à 
cette sorte de plaisanterie, dont la dif- 
ficulté augmente en raison de la lon- 
geur des œuvres que Ion imite. 

" L'âne mort et la femme guilloti- 
née," est un pastiche-critique sanglant 
des romans à sensation, et il en dé- 
veloppe le motif dans sa préface : " Je 



Essai sur Le Pastiche. 245 

dois à la critique, pour m'excuser de 
l'affreux cauchemar que je me suis 
donné à moi-même, d'expliquer que, 
pour n'être pas dupe de ces émotions 
fatigantes d'une douceur factice, dont 
on abuse à la journée, j'ai voulu m'en 
rassasier une fois pour toutes, et dé- 
montrer invinciblement aux âmes 
compatissantes, que rien n'est d'une 
fabrication facile, comme la grosse 
terreur. Dans ce système, il faut voir 
avec les yeux du corps, bien plus qu'a- 
vec ceux de l'esprit, pour être dans le 
vrai. Ainsi je choisis par exemple un 
vaste emplacement ténébreux, sur le 
bord d'un précipite, ou sur le haut de 
quelque montagne; je creuserai autour 
un large fossé que le temps a rempli 
d'une boue noire et verte; sous ce fossé 
je placerai une prison féodale aux 
murs suintants, où je logerai à mon 
gré des forçats, des sorcières, des 
bourreaux, des cadavres, et autres 



246 Essai sur Le Pastiche. 

agréables habitants bien digne de cet 
Eden." 

L'autre pastiche de y, yanin était 
plus audacieux, car il faut avoir les 
reins forts pour imiter Denis Diderot^ 
le père de yacques le Fataliste et de 
V Encyclopédie. Et cependant le vo- 
lume, où il raconte les dernières années 
de la vie du Neveu de Rameau, est, 
pour rimagination et pour le style, 
d'une vérité qui fait illusion dabord. 
C'est la raison pour laquelle nous 
avons choisi de le citer ici, au lieu de 
le placer au rang des suppléments 
d'auteur. 

Dans aucun de ceux-ci les écrivains 
ne se sont astreints à une aussi rigou- 
reuse imitation du style de leurs mo- 
dèles ; ce qui en fait un véritable pas- 
tiche,^ et en même temps un livre qu'on 

^ La fin (Tun monde et du Ne^jeu de Rameau. 
I vol. in 12*. Paris: Collection Helzel, 1861. 
Cet ouvrage est épuisé depuis longtemps. 



Essai sur Le Pastiche. 247 

lit avec plaisir, jusqu'à la dernière 
page. 

Tout le monde sait le bruit que fit 
en 1807, ^^ découverte de P. L. 
Courier^ dans la Bibliothèque Lauren- 
tienne, à Florence, d'un manuscrit de 
la pastorale de Longus. Il contenait 
un passage assez long, resté jusqu'alors 
inconnu. 

P. L. Courier fit tirer en 18 10, soi- 
xante exemplaires seulement de la 
version àiAmyot, de cette pastorale, 
dans laquelle il introduisit une traduc- 
tion du fragment nouvellement décou- 
vert, pastiche si parfait du premier 
traducteur, que très peu de lecteurs 
pourraient reconnaître l'interpolation 
sans avoir été prévenus. 

Rappelons aussi un pastiche à peu 
près du même genre, composé par un 
autre érudit du premier ordre. 

M. Littré, voulant montrer que le 
français du 1 2°*® siècle était plus capa- 



248 Essai sur Le Pastiche. 

ble de réproduire Homère, dans une 
langue plus conforme au génie de 
l'antiquité, que le français moderne, 
traduisit le premier livre de Ylliade, 
dans le français de cette époque. C'est 
un ingénieux tour de force/ 

L'amusement littéraire du pastiche 
a été cultivé en Angleterre, surtout 
comme satire, tantôt en adoptant un 
nom ancien, tantôt en imitant, d'une 
manière outrée, le plan et le style 
d'ouvrages modernes, ce qui donne à 
ces compositions un air de parodie. 

On en trouve, entr'autres, deux 
exemples amusants dans le receuil 
célèbre de Poetry of the Anti-yacobin, 
extraits d'une publication hebdoma- 
daire de la fin du siècle dernier, rem- 
plie de satires politiques et jeux d'es- 

^ Voir " La Poésie Homérique et l'ancienne 
Poésie Française," dans la Revue des deux 
Mondes^ du i" Juillet 1847. 



Essai sur Le Pastiche. 249 

prît, des hommes les plus célèbres de 
répoque. 

M. R. Payne Knight ayant publié 
un poème didactique en six livres, in- 
titulé " The Progress of Civil Society," 
le fameux Canning et ses amis, en 
firent un pastiche-parodie, accompagné 
de notes critiques et philosophiques, 
sous le titre de ** The Progress of 
Man." 

Vers le même temps un Docteur 
Darwin publia " The Loves of Plants 
and Economy of Végétation," dont on 
fit les plus magnifiques éloges, et que 
le même Canning et son collègue 
Frère parodièrent dans un poème ridi- 
cule, ** The Loves of the Triangles." 

Dans le même genre est une bro- 
chure, aujourd'hui très rare, et impri- 
mée à Oxford en 1865, sous le titre 
de " The Dynamic of a Particle, with 
an Excursus on the New Method of 
Evaluation as applied to tt." 



250 Essai sur Le Pastiche. 

L'introduction est très originale ; 
nous en donnerons un extrait dans 
nos REMARQUES de la fin du volume. 

En Angleterre, le pastiche prenait 
généralement les allures de la parodie, 
comme on peut le voir dans notre 
essai sur ce dernier genre, où les 
pièces du Bon Gaultier^ par le poète 
Tliéodore Martin, et celles publiées 
par le pamphlétaire Hone, sont de 
véritables pastiches. 

De notre temps, c'est encore, en 
prenant la satire pour guide, que 
Tliackcray a fait le pastiche de la ma- 
nière et du style de plusieurs roman- 
ciers renommés.^ 

* ** Novels by Eminent Hands." 

Le pastiche-parodie de Harry Lorrequer^ par 
Charles Lrccr, est surtout une pièce inimitable. 
A propos de pastiches des romanciers en An- 
gleterre, rappelons pour mémoire ceux de la 
célèbre Aphra Bchn^ qui donna comme authen- 
tiques les lettres de ses amants de Flandre, 
qu'elle employa dans la composition de ses 



Essai sur Le Pastiche. 25 1 

La manière de Sir Bulwer Lytton, 
de Lever, de James et de D'Israéli 
est si fidèlement imitée, qu'on ne 
peut s'empêcher de reconnaître immé- 
diatement la forme de la pensée et le 
style des originaux, sauf l'exagération 
requise pour en faire la critique. 

Un auteur américain a adopté le 
même moyen pour faire la satire des 
romans d'écrivains français, et tour à 
tour M. Bret Harte a appliqué la fé- 
rule sur Alexandre Dumas, Victor 
Hugo, Michelet, aussi bien que sur 
Ch. Dickens, Charlotte Bronté, Wilkie 
Collins, et autres. Seulement, comme 
il est d'habitude en Amérique d'outrer 
toute chose, Bret Harte s'est aban- 
donné à la parodie. 

romans. La fraude était évidente de la part 
de celle qui s'était inventé un mari imaginaire ; 
aussi personne ne s'y laissa prendre. 

Voir la nouvelle édition qu'on vient de pu- 
blier des œuvres ^Aphra Behn, 6 vol. in 8*. 
Londres: Pearson, 187 1. 



252 Essai sur Le Pastiche. 

En 1862, Sir G, C. Lewis publia, 
sous le nom de Joannes BrowniuSy un 
pastiche très bien fait et trop peu 
connu, des explications que donnent 
souvent les antiquaires, d'antiques in- 
scriptions trouvées en Italie et ail- 
leurs/ 

L'auteur présente d'abord tous les 
détails de la manière qu'eut lieu la 
découverte de cette inscription compo- 
sée de six lignes, ne contenant cha- 
cune qu'un seul mot. En voici deux 
des plus longs : 

TIIECOWIUMPEDOVERTHEMOON 
TOSEESUCHFINESPORT. 

Vient ensuite l*explication savante, 
tirée du latin combiné avec le grec, et 

* Inscriptio Antiqua in Agro Bruttio nuper 
Reperta; edidit et interpretatus est Johannes 
Brownius, A. M. ^dis Christi quondam alum- 
nus. Oxonii, in 8* de huit pages. 



Essai sur Le Pastiche. 253 

prouvant que la pierre indiquait le 
lieu où se faisaient des sacrifices ex- 
piatoires. 

Cette explication est pleine du 
humour anglais. 

La Belgique présente aussi quel- 
ques exemples du pastiche satirique. 
A Tépoque où Victor Hugo était à 
Tapogée de sa gloire, et avant qu'on 
eut reconnu les pieds d'argile du Co- 
losse, après la publication de son ga- 
limatias sur Shakespeare^ de ses chan- 
sons des bois et de sa fameuse lettre 
aux Allemands, lors du siège de Paris, 
M. Alvin^ un des écrivains les meux 
connus de la Belgique, fit paraître les 
Recontemplations ^ où il fait ressortir 
les énormités du style de Victor 
Hugo, 

Dans un "Supplément au Diction- 
naire de TAcadémie Française," un 
trentaine de pages très amusantes sont 
consacrées à des extraits des Contem- 



254 Essai sur Le Pastiche. 

plations^ dont les hardiesses absurdes 
de langage sont à peine croyables. 

Les vers suivants sont adressés au 
poète exilé. 

" Lève-toi sur ton roc, regarde, songeur sombre, 
Tourne vers moi ce front qui resplendit dans 

Tombre, 
Etends ton bras géant au-dessus du détroit ; 
Car le bras de la mer pour le tien est étroit. 

"Reçois ce premier né, doux fruit de mes 

entrailles ! 
Fallût-il les lancer par dessus les murailles 
De la Chine, j'irais t'offrir tout palpitants. 
Ces flots, frais écoulés de ma veine, à vingt 

ans. 

**Ma vie, en ces feuillets, n'est point écrite 
toute, 
J'en suis à la première étape de la route, 
Je n'y reflète point encore un front blêmi, 
Bien que j'aie en mon cœur plus d'une fois 
gémi." 

Une des pièces la mieux réussie dans 
ce recueil, est celle intitulée " Pécheur 



Essai sur Le Pastiche. 255 

d'hommes;' mais elle est trop longue 
pour la donner ici. 

Un autre écrivain belge, M. ChaloUy 
homme d'esprit et de science, dit Que- 
rard.mais effréné mystificateur,^ exerça 
ce talent à l'occasion d'une société de 
savants qui se forma à Paris, en 1851, 
sous le titre de Société Sphragistique, 

Elle publia des travaux très utiles 
sur l'archéologie.* 

M. C /talons s'empara du prospectus 
de cette société, et en publia un pas- 
tiche aliéna par aliéna, annonçant la 
formation d'une société nationale de 
Boutonistique, composée de savants 
antiquaires. 

Elle se proposait de publier un re- 
cueil de documents et de mémoires 

^ On se souvient encore de son catalogue 
de Fortsas. 

■ Recueil des travaux de la Société de 
Sphragistique. Paris, 1851 — 1855. Quatre 
volumes in 8*, remplis de gravures des diffé- 
rents sceaux du moyen-âge. 



256 Essai sur Le Pastiche. 

relatifs à l'étude spéciale des fibules de 
Tantiquîté, du moyen-âge, des temps 
modernes et des autres époques, — le 
tout accompagné de planches gravées 
d'après les originaux. 

Suivent les noms des membres fon- 
dateurs, du président, du secrétaire, de 
larchiviste-trésorier et du gérant. On 
promet un bulletin mensuel, et le pro- 
spectus se distribue chez M. Auguste 
Deck, libraire à Bruxelles, où l'on 
peut souscrire. 

Entr'autres raisons de la formation de 
la société, Tauteur nous dit que "jus- 
qu'à ce jour les antiquaires de tous les 
pays avaient porté les investigations les 
plus profondes sur les monnaies, sur les 
armes, sur les vases, sur les cruches, etc. , 
mais ils avaient dédaigné les fibules et 
les boutons. Le nombre considérable 
de ces objets qui existe dans la remar- 
quable collection de M. le Major * ♦ * 
à Gand, a suggéré d'en faire l'histo- 



Essai sur Le Pastiche. 257 

rique, à commencer par les fibules ba- 
byloniennes, trouvées par le D'. Lin- 
gardy jusqu'aux boutons fossiles des 
habitations des lacs." 

Cette plaisanterie eut un grand suc- 
cès, et les journaux français, entr'autres 
le Cltarivari, dans son No. du 26 Juil- 
let, accorda un long article à ce pas- 
tiche. 

On a pu voir ci-dessus que les ré- 
dacteurs du Figaro sont assez habiles 
en ce genre; mais Tun d'eux, M. Albert 
Milland, a surpassé ses collègues dans 
un pastiche extrêmement bien réussi 
de la scène du sonnet de Trissotin, 
insérée dans le No. du Mardi 20 Fé- 
vrier 1872. Il vient lire à Philaminte 
et à Armande, le recueil de ses satires 
qu'il avait justement publié alors, sous 
le titre de Petite Némésis. 

Chacun des traits comiques de cette 
scène est imité d'une manière char- 
mante. 

R 



i 



258 Essai sur Le Pastiche. 



Les suppléments d'auteur rentrent 
naturellement dans la classe des pas- 
tiches avoués, car nul ne songerait à 
remplir une lacune dans un auteur, soit 
ancien, soit moderne, sans chercher à 
imiter le modèle. 

La plupart des auteurs de l'antiquité 

ne sont point parvenus dans leur inté- 

\ grité, jusqu'à nous. Il est bien difficile 

\ de suppléer de longues lacunes, et 

même des livres entiers, en imitant le 
style et la manière des grands écrivains 
d'une époque reculée. Les mœurs, 
les coutumes, les usages ont changé. 

Cependant nous allons voir que 
pour les auteurs latins, quelques sa- 
vants ont assez bien réussi en ce genre. 

Les plus anciens suppléments et 
continuations d'ouvrage remontent à 
Hofucre. L'histoire de la littérature 
nous fait connaître plusieurs continua- 
tions de ses deux grands poèmes. 
D'abord il y a Arctijws de Milct, au- 



Essai sur Le Pastiche. 259 

teur d'une Ethiopide en neuf mille vers, 
faisant suite à T Iliade et qui s étend 
jusqu'à la prise d'Ilion. Puis vient 
Leschcre de Mytilène, dont le récit 
était la destruction même de Troie, et 
qu'on appelait la Petite Iliade. 

Le Trézénien Agias, dans une 
épopée en cinq livres, racontait le re- 
tour des vainqueurs de Troie, formant 
ainsi une continuation de l'Odyssée; 
on rencontre ensuite la Tdlégonie, autre 
suite du même poème, qui commence 
par les funérailles des Prdtefidants, 
finit par la mort d' Ulysse^ tué sans être 
reconnu, par Télégone, le fils qu'il avait 
eu de Circé^ et formant ainsi la fin du 
cycle troyen. 

Otfried Millier^ dans son histoire 
de la littérature grecque, pense que 
les Rapsodes Homériques, à force de 
réciter continuellement les poèmes 
d'Homère, en étaient venus tout natu- 
rellement à concevoir l'idée d'y ajouter 



26o Essai sur Le Pastiche. 

des morceaux d'un caractère analogue, 
de leur propre composition. Ils ratta- 
chaient ces poèmes au commencement 
ou à la fin de ceux d'Homère. 

Pour les poètes anciens de l'Empire 
romain, la même chose à peu près eut 
lieu dès le i6™* siècle. Leurs œuvres 
furent ou achevées ou continuées. 

Un des premiers parmi les savants 
qui entreprirent cette tâche, fut ^ean 
Baptiste de Boulogne, qui publia en 
15 19 la fin du 8°"* livre des Argonau- 
tiques de Valerius FlaccuSy et y ajouta 
un 9"* et un lo""* livre, très bien imi- 
tés, d après la critique.^ 

Quoiqu'Ovide ait annoncé lui-même 
qu'il n'avait composé que six livres de 
ses Fastes, les savants persistaient à se 

* Voir rédition Aldinc de 1528, in 8', et 
celle de Lyon, 1548, in 12*. 

■ Trist lib. ii. Eleg. i", v. 549 — 

" Sez ego Fastonim scripsi totidemque libelles, 
£t tibi sacratum sors mea rupit opus." 



9 



Essai sur Le Pastiche. 261 

disputer si le plan de Touvrage ne 
faisait pas croire qu'il devait se com- 
poser de douze livres. 

Là dessus, Celtes Prolucius, un des 
premiers qui, à la renaissance des 
lettres, ressuscita la poésie latine en 
Allemagne, écrivit pour s'amuser, le 
commencement d'un 7'"* livre, de sa 
propre main, sur une ancienne édition 
d'Ovide, en ajoutant que le manuscrit 
des six derniers livres, se trouvait dans 
le presbytère d'un village près d'Ulm. 

Ce ballon d'essai n'eut pour résultat 
que de faire rire aux dépens des sa- 
vants. 

Une autre suite est donnée, vaille qui 
vaille, par Barth. Morisot^ polygraphe 
dijonnais de quelque réputation. 

Il existe sur les Fastes un autre sup- 
plément beaucoup moins connu, et qui 
n'a été tiré qu'à très petit nombre. 
C'est une brochure d'une douzaine de 
pages, composée par un jeune littéra- 



202 Essai sur Le Pastiche. 

teur marseillais, il y a près de vingt 
ans, et qui ne fait preuve, ni d'une pro- 
fonde érudition, ni d'une imagination 
brillante. 

Lorsque le style l'emporte sur le 
fond, dans une œuvre littéraire, il est 
dangereux de vouloir suppléer à ce 
qui peut manquer à un grand poète. 

Ainsi Maffeo Vegio, dont Virgile fut 
Tun de ses grands dieux, dit Bayle, a 
voulu donner une conclusion au poème 
de l'Enéide, qui est imprimée à la 
suite de plusieurs éditions de Virgile 
du i6™** siècle. Ce supplément a été 
critiqué par Baillet;^ c'est toutefois 
le plus connu des ouvrages de Maffeo, 
et il a été traduit en français.* 

Miclul de Ville7teuve, poète obscur, 
a voulu, lui aussi, " facere experimen- 
tum in profugo iEneâ." 

^ Jugement sur les poètes, No. 1222, tome iv. 
page 13, ddit. de 1725, in 4*. 

" Par Morahault. Cologne, 181 6, in i6'. 



Essai sur Le Pastiche. 263 

Enfin, Joseph Michaud, auteur du 
** Printemps d'un Proscrit," a, dit-on, 
ajouté un 13™® livre à TiCnéide, mais 
nous n'avons pu nous procurer ce tra- 
vail, pour en juger. 

On sait qu'il se rencontre dans ce 
poème, un certain nombre de vers 
inachevés. Il n'était guère possible 
que des latinistes modernes n'éprou- 
vassent le besoin d'alonger ces tron- 
çons poétiques, et de leur donner les 
justes dimensions de l'hexamètre. 
Nous avons en ce genre deux ou trois 
essais assez malheureux, qui ne valent 
guère la peine d'être cités. 

On agita souvent, au 1 7™® siècle, la 
question de savoir si l'histoire ^Alex- 
andre le Grand, par Quinte-Curce, 
était vraiment de cet auteur. Gui 
Patin, dans sa 212™® lettre (édît. de 
Reveille-Parise) rapporte qu'un de ses 
régents lui avait dit que l'auteur de ce 
livre était un savant italien, qui l'avait 



264 Essai sur Le Pastiche. 

composé il y a environ trois cent 
ans. 

Le Père le Tellier pense que le si- 
lence, que les anciens ont gardé au 
sujet de Quint c-Cttrcc, est un motif 
pour croire que c est un ouvrage mo- 
derne. Bayle^ dans son Dictionnaire, 
n'est pas de cette opinion, mais il l'ap- 
puie d'une bien faible raison: ** Comme 
cette histoire est belle et bien écrite, 
dit-il, on a tort de croire qu'un auteur 
du moyen-âge Tait composée." 

Ce point d'histoire n'est encore nul- 
lement éclairci, car on ne compte pas 
moins de treize opinions sur le temps 
où vécut Qtiintc-Curce. La plus pro- 
bable est celle qui fixe cette époque 
\ au premier siècle de l'ère chrétienne, 

^i; Vigfieuil Marville pense (Mélanges, 

l tome iî. p. 302) qu'il est peu probable 

V qu'un écrivain, qui aurait fait un livre 

capable de l'immortaliser, s'il s'était 
fait connaître, ait bien voulu sacrifier 



Essai sur Le Pastiche. 265 

sa gloire, à celle d'un Quinte-Curce 
imaginaire. 

Nous croyons qu'un des plus anciens 
suppléments de cet auteur fut com- 
posé par Christophe Bruno, moine de 
Bavière. D'autres suppléments ont 
été copiés sur un manuscrit de l'abbaye 
de Saint-Victor, par les frères Masson, 
assez connus des savants, mais ils n'en 
ont point découvert Tauteur. 

Scaliger les attribuait à François Pé- 
trarque} 

Ceux de ^ean Freinsheim sont les 
plus célèbres. Le savant allemand se 
proposait de combler les lacunes de 
nombre d'auteurs anciens. Il com- 
mença par Quifite-Curce, et de tous 
ses compétiteurs, il est celui qui rap- 
pelle le mieux la manière de l'original. 

Plusieurs fois on avait cru avoir re- 

* Voir à ce sujet " Bibliothèque Choisie" de 
M. Colomiès. Paris, 1731, un vol. 8*, page 
256. 



266 Essai sur Le Pastiche. 

trouvé les décades qui manquent à 
rhistoire de Tite-Live^ malgré Tordre 
du Pape Grégoire I, de faire brûler 
tous les manuscrits qu'on trouverait 
de cet auteur, sous prétexte des super- 
stitions que contenaient ces décades.^ 
Freinsheim résolut de reproduire les 
décades perdues, et il en acheva soi- 
xante livres, qui lui valurent une 
grande renommée. 

Rollin pensait que la réussite était 
si étonnante, que de pareils supplé- 
ments auraient consolé le public de la 
perte des ouvrages de l'antiquité, que 
le temps avait dévorés. Toutefois ce 
travail d'imitation n'est pas égal par- 
tout, dit la critique. Après le 44™** 

^ Coiomihj page 40 de sa Bibliothèque Choi- 
sie^ ajoute à ces renseignements que ce fut ce 
même Pape qui fit brûler les manuscrits d'-^- 
franiusy de Nœvius, à*EnniuSy et d'autres poètes 
latins, dont il ne nous reste que quelques frag- 
ments. 



Essai sur Le Pastiche. 2.(ri 

chapitre du livre Ixii., le pastiche 
est moins heureux. Frdnsheim nous 
apprend lui-même qu'il trouva la tâche 
trop laborieuse. ** Renonçons, dit-il, 
à jouer plus longtemps un rôle que 
nous ne pouvons plus soutenir; a- 
vouons le temps où nous vivons et le 
nom de Jean Freinsheim que nous 
portons." 

Les suppléments de Tite-Live ne 
sont pas aussi estimés que ceux de 
Quinte-Curce} 

Depuis Freinsheim^ Ch. Cellarius, 
en 1688, a donné des suppléments de 
ce dernier auteur latin, que Fabricius 
trouve concis et élégants. Christian 
jfuncker en a fait paraître encore de 
nouveau, à Dresde, en 1700. 

Le zèle et le savoir, pour compléter 
ce qui nous manque des anciens au- 
teurs latins, ont excité, avec un égal 

^ Doujd réunit les 95 livres de Tite-Livc dans 
une édition à l'usage du Dauphin. 



268 Essai sur Le Pastiche. 

succès, les savants de la France et de 
TAUemagne. 

Charles de Brosses a eu pour Scdluste 
la même passion que Freinsheim pour 
Quinte-Ctirce. Rassemblant des cen- 
taines de fragments de cet auteur, et 
comblant les lacunes, il en a formé un 
tout homogène complet. " C'est, sans 
doute, un assez singulier projet, dit 
La Harpe, et qui demande toute la 
constance d'un érudit, que de réunir 
en un tout régulier, des fragments in- 
formes qui nous restent de Salluste} 
Ce qui est surtout digne d'éloges, c'est 
la profonde connaissance que De 
Brosses montre partout, de l'histoire, 
des écrivains et des mœurs de Rome. 
Il semble y avoir vécu, et être entré 

* Salluste, Histore de la République ro- 
maine dans le cours du 7"' siècle, en partie 
traduite du latin sur Toriginal, en partie réta- 
blie et composée sur les fragments qui nous res- 
tent de ses livres perdus. Dijon, 1777. 3 vol. 4*. 



Essai sur Le Pastiche. 269 

dans le secret des acteurs qu'il met en 
scène." 

Villemain déclare qu'au dessous de 
Bossuet et de Montesquieu^ il n'y a pas 
en français, un plus beau fragment 
d'histoire ancienne, que cette restaura- 
tion d'après l'antique, et proclame le 
Président De Brosses un de ces hommes 
rares qui doivent être placés les pre- 
miers, après les hommes de génie. 

Le 4"'*' volume devait contenir le 
texte de l'histoire rétablie, avec les 
suppléments en latin. Le manuscrit 
en était achevé, quand De Brosses 
mourut. Ce manuscrit fut communi- 
qué au jésuite Gabriel Brotier^ qui 
n'en approuva pas la publication. Tout 
fait croire qu'il est perdu. 

Tacite eut son tour, et ce fut le sa- 
vant que nous venons de nommer, 
qui eut la hardiesse de vouloir rem- 
plir les lacunes de l'historien romain, 
hardiesse qui fut heureuse, au juge- 



270 Essai sur Le Pastiche. 

ment de la plupart des savants de 
l'Europe.' 

On sait que le Dialogue des orateurs 
{qui a été contesté à Tacite, mais qui est 
probablement de lui) a d'assez longues 
lacunes. Nous n'avons ni le commen- 
cement ni la fin du discours de Mater- 
nus, et celui de Messala laisse aussi 
beaucoup à désirer. G. Broder a 
cherché, par d'ingénieux efforts, à sup- 
pléer ce qui nous manque, et il a con- 
jecturé habilement les arguments de 
Messala} 

Parmi ceux qui ont le mieux réussi 
dans ces suppléments aux poètes la- 

' Néanmoins M. Eâme Ferlet, dans ses " Ob- 
servations sur les Histoires de Tacite," 2 vol. 8°, 
Paris, i8or, a fait une critique violente du 
travail de Brotier. Il est fâcheux que, lorsqu'il 
peut avoir parfois raison au fond, il ait toujours 
tort par la forme. 

' Ce Dialogue des orateurs est l'examen 
de la question de prés&nce des anciens ora- 
teurs ou des modernes, question agitée de nou- 



^ 



Essai sur Le Pastiche, tti i 

tins anciens, on doit ranger Thomas 
May, tour à tour au service de Char- 
les I d'Angleterre et du parlement de 
Cromwell. 

Il fit paraître en anglais (1630), puis 
en latin, la Pharsale de Lticain qu'il 
conduisit jusqu'à la mort de César. 

Ce travail se recommande par le 
mérite du style et par l'invention ; 
Johnson en faisait beaucoup de cas, et 
il fut annoté et réimprimé plusieurs 
fois. On l'a traduit en français en 
1816 et en 1819. 

N'oublions pas une autre continua- 
tion moins connue et très curieuse, par 
un maître d'école écossais du nom de 
Robert Forbcs, qui publia à Edim- 
bourg, à l'imprimerie de R. Fleming, 

veau violemment, et généralisée sous Louis 
XIV. 

Voir " Histoire de la Querelle des Anciens 
et des Modernes" par Hippolyte Rigault. Paris, 
1856, un vol. in 8". 



272 Essai sur Le Pastiche. 

en 1750, une "Suite de la Satire de 
Boileau sur la Ville de Paris." 

Dans un avant-propos au lecteur, 
Forbes dit qu'il n'a pas la présumption 
de lutter avec Boileau, mais qu'il veut 
seulement l'imiter, 

" D'ailleurs, ajoute-t-il, comme j'ai 
vu Paris avec d'autres yeux que n'a 
fait cet auteur, et que ne fait tout Pa- 
piste, j'ai cru que cette ébauche pouvait 
entrer à la suite de la satire." 

Cette brochure de dix pages est 
devenue très rare.' 

Nous ne pouvons nous occuper des 
manuscrits inédits, quoique bien des 
suppléments puissent y être enfouis: 
Ainsi Paulin Paris, dans son " Ana- 
lyse des Manuscrits de la Bibliothèque 
du Roi," tome r. p. 39, fait mention 
de Commentaires de César, traduits et 
augmentés par un anonyme. 

I Voir les Notes and Queria, du 23 Mars, 
1S73, No. Z2I, page 234. 



Essai sur Le Pastiche. 273 

Il arrive parfois que les auteurs 
anciens ont annoncé une continuation 
que nous ne possédons pas. Ainsi 
Ludcfi à la fin du second livre de son 
Histoire Véritable^ dit qu'il allait dé- 
crire les merveilles qu'il avait vues 
aux Antipodes. Il eut été très intéres- 
sant de voir ce qu il eut imaginé sur 
ce thème, plusieurs siècles avant l'ère 
chrétienne. On ignore si ces livres 
annoncés sont perdus, ou si jamais 
Lucien ne les a écrits; mais le neveu 
de cTAblancourt a continué cette his- 
toire, et (f Ablancourt 2l fait imprimer 
cette continuation à la fin de sa tra- 
duction. Elle est intitulée, " Descrip- 
tion de la République des Animaux; 
Hommage qu'ils viennent rendre au 
Phœnix ; Passage de Lucien aux An- 
tipodes; Bataille des Animaux contre 
les Sauvages ; Pacification par l'entre- 
mise de Lucien^ 

L'auteur du supplément, par une 

s 



274 Essai sur Le Pastiche. 

idée bizarre, avoue qu'il n'a pas cm 
devoir imiter le philosophe de Samo- 
sate, en écrivant des choses qui n'ont 
aucun fondement dans la raison, et 
qu'il n'a rien écrit qui n'ait quelque 
sens allégorique, ou quelqu'instruction 
mêlée avec le plaisir. Quel dommage 
qu'il n'ait pas déraisonné comme Lu- 
cien ! 

Le grand succès, obtenu par des 
romans, a souvent fait naître la pensée 
d'en donner une continuation, maïs 
presque toujours cette tentative a 
peu réussie. 

Citons en quelques-uns seulement. 

Le Tout fones in hisMarriage State, 
est loin d'avoir la valeur artistique du 
roman de Fielding, dont Coleridge, 
dans son Table- Talk, a certes exagéré 
le mérite lorsqu'il dit, " Upon my word, 
1 think the Œdipus, the Alckentist, 
and Tom yones are the three most 
perfect plots ever planned." 



Essai sur Le Pastiche. 275 

La suite de la Marianne de Ma- 
rivaux, est très spirituelle. La ma- 
nière et le style de l'auteur sont bien 
imités.^ 

Le continuateur du Candide de Vol- 
taire, dont nous ignorons le nom, n'a 
pas aussi bien réussi. ^ 

De même, certains éditeurs de 

La Nouvelle Héloîse ne se sont guère 
tirés heureusement d'une nouvelle 
lettre de Saint Pretix, qu'ils ont inter- 
calée. 

On sait que Scarron ne publia que 
les deux premières parties du Roman 
Comique. 

* Par M"' Ricoboni, morte en 1792, femme 
du comédien, et auteur dramatique de ce 
nom. 

La Harpe en fait un grand éloge, " Elle par- 
tage avec M"** De Tencin la gloire de disputer 
la palme à nos . meilleurs romanciers. Peu 
de femmes, peu d'hommes même, ont pensé 
avec autant de finesse et écrit avec autant 
d'esprit" 



276 Essai sur Le Pastiche. 

Après sa mort on parla d'une 
conclusion de ce roman, qu'un homme 
de mérite allait donner au public, d'a- 
près les mémoires laissés par Scarron. 
Cet ouvrage ne paraissant pas, une 
première suite fut publiée par A. 
Offray qui présente, en 1 7 chapitres, 
la fin du roman. 

Une seconde suite par Presckac, 
continue en 20 chapitres, les aven- 
tures de Ragotin, et de la troupe des 
comédiens; mais sans amener une 
conclusion de l'ouvrage. 

Une continuation, peut-être moins 
difficile à composer, fut donnée au 
public par le Duc De Levis, mort 
en 1830 ; ce fut celle des contes de 
Zénéide et des Quatre Facardins 
^Antoine Hamilton. On rapporte 
que celui-ci avait écrit une seconde 
partie de ce dernier conte, qui avait 
été montrée en manuscrit à Crébillon 
fils, par Mademoiselle Hamilton. 



Essai sur Le Pastiche. 277 

Malheureusement il n'emporta pas 
ces papiers en se retirant, comme il 
aurait pu le faire. Lorsqu'il revînt 
enfin les demander, il apprit qu'ils 
avaient été mis au feu. 







TROISIÈME SECTION. 

DES PASTICHES, IMITATIONS ET SUPPOSI- 
TIONS d'auteur, dans les beaux 
ARTS. 

"JUtn n'titèeau qtu livrai, le vrai seul vaut dt For, 
Parfois U faux ftmrtant st vind f lut chtr tntffr." 

1 ES curiosités artistiques pastichées 
■*-^ ont leur prix, à aussi juste titre 
que les Bibelots historiques. 

Quoique l'on trouve disséminés dans 
une foule d'ouvrages, quelques rensei- 
gnements sur les contrefaçons et les 
faussetés dans les beaux arts, il n'existe 
guère d'exposé général sur ces sortes 
de pastiches. 

C'est pourtant la première significa- 
tion de ce dernier vocable, selon le 
grand dictionnaire de Littré, qui le 



Essai sur Le Pastiche. 279 

définît, " L'imîtàtîon servile de la main, 
de la manière de composer et du colo- 
ris du peintre, du graveur ou du sculp- 
teur, sous le nom duquel le pasticheur 
veut produire son ouvrage." 

De ces imitations, faites dans Tinten- 
tion de tromper, naissent beaucoup de 
confusion et de défiance, un dommage 
irréparable pour les acheteurs de bonne 
foi ou inexperts, et quelquefois même 
un dommage certain pour des vendeurs 
honnêtes et loyaux, comme nous en 
verrons des exemples. 

Cette falsification dans les arts re- 
monte presqu'au haut que celle dans 
les lettres. 

Pline V Ancien (Histoire Natur. 
XXXV. 2) signale déjà comme pure- 
ment imaginaire, le portrait à' Homère, 
venu de la Grèce, dont plusieurs copies 
sont arrivées jusqu'à nous, et sont 
demeurées classiques. 

Au témoignage de Phèdre le fabu- 



28o Essai sur Le Pastiche. 

liste, né sous le règne d'Auguste, et 
mort du temps de Néron, les Romains 
aussi étaient déjà dans Thabitude de 
pratiquer ces sortes de fraudes : 

" Ut quidam artifices nostro faciunt seculo, 
Qui pretium operibus majus inveniunt novis, 
Si marmori adscripserunt Praxitelem suo, 
Myronem argento." 

"Comme ces artistes de notre siècle, 
qui, pour trouver de leurs ouvrages 
modernes un prix plus élevé, inscri- 
vent au bas d'une statue de marbre, le 
nom de Praxitèle, ou celui de Myron, 
sur une statue d'argent." ^ 

Chez nous ce n'est guère qu'à la 
Renaissance que ce système a recom- 
mencé à se développer. 

^ Pour avoir une idée de la perfection que 
les artistes anciens savaient donner à leur tra- 
vail, voir Tanecdote rapportée par Pline^ lirre 
xxxvi., chap. 5, au sujet d*une Vénus, et Ausone^ 
épigram 57, au sujet d'une vache en airain de 
Myron. 



Essai sur Le Pastiche. 28 1 

Tous ceux qui ont visité T Italie, la 
contré par excellence pour cette es- 
pèce de duperie, n'ignorent pas les 
nombreux pastiches d'antiques, en 
marbre, en fonte, en terre cuite, etc., 
qu'on y rencontre. 

A ndreznz imitsât les plats de faïence 
à reflet métallique, le fabricant Min- 
ghetti de Bologne, les vases à ara- 
besques, sur fond bleu, du 16"* siècle, 
au point d'induire en erreur les com- 
missaires des expositions publiques. 

Jeaji Bastianini était d'une telle 
habileté, que plusieurs bustes et bas- 
reliefs, taillés par son ciseau, ornent 
aujourd'hui des Musées d'Europe, 
comme œuvre du moyen-âge. Un 
buste du poète florentin Jértnie Béni- 
vienij acheté à l'hôtel Druot à Paris, 
pour treize mille six cent francs, par 
le Comte de Nieuwekerke, Directeur 
Général des Musées du Louvre, et un 
buste en terre cuite, représentant le 



282 Essai sur Le Pastiche. 



fameux moine yjrtme Savonarola, 
vendu à dix mille francs, comme une 
œuvre d'art du 15"' siècle, et jugée 
telle par d'éminents artistes de l'Eu- 
rope, sont dus au travail de ce 
sculpteur. 

Tous ces faits et bien d'autres, sont 
rappelés dans un livre assez peu connu* 
à^ Alexandre Foresi, où l'on trouve 
nombre d'anecdotes sur des amateurs 
de curiosités qui, quoique très instruits, 
sont trompés chaque jour dans tous 
les genres d'antiquités.' 

Ces supercheries artistiques remon- 
tent assez haut en Italie. Vasari 
raconte que l'Amorino, sculpté à Flo- 
rence par Michel-Ange, fut acheté à 

' Tour de Babel, ou objets d'art faux pris 
pour vrais, i vol 8*. Florence: A. Bcttini, 
1868. 

' Les émaux fonnent une exception, lors- 
qu'ils contiennent du rouge, parce que l'email 
rouge ancien n'a jamais pu être imite par les 



Essai sur Le Pastiche. 283 

Rome, comme une œuvre grecque, par 
le Cardinal Saint George, qui était 
pourtant un fin connaisseur. 

Cette anecdote a été souvent racon- 
tée, et de plusieurs manières différentes. 
Voici en quels termes elle est rappor- 
tée par l'auteur d'une dissertation latine 
sur la nécessité et les moyens d'imiter 
l'antiquité dans la littérature et les 
arts : *' Michel-Ange fit une statue de 
Cupidon endormi, qu'il enterra dans 
un endroit où il savait qu'on devait 
creuser. Lorsqu'on la découvrit, on 
la trouva si belle qu'on la considéra 
comme le produit d'un ancien sculp- 
teur grec, et en présence de Michel- 
Ange on la mit bien au dessus des 
sculptures modernes. L'artiste sourit, 
et montra à ces connaisseurs son nom 
inscrit dans un coin du marbre." (Les 
Matanasiennes.) 

Le peintre Mignard fit acheter, par 
Monsieur, frère de Louis XIV., un 



284 Essai sur Le Pastiche. 

prétendu tableau de Guida, qui ^vait 
été peint par Boullogne, et que celui-ci 
affirma être authentique. Mignard 
ne se vengea de cette surprise qu'en 
engageant le trompeur à faire toujours 
des Guida, et à ne plus peindre de 
Baullogne. 

Luca Giardana a inondé les galeries 
de l'Europe de ses pastiches. Enfin 
on ne sait pas encore bien assurément 
lequel est l'original du Léan X. degli 
UjffiziyOu de celui du Musée de Naples. 

Que de bustes, que de portraits des 
grands hommes, ne sont rien moins 
que les personnages qu'ils sont censés 
représenter. 

A l'époque du conclave, d'où sortît 
l'élection de LA>n XII. un iconographe 
bien connu, voulant spéculer sur le 
portrait du Pape futur et devancer 
tous les autres artistes, copia la face 
du maitre de l'hôtel où il se trouvait, 
et la grava. Aussitôt que l'élection fut 



Essai sur Le Pastiche. 285 

connue, il mit le nom, on tira, et la 
postérité croît encore à ce beau portrait 
de Léon XII.! 

Le peintre flamand David Teniers 
avait un talent rare pour le pastiche. 
Il fit des Rubens et des Bassano, que 
Ton prit longtemps pour des originaux. 

Parfois cette manie devient une 
violente passion. L'artiste Terenzio, 
connu dans les annales des arts pour 
la supériorité avec laquelle il contrefai- 
sait les peintures anciennes, ne put 
survivre au chagrin d'avoir été décou- 
vert. 

Nodier fait observer avec raison 
qu'il ne faut pas appeler pastiche, la 
copie exacte d'un tableau ou d'une 
sculpture, espèce de travail très utile 
aux élèves. Cette imitation ne mérite 
ce nom, généralement pris en mauvaise 
part, que lorsqu'elle est accompagnée 
de la prétention de tromper l'opinion 
publique. 



286 Essai sur Le Pastiche. 

Pour se sauvegarder contre ces su- 
percheries, un anglais proposa en 1858 
de former une société d'assurance pour 
la découverte et la prévention de ces 
faux dans les arts ; mais la proposition 
n'eut pas de suite/ et c'est fâcheux, 
car ils sont souvent chose sérieuse, 
tant pour les artistes, que pour les 
antiquaires et les archéologues. 

Un portrait de Montaigne, et ses 
portraits sont rares, figure avec hon- 
neur dans une galerie célèbre de 
Londres. Le docteur Payen, si connu 
par ses travaux relatifs au philosophe 
Périgourdin, eut connaissance de ce 
portrait, et à sa demande, le ministre 
de Belgique en Angleterre, Monsieur 
Van de Weyer, lui en fit parvenir une 
copie exacte. Après examen, Payen 
désappointé, se convainquit que ce 

^ Notes and Qutrits du 13 Novembre 1870, 
et 2"* série, voL vL, page 395. Aussi voL xi, 
pages 191 et 230. 



Essai sur Le Pastiche. 287 

portrait était celui de François de 
Médias, père de la célèbre Marie} 

Un statuaire fut chargé par la muni- 
cipalité de Paris, de faire pour l' Hôtel- 
de-ville une statue de Gtiillaume 
Budée. Elle était encore en place, 
avant le sac de Paris par les Corn- 
munistes. Les portraits qu'on pré- 
senta à l'artiste, ne lui plurent pas, et 
il moula la tête de son portier. Pauvre 
Budêe ! 

On pourrait citer cent exemples 
pareils ; néanmoins le public croit, et 
est satisfait.^ 

^ Voir les Causeries (Tun Curieux^ par Feuillet 
de Conches, tome iii., pages 36 et suiv., oli 
Ton trouve des détails intéressants à ce sujet 

■ Pour voir jusqu'oU peut aller la passion 
dans les querelles d'objets d'art faux, pris pour 
vrais, on n'a qu'à lire les pièces à l'appui 
produites par M. Alexandre Foresiy au sujet 
des bustes àt Jean Bastianini, achetés comme 
étant du 16"* siècle par le Comte de Nicu- 
wekcrke. 



288 Essai sur Le Pastiche. 

Toutes les branches des beaux 
arts ont été l'objet de ces sortes de 
supercheries. 

Les numismates recherchent les 
monnaies ou médailles romaines en or, 
connues en Angleterre, sous le nom 
de Bekker forgeries. Plusieurs sont 
des compositions entièrement fictives, 
d'autres sont frappées d'après des 
types anciens connus. Pendant un 
certain temps ces fausses pièces trom- 
pèrent les connaisseurs et trouvèrent 
place dans des cabinets renommés, 
sans exciter le moindre soupçon. 
Sestiniixxt le premier qui, en 1823, les 
déclara fausses. 

Les matrices en existent encore ; 
Bekker lui-même publia une liste de 
ces pastiches, lorsque la fraude eut été 
découverte, liste qui comprend plus de 
trois cent pièces. 

Il existait en Angleterre, et peut- 
être existe-t-il encore, pour l'exporta- 



Essai sur Le Pastiche. 289 

tion en Turquie, en Grèce et à Rome 
une sorte de fabrique de copies de 
médailles et danciennes monnaies 
étrangères, lesquelles ont souvent 
trompé les collectionneurs. 

Les contrefaçons sont parfois si 
parfaites, que le doute existe encore 
aujourd'hui. Par exemple la monnaie 
connue sous le nom à^Didrachmesd'ory 
ou Staters d'Athènes y est regardée par 
les uns comme un pastiche, et par les 
autres comme authentique. 

Quant aux articles d'antiquité, E- 
trusques, Egyptiens, Grecs ou Romains, 
le curieux doit être bien plus encore 
sur ses gardes, car on en trouve en Eu- 
rope, des manufactures bien connues. 

En 1843, on vendit publiquement 
à Londres, une collection d ornements 
Etrusques en or, venue, disait-on, de 
Gènes, mais probablement fabriquée 
dans la première de ces villes. 

Le Grec Giovanni d'Athanasi était 

T 



290 Essai sur Le Pastiche. 

l'agent chargé de les faire vendre. Au 
bout d'un certain temps, ces divers 
articles furent reconnus comme étant 
tout-à-fait modernes. 

Vers la même époque, un Italien, 
du nom de Castellari, voyant combien 
il était facile de faire passer pour an- 
tiques.des ouvrages qui ne l'étaient pas, 
se mit à fabriquer une autre collection 
d'objets en or, en imitation des orne- 
ments trouvés dans les tombeaux de 
l'ancienne Etrurie. Il serait facile 
d'étendre beaucoup la liste de ces 
sortes de supercheries ; mais mention- 
nons d'autres branches des Beaux- 
Arts. 

Nous avons déjà cité plus haut 
quelques faits relatifs à' la gravure. 
On sait que de temps à autre, on est 
parvenu à imiter merveilleusement les 
estampes de maîtres anciens. 

Les faux Marc Antoine Raimondi, 
LucoivanL^dm.Albert Durer, Hollar 



Essai sur Le Pastiche. 291 

et autres, sont très nombreux. La 
plupart sont gravés avec Tintentîon de 
tromper les collectionneurs. Il y a pour- 
tant de ces gravures-pastiches qui ne 
furent composées que comme études ; 
entr'autres la collection de vingt-deux 
estampes par Vivant-Denon^ qui voulut, 
par ces pastiches de quelques célèbres 
graveurs, acquérir la facilité d*exécu- 
tion et rhabitude de rendre exactement 
le style des diverses écoles, et Torigi- 
nalité des différents maîtres.^ 

On en trouve les détails dans 
plusieurs ouvrages bien connus, qui 
traitent de la gravure. Le lecteur 
peut y recourir. 

Les pastiches en peinture sont peut- 
être encore plus abondants. 

1 Monuments des arts du dessin chez les 
peuples tant anciens que modernes, recueillis 
par le Baron Denon, pour servir à l'histoire 
des arts, etc. etc. 4 vol in fol., avec 315 pi. 
Paris: Firmin Didot 1829, 



292 Essai sur Le Pastiche. 

Les voyageurs savent qu'à Rome il 
y en a des fabriques régulières. 

Les amateurs anglais se rappellent 
qu'il a existé à Lambeth, pendant assez 
longtemps, une manufacture de ta- 
bleaux, lancés dans le commerce, 
comme sortis du pinceau de Morland. 

Si Van Dyck n'était pas mort à 
quarante et un ans, mais avait vécu 
aussi longftemps que Titien, encore 
n'aurait-il pas eu le temps de peindre 
lamoitié des portraits qu'on lui attribue. 
Les faux Raphaël et Titien se ren- 
contrent fréquemment à Londres. 

Terminons notre Essai sur les Pas- 
tiches par ces mots de Pline le 
jeune : — 

" Verum de hïs plura fortasse quam 
debui, sed pauciora quam voluî." 
viii. 16. 



REMARQUES. 



Page 9. 

F. A. WoLFF. De l'Origine des Epopées 

Homériques. 

L'académicien S**- Croix a publié en 1798, une 
** Réfutation du Paradoxe littéraire de Fred. 
Aug. Wolff, sur les poésies d'Homère/' II 
affirme, dans cette brochure de 60 pages, que 
l'usage de l'écriture précéda chez les Grecs, la 
guerre de Troie, de plus de trois siècles ; que 
riliade et l'Odyssée furent écrits dès l'origine; 
que l'unité d'action et la gradation d'intérêt, sont 
sensibles, et prouvent l'intégrité de l'un et de 
l'autre poème ; enfin, que les plus célèbres cri- 
tiques de l'antiquité n'ont pas hésité à attribuer 
ces œuvres à Homère. 



Page is. 
Pastiche de Cicèron par Dion. 

Dans le No. du mois d'avril 18 18, de \ Hermès 
Romanus^ page 1320, on trouve une notice som^ 



294 Remarques. 

maire des étranges discussions dont les œuvres 
oratoires de Cicéron ont été Tobjet, chez les 
Anglais et les Allemands, durant les vingt 
premières années de ce siècle. 

M. Guillaume Duvair a composé une assez 
curieuse Anti-Milonienne en français. 



Page 13. 

Les réflexions de M. Van de Weyer ont une 
grande conformité avec celles du vieux A. 
Bailiety dans son "Traité des auteurs ài^vsé&i* 
et avec celles dey! Christ Mylius^ dans la pré- 
face de sa "Bibliotheca Anonymorum," etc., 
Hambourg, 1740. 



Page 16. 
Correspondance de St Paul et de SÉNkQUE. 

L'antiquité nous a légué des doutes, en assez 
grand nombre, sur ce qui regarde ces sortes 
de pastiches. Elle possédait les lettres de 
Comklie^ la mère des Gracchi^àoxiX, Cicèran faisait 
grand cas, comme on le voit dans le Brutus. 

Il s*est trouvé naturellement des savants 
Allemands pour contester Tauthenticité de celles 



Remarques. 295 

de ces lettres que nous avons encore, et d'autres 
savants pour les défendre. 

Victor Cucheval dans son " Histoire de l'Élo- 
quence Latine," cite de deux ces lettres, œuvre 
de Comélie, dit-il, ou de quelque déclamateur 
ancien. 

Le même écrivain démontre aussi qu'on ne 
saurait trop répéter qu'il faut résolument regarder 
comme pastiches, toutes les harangues que Tite- 
Live et les autres historiens placent dans la 
bouche des rois, des consuls, des sénateurs, et des 
tribuns, avant l'époque de Caton V ancien. Ce ne 
sont que de véritables exercises de rhéteurs, qui 
ne reposent sur aucun document authentique. 

Ce n'est qu'à partir de Caton que l'art oratoire 
a ses monuments vrais, soit par fragments, soit 
complets. 



Page 19. 
Hermès Trismégiste. 



L Histoire delà Philosophie Hermétique (3 voL 
12**) nous dit qu'il y eut au moins deux Hermès^ 
Mercure^ ou Thot^ tous deux rois d'Egypte, le 
premier fils d'Osiris et d'Isis, nommé AthotiSy 
le second, Siphoas^ qui vivait environ 800 après 
AthotiSy et 1900 avant l'ère chrétienne. A 



296 Remarques. 

cause de sa science extraordinaire, il fiit sur- 
nommé le second ThoL Les Grecs le connu- 
rent sous le nom de Hermès ou Mercure Tris- 
mkgistey c'est a dire Trh Grand, 

C'est celui-ci auquel on attribuait, dans les 
premiers siècles du christianisme^ tous les ou- 
vrages que Ton écrivait sur les sciences. 



Page 26. 
Pervigilium Veneris. 



Il y a peu de pièce ancienne de vers, qui nous 
soit parvenue d'une manière plus incorrecte que 
celle-ci, et les nombreuses variantes et explica- 
tions des commentateurs sont sans fin. Aussi 
ce poème qui n'a pas cent vers, a-t-il donné 
lieu à une édition Varionim de 208 pages, et 
un index des auteurs cités, comprenant deux 
cent quatre-vingt-dix noms ! 



Page 28. 
Le p. Hardouin. 



Le savant p3rrrhonisme de cet écrivain a sus- 
cité au dogme classique qu'il attaquait, de nom- 
breux et ardents défenseurs. Ce fut une véri- 



Remarques. 297 

table réaction, et Burmann se vit bientôt le 
chef d'un parti qui pouvait prendre pour mot 
d'ordre, " Réhabilitation de TAntiquité." 

En parlant des folles visions de Hardouin, 
on ne peut manquer de signaler un Belge con- 
temporain, Peerlkamp, qui déclare interpolé et 
apociyphe, le tiers environ des vers que dix-huit 
siècles avaient admis comme d'Horace. Ce 
même écrivain que Sainte Beuve appelle Tin- 
génieux, Tosé, le téméraire en conjectures, 
enlève aussi à Virgile non seulement des vers 
çà et là, mais des épisodes tout entières. Voir 
tome onze des Nouveaux Lundis. 



Page 34. 

La Philomèle d'Ovide. 

Ch. Nodier publia ce poème en 1828, avec 
la grotesque version de Marolles^ et il adopta 
sur son auteur, l'opinion de Wernsdorff, lequel 
veut que ce soit l'ouvrage d'un Albius Ovidius 
Juvefitinus. 

Page 39. 

Au sujet à'AstruCy disons que son livre, ayant 
pour titre " Conjectures sur les Mémoires ori- 



298 Remarques. 

ginaax dont Moïse s'est servi pour la Composi- 
tion de la Genèse," peut donner lieu à une 
quasi-mjTstification, vu que ce titre alléchant se 
réduit à soutenir la thèse, que des écrivains 
antérieurs à Moïse lui ont fourni des documents 
historiques sur les temps voisins de la création. 
Quant à ces chroniqueurs primitifs, il n'en dé- 
signe aucun, et pour cause. Il ne traite pas 
non plus, la question de Tinvention de récri- 
ture. On s'attendrait à une plus piquante révé- 
lation. 



Page 41. 

Annius de Vitsrbe. 
f 
, Quoiqu'on ait accusé ce fameux Jacobin 

d'imposture littéraire, on a quelquefois outré 

I les choses, comme Pineda^ le Père Andrt Schot 

et GorapiuSy qui l'ont traité de la manière du 

' monde la plus indigne et la plus passionnée. 

Notre siècle paraît être un peu mieux disposé à 

' son ^ard, comme le montrent quelques pas- 

sages de l'ouvrage de Salverte^ sur les noms 

[ d'hommes, de peuples et de lieux. 

Dans la note A. du i*' volume se trouve une 
dissertation de 63 pages sur le degré probable 




Remarques. 299 

d'authenticité du recueil publié par Annius de 
VUerbe. 

On dit qu' Annius fut empoisonné en 1502 
par le Duc de Valentinois. Il avait été fort at- 
taché au Pape Alexandre VI^ mais il eut le 
malheur, la dernière année de sa vie, de s'attirer 
rinimitié de Bargia, en disant quelquefois à ce 
prince, des vérités qui ne lui faisaient pas plaisir. 

On trouve sur Annius des détails, que ne 
donne pas Bayle^ dans " Fragments d'histoire 
et de littérature," un volume in 12% la Haye, 
A. Moetiens, 1706. 

M. F, Lenormant vient de publier à Paris un 
*' Essai de Commentaire des Fragments de 
Bèrose** oli entr'autres recherches très curieuses, 
on trouve des renseignements sur les Biblio- 
thèques de Ninive, dont les livres étaient une 
collection de briques, et les parchemins, des 
surfaces de terre cuite. 



Page 50. 

B G X H G R N. 



Dans l'édition complette des Carmina Mi- 
chaelis Hospitaliiy d'Amsterdam 1732, l'éditeur 
s'égaie un peu dans la préface sur la méprise du 
savant belge Boxhornius^ et il en transcrit le 



300 Remarques. 

commentaire qui a pour titre, "Ad satjrram 
anonymi de Lite, animadversîones." Ce sont 
trois pages assez plaisantes. 



Page 53. 
quicherat. 

Ce savaDt académicien a fait plus tard, amende 
honorable au sujet des deux ou trois impru- 
dentes citations qui accusaient un excès de 
déférence pour les témérités de Wemsdgrff. 

Quicherat fit insérer en Septembre 1869, 
dans le Journal de l'Instruction Publique, un 
article triïs développé sur le prétendu fragment 
du pofete Tumus, qui avait mis, disait-il, sa cri- 
tique en défaut 



n y a deux savants de ce nom, que de graves 
auteurs ont confondus. Il est vrai que l'oncle 
et le neveu, homonymes en tous sens, paraissent 
avoir résolu d'embarrasser la postérité, par la 
conformité de leurs travaux. 



Remarques. 30 1 

Page 70. 

PÉTRONE. 

L'on publia en 1687 une traduction de ce 
poète-romancier, dans laquelle le traducteur 
trouva le secret d'en faire un écrivain grave et 
un philosophe austère, qui peut même être lu 
par les dévotes dans leurs moments de délasse- 
ment Cela rappelle qu'il y a peu de temps, 
on publia en Angleterre une traduction de fane 
d*or^ pour les dames. 



Page 86. 
La Guerre de Genève. 

Voltaire publia un cinquième chant; mais il 
ne fit jamais le sixième. 

Voici un autre extrait du pastiche de Cazotte, 
qui aurait dû ouvrir de suite, les yeux du 
public : 

Dans le château l'on n'entend point de bruit ; 

Le philosophe était encore au lit. 

Pressé de vivre et plus pressé d'écrire. 

Il s'amusait à se voler sa nuit, 

Qu'il employait trop souvent à médire. 

Au point du jour il s'endormit enfin. 

Saint Athanase et Messer Arétin, 

Deux in-quarto lui servaient de coussin. 



302 



Retnarques. 



Mais U paupière était à peine close, 

Que la Déesse aux doigts couleur de rose, 

Ouvrait la porte aux songes du matin. 

Sous un berceau de fleurs et de verdure, 

Ob l'art discret fait valoir la nature, 

Il est couché sur l'œillet et le thym. 

Trois dëités apparaissent soudain : 

C'est Idamé, c'est Jocaste et Zaïre, 

C'est le Couvreur, c'est Clairon, c'est Gaus«D, 

Que des amours environne l'essiùro. 

Autour de qui tout s'embrase et soupire. 

" Viens," lui dit-on, avec un doux sourire, 

" Auteur charmant, dont le pinceau divin 

" Sur tous les cccurs nous a donné l'empire ; 

" Viens te livrer à l'amoureux délire!" 

Le vieil Athlète en voyant tant d'appas, 

Des premiers feux ressentait la puissance. 

Vers le plaisir qui l'appelle, i! s'élance. 

Pour l'arrêter on lui fait violence ! 

Il se récrie t Eh ! quel est l'inhumain ... ? 

C'est Jean Fréron, la férule à la main ; 

" Retire-loi, galant sexagénaire. 

Et laisse-là ce prestige de l'art, 

Ces oripeaux, ces grimaces, ce fard," 

C'est sur ce ton que parlait le pcndard ! 

" Eh ! que veux-tu, bourreau de ma vieillesse t" 



IL^^ 



Remarques. 303 

C'est ce passage qui fit qu'un homme de 
lettres s'écria : *' Voyez, comme le grand homme 
ne craint pas de plaisanter de lui-même!" 
Cazotte était présent et entendit ce propos. 



Page 97. 
Marie Stuart et M. Mignet. 

On peut consulter avec fruit sur cette mal- 
heureuse reine: 

!• Histoire de Marie Stuart, avec pièces 
justificatives et remarques, (par Fréron et de 
Marsy). 2 voL in 12®, Londres, 1742. 

2"* Histoire de Marie Stuart, décapitée à 
Londres le 18 Février 1587, rédigée sur des 
pièces originales, par Mercier de Compiègne. 
1795, 2 parties en un volume in 8**, figures. 

3* De Maria Stuarta conscripsit P. Ad. Ché- 
ruel. Rotomagi, 1849, in 8*. 

4* Mémoires de Melvil. 

Il était le ministre et Tami de la reine d'E- 
cosse, et ses mémoires sont un des plus pré- 
cieux monuments historiques de ce règne. 

5* The Castles, Palaces, and Prisons of Mary 
of Scotland, by Charles Mackie. London, 1849, 
un fort volume, gr. in 8*, avec de nombreuses 
gravures. 



304 



Remarques. 



Il est curieux d'observer t^ Edouard- MarU' 
Oeliinger, dans son grand ouvrage de 2137 
pages : " Bibliographie Biographique Univer- 
selle, etc.," ait oublié de faire mention des 
ouvrages relatifs Jt Marie Stuart, 



Page 



[03. 



Charles Bninet, par erreur, à l'article Clotilde, 
date ainsi la première édition de ses poésies ; 
"Paris, an IX (1803);" mais il y a là sans 
doute une faute d'impression. Au lieu de an 
IX, il fallait an XI, année qui correspond à 
1803. 

11 y a un article assez curieux sur le Journal 
littéraire de Lausanne, dans le 3""° volume, page 
91, des Soirées Littéraires de Coupé. 



Page 146. 
Arrêt du Parlement de Grenoble, 
Arrêt, rendu le 13 Février 1637, en faveur de 
la Dame d'Aiguemère, sur la naissance d'un 
sien fils, arrivée quatre ans après l'absence de 
son mari, et sans avoir eu connaissance d'aucun 
homme ; 



Remarques. 305 

Soutenant la dite Dame qu'encore que véri- 
tablement le sieur d'Aiguemère n'ait été de 
retour d'Allemagne, et ne Tait vue ni connue 
depuis quatre ans, néanmoins la vérité est telle 
que, s'étant imaginé en songe, la personne et 
l'attouchement du sieur d'Aiguemère, elle reçut 
les mêmes sentiments de conception et de 
grossesse qu'elle eut pu recevoir en sa présence. 

Vu en la dite Cour les attestations, avis et 
raisons de plusieurs médecins de Montpellier, 
sages-femmes, matrones, et autres personnes de 
qualité, sur la possibilité et la réalité des faits 
que dessus ; 

Informations faites à la requête du Procureur- 
Général ; 

Tout considéré ; 

La Cour ordonne que l'enfant dont est ques- 
tion, sera déclaré fils légitime et vrai héritier du 
sieur d'Aiguemère ; 

Condamne les sieurs de la Forge et de Bourg- 
le-Mont, appelans et demandeurs, à tenir la 
dite Dame d'Aiguemère, pour femme de bien et 
d*honneur, dont ils lui donneront acte, après la 
signification du présent, etc. 

(Guy Pape, annoté par Chorier.) 

A l'époque de ce jugement, plusieurs savants 
argumentèrent sur la puissance de l'imagination, 
croyant à l'arrêt et au fait qu'il avait établi. 

U 



3o6 Remarques. 

Page 148. 
La Guzla, Chants Illyriques. 

Le pasticheur a pris toutes les précautions 
pour cacher sa supercherie. En tête de la no- 
tice sur la vie imaginaire d'Hyacinthe Maglano- 
vich, est placée une gravure du barde slave qui 
joue de la Guzla, espèce de guitare n'ayant 
qu'une seule corde. Puis il nous apprend qu'il 
est Italien et sa mère une Morlaque ; qu'il a 
traduit ces chants de la Dalmatie, de la Bosnie, 
et de la Croatie, en français, parce qu'il est ha- 
bitué à considérer la France comme sa patrie ; 
enfin il entremêle ses compositions, de ballades 
dont les sujets sont pris dans les ouvrages où il 
est question de véritables poésies illyriques. 
Ce livre, malgré son succès, est tombé dans 
l'oubli, quoique très bien fait, et on le trouve 
difficilement. 

Nous avons dit que c'était, vers cette époque, 
un véritable cacothymie, de composer des pas- 
tiches. Des professeurs d'histoire, même à 
l'Académie de Paris, s'en mêlaient 

M. Auguste Trognon publia " l'Histoire ad- 
mirable du Franc Harderad et de la vierge 
Aurélia, Légende du 7"** siècle, retrouvée en 
1800 à Aurillac et traduite par un amateur 
d'antiquités françaises." 



Remarques. 307 

Ce livre ayant été très bien accueilli du public, 
Tauteur donna peu de temps après : " Le Livre 
des Gestes du Roi Childebert III., Chronique du 
8"** siècle ; découvert à Tabbaye de Saint Julien, 
à Brioude." 

Ce pastiche-ci, qui est bien fait, était difficile, 
car une douzaine de lignes nous restent à peine 
dans toute la collection des savants Bénédictins, 
sur les Rois Fainéants et leur présence aux as- 
semblées du Champ-de-Mai. 

Les deux ouvrages sont devenus assez rares. 



Page 152. 
Sanchoniaton. 



Court de Gebelin^ dans ses All^ories Orieti' 
taies ou Fragments de Sanchoniaton^ Paris, 1773, 
in 4% donne un abrégé de ce que Ton sait sur 
cet auteur phénicien, et cite les ouvrages des 
savants qui sont d'opinion qu'il n'exista jamais, 
ainsi que de ceux qui croient authentique son 
histoire. 



Page 162. 

SiMONIDÈS. 



On trouve dans les Prifuipia Typographica de 
M. Sotherby^ 3 vol., in fol*, Londres, 1858, un 



3o8 Remarques. 

récit détaillé des supercheries de ce Grec, dans 
le 2"' vol. page ii8. 

A la page 133, est l'historique des lettres 
supposées de Byron, de Shelley et de Keats. 



Page 190. 
Fin de la Première Section. 

Au nombre des auteurs qui ont fait mention 
de suppositions d'auteur, aucun, à notre con- 
naissance, n'a parlé de Touvrage du savant Père 
MènestrieTy intitulé "Bibliothèque Curieuse et 
Instructive de divers ouvrages anciens et mo- 
dems, de Littérature et des Arts." (2 vol. in 12% 
à Trévoux, 1706.) 

Il renferme pourtant un chapitre sur notre 
sujet, et comme c'est un ouvrage peu connu, en 
voici un extrait : 

** Il y a des livres supposés qui n'ont jamais 
été, ou attribués à d'autres qu'à leurs véritables 
auteurs. Ainsi au bout des ouvrages de Saint 
Augustin^ on ajoute divers ouvrages qui lui 
ont été faussement attribués. On a fait la 
même chose à la fin des ouvrages de Saint Am- 
broise et d'autres Pères, ce qui est arrivé par 
l'inadvertance des copistes, avant l'invention de 
l'imprimerie. 



Remarques. 309 

'* Les anciens moines assemblaient pour leur 
usage, en un corps, divers traités et ouvrages, 
sans distinguer les auteurs, ce que les savants 
s'efforcent de faire aujourd'hui, par la différence 
des styles, et d'après divers anachronismes et 
citations," etc. 



Page 195. 
Voiture (Note i). 

Cette anecdote sur Voiture^ est loin d'être un 
fait singulier dans l'histoire littéraire. Il n'est 
pas extraordinaire qu'une chose nous demeure 
dans l'esprit, et que l'auteur de cette chose 
s'efface de notre mémoire. Ménage dans son 
** Anti-Baillet" rapporte que Racan lui avait 
souvent raconté qu'étant en garnison à Calais 
en 1608, à l'âge de 19 ans, il composa quelques 
vers sur la crainte de la mort. Quelque temps 
après, se trouvant à Paris, il récita ces vers à un 
de ses amis qui lui dit qu'il ne donnait point 
dans ce panneau, et que ces vers étaient pris 
dans " Les tablettes de la vie et de la mort," par 
le poète Mathieu, Or Racan jure qu'il n'avait 
jamais vu ce livre. 

Ménage ajoute qu'il avait aussi ouï dire à 



3IO Remarques. 

Corneille qu'il avait écrit ces deux vers célèbres 
de son Polyeucte : — 

Et comme elle a l'éclat du verre, 
Elle en a la fragilité, 

sans soupçonner le moins du monde qu'ils 
fussent de GodeaUy Evêque de Vence, dans une 
ode au Cardinal de Richelieu^ composée quinze 
ans avant le Polyeucte. 

Leonardo Salviatiy au premier livre de ses 
** Avertissements de la langue Italienne," affirme 
qu'un poète de son temps, qui n'avait jamais vu 
les sonnets du Cardinal Bembo, en avait fait de 
tous semblables. 



Page 205. 

Le Champfleury de Geoffrey Tory. 

Rabelais n'a pas seulement imité, mais copié 
ce passage dans Geoffrey Tory, On lit tex- 
tuallement dans son livre, imprimé au plus tard 
en 1529, " Despumons la verbocination latiale, 
et transfrétons la Sequane au crépuscule, puis 
déambulons par les quadrivies et platées de 
Lutèce, et comme vérisimiles amorabondes, 
captivons la bénévolence de Tomnigène et uni- 
forme sexe féminin." 



Remarques. 31 1 

Peut-être était-ce une plaisanterie tradi- 
tionnelle parmi les écoliers de l'Université de 
Paris. 

L'âge d'or, pour le langage prétencieux, tiré 
du grec et du latin, fut en France, le règne 
de Henri II, et de Charles /X, et Ronsard le 
premier en introduisit l'usage à la Cour, oli 
c'était la mode d'Hélisenner, de Pindariser et 
d'Homériser. Ceux qui ne savaient pas le 
grec, se rabattaient sur le latin. On avait 
mal au ckrlbre; on avait \tfemores rompues, ou 
les crures enflées ; on appelait sa maîtresse sa 
chère Entélichie, 



Page 206. 

GiLES MÉNAGE. 



Ce savant avait une mémoire qui tenait du 
prodige. Au sujet des plagiats, il disait, ''Je 
me souviens fort bien de ce que j'ai prêté, mais 
je ne me souviens pas de ce que j'ai emprunté." 



Page 236. 

PokME DE Lvsis. 



La brochure de 26 pages, qui contient ce 
poème, est devenue très rare. Il est divisé en 



312 



Remarques. 



trois chants, le i"- est intitulé Saphe, le a""- 
Corinne, et le 3" Ismine. 

A U suite, est la traduction de l'Hymne à 
Vénus, dont voici un extrait : — 

Demain dans le sein amoureux 

De la terre fertilisée, 

Jupiter en douce rosée 

Va descendre du haut des cieux. 

D'oîi vient cette flamme immortelle ? 

Quelle force toujours nouvelle 

Rajeunit l'antique univers ? 

O Vénus ! ton âme féconde 

Pénètre, environne le monde. 

Et tu peuples les flots déserts. 

Tout s'embrase de ta puissance, 

Tout reconnaît la Déit^ 

Qui donne aux êtres la naissance, 

Et l'amour et la volupté 

On peut comparer ces vers, aux idées ex- 
primées par Lucrice, dans son invocation à 
Vénus. 



Page 338. 
Comte de Peybonnet en Prison. 
Vigneul de Marville dans ses " Mélanges de 
Littérature," tome l, p. 215, rapporte plusieurs 



Remarques. 3 1 3 

exemples de prisonniers qui se sont consolés 
avec les Muses, de la perte de leur liberté. 
Coupé, dans ses " Soirées Littéraires " tome x., 
p. 103, a ajouté plusieurs autres exemples à 
cette liste, qu'il ne prolonge pas, dit-il, parce- 
qu'il finirait peut-être par faire aimer Tétat de 
prisonnier. 



Page 249. 
The Dynamic of a Particle. 

Cette brochure imprimée à Oxford en 1869," 
commence par une préface, raillerie très plaisante 
sur la géométrie. En voici un extrait : — 

" It was a lovely autumn evening, and the 
glorious effects of chromatic aberration were 
beginning to show themselves in the atmosphère, 
as the earth revolved away from the great 
western luminary, when two/htfs mighthavebeen 
observed wending their weary way across a plane 
superficies. The elder of the two had, by long 
practice, acquired the art of lying evenly between 
his extrême points ; but the younger, in her 
girlish impetuosity, was ever longing to diverge 
and become an hyperbola, or some such roman- 
tic and boundless curve. They had lived and 
loved j fate and the intervening superficies had 



314 



Remarques. 



hitherto kept them asunder; but this was no 
longer to be : a Une had intersected them, 
tnaking the tvo interior angles, on the same 
side of it, togcther less than two right angles 
It was a moment never to be forgotten, and, as 
they joumeyed on, a whisper thrilled along the 
superâcics in isochronous waves of sound : Yesl 
we shall at length meet, if continually produced ! 
{Jacobi's Course of Mathematics, chap. i.) 

" We hâve commenced with the above quota- 
tion as a striking illustration of the advantage 
of introducing the human élément into the 
hitherto barren région of mathematics. 

" Who shall say what germ of romance yet 
unobserved, may not underlîe the subject 7 

"Who can tell whether the Paraileliigram, 
which, in our ignorance, we hâve defined and 
drawn, and the whole of whosc properties we 
profess to know, may not be ail the while 
panting for exterior angles, sympathetic with 
the interior, or suUenly repining at the fact that 
it cannot be inscTibed in a circle P" &c. 



Page as 5. 
Pastiches-Parodies de Chaloms. 
Ce n'est pas à tort que Quérard a qualifié t 
savant Belge, d'effréné mystificateur. 



Remarques. 3 1 5 

Il serait difficile d'énumérer toutes ses plai- 
santeries en ce genre ; nous ne ferons mention 
ici que d'une collection très peu connue en 
dehors de la Belgique, composée de cinq ou six 
petits traités Rabelaisiens, publiée en 1857, à 
Bruxelles chez Decq, sous le titre de Œuvres 
philosophiques^ médicales^ posthumes^ humanitaires^ 
et complettes du Docteur Cloetboom, 

Le traité de Boutonistique fut probablement 
suggéré à M. Chalons par une dissertation 
publiée en 1842 par la Société de Bibliophiles 
de Reims, sous le titre de " Histoire Chronolo- 
gique, Pathologique, Économique, Artistique, 
Soporifique, et Melliflue, du très noble, très ex- 
cellent et très vertueux pain d'épice de Reims." 

Le célèbre Grosley^ mort en 1785, avait 
donné l'élan, par ses Mémoires de P Académie de 
Troyes en Champagne^ à ces dissertations, ré- 
flexions et mémoires sur des sujets ridicules ou 
puériles, satire ingénieuse, spirituelle et ironique, 
de la gravité souvent burlesque, avec laquelle 
des académies plus célèbres discutent sur des 
questions souvent aussi peu importantes que 
celles qui occupa l'Académie de Troyes. 



3i6 Remarques. 

Pagk 257. 
Sonnet de Tkissotin. 
M.A.Millaud'kBmie. 
Ne trouverez-vous pas inconvenant, Madame, 
Que je fasse moi-même à mes vers la réclame ? 
Ce livre auquel je crois que vous ferez accueil. 
Est des vers que j'écris, le modeste recueil. 

Armanit. 
Vos Ntmisis T 

MUlaud. 
Oui-dà. 

Bitise. 

Vos fines épigtammes ? 
MUlaud. 
Par&it! 

Philaminte. 
Vos savoureux pastiches ? 
mUaud. 

Oui, Mesdames. 
BèUse. 
Quoi t dans ce charmant livre oh l'âme sait rêver. 
Dans ce petit format, nous pourrons retrouver 
Tant de vers sémilants, donnant la comédie? 
L'illustre Gambeita, le pieux Gavardiel 
Tous \sijula, depuis Â^r; jusqu'à Simon t 



Remarques. 3 1 7 

Millaud. 
Les Jujules ! 

Armande, 
Il a tout Tesprit d'un démon. 

Phiiaminte, 
Le conte de Noël dans lequel Thiers dépose 
Au foyer solennel son petit soulier rose ? 
Les vers sur Girard in ? Le pastiche à! Hugo f 
Nous avons tout cela la dedans ? 

Millaud. 

A gogo ! 



Page 258. 

Suppléments d'Homère. 

Nous n'avons pas cité les poèmes du Cretois 
DictySy et du Phrygien Darh (qu'on suppose 
avoir été retrouvés, l'un à Tépoque d'Auguste, 
l'autre au temps de Néron), parceque ces ou- 
vrages, fabriqués au 3"* ou 4"* siècle, ne sont 
point des continuations d'Homère. Le faux 
Darh s'éloigne encore plus que le faux Dictys^ 
des légendes grecques, sur la guerre de Troie. 
Chacun de ces poèmes est la contre-partie de 
l'autre. D'un côté c'est le Grec qui parle, de 
l'autre, c'est le Troyen. 



3i8 



Remarques. 



On a publié anciennement, comme ëtant de 
Comiiius Nipos, et traduction de DarislePhry- 
gim, un poème latin en 6 chants, intitulé " De 
Bello Tiojano," et un autre ouvrage en prose, 
aussi sur la prise de Troie ; mais c'est une erreur 
que Schall a relevée dans son Histoire de la 
Littérature Romaine. 

Ce sont les œuvres du moine anglais Joseph 
licanus, ou Devonius, c'est-à-dire du Devonshiref 
qui les composa vers la fin du 12"* siècle. 

Dictys, Darès et Iscanus ont été publiés réu- 
nis, en 1762, à Amsterdam. 



Continuations de Romans. 

Migud Cerratita avait publié son histoire de 
Don Quichotte en 1604, et en donna la seconde 
partie en i6ig, ce qui n'empêcha pas AvUlane- 
da (pseudonyme qu'on n'a point encore dénias- 
quée) de publier une suite aux deux premières 
sorties du Chevalier de la Manche, sous te titre 
de "Second Volume de l'ingénieux Hidalgo 
Don Quichotte." 

EmiU Chasles, dans son ouvrage sur Cer- 
vantes et ses oeuvres, a rudement traité cette 
continuation d'Avellanedà, que Gemiond de 



Remarques. 319 

Lavigne, dans sa traduction, a soutenu être 
au moins égale en mérite à l'original. 

G. de Lavigne a publié aussi une traduction 
de la célèbre CtlestinCy roman resté longtemps 
inachevé, et qui eut plusieurs continuateurs 
oubliés aujourd'hui, à l'exception de Fernando 
de RojaSf qui sut si bien imiter le style de la 
première partie, que quelques-uns pensèrent qu'il 
était l'auteur de tout Touvrage, quoique son 
travail ne parut que plusieurs années plus tard. 

Presque tous les romans espagnols de renom 
ont eu des suppléments. Un inconnu donna 
une continuation de Lazarille de TormeSj de 
Don Diego de Metidoza; un pseudonyme, Lujan 
de Sayavedra, composa une seconde partie de 
Guzman d^Alfarache^ du vivant même de l'au- 
teur, Mateo Aleman. 



Page 286. 
Faux Portrait de Montaigne. 

Le nombre des soi-disants portraits historiques 
originaux est assez considérable. Un doute 
artistique intéressant, encore à éclaircir, est 
celui du portrait d^ Albert Durer^ peint par lui- 
même, en 1498. 

Kugler veut que l'original soit dans la coUec- 



320 Remarques, 

tion florentine Dt^i Uffuzi^ portrait présenté à 
Charles I, d'Angleterre, par la ville de Nurem- 
berg, et vendu dans la collection de ce souverain, 
après sa décapitation. 

Mais comme Philippe IV. d'Espagne fut un 
des principaux acheteurs à cette vente, on sou- 
tient que le portrait de Florence n'est qu'un 
replica de celui de la Galerie Royale de Madrid, 
véritable original. 

Dans les Notes and Queries du 13 Avril 1872, 
No 224, 4"' série, on trouve une curieuse anec- 
dote sur le portrait de Chatterton, dont une 
copie, insérée par John Dix, alias John I^oss^ 
dans une édition de la vie de ce poète, publiée 
à Bristol, en 1S37, fut réputée authentique 
jusqu'en 1857. Chatterton, comme Shakespeare, 
n'a pas laissé, l'image de ses traits, à la postérité. 



Page 290. 
Fausses Médailles. 



Le lecteur a pu lire dans la première section, 
ce qui concerne Annius de Viterbe et ses anti- 
quités de Bérose, de Manethon, etc. Ce savant 
s'occupait beaucoup aussi de numismatique. 
Ses ennemis ont prétendu qu'il falsifiait les 
médailles, ainsi que les textes anciens; qu'il 



Remarques. 32 1 

faisait graver des inscnpti(^s, les cachait dans 
les vignes, près de Viterbe, les déterrait ensuite 
et les portait en triomphe aux magistrats, leur 
faisant accroire que leur ville était beaucoup plus 
ancienne que Rome, puisque, d'après ces in- 
scriptions, elle avait été bâtie par Isis et Osiris^ 
deux mille ans avant Romulus. 
(Soirées Littéraires de Coupé, tome vi., page 55.) 



Page 296. 

Comment discerner les Fausses Médailles. 

Un excellent petit traité sur ce sujet, et sur 
les auteurs qui l'ont traité, est celui de M. de 
Montigfiy : '* De la falsification des Médailles 
antiques et des Faussaires. "Paris ; J. Techener, 

Ï845. 
Les premières pièces fausses qui parurent, 

furent des médailles imaginaires. 

Les plus habiles faussaires de monnaies ro- 
maines furent Jcfin Cavino et Alexandre Bas- 
siano, connus sous le nom de Padouans, et 
associés vers 1540. 

On indique dans ce traité, quels furent ceux 
qui s'acquirent le plus de renommée dans la 
falsification des médailles. 

X 



i 



322 Remarques. 

Le fameux Baker, mort k Hamboui^, en 
1830, non content 9'imiter, inventa à pUiûr. 
On a le catalogue de ces produits. 



Page 393. 
L'abbé Michel Fourmont. 
Une note perdue du manuscrit, durant le 
tirage, sur les nombreuses supercheries littéraires 
de Fourmont, membre de l'Académie des In- 
scriptions, sous Louis XV., et professeur de 
Syriaque au Collège Royal, nous oblige à nous 
borner ici, à renvoyer les curieux à un long et 
intéressant article, sur ce célèbre faussaire 
(dans les Notes and Queries du 4 Mai 1873, 
page 368), dont Quirard a oublié de raconter 
l'histoire dans ses " Supercheries Littéraires." 



TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS. 









FACB 


Abgar, roi d'Edesse, 


• • 


• • 


14 


Abdias, . 


• • 


• • 


16 


Alexandrie, Manufacture de Pastiches, 


• ■ 


21 


Alcaforada (Mariana), 




• • 


68 


Anacréon, 




• • 


20 


Annius de Viterbe, 




» • 


41 


Apocalypse, 




» • 


18 


Astruc, . 




t • 


39 


Anti-Jacotin (Poetry of the), 


k • 


248 


Alvin, 


• • 4 


1 • 


253 


Ablancourt (d'), 


• • i 


• 


273 


Bai^-ac (Guez de), 


• • 1 


• 


51 


Balzac (Romancier), 


• ■ • 


240 et 244 


Babrius, . 


• • i 


• 


156 


Basselin (Olivier), 


• • • 


• 


109 


Barzas Breiz (chants bretons). 


• 


169 


Bentley, . 




• 


193 


Berose, 




• 


42 


Byron (Lord), 




• 


173 


Bret Hartc, 




• 


251 


Bcrangcr, 




, • 


242 



324 Table des noms. 



Cadet de Gassicourt, 


PAGB 
229 


Carya Magalonensis, 


IS9 


Cérinthus (réputé auteur de l'Apocaljrpse), 


18 


Châtelain, .... 


7ctiS7 


Chatterton (Thomas), 


124 


Chasles (Michel), 


177 


Chef-d'œuvre d'un Inconnu, 


213 


Cibdareal (Ferdinand Gomez de), 


62 


Clotilde de Surville, 


99 


Choiseul (Pasticheur), 


83 


Courtilz (Sandras de), 


69 


Cunningham (Allan), 


141 


Chénier (André), 


242 


Courier (Paul Louis), 


«47 


Chalons, ..... 


25s 


Dacier (Madame), 


211 


De Ligne (Prince), 


224 


Du Mcsnil (Eugène), 


149 


Du Roure (Marquis), ... 


6et 2«4 


L'Elysée, ou scènes de l'autre monde, . 


229 


Elyot (Thomas), .... 


98 


Enoch (Livre de), 


8 


Elzour-Vedam, .... 


79 


Feuillet de Couches, . 


176 


Figaro (Le), .... 


186 et 257 


Fumée (Martin), .... 


64 


Gelase (Pape), .... 


«S 


Guerre de Genève, 


85 



Table des noms. 



325 



PAGB 



Gnevara (Antonio de), . 


S6 


Guzla, Chants Illyriens, . 


148 


Hardouin, 


28 


Hennés Trismëgiste, 


19 


Higuera (Jérôme), 


60 


Homère, 


. 8 et 193 et 258 


Hôpital (ChanceUer de 1'), 


49 


Horace, . . . . 


88 


Ingherami (Curzio), 


65 


Iphigénie de Rotrou, 


217 


Itinéraire de Pantin, 


231 


Ireland (William). 


137 


Jeanne de Naples, 


39 


Johnson (Le docteur), 


114 


Jules TAfricain, . 


16 


Juvénal, . 


26 


Janin (Jules), 


244 


Ki.AAS Kolyn, . 


81 


Keats, 


173 


Lacroix (Paul), 


144 


La Bruyère, 


207 


Lazare (Louis), . 


155 


Lamotte, 


21X 


Lebrun (Prince), 


23s 


Leclerc (Victor), 


236 


Leopardi, 


151 


Lettres Portugaises, 


68 


Lettres de Livry, 


219 



'■ -^ K T." ■ T- ►•Wî 



^^^mm 



. ■ -y 






326 



Table des noms. 



Lucu (Vrtîn), . 

Luiut, (Michael de), 

Lewis (Sir G. C.>, 
Latovche (De), . 

Mackobb, 
MacphenoD, 
Marie Stitait, 
Marie Antoinette, 

Marchena (Joseph), 
Matanisieniics, 
U^ritedcs Femmes, 
Méiiméc <Proîpcr), 
Menilall'aal), . 
Mînolde Minas, . 
Moncrif, . 
Uontesquieu, 
Montmaiu (Piene de). 
Muret, 

NODtKK (Charle*), 
Nodot (Fianfois), 
NapoUÔn III, . 

OsDONNAHCK de Jeume de Napka, 

Ovide, .... 



Table des noms. 327 



Pétrarque, 
Pétrone, . 
Platon, . 
Philon de Byblos, 
Perviglium Veneris, 
Phocylide, 
Phalaris, . 

Peyronnet (Comte de), 
Ponce Pilate, 
Prince de Ligne, . 
Psalmanazar, 
Purana 

Quichotte (Don), 

Rabelais, 

Robert de Champagne, 
Romans Grecs, 
Rocca (Comte de la), 
Rostain (Bibliographe), 
Rousseau (J. J.), 

Sadolet (Cardinal), 
Scaliger, . • 

Sandras de Courtilz, 
Sanchoniaton, 
Sallengre, 
Sigonius, . 
Sénèque, • 
Shelley, • 
Strada (Famineo), 
Surville (Marquis de). 



PACK 

38 
70 

10 
17 

26 et 200 

33 

193 

238 

14 
224 

"5 
81 

214 

47 
112 

37 et 196 

62 

48 

195 

44 

45 
69 

17 et 152 

"5 
40 

15 

«73 

198 

99 



328 



Table des noms. 



Sainte Beave 
Suppl6n«nU d'anteor, 

Teufle de Guide, 
Tallemuit des R^ui, 

Th&ckeraf, 
Toro Jones, 

Valla (Joseph), 
Villcmarqu^ (de la), 
Vîtcrbe (Annius), 

Voltaire, . 

Wacsnpbld, 

xinopuon, 

ZUNtoA, (Don Joao Antonio de Venf), 



UNIVERSITY or MCHIQAN 





3 9015 03463 50 



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GRADUATE UBRARY 
THE UNIVERSITY OF MICHIGAN 
ANN ARBOR, MICHIGAN 



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OR 
MUTILATE CAR