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SUR LE TURF
L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction et de traduction
en Fiance et dans Ions les pays étrangers, y compris la Suède et la Norvège.
Cet ouvrage a été déposé au ministère de l'Intérieur (section de la lilirsuiiïe) en
novembre 1898.
PARIS. ÏVPOGRAl'HIK DE E. N.ON, NOURRIT ET C'% 8, RUE GARANCIERE. OÔ13.
SIR LE TURF
TEXT E E T I) E S S 1 1\ S
CRAFTY
COURSES PLATES ET STEEPLE-CHASES
PARIS
LIBRAIRIE PLON
Ë. PLON, NOURRIT et C", IMPRIMEURS-ÉDITEURS
RUE GARANCIKltE, 10
1899
Tous droits réserves
AU BARON FINOT,
Monsieur,
Comme le bon père de famille qui attend un nouvel enfant, je me suis
demande, au moment de publier ce nouveau volume, quel était le parrain qui
pourrait exercer sur son avenir la plus bienfaisante influence.
Votre nom, qui est certainement le plus populaire sur le Turf, m'est venu
le premier à V esprit.
Vous avez bien voulu me permettre de l'inscrire en tête de ce volume :
c'est une faveur que j'apprécie à toute sa valeur, et dont je vous suis très
cordialement reconnaissant.
CRAFTV.
Paris, novembre 18lJS.
SLR LE TLRF
Pendunt l.i 1 ii I te finale.
AU LECTEUR
Sur le lurf, comme autrefois sur le pout d'Avignon, « tout le monde
y passe, y passe. » Tout Paris et le Monde entier! et rien ne parait s'op-
poser à ce qu'on y danse en rond (l'espace est généralement suffisant) ;
mais les résultats les plus habituels du pari mutuel ne sont pas assez régu-
lièrement favorables pour provoquer chez la majorité des spectateurs de
semblables manifestations d'allégresse.
Si tout le monde passe à un moment donné sur le Turf, peu y retournent,
et un moins grand nombre encore y séjournent.
C'est un monde spécial composé de la façon la plus hétéroclite, mi-partie
ultra sclcct, grands propriétaires, oisifs opulents, véritables et demi mon-
daines supcrlalivement élégantes, et mi-parlie des déclassés de toutes espèces
qui, sortis de leurs milieux naturels pour des motifs variés, se maintiennent
miraculeusement dans le courant de la vie parisienne, grâce à une série de
procédés aussi peu scrupuleux qu'aléatoires, parmi lesquels la poursuite
acharnée et parfois la rencontre du Tuyau constitue une ressource très peu
probable, mais possible, et à coup sur très escomptée.
L'Encyclopédie la plus volumineuse serait insuffisante à enregistrer la
foule qui encombre les hippodromes, et les monographies qu'on consacre-
mit à chaque catégorie d'habitués équivaudraient à la nomenclature de toutes
les professions exercées dans la capitale. La revue des spécialistes, profes-
sionnels ou amateurs, peut être passée dans un cadre moins étendu, c'est la
lâche que nous avons acceptée, et que nous allons nous efforcer d'accomplir
le plus exactement et le plus complètement possible.
Décembre 1898.
SUR LE TURF
LES COURSES
Considérations générales. — Les acteurs. — Leur recrutement. — Elevage et ventes publiques.
— Propriétaires éleveurs et propriétaires acheteurs. — Les mécomptes de l'éleveur. — Ah!
c'est uu métier difficile. — Etablissements de vente. — Saiut-James. — Le Tattersall. — Dres-
sage. — Entrainement — De l'importance des engagements.
L'ensemble d'un spectacle se compose de deux éléments : la troupe qui
l'exécute et le public qui y assiste.
Comme corrolaire de cet axiome, ou peut ajouter que la valeur de cha-
cune de ses parties est proportionnelle l'une à l'autre, et que le public est
d'autant plus nombreux que la troupe est plus talentueuse; en un mot
l'acteur a le public qu'il mérite : la foule, s'il est éminent, — voyez Coque-
lin!!! — le désert, s'il est nul! — Ne nommons personne.
Ces vérités admises, le rôle des sociétés de courses est tout indiqué :
fournir des allocations suffisantes pour attirer les compétiteurs les plus nom-
breux et les plus estimés; et c'est ce qu'elles font toutes, poussées par la plus
louable émulation.
Les considérables allocations fournies, il s'agit de trouver les chevaux
dignes de les disputer : c'est la tâche des propriétaires d'écuries, et chacun
1
2 SUR LE TURF.
d'eus s'efforce de mettre en ligne les concurrents qu'il croit capables, à tort
ou à raison, déjouer les premiers rôles.
Tous poursuivent le même but : fournir le vainqueur des épreuves capi-
tales ; mais, tandis que les uns cherchent à produire eux-mêmes les chevaux
incomparables appelés à triompher dans les solennités du turf et accumulent
les sacrifices pour améliorer leur élevage, d'autres, mieux avisés, si l'on en
juge d'après les résultats obtenus pendant ces dernières années, se contentent
d'acheter tout faits les animaux qui leur semblent les plus séduisants, ou qui,
d'après leur origine, paraissent devoir réunir les qualités de vitesse ou de
tenue nécessaires pour tenir la tète de leur génération.
Les propriétaires qui ont adopté ce mode de recrutement ont deux façons
de renouveler leur effectif.
Les réclamations sur les champs de courses et les achats en vente publique,
à Saint-James (Chéri-Halbronn), à Neuilly (Tattersall) à des dates variables,
et à Deauville, après la semaine des courses.
L'éleveur a certainement droit à une plus haute considération, au point de
vue spécial des services rendus à la race chevaline, que le propriétaire qui se
SUR LE TURF. 3
borne à acheter l'animal tout produit et cherche à confisquer à son profit les
bénéfices que sa bonne conformation peut faire espérer ; le premier corres-
pond, dans la hiérarchie commerciale, par exemple, au grand industriel qui
construit des usines, crée un outillage onéreux, fait toutes les avances de
fonds nécessaires pour fabriquer dans les conditions les plus favorables; le
second peut être assimilé au commerçant de délail qui ne risque rien au delà
de la valeur des marchandises qu'il se propose de revendre, simple intermé-
diaire entre le producteur et le consommateur.
Malheureusement, quand l'objet fabriqué est un cheval pouvant, à la suite
d'un certain nombre d'expériences publiques qui démontrent sa supériorité,
prendre une valeur absolument impossible à prévoir non seulement au
moment de sa naissance, mais encore pendant les premières phases de sa
formation, il arrive souvent que ce n'est pas à son producteur que profite
cette bienfaisante plus-value.
Quand l'éleveur ne fait pas courir, la déconvenue d'une pareille mésa-
venture n'existe pas pour lui; l'excellence de ce cheval exceptionnel aug-
mente la valeur de ses autres produits, et il rentre dans la catégorie de tout
4 SUR LE TLRF.
producteur dont la fabrication a reçu une récompense exceptionnelle,
médaille d'honneur ou décoration.
Cela lui permet d'augmenter ses prix.
Si, au contraire, il est à la fois éleveur et turfiste, et que ce soit pour réduire
son effectif qu'il a veudu le cheval hors ligne, quelle suite de désillusions et
de regrets il s'est préparée en éliminant le meilleur spécimen de sa production !
A quel degré d'exaspération doit arriver un malheureux propriétaire con-
stamment battu par son propre cheval, perpétuellement classé second der-
rière lui-même, et réduit à se contenter de la prime réservée à l'éleveur, alors
qu'il n'aurait eu qu'à ne pas réformer son cheval pour toucher le montant
du prix avec tous les accessoires y afférant!
Le comble de In guigne. — Etre régulièrement battu par le cheval qu'on a éleié et volontairement reformé.
Pour les chercheurs de combles, c'en est un tout trouvé : avoir élevé et
vendu à un concurrent le cheval qui bat régulièrement dans toutes les
épreuves importantes le cheval que vous lui avez préféré et que vous avez
conservé en vertu d'une série de considérations plus judicieuses les unes
que les autres sur la construction, les points de force, la profondeur de la
poitrine, la largeur des articulations, la puissance des leviers, etc., etc.
Sic vos, non vobis, a dit le poète, c'est vous qui l'avez fait, mais c'est sous
votre nez que passe la récompense.
C'est une des déceptions les plus douloureuses du métier d'éleveur, dans
lequel elles sont cependant exceptionnellement nombreuses, poulinières
SUR LE TURF. 5
vides, poulains mort-nés, épidémies, morts multipliées, accidents à l'her-
bage, etc., etc., toutes mésaventures qui ne diminuent aucun dos frais géné-
raux, qui seuls continuent à courir avec une persévérante vitesse.
Je sais bien que ceux dont le haras confine à leur habitation ont le plaisir
de voir galoper sous leurs fenêtres leurs yearlings, et que rien ne donne à
une prairie une plus joyeuse animation que les ébats d'un nombreux lot de
poulains et de pouliches; spectacle agréable, j'en conviens, mais combien
plus coûteux que la loge la plus convoitée à la plus exceptionnelle des repré-
sentations théâtrales!
Achat de poulinières, prix des saillies, entretien des boxes, appointe-
ments du personnel, frais de voyages pour l'envoi
des juments à l'étalon, nourriture, soins vétéri-
naires, etc., etc.
Le grand avantage d'une pareille entreprise
est qu'elle absorbe tout le temps que son fortuné
propriétaire pourrait consacrer à la dilapidation
de ses capitaux par des moyens plus rapides :
séjours prolongés à Monaco, par exemple, ou
assiduités régulières auprès de nos plus réussies
demi-mondaines.
Quelques-uns mènent de front ces diverses occupations, obéissant à ce lem-
cheval!...
vous le vendre
SUR LE TURF.
pérament spécial de viveurs irrémédiablement destinés à devenir de préma-
turés décavés.
II ne faudrait pas croire que, même affranchi des charges d'un élevage
personnel, le métier de propriétaire soit un
passe-temps économique à la portée de toutes
les bourses.
Pour être pratiqué, je ne dirai pas utilement
mais seulement impunément, il demande une
somme de qualités dont la réunion ne se ren-
contre pas fréquemment : une grande présence
d'esprit, beaucoup d'activité, énormément de
sang-froid, et assez de bon sens pour résister à
la tendance que nous avons tous d'attribuer au cheval que nous possédons,
fùl-ce la plus médiocre des haridelles, toutes les qualités connues.
— Pour se décaler plus rapidement qu
courses, il n'y a que Ja roulette : et ce [
pas toujours elle qui va le plus vite
Les résultats obtenus par une écurie de courses à la un d'une année
tiennent souvent moins à la qualité de ses chevaux qu'à l'estimation que le
propriétaire a su faire de sa cavalerie. Tout l'art des engagements est là, et
tel qui s'est obstiné à faire inutilement courir à ses produits les grandes
épreuves, aurait utilement employé les mêmes
chevaux s'il avait consenti à les engager dans
une société moins relevée.
L'animal vraiment supérieur est une excep-
tion, par conséquent une rareté sur laquelle
il ne faut jamais compter.
Le talent est de savoir utiliser les sujets
moyens, et, pour eu tirer parti, il est indis-
pensable de ne pas garder d'illusions sur
leur véritable valeur, et savoir se résigner à les laisser gagner leur prix
à réclamer, quand ou les voit incapables de figurer à l'arrivée des grandes
épreuves.
Te! brille au second rang qui s'éclipse au premier.
C'est la réflexion d'un sage, et plus d'un propriétaire aurait trouvé sou
SUR LE TURF. "
compte à la faire graver sur le boxe de son élève favori, dout la carrière de
crack manqué aurait pu, avec une moindre ambition, être utile à l'écurie et
payer largement sa part d'avoine...
11 serait difficile de décider lequel des établissements de Saint-James ou
de la route de la Révolte est le plus pittoresquement installé et le mieux appro-
prié à sa destination.
Pour être impartial, il faut constater que tous deux sont également bien
aménagés pour l'installation et la présentation des chevaux.
Le second est plus rapproché du centre, mais le chemin qui conduit au
premier est plus agréable, et plus familier aux habitués des grandes ventes.
Il y a donc compensation.
4S*w w^m^i^^
Je crois, sans en être autrement sûr, que la succursale de l'établissement
Chéri a élé construite sur l'emplacement où l'étalon de feu.Moreau-Chaslon,
» le Petit Caporal » , se livrait à ses saillies habituelles.
Spécialement en vue du but qu'il remplit, il est très bien conçu.
Les boxes, suffisamment nombreux, sont vastes, clairs, bien aérés.
On peut y examiner utilement les animaux.
Les dégagements sont larges, et les voies par lesquelles les chevaux sont
amenés à la tente où les enchères ont lieu sont suffisamment ouvertes
8 SUR LE TURF.
pour éviter l'encombrement et les accidents que les excès de gaieté des pou-
laius pourraient amener dans un espace plus restreint.
C'est à la fois confortable et élégant.
Le Taltersall a trouvé toute faite son annexe de la route de la Révolte, con-
struite pour les écuries de lord Seymour.
Piste en cercle abritée par des arbres déjà anciens, vastes pelouses, boxes
nombreux, pavillon central pour le service administratif et le logement du
directeur.
Tout y est, et il a suffi de dresser un hangar destiné à abriter les acheteurs
les jours de vente pour que l'installation fût complète...
Le spectacle, quand quelque animal de valeur incontestée figure au pro-
gramme, mérite qu'on s'y arrête et qu'on examine avec soin la composition
de la chambrée.
Tout le monde sportif est là.
Les journalistes spéciaux, la majorité des entraîneurs, tout un lot d'hommes
d'écurie, jockeys, lads et garçons de voyage, puis tous les propriétaires ou
L'ETABLISSEMENT DE SAIMT-JAMES.
VENTE DE PUR SANG
SUR LE TURF. Il
leurs représentants chargés de pousser, en leur lieu et place, jusqu'à concur-
rence d'une somme déterminée à l'avance, à seule fin d'éviter l'emballement
de la lutte, le cheval qu'ils ambitionnent d'ajouter à leur effectif.
Tous se sont installés sur les gradins, s'oppliquaut à se dissimuler dans
des groupes insignifiants, composés de simples curieux, afin d'éviter le con-
tact des spécialistes, dont les observations ou les conseils pourraient les
influencer.
Les enchères commencent.
Le premier cheval présenté est généralement un personnage de peu d'im-
portance, concurrent malheureux jusqu'alors, ou bon cheval éloigné du turf
par un accident quelconque, plus ou moins bien raccommodé.
Le marteau réclame le silence : on fixe un prix.
« A mille francs, il y a marchand » . — Personne ne dit mot.
Le public a besoin d'être encouragé.
« Voyons, messieurs! » Et une voix à la tribune donne à nouveau lecture
du catalogue, appuyant sur l'origine, s'il s'agit d'un cheval inconnu, insistant
sur le montant des sommes gagnées, s'il est question d'un revenant.
Un amateur se déclare.
12 LE Tl'RF.
« Mille vingt francs, cinquante, soixante, quatre-vingts, onze cents. »
Les enchères montent, poussées plus ou moius activement, pendant qu'on
se montre les capitalistes soupçonnés de vouloir acquérir le numéro sensa-
tionnel de la vacation.
« Ce petit gros là-bas en paletot mastic, c'est
bien le comte de B... ?
— Pas du tout, le voilà là-bas, dépassant de
tout le buste la masse du public.
- — L'on m'avait bien dit qu'il avait un certain
embonpoint, mais je ne le savais pas si grand.
— Vous aurez confondu avec son beau-frère, la circonférence dans sa
plus grande pureté de ligne.
— Montrez-moi donc le propriétaire de Doge. C'est ce petit mince, n'est-ce
pas? avec un pince-nez, là-bas, à gauche de la
tribune...
— Mais, pas du tout! C'est M. V. P... que
vous désignez. M. A... n'a pas tout à fait deux
mètres, mais il ne s'en faut guère; il est à droite,
debout, en gris...
— Celui qui a les épaules eu porte manteau?
— Parfaitement.
— Lst-ce que Mlle M. D... est ici?
— Je ne la vois pas, madame sa mère non
plus, mais je crois bien que sou fondé de pou-
voir est derrière la tribune...
— Qui est-ce?
— Ce n'est pas moi qui vous le dirai...
— Celle forte brune là-bas, n'est-ce pas Mme R — i?
— Pourquoi voulez-vous qu'elle soit brune ?
— ■ Je pensais qu'une Italienne. . .
— Eh bien, vous vous mettiez simplement le doigt dans l'œil : d'abord,
elle n'est pas là, et ensuite elle est blonde, mais blonde comme je vous en
souhaite.
— Ça ne serait pas de refus...
— Quelqu'un que je voudrais bien voir, c'est AI. J. de B... On m'a dit
qu'il ne ponlait jamais moins de cent mille, et qu'il gagnait toujours...
A LA SUCCURSALE DU TATTERSALL. — ROUTE DE LA RÉVOLTE.
Qu'est-ce que rous faites dans cet
_ Je le dirige, mon général.
l'EXTE DE l'LIt SJ.VC.
SUR LE TURF.
Là
C'est parfaitement exact.
Vraiment?
— Seulement vous confondez avec le
pari mutuel.
— Vous n'êtes pas sérieux.
Pas quand on me récite des contes de
fées... »
Cependant un grand silence se fait : on
vient d'introduire le Crack, qu'on place de
façon que sa silhouette se découpe sur la
plinthe de la tribune. Toutes les têtes se
penchent vers lui, dans un examen à la fois
attentif et respectueux.
Lui parait absolument indifférent à l'émotion qu'il produit.
II arrive souvent que c'est précisément le moment où l'attention se
concentre sur lui qu'il choisit pour lever la queue,
écarter les jambes de derrière, et se vider conscien-
cieusement.
^w
On lit sur l'estrade la notice : « Rayon d'or II, né
en 189... par Fil de Soie et Escarhoucle, son père
gagnant de plus de deux cent mille francs d'argent
public; père de Luisant, de Voyeur, de Conquérant,
de miss Henriett, de Bouton d'or, et de nomhreux autres gagnants. Sa mère,
fille de Tardigrade, importée d'Angleterre, gagnante de plusieurs prix à deux
et trois ans, etc., etc. »
La lecture est terminée.
Un silence, et la voix reprend plus grave : « Nous avons marchand à vingt
mille, m
Nouveau silence, un peu plus long et sensihlemeut plus profond, après
lequel les enchères commencent.
« Vingt et un, cinq cents, deux mille, cinq cents, vingt-cinq mille, cinq
cents, trente mille, cinq cents, trente, trente-cinq. » Les chiffres s'accumu-
lent sans qu'aucun des enchérisseurs se fasse entendre.
16 SUR LE TURF.
Les crieurs seuls articulent le montant des sommes atteintes sans qu'il
soit possible de voira quels ordres ils obéissent.
La plus humble des professions exige, par le temps de civilisation raffinée
où nous vivons, des qualités poussées à la perfection ;
les aptitudes comme l'agriculture doivent, pour obtenir
un résultat rémunérateur, recourir aux procédés inten-
sifs, et le coup d'œil des Peaux-Rouges devient de la
myopie si on le compare à celui des modestes salariés
qui sont chargés d'énoncer à haute voix les mises con-
senties par des mouvements de physionomie impercep-
~— tibles à l'ensemble du public.
— Messieurs, no
cband a \ingt mille !
.. Quarante mille francs à gauche. » Aucun des spec-
tateurs n'a perçu, malgré les plus grands efforts d'atten-
tion, le moindre sigue; pourtant l'enchère a été mise,
et la preuve c'est qu'on adjuge.
En résumé, les moyens dout dispose un gentleman désireux de monter
une écurie de course sont l'élevage, la
réclamation, l'achat soit à l'amiable, soit
en vente publique.
Une fois en possession d'une cavalerie
suffisamment nombreuse, il ne lui reste
plus qu'à trouver le moyen de l'employer
utilement, et pour obtenir ce désirable
résultat il lui faut exceller à la fois dans
l'art délicat de la préparation et dans celui,
non moins difficile, des engagements.
La préparation commence par le dressage, et se termine, pour employer le
terme technique, par l'entraînement.
Les soins infinis, les précautions minutieuses à apporter dans la première
partie de cette éducation dont le but est avant tout de familiariser le poulain,
d'atténuer progressivement la crainte instinctive qu'il a de l'homme, ne sau-
raient être trop recommandés aux gens d'écurie chargés d'entrer les pre-
miers en contact avec des animaux dont la sauvagerie résulte surtout d'une
excessive pusillanimité.
SUR LE TURF.
17
C'est celte appréhension qu'il faudrait apaiser tout d'abord, et, malheu-
reusement, les ignorants qui s'imaginent qu'il faut avant tout se faire craindre
se rencontrent encore en trop grand nombre, et leurs brutalités laissent dans
la mémoire des animaux qu'ils maltraitent un souvenir souvent ineffaçable.
On ne saurait trop répéter que le cheval est un animal essentiellement
craintif, et que sa principale, pour ne pas dire sa seule qualité intellectuelle,
est la mémoire.
Le cheval est un i
Bal essentiellement craintif dont un n'acquiert la confiano
d'une persévérante dnucenr.
Ces deux points admis, il est facile de concevoir que les violences subies
sont le point de départ de toutes ses résistances, de toutes ses défenses, qui
ne sont en réalité que des ripostes aux mauvais traitements dont il se sou-
vient, ou des parades à ceux qu'il prévoit.
C'est certainement parce qu'il aimait et connaissait à fond les animaux que
La Fontaine a dit : « Mieux vaut douceur que violence » , car vis-à-vis des
hommes, du moins pour certains, le secoud moyen est bien souvent le plus
efGcace.
Les propriétaires qui tiennent à ce que le caractère de leur cavalerie ne
3
IS
SUR LE TURF.
soit pas exaspéré, doivent donc surveiller avec une extrême sévérité leurs
premiers rapports avec l'humanité.
Pour l'opération infiniment délicate qui consiste à prendre au moment du
sevrage le poulain à la mère, ils ne doivent employer que des hommes d'une
douceur et d'un courage éprouvés.
La violence chez les gens qui affrontent obligatoirement ou professionnel-
lement un danger quelconque n'est bien souvent qu'une façon de dissimuler
un trac intense, l'équivalent des chants que les poltrons profèrent la nuit
pour ne pas entendre la chute des feuilles mortes et éviter le tressaillement
maladif que leur cause le moindre bruit inexpliqué ....
La mise du premier licol est une opération de la plus haute importance,
dont la réussite ou l'insuccès peut inûuer de façon définitive sur toute la car-
rière d'un poulain : faite avec la patience nécessaire, après une série de
caresses, de frôlements répétés autour des oreilles, de pressions légères sur le
chanfrein et la ganache, elle aura donné assez de confiance au yearling pour
qu'il ne redoute plus le contact de l'homme et n'oppose désormais aucune
résistance quand il s'agira de lui faire porter un harnais plus compliqué;
brusquée, réussie par surprise, elle lui laissera au contraire une impression
souvent bien difficile à faire oublier.
Pour avoir voulu gagner quelques instants à la première tentative, on aura
LE DRESSAGE DES YEARLINGS.
Tant qu'on ne leur demande rien, les yearlings
se promènent généralement assez sagement, sauf les
mouvements de gaielë inévitables dans la première
Ceux qui ont de la volonté la
festent le plus souvent par une tends
à s'éloigner de leur conducteur...
Si celui-ci résiste et
force, il est rare que la lutte se termine
C^f^r_
■i >w-
LE DRESSAGE DESjYEARLINGS
LE DRESSAGE DES YEARLINGS
On ■ ....i en mettant en sac à
farine, sur la selle, an lad. dont la fonc-
tion consiste à làclier prise à la première
incartade , le tout, dans le but de fami-
liariser le cheval avec l'homme et de le
mettre en confiance.
-(lnnjpam
généralement du ji
coup, et il en résulte quel
susdit iad es t freijueuiiiieri
obligé de se ramasser. .
'
LJï
Quand il est parvenu à inspirer au yeai
ling une confiance relative, le lad est autoris
à enfourcher son élève, et, le gamin mis e
selle dans une attitude plus régulière, codi
mence une série de promenades au pas, teu
SUR LE TURF. 25
compromis l'ensemble du dressage, et Pembouchage donnera lieu à toute
une série de résistances plus ou moins violentes suivant l'énergie de l'animal,
qui se renouvelleront à chaque tentative nouvelle, quand il faudra le panser,
le seller, etc.
La même patience, indispensable pour le dressage, sera tout aussi néces-
saire pour la préparation matérielle du poulain.
L'entraînement consiste dans une série d'exercices dont le but est d'ame-
ner l'animal auquel on les impose au mieux de sa condition, à l'époque pré-
cise où il doit disputer les épreuves qu'on l'estime capable de remporter.
C'est un travail progressif qui doit être conduit avec prudence, car il faut
éviter non seulement les accidents, mais jusqu'à l'apparence de la fatigue.
Toute interruption dans le travail est un recul, bien souvent irréparable :
l'ensemble de l'entraînement est une progression qu'il faut obtenir sans
arrêt, par accumulation d'efforts multipliés, mais avec une telle sagesse que
le résultat acquis ne puisse pas être compromis.
Il faut que la santé générale reste, pendant toute celte période, à l'abri de
toute fluctuation, que par conséquent il y ait équilibre parfait entre l'acquisi-
tion et la dépense des forces obtenues.
Un excès de travail anticipé, un galop trop prolongé ou trop vif, une suée
donnée hors de propos, le plus léger refroidissement peuvent avoir des con-
séquences déplorables non seulement pour la préparation poursuivie dans
un but déterminé, mais encore pour toute la carrière de l'animal imprudem-
ment surmené.
Un effort prématuré, tenté avant qu'un accord complet se soit établi entre
l'état des voies respiratoires et les forces musculaires, peut et doit amener
des désordres souvent irréparables; et, sans aller aussi loin dans les prévi-
sions pessimistes, on peut affirmer que toute précipitation qui arrête l'entraî-
nement nécessite une mise au repos d'une durée telle qu'elle coûte fatale-
ment à l'imprudent la perte de toute une année.
L'entraînement interrompu ne peut pas être repris, et c'est toute une
opération nouvelle à reprendre par le commencement, travail au pas, trotting,
suées, purgations, etc. Tout ce qui a été fait est perdu, et bien perdu, puis-
%
26
SUR LE TURF.
qu'au lieu d'uue augmeutatiou des forces on n'a obtenu qu'une fatigue plus
ou moins profonde, mais toujours très longue à réparer.
C'est à l'entraîneur qu'il appartient sans doute de régler le travail de cha-
cun de ses pensionnaires, mais le propriétaire doit au moins se faire rendre
compte de la marche adoptée, veiller par lui-même à ce qu'aucune impru-
dence ne soit commise, et que, sous le prétexte de hâter la mise eu condition,
on ne compromette pas par des efforts excessifs les résultats acquis.
Combien d'essais ont coûté la victoire à des chevaux qui avaient dépensé
dans ces répétitions inutiles l'éner-
gie emmagasinée qui leur aurait per-
mis un effort décisif au moment de
la lutte!
Les économies se retrouvent tou-
jours, affirme la sagesse bourgeoise.
C'est aussi vrai pour les forces phy-
siques que pour les valeurs accumu-
lées, et ce sont bien souvent les éco-
nomies faites pendant l'entrainement
qui permettent les dépenses excessives de certaines uns de courses.
Admettons que les efforts combinés du propriétaire et de l'entraîneur
aient amené au mieux de sa condition le cheval qu'ils veulent faire courir :
s'ils n'ont pas de sa valeur une juste appréciation, tout le mal qu'ils se sont
donné ne produira aucun résultat, car, pour gagner une course, il ne suffit
pas de bien faire un parcours, il faut le faire mieux que les autres, et, si
vous engagez dans une société qui lui est supérieure l'animal le mieux
préparé, vous pouvez vous attendre à le voir atteindre le poteau à distance
respectueuse de ses concurrents.
Qu'un père de famille s'illusionne sur la beauté, les qualités morales et
l'intelligence de son héritier, il n'y a que demi-mal; il en sera quitte, au
moment des examens, pour maudire la sévérité des professeurs qui lui ren-
verront, sans aucun diplôme, l'objet de son admiration paternelle, et sou
opinion sur la valeur de son produit pourra demeurer aussi favorable sans
qu'il en résulte un bien grand dommage pour ses intérêts.
SUR LE TURF0 27
II n'en sera pas de même pour le propriétaire qui persisterait dans ses
illusions : les frais courent, le montant des engagements, le prix des montes
s'accumulent, et la carte à payer s'élève rapidement à un total d'autant plus
douloureux à solder, que l'on a espéré un résultat diamétralement opposé.
Ajoutons que, la plupart du temps, on aurait pu l'atteindre si l'on avait eu
de moindres ambitions.
Connais-toi toi-même! a dit le sage.
Connais ton cheval, dirai-je aux propriétaires, et je crois que je leur
aurai donné un bon conseil.
tet^v^
Examen mutuel.
m M*é^M
C^n
LE CHAPITRE DES PARIS
Quel sérail le véritable conseil à donner en matière de paris? — Serait-il stiiii? — Du jeu en
général. — Systèmes variés. — Tous sont bons! — ■ Tous sont mauvais !
Le vrai conseil serait de ne jamais parier; mais, comme il ne serait cer-
tainement suivi que par une infime minorité, je pense qu'il est plus qu'inutile
de développer les raisons tendant à démontrer que c'est le meilleur parti
auquel un homme à la fois avisé et prudent doive s'arrêter : le malheur est
que l'amour du jeu est encore plus répandu qu'on ne croit, et beaucoup
en sont possédés qui fulminent le plus énergiquement contre lui.
Combien de gens ne se croient pas joueurs qui succombent à la première
tentation !
Les bonneleurs le savent bien, et ce n'est certes pas parmi les habitués des
tripots qu'ils vont chercher leurs victimes : il leur faut des clients plus naïfs,
et, comme leur expérience les a convaincus que le joueur existe à l'état
latent chez la plupart des humains, il leur suffit de choisir de bonnes figures
émergeant de vêtements assez cossus pour leur faire supposer qu'ils renfer-
ment des porte-monnaie et des portefeuilles abondamment approvisionnés.
30
SUR LE TLRF.
Que sont, au surplus, les souscripteurs des valeurs à lots, sinon des joueurs
qui s'ignorent?
Qu'est l'appàl du jeu? L'espoir d'un gain facile, rapide et considérable!
11 faut avouer que c'est bien tentant, et ne pas s'étonner que tant de gens n'y
résistent pas.
Puisque le jeu est un instinct à peu près général, il n'y a pas à tenter de
le supprimer : on jouera toujours et partout, aux courses comme ailleurs,
et, ce qu'on peut soubaiter à ses amis, est simplement de jouer le moins
bêtement possible.
Pour obtenir ce résultat, il y a mille précautions à prendre, dont la plus
importante est à coup sûr de ne pas
parier quand même, de ne pas se
croire obligé d'avoir son représentant
dans toutes les épreuves auxquelles
on assiste.
Bien souvent on n'a de préférence
marquée pour aucun des concurrents,
dont plusieurs paraissent avoir des
cbanccs égales : c'est bien le cas de
s'abstenir.
Ce qu'il faut suuhaiter
Cependant un écart de cote, un
iSi; point de plus donné par un book-
maker, un renseignement favorable
que vous entendez au passage, vous
décident tout à coup, et voilà une
mise disparue, qui, ajoutée à celle
que vous comptez mettre dans la course suivante sur un cbeval auquel vous
croyez fermement, vous aurait donné un bénéûce double. Perte des deux
côtés qu'il aurait été facile d'éviter, subie sans conviction, même sans grand
espoir de réussite, simplement pour avoir un intérêt dans la course.
Sous le prétexte que chaque course fournit un gagnant, la plupart des
joueurs ne veulent pas laisser échapper la chance de le prendre, et s'en
rapportent au hasard plutôt que de renoncer à la possibilité d'un gain, même
complètement problématique. C'est une tendance déplorable à laquelle
obéissent surtout les petits joueurs, qui prennent un ticket comme un billet
de loterie, et se figurent qu'en multipliant leurs mises ils multiplient en
SUR LE TURF.
3]
même temps leurs chances de bénéfice. On ne devrait jouer que quand on
croit à un cheval une chance exceptionnelle. Une croyance de celte nature
est généralement le résultat d'observations personnelles : ou le cheval dans
ses courses précédentes a eu contre lui tels incidents qui ont empêché sou
succès, ou il a suivi une mauvaise tactique, à moins qu'il n'ait été monté
de façon à paralyser ses moyens, toutes éventualités qui sont faciles à con-
stater quand on suit avec quelque
attention et une bonne lorgnette
les péripéties d'une épreuve.
Avec de la mémoire et une ap-
préciation à peu près exacte du
mérite des animaux avec lesquels
on l'a vu lutter, on peut prévoir
que tel cheval, précédemment battu
par des animaux de qualité supé-
rieure, doit facilement triompher
dans un lot moius relevé.
Tel autre animal dont l'entraî-
nement s'est achevé sur les hip-
podromes, aura si bien progressé
qu'il vous sera facile de voir h
quel moment il atteindra l'apogée
de sa forme; de temps à autre,
moins souvent qu'on ne dit, plus
souvent qu'on ne croit, vous aurez
constaté qu'un cheval régulière-
ment battu rentre au pesage sans
un poil mouillé; de toutes ces ob-
servations vous déduisez des con-
clusions dont l'application vous
amène à profiter de cotes très
cent louis de mon cheval? rr . . , . .
sutusamment rémunératrices, qui
vous permettent de vous tromper
quelquefois sans que votre hourse en soit sérieusement éprouvée. En tout
cas, vous limitez les occasions de perdre, puisque vous ne jouez que quand
vous vous êtes fait une conviction qui, pour s'établir fermement, vous fait
assister à un certain nombre de séances pendant lesquelles vous êtes obliga-
toirement réduit au rôle de spectateur aussi désiutéressé qu'attentif.
32
SUR LE TURF.
Celle façon de procéder a, en outre, l'avantage qu'en cas d'insuccès, on
ne peut s'en prendre qu'à soi-même, ce qui n'est pas le cas quand on se
livre à la chasse aux renseignements.
Il arrive fréquemment, en effet, que l'individu qui vous en approvisionne
se borne à désigner successivement chacun des chevaux engagés à un
nombre égal de parieurs comme étant le gagnant inévitable, procédé qui
équivaut au rétablissement de la
poule à son unique bénéfice, puis-
que le gagnant inconnu, mais cer-
tain, ne manquera pas de le récom-
penser magnifiquement.
D'autres joueurs adoptent une
écurie et ne jouent que ses chevaux;
c'est une façon comme une autre de
s'associer, sans son consentement,
au propriétaire sympathique; le tout
est de le choisir heureux, et c'est
alors tout héuéfice; ou ne contribue
pas aux frais, et l'on participe aux
bénéfices.
■ : :
Certains jo
ne risquent I<
ont prépares.
rs ont leurs jockeys pt leurs entraîneurs préfères, e
argent que sur les elievoul qu'ils montent ou qu'ils
D'autres suivent seulement la
monte d'un jockey préféré, mais ce
système exige une mise de fonds
assez importante. Les jockeys qui recrutent ce genre de clientèle sont, en
général, de fines cravaches auxquelles on confie les favoris.
S'ils gagnent, le bénéfice est limité, souvent inférieur à la somme risquée;
aussi, pour peu qu'ils soient battus plusieurs fois de suite, la balance s'établit
en perle, à moins qu'on n'ait suivi dans ses mises une martingale quelconque
qui répare, le jour du succès, les perles antérieures.
Celle méthode présente un autre inconvénient.
Si votre jockey de prédilection prend une forte tape, vos opérations se
trouvent interrompues jusqu'à son complet rétablissement et, s'il vient à
disparaître et que vous soyez absolu dans vos convictions , définitivement
arrêtées.
Pour obvier à cet inconvénient et ne pas mettre, comme on dit, tous les
LE CHAPITRE DES PARIS. — COMME.VT CREVE UN TUYAU.
— Jouez Canule; elle esta quarante —Joue Canule, et tu me remer- — Je ne l'ai eu qu'à vingt-cinq ! Vas-y
jntre un, et c'est la gagnante... cieros... pour ton compte et remets cinq ionis pour
— Diane vient de me donner un — M<Ms beaucoup d'argent sur Canule, —J'ai dît ton tuyau à TaapEn, qu
tuyau, et je te l'apporte! C'est gentil ça? et tu seras un bon gros chien, ne l'a trouvé qu'à quatre...
— Si vous payez deui, on peut «
vous eu donner pour un louis, et, ei
— Puisque les books n'en donnent — Qu'est-ce qu'il a donne?
plus, prends-le toujours au mutuel. — Soiiante-quinze centimes pour «In
SUR LE TURF.
83
œufs dans le même panier à cause de la casse possible, certains parieurs
honorent de leur confiance non plus un jockey, — c'est trop fragile, — mais
un entraîneur, moins exposé aux fâcheux accidents et dont les pensionnaires
offrent, à raison de leur nombre, de plus fréquentes occasions de paris : la
difficulté est de savoir, dans une course où figurent plusieurs de ses élèves,
quel est celui auquel il porte le plus vif intérêt.
Aucuns suivent régulièrement les favoris indiqués par un journal déter-
miné, qui ne recommande pas les favoris officiels, toujours peu cotés, mais
bien des chevaux à grosse cote qui paraissent invraisemblables aux pontifes
de la performance, mais fournissent cependant de temps à autre des vain-
queurs : les bénéfices sont naturellement plus rares que si l'on suit les indi-
cations des classiques, mais ils sont tellement plus rémunérateurs qu'une
seule journée de succès contre-balance toute une
série de désastres.
De plus fantaisistes jouent dans toutes les
épreuves le même numéro du programme ; d'au-
tres, une catégorie de noms se rattachant à un
même ordre d'idées, tous les qualificatifs, par
exemple, ou tous les substantifs ; certains ama-
teurs du beaux sexe ne parient que pour
des juments; des gens moins galants et
plus méfiants n'admettent que les favoris
mâles.
Remplaçant momentanément les émotions plus
actives du Polo par celles dn pan mutuel. On pourrait multiplier à 1 ' i h fi h i l'énuméra-
tion des procédés bizarres qu'emploient, pour
engager leur argent, une foule d'originaux qui ne sont peut-être pas aussi
insensés qu'ils le paraissent.
Tous les systèmes, si baroques qu'ils soient, ont, en effet, pour résultat de
limiter le jeu de ceux qui les observent, et, par suite, les occasions de
perle.
C'est en ce sens que la plus déplorable des méthodes est encore préfé-
rable à l'absence complète de méthode.
Le joueur qui obéit à la seule inspiration, qui recueille un renseigne-
3G
SUR LE TURF.
ment à droite, un autre à gauche et veut utiliser tous les racontars qu'il
enlend, qui consulte à la fois Pierre et Paul, cherche à extraire la résultante
d'avis contradictoires et parie dans toutes les épreuves, peut avoir la certi-
tude de perdre hien plus sûrement et plus fréquemment que l'amateur de
systèmes qui ne s'engagera que dans certains cas déterminés : le premier a
pris l'express pour atteindre le hut auquel le second n'arrivera qu'après
s'être arrêté à toutes les stations du train omnibus; mais le résultat sera le
même, la disparition totale des munitions monétaires préalablement rassem-
blées.
Celte conclusion peut paraître exagérée à bon nombre de gens qui pour-
Le choix du cbeial auquel échouer.1 l'honneur Je défendre votre argent.
raient, au besoin, citer les noms de parieurs ayant gagné et gagnant encore de
grosses sommes sur les champs de courses; elle n'en est pas moins rigou-
reusement exacte, car les quelques chançards ayant réalisé d'importants
bénéfices n'en constituent que l'exception, et, quand j'affirme que l'argent
risqué en paris est perdu d'avance, il est bien entendu que je ne m'occupe
que des sportsmen ou sportwomcn qui cherchent une distraction et jouent
aux courses comme ils joueraient au baccara ou à la roulette, tentant
d'amener avec une somme limitée une somme beaucoup plus considérable.
Sans doute, l'argent perdu ne s'évapore pas : il se retrouve dans les
sacoches des bookmakers, dans le rendement du pari mutuel et dans les
portefeuilles de gros spéculateurs, aussi différents des joueurs proprement
dits que les ânes le sont des bœufs; on l'assure, du moins, depuis si long-
temps, que cela doit être vrai.
(les derniers, je parle des spéculateurs, qui ont choisi les champs de
CE QU'ON VOIT ET CE QU'ON ENTEND QUELQUEFOIS.
CE QUE L'OX VOIT ET CE QUE L'ON ENTEND
SUR LE TURF. 41
courses plutôt que la Bourse comme théâtre de leurs opérations, se sont
rendu compte qu'il était plus facile de se renseigner sur la qualité des che-
vaux que sur la valeur réelle des différents papiers qui se négocient par l'en-
tremise des agents de change et des coulissiers : ce sont de véritables
travailleurs qui ont constitué à chaque cheval son dossier dès sa première
apparition en public; ils savent ce qu'il a fait sous tel poids, sur telle dis-
tance, par quels chevaux il a été battu, ceux qu'il précédait, etc., etc.
C'est sur ces données certaines qu'ils établissent par un chiffre le degré de
confiance qu'ils doivent lui accorder, et comme ils ont fait le même travail
pour tous les chevaux, ils n'ont, au moment de la course, qu'à consulter leur
répertoire pour savoir comment ils doivent engager leur argent.
Le procédé n'est pas infaillible, car la condition des chevaux peut et doit
influer sur le résultat d'uue épreuve, mais ils ont une estimation à peu près
certaine de la qualité des concurrents, et ce n'est que par des interversions
de forme qu'ils peuvent être trompés en course plate, et par la chute en
steeple-chase.
Ces différents accidents sont moins durs à supporter que des débâcles
comme celles de l'Union, du Comptoir d'escompte ou du Panama : l'on s'en
remet plus vite et l'on attend moins longtemps l'occasion d'une revanche.
Ainsi comprise, la pratique du pari n'est plus un jeu, mais un travail, le plus
pénible, le plus ardu et le plus méticuleux qu'on puisse imaginer : travail de
bureau à domicile, besogne de commis d'ordre obligé de tenir au courant
la comptabilité la plus compliquée, et travail de courtier tenu à des stations
quotidiennes en plein air, exposé aux intempéries de toute nature, menacé à
tour de rôle, suivant les saisons, par la fâcheuse pleurésie ou la regrettable
insolation. Le parieur qui veut durer ne doit pas seulement ménager ses fonds,
mais aussi ses forces; car à quoi servirait le succès de ses opérations s'il
gagnait en même temps la forte somme et la maladie mortelle? De là la
nécessité d'un vestiaire aussi varié qu'élégant, contenant des costumes pour
toutes les circonstances, depuis le déshabillé du planteur pour les journées
tropicales jusqu'aux fourrures sibériennes, en passant par le waterproof indis-
pensable pendant la saison des pluies.
C'est un matériel plus compliqué que les manches de lustrine, qui consti-
tuent pour le bureaucrate sédentaire l'unique outillage professionnel, et c'est
un chapitre important à ajouter aux frais généraux de cette industrie spéciale.
6
fâ
SLR LE TURF
Les voitures, les entrées au pesage, les voyages en chemin de fer sont
autant de dépenses obligatoires dont il faut tenir également un compte rigou-
reux, à déduire des bénéfices à obtenir.
Un pareil métier n'est certes pas une sinécure, et celui qui y réussit
dépense des qualités qui, dans tout autre commerce, lui auraient à coup
sûr donné des résultats équivalents : l'ordre, la persévérance, l'activité sont
des forces qui restent bien rarement stériles, et, de quelque façon qu'on les
emploie, on peut compter qu'elles donneront un rendement certain, et s'il
est vrai, comme les moralistes l'affirment, que la récompense soit propor-
tionnée à l'effort, il n'y a pas à s'étonner qu'un si laborieux travail par-
vienne à nourrir abondamment quelques-uns au moins des personnages qui
le pratiquent.
1 l* "J _~ /vrV
;;', ... .
SLR LE TIR F.
■«
UN NOUVEAU GUIDE DU PARIEUR
J'ai demandé à un très heureux et très gros parieur de me dire dans quel-
ques notes ce qu'il pensait du. pari en général, et de vouloir bien ajouter
quelques souvenirs personnels. Après un mois de sollicitations répétées, j'en
ai obtenu pour toute réponse l'aphorisme suivant que je transcris fidèlement :
« Quand on se mêle de parier, le premier principe à observer est d'ouvrir
les yeux et de fermer les oreilles. »
Cela parait peu de chose; en y réfléchissant, je comprends parfaitement
que ce soit cependant le résultat complet de quinze ans de pratique, et je ne
vois, en effet, rien à ajouter comme règle de conduite. — « Eu fermant les
oreilles » on se garantit des racontars des soi-disant secrets d'écurie, « et
en ouvrant les yeux» , s'ils sont bons, on peut voir tout ce qu'il est important
de connaître.
Speeialeuieut
Y?ui, feruipr les oreille!
En route pour les courses.
SUR LE TURF
45
LE «TOUT »
On appelle Tout l'individu qui cherche à surprendre les secrets d'écurie
pour en faire commerce.
Autrefois, le métier consistait à se lever dès l'aube, à se cacher derrière
des buissons, à se percher dans des arbres pour assister au travail des che-
vaux, voir comment se passaient les galops, et juger quel animal dominait
ses compagnons de travail.
C'était un bracouuage spécial, — au lieu du gibier, c'était le renseignement
qu'on chassait, — et cette poursuite prohibée avait ses dangers, car il n'était
par rare que ces espions fussent houspillés d'importance par les entraîneurs
qui parvenaient à les surprendre dans l'exercice de leurs indélicates fonc-
iG
SLR LE TURF.
tions. — Aujourd'hui le « Toul » a renoncé à tes pratiques fatigantes et a
trouvé le moyen d'exercer sa profession dans des conditions plus conformes
aux habitudes actuelles de confort. — C'est dans les bars et le verre en main
qu'il va chercher ses informations.
Il aime mieux offrir des tournées abondantes que s'exposer à en recevoir
de vigoureuses, et ce n'est pas seulement pour abreuver ses reporters qu'il
met la main à la poche : il ne recule pas devant une gratification monnayée,
qui s'élève selon la valeur du secret et la difficulté qu'on a eue à se le pro-
curer.
SUR I.K TURF
47
LE MATCH
C'est le terme réservé à la lutte de deux chevaux, dont les propriétaires
affirment la supériorité réciproque et parient chacun pour leur représentant.
Alors que les chevaux de courses étaient peu nombreux et que les occa-
sions de contrôler leur valeur dans les épreuves publiques étaient moins
entre JaHntïte, jument de pur sang, au binon Finot, montre par le vicomte d'Aulicbamp, battant sur 30 kilomètres
le trotteur Zéthur, à M Pourquey, monte par sou propriétaire.
fréquentes qu'aujourd'hui, ce genre de lutte était très en faveur ; il est presque
abandonné maintenant.
11 faut une circonstance tout à fait exceptionnelle, des incidents de course
tout à fait imprévus qui ont faussé le résultat de l'épreuve publique pour
qu'on y ait recours.
Quand, par hasard, des paris de ce genre viennent à se produire, c'est
18
SUR LE TURF.
moins souvent pour établir la supériorité de tel ou tel animal que pour
démontrer les qualités d'endurance de telle catégorie de chevaux par rapport
à telle autre. — C'est ainsi que le pari gagné à Bordeaux par Jacinthe, au
baron Finot, ballant sur un parcours de trente kilomètres faits en cinquante-
sept minutes le trotteur Zéthur, à M. Pourquey, peut être considéré comme le
dernier des matchs à sensation.
Cette expression est aujourd'hui détournée de sa signification primitive et
trouve son emploi quand, dans une course, la plupart des chevaux étant
d'une qualité incontestablement inférieure, la lutte se trouve réduite à un
match entre deux chevaux d'une classe supérieure.
CHANTILLY
Chantilly — La Compagnie du Nord. — Les mendiants. — Le moyen de leur échapper. — Les
hacres locaux. — Les lads. — La chasse aux renseignements. - Le buffet. — Chercheuses de
tuyaux. — Le pari mutuel.
Trois réunions au printemps, cinq à l'automne, et calme plat sur l'hip-
podrome pendant les trois cent cinquante-sept autres jours de l'année.
Il est vrai que dans ces rares journées se trouvent compris le prix de Diane,
le derby des Pouliches et le Derby, le prix de Diane des Poulains, c'est-à-dire
deux des épreuves les plus importantes de l'année, ce qui explique suffisam-
ment la place prépondérante occupée par la ville des Condé dans la géogra-
phie du sport.
50
SLR LE TURF
Notons au passage qu'elle possède les meilleures pistes d'entraînement
qu'on puisse imaginer, et qu'autour d'elles les établissements d'entraînement
se sont aussi naturellement groupés que les villes sur le parcours des rivières.
Une autre cause de son succès est la façon dont la Compagnie du Xord
a organisé les communicalions avec la capitale et facilité les transports des
chevaux de leur résidence habituelle sur tous les points où ils ont des prix à
disputer.
Une administration qui cherche à satisfaire son public est chose assez rare
pour mériter d'être signalée! Il est vrai que cette administration unique n'est
pas sous la coupe directe de l'Etat, et que les intérêts des particuliers qui
participent à sa direction y trouvent leur bénéfice.
C'est le jour du Derby que cette exceptionnelle administration donne la
mesure de son intelligence et de ses ressources.
Songez qu'il lui faut en quelques heures transporter un public qui se
chiffre par dizaines de mille, public d'élite, habitué à ses aises, qui veut être
confortablement véhiculé, n'admet pas les retards, et se refuse catégo-
riquement aux empilements coutumiers aux lignes de banlieue.
SUR LE TURF.
53
Ce qui élonne le plus le voyageur qui débarque à Chantilly, c'est la quan-
tité innombrable de mendiants qui l'assaille aussitôt qu'il a mis pied à terre ;
les aveugles l'assourdissent à grand renfort de clarinettes, de serinettes et
d'accordéons; les culs-de-jatte fourmillent à ses pieds, et les paralytiques le
pourchassent avec une agilité désespérante.
Le moyen le plus économique qu'il ait d'échapper à cette horde indis-
crète est de se précipiter dans une voiture et de se dérober par la fuite à
l'hallali courant qu'il serait obligé de subir s'il persévérait dans l'idée de
gagner à pied le champ de course.
On lui demandera une somme certainement exagérée relativement au
parcours à accomplir, mais très sensiblement inférieure à celle qu'il serait
forcé de distribuer en détail pour se soustraire aux supplications répétées
de ses persécuteurs.
La distance de la gare au pesage n'excède pas quinze cents mètres.
On les fait à toute allure, car l'idée fixe des cochers est de multiplier les
voyages et par suite leurs bénéfices, et l'on n'imagine pas de quel train de
misérables animaux peuvent traîner des voitures désarticulées sans qu'il en
résulte aucun accident, quand il s'agit de gagner, le plus promptement
possible, une somme exceptionnelle.
Ces véhicules antédiluviens qui, lorsqu'on les prend pour une promenade
54
SLR LE TURF.
en forêt, se (rainent péniblement avec des airs d'escargots en déplacement,
retrouvent sur ce parcours spécial une vitesse vertigineuse.
C'est la première course de la journée, et ce n'est pas la moins disputée.
De la gare au pesage. — La preir
Parvenus à la barrière du pesage, comme le prix exigé a été payé d'avance,
c'est à peine si l'on vous laisse le temps de descendre, et la théorie des guim-
bardes reprend du même train sa course en sens inverse à la recherche
d'un nouveau chargement, jusqu'au moment où, les trains cessant de déverser
sur les quais de la gare la matière exploitable, les malheureuses haridelle»
exténuées peuvent enfin souffler et chercher pour leurs membres engourdis
la position la moins douloureuse.
Si l'on ignore d'où viennent les mendiants qui encombrent les abords du
champ de course (il est impossible qu'une ville aussi riche que Chantilly
SUR LE TL'RF.
55
produise nue (elle quantité de miséreux), on sait parfaitement que les lads qui
pullulent au pesage proviennent de toutes les écuries d'entraînement de la
région.
C'est une étrange population, de conformation singulière, qui se joue à
travers les jambes des chevaux et des spectateurs, grimpe aux grillages,
escalade les arbres, variété de singes qui parleraient anglais et gardent,
malgré la rapidité et l'invraisemblable agilité de leurs mouvements, le sérieux
du clergymen pendant l'office.
i.'rotbelle de lads
Ce petit monde a ses favoris, et il arrive qu'ils découvrent le gagnant tout
à fait en dehors des prévisions des pontifes de la presse, grâce à leur cohabi-
tation journalière avec les animaux qu'ils ont la mission de pauser et de pro-
mener.
Ils ont des renseignements personnels sur l'état de santé de chacun de
leurs pensionnaires, qui leur permettent de saisir des détails qui échappent
à des personnages plus importants de l'écurie.
56 SUR LE TURF.
Le bon crottin est souvent le présage d'une course triomphale !
C'est à la chasse de ces renseignements spéciaux que se lancent les pre-
miers arrivés venus dès la première heure avec l'espoir de confesser quelque
entraîneur qu'une récente rencontre en chemin de fer leur a fait connaître :
ils comptent sur les séductions du buffet pour parvenir à se faire révéler le
dessous des cartes, dessous des cartes qui n'existe pas la plupart du temps,
et qui, s'il existait, serait très probablement inconnu du susdit spécialiste.
A la recherche du precieui tuyau.
Tout ce qu'il pourrait dire, c'est si tel cheval placé sous sa direction est ou
n'est pas au mieux de sa condition.
Pour le surplus il en est, comme les camarades, réduit aux conjectures,
et son opinion n'a pas d'autre valeur qu'une appréciation personnelle.
Celte recherche matinale du « tuyau » est, certainement, plus profitable
au tenancier du restaurant du pesage qu'à ceux qui la pratiquent.
Son bénéfice à lui est certain; chaque personne qui s'assied autour de ses
tables représente une certaine somme assurée qui ne dépend des fantaisies
d'aucun des acteurs appelés à jouer un rôle dans les épreuves qui vont se
succéder.
SUR LE TURF.
57
Que le favori se croise les jambes et culbute avant de passer le poteau, que
l'artiste qui doit le conduire à la victoire soit bien décidé à faire l'impossible
pour se laisser emprisonner dans le peloton des chevaux battus, peu lui
importe. C'est lui-même qui fait la cote de ses plats du jour, et il la majore à
son gré.
Au premier rang de ces chercheurs matinaux de renseignements, il faut
citer le personnel féminin des champs de courses : généralement un peu
défraîchi, l'effectif des parieuses professionnelles sait que ses interrogations
ont plus de chances d'être patiemment écoutées avant l'arrivée des premiers
sujets à l'apogée de leurs succès.
Quand on doit répondre à des questions indiscrètes, on préfère généra-
lement rompre le silence en faveur des très jolies femmes en plein exercice,
et celles qui sont à leur déclin courent le risque de ne recueillir que des
incertitudes qui n'ont pas même le mérite d'être inédites.
Mais, en l'absence de concurrence, les détenteurs de tuyaux peuvent se
laisser séduire, et c'est une occasion à ne pas laisser échapper.
On ne soupçonne pas les avances auxquelles peuvent être en butte les
8
58
SUR LE TURF
personnalités plus ou moins sportives qu'on suppose directement informées.
Cette poursuite de l'inconnu doit être particulièrement inefficace, et la meilleure
preuve de son inutilité se trouve dans les résultats sensiblement égaux
donnés au pesage et sur la pelouse par le pari mutuel.
On ne sait pas exactement comment s'établit l'opinion publique, mais son
estimation du mérite de chaque concurrent se montrant identique dans les
milieux les plus différents, il en faut conclure que les sources d'informations
de toutes les catégories de parieurs sout ideuliques et que les systèmes
employés par les petits et les gros pontes sont sensiblement équivalents.
les résultait du pari mutuel sont sensiblei
Chacun sait que Chantilly est le véritable berceau des courses, et l'on
rencontre encore un petit nombre de très vieux messieurs qui conservent des
souvenirs personnels de l'aspect que présentait la ville des Condé pendant la
•• grande semaine » .
C'était, si l'on en croit les récits des contemporains, l'occasion d'une série
de fêtes ininterrompues dont les acteurs paraissent n'avoir eu d'autre préoccu-
pation que de jeter par les fenêtres la plus grande quantité d'argent possible.
Le but que se proposaient les sportsmen en prenant la route de Chantilly
était, parait-il, de « faire des folies « , — locution inexplicable aujourd'hui où
tous les déplacements sportifs sont effectués dans l'intention d'aller réaliser
un bénéfice, — et ils en faisaient comme ils se l'étaient promis. Ces huit jours
SUR LE TURF.
(il
étaient comme une suite au Carnaval, pendant lesquels la fashion se passait
toutes les fantaisies qui lui venaient à l'esprit.
11 paraît qu'à cette époque reculée les gens de loisirs avaient encore un
excédent de revenus à dépenser, puisqu'ils cherchaient des occasions de
s'abandonner aux prodigalités les plus inutiles, cassant la vaisselle pour
augmenter les additions qu'ils trouvaient insuffisantes, et tirant des feux
d'artifice dans l'espoir d'incendier les auberges, afin de pouvoir répondre
aux propriétaires inquiets: « Mets ta maison sur la carte, aubergiste ! » C'est
îi
La cour du Grand Cerf aux environs de 1840.
du moins ce qu'affirmait Eugène Chapus, chroniqueur attitré, aux environs
de 1840, de ces élégantes saturnales.
L'on faisait alors la route en voiture, et, pour l'époque, le déplacement
était assez sérieux pour motiver un séjour d'une semaine, qu'on savait d'ail-
leurs devoir passer gaiement.
Quinze ans plus lard, bien que le chemin de fer commençant à fonction-
ner à peu près régulièrement eût, comme le dit si justement le regretté
62 SUR LE TURF.
M. Prudhomme, rapproché les distances, la mode d'aller s'installer à Chan-
tilly avait persisté, et, si les cours du Grand Cerf 'étaient moins encombrées
de voitures, ses appartements regorgeaient encore d'une quantité de lions, de
dandies et de lorelles assez familiarisés avec les phénomènes de la nature
pour n'être pas effrayés de passer une semaine sans gaz et sans bitume.
C'est à cette époque, 1850, qu'Auguste Villemot, qui avait substitué sa
bonhomie spirituelle à la prétentieuse emphase d'Eugène Chapus, rendait
compte de ses débuis sur le turf dans sa chronique du Figaro. « Figurez-
« vous que j'étais arrivé jusqu'à mon âge sans savoir ce qu'était un liack, un
« premier pas, un handicap, un derby et des gentlemen riders; c'est pour-
ri quoi, enviant la gloire des palefreniers de lettres, après en avoir médit, je
« prenais vendredi, à onze heures vingt-cinq minutes du matin, le convoi de
« Chantilly.
« Moitié chemin de fer et moitié patache, on arrive en moins de deux
« heures à destination, et alors commence l'exploitation du voyageur par la
« ville hospitalière des Condé.
« — Voilà, messieurs, deux chambres à coucher et un cabinet de toilette.
« — Combien pour les trois jours de course?
« — Trois cents francs.
« — C'est cher.
« — Voyez ailleurs...
.. Ailleurs c'est à peu près la même chose Nous avons eu la chance,
« mes amis et moi, de trouver pour deux cents francs deux chambres à deux
« iits, et nous passons sur le turf pour quatre coquins très roués
« Quand il s'agit de déjeuner ou de dîner, il n'y a guère de choix : un
« homme qui respecte ses digestions ne peut prendre sa nourriture ailleurs
n qu'à Y Hôtel du Grand Cerf, où le Jockey-Club a élu domicile.
« On est, du reste, très bien traité au Grand Cerf.
« L'immeuble appartient à un gentleman très célèbre dans le sport du
« dernier règne.
« Etranger aux spéculations de la fricassée, M. de C... la surveille néan-
F~cT ~J~
SUR LE TURF. 65
« moins par esprit de courtoisie; son contrôle défend le voyageur contre les
« inventions de la chimie culinaire.
« Si vous n'êtes pas content, c'est que vous êtes un esprit chagrin ou un
« estomac maussade ; dans tous les cas, gardez-vous de le manifester : un
« mot de plus, et M. de C... payerait pour vous, ce qui simplifie beaucoup
« les notes d'auberge, mais en grevant la conscience. »
11 y a longtemps que l illemot est mort, et, ayant négligé en temps utile de
lui demander le nom complet de l'aimable gentilhomme dont il n'a cru devoir
fournir que l'initiale à ses lecteurs, je n'ai depuis rencontré personne qui put
me donner ce renseignement.
Je le regrette, car il est rare de rencontrer un propriétaire poussant le
sentiment de sa responsabilité au point de surveiller en personne les compo-
sitions culinaires élaborées dans ses immeubles.
A la réflexion, je ne serais pas étonné que cet étonnant philanthrope fût
le marquis de Croy, célèbre sous le règne de Louis-Philippe par son élevage
de trotteurs.
Après une digression sur Chantilly et ses anciennes splendeurs, trop
étendue pour être reproduite ici, Villemot, visiblement impressionné d'un
spectacle véritablement nouveau pour lui, poursuit en termes qui prouvent
que, même à cette époque reculée, les paris jouaient un rôle considérable
dans les questions de sport, et que cet agiotage spécial, pour n'avoir pas encore
atteint la masse du public, avait dès lors son importance.
Je transcris de nouveau : « Les mœurs du siècle se relrouveut aujourd'hui
« partout, sur la pelouse de Chantilly comme sur le boulevard des Italiens.
« Le turf csl une petite bourse, avec un argot particulier.
« Le goût du cheval, l'élégant vernis du sport esta la surface, le jeu est
« encore dessous. Comme à tous les jeux, il y a des novices et des naïfs.
k Moi qui vous parle, je suis une victime du turf : j'ai parié vingt francs
« pour une rosse qui m'a trahi. Mais les roués du turf procèdent autrement:
« ils connaissent de longue date le souffle d'un cheval, son aptitude aux
« conditions différentes de chaque course, le talent de l'entraîneur, l'action
9
66
SLR LE TURF.
« du jockey; sur ces notions ils engagent des paris de proportions très con-
« sidérables.
« Malgré tout, le hasard et l'imprévu sont encore les grands maîtres sur le
« turf, et le DcrJnj de dimanche l'a bien fait voir.
« Pour l'instruction des classes laborieuses, je veux bien dire que le
« Derby est une course entre chevaux de trois ans, fondée par lord Derby,
« et qui a retenu son nom.
« Mais c'est la dernière fois que je descends à ces explications : on est du
« lurf ou on n'en est pas, et je ne veux pas me déshonorer en écrivant
« pour des marchands de contremarques.
« Au Derby de Chantilly, il y avait quatorze chevaux présents sur le turf.
« Le prix était de 20,000 francs; les entrées et les forfaits y ajoutaient
u encore une somme de 26,000 francs environ.
« Toutes les gageures vivemeut poussées se portaient avec complaisance
« sur le favori Isolier, appartenant à M. Lupin; d'autre pari, on pariait vingt
contre un contre Diamant, poulain répudié par l'écurie Aumont et vendu
1 ,400 francs à M. de Mornj .
« La course s'engage, et Diamant arrive au poteau nez à nez avec Lion,
au prince de Beauvau. Le fameux holier arrivait troisième, mais bca
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10
SUR LE TURT. 77
« troisième; le turf a beaucoup de ces euphémismes, on arrive beau dernier,
k et je voudrais que l'Université adoptât ces locutions émollienles en faveur
« des disgraciés de la composition en thème.
«La course du Derby se trouvait sans résultat.
« Diamant et Lion étaient arrivés ex œquo.
« En pareil cas, les deux écuries partagent le prix, ou on procède à une
« seconde épreuve entre les deux vainqueurs.
« C'est ce qui eut lieu dimanche.
« Dans l'entr'acte des deux courses, le turf et le Betting-lioom (salle des
« paris) étaient dans la plus grande effervescence.
« Certains joueurs engagés dans des paris de proportion conlre Diamant
« s'efforçaient de se couvrir
« A ce moment, MM. Lehon gagnaient 360,000 francs, après avoir engagé
« tout au plus une vingtaine de mille francs sur Diamant.
« Dans les mêmes proportions, un de mes amis, contre dix louis engagés
gagnait 4,000 francs.
« Je vous donne ces explications à vous tous, vilains et manants étrangers
« au turf, pour en venir à vous faire comprendre l'intérêt qu'on peut prendre
« à ces péripéties.
« La seconde épreuve entre Diamant et Lion engageait des sommes
« immenses, et on pouvait manquer sa fortune d'une tête de cheval.
«Enfin, les deux quadrupèdes sur lesquels reposaient tant d'émolions
a ont été lancés.
«Vers le dernier tiers du parcours, Diamant s'est trouvé distaucé d'environ
« deux longueurs de cheval et, malgré des efforts héroïques, n'a pu rattraper
«le terrain perdu, et perdu, disait-on, par une fausse manœuvre du jockey.
7 S
SUR LE TURF.
« D'autre part, on n'hésitait pas à attribuer la victoire de Lion aux mer-
ci veilleux talents de l'homme qui le montait, le fameux Flalmau.
« J'ai vu ce jockey à la ville. C'est un de ces Anglais qui parviennent à
« rejeter de leur corps tout ce qui est luxe, la chair, la graisse et une
« foule d'organes que nous portons par genre.
« Ils conservent une peau parcheminée qu'ils portent sur un paquet de
« nerfs, et ne pèsent guère plus sur la croupe d'un cheval qu'une grosse
« mouche qui aurait une culolle et des hottes... »
Si nous nous sommes laisse entraîner à cette longue citation, c'est
d'abord que nous n'avons pas su résister au charme d'une narration si
exactement spirituelle, et aussi parce qu'elle montre clairement que le jeu
a de tout temps, en 1855 comme aujourd'hui, tenu une très grande place
dans l'intérêt que le public prend aux courses.
L'échelle des sommes engagées a seule progressé, et l'on n'a plus
aujourd'hui hesoin de se mettre à plusieurs pour faire des différences de
300,000 francs : des hénéfices plus considérables ont été depuis cette époque
réalisés par des parieurs isolés, et l'association fraternelle de MM. Lehon
SUR LE Tl'RF.
7!»
n'étonnerait plus personne par l'importance de ses résultats : ce qui paraî-
trait plus invraisemblable, c'est qu'un véritable Parisien comme était Ville-
mot pût, à l'âge de quarante ans passés, considérer comme des découvertes
les données d'ailleurs exactes qu'il venait de recueillir sur les mystères des
courses; les collégiens en connaissent aujourd'hui tous les secrets avant
d'avoir terminé l'explication du De viris, et les classes les moins dirigeantes
ont expérimenté à l'heure qu'il est, personnellement, toutes les combinaisons
de pari imaginables.
La presse à bon marché se charge de vulgariser toutes les notions
qui n'étaient autrefois connues que d'un petit nombre d'initiés; avec elle,
impossible de rien monopoliser, pas même les doctrines de M. Oscar Wilde,
qui finiront, elles aussi, je le crains plus que je ne le souhaite, par tomber
dans le domaine public.
KO
SUR I.K TURF.
TY.mi ât retour. —
il. aurai.nl pu I
rain de constater tmp lard quVfi Usant mieux entre les ligne:
■ diius les différents pronostirs la liste cunijdete des <j.i:[ti,inls
SUR LIC Tilt F.
81
ESSAI
C'esl une sorte de répétition générale faite à domicile, dans laquelle on
s'efforce de mettre le cheval sur le compte duquel ou veut être renseigné,
dans des conditions analogues à celles qu'on prévoit pour l'épreuve publique
qu'il doit prochainement subir.
Quand on n'a pas dans son écurie d'animal de valeur égale à ceux qu'il
est destiné à rencontrer, on supplée a son absence par l'emploi de relais
destinés à assurer la sévérité du train pendant tout le parcours.
C'est une dure épreuve, qui souvent n'apprend pas grand'chose au pro-
priétaire, mais laisse des traces qui renseignent parfois très exactement les
gens qui en constatent deux jours après les effets sur l'animal, exagérément
allégé, et qui a dépensé dans cet effort prématuré des ressources vitales qui
auraient trouvé un meilleur emploi dans la lutte finale.
~ CiaqffZ'
Essai. — Opération dans laquelle un propriétaire emploie plusieurs de ses chevaux a fati;
82
SLR LE TURF.
Le propriétaire. — Qu'est-ce que unis en dites?
L'entraîneur. — Peut-être nous aurions aussi bien l'ait de laisser le cheval
tranquille, parce que nous ne savons pas plus qu'avant.
SLR LE TURF.
S:',
APRES l ESSAI. — SUITE ri E SES II l; S I I. T'1 I
Bieu léger le favori et passablement nerveux!
Il a peut-être pris nu galop de trop
84
SUR LE TURF.
■ '^■, ■> r''i -:}.:■ -Y: ^:^'-
II'IIKS 1. ESSAI.
RÉSULTATS.
— S'il avait fait on public l'effort c[ii'on lui a demandé à domicile...
— Il aurait certainement gagné la course, ne serait pas claqué, et aurait
conservé nuire bon argent
SUR LE TURF.
85
HANDICAP
Le mol littéralement traduit signifie « main dam la casquette » , ce qui
équivaut à dire que, si le handicapeur était parvenu à atteindre son but idéal,
on pourrait choisir au hasard n'importe quel concurrent avec une chance
égale d'avoir mis la main sur le vainqueur.
\li! c'esl ui itiei difC
'.lin !,< Iin]|,iilts lllliilll l|ii'l\
Salisfair' un éleveur sur mille.
C'esl tout c' que l'on peut espén
(S!l
OEnvrcs posthu
11 cherche à égaliser les chances de tous les chevaux engagés en graduant
les poids qu'il leur assigne, en tenant compte de leur âge, de leurs perfor-
mances, de leur origine, des prix gagnés et du rôle joué par chacun d'eux
dans les épreuves précédemment disputées.
A première vue l'opération paraît simple, et il semble qu'il suffise d'infliger
de gros poids aux bons chevaux et d'accorder aux rosses des poids déplume :
en réalité, c'est pir un travail de Bénédictin qu'on arrive à établir avec jus-
tesse une échelle raisonnée des poids.
I! faut avoir préalablement pris note avec une exactitude scrupuleuse de
tous les incidents survenus dans les courses auxquelles ont participé chacun
des concurrents, comparer ce que chacun a fait par rapport à des chevaux
86 SDK LE TURF.
(|ui ne figureront pas dans la course actuelle ; tenir compte de ce qui a pu
fausser tels où tels résultats antérieurs, supputer, pointer, raturer, remuer des
dossiers, compulser des programmes.
Relire des comptes rendus, et, quand on a terminé toutes ces recherches,
parachevé toutes les compilations nécessaires, on n'est jamais sûr, malgré
tous les efforts de travail et tous les scrupules de conscience, de parvenir
à satisfaire, je ne dis pas la majorité, — c'est un résultat impossible, -
mais une honorable minorité de propriétaires.
Tous s'accordent pour trouver que leur cheval est accablé sous les kilo-
grammes et que leurs compétiteurs sont tous également favorisés.
On ne peut contenter tout le monde et son père... Les handicapeurs con-
naissent cet axiome et se sont procuré, à l'aide d'une volonté arrêtée, la
surdité qui convient à leurs fonctions archi délicates, et qu'ils excercent avec
une consciencieuse persévérance dont les vrais sportsmen leur savent un gré
infini.
UN HANDICAP PEU ORDINAIRE
Nous étions, en compagnie d'une des plus fines cravaches militaire, que
l'accumulation des galons bien plutôt que celle des années a forcé d'abandon-
ner le rôle d'acteur et de se contenter de celui plus modeste du spectateur;
accoudés à la grille du pesage d'Auleuil, nous venions d'applaudir à l'ar-
rivée du Top Weight, nez à nez avec le plus petit poids, et nous nous
émerveillions de la perpicacité des handieapeurs.
■ \\ez-vous fréquenté, il y a quinze ans, l'hippodrome de Rambervillerï '
« demanda le capitaine V...11, qui venait de nous rejoindre; c'est là que
" j'ai couru le handicap le plus étonnamment juste que j'aie vu dans toute ma
« carrière de courses !
k Et d'abord un mot sur cet extraordinaire hippodrome encadré dans le
12
90 SUR LE TURF.
« plus magnifique paysage, avec les Vosges comme toile de fond, des tri-
ci buues énormes tout à fait hors de proportion avec l'afflueuce du publie
» plutôt clairsemé, et trois pistes aux noms sonores : la piste de Métendall, la
« piste d'Austrasie et la piste du Soldat laboureur, également connue sous le
h nom de la Grande Piste, sans doute parce qu'elle avait cinq cents mètres de
« moins que la précédente .
« l'as de guichets aux différentes entrées.
Spectacle absolument gratuit.
« Les luttes hippiques à l'œil. Ces choses-là ne se voient qu'en province.
. Un homme charmant, d'une originalité savoureuse, le marquis de H ,
« était à la fois le propriétaire du terrain, l'architecte des tribunes, l'auteur
« du programme, le donataire des prix, le juge suprême des réclamations, et,
■ par surcroît, la providence du pays.
« Ces courses de Rambervillers, elles étaient la joie des extrêmes garni-
sons de l'Est.
« Lunéville, Nancy, Epinal y envoyaient leurs premières cravaches soutenir
les prétentions à une suprématie toujours disputée.
- C'était l'âge d'or, bien que ce ne fussent déjà plus les temps héroïques
.. où uue paire de chandeliers gagnée sur l'hippodrome de Mérignac ou de
Pont-à-Mousson vous sacrait à tout jamais grand écuyer, aux yeux des
« populations stupéfaites de voir une haie servir à sauter par-dessus, alors
« qu'elles avaient précédemment pensé que le but de ce genre d'obstacle
« était précisément d'empêcher qu'on pénétrât dans les propriétés qu'elles
« étaient destinées à protéger.
« A Rambervillers, pas de boxes à vingt francs par jour, pas de chambres
.. introuvables même au prix des plus durs sacrifices; hommes, chevaux,
« ordonnances, tout était hospitalisé par le marquis.
« L'hôtel de la Poste, retenu par lui, vivait pendant trois jours dans un
i ( oup de feu indescriptible.
SUR LE TIR F.
'(I
'■ Ou ne nous demandait qu'une chose : fusionner avec les agriculteurs et
« leur inculquer des idées saines sur l'élevage du cheval de guerre Ces
« conférences dégénéraient, je dois l'avouer, le plus souvent en un vaste
« baccarat ou l'élément militaire initiait l'élément rural aux beautés du
« tirage à cinq.
' Mais cette façon d'étudier les problèmes de l'élevage n'est malheureu-
Extrait des programmes de Rambervillt es. — Courses .m gnlop pour cavaliers û poil,
sèment pas spéciale à Rambervillers; ce qu'on ne rencontre nulle part
ailleurs, c'est la fantaisie de la rédaction des programmes : Courses au
trot, qu'il ne faut pas par un calembour trop facile appeler Courses de
trop. » — k Courses au galop pour cavaliers, à poil, réservées aux culti-
vateurs. »
J'en passe, et des meilleures.
" Les pistes étaient soignées, tout comme à Auleuil ; on y trouvait une
grande rivière que, toujours comme à Auleuil, on sautait rarement.
92
SLR LE TTRF.
a L'excellent marquis prenait à part chacun des concurrents et lui repré-
.. sentait en termes affectueux le danger qu'il j avait à sauter tel ou tel
- obstacle, et, le plus souvent, on convenait de passer à côté.
- En revanche, en course plate, il n'était pas rare de se trouver en face
« d'une belle bnrre fixe coupant la piste dans toute sa largeur.
. : $ FILS F,
« A ma première course sur cet hippodrome plutôt gai, j'arrivai au dernier
tournant avec une grosse avance.
>■ Le tournant était très raide! Quelle ne fut pas ma stupéfaction en
« apercevant un immense écriteau portant ces mots : « N'avancez pas, il y
<■ a des pièges à loups! »
« Les réclamations, bien entendu, pleuvaient : le marquis recourait alors
« à un procédé que, je le crains bien, les grandes sociétés n'adopteront pas
« de sitôt. Il donnait des prix à tous les réclamants.
Ces prix fournis par des industriels de Rambervillers, toujours facturés
sur li<: Tim\
93
au cours le plus haul, fournissaient une forte subvention au commerce
local.
« En somme, la plus grande cordialité régnait entre militaires et civils,
l'amphilryon était adoré, et sou influence sur l'élevage local absolument
favorable malgré ces procédés fantaisistes.
l.'.ll . il..' .1 UN li.u.lil-.m .1 KjiiiI...
« C'est là que je gagnai le handicap le plus étonnant que j'aie jamais
couru.
« Les trois chevaux engagés étaient de classes tellement différentes que
nul poids ne pouvait combler l'intervalle. Le marquis était simpliste : —
Vos chevaux, messieurs, sont de valeur inégale, parfait!
94 SUR LE TURF.
« J'ai trois pisles concentriques avec une ligue droite commune, chaque
« cheval aura sa piste. »
« Ce fut un triomphe pour le handicapeur.
<; Les trois chevaux arrivèrent dans un mouchoir.
« Et voilà comment, en les désignant absolument différentes pour chacun
« des concurrents, le marquis de C... était parvenu à égaliser les distances! ! ! »
Le résultat désire. — Parvenir à mettre nez à uez sur le Winning-posl le meilleur cheval
de l'année et la rosse la plus incontestable.
SUR LE TLRF.
!)7
Une explication au pesage. — On lit dans VEiUraineur : « Hier, & Colombes, entre
la première et la deuxième course, une altercation suivie de voies de fait a eu lieu
entre AI. Privai, propriétaire de Sylphe, et AI. Carréfa, directeur du Turf. Cette
altercation a eu pour motif un entrefilet paru le matin dans le journal de notre
cooirère.., »
Sut ta pelouse. — Explicalioa équivalente a 1j pn
i > il j.i >ii j jji'uiir pour la nirjliier; u.ir G
Seulement \t:
:1e interjection a suf.1
SUK LE TURl*'
99
— Filou! Voleur! ! gracieuses exclamations c|iii s'adressent au jockey, à l'entraîneur,
au propriétaire d'un clieial qui, le plus souvent, mérite seul ces aimables compliments.
Avec un cheval avant fait correctement le parcours de Berny, il y a biea peu d'obstacles naturels
capables d'arrêter un vrai cavalier.
LA CROIX DE BER.W
C'est le Chantilly du steeple-chase, et, pendant la première période de
son existence, les Parisiens s'y rendaient, poussés par une curiosité à la fois
mêlée d'étonnement et d'admiration.
On ne comprenait pas que des gentilshommes dont la vie était facile, qui
disposaient de ressources attestées par les notaires de la capitale, ou certi-
fiées par les banquiers eu relation avec l'étranger, eussent la folie de se livrer
à un pareil exercice.
Une haie dans un manège, un fossé en bordure de forêt, on admettait ces
imprudences parce que, par la première opération, on s'assurait que le
102
SIR LE TURF.
cheval, une fois dresse, consentirait à franchir, en cas de nécessité, l'obslacle
naturel qu'il était exposé à rencontrer soit en promenade, soit à la chasse!
Mais, aller de gaieté de cœur à la recherche de chausse-trappes vérita-
blement dangereuses, galoper à travers champs, grimper et descendre des
talus, sauter des rivières, et surtout cette Bièvre particulièrement encaissée,
le tout sans nécessité et à une vitesse nécessairement exagérée, puisqu'on
ue se proposait pas seulement de passer tous ces obstacles, mais encore de
les passer plus vite que ses rivaux !
Lue pareille action paraissait à tout le monde, aux cavaliers classiques aussi
bien qu à l'ensemble du public, une preuve certaine de démence.
Pareilles imprudences constituaient une preuve incontestable de folie, mais
l'excès même de cette témérité faisait que la réprobation des gens sages
n'allait pas sans quelque admiration.
-' H (lïliSIi
14
SUR LE TURF.
107
On blâmait un exercice aussi périlleux, auquel ou ne voyait aucun bul
utile, et cependant on se défendait mal contre l'étonnement provoqué par une
pareille audace.
Comme on ne pouvait croire à la véracité des premiers spectateurs, chacun
tenait à contrôler leurs assertions.
Le résultat fut que, tout en doutant et eu critiquant, l'on voulut voir, et le
succès de ces premières réunions fut considérable.
l.o passade de la seconde L'iévre.
Cependant, comme ou se lasse de tout, la première curiosité satisfaite,
le public ne larda pas à se désintéresser d'uu spectacle dont il ne discernait
pas l'utilité, et les gentlemen riders continuèrent, pendant quelques années
encore, ce que les gens raisonnables appelaient leurs insanités, dans une
solitude de plus en plus profonde.
Des difficultés étant survenues pour la location du théâtre de leurs exploits,
ils y renoncèrent, et le steeple-chase subit un rehiclie qui put faire craindre
qu'il ne s'acclimatât jamais dans notre pays.
108
sir le turf.
Pendant de longues années, en dehors des réunions de la Marche, les
courses d'obslacles furent à peu près abandonnées, et, si quelques prix
leur étaient réservés sur les hippodromes de province, les allocations impor-
tantes allouées à ce sport spécial demeuraient fort rares.
En dehors du prix de 10,000 francs à Marseille, d'un de même valeur
au Pin, de 7,000 francs à Dieppe, du military de 5,000 francs à la Marche,
les vainqueurs devaient se contenter de sommes qui ne s'élevaient guère
au-dessus de quinze cents francs.
--.,,, j:.''.
/ h
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ML
fe
Les pistes n'etaieot pai
: les admirables (apis qu'elle!
Celait un médiocre encouragement à faire les frais d'une écurie, à ris-
quer les accidents pour les hommes et pour les chevaux, accidents d'autant plus
fréquents que les pistes étaient moins bien entretenues qu'elles ne le sont
aujourd'hui.
Les tendons claquaient à tout propos, et les terrains laissés à l'état de
nature produisaient aussi facilement les efforts de tendons, les jours de
SUR LE TURF. 10'J
courses, que les petits pois dans la saison favorable à ces savoureux lé-
gumes.
Cette situation, plutôt sacrifiée, dura jusqu'en 1803, date de la fondation
de la première société des steeple-chases de France, dont la journée d'inau-
guration eut lieu à lincennes.
Circonstance qui imposa aux spectateurs un trajet plutôt pénible, à travers
les populations du faubourg Antoine, qui ne dissimulèrent pas un instant leur
manque de sympathie peur les élevants mondains, et surtout les élégantes
demi-mondaines.
I.a Inversée ilu faubourg Saint-An
Quelques-unes d'entre elles, qui n'avaient pas reparu dans ces quartiers
inélégants depuis qu'elles eu étaient sorties, eurent même à subir de regret-
tables scènes de famille qui leur inspirèrent la résolution irrévocable de ne
plus s'y exposer à l'avenir.
110
SLR LE TIR F.
Seuls les passionnés du sport, qui avaient quelque confiance dans la
qualité de leur musculature, persistèrent à traverser ces régions inhospi-
talières, dont l'hostilité ne larda pas à tourner à l'indifférence, quand
les toilettes tapageuses cessèrent d'offrir un prétexte à leurs manifesta-
tions.
Ce trajet, dangereux le premier jour, devint si pacifique par la suite,
que le baron Fiuot pouvait atteler à son phaéton le cheval qui devait
faire triompher ses couleurs sur l'hippodrome, sans aucune crainte d'iu
VuU'iitiito .ill loi gagne
cidenls qui auraient pu diminuer ses chances de succès, la distance lui
paraissant justement suffisante pour dégourdir les jambes de sou cham-
pion.
Dès lors on put prévoir l'importance que prendrait l'institution, mais ce
n'est qu'après la guerre et la constitution, en 1873, de la nouvelle société,
qu'elle prit tout son développement.
Dès l'ouverture de l'hippodrome d'Auleuil, l'affluence du public fit claire-
ment voir que son succès était assuré.
:WJ
' • !
SUR LE TURF, [13
Le chemin à suivie pour l'atteindre était familier à tout le inonde, et les
habitués du Bois s'y portèrent en foule dès le second jour, car la première
réunion avait été contrariée par une pluie si persistante, que peu de
personnes avaient eu le courage d'assister à l'ouverture des régales d'Auleuil I
C'est ainsi qu'on avait tout d'abord surnommé le nouvel hippodrome.
Très habilement organisé dès le début, le nouveau champ de courses a
reçu chaque année quelque nouvelle amélioration.
Le prince de Sagan, qui élail en quelque sorte l'incarnation de la nouvelle
société, lui consacrait la plus grande part de son intelligente activité et lui
réservait toutes les trouvailles de sou infatigable imagination ; modifiant et
améliorant sans cesse les conditions des programmes, augmentant les allo-
cations à mesure que prospéraient les receltes, imaginant des attractions
nouvelles, organisant des journées exceptionnellement attirantes par des
défilés de coachs, des lunchs offerts aux membres des clubs et aux femmes
de leurs familles, il battait sans relâche le rappel des rares élégances qui
surnagent encore dans cette fin de siècle démocratisée.
Maintenant qu'il est disparu, les bonnes volontés ne manquent celles pas,
et les hommes spéciaux et incontestablement compétents qui composent le
comité actuel maintiendront certainement la prospérité du steeple-chase;mais
on est eu droit de se demander si l'on trouvera dans l'ensemble, ou du moins
chez l'un d'eux, ce désir persistant d'amélioration, ce besoin impérieux de
faire, comme feu Nicolet, de plus fort en plus fort.
C'est ce que l'avenir nous apprendra.
C'est le prince de Sagan qui tenta la résurrection de la Croix de Berny et
parvint à lui rendre, un jour par an, un regain de popularité; malheureu-
sement le trajet n'était guère plus agréable que celui de Vincenues, et la
population de la chaussée du Maine et du faubourg de Monlrouge ne témoi-
gnait pas aux élégances des demi-mondaines plus de sympathie que celle du
faubourg Saint-Antoine ; de plus, la route peu pittoresque, médiocrement
15
114
S I!l LE Tl'RI'.
entretenue et cahoteuse, était par surcroit exceptionnellement poussiéreuse,
de telle sorte qu'après une expérience de quelques années, quand il s'agit
de renouveler la location du terrain, les « bailleurs •■ ayant élevé leurs pré-
tentions, on renonça à celte unique réunion réservée aux officiers et aux
gentlemen.
La route de Berny a toujours été connue pour être la plus poussiéreuse qui ^il jamais l
Ce nouvel abandon du premier théâtre des exploits des steeple-cbaseurs
français parait aujourd'hui définitif, et c'est dommage, car il est difficile de
trouver un emplacement plus favorable au Ooss-Couutry, et sur lequel il soit
aussi facile de suivre toutes les péripéties de la course.
Les obstacles naturels de toute espèce qui s'y trouvaient en grand nombre,
la nature variée du terrain et sa conformation mouvementée, offraient aux
huniers et aux chevaux d'armes un hippodrome à souhait pour mettre en
valeur les qualités spéciales qu'on attend de celle double catégorie d'animaux,
et permettait de constater dans des épreuves sévères leur adresse et leur
endurance.
-
SUR LE TURF
117
Le possesseur d'un cheval qui avait l'ait en bonne place le parcours de
Berny pouvait être sur de n'être mis dans l'embarras, ni dans une chasse,
ni en campagne, par la faute de sa monture, et qu'il rencontrerait dans
bien peu de régions des obstacles naturels capables de lui couper la roule.
A ce point de vue particulier, il faut regretter cette journée exceptionnelle,
et que ne remplace pas la réunion dans laquelle les prix institués pour elle
sont courus à Achères, sur un hippodrome en tous points semblable à tous
les autres.
Une autre raison de regretter l'abandon de Berny est l'impossibilité de
retrouver aussi proche de Paris un endroit où le public indigène, le bon
villageois, se montre aussi curieux d'uu spectacle si complètement en dehors
de ses habitudes.
Toute autre partie de la banlieue manque de la tradition qui amenait sur
ce point privilégié toute la population rurale des environs, mettait sur
118
SIR LE TL'RF.
la route, à côté du coacb le plus irréprochable, la carriole du maraîcher
bondée de toutes les générations de sa famille, et, sur le turf, la blouse
du journalier coude à coude avec l'habit rouge du gentleman rider.
Celle pilloresque promiscuité est à jamais perdue pour les environs de
Paris, et les gens désireux de la revoir sont désormais astreints à des dépla-
cements plus sérieux, dans les pays d'élevage, où le plus humble des
.
M
0'-: S
Ml J*
>*Olt
- ^ V-
Sur la route de Bernj.
cultivateurs s'intéresse au cheval et, s'il n'a pas la prétention de produire
personnellement le vainqueur de la course à laquelle il assiste, met cepen-
dant son amour-propre à voir triompher le représentant de l'élevage de son
arrondissement, ou tout au moins de sa région.
Partout ailleurs, le paysan se montre froid à l'égard du sport, et l'élément
ouvrier des villes couliibue seul à grossir les recettes delà pelouse.
Le paysan connaît trop bien la puissance des résultais obtenus par l'éco-
nomie persévérante pour succomber à l'appât du jeu, et Uouve qu'il a
•
.
SUR LE TURF, 121
suffisamment g;igné en plaçant dans sa lire-lire le franc que lui aurait coûté
son entrée.
L'issue d'une course plate, si disputée suit-elle, ne saurait l'émouvoir, car
« faut toujours bien qu'il y en ait un qui arrive le premier» , et les péripéties
les plus accidentées d'un steeple-chase ne font (pie l'affermir dans son
opinion : que « faut être bien hèle, quand on a un bon cheval, de l'exposer
à des accidents qu'il est si facile d'éviter » .
Dans le canton de Berny, ces |)ernieieuses doctrines n'avaient pas cours.
La légende, mère de toutes les religions, y avait développé le culte du sport.
Les enfants tout petits avaient entendu répéter par les grand'mères le récit
des exploits exécutés sur les rives de la Bièvre par des prédécesseurs de nos
gentlemen actuels, et avaient été bercés par les noms très probablement défi-
gurés, mais populaires, des Maekensie, des Tournoi) et de bien d'autres.
Leur curiosité s'était éveillée, et quand on leur annonça que de nouveau
les courses allaient avoir lieu sur leur territoire, l'hostilité du paysan contre
16
122
SUR LE TURF.
lu Parisien se trouva singulièrement diminuée par le désir de voir à leur tour
un spectacle qui avait laissé de si profonds souvenirs dans la mémoire des
vieux du pays.
L'accord des sporlsmen et des ruraux aurait vraisemblablement dure si la
difficulté de Iraitef avec la multitude de propriétaires du terrain n'avait
empêché la continuation des réunions; malheureusement, leur nombre était
si considérable que l'entente avec chacun d'eux devenait matériellement
impossible. Il eût fallu, pour la confection des baux nécessaires, toute une
escouade de notaires, et, devant l'amoncellement des paperasses timbrées
qu'il eût fallu rédiger, l'abandon de l'hippodrome de la Croix de Berny fut
décidé, définitivement celte fois.
Pur . Ordre du Préfet . delense de c irculer sur les l)as cites de la
L'ACCIDENT DE M. TORRANCE
C'est à la Croix de rîerny qu'a eu lieu l'un des accidents qui aient, pendant
ces dernières années, le plus profondément impressionné le public des
courses. M. Torrance, gentleman américain, dont les succès ne se comptaient
plus sur nos hippodromes, et l'un des membres les plus sympathiques de
la colonie Paioise, s'était chargé de piloter dans une course ouverte aux
jockeys la jument de M. de Madré, empêché par un deuil de la monter lui-
même. M. Torrance avait pendant tout le parcours gardé sa jument à P arrière-
garde, et ce n'est qu'avant le dernier obstacle, à trois cents mètres de l'ar-
rivée, qu'il l'amenait à l'attaque des leaders, passant à la droite du peloton,
quand l'un des chevaux culbutant au passage d'un double sillon vint tomber
124
SUR LE TURF
dans les jambes de sa monture, si malheureusement que les deux chevaux se
renversèrent en même temps sur le malheureux gentleman, qui disparut
complètement sous cette masse animale, pendant que le jockey, cause invo-
lontaire de ce déplorable malheur, projeté à grande dislance, sortait indemne
de l'effroyable bousculade.
Pendant un instant les deux chevaux restèrent immobiles, mais quand on
les eut relevés on aperçut le corps de M. Torrauce dans une immobilité
absolue : en approchant, on pût voir à ses lèvres une légère écume sangui-
nolente, le thorax était littéralement aplati, et, quoi qu'on fit, il fut impossible
de rétablir la respiration. Le malheureux gentleman avait été irrémédia-
blement étouffé.
t y^
MARLY LE-ROI
Celait charmant, sélect etlimited; oa y faisait du sport sans spéculation,
du llirl à discrétion, et le tout se terminait par uu lunch en plein air du
plus pittoresque effet.
Ça n'a pas duré.
La société du « Riding et Coachiug » existe toujours, mais il y a beau
temps qu'elle a renoncé à ces réunions, que tous regrettent, et que personne
ne songe à renouveler.
Pour quelle raison les invitations ont-elles cesse?
Pourquoi n'envoie-t-ou plus le polit carton enjolivé dans le coin gauchi'
du joli dessin du baron Finol, et si poliment rédigé : « Le Riding and
Coaching a l'honneur de vous prier de venir goûter dans le petit paie de
Marly-le-Roi le 2 mai (à 2 heures). »
12<;
SIR LE TURF.
Je sais bien que, depuis celte époque (1883), le petit parc a été repris pour
les chasses présidentielles; mais là n'est pas le véritable motif, puisque
d'autres réunions aussi réussies ont eu lieu à la Marche avec un égal succès,
et il n'est pas douteux qu'en réunissant n'importe où la même assistance
on aurait obtenu le même résultat.
■ 4$M
Certes, le décor était séduisant, la route agréable, niais les propriétés pri-
vées dont l'accès est aussi facile sont nombreuses aux environs de Paris, et
l'on n'aurait eu l'embarras que du choix pour trouver sinon mieux, — c'était
parfait, — m:tis du moins aussi bien.
Je crains que ce ne soit à de lâcheuses considérations d'économie qu'il
l'aille attribuer la suspension prolongée de ces réunions certainement très
regrettées; si limitée que fût l'assistance, les frais supportés par un petit
nombre, et qu'aucune recette ne venait compenser, atteignaient un chiffre
considérable et devaient, avec le succès, augmenter de jour en jour. Com-
s u il i.k nui''
127
ment résister, en effet, aux sollicitations des amis qui viennent demander des
invitations pour de jolies femmes chez lesquelles on a soi-même dîne, danse,
soupe, — sinon davantage ! — et les amis des amis... Les promoteurs de
l'idée ont été effrayés par la perspective d'une ruine assurée et proebainc.
On avait offert un lunch, les invités y comptaient, impossible de le sup-
primer, et en le conservant on se heurtait à des difficultés qui auraient
rendu indispensable un nouveau miracle de la multiplication du pain et du
vin; et, dans ce siècle d'incrédulité, il aurait été téméraire d'y compter.
C'est dommage que ce soient précisément les choses les plus agréables
qui durent le inoins : songez depuis combien de temps déjà nous subissons
les charmes du régime républicain, et considérez d'autre part que nous
n'avons pu obtenir plus de cinq ou six de ces réunions ; et pourtant quel
empressement à leur début, et comme l'institution semblait définitivement
fondée 1
Que de noms connus parmi les gentlemen, des vrais, qui se disputaient
les prix, bien modestes cependant!
128
SUR LE TURF.
Copions au hasard un compte rendu de l'un de ces meetings dans la
Viesportive, — encore une institution disparue, — celledu 2 mai 1885, qui, si
je ne me trompe, a été la première : « Le décor est très pittoresque ; les ruines
« du château comme foud et les royales chênaies de la forêt comme enca-
«drement; en bas, la pièce d'eau et l'abreuvoir; à l'horizon, les coteaux
" verdoyants de Boisprcau.
«SI
WàwWt
k VSyV
m
M »,S|fi
I pust et la tribune du juge Q M ni Ij .
t> Une dizaine de mails-coachs viennent prendre rang aux ruines mêmes
"du château, près de la ferme qui remplace aujourd'hui les communs du
« siècle dernier...
« Vers deux heures et demie, les préparatifs des courses commencent :
«l'aménagement est d'un rustique voulu.
« Une perche fichée en terre, en face une chaise de paille sur un petit
« tertre, voilà le poteau d'arrivée, voilà la tribune du juge où s'installe le
« prince de Sagan.
SUR LE TURF.
i:tl
« Douze cavaliers se présentent au pesage, dont l'installation n'est pas
« moins primitive.
« Les concurrents font un premier lour de la piste, montent à travers les
« labonréset finissent dans la ligne] droite après une rivière, une barrière fixe
« et une claie.
« Deux d'entre eux restent en route, le duc de Morny et M. Raoul de
« (îontaut.
« Une vive émotion se produit quand on voit M. de Gontaut rester à terre
«sans connaissance; heureusement il n'est qu'étourdi... Mais le pauvre
« French, le héros du Concours hippique, s'est cassé la jambe daus sa chute,
« et ou l'emmène sous bois pour l'abattre hors de la vue de l'assistance.
w.
« Finalement le vicomte de Pully passe le premier devant le juge, précé-
k daut le comte de Lindeman... Daus la seconde épreuve c'est M. Adolphe
« Abeille qui l'emporte contre le marquis de Castellane. »
A ces noms il convient d'ajouter ceux des vaincus de ce jour-là.
Comte Martin du Mord, Maurice Foache, Frédéric Mallet, le pauvre Tor-
rance tué à la Croix de Berny, prince L. Murât, M. IV. -K. Thorn, Henri
13:>
SIR LE TURF.
Couturié, baron Roger, Jules Pastré, vicomte d'Ivernois, duc de Moray,
Raoul de Gonlaut et bien d'autres qui n'hésitaient pas a risquer la forte tape
personnelle et les lâcheuses fractures des jambes de leurs chevaux favoris,
dans le seul espoir de gagner devant une assemblée de choix, il est vrai, un
objet d'art plutôt quelconque, ou une aquarelle qui le plus souvent ne rap-
pelait que très vaguement le faire magistral de Leloir ou deFortuny.
C'était charmant, élégant, intime. Ça n'a pas duré.
Soi la route de Mûri] .
SI It LE TURF
133
wîmffm ■
mi] mm
fil
,
— Comment, disait-oD à un propriétaire de chevaux de steeple-cLase, après une
course où son champion avait été baltu par la sottise du jockey, comm 'rit ne faites-
ions pas mouler par des garçons intelligents?
— C'est, répondit-il, que s'ils étaient intelligents ils ne monteraient pas.
SUR LE TURI'.
135
— Savez-vous ce que c'est qu'un jockey '.'disait un entraîneur qui n'aime pas essai er
ses chevaux avec d'autres artistes que ses propres garçons. — l'n jockey c'est un
homme qui, pour quarante francs, vient le matin monter voire cheval, le bousculer,
et vous dire qu'il a une mauvaise bouche.
*H
j4ute«i(. — lU'union du r,ri.ilcm|)S 8 mors 18
AUTEUIL
Alphabétiquement et chronologiquement, c'est Auteuil qui tient la lèle des
hippodromes.
C'est lui qui inaugure la campagne sportive et ouvre le premier ses portes
au public.
C'est généralement vers le 15 février qu'a lieu cette solennité : il arrive
souvent que la température se montre peu clémente, et que les premières
épreuves se disputent sous la bise, la pluie ou la neige : les bourrasques y
succèdent aux averses, et la gelée se produit parfois si sévère qu'on est obligé
de renoncer à quelques-unes de ces premières réunions de printemps et de
faire relâche, pour cause d'indisposition de l'atmosphère, un premier sujet
qui a ses caprices tout aussi fréquents que les étoiles rnàles et femelles de
nos principaux théâtres.
18
i:w
SUR LE TURF.
Quand la saison s'abandonne à des fanlaisies barométriques tout à fait
exagérées, le nombre des acteurs se trouve forcément aussi limité que celui
des spectateurs.
11 faut aux premiers un temps au moins passable pour qu'ils puissent
étudier leurs rôles, car ce n'est pas sur des roules durcies par les gelées
qu'on peut s'exercer à galoper, et le verglas interdit toute espèce de répé-
titions sur les obstacles.
Quant aux seconds, ils se montrent peu disposés à visiter des hippodromes
sur lesquels ils ont chance
de ne gagner que des
pleurésies : on a vitré les
tribunes pour les abriter
du vent du nord; le coke
brûle dans de nombreux
réchauds , des boissons
chaudes les attendent aux
différents buffets, malgré
cela ils n'ont pas con-
fiance, et il faut recon-
naître qu'ils n'ont pas
tout à fait tort, car le spec-
tacle qu'on peut leur donner n'est pas assez tentant pour compenser les
intempéries qu'il leur faudrait affronter.
Dieu sait cependant qu'on a fait l'impossible pour procurer au public tout
le confortable désirable sur cet hippodrome modèle, — que le pavage en bois
placé aux abords des tribunes lui permet de les gagner à pied sec, qu'on a
tracé des pistes imperméables du pesage au pari mutuel, qu'on a fait aux
bookmakers un parquet que les agents de change pourraient leur envier, et
que des vitrages avancés, posés au sommet des différents édifices, forment un
abri à peu près ininterrompu; malgré toutes ces mesures préservatrices des-
tinées à lui inspirer toute sécurité, la foule se méfie : elle redoute le coryza
et ses fâcheuses suites; elle craint également pour ses beaux habits, et,
comme la coquetterie joue son rôle du côté des sporsfmen tout aussi bien que
du côté des sporstwomen, personne ne bouge, et chacun se réserve pour des
jours meilleurs où l'on sera en droit d'espérer du soleil et un nombre de
SUR LE TURF
Ml
degrés suffisants pour que les papillons puissent
sortir de leurs chrysalides.
Sous le watèrproof, hommes et femmes perdent
un gros tant pour cent de leurs séductions, et les
ts^~ deux sexes évitent les occasions de se montrer l'un
N'ajamaiseu le poidi pour être jockey; ;\ l'autre SOUS UU aussi fàclieilX aspect.
cependant tueiif des courses qni mil fait
gagner à --"Ji propriétaire des suinmes su-
périeures au\ allocalionfl moyennes.
Seuls, les parieurs incorrigibles et impénitents,
qui sont au public élégant des pesages un troisième sexe équivalant àl' Auver-
gnat vis-à-vis du reste de la population, se résignent à se couvrir des plus
de célébrité, est
bon dernier dans l'Omnium en 189t.
nauséabonds caoutchoucs et s'acharnent, les pieds dans leurs snowboots et
le chef encapuchonné, à la recherche des savautes combinaisons qui doivent
les conduire à la fortune.
On a dit que le véritable joueur continuerait sa partie le... derrière dans
l'eau.
Ceux-ci prouvent la vérité de l'affirmation et continuent leurs petits paris
sous les plus persévérantes averses : à certains jours, le ring n'est qu'un
océan de parapluies tellement rapprochés que cet instrument protecteur perd
toute son utilité et ne sert plus qu'à verser sur le voisin toute l'eau qu'il a
interceptée. Il en résulte que la somme de liquide récollée par chacun reste
la même; seulement celui-ci absorbe ce qui était primitivement destiné à
Ji2
SUR LE TURF
celui-là, et réciproquement. C'est l'arrosage mutuel, sans aucun prélèvement
sur les mises...
La grande supériorité du steeple-chase sur la course plaie réside dans le
côté dramatique du spectacle et la brutalité des péripéties : je ne crois pas
■cv-
Premier dt'parl. — Celui du slarler
émettre un paradoxe en affirmant qu'aucun des plus fidèles spectateurs de
Chantjlly et de Longchamps ne vient sur ces hippodromes pour la seule
contemplation des épreuves qui y sont courues; tous ont un attrait à côté,
paris, intrigues, intérêts d'éleveurs, etc.
A Auleuil, il y a des habitués qui ne sont attirés que par le spectacle et
viennent uniquement savourer les émotions mélodramatiques de l'accident.
Au pesage. — Le paddock. La promenade sous l'œil de:
SUK LE TURF
I i5
Il est tellement prévu qu'un outillage spécial, construit selon les règles du
plus savant confortable, attend sur les lieux les victimes probables de la
journée : pour les hommes, des brancards garnis de leurs matelas et de leurs
oreillers antiseptiques stationnent aux environs des obstacles, dissimulés dans
les massifs sous la garde de leurs porteurs, l'œil au guet dès que le départ est
donné et prêts à courir à toutes jambes sur le théâtre de l'événement, si le
jockey qui a fait panache parait incapable de reprendre sur ses pieds le
Brancardiers de la Société des steeple-cliascs à la poursuite d'un cavalier à transporter. — Aianl qu'ils arrivent, le blessé
sera certainement sur ses jambes el aura repris le chemin du pesage. C'est du niuins la façon dont les choses se passent la plupart
chemin du pesage; — disons de suite que ces appareils sont rarement
employés.
Ils sont antipathiques aux jockeys, et leur apparition inspire aux plus
meurtris une telle répugnance qu'il est bien rare qu'ils ne trouvent pas assez
de force pour prendre la fuite aussitôt qu'ils les aperçoivent.
C'est un remède d'une efficacité incroyable et qui démontre victorieu-
sement la puissance de la volonté : pour éviter ce transport qui leur déplaît,
des hommes qui l'instant précédent paraissaient définitivement aplatis et con-
ta
146 SIR LE TIRF.
servaient une effrayante immobilité se relèvent instantanément, se dressent
sur leurs jambes et se mettent en marche, en flageolant, eu s'appuyant aux
bras des spectateurs, des camarades accourus pour les secourir, en se cram-
ponnant au besoin au col du médecin de service, et refusent obstinément le
secours des brancardiers, qui, tout désappointés, remportent dans sa cacbelte
leur instrument refusé.
Il faut qu'une superstition inexpliquée, mais fortement ancrée dans l'esprit
des jockeys, soit attacbée à l'emploi de ce moyen de transport pour que
On est d'accord pour constater que les gentlemen et les officiers montent autrement qae les
jockeys, et ont à cheial une 'nie: l'on discute la laleor des deui méthodes,
qui tiennent peut-être beaucoup pins a la construction physique des deui ealêsrariec de caraliers
qu'à nue divergence théorique.
l'aversion qu'il inspire soit aussi unanime; il ne sert que lorsqu'il y a syncope
prolongée, c'est-à-dire impossibilité pour l'intéressé de formuler uu refus,
ou fracture d'un membre inférieur qui lui enlève la faculté de se tenir
debout.
Faut croire qu'il porte la guigne!
Les appareils destinés au transport des chevaux blessés sont autrement
compliqués : ce sont des voitures dont le plancher mobile permet de sus-
pendre les animaux à l'aide de sangles mises en mouvement par un méca-
nisme très ingénieux de rouages à crémaillères assez puissants pour enlever
sans secousses les poids les plus lourds.
LK cm P DU BRANCARD.
SUR LE TURF.
I 49
Ces véhicules sonl assez larges pour que, en les reculant, ils emprisonnent
le cheval hlessé à l'endroit même de sa chute, et que, quelle que soit la
position dans laquelle il est reste, on puisse l'enlever, sans le forcer à se
relever.
Je ne sais si la Société prolectrice des animaux a répandu ses faveurs sur
l'inventeur de ce véhicule, mais elle lui doit une récompense exceptionnelle,
car il a rendu un vrai service à l'animalité souffrante, tellement plus digne
d'intérêt que l'humanité dans le même cas, puisque celle-ci ne parait plus, a
l'heure actuelle, apitoyer que Mme Séverine.
150
SUR LE TURF.
Le succès de l'bippodrome d'Auteuil, dû à sa situation exceptionnelle
d'abord, et ensuite à l'imagination du prince de Sagan, grand metteur en
scène de la Société des steeple-cbases, a marché avec une telle rapidité que
les résultats obtenus ont dépassé toutes les prévisions.
Les recettes se sont élevées dans des proportions si invraisemblables que
le budget dont dispose la Société parait devenu, aux yeux d'un certain nombre
d'bommes de cheval, tout à fait exagéré relativement aux services que peut
en attendre l'élevage en général.
Selon eux, les animaux de premier
ordre, dont la carrière de courses est
terminée après les grandes épreuves de
plat, méritent seuls les encouragements
d'une réelle importance, et ils regrettent
que les courses d'obstacles, qui ne sont
disputées que par des chevaux que leur
recrutement même éloigne du haras,
disposent d'allocations aussi considéra-
bles qui, pensent- ils, devraient être
réservées aux animaux appelés à jouer
un rôle prépondérant et direct dans la
production générale : ils voudraient que
les encouragements importants allassent
directement aux producteurs chargés de
perpétuer la race, et regrettent que des
sommes aussi considérables soient affec-
tées à des spécialistes dont le rôle, au
Nouroui proprirw™.. point de vue de l'élevage, ne peut être
que secondaire, et qui ne sont appelés
à exercer sur la production qu'une action tout à fait indirecte.
L'un des écrivains auxquels cette opulence de la Société des steeple-cbases
parait excessive, si on la compare à la simple aisance de la Société d'encou-
ragement, se demande s'il n'y aurait pas moyen de « consacrer l'excédent
« des receltes soit à des achats d'étalons destinés aux dépôts du gouver-
« neuient, initiative qui appartient aux sociétés, soit à des primes aux pouli-
« nières et aux établissements d'élevage dont la répartition serait confiée à
« des commissions spéciales.
SI' P. LE TURF.
I.-.I
« L'argent ainsi employé ferait bien retour à l'élevage, comme le veuleul
« les règlements, et il le ferait utilement. »
Nous laissons à Touchstone, qui a assez de talent pour la soutenir, et peut-
être de persévérance pour la faire aboutir, la responsabilité de celte théorie ;
mais il nous a paru curieux d'enregistrer une critique qui constate un succès
auquel on ne peut reprocher que d'être trop complet.
S'il est vrai que le but ait été dépassé et que les allocations accordées soient
exagérées, je ne vois pas comment,
pour ma part, on peut espérer ramener
les choses cà un équilibre plus rationnel :
ce que l'élévation des prix me paraît
devoir amener, c'est un plus grand
nombre de gens désireux de les disputer,
par suite un débouché plus considérable
pour les producteurs et un encourage-
ment indirect, je le veux bien, mais très
rémunérateur à l'élevage.
C'est, du reste, le résultat qu'on peut
dès aujourd'hui constater par les prix
atteints dans les ventes publiques, dès
l'âge le plus tendre, par les chevaux
soupçonnés de pouvoir galoper : il suffit
que leur origine soit suffisamment fashio-
nable, qu'ils aient un- demi-frère, voire un arrière-cousin ayant fait ses
preuves, pour que le marteau du commissaire-priseur s'abatte sur un chiffre
absolument respectable.
Échange
C'est bien à l'élevage que vont toutes ces sommes, et, si quelques proprié-
taires heureux, je ne dis pas habiles, daus la crainte de blesser l 'amour-
propre de ceux qui ne réussissent pas, prélèvent une part minime des
capitaux mis en mouvement par les sociétés, leur exemple fait persévérer daus
leurs sacrifices tant de propriétaires qui ne couvrent pas leurs frais que les
éleveurs auraient vraiment mauvaise grâce à leur reprocher des bénéfices qui
constituent une aussi excellente réclame pour leurs produits et maintiennent
les espérances de leurs meilleurs clients.
152 SIR LE TIRF.
Au surplus, l'importance des prix accordés aux steeple-chasers a influé
trop manifestement sur la valeur des animaux employés dans la spécialité
pour qu'on puisse contester l'élévation de la classe des chevaux qui figurent
aujourd'hui dans les courses d'obstacles, comparés à ceux qui à l'origine
disputaient les maigres allocations qu'on leur accordait.
On dit que ce sont des cartes dans les mains des joueurs; c'est une opinion
qui peut être défendue, mais qu'il est également permis de contester; en tout
cas, les joueurs, puisque joueurs il y a, n'hésitent pas à payer leurs cartes
en proportion des enjeux qui leur sont
offerts, et c'est encore au profit de l'éle-
vage, fabriquant ces cartes spéciales, que
va la plus-value.
Du moment que les règlements s'oppo-
sent à ce que les sociétés thésaurisent et
qu'elles n'ont pas d'actionnaires pour en-
caisser leurs bénéfices, il faut bien que
ceux-ci fassent retour à l'élevage, à moins
qu'ils ne se volatilisent, ce qui est invrai-
semblable.
S<- déclare
qu'il ail sa chaise <'l »» I'"» cigare... el
Quand on constate l'invraisemblable
succès obtenu à Auteuil par le steeple-chasing, qui, à Berny, à la
Marche, à lincennes, avait laissé le plus grand nombre si complètement
indifférent, on est naturellement amené à se demander quel élément
nouveau a pu modifier aussi radicalement les dispositions du public à
l'égard d'un spectacle qui avait tout d'abord paru ne le passionner que
modérément.
11 n'est pas douteux que ce soit à l'établissement du pari mutuel qu'il
aille attribuer ce complet revirement, et que sa nouvelle passion pour des
exercices qui précédemment le laissaient plutôt froid n'est pas autre chose
que la passion du jeu; mais, s'il est vrai qu'elle entre pour la grande part
dans la réussite de l'hippodrome, elle n'est pas seule à en avoir assuré le
succès.
20
'• ■ Ifc
Aulre coiu du pesage.
/■'■:> M s. . ' ' \. >
m- .■■'■■■,.>■ ■'■ : %Mj&
Encore un coin du pesage.
SUR LE Tl'Kl'.
159
Le pari mutuel fonctionne ailleurs, et nulle part l'affluence n'est aussi
considérable.
La beauté du site, sa proximité de Paris, la facilité d'accès, sont des
éléments dont il faut tenir compte et qui ont certainement contribué à la
faveur exceptionnelle qu'Auleuil a monopolisée dès son ouverture.
Il en est un autre qu'on ne saurait oublier sans ingratitude : l'infatigable
activité du prince de Sagan, qui,
président du club de la rue Royale
au moment de la reconstitution de la
Société des steeple-chases, prit la
direction de l'organisation de l'hip-
podrome dont il avait obtenu la con-
cession du Conseil municipal.
Ou ne saurait mieux dire que ne
l'a fait M. de Saint-Albin dans son
ouvrage : les Courses de chevaux en
France, quelle a été l'influence du
prince pour le succès de l'institu-
tion.
Je lui laisse la parole : « A tout
Sagan, tout honneur ! le prince ré-
gnant de la Société des steeple-
chases est le conservateur de la grande
existence.
« Il marche droit devant lui, sans s'inquiéter du ministère qui paye, sans
« souci des crises politiques ou financières.
« 11 fait du luxe par patriotisme, pour que les étrangers trouvent toujours
« la France en belle humeur.
« Le prince a son quartier général au petit club.
« Il occupe dans le cercle même un appartement dont les fenêtres donnent
« sur la place de la Concorde.
« Il a vue sur le Palais législatif.
« Il semble que du Palais-Bourbon le prince de Sagan a reçu du gouverne-
« ment, fort malin en celle circonstance, la mission secrète de former une
« espèce de cour, très utile à un pays qui ne saurait vivre sans conserver ses
IliO
SLR LE TURF.
« iradilions de bonne humeur et d'élégance; la politique le laisse froid, mais
« le sport le passionne.
« C'est lui qui a créé Auteuil.
«C'est lui qui a ressuscité la Croix de Berny; c'est lui qui a inventé les
« fêles de Marly.
« Il fera ce qu'il voudra, où il le voudra, comme il le voudra : le monde,
« le vrai monde, ne demande qu'à suivre son panache, n
C'était si parfaitement vrai, celte influence du prince, sur les agissements
de la fashion, qu'il lui suffisait de dire à quelle heure
et à quel jour il était « chic » d'être vu à tel ou tel
endroit, pour qu'elle s'y portât en troupe compacte,
fût-ce dans les locaux les plus notoirement incom-
modes et précédemment réputés les plus inélégants :
ses décrets étaient sans appel.
S'il est vrai que la mode ait un sceptre, elle s'en
était déchargée aux mains du prince, qui s'en est servi
pendant une vingtaine d'années avec une incomparable
désinvolture : ses décisions avaient force de loi, et
jamais dans notre pays, qui du reste n'en a pas eu
beaucoup à supporter, aucun despote n'a été plus
servilement obéi : c'était bien l'obéissance passive,
sans discussion, sans examen.
rdrei »ui joc- Admirable discipline, acceptée volontairement par
un groupe de gens toujours prêts à se déclarer indé-
pendants à tous les points de vue et qui prétendent n'agir que selon leur
bon plaisir.
Le leur était celui du prince.
Cette influence qu'il exerçait si incontestablement sur l'élément mondain,
le prince la mit au service de la Société des steeple-chases, dont il s'était
SUR LE il RF. 161
promis d'assurer le succès, et, avec celle intuition qu'il possédait de la mise
eu scène, il comprit qu'une exhibition annuelle des gens du monde sous les
yeux de ceux qui n'eu sont pas constituerait une considérable attraction, un
véritable clou!
Restait à trouver le prétexte à ce cortège aristocratique.
Ce ne fut pas long.
La Société du Riding et Coacbing, une annexe du club de la rue Royale,
organisait ses réunions, et il fut décidé qu'une journée dite « des drags »
aurait lieu chaque année à Auteuil, dans laquelle un défdé de tous ces élégants
équipages servirait de prologue au spectacle.
C'est à la porte du cercle de la rue Royale, ainsi nommé parce qu'il est
situé place de la Concorde, que se réunissent les drags appelés à figurer dans
le cortège; n'y sont admis que les membres de la Société des Guides.
C'est uue mesure de précaution dont le but est d'écarter les intrus.
Au premier abord il semble qu'elle soit inspirée par une prudence exces-
sive, puisque la plupart des gens en mesure d'atleler dans ces conditions
exceptionnellement dispendieuses font généralement partie des grands cercles
et, de ce fait, sont admis de droit dans la Société.
Elle a cependant sa raison d'être, puisqu'elle permet d'exclure de celte
figuration exlra-select les équipages que le Sherry RIosson et autres Moulins
rouges ne manqueraient pas de chercher à y introduire.
Après avoir subi sur la place de la Concorde l'examen prolongé d'un public
plus spécial qu'indulgent, les attelages, précédés de whips en habits rouges
chargés de leur ouvrir la voie, s'engagent par une courbe savante dessinée
IG-2
S lll I.E TL'RF.
aux alentours de l'obélisque dans l'avenue des Champs-Elysées, suivent
l'avenue du Dois, gagnent l'avenue des Acacias et pénètrent sur l'hippo-
drome, après avoir contourné l'enceinte du pesage pour venir se placer en
ligne de bataille face aux tribunes.
C'est le momeut de transporter du sommet des drags à la tribune du Club
leur élégant chargement.
Opération délicate qui ne va pas sans difficultés : les hautes personnalités
qu'il s'agit de faire descendre de ces parages élevés sont souvent plus impor-
tantes qu'agiles, et les échelles qu'on adapte aux sièges exigent une précision
de mouvements qui reste le privilège de la jeunesse.
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si i; LE nui'.
[65
Les vieilles dames auxquelles leur situation de maîtresses de maison con-
sidérables a valu le périlleux honneur d'être invitées constatent avec effroi
l'infériorité des échelles sur les ascenseurs et ne parviennent le plus souvent
à toucher terre qu'après des variations d'équilibre qui nuisent souvent à
l'économie de leur toilette; les chapeaux perdent la position savante qu'ils
occupaient au moment de la première ascension, et il n'est pas rare, dans
celte descente accidentée, que leurs vénérables tibias se trouvent produits
dans toute leur étendue aux regards irrespectueux du populaire, toujours
sensible à ces révélations involontaires.
C'est alors que s'effectue, sous le feu des lorgnettes
du pesage, le passage de la piste : bien des gens qui
monteraient à l'assaut avec la plus inébranlable fer-
meté, se précipiteraient sans hésiter du haut des ponts
pour repêcher leurs semblables, arrêteraient au besoin
les chevaux le plus sérieusement emportés, les mieux
disposés en un mot à mériter les médailles de sauve-
tage de tous les modules et des métaux les plus variés,
se sentent pris d'un véritable malaise à la pensée de
défiler à découvert, en plein soleil, sous la batterie de
milliers de regards plus ironiques encore que curieux,
prompts à saisir le moindre ridicule...
Les plus braves en sont impressionnés et leur atti-
tude s'eu ressent; raide, guindée chez les uns, embar-
rassée chez les autres, on voit qu'ils se sentent en
spectacle et savent que leur public manque d'indulgence,
La journéedes couchs ■ -
:i<tliste devenu un simple
Untpé- (l
Tous ont plus ou moins l'air d'attendre le sacramentel « ne bougeons
plus » du photographe, et l'on sent que bon nombre d'entre eux, au lieu de
continuer à marcher solennellement, préféreraient de beaucoup prendre
leurs jambes à leur col, « manière de courir pas commode du tout « , comme
dit la chanson, pour diminuer la durée de leur supplice. .. Mais la satisfaction
d'être vu en si élégante compagnie fait contrepoids et maintient le cortège à
son allure processionnelle... Pendant ce temps la musique militaire fait rage
et raffermit les courages ébranlés...
Cependant les hommes d'écurie sont sortis de l'intérieur des coacbs, ont
mis habit bas, et s'adonnent aux douceurs d'un pansage exécuté dans les
règles de l'art.
166
SUR LE TTRF.
C'est peul-êlrc le moment le plus pittoresque de eetle journée si complè-
tement sportive.
Les couteaux de chaleur fonctionnent de tous côtés, l'eau ruisselle sur les
naseaux des chevaux, sous leurs flancs, à leurs jambes, qu'on éponge à grande
eau, pour les essuyer ensuite à grand renfort de serviettes.
Les groupes d'hommes et de chevaux présentent les aspects les plus
imprévus, un enchevêtrement de bras nus et de jambes au poil luisant, de
toutes les nuances connues, avec des reflets à émerveiller
Bodoï et à rendre songeur Princeteau lui-même.
C'est une fête pour un coloriste et, pour tout homme de
cheval, un spectacle à ne pas oublier.
Les motifs de croquis abondent, et, pour ma part, je ne
connais pas d'endroit où l'on puisse, en si peu de temps, faire
plus ample collection de souvenirs.
Peu à peu, tout ce grand mouvement s'apaise, les chevaux
abrités du soleil sous leurs couvertures d'attente sont placés
à l'ombre des drags, groupés par le hasard, la plupart du
temps le plus intelligent.
Les artistes se creusent bien souvent la tête pour inventer des arrange-
ments qui se trouvent là tout faits, et que l'art le plus ingéuieux chercherait
pendant de longues heures sans arriver à le rencontrer.
Ce jour-là, il est rare que je sache autrement que par les comptes rendus
du lendemain les incidents de course qui ont pu se produire, mais jamais, si
imprévus qu'ils aient pu être, je ne regrette l'emploi de mon après-midi...
Les courses finies, l'aristocratique chargement est réintégré sur ses éta-
gères respectives par les mêmes procédés qui ont servi à son déballage ;
^fe^r ■■ .A.-7-®
SUR LE TURF : A Al'TEUlL. — LA JOURNÉE DES DRAGS.
\
? k a â
D'hallage général. — Chacun emploie, pour descendre, le procédé qui lui parait le mieux
approprié au degré d'agilité qu'il se connaît.
mm^
— 2
i :
SUR LE TUKF : A AUTEUIL. — LA JOURNEE DKS DRAGS.
a| I CM
/,? pansage. — Incidents irarii
SUR LE TI'IU'.
ITT
parfois d'heureuses substitutions se produisent : des douairières encore épou-
vantées de tout ce qu'il leur a fallu montrer en descendant de leurs glorieuses
banquettes se sont obstinément refusées à une nouvelle ascension, et des
doublures moins importantes au point de vue hiérarchique, mais infiniment
plus plastiques, ont accepté d'occuper leur place.
Il en résulte qu'un drag médiocrement décoratif à son premier pas-
sage se trouve, au retour, bondé de jolies
femmes.
Ce sont les profits des spectateurs...
Celte fêle unique, imaginée pour la pro-
spérité de la Société des steeple-chases par
son intelligent prolecteur et acceptée d'en-
thousiasme par ses obéissants coryphées, se
trouve placée entre le grand steeple-chase de
Paris et la grande course de haies : elle
complète le spectacle offert aux Parisiens
pendant la grande semaine d'Auteuil.
Sévère, mais juste.
donnerais le cheval à <1
comme vous gagne! louj
pal ..,j-,l,-sus de trois.
peal-étre quit
Elle offre au public féminin l'alliait par-
ticulier des courses militaires, et le mélange
des toilettes priutanières aux nombreux uniformes donne au pesage un aspect
tout à fait inusité et séduisant : l'uniforme, quoi qu'on puisse dire, avantage
singulièrement ceux qui le portent.
On a beau le simplifier, enlever les uns après les autres les ornemenls qui
l'agrémenlaient, la coupe générale subsiste, donnant à la tournure des gens
suffisamment découplés une allure dégagée que le costume laïque interdit au
plus grand nombre.
On sent que la préoccupation la plus habituelle à nos tailleurs n'est pas de
faire valoir d'heureuses proportions naturelles, mais bien plutôt d'arriver à
dissimuler des conformations regrettables, de cacher des ligues défectueuses
178 SIR LE TURF.
et d'atténuer des gibbosilés plus ou moins développées par l'usage prolongé
d'altitudes professionnelles .
Chacun sait que la forme des organes se modifie par l'usage qu'on en fuit,
et l'épine dorsale des bureaucrates constamment courbés sur leurs pupitres
ne saurait conserver longtemps une rectitude bien complète : les épaules
perdent leur parallélisme, et l'inégalité des omoplates oblige les artistes
chargés de mettre en valeur les avantages physiques du sexe laid à des
stratagèmes qui ne trompent que les observateurs inaltentifs, qui s'inquiètent
peu de faire la distinction
de ce qui est réel ou factice
dans le contenu d'une redin-
gote.
On attache généralement
plus d'importance à deviner
ce que renferme un corsage,
et Dieu sait combien, même
après un examen qu'on croit
suffisamment approfondi, on
rencontre de désillusions !
Si simplifie qu'il suit il<* nos jours, L'uniforme conserve sun prestige
•M S'<" » '" >«"•
Un des principaux attraits
de l'hippodrome d'Auleuil lient certainement de la certitude qu'on a d'y
rencontrer toutes les personnalités eu vue du monde sportif.
Un provincial curieux de connaître, au moins de vue, tous les héros du
Turf, peut eu quelques séances réaliser son désir, car ce ne sont pas seulement
les propriétaires d'écurie de sleeple-chases qui s'y réunissent au pesage; —
les éleveurs qui leur ont vendu leurs chevaux ont la curiosité de voir
comment ils se comportent, et les propriétaires d'écurie de plat, désireux de
se débarrasser des chevaux qui ne leur ont pas donné pleine satisfaction, ne
sont pas fâchés de se rendre compte de la façon dont les frères aînés de ceux-
ci, entrés dans la spécialité, ont pris leur nouveau métier; — ils peuvent
recueillir dans ce facile déplacement des indications qui leur permettront
d'évaluer avec une plus grande précision les animaux dont ils comptent se
SUR LE TURF : A AUTEWL. — CONVERSATIONS VARIÉES.
Quelle tactique vous deiez suivre? Celle que \ous trouverez la meilleure. Le cheval peut
et doit gagner, c'est à vous de savoir comment...
Précieux encouragement. — Si le cheval n'était pas tombé
toutes tes lois qu'il a couru ces derniers temps, je vous dirais
que vont nez une très bonne chance...
— Puisque le cheval est tombé... !
— Justement! pour qu'il fut sur de gugner, il aurait
fullu qu'il fût d'abord bût de ne pas tomber...
SUR LE Tl'RK : A AUTEUIL.
.1/. Ed... Arc... et le colonel B . .t de B...é. — Eu voyant en grande conférence ces deux
personnalités sportives, vous pourriez croire que vous allez surprendre un important secret.
N'écoutez pas : il ne s'agit que d'uue combinaison pour le retour, et de décider où l'on se
etrouvera pour gagner la voiture.
SUR LE TURF : A AUTEl II,.
Consultations complémentaires et consolations an.c convalescents. — Quand il y a,
fracture, on sail pour combien de jours oi en a; mais, s'il s'agit d'une commotion, ce
n'est qu'après des années qu'on peut avoir la certitude qu'elle n'aura pas île sniles...
SUR LE Tl!Rl' : A Al'TEUU,
vl ,, , «
-si!
Chute authentique de M. Halford dans le prix d'hiver, ïï /écrier 18X5, au mur
en erre. — Le cheval Virelan, à M. Descliamps, avait la jambe cassée el dut être abattu.
Quant au cavalier, sa chute, qui avait paru terrible, n'eut d'autre conséquence qu'une
syncope assez prolongée.
V>
SI I! LE TURF.
187
défaire el savoir de façon à peu près certaine jusqu'à quel chiffre peuvent
s'élever leurs prétentions.
Le personnel des écuries s'y trouve également à peu près au complet.
Entraîneurs et jockeys manquent
rarement à ces réunions, qui
'ikV/jt comptent toujours d'importantes
épreuves pour lesquelles ils ont
souvent un renseignement qu'il
peut être intéressant d'utiliser.
Que ce soit pour un motif ou
pour un autre, tout ce qui joue
un rôle dans le sport se trouve
l '^ës^>- _ J réuni à la butte Morlemart, et,
j.„, , pie laïque a'obtiendroit pareil «accès. COmiIie le gTOS public aSSeZ claÎP-
semé aux réunions de semaine
n'enveloppe pas les personnalités dans des groupes trop compacts, l'examen
de ce monde spécial se trouve là singulièrement facilité.
C'est ce qui nous a permis de regarder assez attentivement un certain
nombre d'habitués de l'endroit, pour que les autres les reconnaissent dans
les croquis disséminés dans ce chapitre.
(prés la victoire, au les petites mitéres aVun homme heureu
Steeple-chose mililairc.
SUR LE TURF. — DÉFINITION DU TUYAU.
Xous empruntais h M. de Saint-Albin celte définition du mot tuyau, (|iii n„us parait
parfaitement juste. Se dit dans l'argot du turf d'un renseignement qui n'est pas le secret de
tout le monde, et ipji se donne dans le « tuyau de l'ureille . .
SUR LE TURF. — DKFIXMTIOX DU TUYAU.
<3ufL_
C'est pas son jour. — T'inquiète doue pas, puisqu'on te fera signe,
et, d'abord, quand il gagnera, c'est pas moi qui le monterai... on
gueulerait trop !...
SUR LE TURF. - EXPRESSIONS TECHNIQUES.
Broken-down. - Traduction littérale : Cassé peu' le bas Quand
l'accident se produit en fin de course- et n'empêche pas le cheval
de <ra<mer ou d'être placé, le jockey est tenu de rester en selle
jusqu'à la rentrée] au pesage, sous peine d'être disqualifié h. a
Société protectrice dos animaux connaît cet article du règlement,
on comprend difficilement qu'elle ne lasse pas campagne pour en
obtenir la révision.
X
SUR CE TURF. — EXPRESSIONS TECHNIQUES.
Arrivée. — « Point précis, dit un dictionnaire spécial, où se termine
une course, j Ce n'est pas absolument exact, le point où, pour beau-
coup de concurrents, surtout en steeple-chase, la course se trouve
terminée, n'étant pas, hélas! toujours le poteau d'arrivée.
UNE VISITE A LANGE 0)
Je revenais d'Auteuil. Le baron Finot venait de gagner trois courses sur
cinq; la veille, il avait gagné trois courses sur cinq; l'avant-veille, trois
courses sur cinq...
Enfin, est-ce la veine, comme tout le monde le dit, ou est-ce le « bien
joué » ?
— Venez donc me voir à Langé, me dit le baron, je vous montrerai mon
(1) Nous (levons à M. A. Sautcrcau de reproduire cet article paru dans la Vie sportive, qu'il
dirigeait alors. Sous le pseudonyme de Franciscan Friar, M. de Vezian, un des cavaliers les plus
complets de la spécialité, l'avait illustré de croquis dont nous nous sommes efforcés de conserver
le caractère et l'humoristique observation.
198
SUR LE TURF.
dressage; c'est très simple, niais que voulez-vous? 0:1 ne fait pas un steeple-
chase en huit jours, et si Commandes, Vincennes et les autres gagnent, c'est
qu'ils ne sont pas dressés d'hier.
J'étais, bien entendu, en roule dès le lendemain.
C'est difficile d'arriver à Langé : — à partir de Chàteauroux, encore cinq
heures de voiture !
Pas joli le pays jusqu'à Eutraigues; une grande plaine unie, et puis la
-^
route droite, plate, dure. — Comment! c'est là le berceau du steeple-chase ?
— Enfin, il y a peut-être à Langé des pistes d'obstacles étonnantes.
Changement à vue à Eutraigues : on entre dans une charmante vallée,
une véritable oasis dans celle triste plaine, et par la pensée, en regardant par
la portière, je suivais un Cross-Country imaginaire où je sautais tous ces jolis
fossés et ces belles haies vives qui bordent la route.
Nous entrons dans la cour d'un château flanqué de quatre tourelles qui se
détachent en blanc sur les grands arbres.
SIK LE Tl RF. 199
Nous étions arrivés.
C'est curieux, je ne croyais pas que Langé était connue les autres châteaux.
Pourquoi? c'est absurde, niais enfin il me semblait que la demeure du
baron Finot devait avoir un aspect tout particulier; je croyais que son parc
était uu véritable champ de courses rempli de barres, haies, banquettes
irlandaises, que sais-je?
Eli bien, pas du tout.
On aperçoit quelques poulinières dans les belles prairies qui entourent le
château, mais franchement on ne se douterait guère, en passant devant Langé,
que c'est là qu'habite le roi du Steeple-Chasing.
Je m'oublie, et certainement je vous ennuie avec mes impressions de
voyage : je bavarde, et je ne vous raconte pas du tout comment ou dresse
les chevaux à Langé. — Mille excuses! m'y voici.
— Je vais vous montrer, me dit le baron, la suite des exercices que je fais
faire à mes chevaux : prenons les bébés d'abord. Vous comprenez que je ne
vais pas leur faire sauter des montagnes.
Il y a à Langé une douzaine de poulains tous les ans. — Ils sont sevrés
depuis plus de deux mois.
On les amena dans une carrière circulaire qui est réunie aux écuries par
uu couloir. — Ils arrivèrent serrés les uns contre les autres, les oreilles
droites, étonnés. Un homme les poussait devant lui, eu frappant dans ses
mains. Ou avait placé uue barre qui n'avait pas plus de 0°,30. Tant bien que
mal, ils passèrent l'obstacle, puis rentrèrent enchantés à l'écurie, en faisant
des cabrioles.
La Veine et Coureuse de nuit, la tète appuyée sur les barrières qui sépa-
raient la carrière de leur prairie, semblaient regarder avec intérêt les débuis
de leurs poulains.
— Ça ne leur apprend évidemment pas à sauter, car ils passent celle barre
n'importe comment; mais tout viendra en son temps. Aujourd'hui, ils font
connaissance avec les obstacles, ils pensent à regarder où ils placent leurs
pieds, et, voyez- vous, ce qu'on apprend à cet âge- là, ça se grave pour
toujours.
Vous savez que j'euvoie la moitié de mes poulains à Avenues; ça se fait
en avril ou eu mai. Eh bien, quand je les reprends après leur carrière de courses
200 SUR LE TURF.
plates, vers trois ou quatre ans, je leur fais passer vite une ou deux haies, et
ils courent tout de suite, en sautant aussi bien que mes vieux routiers.
Baudres avait été dressé comme cela, et lorsque Carter me l'a renvoyé en
me disant qu'il était mauvais sur toutes les distauces, je vous réponds qu'il
n'a pas été long à se remettre sur les obstacles.
Baryton, Roi- Fou, c'était la même chose, mais ces deux-là on me les a
rendus avec des accrocs aux jambes.
Passons aux chevaux de dix-huit mois.
11 y eu avait quatre : trois Clocher et un Cimier; les autres sont à Avenues.
Tous grands, torts, rustiques, avec de gros membres et de larges articu-
lations.
On leur mit un caveçon, et ou alla dans la campagne. Ils franchirent des
troncs d'arbres, des petits fossés, des contre-bas : quand ils hésitaient, et
c'était rare, des hommes à pied les appuyaient immédiatement avec des
fouets.
SUR LE TURF. 203
Jusqu'à présent, c'est un débourrage; c'est simplement pour les familia-
riser avec (oute espèce d'obstacles, les rendre souples, mais ça ne les fait pas
sauter vile, et c'est là l'important dans le métier.
Ce n'est rien de franchir un gros obstacle aux allures ordinaires!
Ce qu'il faut obtenir, c'est qu'un cheval à la fin d'un steeple-chase, hors
de son train, manquant déjà de souffle pour avancer, trouve encore assez,
non pas de force, mais d'habitude, pour franchir la dernière haie.
Et que de courses on gagne sur la dernière haie!
Vous allez voir comment j'y arrive.
On amena les quatre poulains dans un pré entouré de tous côtés par une
grande haie; un talus eu terre solide et large dans le genre de celui d'Auteuil,
un peu moins haut peut-être, était appuyé à l'un des grands côtés. On mit
des hommes aux quatre coins de la prairie.
Nous étions au centre. Rialland avait un fouet.
On lâche les poulains, qui partent à un bon galop, en tournant tout autour
de la prairie. Ils arrivent sur le talus, en paquet, absolument comme un pelo-
ton dans une course, et franchissent l'obstacle comme de vieux chevaux, fai-
sant des sauts longs, adroits, et reparlent aussitôt saus perdre une seconde.
Ils firent dix, vingt tours sans s'arrêter, en sautant le talus chaque fois. On
augmentait l'allure avec le fouet.
Ils étaient fatigués, soufflaient déjà très fort, mais on ne les laissait pas
s'arrêter.
Ils commençaient même à faire des fautes, et toujours on augmentait
l'allure.
— Vous venez de voir la meilleure leçon : ils apprennent, de cette façon,
non seulement à sauter, mais aussi à courir en sleeple, car, regardez-les, ils
galopent en peloton serré, ils se touchent.
Eh bien, voyez comme eu arrivant à toute allure sur ce talus, ils ne se
bousculent pas.
l'oyez : ils s'écartent, prennent chacun leur ligne, ne se sautent jamais les
uns sur les autres. Ils peuvent courir demain à Auleuil.
204 SUR LE TURF.
Dans l'armée, on fait aussi sauter les chevaux en liberté ; ça ne donne pas
cependant de résultats bien extraordinaires...
— J'ai visité l'Ecole de Saumur, me dit-il, on m'a montré des chevaux
sautant en liberté; je suppose que l'on emploie la même mélhode dans les
régiments.
Eh bieu, je ne sais pas si l'on cherche un autre but que le mien, car on
opère d'une façon toute différente.
Je ne connais pas les résultais qu'obtiennent les écuyers de Saumur, je n'ai
pas du reste à juger leur méthode.
Voici ce qu'ils font : leur steeple en liberté est un couloir d'une centaine
de mètres de longueur dans lequel on a accumulé une haie, une rivière, une
barrière fixe et un talus ; le cheval n'est pas encore de l'autre côté de la
rivière qu'il lui faut se préparer à franchir la barre.
Jamais, dans la nature, on ne rencontre chose pareille?
De plus, ou fait sauter les chevaux un par un; pour un début, c'est un
contresens.
Le commençant ne doit jamais sauter isolé; avec des camarades, il s'anime,
il se livre.
Comme c'est tentant pour un poulain d'arriver seul, au petit galop, sur
une rivière de quatre mètres! Mais, allons déjeuner; ça creuse le sport;
nous ferons travailler ce soir les deux ans, et les vieux chevaux...
— Dépèchous-nous , nous avons beaucoup de choses à voir cet après-
midi : commençons, si vous voulez, par le Salon des refusés.
— Qu'est-ce que c'est que ça?
— Ce sont mes meilleurs chevaux, qui ont tous été impitoyablement
refusés par l'administration des haras. Encore une de ces administrations que
l'Europe ne nous envie pas!
Ce n'esl pas sans malice, ni peut-être sons plaisir, qu'il lire parti des éta-
lons qu'on lui refuse.
Robert Houdin, par exemple, l'administration n'en voulut à aucun prix!
Il fut le père de Baudrcs. Je vis Bride abattue, Baryton, Aristote, Sorgho,
Roi-Fou, et tous ces autres chevaux qui, sur le parcours d'Auteuil, perdaient
un roule leurs concurrents.
— Mais où esl donc Lusignan?
Sl!U LE Tl'IU'.
ior.
— Quand il ne fait pas la meule, Lusiynan sert de liack à M. Ridgway ; au
moins, de celte façon, il travaille et ue devient pas comme les étalons de
l'administration, ces animaux perdus
par la graisse et le repos absolu.
Je ue parviendrais pas à citer le nom
de tous les animaux qu'où m'a mon-
trés; c'était absolument une revue des
principaux acteurs d'Auteuil pendant ces
trois deruières années.
Les chevaux de voiture sont Vatan, Onyx et Vanlo. A Paris, cet hiver, je
mettrai à mou coupé Baudres et Baryton.
Tous ces chevaux sont dispersés dans les fermes qui entourent le château ;
c'est installé sans luxe; il n'y a qu'un personnel très restreint, mais comme
tout est pratique !
Du reste, l'organisation est certainement bonne, les résultats sont là pour
le prouver.
Chose curieuse, on ne panse pas les chevaux qui sont en demi-travail
on leur lave seulement les jambes.
J'étais très étonné; il me montra
(ïargotiille, l'ancienne jument de
M. Ephrussi, qui était si grincheuse
en plat, qui i'ouaillait sans cesse de
la queue.
On ne la panse plus; elle va à
merveille maintenant.
On l'agaçait, cetle malheureuse.
Ces juments chatouilleuses et
impressionnables, un pansage les
énerve plus qu'un galop.
Du reste, à ce sujet, le baron Fiuot n'est pas seul de son avis; l'an der-
nier, j'étais à Pau, et je demandais au père Trouilh pourquoi il ne faisait
jamais panser ses cbevaux.
— Demandez donc aux lièvres, me répondit-il, si on leur fait uu pansage
le soir après une chasse; ils vont quand même rudement vite le lendemain!
200
SUR LE TIRE
— Allons maintenant faire travailler les deux ans, me dit le baron Finot.
— Ah! je vais donc voir votre piste d'obstacles. Elle doit être mer-
veilleuse.
— Quelle piste d'obstacles"? Mais je n'ai jamais eu de piste d'obstacles.
C'est bien pour cela que mes chevaux sautent.
Rialland amena ses deux ans dans une prairie coupée en plusieurs
endroits par un fossé plein d'eau, à bords francs, dans le genre de ceux de
la Croix de Berny.
Dans toutes les écuries de course, il est considéré comme un axiome que
les lads ne peuvent être qu'Anglais.
A Langé, les poulains étaient simple-
ment montés par des petits garçons de
ferme, nés et élevés en France.
Ça n'allait pas plus mal; j'avoue même
que je crois que ça allait mieux; mais
enfin il parait que c'est beaucoup moins
chic !
Le baron fait un signe : les poulaius
arrivent sur le fossé à toute allure et le
franchissent sans la moindre hésitation, et sans faire de faute.
Pour moi, sauter un fossé de cette nature, c'est le critérium de la franchise.
On leur fit passer des fossés de toute sorte, secs, pleins d'eau, des contre-
haut, des drops, des haies, des bull-fiuchs, enfin tout ce qu'on rencontrait.
J'étais émerveille.
Généralement, quand ou prend pour hack même un vieux steeple-chaser,
il faut l'habituer à sortir des roules et à marcher à travers champs, il faul lui
faire subir un véritable dressage avant de lui faire suivre une chasse.
Les deux ans du baron Finot feraient des chevaux de chasse hors ligne.
Si vous faites sauter à vos chevaux tous les jours les mêmes obstacles,
SLR LE TIJRK.
209
ceux qui ne les saillent pas bien voient avec teneur l'approche de celte piste :
donc, mauvais travail.
Ceux qui les sautent bien n'apprennent rien, et souvent sautent, en public,
en dépit du sens commun, parce qu'ils ne sont plus sur leur piste.
Tous les ans, au moment du Grand National, je lis dans les journaux de
sport que l'écurie Linde a fait établir un parcours d'obstacles absolument
identique à celui d'Auteuil, etc., etc. Cela me fait vraiment rire; si leurs
)f>jç/w<?</f *'°'
Otrffc .
chevaux n'avaient que cet avantage, je gagnerais plus souvent cette course;
un bon cheval de sleeple-cbase doit bien sauter sur tous les hippodromes,
et n'importe quel obstacle.
Les poulains étaient gais et semblaient sauter avec plaisir; jamais d'hési-
tation; dès qu'ils voyaient une haie, un fossé, ils fonçaient comme des san-
gliers, et Dieu sait qu'on les amena sur des obstacles peu tentants !
« Voyez-vous, me dit le baron, avec des chevaux on peut faire tout,
absolument tout!... sauf toutefois de gaguer des courses.
— Mais il me semble que vous arrivez même à ça.
210 SUR LE TURF.
— Hum ! pas assez, pas assez... »
On ne parviendra pas à l'assouvir.
Vous croyez peut-être que, les deux ans rentrés, le travail est Gui à Langé?
Il faut encore sortir les vieux chevaux.
On sella Précieuse, J'erdier, A'orlh-Pole, Baudres, Darvin, Primauté,
Calembour, et deux ou trois autres. L'occasion était unique; je ne l'aurais
jamais retrouvée : je lui demandai de mouler Baudres.
Nous partons à travers champs, le baron en tête, bon galop.
Quand un ohslacle sérieux se présente, je vous réponds qu'il n'en fait pas
le tour, et que les gentlemen riders peuvent apprendre eu le regardant
sauter.
Combien y a-t-il actuellement de propriétaires d'écuries de steeple-chase
qui peuvent en faire autant?
Aussi, en revenant le soir, je vous assure que je ne disais plus :« Qu'il a de
la veine! » Et, ma foi, c'est consolant de penser que ce n'est pas seulement à
grands coups d'argent qu'on se monte une écurie de steeple-chase!
Ali! j'oubliais : Langé est dominé par une colline couverte de bois; sur le
versant se dresse un petit château entouré de deux fermes. Tout est plein de
chevaux.
« Il n'y a pas longtemps que j'ai acheté celte terre, me dil-il; ça me
gênait beaucoup d'être resserré de ce côté. »Puis il ajouta négligemment: Mon
Dieu, il y a deux ou trois ans, j'avais fait une bonne année, je me suis offert
ça sur nip.s bénéfices.
— Et cela a combien d'hectares?
— Trois cents environ... »
Dédié aux propriétaires d'écuries de courses.
ct-fr^
Lo yrille du pesage ;'. Colombes.
COLOMBES
Le champ de courses de Colombes sert d'hippodrome depuis quelques
aimées seulement à la Société de sport de France.
Bien que de création récente, cette société, dont les premières réunions
eurent lieu à Fontainebleau aux environs de 1884, a déjà rendu de véritables
services au point de vue tout spécial qu'elle a choisi.
Son but est de former des cavaliers, et ses programmes très ingénieu-
sement combinés contiennent des épreuves de plat et d'obstacles dont l'accès
se trouve interdit, soit aux professionnels, soit aux vétérans des autres hippo-
dromes.
C'est un excellent système pour développer, chez les jeunes gens, le goût
de Péquitation hardie, et les sporlsmeu qui ont eu l'idée de l'institution out
212
SIR LE TURF.
pris une heureuse initiative qui a déjà donné des résultats assez satisfaisants
pour les encourager à persévérer dans la voie que le désir de fournir aux
gentlemen et aux apprentis jockeys l'occasion de débuter leur a fait adopter.
Pour l'équilation spéciale des courses plates ou d'obstacles, l'épreuve
publique est la seule école qui donne de véritables résultats.
I.e grand paddock à Colombes.
On peut apprendre partout à passer un obstacle, et la pratique de la chasse
à courre habitue le cavalier à ne demander à sa monture aucun effort inutile,
mais la science du train ne s'obtient que sur l'hippodrome, et, pour l'acquérir,
il faut posséder une expérience difficile à se procurer à domicile.
Ce n'est pas en galopant en tète à tète avec soi-même qu'on apprend à
SUR LE Tuur.
21:5
juger le plus ou moins de facilité que chacun des concurrents met à suivre
l'allure à laquelle une course est menée, et l'on peut être un écuyer émérile
sans avoir aucune notion de la chance qu'on possède dans une épreuve de
celte nature.
Si habile cavalier que puisse être un débutant, il lui sera impossible de
proliter d'une foule d'indications qu'un plus expérimenté recueillera au cours
de la course, et qu'il pourra utiliser pour augmenter ses chances de succès.
Ce n'est pas l'adresse qu'il possède pour manier un cheval qui lui indi-
quera le moment précis auquel il devra lui demander un effort, et, s'il gagne
dès sa première monte, ce ne sera pas à sa valeur d'écuyer qu'il devra son
succès, mais bien à la supériorité de l'animal qu'il aura piloté : — hypo-
thèse d'autant plus invraisembla-
ble qu'aucun propriétaire n'aura
l'idée de confier à un débutant un
champion de quelque valeur.
11 résulte de ces différents mo-
tifs que l'apprentissage d'un cava-
lier avide des émotions du turf ne
va pas sans difficultés, et qu'à
m oins d'être personnellement pos-
sesseur d'animaux de prix, il a de
grandes chances de voir ses aspi-
rations demeurer à l'état de vel-
léités irréalisées et même irréali-
sables.
Ce qui revient à dire que le
cavalier de fortune modeste doit :
ou renoncer à monter un bon che-
val, ou se résigner à l'acheter,
éventualité doublement lâcheuse
puisqu'il lui faut, ou renoncer à
la satisfaction de son goût, ou se
résigner à une dépense au-dessus de ses ressources : fatal cercle vicieux dont
la Société de sport lui a seule permis de sortir !
— C'est déjà trois ans que je
•214
SUR LE TURF.
Pour obvier à un inconvénient dont bien des gens s'étaient depuis long-
temps préoccupés sans trouver le moyen d'y remédier, il lui a suffi de créer
des épreuves assez nombreuses et suf-
fisamment rémunératrices entièrement
réservées aux gentlemen.
Cette première innovation ne réalisait
qu'une partie du programme de la So-
ciété, à savoir : encourager les membres
de la jeunesse mondaine qui avaient le
goût de l'équitation à affronter l'épreuve
,, llei ,lil(ils publique et à prendre aux courses
uue part active ; restait à trouver le
moyen de former de nouveaux jockeys
destinés à renforcer le nombre beaucoup trop restreint de ces spécialistes.
Les membres du comité, convaincus qu'en poursuivant ce second résul-
tat ils reluiraient non seulement à l'institution des courses, mais aussi aux
propriétaires et aux entraîneurs un véritable service, se mirent à étu-
dier les procédés par lesquels ils pourraient l'atteindre, et comme,
pour la plupart, ils avaient à la fois l'expérience et la bonne volonté, ils
ne (ardèrent pas à découvrir uue
série de combinaisons qui de-
vaient assurer la réussite de leurs
projets.
Les poids légers exigés des con-
currents, d'une part, et le petit
nombre des courses antérieure-
ment gagnées par les jockeys ad-
mis à prendre part aux épreuves,
en excluent naturellement ceux
qui ont acquis une expérience
suffisante pour qu'on recberebe leur monte sur les autres hippodromes.
■ ;■>■ à |" i fei lionn
Colombes est la petite classe de l'école dont les premiers sujets d'Auteuil
et de Longcbamps seraient les rhétoriciens.
SUR LE TIRE.
A COLOMBES.
Félicitations au vainqueur. — Vous avez gagné bien facilement; mais, si vous aviez pris
moins de longueurs à l'arrivée, peut-être n'aurait-on pas réclamé votre cheval... et je crois
que le propriétaire n'aurait pas été lâché (le le conserver...
SUR LE TURF.
•211
X'empêche que, parmi ces apprentis, certains montrent, dès à présent,
des qualités très appréciables qui permettent de leur prédire un très brillant
avenir.
Le favori du public est certainement le jeune Slern, fils de l'entraîneur,
qui a déjà fréquemment montré une présence d'esprit, une appréciation du
train, et une précision dans les fins de course que beaucoup de ses aînés
pourraient lui envier.
Grâce aux combinaisons diverses qui ouvrent aux hacbs et huniers, et aux
cavaliers de poids très légers, la plus grande part des épreuves qui y sont
disputées, l'hippodrome de Colombes est devenu le Conservatoire national
des gentlemen et des apprentis jockeys.
Une nomenclature détaillée de ces deux catégories de cavaliers est d'autant
plus inutile que le public connaît non seulement chacun de ceux qui figurent
dans la première, mais sait parfaitement, à une livre près, de combien la
monte des plus habiles d'entre eux favorise l'animal qui leur est confié, et
qu'on retrouve le plus grand nombre de ces messieurs sur tous les autres
champs de courses.
Quant aux professionnels, ceux qui ont mis à profit leur apprentissage
ne tardent guère à prendre rang à la suite de leurs aînés, tandis que leurs
rivaux maladroits rentrent définitivement dans la plèbe des hommes d'écurie.
28
218
SUR LE TURF.
Principal représentant de 1'.
.1 Colo es
Pour l'installation, on voit qu'elle a été étudiée avec autant de soin que
les programmes, et par des hommes également compétents, sachant ce qu'ils
veulent et où ils vont.
Tribunes spacieuses dominant les pisles dans
toute leur surface, paddocks étendus qui seront
très prochainement ombragés, vastes box, han-
gars confortables, rien ne manque pour assurer
aux spectateurs et aux acteurs les meilleures
conditions pour jouer leurs rôles respectifs; les
premiers pouvant être sûrs de voir, quel que
soit l'étal de la température, le spectacle qui les
intéresse, les seconds, de ne courir aucun dan-
ger inutile résultant de l'encombrement, mor-
sures ou coups
de pied amenés
par une promis-
cuité qu'en certains endroits le manque
d'espace rend à peu près inévitables.
La qualité du sol se trouve être, par sur-
croît, de tout premier ordre, de telle sorte
que les accidents des membres y paraissent
moins à redouter que partout ailleurs; et ce
n'est pas un des moindres éléments de
succès pour un hippodrome sur lequel
beaucoup d'animaux, déjà quelque peu en-
dommagés, n'ont souvent reçu qu'une pré-
paration incomplète, car les propriétaires,
qui sont parfois, eux aussi, des débutants,
n'ont pas toujours une connaissance pro-
fonde de l'entraînement, cette science j,,,,,,,*,,.,.!
toute d'expérience, de tact et d'obser-
vation, qui se devine rarement et ne s'improvise jamais.
\"ous avons déjà constaté combien nous étions disposés à exagérer le
suit le Trni'\
219
mérite d'un cheval dès qu'il est notre propriété, à plus forte raison quand
nous en sommes en même temps l'entraîneur.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner, après avoir entendu affirmer par les
intéressés qu'un animal est tout à fait prêt, de voir qu'il lui est tout à fait
impossible de suivre le train.
220
SUR LE TURF : A COLOMBES.
Après les courses — A la recherche de sou véhicule.
L'hippodrome de h «allée de la Salle.
FONTAINEBLEAU
C'est en 1882, sur l'hippodrome de la vallée de la Solle, mis à sa disposi-
tion par la Société d'encouragement, qu'eut lieu la première réunion de la
Société de sport de France.
Nous venons de la voir à Colombes, où elle est aujourd'hui dans ses
meubles et très confortablement installée.
Les jeunes gens qui l'avaient l'ondée avaient quelque peine à faire partager
la confiance que leur inspirait l'avenir de la nouvelle société, les tentatives
analogues ayant successivement échoué à brève échéance; mais, comme le
but qu'ils se proposaient méritait qu'on les encourageât, que d'ailleurs ils ne
sollicitaient aucune allocation des grandes sociétés, celles-ci ne purent refuser
le concours purement moral qu'on leur demandait.
SIR LE TURF
La première manifestation de leur bienveillance fut de prêter à ses fonda-
teurs l'hippodrome de Fontainebleau.
La première réunion obtint un succès complet, toute la population des
Dans les courais militiiircs, plus le ijr.nle est inférieur, plus le [rain esl Bupci uni
environs répondit à l'appel qui lui avait été adressé, et, dès ses débuts,
l'avenir de la nouvelle société se trouva assuré; les adhésions arrivèrent
nombreuses, et, dès la seconde année de son existence, il lui fut possible
d'ajouter 5,500 francs de prix aux objets d'art primitivement offerts aux
vainqueurs.
KONTAl\EBÏ,KAU.
-•■v- :
■ . '■■■ ■ : ■-':. r ;---;, .,i\ { // |
De I inconvénient de se laisser aller' !
■ui cbar s de la nal el aui tenln-
tmns que l'Iierlie inspire irrésistiblement
aux populations urbaines
FONTAI.VKIïLEAl.
Courses à propos des
En se rendant l'iiippodro
réi ipro |" ■■
ranime, mais (oui aussi sévèrement menées que s'il
s'agissail de disputer \r prix aus camai id -
SUR LE TIR F.
227
Aujourd'hui, la Société de sport de France a son budget personnel, et c'est
un budget très sérieux; elle dispose en outre des allocations de la Société
d'encouragement et de la Société des steeple-cbascs, qui ont été sensiblement
augmentées, en proportion des résultats constatés.
C'est une véritable puissance qui reste fidèle à son programme et continue
à soigner sa pépinière de cavaliers.
M. Kmile Descbomps,
M. J. do Iirumond. [mpo
A ses débuts dans cette voie, il s'est passé à Fontainebleau un fait symbo-
lique de nature à faire prévoir la réussite complète de ses projets, le voici :
Dans un steeple-chase, un cheval quelconque, dont le nom m'échappe (il
n'a joui d'ailleurs que d'une célébrité relative), désarçonne son jockey à l'un
des premiers obstacles; celui-ci, trop endolori, cède sa place à uu homme
d'écurie qui continue le parcours, mais culbute aussi, presque dans les jambes
de M. Emile Deschamps, qui enfourche à son tour le quadrupède, sur lequel
il gagne la course.
228
SI' P. LE TURF.
Ou procède au pesage de la série de ses cavaliers successifs, qui par un
heureux hasard étaient dans les conditions de poids indispensables pour que
le prix pût lui être conservé.
N'était-ce pas d'un heureux présage pour le succès d'une institution des-
tinée à produire des cavaliers, d'en avoir utilisé trois pour uu seul cheval.
Le père Aymon n'a pas obtenu beaucoup mieux, et il a gagné l'immorta-
lité.
CS^î^
I
LA SOCIETE SPORTIVE D'ENCOURAGEMENT
primes
steeple
La Société sportive d'encouragement, fondée
après la dissolution des deux sociétés qui diri-
geaient les hippodromes de Saiut-Ouen et du
Vésiuet, d'Enghien et de Maisons-Lafûtle, a
renoncé définitivement au champ de courses
du Vésinet depuis 1891, et presque complète-
ment abandonné celui de la Marche, où se don-
naient primitivement six réunions; sur les trois
hippodromes dont elle dispose, celui de Mai-
sons-Laftille est exclusivement réservé aux
courses plates ; ceux d'Enghien et de Saiul-
Ouen aux courses d'obstacles, haies et steeple-
chases.
Tout en restant complètement indépendante,
elle a adopté les règlements des deux sociétés
dont elle s'est faite l'auxiliaire et offre un total
de prix qui s'élèvent actuellement à plus d'un
million.
Elle donne en outre à diverses sociétés de
province un certain nombre de prix et accorde
aux éleveurs des gaguauls de certains prix des
de 500 et de 1,000 francs, suivant l'exemple de la Société des
•ebases.
La Iribunc du jugn à Sainl-Oue:
Les boxes à Saint-Ouen. — Mise eu selle
lu roule lie Snint-Onen . — Tc.ul le long (1rs forlifs.
SAIXT-OUEX
C'est l'hippodrome delà Société le plus rapproché de la capitale et, je erois
hien, le plus fréquenté.
C'est en tout cas celui où le public de la pelouse est le plus nombreux.
Les trains spéciaux réglés selon « les besoins du service » s'arrêtent à la
porte même du Parc.
Ou n'a qu'une route à traverser pour pénétrer dans l'enceinte du pesage,
et l'entrée de la pelouse située sur la droite n'exige pas des piétons uue
marche de plus de deux cents mèlres.
231
SUR LE TURF.
11 est vrai qu'il faul accomplir ce très court parcours au milieu d'une
population d'un extérieur peu sympathique fournie par le tout-Paris des
fortifs et dont le contact et les émanations sont plutôt désagréables.
On se gratte instinctivement après l'avoir, traversée, et l'on est contraint
pour se frayer un passage au milieu d'elle à des « pardon, Monsieur » à
ces types qu'on n'aimerait guère rencontrer après le coucher du soleil.
C'est un grand inconvénient auquel le très habile président de la Société
trouvera certainement prochainement la façon de remédier.
L'entrée du pesaye. — Si vis-
il.' l.i ji.iiul.iln.il !inti;|.iii' 1.1 [mlilrsif h j.lus raffinée est de rigu
elle D'esl pas réciproque.
Le goût très vif qu'il a de la complète correction doit lui rendre pénible
pour son public une promiscuité aussi gênante, et nous sommes certain qu'il
doit dès maintenant chercher la combinaison capable de la faire cesser. Il la
trouvera, nous n'en voulons pas douter.
Comme tous les hippodromes de la Société sportive d'encouragement,
SLR LE TU Ul'.
237
celui de Saint-Ouen est admirablement aménagé : de nombreux boxes atten-
dent les concurrents à proximité du pesage, qui louche lui-même aux bara-
quements du pari mutuel, qui se trouve comme par hasard sur le chemin des
tribunes.
On a tout sous la main, et tout est placé dans un ordre raisonné.
Après avoir soigneusement examiné les chevaux, vous passez devant l'abri
réservé aux bookmakers.
Si la cote qu'ils vous ont offerte ne vous a pas convenu, vous trouvez, en
gagnant la tribune, le pari mutuel, dont la répartition sera vraisemblable-
ment beaucoup plus équitable au cas où l'animal de votre choix sortirait
vainqueur de l'épreuve que vous allez contempler dans la spacieuse et con-
'orlable tribune qui vous est réservée; l'ensemble de l'organisation est si
ingénieusement combiné que vous aurez pu faire toutes vos opérations pré-
liminaires sans avoir à regretter un pas inutile.
Celle entente des commodités du public qu'on retrouve dans toutes les
installations de la Société est due à l'influence de son président, M. Adam,
continuellement préoccupé des aises de ses hôtes : il imagine chaque jour
238
SUR LE TURF.
une amélioration nouvelle, et, aussitôt qu'un défaut d'organisation lui est
signalé, son imagination se meta la recherche du moyen d'y remédier.
C'est ainsi que, cette année, l'humidité de la saison a amené l'apparition
d'une multitude de petits bancs destinés à préserver du contact du sol les
pieds des sporlsuomen, fidèles habituées du pesage, et, comme AI. Adam veut
que ses innovations soient à l'abri de toute critique, en empruntant aux
théâtres leurs petits bancs, il s'est bien gardé de leur prendre les ouvreuses
préposées à leur dislrihutiou.
Le petit banc n'est pas surveillé et reste à la libre disposition des amatrices.
Jusqu'à présent, nous n'avons pas appris qu'on ait abusé de celte con-
fiance et que personne se soit subrepticement emparé de ces bienfaisants
petits meubles libéralement confiés à la probité de la foule.
Les petits bancs du pesntje. — Toujours parfaitement aimable
de la grille du pesage.
ENGHIEN
La physionomie particulière de cet hippodrome résulte de trois singularités
qui lui sont spéciales : l'escalier qui déverse directement au cœur du pesage
les spectateurs amenés par le chemin de fer, les rosiers grimpants qui déco-
rent de la façon la plus pittoresque la grille en bordure de la piste, et les
tapis qu'une escouade d'hommes de service déroule après chaque épreuve
entre les portes du pesage et celles de la pelouse afin de faciliter le passage
entre ces deux centres d'affaires et éviter que le mouvement incessant des
parieurs allant de L'un à l'autre ne détériore la piste et n'y trace, les jours où
elle est mouillée, des profondeurs et des sillons qui, une fois durcis par le
240
SUR LE TURF.
soleil, pourraient sinon amener des chutes, occasionner tout au moins aux
membres souvent délicats des concurrents de regrettables accidents.
Si les commissaires, comme leur aimable président, se montrent, en effet,
constamment soucieux d'augmenter le confortable des iutallations destinées
I
,. M ■ 1
Los tapis de la Société sportive <l eneoaragement.
aux spectateurs, ils ne se montrent pas moins préoccupés des mesures de
précaution qui peuvent augmenter la sécurité des figurants appelés à corser
le spectacle.
Le soin avec lequel les obstacles ont été établis, aussi bien que la façon
dont les pistes sont entretenues, révèlent cette constante préoccupation ; le
résultat qu'elle produit est tangible, et les champs nombreux qui se ren-
SUR LE TURF. — EMJIIIKX.
' ' ' ' ' . l/
££&
i U'A
WmMvèîi'
iiilllll
L'escalier descendant de la voie du chemin de fer à l'enceinte du pesage. — On n'a
pas un pas i faire ou descendant du chemin de fer pour entrer au pesage. C'est le prin-
cipe, puni- la Société sportive d'encouragement , d'éviter à ses habitués toute fatigue
inutile. Tous ses champs de courses ont leur gare spéciale. Elle fait mieux que les com-
merçonts nui portent ai domicile de leurs clients : elle porte ses clients à son domicile.
SUR LÉ TURF.
2i:S
contrent dans la plupart des épreuves démontrent que les efforts des organisa-
teurs sont appréciés comme ils le méritent par la majorité des propriétaires.
Le parc dans lequel est dessiné le champ de courses est un charmant
end roi t auquel les coteaux de Montmorency servent de toile de fond.
zm^mnhk »,
û
Sur la route d'Enghien. — C'qui pue comme ça? Ça s'appelle aussi d'ia gadoue.
Malheureusement, la route est d'une monotonie désespérante, et les gens
qui aiment à se servir de leur voilure pour se rendre aux courses y recueillent
une quantité de poussière qui leur donne l'aspect de meuniers qui auraient
momentanément abandonné leurs meules : ils ont à traverser une plaine qui
ne doit sa fertilité qu'à des engrais vraisemblablement puissants, mais certai-
nement nauséabonds, et les rangées de légumes aliguées à droite et à gauche
ne fournisseut aux regards que d'insuffisantes distractions.
244 SUR LE TURF.
A partir d'Epinay, le paysage s'améliore : en arrivant au pont qui sépare le
lac d'Enghien de celui de Saint-Gralien, on entrevoit un merveilleux décor,
mais ce n'est qu'une apparition, et d'ailleurs on touche au but.
Je jure que je ne cherche pas à foire une réclame aux chemins de fer,
mais, en toute conscience, pour se rendre à Enghien, c'est le vrai moyen de
transport à employer.
| ,, . i ./y
mm
L'wrivée a Engbi<
L'arrivée du train sur l'hippodri
MAISOXS-LAFFITTE
La configuration générale de ce champ de courses est tout à fait différente
du plan habituel : le terrain s'.étend tout en longueur, et le dessin des pistes
ligure assez exactement une raquette de teunis dont le manche aurait été
singulièrement allongé : cette disposition spéciale a permis d'établir une piste
droite d'une belle étendue, absolument favorable aux épreuves qui servent
aux débuts des chevaux de deux ans.
Le Winning posl pour les distances réservées aux débutants, 800, 900
et 1,000 mètres, se trouve au centre des tribunes.
246 SUR LE TURF.
A mesure que les distances s'accroissent ou reporte dans la direction du
chemin de fer le poteau d'arrivée, et, dans les prix de 2,000 mètres eu ligue
droite, le parcours traverse de bout eu bout toute l'étendue du parc.
Ici, les différents services sont moins concentrés qu'à Enghieu, et, si les
allées et venues sont moins complètement évitées au public, la faute en est
à la nécessité de respecter les dispositions d'un « parc à la française « dont
les plantations régulières ont obligé les organisateurs à espacer davantage
les différents édicules destinés à abriter le pesage, le pari mutuel et les spec-
tateurs eux-mêmes.
Ceux-ci y gagnent d'être protégés par de sérieux ombrages qui les garan-
tissent efficacement des ardeurs du soleil dans les voyages qu'il leur faut
accomplir pour aller des paddocks à la barre des bookmakers, et du pari
mutuel aux tribunes.
L'allée qui s'étend derrière les pavillons leur fournit un toit de verdure
SDK LE Tlini'. — MAISONS-LA ITITTIv
L'allée des Tilleuls derrière les tribunes. — Derniers vestiges du vieux pure. Il n'y a
pus grand effort d'imagination ù faire pour se croire sur le Mail d'une sous-préfecture quel-
conque, il y manque le public spécial ù ces - localités » cl la musique militaire.
SUR LE TURF.
249
capable de rendre supportables les températures les plus caniculaires, et ce
n'est pas un mince avantage sur un hippodrome qui offre plusieurs de ses
réunions pendant la première quinzaine du mois d'août.
Le public qu'on rencontre à Maisons est le même que sur les autres
champs de courses, augmenté des familles des entraîneurs de la localité : on
voit une collection d'enfants blonds et roses, particulièrement agréables à
regarder, qui prouve que l'élevage hippique n'est pas le seul qui les intéresse.
Il y a là une pépinière de jockeys en herbe et d'entraîneurs à peine éclos
qui montrent victorieusement que le sang anglais s'acclimate parfaitement en
France et que les pur sang nés chez nous y seront soignés par des lads dont
l'importation parait avoir également réussi.
La route qui conduit de Paris à Maisons n'est pas plus pittoresque que
celle qu'on suit pour aller à Enghieu : elle se distingue cependant de
celle-ci par un certain nombre de poteaux qui surgissent eu pleins cbamps
pour signaler aux passants l'existence des cafés Carvalbo, du vin Desiles et
des pianos automobiles ; par contre, elle est beaucoup plus longue et se
termine par une montée dont la pente n'est pas ordinaire et pour l'ascen-
sion de laquelle un lot nombreux de chevaux de renfort serait d'une incon-
testable utilité.
32
250
SIR LE TURF
La Société a remédié h cet inconvénient par Je procédé employé à Enghien
et a obtenu de la compagnie de l'Ouest que les trains spéciaux contournant
par la forêt la ville de Maisons-Laffitte vinssent déposer leur chargement des
deux sexes dans l'intérieur du parc, à l'entrée de l'hippodrome.
Je répète que je serais désolé qu'on pût me soupçonner de vouloir faire de
la réclame aux compagnies de chemins de fer, mais, en vérité, c'est le seul
moyen de transport pratique pour effectuer un parcours qui serait pénible
par tout autre procédé.
Sur la tôle de Slakoni-LnfOlte.
1%h^
A la Marche. — Priiate meelit
LA MARCHE
Quoique les réunions qui y sont données deviennent chaque année moins
nombreuses, la Société sportive n'a pas complètement abandonné ce ravissant
champ de courses, si plein de souvenirs pour les sportsmen qui se sont inté-
ressés dès le début à l'avenir du sleeple-chasing.
Ou a conservé religieusement le tracé de l'ancien parcours, et la plupart
des obstacles ont été maintenus à la place qu'ils y occupaient primitivement.
Certains d'entre eux ont une célébrité personnelle, comme le « talus des
brotleaux » et le « mur du potager » .
SUR LE TURF.
C'est au talus des broltcaux, dès le départ du mililairy de je ne sais plus
quelle lointaine année, que Grabuge, au comte d'Osmont, après une grosse
faute dans laquelle il avait cependant sauvé la chute, a jeté sa bride par-dessus
ses oreilles, telle un bonnet jiar-dessus un moulin, incident qui n'a cependant
'■.•■-.'■.■•::::■■"> :^#:
^
Le Ijlus ilis liroltt-.
pas empêché M. Henri Coulurié, qui le moulait, de continuer le parcours, de
passer sans encombre la collection d'obstacles restants et de lutter à l'ar-
rivée de façon à se placer second à une encolure du gagnant. Quant au mur
du potager, c'était certainement l'un des obstacles les plus impressionnants
qu'on pût imaginer : c'était une brèche pratiquée dans un mur de 3 mètres
SUR LE TURF.
257
qui se prolongeait de chaque côté de la piste : pour passer dans cette ouver-
ture, il fallait des cavaliers et des chevaux également francs sur l'obstacle.
On l'a sensiblement modifié déjà, et le mur chargé d'espaliers et de vignes
dans lequel la trouée avait été faite a été depuis longtemps sacrifié.
La banquette irlandaise qu'il précédait sur l'ancien parcours n'était pas
non plus un obstacle à dédaigner; haute de 1 mètre, elle était trop large
La lutte entre Magenta el Grahuge débridé, monté |>ai M. H, Cuuttiri
pour être franchie dans le saut, et pas assez pour que la foulée d'attente put y
être prise sans avoir été judicieusement mesurée.
Les chutes n'y étaient pas rares, mais les chevaux qui la passaient sans
encombre pouvaient avoir la prétention d'être des sauteurs véritablement
dressés.
L'accès de ce charmant hippodrome est assez facile pour qu'où s'explique
difficilement son abandon relatif.
33
258
SUR LE TIRF.
Le chemin de fer s'arrête à la porle du parc, et le trajet eu voiture, par
le bois et le parc de Saint- Cloud, ajoute au plaisir des courses celui de la
plus agréable promenade qu'il soit possible de faire aux environs de Paris :
le seul motif qui empêche qu'on la fasse aujourd'hui est sans doute qu'on l'a
beaucoup faite autrefois.
h |ijelle irliiinliiisr .1 l.i Marche.
RAMBOUILLET
Le champ de courses a pour lui de ue ressembler à aucun des hippo-
dromes des environs immédiats de la capitale.
Pris dans un angle formé par la forêt qui lui sert de
limite, il reste ouvert du côté de la ville qui fait décor à
"' orizon.
C'est un paysage agréable, moyen, mais qui n'a
pas un caractère suffisant pour attirer
irrésistiblement la foule à ses trois
La qualité des chevaux qui
s'y disputent des allocations ho-
norables, sans doute, mais sans
très grande importance, ne mo-
tiverait pas davantage un dépla-
cement déjà long, sur une ligne
de chemin de fer où les trains
se fout remarquer par leur sage
lenteur, les wagons par leur
étal de délabrement, et dont
l'embarcadère a le tort d'être
exceptionnellement éloigné à la
fois du centre de la capitale et
des quartiers habités de préfé-
rence par les classes aisées.
Son véritable élément de succès vient de la manière ullra-select dont ses
environs sont peuplés.
262 SUR LE TURF.
En dehors du château rendu eélèhre par la mort de François I" et le séjour
de plusieurs de nos souverains avant notre président actuel, l'arrondissement
de Rambouillet contient toute une collection de résidences plus ou moins
connues, d'une antiquilé variable et d'une importance également diverse,
mais dont la moindre offre encore ce précieux avantage d'êlre située en plein
pays de chasse, assez loin de Paris pour être à l'abri des invasions régulières
du public dominical, et qui assure à sou propriétaire, pourvu qu'il ne soit
pas personnellement affligé d'une incontestable muflerie, la possibilité de
relations nombreuses, plus enviables les unes que les autres, et qui ne tardent
pas, pourvu que le nouveau venu ait une valeur quelconque, à devenir très
suffisamment cordiales et sans laçons pour qu'il puisse, avec un peu d'ima-
gination, se figurer qu'il fait réellement partie du moude dans lequel son
voisinage l'a fait admettre.
Les châteaux s'appellent Mainlenon, le Marais, Augerville, Bonnelles,
Dampierre, Cheviiicourt, Beauplan, Ureleuil, Mauvières, Cernay, Pontchar-
train, Vaugien, Voisins, Courson, Beauregard, la Croix-Saint-Jacques, Cou-
bertin, etc., etc., et il n'est pas besoin d'être de la force de feu d'Hozier sur
l' Armoriai français, étranger et même israélile pour ciler les noms de leurs
propriétaires.
C'est à celle agglomération tout à fait exceptionnelle d'habitations de plai-
sance dans, ses environs qu'il faut attribuer l'aflluence des personnalités élé-
gantes qu'on reneoulre au pesage de Rambouillet, et le luxe des équipages
qui y amènent ses habitués.
Si l'aristocratique colonie des vallées circonvoisines ne dédaigne pas l'usage
de la bicyclette, elle dispose de moyens de transport moins démocratiques
et le progrès de l'aulomobilisme n'a pas encore fait mettre aux amateurs
de chevaux la clef sous la porte de leurs écuries.
Si plusieurs ont déjà leur voiture à pétrole ou électrique, c'est comme
adjuvant à leur cavalerie, et je ne crois pas qu'aucun d'eux songe à remplacer
complètement ses attelages par aucun appareil de traction mécanique, si per-
fectionné qu'il puisse devenir.
Le cheval a été associé à trop d'actions héroïques pour que son prestige
puisse jamais disparaître; il est indissolublement lié à celui de la noblesse,
SI 11 LE TIRF
263
qui resle intact malgré toutes les théories égalilaircs ; tout cavalier se sent
quelque peu chevalier, et pour qu'il descende de la monture qui le maintient
au-dessus du niveau de la foule, il faut que les infirmités l'enlèvent de sa
selle ou que la diminution progressive des revenus lui interdise la possibilité
matérielle de subvenir aux frais de nourriture et d'entretien.
Le champ de courses. — Une chasse de la diirbessp, où l'un voit que, dans la réalité, les choses peuvent se pas*
'"il lins l'ancien hippodrome.
En dehors de ces motifs, aussi déplorables l'un que l'autre, tout individu
qui a véritablement aimé le cheval n'y renonce jamais. Ceux qui s'en déclarent
dégoûtés par une chute violente, une série d'errossages, une suite prolongée
d'accidents dispendieux, n'ont jamais été de véritables cavaliers. Ils ont
monté à cheval pour le chic, pour faire comme les camarades, mais sans
plaisir réel, sans jamais éprouver ce sentiment d'intimité avec l'animal qui
fait qu'on jouit de sa puissance musculaire comme si elle vous était person-
264 SUR LE TURF.
nelle, et qu'après avoir mis pied à terre, on se sent amoindri, incomplet,
dépossédé de la plénitude de ses moyens.
Un cavalier ne renonce pas volontairement à son cheval, pas plus qu'un
fantassin à la perte d'une de ses jambes.
De pareils sacrifices ne sont pas de ceux qu'on décide, c'est une nécessité
qu'on subit, une opération obligatoire à laquelle il faut savoir consentir, mais
aux résultats de laquelle il est souvent bien difficile de se résigner.
Les sportsmen de l'hippodrome rambolilain me paraissent mettre en pra-
tique l'axiome en vertu duquel l'amour serait le premier, le plus naturel et
le plus passionnant des sports : toujours est-il que les jolies personnes s'y
comptent dans une proportion inconnue ailleurs.
Elles ont d'autant plus de mérite que les professionnels sont en infime
minorité.
sut le Trui'.
267
El c'est une bonne fortune inespérée pour l'étranger (|iii a lente le déplace-
ment, d:avojr l'occasion d'admirer ce groupe de jolies femmes auxquelles leur
situation dans le monde, l'importance de leurs fortunes, permettraient de
rivaliser de laideur avec les Hottentotes les plus répugnantes sans cesser
d'avoir droit aux plus respectueux égards.
Il faut bénir avec Gossuet les vues de la Providence, qui a voulu que les
plus élevées par le rang et par la naissance fussent en même temps les plus
belles.
Nous avons dit avec quel luxe étaient tenus les équipages qui amènent au
pesage les châtelains des alentours.
Ils ne font pas partie delà catégorie qui professe que n'importe quel véhicule
s u t iï t à la campagne et que c'est sur les routes départementales qu'il convient
C»*^^V
d'user jusqu'aux jantes les voitures que le respect bumaiu le plus élémentaire
interdit de sortir à Paris; ils pensent, au contraire, que la campagne est
aujourd'hui le seul endroit où l'on puisse, sans avoir à craindre des démons-
trations désobligeantes, risquer des équipages d'une certaine originalité cl
montrer des attelages dont le passage serait certainement mal accueilli,
notamment au faubourg Antoine : c'est en vertu de ce raisonnement que le
comte P i se sert régulièrement à Rambouillet de ses cinq postières
conduites à l'allemande, et ne les emmène jamais à Paris, où leur apparition,
même dans les quartiers les plus civilisés, ferai! certainement révolution.
21 iS
SIR LE TURF.
II a fallu la venue du Czar à Paris pour que ses habitants refissent con-
naissance avec la race percheronne, disparue eu même temps que les dili-
gences, les malles-postes et les postillons montés.
Le succès qui a accueilli pendant les fêtes franco-russes les chevaux gris
de l'Elysée, qui n'étaient eu réalité que le dessus du panier de l'effectif de la
Compagnie générale des voitures de Paris, se trouvait justifié par la qualité
des animaux qui lui étaient offerts en spectacle, mais la surprise causée par-
la réapparition d'une race oubliée a certainement contribué dans une large
mesure à l'admiration du public.
Les jeunes générations n'ont pas connu les coupés huit ressorts de la poste
impériale, que les juments baies choisies par le général Fleury traînaient des
Tuileries au château de Saint-Cloud.
Ça marchait vile et droit, et ça ne manquait pas d'un certain chic.
Quant aux individus qui se rappellent avoir vu de leurs yeux le départ des
malles-posles delà rue Jean-Jacques-Rousseau, ils sont aujourd'hui quelque
SIR LE Tl'RF.
269
peu croulants, et ce n'est pas étonnant puisque le dernier dépari de ces pitto-
resques véhicules remonte à quelque chose connue cinquante ans.
Ce qui l'est davantage, c'est qu'il est presque impossible à l'heure actuelle
de reconstituer dans ses détails aussi bien le costume des hommes que le
harnachement des chevaux de la poste royale.
Ni dans les estampes ni chez les fripiers ou ne peut trouver un équipe-
ment complet, et pour avoir le dessin exact d'une botte de postillon, il faut
aller au musée de Cluuy, où l'on conserve le seul spécimen connu d'un usten-
sile que l'on rencontrait pendant la première moitié dn siècle à tous les coins
de toutes les routes du territoire.
Tout passe, tout casse, tout lasse, et l'on perd jusqu'au souvenir de ce qui
vous a été le plus utile et de ce qu'on a le plus aimé.
Boule d; Saint-Cloud. — Posli' de Xnpolc
A PROPOS DES ATTELAGES DES CHATELAINS DES ENVIRONS
DE RAMBOl ILLET.
Or^
!.•■ départ de !.. malle-porte ISin).
CHEVAUX HONGRES
Il parait que les peuples heureux, qui sont en même temps les peuples
sages, n'ont pas d'Iiisloire : c'est le contraire pour les chevaux.
Quand un poulain fait preuve au dressage d'un exécrable caractère et que,
malgré tous leurs efforts, entraîneurs et jockeys ne parviennent à en tirer
aucun parti, son malheureux propriétaire se voit obligé de recourir aux
grands moyens et de faire pratiquer à son détriment la délicate opération qui
du noble rang d'étalon le ravale au piteux personnage de cheval hongre, cet
oncle du poulain, au même titre que le bœuf est celui du veau.
Cet humiliant sacrifice ne s'accomplit pas sans dangers, et sa réussite
exige la réunion de conditions multiples qui ont chacune leur importance :
tout d'abord l'habileté du praticien, ensuite l'installation matérielle de Téta-
272 SLR LE TURF.
blissement où doit se passer le drame, et enfin l'intelligente application du
traitement préparatoire destiné à mettre le patient dans l'état hygiénique le
plus favorable et diminuer les chances d'accidents pendant et après l'opé-
ration.
Dans une race spécialement destinée à la reproduction, on ne l'applique
qu'aux animaux d'un tempérament irritable qui doit faire prévoir de sérieuses
défenses, et il est nécessaire, avant de rien tenter, d'abattre leur excessive
énergie et d'atténuer leur nervosité par une médication spéciale... Ce calme
factice une fois obtenu, on amène le cheval, la tète préalablement recouverte
d'un capuchon de cuir capitonné, qui l'aveugle momentanément, le plus près
£>V^ZT
possible d'un plateau mobile auquel il est rapidement fixé par de solides
courroies; une série de trous pratiqués dans le plateau permet le passage de
cordes terminées par des bracelets qu'on attache autour des paturons et
permettent d'imposer aux membres la position que le praticien juge néces-
saire de leur donner.
:J5
SUR LE TURF. 275
Ou fait basculer le plateau à l'aide d'une manivelle, et le cheval, couche
sur une table fortement capitonnée sur laquelle il est exactement appliqué, se
trouve à une hauteur convenable pour que l'opérateur puisse commodément
effectuer son délicat travail.
L'appareil que nous venons de décrire s'appelle le Travail Daviau, du nom
de son inventeur.
Il a depuis qu'on l'emploie, par l'immobilité qu'il leur impose, sauvé la vie
à bien des animaux dout les mouvements désordonnés auraient fait dévier le
scalpel des vétérinaires.
Pour réussir pareille opération, il fallait autrefois à ceux-ci beaucoup de
bonheur, aujourd'hui ils n'ont besoin que de beaucoup d'habileté et de
savoir : beaucoup possèdent ces deux grandes qualités.
Il est rare de rencontrer chez les particuliers un outillage qui, pour être
simplifié autant qu'il est possible, n'en reste pas moins quelque peu encom-
brant.
276
SUR LE TURF.
Des établissements spéciaux où ou le trouve toujours prêt à fonctionner,
le Haras des hautes pâtures, situé sur le bord de la Seine, au pont de Bezons,
est certainement l'un de ceux dont le monde des courses se sert le plus
7olontiers.
Membre d'une ancienne famille de gros cultivateurs, des plateaux voisins
- .- ,- i
t pâtures. — Lf
! des vétérinaires»
de la vallée de Chevreuse, qui se savaient assez estimés pour n'avoir jamais
éprouvé le besoin de changer de nom, M. Filou en est en même temps
directeur et propriétaire; il possède une expérience déjà ancienne, puisqu'il
était l'associé de son beau-père, M. Guillaume, au haras de Bures, aujour-
d'hui occupé par la remonte, et veille assidûment à la rigoureuse applica-
tion des prescriptions de vétérinaires tels que les frères Garcin, M. Filard,
spécialement attaché à la maison, et de bien d'autres spécialistes parisiens
dont la plupart viennent fréquemment visiter les pensionnaires qu'ils lui ont
confiés.
SI II i,e nur.
277
M. Filou dispose de cent quarante-huit boxes bâtis parallèlement cl coupes
par une avenue qui traverse de bout en bout l'ensemble des constructions.
Son hôpital hippique, qui est en même temps une véritable maison de
correction, puisqu'un grand nombre de ses pensionnaires en sortent absolu-
ment transformés au point de vue du caractère, est l'habitation la plus voi-
sine de la maison de répression que l'Etat entretient dans la presqu'île de
Gennevilliers.
On assure dans les environs que l'administration n'obtient généralement
pas d'aussi bons résultats que M. Filou.
Il est vrai qu'il ne lui est pas permis d'employer les mêmes procédés.
s*-
Le lau du baras des taules pal
SUR LE TURF. — CHEVAUX HONGRES.
Le haras de Bures.
SUR I.E TURF.
EXPRESSIONS TECHNIQUES.
SUR LE TURF. — EXPRESSIONS TECHNIQUES.
Couper. — Quand un jockey s>st placé devant un concurrent sans avoir sur lui
une longueur d'avance, il a coupé son adversaire. Outre la bousculade qui peut
résulter d'une pareille manœuvre, elle entraine, quand elle est prouvée, la disqua-
lification de celui qui y a eu recours s'il a gagné, et le prix revient au cheval classé
second.
SIR LE TUR]
EXPRESSIONS TECHNIQUES.
Détresse. — Ou dit d'un cheval qu'il i est en détresse » quand, pendant la
course, il ne peut, malgré ses efforts, suivre le train mené par les antres; il peut
arriver qu'un cheval soit loin derrière sans que celle expression lui soit applicable :
il faut qu'il y ait lutte, et lutte inutile, de telle sorte qu'on ail dès lors la certitude
qu'il sera, de tous les coucrureuts, le premier à bout (le forces
SI II LE TURF.
EXPRESSIONS TECHNIQUES.
■ l
ï
Emballé — Un cheval est emballé quand le jockey qui le monte n'a momentané-
ment plus assez d'empire sur lui pour le modérer dans sou yalop. — Définition
textuellement empruntée à l'ouvrage de M. de Saint-Albin : « Les Courses de
chevaux. ,i
LOXGCHAMPS
(l'est la maison mère de la Sociélé d'encouragement, dom les autres hip-
podromes ne sont que les succursales.
C'est certainement le plus admirable emplacement qu'il soit possible
d'imaginer pour le plaisir des yeux et le plus heureusement conformé pour
qu'on y puisse suivre toutes les péripéties d'une course : tout s'y passe à
découvert, et les mouvements de terrain, assez sensibles pour que les
chevaux y montrent nettement leurs différentes aptitudes, ne sont nulle
part assez accusés pour les cacher brusquement aux observateurs.
Les rares bouquets de bois qui masquent les pistes à certains points sont
trop peu importants pour faire disparaître le groupe des concurrents, au train
dont ils marchent, pendant plus de deux ou trois secondes, et il est rare
288
SUR LE TURF.
qu'au cours de ces rapides éclipses il se produise uu incident capable d'influer
sur le résultat d'une épreuve.
Les chutes sont heureusement rares en plat, car elles sont généralement
graves, et malgré que mes souvenirs personnels remontent malheureusement
pour moi assez loin, je ne me rappelle pas avoir jamais vu à la sortie d'uu de
ces étroits rideaux de verdure moins de concurrents qu'au moment où ils y
étaient entrés.
sur.int que le favori est ou n'est [us o au m i./ui de sa condition »
Ce qu'on voit par contre à peu près chaque année, c'est le spectateur impru-
dent qui s'ohsline à traverser la piste après la sortie des chevaux pour rentrer
de la pelouse au pesage, subit à plusieurs reprises les refus des agents qui
ont la mission de s'opposer à l'exécution de projets aussi téméraires, et ne
parvient à tromper leur surveillance qu'au moment précis où, encore courbé
pour avoir passé sous la clôture entre les jambes des spectateurs, il se trouve
en contact avec le peloton, qui l'envoie avec la force irrésistible d'une trombe
rouler, comme une pomme détachée par un vent de tempête, à des dislances
invraisemblables.
SIR LE TDRF.
291
L'homme qui croit avoir « toujours le temps de passer » est la plupart du
temps porteur d'uue contre marque de la tribune à cinq francs, appartient à
la classe moyenne et ne possède sur les vitesses obtenues en courses et la
possibilité de changer la direction de chevaux à pareille allure que des
notions incomplètes.
Chose invraisemblable quoique exacte, il survit un petit nombre de
victimes d'accidents de ce genre!
émeut le temps de Ira
Si on les interroge sur leurs sensations, celles qui sont sincères avouent
n'avoir que des souvenirs parfaitement vagues, mais toutes s'étonnent que
les jockeys aient eu « la férocité » de ne pas se détourner de leur chemin.
Celle ignorance absolue de ce qu'il est possible de faire à un cavalier lancé
à pareille allure est la seule excuse à leur imprudence.
Elle ne l'explique cependant pas : on ignore généralement si la foudre peut
ou ne peut pas se détourner du chemin qu'elle suit ; on évite cependant, non
moins généralement, de se placer les jours d'orage sur le passage des cou-
rants d'air.
Le seul défaut de l'installation du pesage de Longchamps résulte de l'éten-
due des espaces à parcourir.
202
SUR LE TURF.
N'allez pas croire sur celte déclaration que je regrette que le pesage soit
assez grand pour contenir la foule qui s'y porte à certains jours!
Il est tout naturel que les membres du Comité aient proportionné l'espace
au nombre des invités qu'ils ont à recevoir; en agissant autrement, ils se
seraient exposés aux mêmes critiques que les maîtresses de maison qui
réunissent le ban et Parrière-ban de leurs nombreuses connaissances dans
In déport.
le salon, le petit salon, la salle à manger et l'antichambre d'un entresol du
quartier Marbœuf.
Ce qui me paraît regrettable, c'est, par exemple, la longueur du chemin qui
sépare le champignon des bookmakers, où l'on apprend la cote; des baraques
du pari mutuel, où l'on peut utiliser les renseignements qu'on est parvenu à
se procurer.
En outre, ce parcours, qui serait long pour des deux ans et qui est excessif
SUR LE TURF.
29:$
pour les jeunes femmes, qui ont le droit d'être délicates, et les messieurs
vieux, qui ont le regret d'être fréquemment fatigués, doit s'effectuer sur un
terrain détestable, d'une dureté exceptionnelle, recouvert de monolithes de
gravier peu sensiblement inférieurs comme volume à celui de Louqsor et
d'une inégalité telle que le macadam avant le passage du rouleau semble,
par comparaison, le véritable tapis de Turquie.
Ajoutez que par le soleil il faut porter son ombre avec soi, et vous avouerez
qu'on peut imaginer un confort plus complet.
Pourquoi, au lieu des grandes routes qui entourent la pelouse placée der-
Mallieun ui | urieurs en train d'accomplir If parcours des tribunes au pari mutuel.
rière la tribune officielle, qu'il est interdit de traverser, ne pratiquerait-on pas
une série d'allées, qu'on abriterait sous des arbres plus ou moins feuillus?
Pourquoi, les jours de semaine, où le public est toujours moins nombreux,
ne rapprocherait-on pas du ring et des paddocks les baraques du pari mutuel?
Pourquoi, les jours de grande sécheresse, n'arroserait-on pas avec moins de
parcimonie ? Pourquoi ? ? ?
Je m'aperçois que j'ai l'air d'un grincheux, décidé à tout critiquer de parti
294
SUR LE TURF.
pris : c'est inexact , je dis qu'on pourrait tirer un meilleur parti d'un en-
droit naturellement merveilleux, parce qu'il me semble que l'on serait faci-
lement partout aussi agréablement qu'on l'est aux abords des paddocks, à
l'ombre, en pleine verdure, à la fraîcheur des arbres, et qu'on se fait rôtir
inutilement sans bénéfice pour personne.
Un coin du paddock.
Ce vaste espace dégarni, derrière les tribunes, n'a d'autre résultat que de
laisser voir l'ensemble de cet édifice.
Je crois qu'en le masquant de massifs intelligemment rapprochés lui-même
y gagnerait, et je suis sûr que la majorité des sporlsmen bénirait le commis-
saire qui aurait l'idée de semer quelques oasis dans le Sahara qui sépare les
paddocks des baraquements du pari mutuel.
Quant à celui qui ferait faire des passages, en pavés de bois, par exemple,
je lui garantis que sa mémoire serait bénie par toute une série de générations.
SIR LE TURF.
297
Je ne crois pas qu'on réalise jamais les améliorations réclamées ci-dessus :
on serait alors obligé de refuser du monde, car, dans l'élat actuel, la foule
grossit chaque année dans une proportion que les statistiques établissent exac-
tement et que constatent, pour la plus grande joie de la Société, les tableaux
de recettes.
Ce serait à faire croire que l'amour du cheval est devenu chez nous,
comme en Angleterre, une passion générale.
Il n'en est rien.
Nouvel aspect de l'avenue des Acacias, uu matin, à l'heure eliii
Le succès de toutes les mécaniques, aux pétroles les plus alambiqués et
les plus nauséabonds, montre clairement que le cheval est resté pour la
majorité de nos concitoyens un animal inquiétant, dont il est sage de tou-
jours se méfier.
Ou n'est jamais sûr avec lui qu'il obéira demain aussi docilement qu'il
l'a fait la veille, et qu'il sera disposé à se montrer aussi paisible aujourd'hui
38
298
SUR LE TURF.
qu'il l'était hier : avec une bonne machine, on est à l'abri de pareils chan-
gements de caractère, ça roule droit et du même train, et, ajoutent les
partisans de ce vilain moyen de transport, s'il y a accident, la faute n'en est
pas à l'instrument mais au mécanicien, tandis qu'avec les chevaux...
C'est en cela qu'ils se trompent, avec les chevaux comme avec les
machines c'est toujours le conducteur qui est dans son tort.
La véritable cause de l'affluence du public aux courses est la passion du
jeu.
, les téritables protagonistes du sport eu Kr
Le moindre bookmaker a plus fait pour la réussite du sport eu France
que les efforts désintéressés des plus fervents apôtres de l'amélioration des
races chevalines, et l'établissement du pari mutuel a consacré le succès
détinitif des courses en mettant l'élément démocratique en mesure de se
mêler à « la partie » qui se joue à chaque épreuve.
Les femmes de toutes les fractions de monde ont suivi le mouvement et
parient avec l'entrain qu'elles mettent à faire ce qui leur plaît.
Les méthodes qu'elles suivent brillent généralement par une fantaisie qui
pourrait paraître exagérée si les résultats obtenus n'étaient pas fort souvent
très supérieurs à ceux que donne aux gens raisonnables l'emploi de procédés
plus sérieusement étudiés.
En matière de jeu, l'instinct se montre bien souvent plus clairvoyant que
SUR LE TURF.
299
le raisonnement, et la lucidité de certaines joueuses semble tenir du magné-
tisme. — « Mettez-moi cinq louis sur le numéro sept...
— Mais c'est une simple rosse...
— Elle gaguera...
— Qui vous l'a dit?
— Personne, mais je suis sûre qu'elle gagnera. » Et, en effet, le numéro sept
donne un bénéfice énorme après avoir gagné avec la plus extrême facilité.
Avec ces joueuses impressionnistes, pas de récriminations.
— Ma pauvre enfaDt. vous aie» encore perdu...
— Qu'est-ce que ça fait, puisque c'est toi qui ca payer ! ! !
Si leur inspiration les a trompées, elles ne s'en prennent à personne et ne
cberchent aucune explication à leur défaite.
Longcliamps est certainement le marcbé où se brosse le plus gros chiffre
d'affaires et où les donneurs subissent leurs plus grosses perles.
Les parieurs en courses de plat jouent volontiers les favoris, et, quand un
cheval leur parait « sur » , ils n'hésitent pas à payer les plus fortes propor-
tions : les books ont beau élever la cote sur les autres chevaux, ils ne par-
viennent pas à contrebalancer leurs livres, et la victoire d'un cheval imbattable
leur coûte alors de grosses sommes.
300
SIR LE TURF.
Pendant de longues années, l'accès du pesage est demeuré rigoureusement
interdit à toute une catégorie de personnes trop élégantes ou précédées d'une
notoriété trop tapageuse.
Le règlement portait simplement que l'entrée de l'enceinte était interdite à
toute personne « non accompagnée » .
Dans l'application, le rigorisme était encore poussé plus loin, et des per-
sonnes qui, Dieu sait par quels procédés! étaient parvenues à décider de très
authentiques gentlemen à les piloter dans ces parages interdits ont été,
malgré qu'elles fussent dans les conditions de la lettre du règlement, impi-
toyablement éconduiles.
- Quelle est rette raiissante rocolte ?
Tout simplement mudame lu duchesse de X*".
Les consignes données à leurs agents par les commissaires assuraient eu
effet non seulement l'application du règlement dans ses dispositions écrites,
mais dans son esprit, et les personnes trop connues pour pouvoir nier leur
identité, qu'elles fussent accompagnées ou non, étaient obligées de retourner
à leur voiture.
On a depuis longtemps déjà renoncé à ces exclusions que la morale expli-
quait, mais que la galanterie réprouve.
L'aspect général de la réunion n'a pas perdu à l'admission en franchise de
SUR LK TURF.
303
cette nouvelle catégorie d'élégantes, dont la tenue, d'ailleurs, est en général
très suffisamment convenable et les conversations souvent beaucoup plus
retenues que celles d'autres habituées de l'endroit parfaitement classées et
très authenliquement légitimes.
Ces consignes pudibondes auraient du reste été bien difficiles à maintenir
aujourd'hui que les femmes qui sont du monde et celles qui n'en sont pas
s'habillent de façon identique, et je suppose que si l'on avait persévéré dans
l'exclusion des toilettes excentriques et particulièrement tapageuses, certains
employés, aussi mal renseignés que bien intentionnés, auraient commis de
bien lâcheuses méprises et réintégré dans leurs véhicules, sans aucun des
égards qui leur sont dus, un certain nombre de duchesses.
A. ■/- m
F?*liJG<J£ # fus ?" S*
Au surplus, les membres de la Société n'avaient aucun intérêt direct à
persister dans l'intolérance des premières années, puisqu'ils ont à la disposi-
tion de leurs femmes, de leurs sœurs et de leurs filles des tribunes réservées
où ces dames sont à l'abri de toute fâcheuse promiscuité.
Il est vrai qu'elles y séjournent peu, mais elles pourraient le faire, et dès
lors... parfaitement, c'est qu'elles ne trouvent aucun inconvénient au contact
qu'on voulait leur éviter.
304
SLR LE TURF.
Le plus joli coiu du pesage est, sans contredit, celui réservé aux chevaux.
Le hangar qui les abrite se cache sous des arbres magnifiques qui donnent,
quelle que soit l'orientation du soleil, une ombre d'autant plus bienfaisante
qu'on la cherche inutilement partout ailleurs et que, pour l'atteindre, il a
fallu traverser des espaces dénudés dont on ne retrouve les équivalents que
dans les plaines de la Beauce ou sur les plateaux de la Brie.
Les pelouses autour desquelles les chevaux font leur promenade eu atten-
dant la course à laquelle ils doivent prendre part sont merveilleusement
entretenues et les pieds les plus délicats peuvent les fouler sans crainte d'y
rencontrer aucune aspérité.
i.
De nombreux sièges placés au pied des arbres permettent d'examiner lon-
guement et sans fatigue les concurrents des prochaines épreuves et d'étudier
le jeu de leurs muscles et le degré de liberté de leurs mouvements : bien que
faite au pas, leur promenade circulaire renseigne souvent mieux sur leur
condition l'observateur attentif que leur galop d'essai, et bien des gens ont
SUU LK Tl'RF
305
trouvé là le motif qui leur a fait abandonner leur favori du papier et reporter
sur un autre concurrent l'argent que le relevé des performances leur aurait
fait perdre.
Je sais que les connaisseurs capables de tirer profit d'un semblable exameur
sont excessivement peu nombreux.
Mais il suffit qu'il soit dans les habitudes de quelques spécialistes pour que
l'exemple soit suivi par une foule de gens qui savent que les chevaux ont
quatre «jambes » qu'ils appellent des «pattes », mais ignorent absolument
l'influence que la construction de chacune d'elles peut avoir sur la vitesse ou
l'endurance d'un animal; ils le regardent avec l'inutile obstination d'un rhé-
toricien qui cherche le sens d'un texte grec sans vouloir ouvrir sou diction-
naire et n'en comprend pas le premier mot.
39
306
SUR LE TURF.
De lous les mécanismes, le mécanisme animal est assurément le plus com-
pliqué , et ceux qui eu saisissent à première vue l'harmonie sont infiniment
rares. .
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si beaucoup, qui pratiquent religieuse-
ment cet examen préalable, se trompent dans leurs conclusions, s'enthou-
siasment à faux et décident leur choix sur des défauts de construction qui
leur paraissent des qualités...
Les grauds jours de Longchamps : le Grand Prix, l'été, et le prix du Conseil
municipal, à l'automne, les chemins qui conduisent à l'hippodrome dispa-
raissent littéralement sous les flots de véhicules de toutes espèces qui y
amènent, dans les conditions les plus varices, les oisifs de toute condition
que renferme la capitale.
Tout ce qui est capable ou parait capable de rouler est mis en mouvement :
des voilures qui ne sortent que ces jours-là sont bondées de voyageurs, et des
SUR LE Tl'RF
309
guimbardes qu'on n'oserait pas, en temps ordinaire, sortir de leurs remises
trouvent plus de chalands qu'elles n'en peuvent raisonnablement contenir.
Toutes ne rentrent pas à domicile, et cette exhibition exceptionnelle
constitue pour plusieurs le dernier voyage, la dernière course dans laquelle
s'effectue la dislocation définitive et se produisent les avaries irrémédiables.
Dans ce défilé torrentiel , figure tout ce que l'imagination des carrossiers a
produit depuis un demi-siècle.
Mails, landaus, chars à bancs, coupés, automobiles, voituretles, buggies,
victorias, spyders, tricycles, hommes, femmes, enfants, vieillards, roulent
vertigineusement emportés vers le même point : la fièvre de la vitesse sévit
sur toute celte population.
C'est une contagion d'une espèce particulière qui frappe l'ensemble des
automédons sous prétexte que c'est à des courses qu'ils conduisent leur char-
gement humain, ils lui donnent un avant-goùt des émotions de l'après-midi
et se livrent à une lutte prolongée dans laquelle chaque voilure s'efforce de
dépasser celle qui la précède. Rien ne les arrête!...
310
SUR LE TURF.
Les moyeux se heurtent, les garde-crotte s'arrachent, les timons pénètrent
dans les capotes des victorias, crèvent le fond des coupés; on s'injurie, mais
on ne ralentit même pas pour constater les avaries produites ou reçues.
Ou roule toujours, et quand même, on s'occupera plus tard des réclama-
tions; pour l'instant, il s'agit seulement de marcher, et de marcher vite.
Pourquoi?
Dans quel but?
Il serait impossible de le dire : c'est l'habitude, il n'y a pas d'autre raison
à donner.
On a marché du même train l'année dernière , on fera de même l'an
prochain.
i tribune du Presideol de la République
LE GRAND PRIX DE PARIS
Ce n'est pas seulement la valeur de l'allocation qui lui est attribuée par
la munificence de nos édiles et autres compagnies de chemins de fer qui fait
l'importance du Grand Prix de Paris.
La qualité des chevaux engagés, la longueur du parcours, la sévérité
exceptionnelle avec laquelle la course est toujours menée, contribuent à en
faire l'épreuve par excellence, et la présence de concurrents étrangers, pré-
cédés la plupart du temps par une réputation inquiétante pour les champions
indigènes, augmente encore l'intérêt de la lutte en y mêlant les appréhen-
312 SUR LE TURF.
sions nerveuses d'un chauvinisme toujours en éveil dans une foule où domine
l'élément parisien.
C'est donc un gros événement, non seulement pour le monde spécial qui
vit pour et par le cheval, mais encore pour l'ensemble de la population
habituellement indifférente aux réunions quotidiennes, et que « le résultat
complet des courses » ne passionne pas d'ordinaire; et, comme tout événe-
ment, favorable ou funeste, influe sur le commerce parisien, cette sensitive
en bien ou en mal, le Grand Prix est pour lui un bienfait annuel, dès long-
temps prévu et escompté.
o *^$ ' n ù m>
loe pluie d'or ne laisse jamais la fuule indilterente ! .'.••
Quand on sait qu'à une date déterminée il doit tomber une pluie d'or,
ce serait vraiment folie que de ne pas prendre ses mesures pour recueillir
la plus grosse part possible de cette bienfaisante averse — l'exemple de
Danaé est là, et, sans compter ses imitatrices directes, bien peu parmi les
autres commerçants de la capitale ne cherchent pas à profiter de l'aubaine.
Ils savent que les paquebots et les chemins de fer ont par des tarifs ten-
tateurs préparé la venue de tout un monde d'étrangers et de provinciaux
S lit LE TURF.
313
qui va augmenter d'autant le nombre de leurs tributaires habituels, et ils
ont pris leurs disposilions en conséquence.
Les hôteliers ont nettoyé tout au moins les façades de leurs immeubles,
les garde-manger des restaurateurs sont bondés de provisions, et leur per-
sonnel, doublé pour la circonstance, attend, la serviette sous le bras, l'arrivée
du tlot de consommateurs promis. Toutes les mesures sont prises, et la
réussite Gnale ne dépend plus que du baromètre. — Hausse ou baisse. —
C'est toute la question.
Si les industriels qui se chargent d'héberger et d'alimenter la population
pendant cette journée exceptionnelle ont dû déployer une invraisemblable
activité, ceux que leur profession désigue pour ajouter aux charmes de leurs
contemporains des deux sexes travaillent depuis des semaines entières à leur
embellissement.
Les modistes, tailleurs, chapeliers, bottiers, couturiers et couturières
rivalisent d'efforts et d'imagination pour remédier aux conformations les
plus déplorables, dissimuler les plus regrettables dispositions anatomiques
et accommoder leurs incomparables créations aux visages les moins favo-
risés. — Le plus curieux est que parfois ils y parviennent, et que souvent
l'on est obligé de s'y prendre à deux fois. pour constater que telle personne
adorablement arrangée est en réalité un incomparable laideron ; — l'illusion
est courte, mais on l'éprouve, et c'est assez pour qu'on soit reconnaissant
aux magiciens qui ont pu vous faire croire, ne fût-ce qu'un instant, qu'il
y avait une jolie femme de plus.
40
•Mi
SUR LE TURF
Si ce culte du moi est plus que iiaturel chez la femme, dont la mission
est de plaire, et qui, la plupart du temps, est en possession d'un point de
départ : jeunesse, minois mutin ou jolie tournure, qui justifie dans une
certaine mesure les prétentions qu'elle peut avoir de charmer par les
yeux, on ne comprend guère que le sexe fort cède aux mêmes préoccupa-
tions et cherche d'une façon persistante à rivaliser de séductions plastiques
avec les plus jolies femmes de Paris.
Préparatifs intimes. — Côté îles hommes.
L'homme, à de rares exceptions près, est un animal médiocre, qui sup-
porte mal l'examen : pour qu'il prenne une valeur esthétique, l'action lui est
indispensable, et, comme on dit aujourd'hui, il faut, pour qu'il devienne
intéressant, que son geste soit beau.
C'est ainsi qu'on conçoit aisément ce que veulent dire les locutions sui-
vantes : c'est un beau tireur, un beau cavalier, tandis que « le beau X... »
tout sec, n'éveille que l'idée d'un personnage plutôt déplaisant, sans que
l'esprit en conçoive nettement l'aspect.
Quelque recherche qu'on y puisse apporter, la toilette masculine moderne
ne comporte d'ailleurs aucune combinaison qui permette de différencier sen-
siblement un individu d'un autre, — on n'est pas habillé, mais enveloppé
par la redingote moderne; le chapeau n'est pas une coiffure, c'est tout au
plus un couvre-chef, et les Anglais ont trouvé le véritable nom du pantalon,
en l'appelant l'indispensable.
SUR LK TURF
.'i:
On a beau chercher de savantes combinaisons à ce démocratique accou-
trement, on n'arrive qu'à des modifications de détail plus ou moins heu-
reuses, plus ou moins réussies, mais qui ne créent pas un costume personnel;
et tous ces efforts aboutissent à l'unique résultat de faire dire au passant :
« Dieu ! que voilà un monsieur qui s'est donné du mal pour être plus
laid que nature! »
Malgré cet insuccès fatal, les tentatives se renouvellent, et chaque généra-
Prépartitifs intimes. — Coté des dames.
tion compte un certain nombre d'incurables qui cherchent la pierre philo-
sophale de l'ornementation masculine.
Quand chacun des individus dont l'accumulation doit constituer le public
du Grand Prix se trouve en possession de l'accoutrement qui lui paraît de
nature à mettre le mieux en valeur ses avantages extérieurs, il lui reste à
se préoccuper d'un moyen de transport.
Le plus grand nombre, et ce ne sont pas les plus mal inspirés, se con-
tentent du chemin de fer, véhicule actuellement entré dans les mœurs,
suffisamment rapide, peu coûteux, et qui, grâce aux billets de retour,
assure aux décavés un moyen certain de regagner leur domicile.
Il a en outre l'avantage d'offrir aux gens qu'il transporte toute sécurité;
la puissance du capital engagé dans les entreprises d'une pareille impor-
tance ne laisse aucune incertitude aux intéressés sur le règlement des
indemnités qu'ils pourraient avoir à réclamer, et il n'est jamais indifférent
31 fi
SUR LE TURF.
de savoir que les entrepreneurs auxquels on confie ses membres sont, le cas
échéant, en mesure de les payer à leur juste valeur.
Un autre moyeu de locomotion, également économique, également mû
par la vapeur, est mis à la disposition des voyageurs par la compagnie des
bateaux-mouches.
Il a sur le chemin de fer l'avantage d'avoir son débarcadère beaucoup
plus près du champ de courses et d'éviter aux gens qui s'en servent les flots
de poussière qu'il faut traverser lorsqu'on prend la voie de terre.
¥-
Moyens de transport économiques. — Les bateaux-mouches. — Michel Chevalier et autres Leroy-Beaulieu ont, grâce à de savantes
recherches, découvert que le transit par eau était, de beaucoup, le meilleur marché. Celte vérité, malgré la inarche do progrès, est
restée incontestée.
Viennent ensuite tous les véhicules imaginés depuis la découverte de la
roue, en commençant par la tapissière monumentale, connue sous le nom
générique de Pauline, pour finir au simple fiacre.
Autrefois, la conquête d'une de ces voilures nécessitait une série de pro-
cédés diplomatiques d'une extrême ingéniosité.
Vous faisiez signe au cocher, il ne daignait même pas s'arrêter.
Vous vous lanciez à sa poursuite, il poursuivait sa carrière avec majesté,
et ne paraissait même pas écouter les offres que vous lui adressiez,
jusqu'au moment où les enchères ambulantes auxquelles vous vous laissiez
entraîner atteignaient le chiffre qu'il ambitionnait.
L'escalier d'une jolie femme ou réputée telle
à la veille du Grand Prix.
SUR LE TURF.
319
Il ralentissait alors sa marche et commençait des pourparlers qui se
terminaient par la promesse d'une somme représentant à peu de chose près
la valeur totale de l'équipage.
Cette première partie des négociations vous amenait jusqu'à l'intérieur
di' la voiture, qui s'ébranlait à une allure d'une lenteur étudiée. Le prix
convenu vous donnait l'audace de demander qu'on accélérât l'allure.
autrefois, la conquête iJun nacre nécessitait uon seulement le i
niais, en outre, eelui de tout respect hua
rillce de la forte son
Alors commençait un nouveau colloque qui remettait en question les
conventions arrêtées ; pour le prix déterminé il n'avait pas été question de
la vitesse du trajet.
Quel intérêt puis-je avoir à crever mon cheval? disait le cocher.
Bref, on ne parvenait à le faire pousser sa bête qu'en lui promettant de
l'intéresser dans les paris qu'on comptait faire.
On n'avait plus alors affaire à un conducteur, mais à un associé.
On marchait comme le vent, mais on recevait des conseils.
H faut reconnaître qu'ils n'étaient pas toujours plus mauvais que ceux des
feuilles spéciales, et il est même arrivé à des voyageurs chançards de
recueillir de la sorte des renseignements tout à fait excellents.
320
SUR LE TURF.
Aujourd'hui, la pratique générale de la bicyclette a rendu au bourgeois le
sentiment de sa dignité, en lui assurant un moyen de locomotion au cas où
ses propositions seraient repoussées par les despotes à quatre roues.
Ce sont ceux-ci maintenant qui font les premières ouvertures, qui clignent
de l'œil au passage du piéton, et, lorsqu'on consent à entrer en pourparlers,
ils ne demandent plus de partager avec eux votre revenu annuel.
Peut-être se rendent-ils compte d'ailleurs que celui des rentiers diminue
chaque jour, et leur modération n'est-elle inspirée que par une pitié par-
faitement justifiée du reste
Aujourd'hui, la pratique de la bicyclette a donne au hourfleois la possibilité de fie soustrair
au despotisme des cocliers de fiacre.
Les champs de courses ne peuvent pas, en général, être considérés comme
des endroits déserts, et ce n'est pas là que se transportent habituellement les
amateurs de solitude.
Cependant, il y a des degrés eu toute chose, et ces degrés se mesurent par
des chiffres.
L'assistance à Longchamps un jour de Grand Prix est aux réunions ordi-
naires ce que un est à dix — ce qui revient à dire que si l'étendue de terrain
SUR LE TURF.
Ml
réservée habituellement à chaque spectateur peut être évaluée en temps
normal à 2 mètres carrés, il ne reste plus que 25 centimètres carrés par
individu le jour de cette exceptionnelle solennité.
Il en résulte que l'œil le plus pénétrant ne peut arriver à découvrir la nature
du sol sur lequel repose cette foule d'êtres humains, pressés les uns contre
les autres, de telle façon que chacun d'eux adhère à ses voisins par une in-
finité de points, et que le contact s'étend généralement des pieds à la tête en
suivant toutes les sinuosités du corps, situation toujours fatigante, agréable
parfois quand les hasards du tassement ont rapproché votre enveloppe ter-
restre d'une analomie sympathique et suffisamment capitonnée...
FfRN Qltf S '"(! i\ fi
Moyens de transport économiques. Le cliemin de fer. — Ce n'esl pol que ce soi: chi:, mais oa y Ironie toujours de la place.
Celte foule, quand on a vu tous les procédés employés pour la transporter
là, on comprend qu'elle y soit, mais ce qui paraît tout à fait inexplicable, c'est
la nature des toilettes qui s'y trouvent empilées.
Qu'on s'habille en grand apparat pour aller dans un endroit où l'on peut
être vu, c'est parfaitement compréhensible ; mais qu'on choisisse, pour aller
41
322
SUR LE TURF.
exhiber ce qu'on possède de plus remarquable en fait de falbalas précisément
l'endroit où les têtes ont toutes les peines du monde à émerger, où les corps
sont comme enterrés les uns par les autres, voilà ce qu'il est difficile de
s'imaginer, et c'est pourtant ce qui se renouvelle chaque année, à date
fixe.
Eu réalité, voilà comment les choses se passent : pendant la séance de
quatre heures durant lesquelles les toilettes enchevêtrées les unes dans les
autres sont impossibles à discerner, il se produit deux ou trois entr'actes, de
très courte durée, alors que le flot des parieurs se concentre aux guichets
du pari mutuel et autour des principaux bookmakers.
Les derniers vestiges de la poste. — On trum
> plus (le posti!loti&!
Quand ces grands courants s'établissent, l'espace compris entre les tribunes
et la piste se trouve momentanément et relativement dégagé.
Les femmes en profitent alors pour faire une promenade dans cet étroit
espace.
L'exhibition dure peu, mais, pendant ces quelques minutes, quel public !
Les tribunes restent bondées, et c'est par dizaines de mille que se chiffrent
les yeux et les lorgnettes qui sont braqués sur les élégantes promeneuses. —
Si l'on cote la dépense d'après le temps où ces mémorables toilettes ont été
vues, elles reviennent à des sommes folles par chaque minute d'exposition.
— Si, au contraire, on compte par tête d'admirateur, elles coûtent des frac-
tions de centime et constituent une réclame véritablement économique.
C'est le triomphe de la publicité à bon marché...
' ' ' v ' " h ' | !
l ne tranche de la pelouse un jour de Grand Pr
SIR LE TURF
323
Les jours de réunions ordinaires, on peut se procurer à la fois les jouis-
sances du spectateur et celles du parieur. On peut examiner à loisir les belles
toilettes, admirer les jolies frimousses et trouver encore le temps de surveil-
ler la cote de façon à établir avantageusement ses paris, après quoi l'on gagne
une tribune où, muni d'une bonne lorgnette, on peut suivre tous les incidents
de la course.
Un jour de Grand Prix, le cumul de ces différents plaisirs est impossible, et
il faut de toute nécessité se décider à n'être qu'un spectateur ou qu'un parieur.
Si l'on veut voir la course, il faut d'abord se procurer une place d'où
la vue embrasse l'ensemble du parcours, et, se l'étant procurée, ne céder
sous aucun prétexte à la tentation de l'abandonner.
On ne la retrouverait pas.
.A l.i reelieretie de
> et de la bonne eule.
Donc impossibilité de parier, car chacun sait que pour le faire utilement et
intelligemment il est de toute nécessité de suivre les fluctuations de la cote,
dont les mouvements vous renseignent souvent de la façon la meilleure sur
les chances révélées au dernier moment d'un cheval soigneusement caché,
et peuvent souvent substituer le nom du favori réel à celui du favori pré-
sumé.
326
SUR LE TURF.
Suivre attentivement ce cours des valeurs, c'est ce qu'on appelle tàler le
pouls des bookmakers, et, comme il est impossible de se livrer à cette aus-
cultation quand on garde une place par sa présence réelle, seul moyen effi-
cace en pareille circonstance, il est incomparablement plus sage de s'abs-
tenir.
Si vous voulez voir, ne pariez pas ! Si, au contraire, vous voulez parier,
résignez-vous à ne pas voir la lutte et, par conséquent, la façon dont votre
argent sera défendu par le cheval et le jockey que vous aurez choisis pour
défendre vos intérêts.
Les acclamations de la fin vous feront connaître eu temps utile si vous
avez à vous réjouir ou à déses-
pérer.
Quand bien même on s'est ré-
signé à ne pas bouger, on n'est
pas pour cela assuré de voir.
Il suffit pour en être empêché
d'avoir devant soi quelqu'un de
plus grand que soi, ou un cha-
peau un peu étoffé.
La meilleure des tribunes est
sans contredit la tribune officielle :
à peu près abandonnée les jours
ordinaires; nos gouvernants, de-
puis plusieurs années déjà, étant
peu sporlsmen, elle se garnit
seulement le jour du Grand Prix.
Là, pas d'encombrement, et
les toilettes qu'on y arbore sont
perceptibles à l'œil nu. On y est
vu, et l'on y peut voir.
Je sais bien que la plupart des
personnages importants qui la
A l'arrivée. — L'important n'est pas d'avoir de bons yeux, le plus
vent on ne voit rien, mais de bonnes oreilles pour distinguer, p
les cris de la foule, le nom du vainqueur.
SUR LE TURF.
327
garnissent sont incapables de distinguer la casaque de M. Abeille de celle de
M. Edmond Blanc, et que quelques-uns sont toujours surpris de ne plus voir
en tète à l'arrivée le cbeval parti devant les autres, mais ils ne sont pas là
pour juger la course.
Leur présence n'a d'autre but que de donner à la solennité toute son
importance.
Ce but, le cbef de l'État l'atteint par le seul fait qu'il a pris la peine de se
déplacer et de montrer à la foule idolâtre l'attelage de gala dont il ne se sert
que dans les grandes occasions.
!|.i'
^ m :
vée du chef de l'Etat. Tro's heures buttant. — L'esactilude est la |io!itesse des [irésid. nts.
L'équipage est d'ailleurs honorable et atteint le degré de correction qu'on
est en droit d'exiger.
Il ne faut pas s'attendre, en effet, à trouver dans des jockeys qui conduisent
une fois par an une Daumont la désinvolture d'hommes habitués à monter
tous les jours à cheval, mais la justice veut qu'on reconnaisse qu'ils ne s'en
tirent pas trop mal pour des gens qui n'en ont pas l'habitude.
328
SUR LE TURF.
Ou ne fait avec perfection que ce qu'on fait tous les jours, et encore faut-il
y avoir été exercé dès l'enfance. L'on n'arrive à la virtuosité que par des
exercices répétés.
I n beau tournant ne s'exécute pas du premier coup, et il faut plus d'un
essai pour venir stopper à grande allure devant un perron.
Pour le faire avec précision, il faut l'expérience, mais on ne peut pas
demander à un peloton de gardes nationaux de manœuvrer comme le batail-
lon de Saint-Cyr.
C'est le kr.iit anglais qu'on présente à l'examen admiratif de:
Quand, à trois heures moins quatre minutes, le chef de l'État, donnant
une nouvelle preuve de son exactitude chronométrique, a fait son entrée
dans la tribune présidentielle, on sait que la grande épreuve de la journée m1
peut plus tarder à être courue.
Les parieurs retardataires se précipitent aux guichets du pari mutuel, dont
les employés redoublent d'activité, encaissant précipitamment, et timbrant
leurs tickets avec une incomparable dextérité; pendant ce temps, les gros
pontes s'empressent autour des bookmakers pour faire leurs derniers paris,
cherchant à utiliser les derniers renseignements recueillis, se couvrant sur
tel cheval, reprenant de tel autre, de façon à limiter leur perle en cas de
L'arrivée. — Chacun cric le nom du cheval pour lequel il a parié. Tous
les noms inscrits au programme soul vociférés de la sorte aussitôt que le
peloton arrive au dernier tournant. Mais, à mesure que le résultat se précise,
la nomenclature diminue, et bientôt le nom du vainqueur éclate dans un cri
formidable, enthousiaste, si c'est le champion national qui triomphe, déses-
péré si c'est l'étranger qui est vainqueur.
',1
SUR LE TURF. 331
défaite, car, au dernier moment, le doute vient aux plus convaincus, et tels
qui, le malin, croyaient d'une façon absolue à leur favori, commencent à
perdre de leur assurance après avoir comparé les concurrents et entendu les
appréciations contradictoires des gens réputés les plus connaisseurs.
Les conversations surprises avant la course, pendant qu'on examine les
chevaux, ont modifié plus d'un pari, et souvent empêché un parieur qui avait
eu dès le début une bonne intuition de la mettre à profit.
Outre que les plus expérimentés, les meilleurs juges de la condition d'un
animal sont sujets à l'erreur, bon nombre d'entre eux, se sachant écoulés, ne
se gênent pas pour émettre à haute voix des opinions absolument contraires
à leur inlime conviction.
Le delile des concurrents.
La raison en est simple : si le cheval qu'ils se proposent d'accompagner
de leur argent compte un trop grand nombre de partisans, les bookmakers
le descendront immédiatement à la cote d'un ou plusieurs points, et le
rendement du pari mutuel se trouvera proportionnellement réduit.
Leur intérêt est donc de dissimuler le plus possible l'impression favorable
que l'examen d'un cheval leur aura causée.
Il en est de même pour les pronostics des journaux, et l'on agira prudem-
ment en n'acceptant pas les yeux fermés ceux des spécialistes qui sont notoi-
rement connus comme joueurs.
332
SUR LE Tl'RF.
On ne partage pas de bonne volonté avec des indifférents un bénéfice
probable, et cliarité bien ordonnée commence par soi-même, ce qui revient
à dire qu'il est rare que le possesseur d'un tuyau s'amuse à crier sur les toits
le nom qui constitue son secret, et sur lequel reposent ses espérances les plus
caressées.
Ce n'est donc pas ce que peuvent dire les gens bien informés, mais ce
qu'ils font, qu'il serait intéressant de savoir.
^
StJfjcf précautions. — Les gardes du corps du faV'
i n'approcbez pas !
I oilà pourquoi on les suit quand ils s'approchent du betting et donnent
leurs ordres aux books, mais il n'est pas toujours facile d'entendre ce qu'ils
disent : un mot, un chilfre, un doigt posé sur le nom du cbeval choisi,
c'est tout; et le curieux voit le gros parieur s'éloigner sans avoir rien deviné.
Son choix reste un secret entre lui et le donneur.
Cette répugnance des initiés à faire part aux tiers de leurs informations
amène quelquefois des résultats tout à fait imprévus, et dans son volume
sur les Courses, Saint-Albin en cite un amusant exemple. Je n'ai pas le
texte sous les yeux, et c'est dommage, car personne ne raconte mieux que lui,
mais je me rappelle le fait, et je vais tâcher de le dire après lui.
Un de ces amis qu'on connaît saus les connaître, mais qu'on rencontre
partout, et qui se croient autorisés à vous aborder parce que, ne se rappelant
plus ni où ni comment ou les a connus, on craint en les rebutant de déso-
bliger un brave homme, qui peut-être est l'ami d'un de vos amis vérita-
bles, lui demandait plus fréquemment que de raison son avis de la dernière
heure.
SUR LE TURF.
335
Plusieurs lois il lui avait vainement répondu qu'il avait imprimé le matin
le nom du cheval auquel il croyait la meilleure chance, l'autre insistait quand
même.
Lassé par celte indiscrétion persistante, et décidé à se débarrasser de
l'importun, le prophète sportif lui désigna comme devant gagner certainement
le concurrent le plus invraisemblable du programme.
Ce fut précisément celui-là qui passa le premier le poteau, et la queue en
trompette.
Le raseur l'avait pris à une cote invraisemblable et gaguait une somme
énorme.
Le malheur de Saint-Albin a voulu que son obligé involontaire fût de com-
plexion reconnaissante; il s'obstine depuis lors à lui témoigner sa gratitude
en demandant de nouveaux renseignements.
«f\
Un groupe d'.
dont le gros public ne serait pas fjelié de connaître l'opioîo
le mérite réel de chacun des concurrents.
Mais revenons à nos moutons, c'est-à-dire à l'épreuve elle-même. — La
cloche a sonné pour la mise en selle. Les jockeys ont reçu leurs instructions
définitives, reste à savoir comment elles seront suivies, et dans quelle mesure
elles pourront l'être.
336
SUR LE TURF.
N'empêche que chaque propriétaire croit sa lactique infaillible et se féli-
cite par avance de la réussite de sa combinaison, qui repose sur une étude
approfondie du caractère, des qualités et des défauts de l'animal qui porte ses
couleurs.
La meilleure recommandation à faire est de partir devant et de ne pas se
laisser rejoindre.
En principe, elle paraît excellente ; dans la pratique, elle est difficile à
suivre, et les exemples sont nombreux où les vainqueurs doivent leur succès
à une attente prolongée. — Qui veut voyager loin, dit la sagesse des nations,
ménage sa monture.
C'est souvent parce que leurs jockeys s'étaient souvenus de cet adage que
les gagnants ont pu trouver au dernier moment les forces nécessaires pour
l'effort qui devait les conduire jusqu'au poteau.
La rentrée i!ea che
11 est vrai que le contraire s'est produit avec un égal succès, et qu'on a vu
les deux lactiques réussir également bien à la même écurie.
C'est pour avoir su attendre que Insistas a fait triompher les couleurs
de M. Delamarre, et c'est pour avoir pris la tète au départ et ne s'être laissé
rejoindre à aucun moment du parcours que Vermoiit a, quelques années plus
tôt, également gagné le Graud Prix de Paris pour le même propriétaire.
Les deux méthodes peuvent donc être excellentes : le difficile est de
décider dans quelles circonstances la première doit être préférée à la seconde,
et réciproquement.
SUR LE TURF.
:wn
I ne fois en selle, les concurrents quittent le paddock, conduits à la longe
par l'entraîneur en personne ou par un lad de confiance qui les pilote jusqu'à
la piste, à travers la foule des parieurs, désireux de voir quelle allure les
concurrents prennent sous le cavalier, et juger de la liberté de leur action
pendant le galop d'essai.
Le galop d'essai a certainement une importance sérieuse, puisqu'il permet
de constater si le champion choisi est en possession de ses moyens, s'il est en
santé, — et c'est un point important qu'on oublie trop souvent, car un cheval
n'est pas une machine qui peut donner le même effort, la même vitesse qu'elle
a donnés hier, qu'elle fournira demain.
Sur la peh
Toute organisation animale est soumise à des inégalités que nous-mêmes,
quoique nous ayous les ressources de la volonté, ressentons tous.
Les conditions atmosphériques, pour ne citer qu'un exemple, agissent sur
eux comme sur nous, et, s'ils pouvaient répondre aux interrogations des
regards fixés sur eux, plus d'un, et parmi les plus énergiques, nous répon-
drait certainement : Aujourd'hui je ne me sens pas en train.
Ce serait un fameux renseignement.
Mais, s'il ne peuvent nous le donner, un changement dans leur physiono-
mie, l'œil moins vif, le poil moins brillant, le pas moins actif, un indice
quelconque peut nous le faire deviner.
340 SIR LE TURF.
C'est pour cela qu'un examen attentif des chevaux dans l'enceinte du
pesage, pendant leur promenade, leur sortie et le galop d'essai, s'impose à
tout parieur désireux de ne pas agir à l'aveuglette.
Ce n'est pas une raison, parce que huit jours auparavant tel cheval a fait
une course excellente, pour qu'il la renouvelle aujourd'hui.
'
Sur la pelouse. — Pour .in, c'est moins l.illr.iil îles courses que le charme
ih- la campagne <jui les a décides à fane celte partie.
11 peut avoir fait preuve, même la veille, d'une endurance exceptionnelle,
sans qu'on ait la certitude qu'il la retrouvera le lendemain.
Les chevaux ont leurs migraines, leurs maux de tête et leur défaillances
comme tous les êtres vivants.
La régularité de leur régime rend leurs variations de sauté moins fréquentes
et moins complètes que pour les noctambules du boulevard, mais elle ne les
en garantit pas d'une manière absolue. L'état climalérique influe surtout sur
les animaux nerveux.
Certains jours où l'air est chargé d'électricité, on voit des chevaux couverts
d'écume avant même qu'ils aient fait un mouvement, et certes il y a impru-
dence à compter sur eux, quand on les voit en pareil état, avec autant de
confiance que s'ils présentaient leur aspect habituel.
Les juments sont souvent plus irrégulières que les chevaux.
Les influences de leur sexe modifient plus profondément d'un jour à l'autre
leur façon d'être.
SI I! LE TURF
341
Bon nombre d'entre elles sont à certains jours incapables de tout travail,
et telle jument qui a gagné avec une supériorité marquée ne figurerait même
pas le lendemain dans la même épreuve renouvelée dans des conditions iden-
tiques.
Cependant les chevaux ont gagné le poteau de départ et se sont placés
sous les ordres du starter.
Le public de la pelouse s'est précipité à leur rencontre, et c'est sous
la surveillance des petits parieurs, qui ne sont d'ailleurs pas moins pas-
sionnés et moins défiants que les gros, que va s'accomplir cette importante
et délicate opération.
Sur la pelouse. — En gens prévoyants, désireux île voir la i-ouise dans tous ses incidents,
out envoyé leur voilure dés le malin avec l'ordre à leurs gens de s'installer au ll'inning Post et de n'en [tas Iiouger.
Quand une épreuve importante réunit un champ nombreux, ce n'est pas
une petite besogne que de savoir grouper les concurrents, et il faut une
grande sûreté de coup d'œil pour saisir le moment précis où l'équité vous
commande d'abaisser le drapeau.
Dans les épreuves sur de courtes distances, le départ influe souvent d'une
façon importante sur le résultat, et la promptitude à saisir le signal n'est
pas une des moindres qualités d'un jockey.
Souvent, une hésitation d'un instant peut faire perdre une distance qui
ne se rattrapera qu'au prix d'un effort qui serait mieux utilisé à la fin de
:M2
SUR LE TURF
la lutte, et nécessite uue dépense de forces et de vitesse qui ne se retrou-
veront plus au moment décisif.
La crainte de partir trop tard fait tomber dans l'excès contraire, et les
impatients amènent parfois une série de faux départs dans lesquels s'usent
les chevaux très chauds qu'on n'arrête pas facilement, et se trouvent avoir
dépensé dans ces élans inutiles uue bonne part de leurs moyens.
Bon ou mauvais, le signal est donné.
Le starter a abaissé son drapeau. — Placé à cinquante mètres en avant
des chevaux, son aide a renouvelé et confirmé le signal, en abaissant à son
tour sa bannière. — La clocbe sonne. — La course est commencée et la
lutte définitivement engagée.
Plus moyen de revenir en arrière et de modifier sa situation.
Il faut attendre pour savoir si l'on encaissera, ou s'il faudra à l'échéance
du samedi solder les paris qu'on vient de clore définitivement.
L'émotion varie selon chaque individu, mais chez tous elle est intense.
SUR LE TURF.
343
Est-ce à Pénormité de l'enjeu disputé, est-ce à la crainte de le voir passer
à l'étranger, qu'il faut attribuer celte recrudescence d'émotion? — Je crois
plutôt que c'est une sorte de contagion qui s'établit, un courant magné-
tique qui circule, et dont l'intensité se multiplie par le nombre des gens qui
y participent, et comme ce nombre est immense, l'émotion ressentie se trouve
portée à sa plus baute puissance.
Ce qui n'est pas contestable, c'est le recueillement absolu de toute l'as-
sistance.
On n'entend rien pendant toute la première partie du parcours, et à moins
d'un incident capital, tel que la dérobade du favori, aucun bruit ne se fait
entendre, aucun cri ne sort de ces milliers de poitrines.
C'est le champion anglais 'jui a gagne.
On sent que les gosiers sont contractés par une puissante émotion, et qu'on
attend avec une impatience douloureuse le moment où l'on verra L'un des
concurrents prendre un avantage décisif.
Quand les lutteurs entrent dans la ligue droite, quand successivement les
cbevaux battus reculent dans le peloton qui s'avance avec une vitesse qui
paraît plus vertigineuse à mesure que la dislance diminue, cette foule, muette
tout à l'heure, retrouve l'usage de la parole, et c'est par de véritables vocifé-
rations que les noms des derniers lutteurs sont criés jusqu'au moment où le
plus valeureux passe le poteau.
Les cris se fondent alors en une immense exclamation qui fait monter
jusqu'à des altitudes inhabitées le nom du vainqueur.
344
SUR LE TURF.
C'esl un enthousiasme indescriptible, un hommage involontaire et spon-
tané rendu au triomphateur quel qu'il soit.
Ce premier mouvement général, unanime, apaisé, chacun retrouve sa per-
sonnalité, et retrouve le souvenir de ses intérêts.
Si le gagnant est un cheval imprévu, sur lequel la majorité ne comptait
pas, la foule prend instantanément l'air sérieux, et la rentrée du vainqueur
s'opère au milieu d'un mutisme révélateur.
La grande épreuie terminée, je ne sais si le protocole eiijic que l'équipage
présidentiel reprenne le chemin de L'Elysée; ce qui est certain, c'est que
i usage le veut et qu'il est rigoureusement obéi.
Si, au contraire, l'issue de la lutte est conforme aux prévisions du plus
graud nombre, les démonstrations ne manquent pas au triomphateur, et
ses admirateurs le porteraient certainement à bras jusqu'aux balances, n'était
la crainte de voir disparaître dans ces attouchements enthousiastes le com-
plément de poids indispensable à la proclamation définitive du résultat.
Ouand c'est uu cheval étranger qui est victorieux, l'ensemble du public
prend immédiatement un aspect lugubre.
Son succès a beau avoir été prévu, l'impression est la même, car, par
un chauvinisme entêté, on s'est refusé à croire à la réalité des probabi-
lités annoncées, et, chose bizarre puisqu'il s'agit d'intérêts pécuniaires, si
favori que puisse être un cheval anglais, américain, voire même autrichien,
il est rare que les parieurs indigènes lui confient leur argent.
Parier pour lui serait cependant le seul moyen de coutre-balancer les
SUR LE TURF.
345
résultais de la défaite, et tout au moins d'en atténuer les effets, puisqu'on
rattraperait une partie des capitaux engagés. Pas du tout, on le combat à
outrance sans prévoir que l'argent accumulé sur les chevaux battus ira grossir
d'autant les bénéfices de l'ennemi.
Il serait si simple, quand la défaite des chevaux français est à peu près
certaine, de s'abstenir en masse et de limiter ainsi les pertes nationales au
montant tout sec du prix disputé.
Venus pour appuyer de quelques ponies le cbampion anglais.
Ce serait certainement la conduite la plus sage. Mais le véritable joueur
lient avant tout à jouer, et, s'il désire toujours gagner, il préfère perdre à ne
pas jouer du tout.
La passion du jeu croît d'ailleurs chaque jour.
Les résultats du pari mutuel eu font foi, leur augmentation suit une marche
progressive qui ne paraît pas vouloir s'arrêter.
Les bénéfices réalisés se chiffrent aujourd'hui par millions, et quand
on pense que ces sommes formidables ue représentent qu'un tant pour cent
insignifiant sur les masses engagées, on est en droit de se demander s'il y a
proportion entre le but poursuivi et la quantité d'argent risquée dans chaque
réunion.
Les spécialistes se réjouissent de l'état de choses actuel et, persuadés
que la prospérité des sociétés influe sur la production chevaline, ne dissi-
mulent pas leur joie de voir les hippodromes envahis par une foule qui,
doublant les recettes, assure l'avenir des grosses allocations destinées aux
éleveurs et aux propriétaires.
44
346 SUR LE TURF.
Peul-èlre serait-il plus sage de se demander si cet engouement n'a pas
quelque chose d'excessif, et si, comme tout ce qui est excessif, il n'est pas
destiné à disparaître dans un temps moins éloigué qu'on pourrait le croire.
Le goût du sport n'est pas chez nous aussi réel qu'il parait l'être, et
l'amour du cheval n'est pas aussi profond dans le public que son empres-
sement à suivre les courses tendrait à le faire supposer.
Il serait intéressant de savoir comhieu, sur cent habitués du turf, conti-
nueraient à suivre assidûment les courses si l'on supprimait l'attrait des
jolies femmes pour les uns et l'appât du gain pour les autres.
Si l'on étudiait de près la question, on arriverait bien vite à la conviction
que le cheval n'est pas plus que le plus grand nombre d'entre nous aimé
pour lui-même, et qu'il n'est, la plupart du temps, qu'un moyen, une occa-
sion, un prétexte.
f^-^
Avant la dernière cours?. — Plus que cette occasion de se refair
ou de s'achever.
11 y a vingt méthodes pour parier, et toutes sont préconisées par un certain
nombre de joueurs qui les mettent en pratique et réussissent dans leurs opé-
rations.
Les uns ne jouent que les favoris, les autres ne cherchent que les chevaux
placés.
Ceux-ci ne laissent pas courir une épreuve sans engager une mise, ceux-
là, au contraire, ne jouent que rarement, et seulement quand ils croient le
succès assuré.
SDK LE TURF. 347
Il en est qui suivent un clievol et augmentent leur enjeu jusqu'au jour où
leur champion se décide à gagner sa course.
Tous ces procédés réussissent à certains, tandis que d'autres perdent avec
une régularité désespérante.
La raison de ces différences dans les résultats est la même que pour
tous les autres jeux.
Tous les systèmes sont bous quand ils sont employés par un veinard;
exécrables quand celui qui les applique est poursuivi par la funeste guigne.
11 résulte de cet aphorisme que le mieux à faire, quand on aime les
courses, est d'y assister eu spectateur désintéressé.
Ce n'est pas l'avis général, et les amoureux platoniques du sport forment
une minorité absolument négligeable, dont l'effectif diminue chaque jour
et disparaîtra certainement avant qu'il soit longtemps.
Quoi qu'il en soit, son culte est, pour le quart d'heure, passionnément
pratiqué par uue légion de fidèles, qu'on étonnerait singulièrement eu leur
disant que leur religion n'est pas sincère.
Ils lui sacrifient en effet non seulement leurs loisirs, mais la plus grosse
part de leur budget
Le parieur, comme tout joueur malheureux d'ailleurs, a une déplorable
tendance, celle de croire que le résultat d'une course est le résultat de com-
binaisons machiavéliques combinées dans le seul but de lui faire perdre son
argent.
La tactique du propriétaire, la façon dont le jockey a mené la course, tel
incident qui s'est produit, tout lui paraît suspect, et il n'hésite pas à
déclarer qu'il a été indignement volé.
C'est le résultat de la défiance naturelle à tout homme qui se voit, con-
trairement à ses prévisions, dépouillé de l'argent qu'il avait et frustré de
celui qu'il convoitait.
C'est, au surplus, une satisfaction à l'amour-propre, une façon de dire que
la fraude seule pouvait détruire des combinaisons magistralement étudiées.
348
SLR LE TURF.
Dans des épreuves aussi importantes que le Grand Prix, ces absurdes
soupçons ne sauraient être admis.
Quelle vraisemblance à ce qu'un propriétaire puisse trouver un avantage
à se faire batlre quand un pareil enjeu doit payer la victoire? — Si le favori
est battu, c'est qu'il a rencontré meilleur que lui.
Sois assuré, bon public, qu'il a défendu sa cbance de son mieux, et que,
s'il a succombé, c'est qu'il lui était impossible de mieux faire. Regrette
ton louis, la pistole ou ton écu, c'est ton droit, mais ne pense pas un seul
instant qu'on a de parti pris trahi tes intérêts.
Tu aurais certainement tort.
Le Grand Prix une fois couru, le retour
commence, pour les spectateurs du pesage,
bien entendu. — Sur la pelouse, on tient à
avoir la journée complète. L'exemple du départ
est donné par le chef de l'Etat, qui, pariant
peu, n'est pas contraint, par l'obligation de
se refaire, d'assister aux épreuves finales.
Tout le monde n'a malheureusement pas
été aussi sage, et tous les culottés de la grande
épreuve cherchent dans les dernières courses
à rattraper une partie tout au moins de la bonne
galette disparue.
Chargé de ta distribution des cartes de sta-
<lis|n*Mlion la lotalitr des bareem de tabacs et le
monopole des décoratioDS.
Si le gagnant n'est pas le favori, les books,
rendus indulgents par les gros bénéfices réalisés, donnent des cotes moins
sévères, et les affaires marchent grand train.
En général, les culottés augmentent leur désastre, mais ils ont eu la
consolation de ne perdre l'espoir de la revanche qu'au tout dernier mo-
ment et d'avoir soutenu la lutte jusqu'à leur dernier louis.
11 s'agit alors de retrouver sa voilure, — tache difficile, recherche labo-
rieuse, d'autant plus délicate que, la plupart du temps, votre cocher, que
vous croyez à gauche, aura été forcé de stationnera droite, ou inversement.
SUR LE TURF.
349
— 11 vous faut tout d'abord repousser les assauts d'uue myriade de gentle-
men des boulevards extérieurs descendus des bailleurs de Belleville pour
vous faire leurs offres de service, et qui veulent à tout prix recevoir la mis-
sion de vous ramener votre véhicule.
Une fois débarrassé de leur obsédante société, il vous faut traverser la
foule des voitures qui cberchent à s'approcher des portes de sortie.
'eifmpi/s * ris pu se
La sortie du pesage, — Vc
C'est cent mètres à faire au milieu des plus grands dangers.
Vous êtes à tout moment sur le point d'être broyé entre les essieux de
voilures qui, suivant les directions les plus variées, se rapprochent tout à
coup de la façon la plus imprévue et la moins rassurante.
Si vous évitez, par un mouvement rapide, la pression qui menace de
vous réduire à votre plus simple expression, vous vous trouvez nez à nez
avec celui d'un cheval qui met un brancard en face de voire œil gauche,
tandis que vous sentez dans l'épaule droite la pression d'un limon à laquelle
il ne faut pas espérer résister.
Si vous avez la souplesse de l'anguille et l'agilité du chevreau, vous
350
SUR LE TURF.
parvenez, en glissant sous la fêle des chevaux et en bondissant de marche-
pieds en marchepieds, à sortir de cet inextricable enchevêtrement de roues,
de moyeux, de pieds de chevaux, et vous atteignez une des avenues où cette
extraordinaire cascade se régularise dans un courant plus régulier.
Dès lors, votre existence est en moins grand danger et vous pouvez rendre
grâce au Seigneur, car il est vraisemblable que vous avez la vie sauve, mais
rien ne prouve que vous rentrerez en possession de votre moyen de transport,
si vous n'avez pas un coup d'œil d'aigle et une puissance d'attention que
rien ne puisse détourner.
.4 la recherche de ;
[ voiture. — Quelquefois, après une ou deui he
si on a'a pas rie préalablement écrasé.
Les files quadruplées s'étendent à perle de vue, très égales, très mono-
tones, depuis qu'on n'attelle plus en grand apparat pour se rendre à celle
solennité.
Sur cent voitures, quatre-vingts appartiennent aux différentes compagnies :
Générale, Urbaine ou Coopératives, et les voilures de maîtres, elles-mêmes,
sont d'une uniformité désespérante.
Pour retrouver du premier coup, au passage, son véhicule dans celte
SUR LE TURF. 351
agglomération de chariots équivalents, il faut avoir la sûreté de coup d'œil
qui permet au berger de reconnaître chacun des trois cents moulons qui
composent son troupeau.
Celte perspicacité n'est pas donnée au premier venu, et ceux qui ne la
possèdent pas sont exposés à laisser passer sans la reconnaître la voilure
objet de leur recherche passionnée mais aveugle.
Quand le temps est beau, celle poursuite n'est que fatigante; si la pluie
s'en mêle, elle devient affligeante, — et si c'est un décavé dont toutes les
combinaisons ont successivement échoué pendant loul le cours de la journée
qui la pratique, elle atteint rapidement l'éuervement le plus douloureux, —
elle prend tous les caractères de la fatalité antique, contre laquelle les plus
puissants efforts de la volonté demeuraient impuissants.
On se surprend à murmurer les phrases stéréotypées pour exprimer le
découragement le plus profond et le « ces choses-là n'arrivent qu'à moi »
vous monte naturellement aux lèvres.
Les natures molles s'abandonnent au désespoir, s'accotent au tronc d'un
arbre et regardent, avec des larmes dans les yeux, celte procession qui
s'écoule interminablement sans faire apparaître le véhicule désiré.
Les énergiques, au contraire, multiplient les allées et venues ; à tout
moment ils croient reconnaître leur cocher, interpellent celui-ci, font signe
à cet autre, et, après chaque mécompte, reprennent avec une nouvelle acti-
vité leur recherche interrompue.
Si, servi par un heureux hasard, vous êtes enfin parvenu à retrouver votre
équipage, vous avez droit à un repos bien gagné!
Mais n'allez pas imaginer, quelle que soit la vitesse de votre cheval, que
vous allez rentrer rapidement chez vous.
Dans une foule semblable, une voiture cesse d'être un moyen de transport
pour devenir simplement un refuge, — quelque chose comme un îlot au
milieu de la tempête; — elle en prend l'immobilité et vous permet d'attendre
dans une position commode que l'espace redevienne libre.
352
SUR LE TURF.
Si vous êtes pressé , descendez-en et marchez sur vos propres jambes,
vous prendrez bien vite une avance telle que les plus vites trotteurs ne vous
rattraperont certainement pas.
Des statisticiens absolument dignes de foi et dont les observations
paraissent avoir été sérieusement contrôlées ont en effet calculé qu'une
voiture ayant eu l'imprudence de s'engager daus l'allée des Acacias au retour
d'une de ces solennités parcourait par quart d'heure environ dix-sept mètres,
— lenteur certainement supérieure à celle de nos plus précieux ataxiques,
et que les favoris les plus tirés ne sont jamais parvenus à dépasser.
LA CAMPAGNE NORMANDE
Les réunions de province sont de plus en plus abandonnées du public
parisien, qui trouve, avec raison, qu'il ne manque pas d'occasions de voir
dos courses en nombre suffisant sans avoir besoin de se déplacer.
De très bons esprits pensent que la défaveur des hippodromes éloignés
résulte de la diminution des allocations qui leur sont attribuées par le ministère
de l'Agriculture : je crois, pour ma part, que si les sociétés locales périclitent,
c'est que la centralisation agit sur elles comme sur toutes nos institutions.
11 faudrait à des réunions données sur des hippodromes plus ou moins
éloignés des épreuves particulièrement intéressantes pour lutter avec celles
qui ont lieu le même jour aux environs de la capitale.
Si ce qu'on appelle la campagne normande a seule le privilège de décidera
se déplacer le monde spécial qui l'ait la fortune des hippodromes, c'est qu'elle
n'a pas à redouter la concurrence des champs de courses voisins de Paris,
qui, sans exception, font relâche au moment où elle a lieu.
Quand les grands théâtres sont fermés, la foule afflue dans les petits et
envahit les salles de la banlieue; le succès de Deauville est analogue à celui
45
354
SIR LE TUP.F.
du théâtre des Datignolles, pendant la fermeture du Français et de l'Opéra.
L'illusion qui fait croire qu'on respire à la campagne et qu'on doit y
trouver un peu de fraîcheur augmente d'autant le nombre des excursion-
nistes, mais si, ce que je ne souhaite certes pas, on autorisait, pendant les
vacances des grandes Sociétés, la réouverture d'un tourniquet quelconque
sur l'un des terrains abandonnés par les anciens suburbains, je crois ferme-
ment que la population sportive des hippodromes normands se trouverait
promplemenl singulièrement diminuée.
Ce sont les joueurs qui forment la masse des spectateurs; s'ils courent
jusqu'en Normandie après leur argent, c'est qu'il ne leur reste aucunespoir
de le rattraper sans quitter Paris.
SUR LE TURF. — LA CAMPAG.VE NORMANDIE.
Voyageurs de toutes classes.
Le prix du premier pas. — Attendent, aprèe une
uuzuine de tentatives inutiles, que le starter soit par-
l'tui à donner le déport.
CAEN
C'est à Caen, dans les premiers jours d'août, qu'ouvre la campagne
normande.
Le prix du premier pas, couru sur une distance de 900 mètres, est la
première épreuve consacrée aux poulains et pouliches de deux ans.
Bien qu'il s'y révèle rarement des animaux de grand ordre, cette première
exhibition de la production nouvelle attire généralement une assez grande
aftluenee de sportsmen.
Les concurrents étant d'ordinaire aussi nombreux qu'inexpérimentés,
leur mise en ligne ne s'obtient pas facilement, et la patience du starter se
trouve soumise à une rude épreuve, dont souffre, par contre-coup, l'ensemble
du public.
Les faux départs se multiplient dans une proportion que justiûe l'impres-
sionnabilité des poulains et le jeune âge des cavaliers choisis obligatoirement
parmi les poids les plus légers.
Les chevaux s'échappent avant le signal, et les débutants qui les montent
ne parviennent souvent qu'après des luttes prolongées à les ramener sous
les ordres du starter.
Quand l'un revient, un autre part, et les incartades se succèdent jusqu'au
moment, souvent très longtemps attendu, où tous les chevaux se trouvant, par
35S
SUR LE TIR F.
hasard, suffisamment groupés, le starter abaisse définitivement son drapeau.
Si le départ a été bien donné, si le moment où les chevaux étaient réunis
sur une même ligne a été habilement saisi, la lutte peut fournir, pour les
épreuves suivantes, des renseignements utiles; si le lot contient des chevaux
réellement supérieurs, ils ue tardent pas à se détacher du groupe et forment
un premier peloton : c'est parmi ces champions d'avant-garde qu'il s'agit de
reconnaître ceux qui sont appelés à fournir une brillante carrière, quand leur
dressage sera complété et qu'ils seront arrivés à leur complet développement.
Si, au contraire, le signal du starter a surpris les concurrents, que certains
d'entre eux ne l'aient pas instantanément saisi et se soient attardés, il est
intéressant de voir dans quelle mesure ils ont réparé cette faute initiale,
quelle distance perdue ils ont rattrapée pendant le parcours, de quelle façon
ils soutiennent l'effort et dans quel état ils se montrent après la course;
s'ils sont ruisselants, essoufflés; s'ils tremblent sur leurs membres ou si, au
contraire, la dépense qu'ils ont dû faire ne les a éprouvés en aucune façon.
Ces observations enregistrées dans la mémoire des parieurs leur seront
d'une utilité certaine si elles ont été faites par un oeil clairvoyant, et c'est,
en effet, pour les recueillir que la plupart d'entre eux ont accompli leur
déplacement.
C^^_
Le prix du premier pas. — laines tentatives pour obtenir un peu d'urdn
SUR LV, TURF. — LA CAMPAGNE NORMANDE
En route pour le travail du malin.
DEAUllLLE
LA GRAXDE SEMAIXE.
Trouville ne paraît pas se rendre compte de tout ce qu'il doit à Deauville.
Sans la création delà nouvelle colonie et la fondation du champ de courses,
il y aurait longtemps que la vieille ville aurait dû renoncer à l'exploitation
du voyageur ou se décider à une reconstruction générale appropriée aux exi-
gences de la vie moderne.
C'est le succès des courses et l'attrait irrésistible que le pari mutuel exerce
46
362
SUR LE TURF.
même dans ses déplacements qui lui permet d'utiliser ses maisons délabrées
et de voir s'animer encore pendant une courte saison les ruelles ridicules
qui y usurpent le nom de rues.
La chance de cette cité grotesquement conformée et plus qu'insuffisam-
ment nettoyée fut que l'avant-garde des tripoteurs, dont nous payons depuis
de trop longues années les bénéfices exorbitants, eut l'idée d'acquérir à bas
Le travail du malin sur le cliamp de <
prix les prairies de la rive gauche de la Toueques, de les lotir et d'y installer
un hippodrome que leur instinct de spéculateurs habiles les fit placer sous le
patronage du duc de Morny.
C'était alors le roi de la mode, le Sagan du second empire, toujours prêt
à s'intéresser aux affaires qui pouvaient procurer quelques bénéfices à leurs
protagonistes, un mot qu'à cette époque on avait encore le bonheur d'ignorer.
Dans quelle mesure la spéculation a-t-elle réussi, je n'en sais rien; ce qui
Sl'R LE TURF
363
est certain, c'est que la Société des courses a prospéré, et que c'est sa prospé-
rité qui, pendant la durée de ses réunions, maintient la foule dans les envi-
rons de son hippodrome.
L'origine de Deauville fait qu'on retrouve dans l'enceinte de son pesage
toute la vieille garde des hommes qui ont fait la fêle sous le règne de Napo-
léon III.
Les conteinporaios du doc ont élé éprouvés par le temps
Ils ont pour la plupart l'aspect un peu croulant, mais ce théâtre des ébats
de leur jeunesse donne à quelques-uns l'illusion qu'elle n'est pas terminée,
et cela suffit pour leur faire accomplir religieusement chaque année ce pèle-
rinage aux lieux où ils brillaient naguère.
Les membres de la jeune génération se les désiguent à titre de curiosités,
et ceux qui se rappellent les récits de leurs oncles fêtards racontent à leurs
compagnons les aventures qui ont mérité jadis à ces épaves leur notoriété
mondaine.
3(34 S lll LE TURF.
Bon nombre de ces invalides de la noce n'ont pas su se résigner à vieillir.
Ils s'obstinent à des costumes juvéniles, à des cravates priutanières , à des
chapeaux enfantins qui accentuent d'une façon déplorable les ravages accu-
mulés par les années.
On voit émerger de cols rabattus, noués de rubans de nuances attendris-
santes, des gésiers lamentablement ridés dont la vue fait penser forcément à
la mort prochaine de ces vieillards irréfléchis qui n'auront vraisemblable-
ment pas le temps de penser à leur salut et seront bientôt emportés en pleine
crise de coquetterie sénile... Que de raccords laborieux, que d'étayages
minutieux, que de rassortiments essayés, pour remplacer ce qui a disparu,
fl ^K
Dernières tiges de la précédente génération.
atténuer ce qui s'est produit ou dissimuler ce qui s'est exagérément déve-
loppé sur ces silhouettes jadis élégantes 1
Que d'efforts inutiles, et comme, en croyant conserver ce qui n'est plus,
on arrive souvent à empêcher de voir qu'il y a eu réellement autrefois
quelque chose!
Combien de gens dont on aurait dit : « 11 a dû être rudement bien! » qui
parviennent à faire crier : «D'où vient ce grotesque?" L'exhibition des com-
SI!K LE TURF.
365
pagnons du duc avec leurs corsets, leurs râteliers, leur eau des fées et leur
collection de postiches, est le côte douloureux du spectacle : il s'atténue tous
les jours et disparaîtra par une élimination toute naturelle.
Le pesage de Deauvilie sera alors un spécimen complet d'élégance
moderne, — l'île de Puteaux transportée sur les bords de l'Océan avec son
personnel au grand complet et son merveilleux effectif féminin.
Ajoutez à ce lot nombreux de beautés aristocratiques la collection des
demi-mondaines dont plusieurs méritent un examen attentif, et vous avouerez
que l'amateur a dans l'intervalle des épreuves tout ce qu'il faut, non pour
écrire comme il est dit daus l'ancien répertoire, mais pour se rincer l'œil fort
agréablement. Joignez à ces séductions le charme d'un paysage normand de
tout premier ordre, agrémenté de constructions pour la plupart suffisamment
agréables à voir, avec la perspective de la mer et l'apparition eu bordure du
champ de courses de voiles qui à marée haute émergent de la Toucques...
Toutes les constructions du pesage sont excessivement élégantes, d'un
366
SUR LE TURF.
genre normand éminemment parisien, mais c'est dans la profusion de bar-
rières blanches des modèles les plus variés, formant clôture, avec portes,
sans portes, enfermant des enceintes, en séparant d'autres, que réside le
luxe spécial de l'installation de Deauville.
Ce blanc dans son immobilité ajoute au chatoiement des toilettes claires
qui circulent en plein soleil, quand soleil il y a; car on cite des années où la
pluie, la pluie normande, la pluie persévérante, n'a pas cessé une seule
journée de la quinzaine pendant laquelle se prolonge la « Grande Semaine » .
Somme toute, le décor est digne du public.
Si l'on voulait citer des noms, il faudrait copier la moitié du Livre d'or,
uu tiers du Tout-Paris et donner un quart des numéros du Téléphone.
Du reste, bien que la plupart des gens qu'on y rencontre soient des habitués
de tous les champs de courses des environs de Paris et que leurs silhoueties
soient universellement connues , la substitution des costumes ruraux à leurs
toilettes citadines métamorphose complètement le plus grand nombre.
A Longchamps et sur les autres hippodromes voisins des fortifications, la
tenue masculine est à peu près uniforme; ici, la fantaisie a plus de marge et
SIR LE TUKF.
369
l'on peut librement exhiber la combinaison de vêlements qui semble le mieux
faire valoir les avantages naturels qu'on croit posséder.
Pour les chapeaux, par exemple, le choix à faire est très limité quand il
s'agit de se présenter dans l'un des pesages parisiens; à Deauville, au con-
traire, tous les couvre-chefs peuvent se risquer et chacun a le droit d'y pro-
duire librement la coiffure qui lui parait la mieux appropriée à son type.
Celle liberté dans le choix amène parfois d'étranges combinaisons et
donne souvent la preuve que le sentiment des proportions n'appartient pas à
tous... il y a de si grands chapeaux sur la tète de si petits personnages que
ces derniers disparaissent et que les premiers ont l'air de marcher tout seuls;
quand un certain nombre de ces chapeaux automobiles se trouvent groupés
au pied d'un arbre, on croit assister à l'éclosiou d'une famille de champi-
gnons...
Il y a d'ailleurs encore plus laid que ces feutres disproportionnés : l'hor-
47
370
SUR LE TURF.
rible casquette plate! sans laquelle il serait, parait-il, impossible de conduire
une voiture automobile.
Elles pullulent maintenant, ces épouvantables coiffures, et l'on ne me fera
jamais croire que tous leurs propriétaires soient
également possesseurs même d'un simple tricycle
à pétrole.
J'ai dit, n'est-ce pas, combien l'aménagement
matériel était soigné dans tous ses détails.
C'est aux commissaires de la Société que sont
dues les améliorations successives de l'installa-
tion.
I, 'horrible < asquette plate, sans laquelle
il est, parait-il, impossible de conduire
un automobile en France ou d'être do-
mestique en Allemagne. Le président, le comte Florian de Kergorlay,
a la grande expérience de toutes les questions
de sport, et la direction de la Société, malgré l'activité qu'il y dépense, n'est
pour lui qu'un poste de retraite par comparaison à ses précédentes fonc-
tions.
Qui a pu le plus peut le moins.
11 est secondé par le comte Art. de Gonlaut et M. Henry Ridguay. Tous
trois portent invariablement le cbapeau gris, mais combien différents par
la forme !
Quand il n'y a pas courses à Deauville, c'est à Bernay ou à Cabourg que
SUR LE TURF.
373
fonctionne le pari mutuel, et les parieurs le suivent, mais le public n'est
pas, quoi qu'on en dise, exclusivement composé de joueurs passionnés.
Ceux qui ne sacrifient à ce vice que de façon intermittente ont la ressource
du polo, sinon comme acteurs, ce qui n'est pas à la portée de tout le monde,
du moins comme spectateurs.
Même dans ce rôle effacé n'est pas admis qui veut dans l'enceinte réservée.
Les membres du club ont cependant la faculté d'y introduire des invités,
mais ils n'usent de leur droit qu'avec la plus grande circonspection.
Cette réserve conserve aux réunions le caractère intime qui leur est propre
et assure aux membres de l'association les délicates attentions des gens qui
n'en font pas partie, mais sont tourmentés par le désir de figurer en aussi
sélect compagnie.
Ce côté limited fait que le tableau est charmant, aussi joli qu'à Bagatelle.
Je sais bien que beaucoup qui, dans les comptes rendus, sont qualifiées de
« belles madames » jouissent d'une laideur absolue et de tournures orthopé-
diques, mais tout cela est si bien orné, arrangé, dissimulé, redressé, équi-
libré, qu'elles n'arrivent pas à détruire l'harmonie de l'ensemble.
374
SUR LE TURF.
On ne voit à première vue qu'un groupe parfaitement élégant, et si, dans
un examen plus attentif, votre œil est choqué par d'épouvantables masques
maladroitement coloriés, il trouve à chaque instant d'heureuses compensa-
Quelqoes > l.ellcs midames . des compte» rendu
tions dans la découverte de charmantes et jeunes figures qu'on distingue
moins facilement dans des agglomérations plus nombreuses...
Le rôle actif réservé à l'élément masculin présente un spectacle qui n'est
pas à dédaigner; les multiples évolutions nécessitées par le jeu font valoir
l'habileté des cavaliers, l'élégance de leurs silhouettes, leur adresse, qui égale
celle de leurs chevaux, et la simplicité de leur costume permet aux connais-
SLR LE TUIU".
377
seuses de recueillir sur les qualités de conformation des brillants champions
une série de renseignements qui sont parfois utilisés.
Ou découvre des musculatures qu'on ne soupçonnait .même pas sous le
frac et l'on s'aperçoit que des hommes auxquels on reconnaissait seulement
Ma
WËÈÊmà
, ■ >
une jolie tournure sont de véritables modèles de force svelte et nerveuse, tels
des chevaux qui sous les couvertures paraissent un peu ficelles et montrent,
une fois découverts, des paquets de muscles de nature à rassurer les plus
exigeants.
Pour les grands sporlsmen, ceux qui ont une écurie, voire même une
portion d'écurie, Deauville possède uue dernière attraction : les ventes de
yearlings organisées et monopolisées par feu Chéri.
C'est maintenant son gendre, M. Mal Bronn, qui préside à ces solennités
qui ont lieu dans l'enceinte même du pesage.
'.s
378 SUR LE TLRF
Un nombre considérable de boxes, construits en arrière du pavillon des
balances, hospitalise les convois amenés par les éleveurs, ce qui permet aux
connaisseurs de se livrer, avant l'ouverture des enchères, à un examen
approfondi des animaux qui leur sont offerts.
Scrupuleu
Cet examen a son importance, car il serait fâcheux de payer d'un prix con-
sidérable un produit du sang le plus fashionable qui serait possesseur de
remarquables jardons ou posséderait un rein absolument défectueux ; mais
cette importance n'est que relative, il peut empècber un achat, par la
conslalation d'un défaut capital; par contre, il est rare qu'il le détermine; ce
qui décide d'aussi importantes acquisitions, c'est bien plutôt le pedigree que
l'aspect d'animaux dont le modèle se formule à peine et dont les qualités se
devinent plus qu'elles ne se constatent.
Le moindre indice se confirme selon l'origine, et l'on escompte le déve-
SUIt LE TUItK.
;',7<>
loppement vraisemblable chez les enfants d'ime conformation qui a fait le
mérite des parents.
Malheureusement, de même que parfois les fils des gens les plus esti-
mables se montrent fripouilles incomparables il arrive que le fils d'un excel-
lent étalon et d'une jument hors ligne devient une rosse exceptionnelle.
Ce sont, disait Bossuet, les secrets de la Providence, lesquels, par essence,
étant impénétrables, sont particulièrement difficiles à deviner.
C'est pour ce motif que tant de craks au moins vraisemblables finissent en
chevaux de prix à réclamer.
Malgré les déboires qui résultent de pareilles méprises, les ventes de Deau-
■c7<. z .
8! Irtno
Vente de yearlings, d»n« la cour de l'établissement Cliéi
ville offrent aux éleveurs un sérieux débouché, et aux propriétaires un moyen
de remonte qui a donné à plusieurs d'excellents résultats.
Les noms des grands vainqueurs achetés aux ventes publiques sont dans
380
SLR LE TIR F.
la mémoire de tous les sportsmen : Plaisanterie, Nubienne, Maxico, Ruy-
lilas, ont été payés, clans ces conditions, des prix dérisoires, ce qui ne les a
pas empêchés de gagner la forte somme pour le compte de leurs heureux
acquéreurs.
C'est ce qui explique la quantité et l'élévation des enchères croissantes à
chaque nouvelle vente, pour la plus grande joie et le « betit pénéfice » de
leurs organisateurs.
gjÉb
v&
Retour des courses. — Le dépari : 1
de la Brcautr
DIEPPE
Quelqu'un qui aurait mission de décerner un prix de beauté à l'un des
hippodromes de Normandie serait certainement fort embarrassé : Deauville
est le plus élégant, Caen le plus étendu, Cabourg le plus familial, Bernay le
plus provincial, Lisieux le plus profondément normand; mais je crois que
c'est à celui de Dieppe qu'il conviendrait d'accorder la palme, car je ne
connais pas de paysage plus pittoresque.
Les coteaux qui l'entourent, assombris par les futaies de la forêt d'Arqués,
descendent jusqu'à des prairies d'un vert éclatant, coupées par des eaux
courantes d'une admirable limpidité. Tout cela a un éclat qui montre vic-
torieusement quelle puissance de végétation peut développer la terre de
Normandie. La silhouette du vieux château qui s'élève au fond de l'amphi-
théâtre révèle seule par ses teintes grises que toute cette verdure n'est pas
seulement produite par les eaux courant à travers la vallée et que les pluies
spéciales à la région, qui ont sali et miné ces vieilles murailles, y sont aussi
pour quelque chose.
382
SLR LE TURF.
Dieppe a sa pisle de plat et sa piste de steeple-chase : de la première, il
n'y a rien à dire, elle est quelconque, plutôt inférieure, comme celles de tous
les endroits où le petit nombre de réunions interdit les dépenses excessives
nécessaires pour la fabrication du tapis idéal qui reste le monopole des
grandes sociétés.
La pisle des steeple-chases n'est naturellement pas plus soignée, mais le
terrain est relativement bon, et les obstacles, bien compris, sont tout à fait
favorables aux animaux qui savent réellement leur métier de sauteurs : le
grand steeple-chase est, de toutes les épreuves actuelles, celle qui rappelle le
mieux les débuts du sleeple-chasing, et son parcours conserve encore la plu-
part des difficultés qu'on recherchait à l'origine pour mettre en lumière les
qualités des premiers sujets de la spécialité.
Il y faut, sinon de vieux routiers, du moins des chevaux particulièrement
adroits et résistants, familiarisés avec tous les obstacles, les jugeant bien et
sachant se recevoir sur n'importe quel terrain. C'est à la réunion de toutes
ces qualités, rendues rares par le dressage actuel, qu'il faut attribuer le
nombre des succès qu'y ont remporté les chevaux du baron Finot. Ils savent
ce qu'ils font, grâce aux procédés employés pour leur dressage, et nos lec-
teurs les connaissent par les révélations que nous avons empruntées à Fran-
ciscan Friar.
*\
Les tribunes du pesnge
PAL
L'hippodrome de Pau, pour être situé dans un pays particulièrement pit-
toresque, ne mériterait pas une mention spéciale, si le groupe de véritables
sportsmen qui ont élu domicile dans l'ancienne capitale du Béarnais ne
donnait à ses réunions une physionomie tout à fait particulière.
lion nombre de sociétés de province donnent des prix aussi importants,
beaucoup possèdent une installation aussi confortable et non moins bien
comprise, mais aucune ne réunit un aussi grand nombre de fidèles véritable-
ment passionnés pour le sport et, surtout, le pratiquant avec une égale
supériorité.
Tous les membres de la colonie Paloise, qu'ils soient français ou étrangers,
49
386
SUR LE Tl'KF.
professent pour le cheval le même culte passionné, et, bien que les étrangers
y possèdent la majorité, on peut dire que Pau est peut-être le seul point du
globe où l'internationalisme s'expérimente intelligemment?
Avant qu'on arrive à l'union rêvée des Etats du monde entier, la société
Paloisc réunit dans une entente complète des représentants de toutes les
nations.
1 1 mmm,
Les Américains et les Anglais y fraternisent de longue date, et les Français
qui aiment véritablement le sport sont accueillis par eux comme de véritables
compatriotes, tant, il est vrai, que rien ne rapproche plus complètement les
natures les plus opposées qu'une passion commune.
Les collectionneurs de timbres-poste, à quelque monde qu'ils appar-
tiennent et quelle que soit la différence de leurs âges, peuvent soutenir
d'interminables conversations sur leur spécialité. Il en est de même pour les
fervents de l'équitaliou, et il n'est même pas toujours nécessaire qu'ils se
comprennent complètement pour trouver un incontestable charme à des
entretiens qui roulent invariablement sur l'objet de leurs prédilections.
SIR LE TURF
:$S7
Ils ne saisissent pas loules les finesses du dialogue, puisqu'ils ne con-
naissent qu'imparfaitement les idiomes employés par leurs interlocuteurs,
mais ils savent que le fonds de la conversation porte sur ce qui les intéresse
le plus profondément, et c'est suffisant pour qu'ils y prennent le plus grand
intérêt; si les nuances leur échappent, le fonds les passionne.
Avec un public aussi sincèrement épris du cheval, il est naturel que les
On toise le» poneys pour le
courses soient religieusement suivies et que, quand la saison eu est tiuie,
tous les dilellauli d'équilation qui ne peuvent chasser tous les jours le
renard cherchent à utiliser, pour se livrer à leur sport favori, un terrain
bien entretenu, qui se prête admirablement aux multiples usages que lui
trouve leur inépuisable imagination.
Toutes les occasions et tous les prétextes leur sont bons pour y orga-
niser des private meeting dont les programmes sont extraordinairement
variés.
388 SLR LE TURF.
Les gentlemen de la Colonie en font lous les frais, à la lettre comme au
figuré.
Ce sont eux qui figurent comme acteurs et règlent la note à payer.
Qu'un personnage de marque arrive à Pau, on organise immédiatement
WÊM4 ■--^w^x^i^^
quelque chose pour célébrer sa
présence.
Un accident de montagne
s'est-il produit, un incendie s'est-il déclaré à dix lieues à la ronde, vite une
fête de charité au profit des victimes !
On évalue les frais, on fixe les cotisations et l'on va de l'avant.
Les sinistrés auxquels les recettes sont destinées n'y sont généralement pas
de leur poche, et les organisateurs trouvent dans le succès la compensation
de leurs débours, de telle sorte que tout le monde est satisfait et que les
uus et les autres n'attendent qu'une nouvelle occasion de recommencer.
La variété des exercices auxquels tous ces messieurs se livrent dans ces
SIR LE TURF.
389
réunions supplémentaires est invraisemblable et montre à quel degré d'ayi-
lité, voisine de l'acrobatie, peuvent atteindre des hommes jeunes cl bien con-
formés qui vivent constamment à cheval.
La légende des Centaures est au-dessous de la vérité.
Ces personnages fabuleux étaient soudés à leurs montures, ce qui dans une
foule de circonstances devait être singulièrement gênant. Ils ont, eux, une
autre liberté de mouvements :
lis montent et descendent dans le même instant, s'habillent sur leur selle,
K
transportent des fardeaux, véhiculent d'un point à un autre avec une vitesse
vertigineuse les objets les plus fragiles et évoluent sur des chevaux miscros-
copiques dans un labyrinthe de poteaux, à travers lesquels le petit Poucet en
personne, malgré la précocité de son intelligence, aurait de la peine à
retrouver son chemin même en plein jour.
La cavalerie qu'on utilise daus ces jeux est aussi diverse que ces exercices
eux-mêmes — hacks et hunters y trouvent leur emploi, comme les chevaux
de Polo.
Plusieurs y ont gagné une réputation durable, et le nom de French, l'irlan-
dais noir du comte de Bari, qui malgré sa grande habileté de sauteur dut être
390
SUR LE TURF.
aballu après uue chute à Mari y, n'est pas encore oublié; d'autres virtuoses
de l'obstacle, plus heureux, sont cités en même temps comme des sauteurs
hors ligne et des macrobiles de l'espèce chevaline, tel tlie Major au comte
Jean de Madré, qui a pu jusqu'à l'âge de
vingt-sept aus accomplir le parcours de
steeple-chase de l'hippodrome palois.
Les chevaux ne sont pas seuls à con-
server tardivement la possession de tous
If leurs moyens.
Parmi les cavaliers qui figurent dans
ces parades d'agilité, ou compte un cer-
Course aux œufs. r ° ' r
tain nombre de quinquagénaires qui ont
gardé toute l'élasticité de la plupart de leurs mouvements.
Quand, ayant dépassé le milieu de la vie, on n'éprouve aucune hésitation
devant un obstacle, on peut se vanter d'être au nombre des privilégiés :
l'instinct de la majorité des gens qui ne sont plus dans toute leur fraîcheur
les porte généralement à éviter les occa-
sions de faire une chute, dont la fâ-
cheuse courbature sera forcément la
moins grave des conséquences.
A l'âge de la grande souplesse, on se
relève après les culbutes les plus vio-
lentes sans aucune sensation doulou-
reuse, et, si le cheval a bien voulu
attendre son cavalier, celui-ci se remet
immédiatement en selle et reprend sa course sans penser davantage à l'in-
cident qui s'est produit.
Il n'en va pas de même quand est passé l'âge de « toutes les audaces » .
SUR LE TURF
391
Les vieux muscles qui se sont trouvés eu contact avec le sol en gardent
toujours un fâcheux souvenir; la peau, telle une étoffe qui n'a plus que sa
traîne, s'éralle plus facilement, et les os, qui manquent de moelle, se montrent
infiniment plus friables : — telle précaution qui, prise par un homme de
vingt-cinq ans serait le comble de la pusillanimité, n'est plus, pour un vieux
monsieur, que l'indice de la plus élémentaire prudence.
1\ UACRCB1TE !>:■: LKSP1CE CHEVALINE
The Major à M. J. de Madré, à l'âge Ce tingt-sej t ans
I,e saul du cotitre-l
VINCENNES
C'est l'hippodrome de la Société d'encouragement pour l'amélioration du
cheval frauçais de demi-sang, et l'on y pratique tous les genres de courses :
plat, steeple-chase et trot.
Le but que la Société s'est proposé permettrait de s'étonner d'un pareil
éclectisme, d'autant plus que la majorité des épreuves de steeple-chase et la
totalité de celles de plat sont disputées par les chevaux de pur sang : il a
cependant sa raison d'être.
Toutes les fois qu'on a voulu organiser des courses exclusivement réservées
aux trotteurs, le public s'est abstenu : sans public pas de recettes, et sans
recettes pas d'encouragement.
De là l'institution des réunions mixtes.
Les courses au galop attirent le public, et les courses de trot profitent de
sa présence.
C'est une combinaison ingénieuse qui favorise les uns et les autres, et, du
50
394
SUR LE TIRF.
moment que le but est atteint, la nature des moyens employés n'a qu'une
importance secondaire.
Le terrain du plateau de Gravelle, très étendu et assez mouvementé, est
cependant assez découvert pour qu'il soit facile d'y suivre les incidents des
courses variées qui s'y disputent.
La piste des steeplc-chases, souvent profonde, exige de la part des chevaux
GJT
lu slecple-ibase miliuiir
une sérieuse endurance, et son parcours est celui qui, à l'heure actuelle, rap-
pelle le plus celui de feu la Croix de Berny.
Les épreuves militaires y sont nombreuses, principalement les courses de
sous-officiers, qui sont montés précisément sur les chevaux dont la Société
encourage la production, et le train dont elles sont menées montre que,
malgré tout ce que l'on a pu dire, sur la direction donnée à l'élevage du
demi-sang, il produit encore des galopeurs.
La préoccupation que les éleveurs peuvent avoir de fabriquer des animaux
capables d'atteindre les plus grandes vitesses au trot ne les empêche pas de
donner à leurs poulinières des étalons de pur sang et de pratiquer également
le croisement à l'envers.
SI II LI<: TUIll'.
397
Daus les deux cas, les produits s'affluent de plus en plus, et leur modèle
prend chaque jour une plus grande distinction.
S'il est vrai, comme l'affirme un groupe très sérieux d'hommes très com-
pétents, que les courses de trot influent sur la conformation des animaux qu'on
y consacre et que la préparation spéciale à laquelle on les soumet développe
à l'excès certaines particularités de construction, augmentent des points de
force au détriment de l'harmonie générale et tendent à spécialiser une grande
quantité d'animaux, un nombre tout aussi considérable de spécialistes con-
teste les affirmations des premiers et soutient que les défauts constatés chez
les premiers sujets des hippodromes de trot ne sont que des apparences qui
résultent non pas de leur conformation primitive, de leur construction vraie,
mais du développement artificiel produit par l'entraînement , qui modifie
l'aspect des membres et trompe l'observation en altérant momentanément
les proportions primitives.
A l'appui de cette opinion, ils citent l'exemple de chevaux qui, successive-
ment préparés pour le trotting et les courses au galop, ont fait preuve dans
ces deux spécialités de qualités supérieures et se sont montrés complètement
métamorphosés par l'application d'entraînements différents.
Les deux théories ont leurs partisans également convaincus, cl les polé-
398
SIR LE TURF.
iniques auxquelles elles donnent lieu ne sont certainement pas sur le point
de se terminer.
Chaque parti fait tous les jours de nouvelles recrues aussi passionnées que
leurs aînés et non moins ardentes à la lutte.
Les apôtres des courses au galop ont, dès à présent, constitué une société
nouvelle qui se propose d'instituer des courses d'obstacles réservées au
demi-sang, dans lesquelles nous reverrons les gros obstacles, les gros poids
et les longs parcours de l'ancien steeple-cbasing. Malheureusement, ses res-
sources sont encore trop modestes pour qu'il lui soit possible de réaliser ses
projets : cependant les adhésions affluent, les cotisations abondent et, dès
aujourd'hui, bien que la nouvelle société ait à peine deux ans d'existence, son
comité a pu distribuer un certain nombre de primes aux éleveurs dont les
produits lui ont paru mériter d'être encouragés, leur modèle se rapprochant
du desideratum qu'elle recherche.
Elle est loin de posséder des revenus aussi importants que ceux dont la
société du demi-sang et même le trolting-club peuvent disposer pour offrir
les allocations qui sont disputées à Viucennes et à Levallois-Perret ; mais,
comme le but qu'elle se propose répond à un besoin sérieux, que les
partisans de ses doctrines sont nombreux et que les hommes placés à sa
tète ont toutes les qualités nécessaires pour faire aboutir leurs projets, il
est probable que nous n'attendrons pas longtemps les résultats de leur pro-
pagande.
Nous assisterons donc prochainement, pourvu que Dieu nous prête vie, à
SUR LE TURF. :5f>!)
l'ouverture d'un hippodrome où l'on verra des obstaelcs analogues sinon
identiques à l'ancienne banquette de Vinccnnes, de véritables contre-bas, des
murs de plus de soixante centimètres et des rivières assez larges pour qu'il ne
suffise pas de sauter dans le train la baie qui les précède pour avoir les plus
grandes chances d'arriver de l'autre côté.
L'élévation des poids permettra aux gens dont la (aille dépasse celle en
honneur à Lilliput de continuer à monter eu course après qu'ils auront
atteint l'âge oii les tours de taille s'élargissent et où les efforts de l'entraîne-
ment ne parviennent plus à limiter le nombre des kilogrammes.
Quand ces temps seront arrivés, et nous souhaitons qu'ils ne se fassent pas
trop attendre, nous assisterons souvent, je l'espère, à un spectacle intéressant
qui nous permettra d'admirer le sang-froid et l'habileté de véritables cava-
liers et l'adresse de chevaux dont le dressage sera complet.
La vitesse sera certainement diminuée, et l'on ne verra vraisemblablement
pas ces nouveaux steeple-chasers abandonner momentanément leur spécialité
pour venir gagnera Longchamps ou h Maisons-Laffilte quelque course de plat.
A cela nous ne voyons aucun inconvénient.
Si l'on obtient une nouvelle catégorie de bons chevaux, je ne vois pas qui
pourrait s'en plaindre?
Ils ne feraient concurrence à personne : les chevaux de pur sang conser-
veront leur supériorité de vitesse, les demi-sang trotteurs atteindront des
records inconnus jusqu'à présent, pendant que les nouveaux venus franchi-
ront des obstacles de plus en plus élevés sur des parcours interminables.
Ce ne sera qu'un nouveau sport dont le succès ne diminuera en rien celui
400
SUR LE TURF.
des autres sports déjà en faveur : la difficulté sera peut-être de lui réserver
des journées sur le calendrier des courses, mais on y parviendra, et, pourvu
que sur le champ de courses encore inconnu qui sera monopolisé par le
demi-sang galopeur le pari mutuel fonctionne régulièrement, nous n'hésitons
pas à prophétiser que le puhlic ne manquera pas.
6"^C
FIN! DE SU H LE TURT
TA RI.K
AU BARON FINOT. — Dbdisme
AU LECTEUR
LES COI RSES. — Considérations générales. — Les acteurs. — Leur recrutement. — Éle-
vage et ventes publiques. — Propriétaires éleveurs et propriétaires acheteurs. —
Les mécomptes de l'éleveur. — Ah! c'est un métier difficile! — Établissements
de vente — Saint-James. — Le Tattersall — Dressage. — Entraînement. — De
l'importance des engagements.
LE CHAPITRE DES PARIS. — Quel serait le véritable conseil à donner en matière de
paris? — Serait-il suivi? — Du jeu en général — Systèmes variés. — Tous sont
bons! — Tous sont mauvais! Un nouveau guide du parieur
— Le « Tout v
— Le « Match
CHANTILLY. — La Compagnie du Xord. — Les mendiant». — Le moyen de leur échapper.
— Les fiacres locaux. — Les lads. — La chasse aux renseignements. — Le buffet.
— Chercheuses de tuyaux. — Le pari mutuel
— Essai
Handicap
— Un handicap peu ordinaire
LA CROIX DE BERNY
— L'accident de M. Torrance
:)orlil's .
MARLY-LE-ROI.
— Propos
AUTEUIL. — Le public. — Abondance de notabiliti
grands prix d'Auteuil. — Propos variés, etc
— définition du tuyau
— Expressions techniques
— Uxe visite \ I.VVCK
— La journée des Coacbs. — L<
COLOMBES
FONTAINEBLEAU
— Conseil d'ami
— La Société sportive d'encouragement.
SAINT-OUEN
49
81
85
89
101
123
12.")
133
137
189
193
197
221
229
231
233
404 TABLE.
Pages
ENGHIEN 239
MAISONS-LAFITTE 245
LA MARCHE 251
RAMBOUILLET 261
— Chevaux hongres 271
— Expressions techniques 279
LOYCHAMPS 287
— Le Grand Prix de Paris 311
— La campagne normande 353
CAEN 357
DEAUVILLE 301
DIEPPE 381
PAU 385
V1NCENNES 393
PARIS. TVPOr.RiPHIE DE E. PI.ON, NOURRIT ET Cie, 8, RIE laRIXCIKRE. 3513.
M
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J6r
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