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Full text of "Sur le turf"

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SUR  LE  TURF 


L'auteur  et  les  éditeurs  déclarent  réserver  leurs  droits  de  reproduction  et  de  traduction 
en  Fiance  et  dans  Ions  les  pays  étrangers,  y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 

Cet  ouvrage  a   été   déposé   au    ministère    de    l'Intérieur  (section  de  la  lilirsuiiïe)   en 
novembre  1898. 


PARIS.     ÏVPOGRAl'HIK     DE   E.    N.ON,    NOURRIT    ET    C'%    8,    RUE    GARANCIERE.    OÔ13. 


SIR  LE  TURF 


TEXT  E     E  T     I)  E  S  S  1 1\  S 


CRAFTY 


COURSES  PLATES  ET  STEEPLE-CHASES 


PARIS 

LIBRAIRIE      PLON 

Ë.    PLON,    NOURRIT  et  C",    IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

RUE    GARANCIKltE,    10 


1899 

Tous  droits  réserves 


AU  BARON  FINOT, 


Monsieur, 

Comme  le  bon  père  de  famille  qui  attend  un  nouvel  enfant,  je  me  suis 
demande,  au  moment  de  publier  ce  nouveau  volume,  quel  était  le  parrain  qui 
pourrait  exercer  sur  son  avenir  la  plus  bienfaisante  influence. 

Votre  nom,  qui  est  certainement  le  plus  populaire  sur  le  Turf,  m'est  venu 
le  premier  à  V esprit. 

Vous  avez  bien  voulu  me  permettre  de  l'inscrire  en  tête  de  ce  volume  : 
c'est  une  faveur  que  j'apprécie  à  toute  sa  valeur,  et  dont  je  vous  suis  très 
cordialement  reconnaissant. 

CRAFTV. 


Paris,  novembre  18lJS. 


SLR  LE  TLRF 


Pendunt  l.i  1  ii I te  finale. 


AU   LECTEUR 


Sur  le  lurf,  comme  autrefois  sur  le  pout  d'Avignon,  «  tout  le  monde 
y  passe,  y  passe.  »  Tout  Paris  et  le  Monde  entier!  et  rien  ne  parait  s'op- 
poser à  ce  qu'on  y  danse  en  rond  (l'espace  est  généralement  suffisant)  ; 
mais  les  résultats  les  plus  habituels  du  pari  mutuel  ne  sont  pas  assez  régu- 
lièrement favorables  pour  provoquer  chez  la  majorité  des  spectateurs  de 
semblables  manifestations  d'allégresse. 

Si  tout  le  monde  passe  à  un  moment  donné  sur  le  Turf,  peu  y  retournent, 
et  un  moins  grand  nombre  encore  y  séjournent. 

C'est  un  monde  spécial  composé  de  la  façon  la  plus  hétéroclite,  mi-partie 
ultra  sclcct,  grands  propriétaires,  oisifs  opulents,  véritables  et  demi  mon- 
daines supcrlalivement  élégantes,  et  mi-parlie  des  déclassés  de  toutes  espèces 
qui,  sortis  de  leurs  milieux  naturels  pour  des  motifs  variés,  se  maintiennent 
miraculeusement  dans  le  courant  de  la  vie  parisienne,  grâce  à  une  série  de 
procédés  aussi  peu  scrupuleux  qu'aléatoires,  parmi  lesquels  la  poursuite 
acharnée  et  parfois  la  rencontre  du  Tuyau  constitue  une  ressource  très  peu 
probable,  mais  possible,  et  à  coup  sur  très  escomptée. 


L'Encyclopédie  la   plus  volumineuse  serait  insuffisante  à  enregistrer   la 
foule  qui  encombre  les  hippodromes,  et  les   monographies  qu'on  consacre- 


mit  à  chaque  catégorie  d'habitués  équivaudraient  à  la  nomenclature  de  toutes 
les  professions  exercées  dans  la  capitale.  La  revue  des  spécialistes,  profes- 
sionnels ou  amateurs,  peut  être  passée  dans  un  cadre  moins  étendu,  c'est  la 
lâche  que  nous  avons  acceptée,  et  que  nous  allons  nous  efforcer  d'accomplir 
le  plus  exactement  et  le  plus  complètement  possible. 


Décembre  1898. 


SUR  LE  TURF 


LES   COURSES 


Considérations  générales.  —  Les  acteurs.  —  Leur  recrutement.  —  Elevage  et  ventes  publiques. 
—  Propriétaires  éleveurs  et  propriétaires  acheteurs.  —  Les  mécomptes  de  l'éleveur.  —  Ah! 
c'est  uu  métier  difficile.  —  Etablissements  de  vente.  —  Saiut-James.  —  Le  Tattersall.  —  Dres- 
sage. —  Entrainement    —  De  l'importance  des  engagements. 


L'ensemble  d'un  spectacle  se  compose  de  deux  éléments  :  la  troupe  qui 
l'exécute  et  le  public  qui  y  assiste. 

Comme  corrolaire  de  cet  axiome,  ou  peut  ajouter  que  la  valeur  de  cha- 
cune de  ses  parties  est  proportionnelle  l'une  à  l'autre,  et  que  le  public  est 
d'autant  plus  nombreux  que  la  troupe  est  plus  talentueuse;  en  un  mot 
l'acteur  a  le  public  qu'il  mérite  :  la  foule,  s'il  est  éminent,  —  voyez  Coque- 
lin!!!  —  le  désert,  s'il  est  nul!  —  Ne  nommons  personne. 


Ces  vérités  admises,  le  rôle  des  sociétés  de  courses  est  tout  indiqué  : 
fournir  des  allocations  suffisantes  pour  attirer  les  compétiteurs  les  plus  nom- 
breux et  les  plus  estimés;  et  c'est  ce  qu'elles  font  toutes, poussées  par  la  plus 
louable  émulation. 

Les  considérables  allocations  fournies,  il  s'agit  de  trouver  les  chevaux 
dignes  de  les  disputer  :  c'est  la  tâche  des  propriétaires  d'écuries,  et  chacun 

1 


2  SUR    LE    TURF. 

d'eus  s'efforce  de  mettre  en  ligne  les  concurrents  qu'il  croit  capables,  à  tort 
ou  à  raison,  déjouer  les  premiers  rôles. 

Tous  poursuivent  le  même  but  :  fournir  le  vainqueur  des  épreuves  capi- 
tales ;  mais,  tandis  que  les  uns  cherchent  à  produire  eux-mêmes  les  chevaux 
incomparables  appelés  à  triompher  dans  les  solennités  du  turf  et  accumulent 
les  sacrifices  pour  améliorer  leur  élevage,  d'autres,  mieux  avisés,  si  l'on  en 
juge  d'après  les  résultats  obtenus  pendant  ces  dernières  années,  se  contentent 


d'acheter  tout  faits  les  animaux  qui  leur  semblent  les  plus  séduisants,  ou  qui, 
d'après  leur  origine,  paraissent  devoir  réunir  les  qualités  de  vitesse  ou  de 
tenue  nécessaires  pour  tenir  la  tète  de  leur  génération. 

Les  propriétaires  qui  ont  adopté  ce  mode  de  recrutement  ont  deux  façons 
de  renouveler  leur  effectif. 

Les  réclamations  sur  les  champs  de  courses  et  les  achats  en  vente  publique, 
à  Saint-James  (Chéri-Halbronn),  à  Neuilly  (Tattersall)  à  des  dates  variables, 
et  à  Deauville,  après  la  semaine  des  courses. 


L'éleveur  a  certainement  droit  à  une  plus  haute  considération,  au  point  de 
vue  spécial  des  services  rendus  à  la  race  chevaline,  que  le  propriétaire  qui  se 


SUR    LE    TURF.  3 

borne  à  acheter  l'animal  tout  produit  et  cherche  à  confisquer  à  son  profit  les 
bénéfices  que  sa  bonne  conformation  peut  faire  espérer  ;  le  premier  corres- 
pond, dans  la  hiérarchie  commerciale,  par  exemple,  au  grand  industriel  qui 
construit  des  usines,  crée  un  outillage  onéreux,  fait  toutes  les  avances  de 
fonds  nécessaires  pour  fabriquer  dans  les  conditions  les  plus  favorables;  le 
second  peut  être  assimilé  au  commerçant  de  délail  qui  ne  risque  rien  au  delà 
de  la  valeur  des  marchandises  qu'il  se  propose  de  revendre,  simple  intermé- 
diaire entre  le  producteur  et  le  consommateur. 


Malheureusement,  quand  l'objet  fabriqué  est  un  cheval  pouvant,  à  la  suite 
d'un  certain  nombre  d'expériences  publiques  qui  démontrent  sa  supériorité, 
prendre  une  valeur  absolument  impossible  à  prévoir  non  seulement  au 
moment  de  sa  naissance,  mais  encore  pendant  les  premières  phases  de  sa 
formation,  il  arrive  souvent  que  ce  n'est  pas  à  son  producteur  que  profite 
cette  bienfaisante  plus-value. 


Quand  l'éleveur  ne  fait  pas  courir,  la  déconvenue  d'une  pareille  mésa- 
venture n'existe  pas  pour  lui;  l'excellence  de  ce  cheval  exceptionnel  aug- 
mente la  valeur  de  ses  autres  produits,  et  il  rentre  dans  la  catégorie  de  tout 


4  SUR    LE    TLRF. 

producteur    dont    la   fabrication  a   reçu   une   récompense    exceptionnelle, 
médaille  d'honneur  ou  décoration. 

Cela  lui  permet  d'augmenter  ses  prix. 

Si,  au  contraire,  il  est  à  la  fois  éleveur  et  turfiste,  et  que  ce  soit  pour  réduire 
son  effectif  qu'il  a  veudu  le  cheval  hors  ligne,  quelle  suite  de  désillusions  et 
de  regrets  il  s'est  préparée  en  éliminant  le  meilleur  spécimen  de  sa  production  ! 

A  quel  degré  d'exaspération  doit  arriver  un  malheureux  propriétaire  con- 
stamment battu  par  son  propre  cheval,  perpétuellement  classé  second  der- 
rière lui-même,  et  réduit  à  se  contenter  de  la  prime  réservée  à  l'éleveur,  alors 
qu'il  n'aurait  eu  qu'à  ne  pas  réformer  son  cheval  pour  toucher  le  montant 
du  prix  avec  tous  les  accessoires  y  afférant! 


Le  comble  de  In  guigne.  —  Etre  régulièrement  battu  par  le  cheval  qu'on  a  éleié  et  volontairement  reformé. 

Pour  les  chercheurs  de  combles,  c'en  est  un  tout  trouvé  :  avoir  élevé  et 
vendu  à  un  concurrent  le  cheval  qui  bat  régulièrement  dans  toutes  les 
épreuves  importantes  le  cheval  que  vous  lui  avez  préféré  et  que  vous  avez 
conservé  en  vertu  d'une  série  de  considérations  plus  judicieuses  les  unes 
que  les  autres  sur  la  construction,  les  points  de  force,  la  profondeur  de  la 
poitrine,  la  largeur  des  articulations,  la  puissance  des  leviers,  etc.,  etc. 

Sic  vos,  non  vobis,  a  dit  le  poète,  c'est  vous  qui  l'avez  fait,  mais  c'est  sous 
votre  nez  que  passe  la  récompense. 


C'est  une  des  déceptions  les  plus  douloureuses  du  métier  d'éleveur,  dans 
lequel  elles   sont   cependant    exceptionnellement   nombreuses,   poulinières 


SUR    LE    TURF.  5 

vides,  poulains  mort-nés,  épidémies,  morts  multipliées,  accidents  à  l'her- 
bage, etc.,  etc.,  toutes  mésaventures  qui  ne  diminuent  aucun  dos  frais  géné- 
raux, qui  seuls  continuent  à  courir  avec  une  persévérante  vitesse. 

Je  sais  bien  que  ceux  dont  le  haras  confine  à  leur  habitation  ont  le  plaisir 
de  voir  galoper  sous  leurs  fenêtres  leurs  yearlings,  et  que  rien  ne  donne  à 
une  prairie  une  plus  joyeuse  animation  que  les  ébats  d'un  nombreux  lot  de 
poulains  et  de  pouliches;  spectacle  agréable,  j'en  conviens,  mais  combien 


plus  coûteux  que  la  loge  la  plus  convoitée  à  la  plus  exceptionnelle  des  repré- 
sentations théâtrales! 

Achat  de  poulinières,  prix  des  saillies,  entretien  des  boxes,  appointe- 
ments du  personnel,  frais  de  voyages  pour  l'envoi 
des  juments  à  l'étalon,  nourriture,  soins  vétéri- 
naires, etc.,  etc. 

Le  grand  avantage  d'une  pareille  entreprise 
est  qu'elle  absorbe  tout  le  temps  que  son  fortuné 
propriétaire  pourrait  consacrer  à  la  dilapidation 
de  ses  capitaux  par  des  moyens  plus  rapides  : 
séjours  prolongés  à  Monaco,  par  exemple,  ou 
assiduités  régulières  auprès  de  nos  plus  réussies 
demi-mondaines. 
Quelques-uns  mènent  de  front  ces  diverses  occupations,  obéissant  à  ce  lem- 


cheval!... 
vous  le  vendre 


SUR    LE    TURF. 


pérament  spécial  de  viveurs  irrémédiablement  destinés  à  devenir  de  préma- 
turés décavés. 

II  ne  faudrait  pas  croire  que,  même  affranchi  des  charges  d'un  élevage 
personnel,  le  métier  de  propriétaire  soit  un 
passe-temps  économique  à  la  portée  de  toutes 
les  bourses. 


Pour  être  pratiqué,  je  ne  dirai  pas  utilement 
mais  seulement  impunément,  il  demande  une 
somme  de  qualités  dont  la  réunion  ne  se  ren- 
contre pas  fréquemment  :  une  grande  présence 
d'esprit,  beaucoup  d'activité,  énormément  de 
sang-froid,  et  assez  de  bon  sens  pour  résister  à 
la  tendance  que  nous  avons  tous  d'attribuer  au  cheval  que  nous  possédons, 
fùl-ce  la  plus  médiocre  des  haridelles,  toutes  les  qualités  connues. 


—  Pour  se  décaler  plus  rapidement  qu 
courses,  il  n'y  a  que  Ja  roulette  :  et  ce  [ 
pas  toujours  elle  qui  va  le  plus  vite 


Les  résultats  obtenus  par  une  écurie  de  courses  à  la  un  d'une  année 
tiennent  souvent  moins  à  la  qualité  de  ses  chevaux  qu'à  l'estimation  que  le 
propriétaire  a  su  faire  de  sa  cavalerie.  Tout  l'art  des  engagements  est  là,  et 
tel  qui  s'est  obstiné  à  faire  inutilement  courir  à  ses  produits  les  grandes 
épreuves,  aurait  utilement  employé  les  mêmes 
chevaux  s'il  avait  consenti  à  les  engager  dans 
une  société  moins  relevée. 

L'animal  vraiment  supérieur  est  une  excep- 
tion, par  conséquent  une  rareté  sur  laquelle 
il  ne  faut  jamais  compter. 

Le  talent   est  de  savoir   utiliser  les  sujets 
moyens,  et,  pour  eu  tirer  parti,  il  est  indis- 
pensable   de    ne  pas    garder    d'illusions    sur 
leur  véritable   valeur,   et  savoir  se  résigner  à  les  laisser  gagner  leur  prix 
à  réclamer,  quand  ou  les  voit  incapables  de  figurer  à  l'arrivée  des  grandes 
épreuves. 


Te!  brille  au  second  rang  qui  s'éclipse  au  premier. 


C'est  la  réflexion  d'un  sage,  et  plus  d'un  propriétaire  aurait  trouvé  sou 


SUR   LE    TURF.  " 

compte  à  la  faire  graver  sur  le  boxe  de  son  élève  favori,  dout  la  carrière  de 
crack  manqué  aurait  pu,  avec  une  moindre  ambition,  être  utile  à  l'écurie  et 
payer  largement  sa  part  d'avoine... 

11  serait  difficile  de  décider  lequel  des  établissements  de  Saint-James  ou 
de  la  route  de  la  Révolte  est  le  plus  pittoresquement  installé  et  le  mieux  appro- 
prié à  sa  destination. 

Pour  être  impartial,  il  faut  constater  que  tous  deux  sont  également  bien 
aménagés  pour  l'installation  et  la  présentation  des  chevaux. 

Le  second  est  plus  rapproché  du  centre,  mais  le  chemin  qui  conduit  au 
premier  est  plus  agréable,  et  plus  familier  aux  habitués  des  grandes  ventes. 
Il  y  a  donc  compensation. 


4S*w  w^m^i^^ 


Je  crois,  sans  en  être  autrement  sûr,  que  la  succursale  de  l'établissement 
Chéri  a  élé  construite  sur  l'emplacement  où  l'étalon  de  feu.Moreau-Chaslon, 
»  le  Petit  Caporal  »  ,  se  livrait  à  ses  saillies  habituelles. 

Spécialement  en  vue  du  but  qu'il  remplit,  il  est  très  bien  conçu. 


Les  boxes,  suffisamment  nombreux,  sont  vastes,  clairs,  bien  aérés. 
On  peut  y  examiner  utilement  les  animaux. 

Les  dégagements  sont  larges,  et  les  voies  par  lesquelles  les  chevaux  sont 
amenés  à  la  tente    où   les   enchères  ont  lieu  sont  suffisamment  ouvertes 


8  SUR    LE    TURF. 

pour  éviter  l'encombrement  et  les  accidents  que  les  excès  de  gaieté  des  pou- 
laius  pourraient  amener  dans  un  espace  plus  restreint. 

C'est  à  la  fois  confortable  et  élégant. 

Le  Taltersall  a  trouvé  toute  faite  son  annexe  de  la  route  de  la  Révolte,  con- 
struite pour  les  écuries  de  lord  Seymour. 

Piste  en  cercle  abritée  par  des  arbres  déjà  anciens,  vastes  pelouses,  boxes 


nombreux,  pavillon  central  pour  le  service  administratif  et  le  logement  du 
directeur. 

Tout  y  est,  et  il  a  suffi  de  dresser  un  hangar  destiné  à  abriter  les  acheteurs 
les  jours  de  vente  pour  que  l'installation  fût  complète... 

Le  spectacle,  quand  quelque  animal  de  valeur  incontestée  figure  au  pro- 
gramme, mérite  qu'on  s'y  arrête  et  qu'on  examine  avec  soin  la  composition 
de  la  chambrée. 

Tout  le  monde  sportif  est  là. 

Les  journalistes  spéciaux,  la  majorité  des  entraîneurs,  tout  un  lot  d'hommes 
d'écurie,  jockeys,  lads  et  garçons  de  voyage,  puis  tous  les  propriétaires  ou 


L'ETABLISSEMENT  DE   SAIMT-JAMES. 


VENTE     DE     PUR     SANG 


SUR   LE    TURF.  Il 

leurs  représentants  chargés  de  pousser,  en  leur  lieu  et  place,  jusqu'à  concur- 
rence d'une  somme  déterminée  à  l'avance,  à  seule  fin  d'éviter  l'emballement 
de  la  lutte,  le  cheval  qu'ils  ambitionnent  d'ajouter  à  leur  effectif. 

Tous  se  sont  installés  sur  les  gradins,  s'oppliquaut  à  se  dissimuler  dans 
des  groupes  insignifiants,  composés  de  simples  curieux,  afin  d'éviter  le  con- 
tact des  spécialistes,  dont  les  observations  ou  les  conseils  pourraient  les 
influencer. 

Les  enchères  commencent. 


Le  premier  cheval  présenté  est  généralement  un  personnage  de  peu  d'im- 
portance, concurrent  malheureux  jusqu'alors,  ou  bon  cheval  éloigné  du  turf 
par  un  accident  quelconque,  plus  ou  moins  bien  raccommodé. 

Le  marteau  réclame  le  silence  :  on  fixe  un  prix. 

«  A  mille  francs,  il  y  a  marchand  »  .  —  Personne  ne  dit  mot. 


Le  public  a  besoin  d'être  encouragé. 

«  Voyons,  messieurs!  »  Et  une  voix  à  la  tribune  donne  à  nouveau  lecture 
du  catalogue,  appuyant  sur  l'origine,  s'il  s'agit  d'un  cheval  inconnu,  insistant 
sur  le  montant  des  sommes  gagnées,  s'il  est  question  d'un  revenant. 

Un  amateur  se  déclare. 


12  LE    Tl'RF. 

«  Mille  vingt  francs,  cinquante,  soixante,  quatre-vingts,  onze  cents.  » 

Les  enchères  montent,  poussées  plus  ou  moius  activement,  pendant  qu'on 
se  montre  les  capitalistes  soupçonnés  de  vouloir  acquérir  le  numéro  sensa- 
tionnel de  la  vacation. 

«  Ce  petit  gros  là-bas  en  paletot  mastic,  c'est 
bien  le  comte  de  B...  ? 

—  Pas  du  tout,  le  voilà  là-bas,  dépassant  de 
tout  le  buste  la  masse  du  public. 

- —  L'on  m'avait  bien  dit  qu'il  avait  un  certain 
embonpoint,  mais  je  ne  le  savais  pas  si  grand. 

—  Vous  aurez  confondu  avec  son  beau-frère,  la  circonférence  dans  sa 
plus  grande  pureté  de  ligne. 

—  Montrez-moi  donc  le  propriétaire  de  Doge.  C'est  ce  petit  mince,  n'est-ce 

pas?  avec  un  pince-nez,  là-bas,  à  gauche  de  la 
tribune... 

—  Mais,  pas  du  tout!  C'est  M.  V.  P...  que 
vous  désignez.  M.  A...  n'a  pas  tout  à  fait  deux 
mètres,  mais  il  ne  s'en  faut  guère;  il  est  à  droite, 
debout,  en  gris... 

—  Celui  qui  a  les  épaules  eu  porte  manteau? 

—  Parfaitement. 

—  Lst-ce  que  Mlle  M.  D...  est  ici? 

—  Je  ne  la  vois  pas,  madame  sa  mère  non 
plus,  mais  je  crois  bien  que  sou  fondé  de  pou- 
voir est  derrière  la  tribune... 

—  Qui  est-ce? 

—  Ce  n'est  pas  moi  qui  vous  le  dirai... 
—  Celle  forte  brune  là-bas,  n'est-ce  pas  Mme  R — i? 

—  Pourquoi  voulez-vous  qu'elle  soit  brune  ? 
— ■  Je  pensais  qu'une  Italienne. . . 

—  Eh  bien,  vous  vous  mettiez  simplement  le  doigt  dans  l'œil  :  d'abord, 
elle  n'est  pas  là,  et  ensuite  elle  est  blonde,  mais  blonde  comme  je  vous  en 
souhaite. 

—  Ça  ne  serait  pas  de  refus... 

—  Quelqu'un  que  je  voudrais  bien  voir,  c'est  AI.  J.  de  B...  On  m'a  dit 
qu'il  ne  ponlait  jamais  moins  de  cent  mille,  et  qu'il  gagnait  toujours... 


A   LA   SUCCURSALE   DU  TATTERSALL.  —  ROUTE   DE  LA   RÉVOLTE. 


Qu'est-ce   que   rous   faites  dans  cet 
_  Je  le  dirige,  mon  général. 


l'EXTE      DE     l'LIt     SJ.VC. 


SUR    LE    TURF. 


Là 


C'est  parfaitement  exact. 
Vraiment? 

—  Seulement   vous    confondez   avec   le 
pari  mutuel. 

—  Vous  n'êtes  pas  sérieux. 
Pas  quand  on  me  récite  des  contes  de 

fées...  » 

Cependant  un  grand  silence  se  fait  :  on 
vient  d'introduire  le  Crack,  qu'on  place  de 
façon  que  sa  silhouette  se  découpe  sur  la 
plinthe  de  la  tribune.  Toutes  les  têtes  se 
penchent  vers  lui,  dans  un  examen  à  la  fois 
attentif  et  respectueux. 

Lui  parait  absolument  indifférent  à  l'émotion  qu'il  produit. 
II   arrive  souvent    que  c'est   précisément   le    moment  où  l'attention    se 
concentre   sur  lui  qu'il   choisit  pour  lever  la  queue, 
écarter  les  jambes  de  derrière,  et  se   vider   conscien- 
cieusement. 


^w 


On  lit  sur  l'estrade  la  notice  :  «  Rayon  d'or  II,   né 

en   189...   par  Fil  de  Soie  et  Escarhoucle,  son  père 

gagnant   de  plus  de  deux    cent   mille   francs  d'argent 

public;  père  de  Luisant,   de  Voyeur,   de  Conquérant, 

de  miss  Henriett,  de  Bouton  d'or,  et  de  nomhreux  autres  gagnants.  Sa  mère, 

fille  de  Tardigrade,  importée  d'Angleterre,  gagnante  de  plusieurs  prix  à  deux 

et  trois  ans,  etc.,  etc.  » 

La  lecture  est  terminée. 


Un  silence,  et  la  voix  reprend  plus  grave  :  «  Nous  avons  marchand  à  vingt 
mille,  m 


Nouveau  silence,  un  peu  plus  long  et  sensihlemeut  plus  profond,  après 
lequel  les  enchères  commencent. 

«  Vingt  et  un,  cinq  cents,  deux  mille,  cinq  cents,  vingt-cinq  mille,  cinq 
cents,  trente  mille,  cinq  cents,  trente,  trente-cinq.  »  Les  chiffres  s'accumu- 
lent sans  qu'aucun  des  enchérisseurs  se  fasse  entendre. 


16  SUR    LE    TURF. 

Les  crieurs  seuls  articulent  le  montant  des  sommes  atteintes  sans  qu'il 
soit  possible  de  voira  quels  ordres  ils  obéissent. 

La  plus  humble  des  professions  exige,  par  le  temps  de  civilisation  raffinée 
où  nous  vivons,  des  qualités  poussées  à  la  perfection  ; 
les  aptitudes  comme  l'agriculture  doivent,  pour  obtenir 
un  résultat  rémunérateur,  recourir  aux  procédés  inten- 
sifs, et  le  coup  d'œil  des  Peaux-Rouges  devient  de  la 
myopie  si  on  le  compare  à  celui  des  modestes  salariés 
qui  sont  chargés  d'énoncer  à  haute  voix  les  mises  con- 
senties par  des  mouvements  de  physionomie  impercep- 
~—        tibles  à  l'ensemble  du  public. 


—  Messieurs,    no 
cband  a  \ingt  mille  ! 


..  Quarante  mille  francs  à  gauche.  »  Aucun  des  spec- 
tateurs n'a  perçu,  malgré  les  plus  grands  efforts  d'atten- 
tion, le  moindre  sigue;  pourtant  l'enchère  a  été  mise, 
et  la  preuve  c'est  qu'on  adjuge. 

En  résumé,  les  moyens  dout  dispose  un  gentleman  désireux  de  monter 
une  écurie  de  course  sont  l'élevage,  la 
réclamation,  l'achat  soit  à  l'amiable,  soit 
en  vente  publique. 

Une  fois  en  possession  d'une  cavalerie 
suffisamment  nombreuse,  il  ne  lui  reste 
plus  qu'à  trouver  le  moyen  de  l'employer 
utilement,  et  pour  obtenir  ce  désirable 
résultat  il  lui  faut  exceller  à  la  fois  dans 
l'art  délicat  de  la  préparation  et  dans  celui, 
non  moins  difficile,  des  engagements. 

La  préparation  commence  par  le  dressage,  et  se  termine,  pour  employer  le 
terme  technique,  par  l'entraînement. 

Les  soins  infinis,  les  précautions  minutieuses  à  apporter  dans  la  première 
partie  de  cette  éducation  dont  le  but  est  avant  tout  de  familiariser  le  poulain, 
d'atténuer  progressivement  la  crainte  instinctive  qu'il  a  de  l'homme,  ne  sau- 
raient être  trop  recommandés  aux  gens  d'écurie  chargés  d'entrer  les  pre- 
miers en  contact  avec  des  animaux  dont  la  sauvagerie  résulte  surtout  d'une 
excessive  pusillanimité. 


SUR    LE    TURF. 


17 


C'est  celte  appréhension  qu'il  faudrait  apaiser  tout  d'abord,  et,  malheu- 
reusement, les  ignorants  qui  s'imaginent  qu'il  faut  avant  tout  se  faire  craindre 
se  rencontrent  encore  en  trop  grand  nombre,  et  leurs  brutalités  laissent  dans 
la  mémoire  des  animaux  qu'ils  maltraitent  un  souvenir  souvent  ineffaçable. 

On  ne  saurait  trop  répéter  que  le  cheval  est  un  animal  essentiellement 
craintif,  et  que  sa  principale,  pour  ne  pas  dire  sa  seule  qualité  intellectuelle, 
est  la  mémoire. 


Le  cheval  est  un  i 


Bal  essentiellement  craintif  dont  un  n'acquiert  la  confiano 
d'une  persévérante  dnucenr. 


Ces  deux  points  admis,  il  est  facile  de  concevoir  que  les  violences  subies 
sont  le  point  de  départ  de  toutes  ses  résistances,  de  toutes  ses  défenses,  qui 
ne  sont  en  réalité  que  des  ripostes  aux  mauvais  traitements  dont  il  se  sou- 
vient, ou  des  parades  à  ceux  qu'il  prévoit. 

C'est  certainement  parce  qu'il  aimait  et  connaissait  à  fond  les  animaux  que 
La  Fontaine  a  dit  :  «  Mieux  vaut  douceur  que  violence  » ,  car  vis-à-vis  des 
hommes,  du  moins  pour  certains,  le  secoud  moyen  est  bien  souvent  le  plus 
efGcace. 

Les  propriétaires  qui  tiennent  à  ce  que  le  caractère  de  leur  cavalerie  ne 

3 


IS 


SUR    LE    TURF. 


soit  pas  exaspéré,  doivent  donc  surveiller  avec  une  extrême  sévérité  leurs 
premiers  rapports  avec  l'humanité. 

Pour  l'opération  infiniment  délicate  qui  consiste  à  prendre  au  moment  du 
sevrage  le  poulain  à  la  mère,  ils  ne  doivent  employer  que  des  hommes  d'une 
douceur  et  d'un  courage  éprouvés. 

La  violence  chez  les  gens  qui  affrontent  obligatoirement  ou  professionnel- 
lement un  danger  quelconque  n'est  bien  souvent  qu'une  façon  de  dissimuler 
un  trac  intense,  l'équivalent  des  chants  que  les  poltrons  profèrent  la  nuit 
pour  ne  pas  entendre  la  chute  des  feuilles  mortes  et  éviter  le  tressaillement 
maladif  que  leur  cause  le  moindre  bruit  inexpliqué  .... 


La  mise  du  premier  licol  est  une  opération  de  la  plus  haute  importance, 
dont  la  réussite  ou  l'insuccès  peut  inûuer  de  façon  définitive  sur  toute  la  car- 
rière d'un  poulain  :  faite  avec  la  patience  nécessaire,  après  une  série  de 
caresses,  de  frôlements  répétés  autour  des  oreilles,  de  pressions  légères  sur  le 
chanfrein  et  la  ganache,  elle  aura  donné  assez  de  confiance  au  yearling  pour 
qu'il  ne  redoute  plus  le  contact  de  l'homme  et  n'oppose  désormais  aucune 
résistance  quand  il  s'agira  de  lui  faire  porter  un  harnais  plus  compliqué; 
brusquée,  réussie  par  surprise,  elle  lui  laissera  au  contraire  une  impression 
souvent  bien  difficile  à  faire  oublier. 


Pour  avoir  voulu  gagner  quelques  instants  à  la  première  tentative,  on  aura 


LE    DRESSAGE    DES    YEARLINGS. 


Tant  qu'on  ne  leur  demande  rien,  les  yearlings 
se  promènent  généralement  assez  sagement,  sauf  les 
mouvements   de   gaielë  inévitables  dans   la    première 


Ceux   qui    ont   de   la    volonté   la 
festent  le  plus  souvent   par  une  tends 
à  s'éloigner  de  leur  conducteur... 


Si    celui-ci    résiste    et 
force,  il  est  rare  que  la  lutte  se  termine 


C^f^r_ 


■i  >w- 


LE    DRESSAGE    DESjYEARLINGS 


LE    DRESSAGE    DES    YEARLINGS 


On   ■  ....i en    mettant  en   sac  à 

farine,  sur  la  selle,  an  lad.  dont  la  fonc- 
tion consiste  à  làclier  prise  à  la  première 
incartade  ,  le  tout,  dans  le  but  de  fami- 
liariser le  cheval  avec  l'homme  et  de  le 
mettre  en  confiance. 


-(lnnjpam 

généralement  du  ji 
coup, et  il  en  résulte  quel 

susdit  iad es t  freijueuiiiieri 
obligé  de  se  ramasser.  . 


' 


LJï 


Quand  il  est  parvenu  à  inspirer  au  yeai 
ling  une  confiance  relative,  le  lad  est  autoris 
à  enfourcher  son  élève,  et,  le  gamin  mis  e 
selle  dans  une  attitude  plus  régulière,  codi 
mence  une  série  de  promenades  au  pas,  teu 


SUR    LE    TURF.  25 

compromis  l'ensemble  du  dressage,  et  Pembouchage  donnera  lieu  à  toute 
une  série  de  résistances  plus  ou  moins  violentes  suivant  l'énergie  de  l'animal, 
qui  se  renouvelleront  à  chaque  tentative  nouvelle,  quand  il  faudra  le  panser, 
le  seller,  etc. 

La  même  patience,  indispensable  pour  le  dressage,  sera  tout  aussi  néces- 
saire pour  la  préparation  matérielle  du  poulain. 

L'entraînement  consiste  dans  une  série  d'exercices  dont  le  but  est  d'ame- 
ner l'animal  auquel  on  les  impose  au  mieux  de  sa  condition,  à  l'époque  pré- 
cise où  il  doit  disputer  les  épreuves  qu'on  l'estime  capable  de  remporter. 

C'est  un  travail  progressif  qui  doit  être  conduit  avec  prudence,  car  il  faut 
éviter  non  seulement  les  accidents,  mais  jusqu'à  l'apparence  de  la  fatigue. 

Toute  interruption  dans  le  travail  est  un  recul,  bien  souvent  irréparable  : 
l'ensemble  de  l'entraînement  est  une  progression  qu'il  faut  obtenir  sans 
arrêt,  par  accumulation  d'efforts  multipliés,  mais  avec  une  telle  sagesse  que 
le  résultat  acquis  ne  puisse  pas  être  compromis. 

Il  faut  que  la  santé  générale  reste,  pendant  toute  celte  période,  à  l'abri  de 
toute  fluctuation,  que  par  conséquent  il  y  ait  équilibre  parfait  entre  l'acquisi- 
tion et  la  dépense  des  forces  obtenues. 

Un  excès  de  travail  anticipé,  un  galop  trop  prolongé  ou  trop  vif,  une  suée 
donnée  hors  de  propos,  le  plus  léger  refroidissement  peuvent  avoir  des  con- 
séquences déplorables  non  seulement  pour  la  préparation  poursuivie  dans 
un  but  déterminé,  mais  encore  pour  toute  la  carrière  de  l'animal  imprudem- 
ment surmené. 

Un  effort  prématuré,  tenté  avant  qu'un  accord  complet  se  soit  établi  entre 
l'état  des  voies  respiratoires  et  les  forces  musculaires,  peut  et  doit  amener 
des  désordres  souvent  irréparables;  et,  sans  aller  aussi  loin  dans  les  prévi- 
sions pessimistes,  on  peut  affirmer  que  toute  précipitation  qui  arrête  l'entraî- 
nement nécessite  une  mise  au  repos  d'une  durée  telle  qu'elle  coûte  fatale- 
ment à  l'imprudent  la  perte  de  toute  une  année. 

L'entraînement  interrompu  ne  peut  pas  être  repris,  et  c'est  toute  une 
opération  nouvelle  à  reprendre  par  le  commencement,  travail  au  pas,  trotting, 
suées,  purgations,  etc.  Tout  ce  qui  a  été  fait  est  perdu,  et  bien  perdu,  puis- 

% 


26 


SUR   LE    TURF. 


qu'au  lieu  d'uue  augmeutatiou  des  forces  on  n'a  obtenu  qu'une  fatigue  plus 
ou  moins  profonde,  mais  toujours  très  longue  à  réparer. 

C'est  à  l'entraîneur  qu'il  appartient  sans  doute  de  régler  le  travail  de  cha- 
cun de  ses  pensionnaires,  mais  le  propriétaire  doit  au  moins  se  faire  rendre 
compte  de  la  marche  adoptée,  veiller  par  lui-même  à  ce  qu'aucune  impru- 
dence ne  soit  commise,  et  que,  sous  le  prétexte  de  hâter  la  mise  eu  condition, 
on  ne  compromette  pas  par  des  efforts  excessifs  les  résultats  acquis. 


Combien  d'essais  ont  coûté  la  victoire  à  des  chevaux  qui  avaient  dépensé 

dans  ces  répétitions  inutiles  l'éner- 
gie emmagasinée  qui  leur  aurait  per- 
mis un  effort  décisif  au  moment  de 
la  lutte! 


Les  économies   se  retrouvent  tou- 
jours,  affirme  la  sagesse  bourgeoise. 

C'est  aussi  vrai  pour  les  forces  phy- 
siques que  pour  les  valeurs  accumu- 
lées, et  ce  sont  bien  souvent  les  éco- 
nomies faites  pendant  l'entrainement 
qui  permettent  les  dépenses  excessives  de  certaines  uns  de  courses. 


Admettons  que  les  efforts  combinés  du  propriétaire  et  de  l'entraîneur 
aient  amené  au  mieux  de  sa  condition  le  cheval  qu'ils  veulent  faire  courir  : 
s'ils  n'ont  pas  de  sa  valeur  une  juste  appréciation,  tout  le  mal  qu'ils  se  sont 
donné  ne  produira  aucun  résultat,  car,  pour  gagner  une  course,  il  ne  suffit 
pas  de  bien  faire  un  parcours,  il  faut  le  faire  mieux  que  les  autres,  et,  si 
vous  engagez  dans  une  société  qui  lui  est  supérieure  l'animal  le  mieux 
préparé,  vous  pouvez  vous  attendre  à  le  voir  atteindre  le  poteau  à  distance 
respectueuse  de  ses  concurrents. 


Qu'un  père  de  famille  s'illusionne  sur  la  beauté,  les  qualités  morales  et 
l'intelligence  de  son  héritier,  il  n'y  a  que  demi-mal;  il  en  sera  quitte,  au 
moment  des  examens,  pour  maudire  la  sévérité  des  professeurs  qui  lui  ren- 
verront, sans  aucun  diplôme,  l'objet  de  son  admiration  paternelle,  et  sou 
opinion  sur  la  valeur  de  son  produit  pourra  demeurer  aussi  favorable  sans 
qu'il  en  résulte  un  bien  grand  dommage  pour  ses  intérêts. 


SUR    LE    TURF0  27 

II  n'en  sera  pas  de  même  pour  le  propriétaire  qui  persisterait  dans  ses 
illusions  :  les  frais  courent,  le  montant  des  engagements,  le  prix  des  montes 
s'accumulent,  et  la  carte  à  payer  s'élève  rapidement  à  un  total  d'autant  plus 
douloureux  à  solder,  que  l'on  a  espéré  un  résultat  diamétralement  opposé. 

Ajoutons  que,  la  plupart  du  temps,  on  aurait  pu  l'atteindre  si  l'on  avait  eu 
de  moindres  ambitions. 

Connais-toi  toi-même!  a  dit  le  sage. 

Connais  ton  cheval,  dirai-je  aux  propriétaires,  et  je  crois  que  je  leur 
aurai  donné  un  bon  conseil. 


tet^v^ 


Examen  mutuel. 


m  M*é^M 


C^n 


LE   CHAPITRE   DES   PARIS 


Quel  sérail  le  véritable  conseil  à  donner  en  matière   de  paris?  —  Serait-il  stiiii?  —  Du  jeu  en 
général. —  Systèmes  variés.  —  Tous  sont  bons!  — ■  Tous  sont  mauvais  ! 


Le  vrai  conseil  serait  de  ne  jamais  parier;  mais,  comme  il  ne  serait  cer- 
tainement suivi  que  par  une  infime  minorité,  je  pense  qu'il  est  plus  qu'inutile 
de  développer  les  raisons  tendant  à  démontrer  que  c'est  le  meilleur  parti 
auquel  un  homme  à  la  fois  avisé  et  prudent  doive  s'arrêter  :  le  malheur  est 
que  l'amour  du  jeu  est  encore  plus  répandu  qu'on  ne  croit,  et  beaucoup 
en  sont  possédés  qui  fulminent  le  plus  énergiquement  contre  lui. 

Combien  de  gens  ne  se  croient  pas  joueurs  qui  succombent  à  la  première 
tentation  ! 


Les  bonneleurs  le  savent  bien,  et  ce  n'est  certes  pas  parmi  les  habitués  des 
tripots  qu'ils  vont  chercher  leurs  victimes  :  il  leur  faut  des  clients  plus  naïfs, 
et,  comme  leur  expérience  les  a  convaincus  que  le  joueur  existe  à  l'état 
latent  chez  la  plupart  des  humains,  il  leur  suffit  de  choisir  de  bonnes  figures 
émergeant  de  vêtements  assez  cossus  pour  leur  faire  supposer  qu'ils  renfer- 
ment des  porte-monnaie  et  des  portefeuilles  abondamment  approvisionnés. 


30 


SUR    LE    TLRF. 


Que  sont,  au  surplus,  les  souscripteurs  des  valeurs  à  lots,  sinon  des  joueurs 
qui  s'ignorent? 

Qu'est  l'appàl  du  jeu?  L'espoir  d'un  gain  facile,  rapide  et  considérable! 
11  faut  avouer  que  c'est  bien  tentant,  et  ne  pas  s'étonner  que  tant  de  gens  n'y 
résistent  pas. 

Puisque  le  jeu  est  un  instinct  à  peu  près  général,  il  n'y  a  pas  à  tenter  de 
le  supprimer  :  on  jouera  toujours  et  partout,  aux  courses  comme  ailleurs, 
et,  ce  qu'on  peut  soubaiter  à  ses  amis,  est  simplement  de  jouer  le  moins 
bêtement  possible. 


Pour  obtenir  ce  résultat,  il  y  a  mille  précautions  à  prendre,  dont  la  plus 

importante  est  à  coup  sûr  de  ne  pas 
parier  quand  même,  de  ne  pas  se 
croire  obligé  d'avoir  son  représentant 
dans  toutes  les  épreuves  auxquelles 
on  assiste. 

Bien  souvent  on  n'a  de  préférence 
marquée  pour  aucun  des  concurrents, 
dont  plusieurs  paraissent  avoir  des 
cbanccs  égales  :  c'est  bien  le  cas  de 
s'abstenir. 


Ce    qu'il    faut    suuhaiter 


Cependant  un  écart   de  cote,   un 
iSi;  point  de   plus  donné  par   un    book- 

maker, un  renseignement  favorable 
que  vous  entendez  au  passage,  vous 
décident  tout  à  coup,  et  voilà  une 
mise  disparue,  qui,  ajoutée  à  celle 
que  vous  comptez  mettre  dans  la  course  suivante  sur  un  cbeval  auquel  vous 
croyez  fermement,  vous  aurait  donné  un  bénéûce  double.  Perte  des  deux 
côtés  qu'il  aurait  été  facile  d'éviter,  subie  sans  conviction,  même  sans  grand 
espoir  de  réussite,  simplement  pour  avoir  un  intérêt  dans  la  course. 

Sous  le  prétexte  que  chaque  course  fournit  un  gagnant,  la  plupart  des 
joueurs  ne  veulent  pas  laisser  échapper  la  chance  de  le  prendre,  et  s'en 
rapportent  au  hasard  plutôt  que  de  renoncer  à  la  possibilité  d'un  gain,  même 
complètement  problématique.  C'est  une  tendance  déplorable  à  laquelle 
obéissent  surtout  les  petits  joueurs,  qui  prennent  un  ticket  comme  un  billet 
de  loterie,   et  se  figurent  qu'en  multipliant  leurs  mises  ils  multiplient  en 


SUR    LE    TURF. 


3] 


même  temps  leurs  chances  de  bénéfice.  On  ne  devrait  jouer  que  quand  on 
croit  à  un  cheval  une  chance  exceptionnelle.  Une  croyance  de  celte  nature 
est  généralement  le  résultat  d'observations  personnelles  :  ou  le  cheval  dans 
ses  courses  précédentes  a  eu  contre  lui  tels  incidents  qui  ont  empêché  sou 
succès,  ou  il  a  suivi  une  mauvaise  tactique,  à  moins  qu'il  n'ait  été  monté 
de  façon  à  paralyser  ses  moyens,  toutes  éventualités  qui  sont  faciles  à  con- 
stater quand  on  suit  avec  quelque 
attention  et  une  bonne  lorgnette 
les  péripéties  d'une  épreuve. 

Avec  de  la  mémoire  et  une  ap- 
préciation à  peu  près  exacte  du 
mérite  des  animaux  avec  lesquels 
on  l'a  vu  lutter,  on  peut  prévoir 
que  tel  cheval,  précédemment  battu 
par  des  animaux  de  qualité  supé- 
rieure, doit  facilement  triompher 
dans  un  lot  moius  relevé. 

Tel  autre  animal  dont  l'entraî- 
nement s'est  achevé  sur  les  hip- 
podromes, aura  si  bien  progressé 
qu'il  vous  sera  facile  de  voir  h 
quel  moment  il  atteindra  l'apogée 
de  sa  forme;  de  temps  à  autre, 
moins  souvent  qu'on  ne  dit,  plus 
souvent  qu'on  ne  croit,  vous  aurez 
constaté  qu'un  cheval  régulière- 
ment battu  rentre  au  pesage  sans 
un  poil  mouillé;  de  toutes  ces  ob- 
servations vous  déduisez  des  con- 
clusions dont  l'application  vous 
amène   à   profiter   de   cotes    très 

cent  louis  de  mon  cheval?  rr  .        .  ,       .    . 

sutusamment  rémunératrices,  qui 
vous  permettent  de  vous  tromper 
quelquefois  sans  que  votre  hourse  en  soit  sérieusement  éprouvée.  En  tout 
cas,  vous  limitez  les  occasions  de  perdre,  puisque  vous  ne  jouez  que  quand 
vous  vous  êtes  fait  une  conviction  qui,  pour  s'établir  fermement,  vous  fait 
assister  à  un  certain  nombre  de  séances  pendant  lesquelles  vous  êtes  obliga- 
toirement réduit  au  rôle  de  spectateur  aussi  désiutéressé  qu'attentif. 


32 


SUR    LE   TURF. 


Celle  façon  de  procéder  a,  en  outre,  l'avantage  qu'en  cas  d'insuccès,  on 
ne  peut  s'en  prendre  qu'à  soi-même,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  quand  on  se 
livre  à  la  chasse  aux  renseignements. 


Il  arrive  fréquemment,  en  effet,  que  l'individu  qui  vous  en  approvisionne 
se  borne  à  désigner  successivement  chacun  des  chevaux  engagés  à  un 
nombre  égal  de  parieurs  comme  étant  le  gagnant  inévitable,  procédé  qui 

équivaut  au  rétablissement  de  la 
poule  à  son  unique  bénéfice,  puis- 
que le  gagnant  inconnu,  mais  cer- 
tain, ne  manquera  pas  de  le  récom- 
penser magnifiquement. 


D'autres  joueurs  adoptent  une 
écurie  et  ne  jouent  que  ses  chevaux; 
c'est  une  façon  comme  une  autre  de 
s'associer,  sans  son  consentement, 
au  propriétaire  sympathique;  le  tout 
est  de  le  choisir  heureux,  et  c'est 
alors  tout  héuéfice;  ou  ne  contribue 
pas  aux  frais,  et  l'on  participe  aux 
bénéfices. 


■  :  : 


Certains  jo 

ne  risquent  I< 
ont  prépares. 


rs  ont  leurs  jockeys  pt  leurs  entraîneurs  préfères,  e 
argent  que  sur  les  elievoul  qu'ils  montent  ou  qu'ils 


D'autres    suivent    seulement    la 

monte  d'un  jockey  préféré,  mais  ce 

système  exige  une  mise  de  fonds 

assez  importante.  Les  jockeys  qui  recrutent  ce  genre  de  clientèle  sont,  en 

général,  de  fines  cravaches  auxquelles  on  confie  les  favoris. 

S'ils  gagnent,  le  bénéfice  est  limité,  souvent  inférieur  à  la  somme  risquée; 
aussi,  pour  peu  qu'ils  soient  battus  plusieurs  fois  de  suite,  la  balance  s'établit 
en  perle,  à  moins  qu'on  n'ait  suivi  dans  ses  mises  une  martingale  quelconque 
qui  répare,  le  jour  du  succès,  les  perles  antérieures. 

Celle  méthode  présente  un  autre  inconvénient. 

Si  votre  jockey  de  prédilection  prend  une  forte  tape,  vos  opérations  se 
trouvent  interrompues  jusqu'à  son  complet  rétablissement  et,  s'il  vient  à 
disparaître  et  que  vous  soyez  absolu  dans  vos  convictions ,  définitivement 
arrêtées. 

Pour  obvier  à  cet  inconvénient  et  ne  pas  mettre,  comme  on  dit,  tous  les 


LE  CHAPITRE   DES   PARIS.  —   COMME.VT  CREVE  UN  TUYAU. 


—  Jouez  Canule;  elle  esta  quarante  —Joue    Canule,    et    tu  me  remer-  — Je  ne  l'ai  eu  qu'à  vingt-cinq  !  Vas-y 

jntre  un,  et  c'est  la  gagnante...  cieros...  pour  ton  compte  et  remets  cinq  ionis  pour 


—    Diane     vient    de    me    donner     un  — M<Ms  beaucoup  d'argent  sur  Canule,  —J'ai  dît  ton  tuyau   à  TaapEn,  qu 

tuyau,  et  je  te  l'apporte!  C'est  gentil  ça?  et  tu  seras  un  bon  gros  chien,  ne  l'a  trouvé  qu'à  quatre... 


—  Si  vous  payez  deui,   on  peut  « 
vous  eu  donner  pour  un  louis,  et,  ei 


—    Puisque  les   books    n'en    donnent  — Qu'est-ce  qu'il  a  donne? 

plus,  prends-le  toujours  au  mutuel.  —  Soiiante-quinze  centimes  pour  «In 


SUR    LE    TURF. 


83 


œufs  dans  le  même  panier  à  cause  de  la  casse  possible,  certains  parieurs 
honorent  de  leur  confiance  non  plus  un  jockey,  — c'est  trop  fragile,  — mais 
un  entraîneur,  moins  exposé  aux  fâcheux  accidents  et  dont  les  pensionnaires 
offrent,  à  raison  de  leur  nombre,  de  plus  fréquentes  occasions  de  paris  :  la 
difficulté  est  de  savoir,  dans  une  course  où  figurent  plusieurs  de  ses  élèves, 
quel  est  celui  auquel  il  porte  le  plus  vif  intérêt. 

Aucuns  suivent  régulièrement  les  favoris  indiqués  par  un  journal  déter- 
miné, qui  ne  recommande  pas  les  favoris  officiels,  toujours  peu  cotés,  mais 
bien  des  chevaux  à  grosse  cote  qui  paraissent  invraisemblables  aux  pontifes 
de  la  performance,  mais  fournissent  cependant  de  temps  à  autre  des  vain- 
queurs :  les  bénéfices  sont  naturellement  plus  rares  que  si  l'on  suit  les  indi- 
cations des  classiques,  mais  ils  sont  tellement  plus  rémunérateurs  qu'une 
seule  journée  de  succès  contre-balance  toute  une 
série  de  désastres. 

De   plus   fantaisistes  jouent  dans  toutes   les 
épreuves  le  même  numéro  du  programme  ;  d'au- 
tres, une  catégorie  de  noms  se  rattachant  à  un 
même  ordre  d'idées,  tous  les  qualificatifs,  par 
exemple,  ou  tous  les  substantifs  ;  certains  ama- 
teurs du  beaux  sexe  ne  parient  que  pour 
des   juments;   des  gens   moins  galants   et 
plus  méfiants  n'admettent  que  les  favoris 
mâles. 

Remplaçant  momentanément  les  émotions  plus 

actives  du  Polo  par  celles  dn  pan  mutuel.  On    pourrait   multiplier   à  1  '  i  h  fi  h  i   l'énuméra- 

tion  des  procédés  bizarres  qu'emploient,  pour 
engager  leur  argent,  une  foule  d'originaux  qui  ne  sont  peut-être  pas  aussi 
insensés  qu'ils  le  paraissent. 

Tous  les  systèmes,  si  baroques  qu'ils  soient,  ont,  en  effet,  pour  résultat  de 
limiter  le  jeu  de  ceux  qui  les  observent,  et,  par  suite,  les  occasions  de 
perle. 


C'est  en  ce  sens  que  la  plus  déplorable  des  méthodes  est  encore  préfé- 
rable à  l'absence  complète  de  méthode. 

Le  joueur  qui   obéit  à  la  seule  inspiration,  qui  recueille  un  renseigne- 


3G 


SUR    LE    TURF. 


ment  à  droite,  un  autre  à  gauche  et  veut  utiliser  tous  les  racontars  qu'il 
enlend,  qui  consulte  à  la  fois  Pierre  et  Paul,  cherche  à  extraire  la  résultante 
d'avis  contradictoires  et  parie  dans  toutes  les  épreuves,  peut  avoir  la  certi- 
tude de  perdre  hien  plus  sûrement  et  plus  fréquemment  que  l'amateur  de 
systèmes  qui  ne  s'engagera  que  dans  certains  cas  déterminés  :  le  premier  a 
pris  l'express  pour  atteindre  le  hut  auquel  le  second  n'arrivera  qu'après 
s'être  arrêté  à  toutes  les  stations  du  train  omnibus;  mais  le  résultat  sera  le 
même,  la  disparition  totale  des  munitions  monétaires  préalablement  rassem- 
blées. 

Celte  conclusion  peut  paraître  exagérée  à  bon  nombre  de  gens  qui  pour- 


Le  choix  du  cbeial  auquel  échouer.1  l'honneur  Je  défendre  votre  argent. 


raient,  au  besoin,  citer  les  noms  de  parieurs  ayant  gagné  et  gagnant  encore  de 
grosses  sommes  sur  les  champs  de  courses;  elle  n'en  est  pas  moins  rigou- 
reusement exacte,  car  les  quelques  chançards  ayant  réalisé  d'importants 
bénéfices  n'en  constituent  que  l'exception,  et,  quand  j'affirme  que  l'argent 
risqué  en  paris  est  perdu  d'avance,  il  est  bien  entendu  que  je  ne  m'occupe 
que  des  sportsmen  ou  sportwomcn  qui  cherchent  une  distraction  et  jouent 
aux  courses  comme  ils  joueraient  au  baccara  ou  à  la  roulette,  tentant 
d'amener  avec  une  somme  limitée  une  somme  beaucoup  plus  considérable. 

Sans  doute,  l'argent  perdu  ne  s'évapore  pas  :  il  se  retrouve  dans  les 
sacoches  des  bookmakers,  dans  le  rendement  du  pari  mutuel  et  dans  les 
portefeuilles  de  gros  spéculateurs,  aussi  différents  des  joueurs  proprement 
dits  que  les  ânes  le  sont  des  bœufs;  on  l'assure,  du  moins,  depuis  si  long- 
temps, que  cela  doit  être  vrai. 


(les  derniers,  je   parle  des  spéculateurs,  qui  ont  choisi  les  champs  de 


CE    QU'ON    VOIT   ET   CE    QU'ON    ENTEND    QUELQUEFOIS. 


CE  QUE  L'OX  VOIT  ET  CE  QUE  L'ON  ENTEND 


SUR    LE    TURF.  41 

courses  plutôt  que  la  Bourse  comme  théâtre  de  leurs  opérations,  se  sont 
rendu  compte  qu'il  était  plus  facile  de  se  renseigner  sur  la  qualité  des  che- 
vaux que  sur  la  valeur  réelle  des  différents  papiers  qui  se  négocient  par  l'en- 
tremise des  agents  de  change  et  des  coulissiers  :  ce  sont  de  véritables 
travailleurs  qui  ont  constitué  à  chaque  cheval  son  dossier  dès  sa  première 
apparition  en  public;  ils  savent  ce  qu'il  a  fait  sous  tel  poids,  sur  telle  dis- 
tance, par  quels  chevaux  il  a  été  battu,  ceux  qu'il  précédait,  etc.,  etc. 

C'est  sur  ces  données  certaines  qu'ils  établissent  par  un  chiffre  le  degré  de 
confiance  qu'ils  doivent  lui  accorder,  et  comme  ils  ont  fait  le  même  travail 
pour  tous  les  chevaux,  ils  n'ont,  au  moment  de  la  course,  qu'à  consulter  leur 
répertoire  pour  savoir  comment  ils  doivent  engager  leur  argent. 

Le  procédé  n'est  pas  infaillible,  car  la  condition  des  chevaux  peut  et  doit 
influer  sur  le  résultat  d'uue  épreuve,  mais  ils  ont  une  estimation  à  peu  près 
certaine  de  la  qualité  des  concurrents,  et  ce  n'est  que  par  des  interversions 
de  forme  qu'ils  peuvent  être  trompés  en  course  plate,  et  par  la  chute  en 
steeple-chase. 

Ces  différents  accidents  sont  moins  durs  à  supporter  que  des  débâcles 
comme  celles  de  l'Union,  du  Comptoir  d'escompte  ou  du  Panama  :  l'on  s'en 
remet  plus  vite  et  l'on  attend  moins  longtemps  l'occasion  d'une  revanche. 
Ainsi  comprise,  la  pratique  du  pari  n'est  plus  un  jeu,  mais  un  travail,  le  plus 
pénible,  le  plus  ardu  et  le  plus  méticuleux  qu'on  puisse  imaginer  :  travail  de 
bureau  à  domicile,  besogne  de  commis  d'ordre  obligé  de  tenir  au  courant 
la  comptabilité  la  plus  compliquée,  et  travail  de  courtier  tenu  à  des  stations 
quotidiennes  en  plein  air,  exposé  aux  intempéries  de  toute  nature,  menacé  à 
tour  de  rôle,  suivant  les  saisons,  par  la  fâcheuse  pleurésie  ou  la  regrettable 
insolation.  Le  parieur  qui  veut  durer  ne  doit  pas  seulement  ménager  ses  fonds, 
mais  aussi  ses  forces;  car  à  quoi  servirait  le  succès  de  ses  opérations  s'il 
gagnait  en  même  temps  la  forte  somme  et  la  maladie  mortelle?  De  là  la 
nécessité  d'un  vestiaire  aussi  varié  qu'élégant,  contenant  des  costumes  pour 
toutes  les  circonstances,  depuis  le  déshabillé  du  planteur  pour  les  journées 
tropicales  jusqu'aux  fourrures  sibériennes,  en  passant  par  le  waterproof  indis- 
pensable pendant  la  saison  des  pluies. 

C'est  un  matériel  plus  compliqué  que  les  manches  de  lustrine,  qui  consti- 
tuent pour  le  bureaucrate  sédentaire  l'unique  outillage  professionnel,  et  c'est 
un  chapitre  important  à  ajouter  aux  frais  généraux  de  cette  industrie  spéciale. 

6 


fâ 


SLR    LE    TURF 


Les  voitures,  les  entrées  au  pesage,  les  voyages  en  chemin  de  fer  sont 
autant  de  dépenses  obligatoires  dont  il  faut  tenir  également  un  compte  rigou- 
reux, à  déduire  des  bénéfices  à  obtenir. 

Un  pareil  métier  n'est  certes  pas  une  sinécure,  et  celui  qui  y  réussit 
dépense  des  qualités  qui,  dans  tout  autre  commerce,  lui  auraient  à  coup 
sûr  donné  des  résultats  équivalents  :  l'ordre,  la  persévérance,  l'activité  sont 
des  forces  qui  restent  bien  rarement  stériles,  et,  de  quelque  façon  qu'on  les 
emploie,  on  peut  compter  qu'elles  donneront  un  rendement  certain,  et  s'il 
est  vrai,  comme  les  moralistes  l'affirment,  que  la  récompense  soit  propor- 
tionnée à  l'effort,  il  n'y  a  pas  à  s'étonner  qu'un  si  laborieux  travail  par- 
vienne à  nourrir  abondamment  quelques-uns  au  moins  des  personnages  qui 
le  pratiquent. 


1  l*  "J  _~  /vrV 

;;',   ...  . 


SLR    LE    TIR  F. 


■« 


UN  NOUVEAU   GUIDE   DU  PARIEUR 

J'ai  demandé  à  un  très  heureux  et  très  gros  parieur  de  me  dire  dans  quel- 
ques notes  ce  qu'il  pensait  du.  pari  en  général,  et  de  vouloir  bien  ajouter 
quelques  souvenirs  personnels.  Après  un  mois  de  sollicitations  répétées,  j'en 
ai  obtenu  pour  toute  réponse  l'aphorisme  suivant  que  je  transcris  fidèlement  : 

«  Quand  on  se  mêle  de  parier,  le  premier  principe  à  observer  est  d'ouvrir 
les  yeux  et  de  fermer  les  oreilles.  » 

Cela  parait  peu  de  chose;  en  y  réfléchissant,  je  comprends  parfaitement 
que  ce  soit  cependant  le  résultat  complet  de  quinze  ans  de  pratique,  et  je  ne 
vois,  en  effet,  rien  à  ajouter  comme  règle  de  conduite.  —  «  Eu  fermant  les 
oreilles  »  on  se  garantit  des  racontars  des  soi-disant  secrets  d'écurie,  «  et 
en  ouvrant  les  yeux»  ,  s'ils  sont  bons,  on  peut  voir  tout  ce  qu'il  est  important 
de  connaître. 


Speeialeuieut 


Y?ui,  feruipr  les  oreille! 


En  route  pour  les  courses. 


SUR   LE    TURF 


45 


LE  «TOUT  » 

On  appelle  Tout  l'individu  qui  cherche  à  surprendre  les  secrets  d'écurie 
pour  en  faire  commerce. 

Autrefois,  le  métier  consistait  à  se  lever  dès  l'aube,  à  se  cacher  derrière 
des  buissons,  à  se  percher  dans  des  arbres  pour  assister  au  travail  des  che- 


vaux,  voir  comment  se  passaient  les  galops,  et  juger  quel  animal  dominait 
ses  compagnons  de  travail. 


C'était  un  bracouuage  spécial,  —  au  lieu  du  gibier,  c'était  le  renseignement 
qu'on  chassait,  —  et  cette  poursuite  prohibée  avait  ses  dangers,  car  il  n'était 
par  rare  que  ces  espions  fussent  houspillés  d'importance  par  les  entraîneurs 
qui  parvenaient  à  les  surprendre  dans  l'exercice  de  leurs  indélicates  fonc- 


iG 


SLR    LE    TURF. 


tions.  —  Aujourd'hui  le  «  Toul  »  a  renoncé  à  tes  pratiques  fatigantes  et  a 
trouvé  le  moyen  d'exercer  sa  profession  dans  des  conditions  plus  conformes 
aux  habitudes  actuelles  de  confort.  —  C'est  dans  les  bars  et  le  verre  en  main 
qu'il  va  chercher  ses  informations. 

Il  aime  mieux  offrir  des  tournées  abondantes  que  s'exposer  à  en  recevoir 
de  vigoureuses,  et  ce  n'est  pas  seulement  pour  abreuver  ses  reporters  qu'il 
met  la  main  à  la  poche  :  il  ne  recule  pas  devant  une  gratification  monnayée, 
qui  s'élève  selon  la  valeur  du  secret  et  la  difficulté  qu'on  a  eue  à  se  le  pro- 
curer. 


SUR    I.K    TURF 


47 


LE  MATCH 

C'est  le  terme  réservé  à  la  lutte  de  deux  chevaux,  dont  les  propriétaires 
affirment  la  supériorité  réciproque  et  parient  chacun  pour  leur  représentant. 

Alors  que  les  chevaux  de  courses  étaient  peu  nombreux  et  que  les  occa- 
sions de  contrôler  leur  valeur  dans  les  épreuves  publiques  étaient  moins 


entre  JaHntïte,  jument  de  pur  sang,  au  binon  Finot,  montre  par  le  vicomte  d'Aulicbamp,  battant  sur  30  kilomètres 
le  trotteur  Zéthur,  à  M    Pourquey,  monte  par  sou  propriétaire. 


fréquentes  qu'aujourd'hui,  ce  genre  de  lutte  était  très  en  faveur  ;  il  est  presque 
abandonné  maintenant. 

11  faut  une  circonstance  tout  à  fait  exceptionnelle,  des  incidents  de  course 
tout  à  fait  imprévus  qui  ont  faussé  le  résultat  de  l'épreuve  publique  pour 
qu'on  y  ait  recours. 

Quand,  par  hasard,  des  paris  de  ce  genre  viennent  à  se  produire,  c'est 


18 


SUR    LE    TURF. 


moins  souvent  pour  établir  la  supériorité  de  tel  ou  tel  animal  que  pour 
démontrer  les  qualités  d'endurance  de  telle  catégorie  de  chevaux  par  rapport 
à  telle  autre.  —  C'est  ainsi  que  le  pari  gagné  à  Bordeaux  par  Jacinthe,  au 
baron  Finot,  ballant  sur  un  parcours  de  trente  kilomètres  faits  en  cinquante- 
sept  minutes  le  trotteur  Zéthur,  à  M.  Pourquey,  peut  être  considéré  comme  le 
dernier  des  matchs  à  sensation. 

Cette  expression  est  aujourd'hui  détournée  de  sa  signification  primitive  et 
trouve  son  emploi  quand,  dans  une  course,  la  plupart  des  chevaux  étant 
d'une  qualité  incontestablement  inférieure,  la  lutte  se  trouve  réduite  à  un 
match  entre  deux  chevaux  d'une  classe  supérieure. 


CHANTILLY 

Chantilly  —  La  Compagnie  du  Nord.  —  Les  mendiants.  —  Le  moyen  de  leur  échapper.  —  Les 
hacres  locaux.  —  Les  lads.  —  La  chasse  aux  renseignements.  -  Le  buffet.  —  Chercheuses  de 
tuyaux.  —  Le  pari  mutuel. 


Trois  réunions  au  printemps,  cinq  à  l'automne,  et  calme  plat  sur  l'hip- 
podrome pendant  les  trois  cent  cinquante-sept  autres  jours  de  l'année. 

Il  est  vrai  que  dans  ces  rares  journées  se  trouvent  compris  le  prix  de  Diane, 
le  derby  des  Pouliches  et  le  Derby,  le  prix  de  Diane  des  Poulains,  c'est-à-dire 
deux  des  épreuves  les  plus  importantes  de  l'année,  ce  qui  explique  suffisam- 
ment la  place  prépondérante  occupée  par  la  ville  des  Condé  dans  la  géogra- 
phie du  sport. 


50 


SLR    LE    TURF 


Notons  au  passage  qu'elle  possède  les  meilleures  pistes  d'entraînement 
qu'on  puisse  imaginer,  et  qu'autour  d'elles  les  établissements  d'entraînement 
se  sont  aussi  naturellement  groupés  que  les  villes  sur  le  parcours  des  rivières. 

Une  autre  cause  de  son  succès  est  la  façon  dont  la  Compagnie  du  Xord 
a  organisé  les  communicalions  avec  la  capitale  et  facilité  les  transports  des 
chevaux  de  leur  résidence  habituelle  sur  tous  les  points  où  ils  ont  des  prix  à 
disputer. 

Une  administration  qui  cherche  à  satisfaire  son  public  est  chose  assez  rare 
pour  mériter  d'être  signalée!  Il  est  vrai  que  cette  administration  unique  n'est 
pas  sous  la  coupe  directe  de  l'Etat,  et  que  les  intérêts  des  particuliers  qui 
participent  à  sa  direction  y  trouvent  leur  bénéfice. 


C'est  le  jour  du  Derby  que  cette  exceptionnelle  administration  donne  la 
mesure  de  son  intelligence  et  de  ses  ressources. 

Songez  qu'il  lui  faut  en  quelques  heures  transporter  un  public  qui  se 
chiffre  par  dizaines  de  mille,  public  d'élite,  habitué  à  ses  aises,  qui  veut  être 
confortablement  véhiculé,  n'admet  pas  les  retards,  et  se  refuse  catégo- 
riquement aux  empilements  coutumiers  aux  lignes  de  banlieue. 


SUR    LE    TURF. 


53 


Ce  qui  élonne  le  plus  le  voyageur  qui  débarque  à  Chantilly,  c'est  la  quan- 
tité innombrable  de  mendiants  qui  l'assaille  aussitôt  qu'il  a  mis  pied  à  terre  ; 
les  aveugles  l'assourdissent  à  grand  renfort  de  clarinettes,  de  serinettes  et 
d'accordéons;  les  culs-de-jatte  fourmillent  à  ses  pieds,  et  les  paralytiques  le 
pourchassent  avec  une  agilité  désespérante. 

Le  moyen  le  plus  économique  qu'il  ait  d'échapper  à  cette  horde  indis- 
crète est  de  se  précipiter  dans  une  voiture  et  de  se  dérober  par  la  fuite  à 
l'hallali  courant  qu'il  serait  obligé  de  subir  s'il  persévérait  dans  l'idée  de 
gagner  à  pied  le  champ  de  course. 


On  lui  demandera  une  somme  certainement  exagérée  relativement  au 
parcours  à  accomplir,  mais  très  sensiblement  inférieure  à  celle  qu'il  serait 
forcé  de  distribuer  en  détail  pour  se  soustraire  aux  supplications  répétées 
de  ses  persécuteurs. 

La  distance  de  la  gare  au  pesage  n'excède  pas  quinze  cents  mètres. 

On  les  fait  à  toute  allure,  car  l'idée  fixe  des  cochers  est  de  multiplier  les 
voyages  et  par  suite  leurs  bénéfices,  et  l'on  n'imagine  pas  de  quel  train  de 
misérables  animaux  peuvent  traîner  des  voitures  désarticulées  sans  qu'il  en 
résulte  aucun  accident,  quand  il  s'agit  de  gagner,  le  plus  promptement 
possible,  une  somme  exceptionnelle. 

Ces  véhicules  antédiluviens  qui,  lorsqu'on  les  prend  pour  une  promenade 


54 


SLR    LE   TURF. 


en  forêt,  se  (rainent  péniblement  avec  des  airs  d'escargots  en  déplacement, 
retrouvent  sur  ce  parcours  spécial  une  vitesse  vertigineuse. 

C'est  la  première  course  de  la  journée,  et  ce  n'est  pas  la  moins  disputée. 


De  la  gare  au  pesage.  —  La  preir 


Parvenus  à  la  barrière  du  pesage,  comme  le  prix  exigé  a  été  payé  d'avance, 
c'est  à  peine  si  l'on  vous  laisse  le  temps  de  descendre,  et  la  théorie  des  guim- 
bardes reprend  du  même  train  sa  course  en  sens  inverse  à  la  recherche 
d'un  nouveau  chargement,  jusqu'au  moment  où,  les  trains  cessant  de  déverser 
sur  les  quais  de  la  gare  la  matière  exploitable,  les  malheureuses  haridelle» 
exténuées  peuvent  enfin  souffler  et  chercher  pour  leurs  membres  engourdis 
la  position  la  moins  douloureuse. 

Si  l'on  ignore  d'où  viennent  les  mendiants  qui  encombrent  les  abords  du 
champ  de  course  (il  est  impossible  qu'une  ville  aussi  riche  que  Chantilly 


SUR    LE    TL'RF. 


55 


produise  nue  (elle  quantité  de  miséreux),  on  sait  parfaitement  que  les  lads  qui 
pullulent  au  pesage  proviennent  de  toutes  les  écuries  d'entraînement  de  la 
région. 

C'est  une  étrange  population,  de  conformation  singulière,  qui  se  joue  à 
travers  les  jambes  des  chevaux  et  des  spectateurs,  grimpe  aux  grillages, 
escalade  les  arbres,  variété  de  singes  qui  parleraient  anglais  et  gardent, 
malgré  la  rapidité  et  l'invraisemblable  agilité  de  leurs  mouvements,  le  sérieux 
du   clergymen  pendant  l'office. 


i.'rotbelle  de  lads 


Ce  petit  monde  a  ses  favoris,  et  il  arrive  qu'ils  découvrent  le  gagnant  tout 
à  fait  en  dehors  des  prévisions  des  pontifes  de  la  presse,  grâce  à  leur  cohabi- 
tation journalière  avec  les  animaux  qu'ils  ont  la  mission  de  pauser  et  de  pro- 
mener. 


Ils  ont  des  renseignements  personnels  sur  l'état  de  santé  de  chacun  de 
leurs  pensionnaires,  qui  leur  permettent  de  saisir  des  détails  qui  échappent 
à  des  personnages  plus  importants  de  l'écurie. 


56  SUR   LE    TURF. 

Le  bon  crottin  est  souvent  le  présage  d'une  course  triomphale  ! 

C'est  à  la  chasse  de  ces  renseignements  spéciaux  que  se  lancent  les  pre- 
miers arrivés  venus  dès  la  première  heure  avec  l'espoir  de  confesser  quelque 
entraîneur  qu'une  récente  rencontre  en  chemin  de  fer  leur  a  fait  connaître  : 
ils  comptent  sur  les  séductions  du  buffet  pour  parvenir  à  se  faire  révéler  le 
dessous  des  cartes,  dessous  des  cartes  qui  n'existe  pas  la  plupart  du  temps, 
et  qui,  s'il  existait,  serait  très  probablement  inconnu  du  susdit  spécialiste. 


A  la  recherche  du  precieui  tuyau. 


Tout  ce  qu'il  pourrait  dire,  c'est  si  tel  cheval  placé  sous  sa  direction  est  ou 
n'est  pas  au  mieux  de  sa  condition. 

Pour  le  surplus  il  en  est,  comme  les  camarades,  réduit  aux  conjectures, 
et  son  opinion  n'a  pas  d'autre  valeur  qu'une  appréciation  personnelle. 

Celte  recherche  matinale  du  «  tuyau  »  est,  certainement,  plus  profitable 
au  tenancier  du  restaurant  du  pesage  qu'à  ceux  qui  la  pratiquent. 

Son  bénéfice  à  lui  est  certain;  chaque  personne  qui  s'assied  autour  de  ses 
tables  représente  une  certaine  somme  assurée  qui  ne  dépend  des  fantaisies 
d'aucun  des  acteurs  appelés  à  jouer  un  rôle  dans  les  épreuves  qui  vont  se 
succéder. 


SUR    LE    TURF. 


57 


Que  le  favori  se  croise  les  jambes  et  culbute  avant  de  passer  le  poteau,  que 
l'artiste  qui  doit  le  conduire  à  la  victoire  soit  bien  décidé  à  faire  l'impossible 
pour  se  laisser  emprisonner  dans  le  peloton  des  chevaux  battus,  peu  lui 
importe.  C'est  lui-même  qui  fait  la  cote  de  ses  plats  du  jour,  et  il  la  majore  à 
son  gré. 

Au  premier  rang  de  ces  chercheurs  matinaux  de  renseignements,  il  faut 
citer  le  personnel  féminin  des  champs  de  courses  :  généralement  un  peu 
défraîchi,  l'effectif  des  parieuses  professionnelles  sait  que  ses  interrogations 
ont  plus  de  chances  d'être  patiemment  écoutées  avant  l'arrivée  des  premiers 
sujets  à  l'apogée  de  leurs  succès. 


Quand  on  doit  répondre  à  des  questions  indiscrètes,  on  préfère  généra- 
lement rompre  le  silence  en  faveur  des  très  jolies  femmes  en  plein  exercice, 
et  celles  qui  sont  à  leur  déclin  courent  le  risque  de  ne  recueillir  que  des 
incertitudes  qui  n'ont  pas  même  le  mérite  d'être  inédites. 

Mais,  en  l'absence  de  concurrence,  les  détenteurs  de  tuyaux  peuvent  se 
laisser  séduire,  et  c'est  une  occasion  à  ne  pas  laisser  échapper. 


On  ne  soupçonne  pas  les  avances  auxquelles  peuvent  être  en  butte  les 

8 


58 


SUR    LE    TURF 


personnalités  plus  ou  moins  sportives  qu'on  suppose  directement  informées. 
Cette  poursuite  de  l'inconnu  doit  être  particulièrement  inefficace,  et  la  meilleure 
preuve  de  son  inutilité  se  trouve  dans  les  résultats  sensiblement  égaux 
donnés  au  pesage  et  sur  la  pelouse  par  le  pari  mutuel. 

On  ne  sait  pas  exactement  comment  s'établit  l'opinion  publique,  mais  son 
estimation  du  mérite  de  chaque  concurrent  se  montrant  identique  dans  les 
milieux  les  plus  différents,  il  en  faut  conclure  que  les  sources  d'informations 
de  toutes  les  catégories  de  parieurs  sout  ideuliques  et  que  les  systèmes 
employés  par  les  petits  et  les  gros  pontes  sont  sensiblement  équivalents. 


les  résultait  du  pari  mutuel  sont  sensiblei 


Chacun  sait  que  Chantilly  est  le  véritable  berceau  des  courses,  et  l'on 
rencontre  encore  un  petit  nombre  de  très  vieux  messieurs  qui  conservent  des 
souvenirs  personnels  de  l'aspect  que  présentait  la  ville  des  Condé  pendant  la 
••  grande  semaine  »  . 

C'était,  si  l'on  en  croit  les  récits  des  contemporains,  l'occasion  d'une  série 
de  fêtes  ininterrompues  dont  les  acteurs  paraissent  n'avoir  eu  d'autre  préoccu- 
pation que  de  jeter  par  les  fenêtres  la  plus  grande  quantité  d'argent  possible. 


Le  but  que  se  proposaient  les  sportsmen  en  prenant  la  route  de  Chantilly 
était,  parait-il,  de  «  faire  des  folies  «  ,  —  locution  inexplicable  aujourd'hui  où 
tous  les  déplacements  sportifs  sont  effectués  dans  l'intention  d'aller  réaliser 
un  bénéfice,  —  et  ils  en  faisaient  comme  ils  se  l'étaient  promis.  Ces  huit  jours 


SUR    LE    TURF. 


(il 


étaient  comme  une  suite  au  Carnaval,  pendant  lesquels  la  fashion  se  passait 
toutes  les  fantaisies  qui  lui  venaient  à  l'esprit. 

11  paraît  qu'à  cette  époque  reculée  les  gens  de  loisirs  avaient  encore  un 
excédent  de  revenus  à  dépenser,  puisqu'ils  cherchaient  des  occasions  de 
s'abandonner  aux  prodigalités  les  plus  inutiles,  cassant  la  vaisselle  pour 
augmenter  les  additions  qu'ils  trouvaient  insuffisantes,  et  tirant  des  feux 
d'artifice  dans  l'espoir  d'incendier  les  auberges,  afin  de  pouvoir  répondre 
aux  propriétaires  inquiets:  «  Mets  ta  maison  sur  la  carte,  aubergiste  !  »  C'est 


îi 


La  cour  du  Grand  Cerf  aux  environs  de  1840. 

du  moins  ce  qu'affirmait  Eugène  Chapus,  chroniqueur  attitré,  aux  environs 
de  1840,  de  ces  élégantes  saturnales. 

L'on  faisait  alors  la  route  en  voiture,  et,  pour  l'époque,  le  déplacement 
était  assez  sérieux  pour  motiver  un  séjour  d'une  semaine,  qu'on  savait  d'ail- 
leurs devoir  passer  gaiement. 


Quinze  ans  plus  lard,  bien  que  le  chemin  de  fer  commençant  à  fonction- 
ner à  peu  près  régulièrement  eût,  comme  le  dit  si  justement  le  regretté 


62  SUR    LE   TURF. 

M.  Prudhomme,  rapproché  les  distances,  la  mode  d'aller  s'installer  à  Chan- 
tilly avait  persisté,  et,  si  les  cours  du  Grand  Cerf 'étaient  moins  encombrées 
de  voitures,  ses  appartements  regorgeaient  encore  d'une  quantité  de  lions,  de 
dandies  et  de  lorelles  assez  familiarisés  avec  les  phénomènes  de  la  nature 
pour  n'être  pas  effrayés  de  passer  une  semaine  sans  gaz  et  sans  bitume. 

C'est  à  cette  époque,  1850,  qu'Auguste  Villemot,  qui  avait  substitué  sa 
bonhomie  spirituelle  à  la  prétentieuse  emphase  d'Eugène  Chapus,  rendait 
compte  de  ses  débuis  sur  le  turf  dans  sa  chronique  du  Figaro.  «  Figurez- 
«  vous  que  j'étais  arrivé  jusqu'à  mon  âge  sans  savoir  ce  qu'était  un  liack,  un 
«  premier  pas,  un  handicap,  un  derby  et  des  gentlemen  riders;  c'est  pour- 
ri quoi,  enviant  la  gloire  des  palefreniers  de  lettres,  après  en  avoir  médit,  je 
«  prenais  vendredi,  à  onze  heures  vingt-cinq  minutes  du  matin,  le  convoi  de 
«  Chantilly. 

«  Moitié  chemin  de  fer  et  moitié  patache,  on  arrive  en  moins  de  deux 
«  heures  à  destination,  et  alors  commence  l'exploitation  du  voyageur  par  la 
«  ville  hospitalière  des  Condé. 

«  —  Voilà,  messieurs,  deux  chambres  à  coucher  et  un  cabinet  de  toilette. 

«  —  Combien  pour  les  trois  jours  de  course? 

«  —  Trois  cents  francs. 

«  —  C'est  cher. 

«  —  Voyez  ailleurs... 

..  Ailleurs  c'est  à  peu  près  la  même  chose Nous  avons  eu  la  chance, 

«  mes  amis  et  moi,  de  trouver  pour  deux  cents  francs  deux  chambres  à  deux 
«  iits,  et  nous  passons  sur  le  turf  pour  quatre  coquins  très  roués 

«  Quand  il  s'agit  de  déjeuner  ou  de  dîner,  il  n'y  a  guère  de  choix  :  un 
«  homme  qui  respecte  ses  digestions  ne  peut  prendre  sa  nourriture  ailleurs 
n  qu'à  Y  Hôtel  du  Grand  Cerf,  où  le  Jockey-Club  a  élu  domicile. 

«  On  est,  du  reste,  très  bien  traité  au  Grand  Cerf. 

«  L'immeuble  appartient  à  un  gentleman  très  célèbre  dans  le  sport  du 
«  dernier  règne. 

«  Etranger  aux  spéculations  de  la  fricassée,  M.  de  C...  la  surveille  néan- 


F~cT    ~J~ 


SUR    LE   TURF.  65 

«  moins  par  esprit  de  courtoisie;  son  contrôle  défend  le  voyageur  contre  les 
«  inventions  de  la  chimie  culinaire. 

«  Si  vous  n'êtes  pas  content,  c'est  que  vous  êtes  un  esprit  chagrin  ou  un 
«  estomac  maussade  ;  dans  tous  les  cas,  gardez-vous  de  le  manifester  :  un 
«  mot  de  plus,  et  M.  de  C...  payerait  pour  vous,  ce  qui  simplifie  beaucoup 
«  les  notes  d'auberge,  mais  en  grevant  la  conscience.  » 

11  y  a  longtemps  que  l  illemot  est  mort,  et,  ayant  négligé  en  temps  utile  de 
lui  demander  le  nom  complet  de  l'aimable  gentilhomme  dont  il  n'a  cru  devoir 
fournir  que  l'initiale  à  ses  lecteurs,  je  n'ai  depuis  rencontré  personne  qui  put 
me  donner  ce  renseignement. 

Je  le  regrette,  car  il  est  rare  de  rencontrer  un  propriétaire  poussant  le 
sentiment  de  sa  responsabilité  au  point  de  surveiller  en  personne  les  compo- 
sitions culinaires  élaborées  dans  ses  immeubles. 

A  la  réflexion,  je  ne  serais  pas  étonné  que  cet  étonnant  philanthrope  fût 
le  marquis  de  Croy,  célèbre  sous  le  règne  de  Louis-Philippe  par  son  élevage 
de  trotteurs. 

Après  une  digression  sur  Chantilly  et  ses  anciennes  splendeurs,  trop 
étendue  pour  être  reproduite  ici,  Villemot,  visiblement  impressionné  d'un 
spectacle  véritablement  nouveau  pour  lui,  poursuit  en  termes  qui  prouvent 
que,  même  à  cette  époque  reculée,  les  paris  jouaient  un  rôle  considérable 
dans  les  questions  de  sport,  et  que  cet  agiotage  spécial,  pour  n'avoir  pas  encore 
atteint  la  masse  du  public,  avait  dès  lors  son  importance. 

Je  transcris  de  nouveau  :  «  Les  mœurs  du  siècle  se  relrouveut  aujourd'hui 
«  partout,  sur  la  pelouse  de  Chantilly  comme  sur  le  boulevard  des  Italiens. 

«  Le  turf  csl  une  petite  bourse,  avec  un  argot    particulier. 

«  Le  goût  du  cheval,  l'élégant  vernis  du  sport  esta  la  surface,  le  jeu  est 
«  encore  dessous.  Comme  à  tous  les  jeux,  il  y  a  des  novices  et  des  naïfs. 

k  Moi  qui  vous  parle,  je  suis  une  victime  du  turf  :  j'ai  parié  vingt  francs 
«  pour  une  rosse  qui  m'a  trahi.  Mais  les  roués  du  turf  procèdent  autrement: 
«  ils  connaissent  de  longue  date  le  souffle  d'un  cheval,  son  aptitude  aux 
«  conditions  différentes  de  chaque  course,  le  talent  de  l'entraîneur,  l'action 

9 


66 


SLR    LE    TURF. 


«  du  jockey;  sur  ces  notions  ils  engagent  des  paris  de  proportions  très  con- 
«  sidérables. 

«  Malgré  tout,  le  hasard  et  l'imprévu  sont  encore  les  grands  maîtres  sur  le 
«  turf,  et  le  DcrJnj  de   dimanche  l'a  bien  fait  voir. 

«  Pour  l'instruction  des  classes  laborieuses,  je  veux  bien  dire  que  le 
«  Derby  est  une  course  entre  chevaux  de  trois  ans,  fondée  par  lord  Derby, 
«  et  qui  a  retenu   son  nom. 

«  Mais  c'est  la  dernière  fois  que  je  descends  à  ces  explications  :  on  est  du 
«  lurf  ou  on  n'en  est  pas,  et  je  ne  veux  pas  me  déshonorer  en  écrivant 
«  pour  des  marchands  de  contremarques. 

«  Au  Derby  de  Chantilly,  il  y  avait  quatorze  chevaux  présents  sur  le  turf. 
«  Le  prix  était  de  20,000  francs;  les  entrées  et  les  forfaits  y  ajoutaient 
u  encore  une  somme  de  26,000  francs   environ. 

«  Toutes  les  gageures  vivemeut  poussées  se  portaient  avec  complaisance 
«  sur  le  favori  Isolier, appartenant  à  M.  Lupin;  d'autre  pari,  on  pariait  vingt 


contre  un  contre  Diamant,  poulain  répudié  par  l'écurie  Aumont  et  vendu 

1 ,400  francs  à  M.  de  Mornj  . 

«  La  course  s'engage,  et  Diamant  arrive  au  poteau  nez  à  nez  avec  Lion, 
au  prince  de  Beauvau.   Le  fameux  holier  arrivait  troisième,   mais  bca 


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10 


SUR    LE    TURT.  77 

«  troisième;  le  turf  a  beaucoup  de  ces  euphémismes,  on  arrive  beau  dernier, 
k  et  je  voudrais  que  l'Université  adoptât  ces  locutions  émollienles  en  faveur 
«  des  disgraciés  de  la  composition  en  thème. 

«La  course  du  Derby  se  trouvait  sans  résultat. 

«  Diamant  et  Lion  étaient  arrivés  ex  œquo. 

«  En  pareil  cas,  les  deux  écuries  partagent  le  prix,  ou  on  procède  à  une 
«  seconde  épreuve  entre  les  deux  vainqueurs. 

«  C'est  ce  qui  eut  lieu  dimanche. 

«  Dans  l'entr'acte  des  deux  courses,  le  turf  et  le  Betting-lioom  (salle  des 
«  paris)  étaient  dans  la  plus  grande  effervescence. 

«  Certains  joueurs  engagés  dans  des  paris  de  proportion  conlre  Diamant 
«  s'efforçaient  de  se  couvrir 

«  A  ce  moment,  MM.  Lehon  gagnaient  360,000  francs,  après  avoir  engagé 
«  tout  au  plus  une  vingtaine  de  mille  francs  sur  Diamant. 

«  Dans  les  mêmes  proportions,  un  de  mes  amis,  contre  dix  louis  engagés 
gagnait  4,000  francs. 

«  Je  vous  donne  ces  explications  à  vous  tous,  vilains  et  manants  étrangers 
«  au  turf,  pour  en  venir  à  vous  faire  comprendre  l'intérêt  qu'on  peut  prendre 
«  à  ces  péripéties. 

«  La  seconde  épreuve  entre  Diamant  et  Lion  engageait  des  sommes 
«  immenses,  et  on  pouvait  manquer  sa  fortune  d'une  tête  de  cheval. 

«Enfin,  les  deux  quadrupèdes  sur  lesquels  reposaient  tant  d'émolions 
a  ont  été  lancés. 

«Vers  le  dernier  tiers  du  parcours,  Diamant  s'est  trouvé  distaucé  d'environ 
«  deux  longueurs  de  cheval  et,  malgré  des  efforts  héroïques,  n'a  pu  rattraper 
«le  terrain  perdu,  et  perdu,  disait-on,  par  une  fausse  manœuvre  du  jockey. 


7  S 


SUR    LE    TURF. 


«  D'autre  part,  on  n'hésitait  pas  à  attribuer  la  victoire  de  Lion  aux  mer- 
ci veilleux  talents  de  l'homme  qui  le  montait,  le  fameux  Flalmau. 

«  J'ai  vu  ce  jockey  à  la  ville.  C'est  un  de  ces  Anglais  qui  parviennent  à 
«  rejeter  de  leur  corps  tout  ce  qui  est  luxe,  la  chair,  la  graisse  et  une 
«  foule  d'organes  que  nous  portons  par  genre. 

«  Ils  conservent  une  peau  parcheminée  qu'ils  portent  sur  un  paquet  de 
«  nerfs,  et  ne  pèsent  guère  plus  sur  la  croupe  d'un  cheval  qu'une  grosse 
«  mouche  qui  aurait  une  culolle  et  des  hottes...  » 


Si  nous  nous  sommes  laisse  entraîner  à  cette  longue  citation,  c'est 
d'abord  que  nous  n'avons  pas  su  résister  au  charme  d'une  narration  si 
exactement  spirituelle,  et  aussi  parce  qu'elle  montre  clairement  que  le  jeu 
a  de  tout  temps,  en  1855  comme  aujourd'hui,  tenu  une  très  grande  place 
dans  l'intérêt  que  le  public  prend  aux  courses. 

L'échelle  des  sommes  engagées  a  seule  progressé,  et  l'on  n'a  plus 
aujourd'hui  hesoin  de  se  mettre  à  plusieurs  pour  faire  des  différences  de 
300,000  francs  :  des  hénéfices  plus  considérables  ont  été  depuis  cette  époque 
réalisés  par  des  parieurs  isolés,  et  l'association  fraternelle  de  MM.  Lehon 


SUR    LE    Tl'RF. 


7!» 


n'étonnerait  plus  personne  par  l'importance  de  ses  résultats  :  ce  qui  paraî- 
trait plus  invraisemblable,  c'est  qu'un  véritable  Parisien  comme  était  Ville- 
mot  pût,  à  l'âge  de  quarante  ans  passés,  considérer  comme  des  découvertes 
les  données  d'ailleurs  exactes  qu'il  venait  de  recueillir  sur  les  mystères  des 
courses;  les  collégiens  en  connaissent  aujourd'hui  tous  les  secrets  avant 
d'avoir  terminé  l'explication  du  De  viris,  et  les  classes  les  moins  dirigeantes 
ont  expérimenté  à  l'heure  qu'il  est,  personnellement,  toutes  les  combinaisons 
de   pari  imaginables. 

La  presse  à  bon  marché  se  charge  de  vulgariser  toutes  les  notions 
qui  n'étaient  autrefois  connues  que  d'un  petit  nombre  d'initiés;  avec  elle, 
impossible  de  rien  monopoliser,  pas  même  les  doctrines  de  M.  Oscar  Wilde, 
qui  finiront,  elles  aussi,  je  le  crains  plus  que  je  ne  le  souhaite,  par  tomber 
dans  le  domaine  public. 


KO 


SUR   I.K  TURF. 


TY.mi    ât  retour.   — 
il.  aurai.nl  pu  I 


rain   de   constater  tmp  lard   quVfi  Usant  mieux  entre  les  ligne: 
■  diius  les  différents  pronostirs  la  liste  cunijdete  des  <j.i:[ti,inls 


SUR    LIC    Tilt  F. 


81 


ESSAI 

C'esl  une  sorte  de  répétition  générale  faite  à  domicile,  dans  laquelle  on 
s'efforce  de  mettre  le  cheval  sur  le  compte  duquel  ou  veut  être  renseigné, 
dans  des  conditions  analogues  à  celles  qu'on  prévoit  pour  l'épreuve  publique 
qu'il  doit  prochainement  subir. 

Quand  on  n'a  pas  dans  son  écurie  d'animal  de  valeur  égale  à  ceux  qu'il 
est  destiné  à  rencontrer,  on  supplée  a  son  absence  par  l'emploi  de  relais 
destinés  à  assurer  la  sévérité  du  train  pendant  tout  le  parcours. 

C'est  une  dure  épreuve,  qui  souvent  n'apprend  pas  grand'chose  au  pro- 
priétaire, mais  laisse  des  traces  qui  renseignent  parfois  très  exactement  les 
gens  qui  en  constatent  deux  jours  après  les  effets  sur  l'animal,  exagérément 
allégé,  et  qui  a  dépensé  dans  cet  effort  prématuré  des  ressources  vitales  qui 
auraient  trouvé  un  meilleur  emploi  dans  la  lutte  finale. 


~  CiaqffZ' 


Essai.  —  Opération  dans  laquelle  un  propriétaire  emploie  plusieurs  de  ses  chevaux  a  fati; 


82 


SLR    LE    TURF. 


Le  propriétaire.  —  Qu'est-ce  que  unis  en  dites? 

L'entraîneur.  —  Peut-être  nous  aurions  aussi  bien  l'ait  de  laisser  le  cheval 
tranquille,  parce  que  nous  ne  savons  pas  plus  qu'avant. 


SLR    LE    TURF. 


S:', 


APRES    l  ESSAI.     —    SUITE    ri  E    SES     II  l;  S I  I.  T'1  I 

Bieu  léger  le  favori  et  passablement  nerveux! 
Il  a  peut-être  pris  nu  galop  de  trop 


84 


SUR    LE    TURF. 


■  '^■, ■>  r''i -:}.:■ -Y:  ^:^'- 


II'IIKS    1.   ESSAI. 


RÉSULTATS. 


—  S'il  avait  fait  on  public  l'effort  c[ii'on  lui  a  demandé  à  domicile... 

—  Il  aurait  certainement  gagné  la  course,  ne  serait  pas  claqué,  et  aurait 
conservé  nuire  bon  argent 


SUR    LE    TURF. 


85 


HANDICAP 

Le  mol  littéralement  traduit  signifie  «  main  dam  la  casquette  » ,  ce  qui 
équivaut  à  dire  que,  si  le  handicapeur  était  parvenu  à  atteindre  son  but  idéal, 
on  pourrait  choisir  au  hasard  n'importe  quel  concurrent  avec  une  chance 
égale  d'avoir  mis  la  main  sur  le  vainqueur. 


\li!  c'esl  ui itiei  difC 

'.lin      !,<    Iin]|,iilts    lllliilll   l|ii'l\ 

Salisfair'  un  éleveur  sur  mille. 
C'esl  tout  c'  que  l'on  peut  espén 


(S!l 


OEnvrcs  posthu 


11  cherche  à  égaliser  les  chances  de  tous  les  chevaux  engagés  en  graduant 
les  poids  qu'il  leur  assigne,  en  tenant  compte  de  leur  âge,  de  leurs  perfor- 
mances, de  leur  origine,  des  prix  gagnés  et  du  rôle  joué  par  chacun  d'eux 
dans  les  épreuves  précédemment  disputées. 

A  première  vue  l'opération  paraît  simple,  et  il  semble  qu'il  suffise  d'infliger 
de  gros  poids  aux  bons  chevaux  et  d'accorder  aux  rosses  des  poids  déplume  : 
en  réalité,  c'est  pir  un  travail  de  Bénédictin  qu'on  arrive  à  établir  avec  jus- 
tesse une  échelle  raisonnée  des  poids. 


I!  faut  avoir  préalablement  pris  note  avec  une  exactitude  scrupuleuse  de 
tous  les  incidents  survenus  dans  les  courses  auxquelles  ont  participé  chacun 
des  concurrents,  comparer  ce  que  chacun  a  fait  par  rapport  à  des  chevaux 


86  SDK    LE    TURF. 

(|ui  ne  figureront  pas  dans  la  course  actuelle  ;  tenir  compte  de  ce  qui  a  pu 
fausser  tels  où  tels  résultats  antérieurs,  supputer,  pointer,  raturer,  remuer  des 
dossiers,  compulser  des  programmes. 

Relire  des  comptes  rendus,  et,  quand  on  a  terminé  toutes  ces  recherches, 
parachevé  toutes  les  compilations  nécessaires,  on  n'est  jamais  sûr,  malgré 
tous  les  efforts  de  travail  et  tous  les  scrupules  de  conscience,  de  parvenir 
à  satisfaire,  je  ne  dis  pas  la  majorité,  —  c'est  un  résultat  impossible,   - 
mais  une  honorable  minorité  de  propriétaires. 

Tous  s'accordent  pour  trouver  que  leur  cheval  est  accablé  sous  les  kilo- 
grammes et  que  leurs  compétiteurs  sont  tous  également  favorisés. 

On  ne  peut  contenter  tout  le  monde  et  son  père...  Les  handicapeurs  con- 
naissent cet  axiome  et  se  sont  procuré,  à  l'aide  d'une  volonté  arrêtée,  la 
surdité  qui  convient  à  leurs  fonctions  archi délicates,  et  qu'ils  excercent  avec 
une  consciencieuse  persévérance  dont  les  vrais  sportsmen  leur  savent  un  gré 
infini. 


UN    HANDICAP  PEU    ORDINAIRE 


Nous  étions,  en  compagnie  d'une  des  plus  fines  cravaches  militaire,  que 
l'accumulation  des  galons  bien  plutôt  que  celle  des  années  a  forcé  d'abandon- 
ner le  rôle  d'acteur  et  de  se  contenter  de  celui  plus  modeste  du  spectateur; 
accoudés  à  la  grille  du  pesage  d'Auleuil,  nous  venions  d'applaudir  à  l'ar- 
rivée du  Top  Weight,  nez  à  nez  avec  le  plus  petit  poids,  et  nous  nous 
émerveillions  de  la  perpicacité  des  handieapeurs. 

■  \\ez-vous  fréquenté,  il  y  a  quinze  ans,  l'hippodrome  de  Rambervillerï  ' 
«  demanda  le  capitaine  V...11,  qui  venait  de  nous  rejoindre;  c'est  là  que 
"  j'ai  couru  le  handicap  le  plus  étonnamment  juste  que  j'aie  vu  dans  toute  ma 
«  carrière  de  courses  ! 


k  Et  d'abord  un  mot  sur  cet  extraordinaire  hippodrome  encadré  dans  le 

12 


90  SUR   LE    TURF. 

«  plus  magnifique  paysage,  avec  les  Vosges  comme  toile  de  fond,  des  tri- 
ci  buues  énormes  tout  à  fait  hors  de  proportion  avec  l'afflueuce  du  publie 
»  plutôt  clairsemé,  et  trois  pistes  aux  noms  sonores  :  la  piste  de  Métendall,  la 
«  piste  d'Austrasie  et  la  piste  du  Soldat  laboureur,  également  connue  sous  le 
h  nom  de  la  Grande  Piste,  sans  doute  parce  qu'elle  avait  cinq  cents  mètres  de 
«  moins  que  la  précédente  . 

«  l'as  de  guichets  aux  différentes  entrées. 

Spectacle  absolument  gratuit. 

«  Les  luttes  hippiques  à  l'œil.  Ces  choses-là  ne  se  voient  qu'en  province. 

.  Un  homme  charmant,  d'une  originalité  savoureuse,  le  marquis  de  H , 

«  était  à  la  fois  le  propriétaire  du  terrain,  l'architecte  des  tribunes,  l'auteur 
«  du  programme,  le  donataire  des  prix,  le  juge  suprême  des  réclamations,  et, 
■  par  surcroît,  la  providence  du  pays. 

«  Ces  courses  de  Rambervillers,  elles  étaient  la  joie  des  extrêmes  garni- 
sons de  l'Est. 

«  Lunéville, Nancy,  Epinal  y  envoyaient  leurs  premières  cravaches  soutenir 
les  prétentions  à  une  suprématie  toujours  disputée. 

-  C'était  l'âge  d'or,  bien  que  ce  ne  fussent  déjà  plus  les  temps  héroïques 
..  où  uue  paire  de  chandeliers  gagnée  sur  l'hippodrome  de  Mérignac  ou  de 
Pont-à-Mousson  vous  sacrait  à  tout  jamais  grand  écuyer,  aux  yeux  des 
«  populations  stupéfaites  de  voir  une  haie  servir  à  sauter  par-dessus,  alors 
«  qu'elles  avaient  précédemment  pensé  que  le  but  de  ce  genre  d'obstacle 
«  était  précisément  d'empêcher  qu'on  pénétrât  dans  les  propriétés  qu'elles 
«  étaient  destinées  à  protéger. 

«  A  Rambervillers,  pas  de  boxes  à  vingt  francs  par  jour,  pas  de  chambres 
..  introuvables  même  au  prix  des  plus  durs  sacrifices;  hommes,  chevaux, 
«  ordonnances,  tout  était  hospitalisé  par  le  marquis. 

«  L'hôtel  de  la  Poste,  retenu  par  lui,  vivait  pendant  trois  jours  dans  un 
i  (  oup  de  feu  indescriptible. 


SUR    LE    TIR  F. 


'(I 


'■  Ou  ne  nous  demandait  qu'une  chose  :  fusionner  avec  les  agriculteurs  et 
«  leur  inculquer  des  idées  saines  sur  l'élevage  du  cheval  de  guerre  Ces 
«  conférences  dégénéraient,  je  dois  l'avouer,  le  plus  souvent  en  un  vaste 
«  baccarat  ou  l'élément  militaire  initiait  l'élément  rural  aux  beautés  du 
«  tirage  à  cinq. 

'  Mais  cette  façon  d'étudier  les  problèmes  de  l'élevage  n'est  malheureu- 


Extrait  des  programmes  de  Rambervillt  es.  —  Courses  .m  gnlop  pour  cavaliers    û  poil, 


sèment  pas  spéciale  à  Rambervillers;  ce  qu'on  ne  rencontre  nulle  part 
ailleurs,  c'est  la  fantaisie  de  la  rédaction  des  programmes  :  Courses  au 
trot,  qu'il  ne  faut  pas  par  un  calembour  trop  facile  appeler  Courses  de 
trop.  »  —  k  Courses  au  galop  pour  cavaliers,  à  poil,  réservées  aux  culti- 
vateurs. » 
J'en  passe,  et  des  meilleures. 


"  Les  pistes  étaient  soignées,  tout  comme  à  Auleuil  ;  on  y  trouvait  une 
grande  rivière  que,  toujours  comme  à  Auleuil,  on  sautait  rarement. 


92 


SLR    LE    TTRF. 


a  L'excellent  marquis  prenait  à  part  chacun  des  concurrents  et  lui  repré- 
..  sentait  en  termes  affectueux  le  danger  qu'il  j  avait  à  sauter  tel  ou  tel 
-  obstacle,  et,  le  plus  souvent,  on  convenait  de  passer  à  côté. 

-  En  revanche,  en  course  plate,  il  n'était  pas  rare  de  se  trouver  en  face 
«  d'une  belle  bnrre  fixe  coupant  la  piste  dans  toute  sa  largeur. 


.     :   $  FILS    F, 


«  A  ma  première  course  sur  cet  hippodrome  plutôt  gai,  j'arrivai  au  dernier 
tournant  avec  une  grosse  avance. 

>■  Le  tournant  était  très  raide!  Quelle  ne  fut  pas  ma  stupéfaction  en 
«  apercevant  un  immense  écriteau  portant  ces  mots  :  «  N'avancez  pas,  il  y 
<■  a  des  pièges  à  loups!  » 

«  Les  réclamations,  bien  entendu,  pleuvaient  :  le  marquis  recourait  alors 
«  à  un  procédé  que,  je  le  crains  bien,  les  grandes  sociétés  n'adopteront  pas 
«  de  sitôt.  Il  donnait  des  prix  à  tous  les  réclamants. 


Ces  prix  fournis  par  des  industriels  de  Rambervillers,  toujours  facturés 


sur  li<:  Tim\ 


93 


au  cours  le  plus  haul,  fournissaient  une   forte  subvention  au  commerce 
local. 

«  En  somme,  la  plus  grande  cordialité  régnait  entre  militaires  et  civils, 
l'amphilryon  était  adoré,  et  sou  influence  sur  l'élevage  local  absolument 
favorable  malgré  ces  procédés  fantaisistes. 


l.'.ll  .  il..'  .1  UN   li.u.lil-.m  .1   KjiiiI... 


«  C'est  là  que  je  gagnai  le  handicap  le  plus  étonnant  que  j'aie  jamais 
couru. 

«  Les  trois  chevaux  engagés  étaient  de  classes  tellement  différentes  que 
nul  poids  ne  pouvait  combler  l'intervalle.  Le  marquis  était  simpliste  :  — 
Vos  chevaux,  messieurs,  sont  de  valeur  inégale,  parfait! 


94  SUR    LE    TURF. 

«  J'ai  trois  pisles  concentriques  avec  une  ligue  droite  commune,  chaque 
«  cheval  aura  sa  piste.  » 

«  Ce  fut  un  triomphe  pour  le  handicapeur. 

<;  Les  trois  chevaux  arrivèrent  dans  un  mouchoir. 

«  Et  voilà  comment,  en  les  désignant  absolument  différentes  pour  chacun 
«  des  concurrents,  le  marquis  de  C...  était  parvenu  à  égaliser  les  distances!  !  !  » 


Le  résultat  désire.  —  Parvenir  à  mettre  nez  à  uez  sur  le  Winning-posl  le  meilleur  cheval 
de  l'année  et  la  rosse  la  plus  incontestable. 


SUR    LE    TLRF. 


!)7 


Une  explication  au  pesage.  —  On  lit  dans  VEiUraineur  :  «  Hier,  &  Colombes,  entre 
la  première  et  la  deuxième  course,  une  altercation  suivie  de  voies  de  fait  a  eu  lieu 
entre  AI.  Privai,  propriétaire  de  Sylphe,  et  AI.  Carréfa,  directeur  du  Turf.  Cette 
altercation  a  eu  pour  motif  un  entrefilet  paru  le  matin  dans  le  journal  de  notre 
cooirère..,  » 


Sut  ta  pelouse.  —  Explicalioa  équivalente  a  1j  pn 

i    >  il  j.i     >ii  j  jji'uiir  pour  la  nirjliier;  u.ir  G 


Seulement  \t: 
:1e  interjection  a  suf.1 


SUK  LE  TURl*' 


99 


—  Filou!   Voleur! !  gracieuses  exclamations  c|iii  s'adressent  au  jockey,  à  l'entraîneur, 
au  propriétaire  d'un  clieial  qui,  le  plus  souvent,  mérite  seul  ces  aimables    compliments. 


Avec  un  cheval  avant  fait  correctement  le  parcours  de  Berny,  il  y  a  biea  peu  d'obstacles  naturels 
capables  d'arrêter  un  vrai  cavalier. 


LA   CROIX  DE   BER.W 

C'est  le  Chantilly  du  steeple-chase,  et,  pendant  la  première  période  de 
son  existence,  les  Parisiens  s'y  rendaient,  poussés  par  une  curiosité  à  la  fois 
mêlée  d'étonnement  et  d'admiration. 

On  ne  comprenait  pas  que  des  gentilshommes  dont  la  vie  était  facile,  qui 
disposaient  de  ressources  attestées  par  les  notaires  de  la  capitale,  ou  certi- 
fiées par  les  banquiers  eu  relation  avec  l'étranger,  eussent  la  folie  de  se  livrer 
à  un  pareil  exercice. 


Une  haie  dans  un  manège,  un  fossé  en  bordure  de  forêt,  on  admettait  ces 
imprudences   parce  que,  par  la  première   opération,  on   s'assurait  que  le 


102 


SIR    LE    TURF. 


cheval,  une  fois  dresse,  consentirait  à  franchir,  en  cas  de  nécessité,  l'obslacle 
naturel  qu'il  était  exposé  à  rencontrer  soit  en  promenade,  soit  à  la  chasse! 

Mais,  aller  de  gaieté  de  cœur  à  la  recherche  de  chausse-trappes  vérita- 
blement dangereuses,  galoper  à  travers  champs,  grimper  et  descendre  des 
talus,  sauter  des  rivières,  et  surtout  cette  Bièvre  particulièrement  encaissée, 
le  tout  sans  nécessité  et  à  une  vitesse  nécessairement  exagérée,  puisqu'on 
ue  se  proposait  pas  seulement  de  passer  tous  ces  obstacles,  mais  encore  de 
les  passer  plus  vite  que  ses  rivaux  ! 


Lue  pareille  action  paraissait  à  tout  le  monde,  aux  cavaliers  classiques  aussi 
bien  qu  à  l'ensemble  du  public,  une  preuve  certaine  de  démence. 


Pareilles  imprudences  constituaient  une  preuve  incontestable  de  folie,  mais 
l'excès  même  de  cette  témérité  faisait  que  la  réprobation  des  gens  sages 
n'allait  pas  sans  quelque  admiration. 


-'  H    (lïliSIi 


14 


SUR    LE    TURF. 


107 


On  blâmait  un  exercice  aussi  périlleux,  auquel  ou  ne  voyait  aucun  bul 
utile,  et  cependant  on  se  défendait  mal  contre  l'étonnement  provoqué  par  une 
pareille  audace. 

Comme  on  ne  pouvait  croire  à  la  véracité  des  premiers  spectateurs,  chacun 
tenait  à  contrôler  leurs  assertions. 

Le  résultat  fut  que,  tout  en  doutant  et  eu  critiquant,  l'on  voulut  voir,  et  le 
succès  de  ces  premières  réunions  fut  considérable. 


l.o  passade  de  la  seconde  L'iévre. 

Cependant,  comme  ou  se  lasse  de  tout,  la  première  curiosité  satisfaite, 
le  public  ne  larda  pas  à  se  désintéresser  d'uu  spectacle  dont  il  ne  discernait 
pas  l'utilité,  et  les  gentlemen  riders  continuèrent,  pendant  quelques  années 
encore,  ce  que  les  gens  raisonnables  appelaient  leurs  insanités,  dans  une 
solitude  de  plus  en  plus  profonde. 


Des  difficultés  étant  survenues  pour  la  location  du  théâtre  de  leurs  exploits, 
ils  y  renoncèrent,  et  le  steeple-chase  subit  un  rehiclie  qui  put  faire  craindre 
qu'il  ne  s'acclimatât  jamais  dans  notre  pays. 


108 


sir  le  turf. 


Pendant  de  longues  années,  en  dehors  des  réunions  de  la  Marche,  les 
courses  d'obslacles  furent  à  peu  près  abandonnées,  et,  si  quelques  prix 
leur  étaient  réservés  sur  les  hippodromes  de  province,  les  allocations  impor- 
tantes allouées  à  ce  sport  spécial  demeuraient  fort  rares. 

En  dehors  du  prix  de  10,000  francs  à  Marseille,  d'un  de  même  valeur 
au  Pin,  de  7,000  francs  à  Dieppe,  du  military  de  5,000  francs  à  la  Marche, 
les  vainqueurs  devaient  se  contenter  de  sommes  qui  ne  s'élevaient  guère 
au-dessus  de  quinze  cents  francs. 


--.,,,  j:.''. 


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ML 


fe 


Les  pistes  n'etaieot  pai 


:  les  admirables  (apis  qu'elle! 


Celait  un  médiocre  encouragement  à  faire  les  frais  d'une  écurie,  à  ris- 
quer les  accidents  pour  les  hommes  et  pour  les  chevaux,  accidents  d'autant  plus 
fréquents  que  les  pistes  étaient  moins  bien  entretenues  qu'elles  ne  le  sont 
aujourd'hui. 


Les  tendons  claquaient  à  tout  propos,  et  les   terrains   laissés  à  l'état  de 
nature    produisaient   aussi   facilement   les  efforts  de   tendons,  les  jours  de 


SUR    LE    TURF.  10'J 

courses,  que  les  petits  pois  dans  la  saison  favorable  à  ces  savoureux  lé- 
gumes. 


Cette  situation,  plutôt  sacrifiée,  dura  jusqu'en  1803,  date  de  la  fondation 
de  la  première  société  des  steeple-chases  de  France,  dont  la  journée  d'inau- 
guration eut  lieu  à  lincennes. 


Circonstance  qui  imposa  aux  spectateurs  un  trajet  plutôt  pénible,  à  travers 
les  populations  du  faubourg  Antoine,  qui  ne  dissimulèrent  pas  un  instant  leur 
manque  de  sympathie  peur  les  élevants  mondains,  et  surtout  les  élégantes 
demi-mondaines. 


I.a  Inversée  ilu  faubourg  Saint-An 


Quelques-unes  d'entre  elles,  qui  n'avaient  pas  reparu  dans  ces  quartiers 
inélégants  depuis  qu'elles  eu  étaient  sorties,  eurent  même  à  subir  de  regret- 
tables scènes  de  famille  qui  leur  inspirèrent  la  résolution  irrévocable  de  ne 
plus  s'y  exposer  à  l'avenir. 


110 


SLR    LE    TIR  F. 


Seuls  les  passionnés  du  sport,  qui  avaient  quelque  confiance  dans  la 
qualité  de  leur  musculature,  persistèrent  à  traverser  ces  régions  inhospi- 
talières, dont  l'hostilité  ne  larda  pas  à  tourner  à  l'indifférence,  quand 
les  toilettes  tapageuses  cessèrent  d'offrir  un  prétexte  à  leurs  manifesta- 
tions. 

Ce  trajet,  dangereux  le  premier  jour,  devint  si  pacifique  par  la  suite, 
que  le  baron  Fiuot  pouvait  atteler  à  son  phaéton  le  cheval  qui  devait 
faire  triompher  ses  couleurs  sur  l'hippodrome,   sans   aucune  crainte   d'iu 


VuU'iitiito  .ill  loi  gagne 


cidenls  qui  auraient  pu  diminuer  ses  chances  de  succès,  la  distance  lui 
paraissant  justement  suffisante  pour  dégourdir  les  jambes  de  sou  cham- 
pion. 

Dès  lors  on  put  prévoir  l'importance  que  prendrait  l'institution,  mais  ce 
n'est  qu'après  la  guerre  et  la  constitution,  en  1873,  de  la  nouvelle  société, 
qu'elle  prit  tout  son  développement. 


Dès  l'ouverture  de  l'hippodrome  d'Auleuil,  l'affluence  du  public  fit  claire- 
ment voir  que  son  succès  était  assuré. 


:WJ 


'    •    ! 


SUR    LE    TURF,  [13 

Le  chemin  à  suivie  pour  l'atteindre  était  familier  à  tout  le  inonde,  et  les 
habitués  du  Bois  s'y  portèrent  en  foule  dès  le  second  jour,  car  la  première 
réunion  avait  été  contrariée  par  une  pluie  si  persistante,  que  peu  de 
personnes  avaient  eu  le  courage  d'assister  à  l'ouverture  des  régales  d'Auleuil  I 


C'est  ainsi  qu'on  avait  tout  d'abord  surnommé  le  nouvel  hippodrome. 

Très  habilement  organisé  dès  le  début,  le  nouveau  champ  de  courses  a 
reçu  chaque  année  quelque  nouvelle  amélioration. 

Le  prince  de  Sagan,  qui  élail  en  quelque  sorte  l'incarnation  de  la  nouvelle 
société,  lui  consacrait  la  plus  grande  part  de  son  intelligente  activité  et  lui 
réservait  toutes  les  trouvailles  de  sou  infatigable  imagination  ;  modifiant  et 
améliorant  sans  cesse  les  conditions  des  programmes,  augmentant  les  allo- 
cations  à  mesure  que  prospéraient  les  receltes,  imaginant  des  attractions 
nouvelles,  organisant  des  journées  exceptionnellement  attirantes  par  des 
défilés  de  coachs,  des  lunchs  offerts  aux  membres  des  clubs  et  aux  femmes 
de  leurs  familles,  il  battait  sans  relâche  le  rappel  des  rares  élégances  qui 
surnagent  encore  dans  cette  fin  de  siècle  démocratisée. 


Maintenant  qu'il  est  disparu,  les  bonnes  volontés  ne  manquent  celles  pas, 
et  les  hommes  spéciaux  et  incontestablement  compétents  qui  composent  le 
comité  actuel  maintiendront  certainement  la  prospérité  du  steeple-chase;mais 
on  est  eu  droit  de  se  demander  si  l'on  trouvera  dans  l'ensemble,  ou  du  moins 
chez  l'un  d'eux,  ce  désir  persistant  d'amélioration,  ce  besoin  impérieux  de 
faire,  comme  feu  Nicolet,  de  plus  fort  en  plus  fort. 

C'est  ce  que  l'avenir  nous  apprendra. 

C'est  le  prince  de  Sagan  qui  tenta  la  résurrection  de  la  Croix  de  Berny  et 
parvint  à  lui  rendre,  un  jour  par  an,  un  regain  de  popularité;  malheureu- 
sement le  trajet  n'était  guère  plus  agréable  que  celui  de  Vincenues,  et  la 
population  de  la  chaussée  du  Maine  et  du  faubourg  de  Monlrouge  ne  témoi- 
gnait pas  aux  élégances  des  demi-mondaines  plus  de  sympathie  que  celle  du 
faubourg  Saint-Antoine  ;  de  plus,   la  route   peu  pittoresque,   médiocrement 

15 


114 


S I!l    LE    Tl'RI'. 


entretenue  et  cahoteuse,  était  par  surcroit  exceptionnellement  poussiéreuse, 
de  telle  sorte  qu'après  une  expérience  de  quelques  années,  quand  il  s'agit 
de  renouveler  la  location  du  terrain,  les  «  bailleurs  •■  ayant  élevé  leurs  pré- 
tentions, on  renonça  à  celte  unique  réunion  réservée  aux  officiers  et  aux 
gentlemen. 


La  route  de  Berny  a  toujours  été  connue  pour  être  la  plus  poussiéreuse  qui  ^il  jamais  l 

Ce  nouvel  abandon  du  premier  théâtre  des  exploits  des  steeple-cbaseurs 
français  parait  aujourd'hui  définitif,  et  c'est  dommage,  car  il  est  difficile  de 
trouver  un  emplacement  plus  favorable  au  Ooss-Couutry,  et  sur  lequel  il  soit 
aussi  facile  de  suivre  toutes  les  péripéties  de  la  course. 


Les  obstacles  naturels  de  toute  espèce  qui  s'y  trouvaient  en  grand  nombre, 
la  nature  variée  du  terrain  et  sa  conformation  mouvementée,  offraient  aux 
huniers  et  aux  chevaux  d'armes  un  hippodrome  à  souhait  pour  mettre  en 
valeur  les  qualités  spéciales  qu'on  attend  de  celle  double  catégorie  d'animaux, 
et  permettait  de  constater  dans  des  épreuves  sévères  leur  adresse  et  leur 
endurance. 


- 


SUR    LE   TURF 


117 


Le  possesseur  d'un  cheval  qui  avait  l'ait  en  bonne  place  le  parcours  de 
Berny  pouvait  être  sur  de  n'être  mis  dans  l'embarras,  ni  dans  une  chasse, 
ni  en  campagne,  par  la  faute  de  sa  monture,  et  qu'il  rencontrerait  dans 
bien  peu   de  régions   des  obstacles  naturels  capables  de  lui  couper  la  roule. 

A  ce  point  de  vue  particulier,  il  faut  regretter  cette  journée  exceptionnelle, 
et  que  ne  remplace  pas  la  réunion  dans  laquelle  les  prix  institués  pour  elle 


sont  courus  à  Achères,  sur  un  hippodrome  en  tous  points  semblable  à  tous 
les  autres. 

Une  autre  raison  de  regretter  l'abandon  de  Berny  est  l'impossibilité  de 
retrouver  aussi  proche  de  Paris  un  endroit  où  le  public  indigène,  le  bon 
villageois,  se  montre  aussi  curieux  d'uu  spectacle  si  complètement  en  dehors 
de  ses  habitudes. 


Toute  autre  partie  de  la  banlieue  manque  de  la  tradition  qui  amenait  sur 
ce   point   privilégié    toute   la    population    rurale   des  environs,   mettait  sur 


118 


SIR    LE   TL'RF. 


la  route,  à  côté  du  coacb  le  plus  irréprochable,  la  carriole  du  maraîcher 
bondée  de  toutes  les  générations  de  sa  famille,  et,  sur  le  turf,  la  blouse 
du  journalier  coude  à  coude  avec  l'habit  rouge  du  gentleman  rider. 

Celle  pilloresque  promiscuité  est  à  jamais  perdue  pour  les  environs  de 
Paris,  et  les  gens  désireux  de  la  revoir  sont  désormais  astreints  à  des  dépla- 
cements plus  sérieux,  dans  les  pays    d'élevage,   où   le   plus    humble   des 


. 


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-   ^  V- 


Sur  la  route  de  Bernj. 


cultivateurs  s'intéresse  au  cheval  et,  s'il  n'a  pas  la  prétention  de  produire 
personnellement  le  vainqueur  de  la  course  à  laquelle  il  assiste,  met  cepen- 
dant son  amour-propre  à  voir  triompher  le  représentant  de  l'élevage  de  son 
arrondissement,  ou  tout  au  moins  de  sa  région. 

Partout  ailleurs,  le  paysan  se  montre  froid  à  l'égard  du  sport,  et  l'élément 
ouvrier  des  villes  couliibue  seul  à  grossir  les  recettes  delà  pelouse. 

Le  paysan  connaît  trop  bien  la  puissance  des  résultais  obtenus  par  l'éco- 
nomie persévérante  pour   succomber  à  l'appât   du  jeu,   et    Uouve   qu'il  a 


• 


. 


SUR    LE    TURF,  121 

suffisamment  g;igné  en  plaçant  dans  sa  lire-lire  le  franc  que  lui  aurait  coûté 
son  entrée. 

L'issue  d'une  course  plate,  si  disputée  suit-elle,  ne  saurait  l'émouvoir,  car 
«  faut  toujours  bien  qu'il  y  en  ait  un  qui  arrive  le  premier»  ,  et  les  péripéties 
les  plus  accidentées  d'un  steeple-chase  ne  font  (pie  l'affermir  dans  son 
opinion  :  que  «  faut  être  bien  hèle,  quand  on  a  un  bon  cheval,  de  l'exposer 
à  des  accidents  qu'il  est  si  facile  d'éviter  »  . 


Dans  le  canton  de  Berny,  ces  |)ernieieuses  doctrines  n'avaient  pas  cours. 
La  légende,  mère  de  toutes  les  religions,  y  avait  développé  le  culte  du  sport. 
Les  enfants  tout  petits  avaient  entendu  répéter  par  les  grand'mères  le  récit 
des  exploits  exécutés  sur  les  rives  de  la  Bièvre  par  des  prédécesseurs  de  nos 
gentlemen  actuels,  et  avaient  été  bercés  par  les  noms  très  probablement  défi- 
gurés, mais  populaires,  des  Maekensie,  des  Tournoi)  et  de  bien  d'autres. 


Leur  curiosité  s'était  éveillée,  et  quand  on  leur  annonça  que  de  nouveau 
les  courses  allaient  avoir  lieu  sur  leur  territoire,  l'hostilité  du  paysan  contre 

16 


122 


SUR    LE    TURF. 


lu  Parisien  se  trouva  singulièrement  diminuée  par  le  désir  de  voir  à  leur  tour 
un  spectacle  qui  avait  laissé  de  si  profonds  souvenirs  dans  la  mémoire  des 
vieux  du  pays. 

L'accord  des  sporlsmen  et  des  ruraux  aurait  vraisemblablement  dure  si  la 
difficulté  de  Iraitef  avec  la  multitude  de  propriétaires  du  terrain  n'avait 
empêché  la  continuation  des  réunions;  malheureusement,  leur  nombre  était 
si  considérable  que  l'entente  avec  chacun  d'eux  devenait  matériellement 
impossible.  Il  eût  fallu,  pour  la  confection  des  baux  nécessaires,  toute  une 
escouade  de  notaires,  et,  devant  l'amoncellement  des  paperasses  timbrées 
qu'il  eût  fallu  rédiger,  l'abandon  de  l'hippodrome  de  la  Croix  de  Berny  fut 
décidé,  définitivement  celte  fois. 


Pur  .  Ordre  du  Préfet     .  delense  de  c  irculer  sur  les  l)as  cites  de  la 


L'ACCIDENT  DE  M.  TORRANCE 


C'est  à  la  Croix  de  rîerny  qu'a  eu  lieu  l'un  des  accidents  qui  aient,  pendant 
ces  dernières  années,  le  plus  profondément  impressionné  le  public  des 
courses.  M.  Torrance,  gentleman  américain,  dont  les  succès  ne  se  comptaient 
plus  sur  nos  hippodromes,  et  l'un  des  membres  les  plus  sympathiques  de 
la  colonie  Paioise,  s'était  chargé  de  piloter  dans  une  course  ouverte  aux 
jockeys  la  jument  de  M.  de  Madré,  empêché  par  un  deuil  de  la  monter  lui- 
même.  M.  Torrance  avait  pendant  tout  le  parcours  gardé  sa  jument  à  P arrière- 
garde,  et  ce  n'est  qu'avant  le  dernier  obstacle,  à  trois  cents  mètres  de  l'ar- 
rivée, qu'il  l'amenait  à  l'attaque  des  leaders,  passant  à  la  droite  du  peloton, 
quand  l'un  des  chevaux  culbutant  au  passage  d'un  double  sillon  vint  tomber 


124 


SUR    LE    TURF 


dans  les  jambes  de  sa  monture,  si  malheureusement  que  les  deux  chevaux  se 
renversèrent  en  même  temps  sur  le  malheureux  gentleman,  qui  disparut 
complètement  sous  cette  masse  animale,  pendant  que  le  jockey,  cause  invo- 
lontaire de  ce  déplorable  malheur,  projeté  à  grande  dislance,  sortait  indemne 
de  l'effroyable  bousculade. 

Pendant  un  instant  les  deux  chevaux  restèrent  immobiles,  mais  quand  on 
les  eut  relevés  on  aperçut  le  corps  de  M.  Torrauce  dans  une  immobilité 
absolue  :  en  approchant,  on  pût  voir  à  ses  lèvres  une  légère  écume  sangui- 
nolente, le  thorax  était  littéralement  aplati,  et,  quoi  qu'on  fit,  il  fut  impossible 
de  rétablir  la  respiration.  Le  malheureux  gentleman  avait  été  irrémédia- 
blement étouffé. 


t  y^ 


MARLY  LE-ROI 


Celait  charmant,  sélect  etlimited;  oa  y  faisait  du  sport  sans  spéculation, 
du  llirl  à  discrétion,  et  le  tout  se  terminait  par  uu  lunch  en  plein  air  du 
plus  pittoresque  effet. 

Ça  n'a  pas  duré. 

La  société  du  «  Riding  et  Coachiug  »  existe  toujours,  mais  il  y  a  beau 
temps  qu'elle  a  renoncé  à  ces  réunions,  que  tous  regrettent,  et  que  personne 
ne  songe  à  renouveler. 

Pour  quelle  raison  les  invitations  ont-elles  cesse? 

Pourquoi  n'envoie-t-ou  plus  le  polit  carton  enjolivé  dans  le  coin  gauchi' 
du  joli  dessin  du  baron  Finol,  et  si  poliment  rédigé  :  «  Le  Riding  and 
Coaching  a  l'honneur  de  vous  prier  de  venir  goûter  dans  le  petit  paie  de 
Marly-le-Roi  le  2  mai  (à  2  heures).  » 


12<; 


SIR    LE    TURF. 


Je  sais  bien  que,  depuis  celte  époque  (1883),  le  petit  parc  a  été  repris  pour 
les  chasses  présidentielles;  mais  là  n'est  pas  le  véritable  motif,  puisque 
d'autres  réunions  aussi  réussies  ont  eu  lieu  à  la  Marche  avec  un  égal  succès, 
et  il  n'est  pas  douteux  qu'en  réunissant  n'importe  où  la  même  assistance 
on  aurait  obtenu  le  même  résultat. 


■  4$M 


Certes,  le  décor  était  séduisant,  la  route  agréable,  niais  les  propriétés  pri- 
vées dont  l'accès  est  aussi  facile  sont  nombreuses  aux  environs  de  Paris,  et 
l'on  n'aurait  eu  l'embarras  que  du  choix  pour  trouver  sinon  mieux,  —  c'était 
parfait,  —  m:tis  du  moins  aussi  bien. 


Je  crains  que  ce  ne  soit  à  de  lâcheuses  considérations  d'économie  qu'il 
l'aille  attribuer  la  suspension  prolongée  de  ces  réunions  certainement  très 
regrettées;  si  limitée  que  fût  l'assistance,  les  frais  supportés  par  un  petit 
nombre,  et  qu'aucune  recette  ne  venait  compenser,  atteignaient  un  chiffre 
considérable  et  devaient,  avec  le  succès,  augmenter  de  jour  en  jour.  Com- 


s u il  i.k   nui'' 


127 


ment  résister,  en  effet,  aux  sollicitations  des  amis  qui  viennent  demander  des 
invitations  pour  de  jolies  femmes  chez  lesquelles  on  a  soi-même  dîne,  danse, 
soupe,  —  sinon  davantage  !  — et  les  amis  des  amis...  Les  promoteurs  de 
l'idée  ont  été  effrayés  par  la  perspective  d'une  ruine  assurée  et  proebainc. 
On  avait  offert  un  lunch,  les  invités  y  comptaient,  impossible  de  le  sup- 
primer, et  en  le  conservant  on  se  heurtait  à  des  difficultés  qui  auraient 
rendu  indispensable  un  nouveau  miracle  de  la  multiplication  du  pain  et  du 
vin;  et,  dans  ce  siècle  d'incrédulité,  il  aurait  été  téméraire  d'y  compter. 


C'est  dommage  que  ce  soient  précisément  les  choses  les  plus  agréables 
qui  durent  le  inoins  :  songez  depuis  combien  de  temps  déjà  nous  subissons 
les  charmes  du  régime  républicain,  et  considérez  d'autre  part  que  nous 
n'avons  pu  obtenir  plus  de  cinq  ou  six  de  ces  réunions  ;  et  pourtant  quel 
empressement  à  leur  début,  et  comme  l'institution  semblait  définitivement 
fondée  1 

Que  de  noms  connus  parmi  les  gentlemen,  des  vrais,  qui  se  disputaient 
les  prix,  bien  modestes  cependant! 


128 


SUR    LE    TURF. 


Copions  au  hasard  un  compte  rendu  de  l'un  de  ces  meetings  dans  la 
Viesportive,  —  encore  une  institution  disparue,  —  celledu  2  mai  1885,  qui, si 
je  ne  me  trompe,  a  été  la  première  :  «  Le  décor  est  très  pittoresque  ;  les  ruines 
«  du  château  comme  foud  et  les  royales  chênaies  de  la  forêt  comme  enca- 
«drement;  en  bas,  la  pièce  d'eau  et  l'abreuvoir;  à  l'horizon,  les  coteaux 
"  verdoyants  de  Boisprcau. 


«SI 

WàwWt 

k    VSyV 

m 


M  »,S|fi 


I  pust  et  la  tribune  du  juge  Q  M  ni  Ij . 


t>  Une  dizaine  de  mails-coachs  viennent  prendre  rang  aux  ruines  mêmes 
"du  château,  près  de  la  ferme  qui  remplace  aujourd'hui  les  communs  du 
«  siècle  dernier... 

«  Vers  deux  heures  et  demie,  les  préparatifs  des  courses  commencent  : 
«l'aménagement  est  d'un  rustique  voulu. 

«  Une  perche  fichée  en  terre,  en  face  une  chaise  de  paille  sur  un  petit 
«  tertre,  voilà  le  poteau  d'arrivée,  voilà  la  tribune  du  juge  où  s'installe  le 
«  prince  de  Sagan. 


SUR    LE    TURF. 


i:tl 


«  Douze  cavaliers  se  présentent  au  pesage,  dont  l'installation  n'est  pas 
«  moins  primitive. 

«  Les  concurrents  font  un  premier  lour  de  la  piste,  montent  à  travers  les 
«  labonréset  finissent  dans  la  ligne]  droite  après  une  rivière,  une  barrière  fixe 
«  et  une  claie. 

«  Deux  d'entre  eux  restent  en  route,  le  duc  de  Morny  et  M.  Raoul  de 
«  (îontaut. 

«  Une  vive  émotion  se  produit  quand  on  voit  M.  de  Gontaut  rester  à  terre 
«sans  connaissance;  heureusement  il  n'est  qu'étourdi...  Mais  le  pauvre 
«  French,  le  héros  du  Concours  hippique,  s'est  cassé  la  jambe  daus  sa  chute, 
«  et  ou  l'emmène  sous  bois  pour  l'abattre  hors  de  la  vue  de  l'assistance. 


w. 


«  Finalement  le  vicomte  de  Pully  passe  le  premier  devant  le  juge,  précé- 
k  daut  le  comte  de  Lindeman...  Daus  la  seconde  épreuve  c'est  M.  Adolphe 
«  Abeille  qui  l'emporte  contre  le  marquis  de  Castellane.  » 

A  ces  noms  il  convient  d'ajouter  ceux  des  vaincus  de  ce  jour-là. 

Comte  Martin  du  Mord,  Maurice  Foache,  Frédéric  Mallet,  le  pauvre  Tor- 
rance  tué  à  la  Croix  de  Berny,  prince  L.  Murât,  M.   IV. -K.  Thorn,   Henri 


13:> 


SIR    LE    TURF. 


Couturié,  baron  Roger,  Jules  Pastré,  vicomte  d'Ivernois,  duc  de  Moray, 
Raoul  de  Gonlaut  et  bien  d'autres  qui  n'hésitaient  pas  a  risquer  la  forte  tape 
personnelle  et  les  lâcheuses  fractures  des  jambes  de  leurs  chevaux  favoris, 
dans  le  seul  espoir  de  gagner  devant  une  assemblée  de  choix,  il  est  vrai,  un 
objet  d'art  plutôt  quelconque,  ou  une  aquarelle  qui  le  plus  souvent  ne  rap- 
pelait que  très  vaguement  le  faire  magistral  de  Leloir  ou  deFortuny. 
C'était  charmant,  élégant,  intime.  Ça  n'a  pas  duré. 


Soi  la  route  de  Mûri] . 


SI  It  LE  TURF 


133 


wîmffm  ■ 

mi]  mm 

fil 


, 


—  Comment,  disait-oD  à  un  propriétaire  de  chevaux  de  steeple-cLase,  après  une 
course  où  son  champion  avait  été  baltu  par  la  sottise  du  jockey,  comm  'rit  ne  faites- 
ions  pas  mouler  par  des  garçons  intelligents? 

—  C'est,  répondit-il,  que  s'ils  étaient  intelligents  ils  ne  monteraient  pas. 


SUR    LE    TURI'. 


135 


—  Savez-vous  ce  que  c'est  qu'un  jockey '.'disait  un  entraîneur  qui  n'aime  pas  essai  er 
ses  chevaux  avec  d'autres  artistes  que  ses  propres  garçons.  —  l'n  jockey  c'est  un 
homme  qui,  pour  quarante  francs,  vient  le  matin  monter  voire  cheval,  le  bousculer, 
et  vous  dire  qu'il  a  une  mauvaise  bouche. 


*H 


j4ute«i(.  —  lU'union  du  r,ri.ilcm|)S    8  mors  18 


AUTEUIL 


Alphabétiquement  et  chronologiquement,  c'est  Auteuil  qui  tient  la  lèle  des 
hippodromes. 

C'est  lui  qui  inaugure  la  campagne  sportive  et  ouvre  le  premier  ses  portes 
au  public. 


C'est  généralement  vers  le  15  février  qu'a  lieu  cette  solennité  :  il  arrive 
souvent  que  la  température  se  montre  peu  clémente,  et  que  les  premières 
épreuves  se  disputent  sous  la  bise,  la  pluie  ou  la  neige  :  les  bourrasques  y 
succèdent  aux  averses,  et  la  gelée  se  produit  parfois  si  sévère  qu'on  est  obligé 
de  renoncer  à  quelques-unes  de  ces  premières  réunions  de  printemps  et  de 
faire  relâche,  pour  cause  d'indisposition  de  l'atmosphère,  un  premier  sujet 
qui  a  ses  caprices  tout  aussi  fréquents  que  les  étoiles  rnàles  et  femelles  de 
nos  principaux  théâtres. 

18 


i:w 


SUR    LE    TURF. 


Quand  la  saison  s'abandonne  à  des  fanlaisies  barométriques  tout  à  fait 
exagérées,  le  nombre  des  acteurs  se  trouve  forcément  aussi  limité  que  celui 
des  spectateurs. 

11  faut  aux  premiers  un  temps  au  moins  passable  pour  qu'ils  puissent 
étudier  leurs  rôles,  car  ce  n'est  pas  sur  des  roules  durcies  par  les  gelées 
qu'on  peut  s'exercer  à  galoper,  et  le  verglas  interdit  toute  espèce  de  répé- 
titions sur  les  obstacles. 


Quant  aux  seconds,  ils  se  montrent  peu  disposés  à  visiter  des  hippodromes 

sur  lesquels  ils  ont  chance 
de  ne  gagner  que  des 
pleurésies  :  on  a  vitré  les 
tribunes  pour  les  abriter 
du  vent  du  nord;  le  coke 
brûle  dans  de  nombreux 
réchauds ,  des  boissons 
chaudes  les  attendent  aux 
différents  buffets,  malgré 
cela  ils  n'ont  pas  con- 
fiance, et  il  faut  recon- 
naître qu'ils  n'ont  pas 
tout  à  fait  tort,  car  le  spec- 
tacle qu'on  peut  leur  donner  n'est  pas  assez  tentant  pour  compenser  les 
intempéries  qu'il  leur  faudrait  affronter. 

Dieu  sait  cependant  qu'on  a  fait  l'impossible  pour  procurer  au  public  tout 
le  confortable  désirable  sur  cet  hippodrome  modèle,  —  que  le  pavage  en  bois 
placé  aux  abords  des  tribunes  lui  permet  de  les  gagner  à  pied  sec,  qu'on  a 
tracé  des  pistes  imperméables  du  pesage  au  pari  mutuel,  qu'on  a  fait  aux 
bookmakers  un  parquet  que  les  agents  de  change  pourraient  leur  envier,  et 
que  des  vitrages  avancés,  posés  au  sommet  des  différents  édifices,  forment  un 
abri  à  peu  près  ininterrompu;  malgré  toutes  ces  mesures  préservatrices  des- 
tinées à  lui  inspirer  toute  sécurité,  la  foule  se  méfie  :  elle  redoute  le  coryza 
et  ses  fâcheuses  suites;  elle  craint  également  pour  ses  beaux  habits,  et, 
comme  la  coquetterie  joue  son  rôle  du  côté  des  sporsfmen  tout  aussi  bien  que 
du  côté  des  sporstwomen,  personne  ne  bouge,  et  chacun  se  réserve  pour  des 
jours  meilleurs  où  l'on  sera  en  droit  d'espérer  du  soleil  et  un  nombre  de 


SUR    LE    TURF 


Ml 


degrés  suffisants  pour  que  les   papillons   puissent 
sortir  de  leurs  chrysalides. 

Sous  le  watèrproof,  hommes  et  femmes  perdent 

un  gros  tant  pour  cent  de  leurs  séductions,  et  les 

ts^~       deux  sexes  évitent  les  occasions  de  se  montrer  l'un 

N'ajamaiseu  le  poidi  pour  être  jockey;     ;\  l'autre  SOUS  UU  aussi  fàclieilX  aspect. 

cependant  tueiif  des  courses  qni  mil  fait 
gagner  à  --"Ji  propriétaire  des  suinmes  su- 
périeures au\  allocalionfl  moyennes. 

Seuls,  les  parieurs  incorrigibles  et  impénitents, 
qui  sont  au  public  élégant  des  pesages  un  troisième  sexe  équivalant  àl' Auver- 
gnat vis-à-vis  du  reste  de  la  population,  se  résignent  à  se  couvrir  des  plus 


de  célébrité,  est 


bon  dernier  dans  l'Omnium  en   189t. 


nauséabonds  caoutchoucs  et  s'acharnent,  les  pieds  dans  leurs  snowboots  et 
le  chef  encapuchonné,  à  la  recherche  des  savautes  combinaisons  qui  doivent 
les  conduire  à  la  fortune. 

On  a  dit  que  le  véritable  joueur  continuerait  sa  partie  le...  derrière  dans 
l'eau. 


Ceux-ci  prouvent  la  vérité  de  l'affirmation  et  continuent  leurs  petits  paris 
sous  les  plus  persévérantes  averses  :  à  certains  jours,  le  ring  n'est  qu'un 
océan  de  parapluies  tellement  rapprochés  que  cet  instrument  protecteur  perd 
toute  son  utilité  et  ne  sert  plus  qu'à  verser  sur  le  voisin  toute  l'eau  qu'il  a 
interceptée.  Il  en  résulte  que  la  somme  de  liquide  récollée  par  chacun  reste 
la  même;  seulement  celui-ci  absorbe  ce  qui  était  primitivement  destiné  à 


Ji2 


SUR    LE    TURF 


celui-là,  et  réciproquement.  C'est  l'arrosage  mutuel,  sans  aucun  prélèvement 
sur  les  mises... 


La  grande  supériorité  du  steeple-chase  sur  la  course  plaie  réside  dans  le 
côté  dramatique  du  spectacle  et  la  brutalité  des  péripéties  :  je  ne  crois  pas 


■cv- 


Premier  dt'parl.  —  Celui  du  slarler 


émettre  un  paradoxe  en  affirmant  qu'aucun  des  plus  fidèles  spectateurs  de 
Chantjlly  et  de  Longchamps  ne  vient  sur  ces  hippodromes  pour  la  seule 
contemplation  des  épreuves  qui  y  sont  courues;  tous  ont  un  attrait  à  côté, 
paris,  intrigues,  intérêts  d'éleveurs,    etc. 


A  Auleuil,  il  y  a  des  habitués  qui  ne  sont  attirés  que  par  le  spectacle  et 
viennent  uniquement  savourer  les  émotions  mélodramatiques  de  l'accident. 


Au  pesage.  —  Le  paddock.   La  promenade  sous  l'œil  de: 


SUK    LE    TURF 


I  i5 


Il  est  tellement  prévu  qu'un  outillage  spécial,  construit  selon  les  règles  du 
plus  savant  confortable,  attend  sur  les  lieux  les  victimes  probables  de  la 
journée  :  pour  les  hommes,  des  brancards  garnis  de  leurs  matelas  et  de  leurs 
oreillers  antiseptiques  stationnent  aux  environs  des  obstacles,  dissimulés  dans 
les  massifs  sous  la  garde  de  leurs  porteurs,  l'œil  au  guet  dès  que  le  départ  est 
donné  et  prêts  à  courir  à  toutes  jambes  sur  le  théâtre  de  l'événement,  si  le 
jockey  qui  a  fait  panache  parait  incapable  de  reprendre  sur  ses   pieds  le 


Brancardiers  de  la  Société  des  steeple-cliascs  à  la   poursuite  d'un   cavalier  à  transporter.  —  Aianl  qu'ils    arrivent,  le  blessé 
sera  certainement   sur  ses  jambes  el    aura  repris  le  chemin  du   pesage.  C'est  du  niuins  la  façon  dont  les  choses  se    passent  la  plupart 


chemin  du  pesage;  —  disons   de  suite   que   ces   appareils   sont  rarement 
employés. 

Ils  sont  antipathiques  aux  jockeys,  et  leur  apparition  inspire  aux  plus 
meurtris  une  telle  répugnance  qu'il  est  bien  rare  qu'ils  ne  trouvent  pas  assez 
de  force  pour  prendre  la  fuite  aussitôt  qu'ils  les  aperçoivent. 


C'est  un  remède  d'une  efficacité  incroyable  et    qui  démontre  victorieu- 
sement la  puissance  de  la  volonté  :  pour  éviter  ce  transport  qui  leur  déplaît, 
des  hommes  qui  l'instant  précédent  paraissaient  définitivement  aplatis  et  con- 
ta 


146  SIR    LE    TIRF. 

servaient  une  effrayante  immobilité  se  relèvent  instantanément,  se  dressent 
sur  leurs  jambes  et  se  mettent  en  marche,  en  flageolant,  eu  s'appuyant  aux 
bras  des  spectateurs,  des  camarades  accourus  pour  les  secourir,  en  se  cram- 
ponnant au  besoin  au  col  du  médecin  de  service,  et  refusent  obstinément  le 
secours  des  brancardiers,  qui,  tout  désappointés,  remportent  dans  sa  cacbelte 
leur  instrument  refusé. 

Il  faut  qu'une  superstition  inexpliquée,  mais  fortement  ancrée  dans  l'esprit 
des  jockeys,   soit  attacbée  à  l'emploi  de  ce  moyen  de  transport  pour  que 


On  est  d'accord  pour  constater  que  les  gentlemen  et  les  officiers  montent  autrement  qae  les 
jockeys,  et  ont  à  cheial  une  'nie:  l'on  discute  la  laleor  des  deui  méthodes, 

qui  tiennent  peut-être  beaucoup  pins  a  la  construction  physique  des  deui  ealêsrariec  de  caraliers 
qu'à  nue  divergence  théorique. 


l'aversion  qu'il  inspire  soit  aussi  unanime;  il  ne  sert  que  lorsqu'il  y  a  syncope 
prolongée,  c'est-à-dire  impossibilité  pour  l'intéressé  de  formuler  uu  refus, 
ou  fracture  d'un  membre  inférieur  qui  lui  enlève  la  faculté  de  se  tenir 
debout. 

Faut  croire  qu'il  porte  la  guigne! 

Les  appareils  destinés  au  transport  des  chevaux  blessés  sont  autrement 
compliqués  :  ce  sont  des  voitures  dont  le  plancher  mobile  permet  de  sus- 
pendre les  animaux  à  l'aide  de  sangles  mises  en  mouvement  par  un  méca- 
nisme très  ingénieux  de  rouages  à  crémaillères  assez  puissants  pour  enlever 
sans  secousses  les  poids  les  plus  lourds. 


LK     cm   P     DU     BRANCARD. 


SUR    LE    TURF. 


I  49 


Ces  véhicules  sonl  assez  larges  pour  que,  en  les  reculant,  ils  emprisonnent 
le  cheval  hlessé  à  l'endroit  même  de  sa  chute,  et  que,  quelle  que  soit  la 
position  dans  laquelle  il  est  reste,  on  puisse  l'enlever,  sans  le  forcer  à  se 
relever. 


Je  ne  sais  si  la  Société  prolectrice  des  animaux  a  répandu  ses  faveurs  sur 
l'inventeur  de  ce  véhicule,  mais  elle  lui  doit  une  récompense  exceptionnelle, 
car  il  a  rendu  un  vrai  service  à  l'animalité  souffrante,  tellement  plus  digne 
d'intérêt  que  l'humanité  dans  le  même  cas,  puisque  celle-ci  ne  parait  plus,  a 
l'heure  actuelle,  apitoyer  que  Mme  Séverine. 


150 


SUR    LE    TURF. 


Le  succès  de  l'bippodrome  d'Auteuil,  dû  à  sa  situation  exceptionnelle 
d'abord,  et  ensuite  à  l'imagination  du  prince  de  Sagan,  grand  metteur  en 
scène  de  la  Société  des  steeple-cbases,  a  marché  avec  une  telle  rapidité  que 
les  résultats  obtenus  ont  dépassé  toutes  les  prévisions. 


Les  recettes  se  sont  élevées  dans  des  proportions  si  invraisemblables  que 
le  budget  dont  dispose  la  Société  parait  devenu,  aux  yeux  d'un  certain  nombre 
d'bommes  de  cheval,  tout  à  fait  exagéré  relativement  aux  services  que  peut 

en  attendre  l'élevage  en  général. 

Selon  eux,  les  animaux  de  premier 
ordre,  dont  la  carrière  de  courses  est 
terminée  après  les  grandes  épreuves  de 
plat,  méritent  seuls  les  encouragements 
d'une  réelle  importance,  et  ils  regrettent 
que  les  courses  d'obstacles,  qui  ne  sont 
disputées  que  par  des  chevaux  que  leur 
recrutement  même  éloigne  du  haras, 
disposent  d'allocations  aussi  considéra- 
bles qui,  pensent- ils,  devraient  être 
réservées  aux  animaux  appelés  à  jouer 
un  rôle  prépondérant  et  direct  dans  la 
production  générale  :  ils  voudraient  que 
les  encouragements  importants  allassent 
directement  aux  producteurs  chargés  de 
perpétuer  la  race,  et  regrettent  que  des 
sommes  aussi  considérables  soient  affec- 
tées à  des  spécialistes  dont  le  rôle,  au 
Nouroui  proprirw™..  point  de  vue  de  l'élevage,  ne  peut  être 

que  secondaire,  et  qui  ne  sont  appelés 
à  exercer  sur  la  production  qu'une  action  tout  à  fait  indirecte. 


L'un  des  écrivains  auxquels  cette  opulence  de  la  Société  des  steeple-cbases 
parait  excessive,  si  on  la  compare  à  la  simple  aisance  de  la  Société  d'encou- 
ragement, se  demande  s'il  n'y  aurait  pas  moyen  de  «  consacrer  l'excédent 
«  des  receltes  soit  à  des  achats  d'étalons  destinés  aux  dépôts  du  gouver- 
«  neuient,  initiative  qui  appartient  aux  sociétés,  soit  à  des  primes  aux  pouli- 
«  nières  et  aux  établissements  d'élevage  dont  la  répartition  serait  confiée  à 
«  des  commissions  spéciales. 


SI' P.    LE    TURF. 


I.-.I 


«  L'argent  ainsi  employé  ferait  bien  retour  à  l'élevage,  comme  le  veuleul 
«  les  règlements,  et  il  le  ferait  utilement.  » 

Nous  laissons  à  Touchstone,  qui  a  assez  de  talent  pour  la  soutenir,  et  peut- 
être  de  persévérance  pour  la  faire  aboutir,  la  responsabilité  de  celte  théorie  ; 
mais  il  nous  a  paru  curieux  d'enregistrer  une  critique  qui  constate  un  succès 
auquel  on  ne  peut  reprocher  que  d'être  trop  complet. 


S'il  est  vrai  que  le  but  ait  été  dépassé  et  que  les  allocations  accordées  soient 

exagérées,  je  ne  vois  pas  comment, 
pour  ma  part,  on  peut  espérer  ramener 
les  choses  cà  un  équilibre  plus  rationnel  : 
ce  que  l'élévation  des  prix  me  paraît 
devoir  amener,  c'est  un  plus  grand 
nombre  de  gens  désireux  de  les  disputer, 
par  suite  un  débouché  plus  considérable 
pour  les  producteurs  et  un  encourage- 
ment indirect,  je  le  veux  bien,  mais  très 
rémunérateur  à  l'élevage. 

C'est,  du  reste,  le  résultat  qu'on  peut 

dès   aujourd'hui   constater  par  les   prix 

atteints  dans   les  ventes  publiques,  dès 

l'âge  le    plus   tendre,   par  les    chevaux 

soupçonnés  de  pouvoir  galoper  :  il  suffit 

que  leur  origine  soit  suffisamment  fashio- 

nable,   qu'ils   aient  un-  demi-frère,   voire  un   arrière-cousin  ayant  fait  ses 

preuves,  pour  que  le  marteau  du  commissaire-priseur  s'abatte  sur  un  chiffre 

absolument  respectable. 


Échange 


C'est  bien  à  l'élevage  que  vont  toutes  ces  sommes,  et,  si  quelques  proprié- 
taires heureux,  je  ne  dis  pas  habiles,  daus  la  crainte  de  blesser  l 'amour- 
propre  de  ceux  qui  ne  réussissent  pas,  prélèvent  une  part  minime  des 
capitaux  mis  en  mouvement  par  les  sociétés,  leur  exemple  fait  persévérer  daus 
leurs  sacrifices  tant  de  propriétaires  qui  ne  couvrent  pas  leurs  frais  que  les 
éleveurs  auraient  vraiment  mauvaise  grâce  à  leur  reprocher  des  bénéfices  qui 
constituent  une  aussi  excellente  réclame  pour  leurs  produits  et  maintiennent 
les  espérances  de  leurs  meilleurs  clients. 


152  SIR    LE    TIRF. 

Au  surplus,  l'importance  des  prix  accordés  aux  steeple-chasers  a  influé 
trop  manifestement  sur  la  valeur  des  animaux  employés  dans  la  spécialité 
pour  qu'on  puisse  contester  l'élévation  de  la  classe  des  chevaux  qui  figurent 
aujourd'hui  dans  les  courses  d'obstacles,  comparés  à  ceux  qui  à  l'origine 
disputaient  les  maigres  allocations  qu'on  leur  accordait. 

On  dit  que  ce  sont  des  cartes  dans  les  mains  des  joueurs;  c'est  une  opinion 
qui  peut  être  défendue,  mais  qu'il  est  également  permis  de  contester;  en  tout 
cas,  les  joueurs,  puisque  joueurs  il  y  a,  n'hésitent  pas  à  payer  leurs  cartes 

en  proportion  des  enjeux  qui  leur  sont 
offerts,  et  c'est  encore  au  profit  de  l'éle- 
vage, fabriquant  ces  cartes  spéciales,  que 
va  la  plus-value. 

Du  moment  que  les  règlements  s'oppo- 
sent à  ce  que  les  sociétés  thésaurisent  et 
qu'elles  n'ont  pas  d'actionnaires  pour  en- 
caisser leurs  bénéfices,  il  faut  bien  que 
ceux-ci  fassent  retour  à  l'élevage,  à  moins 
qu'ils  ne  se  volatilisent,  ce  qui  est  invrai- 
semblable. 

S<-  déclare 
qu'il  ail  sa  chaise  <'l  »»    I'"»  cigare...    el 

Quand  on  constate  l'invraisemblable 
succès  obtenu  à  Auteuil  par  le  steeple-chasing,  qui,  à  Berny,  à  la 
Marche,  à  lincennes,  avait  laissé  le  plus  grand  nombre  si  complètement 
indifférent,  on  est  naturellement  amené  à  se  demander  quel  élément 
nouveau  a  pu  modifier  aussi  radicalement  les  dispositions  du  public  à 
l'égard  d'un  spectacle  qui  avait  tout  d'abord  paru  ne  le  passionner  que 
modérément. 


11  n'est  pas  douteux  que  ce  soit  à  l'établissement  du  pari  mutuel  qu'il 
aille  attribuer  ce  complet  revirement,  et  que  sa  nouvelle  passion  pour  des 
exercices  qui  précédemment  le  laissaient  plutôt  froid  n'est  pas  autre  chose 
que  la  passion  du  jeu;  mais,  s'il  est  vrai  qu'elle  entre  pour  la  grande  part 
dans  la  réussite  de  l'hippodrome,  elle  n'est  pas  seule  à  en  avoir  assuré  le 
succès. 


20 


'•    ■  Ifc 


Aulre  coiu  du  pesage. 


/■'■:>    M  s.  .    '       '  \.  > 
m-  .■■'■■■,.>■  ■'■  :   %Mj& 


Encore  un  coin  du  pesage. 


SUR    LE    Tl'Kl'. 


159 


Le  pari  mutuel  fonctionne  ailleurs,  et  nulle  part  l'affluence  n'est  aussi 
considérable. 

La  beauté  du  site,  sa  proximité  de  Paris,  la  facilité  d'accès,  sont  des 
éléments  dont  il  faut  tenir  compte  et  qui  ont  certainement  contribué  à  la 
faveur  exceptionnelle  qu'Auleuil  a  monopolisée  dès  son  ouverture. 


Il  en  est  un  autre  qu'on  ne  saurait  oublier  sans  ingratitude  :  l'infatigable 

activité  du  prince  de  Sagan,  qui, 
président  du  club  de  la  rue  Royale 
au  moment  de  la  reconstitution  de  la 
Société  des  steeple-chases,  prit  la 
direction  de  l'organisation  de  l'hip- 
podrome dont  il  avait  obtenu  la  con- 
cession du  Conseil  municipal. 

Ou  ne  saurait  mieux  dire  que  ne 
l'a  fait  M.  de  Saint-Albin  dans  son 
ouvrage  :  les  Courses  de  chevaux  en 
France,  quelle  a  été  l'influence  du 
prince  pour  le  succès  de  l'institu- 
tion. 

Je  lui  laisse  la  parole  :  «  A  tout 
Sagan,  tout  honneur  !  le  prince  ré- 
gnant de  la  Société  des  steeple- 
chases  est  le  conservateur  de  la  grande 
existence. 


«  Il  marche  droit  devant  lui,  sans  s'inquiéter  du  ministère  qui  paye,  sans 
«  souci  des  crises  politiques  ou  financières. 


«  11  fait  du  luxe  par  patriotisme,  pour  que  les  étrangers  trouvent  toujours 
«  la  France  en  belle  humeur. 

«  Le  prince  a  son  quartier  général  au  petit  club. 

«  Il  occupe  dans  le  cercle  même  un  appartement  dont  les  fenêtres  donnent 
«  sur  la  place  de  la  Concorde. 

«  Il  a  vue  sur  le  Palais  législatif. 

«  Il  semble  que  du  Palais-Bourbon  le  prince  de  Sagan  a  reçu  du  gouverne- 
«  ment,  fort  malin  en  celle  circonstance,  la  mission  secrète  de  former  une 
«  espèce  de  cour,  très  utile  à  un  pays  qui  ne  saurait  vivre  sans  conserver  ses 


IliO 


SLR    LE    TURF. 


«  iradilions  de  bonne  humeur  et  d'élégance;  la  politique  le  laisse  froid,  mais 
«  le  sport  le  passionne. 

«  C'est  lui  qui  a  créé  Auteuil. 

«C'est  lui  qui  a  ressuscité  la  Croix  de  Berny;  c'est  lui  qui  a  inventé  les 
«  fêles  de  Marly. 

«  Il  fera  ce  qu'il  voudra,  où  il  le  voudra,  comme  il  le  voudra  :  le  monde, 
«  le  vrai  monde,  ne  demande  qu'à  suivre  son  panache,  n 


C'était  si  parfaitement  vrai,  celte  influence  du  prince,  sur  les  agissements 
de  la  fashion,  qu'il  lui  suffisait  de  dire  à  quelle  heure 
et  à  quel  jour  il  était  «  chic  »  d'être  vu  à  tel  ou  tel 
endroit,  pour  qu'elle  s'y  portât  en  troupe  compacte, 
fût-ce  dans  les  locaux  les  plus  notoirement  incom- 
modes et  précédemment  réputés  les  plus  inélégants  : 
ses  décrets  étaient  sans  appel. 

S'il  est  vrai  que  la  mode  ait  un  sceptre,  elle  s'en 
était  déchargée  aux  mains  du  prince,  qui  s'en  est  servi 
pendant  une  vingtaine  d'années  avec  une  incomparable 
désinvolture  :  ses  décisions  avaient  force  de  loi,  et 
jamais  dans  notre  pays,  qui  du  reste  n'en  a  pas  eu 
beaucoup  à  supporter,  aucun  despote  n'a  été  plus 
servilement  obéi  :  c'était  bien  l'obéissance  passive, 
sans  discussion,  sans  examen. 


rdrei  »ui  joc-  Admirable  discipline,  acceptée  volontairement  par 
un  groupe  de  gens  toujours  prêts  à  se  déclarer  indé- 
pendants à  tous  les  points  de  vue  et  qui  prétendent  n'agir  que  selon  leur 
bon  plaisir. 


Le  leur  était  celui  du  prince. 


Cette  influence  qu'il  exerçait  si  incontestablement  sur  l'élément  mondain, 
le  prince  la  mit  au  service  de  la  Société  des  steeple-chases,  dont  il  s'était 


SUR    LE    il  RF.  161 

promis  d'assurer  le  succès,  et,  avec  celle  intuition  qu'il  possédait  de  la  mise 
eu  scène,  il  comprit  qu'une  exhibition  annuelle  des  gens  du  monde  sous  les 
yeux  de  ceux  qui  n'eu  sont  pas  constituerait  une  considérable  attraction,  un 
véritable  clou! 


Restait  à  trouver  le  prétexte  à  ce  cortège  aristocratique. 
Ce  ne  fut  pas  long. 


La  Société  du  Riding  et  Coacbing,  une  annexe  du  club  de  la  rue  Royale, 
organisait  ses  réunions,  et  il  fut  décidé  qu'une  journée  dite  «  des  drags  » 
aurait  lieu  chaque  année  à  Auteuil,  dans  laquelle  un  défdé  de  tous  ces  élégants 
équipages  servirait  de  prologue  au  spectacle. 


C'est  à  la  porte  du  cercle  de  la  rue  Royale,  ainsi  nommé  parce  qu'il  est 
situé  place  de  la  Concorde,  que  se  réunissent  les  drags  appelés  à  figurer  dans 
le  cortège;  n'y  sont  admis  que  les  membres  de  la  Société  des  Guides. 


C'est  uue  mesure  de  précaution  dont  le  but  est  d'écarter  les  intrus. 


Au  premier  abord  il  semble  qu'elle  soit  inspirée  par  une  prudence  exces- 
sive, puisque  la  plupart  des  gens  en  mesure  d'atleler  dans  ces  conditions 
exceptionnellement  dispendieuses  font  généralement  partie  des  grands  cercles 
et,  de  ce  fait,  sont  admis  de  droit  dans  la  Société. 


Elle  a  cependant  sa  raison  d'être,  puisqu'elle  permet  d'exclure  de  celte 
figuration  exlra-select  les  équipages  que  le  Sherry  RIosson  et  autres  Moulins 
rouges  ne  manqueraient  pas  de  chercher  à  y  introduire. 


Après  avoir  subi  sur  la  place  de  la  Concorde  l'examen  prolongé  d'un  public 
plus  spécial  qu'indulgent,  les  attelages,  précédés  de  whips  en  habits  rouges 
chargés  de  leur  ouvrir  la  voie,  s'engagent  par  une  courbe  savante  dessinée 


IG-2 


S lll    I.E    TL'RF. 


aux  alentours  de  l'obélisque  dans  l'avenue  des  Champs-Elysées,  suivent 
l'avenue  du  Dois,  gagnent  l'avenue  des  Acacias  et  pénètrent  sur  l'hippo- 
drome, après  avoir  contourné  l'enceinte  du  pesage  pour  venir  se  placer  en 
ligne  de  bataille  face  aux  tribunes. 


C'est  le  momeut  de  transporter  du  sommet  des  drags  à  la  tribune  du  Club 
leur  élégant  chargement. 


Opération  délicate  qui  ne  va  pas  sans  difficultés  :  les  hautes  personnalités 
qu'il  s'agit  de  faire  descendre  de  ces  parages  élevés  sont  souvent  plus  impor- 
tantes qu'agiles,  et  les  échelles  qu'on  adapte  aux  sièges  exigent  une  précision 
de  mouvements  qui  reste  le  privilège  de  la  jeunesse. 


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-C  r:'X3K"Sf=1£^3iir.i;^ 


si  i;   LE   nui'. 


[65 


Les  vieilles  dames  auxquelles  leur  situation  de  maîtresses  de  maison  con- 
sidérables a  valu  le  périlleux  honneur  d'être  invitées  constatent  avec  effroi 
l'infériorité  des  échelles  sur  les  ascenseurs  et  ne  parviennent  le  plus  souvent 
à  toucher  terre  qu'après  des  variations  d'équilibre  qui  nuisent  souvent  à 
l'économie  de  leur  toilette;  les  chapeaux  perdent  la  position  savante  qu'ils 
occupaient  au  moment  de  la  première  ascension,  et  il  n'est  pas  rare,  dans 
celte  descente  accidentée,  que  leurs  vénérables  tibias  se  trouvent  produits 
dans  toute  leur  étendue  aux  regards  irrespectueux  du  populaire,  toujours 
sensible  à  ces  révélations  involontaires. 

C'est  alors  que  s'effectue,  sous  le  feu  des  lorgnettes 
du  pesage,  le  passage  de  la  piste  :  bien  des  gens  qui 
monteraient  à  l'assaut  avec  la  plus  inébranlable  fer- 
meté, se  précipiteraient  sans  hésiter  du  haut  des  ponts 
pour  repêcher  leurs  semblables,  arrêteraient  au  besoin 
les  chevaux  le  plus  sérieusement  emportés,  les  mieux 
disposés  en  un  mot  à  mériter  les  médailles  de  sauve- 
tage de  tous  les  modules  et  des  métaux  les  plus  variés, 
se  sentent  pris  d'un  véritable  malaise  à  la  pensée  de 
défiler  à  découvert,  en  plein  soleil,  sous  la  batterie  de 
milliers  de  regards  plus  ironiques  encore  que  curieux, 
prompts  à  saisir  le  moindre  ridicule... 

Les  plus  braves  en  sont  impressionnés  et  leur  atti- 
tude s'eu  ressent;  raide,  guindée  chez  les  uns,  embar- 
rassée chez  les  autres,  on  voit  qu'ils  se  sentent  en 
spectacle  et  savent  que  leur  public  manque  d'indulgence, 


La  journéedes  couchs  ■  - 
:i<tliste  devenu  un   simple 


Untpé-        (l 


Tous  ont  plus  ou  moins  l'air  d'attendre  le  sacramentel  «  ne  bougeons 
plus  »  du  photographe,  et  l'on  sent  que  bon  nombre  d'entre  eux,  au  lieu  de 
continuer  à  marcher  solennellement,  préféreraient  de  beaucoup  prendre 
leurs  jambes  à  leur  col,  «  manière  de  courir  pas  commode  du  tout  «  ,  comme 
dit  la  chanson,  pour  diminuer  la  durée  de  leur  supplice. ..  Mais  la  satisfaction 
d'être  vu  en  si  élégante  compagnie  fait  contrepoids  et  maintient  le  cortège  à 
son  allure  processionnelle...  Pendant  ce  temps  la  musique  militaire  fait  rage 
et  raffermit  les  courages  ébranlés... 


Cependant  les  hommes  d'écurie  sont  sortis  de  l'intérieur  des  coacbs,  ont 
mis  habit  bas,  et  s'adonnent  aux  douceurs  d'un  pansage  exécuté  dans  les 
règles  de  l'art. 


166 


SUR    LE   TTRF. 


C'est  peul-êlrc  le  moment  le  plus  pittoresque  de  eetle  journée  si  complè- 
tement sportive. 

Les  couteaux  de  chaleur  fonctionnent  de  tous  côtés,  l'eau  ruisselle  sur  les 
naseaux  des  chevaux,  sous  leurs  flancs,  à  leurs  jambes,  qu'on  éponge  à  grande 
eau,  pour  les  essuyer  ensuite  à  grand  renfort  de  serviettes. 


Les  groupes   d'hommes  et  de  chevaux   présentent   les  aspects  les  plus 

imprévus,  un  enchevêtrement  de  bras  nus  et  de  jambes  au  poil  luisant,  de 

toutes   les   nuances  connues,   avec  des  reflets  à  émerveiller 

Bodoï  et  à  rendre  songeur  Princeteau  lui-même. 

C'est  une  fête  pour  un  coloriste  et,  pour  tout  homme  de 
cheval,  un  spectacle  à  ne  pas  oublier. 

Les  motifs  de  croquis  abondent,  et,  pour  ma  part,  je  ne 
connais  pas  d'endroit  où  l'on  puisse,  en  si  peu  de  temps,  faire 
plus  ample  collection  de  souvenirs. 


Peu  à  peu,  tout  ce  grand  mouvement  s'apaise,  les  chevaux 
abrités  du  soleil  sous  leurs  couvertures  d'attente  sont  placés 
à  l'ombre  des  drags,  groupés  par  le  hasard,  la   plupart  du 
temps  le  plus  intelligent. 


Les  artistes  se  creusent  bien  souvent  la  tête  pour  inventer  des  arrange- 
ments qui  se  trouvent  là  tout  faits,  et  que  l'art  le  plus  ingéuieux  chercherait 
pendant  de  longues  heures  sans  arriver  à  le  rencontrer. 

Ce  jour-là,  il  est  rare  que  je  sache  autrement  que  par  les  comptes  rendus 
du  lendemain  les  incidents  de  course  qui  ont  pu  se  produire,  mais  jamais,  si 
imprévus  qu'ils  aient  pu  être,  je  ne  regrette  l'emploi  de  mon  après-midi... 


Les  courses  finies,  l'aristocratique  chargement  est  réintégré  sur  ses  éta- 
gères respectives  par  les  mêmes  procédés  qui  ont  servi  à  son  déballage  ; 


^fe^r  ■■  .A.-7-® 


SUR  LE  TURF  :  A  Al'TEUlL.  —  LA  JOURNÉE  DES  DRAGS. 


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?  k  a  â 


D'hallage  général.  —  Chacun  emploie,  pour  descendre,  le  procédé  qui  lui  parait  le  mieux 
approprié  au  degré  d'agilité  qu'il  se  connaît. 


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—  2 

i  : 


SUR  LE  TUKF  :  A  AUTEUIL.  —  LA  JOURNEE  DKS  DRAGS. 


a|  I  CM 


/,?  pansage.  —  Incidents  irarii 


SUR    LE    TI'IU'. 


ITT 


parfois  d'heureuses  substitutions  se  produisent  :  des  douairières  encore  épou- 
vantées de  tout  ce  qu'il  leur  a  fallu  montrer  en  descendant  de  leurs  glorieuses 
banquettes  se  sont  obstinément  refusées  à  une  nouvelle  ascension,  et  des 
doublures  moins  importantes  au  point  de  vue  hiérarchique,  mais  infiniment 
plus  plastiques,  ont  accepté  d'occuper  leur  place. 


Il  en  résulte  qu'un  drag  médiocrement  décoratif  à  son  premier  pas- 
sage se  trouve,  au  retour,  bondé  de  jolies 
femmes. 


Ce  sont  les  profits  des  spectateurs... 

Celte  fêle  unique,  imaginée  pour  la  pro- 
spérité de  la  Société  des  steeple-chases  par 
son  intelligent  prolecteur  et  acceptée  d'en- 
thousiasme par  ses  obéissants  coryphées,  se 
trouve  placée  entre  le  grand  steeple-chase  de 
Paris  et  la  grande  course  de  haies  :  elle 
complète  le  spectacle  offert  aux  Parisiens 
pendant  la  grande  semaine  d'Auteuil. 


Sévère,    mais  juste. 
donnerais   le   cheval  à   <1 
comme   vous  gagne!  louj 
pal  ..,j-,l,-sus  de  trois. 


peal-étre   quit 


Elle  offre  au  public  féminin  l'alliait  par- 
ticulier des  courses  militaires,  et  le  mélange 
des  toilettes  priutanières  aux  nombreux  uniformes  donne  au  pesage  un  aspect 
tout  à  fait  inusité  et  séduisant  :  l'uniforme,  quoi  qu'on  puisse  dire,  avantage 
singulièrement  ceux  qui  le  portent. 


On  a  beau  le  simplifier,  enlever  les  uns  après  les  autres  les  ornemenls  qui 
l'agrémenlaient,  la  coupe  générale  subsiste,  donnant  à  la  tournure  des  gens 
suffisamment  découplés  une  allure  dégagée  que  le  costume  laïque  interdit  au 
plus  grand  nombre. 


On  sent  que  la  préoccupation  la  plus  habituelle  à  nos  tailleurs  n'est  pas  de 
faire  valoir  d'heureuses  proportions  naturelles,  mais  bien  plutôt  d'arriver  à 
dissimuler  des  conformations  regrettables,  de  cacher  des  ligues  défectueuses 


178  SIR    LE    TURF. 

et  d'atténuer  des  gibbosilés  plus  ou  moins  développées  par  l'usage  prolongé 
d'altitudes  professionnelles . 

Chacun  sait  que  la  forme  des  organes  se  modifie  par  l'usage  qu'on  en  fuit, 
et  l'épine  dorsale  des  bureaucrates  constamment  courbés  sur  leurs  pupitres 
ne  saurait  conserver  longtemps  une  rectitude  bien  complète  :  les  épaules 
perdent  leur  parallélisme,  et  l'inégalité  des  omoplates  oblige  les  artistes 
chargés  de  mettre  en  valeur  les  avantages  physiques  du  sexe  laid  à  des 
stratagèmes  qui  ne  trompent  que  les  observateurs  inaltentifs,  qui  s'inquiètent 

peu  de  faire  la  distinction 
de  ce  qui  est  réel  ou  factice 
dans  le  contenu  d'une  redin- 
gote. 

On  attache  généralement 
plus  d'importance  à  deviner 
ce  que  renferme  un  corsage, 
et  Dieu  sait  combien,  même 
après  un  examen  qu'on  croit 
suffisamment  approfondi,  on 
rencontre  de  désillusions  ! 

Si  simplifie  qu'il  suit  il<*  nos  jours,  L'uniforme  conserve  sun  prestige 

•M  S'<"    »   '"    >«"• 

Un  des  principaux  attraits 
de  l'hippodrome  d'Auleuil  lient  certainement  de  la  certitude  qu'on  a  d'y 
rencontrer  toutes  les  personnalités  eu  vue  du  monde  sportif. 


Un  provincial  curieux  de  connaître,  au  moins  de  vue,  tous  les  héros  du 
Turf,  peut  eu  quelques  séances  réaliser  son  désir,  car  ce  ne  sont  pas  seulement 
les  propriétaires  d'écurie  de  sleeple-chases  qui  s'y  réunissent  au  pesage;  — 
les  éleveurs  qui  leur  ont  vendu  leurs  chevaux  ont  la  curiosité  de  voir 
comment  ils  se  comportent,  et  les  propriétaires  d'écurie  de  plat,  désireux  de 
se  débarrasser  des  chevaux  qui  ne  leur  ont  pas  donné  pleine  satisfaction,  ne 
sont  pas  fâchés  de  se  rendre  compte  de  la  façon  dont  les  frères  aînés  de  ceux- 
ci,  entrés  dans  la  spécialité,  ont  pris  leur  nouveau  métier;  —  ils  peuvent 
recueillir  dans  ce  facile  déplacement  des  indications  qui  leur  permettront 
d'évaluer  avec  une  plus  grande  précision  les  animaux  dont  ils  comptent  se 


SUR    LE   TURF  :    A    AUTEWL.  —  CONVERSATIONS    VARIÉES. 


Quelle  tactique    vous  deiez  suivre?  Celle  que    \ous  trouverez    la  meilleure.  Le  cheval  peut 
et  doit  gagner,  c'est  à  vous  de  savoir  comment... 


Précieux  encouragement.  —  Si  le  cheval  n'était  pas  tombé 
toutes  tes  lois  qu'il  a  couru  ces  derniers  temps,  je  vous  dirais 
que  vont    nez  une  très  bonne  chance... 


—  Puisque  le  cheval  est  tombé...  ! 

—  Justement!  pour  qu'il  fut  sur  de  gugner,  il  aurait 
fullu  qu'il  fût  d'abord  bût  de  ne  pas  tomber... 


SUR   LE  Tl'RK   :    A    AUTEUIL. 


.1/.  Ed...  Arc...  et  le  colonel  B .  .t  de  B...é.  —  Eu  voyant  en  grande  conférence  ces  deux 
personnalités  sportives,  vous  pourriez  croire  que  vous  allez  surprendre  un  important  secret. 
N'écoutez  pas  :  il  ne  s'agit  que  d'uue  combinaison  pour  le  retour,  et  de  décider  où  l'on  se 
etrouvera  pour  gagner  la  voiture. 


SUR  LE  TURF   :   A  AUTEl  II,. 


Consultations  complémentaires  et  consolations  an.c  convalescents.  —  Quand  il  y  a, 
fracture,  on  sail  pour  combien  de  jours  oi  en  a;  mais,  s'il  s'agit  d'une  commotion,  ce 
n'est  qu'après  des  années  qu'on  peut  avoir  la  certitude  qu'elle  n'aura  pas  île  sniles... 


SUR   LE  Tl!Rl'   :   A    Al'TEUU, 


vl ,,  , « 


-si! 


Chute  authentique  de  M.  Halford  dans  le  prix  d'hiver,  ïï  /écrier  18X5,  au  mur 
en  erre.  —  Le  cheval  Virelan,  à  M.  Descliamps,  avait  la  jambe  cassée  el  dut  être  abattu. 
Quant  au  cavalier,  sa  chute,  qui  avait  paru  terrible,  n'eut  d'autre  conséquence  qu'une 
syncope  assez  prolongée. 


V> 


SI  I!    LE    TURF. 


187 


défaire  el  savoir  de  façon  à  peu  près  certaine  jusqu'à  quel  chiffre  peuvent 
s'élever  leurs  prétentions. 


Le  personnel  des  écuries  s'y  trouve  également  à  peu  près  au  complet. 

Entraîneurs  et  jockeys  manquent 

rarement    à    ces  réunions,    qui 

'ikV/jt      comptent  toujours  d'importantes 

épreuves  pour  lesquelles  ils  ont 

souvent  un  renseignement  qu'il 

peut  être  intéressant   d'utiliser. 

Que  ce  soit  pour  un  motif  ou 

pour  un  autre,  tout  ce  qui  joue 

un  rôle  dans  le  sport  se  trouve 

l         '^ës^>-  _  J  réuni  à  la  butte  Morlemart,  et, 

j.„, ,  pie  laïque  a'obtiendroit  pareil  «accès.  COmiIie  le  gTOS  public  aSSeZ  claÎP- 

semé  aux  réunions  de  semaine 
n'enveloppe  pas  les  personnalités  dans  des  groupes  trop  compacts,  l'examen 
de  ce  monde  spécial  se  trouve  là  singulièrement  facilité. 

C'est  ce  qui  nous  a  permis  de  regarder  assez  attentivement  un  certain 
nombre  d'habitués  de  l'endroit,  pour  que  les  autres  les  reconnaissent  dans 
les  croquis  disséminés  dans  ce  chapitre. 


(prés  la  victoire,  au  les  petites  mitéres  aVun  homme  heureu 


Steeple-chose  mililairc. 


SUR    LE  TURF.  —  DÉFINITION    DU    TUYAU. 


Xous  empruntais  h  M.  de  Saint-Albin  celte  définition  du  mot  tuyau,  (|iii  n„us  parait 
parfaitement  juste.  Se  dit  dans  l'argot  du  turf  d'un  renseignement  qui  n'est  pas  le  secret  de 
tout  le  monde,  et  ipji  se  donne  dans  le    «  tuyau  de  l'ureille  .  . 


SUR    LE    TURF.    —   DKFIXMTIOX    DU   TUYAU. 


<3ufL_ 


C'est  pas  son  jour.  —  T'inquiète  doue  pas,  puisqu'on  te  fera  signe, 
et,  d'abord,  quand  il  gagnera,  c'est  pas  moi  qui  le  monterai...  on 
gueulerait  trop  !... 


SUR    LE   TURF.   -    EXPRESSIONS   TECHNIQUES. 


Broken-down.  -  Traduction  littérale  :  Cassé  peu'  le  bas  Quand 
l'accident  se  produit  en  fin  de  course-  et  n'empêche  pas  le  cheval 
de  <ra<mer  ou  d'être  placé,  le  jockey  est  tenu  de  rester  en  selle 
jusqu'à  la  rentrée]  au  pesage,  sous  peine  d'être  disqualifié  h.  a 
Société  protectrice  dos  animaux  connaît  cet  article  du  règlement, 
on  comprend  difficilement  qu'elle  ne  lasse  pas  campagne  pour  en 
obtenir  la  révision. 


X 


SUR  CE  TURF.  —  EXPRESSIONS  TECHNIQUES. 


Arrivée.  —  «  Point  précis,  dit  un  dictionnaire  spécial,  où  se  termine 
une  course,  j  Ce  n'est  pas  absolument  exact,  le  point  où,  pour  beau- 
coup de  concurrents,  surtout  en  steeple-chase,  la  course  se  trouve 
terminée,  n'étant  pas,  hélas!  toujours  le  poteau  d'arrivée. 


UNE   VISITE  A  LANGE  0) 


Je  revenais  d'Auteuil.  Le  baron  Finot  venait  de  gagner  trois  courses  sur 
cinq;  la  veille,  il  avait  gagné  trois  courses  sur  cinq;  l'avant-veille,  trois 
courses  sur  cinq... 

Enfin,  est-ce  la  veine,  comme  tout  le  monde  le  dit,  ou  est-ce  le  «  bien 
joué  »  ? 

—  Venez  donc  me  voir  à  Langé,  me  dit  le  baron,  je  vous  montrerai  mon 

(1)  Nous  (levons  à  M.  A.  Sautcrcau  de  reproduire  cet  article  paru  dans  la  Vie  sportive,  qu'il 
dirigeait  alors.  Sous  le  pseudonyme  de  Franciscan  Friar,  M.  de  Vezian,  un  des  cavaliers  les  plus 
complets  de  la  spécialité,  l'avait  illustré  de  croquis  dont  nous  nous  sommes  efforcés  de  conserver 
le  caractère  et  l'humoristique  observation. 


198 


SUR    LE    TURF. 


dressage;  c'est  très  simple,  niais  que  voulez-vous?  0:1  ne  fait  pas  un  steeple- 
chase  en  huit  jours,  et  si  Commandes,  Vincennes  et  les  autres  gagnent,  c'est 
qu'ils  ne  sont  pas  dressés  d'hier. 

J'étais,  bien  entendu,  en  roule  dès  le  lendemain. 

C'est  difficile  d'arriver  à  Langé  :  —  à  partir  de  Chàteauroux,  encore  cinq 
heures  de  voiture  ! 

Pas  joli  le  pays  jusqu'à  Eutraigues;  une  grande  plaine  unie,   et  puis  la 


-^ 


route  droite,  plate,  dure.  —  Comment!  c'est  là  le  berceau  du  steeple-chase  ? 
—  Enfin,  il  y  a  peut-être  à  Langé  des  pistes  d'obstacles  étonnantes. 

Changement  à  vue  à  Eutraigues  :  on  entre  dans  une  charmante  vallée, 
une  véritable  oasis  dans  celle  triste  plaine,  et  par  la  pensée,  en  regardant  par 
la  portière,  je  suivais  un  Cross-Country  imaginaire  où  je  sautais  tous  ces  jolis 
fossés  et  ces  belles  haies  vives  qui  bordent  la  route. 


Nous  entrons  dans  la  cour  d'un  château  flanqué  de  quatre  tourelles  qui  se 
détachent  en  blanc  sur  les  grands  arbres. 


SIK    LE   Tl  RF.  199 

Nous  étions  arrivés. 

C'est  curieux,  je  ne  croyais  pas  que  Langé  était  connue  les  autres  châteaux. 

Pourquoi?  c'est  absurde,  niais  enfin  il  me  semblait  que  la  demeure  du 
baron  Finot  devait  avoir  un  aspect  tout  particulier;  je  croyais  que  son  parc 
était  uu  véritable  champ  de  courses  rempli  de  barres,  haies,  banquettes 
irlandaises,  que  sais-je? 

Eli  bien,  pas  du  tout. 

On  aperçoit  quelques  poulinières  dans  les  belles  prairies  qui  entourent  le 
château,  mais  franchement  on  ne  se  douterait  guère,  en  passant  devant  Langé, 
que  c'est  là  qu'habite  le  roi  du  Steeple-Chasing. 

Je  m'oublie,  et  certainement  je  vous  ennuie  avec  mes  impressions  de 
voyage  :  je  bavarde,  et  je  ne  vous  raconte  pas  du  tout  comment  ou  dresse 
les  chevaux  à  Langé.  —  Mille  excuses!  m'y  voici. 

—  Je  vais  vous  montrer,  me  dit  le  baron,  la  suite  des  exercices  que  je  fais 
faire  à  mes  chevaux  :  prenons  les  bébés  d'abord.  Vous  comprenez  que  je  ne 
vais  pas  leur  faire  sauter  des  montagnes. 

Il  y  a  à  Langé  une  douzaine  de  poulains  tous  les  ans.  —  Ils  sont  sevrés 
depuis  plus  de  deux  mois. 

On  les  amena  dans  une  carrière  circulaire  qui  est  réunie  aux  écuries  par 
uu  couloir.  —  Ils  arrivèrent  serrés  les  uns  contre  les  autres,  les  oreilles 
droites,  étonnés.  Un  homme  les  poussait  devant  lui,  eu  frappant  dans  ses 
mains.  Ou  avait  placé  uue  barre  qui  n'avait  pas  plus  de  0°,30.  Tant  bien  que 
mal,  ils  passèrent  l'obstacle,  puis  rentrèrent  enchantés  à  l'écurie,  en  faisant 
des  cabrioles. 

La  Veine  et  Coureuse  de  nuit,  la  tète  appuyée  sur  les  barrières  qui  sépa- 
raient la  carrière  de  leur  prairie,  semblaient  regarder  avec  intérêt  les  débuis 
de  leurs  poulains. 

—  Ça  ne  leur  apprend  évidemment  pas  à  sauter,  car  ils  passent  celle  barre 
n'importe  comment;  mais  tout  viendra  en  son  temps.  Aujourd'hui,  ils  font 
connaissance  avec  les  obstacles,  ils  pensent  à  regarder  où  ils  placent  leurs 
pieds,  et,  voyez- vous,  ce  qu'on  apprend  à  cet  âge- là,  ça  se  grave  pour 
toujours. 

Vous  savez  que  j'euvoie  la  moitié  de  mes  poulains  à  Avenues;  ça  se  fait 
en  avril  ou  eu  mai.  Eh  bien,  quand  je  les  reprends  après  leur  carrière  de  courses 


200  SUR    LE    TURF. 

plates,  vers  trois  ou  quatre  ans,  je  leur  fais  passer  vite  une  ou  deux  haies,  et 
ils  courent  tout  de  suite,  en  sautant  aussi  bien  que  mes  vieux  routiers. 

Baudres  avait  été  dressé  comme  cela,  et  lorsque  Carter  me  l'a  renvoyé  en 
me  disant  qu'il  était  mauvais  sur  toutes  les  distauces,  je  vous  réponds  qu'il 
n'a  pas  été  long  à  se  remettre  sur  les  obstacles. 

Baryton,  Roi- Fou,  c'était  la  même  chose,  mais  ces  deux-là  on  me  les  a 
rendus  avec  des  accrocs  aux  jambes. 

Passons  aux  chevaux  de  dix-huit  mois. 

11  y  eu  avait  quatre  :  trois  Clocher  et  un  Cimier;  les  autres  sont  à  Avenues. 


Tous  grands,  torts,  rustiques,  avec  de  gros  membres  et  de  larges  articu- 
lations. 

On  leur  mit  un  caveçon,  et  ou  alla  dans  la  campagne.  Ils  franchirent  des 
troncs  d'arbres,  des  petits  fossés,  des  contre-bas  :  quand  ils  hésitaient,  et 
c'était  rare,  des  hommes  à  pied  les  appuyaient  immédiatement  avec  des 
fouets. 


SUR    LE   TURF.  203 

Jusqu'à  présent,  c'est  un  débourrage;  c'est  simplement  pour  les  familia- 
riser avec  (oute  espèce  d'obstacles,  les  rendre  souples,  mais  ça  ne  les  fait  pas 
sauter  vile,  et  c'est  là  l'important  dans  le  métier. 

Ce  n'est  rien  de  franchir  un  gros  obstacle  aux  allures  ordinaires! 

Ce  qu'il  faut  obtenir,  c'est  qu'un  cheval  à  la  fin  d'un  steeple-chase,  hors 
de  son  train,  manquant  déjà  de  souffle  pour  avancer,  trouve  encore  assez, 
non  pas  de  force,  mais  d'habitude,  pour  franchir  la  dernière  haie. 

Et  que  de  courses  on  gagne  sur  la  dernière  haie! 

Vous  allez  voir  comment  j'y  arrive. 

On  amena  les  quatre  poulains  dans  un  pré  entouré  de  tous  côtés  par  une 
grande  haie;  un  talus  eu  terre  solide  et  large  dans  le  genre  de  celui  d'Auteuil, 
un  peu  moins  haut  peut-être,  était  appuyé  à  l'un  des  grands  côtés.  On  mit 
des  hommes  aux  quatre  coins  de  la  prairie. 

Nous  étions  au  centre.  Rialland  avait  un  fouet. 

On  lâche  les  poulains,  qui  partent  à  un  bon  galop,  en  tournant  tout  autour 
de  la  prairie.  Ils  arrivent  sur  le  talus,  en  paquet,  absolument  comme  un  pelo- 
ton dans  une  course,  et  franchissent  l'obstacle  comme  de  vieux  chevaux,  fai- 
sant des  sauts  longs,  adroits,  et  reparlent  aussitôt  saus  perdre  une  seconde. 

Ils  firent  dix,  vingt  tours  sans  s'arrêter,  en  sautant  le  talus  chaque  fois.  On 
augmentait  l'allure  avec  le  fouet. 

Ils  étaient  fatigués,  soufflaient  déjà  très  fort,  mais  on  ne  les  laissait  pas 
s'arrêter. 

Ils  commençaient  même  à  faire  des  fautes,  et  toujours  on  augmentait 
l'allure. 

—  Vous  venez  de  voir  la  meilleure  leçon  :  ils  apprennent,  de  cette  façon, 
non  seulement  à  sauter,  mais  aussi  à  courir  en  sleeple,  car,  regardez-les,  ils 
galopent  en  peloton  serré,  ils  se  touchent. 

Eh  bien,  voyez  comme  eu  arrivant  à  toute  allure  sur  ce  talus,  ils  ne  se 
bousculent  pas. 

l'oyez  :  ils  s'écartent,  prennent  chacun  leur  ligne,  ne  se  sautent  jamais  les 
uns  sur  les  autres.  Ils  peuvent  courir  demain  à  Auleuil. 


204  SUR    LE    TURF. 

Dans  l'armée,  on  fait  aussi  sauter  les  chevaux  en  liberté  ;  ça  ne  donne  pas 
cependant  de  résultats  bien  extraordinaires... 

—  J'ai  visité  l'Ecole  de  Saumur,  me  dit-il,  on  m'a  montré  des  chevaux 
sautant  en  liberté;  je  suppose  que  l'on  emploie  la  même  mélhode  dans  les 
régiments. 

Eh  bieu,  je  ne  sais  pas  si  l'on  cherche  un  autre  but  que  le  mien,  car  on 
opère  d'une  façon  toute  différente. 

Je  ne  connais  pas  les  résultais  qu'obtiennent  les  écuyers  de  Saumur,  je  n'ai 
pas  du  reste  à  juger  leur  méthode. 

Voici  ce  qu'ils  font  :  leur  steeple  en  liberté  est  un  couloir  d'une  centaine 
de  mètres  de  longueur  dans  lequel  on  a  accumulé  une  haie,  une  rivière,  une 
barrière  fixe  et  un  talus  ;  le  cheval  n'est  pas  encore  de  l'autre  côté  de  la 
rivière  qu'il  lui  faut  se  préparer  à  franchir  la  barre. 

Jamais,  dans  la  nature,  on  ne  rencontre  chose  pareille? 

De  plus,  ou  fait  sauter  les  chevaux  un  par  un;  pour  un  début,  c'est  un 
contresens. 

Le  commençant  ne  doit  jamais  sauter  isolé;  avec  des  camarades,  il  s'anime, 
il  se  livre. 

Comme  c'est  tentant  pour  un  poulain  d'arriver  seul,  au  petit  galop,  sur 
une  rivière  de  quatre  mètres!  Mais,  allons  déjeuner;  ça  creuse  le  sport; 
nous  ferons  travailler  ce  soir  les  deux  ans,  et  les  vieux  chevaux... 

—  Dépèchous-nous ,  nous  avons  beaucoup  de  choses  à  voir  cet  après- 
midi  :  commençons,  si  vous  voulez,  par  le  Salon  des  refusés. 

—  Qu'est-ce  que  c'est  que  ça? 

—  Ce  sont  mes  meilleurs  chevaux,  qui  ont  tous  été  impitoyablement 
refusés  par  l'administration  des  haras.  Encore  une  de  ces  administrations  que 
l'Europe  ne  nous  envie  pas! 

Ce  n'esl  pas  sans  malice,  ni  peut-être  sons  plaisir,  qu'il  lire  parti  des  éta- 
lons qu'on  lui  refuse. 

Robert  Houdin,  par  exemple,  l'administration  n'en  voulut  à  aucun  prix! 
Il  fut  le  père  de  Baudrcs.  Je  vis  Bride  abattue,  Baryton,  Aristote,  Sorgho, 
Roi-Fou,  et  tous  ces  autres  chevaux  qui,  sur  le  parcours  d'Auteuil,  perdaient 
un  roule  leurs  concurrents. 

—  Mais  où  esl  donc  Lusignan? 


Sl!U    LE    Tl'IU'. 


ior. 


—  Quand  il  ne  fait  pas  la  meule,  Lusiynan  sert  de  liack  à  M.  Ridgway  ;  au 
moins,  de  celte  façon,  il  travaille  et  ue  devient  pas  comme  les  étalons  de 

l'administration,   ces    animaux    perdus 
par  la  graisse  et  le  repos  absolu. 

Je  ue  parviendrais  pas  à  citer  le  nom 
de  tous  les  animaux  qu'où  m'a  mon- 
trés; c'était  absolument  une  revue  des 
principaux  acteurs  d'Auteuil  pendant  ces 
trois  deruières  années. 
Les  chevaux  de  voiture  sont  Vatan,  Onyx  et  Vanlo.  A  Paris,  cet  hiver,  je 
mettrai  à  mou  coupé  Baudres  et  Baryton. 

Tous  ces  chevaux  sont  dispersés  dans  les  fermes  qui  entourent  le  château  ; 
c'est  installé  sans  luxe;  il  n'y  a  qu'un  personnel  très  restreint,  mais  comme 
tout  est  pratique  ! 

Du  reste,  l'organisation  est  certainement  bonne,  les  résultats  sont  là  pour 
le  prouver. 


Chose  curieuse,  on  ne  panse  pas  les  chevaux  qui  sont  en  demi-travail 
on  leur  lave  seulement  les  jambes. 

J'étais  très  étonné;  il  me  montra 
(ïargotiille,  l'ancienne  jument  de 
M.  Ephrussi,  qui  était  si  grincheuse 
en  plat,  qui  i'ouaillait  sans  cesse  de 
la  queue. 

On  ne  la  panse  plus;  elle  va  à 
merveille  maintenant. 

On  l'agaçait,  cetle  malheureuse. 

Ces  juments  chatouilleuses  et 
impressionnables,  un  pansage  les 
énerve  plus  qu'un  galop. 


Du  reste,  à  ce  sujet,  le  baron  Fiuot  n'est  pas  seul  de  son  avis;  l'an  der- 
nier, j'étais  à  Pau,  et  je  demandais  au  père  Trouilh  pourquoi  il  ne  faisait 
jamais  panser  ses  cbevaux. 

—  Demandez  donc  aux  lièvres,  me  répondit-il,  si  on  leur  fait  uu  pansage 
le  soir  après  une  chasse;  ils  vont  quand  même  rudement  vite  le  lendemain! 


200 


SUR    LE    TIRE 


—  Allons  maintenant  faire  travailler  les  deux  ans,  me  dit  le  baron  Finot. 

—  Ah!  je  vais  donc   voir  votre   piste  d'obstacles.  Elle  doit  être  mer- 
veilleuse. 

—  Quelle  piste  d'obstacles"?  Mais  je  n'ai  jamais  eu  de  piste  d'obstacles. 
C'est  bien  pour  cela  que  mes  chevaux  sautent. 


Rialland  amena  ses  deux  ans  dans  une  prairie  coupée  en  plusieurs 
endroits  par  un  fossé  plein  d'eau,  à  bords  francs,  dans  le  genre  de  ceux  de 
la  Croix  de  Berny. 

Dans  toutes  les  écuries  de  course,  il  est  considéré  comme  un  axiome  que 

les  lads  ne  peuvent  être  qu'Anglais. 

A  Langé,  les  poulains  étaient  simple- 
ment montés  par  des  petits  garçons  de 
ferme,  nés  et  élevés  en  France. 

Ça  n'allait  pas  plus  mal;  j'avoue  même 
que  je  crois  que  ça  allait  mieux;  mais 
enfin  il  parait  que  c'est  beaucoup  moins 
chic  ! 

Le  baron  fait  un  signe  :  les  poulaius 
arrivent  sur  le  fossé  à  toute  allure  et  le 
franchissent  sans  la  moindre  hésitation,  et  sans  faire  de  faute. 

Pour  moi,  sauter  un  fossé  de  cette  nature,  c'est  le  critérium  de  la  franchise. 
On  leur  fit  passer  des  fossés  de  toute  sorte,  secs,  pleins  d'eau,  des  contre- 
haut,  des  drops,  des  haies,  des  bull-fiuchs,  enfin  tout  ce  qu'on  rencontrait. 


J'étais  émerveille. 

Généralement,  quand  ou  prend  pour  hack  même  un  vieux  steeple-chaser, 
il  faut  l'habituer  à  sortir  des  roules  et  à  marcher  à  travers  champs,  il  faul  lui 
faire  subir  un  véritable  dressage  avant  de  lui  faire  suivre  une  chasse. 

Les  deux  ans  du  baron  Finot  feraient  des  chevaux  de  chasse  hors  ligne. 


Si  vous  faites  sauter  à  vos  chevaux  tous  les  jours  les  mêmes  obstacles, 


SLR    LE    TIJRK. 


209 


ceux  qui  ne  les  saillent  pas  bien  voient  avec  teneur  l'approche  de  celte  piste  : 
donc,  mauvais  travail. 

Ceux  qui  les  sautent  bien  n'apprennent  rien,  et  souvent  sautent,  en  public, 
en  dépit  du  sens  commun,  parce  qu'ils  ne  sont  plus  sur  leur  piste. 

Tous  les  ans,  au  moment  du  Grand  National,  je  lis  dans  les  journaux  de 
sport  que  l'écurie  Linde  a  fait  établir  un  parcours  d'obstacles  absolument 
identique  à  celui  d'Auteuil,  etc.,  etc.   Cela  me  fait  vraiment  rire;  si  leurs 


)f>jç/w<?</f  *'°' 


Otrffc . 


chevaux  n'avaient  que  cet  avantage,  je  gagnerais  plus  souvent  cette  course; 
un  bon  cheval  de  sleeple-cbase  doit  bien  sauter  sur  tous  les  hippodromes, 
et  n'importe  quel  obstacle. 

Les  poulains  étaient  gais  et  semblaient  sauter  avec  plaisir;  jamais  d'hési- 
tation; dès  qu'ils  voyaient  une  haie,  un  fossé,  ils  fonçaient  comme  des  san- 
gliers, et  Dieu  sait  qu'on  les  amena  sur  des  obstacles  peu  tentants  ! 

«  Voyez-vous,  me  dit  le  baron,  avec  des  chevaux  on  peut  faire  tout, 
absolument  tout!...  sauf  toutefois  de  gaguer  des  courses. 

—  Mais  il  me  semble  que  vous  arrivez  même  à  ça. 


210  SUR    LE    TURF. 

—  Hum  !  pas  assez,  pas  assez...  » 
On  ne  parviendra  pas  à  l'assouvir. 

Vous  croyez  peut-être  que,  les  deux  ans  rentrés,  le  travail  est  Gui  à  Langé? 
Il  faut  encore  sortir  les  vieux  chevaux. 

On  sella  Précieuse,  J'erdier,  A'orlh-Pole,  Baudres,  Darvin,  Primauté, 
Calembour,  et  deux  ou  trois  autres.  L'occasion  était  unique;  je  ne  l'aurais 
jamais  retrouvée  :  je  lui  demandai  de  mouler  Baudres. 

Nous  partons  à  travers  champs,  le  baron  en  tête,  bon  galop. 

Quand  un  ohslacle  sérieux  se  présente,  je  vous  réponds  qu'il  n'en  fait  pas 
le  tour,  et  que  les  gentlemen  riders  peuvent  apprendre  eu  le  regardant 
sauter. 

Combien  y  a-t-il  actuellement  de  propriétaires  d'écuries  de  steeple-chase 
qui  peuvent  en  faire  autant? 

Aussi,  en  revenant  le  soir,  je  vous  assure  que  je  ne  disais  plus  :«  Qu'il  a  de 
la  veine!  »  Et,  ma  foi,  c'est  consolant  de  penser  que  ce  n'est  pas  seulement  à 
grands  coups  d'argent  qu'on  se  monte  une  écurie  de  steeple-chase! 

Ali!  j'oubliais  :  Langé  est  dominé  par  une  colline  couverte  de  bois;  sur  le 
versant  se  dresse  un  petit  château  entouré  de  deux  fermes.  Tout  est  plein  de 
chevaux. 

«  Il  n'y  a  pas  longtemps  que  j'ai  acheté  celte  terre,  me  dil-il;  ça  me 
gênait  beaucoup  d'être  resserré  de  ce  côté.  »Puis  il  ajouta  négligemment:  Mon 
Dieu,  il  y  a  deux  ou  trois  ans,  j'avais  fait  une  bonne  année,  je  me  suis  offert 
ça  sur  nip.s  bénéfices. 

—  Et  cela  a  combien  d'hectares? 

—  Trois  cents  environ...  » 

Dédié  aux  propriétaires  d'écuries  de  courses. 


ct-fr^ 


Lo  yrille  du  pesage  ;'.  Colombes. 


COLOMBES 


Le  champ  de  courses  de  Colombes  sert  d'hippodrome  depuis  quelques 
aimées  seulement  à  la  Société  de  sport  de  France. 

Bien  que  de  création  récente,  cette  société,  dont  les  premières  réunions 
eurent  lieu  à  Fontainebleau  aux  environs  de  1884,  a  déjà  rendu  de  véritables 
services  au  point  de  vue  tout  spécial  qu'elle  a  choisi. 

Son  but  est  de  former  des  cavaliers,  et  ses  programmes  très  ingénieu- 
sement combinés  contiennent  des  épreuves  de  plat  et  d'obstacles  dont  l'accès 
se  trouve  interdit,  soit  aux  professionnels,  soit  aux  vétérans  des  autres  hippo- 
dromes. 

C'est  un  excellent  système  pour  développer,  chez  les  jeunes  gens,  le  goût 
de  Péquitation  hardie,  et  les  sporlsmeu  qui  ont  eu  l'idée  de  l'institution  out 


212 


SIR    LE    TURF. 


pris  une  heureuse  initiative  qui  a  déjà  donné  des  résultats  assez  satisfaisants 
pour  les  encourager  à  persévérer  dans  la  voie  que  le  désir  de  fournir  aux 
gentlemen  et  aux  apprentis  jockeys  l'occasion  de  débuter  leur  a  fait  adopter. 

Pour  l'équilation  spéciale  des  courses   plates  ou    d'obstacles,   l'épreuve 
publique  est  la  seule  école  qui  donne  de  véritables  résultats. 


I.e  grand  paddock  à  Colombes. 


On  peut  apprendre  partout  à  passer  un  obstacle,  et  la  pratique  de  la  chasse 
à  courre  habitue  le  cavalier  à  ne  demander  à  sa  monture  aucun  effort  inutile, 
mais  la  science  du  train  ne  s'obtient  que  sur  l'hippodrome,  et,  pour  l'acquérir, 
il  faut  posséder  une  expérience  difficile  à  se  procurer  à  domicile. 


Ce  n'est  pas  en  galopant  en  tète  à  tète  avec  soi-même  qu'on  apprend  à 


SUR  LE  Tuur. 


21:5 


juger  le  plus  ou  moins  de  facilité  que  chacun  des  concurrents  met  à  suivre 
l'allure  à  laquelle  une  course  est  menée,  et  l'on  peut  être  un  écuyer  émérile 
sans  avoir  aucune  notion  de  la  chance  qu'on  possède  dans  une  épreuve  de 
celte  nature. 


Si  habile  cavalier  que  puisse  être  un  débutant,  il  lui  sera  impossible  de 
proliter  d'une  foule  d'indications  qu'un  plus  expérimenté  recueillera  au  cours 
de  la  course,  et  qu'il  pourra  utiliser  pour  augmenter  ses  chances  de  succès. 

Ce  n'est  pas  l'adresse  qu'il  possède  pour  manier  un  cheval  qui  lui  indi- 
quera le  moment  précis  auquel  il  devra  lui  demander  un  effort,  et,  s'il  gagne 
dès  sa  première  monte,  ce  ne  sera  pas  à  sa  valeur  d'écuyer  qu'il  devra  son 
succès,  mais  bien  à  la  supériorité  de  l'animal  qu'il  aura  piloté  :  —  hypo- 
thèse d'autant  plus  invraisembla- 
ble qu'aucun    propriétaire  n'aura 
l'idée  de  confier  à  un  débutant  un 
champion  de  quelque  valeur. 


11  résulte  de  ces  différents  mo- 
tifs que  l'apprentissage  d'un  cava- 
lier avide  des  émotions  du  turf  ne 
va  pas  sans  difficultés,  et  qu'à 
m  oins  d'être  personnellement  pos- 
sesseur d'animaux  de  prix,  il  a  de 
grandes  chances  de  voir  ses  aspi- 
rations demeurer  à  l'état  de  vel- 
léités irréalisées  et  même  irréali- 
sables. 

Ce  qui  revient  à  dire  que  le 
cavalier  de  fortune  modeste  doit  : 
ou  renoncer  à  monter  un  bon  che- 
val, ou  se  résigner  à  l'acheter, 
éventualité  doublement  lâcheuse 
puisqu'il  lui  faut,  ou  renoncer  à 
la  satisfaction  de  son  goût,  ou  se 

résigner  à  une  dépense  au-dessus  de  ses  ressources  :  fatal  cercle  vicieux  dont 

la  Société  de  sport  lui  a  seule  permis  de  sortir  ! 


—  C'est  déjà  trois  ans  que  je 


•214 


SUR    LE    TURF. 


Pour  obvier  à  un  inconvénient  dont  bien  des  gens  s'étaient  depuis  long- 
temps préoccupés  sans  trouver  le  moyen  d'y  remédier,  il  lui  a  suffi  de  créer 

des  épreuves  assez  nombreuses  et  suf- 
fisamment rémunératrices  entièrement 
réservées  aux  gentlemen. 

Cette  première  innovation  ne  réalisait 
qu'une  partie  du  programme  de  la  So- 
ciété, à  savoir  :  encourager  les  membres 
de  la  jeunesse  mondaine  qui  avaient  le 
goût  de  l'équitation  à  affronter  l'épreuve 

,, llei  ,lil(ils  publique    et    à     prendre    aux    courses 

uue   part   active  ;   restait  à   trouver  le 

moyen  de  former  de  nouveaux  jockeys 

destinés  à  renforcer  le  nombre  beaucoup  trop  restreint  de  ces  spécialistes. 


Les  membres  du  comité,  convaincus  qu'en  poursuivant  ce  second  résul- 
tat ils  reluiraient  non  seulement  à  l'institution  des  courses,  mais  aussi  aux 
propriétaires  et  aux  entraîneurs  un  véritable  service,  se  mirent  à  étu- 
dier les  procédés  par  lesquels  ils  pourraient  l'atteindre,  et  comme, 
pour  la  plupart,  ils  avaient  à  la  fois  l'expérience  et  la  bonne  volonté,  ils 

ne  (ardèrent  pas  à  découvrir  uue 
série  de  combinaisons  qui  de- 
vaient assurer  la  réussite  de  leurs 
projets. 


Les  poids  légers  exigés  des  con- 
currents, d'une  part,  et  le  petit 
nombre  des  courses  antérieure- 
ment gagnées  par  les  jockeys  ad- 
mis à  prendre  part  aux  épreuves, 
en  excluent  naturellement  ceux 
qui  ont  acquis  une  expérience 
suffisante  pour  qu'on  recberebe  leur   monte   sur   les  autres  hippodromes. 


■  ;■>■  à  |"  i fei  lionn 


Colombes  est  la  petite  classe  de  l'école  dont  les  premiers  sujets  d'Auteuil 
et  de  Longcbamps  seraient  les  rhétoriciens. 


SUR    LE    TIRE. 


A   COLOMBES. 


Félicitations  au  vainqueur.  —  Vous  avez  gagné  bien  facilement;  mais,  si  vous  aviez  pris 
moins  de  longueurs  à  l'arrivée,  peut-être  n'aurait-on  pas  réclamé  votre  cheval...  et  je  crois 
que  le  propriétaire  n'aurait  pas  été  lâché  (le  le  conserver... 


SUR    LE    TURF. 


•211 


X'empêche  que,  parmi  ces  apprentis,  certains  montrent,  dès  à  présent, 
des  qualités  très  appréciables  qui  permettent  de  leur  prédire  un  très  brillant 
avenir. 

Le  favori  du  public  est  certainement  le  jeune  Slern,  fils  de  l'entraîneur, 
qui  a  déjà  fréquemment  montré  une  présence  d'esprit,  une  appréciation  du 
train,  et  une  précision  dans  les  fins  de  course  que  beaucoup  de  ses  aînés 
pourraient  lui  envier. 

Grâce  aux  combinaisons  diverses  qui  ouvrent  aux  hacbs  et  huniers,  et  aux 


cavaliers  de  poids  très  légers,  la  plus  grande  part  des  épreuves  qui  y  sont 
disputées,  l'hippodrome  de  Colombes  est  devenu  le  Conservatoire  national 
des  gentlemen  et  des  apprentis  jockeys. 

Une  nomenclature  détaillée  de  ces  deux  catégories  de  cavaliers  est  d'autant 
plus  inutile  que  le  public  connaît  non  seulement  chacun  de  ceux  qui  figurent 
dans  la  première,  mais  sait  parfaitement,  à  une  livre  près,  de  combien  la 
monte  des  plus  habiles  d'entre  eux  favorise  l'animal  qui  leur  est  confié,  et 
qu'on  retrouve  le  plus  grand  nombre  de  ces  messieurs  sur  tous  les  autres 
champs  de  courses. 


Quant  aux  professionnels,  ceux  qui  ont  mis  à  profit  leur  apprentissage 
ne  tardent  guère  à  prendre  rang  à  la  suite  de  leurs  aînés,  tandis  que  leurs 
rivaux  maladroits  rentrent  définitivement  dans  la  plèbe  des  hommes  d'écurie. 

28 


218 


SUR    LE    TURF. 


Principal  représentant  de  1'. 
.1  Colo es 


Pour  l'installation,  on  voit  qu'elle  a  été  étudiée  avec  autant  de  soin  que 
les  programmes,  et  par  des  hommes  également  compétents,  sachant  ce  qu'ils 
veulent  et  où  ils  vont. 


Tribunes  spacieuses  dominant  les  pisles  dans 
toute  leur  surface,  paddocks  étendus  qui  seront 
très  prochainement  ombragés,  vastes  box,  han- 
gars confortables,  rien  ne  manque  pour  assurer 
aux  spectateurs  et  aux  acteurs  les  meilleures 
conditions  pour  jouer  leurs  rôles  respectifs;  les 
premiers  pouvant  être  sûrs  de  voir,  quel  que 
soit  l'étal  de  la  température,  le  spectacle  qui  les 
intéresse,  les  seconds,  de  ne  courir  aucun  dan- 
ger inutile  résultant  de  l'encombrement,  mor- 
sures ou  coups 
de  pied  amenés 
par  une  promis- 
cuité qu'en  certains  endroits  le  manque 
d'espace  rend  à  peu  près  inévitables. 


La  qualité  du  sol  se  trouve  être,  par  sur- 
croît, de  tout  premier  ordre,  de  telle  sorte 
que  les  accidents  des  membres  y  paraissent 
moins  à  redouter  que  partout  ailleurs;  et  ce 
n'est  pas  un  des  moindres  éléments  de 
succès  pour  un  hippodrome  sur  lequel 
beaucoup  d'animaux,  déjà  quelque  peu  en- 
dommagés, n'ont  souvent  reçu  qu'une  pré- 
paration incomplète,  car  les  propriétaires, 
qui  sont  parfois,  eux  aussi,  des  débutants, 
n'ont  pas  toujours  une  connaissance  pro- 
fonde de  l'entraînement,  cette  science  j,,,,,,,*,,.,.! 
toute  d'expérience,  de  tact  et  d'obser- 
vation,   qui    se    devine    rarement     et    ne    s'improvise    jamais. 


\"ous  avons  déjà  constaté  combien  nous  étions  disposés  à  exagérer  le 


suit  le  Trni'\ 


219 


mérite  d'un  cheval  dès  qu'il  est  notre  propriété,  à  plus  forte  raison  quand 
nous  en  sommes  en  même  temps  l'entraîneur. 

C'est  pourquoi  il  ne  faut  pas  s'étonner,  après  avoir  entendu  affirmer  par  les 
intéressés  qu'un  animal  est  tout  à  fait  prêt,  de  voir  qu'il  lui  est  tout  à  fait 
impossible  de  suivre  le  train. 


220 


SUR  LE  TURF  :  A  COLOMBES. 


Après  les  courses  —  A  la  recherche  de  sou  véhicule. 


L'hippodrome  de  h  «allée  de  la  Salle. 


FONTAINEBLEAU 


C'est  en  1882,  sur  l'hippodrome  de  la  vallée  de  la  Solle,  mis  à  sa  disposi- 
tion par  la  Société  d'encouragement,  qu'eut  lieu  la  première  réunion  de  la 
Société  de  sport  de  France. 

Nous  venons  de  la  voir  à  Colombes,  où  elle  est  aujourd'hui  dans  ses 
meubles  et  très  confortablement  installée. 


Les  jeunes  gens  qui  l'avaient  l'ondée  avaient  quelque  peine  à  faire  partager 
la  confiance  que  leur  inspirait  l'avenir  de  la  nouvelle  société,  les  tentatives 
analogues  ayant  successivement  échoué  à  brève  échéance;  mais,  comme  le 
but  qu'ils  se  proposaient  méritait  qu'on  les  encourageât,  que  d'ailleurs  ils  ne 
sollicitaient  aucune  allocation  des  grandes  sociétés,  celles-ci  ne  purent  refuser 
le  concours  purement  moral  qu'on  leur  demandait. 


SIR    LE   TURF 


La  première  manifestation  de  leur  bienveillance  fut  de  prêter  à  ses  fonda- 
teurs l'hippodrome  de  Fontainebleau. 

La  première  réunion  obtint  un  succès  complet,  toute  la  population  des 


Dans  les  courais  militiiircs,  plus  le  ijr.nle  est  inférieur,  plus  le  [rain  esl  Bupci  uni 


environs  répondit  à  l'appel  qui  lui  avait  été  adressé,  et,  dès  ses  débuts, 
l'avenir  de  la  nouvelle  société  se  trouva  assuré;  les  adhésions  arrivèrent 
nombreuses,  et,  dès  la  seconde  année  de  son  existence,  il  lui  fut  possible 
d'ajouter  5,500  francs  de  prix  aux  objets  d'art  primitivement  offerts  aux 
vainqueurs. 


KONTAl\EBÏ,KAU. 


-•■v- : 


■   .  '■■■    ■         :  ■-':.  r  ;---;,    .,i\    {     //      | 


De  I  inconvénient  de   se  laisser  aller'  ! 

■ui  cbar s  de   la  nal el  aui  tenln- 

tmns  que  l'Iierlie  inspire  irrésistiblement 
aux  populations  urbaines 


FONTAI.VKIïLEAl. 


Courses  à  propos  des 
En  se  rendant       l'iiippodro 
réi  ipro  |"  ■■ 


ranime,  mais   (oui    aussi  sévèrement   menées    que  s'il 
s'agissail  de  disputer  \r  prix  aus  camai  id  - 


SUR    LE   TIR  F. 


227 


Aujourd'hui,  la  Société  de  sport  de  France  a  son  budget  personnel,  et  c'est 
un  budget  très  sérieux;  elle  dispose  en  outre  des  allocations  de  la  Société 
d'encouragement  et  de  la  Société  des  steeple-cbascs,  qui  ont  été  sensiblement 
augmentées,  en  proportion  des  résultats  constatés. 

C'est  une  véritable  puissance  qui  reste  fidèle  à  son  programme  et  continue 
à  soigner  sa  pépinière  de  cavaliers. 


M.  Kmile  Descbomps, 


M.  J.  do  Iirumond.  [mpo 


A  ses  débuts  dans  cette  voie,  il  s'est  passé  à  Fontainebleau  un  fait  symbo- 
lique de  nature  à  faire  prévoir  la  réussite  complète  de  ses  projets,  le  voici  : 

Dans  un  steeple-chase,  un  cheval  quelconque,  dont  le  nom  m'échappe  (il 
n'a  joui  d'ailleurs  que  d'une  célébrité  relative),  désarçonne  son  jockey  à  l'un 
des  premiers  obstacles;  celui-ci,  trop  endolori,  cède  sa  place  à  uu  homme 
d'écurie  qui  continue  le  parcours,  mais  culbute  aussi,  presque  dans  les  jambes 
de  M.  Emile  Deschamps,  qui  enfourche  à  son  tour  le  quadrupède,  sur  lequel 
il  gagne  la  course. 


228 


SI' P.    LE    TURF. 


Ou  procède  au  pesage  de  la  série  de  ses  cavaliers  successifs,  qui  par  un 
heureux  hasard  étaient  dans  les  conditions  de  poids  indispensables  pour  que 
le  prix  pût  lui  être  conservé. 

N'était-ce  pas  d'un  heureux  présage  pour  le  succès  d'une  institution  des- 
tinée à  produire  des  cavaliers,  d'en  avoir  utilisé  trois  pour  uu  seul  cheval. 

Le  père  Aymon  n'a  pas  obtenu  beaucoup  mieux,  et  il  a  gagné  l'immorta- 
lité. 


CS^î^ 


I 


LA    SOCIETE    SPORTIVE    D'ENCOURAGEMENT 


primes 
steeple 


La  Société  sportive  d'encouragement,  fondée 
après  la  dissolution  des  deux  sociétés  qui  diri- 
geaient les  hippodromes  de  Saiut-Ouen  et  du 
Vésiuet,  d'Enghien  et  de  Maisons-Lafûtle,  a 
renoncé  définitivement  au  champ  de  courses 
du  Vésinet  depuis  1891,  et  presque  complète- 
ment abandonné  celui  de  la  Marche,  où  se  don- 
naient primitivement  six  réunions;  sur  les  trois 
hippodromes  dont  elle  dispose,  celui  de  Mai- 
sons-Laftille  est  exclusivement  réservé  aux 
courses  plates  ;  ceux  d'Enghien  et  de  Saiul- 
Ouen  aux  courses  d'obstacles,  haies  et  steeple- 
chases. 

Tout  en  restant  complètement  indépendante, 
elle  a  adopté  les  règlements  des  deux  sociétés 
dont  elle  s'est  faite  l'auxiliaire  et  offre  un  total 
de  prix  qui  s'élèvent  actuellement  à  plus  d'un 
million. 

Elle  donne  en  outre  à  diverses  sociétés  de 
province  un  certain  nombre  de  prix  et  accorde 
aux  éleveurs  des  gaguauls  de  certains  prix  des 

de   500  et  de   1,000  francs,   suivant  l'exemple  de   la   Société  des 

•ebases. 


La  Iribunc  du  jugn  à  Sainl-Oue: 


Les  boxes  à  Saint-Ouen.  —  Mise  eu  selle 


lu  roule  lie  Snint-Onen .  —  Tc.ul  le  long  (1rs  forlifs. 


SAIXT-OUEX 


C'est  l'hippodrome  delà  Société  le  plus  rapproché  de  la  capitale  et,  je  erois 
hien,  le  plus  fréquenté. 

C'est  en  tout  cas  celui  où  le  public  de  la  pelouse  est  le  plus  nombreux. 

Les  trains  spéciaux  réglés  selon  «  les  besoins  du  service  »  s'arrêtent  à  la 
porte  même  du  Parc. 


Ou  n'a  qu'une  route  à  traverser  pour  pénétrer  dans  l'enceinte  du  pesage, 
et  l'entrée  de  la  pelouse  située  sur  la  droite  n'exige  pas  des  piétons  uue 
marche  de  plus  de  deux  cents  mèlres. 


231 


SUR    LE    TURF. 


11  est  vrai  qu'il  faul  accomplir  ce  très  court  parcours  au  milieu  d'une 
population  d'un  extérieur  peu  sympathique  fournie  par  le  tout-Paris  des 
fortifs  et  dont  le  contact  et  les  émanations  sont  plutôt  désagréables. 

On  se  gratte  instinctivement  après  l'avoir,  traversée,  et  l'on  est  contraint 
pour  se  frayer  un  passage  au  milieu  d'elle  à  des  «  pardon,  Monsieur  »  à 
ces  types  qu'on  n'aimerait  guère  rencontrer  après  le  coucher  du  soleil. 

C'est  un  grand  inconvénient  auquel  le  très  habile  président  de  la  Société 
trouvera  certainement  prochainement  la  façon  de  remédier. 


L'entrée  du  pesaye.  —  Si  vis- 


il.'  l.i  ji.iiul.iln.il  !inti;|.iii'  1.1  [mlilrsif    h  j.lus    raffinée  est  de  rigu 
elle  D'esl  pas  réciproque. 


Le  goût  très  vif  qu'il  a  de  la  complète  correction  doit  lui  rendre  pénible 
pour  son  public  une  promiscuité  aussi  gênante,  et  nous  sommes  certain  qu'il 
doit  dès  maintenant  chercher  la  combinaison  capable  de  la  faire  cesser.  Il  la 
trouvera,  nous  n'en  voulons  pas  douter. 


Comme  tous  les  hippodromes  de  la  Société  sportive  d'encouragement, 


SLR    LE    TU Ul'. 


237 


celui  de  Saint-Ouen  est  admirablement  aménagé  :  de  nombreux  boxes  atten- 
dent les  concurrents  à  proximité  du  pesage,  qui  louche  lui-même  aux  bara- 
quements du  pari  mutuel,  qui  se  trouve  comme  par  hasard  sur  le  chemin  des 
tribunes. 

On  a  tout  sous  la  main,  et  tout  est  placé  dans  un  ordre  raisonné. 

Après  avoir  soigneusement  examiné  les  chevaux,  vous  passez  devant  l'abri 
réservé  aux  bookmakers. 


Si  la  cote  qu'ils  vous  ont  offerte  ne  vous  a  pas  convenu,  vous  trouvez,  en 
gagnant  la  tribune,  le  pari  mutuel,  dont  la  répartition  sera  vraisemblable- 
ment beaucoup  plus  équitable  au  cas  où  l'animal  de  votre  choix  sortirait 
vainqueur  de  l'épreuve  que  vous  allez  contempler  dans  la  spacieuse  et  con- 
'orlable  tribune  qui  vous  est  réservée;  l'ensemble  de  l'organisation  est  si 
ingénieusement  combiné  que  vous  aurez  pu  faire  toutes  vos  opérations  pré- 
liminaires sans  avoir  à  regretter  un  pas  inutile. 

Celle  entente  des  commodités  du  public  qu'on  retrouve  dans  toutes  les 
installations  de  la  Société  est  due  à  l'influence  de  son  président,  M.  Adam, 
continuellement  préoccupé  des  aises  de  ses  hôtes  :  il  imagine  chaque  jour 


238 


SUR    LE    TURF. 


une  amélioration  nouvelle,  et,  aussitôt  qu'un  défaut  d'organisation  lui  est 
signalé,  son  imagination  se  meta  la  recherche  du  moyen  d'y  remédier. 

C'est  ainsi  que,  cette  année,  l'humidité  de  la  saison  a  amené  l'apparition 
d'une  multitude  de  petits  bancs  destinés  à  préserver  du  contact  du  sol  les 
pieds  des  sporlsuomen,  fidèles  habituées  du  pesage,  et,  comme  AI.  Adam  veut 
que  ses  innovations  soient  à  l'abri  de  toute  critique,  en  empruntant  aux 
théâtres  leurs  petits  bancs,  il  s'est  bien  gardé  de  leur  prendre  les  ouvreuses 
préposées  à  leur  dislrihutiou. 

Le  petit  banc  n'est  pas  surveillé  et  reste  à  la  libre  disposition  des  amatrices. 

Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  pas  appris  qu'on  ait  abusé  de  celte  con- 
fiance et  que  personne  se  soit  subrepticement  emparé  de  ces  bienfaisants 
petits  meubles  libéralement  confiés  à  la  probité  de  la  foule. 


Les  petits  bancs  du  pesntje.  —  Toujours  parfaitement  aimable 


de  la  grille  du  pesage. 


ENGHIEN 


La  physionomie  particulière  de  cet  hippodrome  résulte  de  trois  singularités 
qui  lui  sont  spéciales  :  l'escalier  qui  déverse  directement  au  cœur  du  pesage 
les  spectateurs  amenés  par  le  chemin  de  fer,  les  rosiers  grimpants  qui  déco- 
rent de  la  façon  la  plus  pittoresque  la  grille  en  bordure  de  la  piste,  et  les 
tapis  qu'une  escouade  d'hommes  de  service  déroule  après  chaque  épreuve 
entre  les  portes  du  pesage  et  celles  de  la  pelouse  afin  de  faciliter  le  passage 
entre  ces  deux  centres  d'affaires  et  éviter  que  le  mouvement  incessant  des 
parieurs  allant  de  L'un  à  l'autre  ne  détériore  la  piste  et  n'y  trace,  les  jours  où 
elle  est  mouillée,  des  profondeurs  et  des  sillons  qui,  une  fois  durcis  par  le 


240 


SUR    LE    TURF. 


soleil,  pourraient  sinon  amener  des  chutes,  occasionner  tout  au  moins  aux 
membres  souvent  délicats  des  concurrents  de  regrettables  accidents. 

Si  les  commissaires,  comme  leur  aimable  président,  se  montrent,  en  effet, 
constamment  soucieux  d'augmenter  le  confortable  des  iutallations  destinées 


I 


,.    M  ■  1 


Los  tapis  de  la  Société  sportive  <l  eneoaragement. 


aux  spectateurs,  ils  ne  se  montrent  pas  moins  préoccupés  des  mesures  de 
précaution  qui  peuvent  augmenter  la  sécurité  des  figurants  appelés  à  corser 
le  spectacle. 

Le  soin  avec  lequel  les  obstacles  ont  été  établis,  aussi  bien  que  la  façon 
dont  les  pistes  sont  entretenues,  révèlent  cette  constante  préoccupation  ;  le 
résultat  qu'elle  produit  est  tangible,  et  les  champs  nombreux  qui  se  ren- 


SUR    LE    TURF.    —    EMJIIIKX. 


'   '  '  '    '  .    l/ 


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i   U'A 


WmMvèîi' 


iiilllll 


L'escalier  descendant  de  la  voie  du  chemin  de  fer  à  l'enceinte  du  pesage.  —  On  n'a 
pas  un  pas  i  faire  ou  descendant  du  chemin  de  fer  pour  entrer  au  pesage.  C'est  le  prin- 
cipe, puni-  la  Société  sportive  d'encouragement ,  d'éviter  à  ses  habitués  toute  fatigue 
inutile.  Tous  ses  champs  de  courses  ont  leur  gare  spéciale.  Elle  fait  mieux  que  les  com- 
merçonts  nui  portent  ai  domicile  de  leurs  clients  :  elle  porte   ses  clients  à  son  domicile. 


SUR   LÉ    TURF. 


2i:S 


contrent  dans  la  plupart  des  épreuves  démontrent  que  les  efforts  des  organisa- 
teurs sont  appréciés  comme  ils  le  méritent  par  la  majorité  des  propriétaires. 

Le  parc  dans  lequel  est  dessiné  le  champ  de  courses  est  un  charmant 
end  roi  t  auquel  les  coteaux  de  Montmorency  servent  de  toile  de  fond. 


zm^mnhk    », 


û 


Sur  la  route  d'Enghien.  —  C'qui  pue  comme  ça?  Ça  s'appelle  aussi  d'ia  gadoue. 

Malheureusement,  la  route  est  d'une  monotonie  désespérante,  et  les  gens 
qui  aiment  à  se  servir  de  leur  voilure  pour  se  rendre  aux  courses  y  recueillent 
une  quantité  de  poussière  qui  leur  donne  l'aspect  de  meuniers  qui  auraient 
momentanément  abandonné  leurs  meules  :  ils  ont  à  traverser  une  plaine  qui 
ne  doit  sa  fertilité  qu'à  des  engrais  vraisemblablement  puissants,  mais  certai- 
nement nauséabonds,  et  les  rangées  de  légumes  aliguées  à  droite  et  à  gauche 
ne  fournisseut  aux  regards  que  d'insuffisantes  distractions. 


244  SUR    LE   TURF. 

A  partir  d'Epinay,  le  paysage  s'améliore  :  en  arrivant  au  pont  qui  sépare  le 
lac  d'Enghien  de  celui  de  Saint-Gralien,  on  entrevoit  un  merveilleux  décor, 
mais  ce  n'est  qu'une  apparition,  et  d'ailleurs  on  touche  au  but. 

Je  jure  que  je  ne  cherche  pas  à  foire  une  réclame  aux  chemins  de  fer, 
mais,  en  toute  conscience,  pour  se  rendre  à  Enghien,  c'est  le  vrai  moyen  de 
transport  à  employer. 


|  ,,       .      i  ./y 


mm 


L'wrivée  a  Engbi< 


L'arrivée  du  train  sur  l'hippodri 


MAISOXS-LAFFITTE 


La  configuration  générale  de  ce  champ  de  courses  est  tout  à  fait  différente 
du  plan  habituel  :  le  terrain  s'.étend  tout  en  longueur,  et  le  dessin  des  pistes 
ligure  assez  exactement  une  raquette  de  teunis  dont  le  manche  aurait  été 
singulièrement  allongé  :  cette  disposition  spéciale  a  permis  d'établir  une  piste 
droite  d'une  belle  étendue,  absolument  favorable  aux  épreuves  qui  servent 
aux  débuts  des  chevaux  de  deux  ans. 


Le  Winning  posl  pour  les  distances  réservées  aux  débutants,  800,  900 
et  1,000  mètres,  se  trouve  au  centre  des  tribunes. 


246  SUR    LE    TURF. 

A  mesure  que  les  distances  s'accroissent  ou  reporte  dans  la  direction  du 
chemin  de  fer  le  poteau  d'arrivée,  et,  dans  les  prix  de  2,000  mètres  eu  ligue 
droite,  le  parcours  traverse  de  bout  eu  bout  toute  l'étendue  du  parc. 

Ici,  les  différents  services  sont  moins  concentrés  qu'à  Enghieu,  et,  si  les 
allées  et  venues  sont  moins  complètement  évitées  au  public,  la  faute  en  est 
à  la  nécessité  de  respecter  les  dispositions  d'un  «  parc  à  la  française  «  dont 


les  plantations  régulières  ont  obligé  les  organisateurs  à  espacer  davantage 
les  différents  édicules  destinés  à  abriter  le  pesage,  le  pari  mutuel  et  les  spec- 
tateurs eux-mêmes. 

Ceux-ci  y  gagnent  d'être  protégés  par  de  sérieux  ombrages  qui  les  garan- 
tissent efficacement  des  ardeurs  du  soleil  dans  les  voyages  qu'il  leur  faut 
accomplir  pour  aller  des  paddocks  à  la  barre  des  bookmakers,  et  du  pari 
mutuel  aux  tribunes. 

L'allée  qui  s'étend  derrière  les   pavillons  leur  fournit  un  toit  de  verdure 


SDK    LE   Tlini'.    —    MAISONS-LA  ITITTIv 


L'allée  des  Tilleuls  derrière  les  tribunes.  —  Derniers  vestiges  du  vieux  pure.  Il  n'y  a 
pus  grand  effort  d'imagination  ù  faire  pour  se  croire  sur  le  Mail  d'une  sous-préfecture  quel- 
conque, il  y  manque  le  public  spécial  ù  ces  -  localités  »  cl  la  musique  militaire. 


SUR    LE   TURF. 


249 


capable  de  rendre  supportables  les  températures  les  plus  caniculaires,  et  ce 
n'est  pas  un  mince  avantage  sur  un  hippodrome  qui  offre  plusieurs  de  ses 
réunions  pendant  la  première  quinzaine  du  mois  d'août. 

Le  public  qu'on  rencontre  à  Maisons  est  le  même  que  sur  les  autres 
champs  de  courses,  augmenté  des  familles  des  entraîneurs  de  la  localité  :  on 
voit  une  collection  d'enfants  blonds  et  roses,  particulièrement  agréables  à 
regarder,  qui  prouve  que  l'élevage  hippique  n'est  pas  le  seul  qui  les  intéresse. 
Il  y  a  là  une  pépinière  de  jockeys  en  herbe  et  d'entraîneurs  à  peine  éclos 


qui  montrent  victorieusement  que  le  sang  anglais  s'acclimate  parfaitement  en 
France  et  que  les  pur  sang  nés  chez  nous  y  seront  soignés  par  des  lads  dont 
l'importation  parait  avoir  également  réussi. 


La  route  qui  conduit  de  Paris  à  Maisons  n'est  pas  plus  pittoresque  que 
celle  qu'on  suit  pour  aller  à  Enghieu  :  elle  se  distingue  cependant  de 
celle-ci  par  un  certain  nombre  de  poteaux  qui  surgissent  eu  pleins  cbamps 
pour  signaler  aux  passants  l'existence  des  cafés  Carvalbo,  du  vin  Desiles  et 
des  pianos  automobiles  ;  par  contre,  elle  est  beaucoup  plus  longue  et  se 
termine  par  une  montée  dont  la  pente  n'est  pas  ordinaire  et  pour  l'ascen- 
sion de  laquelle  un  lot  nombreux  de  chevaux  de  renfort  serait  d'une  incon- 
testable utilité. 

32 


250 


SIR    LE   TURF 


La  Société  a  remédié  h  cet  inconvénient  par  Je  procédé  employé  à  Enghien 
et  a  obtenu  de  la  compagnie  de  l'Ouest  que  les  trains  spéciaux  contournant 
par  la  forêt  la  ville  de  Maisons-Laffitte  vinssent  déposer  leur  chargement  des 
deux  sexes  dans  l'intérieur  du  parc,  à  l'entrée  de  l'hippodrome. 

Je  répète  que  je  serais  désolé  qu'on  pût  me  soupçonner  de  vouloir  faire  de 
la  réclame  aux  compagnies  de  chemins  de  fer,  mais,  en  vérité,  c'est  le  seul 
moyen  de  transport  pratique  pour  effectuer  un  parcours  qui  serait  pénible 
par  tout  autre  procédé. 


Sur  la  tôle  de  Slakoni-LnfOlte. 


1%h^ 


A  la   Marche.  —  Priiate  meelit 


LA  MARCHE 


Quoique  les  réunions  qui  y  sont  données  deviennent  chaque  année  moins 
nombreuses,  la  Société  sportive  n'a  pas  complètement  abandonné  ce  ravissant 
champ  de  courses,  si  plein  de  souvenirs  pour  les  sportsmen  qui  se  sont  inté- 
ressés dès  le  début  à  l'avenir  du  sleeple-chasing. 

Ou  a  conservé  religieusement  le  tracé  de  l'ancien  parcours,  et  la  plupart 
des  obstacles  ont  été  maintenus  à  la  place  qu'ils  y  occupaient  primitivement. 


Certains  d'entre  eux  ont  une  célébrité  personnelle,  comme  le  «  talus  des 
brotleaux  »   et  le  «  mur  du  potager  »  . 


SUR    LE    TURF. 


C'est  au  talus  des  broltcaux,  dès  le  départ  du  mililairy  de  je  ne  sais  plus 
quelle  lointaine  année,  que  Grabuge,  au  comte  d'Osmont,  après  une  grosse 
faute  dans  laquelle  il  avait  cependant  sauvé  la  chute,  a  jeté  sa  bride  par-dessus 
ses  oreilles,  telle  un  bonnet  jiar-dessus  un  moulin,  incident  qui  n'a  cependant 


'■.•■-.'■.■•::::■■">  :^#: 


^ 


Le  Ijlus  ilis  liroltt-. 


pas  empêché  M.  Henri  Coulurié,  qui  le  moulait,  de  continuer  le  parcours,  de 
passer  sans  encombre  la  collection  d'obstacles  restants  et  de  lutter  à  l'ar- 
rivée de  façon  à  se  placer  second  à  une  encolure  du  gagnant.  Quant  au  mur 
du  potager,  c'était  certainement  l'un  des  obstacles  les  plus  impressionnants 
qu'on  pût  imaginer  :  c'était  une  brèche  pratiquée  dans  un  mur  de  3  mètres 


SUR    LE    TURF. 


257 


qui  se  prolongeait  de  chaque  côté  de  la  piste  :  pour  passer  dans  cette  ouver- 
ture, il  fallait  des  cavaliers  et  des  chevaux  également  francs  sur  l'obstacle. 

On  l'a  sensiblement  modifié  déjà,  et  le  mur  chargé  d'espaliers  et  de  vignes 
dans  lequel  la  trouée  avait  été  faite  a  été  depuis  longtemps  sacrifié. 

La  banquette  irlandaise  qu'il  précédait  sur  l'ancien  parcours  n'était  pas 
non  plus  un  obstacle  à  dédaigner;  haute  de  1  mètre,  elle  était  trop  large 


La  lutte  entre  Magenta  el  Grahuge  débridé,  monté  |>ai  M.  H,  Cuuttiri 


pour  être  franchie  dans  le  saut,  et  pas  assez  pour  que  la  foulée  d'attente  put  y 
être  prise  sans  avoir  été  judicieusement  mesurée. 

Les  chutes  n'y  étaient  pas  rares,  mais  les  chevaux  qui  la  passaient  sans 
encombre  pouvaient  avoir  la  prétention  d'être  des  sauteurs  véritablement 
dressés. 


L'accès  de  ce  charmant  hippodrome  est  assez  facile  pour  qu'où  s'explique 
difficilement  son  abandon  relatif. 

33 


258 


SUR    LE    TIRF. 


Le  chemin  de  fer  s'arrête  à  la  porle  du  parc,  et  le  trajet  eu  voiture,  par 
le  bois  et  le  parc  de  Saint- Cloud,  ajoute  au  plaisir  des  courses  celui  de  la 
plus  agréable  promenade  qu'il  soit  possible  de  faire  aux  environs  de  Paris  : 
le  seul  motif  qui  empêche  qu'on  la  fasse  aujourd'hui  est  sans  doute  qu'on  l'a 
beaucoup  faite  autrefois. 


h  |ijelle  irliiinliiisr  .1  l.i  Marche. 


RAMBOUILLET 


Le  champ  de  courses  a  pour  lui  de  ue  ressembler  à  aucun  des  hippo- 
dromes des  environs  immédiats  de  la  capitale. 

Pris    dans   un   angle  formé  par   la  forêt  qui  lui   sert  de 
limite,  il  reste  ouvert  du  côté  de  la  ville  qui  fait  décor  à 
"'  orizon. 


C'est  un  paysage  agréable,  moyen,  mais  qui  n'a 
pas  un  caractère  suffisant  pour  attirer 
irrésistiblement  la  foule  à  ses  trois 


La  qualité  des  chevaux  qui 
s'y  disputent  des  allocations  ho- 
norables, sans  doute,  mais  sans 
très  grande  importance,  ne  mo- 
tiverait pas  davantage  un  dépla- 
cement déjà  long,  sur  une  ligne 
de  chemin  de  fer  où  les  trains 
se  fout  remarquer  par  leur  sage 
lenteur,  les  wagons  par  leur 
étal  de  délabrement,  et  dont 
l'embarcadère  a  le  tort  d'être 
exceptionnellement  éloigné  à  la 
fois  du  centre  de  la  capitale  et 
des  quartiers  habités  de  préfé- 
rence par  les  classes  aisées. 


Son  véritable  élément  de  succès  vient  de  la  manière  ullra-select  dont  ses 
environs  sont  peuplés. 


262  SUR    LE    TURF. 

En  dehors  du  château  rendu  eélèhre  par  la  mort  de  François  I"  et  le  séjour 
de  plusieurs  de  nos  souverains  avant  notre  président  actuel,  l'arrondissement 
de  Rambouillet  contient  toute  une  collection  de  résidences  plus  ou  moins 
connues,  d'une  antiquilé  variable  et  d'une  importance  également  diverse, 
mais  dont  la  moindre  offre  encore  ce  précieux  avantage  d'êlre  située  en  plein 
pays  de  chasse,  assez  loin  de  Paris  pour  être  à  l'abri  des  invasions  régulières 
du  public  dominical,  et  qui  assure  à  sou  propriétaire,  pourvu  qu'il  ne  soit 
pas  personnellement  affligé  d'une  incontestable  muflerie,  la  possibilité  de 
relations  nombreuses,  plus  enviables  les  unes  que  les  autres,  et  qui  ne  tardent 
pas,  pourvu  que  le  nouveau  venu  ait  une  valeur  quelconque,  à  devenir  très 
suffisamment  cordiales  et  sans  laçons  pour  qu'il  puisse,  avec  un  peu  d'ima- 
gination, se  figurer  qu'il  fait  réellement  partie  du  moude  dans  lequel  son 
voisinage  l'a  fait  admettre. 

Les  châteaux  s'appellent  Mainlenon,  le  Marais,  Augerville,  Bonnelles, 
Dampierre,  Cheviiicourt,  Beauplan,  Ureleuil,  Mauvières,  Cernay,  Pontchar- 
train,  Vaugien,  Voisins,  Courson,  Beauregard,  la  Croix-Saint-Jacques,  Cou- 
bertin,  etc.,  etc.,  et  il  n'est  pas  besoin  d'être  de  la  force  de  feu  d'Hozier  sur 
l' Armoriai  français,  étranger  et  même  israélile  pour  ciler  les  noms  de  leurs 
propriétaires. 

C'est  à  celle  agglomération  tout  à  fait  exceptionnelle  d'habitations  de  plai- 
sance dans,  ses  environs  qu'il  faut  attribuer  l'aflluence  des  personnalités  élé- 
gantes qu'on  reneoulre  au  pesage  de  Rambouillet,  et  le  luxe  des  équipages 
qui  y  amènent  ses  habitués. 

Si  l'aristocratique  colonie  des  vallées  circonvoisines  ne  dédaigne  pas  l'usage 
de  la  bicyclette,  elle  dispose  de  moyens  de  transport  moins  démocratiques 
et  le  progrès  de  l'aulomobilisme  n'a  pas  encore  fait  mettre  aux  amateurs 
de  chevaux  la  clef  sous  la  porte  de  leurs  écuries. 

Si  plusieurs  ont  déjà  leur  voiture  à  pétrole  ou  électrique,  c'est  comme 
adjuvant  à  leur  cavalerie,  et  je  ne  crois  pas  qu'aucun  d'eux  songe  à  remplacer 
complètement  ses  attelages  par  aucun  appareil  de  traction  mécanique,  si  per- 
fectionné qu'il  puisse  devenir. 

Le  cheval  a  été  associé  à  trop  d'actions  héroïques  pour  que  son  prestige 
puisse  jamais  disparaître;  il  est  indissolublement  lié  à  celui  de  la  noblesse, 


SI  11    LE   TIRF 


263 


qui  resle  intact  malgré  toutes  les  théories  égalilaircs  ;  tout  cavalier  se  sent 
quelque  peu  chevalier,  et  pour  qu'il  descende  de  la  monture  qui  le  maintient 
au-dessus  du  niveau  de  la  foule,  il  faut  que  les  infirmités  l'enlèvent  de  sa 
selle  ou  que  la  diminution  progressive  des  revenus  lui  interdise  la  possibilité 
matérielle  de  subvenir  aux  frais  de  nourriture  et  d'entretien. 


Le  champ  de  courses.  —  Une  chasse  de  la  diirbessp,  où  l'un  voit  que,  dans  la  réalité,  les  choses  peuvent  se  pas* 
'"il lins  l'ancien  hippodrome. 


En  dehors  de  ces  motifs,  aussi  déplorables  l'un  que  l'autre,  tout  individu 
qui  a  véritablement  aimé  le  cheval  n'y  renonce  jamais.  Ceux  qui  s'en  déclarent 
dégoûtés  par  une  chute  violente,  une  série  d'errossages,  une  suite  prolongée 
d'accidents  dispendieux,  n'ont  jamais  été  de  véritables  cavaliers.  Ils  ont 
monté  à  cheval  pour  le  chic,  pour  faire  comme  les  camarades,  mais  sans 
plaisir  réel,  sans  jamais  éprouver  ce  sentiment  d'intimité  avec  l'animal  qui 
fait  qu'on  jouit  de  sa  puissance  musculaire  comme  si  elle  vous  était  person- 


264  SUR    LE   TURF. 

nelle,  et  qu'après  avoir  mis  pied  à  terre,  on  se  sent  amoindri,  incomplet, 
dépossédé  de  la  plénitude  de  ses  moyens. 

Un  cavalier  ne  renonce  pas  volontairement  à  son  cheval,  pas  plus  qu'un 
fantassin  à  la  perte  d'une  de  ses  jambes. 

De  pareils  sacrifices  ne  sont  pas  de  ceux  qu'on  décide,  c'est  une  nécessité 


qu'on  subit,  une  opération  obligatoire  à  laquelle  il  faut  savoir  consentir,  mais 
aux  résultats  de  laquelle  il  est  souvent  bien  difficile  de  se  résigner. 

Les  sportsmen  de  l'hippodrome  rambolilain  me  paraissent  mettre  en  pra- 
tique l'axiome  en  vertu  duquel  l'amour  serait  le  premier,  le  plus  naturel  et 
le  plus  passionnant  des  sports  :  toujours  est-il  que  les  jolies  personnes  s'y 
comptent  dans  une  proportion  inconnue  ailleurs. 

Elles  ont  d'autant  plus  de  mérite  que  les  professionnels  sont  en  infime 
minorité. 


sut  le  Trui'. 


267 


El  c'est  une  bonne  fortune  inespérée  pour  l'étranger  (|iii  a  lente  le  déplace- 
ment, d:avojr  l'occasion  d'admirer  ce  groupe  de  jolies  femmes  auxquelles  leur 
situation  dans  le  monde,  l'importance  de  leurs  fortunes,  permettraient  de 
rivaliser  de  laideur  avec  les  Hottentotes  les  plus  répugnantes  sans  cesser 
d'avoir  droit  aux  plus  respectueux  égards. 

Il  faut  bénir  avec  Gossuet  les  vues  de  la  Providence,  qui  a  voulu  que  les 
plus  élevées  par  le  rang  et  par  la  naissance  fussent  en  même  temps  les  plus 
belles. 

Nous  avons  dit  avec  quel  luxe  étaient  tenus  les  équipages  qui  amènent  au 
pesage  les  châtelains  des  alentours. 

Ils  ne  font  pas  partie  delà  catégorie  qui  professe  que  n'importe  quel  véhicule 
s u t iï t  à  la  campagne  et  que  c'est  sur  les  routes  départementales  qu'il  convient 


C»*^^V 


d'user  jusqu'aux  jantes  les  voitures  que  le  respect  bumaiu  le  plus  élémentaire 
interdit  de  sortir  à  Paris;  ils  pensent,  au  contraire,  que  la  campagne  est 
aujourd'hui  le  seul  endroit  où  l'on  puisse,  sans  avoir  à  craindre  des  démons- 
trations désobligeantes,  risquer  des  équipages  d'une  certaine  originalité  cl 
montrer  des  attelages  dont  le  passage  serait  certainement  mal  accueilli, 
notamment  au  faubourg  Antoine  :  c'est  en  vertu  de  ce  raisonnement  que  le 

comte  P i   se   sert  régulièrement  à   Rambouillet  de  ses  cinq  postières 

conduites  à  l'allemande,  et  ne  les  emmène  jamais  à  Paris,  où  leur  apparition, 
même  dans  les  quartiers  les  plus  civilisés,  ferai!  certainement  révolution. 


21  iS 


SIR    LE    TURF. 


II  a  fallu  la  venue  du  Czar  à  Paris  pour  que  ses  habitants  refissent  con- 
naissance avec  la  race  percheronne,  disparue  eu  même  temps  que  les  dili- 
gences, les  malles-postes  et  les  postillons  montés. 

Le  succès  qui  a  accueilli  pendant  les  fêtes  franco-russes  les  chevaux  gris 
de  l'Elysée,  qui  n'étaient  eu  réalité  que  le  dessus  du  panier  de  l'effectif  de  la 
Compagnie  générale  des  voitures  de  Paris,  se  trouvait  justifié  par  la  qualité 


des  animaux  qui  lui  étaient  offerts  en  spectacle,  mais  la  surprise  causée  par- 
la réapparition  d'une  race  oubliée  a  certainement  contribué  dans  une  large 
mesure  à  l'admiration  du  public. 

Les  jeunes  générations  n'ont  pas  connu  les  coupés  huit  ressorts  de  la  poste 
impériale,  que  les  juments  baies  choisies  par  le  général  Fleury  traînaient  des 
Tuileries  au  château  de  Saint-Cloud. 

Ça  marchait  vile  et  droit,  et  ça  ne  manquait  pas  d'un  certain  chic. 

Quant  aux  individus  qui  se  rappellent  avoir  vu  de  leurs  yeux  le  départ  des 
malles-posles  delà  rue  Jean-Jacques-Rousseau,  ils  sont  aujourd'hui  quelque 


SIR    LE    Tl'RF. 


269 


peu  croulants,  et  ce  n'est  pas  étonnant  puisque  le  dernier  dépari  de  ces  pitto- 
resques véhicules  remonte  à  quelque  chose  connue  cinquante  ans. 

Ce  qui  l'est  davantage,  c'est  qu'il  est  presque  impossible  à  l'heure  actuelle 
de  reconstituer  dans  ses  détails  aussi  bien  le  costume  des  hommes  que  le 
harnachement  des  chevaux  de  la  poste  royale. 

Ni  dans  les  estampes  ni  chez  les  fripiers  ou  ne  peut  trouver  un  équipe- 
ment complet,  et  pour  avoir  le  dessin  exact  d'une  botte  de  postillon,  il  faut 
aller  au  musée  de  Cluuy,  où  l'on  conserve  le  seul  spécimen  connu  d'un  usten- 
sile que  l'on  rencontrait  pendant  la  première  moitié  dn  siècle  à  tous  les  coins 
de  toutes  les  routes  du  territoire. 

Tout  passe,  tout  casse,  tout  lasse,  et  l'on  perd  jusqu'au  souvenir  de  ce  qui 
vous  a  été  le  plus  utile  et  de  ce  qu'on  a  le  plus  aimé. 


Boule  d;  Saint-Cloud.  —  Posli'  de  Xnpolc 


A     PROPOS     DES     ATTELAGES      DES     CHATELAINS    DES     ENVIRONS 
DE     RAMBOl  ILLET. 


Or^ 


!.•■  départ  de  !..  malle-porte    ISin). 


CHEVAUX    HONGRES 

Il  parait  que  les  peuples  heureux,  qui  sont  en  même  temps  les  peuples 
sages,  n'ont  pas  d'Iiisloire  :  c'est  le  contraire  pour  les  chevaux. 

Quand  un  poulain  fait  preuve  au  dressage  d'un  exécrable  caractère  et  que, 
malgré  tous  leurs  efforts,  entraîneurs  et  jockeys  ne  parviennent  à  en  tirer 
aucun  parti,  son  malheureux  propriétaire  se  voit  obligé  de  recourir  aux 
grands  moyens  et  de  faire  pratiquer  à  son  détriment  la  délicate  opération  qui 
du  noble  rang  d'étalon  le  ravale  au  piteux  personnage  de  cheval  hongre,  cet 
oncle  du  poulain,  au  même  titre  que  le  bœuf  est  celui  du  veau. 


Cet  humiliant  sacrifice  ne  s'accomplit  pas  sans  dangers,  et  sa  réussite 
exige  la  réunion  de  conditions  multiples  qui  ont  chacune  leur  importance  : 
tout  d'abord  l'habileté  du  praticien,  ensuite  l'installation  matérielle  de  Téta- 


272  SLR    LE    TURF. 

blissement  où  doit  se  passer  le  drame,  et  enfin  l'intelligente  application  du 
traitement  préparatoire  destiné  à  mettre  le  patient  dans  l'état  hygiénique  le 
plus  favorable  et  diminuer  les  chances  d'accidents  pendant  et  après  l'opé- 
ration. 

Dans  une  race  spécialement  destinée  à  la  reproduction,  on  ne  l'applique 
qu'aux  animaux  d'un  tempérament  irritable  qui  doit  faire  prévoir  de  sérieuses 
défenses,  et  il  est  nécessaire,  avant  de  rien  tenter,  d'abattre  leur  excessive 
énergie  et  d'atténuer  leur  nervosité  par  une  médication  spéciale...  Ce  calme 
factice  une  fois  obtenu,  on  amène  le  cheval,  la  tète  préalablement  recouverte 
d'un  capuchon  de  cuir  capitonné,  qui  l'aveugle  momentanément,  le  plus  près 


£>V^ZT 


possible  d'un  plateau  mobile  auquel  il  est  rapidement  fixé  par  de  solides 
courroies;  une  série  de  trous  pratiqués  dans  le  plateau  permet  le  passage  de 
cordes  terminées  par  des  bracelets  qu'on  attache  autour  des  paturons  et 
permettent  d'imposer  aux  membres  la  position  que  le  praticien  juge  néces- 
saire de  leur  donner. 


:J5 


SUR    LE   TURF.  275 

Ou  fait  basculer  le  plateau  à  l'aide  d'une  manivelle,  et  le  cheval,  couche 
sur  une  table  fortement  capitonnée  sur  laquelle  il  est  exactement  appliqué,  se 
trouve  à  une  hauteur  convenable  pour  que  l'opérateur  puisse  commodément 
effectuer  son  délicat  travail. 

L'appareil  que  nous  venons  de  décrire  s'appelle  le  Travail  Daviau,  du  nom 
de  son  inventeur. 


Il  a  depuis  qu'on  l'emploie,  par  l'immobilité  qu'il  leur  impose,  sauvé  la  vie 
à  bien  des  animaux  dout  les  mouvements  désordonnés  auraient  fait  dévier  le 
scalpel  des  vétérinaires. 

Pour  réussir  pareille  opération,  il  fallait  autrefois  à  ceux-ci  beaucoup  de 
bonheur,  aujourd'hui  ils  n'ont  besoin  que  de  beaucoup  d'habileté  et  de 
savoir  :  beaucoup  possèdent  ces  deux  grandes  qualités. 

Il  est  rare  de  rencontrer  chez  les  particuliers  un  outillage  qui,  pour  être 
simplifié  autant  qu'il  est  possible,  n'en  reste  pas  moins  quelque  peu  encom- 
brant. 


276 


SUR    LE   TURF. 


Des  établissements  spéciaux  où  ou  le  trouve  toujours  prêt  à  fonctionner, 
le  Haras  des  hautes  pâtures,  situé  sur  le  bord  de  la  Seine,  au  pont  de  Bezons, 
est  certainement  l'un  de  ceux  dont  le  monde  des  courses  se  sert  le  plus 
7olontiers. 

Membre  d'une  ancienne  famille  de  gros  cultivateurs,  des  plateaux  voisins 


-  .-       ,-  i 


t  pâtures.  —  Lf 


!  des  vétérinaires» 


de  la  vallée  de  Chevreuse,  qui  se  savaient  assez  estimés  pour  n'avoir  jamais 
éprouvé  le  besoin  de  changer  de  nom,  M.  Filou  en  est  en  même  temps 
directeur  et  propriétaire;  il  possède  une  expérience  déjà  ancienne,  puisqu'il 
était  l'associé  de  son  beau-père,  M.  Guillaume,  au  haras  de  Bures,  aujour- 
d'hui occupé  par  la  remonte,  et  veille  assidûment  à  la  rigoureuse  applica- 
tion des  prescriptions  de  vétérinaires  tels  que  les  frères  Garcin,  M.  Filard, 
spécialement  attaché  à  la  maison,  et  de  bien  d'autres  spécialistes  parisiens 
dont  la  plupart  viennent  fréquemment  visiter  les  pensionnaires  qu'ils  lui  ont 
confiés. 


SI  II  i,e  nur. 


277 


M.  Filou  dispose  de  cent  quarante-huit  boxes  bâtis  parallèlement  cl  coupes 
par  une  avenue  qui  traverse  de  bout  en  bout  l'ensemble  des  constructions. 

Son  hôpital  hippique,  qui  est  en  même  temps  une  véritable  maison  de 
correction,  puisqu'un  grand  nombre  de  ses  pensionnaires  en  sortent  absolu- 
ment transformés  au  point  de  vue  du  caractère,  est  l'habitation  la  plus  voi- 
sine de  la  maison  de  répression  que  l'Etat  entretient  dans  la  presqu'île  de 
Gennevilliers. 

On  assure  dans  les  environs  que  l'administration  n'obtient  généralement 
pas  d'aussi  bons  résultats  que  M.  Filou. 

Il  est  vrai  qu'il  ne  lui  est  pas  permis  d'employer  les  mêmes  procédés. 


s*- 


Le  lau  du  baras  des  taules  pal 


SUR  LE  TURF.  —  CHEVAUX  HONGRES. 


Le  haras  de  Bures. 


SUR    I.E    TURF. 


EXPRESSIONS   TECHNIQUES. 


SUR   LE   TURF.    —    EXPRESSIONS   TECHNIQUES. 


Couper.  —  Quand  un  jockey  s>st  placé  devant  un  concurrent  sans  avoir  sur  lui 
une  longueur  d'avance,  il  a  coupé  son  adversaire.  Outre  la  bousculade  qui  peut 
résulter  d'une  pareille  manœuvre,  elle  entraine,  quand  elle  est  prouvée,  la  disqua- 
lification de  celui  qui  y  a  eu  recours  s'il  a  gagné,  et  le  prix  revient  au  cheval  classé 
second. 


SIR    LE  TUR] 


EXPRESSIONS   TECHNIQUES. 


Détresse.  —  Ou  dit  d'un  cheval  qu'il  i  est  en  détresse  »  quand,  pendant  la 
course,  il  ne  peut,  malgré  ses  efforts,  suivre  le  train  mené  par  les  antres;  il  peut 
arriver  qu'un  cheval  soit  loin  derrière  sans  que  celle  expression  lui  soit  applicable  : 
il  faut  qu'il  y  ait  lutte,  et  lutte  inutile,  de  telle  sorte  qu'on  ail  dès  lors  la  certitude 
qu'il  sera,  de  tous  les  coucrureuts,  le  premier  à  bout  (le  forces 


SI  II    LE   TURF. 


EXPRESSIONS   TECHNIQUES. 


■  l 


ï 


Emballé  —  Un  cheval  est  emballé  quand  le  jockey  qui  le  monte  n'a  momentané- 
ment plus  assez  d'empire  sur  lui  pour  le  modérer  dans  sou  yalop.  —  Définition 
textuellement  empruntée  à  l'ouvrage  de  M.  de  Saint-Albin  :  «  Les  Courses  de 
chevaux.  ,i 


LOXGCHAMPS 


(l'est  la  maison  mère  de  la  Sociélé  d'encouragement,  dom  les  autres  hip- 
podromes ne  sont  que  les  succursales. 

C'est  certainement  le  plus  admirable  emplacement  qu'il  soit  possible 
d'imaginer  pour  le  plaisir  des  yeux  et  le  plus  heureusement  conformé  pour 
qu'on  y  puisse  suivre  toutes  les  péripéties  d'une  course  :  tout  s'y  passe  à 
découvert,  et  les  mouvements  de  terrain,  assez  sensibles  pour  que  les 
chevaux  y  montrent  nettement  leurs  différentes  aptitudes,  ne  sont  nulle 
part  assez  accusés  pour  les  cacher  brusquement  aux  observateurs. 


Les  rares  bouquets  de  bois  qui  masquent  les  pistes  à  certains  points  sont 
trop  peu  importants  pour  faire  disparaître  le  groupe  des  concurrents,  au  train 
dont  ils  marchent,  pendant  plus  de  deux  ou  trois  secondes,  et  il  est  rare 


288 


SUR    LE    TURF. 


qu'au  cours  de  ces  rapides  éclipses  il  se  produise  uu  incident  capable  d'influer 
sur  le  résultat  d'une  épreuve. 

Les  chutes  sont  heureusement  rares  en  plat,  car  elles  sont  généralement 
graves,  et  malgré  que  mes  souvenirs  personnels  remontent  malheureusement 
pour  moi  assez  loin,  je  ne  me  rappelle  pas  avoir  jamais  vu  à  la  sortie  d'uu  de 
ces  étroits  rideaux  de  verdure  moins  de  concurrents  qu'au  moment  où  ils  y 
étaient  entrés. 


sur.int  que  le  favori  est  ou  n'est  [us   o  au  m i./ui  de  sa  condition  » 


Ce  qu'on  voit  par  contre  à  peu  près  chaque  année,  c'est  le  spectateur  impru- 
dent qui  s'ohsline  à  traverser  la  piste  après  la  sortie  des  chevaux  pour  rentrer 
de  la  pelouse  au  pesage,  subit  à  plusieurs  reprises  les  refus  des  agents  qui 
ont  la  mission  de  s'opposer  à  l'exécution  de  projets  aussi  téméraires,  et  ne 
parvient  à  tromper  leur  surveillance  qu'au  moment  précis  où,  encore  courbé 
pour  avoir  passé  sous  la  clôture  entre  les  jambes  des  spectateurs,  il  se  trouve 
en  contact  avec  le  peloton,  qui  l'envoie  avec  la  force  irrésistible  d'une  trombe 
rouler,  comme  une  pomme  détachée  par  un  vent  de  tempête,  à  des  dislances 
invraisemblables. 


SIR    LE   TDRF. 


291 


L'homme  qui  croit  avoir  «  toujours  le  temps  de  passer  »  est  la  plupart  du 
temps  porteur  d'uue  contre  marque  de  la  tribune  à  cinq  francs,  appartient  à 
la  classe  moyenne  et  ne  possède  sur  les  vitesses  obtenues  en  courses  et  la 
possibilité  de  changer  la  direction  de  chevaux  à  pareille  allure  que  des 
notions  incomplètes. 

Chose  invraisemblable  quoique  exacte,  il  survit  un  petit  nombre  de 
victimes  d'accidents  de  ce  genre! 


émeut  le  temps  de  Ira 


Si  on  les  interroge  sur  leurs  sensations,  celles  qui  sont  sincères  avouent 
n'avoir  que  des  souvenirs  parfaitement  vagues,  mais  toutes  s'étonnent  que 
les  jockeys  aient  eu   «  la  férocité  »  de  ne  pas  se  détourner  de  leur  chemin. 

Celle  ignorance  absolue  de  ce  qu'il  est  possible  de  faire  à  un  cavalier  lancé 
à  pareille  allure  est  la  seule  excuse  à  leur  imprudence. 

Elle  ne  l'explique  cependant  pas  :  on  ignore  généralement  si  la  foudre  peut 
ou  ne  peut  pas  se  détourner  du  chemin  qu'elle  suit  ;  on  évite  cependant,  non 
moins  généralement,  de  se  placer  les  jours  d'orage  sur  le  passage  des  cou- 
rants d'air. 

Le  seul  défaut  de  l'installation  du  pesage  de  Longchamps  résulte  de  l'éten- 
due des  espaces  à  parcourir. 


202 


SUR    LE  TURF. 


N'allez  pas  croire  sur  celte  déclaration  que  je  regrette  que  le  pesage  soit 
assez  grand  pour  contenir  la  foule  qui  s'y  porte  à  certains  jours! 

Il  est  tout  naturel  que  les  membres  du  Comité  aient  proportionné  l'espace 
au  nombre  des  invités  qu'ils  ont  à  recevoir;  en  agissant  autrement,  ils  se 
seraient  exposés  aux  mêmes  critiques  que  les  maîtresses  de  maison  qui 
réunissent  le  ban  et  Parrière-ban  de  leurs  nombreuses  connaissances  dans 


In  déport. 


le  salon,  le  petit  salon,  la  salle  à  manger  et  l'antichambre  d'un  entresol  du 
quartier  Marbœuf. 


Ce  qui  me  paraît  regrettable,  c'est,  par  exemple,  la  longueur  du  chemin  qui 
sépare  le  champignon  des  bookmakers,  où  l'on  apprend  la  cote;  des  baraques 
du  pari  mutuel,  où  l'on  peut  utiliser  les  renseignements  qu'on  est  parvenu  à 
se  procurer. 

En  outre,  ce  parcours,  qui  serait  long  pour  des  deux  ans  et  qui  est  excessif 


SUR   LE   TURF. 


29:$ 


pour  les  jeunes  femmes,  qui  ont  le  droit  d'être  délicates,  et  les  messieurs 
vieux,  qui  ont  le  regret  d'être  fréquemment  fatigués,  doit  s'effectuer  sur  un 
terrain  détestable,  d'une  dureté  exceptionnelle,  recouvert  de  monolithes  de 
gravier  peu  sensiblement  inférieurs  comme  volume  à  celui  de  Louqsor  et 
d'une  inégalité  telle  que  le  macadam  avant  le  passage  du  rouleau  semble, 
par  comparaison,  le  véritable  tapis  de  Turquie. 

Ajoutez  que  par  le  soleil  il  faut  porter  son  ombre  avec  soi,  et  vous  avouerez 
qu'on  peut  imaginer  un  confort  plus  complet. 

Pourquoi,  au  lieu  des  grandes  routes  qui  entourent  la  pelouse  placée  der- 


Mallieun  ui  |  urieurs  en  train  d'accomplir  If  parcours  des  tribunes  au  pari  mutuel. 

rière  la  tribune  officielle,  qu'il  est  interdit  de  traverser,  ne  pratiquerait-on  pas 
une  série  d'allées,  qu'on  abriterait  sous  des  arbres  plus  ou  moins  feuillus? 

Pourquoi,  les  jours  de  semaine,  où  le  public  est  toujours  moins  nombreux, 
ne  rapprocherait-on  pas  du  ring  et  des  paddocks  les  baraques  du  pari  mutuel? 

Pourquoi,  les  jours  de  grande  sécheresse,  n'arroserait-on  pas  avec  moins  de 
parcimonie  ?  Pourquoi  ?  ?  ? 


Je  m'aperçois  que  j'ai  l'air  d'un  grincheux,  décidé  à  tout  critiquer  de  parti 


294 


SUR    LE    TURF. 


pris  :  c'est  inexact ,  je  dis  qu'on  pourrait  tirer  un  meilleur  parti  d'un  en- 
droit naturellement  merveilleux,  parce  qu'il  me  semble  que  l'on  serait  faci- 
lement partout  aussi  agréablement  qu'on  l'est  aux  abords  des  paddocks,  à 
l'ombre,  en  pleine  verdure,  à  la  fraîcheur  des  arbres,  et  qu'on  se  fait  rôtir 
inutilement  sans  bénéfice  pour  personne. 


Un  coin  du  paddock. 


Ce  vaste  espace  dégarni,  derrière  les  tribunes,  n'a  d'autre  résultat  que  de 
laisser  voir  l'ensemble  de  cet  édifice. 

Je  crois  qu'en  le  masquant  de  massifs  intelligemment  rapprochés  lui-même 
y  gagnerait,  et  je  suis  sûr  que  la  majorité  des  sporlsmen  bénirait  le  commis- 
saire qui  aurait  l'idée  de  semer  quelques  oasis  dans  le  Sahara  qui  sépare  les 
paddocks  des  baraquements  du  pari  mutuel. 

Quant  à  celui  qui  ferait  faire  des  passages,  en  pavés  de  bois,  par  exemple, 
je  lui  garantis  que  sa  mémoire  serait  bénie  par  toute  une  série  de  générations. 


SIR    LE    TURF. 


297 


Je  ne  crois  pas  qu'on  réalise  jamais  les  améliorations  réclamées  ci-dessus  : 
on  serait  alors  obligé  de  refuser  du  monde,  car,  dans  l'élat  actuel,  la  foule 
grossit  chaque  année  dans  une  proportion  que  les  statistiques  établissent  exac- 
tement et  que  constatent,  pour  la  plus  grande  joie  de  la  Société,  les  tableaux 
de  recettes. 

Ce  serait  à  faire  croire  que  l'amour  du  cheval  est  devenu  chez  nous, 
comme  en  Angleterre,  une  passion  générale. 

Il  n'en  est  rien. 


Nouvel  aspect  de  l'avenue  des  Acacias,  uu  matin,  à  l'heure  eliii 


Le  succès  de  toutes  les  mécaniques,  aux  pétroles  les  plus  alambiqués  et 
les  plus  nauséabonds,  montre  clairement  que  le  cheval  est  resté  pour  la 
majorité  de  nos  concitoyens  un  animal  inquiétant,  dont  il  est  sage  de  tou- 
jours se  méfier. 


Ou  n'est  jamais  sûr  avec  lui  qu'il  obéira  demain  aussi  docilement  qu'il 
l'a  fait  la  veille,  et  qu'il  sera  disposé  à  se  montrer  aussi  paisible  aujourd'hui 

38 


298 


SUR    LE   TURF. 


qu'il  l'était  hier  :  avec  une  bonne  machine,  on  est  à  l'abri  de  pareils  chan- 
gements de  caractère,  ça  roule  droit  et  du  même  train,  et,  ajoutent  les 
partisans  de  ce  vilain  moyen  de  transport,  s'il  y  a  accident,  la  faute  n'en  est 
pas  à  l'instrument  mais  au  mécanicien,  tandis  qu'avec  les  chevaux... 

C'est  en  cela   qu'ils   se  trompent,  avec   les   chevaux  comme   avec  les 
machines  c'est  toujours  le  conducteur  qui  est  dans  son  tort. 


La  véritable  cause  de  l'affluence  du  public  aux  courses  est  la  passion  du 


jeu. 


,  les  téritables  protagonistes  du  sport  eu  Kr 


Le  moindre  bookmaker  a  plus  fait  pour  la  réussite  du  sport  eu  France 
que  les  efforts  désintéressés  des  plus  fervents  apôtres  de  l'amélioration  des 
races  chevalines,  et  l'établissement  du  pari  mutuel  a  consacré  le  succès 
détinitif  des  courses  en  mettant  l'élément  démocratique  en  mesure  de  se 
mêler  à  «  la  partie  »  qui  se  joue  à  chaque  épreuve. 

Les  femmes  de  toutes  les  fractions  de  monde  ont  suivi  le  mouvement  et 
parient  avec  l'entrain  qu'elles  mettent  à  faire  ce  qui  leur  plaît. 


Les  méthodes  qu'elles  suivent  brillent  généralement  par  une  fantaisie  qui 
pourrait  paraître  exagérée  si  les  résultats  obtenus  n'étaient  pas  fort  souvent 
très  supérieurs  à  ceux  que  donne  aux  gens  raisonnables  l'emploi  de  procédés 
plus  sérieusement  étudiés. 

En  matière  de  jeu,  l'instinct  se  montre  bien  souvent  plus  clairvoyant  que 


SUR    LE   TURF. 


299 


le  raisonnement,  et  la  lucidité  de  certaines  joueuses  semble  tenir  du  magné- 
tisme. —  «  Mettez-moi  cinq  louis  sur  le  numéro  sept... 

—  Mais  c'est  une  simple  rosse... 

—  Elle  gaguera... 

—  Qui  vous  l'a  dit? 

—  Personne,  mais  je  suis  sûre  qu'elle  gagnera.  »  Et,  en  effet,  le  numéro  sept 
donne  un  bénéfice  énorme  après  avoir  gagné  avec  la  plus  extrême  facilité. 

Avec  ces  joueuses  impressionnistes,  pas  de  récriminations. 


—  Ma  pauvre  enfaDt.  vous  aie»  encore  perdu... 

—  Qu'est-ce  que  ça  fait,  puisque  c'est  toi  qui  ca  payer  !  !  ! 


Si  leur  inspiration  les  a  trompées,  elles  ne  s'en  prennent  à  personne  et  ne 
cberchent  aucune  explication  à  leur  défaite. 

Longcliamps  est  certainement  le  marcbé  où  se  brosse  le  plus  gros  chiffre 
d'affaires  et  où  les  donneurs  subissent  leurs  plus  grosses  perles. 

Les  parieurs  en  courses  de  plat  jouent  volontiers  les  favoris,  et,  quand  un 
cheval  leur  parait  «  sur  » ,  ils  n'hésitent  pas  à  payer  les  plus  fortes  propor- 
tions :  les  books  ont  beau  élever  la  cote  sur  les  autres  chevaux,  ils  ne  par- 
viennent pas  à  contrebalancer  leurs  livres,  et  la  victoire  d'un  cheval  imbattable 
leur  coûte  alors  de  grosses  sommes. 


300 


SIR    LE    TURF. 


Pendant  de  longues  années,  l'accès  du  pesage  est  demeuré  rigoureusement 
interdit  à  toute  une  catégorie  de  personnes  trop  élégantes  ou  précédées  d'une 
notoriété  trop  tapageuse. 

Le  règlement  portait  simplement  que  l'entrée  de  l'enceinte  était  interdite  à 
toute  personne  «  non  accompagnée  »  . 

Dans  l'application,  le  rigorisme  était  encore  poussé  plus  loin,  et  des  per- 
sonnes qui,  Dieu  sait  par  quels  procédés!  étaient  parvenues  à  décider  de  très 
authentiques  gentlemen  à  les  piloter  dans  ces  parages  interdits  ont  été, 
malgré  qu'elles  fussent  dans  les  conditions  de  la  lettre  du  règlement,  impi- 
toyablement éconduiles. 


-  Quelle  est  rette  raiissante  rocolte  ? 
Tout  simplement  mudame  lu  duchesse  de  X*". 


Les  consignes  données  à  leurs  agents  par  les  commissaires  assuraient  eu 
effet  non  seulement  l'application  du  règlement  dans  ses  dispositions  écrites, 
mais  dans  son  esprit,  et  les  personnes  trop  connues  pour  pouvoir  nier  leur 
identité,  qu'elles  fussent  accompagnées  ou  non,  étaient  obligées  de  retourner 
à  leur  voiture. 

On  a  depuis  longtemps  déjà  renoncé  à  ces  exclusions  que  la  morale  expli- 
quait, mais  que  la  galanterie  réprouve. 


L'aspect  général  de  la  réunion  n'a  pas  perdu  à  l'admission  en  franchise  de 


SUR    LK    TURF. 


303 


cette  nouvelle  catégorie  d'élégantes,  dont  la  tenue,  d'ailleurs,  est  en  général 
très  suffisamment  convenable  et  les  conversations  souvent  beaucoup  plus 
retenues  que  celles  d'autres  habituées  de  l'endroit  parfaitement  classées  et 
très  authenliquement  légitimes. 

Ces  consignes  pudibondes  auraient  du  reste  été  bien  difficiles  à  maintenir 
aujourd'hui  que  les  femmes  qui  sont  du  monde  et  celles  qui  n'en  sont  pas 
s'habillent  de  façon  identique,  et  je  suppose  que  si  l'on  avait  persévéré  dans 
l'exclusion  des  toilettes  excentriques  et  particulièrement  tapageuses,  certains 
employés,  aussi  mal  renseignés  que  bien  intentionnés,  auraient  commis  de 
bien  lâcheuses  méprises  et  réintégré  dans  leurs  véhicules,  sans  aucun  des 
égards  qui  leur  sont  dus,  un  certain  nombre  de  duchesses. 


A.  ■/-        m 


F?*liJG<J£  #  fus  ?"  S* 


Au  surplus,  les  membres  de  la  Société  n'avaient  aucun  intérêt  direct  à 
persister  dans  l'intolérance  des  premières  années,  puisqu'ils  ont  à  la  disposi- 
tion de  leurs  femmes,  de  leurs  sœurs  et  de  leurs  filles  des  tribunes  réservées 
où  ces  dames  sont  à  l'abri  de  toute  fâcheuse  promiscuité. 


Il  est  vrai  qu'elles  y  séjournent  peu,  mais  elles  pourraient  le  faire,  et  dès 
lors...  parfaitement,  c'est  qu'elles  ne  trouvent  aucun  inconvénient  au  contact 
qu'on  voulait  leur  éviter. 


304 


SLR    LE    TURF. 


Le  plus  joli  coiu  du  pesage  est,  sans  contredit,  celui  réservé  aux  chevaux. 
Le  hangar  qui  les  abrite  se  cache  sous  des  arbres  magnifiques  qui  donnent, 
quelle  que  soit  l'orientation  du  soleil,  une  ombre  d'autant  plus  bienfaisante 
qu'on  la  cherche  inutilement  partout  ailleurs  et  que,  pour  l'atteindre,  il  a 
fallu  traverser  des  espaces  dénudés  dont  on  ne  retrouve  les  équivalents  que 
dans  les  plaines  de  la  Beauce  ou  sur  les  plateaux  de  la  Brie. 

Les  pelouses  autour  desquelles  les  chevaux  font  leur  promenade  eu  atten- 
dant la  course  à  laquelle  ils  doivent  prendre  part  sont  merveilleusement 
entretenues  et  les  pieds  les  plus  délicats  peuvent  les  fouler  sans  crainte  d'y 
rencontrer  aucune  aspérité. 


i. 


De  nombreux  sièges  placés  au  pied  des  arbres  permettent  d'examiner  lon- 
guement et  sans  fatigue  les  concurrents  des  prochaines  épreuves  et  d'étudier 
le  jeu  de  leurs  muscles  et  le  degré  de  liberté  de  leurs  mouvements  :  bien  que 
faite  au  pas,  leur  promenade  circulaire  renseigne  souvent  mieux  sur  leur 
condition  l'observateur  attentif  que  leur  galop  d'essai,  et  bien  des  gens  ont 


SUU    LK   Tl'RF 


305 


trouvé  là  le  motif  qui  leur  a  fait  abandonner  leur  favori  du  papier  et  reporter 
sur  un  autre  concurrent  l'argent  que  le  relevé  des  performances  leur  aurait 
fait  perdre. 

Je  sais  que  les  connaisseurs  capables  de  tirer  profit  d'un  semblable  exameur 
sont  excessivement  peu  nombreux. 


Mais  il  suffit  qu'il  soit  dans  les  habitudes  de  quelques  spécialistes  pour  que 
l'exemple  soit  suivi  par  une  foule  de  gens  qui  savent  que  les  chevaux  ont 
quatre  «jambes  »  qu'ils  appellent  des  «pattes  »,  mais  ignorent  absolument 
l'influence  que  la  construction  de  chacune  d'elles  peut  avoir  sur  la  vitesse  ou 
l'endurance  d'un  animal;  ils  le  regardent  avec  l'inutile  obstination  d'un  rhé- 
toricien  qui  cherche  le  sens  d'un  texte  grec  sans  vouloir  ouvrir  sou  diction- 
naire et  n'en  comprend  pas  le  premier  mot. 

39 


306 


SUR    LE    TURF. 


De  lous  les  mécanismes,  le  mécanisme  animal  est  assurément  le  plus  com- 
pliqué ,  et  ceux  qui  eu  saisissent  à  première  vue  l'harmonie  sont  infiniment 
rares.  . 

Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  si  beaucoup,  qui  pratiquent  religieuse- 
ment cet  examen  préalable,  se  trompent  dans  leurs  conclusions,  s'enthou- 
siasment à  faux  et  décident  leur  choix  sur  des  défauts  de  construction  qui 
leur  paraissent  des  qualités... 


Les  grauds  jours  de  Longchamps  :  le  Grand  Prix,  l'été,  et  le  prix  du  Conseil 
municipal,  à  l'automne,  les  chemins  qui  conduisent  à  l'hippodrome  dispa- 
raissent littéralement  sous  les  flots  de  véhicules  de  toutes  espèces  qui  y 
amènent,  dans  les  conditions  les  plus  varices,  les  oisifs  de  toute  condition 
que  renferme  la  capitale. 


Tout  ce  qui  est  capable  ou  parait  capable  de  rouler  est  mis  en  mouvement  : 
des  voilures  qui  ne  sortent  que  ces  jours-là  sont  bondées  de  voyageurs,  et  des 


SUR    LE    Tl'RF 


309 


guimbardes  qu'on  n'oserait  pas,  en  temps  ordinaire,  sortir  de  leurs  remises 
trouvent  plus  de  chalands  qu'elles  n'en  peuvent  raisonnablement  contenir. 

Toutes  ne  rentrent  pas  à  domicile,  et  cette  exhibition  exceptionnelle 
constitue  pour  plusieurs  le  dernier  voyage,  la  dernière  course  dans  laquelle 
s'effectue  la  dislocation  définitive  et  se  produisent  les  avaries  irrémédiables. 


Dans  ce  défilé  torrentiel ,  figure  tout  ce  que  l'imagination  des  carrossiers  a 
produit  depuis  un  demi-siècle. 

Mails,  landaus,  chars  à  bancs,  coupés,  automobiles,  voituretles,  buggies, 
victorias,  spyders,  tricycles,  hommes,  femmes,  enfants,  vieillards,  roulent 
vertigineusement  emportés  vers  le  même  point  :  la  fièvre  de  la  vitesse  sévit 
sur  toute  celte  population. 

C'est  une  contagion  d'une  espèce  particulière  qui  frappe  l'ensemble  des 
automédons  sous  prétexte  que  c'est  à  des  courses  qu'ils  conduisent  leur  char- 
gement humain,  ils  lui  donnent  un  avant-goùt  des  émotions  de  l'après-midi 
et  se  livrent  à  une  lutte  prolongée  dans  laquelle  chaque  voilure  s'efforce  de 
dépasser  celle  qui  la  précède.  Rien  ne  les  arrête!... 


310 


SUR    LE    TURF. 


Les  moyeux  se  heurtent,  les  garde-crotte  s'arrachent,  les  timons  pénètrent 
dans  les  capotes  des  victorias,  crèvent  le  fond  des  coupés;  on  s'injurie,  mais 
on  ne  ralentit  même  pas  pour  constater  les  avaries  produites  ou  reçues. 

Ou  roule  toujours,  et  quand  même,  on  s'occupera  plus  tard  des  réclama- 
tions; pour  l'instant,  il  s'agit  seulement  de  marcher,  et  de  marcher  vite. 

Pourquoi? 

Dans  quel  but? 

Il  serait  impossible  de  le  dire  :  c'est  l'habitude,  il  n'y  a  pas  d'autre  raison 
à  donner. 

On  a  marché  du  même  train  l'année  dernière ,  on  fera  de  même  l'an 
prochain. 


i  tribune  du  Presideol  de  la  République 


LE    GRAND  PRIX   DE    PARIS 


Ce  n'est  pas  seulement  la  valeur  de  l'allocation  qui  lui  est  attribuée  par 
la  munificence  de  nos  édiles  et  autres  compagnies  de  chemins  de  fer  qui  fait 
l'importance  du  Grand  Prix  de  Paris. 


La  qualité  des  chevaux  engagés,  la  longueur  du  parcours,  la  sévérité 
exceptionnelle  avec  laquelle  la  course  est  toujours  menée,  contribuent  à  en 
faire  l'épreuve  par  excellence,  et  la  présence  de  concurrents  étrangers,  pré- 
cédés la  plupart  du  temps  par  une  réputation  inquiétante  pour  les  champions 
indigènes,  augmente  encore  l'intérêt  de  la  lutte  en  y  mêlant  les  appréhen- 


312  SUR   LE   TURF. 

sions  nerveuses  d'un  chauvinisme  toujours  en  éveil  dans  une  foule  où  domine 
l'élément  parisien. 

C'est  donc  un  gros  événement,  non  seulement  pour  le  monde  spécial  qui 
vit  pour  et  par  le  cheval,  mais  encore  pour  l'ensemble  de  la  population 
habituellement  indifférente  aux  réunions  quotidiennes,  et  que  «  le  résultat 
complet  des  courses  »  ne  passionne  pas  d'ordinaire;  et,  comme  tout  événe- 
ment, favorable  ou  funeste,  influe  sur  le  commerce  parisien,  cette  sensitive 
en  bien  ou  en  mal,  le  Grand  Prix  est  pour  lui  un  bienfait  annuel,  dès  long- 
temps prévu  et  escompté. 


o     *^$  '  n  ù  m> 


loe  pluie  d'or  ne  laisse  jamais  la  fuule  indilterente  !  .'.•• 

Quand  on  sait  qu'à  une  date  déterminée  il  doit  tomber  une  pluie  d'or, 
ce  serait  vraiment  folie  que  de  ne  pas  prendre  ses  mesures  pour  recueillir 
la  plus  grosse  part  possible  de  cette  bienfaisante  averse  —  l'exemple  de 
Danaé  est  là,  et,  sans  compter  ses  imitatrices  directes,  bien  peu  parmi  les 
autres  commerçants  de  la  capitale  ne  cherchent  pas  à  profiter  de  l'aubaine. 


Ils  savent  que  les  paquebots  et  les  chemins  de  fer  ont  par  des  tarifs  ten- 
tateurs préparé  la  venue  de  tout  un  monde  d'étrangers  et   de  provinciaux 


S  lit   LE   TURF. 


313 


qui  va  augmenter  d'autant  le  nombre  de  leurs  tributaires  habituels,  et  ils 
ont  pris  leurs  disposilions  en  conséquence. 

Les  hôteliers  ont  nettoyé  tout  au  moins  les  façades  de  leurs  immeubles, 
les  garde-manger  des  restaurateurs  sont  bondés  de  provisions,  et  leur  per- 
sonnel, doublé  pour  la  circonstance,  attend,  la  serviette  sous  le  bras,  l'arrivée 
du  tlot  de  consommateurs  promis.  Toutes  les  mesures  sont  prises,  et  la 
réussite  Gnale  ne  dépend  plus  que  du  baromètre.  —  Hausse  ou  baisse.  — 
C'est  toute  la  question. 


Si  les  industriels  qui  se  chargent  d'héberger  et  d'alimenter  la  population 
pendant  cette  journée  exceptionnelle  ont  dû  déployer  une  invraisemblable 
activité,  ceux  que  leur  profession  désigue  pour  ajouter  aux  charmes  de  leurs 
contemporains  des  deux  sexes  travaillent  depuis  des  semaines  entières  à  leur 
embellissement. 


Les  modistes,  tailleurs,  chapeliers,  bottiers,  couturiers  et  couturières 
rivalisent  d'efforts  et  d'imagination  pour  remédier  aux  conformations  les 
plus  déplorables,  dissimuler  les  plus  regrettables  dispositions  anatomiques 
et  accommoder  leurs  incomparables  créations  aux  visages  les  moins  favo- 
risés. —  Le  plus  curieux  est  que  parfois  ils  y  parviennent,  et  que  souvent 
l'on  est  obligé  de  s'y  prendre  à  deux  fois. pour  constater  que  telle  personne 
adorablement  arrangée  est  en  réalité  un  incomparable  laideron  ;  —  l'illusion 
est  courte,  mais  on  l'éprouve,  et  c'est  assez  pour  qu'on  soit  reconnaissant 
aux  magiciens  qui  ont  pu  vous  faire  croire,  ne  fût-ce  qu'un  instant,  qu'il 
y  avait  une  jolie  femme  de  plus. 

40 


•Mi 


SUR    LE    TURF 


Si  ce  culte  du  moi  est  plus  que  iiaturel  chez  la  femme,  dont  la  mission 
est  de  plaire,  et  qui,  la  plupart  du  temps,  est  en  possession  d'un  point  de 
départ  :  jeunesse,  minois  mutin  ou  jolie  tournure,  qui  justifie  dans  une 
certaine  mesure  les  prétentions  qu'elle  peut  avoir  de  charmer  par  les 
yeux,  on  ne  comprend  guère  que  le  sexe  fort  cède  aux  mêmes  préoccupa- 
tions et  cherche  d'une  façon  persistante  à  rivaliser  de  séductions  plastiques 
avec  les  plus  jolies  femmes  de  Paris. 


Préparatifs  intimes.  —  Côté  îles  hommes. 

L'homme,  à  de  rares  exceptions  près,  est  un  animal  médiocre,  qui  sup- 
porte mal  l'examen  :  pour  qu'il  prenne  une  valeur  esthétique,  l'action  lui  est 
indispensable,  et,  comme  on  dit  aujourd'hui,  il  faut,  pour  qu'il  devienne 
intéressant,  que  son  geste  soit  beau. 

C'est  ainsi  qu'on  conçoit  aisément  ce  que  veulent  dire  les  locutions  sui- 
vantes :  c'est  un  beau  tireur,  un  beau  cavalier,  tandis  que  «  le  beau  X...  » 
tout  sec,  n'éveille  que  l'idée  d'un  personnage  plutôt  déplaisant,  sans  que 
l'esprit  en  conçoive  nettement  l'aspect. 


Quelque  recherche  qu'on  y  puisse  apporter,  la  toilette  masculine  moderne 
ne  comporte  d'ailleurs  aucune  combinaison  qui  permette  de  différencier  sen- 
siblement un  individu  d'un  autre,  —  on  n'est  pas  habillé,  mais  enveloppé 
par  la  redingote  moderne;  le  chapeau  n'est  pas  une  coiffure,  c'est  tout  au 
plus  un  couvre-chef,  et  les  Anglais  ont  trouvé  le  véritable  nom  du  pantalon, 
en  l'appelant  l'indispensable. 


SUR    LK    TURF 


.'i: 


On  a  beau  chercher  de  savantes  combinaisons  à  ce  démocratique  accou- 
trement, on  n'arrive  qu'à  des  modifications  de  détail  plus  ou  moins  heu- 
reuses, plus  ou  moins  réussies,  mais  qui  ne  créent  pas  un  costume  personnel; 
et  tous  ces  efforts  aboutissent  à  l'unique  résultat  de  faire  dire  au  passant  : 
«  Dieu  !  que  voilà  un  monsieur  qui  s'est  donné  du  mal  pour  être  plus 
laid  que  nature!  » 

Malgré  cet  insuccès  fatal,  les  tentatives  se  renouvellent,  et  chaque  généra- 


Prépartitifs  intimes.  —  Coté  des  dames. 


tion  compte  un  certain  nombre  d'incurables  qui  cherchent  la  pierre  philo- 
sophale  de  l'ornementation  masculine. 

Quand  chacun  des  individus  dont  l'accumulation  doit  constituer  le  public 
du  Grand  Prix  se  trouve  en  possession  de  l'accoutrement  qui  lui  paraît  de 
nature  à  mettre  le  mieux  en  valeur  ses  avantages  extérieurs,  il  lui  reste  à 
se  préoccuper  d'un  moyen  de  transport. 

Le  plus  grand  nombre,  et  ce  ne  sont  pas  les  plus  mal  inspirés,  se  con- 
tentent du  chemin  de  fer,  véhicule  actuellement  entré  dans  les  mœurs, 
suffisamment  rapide,  peu  coûteux,  et  qui,  grâce  aux  billets  de  retour, 
assure  aux  décavés  un  moyen  certain  de  regagner  leur  domicile. 

Il  a  en  outre  l'avantage  d'offrir  aux  gens  qu'il  transporte  toute  sécurité; 
la  puissance  du  capital  engagé  dans  les  entreprises  d'une  pareille  impor- 
tance ne  laisse  aucune  incertitude  aux  intéressés  sur  le  règlement  des 
indemnités  qu'ils  pourraient  avoir  à  réclamer,  et  il  n'est  jamais  indifférent 


31  fi 


SUR    LE    TURF. 


de  savoir  que  les  entrepreneurs  auxquels  on  confie  ses  membres  sont,  le  cas 
échéant,  en  mesure  de  les  payer  à  leur  juste  valeur. 

Un  autre  moyeu  de  locomotion,  également  économique,  également  mû 
par  la  vapeur,  est  mis  à  la  disposition  des  voyageurs  par  la  compagnie  des 
bateaux-mouches. 

Il  a  sur  le  chemin  de  fer  l'avantage  d'avoir  son  débarcadère  beaucoup 
plus  près  du  champ  de  courses  et  d'éviter  aux  gens  qui  s'en  servent  les  flots 
de  poussière  qu'il  faut  traverser  lorsqu'on  prend  la  voie  de  terre. 


¥- 


Moyens  de  transport  économiques.  —  Les  bateaux-mouches.  —  Michel  Chevalier  et  autres  Leroy-Beaulieu  ont,  grâce  à  de  savantes 
recherches,  découvert  que  le  transit  par  eau  était,  de  beaucoup,  le  meilleur  marché.  Celte  vérité,  malgré  la  inarche  do  progrès,  est 
restée  incontestée. 


Viennent  ensuite  tous  les  véhicules  imaginés  depuis  la  découverte  de  la 
roue,  en  commençant  par  la  tapissière  monumentale,  connue  sous  le  nom 
générique  de  Pauline,  pour  finir  au  simple  fiacre. 

Autrefois,  la  conquête  d'une  de  ces  voilures  nécessitait  une  série  de  pro- 
cédés diplomatiques  d'une  extrême  ingéniosité. 

Vous  faisiez  signe  au  cocher,  il  ne  daignait  même  pas  s'arrêter. 

Vous  vous  lanciez  à  sa  poursuite,  il  poursuivait  sa  carrière  avec  majesté, 
et  ne  paraissait  même  pas  écouter  les  offres  que  vous  lui  adressiez, 
jusqu'au  moment  où  les  enchères  ambulantes  auxquelles  vous  vous  laissiez 
entraîner  atteignaient  le   chiffre  qu'il   ambitionnait. 


L'escalier  d'une  jolie  femme  ou  réputée  telle 
à  la  veille  du  Grand  Prix. 


SUR    LE    TURF. 


319 


Il  ralentissait  alors  sa  marche  et  commençait  des  pourparlers  qui  se 
terminaient  par  la  promesse  d'une  somme  représentant  à  peu  de  chose  près 
la  valeur  totale  de  l'équipage. 

Cette  première  partie  des  négociations  vous  amenait  jusqu'à  l'intérieur 
di'  la  voiture,  qui  s'ébranlait  à  une  allure  d'une  lenteur  étudiée.  Le  prix 
convenu  vous  donnait  l'audace  de  demander  qu'on  accélérât  l'allure. 


autrefois,  la  conquête  iJun  nacre  nécessitait  uon  seulement  le  i 
niais,  en  outre,  eelui  de  tout  respect  hua 


rillce  de  la  forte  son 


Alors  commençait  un  nouveau  colloque  qui  remettait  en  question  les 
conventions  arrêtées  ;  pour  le  prix  déterminé  il  n'avait  pas  été  question  de 
la  vitesse  du  trajet. 

Quel  intérêt  puis-je  avoir  à  crever  mon  cheval?  disait  le  cocher. 

Bref,  on  ne  parvenait  à  le  faire  pousser  sa  bête  qu'en  lui  promettant  de 
l'intéresser  dans  les  paris  qu'on  comptait  faire. 

On  n'avait  plus  alors  affaire  à  un  conducteur,  mais  à  un  associé. 

On  marchait  comme  le  vent,  mais  on  recevait  des  conseils. 

H  faut  reconnaître  qu'ils  n'étaient  pas  toujours  plus  mauvais  que  ceux  des 
feuilles  spéciales,  et  il  est  même  arrivé  à  des  voyageurs  chançards  de 
recueillir  de  la  sorte  des  renseignements  tout  à  fait  excellents. 


320 


SUR    LE   TURF. 


Aujourd'hui,  la  pratique  générale  de  la  bicyclette  a  rendu  au  bourgeois  le 
sentiment  de  sa  dignité,  en  lui  assurant  un  moyen  de  locomotion  au  cas  où 
ses  propositions  seraient  repoussées  par  les  despotes  à  quatre  roues. 

Ce  sont  ceux-ci  maintenant  qui  font  les  premières  ouvertures,  qui  clignent 
de  l'œil  au  passage  du  piéton,  et,  lorsqu'on  consent  à  entrer  en  pourparlers, 
ils  ne  demandent  plus  de  partager  avec  eux  votre  revenu  annuel. 

Peut-être  se  rendent-ils  compte  d'ailleurs  que  celui  des  rentiers  diminue 
chaque  jour,  et  leur  modération  n'est-elle  inspirée  que  par  une  pitié  par- 
faitement justifiée  du  reste 


Aujourd'hui,  la  pratique  de  la  bicyclette  a  donne  au  hourfleois  la  possibilité  de  fie  soustrair 
au  despotisme  des  cocliers  de  fiacre. 


Les  champs  de  courses  ne  peuvent  pas,  en  général,  être  considérés  comme 
des  endroits  déserts,  et  ce  n'est  pas  là  que  se  transportent  habituellement  les 
amateurs  de  solitude. 

Cependant,  il  y  a  des  degrés  eu  toute  chose,  et  ces  degrés  se  mesurent  par 
des  chiffres. 


L'assistance  à  Longchamps  un  jour  de  Grand  Prix  est  aux  réunions  ordi- 
naires ce  que  un  est  à  dix  —  ce  qui  revient  à  dire  que  si  l'étendue  de  terrain 


SUR    LE   TURF. 


Ml 


réservée  habituellement  à  chaque  spectateur  peut  être  évaluée  en  temps 
normal  à  2  mètres  carrés,  il  ne  reste  plus  que  25  centimètres  carrés  par 
individu  le  jour  de  cette  exceptionnelle  solennité. 

Il  en  résulte  que  l'œil  le  plus  pénétrant  ne  peut  arriver  à  découvrir  la  nature 
du  sol  sur  lequel  repose  cette  foule  d'êtres  humains,  pressés  les  uns  contre 
les  autres,  de  telle  façon  que  chacun  d'eux  adhère  à  ses  voisins  par  une  in- 
finité de  points,  et  que  le  contact  s'étend  généralement  des  pieds  à  la  tête  en 
suivant  toutes  les  sinuosités  du  corps,  situation  toujours  fatigante,  agréable 
parfois  quand  les  hasards  du  tassement  ont  rapproché  votre  enveloppe  ter- 
restre d'une  analomie  sympathique  et  suffisamment  capitonnée... 


FfRN  Qltf  S  '"(!   i\  fi 


Moyens  de  transport  économiques.  Le  cliemin  de  fer.  —  Ce  n'esl  pol  que  ce  soi:  chi:,  mais  oa  y  Ironie  toujours  de  la  place. 

Celte  foule,  quand  on  a  vu  tous  les  procédés  employés  pour  la  transporter 
là,  on  comprend  qu'elle  y  soit,  mais  ce  qui  paraît  tout  à  fait  inexplicable,  c'est 
la  nature  des  toilettes  qui  s'y  trouvent  empilées. 


Qu'on  s'habille  en  grand  apparat  pour  aller  dans  un  endroit  où  l'on  peut 
être  vu,  c'est  parfaitement  compréhensible  ;  mais  qu'on  choisisse,  pour  aller 

41 


322 


SUR    LE    TURF. 


exhiber  ce  qu'on  possède  de  plus  remarquable  en  fait  de  falbalas  précisément 
l'endroit  où  les  têtes  ont  toutes  les  peines  du  monde  à  émerger,  où  les  corps 
sont  comme  enterrés  les  uns  par  les  autres,  voilà  ce  qu'il  est  difficile  de 
s'imaginer,  et  c'est  pourtant  ce  qui  se  renouvelle  chaque  année,  à  date 
fixe. 

Eu  réalité,  voilà  comment  les  choses  se  passent  :  pendant  la  séance  de 
quatre  heures  durant  lesquelles  les  toilettes  enchevêtrées  les  unes  dans  les 
autres  sont  impossibles  à  discerner,  il  se  produit  deux  ou  trois  entr'actes,  de 
très  courte  durée,  alors  que  le  flot  des  parieurs  se  concentre  aux  guichets 
du  pari  mutuel  et  autour  des  principaux  bookmakers. 


Les  derniers  vestiges  de  la  poste.  —  On  trum 


>  plus  (le  posti!loti&! 


Quand  ces  grands  courants  s'établissent,  l'espace  compris  entre  les  tribunes 
et  la  piste  se  trouve  momentanément  et  relativement  dégagé. 

Les  femmes  en  profitent  alors  pour  faire  une  promenade  dans  cet  étroit 
espace. 

L'exhibition  dure  peu,  mais,  pendant  ces  quelques  minutes,  quel  public  ! 

Les  tribunes  restent  bondées,  et  c'est  par  dizaines  de  mille  que  se  chiffrent 
les  yeux  et  les  lorgnettes  qui  sont  braqués  sur  les  élégantes  promeneuses.  — 
Si  l'on  cote  la  dépense  d'après  le  temps  où  ces  mémorables  toilettes  ont  été 
vues,  elles  reviennent  à  des  sommes  folles  par  chaque  minute  d'exposition. 
—  Si,  au  contraire,  on  compte  par  tête  d'admirateur,  elles  coûtent  des  frac- 
tions de  centime  et  constituent  une  réclame  véritablement  économique. 

C'est  le  triomphe  de  la  publicité  à  bon  marché... 


'      '  '  v      '     "      h      '       |       ! 


l  ne  tranche  de  la  pelouse  un  jour  de  Grand  Pr 


SIR    LE   TURF 


323 


Les  jours  de  réunions  ordinaires,  on  peut  se  procurer  à  la  fois  les  jouis- 
sances du  spectateur  et  celles  du  parieur.  On  peut  examiner  à  loisir  les  belles 
toilettes,  admirer  les  jolies  frimousses  et  trouver  encore  le  temps  de  surveil- 
ler la  cote  de  façon  à  établir  avantageusement  ses  paris, après  quoi  l'on  gagne 
une  tribune  où,  muni  d'une  bonne  lorgnette,  on  peut  suivre  tous  les  incidents 
de  la  course. 

Un  jour  de  Grand  Prix,  le  cumul  de  ces  différents  plaisirs  est  impossible,  et 
il  faut  de  toute  nécessité  se  décider  à  n'être  qu'un  spectateur  ou  qu'un  parieur. 

Si  l'on  veut  voir  la  course,  il  faut  d'abord  se  procurer  une  place  d'où 
la  vue  embrasse  l'ensemble  du  parcours,  et,  se  l'étant  procurée,  ne  céder 
sous  aucun  prétexte  à  la  tentation  de  l'abandonner. 

On  ne  la  retrouverait  pas. 


.A  l.i  reelieretie  de 


>  et  de  la  bonne  eule. 


Donc  impossibilité  de  parier,  car  chacun  sait  que  pour  le  faire  utilement  et 
intelligemment  il  est  de  toute  nécessité  de  suivre  les  fluctuations  de  la  cote, 
dont  les  mouvements  vous  renseignent  souvent  de  la  façon  la  meilleure  sur 
les  chances  révélées  au  dernier  moment  d'un  cheval  soigneusement  caché, 
et  peuvent  souvent  substituer  le  nom  du  favori  réel  à  celui  du  favori  pré- 
sumé. 


326 


SUR    LE   TURF. 


Suivre  attentivement  ce  cours  des  valeurs,  c'est  ce  qu'on  appelle  tàler  le 
pouls  des  bookmakers,  et,  comme  il  est  impossible  de  se  livrer  à  cette  aus- 
cultation quand  on  garde  une  place  par  sa  présence  réelle,  seul  moyen  effi- 
cace en  pareille  circonstance,  il  est  incomparablement  plus  sage  de  s'abs- 
tenir. 

Si  vous  voulez  voir,  ne  pariez  pas  !  Si,  au  contraire,  vous  voulez  parier, 
résignez-vous  à  ne  pas  voir  la  lutte  et,  par  conséquent,  la  façon  dont  votre 
argent  sera  défendu  par  le  cheval  et  le  jockey  que  vous  aurez  choisis  pour 
défendre  vos  intérêts. 


Les  acclamations  de  la  fin  vous  feront  connaître  eu  temps  utile  si  vous 

avez  à  vous  réjouir  ou  à  déses- 
pérer. 


Quand  bien  même  on  s'est  ré- 
signé à  ne  pas  bouger,  on  n'est 
pas  pour  cela  assuré  de  voir. 
Il  suffit  pour  en  être  empêché 
d'avoir  devant  soi  quelqu'un  de 
plus  grand  que  soi,  ou  un  cha- 
peau un  peu  étoffé. 

La  meilleure  des  tribunes  est 
sans  contredit  la  tribune  officielle  : 
à  peu  près  abandonnée  les  jours 
ordinaires;  nos  gouvernants,  de- 
puis plusieurs  années  déjà,  étant 
peu  sporlsmen,  elle  se  garnit 
seulement  le  jour  du  Grand  Prix. 

Là,  pas  d'encombrement,  et 
les  toilettes  qu'on  y  arbore  sont 
perceptibles  à  l'œil  nu.  On  y  est 
vu,  et  l'on  y  peut  voir. 

Je  sais  bien  que  la  plupart  des 
personnages    importants   qui    la 


A  l'arrivée.  —  L'important  n'est  pas  d'avoir  de  bons  yeux,  le  plus 
vent  on  ne  voit  rien,  mais  de  bonnes  oreilles  pour  distinguer,  p 
les  cris  de  la  foule,  le  nom  du  vainqueur. 


SUR    LE   TURF. 


327 


garnissent  sont  incapables  de  distinguer  la  casaque  de  M.  Abeille  de  celle  de 
M.  Edmond  Blanc,  et  que  quelques-uns  sont  toujours  surpris  de  ne  plus  voir 
en  tète  à  l'arrivée  le  cbeval  parti  devant  les  autres,  mais  ils  ne  sont  pas  là 
pour  juger  la  course. 

Leur  présence  n'a  d'autre  but  que  de  donner  à  la  solennité  toute  son 
importance. 

Ce  but,  le  cbef  de  l'État  l'atteint  par  le  seul  fait  qu'il  a  pris  la  peine  de  se 
déplacer  et  de  montrer  à  la  foule  idolâtre  l'attelage  de  gala  dont  il  ne  se  sert 
que  dans  les  grandes  occasions. 


!|.i' 


^      m  : 


vée  du  chef  de  l'Etat.  Tro's  heures  buttant.  —  L'esactilude  est  la  |io!itesse  des  [irésid.  nts. 


L'équipage  est  d'ailleurs  honorable  et  atteint  le  degré  de  correction  qu'on 
est  en  droit  d'exiger. 

Il  ne  faut  pas  s'attendre,  en  effet,  à  trouver  dans  des  jockeys  qui  conduisent 
une  fois  par  an  une  Daumont  la  désinvolture  d'hommes  habitués  à  monter 
tous  les  jours  à  cheval,  mais  la  justice  veut  qu'on  reconnaisse  qu'ils  ne  s'en 
tirent  pas  trop  mal  pour  des  gens  qui  n'en  ont  pas  l'habitude. 


328 


SUR    LE    TURF. 


Ou  ne  fait  avec  perfection  que  ce  qu'on  fait  tous  les  jours,  et  encore  faut-il 
y  avoir  été  exercé  dès  l'enfance.  L'on  n'arrive  à  la  virtuosité  que  par  des 
exercices  répétés. 

I  n  beau  tournant  ne  s'exécute  pas  du  premier  coup,  et  il  faut  plus  d'un 
essai  pour  venir  stopper  à  grande  allure  devant  un  perron. 

Pour  le  faire  avec  précision,  il  faut  l'expérience,  mais  on  ne  peut  pas 
demander  à  un  peloton  de  gardes  nationaux  de  manœuvrer  comme  le  batail- 
lon de  Saint-Cyr. 


C'est  le  kr.iit  anglais  qu'on  présente  à  l'examen  admiratif  de: 


Quand,  à  trois  heures  moins  quatre  minutes,  le  chef  de  l'État,  donnant 
une  nouvelle  preuve  de  son  exactitude  chronométrique,  a  fait  son  entrée 
dans  la  tribune  présidentielle,  on  sait  que  la  grande  épreuve  de  la  journée  m1 
peut  plus  tarder  à  être  courue. 

Les  parieurs  retardataires  se  précipitent  aux  guichets  du  pari  mutuel,  dont 
les  employés  redoublent  d'activité,  encaissant  précipitamment,  et  timbrant 
leurs  tickets  avec  une  incomparable  dextérité;  pendant  ce  temps,  les  gros 
pontes  s'empressent  autour  des  bookmakers  pour  faire  leurs  derniers  paris, 
cherchant  à  utiliser  les  derniers  renseignements  recueillis,  se  couvrant  sur 
tel  cheval,  reprenant   de  tel  autre,  de  façon  à  limiter  leur  perle  en  cas  de 


L'arrivée.  —  Chacun  cric  le  nom  du  cheval  pour  lequel  il  a  parié.  Tous 
les  noms  inscrits  au  programme  soul  vociférés  de  la  sorte  aussitôt  que  le 
peloton  arrive  au  dernier  tournant.  Mais,  à  mesure  que  le  résultat  se  précise, 
la  nomenclature  diminue,  et  bientôt  le  nom  du  vainqueur  éclate  dans  un  cri 
formidable,  enthousiaste,  si  c'est  le  champion  national  qui  triomphe,  déses- 
péré si  c'est  l'étranger  qui  est  vainqueur. 


',1 


SUR    LE    TURF.  331 

défaite,  car,  au  dernier  moment,  le  doute  vient  aux  plus  convaincus,  et  tels 
qui,  le  malin,  croyaient  d'une  façon  absolue  à  leur  favori,  commencent  à 
perdre  de  leur  assurance  après  avoir  comparé  les  concurrents  et  entendu  les 
appréciations  contradictoires  des  gens  réputés  les  plus  connaisseurs. 

Les  conversations  surprises  avant  la  course,  pendant  qu'on  examine  les 
chevaux,  ont  modifié  plus  d'un  pari,  et  souvent  empêché  un  parieur  qui  avait 
eu  dès  le  début  une  bonne  intuition  de  la  mettre  à  profit. 

Outre  que  les  plus  expérimentés,  les  meilleurs  juges  de  la  condition  d'un 
animal  sont  sujets  à  l'erreur,  bon  nombre  d'entre  eux,  se  sachant  écoulés,  ne 
se  gênent  pas  pour  émettre  à  haute  voix  des  opinions  absolument  contraires 
à  leur  inlime  conviction. 


Le  delile  des  concurrents. 


La  raison  en  est  simple  :  si  le  cheval  qu'ils  se  proposent  d'accompagner 
de  leur  argent  compte  un  trop  grand  nombre  de  partisans,  les  bookmakers 
le  descendront  immédiatement  à  la  cote  d'un  ou  plusieurs  points,  et  le 
rendement  du  pari  mutuel  se   trouvera  proportionnellement  réduit. 

Leur  intérêt  est  donc  de  dissimuler  le  plus  possible  l'impression  favorable 
que  l'examen  d'un  cheval  leur  aura  causée. 

Il  en  est  de  même  pour  les  pronostics  des  journaux,  et  l'on  agira  prudem- 
ment en  n'acceptant  pas  les  yeux  fermés  ceux  des  spécialistes  qui  sont  notoi- 
rement connus  comme  joueurs. 


332 


SUR    LE    Tl'RF. 


On  ne  partage  pas  de  bonne  volonté  avec  des  indifférents  un  bénéfice 
probable,  et  cliarité  bien  ordonnée  commence  par  soi-même,  ce  qui  revient 
à  dire  qu'il  est  rare  que  le  possesseur  d'un  tuyau  s'amuse  à  crier  sur  les  toits 
le  nom  qui  constitue  son  secret,  et  sur  lequel  reposent  ses  espérances  les  plus 
caressées. 

Ce  n'est  donc  pas  ce  que  peuvent  dire  les  gens  bien  informés,  mais  ce 
qu'ils  font,  qu'il  serait  intéressant  de  savoir. 


^ 


StJfjcf  précautions.  — Les  gardes  du  corps  du  faV' 


i  n'approcbez  pas  ! 


I  oilà  pourquoi  on  les  suit  quand  ils  s'approchent  du  betting  et  donnent 
leurs  ordres  aux  books,  mais  il  n'est  pas  toujours  facile  d'entendre  ce  qu'ils 
disent  :  un  mot,  un  chilfre,  un  doigt  posé  sur  le  nom  du  cbeval  choisi, 
c'est  tout;  et  le  curieux  voit  le  gros  parieur  s'éloigner  sans  avoir  rien  deviné. 

Son  choix  reste  un  secret  entre  lui  et  le  donneur. 

Cette  répugnance  des  initiés  à  faire  part  aux  tiers  de  leurs  informations 
amène  quelquefois  des  résultats  tout  à  fait  imprévus,  et  dans  son  volume 
sur  les  Courses,  Saint-Albin  en  cite  un  amusant  exemple.  Je  n'ai  pas  le 
texte  sous  les  yeux,  et  c'est  dommage,  car  personne  ne  raconte  mieux  que  lui, 
mais  je  me  rappelle  le  fait,  et  je  vais  tâcher  de  le  dire  après  lui. 


Un  de  ces  amis  qu'on  connaît  saus  les  connaître,  mais  qu'on  rencontre 
partout,  et  qui  se  croient  autorisés  à  vous  aborder  parce  que,  ne  se  rappelant 
plus  ni  où  ni  comment  ou  les  a  connus,  on  craint  en  les  rebutant  de  déso- 
bliger un  brave  homme,  qui  peut-être  est  l'ami  d'un  de  vos  amis  vérita- 
bles, lui  demandait  plus  fréquemment  que  de  raison  son  avis  de  la  dernière 
heure. 


SUR    LE    TURF. 


335 


Plusieurs  lois  il  lui  avait  vainement  répondu  qu'il  avait  imprimé  le  matin 
le  nom  du  cheval  auquel  il  croyait  la  meilleure  chance,  l'autre  insistait  quand 
même. 

Lassé  par  celte  indiscrétion  persistante,  et  décidé  à  se  débarrasser  de 
l'importun,  le  prophète  sportif  lui  désigna  comme  devant  gagner  certainement 
le  concurrent  le  plus  invraisemblable  du  programme. 

Ce  fut  précisément  celui-là  qui  passa  le  premier  le  poteau,  et  la  queue  en 
trompette. 

Le  raseur  l'avait  pris  à  une  cote  invraisemblable  et  gaguait  une  somme 
énorme. 

Le  malheur  de  Saint-Albin  a  voulu  que  son  obligé  involontaire  fût  de  com- 
plexion  reconnaissante;  il  s'obstine  depuis  lors  à  lui  témoigner  sa  gratitude 
en  demandant  de  nouveaux  renseignements. 


«f\ 


Un  groupe  d'. 


dont  le  gros  public  ne  serait  pas  fjelié  de  connaître  l'opioîo 
le  mérite  réel  de  chacun  des  concurrents. 


Mais  revenons  à  nos  moutons,  c'est-à-dire  à  l'épreuve  elle-même.  —  La 
cloche  a  sonné  pour  la  mise  en  selle.  Les  jockeys  ont  reçu  leurs  instructions 
définitives,  reste  à  savoir  comment  elles  seront  suivies,  et  dans  quelle  mesure 
elles  pourront  l'être. 


336 


SUR    LE    TURF. 


N'empêche  que  chaque  propriétaire  croit  sa  lactique  infaillible  et  se  féli- 
cite par  avance  de  la  réussite  de  sa  combinaison,  qui  repose  sur  une  étude 
approfondie  du  caractère,  des  qualités  et  des  défauts  de  l'animal  qui  porte  ses 
couleurs. 

La  meilleure  recommandation  à  faire  est  de  partir  devant  et  de  ne  pas  se 
laisser  rejoindre. 

En  principe,  elle  paraît  excellente  ;  dans  la  pratique,  elle  est  difficile  à 
suivre,  et  les  exemples  sont  nombreux  où  les  vainqueurs  doivent  leur  succès 
à  une  attente  prolongée.  —  Qui  veut  voyager  loin,  dit  la  sagesse  des  nations, 
ménage  sa  monture. 

C'est  souvent  parce  que  leurs  jockeys  s'étaient  souvenus  de  cet  adage  que 
les  gagnants  ont  pu  trouver  au  dernier  moment  les  forces  nécessaires  pour 
l'effort  qui  devait  les  conduire  jusqu'au  poteau. 


La  rentrée  i!ea  che 


11  est  vrai  que  le  contraire  s'est  produit  avec  un  égal  succès,  et  qu'on  a  vu 
les  deux  lactiques  réussir  également  bien  à  la  même  écurie. 

C'est  pour  avoir  su  attendre  que  Insistas  a  fait  triompher  les  couleurs 
de  M.  Delamarre,  et  c'est  pour  avoir  pris  la  tète  au  départ  et  ne  s'être  laissé 
rejoindre  à  aucun  moment  du  parcours  que  Vermoiit  a,  quelques  années  plus 
tôt,  également  gagné  le  Graud  Prix  de  Paris  pour  le  même  propriétaire. 


Les  deux  méthodes  peuvent  donc  être  excellentes  :  le  difficile  est  de 
décider  dans  quelles  circonstances  la  première  doit  être  préférée  à  la  seconde, 
et  réciproquement. 


SUR   LE   TURF. 


:wn 


I  ne  fois  en  selle,  les  concurrents  quittent  le  paddock,  conduits  à  la  longe 
par  l'entraîneur  en  personne  ou  par  un  lad  de  confiance  qui  les  pilote  jusqu'à 
la  piste,  à  travers  la  foule  des  parieurs,  désireux  de  voir  quelle  allure  les 
concurrents  prennent  sous  le  cavalier,  et  juger  de  la  liberté  de  leur  action 
pendant  le  galop  d'essai. 

Le  galop  d'essai  a  certainement  une  importance  sérieuse,  puisqu'il  permet 
de  constater  si  le  champion  choisi  est  en  possession  de  ses  moyens,  s'il  est  en 
santé,  —  et  c'est  un  point  important  qu'on  oublie  trop  souvent,  car  un  cheval 
n'est  pas  une  machine  qui  peut  donner  le  même  effort,  la  même  vitesse  qu'elle 
a  donnés  hier,  qu'elle  fournira  demain. 


Sur  la  peh 


Toute  organisation  animale  est  soumise  à  des  inégalités  que  nous-mêmes, 
quoique  nous  ayous  les  ressources  de  la  volonté,  ressentons  tous. 

Les  conditions  atmosphériques,  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  agissent  sur 
eux  comme  sur  nous,  et,  s'ils  pouvaient  répondre  aux  interrogations  des 
regards  fixés  sur  eux,  plus  d'un,  et  parmi  les  plus  énergiques,  nous  répon- 
drait certainement  :  Aujourd'hui  je  ne  me  sens  pas  en  train. 

Ce  serait  un  fameux  renseignement. 


Mais,  s'il  ne  peuvent  nous  le  donner,  un  changement  dans  leur  physiono- 
mie, l'œil  moins  vif,  le  poil  moins  brillant,  le  pas  moins  actif,  un  indice 
quelconque  peut  nous  le  faire  deviner. 


340  SIR    LE   TURF. 

C'est  pour  cela  qu'un  examen  attentif  des  chevaux  dans  l'enceinte  du 
pesage,  pendant  leur  promenade,  leur  sortie  et  le  galop  d'essai,  s'impose  à 
tout  parieur  désireux  de  ne  pas  agir  à  l'aveuglette. 

Ce  n'est  pas  une  raison,  parce  que  huit  jours  auparavant  tel  cheval  a  fait 
une  course  excellente,  pour  qu'il  la  renouvelle  aujourd'hui. 


' 


Sur  la  pelouse.  —  Pour  .in,  c'est  moins  l.illr.iil  îles  courses  que  le  charme 
ih-  la  campagne  <jui  les  a  décides  à  fane  celte  partie. 

11  peut  avoir  fait  preuve,  même  la  veille,  d'une  endurance  exceptionnelle, 
sans   qu'on  ait  la  certitude  qu'il  la  retrouvera  le  lendemain. 

Les  chevaux  ont  leurs  migraines,  leurs  maux  de  tête  et  leur  défaillances 
comme  tous  les  êtres  vivants. 

La  régularité  de  leur  régime  rend  leurs  variations  de  sauté  moins  fréquentes 
et  moins  complètes  que  pour  les  noctambules  du  boulevard,  mais  elle  ne  les 
en  garantit  pas  d'une  manière  absolue.  L'état  climalérique  influe  surtout  sur 
les  animaux  nerveux. 

Certains  jours  où  l'air  est  chargé  d'électricité,  on  voit  des  chevaux  couverts 
d'écume  avant  même  qu'ils  aient  fait  un  mouvement,  et  certes  il  y  a  impru- 
dence à  compter  sur  eux,  quand  on  les  voit  en  pareil  état,  avec  autant  de 
confiance  que  s'ils  présentaient  leur  aspect  habituel. 

Les  juments  sont  souvent  plus  irrégulières  que  les  chevaux. 

Les  influences  de  leur  sexe  modifient  plus  profondément  d'un  jour  à  l'autre 
leur  façon  d'être. 


SI  I!  LE  TURF 


341 


Bon  nombre  d'entre  elles  sont  à  certains  jours  incapables  de  tout  travail, 
et  telle  jument  qui  a  gagné  avec  une  supériorité  marquée  ne  figurerait  même 
pas  le  lendemain  dans  la  même  épreuve  renouvelée  dans  des  conditions  iden- 
tiques. 

Cependant  les  chevaux  ont  gagné  le  poteau  de  départ  et  se  sont  placés 
sous  les  ordres  du  starter. 

Le  public  de  la  pelouse  s'est  précipité  à  leur  rencontre,  et  c'est  sous 
la  surveillance  des  petits  parieurs,  qui  ne  sont  d'ailleurs  pas  moins  pas- 
sionnés et  moins  défiants  que  les  gros,  que  va  s'accomplir  cette  importante 
et  délicate  opération. 


Sur  la  pelouse.  —  En  gens  prévoyants,  désireux  île  voir  la  i-ouise  dans  tous  ses  incidents, 
out  envoyé  leur  voilure  dés  le  malin  avec  l'ordre  à  leurs  gens  de  s'installer  au  ll'inning  Post  et  de  n'en  [tas  Iiouger. 


Quand  une  épreuve  importante  réunit  un  champ  nombreux,  ce  n'est  pas 
une  petite  besogne  que  de  savoir  grouper  les  concurrents,  et  il  faut  une 
grande  sûreté  de  coup  d'œil  pour  saisir  le  moment  précis  où  l'équité  vous 
commande  d'abaisser  le  drapeau. 

Dans  les  épreuves  sur  de  courtes  distances,  le  départ  influe  souvent  d'une 
façon  importante  sur  le  résultat,  et  la  promptitude  à  saisir  le  signal  n'est 
pas  une  des  moindres  qualités  d'un  jockey. 


Souvent,  une  hésitation  d'un  instant  peut  faire  perdre  une  distance  qui 
ne  se  rattrapera  qu'au  prix  d'un  effort  qui  serait  mieux   utilisé  à  la  fin  de 


:M2 


SUR    LE    TURF 


la  lutte,  et  nécessite  uue  dépense  de  forces  et  de  vitesse  qui  ne  se  retrou- 
veront plus  au  moment  décisif. 

La  crainte  de  partir  trop  tard  fait  tomber  dans  l'excès  contraire,  et  les 
impatients  amènent  parfois  une  série  de  faux  départs  dans  lesquels  s'usent 
les  chevaux  très  chauds  qu'on  n'arrête  pas  facilement,  et  se  trouvent  avoir 
dépensé  dans  ces  élans  inutiles  uue  bonne  part  de  leurs  moyens. 

Bon  ou  mauvais,  le  signal  est  donné. 

Le  starter  a  abaissé  son  drapeau.  —  Placé  à  cinquante  mètres  en  avant 
des  chevaux,  son  aide  a  renouvelé  et  confirmé  le  signal,  en  abaissant  à  son 
tour  sa  bannière.  —  La  clocbe  sonne.  —  La  course  est  commencée  et  la 
lutte  définitivement  engagée. 


Plus  moyen  de  revenir  en  arrière  et  de  modifier  sa  situation. 

Il   faut  attendre  pour  savoir  si  l'on  encaissera,  ou  s'il  faudra  à  l'échéance 
du  samedi  solder  les  paris  qu'on  vient  de  clore  définitivement. 

L'émotion  varie  selon  chaque  individu,  mais  chez  tous  elle  est  intense. 


SUR    LE    TURF. 


343 


Est-ce  à  Pénormité  de  l'enjeu  disputé,  est-ce  à  la  crainte  de  le  voir  passer 
à  l'étranger,  qu'il  faut  attribuer  celte  recrudescence  d'émotion?  —  Je  crois 
plutôt  que  c'est  une  sorte  de  contagion  qui  s'établit,  un  courant  magné- 
tique qui  circule,  et  dont  l'intensité  se  multiplie  par  le  nombre  des  gens  qui 
y  participent,  et  comme  ce  nombre  est  immense,  l'émotion  ressentie  se  trouve 
portée  à  sa  plus  baute  puissance. 

Ce  qui  n'est  pas  contestable,  c'est  le  recueillement  absolu  de  toute  l'as- 
sistance. 

On  n'entend  rien  pendant  toute  la  première  partie  du  parcours,  et  à  moins 
d'un  incident  capital,  tel  que  la  dérobade  du  favori,  aucun  bruit  ne  se  fait 
entendre,  aucun  cri  ne  sort  de  ces  milliers  de  poitrines. 


C'est  le  champion  anglais  'jui  a  gagne. 

On  sent  que  les  gosiers  sont  contractés  par  une  puissante  émotion,  et  qu'on 
attend  avec  une  impatience  douloureuse  le  moment  où  l'on  verra  L'un  des 
concurrents  prendre  un  avantage  décisif. 

Quand  les  lutteurs  entrent  dans  la  ligue  droite,  quand  successivement  les 
cbevaux  battus  reculent  dans  le  peloton  qui  s'avance  avec  une  vitesse  qui 
paraît  plus  vertigineuse  à  mesure  que  la  dislance  diminue,  cette  foule,  muette 
tout  à  l'heure,  retrouve  l'usage  de  la  parole,  et  c'est  par  de  véritables  vocifé- 
rations que  les  noms  des  derniers  lutteurs  sont  criés  jusqu'au  moment  où  le 
plus  valeureux  passe  le  poteau. 


Les  cris  se  fondent  alors  en  une  immense  exclamation  qui  fait  monter 
jusqu'à  des  altitudes  inhabitées  le  nom  du  vainqueur. 


344 


SUR    LE   TURF. 


C'esl  un  enthousiasme  indescriptible,  un  hommage  involontaire  et  spon- 
tané rendu  au  triomphateur  quel  qu'il  soit. 

Ce  premier  mouvement  général,  unanime,  apaisé,  chacun  retrouve  sa  per- 
sonnalité, et  retrouve  le  souvenir  de  ses  intérêts. 

Si  le  gagnant  est  un  cheval  imprévu,  sur  lequel  la  majorité  ne  comptait 
pas,  la  foule  prend  instantanément  l'air  sérieux,  et  la  rentrée  du  vainqueur 
s'opère  au  milieu  d'un  mutisme  révélateur. 


La  grande  épreuie  terminée,  je  ne  sais  si  le  protocole  eiijic  que  l'équipage 
présidentiel  reprenne  le  chemin  de  L'Elysée;  ce  qui  est  certain,  c'est  que 
i  usage  le  veut  et  qu'il  est  rigoureusement  obéi. 


Si,  au  contraire,  l'issue  de  la  lutte  est  conforme  aux  prévisions  du  plus 
graud  nombre,  les  démonstrations  ne  manquent  pas  au  triomphateur,  et 
ses  admirateurs  le  porteraient  certainement  à  bras  jusqu'aux  balances,  n'était 
la  crainte  de  voir  disparaître  dans  ces  attouchements  enthousiastes  le  com- 
plément de  poids  indispensable  à  la  proclamation  définitive  du  résultat. 

Ouand  c'est  uu  cheval  étranger  qui  est  victorieux,  l'ensemble  du  public 
prend  immédiatement  un  aspect  lugubre. 

Son  succès  a  beau  avoir  été  prévu,  l'impression  est  la  même,  car,  par 
un  chauvinisme  entêté,  on  s'est  refusé  à  croire  à  la  réalité  des  probabi- 
lités annoncées,  et,  chose  bizarre  puisqu'il  s'agit  d'intérêts  pécuniaires,  si 
favori  que  puisse  être  un  cheval  anglais,  américain,  voire  même  autrichien, 
il  est  rare  que  les  parieurs  indigènes  lui  confient  leur  argent. 

Parier  pour  lui  serait  cependant  le  seul   moyen  de  coutre-balancer  les 


SUR    LE   TURF. 


345 


résultais  de  la  défaite,  et  tout  au  moins  d'en  atténuer  les  effets,  puisqu'on 
rattraperait  une  partie  des  capitaux  engagés.  Pas  du  tout,  on  le  combat  à 
outrance  sans  prévoir  que  l'argent  accumulé  sur  les  chevaux  battus  ira  grossir 
d'autant  les  bénéfices  de  l'ennemi. 

Il  serait  si  simple,  quand  la  défaite  des  chevaux  français  est  à  peu  près 
certaine,  de  s'abstenir  en  masse  et  de  limiter  ainsi  les  pertes  nationales  au 
montant  tout  sec  du  prix  disputé. 


Venus  pour  appuyer  de  quelques  ponies  le  cbampion  anglais. 

Ce  serait  certainement  la  conduite  la  plus  sage.  Mais  le  véritable  joueur 
lient  avant  tout  à  jouer,  et,  s'il  désire  toujours  gagner,  il  préfère  perdre  à  ne 
pas  jouer  du  tout. 

La  passion  du  jeu  croît  d'ailleurs  chaque  jour. 

Les  résultats  du  pari  mutuel  eu  font  foi,  leur  augmentation  suit  une  marche 
progressive  qui  ne  paraît  pas   vouloir  s'arrêter. 

Les  bénéfices  réalisés  se  chiffrent  aujourd'hui  par  millions,  et  quand 
on  pense  que  ces  sommes  formidables  ue  représentent  qu'un  tant  pour  cent 
insignifiant  sur  les  masses  engagées,  on  est  en  droit  de  se  demander  s'il  y  a 
proportion  entre  le  but  poursuivi  et  la  quantité  d'argent  risquée  dans  chaque 
réunion. 


Les  spécialistes  se  réjouissent  de  l'état  de  choses  actuel  et,  persuadés 
que  la  prospérité  des  sociétés  influe  sur  la  production  chevaline,  ne  dissi- 
mulent pas  leur  joie  de  voir  les  hippodromes  envahis  par  une  foule  qui, 
doublant  les  recettes,  assure  l'avenir  des  grosses  allocations  destinées  aux 
éleveurs  et  aux  propriétaires. 

44 


346  SUR    LE    TURF. 

Peul-èlre  serait-il  plus  sage  de  se  demander  si  cet  engouement  n'a  pas 
quelque  chose  d'excessif,  et  si,  comme  tout  ce  qui  est  excessif,  il  n'est  pas 
destiné  à  disparaître  dans  un  temps  moins  éloigué  qu'on  pourrait  le  croire. 

Le  goût  du  sport  n'est  pas  chez  nous  aussi  réel  qu'il  parait  l'être,  et 
l'amour  du  cheval  n'est  pas  aussi  profond  dans  le  public  que  son  empres- 
sement à  suivre  les  courses  tendrait  à  le  faire  supposer. 

Il  serait  intéressant  de  savoir  comhieu,  sur  cent  habitués  du  turf,  conti- 
nueraient à  suivre  assidûment  les  courses  si  l'on  supprimait  l'attrait  des 
jolies  femmes  pour  les  uns  et  l'appât  du  gain  pour  les  autres. 

Si  l'on  étudiait  de  près  la  question,  on  arriverait  bien  vite  à  la  conviction 
que  le  cheval  n'est  pas  plus  que  le  plus  grand  nombre  d'entre  nous  aimé 
pour  lui-même,  et  qu'il  n'est,  la  plupart  du  temps,  qu'un  moyen,  une  occa- 
sion, un  prétexte. 


f^-^ 


Avant  la  dernière  cours?.  —  Plus  que  cette  occasion  de  se  refair 
ou  de  s'achever. 


11  y  a  vingt  méthodes  pour  parier,  et  toutes  sont  préconisées  par  un  certain 
nombre  de  joueurs  qui  les  mettent  en  pratique  et  réussissent  dans  leurs  opé- 
rations. 

Les  uns  ne  jouent  que  les  favoris,  les  autres  ne  cherchent  que  les  chevaux 
placés. 

Ceux-ci  ne  laissent  pas  courir  une  épreuve  sans  engager  une  mise,  ceux- 
là,  au  contraire,  ne  jouent  que  rarement,  et  seulement  quand  ils  croient  le 
succès  assuré. 


SDK    LE    TURF.  347 

Il  en  est  qui  suivent  un  clievol  et  augmentent  leur  enjeu  jusqu'au  jour  où 
leur  champion  se  décide  à  gagner  sa  course. 

Tous  ces  procédés  réussissent  à  certains,  tandis  que  d'autres  perdent  avec 
une  régularité  désespérante. 

La  raison  de  ces  différences  dans  les  résultats  est  la  même  que  pour 
tous   les  autres  jeux. 

Tous  les  systèmes  sont  bous  quand  ils  sont  employés  par  un  veinard; 
exécrables  quand  celui  qui  les  applique  est  poursuivi  par  la  funeste  guigne. 

11  résulte  de  cet  aphorisme  que  le  mieux  à  faire,  quand  on  aime  les 
courses,  est  d'y  assister  eu  spectateur  désintéressé. 

Ce  n'est  pas  l'avis  général,  et  les  amoureux  platoniques  du  sport  forment 
une  minorité  absolument  négligeable,  dont  l'effectif  diminue  chaque  jour 
et  disparaîtra  certainement  avant  qu'il  soit  longtemps. 

Quoi  qu'il  en  soit,  son  culte  est,  pour  le  quart  d'heure,  passionnément 
pratiqué  par  uue  légion  de  fidèles,  qu'on  étonnerait  singulièrement  eu  leur 
disant  que  leur  religion  n'est  pas  sincère. 

Ils  lui  sacrifient  en  effet  non  seulement  leurs  loisirs,  mais  la  plus  grosse 
part  de  leur  budget 

Le  parieur,  comme  tout  joueur  malheureux  d'ailleurs,  a  une  déplorable 
tendance,  celle  de  croire  que  le  résultat  d'une  course  est  le  résultat  de  com- 
binaisons machiavéliques  combinées  dans  le  seul  but  de  lui  faire  perdre  son 
argent. 

La  tactique  du  propriétaire,  la  façon  dont  le  jockey  a  mené  la  course,  tel 
incident  qui  s'est  produit,  tout  lui  paraît  suspect,  et  il  n'hésite  pas  à 
déclarer  qu'il  a  été  indignement  volé. 

C'est  le  résultat  de  la  défiance  naturelle  à  tout  homme  qui  se  voit,  con- 
trairement à  ses  prévisions,  dépouillé  de  l'argent  qu'il  avait  et  frustré  de 
celui  qu'il  convoitait. 

C'est,  au  surplus,  une  satisfaction  à  l'amour-propre,  une  façon  de  dire  que 
la  fraude  seule  pouvait  détruire  des  combinaisons  magistralement  étudiées. 


348 


SLR   LE    TURF. 


Dans  des  épreuves  aussi  importantes  que  le  Grand  Prix,  ces  absurdes 
soupçons  ne  sauraient  être  admis. 

Quelle  vraisemblance  à  ce  qu'un  propriétaire  puisse  trouver  un  avantage 
à  se  faire  batlre  quand  un  pareil  enjeu  doit  payer  la  victoire?  —  Si  le  favori 
est  battu,  c'est  qu'il  a  rencontré  meilleur  que  lui. 


Sois  assuré,  bon  public,  qu'il  a  défendu  sa  cbance  de  son  mieux,  et  que, 
s'il  a  succombé,  c'est  qu'il  lui  était  impossible  de  mieux  faire.  Regrette 
ton  louis,  la  pistole  ou  ton  écu,  c'est  ton  droit,  mais  ne  pense  pas  un  seul 

instant  qu'on  a  de  parti  pris  trahi  tes  intérêts. 

Tu  aurais  certainement  tort. 


Le  Grand  Prix  une  fois  couru,  le  retour 
commence,  pour  les  spectateurs  du  pesage, 
bien  entendu.  —  Sur  la  pelouse,  on  tient  à 
avoir  la  journée  complète.  L'exemple  du  départ 
est  donné  par  le  chef  de  l'Etat,  qui,  pariant 
peu,  n'est  pas  contraint,  par  l'obligation  de 
se  refaire,  d'assister  aux  épreuves  finales. 

Tout  le  monde  n'a  malheureusement  pas 
été  aussi  sage,  et  tous  les  culottés  de  la  grande 
épreuve  cherchent  dans  les  dernières  courses 
à  rattraper  une  partie  tout  au  moins  de  la  bonne 
galette  disparue. 


Chargé  de  ta  distribution  des  cartes  de  sta- 


<lis|n*Mlion  la  lotalitr  des  bareem  de  tabacs  et  le 
monopole  des  décoratioDS. 


Si  le  gagnant  n'est  pas  le  favori,  les  books, 
rendus  indulgents  par  les  gros  bénéfices  réalisés,  donnent  des  cotes  moins 
sévères,  et  les  affaires  marchent  grand  train. 

En  général,  les  culottés  augmentent  leur  désastre,  mais  ils  ont  eu  la 
consolation  de  ne  perdre  l'espoir  de  la  revanche  qu'au  tout  dernier  mo- 
ment et  d'avoir  soutenu  la  lutte  jusqu'à  leur  dernier  louis. 

11  s'agit  alors  de  retrouver  sa  voilure, —  tache  difficile,  recherche  labo- 
rieuse, d'autant  plus  délicate  que,  la  plupart  du  temps,  votre  cocher,  que 
vous  croyez  à  gauche,  aura  été  forcé  de  stationnera  droite,  ou  inversement. 


SUR    LE   TURF. 


349 


—  11  vous  faut  tout  d'abord  repousser  les  assauts  d'uue  myriade  de  gentle- 
men des  boulevards  extérieurs  descendus  des  bailleurs  de  Belleville  pour 
vous  faire  leurs  offres  de  service,  et  qui  veulent  à  tout  prix  recevoir  la  mis- 
sion de  vous  ramener  votre  véhicule. 

Une  fois  débarrassé  de  leur  obsédante  société,  il  vous  faut  traverser  la 
foule  des  voitures  qui  cberchent  à  s'approcher  des  portes  de  sortie. 


'eifmpi/s  *  ris  pu  se 

La  sortie  du  pesage,  —  Vc 


C'est  cent  mètres  à  faire  au  milieu  des  plus  grands  dangers. 

Vous  êtes  à  tout  moment  sur  le  point  d'être  broyé  entre  les  essieux  de 
voilures  qui,  suivant  les  directions  les  plus  variées,  se  rapprochent  tout  à 
coup  de  la  façon  la  plus  imprévue  et  la  moins  rassurante. 

Si  vous  évitez,  par  un  mouvement  rapide,  la  pression  qui  menace  de 
vous  réduire  à  votre  plus  simple  expression,  vous  vous  trouvez  nez  à  nez 
avec  celui  d'un  cheval  qui  met  un  brancard  en  face  de  voire  œil  gauche, 
tandis  que  vous  sentez  dans  l'épaule  droite  la  pression  d'un  limon  à  laquelle 
il  ne  faut  pas  espérer  résister. 

Si  vous  avez  la  souplesse  de  l'anguille  et  l'agilité   du    chevreau,    vous 


350 


SUR    LE    TURF. 


parvenez,  en  glissant  sous  la  fêle  des  chevaux  et  en  bondissant  de  marche- 
pieds en  marchepieds,  à  sortir  de  cet  inextricable  enchevêtrement  de  roues, 
de  moyeux,  de  pieds  de  chevaux,  et  vous  atteignez  une  des  avenues  où  cette 
extraordinaire  cascade  se  régularise  dans  un  courant  plus  régulier. 

Dès  lors,  votre  existence  est  en  moins  grand  danger  et  vous  pouvez  rendre 
grâce  au  Seigneur,  car  il  est  vraisemblable  que  vous  avez  la  vie  sauve,  mais 
rien  ne  prouve  que  vous  rentrerez  en  possession  de  votre  moyen  de  transport, 
si  vous  n'avez  pas  un  coup  d'œil  d'aigle  et  une  puissance  d'attention  que 
rien  ne  puisse  détourner. 


.4  la  recherche  de  ; 


[  voiture.  —  Quelquefois,  après  une  ou  deui  he 
si  on  a'a  pas  rie  préalablement  écrasé. 


Les  files  quadruplées  s'étendent  à  perle  de  vue,  très  égales,  très  mono- 
tones, depuis  qu'on  n'attelle  plus  en  grand  apparat  pour  se  rendre  à  celle 
solennité. 


Sur  cent  voitures,  quatre-vingts  appartiennent  aux  différentes  compagnies  : 
Générale,  Urbaine  ou  Coopératives,  et  les  voilures  de  maîtres,  elles-mêmes, 
sont  d'une  uniformité  désespérante. 

Pour  retrouver  du  premier  coup,  au  passage,  son  véhicule  dans  celte 


SUR   LE   TURF.  351 

agglomération  de  chariots  équivalents,  il  faut  avoir  la  sûreté  de  coup  d'œil 
qui  permet  au  berger  de  reconnaître  chacun  des  trois  cents  moulons  qui 
composent  son  troupeau. 

Celte  perspicacité  n'est  pas  donnée  au  premier  venu,  et  ceux  qui  ne  la 
possèdent  pas  sont  exposés  à  laisser  passer  sans  la  reconnaître  la  voilure 
objet  de  leur  recherche  passionnée  mais  aveugle. 

Quand  le  temps  est  beau,  celle  poursuite  n'est  que  fatigante;  si  la  pluie 
s'en  mêle,  elle  devient  affligeante,  —  et  si  c'est  un  décavé  dont  toutes  les 
combinaisons  ont  successivement  échoué  pendant  loul  le  cours  de  la  journée 
qui  la  pratique,  elle  atteint  rapidement  l'éuervement  le  plus  douloureux,  — 
elle  prend  tous  les  caractères  de  la  fatalité  antique,  contre  laquelle  les  plus 
puissants  efforts  de  la  volonté  demeuraient  impuissants. 

On  se  surprend  à  murmurer  les  phrases  stéréotypées  pour  exprimer  le 
découragement  le  plus  profond  et  le  «  ces  choses-là  n'arrivent  qu'à  moi  » 
vous  monte  naturellement  aux  lèvres. 

Les  natures  molles  s'abandonnent  au  désespoir,  s'accotent  au  tronc  d'un 
arbre  et  regardent,  avec  des  larmes  dans  les  yeux,  celte  procession  qui 
s'écoule  interminablement  sans  faire  apparaître  le  véhicule  désiré. 

Les  énergiques,  au  contraire,  multiplient  les  allées  et  venues  ;  à  tout 
moment  ils  croient  reconnaître  leur  cocher,  interpellent  celui-ci,  font  signe 
à  cet  autre,  et,  après  chaque  mécompte,  reprennent  avec  une  nouvelle  acti- 
vité leur  recherche  interrompue. 

Si,  servi  par  un  heureux  hasard,  vous  êtes  enfin  parvenu  à  retrouver  votre 
équipage,  vous  avez  droit  à  un  repos  bien  gagné! 

Mais  n'allez  pas  imaginer,  quelle  que  soit  la  vitesse  de  votre  cheval,  que 
vous  allez  rentrer  rapidement  chez  vous. 

Dans  une  foule  semblable,  une  voiture  cesse  d'être  un  moyen  de  transport 
pour  devenir  simplement  un  refuge,  —  quelque  chose  comme  un  îlot  au 
milieu  de  la  tempête;  — elle  en  prend  l'immobilité  et  vous  permet  d'attendre 
dans  une  position  commode  que  l'espace  redevienne  libre. 


352 


SUR    LE    TURF. 


Si  vous  êtes  pressé ,  descendez-en  et  marchez  sur  vos  propres  jambes, 
vous  prendrez  bien  vite  une  avance  telle  que  les  plus  vites  trotteurs  ne  vous 
rattraperont  certainement  pas. 

Des  statisticiens  absolument  dignes  de  foi  et  dont  les  observations 
paraissent  avoir  été  sérieusement  contrôlées  ont  en  effet  calculé  qu'une 
voiture  ayant  eu  l'imprudence  de  s'engager  daus  l'allée  des  Acacias  au  retour 
d'une  de  ces  solennités  parcourait  par  quart  d'heure  environ  dix-sept  mètres, 
—  lenteur  certainement  supérieure  à  celle  de  nos  plus  précieux  ataxiques, 
et  que  les  favoris  les    plus  tirés  ne  sont  jamais  parvenus  à  dépasser. 


LA   CAMPAGNE   NORMANDE 


Les  réunions  de  province  sont  de  plus  en  plus  abandonnées  du  public 
parisien,  qui  trouve,  avec  raison,  qu'il  ne  manque  pas  d'occasions  de  voir 
dos  courses  en  nombre  suffisant  sans  avoir  besoin  de  se  déplacer. 

De  très  bons  esprits  pensent  que  la  défaveur  des  hippodromes  éloignés 
résulte  de  la  diminution  des  allocations  qui  leur  sont  attribuées  par  le  ministère 
de  l'Agriculture  :  je  crois,  pour  ma  part,  que  si  les  sociétés  locales  périclitent, 
c'est  que  la  centralisation  agit  sur  elles  comme  sur  toutes  nos  institutions. 

11  faudrait  à  des  réunions  données  sur  des  hippodromes  plus  ou  moins 
éloignés  des  épreuves  particulièrement  intéressantes  pour  lutter  avec  celles 
qui  ont  lieu  le  même  jour  aux  environs  de  la  capitale. 

Si  ce  qu'on  appelle  la  campagne  normande  a  seule  le  privilège  de  décidera 
se  déplacer  le  monde  spécial  qui  l'ait  la  fortune  des  hippodromes,  c'est  qu'elle 
n'a  pas  à  redouter  la  concurrence  des  champs  de  courses  voisins  de  Paris, 
qui,  sans  exception,  font  relâche  au  moment  où  elle  a  lieu. 

Quand  les  grands  théâtres  sont  fermés,  la  foule  afflue  dans  les  petits  et 
envahit  les  salles  de  la  banlieue;  le  succès  de  Deauville  est  analogue  à  celui 

45 


354 


SIR    LE   TUP.F. 


du  théâtre  des  Datignolles,  pendant  la  fermeture  du  Français  et  de  l'Opéra. 

L'illusion  qui  fait  croire  qu'on  respire  à  la  campagne  et  qu'on  doit  y 
trouver  un  peu  de  fraîcheur  augmente  d'autant  le  nombre  des  excursion- 
nistes, mais  si,  ce  que  je  ne  souhaite  certes  pas,  on  autorisait,  pendant  les 
vacances  des  grandes  Sociétés,  la  réouverture  d'un  tourniquet  quelconque 
sur  l'un  des  terrains  abandonnés  par  les  anciens  suburbains,  je  crois  ferme- 
ment que  la  population  sportive  des  hippodromes  normands  se  trouverait 
promplemenl  singulièrement  diminuée. 

Ce  sont  les  joueurs  qui  forment  la  masse  des  spectateurs;  s'ils  courent 
jusqu'en  Normandie  après  leur  argent,  c'est  qu'il  ne  leur  reste  aucunespoir 
de  le  rattraper  sans  quitter  Paris. 


SUR    LE    TURF.    —    LA  CAMPAG.VE    NORMANDIE. 


Voyageurs  de  toutes  classes. 


Le  prix  du  premier  pas.  —  Attendent,  aprèe  une 
uuzuine  de  tentatives  inutiles,  que  le  starter  soit  par- 
l'tui  à  donner  le  déport. 


CAEN 


C'est  à  Caen,  dans  les  premiers  jours  d'août,  qu'ouvre  la  campagne 
normande. 

Le  prix  du  premier  pas,  couru  sur  une  distance  de  900  mètres,  est  la 
première  épreuve  consacrée  aux  poulains  et  pouliches  de  deux  ans. 
Bien  qu'il  s'y  révèle  rarement  des  animaux  de  grand  ordre,  cette  première 
exhibition  de  la  production  nouvelle  attire  généralement  une  assez  grande 
aftluenee  de  sportsmen. 

Les  concurrents  étant  d'ordinaire  aussi  nombreux  qu'inexpérimentés, 
leur  mise  en  ligne  ne  s'obtient  pas  facilement,  et  la  patience  du  starter  se 
trouve  soumise  à  une  rude  épreuve,  dont  souffre,  par  contre-coup,  l'ensemble 
du  public. 

Les  faux  départs  se  multiplient  dans  une  proportion  que  justiûe  l'impres- 
sionnabilité  des  poulains  et  le  jeune  âge  des  cavaliers  choisis  obligatoirement 
parmi  les  poids  les  plus  légers. 

Les  chevaux  s'échappent  avant  le  signal,  et  les  débutants  qui  les  montent 
ne  parviennent  souvent  qu'après  des  luttes  prolongées  à  les  ramener  sous 
les  ordres  du  starter. 

Quand  l'un  revient,  un  autre  part,  et  les  incartades  se  succèdent  jusqu'au 
moment,  souvent  très  longtemps  attendu,  où  tous  les  chevaux  se  trouvant,  par 


35S 


SUR    LE  TIR  F. 


hasard,  suffisamment  groupés,  le  starter  abaisse  définitivement  son  drapeau. 

Si  le  départ  a  été  bien  donné,  si  le  moment  où  les  chevaux  étaient  réunis 
sur  une  même  ligne  a  été  habilement  saisi,  la  lutte  peut  fournir,  pour  les 
épreuves  suivantes,  des  renseignements  utiles;  si  le  lot  contient  des  chevaux 
réellement  supérieurs,  ils  ue  tardent  pas  à  se  détacher  du  groupe  et  forment 
un  premier  peloton  :  c'est  parmi  ces  champions  d'avant-garde  qu'il  s'agit  de 
reconnaître  ceux  qui  sont  appelés  à  fournir  une  brillante  carrière,  quand  leur 
dressage  sera  complété  et  qu'ils  seront  arrivés  à  leur  complet  développement. 

Si,  au  contraire,  le  signal  du  starter  a  surpris  les  concurrents,  que  certains 
d'entre  eux  ne  l'aient  pas  instantanément  saisi  et  se  soient  attardés,  il  est 
intéressant  de  voir  dans  quelle  mesure  ils  ont  réparé  cette  faute  initiale, 
quelle  distance  perdue  ils  ont  rattrapée  pendant  le  parcours,  de  quelle  façon 
ils  soutiennent  l'effort  et  dans  quel  état  ils  se  montrent  après  la  course; 
s'ils  sont  ruisselants,  essoufflés;  s'ils  tremblent  sur  leurs  membres  ou  si,  au 
contraire,  la  dépense  qu'ils  ont  dû  faire  ne  les  a  éprouvés  en  aucune  façon. 

Ces  observations  enregistrées  dans  la  mémoire  des  parieurs  leur  seront 
d'une  utilité  certaine  si  elles  ont  été  faites  par  un  oeil  clairvoyant,  et  c'est, 
en  effet,  pour  les  recueillir  que  la  plupart  d'entre  eux  ont  accompli  leur 
déplacement. 


C^^_ 


Le  prix  du  premier  pas.  —  laines  tentatives  pour  obtenir  un  peu  d'urdn 


SUR    LV,   TURF.    —    LA    CAMPAGNE    NORMANDE 


En  route  pour  le  travail  du  malin. 


DEAUllLLE 


LA    GRAXDE    SEMAIXE. 


Trouville  ne  paraît  pas  se  rendre  compte  de  tout  ce  qu'il  doit  à  Deauville. 

Sans  la  création  delà  nouvelle  colonie  et  la  fondation  du  champ  de  courses, 
il  y  aurait  longtemps  que  la  vieille  ville  aurait  dû  renoncer  à  l'exploitation 
du  voyageur  ou  se  décider  à  une  reconstruction  générale  appropriée  aux  exi- 
gences de  la  vie  moderne. 


C'est  le  succès  des  courses  et  l'attrait  irrésistible  que  le  pari  mutuel  exerce 

46 


362 


SUR    LE   TURF. 


même  dans  ses  déplacements  qui  lui  permet  d'utiliser  ses  maisons  délabrées 
et  de  voir  s'animer  encore  pendant  une  courte  saison  les  ruelles  ridicules 
qui  y  usurpent  le  nom  de  rues. 

La  chance  de  cette  cité  grotesquement  conformée  et  plus  qu'insuffisam- 
ment nettoyée  fut  que  l'avant-garde  des  tripoteurs,  dont  nous  payons  depuis 
de  trop  longues  années  les  bénéfices  exorbitants,  eut  l'idée  d'acquérir  à  bas 


Le  travail  du  malin  sur  le  cliamp  de  < 


prix  les  prairies  de  la  rive  gauche  de  la  Toueques,  de  les  lotir  et  d'y  installer 
un  hippodrome  que  leur  instinct  de  spéculateurs  habiles  les  fit  placer  sous  le 
patronage  du  duc  de  Morny. 

C'était  alors  le  roi  de  la  mode,  le  Sagan  du  second  empire,  toujours  prêt 
à  s'intéresser  aux  affaires  qui  pouvaient  procurer  quelques  bénéfices  à  leurs 
protagonistes,  un  mot  qu'à  cette  époque  on  avait  encore  le  bonheur  d'ignorer. 


Dans  quelle  mesure  la  spéculation  a-t-elle  réussi,  je  n'en  sais  rien;  ce  qui 


Sl'R    LE   TURF 


363 


est  certain,  c'est  que  la  Société  des  courses  a  prospéré,  et  que  c'est  sa  prospé- 
rité qui,  pendant  la  durée  de  ses  réunions,  maintient  la  foule  dans  les  envi- 
rons de  son  hippodrome. 

L'origine  de  Deauville  fait  qu'on  retrouve  dans  l'enceinte  de  son  pesage 
toute  la  vieille  garde  des  hommes  qui  ont  fait  la  fêle  sous  le  règne  de  Napo- 
léon III. 


Les  conteinporaios  du  doc  ont  élé  éprouvés  par  le  temps 


Ils  ont  pour  la  plupart  l'aspect  un  peu  croulant,  mais  ce  théâtre  des  ébats 
de  leur  jeunesse  donne  à  quelques-uns  l'illusion  qu'elle  n'est  pas  terminée, 
et  cela  suffit  pour  leur  faire  accomplir  religieusement  chaque  année  ce  pèle- 
rinage aux  lieux  où  ils  brillaient  naguère. 

Les  membres  de  la  jeune  génération  se  les  désiguent  à  titre  de  curiosités, 
et  ceux  qui  se  rappellent  les  récits  de  leurs  oncles  fêtards  racontent  à  leurs 
compagnons  les  aventures  qui  ont  mérité  jadis  à  ces  épaves  leur  notoriété 
mondaine. 


3(34  S lll    LE    TURF. 

Bon  nombre  de  ces  invalides  de  la  noce  n'ont  pas  su  se  résigner  à  vieillir. 

Ils  s'obstinent  à  des  costumes  juvéniles,  à  des  cravates  priutanières ,  à  des 
chapeaux  enfantins  qui  accentuent  d'une  façon  déplorable  les  ravages  accu- 
mulés par  les  années. 

On  voit  émerger  de  cols  rabattus,  noués  de  rubans  de  nuances  attendris- 
santes, des  gésiers  lamentablement  ridés  dont  la  vue  fait  penser  forcément  à 
la  mort  prochaine  de  ces  vieillards  irréfléchis  qui  n'auront  vraisemblable- 
ment pas  le  temps  de  penser  à  leur  salut  et  seront  bientôt  emportés  en  pleine 
crise  de  coquetterie  sénile...  Que  de  raccords  laborieux,  que  d'étayages 
minutieux,  que  de  rassortiments  essayés,  pour  remplacer  ce  qui  a  disparu, 


fl  ^K 


Dernières  tiges  de  la  précédente  génération. 


atténuer  ce  qui  s'est  produit  ou  dissimuler  ce  qui  s'est  exagérément  déve- 
loppé sur  ces  silhouettes  jadis  élégantes  1 

Que  d'efforts  inutiles,  et  comme,  en  croyant  conserver  ce  qui  n'est  plus, 
on  arrive  souvent  à  empêcher  de  voir  qu'il  y  a  eu  réellement  autrefois 
quelque  chose! 

Combien  de  gens  dont  on  aurait  dit  :  «  11  a  dû  être  rudement  bien!  »  qui 
parviennent  à  faire  crier  :  «D'où  vient  ce  grotesque?"  L'exhibition  des  com- 


SI!K    LE    TURF. 


365 


pagnons  du  duc  avec  leurs  corsets,  leurs  râteliers,  leur  eau  des  fées  et  leur 
collection  de  postiches,  est  le  côte  douloureux  du  spectacle  :  il  s'atténue  tous 
les  jours  et  disparaîtra  par  une  élimination  toute  naturelle. 

Le  pesage  de  Deauvilie  sera  alors  un  spécimen  complet  d'élégance 
moderne,  —  l'île  de  Puteaux  transportée  sur  les  bords  de  l'Océan  avec  son 
personnel  au  grand  complet  et  son  merveilleux  effectif  féminin. 


Ajoutez  à  ce  lot  nombreux  de  beautés  aristocratiques  la  collection  des 
demi-mondaines  dont  plusieurs  méritent  un  examen  attentif,  et  vous  avouerez 
que  l'amateur  a  dans  l'intervalle  des  épreuves  tout  ce  qu'il  faut,  non  pour 
écrire  comme  il  est  dit  daus  l'ancien  répertoire,  mais  pour  se  rincer  l'œil  fort 
agréablement.  Joignez  à  ces  séductions  le  charme  d'un  paysage  normand  de 
tout  premier  ordre,  agrémenté  de  constructions  pour  la  plupart  suffisamment 
agréables  à  voir,  avec  la  perspective  de  la  mer  et  l'apparition  eu  bordure  du 
champ  de  courses  de  voiles  qui  à  marée  haute  émergent  de  la  Toucques... 

Toutes  les  constructions  du   pesage   sont   excessivement  élégantes,  d'un 


366 


SUR    LE    TURF. 


genre  normand  éminemment  parisien,  mais  c'est  dans  la  profusion  de  bar- 
rières blanches  des  modèles  les  plus  variés,  formant  clôture,  avec  portes, 
sans  portes,  enfermant  des  enceintes,  en  séparant  d'autres,  que  réside  le 
luxe  spécial  de  l'installation  de  Deauville. 

Ce  blanc  dans  son  immobilité  ajoute  au  chatoiement  des  toilettes  claires 
qui  circulent  en  plein  soleil,  quand  soleil  il  y  a;  car  on  cite  des  années  où  la 
pluie,  la  pluie  normande,  la  pluie  persévérante,  n'a  pas  cessé  une  seule 
journée  de  la  quinzaine  pendant  laquelle  se  prolonge  la  «  Grande  Semaine  »  . 

Somme  toute,  le  décor  est  digne  du  public. 


Si  l'on  voulait  citer  des  noms,  il  faudrait  copier  la  moitié  du  Livre  d'or, 
uu  tiers  du  Tout-Paris  et  donner  un  quart  des  numéros  du  Téléphone. 

Du  reste,  bien  que  la  plupart  des  gens  qu'on  y  rencontre  soient  des  habitués 
de  tous  les  champs  de  courses  des  environs  de  Paris  et  que  leurs  silhoueties 
soient  universellement  connues ,  la  substitution  des  costumes  ruraux  à  leurs 
toilettes  citadines  métamorphose  complètement  le  plus  grand  nombre. 


A  Longchamps  et  sur  les  autres  hippodromes  voisins  des  fortifications,  la 
tenue  masculine  est  à  peu  près  uniforme;  ici,  la  fantaisie  a  plus  de  marge  et 


SIR    LE   TUKF. 


369 


l'on  peut  librement  exhiber  la  combinaison  de  vêlements  qui  semble  le  mieux 
faire  valoir  les  avantages  naturels  qu'on  croit  posséder. 

Pour  les  chapeaux,  par  exemple,  le  choix  à  faire  est  très  limité  quand  il 
s'agit  de  se  présenter  dans  l'un  des  pesages  parisiens;  à  Deauville,  au  con- 
traire, tous  les  couvre-chefs  peuvent  se  risquer  et  chacun  a  le  droit  d'y  pro- 
duire librement  la  coiffure  qui  lui  parait  la  mieux  appropriée  à  son  type. 


Celle  liberté  dans  le  choix  amène  parfois  d'étranges  combinaisons  et 
donne  souvent  la  preuve  que  le  sentiment  des  proportions  n'appartient  pas  à 
tous...  il  y  a  de  si  grands  chapeaux  sur  la  tète  de  si  petits  personnages  que 
ces  derniers  disparaissent  et  que  les  premiers  ont  l'air  de  marcher  tout  seuls; 
quand  un  certain  nombre  de  ces  chapeaux  automobiles  se  trouvent  groupés 
au  pied  d'un  arbre,  on  croit  assister  à  l'éclosiou  d'une  famille  de  champi- 
gnons... 


Il  y  a  d'ailleurs  encore  plus  laid  que  ces  feutres  disproportionnés  :  l'hor- 

47 


370 


SUR    LE    TURF. 


rible  casquette  plate!  sans  laquelle  il  serait,  parait-il,  impossible  de  conduire 
une  voiture  automobile. 

Elles  pullulent  maintenant,  ces  épouvantables  coiffures,  et  l'on  ne  me  fera 
jamais  croire  que  tous  leurs  propriétaires  soient 
également  possesseurs  même  d'un  simple  tricycle 
à  pétrole. 

J'ai  dit,  n'est-ce  pas,  combien  l'aménagement 
matériel  était  soigné  dans  tous  ses  détails. 

C'est  aux  commissaires  de  la  Société  que  sont 
dues  les  améliorations  successives  de  l'installa- 
tion. 

I, 'horrible  <  asquette  plate,  sans  laquelle 
il  est,  parait-il,  impossible  de  conduire 
un  automobile  en  France  ou  d'être  do- 
mestique en  Allemagne.  Le  président,  le  comte  Florian  de  Kergorlay, 

a  la  grande  expérience  de  toutes  les  questions 
de  sport,  et  la  direction  de  la  Société,  malgré  l'activité  qu'il  y  dépense,  n'est 
pour  lui  qu'un  poste  de  retraite  par  comparaison  à  ses  précédentes  fonc- 
tions. 

Qui  a  pu  le  plus  peut  le  moins. 


11  est  secondé  par  le  comte  Art.  de  Gonlaut  et  M.  Henry  Ridguay.  Tous 
trois  portent  invariablement  le  cbapeau  gris,  mais  combien  différents  par 
la  forme  ! 


Quand  il  n'y  a  pas  courses  à  Deauville,  c'est  à  Bernay  ou  à  Cabourg  que 


SUR    LE   TURF. 


373 


fonctionne  le  pari   mutuel,  et  les  parieurs  le  suivent,  mais  le  public  n'est 
pas,  quoi  qu'on  en    dise,    exclusivement   composé  de  joueurs   passionnés. 

Ceux  qui  ne  sacrifient  à  ce  vice  que  de  façon  intermittente  ont  la  ressource 
du  polo,  sinon  comme  acteurs,  ce  qui  n'est  pas  à  la  portée  de  tout  le  monde, 
du  moins  comme  spectateurs. 

Même  dans  ce  rôle  effacé  n'est  pas  admis  qui  veut  dans  l'enceinte  réservée. 


Les  membres  du  club  ont  cependant  la  faculté  d'y  introduire  des  invités, 
mais  ils  n'usent  de  leur  droit  qu'avec  la  plus  grande  circonspection. 


Cette  réserve  conserve  aux  réunions  le  caractère  intime  qui  leur  est  propre 
et  assure  aux  membres  de  l'association  les  délicates  attentions  des  gens  qui 
n'en  font  pas  partie,  mais  sont  tourmentés  par  le  désir  de  figurer  en  aussi 
sélect  compagnie. 

Ce  côté  limited  fait  que  le  tableau  est  charmant,  aussi  joli  qu'à  Bagatelle. 

Je  sais  bien  que  beaucoup  qui,  dans  les  comptes  rendus,  sont  qualifiées  de 
«  belles  madames  »  jouissent  d'une  laideur  absolue  et  de  tournures  orthopé- 
diques, mais  tout  cela  est  si  bien  orné,  arrangé,  dissimulé,  redressé,  équi- 
libré, qu'elles  n'arrivent  pas  à  détruire  l'harmonie  de  l'ensemble. 


374 


SUR    LE    TURF. 


On  ne  voit  à  première  vue  qu'un  groupe  parfaitement  élégant,  et  si,  dans 
un  examen  plus  attentif,  votre  œil  est  choqué  par  d'épouvantables  masques 
maladroitement  coloriés,  il  trouve  à  chaque  instant  d'heureuses  compensa- 


Quelqoes  >  l.ellcs  midames  .  des  compte»  rendu 


tions  dans  la  découverte  de  charmantes  et  jeunes  figures  qu'on  distingue 
moins  facilement  dans  des  agglomérations  plus  nombreuses... 

Le  rôle  actif  réservé  à  l'élément  masculin  présente  un  spectacle  qui  n'est 


pas  à  dédaigner;  les  multiples  évolutions  nécessitées  par  le  jeu  font  valoir 
l'habileté  des  cavaliers,  l'élégance  de  leurs  silhouettes,  leur  adresse,  qui  égale 
celle  de  leurs  chevaux,  et  la  simplicité  de  leur  costume  permet  aux  connais- 


SLR    LE   TUIU". 


377 


seuses  de  recueillir  sur  les  qualités  de  conformation  des  brillants  champions 
une  série  de  renseignements  qui  sont  parfois  utilisés. 

Ou  découvre  des  musculatures  qu'on  ne  soupçonnait  .même  pas  sous  le 
frac  et  l'on  s'aperçoit  que  des  hommes  auxquels  on  reconnaissait  seulement 


Ma 

WËÈÊmà 


,  ■  > 


une  jolie  tournure  sont  de  véritables  modèles  de  force  svelte  et  nerveuse,  tels 
des  chevaux  qui  sous  les  couvertures  paraissent  un  peu  ficelles  et  montrent, 
une  fois  découverts,  des  paquets  de  muscles  de  nature  à  rassurer  les  plus 
exigeants. 

Pour  les  grands  sporlsmen,  ceux  qui  ont  une  écurie,  voire  même  une 


portion  d'écurie,  Deauville  possède  uue  dernière  attraction  :  les  ventes  de 
yearlings  organisées  et  monopolisées  par  feu  Chéri. 


C'est  maintenant  son  gendre,  M.  Mal  Bronn,  qui  préside  à  ces  solennités 
qui  ont  lieu  dans  l'enceinte  même  du  pesage. 

'.s 


378  SUR   LE   TLRF 

Un  nombre  considérable  de  boxes,  construits  en  arrière  du  pavillon  des 
balances,  hospitalise  les  convois  amenés  par  les  éleveurs,  ce  qui  permet  aux 
connaisseurs  de  se  livrer,  avant  l'ouverture  des  enchères,  à  un  examen 
approfondi  des  animaux  qui  leur  sont  offerts. 


Scrupuleu 


Cet  examen  a  son  importance,  car  il  serait  fâcheux  de  payer  d'un  prix  con- 
sidérable un  produit  du  sang  le  plus  fashionable  qui  serait  possesseur  de 
remarquables  jardons  ou  posséderait  un  rein  absolument  défectueux  ;  mais 
cette  importance  n'est  que  relative,  il  peut  empècber  un  achat,  par  la 
conslalation  d'un  défaut  capital;  par  contre,  il  est  rare  qu'il  le  détermine;  ce 
qui  décide  d'aussi  importantes  acquisitions,  c'est  bien  plutôt  le  pedigree  que 
l'aspect  d'animaux  dont  le  modèle  se  formule  à  peine  et  dont  les  qualités  se 
devinent  plus  qu'elles  ne  se  constatent. 


Le  moindre  indice  se  confirme  selon  l'origine,  et  l'on  escompte  le  déve- 


SUIt    LE    TUItK. 


;',7<> 


loppement  vraisemblable  chez  les  enfants  d'ime  conformation  qui  a  fait  le 
mérite  des  parents. 

Malheureusement,  de  même  que  parfois  les  fils  des  gens  les  plus  esti- 
mables se  montrent  fripouilles  incomparables  il  arrive  que  le  fils  d'un  excel- 
lent étalon  et  d'une  jument  hors  ligne  devient  une  rosse  exceptionnelle. 

Ce  sont,  disait  Bossuet,  les  secrets  de  la  Providence,  lesquels,  par  essence, 
étant  impénétrables,  sont  particulièrement  difficiles  à  deviner. 

C'est  pour  ce  motif  que  tant  de  craks  au  moins  vraisemblables  finissent  en 
chevaux  de  prix  à  réclamer. 

Malgré  les  déboires  qui  résultent  de  pareilles  méprises,  les  ventes  de  Deau- 


■c7<.  z    . 


8!  Irtno 


Vente  de  yearlings,  d»n«  la  cour  de  l'établissement  Cliéi 


ville  offrent  aux  éleveurs  un  sérieux  débouché,  et  aux  propriétaires  un  moyen 
de  remonte  qui  a  donné  à  plusieurs  d'excellents  résultats. 

Les  noms  des  grands  vainqueurs  achetés  aux  ventes  publiques  sont  dans 


380 


SLR    LE    TIR  F. 


la  mémoire  de  tous  les  sportsmen  :  Plaisanterie,  Nubienne,  Maxico,  Ruy- 
lilas,  ont  été  payés,  clans  ces  conditions,  des  prix  dérisoires,  ce  qui  ne  les  a 
pas  empêchés  de  gagner  la  forte  somme  pour  le  compte  de  leurs  heureux 
acquéreurs. 

C'est  ce  qui  explique  la  quantité  et  l'élévation  des  enchères  croissantes  à 
chaque  nouvelle  vente,  pour  la  plus  grande  joie  et  le  «  betit  pénéfice  »  de 
leurs  organisateurs. 


gjÉb 


v& 


Retour  des  courses.  —  Le  dépari  :  1 
de  la  Brcautr 


DIEPPE 


Quelqu'un  qui  aurait  mission  de  décerner  un  prix  de  beauté  à  l'un  des 
hippodromes  de  Normandie  serait  certainement  fort  embarrassé  :  Deauville 
est  le  plus  élégant,  Caen  le  plus  étendu,  Cabourg  le  plus  familial,  Bernay  le 
plus  provincial,  Lisieux  le  plus  profondément  normand;  mais  je  crois  que 
c'est  à  celui  de  Dieppe  qu'il  conviendrait  d'accorder  la  palme,  car  je  ne 
connais  pas  de  paysage  plus  pittoresque. 

Les  coteaux  qui  l'entourent,  assombris  par  les  futaies  de  la  forêt  d'Arqués, 
descendent  jusqu'à  des  prairies  d'un  vert  éclatant,  coupées  par  des  eaux 
courantes  d'une  admirable  limpidité.  Tout  cela  a  un  éclat  qui  montre  vic- 
torieusement quelle  puissance  de  végétation  peut  développer  la  terre  de 
Normandie.  La  silhouette  du  vieux  château  qui  s'élève  au  fond  de  l'amphi- 
théâtre révèle  seule  par  ses  teintes  grises  que  toute  cette  verdure  n'est  pas 
seulement  produite  par  les  eaux  courant  à  travers  la  vallée  et  que  les  pluies 
spéciales  à  la  région,  qui  ont  sali  et  miné  ces  vieilles  murailles,  y  sont  aussi 
pour  quelque  chose. 


382 


SLR    LE    TURF. 


Dieppe  a  sa  pisle  de  plat  et  sa  piste  de  steeple-chase  :  de  la  première,  il 
n'y  a  rien  à  dire,  elle  est  quelconque,  plutôt  inférieure,  comme  celles  de  tous 
les  endroits  où  le  petit  nombre  de  réunions  interdit  les  dépenses  excessives 
nécessaires  pour  la  fabrication  du  tapis  idéal  qui  reste  le  monopole  des 
grandes  sociétés. 

La  pisle  des  steeple-chases  n'est  naturellement  pas  plus  soignée,  mais  le 
terrain  est  relativement  bon,  et  les  obstacles,  bien  compris,  sont  tout  à  fait 
favorables  aux  animaux  qui  savent  réellement  leur  métier  de  sauteurs  :  le 
grand  steeple-chase  est,  de  toutes  les  épreuves  actuelles,  celle  qui  rappelle  le 
mieux  les  débuts  du  sleeple-chasing,  et  son  parcours  conserve  encore  la  plu- 
part des  difficultés  qu'on  recherchait  à  l'origine  pour  mettre  en  lumière  les 
qualités  des  premiers  sujets  de  la  spécialité. 

Il  y  faut,  sinon  de  vieux  routiers,  du  moins  des  chevaux  particulièrement 
adroits  et  résistants,  familiarisés  avec  tous  les  obstacles,  les  jugeant  bien  et 
sachant  se  recevoir  sur  n'importe  quel  terrain.  C'est  à  la  réunion  de  toutes 
ces  qualités,  rendues  rares  par  le  dressage  actuel,  qu'il  faut  attribuer  le 
nombre  des  succès  qu'y  ont  remporté  les  chevaux  du  baron  Finot.  Ils  savent 
ce  qu'ils  font,  grâce  aux  procédés  employés  pour  leur  dressage,  et  nos  lec- 
teurs les  connaissent  par  les  révélations  que  nous  avons  empruntées  à  Fran- 
ciscan  Friar. 


*\ 


Les  tribunes  du  pesnge 


PAL 


L'hippodrome  de  Pau,  pour  être  situé  dans  un  pays  particulièrement  pit- 
toresque, ne  mériterait  pas  une  mention  spéciale,  si  le  groupe  de  véritables 
sportsmen  qui  ont  élu  domicile  dans  l'ancienne  capitale  du  Béarnais  ne 
donnait  à  ses  réunions  une  physionomie  tout  à  fait  particulière. 

lion  nombre  de  sociétés  de  province  donnent  des  prix  aussi  importants, 
beaucoup  possèdent  une  installation  aussi  confortable  et  non  moins  bien 
comprise,  mais  aucune  ne  réunit  un  aussi  grand  nombre  de  fidèles  véritable- 
ment passionnés  pour  le  sport  et,  surtout,  le  pratiquant  avec  une  égale 
supériorité. 


Tous  les  membres  de  la  colonie  Paloise,  qu'ils  soient  français  ou  étrangers, 

49 


386 


SUR    LE    Tl'KF. 


professent  pour  le  cheval  le  même  culte  passionné,  et,  bien  que  les  étrangers 
y  possèdent  la  majorité,  on  peut  dire  que  Pau  est  peut-être  le  seul  point  du 
globe  où  l'internationalisme  s'expérimente  intelligemment? 

Avant  qu'on  arrive  à  l'union  rêvée  des  Etats  du  monde  entier,  la  société 
Paloisc  réunit  dans  une  entente  complète  des  représentants  de  toutes  les 
nations. 


1 1  mmm, 


Les  Américains  et  les  Anglais  y  fraternisent  de  longue  date,  et  les  Français 
qui  aiment  véritablement  le  sport  sont  accueillis  par  eux  comme  de  véritables 
compatriotes,  tant,  il  est  vrai,  que  rien  ne  rapproche  plus  complètement  les 
natures  les  plus  opposées  qu'une  passion  commune. 


Les  collectionneurs  de  timbres-poste,  à  quelque  monde  qu'ils  appar- 
tiennent et  quelle  que  soit  la  différence  de  leurs  âges,  peuvent  soutenir 
d'interminables  conversations  sur  leur  spécialité.  Il  en  est  de  même  pour  les 
fervents  de  l'équitaliou,  et  il  n'est  même  pas  toujours  nécessaire  qu'ils  se 
comprennent  complètement  pour  trouver  un  incontestable  charme  à  des 
entretiens  qui  roulent  invariablement  sur  l'objet  de  leurs  prédilections. 


SIR    LE   TURF 


:$S7 


Ils  ne  saisissent  pas  loules  les  finesses  du  dialogue,  puisqu'ils  ne  con- 
naissent qu'imparfaitement  les  idiomes  employés  par  leurs  interlocuteurs, 
mais  ils  savent  que  le  fonds  de  la  conversation  porte  sur  ce  qui  les  intéresse 
le  plus  profondément,  et  c'est  suffisant  pour  qu'ils  y  prennent  le  plus  grand 
intérêt;  si  les  nuances  leur  échappent,  le  fonds  les  passionne. 

Avec  un  public  aussi  sincèrement  épris  du  cheval,  il  est  naturel  que  les 


On  toise  le»  poneys  pour  le 


courses  soient  religieusement  suivies  et  que,  quand  la  saison  eu  est  tiuie, 
tous  les  dilellauli  d'équilation  qui  ne  peuvent  chasser  tous  les  jours  le 
renard  cherchent  à  utiliser,  pour  se  livrer  à  leur  sport  favori,  un  terrain 
bien  entretenu,  qui  se  prête  admirablement  aux  multiples  usages  que  lui 
trouve  leur  inépuisable  imagination. 


Toutes  les  occasions  et  tous  les  prétextes  leur  sont  bons  pour  y  orga- 
niser des  private  meeting  dont  les  programmes  sont  extraordinairement 
variés. 


388  SLR   LE   TURF. 

Les  gentlemen  de  la  Colonie  en  font  lous  les  frais,  à  la  lettre  comme  au 
figuré. 

Ce  sont  eux  qui  figurent  comme  acteurs  et  règlent  la  note  à  payer. 

Qu'un  personnage  de  marque  arrive  à  Pau,  on  organise  immédiatement 


WÊM4  ■--^w^x^i^^ 


quelque  chose  pour  célébrer  sa 
présence. 


Un    accident    de     montagne 
s'est-il  produit,  un  incendie  s'est-il  déclaré  à  dix  lieues  à  la  ronde,  vite  une 
fête  de  charité  au  profit  des  victimes  ! 

On  évalue  les  frais,  on  fixe  les  cotisations  et  l'on  va  de  l'avant. 

Les  sinistrés  auxquels  les  recettes  sont  destinées  n'y  sont  généralement  pas 
de  leur  poche,  et  les  organisateurs  trouvent  dans  le  succès  la  compensation 
de  leurs  débours,  de  telle  sorte  que  tout  le  monde  est  satisfait  et  que  les 
uus  et  les  autres  n'attendent  qu'une  nouvelle  occasion  de  recommencer. 


La  variété  des  exercices  auxquels  tous  ces  messieurs  se  livrent  dans  ces 


SIR    LE   TURF. 


389 


réunions  supplémentaires  est  invraisemblable  et  montre  à  quel  degré  d'ayi- 
lité,  voisine  de  l'acrobatie,  peuvent  atteindre  des  hommes  jeunes  cl  bien  con- 
formés qui  vivent  constamment  à  cheval. 

La  légende  des  Centaures  est  au-dessous  de  la  vérité. 

Ces  personnages  fabuleux  étaient  soudés  à  leurs  montures,  ce  qui  dans  une 
foule  de  circonstances  devait  être  singulièrement  gênant.  Ils  ont,  eux,  une 
autre  liberté  de  mouvements  : 


lis  montent  et  descendent  dans  le  même  instant,  s'habillent  sur  leur  selle, 


K 


transportent  des  fardeaux,  véhiculent  d'un  point  à  un  autre  avec  une  vitesse 
vertigineuse  les  objets  les  plus  fragiles  et  évoluent  sur  des  chevaux  miscros- 
copiques  dans  un  labyrinthe  de  poteaux,  à  travers  lesquels  le  petit  Poucet  en 
personne,  malgré  la  précocité  de  son  intelligence,  aurait  de  la  peine  à 
retrouver  son  chemin  même  en  plein  jour. 

La  cavalerie  qu'on  utilise  daus  ces  jeux  est  aussi  diverse  que  ces  exercices 
eux-mêmes  —  hacks  et  hunters  y  trouvent  leur  emploi,  comme  les  chevaux 
de  Polo. 


Plusieurs  y  ont  gagné  une  réputation  durable,  et  le  nom  de  French,  l'irlan- 
dais noir  du  comte  de  Bari,  qui  malgré  sa  grande  habileté  de  sauteur  dut  être 


390 


SUR    LE   TURF. 


aballu  après  uue  chute  à  Mari  y,  n'est  pas  encore  oublié;  d'autres  virtuoses 
de  l'obstacle,  plus  heureux,  sont  cités  en  même  temps  comme  des  sauteurs 
hors  ligne  et  des  macrobiles  de  l'espèce  chevaline,  tel  tlie  Major  au  comte 

Jean  de  Madré,  qui  a  pu  jusqu'à  l'âge  de 
vingt-sept  aus  accomplir  le  parcours  de 
steeple-chase  de  l'hippodrome  palois. 


Les  chevaux  ne  sont  pas  seuls  à  con- 
server tardivement  la  possession  de  tous 
If         leurs  moyens. 


Parmi  les  cavaliers  qui  figurent  dans 
ces  parades  d'agilité,  ou  compte  un  cer- 

Course  aux  œufs.  r  °  '  r 

tain  nombre  de  quinquagénaires  qui  ont 
gardé  toute  l'élasticité  de  la  plupart  de  leurs  mouvements. 


Quand,  ayant  dépassé  le  milieu  de  la  vie,  on  n'éprouve  aucune  hésitation 
devant  un  obstacle,  on  peut  se  vanter  d'être  au  nombre  des  privilégiés  : 
l'instinct  de  la  majorité  des  gens  qui  ne  sont  plus  dans  toute  leur  fraîcheur 

les  porte  généralement  à  éviter  les  occa- 
sions de  faire  une  chute,  dont  la  fâ- 
cheuse courbature  sera  forcément  la 
moins  grave  des  conséquences. 


A  l'âge  de  la  grande  souplesse,  on  se 
relève  après  les  culbutes  les  plus  vio- 
lentes sans  aucune  sensation  doulou- 
reuse, et,  si  le  cheval  a  bien  voulu 
attendre  son  cavalier,  celui-ci  se  remet 
immédiatement  en  selle  et  reprend  sa  course  sans  penser  davantage  à  l'in- 
cident qui  s'est  produit. 


Il  n'en  va  pas  de  même  quand  est  passé  l'âge  de  «  toutes  les  audaces  »  . 


SUR    LE   TURF 


391 


Les  vieux  muscles  qui  se  sont  trouvés  eu  contact  avec  le  sol  en  gardent 
toujours  un  fâcheux  souvenir;  la  peau,  telle  une  étoffe  qui  n'a  plus  que  sa 
traîne,  s'éralle  plus  facilement,  et  les  os,  qui  manquent  de  moelle,  se  montrent 
infiniment  plus  friables  :  —  telle  précaution  qui,  prise  par  un  homme  de 
vingt-cinq  ans  serait  le  comble  de  la  pusillanimité,  n'est  plus,  pour  un  vieux 
monsieur,  que  l'indice  de  la  plus  élémentaire  prudence. 


1\    UACRCB1TE    !>:■:    LKSP1CE   CHEVALINE 

The  Major  à  M.  J.  de  Madré,  à  l'âge  Ce  tingt-sej  t  ans 


I,e  saul  du  cotitre-l 


VINCENNES 


C'est  l'hippodrome  de  la  Société  d'encouragement  pour  l'amélioration  du 
cheval  frauçais  de  demi-sang,  et  l'on  y  pratique  tous  les  genres  de  courses  : 
plat,  steeple-chase  et  trot. 

Le  but  que  la  Société  s'est  proposé  permettrait  de  s'étonner  d'un  pareil 
éclectisme,  d'autant  plus  que  la  majorité  des  épreuves  de  steeple-chase  et  la 
totalité  de  celles  de  plat  sont  disputées  par  les  chevaux  de  pur  sang  :  il  a 
cependant  sa  raison  d'être. 

Toutes  les  fois  qu'on  a  voulu  organiser  des  courses  exclusivement  réservées 
aux  trotteurs,  le  public  s'est  abstenu  :  sans  public  pas  de  recettes,  et  sans 
recettes  pas  d'encouragement. 

De  là  l'institution  des  réunions  mixtes. 

Les  courses  au  galop  attirent  le  public,  et  les  courses  de  trot  profitent  de 
sa  présence. 


C'est  une  combinaison  ingénieuse  qui  favorise  les  uns  et  les  autres,  et,  du 

50 


394 


SUR    LE    TIRF. 


moment  que  le  but  est  atteint,  la  nature  des  moyens  employés  n'a  qu'une 
importance  secondaire. 

Le  terrain  du  plateau  de  Gravelle,  très  étendu  et  assez  mouvementé,  est 
cependant  assez  découvert  pour  qu'il  soit  facile  d'y  suivre  les  incidents  des 
courses  variées  qui  s'y  disputent. 

La  piste  des  steeplc-chases,  souvent  profonde,  exige  de  la  part  des  chevaux 


GJT 


lu  slecple-ibase  miliuiir 


une  sérieuse  endurance,  et  son  parcours  est  celui  qui,  à  l'heure  actuelle,  rap- 
pelle le  plus  celui  de  feu  la  Croix  de  Berny. 

Les  épreuves  militaires  y  sont  nombreuses,  principalement  les  courses  de 
sous-officiers, qui  sont  montés  précisément  sur  les  chevaux  dont  la  Société 
encourage  la  production,  et  le  train  dont  elles  sont  menées  montre  que, 
malgré  tout  ce  que  l'on  a  pu  dire,  sur  la  direction  donnée  à  l'élevage  du 
demi-sang,  il  produit  encore  des  galopeurs. 


La  préoccupation  que  les  éleveurs  peuvent  avoir  de  fabriquer  des  animaux 
capables  d'atteindre  les  plus  grandes  vitesses  au  trot  ne  les  empêche  pas  de 
donner  à  leurs  poulinières  des  étalons  de  pur  sang  et  de  pratiquer  également 
le  croisement  à  l'envers. 


SI  II    LI<:    TUIll'. 


397 


Daus  les  deux  cas,  les  produits  s'affluent  de  plus  en  plus,  et  leur  modèle 
prend  chaque  jour  une  plus  grande  distinction. 

S'il  est  vrai,  comme  l'affirme  un  groupe  très  sérieux  d'hommes  très  com- 
pétents, que  les  courses  de  trot  influent  sur  la  conformation  des  animaux  qu'on 
y  consacre  et  que  la  préparation  spéciale  à  laquelle  on  les  soumet  développe 
à  l'excès  certaines  particularités  de  construction,  augmentent  des  points  de 
force  au  détriment  de  l'harmonie  générale  et  tendent  à  spécialiser  une  grande 
quantité  d'animaux,  un  nombre  tout  aussi  considérable  de  spécialistes  con- 
teste les  affirmations  des  premiers  et  soutient  que  les  défauts  constatés  chez 
les  premiers  sujets  des  hippodromes  de  trot  ne  sont  que  des  apparences  qui 
résultent  non  pas  de  leur  conformation  primitive,  de  leur  construction  vraie, 
mais  du  développement  artificiel  produit  par  l'entraînement ,  qui  modifie 
l'aspect  des  membres  et  trompe  l'observation  en  altérant  momentanément 
les  proportions  primitives. 

A  l'appui  de  cette  opinion,  ils  citent  l'exemple  de  chevaux  qui,  successive- 


ment préparés  pour  le  trotting  et  les  courses  au  galop,  ont  fait  preuve  dans 
ces  deux  spécialités  de  qualités  supérieures  et  se  sont  montrés  complètement 
métamorphosés  par  l'application  d'entraînements  différents. 


Les  deux  théories  ont  leurs  partisans  également  convaincus,  cl  les  polé- 


398 


SIR    LE    TURF. 


iniques  auxquelles  elles  donnent  lieu  ne  sont  certainement  pas  sur  le  point 
de  se  terminer. 

Chaque  parti  fait  tous  les  jours  de  nouvelles  recrues  aussi  passionnées  que 
leurs  aînés  et  non  moins  ardentes  à  la  lutte. 

Les  apôtres  des  courses  au  galop  ont,  dès  à  présent,  constitué  une  société 
nouvelle  qui  se  propose  d'instituer  des  courses  d'obstacles  réservées  au 
demi-sang,  dans  lesquelles  nous  reverrons  les  gros  obstacles,  les  gros  poids 
et  les  longs  parcours  de  l'ancien  steeple-cbasing.  Malheureusement,  ses  res- 
sources sont  encore  trop  modestes  pour  qu'il  lui  soit  possible  de  réaliser  ses 
projets  :  cependant  les  adhésions  affluent,  les  cotisations  abondent  et,  dès 


aujourd'hui,  bien  que  la  nouvelle  société  ait  à  peine  deux  ans  d'existence,  son 
comité  a  pu  distribuer  un  certain  nombre  de  primes  aux  éleveurs  dont  les 
produits  lui  ont  paru  mériter  d'être  encouragés,  leur  modèle  se  rapprochant 
du  desideratum  qu'elle  recherche. 

Elle  est  loin  de  posséder  des  revenus  aussi  importants  que  ceux  dont  la 
société  du  demi-sang  et  même  le  trolting-club  peuvent  disposer  pour  offrir 
les  allocations  qui  sont  disputées  à  Viucennes  et  à  Levallois-Perret  ;  mais, 
comme  le  but  qu'elle  se  propose  répond  à  un  besoin  sérieux,  que  les 
partisans  de  ses  doctrines  sont  nombreux  et  que  les  hommes  placés  à  sa 
tète  ont  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  faire  aboutir  leurs  projets,  il 
est  probable  que  nous  n'attendrons  pas  longtemps  les  résultats  de  leur  pro- 
pagande. 

Nous  assisterons  donc  prochainement,  pourvu  que  Dieu  nous  prête  vie,  à 


SUR    LE   TURF.  :5f>!) 

l'ouverture  d'un  hippodrome  où  l'on  verra  des  obstaelcs  analogues  sinon 
identiques  à  l'ancienne  banquette  de  Vinccnnes,  de  véritables  contre-bas,  des 
murs  de  plus  de  soixante  centimètres  et  des  rivières  assez  larges  pour  qu'il  ne 
suffise  pas  de  sauter  dans  le  train  la  baie  qui  les  précède  pour  avoir  les  plus 
grandes  chances  d'arriver  de  l'autre  côté. 


L'élévation  des  poids  permettra  aux  gens  dont  la  (aille  dépasse  celle  en 
honneur  à  Lilliput  de  continuer  à  monter  eu  course  après  qu'ils  auront 
atteint  l'âge  oii  les  tours  de  taille  s'élargissent  et  où  les  efforts  de  l'entraîne- 
ment ne  parviennent  plus  à  limiter  le  nombre  des  kilogrammes. 


Quand  ces  temps  seront  arrivés,  et  nous  souhaitons  qu'ils  ne  se  fassent  pas 
trop  attendre,  nous  assisterons  souvent,  je  l'espère,  à  un  spectacle  intéressant 
qui  nous  permettra  d'admirer  le  sang-froid  et  l'habileté  de  véritables  cava- 
liers et  l'adresse  de  chevaux  dont  le  dressage  sera  complet. 


La  vitesse  sera  certainement  diminuée,  et  l'on  ne  verra  vraisemblablement 
pas  ces  nouveaux  steeple-chasers  abandonner  momentanément  leur  spécialité 
pour  venir  gagnera  Longchamps  ou  h  Maisons-Laffilte  quelque  course  de  plat. 


A  cela  nous  ne  voyons  aucun  inconvénient. 


Si  l'on  obtient  une  nouvelle  catégorie  de  bons  chevaux,  je  ne  vois  pas  qui 
pourrait  s'en  plaindre? 


Ils  ne  feraient  concurrence  à  personne  :  les  chevaux  de  pur  sang  conser- 
veront leur  supériorité  de  vitesse,  les  demi-sang  trotteurs  atteindront  des 
records  inconnus  jusqu'à  présent,  pendant  que  les  nouveaux  venus  franchi- 
ront des  obstacles  de  plus  en  plus  élevés  sur  des  parcours  interminables. 


Ce  ne  sera  qu'un  nouveau  sport  dont  le  succès  ne  diminuera  en  rien  celui 


400 


SUR    LE    TURF. 


des  autres  sports  déjà  en  faveur  :  la  difficulté  sera  peut-être  de  lui  réserver 
des  journées  sur  le  calendrier  des  courses,  mais  on  y  parviendra,  et,  pourvu 
que  sur  le  champ  de  courses  encore  inconnu  qui  sera  monopolisé  par  le 
demi-sang  galopeur  le  pari  mutuel  fonctionne  régulièrement,  nous  n'hésitons 
pas  à  prophétiser  que  le  puhlic  ne  manquera  pas. 


6"^C 


FIN!    DE    SU H    LE    TURT 


TA  RI.K 


AU  BARON  FINOT.  —  Dbdisme 

AU  LECTEUR 

LES  COI  RSES.  —  Considérations  générales.  —  Les  acteurs.  —  Leur  recrutement.  —  Éle- 
vage et  ventes  publiques.  —  Propriétaires  éleveurs  et  propriétaires  acheteurs.  — 
Les  mécomptes  de  l'éleveur.  —  Ah!  c'est  un  métier  difficile!  —  Établissements 
de  vente  —  Saint-James.  —  Le  Tattersall  —  Dressage.  —  Entraînement.  —  De 
l'importance  des  engagements.    

LE  CHAPITRE  DES  PARIS.  —  Quel   serait  le  véritable  conseil  à  donner  en  matière  de 

paris? —  Serait-il  suivi? —  Du  jeu  en  général    —  Systèmes  variés.  — Tous  sont 
bons!  —  Tous  sont  mauvais!  Un  nouveau  guide  du  parieur 

—  Le  «  Tout  v 

—  Le  «  Match 

CHANTILLY.  —  La  Compagnie  du  Xord.  —  Les  mendiant».  —  Le  moyen  de  leur  échapper. 

—  Les  fiacres  locaux.  —  Les  lads.  —  La  chasse  aux  renseignements.  —  Le  buffet. 

—  Chercheuses  de  tuyaux.  —  Le  pari  mutuel 

—  Essai 

Handicap 

—  Un  handicap  peu  ordinaire 

LA  CROIX  DE  BERNY 

—  L'accident  de  M.  Torrance 


:)orlil's  . 


MARLY-LE-ROI. 

—  Propos 

AUTEUIL.  —  Le  public.  —  Abondance  de  notabiliti 
grands  prix  d'Auteuil.  —  Propos  variés,  etc 

—  définition  du  tuyau 

—  Expressions  techniques 

—  Uxe  visite  \  I.VVCK 


—  La  journée  des  Coacbs.  —  L< 


COLOMBES 

FONTAINEBLEAU 

—  Conseil  d'ami 

—  La  Société  sportive  d'encouragement. 

SAINT-OUEN 


49 
81 
85 

89 

101 
123 

12.") 
133 


137 
189 
193 

197 


221 
229 
231 

233 


404  TABLE. 

Pages 

ENGHIEN 239 

MAISONS-LAFITTE 245 

LA  MARCHE 251 

RAMBOUILLET 261 

—  Chevaux  hongres 271 

—  Expressions  techniques 279 

LOYCHAMPS 287 

—  Le  Grand  Prix  de  Paris 311 

—  La  campagne  normande 353 

CAEN 357 

DEAUVILLE 301 

DIEPPE 381 

PAU 385 

V1NCENNES 393 


PARIS.    TVPOr.RiPHIE    DE    E.    PI.ON,    NOURRIT    ET    Cie,    8,    RIE    laRIXCIKRE.  3513. 


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