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Full text of "Tableau des révolutions du système politique de l'Europe, depuis la fin du quinzième siècle"

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TABLEAU 

DES   RÉVOLUTIONS 

DU 

SYSTÈME  POLITIQUE 

DE  L'EUROPE, 

DBPCIS    LA    Pllf     DV     QUINZIÈME    SIÈCLE. 

Par  Frédéric  ANCILLON, 

Pbt  TAri«  cuu .  par  lot  dïicTiiiiDi  nnB, 
Pooderibiu  libivti  nU.         Otib- 

NOnVELLE    ÉDITION, 


TOME  DEUXIÈME. 


PARIS, 

AKSEXIH  ET;  POCHARD  (SUCCESSEURS  DE  UAGIHEL), 


D,a,i,;t!dbïGoogIe 


DiailizodbvGoOglc 


REFLEXIONS 

L'IMPARTIALITÉ  HISTORIQUE. 


J_JA.  vérité  de  rhistoire  consiste  dans  la  confor- 
mité des  récits  avec  les  faits.  L'historien  part  de 
l'existence  du  monde  sensible;  il  admet  la  réalité 
des  actions  de  l'homme,  comme   le  physicien 
admet  la  réalité  des  actions  de  la  nature.  H  laisse 
k  la  métaphysique  à  décider,  ou  plutôt  à  ne  dé- 
cider jamais ,  s'il  peut  exister  une  par&ite  cor- 
respondance entre  nos  représentations  et   tes 
objets,  et  si  nous  pouvons  nous  assurer  de  cette 
conformité.  Ce  grand  doute,  cet  interminable 
procès  ne  le  regarde  pas.  Son  unique  soin  est 
de  connaître  à  fond  les  événements ,  de  les  lier, 
et  d'en  développer  la  chaîne  à  nos  yeux,  en  con- 
servant à  tous  les  chaînons  leur  nature,  leur 
forme,  leur  place ,  et  jusqu'à  leur  couleur. 


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2  BiFLEXIOHS 

Il  faut  se  contenter,  dans  ce  genre  de  travail, 
de  la  plus  grande  approximation  possible.  La 
certitude  histotique  ne  consiste  que  dans  le  plus 
haut  degré  de  prob^ilité  ;  l'histoire  et  la  vérité 
ressemblent  aux  lignes  qu'on  nomme  asympto- 
tes, qui  s'approchent  toujours  l'une  de  l'autre 
sans  jamais  se  réunir  ni  se  confondre. 

L'incertitude  de  l'histoire  tient  également  à  la 
pénurie  de  faits,  et  à  la  manière  dont  ils  pat 
été  employés  par  les  historiens. 

Quand  on  remonte  dans  la  haute  antiquité ,  les 
matériaux  se  présentent  rares,  clair-semés  et  ifa- 
parfaits.  A  mesure  qu'on  avance  dans  l'histoire 
des  derniers  siècles,  l'horizon  s'éclaircit  et  s'é- 
tend, les  faits  se  multiplient,  les  événements 
s'ofirent  environnés  de  toutes  les  circonstances 
qui  les  expliquent;  les  hommes,  de  tous  les 
traits  qui  les  caractérisent.  Les  matériaux  sont 
en  si  grand  nombre ,  qu'on  se  trouve  embarrassé 
du  choix,  et  l'on  souffre  d'abondance  comme 
auparavant  on  soufErait  de  disette. 

D'un  autre  côté ,  plus  on  se  rapproche  du  siè- 
cle où  l'on  vit,  plus  les  rapports  qui  lient  le 


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SUR  l'impabtiautié  historique.  3 

passé  au  présent  deviennent  intimes  et  nom- 
breux ,  et  plus  l'historien  est  exposé  au  danger, 
ou  au  reproche,   de  partialité.  Ce  n'est  plus 
l'ignorance  que  l'on  redoute,  c'est  l'erreur,  et 
même  l'erreur  vdontaire.  Les  sources  d'iDstruC" 
tion  se  présentent  à  chaque  pas;  mais  les  motifs 
qui  peuvent  faire  altérer  la  vérité  sont  variés  et 
acti&  ;  on  inspire  et  l'on  ressent  plus  de  soup- 
çons ;  on  se  défie  des  autres  et  de  soi-même  ;  la 
plume  la  plus  libre  passe  pour  être  se(»^emeht 
asservie;  et  l'on  roit,  ou  l'on  croit  voir  partout, 
les  tristes  effets  de  l'esprit  de  système  et  de  parti. 
Plus  certaines  qualités  sont  rares,  plus  on  les 
rechffl'che  ;  moms  on  en  ^t  sérieusement  jaloux , 
et  plus  on  parait  y  attadier  de  prix  ;  c'est  tou- 
jours des  absents  qu'on  parle  le  plus.  A  l'époque 
où  Içs  mœurs  se  dépravent  chez  un  peu{de,  on 
y  em{doie,  avec  une  sorte  de  prédilection,  les 
termes  de  décrace  et  as  pudeur;  à  mesure  que 
les  £Onas  se  sont  feiroés  aux  afEections  sociales 
et  généreuses ,  le  mot  de  patriotisme  s'est  trouvé 
dans  toutes  les  bouches;  les  caractères  mâles  et 
indépendants ,  les  amea  fières  et  libres ,  sont  de- 


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4  RÉFLEXIOirS 

venus  de  véritables  phénomènes,  et  cependant 
la  liberté  extérieure ,  toujours  insuffisante  et  pré- 
caire sans  la  liberté  de  rame,-excite  un  enthou- 
siasme général  ;  et  aujourd'hui,  que  les  opinions 
politiques  ont  divisé  les  hommes ,  comme  l'ont 
fait,  autrefois  les  opinions  religieuses,  et  que  la 
vérité  n'inspire  qu'un  intérêt  très-subordonné  à 
l'intérêt  de  parti  ^  chaque  écnvain  se  décide  lui- 
même  impartial ,  et  produit  ses  titres,  en  accusant 
d'une  partialité  révoltante  tous  ceux  qui  ne  sont 
pas  .de  son  bord ,  et  qui  n'ont  pas  juré  sous  le 
même  drapeau  que  lui.  Passe  encore  si  tout  le 
monde  invoquait  l'impartialité ,  coipme  dans  un 
temps  de  famine  tout  le  monde  demande  du 
pain  ;  ces  clameurs  exprimeraient  à  la  fois  le 
regret,  le  désir  et  l'impuissance.  Mais  il  est  assez 
plaisant  de  voir,  dans  une  maladie  épidémique 
.et  contagieuse,  ceux  qui  sont  le  plus  grièvement 
attaqués  se  donner  à  eux-mêmes  des  brevets 
de  santé,  et  condamner  les  autres  à  une  qua- 
rantaine sévère. 

Au  milieu  de  ces  accusations  rédproqties,  qui 
font  douter  qu'il  y  ait  quelqu'un  de  coupable , 


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sua   L'iHPARTIAXtTi   HISTOKIQDB.  5 

OU  plutôt  quelqu'un  d'inoocent  ;  dans  ce  conflit 
de  reproches  et  de  récriminations  plus  odieuses 
les  unes  que  les  autres ,  les  idées  se  confondent , 
les  termes  se  dénaturent,  les  expressions  les 
plus  simples  sont  détournées  de  leur  sens  natu- 
rel, et  personQe  ne  se  demande  :  'Qu'es^ce  que 
l'impartialité?  Cependant  cette  question  mérite 
bien  une  réponse.  C'est  des  idées  précises  qu'on 
attache  à  ce  mot,  que-dépend  la  justesse  des 
applications  qu'on  peut  en  faire;  et,  en  né^i- 
géant  de  le  définir,  on  risque  de  condamner  les 
autres  sans  raison  ou  d'exiger  d'eux  l'impossible. 
Dans  les  sciences  qui  ne  sont  que  le  dévelop- 
pement d'un  petit  nombre  de  principes,  et  qui 
procèdent  par  voie  de  démonstration ,  il  suffît 
de  la  coupelle  logique  pour  distinguer  l'or  pur 
de  l'alliage,  l'erreur  de  la  vérité.  On  examine 
nniquemeat  si  les  prémisses  sont  justes,  et  les 
conséquences  légitimes.  La  partialité  de  l'écri- 
vain peut  lui  dicter  de  &ux  raisonnements,  mais  , 
elle  ne  saurait  les  déguiser;  au  contraire,  elle 
trahit  elle-jnème  son  secret,  et  elle  est  moins 
dangereuse,  parce  que  ses  elfets  sont  plus  frap- 
pants et  plus  sensibles. 


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6  B^FIiEXIOKS 

Daus  les  sciences  de  fait,  et  surtout  dans  l'his- 
toire y  où  le  lecteur  ne  peut  pas,  comme  dans  la 
physique  et  U  chimie,  reproduire  les  faits  à  vo- 
lonté, et  les  constater  par  des  obserratiqlis  et 
des.  expériences  nouvelles ,  les  lumières  et  l'im-  ' 
partialité  sont  également  nécessaires  pour  ga- 
rantir la  certitude.  Les  lumières  éclairent  Tobjet; 
mais  que  sert-il  de  pouvoir  le  présenter  sous  sa 
véritable  forme,  si  l'on  n'en  a  pas >  la  volonté? 
Et  que  servirait  à  son  tour  la  volonté  d'être 
véridique,  si,  f^ute  de  moyens  de  connaître,  on 
manque  la  vérité? 

Qu'est-ce  que  cette  impartialité,,  conservée  re- 
ligieusement par  quelques  historiens,  perdue  de 
vue  par  les  autres,  qui,  comme  la  vertu,  reçoit 
des  hommages  hypocrites  de  ceux-mème  qui 
violent  ses  lois?  <^elssont  les  caract^ps  qui  la 
distinguent?  Y  a-t-il  des  signes  certains  aux- 
quels on  puisse  la  recoon^tre?  . 

L'impartialité ,  dit-on  communément,  conàste 

à  raconter  les  faits  dans  leur  intégrité,  à  les  re- 

.   présenter  t^ls  qu'ils  sont ,  à'  les  peindre  souS  les 

couleurs  qui  leur  sont  propres ,  et  non  sûus  des 


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SUH   L'iMPARTIALfT^    HISTOBIQUE.  "J 

couleurs  étrangères  ;  ce  n'est  pss  la  manière  dfc 
voir  de  rhistorieD  qoe  l'on  iteut  connaître,  ce 
sont  les  événements. 

Dans  quelque  genre  que  ce  soit,  les  objets 
n'existent  pour  nous  qa'autatit  qu'ils  soilt  aper- 
çus par  nous.  Nous  ne  savons  pas  ce  qu'ils  sont 
en  eux*mémes,  indépendaomient  dé  notre  ma- 
nière de  voir;  mais  nous  savons  ce  qu^Is  sont 
pour  des  êtres  doués  de  certaine  oi^anes  et  de 
certaines  ËicuJtéS.  Un  faônine  voit  coAnne  un 
homme,  et  ne  saurait  vov  autrement;  chaque 
individu  de  l'espèce  humaine  Voit  les  objets  i  sa 
manière  :  cette  maniàe  redite  de  ce  qii'i(  est 
lui  et  non  pas  un  aatré;  tous  ne  pouvez  exiger 
de  lui  qu'il  change  sa  nature ,  ni  qu'il  se  détaehe 
de  sa  perscHine;  qnsl  que  soit  l'ordre  de  &îts 
dont  il  Vagit,  ces  &its  n'existeraient  pas  pour 
lui  s'il  ne  les  voyait  pas,  et  il  ne  peut  les  voir 
que  d'une  certaine  manière,  c*est-À-dire,  k  la 
sienne.  L'ame,  ditf-cto,  e$t  le  miroir  des  feits; 
mais  teufr  les  mirrars  ne  réfiéehiflsent  pas  les 
obj^  ^  la  même  manère.  I^aiHeurs,  cette 
com^araisoil  est  peu  juste  :  famé  n'est  pas  nfie 


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8  R^FLBXIOSS 

surface  sur  laquelle  les  objets  viennent  se  pein- 
dre, mais  une  foiy;e  qui  les  saisit  et  qui  les  mo- 
di6e  en  les- salissant. 

Déplus,  que  nous  apprennent  lesmonuments? 
que  nous  tranunet  la  tradition?  que  nous  four- 
nit l'expérience?  Des  données  qui,  séparées  les 
unes  des  autres ,  ne  nous  o£&ent  ni  agrément 
ni  instruction  ;  des  anneaux  isolés  qui  n'ont  entre 
eux  aucune  espèce  d'enchaînement':  ce  sont  les 
éléments  de  l'histoire  et  non  l'histoire  elle-même  ; 
ce  soi^t  des  pierres  et  des  matériaux ,  ce  n'est 
pas  encore  l'édifice.  Que  nl'importe  de  savoir 
que  Borne  a  été  bâtie  dans  telle  année;  que 
César  a  été, tué  tel  jour?  Ces  faits  n'ont  auCtme 
espèce  d'intérêt  ni  d'utilité  pour  moi,  du  mo' 
ment  où  ils-  sont  séparés  de  ceux  qui  les  pré- 
cèdent et  de  ceux  qui  les  suivent.  C'est  la  liai- 
son de  ces  faits  entre  eUx,  et  leur  liaison  avec 
un    dernier   événement ,  ■  que   vous  '  choisissez 
comme  terme, final  de  votre  récit,  qui  consti- 
tue l'histoire.  Or ,  cette  liaison  n'est  jamais  don- 
née par  les  sens;  elle  est  le  résultat  de  la  pensée, 
qui,  suivant  le  calcul  des  probabilités,  choisit 


Diailiz.dbvGoOglc 


SDK   L*IHFAItTIi.LITti    HISTORIQUE.    •  g 

cette  liaison  entre  toutes  les  liaisons,  posàbîes. 
Un  fait  peut  être  lié  à  d'autres  faits.  Comme 
effet  ou  comme  cause ,  de  mille  manières  diffé- 
rentes. La  nature  donne  la  mfttière;  la  raîst»  de 
diaque  individu  fournit  la  forme.  Dans  la  pré- 
férence qu'il  donne  à  l'une  sur  l'autre,  qn*eA-ce  * 
qui  le  détermine?  Ses  idées  sur  la  filiation  des 
peqch^its,  la  qiarche  des  passions,  les  signes 
caractéristiques  des  vices  et  des  vertus  ;  ses  prin- 
cipes, sur  la  moralité  des  actions,  la  nature  des 
gouvernements,  les  bons  ou  les  mauvais  efiîets 
des  institutions  sociales  ;  ses  idées  et  ses  prin- 
àpes  sont  les  résultats  de  l'empréâite  primitive 
qu'il  rieçut  de  la  nature  «  de  son  tempérament, 
de  sou  éducation ,  de  ses  habitudes.  Direz-vous 
qu'il  est  [lartial ,  parce  qu'il  vous  présente  les 
&it&  comme  il,  les  voit  ?  Et  penfc-ïl  les  voir  au- 
trement que  d'après  ses  idées ,  les  soumettre  à 
d'autres  principe»  que  les  siens  ?  Autant  vau- 
drait-il dire  qne  le  maçon  doit  lier'  les  pierres 
sans  ciment ,  élever' son  bâtiment  sans  employer 
l'équare, 'OU travailler  au  hasaird  sans  avoir  de 
dessin. 


DiailizodbvGoOgle 


lO  .  BErLBXIOHS 

On  ne  peut  donc  pa»  se  teniet  soMnême ,  dé 
pouiUer  seâ  idées  et  ses  principes,  voir  sans 
lunettes  ou  plutôt  sans  ysax  ;  mais  l'essentiel  est  - 
que  les  yeilz  ne  soient  pas  malades ,  ou  que  les 
lunettes  soient  bonnes.  Les  idées  doivent  être 
fiaiDeST.re^uit  juste;  et  l'impartialité  consiste , 
dit-on«  à  juger  les  actions  et  les  htnnmes  sans 
préjugés.  Cette  seconde  définition,  qui  pat^t  au 
premier  coup  d'oeil  bien  supérieure  à  l'autre ,  a 
le  double  défaut  d'c^ir  à  l'esprit  des  termes 
vagues ,  et  de  ne  pas  épuiser  l'idée  dont  il  s'agit. 

Et  d'abord,  qu'est^e  ija^nn préjttgé ?  Ce  mot 
a  fait  dans  ce  siède  une  singulière  fortune ,  et 
peut-être  cette  fortune,  semblable  à  celle  d'un 
grand  nomlve  d'hommes,  vieot'-elle  uniquement 
de  ce  qu'on  l'a  fort  mil  Minnu.  Le  tenue  de 
préjugé  e«t  une  eepèce  de  talisman  Etvec  lequel 
on  produit  dei  effets  prodigieux  ;  on  est  dis- 
pensé de  réfuter»  d'écouter  même  le»  opinions 
que  l'on  condamne;  on-décrédite'danf  un  mo- 
ment l'ouvrage  des  sièc^»;  on  pulvérise  d'un 
mot  tous  Les  raisonnements;  on  comre  les 
hommes  et  les  choses  d'un  ridicule  ineffaçable  , 


DiailizodbvGoOgle 


SUR    L  IMPAB-riAXtrE:  HISTOBIQUE.  1  I 

OU  plutôt  on  ks  Tone  à  an  sUeilce  éternel  ;  on 
épargne  k  son  advcrMire  (a  peine  de  défendre 
ses  prùidpes ,  dux  auditeurs  celle  de  les  écouter , 
k  aol-ménie  cdle  de  les  cotabattre  :  srec  ce  mot 
magique ,  on  cotde  k  fond  toutes  les  idées  des 
autres  y  et  Ton  se  met  k  l'abri  de  la  triste  né- 
cesnté  d'en  avoir  ;  on  doiine  k  ta  force  Tair  d« 
la  laiblesse,  et  à  sa  proffre  iaiblesse  les  hon- 
neurs de  la  force.  Mus ,  sans  être  ébloui  des 
miracles  c[u'en£uite  le  terme  de  préjugé  ;  il  vaut 
ta  peine  de  l'aborder  et  de  demander  :  Qu'est- 
ce  qu'un  préjugé? 

•Serait-ce  .peut-^tre  toute  idée  ahcientie,  tou- 
te9  celles  que  les  génératioiis  paraissent  s'être 
trananaîses  av^  la  vie}  quiont  formé  jusqu'ici 
b. conscience  et  la  raison  unlvenelles,  dont  Fo- 
'i^;iiie  se  perd  dans  les  siècles  les  pfas  reculés  ,  et 
qui  Mn^lent  jotnr,  sous  ce  rapport ,  d'une  espèce 
de  noblesse  intellectuelle  qu'on  pourrait  bien 
ne  pas  leur  pardonner î*  Mais,  quetqne  adnri- 
niAe  que  nous  pandese  k  nous-méOies  l'état 
actuel  de  la  raison  hamaine,  et  quelque  ^lonis- 
swites  que  nous  troutiô&s  les  lumières  du  dix- 


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la  AÉFLiiLioirs 

huitième -siècle ,  nous  ne  pouvons  supposer  que 
les  bommee  aient,  pçnsé  et  réfléchi  pendant  des 
milliers-  de  siècles,  sans  attraper  quelques  idées 
saines  qui  méritent  d'être  consenrées;  qu'il  faille, 
dans  tous  les  genres ,  recommencer  à  neuf  le 
travail  dç  la  raison ,  et  jeter  au  biUoti ,  ctKDine 
de  la  vieille  vaisselle,  l'héritage  que  nos  pères 
pou6  ont  laissé.  D'ailleurs,  si  l'on  doit  se  rap- 
peler que  ce  qui  est  apcien  a  été  nouveau  ^  pouf 
ne  pas  proscrire  légèrement  toutes  les  idées 
nouvelles,  il  est  bon  aussi  de  se  dire  que  ce.  qui 
est  nouveau  sera  im  jour  ancien ,  et  de  ne  pas 
traiter  de  préjugés  des  idées  qui  ont  eu  le  genre 
de  mérite  dont  nous  paraissons  si  jaloux ,  et  qui 
n'ont  aujourd'hui  d'autre  tOFt  que  celui  'qu'au- 
roat  un  jour  nos  favoris ,  si  leur  fortune  se  sou- 
tient. En  général,  si  dans  un  sens  la  vérité  est 
toujours  neuve  et  jeui^e,  danï,nn  autre  elle  est 
tot^ours  ancienne  ;  sur  beaucoup  d'objets ,  les 
idées  vraies  doivent  avoir  été  saisies  les  pre- 
mières ,  et  des  expériences  faites  valent  mieux 
que  des  expériences  qui  sont  «ncore-à  &ire. 
,  Le  mot  de  préjugé  serait-il  peut-être  synonyme 


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SDR  l'impabtiautk  historique.  i3 

d'erreur?  Toute  idée  Ëiusse  mériterait-elle  ce 
noin?  Mais  toute  erreur  n'est  pas  un  préjugé; 
toutpréjugéo-'estpas  une  erreur;  tout  jugement 
taxa,  est  une  erreur  ;  tout  jugement  adopté  et 
prononcé  sans  examen  est  un  [u^jngé.  Les  er- 
reurs tirent  leur  origine  d^une  vue  partielle,  in- 
complète, fausse,  de  l'objet  sur  lequel  elles 
portent;  elles  Tiennent  de  ce  qu'on  n'a  pas  réuni 
tous  les  éléments  du  calcul ,  ou  des  fautes  qui 
se  sont  glissées  dans  le  calcul  même.  Les  pré- 
jugés'viennent  de  ce  qu'on  a  été  demairder  à  la 
raison  des  autres  ce  qu'on  devait  croire  ;  de  ce 
qu'on  a  substitué  l'habitude,  l'autorité,  la  nou- 
veauté, en  un  mot,  des  considérations  étran- 
gères à  l'objet  qu'on  juge ,  aux  preuves  qu'on 
ancùt  dû  tiret  de  l'objet  même. 

-Le  préjugé  n'est  donc- pas  nécessairement  une 
erreur.  Ija  véiité  adoptée  sans  exatnen ,  et  sans 
qu'on  sache  pourquoi,  n'est  qu'un  préjugé  dans 
l'esprit  du  gràmi  nombre.  Tel  aurait  moins  d'er- 
reurs s'il  avait  conservé  plus  de'  préjugés.  Les 
idées  saines  qu'il  eût  gardées  sans  se  les  dévelop- 
per à  lui-même ,  ne  lui  eussent  {)as' appartenu; 


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l4  ,    RCFbKXIOHfl 

mais  ell«s  lui  ausseot  été  utiles  :  et  il  résulte  de 
là  que  les  préjugés  n«  sont  mauvais  que  com- 
parativement: ftQs:  vérités  saisies  avec  toutes  leurs 
preuves  parune  raison  éclairée;  que  personne 
n'est  exempt  âe  préjugés;  et  que  le  plus  dan- 
gereux de  tous  scxait.de  croire,  sur  fautotitè 
de  quelques  écrivains  qui  se  louent  eux-mêmes 
en  lonant  leur. siècle,  ou  sur  la  foi  de  quelques 
amis  compliiisants ,  qu'on  a  le  rare  bonheur 
.  d'être  entièremeiit  exempt,  de  toute  espèce  de 
préjugés. 

Substituons  donc  au  terme  vagne  de  prli/'ugé, 
celui  à'idéefwme  dans  la:  définition  de  4'impar- 
tialité  btstoriqiK,  et  disons  qu'elle  consiste  à  voir, 
À  lier,  à  jugeriez  £aits  d'apcès  des  idées  justes  et 
Saines,  d'après  les  vrais  principes  du  drtHt,  de 
la  raftrale,  de  la  politique  et  dé  la  [Ailosophie. 
Sw  le  simple  énoncé  de  ces  idées ,  <sd.  sent 
que  cettie  ^léfiwtK»!  ne  nous  tire  pat  «ntièrement 
.<lU' v^^givç  et  de  ,  l'«rJbitraire.  Les  principes  dés 
jSciences  morales  et  politiques  n'ont  pas  aieore 
atteint  uii  degré  d'^videow  et  de.  clarté,  qui 
puisse  leur  .asaivec  l'aesentinjent  universel  de 


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sUB  l'impartiaut^  historique.  i5 

toiu  les  boDS  esprits  :  probablement  méine  Us 
oe  l'oh^udront  januis,  flc»t  à  cwse  de  Icar 
Dature  al^strfiite ,.  de  leur  cdijet -puremait  intel- 
lectuel, soit  à  cause  de  rimp^fectitm  des  lan- 
gues. De  là,  ladiversïté  prodigieuse  des  opinions, 
et  ratCaftieipent  «xclustf  que  la  plupart  des  gans 
ont  pour  la  leur;  de  là  ^l'opposition  des  juge*- 
méats  qu'on  pQrte  sur  rimpàrtialité  des  histo- 
riebs  ,les  plus  respectables.  GooTaincns  de  leurs 
principeSiilslesootappliquésauxÊùts^et  s'inia- 
gineot  les  jug^  impartialement:  mais  ils  son- 
lèveiU  contre  eux  tous  ceux  qui  ont  des  principes 
oppps^,  et  qui  les  accusent  de  partialité  :  car 
la  plupart  dç6.gens,  lanatiques  de^  lears  idées  , 
sQupçonneiit  de  saauvaise  foi  tous  ceux  qui  les 
rejettent  et  su{^os.eiit  géBéreusenieilt  c^'its  dif- 
fèrent d'eux  de  langage  et  non  d'opinion.  L'bom- 
me  est  toujinns  porté  k  donner  modestement  la 
mesure  de  sa  raison  pow  la  oiesuve  de  la  raison 
humaine  ;  et  cepeocUQt  Le  «whliine  de  la.  raisoil 
est  de  ne  pas  trqp  ctoîk^  à  la  aieûne ,  on  ^oit^, 
tout  en  tenant  fQrtenwnt  à  s«i  idée»,  de  con- 
cevoir,, d'expliquer,  de  pavdooncr  toutes  lés 
autres. 


DiailizodbvGoOglc 


ID  RÉFlBXIONS 

Mais  l'esprit  le  pins  juste ,  le  jugement  le  plus 
exquis ,  des.  principes  même  généralement  avoués 
et  digi^  dé  l'être ,-  ne  sauvent  pas  toujours  de 
la  partialité.  La  seasîbUîté  peut  séduire ,  égarer , 
coricompre  la  raison ,  car  l'esprit  est  souvent  la 
dype  du  cœur.  Pour  être  impartial ,  ne  fîradraitil 
pas  être  étranger  à  toute  espèce  de  prévention  ; 
tenir  la  balance  d'une  main  ferme,  empêbher 
que  les  craintes  et  les  espérajices ,  ies  vœux  et 
les  désits,  des  intérêts  prononcés  ou  secrets,  ne  - 
l'inclinassent  contre  les  vraisemblfitiçes  dés  faits 
et  du  témoignage?  L'impartialité  ne  consisterait- 
elle  pas  essentiellement  à  se  refuser  à  toute  es- 
pèce de  sentiment  dans  l'appréciation  des  faits, 
et  à  juger  avec  une  parËtite  indifit^nce^  les 
hommes  et  les  choses,  les  -actions  et  les  évé- 
nements? 

En  effet ,  suivant  l'eipresMon  heureuse  de  l'im- 
mortel Bacon,  qui*  savait' revêtir  ses  profondes 
pensées-  d'images  sensibles,  et  dont  les  idées 
paraissent  sortir  tout  armées  de. sa  tête,  comme 
Minerve  du-  «erveau  de  Jupiter ,  l'œil  de  l'enten- 
dement n'est  jamais  sec;  il  est  toujours  plus~ou 


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SDR    l'iUPAATIAUTÉ    HISTOBIQUB.  fj 

motos  Jbïimide  de  sensibilité;  les  pàasioiis  y  ré- 
pandent des  Dùages;  re^>éraucé  et  la  crainte  le 
.  troublent  :  le  cœur  est  le  foyer  de  la  partialité; 
et ,  quel  que  soit  le  feu  dont  il  brûle ,  ce  ieu 
échauffe  sans* éclairer,  ou  répand,  un  faux  jour 
sur  les  objets. 

IN'ous  recevons  des  objets  deuï  sortes  d'ioi' 
pressons  :  les  unes  nous  modifient  simplement, 
les  autfes  nous  affectent;  les  premières  nous 
donnent  les  représentations,  les  autres  Us  sen- 
ttmieiits:  l'esprit  sftisit  les  premières,  elles  lui 
servent  à  connaître  les  qualités  des  objets  et 
leurs  rapports  entre  eux;  le  sentiment  ne  saisit 
que.  les  rapports  de  l'objet  au  sujet  qu'elles  af- 
fectent en  bien  ou  en  mal.  Ce  n'est  doncpasà 
la  sensibilité  qu'il  appartient  de  dicter  des-juge- 
ments,  car  elle  ramène  bonjours  l'homme  sur 
lui-même,'  et  l'homme -qui  juge  doit  exister  et 
opérer  hors  de  lui  ;  ce  n'est  pas  de  ses  affeptions , 
c'est.des  objets  qu'il  s'agit. 

On  voit  déjà,  par  ces  définitions  seules,  com- 
bien il  doit  être  difficile  d&  condamner  la  sensi- 
bilité au  silence,  afin  que  la  raison  ne  soit  pas 


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|8  nÉFLKXIOlt)! 

troubla  dans  son  travail,  lies  nomendatetm, 
qui  se  disent  philosophes-,  croient  que  rien  n'esC 
phis  simple,  et  qu'il  ne  doit  pas  phts  eo  coûter 
à  rhomme  de  se  séparer  dîme  partie  de  lui- 
méiiie,  qu'il  ne  leur  en  coûte  de  distinguer  deus 
facultés.  On  dirait ,  à  les  entendre,  que  l'amie 
n'est  qn'une  espèce  d^6tui  où  se  trouvent  diffé- 
rents instruments  qui  n'ont  heu  de  commun 
que  la  capsule  qui  les  contient,  et  dont  les  uns 
reposent  pendant  qu*o&  efflptoie'Ies  autres;  one 
pendule  à  flûtes  dont  on  6te  ou  remet  les  cyfin- 
dres  à  volonté.  "Que»  de  j^us  iadle,  disent-ih, 
que  de  laisser  reposer  la  sensibilité  pendant 
qn'on  applique  aux  faits  f  instrument  de  la  rai- 
son ?  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  dans  la  réalité. 
L'ame  est  une;  le  sentiment  du  moi,  le  plus 
coitstantet  le  plus  inexplicabîe  de  tous  les  pfté^ 
.nomènes,  nous  l'annoace,  et  l'on  ne  saurait, 
SMis  un  grand  effwt  de  volonté,  is6ler  l'une  de 
l'autre  des  facultés  qui  ne  sent  que  difiiérentes 
manièns  d*ûpér«r  de  la  même  force.  Le  maître 
peut  venvoyet  une  patie  de  ses  gens,  ^KHir  étire 
seHl  avec  nn  domestique  de  confiance;   mais 


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SUR   L  IHPABTlALlTli   HISTORIQOE.  I9 

souvent  le  maître  est  mal  obéi,  et  ceux  qui  ont 
été  congédiés,  Tiennent  interrompre  la  conver- 
sation ou  le  travail.  Les  sentiments  devasoenC 
la  naissance  de  la.  raison  ;  leur  empire ,  |Jus.  an- 
cien «  est  aussi  plus  étendu  et  plus  affermi  ;.oe 
sont  les  habitués  de  l'ame;  leur  présence  et  leur 
activité  s'annoncent  saus  cesse;  ils  se  mêlent  4 
toutes  les  idées,  .colorent  tous  les  objets ,  et  pep- 
mettent  rarement  jt  l'esprit  de  tes  ^ivisager  en 
eux-mêmes.  D'aiHeors,  la  plupart  des  bommes 
sont  toujours  sous  l'empire  des  sentimeuls  et  aa 
raisonnent  que  par  intervalles;  aussi  scHit-Us 
tous  plâs  ou  moins  esclaves  de  leurs  préventioM. 
Les  préventitms  sont  les  préjugés  les  fHus  coh>- 
muDS,  parce  que  ce  sont  ceux  du  coeur.  Si  les 
faux  jugements  forment  les  préveutitdks-,  les  pré^ 
ventioDs^àleur  tour,  forment  et  multiplient  Jes' 
Êiux  jugements.  Des  erreuârs  tmt  prodiûç  des  at- 
tacbemoits  et  des  haines;  les  atucbeq^eirts  el 
les  haines  ont  produit  beaucoup  d'erreurs. .    . 

S  donc  l'impfirtûilité  coilHSte  dans  une'  abné* 
gation  parfaite  de  la  sensibilité  ^  àum  l'absence 
des  préventiems ,  des  préférences,  d«s<  goàts^ 


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ao  AÉFLEXIOHS 

des  affections, .'(tes  moiiTements  de  l'ame,  dans 
i'art  de  refuser  toute  influence  au  cœur  sur  le 
jugement,  et  de  prononcer  sur  les  actions  hu- 
itaines sans  y  prendre  un  intérêt  quelconque , 
il  n'a  jamais  existé  d'historien  parlaitement  im- 
partial. Il  faudrait  le  supposer  sans  désirs ,  sans 
espépaiices  et  sans  craintes,  sans  amour  pour  le 
bean ,  sans  respect  pour  la  justice  et  sans  mépris 
pour  le  vice  ;  il  fendrait  que  les  rapports  des 
idées,  des  choses  ou  de5  personnes  avec  son 
bonhetir  et  son  malheur  on  celui  des  autres, 
lui  fussent  entièrement  cachés;  en  un  mot,  il 
faudrait  qu'il  cessâtd'ètre  homme ,  qu'il  devint 
une  intelligence  pure  ou  une  simple  mttchine , 
un  automate  intelligent.  La  première  de  ces 
métamorphoses  est  impossible,  et,  à  coup  sûr, 
personne  ne  se  souciera  de  subir  l'autre. 
-  VouleK-vous  que ,  sans  condamner  sa  sensibi- 
Hté  au  silence  et  sans  mutiler  son  être  moral, 
l'historien  empêché  que  le  secret  de  son  cœur 
lui  échappe ,  et  se  défende  de  toute  espèce'  de 
mouvement  qui-  pourrait  le  trahir  et  inspirer  de 
la  défiance  au  lecteur?  Mais  obtiendra-t-il  faci- 


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SUll   L IHPAETIAXITE    UISTOBIQUE.  ai 

leinent  i\e  sa  sensibilité  d'être  toujours  muette  ? 
N'est-ce  pas  exiger  de  lui  le  comble  de  l'artifice , 
ou  le  sublime  du  renoncemeut?  Et  ces  artifices 
ne:  se  dévoileront- ils. pas  eux-mêmes  aux  yem 
du  lecteur  a^ttentif  et  sensible?  Les  âmes  8en$i- 
bles  se  devînept  et  se-reconnaisseut  sous  ïe  voile 
de  là  gravité,  delaciTconsf>ection,dela'réserve, 
sous  les  glaces  d'uoe  ap^hie  apparente..  Dès 
lors.,  l'eCFet  ne;  sera-tTil  pas  le  même?  Ne  pré- 
viendra-t-ôn  paS;.|es  autres, contre  un..borame 
ou  contre  ùjae  action ,  comme  cm  a-élé  prévenu 
soi-même?  Et  mettez  qu'il  fiùt  possible  d'obtenir 
de  soi,  ou  des  autces,  cette  indifSérence  pro- 
fonde ,  cette  impassibilité  historique ,  qui  seinU^ 
nécessaire  pour  être  enU^emeutin^artial;  vou- 
draitrOQ  que  rhisCoife  lut  un  corps  .sans  motive- 
ment  et  sAn^.axbe,.  une  mpmiç,.ou  un  sqUclette 
bien  conservé?  Ne  se  priverait-ou  pas  d'un  plai- 
sir aussi  vif  que  délicat ,  en  refusant  à  l'hiàtoïifai 
de  faire  conu^tre,  ou,so|upçoniwr  dû  moin«,.la 
noble  indignation ,.  la  haine  profoi^e  que  lui 
inspirent  les  triomphes  du  crime,  la  généreuse 
pitié  ,  la.  smntei  admiration  qu'il  ressent  eu  pei- 


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aa  KiFLEXIONS 

gnKDt  la  vertu  malheureuse,  et  en  ta  faisant 
ainsi  jouir  d'une  immortalité  anticipée?  Fera>- 
t-OD  un  ciime  à  Tacite  d'avoir  parlé  d'Helvidius 
«t  de  Thi>aséa ,  avec  un  attendrissement  religieux , 
et  une  mélancolie  vraiment  morale  ?  de  Néron 
préparant  froidement  le  meurtre  de  sa  mère, 
avec  une  horreur  secrète?  Lui  pardonnerious- 
nous  le  contraire?  et  ces  compositions  simplet 
et  majestueuses ,  m&les  et  fières ,'  ne  sont-elles 
pas  d'autant  plus  attachantes*  que  l'auteur  y  a 
laissé  le  sceau  de  son  caractère  et  l'empreinte 
de  -son  ame  ? 

'  '  Tacite  lui-mi£me  a  dit  qu'il  écrivait  l'histoire 
SAns  intérêt  et  sans  passion.  «  Galba,  Othoo, 
•  Vitellius  n'ont  été,  dit-il,  ni  mes  bienfaiteurs 
«  ni  mes  ennemis;  éloigné  des.  temps  dont  je. 
«  parle,  je  puis  en  parler  sans  haino  et  sans  ai- 
M  gt<eur.  0»  Tdl  est  sans  doute  le  premier  devoir 
de  l'historien;-  la  flatterie  ou  la  vengeance  doi- 
vent empoisonner  sa  plume  aussi  peu  que  son 
cœur;  For,  la  fortune,  le  crédit,  les  honneurs 
et  le%  décorations  ne  doiveQt  ezdter  ni  ses  dé- 
sirs ni  ses  regrets;  .l'espérance  et  la  crainte  dot- 


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SUR    l'i MPÀHTJAUTJ^   tHSTORlQUE.  a3 

vefttétre'étraogères  k  sou  ame,  dans  ces  mo- 
ments où  il  juge  les  morts  pour  l'instructiou 
des- vivants,  et  où  il  prononce  «es  arrêts  m.nom 
de  la  postérité.  L'historien  doit  être  indépen- 
,dant,  au-dessus  deG.4»esoiiis,  des  goûts  et  des 
passions  qui  enchaînent  l'homme  aux  [ôeds  de 
ce^x  qui  enlèvent  ou  dispen&ent  les  moyens  de 
jouir;  et  l'on  ne  saiïrait  tro{%  répéter  cetu  vérité 
triviale ,  dans  un  temps  où  foa  n'écrit  que  pour 
vivre,  et  où  l'on  peut  dire  de  la.jUns  grande 
partie  de  ceux  qui  composeut.la  république  des 
lettres,  ceque  Jugurtha  disait  du  sénat  de  Bxaae: 
«  Société  vénale,  à  qui  il  ne  manque  que  des  , 
«-a<4eteurs.  « 

Maïs,  pour  être  iocoiTuptiblef  on  n'est  pas  i 
l'abri  des  séductions  du  cœur;  pour  être  inac-  - 
ces^le  à  la  crainte  ou  à  l'espérance ,  on  n'est 
^s  inaccKsible  aux  prérentioos;  pour  être  in-  - 
dépendant  des  choses  et  des  faomin»,  le  juge- 
ment n'est  pas  encore  affranchi  de  l'influepce 
que  la  sensibilité  exerce  sur  lui  : 

T«s  phu .grands  eBaenàs,  Rome,  bodI  à  tes  porBes. 

Une  foule  d'avemons  et  de  préfërences  soiir- 


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^4  RÉFLEXrOHS 

des,  de  penchants  secrets  et  presque  insensibles, 
ensevelis  dans  les  profondeurs' de  l'amèj'la 
modïjSent,  la  déterminent  et  'finissent  souvent 
par  l'asseoir.  Le  nombre  et  l'actitité  des  en- 
nemis compensent  leur  Jaiblçsse;  ce  sont  ces 
Lilliputiens,  qui,  dans  l'ingénieux  roman  de 
Swift,  s'etnparèrent  de  Gulliver,  en  assujétis- 
sant  chacun  de  ses<cheTeux  à  un  [Hquet  contre 
terre  :  image  frappante  de  pe  qui  nous  arrive 
tous  les  jours! 

Que  de  sources  de  partialité  ne  se  présentent 
pas  ici  !  Il  faudrait  un  ouvrage  pour  les  déve- 
lopper toutes?  et  les  exemples  prouveraient 
qu'elles  ne  sont  pas  des  combinaisons  de  l'ima- 
gination, et  qu'elles  ne  sont  pas  simplement 
possibles ,  mais  que ,  séparées  ou  réunies  dans  la 
i-éalité ,  elles  ont  exercé  une  action  funeste  sur 
'  -  les  historiens  les  plus  indépendants  ^  et  les  moiits 
suspects  de  partialité.  ' 

Partialité  d'opinions  et  de  principes  :  non- 
seulement  on  lès  emploie  pour  rangef  et  lier 
les  faits;  non-seulement  ce  sont  des  instruments 
au  moyen  desquels  nous  saisissons  les  événe- 


DiailizodbvGoOgle 


sim  t'nrpARTiAZiTé  bistobiqde.  25 

roents;  mais  on  cherche,  ou  du  moins  on  ac- 
cueille  stvec  plaisir,  on  rélève  et  l'on  met  en 
saiUie ,  avec  une  sorte  dé  complaisance,  les.Êûts 
qui  Tieimént  k  l'appOi  de  nos  prinôpes.  On  eat 
bien  éloigné  de  la  mauvaise  foi  jqui-  passe  les  aa- 
tressous  sitence  ;  mats  on  désiré  que  les  leMeurs 
y  fassent  moins  d'attenti<Hi:,  et  ce  désir  se  trahit 
et  s'annonce  :  celui  qui  rêve  le  p^ectionnement 
graduel  et  toujours  progressif  des  sociétés  hu- 
maines et  Celui  qui  èroit  que  lès  sociétés  humai- 
nes'ont  lears  phases  de  croissance,  de  dépéris- 
sement et  de  mort,  Fami  sincère  de  la  rdigîrài 
et  l'incrédule ,  le  partisan  des  principes  démo- 
cratiques et  lé  partisan  des  monarchies  ^  sont 
également  portés,  sans  le  savoir,  i  cette  fraude 
involontaire.  Il  y  a  'des  afiBnités  dans  le  monde 
moral,  cdnune  il  y  a  des  affinités  chimiqaes 
dans  le  monde  des  corps;  iï  j  a  des  faits  et  des 
prindpes  qui  s'attirent-  et  s'appellent  les  uns  les 
autres. 

Partialité  de  philanthropie  ou  de  misantfiropie. 
Dans  le  grand  tableau  des  vices  et  des  vertus, 
des  •longs  malheurs  et  des  courts  intervalles  de 


DiailizodbvGoOgle 


l6  ^.ÉFhEXlOSA, 

ptosp^nté  -dé  l'espèce  huRHÛae ,  l'éa-iYain  qui  a 
plus  4'âiiae.que  d'4^rit,  aime,  «t  chwche  tout 
ce  qui  relève  rhunumité ,  ^o  4'ftvoti:  luî-mêiDe 
la  conscience  de  «a  gjraadeiii:-  Trouve-^t-il  un  bbau 
ceiactètt-,  U  le  peint  dans  toute  'sa  beauté,  «t, 
par  admiration  ppurlegénie  et  la  y^u ,  il.glisse 
eta  les  dé£iuts,  et  annonce  les.  taches  plutôt 
qu'il  ne  lc&  moatre  ;  l'homtaç  mén>e  dégtadé 
lui  inspire  encore  une  sorte  de  rçspect}  c'est 
un  roi  détrôné  qui  peut  renxontef  sur  le  tf^ne. 
L'écrirainplue  spirituel  qu'éuer^que^  pjus  ^nalin 
que  sensible;,,  plus  irappé  du  ridicule  que  du 
i^alheur  des  événements,  ne  voit  daus  rh<»Baie 
qu'un  sujet  de  dissection  sur  lequel  doit  s'exer- 
oer  son  scalpel,  qu'un  objet  de  curiosité  plutôt 
que  d'intérêt'  Sous  ce  report,  les  moustics  du 
monde  moral  atdreut  siutQUt  son  attention;  il 
en  chen^ç,.  il  en  voit  partout,  ou  du  moins  il 
les  décrit  avec  complaisance. 

Partialité  de  caractère.  La  nature  brise  tou- 
jours le  moule  dan^  lequel  elle  jette  les  âmes 
buinaines;  et  celles  de  deux  hommes  ordmaires, 
çxaiçiuées  de  près,  ne  se  ressemblent  peutêtre 


=dbvGooglc 


SUR    L'lHPABTIi.LITÉ    HISTORIQUE.  i-J 

pas  ^us  que  celles  de  deux  héros;  maù^àdé- 
Êiut  d'une  conformité  parfaite  ^  il  y  a  ube  ana- 
lo^e  plus  ou  moins  marqu4e«QtrelescaTUctèFes. 
Les  caractèrea  mâles  et  élevés  devinent,  saisisr 
sent  et  pngnent  mieux  leur»  pair&',  que  tes 
antres;  ils  jugent  .mal  les  petites  âmes ,  parce 
qu'ils  CHit  le  bonheur  de  ne  pouvoir  pas  se 
mettre  'À  leur  place  :  ils  descendraient  de  tn^ 
haut. 

Partialité  d'état.  Chaque  état  a  des  opinions, 
des  habitudes,  des  iiUéréts  différents,  qiii  for- 
ment son  point  de  Tue  particulier.  L'homme  de 
lettres^  l'ecclésiastique,  1«  nûtit^ire,  ne  racon- 
tent pas  un  lait  de  la  mente,  manière ,  ne  jugent 
pas  d'après  Les  roéxoes  règlefti  de  la- nature  des 
événements  et  des  actions  des  hoDomes.  On  a 
beau  9e  défendre  de  cette  influence  de&  occupa- 
tions habituelles  sur  les  idées ,  les  affections  et 
les  jugement,  et  se  prûpcBer  de  voir ,  de  peiv 
ser,  de  juger  uniqujfiment  en.  homme}  on  est 
souvent  d'autant  plus  pailial,  qu'on  veut  dé- 
pouiller tous  ces  préjugées,  et  qXCoa  affecte  de 
se  montrer  impartial. 


=dbï  Google 


38  niFLBXIONS 

-  Partialité  <le  finesse  ei  de  profondeur.  Tel 
écrÎTain  loue'  son  eotiemi  et  blàtne  son  bien&i- 
teur,  s'ils  le  méritent;  mais  il  ne  résiste  pas  à  la 
tentation  de  lier  une  action  à  des  moti&  ou  k 
d'autres  événements  -qui  lui  sont  étrangers ,  ne 
fût-ce  que  pour  faire  un  tour  de  force,  et  pour 
exercer  toute  Ja  subtilité  de  son  e^rit.  Il  est 
partial^  parce  qu'il  a  l'habitude  ou  le  besoin 
d'aller  chercher  à  une  grande  profondeur  ce  qui 
se  trouve  souvent  k  la, superficie. 

£n  méditant  toutes  ces  causes^plus  ou  moins 
actives  de  partialité,  il. faut  se  consoler  en  pen- 
sant qu'elles  s'excluent  presque  toujours  l'une 
l'autre ,  et  que  tous  ces  dangers  ne  sauraient 
nous  menacer  à  la  fois.  Afin  de  ne  pas  désesr 
pérer  de  soi-même  et  de  son  travail ,  on  doit  se 
rappeler  le  joli  mot  ^eTontenelle,  qui  pourrait 
servir  de  devise  k  l'espèce  humaine  :  t  On  doit 
<t  tendre  à  la  perfection  sans  y  prétendre.  » 

L'impartialité  consiste  donc  dans  le  silence  de 
toutes  les  préventions.  C'est  là,  en  quelque  sorte, 
l'idéal  de  l'historien,  dont  il  tâche  de  s'appro- 
cher de  plus  en  plus.  Mais  on  peut  encore  de- 


DiailizodbvGoOglc 


SUR   L'iBCPAHTIALITé   HISTOBlQUE.  39 

mander  :  Quels  sont  les  efiets  de  cette  impartia- 
lité et  les  signes  qui  l'annoncent  ? 

Est-ce  de  ne  pas  se  proposer'  nn  but  en 
écrivant  l'histoire?  Mais  il  iaut  nécessairement 
en  avoir  un  pour  s'orienter  sor  la  mer  du  passé. 
C'est  l'idée  principale  que.  sabit  l'historien ,  avant 
de  commencer  son  travail,  qui  le  guidé  dans  le 
<dtoix  des  matériaux. 

Est-ce  de  ne  rien  passer  sous  silence?  Mais 
tout  ce  qui  s'est  tait  ne  valait  pas  la  peiné  d'être 
fait,  et  vaut  encore  moins  celle  d'être  raconté. 

Est-ce  de  ne  pas  mettre  certains  faits,  ou  cer- 
tains personnages,  sur  le  devant  du  tableau,  et 
les  autres  dans  l'ombre  ;  de  ne  pas  se  contenter 
d'en  peindre  quelques-uns ,  et  d'indiquer  sim- 
plement les  autres?  Maïs  sur  la  scène  de  la  vie, 
les  personnages  sont-ils  tous  également  en  vue? 
Le  rôle  de  tous  a-t-il  la  même  importance  ?  Et 
qui  sera  juge ,  si  ce'  n'est  l'historien ,  de  la  place 
que  chacun  mérite?  . 

Est-ce  de  ne  se  permettre  aucune  réflexion , 
soit  à  charge,  ou  à  décharge,  des  personnages  et 
des  actions?  Mais,  en  feisant  penser,  ne  pense- 


DiailizodbvGoOgle 


3o  RifLEXions 

t-on  paB ,  et  he  trabît-<»i  pas  le  secret  de  ss 
pensée?  Quand  les  réflexkwis  sont  fausses,  une 
seule  est  cne<M:e  de  trop  jqaand  elles  sont  justes, 
eUea  dtHvent  sans  doute  encore ,  pour  trouver 
grâce,  éfrc  bien  placées,  précises  et  rares,  afin 
Hx)  ne  pas  interrontpre  le  mouTemoit  dramati- 
que ,.  qui  est  le  grand  objet  de  l'histoire  ;  maitf, 
quand  celles  que  l'historien .  se  permet  ont  ces 
earactères ,  comment  ponrrait*on  en  conclure  à 
sa' partialité? 

Est-ce  d'écrire  sans  chaleur  et  sans  couleur  ? 
Ce  conseil  n'est  facile  à  donner  que  lorsqu'il 
Mt  facile  k  suivre;  et  il  a  toujours  l'air  d'être 
un  peu  partial.  Mais  d'ailleurs,  la  dialeitf  du  style 
et  de  l'action  prouve  aussi  peu  qu'un,  homm» 
soit  partial ,  que  le  flegme  et  l'apathie  preu- 
Tcnt  l'impartialité.  Souvent  la  froideur  cache  la 
partialité'  la  plus  révi^tante,  et  I'mi  écrirait  avec 
dhaleiinsi  L'on  n'avait  pas  un  int^èt  secret  à 
donner  ou  à  prendre  le  change. 

JjC  seul  signe  auquel  on  puisse  et  doive  recon- 
naître l'iinpartialil^é ,  c'est-  que ,  suivant  l'expres- 
sion de  Cicéroh',  il  n'y  ait  rien  de  vrai  qu'on 


DiailizodbvGoOgle 


sus'  Ij'nSPAATIJi.UTÈ   HISTORIQUE.  3l 

ne  dise.  Quelles  que  soient  les  idées  favorites , 
les  opinions  dominantes,  les  prédilections  et  les 
préférences  de  l'historien,  il  est  impartial  du 
moment  où,  en  voyant  tous  les  faits,  qui,  de 
près  ou  de  loin ,  tiennent  à  son  sujet,  il  les  allè- 
gue tous,  fut-ce  quelquefois  avec  ime  répu- 
gnance secrète  et  invincible. 

Au  reste,  il  est  un  moyen  très-simple  de  ren- 
dre sa  partialité  peu  dangereuse  ;  c'est  d'annoncer 
l'esprit  et  le  point  de  vue  dans  lesquels  on  écrit 
,  l'histoire.  Un  astronome  indique  le  degré  de 
latitude  et  de  longitude  du  lieu  où  il  a  observé 
une  comète  ou  une  éclipse,  et  fait  connaître 
la  nature  et  la  force  de  ses  instruments.  S'il  se 
trompe ,  il  donne  lui-même  les  moyens  de  rec- 
tifier son  eireur.  De  même  aussi,  l'historien  qui 
fait  sa  profession  de  foi  pohtique ,  et  qui  énonce 
hautement  les  principes  qui  l'ont  guidé  dans 
son  travail ,  nous  donne  les  moyens  de  l'appré- 
cier et  de  rectifier  ses  feux  jugements. 


■D,a,i,;t!dbïGoogIe 


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TABLEAU 

DES  RÉVOLUTIONS 

SYSTÈME  POLITIQUE 

DE  L'EUROPE, 

DKSnfS     la'  Pllf     DV     QCINZIÈHB     «lÈCLX. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

SUITE  DE  LA  ^QNDB  PÉRIODE.  i5iS— 1556. 


CHAPITRE    XIII. 

Des  cames  et  de  l'occasion  de  la  Râbnnation.'Sk  D 
ses  progrès,  ssmarcfae,  ïes  efEets.  Ligne  de  SmoUtaLlde. 

J_jA  marche  progressive  de'  la  civilisation  avait 
amené  en  Italie  le  beaa  siècle  des  Médicisj  elle 
^ena  en  Allemagne  une  révolutkm  totale  dans 
les  opinions  religieuses.  Tandis  qu'an  'midi  de 
2  3 


i:,,G00gIf 


34  PÀ.RT1E  I.  —  piaioop  II. 

l'Europe,  on  jouissait  et)  paix  des  fruits  du  ta- 
lent et  du  génie  ; .  au  nord ,  Tesprit  humain  se 
débattait  dans'  les  chaines  de  Terreur ,  et ,  tout 
entier  à  des  objets  plus  sérieux  ^clamait  l'exer- 
cice de  sa  liberté.  Cette  révolution  (i),  religieuse 
d^ns  son  principe  et  par  son  objet,  a  été,  par 
le  fait ,  une  révolution  politique ,  et  elle  a  eu 
une  influence  décisive  sur  le  système  général. 
de  l'Europe,  et  sur  les  rapports  à$  tous  les 
états. 

Toutes  les  révolutions,  qui. ont  changé  l'état 
du  mopde  en  changeant  les  opinions  d'une 
grande  partie  de  l'espèce  humaine ,  peuvent  être 
considérées  sons  deux  points  de  vue  ;  relative- 
ment à  leurs  causes  indirectes  et  éloignées ,  ou 
relativement  à  leurs  causeç  directes  et  prochai- 
nés.  ,Pour  saisir  le$  véritables  j-apports  des 
événements ,  il  feut  réunir  ces  deux  .manières 


(i)  Parmi  toutes  les  révoliitioDs  qui  ont  en  lien  dans  le 
nic)^de,^i|  lî'y  eaa  qu'une  senle  qu'os  puisse  oompi^r  arec 
la  Réformation.  Nous  en  sommes  trop  voisins  pour  qu'il 
soit  nércssaiFedela.jiommer.  hes  différences,  qui  se  trouvent 
l^lre  ces.deiiX  gratis  mouvements,  sontsans  contredit  pi  as 
nombreuses  et  plus  frappantes  que  leurs  ressemblances;  mais 
elles  ofîrent  des  rapports  singuliers  dans  leurs  causes,  leur 
mardis;  et  leiu^  effets.  Le  lecteur  attenta  et  instruit  s'aper- 
cevra Ë^cilement  de  leurs.traitsdeconfbrntité.     - 


:,,  Google 


ÇHAPITHE     XIII.  35 

(lifféreBtes  de  les  voir  et  de  les  juger.  Isolées, 
Don-seulenlent  elles  n'expliquent  rien,  mais,  de 
plus ,  elles  dénaturent  les  objets ,  et  conduiseirt 
k  de  fausses  coodnsioQs.  'fie  saisît-on  que  les 
causes  directes  et  prochaines  des  'éréneinents , 
les  effets  paraissent  disproportionnés  aux  causes; 
le  grand  changement  qui  s'est  op^^  devient 
tucompréhensible;  et,  pour  déguiser  son  igno- 
rance>  on  serait  tenté  de  l'attribuer  au  hasard. 
Va-t-on  chercher  dans  un  temps'  éloigné  les 
causes  iudirectes  et  préparatoires  des  événer^ 
'  nient<;  en.  observant  que  lé  germe  en  élait  con- 
tenu* dans  le  caractère'  même  du  siècle  où  ils 
ont  eu  lieu,  on  s'imagine  qu'ib  devaient  arriver 
nécessairement  ;  en  voyant  comment  ils  ont  été 
occasionnés  par  la  marche  générale  de  l'esprit 
humain,  on  se  persuade  que  dans  le  monde 
moral,  comme  dans  le  monde  physique,  il  es,t 
des  résultats  inévitables  qu'on  peut  quelquef<ns 
prëvoir,  mais  qu^on  ne  saurait  prévenir,  et  aux- 
quels on  doit  se  soumettre  sans.résistuice.  Le 
hasard  et  la  nécessité  rendent  également  'toutes 
les  précautions  superflues,  et  toutes  les  mesures 
inutiles.  Ainsi ,  Timpéritie  qui  en  prend  de 
Ëiusses,  la  faiblesse  qui  n'en' prend  aucune  et 
reste  dans  l'inaction,  échappent  à  leur  propre 
censure  et  aux  reproches  des  autres:  l'ignorance 
3. 


=dbï  Google 


36  PAETIE    I.  PERIODE    II. 

et  l'incapacité  empruntent,  sous  ce  point  de 
vue ,  les  traits  de  la  sagesse  ;^la  sagesse  et  la  fer- 
meté paraissent  être  un  otgueil  et  une  obsti- 
nation ridicules i  enfin,  les  passions  et  le  aime 
senjilent  être  à  l'abri  de  toute.  respi»isabiUté. 

■he  seul  moyen  de  prévenir  ces-danges^s  et 
d^éviter  ces  écueîls,  c'est  de  combiner' les  deux 
principes  de  solutiqn  du  problème,  et  de  6xer^ 
av«c  une  égale  attehtion ,  les  causes  préparatoires 
et  les  causes  prochaines  des  révolutions.  Dès 
qu'on  se  pénétrera  de  l'idée  que ,  sans  les  ache- 
mineinents  et  les  préparations  à  de  grands  évé-  ' 
nemeiits ,  qui  se  trouvaient  dans  les  habitudes, 
les  opinions,  les  mœurs  générales  du  siècle  où 
ils  se  sont  passés,  les  causes  directes  et  paîrticu- 
lières  seraient  restées  inactives ,  ou  du  moins 
n'auraient  pas*  pu  produire  de  changement  total , 
la  disproporttoa  entre  l'effet  et  la  cause  s'éva- 
piOaira  ;  qu  n'attribuera  pas,  de  ^"ands  résultats 
à  dçs  minuties,  et  il  n'y  aura  plus  de  paradoxes 
d'évépemeuts.  D'un  autre  côté,  on  verra  dai- 
renient  que,  sans  les  causes  directes  et  prodiai- 
nes,  les  causes  génirales  et  éloignées  n'auraient 
pgiat  amei)é  de  révolution  ;  les  prépi^tions 
n'auraient  rien  préparé,  et  les  germes  de^  plus 
terribles  cttastrophes,  ([ue  les  siècles  avaient  dé- 
posés ijans  le  sein  de  l'ordre  social,  y  auraient 


DiailizodbvGoOglc 


CBAPITSX     Xllt.  37 

encore  dormi  long'temps,  et  y  s«aient  peut- 
être  même  'restés  à  jàmats  inactife  et  ignorés.  , 
Or ,  comme  Jes  causes  directes  et  prochaines  ne 
sont  pas  au-dessus  -de  la  portée  de  rlionune , 
qu'H  peut  les-  modifier ,  les  combattre ,  les  di- 
riger, la  prudence  et  la  fermeté  pouitont  toù- 
joars  prévenir  le  mal,  on  hâter  le  développement 
du  bieh. 

Ces  principes  s'appliquent  d'eux-mêmes  k 
l'histoire  de  la  rëformation.  Pour  la  saisir  dans , 
son  véritable  point  d«  vue,  et  la  juger  aainc' 
ment,  it  faut  jeter  un  coup  d'œil  sur  Jes  circon- 
stances'qui,  changeant  l'esprit  du  siècle,  avaient 
préparé  une  révolution  religieuse  ;  bous  verrc«is 
ensuite  quels  en  furent  les  occasions,  les  moyens 
et  les  agents  prindpaux: 

'  La  puissance  des  papes  avait  atteint  ^n  plus 
haut  degré  d'élévation  sous  Boniface  YIII.  De- 
puis cette  époque,  sa  décadence  fut  plus  ou 
moins  senûble  ;  mais  il  était  incontestable  qu'elle 
déclinait  gradaellement.,  Nous  avons  remarqué 
ailleurs,  que  ta  translation',  du  ûége  pontifical  ^ 
Arigncm ,  qui  mit  le  pape  dans  la  dépendance  de 
Pfailippç-te-Bel ,  l'abolition  de  l'ordre  des  Tem- 
plia« ,  le  long  et  scandaleiix  schisme  d'Occident, 
les  mesures  vigoureuses  que  prirent  les  conciles 
de  Constance  et  de  Bâle ,  avaient  porté  des  coups 


=dtïGoogIe 


38  PARTIE    I.  — PiÉBlOilK    II. 

tierribles  au  pouvoir  ctes  papes  .dans  l'esprit  des 
peuples  et  des  ^nces.  Les  chuigements  qu'avak 
éprouva  Tordre  sotiai,  dans  la  [di^rt  des  états 
de  l'Europe,  n'étaient  pas  de  nature  à  relever 
la  puissance  chancelante  des  papes,  mais  ten- 
daient, au  contraire,  k  rafFaiblirde  j^us  en  pliis. 
A  mesure  que  les  vassaux  avaient  perdu  de  leurs 
forces  et  que'  les  souverains  avaient  augmenté 
les  leurs,  les  évéques  de  Rome  avaient  rencon- 
tré, dans  tous  les  pays ,  plus  d'ennemis  et  moins 
d'alliés.  Lesj^is,  pour  peu  que  la  superstitioa 
ne  les  eût  pas  eutièrement  aveuglés  sur  leurs 
vrais  intérêts ,  avaient  toujours  vu  avec  un  -dépit 
secret, et  ime  inquiétude  légitime,'  cette  puis- 
sance spirituelle,  qui  se  jouait  de  la  leur,  l'en- 
travait ou  1^  brisait  à  son  gré.  Tant  que  les  papes 
eurent  poHr  eux  l'ignorance  fanatique 'des  peu- 
ples et  l'ambition  éclmrée  des  grands  vassaux, 
les  s(Miverains  furent  oUlgés  de  se  soumettre, 
en  frémissant,  aux  airêts  de  la  cour  de  Rome. 
Mais,  dans  le  quinzième  siédè,  l'autorité  royale, 
plus  étendue  et  mieux  affermie,  était  en  ét^t  de 
se  Élire  craindre  des  seigneurs,  et  respecter  des 
papes-  eux-mêmes.  Tandis  que  les  bras ,  qui  s'é- 
.taient  souvent  armés  en  leur  faveur,  étaient 
paralysés  par  les  lois  et  par  la  force  coactive  des 
gouvernements,  l'opinion  s'éclairait ,  et  les  pro^ 


=dbï  Google 


CHAPITRE    titt.  39 

grés  des  kuniéres  «ileyaient  Ji-Roine  d'autres 
moyens  de  donaination.  Les  esprits,  qui  avaient 
été  long-temps 'immobiles,  et  qui  parâiasaieDl 
avoir  perdu  l'usage  de  leurs  forces,  étaient  sortis 
de  leur  léthargie.  D'abord  leur- activité  .s'était 
portée  sur  les  arts  mécaniques,  ensuite  sur.  les 
arts  d'imagination;  mais  le  mouvement,  «ne 
fois  imprimé  j  était  parvenu  jusqu'à  la  raison. 
On^avait  commencé  à  r^échir,  et  la  pensée  se 
dirigeait  d'elle-même  sur  la  rel%ion,-oomme  siut 
l'objet  le  phis  important.  Dans  plus  d'une  bonne 
tête  s'étaient  élevés  des  doutes,  d'abord  timides 
et  secrets,  bientôt  plus  prononcés  et  plus  hardis.  - 
Jjes  amea.  pieuses  étaient  scandalisées  du  relâ-» 
cbemffent  de  la  discipline,  les' coeurs  bonnétes 
reventes  de  la  dépravationdu  ciei^é.  De  toutes 
parts  on  faisait  entendreles  mêmes  plaintes;  et 
'  ces  plaintes  étaient  fondées.  Les  ordres  monas- 
tiques s'étaient- multipliés  et  enrichis.  Dans. la 
plupart  des  cloîtres,  l'opolence  avait  perverti 
les  mœurs;  tm  avait  substitué  l'oisiveté  aa  tra- 
vail ,  la  mfdtesse  à  l'austénté ,  des  désordres  hon^ 
teux  à  une  régularité  exemplaire;  et,  k  mesoM 
que  les.  moines  perdaient  de  leurs  titres  au  res- 
pect des  peuples,  et  baissaient  dans  l'opinion, 
ils  semblaient  bausfer  leurs,  prétentiens  et  leur 
orgueil.  Les  ordres  mendiants  étaUàent  un  luxe 


DiailizodbvGOOgle 


40  PKRTIV    1. ^.rlÎKIODE    II. 

qui  conbvflUit  arec  leur  nom ,  et  n'avaient  gardé 
des  teiops  snàeps  'que  leur  ignorabce;  "Ramt 
conférait  toutes  les  places  ecclésiastiques ,  soit 
directement,  soit  par  dei  recommandations  qtii 
étaient  autant  d'ordres  déguisés.  Elle  les  accor- 
dait plus  souvent  à  l'intrigue  et  à  la  Ëivear  qu'au 
mérite ,  et  les.prètres.italiens  les  solHoitaient,  et 
les  obtenaient  avec  plus  de  facilité  que  les  au^* 
très.  L'or  de  tous.l^  pays  de  l'Europe'  allait  se 
rendre  dans  le  trésor  des  p^s  ;  et ,  à  titre  d'an- 
Dates,  de  dîmes,  de  dispenses,  d'indulgences, 
.  ils  pompaient  le  noméraira  de  tous  lès  états. 
Cça  abus,  déjà  dénomeés.  ans  conciles  dé 
Constaifce  et  de  Bâie  par  le  zèle  éclairé'  de  Dailly , 
de'  Gerson,  de  Clémangis,  s'étaient  perffétués 
malgré  leuvs  justes  réclamations  ;  mais  leurs  dis- 
cours, qui  n'avaient  été  que  l'expressùm  du  vcfeti 
^néral ,  hi  avaient  pr^  une  nouvelle  force. 
Déjalesj^intesne  circulaient  plus  sourdement. 
Les  {^nces,  la  noblesse,  le  peuple,  se  réunis-^ 
saieiit  pour  demander  la  réforme  de  l'élise.  Les 
souvwaihs  et  les  nobles  convoitaient  les  bien» 
ecclésiastiques,  et  voulaient  qu'on  rétablit  les 
mœurs  de  l'église  primitive,  en  ramepant  le 
clergé  à  sa  pauvreté  première.  Le  peuple  dési-^ 
rait  que  le  clei^é  fut  moins  ^de  et  plus  libéral; 
et  qu'au  Ueu  de  demander,  aux  pauvres  leur  né- 


=dbï  Google 


oessaire ,  il  les  secourût  de  son  si^ki^u.  Bien 
loin -de.  donner  l'exemple  de  la  simplicité  des 
mœurs,  et  du  zèle  pour  le  maintiai  de  la  disoi-^ 
pline,  Alexandre  VI  et  JiUes  II  avaient  donné 
l'exemple  de  tous  les  désordres  et  de  tous  les 
Tices.  On. avait  vu  le  premier  se  plonger  dans' 
tes  débauches  les  plus  hont«ueS)  trafiquer  pu- 
t^quement  des  dignités  de  TégKse,  sacrifier  tout 
à' son  avarice  et  à  celle  de  son  indigne  fils,  se 
faire  du  crime  un  objet  d'amusement,  et  mourir 
de6  suites  d'un  fot^t  qu'il  av^  médité.  IxAes, 
plus  ambitieux  et  moins  vil,  agitant  TEurope, 
et  ensanglantant  l'Italie ,  pour  étendre  les  do- 
maines du  Saint^i^e,  avait  &it  et  défait  leS -li- 
gues- avec  une  légale  Ëicilité ,  s'^it  joué  de  ses 
promesses  et  de  ses  serments,  et,  piussoldat  que 
fH-éd% ,  n'avait  pas  craint  de  verser  lui-mâme  le 
sang  des'fidèles.  D'autres  temps  avaient  peat- 
,étre  vu  des  papes  tout  aussi  coupables  ;  quand 
BlarosLe  disposait  de  la  tiare,  elle  la  plaçait  sur 
la  tête  des  derniers  des  hommes  ;  maïs ,  '  à  cette. 
époque,  les  ciimeS  des  papes,  plus  ignorés, 
Paient  moins  scandaleux;  les  communications 
entre  les  peuples,  rares  et  iftiparfaites,  empê- 
chaient que  ces  attentats  ne  fussent  connus  ;  ils 
souillaient:  Rome  sans,  aller  eiïrayer  rËiùx>pe: 
mais,  au  temps  d'Alexuidre  et  de  Jules,  tous  les 


DiailizodbvGoOglc 


43  PARViE    |> PERIODE    If. 

peuples,  insbtiils'du'  dérèglement  dé  la  conduile 
des  ch«&  de  PégKse,  purentles  ji^er,les  con- 
daianer ,  les  abhorrer  avec  connaissance  de  cause. 
Le  ctmvocaAon  du  condle.  de  Pise ,  et  les  me- 
sures que  pilrent.  Louis  llULet  Maximilien  I, 
pour  déposer  et  punir  Jules ,  mirent  sa  conduite 
dans  le  jour  lË'i^us  odieux  ;  et  déjà  l'imprimerie-, 
introduite  dans  la  plupart  des  pays  de  l'Eurc^e, 
y  faisait  circuler,  avec  une  égale -rapidité,  la  vé- 
rité eti'erreur,  l'éloge  et  le  bl^e;  et,  liant  les 
hommes  de' toutes  les  contrées,  elle  avait  cffié 
l'opinion  publique^ 

Ce  fut  elle  qui-,  vers  là  fin  du  quinzième  sièr  , 
cle,  donna  de  l'importance  à  des  idées  théologi- 
qties  et  à  des  innovations  partielles  qui ,  avant 
éette  époque ,  auraient  fait  peu  de  sensation  et 
seraient  peut-être  mortes  ea  naissant.  Le  sys- 
tème religieux  de  l'église  >omainé,  formé  suc- 
cessivement avec  beaucoup  d'art ,  paraissait  re- 
poser sur  dés  bases  si  solides,  que  les  papes 
avaient  souvent  méprisé  ou  du  moins  différé  de 
punir  ceux  qui  hasardaient  d'en  attaquer  quel- 
que partie;  et  en  effet,  avant  l'invention  de  l'im- 
primerie, les  opinions  de. ces  novateurs,  pea 
connues  et  peu  répandues,  ne  pouvaient  que 
difficilement  devenir  daogereuses.  La  doctrine 
des  Vaudôis,  les-idées  de  Wicleff  sur-la  sainte 


:,,G00glf 


CHAPITHE    XIII.  43 

Cè.o0,  que  Jean  Huss  adopta  et  répandU-,  celles 
de  Huss  lui-même,  quelque  triste  .célébrité  que 
leur  aient  domiée  son  supplice  et  les  gueires  qui 
le  suivirent,  n'aVaient  pas  £iit  en  Earope  jutant 
de  progrès  ni  acquis  autant  de  partisans  qu'el- 
les semblaient  devoir  le  faire  :  mais,  avec  l'impiî- 
merie ,  tout  changea  de  face  :  depuis  cette  inven- 
tion ingénieuse,  les  idées  des  théologiens,  qui 
seraient  restées-  ensevelies  dans  leurs  tétes'  ou 
dans  leurs  écrits,  parcouraDt  tous  .les  pays, 
.pouvaient  menacer  d'un  moment  à  l'autre  la  doo- 
triiïe  dominante.  Les  pap£S  sentirent  lé  dangçri 
ils  essayèrent  de  s'emparer  de'cp  grand  moyen 
de  càrcnlatioii  et  de  le  diriger  à  leur  gré;  mais 
l'expérience  d&  trois  siècles  a  prouvé'  que  cette 
puissance  est  aussi  indisciplinable  qu'active,. et 
les  papes  le  reconnurent. 

L'étude  .des  langues  mortes,  que  les  Grecs., 
fugitife  de  Constantlnople,  introduisirent  en  Eu- 
rope ,  avait  étendu  le  champ  des  idées  et  donné 
le  désir  de  lire  tous  les  auteurs  dans  la  langue' 
originale.  Il  était  facile  de  prévoir  que  la  con- 
naissance du  grec  et.  de  .l'hébreu  mettrait  beau- 
coup de  bons  esprits'  en  état  de  comparer  I9 
doctrine  donoioante  avec  les  livres  qui  devaient 
ea  être  la  source  ;  et  çe§  théologiens  dé  Colo- 
gne ,^ui  persécutèrent  le  cdèbr*  Jean  ReuchUn 


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44  PAETIE    I. — :  PÉRIODE  tl. 

(-  Gapnibii  ) ,  restaurateur  de  la  langue  h^raîque 
en  Allemagne,  agissaient  conséquemment,  du 
monirait  où  leur  but  était  de  perpétuer  Tigno- 
rance.  On  commençait  déjà,  même  en  Allema- 
gne, à  écrire  dans  la -langue  du  pays,  -et,  au 
moyen  de  ce  véhicule,  teintes  leis'idées  pouvaient 
se  répandre  Ëicilement  dans  tes  classes  inférieu- 
res du  peuple; 

Aussi  voyait-on  déjà,  à  la  fin  du  quinziàne 
siècle,  les  effets  de  ces  changements.  Partout 
paraissaient  des  écrits,  sérif^ix  ou  satiriques, 
contre  les  abus  et  les  ridicules  de  l'église  romaine, 

-où  les  moines  et  le  pape  n'étaient  pas  épai^és. 

'^On  dévorait'  ces  ouvrages  ;  iii  étaient  le  sujet  des 
conversations  et  des  correspondances;  toutçs  les 
{liasses  s'en  amusaient;  et  la  malignité ,  naturelle 
à  Tesprit  humain ,  recevait  sans  cesse  des  aliments 
nouveaux.  Le  peuple  se  moquait  du  clergé;  les 
hoinmes  un  peu  plus  éclairés  attaquaient  la  ^s- 
ciplioe;  et  quelques  bonnes  têtes,  allant  plus 
loin,  se  disaient  en  confidence  que  la  religion 
régnante  n'était  pas  celle  de  l'ÉvaDgile.  A  la  vé- 
rité, près  du  siège  de  la  puissance,  où  l'on  était 
plus  à  même  de  l'obsërveret  de  la  connaître, 
en  Italie,  on  s'était  permis,  dès  le  treiùème  et 
le  quatorzième  siècle,  les  piropos  les  plus  hardis; 
et  les  papes,  le  clergé,  les  dogmes  même  n'a- 


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CHAPITRE    XIII.  45 

vaient  pas  été  ménage  dans  les  poëmes  de  Dante , 
et  dans  les  Contes  «le  Boecace;.  niais  Dante  et 
Boccace  étaient  tous  deux  au-fkssus  de  leur 
siècle,  et  leurs  ouvrages  avuent  été  peu.  lus,  et 
plus  nirement  compris. 

.  A  la  fin  du  quinzième  sièf^e ,  lé  goût  de  cri- 
tiquer les  abus  et  les  v'vx»  de  l'église  était  de- 
venu le  ton  général  ;  les  esprits  graves  et  ardents 
s'épuisaient  en  déclamations;  les  esprits  légers 
et  badins  né  tarissaient  pas  en  plaisanteries. 
Dans  tous  ies  pajs  i^égnaient  une  fermentatiga 
sourde  et  iine  inquiétude  «ecr^e.  Les  idées  rc 
ligieuses  consacrées  par  TégKse  n'étaient  plus- 
à  i'tmisson  dés  besoins  de  la  raison,  ni  du  pro>' 
grès  des  lumières.  Des  deux  principes  qui  gou- 
vernent l'homme,  le  goût  de  la  nouveauté  et 
le  pouvoir  de  l'habitude,  le  prenùer  prenait  le 
.dessus,  et  n'était  plus  tenu  ,en  équilibre- par 
Vautre ,  parce  que  les  -  esprits  étaient  devenus 
plus  actifs,  et  que  la  psisée  .voulait  du  mouve- 
ment. On  ne  savidt  pas  précisément  ce  qu'il' 
fallait  changer,  mais  on  s«itait  qu'il  fallait  deft 
changements,  et  surtout  Y>n  les  désirait  avec 
vivacité.  Les  pasûoos  Contribuaient  à  renforcer 
cette  tendance  générale.  L'ambition,  la  vanité 
et  le  désir  des  jouissances  avaient  gagné  en  sur- 
face et  en  intensité ,  à  mesui^  que  la  civilisation 


:.,G0pglf 


46  PARTIE     I.  —;-  PÉRIODE     II. 

disait  des  progrès.  On  enviait  au  clei^é  soii 
pGÙvoir;.'On  voulait  pàrtagn-  les  honneurs  que 
ks  peuples'  h»,  rendraient;  et  surtout  on  convoi- 
tait cette  opulence  qui  lui  permettait  de  vivre . 
dans  le  luxe  et  Toisiv'eté.  I^adisposition  générale 
dés  esprits  annonçait  clairement  (}ue  l'Europe 
était  à  là  veille  de  quelque  grande  iïommotion.' 
Tout  paraissait  màr  pour  une  révolution-;  ce- 
pendant les  papes  auraient  pu  facilement  la 
prévenir,  s'ils  avaient  eu  une  juste  idée  des  dan- 
gers qui  les  menaçaient,  et  s'ils  avaient  connu 
et«on5ulté  l'bpinioa  publique.  Il  siitBsait  d'em- 
ployer à  réformer  les  abus,  le'  pouvoir  qui  les 
svait  multipliés.  Il  aillait  le  faire  dans  un  temps 
où  ils  ji'auKtient  p,aru  céder  ni  à  la  nécessité  ni 
à  la  crainte.  Encore  revêjtus  de  toute  ieur  au- 
torité ,  ils  auraient  pu  satis&iré  au  vœu  de  toute 
l'église,  en  abolissant  ou  en  régénérant  les  an- 
ciennes institutions ,  sans  secousse  et  sans  '  pré- 
cipiter leurs  mesures.  Etaient-ils  trop  attachés  à  ' 
leurs  maximes  ,  et  trop  intéressés  aux  abus 
pour  les  redresser,  il  fallait  faire  des  sacrifices 
aus  circonstances.  On  devait  da  moins  redoubler 
de  circonspection  et  de  prudence,  et  user  de 
toutes  les  ressources  du  pouvoir  et  de  l'adressa, 
pour  prévenir  une  explosion  violente.  Par  un 
heureux  tempérament  de  fermeté  et  de  jiistice. 


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CHAPITRE    X'III.  4? 

il-  était  pos&ible  de  modérer  l'effervescence  gé- 
nérale et  de  coateair  les.oovateiirs.  Le& germes 
de  révolutitm  auraient  été. étouffés,  ou  sérient 
demeurés, inactifs,  et  stériles.  Les  m^ières'com-, 
bustibles  étaient  préparées  ;  mais  tcmt  était  saurà, 
si  l'on  avait  eu  l'art  d'en  écarter  rétincelle  Les 
papes  eux-mêmes  l'y  portèrent ,  et  £rent  mûtre 
■les  causes  directes  et  proch^nes  qui  déreKip- 
pèrent  l'activité  des  .caiwes  général^. 

Léon  :X.  occupait  le  trôné  pontifîo^.  Il  était  >^>^- 
fait  pour  gouyeroer  l'église  datis  un  tanps  calme 
et  heureux  ;  mais  son  gé^îe  et  son  caractère  n'é- 
taient pas  à  l'unisson  de  la  caise  qui  se  prépa- 
rait. Spirituel,  instruit T  bon,  ^néreux  ,  il  eût  ' 
été  un  particulier  aimable;  il  n'était  qu'un  sou- 
verain  faible  et  inappliqué.  Les  lettres  et.les  arts 
l'intéressaient  et  l'otxupaient  beaucoup  plus  qu;e 
la  grande,  administration  dont  il  était  chai^. 
Quoique  sa  conduite  et  ses  mœurs  ne  fussent 
rien  moins  qu'exemplaires',  il  avait  plus  de  mo- 
ralité que  ses  deux  prédécesseurs.  Entièrement 
étranger  aux  vices  et  aux-crimes  d'Alexandre  et 
(le  Jules,  mais  doué  de  moins  d'énei^,  il  fut 
puni  de  leurs  désordres  ;  et  peut-être  le  ftit-il , 
uniquement  parce  qu'il  c'avait  pas  leur  fermeté 
ni  leur  audace.  libéra  et  magnifique,  ses  dé- 
penses surpassaient  encore, ses  revenus;  la  ba- 


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.  48  PARTIR    I.—  PÏBIODE    II. 

silique-  de  Saipt-^en'e  coûtait  des  sommes  im-  ■ 
.  menées.  l.éoù ,  youlapt  se  procurer  de  notivelleB 
ressobrceSj  eut  recours  à  qn  moyen  que  les  . 
,  papes  avaient,  souvent  employé  avec  ,SQCcès ,  la 
vente  de$  iodolgences.  C'étaient  des  assignations 
SUE  l'in^aisahlè  trésor  des  oeuvres  de  sul'éro- 
gation  faites  par  les  saints ,  que  les  fidèles,  au 
moyen  d'une  rétribution  pécuniaire,  pouvaient* 
acquérir  et  s'attribuer;  et  cette  espèce  de  bons» 
d'un  genre  particuli» ,  effaçaient  tous  les  désor^ 
dres^  tenaient  lieu  de  vertus,  et  assuraient  le 
pel  à  leur  possesseur.  Déjà,  plus  d'une  fois,  des 
honuqes  éclairés  et.  vertueux -s'étaient  élevés  au 
■  sein  de  l'église  romaine  contre  cet  indigne  trafic  ; 
mais  Ifts  papes,  n'avaient  pas  tenu  compté  de 
leur»  réclamations.  Léon,  qui  ne  connaissait  pas 
l'esprit  de  son  siècle,  et  qui  était  trop  léger 
pour  le  consulter,  crut  que  cette  spéculation  de 
fimmces  lui  réussirait  commeà  seB][M'édéce5seUTB. 
C'était  principalement  l'Allemagne  et  les  pays 
du  iNcvd  que  Ton  se  prc^xKuit  d'exploiter.  L'igno- 
rance et  la  docilité  de  ces  peuples  avaient  été 
une  veine  dé  richesses  pour  la  cour  de  Rome , 
et  elle  la  croyait  intarissable.  ]>  p^>e  intéresse 
à  la  vente  des  indu%ences  Albert,  prioc»  de  la 
maison  de  Hohen-ZoUem ,  qui  occupait  le  ûége 
de  Mayence;  il  promet' de  lui  remettre  la  somme 


DiailizodbvGoOgle 


.     CHAPITRE    XIII.  4g 

considérable  qu'il  doit  à  Rome  pour  le  pallium. 
Albert»  prodigue  et  fastueux  comme  Léon;  et 
toujours  dépourvu  d'argent  comnie  lui ,  épouse 
avec  chaleur  les  intérêts  du  pape  ;  il  charge 
l'ordre  des  Dominicains  de  vendre  les  indul- 
gences en  Allemagne;  et  Jean  Tet2lel,  moine 
ignorant  et  .ef&onté,  iait  dans  la  Haute-Saxe  ce' 
commerce ,  déjà  si  révoltant  par  lui-même ,  de 
la  manière  la  plus  inflécente.  Les  paysan^,  dupes 
de  se&  proquesafs ,  lui  aj^Mirtent  leur  argent  et 
reçoivent  ses  billets. 

Martin  Luther,  moine  augustin,  enseignait,  à 
cette  époque,  la  théologie  dans  l'université  nais- 
sante de  Wittembierg.  Il  était  né  à  £islebeu ,  dans 
le  comté  de  Mansfelden ,  de  parents  pauvres  et 
honnêtes;  son  père  était  mineur.  Dans  son  en- 
fance il  avait  fréquenté  l'école  d'£rfurt,. et  an- 
nonça ,  de  bonne  heure ,  un  esprit  vif  et  use  • 
ame  énei^que.  De  fausses  idées  religieuses ,  et 
peut-être  le  goût  des  lettres,.  le  déterminèrent 
à  renoncer  au  monde;  il  entra,  malgré  ses  pa- 
rents ,  dans  l'ordre  des  Augustins.  La  retraite  et 
les  devoirs  monastiques  exaltèrent  sa  tête  ar- 
dente, et  il  tomba  dans  une  sombre  mélancolie 
qui  ne  lui  permettait  pas  de  fixer  d'autre  idée 
que  celle,  des  jugements  célestes.  Il  ne  fut  guéri 
qu'en  se  livrant  à  l'étude  des  langues  mortes , 
a  f\ 


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5o  PARTIE-,  I. PÉItlOOK    II.     - 

(|Ui ,  dirigeant  son  attention  sur  des  objets  réels 
et  sérieux,  modéra  la  fougue  de  son  inoagina- 
tion,  et  le  sauva  des  dangers  d'une  activité  in- 
quiète et  vague.  Le  vicaire-général  des  Augui- 
tins,  Staupitz ,  faomnie  doux  et  éclairé  ,  ■  i  qui 
Luther  s'était  ouvert ,  lui  avait  donné  cet  utile 
conseil.  Il  prit  te  jeune  moine  en  affection,  et, 
lui  trouvant  du  talent  -,  TenVoya  à  Rome  pour 
i5io.  les  affaires  de  lX>rdre.  Ce  voyage  fournit  à  Lo- 
ther  Toctasioia  d'observer  de  près  fa  cour  ctes 
papes;  et  il  en  remporta  un  mépris  profond 
pour  Rome,  mépris  que  la  corruption  des  moeurs 
régnantes  et  la  licence  des  écrits  devaient  na- 
turellement inspirer  à  un  cceur  droit  et  religieux; 
De  retour  en  Saxe ,  ses  connaissances ,  et  la  re^ 
comraandation  de  Staupitz ,  lui  firent  obtenir 
Une  chaire  de  théologie  à  l'université  de  Wit- 
temberg,  fondée  par  l'électeur  Frédéric-levage. 
n  en  remplissait  lès  fonctions  avec  zèle.;  et ,  y 
bornant  ses  soins  ^et  ses  désirs ,  il  ne  se  doutait 
pas  de  la  célébrité  qui  l'atfeiidait ,  lorsque  Tetzel 
vint  vendre  se»  indulgences  dans  le  voisinage 
de  Wittembërg. 

Luther  portait  dans  un  corps  sain  et  robuste 
une  ame  d'une' trempe  forte  et  vigoureuse;  sort 
esprit  était  plus  actif  et  plus  prompt  que  6ii, 
délié  et  pénétrant.  Il   sai^ssait  facUement  les 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     Xlli.  5l 

glands  traits  et  s'sUachail  aux  niasses;  les  nuances 
et  les  détails  lui  échappaient.  Instruit,  sans  être 
savant,  il  estimait  l'érudition ,  et  avait  témo^é 
de  bonne  heure  une  aversion  '  invincible  pour 
la  ptûlosoplûe'  sccdastique.  Ses  principes  et  ses 
idées  étaient  plutôt  le  résultat  d'un  premier 
aperçu  juste  et  lumineux ,  <{Ue  ie  fruit  de  ré- 
flexions  profondes  et  d'un  lent  examen.  Son 
génie  lui  iaisut  découvrir  la  vérité  par  va  tact 
heureux.  ïl  n'avait  pas  cette  raison  méthodique, 
ïuialytique,  sévère,  quijirocède  avec  plus  de  sû- 
reté ^ue  de  vitesse.  Ses  passions  étaient  ardentes, 
proiKHicées  et  durables ,  ou  plutôt  il  n'en  avait 
qu'une  cUmûnante ,  l'amour  de  ce  qu'il  croyait- 
vrai,  et  le  désir  de  faire  triompher  sa  convit;- 
tien.  Une  volonté  droite,  énergique,  in^>ran- 
lable ,  le  rendait  étranger  aux  demi-mesures,  aux 
vacillationB ,  aux  incertitudes.  Son-  e^uit  avait 
pris  l'empreinte  de  son  caractère  ;  ses  principes, 
une  fois  arrêtés,  étaient  invariables;  de  ce  mo- 
itteot,  il  ne  connaissait  plus  le  doute,  il. ne  te 
tolérait  plus  dans  les  autres;  son  tempérament 
fougueux  et  soq  humeur  .impétueuse ,  qui  n'a- 
vaient pas  été  adoucis  par  l'éducation  ni  par 
l'usage  du  monde,  ne  lui  permettaient  pas  de 
ménager  ses  expressions,  dès  qu'il  croyait  avoir 
pour  lui  la  raison  et  le  devoir.  Infatigable  au 


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5a  PARTIE    I.  PËRIbDE    II. 

travail ,  audacieux  dans  fattaque ,  Intrépide  dans 
la  résistance,  il  avait  plus  de  caractère  que  de 
génie',  plus  de  force  de  volouté  que  de  force  de 
tête ,  moins  de  richesse  d'idées  que  d'unité  dans 
la  direction  qu'il  savait  leur  donner.  Impérieux, 
comme  le  sont  tous  les  hommes  qui  ne  voient 
qu'un  seul  objet;  dur  pour  les  autres  parce 
qu'il  l'était  pour  lui-même  ;  naturellement  vio- 
lent et  passionné ,  il  le  devint  encore  plus  par 
l'habitude  de  la  lutte  et  de  la  guerre.  Ses  défauts 
servirent  peut-être  sa  causê'aussi  bien  que  ses 
grandes  qualités  ;  et,  s'il  avait  été  plus  modéré, 
plus  calme,  plus  voisin  de- la  perfection  morale, 
'  il  n'eût  jamais  tenté  sa  grande  entreprise ,  ou  il 
l'eût  tentée  sans  succès. 

Tel  était  l'homme  qui  enseignait  paisiblement 
là  théologie  à  'Wiltemberg ,  lorsque  la  vente  des 
indulgences  vint  l'arracher  pour  toujours  à  l'ob- 
scurité et  au  repos.  11  vivait  ignoré  dans  le 
monde,  et  il  ^ignorait  lui-même.  Le  caractère 
et  les  talents  qu'il  déploya  dans  la  suite  n'exis- 
taient encore  qu'en  puissance  ;  les  circonsfemces 
lui  apprirent  à  se  conniùtre,  et  développèrent 
en  lui  des  ressources  qui ,  dans  tout  autre  temps, 
seraient  restées  ensevelies.  Luther  est  indigné 
de  voir  qu'oii  déprave  la  moralité  du  peuple , 
tout  en  le  dépouillant  dé  son  argent;  l'étude 


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.CHAPITBB    Xlll,  53 

qu'il  a  Êûte.  des  livres  saints  lui  a  donné  des 
Idées  plus  justes  sur  les  conditions  du  salut ,  et 
il  publie  des  thèses  contre  les  indulgences.  A  iSi?. 
cette- époque,  et  même  j>lus  tard  encore  ,  il  ne 
prévoyait  pas  où.  cette  démarche  le  conduirait  J 
il  s'élevait  simplenKnt  contre  un  abus  ;  tant 
d'autres  l'avaient  fait  avant  lui!  Tous  ceux  qui 
sont  intéressés  à  défendre  ce  qu'il  attaque,  par- 
lent et  écrivent  contre  ce  moine  audacieux. 
Luther,  [Hwoqué  par  ses^nemis,  leur  oppose. 
-de  nouveaux -écrits  plus  hardis  (pie  les  premiers, 
et  la  .querelle  s'engage.  Les  Dominicains,  sûrs 
de  la  victoire,  en  appellent  à  Roçae.  Léon  pou- 
vait mettre  .fin  à  ce  démêlé  en  imposant  silence 
au¥  dedx  partis ,  et  en  r^pelant  Tetzel  ;  ou , 
s'il  voulait  le  soutenir,  condamner  et  punir 
Luther,  il  fallait  prononcer  et  faire  exécuter 
l'arrêt  sur-le-c^amp.  Afais  le  pape ,  distrait  par 
d'a.utres  soins ,  et  plein  de  mépris  po^r  le  moine 
allemand ,  laisse  traîper  ^ralfaire.  Les  écrits  se 
multiplient,  les  idées  circulent,  les.  tètes  s'é- 
chauffent, et  Luther  acquiert  des  partisans.  En 
i5j8,  Lé<^n  charge  enfin  Thomas  de  Vio,  de 
Gaëte,  d'obliger  Lutter  à  se  rétracter,  et  de 
le  punir  s'il  s'y  refuse.  Lutfae^  se  rend  à  Âugs- 
bourg,  parait  dey  wt  le  lég^t,  résiste  é^galement 
à  ses  caresses  et  à  ses  menaces,  et  le  quitte  sans 


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54  PARTIE    I.  —  l'ÉillOBB    II. 

avoir  cédé  aa  vœu  du  pape.  Il  eti  appelle  à 
Rome  ;  et  lorsque  Rome  elle-nvSine  Iç  condaiDne, 
il  invoque  l'autorité  d'an  concile. 

Les  circonstances  le  favorisent.  Maximilien 
meurt;  et,  pendant  un  interrègne  de  six  m'ois, 
iBig.  l'électeut",  Frédéric- le-Sagc,  exerce  le  vicariat 
dans  l'empire.  Ce  prince  méritait  le  beau  surnom 
que  lui  ont  donné  ses  ccmtemporatns.  Modéré 
dans  ses  principes  et  mesuré  dins  ses  démarche»', 
il  répugnait  aUx  partis  extrêmes,  et  son  esprit 
conciliateur  ne  lui  permettait  pas  de  condamner 
Êicilement  les  opinions  des  autres.  Sincèrement 
religieux,  il  aimait  la  vérité,  la  dierchait  de 
bonne  foi,  et  se  défiait  de  ses  lumières.  H  savait, 
apprécier  les  talents  de  Luther  ét-il  estimait  son 
caractère;  trop  éclairé  pour  ne  pas  s'apercevoir, 
et  trop  pieiix  pour  ne  pas  gémir' des  abus  qui 
déshonoraient  l'église,,  il  en  avait  demandé  ta 
rétbrme  avec  empressement.  L'éclat  que  la  ré- 
putation de  Luther  répandait  sur  l'univnwté  d6 
Wittemberg,  que  Frédéric  chérissait  avec  toute  la 
tendresse  d'un  père ,  lui  faisait  désirer  de  l'y  coi>- 
server,  et  même  voir  avec  plaisir  le  bruit  qu'a- 
vaient fait  tes  thèses  sur  les  indulgences.  Ainsi, 
bien  loin  d'inquiéter  Luther,  il  le  protégea;  et 
l'intervalte  qui  sépare  la  mort  de  Maxirailien'de 
l'avénement  de  Charles-Quint ,  fdt  trés-làvorable 


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'      CHAPJTttE    XIII.  55 

aux  prc^rès  de  I4  nouv^lç  doc^ae.  J^es  adver- 
saires fougueux  et  m^tadrôits  dç  Luther  «  Je^ 
^ ,  théologien  d'Xngûlstatlt  1  Qt  Jacquei  '  Hogs- 
traten,  doni^nicain,  nje  fireiij;  qu^Iuiidouner  le 
sentimeot  de  sa  supériorité,  la  tnireiit  dans  tout 
son  jour  aux  yeux  des  autres,  et  lui  proi^èrent 
dei  aipis  préoeux. .         ^  ; 

Pangi  ces  derniers,  Car^ost^dt,  et  ^tvtavtlVIé- 
lanchtod),  JDuèr<^t  le  rô)e  Iç  j^M^  actif.  ÇarijOr 
^tedt,  dont  le  zèle  allait  jusqu'à  V'«o>porteaien|:, 
capAtûç^detout.hasajrderet  de  t^>ut braver,  pljos 
faÀi  pour  les  coups  de-iDaio  que  pour  lii  di^cq^- 
sion,  était  TeoÊuit  perdu  du  parti.  ]VIél^}cl)tqp 
était  supérieur  à  Luther  pour  l'étendue  4«  l'es- 
prit et  la  prpfoçdeuT  des  v|ues,  les  riche^s  de 
l'ériiditioP  et  la. perfection  du  s^^  i^j^^imtd^, 
mcfstX^m,  îf^ésolu,  il  manquait  de,  ççtte  hfçr- 
diesse  qui  ^t  entreprendre  de»  pho^s  dilQcile^, 
de  cette  femqçté  qui  per^vère.dflns  le?  entre- 
prises, et  ^  ce  çourfiga  d'esprit  qqi.  obéit  à  la 
vérité  et  ^ij  devoir  sa»?  s'attendrir  sur  1^  cor- 
<«équiçnces.  Mélanchton  aurai);  pit  &ir,e  le  pljtn 
de  la  réform^iqp ,  jl  ne  l'aïu-ait  jaiq^iç  èx^ctAfé. 
U  pesait  encorç ,  d^ns  uue  halance^partiale  ^ 
le  {WM'  ^  le  CQni7«  d«^  opwîpu^  i  .^^^4^Luther 
pFo^i^ç^ft  in^riemeffÇpt  la  «e^w.;  >l  priait 
qftmà  LMtIxer  contbsttait;  il  plpwr^,qu?[id  Ist^- 


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56  PARTIE    I.- — P^RIOBe'  II. 

ther  menaçait  et  toimait.  C'était  la  tète  et  la 
pensée  du  parti  dont  Kautre  était  la  volonté. 
Mélanchton  était  un  principe  de  himière  ;  mais 
Luther  était  iin  principe  dé  mouvement  et  d'ac- 
tion, teï  qu'il  lé  fallait  pour  le  Succès  de  la 
réforme. 
La  guerre  avait  éclaté.  Rome  déclare,  Luther 
i5ao.  <JoupabIe  d'hérésie;  ses  écrits  sont  brûIâ  publi- 
quement à  Lottvain,  à  Cologne,  à  Màyetice;  et 
le  pape  ordonhé,  par  une  bulle^  i  Frédéric-Ie^ 
Sage ,  d'exécuter  la  sentence  lancée  -contre  pe 
moine  audacieux.  Luther  eu  appelle,  avec  plus 
de  force,  à  un  concile;  et,  opposant  ta  violence 
à  la  violence,  il  brûle  a  Wittemberg  le  tode  dn 
droit' canonique.  Léon  X,  après  avoir  montré 
trop  d'insouijiance ,  avait  peut-être  déployé  trop 
de  sévérité,  6t ,  comme  tous  les  princes  faibles, 
il  n'avait  su  user  à  propos  ni  de  rigueur  ni  de 
clémence;  Luther  s'était  engagé  trop  avant  pour 

■  reculer  :  la'nécessité  de  se  défendre  l'avait  mis 
'dans  le  cas  de  chercher  de  nouvelles'  armes  pour 
multiplier  ses  attaques.  Déjà  ses  succès  lui  avaient 
donné;  avec  le  secret  de  ses  forces,  la  mesure 
de  l'opiniod" géniale;  et  ses  vues  de  réforme 
s'étaient  étendues  avec  ses  idées  et  ses  connais- 
'  sances.  Toute  la  religion  cathoUque  reposait  sur 

,     l'autorité  du  pape  et  de  l'église  ;  l'édifice  entier 


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'  CHAPITRE    XIII,  $7 

devait  crouleravec  cette  base.  C'est  sur- elle 
qu'il  dirïge  ses  coups  ;  au  lieu  de  dét^mmep  le 
sçns  des  Écritures  pat  la  tradition  -et  l'autorité , 
c'est  par  les  Écritures  interprétées  suivant  set 
lumières,  qu'il  rejette  la  tradition ,  et  qu'il  pro- 
scrit l'autorité  en  matière  de  foi.  Désormais'  la 
croyance  doit- reposer  sur  l'examen,  et  la  reli- 
^on  n'avoir  d'autre  fondement  que  l'Évangile 
et  la  conviction  de  chaque  individu;  chacun  est 
juge  de  SA  foi ,  ne  preod  à  cet  égard  des  Ims 
que  de  sa  profffe  raison,  et  n'est,  responsable 
€px'h  lui-inénie. 

En  brùlimt  publiquement  le  droit  cancniique, 
Luther  changeait  tôut-^à-fart  la  constitntiou  de 
la  grande  société  chrétiénae;  il  avait  détrèné-te 
souverain  spirituel  dont  le  pouvoir  semblait  cdn>- 
saeré  par  le  ciel  même,  et:  l'était' du  moins  par 
une  haute  antiquité  et  par  le  respect  des  peu- 
ples. DéjAl  ne  s'agit  plus  de  réforme  partielle, 
mais  de  révolution;  ncui  plus  de  quelques  chan- 
gements, mais  d'une  refonte  totiale.  Ses  principes 
le  conduisaient  à  dire  que  l'état  n'existe  qu'au- 
tant qti'il  y  a  un  pouvoir  souverain' qui  Bédde, 
ce  qui ,  en  fait  d'actions ,  doit  être  regatàé  coimne 
la  volonté  générale;  mais  qu'il  ne  péuft*point  y 
avoir  dans  l'église  de  souvasùiietéqUi  ^termine 
ce  qui  doit  être  la  croyance  géikâraie':  que^  dMïs 


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58  PAHTII    !■  P^ftlO^E    II. 

['Qrdn  social,  la  liberté  ne  peut  être  sauvée  que 
pw  des  Lois  qui  la  restreignept,  et  que  Fiodé- 
peadance  absolue  de  tous  ne  serait  que  la  ty- 
rannie de  tous;  mais  que,  dans  l'ordre  spirituel 
et  dans  le  noode  dos  idées ,  l'indépoidance  ab~ 
aolue  sauve  seule  la  liberté  ;  que  ce  qui  mérite- 
rait le  nom  d'anarchie  dans  l'un ,.  est  le  seul 
régime  qui  convienne  à  l'au^;  et  que,  dans 
l'explication  de  l'Évangile,  npl  ne  doit  prendre 
conseil  que  de  Iw-mêiae.  Maî&j  ocu^traint  par  la 
force  des  choses,  peut-être  'ausu  entraîné  par 
un  caractère  dominateur,  il  ne  fit  que  délacer 
la  souveraineté  sans  l'aboUr;  et,  devenant  lui- 
même  monarque,  il  conserva  la  monarchie  ddPS 
'  l'église.  Ces  dogihes  qu'il  voyait  et  trouvait  dans 
rÉvan^lè,  devinrent  pour  ses  partisans,  sans 
antre  exam«i ,  des  articles  de  foi  :  il  avait  b«au 
protester  contre  cette  çosfiance  aveugle  dans  sa 
personne  et  dans  ses  écrits;  ce  qift  appelait 
une  inconBéquence,  et  qui  en  était  une,  en  ef- 
fer,  d'après  ses  principes,  pouvait  seul  préyesûr 
des  div^geuces  d-opinioas ,  qtû  seraient  nées 
de'bonne  heure  etaurjùentepipéahéles  progrès 
dc:  la  réforme. 

Cependant  t  aprèp  l'éclat  qu'il  .avait  bât  à  Wit- 
tembei^',  il-pàdédara  pas  d'abord  qu'il  ne  vou- 
lait'plos  de  ména^meats ,  mais  il  demanda  ta 


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CHAPITBB    XIII.  Sg 

décision  (foQ  conàle ,-  et  Lëon  cmt  devoir  rerenîr 
aax  voies  de  conciliation .'  Charles-Quint  était  assez 
indifférent  sur  l'article  de  la  religion.  Plusieurs 
Ont  pensé  qa'H  incfinait  pour  la  doctrine  noû-^ 
f elle,  parce  qnll  no  ie  njoirfra  pas  zélé  cathodi- 
que; d'autres  t'ont  cru  zél^  catholique  j.patce 
qu'il  a  fini  par  combattre  les  norateurs.  A  cette 
époque  Charles  croTait  devoir  eaï'esser  l'opinion 
publique;  la  reconnaissance  le  liait  à  rélectetir 
de  Saxe,  protecteur  secret  de  LtlHier,  et  il  n'é^ 
tait  pas  pressé  d'arrêter  des  événements  qui  don- 
naient à  Rome  de  Toccupation  et  de  Hnqdiétude: 
Il  dte  l'ennemi  du  pape  à  la  diitede  Wonna. 
Luther  s'y  rend ,  malgré  les  craintes  de  ses  àiDls  ;  1 5a  i . 
y  soutient  iarec  courage' ses  principes,  se  réfese 
à  toute  espèce  de  rétractation.  Ses  formes  âpres, 
son  ton  peu  mesuré  et  ses  discount  violents  lui 
aliènent  l'etnperear.  Àpeiiae  a-t-il  quitté  Worms, 
que  la  diète  le'  -Condamne  \  défend  de  lire  ses 
écrits,  et  ordonne  à  toutes  lès  autorités  de'les 
poursuivie.  Mais  en  même  tetnps ,  pour  4e  sous- 
traire à  ces  pèi^ééuttons ,  l'électeur  de  Sftxe  le 
feit  arrêter,  probablement  du  s»  de  Charies; 
par  quatre  cavaliers  masqués,  et  Te  fait'condmré 
secrètement  au  château  de  WârÂourg  prés  d'Ei- 
senacfa.  Dans  cette  retraite,  qu'il  appelait  son 
Pathmos,il  eut  le  temps  d'étudier  et'de  tradutfe 


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Go  PAHTIK    I.  - — PÉJtI01>£    II. 

le»  livrés  qui  pouvaient  servir  d'arsenal  à  se» 
sectateurs,  de  consolider  et  d'achever  son  sys- 
tèiàe  ébauché  ;  et  de  li  il,  répandit  dans  toute 
l'Allemagne  des  éç:^ts  propres  à  rassurer  et  à 
édairer.  ses  partisfras,  qui  &appèrei)t  d'autant 
plus  .qu'ils  avaiept  quelque  chose  de  mysté- 
rieux ,  et  semblaient  partir  d'une  main  inv|sible. 
■  5ai  .  Pendant  la  captivité  de  Luther,,  sa.  doctrine 
iSaa.  lait  des  progrès;  l'enthousiasine.. se  mêle  à  fa 
çonvictioii  ;  l'aioQur  du  vrai  et  une  inquiétude 
'^^igue ,  le  goût  de  la  nouveauté  ,une  v^ité  active , 
la  haine  des  abus  et  l'intérêt  qui  compte  g^gnpf 
à  leur  ruine,  comme  il  avait-  gagpé  autrefc^  à 
leur  règne;. les  passions  qui  veulent. s'élever  sur 
leursdéhris ,  enfantent  à  sa  doctrine  des  apôtre? 
et,  des  disciples  nombreux.  Les  uns  y  voient  un 
objet  respectable,- et  leur  zèle  méritç  des.  élo- 
ges; les  autres  pe  l'adopfent  que  comme  :Uu 
pioy.ende  .parvenir,  et  ils  méditent  le  ,  mépris. 
-On  prêche  Içs  noqveaujj  principes  à  Erfurt^  à 
Worms,  à  Halberstadt,  ^à^Str^isbourg,  icn  .Autri- 
che,, en  Boh^ipe.  Le  respeqt.popr.de»  idées  an- 
ciennes, ^e  pouvoir  de,  l'habitpde,  U  paresse 
d'esprit  qui  rejette  l'examen,  l'orgueU  qui  re- 
'  pousse  ce  que  Ja  vanité  veut  faire  admettre,  le 
désir  dé  perpétuer  des  ahus. lucratif  et  des  pré- 
jugés utiles,  la  crainte  bien  naturelle  d'un  bou- 


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CHAPITRE    Xlli.  6l 

Reversement  total  et  la  hîfrdiesse  même  des  noii- 
velles  opinions  ;  suscitent  à  la  doctrine  de  Luther 
des  adversaires,  puissants.'  tJne  lutte  sérieuse 
s'engage  partout  entre  les  idées  consacrées  par 
lès  siècles,  enracinées  dans  les  esprits,  qu'on 
défend  avec  opiniâtreté ,  et  des  idées  qui  vien- 
nent de  naître,,  pour  lesquelles  on  s'échauffe 
d'autant  plus  qii'on  les  connaît  moins,  et  qu'on 
propage  avec  ardeur  ;  là 'on  veut  tout  conser-  ■ 
ver;  ici ,  l'on  niepape  de  tout  détruire.  Des  deux 
côtés  sont  les  mêmes  pasMons,  qïii  diffèrent  de 
moyens  sans  dififérer  d'objets;  elles  veulent  de 
l'or,  du  pouvoir  et  des  jouissances.  Des  deux 
côtés  on  confond  l'essentiel  avec  l'accessoire,  lès 
personnes  avec  lés  choses, et,  par  cette  associa- 
tion, on  lait  tort  aux  unes  et  aux  autres.  On 
garde  pour  soi  -et  «pourson  parti  la  pureté  des 
intentions,  l'amour,  du  bon  et  dû  vrai;  on  soup- 
çonne la  bonne  foi  des  adversaires,  ou..oa  leur 
prête  les  motifs  les  pluskodieux.'I)es  deux  côtés 
on -fait  arme  de  tout;  les  insultes,  des  exagéra- 
tions, les  calomnies  remptacest  tés  raisons  ou 
^lés  af^iblissent  en  voulant  les  appuyer-  Coaser- 
vefa-t-oii  4es  formes  et  les  institutions  qui  sont 
te  patrimoine  des  peuples,  les «piDions  qui  sont 
■devenues'  ta  cbosctence  d'unegrande  partie  dte 
l'espèce  huiiiaineP'OU  tout  sera-t-ijj^té  dans  le 


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(ia  PARTIS   I.  —  »ÉaioDE   ii. 

creuset,  et  refondu  pour  reDuitre  sous  d«  nou- 
Te)lçs  formes  ?  Tel  est  l'cdjjet  du  procès  împM'- 
Unt  qui, partage  rAllem^gae,  et  qui  bteutôt 
{larta^ra  toute  l'Europe. 
.  On  m«t  plus  de  vivacité  à  l'attaque  qu'à  la 
défense;  les  partisan»  de  Luther  «e  laiesent  eixb- 
porter  par  teur  zèle ,  et  Carlostadt  abat  les  images 
iSaa.  à  Wiitembetg,  sans  attendre  que  la.  croyance 
i5a4.  en  sœC  détruite  ou  affîiijïlte.  Tiiomas  Mivizer, 
fasuitiqne  ou  Ibuttie  anbitieiu.,  applique  à  l'or- 
4ie  politique  les  (HÎncipes  que  Luther  veut  éiCa- 
lilir  danis  les  sociétés'  relieuses;  confond,  pu 
paraît  confondre,  l'égalée  dvile  avec  Tég^é 
morale;  étend  aux  actions  la  liberté  que  le  ré- 
ionnateur  réclame  pour  .les  opinions  ;  «C ,  a'éte- 
'vant  contre  toute  espèce  de  souveraineté,  aon- 
4èf*e  les  paysans  ignorants  et  crédules,  que  la 
-nnsère,  la  vengeance,  l'avidité,  peuvent  porter 
aux  plus  funestes  excès.  Luther  sort  de  .sa  re- 
traite, condamne  et  régime  le  cèle  de  Cario- 
-stadt,  et  tonne  amtK  Mùn£er,  avec  d'>autaBC  plus 
'de  40rve  qu'on  powrait  imputer  k  la  'nouvelle 
ilootriilte  les  faussa  et  das^ereuses '.conséquences^ 
qu'on  tire  de  ses  principes,  et  qae  de  parots 
■désordres  h/à  porteraient  un  conp  niortd.  Il  pu- 
Mie -suoceseivemeat  les  liwes  -de  I9  lHAe  qu'a  e 
traduits  dans  sa  retraite.  'Ce  sont  les  pièces  du 


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CHAPITRE    XIII.  63 

procès  qu'il  met  entre  fes  màms  de  bout  le 
monde.  On  pourra  compater  la  religion  qu'on  - 
enseigne ,  avec  son  prototype,  et  ce  rapproche- 
ment .ne  sera  pas  favorable  à  la  i«i  catholique. 
Cependant,  malgré  les  ezibortatidns  «t  les.m'e* 
naces  de  Luther,  Mùnzer  continne  à  répandrr 
l'esprit  de  révolte  et  le  feu  de  la  sédUioB  dans 
ies  campagnes  ;  les  paysans  égarés  croient  rem- 
plù"  des  devoirs  en  commettant  des  crimes ,  obéir 
au  âel  en  désobéissant  à  leurs  supérieurs,  et, 
dupes  d'eux-mêmes,  s'imagiaent  suivre  lenr  cobi-  ' 
science  en  ne  stnvant  que  leors  passions.  Ik 
parcourent  la  Thuringe,  la  Hesse ,  la  Westf^aliÇf 
et  laissent  partout  des  traces  sanglaotes  de  lebr 
passage.  Il  £iut  que  la  force  s'okxae  pour  OMS- 
battre  les  progrès  d'une  opinioa  sid>versive.  de 
l'ortke  social.  La  Saxe,  la  He^e,  Branswidt.,  se 
réunissent  pour  étou£BBr  ce  fléau.  L'année  de  iSaS, 
lltiiDzer  est  battue  à  Frankenhausen;  d'autres 
coorps  prouvent  ailleurs  le  même  sotti  près  de 
cinquante  mille  hommes  périssent  victimes  de 
ta  frénétie  ou  des  passions  de  leur  çb^^.  et  son 
sang  justement  versé  ne  peut  ai  expier  -ces  vûair 
heurs  ni  en  prévenir  de  nouveaux. 

Durant  ce&  scènes  tragiques,  qui  prourad, 
par  de  sanglants  exemples,  qu'il  eti  tovjours 
dangereux  d'ébranler  tes  idées  et  les  habitudes  • 


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.64  PABTIE    I. rÉRItlDE    11, 

des  peuples,-  et  que  toute. commutibn  violente 
t\es  ç&puts  est  ijine  -espèce  de  défi  donné  au  bâ- 
tard, dotit.les  effets  sont  incalculables ,  Luther , 
séparant  la  part  de;la  férité  de  celle  de  l'erreur, 
et  distinguant  ses  principes  de$  abus,  qu'on  peut 
en  faire,  poursuit  avec  zèle  le  grand  ouvrage 
'  qu'il  a  entreplis ,.  et  -la  réformation  fait  des  pro- 
grès. Frédéric-le-Sage  meurt.  Il  s'était  contenté 
de  favoriser  la  propagation  de  la  doctrine  nou- 
rrie; lean-le-Constant  croit  les  esprits  assez 
iSaS.  .préparés,  et  abolit  l'ancien  culte.  Ernest,  duc  de 
Lunébourg,  suit  son  exemple;  Philippe-le-Ma- 
gnanime,  landg^ve  de  Hesse,  prince  ferme  et 
entreprenant ,  avait  déjà  introduit  les  mébies  rites 
dans  ses  états.  Dans  la  plupart  de-ces  pays,  l'o- 
pinion avait  devancé  l'action  de  l'autorité  sou<- 
ver^ne,  et  elle  ne  fit  qu'énoncer  le  voeu  .des 
peuples  en  ordonnant  l'établissement  du  .uou' 
veau  cjilte;  et  là  où  elle  parut  décider  de  la 
croyance  par  un  acte  de  souveraineté ,  défendre 
et  commander  ce  qui  ne  saurait  être  soumis  à 
une  volonté  eittérieure ,  peut-être  était-ce  le  seul 
moyen  de  sauver  les  idées'  religieuses  du  nau- 
frage, et  de  prévenir  une  véritable  anarchie 
morale. 

Dans  tous  le^  endroits  où  la  réforme  péné- 
trait ,  on  reliait  l'autorité  d«&  papes,  on  abolis- 


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chapithe   xi'ii.  65 

sait  la  messie,  la. confession  auriculaire,  l'adora- 
tion  de»  saiats,  on  permettait  le  mariage  des 
prêtres ,  on  libérait  les  religieux,  des  vœur  mo- 
nastiques t  on  fermait  les.  couvents ,  on  attachait 
des  idées  nouvelles  au  sacrement  de  la  sainte 
Cène.  Partout  le  clei^  était  grand  propriétaire; 
ses  biens  tentùent  l'avidité  des  princes,  qui 
avaient  beaucoup  de  besoins  et  peu  de  revenus; 
de  la  noblesse,  qui  comptait  augmenter  ses  do- 
maines et  devenir. le  premier  ordre  de  l'état; 
des  villes,  qui  voulaient  affecter  le  produit  des 
terres  ecclésiastiques  à  des  objets  d'utilité  pu- 
blique; I^es  biens  du  clei^é  furent  sécularisés , 
avec  plus  ou  moins  de  rapidité ,  plus  ou  moins 
d'humanité  et  de  justice  envers  les  usufruitiers, 
et  appliqués,  avec  plus  ou  moins  de  sagesse,  k_ 
l'entretien  du  culte ,  des  pauvres  et  des  instituts 
d'éducation  publique  (*).  Mais  ces  opérations, 


■  C)  Tontes  les  associations  particulières  doivent  leur  ori- 
gine à  la  volonté ,  ou  du  moiiiB  an  consentemont  «les  souva- 
rûns.  Les  petites  coqraratiom  religieaKS  qui  existent  dans 
la  grande  soaétépolitique,ne  s'organisent,  ne  peuvent  pos- 
séder,  acquérir  et  vendre ,  qu'avec  l'agrément  de  l'état  qui 
les  protège.  L'Eut  peut,  par  conséquent,  les  détruire,  en 
vertu  du  même  droit  qui  lui  avait,  permis  de  les  créer.  Les 
corporations  religieuses  dissoutes;  la  personne  morale  qui 
était  propriétaire  n'existe  plus  ;  les  propriétés  ne  peuvent 

a  5 


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66  fAHTlE'l.  PénlODE    II. 

presque  toujours  injustes  par  la  forme  >  lors 
même  qu'eHes  peuvent,  pour  le  fond',  être  con- 
■ciliées  avec  les  principes,  excitèrent  desr^U- 
i594.  fnatiooft  nombreuses.  On  tint  plusieurs  diètes  à 
iSag. 'Nuremberg  et  à  Spire;  mais  ces  assemblées 
étaient  mal  soutenues  par  l'empereur,  tout  entier 
■h  ses  propre^  affaires,  et  absorbé  par  ses  guerres 
•contre  ta  France.  Elles  étaient  composées  de 
princes  partisans  de  la-  r^onae,  et  de  princes 
catholiques  qui ,  Ci'aignaDt  la  puissance  toujours 
croissante  de  Charles ,  ne  voulaient  pas  provo- 
quer des  mesures  trop  rigoureuses  ,  et  elles  ne 
firent  toutesqu'insister vaguement  sur  la  néces- 
sité de  se  soumettre  à  la  diète  de  Worms,  et 
de  convoquer  un  concile  qui  décidât  définitive- 
ment tes  points  litigieuse  Cependant  on  essa}^ 

'  retomber  aux  membres  qui  composarrat  ces  sociétés ,  et  qui 
n'en  avaient  que  l'usufruit;  elles  ne  sauraient  être  restituées 
aux  donateurs  le  phis  souvent  morts  ou  ignorés;  ainsi  l'État 
peut  légitimemèut  s'en  emparer  :  mais  il  est  de  stricte  justice 
qu'il  indemnise  ceux  qui  étaient  entrés  dans  ces  corpora^ 
tktns  MMU  la  -fïn  publique,  et  qu'il  assure  aux  usufruitiers 
■otnds  tous.l»  avantages  sur  tesquds  ils  araient  pu  raison- 
nablement compter  en  entrant  dairs  les  ordres  abolis.  Voilà 
pour  le  droit  général  et  strîM  .des  états  de  dissoudre  les 
corporations  ;  mais  de  là  à  l'apptîttiiion  de  ce  principe  à 
l'Église  et  au  blergé,  à  l'utilité,  à  la  nécessité,  à  ta  sagesse 
d'une  QiesiUre  pareille ,  il  y  a  bien  loin. 


DiailizodbvGoOgle 


PUAPITIIG  ^III.  tyj 

<VaiTêler.le&  projgrès  de  la  doctrine  de  Lutbef:, 
en  défendabt  d'inb^tiduire.-les  innovations  ^ans 
les  parties  de  1,'AIIeiaagae  oùi^Uefi,  n'ayaient  pi^f 
enca4%. pénétré,  et  d'en  £vre-de  nourries  dans 
les  états  où  la  réfbnQation  s'était  établie.  Mais 
leK  princes  qui  l'avaient  eipbraçsée,  cmyimt  que 
la  oonsdence  les  oblige^û  k  répandre  la  vérité, 
ou  trouvant  leur  propre  sûreté  k  sçraer  chez 
leurs  voisins  J^  germe  des  troobles  tfà  les  tu- 
Vailladent  eux-mêmes  ^  protestèrent,  solennelle^ 
ment  contrecette  résolution,  et^envoyèreot  une 
députation  k  Plaisance,  pour  remettre  leur  pra- 
testatit^  k  Cbarlef-Qtùqt,  protestalion  célébra 
puisqu'elle  a  donné  son  nom  à  tous  l«t  sectateurs 
de  la  réforme. 

*  A  cette  époque ,  la  paix  de  Cambrai  permet- 
tait à  Oiarles  de  donner  un  moment  d'att^tion 
aux  afibires  de  l'Allemagne  11  convoqua  une  dîétc 
à  AugdKiui^^  et  ordonna  aux  protestants  d'y  iS3o. 
présenter  leur  con£e^on  de  foi ,  afinque  lepro- 
cès  fût  jugé.  Ce.  travail  it'était.pas  £icilej  .iL  s'a- 
gissait d'exposer  les  nouveaux  prbicipeS' dans 
toute  leçr  int^^té',  en  lw:ofl&«ats0us.)p  point 
de  vue  te  plus'>favorabl«4;et;ra  seâervant  d'ex- 
prefi6iOa«.n9ttgées-qailés,t'ap[»r(k9basâent,  leplus 
qu'il  était  possible ,  de  h  rdigitm  dominante:  Lu- 
ther, étranger  à  toute  espèce  de  ménagemeitit^, 
5. 


DiailizodbvGoOgle 


68  PARTIE    I.  PERIODE    II. 

n''était'pa3  propre  à  ce  travail.  Mélanchton ,  plu9 
iidroit  et  doué  d*un  esprit  plas' conciliateur,  en 
fut  chargé.  Cet  écrit  était  une  pièce  de  ciroon- 
stance:  il  contenait  les  idées  des  rérormateurs  ; 
il  ne  pourtit  pas  être  érigé  en  règle  de  foi  pour 
leurs  disciples ,  sans  contredire  le  principe  fon- 
damental de  -la  n6u-velle  doctrine  ;  cependant , 
par  une  de  ces  inconséquences  si  familières  k 
l'esprit  humain ,  les  chefe  de  la  réforme  en  firent 
l'évangile  de  leur  parti,  at  l'indiquèrent 'ii  t«urs 
nombreux  sectaleùrs  comme  la  seule  loi  qui  pût 
les  sauver  de  la  licence  «tes  opinions ,  et  comme 
un  point  de  ralliement  qui  les  préserverait  de 
l'aharchie.  Soit  paresse ,  soit  bçsoin  de  croire  et 
de  fixer  leurs  esprits  incertains ,  les  sectateurs 
de  Luther  jugèrent  fidélité  à  ce  nouveau  code,' 
et  substituèrent  son  autorité  à  celle  du  pape< 
C'est  ainsi  que  pendant- long-temps  les  Luthé- 
riens t  tout  eo  proclamant  la  liberté  de  l'examen , 
ne  firent  que  dianger  une  servitude  contre 
l'autre,  et  l'opinion  de  leur  chef  4eviat  la  me- 
«ui*  de  leur  propre  croyance. 
'  Ce  fut  à  Augsboui^  qu'éclata  la  première 
scission  entre  les  Ltithériens  et  les  Zwîngliens. 
La  prédication  des  indulgences  avait  aussi  armé 
en  Suisse ,  c{»itre  les  abus  dominants  ,•  le  zèle 
de  Zwingle,  curé  catholique,  né  k  Wildenhau- 


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CHAPIT&B    XJIl.  69 

son ,  dans  le  comté  de  Toggenboo^.  Cet  homme 
joignait  àdes  ..mœurs  austères  ud  esprit  juste, 
une  raison  lumineuse  et  un  caraqtèce  plus  doux , 
peut-être  hième  des  motifs  plus  dégagés  de  tou;- 
tes  passions  personnelles.,,  que  le  réformateur 
allemand.  Il  avait  adopté  le&  idées  principales  d« 
Luther  ;  mais  il  avait  sépacé  toute  idée  mystique 
du  sacrement  de  la  Cène ,  et  n'y  voyait  qu'un,  si- 
gne comméiDorat^  de  la  mort  de  Jésus^  Une 
philospf^iie  plus  saine  que  celle  de  Lnthçr,  «t 
.uo  cœur  plus  sensible^  lui  faisaient  aptri&uer 
aux  œuvres  plus  de  mérite  qu'à  la  foi,>  et  il  ac- 
cordât plus  ^'la  liberté  de  rhomms  qu'à  la.  pré- 
destination. Sa  doctrine ,  prêtée  d'abord  à  i^*4- 
Zurich,  avait  été  adopl;ée  dans  ce  canton  çt 
dans  ceux  de  Berne ,  de  Bâie ,,  de  Schaffouse  » 
par  l'avis  et  l'ordre  des  magistrats;  c'était  la 
pallie  la  plus  riche,  la  plus  édairée  de  la  Suisse, 
et  par.  conséquent  la  plus  mobile  et  la  plus  poi:- 
.  tée  aux  intiOvations.  Les  habitants  paisibles  des 
Hantes-Alpes,  plus  attachés  à  leurs  anciennes 
habitudes ,  regardant  leur  foi  comité  un  héritage 
sacré ,  restèrent  fidèles  à  la  religion  de  leurs 
pères.  La  doctrine  de  Zwiijgle  compta  peu  (Je 
partisans  dans  ces  petits  cantons  où  les  idée^  et 
les  priofàpes ,  invariables  comme  la  nature ,  chan-  > 
geut  rarement,  parce  que  les  communications 


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fJO  PARTIE    f.  PÎËHIODE    II. 

y  sÔDt  rares  et  difficiles;  mais  tes  opiuious  de 
Zwingle  avaient  gagné  du  terrain  en  Allemagne  ^ 
et  à  la  diçlê  (TAugsbonrg  on  en  etit  ia  preuve 
certaine.-  ■       ■  -      - 

'  Oes  aberràticAis  de  la  '  routé  qu'ils  avaient 
tracée;  irritaieUt  Luther'  et  ses  sectateurs;  on 
tèxtta  un  de  ces  rapprochement»,  qui  sont  im^ 
praticables  quand  il  s'agit  d'opinions  et  non  d'in'' 
féréts>  et  quand  la  force  de  la  conviction,  réelle 
où  pr^ehtlue,  ne  përtnet  pas  de  CDinpoMT  avec 
ia  vérité.  Des  eonférwices  infructueuses,  où 
dlaque  parti'  se  fortifia  datis  sa  croyance,  ne 
firoit  que' tettdre  les  animosités  plus  vives  et  les 
différences  plus  marquées.  Déjà  des  deux  c6tés 
tla  s'attaquait,  ôh  s'insultait,  cui  se  pentnettait 
lesTécrirainàtioDS  les  [^us-odieuses;  et, à  la  satiâ- 
%ction  de  l'ennemi  comibiln,  les  Luthériens  et 
'les  Zwingliens  se  haïssaient  d'autant  plus  qu'ils 
tfétaient  séparés  qi'ç  par  des  nuances  légères , 
'  et  paraissaient  plus  acharnés  les  uns  contre  les 
autres  que  contre  les  catholiques. 

Zwingle  ne  survécut  pas' long -temps  à  ces 

1.  divisions.  La  guenfe  civile  éclata  en  Suisse.  Les 
cantons  protestants  voulurent  contraindre  les 
autres  à  passer  au  nouveau  culte,  en  leur  re- 
fusant des  vivres.  Les  cantons  catholiques,  juste- 

■   ment  irrités,  prireut  les  armes.  Zwingle,"  pre- 


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CUAflTHE     XIII.  "Jt- 

mier  ecclésiastique  de  Zurich,  s'était  vu  forcé 
de  s'armer  .avec  les  autres.  Il  ne  youlutpas  qM'oii 
pût  l'accuser  d'avoir  attiré  sur  ses  compatriotes 
des  dangers  qu'il  refpsât  de  partager^  ardent 
etbraT!9,.il  périt glorieusenient,  en  défendant  sa 
patrie ,  à  la  bataille  de  C^pel ,  où  les  catholiques 
furent  vainqueurs. . 

P.endant  que  les  Zwingji^s,  faisant  des  cou- 
quêtes  sur  les  disciples  de  Luther,  exdtaieut  son 
indignation,  et  semblaient  justifier  le  reproche 
d'instabilité,  feit,  dès  leur  ori^e,  aux  principes 
de  la  réfonnatiop  »  une  nouvelle  secte ,  professant 
'aussi  la  liberté, d'examen,  prenait  des  accroisse- 
ments rapides  qu'elle  devait. au  zèle  de  Calvin  , 
son  fondateur.  Cet  hQmme  célèbre,  né  à  Noyon,  1509. 
en  Picardie,  avait  ^opté  les  bases  fondamen- 
tales de.  la  doctrine  du  réformateur  Allemand  ; 
mais  son  génie  ne  lui  permettait  pas  d'être  par- 
tisan'seryilç  de. la  doctrine  d'un  autre,  il  avait 
BBodifié  celle  de  Luther.  Se  rapprochant  de  Zwin- , 
^le  d^sla  manière  d'^ivisager  la  Cène,  il  outrait 
les  principes  de  Luther  saf  la.  prédestîuf^iou, 
et-  i^éântissait  presqu'entiérement  la  liberté 
morale  et  le  mérite  de  l'hoqaipe.  Sévè;^  jusqu'à 
la  dureté  pour  lui-même  et  pour  les  autres,  dés- 
intéressé parce  qu'il  ne  connaissait  d'autre,  be-  ■ 
snin/quc: celui  du  pouvoir,  ni  d'aijitreplatsiiqLte 


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7»  PARTIE   I.  —  PERIODE    II. 

le  travail,  son  caractère  était  despotique,  son 
humeur  austère ,  son  esprit  pénétrant,  ses  con- 
naissances vastes ,  son  activité  infatigable.  Enneriiî 
de  toute  autorité  et  jaloux  de  la  sienne ,  plus 
ami  de  Tordre  et  de  Ja  règle  que  de  la  Hberté, 
il  était  moins  emporté  et  moins  fougueux  que 
Luther,  plus  ambitieux  que  Zwhigle,  plus  im- 
périeux que  Mélanchton.  Protégé  par  la  reine 
Marguerite  de  Kavarre ,  qui  inclinait  secrètement 
aux  idées  faouvelles ,  il  avait  répandu  ses  prin- 
cipes en  France  avec  succès.  Mais  le'zèle  de 
François  1  s'àlluiiiant  contre  les  novateurs, 
Calvin  s'était  sattvé  en  Suisse,  et  ce  fut  à  BAle 
qu'il  publia  son  Institution  chrétienne,  qu'il  dédia 
au  roi  de  France.  Guillaume  Farel  l'avait  engagé 
à  se  fixer  à  Genève,  pour  y  achever  la  réforme 
déjà  commencée,  Calvin  était  non-seulement 
lin  théologien  profond ,  mais  encore  un  habile 
législateur;  la  part  qu'il  eut  aux  lois  civiles  et 
religieuses  qui,  pendant  plusieurs  siècles,  ont 
bit  le  bonheur  de  ■  la  république  de  Geilève , 
est  peàt-être  un  plus  beau  titre  à  la  gloire 
que  ses  ouvrages  tbéolôgiques  ;  et  cette  répu- 
blique, célèbre  malgré  sa  petitesse,  qui  sut 
allier  les  moeurs  aux  lumières ,  la  richesse  à  la 
simplicité,  la  simplicité  au  goût,  la  Uberté  à 
l'OTdre,  et  qui  a  été  lAng-temps  un  foyerde  ta- 


DiailizodbvGoOglc     , 


-CHAPITBB    XIII.  73 

leotii  et  de  vertus,  a  prouvé, que  Garvin  conoais- 
sait  les  hommes,  et  savait  les  gouverner.  Son 
esprit  dominateur,  et  impatient  de  toute  espèce 
de  contradiction,  le  rendit,  comme  la  plupart 
des  réformateurs,  infidèle  à  ses  propres  prin- 
cipes. Il  réclamait  pour  lui-même' l'indépendance 
des  opinions ,  et  voulait  asservir  celles  des  autrA 
aux  siennes.-On  le  vit  faire  condamner  et  brûler 
Servet,  lui  qui  s'était  élevé  avec  tant  de  force 
contre  les  persécutions  que  François  I  faisait 
essuyer  à  ses  disciples.  Il  avait  tellement  lié  la 
religion -dcjminanle  avec  l'ordre  politique,  que 
la  liberté  des  cultes  ne  put  jamais  devenir  une 
loi  de  la  république.  Ces  mesures  n'étaient  pas 
uniquement  chez  lui  l'effet  d'un  caractère  intolé- 
rant ,  mais  elles  lui  étaient  dictées  par  la  situa- 
tion de  Genève,  qui,  ayant  secoué  le  joug  des 
ducs  de  Savoie,  devait,  entre  autres  barrières, 
leur  opposer  celle  de  la  différence  des  cultes, 
et  qui,  en  proscrivant  de  son  enceinte  la  religion 
catholique,  assurait  son  indépendance.  Si  la  to- 
lérance n'a  pas  existé  dans  les  lois  de  Genève , 
elle  a  toujours  existé  dans  le  coeur  de'  ses  ha- 
bitants. 


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-  »EIIIOUE    11. 


CHAPITRE  XIV. 

Ligue  de  Smalkalde,  Guerre  de  Charles-Quint  cuBtre-  W  . 
protestants.  Ses  r«iisà|uences.  Maurice  tle  Saxe  sauve 
TAtlçmagne.  Pabc  de  Passau. 

IjEs  sectes  se  inultipliaieQt;  et' plus  elles  deve^ 
uaieDt  Dombreuses^  et  agresàves,  plus  il  pa- 
caissait  nécfôsaire  aux  princes  catht^iqiKS  de 
l'Alleinagae  que  l'empereur  sévît  coatre  les, no- 
vateurs. Les  mêmes  raisons  qui  le  pressaient  d'a^ 
gir  avec  vigueur  furent  encore  renforcées,  k 
cette  époque,  par  l'attitude  menaçante  que  prit 
h.  ligue  de  Smalkalde.  La  réfonnation  Avait  rotppu 
les  liens  de  la  grande  société  chrétienne ,  mais 
elte-mème  était  devenue  le  lien  d'une  nouvelle 
association.  De  bonne  heure,  les  états  protes- 
tants, prévoyant  les  dangers  .auxquels  ils  pouri 
raient'  être  exposés,  sentirent  qu'^1-  n'y  avait  de 
sî^jreté  pour-  eux  que  dans,  l'union  de  leurs  ^'r- 
)■  ces,  et  ils  formèrent  la  ligue  de  Smalkalde,  dont 
le  but  était  de  défendre  la  réforme  contre  toute 
espècede  mesure  violente.  Quelques  annéesaprès, 
la  confédération  acquit  de  nouveaux  membres,  et 


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CBÀPITBE    X!Y^  "        75 

reçnt  une  oi^nisMion  moids  imparfeite.  A  fa 
tète  de  l'assodation ,  se  (Pouvaient  Jcan-Frécté- 
lic,  électeur  de  Saxe,'qtti  avait  «ueeédé  à  lean- 
le-CohslaBt,  et  I%itippe4e-Magnanime',  land- 
grave de-Hesse.  L'électein-  n'avait  pas  le  degré 
d'énei^néceSsaiFe  pour  jotier  le  premier  r61e 
avec  stiCO^T  e*  d  avçît  trop'^d'ca^eil  pour  le 
cédera  un  autre.  Plus  rdigieux  que  politique, 
il  ne  Savait  rieu  prévoir,  supposait  que  les  com* 
binaiïons  de  seS'  etinemis  ne  s'étendaient  pas  plui 
loin  que  les  siennes ,  et  nç'  se.  doutait  pas  que 
dans  une  tête.eoniine  ceUc  de  Tenipereur,  la 
religion,  pouvait,  ^cilement  servir  de  masque  k 
de»  entreprises. ambitieu^s.  Pliitippe,  gendre  de 
l'étecteur ,  était  plus  actif  et  plus  péoârant  que 
lui,  omis  son  impétuosité  le  rendait  peu  profn^ 
à  cottcilier  les  intérêts  et  à  ménager  les  passions 
des  princes  coalisés;  d'aslleurs  toutes  sortes  de 
considérations  l'oHigeaient  ht  céder  la  préémi- 
nence à  son  beau-père.  Tous  deux  avaient  une 
erreur  c<Hnmune;  il*  enraient  que  Charles  n'en 
viendrait  jamais  à  une  rupture  ouverte  jfvec  le» 
protestants  et  qu'il  suffirait  de  mpntrer  la  guerre 
pour  l'éviter:  fermant  les  yeux  à  l'évidence,  Hs 
oe  voyaient  pas  que  l'empereur  n'avait  usé  .de 
m^iageménts  et  de  mesures  de  conciliation  en 
Altemaguei  que  pour  gagner  du  temps  et  em- 


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•j6  PARTIE.  I.  PSBIOpE    II. 

pécher  k   ligue  de   Soiallialdé  de  faire  csaiSc 
commune  avec  le  roi'  de  France.- 

DésonDais ,  Charles  pouvait  sans  danger  aban- 
donner ce  s^p^ème.  Les  circonstances  hii  per- 
mettaient d'agir  avec  vigueur  et  de  se  montrer  à 
^écouveilk  Le  moment  de  frapper  un  grand  coup  . 
est  arrivé.  Dans  les  idées  des  catholiques ,  le  mal 
augmente,  et  appelle  un  remède  violeât.  Déjà  la 
réformatioa  s*étend  dans  tes  états  ecclésiastiques 
de  l'AUemague.  Lesévéques  etles  arcbevéquesj 
cédant  au  désir  de  fixer  dans  leurs  iamilles  leur 
.  souveraineté  élective^  désertent  .les  autels;  et 
ceux  qui  auraient  dû  s'opposer  aux  progrès  de 
la  nouvelle  doctrine ,  l'adoptent  eux-mêmes. 
Elle  gagne  du  terrain  dans  les  évécbés  de  Lu- 
beckj  de  Schwerin,  de  Ratzebourg,  de  Baiber- 
stadt,  de  Magdeboufg.  D'un  autre  côté  les  pro- 
testants, qui'  ont, souvent  invoqué  l'autorité  d'un 
condle  pour  décider  les  points  litigieux ,  ne  -pa^ 
raissènt  pas  disposés  à  se  souraetti%  aux  arrêts 
»5^.  de  celui  qui  vimt  de  s'ouvrir  k  Trente ,  et  qui, 
en  effet, ne  montre  pas  assez  d'impartialité  pour 
mériter  leur  confiance.  Déjà  la  guerre  a  éclaté 
entre  les  protestants  et  les  cathohques ,  et  Phi- 
lippe-le-Magnanime  a  combattu  avec  '  avantage 
Henri- le-Jeune ,  duc  de  Brunswick- Wolfenbut- 
tel.  Charles  veut  jM'ofiter  dc'  ces  divisions  reli- 


=dbï  Google 


CHAPITHE     Xiy.  ^7 

pieuses',  pour  devenir  le  soiivefiin  absolu  de 
l'Allemagne;  il  espère  écraser  les  protestants 
avec  le  secours  des  cathdiqnes ,  asservir  les  ca- 
Aoliques  afiiaiblis  par  l'ascendant  que  lui  don- 
seront  ses  victoires ,  et  asseoir  sa  domination 
'  sur  la  niioe  des  deux  partis.  Voilant  son  ambi- 
tion de  mots  pompeux,  invoquant,  en  appa- 
rence,les  idées  les  plus  chères  au  cœur  humain, 
il  parlera  des  sàçriâGes  qu'il  &it  au  bien  général , 
tout  en  l'immolant  à  son  intérêt  particulier;  de 
la  sûreté  de  l'ein^re,  tout  en  l'exposant  au  plus 
grand  danger  ;  de  l'ordre  social ,  tout  ai  Inouïe- 
versant  la  constitution  germanique  ;  et,  étou£&nt 
la  liberté  religieuse  ,afin  d'anéantir  la  liberté  po- 
litique de  rAllemagne,  il  marchera  d'autant  plus 
sûrement  à  ^on  but  que  les  maximes  les  plus  sain- 
tes couvriront  les  motiis  honteux  de  son  zèle. 
Il  dissimule  encore,  et  paraît  attendre  la  fin 
du  schisme  uniquement  des  travaux  du  concile 
de  Trente.  Cette  assemblée,  demandée  par  tous 
les  partis,  et  qui  devait  guérir  tous  les  maux  de 
l'église,  avait  commencé  ses-séances.  Mais  Le  pe- 
tit nombre  d'évéques  et  de  prélats  qui  s'y  étaient 
rendus,  les  lenteurs  da  pape  ,qui  différait  dé 
donner  les  instructions  que  sollicitaient  ses.  lé- 
gats ,  l'ordre  même  de  la  discussion  qui  parais- 
sait n'avoir  d'autre  but  que  d'éloigné^  les  points 


D,a,i,zt!dbvGoogIe 


^8  PART'IP    I.  PBAiODK'lI, 

essentiels  et  les  matières  importantes ,  tbut  in- 
spirait ane  juste  défiance  aux  protestaoh ,  qui 
voyaient' daimuent  qu'ils  seraient  conddmnés 
suisaVotr  été  «Uèndus.  Les  catholiques  écliûrds 
sentaient  éuxrmciiDes  qu'ail  lïeu  de  réformer  les 
àkkiSi  on  aerJEèrait  qiie  prosonre  i&  réformatiou.  -. 
Personne  ne  TouLait  sincèrement  qne  le  conàle , 
procédant  avec  rapidité^'amenâtnh-réniltatdé* 
cisif  et  ptdfi&t  les  troubles  de  t'AlIemagne.  lie 
pape  Panl  111  aiwait  sfHthaké'  qu'il  eût 'été  con- 
Toqué  dans  -une  ville  dltabêj  à  Trente,  .il  -té 
trouvait  tn>p  dans  la  d^Mndanee  de  l'ei^tàeiiT  : 
d'aîUeni?,  il  m  voulait  pasi  que  ce  fut'  en  esa* 
minaAt  les  dogtnes,  en  corrigeant  là  discipline 
et  le  gouvernement  de  l'Elise,  qu'on  fît  cesser 
le  schisme  ;  il  pré£tetit  qu'il  fut  étouffé  par  la 
guerre  et  que  les  protestants  fussent  punis  comme 
rebelle».  Ôiartesles  connaissait  trop  bien  pour 
croire  qu'ils  se  soumettraient,  aux -arrêts  du  con- 
cile; il  voulait' la  guerre,  il  la  prévdyait;  mais  il 
désiraît-mettre  les  apparences  de  la  justice  de 
soD  coté.  Dans  les  entretiens  qu'il  eut  à  Spire 
avec  le  landgrave ,  il  montra  encore  de  lamoclé* 
ration;  cepenidant,  à  l'exception  'des  ^e&-  de  la 
ligue  de  Smalkalde ,  tout  le  monde  regardait  là 
guerre    comme .  inévitable.  L'empereur,  voulait 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XIV.  J^ 

a-voir  le  temps  de  ie  fortifier  par  des  alliances 
et  de  tirar  à  lui  ses  troupes  d'Italie. 

Durant  ce  calme  perfide  qui  préparait  et  pré- 
sagent même  à  l'Allemagùe  les  plus  cruels  maU 
heurs,  Luther  étùtmortà  Ëisleben,où  il  avait  i 
été  appelé,  par  les  comtes  de  Mansfeld  pour  ré>- 
gler  d«s  affaires  de  succession-  et  de  partage.  Il 
avait  imprimé  à  l'écrit  humain  un  gruid  moa- 
vemeut  dont  il  était  bien  éloigné  de  pressentir 
tous  les  effets;  il  laissa  des  paitisaus  et  des  en- 
nemis également  prononcés,  un  nom  célèbre 
en  vénération  à  une  partie  de  l'Europe,  en  hor- 
reur à  l'autre,  et  déposa,  sans  le  savoir,  dans  le 
sein  de  l'empire-  germanique,  le  germe, des  pl^s 
sanglantes  catastrophes  et  des  plus  brillants  dé- 
veloppements. Pendant  toute  sa  vie  il  avait  re- 
commandé la-pûx;  il  craignait  avec  raison  que 
l'épée  ne  décidât  les  questions  importantes  qui 
s'agibnent,  «t  une  gvwre  de  religion  lui  parais- 
sait le  cMnble  de  l'infortune.  Il  fut  assez  heu- 
reux pour  ne  pas  être  témoin  de  celle  qui  se 
prépu-ait;  mais  sa  mort  en  devint  en'  quelque 
sorte  le  signal. 

Charles,  cachant  toujoursses véritables  int«t- 
tions,  paraissait  disp<;>5é  à  terminer  À  l'amiable 
tous  les  différents  de.l'A,Uem^ne  ;  mais  il  donna 


.,„z.dbvGôogI,e 


80  PARTIE-  I.  PEniODE    II. 

'  'secrètement  à  ses  troupes  d'Italie  l'ordre  de  ve- 
'  nir  le  joindre  ;  et  en  leva  de  nouvelles,  la  paix 
glorieuse  qu'il  yenaîtde  conclure  À  Cres[^  avec 
la  France,  lui  permettait  d'agir  dans  l'empire 
avec  une  entière  liberté.  François  I,  affaibli  par 
U  maladie,  ne  pouvait  lui  donner  de  l'inquié- 
tude, .et  ne.demtvdait  que  le  repos.  Charles 
1 538.  pouvait  compter  «ur  le  secours  de  la  ligue  catho- 
lique, formée,  pour  contre-balancer  la  puissance 
de  celle  de  Smalkalde,  par  les'  états  qui  liaient 
restés  fidèles  à  l' ancienne  doctiîne.  Paul  m,  per- 
dant de  vue  les  maximes  qui  avaient  si  iongi- 
temps  dirigé  la  cour  de  Rome ,  et  pe  consultant 
que  sa  haine  contre  le»  protestants ,  conclut  avec 
rempereurunealliance  étroite  qui  devait  assurer 
sa  domination  en  Allemagne ,  et  l'armée  du  pape 
allait  concourir  à  établir  le  despotisme  impérial 
sur  les  dâiris  de  l'autorité  des  états.  Cependant, 
quelque  favorables  que  fussent  toutes  ces  cir- 
constances aux  projets  de  Charles,  les  dispoù- 
tions  de  Maurice  de  Saxe  étaient  l'événement 
le  plus  heureux- et  le  plus  décisif  Ce  prince 
protestant  négociait  sa  défection  arec  l'empcr 
reur,  et  s'engageait  à  combattre  contre  sa  fa- 
mille, sa  reli^n  et  la  liberté  de  rAllemagoe. 

Maurice,  souverain  de  la  Misnie  et  d'une  par- 
tie des  provinces  qui  forment  aujourd'hui  l'élec- 


DiailizodbvGoOgle 


CIIA.PIT]t£    XIV,  ttl 

tin^t  de  Saxe ,  était  aiTiâre>petit-âs  de  TélcctenF 
Frédéric  n,  et  deaccndatt  d'Albert ,  wm  eecood 
fils  ;  VaÏDé ,  Ërneat  i  était  la  touclw  de  la  brandie 
qui  occupait  le  trôn^  Rectoral.  Ce  .priAée.  était 
né  quelques  années  après  le  ooaMaeniiement  de  iS 
U  réformatian.  Sk  jenbeue  avait  été  né^igée. 
L«  tnauTBis  état  de  la  fiirtune  de  non  pjx«  ne 
lui  permettait  pas  de  donner  &  son  fils  une  édn. 
cation  brillante,  ni  même  soignée;  tnais  le  na- 
turel heureux  du  jeune  Mianrica  dispensait  ses 
instituteurs  de  soins  assidu»,  et  il  annonça  de 
bonqe  heiuv  des'  talonfi  diatingués.  Élaré  dans 
là  religion  prbtestante^  il  parait  que  roppoaitiôn 
qu'il  y  avvX  sur  cet  objet  antre  son  père  et  soii 
oncle,  lui  donna  de  bwine  heure  des  doutes, 
ou  plutôt  .une  sorte  d'indiCEérence  religieuse. 
Le  séjour  qu'il  fit  à  la  oour  de  l'archevêque  de 
Bfayenee ,  «t  plus  tard  à  (%Ue  de  Charies ,  né  l'a-, 
vait  pas  rend»  eathoUque,  laeia  l'avùt  eondnit 
à  regarder  les  disputes  de  religion  qui  agitaient 
VAUeBMgae  ce^me  des  àreonatatices  heureu- 
ses .  qui  pottveifflat  le  ç«»d»i?e  tu  pouvoir  et  k 
la  £[>rtune.  A  l'iina^nÀtion  n^wgsair*  pottr  for^ 
mw  des  plf0s  il  joigwt  cette  rmon  froide  qui 
modàra  l'tfiiïaginMion  et  juge  «évÀrmomit  les 
coMl^naisof»  qu'elle  enfirate  ;  an  feu  et  ii  l'ar- 
deur de  là  jeunesse  i)  unisRit  ce  courage  calme 
2  (i 


DiailizodbvGoOgle 


8a  PARTIE    I. PÉRIODE    II. 

qm  -contient  on  dirige  la  vivacité  du  tempéra- 
ment  Long-temps  il  mûrissait  ses  projets  dans 
le  silence  et  les  couvrait  d'un  voile  impénétra- 
ble. Hardi  daos  ses  desseins,  mesuré  dans  ses 
dénuu^es,  il  savait  attendre  et  saisir  le  moment 
de  développer  ses  Tues  ;  alors  il  se  montrait  actif 
et  entreprenant,  autant  qu'il  avait  paru  lent  et 
timide:  Son  esprit  était  Quvcrt  à  toutes  les  idées, 
son  coeur  fermé  au  sentiment.  Capable  de  se 
servit-  de  toutes  sortes  de  moyens  pour  airiver 
à  un  but  utile  à  lui-n^mé  ou  aux  autres,  il 
avait  assez  d'indépendance  de  caractère  pour 
se  mettre  au-dessus  des  jugements  de  Topinion', 
sûr  de  pouvoir  se  passer  d'elle,  ou  de  la  rame- 
ner à  lut  par  l'éclat  et  le  succès  de  ses  actions. 
Tel  était  l'homme  qui  devait  combattre  la 
cause  des  protestants,  pourla servir  ensuite  avec 
d'autant  plus  de  ^oire ,  et  devenir  l'instrument 
docile  du  despotisme  de  l'empereur,  pour  Assuré 
finalement  la  liberté  de  l'Allemagne.  Charles  et 
lui  étaient  faits  l'un  pour  l'autre.  Les  conformités 
frappantes  de  leurs  caractères  devaient  le*  rap- 
procher et  les  unir.  L'empereur  avait  eU  occa- 
sion dé  connaître  Maurice  dans  la  deniière  gueire 
contre  la  France.  Ce  jeune  prince  avait  fixé  son 
attention  ;  pénétrant  son  ambition  et  son  indif- 
férentisme  religieux ,  et  devinant  ses  talents ,  il 


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•   CHAPITBE    XIV.  Ô3 

sentit  que  Maurice  pourrait  se<»nder  ses  projets 
contre  les  protestants ,  et  lui  fit  des  ouTwtures. 
Miturice  n'était  attaché  ni  à  ses  parents  ni  k  son 
culte  ;  il  convoitait  depuis,  long-temps  l'héritage 
de  Jean-Frédéric,  à  <pà  il  se  croyait,  avec  rai- 
son ,  fort  supérieur ,  et  qui  n'avait  pas  eu  l'art  de 
se  faire  aimer  de  lui.  Il  ne  vit  dans  lés  proposi- 
tions de  Charles  que  la  route  de  la  fortune ,  et^ 
par  un  traité  fonqel ,  il  lui  pronùt  de  faire  en  sa  's'"'' 
faveur  une  diversion  puissante. 

Les  dangers  qui  laepaçaient  les  protestants 
d'Allemagne,  devenaient  de  jour-en  jour. plus 
alarmants;  et,  pour  les  conjurer,  la  ligne  de 
Smalbalde  était  réduite  à  ses  propres  forces.  Le 
Danemarck  et  la  Suède  avaient,. comme  nous  le 
verrons.,  embrassé  la -nouvelle  doctrine;  mais 
Frédéric  I""  et  Gustave  Wasa,  occupés  de  leurs 
propres  affaires  et  dénués  de  ressources,  ne' 
pouvaient  doniler  des  secours  aux  protestants 
de  TÂlleniagne  sans  compromettre  leur  propre  ' 
sûreté.  François  I*',  dégoûté  de  la  guerre ,  appe- 
santi par  la  maladie ,  et  sacrifiant  son  intérêt 
politique  à  un  faux  zèle  religieux,  refuse  de  saisir 
cette  occasion  de  venger  ses  anciennes  injures, 
et  ne.  fait  passer  à  la  ligne  de  Smalkalde  qu'une 
somme  d'argent  insuffisante.  La  ligue  ne  peut 
rien  espérer  de  Heiui  yilL  Ce  prince  emporté 
■  6. 


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84  PARTIE    I. P^RlOm    II. 

et  fougueux  a  rompu  les  lieiis  de  dépendance 
qui  l'attachaient  à  la  cour  de  Rome  ;  maiA  il  a 
conserve  les  andensdc^^ee  et  les  anciens  rites  ; 
et  s'il  s'est  écarté  de  la  doctrine  de  Téglise  sur 
l'article  de  l'unité,  i!  est  encore  bien  plus  éloi- 
gné de  la  doctrine  nouvelle.  Les  Suisses,  qui 
sortent  des  horreurs  de  la  guerre  civile,  ont 
seconnu  qu'il  n'y  a  dé''  salut  pour  leur  pays  que 
danfllà  neutralité.  Une  cruelle  expérience  les  a 
attachés  à  ce  système ,  -et  ils  résistent  aux  pres- 
santes solticitations  de  la  ligue.  Les  princes  pro- 
testants eux-mêmes  sont  divisés  entre  eux,  et  ne 
se  déclarent  pas  tous  pour  des  mesores  hostiles. 
(^larles-Quînt  a  détaché  de  leur  parti  Maurice 
de  Saxe  et  te  margrave  Albert  de  Brand^ourg- 
Culmbach,  esprit  inquiet  et  turbulent,  qu'il  est 
facile  d'égftter  en  lui  présentant  l'appât  du  mou- 
vement ,  de  la  glmre  et  du  butin.  Joachîm  -Il , 
électeur  de  Brandebourg,  à  introduit  le  luthé- 
Mnisme  dans  ses  états,  mais  avec  des  modifica- 
tions qui  n'annoncent  pas  un  luthérien  zélé. 
Doux  jusqu'à  là  faiMessé ,'  la  crainte  et  le  respect 
le  lient  à  l'empereur  et  l'empêchent  de  se  pro- 
noncer contre  lui.  Généreux  jusqu'à  la  prodi- 
galité ,  ses  dépenses ,  qui  surpassent  ses  revenus , 
le  mettraient  d'ailleurs  hors  d'état  de  faire  des 
sacrifices  à  la  cause  commune.  Le  margrave  Jean , 


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GHâ.PITRe    XIV.  85 

frère  de  l'électeur  et  souTeraîd  de  UiNouvellc- 
Marcbe,  a  les  dé&uts  opposés  U  -ceux  de  son 
frère;  sa  fermeté  et  sa  justice  inflexible  dégéilè- 
reaten  roideur,.et  jod  économie  touche  de  {wès 
k  l'avaiice  ;  mais  il  croit  la  guerre  illégale-  et 
Craint  les'  dépenses  auxquelles  elle  pourrait  l'eo- 
trainer.  Ces  deux  princes  restent  neutres,  et 
veulent  attendre  l'issue  deJa  lutte  qui  va  s'en- 
gager. Us  «e  prtvoieot  pas  q(i« ,  quel  qn^  soit 
le  parti  vainqueur,  la  neutralité  les  expose  à 
'  perdre  leur  iodépendacfce  ou  leur  coosidératioa, 
et  qu'ils  seront  dominés  par  l'empereur  ou  par 
les  cheis  de  l'unÎQO  de  Sma&alde.  La  ligue  des 
états  catholiques  n'aperçoit  que  l'intérêt  de  la 
reli^ûn  où  Chaînes  ne  voitque  la  politique;  ils 
croient  assurer  le  repos  de  l'Allemagae,  et  ils 
[wéparent  son  asservissement.  Dupes  de  Tem- 
pereur,  qui  invoque  les  lois  pour  les  violer  ifu- 
puném^t  1  ils  travaillent  à  le  mettre  an-dessus 
de  toutes,  et,  perdant  de  vue  la  liberté  générale 
qui  devrait  les  unir  aux  confédérés  de  Smal- 
lulde,  ils  arment  en  iaveur  de  leur  ennemi 
conunun, 

Cependaqt,  réduite  à  ses  propres  forces,  la 
ligue  était  encore  f<»midable;  elle  pouvait  méoie 
espérer  de  triompher  de  l'empereur ,  en  se  hâ- 
tant de  frapper  un  coup  décisif.  L'essentiel  était 


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o6  l'ARTIE    I.  PÉRIODE     11. 

d'eiiipêcher  que  lagueite  fie  traînât  en  longneui*: 
l'armée  des  confédérés  perdait  tout  en  perdant 
du  temps  ;  on  pouvait  prévoir  que  si  elle  restait 
long-temps  en  cai&pagne ,  lai  désertion  lui  enlè- 
verait beaucoup  de  monde;  que  bientôt  elle 
manquerait  d'argent  et  se  dissoudrait  sans  avoir 
rien  entrepris  :  maù  des  deux  chefs  qui  la  com^ 
mandaient ,  l'un ,'  l'électeur  de  Saxe ,  était  lent  et 
irrésolu  ;  il  aimait  les  délais  et  lés  deàni-mesures, 
et  voulait  encore  négocier  lorsqu'il  ne  fallait  plus 
songer  qu'à  combattre;  l'autre,  Pbilippe-le-Ma-  ' 
gnanime ,  subordonné  à  son  bëau-père ,  ne  pou- 
vait agir  librement^  et  déplorait  en  secret  son 
inaction  forcée.  Le  défaut  de  caractère  de  Jean- 
Frédéric  causa  sa  ruine  et  fut  sur  l6  point  d'en- 
traîner celle  de  la  religion  protestante.  ' 

Les  forces  des  confédérés  étaient  imposantes  : 
quatre-vingt  mille  fantassins^  neuf  mille  chevaux, 
cent  pièces  d'artillerie,  formaient  une  armée 
bien  plus  redoutais  que  celles  qui  avaient  agi 
dans  les  guerres  de  François  I  et  de  Charles- 
-  Quint.  L'empereur  ètHnptait  à  peine  quatre  mille 
hommes  dans  la 'position  qu'il  occupait  près  de 
Balisboune ,  et  où  if  avait  résolu  d'attendre  les 
renforts  qui  devaient  lui  arriver  d'Italie-  et  d'Es- 
pagne. Au  mépris  des'formes 'prescrites  par  la  ■ 
constitution  germanique,  les  confédérés  avaient 


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CHAPITBe    XIV.  87 

été  mi^  -ap  ban  de  l'etopire  et  y  avaient  répondu 
par  une  déclaration  de  guerre.  11  fallait  se  bâter  u,i< 
d'agir,  et  la  victoire  paraissait  certaine  ;  Cbafles 
aurait  été  battu  avant  que  ses  troupes  eussent 
pu  le  joindre.  C'était  l'avis  de  Philippe;  ce  ne 
*fut  pas  celui  de  l'électeur,  et  son  avis  l'emporta. 
Profitant  de  ces  fluctuations ,  Charles  marche  sur 
Inçoistadt  où  Octave  Famèse»  neveu  de  Paul  III, 
lui  amène  l'armée  pontffîcale,  forte  de  dix  mille 
'honumes.  Déjà  il  était  plus  difficile,  d'attaquer 
CharleS'.avec  avantage;  .cependanti  le  mooiwit 
était  encore  favorable.  Les  confédérés  le  négli- 
gent. L'empereur  acquiert  de  Douvellesjarces ,  et 
le.  cointe  de  Biiren ,  à  la  tête  d'un  corps  d'élite 
tiré  de  la  Flandre  et  du  Brabant  ^  opère  ^.jonc- 
tion avec  lui. 

Dans  le  même  teiAps,  Maurice,  fidèle  ^ux  en- 
gagements qu'il  a  contractés  avec  l'empereur., 
mais  infidèle  à  la  nature  et  à  la  conscience ,  et 
n'écoutant  que  sort  ambitiqup ,  envahit  les  états 
de  l'électeur,  tandis  que  Ferdinand,  frère  de 
Charles ,  fait  une  irruption  eô  Saxe,  du  côté  de 
laHohème.  Ces  nouvdlés ,  aussi  frfïUgeant^  qu'imr 
prévues,  arrivent  tlans  le-camp  des  confédérés, 
et  aussitôt  cette  brillante  année  est  dissoute. 
L'électeur  et  le  landgrave  volent  défendre  leurs  .„ 
états;  les  autres. princes,  intimidés  ou  aifeiblis,  '^4& 


DiailizodbvGoOgle 


88  PAKTIE    I. -"PÉBIODE    II. 

se  retireitf  chez  eut.  <3hftrles  ne  rmcontte  point 
d'obstacles  dans  sa  nMrchef  lesTilIvs  lui  oumint 
leurs  portes ,  il  le*  rau^otiue;  les  souvvraias  se 
soumettent  et  deijiiandent  leur  grâce ,  il  1&  lenr 
fait  acheter  par  de  fortes  amendes.  L'életitetir 
pabtiu  et  lé  da6  de  Wurtemb«rg  posent  les* 
BTine«,  «t  M  détachent  de  Ucoufédér^tj^n.  Ciar- 
les  marche  en  Sase  au  secours  de  Maurice,,  k 
qui  l'éiecteur  a  mm-seulement  r^iris-  «es  con- 
i^étes^  mus  qui  est  même  menftc^-  de  perdre 
i3J7.  ees  ptpopree  états.  Déjà  il  n«  lui  reste  plus  que 
Dresde  et  Leipsidc.  Bteotôt  rempereor  pénètre 
en  Sase  par  la  Bohé«#.  }ean<Jitédério,  toujours 
imprévoy«ntt  pnt^  êes-troiq>é8,  et,  mal  sem 
par  ses  agents,  U  ignore  long-temps  que  toa 
ennemi  s'avance  à  marches  rapides.  A  cette  nou- 
velle il  prend  une  forte  position  k  Aïûhiberg 
avT  rfilbe.  Un  pai^n  saKon  indique  à  Cfaariet 
im  gué  où  il  passe  le  fleuve  ftvec  son  tutnëe. 
Jean-Ii^déric  lève  son  camp,  et  veut  m  retirer 
Bur  Wittemberg;  main  se  voyant  sur  le  point 
tfétre  coupé  diins  sa  retraite.,  il  prend  le  parti 
de  (aire  tête,  et  de  combattre  fenn^nii,  La'bo- 
ttille  s'engage."  L'électeur  paie  de  sa.persoime 
dtttM  cette  joomite'  G^èbre;  ses  troupes  «  ant- 
iwéei  par  sa  présence  «i  son  ekeiaple ,  font  des 
piwligcs  de  valeur.  Mais  te  gëhie  du  dac  d'Albe 


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CHAriTRB    XIV.  8^ 

et  la  supériorité  d«  rinfontaîe  espagnole  déci- 
dent  ia  victcnre  en  faveur  dé  Charles.  JeaA-Fré- 
dénc"lui*niéme  tombe  au  pouvoir  desonsuperbe  '*J^ 
Taînqueur ,  quine  lui  épargne  ni  les  humiliation* 
ni  les  ironies  les  plus  amères,  et  qui  Itn  d«> 
mande  s'il  reconnaît  maintenant  Tempefeur,  ou 
s'il  be  Toit  encore  ea  lui  que  Chartes  de  Gand. 

Il  est  des  urnes  qui  oiit  plutôt  le  courage  de 
la  patiencia  que  c^ut  de  l'action ,  et  qui-,  sans 
énergie  dans  la  prosp^ifé ,  montrent  de  la  no- 
blesse et  dé  la  fenneté  daus  le  malheur.  Tel 
lîtait  Jean-fVédéric.  A  k  tète  des  armées  et  des 
aiËures ,  il  avait  paru  feîble  ;  dans  les  fers  il  eut 
de  la  dignité.  Charles,  qui  savait  se  rMdir  contre 
les  revers',  ne  savait  pas  se  préserver  de  l'ivretsè 
des  succès.  Il  avait  été  peu  généreux  dans  sa 
conduite  envers  François  I ,  prisonnier  à  Madrid} 
il  le  fîit  encore  moins  éovet«  le  malheureut 
électeur  de  Saxe.  Jean-Frédéric ,  -supérieur  à  sa 
fortuno^i  inspire  un  tendre  respect;  Charles, 
•u-dessous  de  la  sienne,  exdt«  Tindignation 
générale. 

Après  la  victoire  de  MiUilbet^ ,  l'emperenr  se 
hâte  de  marcher  sur  Wittemberg  et  assiège  la 
viUe,  Sibylle  de  Glèves,  époiise  de  Jean-Frédéric, 
t'y  était  eafeiutée  avec  ses  trésors  et  ses  enfants. 
Cette  femme,  d\in  rare  mérite,  affligée  des 


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<^,  PABTife     1.  PÉRIODE     II, 

malheurs  de  soç  époux  sftns  en  être  abattue, 
met  l'iijtérét  de  l'état  avant  celui  de  son  cœur  ; 
sa  raison  maîlrise  sa  sensibilité ,  et  ses  principes 
l'emportent  sur  ses  afiEections.-La  garnison,  en- 
flammée par  ses  discours  et  par  son  exemple , 
&it  une  vigoureuse  résistance.  Charies  s'inite 
d'être  arrêté  dans  Texécution  de  -ses  projets  et 
de  perdre  un  teiiipsprécieux;i)veut,enef&ayant 
L'électeur,  le  forcer  à  rendre  la  place.  Contré 
les  lois  de  r£mpire  et  les  lois  plus  saintes  de 
l'humanité,  il  fait  condamner  à  mort  l'infortuné 
Jean-Frédéric.  L'électeur  '  reçut  cette  nouvelle 
avec  un  calme,  héroïque,  it  jouait. aux' échecs 
quand  il  apprit  qu'on  venait  de  porter  contre 
lui  UH  arr^  de  sang;  il  continua  tranquillement 
son  Jeu.  Les  malheurs  l'avaient  rendu  indifférent 
à  la  vie ,  et  il  ne  craignait  pas  de  la  perdre.  ,II 
sentait  sans  doute  qu'il  valait  mieux  pourlui 
périr  victime  d'un  jugement  inique,  que  de  vivre 
déshonoi^  et  d'épargner  un  crime  à  Charies  en 
signant  lui-même  l'acte  de  sa  destitution  ;  mais 
la  tendresse  paternelle ,  et  la  crainte  d'exposer 
Wittemberg  à  être  pris  d'assaut,  eurent  plus 
.d'empire  sur  lui  que  n'en  avaient  en  des  con- 
^érations  purement  personnelles.  Son  amour 
pour  ses  enÊmts  et  ses  sujets  lui  fit  accepter 
une  capitulation  ignominieuse,  par  laquelle  il 


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CHAPITBE    XIV.        '  91 

abdiqua  le  trône  et  consentit  k  rester  prisonnier 
tant  qu'il  plairait  à  l'empereur.  Wittetnberg  ou- 
vrit ses  ptHtes.  Maurice  reçut  le  prix  de  sa  tra- 
hison; Charles  lui  adjugea  la  dépouille  de  son 
malheureux  parent ,  en  l'investis^nt  de  la  di- 
gnité électorale. 

Philippe-le^Magnanime  restait  ena»re  à  sou- 
mettre, ou,  dans  le  langage  impérial.,  à  punir. 
Ge  prince  n'était  pas  assez  puissant  pour  résister 
seul  aux  armes  victorieuses  de  Charles;  cepen- 
dant les  revers  de  sou  beau-père  ne  l'avaient 
pas  abattu.  Il  entama  des  négociations  ;  mais  il 
déclara  qu'il  ne  souscrirait  point  à  des  conditions 
humiliantes  ;  et  l'empereur  exigeaitqu'ii  se  rendit 
à  discrétion.  Maurice,  gendre  du  landgrave  de 
Hesse^  sentit  -qu'en  abandonnant  ce  prince  il 
se  couvrirait  d'opprobre  aux  yeux  de  l'Europe 
entière  ;  Joachim  II ,  électeur  de  Brandebourg , 
commençait  à  se  repentir  de  sa  neutralité,  dont 
il  entrevoyait  déjà  les  suites  funestes.  Tous  deux 
se  réunissent  pour  sauver  Philippe ,  et  sollidtent 
sa  grâce.  Charles  consent  à  laisser  fa  liberté  au 
landgrave,  à  condition  qu'il  vienne  demander 
pardon  à  genoux  de  sa  révolte,  qu'il  licencie 
ses  troupes,  démolisse  ses  fortei^sses,,  et  paie 
une  amende  considérable,  jyiaurice  et  Joachim 
garantissent  ces  engagements  réciproques,  âur 


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'9^-  PARTIE    I.  —  PERIODE    11. 

la  foi  des  promesses  de  Châties ,  Philippe  arrive 
dans  son  canipi  il  se  soumet  en  frémissant  i  la 
démarche  honteuse  qui  doit  être  le  prix  de  sa 
liberté  et  de  ses  états-,  nïais  l'empereiir,  auMi 
pei^de  que  superbe ,  ajoutaDt  la  mauvaise  foi 
aux  hauteurs  de  l'orgueil ,  se  joue  de  ses  serr 
ments ,  et  fait ,  malgi^  sa  parole ,  arrêter  le 
itualheureux  landgrave  ati  milieu  d'ua  festin  que 
lui  donne  le  duc  d'Albe,  et  en  présence  de  l'é- 
lecteur de  BraRdeboui^  qut  était  lui-même  un 
des  convives.  Dana  le  premier  monvement  d'une 
indignation  bien  légitime ,  Joachim  'veut  percer 
le  duc  d'Albe  db  son  épée;  on  l'en- empêche. 
.Maurice  et  lui,  qui  se  sont  rendus  garants  du 
traité  ooûclu  avec  ^ilippe,. réclament  contre 
cette  insigne  trahison.  Charles  et  Granvelle  son 
ministre  emploient  le  sophisme  pour  pallin-  le 
(aune ,  <t  joignent  la  dérision  à  Javiûlence.  La 
force  impose  silence  à  la  faiblesse  ;  mais  ellq  ne 
peut  intimida  ni  corrompre  la  .conscience  uni- 
venelle  de  l'espèce  humaine  ;  la  voix  publique 
fit  justice  de  cet  attentat,  et  la  postérité  a  con- 
firmé cet  arrêt.  Pour  la  consoktioo  dps  opprimés, 
nous  devons  croire  que  le  cœur  dé  Charles  lui- 
mém*  prononça  sa  condamnation ,  et  que  le 
mépris  que  iui  inspira  son  action  vengea  dans 
soa  ame  la  sainteté  de  la  loi. 


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CmViTRE    XIV.  ^3 

Pour  le  moiaent ,  je  succès  parut  couronner 
la  perfidie  de  l'empereur.  Toufr  les  esprits  étaient 
rérfdtés  de  son  audace  ;  mais  en  voyant  ce  qu'il 
ose,  ils  lui  supposent  une  puissance  itrésistible , 
et  perdent  le  courage  de  la  réùstance.  Ctiàries 
traîne  }ean-Fr4déric  et  Philippe  à  sa  suite  ;  un 
sanTcraîn  irait»  comme  de  tïIs  malfeiteurs  ou 
ctMwne  des  sujets  rebelles,  deux  autres  souve* 
rains,  intéressants  par  leurs  qlialités  personnelles, 
plus  intéressants  encore  par  leurs  malheurs.  A 
la  -rue  (Je  ces  {muTCS.  de  son  pouvoir,  et  de  ces 
exemples  -de  sa  vengeance ,  la  crainte  gjaœ  tous 
les  cœurs.  L'empereur  parcourt  l'Allemagne  en 
maître  absolu,  imposant  des  contritrations ,  et 
«oljïvant  leurs  pnvîl^es  aux  pnnces  et  aux  villes 
qu'il  veut  trouver  coupables.  Dans  une  diète 
solennelle  convoquée  àA.ugsboui^,  il  paraît  «i- 
vironné  de  tout  l'éclat  de  la  puissance  souveraine, 
et  dipte  dés  lois  qui  sont  adoptées  sans  rédama- 
ticMi.  Les  états  de  TAUemagne  sont  obligés  de 
payer -une  somme  oonsidérable  pour  les  frais  de 
la  guerre  ;  les  provinces  du  cercle  de  !^urgogne 
sont  liées  plus  étroitement  à  l'Empire ,  afm  de 
pouvoir  iu  besoin  le  charger  de  les  défendre; 
les  protestants  sont  exdus  de  la  chambre  im- 
périqle;  sous  le  titre  é' Intérim,  Charles  lait 
dresser  un  formulaire  de -foi  qui  doit  servir  de  i548. 


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94  PARTIE    |.  —  PÉRIODE    II. 

règle  au;t  denx  partis,  jusqu'à  ce  que  le  concile 
de  Trente  ait  prononcé.  L'intérim  ne  laisse  aux 
protestants  que  la  communion  sous  les.  deux 
espèces,  et  le  droit  d'aroir  des  prêtres  mariés. 
D'ailleurs ,  il  est  dirigé  tout  entier  contre  la  re- 
ligion luthérienne^  et,  sous  un  &uxl  air  d'impar^ 
tialité ,  U  juge  définitivrasent  le  grand  procès 
qui  s'agite,  et  le  juge  au  désavantage  des  pro- 
testants. Ce  fcomulaire,  dressé  par  I^ug,  Hèl- 
dÎQg  et  Agricola,  théologiens  plus  complaisants 
que  consciencieux ,  doit  être  adopté  et  signé  par 
tous  les  dissidents,  et  les  armes  feront  justice 
des  réfractairës. 

L'Allemagne  était  asservie,  et  I9  liberté  parais- 
sait perdue  sans  retour.  Charles  avait  triomphé 
delaligue  de  Sroalkalde,  grâce  au  secours  d'une 
partie  -des  états  de  l'Empire  et  à  l'inertie  des 
antres.  Trop  indifférent  à  la  religion  poiu-  atta- 
cher un  grand  prix  à  des  dogmes  quelconques, 
trop  habile  pour  annoncer  que  c'était  à  des  opi- 
nions qu'il  faisait  la  guerre,  il  n'avait  parlé  que 
de  son  resp^  pour  les  lois  et  de  son  zèle  pour 
le  maintien  de  la  constitution.  Vainqueur  d'une 
confédération  qui,  en  combattant  pour  la  liberté 
religieuse,  combattait  en  même  temps  pour  la 
liberté  et  l'indépendance  politique  des  états  de 
l'Allemagne ,  il  proscrivit  des  opinions  qui  lut 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITREXIV.      '  q5 

paraissaient  incompatibles  avec  rautorité  impé* 
riale ,  et  appesantit  le  joug  sur  les  catholiques 
comme  sur  Ira  protestants;  Voulant  *^gner  dans 
l'Empire  à  la  manière  des  Othons,  et  réduire  les-  ' 
princes  de  l'Allemagne  à  être  des  instruments 
dociles  de  sa  volonté ,  de  .  simples  exécuteurs 
de  ses  ordres ,  il  attaqua  le  parti  dont  les  prin- 
cipes étaient  le  plus  opposés  à  ses  vues,  et 
triompha  de  sa  résistance.  Alors,  ne  cachant 
plus  ses  desseins,  il  parla  eu  maître  aux  états- 
intimidés,  et  les  catholiques  reconnurent,  trop 
tard,  qu'en  concourant  à  la  chute  des  protes^ 
tants  ils  avaient  préparé  leur  propre  s«-vitude. 
L'équilibre  entre  l'empereur  et  les  états  de  l'Em- 
pire était,  rompu;  quelques  mois  avaient  suffi 
pour'  détruire  un  ouvrage  que  les  circonstance» 
avaient  fait  naître  ,  que  la  politique  des  papes 
avait  perfectionné  avec  autant  de  persévérance 
que  d'art,  et  que  les  siècles  avaient  consolidé. 

Le  pouvoir  despotique  d'un  seul  homme  avait 
remplacé  ce  système  sagement  combiné.  La-  li- 
berté de  toute  l'Europe  courait  le  plus  grand 
danger:  Charles  devenant,  de  simple  chef  titu- 
laire ,  véritable  souverain  de  l'Empire  germani-  ■ 
que ,  et  joignant  ces  nouveaux  moyens  de  do- 
mination à  toutes  ses  autres  ressources ,  acqu4^_ 
rait  une  puissance  supérieure  à  celle  de  tous  lès 


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()G  PARTIE    I. — '  P^RIpDK    II. 

autres  état»,  menaçait  leur  iadépcpdaDçe  >  tA, 
pouvant ,  d'un  moment  à  l'autre ,  les  attaquer 
Wtio  avantage,  ne  leur  laîasait  qu'une  existence 
précaire. 

L^Allemagna  était  abattue,  l'Europe  «ttAO* 
tive  «t  inquiète  ;  elles  paraissaient  pn^ues ,  elles . 
furent  ^uvéea  par  ce  même  Maurii»  qui  avait 
owrtrïbué  aux  Tnalheurs  de  sa  patrie  et  à  la 
fuine  du  culte  qu'il  professait.  Cet  homrae 
extraordiBaire  n'avait  qu'uo  but,  la  puitsanoé, 
et  il  ne  le  perdait  jamais  de  vue;  mais  il  savait 
varier  set  moyens  et  changer' de  marche  avec 
les' circonstances.  Arrivé  à  l'électoral,  il  sentit 
que  les  armes  dont  il  s'était  servi  pour  se  prD<- 
ourer  le  trône  étaient  tlea  armet  illégales  et 
dangcreus«  qu'on  pouvait  employer  avec  un 
égal  Buocés  pour  le  perdre,  et  que  bientôt  le 
pouvoir  de  r«nperâur,  ne  rencontrant .  plus 
d'obstacles,  ne. respecterait  plus  rien,  et  dc  l'é- 
pargnerait pas  plus  que  les  autres.  T^a  reoon- 
naistance  n'àait  pas  faite  pour  arrêter  un  homme 
du  caractère  de  Maurice;  d'ailleurs,  les  bienfiiila 
intëresiiés  qu'il  avait  reçus  ne  pouvaient  pas  le 
lier  au  point  de  lui  faire  négligM^  rintéràt  de 
sa  sûreté  personnelle.  Il  avait  servi  :1a  cause  dq 
remp«r«ur  pour  s'élev«  ;  it  reconnut  qu'il  allait 
s'opposer  à  lui ,  et  le  combattre  même,  pour 


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t:HAVITI|,B    XIV.  ^7 

conserver  l'élévation -qu'il' lui  devait  Ce  ne  fu- 
rent pTob^lemient  ni  les  regrets ,  ni  les  rerocwds  , 
ni  même  un  retour  d'attachement  pour  la  reli- 
gion cpi'il  avait  trahie,  qui-déterminèrent  Maïuice 
à  épouser  de  nouveaux  principes;  ce  fut  uni- 
quement le  désir  de  sauver  son  indépendance  ,* 
qui  était  inséparable  de  celle  des  prcAestants,  et 
de  l'Allemagne  tout  entière. 

Sa  résoliUion  était  frise,  mais  le  moment  de 
l'exécution  était  ençabe  Soigné.  De  bonne  heure  « 
Maurice  aperçuk  le  danger  et  fismia  le  deAein 
de  le  Gonjorer;  mais  pour  réussir  il  filUait  de 
longues  préparations,  de  l'habileté  ,  du  tnnps, 
et  surtout  un  profond-secret.  On  ne  pouvait 
espérer  le -succès  qu'en  inspirant  à  Charles  une 
entière  sécurité,  en  joignant  à  des  ÊMves  iropo^ 
santés  le  pouvoir  de  l'opinion ,  de  l'étonnement 
et  de  1»  surprise,  enfin  en  se  ménageant j- pat  . 
des  négociations  adroites,  des  alliés  qui  n'atten- 
dissent que  le  signal  pour  agir.  Maurice ,  égale- 
ment exercé  à  dissimtd^  et  à  feindre  ,'-né  pamt 
occupé  que'  des  intérêt  de  l'émpepeur;  ctonti- 
.nuant  i  caresser -ses  passions,  et  affectait  de  lui 
témoigner  une  défonce  par&ite,  il  coiis^vn" 
tonte  sa  confianoe  :  Charles  crut  être  d'autant 
plus  SÛT  de  l'Allenlagne  qu'il  Tétait  de  l'^ecteur 
de  Saxe;  et  dupe  de  son  <)évouement  apparent, 


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98  PARTIE     I^- —  piaiûDE     II. 

il  ne  voyait  que  par  ses  yeux.  Le»  années  s'^eoii- 
teilt»  et  les  projets  de  AbiUrioe  se  consolident; 
il  ne  fixe  qu'un  seul  ol^ ,  lors  même  qu'il  parait 
suivre  des  objets  diâ!étents;  il  agit  sans  relâche, 
et  on  dirait,  à  le  voir,  que  content  de  sa  fortune 
il  cherche  Je  repos  dans  l'indiffëreBce.  Des  agents 
secrets»  répandus  dans  toutes  Jes  cours  qu'U 
veut  attacher  à  sa  cause,  travaillent  à  lui  pro- 
curer des  amis.  La  France  devient  l'objet  prin- 
cipal de  ses  négodations  silencieuses.  François  I 
était  iQort  des  suites  de  ses  déscndres,  et  son 
'fils  Henri  II  lui  ^avait  succ^d^.  Ce  jeune  prioce , 
plus  actif  et  plus  entreprenant  que  son  père  ne 
l'avait  été  dans  les  dernières  années  de  sa  vie, 
donne  d^  justes  espérances  k  Maurice.  Le  oc»- 
uétable  Anae  de  MoQtoàoreqc^ ,  qui  règne  en 

'  France,  sous  le  Dom  de  son  çaaître ,  hait  la  per- 
sonne de  Charles  et  redoute  les  progrès  de  sa 
^ui^sance.  Maurice  fait  sentir  à  Henri  et  à  ses 
ministres  que  la  France  est  l'alliée  Uatiselletles 
protestants,  et.il  éclaire  t^ettë  cour  sur  ses  vrais 
intérêts,  malgré  le  f&QatÎMne  qtù  commeuce  à  y 
répandre  sourdement  Ses  poisons  et  ses  fureurs. 

[.  La  France  conclut  avec  lai  un  traité  seciet  à 
Friedewald  dans  la  Hessie,  et  ce  titûté  est  ratifié 
par  Henri  II  à  Chambord.  Maurice ,  assuré  de 
ce  secours ,  Sût  des  'préparati&,  lève  Aes  ttoOpis 


DiailizodbvGoOgle 


CH'APITBE    XIV.     .  99 

et  amasse  de  l'argent.  Ces  préparatifs  ^uraieDC 
pu  )e  trahir;  mais  Chu-les  lui-même  lui  fournit 
les  nio}!£ii$  de  les  continuer  sans  dangelr.  La 
Tille  de  Magdebourg  avait  refusé  d'adoi^ier  et 
de  signer  l'intérim.  L'empereur  ordonq^  ^  l'^lec-  i5So. 
teur  de  Saxe  de  châtier  cette  ville  rebelle.  Ijes 
bourgeois,  animés  par.  le  zèle  de  la  religion, 
font  une  belle  et  longue  résistance;  Maurice  ne 
pousse  pas  le  ùégeavec  vivaàté  et  profite  de 
cette  cireonstajice  pour  C0|nti«u^  ses  annements. 
À  la  fin,  la  ville  se  rend.  A  peine  cette  expédi- 
tion est  terininée,  que  Maurice  pi4>Iie  contre 
Charles  un  mani&ste  dans  lequri  il  lui  reproche 
avec  force  une  longue  suite  de  mesures  arbi- 
traires, et  retrace  à  l'Euiope  entière  les  viola- 
tions multipliées  des  lois  constituttoun^Ues  de 
l'Empire.  En  même  temps  il  s'avajice  à  grandes 
journées  par  la  Fraiiconie  pour  surprendre  Char-! 
les  à  Insfiruck.  Ce  prince  ne  pouvait  plus'igi}0- 
rer  les  projets  de  Maurice,  i^i  se  dôguisey  ji  luir 
même  le  danger  de  sa  situation.  Il  n'avait  ppi^ 
de  fcHves  à  opposeir  à  celles  de  se^,epneims;  se» 
troupes  étaient .  éloignées  ;  l'argent  lui  m^^^^uait, 
etde  violentes  attaques  de  goutte  lui  ôtjâentjuiie  ' 
'partie  de  -son  activité  naturelle-  A-  l'électew  de 
,Saxe  s'était  joint ,  près. de  Rothenboui^,  Alb^ 
margrave   de    Brandebourg  -  CuJadiach  :  esprit 
7- 


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lOO  PAATIÊ    r. PÉRIODE    II. 

hardi  et  entreprenant,  soldat  intrépide,  capi- 
taine médiocre,  il  haïssait  le  repos,  aimait  la  - 
guerre  avec  passion,- et  la  faisait  en  barbare; 
inconstant  et  léger,  il  était  toujours  prêt  à  chan- 
ger de  partis,  au  gré  de  son  inquiétude.  Dans  ce 
mènent  il  épousait  la  cause  de  Maurice,  parce 
q(i'il  voyait  dans  son  entreprise  une  occaision  de 
mouvement  et  de  butin,  dont  il  espérait  pro- 
fiter pour  .terminer  ses  difï^ends  avec  les  évê- 
ques  de  Bavibei^  et  de  Wiirtzbourg.  Albert  et 
Maurice-  ayant  réuni  leurs  troupes  s'emparent 
d'Augsbourg,  se  saisissent  des  défilés  d'^hrem- 
bei^ ,  la  clé  du  Tyrol ,  et  déjà  ils  menacent 
Inspruck.  L'empereur,  retenu  par  !a  maladie, 
étonné  de  cette  attaque  subite,  et  confas  d'avoir 
été  joué ,  était  sur  le  point  d'être  fait  prisonnier. 
Iln'y  avait  de  salut  pour  lui  que  dans  une  prompte 
fiiite.  On  vit  le  superbe  Charles,  qui  venait  de 
dicter  des  lois  k  l'Allemagne ,  que  la  fortune  avait 
toujoutrs  favorisé,  qui  traînait  à  sa  suite  des  sou- 
verains captif ,  et  qui  n'avait  eiicore  jamais  cédé 
k  |a  force,  fuir,  tourmenté  de  douleurs  aigaës, 
dans  une  -nuit  orageuse ,  devant  un  jeune  homme 
i55a.  dont  l'élévation  était  son,  ouvrage.  II  se  retire 
avec  précipitation  à  Willach  en  Carinthie ,  et 
r^id  la  liberté  au  malheureux  Frédéric,  afin  de- 
l'opposer  à  Maurice.  Mais  cette  mesure  est  inu- 


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CHAPITBK    XIV.  tOf 

ble.  Déjà  les  ennemis  de  Charles  se  multiplient. 
La  France  se  déclare  contre  lui;  Henri  II  s'em- 
pare dçs  évéchés  de  Metz ,  de  Toul  et  de  Ver- 
dun, et  5*avlipce  vers' le  Rhin.  Alhert  rançonne 
toute  la  Franconie;  les  Turcs  font  une  invasion 
dans  la  Transylvanie  que  Ferdinand,  frère  de 
Charles-Quiat,  venait  d'acquérir.  A  toute  antre 
époque,  Charles  eût  fait  tête  à  l'orage.  L'Europe 
croyait  qu'il  allait  fondre  sur  Maurice-avec  l'ar- 
mée, qui  se  formait  insensiblement  près  de  lui', 
et  qu'il  vengerait  son  oipieil  humilié.  Au  grand 
étonnement  de  trâis  les  partis,  il  inontre  des 
intentions  pacifiques,  et  condescend  à  négocier. 
Ferdin^d,  .déjà  roi  des-  Ronulins,  craigâait  de 
nuire  à  sa  forttine,  si  une  giferre  sériense  s'al- 
lumait en  Allemagne,  et  d'ailleurs  son  caractère 
inclinait  toujours  aux  voies  de  conciliation  ;  ses 
^scours  et  ses  instances  triomphent  de  la  colère 
de  Charles ,  et  lui  font  préférer  le  parti  de  lia  dou- 
ceur. .11  réussit  d'autant  mieux ,  ■  que  Charles , 
plus  irrité  contre  Hemi  que  contre  Maurice, 
brûle  de  se  vengier  du  premier,  et  veut  diriger 
toutes  ses  forces  contre  la  France.  Les  conféren- 
ces s'ouvrent  à  Passau,  et  l'on  y  conclut  uni55a. 
tnùté  provisoire,  jusqu'à  ce  que  les  rapports 
des  protestants  et  des  catholiques  soient  dé6nt- 
tiveinent  fixés.  En  vertu  de  cette-  ctmvention, 


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loa  PAHTIE    I, PÉRIODE    II. 

t4ûUppe,  liindgrave  de  Hesse,  recouvra  sa  M-  , 
berté;  il  fut  coDTeiiu>que'dan^  i'espace.de  sis 
iDob  on  tiendr&it  UQe  diète  solennelle  pour  dé- 
cida la  grande  afi^re  de  la  religion  ;  que  duraht 
cet  ium^alle  aucun  des  états  protestants  ne 
pourrait  être  inquiété,  et  qu'ils  resteraient  en 
possession^  pour  le  moment,  de  tous  les  avanta- 
gçs  dont  ils  jouissaient, 

Charles,  pluslibre  et  plus  ttQuquitle  du  côté 
de  l'Allemagne  ^  se  hâte  d'en  profiter  pour  atta- 
quer la  France.  L'âge  semble  avoir  fortifié  sa 
haine  contre  cette  puissance  rir^ile.  A  la  tête 
d'une  armée  de  cinquante  mille  hommes,  il 
court  assiéger  Mete.  La  saison  était  fort  avancée , 
on  était  au  mois  de  décembre.  Les  obstacles  que 
l'hiver  lui  oppose  n'arrêtent  pas  sa  vengeance  im- 
patiente; mais  c'est  trop  d'avoir  à  lutter  eii  même 
temps  contre  la  nature  et  contre  le  génie  de  Fra'n- 
-çoift ,  duc  de  Guise ,  qui  défend  Metz  aVeC  autant 
d'faa)}ileté  que  de  succès.  £n  vain  Charles  s'opi- 
niâtre  à  continuer  le  siège;  son  armée  diminue 
tous  ies  jours;  la  rigueur  du  ftcnd,  le  défaut  de 
vivres ,  les  maladies^  les  fatigues  lui  enlèvent  l'é- 
Ike  de  ses  troopes;  il  est  obligé  de  céder  à  s» 
mauvaise  fortune  i  et  se  retire ,  avec  les  débris 
i553,  de  ses  troupes,  dans  les  Pays-^Bas. 

Cependant  Albert  de  Brandebourg  continuait 


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CHAPITRE    XIT.  103 

à  rançDDiier  et  à  ravsger  l'Allemagne.  U  aTait  re- 
fusé de  souscrire  à  U  oonveiibbo  de  Passau.  Aî- 
nant  la  guerre  pour  eUe-même ,  et  voulant  m  - 
niMU^er  iet  moyens  d'entretsair  et  de  paya'  son 
wmée,  U  répugnait  à  tgsite  meure  qui,  hû' en- 
levant ses  res^orcca  et  s»  fAauirs,  le  teoaduD- 
mit  h  l'ituetiop.  Qutrles,  qui  e^tmnit  s^  bn' 
v«we,  eut  ridée  d'em^dôyer  ses  bde^te  tb  ses 
fbices,  et  de  diriger  contre  la  I^rance  sod  acti- 
vité turbulente.  Alhnt,  qui  ne  demandait  qoe 
dot  Qcc«fiîa05  d'agir  et  de  se  rendre  néceaseiee, 
ne  rejeta  pas  Je»  ouyiertnres  de  rempnvnr;  il  s^ 
svpfit  de  U  éireonstaaee  ponr  obtenir  de  lui.iui 
an^t  coatre  \fis  évêques  de  Bambn'g  et  de  WûrCzt 
focurg,  ses  anciens  «luçemis,  et  fea  n^ociations 
çcntiiKuèreiiit}  mais  il  n'interrompait:  pa»  ses  dé* 
piédatiiws.  Le  for  et  la  âamme  à  1^  main,  il 
çaUÙt  l4-défi<datian  et, la  temeur  dans  la  WestH 
paalÀe,  en  Franaûùe  et  sur  les  bords  du  Blnn. 
I^tait  tcsaps  ^  déJiifier  l'Allemagne  de  ce  ûétm, 
^  Ja  fin ,  la  ^cbaiobre  impériale ,  >s'annant  contve 
hi  d'ujNe  iuatQ  rigueur^  -le  mit  au  ban  de  i'etn* 
pre,.  et  chargea  l'élçcbeur  Maurice  de  Sase 
t'eséouter  la  sentonce.'  A  itiL&'Aasooièraat  pom 
iMte  entrepri&e  difiScile  le&éloCteuEs  de  Mayeiïcà 
et  (de  Tnèves,  et  le  duc  Heon  de  BrunswidE; 
pninoe  actif  et  vaillant-  Toutes  les  b^upes  mar- 


Diailizod-bvGoOglc 


Io4  PAHTIE   I. PÉRIODE   Jl-, 

chèrent^éuniea.sous  Tes  ordres  de  Maurice,  du 
.  cÂtéidu  ;Wesâr^t>ù  Albert  çxerçait  alors,  ses  fu- 
i553.  *eiirft.  Les  deme.aimiéesise  renGontrèrept  près  de 
Sievertshausen,  dans  lé  duché  de.  Lùneboiti^. 
La  bataillefut'.saDglantejliVlbert  combattait  pour 
son  existeàce ;,  Maitrice  pour  sa  gloire,  les.  an- 
tres ^princes  'pour  leur  sûreté.  Ajbert  Tainoi  - 
est  c^Li^-dtJ  fuir;  mais  en  fuyant  il  eut  la  con- 
solation^ d'ç^iprendre  ■  que'  Maurice  payait  cliè- 
BemenC.  sa:  nictoire.-  Ce  prince  avait  été  bleisé 
morteUement'dans  le  cdinbat;  il  expira  ddix 
jour&  après,  à  l'âge  de  trente-deux  ans.  "La  f«r-^ 
tunè^iqui  se  joiie  des  espérances  des  homnns, 
lui  pennit  d'arriver  au  pouvoir  et  à  la  gloite, 
sansjiii  permettre  d'en  jouir.  Il  périt-dans  là 
Ibrce  de  l'âge ,  au  mcHÛent  où  il  av»t  expié  sm 
élévation  par  les  services  qn'il  venait  de  rend^. 
à' la  Cause  générale;  aVeo  lui  fupmt  probablt- 
ment  eiisevelis  de  vastes  projets.  L'Allemagne, 
qui  avait. abhorré  sa  délf^ïiuté,  admiré  ses  sut- 
oès  et  son  atidàce,  commençait  à  lui  rendre  soi 
estime.  -Elle  atteudait  encore  de  .lui  de  grande 
choses  et-pfeuraf.  sEi  «e^^;  La  fin-tragique'  di 
Maupicen^àm^itHa  pas  la  aitu«tioa  d'Albert  ;  il 
Bat  hutu ,  peu  d«^:  temps  après ,  une  seconde 
fois',  >aux  ehviroQS'de  Schweînfiirt,  par 'le  duc 
Henri  de  Brunswick;  Chassé  de  ses  propres  états. 


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CHATiTHE    XIV.  io5 

^nué  de  ressources  et  de  forces,  il  chercha  un 
asyle  eu  France  et  mourut,  quelques  années  ^SS?. 
ajwés  sa  4éfeite ,  emportant  la  réputation  d'un 
aventuri^  qui  avait  feit  beaucoup  de  mal  et  de 
brnit  dans  le  monde,  et  qui  n'avait  laissé  que 
des  tracer  «angïantes  'de  Son  passage. 

■La  guei*e' contre  Albert ,  ia  mort  de  Maurice 
«t  les  événement  qai  la  suivirent,  avaient  era- 
pétdié  la  convGcation.de  la  diète  qui  devait, 
suivant  la  convention  de  Pàssau ,  mettre  fin  aux 
troubles  dé  rAIlemapie..EIle  ouvrit  à  Augs- 
bourg ,  par  les  soins  et  l'activïté  de  Ferdinand. 
Ce  pmnce,  d'un  caractère  doai  et  d'un  esprit 
conciliateur»  était  feit  pour  assoupir  les  haines  j 
calmer  les  défiances  et  rapprocher  les  partis  di' 
visés.  Il  gagnait,  par  son  affabilité,  ceux  que 
taïarIes,'son  frère,'aliénait  par  sa  hauteur.  Nommé 
roi  dés  Romains,  il  était  personnellement  inté- 
rçgsé  au  rétablissement  de  l'harmonie  et  de  l'or- 
dre dans  l'empiré  :  û  n'avait  pas,  pour  se- faire  . 
craindre,  les  mêmes  ipoyens  qoe  Fempereurj  il  , 
ne- lui  restdit  qrfà  se"  fair^  airaer.  Instruit  des 
vues  seciiètés  de  Char!*;  qui  aurait  voulu  pla- 
cer la  oDuroniié  impériale  sur  lâ  tête  de  son  -fih 
PhiUppé,  M  impoÉlait  beaucou|<à  Ferdinand  de  ' 
se  concilier  Topinion  publique  en  Allemagne , 
afin  qto'e»ei«>  décldi-it  pour  lui.  B'aHIeurs,  ses 


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lotj  PABTIl    I.-^  PÉRIODE    II. 

états  héréditaires,  toujours  attaqués  ou  menacés 
par  lés  Turcs,  lui  rendaient  nécettaires  la  bîe»- 
yeillaaoé  des  princes  de  rem^ùre  ;  et  il  étût  jaloux 
de  leiir  ftttacheonent ,  qui  ponvait  seul  Uû  assurer 
leurs  secours. 

Ce  fut  uniquement  à  lui  que  l'on  dut  la  paci- 
fication de  r AU^nagne.  Sans  le  zèle  de  Ferdinand , 
la  diète  d'Àugsbpurg  aurait  été  in&uctueuse, 
comme  tant  d'autres.  Des- deux  parts  les  espiits 
étaient  aigris ,  les  .prétentions  excessive ,  les 
cr^teset  les  eApérancBS  également  exagérées; 
rien  de  plus  dil^cile  pour  un  prince  catht^ique 
que  d'inspirer  de  la  con0anee  àilx  protestants, 
sans  douoer  des  soupçons  sur  la  pureté  de  aa 
foi,  et  de  prendre  toutes  les  précautiom  néeaa- 
saires  pour  le  tnaintien  de.  sa  religion,  sans  en*- 
courir  le  reproche  de  partialité.  Fo'dinand  tidia 
d-éviter  ces  deiix  écueils;  et  s'il  ne  réussit  pas 
complètement,  il  iaut  l'attribuer  au  pouvoir c^ 
,  circonstances.  A  mesure  qu'il  se  présentait  de 
nouveaux  incidents,  il^aginait  de  nouvevix 
moyfSDs  d'en  triompher;  il  opposait  la  patience 
aux  délais  multipliés,  la  douceur  à  l'empcrie- 
ment ,  la  fermeté  de  la  si^essc  à  la  liolence  dies 
paasion^^et  I4  peiséTérance  aut  obstacks.  Rien 
n'altérait âon  calme,  lien  ne  lassait  son  activité. 
A  la  fin  il -vit  le  résultat  d«s«s,(ravaiitTet.ce«é- 


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CHAf>lTBE     XIV.  107 

sulUt  eût  été  encore  plus  satisfaisant  si  ses  lu- 
imères  avaient  égalé  son  zèle ,  ou  [^utèt  s'il  était 
diHiné  à  la  prudence  faumàioe  de  mesurer  la  pro- 
fondenr  des  passions,  de  prévoir  et  de  pr^vetûr 
tous  leurs  funestes  effets.  La'  paix  de  la  religion 
cpndue  à  Augsbourg  assoupit  les  dmsions  in-  i55 
testine;  de  l' Allemagne;  mais  bien  loin  de  les 
étouffer,  elle  contenait  elle^ménie  les  germes 
de  nouveaux,  troubles.  A'  cette  époque  on  ne  se 
doutait  pas  de  leur  existnice.  Les  événements 
les  firent  conu^tte,  en  les  développant  A'  la 
vérité,  dans  le  temi»  où  Ja  diète  publia  son 
duvrage ,,  les  4^uk  partis  ■  se  plaignirent  ;  mais  les 
faonnnes  si^es  croyaient  voiv,  dans  leur  mécon> 
lentement  m^e ,  la  ^«uve  qu'aucun  des  deux 
n'avait  été  sacrifié  et  n'avait  lieu-  de  se  plaindre. 
Le  (NÛté'd'Ai^^sfcoitFg  statua  qu^  les  protestants 
professeraient  librenaent  leor  reli^cia  «C  leur 
culte  ;  qu'ils  conseryeraient  les-bU9is«ocIéMaslii- 
^es  doat  ils  étaient  «n  possession  avant  la  con- 
vention de  Passau,  et  que  h»  évéqueshe  pour- 
raient s'attribuer  siv  eux  auetmè  espèce  de 
juridiotioB.  On  décida  qa'ûs  pourraieitt  «atrer 
dans  la.  chambre  i&ipériale;  juais  on  ne  ies  y 
appela  pas  farmeUeraeot ,  lùeii  nnâtis  encore  leur 
acc9^-t-on  le  droit  d'y  fàéger.  es  nombre  égal 
avec  les.  aatj|ioliquefr.  C*evt  ét^    Oepeai^nt  le 


DiailizodbvGoOgle 


108  PABTIE    I.  —  PERIODE   II. 

seul  moyeu  de  leurdonoer  une  garantie  poli- 
tique de  leur  liberté  civile  et  religieuse ,  de  pré- 
venir les  injustices.  Les  réformés  n'obtinrent 
pas  les  mêmes  avantages  que  la  paix  de  Fassau 
assurait  aux  luthériens.  L'aniroosité  de  ces  der- 
niers contre  une  société  qui  ne  se  distinguait 
d'eux  que  par  des  nuances,  fut  la  principale 
cause  de  cette  mesure ,  aussi  contraire  aux  prin- 
cipes de  la  justice  qu'aux  maximes  de  la-poU- 
lique.  C'é^t  faire  le  bien  à  demi ,  laisser  dans 
l'Allemagne  un  levain  de  division,  et  s'exposer 
à  la  triste  nécessité  de  recommencer  tôt  ou  tard. 
La  réservation,  ecclésiastique  que  Ferdinand  in- 
séra dans  la  paix  de  religion ,  était  la  clause  la 
plus  insidieuse  ou  la  plus  imprudente  ,'^et  devait 
empêcher  que  la  paix  ne  fût  solide  et  durable  ; 
il  l'accord)  aux  catholiques  pour  dissiper  leurs 
-  inquiétudes  snr  les  ptï>grè&  ultérieurs  de  la  re- 
ligion protestante.  En  vertu  de  cet  article ,  les 
princes  ecclésiastiques  qui  embrasseraient  la  ri- 
fOrme't  devaient  renoncer  à  leurs  bénéfices,  et 
perdre  leur 'fortune  ou  leurs  étals. 

Ainsi  se  termina  la  première  partie  du  grand 
drame  de  la  réformation.  Les  événements  que 
fit.n^tre  cette  révolution  religieuse,  ameoènent 
des  changements  remarquables  dans  le  système 
politique  de  l'Europe.  Séparant  TAllemagne  en 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITHB    XIV.  109 

deux  partis ,  elle  opposa  ua  contre-poids  utile  k 
la  puissance  fie  l'Autriche;  et  créant  un  noa- 
veau  principe  d«  résistance  contre  cette  niaison 
ambitieuse  ,  eUe  sauva  non-seulement  la  liberté 
de  l'empire,  maiscncore  celle  de  l'Europe.  Les 
états  protestants  trouvèrent  des- alliés  dans  les 
états  qui  craiguatent  pour  leur  indépendance 
politique^  et  ces  derniers  invoquèrent  souvent 
le  secours  des  autres,  qui  agirent  avec  vigueur 
lors  mèine  tpi'U  ue  couraient  pour  le  Inoment 
aucun  danger  personiief^  La  religion  devint  un 
pbiqt  de  ralliement  pour  tous  les  ennemis  de 
l'Auferiche.  Les  partisans  du  système  de  l'équi-* 
libre  furent  charmés  de  voir  non  -  seulement 
l'Allemagne ,  mais  l'Europe  tout  entière ,  par- 
tagée en  deux  masses  de  puissance ,  plus  inté- 
ressées que  jamais  à  s'observer  et  à  se  contre- 
balancer réciproquement.  Depuis  cette  époque 
ju»]u'à  la  fin  du  dix-sèptième  siècle ,  le  sort  de 
la  religion  a  tenu  une  grande  place  dans  les 
combinaisons  de  la  politique  ;  durant  toute  Cette 
période,  la  liberté  des  cultes,  ou  la  domination 
d'un  seul,  a  été  le  but  secret  ou  le  prétexte  osten- 
sible des  négociations,  des  guerres  et  des  traités, 
à  peu  près  comme  dans  le  siècle  passé  la  ques- 
tion de  la  liberté  ou  de  l'empire  exclusif  du  com- 
merce s'est  mêlée,  directement  ou  indirectement, 


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I  lO  PARTIZ    I.  PÉRIODE   II.  ~ 

à  toutes  les  tnnsactioDs  politiques.  La  liaison 
étroite  qui  s'établit  en  Europe  entre  les  intérêts 
de  la  politique  et  ceux  de  la  religion ,  a  été  sod- 
vent  Aineste  à  l'une  et  àfautre:  la  religion  a 
dérangé  les  calculs  d'une  saine  politique;  la  po- 
litique a  pris  le  masque  de  la  religion ,  et  s'est 
servie  de  son  nom  pour  ensanglanta  la  terre. 
Mais  nous  ne  parlerons  pas  eocxire  des  effets  de 
cette  union'  singulière  ;  nous  nous  contenterons 
de  constater  sa  naissance ,  et  nous  verrons  qu'elle 
a  donné  une  nouTelle  direction  aux  idées ,  changé 
les  rapports  des  états ,  ifrflué  sur  les  actions  et 
sur  les  éTénéments. 


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CHAPITRE    XV. 


CHAPITRE  XV. 


changement  dans  te  Nord.  La  Suède  se  sépare  du 
Danemarck.  La  r^rmadon  sVtabUt  dans  ces  deux 


ITBH&AirT  qu«  l'Ë^Migoc!  et  k  France  occu- 
paient le  midi.de  l'Ëuropede  leurs  sanglants  dé- 
mêlés, le  nord,  tout-à-fait  étranger  à  ces  évé- 
a«mentSj  avait  été  le  iiiéâtre  de  mouv^neuts, 
d'un  Autre  geoK^  qui  changèrent  son  existence 
politique  et  rdigieuse.  lii  Suède  et.  le  Dane- 
maœdL  i  séparant  l«nrs  destinées ,  étaient  devenus 
des  états  indépendants,  appelés' à  peser  un  jour 
dans  la  balance  politique.  £s  Allemagne.,  la  ré- 
formation  avait  jimoié  des  changements  dans  la 
constituticm  de  l'^npiré;  ici,  les  chaiygnents 
arrivés  d^  l'ordre  politique  introduisirent  la 
réltHToatioD ,  et  il  est  intéressant  de  voir  qurilei 
IbrHKi»  et  queUesjosodificaUons  les  idées  noUTcâ- 
Jes  f  ce^retf  d^  cirçonsEances, 

La  ^ède,  le  Etenenaarck  -^  ta  Korwège  se 
débattaient  d^ois  loe^-temps  dans'les  liens  de 
Twiion  de  CaliRar  ;  ces  liens  waient  été  en  partie 
rompus ,  mais  leurs  débris  mêmes  gênaient  en- 


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m  PARTIE    I. PÉRIODE    II. 

core  !a  liberté  d«6  Suédois;  et  les  tentatives 
multipliées  que  les  Danois  avaient' faîtes  pour  . 
les  replacer  dans  la  dépendance ,  leur  inspiraient 
des  craintes  légitimes.  L'union  de  Calmar  ne 
pouvait  être  dmable.  Elle  était  trop  contraire  à 
l'ambition  de  la  haute  noblesse  et  à  l'oi^eil  na- 
tional des  Suédois.  Les  Sture,  nommés  adminis- 
trateurs de  it  Suède  par  les  états  du  royaume, 
s'étaient  montrés  tous  trois  dignes  de  la  confiance 
de  Imirs  concitoyens.  Animés  d'un  même  esprit 
et  travaillant  sur  le  même  plan,  ils  avaient  suivi, 
avec  autant  de  constance  que  d'halnleté,  le  projet 
de  rendre  à  la  Soede  son:  indépendance.*  I« 
clergé ,  gagné  par  les  rois  de  Danemarck ,  et  sé- 
duit par  l'espérance  de  régn'ra-  «ou&  leur  nom , 
s'ils  restaient  maîtres  de  la  Suède ,  comlKittait'de 
tout  sou  pouvoir  les  vues  patriotiques  des  Sture. 
A  l'exception  de  ceux  qui  enviaient  leur  crédit 
et  jalousaient  leurs  talents,  les  nobles  les-favo- 
risaient  La  grande  masse  du  peuple  baissait  les 
Danois,  craignait  les  vexations  des  gouverneurs , 
attachait  le  'bonheur  à  l'idée  d'une  existence 
nationale,  et  bénissait  les  efforts  et  les  travaux 
des  administrateurs  d<mt  l'autorité  douoe  et  tu- 
télaire  lui  faisait  redouter  encore  plus  le  joug 
de.  l'étranger.  Sténon  Sture  avait  dcmné  aux 
classes  inférieures  des  droits  politiques.  II  avait 


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CB  A  PITRE    XYi  I  iS- 

eu  le  bon  esprit  d'introduire  les  paysans  et  lés 
bourgeois  dans  rassemblée  des  états,  pour  se 
nténa^r  un  appui,  et  opposer  un  contre-poids 
au  pouvoir  de  la  noblesse  et  du  dergé.  Ce  gratid 
homme  avait  senti  que  le  vrai  moyen  de  com- 
battre et  de  réprimer  les  abus  de  ta  puissance 
du  clergé,  était'  de  répandre  des  lumîà-es  daM 
tous  les  ordres  de  la  société.  Dans  ce  dessàn  il 
avait  orée-  rtmiversité  d'Ups^  et  fixé  dafas  les 
villes  les  imprimeurs ,  dont  la  profession  avait 
été  jusqu'alors  ambulante.  Sture  avait  de  l'am- 
bitioQ  ;  mais,  du  moins  il  la  plaçait  dans  la  gloire 
de  soa  pays ,  et  ne  voyait  son  intérêt  que  dans 
l'intérêt,  gàiéra].  Il  avait  été  un  moment  dépos- 
sédé de  sa  place  par  tes  envieux,  qui  appelèrent 
«1  Suède  Jean ,  roi  de  Danemardc ,  de  la  maison  1497. 
d'Oldenbourg;  mais  xe.piîaoe  ayant  été  dlîfaît 
.par  les  Ditbmarses,  iés  Suédois  le  chassèrent;  tSoi. 
et-  la  voi^  publique ,  l'ascendant  du  génie  j  la 
néoessîté  des  circonstances,  replacèrent  de  nou' 
veau  Store  au  timon  des  affiùres.  Ses  successeurs, 
Suante  KidKdson  Stnre  et  Stéoon  Sture,  second 
du  n^m,  fils  de  ce  dermer,  avaient  non-seule- 
ment béôté  de  «w  loomet  de  son  pouvoir, mais 
etkocxe  de  «es  vues,  de  ses  talents  et  de  sop 
palribtisnie  ;  et  jt  l'époque  où  Ghristieni  n  était 
mimté  sur  le  trône  de  Daneraarck ,  StéaonjSture  iSi?. 


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I  l4  PARTIE    I. PIJhIODE    11. 

aJoiinistrait'  fit  Suèfle  avec  autant  de  fermeté 
qne  de  sagessie. 

Cbiristâern  II,  fils  du  roi  Jean,  né  en.  1481* 
n'avait  pas  reçu  de  la  nature  une  de  ces  âmes- 
^andes  et  foites  qui  suppléent  au  manque  d'in- 
struction, et  son  père  ne  Iih  avait  pas  doimé 
une  étlucation  soignée,  plus  nécessaire  encore 
aux  esprits  d'une  trempe  commune  qu'aux  au- 
tres. Il  avait  annoncé  de  bonne  heure  le  goût 
de»  plaisirs  grossiers  et  des  inclinations  basses. - 
On  n'avait  rien  ftùt  pouT'prévenir  lenr  naissance; 
on  essaya  trop  tard  de  les  réprimer.  Inapfdiqué 
et  ignorant ,  il  paraissait  croire  que  le  potfvoir 
le  dispensait  d'instruction.  Le  sentiment  conftis. 
de'son  incapacité ,  et  le  désir  de  vivre  sans  con- . 
trainte,  lui  faisaient  recherc'ker  les  sociétés  les 
moins  propres  à  lui  donner  des  laDnères  et  .des 

.  mœurs.  Sans  principes  réflédiis  et  sans  élévation 
naturelle  >  avec  des  sens  impérieux  efcdes  pas- 
sions ardentes,  il  était  facile  de  prévoir  qu'il' 
abuserait  de  l'antoritéi  que,. sa  perâonne  inspi- 
rant le  mépris ,  ces  abus  prOToqueraieht  la  réaie- 

'tance,  et  qu'il  lui  opposerait  la  cruauté  ;  enfin , 
que  ne  répugnant  au  .mal  ni  par  féflfeKÏon,  ni 
par.  l'inslioct  d'un  cœur  généreux,  il  s^ait  ca'^ 
pable  de  coiiimettre  les -plus  grands  crimes.  Une 
Hollandaise  nommée  Dyveke,  femme  de  basse 


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CHAPITRE     XV.  Il5 

extraction ,  n'ayant  pour  elle  qu'une  figure  agréa- 
.  blci  le  maîtiisait  entiëreinent,  de  concert  avec 
sa  mère  Sigebriue,  qui  ne  manquait  pas  d'esprit 
ni  d'une  certaine  habileté.  Cette  passion  hon- 
teuse explique  les  désordres  çt 'les  excès  de- 
Christîem  ;  boais  elle-même  serait  inexplicable , 
si  de  tout  temps  il  n'avait  pas  incliné  à  la  vileté 
et  à  la  faiblesse.  Deut  ans  après  son  avènement 
au  trène,  il  avait,  contracté  une  alliance  bril-  iSiS. 
lante,  en  épousant  Isabelle,  sœur  de  Charles- 
Quint,  princesse  airoabl«  et  digne  d'un  meilleur 
sort. 

.  Ce  caractère  et  ces  mœurs  n'annonçaient  pas 
un  règne  prospère.  Le  sénat  de  Danemarck  en 
augura  mal  dès  le  moment  où  Christiem  prit  le 
sceptre ,  et  ses  craintes  furent  bientôt  justifiées. 
Le  jeiiae  roi  établit  de  nouveaux  impots  dans 
son  royaume ,  afin  d'entretenir  des  troupes  sol- 
■dëes,  et  iL  employa  ces  troupes  pour  extorquer 
encore  de  l'argent  au  peuple.  La  noblesse  da- 
noise &t  révoltée  avec  raison  du  supplice  injuste 
et  illégal  de  Torben-Oxe ,  gouverneur  du  château 
de  Copenhague,  cpie  Christiern  avait  immolé  k 
ses  soupçons.  Cq  début  n'était  pas  propre  à  faire 
désirer  un  changement  aux  Suédois,  qui  se  trou- 
vaient heureux  sous  l'administration  paternelle 
de  Sture;  mais  Christiern,  avide  de  pouvoir  et 


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Il6  PARTIE     I.  — -PKAIODE     II. 

d'ai^ent,  comme  le  sont  toujours. les  hommes 
fa&lao  et  prodigues,  ei^rait  olitenir  t'un  et. 
l'autre  ea  Suède;  et  travaillait  scruniement  à  s'y 
ftHTiner  un  parti.  L'ambition  inquiète  de  Gustave 
Trolle,  archéi^que  d'Upsal,  lui  en  fournit  leâ 
moyens.  Ce  prêtre,  que  Sture  aviit  élevé  à  la 
première  dignité  «celésiastique  dans  l'espérance 
de  se  l'attatâier  par  ses  Ueo&its,  ne  dierchM 
qu'une  occasion  de  perdre  son  bi^ifaitçur.  Ja- 
loux des  talents  et  de  la  réputation  de  l'adminis- 
trateur, il  ne  voyait  daius  une  révolution  qui 
replacerait  ta  Suède  sous  le  joug  du  Danemarck , 
qu'une  source  de  pouvoir  pour  1&  clergé,  et 
dans  le  pouvoir  de  son  ordre  que  sa  propre  élé- 
vation. Également  indifférent  aux  devoirs  de  son 
état  et  à  ce^  de  citoyen ,  intrig»tt  par  besoin , 
factieux  par  vanité,  il  prêta  lacUement  l'oreille 
aux  propositions  de  Cfaristiem,  qui  lui  promet- 
tait de  le  faire  régner  en  Suède  sous  son  nom^ 
et  il  employa  en  effet  toutes  les  ressources  que 
Itû  fournissaient  son  crédit ,  aa  place  et  son  élo^ 
queoce  naturelle,  pour  susciter  des  t^stades 
et  des  ennemis  à  Sténon  Sture.  Ses  menées 
-long-temps  secrètes  ayaut  été  dt^oiléea,.  et  lui^ 
même  ayant  en  quelque  sorte  .snaoncé  .ses  pt»- 
j^  ambit^u;i  eo  reiusant  de  prétsr  sermotf 
aux  états,  l'admiaistrateur  l'avait  assiégé  dails 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITBB    XV.  117 

son  château  de  Stèke.  Oiristiem. accusa  Sb^On  1S17. 
à  Rome  de  faire  une  gnerre  injuste  à  un  prince 
de  i'é^se. 

iLéoiiX  voulait  gâgn^Ieroi  deDanemarckpar 
ses  complaisances,  afin  de  placei;  beaucoup  d'in- 
dulgences  dans  le  Nord.  Il  fit  juger  l'administra- 
-teuf  eJ:  ses  partisans  par  Birger ,  arcfaévé^ie  de 
Lund ,  et  Us  fiirent  excoiùmuniés.  Sténon ,  sans 
être  inlûnidé  par  les  foJldres  de  l'église ,  réfif)lut 
d'employé  la  force  pour  soumettre  et  punir 
l'anihevêque.  Celui-ci  invoqua  le  secours  de 
'  Cfiristiera.  I^es  états 'assailles  à  Stockholm  ne 
virent  plus  dans  Trolle  qu'un  traître  qui  appe- 
lait les  étrangers  dans  son  pays,  et  le  déposèrent 
solennellement.  La  plupart  des  .membres  de  la 
diète,  ne  «ttyant  pas  que  les  dignités  ecclésias- 
tiques pussent  soustraire  un  coupable  à  la  juste 
fiévérité  Jes  lois,  sans  peur  parce  qu'ils  étaient 
sans  reproche ,  apposèrent  leur  sceau  'k  Tatrêt 
■qui  condamnait  Varcbevéque.  Brash ,  évéque  de  • 
JJskœpmg ,  craignit  seul  que  cette  démarche  ne 
devînt  funeste  aux  signataires,  et,  afin  de  se 
mettre  en  .sûreté,  il  cacha  sous  son  sceau  une 
courte  et  formelle  pDOt^tation  contre  la  sen- 
tence qui  d^osait  J'archev^cpjw.  Artifice  dicté 
par  une  pmdenoe  -coupable,  .qui  prouvait  qu'il 
n'avait  ^le  des  intérêts  et  point  de  principes. 


DiailizodbvGoOgle 


Il8  PA.HT1E     i;-^p]ÉRIOOE    11. 

TroUe  déposé ,  k  roi  de  Danemarck ,  se  regar- 
dant comme  le  vengeur  de  Ht  dignité  de  l'église, 
saisit  avec  empressement  cette  occasion  d'agiter 

i5i8.  et  d'asservir  la  Suède,  et  parut  devant  Stockholm 
à  la  tête  d'ane  armée  et  d'une  flotte  nombreuses. 
Les  Danois  ayant  reçu  un  grand  échec  près  de 
Brenkirka,  Christiern  feint  de  vouloir  négocier , 
et,  au  mépris  de  ses  serments,  i!  enlève  des  sei- 
gnmrs  suédois  de  la  plus  haute  distinction,  qui 
lui  avaient  été  donnés  en  otage ,  et  fait  voile 
avec  eux  pour  le  Danemarck.  La  Suède  fut  in- 
dignée de  cette  perfidie  ;  mais  les  troubles  ex-  ' 
âtés  par  Trolle,  dans  son  intérieur,  l'obligèrent 
à  différer  sa  vengeance. 

Bientôt  Christiern  s'occupe  de  nouveaux  pré- 
paratifs ,  et  menace  encore  la  Suède.  Kriimpen , 
son  général,  pénètre  par  la  Hallande  dans  la 
Westrogothie.  Les  deux  années  se  rencontrent 

iSao.  près  de  Bogesund.  Sture,  après  avoir  fait  des 
prodiges  de  valeur',  est  mortellement  blessé;  il 
expire ,  et  avec  lui  fiait  la  résistance  des  Sué- 
dois. Sans  chef  et  sans  point  de  ralliement,  ils 
sont  battus  en  détail ,  et  toutes  les  provinces  se 
soumettent  aux  Danois.  Stockholm  seule  se  dé- 
fend avec  autant  d'opiniâtreté  que  de  succès. 
Une  femme  d'un  courage  héroïque ,  digne  épouse 
de  Sture,  animée  du  désir  de  venger  la  mort  de 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XV.  119 

son  mari,  et  n'e^érant  tien  de  la  gétiérosité  de 
Christiern ,  communique  son  iotrépidité  aux  ha- 
bitaots  de  la  ville.  Ijcs  états  assemblés  à  Upsal 
veulent  faire  cesser  les  maux  de  la  patrie,  et 
ire  désespèrent  pas  d'intéresser  Christiem  lui- 
même  au  bonheur  de  la  Suède.  Présidés  par  ce 
même  Gustave  Trolle  qui  avait  sacrifié  la  liberté 
publique  À  son  ambition ,  ils  capitulent  avec  le 
roi  de  Danemani  ,  s'engagent  à  lui  ojnférer  le 
sceptre ,  et  renouvellent  l'uniou  de  Calmar.  Chris- 
tiem, de  son  côté,  promet  une  entière  amnistie, 
s'engage  à  garantir  toutes  les  propriétés ,  à  ren- 
dre la -liberté  aux  prisonniers,  et  à  ne  mettre 
aucun  impôt  sur  le  peuple  que  du  consentement 
des  états.  Ce  conti-at,  qui  assure  à  Christiem  tous 
les  avantages  qu'il  avait  désiré  d'obtenir,  et  par 
lequel  les  états  cèdent  tout  ce  que,  dans  des  temps 
plus  heuteux,  ils  eussent  craint  de' hii  accorder  » 
est  le  résultat  des  circonstances ,  Pouvrage  de  ht 
prudence  qui  compose  avec  la  ibrce  :  mais  c'est 
un  contrat  solennel  ;  on  peut  espérer  qu'il  sera 
respecté ,  et  il  paraît  devoir  apaiser  les  troubles 
de  la  Suède.  Stockholm,  menacée  de  ta  famine, 
et  dont  les  halûtants  sont  en  partie  gagnés  ou 
intimidés  pai;  les  éibissaires  de  Christiem  V  lui 
ouvre  ses  poÉ*es.  Vainqueur  de  la  Suède  et  ap- 
pelé au  trône  par  les  états,  le  roi  de  Dauc'  i5au. 


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I30  PARTIS    1. -^piRIOUE    II. 

marck  se  £ût  couronner  avec  la  plu»  grande  ms- 
gaiticence;  m^  les  Danois  seuls  jouent  un  râle 
dans  cette  cérémonie  imposante;.  Içs  Suédois 
sont  condamnés  à  en  être  les  simples  ajuctateurs; 
comme  on  n'a  plu&  lieu  de  les  craindre ,  oa  ne 
croit  pas  avoir  besoin  de  les  ménager;  leur  or^ 
gueil  s'irrite  de  se  voir  négligés;  l'indiiTérenee 
qu'on  leur  témoigne  les  éclaire  sur  Testait  d«^ 
la  cour,  et  leur  fait  redouter  de  nouveaux  mal' 
heurs. 

En  effet,  au  milieu  des  cérémonies  du  cou-  ' 
ronnement,  qui  semblaient  devoir  donner  plus 
de  force  A  ses  obligations,  Christieru  méditait 
des  crimes.  Une  autorité  librement  consentie  lui 
paraissait  précaire,  un  pouvoir  limité  était  à  ses 
yeux  un  fardeau  plutôt  qu'un  bienfait,  et  toute 
entrave  légale  une  véritable  insulte,  lié  parles 
articles  de  la  convention  qm  lui  a  procuré  1^ 
trône,  il  se  propose  de  .les  violer;  mais  aiin  de 
le  faire  impuuément  et  d'appesatitir  no  joug 
d'airain  sur  la  Suède,  sans  avoir  de  vengeance  k 
redouter,  il  veut  glacer  les  esprits  par  la  terreur, 
en  leur  donnant,  un  spectacle  sanglant  qui  leur 
ôte  jusqu'à  ridée  de  la  résistance.  Un  baiiti»' 
nommé Slagheck ,  créature  de  Sîgebntte,  ctmseil 
ou  confident  de  ce  j»Y)jet  infernal,  lui  suggère 
de  sacrifier  k  sa  sûreté  tous  ceux  qui  ont  osé 


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CHAPITHE    XV.  lai 

concourir  à  la  dépoûtion  de  l'ardieT^que  Trolle. 
Selon  lui,  cet  exemple  étouffera  tout  germe  de 
trouble,  affranchira  Christîém  de  toute  eq>èce 
de  contrôle ,  lui  procurera  l'argent  qu'il  déùre  ; 
et  en  satis&isaat  son  avidité  et  sa  vengeance , 
il  paraîtra  le  défenseur,  de  l'ëgliBe ,  et  ne  fera 
qu'exécuter  les  arrêts  du  pape ,  qui  n'a  pas  levé 
rexoMnnmnication  dont  les  juges  âe  Trolle  ont 
été  frappés.  Ce  plan,  qui  flatte  à  la  fois  l'intem- 
pérance de  pouvoir  et  la  vengeance  impati^ite 
de  Christfem ,  est  adopté  et  stùvi.  Le  roi  troave 
des  hommes  asxz  vils  pour  se  faire  les  instru- 
ments de  sa  barbarie,- et  qui^  en  même  temps 
accusateurs  et  juges  clans  le  {Avcès  qu'on  intente 
anx  sénateurs ,  s'abaissent  à  revêtir  l'assassinat 
de  formes  légales.  Des  Suédois  ne  rougissent  pas 
de  se  prêter  à  Jxt  odwux  ministfô-e,  et  de  servir 
()e  bomreanx  au  tyran  de  leur  patrie.  On  accuse 
d'hérésie  ks.victmtes  déjà  dévouées  k  la  mort, 
part»  qa'eUes  ont  prononcé  un  ait^t  ooatr6«n 
archevêque,  et  on  leur  inflige  la  peine  portée 
coiitt«  les  hérétiques.  Quttre-vingt>qu»orze  petv 
somugËs  aussi  respectables  que  respectés  «m\ 
«oveloppés'dans  la  même  prosoription.  Cn  même 
jour  voit  tomber  les  têtes  les  plus  illustres.  Les 
fêtes  du  couronnement  sont  inteïrompues  par 
cette  scène  atroce  ;  on  pltft^t  «Ile-même  est  pour 


DiailizodbvGoOgle 


lai  PARTIE    I. PEBJODE   11. 

.  Christiem  la  seule  fête  digne  de  lui.  t)es  évê- 
qiies  irréprochables  et  purs  qui  prouvent  leur 
reli^on  par  leurs  vertus,  des  pbbles  plus  distin- 
gués encore  par  leurs  talents  et  leurs  services 
que  par  leur  naissance  »  des  sénateurs  blanchis 
dans  des  travaux  honorables ,  et  qui  n'ont  jamais 
obéi  qu'à  la  voix  de  la  patrie  et  du'  devoir ,  sont 
décapités  sâus  les  yeux  d'un  peuple  immense , 
dont  I9  juste  filreur  est  contenue  par  de  nom- 
breux satellites;  qui. craint  tout,  n'espère  plus 
lien,  et  lit  farrét  de  sa  ruine  dans  le  sang  de 
ses  généreux  défenseurs.  Les  spectateia^  ne  ha- 
sardent pas  même  de  donnera  ces  malheureuses 
victimes  des  signes  de  leur  compassion.  Les  larw 
mes  seraient  un  crime,  les  gémissements  même 
.sont  interdits;  les  émissaires  de  Christiem ,  ré- 
pandus parmi  la  foule,  épient  avidement  les  pa- 
roles, les  gestes,  les  regards,  pour  ménager  ji 
Chtistiern  de  nouvelles  jouissances  en  lai  dénon- 
çant de  nouveaux  crimes  ;  un  silence  profond , 
.Universel,  plus  effrayant  que  les  discours,  si  les 
tyrans  savaient  l'entendre,  exprime  seul  l'^di- 
gnatioa  et  le  désespoir  qui  oppressent  tous  les 
cœurs.  Le  féroce  Christiem  ne  s'arrête  pas  à  ces 
premiers  forfaits  ;  il  parât  vouloir  s'enivrer  de 
sang  pour  s'étouj^ir-  Les  exécutions  se  succè- 
dent à  Stockholm  avec  rapidité.  Ajh^s  avoir 


DiailizodbvGoOglc    ' 


CHAPITRE    XV.  la3 

rempli  la  ville  de  ses  àtteotats,  il  court  promener 
ses  fureurs  dans  les  provinces.  Des  gibets  dres- 
sés partout  aanonceot  aux  peuples  l'arrivée  de 
leur  souverain.  C'est  en  frappant  indistinctement 
tout  le  monde-,  qu'il  observe  l'amnistie  solen- 
nellement promise  à  ceux  même  qui  pourraient 
avoir  été  crimiiiels.  Il  s'était  engagé  à  ne  voir 
nulle: part  de  coupables,  et  Ton  dirait  que  per- 
sonne n'est  innocent.  Plus  de  six  cents  victimes 
expirent  dans  les  supplices.  A  la  fin,  fatigué  de 
cruautés  sans  en  être  assouvi,  il  quitte  la  Suède, 
et  court  ensevelir  dans  son  palais  de  Copenbague 
ses  affreuses  jouissances  et  ses  sanglants  sou- 
venirs. 

Christiero  avait  cru  étouffer  dans  les  Suédois 
cet  esprit  d'indépendance  et  cette  fierté  natio- 
nale ,  qui  luttaient  depuis  un  siècle  contre  l'union 
de  Calmar;  mais  il  n'avait  fait  qu'effacer  pour 
toujours,  dans  le  sang,  les  titres  de  cette  union. 
Il  avait  commis  asset  de  forfaits  pour  soulever 
tous  les  partis,  et  leur  inspirer  contre  lui  une 
,baine  invincible;  il  n'en  avait  pas  commis  assez 
pour  jouir  des  fruits  dé  son  crime ,  et  dans  cha- 
que Suédois  il  devait  voir  un  ennemi.  La  sou- 
veraineté était  partagée,  en  Suède,  entre  le 
prince  et  les  états  du  royaume.  Gbristiem ,  in- 
fidèle à  ses  serments ,  avait  violé  la  constitution , 


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Ia4  PARTIE    1-  r^RIODE    II. 

et  agissait  en  souverain  absolu.  La  forcé  avait 
renversé  lès  barrières  légales  du  pouvoir.  Suivant 
l'esprit  des  gouvernements  mixtes,  les  états  de 
Suède  avaient  le  droit  d'employer  la  force  pour 
refouler  le^nce  dfms.les  linûtes'de  la  consti- 
tutioo,  et  sauver  leur  part  à  la  souveraineté. 
Tels  étaient  les  principes  de  tont  ce  qu'il  y 
avait  d'éclatffé  eu  Suède.  C'était  Cfaristiern  qui 
avait  &it  \ç  premier  une  révolution  aussi  san- 
^nte  qu'injuste.  JLes  Suédois  pouvaient  com- 
battre pour  d^endffie  leurs  lois.  D'ailleurs,  le  rot 
n'avait  eraployé  son  pouvoir  usnrpé  qn'k  im- 
moieT  ceux  qu'il  devait  couvrir  de  sa  protection, 
et  ses  aimes  avaient  mis  le  peuple  dans  wie  de 
ces  situadoos  désespérées  où  l'on  ne  prend 
conseil  que  de  son  désespoir,  et  où,  les  excès  de 
la  tyrannie  bouleversant  l'ordre  sooi^ ,  ie  frein 
des  lois  se  brise  ,  et  l'on  en  appelle  à  la  force  , 
des  ^bus  de  la  force- 
Le»  mêmes  causas  ont  produk  partoot  ïes 
mêmes  effets;  l'histoire  tout  entière  prouve  qu'il 
«St  un  t^me  à  la  «patience  des  hommes;  mais,- 
entre  tous  les  peuples,  lès  Suédois  étaient  moins 
£ûts  que  les  autres  ponr  supporta-  tranquille- 
ment le  comble  de  l'oppreBsion  et  de  la  barbarie. 
Cette  nation  fiène,  généreuse  et  brave,  savait 
aiiper  et  haïr  avec  ime  égale  force;  susceptible 


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CHAPITRE    XT.  IsS 

des  impressions  les  plus  vives ,  paseionnéç  pour 
le  sol  qu'elle  habitait,  quoique  la  nature  y  fût 
plut6t  grande  et  pittoresque  que  féconde  et  li- 
bérale, elle  puisait  dans  sa  pauvreté  même  l'a- 
mour de  ses  lois  et  le  couï-affe  de  tout  sacrifier 
pour  elles  ;  la  gloire  et  le  patriotisme  pouTaimt 
lui  £tire  tout  entreprendre,  et  la  cî>nsoler  de 
tout.  Des  âmes  saines  et  éner^ques,  des  corps 
vigoureux  et  lùen.  constitués  fMmaient  l'èm- 
preinte  nationale.  Un  tel  peuple  sait  beaucoup 
pardonner  à  qui  commande  son  atkniraticm ,  et 
ne  pardonne  rien  à  qui  excite  à  la  fois  son  in- 
dignatioa  et  son  mépris.  Au^si  les  crimes  de 
Chlistiem  réunissent  tons  les  Suédois  dans  un 
'  même  sentiment.  Un  intérêt  fOtninun  fait. taire 
tous  les  intérêts  particuliers  ;  les  haines  et  les 
animosités  qui  divisent  tes  &milles ,  cessent  pour 
se  porter  toutes  sur  on  même  objet  ;  les  partis 
CHiblieat  ou  ajournent  leurs  anciens  démêlés;  la 
fermentation  est  générale,  mais  elle  est  secrète 
et  sourde;  on  ne  peut  ni  se  parler,  ni  se  con-- 
certer  librement;  on  est  réduit  à  se  deviner,  et 
à  désirer  qu'il  paraisse  un  homme  capable  de 
produise  et  de  dûiger  un  grand  mmivement. 

Le  libérateur. que  le  ciel  destinait  àia  Suéde, 
venait  d'échapper  aux  fers,  et'  déjà  il  avait  revu 
sa  terre  natale:  c'était  Gustave  \sifiit.  Il  était  né  1490. 


DiailizodbvGoOgle 


126  PARTlK     I.  PÉBIODE.II. 

à  Lindholm ,  dans  l'UpIande  ;  fils  d'Eric  Johan- 
son ,  arrière-neveu  du  grand  Sture ,  il  tenait  à  la 
maison  des  Folkungen ,  anciens.  roi&  de  Suède. 
Élevé  à  la  cour  de  l'admmistrçteur  et  entouré 
de  grands  exemples,  ilf  avait  re^u-une  éducation 
sùnple  et  mâle.  Le  génie  de  Sture  avait  deviné 
celui  de  .Gtistave.  Ce  jeune  homme  avait  reçu  de 
'  la  nature  ime  constitution  robuste ,  uiïe  figure 
noble,  une  physionomie  expressive  et  caracté- 
ristique. Il  excellait  dans  tous  les  exercices  du 
corps:  de  bonne  heure,  il  avait  annoncé  un 
esprit  vif  et  pénétrant,  de  l'élévation  et  de  l'é- 
nergie. Le  sentiment  confus  de  ces  avantages  et 
un  instinct  de  supâiorité  lui  avaient  fait  prendre 
de  l'ascendant  suç  tous  les  compagnons  de  sa 
jeunesse,  et  dans  ses  jeux  il  préludait  en  quelque 
sorte  fiu  grand  rôle  qu'U  devait  jouer  un  jour. 
A  l'âge  de  yingt-quatre .  ans  il  avait  paru  à  la 
cour  tle  Sténon  Sture  le  jeune ,  où  il  avait  gagné 
tous  les  cœurs  par  ses  grâces  et  ses  vel'tus.  La 
lecture  de  l'histoire  de  son  pays  était  son  oqcu-- 
pation  favorite»  et  nourrissait  dans  son  ame  le 
patriotisme,  l'amour,  de  l'indépendance  de  la 
Suède  et  la  haine  des  étrangers.  La  conversation 
du  savant  évèque  d&Linkœping,Hemming  Ga- 
den,  4'attirait  plus. fortement  que  les  plaisirs  et 
les  distractions  de  son  âge.  Dans '  tes  guerres 


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CHAPITRE  xy.  lay 

Êontre  Christiem  il  avait  combattu  à  côté  dé 
l'administrateur,  et  s'était  distingué  par  sa  bra- 
voure, n'était -un  des  six  otages  que  Chrisdem 
enleva  et  retint  en  prison  contre  la  foi  des^ser- 
ments.  Comme  si  Christiem  eût  pressenti  de 
quelle  importance  il  ^tait  pour  lui  que  ce  jeune 
homme  ne  retotiroât  pas  en  Suède,  il  l'avait  mis 
sous  îa  garde  d'Eric  Baner,  gentilhomme  jut- 
landais ,  en  exigeant  de  lui  une  caution  de  six 
mille  écus.  Gustave  ayant  obtenu  de  Baiier  la 
permission  de  se  promenet'  dans  les  euviiKms  du 
château  de  -Kallo  où  il  était  détenu ,  en  avait 
profilé  pour  s'évader  ;  arrivé  à  Lûbeck ,  il  fiit  ré- 
clamé par  Baner.  Mais  le  sénat  de  Lûbeck  res- 
pectant les  droits  de -l'hospitalité,  touché  de 
l'éloquence  de  Gustave ,  qui  plaida  lui-même  sa 
cause ,  et  voyant  en  -  lui  un  homme  capable  d» 
combattre' Christiem  ,  dont  la  puissance  com- 
mençait à  donner  de  l'ombrage  aux  villes  de  là 
EJtanse ;  refusa  de  te  livrer  au  roi  de  Banemarck, 
et  Iaï  feumit  même  des  «ecours  pour  retoumer 
e|i  Suède.  Gustave  n'avait  désiré- et  recouvré  la 
liberté  que  dans  Le  dessein  de  la  rendre  à  sa 
patrie.'  Plein  de  ces  ^ndes  pensées.il  avait  dé- 
barqué à- Calmar,  saluant  avec  des  transports  iSio. 
mêlés  de  douleur  cette  terre  ensanglantée  et 
asservie  y  qu'il  se  proposait  de  piuifieret  d'af- 


DiailizodbvGoOgle 


laS  PARTIS- I.  —  PKRIODR   II. 

franchir  d'un  joug  odieux;  sans  autres  moyens 
que  ses  qualités  personoelles  et  le  courage  d'une  ' 
ame  forte ,  il  espère  commuaiquer  sa  généreuse 
ardeur  k  ses  concitoyeus  et  les  armer  contre-  le 
tyran.  , 

Gustave  réunissait  au  plus  haut  degré  toat  ce 
qu'il  fallait  pour  réussir  dans  une  entreprise  de 
ce  genre,  chez  un  peuple  tel  que  les  Suédois. 
A  un  extérieur  io^osant-,  Tëritable  sceau  dont 
la  nature  marque  9es  favoris,  et  auquelles  peu- 
ples ont  plus  d'une  fois  reconnu  ceox  qu'ils  de- 
vaient «livre,  Gustave  joignait  une  éloquence 
entrdnante ,  et  s'énonçait  dans  sa  langue  mater- 
nelle avec  autant  de  &cilité  que  de  force.  Il  était 
encore  dans  cet  âge  heureux  de  l'entho^asme , 
le  temps  de  la  flc»^iBoa  du  génie;  enthousiasme 
qu'il  faut  avoir,  pour  en  inspirer  aux  autres ,  et 
sans  lequel  on  manque  toujours  de  l'audaee 
d^action  :  il  avait,  déjà  acquis  cette  puissance  de. 
raison  qui  Ëiit  combiner  aVec  sagesse  ce  que 
reotfaousiasme  inspii'e  et  exécute ,  ^  qui  s«b1« 
sait  diriger  ce  levier  moral.  Son  e^rit  était  juste 
et  réfléchL  A  défaut  d'une  .grande  richesse 
d'idées ,  il  avait  une  idée  tlominaate ,  ce  qui  vaut 
.  peut-être  mieux  pour  l'action  ;  et  comfne  tous 
les  hoouaes  qui  ont  décidé  le  sort  des  nations, 
il  avait  plutàt  un  grand  eanetére  qu'im  esprit 


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CUAPITREXV.  .         129 

-vaste  er  profond.  Tourmenté  des  malheurs  de 
son  pays  et  du  projet  d'y  mettre  fini ,  il  apprend 
la  mort  tragique  de  son  père ,  qui  a  péri  dans  le 
massacre  de  Stockhc^.  Cette  terrible  nouvelle, 
loin  de  l'abattre ,. augmente  son  ardeur,  et  il  ' 
marche  à  l'exécution  de  son  plan,  au  milieu  des 
images'de  sa  patrie  éplorée  et  de  l'ombre  de 
son  père,  qui  l'uiiment  à  la  vengeance.  La  vio- 
lation du  contât  formel  qui  liait  la  Suède  à 
GhristierQ,  l'usu^iation  de  la  souveraineté  et 
l'usage  qu'il  a  fait  d'un  pouvoir  usurpé  pour 
commettre  des  mmes  atroces ,  sont  les  droits  de 
Gustave  à  cette  grande  entreprise;  ses  motife 
sont  le  patriotisme,  la  tendresse  filiale  et  la 
gloire,  plus  que  l'ambition;  ses  vues,  d'expulser 
les  Danois  et  de  domier  aux  états"  de  Suède 
la  liberté  de  s'assembler  pour  régler  le  gouver- 
nement ;  ses  moyens ,  la  conscience  qu'il  a  de  ses 
forces  et  de  ses  talents,  le  mépris  de  la  vie  et  la 
CpnnaiasanËe  .du  caractère  et  du  malheur  de.  ses 
concitoyens.  Il  part  de  Calmar  pour  sonder  les 
dispositions  du  peuple;  mais,  dans  cette  partie 
de  la  Suède,  la  crainte  glace  tous  les  espiits;  son 
beau-frère,  Joachim-firabé,  qu'il  va -voir  dans 
son  chliteau,  en  Sudermanie,  et  à  qui  il  dévoile 
ses  desseins ,  refuse  de  s'associer  à  lui  ;  'sa  sœur 
emploie  même  tout  ce  que  la  tendresse  peut 
=»  9 


DiailizodbvGoOgle 


l3o  PARTIE    I.  -^  FiRIODI    II. 

dicter  <)e  plus  pressant  pour  le  détourner  de  son 
entreprise:  il  la  quitte,  et  dirige  sa  route  Tent 
la  Dalécarlie.  Cette  province,  située  au  nord-ouest 
de  la  Suède ,  est  habitée  par  un  peuple  simple 
et  pauvre,'  brave  et  ardent,  facile  à  enflammer, 
ennemi  de  la  servitude ,  et  qui,  vivant  isolée  a 
mieux  conservé  les  traits  primitifs  de  la  physio- 
nomie nationale.  Les  Dalécu-liens  tiennent  d'au* 
tant  plus  fortement  k  leur  pays  qu'ils  n'en  con- 
naissent point  d'autre;  plus  énei^tques  qu'éclai- 
rés ,  ils  sont  capables  de  tout.  Leur  nourriture 
est  simple  et  frugale  ;  ils  ne  boivent  que  de  l'eau  ; 
mais  s'ils  ont  peu  à  perdre ,  ils  sont  d'autant 
plus  indifférents  k  la  vie  et  plus  prêts  à  la  sa- 
iSaa  crifier.  C'est  vers  eux  que  Gustave  dirige  ses  pas. 
Pour  mieux  leur  plaire ,  il  adopte  leur  costume. 
Les  cheveux  coupés  à  leur  manière,  couvert; 
d'un  chapeau  rohd ,  revêtu  d'un  habit  grossier, 
et  la  hache  sur  le  dos,  il  erre  dans  les  forêts, 
et  se  met  au  service  d'un  paysan.  Son  air  noble 
perce' à  travers  Son  déguisement:  il  est  reconnu, 
et  il  se  voit  au  moment  d'être  livré  aux  émis- 
saires de  Christiem.  Poursuivi  par  ses  ennemis, 
trahi  par  des  amis  perfides,  caché  tantôt  dans 
une -grange  (*),  tantôt  dans  une  charrette,  ses 

(*)  Tous  les  endroits  où  GustMve  a  séjourné  et  où  il  a  été 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITBE    XV.  l3l 

dangers  se  succèdent,  ses  aventures  se  multi- 
plient ,  et  donnent  à  cette  partie  de  sa  vie  la  cou- 
leur et  llntérét  d'un  roman.  Aux  fêtes  de  Noël  iSao. 
il  arrive  à  Mora,  chef-lieu  de  la  Dalécarlie, 
au  milieu  d«a  paysans  de  la  contrée ,  que  le  so- 
lennité rassetfible;  il  se  découvre  fa  eux»  il  les 
harangue  ;  son  éloquence  agreste  et  fière ,  comme 
la  nature  qui  l'environne,  les  enflamme.  Deux 
cents  Dalécarlieni  prennent  les  armes,  et  le  sui<- 
vent.  (Test  avec  eux  qu'il  commence  sa  grande 
entreprise. 

A  peine  a-t-il  levé  l'étendard ,  que  son  armée 
augmente.  II  3u£Ssait  de  donner  le  signal  aux 
Suédois.  La  révolution  était  déjà  faite  dans  tous 
les  cœurs.  TroUe  oppose  des  troupes  à  Gustave, 
qui  tes  bat  avec  le  secours  d'Olof  Bonde,  le  com- 

recDeilli  dans  sa  fuite,  oti  plutôt  dam  sa  marche  glorieuse, 
ont  été  refi^eusement  contervés  en  Suéde  comme  autant  de 
monuments  nationaux;  les  pères  le*  montraient  avec  respect 
aux  enfants.  Le  gouvernement  a  même  consacré  une  rente 
annuelle. pour  leur  entretien.  Chartes  X,  dans  son  voyage  à 
Falhun,  assigna  une  somme  pour  la  grange  où  Gustave 
avait  travaillé.  La  couronne  paie  anoUellMnent  encore  pour 
l'ïniretien  d'une  maison  à  Omay ,  où  il  a  demeuré.  Cette 
espèce  de  culte  fait  l'élqgc  de  l'homme  qui  a  mérité  d'en 
être  l'objet,  du  peuple  sensible  qui  le  lui  rend,  des  rois  qui 
ne  craignent  pas  ces  grands  souvenirs;  et  il  doit  répandre 
sur  toute  la  contrée  une  sorte  de  charme  poétique. 

9- 


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l3»  PARTIE    I.  PJÉBIODE    II. 

pagDoh  de  ses  travaux  ;  cet  aviintage ,  qu'il  rein-< 
porte  sur  un  corps  de  six  mille  hommes,  accroît 
Encore  le  nombre  de  ses  partisans  :  alors  il  publie 
un  manifesteconlre Chiistie^n,  dans  lequel,  aprèç 
lui  avoir  reproché  l'usurpation  du  trône ,  la  vio- 
latioQ  du  contrat  par  lequel  il  a  voulu  sanction- 
ner son  pouvoir,  et  le  massacre  de  Stockholm , 
il  lui  rappelle  que,~ne  lui  ayant  jamais  prêté  ser- 
ment ,  il  peut  et  doit  être  l'cn^ane  de  Tindigna- 
tion  générale  et  du  vœu  de  la  nation.  La  victoire 
de  Westeras  donne  à  cet  écrit  une  force.entraî- 
naute  et  des  succès  rapides.  Mais  Gustave,  plein 
de  respect  pour  la  constitution  et  les  lois  de  son 
pays,  veut  d'autres  titres  que  ceux  que  lui  pro- 
curent ses  talents  et  son  zèle;  il  sait  que  les  états 
de  Suède  peuvent  seuls  lui  donner  Une  autorité 
légale,  et  légitimerson  entreprise,  et  il  se  hâte  de 
I  les  consulter.  Les  États  s'assemblent  à  Wadstena  : 
il  leur  expose  avec  chaleur  les  malheurs  de  la 
patrie,  les  dangers  qu'elle  court,  les  ressources 
qu'elle  peut  trouver  dans  leur  courage;  il  parle 
avec  modestie  de  ce  qu'il  a  fait ,  s'étend  sur  les 
mesures  qu'il  feut  prendre,  et  ouvre  à  la  Suède 
des  perspectives  de  bonheur  et  de  gloire-  Les 
États  l'écoutent  en  silence,  et  ne  rompent- ce 
silence  que  pour  le  remercier  de  ses  services  et 
lui  en  demander  de  nouveaux.  La  reconnais- 


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CHAPlTftE    XV.  l33 

sance  et  l'adiniratioD  font  taire  les  petites  pas- 
sions de  la  vanité  et  de  Fenvie;  elles  cèdent 
elles-mêmes, au  lAouvement  général,  et  la  voix 
unanime  nomme  Gustave  administrateur  du 
royaume.  Bientôt  il  justifie  cette  confiance  par  de 
nouveaux  exploits,  et  fait  le  siége^de  Stockholm. 
Lubeck  lui  envoie  des  secours  ;  mais  la  politique  ' 
de  cette  ville  puissante  ne  lui  permet  pas  de  fa- 
voriser de  tout  son  pouvoir  l'entreprise  de  Gus- 
tave ;  elle  voudrait  f>rolonger  les  troubles  de  la 
Suède,  et  tenir  le  commerce  de  la  Baltique  dans 
^  dépendance,  en  éternisant  dans  le  Nord  les 
factions  et  les  partis.  Cependant  la  bonne  cause 
triomphe  partout  :  les  places  fortes  se  rendent 
successivement  à  Gustave;  les  Danois  ne  sont 
pas  assez  nombreux  pour  se  soutenir  dans  une 
contrée  où  ils  rencontrent  des  ennemis  à  chaque 
pas;  la  Suède  tout  entière  reconnaît  l'autorité 
de  l'administrateur  ;,  déjà  il  attaque  le  roi  de 
Danemarck  dans  ses  propres  états  :  Stockholm 
-seule  résiste  encore. 

Christiern  aurait  peut -être  opposé-  plus  d'ob- 
stacles aux  progrès  toujours  croissants  de  Gus- 
tave, si  le  Danemarck  était  resté  tranquille  et 
soumis  ;  mais  l'avidité  e^  la  barbarie  de  Christiern 
y  avaient  aussi  produit  un  mécontentement  gé- 
néral. A  l'exception  des  créatures  et  des  suppôts 


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l34  PARTIE     1.  -— PÉaiODE     II- 

du  roi,  toute  la  nation,  en  apprenant  le  njassa- 
cre  de  Stockholm ,  avait  partagé  l'indignation  des 
Suédois ,  et  gémi  de  Topi^obre  que.  cet,  attentat 
pouvait  faire  rejaillir  sur  le  notn  danois.  Ce  peu- 
ple,, naturellement  calme  et  r^édiî,  irrité  de 
tant  de  crimes  ^  supportait  avec  peii^e  Tadminisr 
tration  tyranniquede  Christiern,  Ce  fcn-cené  avait 
violé  en  OanepiarcL  la  constitution  du  royaume, 
et  7  avait,  comme  en  Suède,  usurpé  la  souve- 
raineté tout  entière,  qu^il  devait  partager  avec 
les  âats.  he  sénat,  encouragé  par  l'exemple  des 
i5>3.  Suédois,  s'assemble  à  Wybourg  en  JutUad,  dé- 
pose solennellement  Christiern ,  lui  fait  signifier 
cet  arrêt  par  jVIagnus  Munck,  juge  du  paya,  et 
place  sur  le  trôpe  Frédéric ,  duc  de  Halstein. 
Daus  ce  moment  teirible,  où  on  le  dépouille  de 
ses  couronna  et  où  les  peuples  le  repoussent  de 
leur  sein,  Christiern  se  montre  aussi  lâche  qu'U 
avait  été  cruçl.  Poursuivi  par  la.  haine  de  ses 
Suje^,  il  n'essaie  pas  même  de  défendre  ce  pou- 
voir  qu'il  a  augmenté  par  les  mesures  les  plus  ' 
illégales;  il  se  hâte  de  charger  sur  une  flotte  ce 
qu'il  a  de  plus  prèdeuz ,  ses  trésors  et  l'indigne 
Sigebritte,  et  se  sauve  dans  les  Pays-Bas,  avec 
l'espérance  trompeuse  d'armer  Çbwles-Quint, 
son  beau-&ère ,  en  sa  faveur. . 
Cet  évén^nent  heureux  consomme  le  graud 


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CHAPITRF    TV.  I  35 

ouvrage  qUe  Gustave  a  coihmencé.  Stockholrn 
capitule  et  '  lui  oime  ses  portas  ;  la  Suède  est 
purgée  dos  étrangers  qui  l'oppripaMBiit.  Désor- 
maw  çlle  n'a  plus  lieu  de  cntindre  le  Daneoaerdk. 
Frédénc  *  mal  aflEBinui  sur  le  trôoe ,  p«  KiPgti  qu'à 
s'y  ipaiatoiir-  Lot  états  de  Suède,  aaBevùfU»  à 
Streogoaeas,  déférent  •oléimelleRient  la  cou- 
TOttoe  BU  libérateur  de  la  patrie  :l'int^t  génial,  ■ 
qui  Veut  que  la  presiière  plaof  soit  fikée  irré- 
voçablement,  et  que^  pour  râtabtif  l'ordre. pu- 
blic ,  l'autorité  soit  Cojte  ^  concentrée ,  attache 
les  Suédois  à  la  nionarcbie,  ceroroe  la  reconnais- 
sance les  attache  1  Gustave.  Content  d'avoir  af- 
fimndu  son  paya,  il  ne  voit  dans  cet  honneur 
qu'uB  &nleau ,  et  r«fase  de  l'acéepter.  Cette  mo- 
<tenitiDn  n'iétait  pas  feinte.  Gustave  était  aoibi- 
tieujt;  mais  il  ne  connaissût  pas  cette- ambition 
hypocrite  qui  veut  réunir  les  jouissances  du  pou- 
voir à  rbonneur  d'une  modération  apparente ,:  et 
qui  joue  la  d^ntéreasenient.  Le  rehis  qu'il  fit 
du  trtoe  fiit  dicté  par  la  aainte  des  factions, 
des  jalousies  et  des  haines  que  son  élévation 
pouvait  faire  naître ,  ou  ne  fiit  peut-être  qu'un 
lumimage  involontaire,  r^du  par  une  aiae  noble 
et  pure*  aux  devoirs  diffîcil&s  de  la  première 
place.  Vaincu  par  les  larmes  et  les  sollicitationa 
de  ses  concitoyens,  il  céda  auK  désirs  des  états 


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l36  ^PARTIE    I.  PiHIOOE    II. 

de  Suède ,  et  reçut  le  sceptFf  de  leurs  tnains.  Au 
défaut  de  l'ambition,  le  patriotisme  lui  faisait 
une  loi  de  ne  pas  persévérer  dans  sa  résistance^ 
Lui  seul  pouvait  empêcher  que  la  Suède  ne  re- 
tombât dans  les  convulsions  ou  dans  la  servitude 
dont  il  l'avait  glorieusement  tirée;  lui  seul  pou- 
vait consolider  son  bel  ouvrage.  Pendant  un 
règne  de  trente-sept  ans,  il  justifia  les  espéran- 
ces des  Suédois  ;  et,  par  tin  heureux  mélange 
d'activité  et  de  prudence ,  de  force  et  de  mesure^ 
de  clémence  et  de  sévérité ,  il  se  montra  toujours  . 
à  l'unisson  des  circonstances.  Elles,  furent  sou- 
vent critiques  :  les  intrigues  du  <Jergé,  les  nSe- 
nées  du  roi  détrôné,  h  jalousie  de  quelques 
nobles ,  le  caractère  infiamniahle  des  Dalécarliens, 
qu'il  étaitfacile  d'égarer,^  entretinrent  long-temps 
en  Suède  mie  fermentation  sourde,  et  amenèrent 
même  des  conspirations  et  des  révoltes;  mais  le 
génie  et  la  vertu  de  Gustave  triomphèrent  de 
tous  ces  dangers;  et,  malgré  tous  les  obstacles, 
fidèle  à  son  plan,  et  marchant  à  son  but  avec 
une  sage  lenteur,  il  établit  en  Suède  la  Réfor- 
mation. 

/  La  paix  avait  été  conclue  avec  le  Danemarck 

à  Malmoe,  et  l'union  de  Calmar  formellement 

i5a4.  annulée.  Les  talents  de  Gustave  purent  s'exercer 

dans  une  nouvelle  sphère,  et  y  jetèrent  un  éclat 


:.,C00glc 


CHAPITRE    XV.  l3^ 

phis  durable  et  plds  doux:  Tant  qu'il  porta  te 
titre  d'administrateiir ,  il  ne  fîit  que  guerrier; 
devenu  toi,  il  prouva  qu'il  savait  faire  la  guerre, 
sans Taïmer,  etdéveloppa  toutes  les  qualités  d'uu 
grand  administrateur.  Tout  avait  dépéri  en  Suède 
au  milieu  des  guerres  civiles  et  sous  le  sceptre 
de  fer  de  Christiem;  il  fallait  tout  reproduire 
et  tout  régénérer.  Antant  Gustave  avait  montré 
d'enthousiasme  et  de  vivacité' en  délivrant  fa 
Suède  du  joug  âe  l'oppression^  autant  il  montra 
de  réflexion  et  de  prudence  dans  la  marche  qu'il 
suivit  pour  lui  iaire  trouver  le  bonheur  dans  la 
liberté.  Ici  la  préc^itation  aurait  été  aussi  dan- 
gereuse que  la  lenteur  l'eut  été  dans  la  première 
partie  de  sa  vie  publique.  On  vit  avec  ^tonne- 
ment  ce  héros,  natorellenient  ardent  et  impé- 
tueux, préparer  de  loin  les  changements  qu'il 
méditait ,  et  amraier  les  réformes  par  des  grada- 
tions insensibles.  Le  cleigé ,  toujours  fectieux, 
entretenait  des  intelligences  avec  l'étranger;  plus 
riche  que  les  autres  ordres  de  l'état,  il  lie  portait 
^as  avec  eux  le  &rdeàu  des  dépenses  publiques, 
Gustave  voulait  lui  donna-  uiue  oi^anisation  qui' 
ne  lui  permît  pas  de  troubler  la  tranquillité  du 
pays,  qiii  le  &oumit  à  l'autorité  royale^  et  fit 
servir  ses  trésors  à  payer  les  dettes  de  la  Suède. 
Le  moyeu  le-  plus  expéditif  était  d'établir  la  re- 


DiailizodbvGoOgle 


l38  PARTIE    I.  —  PÉBIODE    II. 

-  l^;ion  luthérienne  dans  le  poyaurne.  Mais  on  ne 
commande  pas  l'opiniop;  un  I^^teivr  sage 
l'éclaù^.  Gustave  cônnais^t  trc^  sa  nàtio»  pour 
toucher  sans  ménagemeot  aux  idées  re^^its.  Il 
avait  appris  à  connattK  la  doctrine  4es  réfor- 
mateurs pendant  son  séjour  en  Jutlaiid.  ;  ilte- 
nait  aux  nouveau»  principes  par  eoinflction  et 
par  politique;  ils  lui  paraissaient  vraîs,  et  ils 
pouvaient  lui  être  utiles;  c'était  plus  quil  ne 
&llait  pour  déârer  de  les  répandre.  Cependuit , 
il  se  contenta  d'abord  de  iavoriser  ht  propaga- 
tjonde  la  religion  luthérienne  *  attira  des  prédi- 
cateurs de  cette ' eoramuQÎon  en  Suède,  et  fit 
traduire  la  Bible  dans  la  langue  du  pays.  La  haine 
que  le  peuple  portait  au  clct^é,  qui  avait  tou- 
jours ^tà  Tennemi  de  son  mdépendanoe ,  avait  ■ 
rejailli,  but  la  doctrine  qu'il  professait,  «t  les  es- 
prits se  détachaient-  de  la  religitm  cailiolique 
par  éloignemeut  pour  ses  ministres.  Lie^  idées 
des  réformateurs  plaisaient  par  leur  ^mpliâtë  à 
cette-nation  d'un  sens  droit  et  simple  :  d'ailleurs , 
le  pouvoir  des  papes  n'avait  jamais  été  en  Suède 
auflsi  grand  qu'ailleurs;  la  distance  rendait  les 
comniunicatians  plus-diâcâles;  la  pauvreté  mérae 
du  pays  n«  pouvant  exciter  l'avidité  ni  l'atten- 
tion de  la  cour  de  Rome,  elle  était  plus  indif- 
férente à  son  sort.  Toutes  ces  circonstances  fa- 


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CHAPITBB    xv!  l39 

alitaient  l'exéoulion  du  plan  de'Gu^ave.  En 
attendant  te  moment  de  frapper  un  coup  déciàf , 
il  oblige  le  cle^  à  contiibuer  à  l'acquittement 
de;9  deçes  da  fÉtfit.  ,Les  d^pens«6  annuelles  (*) 
dépassaient  considérablement  les  revenus.  On 
devait  de  fortes  s^munes  aux  Lubeckots.  Les  eo- 
clésiostiqfiçs,  prévoyant  le  dai^ger  qui  lesmenace , 
espèrent  l'éloigner  en  faisait  des  sacrifices,  et 
concourent  à  couvrir  les  besoins  public^.  A  la 
dièt9  de  Westeras,  Gustave  fait  un  pas  de  plus.  iSs;. 
Bien  loin  de  s'QppQA«r  à  l'abwssnoent  du  clergé, 
)a  nc^iesse  le  souhaite.  :  elle  con^Q  fi'eimchir  k 
aes  dépens ,  et  augmenta  son  infliienœ  poétique 
ea  lui  faisant  perdre  la  ùenne.  I^e»  paysans  ' 
les  bourgeois,  plus  dépendants  du  urône ,  lui 
sont  entièrement  dévouas.  Ia^  terres  îles  églises 
et  des  cloîtres  sont  inoorporéçs  aun  domaines 
de  la  couronne.  La  religion  luthérienne. est  for- 
mellement introduite  en  -Suède;  mais  Gustave 
conserve  la  hiérarchie ,  par  ménagement  pour  les 
anciennes  habitud^,  et  afip  de  doonn?  à  la  reli- 
gion des  formes  plus  imposaiïte».  Laurent  Pétri,  >S3i- 
disciple  de  Luther,  occupe  le  siège  d'Upsal,  et 
devient  primat  du  royaume. 

(*)  Les  AéptmfK  «oMaïont  à  77,000  mires  d'argent,  la 
recette  à  34,000.  On  en  devait  aiiit  Lubedutis  77,000. 


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140  PARTIS    )■ — PÉBIÔDE    II. 

Ce  grand 'ouvrage  terminé,  Gustave  dirigea 
son  atlentiod  sur  lee  moyens  d'accroître  Ja  ri- 
chesse nationale  de  la  -Suède.  Les  nnùes  furent 
exploitées  avec  plus  d'activité  et  de  succès.  Des 
directioAs  éctairéeâ ,'  des  encouragements  distri- 
bues avec  sagesse  développèrent  des  germes  d'in- 
dustrie. La  stabilité  de  l'ordre  public  excitait  kux 
entreprises  utiles.  'Sûr  de  jouir  des  fruits  de  soâ 
travail',  on  travailla  avec  plus  d'ardeur.  Le  cpra> 
merce  de  la  Suède  n'enricbissait  que  les  villes 
de  la  fianse.  Lubeck  surtout  dominait  dans  la 
Baltique,  et  dictait  d<%  lois  aux  Suédois.  Ils  lui 
Tendaient  les  productions  de  leOr  sol ,  Us  n'ache- 

iertt  que  d'elle  les  objcits  de  te1^«  besoins ,  et, 
£iute'de  concurrence,  ils  achetaient  et  vendaient 
'avec  perte.  Gustave  afirançhit  son  pays  <Ie  ces 
entraves;  il  créa  la  marine,  et  apprit  aux  Sué- 
dois à  gagner  eux-mêmes -Ce  qu'as  Élisaient  ga- 
gner à  leurs  ^vides  voisins  ;  en  mettant  des  im- 
pôts sur  les  spéculations  des  LubecikfHS  ,il  fournit  ^ 
à  ses  sujets  les  moyens  de  former  de$  entreprises 
de  commerce  lucratives  et  brillante».  Bientôt  le 
parillôn  suédois  lut  respecté  dans  la  Baltique,  et 
se  montra  avec  succès  datls  les  mers  voisines. 
La  Suède  fut  moins  pauvre,  et  devint  une  véri- 
table puissance.  Ses  accroissements  fixèrent  l'at- 
tention des  autres  états.  On  rechercha  son  al- 


=dbïGoogIe 


CHAPITRE    XT.  141 

lîabce.  La  France  s'unît  avec  elle.  Cette  union 
faisait  honneur  à  la  sagacité  politique  de  Fran^ 
çois  V;  la  Suède  offrait  un  débouché  précieux 
â  l'industrie  et  au  commerce  des  Français*  :  elle 
poUTait  un  jour  inquiéter  la  maison  d'Autriche 
en  Allemagne.  Cette  alliance  devait  être  durable  ; 
.car  elle  reposait  sur  les  Trais  intérêts  des  puis- 
sances contractantes  et  sur  des  rapports  perma- 
nents et  fixes,  La  Suède  n'avait  ried  à  craindre 
de  .la  France  ^  trop  éloignée  pour  lui  nuire  ,  et 
pouvait  attendre  d'elle^  au  besoin,  de  l'appui  et 
du  .secours.  Gustave  avait  justifié  les  espérances 
des  Suédois;  ils  jouissaient  sous  son  .sceptre  de 
tous  les  avantages  de  l'ordre  social,  sûreté  et 
protection'  dans  l'intérieur,  considération  au 
dehors.  Les  États ,  solennellement'  assemblés  à 
Westeras,  acquittèrent  la  dette  de  la  reconnais-  i544. 
sance  nationale  ;  et  rendant  un  nouvel  hommage 
à  Gustave ,  ib  déclarèrent  la  couronne  hérédi- 
taire, et  fixèreat  le  sceptre  dans  sa  maison. 
C'était  donner  une  garantie  solide  4  ^3  liberté 
publique,  assurer  l'indépendance  de  la  Suède, 
éteindre  les  anciennes  factions,  en  prévenir  de 
nouvelles ,  et  imposer  à  la  -famille  de  Wasa  l'o- 
bligation sainte  de  ne  pas  dégénérer,  et, de  con- 
server avec  le  pouvoir  suprême  ses  titre»  origi- 
naires à  cette  haute  élévation. 


j^vGooglf 


t^l      ,  PARTIS    I.  —  fÉHIODE    II. 

La  Suède  fat  heureuse  et  tiranquiUe  fious 
l'administration  de  Gustave ,  à  quelques  léger» 
mouvements  pris,  qui  furent  presque  aussitôt 
apaisés  qu'excités.  Le  Danemàrck  n'eut  pas  le 
même  bonheur.  Frédéric  I*',  duc  de  Holstein, 
oncle  de  Christiern,  avait  accepté  la  courortné, 
"5a3.  que  les  états  loi  aVaiertt  offerte ,  après  la  fuite  de 
son  indigne  neveu.  La  noblesse  avait  profité  des 
circonstances  pour  augmenter  son  pouvoir.  Les 
classes  inférieures  avaient  été  oubliées  dans  la 
capitulation  conchié  entre  FirédériC  et  les  sei- 
gneurs '.  aussi  les  avantages  que  les  nobles  obtin- 
rent fiirent  un  principe  de  malbeur  pour  eut- 
mémes,  pour  le  roi,  pour  les  paysans,  et  pour 
l'état  tout  entier.  Les  amis  de  Christiem  en  pri- 
rent occasion  de  soulever  les  esprits  en  sa  faveur 
et  de  lui  procurer  des  partisans.  La'  tyrannie 
avait  pesé  sur  tous  les  individus ,  ou  les  avait 
'  du  moins  tous  indistinctetnent  menacés;  mais  il 
fut  fecilede  persuader  au  peuple,  toujours  à  la. 
fois  défiant  et  crédule,  que  Christiern  n'avait 
eu  d'antres  vues  que  celles  d'adoucir  son  sort, 
en  sévissant  contre  la  nolflesse.  Ces  idées  sç  ré- 
pandant dé  plus  en  plai  dans,  la  Korwège  et  le 
Danemàrck,  donnèrent  de  justes  inquiétudes 
au  roi  Frédéric,  et  k  Christiem  les  moyens  de 
troubler  son  règne.  Il  n'avait  jamais  abandonné 


bï  Google 


CUAPITRK    XV.  143 

le  projet  de  remonter  sur  le  tr^e  :  c'était  sut 
le  Daiiemarck  et  sur  la  Norwège  qu'il  avait  |iorté 
ses  espéraBces^  soit  qu'il'  désespérât  de  trionii- 
pher  do  génie  deOustHve ,  toit  qu'il  peosât,  avec 
raison ,  qu'ufi  peuple  tel  que  les  Suédois  ne  se 
téconciliait  pas  avec  sou'  bourreau.  Il  avait  fait 
une  {vemière  tentative  sur  le  Banemarck  avec 
une  aimée  qui  pénétra  dans  lé'Jutland  ;  mats  le 
défaut  d'argent  et  l'activité  de  Frédéric  l'avaient  i5a3. 
obligé  de  renoncer  à  son  entreprise.  Réfii^é 
dans  les  Pays-Bas,  il  entretenait  des  intelligences 
avec  ses  anciens  sujets ,  ne  cessait'  de,  solliciter 
des  secours  de  Charles^uint ,  et  faisait  tous  les 
préparatifs  que  les  emprunts  qii'il  avait  ouverts 
lui  permettaient  de  faire.  Frédéric  inclinait  à  la 
doctrine  des  t^formateuTs:  Augmenter  leur  pou* 
voir  en  abaissant  celui  du  clei^é,  accroître  leurs 
revenus  en  confisquant  ses  biens,  tel  était ,  à  cette 
époque,  le  dessein  plus  ou  moins  prononcé  de 
tous  les  souvH'ains.  Fi;édéric  ne  pouvait  pas  ha- 
sairder  un  changement  subît  et  total.  Il  s'était 
contenté  d'accorder  aux  jH-otestants  la  liberté  1S17. 
du  culte  ;  c'était  un  moyen  à  la  fois  sûr  et  doux 
de  propager  la  nouvelle  doctrine.  Quelque  me'- 
surées  que  fiissent  ses  démarches ,  elles  éliraient 
servi  la  cause  de  Christiem,  si  lui-même  ne 
s'était  pas  déclaré  assez  baiitement  pour  la  réfor- 


DiailizodbvGoOgle 


l44      .  PARTIE    1. PÉBIODE    II. 

jnaUon,  et  n'avait  pas  contribué  même  jt  ses 
progrès  lorsqu'il  était  sur.  le  trône.  Cependant , 
malgré  la  connaissance  qu'on  avait  de  sa  façon 
de  penser,  les Norwégiens^s'imaginant  qu'il  était 
plus. attaché  à  l'ancienne  religion  q[ue  Frédéric, 
favorisaient  ses  projets  de  descente ,  et  lui  avaient 
même  fait  passer  de  l'argeçt.  Avec  ces  secours, 
et  ceux  que  lui  avait  donnés  Charles-Quint,  il 
lève  une  armée  de  dix  millç  hommes,  et  l'em- 
barque en  Hollande.  Une  tempête  disperse  et 
brise  une  grande  partie  de  ses  vaisseaux  sur  les 
côtes  de  la  ITorwège ,  et  il  arrive  avec  les  débris 
de  sa  flotte  à'OlpsIo;  Les  premiers  moments  qui 
suivirent  ce  malheur  furent  âssei.  brillants  pour 
l'efiacer ,  et  de  nature  à  donner  k  Ghristiem  des 
espérances  flatteuses.  Les  Norwégiens  accourent 
en  foule  sous  ses  drapeaux;  les  nobles  et  le  clei^é 
le  reconnaissent  pour  leur  souverain  légitime, 
lui  prêtent  hommage  et  lui  accordent  des  sub- 
sides.-Christiern  fait  le  siège  d'Âggerhiius.  GyU 
lenstiema  défend  avec  succès  cette  citadelle  im- 
portante ^  et  donne  le  temps  à  Frédéric  d'armer 
pour  la  secourir.  Les  secours  que  reçoit  la  place 
obligent  Christiern  à  se  retirer;  et  une  malheu- 
reuse expédition  qu'il  tente  en  Suède ,  ne  lui 
laisse  plus  d'autres  ressources  que  de  s'enfermer 
dans  Olpslo.  Bientôt  réduit  à  ne  pouvoir  plus 


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se  défendre,  ni  s'évader, .il  se yoitilans  la  néces- 
sité de  négocier  avec  ses  ennemis.  Gyllenstierna  iS3i. 
et  les  autres  généraux  Danois  lui  promtitteut  de 
im  procuter  une  entrevue  avec  le  .c(m  Frédéric, 
et ,  dans  tous  les  cas,  lui  garantissent  la  liberté 
de  se  re^rw  en  Norwège.  Christiem,  qui  a  si 
souvent  trahi  sa  foi ,  ne  soupçonne  pas>que  les 
autres  puissent  manquer  à  la  leur:  se  croyant  à 
l'abri  àe  tout  danger ,  il  s'embarque  ^v  la  flotte 
danoise  et  fait  voile  vers  Copenhague  ;  mais  Fré- 
déric condamne  la  précipitation  de  ses  généraux , 
désavoue  leur  conduite,  refuse  de  ratifier  leurs 
engagements,  et  ordpode  dk'enfernier  Christiern 
dans  le  château  de  Sonderbourgj  snr  les  càtes 
deSchlewig.  Ce  prince,  resserré  dans  une  étroite 
priiionj,  y  coosuin^  ses  jours  ^^ifis  les  regrelaiet 
dans  les  remords.;  sa  cap^vité  .fut  longue.  U 
vécut  encore  vingt-fieptans  après  sa  détention. 
Fréd^c  et 'Gyllïip^tierna  :  fijf^ent  absous,  dans 
l'opinion  pij^ique  par  la  hBine.{>rofonde  que  l'on 
portât  à  Christiern.  Il  avait  tellement  outragé 
l'humatuité,  qu'il  a'obtjnt  pas ,  même  de  pitiés 
et  s^ .  majeurs  parurent  aii^d^saous  de-  ses 
forfait».      t 

,  Frédéric,  mourut  Vaimte  de  la  détenti(»i  de  ï535. 
Christiern.  .Ce  }mnce  n'avait  eu  .ni  de  grands 
vices,  ni  de  ^andes  vertus.  Sa  douoeur  et  sa 


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l/|6  PARTIE     1.  -^  PÉRIODE    I!. 

modération  étaient  plutôt  des.  qualités  de  tempe- 
mment  que  des  habîUïdes  réfléchies.  Les  nobles 
lui  ATàient  fait  espérer  que  son  fils  Chrétien 
lui  succéderait  ;  mais  la  noblesse  préférait  choi- 
sir un  prince  qui  n'eût  aucime  espèce  dé  droit 
au  trône  «  el  à  qui  elle  pût  faire  la  loi.  Le  clei^é, 
qui  craignait  pour  son  existence,  voulait  un 
prince  catholique.  La  rtionarchie  élective  est  de 
toutes  les  formes  la  phrs  vicieHse.  Le  Danemarck 
en  6t  la  trîaie.  expérience.  La  première  place  de 
l'État  étant  vacante,  toutes  tes  afnbitions  se  ré-  ' 
veillèrient  ;  le  royaume  fut  agité  par  les  intri- 
gues, déchiré  par  lés  fections  que  l'étranger  j 
entretenait ,  et ,  au  miHeli  de  tous  ces  mausc,  il 
courut  encore  la  chance  de  faire  un  mauvais 
choix.  Ce  fut  une  viMe  peu  importante  dans  la 
balance  des- intérêts  de  l*EiiPope,  qui  Jou&  le 
premier  rôle  dans  les  troubïeB  du  Danemarck. 
Lubedi,  la  plus  puissante  des  Villes harrséstiques', 
voyait  avec  douliefUt-  les  etlttavès  tpiè.  Ib  Siièd^ 
avait  .mises  à  son  commette;  elle  redoutait  l'as- 
cendant queie»  Flattiand$  commençaient  it pren* 
dre  -dans  la  Baltique.  Craignant  d'esStiyer  de 
nouvelles  pertes  si  un  gouvernement  fermé  et 
stable  s'établissait  en'Banehiirab ,'  elle  sv^iil  ré- 
solu d'y  perpétuer'ieB  divisions,'  et  de  ïà«^hier 
de  déniiembrer  te'  royaume.  Ce  jn-ojet  était  né 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XV.  147 

dans  la  tète  active  et  inquiète  de  GeM-ges  ,Wul- 
tenwever  j  bourgmestre  de  la  république.  C'était 
un  de  ces  hommes  d'une  immoralité-  hardie, 
qui  jouent  au  hasard  l'existence  et  le  bonheur 
des  peuples,  et  s'im^tient  que  la  supériorité 
de  leur  esprit  leur  donne  le  droit  de  oe  voir 
dans  les  hommes  que  des  éléments  de  combi- 
naisons et  dâ  calcul  dont  ils  peuvent  disposer  en 
maîtres  absolus.  Ce  démagogue  ambitieux  avait 
substitué  des  formes  plus  démocratiques  à  l'an- 
çiepne  aristocratie  de  Lubeclt,  afin  de  gouverner 
la  république  avec  plus  de  facilité.  £d  eflet,  il 
avait  acquis  un  crédit  sans  bornes  sur  ses  con- 
dtoyens,  qui  suivaient  a«euglément  ses  conseils. 
Un  étranger,  nommé  Marc-Meier,  naturalisé  à 
Jjuheck,  homme  entr^renant,  plein  de  talents 
et  de  courage  «  était  devenu  le  confident  et  l'in- 
strument des  projets  de  WuUenweyer.  Ces  deux 
mauvais  génies  conspirent  contre  la  tranquillité 
du  lHorà ,  et  jurent  la  ruine  dti  Danemarc^. 

Le  sénat  gouvernait  le  Danemarck  pendant 
l'interrè^e  qui  avait  ^ivi  la  mort  de  Frédéric, 
et  paraissait  vouloir  le  prolonger.  Chrétien  ,  duc 
de  Holstein,  fils  de  Frédéric,  pressait  son  élec- 
tion ;  niais  onie  payait  d'espérances  vagues.  Wul- 
lenwever  $e  fait  députer  à  Copeidiaguè ,  pour 
assurer,  par  ses  négociations,  le  commerce  des 


DiailizodbvGoOgle 


l48  PARTIK     J.  PÉRIODE     II. 

Lubeckois  claiis  la  Baltique,  on  plutôt  pour  ob- 
server de  près  les  dispositions  des  esprits,  et  se 
former  un  partî  dans  le  Danemarck  m^e.  Il 
vit  que  la  nation  était  divisée.  La  noblesse,  dotit 
le  pouvoir  s'est  accru ,  et  qui  en  a  déjà  àbasé , 
veut  encore  l'augmenter.  Les  paysans  et  les  bour- 
geois, jaloux  de  sapuissance,  irrités  de  ses  vexa- 
tions ,  peu  éclairés  sur  leurs  véritables  intérêts , 
soht  prêt*  à  saisir  et  à  suivre  toutes  ces  idées 
de  libertéet  d'égalité,  toujours  séduisantes  pour 
tin  peuple  mécontent,  et  qui  égarent  même 
quelquefois  les  peuples  qui  ne  sont  pas  malheu- 
reux. Les  plans  de  WullenwevCT  s'étendent  avec 
sesespérances.  DéjailveutmorcelerleDanemarck 
en  plusieurs  petits  états,  et  présentant  aux  villes 
l'appât  de  la  souveraineté,  les  faire  entrer  dans 
la  ligue  hanséatique,  où  Lubeck  les  dominera. 
Georges  Mynter,  bourgmestre  de  Malmoe,  et  Am- 
broise  Bogbinder,  bourgmestre  de  Copenhague , 
entrent  dans  ses  vues;  les  perspectives  que  Wul- 
lenwever  leur  ouvre  flattent  leur  ambition,  et 
ils  le  secorident  de  tout  leur  pouvoir.  Ces  enne- 
mis de  leur  patrie  avaient  plus  d'ambition  que 
de  talents  et  d'habileté,  et 'encore  moins  de 
moyens  de  puissance  que  d'habileté;  mais  ils  se 
proposent  de  le^  multiplier  en  bouleversant  tous 
les  rapports  de  l'ordre  social,  et  ils  y  réussissent. 


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CHAPITRE    XV.  149 

Ltiheck  suit  l'impulsion  .que  son  premier  magis- 
trat iuitjonne.  Ne. pouvant  obtenir  du  sénatde 
Dauemart^  ce  qu'il  désire,  ce  factieux  allume 
la  guerre.  Les  républiques  aiment  la  guerre  au- 
tant que  les  autres  états,  dès  qu'elles  se  sentent 
des  fqrces.Le  pouvoir  d'entreprendre  a  toujours 
allumé  le  désir  de  faire  des  conquêtes.  Le  com- 
merce avait  tellement  enrichi  Lubeck,  et  les 
états  voisins  avaient  si  peu  de  ressources,  que 
la  république  pouvait  espérer  de  grands  succès. 
Les  armements  qu'elle  fait  sortir  de  son  port, 
les  entreprises  qu'elle  forme,  les  troupes  qu'elle 
prend  à  sa  solde ,  prouvent  mieux  que  tous  les 
raisonnements,  que  la  richesse  Nationale  est  une 
des  bases  principales  de  la  puissance ,  et  que  le 
travail  est  la  véritable  source  de  la  richesse.  La 
république,  met  à  la  tête  de  ses  troupes  Chris- 
tophe, comte  d'Oldenbourg,  parent  du  duc 
Chrétien.  Brave  et  sans  fortune,  il  ne  peut  que 
gagner  aux  expéditions  hasardeuses,  et  il  doit 
les  aimer.  Les  Lubeckois  comptent  que  son  im- 
ptiissance  leur  garantit  sa  docilité ,'  et  qu'il  sera 
tlans  leurs  mains  un  instrument  uùle.  Christo- 
phe porte  ses  vues  plus  loin  ;  it  espère  acquérir 
par'  ses  services  assez  d'ascendant  pour  mettre 
le  sénat  dans  la  nécessité  de  lui  obéir.  Wulleu- 
wever,  afin  de  cacher  ses  projets  ambitieux  et 


DiailizodbvGoOgle 


l5o  .     PARTIE     1.  PÉRIODE     II. 

de  rallier  à  lui  un  parti  considérable ,  annonce 
que  Lubeck  veut  replacer  Christiern  II  sur  le 
trône;  en  même  temps  il  soulève  le  peuple  con- 
tre la  noblesse ,  et  lui  permet  la  licence  et  le 
pillage ,  comme  des  gages  de  sa  liberté.  L'auto- 
rité du  sénat  expire.  I^  NtMwège,  les  îles  da- 
noises et  la  Scanie  se  soumettent  à  Christophe, 
et  proclament  Christiern  II.  Partout  les  paysans 
se  portent  aux  plus  funestes  excès.  Egarés  par 
des  ambitieux,  qui  veulent  allumer  toutes  leurs 
passions  pour  en  profiter ,  ils  ne  voient  dans  les 
grandes  propriétés  qu'une  inégalité  injuste  et 
oppressive.  Cette  doctrine  légitime  à  leurs  yeux 
tous  les  crimes,  et  ils  font  aux  propriétaires 
une  guerre  active  et  cruelle.  Le  Daiieraarck ,  qui 
se  déchire  lui-même,  devient  la  proie  facile  de 
Christophe.»  Copenhague  elle-même  ouvre  ses 
portes,  et  il  ne  reste  plus  que  le  Jutland  à  co^ 
quérir. 

Le  sénat,  qui  s'y  est  réfugié,  sent  que  le  seul 
moyen  de  sauver  le  Danemarck  est  de  nommer 
un  roi ,  dont  le  pouvoir  légitime  rassure  les  pro- 
priétaires tremblants ,  calme  ou  contienne  le 
peuple ,  protège  tous  les  ordres  de  l'état,  et  pré- 
vienne le  démembrement  du  royaume,  en  créant 
un  centre  d'action.  On  olifre  la  courtmne  à  Chré- 
tien ,  fils  du  roi  Frédéric ,  qui  l'accepte  et  prend 


D,a,l,zt!dbvG00glc 


CHAP-ITAE    XV.  IJI 

le  nom  de  Clirétieu  111.  Ce  priitce  inspirait  la  i 
confiance  par  ses  vertus  et  par  ses  talents.  Sou 
activité  et  sa  modération  "justifient  le  choix  tlu 
sénat.  I/existence  d'un  souverain'  légitime  donne 
un  point  de  Ealiiement  aux  forces  divergentes, 
à  tous  les  amis  de  l'ordre  et  des  lois.  Chrétien  111 
travaille  à  reconquérir  ses  états,  secondé,  par 
Gustave,  qui  craint  également  le  nom  de  Cbris- 
tiern  II,  les  projets  de  domination  des  villes 
de  la  Hanse,  et  la  contagion.de  la  révolte.  Les 
flotte»  de  Lubeck  reçoivent  des  échecs  multi- 
pliés. Les  Suédois  remportent  sur  une  partie  de 
l'armée  de  Christophe,  à  Helsingbourg,  un  avan-  i 
tage  décisif.  Les  Danois  eux-mêmes  le  ba,ttent 
complètement ,  près  d'Assens  en  Fionie,  et  cette 
victoire  permet  à  Chrétien  III  d'assiéger  Copen- 
hague, qui  fait  une  longue  résistance.  Animés 
_par  les  discours  et  l'exemple  des  chefs  de  l'in- 
surrection, qui  leur  persuadent  que  le  roi  médite 
de  terribles  vengeances,  les  bourgeois  se  sou- 
mettent à  toutes  les  privations  plutôt  que  de  se 
rendre^  Cependant  Lubeck ,  éclairée  par  l'évé- 
uement  sur  la  folie  des  projets  et  l'atrocité  des 
moyens  de  Wulleuwever,  lui  Ole  sa  confiiance, 
regrette  ses  sacrifices ,  et  refuse  d'en  faire  de  nou- 
veaux. Elle  entame  des  négociations  avec  Chré- 
tien; U  paix  se  conclut  durant  le  siège  de  Co- 


DiailizodbvGoOgle 


>5i  PARTIE    I.  PÉRIODE    M. 

penhague ,  paix  avantageuse  au  roi  de  Dane- 
mHrck,  et  qui  replace  ses  ennemis  dans  l'état  où 
ils  étaient  avant  la  guerre.  A  ta  fin,  ta  famine , 
qui  devient  tous  les  jours  plus  pressante  et  plus 
cruelle ,  oblige  Copenhagne  elle-même  à  ouvrir 
ses  portes  et  à  reconnaître  son  souverain.  La 
clémeace  de  Chrétien  lui  gagne  tous  les  cœurs; 
il  sait  pardonner  à  des  sujets  égarés,  et  la  vue 
de  ce  qu'ils  ont  souffert  lui  fait  oublier  tout  ce 
qu'ilsont  pu  commettre.  Christophe,  et  Âlbertde 
Mecklenbourg  qui  a  partagé  avec  lui  le  com- 
mandement des  armées,  se  retirent  en  Allema- 
gne, couverts  de  houte  et  chargés  des  malédic- 
tions des  peuples.  Les  auteurs  de  ce  grand 
mouvement,  qui  menaçait  de  bouleverser  tout 
le  Nord ,  périrent  tous  de  mort  violente  :  faible 
expiation  des  larmes  et  du  sang  qu'ils  avaient  feit 
répandre  !  Marc-Meier  expira  à  Ëlseneur  dans  le 
supplice  de  la  roue.  Le  sénat  de  Lubeck  pi'o- 
nonça  l'arrêt  de  mort  contre  Wullenvirever,  ab- 
sent et  fugitif,  et  l'archevêque  de  Brème  le  fit 
exécuter.  Bogbinder,  prévoyant  sa  condamna- 
tion, s'empoisonna.  Mynter  seul  échappa  à  la 
peine  par  le  repentir ,  et  conserva  même  sa  place 
de  bourgmestre.  Il  s'était  rangé  du  parti  de 
Chrétien  III ,  avant  la  fin  de  la  guerre,  et  il  lui 
avait  même  rendu  des  services  aux  sièges  de 
Malmoe  et  de  Copenhague. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    KV.  1  53 

Ainsi  se  termina  une  guerre  sanglante  qui, 
sans  la  sage  fermeté  de  Chrétien  III,  et  la  pré- 
voyance active  (te  Gustave  Wasa,  aurait  .pu 
changer  entièrement  les  rapports  {)ohtiques  du 
Nord,  et  créer  un  essaim  de  petites  républiques 
faiUes  et  dépendantes,  à  la  place  de  royaumes 
libres  et  puissants,  capables  de  se  défendre  et 
de  protéger  les  autres  états.  Peut-être  même  que 
les  maximes  subversives  de  l'ordre  l^al,  dont 
Wullenwever  et  ses  complices  enivraient  les 
paysans,  relâchant  tous  les  liens  de  la  société, 
rompant  les  habitudes,  et  armant  les  classes 
inférieures  contre  les  autres,  auraient  amené 
des  siècles  de  crimes  et  d'anarchie.  Les  projets 
de  Wullenwever  n'étaient  pas  cens  d'un  esprit 
ordinaire,  et  il  ne  lui  a  pe]ut-être  manqué  que 
de  réu5si^,  pour  obtenir  un  brevet  de  génie,  et 
âe  faire  pardonner  la  profonde  immoralité  de 
ses  vues  et  de  ses  moyens,  par  tous  ceux  qui 
n'ont  d'autre  mesure  de  leurs  jugements  que 
le  succès,  et  qui  voient  toujours  un  grand  bien 
dans  un  grand  mouvement. 

TjCS  troubles  du  Danemarck  étant  apaisés. 
Chrétien  III  songea  aux  moyens  de  consolider 
son  pouvoir  et  d'assurer  la  t)'anquillité  publique. 
Les  éveques,  oubliant  leurs  devoirs,  et  ne  con- 
sultant que  leurs  passions,  avaient  soufflé  le  feu 


DiailizodbvGoOglt; 


l54  PABTIE     I.-    :PlÉniOUE     II. 

(le  la  discorde,  au  lieu  de  travailla  à  l'éteindre. 
Chrétien  crut  que  son  autorité  ne  scsnit  afft^- 
mie,  et  le  Danemarck  heureux ,  qu'apr^  l'a- 
baissement de  cet  ordre,  redoutable  par  sa  puis-  > 
sance,  ses  richesses,  son  crédit,  et'  i'abus  qu'il 
en  faisait.  Les  principes  des  réformateurs,  déjà 
adoptés  secrètement  par  la  grande  majorité  de 
ses  sujets,  lui  fouruissaient  des  facilités  pré- 
iS'36.  cieuses  pour  réaliser  ses  vues.  Il  convoqua  tes 
Etats  à  Copenhague.  Le  ctei^é  y  avait  peu 
d'amis  :  on  y  prit  des  mesures  décisives  contre 
lui.  Par  le  recès  que  les  États  publièrent,  tes 
évéques  furent  dépouillés  de  leurs  biens ,  les  re- 
venus ecclésiastiques  appliqués  k  des  objets 
d'utilité  générale  ;  pour  l'organisation  de  l'église , 
on  se  rapprocha  de  celte  de  Suède,  et  c'est  de 
cette  époque  qu'on  peut  dater  l'établissement 
de  ta  religion  protestante  dans  le  Danemarck. 
Les  événements  que  nous  venons  de  retracer 
ont  assuré  au  Danemarck  et  à  la  Suède  l'indé- 
pendanoe  nationale  ;  et,  depuis  ce  temps,  ces  deux 
états  ont  fait  partie  de  la  grande  république 
européenne.  L'identité  de  relipon  et  de  culte 
les  unit  de  bonne  heure  aux  protestants  d'Alle- 
magne; nous  les  verrons  bientôt  mettre  un 
grand  poids  dans  la  balance  qui  porte  les  inté- 
rêts politiques  et  religieux.  Le  voisinage  et  la 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE.  XV.  iSf) 

mesure  presque  égale  de  leurs  forces  devaient 
donner  à  ces  deux  puissances  des  craintes  réci- 
j>roques ,  et  leur  dicter  des  mesures  de  pré- 
voyance qui  pouvaient  aisément  dégénérer  en 
mesures  hostiles.  En  effet,  quelquefois  réunies 
par  un  danger  commun  ou  des  raisons  d'état 
d'une  importance  majeure,  elles  ont  presque 
toujours  été  ennemies  naturelles  l'une  de  l'autre. 


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PAHTIE    I.  PER 


CHAPITRE   XVI. 

Fluctuations  religieuses  de  l'Anglislerre.  Ëll«  se  sépare  de 
Rome.  Mort  de  Henri  VIIl;  son  fils  Edouard  VI  prépare 
les  voiesàlaréforruation.  Marie  rétablit  la  religion  catho- 
lique dans  son  iut^rité. 

J^^  COUT  de  Borne  avait  perdu  la  Suède  et  le 
Danemarck;  elle  perdit  encore  l'Angleterre. 
Cette  contrée  rompit  les  liens  de  dépendance 
qui  l'attachaient  au  pape,  et  secoua  son  autorité, 
sans  abjurer  la  doctrine  de  l'église;  bientôt  elle 
abjura  cette  doctrine  elle-même,  la  reprit,  la 
quitta  de  nouveau.  Ces  changements  continuels 
dans  le  système  religieux  amenèrent  des  vacilla- 
tions fréquentés  dans  le  système  politique  tle 
l'Angleterre.  Selon  qu'elle  s'éloignait  ou  se  rap- 
prochait du  pape  et  de  l'ancienne  doctrine,  elle 
se  rapprochait  des  états  protestants  ou  s'éloi- 
gnait d'eux;  et  alternativement  amie  ou  enne- 
mie de  la  maison  d'Autriche,  la  première  des 
puissances  catholiques,  elle  secondait  ses  pro- 
jets ou  s'opposait  à  ses  desseins. 

Ce  fut  un  prince  qui  s'était  toujours  déclaré 
le  champion   et  le    défenseur  de  la    cour    de 


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CHAPITRE     XVI,  iSj 

Rome,  etqdi  Fayait  servjede  ses  armes  et  de 
sa  plume,  qui  prépara  les  révolutions  reli- 
gieuses de  l'Angleterre,  révolutions  beaucoup 
plus  importantes  par  leurs  suites  qu'elles  ne  le 
parurent  dans  leur  principe,  et  qui  frtiyèrent  la 
routeà  de  grandes  innovations  politiques. 

Henri  VIII  tenait  à  la  religion  catholique  par 
conviction ,  par  habitude  et  par  orgueil.  In- 
struit sur  les  matières  de  controverse ,  plus  que 
des  souverains  ne  doivent  l'être,  il  se  croyait 
un  théologien  profond,  et  n'avait  pas  dédaigné 
fie  combattre  Luther  à  armes  égales.  Il  avait 
publié  contre  lui  un  traité  sur  les  sacrements, 
qui  n'est  pas  sans  mérite,  si  l'on  considère  le 
temps  où  il  parut,  le  rang  de  l'auteur  et  la  na- 
ture du  sujet.  Luther,  qui  ne  ménageait  per- 
sonne, avait  répondu  à  Henri  avec  sa  .violence 
ordifiaire ,  et  ne  l'avait  pas  traité  avec  le  respect 
dû  aux  souverains.  Cette  circonstance  avait  aug- 
menté l'élo^nement  du  roi  d'Angleterre  pour 
les  principes  des  réformateurs.  Léon  X  l'avait 
lié  plus  fortement  auSaint-Siége  en  lui  donnant, 
après  la-  publication,  de  cet  écrit,  le  tilie  glo- 
rieux de  défenseur  de  la  foi.  Henri,  jaloux^  de 
le  mériter  par  de  nouveaux  services,  a.vaitito)l*- 
jours  été  l'allié  fidèlede  la  cour  de  Borne, .mal- 
gré les  mécontentements  de  Wolsey.  Lorsque  Is 


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|5S  PARTIE     1.  PiaiODE     II. 

ilignité  pontificale  fut  outragée,  dans  la  per- 
sonne de  Clément  Vil,  par  l'armée  impériale, 
le  roi  d'Angleterre  réclama  la  liberté  du  pape, 
et  renonça  même  à  ses  anciennes  relations  po- 
litiques aTec  Charles-Quint ,  poiir  venger  l'hon- 
neur du  chef  de  l'église.  Mais  Henri ,  qui  agissait 
toujours  par  passion ,  et  qui  n'avait  d'autre 
règle  de  conduite  que  ceUe  de  suivre  ses'  pen- 
chaoïts,  rompit  avec  la  cour  de  Rome,  peu  de 
temps  après  avoir  fait  en  sa  faveur  des  démar- 
ches éclatantes. 

L'amour  amena  cette  iiipture.  Henri  avait 
épousé  Catherine  d'Aragon,  tante  de  Charles- 
Quint,  qui  avait  été  mariée  avec  son  frère ,  le 
prince  Artus ,  mort  à  la  fleur  de  son  ^e.  Tant 
que  Catherine  conserva  la  fraîcheur  et  les- grâces 
de  la  jeunesse,  et  qu'elle  lui  donna  des  enfants, 
il  n'eut  aucun  doute  sur  là  légalité  d'uoe  union 
contraire,  à  la  vérité,  aux  lois  de  l'église,  mais 
qu'un«  bulle  du  pape  avait  formellement  auto- 
risée. A  ntesure  que  Catherine  perdait  de  ses 
charmes,  les  scrupules  s'élevèrent  et  se  fortifiè- 
rent dans  le  cœur,  de  Henri,  et  il  pei^t.  que, 
pour  calmer  sa  conscienos  timorée,  î\  songea 
<le  bonne  heure  au  divorcs.  T^  passion. que  lui 
inspira  la  brillante  et  ^rituelle  Anne  de  Bo- 
iSa/|.  leyn,  acheva  de  )e  déMnQiner.à.cette  mesure 


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CHAPITRE    XVI.  l59 

d'éclat.  Anne  était  trop- sage,  ou  trop  ambi- 
tieuse ,  ponr  céder  aux  itésirs  de  Henri  ;  elle 
voulait  devenir  reine:  elle  le  devint.  Le  roi 
d'Angleterre  écrivit  au  pape  pour  demander  le 
divCH-ce.  Clément  VU  eraignaif,  en  l'accordant, 
de  provoquer  la  colère  de  CharleMjuint,  et 
celle  de  Henri-  en  s'y  refusant.  Il  crot  tont  {ga- 
gner en  gagnant  du  temps,  et  il  chargea  Wi^fceji 
et  le  cardinal  Campège  d'examiner  cette  affaire. 
Wolsey,  qui  redoutait  le  crédit  et  l'ascendant 
d'Anne  de  Boleyn ,  devint  tout-à-coup  scrnpu- 
leuK,  et,  couvrant  les  crainte^  de  son  ambition 
du  masque  dé  là  conscience  -,  d  .se  nH7eitt<ai  peu 
dispose  à  servir  les  vues  de  son  maître.  L'antonr 
l'emporta  dans  l'anic  de  Henri  sur  le  pôdvo;r 
de  niabitude  et  de  i'amitiéi  Wo^sc^,  disf^radé, 
perdit  successrvemavt  la  «MfiaAecr  dunra,  ses 
titrée,  son  imiéense  {bttfMle,-8a  liberté,  et  nioo- 
nit  au  moment  oà  Ton  se  préparait:  à  lui  &ire 
son  procès;  précipité  du  fàlt0  de 'la.':£artuna 
dans  le  malheur,  il  tomba'  satisidignité^dé^lo» 
norant  ses  chéVeiix  blancs  pav -sa  Ëtlblpuis,  il 
n'emporta  au  tombeau- ut-:  tds  regrets  .'de -sod 
roi , 'ni  Famour  du  peupfej  ni  l'estHWfc  défini^ 
même'.  Les  sceaux  furelrt  donnés  ■&■  .ffafmias 
Morus,  et  Taffaîre  du  dîvorfce  ftit  porté*  à  BtMieJ 
Clément,  tiWertain- «t  '  tititlde  ,  fatiguaiC  Heati 


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l6o  PARTIE     1.  PÉaiODE     II. 

par  ses  lenteurs,  ses  faux-fuyants  et  ses  artifices  ; 
Anne  de  Boleyn,  voyant  que  le  pape  serait  nin 
obstade  éternel  k  ses  vues,  pressait  le  roi  de  se 
porter  à  quelque  mesure  extrême  et  de  rompre 
avec  Rome.  I.^  docteur  Thomas  Craiimer,  d'un 
esprit  éclairé  et  d'un  caractère  souple  ,  espérait 
aller  à  la  fortune  eu  tenant  un  langage  qui  flattât 
la^  passion  de  Henri;  il  lui  donna  le  conseil  de 
se  déclarer  chef  suprême  de  l'église  et  du  clergé 
en  Angleterre,  et  de  s'accorder  à  lui-même  la 
dispense  qu'il  sollicitait  inutilement  à  ^.orae. 
Henri  adopta  ce  moyen  de  lever  ses  scrupules, 
moyen  plus  singulier  et  plus  bizarre  que  les  s.cru- 
pules  eux-méme^,  et  il  convoqua  le  parlement 
pour  se  f^ire  attribuer  la  st;ipr^atie. 

Soas  ce  règuie,  comnie  sous  les  précédents,  le 
parlement,  avait  toujours  été  soumis  servilement 
aux  caprices  et  aux  volontés  des  rois;  il  ne  con- 
naissait encore. ni  l'étendue  de  son  pouvoir,; m 
leslimHes  de.la  prérogative  royale;  légalisant^ 
quelque  sorte,  par  son  consentement,  les  ejxrès 
du.  despotisme ,  U  nuisait  à  la  cau^e  cl^  la  liberté 
bien  loin. de Ja.  servir,  déchargeait  le  roi  de  sa 
re9poftsabiJïté,.lu^ôtait  le:freip  ^p_  U, crainte  et 
lui  épargnait  même  les, remords.  Henri,  accoii- 
tun)é;à  sasoumisàon,  s'attendait  j^iep.à  ne  pas 
rencontrer  de-  réùstance <  au;  cjian^einent  .qnltl 


DiailizodbvGoOgle 


CHA.PITRE     XVI.  l6l 

mettait ,  en  effet ,  le  parlement  obéit,  et  le  roi 
d'Angleterre  ftit  proclamé  cbef-suprêmé  de  l'É- 
glise. Affranchi  de  toute  entrave,  sa  vie  u'ofirit 
plus  qu'un  enchaînement  de  violences  et  de 
crimes.  ' 

Henri  avait  déjà  épousé  secrètement  Anne  de 
Boleyn.  Thomas  Cranmer  est  nommé  archevêque 
de  Cantorbéry;  il  prononce  la  sentence  de  di- 
vorce, et  Anne  est  solennellement  reconnue  et 
couronnée.  Cette  nouvelle,  portée  à  Rome,  ex- 
cite la  plu5  vive  indigoatioadans  le  saa^  col- 
lège. Le  pape  et  le»  cardinaux,  écoutant  plus  la 
passion  que  la  pc^tique,  se  hâtent  de  lancer 
contre  Henri  la  bùUe  d'excommunication ,  dans 
un  temps  où  il  eût  peut-être  encore  été  possible 
d'opérer  un  rapprochement.  Cette  mesure  im- 
prudente enlève  l'Angleterre  au  i>ape.  Le  parle- 
ment brise  tous  les  liens  qui  attachent  le  royaume 
à  la  cour  de  Rome,  et  prononce  formellement  i! 
la  séparation. 

Ici  s'ouvre  une  longue  suite  de  scènes  san- 
glantes et  tragiques.  Désormais  Henri  se  croyant 
maître  des  opinions  comme  des  actions,  va  pu* 
nir  avec  une  égale  cruauté  les  unes  comme  les 
autres.  Il  ne  reconnaît  plus  l'autorité  de  la  cour 
de  Borne,  mais,  afin  d'expier  en  quelque  sorte 
la  démarche  hardie  qu'il  vient  de  Élire,  il  n'en 


DiailizodbvGoOgle 


l6l  PARTIi;    (.^PKRIODF   ir. 

tif  nt  que  plus  fortement  auK  dogmes  et  aux  ntes 
de  la  religion  catholique.  Les  vrais  catholiques 
ne  peuvent  ni  ne  veulent  admettre  sa  supréraa- 
tie;  ils  craignent  que,  l'autorité  du  pape  une 
fois  abolie ,  ce  premier  pas  ne  conduise  l'Angle- 
terre à  embrasser  les  principes  des  réformateurs. 
Le$  protestalits  espèrent  ce  que  les  autres  re- 
doutent ,  et  croient  pouvoir  exprimer  hautement 
des  sentiments  et  des  opinions  auxquels  ils  ren- 
dent, depuis  long-temps,  un  hommage  secret.  Les 
deux  partis  se  trompent  également.  Henri  sévit 
contre  les  premiers  comme  réfractaires  ;  il  punit 
les  autres  comme  hérétiques.  Les  prisons  se 
remplissent  d'hommes  jugés  coupables  par  des 
raisons  directement  opposées ,  et  i'on  voit  monter 
sur  le  même  échafaud  les  partisans  du'  pape  et 
.  ses  adversaires.  Thomas'  Morus,  qui  n'avait  ac- 
cepté la  place  de  chancelier  que  par  devoir,  et 
qui  s'en  démit  par  le  même  motif,  jurisconsulte 
habile ,  savant  profond ,  magistrat  incorruptible , 
à  la  fois  sensible  et  ferme,  pauvre  et  désinté- 
ressé, grand  dans  les  affaires  publiques  et  dans 
les  détails  des  relations  domestiques ,  porte  sa 
tète  yénérabie  sous  la  hache  de  l'exécuteur,  et 
la  gaieté  d'une  ame  forte  et  pure  embellit  en- 
core ses  derniers  moments.  Fi^er ,  évêque  de 
Rochester ,  qui  n'a  d'autre  tort  que  de  préférer . 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRK    XVI.  IÛ3 

la  vérité  à  l'int^^t,  et  la  conscience  à  la  vie, 
meurt  aussi  tragiquement  que  Mcmtus,  et  expire 
dans  les  supplices.  L'un  périt  parce  qu'il  est 
trop  attaché  aux  idées  anciennes,  l'autre  parce 
qu'il  incline  pour  la  doctrine  nouvelle. 

Déjà  Henri  p^^te  dans  l'intérieur  de  sa  famille 
la  même  tyrannie  que  dans  sa  vie  publique. 
Anne  de  Boleyn  a  été  aimée  tant  que  l'amour 
de  Henri  a  rencontré  des  obstacles  ;  ce  sentiment 
s'éteint  dans  la  possession.  Elle  lui  avait  donné 
une  fiUe ,  qui  fut  dans  la  suite  la  célèbre  Élisa- 
b^b  ;  mais  ce  nouveau  lien  ne  resserre  pas  leur 
union. 

Jeanne  Seymoûr,  dame  d'honneur  de  la  reine, 
a  touché  le  cœur  de  Henri.  Des  courtisans ,  ingé- 
nieux à  trouver  des  crimes  à  ceux  qu'ils  veulent 
perdre,  caressent  sa  passion  naissante,  en  lui 
donnant  des  doutes  sur  la  âdélité  d'Anne  de 
Boleyn.  Ses  manièires  aisées,  sa  gaieté  naturelle, 
là  vivacité  de  son  esprit,  deviennent  autant  de 
preuves  de  la  licence  de  ses  mœurs.  On  corrompt 
des  témoins  pour  la  perdre.  Elle  est  accusée, 
jugée,  condamnée  à  m(H^,  et  subit  son  arrêt  avec 
toiit  le  calme  de  l'innocence.  Jeanne  Sejmour 
meurt  en  donnant  la  vie  au  prince  f^douardj  et  i 
la  nature,  se  hâtant  de  trancher  le  fil  de  ses 
jours,  avant  que  Henri  ait  eu  le  temps  de  se  lasser 


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l64  PAKTIE     I. PERIODE     II. 

d'elle ,  la  soustrait  à  la  cruelle  inconstance  de  son 
époux.  Sur  un  portrait  de  Holbeîn,  il  épouse  un 
moment  Anne  de  Clèves;  mais  sa  présence  ef- 
face l'idée  que  le  pinceau  lui  avait  donnée  de 
ses  charmes;  il  passe  de  l'amour  au  dégoût  et  du 
dégoût  au  divorce,  Thomas  Cromwell ,  qui  lui  a 
conseillé  ce  mariage,  est  accusé  d'hérésie,  et 

i54o.  exécuté  dans  la  tour  de  Londres.  La  belle  Cathe- 
rine Howard  remplace  Anne  de  Clèves  ;  mais  on 
découvre  qu'elle  a  eu  d'autres  attachements  avant 
d'obtenir  la  main  de  Henri;  et  ce  tyran,  qui  pu- 
nit sur  de  simples'  soupçons,  fait  passer  l'infoi^ 
tunée  Howard  de  la  couche  ro3rale  sur  l'échafaud. 
Catherine  Parr,  veuve  du  lord  Ijatîmer,  lui  suc- 
cède. Cette  femme  intéressante  aurait  eu  le  même 
sort ,  sani  son  adresse  h  flatter  l'orgueil  théolo- 
gique  de  Henri,  et  à  lui  persuader  qu'elle  pui-. 
sait  dans  son  commerce  des  connilssances  pré- 
cieuses: Cet  artifice  innocent  n'eût  peut-être 
même  pas  suffi  pour'sauver  ses  jours;  mais  U 
mort  la  délivra  de  ses  craintes,  et  délivra  l'An- 
gleterre d'un  roi  voluptueux  et  cruel ,  qui ,  fami- 
liarisé avec  l'efFusion  du  sang,  se  jouait  de  la 
vie  des  hommes,  marchait  de  crimes  en  crimes, 
et  en  commettait  tous  les  jours  de  nouveaux, 
afin  de  s'étourdir  sur  les  premiers.  Le  ciel  eut 

i547.  pitié  de  la  terre,  et  arrêta  cette  efi(ray»rte  pro- 
gression. 


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CHAPITRE     XVI.  l65 

Edouard, YI  succéda  à  son  père.  Ce  prince, 
encore  enfant ,  devait  être  soumis  à  un  conseil 
de  régence ,  composé  de  seize  personnes  que 
Henri  lui-mènie  avait  nonunées.  Seyinoiu*,  l'on- 
cle du  jeune  roi ,  obtint ,  par'  ses  intngues  et  son 
crédit ,  que  l'on  conférât  à  lui  seul  l'adinii^istra-. 
tion  du  royaume  ;  il  prit  le  titre  de  duc  de  Som- 
mersetf  et  gouverna  l'Angleterre  sous  le  nom  de 
son  pupille.  Graniner  était  attaché  depuis  long- 
temps aux  principes 'des  réformateurs;  mais  la 
tyrannie  de  Henri  VIII  Tavait  obligé  à  dissimuler 
ses  sentiments.  Il  jugea  le  moment  favorable 
pour  adiever  une  révolutitard^ja  préparée  dans  * 
l'opinion  publique,  etcomûiencéeparle  schisme 
qui  avait  séparé  léxoyaume  de  la  cour  de  Rome. 
Le  régent  inclinait  en  secret  pour  la  doctrine 
nouvelle.  Ne  croyant  pas  qu'un  ordre  de  choses  . 
qui  ihécontentait  à  la  fois  les-  protestants  et.  les 
catholiques,  convînt  à  ses  intérêts,  il  voulait  du 
moins  s'attacher  un  des  partis  en  opérant  une 
réformtf^  entière  de  l'église.  L'archevêque  en  or- 
ganisa le  plan.  Il  laissa  subsister  les  rites  qui  1S4S. 
pouvaient  ajouter  à  la  majesté  du  culte ,  parler 
aux  sens  et  à  l'imagination  du  peuple;  il  res- 
pecta les  formes  de  gouveniement  qui,  en  aug- 
mentant la  considération  des  eddésiastiques,' 
rendaient  la  religion  plus  imposante  et  la  disci-' 


DiailizodbvGoOgle 


l66  PARTIE    I.  —  PtiLlODS    II. 

pline  plus  sévère  :  la  hiérarchie  fut  conservée. 
Mais  on  abolit  la  messe ,  la  confession ,  le  célibat 
des  prêtres ,  les  vœux  monastiques  et  l'adoration 
des  reliques.  Les  biens  des  églises  et  des  cou- 
vents, qui  avaient  échappé  à  l'avidité  de  Henri, 
{tvfej/lt  affectés  aux  frais  du  culte-  et  à  l'entretien 
des  e6:Iésiaatiques.  I^  parlement  toujours  dodle 
sanctionna  la  nouvelle  liturgie.  L'Ecosse  attira 
ensuite  l'attention  du  duc  de  Sommerset.  Ce 
royaume,  qui  de  tout  tempâ  a  regardé  l'Angle- 
terre comme  son  ennemie  naturelle  et  a  vu  dans 
la  France  une  utile  alliée,  était  sûr  le  point  de 
s'unir  à  l'Angleterre  par  le  mariage  de  Marie , 
unique  héritière  .âe  la  maison  des  Stuarts,  arec 
le  jeune  Edouard.  '  Cette  union,  projetée  par 
Henri  VIII ,  devait  terminer  les  longues  et  san- 
glantes guerres  qui  avaient  déchiré  les  deux  Etats. 
Conforme  à  leurs  vrais  intérêts ,  elle  assurait  leur 
tranquillité,  augmentait  leurs  moyens  de-puis- 
sance, et  eût  prévenO  de  terribles  catastrophes. 
Mais  lé  cardinal  Beatoun ,  primat  d'École ,  prélat . 
'ambitie;ux  et  entreprenant,  était  également  at- 
taché à  l'ancienne  constitution  du  royaume  et  à 
Tancien  culte;  il  craignait  te  renversement  de 
l'une  et  de  l'autre,  si  l'Ecosse  s'unissait  à  l'An- 
'  gleterre  ;  il  employa  tout  l'asceadant  que  lui  don- 
naient son  rang,  ses  talents,  ses  richesses,  pour 


DiailizodbvGoOglc 


CUAPITKK     XVI.  167 

empêcher  cet  évéDcment,  et  poursuivit  avec  un 
zèle  cniel  les  partisaos  de  U  réforme ,  qui  l'étaient 
.aussi  de  l'umoa.  Ce  prélat  tombe  as»as»ué  par 
'  Je  fimatisme  de  ceux  qu'il  persécute ,  et  qui  ven* 
gent  sur  lui  la  mort  de  Wishart,  prédicateur 
adoré  du  peuple  (  que  le  cardinal  a  fait^  périr 
dans  les  supplices.  La  fin  tragique  de  Beatoun 
.  n'éteint  pas  les  troubles.-  La  noblesse  éoossabe 
jouit  encore  d'une  indépendance  et  d'un  pouvoir 
incompatibles  avec  la  liberté  générale  et  l'auto- 
rité du  prinoe;  elle  prévoit  que  l'union  avec 
l'Angleterre  lui  fera  perdre  ses  prérogatives,  et, 
sous  la  conduite  du  comte  d'Ânan ,  arme  pour 
s'y  opposer.  Sommerset ,  qui  veut  contraindre  !«» 
Écossais  à  narier  leur  jeune  reine  avec  Edouard , 
entre  en  Ecosse  avec  des  forces  considérablea; 
mais  le  mauvais  succès  de  ses  armes  l'obUgB  à 
se  retirer  ;  et  le  parlement  d'Ecosse  envoie  Marte 
Stuart  en  France ,  pour  ôter  tout  espoir  aux  arais  i 
de  r  Angleterre.  Sommerset ,  de  retour  à  Londres , 
tombe  dans  un  labyrinthe  de  dangers  et  de  mal- 
heurs ,  qui  sont  l'ouvrage  secret  de  l'homme  à  qui 
il  a  çlonfié  tonte  sa  confiance.  Dudley,  son  &r 
vori,  prépare  de  loin,  par  des  moyens  artiste- 
ment  combinés ,  la  ruine  de  son  bienbiteur.  A 
une  ambition  sans  bornes  il  joint  une  imagina- 
tion aiusi  déréglée,  que  féconde,  qui  lui  fait 


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l68  PARTIE     1. PÉRIODE     II. 

juger  possible  tout  ce  qu'il  désire,  et  une  audace 
que  rien  n'intimide  ni  n'étonne. 

Ce  perfide  souffle  dans  L'ame  du  frère  de  Sont- 
inerset  la  haine  et  la  jalousie.  Lorsque  Sejmoufî 
fidèle  à  ses  conseils,  travaille  à  perdre  Sommer- . 
set ,  Dudley  engage  ce  dernier  à  punir  le  eou* 
i549-  pable  sans  management;  et  par  cette  sévérité, 
qu'il  a  rendue  nécessaire,  il  espère  perdre  le 
protecteur  dans  l'opinion  publique.  Les  biens 
ecclésiastiques,  qui  ont  été  sécularisés,  amènent 
de  nouveaux  troubles.  Généralement,  lëSf  cha- 
pitres et  les  couvents  traitaient  les  p^sans  de 
leurs  terres  avec  beaucoup  d'humanité,  et,  dé- 
pensant leurs  revenus  dans  les  lieux  mémes.qui 
les  produisaient,  enrichissaient  la  contrée.  Les 
cultivatetu^  qui ,  de  cette  administration  douce  et 
paternelle ,  ont  passé  sous  l'autorité  de  seigneurs 
dissipateurs,  et  avides,  supportent  avec  impa- 
tience les  vexations  de  leurs  maîtres,  et  en  mur- 
murent hautement.  Sommerset,  qui  connaît  la 
justice  de  leurs  plaintes,  paraît  les  favoriser. 
Cette  protection  sourde  mécontente  la  noblesse, 
et  enhardit  le  peuple  aux  plus  funest^  excès, 
Dudley  flatte  les  ressentiments  de  l'une,  encou- 
rage l'autre  à  de  nouvelles  violences;  et  le  désor- 
dre, augmente  au  point  qu'il  s'élève  une  récla- 
mation générale  des  classes  supérieures  contre 


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CHAPITRE    XVI.  169. 

Soromerset'.  On  l'oblige  de  se  démettre  de  ses 
fdaces,  on  l'arrête,  on  lui  prête  les  projets  les 
plus  odie«x  ;  et  après  être  tombé  du  plus  baut 
d«gré  de  crédit  et  de  laveur,  il  expie  sur  Técha' 
faud  des  crimes  imaginaires.  La  nation  désabusée  '^Ss- 
par  son  malheor  même,  regrette  en  lui  un  hon- 
nête homme ,  qui  ne  manquait  pas'  de  lumières , 
et  qui  a  peu  abusé  de  son  pouvoir.  Dudley  a  su 
gagner  l'amitié  et  la  confiance  du  jeune  roi,  en 
affectant  l'amour  du  bien  public.  Il  prend  le 
titre  «t  les  armes  du  duc  de  Northuniberiand, 
mort  sans  héritiers  mâles,  et  développe  les  pro- 
jets les  plus  extraordinaires. 

Ëdouard-donuait  à  l'Angleterre  les  plus  belles 
espérances ,  excepté  celle  de  le^posséder  loog- 
temps.  Un  esprit  ouvert  ^  facile,  un  caractère 
doux  et  hum^,  joints  à  un  goût  très-vif  pouE 
l'instruction  T^setrouvai^itmalheureusementliés 
chez  lui  à  une  complexion  délicate  et  à  une  santé 
chancelante.  ISTorthumberland  prévoyait  le  mo- 
ment où  le  trône  pouvait  venir  à  vaquer,  et  il 
forma  le'plan  d'y  placer  son  fils.  Dans  ce  des- 
sein il  détermina  le  jeune  Edouard  à  exclure  de 
la  succession  ses  deux  sœurs,  Marie,  .fille  de 
Catherine  d'Aragon,  Elisabeth,  fille  d'Anne  de 
Boleyn ,  et  même  la  reine  d'£cosse ,  qui ,  à  leur 
défaut ,  avait  les  premiers  droits  à  la  couronne. 


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1^0  PARTIE    I. PERIODE    II. 

Le  roi  était  fort  attaché  à  la  réformation  ;  Dud- 
ley  lui  présente  le  rétablissement  de  l'andcD 
coite  comme  inévitable,  dans  le  cas  où  l'une  de 
ces  princesses  lui  succéderait ,  .et  cet  ambitieux  - 
finit  tomber  son  choix  sur  Jeanne  Gray.  Cette 
femme,  l'unç  des  plus  intéressantes  dont  l.'his^ 
toire  nous  ait  conservé  le' souvenir,  était  dans 
la  fleur  de  la  jeunesse  et  de  la  beauté.  Aux  grâces 
d'une  figure  enchanteresse  die  joignait  la  séduc- 
tion des  talents  agréables,  les  r^âources  d'un 
esprit  fin  et  délicat ,  des  connaissances  étonnantes 
pour  son  âge  et  pour  son  sexe ,  et  ces  vertus 
douces  et  touchantes ,  moins  réfléchies  que  sen- 
ties, qui  paraissent  être  les  inspirations  d'une 
ame  noble,  l'iB^tinct  nraral  d'un  coeur  aimant 
et  sensible.  Édcmard*,  qui  avait  été  élevé  avec 
Jeanne  Gray,  l'aimait  avec  tout«  la  tendresse 
d'un  frère,  et  connaissait  son  atta<jiement  pour 
le  nouveau*  culte.  Il  se  prétit  avec  empressement 
au  projet  de  son  favori.  Jeanne  était  la  petite- 
fille  de  Marie,  sœur  de  Henri  VIII ■,  femme  de 
Louis  Xlï,  qui  avait  épousé  un  simple  particu- 
lier, après  avoir  occupé  un  des  premiers  trônes 
du  monde.  La  mère  de  Jeanne  Gray  renonça,  en  ■ 
set  faveur,  à  ses  droits,  et  Jeanne  fut  }H>oclamée 
héritière  de  la  couronne.  Nortliuniberland  fui 
fit  époaser  sbn  fils,'  et  le  jeune  Dudley  parut 
digne  de  sa  fortune. 


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CHAPITRE    XVI.     .  1^1 

Au  milieu  de  ces  éyëflçments,  Edouard  est 
enlevé  k  l'Mrour  d'un&  faation  qui  le  regarde 
comme  le  gage  de  son  bonheur;  il  meurt  k  l'âge 
,de  seize  ans,  et  sa  mort  livre  l'Augleterre  aux  i553. 
plus  fUreuses  calamités.  Morthumberland  se  voit 

''  au  moment  de  recueillir  le  fruit  de  ses  crimes 
et  de  ses  travaux.  Il  invite  Marie  et  Elisabeth 
il  venir  auprès  de  leur,  frère,  pour -recevoir 
ses  derniers  soupirs;  il  ne  veut  que  se  rendre 
maître  dç  leurs  personnes>i  -mais  Marie  est  in- 
stnriK-de  la  mort  d'Edouard;  elle  ass^nble  ses 
amis;^-  ia  jalousie  et  la  hame  contre  les  Dudiey 
augmentent  le  nombre  de  se»  partisans  :  elle  est 
reçue  partout  avec  des  transports  de  joie.  Les 
catholiques  comptent  surdes  triomphes  éclatants. 
Elisabeth  vient  la  joindre  k  la  tète  de  .mille  che- 
vaux. Leurs  çnnemis,  effrayés  et  découragés,  se 
soumettent  presque  sans  résistance.  Jeanne  Gray 

'  voit  sans  regret  s'échapper  de  ses  mains  le  scep- 
tre qu'elle  a  tenu  quelques  jours  ;  elle  quitte 
facilement  ,upe  grandeur  empruntée  dont  elle 
n'a  besoin  ni  pour  son  bonheur,  ni  pour  sa 
gloire.  Sa  grandeur  personnelle  lui  demeiire  ; 
son  génie  et  sa  tendresse  pour  son  époux  suffi- 
sent à  ses  désirs.  !Northumberland  perd  dans  wi 
moment  toutes  ses  espéra^ices;  il  passe,  avec 
une  effrayante  rapidité ,  d^  lu  plu^  brillante  for- 


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i^a  PABTIE     I.  P^BIOPE    11. 

tune  sur  l'échafaud ,  «t  ;!' Angleterre  applaudit  à 
son  supf^ce.  Mais  cette  nation  fréaùt  d'indigna- 
tion et  de  douleur  en  apprenant  que  les  jours 
de  Jwtnne  Gray  et  du  £!&  de  Northumberland 
.sont  menacés,  et  que  l'obscurité  dans  laquelle 
ils  ont  enseveli  leurs  vertus  et  leurs  souvenirs 
ne  les  soustrait  pas  aux  dangers.  On  les  accuse 
d'avoir  pris  part  à  une  coujuration  qui  doit  les 
replacer  sur  le  trône.  D'autres  pouvaient  en  avoir 
fomjé  le  projet ,  eu»-mênoes  y  étaient  étrangers 
par  leurs  seotiments  et  par  leurs  actions. ilsâont 
condamnés  à  mort  par  des  juges  qui  nè..ajiveDt 
pas  voir  un  innoçsnt  où  le  souverain  veut- txtfu- 
ver  un  coupable.  On  leur  refuse  même  la  con- 
solation de  mourir  ensemble.  La  ccmscience  des 
bourreaux  leur  fait  craindre  l'impression  que  ce 
spectacle  saisissant  pourrait  produire  sur  le  peu- 
i5S4.  pie.  Jeanne  fut  exécutée  dans  la  prison.  Elle 
parut  encore  supérieure  à  elle-même  dans  les 
derniers  instants  de  sa  vie.  Déployant  une  fer- 
meté héroïque,  en  même  temps  qu'une  sensibi- 
lité profonde ,  elle  sécbait  d'un  regard  noble  et 
calme  les  larmes  que  son  sort  tragique  disait 
couler.  On  voudrait  la  plaindre,  on  ne  peut  que 
l'admirer. 

Telles  furent  les  prémices  de  Marie.  Tout  son 
règne  répondit  à  c(f  début  sanglant.  Fille  de 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XVf.  1^5 

Henri  VIII  et  de  Catheriiîe  d'Aragon ,  depuU  le 
divorce  de  sa  -mère ,  elle  -avait  passé  sa  jeunesse 
dans  les  Fcbuts ,  Les  hun^iUations  et  les  larmes. 
!Née  sans  les  dons  extérieurs  de  la  figure,  elle 
avait  seiiti  de  bonne  heure  qu'elle  n'était  pas  faite 
pour  plaire;  et  ce  sentiment,  ne  lui  en  ayantpas 
ôté  le  désir,  donna  à  son  humeur  un  caractère 
chagrin ,  sévère  et  sombre.  Les  malheurs  de  sa 
mère  avaient  fortifié  son  penchant  naturel  k  la 
tristesse.  Pour  se  consoler  des  injustices  du  sort, 
elle  s'était  fortement  attachée  à  la  religion  catho- 
lique ,  dont  les  principes  auraient  prévenu  ses 
reveis ,  et  lui  eussent  assuré  une  existence  bril- 
lante, si  Henri  les  avait  suivis  fidèlement.  Élevée 
par  des  prêtres  Janatiques  dans  le  mépris  de  la 
doctrine  des  protestants,  et  la  regardant  comme 
la  cause  unique  de  ses  infortunes ,  elle  lui  avait 
juré  une  haine  éternelle.  Les  maximes  qui  dé- 
fendent de  pardonner  aux  hérétiques ,  6t  ordon- 
lient  de  les  poursuivre  avec  le  fer  et  le  feu ,  as- 
sorties à  son  tempérament  et  à  ses  passions,  à 
sa  position  et  à  son  caractère ,  se  gravèrent  pro- 
fondément dans  son  cœur.  Superstitieuse  et  dé- 
fiante, toujours  tourmentée  de  craintes  et  de 
soupçons,  elle  n'avait  pas  cette  élévation  de  sen- 
timents qui,  au  dé&ut  du  génie,  peut  inspirer 
de  grandes  choses,  et  elle  manquait  de  cette 


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1^4  PARTtEI.  PÉRIODE     II. 

étendue  d'intelligence  qui,  au  défaut  des  grandes 
petrïëes,,  donne  du'moins  des  vù«s  étendues  et 
uqe  marche  bien  calct^éa  :  elle  joignait  un  esprit 
étroit  à  une  ame  commune  et  petite. 

A  son  avènement  au  trône,  les  catholiques 
levèrent  la  tête,  et  annoncèrent  hautement  leurs 
espérances  ;  les  protestants  tremblèrent  et  se 
turent.  Leurs  craintes  furent  bientôt  justifiées  ; 
Marie  renversa  dans  un  moment  l'ouvrage  d'Ë- 
■553.  douard.  Elle  rétablit  l'ancien  culte ,  proscrivit  le 
nouveau,  demanda  des  chaînes  à  Rome;  et  le 
cardinal  de  la. Pôle,  légat  du  pape,  vint  re- 
mettre  l'Angleterre  dans  une  dépendance  hon- 
teuse. La  nation-  était  te  jouet  et  la  victime  de 
ces  innovations  perpétuelles.  Dans  l'espace  de 
vingt  ans,  çai  vit  trois  souverains  donner  trois 
fois  leur  opinion  pour  règle  de  l'opinion  géné- 
rale, essayer  d'asservir  ce  qu'il  y  a  de  plus  in- 
dépendant, la  pensée,  et  agir  comme  s'il  suffi- 
'  sait  d'un  édit  pour  changer  la  croyance  et  le 
culte  de  tout  un  peuple.  L'organe  de  la  nation 
applaudissait  à  ces  révolutions  multiphées;  le 
parlaient,  qui  aurait  dû  protester  contre  ce 
despotisme ,  ou  garder  du  moins  le  silence  de 
la  terreur  et  de  la  honte ,  condamnait  à  chaque 
changement  ce  qu'il  venait  d'approuver ,  et  ap- 
prouvait ce  qu'il  avait  condamné.  Non-seule- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRK     XVI.  1^5 

ment  il  sanctionne  le  rétablissement  du  culte  , 
catholique;  il -permet  qu'on  poursuive  cownne 
criminels  de  ièse-majesté.ceux  dont  les  prin- 
cipes inflexibles  '  refusaient  de  se  prêter  ti  ces 
fluctuations  continuelles.  Non-seulement  il  pu- 
nit des  erreurs  comme  des  crin>es ,  mais  il  traite 
d'erreurs  dès  dogmes  et  des  maximes  que  na- 
guère il  ^Qclamait  comme  autant  de  vérités 
étemelles.  Lm  hommes  d'un  esprit  élevé  et  d'un 
caractère  énergique,  qui  sont  attachés  à  leur 
religion  par  conviction,  y  tiennent  d'autant 
plus  qu'on  semble  vouloir  se.  jouer  de  ce  qu'il 
y  a  de  plus  sacré  dans  le  monde  ;  mais  la  multi- 
tude, qui  reçoit  ses  idées  de  l'autorité  et  de  l'ha- 
bitude ,  ne  sait  quel  parti  prendre ,  ni  où  trouver 
un  fil  directeur.  Les  notioios  Its  plus  simples 
a  obscurcissent  et  se  confotadeHt  ;  les  principes 
s'ébranlent;  les  limites  qui  séparent  la  vertu  du 
vice ,  et  l'erreur  de  la  vérité ,  "se  délacent  ou 
s' effacent  ;  on  dirait  qu'il  dépend  du  gouverne- 
ment de  détmuiner  la  valeur  des  idées  conwie 
celle  des  espèces;  que  ce  tarif  peut  varier  d'nn 
jour  à  l'autre ,  et  qu'il  n'y  a  plus  rien  de  fixe  ni 
de  certain. 

Cependant  l'iocertitude  est  dangereuse ,  l'in-  - 
décision  peut  coûter  la  vie.  Déjà  la  sanguinaire 
Marie  fait  dresser  les  échafauds  et  les  bûchers , 


j.;Googk' 


176  PARTIE     I. PÉBIODE     11. 

pour  Opérer  d«s  conTcrsions ,  et  asswer  le 
triomphe  de  son  culte.  Too»  les  rangs,  tous  les 
âges,  tous  les  états  sont  confondus  dans  les  sup- 
plices. Des  honunes  d'une  vertu  obscure,  mais 
irréprodiable,  des  citoyens  distingués  par  leurs 
services,  des  vieillards  presque  éteints,  des  jeu- 
nes gens  pleins  de  vigueur  et  d'espérances,  pé- 
rissent dans  les  flammes.  DaAs  T-espacq  de  quel- 
ques mois,  près  de  trois  cents  personnes  sont 
immolées,  sans  pitié  comme  sans  remords.  Bon- 
ner  et  Gardiner,  les  conseils  et  les  directeurs  de 
Marie,  repaissent  leurs  yeux  de  cet  affreux  spec- 
tacle :  mais  au  défaut  de  la  résistance,  de  grands 
daugn^  demandent  et  provoquent  le  courage 
de  la  patience  :  des  crimes  atroces  enfantent  des 
vertus  sublimes  :  plus  on  comprime  le  ressort  de  . 
la  conscience,  plus  elle  se  relève  avec  force.  La 
fenneté  héroïque  des  martyrs  inspire  une  telle 
admiration  qu'on  ne  désire  que  de  partager  leur 
sort.  Familiarisés  avec  la  mort,  à  force  de  la  voir 
soi|$  toutes  les  formes  1  tout  entiers- à  l'idée  de 
l'éternité ,  les  protestants  en  viennent  à  se  réjouir 
du  coup  qui  termine  leur  vie.  Pour  la  conso- 
lation et  la  gloire  de  l'hunianité,  dans  ces  temp$ 
sinistres  où  l'on  a  vu  le  comble  de  la  dégrada- 
tion, du  crime  et  de  l'infamie,  la  nature  fauàiaine 
a  effacé  cette  tache ,  et  sauvé  sa  dignité  par  des 


D,a,l,;t!d"bvC00glc 


CHA.PlTItE    XVI.  177 

exemples  multipliés  de  force  d'ame,  de  résigna- 
tion réfléchie  et  de  véritable  grandeur. 

A  l'époque  où  Marie  portait  'ainsi  dans  toute 
l'Angleterre' la  consternation  et  l'efîroi,  elle  sa- 
crifiait les  intérêts  de' son  royaume  à  son  atta- 
chement pour  la  religion  catholique ,  et  s'unissait 
étroitement  avec  l'Espagne.  Ce  fiit  sa  haine  con- 
tre les  protestainta,  qui  lui  fit  former  et  resserrer 
une  alliance  aussi  contraire  à  l'indépendasce  de 
l'Ang^erre ,  qu'à  la  sûreté  générale  de  l'Europe. 
Son  zèle  religieux  laxendit  infidèle  aux  maximes 
d'une  saine  politique,  et  l'aveugla  tellement  que 
nous  la  verrons  épouser  la  cause  de  l'Elague , 
armer  en  sa  faveur ,  et  con^urir  de  tout  son 
pouvoir  à  rendre  cette  puissance,  déjà  formi- 
dable ,  l'arbib^  unique  de  la  destinée  de  toiis 
les  étals.  L'Angleterre  protestante  eût  opposé  lin 
contre-poids  à  ta  prépondérance  menaçante  de 
la  maison  d'Autriche;  '  l'Angleterre  catholique 
servit  l'ambition  de  sou  ennemie ,  et  perdit  un 
moment  de  vue  toute  idée  d'équilibre. 


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178  PARTIE    I.  PÉIIODB   III. 


TROISIÈME  PÉRIODE.  i556— 1598 


CHAPITRE  XVII. 

Abdicatioa  de  Cbaries-Quini.  Son  fils  Phi)q>pe  lu!  si|EcMe. 
Caract^  de  ce  prince. 

Le  traité  de  Paasan  avait  padâé  rAlIemagne , 
lor8qa&  Chartefr-Qtiint  antionça  le  dessein  qu'il 
av»it  formé  depuis  long-temps ,  d'abdiqaer  toutes 
le»  .<^urpnnes  qu'il  portait,  de  les  placer  sur  la 
tète  de  Philippe  son  fils ,  et  de  s'ensevelir  dans 
la  retraite.  Une  constitutioa  usée  par  le  travail 
et  par  les  plaisirs,  une  sanjté  diancelante,  des 
douloors  fréquentes  tf  cruelles,  lui  ^lisaient  dé- 
sirer le  repos,  et  il  aûnatt  mieux  cesser  de  ré- 
gner, que  de  régner  sans  activité  et  sans  gloire. 
Les  rçvers  qu'il  avait  essuyés,  sa  fuite  ignomi- 
nieuse devant  les  armes  triomphâi^es  de  Miiu- 
rice-,  les  saciifîces  auxquels  l'avaient  forcé  les 
succès  brillants  de  ce  prince,  la  guerre  malbeu- 
rfluse  faite  k  Henri  II,  et  surtout  le  si^e  meur- 


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CHAPITRE    XVII.'  1^9 

trier  de  Metz,  qui  n'avait  abouti  qu'à 'la  ruine 
de  sou  armée ,  lui  avaimt  arraché  la  réûexion 
douloureuse  4  que  la  fortune  ne  faTCHÏsait  pas 
les  vieillards.  Croyant  que  ses  forces  et  le  bon- 
faeur  allaient  le  quitter  en  même  temps,  il  vou- 
lût abandoDB^le  théâtre  du  taoodeTdo  crainte 
de  compromettre  sa  gloire.  L'ambition  ardente 
et  sombre  de  son  fils ,  la  mainte  de  son  impa- 
tience,, peut-être  même  l'idée  *de  lui  épargner 
un  crime,  peuvent'  avoir  influé  sot  sa  résolu- 
tion; m^is  de  tous  les  moti^  qui  ,1e  détenm* 
nèrent,  la  religion  et  la  philosophie  eurent 
sûrement  le  moins  de  part  à  cette  ângulièrâ 
démarche.  /- 

Depuis  quelques  années ,  elle  était  l'objet  prio- 
cipal  de  la  correspondance  qi^'il  entretenait  avec 
sa  sœur  Marie ,  reine  douairière  de  Hongrie  et 
'  gouvernaute  des  Pays-Bas ,  (fui  le  fortifiait  dans 
son  projet  ;  et  s'offrait  même  à  partager  sa  soli- 
tude. Déjà  il  avait  choisi  le  lieu  de  sa  retraite; 
c'était  le  couvent  des  Hiéronymites  de  SaintJust, 
situé  dans  un  vallon  délioeuK,  sur  les  confias 
de  l'Estramadure.  Il  avait  vu  ce  beau  heu  dans  ' 
sa  jeuneâse ,  et  en  avait  conservé  une  iœpresHOA 
$i  agréable ,  qu'il  s'y  était  &it  préparer  une  dbr, 
meure  modeste,  dans  le  dessein  d'y  t 
paix  sa  vie  labwiense  et  agitée. 


DiailizodbvGoOgle 


l8o  P'ARTIE    I. 1>iBIODE    III. 

Charles  avait  déjà  cédé  k  Philippe  le  royaume 
de  Ifaples  et  le  Milanez.  Il  lui  remit,  en  pré- 
sence des  États  assemblés,  la  souveraineté  des 
>■  Pays-Bas',  après  avoir  retracé  à  ses  sujets ,  avec 
une  noble  simplicité,  ses  nombreux  travaux,  et 
k  son  fils  les  devoirs  et  les  principes  qui  devaient 
le  guider  dans  sa  nouvelle  carrière.  Encore  am- 
bitieux pour  sa  maison,  quoiqu'il  ne  le  fût  plus 
pour  lui-même ,'  et  jaloux  d'augmenter  la  puis- 
,sance  de  Philippe,  il  aurait  voulu  engager 'son 
frère  Ferdinand,  roi  des  Romains,  à  se  désister 
du  trône  impérial  en  faveur  de  son  neveu.  L'Al- 
lemagne redoutait  cet  événement.  Ferdinand  était 
accoutumé  à  céder  aux  volontés  de  son  frère  ; 
niais,  malgré  son  caractère  doux  çt  facile,  il 
repoussa  celte  proposition  avec  fermeté,  et  dé- 
clara formellement  qu'il  ne  voulait,  pas  sacrilier 
ses  intérêts  ni  ceux  de  sa  famille  à  l'agrandisse-  - 
ment  de  Philippe.  Ce  refus  prononcé  fut  le  salut 
de  l'empire  germanique.  Sans  lui  la  liberté  était 
perdue,  la  religion  protestante  opprimée,  et 
l'équilibre  de  l'Europe  entièrement  détruit.  Fer- 
dinand était  aimé  des  princes  de  l'Allemagne, 
et  méritùt  de  rétre  par  les  soins  éclairés  qu'il 
avait  pris  pour  la  pacifier.  Il  conserva  les  états 
héréditaires  de  la  maison  d'Autriche  et  les  droits 
de  cette  maison  sur  la  Bc^êroe  et  la  Hongrie,  et 


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CHAPITBE    XVII.  181 

forma  une  aouvelte  masse  du  puissance.  Ls  sé- 
paration des.  deuiL  branches  de  '  la  famille  de 
Habsbourg  préserva  l'Earope  du  danger  de  la 
monarchie  universelle.  Les  liens  du  sang  et  .la 
«uiformité  des  intérêts  les  ont  quelquefois  rap- 
prochées ;  mais  plus  souvent  des  intérêts  opposés 
les  ont  éloignées  l'une  de  l'autre,  et  leur  on| 
dicté  des  mesures  qui  ont  servi  la  cause  générale 
dé  l'indépendance  des  états. 

Après  un .  règne  actif  et  une  vie  oragaise , 
Charles  quitta  la  scène  du  monde ,  sans  ponvcnr 
mnporter  le  sentiment  consolateur  d'avoir  con- 
duit 1^  [leuples  confiés  à  sou  sceptre ,  à  uu  plus 
haut  degré  de  richesse,  de  développem^oC,  ide 
culture  et  de  bonheur.  Tout  entier,  auX' négo- 
ciations et  à  la  guerre,  comme  un  prince  qui 
aurait  en'  sa  fortune  à  faire ,  ou  qui  aurait  pu 
craindre  de  la  p^'dre,  s'il  n'avait  toujours -eu 
recours  à  l'épée  et  à  U'plume ,  il  paivt  oublier 
qu'il  était  assez  puissant  pour  n'avoù'  rien,  à 
craindre  ni  à  désira'  ;  qu'au,  lieu  d'une  activité 
ambitieuse  et  inqtùète ,  il  ne  lui  allait  que  de  ta 
justice  et  de.la  feroieté.pour  assurer  la.fr^- 
quiJUté  de  ses  provinces,'  et  qu'il  pAuvait  être 
impunément,  pacifique  et  modéré.  Les  iielatÏQni^ 
extérieures  avaient  absorbé.toute  son  aUepti9tiï 
sans  lui  laisser  le  t^mps  d'encourager  le  travailit 


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|-8a  PARTIE    I. Pi&IODE    III. 

de  perfectionner  l'atloiinistration  et  les  lois,  et 
d'exploiter  les  richesses  que  la  nature  libérale 
avait  répandues  dans  ses  vastes  états.  Indifférent 
ou  étranger  aux  différentes  branches  de  l'ëcono- 
mie  politique ,  il  n'avait  jamais  •vxi  dans  le  bien- 
être  de  ses  sujets,  que  le  moyeu  de  joner  oo 
grand  ràle  sur  le  théâtre  de  l'Europe,  et  non  le 
premier  de  ses  devoirs ,  le  fout  sn|»ême  «t  uni- 
que du  gonvemeraent.  Il  avait  changé  la  <ion' 
stUniion  de  pliuieure  denses  provinces,  entre 
autres  celle  de  la  Castille;  mais  dans  ces  chan- 
gements, il  avait  ^us  oonsalté  l'intérêt  de  ^ob 
pouvcMrque  ceitti  de  Vordat  public^  et  même, 
le  plus  souvent,  il  fat  diri^  par  tes  convenances 
du  moment,  beaucoup  plus  que  par  des  princi' 
p^  fivcB^  çt  réflécftri».  Il  avait  profita  des  entre- 
prises hardies,  des  découvertes  heureuses,  et 
des  Crimes  lucratif  des  Espagnols  dans  le  Kou» 
Teau-Monde  ;  ioais  il  n'avait  pas  favorisé  las  pre* 
mi^s,  ni  réprimé  vigoureusement  les  autrcB, 
et  n'avait  pas  mâme  soupçonné  le  système  qu'il 
eût  falhi  suivre  pour  enrichir  l^Ëëpj^e,  sans 
appauvrir  tes  colonies.  L'ami  de  l'humanité  wt 
petit  se  défendre  dkine  juste  doideur,  en  oom- 
parant  ce  qae  Chartes  a  ^sil  pendant  un  det»- 
siède ,  comme  administrateur  d'iïn>grand  empire , 
eveeoé  qu'un  prince  d'mi  esprit  aussi  actif  el 


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CH1.P1T8E    XVII.  kii 

d'une  Vf^onté  aussi  éiiei^ue  qu«  U  aienœ,  eût 
pu  faire  dans  ce  genre  pour  le  bonheur  de  «6$ 
états ,  «t  l'instniction  du  monde.  Dans  1»  reUftitia 
oà  U  ails  cacher  ses  infirmités  et  sa  gloire,  où 
il  vécut  en  honune  et  pensa  en  Mge,  il  rerint 
des  «rreuis  de  la  vanité,  et  fiit  déaabuaé  des 
iBausoes  qui  avaient  dirigé  sa  vie;  maê,  à  cette 
époque,  la  tagctse  ne  lui  stnrit  qu'à  condamner 
une  grande  partie  de  son  rà^M,  et  deux  smti- 
tnents  durent  souvent  troubler  son  repos  ;  le 
regtret  tardif  et  inutile  d'aT<Hr  étonné  et  ËUigué 
ses  peuples,  au  lieu  de  les  rendre  heureux,  -et 
la  craiote  de  l'avenir  que  le  caractère  de  son 
fils,  -fjui  ne  pouvait  avoir  échappé  k  son  œil  pé- 
nétnuit,  préparait  à  ses  états. 

Philippe  II  était  âgé  de  vingt-huit  ans,  quand 
son  p^«  lui  mpit  les  rênes  de  la  mosarchie.  il 
était  né  à  Yjalladolid,  d'I&abelte,  fille  d'EaBaM"  iSa?. 
unel-le-Grnid ,  roi  de  Portugal.  Élevé  en  Espagne 
par  des  prêtres  superstitieux  et  fanatiques,  son 
tempérament  bilieux,  son  humeur  grave  et  som- 
bre, avaient  été  renCorcés  par  le  genre  de  travaoK 
et  d'idées ,  de  plaisirs  et  de  privations  dont  on 
avait  rempli  son  otfsnce  et  sa  jeunesse.  Il  y  avait 
One  analogie  secrète  entre  son  caractère  et  le 
earactère  national  des  E^taguob;  id»s,  en  ou- 
trant les  qualités  de  ce  peuple  estimable,  il  en 


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l84  PARTIE   1.- — PiBIODE    lïl. 

avait  fait  des  défauts  révoltants.  Cette  fierté  na- 
turelle qui,  chez  eux,  tient  de  si  près  à  la  gran- 
deur d'ame,  était  chez  lui  un  orgueil  froid  et 
méprisant.  Ce  peuple  a  les  passions  vives;  les' 
siennes  étaient  ardentes  à  raison  de  ce  qu'elles 
étaient  plus  concentrées,  et  il  les  fortifiait  en  les 
dissimulant.  L'Espagnol . est  sérieux  et  réservé; 
Philippe  était  sombre  et  impénétraUe;  il  reiifer- 
mait  tous  ses  sentiments  au  fond  de  son  cœur, 
et  ne  se  permettait  jamais  un  sourire.  L'Espagnol 
est  attaché  à  sa  religion  et  .fidèle  observateur 
de  ses  rites  ;  Philippe  poussait  à  cet  égard  l'exac- 
titude jusqu'à  la  minutie ,  et  rattachement  jus- 
qu'au fanatiùne.  Il  serait  difficile  de  décider  si 
spn  caractère  a  saisi,  par  une  affinité  secrète  y 
les  maximes  d'intolérance  qu'il  a  suivies  avec 
une  afEreuse  constance,  on  si  ces  maximes ,  mo- 
difiant son  caractère ,  t'ont  rendu  impérieux , 
dur  et  cruel.  Caligula  souhaitait  dans  son  déUre 
que  le  genre  humain  n'eût  ,qu'une.têj:e;  PhiUppe 
aurait  voulu  que  le  genre  huniain  n'eût  qu'une 
prisée,  que  cette  pensée  fûtia  sienne,  et  qu'elle 
fût  adoptée ,  n<Mi  par  conviction ,  mais  par  obéis-* 
-  sauce.  Il  méprisait  les  hommes,  mais  il  respec- 
tait les  prêtres;  il  ne  craignait  pas  Dieu,  mais  il 
en  avait  peur,  et  il  redoutait  l'enfer.  Son. esprit 
était  actif,  pénétrant,  même  profond;  lAais  il 


■D,a,l,zt!dbvG00gIe 


CHAPITRE    XVII.  l85 

s'embarrassait  ^uyent  dans  des  combinaisons 
trop  savantes,  et  il  manquait  de  justesse  parce 
qu'il  manquait  de  simplicité.  Sa  volonté'  était  in- 
variable comme  le  destin;  on  ne  lui  faisait  pas 
abandonner  son  plan,  on  ne  changeait  jamais 
ses  résolutions,  et  souvent  il  a  échoué  dans  ses 
projets  en  s'opiniâtrant  contre  les  circonstances, 
et  même  contre  la  nature.  Capable  d'un  travail 
soutenu ,  il  ne  connaissait  d'autres  jouissances 
que  celles  des  afïaires.  Son  ambition  s'étendait 
à  tout  ;  elle  allait  même  au-delà  de'ses  moyens, 
qumque  se&  moyens  fussent  immenses ,  et  il  ne 
visait  à  rien  moins  qu'à  la  monarchie  universelle 
des  forces,  des  actions  et  des  sentiments.  Im- 
placable dans  ses  baînés  et  dans  ses  vengeances , 
impassible  dans  la  bonne  et  dans  la  mauvaise 
fortune /sévère,  silencieux,  fermé  à  toutes  les 
expressions  de  bienveillance,  rien  ne  rassurait 
sur  l'abus  qu'il  pouvait  faire-  de  son  pouvoir. 
L'homme  était,  en  lui  encore  plus  redoutable  que 
le  mouarque.  Du  sein  de  son'  palais,  pendant 
quarante-quatre  an» ,  ce'  génie  invisible  et  mal- 
faisant a  troublé  tokts  les  étel»,  etisanglanté  tou- 
tes les  cràtréçs ,  et  s'est  ruiné  toi-même  en  rui- 
nant les  autres^  On:  l'a  appdé  à  juste  titre  ié 
démon  du  Midi,,  et  il  n'y  a  peut-être  jamais  eu' 
d'heannae  plus  étranger  à  rhumanité.  '    - 


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PARTIE    I. PERIODE    III. 


CHAPITRE  XVIII. 


De  la  puissance  de  l'Espagne  à  cette  époque.  Guerre  contre 
[a  France.  Paix  de  Cdteau-Cambresis. 


A.  l'avénemeat  de  I^iilippe  II  au  trône,  U  puisr 
sance  de  l'Espagne  était  c(rios«ile.  Se  £3rce  ab- 
solue avak  augmenté  sou»  le  règne  de  Gluile»- 
Quint;  et  celle  dea  autres  états  n'ayant  pas  suivi 
la  mèmâ  progresMw  i  sa  force  relative  s'hait  ac- 
crue duis  des  [M'oportions  plus  grandes  encore. 
Quoique  Charles  n'eût  presque,  rien  fût  pour 
accélérer  ou  diriger  le  développement  interne  du 
vaste  corps  de  la  mom^chie  e^agnole ,  la  nature 
et  les  circMistances  l'aTaient  admirablement  servi, 
et  leurs  bienfaits  avaient ,  réparé  ses  torts.  I>e 
nouvelles  acquisitioiu  dans  les  deux  hémi^^- 
DCe  i  une  population  plus,  forte  dans  qi^lqueA 
provinces ,  une  industrie  plus  active ,  -  des  trot»* 
pes  nooibreuses  et  excellentes,  les  trésors  que 
l'Ajnériqoe  allait  verser  en  Europe,  de  grands 
taients  djois  le  catiinet  et  dans  les  arméee ,  une 
baute  canstdérati(m,  formaient  une  masse  de  puis- 
sance imposante,  quand  on  isolait,  par  la  pmsée, 


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CHAPJTRE     XVIII.  187 

r£spagne  des  autres  états,  et  qn'on  l'exanùiiMt 
«n  elle^éme.  La  rapprochaiton  des  autres  puis-. 
sanœa,  ïeur  faiblesse  ajoutnt  etu»re  à  sa  force, 
la  rendait  plus  menaçante  et  plus  terrible ,  et 
cette  comparaison  feiiaît  ressentir  toute  sa  gn» 
deur.  n  &ut  la  considérer  sous  ce  double  rap* 
port,  pour  bien  apprécier,  d'un  côté,  l'étenclae 
de  ses  moyens  et  l'abus  qu'elle  en  fit  ;  de  l'autre , 
les  dangers  imnùneiUs  que  courut  la  liberté  <ke 
l'Europe ,  et  la  nature  des  événements  qui'  la 
sauvèrent  de  la  servibide. 

Avec  les  Espagnes,  les  Faj5>Bas,  ie  Milanez 
et  le  royaume  de  Naples,  Cbaeles-Quînt  xrait 
laissé  À  son  fis  des  triMipes  eipértiiu»itées,  des 
généraux,  célèfares  par  leurs  ràinîre»,  des  m- 
nistres  formés  à  son  écote  etrompvs  «kns  les  af- 
fres ,  et  une  puissance  d'opinion  -qui  doublait 
sa  puissance  Décile,  et  teiiaàt  à  l'édat  de  son 
règne  et  à  l'ascendant  dominateur  qu'il  avait  eu 
en  Europe,  pendant  un  dcmi''Méclc.  JL'arméc  es<- 
pagnole,  composée  eo  grande  partie  de  vétérans 
qni  avaient  servi  dans  les  guerres  d'Italie ,  était 
^uliaiisée  avec  le  danger,  Bcoontiunée  atix  fi*- 
tigues,  animée  par  le  souvenir  de  ses  victoirts, 
«t  soumise  à  une  discipline  «raimctit  rom»De.  Le 
dttc  d'Allié  était  craint  et  estimé  du  soldat,  qui 
marrfaait  avec   confiance  sous  ses  ordres.  Cet 


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lS8  PAHTIZ    I. PÉalODE    III. 

honame ,  marqué  eD  caractères  de  sang  dans  l'his- 
toire, était  fait  pour  servir  Philipp«-i  fier  avec 
scségaux,  impérieux,  dur,  inexorable  eûvers 
ses  inférieurs,  il  était  docile,  humble,  soumis 
dîms  ses  relations  avec  son  maître;  et  son  obéis- 
sance flattait  d'autant  pins  l'orgueil  de  Philippe, 
qu'il  était  le  seul  qui  fît  plier  ce  caractère  altier 
et  inflexible.  Les  lois  de  la  justice  et  de  l'huma- 
mté,  toujours  peu  de  chose  aux  ,yeux  du  duc 
^Albé,.  n'étai^it  comptées  pour  rien,  du  mo- 
ment où  elles  se  trouvaient  en  conflit  avec  U 
volonté  de  Philippe  ;  se  glorifiant  d'étce  l'esécu- 
teur  des  arrêts  sanguinaires  de  son  ra^tre ,  ii 
mesurait  son  crédit  sur  la  préférence  qu'on  lui 
domiait  pour  commettre  des  crimes.  Refuser 
Une  commission,  eût  été  un  attentat  contre  la 
majesté-du  souverain;  balancer,  un~délit;  exa-. 
miner,  même ,  une  raison  de  disgrâce.  Le  devoir 
d'un  bon  serviteor  était  d'agir  contre  sa  convic- 
tion, et  de  n'avoir  d'autre  amscience  que  les 
ordres  de  son  roi:  Le  comte  d'%iiiont,  Flamand 
d'origine,  partageait  avec  d'Albe  l'honneur  de 
commander  les  armées  de  l'Espagne.  Qrave  sans 
férocité-,  il  savait  peut-^tre  mieux  que  son  rival 
de  gloire  combiner  de  vastes  opérations  mîlitu- 
oes.  Plus  td;tachë  à  sa  patrie  qu'à  Philippe ,-  et  plus 
citoyen  que  sujet,  il  ne  voyait  dans  ses  services 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XVIII.  l8g 

que  des  devoirs ,  et.  non  des  moyens  de  plaire  k 
son  maître.  I^iKppe  l'employait  sans  l'aimer.  Il 
haïssait  en  lui  sa  qualité  de  Flamand ,  et  cette 
noble  fierté  qui  ne  lui  permettait  pas  d'être  un 
simple  instrument  dans  les  mains  d'un  autre. 
Guillaume,  prince  d'Orange,  Hiilibert  de  Savoie, 
Don  Juan  d'Autriche,  entouraient  déjà  le  trône 
de  Philippe,  et  répandaient  sur  lui  l'éclat  de 
leurs  victoires  ou  celui  des  brillantes  espérances 
que  leur  jeunesse  faisait  concevoir.  Guillaume, 
cachant  sops  un  extériem'  simple  ime  ame  grande, 
froid,  profond  et  taciturne,  capable  de  tout  ea~ 
treprendre,  de  tout  supporter,  hormis  le^crime 
et  la  bonté,  joignait  à  une  mémoire  vaste  et 
sûre  une  pénétration  à  laquelle  rieu  n'échappait, 
une  raison  mâle  et  sévère ,  une  persévérance  k 

.l'épreuve  de  tous  les  obstacles,  et  ensevelissait 
tous  ces  dons-  de  la  nature  dans  le.  secret  de  sa 
pensée,  sous  les  voiles  de  la  dissimulation  et  de 
la  réserve.  Philibert  de  Savoie,  plus  guerrier 
qu'homme  d'état,  avait  une  conception  brillante 
et  un  caractère  hardi  ;  il  ressemblait  à  César  par 

'  son  activité  de  feu,  sa  confiance  audacieuse,  sa 
manière  large  et  facile  de  diriger  les  événements, 
et  par  une  magnanimité- naturelle.  Le  jeune  don 
Juan ,  fils  naturel  de  Charles-Quint-,  se  formait  à 
l'école  de  ces  grands  capitaines,  et  cultivait  en 


DiailizodbvGoOgle 


igO  PARTIE    I.  -~  vAkIODE    III. 

lilence  ce  génie  qm  devait  éttt  un  jour  si  redour 
table  aux  enneiois  de  fËipagnè  et  à  funeste  à 
hii-^nâme. 

{j'administrdtiqn  intérieare  et  la  direction  des 
a&ires  politiques  étaient  confiée»  à  Antoine  Père- 
not,  Bourguignon  dV>rigine.  Ce  ministre,  plus 
connu  dans  l'histoire  sous  -le  nom  du  cardinal 
Granvellè,  jouissait  du  plus  grand  crédit  auprès 
de  Philq>pe,  et  le  méritait  par  ses  basses  adula- 
tions, son  dévd&ment  servîle  à  tous  les  caprices 
de  son  maître ,  ses  connaissants  variées  et  son 
immoralité  profonde.  Il  ne  montrait  pas  tout  ce 
qu'il  avait  d'habileté  et  de  finesse,  et  employait 
nne  partie  de  son  esprit  à  le  cacher  aux  yeus  de 
Philippe  qui  ne  pardonnait  aucune  espèce  de  su- 
péiioiité,  et  se  défiait  des  hommes  de  mérité.  Il 
avait  l'art  de  paraître  suivre  les  idées  de  son  -m^- 
tre  IcH^qu'il  lui  donnait  adroitement  les  siennes, 
et  de  loi  faire  croire  qu'il  ne  pouvait  ni  ne  vou- 
lait le  juger.  Granvellè ,  déjà  employé  par  Char- 
lee-Quint ,  surtout  dans  les  occaùons  où  il  fallait 
plus  de  souplesse  que  de  probité,  connaissait  Ji 
toad  l'es  ressources  de  la  monarchie,  la.situatioo 
de  l'Europe,  et4es  rapports  de  l'Sspagoe.&vee 
tontes  les  autres  puissances. 

Ij»  Fesaources  de  l'B^gne  étaient  plus  con- 
sidérables qu'elles  ne  l'avaient  été  sous  le  iiègae 


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CHAPITRE     ZTllf.  1^1 

de  Ctuffles-Quint.  A  l'époque  de  l'avènement  de 
son  fils  au  trône ,  le»  immenses  possessions  de 
l'Espagne  en  Amérique  acquirent  du  poids  dans 
la  balance  politiqae ,  et  les  trésors  du  NotiTean- 
Mande  payèrent  les  guerres  et  les  entreprises 
ruineuses  de  Hiilippe.  Les  Sfipagnols  avaient  en, 
dans  l'auti^  hémisphère,  des  succès  qui  tiennent 
du  prod^;  et  dans  ïe  récit  de  leurs  conquêtes 
rapides,  brillante»,  faites  avec  de  faibles  moyens, 
la  vérité  aura  toujours  la  vraisemblance  contre 
elle.  T^a  siu>prise  et  Tétonnement  leur  soumirent 
plus  de  pays  que  tes  armes;  leur  couleur,  leurs 
habits,  leur  discipline,  leurs  chevanx:  surtout  et 
leur  artillerie ,  frappèrent ,  par  la  nouveauté  du 
spectacle ,  l'imagination  des  peuples  simples  et 
ignorants'  de  l'Amérique,  et  leur  inspirèrent  pour 
ces  redoutables  étrangers  ud  respect  mêlé  de 
crainte ,  qui  les  di^oeait  à  l'obéissance.  La  bonne 
foi ,  la  religion  de  l'hospitalité ,  le  dé&ut  de  lu- 
mières et  d'union  avaient  empêché  les  Améri- 
cains de  conjurer  l'orage  qui  les  menaçait ,  et  de 
repousser  de  leurs  bords  les  brigands  qui  ve- 
naient les  désoler.  Au  contraire ,  Us  les  avaient 
accueillis  avee  une  bonté  touchante  ;  mais  leurs 
bienfaits  et  leurs  présents,  donnant  une  haute 
idée  de  leur  richesse ,  s'étaient  tournés  contre 
eux ,  et  n'avaient  fait  qu'allumer  l'avidité  de  leurs 


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193  PARTIE    I.  P^ltlODE    III. 

Oppresseurs.  Le»  crimes  épouvantables  des  Es- 
pagnols provoquèrent  à  la  fin  ia  résistance  de 
ces  malheureuses  peuplades  ;  mais ,  tardive  et  fai- 
ble, elle  ne  fit  que  hâter  leur  destruction,. et 
des  iflots  de  sang  marquèrent  la  route  des  Espa- 
gnols dans  le  Nouveau-Monde  épouvanté.  Bar- 
thétemi  de  las  Casas,  le  défenseur  courageux  des 
infortunés  Indiens ,  qui  parut  être  un  ange ,  parce 
que  seul  il  eut  les  traits  et  le  cœur  d^un  homme 
au  milieu  des  démons  qui  l'entouraient,  fait 
monter  à  dix  mUlipns  le  nombre  des  vîctioMs 
que,  dans  l'espace  de  quarante  ans,  les  Espa- 
gnols immolèrent  à  leur  avidité  et  k  leur  v«i- 
geance.  Il  y  a  sans  doute  de  l'exagération  daAs 
ce  calcul,  qu'il  était  impossible  de  faire  avec  exac- 
titude ;  mais  à  quelque  degré  qu'on  le  réduise ,  il 
pandtra  toujours  exorbitant ,  et  cette  page  san- 
glante de  l'histoire  de  l'espèce  humaine  fera  tou- 
jours reculer  d'effroi  l'humanité. 

On  ne  peut  concevoir  ces  forfaits  inutiles, 
atroces,  répétés,  qui  furent  commis  par  des  in- 
dividus d'une  nation  généreuse ,  qu'en  se  rappe- 
lant qu'ils  appartenaient  tous  à  l'écume  de  cette 
nation  qui  se  débordait  sur  ces  malheureux  ri- 
vages. C'étaient  des  hommes  perdus  de  principes 
et  de  moeurs,  que  la  misère  et  le  désespoir  ren- 
daient audacieux,  des  malfaiteurs  déjà  con<Iam- 


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CHAPITRE    XVIII.  193 

nés,  et  qui  échappaient  au  supplice  en  passant 
eu  Amérique,  en  un  mot  les  sauvages  de  la 
civilisation,  bien  plus  terribles  que  les  isauvages 
de  la  nature,  qui  formant  les  armées  dés  Cor- 
tez  et  des  Pizarre.  La  religion,  qui  aurait  dû 
contenir  leurs  pissions  brutales  et  féro(%s ,  les 
légitimait  à  leurs  yeux  et  les  exaltait  même  ;  letir 
fanatisme  persécuteur  ne  leur  permettait  p^  de 
voir  des  frères  dans  des  <  hommes  qui  n'étaient 
pas  chrétiens  ;  mais  il  &ut  convenir  qulls  sui- 
vaient ces  maximes,  parce  qu'elles  étaient  d'in- 
telligence avec  leurs  vices,  et  que  tout  autre 
langage  que  celui  des  Valverdes  n'aurait  fait  au- 
«ane  impression  sur  eux.  'Ceux  même  qui  n'a- 
vaient jamais  cmnmis  de  crimes  en  Europe,  en 
commettaient  sans  remords  loin  de  leur  patrie  : 
transplantés  sou»  Uji  nouveau  ciel  et;  sur  un  s6l 
incoimu, -ils  changeaient  dé  mœurs  coUtiie  d'u- 
sages; et  ce  qu'ils  avùent  paru  avoir  de  mora.- 
lité,    tenant  à  d'an<âennes  habitudes  «u  à  la 
crainte  de  l'opinion , -lès  quittait  du  inoiîMmt  on 
ils  avaient  rompu  les  unes ,  et  où  ils  se  XiôVÎ- 
vaient  à  une  grande  distance  du  regard  de  l'aù- 
tre.  l'a  crainte  des  lois  ne  pouvait  pas  les  arrê- 
ter. Ces  aventuriers,  dégouttants  de  sang  et  de 
cruches,  n'étaient 'S«Aimis  à  aucuii  pouvoir  civil  ■' 
ni  miliuùre  capable  de  les  réprimer.  Leurs  chek 
a  r3 


DiailizodbvGoOgle 


1^  PARTIE    I.  —  PERIODE    III. 

aupaient  mieux  partager  les  profits  de  leurs  for- 
failâ  que  de. les  prévenir.  Les  découvertes  et 
les.  conquêtes  ne  furent  jamaj»  dirigées  par  te 
gonveroement  ei^ragnol ,  et  marphèrent  an  ha- 
sard,! sass  prineipes  et  saus  [dan.  Charles,  ne 
cpntribuaiU  pas  aux  irais  des  armements ,  n'exer- 
faic  aucune  espècrile  contrôle'sar  les  armateurs. 
Il  ne  dMmait  à  ces  objets  qu'une  attention  fh- 
gitive,>3it  qu'il  ne  sentît  pas  l'importance  de 
ces  découvertes,  soit  que  Féloignement  des  lieux 
ou  la  multiplicité  des  affaires  le  rendissent  indt^ 
féreiit  au  sort  de  l'Amérique;  et  ce  sera  une 
.tache  inef&çable  k  m  mémoire ^  d'avoir,  au  mé- 
pris de  la  justice. et  de  la  politiqae,  abandonsf 
un  monde  entier  à  la  lie  de  l'espèce  humaine. 

Ai^tspi  les  iruits  de  ces  découvertes  lurent  k 
peu, près -perdus  pour  lui.  A  la  vérité,  les  pos- 
sf^ions  des  EapagDoila  en  Amérique  étaient  défa , 
âpps  Boxk  irègne,-  SBOBÀ  vastes  qu'elles  le  forent 
$pùç  Phil^)pe  H;  mais  la  cooquéte  avait  enrichi 
le^  partic«diws ,  Rsus  cnrichiv  le  ttéscr  de  l'étaf. 
Le,géitte  audacieux. dn  Cortex,  la  patience  iné>- 
bi^lable  de:ses  tsoapes^  la  Uicheié  de  Mon- 
tézurae,  la  stupeur  et  la'désmnon  de  ses  sujets, 
avaient,  en  peU:  d'années,  amené  ià  mine  de 
i5i9  l'eiUfHre  ,du  Mexique,  et  f^ùt  passer  ses  nonv- 
iSaa.  breuses  provinces  sous  le  joug  e^gnol.  Frati- 


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ctfApiTfte  xviii.  1^5 

'  çoisj  et  GcHizatez  Pizarre ,  deiis  frèpes  'égaux  en' 
(Tuauté  et  en  hardies&e ,  mais  dont  Talrié  seul 
était,  par  SCS  talents,  «apaUe  dedû'igèr  unie 
grande  entreprise,  avaient  t-eUversé  le  trôoè  diëà' 
Inca»,  et  détnitCf  antique' et  Àingnli«r  royauœi^ 
duP^vm,  «È  «toploy»*  l'aient  d^n  ■frétrfe',' 
Feibaiiil  de' Inique»,  lebibâ  de  Diégile  d^Altna-i 
gre,  et  en  pno^ant  d«8  dWisJons  ^'à^taîëhr 
l'eispiiê.  Lé  sang  ne  eessa-  paî'de''o6u!4t^V  ^^' 
cette  maUïeiireas»  teire  en  fut  itbr^ùY^ë^èliiddiit 
■vingt. ans.  Ge  ne fct  <|«'afprès  ce'  long  espace  de'iSaS 
tempst  ^ue^  sons  I«6  ordres  de-Don  Pèdre'dë'iSts. 
la  Gasoa,  &'ébublib  (tins  ces  coniTée's  ntie  ei^ètiei 
4'ord'e  soàati  et  que,  la  forcé  ptotégesaii'léè' 
jHXïJiFiétéâjet  les  personnes ,  on  'éoni'niénçaàlés' 
re!sp<£t^. 'MaisiCharlesii'xtait  paâ  joui  des.hetr-' 
reux  e£Eet8  do  cette  organisatiôiï  nouvelle.'  Hs' 
étaient  destfeés  k  fournir  de$  aliments  à  raétiVlté! 
inquiète  êt'dévoraote  de' Philippe;  .  '"' 

A.  râtte  époque  jTE^gn*  possédàft  èn'Àmë- 
tiflua.totit  lie  vaâts  tarrîto^  qwi  s'étèntl'flé^uîs 
le  irantckànquûàiiK'  ^«gré>  âe.  lÀ'trtudë'sepïeiï'-' 
trioQtle  jusqu'au  quarante -cinquième  dé  latr-' 
tude  méridionale.  Sut« '  cette  stirfecé^' dé  douze' 
cents  milles 'géogràpfaiqties  de  longuéiiir',"  là  ha-' 
ture,  pltuénei^ique.ei  plnspuis^Atè^  dlessïiie' 
toas  ses  ouvrages  d'tJn^ti^aiif&oKeif^ârilîé,  et' 
i3. 


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ig6  PABTIB    1. PÉEIODE    m. 

donne  à  tous  les  objets  de  plus  grandes  propor- 
tioas  ;  aussi  féconde  et  riche  que  forte  et  sublime , 
elle  élabore  dans  le  sein  de  la  terre  les  métaux 
les  plus  [vécieux ,  pare  le  sol  encore  vierge  d'une 
verdure  immortelle,  et  le  coiïvre  d'une. végéta- 
ticoi  inunense,  d'une  foi^e  de  productions  bien 
plus  précieuses  que  l'or.  Quelle  masse  de  tré- 
sors, de  moyens  de.cultùre  et  de  puissance  pour 
l'Espagne,  si  elle  avait  connu  les.vraîs  prhu:^>e5 
derécoaomiepoUtique,quisont  en  même  temps 
des  maùmes  de  justice  et  d'humanité,  et  qui 
enrichissent  la  nation  .qui  les  adopte,  sans  ap- 
pauvrir 1«  autres  états!  Il  Êdlait  cultiver  la 
terre',  et  ne  pas  uniquement  exploiter  les  mines; 
multiplier  le  travail,  au  ]i«i  .^e  se  contenter  d'en 
multiplier  le  signe  ; .  encourager  au  travail  par  la 
sûreté  des  choses  et  des  perscmnes;  préparer  le 
peuple  k  la  liberté,  par  la  justice;  fevoriser  la 
population  en  Amérique,  afin  de  vivifier  l'acti' 
vite  de  l'Europe ;,ex(Hter  l'industi^  des  habitants 
du  Nouveau-Monde  ^  en  les  rendant  témoins  des 
avantages  qu'elle  pitocwre^  lenr-oiivrir  des  sonr- 
ces  de  richesses,  a^n  d'augmenter  le  nacaim  de 
l^rs  beaoios  et  de  leur  foumir^les  moyens  d'a- 
chetepdaqs  tous  les.nvarchés  de  l'Europe ^  et 
créer  des  relations  de  commerce  fondées  syr  des 
intérêts  réd^oques-  Mais  ie  ^gouvernement  es- 


:,,  Google 


CHAPITRE    IVIII.'  197 

pagnol  était  .tfop  ignorant  et  trop  avide  pour 
suivre  cette  mardie.  On  ne  voulait  que  des  con- 
quêtes; U  était  facile  de  les  faire,  mais  difficile 
de  les  conserver.  On  bâtissait  des  forts,  au  lieii 
de  fonder  des  comptoirs;  on  égorgeait  les  hom- 
mes ,  au  lieu  de  les  mnltipliar';  on'  les  abrutis- 
sait ,  au  lieu  de  les  éclairer  :  il  semblait  qu'il  fut 
nécessaire  d'appauvrir  l'Amérique  pour  enrichir 
l'Espagne;  et  loin  de  permettre  aux  indigènes 
d'acheter,  de  vendre  et  "de  jouir  à  leur  gré,  on 
les  soumit  à  un  régime  prohibitif,  sévère  et  ja- 
loux, aussi  injuste  qu'impolitique.  Philippe  ne 
plaçait  la  richesse  que  dans  l'or,  et  ne  voyait 
pas  qu'en  multipliant  le  numéraire  en  Europe , 
sans  accélérer  dans  ses  états  les  progrès  de  l'in- 
dustrie ,  il  ne  Ëtîs^t  que  hausser  le  prix  de  tou- 
tes les  marchandises ,  et  se  mettait  dans  la  né- 
cesùté  de  pay^r  phi»  cher  sur  tous  les  marchés 
les  objets  de  ses  demandes.  Incapable  de  saisit 
une  idée  libérde,  il  paralysa,  par  ses  règlements, 
l'activité  des  colonies  de  l'Amérique ,  et'celle  de 
l'Espagne  «  en  donnant  aux  Espagnols  ses  pro- 
j»res  erreurs  sur  la  richesse  nationale.  Le  gou- 
vemeinent  n'accorda  son  attention  et  ses  soins 
qu'à  l'exploitation  des  mines  du  Kouveau-Moudé; 
Elles- versèrent,  sous  son  règne,  des  sommes 
immenses  dans  les  trésors  de  l'état.  Ce  fut  le 


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1^  PARTIE    I.  —  PJâRIODE    lit. 

prïacipe  de  la  prépoadiérance  politique  que  l'Ës- 
pagae  acquit  et  cous«rTa  pendant  im  denii-^è- 
cle,  et  le  moyeu  dont  .Fhifippe  m  sèrrit  pour 
ébranler  les  trônes  et  pour  ag^r  les  peuples. 
Plus  tard,  la  nature  ménie  de  ce  moyen  devait 
amener  la'  décadence  de.  la  monardùe;  mais  à 
cette  époque ,  l'or  du  Mexique  et  ae^i  du  Pérou 
purent  un  poids  décisif  dans  la  balance  générale 
des  forpès ,  jet  rinclinèrent  poiu*  Pbitippé. 

A  son  avènement  au  trône,  l'Europe  n'ofîirait 
aucune  puissance  qui  pût  le  oombaOre  avec 
succès ,  arrêter  oU  d^ouer  ses  projets  unbitieux , 
et  lutter  avec  lui  k  forces  égales. 

Le  Bortugad ,  étranger  aus  intrigues  de  la  po- 
lUique  européenne,  avait  marché,  depuis  un  «è- 
cje,  à  la  puissance  par  la  richesse,  à  la  richesse 
par  ..unp  n^yigatiiOn  active  et  un  commerce  im- 
mense. Content_d*approvisi(umer  tous  les  états, 
{et  d'imposer  à  volonté  leurs  besfâns  et  leurs 
iiaiitaisies  de  luxe ,  il  s'occupait  peu  des  mouve- 
ments et  des  projets  des  autres  peuples..  Il  ob- 
servait l'Espagne  d'un  œil  défiant,  et  redo|itait 
l'accroissement  de  sa  marine  et  de  son  commerce  : 
m^is,  ne  pouvant  l'empécher,  il  tâchait  de  con- 
server, par.  ses  caresses  et  ses  oom^^laisances, 
l'^amitié  de  ce  voisiu  dangereux ,  et  de  ressetrer 
les  lien$  du  s^ng  qui  unissaient  les  souveraine  des 
deux  royaumes. 


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CHAPlTaE    XVIII.  ir^ 

IjA  mott  de  Jean  III  avait  iait  passer  le  sceptre 
an  jeime  Sébastien.  Ce  print^  annonçait  des  dis- 
positions heurc|iKs;jcaai5  son  imagination  roma- 
nesque *  enflammée  par  le  Êmatisme  de  la  t«tigion 
et  de  la  gloire^  donnait  aux  Portugais  des  ctainleâ 
légitimes  pour  Tavenir.    . 

L'Italie  était  partagée,  entre  plosieurs  états 
faible»  it  désuoû,  dont  les  uns  tenaient  à  l'Es- 
pagpe  par  intérêt  ou  par  affection ,  les  autres 
étaient  inti|n(dé>  et  contenus  par  les  forces 
que  Philippe  entretenait  dans  le  royaume  de 
Naples  et  dans  le  Milanez.  La  révolutton  qui 
s'était  faite  dans  le  commerce  avait  enlevé  à 
Venise  une  grande  partie  de  aa  puissance,  en 
lui  fermamt  1^  source  de.  ses  ncfacsaes.  .Cette  ré- 
pi^lîque  tâchait  de  suppléer  à  la  puissance.par 
la  prévoyance,  l'habileté  et  la  lenteur;  elle  crai- 
gnait le.yoisipage  de  l'Espagne,  et  recherchait  la 
France,. aaqç  se  prononcer  hautement  ni  contre 
l'une  ni  pour  l'autre.  Les  Médicis  réglaient  à 
Florence  par  les  bieofûts  de  Chwles-Quint,  cpû 
en  avait  assqi^  la  souveraineté  au  duc  Alexandre, 
et  la  recofuuûssanoe  les  attachait  à  l'Espagne. 
GèneSi-suiTait  le  même  système  j  depuis  les  chan- 
gements que  Doiia  uvait  faits  à  sa  constitution 
et  à  ses  lois.  Le  Piùnoat  et  la  Savoie  ne  se  resr 
,  sentaient  pas  epcore  t  assez  de  l'administration 


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aOO  PARTIE    l.—r  PERIODE    III. 

éclairée  d'Emmanuel  Philibert ,  pour  oser  substi- 
tuer défi  mesures  vigoureuses  à  des  ménagements 
forcés.  Paul  IV  occupait  le  trône  pontifical.  Vieil- 
lard inquiet  et  ambitieux,  plus  instruit  du  passé 
que  du  présent,  il  voulait  Ëiire  revivre  d'anciens 
exemples,  et  Conserver  un  langage  peu  appro- 
prié à  la  révolution  générale  des  esprits. 

Après  un  règne  de  trente-six  ans ,  le  vamqueur 
de  Bhodes,  Soliman  II,  occupait  encore  le  tr^e 
ottoman;  mais  l'Âge  avait  ralenti  son  activité,  et 
les  intrigues  du  sérail  lui  avaient  fait  perdre  une 
ptfftie  de  sa  cfmsidération.  Les  Turcs  menaçaient 
plus  la  Hongrie  que  l'Espagne,  et  Philippe  ne 
s'intà«ssait  ^e  faiblement  au  patrimoine  de  son 
oncle.  Sa. marine,  fort  supérieure  à  celle  des 
Turcs,  le  rassurait  sur  leurs  projets,  et  couvrait 
lés  côtes  de  l'Espagne.- 

-  Ferdinand,  empereur  d'Allemagne,  n'avait  pas 
un  caractère  entreprenant.  Ce  prince  était  plus 
occupé  à  défendre  ses  états  béi'éditaires  contre 
les  ennemis  du  nom  chrétien,  qu'à  combattre 
les  projets  ambitieux  de  son  neveu.  Son  auto- 
rité en  Bohême  et  en  Hongrie  n'était  que  pré- 
caire ;  ses  ressources  péçuniaùes  étaient  faibles 
et  insùfHsantes,  et  l'Allemagne  avait  besoin  de 
repos  après  les  secousses  violentes  que  lui  avaient 
données  les  -ofûnions  et  les  annes.  Il  ne  fallait 


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CEAPITIiB     XVIII.'  20I 

pas  moins  que  la  modération  et  la  doucenr  de 
Eerdinand  pour  empêcher  les  haines^  plutàt 
«ssoopies  qu'éteintes,  dé^oduire  de  ntmvëllea 
exploûous.  Les  protestants,  quise-défiaieDtde 
Philippe,  et  qui  craJgnaieDt  sa  puissance,'  eus- 
sent volontiers  concouru  k  l'affaiblir;  mais  les 
Cfttlioliques  (Servaient  les  protestants  d'un  œil 
inquiet ,  et  voyaient  avec  uti  plaisir  secret ,  dans 
la  prépondérance-  toujours  ' croissante  de  l'Es- 
pagne, la.  garantie  de- leur  religion  'et-  de  leur 
culte. 

.  La  Suisse ,  où  la  pauvre  et  la  valeur  ont  de 
tout  t«nps  eoÊtnté  des  s<ddats',  permettaicà  ses  . 
braves  habitants  de  vendre  leurs  bras  etlenr  vie; 
mais  elie-raême  trouvait  «on  salut  dansTinaction^ 
Placée  entre  .la  France  et  TAutriche,  trop  faible 
pour  les  attaquer,  assez  ftH'te  pour  se  défendre, 
elle  bornait  sa  politique  à  ménager  ses  puissants 
voiùns,  et  Ëûsait  des  VOEUX  pourla  conservation 
de  l'un  et  de  l'autre. 

LaFrauce,  qui seuleavait  fait  échoiœr  une  partie 
des  plans  de  Charles-Quint,  pouvait  encore  s'op- 
poser avec,  succès  à  ceux  de  son  'fils.  Elle  venait 
de  s'agrandir  par  la  conquête  des  Trois  Évêchés'; 
et  la  trêve  de  Vauxcelles,  que  l'eiupereur  avait 
conclue  avant  sa  retraite ,  afin  de  ne  pas  léguer  la 
guerre  à  son  fils,  était  un  £aibte  lien  qui  ne  pro- 


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a03  PARTIE    l.—~  PERIODE    III. 

mettait  pas  de  rapprocher  long-tcipps  les  deux 
puissances.  Mais  les  prodigalités  de  Henri  II 
avaient  consooiqa^  io  désordre  des  fmances,  et 
déjà  l'état  nç  vivait  plus  que  d'expédients  qui 
nxultipUaieDC  se»  evbbarras.  la  cour  était  le 
théâtre  des;  intrigues,  où  les  partis  se  dispu- 
taient l'autonié,  Moutmorenci,  connétable  de 
France,  meilleur  soldat  qius  capitaine*  sévère 
jusqu'à  la  dureté,  ^  la  fois  avide  et  avare,  jouis- 
sait d;e  la  coQ&U9^  du  rc»,  et  en  al^usait  pour 
s'enrichir.  Diane  de  Poitiers  exerçait  sur  le  roi 
un  empire  absolu,  qu'elle  devait  plus  à  Son 
adresse  qu'à  ses  ,chartt>es ,  déjà,  flétris  par  Tige  ; 
elle  avait  l'art  de  lui  épargner  l'ennui  de  l'oisi- 
veté et  la  £itigue  du  travail ,  et  hii  .disait  oubli», 
dans  la  voluptueuse  retraite  d'Anel:,  ses  chagrins 
et  ses  devoirs, 

La  reine  Catt^riiue  de.  Médias,  humiliée  du 
crédit  de  sa  rivale^  supportait  les  dégoûts  de  sa 
situation  avec  une  indiffér^ice  apparente ,  et , 
ajoutant  la  fausseté  à  la  dissimulation ,  donnait 
4  Diane  4e&  marqua  de  &Tour  et  d'amitié;  mais, 
élevée  au  sein  des  artifices  et  des  intrigues,  elle 
concentrait  dans  son  cœur  les  pasàons  qui  la 
dominaleut,  les  vengeançe-Q  et  les  projets  qu'elle 
mûrissait  en  silence.  Elle  ne  sortira  que  trop  tût 
pour  le  bonheur  de  la  France,  de  cette  inaction 
forcée. 


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CHAPITKE    XVIII.  ao3 

Les  Quises  tili  I«8  piiùces  du  SQng^ijaloux  lès 
UQS  des  autses ,  se  défiaient  tous  de  Médicis ,  sui- 
vaieQt  ses  démarcl^  d'un  œil  inqMÎÈt,  et  tâchaient 
dC;  dfviner  ses  .pensées.  Au  mitieu  dé  tous  ces 
ambitieux  q|ii^  di^utâicBt  son  pouvcnr,  Henri 
se  laissait  gouverner  par  quiconque  voulait. bien 
eu  prendre  la  peûne.  Avec  de  la  vdeur  et  de  la 
bonté,  ce  prince  n'avait  aucune  de  ces  qaaKtés 
qui  commandent  l'estime,  mmtriseat  les  esprits, 
et  imposent  aux  factieux. 

.  Le  Nord  n'avait  encore  aucune  espèce  d'in- 
fluence sur  les  événements  du  Mjdi.GustaveWasâ, 
sur  le  trône  de  Suède,  et  Chrétien  III,  sur  celui 
de  Danemanck,  étaient  luiiqufment  occupés  à 
consolider  leur  ppuvoir,^  l'employantàéteindre 
le^  dissensions  politiques  et  religieuses.  Tout  en- 
tiers à  leurs  d^^ûrs  et  à  ta  aûzetétle  leurs  états, 
ils  éuieat  a^sez  indiâi^'mtS' aux  d^gers  dont 
la  grandeur  toujpurs  croissante  de  l'Espagne  me- 
naçait les  nations.  Iwan  WafôiiéTvitsch  gouver- 
ifait  la  Russie  atec  plus  de  sagesse  quç  de  gltûre , 
ignoré  de  l'Europe  et  l'tgB<xtmt  k  «on  tour.  La 
Russie  .n'était  pas  encore  comptée  au  nombre 
des  puissances.'  Sigismûnd  Auguste  avait  incor- 
poré la  Llvonie  à  la  Pcdogne.  La  Couriande  lui 
rendait  bommage  :  le  règne  du  dernitt-  des  Ja- 
gellons  avait  assez  d'éclat  pour  attacher  les  Po- 


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304  PARIIB    I. PERIODE    111. 

lonais  à  la  mixiarchie  héréditaire;  et  cependant 
ils  étaient  sur  le  point  de  l'échanger  contre  la 
moQtffchie  élective.  La  Prusse  aVait  secoué  le 
joug  de  l'ordre  Teutoniqtie,  «ans  acquérir  une 
liberté  entière  :  elle  était  devenue  un  état  sécu- 
lier, et  U' religion  luthéiienne  y  avait  été  intro- 
duite pour  k  soustraire  à  TautcHilé  des  chevaliers 
et  à  celle  dn  pape  ;  mais  le  prince  qui  la  gouver- 
nait, sous  le  titre  de  duc,  relevait  «icdre  de  la 
Pologne. 
;.  L'Angleterre  obéissait  à  Marie  ;  et  le  mariage 
de  cette  princesse  avec  HiUippe,  avait  mis  les 
forces  de  ce  royaume  dans  la  dépendance  dé  l'Es- 
pagne.. Philippe  lui  avait  demandé  sa  main ,  au 
milieu  d^  hoixeurs  que  le'  fou»  zèîe  lui  faisait 
commettre  ;  le  fanatisme  persécuteur  de  Marie 
annonçait  &  ce  prince  une  épouse  digne-  de  lui. 
Philippe,  qui  n'avait  d'autres  jouissances  que 
celles  de  l'ambition ,  et  qui  ne  croyait  pas  qu'on 
pût  payer  trop  chèrement  une  couronne,  ou- 
bliant la  personne  de  Marie ,  n'avait  vu  en  elle 
que  la  reine  d'Angletrare.  De  9on  cdté ,  Marie 
avait  été  flattée  d'être  recherchée  par  un  prince 
aussi  puissant,  et  s'était  ^t  i]tuûoD~sur  les  mo- 
tils  secrets  de  l'empressement  de  Philippe.  Ne 
désespérant  pas  d'être  aimée  de  lui ,  eUe  n'avait 
pas  oraiut,  en  l'épousant,  de  se  donner  un  maî- 


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CHAPITRE   XVIII.  305 

tre,  et  de  soulever  contre  «Ile  toute  sa  nation, 
qui  devait  redpoler  eet  étranger.  Dans  cette  oc- 
casion le  pariement  sortit  «le  son  «ommeih  II 
avait  TU  tomber  Sc»is  le  despoitisme  de  Marie  la 
liberté  :civile  et  la  liberté  réUgi^ise ,  sans  oppo- 
s^'k  moindre  résistance  k  ces  abus-de  l'autorité  ; 
miltsil  empécba  de  tout  son  pouroir  que  Phi- 
lippe, devenant  iûaaitredn-r<^aume,n'augni^tàt 
et  ne  [aolongeât  cettf;  senitude.  A  peine  ce 
prince  fut-il  anivé  en  AligleteiTe  ,-qa*il  prodigua 
l'ai^^t  pour  partager  le  trône  avec  Marie ,  et 
pour  obtenir  du  parlement  des  ee^rances  de 
succession.  La<  reine  Taf^uya  de  tout  son  cré^t  ; 
mais  la  hauteur  et  les  dédains  de  PhUippe  appri*" 
rent  aux  An^is  ce  qu'ils  pouvaient  attendre 
de  lui,  et  la  nation  ne  prit  pas  le  change  stu^ 
ses  vrais  intérêts.  C'était  en  multipHant  le»  sup< 
plice5,'que  Marie  tâdbait  de  se  Concilier  Un 
époux  qui  ne  connaissait  pas  d'autres  spectatjles 
qoe  '<tte$:auto-da-£é  r  c'était  en  encourageant  tes 
bourreaux  par  sa  présence ,  que  Philippe  lui  té- 
moigqait  sa- reconnaissance.  Depuis  que  ses  pro- 
jets ambitieux  avûent  édioné ,  il  ne  répondait' 
à  t'auiour  de  Marie  que  par  une  îndiiïérence 
profonde  qui  resseiAblait  au  mépris.  Bappelé 
par  OiarlestQuint  pour  prendre  possession  de 
aes^  états,  il  avait  quitté  avec  empressement  une  i555. 


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ao6  PARTIS    I. PERIODE    III. 

épouse  qui  le  fatiguait  pac  sa  tefldfesse.  Placé 
sur  le  tTÔoe  d'Espagne,  il  poirrak  comptei'y  poiir 
l'exéotilion  de  ses  plans,  sur-^esecoats  de  l'An- 
gtet{»T<.  A  la  venté  il  n'y  avait  aucune  espèce 
de  pouTtHT  légal ,  mais  il  exerçait  ntt  ascendant 
abaolii  sui'  l'infortanéc  Marie;  Klle  ifie  saviât  rien 
lui  feluser,  et  elle  était'  pféle  à  tout  sacrffitt 
pOur.^aire  à  son  Éngiat  époux. 
Bientôt  l'occasion  se  présenté.  Paul  IV,  de  la 
>.  maistm  de  Csvaâe,  ùccape  lé  tir6ne  pontifical. 
A  l'exemple  de  ses  ptédécesseups,  il  T«ut  créer 
k  son  neveu  un  état  indépendant.  Pourréussir, 
il  se  propose.de  boolererser  lltaïe  et  d'allumer 
la  guerre  entre  la  France  et  l'Esp^igne.  Paul,  pré- 
sente en  perspective  à  Henri  lï  ta  conc{uéte  du 
royaume  de  If^aples,  oonqnétâ  souvent .  entre- 
prise, jamais'  £aite  avec  un  succès  durable,  et 
qui  ne  (Convient  pas  à  la  France.  Les  agents  du 
pape  gagnent  .Diane  de  Poitiers  et  les  Guises. 
La  guerre  est  résolue,  malgré  les  iXMisôâs  de 
Montmorenci,  qui  veut  qo'an  téspeète  k  t^e 
de  YauxcelleS',  dans  un.  moment  où  ta  France 
ne  peut  (^mpt^r  sur  âiicnn  alKé,  oà  ses'fihan- 
ces  sont  em  désordre,  et  ses  forces  militaires 
mal  OT^nisétê.  Le  pape,  ^ùr  du'secoursdu  roi 
de  France,  n'éeoute  plus  qpe  sa  .haine  contre' 
PliUippe,,  qui  l'empêche  de.  didpose^  des  états 


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cHArrrRt  witt.  207 
de  l'Italie  en  faveur  (ïe,sa  famille,  et  s'aban- 
ffoiine  à  des  empoTMinents  puérils.  I^e  roi  dTs- 
p^iie,  seiriteur  rtligieils  de  l'Église,  trfe  i  re- 
gret IVpée  contre  le  pontife;  mais  lia  politique 
triomphe  de  ses  sâiipules.  Le  due  d'Albe  me- 
nace fiome.  'Panl,  iacap^lé  de  résister  aux 
troupea  espagaoleft.  Cède  k  la  nécessité,  et  con- 
clut avec  lenp  général  noet^ève  de  quarante 
jours. . Bsentôt  Yanivéé  de- François  de  Gnise,  iSS?. 
i|ui  raàrahe  à  son  secoOrs  à  la  tête  de  vifigt 
mille  tioninies,  lui  rend  son  htrmenr  guerrière. 
La  ipè*e  est  rompue.  Maïs  Gtrise  est  arrêté  dans 
sa  marché  par  le  diic  -d'ilbe;  son  impétuosité 
vient  se  briser'  contre  Fattitnde  calme,  fi-oidé 
et  réfléchie  du  général  espagnol.  Albe  rétùse  k 
bataffié;  et,  &tigaarït4on  ennnni  par  des  lAa^ 
nœuTres  eawantes,  il  Vbit  Faraiwe  firançaise,  qtai 
sait  tout  supporter  Iwrs  l'inaction,  se  foiidré  ■ 
par  le  découragement***  les  nlàlàdiés.  Guise, 
l'anteur  de  la  roptitte  arec  l'Éspàgne,  qui  n'a 
«u  dans'  celle  gu«tT«*  qa'ùir  enchaînement  dé 
victoire  faciles,  et  qoi  a  préféré  l'intérêt  de  ^ 
gloire  au»  intérêts  de  la  France,  se  tronVe'déçtt 
dans  ses  é&pér^ce^,  et  démande  son  ra^^el. 
On  le  lui  accorde  sanS'peiriej  car  déjà  Kitfippe  iSS?.. 
menace  l'itltérieur  ée  la  France,  et  elle  a  besoiïi 
de  toUtestSes'fbrcés  pour  se  défendre. 


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ao8  PAKTIE    I.  —  piBIODS    tll. 

Le  roi  d'Espagne,  (jui  s««t  toute  sa  supério- 
rité sur  Henri,  veut  frapper  un  coup  décisif; 
il  rassemble  une  armée  puifisaote  sur  les  fron* 
tières  de  la  Flandre,  et  là  confie  à  Philibert  de 
Savoie.  Sous  lui.  oomtoande  -Egniont.  L'Angle- 
terre, qui  redouta  l'ascendant  dominateur  de 
Philippe ,  voudrait  soutenir  la  France  dans  cette 
querelle,  ou  du  menus  rester  neutre;  mai&  Marie 
ne  le. lui  permet  pas;  elle  ne  désiré  que  les  suc- 
cès et  la  satislaction  de  Philippe ,  et  -oublie  tout 
le  reste.  Au  mépris  des  conseils  de  la  politique^ 
le  parlement,  intimidé  ou  gagi^,  résout  la 
f;uerre;  et  huit  mille  Anglais,  sous  les  ordres 
du  comte  de  Pembrocte,  débarquent  dans  les 
Pays-Bas. 

Philibert  de  Savoie,  par  de  fausses  dànon- 
stiations,  persuade  aux  Français  qn'il  veut  pé- 
■557.  nétrer  en  France  par  la  Champagne.  Ils  y  por- 
tent toutes  leurs  farces.  Ausùtôt  il  marche  en 
Picardie,  et  vient  mettre  le.^i^  devant  Saint- 
Quentin.  Cette  place  mal  fortifiée  n'annonce  pas 
une  longue  i^sist^ice;  mais  Çoligni,  (Uja  connu 
par  un  esprit: fécond  en  ressources,  un  courage 
opiniâtre  et  upe  sérénité  ,d'ax9.e  qui  le  met  à 
-  ^  l'abri  de  l'ivresse  des  succès  et  de.  r^tbattement 
des  revers,. se  jette  daqs  la  iorteresise^  et-&it 
une    superbe    d^ei^e.  ,Mootmoraipi   accourt. 


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cqapithe  XVIII.  309 

^UF  sauver  la  place.  L'infériorité  de  ses  forces, 
ses  mauvîtises  dispositions  et  l'activité  de  Phili- 
bert font  échouer  cette  entr^rise.  La  bataille 
s'engage  près  de  SaintrQuqntin.  Le  connétable 
est  battu  et  fait  prisonnier.  Philippe,  k  qui  la 
nature  avait  refusé  le  courage  du. tempérament, 
et  qui  n'avait  pas  s)i  se  donner  à  lui-même,  par 
la-  force  de  sa  remonté ^  le  courage  réfléchi,  s'é- 
tait tenu  loin  du  champ  de  bataille,  et  avait 
prié  pendant  que  les  autres  combattaient  C'était 
le  jour  de  la  Saint-Laurent.  Pendant  l'ardeur 
de  la  mêlée,  il  avait  fait  vœu,  si  ses  armes  étaient 
victorieuses,  d'élever  un  cloître  et  un  palais  en 
rbouueùr  dii  saint,  et  il  devait  en  conter  des 
sommes  immenses  à  l'Espagne,  pour  Construire, 
dans  un  désert,  l'Escurial,  vaste  et  triste  édifice, 
que  des  moines  partagent  avec  le  souverain , 
monument  digne  de  Philippe  et  qui  porte  l'em- 
preinte de  son  caractère.  , 

Non-seuleinent  te  roi  d'Espagne  »'a  pas  su 
vaincre  lui-même ,  et  il  doit  uniquement,  son 
triomphe  à  Philibert;  sa  timidité  naturelle  et 
sa  basse  jalousie  arrêtent  ce  général, au  mi- 
lieu de  ses  succès.  Déjà  Saint-Quentin  et  le 
Catelet  se  sont  rendus;  la  terreur  se  répand  1557. 
dans  Paris  menacé.  Charles-Quint  aurait  pé- 
nétré dans  la  capitale;  Philippe  sauve  lui-même 
2  i4 


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3IO  PARTIE    I. PÉRIODE    III. 

la  France,  «t  la  bataille  de  Saint-Quentin  de- 
meure sans  aucune  suite  importante.  Au  milieu 
de  la  consternation  générale,  au.sein  d'un  hiver 
ligonreux.  Guise  rend  la  confiance  aux.Fran- 

i5S8.  çais,  et  s'empare  par  surprise  de  Calais,  la  clé 
du  royaume.  Les  Anglais  possédaient,  depuis 
plus  de  deux  cents  ans,  cette  ville,  qui  leur  avait 
souvent  ouvert  la  France.  Dans  la  campagne 
suivante.  Guise  assiège  Ttiionville  et  veut  porter 
la  guerre  dans  les  états  de  Philippe  ;  mais  la  dé- 
Ëiite  du  maréchal  de  Thermes,  vaincu  par  le 

•Muoi'  comte  d'Ëgmont,  près  de  Gravelines,  oblige  le 
'  héros  lorrain  à  revenir  couvrir  les  frontières  de 
la  France. 

Malgré  ses  victoires,  Philippe  son^  à  la  paix. 
Son  orgueil  souffre  de  la  gloire  de  ses  gén^ 
raux,  et  il  ne  voit  dans  leurs  services  et  leurs 
succès,  que  des  preuves  humiliantes  de  sa  dé- 
pendance et  de  sa  nullité  militaire.  D'ailleurs, 
sa  conscience  est  alarmée  de  ce  qu'il  tait  la 
guerre  au  pape,  et  les  triomphes  qu'il  remporte 
sont  à.  ses  yeux  de  véritables  crimes.  Paul  IV 
profite  de  ces  heureuses  dispositions;  U  conclut 
une  paix  honorable  avec  le  roi  d'Espagne ,  et 
abandonne  son  allié.  Le  superbe  duc  d'Albe  est 
obligé  d'aller  demander  pardon  à  genoux  au 
Saint  Père  de  ce  qu'il  a  repoussé  une  injuste 


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CHAPITRE    XYIII.  211 

agression.  Montnioreii(A,  prisonnier  chez  les 
Espagnols,  qui  a  toujours  été  contraire'  à  la 
guerre  et  qui  désire  de  i«cOuTrer  sa  liberté, 
presse  Henri  de  tout  sacrifier  à  la  paix.  Le  r6i 
de-  France  y  consent;  on  entame  des  confé- 
rences à  Cercamp ,  et  ta  paix  est  signée  à  Câ- 
teau-Cambresis.  Philippe  rend  à  la  France  tontes  i&Bg. 
les  conquêtes  qu'il  a  faites  en  Kcardie.  Henrï 
restitue  au  duc  de  Savoie  ses  états  dont  il  s'est 
emparé  au  commencement  de  la  guerre  et  cède 
en  tout  à  Philippe  et  à  ses  alliés  cent  quatre- 
vingt-cinq  places  ouvertes  ou  fortifiées.  On  coli- 
clut  un  double  matiage  pour  sceller  la  pacifi- 
cation générale.  Emmanuel  I^ibeit  épouse 
Marguerite,  sœur  de  Henri;  Elisabeth,  sa  fîlle, 
s'Anit  au  roi  d'Espagne.       r 

La  paix  de  Càteaa*Cambresb  est  l'épckjue  de 
la  plus  haute  élévation  de  l'Espagne;  Philippe, 
à  l'apogée  de  sa  puissance,  pouvait  dicter  des 
lois  à  l'Europe.  L'épuisement  ou  tafaiblesse-des 
autres  états  formait  un  contrasté  frappant  aveé 
ses  immenses  moyens  et  ne  permettait  pas  aux 
autres  puissances  de'contre-balancer  son  ascen- 
dant. Ses  projets  vont  s'étendre  avec  ses  succès; 
et  la  mesure  de  ses  forces  deviendra  celle  de 
ses  prétentions  et  de  ses  droits.  Toils  les  états 
«ont  asservis  ou  craigne'nt  de  l'être,  'et  te  ca- 
■4. 


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3la  PAHftB    r. PERIODE    III. 

ractère  de  Philippe,  bien  loin  de. rassurer  sur 
l'usage  qu'il  pourra  faire  de  ses  forces»  n'est  lui- 
même  qu'un  danger  de  plus.  ■■ 

Dans  ces  circonstances  critiques,  )a  France,» 
le  malheur  de .  perdre  son  roi.  Heiui  II  meurt 
des  suites  d'une  blessure  qu'il  reçoit  dans  un 
tom-noi,  dont  l'objet  est.de  célébrer  le  double 
mariage,  et  un  coup  de  lance  de  Montgommeri 
amène  pour  les  Français  un  demi-siècle  de  ca- 
lamités. Henri,  incapable  de  suivre  en  adminis- 
tration une  marche  ferme  et  sûre,  n'ei^t  jamais 
feit  le  bonheur  de  son  royaume;  mais  il  l'aurait 
préservé  de  l'excès  du  malheur,  et  son  existence 
seule  eût  prévenu  les  factions ,  et  arrêté  les  pro- 
jets des  ambitieux  qui  vont  couvrir  la  France 
de  sang  et  de  ruines. 

La  mort  de  Henri  II  donne. à  Philippe.de 
grandes  espérances',  'hâte  le  développement  de 
ses  plans,  et  lui  fait  présumer  qu'ils  ne  rencon- 
treront de  résistance,  nulle  part.  Ce  prince  con- 
naissait à  fond  la  'corruption  de  la  cour  de 
France,  les  vues  secrètes  de  Médicis,.les  vastes 
désirs  des  Guises,  l'orgueil  et  la  jalousie  des 
partis,  U  haine  réciproque  des  catholiques  et 
des  protestants.  Ces  divisions  naissantes  le  ré- 
jouissent; il  prévoit  que  la  France,  tomnant  ses 
forces  contre  elle-même,  perdra  toute  espèce 


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CBAPITItE    XTIII.  al^ 

d'inâuende  politique  et  ne  sera  bientôt  plus 
qu'un  champ  dé'  bataille  où  toutes  les  passions 
déchaînée^  se  liTreront  de  cruels  combats.  Il  se 
propose  de  hâter  l'explosion  dont  elle  est  me- 
nacée, d'allumer  ,ef  de  prolonger  la  guerre  ci- 
vile, de  prendre  le  fanatisme  et  le  crime  à  sa 
solde,  de  détni^e  les  factions  l'une  par  l'antre, 
et  d'amener,  par  toutes  sortes  de  moyens,'  le 
démembrement  de  la  France ,  ou  d'ajouter  cette 
couronne  brillante  à  toutes  celles  qui  chargent 
déjà  sa  tête. 

■  L'Angleterre  lui  échappe  et  cesse  d'être  l'ih- 
strumenl  docile  d^son  ambition.  Marie,  consu- 
mée de  chagrin,  de-douleur  et  de  remords,  a 
terminé  sa  triste  et  coupable  vie.  Sa  sœur  Élisa-  i558. 
b«th  lui  a  succédé.  Philippe,  ^i  la  connaît  mal , 
espère  encore  l'épouser  et  conserver  l'Angleterre 
dans  sa  dépendance;  au  défaut  de  ce  mariage,  il 
veut  seroet  la  désunion  et  le  trouble  diins  le 
royaume,  afin  de  l'empêcher  de  se  mêler  des  af- 
faires Je  l'Europe,  et  d'entraver  de  toutes  ma- 
nières le  commerce  de  l'Angleterre,  qui  pourrait 
la  conduire  à  la  richesse  et  à  la  puissance. 

Pendant  qu'il  naturalisera  chez  ses  voisins  1a 
discorde  et  la  guerre ,  il  compte  établir  dans  ses 
propres  états  l'uniformité  de  croyance,  de  con- 
stittition  et  de  lois.  Une  seule  volonté  doit  ani- 


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al4  PARTIE    1.  PÉHJODE    111. 

mer  le  va^te  corps  de  la  monarchie  ;  supérieure 
à  toutes  le»  formes ,  elle  doit  ne  rencontrer  d'ob- 
stacles ni  d'opposition  nulle  part  et  agir  partout 
avec  la  même  promptitude  et  la,mème  énergie. 
Le&  Pays-Bas,  qu'il  hait,  parce  que  le  peuple  y 
est  quelque  chose  et  que  les  caprices  du  prince 
n'y  font  pas  la  loi,  doivent  être  dépouillés  de 
leurs  privilèges  et  subir  le  joug.  Maître  absolu 
dans  ses  états,  il  pourra  d'autant  plus  facilemept 
le  devenir  chez  les  autres  et  exiger  d'eux  une 
soumission  servile .  Ce  plan  est  vaste ,  mais  les  cir- 
constances paraissent  le  favoriser;  il- est  vague, 
mais  les  passions  n'en  forment  pas  d'autres ,  et 
il  faut  donner  quelque  chose  aux  événements. 
L'Eun^e  est  menacée  d'un  despKitisme  sans  bor- 
nes et  sans  mesure.  Heilri  IV',  Guillaume  de 
Nassau,  Elisabeth  la  sauveront  dç  la  servitude, 
tout  en  régénérant  leur  patrie;  et  ce  colosse  de 
puissance  ne  sera  plus  qu'un  grand  ^ntônae. 


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CUAPITBZ    XIX. 


CHAJ»ITRE  XIX.         . 

Ëtut  de  la  France  à  l'époque  de  la  naissaoœ  des  troubles 
civils.  Considérations  générales  sur  ces  troubles.  Carac- 
tères des  principaux  acteurs. 

A.  la  paix  de  Câteau-CailQbresis,"la  France  avait 
déjà  perdu  de  son  crédit  politique ,  et  avait  trahi 
elle-même  le  secret  de  sa  faiblesse.  Les  guerres 
civiles  qui  la  désolèrent  pendant  trente-huit  ans , 
achevèrent  dé  lui  enlever  son  influence.  Occu- 
pée à  se  déchirer  de  ses  propres  mains,  elle  ne 
joua  pendant  long-temps  aucune  espèce  de  rôle 
sur  lé  grand  théâtre  de  l'Europe;  sans  idtces, 
sans  activité,  sans  considération,  elle  fut  agitée 
dans  l'intérieur  et  nulle  au  dehors.  En  y  fo- 
mentant tes  troubles  par  son  or,  ses  agents  ei 
ses  armes,  Philippe  se  délivra  d'une  rivale  in- 
commode dont  il  redoutait  ta  surveillance  ;  mais 
ce  ne  fut  pas  pour  toujours.  Au  moment  oiî  il 
croyait  que  la  France  allait  être  démembrée  ou 
qu'elle  tomberait  sous  son  pouvoir,  le  génie  de 
Henri^  IV  t'arrêta  sur  le  penchant  de  l'abyme, 
et«  ta  relevant  avec  force,  lui  rendit  sa  vigueur 
première. 


DiailizodbvGoOglc 


al6  VARTIB     I.   PÉniODE     111. 

Les  guêtres-  dont  nous  allons  présenter  l'es- 
quisse, oOrent  un  enchainement  de  crimes  et  de 
fureurs,  qui  paraîtraient  inexplicables  si  Ton  ne 
jetait  d'abord  un  coup-d'œil  sur  l'état  de  laFraoce,  ' 
à  l'époque  malheureuse  où  commencèrent  les 
discordes  civiles. 

Depuis  le  règne  de  Louis  XJ ,  l'aristocratie  féo- 
dale avait  perdu  de  son  pouvoir;  biais  il  était 
iadle  de  prévoir^ue  sous  un  règne  faible  elle 
pourrait  encore,  devenir  redoutable.  Les  guerres 
extérieures  -avaient  occupé  an-dehors  l'activité 
inquiète  de  la  noblesse.  Les  expéditions  brillan- 
tes et  stériles  de  Charles  VIII ,  de  Louis  XII  et 
de  Fran<;ois  I ,  en  Italie,  avaient  fourni  des  ali- 
meats.  à  la  valeur  bouillante  de  la  nation  el;  à 
son  amour  pour  la  gloire.  Impatiente  du  repos, 
elle  désirait  de  nouveaux  événements,  et  l'état 
avait, tout  à  craindre  de  cette  disposition  des  es- 
prits. Les  vertus  de  Louis  XII  avaient  commandé 
le  respect;  les  qualités  brillantes  et  les  défauts 
aimables  de  son  successeur  lui  avaient  gagné  les 
cœurs  ;  la  Trance  leur  avait  pardonné  les  fautes 
et  les  malheurs  de  leur  règne;  et  au  milieu  des 
crises  les  plus  terribles ,  tout  était  resté  tranquille 
et  sojimis.  Mais  les  anciennes  habitudes  n'étaient 
pas  détruites;  les  maximes  dominantes  étaient 
toujours  les  mêmes,  et  devaient  amener  des 


DiailizodbvGoOgle 


CUAPITHE     XIX.  217 

troubles  sous  des .  piùiceS  qui  n'iD^ireraient  ni 
restitue  ni  t'amour.La  noblesse  conservait  encore 
des  moyens  de  résistance  et  même  des  moyens 
d'agression  qui  pùuvaientau  besoin  lui  &irè  es- 
pérer de  combattre  avec  succès  l'autorité  royale. 
Les  esprits  avaient  plutôt  été  disti^ts  de  la  ré- 
volte .qu'accoutumés  à  l'obéissance.  Le  goût  des 
plaisirs  tranquyies  et  délicats  ne  t'emportait  pas 
encore  sur  le  besoin  du  mouvement,  du  bruit 
et  de  ragita.tion;  Les  seigneurs  riches  vivaient 
beaucoup  plus  dans  leurs  terres  qu'à  la  cour ,  et 
y  jouissaient  d'un  grand  pouvoir  et  d'une  entière 
indépendance.  Ceiix  mâne  qui  s'étaient  engagés 
dans  le  tourbillon  des  intrigues ,  désiraient  plus 
la  puissance  que  la  £aveur,  et,  employant  pour 
réussir  à  la  cour  les  moyeifs  qu'ils  avaient  de 
se  faire  craindre ,  ils  aimaient  mieux  intimider' 
et  menacer  le  souverain  et  ses  ministres  que  de 
les  flattep.  Déjà  sous  le  règne  de  Henri  II  les 
partis  avaient  pris  naissance,  et  sous  celui  de 
son  successeur  ils  devsùent  se  prononcer  plus 
fortement.  ■  .     - 

La  puissance  de  la  noblesse  et  son  esprit  fac- 
tieux ne  trouvaient  pas  encore  dans  le  tiers^tat 
le  contre-poids  nécessaire  pour  les  arrêter.  Celte 
classe  avait  acquisdu  cré<£t  et  de  la  considéra- 
tion à  mesure  que  l'industrie  et  le  commerce 


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aiS  PA.RTIB    1. PERIODE    111 

avaient  ^t  des  progrès  ;  mais  elle  n'était  ni  assez 
riche  ni  asses  Dombreuse  pour  contre-balancer 
l'ascendant  des  propriétaires  terriens.  Les  boun 
geois ,  peu  éclairés  sur  leurs  vrais  intérêts ,  ne 
savaient  rien  refuser  à  l'éclat  d^une  haute  ziais- 
sanœ  ou  dHin  nom  illustre.  Familiarisas  avec  Içs 
exercices  militaires  et  encore  étrangers  aux  dou- 
ceurs d'une  vie  pacifique  et  molle ,  ils  aimaient 
le  inëtier  des  armes ,  et  il  était  facile  de  les  en- 
gager dans  des  entreprises  hasardeuses.  Les  gen- 
tilshommes  sans  propriété ,  placés  dans  la-dépen- 
dance des  seigneurs  opulents  et  ne  vivant  que 
de  leurs  bienfaits  j  épousaient  toutes  leurs  pas- 
sions. Le  paysan  était  serf  et  obéissait, 

À  la  vérité,  le  i>oi  entretenait  une  armée  per- 
manente, .qui  devait  protéger  tous  les  ordres  de 
l'état  et  les  contenir  tous  dans  de  justes  limites; 
mais  cette  armée  était  petite  etiaible.  En  temps 
de  guerre  on  soldait  des  Jroupes  étrangères,  et 
l'on  comptait  sur  rempreaiemBiit  des  Tolontai- 
res.  Sous  les  règnes  précédents,  les  revenus  n'a- 
vaient pas  sufi&  pour  couvrir  les  dépenses;  l'étal 
se  trouvait  endetté  de  quarant&rdeux  millions  de 
livres;  le  produit  des  domaine»  et  de  la  taïUe 
avait  été  porté^au  plus  haut  degré  possible.  L'as- 
semblée des  états  du  royaume  aurait  pu  prévenir 
ces  désordres  ou  les' corriger,  si  la  constitution 


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CHA^PlTfiE    XIX.  219 

avait  été  orgmisée  aT«<*  plus  de  sagesse;  maïs 
les  trois  ordres,  presque  toujours  divisés,  -ne 
faisaient  que  s'accuser  les  uns  les  autres,  ou  ae 
défendre  contre  leurs  entreprises  réciproques. 
Tout  le  monde  gémissait  des  maux  qui-  affli- 
geaient le  royatnne,  et  personne  ne  voulait  se 
prêter  aux  sacrifices  ^nécessaires  pour  les  guérir. 

Dans  un  tel  état  de  choses ,  la  tranquillité  pu» 
blique  n'était  riennioins  qu'affermie,  et  il  ne  de-r 
vait  pas  être  difficile  à  des  ambitieux  de  profiter 
d'un  règne  hihle  pour  aotener  de  gi^Bds  mou- 
vements :  il.  ne  leur  fallait  qu'une  oçcaûon  ou 
UD  jH^te^te,  la  religion  le  leur  fournit. 

La  réforme  avait  déposé  en  France  des  germes 
funestes  de  désunion  et  de  troul>les.  Les  opi- 
nions nouvelles  avaient  pénétré  dans  le  royaume 
dès  tes  premières  années  du  règne  de  François  1. 
Une  nation  active ,  qui  aime  la  nouveauté ,  parce 
qu'elle  a  le  besoin  d'exercer  ses  forces,  et  qui 
hait  l'uniformité ,  parce  tpi'elle  redoute  l'ennui, 
devait  bien  accueillir  les  idées  des  réformateurs: 
aussi  la  doctrine  des  protestants  se  répandit  de 
bonne  heure  en  France  et  y  compta  bimtôt  de 
nondoreux  partiàans-  Les  censures  de  la  âor- 
bonne ,  le  zèle  peu  éclairé  du  chancelier  DupraC 
et  de  l'archevêque  Toumon ,  ne  firent  qu'irriter 
les  esprits  et  réveiller  l'attention  géniale.  Fran- 


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aaO  PARTIE    I. PÉRIODE   III. 

çois,  qui  «royait  avec  Ai  siècle  qu'il  fallait  pu- 
nir ceux  qui  s'écartaieat  des  opinions  reçues, 
comme  ceux  qui  violaient  les  lois  civiles,  peF- 
mit  que  les  bûchers  s'allumassenrt,  et  les  |>ersé- 
cution»  multiplièrent  les  sectaires.  Marguerite  de 
Navarre ,  sœur  du  roi ,  qui  joignait  à  des  mœurs 
peu  sévères  un  esprit  avide  d'instruction ,  tem- 
pérait la  rigueur  de  son  frère.  La  doctrine  des 
protestants  lui  inspirait  un  intérêt  de  curiosité , 
et  ce  fut  elle,  qui  protégea  Calvin.  Les  principes 
de  ce  réformateur  avaient  feit  en  France  une 
fortune  prodigieuse.  Son  origine  française,  la 
tangue  qu'il  parlait  et  dans  laquelle  Jl  écrivait, 
la  proximité  du  lieu  oà  il  établit  le  siège  de  la 
religion  nouvelle,  ses  connaissances  et  son  ac- 
tivité disposaient  les  Francis  à  le  suivre  préfé- 
rablement  à  Luther;  aussi  le  calvini»ne  fwit  ra- 
dine dans  -toutes  les  provinces  du  royaume.  Une 
tolérance  éclairée  eût  prévenu  tous  tes  malheurs. 
Avec  de  la  fermeté  et  de- la  justice,  le  gouverne- 
ment eût  assuré  la  liberté  des  particuliers  et  le 
reposide  l'état  i.mais  les  cruautés  affreuses  que 
le  '  baron  d'Oppède ,  président  au  parlement 
d'Aix,  exçrça  sur  les  malheureux  Vaudois,  peu- 
plade innocente  et  simple,  qui  jusqu'alqr»  avait 
vécu  ignorée  et  heureuse  au  sein  de  ses  monta- 
gnes, révoltèrent  tous  ceux  qui  n'avaient,  pasi 


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CUAPrrilE     XIX.  331 

abjuré  toute  humanité ,  et  de  la  haine  des  per- 
sécuteurs beaucoup  de  gens  passèrent  à  la  haine 
de  leur  culte.  Les  églises  réformées  prirent  des 
accroissements.  On  en  vit  naître  à  Lyon,  à  Bor- 
deaux,  à  Angers,  à  ï^ris  même.  Des  hommes 
distingués  par  leur  rang ,  leurs  richesses  et  leur 
crédU,  se  faisaient  un  honneur  d'être  comptés 
au  nomla^  des  sectateurs  de  la  doctrine  nou- 
velle. Henri  II ,  aussi  cruel  que  son  père  envers 
les  réformés  et  phis  inconséquent  que  lui,  s'al- 
liait avec  les  protestants  d'Allemagne  et  sévissait 
contre  ceux  de  France.  On  les  traitait  comme 
dés  malfaiteurs  ;  les  prisons  étaient  remplies  de 
victimes  du  &ux  zèle  ;  souvent  on  les  punissait 
du  dernier  suppHce;  Anne  du  Bourg,  neveu  dn 
chancelier  de  France,  d'une  des  plus  illustres 
maisons  d'Auvergne,  fut  arrêté  à  Paris  avec 
quatre  autres  personnes  considérées  dans  Téglite 
calviniste.  Malgré  ces  rigueurs ,  les  idées  nou- 
velles circulaient  en  France  avec  la  plos  grande 
rapidité.  Beaucoup  de  gens  croyaient  qu'il  fal- 
lait n'avoir  que  des  raisons  bien  faibles  à  leur 
opposer ,  puisqu'on  employait  contre  elles  le  fer 
et  le  feu.  Il  y  avait  une  sdrte  de  hardiesse  à 
professer  le  calvinisme  ;  ce  fut  un  motif  pour  les 
esprits  ardents  et  fiers  de  l'adopter  avec  empres- 
sement. Le  devoir  défendait  de  composer  avec 


DiailizodbvGoOgle 


aaa  partie  i.  —  p^HtooE  iji. 

la  venté  ;  la  résistance  aux  toi»  parut  un  acte  de 
vertu  ;  et  chaque  exemple  de  courage ,  inspirant 
de  l'admiration,  multipliait  les  sectaires  et  pro- 
voquait des  oppositions  nouvelles. 

Telle  était  en  Tran<^e  la  disposition  des  esprits , 
lorsque  Henri  II ,  quVin  pleura  sincà'emeat,  sans 
l'avoir  estimé  pendant  sa  vie, .laissa  le  trône  à 
un  prince  encore  enfant.  Les  têtes  étaient  exal- 
tées, les  cœurs  exaspérés  et  aigris;  il  y  avait 
dans  toutes  les  provinces  uii  levain  de  fermen- 
tation et  de  troubles ,  dont  les  ambitieux  pou- 
vaient habilement  profiter. 

Ce  serait  à  tort  qu'on  accns^ait  la  religion  des 
forets  inouis  et  des  longues  infortunes  dont  la 
France  fut  le  théâtre  dans  ce  siècle.  Le  fana- 
tisme ,  cette  .affreuse  maladie  de  l'esprit  humain , 
qui  nak  de  la  corruption  des  principes  les  plus 
salutaires ,  se  montre  partout  où ,  sur  des  objets 
importants,  un  peuple  vif  et  impétueux  n'a  que 
des  idées  vagues  et  confuses.  Les  sdences,  tes 
arts ,  la  politique ,  ont  eu  leurs  fanatiques  comme 
la  religion  ;  et  s'ils  avaient  toujours  disposé  de 
la  force ,  ils  en  auraient  tous  abusé.  Tous  les  fa- 
natiques indifféremment,  ne  voyant  quun  seul 
objet,  croient  que  le  but  légitime  les  moyens, 
«t  qu'on  peut  tout  se  permettre  pour  le  succès 
de  la  cause  qu'on  défend.  Du  moment  où  les 


DiailizodbvGoOglf 


CHAPITRE   XIX.  aa3 

honunes  se  persuadent  qu'il  y  a  quelque  chose 
de  plua  impérieux  et  de  pluj  nécessaire  que  les 
obligiitions  saintes  de  la  loi  de  Dieu,  et  où  l'i- 
vresse «st  telle  que  les  idées  du  juste  s'effacent 
et  se  confondent,  l'espèce  humaine  doit  trem- 
bler; car  la  sauve-garde  du,  droit  une  fois  enle- 
vée, elle  est  menacée  des  plus  grands  malheurs. 
D'ailleurs,  le  fanatisme  religieux  fut  plutôt  le 
moyen  que  le  motif  des  guerres  civiles  de  France. 
Daui  cette  sanglante  période  de  l'histoire,  les 
vrais  faqatiques  furent  les  instruments  ou  les 
victimes  et  les  dupes  de  l'ambition  de  leurs 
chefs  qui  jouà:«nt  le  fanatisme;  les  têtes  froi- 
des employèrent  les  esprits  ardents  à  leurs  vues 
personnelles.  Il  en  est  de  même  dans  tous  les 
siècles.  Les  passions  se  ressemblent  toujours  ; 
elles  .ne  changent  que  de  masques  et  de 
moyens.  A  cette  époque  elles  trouvèrent  l'arme 
de  la  religion  toute  préparée,  elles  s'en  ser- 
virent. 

On  pourra  s'étonner  de  voir,  tous  les  partis 
combattre  sans  scrupule  leur  souverain  légitime; 
mais  dans  les  commencements  des  troubles,  la 
masse  des  protestants  croyait  qu'un  souverain 
qui  refiise  à  ses  sujets  la  liberté  de  culte ,  est  lui- 
même  en  révolte  contre  l'Étre-Suprème  ;  et  ils 
étaient  persuadés  que  les  lois  de  la  religion  doi- 


i:,,G00gIf 


a'i4  PARTIE    I. PIÉHIODK   III. 

vent  l'emporter  sur  les  lois  civiles,  et  des  inté- 
rêts éternels  sur  des  intérêts  temporaires.  Les 
chefs  des  protestants  et  des  catholiques 'n'avaient 
pas  sur  l'autorité  royale  les  idées  qui  devinrent 
dominantes  en  France  depuis  Henri  lY,  et  sur- 
tout pendant  le  règne  de,  Louis  .XIV;  ils  regar- 
daient comme  une  maxime  incontestable  que, 
dans  certaines  occasions,  la  noblesse  pouvait  dé- 
fendre ses  droits  à  main  armée.  D'ailleurs,  dans 
tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays  du  monde , 
le  plus  petit  nombre  obéit  au  souverain  par  prin- 
cipe et  par  devoir  ;  l'opinion ,  la  force  et  l'habi- 
tude sont  les  trois  grands  ressorts  de  l'obéissance. 
Or,  il  n'y  en  avait  aucun  qui,  à  la  n»ssance  des 
guerres  civiles ,  ne  fut  usé  ou  détruit  en  France. 
L'opinion  était  pervertie ,  et,  marchant  en  sens 
contraire  à  la  soumission ,  approuvait  et  hono- 
rait même  les  réfractaires.  La  force  éta'it  pour  le 
moins  partagée  également  entre  le  roi  et  ses  su- 
jets rebellés.  T^e  plus  puissant  de  tous  les  liens,  le 
plus  lent  à  se  former,  celui  qui  demande  le  plus 
de  ménagements  j  l'habitude,  fut  brisé  dès  que 
l'exemple  de  la  révolte  eut  été  une  fois  donné 
avec  succès.  > 

Peu  de  guerres  ont  été  plus  sanglantes  et  plus 
cruelles.  Les  deux  partis  se  sont  rendus  coupa- 
bles d'inhumanité,  et  souvent  les  protestants 


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CHAPITHE    XIX.  3l5 

ont  été  aussi  l>arbares'que  les  catholiques.  La 
Saiol-Battbéleinî  met  sans  contredit  un  tenible 
poids  dans  le  bassin  qui  porte  les  crimes  des  ca- 
tholiques ;  mais  des  deux  côtés  on  s'est  baigné 
dans  le  sang ,  quelquefois  mânoeavec  une  cruauté 
froide  et  gratuite.  Ce  caractère  est  conrauii  à 
toutes  'les  guerres  civiles  :  «Iles  sont  toujours 
plus  atroces  qne  les  autres.  I^eur  naissance  seule 
suppose  déjà  la  plus  grande  force  des' passions 
haineuses  et  malfaisantes  ;  il  n'est  donc  pas  éton- 
nant que  ces  passions  y  déploient  une  activité 
plus  eflirayaote  que  dans  tes  guerres  ordinaires. 
Les  citoyens  d'un  même  état  ne  se  pardonnent 
pas  dé  s'attaquer  réciproquement','  et  par  con- 
séquent ils  s'attaquent  avec  plus  de  fureur.  Plus 
l'union  a  été  intime ,  plus  les  anîmosîtés  sont 
(»ofondes  et  dural^es.  D'ailleurs,  les  guerres  de 
peuple  k  peuple  se  font  selon  certaines  règles, 
sur  quelques  points  d'un-  pays  et  pendant  une 
partie  de  l'année;  au  contraire,'  la  gneire  eivile 
fait  de  tonte  une  contrée  un  vaste  champ  de 
bataille;  comme  les  ennemis  se  touchent  par 
tous  les  points,  les  combats,  les  incendies,  les 
assassinats  se  multiplient  et  s'exercent' en  même 
temps  dans  mille  endroits'  différents.  Le  cnme 
et  la  violence  promènent  partout  leurs  fot'eurs 
et  ne  se  reposent  jamais.  On  sacrifie  tout  mi  dé- 
a  i5 


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aâ()  PARTI*     I..,— .^  PiBIODK     m. 

»r  de  vaincre.  Chaque  indivùlu  se  dépouille  et 
se  ruine  volontau^méot  poiv  satù&ire  là  pasaion 
qui  ranime.  Une  nation  fait  la  guerre,  non-^eii- 
lement  avec  Bon  revenu ,  mais  avec  son  capital. 
IXurant  cette  malheureuse  époque,  ta  France  a 
fxâa  quelquefois  sur  pied,  en  même  temps,  qua- 
torze armées  dUSfdrentes.  Sous  f^wiçois'  I,  deux 
campagnes  la  mettaient  bors  d'était  d'en  faire  une 
troisième,  et  elle  a  suiB  aux  dépenses  de  la  guerre 
civile  pendant- trente>huit  ans.  ' 

Il  e^  extrêmement  difficile ,  dans  l'histoire  des 
troubles  religieux  de  la  France ,  de  découvrir  la 
véiité  'an  milieu  dea'  récits  contradictoires  des 
éorivains  de  tows  Its  partis,  et  de  dédder,  dans 
cltaque  cas  particuber,  qui,  de«  cathoUques  o» 
des  .protestants,  ont  été  les  agresseurs.  Des  deux 
CÔtéa,  on  veut  persuader  qu'on  ne  fait'  que  se 
défendre-  lorsqu'on  attaqué  ;  on  prête  des  cchu- 
plots  à  son  adversaire  pour  justifier  ceux  que 
l'on  forme  soi'mèmQ,  et  l'on  pàndl  céder  k  la 
nécesaitédes  einromt^ices,  quand  tAi  a  préparé 
de  tow,  et  aveo  beaucoup  d'art,  de  nouvelles 
ruptureSf       ■   ■       . 

Le»  prétextes  àea  troubles  ont  toujours'  ét^ 
les  mêmes,  pendamt  toute  la  dui^  des.  guerres 
fàyileftt'  et  l'on  a  toujours  îavoqué  ta  religion, 
la-  patrie,  l'int^^t  gén^vl , ^ pendant  qu'on  sa- 


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CHAPITRR    SIX.  337 

Tifiait,.<li»s  le  fait,  aux  paaeions;  mai»  ^cbjet 
xéel  des  dissotsions  a-  changé  tnAa  fois  de  nature. 
Sôu»k  règne  de  François  II,  et  duvant  la  naiio- 
rité  de  Charles  JX ,  il  s'agissait  de  savoir  quij  des 
Guises,  des  pmices  du,$ang,ou  deCatbatnçde 
Hédicis,  serait  maître  du  royaijiiM.  DepuU  la 
mort.de  Condé  jusqu'à  la  naissance  de  la  ligue, 
on  s'es^  battu  pour  décider  -si  la  France  acïait 
cadiolique  ou  protestante;  ce  êat  uà  con^t  à 
mort  enb«  les  deux  religicNis^  tout»  deux  vou- 
laieat  asseoir  leur  doqùnation  sur  la  ruiné  totale 
de  leur  emieniie.  Lorsqu'c»t  vit  que  la  maison 
de  Valois  allait,  s'éteindre  et  que  le  sceptre  pas- 
serait aux  Bourbons,  surtout  depuis  l'assassinat 
de  Henri  lll,  on'  se  divisa  sur  la  ^ndé  qaes-^ 
tiou  de  la  succession  au  tràne;  et  le- bon  génie 
de  la  France,  qui  voulait assiu«r  le scpptre  à l'hé>- 
ritier  légitime,  au  roi  de  Navarre,  lutta' pendant 
quatorze  ans  contre  le  mauvais  génie  dec^ux 
qui  demandaient  un  changement  de  dynastie,  et 
qui  combattaient  pour  l'Espagne,  et  pour  les  Gui- 
ses. La  paix  de  Vervins  termiiba  cette  ItHÏgiie  et 
p^ibte  lutte i  la  cause  des  lois  fut  victoriens»; 
les  vrais  priacipesdela  monarchie  triomphèrent» 
et  Henri  IV  vengea  la  France  et  TEurope  de.Taoïl- 
faition  de  l'Eâpagite. . 

Après  ces  '  réflexions'  générales ,  Aëcessaires 
i5. 


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antt  PARTIS    I. PÉRrOUE    III. 

fKrnr  Êiir<e  saisir  l'ensemble  <)es  événements ,  et 
qtù  DOus  dispenseront  d^entrer  dans  beaucoup 
de  détails,  considérons  les  principaux  traits  de 
ce  demi-siècle  de  saug  et  de  larmes. 

La  mort  de  Henri  n  fut  le  signal  des  trciubles 
et  des  dÎTistons.  Lés  partis  qui  avùent  existé 
à' là  cour  sous  .son  régne,  devinrent  de  vé- 
ritables filetions  sous  celui  de  son' successeur. 
François  II,  que  Ies~  lois  appelaient  au  trône, 
sortait  de  renfonce,  et  devait  gouverner  un  état 
sourdement  agité,  dan$  l'âge  où  l'on  sait  k  peine 
se  gouverner  soi-même.  Faible  de  corps  et  d'es- 
prit, il  était  incapable  de  dévoiler  les  intrigues 
des  courtisans,  et  de  résister  à  l'ascendant  de 
ceux  qui  convoitMent  son  autorité.  Il  ne  voulut 
jamûs  le  mal ,  tasâs  il  ne  savait  1>a$  voir  le  bien , 
moins  encore  le  '  vouloir  avec  force ,  et  Fexécuter 
avec  succès. 

Les  Guises  et  les  {HÏnces  du  sang,  jaloux  tes 
uns  des  autres,  brûlaient  également  de  s'emparer 
du'pouvoir.  François,  duc  de  Guise,  le  chef  de 
sa  maison,  en  était  le  membre  le  plus  halnle 
et  le  plus  illustre.  Capitaine  dbtingiié,  il  joigriait 
à  ses'talents  militaires  une  connaissance  profonde 
des  affoires  de  l'état ,  et  une  activité  infotigable. 
Son  ambition  était  vaste  et  frandie.  Au-dessus 
des  artifices  des  petites  bmes ,  il  ne  dissimutait 


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-    CHAPITRE     ZIX.  ^39 

pas/ses  déâxs  ni  ses  e^iërancefl.  XI  aspirait  "à 
une  haute  élévation;  il  la  méritait  par  tses  ser- 
vices, et  Be  voulait  y  parvenir  que  pour  feire 
de  grandes -choses.  Capable.de  commettre  des 
violences  utiles  à  ses-  vues ,  il  était  incapable 
d'une  bassesse.  Désintéressé ,  généreux ,  magna- 
nime^il  se  faisait  estimer  de* ses  ennemis  même-; 
la  belle  défense  de  Metz  et  la  prise  db.  Calais 
lui  avaient  acquis  l'adraîiatiOD  «t  l'amour  des 
français,  et  son  nom  se  présentaitJe  premier 
dès  qu'il  s'agissait  d'une  eiitre)Hisé  difi^Ie  et 
glorieuse. 

Son  frère ,  le  carilinal  de  Lorraine ,  avait  tous 
ses  défauts,  sate  lesqualitéd  brilbuitès  qui.  les 
faisaient  oublier.  Soit  vice  de  caraCt^^^t  «oit 
vice  d'état ,  il  couvrait  ses  pàsuons  ardentes  du 
miasquede  la  .religion ,  et  préférait  le  raensongt!, 
la  ruse«  I9  perfidie,  k  toiis  les  antres  moy^is  de 
réussir.  Son.  esprit  dégénérait  soaven|:  ea  subti- 
lité, ,et  il  avait  beaucoup' moins  d'instniction 
qu'il  ne.croyalt  en  avoir.  Toujours  prêta  sanc- 
tionnei'  toutes  le»  démarches  utiles  à  l'élévation 
tte  sa  famille,  on  le  consultait  comme  la  con- 
,  science  du  parti.  Cette  conscience  corrompue 
rassurait  et  endoimait  celle  des  autres.  En  con- 
seillant ou  ordonnant  le. crime,  il  paraissait. le 
Jégitiaiei'.  Le  crédit  des  Guises  s'appuyait  sur 


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a3o  PASTIX    1.  ■ — PÉRIODE    111. 

celui  de  la  jeuDC  -reÎDe.  Ils  a»ai«U  eu  l'adreue 
de  faire  'époiun'  k  François  II  leur  nièce  Marie 
fituart,  reine  d'Ecosse,  fille  dé  Hane  de  Guise 
et  de  Jacques  V.  Cette  princesse  régnait  siv  son 
époux  par  les  gntces  de  sa  figure  et  leschannes 
de  son  esprit;- ses.  oncles  régnaient  sur  elle,  et 
fusaient  serrir  l'amoiu-  aux  succès  de  Imr  am- 
bition. * 

Catherine  de  Méditis,  jalouse  du  pouvoir  de 
Maiie  et  de  oehii  des  Croises ,  cachait  sa  haine 
sous  .de  feiate?  caresses,  et  cherchait  ,à~en- 
chaîner  ses  rivaux  même  à  ses  desseins  ambi- 
tieux. ÈUe  aVait  de  Tascendant  sur  Fesprit  de 
-son  fils  j  çUe  '  le  '  devait  à  l'habitude  autant  qu'i 
&on  h^ileté  'Né.  pouTaait  encore  se  flattw  de 
dominer  François -'seule  et  sans  partage,  elle  s'é- 
tait Tapproohés'd«s-Quises,  bien  résolue  de  les 
pepdre-dèfi  qn'eUe  le  pourrait  sans  danger.  Née 
avec  une  grande  activité,  des  sens  impérieux  et 
des' paE&ioQs  ardentes,  rai  hii- avait  pmsUadé  de 
bonne  heure  que  la  morale  n'était  faite  que.  pour 
le  vulgaire  ;  que,  pour  les  piinces ,  l'at-t  de  trom- 
per était  le-  premier  des  talents,  la  fausseté  une 
mesure  de  prudence ,  et  le  succès  l'unique  P^le  - 
de  la  oonduits.  Gbotrariée  et  toujours  dans  un 
état  de  contrainte,  durant  la, vie  de  Henri II,  ce 
ne  fut  qu'ï^rès  sa  mort  qu'elle  développa,  dans 


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CH&PITRI!    nie.  33l 

toute  son  étendue ,  son  génie  raaliTaisàot.  faite 
pour  Vivre  dans  le  chaos  des  intacts,  des  actions 
et  des  partis,  rintrigue  était  son  élément.  Sans 
pudeur  dans  ses  voluptés,  sans  pitié  dans  Ses 
ven^^nces,  sans' honte  et  sans  remords  dans  le 
chcHx  de  ses  mo;«n»,  elle  arrangeait  des  for&its 
comme  ëUe  arrangeait  des  parties' de  plaisir^  de 
saug-froid  et  avec  raffinement.  Le  crime  n'était 
à  ses  yeux  qu'un  expédient  phis  ou  mùins  bon 
suivant  les  ôreonStances  ;  la  di&auche  la  plus 
effrénée  une  .combinaison  biisarre  de  l'iniagitia* 
tion  ;  le  scandale  un  plaisir  de  phi9  :  et  la  reli- 
gion une 'invention  excellente  pourAùre  des 
dupes  ;  tout  au  pto»,  dans  certùns  moménto  d« 
ferveur,  unaccommodèmeurt  avec!  le  dél.  Dans 
ta  profonde  oormpti(m,  etlr-ne  connut  d'aiAre 
sentfment  que  ÎG  regret  d'avoir  quelquefois  man- 
qué son  coup,  plus  intrépide  encore  quand- le 
crime  était  consommé  qu'audacieuse  à  l'entre- 
prendre. Elle  avait  de  l'esprit  et  de  la  pénétra- 
tion; mais  elle  manquait  de  cette  force  de  tête 
qui  enchi^ne  l'avenir  au  pr^nt ,  prévoit  tous 
les  cas  possibles,  et  saisit  un  grand  enseml^. 
Dans  te  mojipent  de  Tembartas  et  du  danger,  tout 
lui  paraissait  bcm  pour  en  sortir  ;  et  faute  de  bieo 
calculer  les  suites  de  ses  actions,  elle  multipliait 
ses  embarras  et  ses  dangers.  Connaissant  beau- 


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333  PARTIE    I.  : — PÉRIODE    lit. 

coup  mieux  les  hommes  que  les  choses,  et  plus 
au  fait  des  intrigues  que  des  a£&ires,  elle  ne 
pouvait  pas  gouverner  seule,  quelque  envie 
qu'elle  en  eût,  et  elle  fiit  toifjours  obligée  de 
partager  sou  pouvoir  avec  des  hommes  capables 
de  porter  le  ferde»!  d'une  gEande  administration. 
A  la  mort  de  Henri  .II,  la  nécessité  avait  opéré 
une  coalition  momentanée  entre  elle  et  les  Gui- 
ses; elle  sentait  qu'elle  ne  pouvait  ni  se  passer 
d'eux,  ni  les  écarter;  leur  autorité  l'emportait 
encc«e  sur.  la  sienne,  et  ils  étaient  les  véritables 
niidtres  du  royaume. 

Les  princes  du  sang,  de  la  branche  de  B^nir- 
bon ,  héritiers  du  trône  si  les  Valois  venaient  à 
s'éteindre,  voyaient  avec  indignation  des  étran- 
gers  jouir  d'une  cfmfiance  et  d'un  pouvoir  qui, 
suivant  les  lois,  ne  devaient  pas  leur  appartenir. 
Antoine  de  Bourbon,  l'ainé  delà  maison,  roi  de 
Navarre ,  du  chef  de  sa  femme  Jeanne  d'Âlbret , 
aurait  supporté  l'élévation  des  Guises  avec  assez 
d'indififérence ,  s'il  avait  pu  recouvrer  la  partie 
de  son  royauipe  dont  l'Espagne  s'était  injuste- 
ment emparée;  mais  sa  femme  et  sou  frère  l'ani- 
maient contre  les  Lorrains.  Il  était  plus  jaloux 
des  décorations  du  pouvoir ,  que  du  pouvoir 
même;  confiant  et  crédule  comnie  ua  enfant, 
dupe  de  tous  ceux  qui  lui  disaient  des  pn>- 
messes ,  sans  volonté  et  sans  moyens. 


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CHA:PITRE    XIX.  333 

Son  frère,  txtws  de  Condé,  joi^ait  à,une  am- 
bition qui  prétendait  à  tout ,  des  talents  qui  lui. 
pimnettaient  d'arriver  à  tout ,  et  ses  titres  éga- 
lawnt  ses  prétentions.  Il  avait  J'auc&ce  d'un  con- 
spirateur, la  légèreté  d'un  homme  du  mcMide,  et 
les  vues  d'un  homme  d'état.  Son  goût  pour  le& 
plaisirs  ne  prenait  rien  sur  son  activité  :  la  frivo- 
lité de  ses  manière^  ne  le  rendait  pas  incapable 
du  sérieux  des  afiaires  ;  et  bien  que  sfi9-  mœurs 
fussent  peu  révères ,  ses  habitudes  n'étaient  ni 
molleSf.ni  efféminées.  Sanaîssance-et  son  mérite 
auraient  dû  le  porter  aux  premirâes  j^ces  ;  et  il 
s'indignaitde  robsçuritéoùon  le  laissait  languir, 
tandis,  que  les  Guises  gouvemaieut  l'État.  Pro- 
testant par  politique,  au  moins  autant  que  par 
conviction ,  il  serait  difficile  de  déterminer  à 
quelle  époque  il  résolut  de -se  servir  de  la  reli- 
gion pour  perd^e  ses  ennemis  et  arriver  au  pou- 
voir. ,£ut-il  le  premier  l'idée  de  fomenter  les 
troubles  religieux,  ou  ne  Teut^il  qu'après  qve 
les  Nuises  «e  furent,  mis  à  la  tète  du  parti  ca- 
th<^ique?  ce,  sera  toujours  un  problème.  . 

Dans  le  parti  prc^estant,  dont  Louis  de  Condé 
allait  devenir  le  chef,  se  trouvait  un  homme  fait 
pour  les  grandes  entreprises,  et  (Jui sejnblait  né 
pour  briller  au  milieu  des  orages;  c'était  l'ami- 
ral de.Coligui,  deFillustre  maison  desChÂtillmi.' 


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234  PARTIE     U PÉRIODE     III. 

Il  avait  porté  les  armes  de  bonne  heure,'  et  s'é- 
tait Cajt  Une  réputation'  par  la  belle  défense  de 
Saint-Quentim  GcHnbinaht  long-temps  ses  piio- 
jets  dans  les  profondeurs  de  sa  pensée,  U  ne' 
permettait  pas  qu'on  les  soupçonnât  avant  le 
moment  oà  il  les  déployait  dans  toute  leur  éten- 
due. Instruit  à  fond  des  ressources  et  des  forces 
des  protestants,  de  la  position  dffs  lieux  et  de 
l'état  des  provihees,  il  n'était  jamais  étonné  des 
événements,  jamais  découragé  parles  t%ver$.']l 
avait  prévu  avant  que'd'agir^  et  savait  corriger 
ce'  qu'il  n'avait  pu  ni  prévoir'  ni  prévenir.  Sa 
froide  intrépidité  ranimait  ou  modàvit  l'ardeur 
des  autres  ;  sa  fermeté  persévérante  inspirait  la 
confiance ,  et  sa  simplicité  désarmait  l'envie.  Il 
était  grand  sans  effort ,  et'  &op  sûr  de  sa  gloire 
pour  en  être  inquiet.  Rarement  vainqueur  daxtà 
les  guerres  de  religion ,  il  ne  paraissait  jamais 
plus  admirable  que  dans  ses  défaites;  et  ses  re- 
traites savantes  d'une  extrémité  de  ta  Ffance  à 
Tautre ,  fiirent  plus  glorieuses  que  les  victoires 
de  ses  ennemis.  Tout  en  combattant,  il  négo- 
ciait pour  son  parti,  en  Allemagne,  en  Angle- 
terre ,  '  dans  lés  Pays-Bas.  Tour  à  tonr  insinuant 
et  impérieux ,  H  obtenait  ou  commandait  les  sa- 
crifices ,^  et  savait  rester  calmé  en  allumant  l'en- 
thousiasme de  son  armée.  Ses  mœurs  étaient 


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.    CHAPITRE    XIX.  a35 

ùmples  tt  même  ààstères.r  Le  peu  de  temps  que 
les  a£Eaire^  n'emportaieot  pas ,  était  donoé  à 
TéGonomie  rurale.  Daoa  les  mtà^alles  de  repos 
qite  lui  lassaient  les  guezres  civiles,  il  culti^t 
sa  vigne  dé  la  même  main  qui  ngnait  des  trai- 
tés. L'ambition  des  grandes  places  et -celle  de  la 
£ntuue  lui  étaient  étrangères;  mais  il  aroit  celte 
de  former  et  de  réalisa  d« 'vwtes  combinaisons  ; 
ambition  pins  honorable,  mais  noo  moins  dan- 
gereuse que  l'autre.  B'Andelot  et  le  cardmal  de 
Châtillon ,  fi<ères  de  Coli|;Di ,  aervatent  tei  des- 
seins* avec  succès,  -le.  premier  [lar  son  intrépi- 
dité ,  le  second  jpar  son  esprit  adroit  et  ccmci- 
lûteur. 

Ainsi,  du  cà£é  des-catfaoliques  etde  celui  des 
protestants,  se  trouvaient,  pour' le  malheur  de 
la  E'ranoe ,  des  hommes  d'un  niérite  rare ,  qui 
jodgnad'ent  la  puisS^iee  du  caractère  à  celle  du 
génie,  et  b  qtd  il  ne  manquait,  pùcir-étre  de 
grapds:  homiHes,  que  de  préCârer  le  devoir  à 
l'ambition  j  et  des  principes  ptR^ai^^des  maximes 
intéressées.  It^'sCBtblait  que  la  nature  eût  pro- 
digué', poH^'k  mine  du  royaunie ,  ce  dont  ^le 
est  le'plus  dvare,  le  talent  et  réqergiei  S»  les 
caractères  niâles  et  vigoivreux  que  présente  ccMe 
époque  malheureuse ,  ne  la  sauvent  pas  d'une 
juste  horreur,  ils  la  sanvent  du  moins  du  mé- 


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a36  PARTIE    i.  ^PÉRIODE    111. 

pris  de  la  postérité.  On  y  vmt  plus  de  passions 
que  de  vices ,  et  de  ces  passions  fièces  et  fran- 
ches, Ëuniliariftées'  Avec  la  violenœ,  étr&Dgères 
à  la  bassesse,  (]ui  ne  germent  que  dans  des  âmes 
pleines  de  sève  et  de  force,  et  qui,  par  leurs 
explosions  volcaniques ,  peuvent  faire  frémir  le 
spectateur,  mais  lui  épa^ncnt  l'affi-^ux  dégoût 
que,  dans  la  nature  morale ,  comme  dans  la  na- 
ture physique,'  donnent  toujours  les  signes  de 
la  putr^ction. 

Âù  milieu  de  toutes  ces  formes  imposantes  et 
proncHiçées ,  qui  arrachent  encore  l'adoûration, 
lors  même  qu'elles  repoussent  l'estime,  Lhos- 
pital  seul  qst  véritablement,  grand  :  placé  enlie 
les  Guises  et  les  princes  du  sang^  et  ne  cou- 
naissant  d'autre  parti  que  celui  de  l'État,  lui 
seul  se  montre  citoyen.  Un  savoir  profond,  un 
esprit  vaste  et  lumineux ,  sont  relevés  en  lui  par 
une  probité  réfléchie,  constante,  inaltérable. 
Toujours  modéré  dans  te  choc  de  toutes  les  pas- 
sions,- t<«lâ^t  au  milieu  des-  fureurs  du  fana- 
tisme; occupé. de  projets  utiles  à.  l'Eut,  tandis 
qu'autour  de  lui  diacun  n'est  olcoispé  qoe  de 
son  intérêt  particulier.;  jaloux  de  la  perfection 
des  lois ,'  dans  un  temps  où  toui'Ies  partis  iu- 
vpquent  la  fores,  il  parait  uo.  être  supérieur 
diargé  d'arbitrer  les  divisions.  Ne  séparant,  si 


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CHAPITRE     XIX.  '     aS^ 

dans  son  cœur,  ni  dans  ses  travaux,  l'autorité 
royale  de  la  liberté  publique,  parce  qu'il  $$it 
que  l'uue  ne  peut  exister  «ans  l'autre ,  il  vou- 
drait assurer  la  tranquillité' de  l'État,  en  accor- 
dant à  tous  les  Français  l'exercice  d'un  droit 
sacré,  et  concilier  le  maintien  de,  la  .religion  ca- 
tholique et  l'existence  du  calvinisme^  Son  élo- 
quence serrée  et  pressante  confond  les  subti- 
lités du  cardinal  de  Lorraine  ;  sa  vigilance  et  sa 
sévère-  économie  commencent  à  rétablir  l'ordre 
daos  les  finances  ;  et  tel  est  l'empire  de  la  vertu , 
qu'il'se  fait  écouter  au  sein  d'une  cour  corrom- 
pue ,  et  que  ceux  même  qui  s'opposent  à  ses 
mes  bienfitisaute-s  sont  forcés  de  Inir  rendre 
boiQmage. 


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CHAPITRE  XX. 

ConmeDccment  des  guerreit  civiles.  CoMpicatioii  de  La 
Renaudie.  Mort  de  Françrâs  II.  Régenee  de  Catherine 
de  Médicis.  Première,  seconde,  troisième  guerre  de 
religion.  ' 


In.  était  rétat  de  la  France,  tels  étaienfles 
honmies  qui  tenaient  s«s  destinées  daqs  leurs 
iiMÙns  et  se  disputaient  l'autorité.  François  de 
Guise  et 'Ifli'cardiital  de  Lorraine  avaient  été 
nommés  ministres  par  le  jeune  roi,  dès  son  avè- 
nement au  trône.  Le  connétable  de  Montmo- 
renci,  tout-puissant  sous  le  règne  de  Henri  II, 
odieux  aux  Guises  et  à  Catherine,  avait  été  éloi- 
gné de  la  cour,  et  vivait  à  Chantilly.  Les  Guises, 
ayant  déjà  formé  le  projet  de  faire  de  leur  cause 
la  cause  de  la  religion  catholique,  commencé-' 
rent  à  persécuter  les  protestants.  Anne  du  ^ui^, 
arrêté  sous  le  règne  précédent,  fut  une  dés 
premières  victimes  qu'ils  immolèrent.  Les  mé- 
contents, le  prince  de  Coudé  à  leur  tête,  tinrent 
une  assemblée  secrète  à  la  Ferté  pour  y  concer- 
iS6o.  ter  leurs  mesures  contre  les  Guises.  Ce  fîit  là 


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CHAPIÏRlf  .XX.  a39 

que  l'amiral  de  Coligni,  développant  aux  yeax 
du  prince  les  ressources  et  les  forces  des  réfiar- 
mes ,  lui  nu^tra  qu'il  pouvait  les  servir  en  les 
employant  au  ^uccès  de  ses  propres  desseins  ;  et 
qu'en  épousant  leurs  intérêts;  il  assurerait  son 
triontpbe  et  celui  de  leur  culte.  Ce  plan  flattait 
trop  les  passion»  de  Cobdé  pour  ne  pss  lui 
pkîre.  U  donnait  à  son  ambition  les  couleurs  du 
désinféreasement  et  du  bien  publie,  lui  fournis- 
sait-les  moyens  d'agii-  et  des .  prétextes  plausi- 
bles; tout  en  travaillant  pour  tu^-toènie,  il  pa- 
raissait le  protecteur  des  of^rimés.  L'essratiel 
était  de  sMistraire  lapersonne  du  roi  à  l'auto- 
rité des  Guises.  On  forme  le  projet  ,de  l'enlerer 
à  Blois,  où  il  devait  aller  passer  te'  prmtempi. 
Les  mécontents,  dans  letars  discours,  séparant 
le  roi  -de  ceux  à  qui  il  accorde  sa  coi^nce , 
prétendaient  pouvoir  conùlier  avec  le  i«spect 
qu'ils  doivent  à  leur* souverain,  les  mesures  illé- 
gales qu'ils  prennent  contre  ses  ministres.  Par 
une  distincUon  absurde,  ils  voudraient  laire 
croire  qu'ils  ne  conspirent  pas  contre  leurnu|i- 
tre ,  eu  conspuant  contre  tes  dépositaires  de  son 
pouvoir.  On  jett^  les  yeux  sur  La  Renaudie.pour 
exécuter  le  coipplot.  Ce  gentilhomme ,  issu  d'une 
bonne  latmlle  du  Périgord ,  était  très-attaché  à 
la  religion  nouvelle;  son  audace  «t  s<»i  activité 


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a^O  PARTJE     I.  PÉRIODE     III. 

lui  faisaient  aimer  les  hasarda  des~  entreprises. 
S'U  réussit ,  on  profitera  de  ses  saccèir  ;  s'il  man- 
que son  cï>up,  ou  peut  le  désavouer.  Les  con- 
jurés se  rassemblent  à  Nantes  ;  on  ne  parlé  aux 
mécontents  que  de  la  majeité  du  trône  compro- 
mise par  les  Lorrains,  et  de  la  servitude  du  foi; 
on  ne  présente  aux  réformés  que  tes  dangerâ  de 
leur  religion',  et  l'oppression  dans  laquelle  ils 
languissent  Tous' marchent  au'm^ne  but  par 
des  motifs  différents.  Les  Guises  soupçonnent 
un.  dessein  secret,  et  la  cour  est  transférée  à 
Aioboise.  Bientôt  ces  soupçons  se  diangênt  en 
certitude  par  l'indiscnétion  de  La  Renaudie.  Les 
Guises  persuadent  au  roi,  qui  un  moment  parait 
douter  du  fait,  que  c'est  lui  qu'on  attaque,  et 
que  la  conjuratitm  menace  son  autorité.  Ils  fOnt 
tous  les-préparatife  nécessaires  pour  la  défense 
de  la  ville,  et  ont  l'adresse  de  confier  les  postes 
les  plus  importants  aux  prince  de  Condé  et  aux 
partisans  secrets  de  La  Benaudie,  en  les  faisant 
surveiller  de  près.  Les  conjurés  s'avancent  et  se 
présentent  sous  les  murs  d'Amboise,  mais  ils 
Sont  repousflés.  La  Renaudie  est  tué  dans  le 
combat  ;  et  les  Guises,  n'écoutant  que  leur  ven- 
geance, multiplient  les  exécutions.  Ils  n'ont  pas 
osé  accuser  le  prince  de  Condé ,  quelque  f<c«'tes 
que  soient  les  preuves  de  sa  complicité;  mais- 
ils  ne  font  qu'ajourner  sa  perte. 


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CHAPITRE    x-x.        '■  a4i 

Le  duc  de  Guîse  est  nommé  lieutenant-général 
*hi  royaume.  I.<s,  échafauds  s'élèvent  ;  Amboise 
est  inoiidée  de  sang-.  Beaucoup  d'innocents  pé- 
rissent ,  et  les  éQUpaWeS  eux-mêmes^  sont  con- 
dahinés  par  des  Toies  illégales  et  injnstes.  Oli- 
vier, chancelier  du  royaume,  homme  honnête 
et  bcm,  mais,  trop  feible  peur  résister  an  despo- 
tisipe.  dçs  Guises,  meurt  de  chagrin  de  ne  pou- 
voir empêcher  ces  exécutions  sanglanteff.  Lho- 
pitâl  le  remplace.  Il  doit  son  élévation  à  la  du- 
chesse deMontpensier,'qui  connaît  sa  tolérance', 
et  à  Médicis  etle-métne,  qui  -lui  pardonne  sa 
vertu  eu  faveur  de  ses.  talents.  Elle  dompte  s'en 
servir  contre  les  Guises^  qui  marchent  à  grands 
pas  à  une  domination  absolue.  Lhospjta],' qui 
s  oublie  lui-raéiiie<  dès  que  le  devoir  parle,  et 
qui  ne.vmt  quela.pàtrie,  accepte  le  .poste  émir 
Tient  et  difiBcUe, qu'on- lui* ofire.  Il  ne^  se  déguise 
ni  le  travail  immense  qui  va  peser  sor'liii,  ni 
les  dangers  de  sa  positioii,  ni  les  malheurs  qui 
menacent  la  France;  il  prévoit  qa'il  ne  pourra 
pas  £aire.tQUt  le  bîen:qu'il  désire,  mais.il  espère 
empêcher  vue  -  partie  des' maux  qu'il  redoiUe; 
et  c'est  beaucoup  pour  une.  ame  telle  que  la 
sienne.: 

.    Par  tme  fnaoœnvre  hatàle,  Lhospital  déjoue 
les  projets  sanguinaires  du  cardinal  de  Lorraine; 
2  r6 


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u/ia  •  PARTJE    1.  —  PÉRIODE    I  [I. 

qui  veut  introiluîre  dans-Ieroyaume  les  horreurs 
de  l'inquiâtion ,  et  fait  attribuer  aux  seuls  év^- 
)■  ques  ié  droit  de  juger  les  protestants.  Bientôt  il 
propose  de  couvoqiier  les  Ëtats-génélttiuct  pour 
décider  dëônitivetoient  )a  grande  aifeire  delà 
religion^  U  espère  y  faire  entendre  là  vois  de  là 
raisoti  et  le&  maiimes  de  ia  tolérance,  s'envi- 
ronuer  des  lumières  de  la  nation  dsns  un'  procès 
où-  il  s'agit  de  ropinion-  générale-,  et-s'appi^er 
de  son  autorité  contre  le  crédit  des  Guises. 
L'assemblée  des  notabln^  tenue  à  Foiïtainé- 
bleau ,  décide  la  convocation.  Les  Guises  ne  »'y 
refusent  pas.  Us  savent  que  la  |dopart  àes  dé- 
putés, intimidés  par  leur,  pouvoir,  f»6ervis'à 
leur  volonté  par  l'espérance  ou  la  crainte ,  iie- 
ront  leurs  «créatures  et  leoiis  esclaves.-Its  se  pro- 
-posent  de  les  faire  servir  à  leurs  vengeauces',  et 
de  sanctionner  leur  despotisme  par  te  silence 
des  représentants  de  la:  irâtion^  Avec  de  la  sa- 
gesse et.de  la  vigueur,  cette  assemblée  aurait 
pu  sauver  l'a  Frande;  mais  étvanigère  h  l'esprit 
public,  infectée  de  l'espiit  dé  parti,  mat  orgar 
niaée ,  composée  ^éléments  vicieux,  elle  ne  .fit , 
comme  toutes  celles  qui  furent  convoquées  dans 
ce  siècle  malbeiireux ,  que  se  déshonorer  par 
sa  Êiiblesse ,  et  tromper  les  vœux  dët  bons  ci- 
toyiCns. 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XX.  ^43 

Malgré  le  mauvais  succès  de  la  conspiration 
d'Araboise,  le  prince  de  Condé  n'aVait  pas  cessé 
de  fomenter  le  mécontentement  des  protestants, 
et  il  avait-engagé  son-frère,  le  roi  de  I^avarre, 
k  épouser  sa  cause.  Les  Guises  se  proposent  de 
les  perdFe.  Le  prince  .et  son  frère  sont  invités  à 
Se  repdre  à  la  cour.  Ils  scwt  arrêtés  au  mtmient 
de  leur  arrivée;  on  se  contente  de  donner  des 
gardes  au  rt»  de  Navarre.  Condé  est  traité  ■.  en 
criminel  d'état,  et  on  lui  faït  son  procès.  En  yaîn 
il  réclame  le  privilège  de  son.1rangj.-jde  n'être 
jugé  que  par  ses  pairs;  il  est  jugé  par  une  com■^ 
mission.  Le  roi  de  Navarre  est  sur  le  point  d'être 
assassiné  dans  les  appartements  du  roi.  Ce  crime 
atroce  a  été  conseillé  par  les  Guises;  mais  Tante 
«te 'François  ne  s'est  pas  trouvée  à  IHinisson  d'un 
projet  pareil.  L'arrêt  de  mort  du  prince  de  Condé 
était  dressé.  Le  roi,  gouverné  par  ses  oncles,  ^ 
allait  le  signer;  mais  il  meurt  subitement,  et 
Condé  est  sauvé. 

Sans  la  mort  prématurée  de  François  II,  le 
parti  des  Guises  triomphait;  le  supplice  de  Condé 
ôtait  k  leurs  enoemis  toute  <$pérance  de  succès; 
les  protestant  étaient  p^^us  sans  ressource;  la 
France  n'échappait  à  l'uiarchie  que  par  le  des- 
poli^ne,  et  la  paix  de  la  servitude  la  sauvait 
des  horreurs  de  la  guerre  civile.  Mais  la  mort 
16. 


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a44  PARTIE    I. PÉUIOltE    m. 

prématurée  du  jeune  roi  multiplie  les  seraeiu-es 
de  troubles  et  de  divisions.  Le  trône  appartient 
à  son  frère  Charles,  mais  Charles  est  mineur;  . 
c'était  aux  états  dii  royaum&à  décider  la  grande 
question  de  la  régence.  Catherine  l'eXH^ce  sans 
en  prendre  le  titre  et  sans  les  consulter.  Condé 
est  relâché;  la  reine  a  trop  soufïert  du  pouvoir 
'  des  Guises,  pour  le  leur  laisser  dans  un  mo- 
ment «ù  ils  perdent  l'appui  de  leur  nièce.  La 
sensible  et  faible  Marie  Stuart,  dont  les  mal- 
heurs ensuite  ont  expié  les  torts  et  les  ont  feit 
oublier,  retourne  en  Ecosse;  et,  par  de  sombres 
et  trop  justes  pressentiments,  elle  pariût  renon- 
cer pour  toujours  au  bonheur  en  quittant  la 
France.  Cependant  le  crédit  personnel  des  Guises 
leur  donne  encore  une  grande  autorité.  Cathe- 
rine croit  que  le  seul  moyen  de  diminuer  leur 
ascendant  est  de  se  rapprocher  de  leurs  enne- 
mis ;  elle  prend  pour  système  d'opposer  les  par* 
tis  les  uns  aux  autres,  de  les  caresser  et  de  les 
combattre  tpur-à-tour;  et  cette  politique,  à  la- 
quelle elle  restera  fidèle,  ne  fera  que  prolonger 
les  maux  et  les  douieiirs  de  la  France.  Confor- 
mément k  ce  plan  de-  conduite,  elle  offre  au 
faible  roi  de  Navaire ,  qy'elle  est  sûre  de  diriger 
à  son  gré,  la  plai^  de  lieutenant-général  du 
royaume,  et  il  l'accepte.  Elle  rappelle  Montmo- 


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CHAPITRE    XX.  345 

rend;  ce  vieillard',  qui  aime  sincèrement  son  roi 
et  sa  religion ,  mats  qui  s'aime  encore  phis  lui-* 
même,  se  hâte  d'abandonner  sa  retraite;  il  a 
besoin  de  la  cour,  et  il  croit  céder  au  besoin  de 
servir  sa  patrie.  Les  États  confirment  la  reine 
dans  la  régence.  Lerertueux  Lhospital  veut  qu'ils 
établissent,  par  une  loi  sageet  positive,  les  droits 
des  deux  cultes ,  qu'ils  paient  les  dettes  de  l'état , 
qu'ils  remettent  l'ordre  dans  les  finances  ;  mais 
Lhospital  est  le  seul  qui  pense  au  bien  public. 
Les  divisions  de  la  noblesse,  du  clergé  Et  du 
tiers  empêchent  les'  États  d'arriver  à  des  résul- 
tats ^es  et  utiles,  et  l'assemblée  se  sépare  sans 
avoir  rempli  les  espérances  de  la  nation. 

'  Cependant  les.  Guises,  craignant  que  le  pou- 
voir  oe  leur  échappe,  tâchent  de  former  une 
nouvelle  coalition.  François  de  Guise  gagne  le 
connétable,  en  lui  montrant  les  dangers  qne 
court  la  religion  catholique.  Ils  s'associent  le 
maréchal  de  Saint- André ,  courtisan  avide ,  qui 
avait  profité  de  la  foveur  de  Hrairi  II  pour  amas- 
ser des  richesses  considérables ,  et  qui,  par  se« 
richesses  mêmes  et  sa  haine  contre  les  calvinis' 
tes,  peut  être  utile  au  parti;  ils  forment  en-* 
semble  le  fameux  triumvirat,  1 

Philippe  n,  avec  qui  Cuise  négocie  secrète- 
ment, promet  du  secours  et  attise  les  feux  qui 


DiailizodbvGoOgle 


a46  PARTIS     I. PÉBIOIXE     III. 

vDDt  mcendier  la  France.  Aux  Ét^ts  de  Saint- 
GsriTiain ,  le  cljâncelier  ne  parvient  .pas  k  'éteuf- 
kr  tes  troubles  paT' des  mesures  vigoureuses, et 
il  n'obtient  d'autre  succès  que'  celui  d'intimider 
le  clergé ,  et  de  l'amener  à  payer  une  partie  des 
dettes  publiques.  Dans  le  dessein  de  terminer 
les  dissensions  religieuses,  on  donne  lieu  au 
i56i.  colloque  de  Poissy,  où,  en  présence  de  la  reine 
et  du  roi ,  les  théologiens  des  deux  cultes  expo- 
sent leur  doctrine  :  moyen  .mal  imaginé,  qui 
ne  tendait  qu'à  répandre  les  idées  nouvelles,  à 
multiplier  les. doutes,  à  augmenter  Tanimosité 
et  k  confirmer  chaque  parti  dans  son  .opinion, 
'  Mais  le  cardinal  de  Loiraine  est  jaloux  d'étaler 
danlH  ce  colloque  son  éloquence  et  son  savoir  ; 
de  son  côté  Favocat  des  firotestants ,  Théodfo^ 
de  Bèzè,  j  dépltne  une  logique  pressante,  une 
mémoire  intarissable,  une  éloquence  simple  et 
mâle,  qui  fait  regretter  aux  c^oUques.  d'avoir 
engagé  la  lutte,  hc  colloque  n'aboutit  qu'à  irri- 
ta les  esprits.  Les  Guises  s'en  consolent  en  atr 
tiraqt  dans  leur  paloti  le  jEaible  roL  de  ^Navarre , 
cpivse  laisse  séduire  par  r«spérance  de  la  resti- 
tution de  son  patrimoine,  etdevient,  par  indo- 
lence, l'allié  des  plus  mortels -enïiemis  de  sa 
maison. 
Le  chancelier  se  flatte  encore  d«  prévenir  la 


DiailizodbvGoOgle 


CH-V*,ITRH    »x.  a47 

guerre  cltil^v  il  ^ogaf^e  Catfasiiiie^  qui  redoute 
l.e.trûvnvir»|,.à:icgwve^Dcr  los  potables  k  Saint- 
Giennaio.,  et  o&y  doaof  t'élit  3e  janrier,  qui 
açtcprdç  auK  oalvùlisites  la  liberté  du  culte ,  et 
leur  défei^d,  seulement  de  .te«r  de»  assemblées 
(iails  l'enteinte  des-  villes.  IVlais  les  triurnvirs  ne 
VQÎent  dans  cette  pîdx. qu'une  nouvelle  preuve 
de  la  préférence  que  la  reine-mère  accorde  aux 
protçf^aptâ,  et  ils  se  proposent  de  troubler  lent 
bftDD^  iqtdligence.  Soit  hasard  malheureux ,  Boit 
deaS^p  prémédité ,  les.  geni  du  duc  prennent 
qiierelle  avec  des  religionnairès  à  Vassy.  Le  i 
sang  çoulej  ce  fut  Je  signal  dm-nnlbcurs  de  la 
France.  Les.triupiyirs,  qui  'Out  gagné' le  roi  dé 
NavaiTe ,  veulent  légitimer  ieurs  démarchée  en 
empruntaiti.ie  nom  du  souverain}. ils  prévien- 
nent leurs  ennemis  ea  -enlevaht  Charles'  et  .sa 
mère  à  Fontainebleau,  et  les  amènent  à  Paris. 

■A  cette  nouvelle,  le  prince  de  Coodé  etCo- 
ligni  ne  gfuxtentplus  de  nie^ure  ;  ils  font  d'Or- 
léans leur,  place  d'armes ,  et  publient  des  ma^ 
nifestes  dans  JesqueU  ils  assurent  qu'ils  ne 
meoaf»Qt.pas  .les,çatboliques;..çeux-ci,  pour 
égarer  à  leur  jtour  l'opinion  pubJiqpe*  se  dé- 
fendent de  tout  projet  contre  les  protestatits. 
Des.  deux  cotés  on  s'anue  au  nom  du  roj,  et 
l'on  ne  parle  que  de  la  liberté  du  royaume,  h* 


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i^S  PABTfE    1. P«'B11>D£    III. 

première  guerre  de  .religion  édate;'rÂUemagne, 
riche  en  soldats,  envoie  ses  habittiats  combattre 
en  faveur  des  deux  partis  qui  déchirent  la 
France;  la  conformité 'de  religion  et  d'intérêts 
assui;e  aux  réarmés  le  secours  des  princes  pro- 
testants; l'argent  de  l'Espagne^  qae  les  catho- 
liques répandent  avec  profusion  dans  l'empire, 
attire  sous  leiurs  drapeaux  beaucoup  de  volon- 
taires. Cathmne ,  qui  redoute  également  les 
victoires  d^  deuï  partis,  essaie  de  rapprocher 
les  esprits  aux  conférences  de  TaUy>  Le  piînce 
de  Condé  est  sur  le  point  de  promettre  qu'il 
sortira  du  royaume  avec  tous  les  réformés  ;  mais 
l'indignatioti  de  l'armée  éclate  contre  ce  projet, 
trop  singuliec  pouf  avoir  été  formé  de  bonne 
foi,  et  les  négociations  se  rompent.  Condé,  Co- 
ligni  et  leurs  adhérents  sont  déclarés  coupables 
de  lèse-majesté,  et  persévèrent  dans  leur  ré- 
volte, soua  prétexte  que  le  roi  n'est  pas  libre. 
L'habile  Elisabeth  leur  donne  des  secours;  mais 
ib  sont  obligés  de  les  acheter  à  haut  prix;  et  en 
lui  permettant  de  prendre  possession  du  Havre , 
ils  n'obtiennent  d'elle  que  ce  qu'il  faut  pour  ne 
pas  succomber  sous  leurs  ennemis'.  Philq>pe  <t 
Elisabeth  suivent  la  même  politique,  alimentent 
les  troubles,  et  empêchent  que  l'un  des  deux 
partis  ne  les  termine  en  acquérant  une  prépon- 
dérance décisive. 


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CHAPITRE    XT.  3^Q 

L'armée Toyale  assiège  Boueii,  que  Hontgom- 
tnety  défend  avec  Vigueur!  La  ville  est  prise; 
mais  Antoine  de  Kavarre,  blessé  pendant  le 
ai^ ,  meurt  des  suites  de  sa  blessure  :  aucun 
parti  ne  le  regrette.  Les  deux  atmées  se  ren* 
oimtrent  près  de  Dreux  ;  long-temps  elles  testent  '»^" 
immobiles  en  présence  l'une  de  l'autre,  et  pa- 
raissent craindre  de  s'attaquer;  le  crime  qu'elles 
vont  commettre  les  glace  d'eflEroi  ;  les  liens  qui 
les  unissent  les  frappent  plus,  dans  ce  mo- 
ment ,  que  le&  intérêts  qui  les  divisent  ;  un 
reste  de  honte  arrête  les  plus  violents  ;  pendant 
deux  heures  la  voix-  de  la  patrie  combat  conb-e 
le  fanatisme  ;  mais  le  mauvais  génie  l'emporte  ; 
«m  surmonte  cette  sainte  répugnance,  et  l'on  se 
bat  pendant  sept  heures  avec  le  plus  grand  achar- 
nement. Le  maréchal  de  Saint-André  est  tué  ; 
le  connétable  est  pris  par  les  soldats  de  Gondé; 
Gondé  l'est  à 'son  tour  par  le  fils  du  conné- 
table. Coligiii  sauve  les  débris  de  ses  troupes ,  et 
se  retire  à  Orléans.  Le  diic  François  de  Guise , 
enorgueilli  de  sa  victoire,  seul  debout  de  tous 
les  chds'de  son  parti,  écrit  à  la  reine  sur  le  ton 
d'un  m^tre.  Elle  frémit  en  se  voyant 'à  la  dis- 
frétion  de  cet  ambitieux;  mais  ses  Craintes  sont 
bientôt  dissipées.  Guise ,  qui  assiège  Orléans ,  est 
assassiné  par  Poltrot  dé  Méré,  gentilhomme  an- 


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aSo  PA.aTlB     1. PÉUIOUK     III. 

goutnoia.  Les  ^issassioats,  rares  dans  les  troubles 
allumés  par  le  fanatisme  politique ,  où.qbacuu 
ne  commet  que  ies  crimes  dont  il  ,peut  «spérer 
de  recueillie  les  fruits.,  soat  plus  .communs  daos 
les  guerres  religieosest  où  l'on  attache  à  des 
actes  de  ce-gençe.la  certitude  de^^des  récofu- 
penses.  La  mort  du  ^uc  de  Guise,  ^t  expira 
en  pardoimant  à  sop  a»assin ,  fut  digue  de  £% 
vie  :  elle  causa  phis  de  joie  à  Catherine  de  Mé- 
dicis  qu'aux  protestants  qui,  tout  en  le  haissalit, 
ne  pouvaîe|ti):>e  défendre  d'.^timer  ce  héro».  . 
La  reine,  délivrée,  par  la  bataille  de  Dreux, 
de  tous  ceux  du  parti  catholique  doot  e\\e  re- 
doutait le  poi^voiTt  qe.  craint.pliis  que  les  pro- 
testants. Depuifi  cett-p  époque,, mpii^  jalouse  de 
les  cops^rver,  ne  .croyaot  plfLis.-âvoii-  besoin 
d'eiix,  eUe  travaille  à. leur  ruine,  taqtôt  par 
des  eares^es.  .perôdas ,  tantôt  pav  des  violeuciKs 
atroce?,  .pour  le  fuoment,  el)e  veut*  la  paix,  et 
engage  leprince.dç  psndé  assigner  la  çonvm- 
i563.  tion  d'A:mboîsç,  qui  modifie. l'^Uit  de  janvier, 
et  ne  défend  au^  pro^e^ots  quç  dfCl^élver 
har  f:uttedaii4  l'airofidi^^ixieDt  de  P^».  Coli- 
^tâ  coodampe  ce  traité,  .«t  VaCfiep.te  faute  (fe 
moyens  de  résistance.  Mais  il  est  facile  de  pré- 
voir que  ce  prétendu  remède  n'est  qn'im  pal- 
liatif ;L'existence  des  protestants  restait  toujours 


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CHAPITRE    »x.      .  a5i 

précaire  ;  ils  n'en  avaient  point  de  garantie  lé- 
gale, et  les  passions  .des  çhels  exa^raient  leurs 
dangers.  P6ut-éb«  tnésae  qu'à  cette  époque 
une  parfaite  égalité  avec  les  .cfitboltqiies  n'eût 
pus  satis&it  les  retigionnures.  Non-seulement 
ils  ne  voulaient  pas  être  asservis;  ils  voulaient 
être  les  maîtres ,  et  ne  voyaient  la  liberté  que 
dans  ta  domination  de  leur  culte  et  la  ruine  de 
leurs  ennemis.  - 

Peu  après  la  convention  d'Âmboise,  la  reine 
'  fait  déclarer  son  fils .  majeur  au  parlement  de 
Rouen;  sa  minorité  donnait  des  prétextes  et  des 
espérances  aux  mécontents;  ite  la  voient  finir  à 
regret;  Catherine  règne  avec  plus  d'assurance -et 
de  pouvoir.  Charles  IX>,  qui  fut  encore  plus 
malheureux  que  coupable  pendant  son  règne 
court  et  sanglant ,  était  né  avec  les  plus  heu- 
reuses dispositions.  Sa  figure  était  noble ,  son 
«sprit  vif  et  pénétrant,  son  caractère  franc 
et  ouvert  :  le  célèbre  Amyot,  son  pi-écepteur, 
Itù  airâit  donné  le  goût  de  rinsfruction;  mais  sa 
mère  mit  tout  son  art  à  le  perveitir,  et,  bâtis- 
sant sur  les  vices  de  son  Bis  la  .durée  de  sou 
pouvoir ,  elle  employa  tous  les  mi^ens  imagi- 
nables pour  le  cfHTompre  et  l'avilir.  Il  était-vif, 
elle  le  rendit  emporté  et  fxiiel;  il  était  commu- 
niwtif ,  il  devint,  à  son  école,  défiant  et  dissi- 


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aSs  PARTIE    I.  — PÉRIODE    tll. 

mulé;  il  aimait  les  exercices  violents,  elle  forti- 
fia'cette  passion,  au  lieu  de  la  nHHlérer  en  lui 
inspirant  des  goût»  plus  délicats;  il  était  actif, 
elle  lut  donna  l'habitude  de  l'indolence,  et  tâcha 
de  lui  &ire  oublier  ses  devoirs  au  sein  des  plai- 
sirs. 

Au  commencemeiit  de  son  règne,  elle  parut 
vouloir  le  former  au  grand  art  de  régner,  et  il 
fut  résolu  que  le  jenùe  roi  voyagerait  dans  l'in- 
térieur de  son  royaume,  pont-  apprendre  k  le 
connaître,  et  pour  ^touÉfer,  par  sa' présence,  ■ 
jusqu'aux  germes  des  andenncs  divisions  ;  mais 
ce  voyage,  qui  aurait  pu  guérir,  ou  du  moins 
adoucir ,  les  mauï  de  ta  France ,  ne  servit  qu'à 
lui  en  préparer  de  nouveaux.  Médieis  eut  à  Ba-  - 
yonne  des  conférences  avec  le  duc  d'Albe,  qui 
passait'de  l'Espagne  dans  les  Pays-Bas  pour  y 
éteindre  dans  le  sang  les  feux  de  la  révolte  que 
le  despotisme  de  Philippe  y  avait  allumés.  Cet 
Espagnol ,  intolérant  par  principe  et  croel  par 
tempérament,  'souffla  dans  l'ame  de  Catherine 
l'esprit  persécuteur  qui  l'animait.  Elle  conjura 
avec  lui  la  ruine  de  ses  sujets,  et  le  ministre  de 
Philippe  crut  bien  servir  son  maître,  en  don' 
liant  à  la  reine  des  conseils  atroces  ^  qu'elle  ne 
suivit  que  trop  fidèlement. 

Ces  conférences  de  Bayonne  ne  purent  être 


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CHAPITRE    XX.  a53 

tellement  secrètes  que  les  protestants  ne  fussent 
vaguement .  instruits  des  projets  qu'on  y  avait 
forcés  contre  eiix.  Justement  alarmés,  et  asî- 
més  par  Condé  et  Côligni ,  ils  prennent  ie  parti 
de  prévenir  leurs  ennemis.  La  seconde  guerre 
4te  religion  commence.  Les  feux  de  la  revente  se  iS65. 
répandent  avec  rapidité  ;  rien  n'était  plus  facile 
que  d'amener  en  même  temps  l'insurrection  dans 
toutes  les  provinces.  Les  assemblées  synodales 
faisaient  àes  protestants,  répandus  dans  toute 
l'étendue  du  royaume,'  un  seul  corps  dont  les 
ministres  étaient  l'ame;  c'étaient  eux  qui  se  con- 
certaient avec  les  chefe,  et  qui  demandaient 
ensuite  et  obtenaient  partout,  au  nom  de  la  reli- 
gion, des  hommes  et  de  l'aident;.  Grâces  à  cette 
organisation ,  Condé  et  Coligoi  ont  bientôt  réuni 
sous  leurs  ordres  des  forces  considérables  ;  ils 
forment  le  dessein  hardi  de  surprendre  le  roi  k 
Meaux  et  de  l'enlever  ;  mais  la  valeur  et  la  fidé- 
lité des  Suisses  sauvent  Charles  et  sa  mère;  et 
formant  autour  d'eux  un  bataillon  carré ,  ib  les 
conduisent  en  sûreté  i  Paris.  Le  jeune  roi,  ar- 
dent et  fier,  fut  indigné  de  l'audace  des  protes* 
'  tants,  et  la  retraite  de  Meaux  déposa  dans  son 
cœur  un  levain  de  haine  et  de  vengeance.  Condé 
veut  efiaoer  le  mauvais  succès  de  son  entre- 
prise ;  il  va  se  présenter  devant  les  miirs  de 


DiailizodbvGoOgle 


a54  PARTIE    I. PÉRIODE    111. 

Pnris;  et  le  connétable,  à  la-téte  d'une  airrifée  nom- 
breuse, vient  loi  ofirir  la  bataille  dans  la  plaine 
de  Saint-Depis.  Elle  s'engage;  lea  protestants 

156?.  sont  battiu^.mais  le  vieux  Montmorency  e$t  tué 
flW'COup  de' pistolet,  par  un  Ecossais  iiaiinmé 
Robert  Staàrt.  Les  Ailemantls  accourent  de  tous 
côtés  en  France,  les  uns  au  secours  du  roi,  les 
autres-  au  secours  des  religîonnaires.  Le  prince  . 
palatin,.  Jean  Casimir,  est  à  la  tète  de  ces  der- 
niers; son  beau-frère,  Guillaume  de  Saxe,  com-  . 
mande  les  autres.  La  reine,  effrayée  des  désor- 
dres que  commettent  les  rétres  des  deux  partis, 
se  hâte,  pour  tes  éloigner,  de  concltire  la  paix  à 

i5G8.  LcHijumeau  ;  ce  traité  confinne  la  convention 
d'A^boise,  et  y  ajoute  quelques  légères  modifi- 
cations à  l'avantage  des  protestants. 

Ces  traités  n'étaient  que  des  trêves  momenta- 
nées, dictées,  aux  deux  partis  par  ]e  défaut  de 
ressources,  le  besoin  de  se  refaire  et  le  désir  de 
se  tromper  réciproquement.  Au  bout  de  six  mois 
la  guerre  éclate  de  nouveau.  Tous  ceux  qui  sonj: 
mécontents  de  l'administration  de  Catherine ,  et 
qui  conseillent  des  mesures  modérées,  scHit  éloi- 
gués'de  la  cour  et  marqués  du  nom  de  Poiiti-' 
çues.  Médicis  veut  faire  enlev»*  le  prince  de  . 
Condé  et  Coligni  à  Noyers,  en  Bourgogne;  ils 
n'échappent  qu'avec  peine  aux  embàches  qu'elle 


DiqillzodbvGoOgle 


en  AfITJtE     XX.  255 

leur  dresse,  et  se  retirent  h  la  Rochelle;  de  là 
ils  réparaissent  en  forces  et  entrent  en  campagne. 
La  t-eine  nomïiie  Henri,  duc  d'Anjou, lieutenant- 
gériéràl  do  royaume.  Ce  prince  était  son  favori. 
Il  aimait  comme  elle  les  plaisirs  raffitrés ,  les  fétett 
brillantes'  et  bizarres,  les  intrigues  d'amotir  et 
de  pôntique;  savait  mêler  aux  crimes  «ne;  sorte 
de  légèreté ,  et  conserver  de  l'insouciance  au  mi- 
lieu dés  événements  les  pins  tragiques.  Médicis 
se  voyut  renaître  en  lui.  It  ne  manquait  pas 
d'fsprit  ;  mab  sa  frivolité  ne  lui  permettait  pas 
dé  développer,  de  suivre,  d'exécilter  les  idées 
heilreuses  que  son  esprit  lui  sucerait.  Il  ne  te- 
nait à  la  religion  que  par 'les  spectacles  qu'elle 
ofire.  Superstitieux  etincrédule^  libertin  et  dé- 
vot, nous  le  verrons  convertir  les  processions 
en  oi^es,  et  associer  Aux  objets  les  plus  graves 
les  plaisanteries  les  plus  indécentes.  Dans  sa  jeu-  - 
nesse,  il  donnait  des 'espérances  aux  Français. 
Brave  et  hardi ,  mais  sans  connaissances  militai- 
res, il  avait  besoin  d'être  dirigé;  et  sa  mère,  en 
lui  confiant  le  commandement  de  son  armée ,  lui 
'  donna  le  maréchal  de  Tavannes,  qui  prépara  ses 
victcHres  et  lui  arrangea  ses  triomphes.  Coodé  et 
Coligni  voulaient  gagner  le  centre  de  la  ïrance 
pour  se  joindre  aiix  renforts  qu'ils  attendaient 
d'AUcTnagne;  mais  Tavannes  les  resserre  et  les 


:,,  Google 


a5t)  PARTIE     I.  ---  PÉRIODE    m. 

atteint  à  Jarnac ,  petite  ville  sur  les  bords  de  la 
Chareate.  La  fortune,  toujours  contraire,  aux 
protestants  quand  ils  combattent  en  bataille  ran- 
gée ,  se  déclare  de  nouveau  contre  eux.  Condé, 
blessé,  coimbat  encore  à  genoux,  lorsque  Mon- 
tesquiou,  capitaine  des  gardes  du  duc  d'Anjou, 
le  tue  d'un  coup  de  pistolet  ha  mort  de  cet  am- 
bitieux ne  change  rien  à  Tétat  des  affaires.  Co- 
l^gni ,  toujours  grand  ■  dans  les  moments  criti- 
ques, rallie  les  restes  de  l'armée  et  se  retire; 
mais  la  jalousie  divise- les  chefs  des  protestants, 
et  leur  orgueil  souffre  d'obéir  à  l'amiral.  Le  parti 
est  menacé  des  plus.terriblesa)aUieurs,  lorsque 
Jeanne  d'Àlbret,  veuve  d'Antoine  de  Boiubon^ 
arrive  dans  le  camp,  avec  son  fils,  le  jeune  roi 
de  Kavarre ,  et  le  jeune  Condé.  Elle  parcourt  les 
rangs ,  harangue  les  troupes  et  leur  présente 
Henri.  A  sa  vue,  toutes  les  passions  se  calment 
ou  se  taisent;  il  est  proclamé  chef  des  protes- 
tants; et  Coligni,  qui  commandera  désormais  en 
son  nom,  est  sûr  d'être  obéi. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXI. 


CHAPITRE   XXI. 


a  $7 


Henri  de  Navarre  parait  à  la  tète  des  proieiUnta.  Fin  de  U 
troisième  guerre.  Paix  simnlée.  La  cour  veutTextiDctioii 
des  réformés.  Massacre  de  la  Saint-Barthélémy,  Mort  de 
Charles  IX. 


XXEimi,  destioéà  faire,  après  vingt  ans  decum- 
bats  et  d'infortunes ,  le  bonheur  de  la  France , 
était  dans  cet  âge  où  les  grâces  de  l'esprit  et  de 
la  figure  ont  toute  la  fraîcheur  et  tout  l'attrait  de 
la  jeunesse.  Il  avait  à  peine  seize  ans.  Élevé  dans 
le  diàteau  de  Pau,  en  Béam,  il  y  avait  reçu  une 
éducation  mâle,  simple  et  vigoureuse.  Loin  ^e 
lï'mollesse  et  de  la  contrainte  des  cours,  il  avait 
pris,  au  sein  des  montagnes,  parmi  les  en^nts 
du  pays ,  une  force  de  tempérament ,  une  gaité 
de  caractère  et  un  ton  de  cordialité  et  de  fran- 
chise qui  le  soutinrent  dans  les  situations  les 
plus  épineuses.  Son  précepteur,  le  savant  et 
vertueux  La  Gaucherie  ,j  avait  cultivé  son  esprit 
et  son  cœur;  mais  la  nature  le  servit  toujours 
mieux  que  l'art  ;  elle  lui  avait  fait  de  riches 
avances  de  culture;  il  s'abandonna  àelle  avec 
a-  17 


DiailizodbvGoOgle. 


a58  PARTIE     I.-      PÉRIOUE     III. 

confiance  et  avec  succès.  L'éiiole  da  maUieur'dé- 
veloppa  ses  heureuses  dispositions.  Jamais  le 
caractère  national  des  Français ,  sans  ses  taches 
et  ses  imperfections ,  n'a  paru  avec  plus  d'éclat 
qae  dans  ce  prince  ;  et  tes  Français  dureut  adorer 
en  lui  le  représentant ,  ou  platôt  t'îdéat  des  qua- 
lités aimables  et  brillantes  qui  les  distinguent  des 
autres  peuples  ;  en  l'aimant  ils  paraissaient  s'ai- 
mer eux-mêmes.  Intarissable  en  saillies  qui 
touchent  par  leur  naïve  simplicité,  encore  pIAis 
qu'elles  ne  charment  par  ce  qu'elles  ontdtf  fin  et 
de  spirituel,  ses  bons  mots  fiirent  souvent  sa  seule 
richesse;  il  les  employait  pour  consoler,  pour 
punir,  pour  récompenser  ceux  qui  le  servaient. 
Patient  et  sobre  dans  te  besoin  r  ami  du  plaisir 
et  de  la  dépense  dans  l'occasion,  brave  et  pré- 
voyant ,'  se  ménageant  peu  lui-même  et  ména- 
geant beaucoup  ses  serviteurs ,  ferme  par  prin- 
cipe, ctément.et  facile  par  penchant,  populaire 
avec  dignité  f  il  vivait  familièremeot  avec  ceux 
qui  s'attachaieût  à  sa  fortune,  et  paraissait -des- 
cendre de  sou  rang  pour  dtMiner  du  prix  à, cette 
familiarité.  Hardi,  actif,  entreprenant,  multi- 
pliant ses  mt>yens  par  la  rapidité  de  ses  marches , 
il  avait  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  faire 
la- guerre  avec  succès,  comme  chef  .d'un  parti 
dont  on  ne  pouvait  se  faire  obéir  qu'autant  qu'on 


DiailizodbvGoOgle 


■CftAPlTBF.    XXI.  aSg 

avait  ihi  mérite  personnel.  Ses  faiblesses  firent 
quelquefois  tort  à  ses  affaires;  mais  le  plus  soii- 
yent  il  savait  s'arracher  au  plaisir  pour  voler 
à  la  gloire  efc  au  devoir.  Ses  défauts  ne  le  ren- 
dirent jamais  méprisable,  parce  que  son  cœur 
ne  fut  jamais  étranger  à  ses  relations  avec  les 
femipes,  et  qu'elles  eurent  toutes  cette  teinte  de 
sentiment  et  de  galanterie  chevaleresque  ^  qbi 
Sauve  de  l'avilissement. 

•  Son  coufit»,  le. prince  de  Coudé,  plus  grave, 
plus  réfléchi ,  plus  ambitieux  pour  son  âge,  était 
son  camarade  et  son  ami.  Ils  parurent  ensemble  °  ' 
snr  la  scène.,  et  connurent  l'émulation  sans  con- 
naître la  jîdousi'e;  Coligni  veiit  profiter  du  coù- 
tage  et  de  la  confiance  que  Tarrivée  des*  deux 
princes  a  répandus  dans  son  amlée,  et  reprend 
de  nouveau  l'offensive.  Le  combat  de  Roche- 
Mbeille  se  termine  à  son  avantage;"  mais  les 
protestants  souillent  leorvicîoiï-e  parleur  cruauté. 
Coligni  met  le  siège  devant  Poitiers  ;  la  ville  fait 
une  belle  défense;  le  duc  d'Anjou  s'avance  pour 
la  délivrer;  l'amiral  abandonùe  le  siège  et  ni^- 
cheà-sa  rencontre;  la-bataille  s'engage  près  de 
itlontcontour,  et^  malgré'les  renforts  que'  hd'à 
amenés  le  duc  desDeiïs-Ponts ,  Colig'nt  est  battu- 
A^rès  Cette  victoire-,  la  France  croit  que  le  (ïiic 
^'An)on  va  podrsurvre  lès  restes ides  protestants; 
'7- 


DiailizodbvGoOgle 


a6o  PARTIE    I. PÉRIODE    III. 

mais  son  iadolenoe  et  son  goût  pour  le  plaisir 
l'empéchcRt  de  profiter  de  se$  avantages.  La 
pmdence  et  l'activité  de  l'amiral  lui  fournissent 
les  moyens  de  réparer  se»  pertes ,  et  de  livrer , 
près  d'Aniai-le-Duc,  un  combat  dont  le  succès 
reste  indécis.  Cependant,  Charles  IX,  jaloux  de 
la  gloire  de  son  frère ,  incline  pour  la  paix,  afin 
de  n'avoir  plus  besoin  de  ses  services.  Catherine 
veut  employer  de  nouveaux  moyens  potir  dé- 
truire les  protestants,  et, -dans  ce  dessein,  il 
faut  les  endormir  en  leur  accot^i^  une  paix 
iSjo.  avantageuse.  Elle  est  conclue  À  Saint-Germain- 
en-Laye,  On  accorde  aux  Calvinistes  une  am- 
nistie générale,  le  libre  exercice  de  leur  reli- 
gion ,  le  droit  de  parvenir  k  toutes  les  charges 
de  l'État,  la  permission  de  récuser  six  juges  dans 
les  parlements,  et. quatre  villes  de  sûreté.  La 
paix  paraît  satisfaire  les  protestants;  mais  l«s 
catholiques  murmurent  :  Médicis  les  flatte ,  les 
caresse,  en  attendant  que  les  circonstances  lui 
permettent  de  découvrir  ses  artifices,  et  que  le 
moment  soit  venu  de  frapper  un  coup  décisif. 
Dans  le  traité  de  Saint -Germain,  on  avait 
airété  le  mariage  du  jeune  roi  de  Navarre  avec 
Marguerite'de  Valois,  sœur  de  .Charles  IX.  Xe 
temps  des  noces  est  fixé  ;  les  préparatife  se  font 
avec  toute  la  pompe  imaginable.  Cette  union 


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cHAptTRE  Kxi.  a6> 

doit  terminer  tous  les  troubles  et  prëveritr-  tou- 
tes les  guerres.  La  noblesse  protestante  est 
invitée  k  se  rendbre  aux  solennités  du  mariage. 
Elle  accourt  de  toutes  les  parties'  du  royaume , 
et ,  pour  honorer  te  roi  de  Navarre ,  elle  paraft 
avec  éckit  à  Paris,  et  y  déploie  la  plus  grande 
magniâoence  :  GoHgili  lui-même  vient  dans  la 
capitale;  Charles  témoigne  du  respect  et  nffême 
de  la  confiance  à  ce  vieillard ,  qui ,  jaloux  d'as- 
surer la  tranquiUite  de  la  France,  propose  au 
roi  de  diriger  au  dehors  l'inquiétude  des  Fran- 
^Siis,  et  de  toumerSes  armés  contre  la  maison 
d'Autriche.  Charles  adopte  ce  projet  avec  cha- 
leur. Catherine,  qui.  craint  fascendant  de  la 
vertu ,  emploie  le  crime  pour  la  perdre  ;  la  reine 
de  Navarre  meurt  subitement,  et  c'est  le  poison 
qui  termine  ses  jours;  Coligni  est  blessé  par  un 
assassin.  Henri,  duc  de  Guise,  qui  l-eproduit  les 
vertus  de  son  père  avec  des  vices  qui  étaient 
étrangers  à  ce  grand  homme,  qui  lui  est  égai 
pour  le  génie,  sup^ieur'eti  ambitibn,  et  qui 
brûle  de  venger  sa  mort ,  est  l'àme  des  projets 
de  Médicis.  Elle  assiège  son  fils  dé  vaines'  tér- 
.  reurs;  elle  lui  persuade  qiie  les  réformés  ont 
conspiré  contre  lui  et  contre  toute  la  maison 
royale;  qu'ils  ne  se  sont  ^ndus  en  si'  grand 
nombre  à  Paris ,  que  pour  exercer  d*horr9iles 


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a6a  PARTIE    I.  PÉKIODE     III. 

vengeances.,  él  qu'il  est  perdu  s'il  ne  se  bâte  de 
les  prévenir.  Agité  pat  les  fantômes  qu'elle  lui 
pré^nte,  Chiu-les  ne  se  pos.sèd«  plus  lui-même, 
^  et  signe  l'ordre  de  massacrer  tous  les  protestants.  , 
A  minuit,  la  cloche  de  Saint-Germain-l'Âuxer- 
rois  donne  le  signal  du  carnage.  Là  commence' 
Vfiç  longue  suite  de  crimes  épouvantables,  dont 
les  siècles  n'<mt  pu  aifeiblir  rhorreur,  et  que 
l'imagination ,  succombant  sous  le  poids  de  la 
f^alité,  ne  peul  ni  se  représenter  ni- peindre  di- 
goanent.  SoisWïte-dij;  mille.  Français  périssent 
égorgés  par  tes  ordres -de  leurroi,  qui  ne  dé-^ 
daigne  pas  de  se  ranger  lui-même  parmi  les  as- 
sassins )  c'est  un  de  ce^  mc^ents ,  trop  communs 
dap^  l'histoire,  où  l'on  Croirait  quç  les  lois  mo- 
rale; sont  effacées  de  toutes  les  consciences;  et 
pour  se  .récpoçilier  avec  l'espèce  huiïiaine,  il 
Ëint  ^e  rappeler  des  traits  de  .vertu  qui  prouvent 
que  lp,nature.  morale  vivait  encore  dans  le  cdeur 
des  Français,:  et  Imposer  ^i  regards  &tigués  sur 
la  ^^uéreuse  désobéissanice  de  Jlénnuyer,  de 
Jannin,  d'AspFPiflont,  de  Tendflsv  et  de  quelques 
a^p^i  q;^i  ^feTvitient  Ch^rli^  m^^é  liii-mêmev 
«t.refq^l^t.  d'ç9re  \^  bbiwreau^'ffe  leurs  con- 
citoyens. ;:;-,,!■ 

Le  grand  crime'  (p^i:  Tenait  de,  se  commettre 
eir,:fraflÇ«'.  fPPnpli':  l'liMrofw  entière  d'iadign»- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXI.  363 

tipn  et  d'eflGroi.  Rome  et  l'Espagne  seules  firent 
des  feux  de  joie  et  remercièrent  le  cîel  de  cet 
heureux  ^Ténement;  mais  les  peuples  mêmes  de 
ces  contrées  ne  partagèrent  pas  l'alïreuse  satis- 
faction de  leurê  souverains.  Partout  ailleurs  il 
s'éleva  un  cri  général  contre  cette  exécrable 
action.  Elisabeth  et  sa  cour  en  portèrent  te 
deuil.  Charles,  qui  avait  osé  tirer  sur  ses  propres 
sujets  fityant  ses  ordres  cruels,  eut  horreur  dé 
son  délire  quand  le  Aioment  de  la  fièvre  fat 
passé;  et,  dans  les  lettres  qu'il  écrivit,  il  rejeta 
le'massacre  sur  les  Guisos.;  mais  sa  mÈré  lui  fit 
Sentir  les  conséquences  de  cette  démarche ,  et 
huit  jours  apr^s  il  tint  un  lit  de  justice  dans  le 
parlement,  et,  ne  rougissant  pas  de  parler  de 
Ces  forfaits  dans  le  sanctuaire  même  de  la  loi , 
iïprêta  àui  réformés  les  projets  les  plus  odieux; 
et  préteiidit  que  tout  ce  qui  s'était  fait,  n'avait 
été  quune  mesure  nécessaire  contre  une  Con- 
spiration qui  menaçait  de  tout  abîmer.  Rien  ne 
-prouve  mieux  la  fausseté  de  ces  accusations  que 
lé  peii  de  résistance  que  les  réformés  oppos'è- 
rent  à  leurs  assassins  ;  il  n'y  en  eut  que  deux 
qui  se  défendirent. 

Le  roi  de  Navarre  et  lé  prince  de  Condé  n'a- 
vaient sauvé  leur  vie  qu'en  déclarant  vouloir  se' 
foire  instruire.  Charles,  entouré  de  ses  gardes,' 


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a64  PARTIE     I.  PÉRIODE    III. 

leur  avait  crié  dans  le  moment  du  massacre  :  La 
messe  ou  la  mort!  et  ces  jeunes  princes  intimi- 
dés avaient  cédé  à  ses  menaces.  Dans  le  pre- 
mier ef&oi ,  les  réformés  crurent  qu'on  allait  les 
poursuivre  i  extinction ,  et  qu'ils  ne  se  relève- 
raient jamais  de  ce  coup.  Les  uns  essayèrent  de 
sortir  de  France ,  les  autres  se  sauvèrent  dans 
les  marais  du  Poitou  et  dans  les  défilés  des  Cé- 
vennes.  Après  ces  scènes  sanglantes*  on  pensait 
que  la  cour  profiterait  de  la  circonstance  poiir 
exterminer  le  parti  ;  heiu-eusem^ent  elle  fut  in- 
conséquente, et  ne  fit  pas  tout  le  mal  qu'on 
avait  droit  d'attendre  d'elle.  Au  mois  d'août ,  elle 
avait  massacré  les  réformés  ;  au  mois  d'octobre 
de  ta  même  année ,  elle  promit  de  les  protéger 
et  de  leur  rendre  leurs  biens.  Mais ,  en  même 
temps,  elle  ordonne  d'assiéger  la  Rochelle,  Ni-, 
mes,  Montauban,  Sancerre,  les  derniers  asiles 
des  religiontiaires ,  qui  se  préparent  à  les  défen- 
dre ,  et  invoquent  le  secours  de  l'Angleterre. 
La  Rochelle  est  menacée  la  première  ;  le  brave 
Iji  Noue  y  commande;  vrai  citoyen,  attaché 
également  à  sa  religion  et  à  sa  patrie ,  zélé  sans 
fanatisme  et  modéré  sans  faiblesse,  La  Noue 
jouit  de  la  confiance  des  deux  partis.  Charles 
l'avait  nommé  gouverneur  de  la  Rochelle,  et 
cependant  les  Rochellois  lui  abandonnent  le  soin 


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CHAPITRE    XÏI.  a65 

de  défendre  la  place  contre  l'armée  .de  Charles, 
qui  s'avance  sous  les  ordres  du  duc  d'Anjou. 
La  ville  fait  une  belle  résistance.  La  Noue  ré- 
pond à  la  confiance  des  calvinistes  par  les  me- 
sures.s^es  et  vigoureuses  qu'il  prend,  à  celle 
du  roi  f  n  exhortant  les  calvinistes  à  la  paix.  Le 
duc  d'Anjou  presse  mollement  le  siège,  et  son 
indolence  l'empêche,  de  réussir.  Bientôt  il  ap- 
prend que  l'argent  prodigué  par  Jtlédicis  en 
Pologne,  et  l'habileté  de  Montluc,  chargé  de 
conduire  cette  négociatigo ,  lui  ont  procuré  le 
trône  ^  Polo^e,  Pressé  d'aller  prendre  posses- 
sion de  sa  nouvelle  couronne,  et  voulant  ter- 
miner la  guçrre  avant  son  départ,  il  se  hâte  de 
conclure  la  paix  avec  les  religionnaires  ;  ils  ob- 
tiennent le  droit  de»  qélébrer  librement  leur  1573. 
culte  à  la  Eochelle ,  à  Nîmes,  à  Montauban.  La 
ville  de  Sancerre  abandonnée,  soutint  encore 
uu  siège  de  deux  mois ,  et  liit  ensuite  déman- 
telée. 

Henri  quitte  la  France  ;  Médicis  se  sépare  à 
regret  de  son  fils  chéri;  Charles  éprouve  une 
joie  secrète  en  voyant  son  successeur  s'éloigner. 
Ije  roi  de  Pologne  recueille,  sur  son  passage  en 
Allemagne,  des  expressions  non  équivoques  de. 
l'horreur  qne  la  Saint-Barthélemi  a  excitée  dans 
tous  les  pays,  et  il  va  dans  ses  nouveaux  États, 


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^66  PAKTiE     1.—  PÉRIODE     111. 

vivre  avec  les  Français  qiii  l'ont  accompagné, 
manquer  aux^  serments  qui  le  lient  hhx'  Polo- 
ifiùs,  s'ennuyer  avec  eux  et  s'en  faire  mépriser. 
A  peine  est-it  sorti  de  France,  que  la  cour  de- 
vient le  théâtre  d'intrigues  nouvelles.  Le*  parti 
des  Montmorencî  avait  été  contraire  aux  projets 
homicides  qii'dn  avait  exécutés-;  mécontents  de 
l'administration,  ou  plutôt  irrités  de  ce  qu'elle 
né  leur  était  pas  confiée,  ils  s'étaient  rapprochés 
des  huguenots.  Confondant  leurs  plaintes  et 
leurs  désirs ,  ils  demandent  hautement  la  convo- 
cation des  États-Généraux ,  pour  réforr*r  tous 
les  abus.  Voulant  se  distinguer  des  autres  par- 
tis ,  ils  prennent  le  titre  de  Politiques ,  et  gagnent 
le  duc  d'Alençon,  le  plus  jeune  des  fils  de  Ca- 
'  therine.  Ce  prince  avait  pFus  d'inquiétude  que 
d'ambition,  et  peu  de  moyens.  Jaloux  de  tous 
les  genres  de  succès ,  il  avait  envié  à  son  frère , 
le  roi  de  Pologne,  ceux  qu'il  avait  eus  auprès 
des  femmes,  comme  ceux  qu'il  avait  obtenus 
à  la  tête  des  armées;  mais  la  nature  lut  avait 
refusé  les  grâces  dé  la  figure  et  les  talents  de 
l'esprit.  Il  avait  assez  d'activité  pour  craindre  le 
repos ,  sans  avoir  assez  de  force  et  de  tenue 
pour  supporter  une  vie  active  ;  assez.de "vanité 
pour  désirer  dé  jouer  un  rôle  dans  les^afFaires, 
et  trop  de  légèreté  et   dlnconséquençe    pouf 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXI.  a(>7 

s'acquitta  de  celui  que  les  circonstances  lui 
présentaient.  Il  entreprenait  beaucoup  et  n'a- 
chevait rien.  Son  zèle  se  refroidissait  pluspromff- 
tement  encore  'qu'il  ne  s'était  allumé.  Tel  était 
rhomme  que  les  mécontents  voulaient  mettre  à 
leur  tête.  Ils  domptaient  le  créer  Keutenant-gé- 
néral  du  royaume.  Le  rang  du  duc  d'Aleîïçon 
Légitimait  en  quelque  sorte  les  vues-  de  leur  am- 
bition ,  et  on  lui  persuada  facilement  qu'il  était 
fait  pour  sauver  l'État.  Ses  favoris,  La  Môle  et 
COconas ,  l'euivraieut  des  fumées  de  l'espérance 
el  de  l'orgueil.  Il  devait  quitter  la  cour  où  il  était 
surveillé  pour  se  mettre  à  la  télé  des  protes- 
tants. Le  projet  manqua  parce  que  les  mesures 
avaient  été  mal  concertées..  Catherine  fit  juger, 
condamner  et  mourir  La  Môle  et  Coconas ,  gar- 
der à  vue  le  roi  de  Navari-e  et  le  duc  d'Alençon , 
mettre  à  la  Bastille  les  maréchaux  de  Montmo- 
renci  et  de  Côssé;  et  les  complots  qui  devaient 
la  perdre  ne  servirent  qu'à  augmenter  son 
pouvoir. 

Encore ,  s'ils  avaient  attendu  ma  mort  !  s'écria 
douloureusement  le  jeune  roi,  en  se  sauvant  dé 
Saint-Germain  à  Paris,  au  premier  bruit  de  la. 
conjuration.  Entouré  de  dangers  et  d'ennemis, 
il  s'était  de  nouveau  entièremeiit  abandonné  à 
sa  mère ,  dont  il  avait  commencé  à  se  défier. 


DiailizodbvGoOgle 


268  PARTIE    I.  PÉRIODE    I  ï  I, 

Depuis  le  massacre  de  la  Saist-Barthélemi ,  ce 
malheureux  piince  n'avait  f^it  que  languir.  Agité 
de  remords  et  de  craintes ,  inquiet  sur  le  passé 
et  sur  l'avenir,  son  imagination  firappée  lui  pré- 
sentait sans  cesse  les  crimes  qu'il  avait  ordonnés^ 
Le  jour  et  la  nuit  il  se  croyait  environné  des 
victîtnes  sanglantes  de  ses  fureurs ,  et  d'ennemû 
qui  se  préparaient  à  venger  sur  lui  le  sang  inno- 
cent. Sa  ,vie  ne  fut  plus  qu'une  longue  agonie. 
i574-  Il  mourut  dans  l'état  le  plus  déplorable.  Ses 
cruelles  angoisses  prouvent  qu'il  n'était  pas  fa- 
miliarisé avec  le  cnme ,  et  que  ceux  qu'il  a  fait 
commettre  appartiennent  t6us  à  sa  mère.  Avant 
de  s'éteindre,  il  confia  la  régence  du  royaume  à 
sa  plus  grande  ennemie.  ]|klédicis  en  fut  chargée 
jusqu'à  Tarrivée  du  roi  de  Pologne. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXII.  269 


CHAPITRE    XXII. 

Eut  de  la  France  II  la  mort  de  Charles  IX.  Henri  III 
monté  sur  le  trftne.  Caractère  de  son  administratîoD. 
Naiuance  de  la  ligue  dirigée  contre  les  Bourbons.  Ëtata 
de  Blois.  Mort  de  Gùise.  Assassifiat  de  Henri  IH.  Henri  IV 
triomphe  de  ta  Ligue  et  de  l'EsjfMgne.  Paix  de  Vervins. 

A.  la  mort  de  Charles  IX^la  France  paraissait 
calme,  mais  c'était  un  calme  perfide,  avant-  ' 
coureur  de  longues  et  terribles  tempêtes  ;  tous 
les  éléments  de  discorde ,  de  crime  et  d'infortune 
y  étaient  réunis  dans  un  même  foyer.  Les  dis- 
positions du  peuple,  l'animosité  des  partis,  les 
intrigues  des  grands,  les  mœurs  publiques,  et 
la  corruption  de  ta  cour ,  annonçaient  à  l'État  les 
plus  grands  malheurs ,  et  te  menaçaient  d'une 
désorganisation  entière.  Quatorze  années  de 
troubles  et  de  guerres  civiles  avaient  rompu 
toutes  les  habitudes  de  travail,  de  repos  et  d'o- 
béissance dans  les  classes  inférieures  de  ta  so- 
ciété. Des  révolutions  continuelles  avaient  donné 
le  besoin  des  mouvements  et  des  troubles.  On 
les  avait  désirées  comme  moyen;  beaucoup  de 


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a7«  PARTIE     U PÉRIODE     111. 

gens  avaient  6ni,par  les  aimer,  et  ne  voyaient, 
rien  au-delà.  Nombre  d'individus,  dans  toutes 
leS"  provinces ,  aimaient  mieux  vivre  de  butin 
que  de  travail,  profiter  des  troubles  que  les  pré- 
venir ,  et  employer  leur  force  à  désobéir  impu- 
nément aux  lois  que  de  s'en  servir  poiir  les  pro- 
téger ;  ceux  qui  n'avaient  jamais  rien  eu  à 
perdre,  comptaient  refaire  leur  fortune  dans  le 
bouleversement  générât.  Les  catholiques  .avaient 
commis  tro'p  de  crimes  pour  s'arrêter  dans  le 
plan  de  détruire  les  protestants,  et  pour  se  re- 
fuser à  quelques-ut^  de  plus  qui  semblaient  de- 
voir leur  assurer  un  triomphe  complet  sur  leurs 
adversaires.  Les  protestants  avaient  trop  souf- 
fert pour  ne  pas  désirer  la  vengeance,  et  ils. 
étaient  encore  assez  puissants  pour  l'espérer. 
I^s  pairtis  de  Montmorenci  et  des  Guises  exis- 
taient toujours.  Les  premiers  avaient  fait  avec 
le  roi  de  Navarre  et  le  duc  d'Alençon  une  coa- 
lition dictée  par  la  nécessité  seule;  les  autres, 
dirigés  par  un  jeune  homme  qui  avait  hérité  du 
géuiey  de  l'ambition  et  des  projets  de  son  père, 
étaient  regardés  comme  les  auteurs  de  la  Saint- 
Barthélemi,  et  ce  grand  crime  donnait  la  me- 
sure de  leur  audace ,  de  leur  crédit  et  de  leur 
attachement  à  la  religion  catholique.  Dans  le 
fond,  les  deux  sectes  suivaient- des  chefe  itidif- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXII.  .271 

férénts  sur  la  doctrÎDie  et  sur  le  ciilte;  les  gMerres , 
les  massacres,  les  querelles,  les  débats,  les  écrits 
polémiques  qui  avaient  allumé  ou  nourri  le  fa- 
natisme du  peuple,  avaient  éteint  celui  des 
hommes  considérés,  qui  avaient  passé  de  la  con- 
viction au  doute,  et  du  doute  à  l'incrédulité  ; 
mais  ils  n'en  étaient  que  plus  dangereux,  parce 
qu'ils  en  devenaient  plus  propres  à  diriger  le 
fanatisme  de  lenxs  partisans ,  et  que ,  sous  le 
masque  de  l'hypocrisie ,  ils  allaient  plus  sûre- 
ment à  leur  but.  La  cour  était  une  véritable 
sentine  de  corruption  et  de  désordres.  Les  étran- 
gers les  plus  dépravés  y  accouraient  de  toutes 
parts  oflirir  à  Médicis  les  ressources  de  leur  es- 
prit et  le  secours  de  leur  bras,  et  naturalisaient 
en  France  l'empoisonnement  et  l'assassinat.  La 
reine  employait  les  charmes  et  les  mœurs  fa- 
ciles des  femmes  de  sa  cour ,  pour  séduire  et 
captiver  ses  ennemis.  Ses  dames  la  suivaient 
partout,  et  elle  ne  marchait  jamais  sans  cet  es- 
cadron volant.  Le  commerce  journalier  et  intime 
des  deux  sexes  avait  ôté  à  l'amour  le  caractère 
tendre ,  i;espectueus ,  moral ,  que  lut  avait  donné 
la  chevalerie  ;  et  l'on  n'y  avait  pas  encore  sub- 
stitué cette  galanterie  décente ,  ni  cette  politesse 
délicate  qui  sauvent  du  moins  les  dehors  des 
mœurs.    La  férocité  des   hommes   rendait   les 


DiailizodbvGoOgle 


aya-  partie   i.  —  pimoDK   m. 

femmes  violentes  et  cruelles,  et  la  hardiesse  ef- 
Iréoée  des  femmes  rendait  les  hommes  étrangers 
au  sentiment.  Il  ne  restait  de  l'ancienne  cheva- 
lerie que  le  goût  des  choses  extraordinaires  ; 
mais  on  le  portait  dans  le  désordre  et  le  crime, 
et  il  y  multipliait  les  raffinements  et  les  excès. 
Dans  ces  temps  de  troubles,  les  confraternités 
d'armes  devenaient  des  confraternités  d'intrigues 
'  et  de  conspirations.  La  manie  de  mêler  à  tout 
la  dévotion,  subsistait  encore;  mais,  bien  loin 
d'épurer  l'amour,  elle  ne  faisait  qu'ajouter  l'im- 
piété au  dérèglement,  et  enfantait  les  supersti- 
tions les  plus  bizarres.  On  consultait  les  astro- 
logues pour  prévoir  les  succès;  où  employait  ieS 
philtres  pour  s'en  assurer,  et  l'on  avait  recours 
aux  sortilèges  pour  se  débarrasser  de  ses  rivaux, 
"f  elles  étaient  les  mœurs  générales  à  l'époque 
où  Henri  fut  appelé  au  trône  de  France  par  la 
mort  de  son  frère.  Il  ressemblait  trop  à  son 
siècle  pour  le  changer.  Bien  loin  d'avoir  cette 
énei^e  de  caractère  qui  donne  à  un  souverain 
les  moyens  de  régénérer  les  mœtu^  publiques 
par  ses  lois ,  par  ses  leçons  et  par  son  exemple, 
il  réunissait  au  plus  haut  degré  dans  sa  personne 
les  défauts  et  les  vices  de  la  cour  la  plus  cor- 
rompue. Son  séjour  en  Pologne  n'avait  fait  que 
développer  ses  mauvais  penchants.  Il  était  brave 


Diailiz.dbvGoOglc 


CHAPITRE     XXII..  373 

mais  il  ne  l'était  que  datis  les  moments  critiqnes 
et  décisif.  Enclin^  l'indolence  et  à  la  mollesse , 
il  n'avait  pris  àsiia  les  camps  ni  une  humeur 
belliqueuse,  nides  habitudes  guerrières.  Le  vœu 
des  Polonais  t'avait  transplanté  dhns  un  pays 
étranger  aux  arts  et  à  la  culture  du  midi  de  l'Eu- 
rope ,  et  entouré  de  voisins  plus  barbares;  par- 
mi une  nation  qui  ne  connaissait  qu'un  luxe 
grossier ,  où  il  régnait  plus  de  magnificence  que 
de  goût ,  et  où  les  plaisirs  et  les  désordres  de 
la  cour  de  France  étaient  également  inconnus. 
Après  avoir  donné  quelque  temps  à  la  représen- 
tation, qu'il  aimait,  et  pour  laquelle  il  était  fait, 
Henri  s'était  enfermé  dans  son  palais  avec  les 
favOTis  qu'il  avait  amenés,  et  avait  tâché  d'y  re- 
tracer l'image  des  fêtes  bruyantes  et  licencieuses 
auxquelles  U  était  accoutumé.  Ce  liit  là  que  les 
jeunes  gens  qui  étaient.à  sa  suite,  acqinrent  sur 
lui  cet  empire  absolu  qui  fut  si  funeste  à  la 
France ,  qu'il  s'abandonna  à  une  entière  oisi- 
veté, que  l'ennui,  déréglant  son  imagination, 
W  pervertit,  qu'il  prit  l'habitude  de  ne  tenir 
aucun  compte  de  l'opinion,  et  de  oe  pas  plus 
respecter  la  décence  que  la  morale. 

Sa  mère  se  hâta  de  lui  annoncer  la  mort  de 
son  frère.  Cette  nouvelle  lui  parvint  dans  l'es- 
pace de  quatorze  jours.  Transporté  de  joie  de 


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374  PARTIE.   I.  fijtlODE    III. 

cet  événement,  qiil  le  tirait  de  son  exil,  il  ne 
consulta  que  son  iinpatienc^t  celle  de  ses  ^- 
voris.  Sans  penser  i  ce  qu'il  fierait  à  la  nation 
qui  Tavait  honoré  de  la  couronne,  ni  à  ce  qu'il 
se  devait  à  Idi-tnéme ,  il  se  déroba  la  nuit  de  son 
palais,  àl'insu  de  tout  le  monde,  de.crainte  ^e 
son  départ  ne  fût  retardé.  A.  leur  réveil^  les  Po> 
louais  apprirent  que  leur  roi  avait  déserté  son 

■  trône.  Ils  le  poursuivent,  et  l'atteignent. en  Si- 
lésie  ;  Henri  les  berce  d'e^érancés  vaguer ,  et 

.  continue  sa  route.  La  manière  indigne  dont  il 
quitte  le  trône  de  Pologne,  annonce  à  l'Europe 
comment  il  remplira  celui  de  France. 

Il  avait  été  plus  pressé  de  partir  qu'il  n'était 
pressé  d'arriver.  lies  plaisirs  et  les  iiêtes  rarrêtè- 
rent  à  Vienne  et  à  Venise.  Partout  on  luidonna 
le  conseil  de  maintenir  la  paix  en  France ,  et 
d'empêcher  la  naissance.de  nouveaux  troubles, 
en  accordant  aux  calvinistes  protection  et  sûreté. 
Il  aurait  fallu ,  pour  cet  elFet ,  se  faire  .estimer  et 
craindre  des  protestante  et  des  catholiques ,  ga* 
guer  les  honnêtes  gens  par  une  administratidn 
sage  et  paternelle ,  contenir  les  factieux  par  la 
fermeté  et  la  justice,  et  suivre  avec  constance 
et  vigueur  un  plan  uniforme.  A  peine  Henri 
eut-il  pris  possession  du  sceptre ,  qu'il  devint  le' 
jouet  de  tous  les  partis.  La  France  Je  revit  plus 


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CHAPITRE    XXII.  a^5 

frivole,  plus  incapable,  plus  corrompu  qu'il  ne 
levait  été.  L'éclat  qu'avaient  répandu  sur  sa  jeu- 
nesse quelques  actions  brillantes,  s'était  eâacé. 
Le  Français,  toujours  l'eanemi  secret  de  ceux 
qui  le  gouvernent,  qui  reconnair difficilement 
une  supériorité  quelconque ,  et  lui  obéit  plus  dif- 
ficilement encore,  le  Français,  toujours  prêt -à 
passer  le  niveau  du  ridicule  sur  tous  les  objets, 
devait  couvrir  de  ses  mépris  un  prince  qui  pas-  ' 
sait  sa  journée  à  jouer  avec  de  petits  chiens  ou 
bien  à  arranger  des  diamants  ;  qui ,  croyaot  de- 
voir s'occuper  d'actes  de  religion ,  et  ne  pouvant 
renoncer  à  ses  frivolités,  tâchait  de  les  allier 
ensemble ,  et  faisais  du  culte  un-  spectacle,  de 
la  pénitence  une  ferce,  et  des  processions  autant 
de  mascarades.  ' 

Le  parti  de» politiques  ou  des  mécontents,  né 
la  dernière  année  du  règne  de  Charles  IX,  sub- 
sistait toujours,  et  ses' liaisons  avec  les  protes- 
tants étaient  devenues  plus  intimes.  Cette  coa- 
lition était  redoutable.  Elle  ne  se  contentait 
plus  de  demander  la  liberté  des  cultes  :  elle  pa- 
raissait vouloir  qu'on  réformât  les  abtis  de  l'ad- 
ministration ,  et  sollicitait  hautement  la  convo- 
cation des  États-'Généraux  ;  mais ,  dans  le  fait, 
plusieurs  des  chefs  se  proposaient  de  démembrer 
la  France,' et  d'y  former  des  souverainetés  indé- 


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■^"jG    .  PARTIE     I. PimODE    III. 

pendantes ,  ou  d'y  établir  des  formes  démocra- 
tiques et  de  faire  du  tout  une  espèce  de  répu- 
blique fédératîve.  L'opposition  des  vuc^  et  des 
intérêts  des  chefe,  la  naissance  de  la  ligue,  le 
génie  et  les  vertus  de  Henri  TV,  éloignèrent  de 
la  France  une  révolution  qui  l'eût  rendue'  im- 
puissante au-dehors,  et  qui,  dans  l'intérieur, 
l'eût  fait  passer  du  despotisme  à  l'anarchie,  pour 
la  ramener  au  despotisme- 

Cependant  la  coalition  était  menaçante.  Le 
ducd'Alençon,  mécontent  de  son  frère,  qui  l'ob- 
serve, le  soupçonne ,  et  le  fatigue  par  ses  plai- 
santeries, échappe  à  sa  surveillance,  se  sauve, 
et  va  se  mettre  k  la  tête  des  coalisés.  Le  roi  de 
Navaire  suit  son  exemple,  se  retire  dans  la 
Guienne,  sert  la  cause  des  mécontents ,  et  s'ar-, 
racbant  à  l'inaction  et  à  la  mollesse ,  entre  dans 
ia  carrière  de  la  vie  active,  pour  ne  plus  la  quit- 
ter. Le  comte  palatin,  Jean  Casimir,  amène  au 
secours  de  la  coalition  une  forte  armée ,  et  les  , 
étrangers  viennent  de  nouveau  se  mêler'des  que- 
^  relies  domestiques  des  Français.  Henri,  intimidé 
•  par  les  forces  des  mécontents  j  et  craignant  tout 
ce  qui  peut  troubler  ses  plaisirs ,  charge  sa  mère 
de  négocier  là  paix  à  tout  prix.  Médicis  se  pré- 
sente, à  la  tête  des  femmes  de  la  cour,  au  duc 
■S76.  d'Alençon.  Le  prince  est  ébranlé;  elle  le  presse. 


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CHAPITRE    XXII.  277 

et  conclut,  avec  la  coalitiou,  un  traité  ttéshono- 
rant  pour  le  roi,  coDlraire  au  bonheur  de  la 
France ,  et  dans  lequel  les  intérêts  du  trône  et 
ceux  de  la  religion  catholique  sont  également 
sacrifiés..  On  cède  au  duc  d'Alençon  l'Anjou,  la 
Touraine ,  le  Beiry ,  avec  tous  leurs  revenus  ;  les 
protestants  obtiennent  la  liberté  de  célébrer 
leur  culte  dans  toute  l'étendue  du  royaume ,  à 
J'esception  de  Paris;  oa  leur  accorde  dans  cha- 
que parlement ,  une  chambre  mi-partîe ,  qui  doit 
prononcer  sur  les  points  litigieux ,  et  huit  villes 
de  sûreté,  où  il  leur  est  permis  de  mettre  gar- 
nison, et  qui  doivent  garantir  à  la  coaUtion  tMl9 
les  auti«s  avantages  que  le  traité  lui  assure.  < 

Ce  traité  de  paix  donna  naissance  à  la  Ilgue^  1576. 
et  la  Ugue  eu&nta  dix-huît  années  d'infortun^ 
et  de  guerres.  On  avait  d^a  feit  quelquefois  des 
associations  partielles  etfaibles  pour  le  maintien 
de  la  religion  catholique.  Celle-ci  fut  une  asso- 
ciation générale  qui  étendit  ses  rameaux  par 
toute  la  France.  L'objet  ostensible  en  était  la  ~ 

«défense  de  l'ancienne  religion  contre  tous  ses  - 
ennemis;  l'occasion  fut  la  paix  honteuse  conclue  - 
à  l'avantage  des  protestants  :  le  but  secret  était 
l'espulûoii  des  Valois  et  un  changement  de  ây- 

,  nastie;  mais  ce  faut  n'était  connii  que  des  chefs. 
Les  moyens  de  la  ligue  consistaient  dans  les  sa.- 


DiailizodbvGoOgle 


278  PAani     I.  ^PÉRIODE    III. 

crifices  <les  fanatiques  qui  n'épar^aient  riwi 
pour  la  cause  qu'ils  défendaient;  lesi  prédica- 
tions et  l«ft  écrits  incendviires  qnî  enflammaient 
et  égaraient'les  écrits,  l'inflocDcé  des  prêtres, 
qui  dans  le  confessicMinal  exerçaient  nq  empirer 
|b5(du  sur  les  consciences,  et  leur  ordonnaient 
le  crime;  les  bulles  du  piq>e,  l'aient  et  les 
troupes  èc'  Philippe  II,  qui  voulait  combattre 
eti  France  les  insurgés  des  Pays-Bas  *  et  se  fl^t-v 
tait  qu'en  attirant  de  nouveaux  malheurs  sur  le 
royauine,  îl  amùierait  le  moment  où  les  Fran- 
çais, las  de  leurs  agitations  «t  de  leurs  peines, 
chercheraient  le  r^os  dans  ses  bras,  et  se  don- 
neraient à  lui.  L'arae  de  la  ligue  était  Hknri  duc 
de  Guise,  Ûs- de -François.  Dans  la  dernière 
pierre  contre  lesprtrtestauts,  où  le  roi  n'avait 
mouârëque  de  la  ^iblesse, -ce. jeune  h^t»  avait 

.  été  blessé  à  l>ai^;res,  en  combattant  les  ennemis 
de  l'état,  et  en  avait-  remporté  le  surnom  du 
Balafré.  Il  réunissait  toutes  les; qualités  néces- 
saires à  un  chef  de  parti  dans  cette  époque  mal- 
'  heurevse  :  une  naissance  ilhistre,  un.  nom  chei^ 
à  la  France  et- à  la^reL^on  catholique,  un  ex- 
térieur imposant  et  majestueux,  des- manières 
prévenantes,  dea. résolutions  promptes,  pro- 
noncées et  durables ,.  de  la  bravoure  et  du  talent , 

-  pour,  l'intrigue ,  un  esprit  fécond  et  un  lerapé- 


:.,C00glc 


GU&ftTRE    XXII.  379 

rameot  actif,  de  l'audace  «t  de  la  meuire ,  une 
ambition  ^ue  hea  ne  satis&it  et  que  rien  n'é- 
toQiKe.  On  a  4>t  que  le  cardinal  de  l4>iTaine,  son 
oiide ,  ava^l  formé  -le  projet  de  la  ligue  ajurès  ^ 
batftille  de  Dreux.  Henri  de  'Guise  réalisa  cette 
ftnleite.idée,'de  concert  avec  le  légat  du  pape 
et  l'envoyé  d^pagne.  Son  plan  ne  fut  pas  d'a- 
bord Aussi  Vaste  qu'il  le  devint  dans  la  suite  :  il 
s'étendit  avec  ses  succès.  A  la  naissance  de  la 
ligue  ,  il  ne  voulait  que  se  rendre  'redoutable  au 
roi ,  et  parvenir  à  régner  sous  son  nom. 

Baus  le  dernier  traité  conclu  avec  les  protes- 
tants ,  on  avait  résolu  de  convoquer  les  États- 
GéaéraUx.  Us  fureut  assemblés  à  £lpis.  Bodin,  i!»76. 
qbi ,  duis  ce  siècle  de  désordres ,  avait  réfléchi 
sur  les  principes  constttutifs-des  gouvernements, 
célèbre  encore  aujourd'hui  par  ses  écrits,  et  qui, 
mérite  surtout  de  l'être  par  son  patriotisme  in- 
'comiptible ,  fit  entendre  lavoix  de  la,  raison  au 
railieii  des  clameurs  de  la  violence  et  du  délire. 
L^  états  de  Blois  voulaient  limiter  l'autorité 
rojâle,  en  créant  \m  comité  p«inanent  âe  dé- 
putés pris  dans  leur  propre  sein.  Cette  mesure 
aurait  été  aussi  funeste  à  la  liberté  nationale 
qu'à  l'autorité  du  prince;  sans  guérir. les  maux 
du  moment,  elle  aurait  affaibli  pour  toujours  le 
pouvoir  royal,  qui  devait  un  jour  régénérer  la 


Diailizoab'/GoOgle 


a8o  P\RTIË     I.  PÉRIODE     III. 

Fraace,  substitué  à  un  roi  faible  plusieurs  ty- 
rans ,  et  fait  de  la  monarchie  une  aristocratie 
turbulente.  'Bodin  combattit  ce  plan  avetT  au- 
tant de  sagesse  que  de  vigueur  :  (^tendant  la 
proposition  eût  peut-être  passé  malgré  sa  résis> 
tance,  si  les  États,  divisés  sur  ta  conduite  à 
tenir  envers  les  protestants ,  ne  s'étaient  pas  sé- 
parés sans  être  arrivés  à  des  conclusions  fixes  et 
générales.  Dans  ces  temps  de  troubles,  les  as- 
semblées ^  nationales,  étrangères  à  tout  esprit 
public,  n'étaient  elles-mêmes  que  des  instru- 
ments dans  la  main  des  divers  partis.  * 

Henri  III,  que  la  naissance  de  la  ligue  avait 
tiré  un  moment  de  son  apathie ,  s'était  flatté 
d'opposer  la  volonté  nationale  à  la  puissance  de 
ctftte  iaction.  Tl  avait  paru  aux  États  avec  tout 
l'éclat  d'une  grande  représentation,  et  y  avait 
employé  toutes  les  ressources  de  son  éloquence 
naturelle ,  pOur  rallier  les  esprits  autour  du 
trône;  mais  ce  fut  sans  effet.  Il  vit  clairement 
qAe  la  plupart  des  membre^  de  l'assemblée 
avaient  signé  l'acte  de  l'union ,  on  se  pr^araieut 
à  le  faire.  Trop  faible  pour  combattre  la  ligue  à 
force  ouverte,  trop  pénétrant  pour  ne  pas  me- 
surer toute  l'étendue  du  danger  qui  le  mena- 
çait, il -prit  une  résolution  qui  étonna  tous  les 
partis.  Ce  fut  de  se  mettre  lui-même  à  la  tête  de 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXII.  a8i 

la  ligue,  et  d'accéder  à  une  confédération  qui 
secrètement  était  dirigée  contre  lui.  Ce  moyen 
de  déjouer  les  projets  de  ses  ennemis,  était 
plutôt  singulier  qtie  sage.  A  la  vérité,  il  parais- 
sait propre  à  reconcilier  avec  le  roi  les  catho- 
liques zélés,  mais  il  équivalait  à  une  déclaratioa 
de  guerre  contre  les  protestants.  Comme  les 
chefs  de  la  ligue  ne  pouvaient  pas  croire  à  la 
bonne  foi  de  Henri ,  cette  mesure  hasardée  de- 
vait être  à  leurs  yeux  un  aveu  formel  de  son 
impuissance,  ef  il  était  facile  de  prévoir  qu'ils 
ne  présenterafent  aux  fanatiques  du  parti ,  son 
accession  à  là  ligue ,  que  comme  une  ruse  de 
guerre  et  une  nouvelle  preuve  de  sou  hypocrisie. 
Après  cette  démarche  décisive,  qui  ne  récon- 
ciliait pas  les  ligueurs  avec  le  roi ,  et  qui  leur 
donnait  le  secret  de  sa  faibletise ,  il  iallait  du 
noins  qu'il  épousât  avec  çhalefir  les  affections 
de  la  ligue ,  et  qu'il  évitât  ces  demi-mesures  qui, 
dans  les  otages  des  guerres  civiles,  irritent  tous 
les  partis.  Henri  en  sentit  un  moment  la  néces- 
sité :  il  rompit  la  paix  conclue  avec  les  pi'otes- 
tant»,  et  les  hostilités  recommencèrent.  Elles  se  1577. 
firent  mollement.  Le  roi  manquait  de  troupes  , 
d'argent ,  et  surtout  d'une  volonté  bien  pro- 
noncée. Il  craignait  d'augmenter  les  prétentions 
des  ligueurs ,   en  agissant  avec  sévérité  contre 


j^vGoogle 


l8a  PAKTIK     1.  PÉRIODJi    111. 

les  calviaistes.  L'édit  de  Bergerac,-  qui  laisse 
aux  réformés  leurs  places  fortes  et  les  «hunbres 
mi-parties ,  soulève  'tes  catholiques.  -  Guise ,  le 
Pape,  l'Espagne  emploient,  pour  enflailiiner  les 
passions  des  zélateurs ,  leurs  armes  ordinaires , 
les  prédications  et  les  pamphlets  incendiaires. 
Cependant  le  défaut  ^e  moyens ,  des  ménage-' 
ments  politiques,  la  conduite  ferme  et  habile 
du  roi  de  Ifavarre>  et  du  prince  de  Condé,  ar- 
rêtent encore  l'impétuosité  des  ligueurs  f  mais 
la  mort  du  duc  d'Alënçon,  frèr^  unique  du  roi, 
i384.  devient  le  ^nal  de  nouveaux  désastres.  Ce 
prince  entre[»%nant  et  mobile^  se  mêlant  de 
tout ,  et  ne  conduisant  rien  à  terme ,  mourut 
subitement,  après  avoir  joué  dans  leS'  Pays-Bas 
un  râledigne'de  son  caractère;  Tant  qu'il  avait 
vécu ,  rambitïon  de  Guise  n'avait  pas  empli^é 
ouvertement  contre  le  roi  les  grandes  ressonrcea 
<Iont  il  pouvait  disposer.'  Que  lui  aurait'^l  servi 
àe  détrôner  Henri?  son  frère  le  remplaçait;  mais 
la'  mort'  du  duc  d'Alënçon  ouvre  à  Guise  des 
>  perspectives  aussi  vaste»  qu'imprévues;  son 
imagination  s'en  saisit ,  et  il  s'empresse  de  les 
réaliser.  La  ligue  n'avait  été  qu'un  moyen  pré- 
paré avec  art ,  pour  produire  un  grand  boule- 
versement, dans  un  but  quelconque.  Maintenant 
le  but  est  déterminé.  Le  roi  n'a  point  d'enj&nls. 


ailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XXII.  î83 

Henri  de  Navarre  «st  un  hérétique  qui  ije  sau- 
rait l^ii  succéder.  Le  tlnc  de  Guise  se  voit  déjà 
sur  le  trône.  Des  généalogistes  'complaisants  le 
font  descoidre  en  ligne  directe  de  Cbarlemagne, 
et  publiait  que  la  race  de  Gapet  et  de  Valois  est 
une  race  d'usurpateurs.  Ht  pape  promet  de 
lancer  ses  bulles  et  d'approuver  toutes  les  dé- 
mardbes  qui  auront  besoin  d'être  légitimées. 
L*Ëspagne  applaudit  à  ce  plan.  L'ordre  de  la 
succession  une  fols  bouleversé,  et  l'héritier  na- 
turel exclu  du  trône,  Philippe  ne  désespère  pas 
de  voir  porter  le  sceptre  de  France  à  un  prince 
ou  à  une  princesse  de  sa  maison.  Guise,  aussi 
adroit  qu'audacieux,  se  propose  de  se  servir, 
pendant  quelque' temps,,  du  nom  du  cardinal 
Charles  de  Bourbon,  oncle  du  roi  de  Navarre, 
pour  voiler  ses  projets  ambitieux  et  ses  vues 
personnelles. 

'  Intimidé' par  la  hardiesse  des  propos,  îles 
écrits  et  des  actions  des  ligueurs ,  qui  va  tou- 
jours croissant,  Henri  voudrait  employer  la 
politique  que  sa  mère  a  suivie  dans  le  com- 
mencement des  troubles  civils ,  contenir  les 
protestants  et  les  catholiques ,  le  parti  des  Guises 
et  celui  du  roi  de  Navarre,  en  les  abaissant  et 
les  élevant  tour  à  tour.  Mais  cette  mardie  arti- 
ficieAse  était    moins  que  jamais   adaptée    aux 


DiailizodbvGoOgle 


284  PARTIE     I.  PÛAIODE    III,* 

circonstances.  Obligé  de  se  déclarer  pour  ou-. 
contre  te»  ligueurs ,  le  foÎ  conclut  avec  e^px  le 

i585.  traité  de  Nemours,  leur  accorde  dix  places  de 
sûreté,  et  redemande  aux  huguenots  celtes  qu'ils 
ont  obtenues  par  les  traités  précédents. 

La  guerre  était  inévitable  ;  elle  éclate.  Heurt 
est  forcé ,  malgré  lui ,  de  combattre  les  protes- 
tants, et  il  tes  combat  avec  désavantage.  Le  roi 
de  Navarre,  à  la  tête  d'une  armée  peu  nom- 
breuse ,  mais  qui  adore  son  ctief ^  remporte  , 
près  de  Coutras ,  une  victoire  signalée  sur  celle 

iSS?.  du  roi,  commandée  par  Joyeuse.  Ce  favori  de 
Henri  III  est  tué  dans  la  bataille.  Guise,  qui  ne 
perd  pas  un  moment  _de  vue  son  plan ,  profite 
de  cette  déiaite  pour  calomnier  le  roi  dans  l'es- 
prit du  peuple,  et  l'accuse  d'entretenir  des  in» 
telligences  secrètes  avec  les  protestants.  Dans 
le  même  temps ,  il  obtient  de  Rome  une  balle 
qui  déclare  le  roi  de  Navarre  et  le  jjrince  de 
Condé  déchus  de  leurs  droits  à  la  couronne,  et 
proclame  le  vi,eux  cardinal  premi^  prince  du 
sang. 

Cependant  Paris  devient  le  foyer  des  troubles 
et  le  centre  des  opérations  de  là  ligue.  Réunis 
sur  un  point,  les  esprits  s'exaltent  ;  les  têtes  s'é- 
chauffent ;  tes  factieux  peuvent ,  avec  la  phis 
grande  facilité ,  donner  les  ordres ,  répandre  tes 


:,,  Google 


CHAPITRE    XXII.  a85 

impressions,' communiquer  les  idées  dont  ils 
ont  besoin  ponr  réiisùr.  Une  populace  nom- 
breuse ,  ignorante  et  pauvre ,  qu'il  coûte  peu 
d'acheter  et  de  séduire;  qui  croit  tout,  convoite 
tout,  ne  peut  que  gagnw  au  désordre;  à  qui 
ses  chefs  promettent  du  bulin  et  les  prêtres  le 
ciel  pour  prix  de  ses  crimes,  devient  une  véri- 
table armée,  susceptibledese  former  et  se  séparer 
avec  une  égale  promptitude.  Des  hommes  plus 
éclairés  et  plus  réfléchis  dirigent  cette  multitude 
de  bras.  Les  députés  des  seize  quartiers  de  Paris 
composent  un  conseil  qui  gouverne  la  com- 
mune, et  qui,  par  ses  correspondances  et  ses 
écrits ,  étend  son  pouvoir  sur  toute  la  France , 
et  pousse  au  loin  ses  rameaux.  Les  fourbes  et 
les  fanatiques  se  partagent  l'autorité.  Les  citoyens 
probes  et  honnêtes  seuf](^rent,  se  taisent,  et  per- 
dent la  chose  publique  par  leur  silence  et  leur 
inaction.  La  religion  et  Guise  ne  sont  plus  sé- 
parés dans  les  discours  et  dans  les  cœurs.  Le 
méfHÏs  et  la  haine  pour  le  roi  montent  à  leur 
comble.  On  lui  prodigue  les  noms  les  plus 
odieux ,  on  le  menace  ouvertement.  Le  duc  de 
Guise ,  qui  a  taillé  en  pièces  une  armée  d'Alle- 
mands, avec  laquelle  le  roi  de  Navarre  aurait 
pu  <4>érer  sa  jonction ,  s'il  n'avait  pas  perdu  un 
temps  précieux  ,  fier  de  sa  victoire  ,  se  met  en 


DiailizodbvGoOgle 


af)6  pA.ttTiK   I. — p:ériode  III. 

marche  pour  Paris,  dans  le  dessein  d'y  dicter 
des  lois.  Le  roi  lui  défend  de  s'y  rendre.  Cet 
ambitieux ,  qui  ne  respecte  et  ne  craint  plus 
rien,  y  paraît  malgré  ces  ordres.  Sa  présence 
augmente  l'effervescence  générale.  Henri  ne  se 
croit  plus  en  sûreté ,  et  fait  entrer  dans  Paris 
un  corps  de  troupes  suisses.  Il  irrite  le  peuple 
par  cette  précaution;  et,  en  différant  d'employer 
ces  forces ,'  il  tourne  cette  mesure  contre  lui- 
même.  Le  peuple,  voyant  que  la  force  armée 
reste  immobile,  et  paraît  le  craindre,  t'attaque 
et  l'oblige  à  reculer;  les  chaînes  sont  tendues 
dans  les  mes  de  Paris  ;  on  pousse  les  barricader 
jusqu'au  Louvre ,  et  Guise-  a  besoin  de  tout 
son  ascendant  sur  les  esprits  pour  empêcher  le 
massacre  des  Suisses.  Ce  service  iait  sentir  au 
roi  toute  sa  nullité  et  jtoute  l'étendue  du  pou- 
i588.  voir  de  Guise.  Il  quitte  furtivement  Paris,  tan- 
dis que  Catherine  de  Médicis  amuse  son  ennemi 
par  de  feintes  négociations.  Guise  profite  de 
cette  évasion  pour  déployer  dans  la  ville  sa  toute- 
puissance.  Il  déplace  les  magistrats  et  en  nomme 
d'autres  ;  il  s'empare  de  ta  BastUle  :  tout  lui 
obéit.  I.e  moment  est  venu  où  il  peut  précipiter 
du  trône  le  dernier  des  Valois,  et  y  monter 
lui-mêîne;  mais  il  diffère  l'exécution  de  sxmi 
plan,  soit  pour  donner  à  ses  démarches  une 


j^vGooglf 


CÏIAPITHE    XXII.  387 

sorte  de  légalité,  soit  que  les  caractères  les 
plus  audacieux  aient  des  moments  de  timidité 
et  de  scrupule.  Henri  a  de  nouveau  recours  aux 
négociatioos  ;  il  flatte  et  caresse  ses  sujets  ré- 
voltés. Les  protestants  doivent  être  exterminés. 
Guise  doit  obtenir  un  degré  de  pouvoir  qui 
le  rende  à  peu  prés  indépendant,  et  tes  États 
sont  convoqués  à  Blois  pour  réformer  tous  les  i588. 
abus  (lu  royaume.  Le  rtii  espère  trouver  dans 
cette  assemblée  nationale  de  l'appui  contre 
Guise ,  le  con^attre  avec  ses  propres  armes , 
gagner  le  peuple ,  en  s'eovironnant  des  formes 
coustitutionuelles ,  et' perdre  son  ennemi  en 
rivalisant  avec  lui  de  popularité.  Les  États  s'ou- 
vrent, et  Henri  voit  avec  effroi  que  la  grande 
majorité  des  députés  adopte  les  principes,  et 
-  partage  les  afFections  des  ligueurs.  L'édit  d'union 
est  déclaré  loi  de  l'état.  Guise,  parlant  d'un  ton 
de  maîtr* ,  fait  des  demandes  et  forme  des  pré- 
tentions qui  tendent  à  dépouiller  le  roi  de  toute 
son 'autorité.  Henri  se  réveille  sur  le  bord  du 
précipice.  La  peur  lui  donne  un  moment  le 
courage  de  la  résolution ,  mais  il  ne  résout  qu'un 
lâche  assassinat.  A  la  fois  furieux  contre- Guise 
et  impuissant  dans  sa  fureur, -il  n'ose  lutter  de 
front  contre  un  sujet  rebelle  ;  il  distribue  lui- 
même  les  poignards  aux  assassins,   et-  Guise 


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att8  FAUTIR    I. PiKIODE    Ifl. 

tombe  percé  de  coups ,  dans  le  moment  où  il  se 
rendait  au  conseil  du  roi. 

Il  fallait  du  moios  recueillir  le  fruit  de  ce  crime. 
Si  le  roi  se  fut  rendu  sur-le-champ  à  Paris  y  il 
aurait  pu  frapper  un  coup  décisif,  et  profiter  de 
la  première  consternation  que  la  nouvelle  de  la 
mort  de  Guise  y  avait  répandue,  pour  recou- 
vrer son  autorité  ;  mais ,  toujours  ami  des  demi- 
mesures  ,  et  fidèle  à  son  caractère ,  Henri  laisse 
à  Paris  le  temps  nécessaire  pour  se  reconnaître. 
La  fiireur  y  succède  bientôt  à  l'étonnement. 
L'ambassadeur  d'£spagoe  et  les  Seize  rallient  les 
esprits.  La  duchesse  de  Montpensier,  sœur  de 
Guise,  ennemie  personnelle  de  Henri  lU ,  souille 
la  vengeance  dans  tous  les  cœurs.  Mayenne  suc- 
cède à  son  frère  dans  la  direction  de  la  ligue. 
Plus  sage,  plus  modéré,  avec  moins  d'éclat  et 
moios  d'audace,  il  a  trop  d'ambition  pour  se 
refuser  aux  dangereux  honneurs  qu'on  lui  pro- 
digue ;  et  il  n'a  pas  assez  de  hardiesse  pour  tirer 
des  circonstances  tout  le  parti  possible. 

Les  Etats  assemblés  à  Blois  nomment  un  co- 
mité de  quarante  personnes  pour  gérer  les  affoi- 
res  générales  du  royaume.  Henri  est  excommu- 
nié. On  prêche  ouvertement  à  Paris  le  régicide , 
on  le  recommaîide  comme  l'action  la  plus  méri- 
toire. Henri  n'a  plus  d'autre  asile  que  le  camp 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXII,  28g 

des  protestants;  l'intérêt  de  sa  siireté  lui  dicte  ce 
parti;  la  politique  conseille  au  roi  de 'Navarre 
de  le  recevoir;  leur  entrevue  a  Keu  au  château 
de  Plessis-lès-Tours.  Les  deux  rois  marchent  sur 
Paris  pour  y  étouffer  la  révolte;  l'armée  des  cal- 
vinistes est  renforcée  par  tous  les  royalistes  purs , 
étrangers  à  tous  les  partis,  et  par  les  ennemis 
personnels  des  Gui&es  ;  les  bons  citoyens  con- 
çoivent de  nouvelles  espérances.  Dans  le  moment  ' 
où  les  affaires  de  Henri  prennent  une  direction 
plus  favorable,  il  est  assassiné  à  Saint-Çloud,  par  1589^ 
un  dominicain  nommé  Jacques  Clément,  dont 
le  fanati.sme  a  échauffé  l'imagination.  En  plon- 
geant le  poignard  dans  le  sein  de  son  roi ,  il  sait 
qu'il  marche  à  une  mort  certaine,  mais  il  croit 
l'ecevoir,  en  même  temps,  la  mort  et  l'immor- 
talité. 

Ainsi  périt  le  dernier  des  Valois.  Cette  mai- 
son malheureuse  s'éteignit  par  un  crime,  comme 
la  plupart  de  celles  qui  ont  régné  en  France  (*). 
Henri  de  Navarre  est  désigné  roi  de  France  par 
Valois  mourant,  et  bientôt  après  proclamé  par 
l'armée  tout  entière.  Il  prend  le  nom  deHenri  IV; 


{*)  Childénc  m,  le  Jemter  des  Mérovingiens,  fut  dé- 
trôné, rasé  et  jeté  dans  un  cli^tre  par  rambitienx  Pépin. 
Louis  V,  le  dernier  des  Carlovingiens ,  fraya  par  sa  mort 
2  19 


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290  PARTIE     I. PénlODE     III. 

mais  le  royaume  ne  le  ^connaît  pas  ;  et  il  se 
voit  dans  la  cruelle  nécessité  de  reoonquérir  ses 
propres  états.  Les  ligueurs  se  divisent.  Ils  se  réu- 
nissent tous  à  ne  pas  vouloir  un  rtoi  protestant  ; 
mais  les  uns  destinent  la  couronne  k  Mayenne , 
d'autres  préfèrent  le  cardinal  de  Bourbcm,  vieil- 
lard faible  de  corps  et  d'esprit;  un  troisième 
parti,  moins  nombreux,  incline  pour  l'Espagne. 
Mayenne ,  trop  faiMe  ou  trop  scrupiil^ix  pour 
déférer  au  vœu  de  la  action  qui  le  porte  sur  le 
trône,  proclune  lui^n^ne  le  cardinal  de  Bour- 

I-  bon ,  sous  le  nom  de  Charles  X ,  et  se  contente 
du  titre  de  Ueutenant-^néral  du  royaun>e.  Hen- 
ri rv,  abandonné  d'une  grande  partie  de  son 
armée,  qui  refuse  de  s'attacher  à  sa  mauvaise 
fortune,  est  forcé  de  se  retirer  en  Normandie. 
Mayenne  l'y  suit.  La  bravoure  de  Henri  et  l'en- 
thousiasme que  ses  qualités  personnelles  inspi- 

I.  rent  à  ses  troupes,  triomphent ,  près  d^Arques , 
des  ligueurs  et  des  £spa^ols  réunis.  L'année 
suivante,  une  victoire  plus  décisive  et  plus  com- 


le  chemin  du  trône  à  l'heureux  Capct.  Charles  IV,  le  der- 
nier de  ta  branctie  de  Capet,  mourur  aussi  de  sa  mort  na- 
turelle ;  mais  les  attentats  du  tiànatistnc  rdigieux  ont  donné 
la  courooae  aux  Bourbons ,  et  le  crime ,  sons  le  masque  du 
fanatisme  poliiiqne ,  la  Leur  a  ctUevét^. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXII.  391 

plète  que  Henri  remporte  sur  Abyenue,  près 
d'Iwy,  aHgmente  la  gloire  de  ce  prince' sans 
améliorer  sa  situation  ;  et  la  France ,  aveuglée  sur 
ses  iatéréts,  s'obstine  à  repousser  du  trône  celui 
qui  doit  faire  son  bonheur. 

-  Le  fantôme  de  roi  qui  a  régné  sous  le  nom  de 
Charles  X,  meurt  et  disparaît.  Mais  la  hgue  re- 
fuse toujours  de  reconnaître  le  légitime  souve- 
rain. Mayenne  lui-même  est  dominé  par  les  Seize , 
et,  bien  loin  de  lui  permettre  de  reculer,  ils 
l'entraînent  en  avant.  Ces  tyrans  se  permettent , 
durant  son  absence ,  les  exécutions  les  plus  san- 
glantes, et  espèrent  comprimer  par  la  terreur 
les  mouvements  des  hoas  câtoyens.  Au  milieu 
du  désordre  général,  les  gouverneurs  des  pro- 
vinces veulent  démembrer  le  royaume,  et  se 
créer  des  souverainetés  indépendantes.  Philippe 
prodigue  pltis  que  jamais  ses  troupes  et  ses  tré- 
sors  pour  placer  l'infante  sa  fille  sur  le  trône. 
Par  ses  Qtdres ,  Alexandre  de  Parme  entre  en 
France ,  à  la  tête  d'une  armée  redoutable ,  afin 
d'arrêter  les  succès  de  Henri  IV.  Obligé  de  lever 
le  blocus  de  Paris,  Henri  voit  avec  douleur  que 
la  guore  se  prolonge  et  que  le  dénouement 
s'éloigne;  on  lui  persuade  que  le  seul  moyen 
d'écraser  la  ligue  et  de  pacifier  le  rpyaume,  est 
d'embrasser  la  reli^oa  catholique.  Il  cède,  à  la 
'9- 


D,a,l,zt!dbvGb0gIe 


aga  partie   i,  —  période  m. 

fin ,  aux  sollicitations  pressantes  de  ses  amis ,  et  - 
1593,  fait  son  abjuration  solennelle  à  Saint-Denis  (*), 

(')  Henri  agit-il  dans  cette  occaMOn  par  conviction  on 
par  calcnl  ?  Ce  fait  restera  toujours  douteux.  Le  cardinal 
du  Perron,  qui  fut  châtié  de  l'instruire,  avait  tout  ce  qu'il 
fallait  pour  l'éblouir  et  le  persuader  :  un  esprit  subtil  et 
brillant,  des  connaissances  profondes,  une  élocution  facile, 
et  même  une  éloquence  entrûnante.  Cette  rénnion  de  qua- 
lités était  plus  que  sufIGsante  pour  ramener  à  la  religion 
catholique  on  priace  qui  l'avait  déjà  une  foi^  embrassée, 
qni,  pour  concilier  son  intérêt  et  sa  conscience,  souhaitait 
secrètement  d'être  convaincu,  et  chez  qui,  plus  que  chez 
tout  autre,  l'esprit  pouvait  être  la  dupe  du  cœur.  Le  choix 
de  du  Perron  était  du  motus  très-propre  à  donner  le  change 
.  à  l'opinion,  et  à  faire  cvoire  que  Henri  n'avait  cédé  qu'à  la 
force  des  preuves  et  des  arguments.  Mais  les  réflexions  de 
Sully  sur  cette  époque  de  la  vie  de  son  maître,  et  les  plai- 
santeries qui  échappèrent  à  Henri  lui-même ,  peuvent  faire 
douter  de  sa  sincérité.  Sous  le  point  de  vne  de  la  morale, 
s'il  ne  fut  pas  convaincu ,  son  action  peut  être  excusée  par 
les  circonstances,  mais  elle  ne  saurait  être  justifiée.  Sous  le 
point  de  vue  politique,  la  question  a  toujours  paru  décidée; 
et  l'on  a  dit  et  répété  qu'il  n'y  avait  qu'un  changement  de 
religion  qui  pût  assurer  le  trône  à  Henri  IV,  et  pacifier  la 
France.  On  pourrait  peut-être  en  appeler  de  cette  décision. 
La  lassitude  générale  des  esprits, et  te  déùr  du  repos,  qui 
ont  toujours  été  les  meilleurs  alliés  des  usurpateurs  dans 
les  pays  long-temps  agités  par  les  discordes  civiles,  et  qui 
souvent  ont  attaché  les  peuples  même  à  uae  autorité  illé- 
gale; auraient  ramené  les  Français  à  leur  roi  légitime,  quand 
il  serait  resté  protestant,  et  ses  qualités  personnelles  l'au- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXII.  293 

au  milieu  des  transports  et  des  bénédictions  d'un 
peuple  immense,  qui  voit  dans  cette  cérémonie 
la  fin  de  ses  malheur»  et  l'époque  du  rétablis- 
sement de  l'ordre  et  des  lois. 

On  recueillit  bientôt  les  heureux  eflets  de 
cet  événement.  Paris  ouvre  ses  portes  au  roi. 
lies  che&  des  ligueurs  négocient  leur  paix  par- 
ticulière.  Chacun  d'eux  tâche  d'obtenir  des  con- 
ditions avantageuses,  et  vend  chèrement  son 
obéissance.  Mayenne  luî^néme  pose  les  armes.  i5g4. 
Le  cardinal  d'C^sat,  envoyé  de  Henri  à  Rome, 
réconcilie  son  maître  avec  le  pape ,  par  un  heu- 
reux mélange  de  souplesse  et  de  fermeté ,  et 
obtient  pour  lui  l'absolution.  Philippe  II  voit 
échouer  tous  ses  projets.  II  a  voulu  démembrer 
la  France,  et  elle  existe  encore  dans  toute  son 
intégrité  ;  il  a  espéré  que  l'état  périrait ,  déchiré 


raient  fait  triginpher  de  toutes  les  preventioDS  et  de  tontes 
les  craintes.  Sa  convecsion  ne  lui  gagna  pas  les  catholiques 
zélés,  qui  doutèrent  toujours  de  sa  sincérité;  elle  ne  lui 
concilia  pas  les  prètfes,  qui  ne  demandaient  pas  moins  que 
l'anéantissement  des  réformés  ;  elle  n'émoussa  pas  les  poi- 
gnards du  fanatisme,  et  souleva  les  protestants,  qui  accor 
sérent  Henri  de  légèreté  et  d'ingratitude.  Pour  ïix  calmer, 
il  fut  obligé  de  donner  le  fameux  édit  de  Nantes,  et  cet 
édit,  mal  calculé,  devint  un  principe  de  troubles  et  de  noti- 
veauï  malheurs. 


DiailizodbvGoOgle 


394  PARTIE     I.  PÉRIODE     HT. 

par  le»  guerres  civiles,  et ,  après  de  longs  éga- 
reiDtos,  la  nation  revient  à  elle-méxoe,  le  Iràae 
est  encore  d^KHit,  et  Heoii  IV  prcnnet  de  lui 
rendre  tout  son  éclat;  Phifippe  s'est  flatté  que 
Ws  malheurs  de  la  France  assureraient  en  Eu- 
rope la  dominatK»!  de  l'Espagne,  et  qu'elle 
os  connaitrait  plus  ni  rival  ni  concurrent  ;  il 
oocnraence  à  craindre  de  nouveaux  dai^ers.  La 
France  parait  épuisée,  mais  elle  a  de  grandes 
ressources ,  et  lui-même  s'est  afiaibit  en  travail- 
lant à  la  ruine  des  autres.  Son  orgueil  s'indigne 
de  riuutilité  de  se&e£Eorts;  il  ne  veut  pas  avoir 
prodigué  sans  fruit  ses  trésors ,  et  il  s'obstine  à 
n«  pas  quitter  l'arèoe.  La  journée  de  Fontaine- 
1S98.  Française,  lui  fait  perdre  toutes  ses  espérances, 
et  les  négociations  s'ouvrent  à  Vervins  entre 
VËSpagne  et  la  France.  Bellièvre  et  Sillery  ne 
sacrifient  rien  de  la  puissance  réelle  de  la  France; 
et  par  le  ton  de  dignité  qu'ils  prennent  dans  les 
conférences,  ils  préparent  sa  pmssance  dans- l'o- 
pinion. Après  vingt-huit  années  de  combats  et 
d'intrigues ,  da  crimes  et  de  malheurs ,  Philippe 
n'obtient  d'autre  avantage  que  le  comté  de  Cha- 
Tolois  ,  et  ne  remporte  de  cette  sanglante  lutte 
qoe  le  pressentiment  du  bonheur  qui  attend  la 
France. 

Les  talents  de  Henri,  et  la  désunion  de  ses 


DiailizodbvGoOgle 


CIlAI>fTRE     XIII.  »95 

ennemis,  leurs  crimes  et  ses  vo'tus  devaient 
umeaer  ce  dénouement.  Le  fanaû»ae  s'était  usé 
par  ses  excès  mèisea;  les  esprits  étaient  fatignés; 
le  caTaétère  et  les  -qualités  du  roi  ârent  le  restç. 
Henri  IV  ne  serait  probablemeht  jamais  monté 
stir  le  trône ,  s'il  avait  suivi  les  cooseils  de  ceux 
qui  voulaient  qu'il  cherchât  hors  du  royaume 
Un  asile  et  des  setx>urs.  Il  dut  scm  trionif^ 
tardif,  mais  éclatant  «  à  soo  otiurage  et  à  sa  con- 
stance, qui  rempéchèrent  de  dése^iérer  de  sa 
propre  cause.  £n  restant  dans  le  pays,  et.  en 
exposant  sa  vie  tous  les  jours ,  connue  le  moindre 
soldat,  il  provoqua  les  saçriûces  des  autres.  Ses 
partisans  eurent  un  point  de  ralliement  ;  sou 
exemple  fortifia  tes  hommes  énergiques,  encou- 
ragea les  timides,  décida  les  incertains;  et  le 
devœr,  personnifié  sous  ses  traits,  donna  aux 
gens  de  bien  le  courage  de  la  vertu. 

Henri  était  ntonté  sur  le  trône,  mais  il  était 
encore  environné  de  dangers  et  entouré  d'en- 
nemis; il  fallait  intimider  les  uns,  gagner  les 
autres ,  et  les  attacher  au  nouvel  ordre  de  choses, 
par  des  craintes  ou  des  espérances.  La  France 
avait  pui^é  sou  sc^  des  étrangers  qui  l'infes- 
taient ;  la  masse  de  la  nation  était  lasse  de&  trou- 
bles ,  et  augurait  bien  du  règne  de  Henri  ;  mais 
les  ligueurs  redoutaient  de  justes  vengeances  ; 


DiailizodbvGoOgle 


agG  PARTIE    I. PÉillODE   III. 

les  esprits  étaient  tourmentés  de  défiances  et  de 
soupçons.  Le  vice  ne  croit  pas  facilement  à  la 
vertu  :  des  hommes  perdus  de  crimes,  et  qui 
avaient  toujours  été  implacables,  ne  pouvaient 
pas  s'abandonner  avec  confiance  à  la  démence 
du  vainqueur.  Ceux  qui  avaient  combattu  le 
roi ,  devaient  naturellement  s'attendre  qu'il  leur 
préférerait-  ceux  qui  l'avaieut  servi  ;  ils  voyaient 
avec  douleur ,  et  même  avec  une  fureur  secrète , 
que  le  pouvoir,  la  considération,  les  richesses 
allaient  leur  échapper  et  passer  en  d'autres 
mains.  Henri  trompa  toutes  les  craintes,  et  sur- 
passa toutes  les  espérances,  par  une  conduite 
vraiment  magnanime.  Il  fit  par  un  instinct  du 
cœur  ce  que  d'autres  eussent  fait  par  politique. 
Sa  grande  ame,  au-dessus  de  toute  espèce  de 
ressentiment,  pardonnait  sans  effort,  car  elle 
avait  besoin  d'oublier  toutes  les  offenses.  Il  sentit 
que  le  seul  moyen  de  prévenir  la  renaissance 
des  troubles,  était  d'employer  les  hommes  de 
tous  les  partis ,  d'opérer  le  rapprochement  des 
Français  en  leur  donnant  l'exemple  de  la  récon- 
ciliation, d'empêcher  par  sa  douceur  le  déses- 
poir du  crime,  et  d'inspirer  par  sa  générosité 
des  sentiments  généreux  à  ses  adversaires  les 
plus  acharnés.  S(hi  ton  loyal ,  ses  manières  sim- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITAE  '  XXII.  297 

pies,  sa  frauchise  dievaleresque  ne  permirent 
pas  de  douter  long-temps  de  sa  sincérité  :  aussi 
parvint-il  à  éteindre  les  haines  et  à  calmer  les 
pa^îoiis  qui  menaçaieut  encore  la  tranquillité 
du  royaume.  Le  désintéressement  de  ses  amis 
lui  facilita  cette  tâche  diiBcile.  Bien  loin  d'exer- 
cer sur  te  parti  opposé  des  réactions  toujours 
dangereuses ,  ils  virept  sans  regret  les  chefs  de 
la  ligue  obtenir  les  emplois,  les  distinctions, 
les  titres  auxquels  eux-mêmes  pouvaient  pré- 
tendre légitimement.  Contents  d'avoir  sauvé  la 
France,  en  plaçant  la  couronne  sur  la  tête  de 
Henri,  ce  noble  sentiment  leur  tenait  lieu  de 
.  toute  autre  récompense.  L'amitié  du  roi  suffisait 
à  leur  cœur,  et  ils  étaient  fiers  de  voir  que  Henri , 
assuré  de  leur  fidélité,  répandît  ses  faveurs  sur 
ceux  qui  n'étaient  pas  assez  heureux  pour  l'aimer. 
Insensiblement ,  le  souvenir  du  passé  s'eflaça  ; 
de  nouvelles  habitudes  prirent  naissance  ;  les 
divisions  cessèrent;  les  Français  apprirent  à  s'ai- 
mer, les  différents  partis  formèrent  un  seul 
peuple  :  bientôt  Henri  put  entreprendre  avec 
succès  de  réparer  les  maux  du  royaume,  et  de 
faire  disparaître  toutes  les  traces  des  guerres 
civiles.  A  sou  avènement  au  trône,  la  France 
n'offirait  que  des  ruines  fumantes  et  des  campa- 


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agë  PARTIE     I.  PÉRIODE    III. 

gnes  incultes.  Tout  avait  été  détruit  ;  l'agricul- 
ture, l'industrie,  le  cmumerce  avaient  dépéri, 
Jaote  de  bras,  de  capitaux,  et  surtout  de  sûreté 
publique.  Dans  l'espace  de  douze  ans,  toutes  les 
branches  de  la  richesse  nationale  rej^iient  une 
vie  nouvelle,  et  la  France  renaquît  de  ses  cen- 
dres, plus  vigoureuse  et  plus  brillante.  Les  îd- 
tentions  droites  et  pures  de  Henri  lY,  la  tête 
et  l'activité  de  Sully  opérèrent  ces  prodiges,  et 
montrèrent  au  monde  ce  que  peuvent ,  pour  le 
bonheur  d'un  grand  peuple ,  un  roi  qui  veut  le 
bieu ,  un  ministre  qui  sait  le  faire ,  et  ne  vit 
que  pour  exécuter  les  vues  bienjbîsantes  de  scm 
souverain. 

Quelque  intéressioit  qu'il  lût  de  laire  succéder 
le  tableau  des  créations  du  génie  et  de  la  vertu 
au  tableau  des  ravages  des  passions ,  l'tH'dre  des 
faits  nous  demande  d'ajourner  encore  nos  plai- 
urs.  Avant  de  voir  la  FVance  acquérir ,  par  le 
développ^nent  intérieur  de  ses  fcn-ces ,  une  puis- 
sance capaUe  de  menacer  l'Espagne,  il  iaut 
fixer  nos  regards  sur  les  événem^it»  qui  enle- 
vèrent k  l'Espagne  une  partie  de  ses  provinces, 
et  SUT  Tadminiatration  d'Elisabeth  en  Angleterre. 
Le  despotisme  de  Philippe  a  échoué  en  France 
contre  Henri  IV;  il  échoua  dans  le  même  temps 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXll.  399 

contre  ses  propres  sujets.  I^es  troubles  des  Pays- 
Bas  ,  où  l'Espagne  perdit  ses  troupes  et  ses  tré- 
sors, fireut  une  diversion  forcée  à  son  activité 
malfaisante  dans  les  guerres  civiles  de  la  France , 
qui,  à  leur  tour,  favoiisèrent  les  troubles  des 
Pays-Bas  et  la  naissance  de  la  république  des 
Provincès-Unies. 


p,a,i,;t!dbïGoogIe 


PARTIE     1. - 


CHAPITRE  XXIII. 

Eut  des  Pays-Bas  avant  le  règne  de  Philippe  II.  Ktualion 
de  ces  provinces  lors  de  son  avènement  au  trâne.  Minis- 
tère de  Granvelle.  Changements  inconstitutionnels  et 
imprudents.  Origine  des  troubles.  Leurs  prt^rès  sous 
Albe ,  Requesens  et  don  Juan.  Guillaume  sépare  les  pro- 
vinces du  Nord  de  celles  du  Midi.  Union  d*Utredit.  For- 
mation de  la  république  de  Hollande. 


Jj'hi»toire  du  monde  présente  peu  de  specta- 
cles plus  imposants  que  la  révolution  qui  déta- 
cha sept  provinces  de  la  monarchie  espagnole , 
qui  créa  en  Europe  une  nouvelle  puissance  , 
changea  tous  les  rapports  de  la  politique  et  du 
commerce ,  et  força  le  possesseur  des  mines  du 
Nouveau-monde  à  une  banqueroute  hontetise. 
'  Un  peuple  de  pêcheurs  et  de  pâtres ,  relégué 
dans  des  marais  où  il  dispute  son  existence  à 
la  nature  ;  qui ,  pendant  une  longue  suite  d'an- 
nées ,  résiste  à  la  première  puissance  de  l'Eu- 
rope, se  donne  à  lui-même,  au  milieu  des  orages, 
un  nouveau  gouvernement ,  d'une  main  combat 
les  Espagnols ,  et  de  l'autre  repousse  de  ses  ri- 


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CHA^PITRE     ^XIII.  3oi 

vages  la  mer  qiri  les  menace ,  et  fertilise,  par 
un  travail  opiniâtre ,  le  sol  qu'il  a  conquis  sur 
l'Océan  i  des  villes  florissantes  et  populeuses 
s'élevant  du  sein  des  eaux ,  et  rivalisant  d'indus- 
tFÏe ,  d'audace  et  d'opulence  avec  les  premières 
nations  commerçantes;  un  état  qui,  dans  le 
même  temps  où  son  existence  en  Europe  est 
encore  un  problême,  couvre  les  mers  de  flottes  " 
victoiieuses ,  attaque  <lans  les  deux  Indes  la 
base  de  la  puissance  de  ses  ennemis ,  et ,  tandis 
que  l'Espagne  n'y  voit  que  des  sujets  rebelles , 
acquiert  lui-même  des  sujets  et  des  provinces 
entières;  qui ,  avec  un  sol  suffisant  à  peine  à  sa 
subsbtance ,  devient  le  pourvoyeur  général  de 
l'Europe,  et,  parvenant  rapidement  à  une  pro- 
sp^té  dont  les  causes  sont  aussi  remarquables 
que  les  effets ,  donne  à  tous  les  autres  états 
d'utiles  leçons  et  de  grands  exemples  ;  un  tel 
phénomène  a ,  sans  contredit ,  de  quoi  surpren- 
dre ,  et  devait  exciter  l'étonnement  et  l'admira- 
tion du  monde.  Entre  le  degré  d'élévatioji  au- 
quel cette  nation  est  parvenue,  et  son  point  de 
départ ,  l'intervalle  paraît  immense  :  il  importe 
de  voir  comment  elle  l'a  franchi,  et  quels  évé- 
nements ont  déâdé  sa  fortune. 

Les  peuples  qui  habitent  entre  l'Escaut,  la 
Meuse,  le  Rhin  et  la  mer  du  Nord,  sont  d'ori- 


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3oa  PABTIE    I.  — PÉRIODE    III. 

gine  germanique.  De  tout  temps  braves  et  labo- 
rieux ,  flegmatiques  et  réfléchis ,  plus  ennemis 
(le  la  servitude  que  passionnés  pour  la  liberté , 
ils  n'ont  eu  ni  les  vices  ni  les  vertus  qui  beunent 
à  une  ima^nation  vive  et  ardente.  Les  Komains 
estimèrent  leur  valeur;  elle  leur  &it  souvent 
utile,  tant  qu'ils  suroît  les  ménager;  et  lorsqu'ils 
essayèrent  de  les  asservir,  ils  reconnurent  qu'on 
n'opprimait  pas  les  Bataves  impunément.  A  la 
destruction  de  l'empire,  ils  passèrent  sous  la 
domination  des  Francs  ,  ou  plutôt  ils  s'associè- 
rent k  leurs  victoires.  Diu>aut  tout  le  moyen 
âge ,  ils  partagèrent  le  sort  du  reste  de  l'Âlle- 
magne,  et  le  gouvememoit  féodal  s'y  établit 
avec  les  modifierions  qu'il  reçut  dés  localités. 
Les  provinces  du  Nord,  moins  propres  à  la  cul- 
ture ,  virent  moins  de  grands  propriétaires  naîb% 
et  s'élever  dans  leur  sein  que  tes  provinces  du 
Midi.  A  l'époque  ourles  querelles  du  sacerdoce 
et  de  l'empire  offiirent  aux  propriétaires  ter- 
riens, et  aux  officiers  qui,  sous  le  nom  de 
comtes  et  de  ducs,  administraient  les  provinces, 
les  moyens  de  se  rendre  indépeudants ,  et  où 
tous  en  profitèrent ,  pour  acquérir  une  sonve- 
raineté  plus  ou  moins  illimitée,  on  vit  naître 
dans  les  Pa3«-Ba6  des  comtes  de  Hainault,  de 
Hollande,  de  Frise,  de  Malines,  d'Artois,  de 


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CHAPITRE     XXIII,  3o3 

Flandre  ;  il  y  eut  autant  d'états  distincts  et  sé- 
parés qu'on  a  depuis  compté  de  provinces.  Des 
circonstances  faTorables  créèrent  dans  ces  con- 
trées, plutôt  que  dans  le  reste  de  l'Europe,  un 
tiers-état  riche  et  puissant.  I*  voisinage  de  la 
mer  et  de  grands  fleuves  navigat^es  invitaient 
les  Belges  et  les  Bataves  au  commerce.  Le  com- 
merce appela  la  liberté  des  personnes  et  des  biens; 
la  liberté  étendit  et  virifia  le  commerce.  Dans 
un  temps  où  partout  aitteurs  le  clergé  et  la  no- 
blesse avaient  seuls  une  existence  politique  ,  en 
Flandre  et  en  Brabant  un  troisième  ordre  était 
déjà  venu  se  placer  à  côté  des  deux  autres ,  et 
jouissait  du  droit  de  délib^%r  sur*  les  affaires 
publiques  dans  l'assemblée  générale  de  la  nation. 
Des  mariages  avantageux,  des  contrats  et  des 
achats  avaient  fait  de  toutes  ces  provinces ,  dans 
le  quinzième  siècle,  l'héritage  de  la  maison  de 
Bourgogne.  Philippe-le-Hardi ,  le  plus  jeune  des 
61s  de  Jean-le-Bon ,  roi  de  France ,  ayant  reçu 
de  son  père  le  fief  de  Ip  Bourgogne,  avait  com- 
mencé la  fortune  de  sa  maison.  Il  épousa  la 
comtesse  Marguerite  de  Flandre,  et  obtint  avec  1369, 
elle  les  comtés  de  Flandre,  d'Artois,  de  Nevers, 
de-  Rhetel ,  de  Salins  et  de  Malines.  Ses  succes- 
seurs furent  aussi  heureux  que  lui.  Philippe-le- 
Bon .  son  petit-fils,  acquit  Namur  par  un  ar- 


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3u4  PAHTIK     I. PÉRIODE     III. 

i4a8-  rangement  fait  avec  le  dernier  comte;  les  duchés 
de  Brabant  et  de  Limbourg ,  par  la  mort  du  duc 

1/(3(1.  Philippe,  son  cousin;  les  comtés  de  Haînault, 
de  Hollande,  de  Zeclande,  de  la  Frise  occiden- 
tale, par  un  contrat  avec  Jacqueline  de  Bavière, 
héritière  de  ces  provinces;  et  le  Luxembourg, 
par  la  cession  que  lui  en  fit  la  princesse  Eli- 
sabeth, petite-fille  de  l'empereur  Charles  IV.  La 
réunion  de  toutes  ces  provinces  formait,  avec 
la  Bourgogne  et  la  Franche-Comté,  une  masse 
de  puissance  h  laquelle  il  ne  inanquait  que  le 
titre,  pour  se  ranger  avec  les  premières  monar- 
chies. 

Les  Pays-Bas  étaient  le  centre  d'uri  commerce 
immense  qui  liait  le  nord  et  le  midi  de  l'Europe. 
Une  industrie  active  y  avait  créé  de  belles  ma- 
nufactures de  laine,  dont  les  Belges  échangeaient 
les  productions  contre  les  marchandises  de 
l'Inde ,  qu'ils  achetaient  des  Vénitiens ,  et  qu'ils 
répandaient  ensuite  dans  tous  les  pays  du  ^Tford. 
Anvers,  grande,  riche,  populeuse,  était,  après 
Venise ,  la  première  ville  commerçante  de  l'Eu- 
rope. Gand,  Bruges,  Matines,  Bruxelles  la  sui- 
vaient de  près ,  et  rivalisaient  avec  elle.  Le  tra- 
vail y  avait  amené  l'abondance  ; .  l'abondance 
enfanta  le  luxe  ;  et  les  arts  multiplièrent  leurs 
créations ,  pour  midtiplier  les  besoins  et  les  plai- 


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CHAPITRE     XXIII.  3o5 

sirs  de  la  vie.  La  cour  <1es  ducs  de  Bourgogne 
était  la  plus  magnifique  et  la  plus  brillante  de 
toutes  les  coure  de  l'Europe. 

Les  projets  gigantesques  de  Charles-le-Temé-: 
raire,  et  sa  mort  qui  les  termina,  furent  un  mal- 
heur pour  les  Pays-Bas  et  pour  l'Europe  entière. 
La  fin  tragique  et  prématurée  de  Charles  fit  dis- 
paraître de  la  carte  du  monde  politique  une 
puissance  indépendante  et  respectable  qui,  dans 
la  suite ,  eût  pu  prévenir  les  guerres  sanglantes 
de  la  France  et  de  TAutricbef  s'opposer  avec 
succès  aux  projets  de  domination  de  l'une  et  de 
l'autre,  assurer  la  liberté  de  l'Allemagne,  et  fixer 
l'équilibre  de  l'Europe.  Au  lieu  de  ces  brillantes 
et  utiles  destinées ,  le  duché  de  Bourgogne  de- 
vint province  d'un  autre  étal,  l'objet  et  le  théâ- 
tre des  dissensions  de  l'Autriche  et  de  la  France. 
Ce  riche  héritage  passa  à  la  maison  de  Haps- 
faourg,  par  le  mariage  de  Marie  ^  fille  unique  de 
Charles,  avec  Maximilien  I*'.  Philippe-le-Bel, 
leur  fils ,  en  épousant  Jeanne  de  Castille ,  avait 
préparé  la  réunion  de  ces  provinces  à  la  monar- 
chie espagnole,  et  Charles-Quint  avait  recueilli 
cette  superbe  succession. 

Né  et  élevé  en  Flandre,  il  aitaiait  ces  provin- 
ces préférablement  à  tous  ses  autres  états.  Son 
caractère  était  analogue  au  caractère  de  la  na- 


D,a,l,3t!dbvC00gIe 


3o6  PARTIE    I.  PÉBIOUE   III. 

tion.  Il  réaidait  le  plus  souvent  au  milieu  d'elle, 
et  la  regardait  comme  le  centre  de  sa  sphère 
d'activité ,  et  comme  la  source  principale  de  sa 
puissance.  Les  Flamands  le  secondèrent  avec  »èle 
dans  toutes  ses  entreprises.  Us  estiraaieot  les 
qualités  personnielles  4e  l'enapereur;  ils  s'intéres- 
saient à  sa  gloire,  et  faisaient  tourner  ses  vastes 
projets  à  l'avantage  de  leur  commerce.  Ce  com- 
merce avait  moins  souffert  que  celui  des  Italiens 
par  les  découvertes  de  Vasco  de  Gaina  et  de 
Colomb,  car  les  Flamands  n'avaient  jamais  pris 
une  part  directe  au  commerce  de  l'Inde,  et  l'ar- 
gent de  l'Espagne  alimentait  leurs  spéciilations. 
Charles  po'ssédait  l'art  de  n^nier  les  esprits  ; 
connaissant  les  habitudes  .et  les  maximes  favo> 
rites  de  ses  compatriotes ,  il  les  employait  à  ses 
vues  en  respectant  les  formes  consacrées  par  la 
constitution  du  pays.  11  leur  demandait  de  grands 
sacrifices,  et  les  pbtenait  sans  peiné,  parf:e  qu'il 
avait  le  talent  de  leur  persuader  que  ces  sacri- 
fices étaient  volontaires.  Charles  arrondit  ses 
possessions  de  ce  côté ,  et  il  fut  le  premier  qui 
réunit  sous  son  sceptre  les  dix-sept  provinces 
des  Pays-Bas  {*). 


(*}  Le  duo  George  de  Saxe  vendit  ses  droits  sur  la  Frise 
à  Charles- Quifl t.  L'Over-ïsse]  ce  loumit  de  lui-même  en 


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CHAPITRE    XSIII.  3o7 

Chacune  de  ces  provinces  ^vait  des  lois  et 
une  constitution  particulières.  Ifulle  part  la  sou- 
veniixieté  ne  réùdait  uniquement  dans  la  per-' 
sonne  du  prince.  Partout  elle  était  partagée  en- 
tre le  fKÎnce  et  les  états,  suivant  des  formes  et 
des  proportions  différentes,  L'oi^nisatioq  des 
états  variait  de  {nrovince  à  province.  Composés, 
comme  dans  la  plus  grande  partie  de  l'Europe , 
du  clergé ,  de  la  n(J>lesse  et  des  villes ,  le  nom- 
bre des  représentants  de  chaque  cwdre,  leur  de- 
gré  d'influence  et  la  me»ire  de  leur  pouvoir 
n'étaient  pas  les  mùnes  partout.  Dans  toutes, 
raut(Hité  du  prince  était  limitée,  et  il  ne  pou- 
vait rien  décider  d'important  sans  le  concours 
des  corps  que  la  loi  plaçait  à  côté  de  lui.  Par- 
tout il  rencontrait  des  barrières  constitution- 
nelles dans  l'exercice  de  sa  puissance  ;  ici ,  elles 
étaient  peut-être  trop  rapprochées,  et  resser- 
raient le  prince  dans  un  cercle  trop  étroit  pour 
qu'il  pût  même  ùàre  le  bien;  là,  elles  étaient 

1 5>8.  l.a  même  aanée, i'évéque  d'Utrecht  rtnonça,«ii  faveur 
de  rempêrenr,  à  aon  pouvoir  gëculier.  Le  duo  de  Ouddre 
fut  obligé  de  coDseQtir  à  la  réiiniDii  de  Qrooiiigue  en  j636; 
et ,  1  la  fin ,  le  duc  de  Clèves  se  vit  forc^  de  céder  la  Gueldre 
et  le  pays  de  Zutphea,  qui  lui  étaient  tombés  en  partage 
depuis  la  mort  de  Charles  Egniont,et  qu'il  n'était  pas  en 
iut  de  défendre  ni  de  conieircr. 


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3o8  PARTIE    I. PÉRIODE    ïll. 

trop  faibles  ou  posées  À  une  trop  grande  dis- 
tance du  centre  d'action  pour  qu'elles  pussent 
^mpécher  le  mal  et  prévenir  tes  abus  de  l'auto- 
rité. On  avait  senti  la  nécessité  d'assujettir  le 
gouverneineat  à  une  marche  légale  ;  mais  les 
lois  politiques  étaient  imparfaites.  L'art  difBcile 
de  diviser  les  pouvoirs  sans  nuire  à  l'unité  du 
corps  social ,  et  de  les  unir  sans  les  confi^ndre , 
était  encore  dans  son  enfance. 

Ainsi  les  Pays-Bas  formaient  une  masse  homo- 
gène relativement  à  la  langue ,  à  l'origine ,  aux 

'  moeurs  et  aux.  habitudes  du  peuple;  mais,  sous 
le  rapport  politique,  ils  ne  formaient  pas  un  vé- 
ritable tout,  et  offraient  des  éléments  fort  hété- 
rogènes. Les  lois  établies  dans  chaque  province , 
et  qui  réglaient  le  partage  et  l'exercice  de  la 
souveraineté,  ou  qui  déterminaient  les  principes 
de  l'administration ,  entravaient  souvent  les  af- 
faires, et  s'opposaient  quelquefois  à  des  réfor- 
mes utiles.  Charles  n'avait  pas  la  maladie  de  Vu- 

_  niformité.  II  connaissait  trop  bien  les  Flamands 
pour  croire  que  le  but  de  l'ordre  social  pût  y 
être  attànt  par  les  mêmes  moyens  et  les  mêmes 
formes  qu'en  Espagne  et  en  Italie  ;  il  sentait 
surtout  qu'il  ne  fallait  pas  introduire  chez  ce 
peuple,  attaché  à  ses  habitudes ,  des  changements 
précipités;  qu'il  se  reftiserail  aux  Jûis  les  plus 


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CHAPITRE    XXIIt.  3o9 

Si^es ,  si  etles  lui  étaient  imposées  par  la  force  ; 
et  que ,  pour  être  utiles  .et  durables ,  les  réfor- 
mes et  les  innovations  devaient  être  préparées 
dans  l'opicion  générale.  Cependant  il  désira  tou- 
jours de  pouvoir  faire  des  dix-sept  provinces  un 
seul  état  qui  ne  fut  plus  composé  de  pièces  de 
rapport ,  et  de  donner  à  l'administration  une 
marche  plus  régulière ,  plus  rapide  et  plus  fixe. 
Il  ne  perdit  jamais  ce  plan  de  vue,  et  il  y  tra- 
vailla, toujours  sourdement.  La  réunion  de  ces 
provinces  à  l'empire  germanique,  dont  elles  1648. 
formèrent  un  cercle  particulier,  devait  préparer 
cekte  grande  opération.  La  pragmalique-sanc-< 
tion  qui  établit  l'indivisibilité  des  Pays-Bas  et  la 
loi  de  la  primogéniture  étaient  un  pas  marqué 
vers  l'accomplissement  de  ce  but. 

Lorsque  Charles-Quint  abdiqua  les  couronnes 
qu'il  avait  portées  avec  tant  de  gloire  ,  et  qu'il 
les  remit  à  Philippe  ,  il  recommanda  particuliè- 
rement les  Pays-Bas  à  ses  soins  et  à  son  amour , 
et  ne  se  sépara  qu'avec  douleur  des  Flamands. 
De  leur  côté,  sans  prévoir  «ncore  tous  les  mal- 
heurs qui  les  menaçaient ,  ils  sentirent  qu'ils  ne 
pouvaient  que  perdre  à  ce  changement.  I..es  lar- 
mes dont  ils  honorèrent  la  cérémonie  de  l'abdi- 
cation de  Charles,  furent  moins  données  au  sou- 
venir du  passé  qu'à  la  crainte  de  l'avenir.  Déjà 


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3lO  PARTIK    i. — 'PERIODE   111.     . 

ils  auguraient  mal  du  tigae  de  Philippe,  et  le 
caractère  de  ce  prince  leur  donnait  d«s  appré- 
benùons  légitiaies. 

En  effet,  Hiilippe  n'aimait  pas  les  Flamands. 
Leur  caractère  contrastait  avec  le  sien.  Leur  fran- 
che gMté  lui  paraissait  une  Êmailiaritâ  offensante. 
La  simplicité  de  leurs  manières  et  de  leur  genre 
de  vie  choquait  soo  goût  pour  l'étîqnette  et  pour 
la  représentation.  L'attachement  qu'ils  avaient 
pour  leur  constitution  et  pour  lenr  pays,  n'é- 
tait à  ses  yeus  qu'une  obstination  qui  révoltait 
son  orgueil,  ou  un  esprit  d'indépendance  incom- 
patible avec  ses  principes  despotiques,  il  haïssftit 
un  pays  où  te  prince  n'était  pas  tout ,  et  où  les 
sujets  étaient  comptés  pour  quelque  chose.  J^es 
Flamands  étaient  riches;  ils  savaient  défendre 
leurs  biens  contre  l'avidité  du  fisc ,  et  se  mon- 
traient d'autant  plus  jaloux  de  leur  liberté  poU- 
tique,  qu'ils  y  voyaient  la  garantie  et  la  sauve- 
garde de  leurs  propriétés.  Philippe  convoitait 
leur»  richesses  ^  et  s'indignait  de  ne  pouvoir  se 
les  approprier  en  muhiptiant  à  volonté  tes  im- 
*  pots.  Il  y  avait  dans  les  Pi^s-Bas  des  formes  con- 
sacrées pour  les  affaires  r  auxquelles  it  fallait  se 
plier  pour  réussir.  Philippe ,  lui-même  inflexible , 
demandait  des  autres  une  soumission  entière, 
et  ne  pouvait  5U{>porter  qu'on  osât  lui  opposer 


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CHAPITRE     XXIII.  3l  1 

des  privilèges  et  des  lois.  0  ne  voulait  céder 
(ju'à  là  nature',  encore  lé  b£saît-il  à  r^ret,  et 
son  esprit  altier  s'irritait  de  cette  iftviiïciblê. né- 
cessité. 

Le&  Flamands  s'apei^çûrent  bientôt  que  le  roi 
d*Ëspa^e  était  pen  fait  pour  gouverner  un  pay&. 
tel  que  te  leur.  Jusqu'à  ^on  avënem^t-au  trône, 
des  con^ila  composés  d'hoHimes  d'élite ,  pris  du 
sein  de  la  nation  même,  avaient  condnit  les  reTa- 
tirais  ext^teur«s,>  g^ré  les  finances  et  survètUé 
l'admiiiistFation  de  la  j  ustvcé.  Il  était-  facile  de  plré- 
voir  que  Philippe  substituerait'  k  cette  autorité 
tntélaire  celle  de  ses  ministres,  et-  que  ses  mr- 
nistres  seraient  des  étrangers.  Il  ne  vivait  qu'a- 
vec des  Espagnols ,  ne  Consultait  et  n'employait 
qu'eux.  Après  ta  paix  de  Câteau^CambreSis,  il 
prit  le  parti  de  quitter  ta  FlaAdre,  et  d'établif  iSSg. 
sa  résidence  en  Espagne.  De  là ,  sans  être  té- 
moin de  la  poblicafion  de  ses  ordres,  ni  de  la 
résistance  qu'on  l*ur  opposerait,  il  se  proposait 
de  changer  f organisation  dés  Pays-Bas,  de  pro- 
voquer des  soulèvements  pour  les  punir,  et  de 
les  punir  en  ôtant  auit  peuplés  ces  foniies  politi- 
ques (fai  leur  étaient  aussi  chères  qu'elles  lui 
étaient  odieuses.  Dans  ce  projet,  contraire  à  la 
politique  autant  qu'à  la  juétîee,  il  voyait  uiY 
moyen  sur  d'accroître  sa  puissance  et  d'affermir 


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3ia  PABItS    1.  PÉBIODK    III. 

sa  dominatiou  en  Europe.  A  son  dé|^  de  Flan- 
dre y  SOU  plan  était  déjà  arrêté  irrévocablement , 
et  la  religion  devait  lui  fournir  Toccasion  de  le 
développer. 

Les  idées  nouvelles  des  réformateurs  avalent 
pénétré  de  bonne  heure  dans  les  Pays-Bas.  Le 
oonmierce  qui  amène  l'échange  des  marchan- 
dises, facilite  aussi  celui  des  opinion^ ,  et.les  Fla- 
mands étaient  liés  avec  tous  les  peuples  du  Nord 
chez  lesquels  la  réformation  avait  fait  des  pro- 
grès rapides.  Déjà,  sous  le  règne  de  Charles- 
Quiut ,  la  religion  nouvelle  compta  dans  ces  pro- 
vinces beaucoup  de  partisans.  Cet  appel  solennel 
fait  par  la  raison,  de  l'autorité  à  l'examen,  de- 
vait plaire  à  des  esprits  réfléchis ,  chez  qui  le  ju- 
gement dominait  l'imagioation^  Des  principe^ 
aussi, hardis  devaient  trouver  un  accès  facile  au- 
près d'hommes  que  l'habitude  de  la  liberté  poli- 
tique faisait  pencher  vers  la  liberté  religieuse. 
Cependant ,  une  tolérance  éclairée  eût  prévenu 
les  troubles,  en  prévenant  l'effervescence  des 
passions;  et,  pour  empêcher  la  naissance  du  fa- 
natisme ,  il  eût  suffi  que  le  gouvernement  mon-  ■ 
trât  plus  d'indifférence  et  moins  de  partialité. 
Dans  le  temps  où  Charles-Quint  fit  la  guerre 
aux  protestants  d'Allemagne,  il  s'était  cru  obligé 
de  sévir  contre  les  novateurs  dans  les  Pays-Bas. 


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GUAPlTitE     XXIII.  3l3 

Au  lieu  de  laisser  aux  opinions  un- libre  cours 
et  aux  esprits  un  mouvement  salutaire,  il  avait 
persécuté  avec  violence  ceux  qui  s'éloignaient 
de  la  doctrine  de  l'église.  Plus  tard ,  l'expérience 
l'avait  éclairé  sur  le  danger  de  ces  moyens,  et, 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  était  re- 
veuu  à  des  remèdes  plus  doux  et  à  des  maximes 
plus  libérales. 

Philippe  répugnait  également  aux  uns  et  aux 
autres.  Il  haïssait  toute  espèce  de  liberté;  il  au- 
rait voulu  pouvoir  exercer  sur  ses  sujets  tous 
les  genres  de  contrainte.  Pendant  son  séjour  dans 
les  Pays-Bas ,  il  avait  vu  avec  indignation  les  pro- 
grès de  la  doctrine  nouvelle.  Attaché  à  sa  reli- 
gion par  tempérament  et  par  principes ,  ce  qu'il 
eu  aimait  le  mieux  était  l'autorité.  Il  y  voyait  un 
moyen  de  domination,  et  son  esprit  pénétrant 
fut  frappé  de  l'appui  réciproque  que  se  prêtent 
le  despotisme  religieux  et  le  despotisme  politi- 
que. Voulant  détruire  la  constitution  qui  assu- 
rait la  liberté  civile  des  Pays-Bas ,  il  se  proposa 
d'attaquer  le  culte  qui  favorisait  la  liberté  reli- 
gieuse et  d'extirper  les  protestants ,  afin  de  pré- 
parer la  .servitude  générale  de  tout  le  pays. 

Tels  étaient  les  desseins  qu'il  méditait  lors- 
qu'il s'embarqua  pour  l'Espagne  et  quitta  les 
Pays-Bas,  leur  disant ,  sans  le  savoir,  un  étemri 


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3l4  PARTIE    I.  P'ÉRIODE    III. 

adieu.  Les  Flanrands-le  vi^Atp»^r  sans  regrets, 
-fDftift  avec  des  craintes  trop  légitimes'.  A  la  vérité , 
il»  ne  poHvaieot  Émaner  toute  retendue  des 
projets  sinistres  qu'il  roulah  dans  soii  éS^rit; 
mais  ce  qu'ils  avaiant  vu  de  lui  su£5sait  pôùi-  leur 
faire  redouta  les  plus  grands  malheurs.  Mar- 
^erit«  y  fille  dé  Cbarles-Quinl ,  épouse'  d'Octave 
Famèse,  duc  de  Parme ,  fut  nommée  gouvernante 
des  Pays-Bas.  Ce  choix  semblait  devoir  rassurer 
tes'  Flamands.  Cette'  princesse  avait  le  ton',  ta 
dértfffche,  les  m'aftièi^es  et  les  goûïs  d'un  homme'; 
elle  aimait  avec  passioA  la  chaâse  ei  tôUs  lés 
exercices  violents.  Mais  sous  ces  formés  mâles  et 
sév^s  elle  portait  nn  cœur  hutnain  et  sensible; 
élevée  par  Marguerite  d'Autriche ,  et ,  après  sA 
mort ,  par  Marie ,  reine-  de  Hongrie ,  toutes  deux 
tantes'  de  Cbarles-Quint ,  elle  avait  reçu  de  ces 
femmes  supérieiWes  à  leur  sexe,  une  éducatiùd 
soignée  :  exercée  de  bonHie  heure  dans  les  tra- 
vaux du  gouveraement-,  formée  à  la  politique 
detns  les  cours  d'Italie,  elle  n'était  pas  étraûgèré 
à  fart  de  deviner  et  de  conduire  tes  hooùMés; 
son  esprit  actif,-  adroit  y  eonéîHateur,  convenait 
à  des  temps  difficiles;  disciple  de  Loyola,  elfe 
était  catholique  zélée^sanâ  incliner  au  fanatisme. 
Elle  avait  ^sé  un«  partft  de  sa  vie  dans  l'es 
Pays-Bas;  ellie  cotiTitaissaft  le  pays,  elle  l'aimait. 


bvGooglc  ' 


CHAPITRE    xxiii.  3-15 

et  l'oQ  pouvait  espérer  de  voir  renaître  sous  son 
administration  lés  beaux  jours  de  C^arles-Quint. 
Mais  Philippe ,  qui  ne  voit  jamais  dans  la  mo- 
dération que  de  la  faiblesse,  et  qui  craint  que  Mar^ 
guérite  de  Parme  ne  se  prête  difficilement  à  ses 
funestes  projets,  lui  donne  le  cardinal  de  Grafl- 
vetle  pour  conseiller,  cm  plutôt  pour  surveillant 
et  pour  maître.  Ce  ministre ,  qui  a  joui  de  la 
confiance  de  Charles ,  a  en  le  talent  de  gagner 
au  plus  haut  degré  celle  de  son  successenr.  Peu 
d'hommes  ont  été  plus  capables  que  lui  de  di- 
riger de  grandes  afEaires  dafis  dés  circonstàiïéeis 
critiques.  Son  esprit  profond,  ses  Tastes  coti- 
Dœsances  et  snrtôTit  son  ~  infatigable  activité 
étaient  à  l'unisson  de  sa  haute  fortune.  H  ne 
eoDnaisssri  d'autre  délassement  que  celui  de 
cfaangerde  travMl;le'jour  et  la  nuit  le  trouvaient 
égaloBent  appliqué.  Il  fatiguait  en  même  temps 
plusieurs  secrétaires,  en  leur  dictant  en  difiFé- 
reottes  lai)gnes«  ses  ordres  et  ses  instructions  sur 
diËférents  objets.  Son  éloquence  était  rapide  , 
facile,  brillante.  Somnis  aFreugtément  aux  vo- 
lontés! de  PbHippe  et  dévoué  à  son  service ,  il 
était  l'homme  du  prince  au  lieu  d'être  celui  de 
V'état.  Codfident  de  toutes  les  penses-  de'  son 
Biaitre ,  lut  seul  a  soil  seeret,  lui  seul  connaît 
toute  l'étendae  du  plan  qu'il  a  formé  contre  les 


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3l6  PABTIK   l.  — PÉRIODE    III. 

Pays-Bas^  il  travaille  k  servir  ses  passions  ar- 
dentes et  sombres,  et  il  oe  désespère  pas  du 
succès. 

Trois  hommes ,  aussi  distingués  par  leur  mé- 
rite personnel  que  par  leur  naissance  et  leurs 
richesses ,  l'inquiètent  par  l'ascendant  qu'ib  ont 
sur  les  esprits ,  et  l'irritent  par  la  résistance  qu'ils 
opposent  à  ses  démarches.  Exercé  à  porter  sur 
ceux  qui  l'entourent  un  jugement  aussi  prompt 
que  sur,  Granvelle  ne  prend  pas  le  change  sur 
le  caractère,  les  principes  et  les  moyen*  de  ses 
eunemis.  A  leur  tète  est  le  prince  d'Orange ,  de 
l'illustre  maison  de  iN'assaa ,  qui  a  donné  un  em- 
pereur  k  l'Allemagne.  Guillaume  avait  développé 
son  génie  près  du  trône  de  Chartes  et  sous  là 
puissante  influence  de  l'exemple  et  des  leçons 
de  l'empereur ,  qui  devina  en  lui  le  grand  homme. 
Libéral  et  magnifique,  il  prodigue  tout  à  ses 
amis,  il  n'est  avare  que  de  sa  confiance^  son  es- 
prit observateur  pénètre  les  hommes  et  les  cho- 
ses ;  et  lui-même  est  impénétrable.  Froid ,  réservé, 
timide  même  en  apparence ,  -quand  il  parle,  le 
feu  et  la  hardiesse  de  ses  discours  persuadent , 
entraînent,  subjuguent  tous  les  esprits.  Le  comte 
d'Egmoot  partage  âvec  lui  l'amour  et  l'admira- 
tion  des  Flamands;  l'illustration  qu'il  doit  à  ses 
victoires  relève  l'éclat  de  sa  fortune;  mais  son 


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CHAPITRE    XXIII.  3l7 

orgueil  est  encore  au-dessus  de  ses  talents,  et 
l'habitude  des  armes  lui  a  donné  le  goût  des  me- 
sures violentes.  Horn  est  plus  riche  et  moins 
considéré  que  Guillaume  et  Egmont  ;  cependant 
il  n'a  pas  dégénéré  de  la  vertu  de  ses  ancêtres. 
Sorti  d'une  maison  française ,  lié  par  le  sang  aux 
Montmorenci ,  il  avait  prouvé  <lans  les  guerres 
de  Flandre  qu'il  était  digne  de  son  illustre  ori- 
gine. Inférieur  en  génie  àGuiUaume,  en  talents 
militaires  à  Egmont,  comme  eux  il  hait  la  ty- 
rannie ,  et  sait  lui  opposer  le  courage  de  la  ré- 
sistatice  et  de  l'action. 

Tous  trois  avaient  reçu  de  Philippe,  au  dé- 
faut de  marques  de  confiance,  des  places  dis- 
tinguées qu'il  avait  plutôt  accordées  à  la  crainte 
qu'à  l'estime.  L'opinion  publique  ne  lui  per- 
mettait pas  de  laisser  sans  pouvoir  et  sans  em- 
ploi des  hommes  aussi  considérés.  Guillaume 
avait  obtenu  le  gouvernement  de  la  Hollande, 
de  la  Zélande  et  dIJtrecht,  Egmont  celui  de 
l'Artois,  Hom  la  place  d'amiral.  Mais  ces  places, 
peu  propres  à  les  satisfaire,  répondaient  mal 
aux  vceux  de  leur  ambition.  Ces  faveurs  pré- 
tendues ne  les  avaient  pas  attachés  au  trône,  et 
n'avaient  fait  que  leur  fournir  contre  lui  des 
moyens  de  résistance.  Chacun  d'eux  croyait 
avoir  des  titres  à  la  place  de  Marguerite ,  et  ils 


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3l8  PARTIE     I.  PIShIUDE    III. 

né  pouvaient  supporter  le  crédit  de  Granvelle, 
'qui  exerçait  ojie  vifritabte  toutei-puissance  «ous 
le  ikhh  de  la  gouv^nante,  et  dont  la  qualité 
d'étr^iger  suffisait  pour  le  leur  rendre  odieux. 
.  Ite  cardinal  désirait  déguiser  aux  Flamands 
l'étendue  de  son  influence,  soit  pour  ménager 
l'oi^neil  de  Marguerite,  soit  pour  donna*  le 
change  à  ta  haine  des  grands  et  prévenir  l'op- 
position qu'il  redoutait.  Plus  jaloux  du  pouvoir 
que  des  signes  extérieurs  du  pouvoir,  et  du 
Miccès  de  ses  entreprises  que  de  vaines  décora- 
tions ,  Granvelle ,  dans  l'espérance  de  cacher  la 
main  qui  faisait  jouer  tous  les  ressorts  de  l'ad- 
ministration, correspondait  avec  Mai^erite,  au 
lieu  de  conférer  avec  elie ,  et  ne  la  voyait  que 
rarement.  Mais  les  Flamands,  intéressés  à  décou* 
vrir  la  vérité,  surent  bientôt,  malgré  toutes  ses 
précautions ,  que  rien  ne  se  faisait  que  par  lui, 
et  cette  idée  augmenta  leur  éloigoement  pour 
les  innovations  projetées. 

Entre  toutes  les  institutions  nouvelles,  l'in- 
quisitiou  devait  révolter  le  plus  des  esprits  qui 
n'étaient  pas  encore  façonnés  à  la  servitude. 
Ce  tribunal  abhorré,  qui  punissait  les  erreurs 
coQune  des  crimes,  et  qui  regardait  comme  une 
erreur  dangereuse  la  moindre  déviation  de  la 
doctrine  de  l'églifie,  était  encore  plus  redoutable 


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CHAPITRE    XXIII.  3ir) 

par  les  mo]>ens  4ont  M  se  aervait  pour  décou- 
vrir les  h4rétiqufes ,  que  par  les  arrêts  qu'il  lan- 
çait çoQtre  eux.  liTon-seuianeiit  il  attei^ait  par- 
tout sa  vidàioEie.,  saaç  quelle  [ût  lui  écfaapper, 
il  la  frappait  s^ns  qu'elle  pût  se  défendre;  mais 
eacofe  i)  employait  l'espiunnage ,  les  délations 
domestiques,  les  interprétatioDS  a^isurdes  ou 
mal^fiiies  ijes  cj^oses  les  ^us  innocentes,  pour 
pénétrer  en  quelque  sorte  dans  l'intérieur  de 
l'ame,  ,deviner  les  pensées  les  plus  secrètes,  et 
s'assurer  d'un  prétendu  délit  dont  l'auteur, 
l'objet  et  le  théâtre  sont  également  invisibles. 
Ce  tribunal  avait  été  dans  f  origine  établi  contre 
les  Maures  d'Espagne,  par  des  raisons  plutôt 
politiques  que  religieuses  ;  mais  par  la  suite  les 
progrès  lie  la  réfonnation  avaient  fait  croire 
dans  plusieurs  pay«  à  la  nécesùté  de  multiplier 
ces  formes  tyranniques.  Afin  de  laisser  moins 
d'espérance  à  ceux  coatre  lesquels  l'inquisition 
devait  sévir,  on  l'avait  ôtée  aux  évêques,  pour 
la  donner  aux  moines,  plus  dévoués  au  pape, 
plus  étrangers  aux  relations  sociales,  et  moins 
accessibles  aux  sentiments  de  l'humanité.  Jamais 
on  n'avait  fait  de  conjuration  plus  inique  ni 
plus  active  contre  la  raison  et  la  liberté  de  l'es- 
pèce huBUdae.  En  Espagne,  elle  avait  déjà  ra- 
lenti l'activité  des  «sprils,  arrêté  ta  circulation 


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3aO  P4RTIÉ    I. PÉRIODE    III.       ' 

des  idées  et  substitué  partout  à  l'abandon  d'une 
franche  gaieté  le  silence  de  la  réserve,  de  la 
contrainte  et  de  la  défiance.  La  liberfié  avait  été 
bannie  des  conversations,  la  confiance  du  sein 
des  familles,  et  l'on  ea  était  venu  à  se  défier  de 
soi-même  et  à  craindre  ce  qu'on  ne  saurait  ni 
diriger  ni  prévenir,  les  combinaisons  de  la 
pensée  et  les  jeux  d'une  imagination  active,  qtii 
amènent  toutes  sortes  d'idées.  Les  objections  se- 
crètes, les  doutes  timides  qui  s'élevaient  quel- 
qiiefois  dans  les  esprits ,  y  portaient  la  terreur. 
On  les  voyait  déjà  trahis,  condamnés  et  punis. 
Dans  te  plan  de  Philippe ,  tes  Flamands  de* 
valent  éprouver  le  même  sort ,  et  déjà  le  fléau 
de  l'inquisition  menaçait  ce  -  qu'ib  avaient  de 
plus  cher.  La  prospérité  du  commerce  des  Pays- 
Bas  était  inséparable  d'une  sage  tolérance.  Les 
lois,  le  caractère,  tes  habitudes  même  des  Fla- 
mands repoussaient  cette  institution  redoutée. 
On  ne  pouvait  l'introduire  légalement  chez  eux 
sans  le  consentement  des  états;  mais  Philippe, 
qui  voulait  assurer  la  servitude  dç  ses  sujets  paf 
l'iuiiformité  de  la  croyance  et  du  culte,  avait 
établi  ce  tribunal  dans  les  Pays-Bas,  avant  de 
partir  pour  l'Espagne;  et  il  l'avait  fait  de  sa 
propre  autorité,  malgré  les  réclamations  de$ 
Flamands.  Granvelle  animait  le  zèle  de  ce  tri-^ 


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CHAPITRE    XXIII.  3al 

buual,  et  provoquait  son  actinté.  C'était  à  ses 
yeux,  un  excellent  laoyen  de  se  dé&ire.  de  toutes 
les  personnes  qui  le  gênaient  dans  l'exécution 
de  ses  plana.  On  les  accusait  d'hérésie ,, et  cette 
accusation  vague  menaittoujours  àja  mort.  I^s 
arrêts  se  multipliaient  ;  diaquejour  voyait  tomber 
de  nouvelles  ^ctimes.  Les  rigueurs  de  l'inqui- 
sition augmentaient  le  nombre  des  sectateurs 
de  la  doctrine  nouvelle;  le  mécontentement  gé- 
néral n'en  était  que  plus  prononcé,  et,  malgré 
les  bourreaux ,  rindignation  s'exhalait  en  plaintes 
et  en  menaces. 

A  ces  justes  griefs  des  Flamands  contre  Gran- 
velle  et  contre  Philippe,  s'en  joignaient  encore 
d'autres,  qui  tenaient  aux  mêmes  causes  que  les 
premiers.  Dans  ce  temps  de  troubles  et  d'inno- 
vations, le  nombre  des  évêques  des  Pays-Bas 
avait  paru.trop  petit  pour  surveiller  les  diocèses. 
Ces  évêques  ressortissaient.  des  archevêques  de 
Rheims  et  de  Cologne,  et  cette  dépendance 
étrangère  déplaisait  à  Philippe.  A  son  instiga- 
tion ,  le  pape  Paul  lY  avait  créé  dans  les  Pays- 
Bas  treize  évéchés. nouveaux,  et  l'archevêque  de 
Malines  avait  été  déclaré  primat  et  juge  suprême 
de  toutes  les  affaires  eccléàastiques  de  ces-pro- 
vinces. Ce  changement  pouvait  être  utile;  à  une 
époque  différente ,  il  eût  peut-être  réuni  tous 


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3«a  PARTIE    I. P3ÏBIODC'  III. 

les  suffrages,  mai^  il  avait  été  fait  d'une  nMuère 
arbitraire.  Ce  nouvel  curdre  de  choses  dtéMît 
tous  les  anciens  rapports  de  la  conrtitutiDB  du 
pays.  GranreHe,  qui  l'avait  conseillé,  avait  été 
<b*rgé  de  llntrodnire,  et  ce  boBlevaMancM 
des  IcHS  avait  soulevé  ocmtre  loi  tes  «itt^etu  de 
toutes  les  classes.  I>a  moment  où  tant  de  créa- 
tures du  roi  prennent  séanoe  dtta  le»  Éttts , 
la  noblesse  cra^^^ntc  que  la  Hbeité  pid>Kque  ne 
fût  bientôt  pitra  qu'un  vain  nom;  les  abbés 
riches  et  puissants  regrettaient  iM  sacrifia»  qu'ils 
étaient  obligés  de  faire  pour  doter  IfS  nouvettux 
évéques;  le  peuple  ne  les  regardait  que  emmiie 
des  suppôts  de  la  t^nnie  religieuse ,  et  le  jour 
où  ils  prirent  possession  de  leun  néges  fot  un 
jour  de  deuil  pour  la  nation. 

ABn  d'appuyer  par  la  force  ces  innovations , 
que  proscrivait  l'o^nion  publique ,  Mùt^ipe 
avfût ,  au  mépris  des  lois ,  laissé  des  troupes  es- 
pagnoles dans  ces  provinces.  Dans  la  crainte 
que  la  force,  qui  devsât  |votéger  l'ordre  sodal, 
ne  se  touniftt  contre  lui ,  la  constitution  de  la 
Flandre  ne  confiait  qu'aux  indigène»  le  soin  de 
la  sûreté  pubKqOe.  Philippe  le  savait;  les  Fla- 
mands le  lui  avaifflit  rappelé  ;  il  avait  sf^nnel- 
lement  promis  de  retirer  ses  salîtes;  mais  il 
n'en  avait  rien  &it,  et  ces  troupes,  assez  nom* 


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CRAVITBB    Xtllf.  ^a3 

breiMM  ^otirdoiuiei'  de  FinqfUiéni^à  k ii«i6tf , 
ne  l'étaieat  pas  assez  pour  la  conteatr,  fil'  fwM 
prévemr  les  eff^s  de  bod  métxmtedteniéDt. 

Ainsi  FhUippe  avait;  vialë  ses  sranttènts,  etti'é- 
tait  joué  des  loin  aticquetles  il  dévate  sôiïaiitoi- 
rite;  nais  le  people,  qui  aectisé  toujouM  plutôt 
les  ministreB  que  le  prince,  rt^eokt  fisus- s«s 
griefs  sttr  Granvellé  seul  ;  ce  minâtre  portBÎt 
tout  le  p<Hds  d0  riudigfialiou  ^ubllqufl,  et  e&* 
pflOidant  il  ne  fmaàn  qa'^Aéeatet  fldélëtâeM  lèS 
«MNlfet  crn^  qtl'it  recevait  de  sôU  lùtâtféi  Lé 
{n-inee  d'Orange ,  Egmont  et  ïlotn  ,  qui  te  haôA- 
«eaC  peMoaè&Btûffat ,  mais  qià  petsasà&Êa-  SBhi 
Ftomands  que  le  pij&iot^ne  ietà  le»  fiùt  i^, 
et  Se  le  peFsuadenf  peut«ti)e  -à  eas^médoes , 
veulent  pTc£t*r  de  ces  di^)o$itioii$  pour  le  pevo 
drer  IK  énivent  i  Philippe  des  lettres  fortes  él 
pressantes,  afin  d'obtemt-  mn  rappel.  Ph^pe 
demande  des  feits  et  dtis  preuve»;  il  répugné  ft 
congédier  un  immstre  qui  ne  peM  avcMT  d*aui»e 
tort,  à  sesfeuz^queeelttidWoù-tmp&ieBistn*!^ 
ses  pdsHions;  mais  GraoteHe  lui^méviM  watqtM 
l'animosité  générale  etf  paweHueàuntéïdegsé^ 
qu'il  Ht  peut  pUu  étv6  ittile  k  VkHif/pt;  il  de- 
mande  son  cMigé ,  et  on  l'aticonie  à^  sw  kistM^ 
ces.  Il  perd  s»  j^ace  sdns  pertke  la  cMifianeé  étr  i564. 


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3a4  PARTIE    I.  — PERIODE    III. 

son  maître,  qui  eJDploie  ailleiu^  ses  talents  et 
^  fiddité.  , 

Lesnc^leS)  qui  s'étaient  éloignés  du  conseil  pen- 
.daot  radmini^atiou  de  Grauvelle,  y  reparaissent 
de  nouveau ,  .et  insistent  sur  la  liberté  des  cultes. 
Philippe  les  berce  de  vaines  espéraiices,  dans 
le  temps .  même  où ,  dans  les  conférences  de 
Baïoone,  le  duc  d'vAlbe  et  Catherijie  de-Médicis 
concertaient  la  mine  des  protestants^  Le  comte 
iS65.  d'Egmont  fait  le  voyage  d'Espagne  pour  lâcher 
de  fléchir  Philippe  ,  et  pour,  prévenir  de  plus 
grands  malheurs,  en  l'engageant  à  se  relâcher 
sur  l'articlie  de  la  religion..  Guillaume  adresse  à 
Marguerite  des  représentations,  d'autant  plus 
fortes  qu'elles. sont  plus  mesurées.  Philippe  ca- 
cbs  ses  desseins  secrets  sous  un  masque  de  sin- 
cérité.  Il  '  paraît  s'intéresser  au  sort  des  Fla- 
mands>  iet; cependant  il  ordonne  que  les  décrets 
du  concile'  de  Trente  soient  publiés  dans  les 
Pays-Bas,  et  exécutés  avec  la  plus  grande  ri- 
gueur. Aforguerite,  qui  peut  mieux  juger  de 
l'exaspération  des  esprits,  tâche  -d'adoucir  dans 
l'appltcat'ron  les  maumes  sévères  qu'elle  est  obli- 
gée de  professer  en  apparence;  elle  voudrait 
assurer  la  tranquillité  des  Pays-Bas,  en  compo- 
.'  sant.avet  les  intérêts  des:Flamauds  et  les  pas- 
sions de  Philippe.  Ce  râle  est  difficile  :  elle  est 


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■     -  CHAPITRE   xxiri.  ■  SaS 

généé  dans  sa  marche ,  et  soumise  à'  une  sur- 
veillance continuelle.  De  là  les  incertitudes  et 
les  contradictions  de  sa  conduite.  Les  protes- 
tants ne  peuvent  prendre  confiance  ■  dans  un 
gouvernemient  qui  n'est. pas  d'accord  avec  lui- 
même,  et  dont  les  actions  et  le  tangage  corres- 
pondent si  mal  ensemble.  Dans  le  dessein  de 
donner  plus  de  force  à  leurs  rept-ésentations ', 
et  de  suite  à  leurs  démarches ,  ils  forment  une 
association -étroite.  Louis  de  Itàssau,  frère 'de 
Guillaume;'  qui  professe  la  doctrine  nouvelle  , 
dirige  leurs'  mouvements.  Les  catholiques'  eux-^ 
mêmes  approuvent  cette  '  mesure  hardie ,  parce 
qu'ils  ne  voient,  dans  la  résistance  des  protes- 
tants, qu'un  moyen  de  sauver  la  constitution  et 
la  liberté  publique.  Les  chefe  de  l'opposition  y 
applaudissent  également.  Ceux  d'entre  eux  qui 
s'intéressent  au  bien  général ,  se  flattent  que  la 
crainte'  ramènera.  HiiUppe  à  des  sentiments  plus 
modérés  ; 'ceux  qui  ont  des  vues  personnelles, 
se  félicitent  '  de  trouver  dans  les  trolibles  des 
moyens  de  satisfaire  leur  ambition  et  leur  cu- 
pidité. Le  roi  d'Espagne  pouvait  encore  d'un 
mot  tout  pacifier;  mais,  étranger  au  caractère  et 
au  génie  du  peuple  flamand,' il  me  connaissait 
pas  la  natnre  du  mal,  et  méprisait  ses  ennemis, 
A  ses  yeux  ,  toute  résistance  est  un  crime  f  un 


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|la0  FAiiTi^  i.-r,rt%ioDi  III. 

grime  doU  êtpe  n^prîmé  om  piwi  par  h  ^wce  ; 
ta  inç^^r^ioQ  paraitrait  iwpHUWfîcç  ;  la  dou- 
ceur oç  serait  qu'une  feiblewe  hoqteu^.  Quatre 
cent»  gfptiMuHDmes  Jiïi  pr^enteut  ujoe  i)dr«9w 
respectueuse,  da^s  laquelle  il»  o«  demaoïi^it 
.qve  jl'mt^rité  de  lit  CQpstitUtipipi  çt  r«holition 
ijiç  l'wqUMÎti&n  r«%ieu^.  ppur  tqute  répoiue , 
PbUippfi  envQV  le  duc  d'AU>e  gouverner  le» 
1567.  Pays-jÇ^s,  i  M  plaice  de  M*i绫ïri!(e, 

,C'j^ti«t  décima  que  I9  fopçfl  9«Hle  dewKÎt  dé- 
cider pe  grand  procès,  et  qtes  towte  espérance 
SMit  FlsuaaQds.  ^Uto  arrive  à  la  tète  de  huit 
mille  E^wguols  éprouvé»,  qui  a^^^mt  de -fidèles 
ipim^tre»  de  ks  veogeances.  Soa  i»isictère  est 
çpçnu  :  fei'me  jusqu'^  la  dureté,  impérieux  et 
in^orablei  il  ainuit  mieux  briser  Ie$  résisiiances 
que  iea  fléchir.  Accoutumé  k  prqdjguer  le  stng 
499»  lef  combats ,  il  »era  peu  di^osé  à  ïépM- 
gner  .dans  les  troubles  civils.  Au  wul  nom  de 
cçt  homme  redouté,  1^  terreur  et  la  coQstema- 
^01^  «e  répandent  dans  toutes  les  provinces ,  et 
il  s^tpmc  que  toijtff  la  nation  ^t  jété  mifie  sous  le 
gl^ye.  Guillaume,  qqi  cspnnût  d'Albé,  etsait  qu'il 
ne  pardonne  pas,  ne  voulant  pas  péiir  sans  ^oire 
et  sans  fruit  pour  son  pays,  soustrait  sa  tète  aux 
dangers  qui  la  menacent,  et  se  retire  en  Alle- 
wagoe.  I^ipont  et  Uorn ,  moips  piévoyants  que 


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CMAVlfRS    YXIIL  337 

ImÎ)  refite^idaps  le  pays,  et  exposent  leur  vie 
eQ  voulant  sauver  leur  fisrtunç.  Guillaume  est 
«iMvi  dans  f»  fuite  par  beaucoiip  d'hommes  puis- 
siinlfi  et  considérés ,  qui  ont  montré  assez  de 
vertu  poMT  ivériter  1»  haine  ou  les  soupçons  de 
P}ijijij)pe,  çt  qut<(wit  trop  de  courage  pour  ache- 
tfir  leur  sùreité  p^r  des  bassesses.  Vne  partie  du 
peu^e  vw»  abandonne  ses  foyers,  et  s'exile 
ToluBtaireaieat  ;  la  terres  du  nom  d'AIbe  iait 
quitter  4u  labouççur  «?  «jtwrnie,  k  Tartisan  son 
atflier ,  çt  nombre  de  citoyens  de  toutes  lf;s 
cbsaes  vont  porter  ailleurs  lieur  activité  et  letu* 
industrie.  Lacmauté  d'jUbe  surpasse  les  craintes 
des  malheureux'  Flamands.  Les  troupes  sont  ré- 
parties dans  les  villes  piîncipales  ;  et  les  soldats 
espagnols,  animés  par  la  haine  des  Flamands , 
jfK  le  désir  du  butin  et  par  le  &natisme  de  la 
religkin ,  se  prêtent  avec  joie  aux  ordres  de  leur 
général.  Fartout  on  .dres&e  des  échafauds.  Un 
ttibunal  inique,  composé  de  douze  juges,  tous 
étxangecs  aux  Pays-Bas  par  lew  naissance ,  ou 
vendu»  k  l'E^iagoe,  s'oi:;gaui9e  m  mépris  des 
loi^  du  pays.  Il  prginonce  la  peàne  de  mort  çson- 
trs  iss  délits  les  plus  légers,  sur  des  indices 
faibles  ou  ^uiwoques,  et  ffiéfae  ^^i  preuves 
quelconques.  Tous  ceux  qui  ont  appuya  des  ré- 
clamations l^aUs  contre  les  abus  de  l'autorité  » 


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3a8  l>ARTIE     I.  PÉRIODE     III. 

OU  qu'on  peut  soupçonner  de  les  avoir  approu- 
vées secrètement,  sont  regardés  et  jugés  comme 
autant  de  fauteurs  de  l'hérésie;  et  tous  ceux  qui 
professfent  la  doctrine  nouvelle  ou  qui  y  incli- 
nent, sont  condamnés  et  punis  comme  rebelles. 
'  La  richesse ,  la  naissance ,  les  talents  deviennent 
des  crimes;  les  vertus  et  les  services  éclatants 
mènent  à  la  mort  ;  l'obscuTÎté  même  ne  sauve 
personne.  Ëgmoiit  et'Hom,  arrêtés  et  mis  aux 
fers,  invoquent  en  vain  le  privilège  que  les  lois 
assurent  aux  accusés  de  leur  rang,  de  n'être 
jugés  que  par  leurs  pairs;  leur  rang  même  est 
■  568.  un  titre'de  condamnation,  et  ils  meurent  dans 
les  supplices  sous  les  yeux  d'un  peuple  immense. 
En  voyant  tomber  ces  têtes  Ulustres,  il  semble 
que  la  liberté  elle-même  expire  ;  on  prévoit  que 
la  tyrannie  qui  ne  les  a  pas  respectées ,  ne  res* 
pectera  rien,  et  qu'elle  sera  sans  pudeur  et  sans 
terme.  Les  nombreux  satellites  d'Albe,  répan- 
dus parmi  les  spectateurs  de  cet  attentat,  con- 
iienuent  leurs  mouvements  et  leur  murmures; 
mais  ils  ne  peuvent  empêcher  la  douleur  pu- 
blique de  s'exhaler  en  géinisséments;  et  les  vic- 
times généreuses  que  le-  despotisme  s'immole  , 
objets  de  culte  pour  leurs  concitoyens ,  sont  sui- 
vies de  leurs  regrets  et  -dé  leurs  larmes. 

Ou  confisque  lès  biens  de  Guillaume,  et  ces 


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CUA.PITHB    XXIIl.  3^9 

biens  servent  à  payer  les  excès  et  les  crimes  des 
soldats.  Albe  parcourt  tout  le  pays  avec  ses 
bouiteaux ,  et  partout  de  sanglantes  exécutions 
annoncent  au  peuple  son  arrivée  ;  la  hache  du 
bourreau  est  levée  sur  toutes  les  têtes.  Plus  il 
commet  de  meurtres  juridiques,  plus  les  pro- 
vinces se  dépeuplent:  Le  nombre  de  ceux  qui 
s'exilent  volontairement  s'accroît  tous  les  joiu-s  ; 
mais  ces  exils  multiplient  le5  confiscations ,  et 
les  confiscations  procurent  au  duc  d'Albe  les 
moyens  de  multiplier  les  instruments  de  sa  fu- 
reur ,  et  de  récompenser  les  suppôts  de  sa  ty- 
rannie. 

Cependant  Guillaume,  retiré  en  Allemague, 
n'oublie  ni  ce  qu'il  doit  à  sa  patrie,  ni  ce  qu'il 
se  doit  à  lui-même.  Les  exilés  lepressent  de  pren- 
dre les  armes  et  de  sauver  la  liberté  mourante. 
Il  ne  s'agît  pas  pour  lui  de  jouer  le  bonheur  de 
toute  une  génération  sur  la  table  du  hasard, 
dans  l'espérance  d'une  perfection  idéale,  ni  de 
sacrifier  le  présent  à  un  avenir  éloigné,  incer- 
tain, chimérique;  il  s'agit  de  jffévenir,  par  une 
mesure  vigoureuse,  la  ruine  de  tout  un  peuple, 
de  combattre  pour  le  maintien  de  l'ordre  social 
que  la  tyrannie  attaque,  ébranle  et  menace,  de 
renverser ,  de  défendre  enfin ,  par  la  force ,  des 
droits  positifs  que  la*  force  croit  jpouvoir  violer 


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33o  PASTtE    I.  —  VÉRIODE    III. 

impunéiBeitt.  X^es  loU  autorisent  Quillaume  à  U 
défense  dç  son  pays,  ^-llemand  d'oiigine,  il  est 
Brabançon  par  les  terres  considér^les  qu'il  pos- 
sède dans  le  pays.  Le  contrat  qui  lie  les  État» 
du  ^«bvit  à  leur  prince,  libère  tes  citoyens  de 
toute  obligation ,  du  moment  où  le  prince  s'i£~ 
irancbjt  dç»  swnaes,  et  leur  assure  même  le 
droit  de  le  nunener  m  devoir  jw  la  contrainte. 
Cette  constitution  pouvait  être  vicieuse  :  elle 
plaçait  la  garantie  des  lois  politiques  dans  la 
force  physique  des  individus,  au  Heu  de  la. placer 
dam  le  mode  même  d'organisation  de  la  .société , 
dans  l'action  et  la  réaction  réciproques  de»  élé- 
ments du  pouvoir.  C'était  retomber  dans  l'état 
de  nature  pour  sauver  l'état  social ,  en  appeler 
aux  passions  des  excès  des  passions,  et  lew 
fournir  un  moyen  légal  de  bouleverser  Tordre 
public;  mais  enfin,  cette  constitutiop  nistaitj 
elle  avait  été  jurée  par  le  prince  et  par  l^  mem- 
Im%9  des  États;  ils  ne  pouvaient  et  ne  devaient 
pia$  avoir  d'autre  règle  de  la  légitimité  de  leur 
condiûte. 
Guillaume  développe  ces  principes  dans  un 
iS68.  manifeste  qn'il  publie  pour  justifier  ses  démar- 
ches , etj  les  vmes  à  I9  main,  deinande.le  redres^ 
semeot  des  griefe  4«s  Pays-Bas.  Le»  puissances 
ffiMtesUotes  dont  il  implore  le  fieooun ,  se  mop- 


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CB4.V1T«1|    XXIII.  33l 

troDt  peu  ^posées  à  le  fleecmder.  La  Suède  et 
le  Daaemftfck  craignent  l'Espagne,  et  espèrent 
que  les  troubles  de  la  Flandre  fercmt  tomber  son 
commerce  et  que  le  leur  s'élèvera  rapidement. 
La  rdn«  d'Angleterre,  £U&abeth,  nourrit  les 
mèm^  cjwntes  et  les  mêmes  espérâmes;  mais, 
plus  habile  et  plus  voiwie  du  foyer  des  agita- 
tJtOBis,  eUe  veut  entretenir  le  mouveDoent  dont 
eU«  compte  profita,  et  promet  de  fevoriser  &e>- 
crètf  meQt  les  plans  de  Guillaume.  Coligni  et 
Ids  protestants  de  Fraace  sentent  combien  il 
leur  importe  que  Phili|^ ,  soutien  de  leurs  en- 
Beoais,  soit  occupé  dans  ses  propres  États,  et 
que  le»  partisans  de  la  Bovvelle  doctrine  ne 
niQoombent  pas  wus  ses  e£Ebpts.  Aji  défaut  d'aa- 
tr9S  seopurs ,  Coligni  éclaire  Guillaume  de  ses 
coQseils.  Soit  politique,  soit  copvlctioD,  soit 
pçut-^tïe  l'une  et  l'v:itre,  Guillaume  prend  de 
{'^(»giMKieqt  pow  la  religion  des  oppresseurs 
dç  Aou  pays;  Mutant  la  néetmté  de  s'attadier 
fert^nent  un  parti,  il  etpbrjtsse  Ut  religion  pro- 
tétante,  .qui  est  déj»  celle  de  son  frère,  e£  se 
$4m  qu'une  partie  de  l'AlUnoi^oe  épousera  sa 
fiauie.  M»is  l'esprit  concitiateur,  le  caractère 
doux  et  tolérant  de  l^axipttlwn  II ,  étaient  par- 
v«aus  à  calmer  les  antmosités  dans  l'Empire ,  et 
U  [^part  des  princes  protestants  lui  avaient 


=dbvGooglc 


33a  PARTIE    I. -^PÉRIODE    III. 

promis  de  ne  pas  prendre  de  part  directe  et  ac- 
tive à  la  querelle  sanglante  qui  allait  s'euga^rl 
Cependant  ils  favorisaient'  sourdement  les  mé- 
contents des.  Pays-Bas.  Sans  se  déclarer  pour 
eux,  plusieurs  avaient  fourni  à  Guillaïune  des 
troupes  et  de'  Tangent ,  et  ce  fut  avec  ces  secours 
qu'il  commença  la 'goeire.  ■ 

Ses  premiers  efforts  furent  malheureux.  A  la 
vérité ,  dans  toutes  les  |M-ovince9  ,  l'opiaiou  pu- 
blique étùt  pour  lui:-Les^cathotiqucjis  et  les  pro- 
testants fomlai^it' également  des  vœux  poi^F'  le 
succès  de- ses  armes, -car  d'Albe  ïtvait  irrité  tous 
les  partis.  Il-n'étaitptus  question  de  l'aUtCM^té 
des  États;  tout  se  faisait  sans  eux  et  contre  eux: 
Aux  persécutions  religieuses  avaient  suecédé-des 
impôts  arbitraires,  inconstitutionnels,  excessifs, 
mal  répartis ,  qui ,  pessii^t  sur  le  commerce  î 
avaient -réveillé  l'égôisme  et  l'avaient  attaché  lui- 
même  à  la  cause<comrBude;  mais  les  provinces 
et  les  villes  étaient  contenues  par  la  terreur  et 
par  la  force.  Il  ne  fallait 'pas  moins  que  des  vic- 
toires pour  leur  donner  le  courage  d'agir,  et 
les  premiers  pas  de  Guillaume  furent  marqués 
par  ses -défaites.  Trois  fois-  lUosa  se  mesurer'avec 
d'Albe,  et  trms  foisla  supériorité  du  génie-mi- 
litaire de  l'Espagnol ,  la  discipline  de  ses  tfou- 
pes,  triomphèrent  de  Itf  .valeur  et  de  la  généreuse 


=dbï  Google 


CHAPITRE     XXIII.  335 

persévérance  de  Guillaume.  La  cause  de  la  li- 
Inerte  politique  des  Pays-Bas  paraissait  perdue 
sans  rçtouT.  Un  éTénément:  aussi  heureux  qu'im- 
prévu changea  la  face  des  affaires.  .  i 

Des  corsaires  équijpéspar  des-émigrés  be^es 
■et  bataves  ayant  été  obligés  de  quitta-  les  ports 
d'Angleterre ,  et  ne  sadiaht  où  trouver  un  asyle, 
surprirent  le  port  et  la' -ville  de  la  Brille,  et  y 
arborèrent  l'étendard  de  l'insurrection.  La  con- 
quête de  cttte  ville  fut  le  signal  d'un,  grand  mou- 
vement dans;  les  provinces  du  Nord.  Cette  partie 
du  pays  ofire  un  terrein-  coiq>é  dans  tous  les 
sens  par  des  rivières,  des  canaux,  et  par  la  mer 
elle-même.  Elle  est  singulièrement  propre  à  une 
guerre  défensive.  Les  victoires  ne  peuvent  y  être 
décisives  ni. les  défaites  fort  désastreuses;  on 
peut  avec  facilité  s'y  re&ire  de  ses  pertes.  Les 
habitants  de  ces  provinces ,  moins  riches  que 
ceux  des  provinces  du  Midi,  endurcis  aux  fati- 
gues et  aux'dangerS'par  une  vie  difficile  et  un 
travail  soutenu,. étaient  plus  disposés  aux  sacri- 
fices, parce  qu'ils  avaient  moins  à. perdre,  et 
ils  n'attendaient  qu'ime  occasion  d'éclater.  Pres- 
que' tous  protestants  ,  ils  étaient  plus  irrités 
que  les  autres  des  persécutions  du  duc  d'Albe, 
quoiqu'ils  en  «jssent  moins  soufiFert;  et  ce  ne 
fut  qu'à  cette  époque  qnç  l'insurrection  prit 


DiailizodbvGoOgle 


334  FARTIK    t.  —  PÉRIODE    III. 

une  marche  fixe,  et  un  caractère  redoutable. 
Giiillaurae  arrive  dans  ces  contrées,  dont  Phi- 
lippe l'aTait  nommé  autrefois  gouTcroeur,  et  où 
il  avait  des  biens  considérables ,  des  intelligences 
secrètes  et  beaucoup  d'amis.  Il  fsiti  de  ces  pro- 
TÎnces  le  centre  de  ses  opérations  et  le  foyer  de 
la  liberté.  Le»  Hollandais  loi  accordent  de  l'ar- 
gent ,  et  lui  permettent  de  lever  des  troupes. 
Cependant,  quelque  prononcées' que  fnss^it  ces 
mesures,  les  mécontents  n'accusaient  et  n'atta- 
quaient encore  que  le  duc  d'Albe;  ils  i^e  pen- 
saient pas  à  rompre  les  liens  qui  les  attachaient 
k  leur  prince,  ou  du  moins  les  cfa^  ne  trabis- 
aaieat  pas  leur  secret. 

.  Leurs  premières  entreprises  écbouèrent  ^celles 
du  duc  d'Albe  fiirent  presque  toutes  couronnées 
de  succès.  Les  insur^s  avaient  plus  «f  ardeur 
que  de  nkoyen»,plu»d'énei^qnede  tactique, 
et  leurs  mouvemeuts  manquaient  le  but,  fmite 
d'unité  et  de  direction.  Au  contraii%  d'Albe  Atxf 
blait  SCS  forces  par  l'activité  :  lui  seul  avait  pno- 
dnit  le  mal ,  mais  lui  seul  fuissi  paraissait  capable 
de  le  combattre  et  de  le  conjurer. 
x573.  H  est  rappdé  au  moment  oii  il  espérait  de 
triompher  de  l'insurrection  et  de  recueillir  le 
prix  de  ses  fc«faite.  Philippe,  qui  a  long-temps 
apfiTouvé  sa  conduite  «  cède  aux  insinuations  de 


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CHAPITRE    XXIII.  335 

ses  ennettiis.  its  lui  persuadent  que  la  baine 
peMôimelle  des  Flamands  éontre  lé  diic  les  erti- 
pdche  de  se  soumettre,  et  que  son  rappel  serait 
un  bienfait  tpii  les  disposerait  à  l'obéissitnce. 
Lé  roi  d'Espagne  cominence  k  envisager  d'un 
antra  œil  les  tronbles  des  Pays-Bas,  croit  en 
^et  qu'il  £aut  cbatiger  de  système  ou  dlnstm- 
ment  pour  les  réduire.  Requesens ,  commandeur 
de  l'ordre  de  SaintJacqueS ,  rient  remplacer  le 
duc  d'Albe;  c'était  faire  sucicéder  la  laiUesse  à 
la  férocité.  Requesêns,  plus  initié  dans  les  se- 
crets de  la  politique  que  dans  ceux  de  l'art  de 
la  guerre,  trop  égé  pour  être  actif  et  entrepre- 
nant ,  naturellement  dotât ,  timide  ,  irrésolu , 
adopte  un  système  mitoyen ,  peu  analogue  aux 
ârconstances.  Il  «foit  devoir  mêler  les  voies  de 
ligueur  aux  voies  de  conciliation ,  et  par  ce 
mélange,  il  détruit  l'effet  des  unes,  et  s'ôte  le 
mérite  des  antres.  Les  insultés  ne  se  contentent 
plus  de  promesses  vagues,  et,  connaissant  les 
avantages  de  leur  position ,  ils  demémdent  Une 
garantie  solennelle  de  leurs  droits  et  de  leur 
existence  politique.  Les  propres  soldats  de  Re- 
quesens servent  leur  cause.  Malgré  la  richesse  de 
l'Espagne,  le  prêt  des  troupes  h'était  pas  assuré, 
et  souvent  les  soldats  se  mutinant,  se  payaient 
eux-mêmes  en  commettant  des  brigandages  af- 


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336  PARTIE     I. PERIODE     Itl. 

freux,  ou  refusant  de  marcher  à  l'ennemi,  fai- 
saient manquer  les  plans  les  mieux  concertés. 
L'année  de  Requeseos ,  à  laquelle  il  ^tait  dû  des 

1576.  arrérages  considérables ,  se  révolte ,  et  les  désor- 
dres qu'elle  se  permet ,  rendent  le  régime  espa- 
gnol encore  plus  odieux.  A  peine,  ce  mouvement 
e»t  apaisé,  que  Requesens  meurt,  et  Don  Juan 

1577.  d'Autriche  le  remplace. 

,  Ce  jeune  héros , .  digne  rejeton  de  Charles- 
Quint,  t'effroi  des  Ottomans,  t'çn&nt  chéri  de 
l'Eglise,  l'objet  de  la  haine  secrète  de  Miilippe, 
arrive  avec  tout  l'éclat  que  répand  sur  lui  la 
victoire  de  Lépante ,  qu'il  vient  de  remporter  sur 
les  infidèles.  Les  provinces  du  Nord  et  celles  du 
Midi  avaient  conclu  la  pacification  de  Gand.  Le 
danger  commun  auquel  les  exposaient  les  excès 
d'une  soldatesque  efïErénée,  avait  rapproché  lès 
protestants  et  les  catholiques.  Durant  l'intervalle 
qui  s'était  écoulé  entre  la  mort  de  Requesens  et 
l'arrivée  de  Don  Juan  d'Autriche,  on  avait  sus- 
pendu l'activité  des  lois  pénales  contre  les  reli- 
gionnaires  ;  et  afin  de  décider  définitivement  tes 
points  litigieux,  on  s'était  réuni  à  demander  la 
convocation  de  l'assemblée  générale  des  états 
du  pays.  En  arrivant  dans  tes  Pays-Bas,  Dbn 
1877.  Juan  avait  confirmé  le  traité  de.  Gand  par  l'édit 
perpétuel,  et  ses  premières  démarches  n'avaient 


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CHAPITRE     XXIU.  337 

annoncé  que  des  vues  impartiales  et  des  inten- 
tions paci6ques. 

Bientôt  les  Belges  remarquent  qu'il  ne  veut 
que  gagner  du  temps,  flatter  les  esprits  pour  les 
endormir,  promettre  pour  tromper  plus  sûre- 
ment, et  diviser  les  partis  pour  les  détruire  l'un 
par  l'autre.  Comme  les  mécontents  manquent 
d'un  centre  de  direction,  qu'ils  savent  bien  ce 
qu'ils  ne  veulent  pas,  mais  qu'ils  ne  savent  pas 
distinctement  ce  qu'ils  veulent,  ils  essaient  de 
se  ménager  un  appui  dans  un  prince  étranger. 
Sans  former  le  dessein  de  se  séparer  à  jamais 
de  l'Espagne,  ils  appellent  l'archiduc  Matthias,  1 
pour  le  mettre  à  leur  tête ,  et  lui  donner  les 
décorations  du  pouvoir.  Ce  prince,  sans  moyens 
et  sans  énergie,  manque  de  toutes  les  qualités  , 
propres  à  fixer  la  confiance ,  et  bientôt  il  re- 
tourne en  Allemagne.  Les  Belges  espèrent  plus 
de  service^  de  François,  duc  d'Anjou  ;  ils  se  flat-  ■ 
tent  qu'un  prince  du  sang  de  France  leur  don- 
nera de  la  puissance  et  de  la  considération ,  et 
le  duc,  inquiet  et  ambitieux ,  saisit  avec  empres- 
sement cette  occasion  de  faire  parler  de  lui.  Les 
espérances  des  Belges  sont  encore  trompées: 
imprudent,  léger,  élevé  dans  une  cour  despo- 
tique, le  duc  d'Anjou  trahit  trop  tôt  ses  vues 
intéressées  ;  il  veut  obtenir  par  la  force  ce  qu'il 


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33Q  PA.aTlK    I. PÉRIODE    III. 

ne  peut  deroir  qu'à  l'adresse ,  au  temps ,  à  une 
soumission  volontaire  ;  il  provoque  la  résistance 
par  des  entreprises  hasardées  ;  et,  ses  desseins 
contre  Anvers  ayant  échoué,  il  va  cacher  sa 

i583.  honte  en  France,  où  le  chagrin  abrège  sesjoars. 

1S78.  Don  Juan  était  mort,  accusé  de  projets  am- 
bitieux et  contraires  aux  intérêts  de  l'Espagne. 
Sa  mort  subite  avait  fait  soupçonner  d'un  nou- 
veau forfait  une  cour  qui  ne  s'était  jamais  refusé 
les  crimes  utiles.  Alexandre  Farnèse,  prince  de 
Parme,  fils  de  Mai^uerite,  avait  remplacé  don 
Juan.  La  victoire  qu'il  avait  remportée  sur  les 
insurgés  à  Gemblours,  l'avait  désigné  à  I4iilippe 
pour  ce  poste  difÇcile.  Guerner  consommé,  il 
joignait  à  une  valeur  brillante  une  imagination 
vaste  et  un  esprit  réfléchi;  il  concevait  des 
plaus  hardis;  ils  les  exécutait  avec  prudence. 
Autant  ho^me  d'état  que  ca|Htaine,  il  savait 
paiement  combattre  et  négocier.  Exercé  à  dis- 
simuler et  à  feindre ,  il  espère  beaucoup  de  la 
division  qui  règne  entre  les  provinces  du  Midi 
et  celles  du  Nord;  il  l'entretient  avec  art,  il  la 
nourrit  avec  soin ,  ^ ,  en  semant  adroitement  la 
défiance  et  l'espérance  dans  les  esprits,  il  par- 
vient à  son  but.  L'Artois ,  le  Hainaut ,  la  Flandre 
fi'ançaise  se  séparent  des  autres  provinces ,  et 
se  déclarent  pour  l'Espagne  ;  une  grande  partie 


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CHAPITRE     XXllI.  339 

<le  la  noblesse  forme  une  alliance  étroite  avec 
le  nouveau  gouverneur,  pour  rétablir  la  sou- 
mission et  l'ordre  dans  les  Pays-Bas. 

Guillaume  mûrissait  depuis  long-temps  dans 
le  silence  un  projet  hardi ,  mais  sagement  com- 
biné, qui  seul  pouvait  fixer  la  liberté  dans  la 
contrée  qn'il  avait  arrachée  à  l'esclavf^e,  et  em- 
pêcher que  le  sang  qu'on  avait  versé  n'eût  coulé 
sans  fruit  pour  le  bien  de  l'humanité  ;  c'était  de 
former  des  provinces  du  Nord  une  république 
indépendante ,  et  d'abandonner  les  autres  à  leur 
destinée.  Le  prince  d'Orange  avait  vu  de  bonne 
heure  que  l'union  des  dix-sept  provinces  serait 
toujours  faible,  incertaine  et  précaire;  qu'il  était 
difficile  de  resserrer  leurs  liens,  et  que,  si  elles 
conservaient  les  mêmes  rapports,  elles  finiraient 
par  subir  toutes  le  joug  également.  La  religion 
protestante  dominait  dans  les  provinces  du 
Kord;  celles  du  Midi  étaient  presque  tout  en- 
tières catholiques.  Dans  les  premières,  le  clergé 
n'avaiit  aucune  espèce  d'inÛuence  politique; 
dans  les  autres,  les  évéques  et  les  abbés  étaient 
tout-puissants.  Dans  celles-ci,  le  peuple  plus 
riche,  et  par  conséquent  plus  amolli,  craignait 
tes  dangers  et  les  sacrifices;  dans  celles-là,  le 
peuple  pauvre,  robuste,  entreprenant,  familia- 
risé avec  la  mer,  était  plus  jaloux  d'acquérir 
22. 


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34o  PARTIE    I.  PÉRIODE    III. 

qae  de  conserver.  Guillaume  ne  voyait  personne 
dans  ces  provinces  qui  pût  lui  disputer  la  nais- 
sance, le  rang  et  les  ricbesses,  et  le  pouvoir 
qu'il  y  exerçait  n'était  ni  partagé  ni  contesté. 
Au  contraire ,  dans  les  autres  il  trouvait  des  ri- 
vaux d'ambition  qui  lui  étaient  inférieurs  en 
mérite,  mais  qui  pouvaient  former  les  mêmes 
prétentions  que  lui,  et  dont  le  crédit  était  même 
supérieur  au  sien.  Toutes  ces  considérations 
réunies  avaient  attaché  fortement  Guillaume  au 
projet  d'uuir  les  provinces  du  Nord ,  et  de  les 
isoler  des  autres.  Ramenant  toutes  ses  pensées 
à  ce  pian  fevori,  il  préparait  de  loin  les  voies  à 
ce  grand  événement.  L'alliance  étroite  qu'ime 
partie  des  provinces  du  Midi  venait  de  former 
avec  le  duc  de  Parme  et  avec  l'Espagne,  lui 
.  parut  une  occasion  favorable  d'éclater ,  et  il  en 
profita  avec  autant  d'habileté  que  de  succès. 

Les  députés  de  la  Hollande,  de  la  Zélande, 
de  la  Gueldre,  de  la  Frise  et  de  Groningue 
s'assemblent  à  Utrecht.  Guillaume  leur  déve- 
loppe son  plan  ;  il  leur  fait  sentir  la  nécessité  - 
de  cette  mesure ,  leur  en  montre  tous  tes  avan- 
tages, prévoit  les  obstacles  et  les  facilités  de 
l'entreprise,  combat  les  uns  par  les  autres,  cal- 
cule les  résistances  et  les  moyens  de  les  vaincre, 
et  fixe  les  esprits  incertains  en  leur  offrant  en 


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CHAPITRE     XXIII.  ôqi 

perspective  la  liberté,  la  gloire  et  la  puissance 
de  la  patrie  commune.  Sou  discours  lumineux 
et  profond  semble  dérouler  à  tous  les  yeux  l'his- 
toire fiiture  de  la  république,  et,  en  parlant  des 
suites  heureuses  de  cette  grande  résolution, 
il  parle  avec  tant  d'assurance,  de  force  et  de 
clarté,  que  l'avenir  paraît  aussi  certain  que  le 
passé,  et  que  le  doute  fait  place  à  une  entière 
confiance.  Convaincus  par  les  raisons,  ou  per- 
suadés par  l'éloquence  de  Guillaume,  les  dé- 
putés obéissent  à  sou  ascendant,  et  signent 
l'acte  solennel  de  leur  union.  C'est  de  cette  1579. 
époque  que  date  la  création  de  la  république  et 
la  naissance  d'une  puissance  nouvelle.  Dans  ce 
moment,  les  liens  qui  attachaient  l'existence  des 
provinces  du  Nord  à  l'Espagne  furent  rompus 
pour  toujours,  et  la  révolution  fut  consommée. 
En  jugeant  cette  révolution,  on  ne  doit  pas 
oublier  qu'elle  ne  mérite  ce  nwn  qu'impropre- 
ment ,  si  l'on  entend  par  ce  mot  un  bouleverse- 
ment subit  et  total  de  ta  constitution,  des  lois, 
et  de  la  situation  politique,  tme  -  dissolution 
complète  de  la  souveraineté  légitime,  pour  la 
placer  sur  d'autres  télés,  ou  l'asseoir  sur  d'autres 
bases.  Ce  fut  insensiblement  que  celle  dont 
nous  parlons  atteignit  son  terme.  Des  circon- 
stances imprévues  et  incalculables   y   avaient 


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34>  '  PARTIE   I.  PÉRIODE    III. 

pluB  contribué  que  des  préparations  réfléchies. 
Elle  fut  plutôt  le  résultat  de  causes  localed  et 
accidentelles  que  de  ces  causes  générales  qui, 
déterminant  de  loin  le  sort  des  états,  semblent 
agir  avec  une  nécessité  égale  à  celle  des  lois  de 
la  nature.  La  séparation  des  Pays-Bas  de  l'Es- 
pagne ne  fut  pas  du  tout  l'effet  d'une  nouvelle 
direction  des  opinions  ni  des  idées  dominantes. 
Les  formes  établies  y  étaient  approprïées  aux 
besoins ,  aux  vœux  et  aux  habitudes  de  la  na- 
tion, et  bien  loin  que  le  peuple  fut  las  de  ce 
mode  d'existence,  il  y  tenait  avec  chaleur.  Ce 
ne  lurent  ni  l'amour  vague  des  innovatioas,  ni 
la  manie  de  réaliser  des  théories  abstraites  et 
de  &ire  des  expériences  hasardées  et  sanglantes, 
qui  amenèrent  la  fondation  de  la  république. 
Ijb  comble  de  la  tyrannie  inspira  aux  victimes 
de  l'oppression  le  courage  du  désespoir.  Ce 
furent  des  sentiments^  bien  plus  que  des  idées, 
qui  dictèrent  les  premières  résolutions.  Les  Fla- 
mands, dans  l'origine,  ne  voulaient  pas  changer 
leur  constitution.  Leur  seul  désir  était  de  la 
conserver  dans  son  intégrité,  et  les  démarches 
que  Philippe  se  permit  contre  leurs  lois  politi' 
ques,  fiirent  l'unique  objet  de  leurs  plaintes  et 
le  motif  de  leur  insurrection. 

Dans  ces  provinces,  la  souveraineté  était  par- 


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CUA.FITBE    XXllI.  343 

tagée  eatre  le  prince  et  les  états.  Leur  concours 
était  absolument  nécessaire  pour  créer  de  v^i- 
tables  lois.  Du  moment  où  le  prince  essayait  de 
substituer  à  ce  concours  salutaire,  qui  seul  de- 
vait être  l'oigne  de  la  volonté  générale,  sa 
volonté  particulière,  c'était  lui  proprement  et 
lui  seul,  qui  entreprenait  une  révolution.  Dès 
ce, moment,  les  états  n'avaient  plus  l'oUligatioD 
de  lui  obéir,  et  pouvaient  lui  résister  légitime- 
ment, puisqu'il  n'avait  pas  le  droit  de  violer  les 
tonnes  constitutionnelles  du  pays.  Partout  où 
la  souveraineté  est  composée  de  diâérents  élé- 
ments et  de  plusieurs  pouvoirs,  celui  d'entre 
eux  qui  tâche  le  premier  de  paralyser  et  d'a- 
néaittir  les  autres,  dépasse  le  premier  la  ligne 
du  droit  :  franchissant  les  limites  qui  seules  ren- 
dent sa  puissance  légale ,  il  donne  aux  autres  le 
drmt  de  le  refouler  dans  sa  sphère,  et  d'assurer 
le  maintien  de  leurs  lois  poUtiques,  en  s'oppo- 
sant  à  son  usurpation.  Ainsi,  dans  les  Pays-Bas, 
non-seulement  les  états  pouvaient,  mais  ils  de- 
vaient même  résister  à  Philippe.  En  exécutant 
leurs  déo'ets  et  en  appuyant  leurs  mesures,  le 
peuple  obéissait  à  une  autorité  légitime. 

Au  commencement  des  troubles ,  on  ne  vou- 
lait pas  enlever  au  roi  d'Espagne  la  part  qu'il 
avait  à  la  souveraineté;  on  voulait  simplement 


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344  PARTIE    r. P^BIODK    ill 

l'empêcher  de  s'attribuer  un'  pouvoir  qui  ne  lui 
appartenait  pas,  et,  lorsque  toutes  les  représen- 
tations eurent  été  inutiles ,  le  ramener  par  la 
force  aur  termes  du  droit.  Cette  juste  entreprise 
conduisit  finalement  à  l'entier  i:enversement  de 
l'ancienne  constitution  et  à  la  création  d'un 
nouvel  ordre  de  choses;  mais  ce  grand  change^ 
meut  ne  s'opéra  qu'au  bout  de  vingt  ans  ;  il  fut 
l'ouvrage  de  la  nécessité  et  des  circonstances. 
Lors  des  premières  divisions  et  même  des  prc' 
mières  hostilités,  aucun  de  ceux  qui  prirent  les 
armes  ne  pensait  à  détacher  les  Pays-Bas  de 
l'Espagne.  Guillaume  lui-même,  quand  il  s'en- 
gagea dans  la  carrière  qu'il  a  fournie  avec  tant 
de  gloire ,  n'avait  pas  conçii  un  plan  aussi  vaste 
et  aussi  hardi.  En  supposant  le  contraire,  on  se 
ferait  une  fausse  idée  de  ses  principes,  et  l'on 
élèverait  son  géuie  aux  dépens  de  son  caractère. 
Si  Philippe  avait  fait  droit  aux  justes  griefs  des 
mécontents,  ils  seraient  restés  avec  plaisir  dans 
leiuï  anciens  rapports,  et  se  seraient  rangés 
de  nouveau  sous  les  lois  d'une  dépendance  à 
laquelle  ils  étaient  accoutumés.  Il  ne  fallait  pas 
moins  que  les  fautes  multipliées  du  ministère  es- 
pagnol ,  pour  faire  d'une  insurrection ,  qui  n'était 
pas  dans  ces  contrées  un  phénomène  extraordi- 
naire ,  le  premier  anneau  d'une  révolution  dé- 
cisive. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXIll.  345 

L'acte  d'uniop ,  signé  à  Utrecht ,  conservait  à 
chaque  province  ses  formes  politiques,  ses  droits 
et  ses  usages.  I/association  n'avait  d'autre  but 
que  le  maintien  de  la  liberté  générale  et  la  dé- 
fense commune  du  pays  contre  l'ambition  per- 
sévérante du  roi  d'Espagne.  Chaque  province 
devait  former  un  état  séparé ,  mais  réunir  ses 
forces  et  concerter  ses  mesures  avec  les  autres , 
pour  tout  ce  qui  tenait  à  la  sûreté  extérieure. 
Les  dépenses  et  les  sacrifices  devaient  être  ré; 
partis  également  par  l'assemblée  fédérative  com- 
posée des  députés  des  différentes  provinces.  Ce 
n'était  qu'à  l'unanimité  que  ta  guerre  ou  la  paix 
devaient  être  résolues,  et  qu'on  pouvait  exiger 
des  peuples  de  nouveaux  impôts.  Ddns  toutes 
les  autres  affaires ,  la  majorité  des  voix  était  dé- 
cbive.  Les  démêlés  qui  s*éleveraient  entre  les 
provinces,  devaient  être  jugés  par  les  stadtbou- 
ders  ou  capitaines-généraux.  Les  confédérés  de- 
vaient s'assembler  à  Utrecht  à  des  jours  marqués, 
et  on  s'en  remettait  à  eux  pour  éclaircir'et  in- 
terpréter les  points  litigieux  ou  obscurs  de  l'acte 
d'union. 

Guillaume  avait  été  l'ame  des  opérations  de 
l'assemblée  d'Utrecbt.  Des  raisons  politiques  Sa- 
vaient empêché  de  se  montrer  entièrement  à 
découvert  ;  mais  peu  de  temps  après  que  l'acte 


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34^  PAHTIE    I. PÉRIODE    III. 

d'union  eût  été  codcIu  et  publié,  il  y  accéda  ou- 
vertement. Les  imperfections  et  les  défauts  de 
ce  gouvemement  fëdératif  n'avaient  sûrement 
pas  échappé  à  son  œil  pénétrant.  L'acte  d'union 
était  l'ouvrage  de  la  nécessité  des  circonstances. 
On  y  avait  calculé  les  rapports  et  les  mesures 
pour  le  présent,  et  non  pour  un  avenir  éloigné. 
Cette  fédération  manquait  d'ensemble  et  d'unité. 
On  y  avait  sacrifié  l'unité  à  la  division  des  pou- 
voirs. Les  ressorts  n'étaient  pas  assez  concen- 
trés, pour  que  le  mouvement  fût  rapide,  uni- 
forme et  sûr  (*).  Le  génie  de  Guillaume  fut 

(*)  Qu^  que  soient  Les  défauts  que  les  théoriciens  politi- 
ques ont  trouvés  dans  la  constitution  fédérabve  des  Provinces- 
Unies,  il  est  certain  qu'elles  été  le  priucipe  de  leur  puissance 
et  de  leur  bonheur  pendant  plus  de  deux  siècles.  Durant 
cette  période,  la  marche  progressive  de  la  population,  du 
travail ,  de  la  richesse  et  de  la  culture  dkns  cette  république 
coninerçaDte,  dépose  en  faveur  de  la  sagesse  de  ses  lois' 
politiques,  ou  plutôt  prouve,  par  un  exemple  frappant, 
une  vérité  qu'on  ne  doit  pas  se  lasser  de  répéter,  parce 
qu'on  ne  se  lasse  pas  de  la  perdre  de  vue  :  c'est  que  les 
mœurs,  les  habitudes,  le  caractère  national  d'an  peuple 
servent  de  contre-poids  ou  de  correctif  à  l'imperfecdon  de 
ses  loisj  que  l'esprit  de  son  gouvemement  importe  plus  à 
son  bien-être  que  les  formes  de  sa  constitution ,  et  que 
l'étude  des  faits  inspire  nue  juste  défiance  contre  les  prin- 
cipes généraux  de  toutes  ces  théories  politiques  qui  pro- 
cMent  par  voie  d'exclusion. 


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CUAPITRK     XXIll.  347 

maîtrisé  par  les  événements.  C'était  beaucoup 
pour  le  moment  d'avoir  organisé  cette  union  ; 
ses  vues  s'étendaient  plus  loin.  Dans  ses  idées 
cet  acte  devait  être  temporaire ,  et  non  servir  de 
base  fixe  et  durable  à  ta  constitution  des  Pro- 
vinces-Unies. Il  attendait  beaucoup  du  temps , 
de  ses  services  et  d'une  paix  glorieuse.  S'il  avait 
été  conservé  à  son  pays,  il  lui  jurait  probable- 
ment donné  une  constitution  où  les  pouvoirs 
eussent  été  partagés  sans  être  isolés  ;  et,  conci- 
liant l'intérêt  général  avec  son  int^êt  particu- 
lier ,  il  aurait  assuré ,  par  de  nouveaux  arran- 
gements, la  fortune  de  sa  maison  et  la  liberté 
publique. 

Du  moment  où  Philippe  apprit  que  les  pro- 
vinces du  Nord  s'étaient  formellement  séparées 
de  l'Espagne,  et  que  Guillaume  avait  été  te  mo- 
teur secret  de  cette  entreprise ,  et  l'approuvait 
hautement,  il  ne  déguisa  plus  sa  haiue;  il  an- 
nonça clairement  ses  projets  de  vengeance,  et, 
déclarant  te  prince  d'Orauge  hors  la  loi,  il  mit 
sa  tête  à  prix.  Les  Provinces-Unies  répondirent  à 
cette  démarche  violente  j  en  publiant  que  Phi- 
lippe était  un  tyran,  qui  ne  méritait  aucune  es- 
pèce d'obéissance ,  et  qu'ils  rompaient  pour  tou- 
jours les  liens  de  dépendance  qui  les  attachaient 
à  lui.  Guillaume  n'opposa  à  l'arrêt  qui  le  con-  ■ 


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348  PARTIE   I. PÉRIODE   III. 

dainnait  à  mort,  que  l'indifférence  du  mépris 
et  le  calme  du  courage.  Plus  sa  vie  était  en  dan- 
ger ,  plus  il  l'exposait  avec  une  généreuse  con- 
fiance. 

La  mort  l'attendait  à  Delft.  L'or  de  l'Espagne 
et  les  promesses  des  prêtres  avaient  déjà ,  plus 
d'une  fois,  armé  contre  lui  le  bras  des  assassins; 
Javrigni  et  Saizedo  avaient  attenté  à  ses  jours, 
sans  succès.  Balthasar  Gérard  fut  plus  heureux. 
Ce  scélérat ,  bourguignon  de  naissance ,  tua 
Guillaume  d'un  coup  de  pistolet ,  au  sortir  de 
table.  Arrêté  et  interrogé,  il  avoua  qu'un  francis- 
cain de  Tournai  et  un  jésuite  de  Trêves  l'avaient 
encouragé  à  ce  meurtre;  que  l'idée  de  gagner  en^ 
même  temps  le  ciel  et  la  récompense  promise 
par  l'Espagne  avait  été  le  motif  de  son  action  ; 
qu'il  en  avait  prévenu  le  prince  de  Parme  ,  le- 
quel l'avait  adressé  au  conseiller  d'état  d'Asson- 
viHe ,  pour  se  concerter  avec  lui.  Il  périt  dans 
les  supplices,  faible  expiation  d'un  si  grand  for- 
fait, et  porta  sur  l'échafaud  la  même  audace  que 
dans  le  crime. 

Guillaume  mourut  à  cinquante^eux  ans,  dans 
toute  la  force  de  son  génie,  à  l'époque  où  lare- 
connaissance  des  Provinces-Unies  allait  lui  faire 
recueillir  le  fruit  de  ses  travaux.  On  a  prétendu 
qu'il  était  mort  à  propos  pour  sa  gloire ,  et  que 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXII  i.  349 

la  puissance  qu'il  était  sur  le  point  d'acquérir 
aurait  affaibli  l'éclat  de  sa  réputation  :  mais  ce 
que  nous  connaissons  de  lui  doit  nous  faire  pré- 
siuner  que  sa  grande  ame  ne  se  serait  pas  dé- 
mentie, et  que,  par  un  bel  usage  de  ta  puis- 
sance, afïermissant  la  liberté  publique,  il  se 
serait  fait  pardonner  son  élévation. 

Sa  mort  répandit  te  deuit  et  la  consternation 
parmi  les  Bataves ,  et  la  joie  à  Madrid.  Philippe 
se  flatta  que  la  nouvelle  république  expirerait 
avec  son  créateur ,  et  que  l'insurrection  s'étein- 
drait d'elle-même.  Les  victoires  du  duc  de  Parme , 
la  prise  dTpres,  de  Bruges,  de  Gand,  de  Bru-  ï585. 
Telles,  de  Matines,  qui  fut  suivie  de  celle  d'An- 
vers, paraissaient  justifier  les  espérances  du  roi 
d'Espagne.  Elles  furent  trompées  ;  la  nouvelle 
république  supporta  ce  malheur  sans  faiblesse. 
Elle  honora  la  mémoire  de  son  fondateur,  en 
prenant  une  attitude  ferme  et  fière,  et  en  per- 
sévérant dans  ses  principes.  L'esprit  de  Guil- 
laume lui  survécut.  L'impulsion  qu'il  avait  don- 
née à  ses  concitoyens  avait  été  trop  forte  pour  . 
se  perdre  dans  le  repos  de  la  servitude. 

Après  la  mort  du  prince  d'Orange,  la  répu- 
blique crut  avoir ,  plus  que  jamais ,  besoin  du 
secours  de  l'Angleterre.  Elisabeth  le  lui  promit  i585. 
et  le  tui  accorda  ;  mais  les  ports  de  Flessingue , 


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35o  PARTIE     1.   PERIODE     III. 

de  Ramekens  et  de  la  Brille  furent  engagés  à 
l'Angleterre  pour  payer  sa  protection ,  et  ce  prix 
pouvait  paraître  excessif.  Le  comte  de  Leices- 
ter,  favori  d'Elisabeth,  qu'elle  envoya  en  Hol- 

i586.  lande  pour  être  gouverneur-général  de  la  répu- 
blique, était  peu  fait  pour  cet  emploi.  Incapable 
de  la  défendre,  il  nuisit  à  ses  intérêts  par  des 
fautes  graves ,  l'agita  par  ses  intrigues ,  et  an- 
nonça le  dessein  de  l'asservir.  Ses  inconsé- 
quences et  sa  légèreté  le  perdirent,  et ,  en  obli- 
geant la  reine  à  le  rappeler ,  elles  sauvèrent  les 

iS88.  Provinces-Unies.  La  guerre  directe,  qui  éclata 
bientôt  après  entre  l'Angleterre  et  l'Espagne, 
devait  entraîner  la  ruine  de  ta  république  si 
l'Espagne  triomphait;  elle  succomba,  et  la  répu- 
blique acquit,  durant  cette  lutte  sanglante,  un 
plus  haut  degré  de  consistance  et  de  force.  lHous 
ne  nous  arrêterons  pas  à  ces  événements;  ils 
trouveront  leur  place  dans  le  tableau  du  règne 
d'Elisabeth. 

Les  victoires  de  Henri  IV ,  les  défaites  de  la 
ligue,  les  eÉforts  multipliés  et  inutiles  de  Phi- 
lippe II ,  pour  la  soutenir,  servirent  puissamment 
la  cause  de  l'indépendance  des  Provinces-Unies. 
La  politique  leur  dictait  impérieusement  de 
s'attacher  à  la  France  et  à  l'Angleterre  ,  qui  obli- 
geaient leur  ennemi  commun  k   partager   ses 


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CHAPITRE     XXI 11.  35  i 

forces.  Si  Philippe  avait  pu  réunir  toutes  les 
sienues  contre  la  Hollande,  la  Hollande  anmit 
subi  le  joug;  mais  l'Angleterre  et  la  France 
sentaient  que  l'existence  de  la  république  nou- 
velle importait  à  leur  propre  sûreté ,  et  elles  fa- 
vorisèreut  l'établissement  de  cette  puissance 
naissante.  Cette  union  fut  durable;  elle  repo- 
sait sur  l'identité  des  intérêts. 

Les  circonstances  assuraient  des  alliés  aux 
ftxivinces-Unies  ;  les  événements  conspiraient  à 
leurs  succès  ;  mais  elles  se  montraient  dignes  de 
.  leur  bonbeur,  par  une  conduite  réfléchie,  sage, 
mesurée,  qui  n'excluait  pas  les  entreprises  har- 
dies. Le  duc  de  Parme  trouva  dans  le  jeune 
Maurice  un  rival ,  toujours  brave  et  souvent 
heureux.  Le  génie  de  Guillaume  revivait  dans  le 
second  de  ses  fils.  Après  la  mort  .du  duc  de  iSyi. 
Parme ,  l'Espagne  n'eut  plus  à  opposer  à  Mau- 
rice de  général  qui  méritât  de  combattre  contre 
lui.  C'est  à  cette  époque  que  les  Hollandais  je- 
taient les  fondements  de  leur  puissance  dans 
l'Inde  ;  leur  amiral  Corneille  Hootman  doublait 
le  cap  de  Bonne-Espérance  ;  le  commerce  et  la 
marine  des  Bataves  s'élevaient  sur  les  ruines  du  i5q5. 
commerce  et  de  la  marine  de  l'Espagne,  et  ils 
attaquaient  cette  puissance  avec  ses  propres  ri- 
chesses. 


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35a  PARTIE    1.  —  PÉRIODE    111. 

.  L'époque  des  grands  dangers  de  la  république 
fut  cçlle  des  grandes  vertus.  Le  gouvernement 
montrait  de  la  prudence  sans  timidité ,  de  l'ar- 
deur sans  enthousiasme ,  de  la  persévérance 
sans  obstination.  Le  même  esprit  avait  passé 
dans  tes  particuliers ,  et  aaimait  toute  la  nation. 
On  ne  composait  point  avec  les  besoins  de  l'état. 
Chacun  voyait  sa  fortune  dans  la  fortune  pu- 
blique; les  sacrifices  étaient  les  seules  jouis- 
sances dont  on  fût  avide  et  jaloux.  Les  mœurs 
étaient  sévères  et  pures,  la  vie  simple  et  mâle, 
les  relations  domestiques  douces  et  saintes,  la 
piété  sincère  et  fervente.  Ce  peuple  méritait 
d'être  libre ,  car  il  craignait  Dieu ,  respectait  les 
lois,  et  plaçait  la  liberté  dans  la  justice. 


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CHAPITRE     XXiV.  353 


CHAPITRE  XXIV. 

Elisabeth  monte  sur  le  trône.  Son  caractère.  Ses  princ^ies 
de  gouvernemeat  et  d'administratioD.  Sa  politique  exté- 
rieure. Progrès  de  la  puissance  et  de  la  richesse  natio- 
nale de  l'Angleterre.  Hort  tragique,  de  Marie,  reine 
d'Ecosse.  La  guerre  «date  entre  l'Espagne  et  l'Angleterre. 
L'Angleterre  triomphe.  Troubles  d'Irlande.  Faveur,  dis- 
grâce, mort  d'Esses,  Mort  d'Elisabeth  et  de  Philippe  IL 
Épuisement  de  l'Espagne.  Sa  décadence  politique. 

.  J_jbS  passions  et  le  Ëinatisme  détruisaient  en 

France  l'ouvrage  de  plusieurs  siècles ,  et  y  natu- 
ralisaient le  désordre  et  le  crime  ;  l'Espagne  s'af- 
faiblissait en  semant  letrouble  chez  ses  voisins; 
l'insurrection  des  Pays-Bas  obligeait  Philippe  II 
à  prodiguer  ses  troupes  et  son  argent  pour  sou- 
mettre ses  propres  sujets;  l'Angleterre  seule, 
tranquille  et  heureuse,  se  félicitait  des  faux  cal- 
culs du  roi  d'Espagne ,  profitait  de  ses  fautes,  et 
augmentait  en  silence  ses  forces ,  pendant  qu'il 
constunait  inutilement  les  siennes.  Du  sein  de 
son  lie ,  Elisabeth  suivait  de  l'œil  les  agitations 
du  continent,  les  dirigeait  par  son  active  pré- 
voyance,  et  jouait  le  rôle  d'un  spectateur  paisi- 
a  23         ■ 


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354  PARTIE    I. PÉRIODE    III. 

bte,  tout  en  prenant  une  part  indirecte  aux  évë< 
nements.  Son  génie  créa  la  puissance  de  l'Angle- 
terre. Elle  suscita  des  obstacles  et  des  ennemis 
à  l'Espagne,  l'attaqiia  d'abonl  sourdement,  puis 
avec  éclat,  et,  par  ses  triomphes,  sauva  tous 
les  états  de  FEurope  de  l'esclavage  qui' les  me- 
naçait. 

Elisabeth,  fille  de  Henri  VIII  et  d'Anne  de 
I S33.  Bcdeyti ,  étair  née  sous  les  plus  heureux  auspices. 
Bientôt  le  sort  tragique  de  sa  mère  changea  en- 
tièrement le  sien ,  et  elle  connut  de  bonne  heure 
l'infortune  et  les  larmes.  Le  malheur ,  qui  brise 
lés  âmes  iaibles ,  donne  de  la  trempe  aux  esprits 
supérieurs;  c'^t  U  meilleure  licole  des  princes; 
ce  fiit  celle  d'ËUsabetfa.  Elle  ne  trouvait  k  la 
cour  de  son  père  ni  les  plaisirs,  ni  les  fiaitteries 
qui  enivrent  tes  jeunes  cœurs  ;  l'avenir  ne  i«i 
ofirait  point  de  perspective  riante  ni  assurée  ; 
die  sentit  le  besoin  de  se  ménager  d'autres  res- 
sources que  celles  de  la  fortune  et  de  la  fkpenr. 
Ses  études,  sérienses  et  profondes,  furent  au- 
dessus  de  son  âge  et  de  son  sexe.  Elle  apprit  le 
français,  l'italien,  i«  l^o  et  m&ne  le  grèc.  Os 
l'occapa  beaucoup  plus  des  langues  mortes  que 
des  sciences;  c'était  l'esprit  du  siècle.  Le  com- 
merce des  grands  écrivains  de  l'antiqinté  déve- 
loppa son  caractère ,  li»  donna  le  gocrt  du  beau 


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CHAPITRE     XXIV.  355 

et  une  certaine  élévation  de  pensée.  Soti  esprit 
était  juste  et  solide.  Active  sans  inquiétude, 
eHe  savait  s'assujettir  à  un  travail  réglé  et  oni- 
fonne.  Dans  tes  affaires,  son  jugement  exercé 
préférait  les  partis  surs  aux  projets  vastes  et  in- 
certains. Elle  saisissait ,  par  un  tact  heureux ,  dans 
tous  les  objets  le  point  essentiel,  et  démêlait  fa- 
cilement la  vérité  au  milieu  de  toutes  les  ei'reurs 
qui  lui  ressemblent.  Maltresse  d'elle-même",  elle 
ne  donnait  rien  au  hasard  dans  l'administration , 
.  et  ne  cédait  pas  au  premier  mouvement  ;  calme 
et  réfléchie,  elle  mettait  de  la  mesure  dans  ses 
discours  et  dans  ses  démarches,  et  réservait  l'é- 
ner^e  pour  les  cas  extrêmes.  Sa  politique  n'était 
rien  moins  que  généreuse,  franche  et  noble;  la 
générosité  qu'elle  afiectait  quelquefois  n'était 
elle-même  qu'une  politique  déguisée.  Tout  chez 
elle  était  soumis  au  calcul ,  comme  il  arrive  à 
tous  ceux  qui  ont  plus  d'esprit  que  de  sensibi- 
lité et  d'ame.  Habile  à  deviner  les  hommes  et  à 
les  employer,  elle  ne  voyait  dans  la  défiance 
qu'une  précaution  nécessaire  pour  ne  pas  mal 
placer  sa  confiance  ;  l'avait-elle  une  fois  accordée, 
die  la  retirait  difficilement.  Vaine  de  sa  beauté, 
elle  attachait  plus  de  prix  aux  dons  de  la  figure 
qu'elle  croyait  posséder  et  que  la  nature  lui  svait 
refusés,  qu'à  ses  éminentes  et  grandes  qualités. 
a3. 


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356  PARTIE    I. PiniODE    III, 

Plus  jalouse  de  plaire  que  d'être  aimée,  elle 
employa  le  pouvoir  royal  à  punir  les  femmes 
qui  effaçaient  ses  charmes,  et  les  hommes  qui 
les  dédaignaient.  Sur  le  trône ,  elle  parait  grande 
et  commande  l'admiratioi}  ;  dans  les  relations 
domestiques  et  sociales,  elle  se  montre  puérile, 
petite,  odieuse ,  et  ne  se  ressemble  plus  à  elle- 
même. 

Lés  Qiaximes  uniformesd'administration  qu'elle 
suivit  pendant  son  règne,  feraient  croire,  au  pre- 
mier coup-d'œil ,  qu'elle  avait  un  système  forte- 
ment conçu  et  lié  dans  toutes  ses  parties.  Celte 
uniformité  de  principes  tenait  à  la  fermeté  de 
son  caractère,  bien  plus  qu'à  des  réflexions  pro* 
fondes.  Elle  s'explique  en  partie  par  les  circon- 
stances  où  elle  s'est  trouvée  ;  mais  il  faut  princi- 
palement en  attribuer  l'honneur  à  Guillaume 
Cécil  qui  a  eu  une  influence  décisive  dans  toutes 
IcKï  affaires;  ministre  de  confiance  d'Elisabeth,  il 
méritait  son  crédit  et  son  élévation  par  la  sagesse 
de  ses  conseils  et  par  l'étendue  de  ses  vues.  Une 
paftîe  des  grandes  choses  qui  se- sont  faites  sous 
ce  régne  lui  appartiennent  ;  mais  Elisabeth  con- 
serve toujoifrs  la  gloire  d'avoir  su  distinguer ,  in- 
teiTOger,  comprendre  et  suivre  cet  esprit  supé- 
rieur ,  qui  n'était  étranger  à  aucune  branche  de 
l'administration. 


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CHAPITHE     XXIV.  357 

Elisabeth  avait  vingt-cinq  ans  lorsqu'elle  monta 
sur  le  trône.  Sous  les  règnes  précédents  sa  vie. 
avait  été  souvent  en  danger.  Sommerset  et  Nop-. 
thumberland ,  les  favoris  de  son  frère  Edouard , 
avaient  craint  l'ascendant  qu'elle  pourrait  pren- 
dre sur  l'esprit  du  jeune  roi  ;  et,  l'éloignant  d'elle, 
lui  avaient  suscité  des  persécutions  secrètes. 
Marie,  toujours  défiante  et  sombre,  la  haïssait. 
Elle  ne  voyait  dans  sa  sœur  que  la  fille  d'Anne 
de  Boleyn ,  l'auteur  de  toutes  les  infortunes  de 
sa  mère.  Jalouse  de  toute  espèce  de  prééminence , 
elle  ue  pouvait  pardonner  à  Elisabeth  de  lui 
être  supérieure  pour  les  connaissances  et  l'esprit. 
Elle  soupçonnait  les  protestants  d'attendre  s» 
mort  avec  impatience,  et  de  hâter  par  leurs 
vœux  le  règne  de  sa  sœur.  Cette  idée  suffisait 
pour  provoquer  ses  vengeances.  Elisabeth  per- 
dit la  liberté,  et  fut  détenue  dans  une  étroite 
prison.  Marie  forma  même  le  dessein  de  la  faire 
mourir ,  et  sans  Philippe ,  qui  soutenait  Elisabeth 
dans  des  vues  intéressées ,  et  qui  voulait  acqué- 
rir des  droits  à  sa  reconnaissance ,  elle  n'aurait 
probablement  pas  échappé  au  supplice.  D'abord 
après  la  mort  de  Marie,  elle  fut  proclamée  reine  i558. 
par  le  parlement,  et  pendant  quarante-quatre  ans 
elle  gouverna  l'Angleterre  avec  autant  d'habileté 
que  de  bonheur.  Reposons  nos  regards  fiitigués 


DiailizodbvGoOgle 


358  PARTIE     1. PÉAIODE     111. 

de  crimes  et  de  malheurs  sur  le  spectacle  d'une 
admtnistratioD  sage,  longue  et  pacifique,  dont 
nous  ne  pourrons  saisir  que  les  traits  les  plus 
saillants  :  nous  verrons  l' Angleterre  prendre  des 
accroissements  rapides,  augmenter  sa  puissance 
en  augmentant  sa  richessenationale,  et  déployer 
cette  puissance  avec  succès ,  pour  la  défense  de 
sa  liberté  et  l'établissement  de  l'équilibre  poli- 
tique. 

La  religion  solliàtait  avant  ttuit  l'attention 
d'Elisabeth.  Par  des  lois  de  sang  et  des  exécu- 
tions multipliées ,  Marie  avait  détruit  l'ouvrage 
d'Edouard;  mats  eu  replaçant  par  des  moyens 
violents  la  religion  ca^olique  sur  le  trône,  elle 
n'avût  fait  qu'affermir  dans  leur  opinion  les  sec- 
tateurs de  la  doctrine  nouvelle ,  et  qu'accroître 
le  nombre  de  ses  partisans.  Déclarée  illégitime 
par  le  pape ,  Elisabeth  ne  peut  soutenir  le  parti 
qui  attaque  ses  droits  à  la  couronne  ;  elle  dcût 
fHxitéger  l'autre.  Élevée  dans  les  principes  con- 
traires à  ta  foi  cathoKque,  elle  y  tient  par  poli- 
tique ,  encore  plus  que  par  conviction  et  par  ha- 
bitude. Son  ame  fîère  et  indépendante  r^ugne 
à  l'idée  d'être  soumise  à  un  souverain  étranger. 
Son  esprit  éclairé  sent  que  la  religion  protes- 
tante favorise  la  population  et  le  travail;  et  ce 
motif  suffirait  pour  la  déterminer  en  sa  iaveur. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XZIV.  359 

D'ailleurs,  Philippe  est  à  la  tète  du  parti  catho- 
tiqiK  en  Europe  ;  elle  connaît  ses  vues  ambitieu- 
ses, eUe  les  redoute  :  il  feut  opposer  ua  contre- 
poids à  la- puissance  menaçante  de  l'Espagne; 
elïe  le  trouve  dans  ta  réumori  des  états  protes- 
tants cMitre  l'eDuemi  commtln ,  et  elle  espère 
jouer  le  prwDter  rôle  dans  cette  association  à  la 
fois  politique  et  rrii^euse»  et  se  servir  d'elle 
.  pour  combAtXee  Philippe. 

Rien  n'était  plus  contraire  au  caractère  d'Eli- 
sabeth que  la  précipitatitm.  Elle  observe  pendant 
quckpie  temps  tes  deux  partis,  puis  elle  fait  suc- 
céder av^  lenteur  les  changements  les  uns  aux 
autres.  On  rétablit  la  sufvéniatie;  on  célèbre  le  iSSg. 
service  divin  eu  langue  vulgaire;  ta  messe  est 
aboHe,  et  les  biens  ecclésiastiques  sont  de  nou- 
veau enlevés  à  leurs  premiers  possesseurs.  Le 
parlement, toujours  docile  et  accoutumé  à  chan- 
ger tes  lois  relatives  à  la  religion  avec  autant 
de  fetàtité  que  des  règlements  de  poKce,  sanc- 
tionne toutes  les  mesures  d'ÉliKibetb.  Cette  ré- 
volution religieuse  produit  beaucoup  de  mé- 
contents, et  oblige  ta  reine  à  une  vigilance 
ointinurile ,  qui  prévienne  ou  déjoue  tous  les 
coio  plots.  Les  catholiques ,  irrités  des  pertes  qu'ils 
ont  &ite3 ,  enhardis  par  leurs  {HÏucipes ,  qui  légi- 
timeot  tous  les  moyens ,  conspweot  contre  Éti- 


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36o  P4RtlE     I.  PÉBIODE     III. 

sabeth  ;  ces  conspirations  D'écha(>pent  pas  à  $a 

surveillance,  et  elle  les  ponit  sévèrement.  Phi- 
lippe, qui  n'espère  plus  l'épouser,  est  devenu 
son  ennemi  secret;  son  or  et  ses  intrigues  le 
rendent  l'ame  du  parti  catholique.  Elle  tâche 
d'écarter  de  l'Angleterre  l'activité  malfaisante  de 
ce  .prince,  en  lui  suscitant  des  affaires  et  des 
dangers  dans  ses  propres  états.  Les  protestants 
sont  divisés  entre  eux.  Les  sectateurs  rigides  de 
la  discipline  et  des  dogmes  de  Calvin  veulent 
les  introduire  daus  le  royaume,  une  réformation 
faite  dans  les  principes  mitigés  de  Cranmer ,  qui 
conserve  la  hiérarchie,  et  semble  composer  avec 
l'erreur,  leur  parait  inadmissible.  Elisabeth,  ja- 
louse de  son  pouvoir,  croit  que  le  souverain 
doit  avoir  de  l'autorité  dans  l'église,  afin  d'en 
avoir  d'autant  plus  dans  l'état,  et  s'oppose  aux 
i563.  progrès  du  calvinisme.  L'acte  d'uniformité  con- 
1573.  sacre  l'ordre  établi  par  Cranmer;  on  dresse  même 
trente-neuf  articles  qui  doivent  être  le  symbole 
de  la  religion  nouvelle ,  servir  de  règle ,  de  loi 
et  de  point  de  ralliement  aux  opinions  flottantes. 
Cette  ligne  de  démarcation,  invariable  entre  les 
deux  partis ,  augmente  leur  animosité  mutuelle. 
Sous  le  nom  de  presbytériens ,  de  puritains,  de 
non-conformistes,  les  calvinistes  zélés  se  pro- 
noncent avec  plus  de  force.  La  résistance  qu'ils 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXIV.  36f 

opposent,  à  l'autorïté  ne  dérive  pas  essentielle- 
ment de  leurs  principes  ;  elle  tient  bien  plus  au 
sentiment  de  leur  défaite  et  au  désir  du  triom- 
phe; mais  elle  provoque,  de  la  part  d'Elisabeth, 
une  résistance  active  et  des  mesures  vigoureuses. 
Elle  croit ,  avec  quelque  apparence  de  raison , 
que  cette  secte  incline  à  faire  deâ  révolutions 
politiques ,  et  veut  appliquer  à  la  société  civile 
les  maximes  de  son  gouvernement  ecclésiastique. 
Pour  l'empécheiv  de  dominer ,  elle  tâcbe  de  tenir 
la  balance  exacte  entre  les  protestants  et  les  ca- 
tboliques,  et  en  effrayant  les  uns  par  les  autres, 
elle  les  retient  tous  dans  l'obéissance. 

Sur  le  tbéàtre  politique  elle  suit  ta  même 
marche,  et  emploie'  les  mêmes  moyens,  avec  un 
égal  succès.  En  France  et  dans  les  Pays-Bas,  le 
fanatisme  persécuteur  a  enfanté  le  fanatisme  de 
la  résistance.  La  guerre  civile  a  éclaté.  Le  roi 
d'Espagne  est  le  ressort  secret  des  troubles  de 
la  France.  Il  les  a  préparés  par  ses  perfides  con- 
seils ;  il  les  alimente  par  les  discours  et  les  écrits 
des  prêtres  qu'il  entretient  à  sa  solde;  il  les 
prolonge  et  les  complique  en  faisant  naître  en 
France  de  nouveaux  incidents,  et  en  envoyant 
sans  gesse  de  nouveaux  secours.  Son  intolérance 
qui  sévit  contre  les  opinions ,  sou  despotisme 
qui  renverse  toutes  les  barrières  légales ,  et  ta 


DiailizodbvGoOgle 


363  PA.BT1E     1.  PÉRIODE     III. 

cruauté  du  duc  d'Âlbe  oui  aUumé  les  feux  de  la 
révolte  daus  ke  Pays-fias.  Élisabetb  est  sollicitée 
d'un  côté  par  Coudé  et  Cc^gni,  d«  l'autre  par 
Guillaume  de  Nassau,  de  protéger  la  liberté 
contre  la  tyrannie.  L'intérêt  de  sa  sûreté  lui 
dicte  de  les  secourir.  S'il» succombent,  l'orgueil 
et  Tambltiou  de  Philippe  pèseront  sur  l'Europe 
entière ,  et  l'Angleterre  sera  la  première  asser- 
vie. S'ils  résistent  avec  succès  «  elle  peut  ca■l:^l- 
ter  Siur  des  alliés  fidèlfis,  dcHil,  au  dé&ut  de  la 
reconnaissance ,  l'intérêt  lui  garantit  le  dévoue- 
ment. L'Espagne,  à  cette  époque,  la  première 
puissance  maritime  de  l'Ëun^,  est  l'ennemie 
naturelle  de  l'Auglet^re ,  qui  ne  pmt  élever  sa 
puisfiauce  que  sur  la  mer ,  et  s'enrichir  que  par 
le  cotmnaerce.  L'Espagne  domine  sur  l'une ,  et 
voudrait  seule  faire  l'mitre.  Le  seul  moyen  de 
détruire  sa  domination,  est  d'occuper  et  d'af- 
faiblir Philippe ,  es)  lui  suscitant  des  ennemis  qui 
l'obligent  k  une  grande  dépense  de  moyens,  et' 
en  lui  opposant ,  dans  la  carrière  que  son  am- 
bition hii  ouvre,  des  obstacles  qui  usent  et  coa- 
sumeot  ses  forces.  Elisabeth  ne  peut  ni  ne  veut 
paraître  elle-même  dans  l'arène.  £Ue  se  résout 
à  donner  des  secours  aux  protestants  de  France 
et  des  Pay&-Bas;  mais  ces  secours  seront  secrets, 
k6d  de  ne  pas  engager  l'An^cterre  dans  une 


DiailizodbvGoO^IC 


CHAPITRE     XXIV.  363 

guerre  directe  contre  l'Espagne.  Elisabeth  cou- 
vre ses  démarches  d'un  respect  apparaît  pour 
le  droit  des  gens.  Sont-elles  découvertes,  elle 
les  désavoue,  et  met  sur  le  compte  du  hasard  ce 
qui  fut  l'ouvrage  d'un  dessein  prémédité,  ou  ac- 
cuse ses  ministres  pour  se  justifier  elle-même. 
Philippe  la  péqètre;  mais,  comme  eUe  ménage 
son  orgueil  eu  sauvant  les  dehors,  il  dissimule 
ses  ressentiments,  et  ajourne  ses  vengeauces.  Les 
secours  qu'Elisabeth  accorde  aax  protestants 
suiËseot  pour  les  empêcher  de  succomber  sous 
leurs  ennerab;  mais  ils  «e  sont  pas  assez  con- 
sidérables pour  leur  assurer  une  supériorité  dé- 
cisive et  constante.  Elle  nourrit  la  guerre  au  lieu 
de  hâter  sa  fin;  elle  paraît  craindre  le  triomphe 
de  ses  «mis  presque  autant  que  leur  entière  dé- 
faite ;  elle  voudrait  du  moins  les  retenir  tou- 
jours dans  la  dépendance  de  l'Angleterre,  et  ne 
jamais  les  mettre  en  état  de  se  [tasser  de  ses 
secours. 

Cette  politique  peu  généreuse  suppose  plus 
d'aptitude  au  calcul  que  d'élévation  d'ame ,  mais 
elle  était  impérieusement  dictée  à  Elisabeth  par 
la  loi  de  sa  propre  conservation.  D'ailleurs,  eUe 
ne  faisait  qu'user  de  représailles  en  soutenant 
les  protestants  dans  les  Pays-Bas,  puisque  les 
émissaires  de  Philippe  travaillaient  sans  relâche. 


ailizodbvGoOglf  ■ 


364  PARTIE     I.  PÉRIODE     III. 

en  Angleterre,  à  soulever  contre  elle  les  catho- 
liques. Enfin,  elle  se  devait  avant  tout  à  ses 
propres  sujets ,  et  le  premier  de  ses  devoirs  était 
d'assurer  leur  tranquillité.  Le  dévouement  et  la 
générosité  sont  admirables  quand  on  ne  sacrifie 
et  ne  dévoue  que  soi-même  ;  mais  un  souverain 
ne  doit  jamais  oublier  que  la  nation  qu'il  gou- 
verne veut,  avant  tout,  conserver  son  existence, 
et  non  la  compromettre  pour  étonner  le  monde 
par  des  actes  de  magnanimité. 

L'événement  justifia  la  politique  d'Elisabeth. 
Philippe  perdit  son  temps  et  ses  forces,  en  vou- 
lant enlever  le  trône  de  France  aux  Bourbons , 
et  en  faisant  de  vains  efforts  pour  soumettre  les 
Flamands.  Quelque  faibles  que  fussent  les  se- 
cours d'ÉIisabçth,  sans  eux,  Henri  IV  et  Guil- 
laume auraient  difficilement  résisté  à  la  puis- 
sance espagnole.  Du  moment  où  la  mort  de 
Henri  III  eut  fait  de  la  cause  des  protestants 
celle  du  souvemn  légitime  ,  et  où  l'union  d'U- 
trecht  eut  décidé  de  l'existence  d'une  république 
nouvelle ,  Elisabeth  envoya  des  secours  plus 
considérables,  et  se  prononça  plus  hautement 
en  faveur  de  ses  alliés.  Deux  fois  on  lui  offrit  la 
souveraineté  des  Pa}'&-Bas ,  et  deux  fois  elle  la 
refusa  :  en  l'acceptant ,  elle  eût  fait  perdre  à  l'An- 
gleterre  de  sa  puissance  réelle,  et  l'eût  mise 


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CHAPITRE    IXIV.  Stif» 

dans  la  nécessité  de  tlevenir  une  paissance  con- 
tinentale. Elle  souhaitait  acquérir  quelques  ports 
sur  les  côtes  de  France  et  sur  celles  des  Pays- 
Bas.  Le  Havre,  qu'elle  posséda  un  moment,  '66» 
devait  la  dédommager  de  la  perte  de  Calais;  ,663. 
elle  le  perdit  :  mais  Ramekens,  Flessingue  et  la 
firïlle,  qu'elle  obtint  des  Hollandais,  restèrent 
à  i'Aogleterre  pendant  tout  son  règne. 

Elisabeth  augmentait  sa  puissance  par  des 
moyens  plus  sûrs  et  plus  glorieux ,  en  encou- 
rageant le  travail  et  en  développant  tous  les 
genres  d'industrie.  £lie  ne  s'occupait  des  rela- 
tions étrangères  et  des  intérêts  politiques,  qu'au- 
tant qu'il  le  fallait  pour  procurer  aux  Anglais 
cette  tranquillité  prépegse  qui  permet  aux  peu- 
ples .de  produire  et  de  jouir  en  paix.  Pendant 
qu'elle  acquérait  une  plus  grande  puissance  re- 
lative ,  en  concourant  à  i'afbiblissement  de  l'Es- 
pagne ,  sa  puissance  absolue  s'accroissait  avec 
la  richesse  nationale.  ÉgaJement  éloignée  de 
l'aVarice  et  de  la  prodigalité ,  elle  mettait  une 
économie  sévère  dans  sa  dépense,  accordait  peu 
de  faveurs  aux  courtisans ,  se  refusait  beaucoup 
de  choses  à  elle-même,  et  se  ménageait  les 
moyens  d'encourager  les  entreprises  utiles  et  de 
récompenser  le  mérite.  Elle  remarqua  de  bonne 
heure  que  les  principes  de  la  réformation  et  les 


DiailizodbvGoOgle 


36(>  PARTIE    1.  piHIODE    III. 

progrès  de  l'aisance  générale  avaient  amené  un 
changement  dans  l'opinion  pnbHqae,  et  que  les 
parlements  pourraient  bien  lui  opposer  plus  dç 
résistance  qu'à  ses  prédécesseurs.  Ne  voulant  ni 
sacrifier,  ni  compromettre  son  autorité,  elle 
prit  le  parti  de  se  passer  des  parlements,  le  plus 
que  possible ,  en  ne  leur  demandant  pas  de  sub- 
sides. Pour  cet  effet,  elle  mit  dans  l'administra- 
tion de  sa  maison  et  de  ses  domaines  un  ordre 
admirable ,  et  ne  voulut  multiplier  ses  revenus 
et  ses  ressources,  qu'en  b&tant  les  progrès  de  la 
prospérité  nationale.  Ses  travaux  dans  ce  genre 
lurent  aussi  éclairés  que  soutenus  ;  pour  la  pre- 
mière fois,  dans  les  temps  modernes,  les  pro- 
grès de  l'activité  d'un  grand  peuple  furent  le  but 
suprême  d'un  gouvernement,  et  non  un  simple 
moyen  d'atteindre  d'autres  fins  motus  nobles  et 
moins  belles. 

La  liberté  des  forces  est  le  principe  de  leur 
\  développement  ;  le  travail  des  nations ,  comme 
celui  des  individus ,  a  bien  plus  besoin  de  lois 
q'si  le  protègent ,  que  de  lois  qui  le  diluent. 
Celles  d'Élisabedi  ne  furent  pas  toujours  con- 
formes aux  vrais  principes  de  l'économie  poli- 
tique; mais  cette  science,  qui  de  nos  jours  est 
encore  dans  son  oiiance,  n'était  pas  même  née 
à  cette  époque.  Elisabeth  fit  peut-être  trop  de 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXIV.  367 

rëglements  relatifs  à  l'industrie  et  au  commerce , 
et  CCS  ré^ements  furent  soDvent  de  Térifables 
«ntrarves  ;  mais ,  dans  tous  les  genres ,  les  erreurs 
précèdent  la  venté ,  les  preowers  pas  sont  dif- 
6cdes,  et  l'histoire  de  son  administration  prouve 
du  moins  que  son  attention  s'étendait  à  toutes 
les  branches  de  la  prospéi^é  pnbltque ,  qu'elle 
ne  vo^it  la  puissance  que  dan»  le  travail ,  et 
qu'elle  ne  séparait  pas  la  richesse  de  l'état  de  la 
rif^esse  nationale. 

L'a^icalture  perfectionna  ses  procédés,  éten- 
dit ses  travaux ,  et  multiplia  les  productions  et 
les  matières  pren«ères.  L'exportation  du  blé  fut  1^71. 
pOTDÎse';  le  laboureur,  ayant  la  perspective  de 
vendre  avec  avsntt^e ,  puisqu'il  avait  la  liberté 
de  vendre  partout,  défricha  et  cultiva  le  sol  avec 
plus  d'ardeur  et  de  succès;  pour  concilier  la  sû- 
reté publicpie  avec  l'intérêt  des  propriétaires ,  il 
fat  statué  que  le  ccHnmerce  des  grains  serait  dé- 
fendu dès  le  moment  où  leur  prix  dépasserait  Iç 
unne  mt^u.  Le  servage  n'était  pas  aboli ,  on 
adoucit  le  sort  des  serfs  par  des  lois  sages;  on  1574. 
leur  offrit  des  facilités  pour  se  racheter  de  cet 
état  de  sujétion  ;  et,  sans  porter  atteinte  au  res- 
pect pour  les  propriétés,  on  lâcha  d'amener,  par 
des  moyens  doux  et  insensibles,  le  moment  de 
la  liberté  des  personnes.  Les  pauvres  s'étaient 


DiailizodbvGoOgle 


368  PARTIE     I.  PÉRIODE     111. 

multipliés  avec  les  richesses;  la  taxe  pour  les 
1S71.  pauvres  prit  naissance;  elle  fit  de  l'aumône  un 
impôt ,  et  d'une  obligation  morale  une  redevance 
civile  ;  mais  elle  assura  la  tranquillité  générale , 
sans  tarir  les  sources  de  la  bienËtisance  volon- 
taire. 

L'industrie  des  Flamands  était  supérieure  4 
celle  de  toutes  les  autres  nations;  les  troubles 
religieux  et  politiques  des  Pajs-Bas  forçant  les 
arts,  qui  cherchent  toujours  le  repos,  à  s'expa- 
trier ,  l'Angleterre  adopta  un  graiid  nombre  de 
1567.  colons  actifs  et  intelligents.  Les  manufactures  de 
laine  prirent  des  accroissements  rapides  :  celle 
qu'on  vendait  autrefois  aux  Flamands,  fiit  tra- 
vaillée dans  le  pays  même;  de  nouvelles  étoffes 
de  cette  matière  précieuse  vinrent  étonner  l'An- 
gleterre  (").  ' 

Le  commerce  extérieur  demandait  que  les  mon- 
naies ne  fussent  pas  sujettes  à  des  altérations 
continuelles;  que  leur  valeur  réelle  fut  propor- 
tionnée à  celle  des  monnaies  des  autres  nations, 


(*)  Les  boys,  les  serges,  les  camelots  furent  fabriqués 
par  des  mains  anglaises.  On  découvrit  et  lion  exploita  des 
mines  de  cuivre  dans  le  comté  de  Cumberland.  On  établit 
des  fabriques  de  couteaux,  des  mannfactures  de  bas  de 


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CH&.P1TIIE    XXIV.  369 

et  ne  se  trouvât  pas  trop  au-dessous  de  leur  va- 
leur de  convention  t'Ëtisabetb  régla  déânitive- 
ment  cet  objet  important.  Les  dangers  que  cou- 
rent les  marcbandis» ,  eo  passant  d'un  pays  dans 
un  autre ,  devinrent  moins  redoutables ,  grâce  k 
ringéatense  iaveatiou  des  assurances;  l'incerti- 
tude elle-même  fut  assujettie  au  calcul. 

Le  commerce  maritime  exige  de  grandes  avan- 
ces  qui  ne  peuvent  être  couvertes  que  par  de 
grïmds  profits.  Il  se  forma  en  Angleterre  tles  so- 
ciétés pour  le  commerce  du  I^evant,  de  la  Bal- 
tique, de  la  Russie;  on  leur  accorda  des  droits  - 
CKclusife  pour  un  temps  déterminé;  ces  mono- 
poles devaient  amener  la  liberté  du  commerce 
et  mettre  la  nation  «h  état  d'en  jouir.  Jusqu'alors, 
les  villes  d«  la  Hanse  avaient  eu  en  Angleterre 
des  privilèges  considérables ,  qui  tournaient  au 
détrim^it  des  indigènes.  Elisabeth  voulait  encou- 
rager l'Activité  nationale  ;  elle  accueillit  les  négo- 
ciants de  la  Hanse,  mais  ue  les  favorisa  pas  1^7%- 
ptOs  que  les  autres  étrangers;  et,  pour  exciter 
ses  sujets  à  faire  eux-mêmes  les  spéculations  qui- 
enrichissaient  lés  villes  banséatiques ,  elle  mit 
sur  leurs  marchandises  un  impôt  qui  tendait  à' 
faire  pencher  labalahce  en  faveur  des  Anglais. 
-  Le' génie  d'Élisabefh  étectrisant  les  esprits,- 
les  entreprises  les  plus  hardies  se  succédèrent 
2  a4 


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370  PABTJE     I.  PERIODE     ïri. 

avec  rapidité.  Chaque  particulier  pouvait  comp' 
ter  sur  les  secours,  les  récompenses  et  l'approba- 
tion éclairée  de  sa  souveraine,  s'il  travaillait  à 
la  mériter.  La  navigation  s'étendit  ;  on  réalisa 
'  âes  projets  qui  paraissaient  chimériques  avant 
d'avoir  été  exécutés.  Hawkins  fit  le  premier  le 
commerce  des  nègres,  sur  les  câtes  de  la  Guir 
née ,  et  arbora  le  pavillon  anglais  dans  tes  Indes 
1^77-  occidentales.  Forbisher  chercha  un  passage  aux 
Indes  orientales ,  du  côté  du  Nord  ;  il  ne  trouva 
pas  ce  qu'il  cherchait ,  mais  il  découvrit  une 
i5S5.  partie  de  t'Am^que  septentrionale.  Dawis  pé- 
i577  nétra  dans  le  détroit  qui  porte  son' nom.  L'au- 
i58o.  dacieux  Drake,  et  après  lui  Cavendish  firent  le 
tour  du  monde.  Le  premier ,  aussi  célèbre  par 
son  habileté  et  par  son  courage ,  que  fameux 
par  sa  barbarie ,  reçut  à  son  retour,  sur  son  vais- 
seau ,  la  visite  de  sa  souveraine  ;  et ,  après  avoir 
porté  le  nom  anglais  sur  des  mers  inconnues,  il 
le  fit  redouter  et  triompher  sur  les  mers  voi- 
sines dé  sa  patrie.  Ces  voyages,  ces  expéditions, 
ces  découvertes  enflammèrent  l'émulation,  ani- 
mèrent l'activité  et  développèrent  les  talents;  en 
multipliant  les  besoins  et  les  jouissances ,  et  of- 
frant au  travail  de  nouveaux  débouchés,  elles 
amenèrent  la  mul.tipIication  et  la  perfection  du 
travail. 


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CHAPITRE    XXIV.  i-Jl^ 

Pendant  qu'Elisabeth  faisait  avancer  sa  nation 
clans  la  carrière  du  développement  des  arts  et  de 
la  richesse ,  l'Ecosse  était  le  .théâtre  de  troubles 
et  -de  divisions  sanglantes ,  et  ces  événements 
tragiques  détournaient  l'attention  de  la  reine 
d'Angleterre  de  ses  occupations  favorites.  Marie 
Stuart,  veuve  de  François  II,  roi  de  France,  il 
était  revenne ,  après  sa  mort ,  prendre  posses- 
sion d'un  trône  «nal  affermi.  Catholique  zélée , 
elle  était  haie  des  protestants  qui,  souS  la  ban- 
nière de  Jean  Knox,  le  réformateur  de  l'Ecosse, 
,  nombreux,  ardents,  enflammés  par  des  prédi- 
cateurs fougueux,  se  faisaient  un  devoir  de 
perdre  Marie,  par  leurs  calomnies,  dans  l'opi- 
nion publique.  La  haute  noblesse  d'Ecosse , 
riche ,  puissante ,  et  familiarisée  avec  l'indépen- 
dance durant  une  longue  régence,  voyait  à  re- 
gret le  retour  de  la  reine,  et  répugnait  à  lui 
obéir.  Marie,  dans  la  fleur  de  la  jeunesse  et  de 
la  beauté,  faite  pour  vivre  au  sein  d'un  peuple 
aimable  et  léger,  accoutumée  aux  hommages  et 
aux  plaisirs  d'une  cour  brillante  et  polie,  fut 
frappée  du  contraste  que  les  manières  agrestes, 
les  mœurs  austères,  le  genre  de  vie  monotone 
et  triste  des  Écossais. formaient  avec  les  objets 
qu'elle  venait  de  quitter.  Au  lieu  de  faire  le 
sacrifice  de  ses  goûts  et  de  ses  habitudes,  et  de 
^4- 


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37a  PABTIE    I.  piRIODE     III. 

dissimuler  ses  regrets ,  elle  souleva  les  rigo- 
ristes par  les  fêtes  et  les  amusements  qui  se 
succédaient  à  sa  cour  ;  irrita  les  patriotes  par 
son  mépris  pour  les  usages  de  sa  nation  ;  et , 
par  ses  inconséquences,  mérita  le  blâme  des 
sages.  Elisabeth  la  haïssait  et  la  craignait.  Ifon- 
seulement  elle  voyait    en   elle  une  rivale  de 
beauté,  dont  les  channes  séduisants  e£^aient 
les   siens,  mais   encore  une  "ennemie  dange- 
reuse. Au  défaut  d'Elisabeth,  Marie  avait  les 
premiers  droits  sur  te  trône  d'Angleterre.  Elle 
les  tenait  de  son  aietile ,  sceur  de  Henri  VIU. 
Les  catholiques  qui,  dans  leurs  principes,  ne 
pouvaient  reconnaître  la  légitimité  d'ÉtisaJbetfa, 
portaient  Marie  à  sa  place  par  leurs  vomix  et  par 
leurs  efforts.  La  reine  d'Ecosse  avait  même  pris 
en  France  le  titre  de  reine  d'Angleterre ,  et  Eli- 
sabeth n'avait  pas  oublié  cette  injure.  La  jalou- 
sie ,  la  crainte ,  la  vengeance  se  réunissent  dans 
son  ame  contre  Marie  ;  et  ces  passions  s'alHitant 
sous  le  masque  de  la  politique  et  de  la  reJigion , 
elle  conspire  en  secret  contre  sa  tranquillité,  et 
travaille  sans  relâche  à  la  perdre.  Marie  elle- 
même  fevorise  les  projets  de  son  ennemie ,  et 
court  à  sa  perte.  Elle  était  douée  de  tous  les 
talents,  de  toutes  les  grâces,  de  tous  les  dons 
de  l'esprit  et  dit  cœur  ;  mais  irréfléchie  autant 


=dbvGooglc 


CHAPITRE    XXIV.  373 

que  sensible,  esclave  de  ses  penchants,  dupe  des 
premières  impressions,  portant  toutes  ses  afifec-  ' 
tions  à  l'excès,  elle  ne  voyait  jamais  que  le.mo- 
ment ,  ne  calculait  aucune  de  ses  démarches  ; 
par  sa  légèreté ,  elle  ne  servit  que  trop  bien  la 
haine  d'Elisabeth ,  et  devint  l'artisan  de  sa  pro- 
pre ruine.  Éprise  de  Darnley,  avenglëe  sur  sa 
médiocrité,  elle  l'épousa  dans  un  accès  de  pas- 
sion. Bientôt  dégoûtée  de  lui ,  elle  le  négligea 
entièrement  ;  et  Darnley,  jaloux  des  préférences 
qu'elle  accordait  à  un  muûcien,  nommé  Rizzio, 
les  punit  par  un  assassinat.  Après  la  mort  de  i566. 
Bizzio ,  Marie  joignant  la  haine  au  mépris  pour 
son  ^poux ,  forma  des  liaisons  intimes  avec  le 
comte  de  Bothwel.  Ce  nouvel  amant  conjm^  la 
ruine  de  Damtey  ;  il  voyait  dans  cette  cata- 
strophe le  chemin  de  la  torttme  et  jceUii'du  cœur 
de  ta  reine.  L'infortuné  Darnley ,  victime  d'une 
réconciliation  feinte  entre  Marie  et  lui,  périt 
tragiquement.  Au  lieu  de  punir  Bothwell  de  son  iSe?. 
crime,  elle  ne  craignit  pas  de  paraître  sa  com- 
plice en  lui  pardonnant.  Enlevée  par  le  meur- 
trier de  son  mari,  elle  eut  même  la  criminelle 
faiblesse  de  l'épouser.  L'Ecosse  justement  indi- 
gnée réclama  contre  cette  union  scandaleuse.  La 
noblesse  avait  pris  les  armes;  les  mécontents 
s'élaieut  rangés  sous  sa  bannière  ;  les  prédica- 


DiailizodbvGoOgle 


374  PARTIE     I.  PÉRIODE    III. 

teurs  du  nouveau  culte  avaient  profité  de  cette 
occasion  pour  soulever  tous  les  esprits  contre 
la  reine.  Marie  essaya  de  repousser  la  violence 
i568.  par  la  force;  battue,  prisonnière,  privée  du 
trône,  fugitive,  elle  vint  chercher  un  asile  où 
elle  ne  pouvait  rencontrer  que  des  dangers ,  et 
se  réfugia  dans  le  sein  de  sa  plus  q^ortelle  en- 
nemie. 

Accusée  par  ses  propres  sujets  devant  une 
reine  qui  était  son  égale  et  qui  ne  pouvait  être 
son  juge,  elle  consentit  à  répondre  à  ses  accu- 
sateurs, oubliant  ce  qu'elle  se  devait  à  elle- 
même  et  à  la  dignité  royale.  Elle  ne  fut  pas  con- 
damnée, mais  elle  ne  fut  pas  absoute,  et  la  vie 
qu'on  lui  laissa  parut  être  une  grâce  bien  plutôt 
qu'un  acte  de  justice  ;  elle  ne  méritait  pas  du 
moins  le*  nom  de  bienfait.  Marie  traîna  pendant 
dix-huit  ans,  en  Angleterre,  une  existence  lan- 
guissante ,  ignominieuse ,  précaire  ;  elle  vécut 
sans  plaisir  et  sans  honneurs,  tourmentée  jar  ses 
souvenirs  et  ses  espérances,  agitée  de  craintes 
et  de  remords ,  passant  d'une  extrémité  du 
royaume  à  l'autre ,  au  gré  des  alarmes  et  des 
soupçons  d'Elisabeth.  Souvent  on  conspira  à 
son  iusu,  en  son  nom  et  pour  elle;  elle  servait 
de  >igiie  et  de  pt>int  de  ralliement  à  tous  les  en- 
nemis d'Elisabeth  ;  elle  était  l'objet  des  vœux 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXIV.  ^"^5 

secrets  ou  prononcés  des  catholiques.  Babing- 
ton,  d'intelligence  avec  l'Espagne,  ayant  formé 
le  projet  de  détrôner  Elisabeth ,.  et  de  placer  Ma- 
rie sur  le  trône,  sa  conspiration  fut  découverte, 
et  la  reine  d'Angleterre  enveloppa  l'infortunée 
reine  d'Ecosse  dans  la  ruine  de  ceux  qui  avaient 
voulu  la  servir.  On  suborna  des  témoins;  on  hii 
refusa  d'être  confrontée  avec  eux;  on  employa 
tous  les  moyens  reçus  par  la  tyrannie  pour  per- 
dre l'innocence.  Après  une  étroite  et  longue 
captivité ,  Marie  regarda  comme  une  laveur 
l'arrêt  de  mort  qui  brhait  ses  liens  et  l'ailran- 
chissait  du  joug  d'Elisabeth.  Toujours  aimable  lis-j. 
et  intéressante ,  elle  parut  grande  dans  ses  der- 
niers moments.  Ses  infortunes,  en  surpassant  ses 
fautes  ,  les  avaieut  fait  oublier  ;  son  déplorable 
sort,  remplissant  l'ame  tout  entière,  effaçait  les 
souvenirs  du  passé.  On  ne  vit  en  elle  qu'une  vic- 
time auguste  et  touchante  de  la  politique  et  de 
l'envie;  elle  emporta  l'admiiation  générale,  et 
légua  à  sa  cruelle  rivale  l'indignation  publique. 
Elisabeth  avait  immolé  Marie  à  sa  jalousie  et 
À  sa  haine  bien  plus  qu'à  sa  sûreté.  Ces  passions 
'  implacables  qui  ne  pardonnent  et  ne  se  repo- 
sent jamais ,  lui  avaient  fait  saisir  avec  empres- 
sement le  prétexte  de  la  conjuration  de  Babing- 
ton,  pour  perdre  une    reine  qui    n'avait    eu 


DiailizodbvGoOgle 


376  P\BTI£    I.  ' —  PBHIODE    III. 

d'autt«  tort  que  de  désirer  sa  liberté,  et  qui 
n'était  pas  comptable ,  devant  un  tribunal  étran- 
ger, des  fantes  graves  qu'elle  avait  commises 
eh  Ecosse.  La  reine  d'Angleterre  sentait  que 
cette  injustice  criante  révolterait  toute  l'Europe; 
joignant  la  dissimulaticm  et  la  feinte  à  la  bar- 
barie, elle  joua  la  douleur^  désavoua  et  punit 
même  ceiix  qui  n'avaient  été  que  trop  fidèles  à 
ses  ordres ,  et  écrivit  au  roi  d'Ecosse ,  fils  de 
l'infortunée  Marie ,  les  lettt-es  les  plus  tou- 
chantes. Jacques  VI  parut  un  mcnnent  vouloir 
venger  la  mort  de  Marie  ;  mais  il  av^it  à  peiné 
connu  sa  mère,  et  il  manquait  d'élévation  d^ame 
et  d'énergie  ;  les  raisons  d'état  l'emportèrent 
sur  le  plus  juste  ressentiment.  L'Ecosse  ne  pou- 
vait pas  lutter  avec  succès. contre  l'Angleterre; 
les  protestants ,  de  tout  temps  ennemis  de  Ma- 
rie, se  montraient  peu  disp(Ȏs  k  venger  sa 
mort;  Jacques  craignit  de  perdre  ses  espérances 
au  troue  d'Angleterre ,  et  de  compromettre  son 
autorité  dans  ses  propres  états;  il  resta  donc 
tranquille.  Ses  amis  dirent ,  pour  justifier  sa 
conduite,  que  les  rois  se  doivent  tout  entiers  à 
leurs  sujets  et  non  à  leur  famille ,  et  qu'ils  sont 
obligés  de  sacrifier  leurs  affections  les  pins  lé- 
gitimes à  l'intérêt  de  l'état  ;  maxime  aussi  juste 
en  elle-même,  que  cruelle  pour  les  individus 


DiailizodbvGoOglc 


CUAPITB£     XXIV,  377 

qu'elle  regarde.  Jamais  peut-être  il  n'eût  été 
plus  pardonnable  de  la  violet' .,  411  plus  sublime 
de  ta  suivre  par  devoir;  Jacques  la  suivit  par 
faiblesse  ;  il  était  trop  iucapubte  de  toute  espèce 
d'élan ,  pour  qu'on  puisse  lui  faire  un  mérite  de 
sa  modération. 

Philippe  II  fit  ce  que  le  roi  d'Ecosse  ne  pou- 
vait et  ne  voulait  pas  faire;  il  parut  affecté  de 
la  iQort  de  Marie ,  comme  d'un  malheur  on 
d'unie  insulte  personnelle,  et  annonça  de  ter- 
ribles vengeances.  Soit  par  politique ,  soit  par 
attachement  à  la  religion ,  il  épousa  avec  chaleur 
la  canse  des  catholiques  d'Angleterre ,  qne  la 
mort  de  la  reine  d'Ecosse  avait  dépouillés  de 
leurs  espérances.  Le  pape  partagea  son  animo- 
sité,  et  lança  ses  foudres  contre  Elisabeth. 

Sixte  V  occupait  le. siège  pontifical.  Né  dans 
l'indigence,  le  pâtre  de  Montalte  s'était  élevé 
aux  premières  dignités  de  l'Église ,  à  force  de  ta* 
lents  et  d'habileté  ;  par  un  heureux  mélange  de  . 
persévérance  et  de  souplesse ,  il  avait  conservé 
et  augmenté  son  crédit  sous  des  papes  de  carac- 
tères différents  et  de  principes  opposés  ;  le  cha- 
peau de  cardinal  avait  récompensé  ses  services. 
Dans  ufi  état  où  l'ambition  peut  aspjrer  à  tout, 
et  où  les  formés  électivËis  offrent  au  génie  les 
cbancies  les  plus  brillantes ,  le  cardinal  de  Mont' 


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SyU  PABTIE     I.  PÉKIOCE     III. 

alte,  peu  fait  pour- la  seconde  place,  coiivoitait 
là  tiare ,  et  TolAint  en  affectant  ]a  décrépitude, 
et  en  faisant  croire  à  ses  concurreuts  qu'il  n'a- 
vait, plus  que  peu  de  jours  à  vivre.  Arrivé  au 
pontificat,  sous  le  masque  de  la  faiblesse,  en 
s'appuyant .  sur  des  béquilles,  il  déploya  une 
force  de  tète  et  de  caractère  et  une  vigueur  de 
tempérament  qui  étonnèrent  l'Europe  et  con- 
fondirent ses  rivaux.  Doué  de  toutes  les  qualités 
d'un  grand  souverain,  il  prouva,  par  sa  con- 
duite, qu'il  en  connaissait  les  devoirs  et  savait 
les  remplir.  Ardent,  impérieux,  ferme,  dans  te 
siècle  de  Grégoire  VU ,  il  aurait  été,  comme  lui, 
la  terreul*  des  princes  et  l'arbitre  des  couronnes; 
mais  assez  éclairé  pour  juger  son  siècle  et  ap- 
précier la  force  et  la  direction  de  l'opinion  pu- 
blique, il  était  trop  habite  pour  lutter  avec  elle, 
et  hasarder  des  tentatives  infructueuses.  Plus  ja- 
loux d'augmenter  sa  puissance  temporelle  par 
une  administration  sage  et  vigoureuse,  que  de 
faire  revivre  des  prélentious  surannées,  il  s'oc- 
cupait beaucoup  plus  de  ses  états  que  de  l'É- 
glise. Juste  et  sévère  jusqu'à  la  rigueur,  tl  avait' 
aboli  le  droit  d'asile ,  qui  n'était  que  -le  droit  dé 
violer  impunément  ceux  des  autres;  et  les  scé- 
lérats qui  troublaient  l'ordre  puMic ,  furent  ar- 
rêtés et  punis,  sans  distinctioQ-de  rang  ni  d'état. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXIV.  3jÇ) 

Créateur  de  la  force  armée  et  de  la  marine  de 
l'état  ecclésiastique ,  il  n'y  voyait  que  ce  qu'il 
devait  y  voir,  le  moyen  de  protéger  le  com- 
merce, et  d'assurer  la  tranquillité  publique.  Ëco~ 
nome  sans  avarice,  il  savait  être  libéral  saas  pro- 
digalité fastueuse.  Ami  des  lettres  et  des  arts , 
il  consacra  des  sommes  considérables  à  l'erabel- 
lissement  de  Borne  et  à  l'acquisition  de  chefs- 
d'œuvre  ,  et  trouvait  encore  les  moyens  d'amas- 
ser un  trésor.  Sixte  avait  trop  de  génie  pour  ne 
pas  rendre  hommage  à  celui  d'Elisabeth  et  de 
Henri;  il  savait  les  comprendre,  les  admirer  et 
les  imiter;  mais  cette  estime  et  cette  admiration 
étaient  secrètes.  Comme  souverain  pbntife,  il 
ne  pouvait  pas  avouer  tout  haut  ces  sentiments; 
comme  prince  séculier ,  il  craignait  et  ménageait 
Philippe.  Le  roi  d'Espagne  lui  ayant  demandé 
d'appuyer  de  ses  armes  spirituelles  la  guerre 
qu'il  méditait  contre  l'Angleterre,  Sixte  le  lui 
avait  promis  av«c  d'autant  plus  de  facilité ,  que 
la  mort  de  Marie  était  à  ses  yeux,  comme  à 
"ceux  de  toute  l'Europe,  une  action  atroce  et 
tine  tache  ineffôçable  de  la  vie  d'Elisabeth. 

pependant  l'Angleterre  était  menacée  du  plus 
grand  dangerl  Philippe  faisait  des  préparatifs  im- 
menses, et  ne  se  proposait  rien  moins  que  de 
détrôner  Elisabeth  et  de  conquérir  ses  états. 


D,a,l,zt!dbvC00gIe 


38o  PARTIE     1.  PÉBIOX>£     III. 

Long-temps  il  avait  dissimulé  sa  baine  et  ajourné 
ses  vengeances.  Ses  griefs ,  étaient  nombreux. 
Elisabeth  avait  refusé  sa  main;  elle  avait  établi 
la  religion  protestante  en  Angleterre,  persécuté 
les  catholiques,  soutenu  en  France ,  tie  ses  trou- 
pes et  de  son  argent,  le  parti  des  réformés,  et 
âivorisé  l'insurreclion  des  Pays-Bas.  Partout  elle 
a*ail  traversé  secrètement  ses  entreprises,  et  fait 
échouer  des  projets  qui,  sans  elle,  eussent  pro- 
bablement réussi.  .Philippe  aurait  éclaté  plutôt, 
mais  il  voulait  étouffer  la  république  des  Pro> 
vinces-Uiiies  dans  son  berceau,  avant  de  punir 
Elisabeth  de  sa  complicité,  et  cette  idée  seule 
l'avait  engagé  à  dilférer  sa  vengeance.  Jusqu'a- 
lors il  s'était  contenté  de  diriger  les  mouvements 
du  parti  catholique,  qui  voulait  appeler  Marie 
sur  le  trône  d'Angleterre.  La  mort  de  cette  reine 
rompit  toutes  ses  mesures.  Il  craignit  qu'Elisa- 
beth ,  délivrée  des  inquiétudes  que  lui  donnait 
sa  rivale ,  ne  consolidât  la  république!  naissante , 
par  des  secours  qui  pourraient  être  décisi&v 
Changeant  <lé  plan,  il  résolut  de  combattre  ses 
sujets  en  punissant  leurs  alliés ,  et  de  conquérir 
la  Hollande  en  Angleterre.  Les  forces  qui  de- 
vaieht  assurer  le  succès  de  cette  expédition  de 
pouvaient  être  trop  considérables;  on  travailla 
aux  armements  avec  ta  plus  grande  ardeur;  les 


D,a,l,zt!dbvG00gIe 


CHAPITnEXXIV.  38 1 

victoires  de  l'Espagne  devaient  être  certaines,  et 
la  ruine  de  l'Angteterre  complète  et  inévitable. 

La  partie  ne  paraissait  pas  égale.  A  la  vérité, 
Philippe  avait  perdu  quelques-unes  de  ses  pro- 
vinces, mais  il  avait  acquis  une  nouvelle  cou- 
ronne, et  venait  de  ranger  au  nombre  de  ses 
états  un  royaume  puissant  dont  la  marine  floris- 
sante, les  riches  colonies  et  le  commerce  étendu 
augmentaient  considérablement  ses  ressources. 

La  conquête  du  Portugal  avait  étéiàcile  et  ra- 
pide. Ce  royaume,  étranger  aux  intérêts  poli- 
tiques et  aux  malbeurs  du  reste  de  l'Europe, 
avait  étendu ,  dans  toutes  les  parties  du  monde, 
les  rameaux  de  sa  navigation.  Maître  du  Brésil 
et  des  plus  beaux  établissements  sur  les  côtes 
des  Indes  orientales  et  sur  celles  de  l'Afrique , 
il  approvisionnait  toutes  les  autres  contrées  de 
marchandises  précieuses  dont  le  luxe  avait  fait 
des  objets  de  nécessité  première.  Tranquille  et 
heureux,  le  Portugal  s'enrichissait  en  silence 
et  multipliait  ses  capitaux,'  en  les  appliquant  k 
un  travail  productif,  pendant  que  les  autres 
états  perdaient  leurs  forces  en  travaillant  à  s'af- 
faiblir réciproquement.  La  mort  du  roi  Sébas- 
tien interrompit  ce  long  et  paisible  cours  de 
prospérités,  o«  plutôt  y  mit  fin  par  une  révo- 
lution désastreuse.  Ce  jetine  prince,  petit-fils  (le 


DiailizodbvGoOgle 


38a  PARTIE     I.  PémODJi     III. 

Jean  IIl ,  avait  reçu  de  la  nature  un  de  ces  es- 
prits romanesques  qui  n'aiment  que  les  choses 
extraordinaires.  La  lecture  assidue  de  l'histoire 
des  croisades  avait  encore  échauffé  son  imagi- 
nation ardente.  Les  prêtres  qui  avaient  dirigé 
son  éducation,  lui  avaient  persuadé  que  les 
guerres  contre  les  Infidèles  étaient,  de  toutes 
les  guen-es,  les  plus,  méritoires  et  les  plus  glo- 
rieuses. Sébastien,  parvenu  au  trône,  n'avait 
soupiré  qu'après  l'occasion  d'acquérir  cette  dou- 
ble immortalité  que  ses  maîtres  avaient  fait  es- 
pérer à  son  jeune  cœur.  Malheureusement  elle 
s'offrit  à  lui.  Muley  Mahomet,  roi  de  Maroc, 
chassé  par  son  oncle  Muley  Moluc,  de  ce  trône 
ensanglanté  où  l'on  ne  monte  que  par  un  crime, 
et  d'où  l'on  descend  de  même,  avait  imploré  le 
secours  du  roi  de  Portugal.  Sébastien  saisît  avi- 
dement ce  moyen  de  réaliser  le  plus  cher  de  ses 
vœux.  Malgré  les  prières  de  sa  mère  et  les  re- 
présentations de  ses  ministres,  il  résolut  de  por- 
ter la  guerre  en  Afrique.  Philippe  II ,  qui  était 
Son  oncle  maternel ,  l'avait  fortement  dissuadé 
de  son  entreprise  ;  de  bonne  foi  selon  les  uns, 
selon  d'autres  afin  d'irriter ,  par  sa  résistance , 
l'esprit  vif  et  fier  du  jeune  roi ,  et  de  l'enflain- 
mer  de  plus  en  plus.  Voyant  que  ses  conseils 
étaient  inutiles,  il  lui  avait  promis  des  secours. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXIV.  383 

qu'il  ne  lui  accorda  jamais.  Sans  les  attendre, 
Sébastien  s'était  «mbarqué  avec  une  armée  d'é-  «S:*- 
lite;  il  avait  pris  terre  en  Afrique,  et,  encou- 
ragé par  ses  premiers  succès,  il  s'était  engagé 
imprudemment  dans  le  pays.  DéÊiit  près  d'At- 
cassar,  il  «vait  perdu  ta  vie  dans  la  bataille.  L'in-  >57S. 
dépendance,  le,  bonheur,  la  gloire  du  Portugal 
avaient  expiré  avec  lui.  Son  oncle,  le  cardinal 
Henri ,  frère  de  Jean  III ,  avait  pris  le  sceptre , 
et  le  tenait  d'une  main  défaillante.  Appesanti 
par  l'Âge,  incapable  de  régner,  menacé  d'une 
mort  prochaine ,  ce  vieillard  sentit  Im-méme 
qu'il  fallait  se  hâter  de  choisir  son  successeur.  Il 
y  avait  trois  compétiteurs  au  trôné,  Antonio, 
prieur  de  Crato ,  Philippe  II  et  la  duchesse  de 
Bragance  (').  Les  états  se  préparaient  k  décider 
cette  grande  question ,  et  probablement  leur 
choix  ne  serait  pas  tombé  sur  le  roi  d'Espagne, 
lorsque  Henri  mourut  subitement.  Sa  mort  avait  iSSo. 
changé  la  £ace  des  afifaires ,  et  la  force  avait  été 


(*}  Tous  trois  descendaient  d'Eromanuel-le-Grand ,  ah 
même  degré.  Philippe  était  né  d'Isabelle,  fille  d'Emmanuel, 
Antonio  était  fils  de  Louis  ,  duc  de  BeU ,  Tr^re  cadet 
dlrabelle.  Catherine,  duchesse  de  Bragance,  était  la  fille 
d'Edouard,  duc  de  Guimaraens,  le  dernier  des  enfants 
d'Smmantiel. 


DiailizodbvGoOgle 


384  PAKTIE     I.-      PÉKIODE     III. 

substituée  au  droit.  Philippe  avait  sur-le-champ 
fait  avancer  une  armée,etleducd'AIbe,  oubliaut 
l'ingratitude  de  son  maître,  avait  accepté  le  com- 
mandement de  ses  troupes.  Une  partie  de  la  no* 
blesse  et  da  clergé,  gagnée  par  l'argent  et  les 
promesses  du  roi  d'Espagne ,  ou  intimidée  par 
sa  puissance ,  s'était  déclarée  pour  lui.  La  masse 
du  peuple ,  plus  incorruptible  et  plus  attachée  k 
la  gloire  du  pays ,  faisait  des  vœux  pour  Don  An- 
tonio, Ces  vœux  avaient  été  stériles.  Ce  prince, 
avec  plus  d'ardeur  que  de  talents,  n'avait  pu 
lutter  contre  la  puissance  du  toi  d'Espagne ,  l'ac- 
tivité du  duc  d'Albe  et  une  partie  de  ses  propres 
concitoyens.  Le  royaume  et  les  colonies  avaient 
prêté  hommage  à  Philippe,  et  il  n'était  resté 
au  prieur  que  la  petite  île  de  Tercère,  qui  ne 
i58o,  tarda  pas  à  suivre  l'exemple  du  reste  de  la  mo- 
narchie. 

Dans  tout  autre  temps,  l'Europe  entière  se 
serait  armée  pour  empêcher  l'Espagne  d'ajouter 
cette  superbe  acquisition  à  ses  vastes  et  riches 
provinces,  et  de  devenir  par  cette  conquête  la 
rpine  des  mers  et  la  maîtresse  du  commerce  des 
deux  Indes.  Philippe  pe  rencontra  d'opposition 
nulle  part;  toutes  Les  puissantes  se  tureot  d'é- 
,  tonnement ,  de  crainte  et  d'impuissance.  Assez 
éclairées  pour  sentir  l'étendue  du  danger  qtie 


=dbïGoogIe^ 


CHAPITRE     XXIV.  385 

courait  l'équilibre  politique;  elles  étaient  trop 
faibles  pour  le  conjurer.  La  France  était  occu- 
pée de  ses  divisions  intestines ,  l'Italie  partagée' 
entre  un  graud  nombre  de  petits  états ,  le  Nord 
trop  éloigné  et  trop  indifférent  pour  agir.  L'An- 
gleterre ,  plus  intéressée  que  tous  les  autres  états 
à  empêcher  la  réunion  du  Portugal  à  la  mbiiar- 
chie  espagnole ,  connaissait  trop  la  mesure  de 
ses  forces ,  pour  les  exposer  à  un  combat  aussi 
inégal. 

En  perdant  son  indépendance  politique,  le 
Portugal  perdit  en  même  temps  sa  puissance ,  et 
la  nation  vit  tomber  rapidement  la  considération 
dont  elle  jouissait  en  Europe.  Un  esclave ,  fùt-il 
heureux  dans  les  fers  d'un  maître  doux  et  hu- 
main ,  perdra  toujours  dans  la  servitude  sa  per- 
sonnalité. Il  en  est  de  même  des  états.  En  per- 
dant son  indépendance  extérieure,  un  peuple 
cesse  de  l'être  ;  sa  physionomie  s'efîàce  ;  son  ca- 
ractère se  perd  ;  l'orgueil  national  ot  le  patrio- 
tisme n'existent  plus  que  dans  les  souvenirs  et 
les  regrets,  qui  deviennent  bientôt  inutiles  où 
dangereux,  et  finalement  s'éteignent  dans  tous 
les  cœurs.  Le  Portugal  offrit  un  exemple  frap- 
pant de  cette  grande  vérité.  Sous  le  sceptre  es- 
pagnol ,  la  nation  fut  appauvrie ,  dépouillée  et 
dégradée  ;  son  opulence  et  sa  dignité  s'évanoui* 
a  a5 


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386  PARTIE     I. PERIODE     III. 

rent.  Philippe  avait  juré  à  la  diète  de  Tomar , 
de  respecter  tous  ses  privilèges,  de  ne  confondre 
ni  ses  revenus ,  ni  son  commerce ,  ni  son  admi- 
nistration avec  celle  des  Espagnes,  et  de  ne  nom- 
mer aux  places  de  cou6ance  que  des  Portugais. 
Malgré  ces  promesses ,  le  pays  fut  bientôt  traité 
en  [frovince  conquise,  et  livré  à  la  rapacité  des 
gouverneurs  et  des  autres  officiers  publics.  La 
perte  de  l'indépendance  politique  affaiblit  l'hon- 
neur national,  auquel  les  Portugais  avaient  dii 
leurs  succès  et  leur  gloire.  Bientôt  les  Hollan- 
dais ,  ne  voyant  en  eux  que  des  sujets  de  l'Es- 
pagne ,  les  traitèrent  en  ennemis  et  leur  enle- 
vèrent leurs  plus  florissantes  colonies.  Tandis  que 
Phihppe  menaçait  ^'Angleterre ,  le  Portugal  avait 
encore  une  vigueur  et  une  santé  qu'il  devait  à 
son  premier  régime;  par  ses  vaisseaux  et  ses 
trésors  il  augmentait  considérablement  la  puis- 
sance -de  l'Espague. 

Les  yeux  de  toute  l'Europe  étaient  fixés  sur 
les  armements  de  Philippe.  L'inquiétude  gêné' 
raie  était  d'autant  plus  grande  qu'on  ignorait 
encore  leur  véritable  destination.  Le  roi  d'Es-. 
pagne ,  qui  espérait  écraser  l'Angleterre  avant 
qu'elle  eût  le  temps  de  se  reconnaître,  couvrait 
ses  desseins  de  mystère ,  et  paraissait  n'avoir 
d'autre  but  que  de  mettre  fin ,  par  un  grand 


:,,  Google 


CHAPITRE    XXIV,  387 

effort,  à  la  guerre  des  Pays-Bas.  Mais  Elisabeth 
avait  pénétré  son  secret,  et  son  esprit  actif  avait 
pris  aussitôt  toutes  les  mesures  nécessaires  pour 
détourner  l'orage.  Elle  fut  étonnée  du  danger 
qui  la  menaçait ,  sans  en  être  abattue.  Avant  que 
les  préparatifs  de  Philippe  fassent  achevés,  elle 
envoya  Drake,  à  la  tête  d'une  flotte,sur  les  côtes  i 
de  l'Espagne.  Cet  audacieux  marin  détruisit  un 
grand  nombre  de  vaisseaux  ennemis,  à  la  vue  de 
Cadix  et  de  Lisbonne ,  enleva  des  galions  qui 
revenaient  des  Indes,  chargés  de  richesses,  et 
retourna  en  Angleterre  avec  un  butin  immense. 
Pendant  ce,  temps,  le  secrétaire-d'élat  Walsin- 
gham ,  de  concert  avec  deux  habiles  négociants 
anglais ,  Sutton  et  Gresham ,  par  une  opération 
de  banque  bien  calculée ,  enlevèrent  à  Philippe 
les  ressources  pécuniaures  qu'il  comptait  trbjiver 
à  Gènes,  et  prouvèrent  à  l'Europe  l'influence 
décisive  du  commerce  et  du  crédit  siu"  la  puis- 
sance. L'expédition  de  Drake  et  le  défaut  d'ar- 
gent obligèrent  le  roi  d'Espagne  à  différer  le  dé- 
part de  la  flotte  jusqu'à  l'année  suivante.  Elisabeth 
gagnait  beaucoup  en  gagnant  du  temps.  Elle  en- 
tama des  négociations,  dont  elle  n'attendait  au- 
cun fruit ,  afin  d'enflammer  le  patriotisme  de  sa 
nation,  et  de  la  convaincre  de  la  néce,ssité  iné- 
vitable de  la  guerre. 

a5. 


DiailizodbvGoOgle 


3B8  PARTIE    I.  ^ —  PERIODE    Ut. 

Cependant  on  débattait  dans  te  conseil  de 
Philippe  tous  les  détails  du  plan  d'opérations 
qu'on  méditait,  et  les  avis  y  étaient  partagés. 
Ibaquez,  un  des  plus  habiles  ministres  de  l'Es- 
pagne, apercevait  des  dangers  où  son  maître  ne 
voyait  que  des  victoires.  La  flotte  anglaise 
réunie  aux  forces  navales  des  Hollandais  lui  pa- 
raissait redoutable;  un  danger  commun,  disait-il, 
ralliera  toute  l'Angleterre  autour  dn  trône;  les 
catholiques  eux-mêmes  armeront  en  faveur  d'Eli- 
sabeth, et  l'on  ne  peut  compter  sur  leurs  -se- 
cours. Sa  prudence  ne  fut  aux  yeux  des  autres 
conseillers  qu'une  timidité  honteuse,  et  le  doute 
qu'il  osait  hasarder  sur  les  succès  de  Philippe 
un  attentat  contre  sa  puissance.  Le  duc  de  Parme 
voulait  qu'on  s'emparât  de  quelques  ports  de  ta 
Zélande,  avant  de  rien  entreprendre  contre 
l'Angleterre,  afin  que  la  flotte  eût  un  refuge  en 
f:as  de  malbeor.  Ce  plan  ne  convenait  ni  à.  l'im- 
patience ni  à  l'oi^eil  de  Philippe  ;  il  le  rejeta. 
La  flotte  -qu'il  avait  armée  dans  lé  port  de  Lis- 
bonne était  à  ses  yeux  une  flotte  invincible,  et 
il  lui  donna  ce  nom  superbe.  Cette  flotte  était, 
en  effet ,  plus  grande  et  plus  redoutable  que 
toutes  celles  qui  jusqu'alors  avaient  paru  sur 
les  mers.  Elle  se  composait  de  cent  trente  vais- 
seaux de  différente  grandeur,  mais  dont  plu- 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXIV.  389 

sieurs  étaient  d'uaeforce  bien  supérieure  à  tout 
ce  que  l'on  connaissait;  servie  par  huit  mille 
matelots,  elle  portait  près  de  vingt  mille  hom- 
mes de  troupes  de  débarquement,  et  deux 
mille  cinq  cents  canons.  Il  fut  décidé  dans  le 
conseil  de  Philippe  qu'elle  ferait  voile  vers  le 
Canal.  Arrivée  dans  la  Manche ,  elle  devait  <:^>é- 
rer  sa  jonction  avec  le  duc  de  Parme,  qui  avait 
rassemblé  près  de  quarante  mille  hommes  dans 
le  voisinage  de  Dunkerque  et  de  Nieuport,  et 
un  ubmbre  suffisant  de  bâtiments  de  transport 
construits  à  Anvers,  et  cobduits  par  les  canaux 
d'Aavers  à  Gand,  de  Gand  à  fo^es,  de  Bruges 
à  Nieuport.  La  jonction  &ite,  les  forces  de  l'Es- 
pace devaient  cingler  vers  la  Tamise,  â'em- 
parer  de  Londres  par  suiprise  ou  par  assaut, 
soumettre  l'Angleterre  avec  le  secours  des  ca- 
th<^ues -mécontents,  et  ajouter  cette  couronne 
à  toutes  celles  qui  chargeaient  déjà  le  front  de 
Philippe. 

-  Ces  vast^  projets,  soutenus  par  des  forces 
aussi  menaçaid^is,  prouvent  que  le  système  po- 
lUique  qu'Elisabeth  avait  suivi  depuis  son  avè- 
nement au  trône,  était  sage  et  bien  calculé.  £n 
fomentant  les  troubles  des  Pays-Bas  et  occu- 
pant l'activité  inquiète  de  Philippe,  elle  l'avait 
forcé  de  différa*  l'exécution  de  plans,  qui  dans 


DiailizodbvGoOgle 


SgO  PARTIE     I.  PiRIOpE     III. 

ce  moment,  paraissaient  dictés  par  la  vengeance, 
mais  quir  dans  tous  les  temps,  Tauraient  été 
par  l'ambition.  Durant  ce  long  intervalle  de  re- 
pos, elle  avait  pu  multiplier  les  moyens  de  ré- 
sistance de  l'Angleterre;  elle  avait  acquis  un 
allié  utile  dans  la  nouvelle  république  des  Pro- 
vinces-Unies. Des  marins  habiles  et  audacieux 
s'étaient  formés  clans  ses  états,  par  des  entre- 
prises difficiles  et  des  navigations  lointaines ,  et 
elle  avait  appris  aux  Anglais  le  secret  de  leurs 
forces.  Le  péril  qui  la  menaçait  effrayait  toute 
l'Europe,  mais  elle  n'en  fut  alarmée  qu'autant 
qu'il  le  fallait  pour  lui  tenir  tête.  Jamais  elle  ne 
parut  plus  féconde  en  ressources,  plus  calme 
et  plus  ferme,  que  dans  cette  guerre  de  défense 
légitime,  où  elle  combattait  pour  son  trône  et 
pour  son  existence.  Ses  sujets,  qu'elle  n'avait 
jamais  immolés  à  des  vues  personnelles  et  ambi- 
tieuses, et  qui,  enrichis  par  ses  soins,  recueil- 
laient les  fruits  d'une  administration  paternelle, 
en  sentaient  tout  le  prix ,  et  se  prêtèrent  volon- 
tairement aux  plus  grands  sacrifices.  L'admira- 
tion, la  reconnaissance,  l'intérêtpropre  se  réu- 
nissaient pour  leur  inspirer  le  courage  des  priva- 
tions. En  annonçant  qu'il  voulait  détruire  l'An- 
gleterre et  perdre  Elisabeth,  Philippe  resserra 
tous  les  liens  qui  attachaient  les  Anglais  à  leur 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXIV.  Sgi 

reine.  La  crainte  d'un  gouvernemeut  de  fer,  qui 
ne  respecterait  ni  les  propriétés  ni  la  liberté  des 
personnes,  éteignit  l'esprit  de  parti;  partout 
on  ne  vit  plus  que  l'esprit  public;  l'Angleterre 
tout  entière  parut  animée  d'une  même  pensée, 
et  le  patriotisme  de  ce  peuple  noble  et  fier,  qui 
n'est  jamais  plus  grand  que  dans  les  crises  na- 
tionales, rivalisa  de  succès  et  d'audace  avec  les 
peuples  les  plus  célèbres  de  l'antiquité. 

L'Angleterre  n'a  d'autres  forteresses  que  ses 
citadelles  mouvantes.  Rien  n'était  plus  Ëicile  aux 
ennemis  que  d'opérer  un  débarquement,  si  une 
flotte  puissante  ne  les  tenait  pas  éloignés  des 
côtes.  Elisabeth  n'avait  que  quarante  vaisseaux, 
bien  inférieurs  en  force  à  ceux  de  l'Espagne  (*). 
La  noblesse  et  les  villes  se  disputent  l'honneur 
'de  lui  en  fournir.  On  arme  des  vaisseaux  mar- 
chanda, et  bientôt  Elisabeth  peut  disposer  de 
plus  de  cent  quatre-vingt-dix  bâtiments.  La 
Hollande,  sa  seule  alliée,  qui  sentque  son  exis- 
tence dépend  de  celle  de  l'Angleterre,  ordooue 


(*)  Il  paraît  qu'Elisabeth  n'avait  même  que  treize  vais- 
seaux de  guerre.  En  tout,  elle  entretint  à  ses  frais,  dans 
cette  occasion,  soixante-seize  vaisseaux.  La  ville  de  Londres 
en  fournit  trente-huit.  On  comptait  qualre-vingt-troùi 
garde-côtes. 


DiailizodbvGoOgle 


JqS  partie     I.  PÉRIODE     III. 

à  Justin  de  Nassau,  de  joindre  ia  flotte  anglaise 
avec  quarante-quatre  vaisseaux.  Les  côtes  sont 
visitées  avec  soin  par  ordre  d'Elisabeth;  elle 
prend  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  les 
mettre  en  état  de  défense.  Une  armée  dC  quatre- 
vingt  mille  bommes  veille  à  la  sûreté  du  ' 
royaume;  vingt  mille  sont  répartis  sur  les  points 
menacés;  un  corps  considérable  de  troupes  est  ' 
posté  à  Tilbury,  dans  le  comté  d'Essex,  sous 
les  ordres  de  Ijeicester;  le  reste  se  rassemble 
autour  d'Elisabeth  elle-mérae,  afin  de  se  porter 
avec  elle  partout  où  le  danger  l'exigera. 

La  flotte  prétendue  innncible  devait  mettre 
à  la  voile  dans  les  premiers  jours  du  printemps; 

]588.  mais  la  mort  subite  du  marquis  de  Santa-Cruz 
et  du  duc  de  Paliaiio  qui  la  commandaient , 
empêche  son  départ.  La  perte  de  ces  oSBcîers , 
tous  deux  marins  habiles  et  éprouvés,  fut  un 
'  premier  malheàr  pour  l'Espagne.  Celle  d'un  - 
.  temps  précieux  ne  fut  pas  moins  contraire  aux 
succès  de  l'expédition.  Le  choix  du  dii'c  de  Me- 
dina-Sidonia ,  qui  fut  chaîné  du  commandement 
de  ia  flotte,  suffisait  pour  faire  manquer  toute 
l'entreprise.  Cet  amiral  n'avait  pour  lui  qu'un 
grand  nom,  d'ailleurs  peu  d'expérience  et  un 

1S8H  S^'*'^  médiocre.  La  flotte  partit  de  Lâsbonne , 
ayant  à  bord  le  grand  inquisiteur  et  cent  cin- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXIV.  393 

quante  dominicains,  exécuteurs  des  arrêts  de 
l'inquisition.  C'était  préparer  les  chaînes  de  l'An* 
gleterre,  avant  de  l'avoir  vaincue,  et,  en  lui 
montrant  le  sort  qui  l'attendait,  l'exciter  à  une 
résistance  désespérée. 

Howard ,  marquis  d'Effingbam,  qui  comman- 
dait la  flotte  anglaise ,  s'était  stationné  devant 
Plymouth,  croyant  que  Xarmade  invincible  ten- 
terait d'y  aborder.  Howard  la  suit  et  la  serre  de 
près ,  dans  le  dessein  d'éviter  la  bataille  et  de 
profiter  de  toutes  les  occasions  pour  l'attaquer 
eu  détail  avec  avantage.  Drake ,  Hawkins  et 
Forbisher ,  qui  commandent  sous  lui ,  le  secon- 
dent par  leurs  efforts.  Le  duc  de  Medina-Sido- 
uia ,  airivé  à  la  hauteur  de  Calais ,  en  donne 
avis  au  duc  de  Parme ,  et  l'invite  à  le  joindre  ; 
mais  Farnèse,  bloqué  dans  Nieuport  par  les 
Hollandais,  ne  peut  sortir  du  port,  à  moins  que 
l'amiral  espagnol  ne  vienne  le  dégager.  Médina 
s'avance  jusqu'à  Dunkerque.  Pendant  la  nuit  les  ^ 
Anglais  lancent  dans  la  flotte  ennemie  des  bar- 
ques chargées  de  matières  coinbustil]les,  qui  y 
portent  le  ravage  et  l'efiroi.  Cinq  combats  con- 
sécutif, qui  s'engagent  entre  une  partie  de  la 
flotte  invincible  et  la  flotte  anglaise ,  se  décidait 
à  l'avantage  de  la  dernière.  Les  vaisseaux  an- 
glais, plus  légers  et   mieux    servis,  attaquent 


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394  PARTIE    1.  PÉRIODE    III. 

avec  succès  dans  ce  bras  de  mer  ces  masses 
énormes ,  dont  les  mouvements  sont  plus  lents 
et  les  maooeuvares  moins  justes  et  moins  pré- 
cises. 

Médina  ne  peut  opérer  sa  jcHiction-  avec  le 
duc  de  Panne.  Les  vaisseaux  espagnols,  qui  ti- 
rent beaucoup  plus  d'eau  que  les  vaisseaux  hol- 
landais ,  ue  peuvent  en  approcher  ni  les  obliger 
à  débloquer  Nieuport.  Déjà  Médina  veut  retour- 
ner en  f^pagne,  lorsqu'une  tempête  effroyable 
s'élève  ;  les  vaisseaux  anglais  cherchent  et  trou- 
vent un  asyle  dans  leurs  ports  ;  la  flotte  espa- 
gnole ne  peut  se  réfiigier  nulle  part;  elle  est  dis- 
persée par  les  veuts ,  abîmée  par  les  flots  , .  et 
brisée  contre  les  écueils.  Plus  de  vingt  vaisseaux 
échouent  sur  les  côtes  d'Angleterre ,  près'  de 
cinquante  sur  celles  de  France ,  de  Hollande  et 
de  Danemarck.  Il  ne  resta  que  des  débris  de  ce 
magnifique  et  redoutable  armement.  Cette  ca- 
tastrophe sauva  l'Angleterre,  assura  la  liberté 
de  l'Europe,  et  porta  un  coup  mortel  à  la  puis- 
sance de  l'Espagne.  En  apprenant  la  nouvelle 
de  ce  funeste  événement ,  qui  détruisait  ses  ,plus 
chères  espérances,  et  plongeait  la  plupart  des 
familles  de  l'Espagne  dans  le  deuil,  Philippe  af- 
fecta de  se  montrer  impassible.  Ensevelissant 
dans  son  ame  ses  fureurs  secrètes  et  ses  regrets 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXIV.  SgS 

amers ,  il  aurait  voulu ,  par  son  insensibilité , 
donner  le  change  sur  l'étendue  du  malheur  que 
l'Espagne  venait  d'éprouver.  IjOrsque  le  duc  de 
Medina-Sidonia  reparut  pour  la  première  fois 
devant  lui ,  il  le  remercia  de  n'avoir  pas  déses- 
péré de  l'état,  et  dit  froidement  :  La  volonté  du 
Seigneur  soit  faite!  J'avais  envoyé  ma  flotte  pour 
combattre  l'Angleterre  et  non  les  éléments. 

Les  expressions  de  la  joie  furent  plus  fortes 
en  Hollande  et  en  Angleterre,  que  n'osèrent 
l'être  en  Espagne  les  expressions  delà  douleur. 
Plus  le  danger  avait  été  grand,  plus  le  triomphe 
était  flatteur.  Elisabeth,  qui. avait  dissimulé  ses 
craintes  et  ses  alarmes,  et  montré  de  l'espérauce 
à  tout  le  monde,  se  dédoounagea  de  cette  con- 
trainte, en  laissant,  après  la  victoire,  un  libre 
coùrs-à  ses  sentiments.  Sa  vive  satisfaction  don- 
nait la  mesure  des  inquiétudes  qui  l'avaient  agi- 
tée. Le  "ciel  lui-même  semblait  avoir  combattu 
pour  les  Anglais.  Portée  sur  un  char ,  entourée 
de  tous  les  officiers  de  sa  cour  et  des  grands  du 
royaume ,  elle  se  rendit  k  l'Église  de  Saint-Paul , 
au  milieu  des  flots  d'un  peuple  immense  qui 
partageait ,  avec  un  juste  et  noble  oi^eil ,  le 
triomphe  de  sa  souveraine;  et  les  voûtes  majes- 
tueuses du  temple  retentirent  .d'hymnes  saints 
adressés  au  Dieu  libérateur.  L'Europe  entière 


DiailizodbvGoOgle 


396  PARTIE    I. PSBIODE    Ilf. 

prit  part  au  bonheur  de  l'ADgleterre.  Avec  elle 
serait  tombée  l'indépendance  de  tous  les  états; 
il  n*y  aurait  plus  eu  qu'un  maître  et  des  es- 
claves. Depuis  ta  destruction  de  Vtumade,  la 
puissance  de  l'Espagne  ne  fut  plus  l'épouvante 
(les  nations,  et  déclina  senàblement. 

Enhardis  par  leurs  succès,  les  Anglais  por- 
tèrent à  leur  tour  la  terreur  sur  les  côtes  de 
l'Espagne.  Un  essaim  de  corsaires  se  répandant 
sur  toutes  les  mers ,  enlevèrent,  tous  les  vais- 
teaux  espagnols,  interceptèrent  les  tributs  que 
les  mines  du  Nouveau-Monde  payaient  à  Phi- 
lippe, et  poussèrent  l'audace  jusqu'à  piller  la 
Corogiie,  et  infestn-  les  embouchures  du  Tage. 
Une  flotte  considérable  attaqua  la  puissance  na- 
vale de  VE^agne,  prit  Cadix,  l'entrepôt  du 
commerce  des  deux  mondes,  et  y  fit  un  butin 
prodigieux. 

Pour  se  venger  de  ses  pertes ,  et  faire  diver- 
sion aux  victoires  de  l'Angleteire,  Philî{^, 
fidèle  à  son  ancienne  politique ,  excita  les  ca- 
tholiques de  l'Irlande  k  pr^idre  les  armes  :  les 
troubles  qui  s'^evèrent  dans  ce  royaume,  ralen- 
tirent en  effet  l'activité  de  la  guerre  contre  l'Es- 
pagne ,  interrompirent  le  cours  des  prospérités 
d'Elisabeth ,  et  Uii  préparèrent  des  chagrins  do- 
me^iques  dont  elle  fut  la  victime. 


DiailizodbvGoOglf 


CHAPITBE    XXIV.(  3()7 

Llrlande ,  conquise  par  Henri  II ,  avait  ajouté 
peu  de  chose  à  ia  puissance  de  l'Angleterre. 
Inculte  et  barbare,  elle  était  partagée  entre  de 
grands  propriétaires  qui  se  faisaient  une  guerre 
éternelle ,  et  ne  savaient  se  réunir  que  contre 
leur  souverain.  Cette  île  fertile  ,  où  la  nature  n'a 
besoin  que  d'être  sollicitée  par  le  travail  pour 
produire  en  abondance  toutes  les  choses  néces- 
saires à  la  vie  ,  était  habitée  par  un  peuple  pau- 
vre ,  mais  brave ,  intrépide ,  plus  attaché  aux 
vices  et  aux  abus  de  son  régime,  que  d'autre^ 
peuples  ne  le  sont  quelquefois  à  un  bon  gou> 
vernement.  Rien  n'était  plus  di£Bci]e  que  de  gou- 
verner cette  nation  ardente  et  opiniâtre ,  qui 
plaçait  son  orgueil  et  sa  liberté  dans  la  conserva- 
tion de  ses  anciens  usages.  T^e  génie  d'Elisabeth, 
qui  s'étendait  à  tout ,  avait  formé  le  plan  de  ci- 
viliser les  Irlandais,  et  d'en  faire  des  sujets  do- 
ciles en  les  rendant  heureux.  Elle  avait  donné 
au  gouverneur  un  plus  grand  pouvoir  et  des 
forces  considérables,  pour  contenir  les  grands 
et  protéger  le  peuple.  Afin  d'adoucir  les  moeurs 
et  de  répandre  les  lumières  dans  le  pays,  elle 
avait  créé  une  université  à  Dublin.  Des  lois  dic- 
tées par  la  politique ,  et  qui  paraissaient  l'être  par 
l'humanité ,  avaient  amélioré  la  condition  des 
classes  inférieures ,  et  tendaient  à  diminuer  l'a- 


DiailizodbvGoOgle 


39B  PARTIE     I. PÉRIODE     III. 

ristocrarie  de  la  noblesse.-  Les  nobles ,  assez 
éclairés  pour  deviner  les  vues  secrètes  de  la 
reine ,  trop  cupides  et  trop  orgueilleux  pour  les 
seconder,  avaient  l'habitude  du  désordre  et  de 
la  désobéissance.  Le  peuple ,  familiarisé  avec  le 
malheur,  était  tellement  aveuglé  sur  ses  vrais 
intérêts ,  qu'il  épousait  la  cause  de  ses  tyrans 
contre  le  souverain  qui  voulait  le  protéger.  Hugh 
Olféale ,  issu  d'une  des  plus  anciennes  et  des 
plus  illustres  familles  de  l'Irlande ,  se  propose  de 
feire  échouer  tous  les  projets  d'Elisabeth,  et 
d'éterniser  en  Irlande  l'état  d'anarchie  dont  elle 
voulait  la  faire  sortir.  Il  avait  trompé  le  gouver- 
neur Norris  par  de  vains  dehors  de  soumission, 
et  .profité  de  sa  sécurité  pour  organiser  une  in- 
surrection générale.  La.  reine  l'avait  nommé 
comte  de  Tyrone;  mais  il  sentait  que  ces  faveurs 
n'avaient  d'autre  but  que  de  l'asservir  f  et  âoit 
patriotisme,  soit  orgueil,  il  croyait  que  son 
pays  ne  pouvait  être  heureux  qu'en  secouant  le 
jong  de  l'Angleterre.  A  un  jour  marqué,  les  Ir- 
landais prennent  les  armes ,  se  réunissent ,  et  ' 
défont  entièrement  l'armée  anglaise,  comman- 
dée par  sir  Henri  Bagnal.  Elisabeth  voii  la  né- 
cessité de  repousser  la  force  par  la  force;  elle 
nomme  Essex  lord-lieutenant  d'Irlande ,  et  le 
charge  de  venger  l'honneur  des  armes  anglaises. 


=dbvGooglc 


CHAPITRE     XXIV.  3^ 

D'Evereux ,  comte  d'Essex ,  avait  remplacé  le 
comte  de  Leicester  dans  le  cœur  de  sa  souve- 
raine. Elisabeth  croyait  qu'un  homme  qui  avait 
eu  lé  bonheur  de  lui  plaire,  devait  être  un 
grand  homme,  et  que  l'objet  de  son  amour  de- 
vait être  celui  de  sa  confiance.- Elle  employait  ' 
Essex  dans  les  afEaires  les  plus  importantes, 
comme  elle  avait  employé  Leicester.  Doué  de 
toutes  les  grâces  de  la  figure ,  qui  font  quelque- 
fois pardonner  le  défaut  du  mérite  réel ,  Essex 
avait  assez  de  méiite  réel  pour  se  passer  du 
secours  des  grâces.  Son  esprit,  nourri  et  dé- 
veloppé par  l'étude  et  le  travail ,  s'élevait  au- 
dessus  de  la  mesure  commune.  Brave,  entrepre- 
nant, actif,  il  savait  former  des  plans  brillants, 
et  les  exécuter  avec  succès.  Magnifique  et  gé- 
néreux par  ostentation ,  impérieux  ,  fier  et  ja- 
loux dé  son  pouvoir,  il  se  faisait  aimer  du  peu- 
ple et  craindre  des  grands.  L'amour  qu'il  avait 
inspiré  à  Elisabeth ,  aurait  été  pour  lui  un  far- 
deau odieux,  s'il  n'avait  pas  flatté  sa  vanité  et 
servi  son  ambition.  Essex  avait  paru  avec  éclat, 
dans  les  guerres  civiles  de  la  France ,  à  la  tête 
des  secours  qu'Elisabeth  envoyait  à  Henri  IV, 
et  ce  prince  avait  rendu  justice  à  sa  valeur.  Dans 
la  guerre  contre  l'Espagne,  il  s'était  distingué 
par  des  expéditions  maritimes,  brillantes  et  har- 


DiailizodbvGoOglc 


l^OO  PIRTIE    I,  —  P^aiOUG    irl. 

dies,  sur  les  côtes  de  ce  royaume.  Elisabeth  con- 
naissant sa  passion  pour  la  gloire,  et  la  consul- 
tant plus  que  son  amour  pour  lui ,  le  chai^ea 
de  pacifier  l'Irlande ,  lui  confia  une  armée  nom- 
breuse et  choisie ,  et  pour  assurer  ses  tiiom- 
phes,  lui  accorda  un  pouvoir  presque  illimité. 

Essex  partit  avec  la  confiance  du  succès ,  mais 
sa  présomption  le  pei^it.  Il  fut  assez  imprudent 
pour  diviser  ses  forces  dans  un  pays  qu'il  ne 
connaissait  pas,  et  où  il  rencontrait  des  ennemis 
à  chaque  pas.  014éale  et  les  autres  éhefs  de 
rinsuirection  profitèrent  de  ses  fautes  et  de  la 
connaissance  qu'ils  avaient  du  terrein,  pour 
battre  ses  troupes  en  détail.  Essex  vit  son  armée 
se  fondre  et  ses  espérances  s'évanouir.  £n  mèoie 
temps,  il  apprit  que  ses  ennemis,  enhardis  par 
son  absence,  le  calomniaient,  lui  attribuaient 
ses  malheurs,  et  en  difEàmant  ses  talents,  accu- 
saient encore  ses  intentions  secrètes.  Il  prit  le 
parti  de  retourner  en  Angleterre,  et  de  quitter 
l'armée,  malgré  la  défense  positive  d'Elisabeth. 
Il  e^>érait  que  sa  présence  lui  ferait  tout  par- 
donner, et  qu'un  moment  d'entretien  avec  la 
reine  lui  suffirait  pour  effiicer  toutes  les  impres- 
sions qui  lui  étaient  désavantageuses.  Il  parut 
k  la  cour.  Dans  le  premier  moment ,  l'attendris- 
sement et  la  surprise  empêchèrent  Elisabeth  de 


=db.;Googlc 


;  C  H  A  P  l'T  RK     X Z  t  V.  4o  1 

lui  faire  de  justes  reproches.  Mais  à  peine  se 
fut-il  retiré  que  l'orçueil  reprit  ses  droits,  la 
colère  l'emporta  sur  l'amour,  et  l'amante  fit 
place  à  la  souveraine.  Irritée  de  ta  désobéis- 
sance d'Essex,  elle  le  fit  arrêter;  un  arrêt  du 
conseil-privé  le  dépouilla  de  toutes  ses  places, 
et  le  priva  de  la  liberté.  Peu  après  ta  reine  lui 
permit  de  se  retirer  dans  ses  terres,  mais  elle 
ne  lui  rendit  pas  sa  faveur. 

C'était  une  épreuve  bien  plutôt  qu'une  dis- 
grâce.-Elisabeth  voulait  humilier  ce  caractère 
altier;  son  amour  ne  lui  permettait  pas  de  l'étbi- 
gner  pour  toujours  de  sa  personne.  Mais  le  su- 
perbe Ëssex,  irrité  de  l'ascendant  que  ses  en- 
nemis conservaient  sur  la  reine,  oublia  ses  bien- 
faits ,  et  ouvrit  son  cœur  a  des  projets  de  ven- 
geance. Sou  palais  devint  l'asile  des  mécontents 
et  un  véritable  foyer  de  conspirations.  Il  entama 
des  négociations  avec  le  roi  d'Ecosse,  et  lui 
offrit  de  le  placer  sur  le  trône  d'Angleterre. 
Jacqaes  n'était  pas  sans  ambition;  mais  la  timi- 
dité de  son  caractère  le  faisait  répugner  à  toutes 
les  entreprises  hardies.  Les  principes  ne  Tau-  ■ 
raient  peut-être  pas  arrêté;  la  crainte  de  se 
perdre  l'arrêta.  Il  avait  des  droits  au  sceptre 
qu'on  lui  offrait;  il  pouvait  espérer  qu'Elisabeth 
le  nommerait  son  successeur;  il  risquait  de  rui- 
a  36 


=dbïGoogIe 


4oi  PARTIE    I. — '.PÉRIODE    III. 

ner  sa  fortune  s'il  essayait  d'en  hâter  le  mo- 
ment, et  il  refusa  les  propositions  d'Esse!.  Eli- 
sabeth en  fut  instruite.  Le  comte,  voyant  ses 
projets  découverts,  avant  qu'il  les  eût  conduits 
à  maturité ,  hasarda  une  démarche  extrême.  U 
se  mit  à  la  tète  de  deux  cents  chevaux,  et  tenta 
de  soulever  le  peuple.  Le  peuple,  qui  Taimait, 
mais  qui  aimait  encore  plus  Elisabeth,  et  qui 
avait  appris  à  respecter  les  lois,  abandonna  ce 
jeune  ambitieux  aux  suites  funestes  de  sa  témé- 
rité, et  ne  fit  rien  pour  le  seconder.  Essex  se 
retira  dans  son  château,  résolu  de  s'y  défendre 
jusqu'à  la  dernière  extrémité;  mais  cette  réso- 
lution ne  fut  que  passagère  et  bientôt  il  se  ren- 
dit à  discrétion. 

Elisabeth,  partagée  entre  ses  devoirs  et  ses 
affections,  tour  à  tour  souveraine  et  amante, 
craignant  également  de  perdre  son  autorité  et 
de  perdre  Essex,  flotta  long-temps  entre  sa  rai- 
son et  son  cœur,  entre  la  sévérité  et  la  clé- 
mence. Elle  signa  son  arrêt  de  mort,  elle  le  ré- 
voqua, elle  te  prononça  de  nouveau.  T^te  à 
accorder  la  grâce  d'Essex  à  quiconque  ta  lui 
aurait  demandée,  elle  ne  trouva  personne  qui 
lui  rendit  ce  service.  Un  mot  d'Essex  eût  suift 
pour  le  sauver;  mais  son  orgueil  irrité  lui  fit 
préférer  la  mort  à  une  vie  qu'il  aurait  tenue  de 


=dbï  Google 


I 


CHAPITRE    XXIT.  4o3 

la  générosité  d'Elisabeth.  Il  sentit  qu'en  mourant 
il  la  punissait  et  vengeait  sa  mort.  Cette  idée 
adoucit  son  supplice,  et  il  porta  avec  courage 
sa  tête  sur  l'échafaud.  On  l'exécuta  dans  la  tour 
de  Londres,  afin  de  prévenir  toute  espèce  de 
mouvements  populaires.  Il  avait  trente-quatre 
ans. 

Cependant,  Mountjoy,  le  successeur  d'Essex 
en  Irlande,  plus  habile  et  plus  heureux  que 
lui,  termina  la  guerre.  Vainqueur  des  rebelles  à 
Kinsale,  il  obligea  les. chefs  à  poser  les  armes; 
Tyrone  lui-même  n'espérant  rien  d'une  plus 
longue  résistance,  demanda  la  paix  et  obtint  sa 
grâce.  i< 

Elisabeth  n'était  plus  capable  de  prendre  un 
vif  intérêt  à  ces  succès.  XndifTérente  à  tout  ce 
qui  l'avait  occupée  dans  les  jours  de  sa  force 
et  de  sa  gloire,  étrangère  aux  afîaires  et  aux 
plaisirs,  elle  paraissait  rarement  en  public;  et 
quand  elle  se  montrait,  elle  semblait  abattue, 
rêveuse,  dévorée  d'un  chagrin  secret.  La  mcwt 
d'Essex  avait  brisé  tous  les  ressorts  de  son  ame 
et  rompu  les  liens  qui  l'attachaient  au  monde; 
mécontente  d'etle-méme,  dégoûtée  de  la  vie, 
fatiguée  de  sa  grandeur,  elle  voyait  sans  regret 
,se5  forces  dépérir  et  sa  profonde  mélancolie  la 
conduire  lentement  à  la  mort.  Après  un  règne 
a6. 


DiailizodbvGoOgle 


4o4  PARTIE     I.  — PÉRIOOK   Itl. 

i6a3.  long  et  heureux,  elle  mourut  avec  la  douleur 
et  le  désespoir  dans  le  cœur,  et  hâta  même  l'ins- 
tant décisif  en  refusant  de  prendre  de  la  nour* 
riture.  Elle  avait  peu  connu  les  passions  dans 
l'âge  des  passions,  et  ce  fut  une  passion  mal- 
heureuse qui,  à  l'âge  de  soixante-dix  ans,  la 
conduisit  au  tombeau. 

La  fin  de  Philippe  II  avait  été  plus  tragique 

1598.  encore:  il  avait  terminé  sa  coupable  vie  cinq 
ans  auparavant;  une  maladie  affreuse  avait  nuel- 
lement  vengé  l'espèce  humaine.  Cependant  la 
fiarce  d'ame  qu'il  montra  dans  sa  longue  agonie, 
répandit  une  sorte  d'intérêt  sur  ses  derniers 
moments;  sa  volonté,  disputant  en  quelque 
sorte  son  cadavre  k  la  nature,  condamna  ses 
organes  afïaissés  à  un  travail  opiniâtre,  et  il 
ne  cessa  de  régner  qu'en  cessant  de  vivre.  Dé- 
voré par  une  putréfaction  lente  et  insensible, 
il  supp<H-ta  les  souffrances  les  plus  aiguës,  sans 
laisser  échapper  un  seul  gémissement.  Aussi 
dur  envers  lui-même  qu'envers  les  autres,  il  ne 
sollicita  pas  une  pîtié  qu'il  n'avait  jamais  ac- 
cordée aux  maux  de  personne,  et  se  vit  périr 
d'un  œil  sec  et  insensible;  mais  sa  superstition 
pusillanime  ne  se  démentit  pas.  Tourmenté  de 
craintes,  il  avait  revêtu  le  froc,  comme  pour 
surprendre  l'entrée  du  ciel  i  la  faveur  de  ce 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXIV.  ^oS 

déguisemeut  qui  devait  couvrir  ses  crimes,  et  se 
fit  porter  au  couvent  de  l'Escurial  pour  calmer 
les  terreurs  que  lui  inspirait  une  religion  qu'il 
n'avait  jamais  servie  que  par  la  terreur  et  par 
le  sang.  Sa  mort  fut  un  bienfait  pour  l'huma- 
nité. L'Espagne  respira;  l'Europe  estera  des 
temps  plus  tranquilles. 

Le  règne  de  Philippe  n'avait  été  qu'une  longue 
agitation.  Son  orgueil  fut  puni  de  ses  projets  ho 
micides  par  la  douleur  de  les  voir  tous  échouer. 
Il  avait  voulu  démembrer  la  France ,  ou  l'enlever 
à  son  souverain  légitime  ;  et  il  la  vit  tout  en- 
tière réunie f  obéissante  et  heureuse,  sous  le 
sceptre  bienfaisant  de  Henri  IV.  Il  avait  voulu 
ravir  aux  Pays-Bas  leurs  droits  politiques,  y  as- 
servir les  consciences  et  ^es  actions  ;  et  la  liberté 
triom[^-de  ses  efforts,  et  lui  enleva  sçpt  pro- 
vinces, où  elle  établit  sou  règne  sur  des  loi» 
sages  et  fortes.  Il  avait  voulu  anéantir  la  piûs- 
sance  de  l'Angleterre  ;  et  l'Angleterre  victorieuse 
porta  la  terreur  et  la  destruction  dans  ses  pro- 
près  états ,  et  éleva  sa  marine  sur  les  débris  de 
celle  d'Espagne.  Si  Philippe  avait  eu  autant 
de  talent  pour  la  guerre  qu'il  en  avait  pour  le 
travail  du  cabinet ,  l'Europe  était  perdue.  Peut^ 
être  même  ne  lui  a-t-il  manqué,  pour  réussir, 
que  de  mettre  dans  ses  entreprises  moins  de 


=dt*  Google 


4o6  PARTIE    i.  PÉRIODE   III. 

violence  et  de  précipitation.  Il  commençait  trop 
de  choses  à  la  fois  ;  ses  projets  se  nuisaient  les 
lins  aux  autres;  et  en  partageant  ses  forces  entre 
plusieurs  objets,  il  les  manquait  tous  également. 
Son  nom ,  devenu  celui  du  délire  de  l'orgueil 
et  de  l'ambition,  est  condamné  à  une  honteuse 
immortalité.  S'il  avait  eu  des  succès,  la  postérité 
éblouie  ne  l'aurait  peut-être  pas  marqué  d'un 
sceau  de  réprobation  ;  car  le  succès  est  le  grand 
apologiste  du  crime.  Avec  un  revenu  de  vingt- 
cinq  millions  de  ducats ,  il  laissa  cent  cinquante 
millions  de  dettes,  et  mourut  insolvable.  Ses 
entreprises  de  tout  genre  lui  coûtèrent  plus  de 
cinq  cents  millions  de  ducats.  Il  laissa  la  mo- 
narchie espagnole  dans  l'état  le  plus  dé^^orable. 
Elle  avait  un  sol  superbe,  et  point  de  bras  pour 
le  cultiver,  un  luxe  effréné  et  point  d'industrie, 
des  mines  d'or  et  des  dettes  ;  c'était  un  vaste 
corps  sans  vigueur  et  sans-nerf,  qui  avait  perdu 
ses  forces  dans  les  débauches  de  l'ambition ,  et 
qui  ne  pouvait  plus  supporter  le  poids  de  sa 
propre  grandeur. 


I 


=dbvGooglc 


CHAPITRE    IXV,  407 


QUATRIÈME  PÉRIODE.   1698— 1618. 


CHAPITRE   XXV. 

État  de  la  France  lors  de  la  paix  de  Vervim.  Caractère  dfe 
Sully.  Son  ministère.  Sa  mardie  pour  rétablir  l'ordre  dans, 
les  finances,  et  pour  augmenter  la  richesse  nationale. 
Heureux  effets  de  son  adadvistratioii.  Vastes  proj^eta  d& 
Henri  IV.  Mort  de  re  prince. 


-Li'ESPAGirG  perdait  sa  prépondérance  en  £urc^e  » 
la  France  augmentait  la  sienne  :  l'époque  de 
l'affaiblissement  et  de  la  décadence  de  l'une,  est 
celle  de  la  régénération  de  l'autre.  Treiite-huit 
années  de  guerre  civile  avaient  desséché  en. 
France  toutes  les  sources  de  la  richesse  publi- 
que et  de  la  puissance  nationale-  On,  s'était  battu 
avec  acharnement  sur  tous  les  points  de  cette 
vaste  surface,  et  partout  on  avait  détruit,  avec 
une  égale  fureur,  les  hommes  et  tes  troupeaux,. 
les  villes  et  les  villages,  les  Miits  et  les  instru- 
ments dit  travail.  Il  s'était  fait  une  dépense  im- 
mense de  forces  et  de  capitaux. ,  désormais  perdus 


DiailizodbvGoOgle 


/(o8  PARTIK     I.  PÉalODE    IV. 

sans  retour,  et  qui  auraient  pu  se  reproduire  à 
l'infini.  A  la  vérité,  les  Français  avaient  acheté 
(l'eux-mèmes  les  moyens  de  se  détruire ,  et  la 
perte  était  moindre  pour  le  royaume  que  s'ils 
les  avaient  achetés  au-dehors;  mais  elle  n'en 
était  pas  moins  réelle.  On  ne  songeait  qu'aux 
besoins  du  moment ,  et  l'on  ne  s'occupait  plus 
de  l'avenir.  Le  travail  languissait ,  car  on  man- 
quait de  capitaux.  Le  défaut  de  sûreté  rendait 
.  toutes  les  propriétés  précaires.  Le  Êinatisme  et 
les  passions  avaient  tellement  rempli  toutes  les 
têtes ,  qu'il  n'y  était  point  resté  de  place  pour 
les  projets  utiles  ni  pour  les  spéculations  paci- 
fiques. L'agriculture  manquait  de  bras  pour  re- 
mettre en  valeur  des  terres  que  l'absence  des 
grands  propriétaires  et  les  ravages  des  armes 
avaient  frappées  de  stérilité.  Les  villes  avaient 
été  toutes  converties  en  places  de  guerre,  et 
l'industrie  ne  pouvait  y  prospérer.  La  plupart 
des  habitants,  uniquement  occupés  d'exercices 
militaires,  ne  savaient  que  se  battre.  Dans  un 
temps  où  l'on  renonçait  à  tous  les  besoins  de 
luxe,  parce  qu'on  avait  il^peine  l'étroit  néces- 
saire, les  demandes  étaient  rares  et  la  produc- 
tion ne  pouvait  -être  fort  abondante  ;  le  com- 
merce était  nul  ;  il  n'y  avait  point  d'objets 
il'échange  ni  de  circulation.  I.«s  grandes  routes 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXV.  ^Of) 

étaient  dégradées  et  peu  sûres.  La  marine  u'exis- 
tait  pas.  Tout  avait  péri ,  ou  s'était  arrêté  au 
milieu  des  borreurs  de  l'anarchie. 

Cependant  la  situation  de  la  France  n'était 
rien  moins  que  désespérée.  Son  sol  fertile  et 
varié,  son  climat  doux  et  heureux ,  le  génie  in- 
ventif et  l'activité  de  ses  habitants  lui  offraient 
de  précieuses  ressources.  Il  suffisait  de  quelques 
années  de  repos  et  d'une  administration  sage , 
poiu*  réparer  les  maux  de  la  guerre  et  couvrir 
les  vestiges  de  la  destruction  par  des  créations 
nonvelles.  Déjà  Henri  IV  avait  donné  la  paix  au  iSgS. 
royaume.  Ce  prince  avait  la  passion  du  bien  pu- . 
blic.  Son  cœur  sensible  et  bienfaisant  volait  à  la 
rencontre  de  toutes  les  idées  utiles  à  ses  peu- 
ples. Mais  il  avait  besoin  d'un  homme  assez 
éclairé  pour  voir  le  bien  ,  et  assez  ferme  pour 
le  faire.  Il  eut  le  bonheur  de  le  trouver ,  le  ta- 
lent de  le  deviner ,  et  assez  de  vertu  pour  se 
servir  de  lui.  Cet  homme  était  Sully. 

Maximilien  de  Béthune,  baron  de  Kosny ,  qui 
fut  dans  la  suite  duc  de  Sully,  était  né  à  Rosny.  i56o. 
Sa  naissance  coïncide  presque  avec  celle  des 
guerres  civiles.  Les  malheurs  de  la  France  com- 
mencèrent, et  à  la  même  époque,  parut  celui 
.  qui  devait  les  guérir  et  les  faire  oublier.  Il  fut 
sur  le  point  d'être  victime  du  fanatisme  de  la 


DiailizodbvGoOgle 


4lO  PARTIE     I. PÉRIODE     IV, 

SaUit-Barthélemi.  Il  s'attacha  au  roi  de  Navarre 
depuis  le  moment  où  ce  prince  rompit  les  liens 
dans  lesquels  Catherine  de  Médicis  le  tenait  em- 
barrassé. Partageant  sa'  bonne  et  sa  mauvaise 
fortune ,  il  s'était  entièrement  associé  à  ses  des- 
tinées, et  n'avait  presque  plus  quitté  sa  per- 
sonne. Brave  sans  témérité,  prudent  sans  fai- 
blesse ,  économe  de  son  bien ,  afin  de  se  ménager 
les  moyens  d'être  libéral ,  il  avait  servi  son  maî- 
tre de  son  bras,  de  sa  tète  et  de  sa  fortune, 
dans  le  temps  où  ce  prince  combattait  pour  son 
trône ,  et  se  voyait  dans  la  cruelle  nécessité  de 
conquérir  ses  propres  états.  Henri  avait  reconnu 
dans  ce  jeune  homme  un  esprit  juste ,  un  juge- 
ment sain  et  une  ame  ferme;  il  savait  que  Ros- 
ny  avait  peu  de  besoins  et  beaucoup  d'activité; 
qu'il  mettait  de  l'ordre  dans  ses  affaires,  au  mi- 
lieu du  désordre  général  ;  qu'il  était  sévère  pour 
lui-même  et  pour  les  autres ,  et  qu'il  lui  était 
sincèrement  attaché.  Devenu  roi  de  France,  il 
le  récompensa  d'une  manière  digne  de  lui,  en 
lui  imposant  de  nouveaux  devoirs,  et  lui  ou- 
vrant une  carrière  où  il  pouvait  être  utile  à  sa 
patrie.  Sully  parvenu  au  ministère  des  finances, 
y  déploya  toutes  les  grandes  qualités  dont  il  re- 
celait le  germe;  son  génie  et  sa  vertu  se  tiou- 
vèrent  au  niveau  d'une  place  toujours  di£Scile, 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XXV.  qi  t 

et  qui  l'était  surtout  dans  ces  circonstances  criti- 
ques. Son  esprit  savait  s'élever  en  administration 
à  des  principes  fixes  et  généraux ,  sans  lesquels 
la  connaissance  des  détails  devient  un  véritable 
dédale ,  où  l'on  marche  au  hasard  ;  mais  il  s'en- 
gageait avec  courage  dans  l'étude  et  la  recherche 
des  détails,  dont  la  privation  fait  que  l'on  se 
trompe  toujours  dans  l'appUcation  des  principes. 
Infatigable  au  travail,  il  trouvait  du  temps  pour 
tout,  parce  que  ses  occupations  étaient  réglées, 
et  qu'il  ne  connaissait  ni  les  passions  ni  les  plai- 
sirs. Appelé  à  vivre  dès  sa  jeunesse  au  milieu 
des  hommes ,  et  à  les  voir  dans  les  orages  des 
factions ,  où  ils  quittent  leur  masque ,  il  les  ai- 
mait assez  pour  Les  servir ,  mais  il  les  connais- 
sait trop  pour  les  estimer  facilement ,  et  il  ne 
prodiguait  pas  sa  confiance.  Nourri  dans  les 
camps ,  élevé  au  sein  des  armées ,  il  y  avait  pris 
le  goût  d'une  éloquence  nerveuse  et  serrée ,  et 
l'habitude  d'une  marche  franche  et  libre ,  de 
mesures  prononcées  et  expéditives.  Lié  par  le 
sang  à  ce  qu'il  y  avait  de  plus  illustre  en  France, 
et  distingué  dans  la  carrière  des  armes,  il  se 
servait  de  l'ascendant  de  la  naissance  et  de,  sa 
réputation  de  bravoure  pour  appuyer  dans  les 
affaires  le  langage  de  la  raison ,  et  pour  se  faire 
pardonner  des  vérités  dures.  Jamais  il  ne  sépa- 


DiailizodbvGoOgle 


4i:t  PARTIE     1.  PÉRIODE    IV, 

rait,  nt  dans  son  esprit  ni  dans  son  cœur,  la 
cause  du  roi  des  intérêts  de  l'état  ;  il  croyait  la. 
gloire  de  l'un  intimement  attachée  à  la  puis- 
sance et  au  bonheur  de  l'autre;  il, était  l'ami  de 
son  maître,  parce  qu'il  était  citoyen;  et  quauil 
Henri  se  préférait  à  la  France ,  et  voulait  passer 
avant  elle ,  il  trouvait  dans  Sully  autant  de  ré- 
sistance qu'il  y  rencontrait  d'ordinaire  de  dé- 
vouement. Religieux  sans  fanatisme,  tolérant 
sans  indifféreuce ,  vertueut  par  principes,  il  y 
a  eu  peu  d'ames  humaines  sur  qui  ta  sainte  idée 
du  devoir  ait  eu  plus  d'empire  que  sur  la  sienne  ; 
sa  mâle  et  rigide  vertu  brisait  tous  les  obstacles 
que  lui  opposaient  les  passions ,  et  ne  fléchissait 
jamais.  Sa  fierté  ne  s'abaissait  pas  à  l'intrigue , 
repoussait  et  refusait  la  flatterie.  Plus  jaloux  de 
l'honneur  de  Henri  que  de  sa  faveur,  et  plus 
.  empressé  de  lui  être  utile  que  de  lui  plaire ,  il 
ne  le  ménageait  pas  plus  qu'un  autre;  il  con* 
naissait  de  plus  grands  malheurs  que  la  dis- 
grâce, et  fut  toiijours  digne  de  sa  place,  parce 
qu'il  ne  craignait  pas  avant  tout  de  la  perdre. 
Pendant  tout  son  ministère,  il  n'eut  en  vue- 
qu'un  seul  objet ,  la  prospérité  de  la  France. 
Sa  table  était  frugale,  sa  maison  opulente  mais 
simple;  ses  délassements  consistaient  dans  ses 
relations  ,domestiqueii.  Sa  franchise  ressemblait 


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CHAPITRE    XXV.  4(3 

quelquefois  à  la  rudesse ,  sa  fermeté  à  la  roi- 
deur,  sa  justice  à  la  dureté.,  et  la  conscience 
qu'il  avait  de'  sa  vertu  à  l'orgueil;  mais  ces  dé- 
fauts tenaient  à  Ténei^e  même  de  son  carac- 
lère ,  et  la  force  de  la  volonté  fut  le  Irait  distinctif 
de  l'ame  de  Snlly  et  la  source  de  sa  grandeur. 
Pour  bien  apprécier  ses  principes  d'économie 
politique  et  les  services  qu'il  a  rendus  à  la 
France,  il  faut  se  faire  une  juste  idée  de  l'état 
dans  lequel  il  trouva  les  finances ,  et  des  diffi- 
cultés de  tout  genre  qu'il  eut  à  vaincre.  Les 
dettes  montaient  à  trois  cent  trente  millions  de 
livres ,  ce  qui  ferait  aujourd'hui  à  peu  près  huit 
cents  millions.  Ces  dettes,  contractées  à  des  con- 
ditions très-onéreuses,  devaient,  suivant  les  ma- 
.  ximes  erronées  qu'on  suivait  à  cette  époque 
dans  les  emprunts ,  être  remboursées  à  des  ter- 
mes fixes  ;  et,  bien  loin  d'avoir  les  moyens  de 
rendre  le  capital  aux  préteurs ,  on  ne  savait  pas 
même  comment  acquitter  régulièrement  les  in- 
térêts. Il  n'entrait  dans  les  caisses  du  roi  que 
trente  millions  de  livres,  et  les  contribuables  en 
payaient  annuellement  cent  cinquante.  Cet  or- 
dre de  choses,  qui  appauvrissait  en  même  temps 
les  particuliers  et  l'état,  tenait  au  mode  de  per- 
ception ,  à  l'avidité  de  tous  les  employés  de  la 
finance ,  et  à  la  métho<1e  qu'on  suivait  pour  sa- 


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4l4  PARTIE     I,  P^RIOUE     IV, 

tisfaire  les  créanciers  du  6sc.  Les  impôts  n'étaient 
pas  en  régie ,  mais  en  ferme.  Les  fermiers  géné- 
raux avaient  leurs  fermiers  particuliers,  à  qui 
ils  abandonnaient  une  partie  de  leurs  droits; 
ceux-ci  en  avaient  d'autres  à  leur  tour.  Âûn  que 
tous  les  intermédiaires  trouvassent  leur  profit 
à  ces  opérations ,  les  derniers  pesaient  sur  le 
pauvre  peuple,  et  l'obligeaient  à  payer  le  qua- 
druple de  ce  qu'ils  avaient  droit  d'exiger  de  lui. 
Au  sortir  des  guerres  civiles ,  le  roi  s'était  vu 
dans  la  nécessité  de  marchander  la  soumission 
des  gouverneurs  des  provinces ,  et  l'obéissance 
de  tous  les  personnages  considérables  par  leur 
naissance,  leurs  richesses  et  leurs  services.  Obligé 
d'acheter  la  fidélité  de  ses  sujets ,  il  avait  sacri- 
fié la  somme  de  trente-deux  millions  pour  ra- 
mener les  réfractaires  à  leur  devoir.  Il  avait  eu 
la  faiblesse  de  leur  permettre  de  se  payer  de 
leurs  propres  mains,  et  de  lever  sur  les  pro- 
vinces des  droits  qui  leur  rapportaient  le  double 
et  le  triple  de  ce  qui  leur  revenait.  On  s'était 
même  arrangé  de  cette  manière  avec  plusieurs 
souverains  étrangers;  et  la  France  entière  se 
trouvait  à  peu  près  engagée  aux  créanciers  de 
l'état. 

Les  impôts,  mal  assis  et  mal  répartis,  n'é- 
taient proportionnés  ni  à  la  fortune  ni  aux  jouis* 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITR  B     XXV.  '  4l5 

sauces  des  individus  ;  la  taille  et  la  gabelle  for- 
maient les-  deux  sources  principales  du  revenu 
public.  La  tailie  était  excessive;  elle  frappait  le 
sol  de  stérilité,  en  ôtant  au  laboureur  la  vo- 
lonté et  les  moyens  de  perfectionner  la  culture 
des  terres.  La  gabelle  portait  sur  un  objet  de 
nécessité  première,  et  exigeait  une  surveillance 
continuelle,  parce  que  les  contribuables  tra- 
vaillaient sans  cesse  à  se  soustraire  à  un  impôt 
aussi  onéreux.  Des  essaims  de  commis,  de  trai- 
tants et  d'agents  mettaient  tout  leur  art  à  trom- 
per l'état  impunément,  et  s'entendaient  entre 
eux  pour  couvrir  leurs  dilapidations.  On  ne 
dressait  point  d'état  annuel  de  la  recette  et  de 
la  dépense,  et  il  n'y  avait  point  d'ordre  dans  ta 
comptabilité,  point  de  contrôle  sévère  sur  l'em- 
ploi  fidèle  des  deniers  publics.  Aussi  l'aident 
manquait  pour  toutes  les  entreprises  utiles,  et 
même  pour  les  objets  de  première  nécessité. 
Les  troupes,  quoique  peu  nombreuses,  ne  re- 
cevaient pas  le  prêt  exactement,  et  se  dédom- 
mageaient aux  dépens  des  campagnes  ;  les  arse- 
naux étaient  vides;  la  marine  n'existait  pas;  les 
bâtiments  publics  tombaient  en  ruines;  le  roi 
lui-même  ne  pouvait  pas  entretenir  sa  maison , 
et  se  trouvait  réduit  à  mendier  les  secours  des 
traitants,  qui  le  volaient.  Nous  avons  vu  que 


DiailizodbvGoOgle 


4l6  PARTIE    1. PÉRIODE    IV. 

l'agriculture,  l'industrie  et  le  commerce  ne  pro- 
duisaient aucune  valeur  nouvelle,  faute  de  ca- 
pitaux, de  confiance,  de  bras  et  de  sûreté.  Bien 
loin  de  vivifier  ces  principes  de  richesses  répa- 
rateurs des  maux  de  l'état,  on  travaillait  à  leur 
àter  toute  activité.  I^s  guerres  civiles  avaient 
donné  aux  esprits  des  habitudes  d'insubordina- 
tion qui  paraissaient  incompatibles  avec  la  re- 
naissance de  l'ordre  ;  le  lien  social  était  partout 
relâché  et  affaibli;  quiconque  était  en  état  de  se 
faire  craindre,  ne  craignait  rien;  et  ce  qu'il  y 
avait  encore  de  force  publique,  ne  paraissait 
exister  que  pour  opprimer  la  faiblesse.  Henri 
voulait  le  rétablissement  des  finances,  de  l'ordre 
et  du  travail;  mais  ses  idées,  en  fait  d'adminis- 
tration, ne  pouvaient  être  que  superficielles;  il 
manquait  sur  cet  objet  de  principes  et  d'expé- 
rience, et  les  vues  du  génie  lui-même  ne  sau- 
raient tenir  lieu  de  la  connaissance  des  faits.  Il 
désirait  sincèrement  que  chaque  paysan  eût  ta 
poule  au  pot  le  dimanche,  mais  il  ignorait  les 
moyens  de  réaliser  ce  mot  heureux ,  qui  ex- 
prime avec  tant  de  simplicité  le  grand  œuvre 
du  gouvernement.  Plus  sensible  que  ferme,  il 
ne  savait  rien  refuser  aux  besoins  et  aux  pas- 
sions des  individus;  sa  bonté  était  souvent  celle 
d'un,  particulier  aimable,  et  non  celle  d'un  rui 


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CHAPITRE    XXV.  4'7 

qui  doit  vouloir  le  bonhenr  généra)  et  ne  Toii> 
le  bien  des  individus  que  dans  celui  de  toute  la 
nation.  Les  femmes  qu'il  aimait,  et  les  grands 
qu'il  redoutait,  pouvaient  facilement  ëgaferson 
impétuosité  naturelle,  lui  donner  le  change  sur 
les  projets  les  plus  utiles,  et  lui  montrer  des 
abus  d'autorité  dans  les  mesures  vigoureuses 
qui  devaient  les  faire  desser  pour  toujours. 

Tel  était  l'état  de  la  France,  lorsque  SuUy  eut 
le  courage  de  se  charger  de  l'administration, 
sans  être  effrayé  des  obstacles  nombreux  que 
lui  préparaient  les  choses  et  les  personiies.  La 
mardie  qu'il  suivit  dans  cette  grande  entreprise 
ne  fut  ni  compliquée,  ni  oblique,  ni  timide; 
elle  allait  au  but;  elle  fut  simple,  droite,  et 
ferme,  comme  son  caractère. 

L'essentiel  dans  les  opérations  de  ce  genre 
est  de  savoir  ce  qui  existe,  pour  juger  de  ce 
qui  peut  et  doit  se  flaire.  Il  Ëillait  commencer 
par  acquérir  une  connaissance  exacte  et  appro- 
fondie du  désordre  oi^anisé  qui  portait  le  titre 
d'administration.  Sully  parcourut  toutes  les  gé- 
néralités du  royaume  pour  se  Êiire  une  juste 
idée  de  leurs  besoins  et  de  leurs  ressources.  Il 
interrogea  le  sol ,  le  climat,  la  position ,  afin  de 
déterminer  te  genre  d'industrie  qui  convenait  k 
chaque  province ,  et  d'apprécier  la  nature  et  la 
a  a? 


DiailizodbvGoOgle 


4i8  PARTIE  I.  —  pimoDE  rv. 

({uotité  (tes  impositteD»  qu'elle  pouvait  suppor- 
ter sans  iuoonvénicnt.  Mal^é  la  mawraise  vo- 
lonté (les  intéressés,  il  se  fit  donner  tous  les 
papiws  pelâtes,  aux  iinlni(xs,  et  parvint  à  porter 
kt  lumière  dans  ce  chaos.  Faisant  un  dépouille- 
Bitot  laborieux  de  tous  les  registres,  il  dévoila 
les  noeft  de  gestion,  les  fourbenes  secrètes  et 
déguisées,  les  erreurs  ^  les  né^igences  ht»- 
loises  dont  les  ofi&ciers  du  roi  s'étaient  rendus 
coupables.  l>e  retour  à  Pans,  il  commença  ses 
réformes.  Les  baux  que  les  fermiers  avaient 
multipliés  à  l'infini,  sans  Fautorisation  du  gmi- 
vemement,  fiirent  cassés.  L'état  de  toutes  les 
créances  et  de  toutes  les  pensions  fut  revu;  on 
n'abandonna  plus  une  partie  des  revenus  pu- 
blics à  ceux  qui  avaient  de  justes  prétentions  k 
Ibnner,  mais  ils  furent  assignés  sur  le  trésor 
public.  Le  nombre  des  agents  et  des  emplojrés 
subadternes  fat  consid^^blement  diminué.  On 
créa  des  formes  fixes  et  déterminées,  pour  ac- 
cuser Içt  recettes  et  justifier  les  dépenses.  Tous 
les  ans  on  dressa  des  tableaux  comparatifs  des 
unes  et  des  autres.  Sully,  retranchant  sans  [ùtié 
et  sans  ménagement  toutes  les  brandies  para- 
sites, se  trouva  riche  pour  les  objets  utiles.  Les 
revenus  de  l'état  n'allèrent  plus  se  rendre  dans 
lés  eaÎBBes  des  particuliers;  le  versement  se  fit 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXV.  4'9 

d'une  manière  plus  directe  et  plus  sûre  dans  le 
trésor  du  souverain.  Hon-aeulement  le  mode  de 
perception  fut  simplifié;  mais  il  partagea  si  bien 
le  travail,  que  les  employés,  divisés  d'intérêt, 
exercèrent  une  «irveillance  sévère  les  uns  sur 
les  autres.  L4ii-méme  se  multipliait  pour  faire 
face  aux  affaires.  Dans  les  premières  années  de 
son  ministère,  il  s'assujettit  à  écrire  tout  lui- 
même,  afin  de  s'instruire  des  détails  et  de  ne 
pas  être  trompé  par  ses  secrétaires.  Il  ne  poti- 
vait  sans  doute  tout  examiner  lui-même,  mais 
il  contenait  tout  le  monde  dans  les  limites  du 
devoir  par  la  seule  idée  de  son  activité,  qui 
d'un  moment  à  l'autre  se  portait  sur  les  objets 
les  plus  différents.  On  redoutait  son  œil  péné- 
trant; on  connaissait  son  inflexible  justice;  et 
bientôt  la  machine  de  t'administrationv  tour- 
nant.sur  les  deux  pivots  de  l'ordre  et  de  l'éco- 
nomie, eut  un  jeu  libre  et  assuré. 

Ces  travaux  étaient  nécessaires  pour  sauver 
t'état  et  assurer  sa  subsistance  ;  mais  ils  ne  de-' 
mandaient  qu'une  probité  scrupuleuse,  une  vo- 
lonté droite,  une  activité  soutenue,  des  mesures 
sages  et  yigouk-euses.  Sully  n'était  pas  fiait  pour 
fi'arrêtra  au  milieu  de  la  route  ;  il  voulait  créer 
ia  richesse  de  l'état  en  créant  la  richesse  natio- 
nale. 1)  remit  au  peuple  vingt  millions  de  tailles 
'     27. 


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4aO  PARTIE    I. P^BIODE    IV. 

danft  une  année,  et  répartit  cette  chai^  avec 
plus  d'équité  entre  les  contribuables;  l'impôt 
sur  le  sel,  ayant  été  diminué,  devint  productif. 
Le  ministre  encouragea  le  travail  ;  c'était  en  mul- 
tipliant les  productions  et  en  facilitant  la  circu- 
lation des  naarcbandises ,  qu'il  voulait  accroître 
les  revenus  du  n».  Plus  un  peuple  travaille 
avec  succès ,  plus  il  vend  avec  profit  à  l'étran- 
ger, plus  il  achète  de  lui  d'objets  de  jouissances; 
et,  à  raison  de  son  bien-être  et  de  ses  jouissances, 
il  est  plus  di^osé  et  plus  capable  de  contribuer 
aux  charges  publiques. 

Quand  le  mouvement  «st  une  fms  imprimé  à 
une  nation  par  le  bestûn,  les  circonstances,  ou 
parx|uelques  hommes  d'élite,  et  que  toutes  les 
forces  sont  sorties  de  leur  léthai^e,  il  n'est  plus 
nécessaire  que  le  gouvernement  agisse  directe- 
ment pour  multiplier  les  valeurs  ;  U  doit  peut- 
être  se  contenter  d'une  action  négative,  proté* 
ger  les  particuliers  et  les  laisser  faire.  Qu'il 
débarrasse  4a  liberté  d'industrie  de  toutes  les 
«ntraves  qui  ne  sont  pas  commandées  par  l'in- 
térêt général;  qu'il  assure  à  tous  les  individus 
la  paisible  possession  des  fruits  de  leurs  entre- 
prises; qu'il  les  fasse  jouir,  sous  son  égide  tuté- 
laire,  de  la  plus  grande  liberté  possible;  et  ils 
n'auront  besoin  ni  de  ses  encouragements  ni  de 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XXT.  ^il 

ses  seoours.  L'espérance  d'un  profit  certain  et 
d'un  plus  grand  bien-être  sera  le  ressort  de  l'ac- 
tivité générale  ;  la  richesse  enfantera  la  richease. 
et  le  peuple  s'élèvera  gradudlem^it  auj^us 
haut  degré  d'opulence  et  de  développement. 

Au  contraire,  lorsqu'un  pays' n'est  pas  encore 
sorti  de  l'enfiaace,  et  que  le  génie  de  ses  habi- 
tants ne  s'est  pas  aperçu  de  ses  re^ourees ,  ou 
lorsque  -des  circonstances  désastreuses  ,  après 
'  avoir  détruit  l'ouvrage  des  siècles,  l'ont  replacé 
dans  une  espèce  de  barbarie  ,  il  faut  que  le  gou-^ 
vemement  prépare  et  élève  ce  peuple  à  la  li- 
berté de  l'industrie  et  du  commerce,  et  avant 
de  l'émanciper,  lui  apprenne  à  se 'passer  de  tu- 
telle. On  doit  alors  éclairer  l'ignorance ,  enharr 
dir  la  timidité,  inarquer  le  but,  et  dessiner  la 
route  à  l'inexpérience  qui  s'essaie  dans  une.  car- 
rière nouvelle.  Alors  des  encotuagements  et  de» 
avances,  ou  des  récompense  dispensées  à  pto- 
pos,'  développeront  les- premiers  germes  du  tra- 
vail et  de  l'industrie.  La  simple  protection -so^it 
insuffisante;  l'état  des  choses  demande  une  ac<- 
tion. directe,  positive  et  continuelle.. 

Telle  était,  à  là  paix  'de.Vénviiiis,.bi  sitoatioup  i5gS. 
la  France.  Tout  j-  avait  péri;  ïLiallait  tout'&ire 
reilaître.  Â  la  vérité,  le^  malheur  même  des 
temps  pouvait  donner  des  espérances  de  suc- 


DiailizodbvGoOgle 


4l!l  PABTIE    I. pimODE    IV. 

ces  :  les  écrits  étaient  Êitigués  des  troubles 
civils;  cependant  ils  avaient  pria  au  sein  des 
orages  l'habitude  de  l'activité;  ils  sentaient  le 
besoin  de  mouvenient,  et  Ton  pouvait  se  flatter 
que  la  paix  les  portn^t  sur  des  objets  utiles. 
La  guerre  avait  considérablement  diminué  la 
population;  mais.ce  décbet  même,  facilitant  aux 
pères  l'entretien  de  leur  famille,  devait  aug- 
menter les  naiasïmces  dans  des  proportions  plus 
qu'ordinaires.  Durant  les  guerres  civiles  on  avait 
détruit  beaucoup  d'objets  d'agrément  et  de 
liixe;  les  demandes  fréquentes  qu'on  allait  en 
faire ,  devaient  réveiller  les  arts  et  les  encoura- 
ger à  la  reproduction.  Mais  quelque  favorables 
que  ces  circonstances  fussent  à  la  renaissance 
du  travail,  il  fallait  le  génie  et  l'activité  de  SnUj 
po<ur  en  profiter,  et  les  fan%  servir  aux  progrès 
de  la  richesse  nationale. 

L'agriculture  attira  principalement  son  atten- 
tion et  ses  soins;  il  la  protégea  préfërableoient 
aux  arts  qui  augmentent  la  valeur  des  matières, 
en  leur  donnant  des  formes i nouvelles,  et  au 
commerce^  qui  produit  le  même  effet,  en  trans- 
portant les  marcbandises  d'un  lieu  dans  un 
autre  et  eh  acc^érant  leur  circulation.  Ce  ne 
fut  pas  la  maladie  des  systèmes  ni  la  manie  d'un 
principe  exclu^f  qui  firent  regarder  à  Sully  la 


DiailizodbvGoOglf 


CHAPITRE.  XXV..t  4^3 

cuItuR.  des  tarres  oomae  la  |HÎadp&le  sourd* 
fie  la  richeesede  la  France;  es  Êu-tatides  idées 
simples  et  saincâ,  qui  kû  étaieat  suggérées  par 
im  *boa  sens  exquis ,  et  que  ki  nature  eUc-mên^ 
llovitait  à.  suivre.  Il  fout  aux  artfdes  inatime^ 
[Nvmières  pour  les  élaborer,  au  comioeroe  des 
objets,  d^'éabange-i  l'agiicultuTe  les  fournit.  Ce 
^«ire  de-  tiavsil.est  le  mraiH  espbsé  aux  Tuna^ 
tions;  a  consora  toujtMirs  son  prix,. parce  qu'il 
eonaerTe  toujours  sa.  nécessité  ,  et  .c'est  ntrânè  le 
plus  ou  le.  moioK  de  cbertâde  aca  produits  qui 
règle  te  prix  de  la  main  d'œuvre  etdelou»  les 
genres  d'ÛMiustrie.  C'est  par  l'a^cnltufe  ifup 
Sully  commence,  et  il  fxott,:a.vec.i3ison»  que 
les  pn^rès  de  od,te  branche  de.  ridusses  antè* 
lieront  ceux  de  l'iodustrie  et  dnrcfUDmencé'^il 
ne  Teut  pJas  interrertir  la  marcbe  de  ia  naodrdî 
il  veut  la  suivre;  «lis  culture  .des.jchamps^'  de 
la  vigne,  des  oliviers,  ramélicratioD  des  £cHtèCst 
r^ueatian  de  toutes  les.  espèces  -de  .bétail  I,  -et 
surtout  celle  des  mouton»,. dewicaBeai  les  àb*- 
jets  lavons  de  ses  méditations-  et  de««»  tranvu. 
]>  labour  et  le  pitunage ,  disùt-il,  soiot  lea  dcuot 
nMmelles  de  l'ét^.  .      '  ,  :i 

Fidèle  i  ces  pnDC)pi»ii«,tI  {Nmolvpiflt.Ie.premite'- 
cn  France,  la  libre «pcwtatMtii  deH,grBiin9«.IlMtt 
que  plus  les  débouchés  sont  faciles  «t  iwfqbnwii, 


=dbvGooglc 


4^4  PARTI»'  I. — ■PÉBIODE     IV. 

plnS'la  ciriture alimente,  etquepour-fixerdans 
le  royaume  l'abondance ,  il  vaut  mieux  produire 
beaucoup  et-  exporter  beuicoup,  que  de  pro- 
duire peu  et  oe  heR-:ekporter>  Les  habitants 
des  oontrée»  qui  vivent  de  l'éducation  du  bétail, 
peuveuty  en<vertu  deses  sages  règlements,  ache- 
ter le  sel'à  bas  prix,  etn'ayant  plus  besoin  de 
réporgnes ,  ils  -n'eu  seixinc  plus  aivares  pour  tes 
troupeaux.  .Bien  loin  -d'iattirer  de  liches  proprié- 
taires à  ta  cour,  et  de  1»  rendre  étrangers  à  leurs 
teireft  et  à  leurs  vassaux,  il  engage  Henri  a  té- 
mbigneir  ^de  l'indilTéFenoe  aux  gentilshommes 
tfà  viennent  étaler  àî  Paris  uq  luxe  stérile,  au 
lieu  de  rendre  au  .slol  qui  les  nourrit  une  partie 
des  irichjeaflès.  qu'ils  en  tirent.  Bien  loin  de  mul- 
tiplier le'<nombire  des  serviteurs  oisife  du  luxe , 
il'drame  à  cet  égard  l'exemple  de  la  plus  grande 
sbnpliçité,  xlkninue  le  nombre  de  ceux  qui  vi- 
veBt'Sàn&peodaire,  les.renvoieià  la  charme  ,  et 
les  force  à  lin  travail  utile.  En  général,  le  tra- 
vail est  à' ses' jréiix  le  principe  de  la  richesee  pu- 
blique,-et"surtout  le  régulateur  de^  mœurs  na- 
tioi^alesl.  I>ans-ses  vues  éclairée»  et  bienjàisantes, 
il  voudrait  ameuer  en  France  tm  éta^  de  c^ioses 
où^av^c  ue'taravailàbsida,, 'Chacun'  fôt  sûr- de 
tHniier'fBÏwiloe,<<etfi4iii,  -Baos  travail,  on  ne 
tfdovâl'pas  même'  le  nécessaire.      '     ' 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXV.  4^5 

EtiDemi  du  luxe,  par  caractère  encore  plus 
que  par  principes,  il  aurait  voulu  le  baonir  dé 
la  France.  Peut-être  lui  reprochera-t-on  de  n'a- 
voir pas  vu  que  les  peuples  ne  produisent  qu'à 
raison  dé  leurs  besoins  et  des  plaisirs  qu'ils  goû- 
tent ou  qu'ils  espèrent,  et  qu'en  leur  présentant 
de  nouveaux  objets  de  jouissances,  on  augmente 
leur  activité ,  et  par  oMiséquent  la  ricbesse.  Mus 
il  avait  des  mœurs:  sévères;  il  croyait  que:les 
vertus  publiques  sont  les  garants  de  la  puissance 
et  du  bonheur  de?  nations ,  que  la  vertii  n'existe 
pas  sans  la  simplicité,  et,  fidèle  aux  maximes  des 
anciens,  il  plaçait  la  -nuu'alité  dans  la  jnodéna-  ^ 
tio«  et  dans  l'abstinence.  Ce  fut  conformément 
à  ces  idées,  qu'il  vit  à  regret  Henri  IV  encou- 
rager la  culture  du  mûrier  et  le  planter  même 
dans  ses  jardins,. et' qu'il  s'opposa  inutilement  à 
la  création  des  manufactures  fie  soie,  d'étoffes 
d'or  et.  d'argent,  qu'on  établit  à  Lyon.  Une  pré- 
voyait pas  qu'îles.,  sellaient. <un  jour  une  des 
sources  principales  de  la  .richesse. de. la  France. 
'  Peut-être  aussi  pensait-il  que  le  moment  de.tiul- 
ti<T«c.cette  branche  d'induetrieu'étaJt.pas.encDre 
arrivé,  et  voulait-il  moinsla  proswire  qpe  i'a^ 
journer  à  d'autres  teoaps.  •     :    '     .  -      .    '   S 

On  ne  doit  pas  s'^tenoar:  qu'il  ait  «Qnfoodif 
la  richesse  qtii' ne. consiste  .que:  dan»  t'e&cédaut 


DiailizodbvGoOgle 


4at>  P&HTiE    I. P^ftlODE    IV. 

annuel  du  travail  sur  La  coiuominatitm,  Avec 
l'aident  qui  en  est  le  signe  ou  plutôt  le  véhi- 
cule. Cette  erreur,  encore  aujourd'hui  trop  cooi' 
nume,  était  plus  pardonnable  de  son  temps. 
Il  défendit  l'exportation  de  l'or  et  de  l'ai^^it , 
sans  songer  qu'une  nation  doit  payer  sei  dettes, 
et  que  si  elle  achète  plus  qu'elle  ne  vend,  il 
est  tout  simple  qu'elle  paie  son  solde  en  numé' 
raire.  Pour  empêcher  la  sortie  des  espèces,  il 
dimiouala  valeur  intrinsèque  des  monnaies;  et, 
sans  atteindre  son  but,  il  nuisit 'ui  commerce 
extérieur  de  la  France.  L'intérêt  légal  était  très- 
considérable  ;  il  le  baissa ,  dans  l'idée  de  favoriser 
le  laboureur  par  cette  mesure.  Mais  le  prêt  à 
intérêt  est  un  de  ces  objets  qu'il  faut  aban- 
donner à  eux-mêmes  ;  le  législateur  ne  saurait 
fixer  la  ligne  de  démarcation  entre  le  prêt  à 
intérêt  et  l'usure,  que  d'une  manière  arbitraire; 
au  lieu-  que  la  force  des  choses  tend  toujours  à 
conserver  ou  à  rétablir  l'équilibre  entre  les  cobt 
ditions  du  préteur  et  les  profits  de  celui  qui 
emprunte. 

Sully  paya  peut-être  à  cet  égard  tribut  à  son 
siècle }  mais  il  se  montra  supérieur  i  lui ,  en 
débarrassant  le  commerce  des  oitraves  mnlti- 
pliéei  que  des  courtisant  avides  Toukient  y  met- 
tre. Un  Jour  il  ranvoya  à  Henri  vingt-cinq  édits 


DiailizodbvGoOgle 


CMAPlTaB    XXV.  4^7     ' 

qui  tendaient  tous  à  g^er  la  circulation  des 
mardiaudises,  «n  les  chargeant  de  droits  maltir 
plies.  Dans  ses  idées,  l'impôt  n'était  que  la  mise 
que  chaque  individu  apporte  dans  ta  société  ci- 
vile, pour  avoir  part  à  ses  bienfaits;  elle  doit 
être  prt^rtionnée  aux  avantages  qu'il  en  tetire* 
à  sa  fortune  eit  à  ses  jouisisances;  surtout  «Ile 
doit  être  prise  sur  ses  profits  ;  mais  elle  ne  doit 
pas  entraver  son  activité,  qui  seule  peut  renri-r 
chir,  ni  entreprendre  sur  son  indu^rie  qu'il 
place,  CD  payant  l'impôt,  sous  la  sauvegarde 
du  gouvernement. 

'  Après  dix  années  de  travaux  et  d'opératioj);, 
toutes  dictées  par  l'amour  du  bien  public ,  et 
dont  la  plupart  le  fuient  par  la  sagesse  «  Sully 
recueillit  le  &uit  de  ses  peines  :  la  France  ^  qui 
n«  se  reconnaissait  pas  ell&-inème,  fut  étonnée 
de  ses  progrès)^  Les  traces  des  guerres  civiles 
paient  effacées;  l'état  était  riche,  et  donajodait 
moins  aux  particuliers  que  dans  le  temps  où  il 
étût  pauvre  et  obéré.  Les  dettes  étaient  acquit- 
tées; les  créanciers  avaient  consenti, à  des  jrem- 
bonrsements  partiels,  qui  leur  étaient  avantageai 
tout  ep  libérant  l'état.  Les  troupes ,  augmmtées 
et  payées  régulièrement^  maintenaient  Tordxe 
public,  et  n'étaient  [dus  l'effî-oi  des  citoyctit  pal« 
sibles.  Kotnmé  grand-maiti-e  de  l'artillerie,  Sully  1604. 


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438  PARTIE    l.  —  FiHIODE   IV. 

travailla  dans  cette  partie  avec  son  activité  ordi- 
naire, et  bientôt  il  y  eut  ceùt  pièces  de  canon 
dans  l'arsenal,  et  un  approviàonnement  prodi* 
gieax  de  munitions  de  guerre.  I^a  marine  ne  fut 
pas  négligée.  Les  Français ,  ne  faisant  pas  en- 
core le  commerce  des  deux  Indes,  n'avaient  pas 
dans  leurniarine  marchande  une  pépinière  nom- 
breuse de  bons  m&telots.  Mais  l'état  de  la  France, 
à  cette  époque ,  n'exigeait  pas  de  forces  navales 
0-,  considérables.  Les  'pcots  de  l'Océan  Atlantique 
r-  \  n'existaient  pas  encore ,  ou  bien  étaient  peu  fré- 
quentés ;  on  construisit  dans  ceux  de  la  Médi- 
t«prannée  des  galères  destinées  à  protéger  le 
commerce.  Des  routes  commodes  et  sûres  et 
dos  canaux  de  navigation  multipliàrmt  le  tra- 
vail en  multipliant  les  débouchés,  et  au^meu- 
tàrentla  richesse  nationale  en  facilitant  la  cir- 
culation des  marchandises.  Sully/exécuta  le  canal 
de  Briare;  il  fit  réparer  les  grands  chemins;  des 
arbres  plantés  par  ses  ordres ,  et  qui  long-temps 
ont.  conservé  son  nom,  .embcUireotles  routes 
et'  oCfrirent  un  abri  eomniode'  au  voyageur  fati- 
gué. 'lk>ujours  libéral,  .qpand  il  ËtUait  L'être,  il 
savait'-mème  être  magnifique  dans  les  d^enses 
publiques.  Saris -vit.  élever,  au  sein  de.  ses, murs 
des;  bitiments '.Bolides  et^ dessinés,  avec. goût;  le 
l'M  Pont-Neuf,  la  rue  Dau{rfiJae,.une  partie,  des 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XSV.  4^9 

quais  qui  bordent  la  Seine ,  forent  entrepris  et 
exécutés  par  l'ordre  de  Sally ,  qui  avait  joint  k 
toute»  ses  autres  places  celle  de  grand-voyer  et 
de  suriotendant  des  bâtiments.  Ija  galerie  du 
Louvre  fut  commencée.  Lesbienfaits  du  roi  al-  1604. 
lèrent  chercher  et  récompenser  le  savant  Ca- 
saubon.  Inexorable  pour  les  maîtresses  et  les 
courtisans ,  Sully  ne  refusait  rien  aux  plaisirs 
innocents  du  roi,  et  n'épai^ait  rien  de  ce  qui 
pouvait  relever  la  majesté  du  trône.  Au  milieu 
de  ses  vastes  projets,  il  étendit  et  embellit  Fon- 
tainebleau; le  palais  et  les  terrasses  de  Saint- 
Germain  s'élevèrent  par  ses  ordres  et  sous  ses 
yeux. 

Ainsi  les  lumières  de  ce  grand  homme ,  sa  vo- 
lonté forte  et  persévérante ,  son  activité  infati- 
gable ,  secondant  les  intentions  pures  de  son 
maître,  opérèrent  en  peu  de  temps  des  prodiges 
d'administration  qui  régénérèrent  la  France  et 
prouvèrent  ce  que  peuvent  un  roi  et  un  ministre 
éclairés,  avec  l'idée  toute  simple  que  le  but  su- 
prême de  l'état  est  le  bonheur  du  peuple,  et  que 
le  gouvernement  n'est  que  le  grand  moyen  de 
l'ordre  et  de  la  félicité  publique.  Les  formes 
monardiiques  le  secondèrent  puissamment.  Il 
n'y  en  a  point  de  plus  favorables  à  une  action 
prompte  et  rapide ,  qui  du  centre  s'étende  à  tous 


DiailizodbvGoOgle 


43o  PARTIE    I. PÉRIODE    IV. 

les  points  de  la  ciroonférence;  elles  n'empêchent 
pas  toujours  le  mat,  mais  avec  elles,  un  prince 
et  an  ministre  qui  veulent  et  voient  le  bien  ,  le 
font  avec  plus  de  facilité;  les  ressorts  sont  con- 
centrés ,  l'action  est  une ,  la  marche  du  gouvn^ 
nement  n'est  pas  compliquée  par  la  multiplioté 
des  rouages,  ni  embarrassée  par  les  résistances. 
On  s'étonne  d'autant  plus  de  tout  ce  que  Sully 
a  pensé,  exécuté,  écrit  en  fait  d'administration, 
que  ses  travatix  dans  le  ministàre  n'tHit  été 
qu'une  partie  de  sa  tâche,  et  que  son  temps 
était  partagé  entre  des  occttpatioos  d'un  genre 
bien  différent.  Comme  il  avait  toute  la  confiance 
de  son  maître  ,  Henri  le  consultait  sur  tous  les 
objets,  versait  dans  son  sein  ses  chagrins  et  ses 
inquiétudes,  et  le  chargeait  de  toutes  les  afEiires 
épineuses.  C'était, lui  qui  empêchait  le  roi  de 
satisfaire  l'avidité  etl'ambition  de  ses  maîtresses; 
la  duchesse  de  Beaufbrt  le  trouvait  toc^'ou}^  sur 
son  chemin,  et  il  déjouait  todtes  ses  intrigues. 
Sans  lai ,  l'adroite  marquise  de  Yemeuil  anrait 
épousé  Henri  IV.  Ce  fut  lui  qui  négocia  le  ma- 
riage du  roi  avec  Marie  de  Médicis ,  fille  de  Fran- 
çois de  Médicis,  duc  de  Toscane;  il  crut  voir 
daus  cette  union  te  bien  du  royaume,  mais 
Henri  n'y  trouva  pas  le  bonheur.  Marie ,  pins 
spirituelle  que  sensible,  jalouse  sans  amour, 


DiailizodbvGoOglc 


CHLPITHE    XXV.  ^Zl 

dénuée  de  douceur  et  de  gaieté,  n'était  p^s  &ite 
pour  fixer  Henri  au  sein  des  relations  domes- 
tiques, où  ce  bon  prince  anrait  aimé  à  vivre,  et 
dont  il  était  fait  pour  sentir  te  cbarnie  et  le  prix. 
Henri,  éloigné  par  sa  froideur  et  sa  gravité, 
cherchait  ailleurs  des  consolatioQS  ;  elle  lui  re- 
prochait ses  torts  avec  aigreur;  les  querelles 
s'envenimaient  et  se  multipliaient.  Sully  était 
sans  cesse  occupé  à  les  rapprocher  l'un  de  l'au- 
tre, et  à  pacifier  leurs  différends  ;  il  recomman* 
dait  la  sagesse  au.  roi,  la  douceur  à  la  reine; 
ses  leçons  étaient  souvent  mal  reçues ,  et  plus 
mal  suivies ,  mais  sa  tendresse  pour  Henri  le 
soutenait  dans  cette  position  difficile. 

Également  propre  à  servir  l'état  dans  les 
camps  et  dans  le  cabinet,  Sully  fut  changé  de  1600. 
la  guerre  contre  Charles  Emmanuel,  duc  de 
Savcne.  Ce  prince  ayant  refusé  de  rendre  k  la 
France  le  marquisat  de  Saluées,  Henri  prit  le 
parti  de  l'y  contraindre,  et  de  lui  &ire  sentir  sa 
puissance.  Ce  ftit  une  guerre  de  si^és.  Sully  la 
conduisit  avec  autant  d'activité  qne  d'art.  La 
prise  de  Carbonnîàre  et  de  M(»itmélian,  qui 
passaient  pour  imprenables,  fut  son  ouvrage. 
La  paix  avantageuse  qui  termina  cette  guerre, 
et  procura  la  Bresse  et  te  Bugey  à  la  France,  fut 
encore  due  k  ses  conseils  et  à  son  tal«it  pour 
les  négociations. 


=dbvGoogIf 


43a  PARTIE    I. P^RIOUK     I  T. 

Le  maréchal  de  Birou,  qui  avait  partagé  les 
dangers  et  la  gloire  de  Herni  TV,  et  qu'il  avait 
récompensé  en  souverain  généreux,  conspira 
contre  lui.  Il  avait  été  utile  k  la  bonne  cause; 
mais  en  la  défendant  il  n'avait  fait  que  son  de- 
voir, et  Henri,  qui  ne  comptait  pas  avec  ses  ser- 
viteurs, s'était  acquitté  envers  lui  en  le  comblant 
de  distinctions  et  d'honneurs.  Biron  fut  assez 
ingrat  pour  oublier  les  preuves  qu'il  avait  reçues 
de  la  reconnaissance  de  son  maître.  Cet  homme 
superbe,  d'un  caractère- inquiet  et  ardent,  ivre 
de  sa  réputation,  ne  jugeant  rien  au-dessus  de 
son  mérite  ni  de  ses  espérances,  forma  avec  la 
Savoie  et  l'Espagne  des  relations  intimes  et  se- 
crètes, dont  le  but  était  de  détrôner  Henii,  et 
de  replonger  le'  royaume  dans  les  borreors  de 
la'gueire  civile.^ Philippe  III  et  Charles  Emma- 
nuel avaient  flatté  Biron  de  l'espérance  de  de- 
venir un  souverain  indépendant,  et  de  lui  for- 
mer un  état  des  débris  de  la  France.  La  conju- 
ration fut  découverte  par  un  des  complices. 
Henri  refîisa  long-temps  d'y  ajouter  foi  ;  il  était 
trop  reconnaissant  pour  croire  facilement  à  l'in- 
gratitude. A  la  fin  il  fut  forcé  de  se  rendre  à 
l'évidence.  Le  maréchal  fut  arrêté,  et  conduit  à 
>6o3.  la  Bastille.  Sully,  seul  digne  de  la  confiance  du 
roi,  détourna  le  danger  qui  le  menaçait,  lui  en 


=db.;Goôglc 


CHAPITRE    XXV.*  433 

dévoila  toute  l'étendiie,  provoqua  sa  juste  sévé- 
rité contre  Biron,  et  le  consola  de  cette  ligliein- 


fiientôt  après,  ta  marquise  de  Yerneuil ,  long- 
temps l'objet  de  l'amour  de  Henri,  et  chargée 
de  ses  bienfaits,  ourdit  de  nouvelles-^mes  con- 
tre lui ,.  de  concert  avec  d'Entraigues ,  son  père , 
et  le  comte  d'Auvergne.  Ce  fut  encore  Sully  qui 
surveilla  l'instruction  de  ce  procès;  il  servit 
obligé  de  garder  Henri  de  son  propre  cœur,  et 
de  le  préserver  des  excès  d'une  clémence  dan- 
gereuse, qui  ne  feisait  que  provoquer  de  nou- 
veaux crimes. 

ïjifin  ce  fut  à  lui  que  Henri  confia  le  plan 
politique  qu'il  avait  a>nçu  sur  les  mesures  pro- 
pres à  garantir  la  tranquillité  et  l'indépendance 
générale  des  états  de  l'Europe.  Sully,  de  con- 
cert avec  lui,  s'occupa  beaucoup  de  ces  idées 
plus  grandes  que  solides,  et  prépara  les  moyens 
de  les  exécuter.  Leur  but  était  d'attaquer  la  mai- 
son d'Autriche  en  Allemagne  et  en  Espagne,  de 
lui  enlever  une  grande  partie  de  ses  provinces, 
de  faire  un  nouveau  partage  de  l'Europe ,  et 
d'asseoir  sur  cette  base  une  paix  générale  et 
durable ,  garantie  par  la  fédération  de  tons  les 
états  de  l'Europe.  Sully  avait  développé  ce  vaste 
projet  à  Elisabeth ,  et  en  le  lui  faisant  connat- 
2  a8 


DiailizodbvGoOgle 


434  PARTIE     I.  PisiOUE     IV. 

tre ,  il  avait  eu  l'art  de  le  lui  faire  goûter.  La 
reine  d'Ai^leteHre  avait  assez  d'élévation  dans 
l'esprit  pour  être  éblouie  par  des  conceptions 
Hussi  bnllantes;  cependant  la  politique  sage  et 
niesurée  d'Elisabeth  l'aurait  peut-être  fait  reve- 
nir de  cette  première  impression  ;  peut  -  être 
ménie  que  sa  pénétration  lui  ofi&it  d'abord  ce 
qu'il  y  avait  d'avantageux  pour  l'Angleterre  dans 
les  plans  de  Henri  lY,  et  qu'elle  résolut  de  pro- 
fiter de  son  anleur  généreuse,  sans  la  partager. 
Sully  parut  avoir  complètement  réussi  dans  sa 
négociation  avec  elle.  Après  la  mort  de  la  reine, 
il  fut  de  nouveau  envoyé  en  Angl^erre  pour 
gagner  Jacques  l"^  et  s'assurer  de  son  concours. 
Ce  prince  était  peu  &it  pour  saisir  et  admirer 
un  plan  qui  embrassait  toute  l'Europe,  et  s'éten- 
dait sur  un  avenir  élcHgné.  Sully  eut  pourtant  le 
bonheur  ou  l'adresse  de  lui  présenter  ces  idées 
sous  <les  formes  simples  «t  des  couleurs  sédui- 
santes ,  et  Jacques  lui  promit  de  s'intéresser  à 
ce  projet  gigantesque.  Ainsi  cet  homme  unique 
se  multipliait  pour  le  service  de  sa  patrie  ;  il  pa- 
raissait réunir  tous  les  taleirts ,  il  prenait  tous 
les  rôles  ^  il  ^  chargeait  de  tous  tes  genres  de 
travaux.  La  politique,  la  guerre ,  les  finaDCCs 
étaient  en  même  temps  le  théâtre  de  son  acti- 
vité et  dç  ses  sufy:ès. 


=dbï  Google 


RHAPITAE     XXV.  43S 

Le  projet  politique  communiqué  par  Sully  à 
l'ADgleterra  était  le  projet  favori  et  l'idée  do- 
rainante  de  Henri  IV.  Il  l'avait  conçu  de  bonne 
heure  et  long-temps  médité  dans  le  silence;  il 
en  avait  combiné  toutes  les  partie  ;  ce  qu'il  y 
avait  de  praticable,  de  juste  et  de  sage,  lui  fai- 
sait illuùoa  stu-  le  reste;  la  pureté  de  ses  motifs, 
l'élévation  du  but, -la  nouveauté  et  la  grandeur 
même  de  l'entreprise',  concouraient  à  lui  en  dé- 
guiser les  difBcultés  insurmontables  ;  il  comp- 
tait fléchir  tes  résistances  par  la  force  de  la  rai- 
son, ou  les  briser  par  la  puissance  de  ses  armes; 
mais  dans  son  généreux  enthousiasme ,  il  exa- 
gérait également  Tune  et  Tautré. 

La  première  partie  de  son  plan  reposait  sur 
des  hases  solides  et  conformes  aux  maximes 
d'une  saine  politique.  Il  voulait  assurer  la  tran- 
quillité de  la  France  et  de  l'Europe ,  en  aSaï-  ■- 
blissant  la  maison  d'Autriche.  Les  deux  branches 
de  cette  maison,  celle, d'Alleniagne  ât  celle  d'Es- 
pagne, s'étaient  ra^>rochées,  et  formaient  des 
projets  contraires  à  la  liberté  politique  et'  reli- 
gieuse de  tous  les  états.  Leurs  forées  réunies 
étaient  redout^les.  Henri  voulait  se  servir  de 
la  puissance  qu'il  devait  aux  progrès  de  la  ri- 
chesse uationale,  pour  humilier  son  ennemi  na- 
turel ,  venger  ses  anciennes  injures ,  prévenir  de 


DiailizodbvGoOgle 


430  PARTIE    I. PÉRIODE    IV. 

iiouTeltes  attaques,  et  donner  une  garantie  so- 
lide à  la  sûreté  générale  de  l'Europe.  L'Angle- 
terre, la  Hollande,  la  république  de  Tenise,  les 
princes  protestants  d'Allemagne,  lui  avaient  pro- 
mis de  concourir  au  rétablissement  de  l'équi- 
libre. 

Dans  les  vues  de  Henri,  l'abaissement  de  ta 
maison  d'Autriche  ne  devait  être  que  le  premier 
acte  de  la  pièce,  et  conduire  à  un  grand  dénoue- 
ment. Vainqueur  de  l'Espagne,  il  voulait  Ëiire, 
de  concert  avec  ses  alliés,  un  nouveau  partage 
de  l'Europe. 

Les  Turcs  devaient  être  relégués  en  Asie.  Le 
czar  de  Russie  devait  avoir  le  même  sort,  s'il 
refusait  d'entrer  dans  l'association. 

Le  nombre  des  puissances  devait  être  réduit 
à  quinze,  savoir:  six  monarchies  héréditaires, 
cinq  monarchies  électives,  et  quatre  républiques 
souveraines. 

Les  six  monarchies  héréditaires  étaient  la 
France ,  qui  ne  prenait  pour  elle-même  que  le 
duché  de  Limbourg,  le  Brabant,  la  juridiction 
de  Malinés ,  à  charge  d'en  former  huit  pairies  ; 
TÂngleterre ,  qui  ne  devait  rien  acquérir  sur  le 
continent;  la  Suède  réunie  avec  le  Danemarck; 
l'Espagne ,  qu'on  voulait  resserrer  dans  ses  h- 
raites  naturelles  en  Eiirope,  en  lui  laissant  ce 


bvGoogIf 


CHAPITRE    XXV.  4^7 

qu'elle  avait  découvert  et  conquis  dans  les  autres 
parties  du  monde  :  la  maison  d'Autriche  devait 
perdre  tout  ce  qui  lui  avait  appartenu  en  Alle- 
magne,dans  les  Pays-Bas  et  en  Italie;  enfln,  ou 
créait  une  nouvelle  monarchie  héréditaire  dans 
le  nord  de  l'Italie ,  en  feveur  du  duc  de  Savoie, 
sous  le  nom  de  royaame  de  Lomhardie ,  et  pour 
lui  former  une  masse  d'états  qui  méritât  de 
porter  ce  nom ,  on  ajoutait  à  ses  ancieimes  pro- 
vinces le  MUauez  et  le  Montferrat. 

Les  monarchies  électives  devaient  être  la 
Bohème  (en  y  joignant  la  Moravie,  la  Silésie  et 
la  Lusace  )  la  Hongrie ,  la  Pologne ,  l'empire 
d'Allemagne ,  et  l'État  ecclésiastique  j  qu'on  vou- 
lait décorer  du  titre  de  monarchie,  et  agrandir 
en  yincorporant  Naples,  ta  Fouille  et  la  Cala- 
bre.  On  conservait  la  république  de  Venise  eh 
lui  accordant  la  Sicile,  la  république  Helvétique 
en  la  déclarant  souveraine  ;  on  associait  les 
Pays-Bas  catholiques  à  la  république  des  sept 
Provinces-Unies ,  et  on  lui  donnait  le  nom  de 
république  Belgique;  enfin,  on  appelait  répu- 
blique italique  la  réunion  de  tous  les  petits 
états  de  lltalie,  Gênes,  Florence,  Mantoue ,  Mo- 
dène,  Parme  et  Lucqûes,  qui  devaient  garder 
leur  forme  de  gouvernement,  de  Bologne  et 
de  Ferrare  qui  devaient  être  érigées  en  villes 


:,,  Google 


438  PA^KT1£     I.  PÉRIODE     IV, 

libres  et  readre,  tous  les  vingt  ans,  homm^e 
au  pape,  ^ 

L'Europe  ainsi  partagée,  toutes  les  puissances 
devaient  accorder  une  liberté  et  une  protection 
eutières  aux  trois  religions  principales,  la  catbo- 
-  lique ,  la  luthérienne  et  la  réformée  ;  mais  en 
même  temps ,  bien  loin  de  lavorisef  la  licence 
des  esprits,  elles  devaient  s'opposer  à  la  nais- 
sance de  sectes  nouvelles. 

La  guerre  nécessaire  pour  amener  ce  boulC' 
versement  g^éral,  devait  être  ta  derni^  de 
toutes.  Ce  nouvd  ctfdre  des  choses  une  fois  éta- 
bli, pour  le  rendre  permanent  et  invariable,  on 
voulait  substituer,  dans  la  grande  association  des 
éiats  de  l'Europe,  le  droit  à  la  force ,  et  organiser 
un  tribunal  suprême  qui  décidât  en  d^-iùer 
ressort  de  tputes  les  collisiâns  d'intérêts ,  et  dont 
toutes  les  puissances  s'^igageraient  à  feire  exé- 
cuter l«s  arrêts. 

Cette  espèce  dé  conseil  généc^  de.  l'Europe 
devait  être  composé  de  dépiités  de  tous  les 
états.  Les  ministres*  au  nombre  de  soixante- 
six,  d^evaieat  cx^nsexver  leurs  places  pend^ 
trois  ai^.  Les  foiixaes  et  la  manière  de  pnx^der 
de  ce  sénat  de  représeniwits  dos  souverains  de- 
vaient êi^  déterminées  par  des  lois  organiques, 
qui  suaient  son  propre  c^vrage.  Il  devait  pro- 


DiailizodbvGoOglc 


CUA.PITAB    XXV.  4^ 

noncer  lui-ipêen^  dans  toutes  ksai&ires  dSt^ 
in^jortance  majeure,  et  celtes  d'une  raoilittpe 
iiAportance  devaient  être  souniise6  à  lia  décision 
de  six  corps  subalternes,  qui  seraient  pracés  sur 
difierents. point: de.  la  sariacé  de  l'Euiiope- 

Tels  étaient  les  principaux  traits  du  vaste 
plan  de  Henri 'IV.  Quelque  extraordinaire  qu'il 
nous  paraisse,  ce  qu'il  a  de  ângulier  ne  nouA 
douie  pas  le  droit  de  révoquer  en  doute  son  ■ 
authenticité.  SuUy,  ïairà  et  le  confident  de  sa» 
soaitre,  qui  avait  jnédité  ce  projet 'avec  4tii,  tX 
s'était  chaîné  de  lé  iair^  adopter-  par  les  pRÏs^ 
sauces  am^  de  la  Ei»iïâe«  entre'  sur  cet  -objet 
dans  des  détails  qui  ne  faouBpèniiâftebt.pa* 'de 
nier  sa  réalité- 
Mais  pour  avoir  été  formé  séneusenient ,  ce 
plan  n'en  est  pas  moins  chkmàique  ;  poar  avoir 
été  ressuscité  et  rajeuni  par  plusieurs'  écrivaitii 
politiques,  il  n'en,  pèche  pEts  moins,  par  .le  but 
et  pw  les  moyens  d'exécution.  Les  noms  de 
Henri  et  de  Sully  ne  sauraient  ici  nous  imposte! 
Us  sont  assez  grands  pour  qu'on  doive  convenir 
de  leurs  Bublesses ,  et  celle-ci  était  la  fîitttlesM 
d'une  belle  ame^  Hien  de  plus  vague  ni  de  fàai 
arbitraire  que  cette  nouvelle.  divʻnn'  de  l'Ett- 
rope  qu'on  voulait  substituer  à  l'anci^ne.  Le 
nombre  des  états  qu'on  laissait  subsister,  et  -àe 


DiailizodbvGoOgle 


44*>  PARTIE     l.  PERIODE     IV. 

ceux  qu'où  3c  proposait  de  créer- ou  d'agrandir, 
la  nature  du  gouvernement  qu'on  leur  assignait, 
tout  parait  avoir  été  fait  et  réglé  au  hasard , 
saa&  qu'on  puisse  soupçonner  même  les  prin- 
cipes qui  ont  dirigé  cet  arrangement.  Si  ces  états 
avaient  été  à  peu  près  égairi  eu  forces ,  et  capa- 
bles de  se  contre-balance  dans  leur  action,  la 
fédération  uniyerselle  aurait  été  inutile,  le  repop 
serait  né  de  l'équilibre ,  et  l'équiUbre  de  Taction 
réciproque  des  masses  les  unes  sur  les  autres; 
Si  ces  états  étaient  in^itf  par  leur  étendue  et 
leurs  moyens,  si,  par  la  différence  même  de 
leur  r^ûne ,  les  uns  étaient  forts  et  les  autres 
faibleS',  il  était  £acile  .de  prévoir  que  les  pre- 
miers ne  se  soumettraient  pas  aux  arrêts  du 
tribunal  suprême,  et  que  les  seconds  seraient 
victimes  d'tm  despotisme  d'un  nouveau  genre. 
Or  dans  le  partage  projeté,  la  plus  grande  iné- 
galité, régnait  entre  les  di£Férentes  parties  de  cet 
assemblage  confus  de  monarchies  et  de  répu- 
bliques. 

Enlever  à  la  maispn  d'Autriche  toutes  ses  pos- 
aessioDS ,  ne  lui  laisser  que  l'Espagne  et  ses  co- 
lonies, c'était  trop  l'afi&iblir,  et  donner  aux  autres 
états  de  justes  craintes  contre  la  prépondérance 
de  la  France^  qui,  au  n<Hn  delà  liberté  générale, 
aurait  exercé  en  Ëuro)>e  ime  véritable  dictature. 


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CHAPITBE     XXT,  44l 

L'idée  de  former,  entre  la  France  et  l'Allemagne, 
une  seule  république  des  dix-sept  provinces  des 
Pays-'Bas ,  et  dans  le  nord  d«  lltalie"  une  puis- 
sance capable  d'en  défendre  et  d'en  fermer  les 
passages  aux  étrangers ,  était  une  idée,  liunï- 
neuse,  et  offrait  ie  seul  moyen  de  contemr  dans 
de  sages  limites  l'ambition  de  la  maison  d'Au- 
triche et  de  la  famille  des  Bourbons.  On  doit 
regretter,  pour  le  bonheur  de  l'Europe,  que  cette 
partie  du  plan  de  Henri  IV  n'ait  pas  été  réalisée. 

Etablir  Une  nouvelle  balance  des  forces,  en 
partageant  r£ur<^,,  comme,  un  terrain,  inhabité 
entre  des  colons  qui  y  abordent,  c'était  y  natu- 
raliser la  guerre  pour,  la  faire  cesser,  et  entre- 
prendre un  oun«ge  long  et  di£5ctle  qui  devait 
rencontrer  des  résistances  invincibles. 

En  supposant  même  que  ce. partage  eut  réussi , 
qu'en  fut-jl" résulté ?,Oi^aniser  en  Europe-une 
grande  république  de  puissances,  feire  cesser 
pour  les  nations  l'état  hostile  où  chacune  d'elles 
est  seule  juge  et  seple  garante  de  ses  droits  i 
substituer  à  cette  anarchie,  où  la  force  seule 
décide  de  tout ,  un  ordre  légal ,  c'était  tenter 
l'impossible  :  il  aurait  fallu  pour  cet  effet  rendre 
tous  les  gouvernements  impassibles  ou  impuis- 
*  sants  ;  ou  ne  pouvait  espérer  l'un ,  on  ne  devait 
pas  même  souhaiter  l'autre.  La  tranquillité  de 


DiailizodbvGoOgle 


44a  PARTIR     I.  ' — PÉRIODE     IV. 

l'Europe  et  1a  sûreté  des  états  ne  peuvent  ré- 
sulter que  d'un  système  de  contre-forces,  où 
chaque -puissance  serût  assez  fdrte  pour  ré^ster 
à  des  attaques  injustes ,  et  où  aucune  ne  le  serait 
assez  pour  briser-  focilement  ht  résistance  des 
autres  (*). 

On  peut  présomer  que  l'expérience,  ou  de  plus 
mûres  ré0esions,  auraient  ramené  Henri  IV  à 
ces  principes ,  et  qu'il  aurait  abandonné  un  pro> 
jet  plutôt  extraordinaire  que  grand ,  et  qui  était 
en  contradict^n  avec  la  nattn%  humaine.  Il  se 
serait  ooateaté  d'abaisser  la  maison  d'Au^cbe, 
sans  prétendre  L'anéantir  ;  il  aurait  enrichi  d'au- 
tres états  de  ses  dépouilles,  et  l'Europe  n'aurait 
pas  été  dans  le  cas  d'édianger  un  danger  contre 
un  autre. 

Tout  était  préparé  pour  cette-  grande  »itïe- 
|»rise.  La  France  avait  conclu  des  alliances  étroi' 
tes  avec  les  ennemis  naturels  de  l'Autriche;  les 
magasins  étaieiitremplis  de  munitions  de  guerre 
et  de  bouche;  coa  niHle  homffles  ét&ient  pr^ 
à  combattre  ;  le  roi  lui-même  voulait  comman- 
de Tarmée  qui  devait  aitaqiief  les  Pays-Bas; 
celle  qui  était  dipgée  contre  I^Malie  devait  v^r- 

.  (*)  Voyez  sur  cette  matièrelc  Dîscoura  prélîiDÏuairc  du 
premier  volume. 


=dbvGooglc 


CHAPITRE     XXV.  443 

cfa^  SOUS  le»  ordres  de  Lesdiguières.  Quarante 
millions  de  livres,  fruits  de  l'ordre  et  de  Véco- 
nomie  de  Sully ,  auraient  couvert  les  dépenses 
de  la  goerre,  jusqu'au  moment  où  la  victoire 
permettant  aux  Français  de  tirer  de  nouvelles 
ressources  de  leurs  conquêtes,  iAs  auraieht  com- 
battu leurs  ennemis  avec  leurs  propres  armés. 
La  succession  litigieuse  des  états  du  dilc  de 
Gtèves  devait  servir  de  prétexte  aux  mouve- 
ments de  l'armée  française ,  et  dévenir  le  pre- 
mier chaînon  d'une  longue  suite  d'événements. 
Guillaume  IV,  dernier  duc  de  Clèves,  était  mort 
sans  héiitiers,  mâïes;  ses  sœurs,  et  à  leur  défaut, 
leurs  descendants,  devaient  hii  succéder,-  sui- 
vant les  lois  féodales  du  pays.  L'électeur  de 
Brandebourg,  lean-Sigismond ,  gendre  de  ta 
satar  aSnée  de  Guillaume ,  Philippe  Louis ,  pa- 
latin de  Neuboarg,  époux  de  sa  sœur  cadette, 
étaient  lee  deux  principaux  compétiteurs  qui 
se  disputaient  cette  riche  succession.  Les  droits 
de  Jeait  -  Sigismond  étaient  încontestabtes.  La 
msàson  d'Autriche  avait  tenté  de  s'emparer  des 
états  de  Guillaume,  sous  prétexte  que  la  figne 
masculine  était  éteinte  ;  ayant  échoué  dans  cette 
usurpation ,  elle  se  déclara ,  conjointement  avec 
l'Espagne,  pour  le  palatin  de  Neubourg  ,Wotf- 
gang-Guitlaunie ,  6h  de  Philippe-Louis ,  qui  hiî 


:,,  Google 


444  PABTIE    1.-—  PÉRIODE    IV. 

avait  succédé  et  qui  avait  embrassé  )s  religion 
catholique.  I^a  république  des  Provinces^Unies 
et  les  princes  protestants  d' Allemagne  épousaient 
les  intérêts  de  S^^iismond.  Jl  leur  importait  beau- 
coup que  les  états  de  Clèves,  situés  entre  la 
Hollande  et  l'ÂUemagne,  ne  tombassent  pas  au 
pouvoir  d'un  prince  catholique.  Sigismond  était 
protestant ,  et  il  avait  passé ,  peut-être  par  po- 
litique ,  du  culte  luthérien  au  culte  réformé. 
Cette  succession  litigieuse  partageait  toute  l'Eu- 
rope. La  France  se  préparait  à  servir  la  cause 
de  Si^mond.  Le  séquestre  de  tous  les  états  de 
Clèves  devait  être  la  première  opération  de  la 
guerre.  Une  agitation  sourde  régnait  dans  tous 
les  pays;  l'inquiétude  tourmentait  toutes  les 
cours;  les  peuples  étaient  suspendus  entre  t'es- 
pérance  et  la  crainte  :  tout  annonçait  un  grand 
mouvement;  mais  on  ne  connaissait  ni  sa  me- 
sure, ni  sa  direction,  ni  ses  effets,  et  l'Europe 
trenU>lait. 

Henri,  ^ur  le  point  de  partir  pour  l'armée, 
résolut,  avant  son  d^>art,  de  faire  couronner 
solennellement  la  retne  son  épouse,,  afin  qu'elle 
put  au  besoin  être  chargée  de  la  régènce.-du 
royaume.  Paris  n'était  occupé  que  de  cette  iete 
brillante.  Henri  voulut  en  contempler  les  pré- 
paratifs. Au  milieu  de  son  peuple  qu'il  aimait  et 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XXV.  445 

dont  il  était  aimé,  il  se  promenait  eu  voiture, 
sans  défiance  et  sans  crainte,  la  sérénité  sur  le 
&ont,  la  bienveillance  dans  l'anle.  La  voiture 
est  forcée  de  s'arrêter  au  passage  de  la  rue  de 
la  Féronnerie;  un  fanatique  obscur,  nommé  Tta- 
vdîllac,  saisit  ce  moment  pour  plonger  un  poi-  .^^ 
gnard  dMis  le  sein  du  roi.  Il  meurt ,  et  avec  lui  ï6»o' 
s'évanouissent  ses  vastes  projets  ;  la  France  perd 
le  gage  de  son  bonheur;  un  seul  instant  change 
les  destinées  de  l'Europe;  tout  ce  que  le  règne 
dé  Henri  a  réalisé ,  tout  ce  qu'il  promettait  en- 
core ,  ne  parait  plus  qu'un  rêve  brillant. 

Peu  de  catastrophes  ont  été  plus  frappantes; 
peu  d'événements  ont  été  plus  malheureux  et 
plus  décisif.  Selon  toutes  les  apparences,  Henri 
aurait  été  vainqueur  dans  la  guerre  contre  l'Au- 
triche. L'incapacité  de  Rodolphe  II ,  la  faiblesse 
de  Philippe  III,  les  immenses  préparatife  de 
Henri,  son  armée,  son  trésor,  ses  alliances,  les 
ressources  de  son  génie ,  l'amour  que  son  peu- 
ple lui  portait ,  tout  lui  présageait  des  triom- 
phes. La  victoire  lui  aurait  donné  le  droit  et  les 
moyens  d'établir,  sur  des  bases  plus  solides  et 
plus  équitables ,  les  rapports  des  catholiques  et 
des- protestants ,  et  d'assurer  l'indépendance  de 
la  Hollande.  Une  guerre  courte,  rapide,  active, 
eût  prévenu  la  plus  longue  et  la  plus  désffs- 


DiailizodbvGoOgle 


446  PARTIE    1. PÉRIODE    IV. 

treuse  de  toutes  ;  celle  de  trente  ans  n*eùt  pro- 
bablement pas  ea  lieu.  Les  causes  qui  la  firent 
naître  et  qui  l'alimentèrent  eussent  été  étouf- 
fées dans  leur  principe,  k  l'époque  où  elle  com- 
mença, l'Europe  aurait  été  eu  possession  des 
avantages  qu'elle  acquit  par  la  paix  de  West- 
phalie ,  peut-être  même  dans  une  position  po- 
litique plus  sûre  et  mieux  affermie.  En  assassi- 
nant Henri  IV,  Aavaillac  porta  un  coup  mortel 
à  l'humanité ,  et  retarda  ses  progrès  d'un  demi- 
siècle.  Depuis  sa  mort  jusqu'à  l'anDée  où  la 
1618.  guerre  commença,  l'Europe  jouit  du  calme;  mais 
c'était  un  calme  perfide ,  avant-coureur  des  plus 
terribles  calamités. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXVI.  44? 


CHAPITRE  XXVI. 

Des  États  de  l'Es rope  jusqu'au  commencement  delà  guerre 
de  trente  ans.  La  France.  L'Espagne.  L'Italie.  La  repu- 
bSquo  des  Provinces-Unies.  L'Angleterre. 


JLiA  mort  de  Heari  IV  avait  plDngé  dans  le  deuil 
toute  la  France,  à  l'exception  de  la  cour.  Le 
peuple  craignait  le  retour  de  l'anarchie;  les 
grands  l'e&péraient,  et  3e  flattaient  de  voir  re- 
nïûtre  le  temps  des  i,ntrigues,  des  cabales  et 
des  actions.  Le  génie,  lavertu,  le  patriotisme 
avaient  quitté  les  a£faiies  avec  la  personne  de 
Sully.  Ke  pouvant  [^us  &îre  le  bien  de  son 
pays,  et  ne  voulant  pas  sanctionner  le  mal  par 
sa  présence,  cegnuid  citoyen  s'était  retiré  dans 
son  château  de  SuUy.  Après  avoir  pay^  sa  dette 
à  l'état ,  U  n'avait  pas  voulu  assister  à  la  des- 
tructickn  de  son  ouvrage ,  et  il  avait  cru  qu'il  se 
devait  à  lui-même  de  quitter  une  place  où  il  ne 
pouvait  plus  être  utile  Sa  retraite  était  une  pn>- 
teitation  solennelle  contre  lés  nouveUes  maiii- 
m«s  d'administration,  et  une  forte  leçon  pour 
la  cour.  Elle  n'ayait  pas  su  la  cooipf endre ,  ou 


DiailizodbvGoOgle 


44ti  PARTIE    I. PÉRIODE    IV. 

elle  D'avaic  pas.  eu  b  sagesse  <l'en  profiter.  Ma- 
rie de  Médicis ,  déclarée  régente ,  fondait  la  du- 
rée de  son  pouvoir  sur  l'ignorance  et  la  faiblesse 
de  son  fils ,  le  jeune  roi  Louis  XIQ.  Elle  prolon- 
geait avec  art  son  enfance ,  en  remplissant  sa  vie 
de  plaisirs  pnérib  et  frivoles,  au  tièu  de  Toc- 
cuper  de  choses  utiles.  Avec  un  esprit  médio- 
cre ,  elle  avait  une  inquiétude  de  caractère  qui 
lui  faisait  entreprendre  des  choses  qu'elle  n'a- 
vait pas  le  talent  A'exécuter.  Elle  voulait  gouver- 
ner les  autres,  et  elle  avait  elle-même  besoin 
d'être  gouvernée.  Impétueuse  et  violente,  elle 
ne  savait,  pas  employer,  les  amjes  de  l'adresse 
et  de. l'artifice.  Timide  et  irrésolue,  elle  ne  sa- 
vait pas  emporter ,  par  des  mesures  vigoureuses, 
ce  qu'elle  n'avait  pu  Qbtemr  par  la  ruse.  Ex- 
trême dans  ses  attatdiements  et  dans  ses  haines, 
amie  crédule  et  facile ,  ennemie  implacable ,  elle 
inspirait  trop  de  sécurité  à  ses  iavom ,  trop  de 
crainte  et  de  défiance  à  ceux  qui  avaient  en- 
couru sa  disgrâce.  Avec  moins  de  talents  et 
d'énei^e  que  Catherine  de  Médicis ,  elle  était 
moins  dépravée  que  cette  reine,  et  ne  portait 
dans  le  mal  ni  ses  combinaisons  savantes  oi 
son  audace. 

Marie  de  Médicis  avait  donné  toute  sa  con- 
fiance à  des  Ëivoris  indignes  de  l'obteoir,  C'é- 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVI.  449 

taient  deux  Florentins  qui  l'ayaient  suivie  en 
France,  Concîni  et  sa  femme,  Éléonore  Galigaï. 
Concini,  fils  d'un  secrétaire  du  duc  dé  Florence, 
sans  fortune  et  sans  relief  personnel ,  avait  été 
fait  gentilbpmme  '  de  la  chambre  et  maréchal 
d'Ancre  y  et  s'était  élevé  rapidement ,  à  ^rce  de 
complaisances  et  de  bassesses,  au  plus  haut 
degré  de  pouvoir.  Il  était  généralement  haï.  Sa 
qualité  d'étranger  blessait  la  ^vanité  natioi|ale. 
11  irritait  les  grands  par  ses  hauteurs,  le  peuple 
par  son  avidité  vexatoire,  les  vrais  citoyens  par 
son  ineptie.  Cependant  il  valait  mieux  que  sa 
feijDme;  souvent  il  répugnait  aux  prétédtioDS  et 
aux  démarches  ambitie'Uses'qu'eUe  lui  suggérait, 
et  regrettait  son  obscurité  ;  mais  sa  femme  l'avait 
asservi  à  ses  volontés,  et  faisait;  de  lui  l'instru- 
ment de  sçs  passions.  Sœur  de  lait  de  la  reine , 
Ëléônore  Galigaï  exerçait  sur  sçn  esprit  un  as- 
cendant sans  bornes.  Marie  la  consultait  dans 
toutes  les  affaires,  et  suivait  aveuglément  ses 
conseils.  Altière,  impérieuse,  vindicative,  intri- 
gante, cette  femme,  se  plaisant  à  semer, la  di- 
vision entre  le  roi  et  la  reine,  avait  causé  de 
cruels  chagrins  à  Henri  IV,  et,  depuis  sa  mort, 
elle  faisait  le  malheur  de  la  France,  Bien  supé- 
rieure à  son  mari  en  esprit  et  en  talents ,  elle 
avait  même  une  certaine  élévation  de  courage 


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45o  PARTIE    f. pMrIODE    IV. 

qui  ne  la  rendait  que  pins  dangerense;  pouvant 
tout,  elle  osait  tout;  sa  hanliesse  égalait  son 
pouvoir. 

Les  grands  du  royaume  ne  pouvaient  voir 
avec  indifférence  ta  toute-puissance  de  ces  deux 
étrangn^.  Comme  ils  n'avaient  encore  perdu  ni 
les  moyens  ni  le  goût  de  la  révolte,  ils  avaient 
pris  Ie6  armes  pour  obliger  la  reine  à  choisir  des 
ministres  plus  dignes  d'elle.  Henri  II,  prince  de 
Condé,  qui  aurait  voulu  gouverner  fétat,  s'était 
mis  k  ta  tête  de$  mécontents.  Marie  les  avait 
combattus  par  un  grand  déploiement  de  forces 
et  par  des  négociations  habilement  conduites. 

1614.  Le  traité  de  Sainte-Menefaould ,  qui  assurait  des 
avantages  aux  principaux  chefe  des  ennemis  de 
la  cour,  avait  paru  apaiser  les  troubles. 

i6'4-  La  majorité  du  roi  et  l'assemblée  des  États- 
Généraux  du  royaume  n'avaient  apporté  aucun 
changement  à  l'état  des  choses.  Le  roi ,  majeur 
de  nom ,  était  resté  de  fait  sous  la  tutelle  de  sa 
mère,  gouvernée  elle-même  despotiquement  par 
ses  favoris.  Les  États-Généraux  ne  firent  rien 
pour  le  bonheur  du  royaume;  leur  langage  fut 
Ëiible,  leur  marche  incertaine,  et  leurs  doléances 
demeurèrent  Sans  eflèt.  Depeis  cette  époque  on 
ne  les  convoqua  plu»,  Karemeut  ils  avaient  fait 
le  bien;  souvent  ils  avaient  fait  ou  laissé  faire 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVI.  4^1 

le  mal  ;  mais  leur  existence  seule  était  un  prin- 
cipe de  liberté^  qui  pouvait  se  développer  au 
besoin,  et  devenir  le  moyeu  actif  <!' utiles  ré^ 
formes':  malheureusement  pour  elle,  la  France 
n'y  attachait  pas  assez  <le  prix,  et  iU  tombèrent 
en  désuétude,  sans  qu'elle  parût  s'en  aperce- 
voir.        -  ' 

Bientôt  après,  la  faveur  toujours  croissante 
des  CoDcini  fit  renaître  les  troubles.  Le  prince 
de  Condé,  jaloux  de  leur  crédit,  reprit  les  ar- 
meSf  et  fiit  encore  calmé  par  le  traité  de  Lou- 
dun.  Mais  Connni,  ayant  eu  l'audace  de  le  faire 
arrêter  et  d'éloigner  les  anciens  ministres,  pré- 
cipita lui-même  sa  ruine.  Ce  fut  un  jeune 
homme,  dont  personne  ne  se  dé&tit,  qui  le  per^ 
dit.  Luynes,  attaché  de  boime  heure  à  Louis  XIII 
tin  qualité  de  page  de  la  cbagobre,  avait  gagné 
sa  confiance  par  -de  .petits  talents  agréables.  C'é- 
tait dans  son  sein  que  le  roi  versait  les  chagrins 
secrets  que  lui  donnaient  sa  propre  nullité  et 
l'insolence  des  favoris  de  sa  mère.  Les  succès 
de  Luynes  développèrent  son  aoôbition.  Résolu 
de  s'élever  sur  la  ruine  du  maréchal  d'Ancre, 
il  inspira  au  roi  un  parti .  vigoureux.  L'ordre 
fut  donné  à  Vitri,  capitaine  des  gardes,  d'ar- 
rêter le  maréchal;  il  obéit,  mais,  dans  le  mo- 
ment même  où  il  demandait  à  Concini  son  épée, 
^9- 


DiailizodbvGoOgle 


453  PARTIE    I.  —  P^SIODE    IV. 

cemalheitfeux  fut  tué  par  les  gardes,  sous  pré- 
texte de  résistance.  Le  peuple  assouvit  sa  haine 
sur  son  cadavre.  On  6t  le  procès  à  sa  femme; 
il?,  ce  procè«  la  conduisit  à  l'échafaud.  On  lui  prêta 
des  crimes  pour  la  perdre:  elle  était  coupable, 
sans  être  criminelle  aux  yeux  de ,1a  loi;  cet  ar- 
rêt couvrit  ses  juges  de  honte.  Elle  subit  l'in- 
t«Togatoire  avec  noblesse,  et  mourut  avec 
fermeté. 

Marie  de  Médicis,  étonnée  de  l'audace  des 
conseillers  de  son  fils ,  effrayée  du  sort  tragique 
de  ses  favoris,  et  traitée  encore  avec  une  défé- 
rence apparente,  dévorait  ses  ressentiments  et 
sa  fureur.  Luynes  était  tout-puissant.  Louis  n'a- 
vait fait  que  changer  de  maître  ;  mais  Luynes  lui 
laissait  du  moins  les  dehors  de  la  liberté,  et 
-n'était  pas  tout-àifait  indigne  de  sa  fortune.  Il 
ne  manquait  pas  d'esprit,,  mais  il  manquait  de 
lumières,  de  connaissauces,  d'activité,  et  ses  ta- 
lents n'étaient  pas  à  l'unisson  de  sa  place.  Ce- 
pendant il  avait  pour  lui  des  formes  agréables 
et  nobles;  il  aimait  sincèrement  le  roi,  et  il  pré- 
férait l'honneur  à  l'argent. 

Louis  XIII  se  croyait  libre,  et  paraissait  l'être, 
parce  que  Luynes  était  l'homme  de  son  choix. 
Ce  prince,  qui  fut  malheureux  toute  sa  vie  faute 
de  volonté,  n'avait  aucune  des  qualités  brillantes 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XXVI.  4^3 

et  ainiables  de  son  père;  mais  il  n'était  paS' sans 
moyens,  et  il  avait  des  vertus.  La  nature  lut 
avait  refusé  l'imagioation  active  et  féconde  du 
grand  Henri;  mais  elle  lui  avait  donné  un  esprit 
judicieux  qui  saisissait  avec  ÉiciUté,  et.  jugeait 
sainement  les  idées  des  autres.  Sa  valeur  ne  je- 
tait pas  un  éclat  éblouissant  ;  mais  aussi  souvent 
qu'on  lui  permit  de  paraître  à  la  tête  de  ses 
troupes,  il  prouva  qu'il  ne  craignait  pas  le 
danger,  et  savait  lui  opposer  un  courage  froid 
et  réfléchi.  Son  humeur  sévère  et  triste  contras- 
tait avec  le  caractère  enjoué  de  son  père;  mais 
elle  était  Teffet  naturel  d'un  tempérament  faible 
et  des  soupçons  dont  <»i  avait  environné  sa  jeu- 
nesse. On  évita  de  lui  inspirer  de  la  gaieté,  parce 
qu'elle  est  pour  les  princes  le  signe,  et  quel- 
quefois le  principe ,  d'une  utile  confiance  en 
leurs  propres  forces ,  et  ceux  qui  dirigèrent 
son  éducation  voulaient  "qu'il  se  défiât  de  lui- 
ménie,  afin  qu'il  se  reposât  sur  eux  de  tontes 
les  affaires.  Ce  défaut  fut  Tunique  cause  de  ses 
torts,  de  ses  fautes  et  de  son  malheur.  Il  voyait 
bien ,  et  il  renonçait  à  ses  propres  lumières  pour 
suivre  celles  des  autres;  il  voulait  agir,  et  il  se 
condamnait  lui-même  à  l'inaction.  Impatient 
du  joug  et  ne  pouvant  s'en  passer,  s'indignant 
en  sei^et  de  sa  faiblesse,  sans  avoir  le  courage 


DiailizodbvGoOgle 


/|54  PARTIE    I.  PERIODE    IV. 

de  rompre  ses  fers,  tel  fut  Louis  Xm  pendant 
toute  sa  vie  ;  tel  il  était  déjà  au  nuHnent  de  sa 
majorité. 

Les  dilapidations  de  Marie  avaient  appauvri 
l'état;  les  intrigues  de  la  cour  avaient  distrait 
l'attention  dn  gouvernement  des  objets  utiles  ; 
cependant  la  f^Vance  n'avait  pas  perdu  ses  forces; 
elle  travaillait  et  s'enrichissait  en  silence  :  mais 
les  grands  n'avaient  pas  encore  appris  à  res- 
pecter les  lois  qui  leur  déplaisaient,  et  à  plier 
sons  l'autorité  du  souverain,  lors  même  qu'il 
paraissait  en  abuser.  Les  réformés,  à  qui  les 
grands  privilèges  que  l'édit  de  Nantes  leur  as- 
surait pouvaient  facilement  servir  d'armes  of- 
fensives ,  formaient  dans  le  royaume  une  espèce 
d'état  à  part,  et  leurs  chefe  étaient  souvent  in- 
téressés à  leur  persuader  qu'il  fallait  attaquer 
pour  se  défendre.  L'esprit  factieux  des  grands 
et  l'indépendance  des  réformés  nourrissaient  les 
espérances  des  étrangers ,  qui  travaillaient  à  com- 
battre la  France  par  la  France  elle-même.  Marie 
de  Médicis  avait  abandonné  le  système  politique 
du  grand  Henri  ,  qui  voyait  avec  raison  dans 
l'Autriche  l'ennemie  naturelle  de  la  France.  Un 
double  mariage  avait  rapproché  la  maison  d'Au- 
triche de  la  maison  de  Bourbon.  ï^ouis  XIII  avait 
épousé  Anne  d'Autriche,  fille  de  PfailippelII , 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXVI.  455 

roi  d'Espagne ,  et  le  prince  des  Asturies  s'était 
uni  à  uae  princesse  du  sang  de  France.  A  voir 
rharmoaie  apparente  des  deux  coiira,  on  aurait 
(lit  que  toutes  les  craintes  et  les  défiances  avaient 
cessé  ;  et  cependant  les  rapports  des  deux  puis- 
sances n'avaient  pas  changé ,  et  leurs  intérêts 
étaient  toujours  opposés.  C'était  k  Richelieu  qu'il 
était  réservé  de  ramener  la  Frajace  aux.  vrais 
principes.  Anoand  du  Plessis,  alors  évéque  de 
Luçon ,  avait  commencé  sa  fortune  sous  Con- 
cini ,  et  Ijt  continuait  sous  Luyues.  Il  travaillait 
sourdement  à  satis&ire  sa  vaste  ambition ,  qui 
n'était  que  le  besoin  naturel  d'un  génie  plus 
vaste  encore.  Mettant  à  parvepir  au  timon  des 
a£^es  autant  d'adre$se  que  plus  lard  il  mit 
d'audace  k  s'y  maintenir,  il  se  montrait  alors 
aussi  souple  qu'il  parut  dans  la  suite  inflexible 
et  inébranlable, 

L'Espagne  n'ayait  pas,  prodté,  comme  elle 
l'aurait  dû,  des  grands  changements  que  la  mort 
de  Henri  avait  amenés  en  France.  Le  danger  qui 
la  menaçait  l'aVait  &it  &émir;  mais  elle  n'avait 
pris  aucune  mesure  pour  l'eropècher  de  renaî- 
tre. Les  talents,  l'activité,  l'énergie  qui  avaient 
caractérisé  le  régne  de  Charles-Quint  et  celui 
de  son  fils,  paraissaient  avoir  abandonné  pour 
toujours  cette  branche  de  la  maison  d'Autriche. 


DiailizodbvGoOgle 


456  PARTIE   I.  —  PERIODE    IV. 

Elle  n'oflte  plus  de  prioces  qui  gouvernent  par 
■  eux-mêmes ,  et  sans  avoir  gagné  de  la  sagesse 
et  de  la  modération,  elle  ne  présente  plus  de 
traces  de  cette  vigueur,  qai,  pendant  un  demi- 
siècle,  avait  étonné  et  efirayé -l'Europe.  Malgré 
l'épuisement  des  finances,  la  désorganisation  de 
l'état,  le  défaut  de  génie  et  de  caractère  dans 
le  souverain ,  'les  vastes  projets  et  les  hautes 
prétentions  da  cabinet  espagnol  subsistaient 
toujours.  Ces  idées  ambitieuses  et  ces  plans  de 
monarchie  universelle ,  plus  que  jamais  chimé- 
riques, se  perpétuaient  par  tradition.  C'étaient 
autant  de  maximes  fondamentales,  qu'une  es- 
pèce de  respect  superstitieux  empêchait  d'aban- 
donner. L'Espagne  était  ruinée;  mais  elle  avait 
conservé  le  ton  et  les  habitudes  d'une  grande 
fortune  ;  elle  se  berçait  d'espérances  qui  appar- 
tenaient à  sa  grandeur  passée.  Faute  de  choisir 
un  régime  approprié-  k  sa  laiblesse ,  cet  état  s'af- 
faiblissait de  plus  en  plus,  et  prenant  l'effort 
pour  la  force,  s'aveuglait  sur  les  prc^rès  de  sa 
décadence. 
1698  Phili^e  ni,  qui  occupait  le  trône  d'Espagne, 
g  ne  ressemblait  à  son  père  que  par  une  dévotion 
minutieuse,  et  par  ce  fanatisme  persécuteur  qui, 
pour  conquérir  le  ciel,  convertit  la  terre  en 
désert.  Ce  prince  ne  voyait  la  grandeur  que 


=dbïGoogIe 


CUA.PITHE    XXVI.  /[Sy 

dans  l'étiquette,  et  confondait  la  représentatioa 
avec  la  dignité.  Indolent  et  tadturne,  il  faisait 
consister  la  sagesse  dans  la  gravité,  et  la  poli- 
tique dans  le  silence.  Retiré  daos  le  frnid  de  son 
palais,  inaccessible  à  tout  le  monde,  il  ne  ré- 
gnait que  par  des  apparitions ,-  et  ne  se  montrait 
en  public  que  pour  honorer  de  sa  présence  les  . 
auto-da-fé.  Dès  son  avèneinent  au  trône,  il  aVait 
abandonné  le  royaume  à  François  Gomez  de 
Sandoval,  marquis  de  Dénia  et  duc  de  Lerme. 
Ce  ministre  joignait  à  l'esprit  d'un  liomme  du 
monde,  l'avidité  d'un  financier,  la  mollese  d'un  _ 
épicurien,  et  rivalisait  d'indolence  avec  son  mû- 
'  tre.  Philippe  lui  abandonnait  toutes  les  afiaires, 
et  le  duc  se  reposait  lui-même  de  tout  sur  Ro- 
drigue de  Calderone,  son  favori.  Calderone  était 
fils  d'un  pauvre  soldat  de  Valladolid  ;  de  laquais 
du  duc  de  Lerme,  il  était  devenu  comte  d'Oliva, 
et  marquis  de  Siete-lgtesias;  il  exerçait  un  em- 
pire absolu  sur  l'esprit  du  duc,  et  gouve^ait 
despotiquement  les  Espagnols.'  On  ne  s'élève 
jamais  d'une  condition  aussi  obscure  k  une  si 
haute  fortune,  sans  avoir  une  certaine  mesure 
de  talents;  Calderone  en  avait,  mais  il  devait  sa 
fortune  aux  défauts  du  duc ,  et  peut-être  à  ses 
propres  vices,  beaucoup  plus  qu'à  son  esprit  et 
à  son  activité.  Bas  et  rampant  envers  son  maï- 


DiailizodbvGoOgle 


458  PARTIE   1.  — PÉRIODE    IV. 

tre,  il  était  âer  avec  les  grands,  insolent  avec 
ses  égaux ,  tyrannique  envers  se$  inférieurs.  Le 
tluc  deLerme  regardait  l'état  comme  une  ferme 
dont  le  produit  devait  alimenter  son  luxe,  et 
qu'il  avait  chargé  Calderone  d'expl(»ter,  en  lui 
abandonnant  des  profits  immenses.  Calderone 
s'acquittait  dignement  de  cette  fonction.  Il  met- 
tait tout  son  art  à  enlever  aux  particuliers ,  à 
titre  d'impôts  ou  d'amendes,  ce  qui  leur  appar* 
tenait ,  et  à  vendre  au  plus  ollirant  ce  qui  ap- 
partenait à  l'état.  Ces  deux  hommes  régnaient 
en  Ë^agne  sans  contrôle.  Le  conseil  d'état ,  que 
Philippe  II  consultait  toujours,  sans  suivre  tou- 
jours ses  conseils,  avait  été  aboli  par  de  Lerme, 
qui  ne  voulait  être  ni  arrêté,  ni  éclairé,  ni  même 
observé  de  près  dans  ses  opérations  politiques. 
Le  clergé  et  la  noblesse  faisaient  quelquefois 
entendre  aux  ËtatS'Généraux  de  la  nation  des 
vérités  hardies  et  fortes;  bientôt  on,De  les  con- 
i6oa.  voqua  plus,  et  l'on  se  contenta  de  demander 
l'avis  du  troisième  ordre,  plus  docile  et  plus 
sou|de ,  parce  qu'il  était  moins  riche  et  moins 
éclairé.  Les  rii^es  cai^aisons  des  galions  d'Amé- 
rique ne  BufEsaient  pas  aux  dilajHdations'des 
roiais^es;  l'impôt  terntcmal  fut  haussé  au  point 
de  lirapp»  la  terre  de  stérilité.  L'Esp^ne  souf- 
frait de  la  décadeuce  de  l'agriculture  et  de  la 


=dbvGooglc 


CHAPITRE    XXVI.  459 

.  population;  et  semblable  à  un  malade  exténué, 
qui  croirait  regagner  ses  forces  en  se  faisant 
ouvrir  les  veines,  Philippe  ne  prenant  conseil 
que  (le  sa  superstition,  et  n'écoutant  que  les  fu- 
nestes conseils  des  archevêques  de  Tolède  et  de 
Valence,  avait  banui  de  ses  états  six  cent  mille  1609 
Morisques.  Malgré  l'oppression  sous  laquelle  ils  ,gjQ, 
gémissaient ,  les  Morisques ,  actifs  et  intelligents , 
cultivaient  et  embellissaient  le  pays.  Ce  fut  une 
fwrte  iiréparable  pour  le  royaume.  Au  dehors, 
l'Espagne  avait  perdu  de  sa  considération  et  de 
sa  puissance.  Elle  avait  même  été  forcée  de  con- 
clure une  trêve  de  douze  ans  avec  la  république 
des  Provinces-Unies,  et  de  reconnaître  leur 
indép^3VlaDce.  Mais  les  gouverneurs  et  les  en- 
voyés qui  la  représentaient  dans  les  différentes 
parties  de  la  mouarchie,  et  dans  les  pays  étran- 
gers, étaient  encore  animés  de  l'esprit  domina- 
teur et  inquiet  de  Philippe  11.  Ne  pouvant  plus 
parvenir  k  la  domination  universelle  par  le  dé- 
ploiement d'une  grande  puissance ,  ils  étaient 
réduits  à  devenir  des  conspirateurs ,  et  substi- 
tuaient aux  attaques  ouvertes  et  aux  négocia- 
tions franches,  des  trames  secrètes  et  des  com^ 
plots  homicides. 

L'Italie  venait  d'être  le  théâtre  d'une  de  ces 
conspirations  ourdies  avec  art,  profoodément 


DiaiiiJdbïGoogle 


4(io  PIBTIE    I. P^BIODE    IV. 

combinées,  et  loDg-temps  couvertes  d'un  voile 
impénétrable  ;  elle  était  encore  étonnée  de  l'an- 
Hace  du  projet,  et  partagée  entre  la  saq)nse  et 
l'eflroi.  L'Europe  entière  avait  été  indignée  de 
cet  attentat;  l'Espagne  en  avait  récompensé  les 
auteurs.  Trois  hommes  que  rapprochaient  le  ta- 
lent ,  le  goût  et  même  le  besoin  des  entreprises 
hasardeuses,  avides  de  la  gloire  qui  suit  trop 
souvent  les  succès  de  ce  genre ,  et  jaloux  des 
récompenses  que  le  cabinet  espagnol  accordait 
aux  crimes  qui  lui  étaient  utiles ,  avaient  uni  leur 
génie,  leurs  ressources  et  leur  activité  pour  dé-  - 
truire  Venise ,  la  plus  ancienne  et  la  plus  illustre 
des  républiques  de  l'Italie.  Tous  trois  étaient 
revêtus  d'un  caractère  public.  Le  marquis  de 
Tolède  était  gouverneur  de  Milan;  le  duc  d'Os- 
sune,  vice-roi  de  Maples;  le  marquis  de  Bedmar, 
ambassadeur  d'Espagne  à  Venise.  Leur  plan 
était  de  mettre  le  feu  à  l'arsenal  de  Venise ,  et 
de  profiter  du  désordre  et  de  la  confusion  que 
cette  catastrophe  devait  amener,  pour  s'empa- 
rer de  la  ville,  et  bouleverser  l'état.  Tolède  de- 
vait faire  avancer  des  troupes  du  côté  du  Mî- 
lanez;  d'Osstine  avait  promis  d'envoyer  une 
flotte  dans  la  mer  Adriatique ,  sous  prétexte  de 
punirles  brigands  qui  l'infestaient;  Bedmar  avait 
employé  les  intrigues,  l'argent,  les  promesses. 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    IXVl.  461 

pour  se  former  un  parti  dans  Venise  tnéine^  et 
gagner  les  ouvriers  de  l'arsenal.  Il  comptait  sur 
les  Bemabottes ,  la  petite  noblesse  de  Venise , 
toujours  jalouse  des  patriciens  riches  et  distin- 
gués; sur  la  noblesse  de  la  terre-ferme,  qui, 
exclue  du  gouvernement,  était  étrangère  à  l'es- 
prit public,  et  devait  désirer  une  révolution  qui 
mettrait  ses  maîtres  à  son  niveau;  sur  cette 
populace  nombreuse  qui ,  sans  fortune  et  sans 
principes,  n'attend,  dans  toutes  les  grandes 
villes,  qu'un  acheteur  pour  se  vendre  au  crime. 
Les  craintes  et  les  espérances  que  Bed!mar  savait 
répandre  habilement,  l'étonnement  et  l'efiroi 
que  la  première  explosion  devait  faire  naître, 
pouvaient  promettre  aux  conspirateurs  un  suc- 
cès complet.  L'hôtel  de  l'ambassadeur  était  le 
foyer  des  complots;  l'arsenal ,  le  théâtre  secret  de 
leurs  mouvements:  tout  était  concerté,  prévu, 
préparé;  les  rôles  étaient  distribués.;  la  marche, 
le  jour ,  l'heure  même  étaient  axés;  la  vigilance 
du  conseil  des  dix  était  en  défaut  ;  Venise  pé- 
rissait. Peu  d'heures  avant  la  catastrophe,  le  re- 
mords parla  dans  t'ame  d'un  des  conjurés;  il 
révéla  tous  les  détails  du  complot  ;  le  gouver- 
nement répara  sa  sécurité  par  des  mesures  aussi 
sages  que  promptes  et  vigoureuses;  la  républi- 
que fut  sauvée.  t6»8- 


DiailizodbvGoOgle 


4Ga  PARTIR    I.  pémoDE    IV. 

Cett€  conjuration  avait  donné  k  Iltalie  la  me- 
sure de  Taudaèe  et  de  l'ambition  de  l'Espagne  ; 
mais  au  lieu  de  provoquer  de  justes  vengeances, 
ce  terrible  exemple  n'avait  feit  que  glacer  de 
terreur  tous  les  esprits.  Venise  elle-même  s'était 
vue  dans  la  cruelle  nécessité  <le  dissimuler  son 
ressentiment ,  et  le  silence  qu'elle  garda  fut  si 
profond,  qu'il  répandit  même  quelques  doutes 
sur  la  certitude  de  l'événement. 

L'Italie  jouissait  de  la  paix ,  mais  c'était  la  paix 
de  la  servitude.  Maîtresse  du  Milanez  et  de  Na- 
ples ,  l'Espagne  contenait  dans  la  soumission  le 
Nord  et  le  Midi.  Dans  les  états  où  elle  ne  do- 
minait pas  par  la  force,  elle  régnait  par  son 
crédit  et  par  une  influence  toujours  active.  Les 
patriotes  éclairés  de  l'Italie  désiraient  que  la 
France  y  acquit  de  la  considération  et  de  l'as- 
cendant, pour  contre-balancer  le  pouvoir  de 
l'Espagne;  mais  ce  moment  n'était  pas  encore 
venu. 

Paul  V,  qui  occupait  la  chaii-e  de  Saint-Pierre, 
haïssait  l'Espagne  comme  souverain;  mais  sa 
haine  était  impuissante;  et,  en  qualité  de  pape, 
il  ménageait  cette  puissance  redoutable;  son  in- 
térêt lui  dictait  de  ne  pas  se  brouiller  avec  eHe. 
Ce  pays  ,  dévoué  à  la  religion  catholique,  était 
une  mine  de  richesses  pour  le  Saint-Siège. 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE     XXVI.  /|63 

La  Toscane  ft'enricliîssait  par  le  commerce. 
Côme  II  qui  gouvernait  ce  petit  état ,  se  livrait, 
à  l'exemple  des  premiers  Médicis,  à  des  spé- 
culations mercantiles,  et,  sous  des  noms  em- 
pruntés, feisait  de  grandes  affaires.  C'était  sous 
le  sien  qu'il  protégeait  les  lettres ,  et  même  la 
philosophie.  Pour  assurer  son  existence  poli- 
tique, il  tâchait  de  suppléef  par  l'adresse  k  la 
force  qui  lui  manquait. 

Les  Gonzagues ,  qui  régnaient  k  Mantoue , 
ainsi  qUe  les  duGâ  de  Parme  et  de  Modène,  n'é- 
taient que  des  souverains  titulaires  :  les  vice-rois 
d'Espagne  leur  dictaient  deâ  ordres  et  dirigeaient 
toutes  leurs  démarches. 

Charles -Emmanuel,  duc' de  Savoie,  avait 
perdu  ,  par  le  traité  de  Lyon  ,  la  Bresse  et  le 
Bugey  ;  il  avait  été  dédommagé  de  cette  perte 
par  l'acquisition  du  marquisat  de  Saluces.  La 
Savoie  travaillait  sourdement  à  s'agrandir  aux 
dépens  de  Gènes;  elle  y  excitait  el  fomentait  des 
troubles  dont  elle  espérait  profiter.  Gênes ,  jadis 
puissante ,  était  réduite  à  prévenir  ou  k  repous- 
ser les  attaques  d'un  ennemi  qu'elle  avait  long- 
temps méprisé. 

Pendant  que  les  états  de  l'Italie  marchaient  à 
leur  décadence,  la  république  des  Provinces- 
Unies  ,  qui  s'était  déjà  fortifiée  au  milieu  des 


DiailizodbvGoOgle 


464  PARTIE    I. PÉRIODE    IV. 

orages,  achevait  de  se  consolider  au  sein  de  4a 
paix.  Elle  avait  forcé  l'Ëspagoe  de  signer  sou 
acte  d'affiranchissement.  £n  vain  Philip]>e  II  avait 
espéré  recouvrer  les  Provinces-UDÎes  pour  sa 
maison,  en  faisant  épouser  à  l'ArcLiduc  Albert 
l'infante  Isabelle ,  et  en  lui  cédant  les  Pays-Bas. 
La  nouvelle  république  était  trop  éclairée  pour 
s'aveugler  sur  ses  vrais  intérêts  ;  elle  était  trop 
puissante  pour  craindre  l'issue  de  la  guerre.  Les 
talents  d'Ambroise  Spinola,  qui  combattait  avec 
zèle  pour  l'Archiduc,  avaient  trouvé  dans  ceux 
de  Maurice ,  héritier  du  pouvoir  ,  du  nom  et  de 
la  gloire  de  Guillaume,  un  rival  digne  de  lui, 
et  plus  d'une  fois  la  fortune  de  la  république 
triompha  du  génie  et  des  efforts  de  l'habile 
Génois.  L'Espagne  avait  senti  le  besoin  de  la 
pais ,  cependant  elle  n'avait  voulu  conclure 
qu'une  trêve  ;  mais  la  trêve  signée  par  elle  était 
une  véritable  paix.  Le  président  Jeannin ,  qui 
1609.  négociait  pour  lé  Provinces  -  Unies  au  Jioni  de 
la  France,  avait  eu  une  grande  influence  sur  ce 
traité.  L'orgueil  espagnol  avait  vu  dans  le  terme 
de  trêve  un  déguisement  heureux  de  son  im- 
puissance ,  et  la  république  comptait  en  profiter 
pour  augmenter  ses  forces.  Elle  se  réservait 
d'achever  l'humiliation  de  son  ennemi,  quand 
elle  aurait  pris  plus  de  consistance ,  et  que  les 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVI.  465 

événements  auraient  amené  des  circonstances 
favorables,  qu'il  n'était  pas  difficile  de  prévoir. 
Mais,  tranquille  et  déjà  respectée  au-dehors,  ta 
république  était  agitée  par  des  troubles  inté- 
rieurs. Les  deux  partis  qui .  ont  toujours  existé 
dans  toutes  les  républiques ,  s'étaient  formés  de 
bonne  heure  dans  les  Provinces- Unies.  Tous 
deux  voulaient  le  bonheur  de  la  patrie  ;  tous 
deux  comptaient  d'excellents  citoyens;  mais  tous 
deux  pouvaient  fournir  un  uiasq.ue  et  des  armes 
à  t'ambilion.  L'un  craignait  que  l'autorité  du 
gouvernement  ne  dégénérât  en  despotisme , 
l'autre  que  la  liberté  du  peuplé  ne  prît  les  ca- 
ractères de  la  licence  et  de  l'anarchie  :  le  premier 
voulait  que  le  pouvoir  fût  partagé  et  amovible, 
et  que  la  part  des  Etats  fût  beaucoup  .plus  grande 
que  celle  du  Stadthouder  ;  le  second ,  persuadé 
qu'il  fallait  concentrer  et  fixer  tes  ressorts  du 
gouvernement  dans  im  petit  nombre  de  mains, 
inclinait  à  augmenter  la  prérogative  du  prince. 
Maurice  était  naturellement  le  chef,  et  l'ame 
du  parti  qui  voyait  le  bonheur  public  dans  le 
maintien  et  l'accroissement  de  son  autorité  ;  01- 
den  Barneweldt ,  avocat  de  la  province  de  Hol- 
lande ,  était  regardé  comme  le  chef  de  l'autre. 
Ce  vertueux  citpyen  était  .républicain  par  ses 
mœurs  et  son  caractère ,  encore  plus  que  par 
2  3o 


D„j,i,zt!dbvGoogIe 


466  PARTIE    I.  PiRIOUK     IV. 

ses  principes,  il  ne  séparait  jamais  la  cause  (le 
la  liberté ,  dans  son  cœur  ni  dans  sa  tête ,  de 
celle  de  l'ordre  et  de  la  justice;  mais  il  se  défiait 
de  l'ambition  et  des  grands  talents  de  Maurice  ; 
il  craignait  les  excès  auquel  la  recounaissaoce 
pouvait  entraîner  les  Bataves.  A  un  esprit  lu- 
mineux, sage  ,  profond  ,  il  joignait  une  grande 
expérience  des  âfFalres ,  nu  zèle  infatigable  pour 
son  pays  «l  une  simplicité  vraiment  antique.  Il 
avait  blanchi  dqns  des  travaux  utiles  à  l'état; 
SA  vigilance  inquiète  avait  veillé  sur  la  république 
naissante;  il  avait  conjuré  les  dangers  extérieurs 
par  sa  fermeté  dans  les  moments  crù^ques  et 
par  l'a^  des  négociations.  C'était  principalemeut 
à  lui  que  les  Hollandais  devaient  les  avantages 
de  la  trêve ,  et  tout  nouvellement  il  avait  en- 
gagé le  roi  d'Angleterre  à  leur  rendre  la  Brille, 
Flessingue  et  Ramekens.  Trente-tiois  années  de 
services  lui  avaient  acquis  un  crédit  mérité.  Dans 
le  tenips  de  l'adminbtration  de  I>eicester,  il 
avait  sauvé  la  république  de  son  ambition,  et 
il  observait  d'un  œil  éclairé  celle  de  Maurice. 
Les  deux  partis,  surveillants  naturels  l'un  de 
l'autre,  auraient  entretenu  dans  l'état  un  esprit 
d'opposition  salutaire,  et,  restant  ttanquilles, 
auraient  servi  la  chose  publique  par  leur  dé- 
fiance réciproque ,  saus  les  quf»-elles  théologi- 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRU:     XXVI,  4S7 

ques  qui  s'élevèrent  ctaiisces  Provinces.  L'église 
protestante,  par  la  liberté  qui  la  caractérise, 
favoiise  la  variété  des  opinions.  Celte  variété, 
qui  entretient  le  mouvement  des  esprits,  serait 
un  bien  pour  l'espèce  humaine ,  si  les  passirNns 
ne  se  hâtaient  pas  toujours  de  fairs  atbanCe 
avec  les  opinions  utiles  à  leurs  vues ,  et  si  k 
politique  ne  corrompait,  par  un  alliage  imptir,  ' 
les>  idées  les  plus  saîoes.  La  Hollande  en  offrit 
un  triste  exemple.  Deux  sectes  opposées  étaient 
nées  à  l'université  de  Leyde.  Jacqties.  Armiuios  1609. 
avait  mitigé  les '  principes  sévères  et  durs- de 
Calvin  siu*  la  prédestiDation  et-  la  grâce?'  il 
croj»t  que  l'uaagc  que- l'homme  fait  de  sa  H- 
berté  est  la  ocHKkliïHi  du  salut  et  la  raison  des 
décrets  divins.  Françcàs  Genoar  soutenait  les 
principes  de  Calvin  dans  toute  leur  rigueur; 
pour  sauver  la  liberté  de  Dieu  «  il  anéantissait 
celle  de  l'homme.  Ces  questions ,  qui.  tiennent 
à  tout  ce  que  la  métaphysique  a  de.[diM.Bubti(., 
n'auraieot  jamais  dû.  être  agitées  parie  comnjim  ~ 
des  esprits;  des  écoles  où-  ftlles  -avaient  prie 
naissance  ,  elles  passèrent  dans  tonte»  les  Iaa9il>-  ^ 
les;  bientôt  la  Hollande  fut  divisée:. d'opinion 
sur  des  objets  inoompré^osiblaspouv  la-  phi- 
part  des  hommes,  obscurs  pour  tousi  Les  nemfi 
de  secttt  aefaevérent  de  toutperdre)  on  ire  vît 
3o. 


DiailizodbvGoOgle 


468  PARTIE    I. PÉRIODE     IV. 

plus  que  des  Gomaristes  et  des  Arminiens.  Olden 
Barneweldt  trouvait  les  idées  d'Arminius  plus 
simples  et  plus  saines  que  celles  de  Gomar, 
parce  qu'elles  étaient  conformes  au  sens  intime 
et  à  la  dignité  de  la  nature  morale  de  l'homme. 
Maurice  redoutait  l'ascendant  de  BarneTtreldt,  et 
le  haïssait  comme  Tennemi  secret  de  sa  per- 
sonne et  de  sa  maison.  Il  suffisait  que  Barneweldt 
épousât  le  parti  d'Arminius ,  pour  que  le  prince 
<rOrange  se  déclarât  en  faveur  de  Gomar.  Les 
deux  partis  se  prononçant  plus  ibrtement  l'un 
contre  l'autre,  et  les  chaires  retentissant  d'in- 
jures et  de  déclamations  violentes ,  on  crut  que 
le  vrai  moyen  de  terminer  cette  lutte  scanda- 
leuse serait  de  porter  le  procès  devant  uu  sy- 
node national.  Les  arminiens,  plus  doux,  plus 
tolérants  et  plus  faibles  que  leurs  adversaires  , 
avaient,  eux-mêmes  demandé  que  la  cause  de 
leurs  opinions  iut  jugée.  Barnevireldt  et  les  Étals 
de  Hollande,  qu'il  dirigeait  de  concert  avec  le 
savant  et  profond  Grotius ,  étaient  contraires  à 
la  convocation  d'un  synode.  A  leurs  yeux,  la  dé- 
cision d'une  assemblée  de  ce  genre  ne  prouvait 
ni  pour  ni  contre  la  vérité  d'un  principe;  ses 
arrêts  ne  pouvaient  avoir  force  de  loi,  car  les 
lois  ne  doivent  porter  que  sur  les  actions,  et 
les  opinions  ne  sont  pas  de  leur  ressort;  d'ail- 


DiailizodbvGoOglf 


CUAPITAE    XXVI.  46g 

leurs,  il  était  facile  de  prévoir  qUe  les  arminieus 
seraient  condamnés -à  ce  synode,  et  leur  tolé- 
rance oonvenait  mieux  à  une  république  com- 
merçante que  l'intolérance  de  leurs  adversaires; 
enfin ,  tes  Etats  de  Hollande  croyaient  que  cha- 
que province  n'avait  besoin  de  prendre  conseil 
que  d'elle-même  dans  ttfut  ce  qui  regardait  la 
religion.  Pour  appuyer  leur  résistance  et  faire 
régner  l'ordre  dans  les  villes  que  les  goraaristes 
troublaient  par  leur  violence ,  les  États  de  Hol- 
lande levèrent  des  troupes ,  sans  le  concours  de 
Maurice,  capitaine-général  de  ta  république.  Ce 
fut  te  signal  des  vengeances.  Le  prince ,  blessé 
de  cette  atteinte  portée  à  son  pouvoir,  excité 
par  les  gomaristes  à  des  mesures  hardies ,  sûr 
de  la  protection  de  ce  parti  nombreux  et  puis- 
sant, saisit  cette  occasion  de  satisfaire  sa  liaiae 
contre  Otden  Bameweldt ,  à  qui  il  ne  pardon- 
nait pas  d'avoir  hâté  la  conclusion  de  la  trêve 
avec  l'Espagne.  Ce  respectable  vieillard  fut  ar- 
rêté avec  Hogerbeets,  Grotius  et  Ledenbei^,  ses 
partisans  déclarés.  Maurice  voulait  le  perdre; 
pour  y  réussir,  il  se  mit  au-dessus  de  toutes,  les 
lois.  L'arrestation  se  fit  sans  la  permission  des 
Etats-généraux ,  et  l'on  n'eut  aucun  égard  aux 
représentations  fortes  et  motivées  des  États  de 
Hollande.  Le  fanatisme  des  gomaristes  se  prètaili 


DiailizodbvGoOgle 


470  PARTIE    I.  PHBIODE    IV. 

a  toutes  les  ilémarches  illégales  du  prince ,  on' 
les  sanctionaait  après  qu'il  se  les  était  permises. 
he$  Étatfr^énéraux  approuvèrent  ce  qui  s'était 
fait  ;  on  écarta  des  États  de  Hollande  et  des  ma- 
gistratureâ  des  villes  tous  les  arminiens;  on  leur 
substitua  des  goraaristes,  et  les  corps,  qui 
avaient  généreusement  protesté  contre  le  des- 
potisme de  Maurice ,  ne  firent  plus  entendre 
que  des  applaudissements.  Encouragé  par  ces 
succès ,  le  prince  fait  instruire  le  procès  de 
Barneweldt  et  de  ses  amis.  La  plupart  de  leurs 
juges  étaient  leurs  ennemis  dériarés;  c'étaient 
des  fanatiques  qui  se  croyaient  tout  permis  pour 
assurer  le  triomphe  de  leur  cause,  ou  de  ces 
ètreâ  faibles  et  liches,  toujours  vmdus  au  pou- 
voir qui  les  paie  ou  les  intimide.  Dans  l'im- 
poâstbililé  de  trotiver  même  des  torts  à  ces  il- 
lustres, citoyens  ,  on  leur  imputa  des  crimes;  on 
accusa  Barneweldt  d'avoir  trahi  la  patrie  qui  lui 
devait  so»  existence.  L'envoyé  de  I^Vance,  du 
Mauriev ,  et  la  princesse  dosairière  d'Orange , 
vewlant  épargner  à  Maurice  et  ji  la  république 
un  étesiid  sujet  déboute  et  de  regret,  élevèrent 
leur  voiix  en  faveur  de  Barneweldt  ;  son  ^e  t  ses 
vertus,  ses  longs  et  irantortels  services  parlaient 
pour  Im  avec  une  force  à  laquelle  on  ne  pou- 
vait rien  ajoutée  ;  tout  ftM  inutile.  Son  épouse 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XXVI.  4?' 

et  sea  enfants  demandèrent  il  grands  cris  qu'on 
lui  rendit  justice  ,  et  elle  lui  fut  refusée  ;  rîiais 
dignes  d'appartt^nir  k  ce  grand  homme  par  leur 
aobit  fierté ,  ils  ne  voulurent  pas  le  déshonorer 
ni  se  déshonorer  eux-flaénies  en  «^mandant  sa 
gracé ,  qu'ils  auraient  peut-être  oblfenue  de  l'or- 
gueil de  Maurice.  A  l'âge  de  soixante-douze  ans,  1619. 
Bsrheweldt  pottz  sur  l'échafaud  sa  tête  blanchie 
dnns  des  travaux'  honorables.  Tout  en  protes- 
tant de  son  irmocence,  il  abandonna  sans  peine 
à  fa  fureur  de  ses  ennen^rs  les  restes  d'une  vie 
que  la  nature  devait  bientôt  terminer,  et  son 
dernier  soupir  fut  un  voeu  pour  cette  patrie  in- 
grate qui  récompensait  par  le  supplice  trente- 
trois  ans  de  dévouement  Hogerbeets  et  Grotius 
furent  condamnés  à  une  priiiOn  perpétuelle  ; 
Ledenberg ,  efftéyé  de  la  torture  dont  on  le  me- 
naçait, s'était  lu^rtième  donné  ta  mort.  Le  sy- 
node de  Dordreéht  condamna  les  arminiens ,  et 
l'on  sévit  contre  euit  àaaS  toutes  Ici  provinces. 
Au  milieu  de  ces  scènes  tragiques  dont,  pour 
la  gloire  dé  Maurice  et  l'honneur  de  l'humanité, 
on  voudrait  pouvoir  effacer  le  souvenir,  l'in- 
dustrre  et  le  commerce  de  la  république  fai- 
saient des  progrès  continuels,  et  se  dévelop- 
paient avec  une  rapidité  prodigieuse.  Le  pavil- 
lon hollandais  se  montrait  ^ur  toutes  les  mers; 


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47^  PARTIE     1.  PÉRIODE     IV. 

douze  cents  vaisseaux  marchands  portaient  dans 
les  ports  de  la  Hollande  les  productions  du 
monde  connu,  et  les  faisaient  circuler  dans 
toute  l'Europe.  Ces  richesses  permettaient  aux 
Provinces-Unies  d'entretenir  trente  mille  hom- 
mes d'in^terie.et  quatre  mille  chevaux.  Leurs 
places  étaient  fortifiées  avec  art,  letu-s  camps 
regardés  comme  Técole  de  la  valeur,  et  la  jeune 
noblesse  d'une  grande  partie  de  l'Europe  s'em- 
pressait à  venir  apprendre  la  guerre  sous  les 
ordres  du  prince  Maurice  et  de  son  frère  Fré- 
déric-Henri. 

L'Angleterre  ne  conservait  plus  en  Europe  la 
haute  considération  dont  elle  avait  joui  sous  te 
règne  d'Elisabeth.  Le  caractère  p«^oanel  de 
Jacques  et  le  système  politique  qu'il  avait  suivi 
depuis  sou  avènement  au  trône,  la  lui  avaient 
j6o3.  fait  perdre.  Ce  prince  avait  été  proclamé  roi, 
par  le  parlement ,  aussitôt  après  la  mort  d'Eli- 
sabeth, qui  le  désigna  pour  son  successeur.  Jac- 
ques, fils  de  Marie  Stuart  et  de  Damley,  n'avait 
aucune  des  qualités  aimables  et  brillantes  de  sa 
mère.  Son  esprit  n'était  pas  dépourvu  de  saga- 
cité, mais  il  manquait  de  justesse  et  d'étendue. 
Plus  instruit  que  ne  le  sont  la  plupart  des  sou- 
verains, il  l'était  sur  des  objets  étrangers  à  son 
état,  et  s'occupait  beaucoup  de  théologie.  Dans 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE    XX.VI.  473 

le  choix  de  ses  études  et  par  l'étalage  qu'il.faisait 
de  son  savoir,  il  montrait  une  pédanterie  ridi- 
cule. Passionné  pour  la  chasse  et  poiu*  tous  les 
genres  de  spectacles,  il  avait  «de  la  gaieté  sans 
noblesse,  et  ne  savait  pas  être  populaire  avec 
dignité.  Sa  timidité  le  faisait  répugner  à  toutes 
les  entreprises  difficiles  ou  d'un  succès  douteux. 
Trop  faible  ou  trop  indolent  pour  gouverner 
par  lui-même,  il  avait  cependant,  sur  l'origine 
et  la  nature  de  l'autorité  royale,  les  idées  les 
plus  exagérées  et  tes  plus  contraires  à  l'esprit 
du  siècle.  Embarrassé  même  de  la  mesure  de 
pouvoir  que  les  lois  lui  assuraient,  il  s'imagi- 
nait qu'un  pouvoir  illimité  serait  seul  à  l'unisson 
de  ses  talents,,  de  sa  «iignité  et  de  ses  devoirs. 
Les  Ecossais  l'aimaient  sans  l'estimer  et  sans  le 
craindre;  les  Anglais,  le  comparant  avec  Eli- 
sabeth, le  jugeaient  peu  propre  à  soutenir  la 
gloire  de  la  nation,  et  ne  voyaient  en  lui  qu'un 
esprit  étroit  et  une  ame  commune. 

Son  avènement  au  trône  avait  réuni  deux 
puissances  long-temps  rivales  et  ennemies  na- 
turelles l'une  de  l'autre.  Dans  la  joie  qu'avait 
l'Ecosse  de  donner  un  roi  à  l'Angleterre,  elle 
oubliait  qu'elle-même  allait  jouer  un  rôle  se- 
condaire, et  de-son  côté  la  réunion  entière  des 
deux  royaumes  n'aurait  peut-être  pas  rencontré 


DiailizodbvGoOgle 


474  PARTIE    1. P^HIOUE    IV. 

de  difficultés  insurmontables.  Mais  l'Angleterre 
n'était  pas  encore  assez  éclairée  sur  ses  vrais 
intérêts,  ponr  exécuter  un  projet  (ïicté  par  la 
saine  politique.  D'ailleurs  l'organisation  de  )'£- 
glise  en  Ecosse  et  les  principes  reKgieuit  des 
Ecossais  s'opposaient  à  l'union  des  deux  peu- 
ples. Les  différentes  sectes  se  prononçaient  alors 
arec  phis  de  force.  Quoique  Jacques  eût  été 
élevé  dans  les  maximes  rigides  des  presbyté- 
riens, il  protégeait  la  hiérarchie  anglicane  y  par 
goût  encore  plus  que  par  devoir.  Il  croyait  y 
trouver  un  des  plus  fermes  appuis  du  pouvoir 
royal,  tandis  que  la  doctrine  des  presbytériens 
lui  paraissait  le  menacer.  Cette  derrière  avait 
fait  de  grands  progrès  en  Angleterre,  et  même 
elle  y  avait  pris  wi  caractère  alarmant  pour 
l'ordre  et  la  liberté  puliitique.  Les  porittfins 
commençaient  à  devenir  dangereux,  et  se  plai- 
gnaient hautement  de  Jacques.  De  leçr  côté,  les 
catholiques,  qui  s'étaient  flattés  que  le  fils  d'une 
reine  catholique  replacerait  leur  religion  sur 
le  trône  ,■  s'irritaient  de  voir  que  Jacques  eût 
trompé  leurs  espérances.  Dans  leur  fanatisme 
aVeugle  et  cruel',  persuadés  que  le  but  légitime 
les  moyens,  exâtés  sé<a-ètemeat  par  les  jésuites, 
agents  du  pape  et  de  KEspagoe,  ils  formaient 
deS'  etwij«rat4oii9  toujotirs  renaissantes  contre  le 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVI.  ^-jH 

gouvememeiit.  La  plus  terrible  de  toutes  avait 
été  la  conjuration  des  poudres.  On  ne  voulait 
rien  moins  que  faire  périr  le  roi,  la  famille 
royale,  la  cour  et  les  deux  cbambres  assemblées. 
Jamais  peut-être  le  fanatisme  ne  s'était  montré 
pliis  atroce,  plu»  réfléchi,  plus  inaccessible  aux 
remords.  Mais  une  lettre  obscure,  écrite  par 
l'un  des  conjurés  i  un  pair  du  royaume,  qui 
(tevait  être  épargné,  et  la  sagacité  de  Jacques  A 
l'interpréter,  sauvèrent  l'Angleterre. 

Malgré  les  complots  homicides  des  catholi- 
ques el  les  preuves  multipliées  de  leurs  intelli- 
gences avec  l'Espagne,  Jacques  avait  non-seule- 
ment fait  la  paix  avec  cette  puissance,  mais  il  n 
paraissait  encore  vonlorr  former  avec  elle  des 
relations  plus  intime;^.  Soit  politique,  soit  jalou- 
sie, il  n'inelinait  pas  pour  la  France.  L'adresse 
et  l'éloqnence  de  Sully  l'avaient  gagné  en  appa- 
rence anx  grands  projets  de  Henri  IV,  mais  il 
ne  les  aurait  probablement  jamais  appuyés.  La 
Hollande,  dont  l'Angherre  regardait  la  prospé- 
rité et  la  puissance  comme  son  ouvrage,  nlnté- 
ressait  Jacques  que  faiblement.  Infidèle  au  sys- 
tème politique  qu^Élisabeth  avait  suivi  avec  tant 
de  gloire,  il  voulait  conserver  la  paix  à  tout 
prix ,  fàt-ce  aux  dépens  de  ta  considération  el 
de  l'honneur  national ,  parce  qu'il  ne  savait  pas 


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476  PARTIE    I,  p:éRIOD£    IV. 

faire  la  guerre,  et  qu'en  général  il  étaîLpeu  fait 
pour  paraître  avec  éclat  dans  des  circonstances 
critiques.  Les  Anglais,  passiounés  pour  les  en- 
treprises hasardeuses ,  ennemis  de  l'Espagne  par 
religion  encore  plus  que  par  politique ,  et  qui 
de  tout  temps  otit  préféré  les  dangers  de  la 
gloire  et  l'activité  de  la  puissance  à  la  nullité 
d'une  existence  précaire  et  obscure,  murmu- 
raient contre  la  pusillanimité  de  Jacques  ,  et  ne 
déguisaient  pas  leur  mépris  poiu*  sa  personne. 

Cependant  on  lui  doit  la  justice  de  dire  qu'il 
employait  les  loisirs  de  la  pais  à  des  travaux 
utiles.  L'Irlande,  toujours  inquiète,  agitée  et 
étrangère  aux  bienfaits  de  la  civilisatiou,  avait 
vu  naitre  dans  son  sein  une  oi^nisation  judi- 
Claire  qui  garantissait  la  liberté  civile  des  indi- 
vidus de  toutes  les  classes.  Des  lois  écrites 
avaient  été  substituées  à  des  coutumes  arbi- 
traires et  vagues.  La  navigation  avait  été  encou- 
ragée. Le  gouvernement  favorisait  les  nouveaux 
établissements  dans  l'Amérique  septentrionale 
et  les  Antilles.  Ces  colonies  produisaient  de  nou- 
velles valeurs,  et  ouvraient  im  vaste  marché 
aux  manufactures  anglaises.  Dans  ce  temps,  les 
entreprises  de  ce  genre  étaient  ordinairement 
formées  par  de  simples  particuliers  actife  et 
hardis,  qui  ne  demandaient  au  souverain  que  la 


DiailizodbvGoOglf 


CHAPITRE     XXV  i.  l\']'] 

permission  d'entreprendre;  on  abandonnait  k 
peu  près  à  eux-mêmes  ces  établissements,  qui 
devaient  être  un  jour  le  principe  de  la  richesse 
de  l'Angleterre,  et-  ils  n'wi  prospéraient  que 
mieux.  Elisabeth  avait  laissé  subsister  ou  même 
créé  des  monopoles  de  commerce;  elle  voulait 
encourager  le  génie  des  spéculateurs  par  l'appât 
d'un  grand  profit,  A  cette  époque  les  monopoles 
arrêtaient  l'essor  de  l'activité,  et  entravaient  l'in- 
dustrie; Jacques  tâcha  de  les  abolir. 

Pendant  que  ces  travaux  pacifiques  et  utiles 
tendaient  à  lui  réconcilier  sa  nation ,  ses  favoris 
le  perdaient  dans  l'esprit  du  peuple.  Il  les  choi- 
sissait sans  discernement ,  leur  prodiguait  les 
honneurs ,  ignorant  ou  pardonnant  les  abus  ré- 
voltants qu'ils  faisaient  de  leur  pouvoir.  Robert 
Carr,  qu'il  avait  créé  comte  de  Sommerset,  et  v 
qui  le  gouvernait  en  maître,  n'avait  dû  sa  fur- 
tune  qu'à  une  figure  agréable  et  à  des  manières 
séduisantes.  Ses  liaisons  scandaleuses  avec  la 
comtesse  d'Esscx ,  l'empoisonnement  de  Tho- 
mas Owerbury ,  qui  avait  été  son  guide ,  son 
ami ,  et  qui  n'avait  eu  d'autre  tort  que  de  com- 
battre sa  coupable  passion  ,  son  mariage  amené 
parle  divorce  d'Ëssex,  avaient  rendu  Sommerset 
odieux  à  toute  la  nation.  Jacques  lui-même  avait 
à  la  fin  ouvert  les  yeux  sur  l'indigne  conduite 


DiailizodbvGoOgle 


^•jS  PARTIE    1.  P«HIUUE    IV. 

de  son  favuri.   Le  peuple  demandait  sa  mort . 

mais  le  roi  s'éCtiit  contenté  de  l'éloigner  de  ta 
cour.  Le  mépris  public  et  le  remtvds  avaiml 
fait  justice  de  ce  scélérat ,  et  il  était  mort  à 
cbarge  à  lui-même  et  aux  autres,  odieux  à  son 
>•  odieuse  épouse.  George»  VilUers ,  simple  gentil- 
homme, daus  la  fleur  de  l'â^e  et  de  la  beauté, 
l'avait  remplacé  daoâ  le  cceur  et  dans  la  con- 
fiance de  Jacques  ;  et  bientôt ,  au  titre  de  duc 
de  Buckinghara.  il  avait  réuai  les  plus- hautes 
dignités  et  les  pliices  les  plus  importantes  de 
l'état.  Buckinglyim  avait  plus  d'esprit ,  plus  d'io- 
structiQH  et,  surtout,  plus  d'activité  que  Som- 
ra,erset,  A  l'amour  de  l'or  et  du  pouvoir  il  joi- 
gnait des  velléités  de  réputation  qui  l'arrachaient 
momentanément  aux  plaisirs  et  à  la  mollesse. 
D'ailleurs ,  passionné  pour  la  représentation , 
magnifique,  superbe,  prodigue  des  revenus  de 
l'étal  et  des.  sien^,  confondant  la  hauteur  avec 
la  fierté  ,  l'éclat  avec  la  gloire,  il  accablait  son 
maître  du  poids  de  ses  prétentions,  et  portiait, 
jusque,  dans  ses  relations  avec  les  femmes  ,  d«s 
bespit^s  4^  vanité  incompatibles  avec  l'amour. 
Ses  dépenses  insensées  ,  épuisant,  les  ressoiirces 
du  trésor  public,  mettaient  Jacques  dans  la  né^ 
ce^sité.  d'av<w^  recours  aux  parlements.  Lespar^ 
lements ,  moinS'  dociles  que  sous  le  r^ne  de 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVI.  479 

Henri  VHl  et  de  ses  successeurs ,  profitaient  de 
la  pénurie  du  xo\  pour  attaquer  sa  prérogative 
et  augmenter  leur  pouvoir.  Jacques  et  Buckin- 
gbam  opposaient  la  hauteur  et  la  violence  à  un 
langage  qui  était  appuyé  sut  l'écrit  du  temps , 
et  ils  irritaient,  par  une  résistance  maladroite, 
ceux  qu'ils  auraient  pu  gagner  ou  apaiser  par 
une  marche  ferme  et  sage.  La  conduite  du  gou- 
vernement ne  lui  conciliait  pas  l'estime  du  peu- 
ple. On  venait  de  rendre  aux  Hollandais  les 
villes  de  la  Brille,  de  Flessingue,  de  Raraeken^, 
qu'ils  avaient  engagées  à  l'Angleterre ,  et  qui 
étaient  pour  elle  d'une  grande  importance.  Cette 
politique  était  plus  généreuse  qu'habile ,  ou  plu- 
tôt elle  était  simplement  l'efifet  de  la  vénalité 
du  favori  de  Jacques.  L'avidité  de  Buckingham 
lui  avait  lait  proposer  cette  mesUve  au  roi,  qui 
l'avait  adoptée  avec  sa  complaisance  odinaire.  Iji 
mort  de  sir  Walter  Raleigh,  qui  périt  sur  l'é- 
chafaud  avec  le  mçme  courage  qn'il  ava,it  mon- 
tré daas  les  combats ,  acheva  de  pei;d]'e  le  roi 
et  son  ministre  dans  l'opinion  publique.  Raleigh 
avait  une  de  ces  iinaginations  vastes,  fortes,  ar- 
dentes, qui  aiment  de  préférence  les  projets 
extraordinaires,  enfantent  des  combinaisons  ro- 
manesques, et  prennent  Ëicilement  des  désirs 
pour  des  espérances.  Des  âmes  de  cette  trempe 


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48o  PARTIE    I. PÉRIODE    IV. 

sont  toujours  le  foyer  de  passions  violentes,  et 
vivent  dans  une  agitation  continaelle.  Raleigh 
était  ambitieux ,  mais  de  cette  ambition  indiffé- 
rente aux  places  et  aux  titres,  qui  ne  veut  que 
les  jouissances  de  l'activité ,  le  travail  et  la  gloire. 
Les  hommes  de  ce  caractère  sont  quelquefois 
de  grands  hommes ,  mais  souvent  aussi  des 
hommes  dangereux.  Ils  se  jouent  de  la  vie  des 
autres  comme  de  la  leur.  Les  conspirations,  les 
découvertes  lointaines,  les  révolutions  politi- 
ques, la  création  ou  la  ruine  des  états,  sont  les 
seuls  objets  à  l'unisson  de  leur  activité  dévo- 
rante. Raleigh,  navigateur  audacieux ,  marin  ha- 
bile, guerrier  intrépide,  s'était  distingué  sous  le 
règne  d'Elisabeth ,  dans  la  guerre  contre  l'Es- 
pagne, par  des  actions  d'éclat  Sous  le  règne  de 
Jacques,  il  avait  été  accusé  de  projets  contraires 
à  la  tranquillité  publique.  Faute  de  preuves,  on 
n'avait  pu  le  condamner;  mais,  les  présomp- 
tions  ayant  été  trop  fortes  pour  l'absoudre,  il 
avait  été  privé  de  la  liberté.  Dans  sa  prison ,  le 
loisir  et  l'ennui  lui  avaient  fait  entreprendre  des 
travaux  littéraires.  Son  esprit  impatient  du  re- 
pos ,  avait  formé  le  projet  d'écrire  une  histoire 
universelle.  Ces  occupations  paisibles  ne  suffi- 
saient pas  à. son  ame  de  feu.  Aân  de  sortir  de 
captivité ,  il  conçut  le  projet  de  créer  des  éta- 


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CHAPITRE    XXVI.  481 

blissements  nouveaux  sur  les  côtes  de  la  Guyane. 
Le  plan  fut  agréé  par  le  gouvernement ,  et  Ra- 
teigh  ,  qu'on  désirait  élai^r  et  éloigner  de  l'An- 
gleterre, avait  été  chargé  de  l'exéciiter.  Ayant 
mal  réussi  dans  cette  entreprise ,  il  avait  attaqué 
les  possessions  de  l'Espagne.  Cette  violation  du 
droit  des  gens  était  un  délit  grave,  et  devait 
perdre  Raleigh ,  dans  un  temps  où  l'Angleterre 
caressait  TEspagne,  et  où  Bucliingham,  au  mé- 
pris de  la  politique,  voulait  faire  épouser  une 
infante  au  prince  de  Galles.  On  fit^  le  procès  à 
l'audacieux  Raleigh,  qui  paya  de  sa  tête  sa  té- 
mérité ;  sa  mort  fut  pleurée  par  l'Angleterre,  que 
la  religion  et  la  politique  animaient  contre  l'Es- 
pagne ,  et  qui  n'avait  vu  dans  le  supplice  de  cet 
homme  extraordinaire ,  qu'une  nouvelle  preuve 
de  la  haine  du  gouvernement  contre  lui ,  et  de 
la  basse  complaisance  du  ministère  pour  le  ca- 
binet de  Madrid. 

Ainsi  l'Angleterre,  sans  perdre  de  sa  puis- 
sance réelle ,  avait  perdu  de  sa  puissance  d'opi- 
nion ,  en  suivant  un  faux  système  politique  et 
'  en  s'attachant  à  son  ennemie  naturelle.  Elle 
était  plus  riche  qu'elle  ne  l'avait  été  sous  Elisa- 
beth ;  mais  sa  marche  timide  et  incertaine  tra- 
hissait un  défaut  de  confiance ,  et  rendait  ses 
2  3i 


=dbiGôoglc 


48a  PARTIE    1. P^HIOUK    IV. 

ressources  inutiles.  La  hardiesse  des  principes 
et  le  mécontenteoaent  général  y  préparaient  des 
événemefits  qui  devaient  lui  ^r,  pendant  un 
long  espace  de  temps  ,  toute   influence  exté- 


DiailizodbvGoOgle 


CHAPITRE    XXVII.  /|83 


CHAPITRE  XXVn. 

Cimtinu^tioii  du  même  anjct.  ËUt  du  Nord  jusqu'au  com- 
mencement de  la  guerre  de  trente  ans.  La  Suède.  Le 
Danemarck.  La  Pologne.  La  Prusse.  La  Russie.  L'Alle- 
magne. 

JjE  Nord  était  encore  séparé  du  reste  de  l'Eu- 
rope; étranger  à  la  politique  du  Midi  et  aux 
intérêts  qui  l'agitaient ,  il  n'avait  pas  participé  à 
son  développement  et  Jt  sa  culture.  Aucune  des 
puissances  qui  te  composent  n'était  assez  grande 
pour  inspirer  de  la  jalousie ,  m  assez  éclairée 
pour  en  ressentir;  aucune  ne  pensait  à  des  pro- 
jets d'agres&ipn  qui  auraient  obligé  les  autres  à 
préparer  leurs  moyens  de  défense.  M'aysnt  pas 
éprouvé  de  (^ngements  dans  leurs  forces  al>fio- 
lues,  leurs  forces  relatives  étaient  restées  les 
mêmes.  Elles  ne  se  contre-ba)fuiçaient  pa$  l'une 
l'autre;  elles  se  trouvaieift  toutes  à  peu  près 
danç  la  même  impuissance  ;  mjiis  déjà  ^e  pré- 
paraient les  événeoiepts  qui  devaient  Jiss  jj^^-e 
soi^tr  de  leup  t)bsairité;  un  seul  hiomme  re- 
celait dans  soQ  génie  les  moyens  de  puissaoce 
3i. 


DiailizodbvGoOgle 


^84  PARTIE     1. PERIODE     IV, 

qui  devaient  changer  le  système   politique  de 
l'Europe. 

La  Suède  avait  perdu,  depuis  long-temps  le 
créateur  de  son  indépendance  et  de  ses  lois. 
i56o.  Gustave  Wasa  était  descendu  dans  le  tombeau  , 
avec  des  souvenirs  glorieux ,  mais  avec  des  crain- 
tes légitimes  sur  l'avenir  de  son  royaume.  Il 
avait  laissé  trois  61s,  Eric,  Jean  et  Charles.  Eric, . 
d'un  caractère  ardent  et  sombre ,  d'un  tempéra- 
ment  fougueux,  était  emporté  dans  ses  désirs, 
imprudent  dans  sa  conduite.  Jean ,  faible  et  am- 
bitieux, dissimulé  et  faux,  était  également  in- 
capable de  s'élever  au  pouvoir  par  des  moyens 
généreux,  et  de  l'employer  avec  modération. 
Charles,  le  cadet,  joignait  à  une  tête  active  et 
forte,  une  volonté  plus  forte  encore;  avide  de 
pouvoir ,  il  avait  assez  de  génie  pour  faire  un 
bel  usage  de  l'autorité  ;  inflexible  et  souple  tour 
à  tour,  tantôt  il  préférait  les  partis  prononcés 
aux  mesures  adroites  ;  tantôt  il  savait  employer 
à  propos  et  avec  succès  la  ruse  et  l'artifice. 
i56o  Eric  XIV  n'avait  régné  que  huit  ans,  et  il  avait 
i567.  signalé  son  règne  par  des  inconséquences  mul- 
tipliées et  des  violences  révoltantes.  Assez  heu- 
reux pour  ajouter  l'Esthonie  à  la  Suède ,  il  n'a- 
vait dû  cette  conquête  qu'aux  troubles  de  1» 
Ltvonie.  Après  avoir  brigué  la  main  d'Elisabeth, 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVIi.  ^OO     , 

il  s'était  marié  avec  la  611e  d'un  caporal ,  Dom- 
inée Caliberiiie  Moncik.  Jean,  son  frère,  avait 
épousé  une  princesse  catholique  ,  la  fille  de  Si- 
gismond-Ali^uste,  le  dernier  des  Jagellons.  Éric 
le  soupçonna  (  et  ses  soupçons  n'étaient .  pas 
destitués  de  fondement  ),  d'avoir  concerté  sa 
ruine  avec  les  Polonais,  et  de  conspirer  contre 
lui.  Jeaniut  arrêté,  jugé  et  condamné. à  mort; 
sou  frère  lui  fit  grâce  de  la  vie;  ce  fut-ce  .qui 
perdit  le  malheureux  Éric.  Son  humeur!  som- 
bre, défiante  et  cruelle  tenait  à  uu  vice  de  con- 
stitutipn  qu'il  avait  apporté  en  naissant;  cette 
maladie  fit,  à  .la  suite,  de  cette  conspiration, 
des  progrès  rapides  et  alarmants ,  et  cet  infor- 
tuné prince  tonpba  dans  une  véritable  démence. 
Aliéné  et  même  fiirieux,,  il  n'épargnait  personne. 
Jean  et  Chipies,  sesfirères,  soutenus  .par  la  pre- 
mière noblesse  du. royaume,  se  saisiredt  de  lui^  - 
et  renfermèrent  dans  le  château  de  Gripsholm, 
où,  après  avoir  promené  pendant.. plusieurs  an- 
nées sa  mélancolique,  ex^êfice',  il  tnourut  em- 
poisoooé.  Jean  fut  proclama  roi.  Pendant  .un  iSgg. 
règne  de  vingt-quatre  ans,  il  ne  sul:-  gagner  ni 
*  l'amour  de  ses  sujets ,  ni  la  confiance  et  la  con- 
sidération de  ses  Toisins.'  Soa'attachement, se- 
cret pour  la  religion  catholique,  et  son  pen- 
chant à  se  mettre  au-dessus  des  lois,  donnèrent 


DiailizodbvGoOgle 


486  PARTIE    ï- PÉHlODi    IV. 

des  Eipprében&iotis  tégitintes  aux  Suédois  ;  éga- 
lem^t  attachés  k  leurs  lois  et  k  leui-  cuUe;  mais 
son  ttiractère  incettain  et  timide  le  relitlit  peu 
dangereux.  Sigismond,  son  fils',  av&tt  été  élu 

i587.  roi  de  Pologne.  Eri  acquérant  ufie  Couronne 
élective,  il  perdit  un    trône  héréditaire.  A   la 

159a.  mort  de  son  père,  il  montra  aux  Suédois  du 
mépris  pour  les  lois  du  royaume ,  un  zèle  mal- 
adroit et  imprudent  pour  la  religion  catholique, 
et  le  dessein  de  résider  en  Pologne  et  de  trai- 
ter la  âuèd«  en  proviaoe. 

Charles,  son  oncle ,  qui  savait  œ  qu'on  pou- 
vait attendre  et  espérer  àa  caractère  tiationat, 
dans  dds  ciroonstarnses  patelHèB,  et  quifmlnait 
depuis  Idng^erAps  des  plans  ambitieux^  obser- 
vait les  fautes  de  son  neypu ,  les  envenimait  avec 
art,-  eteta  prtAlàit  habilèmetit.  Deux  partis  di- 
visaient la  Suède  :  l'uni'  coAiposé  âe»  grandes 
famtllos,  avait  vu  avec  plaisir  que  le  souverain 
résidât  en  l*oiogne;  il  espérait  rëgnier  en  son 
absence^  et  établir  l'Mïstocïètie  Sur  les  mines 
de  TâutorUé  monardiiqtle':  l'autl^,  foigpé  de 
la  maese  <hi  peuple,  jalôUï  de  sa  Constitution 
politique  et  religteasë,  redbtlttlit  les  atteintes 
dont  Sigi^mond  le  nienaçaît.  Son  oi^ueil  Sup- 
portait irtifïatiemment-  l'idée  de  se  vrar  préférer 
une  autre  nation,  et  it  craignait  le  retour  des 


j^vGooglf 


CHAPITRE     KXVII.  4^7 

temps  d'nvUisMiAèiît  et  d'anarehte ,  triistes  fruits 
de  l'ahion  de  Galmar.  Charies  s'était  ultaiché  à 
ce  parti,  dont  tes  intentîoDfr  étaient  droites, 
mais  qui  était  tndins  éclairé  que  fautrê,  et  plus 
fait  pour  se  laisser  entraîner  pcrr  ses  passions 
qoe  pour  eskuler  s«s  démarehes-;  on  pouvait 
échauffer  txfs  es|rrits,  et  les  mener  avee  plus  de 
facilité.  Ce  fut  à  leur  instigation ,  ou  plutôt  <l(tns 
Tespérmoc  &t  tes  calmer,  que  Sigismond  nomma 
Charles  admiaittrateur  du  royaume  pendant  soii 
absence,  et  hasarda  de  remettre  son  pouvoir 
entre  les  m»iis  de  son  plus  et-uel  ennemi.  L'ha- 
bile Charlra  suivit  une  marche  lente  et  sage,  et 
ne  perdaht  jamais  de  vue  son  but,  il  s'en  appro- 
cha insensiblement.  A  la  fin,  Sigismond,  éclairé 
sur  l'étendue  du  danger  qui  le  menaçait,  réso- 
lut d'employer  la  force  pour  régner  sans  con- 
trôle, et  d«  se  défaire  d'an  tuteur  incommode. 
Batto  k  Staftgeb#(),  il  fut  obligé  de  se  sovimettre,  t5<)9. 
à  la  diète  dâ  LinLoepiag,  aux  conditions  les 
plus  dures.  Quatre  sénateurts  qui  avaient  épousé 
sa  cause  avec  Kop  de  chaleur,  furent  euvoyéD  k 
l'échafaud  psr  l'ambitieux  Charles,  qui,  depuis 
cette  époque,  régna  sans  porter  le  titre  de  roi. 
Sigisfflond  courut  cacher  en  Pt^ogue  sa  honte  et 
son  impulsante  fureur.  iVois  ans  s'écoulèrent 
avant  que  Charles  osât  s'asseoir  sur  te  trône  et 


DiailizodbvGoOgle 


488  PARTIE     I. PÉHIOOE     IV.         , 

prendre  le  sceptre., Il  voulait  avoir  te  tonps  de 
gagner  la  noblesse  jalouse  de  son  pouvoir,  ou 
l,ui  donuer  l'habitude  de  l'obéissance ,  et  la  pré- 
parer à  son  élévation.  A  la  fin, .il  fit  le  pas  dé- 
cisif; la  diète  de  Norkoeping  fixa  la  couronne 
dans  sa  maison  ;  et  après  douze  ans  de  travaux, 
de  dangers  et  de  persévérance,  il  se  vit  au  terme 
de  3es  vœux. 

lia  guerre  était  inévitable.  Les  Polonais  sou- 

i6o5.  tenaient  Sigismond,  et  battirent,  les  Suédois  à 
Kirkholm,  en  Livonie;  mais  la  noblesse  de  Po- 
logne connaissait  trop  ses.intéréts,  et  aimait  trop 
la  liberté,  pour  désirer  que  Sigismond  triom- 
phât de  son  rival,  et  rétablit  sa' puissance  en 
Suède.  Ils  voulaient  sauver  leur  honneur  en 
donnapt  des  secours  à  laur  roi,  et  'en  même 
temps  assuKer  leur  indépendance  ;  i]5  négligerait 
leurs  avantages,  et  firent  la  guerre  moHement. 
,  Bientôt  après,  les  affaires  politiques  dn  Nord 
se, compliquèrent,  et  la  Suède  eut  à  combattre 
les  Russes ,  qui  rejetaient  le  prince  qu'elle  - 
youlftit  placer  sur  le  trône  des  tzyrST.et  les  Da- 
nois, dont  le  .souverain  haïssait  personnellement 
Charles  IX,  et  craignait  l'ascendant  de  la  Suède 

iSii.  dans  le  Mord.  Charles,  en  mourant,  laissa  ces 
trois  guerres  à  son  fils;  m^is  ce^fils  était  un 
grand  homme,  et  ces  guerres  furent  pour  lui 


DiailizodbvGoOglc 


CUAPITUE     XX  Vil.  4^9 

l'école  de  la  yaleur,  de  l'héroïsme  el  de  la  po- 
litique. Gustave-Adolphe  n'avait  que  dix-huit 
aas  quand  il  succéda  à  son  père;  mais  c'était 
un  de  ces  génies  rares  qui  ne  connaissent  point 
d'enfance,  étouneat  par  leur  maturité  précoce, 
portent  en  même  temps  des  fleurs  et  des  fruits, 
et  devinent  tout  ce  qu'ils  ignorent.  Ses  qualités 
brillantes  et  ses  défauts  même  étaient  à  l'unisson 
des  besoins  de  sa  nation ,  qui  aimait  l'enthou- 
siasme et  la  gloire  comme  d'autres  peuples 
aiment  le  repos.  Nous  verrons  Gustave-Adolphe 
paraître  sur  un  plus  g^and  théâtre,  tirer  ses 
braves  Suédois  de  leiu-  obscurité,  placer,  par  la 
force  de  son  talent,  la  Suède  au  premier  rang 
des  puissances,  et  la  servir  selon  son  goût,  en. 
l'illustrant,  sans  l'ennchir. 
,  Le  Danemarck  se  reposait  de  ses  agitations , 
et  réparait,  sous  l'administration  paternelle  de 
Chrétien  IV,  les  maux  que  lui  avaient  causés  la 
religion  et  la  politique.  Peu  de  princes  ont  eu 
à  un  degré  aussi  éminent  le  goût  des  choses 
utiles.  Il  était  plus  fait  pour  les  travaux  paisi- 
bles du  gouvernement  que  pour  les  entreprises 
hasardeuses  et.  brillantes.  Cependant  il  avait  ob- 
tenu des  succès  dans  la  guerre,  £aite  aux  Suédois 
par  politique  encore  plus  que  par  passion;  la 
conquête  de  Calmar  avait  été  le  fruit  de  son  k 


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49*1  '      PARTIE     I.  PÉHIODË     IV. 

habileté;  il  avait  conclu  avec  Gustave-Adolphe, 
à  Storod,  uRe  paix  avantageuse  ati  DaDenrarck, 
Cette  puissance  possédait  encore  la  Scaiiie,  la 
Blekingie  et  lè  fief  de  Babiis. 

Sigismond  Ht  occupait  le  trône  de  Pologne; 
il  le  devait  aux  talents  et  au  zèle  du  grand- 
chancelier  Zamoïski.  Ce  trône,  en  devenant 
électif,  avait  perdu  de  son  éclat  et  de  sa  stabi- 
lité; la  haute  noblesse  de  la  république  se 
croyait  libre,  parce  qu'elle  était  libre  de  se  ren- 
dre, de  fouler  le  peuple  et  de  résister  au  prince; 
l'autorité  du  roi  n'était  pas  assez  forte  pour  as- 
surer le  règne  des  lois,  et  plus  son  pouvoir 
légal  était  faible  et  restreint,  plus  il  était  tenté 
de  l'accroître  par  des  mesures  illégales.  De  là, 
des  plaintes  continuelles  de  la  nation,  et  de 
justes  récriminations  de  la  part  du  pHnce.  Les 
nobles  reprochaient  à  Sigismond  ses  infractions 
nombreuse»  au  «>ntrat  stJennel  et  sacré  qu'il 
avait  fait  avec  la  république  en  [H^naiit  le 
sceptre.  Sigismond  avait  été  repoussé  par  les 
Suédois.  La  perte  de  la  couronne  de  Suède 
donnait  aux  mécontents  plus  de  hardiesse,  et  à 
leurs  reproches  plus  d'amertume.  A  la  mort  de 
Zamoïski,  une  confédà^tiou  générale  s'était 
formée  contre  Sigismond.  Après  deux  ans  de 
troubles ,  où  pour  éviter  le  despotisme  on  orga- 


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CHAPITRE    XX.TI1.  49' 

uisait  l'anarchie,  le  roi  avait  été  obligé  de  sous- 
crire aux  dures  conditions  qUe  lai  avaient  im- 
posées les  grands ,  et  de  promettre  plus  de  mo- 
dération. Mais  pour  c>C(!Uperati  dehors  l'activité 
inquiète  des  l^lOttais,  dVidés  de  mouvenient  et 
de  gloire ,  il  fomeutait  les  troubles  que  l'ettinc- 
tion  de  la  laaison  régnante  avait  amenés  en 
Russie,  et  ce  fut  de  la  Pologne  que  sortirent 
les  aventuriers  qui,  sous  de  faux  noms,  agi- 
tèrent  la  Moscovie,  et  la  remplirent  de-  leurs 
crimes. 

La  Russie  s'était  long*tefnps  débattue  au  mi- 
lieu des  horribles  convulsions  de  la  guerre  ci- 
vile et  de  là  guerre  extérieure.  Depuis  la  mort 
de  Boris  Goudounow,  qui  était  devenu  maître  iCo5. 
de  l'empiré  eu  de  débarrassant  par  le  poison  du 
tzar  Fédor,  dont  il  avait  épousé  la  sœur,  et -du 
jeune  Démétriuâ ,  son  Érère ,  par  un  assassinat , 
la  Russie  était  déchirée  pàf  les  étrangers  et  par 
ses  propres  erifants  ;  et  datib  la  lutte  sanglante 
dont  elle  Kit  le  théâtre  et  l'objet,  elle  paraissait 
destinée  à  devenir  le  partage  èfle  prix  du  plus 
seélérat  des  concurrents.  Soit  que  le  prince  Ré- 
métriua  eût  échappé  à  ses  meurtriers ,  soit  que 
des  ressemblances  imparfaites  égarassent  le  peu- 
ple ignorant  et  fanatique,  le  trône  des  tzars  fut 
successivement  occupé  par  des  hommes  auda- 


DiailizodbvGoOgle 


49^  PABTIE    I.  PÉRIODE    IV. 

deux  qui,  sous  le  nom  de  Démétrius,  mssouvî- 
reat  leurs  pasùons  aux  dépeos  des  malheureux 
Moscovites.  Chez  une  nation  où  il  n'y  avait  point 
de  lois  politiques  fixes  et  respectées,  où  les  ha- 
bitudes aveugles  qui  en  tenaient  lieu  étaient 
rompues  par  les  événements,  où  l'opinion  pu- 
blique était  muette  ou  nulle  ,  où  le  peuple  ne 
connaissait  qu'une  obéissance  passive,  et  les 
grands  n'avaient  d'autre  activité  que  celle  des 
passions,  les  révolutions  devaient  être  fréquentes 
et  cruelles.  Chaque  nouvel  usurpateur  s'était  lé- 
gitimé en  versant  le  sang  de  8e$  sujets;  la  force 
l'avait  élevé  ;  l'abus  de  la  force  le  faisait  redouter, 
jusqu'à  ce  qu'une  force  supérieure  à  la  sienne, 
et  QOa moins  oppressive,  l'étendU  aux  pieds  de 
ce  trône  souillé  de  meurtres.  Lasse  de  tant  d'hor- 
reurs, une  partie  de  la  nation  avait  offert  la 
couronne  aux  princes  voisins,  qui  refusèrent  le 
dangereux  honneur  de  lui  donner  des  lois ,  ou 
firent  un  triste  et  court  essai  du  pouvoir,  et  fu- 
rent chassés  par  le  parti  véritablement  patriote, 
qui  ne  voulait  pas  obéir  à  un  étranger.  Après 
quinze  ans  de  troubles  et  de  malheurs,  ce  parti 
triompha;  le  bon  génie  de  cet  empire,  réservé 
pour  de  grandes  choses,  fit  tomber  le  choix  de 
i6i3.  ta  nation  sur  Michel-Fédorowitz  Romanoff,  allié 
à  la  dynastie  qui  venait  de  s'éteindre.  Ce  prince , 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPITRE     XXVII.  ^g'i 

d'un  esprit  sage  et  d'un  caractère  hinnaîn ,  tâ- 
cha de  fermer  les  plaies  de  l'état;  et,  par  son 
mariage  avec  la  vertueuse  Eudoxie,  il  prépara 
)a  gloire  d'un  empire  qui  devait  se  former  plus 
tant  que  les  autres ,  profiter  de  leurs  travaux , 
et ,  eu  sortant  de  son  obscurité ,  partager  le 
monde  entre  l'étonnement,  l'admiration  et  l'ef- 
froi. 

Au  commencement  de  ce  siècle ,  on  se  doutait 
aussi  peu  de  ses  destinées  futures,  que  de  celles 
de  la  Prusse.  Ce  duché  avait  passé  à  là  branche 
de  la  maison  de  HohenzoUem ,  qui  occupait  le 
trône  électoral  de  Brandebourg.  Déjà ,  sous  le 
règne  de  l'électeur  Joachimll,  il  avait  été  dé-  1668. 
ridé,  par  les  négociations  habiles  du  chancelier 
Distetmaier,  que  la  Prusse  orientale  retomberait 
à  la  maison  électorale,  à  l'extinction  des  des-^ 
cendants  niâtes  d'Albert  de  Brandebourg ,  qui 
avait  enlevé  cette  province  à  l'Ordre  Teutonique.  i6a5. 
L'électeur  Jean-Sigismond  s'était  encore  assuré 
cette  importante  succession  par  son  mariage  avec 
Anne ,  fille  d'Albert-Frédéric ,  duc  de  Prusse. 
Ce  prince,'  faible  d'esprit,  végétait  depuis  long- 
temps dans  un  état  d'imbécillité  qui  le  mettait 
hors  d'état  de  se  gouverner  lui-même,  bien  plus 
encore  rie  gouverner  ses  états;  son  gendre  avait 
été  chargé  de  la  r^ence.  A  sa  mort ,  Sigismond 


DiailizodbvGoOgle 


494  PARTIE. I.  PERIOUB    IV. 

avait  pris  possession  de  la  Prasse ,  avec  L'agré- 
ment de  la  répuhlique  de  Pologne,  qui  lui  en 
i6ift.  avait  accordé  l'investiture,  tt  était  mort  peu  de 
temps  après  avcàr  fait  cette  acquisition ,  si  déà- 
sive  pour  la  grandeur  de  sa  mûscHi;  Geoi^e- 
Guillaurae ,  S(m  fils ,  lui  avait  succédé.  Ce  princ« , 
capable  de  [Hrévoir  l«a  d^ingers,  mais  non  de  tes 
prévenir  ou  de  les  surmonter ,  parvenait  au 
tràne  dans  des  circonatances  critiques,  où  la 
force  terrible  des  choses  et  des  ^vénemepts  ne 
pouvait  être  maîtrisée  que  par  des  aines  foptes, 
et  il- avait  une  aoje  iaUïle.  Se  défiant  de  lui- 
même  ,  et  ne  se  défiant  pas  dcâ  conseillers  pcr- 
.  fides  qui  l'environnaient,  prenant  l'tQaction  pour 
le  repos  et  la  tiraidité  pour  la  prudence ,  son 
caractère  devait  faire  son  malheur  et  celui  de  ses 
sujets.  Jusqu'à  soa  règpe ,  le  Brandeboui^  avait 
pris  des  accrtùssements  lents  et  sûrs;  à  cette 
époque ,  tout  devait  être  détruit  pour  reti^tte 
sous  des  formes  brillantes ,  et  la  fortune  de 
l'état  devait  rétrograder  pour  prendre  un  vol 
aussi  rapide  que  soutenu.  Aucun  état  n'a  eu  de 
plus  grandes  pbligations  aux  qualités  person- 
nelles de  ses  souverains,  ^ui  ont  été  prç^que 
tou«  des  hoiniQe&  sages  et  énergiques,  et  dont 
qufilqueHiiis  ont  éjté  d^s  ho.mnies  prodigieui. 
On  peut  dire  à  la  lettre  quç  la  fortune  de  la 


DiailizodbvGoOglc 


CHAPiTRK    XXVII.  49>^ 

Pru&se  a  été  la  foitune  de  la  maison  régnante; 
elle  a  dû  beaucoup  aux  rirconstanoes ,  lïiais 
elle  a  toujours  eu  l'art  de  les  attendre,  ou  4? 
Ie9  laire  n»Stre ,  et  le  talent  d'en  profiter.  Cette 
dyna&tie  des  HohenvollerD ,  qui  de  Souabe  â 
pa$sé  en  FranconJe,  pour  prendre  de  là  son  es^r 
vers  le  trône  ,  oSre  une  empreinte  de  vigueur 
d'esprit  et  de  force  de  yqlipQté  qui  la  distinguent 
de  toiites  les  9ntre$  maisoqs  souveraines.  Depuis 
Fréd,éric  I"  qui,  en  acquérant  la  Marche,  ay»it 
fait  prenve  d'ordre,  d'économie  et  de  sagesse, 
jusqu'à  Geoi^e  -  GuiUapipe,  ih  ont  toys  pré- 
senté, à  un  degré  inégal,  ces  trait?  caractéris- 
tiques. 

A  cette  époque  tout  9nqpnç;)|t  noo-setilement 
à  la  Prusse ,  mais  à  l'AUepiagne  entière ,  les  plus 
grands  malheurs.  Celte  belle  contrée  de  l'Eu- 
rope, fertile,  riche,  habitée  par  un  peuple  mâle, 
patient  et  actif,  souffrait  des  vices  de  sa  consti- 
tution, et.d'une  fermentation  religieuse  qui  de- 
vait, tôt  ou  tard,  amener  les  plus  terribles  ca- 
tastrophes. Les  princes  qui  avaient  acquis  la 
sopveraineté  n^  yoyj^i^nt  dans  l'emperepr  qu'un 
chef  titulaire ,  qu'ils  observaient  d'un  œil  jaloux , 
dont  ils  redoutaient  la  grandeur,  et  auquel  ils 
ne  savaient  pas  obéir.  Ils  choisissaient  les  chefs 
de  l'empirp  dans  la  branche  allemande  de  ta 


DiailizodbvGoOgle 


49**  PARTIE    I.  —  PÉRIODE    IV, 

maison  d'Autriche,  parce  qu'ils  craignaient  les 
Turcs ,  et  que  la  Hongrie  était  regardée  comme 
le  iwulevard  de  l'Allemagne.  Depuis  Charles- 
Quint,  qui  avait  vu  échouer  ses  projets  ambi- 
tieux contre  le  génie  et  l'activité  de  Maurice, 
les  empereurs  qui  avaient  occupé  le  trône  im- 
périal n'avaient  rien  entrepris  contre  la  liberté 
de  l'Allemagne;  les  uns  par  une  sage  politique, 
d'autres  par  indolence,  d'autres  encore  par  im- 

j555.  puissance.  L'Allemagne  avait  dû  à  Ferdinand  I 
la  paix  de  religion,  et,  Sdèle  à  ses  maximes  pa- 
cifiques, il  avait  su  calmer  les  esprits  échauffés, 
contenir  tous  les  partis  ;  et  faire  croire  à  son 
impartialité.  Tempérant  sa  tolérance  par  une 
juste  sévérité  contre  les  perturbateurs  de  l'ordre 
public,  il  avait  eu  le  bonheur  d'entretenir  ta 
tranquillité  générale.  Par  un  bonheur  plus  grand 
encore ,  il  avait  laissé  le  trône  à  un  fils  digne 
de  lui  qui  hérita  de  ses  principes  et  le  surpassa 

1S64.  en  vertus.  Maxîmilien  II  n'avait  aucuiie  de  ces 
qualités  brillantes  qui  dans  les  souverains  font 
souvent  la  gloire  et  le  malheur  des  peuples; 
mais  il  voulait  sincèrement  le  bien.  Son  ame 
douce  et  humaine  ne  connaissait  d'autre  passion 
que  celle  de  ses  devoirs.  Éclairé  et  sensible, 
il  aurait  désiré  de  faire  servir  ses  lumières 
au  rapprochement  des  catholiques  et  des  pro- 


j^vGooglc 


CHAPITRK    XXTII.  ^97 

testants,  et  k  l'iextinction  de  tont  esprit  de  secte. 
Son  siècle  n'était  pas  asse^  sage  pour  le  com- 
preodre  ni  pour  le  snivre;  pour  sentir  le  prix 
de  la  modération ,  il  fallait  encore  aux  esprits  les 
cruelles  leçons  de  l'expérience.  Maximilien  fut 
du-moins  assez  habite  pour  reculer  l'époque  où 
les  animosités  religieuses  devaient  enfanter  les 
guerres  civiles^  partout  il  recommandait  la  fer- 
meté et  la  justice  comme  les  seuls  appuis  solides 
de  l'autorité ,  et  Philippe  II  n'aurait  pas  perda 
une  partie  des  Pays-Bas,  s'il  avait  suivi  ses  ocHi' 
seils.  Rodolphe  II,  fils  de  Maiùmilien,  lui  avait  1576. 
succédé;  son  esprit  vif  et  pénétrant,  ses  con- 
naissances variées  et  sc^ides  avaient  donné  des 
espérances  aux  peuples.  Mais  à  peine  était-il 
monté  sur  le  tr^e ,  qu'il  se  plongea  dans  l'inac- 
tion et  dans  ta  mollesse;  livré  aux  femmes  qui 
le  gouvernaient  et  aux  ministres  qui  abusaient 
de  son  autorité,  il  avait  préparé  les  malheurs 
de  l'Alleniagne.  Au  lieu  de  s'enrichir  en  met- 
tant de  l'ordre  et  de  l'économie  dans  ses  finances, 
il  s'occupait  sérieusement  à  faire  de  l'or,  et 
cherctiait  à  connaître  l'avenir  par  les  rêves  de 
l'astrologie  judiciaire ,  tandis  qu'il  n'apercevait 
pas  même  les  symptômes  alarmants  que  pré- 
sentait l'état  de  l'Europe.  Pendant  un  règne  de 
trente^six  ans,  il  n'avait  rien  fait  pour  le  bon- 

1  32 


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498  PAH.TIE     I.  PiBIODE     IV. 

heur  de  l'Atlemagne.  Spectateur  indifféreDt  ^t 
inactif  des  démêlés  continuels  des  catholiques 
et -des  protestants,  qui  s'accusaient  réciproque- 
ment d'usurpation  et  de  violation  .des. traités, 
il  ne  savait  ni  les  contenir  ni  les  calnier.  Les 
Turcs  ravageaient. ses  provinces  héréditaires,  et 
ne  rencontraient  que  peu  o\i  point-de  résistance. 
-  Ij«s  princes  de  l'empire  ne  consultaient  que  leurs 
convenances,  ou  plutôt  la  mesure  de  .leurs.for- 
ces.,«t  l'on  s'accoutHmait  au  désordre,  à  l'anar- 
chie ,  à  nne  .guerre  sourde  et  continuelle.  Ro- 
dolphe a!avait  jamais. été  marié.  Il  avait  voulu 

i6io.  exclure  de  la  suocessioo  son  firère  Matfaias;  mais 
ce  pcioce ,  plus  actif,  et  plus  entrepreaant  que 
lui,  l'avait  prévenu  et  l'avait  même  £orcé  à  lui 
céder  la  Bohème  de  son. vivant,  le  faible  Ro- 

1612.  dol|^  avait  consenti  à  tout.  Il;  était  mort,  ne 
pouvant  pas  s'estimer  soi-même,  et  générale- 
jntient  méprisé. 

'Mathias  avait  été-élu  empereur;  mais  comme 
son  âge  et  ses  infirmités  ne  lui  promettaient  pas 
une  longue  vie^  le  choix  éventuel  de  son  suc- 
cesseur occupût  tous  les  esprits,  et  .fixait  les 
craintes  et  les  espérances.  Mathias,  ain^  que  ses 
frères,  Albert  et  Maximilieu,  n'avait  point  d'en- 
fants. Les  lois  de  la  succession  appelaient  au 
-trône  l'archiduc  Ferdinand ,  de  ta  branche  de 


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CHAPITRE  xyvir,  499 

Stirie,  cousin  germain  de  Mathias  et  petit-fils 
de  l'empereur  Ferdinand  I".  Le  roi  d'Espagne, 
Philippe  m ,  qui  connaissait  le  caractère  de  ce 
prince ,  et  qui  comptait  sur  lui  pour  l'exécution 
de  ses  projets  d'ambition  ,  ne  s'opposa  pas  à  la 
grande  fortune  qui  Tattendait.  Ferdinand  avait 
déjà  été' couronné  roi  de  Hongrie  et  de  Bohê- 
me, et  il  était  facile  de  prévoir  qu'il  obtiendrait 
aussi  l'empire.  Ses  principes,  ses  passions  et  ses 
moyens  le  rendaient  également  redoutable.  Élevé 
par  lés  jésuites  dans  les  maximes'  de  l'intolé- 
rance, avide  de  pouvoir,  et  assez  habile  pour 
faire  servir  les  mêmes  moyens  à  conquérir  la  ' 
terre,  et  à  gagner  le  ciel,  doué  d'un  esprit  ré- 
fléchi ,  propre  aux  combinaisons  de  la  politique 
et  capable  d'un  grand  travail,  Ferdinand  réunis- 
sait tout  ce  qu'il  fallait  pour  donner  à  ceux  qui 
rapprochaient  de  ses  talents  et  de  ses  disposi- 
tions l'état  de  l'Allemagne ,  des  craintes  bien  lé- 
gitimés. 

Nous  avons  déjà  observé  que  la  paix  de  re-  i555. 
ligion  avait  été  l'ouvrage  des  circonstances,  bien 
plus  que  d'une  saûie  politique ,  et  que ,  loin 
de  satisfaire  les  parties  intéressées,  elle  leur 
fournissait  des  armes  à  l'une  contre  l'autre.  On 
n'avait  point  placé  de  protestants  dans  la  Cham- 
bre impériale  de  Spire.  Elle  était  toute  com- 

32. 


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5oO  PARTIE    r.  —  PÉRIODE    IV. 

poaée  de  catholiques,  et  dans  un  temps  où  les 
intérêts  religieux  effeçaient  toutes  les  idées  de 
justice,  les  protestants  ne  pouvaient  pas  croire 
à  t'impartialité  de  ce  tribunal.  Il  était  impossible 
qu'il  leur  inspirât  de  la  confiance,  et  ils  devaient 
souvent  être  tentés  d'eu  appeler  de  ses  arrêts  à 
la  force.  Les  protestants  s'étaient  engagés,  s'ils 
disaient  encore  des  conquêtes  dans  l'opinion ,  k 
ne  plus  en  faire  sur  les  biens  des  catholiques. 
La  réservation  ecclésiastique  était  la  barrière 
qu'on  avait  opposée  à  leurs  projets  d'agrandis- 
sement Mais  ils  étaient  trop  puissants  pour  ne 
pas  désirer  de  le  devenir  davantage ,  et  les  car 
tboliques  avaient  trop  perdu  pour  ne  pas  crain- 
dre de  nouvelles  [tertes,  et  pour  ne  pas  sou- 
baitor  de  recouvrer  une  partie  de  ce  qu'on  leur 
avait  enlevé.  Suivant  que  l'un  des  deux  partis 
était  le  plus  fort  ou'  le  plus  laible ,  on  violait ,  on 
éludait  les  traités.  De  là  les  plaintes,  les  récri- 
minations ,  les  vengeances ,  tes  animosîtés ,  les 
haines,  qui  devenaient  de  jour  en  jour  et  plus 
actives  et  plus  prononcées.  L'empereur  gardait 
le  silence,  ou  parlait  plutôt  en  parue  intéressée 
qu'en  juge.  On  s'irritait  de  sa  partialité,  ou  l'fMi 
se  moquait  de  sa  faiblesse. 

Cependant  on  paraissait  toujours  craindre  de 
voir  renaître  les  projets  de  Charles-Quint.  Il  est 


DiailizodbvGoOglc 


CUAPITRE     XXVII.  5oi 

certain  qtie  ces  plans  long-temps  ajournés  sem- 
blaient rept>entlre  de  la  faveur  à  la  cour  de  Ma- 
drid et  k  celle  de  Vienne.  Les  deux  branches 
de  la  maison  d'Autriche  s'étaient  rapprochées 
depuis  le  règne  de  Philippe  III,  et  surtout  de- 
puis l'avéùeroent  de  Mathias  au  trône  impérial. 
Bien  que  l'Espagne  eût  beaucoup  perdu  de  sa 
puissance ,  et  que  le  pouvoir  de  la  maison  d'Au> 
triche  en  Bohême  et  en  Hongrie  fût  fort  contesté, 
la  réunion  de  leurs  forces  pourait  amener  de 
nouveaux  dangers  pour  l'Allemagne.  Henri  TV 
avait  donné  t'éreil  aux  protestants,  et  leur  avait 
persuadé  que  leur  existence  serait  toujours  pré- 
caire ,  tant  que  l'Autriche  ne  serait  pas  écrasée. 
Ces  idées  avaient  germé  dans  des  têtes  faites 
[KHir  les  recevoir.  L'union  évangélique,  conclue 
à  Halle  en  Souabe,  avait  été  amenée  par  les  1610. 
craintes  que  la  France  avait  adroitement  suggé> 
rées.  Les  catholiques  qui  sentaient  que  l'intérêt 
de  la  maison  d'Autriche  était  défaire  cause  com- 
mune avec  eux ,  s'étaient  rappi-ochés  d'elle ,  et 
voyant  que  c'étaient  eux  que  l'union  évangé- 
lique menaçait ,  ils  lui  uvaient  opposé  une  ligue, 
qui  s'était  formée  à  Wurtzbourg,  la  même  année 
que  l'union. 

Ainsi  les  deux  partis  étaient  déjà  en  présence 
l'un  de  l'autre ,  dix  ans  avant  qa,e  ta  guerre 


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302  l'AHTIE     I.  —  PERIODE     IV. 

i6u6.  éclatât.  Les  troubles  religieux  de  Dônawerth,  à 
la  suite .  desquels  «ette  ville  avait  perdu  sa  li- 
berté, avaient  donné  aux  protestants  de  justes 
sujets  de  crainte.  La  succession  de  Clèves  et  de 
Jutiers  qui  était  encore  en  litige ,  quoique  l'élec- 
teur de  Brandebourg,  Jean  Sigismond ,  et  le  pa- 
latin de  Neubourg  se  fussent  emparés  d'une 

1611.  partie  de  ces  provinces,  était  un  objet  de  la 
plus  haute  importance.  Il  ne  s'agissait  de  rien 
moins  que  de  savoir  si  elles  accroîtraient  la  puis- 
sance du  parti  protestant  ou  du  parti  catholique; 
et  déjà  le  sort  des  armes  paraissait  devoir  en 
décider.  Les  progrès  de  l'Allemagiie  dans,  la 
route  de  la  civilisation  allaient  être.interrompus. 
Ces  progrès  avaient  été  soutenus;  elle  avait  pro- 
fité de  près  de  soixante  ans  de  paix  pour  s'en- 
richir par  le  travail  et  par  l'industrie ,  et  n'avait 
pris  qu'une  part-  indirecte  aux  guerres  des  pays 
voisins;  ses  belliqueux  habitants,  qui  aiment  la 
gloire,  et  le  butin,  s'étaient  enrôlés,  en  France 
et  dans  les  Pays-Bas,  sous  les  drapeaux  de  tous 
les  partis ,  et  avaient  versé  leur  sang  dans  .  des 
caiises  qui  leur  étaient  étrangères.  La  noblesse 
.  surtout  ne  connaissait  encore  d'autres  occupa- 
tions que  celle  des  armes.  Le  commerce  de  l'Al- 
lemagne avait  diminué  depuis  que  Venise  avait 
perdu  une  partie  du^sien,  et  que  .l'Angleterre, 


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CHAlTTftE    XXVlf.  5o3 

la  Suède,  te  Danemarck  faisaient  elles-raémes 
leurs  affaires ,  e^  ne  les  abandonnaient  plus  à  la 
Hanse.  Les  arts  mécaniques  prospéraient  dans 
tcHites  les  contrées  de  l'empire;  on  recherchait 
tes  artisans  allemands,  et  on  leur  attribuait  gé- 
néralement plus  d'activité,  de  patience  et  d'exac-- 
titude  qu'aux  autres.  Les  ressources  des  princes 
étaient  peu  considérables;  partout  les  états  du 
pays  partageaient  l'autorité  avec  eux ,  et  c'était 
sur  l'article  de  l'impôt  qu'ils  se  montraient  te 
plus  difficiles.  Les  souverains  les  plus  puissants 
étaient  l'électeur  palatla,  le  duc  de  Bavière  et 
l'électeur  de  Saxe. 

Frédéric  V;  électeur  palatin,  aurait  mérité 
d'être  à  la  tête  de  l'union  évangétique  par  sa 
puissance  et  par  les  sûretés  que  présentaient 
ses  principes  et  son  caractère;  mais  sa  qualité 
de  réformé  aliénait  de  lui  tous  les  luthériens  qui 
formaient  la  grande  majorité  du  corps  des  pro- 
testants; d'ailleurs,  il  manquait  du  génie  et  de 
la  fermeté  nécessaires  à  un  chef  de  parti.  Doux, 
humain ,  bienfaisant ,  il  eût  été  un  souverain  es- 
timable dans  des  circonstances  ordinaires  ;  œ»s 
ses  qualités  n'étaient  pas  à  l'unisson  des  cir» 
constances  difficiles  où  il  devait  se  t»ouver.  II 
avait  épousé  Elisabeth ,  fille  de  Jacques  I ,  roi 


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5o4  PAHTIB    I.  PERIODE    IV. 

d'Angleterre;  cette, union  devait  faire, son  mal- 
heur et  la  fortune  de  ses  descendants. 

HaKimilien  de  Bavière,  qui  était  destiné  k  le 
combattre,  à  le  vaincre  et  à  s'eniichir  de  ses 
dépouilles ,  lui  était  bien  supérieur  en  talents , 
en  énergie,  en  activité.  Ambitieux  et  réfléchi, 
son  esprit  calculateur  connaissait  à  fond  les  in- 
térêts ,  les  besoins  et  les  ressources  de  tous  les 
princes  de  l'Allemagne.  Il  vit  ce  que  les  circon- 
stances lui  permettaient  d'espérer  et  d'mtre- 
prendre,  et  il  ne  ae  trompa  ni  dans  ses  espé- 
rances ni  dans  ses  projets.  Mesuré  dans  les 
acheminements  à  ses  vues,  et  l^'ave  dans  le  mo- 
ment décisif,  il  ne  donnait  rïen  à  la  violence, 
peu  au  hasard,  beaucoup  i  La  {H>udence  et  à  la 
sagesse  des  combinaisons. 

L'électeur  de  Saxe,  /ean  George  I,  étùt  un 
prince  indécis  et  irrésolu,  danâ  un  temps  où 
les  demi-mesures  devaient  infailUblement  perdre 
celui  qui  les  employait.  Trop  vain  pour  se  con- 
tenter d'un  rôle  isubordonné,  il  n'avait  pas  assez 
de  moyens  pour  jouer  te  premier  rôle,  et  se 
laissait  gouverner  par  des  minifit3<es  vendus  à 
ses  ennemis. 

Tel  était  l'état  de  l'empire  et  do  l'Europe  à  la 
fin  de  la  première  époque  des  révolutions  du 


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chàpitsc  zxvii.  5o5 

système  '  politique.  If ous- avons  vu  la  marche 
progressive  de  ta  puissance  de  l'Espagne,  sa 
prépondérance  décidée ,  son  despotisme ,  les  ex- 
cès qui  la  perdirent,  et  sa  décadence.  La  France, 
dans  la  seconde  époque,  nous  présentera  les 
mêmes  phases  de  croissance ,  et  prendra  la  place 
de  sa  rivale.  Les  puissances  du  midi  ont  jusqu'ici 
paru  seules  sur  la  scène ,  et  seules  ont  senti  la 
nécessité  de  l'équilibre  et  les  avantages  du  sys- 
tème des  contre-forces.  Ici  commence  un  nouvel 
ordre  de  choses.  Le  Danemarck  et  la  Suède 
vont  prendre  part  au  mouvement  général.  Le 
Nord  influera  sur  le  Midi,  le  Midi  sur  le  Nord; 
les  rapports  changent,  \e  système  se  complique, 
les  dangers  et  les  ressources  se  multiplient. 


FIN   DU  TOME  SECOND  ET   DE   LA  PUEMIÈIIK  PARTIE. 


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TABLE 

DV    TOME    DEUSISHE. 
RiFLExioNs  sur  l'impartialité  historique Page       i 

TABLEAU 

t>E$  MivoinTiOKS  DU  sTSTiuE  POLITIQUE  DE  l'sckofe. 

PREMIÈRE  PARTIE. 
i4ga  — 161-8. 

smTE   DE  LA  SECONDE   PÉRIODE.  iSiS— iS56. 

Chapitre  XIII.  Des  causes  et  de  l'occasioo  de  la  Ré- 
formatioa.  Sa  naissance,  ses  pn^rès,»  mardie, 
ses, effets 33 

Châpithe  XIV.  Ligue  de  Smalkalde.  Guerre  de  Charles- 
Quint  contre  les  protestaots.  Ses  conséquences.  Mau- 
rice de  Sase  sauve  l'Allemagae.  Paix  de  Passau.. . .     74 

Chipitke  XV.  Changement  dans  le  Nord.  La  Suède  se 
sépare  du  Danemarck.  La  réformatioa  s'établit  dans 
ces  deux  royaumes m 

CBipiTaEXVI.  Fluctuations  religieuses  de  l'Angleterre. 
Elle  se  sépare  de  Rome.  Mort  de  Heuii  VIII;  son 
fils  Edouard  VI  prépare  les  voies  à  la  réformation. 
Marie  rétablit  la  religion  catholique  dans  son  inté- 


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5o8 


TEOISIËHE   PÉRIODE.  i556~i59S. 


CKiKTKE  XVn.  Abdicalioo  de  Charles-Quînt.  Soa  fils 
Philippe  lui  succède.  Caractère  de  ce  priuce ,. .    178 

Cbàpitke  XVin.  De  la  puissance  de  l'Espagne  à  cette 
époque.  Guerre  contre  la  France.  Paix  de  Citeau- 
Cambresis 186 

Châpitkk  XIX.  État  de  la  France  à  l'époque  de  la 
naissance  des  troubles  civils.  Considérations  géné- 
rales sur  ces  troubles.  Caractères  des  principaux  ac- 
teurs    ai& 

CBAPiTaK  XX.  Commeacentent  des  guerres  civiles. 
Conspiration  de  La  Renaudie.  Mort  de  François  11. 
Régence  de  Catlierine  de  Médicis.  Première,  se- 
conde ,  troisième  guerre  de  religion ï38 

CHAPiTae  XXI..  Henii  de  Navarre  paraît  à  ta  tète  des 
protestants.  Fin  de  la  troisième  guerre.  Paix  simulée. 
La  cour  veut  l'extinction  des  rérormés.  Massacre  de 
la  Saint-Barthélémy.  Mort  de  Charles  IX a57 

Cbipitkb  XXII.  État  de  la  France  à  la  mort  de 
Charles  IX.  Henri  III  monte  sur  le  trâné.  Carac- 
tère de  ioa  adminbtration.  Naissance  de  la  Ligue 
dirigée  contre  les  Bourbons.  États  de  Blois.  Mort  de 
Guise.  Assassinat  de  Henri  III.  Henri  IV  triomphe 
de  la  Ligne  et  de  l'Espagne.  Paix  de  Tervins 269 

Ch«?itbe  XXill-  État  des  Pays-Bas  avant  le  règne  de 
PhiKppe  II.  Situation  de  ces  provinces  low  de  son 
avénemoit  au  trdne.  Ministère  de  Granvdle.  Chao- 
gements  inconstitutionnels  et  imprudents.  Origine  des 
troubles.  Leurs  progrès  sous  A.lbc ,  Requesenf  et 
don  )uan.  Guillaume  sépare  les  provinces  du  Non) 


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TABtE.  Sog 

de  celles  du  Midi.  Union  dtJtrecht.  Formation  de  I9 

république  de  Hollande. '. 3oa 

Chapitre  XXIV.  Elisabeth  monte  «ur  |e  trAne.  Son 
caractère.  Ses  principes  de  gouvernement  et  d'admi- 
nistration. Sa  politique  extérieure.  Progrès  de  U 
puissance  et  de  la  richesse  nationale  de  l'Angleterre. 
Mort  tragique  de  Marie,  reine  d'Ecosse.  La  guerre 
éclate  entre  l'Espagne  et  l'Angleterre.  L'Angleterre 
triomphe.Troublesd'Irlande.  Faveur,  disgrâce,  mort 
d'Esses.  Mort  d'Elisabeth  et  de  Philippe  II.  Épui- 
sement de  l'Espagne.  Sa  décadence  politique. . . .,.   351 

■    QUATRIÈME    PÉRIODE.  iSgS  — 161S. 

CfliPiTKB  XXV.  État  de  la  France  lors  de  la  paix  de 
Vervins.  Caractère  de  Sully.  Son  ministère.  Sa 
marche  pour  rétablir  l'tmlre  dans  les  finances ,  et 
pour  augmenter  le  richesse  uationale.  Heureux  efTets 
de  son  administration.  Vastes  projets  de  Henri  IV, 

Mort  de  ce  prince ^o^ 

.  Chafitbb  XXVI.  Des  États  de  l'Europe  jusqu'au  com- 
mencement de  la  guerre  de  trente  ans.  La  France. 
L'Espagne.  L'Italie.  La  république  des  Provinces- 
Unies.  L'Angleterre J   447 

Cbapitbb  XXVII.  Continuatiou  du  même  sujet.  État 
du  Nord  jusqu'au  commencement  de  la  guerre  de 
trente  ans.  La  Suède.  Le  Danemarck.  La  Pologne. 
La  Prusse.  La  Russie.  L'Allemagne 483 


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