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DiailizodbvGoOgle
I
Cooglf
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V«t.FT-.ln 3, 32^1
DoiizodbvGoogle
DiailizodbvGoOgle
TABLEAU
DES RÉVOLUTIONS
DU
SYSTÈME POLITIQUE
DE L'EUROPE,
DBPCIS LA Pllf DV QUINZIÈME SIÈCLE.
Par Frédéric ANCILLON,
Pbt TAri« cuu . par lot dïicTiiiiDi nnB,
Pooderibiu libivti nU. Otib-
NOnVELLE ÉDITION,
TOME DEUXIÈME.
PARIS,
AKSEXIH ET; POCHARD (SUCCESSEURS DE UAGIHEL),
D,a,i,;t!dbïGoogIe
DiailizodbvGoOglc
REFLEXIONS
L'IMPARTIALITÉ HISTORIQUE.
J_JA. vérité de rhistoire consiste dans la confor-
mité des récits avec les faits. L'historien part de
l'existence du monde sensible; il admet la réalité
des actions de l'homme, comme le physicien
admet la réalité des actions de la nature. H laisse
k la métaphysique à décider, ou plutôt à ne dé-
cider jamais , s'il peut exister une par&ite cor-
respondance entre nos représentations et tes
objets, et si nous pouvons nous assurer de cette
conformité. Ce grand doute, cet interminable
procès ne le regarde pas. Son unique soin est
de connaître à fond les événements , de les lier,
et d'en développer la chaîne à nos yeux, en con-
servant à tous les chaînons leur nature, leur
forme, leur place , et jusqu'à leur couleur.
:,, Google
2 BiFLEXIOHS
Il faut se contenter, dans ce genre de travail,
de la plus grande approximation possible. La
certitude histotique ne consiste que dans le plus
haut degré de prob^ilité ; l'histoire et la vérité
ressemblent aux lignes qu'on nomme asympto-
tes, qui s'approchent toujours l'une de l'autre
sans jamais se réunir ni se confondre.
L'incertitude de l'histoire tient également à la
pénurie de faits, et à la manière dont ils pat
été employés par les historiens.
Quand on remonte dans la haute antiquité , les
matériaux se présentent rares, clair-semés et ifa-
parfaits. A mesure qu'on avance dans l'histoire
des derniers siècles, l'horizon s'éclaircit et s'é-
tend, les faits se multiplient, les événements
s'ofirent environnés de toutes les circonstances
qui les expliquent; les hommes, de tous les
traits qui les caractérisent. Les matériaux sont
en si grand nombre , qu'on se trouve embarrassé
du choix, et l'on souffre d'abondance comme
auparavant on soufErait de disette.
D'un autre côté , plus on se rapproche du siè-
cle où l'on vit, plus les rapports qui lient le
DiailizodbvGoOgle
SUR l'impabtiautié historique. 3
passé au présent deviennent intimes et nom-
breux , et plus l'historien est exposé au danger,
ou au reproche, de partialité. Ce n'est plus
l'ignorance que l'on redoute, c'est l'erreur, et
même l'erreur vdontaire. Les sources d'iDstruC"
tion se présentent à chaque pas; mais les motifs
qui peuvent faire altérer la vérité sont variés et
acti& ; on inspire et l'on ressent plus de soup-
çons ; on se défie des autres et de soi-même ; la
plume la plus libre passe pour être se(»^emeht
asservie; et l'on roit, ou l'on croit voir partout,
les tristes effets de l'esprit de système et de parti.
Plus certaines qualités sont rares, plus on les
rechffl'che ; moms on en ^t sérieusement jaloux ,
et plus on parait y attadier de prix ; c'est tou-
jours des absents qu'on parle le plus. A l'époque
où Içs mœurs se dépravent chez un peu{de, on
y em{doie, avec une sorte de prédilection, les
termes de décrace et as pudeur; à mesure que
les £Onas se sont feiroés aux afEections sociales
et généreuses , le mot de patriotisme s'est trouvé
dans toutes les bouches; les caractères mâles et
indépendants , les amea fières et libres , sont de-
:,, Google
4 RÉFLEXIOirS
venus de véritables phénomènes, et cependant
la liberté extérieure , toujours insuffisante et pré-
caire sans la liberté de rame,-excite un enthou-
siasme général ; et aujourd'hui, que les opinions
politiques ont divisé les hommes , comme l'ont
fait, autrefois les opinions religieuses, et que la
vérité n'inspire qu'un intérêt très-subordonné à
l'intérêt de parti ^ chaque écnvain se décide lui-
même impartial , et produit ses titres, en accusant
d'une partialité révoltante tous ceux qui ne sont
pas .de son bord , et qui n'ont pas juré sous le
même drapeau que lui. Passe encore si tout le
monde invoquait l'impartialité , coipme dans un
temps de famine tout le monde demande du
pain ; ces clameurs exprimeraient à la fois le
regret, le désir et l'impuissance. Mais il est assez
plaisant de voir, dans une maladie épidémique
.et contagieuse, ceux qui sont le plus grièvement
attaqués se donner à eux-mêmes des brevets
de santé, et condamner les autres à une qua-
rantaine sévère.
Au milieu de ces accusations rédproqties, qui
font douter qu'il y ait quelqu'un de coupable ,
:,, Google
sua L'iHPARTIAXtTi HISTOKIQDB. 5
OU plutôt quelqu'un d'inoocent ; dans ce conflit
de reproches et de récriminations plus odieuses
les unes que les autres , les idées se confondent ,
les termes se dénaturent, les expressions les
plus simples sont détournées de leur sens natu-
rel, et personQe ne se demande : 'Qu'es^ce que
l'impartialité? Cependant cette question mérite
bien une réponse. C'est des idées précises qu'on
attache à ce mot, que-dépend la justesse des
applications qu'on peut en faire; et, en né^i-
géant de le définir, on risque de condamner les
autres sans raison ou d'exiger d'eux l'impossible.
Dans les sciences qui ne sont que le dévelop-
pement d'un petit nombre de principes, et qui
procèdent par voie de démonstration , il suffît
de la coupelle logique pour distinguer l'or pur
de l'alliage, l'erreur de la vérité. On examine
nniquemeat si les prémisses sont justes, et les
conséquences légitimes. La partialité de l'écri-
vain peut lui dicter de &ux raisonnements, mais ,
elle ne saurait les déguiser; au contraire, elle
trahit elle-jnème son secret, et elle est moins
dangereuse, parce que ses elfets sont plus frap-
pants et plus sensibles.
DiailizodbvGoOgle
6 B^FIiEXIOKS
Daus les sciences de fait, et surtout dans l'his-
toire y où le lecteur ne peut pas, comme dans la
physique et U chimie, reproduire les faits à vo-
lonté, et les constater par des obserratiqlis et
des. expériences nouvelles , les lumières et l'im- '
partialité sont également nécessaires pour ga-
rantir la certitude. Les lumières éclairent Tobjet;
mais que sert-il de pouvoir le présenter sous sa
véritable forme, si l'on n'en a pas > la volonté?
Et que servirait à son tour la volonté d'être
véridique, si, f^ute de moyens de connaître, on
manque la vérité?
Qu'est-ce que cette impartialité,, conservée re-
ligieusement par quelques historiens, perdue de
vue par les autres, qui, comme la vertu, reçoit
des hommages hypocrites de ceux-mème qui
violent ses lois? <^elssont les caract^ps qui la
distinguent? Y a-t-il des signes certains aux-
quels on puisse la recoon^tre? .
L'impartialité , dit-on communément, conàste
à raconter les faits dans leur intégrité, à les re-
. présenter t^ls qu'ils sont , à' les peindre souS les
couleurs qui leur sont propres , et non sûus des
=dbï Google
SUH L'iMPARTIALfT^ HISTOBIQUE. "J
couleurs étrangères ; ce n'est pss la manière dfc
voir de rhistorieD qoe l'on iteut connaître, ce
sont les événements.
Dans quelque genre que ce soit, les objets
n'existent pour nous qa'autatit qu'ils soilt aper-
çus par nous. Nous ne savons pas ce qu'ils sont
en eux*mémes, indépendaomient dé notre ma-
nière de voir; mais nous savons ce qu^Is sont
pour des êtres doués de certaine oi^anes et de
certaines ËicuJtéS. Un faônine voit coAnne un
homme, et ne saurait vov autrement; chaque
individu de l'espèce humaine Voit les objets i sa
manière : cette maniàe redite de ce qii'i( est
lui et non pas un aatré; tous ne pouvez exiger
de lui qu'il change sa nature , ni qu'il se détaehe
de sa perscHine; qnsl que soit l'ordre de &îts
dont il Vagit, ces &its n'existeraient pas pour
lui s'il ne les voyait pas, et il ne peut les voir
que d'une certaine manière, c*est-À-dire, k la
sienne. L'ame, ditf-cto, e$t le miroir des feits;
mais teufr les mirrars ne réfiéehiflsent pas les
obj^ ^ la même manère. I^aiHeurs, cette
com^araisoil est peu juste : famé n'est pas nfie
=dbï Google
8 R^FLBXIOSS
surface sur laquelle les objets viennent se pein-
dre, mais une foiy;e qui les saisit et qui les mo-
di6e en les- salissant.
Déplus, que nous apprennent lesmonuments?
que nous tranunet la tradition? que nous four-
nit l'expérience? Des données qui, séparées les
unes des autres , ne nous o£&ent ni agrément
ni instruction ; des anneaux isolés qui n'ont entre
eux aucune espèce d'enchaînement': ce sont les
éléments de l'histoire et non l'histoire elle-même ;
ce soi^t des pierres et des matériaux , ce n'est
pas encore l'édifice. Que nl'importe de savoir
que Borne a été bâtie dans telle année; que
César a été, tué tel jour? Ces faits n'ont auCtme
espèce d'intérêt ni d'utilité pour moi, du mo'
ment où ils- sont séparés de ceux qui les pré-
cèdent et de ceux qui les suivent. C'est la liai-
son de ces faits entre eUx, et leur liaison avec
un dernier événement , ■ que vous ' choisissez
comme terme, final de votre récit, qui consti-
tue l'histoire. Or , cette liaison n'est jamais don-
née par les sens; elle est le résultat de la pensée,
qui, suivant le calcul des probabilités, choisit
Diailiz.dbvGoOglc
SDK L*IHFAItTIi.LITti HISTORIQUE. • g
cette liaison entre toutes les liaisons, posàbîes.
Un fait peut être lié à d'autres faits. Comme
effet ou comme cause , de mille manières diffé-
rentes. La nature donne la mfttière; la raîst» de
diaque individu fournit la forme. Dans la pré-
férence qu'il donne à l'une sur l'autre, qn*eA-ce *
qui le détermine? Ses idées sur la filiation des
peqch^its, la qiarche des passions, les signes
caractéristiques des vices et des vertus ; ses prin-
cipes, sur la moralité des actions, la nature des
gouvernements, les bons ou les mauvais efiîets
des institutions sociales ; ses idées et ses prin-
àpes sont les résultats de l'empréâite primitive
qu'il rieçut de la nature « de son tempérament,
de sou éducation , de ses habitudes. Direz-vous
qu'il est [lartial , parce qu'il vous présente les
&it& comme il, les voit ? Et penfc-ïl les voir au-
trement que d'après ses idées , les soumettre à
d'autres principe» que les siens ? Autant vau-
drait-il dire qne le maçon doit lier' les pierres
sans ciment , élever' son bâtiment sans employer
l'équare, 'OU travailler au hasaird sans avoir de
dessin.
DiailizodbvGoOgle
lO . BErLBXIOHS
On ne peut donc pa» se teniet soMnême , dé
pouiUer seâ idées et ses principes, voir sans
lunettes ou plutôt sans ysax ; mais l'essentiel est -
que les yeilz ne soient pas malades , ou que les
lunettes soient bonnes. Les idées doivent être
fiaiDeST.re^uit juste; et l'impartialité consiste ,
dit-on« à juger les actions et les htnnmes sans
préjugés. Cette seconde définition, qui pat^t au
premier coup d'oeil bien supérieure à l'autre , a
le double défaut d'c^ir à l'esprit des termes
vagues , et de ne pas épuiser l'idée dont il s'agit.
Et d'abord, qu'est^e ija^nn préjttgé ? Ce mot
a fait dans ce siède une singulière fortune , et
peut-être cette fortune, semblable à celle d'un
grand nomlve d'hommes, vieot'-elle uniquement
de ce qu'on l'a fort mil Minnu. Le tenue de
préjugé e«t une eepèce de talisman Etvec lequel
on produit dei effets prodigieux ; on est dis-
pensé de réfuter» d'écouter même le» opinions
que l'on condamne; on-décrédite'danf un mo-
ment l'ouvrage des sièc^»; on pulvérise d'un
mot tous Les raisonnements; on comre les
hommes et les choses d'un ridicule ineffaçable ,
DiailizodbvGoOgle
SUR L IMPAB-riAXtrE: HISTOBIQUE. 1 I
OU plutôt on ks Tone à an sUeilce éternel ; on
épargne k son advcrMire (a peine de défendre
ses prùidpes , dux auditeurs celle de les écouter ,
k aol-ménie cdle de les cotabattre : srec ce mot
magique , on cotde k fond toutes les idées des
autres y et Ton se met k l'abri de la triste né-
cesnté d'en avoir ; on doiine k ta force Tair d«
la laiblesse, et à sa proffre iaiblesse les hon-
neurs de la force. Mus , sans être ébloui des
miracles c[u'en£uite le terme de préjugé ; il vaut
ta peine de l'aborder et de demander : Qu'est-
ce qu'un préjugé?
•Serait-ce .peut-^tre toute idée ahcientie, tou-
te9 celles que les génératioiis paraissent s'être
trananaîses av^ la vie} quiont formé jusqu'ici
b. conscience et la raison unlvenelles, dont Fo-
'i^;iiie se perd dans les siècles les pfas reculés , et
qui Mn^lent jotnr, sous ce rapport , d'une espèce
de noblesse intellectuelle qu'on pourrait bien
ne pas leur pardonner î* Mais, quetqne adnri-
niAe que nous pandese k nous-méOies l'état
actuel de la raison hamaine, et quelque ^lonis-
swites que nous troutiô&s les lumières du dix-
DiailizodbvGoOgle
la AÉFLiiLioirs
huitième -siècle , nous ne pouvons supposer que
les bommee aient, pçnsé et réfléchi pendant des
milliers- de siècles, sans attraper quelques idées
saines qui méritent d'être consenrées; qu'il faille,
dans tous les genres , recommencer à neuf le
travail dç la raison , et jeter au biUoti , ctKDine
de la vieille vaisselle, l'héritage que nos pères
pou6 ont laissé. D'ailleurs, si l'on doit se rap-
peler que ce qui est apcien a été nouveau ^ pouf
ne pas proscrire légèrement toutes les idées
nouvelles, il est bon aussi de se dire que ce. qui
est nouveau sera im jour ancien , et de ne pas
traiter de préjugés des idées qui ont eu le genre
de mérite dont nous paraissons si jaloux , et qui
n'ont aujourd'hui d'autre tOFt que celui 'qu'au-
roat un jour nos favoris , si leur fortune se sou-
tient. En général, si dans un sens la vérité est
toujours neuve et jeui^e, danï,nn autre elle est
tot^ours ancienne ; sur beaucoup d'objets , les
idées vraies doivent avoir été saisies les pre-
mières , et des expériences faites valent mieux
que des expériences qui sont «ncore-à &ire.
, Le mot de préjugé serait-il peut-être synonyme
:,, Google
SDR l'impabtiautk historique. i3
d'erreur? Toute idée Ëiusse mériterait-elle ce
noin? Mais toute erreur n'est pas un préjugé;
toutpréjugéo-'estpas une erreur; tout jugement
taxa, est une erreur ; tout jugement adopté et
prononcé sans examen est un [u^jngé. Les er-
reurs tirent leur origine d^une vue partielle, in-
complète, fausse, de l'objet sur lequel elles
portent; elles Tiennent de ce qu'on n'a pas réuni
tous les éléments du calcul , ou des fautes qui
se sont glissées dans le calcul même. Les pré-
jugés'viennent de ce qu'on a été demairder à la
raison des autres ce qu'on devait croire ; de ce
qu'on a substitué l'habitude, l'autorité, la nou-
veauté, en un mot, des considérations étran-
gères à l'objet qu'on juge , aux preuves qu'on
ancùt dû tiret de l'objet même.
-Le préjugé n'est donc- pas nécessairement une
erreur. Ija véiité adoptée sans exatnen , et sans
qu'on sache pourquoi, n'est qu'un préjugé dans
l'esprit du gràmi nombre. Tel aurait moins d'er-
reurs s'il avait conservé plus de' préjugés. Les
idées saines qu'il eût gardées sans se les dévelop-
per à lui-même , ne lui eussent {)as' appartenu;
DiailizodbvGoOgle
l4 , RCFbKXIOHfl
mais ell«s lui ausseot été utiles : et il résulte de
là que les préjugés n« sont mauvais que com-
parativement: ftQs: vérités saisies avec toutes leurs
preuves parune raison éclairée; que personne
n'est exempt âe préjugés; et que le plus dan-
gereux de tous scxait.de croire, sur fautotitè
de quelques écrivains qui se louent eux-mêmes
en lonant leur. siècle, ou sur la foi de quelques
amis compliiisants , qu'on a le rare bonheur
. d'être entièremeiit exempt, de toute espèce de
préjugés.
Substituons donc au terme vagne de prli/'ugé,
celui à'idéefwme dans la: définition de 4'impar-
tialité btstoriqiK, et disons qu'elle consiste à voir,
À lier, à jugeriez £aits d'apcès des idées justes et
Saines, d'après les vrais principes du drtHt, de
la raftrale, de la politique et dé la [Ailosophie.
Sw le simple énoncé de ces idées , <sd. sent
que cettie ^léfiwtK»! ne nous tire pat «ntièrement
.<lU' v^^givç et de , l'«rJbitraire. Les principes dés
jSciences morales et politiques n'ont pas aieore
atteint uii degré d'^videow et de. clarté, qui
puisse leur .asaivec l'aesentinjent universel de
DiailizodbvGoOgle
sUB l'impartiaut^ historique. i5
toiu les boDS esprits : probablement méine Us
oe l'oh^udront januis, flc»t à cwse de Icar
Dature al^strfiite ,. de leur cdijet -puremait intel-
lectuel, soit à cause de rimp^fectitm des lan-
gues. De là, ladiversïté prodigieuse des opinions,
et ratCaftieipent «xclustf que la plupart des gans
ont pour la leur; de là ^l'opposition des juge*-
méats qu'on pQrte sur rimpàrtialité des histo-
riebs ,les plus respectables. GooTaincns de leurs
principeSiilslesootappliquésauxÊùts^et s'inia-
gineot les jug^ impartialement: mais ils son-
lèveiU contre eux tous ceux qui ont des principes
oppps^, et qui les accusent de partialité : car
la plupart dç6.gens, lanatiques de^ lears idées ,
sQupçonneiit de saauvaise foi tous ceux qui les
rejettent et su{^os.eiit géBéreusenieilt c^'its dif-
fèrent d'eux de langage et non d'opinion. L'bom-
me est toujinns porté k donner modestement la
mesure de sa raison pow la oiesuve de la raison
humaine ; et cepeocUQt Le «whliine de la. raisoil
est de ne pas trqp ctoîk^ à la aieûne , on ^oit^,
tout en tenant fQrtenwnt à s«i idée», de con-
cevoir,, d'expliquer, de pavdooncr toutes lés
autres.
DiailizodbvGoOglc
ID RÉFlBXIONS
Mais l'esprit le pins juste , le jugement le plus
exquis , des. principes même généralement avoués
et digi^ dé l'être ,- ne sauvent pas toujours de
la partialité. La seasîbUîté peut séduire , égarer ,
coricompre la raison , car l'esprit est souvent la
dype du cœur. Pour être impartial , ne fîradraitil
pas être étranger à toute espèce de prévention ;
tenir la balance d'une main ferme, empêbher
que les craintes et les espérajices , ies vœux et
les désits, des intérêts prononcés ou secrets, ne -
l'inclinassent contre les vraisemblfitiçes dés faits
et du témoignage? L'impartialité ne consisterait-
elle pas essentiellement à se refuser à toute es-
pèce de sentiment dans l'appréciation des faits,
et à juger avec une parËtite indifit^nce^ les
hommes et les choses, les -actions et les évé-
nements?
En effet , suivant l'eipresMon heureuse de l'im-
mortel Bacon, qui* savait' revêtir ses profondes
pensées- d'images sensibles, et dont les idées
paraissent sortir tout armées de. sa tête, comme
Minerve du- «erveau de Jupiter , l'œil de l'enten-
dement n'est jamais sec; il est toujours plus~ou
=dbï Google
SDR l'iUPAATIAUTÉ HISTOBIQUB. fj
motos Jbïimide de sensibilité; les pàasioiis y ré-
pandent des Dùages; re^>éraucé et la crainte le
. troublent : le cœur est le foyer de la partialité;
et , quel que soit le feu dont il brûle , ce ieu
échauffe sans* éclairer, ou répand, un faux jour
sur les objets.
IN'ous recevons des objets deuï sortes d'ioi'
pressons : les unes nous modifient simplement,
les autfes nous affectent; les premières nous
donnent les représentations, les autres Us sen-
ttmieiits: l'esprit sftisit les premières, elles lui
servent à connaître les qualités des objets et
leurs rapports entre eux; le sentiment ne saisit
que. les rapports de l'objet au sujet qu'elles af-
fectent en bien ou en mal. Ce n'est doncpasà
la sensibilité qu'il appartient de dicter des-juge-
ments, car elle ramène bonjours l'homme sur
lui-même,' et l'homme -qui juge doit exister et
opérer hors de lui ; ce n'est pas de ses affeptions ,
c'est.des objets qu'il s'agit.
On voit déjà, par ces définitions seules, com-
bien il doit être difficile d& condamner la sensi-
bilité au silence, afin que la raison ne soit pas
=dbï Google
|8 nÉFLKXIOlt)!
troubla dans son travail, lies nomendatetm,
qui se disent philosophes-, croient que rien n'esC
phis simple, et qu'il ne doit pas phts eo coûter
à rhomme de se séparer dîme partie de lui-
méiiie, qu'il ne leur en coûte de distinguer deus
facultés. On dirait , à les entendre, que l'amie
n'est qn'une espèce d^6tui où se trouvent diffé-
rents instruments qui n'ont heu de commun
que la capsule qui les contient, et dont les uns
reposent pendant qu*o& efflptoie'Ies autres; one
pendule à flûtes dont on 6te ou remet les cyfin-
dres à volonté. "Que» de j^us iadle, disent-ih,
que de laisser reposer la sensibilité pendant
qn'on applique aux faits f instrument de la rai-
son ? Mais il n'en est pas ainsi dans la réalité.
L'ame est une; le sentiment du moi, le plus
coitstantet le plus inexplicabîe de tous les pfté^
.nomènes, nous l'annoace, et l'on ne saurait,
SMis un grand effwt de volonté, is6ler l'une de
l'autre des facultés qui ne sent que difiiérentes
manièns d*ûpér«r de la même force. Le maître
peut venvoyet une patie de ses gens, ^KHir étire
seHl avec nn domestique de confiance; mais
DiailizodbvGoOgle
SUR L IHPABTlALlTli HISTORIQOE. I9
souvent le maître est mal obéi, et ceux qui ont
été congédiés, Tiennent interrompre la conver-
sation ou le travail. Les sentiments devasoenC
la naissance de la. raison ; leur empire , |Jus. an-
cien « est aussi plus étendu et plus affermi ;.oe
sont les habitués de l'ame; leur présence et leur
activité s'annoncent saus cesse; ils se mêlent 4
toutes les idées, .colorent tous les objets , et pep-
mettent rarement jt l'esprit de tes ^ivisager en
eux-mêmes. D'aiHeors, la plupart des bommes
sont toujours sous l'empire des sentimeuls et aa
raisonnent que par intervalles; aussi scHit-Us
tous plâs ou moins esclaves de leurs préventioM.
Les préventitms sont les préjugés les fHus coh>-
muDS, parce que ce sont ceux du coeur. Si les
faux jugements forment les préveutitdks-, les pré^
ventioDs^àleur tour, forment et multiplient Jes'
Êiux jugements. Des erreuârs tmt prodiûç des at-
tacbemoits et des haines; les atucbeq^eirts el
les haines ont produit beaucoup d'erreurs. . .
S donc l'impfirtûilité coilHSte dans une' abné*
gation parfaite de la sensibilité ^ àum l'absence
des préventiems , des préférences, d«s< goàts^
DiailizodbvGoOgle
ao AÉFLEXIOHS
des affections, .'(tes moiiTements de l'ame, dans
i'art de refuser toute influence au cœur sur le
jugement, et de prononcer sur les actions hu-
itaines sans y prendre un intérêt quelconque ,
il n'a jamais existé d'historien parlaitement im-
partial. Il faudrait le supposer sans désirs , sans
espépaiices et sans craintes, sans amour pour le
bean , sans respect pour la justice et sans mépris
pour le vice ; il fendrait que les rapports des
idées, des choses ou de5 personnes avec son
bonhetir et son malheur on celui des autres,
lui fussent entièrement cachés; en un mot, il
faudrait qu'il cessâtd'ètre homme , qu'il devint
une intelligence pure ou une simple mttchine ,
un automate intelligent. La première de ces
métamorphoses est impossible, et, à coup sûr,
personne ne se souciera de subir l'autre.
- VouleK-vous que , sans condamner sa sensibi-
Hté au silence et sans mutiler son être moral,
l'historien empêché que le secret de son cœur
lui échappe , et se défende de toute espèce' de
mouvement qui- pourrait le trahir et inspirer de
la défiance au lecteur? Mais obtiendra-t-il faci-
DiailizodbvGoOgle
SUll L IHPAETIAXITE UISTOBIQUE. ai
leinent i\e sa sensibilité d'être toujours muette ?
N'est-ce pas exiger de lui le comble de l'artifice ,
ou le sublime du renoncemeut? Et ces artifices
ne: se dévoileront- ils. pas eux-mêmes aux yem
du lecteur a^ttentif et sensible? Les âmes 8en$i-
bles se devînept et se-reconnaisseut sous ïe voile
de là gravité, delaciTconsf>ection,dela'réserve,
sous les glaces d'uoe ap^hie apparente.. Dès
lors., l'eCFet ne; sera-tTil pas le même? Ne pré-
viendra-t-ôn paS;.|es autres, contre un..borame
ou contre ùjae action , comme cm a-élé prévenu
soi-même? Et mettez qu'il fiùt possible d'obtenir
de soi, ou des autces, cette indifSérence pro-
fonde , cette impassibilité historique , qui seinU^
nécessaire pour être enU^emeutin^artial; vou-
draitrOQ que rhisCoife lut un corps .sans motive-
ment et sAn^.axbe,. une mpmiç,.ou un sqUclette
bien conservé? Ne se priverait-ou pas d'un plai-
sir aussi vif que délicat , en refusant à l'hiàtoïifai
de faire conu^tre, ou,so|upçoniwr dû moin«,.la
noble indignation ,. la haine profoi^e que lui
inspirent les triomphes du crime, la généreuse
pitié , la. smntei admiration qu'il ressent eu pei-
:,, Google
aa KiFLEXIONS
gnKDt la vertu malheureuse, et en ta faisant
ainsi jouir d'une immortalité anticipée? Fera>-
t-OD un ciime à Tacite d'avoir parlé d'Helvidius
«t de Thi>aséa , avec un attendrissement religieux ,
et une mélancolie vraiment morale ? de Néron
préparant froidement le meurtre de sa mère,
avec une horreur secrète? Lui pardonnerious-
nous le contraire? et ces compositions simplet
et majestueuses , m&les et fières ,' ne sont-elles
pas d'autant plus attachantes* que l'auteur y a
laissé le sceau de son caractère et l'empreinte
de -son ame ?
' ' Tacite lui-mi£me a dit qu'il écrivait l'histoire
SAns intérêt et sans passion. « Galba, Othoo,
• Vitellius n'ont été, dit-il, ni mes bienfaiteurs
« ni mes ennemis; éloigné des. temps dont je.
« parle, je puis en parler sans haino et sans ai-
M gt<eur. 0» Tdl est sans doute le premier devoir
de l'historien;- la flatterie ou la vengeance doi-
vent empoisonner sa plume aussi peu que son
cœur; For, la fortune, le crédit, les honneurs
et le% décorations ne doiveQt ezdter ni ses dé-
sirs ni ses regrets; .l'espérance et la crainte dot-
bv Google
SUR l'i MPÀHTJAUTJ^ tHSTORlQUE. a3
vefttétre'étraogères k sou ame, dans ces mo-
ments où il juge les morts pour l'instructiou
des- vivants, et où il prononce «es arrêts m.nom
de la postérité. L'historien doit être indépen-
,dant, au-dessus deG.4»esoiiis, des goûts et des
passions qui enchaînent l'homme aux [ôeds de
ce^x qui enlèvent ou dispen&ent les moyens de
jouir; et l'on ne saiïrait tro{% répéter cetu vérité
triviale , dans un temps où foa n'écrit que pour
vivre, et où l'on peut dire de la.jUns grande
partie de ceux qui composeut.la république des
lettres, ceque Jugurtha disait du sénat de Bxaae:
« Société vénale, à qui il ne manque que des ,
«-a<4eteurs. «
Maïs, pour être iocoiTuptiblef on n'est pas i
l'abri des séductions du cœur; pour être inac- -
ces^le à la crainte ou à l'espérance , on n'est
^s inaccKsible aux prérentioos; pour être in- -
dépendant des choses et des faomin», le juge-
ment n'est pas encore affranchi de l'influepce
que la sensibilité exerce sur lui :
T«s phu .grands eBaenàs, Rome, bodI à tes porBes.
Une foule d'avemons et de préfërences soiir-
DiailizodbvGoOgle
^4 RÉFLEXrOHS
des, de penchants secrets et presque insensibles,
ensevelis dans les profondeurs' de l'amèj'la
modïjSent, la déterminent et 'finissent souvent
par l'asseoir. Le nombre et l'actitité des en-
nemis compensent leur Jaiblçsse; ce sont ces
Lilliputiens, qui, dans l'ingénieux roman de
Swift, s'etnparèrent de Gulliver, en assujétis-
sant chacun de ses<cheTeux à un [Hquet contre
terre : image frappante de pe qui nous arrive
tous les jours!
Que de sources de partialité ne se présentent
pas ici ! Il faudrait un ouvrage pour les déve-
lopper toutes? et les exemples prouveraient
qu'elles ne sont pas des combinaisons de l'ima-
gination, et qu'elles ne sont pas simplement
possibles , mais que , séparées ou réunies dans la
i-éalité , elles ont exercé une action funeste sur
' - les historiens les plus indépendants ^ et les moiits
suspects de partialité. '
Partialité d'opinions et de principes : non-
seulement on lès emploie pour rangef et lier
les faits; non-seulement ce sont des instruments
au moyen desquels nous saisissons les événe-
DiailizodbvGoOgle
sim t'nrpARTiAZiTé bistobiqde. 25
roents; mais on cherche, ou du moins on ac-
cueille stvec plaisir, on rélève et l'on met en
saiUie , avec une sorte dé complaisance, les.Êûts
qui Tieimént k l'appOi de nos prinôpes. On eat
bien éloigné de la mauvaise foi jqui- passe les aa-
tressous sitence ; mats on désiré que les leMeurs
y fassent moins d'attenti<Hi:, et ce désir se trahit
et s'annonce : celui qui rêve le p^ectionnement
graduel et toujours progressif des sociétés hu-
maines et Celui qui èroit que lès sociétés humai-
nes'ont lears phases de croissance, de dépéris-
sement et de mort, Fami sincère de la rdigîrài
et l'incrédule , le partisan des principes démo-
cratiques et lé partisan des monarchies ^ sont
également portés, sans le savoir, i cette fraude
involontaire. Il y a 'des afiBnités dans le monde
moral, cdnune il y a des affinités chimiqaes
dans le monde des corps; iï j a des faits et des
prindpes qui s'attirent- et s'appellent les uns les
autres.
Partialité de philanthropie ou de misantfiropie.
Dans le grand tableau des vices et des vertus,
des •longs malheurs et des courts intervalles de
DiailizodbvGoOgle
l6 ^.ÉFhEXlOSA,
ptosp^nté -dé l'espèce huRHÛae , l'éa-iYain qui a
plus 4'âiiae.que d'4^rit, aime, «t chwche tout
ce qui relève rhunumité , ^o 4'ftvoti: luî-mêiDe
la conscience de «a gjraadeiii:- Trouve-^t-il un bbau
ceiactètt-, U le peint dans toute 'sa beauté, «t,
par admiration ppurlegénie et la y^u , il.glisse
eta les dé£iuts, et annonce les. taches plutôt
qu'il ne lc& moatre ; l'homtaç mén>e dégtadé
lui inspire encore une sorte de rçspect} c'est
un roi détrôné qui peut renxontef sur le tf^ne.
L'écrirainplue spirituel qu'éuer^que^ pjus ^nalin
que sensible;,, plus irappé du ridicule que du
i^alheur des événements, ne voit daus rh<»Baie
qu'un sujet de dissection sur lequel doit s'exer-
oer son scalpel, qu'un objet de curiosité plutôt
que d'intérêt' Sous ce report, les moustics du
monde moral atdreut siutQUt son attention; il
en chen^ç,. il en voit partout, ou du moins il
les décrit avec complaisance.
Partialité de caractère. La nature brise tou-
jours le moule dan^ lequel elle jette les âmes
buinaines; et celles de deux hommes ordmaires,
çxaiçiuées de près, ne se ressemblent peutêtre
=dbvGooglc
SUR L'lHPABTIi.LITÉ HISTORIQUE. i-J
pas ^us que celles de deux héros; maù^àdé-
Êiut d'une conformité parfaite ^ il y a ube ana-
lo^e plus ou moins marqu4e«QtrelescaTUctèFes.
Les caractèrea mâles et élevés devinent, saisisr
sent et pngnent mieux leur» pair&', que tes
antres; ils jugent .mal les petites âmes , parce
qu'ils CHit le bonheur de ne pouvoir pas se
mettre 'À leur place : ils descendraient de tn^
haut.
Partialité d'état. Chaque état a des opinions,
des habitudes, des iiUéréts différents, qiii for-
ment son point de Tue particulier. L'homme de
lettres^ l'ecclésiastique, 1« nûtit^ire, ne racon-
tent pas un lait de la mente, manière , ne jugent
pas d'après Les roéxoes règlefti de la- nature des
événements et des actions des hoDomes. On a
beau 9e défendre de cette influence de& occupa-
tions habituelles sur les idées , les affections et
les jugement, et se prûpcBer de voir , de peiv
ser, de juger uniqujfiment en. homme} on est
souvent d'autant plus pailial, qu'on veut dé-
pouiller tous ces préjugées, et qXCoa affecte de
se montrer impartial.
=dbï Google
38 niFLBXIONS
- Partialité <le finesse ei de profondeur. Tel
écrÎTain loue' son eotiemi et blàtne son bien&i-
teur, s'ils le méritent; mais il ne résiste pas à la
tentation de lier une action à des moti& ou k
d'autres événements -qui lui sont étrangers , ne
fût-ce que pour faire un tour de force, et pour
exercer toute Ja subtilité de son e^rit. Il est
partial^ parce qu'il a l'habitude ou le besoin
d'aller chercher à une grande profondeur ce qui
se trouve souvent k la, superficie.
£n méditant toutes ces causes^plus ou moins
actives de partialité, il. faut se consoler en pen-
sant qu'elles s'excluent presque toujours l'une
l'autre , et que tous ces dangers ne sauraient
nous menacer à la fois. Afin de ne pas désesr
pérer de soi-même et de son travail , on doit se
rappeler le joli mot ^eTontenelle, qui pourrait
servir de devise k l'espèce humaine : t On doit
<t tendre à la perfection sans y prétendre. »
L'impartialité consiste donc dans le silence de
toutes les préventions. C'est là, en quelque sorte,
l'idéal de l'historien, dont il tâche de s'appro-
cher de plus en plus. Mais on peut encore de-
DiailizodbvGoOglc
SUR L'iBCPAHTIALITé HISTOBlQUE. 39
mander : Quels sont les efiets de cette impartia-
lité et les signes qui l'annoncent ?
Est-ce de ne pas se proposer' nn but en
écrivant l'histoire? Mais il iaut nécessairement
en avoir un pour s'orienter sor la mer du passé.
C'est l'idée principale que. sabit l'historien , avant
de commencer son travail, qui le guidé dans le
<dtoix des matériaux.
Est-ce de ne rien passer sous silence? Mais
tout ce qui s'est tait ne valait pas la peiné d'être
fait, et vaut encore moins celle d'être raconté.
Est-ce de ne pas mettre certains faits, ou cer-
tains personnages, sur le devant du tableau, et
les autres dans l'ombre ; de ne pas se contenter
d'en peindre quelques-uns , et d'indiquer sim-
plement les autres? Maïs sur la scène de la vie,
les personnages sont-ils tous également en vue?
Le rôle de tous a-t-il la même importance ? Et
qui sera juge , si ce' n'est l'historien , de la place
que chacun mérite? .
Est-ce de ne se permettre aucune réflexion ,
soit à charge, ou à décharge, des personnages et
des actions? Mais, en feisant penser, ne pense-
DiailizodbvGoOgle
3o RifLEXions
t-on paB , et he trabît-<»i pas le secret de ss
pensée? Quand les réflexkwis sont fausses, une
seule est cne<M:e de trop jqaand elles sont justes,
eUea dtHvent sans doute encore , pour trouver
grâce, éfrc bien placées, précises et rares, afin
Hx) ne pas interrontpre le mouTemoit dramati-
que ,. qui est le grand objet de l'histoire ; maitf,
quand celles que l'historien . se permet ont ces
earactères , comment ponrrait*on en conclure à
sa' partialité?
Est-ce d'écrire sans chaleur et sans couleur ?
Ce conseil n'est facile à donner que lorsqu'il
Mt facile k suivre; et il a toujours l'air d'être
un peu partial. Mais d'ailleurs, la dialeitf du style
et de l'action prouve aussi peu qu'un, homm»
soit partial , que le flegme et l'apathie preu-
Tcnt l'impartialité. Souvent la froideur cache la
partialité' la plus révi^tante, et I'mi écrirait avec
dhaleiinsi L'on n'avait pas un int^èt secret à
donner ou à prendre le change.
JjC seul signe auquel on puisse et doive recon-
naître l'iinpartialil^é , c'est- que , suivant l'expres-
sion de Cicéroh', il n'y ait rien de vrai qu'on
DiailizodbvGoOgle
sus' Ij'nSPAATIJi.UTÈ HISTORIQUE. 3l
ne dise. Quelles que soient les idées favorites ,
les opinions dominantes, les prédilections et les
préférences de l'historien, il est impartial du
moment où, en voyant tous les faits, qui, de
près ou de loin , tiennent à son sujet, il les allè-
gue tous, fut-ce quelquefois avec ime répu-
gnance secrète et invincible.
Au reste, il est un moyen très-simple de ren-
dre sa partialité peu dangereuse ; c'est d'annoncer
l'esprit et le point de vue dans lesquels on écrit
, l'histoire. Un astronome indique le degré de
latitude et de longitude du lieu où il a observé
une comète ou une éclipse, et fait connaître
la nature et la force de ses instruments. S'il se
trompe , il donne lui-même les moyens de rec-
tifier son eireur. De même aussi, l'historien qui
fait sa profession de foi pohtique , et qui énonce
hautement les principes qui l'ont guidé dans
son travail , nous donne les moyens de l'appré-
cier et de rectifier ses feux jugements.
■D,a,i,;t!dbïGoogIe
aiiizodbvGoogle
TABLEAU
DES RÉVOLUTIONS
SYSTÈME POLITIQUE
DE L'EUROPE,
DKSnfS la' Pllf DV QCINZIÈHB «lÈCLX.
PREMIÈRE PARTIE.
SUITE DE LA ^QNDB PÉRIODE. i5iS— 1556.
CHAPITRE XIII.
Des cames et de l'occasion de la Râbnnation.'Sk D
ses progrès, ssmarcfae, ïes efEets. Ligne de SmoUtaLlde.
J_jA marche progressive de' la civilisation avait
amené en Italie le beaa siècle des Médicisj elle
^ena en Allemagne une révolutkm totale dans
les opinions religieuses. Tandis qu'an 'midi de
2 3
i:,,G00gIf
34 PÀ.RT1E I. — piaioop II.
l'Europe, on jouissait et) paix des fruits du ta-
lent et du génie ; . au nord , Tesprit humain se
débattait dans' les chaines de Terreur , et , tout
entier à des objets plus sérieux ^clamait l'exer-
cice de sa liberté. Cette révolution (i), religieuse
d^ns son principe et par son objet, a été, par
le fait , une révolution politique , et elle a eu
une influence décisive sur le système général.
de l'Europe, et sur les rapports à$ tous les
états.
Toutes les révolutions, qui. ont changé l'état
du mopde en changeant les opinions d'une
grande partie de l'espèce humaine , peuvent être
considérées sons deux points de vue ; relative-
ment à leurs causes indirectes et éloignées , ou
relativement à leurs causeç directes et prochai-
nés. ,Pour saisir le$ véritables j-apports des
événements , il feut réunir ces deux .manières
(i) Parmi toutes les révoliitioDs qui ont en lien dans le
nic)^de,^i| lî'y eaa qu'une senle qu'os puisse oompi^r arec
la Réformation. Nous en sommes trop voisins pour qu'il
soit nércssaiFedela.jiommer. hes différences, qui se trouvent
l^lre ces.deiiX gratis mouvements, sontsans contredit pi as
nombreuses et plus frappantes que leurs ressemblances; mais
elles ofîrent des rapports singuliers dans leurs causes, leur
mardis; et leiu^ effets. Le lecteur attenta et instruit s'aper-
cevra Ë^cilement de leurs.traitsdeconfbrntité. -
:,, Google
ÇHAPITHE XIII. 35
(lifféreBtes de les voir et de les juger. Isolées,
Don-seulenlent elles n'expliquent rien, mais, de
plus , elles dénaturent les objets , et conduiseirt
k de fausses coodnsioQs. 'fie saisît-on que les
causes directes et prochaines des 'éréneinents ,
les effets paraissent disproportionnés aux causes;
le grand changement qui s'est op^^ devient
tucompréhensible; et, pour déguiser son igno-
rance> on serait tenté de l'attribuer au hasard.
Va-t-on chercher dans un temps' éloigné les
causes iudirectes et préparatoires des événer^
' nient<; en. observant que lé germe en élait con-
tenu* dans le caractère' même du siècle où ils
ont eu lieu, on s'imagine qu'ib devaient arriver
nécessairement ; en voyant comment ils ont été
occasionnés par la marche générale de l'esprit
humain, on se persuade que dans le monde
moral, comme dans le monde physique, il es,t
des résultats inévitables qu'on peut quelquef<ns
prëvoir, mais qu^on ne saurait prévenir, et aux-
quels on doit se soumettre sans.résistuice. Le
hasard et la nécessité rendent également 'toutes
les précautions superflues, et toutes les mesures
inutiles. Ainsi , Timpéritie qui en prend de
Ëiusses, la faiblesse qui n'en' prend aucune et
reste dans l'inaction, échappent à leur propre
censure et aux reproches des autres: l'ignorance
3.
=dbï Google
36 PAETIE I. PERIODE II.
et l'incapacité empruntent, sous ce point de
vue , les traits de la sagesse ;^la sagesse et la fer-
meté paraissent être un otgueil et une obsti-
nation ridicules i enfin, les passions et le aime
senjilent être à l'abri de toute. respi»isabiUté.
■he seul moyen de prévenir ces-danges^s et
d^éviter ces écueîls, c'est de combiner' les deux
principes de solutiqn du problème, et de 6xer^
av«c une égale attehtion , les causes préparatoires
et les causes prochaines des révolutions. Dès
qu'on se pénétrera de l'idée que , sans les ache-
mineinents et les préparations à de grands évé- '
nemeiits , qui se trouvaient dans les habitudes,
les opinions, les mœurs générales du siècle où
ils se sont passés, les causes directes et paîrticu-
lières seraient restées inactives , ou du moins
n'auraient pas* pu produire de changement total ,
la disproporttoa entre l'effet et la cause s'éva-
piOaira ; qu n'attribuera pas, de ^"ands résultats
à dçs minuties, et il n'y aura plus de paradoxes
d'évépemeuts. D'un autre côté, on verra dai-
renient que, sans les causes directes et prodiai-
nes, les causes génirales et éloignées n'auraient
pgiat amei)é de révolution ; les prépi^tions
n'auraient rien préparé, et les germes de^ plus
terribles cttastrophes, ([ue les siècles avaient dé-
posés ijans le sein de l'ordre social, y auraient
DiailizodbvGoOglc
CBAPITSX Xllt. 37
encore dormi long'temps, et y s«aient peut-
être même 'restés à jàmats inactife et ignorés. ,
Or , comme Jes causes directes et prochaines ne
sont pas au-dessus -de la portée de rlionune ,
qu'H peut les- modifier , les combattre , les di-
riger, la prudence et la fermeté pouitont toù-
joars prévenir le mal, on hâter le développement
du bieh.
Ces principes s'appliquent d'eux-mêmes k
l'histoire de la rëformation. Pour la saisir dans ,
son véritable point d« vue, et la juger aainc'
ment, it faut jeter un coup d'œil sur Jes circon-
stances'qui, changeant l'esprit du siècle, avaient
préparé une révolution religieuse ; bous verrc«is
ensuite quels en furent les occasions, les moyens
et les agents prindpaux:
' La puissance des papes avait atteint ^n plus
haut degré d'élévation sous Boniface YIII. De-
puis cette époque, sa décadence fut plus ou
moins senûble ; mais il était incontestable qu'elle
déclinait gradaellement., Nous avons remarqué
ailleurs, que ta translation', du ûége pontifical ^
Arigncm , qui mit le pape dans la dépendance de
Pfailippç-te-Bel , l'abolition de l'ordre des Tem-
plia« , le long et scandaleiix schisme d'Occident,
les mesures vigoureuses que prirent les conciles
de Constance et de Bâle , avaient porté des coups
=dtïGoogIe
38 PARTIE I. — PiÉBlOilK II.
tierribles au pouvoir ctes papes .dans l'esprit des
peuples et des ^nces. Les chuigements qu'avak
éprouva Tordre sotiai, dans la [di^rt des états
de l'Europe, n'étaient pas de nature à relever
la puissance chancelante des papes, mais ten-
daient, au contraire, k rafFaiblirde j^us en pliis.
A mesure que les vassaux avaient perdu de leurs
forces et que' les souverains avaient augmenté
les leurs, les évéques de Rome avaient rencon-
tré, dans tous les pays , plus d'ennemis et moins
d'alliés. Lesj^is, pour peu que la superstitioa
ne les eût pas eutièrement aveuglés sur leurs
vrais intérêts , avaient toujours vu avec un -dépit
secret, et ime inquiétude légitime,' cette puis-
sance spirituelle, qui se jouait de la leur, l'en-
travait ou 1^ brisait à son gré. Tant que les papes
eurent poHr eux l'ignorance fanatique 'des peu-
ples et l'ambition éclmrée des grands vassaux,
les s(Miverains furent oUlgés de se soumettre,
en frémissant, aux airêts de la cour de Rome.
Mais, dans le quinzième siédè, l'autorité royale,
plus étendue et mieux affermie, était en ét^t de
se Élire craindre des seigneurs, et respecter des
papes- eux-mêmes. Tandis que les bras , qui s'é-
.taient souvent armés en leur faveur, étaient
paralysés par les lois et par la force coactive des
gouvernements, l'opinion s'éclairait , et les pro^
=dbï Google
CHAPITRE titt. 39
grés des kuniéres «ileyaient Ji-Roine d'autres
moyens de donaination. Les esprits, qui avaient
été long-temps 'immobiles, et qui parâiasaieDl
avoir perdu l'usage de leurs forces, étaient sortis
de leur léthargie. D'abord leur- activité .s'était
portée sur les arts mécaniques, ensuite sur. les
arts d'imagination; mais le mouvement, «ne
fois imprimé j était parvenu jusqu'à la raison.
On^avait commencé à r^échir, et la pensée se
dirigeait d'elle-même sur la rel%ion,-oomme siut
l'objet le phis important. Dans plus d'une bonne
tête s'étaient élevés des doutes, d'abord timides
et secrets, bientôt plus prononcés et plus hardis. -
Jjes amea. pieuses étaient scandalisées du relâ-»
cbemffent de la discipline, les' coeurs bonnétes
reventes de la dépravationdu ciei^é. De toutes
parts on faisait entendreles mêmes plaintes; et
' ces plaintes étaient fondées. Les ordres monas-
tiques s'étaient- multipliés et enrichis. Dans. la
plupart des cloîtres, l'opolence avait perverti
les mœurs; tm avait substitué l'oisiveté aa tra-
vail , la mfdtesse à l'austénté , des désordres hon^
teux à une régularité exemplaire; et, k mesoM
que les. moines perdaient de leurs titres au res-
pect des peuples, et baissaient dans l'opinion,
ils semblaient bausfer leurs, prétentiens et leur
orgueil. Les ordres mendiants étaUàent un luxe
DiailizodbvGOOgle
40 PKRTIV 1. ^.rlÎKIODE II.
qui conbvflUit arec leur nom , et n'avaient gardé
des teiops snàeps 'que leur ignorabce; "Ramt
conférait toutes les places ecclésiastiques , soit
directement, soit par dei recommandations qtii
étaient autant d'ordres déguisés. Elle les accor-
dait plus souvent à l'intrigue et à la Ëivear qu'au
mérite , et les.prètres.italiens les solHoitaient, et
les obtenaient avec plus de facilité que les au^*
très. L'or de tous.l^ pays de l'Europe' allait se
rendre dans le trésor des p^s ; et , à titre d'an-
Dates, de dîmes, de dispenses, d'indulgences,
. ils pompaient le noméraira de tous lès états.
Cça abus, déjà dénomeés. ans conciles dé
Constaifce et de Bâie par le zèle éclairé' de Dailly ,
de' Gerson, de Clémangis, s'étaient perffétués
malgré leuvs justes réclamations ; mais leurs dis-
cours, qui n'avaient été que l'expressùm du vcfeti
^néral , hi avaient pr^ une nouvelle force.
Déjalesj^intesne circulaient plus sourdement.
Les {^nces, la noblesse, le peuple, se réunis-^
saieiit pour demander la réforme de l'élise. Les
souvwaihs et les nobles convoitaient les bien»
ecclésiastiques, et voulaient qu'on rétablit les
mœurs de l'église primitive, en ramepant le
clergé à sa pauvreté première. Le peuple dési-^
rait que le clei^é fut moins ^de et plus libéral;
et qu'au Ueu de demander, aux pauvres leur né-
=dbï Google
oessaire , il les secourût de son si^ki^u. Bien
loin -de. donner l'exemple de la simplicité des
mœurs, et du zèle pour le maintiai de la disoi-^
pline, Alexandre VI et JiUes II avaient donné
l'exemple de tous les désordres et de tous les
Tices. On. avait vu le premier se plonger dans'
tes débauches les plus hont«ueS) trafiquer pu-
t^quement des dignités de TégKse, sacrifier tout
à' son avarice et à celle de son indigne fils, se
faire du crime un objet d'amusement, et mourir
de6 suites d'un fot^t qu'il av^ médité. IxAes,
plus ambitieux et moins vil, agitant TEurope,
et ensanglantant l'Italie , pour étendre les do-
maines du Saint^i^e, avait &it et défait leS -li-
gues- avec une légale Ëicilité , s'^it joué de ses
promesses et de ses serments, et, piussoldat que
fH-éd% , n'avait pas craint de verser lui-mâme le
sang des'fidèles. D'autres temps avaient peat-
,étre vu des papes tout aussi coupables ; quand
BlarosLe disposait de la tiare, elle la plaçait sur
la tête des derniers des hommes ; maïs , ' à cette.
époque, les ciimeS des papes, plus ignorés,
Paient moins scandaleux; les communications
entre les peuples, rares et iftiparfaites, empê-
chaient que ces attentats ne fussent connus ; ils
souillaient: Rome sans, aller eiïrayer rËiùx>pe:
mais, au temps d'Alexuidre et de Jules, tous les
DiailizodbvGoOglc
43 PARViE |> PERIODE If.
peuples, insbtiils'du' dérèglement dé la conduile
des ch«& de PégKse, purentles ji^er,les con-
daianer , les abhorrer avec connaissance de cause.
Le ctmvocaAon du condle. de Pise , et les me-
sures que pilrent. Louis llULet Maximilien I,
pour déposer et punir Jules , mirent sa conduite
dans le jour lË'i^us odieux ; et déjà l'imprimerie-,
introduite dans la plupart des pays de l'Eurc^e,
y faisait circuler, avec une égale -rapidité, la vé-
rité eti'erreur, l'éloge et le bl^e; et, liant les
hommes de' toutes les contrées, elle avait cffié
l'opinion publique^
Ce fut elle qui-, vers là fin du quinzième sièr ,
cle, donna de l'importance à des idées théologi-
qties et à des innovations partielles qui , avant
éette époque , auraient fait peu de sensation et
seraient peut-être mortes ea naissant. Le sys-
tème religieux de l'église >omainé, formé suc-
cessivement avec beaucoup d'art , paraissait re-
poser sur dés bases si solides, que les papes
avaient souvent méprisé ou du moins différé de
punir ceux qui hasardaient d'en attaquer quel-
que partie; et en effet, avant l'invention de l'im-
primerie, les opinions de. ces novateurs, pea
connues et peu répandues, ne pouvaient que
difficilement devenir daogereuses. La doctrine
des Vaudôis, les-idées de Wicleff sur-la sainte
:,,G00glf
CHAPITHE XIII. 43
Cè.o0, que Jean Huss adopta et répandU-, celles
de Huss lui-même, quelque triste .célébrité que
leur aient domiée son supplice et les gueires qui
le suivirent, n'aVaient pas £iit en Earope jutant
de progrès ni acquis autant de partisans qu'el-
les semblaient devoir le faire : mais, avec l'impiî-
merie , tout changea de face : depuis cette inven-
tion ingénieuse, les idées des théologiens, qui
seraient restées- ensevelies dans leurs tétes' ou
dans leurs écrits, parcouraDt tous .les pays,
.pouvaient menacer d'un moment à l'autre la doo-
triiïe dominante. Les pap£S sentirent lé dangçri
ils essayèrent de s'emparer de'cp grand moyen
de càrcnlatioii et de le diriger à leur gré; mais
l'expérience d& trois siècles a prouvé' que cette
puissance est aussi indisciplinable qu'active,. et
les papes le reconnurent.
L'étude .des langues mortes, que les Grecs.,
fugitife de Constantlnople, introduisirent en Eu-
rope , avait étendu le champ des idées et donné
le désir de lire tous les auteurs dans la langue'
originale. Il était facile de prévoir que la con-
naissance du grec et. de .l'hébreu mettrait beau-
coup de bons esprits' en état de comparer I9
doctrine donoioante avec les livres qui devaient
ea être la source ; et çe§ théologiens dé Colo-
gne ,^ui persécutèrent le cdèbr* Jean ReuchUn
DiailizodbvGoOgle
44 PAETIE I. — : PÉRIODE tl.
(- Gapnibii ) , restaurateur de la langue h^raîque
en Allemagne, agissaient conséquemment, du
monirait où leur but était de perpétuer Tigno-
rance. On commençait déjà, même en Allema-
gne, à écrire dans la -langue du pays, -et, au
moyen de ce véhicule, teintes leis'idées pouvaient
se répandre Ëicilement dans tes classes inférieu-
res du peuple;
Aussi voyait-on déjà, à la fin du quinziàne
siècle, les effets de ces changements. Partout
paraissaient des écrits, sérif^ix ou satiriques,
contre les abus et les ridicules de l'église romaine,
-où les moines et le pape n'étaient pas épai^és.
'^On dévorait' ces ouvrages ; iii étaient le sujet des
conversations et des correspondances; toutçs les
{liasses s'en amusaient; et la malignité , naturelle
à Tesprit humain , recevait sans cesse des aliments
nouveaux. Le peuple se moquait du clergé; les
hoinmes un peu plus éclairés attaquaient la ^s-
ciplioe; et quelques bonnes têtes, allant plus
loin, se disaient en confidence que la religion
régnante n'était pas celle de l'ÉvaDgile. A la vé-
rité, près du siège de la puissance, où l'on était
plus à même de l'obsërveret de la connaître,
en Italie, on s'était permis, dès le treiùème et
le quatorzième siècle, les piropos les plus hardis;
et les papes, le clergé, les dogmes même n'a-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XIII. 45
vaient pas été ménage dans les poëmes de Dante ,
et dans les Contes «le Boecace;. niais Dante et
Boccace étaient tous deux au-fkssus de leur
siècle, et leurs ouvrages avuent été peu. lus, et
plus nirement compris.
. A la fin du quinzième sièf^e , lé goût de cri-
tiquer les abus et les v'vx» de l'église était de-
venu le ton général ; les esprits graves et ardents
s'épuisaient en déclamations; les esprits légers
et badins né tarissaient pas en plaisanteries.
Dans tous ies pajs i^égnaient une fermentatiga
sourde et iine inquiétude «ecr^e. Les idées rc
ligieuses consacrées par TégKse n'étaient plus-
à i'tmisson dés besoins de la raison, ni du pro>'
grès des lumières. Des deux principes qui gou-
vernent l'homme, le goût de la nouveauté et
le pouvoir de l'habitude, le prenùer prenait le
.dessus, et n'était plus tenu ,en équilibre- par
Vautre , parce que les - esprits étaient devenus
plus actifs, et que la psisée .voulait du mouve-
ment. On ne savidt pas précisément ce qu'il'
fallait changer, mais on s«itait qu'il fallait deft
changements, et surtout Y>n les désirait avec
vivacité. Les pasûoos Contribuaient à renforcer
cette tendance générale. L'ambition, la vanité
et le désir des jouissances avaient gagné en sur-
face et en intensité , à mesui^ que la civilisation
:.,G0pglf
46 PARTIE I. —;- PÉRIODE II.
disait des progrès. On enviait au clei^é soii
pGÙvoir;.'On voulait pàrtagn- les honneurs que
ks peuples' h», rendraient; et surtout on convoi-
tait cette opulence qui lui permettait de vivre .
dans le luxe et Toisiv'eté. I^adisposition générale
dés esprits annonçait clairement (}ue l'Europe
était à là veille de quelque grande iïommotion.'
Tout paraissait màr pour une révolution-; ce-
pendant les papes auraient pu facilement la
prévenir, s'ils avaient eu une juste idée des dan-
gers qui les menaçaient, et s'ils avaient connu
et«on5ulté l'bpinioa publique. Il siitBsait d'em-
ployer à réformer les abus, le' pouvoir qui les
svait multipliés. Il aillait le faire dans un temps
où ils ji'auKtient p,aru céder ni à la nécessité ni
à la crainte. Encore revêjtus de toute ieur au-
torité , ils auraient pu satis&iré au vœu de toute
l'église, en abolissant ou en régénérant les an-
ciennes institutions , sans secousse et sans ' pré-
cipiter leurs mesures. Etaient-ils trop attachés à '
leurs maximes , et trop intéressés aux abus
pour les redresser, il fallait faire des sacrifices
aus circonstances. On devait da moins redoubler
de circonspection et de prudence, et user de
toutes les ressources du pouvoir et de l'adressa,
pour prévenir une explosion violente. Par un
heureux tempérament de fermeté et de jiistice.
:,, Google
CHAPITRE X'III. 4?
il- était pos&ible de modérer l'effervescence gé-
nérale et de coateair les.oovateiirs. Le& germes
de révolutitm auraient été. étouffés, ou sérient
demeurés, inactifs, et stériles. Les m^ières'com-,
bustibles étaient préparées ; mais tcmt était saurà,
si l'on avait eu l'art d'en écarter rétincelle Les
papes eux-mêmes l'y portèrent , et £rent mûtre
■les causes directes et proch^nes qui déreKip-
pèrent l'activité des .caiwes général^.
Léon :X. occupait le trôné pontifîo^. Il était >^>^-
fait pour gouyeroer l'église datis un tanps calme
et heureux ; mais son gé^îe et son caractère n'é-
taient pas à l'unisson de la caise qui se prépa-
rait. Spirituel, instruit T bon, ^néreux , il eût '
été un particulier aimable; il n'était qu'un sou-
verain faible et inappliqué. Les lettres et.les arts
l'intéressaient et l'otxupaient beaucoup plus qu;e
la grande, administration dont il était chai^.
Quoique sa conduite et ses mœurs ne fussent
rien moins qu'exemplaires', il avait plus de mo-
ralité que ses deux prédécesseurs. Entièrement
étranger aux vices et aux-crimes d'Alexandre et
(le Jules, mais doué de moins d'énei^, il fut
puni de leurs désordres ; et peut-être le ftit-il ,
uniquement parce qu'il c'avait pas leur fermeté
ni leur audace. libéra et magnifique, ses dé-
penses surpassaient encore, ses revenus; la ba-
DiailizodbvGoOgle
. 48 PARTIR I.— PÏBIODE II.
silique- de Saipt-^en'e coûtait des sommes im- ■
. menées. l.éoù , youlapt se procurer de notivelleB
ressobrceSj eut recours à qn moyen que les .
, papes avaient, souvent employé avec ,SQCcès , la
vente de$ iodolgences. C'étaient des assignations
SUE l'in^aisahlè trésor des oeuvres de sul'éro-
gation faites par les saints , que les fidèles, au
moyen d'une rétribution pécuniaire, pouvaient*
acquérir et s'attribuer; et cette espèce de bons»
d'un genre particuli» , effaçaient tous les désor^
dres^ tenaient lieu de vertus, et assuraient le
pel à leur possesseur. Déjà, plus d'une fois, des
honuqes éclairés et. vertueux -s'étaient élevés au
■ sein de l'église romaine contre cet indigne trafic ;
mais Ifts papes, n'avaient pas tenu compté de
leur» réclamations. Léon, qui ne connaissait pas
l'esprit de son siècle, et qui était trop léger
pour le consulter, crut que cette spéculation de
fimmces lui réussirait commeà seB][M'édéce5seUTB.
C'était principalement l'Allemagne et les pays
du iNcvd que Ton se prc^xKuit d'exploiter. L'igno-
rance et la docilité de ces peuples avaient été
une veine dé richesses pour la cour de Rome ,
et elle la croyait intarissable. ]> p^>e intéresse
à la vente des indu%ences Albert, prioc» de la
maison de Hohen-ZoUem , qui occupait le ûége
de Mayence; il promet' de lui remettre la somme
DiailizodbvGoOgle
. CHAPITRE XIII. 4g
considérable qu'il doit à Rome pour le pallium.
Albert» prodigue et fastueux comme Léon; et
toujours dépourvu d'argent comnie lui , épouse
avec chaleur les intérêts du pape ; il charge
l'ordre des Dominicains de vendre les indul-
gences en Allemagne; et Jean Tet2lel, moine
ignorant et .ef&onté, iait dans la Haute-Saxe ce'
commerce , déjà si révoltant par lui-même , de
la manière la plus inflécente. Les paysan^, dupes
de se& proquesafs , lui aj^Mirtent leur argent et
reçoivent ses billets.
Martin Luther, moine augustin, enseignait, à
cette époque, la théologie dans l'université nais-
sante de Wittembierg. Il était né à £islebeu , dans
le comté de Mansfelden , de parents pauvres et
honnêtes; son père était mineur. Dans son en-
fance il avait fréquenté l'école d'£rfurt,. et an-
nonça , de bonne heure , un esprit vif et use •
ame énei^que. De fausses idées religieuses , et
peut-être le goût des lettres,. le déterminèrent
à renoncer au monde; il entra, malgré ses pa-
rents , dans l'ordre des Augustins. La retraite et
les devoirs monastiques exaltèrent sa tête ar-
dente, et il tomba dans une sombre mélancolie
qui ne lui permettait pas de fixer d'autre idée
que celle, des jugements célestes. Il ne fut guéri
qu'en se livrant à l'étude des langues mortes ,
a f\
DiailizodbvGoOgle
5o PARTIE-, I. PÉItlOOK II. -
(|Ui , dirigeant son attention sur des objets réels
et sérieux, modéra la fougue de son inoagina-
tion, et le sauva des dangers d'une activité in-
quiète et vague. Le vicaire-général des Augui-
tins, Staupitz , faomnie doux et éclairé , ■ i qui
Luther s'était ouvert , lui avait donné cet utile
conseil. Il prit te jeune moine en affection, et,
lui trouvant du talent -, TenVoya à Rome pour
i5io. les affaires de lX>rdre. Ce voyage fournit à Lo-
ther Toctasioia d'observer de près fa cour ctes
papes; et il en remporta un mépris profond
pour Rome, mépris que la corruption des moeurs
régnantes et la licence des écrits devaient na-
turellement inspirer à un cceur droit et religieux;
De retour en Saxe , ses connaissances , et la re^
comraandation de Staupitz , lui firent obtenir
Une chaire de théologie à l'université de Wit-
temberg, fondée par l'électeur Frédéric-levage.
n en remplissait lès fonctions avec zèle.; et , y
bornant ses soins ^et ses désirs , il ne se doutait
pas de la célébrité qui l'atfeiidait , lorsque Tetzel
vint vendre se» indulgences dans le voisinage
de Wittembërg.
Luther portait dans un corps sain et robuste
une ame d'une' trempe forte et vigoureuse; sort
esprit était plus actif et plus prompt que 6ii,
délié et pénétrant. Il sai^ssait facUement les
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE Xlli. 5l
glands traits et s'sUachail aux niasses; les nuances
et les détails lui échappaient. Instruit, sans être
savant, il estimait l'érudition , et avait témo^é
de bonne heure une aversion ' invincible pour
la ptûlosoplûe' sccdastique. Ses principes et ses
idées étaient plutôt le résultat d'un premier
aperçu juste et lumineux , <{Ue ie fruit de ré-
flexions profondes et d'un lent examen. Son
génie lui iaisut découvrir la vérité par va tact
heureux. ïl n'avait pas cette raison méthodique,
ïuialytique, sévère, quijirocède avec plus de sû-
reté ^ue de vitesse. Ses passions étaient ardentes,
proiKHicées et durables , ou plutôt il n'en avait
qu'une cUmûnante , l'amour de ce qu'il croyait-
vrai, et le désir de faire triompher sa convit;-
tien. Une volonté droite, énergique, in^>ran-
lable , le rendait étranger aux demi-mesures, aux
vacillationB , aux incertitudes. Son- e^uit avait
pris l'empreinte de son caractère ; ses principes,
une fois arrêtés, étaient invariables; de ce mo-
itteot, il ne connaissait plus le doute, il. ne te
tolérait plus dans les autres; son tempérament
fougueux et soq humeur .impétueuse , qui n'a-
vaient pas été adoucis par l'éducation ni par
l'usage du monde, ne lui permettaient pas de
ménager ses expressions, dès qu'il croyait avoir
pour lui la raison et le devoir. Infatigable au
DiailizodbvGoOgle
5a PARTIE I. PËRIbDE II.
travail , audacieux dans fattaque , Intrépide dans
la résistance, il avait plus de caractère que de
génie', plus de force de volouté que de force de
tête , moins de richesse d'idées que d'unité dans
la direction qu'il savait leur donner. Impérieux,
comme le sont tous les hommes qui ne voient
qu'un seul objet; dur pour les autres parce
qu'il l'était pour lui-même ; naturellement vio-
lent et passionné , il le devint encore plus par
l'habitude de la lutte et de la guerre. Ses défauts
servirent peut-être sa causê'aussi bien que ses
grandes qualités ; et, s'il avait été plus modéré,
plus calme, plus voisin de- la perfection morale,
' il n'eût jamais tenté sa grande entreprise , ou il
l'eût tentée sans succès.
Tel était l'homme qui enseignait paisiblement
là théologie à 'Wiltemberg , lorsque la vente des
indulgences vint l'arracher pour toujours à l'ob-
scurité et au repos. 11 vivait ignoré dans le
monde, et il ^ignorait lui-même. Le caractère
et les talents qu'il déploya dans la suite n'exis-
taient encore qu'en puissance ; les circonsfemces
lui apprirent à se conniùtre, et développèrent
en lui des ressources qui , dans tout autre temps,
seraient restées ensevelies. Luther est indigné
de voir qu'oii déprave la moralité du peuple ,
tout en le dépouillant dé son argent; l'étude
=dbvGooglc
.CHAPITBB Xlll, 53
qu'il a Êûte. des livres saints lui a donné des
Idées plus justes sur les conditions du salut , et
il publie des thèses contre les indulgences. A iSi?.
cette- époque, et même j>lus tard encore , il ne
prévoyait pas où. cette démarche le conduirait J
il s'élevait simplenKnt contre un abus ; tant
d'autres l'avaient fait avant lui! Tous ceux qui
sont intéressés à défendre ce qu'il attaque, par-
lent et écrivent contre ce moine audacieux.
Luther, [Hwoqué par ses^nemis, leur oppose.
-de nouveaux -écrits plus hardis (pie les premiers,
et la .querelle s'engage. Les Dominicains, sûrs
de la victoire, en appellent à Roçae. Léon pou-
vait mettre .fin à ce démêlé en imposant silence
au¥ dedx partis , et en r^pelant Tetzel ; ou ,
s'il voulait le soutenir, condamner et punir
Luther, il fallait prononcer et faire exécuter
l'arrêt sur-le-c^amp. Afais le pape , distrait par
d'a.utres soins , et plein de mépris po^r le moine
allemand , laisse traîper ^ralfaire. Les écrits se
multiplient, les idées circulent, les. tètes s'é-
chauffent, et Luther acquiert des partisans. En
i5j8, Lé<^n charge enfin Thomas de Vio, de
Gaëte, d'obliger Lutter à se rétracter, et de
le punir s'il s'y refuse. Lutfae^ se rend à Âugs-
bourg, parait dey wt le lég^t, résiste é^galement
à ses caresses et à ses menaces, et le quitte sans
=dbï Google
54 PARTIE I. — l'ÉillOBB II.
avoir cédé aa vœu du pape. Il eti appelle à
Rome ; et lorsque Rome elle-nvSine Iç condaiDne,
il invoque l'autorité d'an concile.
Les circonstances le favorisent. Maximilien
meurt; et, pendant un interrègne de six m'ois,
iBig. l'électeut", Frédéric- le-Sagc, exerce le vicariat
dans l'empire. Ce prince méritait le beau surnom
que lui ont donné ses ccmtemporatns. Modéré
dans ses principes et mesuré dins ses démarche»',
il répugnait aUx partis extrêmes, et son esprit
conciliateur ne lui permettait pas de condamner
Êicilement les opinions des autres. Sincèrement
religieux, il aimait la vérité, la dierchait de
bonne foi, et se défiait de ses lumières. H savait,
apprécier les talents de Luther ét-il estimait son
caractère; trop éclairé pour ne pas s'apercevoir,
et trop pieiix pour ne pas gémir' des abus qui
déshonoraient l'église,, il en avait demandé ta
rétbrme avec empressement. L'éclat que la ré-
putation de Luther répandait sur l'univnwté d6
Wittemberg, que Frédéric chérissait avec toute la
tendresse d'un père , lui faisait désirer de l'y coi>-
server, et même voir avec plaisir le bruit qu'a-
vaient fait tes thèses sur les indulgences. Ainsi,
bien loin d'inquiéter Luther, il le protégea; et
l'intervalte qui sépare la mort de Maxirailien'de
l'avénement de Charles-Quint , fdt trés-làvorable
DoLdbvGoogle
' CHAPJTttE XIII. 55
aux prc^rès de I4 nouv^lç doc^ae. J^es adver-
saires fougueux et m^tadrôits dç Luther « Je^
^ , théologien d'Xngûlstatlt 1 Qt Jacquei ' Hogs-
traten, doni^nicain, nje fireiij; qu^Iuiidouner le
sentimeot de sa supériorité, la tnireiit dans tout
son jour aux yeux des autres, et lui proi^èrent
dei aipis préoeux. . ^ ;
Pangi ces derniers, Car^ost^dt, et ^tvtavtlVIé-
lanchtod), JDuèr<^t le rô)e Iç j^M^ actif. ÇarijOr
^tedt, dont le zèle allait jusqu'à V'«o>porteaien|:,
capAtûç^detout.hasajrderet de t^>ut braver, pljos
faÀi pour les coups de-iDaio que pour lii di^cq^-
sion, était TeoÊuit perdu du parti. ]VIél^}cl)tqp
était supérieur à Luther pour l'étendue 4« l'es-
prit et la prpfoçdeuT des v|ues, les riche^s de
l'ériiditioP et la. perfection du s^^ i^j^^imtd^,
mcfstX^m, îf^ésolu, il manquait de, ççtte hfçr-
diesse qui ^t entreprendre de» pho^s dilQcile^,
de cette femqçté qui per^vère.dflns le? entre-
prises, et ^ ce çourfiga d'esprit qqi. obéit à la
vérité et ^ij devoir sa»? s'attendrir sur 1^ cor-
<«équiçnces. Mélanchton aurai); pit &ir,e le pljtn
de la réform^iqp , jl ne l'aïu-ait jaiq^iç èx^ctAfé.
U pesait encorç , d^ns uue halance^partiale ^
le {WM' ^ le CQni7« d«^ opwîpu^ i .^^^4^Luther
pFo^i^ç^ft in^riemeffÇpt la «e^w.; >l priait
qftmà LMtIxer contbsttait; il plpwr^,qu?[id Ist^-
=dbïGoogIe
56 PARTIE I.- — P^RIOBe' II.
ther menaçait et toimait. C'était la tète et la
pensée du parti dont Kautre était la volonté.
Mélanchton était un principe de himière ; mais
Luther était iin principe dé mouvement et d'ac-
tion, teï qu'il lé fallait pour le Succès de la
réforme.
La guerre avait éclaté. Rome déclare, Luther
i5ao. <JoupabIe d'hérésie; ses écrits sont brûIâ publi-
quement à Lottvain, à Cologne, à Màyetice; et
le pape ordonhé, par une bulle^ i Frédéric-Ie^
Sage , d'exécuter la sentence lancée -contre pe
moine audacieux. Luther eu appelle, avec plus
de force, à un concile; et, opposant ta violence
à la violence, il brûle a Wittemberg le tode dn
droit' canonique. Léon X, après avoir montré
trop d'insouijiance , avait peut-être déployé trop
de sévérité, 6t , comme tous les princes faibles,
il n'avait su user à propos ni de rigueur ni de
clémence; Luther s'était engagé trop avant pour
■ reculer : la'nécessité de se défendre l'avait mis
'dans le cas de chercher de nouvelles' armes pour
multiplier ses attaques. Déjà ses succès lui avaient
donné; avec le secret de ses forces, la mesure
de l'opiniod" géniale; et ses vues de réforme
s'étaient étendues avec ses idées et ses connais-
' sances. Toute la religion cathoUque reposait sur
, l'autorité du pape et de l'église ; l'édifice entier
=dbï Google
' CHAPITRE XIII, $7
devait crouleravec cette base. C'est sur- elle
qu'il dirïge ses coups ; au lieu de dét^mmep le
sçns des Écritures pat la tradition -et l'autorité ,
c'est par les Écritures interprétées suivant set
lumières, qu'il rejette la tradition , et qu'il pro-
scrit l'autorité en matière de foi. Désormais' la
croyance doit- reposer sur l'examen, et la reli-
^on n'avoir d'autre fondement que l'Évangile
et la conviction de chaque individu; chacun est
juge de SA foi , ne preod à cet égard des Ims
que de sa profffe raison, et n'est, responsable
€px'h lui-inénie.
En brùlimt publiquement le droit cancniique,
Luther changeait tôut-^à-fart la constitntiou de
la grande société chrétiénae; il avait détrèné-te
souverain spirituel dont le pouvoir semblait cdn>-
saeré par le ciel même, et: l'était' du moins par
une haute antiquité et par le respect des peu-
ples. DéjAl ne s'agit plus de réforme partielle,
mais de révolution; ncui plus de quelques chan-
gements, mais d'une refonte totiale. Ses principes
le conduisaient à dire que l'état n'existe qu'au-
tant qti'il y a un pouvoir souverain' qui Bédde,
ce qui , en fait d'actions , doit être regatàé coimne
la volonté générale; mais qu'il ne péuft*point y
avoir dans l'église de souvasùiietéqUi ^termine
ce qui doit être la croyance géikâraie': que^ dMïs
DiailizodbvGoOgle
58 PAHTII !■ P^ftlO^E II.
['Qrdn social, la liberté ne peut être sauvée que
pw des Lois qui la restreignept, et que Fiodé-
peadance absolue de tous ne serait que la ty-
rannie de tous; mais que, dans l'ordre spirituel
et dans le noode dos idées , l'indépoidance ab~
aolue sauve seule la liberté ; que ce qui mérite-
rait le nom d'anarchie dans l'un ,. est le seul
régime qui convienne à l'au^; et que, dans
l'explication de l'Évangile, npl ne doit prendre
conseil que de Iw-mêiae. Maî&j ocu^traint par la
force des choses, peut-être 'ausu entraîné par
un caractère dominateur, il ne fit que délacer
la souveraineté sans l'aboUr; et, devenant lui-
même monarque, il conserva la monarchie ddPS
' l'église. Ces dogihes qu'il voyait et trouvait dans
rÉvan^lè, devinrent pour ses partisans, sans
antre exam«i , des articles de foi : il avait b«au
protester contre cette çosfiance aveugle dans sa
personne et dans ses écrits; ce qift appelait
une inconBéquence, et qui en était une, en ef-
fer, d'après ses principes, pouvait seul préyesûr
des div^geuces d-opinioas , qtû seraient nées
de'bonne heure etaurjùentepipéahéles progrès
dc: la réforme.
Cependant t aprèp l'éclat qu'il .avait bât à Wit-
tembei^', il-pàdédara pas d'abord qu'il ne vou-
lait'plos de ména^meats , mais il demanda ta
DiailizodbvGoOgle
CHAPITBB XIII. Sg
décision (foQ conàle ,- et Lëon cmt devoir rerenîr
aax voies de conciliation .' Charles-Quint était assez
indifférent sur l'article de la religion. Plusieurs
Ont pensé qa'H incfinait pour la doctrine noû-^
f elle, parce qnll no ie njoirfra pas zélé cathodi-
que; d'autres t'ont cru zél^ catholique j.patce
qu'il a fini par combattre les norateurs. A cette
époque Charles croTait devoir eaï'esser l'opinion
publique; la reconnaissance le liait à rélectetir
de Saxe, protecteur secret de LtlHier, et il n'é^
tait pas pressé d'arrêter des événements qui don-
naient à Rome de Toccupation et de Hnqdiétude:
Il dte l'ennemi du pape à la diitede Wonna.
Luther s'y rend , malgré les craintes de ses àiDls ; 1 5a i .
y soutient iarec courage' ses principes, se réfese
à toute espèce de rétractation. Ses formes âpres,
son ton peu mesuré et ses discount violents lui
aliènent l'etnperear. Àpeiiae a-t-il quitté Worms,
que la diète le' -Condamne \ défend de lire ses
écrits, et ordonne à toutes lès autorités de'les
poursuivie. Mais en même tetnps , pour 4e sous-
traire à ces pèi^ééuttons , l'électeur de Sftxe le
feit arrêter, probablement du s» de Charies;
par quatre cavaliers masqués, et Te fait'condmré
secrètement au château de WârÂourg prés d'Ei-
senacfa. Dans cette retraite, qu'il appelait son
Pathmos,il eut le temps d'étudier et'de tradutfe
=dbï Google
Go PAHTIK I. - — PÉJtI01>£ II.
le» livrés qui pouvaient servir d'arsenal à se»
sectateurs, de consolider et d'achever son sys-
tèiàe ébauché ; et de li il, répandit dans toute
l'Allemagne des éç:^ts propres à rassurer et à
édairer. ses partisfras, qui &appèrei)t d'autant
plus .qu'ils avaiept quelque chose de mysté-
rieux , et semblaient partir d'une main inv|sible.
■ 5ai . Pendant la captivité de Luther,, sa. doctrine
iSaa. lait des progrès; l'enthousiasine.. se mêle à fa
çonvictioii ; l'aioQur du vrai et une inquiétude
'^^igue , le goût de la nouveauté ,une v^ité active ,
la haine des abus et l'intérêt qui compte g^gnpf
à leur ruine, comme il avait- gagpé autrefc^ à
leur règne;. les passions qui veulent. s'élever sur
leursdéhris , enfantent à sa doctrine des apôtre?
et, des disciples nombreux. Les uns y voient un
objet respectable,- et leur zèle méritç des. élo-
ges; les autres pe l'adopfent que comme :Uu
pioy.ende .parvenir, et ils méditent le , mépris.
-On prêche Içs noqveaujj principes à Erfurt^ à
Worms, à Halberstadt, ^à^Str^isbourg, icn .Autri-
che,, en Boh^ipe. Le respeqt.popr.de» idées an-
ciennes, ^e pouvoir de, l'habitpde, U paresse
d'esprit qui rejette l'examen, l'orgueU qui re-
' pousse ce que Ja vanité veut faire admettre, le
désir dé perpétuer des ahus. lucratif et des pré-
jugés utiles, la crainte bien naturelle d'un bou-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE Xlli. 6l
Reversement total et la hîfrdiesse même des noii-
velles opinions ; suscitent à la doctrine de Luther
des adversaires, puissants.' tJne lutte sérieuse
s'engage partout entre les idées consacrées par
lès siècles, enracinées dans les esprits, qu'on
défend avec opiniâtreté , et des idées qui vien-
nent de naître,, pour lesquelles on s'échauffe
d'autant plus qii'on les connaît moins, et qu'on
propage avec ardeur ; là 'on veut tout conser- ■
ver; ici , l'on niepape de tout détruire. Des deux
côtés sont les mêmes pasMons, qïii diffèrent de
moyens sans dififérer d'objets; elles veulent de
l'or, du pouvoir et des jouissances. Des deux
côtés on confond l'essentiel avec l'accessoire, lès
personnes avec lés choses, et, par cette associa-
tion, on lait tort aux unes et aux autres. On
garde pour soi -et «pourson parti la pureté des
intentions, l'amour, du bon et dû vrai; on soup-
çonne la bonne foi des adversaires, ou..oa leur
prête les motifs les pluskodieux.'I)es deux côtés
on -fait arme de tout; les insultes, des exagéra-
tions, les calomnies remptacest tés raisons ou
^lés af^iblissent en voulant les appuyer- Coaser-
vefa-t-oii 4es formes et les institutions qui sont
te patrimoine des peuples, les «piDions qui sont
■devenues' ta cbosctence d'unegrande partie dte
l'espèce huiiiaineP'OU tout sera-t-ijj^té dans le
DiailizodbvGoOgle
(ia PARTIS I. — »ÉaioDE ii.
creuset, et refondu pour reDuitre sous d« nou-
Te)lçs formes ? Tel est l'cdjjet du procès împM'-
Unt qui, partage rAllem^gae, et qui bteutôt
{larta^ra toute l'Europe.
. On m«t plus de vivacité à l'attaque qu'à la
défense; les partisan» de Luther «e laiesent eixb-
porter par teur zèle , et Carlostadt abat les images
iSaa. à Wiitembetg, sans attendre que la. croyance
i5a4. en sœC détruite ou affîiijïlte. Tiiomas Mivizer,
fasuitiqne ou Ibuttie anbitieiu., applique à l'or-
4ie politique les (HÎncipes que Luther veut éiCa-
lilir danis les sociétés' relieuses; confond, pu
paraît confondre, l'égalée dvile avec Tég^é
morale; étend aux actions la liberté que le ré-
ionnateur réclame pour .les opinions ; «C , a'éte-
'vant contre toute espèce de souveraineté, aon-
4èf*e les paysans ignorants et crédules, que la
-nnsère, la vengeance, l'avidité, peuvent porter
aux plus funestes excès. Luther sort de .sa re-
traite, condamne et régime le cèle de Cario-
-stadt, et tonne amtK Mùn£er, avec d'>autaBC plus
'de 40rve qu'on powrait imputer k la 'nouvelle
ilootriilte les faussa et das^ereuses '.conséquences^
qu'on tire de ses principes, et qae de parots
■désordres h/à porteraient un conp niortd. Il pu-
Mie -suoceseivemeat les liwes -de I9 lHAe qu'a e
traduits dans sa retraite. 'Ce sont les pièces du
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XIII. 63
procès qu'il met entre fes màms de bout le
monde. On pourra compater la religion qu'on -
enseigne , avec son prototype, et ce rapproche-
ment .ne sera pas favorable à la i«i catholique.
Cependant, malgré les ezibortatidns «t les.m'e*
naces de Luther, Mùnzer continne à répandrr
l'esprit de révolte et le feu de la sédUioB dans
ies campagnes ; les paysans égarés croient rem-
plù" des devoirs en commettant des crimes , obéir
au âel en désobéissant à leurs supérieurs, et,
dupes d'eux-mêmes, s'imagiaent suivre lenr cobi- '
science en ne stnvant que leors passions. Ik
parcourent la Thuringe, la Hesse , la Westf^aliÇf
et laissent partout des traces sanglaotes de lebr
passage. Il £iut que la force s'okxae pour OMS-
battre les progrès d'une opinioa sid>versive. de
l'ortke social. La Saxe, la He^e, Branswidt., se
réunissent pour étou£BBr ce fléau. L'année de iSaS,
lltiiDzer est battue à Frankenhausen; d'autres
coorps prouvent ailleurs le même sotti près de
cinquante mille hommes périssent victimes de
ta frénétie ou des passions de leur çb^^. et son
sang justement versé ne peut ai expier -ces vûair
heurs ni en prévenir de nouveaux.
Durant ce& scènes tragiques, qui prourad,
par de sanglants exemples, qu'il eti tovjours
dangereux d'ébranler tes idées et les habitudes •
DiailizodbvGoOgle
.64 PABTIE I. rÉRItlDE 11,
des peuples,- et que toute. commutibn violente
t\es ç&puts est ijine -espèce de défi donné au bâ-
tard, dotit.les effets sont incalculables , Luther ,
séparant la part de;la férité de celle de l'erreur,
et distinguant ses principes de$ abus, qu'on peut
en faire, poursuit avec zèle le grand ouvrage
' qu'il a entreplis ,. et -la réformation fait des pro-
grès. Frédéric-le-Sage meurt. Il s'était contenté
de favoriser la propagation de la doctrine nou-
rrie; lean-le-Constant croit les esprits assez
iSaS. .préparés, et abolit l'ancien culte. Ernest, duc de
Lunébourg, suit son exemple; Philippe-le-Ma-
gnanime, landg^ve de Hesse, prince ferme et
entreprenant , avait déjà introduit les mébies rites
dans ses états. Dans la plupart de-ces pays, l'o-
pinion avait devancé l'action de l'autorité sou<-
ver^ne, et elle ne fit qu'énoncer le voeu .des
peuples en ordonnant l'établissement du .uou'
veau cjilte; et là où elle parut décider de la
croyance par un acte de souveraineté , défendre
et commander ce qui ne saurait être soumis à
une volonté eittérieure , peut-être était-ce le seul
moyen de sauver les idées' religieuses du nau-
frage, et de prévenir une véritable anarchie
morale.
Dans tous le^ endroits où la réforme péné-
trait , on reliait l'autorité d«& papes, on abolis-
:,, Google
chapithe xi'ii. 65
sait la messie, la. confession auriculaire, l'adora-
tion de» saiats, on permettait le mariage des
prêtres , on libérait les religieux, des vœur mo-
nastiques t on fermait les. couvents , on attachait
des idées nouvelles au sacrement de la sainte
Cène. Partout le clei^ était grand propriétaire;
ses biens tentùent l'avidité des princes, qui
avaient beaucoup de besoins et peu de revenus;
de la noblesse, qui comptait augmenter ses do-
maines et devenir. le premier ordre de l'état;
des villes, qui voulaient affecter le produit des
terres ecclésiastiques à des objets d'utilité pu-
blique; I^es biens du clei^é furent sécularisés ,
avec plus ou moins de rapidité , plus ou moins
d'humanité et de justice envers les usufruitiers,
et appliqués, avec plus ou moins de sagesse, k_
l'entretien du culte , des pauvres et des instituts
d'éducation publique (*). Mais ces opérations,
■ C) Tontes les associations particulières doivent leur ori-
gine à la volonté , ou du moiiiB an consentemont «les souva-
rûns. Les petites coqraratiom religieaKS qui existent dans
la grande soaétépolitique,ne s'organisent, ne peuvent pos-
séder, acquérir et vendre , qu'avec l'agrément de l'état qui
les protège. L'Eut peut, par conséquent, les détruire, en
vertu du même droit qui lui avait, permis de les créer. Les
corporations religieuses dissoutes; la personne morale qui
était propriétaire n'existe plus ; les propriétés ne peuvent
a 5
=dbï Google
66 fAHTlE'l. PénlODE II.
presque toujours injustes par la forme > lors
même qu'eHes peuvent, pour le fond', être con-
■ciliées avec les principes, excitèrent desr^U-
i594. fnatiooft nombreuses. On tint plusieurs diètes à
iSag. 'Nuremberg et à Spire; mais ces assemblées
étaient mal soutenues par l'empereur, tout entier
■h ses propre^ affaires, et absorbé par ses guerres
•contre ta France. Elles étaient composées de
princes partisans de la- r^onae, et de princes
catholiques qui , Ci'aignaDt la puissance toujours
croissante de Charles , ne voulaient pas provo-
quer des mesures trop rigoureuses , et elles ne
firent toutesqu'insister vaguement sur la néces-
sité de se soumettre à la diète de Worms, et
de convoquer un concile qui décidât définitive-
ment tes points litigieuse Cependant on essa}^
' retomber aux membres qui composarrat ces sociétés , et qui
n'en avaient que l'usufruit; elles ne sauraient être restituées
aux donateurs le phis souvent morts ou ignorés; ainsi l'État
peut légitimemèut s'en emparer : mais il est de stricte justice
qu'il indemnise ceux qui étaient entrés dans ces corpora^
tktns MMU la -fïn publique, et qu'il assure aux usufruitiers
■otnds tous.l» avantages sur tesquds ils araient pu raison-
nablement compter en entrant dairs les ordres abolis. Voilà
pour le droit général et strîM .des états de dissoudre les
corporations ; mais de là à l'apptîttiiion de ce principe à
l'Église et au blergé, à l'utilité, à la nécessité, à ta sagesse
d'une QiesiUre pareille , il y a bien loin.
DiailizodbvGoOgle
PUAPITIIG ^III. tyj
<VaiTêler.le& projgrès de la doctrine de Lutbef:,
en défendabt d'inb^tiduire.-les innovations ^ans
les parties de 1,'AIIeiaagae oùi^Uefi, n'ayaient pi^f
enca4%. pénétré, et d'en £vre-de nourries dans
les états où la réfbnQation s'était établie. Mais
leK princes qui l'avaient eipbraçsée, cmyimt que
la oonsdence les oblige^û k répandre la vérité,
ou trouvant leur propre sûreté k sçraer chez
leurs voisins J^ germe des troobles tfà les tu-
Vailladent eux-mêmes ^ protestèrent, solennelle^
ment contrecette résolution, et^envoyèreot une
députation k Plaisance, pour remettre leur pra-
testatit^ k Cbarlef-Qtùqt, protestalion célébra
puisqu'elle a donné son nom à tous l«t sectateurs
de la réforme.
* A cette époque , la paix de Cambrai permet-
tait à Oiarles de donner un moment d'att^tion
aux afibires de l'Allemagne 11 convoqua une dîétc
à AugdKiui^^ et ordonna aux protestants d'y iS3o.
présenter leur con£e^on de foi , afinque lepro-
cès fût jugé. Ce. travail it'était.pas £icilej .iL s'a-
gissait d'exposer les nouveaux prbicipeS' dans
toute leçr int^^té', en lw:ofl&«ats0us.)p point
de vue te plus'>favorabl«4;et;ra seâervant d'ex-
prefi6iOa«.n9ttgées-qailés,t'ap[»r(k9basâent, leplus
qu'il était possible , de h rdigitm dominante: Lu-
ther, étranger à toute espèce de ménagemeitit^,
5.
DiailizodbvGoOgle
68 PARTIE I. PERIODE II.
n''était'pa3 propre à ce travail. Mélanchton , plu9
iidroit et doué d*un esprit plas' conciliateur, en
fut chargé. Cet écrit était une pièce de ciroon-
stance: il contenait les idées des rérormateurs ;
il ne pourtit pas être érigé en règle de foi pour
leurs disciples , sans contredire le principe fon-
damental de -la n6u-velle doctrine ; cependant ,
par une de ces inconséquences si familières k
l'esprit humain , les chefe de la réforme en firent
l'évangile de leur parti, at l'indiquèrent 'ii t«urs
nombreux sectaleùrs comme la seule loi qui pût
les sauver de la licence «tes opinions , et comme
un point de ralliement qui les préserverait de
l'aharchie. Soit paresse , soit bçsoin de croire et
de fixer leurs esprits incertains , les sectateurs
de Luther jugèrent fidélité à ce nouveau code,'
et substituèrent son autorité à celle du pape<
C'est ainsi que pendant- long-temps les Luthé-
riens t tout eo proclamant la liberté de l'examen ,
ne firent que dianger une servitude contre
l'autre, et l'opinion de leur chef 4eviat la me-
«ui* de leur propre croyance.
' Ce fut à Augsboui^ qu'éclata la première
scission entre les Ltithériens et les Zwîngliens.
La prédication des indulgences avait aussi armé
en Suisse , c{»itre les abus dominants ,• le zèle
de Zwingle, curé catholique, né k Wildenhau-
DiailizodbvGoOgle
CHAPIT&B XJIl. 69
son , dans le comté de Toggenboo^. Cet homme
joignait àdes ..mœurs austères ud esprit juste,
une raison lumineuse et un caraqtèce plus doux ,
peut-être hième des motifs plus dégagés de tou;-
tes passions personnelles.,, que le réformateur
allemand. Il avait adopté le& idées principales d«
Luther ; mais il avait sépacé toute idée mystique
du sacrement de la Cène , et n'y voyait qu'un, si-
gne comméiDorat^ de la mort de Jésus^ Une
philospf^iie plus saine que celle de Lnthçr, «t
.uo cœur plus sensible^ lui faisaient aptri&uer
aux œuvres plus de mérite qu'à la foi,> et il ac-
cordât plus ^'la liberté de rhomms qu'à la. pré-
destination. Sa doctrine , prêtée d'abord à i^*4-
Zurich, avait été adopl;ée dans ce canton çt
dans ceux de Berne , de Bâie ,, de Schaffouse »
par l'avis et l'ordre des magistrats; c'était la
pallie la plus riche, la plus édairée de la Suisse,
et par. conséquent la plus mobile et la plus poi:-
. tée aux intiOvations. Les habitants paisibles des
Hantes-Alpes, plus attachés à leurs anciennes
habitudes , regardant leur foi comité un héritage
sacré , restèrent fidèles à la religion de leurs
pères. La doctrine de Zwiijgle compta peu (Je
partisans dans ces petits cantons où les idée^ et
les priofàpes , invariables comme la nature , chan- >
geut rarement, parce que les communications
DiailizodbvGoOgle
fJO PARTIE f. PÎËHIODE II.
y sÔDt rares et difficiles; mais tes opiuious de
Zwingle avaient gagné du terrain en Allemagne ^
et à la diçlê (TAugsbonrg on en etit ia preuve
certaine.- ■ ■ - -
' Oes aberràticAis de la ' routé qu'ils avaient
tracée; irritaieUt Luther' et ses sectateurs; on
tèxtta un de ces rapprochement», qui sont im^
praticables quand il s'agit d'opinions et non d'in''
féréts> et quand la force de la conviction, réelle
où pr^ehtlue, ne përtnet pas de CDinpoMT avec
ia vérité. Des eonférwices infructueuses, où
dlaque parti' se fortifia datis sa croyance, ne
firoit que' tettdre les animosités plus vives et les
différences plus marquées. Déjà des deux c6tés
tla s'attaquait, ôh s'insultait, cui se pentnettait
lesTécrirainàtioDS les [^us-odieuses; et, à la satiâ-
%ction de l'ennemi comibiln, les Luthériens et
'les Zwingliens se haïssaient d'autant plus qu'ils
tfétaient séparés qi'ç par des nuances légères ,
' et paraissaient plus acharnés les uns contre les
autres que contre les catholiques.
Zwingle ne survécut pas' long -temps à ces
1. divisions. La guenfe civile éclata en Suisse. Les
cantons protestants voulurent contraindre les
autres à passer au nouveau culte, en leur re-
fusant des vivres. Les cantons catholiques, juste-
■ ment irrités, prireut les armes. Zwingle," pre-
DiailizodbvGoOgle
CUAflTHE XIII. "Jt-
mier ecclésiastique de Zurich, s'était vu forcé
de s'armer .avec les autres. Il ne youlutpas qM'oii
pût l'accuser d'avoir attiré sur ses compatriotes
des dangers qu'il refpsât de partager^ ardent
etbraT!9,.il périt glorieusenient, en défendant sa
patrie , à la bataille de C^pel , où les catholiques
furent vainqueurs. .
P.endant que les Zwingji^s, faisant des cou-
quêtes sur les disciples de Luther, exdtaieut son
indignation, et semblaient justifier le reproche
d'instabilité, feit, dès leur ori^e, aux principes
de la réfonnatiop » une nouvelle secte , professant
'aussi la liberté, d'examen, prenait des accroisse-
ments rapides qu'elle devait. au zèle de Calvin ,
son fondateur. Cet hQmme célèbre, né à Noyon, 1509.
en Picardie, avait ^opté les bases fondamen-
tales de. la doctrine du réformateur Allemand ;
mais son génie ne lui permettait pas d'être par-
tisan'seryilç de. la doctrine d'un autre, il avait
BBodifié celle de Luther. Se rapprochant de Zwin- ,
^le d^sla manière d'^ivisager la Cène, il outrait
les principes de Luther saf la. prédestîuf^iou,
et- i^éântissait presqu'entiérement la liberté
morale et le mérite de l'hoqaipe. Sévè;^ jusqu'à
la dureté pour lui-même et pour les autres, dés-
intéressé parce qu'il ne connaissait d'autre, be- ■
snin/quc: celui du pouvoir, ni d'aijitreplatsiiqLte
DiailizodbvGoOgle
7» PARTIE I. — PERIODE II.
le travail, son caractère était despotique, son
humeur austère , son esprit pénétrant, ses con-
naissances vastes , son activité infatigable. Enneriiî
de toute autorité et jaloux de la sienne , plus
ami de Tordre et de Ja règle que de la Hberté,
il était moins emporté et moins fougueux que
Luther, plus ambitieux que Zwhigle, plus im-
périeux que Mélanchton. Protégé par la reine
Marguerite de Kavarre , qui inclinait secrètement
aux idées faouvelles , il avait répandu ses prin-
cipes en France avec succès. Mais le'zèle de
François 1 s'àlluiiiant contre les novateurs,
Calvin s'était sattvé en Suisse, et ce fut à BAle
qu'il publia son Institution chrétienne, qu'il dédia
au roi de France. Guillaume Farel l'avait engagé
à se fixer à Genève, pour y achever la réforme
déjà commencée, Calvin était non-seulement
lin théologien profond , mais encore un habile
législateur; la part qu'il eut aux lois civiles et
religieuses qui, pendant plusieurs siècles, ont
bit le bonheur de ■ la république de Geilève ,
est peàt-être un plus beau titre à la gloire
que ses ouvrages tbéolôgiques ; et cette répu-
blique, célèbre malgré sa petitesse, qui sut
allier les moeurs aux lumières , la richesse à la
simplicité, la simplicité au goût, la Uberté à
l'OTdre, et qui a été lAng-temps un foyerde ta-
DiailizodbvGoOglc ,
-CHAPITBB XIII. 73
leotii et de vertus, a prouvé, que Garvin conoais-
sait les hommes, et savait les gouverner. Son
esprit dominateur, et impatient de toute espèce
de contradiction, le rendit, comme la plupart
des réformateurs, infidèle à ses propres prin-
cipes. Il réclamait pour lui-même' l'indépendance
des opinions , et voulait asservir celles des autrA
aux siennes.-On le vit faire condamner et brûler
Servet, lui qui s'était élevé avec tant de force
contre les persécutions que François I faisait
essuyer à ses disciples. Il avait tellement lié la
religion -dcjminanle avec l'ordre politique, que
la liberté des cultes ne put jamais devenir une
loi de la république. Ces mesures n'étaient pas
uniquement chez lui l'effet d'un caractère intolé-
rant , mais elles lui étaient dictées par la situa-
tion de Genève, qui, ayant secoué le joug des
ducs de Savoie, devait, entre autres barrières,
leur opposer celle de la différence des cultes,
et qui, en proscrivant de son enceinte la religion
catholique, assurait son indépendance. Si la to-
lérance n'a pas existé dans les lois de Genève ,
elle a toujours existé dans le coeur de' ses ha-
bitants.
DiailizodbvGoOgle
- »EIIIOUE 11.
CHAPITRE XIV.
Ligue de Smalkalde, Guerre de Charles-Quint cuBtre- W .
protestants. Ses r«iisà|uences. Maurice tle Saxe sauve
TAtlçmagne. Pabc de Passau.
IjEs sectes se inultipliaieQt; et' plus elles deve^
uaieDt Dombreuses^ et agresàves, plus il pa-
caissait nécfôsaire aux princes catht^iqiKS de
l'Alleinagae que l'empereur sévît coatre les, no-
vateurs. Les mêmes raisons qui le pressaient d'a^
gir avec vigueur furent encore renforcées, k
cette époque, par l'attitude menaçante que prit
h. ligue de Smalkalde. La réfonnation Avait rotppu
les liens de la grande société chrétienne , mais
elte-mème était devenue le lien d'une nouvelle
association. De bonne heure, les états protes-
tants, prévoyant les dangers .auxquels ils pouri
raient' être exposés, sentirent qu'^1- n'y avait de
sî^jreté pour- eux que dans, l'union de leurs ^'r-
)■ ces, et ils formèrent la ligue de Smalkalde, dont
le but était de défendre la réforme contre toute
espècede mesure violente. Quelques annéesaprès,
la confédération acquit de nouveaux membres, et
=dbï Google
CBÀPITBE X!Y^ " 75
reçnt une oi^nisMion moids imparfeite. A fa
tète de l'assodation , se (Pouvaient Jcan-Frécté-
lic, électeur de Saxe,'qtti avait «ueeédé à lean-
le-CohslaBt, et I%itippe4e-Magnanime', land-
grave de-Hesse. L'électein- n'avait pas le degré
d'énei^néceSsaiFe pour jotier le premier r61e
avec stiCO^T e* d avçît trop'^d'ca^eil pour le
cédera un autre. Plus rdigieux que politique,
il ne Savait rieu prévoir, supposait que les com*
binaiïons de seS' etinemis ne s'étendaient pas plui
loin que les siennes , et nç' se. doutait pas que
dans une tête.eoniine ceUc de Tenipereur, la
religion, pouvait, ^cilement servir de masque k
de» entreprises. ambitieu^s. Pliitippe, gendre de
l'étecteur , était plus actif et plus péoârant que
lui, omis son impétuosité le rendait peu profn^
à cottcilier les intérêts et à ménager les passions
des princes coalisés; d'aslleurs toutes sortes de
considérations l'oHigeaient ht céder la préémi-
nence à son beau-père. Tous deux avaient une
erreur c<Hnmune; il* enraient que Charles n'en
viendrait jamais à une rupture ouverte jfvec le»
protestants et qu'il suffirait de mpntrer la guerre
pour l'éviter: fermant les yeux à l'évidence, Hs
oe voyaient pas que l'empereur n'avait usé .de
m^iageménts et de mesures de conciliation en
Altemaguei que pour gagner du temps et em-
DiailizodbvGoOgle
•j6 PARTIE. I. PSBIOpE II.
pécher k ligue de Soiallialdé de faire csaiSc
commune avec le roi' de France.-
DésonDais , Charles pouvait sans danger aban-
donner ce s^p^ème. Les circonstances hii per-
mettaient d'agir avec vigueur et de se montrer à
^écouveilk Le moment de frapper un grand coup .
est arrivé. Dans les idées des catholiques , le mal
augmente, et appelle un remède violeât. Déjà la
réformatioa s*étend dans tes états ecclésiastiques
de l'AUemague. Lesévéques etles arcbevéquesj
cédant au désir de fixer dans leurs iamilles leur
. souveraineté élective^ désertent .les autels; et
ceux qui auraient dû s'opposer aux progrès de
la nouvelle doctrine , l'adoptent eux-mêmes.
Elle gagne du terrain dans les évécbés de Lu-
beckj de Schwerin, de Ratzebourg, de Baiber-
stadt, de Magdeboufg. D'un autre côté les pro-
testants, qui' ont, souvent invoqué l'autorité d'un
condle pour décider les points litigieux , ne -pa^
raissènt pas disposés à se souraetti% aux arrêts
»5^. de celui qui vimt de s'ouvrir k Trente , et qui,
en effet, ne montre pas assez d'impartialité pour
mériter leur confiance. Déjà la guerre a éclaté
entre les protestants et les cathohques , et Phi-
lippe-le-Magnanime a combattu avec ' avantage
Henri- le-Jeune , duc de Brunswick- Wolfenbut-
tel. Charles veut jM'ofiter dc' ces divisions reli-
=dbï Google
CHAPITHE Xiy. ^7
pieuses', pour devenir le soiivefiin absolu de
l'Allemagne; il espère écraser les protestants
avec le secours des cathdiqnes , asservir les ca-
Aoliques afiiaiblis par l'ascendant que lui don-
seront ses victoires , et asseoir sa domination
' sur la niioe des deux partis. Voilant son ambi-
tion de mots pompeux, invoquant, en appa-
rence,les idées les plus chères au cœur humain,
il parlera des sàçriâGes qu'il &it au bien général ,
tout en l'immolant à son intérêt particulier; de
la sûreté de l'ein^re, tout en l'exposant au plus
grand danger ; de l'ordre social , tout ai Inouïe-
versant la constitution germanique ; et, étou£&nt
la liberté religieuse ,afin d'anéantir la liberté po-
litique de rAllemagne, il marchera d'autant plus
sûrement à ^on but que les maximes les plus sain-
tes couvriront les motiis honteux de son zèle.
Il dissimule encore, et paraît attendre la fin
du schisme uniquement des travaux du concile
de Trente. Cette assemblée, demandée par tous
les partis, et qui devait guérir tous les maux de
l'église, avait commencé ses-séances. Mais Le pe-
tit nombre d'évéques et de prélats qui s'y étaient
rendus, les lenteurs da pape ,qui différait dé
donner les instructions que sollicitaient ses. lé-
gats , l'ordre même de la discussion qui parais-
sait n'avoir d'autre but que d'éloigné^ les points
D,a,i,zt!dbvGoogIe
^8 PART'IP I. PBAiODK'lI,
essentiels et les matières importantes , tbut in-
spirait ane juste défiance aux protestaoh , qui
voyaient' daimuent qu'ils seraient conddmnés
suisaVotr été «Uèndus. Les catholiques écliûrds
sentaient éuxrmciiDes qu'ail lïeu de réformer les
àkkiSi on aerJEèrait qiie prosonre i& réformatiou. -.
Personne ne TouLait sincèrement qne le conàle ,
procédant avec rapidité^'amenâtnh-réniltatdé*
cisif et ptdfi&t les troubles de t'AlIemagne. lie
pape Panl 111 aiwait sfHthaké' qu'il eût 'été con-
Toqué dans -une ville dltabêj à Trente, .il -té
trouvait tn>p dans la d^Mndanee de l'ei^tàeiiT :
d'aîUeni?, il m voulait pasi que ce fut' en esa*
minaAt les dogtnes, en corrigeant là discipline
et le gouvernement de l'Elise, qu'on fît cesser
le schisme ; il pré£tetit qu'il fut étouffé par la
guerre et que les protestants fussent punis comme
rebelle». Ôiartesles connaissait trop bien pour
croire qu'ils se soumettraient, aux -arrêts du con-
cile; il voulait' la guerre, il la prévdyait; mais il
désiraît-mettre les apparences de la justice de
soD coté. Dans les entretiens qu'il eut à Spire
avec le landgrave , il montra encore de lamoclé*
ration; cepenidant, à l'exception 'des ^e&- de la
ligue de Smalkalde , tout le monde regardait là
guerre comme . inévitable. L'empereur, voulait
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XIV. J^
a-voir le temps de ie fortifier par des alliances
et de tirar à lui ses troupes d'Italie.
Durant ce calme perfide qui préparait et pré-
sagent même à l'Allemagùe les plus cruels maU
heurs, Luther étùtmortà Ëisleben,où il avait i
été appelé, par les comtes de Mansfeld pour ré>-
gler d«s affaires de succession- et de partage. Il
avait imprimé à l'écrit humain un gruid moa-
vemeut dont il était bien éloigné de pressentir
tous les effets; il laissa des paitisaus et des en-
nemis également prononcés, un nom célèbre
en vénération à une partie de l'Europe, en hor-
reur à l'autre, et déposa, sans le savoir, dans le
sein de l'empire- germanique, le germe, des pl^s
sanglantes catastrophes et des plus brillants dé-
veloppements. Pendant toute sa vie il avait re-
commandé la-pûx; il craignait avec raison que
l'épée ne décidât les questions importantes qui
s'agibnent, «t une gvwre de religion lui parais-
sait le cMnble de l'infortune. Il fut assez heu-
reux pour ne pas être témoin de celle qui se
prépu-ait; mais sa mort en devint en' quelque
sorte le signal.
Charles, cachant toujoursses véritables int«t-
tions, paraissait disp<;>5é à terminer À l'amiable
tous les différents de.l'A,Uem^ne ; mais il donna
.,„z.dbvGôogI,e
80 PARTIE- I. PEniODE II.
' 'secrètement à ses troupes d'Italie l'ordre de ve-
' nir le joindre ; et en leva de nouvelles, la paix
glorieuse qu'il yenaîtde conclure À Cres[^ avec
la France, lui permettait d'agir dans l'empire
avec une entière liberté. François I, affaibli par
U maladie, ne pouvait lui donner de l'inquié-
tude, .et ne.demtvdait que le repos. Charles
1 538. pouvait compter «ur le secours de la ligue catho-
lique, formée, pour contre-balancer la puissance
de celle de Smalkalde, par les' états qui liaient
restés fidèles à l' ancienne doctiîne. Paul m, per-
dant de vue les maximes qui avaient si iongi-
temps dirigé la cour de Rome , et pe consultant
que sa haine contre le» protestants , conclut avec
rempereurunealliance étroite qui devait assurer
sa domination en Allemagne , et l'armée du pape
allait concourir à établir le despotisme impérial
sur les dâiris de l'autorité des états. Cependant,
quelque favorables que fussent toutes ces cir-
constances aux projets de Charles, les dispoù-
tions de Maurice de Saxe étaient l'événement
le plus heureux- et le plus décisif Ce prince
protestant négociait sa défection arec l'empcr
reur, et s'engageait à combattre contre sa fa-
mille, sa reli^n et la liberté de rAllemagoe.
Maurice, souverain de la Misnie et d'une par-
tie des provinces qui forment aujourd'hui l'élec-
DiailizodbvGoOgle
CIIA.PIT]t£ XIV, ttl
tin^t de Saxe , était aiTiâre>petit-âs de TélcctenF
Frédéric n, et deaccndatt d'Albert , wm eecood
fils ; VaÏDé , Ërneat i était la touclw de la brandie
qui occupait le trôn^ Rectoral. Ce .priAée. était
né quelques années après le ooaMaeniiement de iS
U réformatian. Sk jenbeue avait été né^igée.
L« tnauTBis état de la fiirtune de non pjx« ne
lui permettait pas de donner & son fils une édn.
cation brillante, ni même soignée; tnais le na-
turel heureux du jeune Mianrica dispensait ses
instituteurs de soins assidu», et il annonça de
bonqe heiuv des' talonfi diatingués. Élaré dans
là religion prbtestante^ il parait que roppoaitiôn
qu'il y avvX sur cet objet antre son père et soii
oncle, lui donna de bwine heure des doutes,
ou plutôt .une sorte d'indiCEérence religieuse.
Le séjour qu'il fit à la oour de l'archevêque de
Bfayenee , «t plus tard à (%Ue de Charies , né l'a-,
vait pas rend» eathoUque, laeia l'avùt eondnit
à regarder les disputes de religion qui agitaient
VAUeBMgae ce^me des àreonatatices heureu-
ses . qui pottveifflat le ç«»d»i?e tu pouvoir et k
la £[>rtune. A l'iina^nÀtion n^wgsair* pottr for^
mw des plf0s il joigwt cette rmon froide qui
modàra l'tfiiïaginMion et juge «évÀrmomit les
coMl^naisof» qu'elle enfirate ; an feu et ii l'ar-
deur de là jeunesse i) unisRit ce courage calme
2 (i
DiailizodbvGoOgle
8a PARTIE I. PÉRIODE II.
qm -contient on dirige la vivacité du tempéra-
ment Long-temps il mûrissait ses projets dans
le silence et les couvrait d'un voile impénétra-
ble. Hardi daos ses desseins, mesuré dans ses
dénuu^es, il savait attendre et saisir le moment
de développer ses Tues ; alors il se montrait actif
et entreprenant, autant qu'il avait paru lent et
timide: Son esprit était Quvcrt à toutes les idées,
son coeur fermé au sentiment. Capable de se
servit- de toutes sortes de moyens pour airiver
à un but utile à lui-n^mé ou aux autres, il
avait assez d'indépendance de caractère pour
se mettre au-dessus des jugements de Topinion',
sûr de pouvoir se passer d'elle, ou de la rame-
ner à lut par l'éclat et le succès de ses actions.
Tel était l'homme qui devait combattre la
cause des protestants, pourla servir ensuite avec
d'autant plus de ^oire , et devenir l'instrument
docile du despotisme de l'empereur, pour Assuré
finalement la liberté de l'Allemagne. Charles et
lui étaient faits l'un pour l'autre. Les conformités
frappantes de leurs caractères devaient le* rap-
procher et les unir. L'empereur avait eU occa-
sion dé connaître Maurice dans la deniière gueire
contre la France. Ce jeune prince avait fixé son
attention ; pénétrant son ambition et son indif-
férentisme religieux , et devinant ses talents , il
=dbï Google
• CHAPITBE XIV. Ô3
sentit que Maurice pourrait se<»nder ses projets
contre les protestants , et lui fit des ouTwtures.
Miturice n'était attaché ni à ses parents ni k son
culte ; il convoitait depuis, long-temps l'héritage
de Jean-Frédéric, à <pà il se croyait, avec rai-
son , fort supérieur , et qui n'avait pas eu l'art de
se faire aimer de lui. Il ne vit dans lés proposi-
tions de Charles que la route de la fortune , et^
par un traité fonqel , il lui pronùt de faire en sa 's'"''
faveur une diversion puissante.
Les dangers qui laepaçaient les protestants
d'Allemagne, devenaient de jour-en jour. plus
alarmants; et, pour les conjurer, la ligne de
Smalbalde était réduite à ses propres forces. Le
Danemarck et la Suède avaient,. comme nous le
verrons., embrassé la -nouvelle doctrine; mais
Frédéric I"" et Gustave Wasa, occupés de leurs
propres affaires et dénués de ressources, ne'
pouvaient doniler des secours aux protestants
de TÂlleniagne sans compromettre leur propre '
sûreté. François I*', dégoûté de la guerre , appe-
santi par la maladie , et sacrifiant son intérêt
politique à un faux zèle religieux, refuse de saisir
cette occasion de venger ses anciennes injures,
et ne. fait passer à la ligne de Smalkalde qu'une
somme d'argent insuffisante. La ligue ne peut
rien espérer de Heiui yilL Ce prince emporté
■ 6.
=dbïGoogIe
84 PARTIE I. P^RlOm II.
et fougueux a rompu les lieiis de dépendance
qui l'attachaient à la cour de Rome ; maiA il a
conserve les andensdc^^ee et les anciens rites ;
et s'il s'est écarté de la doctrine de Téglise sur
l'article de l'unité, i! est encore bien plus éloi-
gné de la doctrine nouvelle. Les Suisses, qui
sortent des horreurs de la guerre civile, ont
seconnu qu'il n'y a dé'' salut pour leur pays que
danfllà neutralité. Une cruelle expérience les a
attachés à ce système , -et ils résistent aux pres-
santes solticitations de la ligue. Les princes pro-
testants eux-mêmes sont divisés entre eux, et ne
se déclarent pas tous pour des mesores hostiles.
(^larles-Quînt a détaché de leur parti Maurice
de Saxe et te margrave Albert de Brand^ourg-
Culmbach, esprit inquiet et turbulent, qu'il est
facile d'égftter en lui présentant l'appât du mou-
vement , de la glmre et du butin. Joachîm -Il ,
électeur de Brandebourg, à introduit le luthé-
Mnisme dans ses états, mais avec des modifica-
tions qui n'annoncent pas un luthérien zélé.
Doux jusqu'à là faiMessé ,' la crainte et le respect
le lient à l'empereur et l'empêchent de se pro-
noncer contre lui. Généreux jusqu'à la prodi-
galité , ses dépenses , qui surpassent ses revenus ,
le mettraient d'ailleurs hors d'état de faire des
sacrifices à la cause commune. Le margrave Jean ,
=dbvGooglc
GHâ.PITRe XIV. 85
frère de l'électeur et souTeraîd de UiNouvellc-
Marcbe, a les dé&uts opposés U -ceux de son
frère; sa fermeté et sa justice inflexible dégéilè-
reaten roideur,.et jod économie touche de {wès
k l'avaiice ; mais il croit la guerre illégale- et
Craint les' dépenses auxquelles elle pourrait l'eo-
trainer. Ces deux princes restent neutres, et
veulent attendre l'issue deJa lutte qui va s'en-
gager. Us «e prtvoieot pas q(i« , quel qn^ soit
le parti vainqueur, la neutralité les expose à
' perdre leur iodépendacfce ou leur coosidératioa,
et qu'ils seront dominés par l'empereur ou par
les cheis de l'unÎQO de Sma&alde. La ligue des
états catholiques n'aperçoit que l'intérêt de la
reli^ûn où Chaînes ne voitque la politique; ils
croient assurer le repos de l'Allemagae, et ils
[wéparent son asservissement. Dupes de Tem-
pereur, qui invoque les lois pour les violer ifu-
puném^t 1 ils travaillent à le mettre an-dessus
de toutes, et, perdant de vue la liberté générale
qui devrait les unir aux confédérés de Smal-
lulde, ils arment en iaveur de leur ennemi
conunun,
Cependaqt, réduite à ses propres forces, la
ligue était encore f<»midable; elle pouvait méoie
espérer de triompher de l'empereur , en se hâ-
tant de frapper un coup décisif. L'essentiel était
=dbï Google
o6 l'ARTIE I. PÉRIODE 11.
d'eiiipêcher que lagueite fie traînât en longneui*:
l'armée des confédérés perdait tout en perdant
du temps ; on pouvait prévoir que si elle restait
long-temps en cai&pagne , lai désertion lui enlè-
verait beaucoup de monde; que bientôt elle
manquerait d'argent et se dissoudrait sans avoir
rien entrepris : maù des deux chefs qui la com^
mandaient , l'un ,' l'électeur de Saxe , était lent et
irrésolu ; il aimait les délais et lés deàni-mesures,
et voulait encore négocier lorsqu'il ne fallait plus
songer qu'à combattre; l'autre, Pbilippe-le-Ma- '
gnanime , subordonné à son bëau-père , ne pou-
vait agir librement^ et déplorait en secret son
inaction forcée. Le défaut de caractère de Jean-
Frédéric causa sa ruine et fut sur l6 point d'en-
traîner celle de la religion protestante. '
Les forces des confédérés étaient imposantes :
quatre-vingt mille fantassins^ neuf mille chevaux,
cent pièces d'artillerie, formaient une armée
bien plus redoutais que celles qui avaient agi
dans les guerres de François I et de Charles-
- Quint. L'empereur ètHnptait à peine quatre mille
hommes dans la 'position qu'il occupait près de
Balisboune , et où if avait résolu d'attendre les
renforts qui devaient lui arriver d'Italie- et d'Es-
pagne. Au mépris des'formes 'prescrites par la ■
constitution germanique, les confédérés avaient
=dbï Google
CHAPITBe XIV. 87
été mi^ -ap ban de l'etopire et y avaient répondu
par une déclaration de guerre. 11 fallait se bâter u,i<
d'agir, et la victoire paraissait certaine ; Cbafles
aurait été battu avant que ses troupes eussent
pu le joindre. C'était l'avis de Philippe; ce ne
*fut pas celui de l'électeur, et son avis l'emporta.
Profitant de ces fluctuations , Charles marche sur
Inçoistadt où Octave Famèse» neveu de Paul III,
lui amène l'armée pontffîcale, forte de dix mille
'honumes. Déjà il était plus difficile, d'attaquer
CharleS'.avec avantage; .cependanti le mooiwit
était encore favorable. Les confédérés le négli-
gent. L'empereur acquiert de Douvellesjarces , et
le. cointe de Biiren , à la tête d'un corps d'élite
tiré de la Flandre et du Brabant ^ opère ^.jonc-
tion avec lui.
Dans le même teiAps, Maurice, fidèle ^ux en-
gagements qu'il a contractés avec l'empereur.,
mais infidèle à la nature et à la conscience , et
n'écoutant que sort ambitiqup , envahit les états
de l'électeur, tandis que Ferdinand, frère de
Charles , fait une irruption eô Saxe, du côté de
laHohème. Ces nouvdlés , aussi frfïUgeant^ qu'imr
prévues, arrivent tlans le-camp des confédérés,
et aussitôt cette brillante année est dissoute.
L'électeur et le landgrave volent défendre leurs .„
états; les autres. princes, intimidés ou aifeiblis, '^4&
DiailizodbvGoOgle
88 PAKTIE I. -"PÉBIODE II.
se retireitf chez eut. <3hftrles ne rmcontte point
d'obstacles dans sa nMrchef lesTilIvs lui oumint
leurs portes , il le* rau^otiue; les souvvraias se
soumettent et deijiiandent leur grâce , il 1& lenr
fait acheter par de fortes amendes. L'életitetir
pabtiu et lé da6 de Wurtemb«rg posent les*
BTine«, «t M détachent de Ucoufédér^tj^n. Ciar-
les marche en Sase au secours de Maurice,, k
qui l'éiecteur a mm-seulement r^iris- «es con-
i^étes^ mus qui est même menftc^- de perdre
i3J7. ees ptpopree états. Déjà il n« lui reste plus que
Dresde et Leipsidc. Bteotôt rempereor pénètre
en Sase par la Bohé«#. }ean<Jitédério, toujours
imprévoy«ntt pnt^ êes-troiq>é8, et, mal sem
par ses agents, U ignore long-temps que toa
ennemi s'avance à marches rapides. A cette nou-
velle il prend une forte position k Aïûhiberg
avT rfilbe. Un pai^n saKon indique à Cfaariet
im gué où il passe le fleuve ftvec son tutnëe.
Jean-Ii^déric lève son camp, et veut m retirer
Bur Wittemberg; main se voyant sur le point
tfétre coupé diins sa retraite., il prend le parti
de (aire tête, et de combattre fenn^nii, La'bo-
ttille s'engage." L'électeur paie de sa.persoime
dtttM cette joomite' G^èbre; ses troupes « ant-
iwéei par sa présence «i son ekeiaple , font des
piwligcs de valeur. Mais te gëhie du dac d'Albe
=dbï Google
CHAriTRB XIV. 8^
et la supériorité d« rinfontaîe espagnole déci-
dent ia victcnre en faveur dé Charles. JeaA-Fré-
dénc"lui*niéme tombe au pouvoir desonsuperbe '*J^
Taînqueur , quine lui épargne ni les humiliation*
ni les ironies les plus amères, et qui Itn d«>
mande s'il reconnaît maintenant Tempefeur, ou
s'il be Toit encore ea lui que Chartes de Gand.
Il est des urnes qui oiit plutôt le courage de
la patiencia que c^ut de l'action , et qui-, sans
énergie dans la prosp^ifé , montrent de la no-
blesse et dé la fenneté daus le malheur. Tel
lîtait Jean-fVédéric. A k tète des armées et des
aiËures , il avait paru feîble ; dans les fers il eut
de la dignité. Charles, qui savait se rMdir contre
les revers', ne savait pas se préserver de l'ivretsè
des succès. Il avait été peu généreux dans sa
conduite envers François I , prisonnier à Madrid}
il le fîit encore moins éovet« le malheureut
électeur de Saxe. Jean-Frédéric , -supérieur à sa
fortuno^i inspire un tendre respect; Charles,
•u-dessous de la sienne, exdt« Tindignation
générale.
Après la victoire de MiUilbet^ , l'emperenr se
hâte de marcher sur Wittemberg et assiège la
viUe, Sibylle de Glèves, époiise de Jean-Frédéric,
t'y était eafeiutée avec ses trésors et ses enfants.
Cette femme, d\in rare mérite, affligée des
=dbï Google
<^, PABTife 1. PÉRIODE II,
malheurs de soç époux sftns en être abattue,
met l'iijtérét de l'état avant celui de son cœur ;
sa raison maîlrise sa sensibilité , et ses principes
l'emportent sur ses afiEections.-La garnison, en-
flammée par ses discours et par son exemple ,
&it une vigoureuse résistance. Charies s'inite
d'être arrêté dans Texécution de -ses projets et
de perdre un teiiipsprécieux;i)veut,enef&ayant
L'électeur, le forcer à rendre la place. Contré
les lois de r£mpire et les lois plus saintes de
l'humanité, il fait condamner à mort l'infortuné
Jean-Frédéric. L'électeur ' reçut cette nouvelle
avec un calme, héroïque, it jouait. aux' échecs
quand il apprit qu'on venait de porter contre
lui UH arr^ de sang; il continua tranquillement
son Jeu. Les malheurs l'avaient rendu indifférent
à la vie , et il ne craignait pas de la perdre. ,II
sentait sans doute qu'il valait mieux pourlui
périr victime d'un jugement inique, que de vivre
déshonoi^ et d'épargner un crime à Charies en
signant lui-même l'acte de sa destitution ; mais
la tendresse paternelle , et la crainte d'exposer
Wittemberg à être pris d'assaut, eurent plus
.d'empire sur lui que n'en avaient en des con-
^érations purement personnelles. Son amour
pour ses enÊmts et ses sujets lui fit accepter
une capitulation ignominieuse, par laquelle il
aiiizodbvGoogle
CHAPITBE XIV. ' 91
abdiqua le trône et consentit k rester prisonnier
tant qu'il plairait à l'empereur. Wittetnberg ou-
vrit ses ptHtes. Maurice reçut le prix de sa tra-
hison; Charles lui adjugea la dépouille de son
malheureux parent , en l'investis^nt de la di-
gnité électorale.
Philippe-le^Magnanime restait ena»re à sou-
mettre, ou, dans le langage impérial., à punir.
Ge prince n'était pas assez puissant pour résister
seul aux armes victorieuses de Charles; cepen-
dant les revers de sou beau-père ne l'avaient
pas abattu. Il entama des négociations ; mais il
déclara qu'il ne souscrirait point à des conditions
humiliantes ; et l'empereur exigeaitqu'ii se rendit
à discrétion. Maurice, gendre du landgrave de
Hesse^ sentit -qu'en abandonnant ce prince il
se couvrirait d'opprobre aux yeux de l'Europe
entière ; Joachim II , électeur de Brandebourg ,
commençait à se repentir de sa neutralité, dont
il entrevoyait déjà les suites funestes. Tous deux
se réunissent pour sauver Philippe , et sollidtent
sa grâce. Charles consent à laisser fa liberté au
landgrave, à condition qu'il vienne demander
pardon à genoux de sa révolte, qu'il licencie
ses troupes, démolisse ses fortei^sses,, et paie
une amende considérable, jyiaurice et Joachim
garantissent ces engagements réciproques, âur
DiailizodbvGoOgle
'9^- PARTIE I. — PERIODE 11.
la foi des promesses de Châties , Philippe arrive
dans son canipi il se soumet en frémissant i la
démarche honteuse qui doit être le prix de sa
liberté et de ses états-, nïais l'empereiir, auMi
pei^de que superbe , ajoutaDt la mauvaise foi
aux hauteurs de l'orgueil , se joue de ses serr
ments , et fait , malgi^ sa parole , arrêter le
itualheureux landgrave ati milieu d'ua festin que
lui donne le duc d'Albe, et en présence de l'é-
lecteur de BraRdeboui^ qut était lui-même un
des convives. Dana le premier monvement d'une
indignation bien légitime , Joachim 'veut percer
le duc d'Albe db son épée; on l'en- empêche.
.Maurice et lui, qui se sont rendus garants du
traité ooûclu avec ^ilippe,. réclament contre
cette insigne trahison. Charles et Granvelle son
ministre emploient le sophisme pour pallin- le
(aune , <t joignent la dérision à Javiûlence. La
force impose silence à la faiblesse ; mais ellq ne
peut intimida ni corrompre la .conscience uni-
venelle de l'espèce humaine ; la voix publique
fit justice de cet attentat, et la postérité a con-
firmé cet arrêt. Pour la consoktioo dps opprimés,
nous devons croire que le cœur dé Charles lui-
mém* prononça sa condamnation , et que le
mépris que iui inspira son action vengea dans
soa ame la sainteté de la loi.
=dbï Google
CmViTRE XIV. ^3
Pour le moiaent , je succès parut couronner
la perfidie de l'empereur. Toufr les esprits étaient
rérfdtés de son audace ; mais en voyant ce qu'il
ose, ils lui supposent une puissance itrésistible ,
et perdent le courage de la réùstance. Ctiàries
traîne }ean-Fr4déric et Philippe à sa suite ; un
sanTcraîn irait» comme de tïIs malfeiteurs ou
ctMwne des sujets rebelles, deux autres souve*
rains, intéressants par leurs qlialités personnelles,
plus intéressants encore par leurs malheurs. A
la -rue (Je ces {muTCS. de son pouvoir, et de ces
exemples -de sa vengeance , la crainte gjaœ tous
les cœurs. L'empereur parcourt l'Allemagne en
maître absolu, imposant des contritrations , et
«oljïvant leurs pnvîl^es aux pnnces et aux villes
qu'il veut trouver coupables. Dans une diète
solennelle convoquée àA.ugsboui^, il paraît «i-
vironné de tout l'éclat de la puissance souveraine,
et dipte dés lois qui sont adoptées sans rédama-
ticMi. Les états de TAUemagne sont obligés de
payer -une somme oonsidérable pour les frais de
la guerre ; les provinces du cercle de !^urgogne
sont liées plus étroitement à l'Empire , afm de
pouvoir iu besoin le charger de les défendre;
les protestants sont exdus de la chambre im-
périqle; sous le titre é' Intérim, Charles lait
dresser un formulaire de -foi qui doit servir de i548.
=dbï Google
94 PARTIE |. — PÉRIODE II.
règle au;t denx partis, jusqu'à ce que le concile
de Trente ait prononcé. L'intérim ne laisse aux
protestants que la communion sous les. deux
espèces, et le droit d'aroir des prêtres mariés.
D'ailleurs , il est dirigé tout entier contre la re-
ligion luthérienne^ et, sous un &uxl air d'impar^
tialité , U juge définitivrasent le grand procès
qui s'agite, et le juge au désavantage des pro-
testants. Ce fcomulaire, dressé par I^ug, Hèl-
dÎQg et Agricola, théologiens plus complaisants
que consciencieux , doit être adopté et signé par
tous les dissidents, et les armes feront justice
des réfractairës.
L'Allemagne était asservie, et I9 liberté parais-
sait perdue sans retour. Charles avait triomphé
delaligue de Sroalkalde, grâce au secours d'une
partie -des états de l'Empire et à l'inertie des
antres. Trop indifférent à la religion poiu- atta-
cher un grand prix à des dogmes quelconques,
trop habile pour annoncer que c'était à des opi-
nions qu'il faisait la guerre, il n'avait parlé que
de son resp^ pour les lois et de son zèle pour
le maintien de la constitution. Vainqueur d'une
confédération qui, en combattant pour la liberté
religieuse, combattait en même temps pour la
liberté et l'indépendance politique des états de
l'Allemagne , il proscrivit des opinions qui lut
DiailizodbvGoOgle
CHAPITREXIV. ' q5
paraissaient incompatibles avec rautorité impé*
riale , et appesantit le joug sur les catholiques
comme sur Ira protestants; Voulant *^gner dans
l'Empire à la manière des Othons, et réduire les- '
princes de l'Allemagne à être des instruments
dociles de sa volonté , de . simples exécuteurs
de ses ordres , il attaqua le parti dont les prin-
cipes étaient le plus opposés à ses vues, et
triompha de sa résistance. Alors, ne cachant
plus ses desseins, il parla eu maître aux états-
intimidés, et les catholiques reconnurent, trop
tard, qu'en concourant à la chute des protes^
tants ils avaient préparé leur propre s«-vitude.
L'équilibre entre l'empereur et les états de l'Em-
pire était, rompu; quelques mois avaient suffi
pour' détruire un ouvrage que les circonstance»
avaient fait naître , que la politique des papes
avait perfectionné avec autant de persévérance
que d'art, et que les siècles avaient consolidé.
Le pouvoir despotique d'un seul homme avait
remplacé ce système sagement combiné. La- li-
berté de toute l'Europe courait le plus grand
danger: Charles devenant, de simple chef titu-
laire , véritable souverain de l'Empire germani- ■
que , et joignant ces nouveaux moyens de do-
mination à toutes ses autres ressources , acqu4^_
rait une puissance supérieure à celle de tous lès
:,, Google
()G PARTIE I. — ' P^RIpDK II.
autres état», menaçait leur iadépcpdaDçe > tA,
pouvant , d'un moment à l'autre , les attaquer
Wtio avantage, ne leur laîasait qu'une existence
précaire.
L^Allemagna était abattue, l'Europe «ttAO*
tive «t inquiète ; elles paraissaient pn^ues , elles .
furent ^uvéea par ce même Maurii» qui avait
owrtrïbué aux Tnalheurs de sa patrie et à la
fuine du culte qu'il professait. Cet homrae
extraordiBaire n'avait qu'uo but, la puitsanoé,
et il ne le perdait jamais de vue; mais il savait
varier set moyens et changer' de marche avec
les' circonstances. Arrivé à l'électoral, il sentit
que les armes dont il s'était servi pour se prD<-
ourer le trône étaient tlea armet illégales et
dangcreus« qu'on pouvait employer avec un
égal Buocés pour le perdre, et que bientôt le
pouvoir de r«nperâur, ne rencontrant . plus
d'obstacles, ne. respecterait plus rien, et dc l'é-
pargnerait pas plus que les autres. T^a reoon-
naistance n'àait pas faite pour arrêter un homme
du caractère de Maurice; d'ailleurs, les bienfiiila
intëresiiés qu'il avait reçus ne pouvaient pas le
lier au point de lui faire négligM^ rintéràt de
sa sûreté personnelle. Il avait servi :1a cause dq
remp«r«ur pour s'élev« ; it reconnut qu'il allait
s'opposer à lui , et le combattre même, pour
=dbï Google
t:HAVITI|,B XIV. ^7
conserver l'élévation -qu'il' lui devait Ce ne fu-
rent pTob^lemient ni les regrets , ni les rerocwds ,
ni même un retour d'attachement pour la reli-
gion cpi'il avait trahie, qui-déterminèrent Maïuice
à épouser de nouveaux principes; ce fut uni-
quement le désir de sauver son indépendance ,*
qui était inséparable de celle des prcAestants, et
de l'Allemagne tout entière.
Sa résoliUion était frise, mais le moment de
l'exécution était ençabe Soigné. De bonne heure «
Maurice aperçuk le danger et fismia le deAein
de le Gonjorer; mais pour réussir il filUait de
longues préparations, de l'habileté , du tnnps,
et surtout un profond-secret. On ne pouvait
espérer le -succès qu'en inspirant à Charles une
entière sécurité, en joignant à des ÊMves iropo^
santés le pouvoir de l'opinion , de l'étonnement
et de 1» surprise, enfin en se ménageant j- pat .
des négociations adroites, des alliés qui n'atten-
dissent que le signal pour agir. Maurice , égale-
ment exercé à dissimtd^ et à feindre ,'-né pamt
occupé que' des intérêt de l'émpepeur; ctonti-
.nuant i caresser -ses passions, et affectait de lui
témoigner une défonce par&ite, il coiis^vn"
tonte sa confianoe : Charles crut être d'autant
plus SÛT de l'Allenlagne qu'il Tétait de l'^ecteur
de Saxe; et dupe de son <)évouement apparent,
=dbï Google
98 PARTIE I^- — piaiûDE II.
il ne voyait que par ses yeux. Le» années s'^eoii-
teilt» et les projets de AbiUrioe se consolident;
il ne fixe qu'un seul ol^ , lors même qu'il parait
suivre des objets diâ!étents; il agit sans relâche,
et on dirait, à le voir, que content de sa fortune
il cherche Je repos dans l'indiffëreBce. Des agents
secrets» répandus dans toutes Jes cours qu'U
veut attacher à sa cause, travaillent à lui pro-
curer des amis. La France devient l'objet prin-
cipal de ses négodations silencieuses. François I
était iQort des suites de ses déscndres, et son
'fils Henri II lui ^avait succ^d^. Ce jeune prioce ,
plus actif et plus entreprenant que son père ne
l'avait été dans les dernières années de sa vie,
donne d^ justes espérances k Maurice. Le oc»-
uétable Anae de MoQtoàoreqc^ , qui règne en
' France, sous le Dom de son çaaître , hait la per-
sonne de Charles et redoute les progrès de sa
^ui^sance. Maurice fait sentir à Henri et à ses
ministres que la France est l'alliée Uatiselletles
protestants, et.il éclaire t^ettë cour sur ses vrais
intérêts, malgré le f&QatÎMne qtù commeuce à y
répandre sourdement Ses poisons et ses fureurs.
[. La France conclut avec lai un traité seciet à
Friedewald dans la Hessie, et ce titûté est ratifié
par Henri II à Chambord. Maurice , assuré de
ce secours , Sût des 'préparati&, lève Aes ttoOpis
DiailizodbvGoOgle
CH'APITBE XIV. . 99
et amasse de l'argent. Ces préparatifs ^uraieDC
pu )e trahir; mais Chu-les lui-même lui fournit
les nio}!£ii$ de les continuer sans dangelr. La
Tille de Magdebourg avait refusé d'adoi^ier et
de signer l'intérim. L'empereur ordonq^ ^ l'^lec- i5So.
teur de Saxe de châtier cette ville rebelle. Ijes
bourgeois, animés par. le zèle de la religion,
font une belle et longue résistance; Maurice ne
pousse pas le ùégeavec vivaàté et profite de
cette cireonstajice pour C0|nti«u^ ses annements.
À la fin, la ville se rend. A peine cette expédi-
tion est terininée, que Maurice pi4>Iie contre
Charles un mani&ste dans lequri il lui reproche
avec force une longue suite de mesures arbi-
traires, et retrace à l'Euiope entière les viola-
tions multipliées des lois constituttoun^Ues de
l'Empire. En même temps il s'avajice à grandes
journées par la Fraiiconie pour surprendre Char-!
les à Insfiruck. Ce prince ne pouvait plus'igi}0-
rer les projets de Maurice, i^i se dôguisey ji luir
même le danger de sa situation. Il n'avait ppi^
de fcHves à opposeir à celles de se^,epneims; se»
troupes étaient . éloignées ; l'argent lui m^^^^uait,
etde violentes attaques de goutte lui ôtjâentjuiie '
'partie de -son activité naturelle- A- l'électew de
,Saxe s'était joint , près. de Rothenboui^, Alb^
margrave de Brandebourg - CuJadiach : esprit
7-
=dbï Google
lOO PAATIÊ r. PÉRIODE II.
hardi et entreprenant, soldat intrépide, capi-
taine médiocre, il haïssait le repos, aimait la -
guerre avec passion,- et la faisait en barbare;
inconstant et léger, il était toujours prêt à chan-
ger de partis, au gré de son inquiétude. Dans ce
mènent il épousait la cause de Maurice, parce
q(i'il voyait dans son entreprise une occaision de
mouvement et de butin, dont il espérait pro-
fiter pour .terminer ses difï^ends avec les évê-
ques de Bavibei^ et de Wiirtzbourg. Albert et
Maurice- ayant réuni leurs troupes s'emparent
d'Augsbourg, se saisissent des défilés d'^hrem-
bei^ , la clé du Tyrol , et déjà ils menacent
Inspruck. L'empereur, retenu par !a maladie,
étonné de cette attaque subite, et confas d'avoir
été joué , était sur le point d'être fait prisonnier.
Iln'y avait de salut pour lui que dans une prompte
fiiite. On vit le superbe Charles, qui venait de
dicter des lois k l'Allemagne , que la fortune avait
toujoutrs favorisé, qui traînait à sa suite des sou-
verains captif , et qui n'avait eiicore jamais cédé
k |a force, fuir, tourmenté de douleurs aigaës,
dans une -nuit orageuse , devant un jeune homme
i55a. dont l'élévation était son, ouvrage. II se retire
avec précipitation à Willach en Carinthie , et
r^id la liberté au malheureux Frédéric, afin de-
l'opposer à Maurice. Mais cette mesure est inu-
=dbvGooglc
CHAPITBK XIV. tOf
ble. Déjà les ennemis de Charles se multiplient.
La France se déclare contre lui; Henri II s'em-
pare dçs évéchés de Metz , de Toul et de Ver-
dun, et 5*avlipce vers' le Rhin. Alhert rançonne
toute la Franconie; les Turcs font une invasion
dans la Transylvanie que Ferdinand, frère de
Charles-Quiat, venait d'acquérir. A toute antre
époque, Charles eût fait tête à l'orage. L'Europe
croyait qu'il allait fondre sur Maurice-avec l'ar-
mée, qui se formait insensiblement près de lui',
et qu'il vengerait son oipieil humilié. Au grand
étonnement de trâis les partis, il inontre des
intentions pacifiques, et condescend à négocier.
Ferdin^d, .déjà roi des- Ronulins, craigâait de
nuire à sa forttine, si une giferre sériense s'al-
lumait en Allemagne, et d'ailleurs son caractère
inclinait toujours aux voies de conciliation ; ses
^scours et ses instances triomphent de la colère
de Charles , et lui font préférer le parti de lia dou-
ceur. .11 réussit d'autant mieux , ■ que Charles ,
plus irrité contre Hemi que contre Maurice,
brûle de se vengier du premier, et veut diriger
toutes ses forces contre la France. Les conféren-
ces s'ouvrent à Passau, et l'on y conclut uni55a.
tnùté provisoire, jusqu'à ce que les rapports
des protestants et des catholiques soient dé6nt-
tiveinent fixés. En vertu de cette- ctmvention,
=dbï Google
loa PAHTIE I, PÉRIODE II.
t4ûUppe, liindgrave de Hesse, recouvra sa M- ,
berté; il fut coDTeiiu>que'dan^ i'espace.de sis
iDob on tiendr&it UQe diète solennelle pour dé-
cida la grande afi^re de la religion ; que duraht
cet ium^alle aucun des états protestants ne
pourrait être inquiété, et qu'ils resteraient en
possession^ pour le moment, de tous les avanta-
gçs dont ils jouissaient,
Charles, pluslibre et plus ttQuquitle du côté
de l'Allemagne ^ se hâte d'en profiter pour atta-
quer la France. L'âge semble avoir fortifié sa
haine contre cette puissance rir^ile. A la tête
d'une armée de cinquante mille hommes, il
court assiéger Mete. La saison était fort avancée ,
on était au mois de décembre. Les obstacles que
l'hiver lui oppose n'arrêtent pas sa vengeance im-
patiente; mais c'est trop d'avoir à lutter eii même
temps contre la nature et contre le génie de Fra'n-
-çoift , duc de Guise , qui défend Metz aVeC autant
d'faa)}ileté que de succès. £n vain Charles s'opi-
niâtre à continuer le siège; son armée diminue
tous ies jours; la rigueur du ftcnd, le défaut de
vivres , les maladies^ les fatigues lui enlèvent l'é-
Ike de ses troopes; il est obligé de céder à s»
mauvaise fortune i et se retire , avec les débris
i553, de ses troupes, dans les Pays-^Bas.
Cependant Albert de Brandebourg continuait
=dbvGooglc
CHAPITRE XIT. 103
à rançDDiier et à ravsger l'Allemagne. U aTait re-
fusé de souscrire à U oonveiibbo de Passau. Aî-
nant la guerre pour eUe-même , et voulant m -
niMU^er iet moyens d'entretsair et de paya' son
wmée, U répugnait à tgsite meure qui, hû' en-
levant ses res^orcca et s» fAauirs, le teoaduD-
mit h l'ituetiop. Qutrles, qui e^tmnit s^ bn'
v«we, eut ridée d'em^dôyer ses bde^te tb ses
fbices, et de diriger contre la I^rance sod acti-
vité turbulente. Alhnt, qui ne demandait qoe
dot Qcc«fiîa05 d'agir et de se rendre néceaseiee,
ne rejeta pas Je» ouyiertnres de rempnvnr; il s^
svpfit de U éireonstaaee ponr obtenir de lui.iui
an^t coatre \fis évêques de Bambn'g et de WûrCzt
focurg, ses anciens «luçemis, et fea n^ociations
çcntiiKuèreiiit} mais il n'interrompait: pa» ses dé*
piédatiiws. Le for et la âamme à 1^ main, il
çaUÙt l4-défi<datian et, la temeur dans la WestH
paalÀe, en Franaûùe et sur les bords du Blnn.
I^tait tcsaps ^ déJiifier l'Allemagne de ce ûétm,
^ Ja fin , la ^cbaiobre impériale , >s'annant contve
hi d'ujNe iuatQ rigueur^ -le mit au ban de i'etn*
pre,. et chargea l'élçcbeur Maurice de Sase
t'eséouter la sentonce.' A itiL&'Aasooièraat pom
iMte entrepri&e difiScile le&éloCteuEs de Mayeiïcà
et (de Tnèves, et le duc Heon de BrunswidE;
pninoe actif et vaillant- Toutes les b^upes mar-
Diailizod-bvGoOglc
Io4 PAHTIE I. PÉRIODE Jl-,
chèrent^éuniea.sous Tes ordres de Maurice, du
. cÂtéidu ;Wesâr^t>ù Albert çxerçait alors, ses fu-
i553. *eiirft. Les deme.aimiéesise renGontrèrept près de
Sievertshausen, dans lé duché de. Lùneboiti^.
La bataillefut'.saDglantejliVlbert combattait pour
son existeàce ;, Maitrice pour sa gloire, les. an-
tres ^princes 'pour leur sûreté. Ajbert Tainoi -
est c^Li^-dtJ fuir; mais en fuyant il eut la con-
solation^ d'ç^iprendre ■ que' Maurice payait cliè-
BemenC. sa: nictoire.- Ce prince avait été bleisé
morteUement'dans le cdinbat; il expira ddix
jour& après, à l'âge de trente-deux ans. "La f«r-^
tunè^iqui se joiie des espérances des homnns,
lui pennit d'arriver au pouvoir et à la gloite,
sansjiii permettre d'en jouir. Il périt-dans là
Ibrce de l'âge , au mcHÛent où il av»t expié sm
élévation par les services qn'il venait de rend^.
à' la Cause générale; aVeo lui fupmt probablt-
ment eiisevelis de vastes projets. L'Allemagne,
qui avait. abhorré sa délf^ïiuté, admiré ses sut-
oès et son atidàce, commençait à lui rendre soi
estime. -Elle atteudait encore de .lui de grande
choses et-pfeuraf. sEi «e^^; La fin-tragique' di
Maupicen^àm^itHa pas la aitu«tioa d'Albert ; il
Bat hutu , peu d«^: temps après , une seconde
fois', >aux ehviroQS'de Schweînfiirt, par 'le duc
Henri de Brunswick; Chassé de ses propres états.
=dbvGooglc
CHATiTHE XIV. io5
^nué de ressources et de forces, il chercha un
asyle eu France et mourut, quelques années ^SS?.
ajwés sa 4éfeite , emportant la réputation d'un
aventuri^ qui avait feit beaucoup de mal et de
brnit dans le monde, et qui n'avait laissé que
des tracer «angïantes 'de Son passage.
■La guei*e' contre Albert , ia mort de Maurice
«t les événement qai la suivirent, avaient era-
pétdié la convGcation.de la diète qui devait,
suivant la convention de Pàssau , mettre fin aux
troubles dé rAIlemapie..EIle ouvrit à Augs-
bourg , par les soins et l'activïté de Ferdinand.
Ce pmnce, d'un caractère doai et d'un esprit
conciliateur» était feit pour assoupir les haines j
calmer les défiances et rapprocher les partis di'
visés. Il gagnait, par son affabilité, ceux que
taïarIes,'son frère,'aliénait par sa hauteur. Nommé
roi dés Romains, il était personnellement inté-
rçgsé au rétablissement de l'harmonie et de l'or-
dre dans l'empiré : û n'avait pas, pour se- faire .
craindre, les mêmes ipoyens qoe Fempereurj il ,
ne- lui restdit qrfà se" fair^ airaer. Instruit des
vues seciiètés de Char!*; qui aurait voulu pla-
cer la oDuroniié impériale sur lâ tête de son -fih
PhiUppé, M impoÉlait beaucou|<à Ferdinand de '
se concilier Topinion publique en Allemagne ,
afin qto'e»ei«> décldi-it pour lui. B'aHIeurs, ses
=dbï Google
lotj PABTIl I.-^ PÉRIODE II.
états héréditaires, toujours attaqués ou menacés
par lés Turcs, lui rendaient nécettaires la bîe»-
yeillaaoé des princes de rem^ùre ; et il étût jaloux
de leiir ftttacheonent , qui ponvait seul Uû assurer
leurs secours.
Ce fut uniquement à lui que l'on dut la paci-
fication de r AU^nagne. Sans le zèle de Ferdinand ,
la diète d'Àugsbpurg aurait été in&uctueuse,
comme tant d'autres. Des- deux parts les espiits
étaient aigris , les .prétentions excessive , les
cr^teset les eApérancBS également exagérées;
rien de plus dil^cile pour un prince catht^ique
que d'inspirer de la con0anee àilx protestants,
sans douoer des soupçons sur la pureté de aa
foi, et de prendre toutes les précautiom néeaa-
saires pour le tnaintien de. sa religion, sans en*-
courir le reproche de partialité. Fo'dinand tidia
d-éviter ces deiix écueils; et s'il ne réussit pas
complètement, il iaut l'attribuer au pouvoir c^
, circonstances. A mesure qu'il se présentait de
nouveaux incidents, il^aginait de nouvevix
moyfSDs d'en triompher; il opposait la patience
aux délais multipliés, la douceur à l'empcrie-
ment , la fermeté de la si^essc à la liolence dies
paasion^^et I4 peiséTérance aut obstacks. Rien
n'altérait âon calme, lien ne lassait son activité.
A la fin il -vit le résultat d«s«s,(ravaiitTet.ce«é-
=dbïGoogIe
CHAf>lTBE XIV. 107
sulUt eût été encore plus satisfaisant si ses lu-
imères avaient égalé son zèle , ou [^utèt s'il était
diHiné à la prudence faumàioe de mesurer la pro-
fondenr des passions, de prévoir et de pr^vetûr
tous leurs funestes effets. La' paix de la religion
cpndue à Augsbourg assoupit les dmsions in- i55
testine; de l' Allemagne; mais bien loin de les
étouffer, elle contenait elle^ménie les germes
de nouveaux, troubles. A' cette époque on ne se
doutait pas de leur existnice. Les événements
les firent conu^tte, en les développant A' la
vérité, dans le temi» où Ja diète publia son
duvrage ,, les 4^uk partis ■ se plaignirent ; mais les
faonnnes si^es croyaient voiv, dans leur mécon>
lentement m^e , la ^«uve qu'aucun des deux
n'avait été sacrifié et n'avait lieu- de se plaindre.
Le (NÛté'd'Ai^^sfcoitFg statua qu^ les protestants
professeraient librenaent leor reli^cia «C leur
culte ; qu'ils conseryeraient les-bU9is«ocIéMaslii-
^es doat ils étaient «n possession avant la con-
vention de Passau, et que h» évéqueshe pour-
raient s'attribuer siv eux auetmè espèce de
juridiotioB. On décida qa'ûs pourraieitt «atrer
dans la. chambre i&ipériale; juais on ne ies y
appela pas farmeUeraeot , lùeii nnâtis encore leur
acc9^-t-on le droit d'y fàéger. es nombre égal
avec les. aatj|ioliquefr. C*evt ét^ Oepeai^nt le
DiailizodbvGoOgle
108 PABTIE I. — PERIODE II.
seul moyeu de leurdonoer une garantie poli-
tique de leur liberté civile et religieuse , de pré-
venir les injustices. Les réformés n'obtinrent
pas les mêmes avantages que la paix de Fassau
assurait aux luthériens. L'aniroosité de ces der-
niers contre une société qui ne se distinguait
d'eux que par des nuances, fut la principale
cause de cette mesure , aussi contraire aux prin-
cipes de la justice qu'aux maximes de la-poU-
lique. C'é^t faire le bien à demi , laisser dans
l'Allemagne un levain de division, et s'exposer
à la triste nécessité de recommencer tôt ou tard.
La réservation, ecclésiastique que Ferdinand in-
séra dans la paix de religion , était la clause la
plus insidieuse ou la plus imprudente ,'^et devait
empêcher que la paix ne fût solide et durable ;
il l'accord) aux catholiques pour dissiper leurs
- inquiétudes snr les ptï>grè& ultérieurs de la re-
ligion protestante. En vertu de cet article , les
princes ecclésiastiques qui embrasseraient la ri-
fOrme't devaient renoncer à leurs bénéfices, et
perdre leur 'fortune ou leurs étals.
Ainsi se termina la première partie du grand
drame de la réformation. Les événements que
fit.n^tre cette révolution religieuse, ameoènent
des changements remarquables dans le système
politique de l'Europe. Séparant TAllemagne en
DiailizodbvGoOglc
CHAPITHB XIV. 109
deux partis , elle opposa ua contre-poids utile k
la puissance fie l'Autriche; et créant un noa-
veau principe d« résistance contre cette niaison
ambitieuse , eUe sauva non-seulement la liberté
de l'empire, maiscncore celle de l'Europe. Les
états protestants trouvèrent des- alliés dans les
états qui craiguatent pour leur indépendance
politique^ et ces derniers invoquèrent souvent
le secours des autres, qui agirent avec vigueur
lors mèine tpi'U ue couraient pour le Inoment
aucun danger personiief^ La religion devint un
pbiqt de ralliement pour tous les ennemis de
l'Auferiche. Les partisans du système de l'équi-*
libre furent charmés de voir non - seulement
l'Allemagne , mais l'Europe tout entière , par-
tagée en deux masses de puissance , plus inté-
ressées que jamais à s'observer et à se contre-
balancer réciproquement. Depuis cette époque
ju»]u'à la fin du dix-sèptième siècle , le sort de
la religion a tenu une grande place dans les
combinaisons de la politique ; durant toute Cette
période, la liberté des cultes, ou la domination
d'un seul, a été le but secret ou le prétexte osten-
sible des négociations, des guerres et des traités,
à peu près comme dans le siècle passé la ques-
tion de la liberté ou de l'empire exclusif du com-
merce s'est mêlée, directement ou indirectement,
DiailizodbvGoOgle
I lO PARTIZ I. PÉRIODE II. ~
à toutes les tnnsactioDs politiques. La liaison
étroite qui s'établit en Europe entre les intérêts
de la politique et ceux de la religion , a été sod-
vent Aineste à l'une et àfautre: la religion a
dérangé les calculs d'une saine politique; la po-
litique a pris le masque de la religion , et s'est
servie de son nom pour ensanglanta la terre.
Mais nous ne parlerons pas eocxire des effets de
cette union' singulière ; nous nous contenterons
de constater sa naissance , et nous verrons qu'elle
a donné une nouTelle direction aux idées , changé
les rapports des états , ifrflué sur les actions et
sur les éTénéments.
=dbï Google
CHAPITRE XV.
CHAPITRE XV.
changement dans te Nord. La Suède se sépare du
Danemarck. La r^rmadon sVtabUt dans ces deux
ITBH&AirT qu« l'Ë^Migoc! et k France occu-
paient le midi.de l'Ëuropede leurs sanglants dé-
mêlés, le nord, tout-à-fait étranger à ces évé-
a«mentSj avait été le iiiéâtre de mouv^neuts,
d'un Autre geoK^ qui changèrent son existence
politique et rdigieuse. lii Suède et. le Dane-
maœdL i séparant l«nrs destinées , étaient devenus
des états indépendants, appelés' à peser un jour
dans la balance politique. £s Allemagne., la ré-
formation avait jimoié des changements dans la
constituticm de l'^npiré; ici, les chaiygnents
arrivés d^ l'ordre politique introduisirent la
réltHToatioD , et il est intéressant de voir qurilei
IbrHKi» et queUesjosodificaUons les idées noUTcâ-
Jes f ce^retf d^ cirçonsEances,
La ^ède, le Etenenaarck -^ ta Korwège se
débattaient d^ois loe^-temps dans'les liens de
Twiion de CaliRar ; ces liens waient été en partie
rompus , mais leurs débris mêmes gênaient en-
=dbï Google
m PARTIE I. PÉRIODE II.
core !a liberté d«6 Suédois; et les tentatives
multipliées que les Danois avaient' faîtes pour .
les replacer dans la dépendance , leur inspiraient
des craintes légitimes. L'union de Calmar ne
pouvait être dmable. Elle était trop contraire à
l'ambition de la haute noblesse et à l'oi^eil na-
tional des Suédois. Les Sture, nommés adminis-
trateurs de it Suède par les états du royaume,
s'étaient montrés tous trois dignes de la confiance
de Imirs concitoyens. Animés d'un même esprit
et travaillant sur le même plan, ils avaient suivi,
avec autant de constance que d'halnleté, le projet
de rendre à la Soede son: indépendance.* I«
clergé , gagné par les rois de Danemarck , et sé-
duit par l'espérance de régn'ra- «ou& leur nom ,
s'ils restaient maîtres de la Suède , comlKittait'de
tout sou pouvoir les vues patriotiques des Sture.
A l'exception de ceux qui enviaient leur crédit
et jalousaient leurs talents, les nobles les-favo-
risaient La grande masse du peuple baissait les
Danois, craignait les vexations des gouverneurs ,
attachait le 'bonheur à l'idée d'une existence
nationale, et bénissait les efforts et les travaux
des administrateurs d<mt l'autorité douoe et tu-
télaire lui faisait redouter encore plus le joug
de. l'étranger. Sténon Sture avait dcmné aux
classes inférieures des droits politiques. II avait
DiailizodbvGoOgle
CB A PITRE XYi I iS-
eu le bon esprit d'introduire les paysans et lés
bourgeois dans rassemblée des états, pour se
nténa^r un appui, et opposer un contre-poids
au pouvoir de la noblesse et du dergé. Ce gratid
homme avait senti que le vrai moyen de com-
battre et de réprimer les abus de ta puissance
du clergé, était' de répandre des lumîà-es daM
tous les ordres de la société. Dans ce dessàn il
avait orée- rtmiversité d'Ups^ et fixé dafas les
villes les imprimeurs , dont la profession avait
été jusqu'alors ambulante. Sture avait de l'am-
bitioQ ; mais, du moins il la plaçait dans la gloire
de soa pays , et ne voyait son intérêt que dans
l'intérêt, gàiéra]. Il avait été un moment dépos-
sédé de sa place par tes envieux, qui appelèrent
«1 Suède Jean , roi de Danemardc , de la maison 1497.
d'Oldenbourg; mais xe.piîaoe ayant été dlîfaît
.par les Ditbmarses, iés Suédois le chassèrent; tSoi.
et- la voi^ publique , l'ascendant du génie j la
néoessîté des circonstances, replacèrent de nou'
veau Store au timon des affiùres. Ses successeurs,
Suante KidKdson Stnre et Stéoon Sture, second
du n^m, fils de ce dermer, avaient non-seule-
ment béôté de «w loomet de son pouvoir, mais
etkocxe de «es vues, de ses talents et de sop
palribtisnie ; et jt l'époque où Ghristieni n était
mimté sur le trône de Daneraarck , StéaonjSture iSi?.
=dbïGoogIe
I l4 PARTIE I. PIJhIODE 11.
aJoiinistrait' fit Suèfle avec autant de fermeté
qne de sagessie.
Cbiristâern II, fils du roi Jean, né en. 1481*
n'avait pas reçu de la nature une de ces âmes-
^andes et foites qui suppléent au manque d'in-
struction, et son père ne Iih avait pas doimé
une étlucation soignée, plus nécessaire encore
aux esprits d'une trempe commune qu'aux au-
tres. Il avait annoncé de bonne heure le goût
de» plaisirs grossiers et des inclinations basses. -
On n'avait rien ftùt pouT'prévenir lenr naissance;
on essaya trop tard de les réprimer. Inapfdiqué
et ignorant , il paraissait croire que le potfvoir
le dispensait d'instruction. Le sentiment conftis.
de'son incapacité , et le désir de vivre sans con- .
trainte, lui faisaient recherc'ker les sociétés les
moins propres à lui donner des laDnères et .des
. mœurs. Sans principes réflédiis et sans élévation
naturelle > avec des sens impérieux efcdes pas-
sions ardentes, il était facile de prévoir qu'il'
abuserait de l'antoritéi que,. sa perâonne inspi-
rant le mépris , ces abus prOToqueraieht la réaie-
'tance, et qu'il lui opposerait la cruauté ; enfin ,
que ne répugnant au .mal ni par féflfeKÏon, ni
par. l'inslioct d'un cœur généreux, il s^ait ca'^
pable de coiiimettre les -plus grands crimes. Une
Hollandaise nommée Dyveke, femme de basse
=dbïGoogIe
CHAPITRE XV. Il5
extraction , n'ayant pour elle qu'une figure agréa-
. blci le maîtiisait entiëreinent, de concert avec
sa mère Sigebriue, qui ne manquait pas d'esprit
ni d'une certaine habileté. Cette passion hon-
teuse explique les désordres çt 'les excès de-
Christîem ; boais elle-même serait inexplicable ,
si de tout temps il n'avait pas incliné à la vileté
et à la faiblesse. Deut ans après son avènement
au trène, il avait, contracté une alliance bril- iSiS.
lante, en épousant Isabelle, sœur de Charles-
Quint, princesse airoabl« et digne d'un meilleur
sort.
. Ce caractère et ces mœurs n'annonçaient pas
un règne prospère. Le sénat de Danemarck en
augura mal dès le moment où Christiem prit le
sceptre , et ses craintes furent bientôt justifiées.
Le jeiiae roi établit de nouveaux impots dans
son royaume , afin d'entretenir des troupes sol-
■dëes, et iL employa ces troupes pour extorquer
encore de l'argent au peuple. La noblesse da-
noise &t révoltée avec raison du supplice injuste
et illégal de Torben-Oxe , gouverneur du château
de Copenhague, cpie Christiern avait immolé k
ses soupçons. Cq début n'était pas propre à faire
désirer un changement aux Suédois, qui se trou-
vaient heureux sous l'administration paternelle
de Sture; mais Christiern, avide de pouvoir et
=dbïGoogIe
Il6 PARTIE I. — -PKAIODE II.
d'ai^ent, comme le sont toujours. les hommes
fa&lao et prodigues, ei^rait olitenir t'un et.
l'autre ea Suède; et travaillait scruniement à s'y
ftHTiner un parti. L'ambition inquiète de Gustave
Trolle, archéi^que d'Upsal, lui en fournit leâ
moyens. Ce prêtre, que Sture aviit élevé à la
première dignité «celésiastique dans l'espérance
de se l'attatâier par ses Ueo&its, ne dierchM
qu'une occasion de perdre son bi^ifaitçur. Ja-
loux des talents et de la réputation de l'adminis-
trateur, il ne voyait daius une révolution qui
replacerait ta Suède sous le joug du Danemarck ,
qu'une source de pouvoir pour 1& clergé, et
dans le pouvoir de son ordre que sa propre élé-
vation. Également indifférent aux devoirs de son
état et à ce^ de citoyen , intrig»tt par besoin ,
factieux par vanité, il prêta lacUement l'oreille
aux propositions de Cfaristiem, qui lui promet-
tait de le faire régner en Suède sous son nom^
et il employa en effet toutes les ressources que
Itû fournissaient son crédit , aa place et son élo^
queoce naturelle, pour susciter des t^stades
et des ennemis à Sténon Sture. Ses menées
-long-temps secrètes ayaut été dt^oiléea,. et lui^
même ayant en quelque sorte .snaoncé .ses pt»-
j^ ambit^u;i eo reiusant de prétsr sermotf
aux états, l'admiaistrateur l'avait assiégé dails
DiailizodbvGoOgle
CHAPITBB XV. 117
son château de Stèke. Oiristiem. accusa Sb^On 1S17.
à Rome de faire une gnerre injuste à un prince
de i'é^se.
iLéoiiX voulait gâgn^Ieroi deDanemarckpar
ses complaisances, afin de placei; beaucoup d'in-
dulgences dans le Nord. Il fit juger l'administra-
-teuf eJ: ses partisans par Birger , arcfaévé^ie de
Lund , et Us fiirent excoiùmuniés. Sténon , sans
être inlûnidé par les foJldres de l'église , réfif)lut
d'employé la force pour soumettre et punir
l'anihevêque. Celui-ci invoqua le secours de
' Cfiristiera. I^es états 'assailles à Stockholm ne
virent plus dans Trolle qu'un traître qui appe-
lait les étrangers dans son pays, et le déposèrent
solennellement. La plupart des .membres de la
diète, ne «ttyant pas que les dignités ecclésias-
tiques pussent soustraire un coupable à la juste
fiévérité Jes lois, sans peur parce qu'ils étaient
sans reproche , apposèrent leur sceau 'k Tatrêt
■qui condamnait Varcbevéque. Brash , évéque de •
JJskœpmg , craignit seul que cette démarche ne
devînt funeste aux signataires, et, afin de se
mettre en .sûreté, il cacha sous son sceau une
courte et formelle pDOt^tation contre la sen-
tence qui d^osait J'archev^cpjw. Artifice dicté
par une pmdenoe -coupable, .qui prouvait qu'il
n'avait ^le des intérêts et point de principes.
DiailizodbvGoOgle
Il8 PA.HT1E i;-^p]ÉRIOOE 11.
TroUe déposé , k roi de Danemarck , se regar-
dant comme le vengeur de Ht dignité de l'église,
saisit avec empressement cette occasion d'agiter
i5i8. et d'asservir la Suède, et parut devant Stockholm
à la tête d'ane armée et d'une flotte nombreuses.
Les Danois ayant reçu un grand échec près de
Brenkirka, Christiern feint de vouloir négocier ,
et, au mépris de ses serments, i! enlève des sei-
gnmrs suédois de la plus haute distinction, qui
lui avaient été donnés en otage , et fait voile
avec eux pour le Danemarck. La Suède fut in-
dignée de cette perfidie ; mais les troubles ex- '
âtés par Trolle, dans son intérieur, l'obligèrent
à différer sa vengeance.
Bientôt Christiern s'occupe de nouveaux pré-
paratifs , et menace encore la Suède. Kriimpen ,
son général, pénètre par la Hallande dans la
Westrogothie. Les deux années se rencontrent
iSao. près de Bogesund. Sture, après avoir fait des
prodiges de valeur', est mortellement blessé; il
expire , et avec lui fiait la résistance des Sué-
dois. Sans chef et sans point de ralliement, ils
sont battus en détail , et toutes les provinces se
soumettent aux Danois. Stockholm seule se dé-
fend avec autant d'opiniâtreté que de succès.
Une femme d'un courage héroïque , digne épouse
de Sture, animée du désir de venger la mort de
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XV. 119
son mari, et n'e^érant tien de la gétiérosité de
Christiern , communique son iotrépidité aux ha-
bitaots de la ville. Ijcs états assemblés à Upsal
veulent faire cesser les maux de la patrie, et
ire désespèrent pas d'intéresser Christiem lui-
même au bonheur de la Suède. Présidés par ce
même Gustave Trolle qui avait sacrifié la liberté
publique À son ambition , ils capitulent avec le
roi de Danemani , s'engagent à lui ojnférer le
sceptre , et renouvellent l'uniou de Calmar. Chris-
tiem, de son côté, promet une entière amnistie,
s'engage à garantir toutes les propriétés , à ren-
dre la -liberté aux prisonniers, et à ne mettre
aucun impôt sur le peuple que du consentement
des états. Ce conti-at, qui assure à Christiem tous
les avantages qu'il avait désiré d'obtenir, et par
lequel les états cèdent tout ce que, dans des temps
plus heuteux, ils eussent craint de' hii accorder »
est le résultat des circonstances , Pouvrage de ht
prudence qui compose avec la ibrce : mais c'est
un contrat solennel ; on peut espérer qu'il sera
respecté , et il paraît devoir apaiser les troubles
de la Suède. Stockholm, menacée de ta famine,
et dont les halûtants sont en partie gagnés ou
intimidés pai; les éibissaires de Christiem V lui
ouvre ses poÉ*es. Vainqueur de la Suède et ap-
pelé au trône par les états, le roi de Dauc' i5au.
=dbïGoogIe
I30 PARTIS 1. -^piRIOUE II.
marck se £ût couronner avec la plu» grande ms-
gaiticence; m^ les Danois seuls jouent un râle
dans cette cérémonie imposante;. Içs Suédois
sont condamnés à en être les simples ajuctateurs;
comme on n'a plu& lieu de les craindre , oa ne
croit pas avoir besoin de les ménager; leur or^
gueil s'irrite de se voir négligés; l'indiiTérenee
qu'on leur témoigne les éclaire sur Testait d«^
la cour, et leur fait redouter de nouveaux mal'
heurs.
En effet, au milieu des cérémonies du cou- '
ronnement, qui semblaient devoir donner plus
de force A ses obligations, Christieru méditait
des crimes. Une autorité librement consentie lui
paraissait précaire, un pouvoir limité était à ses
yeux un fardeau plutôt qu'un bienfait, et toute
entrave légale une véritable insulte, lié parles
articles de la convention qm lui a procuré 1^
trône, il se propose de .les violer; mais aiin de
le faire impuuément et d'appesatitir no joug
d'airain sur la Suède, sans avoir de vengeance k
redouter, il veut glacer les esprits par la terreur,
en leur donnant, un spectacle sanglant qui leur
ôte jusqu'à ridée de la résistance. Un baiiti»'
nommé Slagheck , créature de Sîgebntte, ctmseil
ou confident de ce j»Y)jet infernal, lui suggère
de sacrifier k sa sûreté tous ceux qui ont osé
=dbï Google
CHAPITHE XV. lai
concourir à la dépoûtion de l'ardieT^que Trolle.
Selon lui, cet exemple étouffera tout germe de
trouble, affranchira Christîém de toute eq>èce
de contrôle , lui procurera l'argent qu'il déùre ;
et en satis&isaat son avidité et sa vengeance ,
il paraîtra le défenseur, de l'ëgliBe , et ne fera
qu'exécuter les arrêts du pape , qui n'a pas levé
rexoMnnmnication dont les juges âe Trolle ont
été frappés. Ce plan, qui flatte à la fois l'intem-
pérance de pouvoir et la vengeance impati^ite
de Christfem , est adopté et stùvi. Le roi troave
des hommes asxz vils pour se faire les instru-
ments de sa barbarie,- et qui^ en même temps
accusateurs et juges clans le {Avcès qu'on intente
anx sénateurs , s'abaissent à revêtir l'assassinat
de formes légales. Des Suédois ne rougissent pas
de se prêter à Jxt odwux ministfô-e, et de servir
()e bomreanx au tyran de leur patrie. On accuse
d'hérésie ks.victmtes déjà dévouées k la mort,
part» qa'eUes ont prononcé un ait^t ooatr6«n
archevêque, et on leur inflige la peine portée
coiitt« les hérétiques. Quttre-vingt>qu»orze petv
somugËs aussi respectables que respectés «m\
«oveloppés'dans la même prosoription. Cn même
jour voit tomber les têtes les plus illustres. Les
fêtes du couronnement sont inteïrompues par
cette scène atroce ; on pltft^t «Ile-même est pour
DiailizodbvGoOgle
lai PARTIE I. PEBJODE 11.
. Christiem la seule fête digne de lui. t)es évê-
qiies irréprochables et purs qui prouvent leur
reli^on par leurs vertus, des pbbles plus distin-
gués encore par leurs talents et leurs services
que par leur naissance » des sénateurs blanchis
dans des travaux honorables , et qui n'ont jamais
obéi qu'à la voix de la patrie et du' devoir , sont
décapités sâus les yeux d'un peuple immense ,
dont I9 juste filreur est contenue par de nom-
breux satellites; qui. craint tout, n'espère plus
lien, et lit farrét de sa ruine dans le sang de
ses généreux défenseurs. Les spectateia^ ne ha-
sardent pas même de donnera ces malheureuses
victimes des signes de leur compassion. Les larw
mes seraient un crime, les gémissements même
.sont interdits; les émissaires de Christiem , ré-
pandus parmi la foule, épient avidement les pa-
roles, les gestes, les regards, pour ménager ji
Chtistiern de nouvelles jouissances en lai dénon-
çant de nouveaux crimes ; un silence profond ,
.Universel, plus effrayant que les discours, si les
tyrans savaient l'entendre, exprime seul l'^di-
gnatioa et le désespoir qui oppressent tous les
cœurs. Le féroce Christiem ne s'arrête pas à ces
premiers forfaits ; il parât vouloir s'enivrer de
sang pour s'étouj^ir- Les exécutions se succè-
dent à Stockholm avec rapidité. Ajh^s avoir
DiailizodbvGoOglc '
CHAPITRE XV. la3
rempli la ville de ses àtteotats, il court promener
ses fureurs dans les provinces. Des gibets dres-
sés partout aanonceot aux peuples l'arrivée de
leur souverain. C'est en frappant indistinctement
tout le monde-, qu'il observe l'amnistie solen-
nellement promise à ceux même qui pourraient
avoir été crimiiiels. Il s'était engagé à ne voir
nulle: part de coupables, et Ton dirait que per-
sonne n'est innocent. Plus de six cents victimes
expirent dans les supplices. A la fin, fatigué de
cruautés sans en être assouvi, il quitte la Suède,
et court ensevelir dans son palais de Copenbague
ses affreuses jouissances et ses sanglants sou-
venirs.
Christiero avait cru étouffer dans les Suédois
cet esprit d'indépendance et cette fierté natio-
nale , qui luttaient depuis un siècle contre l'union
de Calmar; mais il n'avait fait qu'effacer pour
toujours, dans le sang, les titres de cette union.
Il avait commis asset de forfaits pour soulever
tous les partis, et leur inspirer contre lui une
,baine invincible; il n'en avait pas commis assez
pour jouir des fruits dé son crime , et dans cha-
que Suédois il devait voir un ennemi. La sou-
veraineté était partagée, en Suède, entre le
prince et les états du royaume. Gbristiem , in-
fidèle à ses serments , avait violé la constitution ,
:,, Google
Ia4 PARTIE 1- r^RIODE II.
et agissait en souverain absolu. La forcé avait
renversé lès barrières légales du pouvoir. Suivant
l'esprit des gouvernements mixtes, les états de
Suède avaient le droit d'employer la force pour
refouler le^nce dfms.les linûtes'de la consti-
tutioo, et sauver leur part à la souveraineté.
Tels étaient les principes de tont ce qu'il y
avait d'éclatffé eu Suède. C'était Cfaristiern qui
avait &it \ç premier une révolution aussi san-
^nte qu'injuste. JLes Suédois pouvaient com-
battre pour d^endffie leurs lois. D'ailleurs, le rot
n'avait eraployé son pouvoir usnrpé qn'k im-
moieT ceux qu'il devait couvrir de sa protection,
et ses aimes avaient mis le peuple dans wie de
ces situadoos désespérées où l'on ne prend
conseil que de son désespoir, et où, les excès de
la tyrannie bouleversant l'ordre sooi^ , ie frein
des lois se brise , et l'on en appelle à la force ,
des ^bus de la force-
Le» mêmes causas ont produk partoot ïes
mêmes effets; l'histoire tout entière prouve qu'il
«St un t^me à la «patience des hommes; mais,-
entre tous les peuples, lès Suédois étaient moins
£ûts que les autres ponr supporta- tranquille-
ment le comble de l'oppreBsion et de la barbarie.
Cette nation fiène, généreuse et brave, savait
aiiper et haïr avec ime égale force; susceptible
=dbï Google
CHAPITRE XT. IsS
des impressions les plus vives , paseionnéç pour
le sol qu'elle habitait, quoique la nature y fût
plut6t grande et pittoresque que féconde et li-
bérale, elle puisait dans sa pauvreté même l'a-
mour de ses lois et le couï-affe de tout sacrifier
pour elles ; la gloire et le patriotisme pouTaimt
lui £tire tout entreprendre, et la cî>nsoler de
tout. Des âmes saines et éner^ques, des corps
vigoureux et lùen. constitués fMmaient l'èm-
preinte nationale. Un tel peuple sait beaucoup
pardonner à qui commande son atkniraticm , et
ne pardonne rien à qui excite à la fois son in-
dignatioa et son mépris. Au^si les crimes de
Chlistiem réunissent tons les Suédois dans un
' même sentiment. Un intérêt fOtninun fait. taire
tous les intérêts particuliers ; les haines et les
animosités qui divisent tes &milles , cessent pour
se porter toutes sur on même objet ; les partis
CHiblieat ou ajournent leurs anciens démêlés; la
fermentation est générale, mais elle est secrète
et sourde; on ne peut ni se parler, ni se con--
certer librement; on est réduit à se deviner, et
à désirer qu'il paraisse un homme capable de
produise et de dûiger un grand mmivement.
Le libérateur. que le ciel destinait àia Suéde,
venait d'échapper aux fers, et' déjà il avait revu
sa terre natale: c'était Gustave \sifiit. Il était né 1490.
DiailizodbvGoOgle
126 PARTlK I. PÉBIODE.II.
à Lindholm , dans l'UpIande ; fils d'Eric Johan-
son , arrière-neveu du grand Sture , il tenait à la
maison des Folkungen , anciens. roi& de Suède.
Élevé à la cour de l'admmistrçteur et entouré
de grands exemples, ilf avait re^u-une éducation
sùnple et mâle. Le génie de Sture avait deviné
celui de .Gtistave. Ce jeune homme avait reçu de
' la nature ime constitution robuste , uiïe figure
noble, une physionomie expressive et caracté-
ristique. Il excellait dans tous les exercices du
corps: de bonne heure, il avait annoncé un
esprit vif et pénétrant, de l'élévation et de l'é-
nergie. Le sentiment confus de ces avantages et
un instinct de supâiorité lui avaient fait prendre
de l'ascendant suç tous les compagnons de sa
jeunesse, et dans ses jeux il préludait en quelque
sorte fiu grand rôle qu'U devait jouer un jour.
A l'âge de yingt-quatre . ans il avait paru à la
cour tle Sténon Sture le jeune , où il avait gagné
tous les cœurs par ses grâces et ses vel'tus. La
lecture de l'histoire de son pays était son oqcu--
pation favorite» et nourrissait dans son ame le
patriotisme, l'amour, de l'indépendance de la
Suède et la haine des étrangers. La conversation
du savant évèque d&Linkœping,Hemming Ga-
den, 4'attirait plus. fortement que les plaisirs et
les distractions de son âge. Dans ' tes guerres
=dbï Google
CHAPITRE xy. lay
Êontre Christiem il avait combattu à côté dé
l'administrateur, et s'était distingué par sa bra-
voure, n'était -un des six otages que Chrisdem
enleva et retint en prison contre la foi des^ser-
ments. Comme si Christiem eût pressenti de
quelle importance il ^tait pour lui que ce jeune
homme ne retotiroât pas en Suède, il l'avait mis
sous îa garde d'Eric Baner, gentilhomme jut-
landais , en exigeant de lui une caution de six
mille écus. Gustave ayant obtenu de Baiier la
permission de se promenet' dans les euviiKms du
château de -Kallo où il était détenu , en avait
profilé pour s'évader ; arrivé à Lûbeck , il fiit ré-
clamé par Baner. Mais le sénat de Lûbeck res-
pectant les droits de -l'hospitalité, touché de
l'éloquence de Gustave , qui plaida lui-même sa
cause , et voyant en - lui un homme capable d»
combattre' Christiem , dont la puissance com-
mençait à donner de l'ombrage aux villes de là
EJtanse ; refusa de te livrer au roi de Banemarck,
et Iaï feumit même des «ecours pour retoumer
e|i Suède. Gustave n'avait désiré- et recouvré la
liberté que dans Le dessein de la rendre à sa
patrie.' Plein de ces ^ndes pensées.il avait dé-
barqué à- Calmar, saluant avec des transports iSio.
mêlés de douleur cette terre ensanglantée et
asservie y qu'il se proposait de piuifieret d'af-
DiailizodbvGoOgle
laS PARTIS- I. — PKRIODR II.
franchir d'un joug odieux; sans autres moyens
que ses qualités personoelles et le courage d'une '
ame forte , il espère commuaiquer sa généreuse
ardeur k ses concitoyeus et les armer contre- le
tyran. ,
Gustave réunissait au plus haut degré toat ce
qu'il fallait pour réussir dans une entreprise de
ce genre, chez un peuple tel que les Suédois.
A un extérieur io^osant-, Tëritable sceau dont
la nature marque 9es favoris, et auquelles peu-
ples ont plus d'une fois reconnu ceox qu'ils de-
vaient «livre, Gustave joignait une éloquence
entrdnante , et s'énonçait dans sa langue mater-
nelle avec autant de &cilité que de force. Il était
encore dans cet âge heureux de l'entho^asme ,
le temps de la flc»^iBoa du génie; enthousiasme
qu'il faut avoir, pour en inspirer aux autres , et
sans lequel on manque toujours de l'audaee
d^action : il avait, déjà acquis cette puissance de.
raison qui Ëiit combiner aVec sagesse ce que
reotfaousiasme inspii'e et exécute , ^ qui s«b1«
sait diriger ce levier moral. Son e^rit était juste
et réfléchL A défaut d'une .grande richesse
d'idées , il avait une idée tlominaate , ce qui vaut
. peut-être mieux pour l'action ; et comfne tous
les hoouaes qui ont décidé le sort des nations,
il avait plutàt un grand eanetére qu'im esprit
=dbï Google
CUAPITREXV. . 129
-vaste er profond. Tourmenté des malheurs de
son pays et du projet d'y mettre fini , il apprend
la mort tragique de son père , qui a péri dans le
massacre de Stockhc^. Cette terrible nouvelle,
loin de l'abattre ,. augmente son ardeur, et il '
marche à l'exécution de son plan, au milieu des
images'de sa patrie éplorée et de l'ombre de
son père, qui l'uiiment à la vengeance. La vio-
lation du contât formel qui liait la Suède à
GhristierQ, l'usu^iation de la souveraineté et
l'usage qu'il a fait d'un pouvoir usurpé pour
commettre des mmes atroces , sont les droits de
Gustave à cette grande entreprise; ses motife
sont le patriotisme, la tendresse filiale et la
gloire, plus que l'ambition; ses vues, d'expulser
les Danois et de domier aux états" de Suède
la liberté de s'assembler pour régler le gouver-
nement ; ses moyens , la conscience qu'il a de ses
forces et de ses talents, le mépris de la vie et la
CpnnaiasanËe .du caractère et du malheur de. ses
concitoyens. Il part de Calmar pour sonder les
dispositions du peuple; mais, dans cette partie
de la Suède, la crainte glace tous les espiits; son
beau-frère, Joachim-firabé, qu'il va -voir dans
son chliteau, en Sudermanie, et à qui il dévoile
ses desseins , refuse de s'associer à lui ; 'sa sœur
emploie même tout ce que la tendresse peut
=» 9
DiailizodbvGoOgle
l3o PARTIE I. -^ FiRIODI II.
dicter <)e plus pressant pour le détourner de son
entreprise: il la quitte, et dirige sa route Tent
la Dalécarlie. Cette province, située au nord-ouest
de la Suède , est habitée par un peuple simple
et pauvre,' brave et ardent, facile à enflammer,
ennemi de la servitude , et qui, vivant isolée a
mieux conservé les traits primitifs de la physio-
nomie nationale. Les Dalécu-liens tiennent d'au*
tant plus fortement k leur pays qu'ils n'en con-
naissent point d'autre; plus énei^tques qu'éclai-
rés , ils sont capables de tout. Leur nourriture
est simple et frugale ; ils ne boivent que de l'eau ;
mais s'ils ont peu à perdre , ils sont d'autant
plus indifférents k la vie et plus prêts à la sa-
iSaa crifier. C'est vers eux que Gustave dirige ses pas.
Pour mieux leur plaire , il adopte leur costume.
Les cheveux coupés à leur manière, couvert;
d'un chapeau rohd , revêtu d'un habit grossier,
et la hache sur le dos, il erre dans les forêts,
et se met au service d'un paysan. Son air noble
perce' à travers Son déguisement: il est reconnu,
et il se voit au moment d'être livré aux émis-
saires de Christiem. Poursuivi par ses ennemis,
trahi par des amis perfides, caché tantôt dans
une -grange (*), tantôt dans une charrette, ses
(*) Tous les endroits où GustMve a séjourné et où il a été
DiailizodbvGoOgle
CHAPITBE XV. l3l
dangers se succèdent, ses aventures se multi-
plient , et donnent à cette partie de sa vie la cou-
leur et llntérét d'un roman. Aux fêtes de Noël iSao.
il arrive à Mora, chef-lieu de la Dalécarlie,
au milieu d«a paysans de la contrée , que le so-
lennité rassetfible; il se découvre fa eux» il les
harangue ; son éloquence agreste et fière , comme
la nature qui l'environne, les enflamme. Deux
cents Dalécarlieni prennent les armes, et le sui<-
vent. (Test avec eux qu'il commence sa grande
entreprise.
A peine a-t-il levé l'étendard , que son armée
augmente. II 3u£Ssait de donner le signal aux
Suédois. La révolution était déjà faite dans tous
les cœurs. TroUe oppose des troupes à Gustave,
qui tes bat avec le secours d'Olof Bonde, le com-
recDeilli dans sa fuite, oti plutôt dam sa marche glorieuse,
ont été refi^eusement contervés en Suéde comme autant de
monuments nationaux; les pères le* montraient avec respect
aux enfants. Le gouvernement a même consacré une rente
annuelle. pour leur entretien. Chartes X, dans son voyage à
Falhun, assigna une somme pour la grange où Gustave
avait travaillé. La couronne paie anoUellMnent encore pour
l'ïniretien d'une maison à Omay , où il a demeuré. Cette
espèce de culte fait l'élqgc de l'homme qui a mérité d'en
être l'objet, du peuple sensible qui le lui rend, des rois qui
ne craignent pas ces grands souvenirs; et il doit répandre
sur toute la contrée une sorte de charme poétique.
9-
=dbï Google
l3» PARTIE I. PJÉBIODE II.
pagDoh de ses travaux ; cet aviintage , qu'il rein-<
porte sur un corps de six mille hommes, accroît
Encore le nombre de ses partisans : alors il publie
un manifesteconlre Chiistie^n, dans lequel, aprèç
lui avoir reproché l'usurpation du trône , la vio-
latioQ du contrat par lequel il a voulu sanction-
ner son pouvoir, et le massacre de Stockholm ,
il lui rappelle que,~ne lui ayant jamais prêté ser-
ment , il peut et doit être l'cn^ane de Tindigna-
tion générale et du vœu de la nation. La victoire
de Westeras donne à cet écrit une force.entraî-
naute et des succès rapides. Mais Gustave, plein
de respect pour la constitution et les lois de son
pays, veut d'autres titres que ceux que lui pro-
curent ses talents et son zèle; il sait que les états
de Suède peuvent seuls lui donner Une autorité
légale, et légitimerson entreprise, et il se hâte de
I les consulter. Les États s'assemblent à Wadstena :
il leur expose avec chaleur les malheurs de la
patrie, les dangers qu'elle court, les ressources
qu'elle peut trouver dans leur courage; il parle
avec modestie de ce qu'il a fait , s'étend sur les
mesures qu'il feut prendre, et ouvre à la Suède
des perspectives de bonheur et de gloire- Les
États l'écoutent en silence, et ne rompent- ce
silence que pour le remercier de ses services et
lui en demander de nouveaux. La reconnais-
=dbï Google
CHAPlTftE XV. l33
sance et l'adiniratioD font taire les petites pas-
sions de la vanité et de Fenvie; elles cèdent
elles-mêmes, au lAouvement général, et la voix
unanime nomme Gustave administrateur du
royaume. Bientôt il justifie cette confiance par de
nouveaux exploits, et fait le siége^de Stockholm.
Lubeck lui envoie des secours ; mais la politique '
de cette ville puissante ne lui permet pas de fa-
voriser de tout son pouvoir l'entreprise de Gus-
tave ; elle voudrait f>rolonger les troubles de la
Suède, et tenir le commerce de la Baltique dans
^ dépendance, en éternisant dans le Nord les
factions et les partis. Cependant la bonne cause
triomphe partout : les places fortes se rendent
successivement à Gustave; les Danois ne sont
pas assez nombreux pour se soutenir dans une
contrée où ils rencontrent des ennemis à chaque
pas; la Suède tout entière reconnaît l'autorité
de l'administrateur ;, déjà il attaque le roi de
Danemarck dans ses propres états : Stockholm
-seule résiste encore.
Christiern aurait peut -être opposé- plus d'ob-
stacles aux progrès toujours croissants de Gus-
tave, si le Danemarck était resté tranquille et
soumis ; mais l'avidité e^ la barbarie de Christiern
y avaient aussi produit un mécontentement gé-
néral. A l'exception des créatures et des suppôts
=dbï Google
l34 PARTIE 1. -— PÉaiODE II-
du roi, toute la nation, en apprenant le njassa-
cre de Stockholm , avait partagé l'indignation des
Suédois , et gémi de Topi^obre que. cet, attentat
pouvait faire rejaillir sur le notn danois. Ce peu-
ple,, naturellement calme et r^édiî, irrité de
tant de crimes ^ supportait avec peii^e Tadminisr
tration tyranniquede Christiern, Ce fcn-cené avait
violé en OanepiarcL la constitution du royaume,
et 7 avait, comme en Suède, usurpé la souve-
raineté tout entière, qu^il devait partager avec
les âats. he sénat, encouragé par l'exemple des
i5>3. Suédois, s'assemble à Wybourg en JutUad, dé-
pose solennellement Christiern , lui fait signifier
cet arrêt par jVIagnus Munck, juge du paya, et
place sur le trôpe Frédéric , duc de Halstein.
Daus ce moment teirible, où on le dépouille de
ses couronna et où les peuples le repoussent de
leur sein, Christiern se montre aussi lâche qu'U
avait été cruçl. Poursuivi par la. haine de ses
Suje^, il n'essaie pas même de défendre ce pou-
voir qu'il a augmenté par les mesures les plus '
illégales; il se hâte de charger sur une flotte ce
qu'il a de plus prèdeuz , ses trésors et l'indigne
Sigebritte, et se sauve dans les Pays-Bas, avec
l'espérance trompeuse d'armer Çbwles-Quint,
son beau-&ère , en sa faveur. .
Cet évén^nent heureux consomme le graud
=dbï Google
CHAPITRF TV. I 35
ouvrage qUe Gustave a coihmencé. Stockholrn
capitule et ' lui oime ses portas ; la Suède est
purgée dos étrangers qui l'oppripaMBiit. Désor-
maw çlle n'a plus lieu de cntindre le Daneoaerdk.
Frédénc * mal aflEBinui sur le trôoe , p« KiPgti qu'à
s'y ipaiatoiir- Lot états de Suède, aaBevùfU» à
Streogoaeas, déférent •oléimelleRient la cou-
TOttoe BU libérateur de la patrie :l'int^t génial, ■
qui Veut que la presiière plaof soit fikée irré-
voçablement, et que^ pour râtabtif l'ordre. pu-
blic , l'autorité soit Cojte ^ concentrée , attache
les Suédois à la nionarcbie, ceroroe la reconnais-
sance les attache 1 Gustave. Content d'avoir af-
fimndu son paya, il ne voit dans cet honneur
qu'uB &nleau , et r«fase de l'acéepter. Cette mo-
<tenitiDn n'iétait pas feinte. Gustave était aoibi-
tieujt; mais il ne connaissût pas cette- ambition
hypocrite qui veut réunir les jouissances du pou-
voir à rbonneur d'une modération apparente ,: et
qui joue la d^ntéreasenient. Le rehis qu'il fit
du trtoe fiit dicté par la aainte des factions,
des jalousies et des haines que son élévation
pouvait faire naître , ou ne fiit peut-être qu'un
lumimage involontaire, r^du par une aiae noble
et pure* aux devoirs diffîcil&s de la première
place. Vaincu par les larmes et les sollicitationa
de ses concitoyens, il céda auK désirs des états
=dbï Google
l36 ^PARTIE I. PiHIOOE II.
de Suède , et reçut le sceptFf de leurs tnains. Au
défaut de l'ambition, le patriotisme lui faisait
une loi de ne pas persévérer dans sa résistance^
Lui seul pouvait empêcher que la Suède ne re-
tombât dans les convulsions ou dans la servitude
dont il l'avait glorieusement tirée; lui seul pou-
vait consolider son bel ouvrage. Pendant un
règne de trente-sept ans, il justifia les espéran-
ces des Suédois ; et, par tin heureux mélange
d'activité et de prudence , de force et de mesure^
de clémence et de sévérité , il se montra toujours .
à l'unisson des circonstances. Elles, furent sou-
vent critiques : les intrigues du <Jergé, les nSe-
nées du roi détrôné, h jalousie de quelques
nobles , le caractère infiamniahle des Dalécarliens,
qu'il étaitfacile d'égarer,^ entretinrent long-temps
en Suède mie fermentation sourde, et amenèrent
même des conspirations et des révoltes; mais le
génie et la vertu de Gustave triomphèrent de
tous ces dangers; et, malgré tous les obstacles,
fidèle à son plan, et marchant à son but avec
une sage lenteur, il établit en Suède la Réfor-
mation.
/ La paix avait été conclue avec le Danemarck
à Malmoe, et l'union de Calmar formellement
i5a4. annulée. Les talents de Gustave purent s'exercer
dans une nouvelle sphère, et y jetèrent un éclat
:.,C00glc
CHAPITRE XV. l3^
phis durable et plds doux: Tant qu'il porta te
titre d'administrateiir , il ne fîit que guerrier;
devenu toi, il prouva qu'il savait faire la guerre,
sans Taïmer, etdéveloppa toutes les qualités d'uu
grand administrateur. Tout avait dépéri en Suède
au milieu des guerres civiles et sous le sceptre
de fer de Christiem; il fallait tout reproduire
et tout régénérer. Antant Gustave avait montré
d'enthousiasme et de vivacité' en délivrant fa
Suède du joug âe l'oppression^ autant il montra
de réflexion et de prudence dans la marche qu'il
suivit pour lui iaire trouver le bonheur dans la
liberté. Ici la préc^itation aurait été aussi dan-
gereuse que la lenteur l'eut été dans la première
partie de sa vie publique. On vit avec ^tonne-
ment ce héros, natorellenient ardent et impé-
tueux, préparer de loin les changements qu'il
méditait , et amraier les réformes par des grada-
tions insensibles. Le cleigé , toujours fectieux,
entretenait des intelligences avec l'étranger; plus
riche que les autres ordres de l'état, il lie portait
^as avec eux le &rdeàu des dépenses publiques,
Gustave voulait lui donna- uiue oi^anisation qui'
ne lui permît pas de troubler la tranquillité du
pays, qiii le &oumit à l'autorité royale^ et fit
servir ses trésors à payer les dettes de la Suède.
Le moyeu le- plus expéditif était d'établir la re-
DiailizodbvGoOgle
l38 PARTIE I. — PÉBIODE II.
- l^;ion luthérienne dans le poyaurne. Mais on ne
commande pas l'opiniop; un I^^teivr sage
l'éclaù^. Gustave cônnais^t trc^ sa nàtio» pour
toucher sans ménagemeot aux idées re^^its. Il
avait appris à connattK la doctrine 4es réfor-
mateurs pendant son séjour en Jutlaiid. ; ilte-
nait aux nouveau» principes par eoinflction et
par politique; ils lui paraissaient vraîs, et ils
pouvaient lui être utiles; c'était plus quil ne
&llait pour déârer de les répandre. Cependuit ,
il se contenta d'abord de iavoriser ht propaga-
tjonde la religion luthérienne * attira des prédi-
cateurs de cette ' eoramuQÎon en Suède, et fit
traduire la Bible dans la langue du pays. La haine
que le peuple portait au clct^é, qui avait tou-
jours ^tà Tennemi de son mdépendanoe , avait ■
rejailli, but la doctrine qu'il professait, «t les es-
prits se détachaient- de la religitm cailiolique
par éloignemeut pour ses ministres. Lie^ idées
des réformateurs plaisaient par leur ^mpliâtë à
cette-nation d'un sens droit et simple : d'ailleurs ,
le pouvoir des papes n'avait jamais été en Suède
auflsi grand qu'ailleurs; la distance rendait les
comniunicatians plus-diâcâles; la pauvreté mérae
du pays n« pouvant exciter l'avidité ni l'atten-
tion de la cour de Rome, elle était plus indif-
férente à son sort. Toutes ces circonstances fa-
:,, Google
CHAPITBB xv! l39
alitaient l'exéoulion du plan de'Gu^ave. En
attendant te moment de frapper un coup déciàf ,
il oblige le cle^ à contiibuer à l'acquittement
de;9 deçes da fÉtfit. ,Les d^pens«6 annuelles (*)
dépassaient considérablement les revenus. On
devait de fortes s^munes aux Lubeckots. Les eo-
clésiostiqfiçs, prévoyant le dai^ger qui lesmenace ,
espèrent l'éloigner en faisait des sacrifices, et
concourent à couvrir les besoins public^. A la
dièt9 de Westeras, Gustave fait un pas de plus. iSs;.
Bien loin de s'QppQA«r à l'abwssnoent du clergé,
)a nc^iesse le souhaite. : elle con^Q fi'eimchir k
aes dépens , et augmenta son infliienœ poétique
ea lui faisant perdre la ùenne. I^e» paysans '
les bourgeois, plus dépendants du urône , lui
sont entièrement dévouas. Ia^ terres îles églises
et des cloîtres sont inoorporéçs aun domaines
de la couronne. La religion luthérienne. est for-
mellement introduite en -Suède; mais Gustave
conserve la hiérarchie , par ménagement pour les
anciennes habitud^, et afip de doonn? à la reli-
gion des formes plus imposaiïte». Laurent Pétri, >S3i-
disciple de Luther, occupe le siège d'Upsal, et
devient primat du royaume.
(*) Les AéptmfK «oMaïont à 77,000 mires d'argent, la
recette à 34,000. On en devait aiiit Lubedutis 77,000.
:,, Google
140 PARTIS )■ — PÉBIÔDE II.
Ce grand 'ouvrage terminé, Gustave dirigea
son atlentiod sur lee moyens d'accroître Ja ri-
chesse nationale de la -Suède. Les nnùes furent
exploitées avec plus d'activité et de succès. Des
directioAs éctairéeâ ,' des encouragements distri-
bues avec sagesse développèrent des germes d'in-
dustrie. La stabilité de l'ordre public excitait kux
entreprises utiles. 'Sûr de jouir des fruits de soâ
travail', on travailla avec plus d'ardeur. Le cpra>
merce de la Suède n'enricbissait que les villes
de la fianse. Lubeck surtout dominait dans la
Baltique, et dictait d<% lois aux Suédois. Ils lui
Tendaient les productions de leOr sol , Us n'ache-
iertt que d'elle les objcits de te1^« besoins , et,
£iute'de concurrence, ils achetaient et vendaient
'avec perte. Gustave afirançhit son pays <Ie ces
entraves; il créa la marine, et apprit aux Sué-
dois à gagner eux-mêmes -Ce qu'as Élisaient ga-
gner à leurs ^vides voisins ; en mettant des im-
pôts sur les spéculations des LubecikfHS ,il fournit ^
à ses sujets les moyens de former de$ entreprises
de commerce lucratives et brillante». Bientôt le
parillôn suédois lut respecté dans la Baltique, et
se montra avec succès datls les mers voisines.
La Suède fut moins pauvre, et devint une véri-
table puissance. Ses accroissements fixèrent l'at-
tention des autres états. On rechercha son al-
=dbïGoogIe
CHAPITRE XT. 141
lîabce. La France s'unît avec elle. Cette union
faisait honneur à la sagacité politique de Fran^
çois V; la Suède offrait un débouché précieux
â l'industrie et au commerce des Français* : elle
poUTait un jour inquiéter la maison d'Autriche
en Allemagne. Cette alliance devait être durable ;
.car elle reposait sur les Trais intérêts des puis-
sances contractantes et sur des rapports perma-
nents et fixes, La Suède n'avait ried à craindre
de .la France ^ trop éloignée pour lui nuire , et
pouvait attendre d'elle^ au besoin, de l'appui et
du .secours. Gustave avait justifié les espérances
des Suédois; ils jouissaient sous son .sceptre de
tous les avantages de l'ordre social, sûreté et
protection' dans l'intérieur, considération au
dehors. Les États , solennellement' assemblés à
Westeras, acquittèrent la dette de la reconnais- i544.
sance nationale ; et rendant un nouvel hommage
à Gustave , ib déclarèrent la couronne hérédi-
taire, et fixèreat le sceptre dans sa maison.
C'était donner une garantie solide 4 ^3 liberté
publique, assurer l'indépendance de la Suède,
éteindre les anciennes factions, en prévenir de
nouvelles , et imposer à la -famille de Wasa l'o-
bligation sainte de ne pas dégénérer, et, de con-
server avec le pouvoir suprême ses titre» origi-
naires à cette haute élévation.
j^vGooglf
t^l , PARTIS I. — fÉHIODE II.
La Suède fat heureuse et tiranquiUe fious
l'administration de Gustave , à quelques léger»
mouvements pris, qui furent presque aussitôt
apaisés qu'excités. Le Danemàrck n'eut pas le
même bonheur. Frédéric I*', duc de Holstein,
oncle de Christiern, avait accepté la courortné,
"5a3. que les états loi aVaiertt offerte , après la fuite de
son indigne neveu. La noblesse avait profité des
circonstances pour augmenter son pouvoir. Les
classes inférieures avaient été oubliées dans la
capitulation conchié entre FirédériC et les sei-
gneurs '. aussi les avantages que les nobles obtin-
rent fiirent un principe de malbeur pour eut-
mémes, pour le roi, pour les paysans, et pour
l'état tout entier. Les amis de Christiem en pri-
rent occasion de soulever les esprits en sa faveur
et de lui procurer des partisans. La' tyrannie
avait pesé sur tous les individus , ou les avait
' du moins tous indistinctetnent menacés; mais il
fut fecilede persuader au peuple, toujours à la.
fois défiant et crédule, que Christiern n'avait
eu d'antres vues que celles d'adoucir son sort,
en sévissant contre la nolflesse. Ces idées sç ré-
pandant dé plus en plai dans, la Korwège et le
Danemàrck, donnèrent de justes inquiétudes
au roi Frédéric, et k Christiem les moyens de
troubler son règne. Il n'avait jamais abandonné
bï Google
CUAPITRK XV. 143
le projet de remonter sur le tr^e : c'était sut
le Daiiemarck et sur la Norwège qu'il avait |iorté
ses espéraBces^ soit qu'il' désespérât de trionii-
pher do génie deOustHve , toit qu'il peosât, avec
raison , qu'ufi peuple tel que les Suédois ne se
téconciliait pas avec sou' bourreau. Il avait fait
une {vemière tentative sur le Banemarck avec
une aimée qui pénétra dans lé'Jutland ; mats le
défaut d'argent et l'activité de Frédéric l'avaient i5a3.
obligé de renoncer à son entreprise. Réfii^é
dans les Pays-Bas, il entretenait des intelligences
avec ses anciens sujets , ne cessait' de, solliciter
des secours de Charles^uint , et faisait tous les
préparatifs que les emprunts qii'il avait ouverts
lui permettaient de faire. Frédéric inclinait à la
doctrine des t^formateuTs: Augmenter leur pou*
voir en abaissant celui du clei^é, accroître leurs
revenus en confisquant ses biens, tel était , à cette
époque, le dessein plus ou moins prononcé de
tous les souvH'ains. Fi;édéric ne pouvait pas ha-
sairder un changement subît et total. Il s'était
contenté d'accorder aux jH-otestants la liberté 1S17.
du culte ; c'était un moyen à la fois sûr et doux
de propager la nouvelle doctrine. Quelque me'-
surées que fiissent ses démarches , elles éliraient
servi la cause de Christiem, si lui-même ne
s'était pas déclaré assez baiitement pour la réfor-
DiailizodbvGoOgle
l44 . PARTIE 1. PÉBIODE II.
jnaUon, et n'avait pas contribué même jt ses
progrès lorsqu'il était sur. le trône. Cependant ,
malgré la connaissance qu'on avait de sa façon
de penser, les Norwégiens^s'imaginant qu'il était
plus. attaché à l'ancienne religion q[ue Frédéric,
favorisaient ses projets de descente , et lui avaient
même fait passer de l'argeçt. Avec ces secours,
et ceux que lui avait donnés Charles-Quint, il
lève une armée de dix millç hommes, et l'em-
barque en Hollande. Une tempête disperse et
brise une grande partie de ses vaisseaux sur les
côtes de la ITorwège , et il arrive avec les débris
de sa flotte à'OlpsIo; Les premiers moments qui
suivirent ce malheur furent âssei. brillants pour
l'efiacer , et de nature à donner k Ghristiem des
espérances flatteuses. Les Norwégiens accourent
en foule sous ses drapeaux; les nobles et le clei^é
le reconnaissent pour leur souverain légitime,
lui prêtent hommage et lui accordent des sub-
sides.-Christiern fait le siège d'Âggerhiius. GyU
lenstiema défend avec succès cette citadelle im-
portante ^ et donne le temps à Frédéric d'armer
pour la secourir. Les secours que reçoit la place
obligent Christiern à se retirer; et une malheu-
reuse expédition qu'il tente en Suède , ne lui
laisse plus d'autres ressources que de s'enfermer
dans Olpslo. Bientôt réduit à ne pouvoir plus
=dbï Google
se défendre, ni s'évader, .il se yoitilans la néces-
sité de négocier avec ses ennemis. Gyllenstierna iS3i.
et les autres généraux Danois lui promtitteut de
im procuter une entrevue avec le .c(m Frédéric,
et , dans tous les cas, lui garantissent la liberté
de se re^rw en Norwège. Christiem, qui a si
souvent trahi sa foi , ne soupçonne pas>que les
autres puissent manquer à la leur: se croyant à
l'abri àe tout danger , il s'embarque ^v la flotte
danoise et fait voile vers Copenhague ; mais Fré-
déric condamne la précipitation de ses généraux ,
désavoue leur conduite, refuse de ratifier leurs
engagements, et ordpode dk'enfernier Christiern
dans le château de Sonderbourgj snr les càtes
deSchlewig. Ce prince, resserré dans une étroite
priiionj, y coosuin^ ses jours ^^ifis les regrelaiet
dans les remords.; sa cap^vité .fut longue. U
vécut encore vingt-fieptans après sa détention.
Fréd^c et 'Gyllïip^tierna : fijf^ent absous, dans
l'opinion pij^ique par la hBine.{>rofonde que l'on
portât à Christiern. Il avait tellement outragé
l'humatuité, qu'il a'obtjnt pas , même de pitiés
et s^ . majeurs parurent aii^d^saous de- ses
forfait». t
, Frédéric, mourut Vaimte de la détenti(»i de ï535.
Christiern. .Ce }mnce n'avait eu .ni de grands
vices, ni de ^andes vertus. Sa douoeur et sa
:,, Google
l/|6 PARTIE 1. -^ PÉRIODE I!.
modération étaient plutôt des. qualités de tempe-
mment que des habîUïdes réfléchies. Les nobles
lui ATàient fait espérer que son fils Chrétien
lui succéderait ; mais la noblesse préférait choi-
sir un prince qui n'eût aucime espèce dé droit
au trône « el à qui elle pût faire la loi. Le clei^é,
qui craignait pour son existence, voulait un
prince catholique. La rtionarchie élective est de
toutes les formes la phrs vicieHse. Le Danemarck
en 6t la trîaie. expérience. La première place de
l'État étant vacante, toutes tes afnbitions se ré- '
veillèrient ; le royaume fut agité par les intri-
gues, déchiré par lés fections que l'étranger j
entretenait , et , au miHeli de tous ces mausc, il
courut encore la chance de faire un mauvais
choix. Ce fut une viMe peu importante dans la
balance des- intérêts de l*EiiPope, qui Jou& le
premier rôle dans les troubïeB du Danemarck.
Lubedi, la plus puissante des Villes harrséstiques',
voyait avec douliefUt- les etlttavès tpiè. Ib Siièd^
avait .mises à son commette; elle redoutait l'as-
cendant queie» Flattiand$ commençaient it pren*
dre -dans la Baltique. Craignant d'esStiyer de
nouvelles pertes si un gouvernement fermé et
stable s'établissait en'Banehiirab ,' elle sv^iil ré-
solu d'y perpétuer'ieB divisions,' et de ïà«^hier
de déniiembrer te' royaume. Ce jn-ojet était né
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XV. 147
dans la tète active et inquiète de GeM-ges ,Wul-
tenwever j bourgmestre de la république. C'était
un de ces hommes d'une immoralité- hardie,
qui jouent au hasard l'existence et le bonheur
des peuples, et s'im^tient que la supériorité
de leur esprit leur donne le droit de oe voir
dans les hommes que des éléments de combi-
naisons et dâ calcul dont ils peuvent disposer en
maîtres absolus. Ce démagogue ambitieux avait
substitué des formes plus démocratiques à l'an-
çiepne aristocratie de Lubeclt, afin de gouverner
la république avec plus de facilité. £d eflet, il
avait acquis un crédit sans bornes sur ses con-
dtoyens, qui suivaient a«euglément ses conseils.
Un étranger, nommé Marc-Meier, naturalisé à
Jjuheck, homme entr^renant, plein de talents
et de courage « était devenu le confident et l'in-
strument des projets de WuUenweyer. Ces deux
mauvais génies conspirent contre la tranquillité
du lHorà , et jurent la ruine dti Danemarc^.
Le sénat gouvernait le Danemarck pendant
l'interrè^e qui avait ^ivi la mort de Frédéric,
et paraissait vouloir le prolonger. Chrétien , duc
de Holstein, fils de Frédéric, pressait son élec-
tion ; niais onie payait d'espérances vagues. Wul-
lenwever $e fait députer à Copeidiaguè , pour
assurer, par ses négociations, le commerce des
DiailizodbvGoOgle
l48 PARTIK J. PÉRIODE II.
Lubeckois claiis la Baltique, on plutôt pour ob-
server de près les dispositions des esprits, et se
former un partî dans le Danemarck m^e. Il
vit que la nation était divisée. La noblesse, dotit
le pouvoir s'est accru , et qui en a déjà àbasé ,
veut encore l'augmenter. Les paysans et les bour-
geois, jaloux de sapuissance, irrités de ses vexa-
tions , peu éclairés sur leurs véritables intérêts ,
soht prêt* à saisir et à suivre toutes ces idées
de libertéet d'égalité, toujours séduisantes pour
tin peuple mécontent, et qui égarent même
quelquefois les peuples qui ne sont pas malheu-
reux. Les plans de WullenwevCT s'étendent avec
sesespérances. DéjailveutmorcelerleDanemarck
en plusieurs petits états, et présentant aux villes
l'appât de la souveraineté, les faire entrer dans
la ligue hanséatique, où Lubeck les dominera.
Georges Mynter, bourgmestre de Malmoe, et Am-
broise Bogbinder, bourgmestre de Copenhague ,
entrent dans ses vues; les perspectives que Wul-
lenwever leur ouvre flattent leur ambition, et
ils le secorident de tout leur pouvoir. Ces enne-
mis de leur patrie avaient plus d'ambition que
de talents et d'habileté, et 'encore moins de
moyens de puissance que d'habileté; mais ils se
proposent de le^ multiplier en bouleversant tous
les rapports de l'ordre social, et ils y réussissent.
=dbvGooglc
CHAPITRE XV. 149
Ltiheck suit l'impulsion .que son premier magis-
trat iuitjonne. Ne. pouvant obtenir du sénatde
Dauemart^ ce qu'il désire, ce factieux allume
la guerre. Les républiques aiment la guerre au-
tant que les autres états, dès qu'elles se sentent
des fqrces.Le pouvoir d'entreprendre a toujours
allumé le désir de faire des conquêtes. Le com-
merce avait tellement enrichi Lubeck, et les
états voisins avaient si peu de ressources, que
la république pouvait espérer de grands succès.
Les armements qu'elle fait sortir de son port,
les entreprises qu'elle forme, les troupes qu'elle
prend à sa solde , prouvent mieux que tous les
raisonnements, que la richesse Nationale est une
des bases principales de la puissance , et que le
travail est la véritable source de la richesse. La
république, met à la tête de ses troupes Chris-
tophe, comte d'Oldenbourg, parent du duc
Chrétien. Brave et sans fortune, il ne peut que
gagner aux expéditions hasardeuses, et il doit
les aimer. Les Lubeckois comptent que son im-
ptiissance leur garantit sa docilité ,' et qu'il sera
tlans leurs mains un instrument uùle. Christo-
phe porte ses vues plus loin ; it espère acquérir
par' ses services assez d'ascendant pour mettre
le sénat dans la nécessité de lui obéir. Wulleu-
wever, afin de cacher ses projets ambitieux et
DiailizodbvGoOgle
l5o . PARTIE 1. PÉRIODE II.
de rallier à lui un parti considérable , annonce
que Lubeck veut replacer Christiern II sur le
trône; en même temps il soulève le peuple con-
tre la noblesse , et lui permet la licence et le
pillage , comme des gages de sa liberté. L'auto-
rité du sénat expire. I^ NtMwège, les îles da-
noises et la Scanie se soumettent à Christophe,
et proclament Christiern II. Partout les paysans
se portent aux plus funestes excès. Egarés par
des ambitieux, qui veulent allumer toutes leurs
passions pour en profiter , ils ne voient dans les
grandes propriétés qu'une inégalité injuste et
oppressive. Cette doctrine légitime à leurs yeux
tous les crimes, et ils font aux propriétaires
une guerre active et cruelle. Le Daiieraarck , qui
se déchire lui-même, devient la proie facile de
Christophe.» Copenhague elle-même ouvre ses
portes, et il ne reste plus que le Jutland à co^
quérir.
Le sénat, qui s'y est réfugié, sent que le seul
moyen de sauver le Danemarck est de nommer
un roi , dont le pouvoir légitime rassure les pro-
priétaires tremblants , calme ou contienne le
peuple , protège tous les ordres de l'état, et pré-
vienne le démembrement du royaume, en créant
un centre d'action. On olifre la courtmne à Chré-
tien , fils du roi Frédéric , qui l'accepte et prend
D,a,l,zt!dbvG00glc
CHAP-ITAE XV. IJI
le nom de Clirétieu 111. Ce priitce inspirait la i
confiance par ses vertus et par ses talents. Sou
activité et sa modération "justifient le choix tlu
sénat. I/existence d'un souverain' légitime donne
un point de Ealiiement aux forces divergentes,
à tous les amis de l'ordre et des lois. Chrétien 111
travaille à reconquérir ses états, secondé, par
Gustave, qui craint également le nom de Cbris-
tiern II, les projets de domination des villes
de la Hanse, et la contagion.de la révolte. Les
flotte» de Lubeck reçoivent des échecs multi-
pliés. Les Suédois remportent sur une partie de
l'armée de Christophe, à Helsingbourg, un avan- i
tage décisif. Les Danois eux-mêmes le ba,ttent
complètement , près d'Assens en Fionie, et cette
victoire permet à Chrétien III d'assiéger Copen-
hague, qui fait une longue résistance. Animés
_par les discours et l'exemple des chefs de l'in-
surrection, qui leur persuadent que le roi médite
de terribles vengeances, les bourgeois se sou-
mettent à toutes les privations plutôt que de se
rendre^ Cependant Lubeck , éclairée par l'évé-
uement sur la folie des projets et l'atrocité des
moyens de Wulleuwever, lui Ole sa confiiance,
regrette ses sacrifices , et refuse d'en faire de nou-
veaux. Elle entame des négociations avec Chré-
tien; U paix se conclut durant le siège de Co-
DiailizodbvGoOgle
>5i PARTIE I. PÉRIODE M.
penhague , paix avantageuse au roi de Dane-
mHrck, et qui replace ses ennemis dans l'état où
ils étaient avant la guerre. A ta fin, ta famine ,
qui devient tous les jours plus pressante et plus
cruelle , oblige Copenhagne elle-même à ouvrir
ses portes et à reconnaître son souverain. La
clémeace de Chrétien lui gagne tous les cœurs;
il sait pardonner à des sujets égarés, et la vue
de ce qu'ils ont souffert lui fait oublier tout ce
qu'ilsont pu commettre. Christophe, et Âlbertde
Mecklenbourg qui a partagé avec lui le com-
mandement des armées, se retirent en Allema-
gne, couverts de houte et chargés des malédic-
tions des peuples. Les auteurs de ce grand
mouvement, qui menaçait de bouleverser tout
le Nord , périrent tous de mort violente : faible
expiation des larmes et du sang qu'ils avaient feit
répandre ! Marc-Meier expira à Ëlseneur dans le
supplice de la roue. Le sénat de Lubeck pi'o-
nonça l'arrêt de mort contre Wullenvirever, ab-
sent et fugitif, et l'archevêque de Brème le fit
exécuter. Bogbinder, prévoyant sa condamna-
tion, s'empoisonna. Mynter seul échappa à la
peine par le repentir , et conserva même sa place
de bourgmestre. Il s'était rangé du parti de
Chrétien III , avant la fin de la guerre, et il lui
avait même rendu des services aux sièges de
Malmoe et de Copenhague.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE KV. 1 53
Ainsi se termina une guerre sanglante qui,
sans la sage fermeté de Chrétien III, et la pré-
voyance active (te Gustave Wasa, aurait .pu
changer entièrement les rapports {)ohtiques du
Nord, et créer un essaim de petites républiques
faiUes et dépendantes, à la place de royaumes
libres et puissants, capables de se défendre et
de protéger les autres états. Peut-être même que
les maximes subversives de l'ordre l^al, dont
Wullenwever et ses complices enivraient les
paysans, relâchant tous les liens de la société,
rompant les habitudes, et armant les classes
inférieures contre les autres, auraient amené
des siècles de crimes et d'anarchie. Les projets
de Wullenwever n'étaient pas cens d'un esprit
ordinaire, et il ne lui a pe]ut-être manqué que
de réu5si^, pour obtenir un brevet de génie, et
âe faire pardonner la profonde immoralité de
ses vues et de ses moyens, par tous ceux qui
n'ont d'autre mesure de leurs jugements que
le succès, et qui voient toujours un grand bien
dans un grand mouvement.
TjCS troubles du Danemarck étant apaisés.
Chrétien III songea aux moyens de consolider
son pouvoir et d'assurer la t)'anquillité publique.
Les éveques, oubliant leurs devoirs, et ne con-
sultant que leurs passions, avaient soufflé le feu
DiailizodbvGoOglt;
l54 PABTIE I.- :PlÉniOUE II.
(le la discorde, au lieu de travailla à l'éteindre.
Chrétien crut que son autorité ne scsnit afft^-
mie, et le Danemarck heureux , qu'apr^ l'a-
baissement de cet ordre, redoutable par sa puis- >
sance, ses richesses, son crédit, et' i'abus qu'il
en faisait. Les principes des réformateurs, déjà
adoptés secrètement par la grande majorité de
ses sujets, lui fouruissaient des facilités pré-
iS'36. cieuses pour réaliser ses vues. Il convoqua tes
Etats à Copenhague. Le ctei^é y avait peu
d'amis : on y prit des mesures décisives contre
lui. Par le recès que les États publièrent, tes
évéques furent dépouillés de leurs biens , les re-
venus ecclésiastiques appliqués k des objets
d'utilité générale ; pour l'organisation de l'église ,
on se rapprocha de celte de Suède, et c'est de
cette époque qu'on peut dater l'établissement
de ta religion protestante dans le Danemarck.
Les événements que nous venons de retracer
ont assuré au Danemarck et à la Suède l'indé-
pendanoe nationale ; et, depuis ce temps, ces deux
états ont fait partie de la grande république
européenne. L'identité de relipon et de culte
les unit de bonne heure aux protestants d'Alle-
magne; nous les verrons bientôt mettre un
grand poids dans la balance qui porte les inté-
rêts politiques et religieux. Le voisinage et la
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE. XV. iSf)
mesure presque égale de leurs forces devaient
donner à ces deux puissances des craintes réci-
j>roques , et leur dicter des mesures de pré-
voyance qui pouvaient aisément dégénérer en
mesures hostiles. En effet, quelquefois réunies
par un danger commun ou des raisons d'état
d'une importance majeure, elles ont presque
toujours été ennemies naturelles l'une de l'autre.
=dbvGooglc
PAHTIE I. PER
CHAPITRE XVI.
Fluctuations religieuses de l'Anglislerre. Ëll« se sépare de
Rome. Mort de Henri VIIl; son fils Edouard VI prépare
les voiesàlaréforruation. Marie rétablit la religion catho-
lique dans son iut^rité.
J^^ COUT de Borne avait perdu la Suède et le
Danemarck; elle perdit encore l'Angleterre.
Cette contrée rompit les liens de dépendance
qui l'attachaient au pape, et secoua son autorité,
sans abjurer la doctrine de l'église; bientôt elle
abjura cette doctrine elle-même, la reprit, la
quitta de nouveau. Ces changements continuels
dans le système religieux amenèrent des vacilla-
tions fréquentés dans le système politique tle
l'Angleterre. Selon qu'elle s'éloignait ou se rap-
prochait du pape et de l'ancienne doctrine, elle
se rapprochait des états protestants ou s'éloi-
gnait d'eux; et alternativement amie ou enne-
mie de la maison d'Autriche, la première des
puissances catholiques, elle secondait ses pro-
jets ou s'opposait à ses desseins.
Ce fut un prince qui s'était toujours déclaré
le champion et le défenseur de la cour de
bv Google
CHAPITRE XVI, iSj
Rome, etqdi Fayait servjede ses armes et de
sa plume, qui prépara les révolutions reli-
gieuses de l'Angleterre, révolutions beaucoup
plus importantes par leurs suites qu'elles ne le
parurent dans leur principe, et qui frtiyèrent la
routeà de grandes innovations politiques.
Henri VIII tenait à la religion catholique par
conviction , par habitude et par orgueil. In-
struit sur les matières de controverse , plus que
des souverains ne doivent l'être, il se croyait
un théologien profond, et n'avait pas dédaigné
fie combattre Luther à armes égales. Il avait
publié contre lui un traité sur les sacrements,
qui n'est pas sans mérite, si l'on considère le
temps où il parut, le rang de l'auteur et la na-
ture du sujet. Luther, qui ne ménageait per-
sonne, avait répondu à Henri avec sa .violence
ordifiaire , et ne l'avait pas traité avec le respect
dû aux souverains. Cette circonstance avait aug-
menté l'élo^nement du roi d'Angleterre pour
les principes des réformateurs. Léon X l'avait
lié plus fortement auSaint-Siége en lui donnant,
après la- publication, de cet écrit, le tilie glo-
rieux de défenseur de la foi. Henri, jaloux^ de
le mériter par de nouveaux services, a.vaitito)l*-
jours été l'allié fidèlede la cour de Borne, .mal-
gré les mécontentements de Wolsey. Lorsque Is
:,, Google
|5S PARTIE 1. PiaiODE II.
ilignité pontificale fut outragée, dans la per-
sonne de Clément Vil, par l'armée impériale,
le roi d'Angleterre réclama la liberté du pape,
et renonça même à ses anciennes relations po-
litiques aTec Charles-Quint , poiir venger l'hon-
neur du chef de l'église. Mais Henri , qui agissait
toujours par passion , et qui n'avait d'autre
règle de conduite que ceUe de suivre ses' pen-
chaoïts, rompit avec la cour de Rome, peu de
temps après avoir fait en sa faveur des démar-
ches éclatantes.
L'amour amena cette iiipture. Henri avait
épousé Catherine d'Aragon, tante de Charles-
Quint, qui avait été mariée avec son frère , le
prince Artus , mort à la fleur de son ^e. Tant
que Catherine conserva la fraîcheur et les- grâces
de la jeunesse, et qu'elle lui donna des enfants,
il n'eut aucun doute sur là légalité d'uoe union
contraire, à la vérité, aux lois de l'église, mais
qu'un« bulle du pape avait formellement auto-
risée. A ntesure que Catherine perdait de ses
charmes, les scrupules s'élevèrent et se fortifiè-
rent dans le cœur, de Henri, et il pei^t. que,
pour calmer sa conscienos timorée, î\ songea
<le bonne heure au divorcs. T^ passion. que lui
inspira la brillante et ^rituelle Anne de Bo-
iSa/|. leyn, acheva de )e déMnQiner.à.cette mesure
=dbï Google
CHAPITRE XVI. l59
d'éclat. Anne était trop- sage, ou trop ambi-
tieuse , ponr céder aux itésirs de Henri ; elle
voulait devenir reine: elle le devint. Le roi
d'Angleterre écrivit au pape pour demander le
divCH-ce. Clément VU eraignaif, en l'accordant,
de provoquer la colère de CharleMjuint, et
celle de Henri- en s'y refusant. Il crot tont {ga-
gner en gagnant du temps, et il chargea Wi^fceji
et le cardinal Campège d'examiner cette affaire.
Wolsey, qui redoutait le crédit et l'ascendant
d'Anne de Boleyn , devint tout-à-coup scrnpu-
leuK, et, couvrant les crainte^ de son ambition
du masque dé là conscience -, d .se nH7eitt<ai peu
dispose à servir les vues de son maître. L'antonr
l'emporta dans l'anic de Henri sur le pôdvo;r
de niabitude et de i'amitiéi Wo^sc^, disf^radé,
perdit successrvemavt la «MfiaAecr dunra, ses
titrée, son imiéense {bttfMle,-8a liberté, et nioo-
nit au moment oà Ton se préparait: à lui &ire
son procès; précipité du fàlt0 de 'la.':£artuna
dans le malheur, il tomba' satisidignité^dé^lo»
norant ses chéVeiix blancs pav -sa Ëtlblpuis, il
n'emporta au tombeau- ut-: tds regrets .'de -sod
roi , 'ni Famour du peupfej ni l'estHWfc défini^
même'. Les sceaux furelrt donnés ■&■ .ffafmias
Morus, et Taffaîre du dîvorfce ftit porté* à BtMieJ
Clément, tiWertain- «t ' tititlde , fatiguaiC Heati
=dbï Google
l6o PARTIE 1. PÉaiODE II.
par ses lenteurs, ses faux-fuyants et ses artifices ;
Anne de Boleyn, voyant que le pape serait nin
obstade éternel k ses vues, pressait le roi de se
porter à quelque mesure extrême et de rompre
avec Rome. I.^ docteur Thomas Craiimer, d'un
esprit éclairé et d'un caractère souple , espérait
aller à la fortune eu tenant un langage qui flattât
la^ passion de Henri; il lui donna le conseil de
se déclarer chef suprême de l'église et du clergé
en Angleterre, et de s'accorder à lui-même la
dispense qu'il sollicitait inutilement à ^.orae.
Henri adopta ce moyen de lever ses scrupules,
moyen plus singulier et plus bizarre que les s.cru-
pules eux-méme^, et il convoqua le parlement
pour se f^ire attribuer la st;ipr^atie.
Soas ce règuie, comnie sous les précédents, le
parlement, avait toujours été soumis servilement
aux caprices et aux volontés des rois; il ne con-
naissait encore. ni l'étendue de son pouvoir,; m
leslimHes de.la prérogative royale; légalisant^
quelque sorte, par son consentement, les ejxrès
du. despotisme , U nuisait à la cau^e cl^ la liberté
bien loin. de Ja. servir, déchargeait le roi de sa
re9poftsabiJïté,.lu^ôtait le:freip ^p_ U, crainte et
lui épargnait même les, remords. Henri, accoii-
tun)é;à sasoumisàon, s'attendait j^iep.à ne pas
rencontrer de- réùstance < au; cjian^einent .qnltl
DiailizodbvGoOgle
CHA.PITRE XVI. l6l
mettait , en effet , le parlement obéit, et le roi
d'Angleterre ftit proclamé cbef-suprêmé de l'É-
glise. Affranchi de toute entrave, sa vie u'ofirit
plus qu'un enchaînement de violences et de
crimes. '
Henri avait déjà épousé secrètement Anne de
Boleyn. Thomas Cranmer est nommé archevêque
de Cantorbéry; il prononce la sentence de di-
vorce, et Anne est solennellement reconnue et
couronnée. Cette nouvelle, portée à Rome, ex-
cite la plu5 vive indigoatioadans le saa^ col-
lège. Le pape et le» cardinaux, écoutant plus la
passion que la pc^tique, se hâtent de lancer
contre Henri la bùUe d'excommunication , dans
un temps où il eût peut-être encore été possible
d'opérer un rapprochement. Cette mesure im-
prudente enlève l'Angleterre au i>ape. Le parle-
ment brise tous les liens qui attachent le royaume
à la cour de Rome, et prononce formellement i!
la séparation.
Ici s'ouvre une longue suite de scènes san-
glantes et tragiques. Désormais Henri se croyant
maître des opinions comme des actions, va pu*
nir avec une égale cruauté les unes comme les
autres. Il ne reconnaît plus l'autorité de la cour
de Borne, mais, afin d'expier en quelque sorte
la démarche hardie qu'il vient de Élire, il n'en
DiailizodbvGoOgle
l6l PARTIi; (.^PKRIODF ir.
tif nt que plus fortement auK dogmes et aux ntes
de la religion catholique. Les vrais catholiques
ne peuvent ni ne veulent admettre sa supréraa-
tie; ils craignent que, l'autorité du pape une
fois abolie , ce premier pas ne conduise l'Angle-
terre à embrasser les principes des réformateurs.
Le$ protestalits espèrent ce que les autres re-
doutent , et croient pouvoir exprimer hautement
des sentiments et des opinions auxquels ils ren-
dent, depuis long-temps, un hommage secret. Les
deux partis se trompent également. Henri sévit
contre les premiers comme réfractaires ; il punit
les autres comme hérétiques. Les prisons se
remplissent d'hommes jugés coupables par des
raisons directement opposées , et i'on voit monter
sur le même échafaud les partisans du' pape et
. ses adversaires. Thomas' Morus, qui n'avait ac-
cepté la place de chancelier que par devoir, et
qui s'en démit par le même motif, jurisconsulte
habile , savant profond , magistrat incorruptible ,
à la fois sensible et ferme, pauvre et désinté-
ressé, grand dans les affaires publiques et dans
les détails des relations domestiques , porte sa
tète yénérabie sous la hache de l'exécuteur, et
la gaieté d'une ame forte et pure embellit en-
core ses derniers moments. Fi^er , évêque de
Rochester , qui n'a d'autre tort que de préférer .
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRK XVI. IÛ3
la vérité à l'int^^t, et la conscience à la vie,
meurt aussi tragiquement que Mcmtus, et expire
dans les supplices. L'un périt parce qu'il est
trop attaché aux idées anciennes, l'autre parce
qu'il incline pour la doctrine nouvelle.
Déjà Henri p^^te dans l'intérieur de sa famille
la même tyrannie que dans sa vie publique.
Anne de Boleyn a été aimée tant que l'amour
de Henri a rencontré des obstacles ; ce sentiment
s'éteint dans la possession. Elle lui avait donné
une fiUe , qui fut dans la suite la célèbre Élisa-
b^b ; mais ce nouveau lien ne resserre pas leur
union.
Jeanne Seymoûr, dame d'honneur de la reine,
a touché le cœur de Henri. Des courtisans , ingé-
nieux à trouver des crimes à ceux qu'ils veulent
perdre, caressent sa passion naissante, en lui
donnant des doutes sur la âdélité d'Anne de
Boleyn. Ses manièires aisées, sa gaieté naturelle,
là vivacité de son esprit, deviennent autant de
preuves de la licence de ses mœurs. On corrompt
des témoins pour la perdre. Elle est accusée,
jugée, condamnée à m(H^, et subit son arrêt avec
toiit le calme de l'innocence. Jeanne Sejmour
meurt en donnant la vie au prince f^douardj et i
la nature, se hâtant de trancher le fil de ses
jours, avant que Henri ait eu le temps de se lasser
=dbï Google
l64 PAKTIE I. PERIODE II.
d'elle , la soustrait à la cruelle inconstance de son
époux. Sur un portrait de Holbeîn, il épouse un
moment Anne de Clèves; mais sa présence ef-
face l'idée que le pinceau lui avait donnée de
ses charmes; il passe de l'amour au dégoût et du
dégoût au divorce, Thomas Cromwell , qui lui a
conseillé ce mariage, est accusé d'hérésie, et
i54o. exécuté dans la tour de Londres. La belle Cathe-
rine Howard remplace Anne de Clèves ; mais on
découvre qu'elle a eu d'autres attachements avant
d'obtenir la main de Henri; et ce tyran, qui pu-
nit sur de simples' soupçons, fait passer l'infoi^
tunée Howard de la couche ro3rale sur l'échafaud.
Catherine Parr, veuve du lord Ijatîmer, lui suc-
cède. Cette femme intéressante aurait eu le même
sort , sani son adresse h flatter l'orgueil théolo-
gique de Henri, et à lui persuader qu'elle pui-.
sait dans son commerce des connilssances pré-
cieuses: Cet artifice innocent n'eût peut-être
même pas suffi pour'sauver ses jours; mais U
mort la délivra de ses craintes, et délivra l'An-
gleterre d'un roi voluptueux et cruel , qui , fami-
liarisé avec l'efFusion du sang, se jouait de la
vie des hommes, marchait de crimes en crimes,
et en commettait tous les jours de nouveaux,
afin de s'étourdir sur les premiers. Le ciel eut
i547. pitié de la terre, et arrêta cette efi(ray»rte pro-
gression.
=dbï Google
CHAPITRE XVI. l65
Edouard, YI succéda à son père. Ce prince,
encore enfant , devait être soumis à un conseil
de régence , composé de seize personnes que
Henri lui-mènie avait nonunées. Seyinoiu*, l'on-
cle du jeune roi , obtint , par' ses intngues et son
crédit , que l'on conférât à lui seul l'adinii^istra-.
tion du royaume ; il prit le titre de duc de Som-
mersetf et gouverna l'Angleterre sous le nom de
son pupille. Graniner était attaché depuis long-
temps aux principes 'des réformateurs; mais la
tyrannie de Henri VIII Tavait obligé à dissimuler
ses sentiments. Il jugea le moment favorable
pour adiever une révolutitard^ja préparée dans *
l'opinion publique, etcomûiencéeparle schisme
qui avait séparé léxoyaume de la cour de Rome.
Le régent inclinait en secret pour la doctrine
nouvelle. Ne croyant pas qu'un ordre de choses .
qui ihécontentait à la fois les- protestants et. les
catholiques, convînt à ses intérêts, il voulait du
moins s'attacher un des partis en opérant une
réformtf^ entière de l'église. L'archevêque en or-
ganisa le plan. Il laissa subsister les rites qui 1S4S.
pouvaient ajouter à la majesté du culte , parler
aux sens et à l'imagination du peuple; il res-
pecta les formes de gouveniement qui, en aug-
mentant la considération des eddésiastiques,'
rendaient la religion plus imposante et la disci-'
DiailizodbvGoOgle
l66 PARTIE I. — PtiLlODS II.
pline plus sévère : la hiérarchie fut conservée.
Mais on abolit la messe , la confession , le célibat
des prêtres , les vœux monastiques et l'adoration
des reliques. Les biens des églises et des cou-
vents, qui avaient échappé à l'avidité de Henri,
{tvfej/lt affectés aux frais du culte- et à l'entretien
des e6:Iésiaatiques. I^ parlement toujours dodle
sanctionna la nouvelle liturgie. L'Ecosse attira
ensuite l'attention du duc de Sommerset. Ce
royaume, qui de tout tempâ a regardé l'Angle-
terre comme son ennemie naturelle et a vu dans
la France une utile alliée, était sûr le point de
s'unir à l'Angleterre par le mariage de Marie ,
unique héritière .âe la maison des Stuarts, arec
le jeune Edouard. ' Cette union, projetée par
Henri VIII , devait terminer les longues et san-
glantes guerres qui avaient déchiré les deux Etats.
Conforme à leurs vrais intérêts , elle assurait leur
tranquillité, augmentait leurs moyens de-puis-
sance, et eût prévenO de terribles catastrophes.
Mais lé cardinal Beatoun , primat d'École , prélat .
'ambitie;ux et entreprenant, était également at-
taché à l'ancienne constitution du royaume et à
Tancien culte; il craignait te renversement de
l'une et de l'autre, si l'Ecosse s'unissait à l'An-
' gleterre ; il employa tout l'asceadant que lui don-
naient son rang, ses talents, ses richesses, pour
DiailizodbvGoOglc
CUAPITKK XVI. 167
empêcher cet évéDcment, et poursuivit avec un
zèle cniel les partisaos de U réforme , qui l'étaient
.aussi de l'umoa. Ce prélat tombe as»as»ué par
' Je fimatisme de ceux qu'il persécute , et qui ven*
gent sur lui la mort de Wishart, prédicateur
adoré du peuple ( que le cardinal a fait^ périr
dans les supplices. La fin tragique de Beatoun
. n'éteint pas les troubles.- La noblesse éoossabe
jouit encore d'une indépendance et d'un pouvoir
incompatibles avec la liberté générale et l'auto-
rité du prinoe; elle prévoit que l'union avec
l'Angleterre lui fera perdre ses prérogatives, et,
sous la conduite du comte d'Ânan , arme pour
s'y opposer. Sommerset , qui veut contraindre !«»
Écossais à narier leur jeune reine avec Edouard ,
entre en Ecosse avec des forces considérablea;
mais le mauvais succès de ses armes l'obUgB à
se retirer ; et le parlement d'Ecosse envoie Marte
Stuart en France , pour ôter tout espoir aux arais i
de r Angleterre. Sommerset , de retour à Londres ,
tombe dans un labyrinthe de dangers et de mal-
heurs , qui sont l'ouvrage secret de l'homme à qui
il a çlonfié tonte sa confiance. Dudley, son &r
vori, prépare de loin, par des moyens artiste-
ment combinés , la ruine de son bienbiteur. A
une ambition sans bornes il joint une imagina-
tion aiusi déréglée, que féconde, qui lui fait
=dbïGoogIe
l68 PARTIE 1. PÉRIODE II.
juger possible tout ce qu'il désire, et une audace
que rien n'intimide ni n'étonne.
Ce perfide souffle dans L'ame du frère de Sont-
inerset la haine et la jalousie. Lorsque Sejmoufî
fidèle à ses conseils, travaille à perdre Sommer- .
set , Dudley engage ce dernier à punir le eou*
i549- pable sans management; et par cette sévérité,
qu'il a rendue nécessaire, il espère perdre le
protecteur dans l'opinion publique. Les biens
ecclésiastiques, qui ont été sécularisés, amènent
de nouveaux troubles. Généralement, lëSf cha-
pitres et les couvents traitaient les p^sans de
leurs terres avec beaucoup d'humanité, et, dé-
pensant leurs revenus dans les lieux mémes.qui
les produisaient, enrichissaient la contrée. Les
cultivatetu^ qui , de cette administration douce et
paternelle , ont passé sous l'autorité de seigneurs
dissipateurs, et avides, supportent avec impa-
tience les vexations de leurs maîtres, et en mur-
murent hautement. Sommerset, qui connaît la
justice de leurs plaintes, paraît les favoriser.
Cette protection sourde mécontente la noblesse,
et enhardit le peuple aux plus funest^ excès,
Dudley flatte les ressentiments de l'une, encou-
rage l'autre à de nouvelles violences; et le désor-
dre, augmente au point qu'il s'élève une récla-
mation générale des classes supérieures contre
=dbvGooglc
CHAPITRE XVI. 169.
Soromerset'. On l'oblige de se démettre de ses
fdaces, on l'arrête, on lui prête les projets les
plus odie«x ; et après être tombé du plus baut
d«gré de crédit et de laveur, il expie sur Técha'
faud des crimes imaginaires. La nation désabusée '^Ss-
par son malheor même, regrette en lui un hon-
nête homme , qui ne manquait pas' de lumières ,
et qui a peu abusé de son pouvoir. Dudley a su
gagner l'amitié et la confiance du jeune roi, en
affectant l'amour du bien public. Il prend le
titre «t les armes du duc de Northuniberiand,
mort sans héritiers mâles, et développe les pro-
jets les plus extraordinaires.
Ëdouard-donuait à l'Angleterre les plus belles
espérances , excepté celle de le^posséder loog-
temps. Un esprit ouvert ^ facile, un caractère
doux et hum^, joints à un goût très-vif pouE
l'instruction T^setrouvai^itmalheureusementliés
chez lui à une complexion délicate et à une santé
chancelante. ISTorthumberland prévoyait le mo-
ment où le trône pouvait venir à vaquer, et il
forma le'plan d'y placer son fils. Dans ce des-
sein il détermina le jeune Edouard à exclure de
la succession ses deux sœurs, Marie, .fille de
Catherine d'Aragon, Elisabeth, fille d'Anne de
Boleyn , et même la reine d'£cosse , qui , à leur
défaut , avait les premiers droits à la couronne.
=dbïGoogIe
1^0 PARTIE I. PERIODE II.
Le roi était fort attaché à la réformation ; Dud-
ley lui présente le rétablissement de l'andcD
coite comme inévitable, dans le cas où l'une de
ces princesses lui succéderait , .et cet ambitieux -
finit tomber son choix sur Jeanne Gray. Cette
femme, l'unç des plus intéressantes dont l.'his^
toire nous ait conservé le' souvenir, était dans
la fleur de la jeunesse et de la beauté. Aux grâces
d'une figure enchanteresse die joignait la séduc-
tion des talents agréables, les r^âources d'un
esprit fin et délicat , des connaissances étonnantes
pour son âge et pour son sexe , et ces vertus
douces et touchantes , moins réfléchies que sen-
ties, qui paraissent être les inspirations d'une
ame noble, l'iB^tinct nraral d'un coeur aimant
et sensible. Édcmard*, qui avait été élevé avec
Jeanne Gray, l'aimait avec tout« la tendresse
d'un frère, et connaissait son atta<jiement pour
le nouveau* culte. Il se prétit avec empressement
au projet de son favori. Jeanne était la petite-
fille de Marie, sœur de Henri VIII ■, femme de
Louis Xlï, qui avait épousé un simple particu-
lier, après avoir occupé un des premiers trônes
du monde. La mère de Jeanne Gray renonça, en ■
set faveur, à ses droits, et Jeanne fut }H>oclamée
héritière de la couronne. Nortliuniberland fui
fit époaser sbn fils,' et le jeune Dudley parut
digne de sa fortune.
=dbï Google
CHAPITRE XVI. . 1^1
Au milieu de ces éyëflçments, Edouard est
enlevé k l'Mrour d'un& faation qui le regarde
comme le gage de son bonheur; il meurt k l'âge
,de seize ans, et sa mort livre l'Augleterre aux i553.
plus fUreuses calamités. Morthumberland se voit
'' au moment de recueillir le fruit de ses crimes
et de ses travaux. Il invite Marie et Elisabeth
il venir auprès de leur, frère, pour -recevoir
ses derniers soupirs; il ne veut que se rendre
maître dç leurs personnes>i -mais Marie est in-
stnriK-de la mort d'Edouard; elle ass^nble ses
amis;^- ia jalousie et la hame contre les Dudiey
augmentent le nombre de se» partisans : elle est
reçue partout avec des transports de joie. Les
catholiques comptent surdes triomphes éclatants.
Elisabeth vient la joindre k la tète de .mille che-
vaux. Leurs çnnemis, effrayés et découragés, se
soumettent presque sans résistance. Jeanne Gray
' voit sans regret s'échapper de ses mains le scep-
tre qu'elle a tenu quelques jours ; elle quitte
facilement ,upe grandeur empruntée dont elle
n'a besoin ni pour son bonheur, ni pour sa
gloire. Sa grandeur personnelle lui demeiire ;
son génie et sa tendresse pour son époux suffi-
sent à ses désirs. !Northumberland perd dans wi
moment toutes ses espéra^ices; il passe, avec
une effrayante rapidité , d^ lu plu^ brillante for-
=dbï Google
i^a PABTIE I. P^BIOPE 11.
tune sur l'échafaud , «t ;!' Angleterre applaudit à
son supf^ce. Mais cette nation fréaùt d'indigna-
tion et de douleur en apprenant que les jours
de Jwtnne Gray et du £!& de Northumberland
.sont menacés, et que l'obscurité dans laquelle
ils ont enseveli leurs vertus et leurs souvenirs
ne les soustrait pas aux dangers. On les accuse
d'avoir pris part à une coujuration qui doit les
replacer sur le trône. D'autres pouvaient en avoir
fomjé le projet , eu»-mênoes y étaient étrangers
par leurs seotiments et par leurs actions. ilsâont
condamnés à mort par des juges qui nè..ajiveDt
pas voir un innoçsnt où le souverain veut- txtfu-
ver un coupable. On leur refuse même la con-
solation de mourir ensemble. La ccmscience des
bourreaux leur fait craindre l'impression que ce
spectacle saisissant pourrait produire sur le peu-
i5S4. pie. Jeanne fut exécutée dans la prison. Elle
parut encore supérieure à elle-même dans les
derniers instants de sa vie. Déployant une fer-
meté héroïque, en même temps qu'une sensibi-
lité profonde , elle sécbait d'un regard noble et
calme les larmes que son sort tragique disait
couler. On voudrait la plaindre, on ne peut que
l'admirer.
Telles furent les prémices de Marie. Tout son
règne répondit à c(f début sanglant. Fille de
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XVf. 1^5
Henri VIII et de Catheriiîe d'Aragon , depuU le
divorce de sa -mère , elle -avait passé sa jeunesse
dans les Fcbuts , Les hun^iUations et les larmes.
!Née sans les dons extérieurs de la figure, elle
avait seiiti de bonne heure qu'elle n'était pas faite
pour plaire; et ce sentiment, ne lui en ayantpas
ôté le désir, donna à son humeur un caractère
chagrin , sévère et sombre. Les malheurs de sa
mère avaient fortifié son penchant naturel k la
tristesse. Pour se consoler des injustices du sort,
elle s'était fortement attachée à la religion catho-
lique , dont les principes auraient prévenu ses
reveis , et lui eussent assuré une existence bril-
lante, si Henri les avait suivis fidèlement. Élevée
par des prêtres Janatiques dans le mépris de la
doctrine des protestants, et la regardant comme
la cause unique de ses infortunes , elle lui avait
juré une haine éternelle. Les maximes qui dé-
fendent de pardonner aux hérétiques , 6t ordon-
lient de les poursuivre avec le fer et le feu , as-
sorties à son tempérament et à ses passions, à
sa position et à son caractère , se gravèrent pro-
fondément dans son cœur. Superstitieuse et dé-
fiante, toujours tourmentée de craintes et de
soupçons, elle n'avait pas cette élévation de sen-
timents qui, au dé&ut du génie, peut inspirer
de grandes choses, et elle manquait de cette
=dbï Google
1^4 PARTtEI. PÉRIODE II.
étendue d'intelligence qui, au défaut des grandes
petrïëes,, donne du'moins des vù«s étendues et
uqe marche bien calct^éa : elle joignait un esprit
étroit à une ame commune et petite.
A son avènement au trône, les catholiques
levèrent la tête, et annoncèrent hautement leurs
espérances ; les protestants tremblèrent et se
turent. Leurs craintes furent bientôt justifiées ;
Marie renversa dans un moment l'ouvrage d'Ë-
■553. douard. Elle rétablit l'ancien culte , proscrivit le
nouveau, demanda des chaînes à Rome; et le
cardinal de la. Pôle, légat du pape, vint re-
mettre l'Angleterre dans une dépendance hon-
teuse. La nation- était te jouet et la victime de
ces innovations perpétuelles. Dans l'espace de
vingt ans, çai vit trois souverains donner trois
fois leur opinion pour règle de l'opinion géné-
rale, essayer d'asservir ce qu'il y a de plus in-
dépendant, la pensée, et agir comme s'il suffi-
' sait d'un édit pour changer la croyance et le
culte de tout un peuple. L'organe de la nation
applaudissait à ces révolutions multiphées; le
parlaient, qui aurait dû protester contre ce
despotisme , ou garder du moins le silence de
la terreur et de la honte , condamnait à chaque
changement ce qu'il venait d'approuver , et ap-
prouvait ce qu'il avait condamné. Non-seule-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRK XVI. 1^5
ment il sanctionne le rétablissement du culte ,
catholique; il -permet qu'on poursuive cownne
criminels de ièse-majesté.ceux dont les prin-
cipes inflexibles ' refusaient de se prêter ti ces
fluctuations continuelles. Non-seulement il pu-
nit des erreurs comme des crin>es , mais il traite
d'erreurs dès dogmes et des maximes que na-
guère il ^Qclamait comme autant de vérités
étemelles. Lm hommes d'un esprit élevé et d'un
caractère énergique, qui sont attachés à leur
religion par conviction, y tiennent d'autant
plus qu'on semble vouloir se. jouer de ce qu'il
y a de plus sacré dans le monde ; mais la multi-
tude, qui reçoit ses idées de l'autorité et de l'ha-
bitude , ne sait quel parti prendre , ni où trouver
un fil directeur. Les notioios Its plus simples
a obscurcissent et se confotadeHt ; les principes
s'ébranlent; les limites qui séparent la vertu du
vice , et l'erreur de la vérité , "se délacent ou
s' effacent ; on dirait qu'il dépend du gouverne-
ment de détmuiner la valeur des idées conwie
celle des espèces; que ce tarif peut varier d'nn
jour à l'autre , et qu'il n'y a plus rien de fixe ni
de certain.
Cependant l'iocertitude est dangereuse , l'in- -
décision peut coûter la vie. Déjà la sanguinaire
Marie fait dresser les échafauds et les bûchers ,
j.;Googk'
176 PARTIE I. PÉBIODE 11.
pour Opérer d«s conTcrsions , et asswer le
triomphe de son culte. Too» les rangs, tous les
âges, tous les états sont confondus dans les sup-
plices. Des honunes d'une vertu obscure, mais
irréprodiable, des citoyens distingués par leurs
services, des vieillards presque éteints, des jeu-
nes gens pleins de vigueur et d'espérances, pé-
rissent dans les flammes. DaAs T-espacq de quel-
ques mois, près de trois cents personnes sont
immolées, sans pitié comme sans remords. Bon-
ner et Gardiner, les conseils et les directeurs de
Marie, repaissent leurs yeux de cet affreux spec-
tacle : mais au défaut de la résistance, de grands
daugn^ demandent et provoquent le courage
de la patience : des crimes atroces enfantent des
vertus sublimes : plus on comprime le ressort de .
la conscience, plus elle se relève avec force. La
fenneté héroïque des martyrs inspire une telle
admiration qu'on ne désire que de partager leur
sort. Familiarisés avec la mort, à force de la voir
soi|$ toutes les formes 1 tout entiers- à l'idée de
l'éternité , les protestants en viennent à se réjouir
du coup qui termine leur vie. Pour la conso-
lation et la gloire de l'hunianité, dans ces temp$
sinistres où l'on a vu le comble de la dégrada-
tion, du crime et de l'infamie, la nature fauàiaine
a effacé cette tache , et sauvé sa dignité par des
D,a,l,;t!d"bvC00glc
CHA.PlTItE XVI. 177
exemples multipliés de force d'ame, de résigna-
tion réfléchie et de véritable grandeur.
A l'époque où Marie portait 'ainsi dans toute
l'Angleterre' la consternation et l'efîroi, elle sa-
crifiait les intérêts de' son royaume à son atta-
chement pour la religion catholique , et s'unissait
étroitement avec l'Espagne. Ce fiit sa haine con-
tre les protestainta, qui lui fit former et resserrer
une alliance aussi contraire à l'indépendasce de
l'Ang^erre , qu'à la sûreté générale de l'Europe.
Son zèle religieux laxendit infidèle aux maximes
d'une saine politique, et l'aveugla tellement que
nous la verrons épouser la cause de l'Elague ,
armer en sa faveur , et con^urir de tout son
pouvoir à rendre cette puissance, déjà formi-
dable , l'arbib^ unique de la destinée de toiis
les étals. L'Angleterre protestante eût opposé lin
contre-poids à ta prépondérance menaçante de
la maison d'Autriche; ' l'Angleterre catholique
servit l'ambition de sou ennemie , et perdit un
moment de vue toute idée d'équilibre.
=dbvGooglc
178 PARTIE I. PÉIIODB III.
TROISIÈME PÉRIODE. i556— 1598
CHAPITRE XVII.
Abdicatioa de Cbaries-Quini. Son fils Phi)q>pe lu! si|EcMe.
Caract^ de ce prince.
Le traité de Paasan avait padâé rAlIemagne ,
lor8qa& Chartefr-Qtiint antionça le dessein qu'il
av»it formé depuis long-temps , d'abdiqaer toutes
le» .<^urpnnes qu'il portait, de les placer sur la
tète de Philippe son fils , et de s'ensevelir dans
la retraite. Une constitutioa usée par le travail
et par les plaisirs, une sanjté diancelante, des
douloors fréquentes tf cruelles, lui ^lisaient dé-
sirer le repos, et il aûnatt mieux cesser de ré-
gner, que de régner sans activité et sans gloire.
Les rçvers qu'il avait essuyés, sa fuite ignomi-
nieuse devant les armes triomphâi^es de Miiu-
rice-, les saciifîces auxquels l'avaient forcé les
succès brillants de ce prince, la guerre malbeu-
rfluse faite k Henri II, et surtout le si^e meur-
=dbvGooglc
CHAPITRE XVII.' 1^9
trier de Metz, qui n'avait abouti qu'à 'la ruine
de sou armée , lui avaimt arraché la réûexion
douloureuse 4 que la fortune ne faTCHÏsait pas
les vieillards. Croyant que ses forces et le bon-
faeur allaient le quitter en même temps, il vou-
lût abandoDB^le théâtre du taoodeTdo crainte
de compromettre sa gloire. L'ambition ardente
et sombre de son fils , la mainte de son impa-
tience,, peut-être même l'idée *de lui épargner
un crime, peuvent' avoir influé sot sa résolu-
tion; m^is de tous les moti^ qui ,1e détenm*
nèrent, la religion et la philosophie eurent
sûrement le moins de part à cette ângulièrâ
démarche. /-
Depuis quelques années , elle était l'objet prio-
cipal de la correspondance qi^'il entretenait avec
sa sœur Marie , reine douairière de Hongrie et
' gouvernaute des Pays-Bas , (fui le fortifiait dans
son projet ; et s'offrait même à partager sa soli-
tude. Déjà il avait choisi le lieu de sa retraite;
c'était le couvent des Hiéronymites de SaintJust,
situé dans un vallon délioeuK, sur les confias
de l'Estramadure. Il avait vu ce beau heu dans '
sa jeuneâse , et en avait conservé une iœpresHOA
$i agréable , qu'il s'y était &it préparer une dbr,
meure modeste, dans le dessein d'y t
paix sa vie labwiense et agitée.
DiailizodbvGoOgle
l8o P'ARTIE I. 1>iBIODE III.
Charles avait déjà cédé k Philippe le royaume
de Ifaples et le Milanez. Il lui remit, en pré-
sence des États assemblés, la souveraineté des
>■ Pays-Bas', après avoir retracé à ses sujets , avec
une noble simplicité, ses nombreux travaux, et
k son fils les devoirs et les principes qui devaient
le guider dans sa nouvelle carrière. Encore am-
bitieux pour sa maison, quoiqu'il ne le fût plus
pour lui-même ,' et jaloux d'augmenter la puis-
,sance de Philippe, il aurait voulu engager 'son
frère Ferdinand, roi des Romains, à se désister
du trône impérial en faveur de son neveu. L'Al-
lemagne redoutait cet événement. Ferdinand était
accoutumé à céder aux volontés de son frère ;
niais, malgré son caractère doux çt facile, il
repoussa celte proposition avec fermeté, et dé-
clara formellement qu'il ne voulait, pas sacrilier
ses intérêts ni ceux de sa famille à l'agrandisse- -
ment de Philippe. Ce refus prononcé fut le salut
de l'empire germanique. Sans lui la liberté était
perdue, la religion protestante opprimée, et
l'équilibre de l'Europe entièrement détruit. Fer-
dinand était aimé des princes de l'Allemagne,
et méritùt de rétre par les soins éclairés qu'il
avait pris pour la pacifier. Il conserva les états
héréditaires de la maison d'Autriche et les droits
de cette maison sur la Bc^êroe et la Hongrie, et
=dbvGooglc
CHAPITBE XVII. 181
forma une aouvelte masse du puissance. Ls sé-
paration des. deuiL branches de ' la famille de
Habsbourg préserva l'Earope du danger de la
monarchie universelle. Les liens du sang et .la
«uiformité des intérêts les ont quelquefois rap-
prochées ; mais plus souvent des intérêts opposés
les ont éloignées l'une de l'autre, et leur on|
dicté des mesures qui ont servi la cause générale
dé l'indépendance des états.
Après un . règne actif et une vie oragaise ,
Charles quitta la scène du monde , sans ponvcnr
mnporter le sentiment consolateur d'avoir con-
duit 1^ [leuples confiés à sou sceptre , à uu plus
haut degré de richesse, de développem^oC, ide
culture et de bonheur. Tout entier, auX' négo-
ciations et à la guerre, comme un prince qui
aurait en' sa fortune à faire , ou qui aurait pu
craindre de la p^'dre, s'il n'avait toujours -eu
recours à l'épée et à U'plume , il paivt oublier
qu'il était assez puissant pour n'avoù' rien, à
craindre ni à désira' ; qu'au, lieu d'une activité
ambitieuse et inqtùète , il ne lui allait que de ta
justice et de.la feroieté.pour assurer la.fr^-
quiJUté de ses provinces,' et qu'il pAuvait être
impunément, pacifique et modéré. Les iielatÏQni^
extérieures avaient absorbé.toute son aUepti9tiï
sans lui laisser le t^mps d'encourager le travailit
:,, Google
|-8a PARTIE I. Pi&IODE III.
de perfectionner l'atloiinistration et les lois, et
d'exploiter les richesses que la nature libérale
avait répandues dans ses vastes états. Indifférent
ou étranger aux différentes branches de l'ëcono-
mie politique , il n'avait jamais •vxi dans le bien-
être de ses sujets, que le moyeu de joner oo
grand ràle sur le théâtre de l'Europe, et non le
premier de ses devoirs , le fout sn|»ême «t uni-
que du gonvemeraent. Il avait changé la <ion'
stUniion de pliuieure denses provinces, entre
autres celle de la Castille; mais dans ces chan-
gements, il avait ^us oonsalté l'intérêt de ^ob
pouvcMrque ceitti de Vordat public^ et même,
le plus souvent, il fat diri^ par tes convenances
du moment, beaucoup plus que par des princi'
p^ fivcB^ çt réflécftri». Il avait profita des entre-
prises hardies, des découvertes heureuses, et
des Crimes lucratif des Espagnols dans le Kou»
Teau-Monde ; ioais il n'avait pas favorisé las pre*
mi^s, ni réprimé vigoureusement les autrcB,
et n'avait pas mâme soupçonné le système qu'il
eût falhi suivre pour enrichir l^Ëëpj^e, sans
appauvrir tes colonies. L'ami de l'humanité wt
petit se défendre dkine juste doideur, en oom-
parant ce qae Chartes a ^sil pendant un det»-
siède , comme administrateur d'iïn>grand empire ,
eveeoé qu'un prince d'mi esprit aussi actif el
=dbvGooglc
CH1.P1T8E XVII. kii
d'une Vf^onté aussi éiiei^ue qu« U aienœ, eût
pu faire dans ce genre pour le bonheur de «6$
états , «t l'instniction du monde. Dans 1» reUftitia
oà U ails cacher ses infirmités et sa gloire, où
il vécut en honune et pensa en Mge, il rerint
des «rreuis de la vanité, et fiit déaabuaé des
iBausoes qui avaient dirigé sa vie; maê, à cette
époque, la tagctse ne lui stnrit qu'à condamner
une grande partie de son rà^M, et deux smti-
tnents durent souvent troubler son repos ; le
regtret tardif et inutile d'aT<Hr étonné et ËUigué
ses peuples, au lieu de les rendre heureux, -et
la craiote de l'avenir que le caractère de son
fils, -fjui ne pouvait avoir échappé k son œil pé-
nétnuit, préparait à ses états.
Philippe II était âgé de vingt-huit ans, quand
son p^« lui mpit les rênes de la mosarchie. il
était né à Yjalladolid, d'I&abelte, fille d'EaBaM" iSa?.
unel-le-Grnid , roi de Portugal. Élevé en Espagne
par des prêtres superstitieux et fanatiques, son
tempérament bilieux, son humeur grave et som-
bre, avaient été renCorcés par le genre de travaoK
et d'idées , de plaisirs et de privations dont on
avait rempli son otfsnce et sa jeunesse. Il y avait
One analogie secrète entre son caractère et le
earactère national des E^taguob; id»s, en ou-
trant les qualités de ce peuple estimable, il en
=dbï Google
l84 PARTIE 1.- — PiBIODE lïl.
avait fait des défauts révoltants. Cette fierté na-
turelle qui, chez eux, tient de si près à la gran-
deur d'ame, était chez lui un orgueil froid et
méprisant. Ce peuple a les passions vives; les'
siennes étaient ardentes à raison de ce qu'elles
étaient plus concentrées, et il les fortifiait en les
dissimulant. L'Espagnol . est sérieux et réservé;
Philippe était sombre et impénétraUe; il reiifer-
mait tous ses sentiments au fond de son cœur,
et ne se permettait jamais un sourire. L'Espagnol
est attaché à sa religion et .fidèle observateur
de ses rites ; Philippe poussait à cet égard l'exac-
titude jusqu'à la minutie , et rattachement jus-
qu'au fanatiùne. Il serait difficile de décider si
spn caractère a saisi, par une affinité secrète y
les maximes d'intolérance qu'il a suivies avec
une afEreuse constance, on si ces maximes , mo-
difiant son caractère , t'ont rendu impérieux ,
dur et cruel. Caligula souhaitait dans son déUre
que le genre humain n'eût ,qu'une.têj:e; PhiUppe
aurait voulu que le genre huniain n'eût qu'une
prisée, que cette pensée fûtia sienne, et qu'elle
fût adoptée , n<Mi par conviction , mais par obéis-*
- sauce. Il méprisait les hommes, mais il respec-
tait les prêtres; il ne craignait pas Dieu, mais il
en avait peur, et il redoutait l'enfer. Son. esprit
était actif, pénétrant, même profond; lAais il
■D,a,l,zt!dbvG00gIe
CHAPITRE XVII. l85
s'embarrassait ^uyent dans des combinaisons
trop savantes, et il manquait de justesse parce
qu'il manquait de simplicité. Sa volonté' était in-
variable comme le destin; on ne lui faisait pas
abandonner son plan, on ne changeait jamais
ses résolutions, et souvent il a échoué dans ses
projets en s'opiniâtrant contre les circonstances,
et même contre la nature. Capable d'un travail
soutenu , il ne connaissait d'autres jouissances
que celles des afïaires. Son ambition s'étendait
à tout ; elle allait même au-delà de'ses moyens,
qumque se& moyens fussent immenses , et il ne
visait à rien moins qu'à la monarchie universelle
des forces, des actions et des sentiments. Im-
placable dans ses baînés et dans ses vengeances ,
impassible dans la bonne et dans la mauvaise
fortune /sévère, silencieux, fermé à toutes les
expressions de bienveillance, rien ne rassurait
sur l'abus qu'il pouvait faire- de son pouvoir.
L'homme était, en lui encore plus redoutable que
le mouarque. Du sein de son' palais, pendant
quarante-quatre an» , ce' génie invisible et mal-
faisant a troublé tokts les étel», etisanglanté tou-
tes les cràtréçs , et s'est ruiné toi-même en rui-
nant les autres^ On: l'a appdé à juste titre ié
démon du Midi,, et il n'y a peut-être jamais eu'
d'heannae plus étranger à rhumanité. ' -
=dbï Google
PARTIE I. PERIODE III.
CHAPITRE XVIII.
De la puissance de l'Espagne à cette époque. Guerre contre
[a France. Paix de Cdteau-Cambresis.
A. l'avénemeat de I^iilippe II au trône, U puisr
sance de l'Espagne était c(rios«ile. Se £3rce ab-
solue avak augmenté sou» le règne de Gluile»-
Quint; et celle dea autres états n'ayant pas suivi
la mèmâ progresMw i sa force relative s'hait ac-
crue duis des [M'oportions plus grandes encore.
Quoique Charles n'eût presque, rien fût pour
accélérer ou diriger le développement interne du
vaste corps de la mom^chie e^agnole , la nature
et les circMistances l'aTaient admirablement servi,
et leurs bienfaits avaient , réparé ses torts. I>e
nouvelles acquisitioiu dans les deux hémi^^-
DCe i une population plus, forte dans qi^lqueA
provinces , une industrie plus active , - des trot»*
pes nooibreuses et excellentes, les trésors que
l'Ajnériqoe allait verser en Europe, de grands
taients djois le catiinet et dans les arméee , une
baute canstdérati(m, formaient une masse de puis-
sance imposante, quand on isolait, par la pmsée,
=dbï Google
CHAPJTRE XVIII. 187
r£spagne des autres états, et qn'on l'exanùiiMt
«n elle^éme. La rapprochaiton des autres puis-.
sanœa, ïeur faiblesse ajoutnt etu»re à sa force,
la rendait plus menaçante et plus terrible , et
cette comparaison feiiaît ressentir toute sa gn»
deur. n &ut la considérer sous ce double rap*
port, pour bien apprécier, d'un côté, l'étenclae
de ses moyens et l'abus qu'elle en fit ; de l'autre ,
les dangers imnùneiUs que courut la liberté <ke
l'Europe , et la nature des événements qui' la
sauvèrent de la servibide.
Avec les Espagnes, les Faj5>Bas, ie Milanez
et le royaume de Naples, Cbaeles-Quînt xrait
laissé À son fis des triMipes eipértiiu»itées, des
généraux, célèfares par leurs ràinîre», des m-
nistres formés à son écote etrompvs «kns les af-
fres , et une puissance d'opinion -qui doublait
sa puissance Décile, et teiiaàt à l'édat de son
règne et à l'ascendant dominateur qu'il avait eu
en Europe, pendant un dcmi''Méclc. JL'arméc es<-
pagnole, composée eo grande partie de vétérans
qni avaient servi dans les guerres d'Italie , était
^uliaiisée avec le danger, Bcoontiunée atix fi*-
tigues, animée par le souvenir de ses victoirts,
«t soumise à une discipline «raimctit rom»De. Le
dttc d'Allié était craint et estimé du soldat, qui
marrfaait avec confiance sous ses ordres. Cet
=dbïGoogIe
lS8 PAHTIZ I. PÉalODE III.
honame , marqué eD caractères de sang dans l'his-
toire, était fait pour servir Philipp«-i fier avec
scségaux, impérieux, dur, inexorable eûvers
ses inférieurs, il était docile, humble, soumis
dîms ses relations avec son maître; et son obéis-
sance flattait d'autant pins l'orgueil de Philippe,
qu'il était le seul qui fît plier ce caractère altier
et inflexible. Les lois de la justice et de l'huma-
mté, toujours peu de chose aux ,yeux du duc
^Albé,. n'étai^it comptées pour rien, du mo-
ment où elles se trouvaient en conflit avec U
volonté de Philippe ; se glorifiant d'étce l'esécu-
teur des arrêts sanguinaires de son ra^tre , ii
mesurait son crédit sur la préférence qu'on lui
domiait pour commettre des crimes. Refuser
Une commission, eût été un attentat contre la
majesté-du souverain; balancer, un~délit; exa-.
miner, même , une raison de disgrâce. Le devoir
d'un bon serviteor était d'agir contre sa convic-
tion, et de n'avoir d'autre amscience que les
ordres de son roi: Le comte d'%iiiont, Flamand
d'origine, partageait avec d'Albe l'honneur de
commander les armées de l'Espagne. Qrave sans
férocité-, il savait peut-^tre mieux que son rival
de gloire combiner de vastes opérations mîlitu-
oes. Plus td;tachë à sa patrie qu'à Philippe ,- et plus
citoyen que sujet, il ne voyait dans ses services
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XVIII. l8g
que des devoirs , et. non des moyens de plaire k
son maître. I^iKppe l'employait sans l'aimer. Il
haïssait en lui sa qualité de Flamand , et cette
noble fierté qui ne lui permettait pas d'être un
simple instrument dans les mains d'un autre.
Guillaume, prince d'Orange, Hiilibert de Savoie,
Don Juan d'Autriche, entouraient déjà le trône
de Philippe, et répandaient sur lui l'éclat de
leurs victoires ou celui des brillantes espérances
que leur jeunesse faisait concevoir. Guillaume,
cachant sops un extériem' simple ime ame grande,
froid, profond et taciturne, capable de tout ea~
treprendre, de tout supporter, hormis le^crime
et la bonté, joignait à une mémoire vaste et
sûre une pénétration à laquelle rieu n'échappait,
une raison mâle et sévère , une persévérance k
.l'épreuve de tous les obstacles, et ensevelissait
tous ces dons- de la nature dans le. secret de sa
pensée, sous les voiles de la dissimulation et de
la réserve. Philibert de Savoie, plus guerrier
qu'homme d'état, avait une conception brillante
et un caractère hardi ; il ressemblait à César par
' son activité de feu, sa confiance audacieuse, sa
manière large et facile de diriger les événements,
et par une magnanimité- naturelle. Le jeune don
Juan , fils naturel de Charles-Quint-, se formait à
l'école de ces grands capitaines, et cultivait en
DiailizodbvGoOgle
igO PARTIE I. -~ vAkIODE III.
lilence ce génie qm devait éttt un jour si redour
table aux enneiois de fËipagnè et à funeste à
hii-^nâme.
{j'administrdtiqn intérieare et la direction des
a&ires politiques étaient confiée» à Antoine Père-
not, Bourguignon dV>rigine. Ce ministre, plus
connu dans l'histoire sous -le nom du cardinal
Granvellè, jouissait du plus grand crédit auprès
de Philq>pe, et le méritait par ses basses adula-
tions, son dévd&ment servîle à tous les caprices
de son maître , ses connaissants variées et son
immoralité profonde. Il ne montrait pas tout ce
qu'il avait d'habileté et de finesse, et employait
nne partie de son esprit à le cacher aux yeus de
Philippe qui ne pardonnait aucune espèce de su-
péiioiité, et se défiait des hommes de mérité. Il
avait l'art de paraître suivre les idées de son -m^-
tre IcH^qu'il lui donnait adroitement les siennes,
et de loi faire croire qu'il ne pouvait ni ne vou-
lait le juger. Granvellè , déjà employé par Char-
lee-Quint , surtout dans les occaùons où il fallait
plus de souplesse que de probité, connaissait Ji
toad l'es ressources de la monarchie, la.situatioo
de l'Europe, et4es rapports de l'Sspagoe.&vee
tontes les autres puissances.
Ij» Fesaources de l'B^gne étaient plus con-
sidérables qu'elles ne l'avaient été sous le iiègae
=dbï Google
CHAPITRE ZTllf. 1^1
de Ctuffles-Quint. A l'époque de l'avènement de
son fils au trône , le» immenses possessions de
l'Espagne en Amérique acquirent du poids dans
la balance politiqae , et les trésors du NotiTean-
Mande payèrent les guerres et les entreprises
ruineuses de Hiilippe. Les Sfipagnols avaient en,
dans l'auti^ hémisphère, des succès qui tiennent
du prod^; et dans ïe récit de leurs conquêtes
rapides, brillante», faites avec de faibles moyens,
la vérité aura toujours la vraisemblance contre
elle. T^a siu>prise et Tétonnement leur soumirent
plus de pays que tes armes; leur couleur, leurs
habits, leur discipline, leurs chevanx: surtout et
leur artillerie , frappèrent , par la nouveauté du
spectacle , l'imagination des peuples simples et
ignorants' de l'Amérique, et leur inspirèrent pour
ces redoutables étrangers ud respect mêlé de
crainte , qui les di^oeait à l'obéissance. La bonne
foi , la religion de l'hospitalité , le dé&ut de lu-
mières et d'union avaient empêché les Améri-
cains de conjurer l'orage qui les menaçait , et de
repousser de leurs bords les brigands qui ve-
naient les désoler. Au contraire , Us les avaient
accueillis avee une bonté touchante ; mais leurs
bienfaits et leurs présents, donnant une haute
idée de leur richesse , s'étaient tournés contre
eux , et n'avaient fait qu'allumer l'avidité de leurs
DiailizodbvGoOgle
193 PARTIE I. P^ltlODE III.
Oppresseurs. Le» crimes épouvantables des Es-
pagnols provoquèrent à la fin ia résistance de
ces malheureuses peuplades ; mais , tardive et fai-
ble, elle ne fit que hâter leur destruction,. et
des iflots de sang marquèrent la route des Espa-
gnols dans le Nouveau-Monde épouvanté. Bar-
thétemi de las Casas, le défenseur courageux des
infortunés Indiens , qui parut être un ange , parce
que seul il eut les traits et le cœur d^un homme
au milieu des démons qui l'entouraient, fait
monter à dix mUlipns le nombre des vîctioMs
que, dans l'espace de quarante ans, les Espa-
gnols immolèrent à leur avidité et k leur v«i-
geance. Il y a sans doute de l'exagération daAs
ce calcul, qu'il était impossible de faire avec exac-
titude ; mais à quelque degré qu'on le réduise , il
pandtra toujours exorbitant , et cette page san-
glante de l'histoire de l'espèce humaine fera tou-
jours reculer d'effroi l'humanité.
On ne peut concevoir ces forfaits inutiles,
atroces, répétés, qui furent commis par des in-
dividus d'une nation généreuse , qu'en se rappe-
lant qu'ils appartenaient tous à l'écume de cette
nation qui se débordait sur ces malheureux ri-
vages. C'étaient des hommes perdus de principes
et de moeurs, que la misère et le désespoir ren-
daient audacieux, des malfaiteurs déjà con<Iam-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XVIII. 193
nés, et qui échappaient au supplice en passant
eu Amérique, en un mot les sauvages de la
civilisation, bien plus terribles que les isauvages
de la nature, qui formant les armées dés Cor-
tez et des Pizarre. La religion, qui aurait dû
contenir leurs pissions brutales et féro(%s , les
légitimait à leurs yeux et les exaltait même ; letir
fanatisme persécuteur ne leur permettait p^ de
voir des frères dans des < hommes qui n'étaient
pas chrétiens ; mais il &ut convenir qulls sui-
vaient ces maximes, parce qu'elles étaient d'in-
telligence avec leurs vices, et que tout autre
langage que celui des Valverdes n'aurait fait au-
«ane impression sur eux. 'Ceux même qui n'a-
vaient jamais cmnmis de crimes en Europe, en
commettaient sans remords loin de leur patrie :
transplantés sou» Uji nouveau ciel et; sur un s6l
incoimu, -ils changeaient dé mœurs coUtiie d'u-
sages; et ce qu'ils avùent paru avoir de mora.-
lité, tenant à d'an<âennes habitudes «u à la
crainte de l'opinion , -lès quittait du inoiîMmt on
ils avaient rompu les unes , et où ils se XiôVÎ-
vaient à une grande distance du regard de l'aù-
tre. l'a crainte des lois ne pouvait pas les arrê-
ter. Ces aventuriers, dégouttants de sang et de
cruches, n'étaient 'S«Aimis à aucuii pouvoir civil ■'
ni miliuùre capable de les réprimer. Leurs chek
a r3
DiailizodbvGoOgle
1^ PARTIE I. — PERIODE III.
aupaient mieux partager les profits de leurs for-
failâ que de. les prévenir. Les découvertes et
les. conquêtes ne furent jamaj» dirigées par te
gonveroement ei^ragnol , et marphèrent an ha-
sard,! sass prineipes et saus [dan. Charles, ne
cpntribuaiU pas aux irais des armements , n'exer-
faic aucune espècrile contrôle'sar les armateurs.
Il ne dMmait à ces objets qu'une attention fh-
gitive,>3it qu'il ne sentît pas l'importance de
ces découvertes, soit que Féloignement des lieux
ou la multiplicité des affaires le rendissent indt^
féreiit au sort de l'Amérique; et ce sera une
.tache inef&çable k m mémoire ^ d'avoir, au mé-
pris de la justice. et de la politiqae, abandonsf
un monde entier à la lie de l'espèce humaine.
Ai^tspi les iruits de ces découvertes lurent k
peu, près -perdus pour lui. A la vérité, les pos-
sf^ions des EapagDoila en Amérique étaient défa ,
âpps Boxk irègne,- SBOBÀ vastes qu'elles le forent
$pùç Phil^)pe H; mais la cooquéte avait enrichi
le^ partic«diws , Rsus cnrichiv le ttéscr de l'étaf.
Le,géitte audacieux. dn Cortex, la patience iné>-
bi^lable de:ses tsoapes^ la Uicheié de Mon-
tézurae, la stupeur et la'désmnon de ses sujets,
avaient, en peU: d'années, amené ià mine de
i5i9 l'eiUfHre ,du Mexique, et f^ùt passer ses nonv-
iSaa. breuses provinces sous le joug e^gnol. Frati-
DiailizodbvGoOgle
ctfApiTfte xviii. 1^5
' çoisj et GcHizatez Pizarre , deiis frèpes 'égaux en'
(Tuauté et en hardies&e , mais dont Talrié seul
était, par SCS talents, «apaUe dedû'igèr unie
grande entreprise, avaient t-eUversé le trôoè diëà'
Inca», et détnitCf antique' et Àingnli«r royauœi^
duP^vm, «È «toploy»* l'aient d^n ■frétrfe','
Feibaiiil de' Inique», lebibâ de Diégile d^Altna-i
gre, et en pno^ant d«8 dWisJons ^'à^taîëhr
l'eispiiê. Lé sang ne eessa- paî'de''o6u!4t^V ^^'
cette maUïeiireas» teire en fut itbr^ùY^ë^èliiddiit
■vingt. ans. Ge ne fct <|«'afprès ce' long espace de'iSaS
tempst ^ue^ sons I«6 ordres de-Don Pèdre'dë'iSts.
la Gasoa, &'ébublib (tins ces coniTée's ntie ei^ètiei
4'ord'e soàati et que, la forcé ptotégesaii'léè'
jHXïJiFiétéâjet les personnes , on 'éoni'niénçaàlés'
re!sp<£t^. 'MaisiCharlesii'xtait paâ joui des.hetr-'
reux e£Eet8 do cette organisatiôiï nouvelle.' Hs'
étaient destfeés k fournir de$ aliments à raétiVlté!
inquiète êt'dévoraote de' Philippe; . '"'
A. râtte époque jTE^gn* possédàft èn'Àmë-
tiflua.totit lie vaâts tarrîto^ qwi s'étèntl'flé^uîs
le irantckànquûàiiK' ^«gré> âe. lÀ'trtudë'sepïeiï'-'
trioQtle jusqu'au quarante -cinquième dé latr-'
tude méridionale. Sut« ' cette stirfecé^' dé douze'
cents milles 'géogràpfaiqties de longuéiiir'," là ha-'
ture, pltuénei^ique.ei plnspuis^Atè^ dlessïiie'
toas ses ouvrages d'tJn^ti^aiif&oKeif^ârilîé, et'
i3.
DiailizodbvGoOglf
ig6 PABTIB 1. PÉEIODE m.
donne à tous les objets de plus grandes propor-
tioas ; aussi féconde et riche que forte et sublime ,
elle élabore dans le sein de la terre les métaux
les plus [vécieux , pare le sol encore vierge d'une
verdure immortelle, et le coiïvre d'une. végéta-
ticoi inunense, d'une foi^e de productions bien
plus précieuses que l'or. Quelle masse de tré-
sors, de moyens de.cultùre et de puissance pour
l'Espagne, si elle avait connu les.vraîs prhu:^>e5
derécoaomiepoUtique,quisont en même temps
des maùmes de justice et d'humanité, et qui
enrichissent la nation .qui les adopte, sans ap-
pauvrir 1« autres états! Il Êdlait cultiver la
terre', et ne pas uniquement exploiter les mines;
multiplier le travail, au ]i«i .^e se contenter d'en
multiplier le signe ; . encourager au travail par la
sûreté des choses et des perscmnes; préparer le
peuple k la liberté, par la justice; fevoriser la
population en Amérique, afin de vivifier l'acti'
vite de l'Europe ;,ex(Hter l'industi^ des habitants
du Nouveau-Monde ^ en les rendant témoins des
avantages qu'elle pitocwre^ lenr-oiivrir des sonr-
ces de richesses, a^n d'augmenter le nacaim de
l^rs beaoios et de leur foumir^les moyens d'a-
chetepdaqs tous les.nvarchés de l'Europe ^ et
créer des relations de commerce fondées syr des
intérêts réd^oques- Mais ie ^gouvernement es-
:,, Google
CHAPITRE IVIII.' 197
pagnol était .tfop ignorant et trop avide pour
suivre cette mardie. On ne voulait que des con-
quêtes; U était facile de les faire, mais difficile
de les conserver. On bâtissait des forts, au lieii
de fonder des comptoirs; on égorgeait les hom-
mes , au lieu de les mnltipliar'; on' les abrutis-
sait , au lieu de les éclairer : il semblait qu'il fut
nécessaire d'appauvrir l'Amérique pour enrichir
l'Espagne; et loin de permettre aux indigènes
d'acheter, de vendre et "de jouir à leur gré, on
les soumit à un régime prohibitif, sévère et ja-
loux, aussi injuste qu'impolitique. Philippe ne
plaçait la richesse que dans l'or, et ne voyait
pas qu'en multipliant le numéraire en Europe ,
sans accélérer dans ses états les progrès de l'in-
dustrie , il ne Ëtîs^t que hausser le prix de tou-
tes les marchandises , et se mettait dans la né-
cesùté de pay^r phi» cher sur tous les marchés
les objets de ses demandes. Incapable de saisit
une idée libérde, il paralysa, par ses règlements,
l'activité des colonies de l'Amérique , et'celle de
l'Espagne « en donnant aux Espagnols ses pro-
j»res erreurs sur la richesse nationale. Le gou-
vemeinent n'accorda son attention et ses soins
qu'à l'exploitation des mines du Kouveau-Moudé;
Elles- versèrent, sous son règne, des sommes
immenses dans les trésors de l'état. Ce fut le
DiailizodbvGoOgle
1^ PARTIE I. — PJâRIODE lit.
prïacipe de la prépoadiérance politique que l'Ës-
pagae acquit et cous«rTa pendant im denii-^è-
cle, et le moyeu dont .Fhifippe m sèrrit pour
ébranler les trônes et pour ag^r les peuples.
Plus tard, la nature ménie de ce moyen devait
amener la' décadence de. la monardùe; mais à
cette époque , l'or du Mexique et ae^i du Pérou
purent un poids décisif dans la balance générale
des forpès , jet rinclinèrent poiu* Pbitippé.
A son avènement au trône, l'Europe n'ofîirait
aucune puissance qui pût le oombaOre avec
succès , arrêter oU d^ouer ses projets unbitieux ,
et lutter avec lui k forces égales.
Le Bortugad , étranger aus intrigues de la po-
lUique européenne, avait marché, depuis un «è-
cje, à la puissance par la richesse, à la richesse
par ..unp n^yigatiiOn active et un commerce im-
mense. Content_d*approvisi(umer tous les états,
{et d'imposer à volonté leurs besfâns et leurs
iiaiitaisies de luxe , il s'occupait peu des mouve-
ments et des projets des autres peuples.. Il ob-
servait l'Espagne d'un œil défiant, et redo|itait
l'accroissement de sa marine et de son commerce :
m^is, ne pouvant l'empécher, il tâchait de con-
server, par. ses caresses et ses oom^^laisances,
l'^amitié de ce voisiu dangereux , et de ressetrer
les lien$ du s^ng qui unissaient les souveraine des
deux royaumes.
DiailizodbvGoOgle
CHAPlTaE XVIII. ir^
IjA mott de Jean III avait iait passer le sceptre
an jeime Sébastien. Ce print^ annonçait des dis-
positions heurc|iKs;jcaai5 son imagination roma-
nesque * enflammée par le Êmatisme de la t«tigion
et de la gloire^ donnait aux Portugais des ctainleâ
légitimes pour Tavenir. .
L'Italie était partagée, entre plosieurs états
faible» it désuoû, dont les uns tenaient à l'Es-
pagpe par intérêt ou par affection , les autres
étaient inti|n(dé> et contenus par les forces
que Philippe entretenait dans le royaume de
Naples et dans le Milanez. La révolutton qui
s'était faite dans le commerce avait enlevé à
Venise une grande partie de aa puissance, en
lui fermamt 1^ source de. ses ncfacsaes. .Cette ré-
pi^lîque tâchait de suppléer à la puissance.par
la prévoyance, l'habileté et la lenteur; elle crai-
gnait le.yoisipage de l'Espagne, et recherchait la
France,. aaqç se prononcer hautement ni contre
l'une ni pour l'autre. Les Médicis réglaient à
Florence par les bieofûts de Chwles-Quint, cpû
en avait assqi^ la souveraineté au duc Alexandre,
et la recofuuûssanoe les attachait à l'Espagne.
GèneSi-suiTait le même système j depuis les chan-
gements que Doiia uvait faits à sa constitution
et à ses lois. Le Piùnoat et la Savoie ne se resr
, sentaient pas epcore t assez de l'administration
DiailizodbvGoOgle
aOO PARTIE l.—r PERIODE III.
éclairée d'Emmanuel Philibert , pour oser substi-
tuer défi mesures vigoureuses à des ménagements
forcés. Paul IV occupait le trône pontifical. Vieil-
lard inquiet et ambitieux, plus instruit du passé
que du présent, il voulait Ëiire revivre d'anciens
exemples, et Conserver un langage peu appro-
prié à la révolution générale des esprits.
Après un règne de trente-six ans , le vamqueur
de Bhodes, Soliman II, occupait encore le tr^e
ottoman; mais l'Âge avait ralenti son activité, et
les intrigues du sérail lui avaient fait perdre une
ptfftie de sa cfmsidération. Les Turcs menaçaient
plus la Hongrie que l'Espagne, et Philippe ne
s'intà«ssait ^e faiblement au patrimoine de son
oncle. Sa. marine, fort supérieure à celle des
Turcs, le rassurait sur leurs projets, et couvrait
lés côtes de l'Espagne.-
- Ferdinand, empereur d'Allemagne, n'avait pas
un caractère entreprenant. Ce prince était plus
occupé à défendre ses états béi'éditaires contre
les ennemis du nom chrétien, qu'à combattre
les projets ambitieux de son neveu. Son auto-
rité en Bohême et en Hongrie n'était que pré-
caire ; ses ressources péçuniaùes étaient faibles
et insùfHsantes, et l'Allemagne avait besoin de
repos après les secousses violentes que lui avaient
données les -ofûnions et les annes. Il ne fallait
DiailizodbvGoOgle
CEAPITIiB XVIII.' 20I
pas moins que la modération et la doucenr de
Eerdinand pour empêcher les haines^ plutàt
«ssoopies qu'éteintes, dé^oduire de ntmvëllea
exploûous. Les protestants, quise-défiaieDtde
Philippe, et qui craJgnaieDt sa puissance,' eus-
sent volontiers concouru k l'affaiblir; mais les
Cfttlioliques (Servaient les protestants d'un œil
inquiet , et voyaient avec uti plaisir secret , dans
la prépondérance- toujours ' croissante de l'Es-
pagne, la. garantie de- leur religion 'et- de leur
culte.
. La Suisse , où la pauvre et la valeur ont de
tout t«nps eoÊtnté des s<ddats', permettaicà ses .
braves habitants de vendre leurs bras etlenr vie;
mais elie-raême trouvait «on salut dansTinaction^
Placée entre .la France et TAutriche, trop faible
pour les attaquer, assez ftH'te pour se défendre,
elle bornait sa politique à ménager ses puissants
voiùns, et Ëûsait des VOEUX pourla conservation
de l'un et de l'autre.
LaFrauce, qui seuleavait fait échoiœr une partie
des plans de Charles-Quint, pouvait encore s'op-
poser avec, succès à ceux de son 'fils. Elle venait
de s'agrandir par la conquête des Trois Évêchés';
et la trêve de Vauxcelles, que l'eiupereur avait
conclue avant sa retraite , afin de ne pas léguer la
guerre à son fils, était un £aibte lien qui ne pro-
=dbï Google
a03 PARTIE l.—~ PERIODE III.
mettait pas de rapprocher long-tcipps les deux
puissances. Mais les prodigalités de Henri II
avaient consooiqa^ io désordre des fmances, et
déjà l'état nç vivait plus que d'expédients qui
nxultipUaieDC se» evbbarras. la cour était le
théâtre des; intrigues, où les partis se dispu-
taient l'autonié, Moutmorenci, connétable de
France, meilleur soldat qius capitaine* sévère
jusqu'à la dureté, ^ la fois avide et avare, jouis-
sait d;e la coQ&U9^ du rc», et en al^usait pour
s'enrichir. Diane de Poitiers exerçait sur le roi
un empire absolu, qu'elle devait plus à Son
adresse qu'à ses ,chartt>es , déjà, flétris par Tige ;
elle avait l'art de lui épargner l'ennui de l'oisi-
veté et la £itigue du travail , et hii .disait oubli»,
dans la voluptueuse retraite d'Anel:, ses chagrins
et ses devoirs,
La reine Catt^riiue de. Médias, humiliée du
crédit de sa rivale^ supportait les dégoûts de sa
situation avec une indiffér^ice apparente , et ,
ajoutant la fausseté à la dissimulation , donnait
4 Diane 4e& marqua de &Tour et d'amitié; mais,
élevée au sein des artifices et des intrigues, elle
concentrait dans son cœur les pasàons qui la
dominaleut, les vengeançe-Q et les projets qu'elle
mûrissait en silence. Elle ne sortira que trop tût
pour le bonheur de la France, de cette inaction
forcée.
:,, Google
CHAPITKE XVIII. ao3
Les Quises tili I«8 piiùces du SQng^ijaloux lès
UQS des autses , se défiaient tous de Médicis , sui-
vaieQt ses démarcl^ d'un œil inqMÎÈt, et tâchaient
dC; dfviner ses .pensées. Au mitieu dé tous ces
ambitieux q|ii^ di^utâicBt son pouvcnr, Henri
se laissait gouverner par quiconque voulait. bien
eu prendre la peûne. Avec de la vdeur et de la
bonté, ce prince n'avait aucune de ces qaaKtés
qui commandent l'estime, mmtriseat les esprits,
et imposent aux factieux.
. Le Nord n'avait encore aucune espèce d'in-
fluence sur les événements du Mjdi.GustaveWasâ,
sur le trône de Suède, et Chrétien III, sur celui
de Danemanck, étaient luiiqufment occupés à
consolider leur ppuvoir,^ l'employantàéteindre
le^ dissensions politiques et religieuses. Tout en-
tiers à leurs d^^ûrs et à ta aûzetétle leurs états,
ils éuieat a^sez indiâi^'mtS' aux d^gers dont
la grandeur toujpurs croissante de l'Espagne me-
naçait les nations. Iwan WafôiiéTvitsch gouver-
ifait la Russie atec plus de sagesse quç de gltûre ,
ignoré de l'Europe et l'tgB<xtmt k «on tour. La
Russie .n'était pas encore comptée au nombre
des puissances.' Sigismûnd Auguste avait incor-
poré la Llvonie à la Pcdogne. La Couriande lui
rendait bommage : le règne du dernitt- des Ja-
gellons avait assez d'éclat pour attacher les Po-
DiailizodbvGoOgle
304 PARIIB I. PERIODE 111.
lonais à la mixiarchie héréditaire; et cependant
ils étaient sur le point de l'échanger contre la
moQtffchie élective. La Prusse aVait secoué le
joug de l'ordre Teutoniqtie, «ans acquérir une
liberté entière : elle était devenue un état sécu-
lier, et U' religion luthéiienne y avait été intro-
duite pour k soustraire à TautcHilé des chevaliers
et à celle dn pape ; mais le prince qui la gouver-
nait, sous le titre de duc, relevait «icdre de la
Pologne.
;. L'Angleterre obéissait à Marie ; et le mariage
de cette princesse avec HiUippe, avait mis les
forces de ce royaume dans la dépendance dé l'Es-
pagne.. Philippe lui avait demandé sa main , au
milieu d^ hoixeurs que le' fou» zèîe lui faisait
commettre ; le fanatisme persécuteur de Marie
annonçait & ce prince une épouse digne- de lui.
Philippe, qui n'avait d'autres jouissances que
celles de l'ambition , et qui ne croyait pas qu'on
pût payer trop chèrement une couronne, ou-
bliant la personne de Marie , n'avait vu en elle
que la reine d'Angletrare. De 9on cdté , Marie
avait été flattée d'être recherchée par un prince
aussi puissant, et s'était ^t i]tuûoD~sur les mo-
tils secrets de l'empressement de Philippe. Ne
désespérant pas d'être aimée de lui , eUe n'avait
pas oraiut, en l'épousant, de se donner un maî-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XVIII. 305
tre, et de soulever contre «Ile toute sa nation,
qui devait redpoler eet étranger. Dans cette oc-
casion le pariement sortit «le son «ommeih II
avait TU tomber Sc»is le despoitisme de Marie la
liberté :civile et la liberté réUgi^ise , sans oppo-
s^'k moindre résistance k ces abus-de l'autorité ;
miltsil empécba de tout son pouroir que Phi-
lippe, devenant iûaaitredn-r<^aume,n'augni^tàt
et ne [aolongeât cettf; senitude. A peine ce
prince fut-il anivé en AligleteiTe ,-qa*il prodigua
l'ai^^t pour partager le trône avec Marie , et
pour obtenir du parlement des ee^rances de
succession. La< reine Taf^uya de tout son cré^t ;
mais la hauteur et les dédains de PhUippe appri*"
rent aux An^is ce qu'ils pouvaient attendre
de lui, et la nation ne prit pas le change stu^
ses vrais intérêts. C'était en multipHant le» sup<
plice5,'que Marie tâdbait de se Concilier Un
époux qui ne connaissait pas d'autres spectatjles
qoe '<tte$:auto-da-£é r c'était en encourageant tes
bourreaux par sa présence , que Philippe lui té-
moigqait sa- reconnaissance. Depuis que ses pro-
jets ambitieux avûent édioné , il ne répondait'
à t'auiour de Marie que par une îndiiïérence
profonde qui resseiAblait au mépris. Bappelé
par OiarlestQuint pour prendre possession de
aes^ états, il avait quitté avec empressement une i555.
DiailizodbvGoOgle
ao6 PARTIS I. PERIODE III.
épouse qui le fatiguait pac sa tefldfesse. Placé
sur le tTÔoe d'Espagne, il poirrak comptei'y poiir
l'exéotilion de ses plans, sur-^esecoats de l'An-
gtet{»T<. A la venté il n'y avait aucune espèce
de pouTtHT légal , mais il exerçait ntt ascendant
abaolii sui' l'infortanéc Marie; Klle ifie saviât rien
lui feluser, et elle était' pféle à tout sacrffitt
pOur.^aire à son Éngiat époux.
Bientôt l'occasion se présenté. Paul IV, de la
>. maistm de Csvaâe, ùccape lé tir6ne pontifical.
A l'exemple de ses ptédécesseups, il T«ut créer
k son neveu un état indépendant. Pourréussir,
il se propose.de boolererser lltaïe et d'allumer
la guerre entre la France et l'Esp^igne. Paul, pré-
sente en perspective à Henri lï ta conc{uéte du
royaume de If^aples, oonqnétâ souvent . entre-
prise, jamais' £aite avec un succès durable, et
qui ne (Convient pas à la France. Les agents du
pape gagnent .Diane de Poitiers et les Guises.
La guerre est résolue, malgré les iXMisôâs de
Montmorenci, qui veut qo'an téspeète k t^e
de YauxcelleS', dans un. moment où ta France
ne peut (^mpt^r sur âiicnn alKé, oà ses'fihan-
ces sont em désordre, et ses forces militaires
mal OT^nisétê. Le pape, ^ùr du'secoursdu roi
de France, n'éeoute plus qpe sa .haine contre'
PliUippe,, qui l'empêche de. didpose^ des états
DiailizodbvGoOgle
cHArrrRt witt. 207
de l'Italie en faveur (ïe,sa famille, et s'aban-
ffoiine à des empoTMinents puérils. I^e roi dTs-
p^iie, seiriteur rtligieils de l'Église, trfe i re-
gret IVpée contre le pontife; mais lia politique
triomphe de ses sâiipules. Le due d'Albe me-
nace fiome. 'Panl, iacap^lé de résister aux
troupea espagaoleft. Cède k la nécessité, et con-
clut avec lenp général noet^ève de quarante
jours. . Bsentôt Yanivéé de- François de Gnise, iSS?.
i|ui raàrahe à son secoOrs à la tête de vifigt
mille tioninies, lui rend son htrmenr guerrière.
La ipè*e est rompue. Maïs Gtrise est arrêté dans
sa marché par le diic -d'ilbe; son impétuosité
vient se briser' contre Fattitnde calme, fi-oidé
et réfléchie du général espagnol. Albe rétùse k
bataffié; et, &tigaarït4on ennnni par des lAa^
nœuTres eawantes, il Vbit Faraiwe firançaise, qtai
sait tout supporter Iwrs l'inaction, se foiidré ■
par le découragement*** les nlàlàdiés. Guise,
l'anteur de la roptitte arec l'Éspàgne, qui n'a
«u dans' celle gu«tT«* qa'ùir enchaînement dé
victoire faciles, et qoi a préféré l'intérêt de ^
gloire au» intérêts de la France, se tronVe'déçtt
dans ses é&pér^ce^, et démande son ra^^el.
On le lui accorde sanS'peiriej car déjà Kitfippe iSS?..
menace l'itltérieur ée la France, et elle a besoiïi
de toUtestSes'fbrcés pour se défendre.
DiailizodbvGoOgle
ao8 PAKTIE I. — piBIODS tll.
Le roi d'Espagne, (jui s««t toute sa supério-
rité sur Henri, veut frapper un coup décisif;
il rassemble une armée puifisaote sur les fron*
tières de la Flandre, et là confie à Philibert de
Savoie. Sous lui. oomtoande -Egniont. L'Angle-
terre, qui redouta l'ascendant dominateur de
Philippe , voudrait soutenir la France dans cette
querelle, ou du menus rester neutre; mai& Marie
ne le. lui permet pas; elle ne désiré que les suc-
cès et la satislaction de Philippe , et -oublie tout
le reste. Au mépris des conseils de la politique^
le parlement, intimidé ou gagi^, résout la
f;uerre; et huit mille Anglais, sous les ordres
du comte de Pembrocte, débarquent dans les
Pays-Bas.
Philibert de Savoie, par de fausses dànon-
stiations, persuade aux Français qn'il veut pé-
■557. nétrer en France par la Champagne. Ils y por-
tent toutes leurs farces. Ausùtôt il marche en
Picardie, et vient mettre le.^i^ devant Saint-
Quentin. Cette place mal fortifiée n'annonce pas
une longue i^sist^ice; mais Çoligni, (Uja connu
par un esprit: fécond en ressources, un courage
opiniâtre et upe sérénité ,d'ax9.e qui le met à
- ^ l'abri de l'ivresse des succès et de. r^tbattement
des revers,. se jette daqs la iorteresise^ et-&it
une superbe d^ei^e. ,Mootmoraipi accourt.
DiailizodbvGoOglc
cqapithe XVIII. 309
^UF sauver la place. L'infériorité de ses forces,
ses mauvîtises dispositions et l'activité de Phili-
bert font échouer cette entr^rise. La bataille
s'engage près de SaintrQuqntin. Le connétable
est battu et fait prisonnier. Philippe, k qui la
nature avait refusé le courage du. tempérament,
et qui n'avait pas s)i se donner à lui-même, par
la- force de sa remonté ^ le courage réfléchi, s'é-
tait tenu loin du champ de bataille, et avait
prié pendant que les autres combattaient C'était
le jour de la Saint-Laurent. Pendant l'ardeur
de la mêlée, il avait fait vœu, si ses armes étaient
victorieuses, d'élever un cloître et un palais en
rbouueùr dii saint, et il devait en conter des
sommes immenses à l'Espagne, pour Construire,
dans un désert, l'Escurial, vaste et triste édifice,
que des moines partagent avec le souverain ,
monument digne de Philippe et qui porte l'em-
preinte de son caractère. ,
Non-seuleinent te roi d'Espagne »'a pas su
vaincre lui-même , et il doit uniquement, son
triomphe à Philibert; sa timidité naturelle et
sa basse jalousie arrêtent ce général, au mi-
lieu de ses succès. Déjà Saint-Quentin et le
Catelet se sont rendus; la terreur se répand 1557.
dans Paris menacé. Charles-Quint aurait pé-
nétré dans la capitale; Philippe sauve lui-même
2 i4
DiailizodbvGoOgle
3IO PARTIE I. PÉRIODE III.
la France, «t la bataille de Saint-Quentin de-
meure sans aucune suite importante. Au milieu
de la consternation générale, au.sein d'un hiver
ligonreux. Guise rend la confiance aux.Fran-
i5S8. çais, et s'empare par surprise de Calais, la clé
du royaume. Les Anglais possédaient, depuis
plus de deux cents ans, cette ville, qui leur avait
souvent ouvert la France. Dans la campagne
suivante. Guise assiège Ttiionville et veut porter
la guerre dans les états de Philippe ; mais la dé-
Ëiite du maréchal de Thermes, vaincu par le
•Muoi' comte d'Ëgmont, près de Gravelines, oblige le
' héros lorrain à revenir couvrir les frontières de
la France.
Malgré ses victoires, Philippe son^ à la paix.
Son orgueil souffre de la gloire de ses gén^
raux, et il ne voit dans leurs services et leurs
succès, que des preuves humiliantes de sa dé-
pendance et de sa nullité militaire. D'ailleurs,
sa conscience est alarmée de ce qu'il tait la
guerre au pape, et les triomphes qu'il remporte
sont à. ses yeux de véritables crimes. Paul IV
profite de ces heureuses dispositions; U conclut
une paix honorable avec le roi d'Espagne , et
abandonne son allié. Le superbe duc d'Albe est
obligé d'aller demander pardon à genoux au
Saint Père de ce qu'il a repoussé une injuste
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XYIII. 211
agression. Montnioreii(A, prisonnier chez les
Espagnols, qui a toujours été contraire' à la
guerre et qui désire de i«cOuTrer sa liberté,
presse Henri de tout sacrifier à la paix. Le r6i
de- France y consent; on entame des confé-
rences à Cercamp , et ta paix est signée à Câ-
teau-Cambresis. Philippe rend à la France tontes i&Bg.
les conquêtes qu'il a faites en Kcardie. Henrï
restitue au duc de Savoie ses états dont il s'est
emparé au commencement de la guerre et cède
en tout à Philippe et à ses alliés cent quatre-
vingt-cinq places ouvertes ou fortifiées. On coli-
clut un double matiage pour sceller la pacifi-
cation générale. Emmanuel I^ibeit épouse
Marguerite, sœur de Henri; Elisabeth, sa fîlle,
s'Anit au roi d'Espagne. r
La paix de Càteaa*Cambresb est l'épckjue de
la plus haute élévation de l'Espagne; Philippe,
à l'apogée de sa puissance, pouvait dicter des
lois à l'Europe. L'épuisement ou tafaiblesse-des
autres états formait un contrasté frappant aveé
ses immenses moyens et ne permettait pas aux
autres puissances de'contre-balancer son ascen-
dant. Ses projets vont s'étendre avec ses succès;
et la mesure de ses forces deviendra celle de
ses prétentions et de ses droits. Toils les états
«ont asservis ou craigne'nt de l'être, 'et te ca-
■4.
DiailizodbvGoOgle
3la PAHftB r. PERIODE III.
ractère de Philippe, bien loin de. rassurer sur
l'usage qu'il pourra faire de ses forces» n'est lui-
même qu'un danger de plus. ■■
Dans ces circonstances critiques, )a France,»
le malheur de . perdre son roi. Heiui II meurt
des suites d'une blessure qu'il reçoit dans un
tom-noi, dont l'objet est.de célébrer le double
mariage, et un coup de lance de Montgommeri
amène pour les Français un demi-siècle de ca-
lamités. Henri, incapable de suivre en adminis-
tration une marche ferme et sûre, n'ei^t jamais
feit le bonheur de son royaume; mais il l'aurait
préservé de l'excès du malheur, et son existence
seule eût prévenu les factions , et arrêté les pro-
jets des ambitieux qui vont couvrir la France
de sang et de ruines.
La mort de Henri II donne. à Philippe.de
grandes espérances', 'hâte le développement de
ses plans, et lui fait présumer qu'ils ne rencon-
treront de résistance, nulle part. Ce prince con-
naissait à fond la 'corruption de la cour de
France, les vues secrètes de Médicis,.les vastes
désirs des Guises, l'orgueil et la jalousie des
partis, U haine réciproque des catholiques et
des protestants. Ces divisions naissantes le ré-
jouissent; il prévoit que la France, tomnant ses
forces contre elle-même, perdra toute espèce
=dbï Google
CBAPITItE XTIII. al^
d'inâuende politique et ne sera bientôt plus
qu'un champ dé' bataille où toutes les passions
déchaînée^ se liTreront de cruels combats. Il se
propose de hâter l'explosion dont elle est me-
nacée, d'allumer ,ef de prolonger la guerre ci-
vile, de prendre le fanatisme et le crime à sa
solde, de détni^e les factions l'une par l'antre,
et d'amener, par toutes sortes de moyens,' le
démembrement de la France , ou d'ajouter cette
couronne brillante à toutes celles qui chargent
déjà sa tête.
■ L'Angleterre lui échappe et cesse d'être l'ih-
strumenl docile d^son ambition. Marie, consu-
mée de chagrin, de-douleur et de remords, a
terminé sa triste et coupable vie. Sa sœur Élisa- i558.
b«th lui a succédé. Philippe, ^i la connaît mal ,
espère encore l'épouser et conserver l'Angleterre
dans sa dépendance; au défaut de ce mariage, il
veut seroet la désunion et le trouble diins le
royaume, afin de l'empêcher de se mêler des af-
faires Je l'Europe, et d'entraver de toutes ma-
nières le commerce de l'Angleterre, qui pourrait
la conduire à la richesse et à la puissance.
Pendant qu'il naturalisera chez ses voisins 1a
discorde et la guerre , il compte établir dans ses
propres états l'uniformité de croyance, de con-
stittition et de lois. Une seule volonté doit ani-
DiailizodbvGoOgle
al4 PARTIE 1. PÉHJODE 111.
mer le va^te corps de la monarchie ; supérieure
à toutes le» formes , elle doit ne rencontrer d'ob-
stacles ni d'opposition nulle part et agir partout
avec la même promptitude et la,mème énergie.
Le& Pays-Bas, qu'il hait, parce que le peuple y
est quelque chose et que les caprices du prince
n'y font pas la loi, doivent être dépouillés de
leurs privilèges et subir le joug. Maître absolu
dans ses états, il pourra d'autant plus facilemept
le devenir chez les autres et exiger d'eux une
soumission servile . Ce plan est vaste , mais les cir-
constances paraissent le favoriser; il- est vague,
mais les passions n'en forment pas d'autres , et
il faut donner quelque chose aux événements.
L'Eun^e est menacée d'un despKitisme sans bor-
nes et sans mesure. Heilri IV', Guillaume de
Nassau, Elisabeth la sauveront dç la servitude,
tout en régénérant leur patrie; et ce colosse de
puissance ne sera plus qu'un grand ^ntônae.
DiailizodbvGoOgle
CUAPITBZ XIX.
CHAJ»ITRE XIX. .
Ëtut de la France à l'époque de la naissaoœ des troubles
civils. Considérations générales sur ces troubles. Carac-
tères des principaux acteurs.
A. la paix de Câteau-CailQbresis,"la France avait
déjà perdu de son crédit politique , et avait trahi
elle-même le secret de sa faiblesse. Les guerres
civiles qui la désolèrent pendant trente-huit ans ,
achevèrent dé lui enlever son influence. Occu-
pée à se déchirer de ses propres mains, elle ne
joua pendant long-temps aucune espèce de rôle
sur lé grand théâtre de l'Europe; sans idtces,
sans activité, sans considération, elle fut agitée
dans l'intérieur et nulle au dehors. En y fo-
mentant tes troubles par son or, ses agents ei
ses armes, Philippe se délivra d'une rivale in-
commode dont il redoutait ta surveillance ; mais
ce ne fut pas pour toujours. Au moment oiî il
croyait que la France allait être démembrée ou
qu'elle tomberait sous son pouvoir, le génie de
Henri^ IV t'arrêta sur le penchant de l'abyme,
et« ta relevant avec force, lui rendit sa vigueur
première.
DiailizodbvGoOglc
al6 VARTIB I. PÉniODE 111.
Les guêtres- dont nous allons présenter l'es-
quisse, oOrent un enchainement de crimes et de
fureurs, qui paraîtraient inexplicables si Ton ne
jetait d'abord un coup-d'œil sur l'état de laFraoce, '
à l'époque malheureuse où commencèrent les
discordes civiles.
Depuis le règne de Louis XJ , l'aristocratie féo-
dale avait perdu de son pouvoir; biais il était
iadle de prévoir^ue sous un règne faible elle
pourrait encore, devenir redoutable. Les guerres
extérieures -avaient occupé an-dehors l'activité
inquiète de la noblesse. Les expéditions brillan-
tes et stériles de Charles VIII , de Louis XII et
de Fran<;ois I , en Italie, avaient fourni des ali-
meats. à la valeur bouillante de la nation el; à
son amour pour la gloire. Impatiente du repos,
elle désirait de nouveaux événements, et l'état
avait, tout à craindre de cette disposition des es-
prits. Les vertus de Louis XII avaient commandé
le respect; les qualités brillantes et les défauts
aimables de son successeur lui avaient gagné les
cœurs ; la Trance leur avait pardonné les fautes
et les malheurs de leur règne; et au milieu des
crises les plus terribles , tout était resté tranquille
et sojimis. Mais les anciennes habitudes n'étaient
pas détruites; les maximes dominantes étaient
toujours les mêmes, et devaient amener des
DiailizodbvGoOgle
CUAPITHE XIX. 217
troubles sous des . piùiceS qui n'iD^ireraient ni
restitue ni t'amour.La noblesse conservait encore
des moyens de résistance et même des moyens
d'agression qui pùuvaientau besoin lui &irè es-
pérer de combattre avec succès l'autorité royale.
Les esprits avaient plutôt été disti^ts de la ré-
volte .qu'accoutumés à l'obéissance. Le goût des
plaisirs tranquyies et délicats ne t'emportait pas
encore sur le besoin du mouvement, du bruit
et de ragita.tion; Les seigneurs riches vivaient
beaucoup plus dans leurs terres qu'à la cour , et
y jouissaient d'un grand pouvoir et d'une entière
indépendance. Ceiix mâne qui s'étaient engagés
dans le tourbillon des intrigues , désiraient plus
la puissance que la £aveur, et, employant pour
réussir à la cour les moyeifs qu'ils avaient de
se faire craindre , ils aimaient mieux intimider'
et menacer le souverain et ses ministres que de
les flattep. Déjà sous le règne de Henri II les
partis avaient pris naissance, et sous celui de
son successeur ils devsùent se prononcer plus
fortement. ■ . -
La puissance de la noblesse et son esprit fac-
tieux ne trouvaient pas encore dans le tiers^tat
le contre-poids nécessaire pour les arrêter. Celte
classe avait acquisdu cré<£t et de la considéra-
tion à mesure que l'industrie et le commerce
DiailizodbvGoOgle
aiS PA.RTIB 1. PERIODE 111
avaient ^t des progrès ; mais elle n'était ni assez
riche ni asses Dombreuse pour contre-balancer
l'ascendant des propriétaires terriens. Les boun
geois , peu éclairés sur leurs vrais intérêts , ne
savaient rien refuser à l'éclat d^une haute ziais-
sanœ ou dHin nom illustre. Familiarisas avec Içs
exercices militaires et encore étrangers aux dou-
ceurs d'une vie pacifique et molle , ils aimaient
le inëtier des armes , et il était facile de les en-
gager dans des entreprises hasardeuses. Les gen-
tilshommes sans propriété , placés dans la-dépen-
dance des seigneurs opulents et ne vivant que
de leurs bienfaits j épousaient toutes leurs pas-
sions. Le paysan était serf et obéissait,
À la vérité, le i>oi entretenait une armée per-
manente, .qui devait protéger tous les ordres de
l'état et les contenir tous dans de justes limites;
mais cette armée était petite etiaible. En temps
de guerre on soldait des Jroupes étrangères, et
l'on comptait sur rempreaiemBiit des Tolontai-
res. Sous les règnes précédents, les revenus n'a-
vaient pas sufi& pour couvrir les dépenses; l'étal
se trouvait endetté de quarant&rdeux millions de
livres; le produit des domaine» et de la taïUe
avait été porté^au plus haut degré possible. L'as-
semblée des états du royaume aurait pu prévenir
ces désordres ou les' corriger, si la constitution
DiailizodbvGoOgle
CHA^PlTfiE XIX. 219
avait été orgmisée aT«<* plus de sagesse; maïs
les trois ordres, presque toujours divisés, -ne
faisaient que s'accuser les uns les autres, ou ae
défendre contre leurs entreprises réciproques.
Tout le monde gémissait des maux qui- affli-
geaient le royatnne, et personne ne voulait se
prêter aux sacrifices ^nécessaires pour les guérir.
Dans un tel état de choses , la tranquillité pu»
blique n'était riennioins qu'affermie, et il ne de-r
vait pas être difficile à des ambitieux de profiter
d'un règne hihle pour aotener de gi^Bds mou-
vements : il. ne leur fallait qu'une oçcaûon ou
UD jH^te^te, la religion le leur fournit.
La réforme avait déposé en France des germes
funestes de désunion et de troul>les. Les opi-
nions nouvelles avaient pénétré dans le royaume
dès tes premières années du règne de François 1.
Une nation active , qui aime la nouveauté , parce
qu'elle a le besoin d'exercer ses forces, et qui
hait l'uniformité , parce tpi'elle redoute l'ennui,
devait bien accueillir les idées des réformateurs:
aussi la doctrine des protestants se répandit de
bonne heure en France et y compta bimtôt de
nondoreux partiàans- Les censures de la âor-
bonne , le zèle peu éclairé du chancelier DupraC
et de l'archevêque Toumon , ne firent qu'irriter
les esprits et réveiller l'attention géniale. Fran-
DiailizodbvGoOgle
aaO PARTIE I. PÉRIODE III.
çois, qui «royait avec Ai siècle qu'il fallait pu-
nir ceux qui s'écartaieat des opinions reçues,
comme ceux qui violaient les lois civiles, peF-
mit que les bûchers s'allumassenrt, et les |>ersé-
cution» multiplièrent les sectaires. Marguerite de
Navarre , sœur du roi , qui joignait à des mœurs
peu sévères un esprit avide d'instruction , tem-
pérait la rigueur de son frère. La doctrine des
protestants lui inspirait un intérêt de curiosité ,
et ce fut elle, qui protégea Calvin. Les principes
de ce réformateur avaient feit en France une
fortune prodigieuse. Son origine française, la
tangue qu'il parlait et dans laquelle Jl écrivait,
la proximité du lieu oà il établit le siège de la
religion nouvelle, ses connaissances et son ac-
tivité disposaient les Francis à le suivre préfé-
rablement à Luther; aussi le calvini»ne fwit ra-
dine dans -toutes les provinces du royaume. Une
tolérance éclairée eût prévenu tous tes malheurs.
Avec de la fermeté et de- la justice, le gouverne-
ment eût assuré la liberté des particuliers et le
reposide l'état i.mais les cruautés affreuses que
le ' baron d'Oppède , président au parlement
d'Aix, exçrça sur les malheureux Vaudois, peu-
plade innocente et simple, qui jusqu'alqr» avait
vécu ignorée et heureuse au sein de ses monta-
gnes, révoltèrent tous ceux qui n'avaient, pasi
=dbï Google
CUAPrrilE XIX. 331
abjuré toute humanité , et de la haine des per-
sécuteurs beaucoup de gens passèrent à la haine
de leur culte. Les églises réformées prirent des
accroissements. On en vit naître à Lyon, à Bor-
deaux, à Angers, à ï^ris même. Des hommes
distingués par leur rang , leurs richesses et leur
crédU, se faisaient un honneur d'être comptés
au nomla^ des sectateurs de la doctrine nou-
velle. Henri II , aussi cruel que son père envers
les réformés et phis inconséquent que lui, s'al-
liait avec les protestants d'Allemagne et sévissait
contre ceux de France. On les traitait comme
dés malfaiteurs ; les prisons étaient remplies de
victimes du &ux zèle ; souvent on les punissait
du dernier suppHce; Anne du Bourg, neveu dn
chancelier de France, d'une des plus illustres
maisons d'Auvergne, fut arrêté à Paris avec
quatre autres personnes considérées dans Téglite
calviniste. Malgré ces rigueurs , les idées nou-
velles circulaient en France avec la plos grande
rapidité. Beaucoup de gens croyaient qu'il fal-
lait n'avoir que des raisons bien faibles à leur
opposer , puisqu'on employait contre elles le fer
et le feu. Il y avait une sdrte de hardiesse à
professer le calvinisme ; ce fut un motif pour les
esprits ardents et fiers de l'adopter avec empres-
sement. Le devoir défendait de composer avec
DiailizodbvGoOgle
aaa partie i. — p^HtooE iji.
la venté ; la résistance aux toi» parut un acte de
vertu ; et chaque exemple de courage , inspirant
de l'admiration, multipliait les sectaires et pro-
voquait des oppositions nouvelles.
Telle était en Tran<^e la disposition des esprits ,
lorsque Henri II , quVin pleura sincà'emeat, sans
l'avoir estimé pendant sa vie, .laissa le trône à
un prince encore enfant. Les têtes étaient exal-
tées, les cœurs exaspérés et aigris; il y avait
dans toutes les provinces uii levain de fermen-
tation et de troubles , dont les ambitieux pou-
vaient habilement profiter.
Ce serait à tort qu'on accns^ait la religion des
forets inouis et des longues infortunes dont la
France fut le théâtre dans ce siècle. Le fana-
tisme , cette .affreuse maladie de l'esprit humain ,
qui nak de la corruption des principes les plus
salutaires , se montre partout où , sur des objets
importants, un peuple vif et impétueux n'a que
des idées vagues et confuses. Les sdences, tes
arts , la politique , ont eu leurs fanatiques comme
la religion ; et s'ils avaient toujours disposé de
la force , ils en auraient tous abusé. Tous les fa-
natiques indifféremment, ne voyant quun seul
objet, croient que le but légitime les moyens,
«t qu'on peut tout se permettre pour le succès
de la cause qu'on défend. Du moment où les
DiailizodbvGoOglf
CHAPITRE XIX. aa3
honunes se persuadent qu'il y a quelque chose
de plua impérieux et de pluj nécessaire que les
obligiitions saintes de la loi de Dieu, et où l'i-
vresse «st telle que les idées du juste s'effacent
et se confondent, l'espèce humaine doit trem-
bler; car la sauve-garde du, droit une fois enle-
vée, elle est menacée des plus grands malheurs.
D'ailleurs, le fanatisme religieux fut plutôt le
moyen que le motif des guerres civiles de France.
Daui cette sanglante période de l'histoire, les
vrais faqatiques furent les instruments ou les
victimes et les dupes de l'ambition de leurs
chefs qui jouà:«nt le fanatisme; les têtes froi-
des employèrent les esprits ardents à leurs vues
personnelles. Il en est de même dans tous les
siècles. Les passions se ressemblent toujours ;
elles .ne changent que de masques et de
moyens. A cette époque elles trouvèrent l'arme
de la religion toute préparée, elles s'en ser-
virent.
On pourra s'étonner de voir, tous les partis
combattre sans scrupule leur souverain légitime;
mais dans les commencements des troubles, la
masse des protestants croyait qu'un souverain
qui refiise à ses sujets la liberté de culte , est lui-
même en révolte contre l'Étre-Suprème ; et ils
étaient persuadés que les lois de la religion doi-
i:,,G00gIf
a'i4 PARTIE I. PIÉHIODK III.
vent l'emporter sur les lois civiles, et des inté-
rêts éternels sur des intérêts temporaires. Les
chefs des protestants et des catholiques 'n'avaient
pas sur l'autorité royale les idées qui devinrent
dominantes en France depuis Henri lY, et sur-
tout pendant le règne de, Louis .XIV; ils regar-
daient comme une maxime incontestable que,
dans certaines occasions, la noblesse pouvait dé-
fendre ses droits à main armée. D'ailleurs, dans
tous les temps et dans tous les pays du monde ,
le plus petit nombre obéit au souverain par prin-
cipe et par devoir ; l'opinion , la force et l'habi-
tude sont les trois grands ressorts de l'obéissance.
Or, il n'y en avait aucun qui, à la n»ssance des
guerres civiles , ne fut usé ou détruit en France.
L'opinion était pervertie , et, marchant en sens
contraire à la soumission , approuvait et hono-
rait même les réfractaires. La force éta'it pour le
moins partagée également entre le roi et ses su-
jets rebellés. T^e plus puissant de tous les liens, le
plus lent à se former, celui qui demande le plus
de ménagements j l'habitude, fut brisé dès que
l'exemple de la révolte eut été une fois donné
avec succès. >
Peu de guerres ont été plus sanglantes et plus
cruelles. Les deux partis se sont rendus coupa-
bles d'inhumanité, et souvent les protestants
DiailizodbvGoOgle
CHAPITHE XIX. 3l5
ont été aussi l>arbares'que les catholiques. La
Saiol-Battbéleinî met sans contredit un tenible
poids dans le bassin qui porte les crimes des ca-
tholiques ; mais des deux côtés on s'est baigné
dans le sang , quelquefois mânoeavec une cruauté
froide et gratuite. Ce caractère est conrauii à
toutes 'les guerres civiles : «Iles sont toujours
plus atroces qne les autres. I^eur naissance seule
suppose déjà la plus grande force des' passions
haineuses et malfaisantes ; il n'est donc pas éton-
nant que ces passions y déploient une activité
plus eflirayaote que dans tes guerres ordinaires.
Les citoyens d'un même état ne se pardonnent
pas dé s'attaquer réciproquement',' et par con-
séquent ils s'attaquent avec plus de fureur. Plus
l'union a été intime , plus les anîmosîtés sont
(»ofondes et dural^es. D'ailleurs, les guerres de
peuple k peuple se font selon certaines règles,
sur quelques points d'un- pays et pendant une
partie de l'année; au contraire,' la gneire eivile
fait de tonte une contrée un vaste champ de
bataille; comme les ennemis se touchent par
tous les points, les combats, les incendies, les
assassinats se multiplient et s'exercent' en même
temps dans mille endroits' différents. Le cnme
et la violence promènent partout leurs fot'eurs
et ne se reposent jamais. On sacrifie tout mi dé-
a i5
DiailizodbvGoOgle
aâ() PARTI* I..,— .^ PiBIODK m.
»r de vaincre. Chaque indivùlu se dépouille et
se ruine volontau^méot poiv satù&ire là pasaion
qui ranime. Une nation fait la guerre, non-^eii-
lement avec Bon revenu , mais avec son capital.
IXurant cette malheureuse époque, ta France a
fxâa quelquefois sur pied, en même temps, qua-
torze armées dUSfdrentes. Sous f^wiçois' I, deux
campagnes la mettaient bors d'était d'en faire une
troisième, et elle a suiB aux dépenses de la guerre
civile pendant- trente>huit ans. '
Il e^ extrêmement difficile , dans l'histoire des
troubles religieux de la France , de découvrir la
véiité 'an milieu dea' récits contradictoires des
éorivains de tows Its partis, et de dédder, dans
cltaque cas particuber, qui, de« cathoUques o»
des .protestants, ont été les agresseurs. Des deux
CÔtéa, on veut persuader qu'on ne fait' que se
défendre- lorsqu'on attaqué ; on prête des cchu-
plots à son adversaire pour justifier ceux que
l'on forme soi'mèmQ, et l'on pàndl céder k la
nécesaitédes einromt^ices, quand tAi a préparé
de tow, et aveo beaucoup d'art, de nouvelles
ruptureSf ■ ■ .
Le» prétextes àea troubles ont toujours' ét^
les mêmes, pendamt toute la dui^ des. guerres
fàyileftt' et l'on a toujours îavoqué ta religion,
la- patrie, l'int^^t gén^vl , ^ pendant qu'on sa-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRR SIX. 337
Tifiait,.<li»s le fait, aux paaeions; mai» ^cbjet
xéel des dissotsions a- changé tnAa fois de nature.
Sôu»k règne de François II, et duvant la naiio-
rité de Charles JX , il s'agissait de savoir quij des
Guises, des pmices du,$ang,ou deCatbatnçde
Hédicis, serait maître du royaijiiM. DepuU la
mort.de Condé jusqu'à la naissance de la ligue,
on s'es^ battu pour décider -si la France acïait
cadiolique ou protestante; ce êat uà con^t à
mort enb« les deux religicNis^ tout» deux vou-
laieat asseoir leur doqùnation sur la ruiné totale
de leur emieniie. Lorsqu'c»t vit que la maison
de Valois allait, s'éteindre et que le sceptre pas-
serait aux Bourbons, surtout depuis l'assassinat
de Henri lll, on' se divisa sur la ^ndé qaes-^
tiou de la succession au tràne; et le- bon génie
de la France, qui voulait assiu«r le scpptre à l'hé>-
ritier légitime, au roi de Navarre, lutta' pendant
quatorze ans contre le mauvais génie dec^ux
qui demandaient un changement de dynastie, et
qui combattaient pour l'Espagne, et pour les Gui-
ses. La paix de Vervins termiiba cette ItHÏgiie et
p^ibte lutte i la cause des lois fut victoriens»;
les vrais priacipesdela monarchie triomphèrent»
et Henri IV vengea la France et TEurope de.Taoïl-
faition de l'Eâpagite. .
Après ces ' réflexions' générales , Aëcessaires
i5.
DiailizodbvGoOgle
antt PARTIS I. PÉRrOUE III.
fKrnr Êiir<e saisir l'ensemble <)es événements , et
qtù DOus dispenseront d^entrer dans beaucoup
de détails, considérons les principaux traits de
ce demi-siècle de saug et de larmes.
La mort de Henri n fut le signal des trciubles
et des dÎTistons. Lés partis qui avùent existé
à' là cour sous .son régne, devinrent de vé-
ritables filetions sous celui de son' successeur.
François II, que Ies~ lois appelaient au trône,
sortait de renfonce, et devait gouverner un état
sourdement agité, dan$ l'âge où l'on sait k peine
se gouverner soi-même. Faible de corps et d'es-
prit, il était incapable de dévoiler les intrigues
des courtisans, et de résister à l'ascendant de
ceux qui convoitMent son autorité. Il ne voulut
jamûs le mal , tasâs il ne savait 1>a$ voir le bien ,
moins encore le ' vouloir avec force , et Fexécuter
avec succès.
Les Guises et les {HÏnces du sang, jaloux tes
uns des autres, brûlaient également de s'emparer
du'pouvoir. François, duc de Guise, le chef de
sa maison, en était le membre le plus halnle
et le plus illustre. Capitaine dbtingiié, il joigriait
à ses'talents militaires une connaissance profonde
des affoires de l'état , et une activité infotigable.
Son ambition était vaste et frandie. Au-dessus
des artifices des petites bmes , il ne dissimutait
DiailizodbvGoOgle
- CHAPITRE ZIX. ^39
pas/ses déâxs ni ses e^iërancefl. XI aspirait "à
une haute élévation; il la méritait par tses ser-
vices, et Be voulait y parvenir que pour feire
de grandes -choses. Capable.de commettre des
violences utiles à ses- vues , il était incapable
d'une bassesse. Désintéressé , généreux , magna-
nime^il se faisait estimer de* ses ennemis même-;
la belle défense de Metz et la prise db. Calais
lui avaient acquis l'adraîiatiOD «t l'amour des
français, et son nom se présentaitJe premier
dès qu'il s'agissait d'une eiitre)Hisé difi^Ie et
glorieuse.
Son frère , le carilinal de Lorraine , avait tous
ses défauts, sate lesqualitéd brilbuitès qui. les
faisaient oublier. Soit vice de caraCt^^^t «oit
vice d'état , il couvrait ses pàsuons ardentes du
miasquede la .religion , et préférait le raensongt!,
la ruse« I9 perfidie, k toiis les antres moy^is de
réussir. Son. esprit dégénérait soaven|: ea subti-
lité, ,et il avait beaucoup' moins d'instniction
qu'il ne.croyalt en avoir. Toujours prêta sanc-
tionnei' toutes le» démarches utiles à l'élévation
tte sa famille, on le consultait comme la con-
, science du parti. Cette conscience corrompue
rassurait et endoimait celle des autres. En con-
seillant ou ordonnant le. crime, il paraissait. le
Jégitiaiei'. Le crédit des Guises s'appuyait sur
DiailizodbvGoOglc .
a3o PASTIX 1. ■ — PÉRIODE 111.
celui de la jeuDC -reÎDe. Ils a»ai«U eu l'adreue
de faire 'époiun' k François II leur nièce Marie
fituart, reine d'Ecosse, fille dé Hane de Guise
et de Jacques V. Cette princesse régnait siv son
époux par les gntces de sa figure et leschannes
de son esprit;- ses. oncles régnaient sur elle, et
fusaient serrir l'amoiu- aux succès de Imr am-
bition. *
Catherine de Méditis, jalouse du pouvoir de
Maiie et de oehii des Croises , cachait sa haine
sous .de feiate? caresses, et cherchait ,à~en-
chaîner ses rivaux même à ses desseins ambi-
tieux. ÈUe aVait de Tascendant sur Fesprit de
-son fils j çUe ' le ' devait à l'habitude autant qu'i
&on h^ileté 'Né. pouTaait encore se flattw de
dominer François -'seule et sans partage, elle s'é-
tait Tapproohés'd«s-Quises, bien résolue de les
pepdre-dèfi qn'eUe le pourrait sans danger. Née
avec une grande activité, des sens impérieux et
des' paE&ioQs ardentes, rai hii- avait pmsUadé de
bonne heure que la morale n'était faite que. pour
le vulgaire ; que, pour les piinces , l'at-t de trom-
per était le- premier des talents, la fausseté une
mesure de prudence , et le succès l'unique P^le -
de la oonduits. Gbotrariée et toujours dans un
état de contrainte, durant la, vie de Henri II, ce
ne fut qu'ï^rès sa mort qu'elle développa, dans
DiailizodbvGoOgle
CH&PITRI! nie. 33l
toute son étendue , son génie raaliTaisàot. faite
pour Vivre dans le chaos des intacts, des actions
et des partis, rintrigue était son élément. Sans
pudeur dans ses voluptés, sans pitié dans Ses
ven^^nces, sans' honte et sans remords dans le
chcHx de ses mo;«n», elle arrangeait des for&its
comme ëUe arrangeait des parties' de plaisir^ de
saug-froid et avec raffinement. Le crime n'était
à ses yeux qu'un expédient phis ou mùins bon
suivant les ôreonStances ; la di&auche la plus
effrénée une .combinaison biisarre de l'iniagitia*
tion ; le scandale un plaisir de phi9 : et la reli-
gion une 'invention excellente pourAùre des
dupes ; tout au pto», dans certùns moménto d«
ferveur, unaccommodèmeurt avec! le dél. Dans
ta profonde oormpti(m, etlr-ne connut d'aiAre
sentfment que ÎG regret d'avoir quelquefois man-
qué son coup, plus intrépide encore quand- le
crime était consommé qu'audacieuse à l'entre-
prendre. Elle avait de l'esprit et de la pénétra-
tion; mais elle manquait de cette force de tête
qui enchi^ne l'avenir au pr^nt , prévoit tous
les cas possibles, et saisit un grand enseml^.
Dans te mojipent de Tembartas et du danger, tout
lui paraissait bcm pour en sortir ; et faute de bieo
calculer les suites de ses actions, elle multipliait
ses embarras et ses dangers. Connaissant beau-
DiailizodbvGoOgle
333 PARTIE I. : — PÉRIODE lit.
coup mieux les hommes que les choses, et plus
au fait des intrigues que des a£&ires, elle ne
pouvait pas gouverner seule, quelque envie
qu'elle en eût, et elle fiit toifjours obligée de
partager sou pouvoir avec des hommes capables
de porter le ferde»! d'une gEande administration.
A la mort de Henri .II, la nécessité avait opéré
une coalition momentanée entre elle et les Gui-
ses; elle sentait qu'elle ne pouvait ni se passer
d'eux, ni les écarter; leur autorité l'emportait
encc«e sur. la sienne, et ils étaient les véritables
niidtres du royaume.
Les princes du sang, de la branche de B^nir-
bon , héritiers du trône si les Valois venaient à
s'éteindre, voyaient avec indignation des étran-
gers jouir d'une cfmfiance et d'un pouvoir qui,
suivant les lois, ne devaient pas leur appartenir.
Antoine de Bourbon, l'ainé delà maison, roi de
Navarre , du chef de sa femme Jeanne d'Âlbret ,
aurait supporté l'élévation des Guises avec assez
d'indififérence , s'il avait pu recouvrer la partie
de son royauipe dont l'Espagne s'était injuste-
ment emparée; mais sa femme et sou frère l'ani-
maient contre les Lorrains. Il était plus jaloux
des décorations du pouvoir , que du pouvoir
même; confiant et crédule comnie ua enfant,
dupe de tous ceux qui lui disaient des pn>-
messes , sans volonté et sans moyens.
=dbï Google
CHA:PITRE XIX. 333
Son frère, txtws de Condé, joi^ait à,une am-
bition qui prétendait à tout , des talents qui lui.
pimnettaient d'arriver à tout , et ses titres éga-
lawnt ses prétentions. Il avait J'auc&ce d'un con-
spirateur, la légèreté d'un homme du mcMide, et
les vues d'un homme d'état. Son goût pour le&
plaisirs ne prenait rien sur son activité : la frivo-
lité de ses manière^ ne le rendait pas incapable
du sérieux des afiaires ; et bien que sfi9- mœurs
fussent peu révères , ses habitudes n'étaient ni
molleSf.ni efféminées. Sanaîssance-et son mérite
auraient dû le porter aux premirâes j^ces ; et il
s'indignaitde robsçuritéoùon le laissait languir,
tandis, que les Guises gouvemaieut l'État. Pro-
testant par politique, au moins autant que par
conviction , il serait difficile de déterminer à
quelle époque il résolut de -se servir de la reli-
gion pour perd^e ses ennemis et arriver au pou-
voir. ,£ut-il le premier l'idée de fomenter les
troubles religieux, ou ne Teut^il qu'après qve
les Nuises «e furent, mis à la tète du parti ca-
th<^ique? ce, sera toujours un problème. .
Dans le parti prc^estant, dont Louis de Condé
allait devenir le chef, se trouvait un homme fait
pour les grandes entreprises, et (Jui sejnblait né
pour briller au milieu des orages; c'était l'ami-
ral de.Coligui, deFillustre maison desChÂtillmi.'
DiailizodbvGoOgle
234 PARTIE U PÉRIODE III.
Il avait porté les armes de bonne heure,' et s'é-
tait Cajt Une réputation' par la belle défense de
Saint-Quentim GcHnbinaht long-temps ses piio-
jets dans les profondeurs de sa pensée, U ne'
permettait pas qu'on les soupçonnât avant le
moment oà il les déployait dans toute leur éten-
due. Instruit à fond des ressources et des forces
des protestants, de la position dffs lieux et de
l'état des provihees, il n'était jamais étonné des
événements, jamais découragé parles t%ver$.']l
avait prévu avant que'd'agir^ et savait corriger
ce' qu'il n'avait pu ni prévoir' ni prévenir. Sa
froide intrépidité ranimait ou modàvit l'ardeur
des autres ; sa fermeté persévérante inspirait la
confiance , et sa simplicité désarmait l'envie. Il
était grand sans effort , et' &op sûr de sa gloire
pour en être inquiet. Rarement vainqueur daxtà
les guerres de religion , il ne paraissait jamais
plus admirable que dans ses défaites; et ses re-
traites savantes d'une extrémité de ta Ffance à
Tautre , fiirent plus glorieuses que les victoires
de ses ennemis. Tout en combattant, il négo-
ciait pour son parti, en Allemagne, en Angle-
terre , ' dans lés Pays-Bas. Tour à tonr insinuant
et impérieux , H obtenait ou commandait les sa-
crifices ,^ et savait rester calmé en allumant l'en-
thousiasme de son armée. Ses mœurs étaient
DiailizodbvGoOgle
. CHAPITRE XIX. a35
ùmples tt même ààstères.r Le peu de temps que
les a£Eaire^ n'emportaieot pas , était donoé à
TéGonomie rurale. Daoa les mtà^alles de repos
qite lui lassaient les guezres civiles, il culti^t
sa vigne dé la même main qui ngnait des trai-
tés. L'ambition des grandes places et -celle de la
£ntuue lui étaient étrangères; mais il aroit celte
de former et de réalisa d« 'vwtes combinaisons ;
ambition pins honorable, mais noo moins dan-
gereuse que l'autre. B'Andelot et le cardmal de
Châtillon , fi<ères de Coli|;Di , aervatent tei des-
seins* avec succès, -le. premier [lar son intrépi-
dité , le second jpar son esprit adroit et ccmci-
lûteur.
Ainsi, du cà£é des-catfaoliques etde celui des
protestants, se trouvaient, pour' le malheur de
la E'ranoe , des hommes d'un niérite rare , qui
jodgnad'ent la puisS^iee du caractère à celle du
génie, et b qtd il ne manquait, pùcir-étre de
grapds: homiHes, que de préCârer le devoir à
l'ambition j et des principes ptR^ai^^des maximes
intéressées. It^'sCBtblait que la nature eût pro-
digué', poH^'k mine du royaunie , ce dont ^le
est le'plus dvare, le talent et réqergiei S» les
caractères niâles et vigoivreux que présente ccMe
époque malheureuse , ne la sauvent pas d'une
juste horreur, ils la sanvent du moins du mé-
DiailizodbvGoOgle
a36 PARTIE i. ^PÉRIODE 111.
pris de la postérité. On y vmt plus de passions
que de vices , et de ces passions fièces et fran-
ches, Ëuniliariftées' Avec la violenœ, étr&Dgères
à la bassesse, (]ui ne germent que dans des âmes
pleines de sève et de force, et qui, par leurs
explosions volcaniques , peuvent faire frémir le
spectateur, mais lui épa^ncnt l'affi-^ux dégoût
que, dans la nature morale , comme dans la na-
ture physique,' donnent toujours les signes de
la putr^ction.
Âù milieu de toutes ces formes imposantes et
proncHiçées , qui arrachent encore l'adoûration,
lors même qu'elles repoussent l'estime, Lhos-
pital seul qst véritablement, grand : placé enlie
les Guises et les princes du sang^ et ne cou-
naissant d'autre parti que celui de l'État, lui
seul se montre citoyen. Un savoir profond, un
esprit vaste et lumineux , sont relevés en lui par
une probité réfléchie, constante, inaltérable.
Toujours modéré dans te choc de toutes les pas-
sions,- t<«lâ^t au milieu des- fureurs du fana-
tisme; occupé. de projets utiles à. l'Eut, tandis
qu'autour de lui diacun n'est olcoispé qoe de
son intérêt particulier.; jaloux de la perfection
des lois ,' dans un temps où toui'Ies partis iu-
vpquent la fores, il parait uo. être supérieur
diargé d'arbitrer les divisions. Ne séparant, si
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XIX. ' aS^
dans son cœur, ni dans ses travaux, l'autorité
royale de la liberté publique, parce qu'il $$it
que l'uue ne peut exister «ans l'autre , il vou-
drait assurer la tranquillité' de l'État, en accor-
dant à tous les Français l'exercice d'un droit
sacré, et concilier le maintien de, la .religion ca-
tholique et l'existence du calvinisme^ Son élo-
quence serrée et pressante confond les subti-
lités du cardinal de Lorraine ; sa vigilance et sa
sévère- économie commencent à rétablir l'ordre
daos les finances ; et tel est l'empire de la vertu ,
qu'il'se fait écouter au sein d'une cour corrom-
pue , et que ceux même qui s'opposent à ses
mes bienfitisaute-s sont forcés de Inir rendre
boiQmage.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XX.
ConmeDccment des guerreit civiles. CoMpicatioii de La
Renaudie. Mort de Françrâs II. Régenee de Catherine
de Médicis. Première, seconde, troisième guerre de
religion. '
In. était rétat de la France, tels étaienfles
honmies qui tenaient s«s destinées daqs leurs
iiMÙns et se disputaient l'autorité. François de
Guise et 'Ifli'cardiital de Lorraine avaient été
nommés ministres par le jeune roi, dès son avè-
nement au trône. Le connétable de Montmo-
renci, tout-puissant sous le règne de Henri II,
odieux aux Guises et à Catherine, avait été éloi-
gné de la cour, et vivait à Chantilly. Les Guises,
ayant déjà formé le projet de faire de leur cause
la cause de la religion catholique, commencé-'
rent à persécuter les protestants. Anne du ^ui^,
arrêté sous le règne précédent, fut une dés
premières victimes qu'ils immolèrent. Les mé-
contents, le prince de Coudé à leur tête, tinrent
une assemblée secrète à la Ferté pour y concer-
iS6o. ter leurs mesures contre les Guises. Ce fîit là
DiailizodbvGoOgle
CHAPIÏRlf .XX. a39
que l'amiral de Coligni, développant aux yeax
du prince les ressources et les forces des réfiar-
mes , lui nu^tra qu'il pouvait les servir en les
employant au ^uccès de ses propres desseins ; et
qu'en épousant leurs intérêts; il assurerait son
triontpbe et celui de leur culte. Ce plan flattait
trop les passion» de Cobdé pour ne pss lui
pkîre. U donnait à son ambition les couleurs du
désinféreasement et du bien publie, lui fournis-
sait-les moyens d'agii- et des . prétextes plausi-
bles; tout en travaillant pour tu^-toènie, il pa-
raissait le protecteur des of^rimés. L'essratiel
était de sMistraire lapersonne du roi à l'auto-
rité des Guises. On forme le projet ,de l'enlerer
à Blois, où il devait aller passer te' prmtempi.
Les mécontents, dans letars discours, séparant
le roi -de ceux à qui il accorde sa coi^nce ,
prétendaient pouvoir conùlier avec le i«spect
qu'ils doivent à leur* souverain, les mesures illé-
gales qu'ils prennent contre ses ministres. Par
une distincUon absurde, ils voudraient laire
croire qu'ils ne conspirent pas contre leurnu|i-
tre , eu conspuant contre tes dépositaires de son
pouvoir. On jett^ les yeux sur La Renaudie.pour
exécuter le coipplot. Ce gentilhomme , issu d'une
bonne latmlle du Périgord , était très-attaché à
la religion nouvelle; son audace «t s<»i activité
DiailizodbvGoOglc
a^O PARTJE I. PÉRIODE III.
lui faisaient aimer les hasarda des~ entreprises.
S'U réussit , on profitera de ses saccèir ; s'il man-
que son cï>up, ou peut le désavouer. Les con-
jurés se rassemblent à Nantes ; on ne parlé aux
mécontents que de la majeité du trône compro-
mise par les Lorrains, et de la servitude du foi;
on ne présente aux réformés que tes dangerâ de
leur religion', et l'oppression dans laquelle ils
languissent Tous' marchent au'm^ne but par
des motifs différents. Les Guises soupçonnent
un. dessein secret, et la cour est transférée à
Aioboise. Bientôt ces soupçons se diangênt en
certitude par l'indiscnétion de La Renaudie. Les
Guises persuadent au roi, qui un moment parait
douter du fait, que c'est lui qu'on attaque, et
que la conjuratitm menace son autorité. Ils fOnt
tous les-préparatife nécessaires pour la défense
de la ville, et ont l'adresse de confier les postes
les plus importants aux prince de Condé et aux
partisans secrets de La Benaudie, en les faisant
surveiller de près. Les conjurés s'avancent et se
présentent sous les murs d'Amboise, mais ils
Sont repousflés. La Renaudie est tué dans le
combat ; et les Guises, n'écoutant que leur ven-
geance, multiplient les exécutions. Ils n'ont pas
osé accuser le prince de Condé , quelque f<c«'tes
que soient les preuves de sa complicité; mais-
ils ne font qu'ajourner sa perte.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE x-x. '■ a4i
Le duc de Guîse est nommé lieutenant-général
*hi royaume. I.<s, échafauds s'élèvent ; Amboise
est inoiidée de sang-. Beaucoup d'innocents pé-
rissent , et les éQUpaWeS eux-mêmes^ sont con-
dahinés par des Toies illégales et injnstes. Oli-
vier, chancelier du royaume, homme honnête
et bcm, mais, trop feible peur résister an despo-
tisipe. dçs Guises, meurt de chagrin de ne pou-
voir empêcher ces exécutions sanglanteff. Lho-
pitâl le remplace. Il doit son élévation à la du-
chesse deMontpensier,'qui connaît sa tolérance',
et à Médicis etle-métne, qui -lui pardonne sa
vertu eu faveur de ses. talents. Elle dompte s'en
servir contre les Guises^ qui marchent à grands
pas à une domination absolue. Lhospjta],' qui
s oublie lui-raéiiie< dès que le devoir parle, et
qui ne.vmt quela.pàtrie, accepte le .poste émir
Tient et difiBcUe, qu'on- lui* ofire. Il ne^ se déguise
ni le travail immense qui va peser sor'liii, ni
les dangers de sa positioii, ni les malheurs qui
menacent la France; il prévoit qa'il ne pourra
pas £aire.tQUt le bîen:qu'il désire, mais.il espère
empêcher vue - partie des' maux qu'il redoiUe;
et c'est beaucoup pour une. ame telle que la
sienne.:
. Par tme fnaoœnvre hatàle, Lhospital déjoue
les projets sanguinaires du cardinal de Lorraine;
2 r6
=dbvGooglc
u/ia • PARTJE 1. — PÉRIODE I [I.
qui veut introiluîre dans-Ieroyaume les horreurs
de l'inquiâtion , et fait attribuer aux seuls év^-
)■ ques ié droit de juger les protestants. Bientôt il
propose de couvoqiier les Ëtats-génélttiuct pour
décider dëônitivetoient )a grande aifeire delà
religion^ U espère y faire entendre là vois de là
raisoti et le& maiimes de ia tolérance, s'envi-
ronuer des lumières de la nation dsns un' procès
où- il s'agit de ropinion- générale-, et-s'appi^er
de son autorité contre le crédit des Guises.
L'assemblée des notabln^ tenue à Foiïtainé-
bleau , décide la convocation. Les Guises ne »'y
refusent pas. Us savent que la |dopart àes dé-
putés, intimidés par leur, pouvoir, f»6ervis'à
leur volonté par l'espérance ou la crainte , iie-
ront leurs «créatures et leoiis esclaves.-Its se pro-
-posent de les faire servir à leurs vengeauces', et
de sanctionner leur despotisme par te silence
des représentants de la: irâtion^ Avec de la sa-
gesse et.de la vigueur, cette assemblée aurait
pu sauver l'a Frande; mais étvanigère h l'esprit
public, infectée de l'espiit dé parti, mat orgar
niaée , composée ^éléments vicieux, elle ne .fit ,
comme toutes celles qui furent convoquées dans
ce siècle malbeiireux , que se déshonorer par
sa Êiiblesse , et tromper les vœux dët bons ci-
toyiCns.
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XX. ^43
Malgré le mauvais succès de la conspiration
d'Araboise, le prince de Condé n'aVait pas cessé
de fomenter le mécontentement des protestants,
et il avait-engagé son-frère, le roi de I^avarre,
k épouser sa cause. Les Guises se proposent de
les perdFe. Le prince .et son frère sont invités à
Se repdre à la cour. Ils scwt arrêtés au mtmient
de leur arrivée; on se contente de donner des
gardes au rt» de Navarre. Condé est traité ■. en
criminel d'état, et on lui faït son procès. En yaîn
il réclame le privilège de son.1rangj.-jde n'être
jugé que par ses pairs; il est jugé par une com■^
mission. Le roi de Navarre est sur le point d'être
assassiné dans les appartements du roi. Ce crime
atroce a été conseillé par les Guises; mais Tante
«te 'François ne s'est pas trouvée à IHinisson d'un
projet pareil. L'arrêt de mort du prince de Condé
était dressé. Le roi, gouverné par ses oncles, ^
allait le signer; mais il meurt subitement, et
Condé est sauvé.
Sans la mort prématurée de François II, le
parti des Guises triomphait; le supplice de Condé
ôtait k leurs enoemis toute <$pérance de succès;
les protestant étaient p^^us sans ressource; la
France n'échappait à l'uiarchie que par le des-
poli^ne, et la paix de la servitude la sauvait
des horreurs de la guerre civile. Mais la mort
16.
:,, Google
a44 PARTIE I. PÉUIOltE m.
prématurée du jeune roi multiplie les seraeiu-es
de troubles et de divisions. Le trône appartient
à son frère Charles, mais Charles est mineur; .
c'était aux états dii royaum&à décider la grande
question de la régence. Catherine l'eXH^ce sans
en prendre le titre et sans les consulter. Condé
est relâché; la reine a trop soufïert du pouvoir
' des Guises, pour le leur laisser dans un mo-
ment «ù ils perdent l'appui de leur nièce. La
sensible et faible Marie Stuart, dont les mal-
heurs ensuite ont expié les torts et les ont feit
oublier, retourne en Ecosse; et, par de sombres
et trop justes pressentiments, elle pariût renon-
cer pour toujours au bonheur en quittant la
France. Cependant le crédit personnel des Guises
leur donne encore une grande autorité. Cathe-
rine croit que le seul moyen de diminuer leur
ascendant est de se rapprocher de leurs enne-
mis ; elle prend pour système d'opposer les par*
tis les uns aux autres, de les caresser et de les
combattre tpur-à-tour; et cette politique, à la-
quelle elle restera fidèle, ne fera que prolonger
les maux et les douieiirs de la France. Confor-
mément k ce plan de- conduite, elle offre au
faible roi de Navaire , qy'elle est sûre de diriger
à son gré, la plai^ de lieutenant-général du
royaume, et il l'accepte. Elle rappelle Montmo-
:,, Google
CHAPITRE XX. 345
rend; ce vieillard', qui aime sincèrement son roi
et sa religion , mats qui s'aime encore phis lui-*
même, se hâte d'abandonner sa retraite; il a
besoin de la cour, et il croit céder au besoin de
servir sa patrie. Les États confirment la reine
dans la régence. Lerertueux Lhospital veut qu'ils
établissent, par une loi sageet positive, les droits
des deux cultes , qu'ils paient les dettes de l'état ,
qu'ils remettent l'ordre dans les finances ; mais
Lhospital est le seul qui pense au bien public.
Les divisions de la noblesse, du clergé Et du
tiers empêchent les' États d'arriver à des résul-
tats ^es et utiles, et l'assemblée se sépare sans
avoir rempli les espérances de la nation.
' Cependant les. Guises, craignant que le pou-
voir oe leur échappe, tâchent de former une
nouvelle coalition. François de Guise gagne le
connétable, en lui montrant les dangers qne
court la religion catholique. Ils s'associent le
maréchal de Saint- André , courtisan avide , qui
avait profité de la foveur de Hrairi II pour amas-
ser des richesses considérables , et qui, par se«
richesses mêmes et sa haine contre les calvinis'
tes, peut être utile au parti; ils forment en-*
semble le fameux triumvirat, 1
Philippe n, avec qui Cuise négocie secrète-
ment, promet du secours et attise les feux qui
DiailizodbvGoOgle
a46 PARTIS I. PÉBIOIXE III.
vDDt mcendier la France. Aux Ét^ts de Saint-
GsriTiain , le cljâncelier ne parvient .pas k 'éteuf-
kr tes troubles paT' des mesures vigoureuses, et
il n'obtient d'autre succès que' celui d'intimider
le clergé , et de l'amener à payer une partie des
dettes publiques. Dans le dessein de terminer
les dissensions religieuses, on donne lieu au
i56i. colloque de Poissy, où, en présence de la reine
et du roi , les théologiens des deux cultes expo-
sent leur doctrine : moyen .mal imaginé, qui
ne tendait qu'à répandre les idées nouvelles, à
multiplier les. doutes, à augmenter Tanimosité
et k confirmer chaque parti dans son .opinion,
' Mais le cardinal de Loiraine est jaloux d'étaler
danlH ce colloque son éloquence et son savoir ;
de son côté Favocat des firotestants , Théodfo^
de Bèzè, j dépltne une logique pressante, une
mémoire intarissable, une éloquence simple et
mâle, qui fait regretter aux c^oUques. d'avoir
engagé la lutte, hc colloque n'aboutit qu'à irri-
ta les esprits. Les Guises s'en consolent en atr
tiraqt dans leur paloti le jEaible roL de ^Navarre ,
cpivse laisse séduire par r«spérance de la resti-
tution de son patrimoine, etdevient, par indo-
lence, l'allié des plus mortels -enïiemis de sa
maison.
Le chancelier se flatte encore d« prévenir la
DiailizodbvGoOgle
CH-V*,ITRH »x. a47
guerre cltil^v il ^ogaf^e Catfasiiiie^ qui redoute
l.e.trûvnvir»|,.à:icgwve^Dcr los potables k Saint-
Giennaio., et o&y doaof t'élit 3e janrier, qui
açtcprdç auK oalvùlisites la liberté du culte , et
leur défei^d, seulement de .te«r de» assemblées
(iails l'enteinte des- villes. IVlais les triurnvirs ne
VQÎent dans cette pîdx. qu'une nouvelle preuve
de la préférence que la reine-mère accorde aux
protçf^aptâ, et ils se proposent de troubler lent
bftDD^ iqtdligence. Soit hasard malheureux , Boit
deaS^p prémédité , les. geni du duc prennent
qiierelle avec des religionnairès à Vassy. Le i
sang çoulej ce fut Je signal dm-nnlbcurs de la
France. Les.triupiyirs, qui 'Out gagné' le roi dé
NavaiTe , veulent légitimer ieurs démarchée en
empruntaiti.ie nom du souverain}. ils prévien-
nent leurs ennemis ea -enlevaht Charles' et .sa
mère à Fontainebleau, et les amènent à Paris.
■A cette nouvelle, le prince de Coodé etCo-
ligni ne gfuxtentplus de nie^ure ; ils font d'Or-
léans leur, place d'armes , et publient des ma^
nifestes dans JesqueU ils assurent qu'ils ne
meoaf»Qt.pas .les,çatboliques;..çeux-ci, pour
égarer à leur jtour l'opinion pubJiqpe* se dé-
fendent de tout projet contre les protestatits.
Des. deux cotés on s'anue au nom du roj, et
l'on ne parle que de la liberté du royaume, h*
:,, Google
i^S PABTfE 1. P«'B11>D£ III.
première guerre de .religion édate;'rÂUemagne,
riche en soldats, envoie ses habittiats combattre
en faveur des deux partis qui déchirent la
France; la conformité 'de religion et d'intérêts
assui;e aux réarmés le secours des princes pro-
testants; l'argent de l'Espagne^ qae les catho-
liques répandent avec profusion dans l'empire,
attire sous leiurs drapeaux beaucoup de volon-
taires. Cathmne , qui redoute également les
victoires d^ deuï partis, essaie de rapprocher
les esprits aux conférences de TaUy> Le piînce
de Condé est sur le point de promettre qu'il
sortira du royaume avec tous les réformés ; mais
l'indignatioti de l'armée éclate contre ce projet,
trop singuliec pouf avoir été formé de bonne
foi, et les négociations se rompent. Condé, Co-
ligni et leurs adhérents sont déclarés coupables
de lèse-majesté, et persévèrent dans leur ré-
volte, soua prétexte que le roi n'est pas libre.
L'habile Elisabeth leur donne des secours; mais
ib sont obligés de les acheter à haut prix; et en
lui permettant de prendre possession du Havre ,
ils n'obtiennent d'elle que ce qu'il faut pour ne
pas succomber sous leurs ennemis'. Philq>pe <t
Elisabeth suivent la même politique, alimentent
les troubles, et empêchent que l'un des deux
partis ne les termine en acquérant une prépon-
dérance décisive.
bï Google
CHAPITRE XT. 3^Q
L'armée Toyale assiège Boueii, que Hontgom-
tnety défend avec Vigueur! La ville est prise;
mais Antoine de Kavarre, blessé pendant le
ai^ , meurt des suites de sa blessure : aucun
parti ne le regrette. Les deux atmées se ren*
oimtrent près de Dreux ; long-temps elles testent '»^"
immobiles en présence l'une de l'autre, et pa-
raissent craindre de s'attaquer; le crime qu'elles
vont commettre les glace d'eflEroi ; les liens qui
les unissent les frappent plus, dans ce mo-
ment , que le& intérêts qui les divisent ; un
reste de honte arrête les plus violents ; pendant
deux heures la voix- de la patrie combat conb-e
le fanatisme ; mais le mauvais génie l'emporte ;
«m surmonte cette sainte répugnance, et l'on se
bat pendant sept heures avec le plus grand achar-
nement. Le maréchal de Saint-André est tué ;
le connétable est pris par les soldats de Gondé;
Gondé l'est à 'son tour par le fils du conné-
table. Coligiii sauve les débris de ses troupes , et
se retire à Orléans. Le diic François de Guise ,
enorgueilli de sa victoire, seul debout de tous
les chds'de son parti, écrit à la reine sur le ton
d'un m^tre. Elle frémit en se voyant 'à la dis-
frétion de cet ambitieux; mais ses Craintes sont
bientôt dissipées. Guise , qui assiège Orléans , est
assassiné par Poltrot dé Méré, gentilhomme an-
DiailizodbvGoOgle
aSo PA.aTlB 1. PÉUIOUK III.
goutnoia. Les ^issassioats, rares dans les troubles
allumés par le fanatisme politique , où.qbacuu
ne commet que ies crimes dont il ,peut «spérer
de recueillie les fruits., soat plus .communs daos
les guerres religieosest où l'on attache à des
actes de ce-gençe.la certitude de^^des récofu-
penses. La mort du ^uc de Guise, ^t expira
en pardoimant à sop a»assin , fut digue de £%
vie : elle causa phis de joie à Catherine de Mé-
dicis qu'aux protestants qui, tout en le haissalit,
ne pouvaîe|ti):>e défendre d'.^timer ce héro». .
La reine, délivrée, par la bataille de Dreux,
de tous ceux du parti catholique doot e\\e re-
doutait le poi^voiTt qe. craint.pliis que les pro-
testants. Depuifi cett-p époque,, mpii^ jalouse de
les cops^rver, ne .croyaot plfLis.-âvoii- besoin
d'eiix, eUe travaille à. leur ruine, taqtôt par
des eares^es. .perôdas , tantôt pav des violeuciKs
atroce?, .pour le fuoment, el)e veut* la paix, et
engage leprince.dç psndé assigner la çonvm-
i563. tion d'A:mboîsç, qui modifie. l'^Uit de janvier,
et ne défend au^ pro^e^ots quç dfCl^élver
har f:uttedaii4 l'airofidi^^ixieDt de P^». Coli-
^tâ coodampe ce traité, .«t VaCfiep.te faute (fe
moyens de résistance. Mais il est facile de pré-
voir que ce prétendu remède n'est qn'im pal-
liatif ;L'existence des protestants restait toujours
aiiizodbvGoogle
CHAPITRE »x. . a5i
précaire ; ils n'en avaient point de garantie lé-
gale, et les passions .des çhels exa^raient leurs
dangers. P6ut-éb« tnésae qu'à cette époque
une parfaite égalité avec les .cfitboltqiies n'eût
pus satis&it les retigionnures. Non-seulement
ils ne voulaient pas être asservis; ils voulaient
être les maîtres , et ne voyaient la liberté que
dans ta domination de leur culte et la ruine de
leurs ennemis. -
Peu après la convention d'Âmboise, la reine
' fait déclarer son fils . majeur au parlement de
Rouen; sa minorité donnait des prétextes et des
espérances aux mécontents; ite la voient finir à
regret; Catherine règne avec plus d'assurance -et
de pouvoir. Charles IX>, qui fut encore plus
malheureux que coupable pendant son règne
court et sanglant , était né avec les plus heu-
reuses dispositions. Sa figure était noble , son
«sprit vif et pénétrant, son caractère franc
et ouvert : le célèbre Amyot, son pi-écepteur,
Itù airâit donné le goût de rinsfruction; mais sa
mère mit tout son art à le perveitir, et, bâtis-
sant sur les vices de son Bis la .durée de sou
pouvoir , elle employa tous les mi^ens imagi-
nables pour le cfHTompre et l'avilir. Il était-vif,
elle le rendit emporté et fxiiel; il était commu-
niwtif , il devint, à son école, défiant et dissi-
DiailizodbvGoOgle
aSs PARTIE I. — PÉRIODE tll.
mulé; il aimait les exercices violents, elle forti-
fia'cette passion, au lieu de la nHHlérer en lui
inspirant des goût» plus délicats; il était actif,
elle lut donna l'habitude de l'indolence, et tâcha
de lui &ire oublier ses devoirs au sein des plai-
sirs.
Au commencemeiit de son règne, elle parut
vouloir le former au grand art de régner, et il
fut résolu que le jenùe roi voyagerait dans l'in-
térieur de son royaume, pont- apprendre k le
connaître, et pour ^touÉfer, par sa' présence, ■
jusqu'aux germes des andenncs divisions ; mais
ce voyage, qui aurait pu guérir, ou du moins
adoucir , les mauï de ta France , ne servit qu'à
lui en préparer de nouveaux. Médieis eut à Ba- -
yonne des conférences avec le duc d'Albe, qui
passait'de l'Espagne dans les Pays-Bas pour y
éteindre dans le sang les feux de la révolte que
le despotisme de Philippe y avait allumés. Cet
Espagnol , intolérant par principe et croel par
tempérament, 'souffla dans l'ame de Catherine
l'esprit persécuteur qui l'animait. Elle conjura
avec lui la ruine de ses sujets, et le ministre de
Philippe crut bien servir son maître, en don'
liant à la reine des conseils atroces ^ qu'elle ne
suivit que trop fidèlement.
Ces conférences de Bayonne ne purent être
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XX. a53
tellement secrètes que les protestants ne fussent
vaguement . instruits des projets qu'on y avait
forcés contre eiix. Justement alarmés, et asî-
més par Condé et Côligni , ils prennent ie parti
de prévenir leurs ennemis. La seconde guerre
4te religion commence. Les feux de la revente se iS65.
répandent avec rapidité ; rien n'était plus facile
que d'amener en même temps l'insurrection dans
toutes les provinces. Les assemblées synodales
faisaient àes protestants, répandus dans toute
l'étendue du royaume,' un seul corps dont les
ministres étaient l'ame; c'étaient eux qui se con-
certaient avec les chefe, et qui demandaient
ensuite et obtenaient partout, au nom de la reli-
gion, des hommes et de l'aident;. Grâces à cette
organisation , Condé et Coligoi ont bientôt réuni
sous leurs ordres des forces considérables ; ils
forment le dessein hardi de surprendre le roi k
Meaux et de l'enlever ; mais la valeur et la fidé-
lité des Suisses sauvent Charles et sa mère; et
formant autour d'eux un bataillon carré , ib les
conduisent en sûreté i Paris. Le jeune roi, ar-
dent et fier, fut indigné de l'audace des protes*
' tants, et la retraite de Meaux déposa dans son
cœur un levain de haine et de vengeance. Condé
veut efiaoer le mauvais succès de son entre-
prise ; il va se présenter devant les miirs de
DiailizodbvGoOgle
a54 PARTIE I. PÉRIODE 111.
Pnris; et le connétable, à la-téte d'une airrifée nom-
breuse, vient loi ofirir la bataille dans la plaine
de Saint-Depis. Elle s'engage; lea protestants
156?. sont battiu^.mais le vieux Montmorency e$t tué
flW'COup de' pistolet, par un Ecossais iiaiinmé
Robert Staàrt. Les Ailemantls accourent de tous
côtés en France, les uns au secours du roi, les
autres- au secours des religîonnaires. Le prince .
palatin,. Jean Casimir, est à la tète de ces der-
niers; son beau-frère, Guillaume de Saxe, com- .
mande les autres. La reine, effrayée des désor-
dres que commettent les rétres des deux partis,
se hâte, pour tes éloigner, de concltire la paix à
i5G8. LcHijumeau ; ce traité confinne la convention
d'A^boise, et y ajoute quelques légères modifi-
cations à l'avantage des protestants.
Ces traités n'étaient que des trêves momenta-
nées, dictées, aux deux partis par ]e défaut de
ressources, le besoin de se refaire et le désir de
se tromper réciproquement. Au bout de six mois
la guerre éclate de nouveau. Tous ceux qui sonj:
mécontents de l'administration de Catherine , et
qui conseillent des mesures modérées, scHit éloi-
gués'de la cour et marqués du nom de Poiiti-'
çues. Médicis veut faire enlev»* le prince de .
Condé et Coligni à Noyers, en Bourgogne; ils
n'échappent qu'avec peine aux embàches qu'elle
DiqillzodbvGoOgle
en AfITJtE XX. 255
leur dresse, et se retirent h la Rochelle; de là
ils réparaissent en forces et entrent en campagne.
La t-eine nomïiie Henri, duc d'Anjou, lieutenant-
gériéràl do royaume. Ce prince était son favori.
Il aimait comme elle les plaisirs raffitrés , les fétett
brillantes' et bizarres, les intrigues d'amotir et
de pôntique; savait mêler aux crimes «ne; sorte
de légèreté , et conserver de l'insouciance au mi-
lieu dés événements les pins tragiques. Médicis
se voyut renaître en lui. It ne manquait pas
d'fsprit ; mab sa frivolité ne lui permettait pas
dé développer, de suivre, d'exécilter les idées
heilreuses que son esprit lui sucerait. Il ne te-
nait à la religion que par 'les spectacles qu'elle
ofire. Superstitieux etincrédule^ libertin et dé-
vot, nous le verrons convertir les processions
en oi^es, et associer Aux objets les plus graves
les plaisanteries les plus indécentes. Dans sa jeu- -
nesse, il donnait des 'espérances aux Français.
Brave et hardi , mais sans connaissances militai-
res, il avait besoin d'être dirigé; et sa mère, en
lui confiant le commandement de son armée , lui
' donna le maréchal de Tavannes, qui prépara ses
victcHres et lui arrangea ses triomphes. Coodé et
Coligni voulaient gagner le centre de la ïrance
pour se joindre aiix renforts qu'ils attendaient
d'AUcTnagne; mais Tavannes les resserre et les
:,, Google
a5t) PARTIE I. --- PÉRIODE m.
atteint à Jarnac , petite ville sur les bords de la
Chareate. La fortune, toujours contraire, aux
protestants quand ils combattent en bataille ran-
gée , se déclare de nouveau contre eux. Condé,
blessé, coimbat encore à genoux, lorsque Mon-
tesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou,
le tue d'un coup de pistolet ha mort de cet am-
bitieux ne change rien à Tétat des affaires. Co-
l^gni , toujours grand ■ dans les moments criti-
ques, rallie les restes de l'armée et se retire;
mais la jalousie divise- les chefs des protestants,
et leur orgueil souffre d'obéir à l'amiral. Le parti
est menacé des plus.terriblesa)aUieurs, lorsque
Jeanne d'Àlbret, veuve d'Antoine de Boiubon^
arrive dans le camp, avec son fils, le jeune roi
de Kavarre , et le jeune Condé. Elle parcourt les
rangs , harangue les troupes et leur présente
Henri. A sa vue, toutes les passions se calment
ou se taisent; il est proclamé chef des protes-
tants; et Coligni, qui commandera désormais en
son nom, est sûr d'être obéi.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXI.
CHAPITRE XXI.
a $7
Henri de Navarre parait à la tète des proieiUnta. Fin de U
troisième guerre. Paix simnlée. La cour veutTextiDctioii
des réformés. Massacre de la Saint-Barthélémy, Mort de
Charles IX.
XXEimi, destioéà faire, après vingt ans decum-
bats et d'infortunes , le bonheur de la France ,
était dans cet âge où les grâces de l'esprit et de
la figure ont toute la fraîcheur et tout l'attrait de
la jeunesse. Il avait à peine seize ans. Élevé dans
le diàteau de Pau, en Béam, il y avait reçu une
éducation mâle, simple et vigoureuse. Loin ^e
lï'mollesse et de la contrainte des cours, il avait
pris, au sein des montagnes, parmi les en^nts
du pays , une force de tempérament , une gaité
de caractère et un ton de cordialité et de fran-
chise qui le soutinrent dans les situations les
plus épineuses. Son précepteur, le savant et
vertueux La Gaucherie ,j avait cultivé son esprit
et son cœur; mais la nature le servit toujours
mieux que l'art ; elle lui avait fait de riches
avances de culture; il s'abandonna àelle avec
a- 17
DiailizodbvGoOgle.
a58 PARTIE I.- PÉRIOUE III.
confiance et avec succès. L'éiiole da maUieur'dé-
veloppa ses heureuses dispositions. Jamais le
caractère national des Français , sans ses taches
et ses imperfections , n'a paru avec plus d'éclat
qae dans ce prince ; et tes Français dureut adorer
en lui le représentant , ou platôt t'îdéat des qua-
lités aimables et brillantes qui les distinguent des
autres peuples ; en l'aimant ils paraissaient s'ai-
mer eux-mêmes. Intarissable en saillies qui
touchent par leur naïve simplicité, encore pIAis
qu'elles ne charment par ce qu'elles ontdtf fin et
de spirituel, ses bons mots fiirent souvent sa seule
richesse; il les employait pour consoler, pour
punir, pour récompenser ceux qui le servaient.
Patient et sobre dans te besoin r ami du plaisir
et de la dépense dans l'occasion, brave et pré-
voyant ,' se ménageant peu lui-même et ména-
geant beaucoup ses serviteurs , ferme par prin-
cipe, ctément.et facile par penchant, populaire
avec dignité f il vivait familièremeot avec ceux
qui s'attachaieût à sa fortune, et paraissait -des-
cendre de sou rang pour dtMiner du prix à, cette
familiarité. Hardi, actif, entreprenant, multi-
pliant ses mt>yens par la rapidité de ses marches ,
il avait toutes les qualités nécessaires pour faire
la- guerre avec succès, comme chef .d'un parti
dont on ne pouvait se faire obéir qu'autant qu'on
DiailizodbvGoOgle
■CftAPlTBF. XXI. aSg
avait ihi mérite personnel. Ses faiblesses firent
quelquefois tort à ses affaires; mais le plus soii-
yent il savait s'arracher au plaisir pour voler
à la gloire efc au devoir. Ses défauts ne le ren-
dirent jamais méprisable, parce que son cœur
ne fut jamais étranger à ses relations avec les
femipes, et qu'elles eurent toutes cette teinte de
sentiment et de galanterie chevaleresque ^ qbi
Sauve de l'avilissement.
• Son coufit», le. prince de Coudé, plus grave,
plus réfléchi , plus ambitieux pour son âge, était
son camarade et son ami. Ils parurent ensemble ° '
snr la scène., et connurent l'émulation sans con-
naître la jîdousi'e; Coligni veiit profiter du coù-
tage et de la confiance que Tarrivée des* deux
princes a répandus dans son amlée, et reprend
de nouveau l'offensive. Le combat de Roche-
Mbeille se termine à son avantage;" mais les
protestants souillent leorvicîoiï-e parleur cruauté.
Coligni met le siège devant Poitiers ; la ville fait
une belle défense; le duc d'Anjou s'avance pour
la délivrer; l'amiral abandonùe le siège et ni^-
cheà-sa rencontre; la-bataille s'engage près de
itlontcontour, et^ malgré'les renforts que' hd'à
amenés le duc desDeiïs-Ponts , Colig'nt est battu-
A^rès Cette victoire-, la France croit que le (ïiic
^'An)on va podrsurvre lès restes ides protestants;
'7-
DiailizodbvGoOgle
a6o PARTIE I. PÉRIODE III.
mais son iadolenoe et son goût pour le plaisir
l'empéchcRt de profiter de se$ avantages. La
pmdence et l'activité de l'amiral lui fournissent
les moyens de réparer se» pertes , et de livrer ,
près d'Aniai-le-Duc, un combat dont le succès
reste indécis. Cependant, Charles IX, jaloux de
la gloire de son frère , incline pour la paix, afin
de n'avoir plus besoin de ses services. Catherine
veut employer de nouveaux moyens potir dé-
truire les protestants, et, -dans ce dessein, il
faut les endormir en leur accot^i^ une paix
iSjo. avantageuse. Elle est conclue À Saint-Germain-
en-Laye, On accorde aux Calvinistes une am-
nistie générale, le libre exercice de leur reli-
gion , le droit de parvenir k toutes les charges
de l'État, la permission de récuser six juges dans
les parlements, et. quatre villes de sûreté. La
paix paraît satisfaire les protestants; mais l«s
catholiques murmurent : Médicis les flatte , les
caresse, en attendant que les circonstances lui
permettent de découvrir ses artifices, et que le
moment soit venu de frapper un coup décisif.
Dans le traité de Saint -Germain, on avait
airété le mariage du jeune roi de Navarre avec
Marguerite'de Valois, sœur de .Charles IX. Xe
temps des noces est fixé ; les préparatife se font
avec toute la pompe imaginable. Cette union
DiailizodbvGoOgle
cHAptTRE Kxi. a6>
doit terminer tous les troubles et prëveritr- tou-
tes les guerres. La noblesse protestante est
invitée k se rendbre aux solennités du mariage.
Elle accourt de toutes les parties' du royaume ,
et , pour honorer te roi de Navarre , elle paraft
avec éckit à Paris, et y déploie la plus grande
magniâoence : GoHgili lui-même vient dans la
capitale; Charles témoigne du respect et nffême
de la confiance à ce vieillard , qui , jaloux d'as-
surer la tranquiUite de la France, propose au
roi de diriger au dehors l'inquiétude des Fran-
^Siis, et de toumerSes armés contre la maison
d'Autriche. Charles adopte ce projet avec cha-
leur. Catherine, qui. craint fascendant de la
vertu , emploie le crime pour la perdre ; la reine
de Navarre meurt subitement, et c'est le poison
qui termine ses jours; Coligni est blessé par un
assassin. Henri, duc de Guise, qui l-eproduit les
vertus de son père avec des vices qui étaient
étrangers à ce grand homme, qui lui est égai
pour le génie, sup^ieur'eti ambitibn, et qui
brûle de venger sa mort , est l'àme des projets
de Médicis. Elle assiège son fils dé vaines' tér-
. reurs; elle lui persuade qiie les réformés ont
conspiré contre lui et contre toute la maison
royale; qu'ils ne se sont ^ndus en si' grand
nombre à Paris , que pour exercer d*horr9iles
DiailizodbvGoOgle
a6a PARTIE I. PÉKIODE III.
vengeances., él qu'il est perdu s'il ne se bâte de
les prévenir. Agité pat les fantômes qu'elle lui
pré^nte, Chiu-les ne se pos.sèd« plus lui-même,
^ et signe l'ordre de massacrer tous les protestants. ,
A minuit, la cloche de Saint-Germain-l'Âuxer-
rois donne le signal du carnage. Là commence'
Vfiç longue suite de crimes épouvantables, dont
les siècles n'<mt pu aifeiblir rhorreur, et que
l'imagination , succombant sous le poids de la
f^alité, ne peul ni se représenter ni- peindre di-
goanent. SoisWïte-dij; mille. Français périssent
égorgés par tes ordres -de leurroi, qui ne dé-^
daigne pas de se ranger lui-même parmi les as-
sassins ) c'est un de ce^ mc^ents , trop communs
dap^ l'histoire, où l'on Croirait quç les lois mo-
rale; sont effacées de toutes les consciences; et
pour se .récpoçilier avec l'espèce huiïiaine, il
Ëint ^e rappeler des traits de .vertu qui prouvent
que lp,nature. morale vivait encore dans le cdeur
des Français,: et Imposer ^i regards &tigués sur
la ^^uéreuse désobéissanice de Jlénnuyer, de
Jannin, d'AspFPiflont, de Tendflsv et de quelques
a^p^i q;^i ^feTvitient Ch^rli^ m^^é liii-mêmev
«t.refq^l^t. d'ç9re \^ bbiwreau^'ffe leurs con-
citoyens. ;:;-,,!■
Le grand crime' (p^i: Tenait de, se commettre
eir,:fraflÇ«'. fPPnpli': l'liMrofw entière d'iadign»-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXI. 363
tipn et d'eflGroi. Rome et l'Espagne seules firent
des feux de joie et remercièrent le cîel de cet
heureux ^Ténement; mais les peuples mêmes de
ces contrées ne partagèrent pas l'alïreuse satis-
faction de leurê souverains. Partout ailleurs il
s'éleva un cri général contre cette exécrable
action. Elisabeth et sa cour en portèrent te
deuil. Charles, qui avait osé tirer sur ses propres
sujets fityant ses ordres cruels, eut horreur dé
son délire quand le Aioment de la fièvre fat
passé; et, dans les lettres qu'il écrivit, il rejeta
le'massacre sur les Guisos.; mais sa mÈré lui fit
Sentir les conséquences de cette démarche , et
huit jours apr^s il tint un lit de justice dans le
parlement, et, ne rougissant pas de parler de
Ces forfaits dans le sanctuaire même de la loi ,
iïprêta àui réformés les projets les plus odieux;
et préteiidit que tout ce qui s'était fait, n'avait
été quune mesure nécessaire contre une Con-
spiration qui menaçait de tout abîmer. Rien ne
-prouve mieux la fausseté de ces accusations que
lé peii de résistance que les réformés oppos'è-
rent à leurs assassins ; il n'y en eut que deux
qui se défendirent.
Le roi de Navarre et lé prince de Condé n'a-
vaient sauvé leur vie qu'en déclarant vouloir se'
foire instruire. Charles, entouré de ses gardes,'
DiailizodbvGoOgle
a64 PARTIE I. PÉRIODE III.
leur avait crié dans le moment du massacre : La
messe ou la mort! et ces jeunes princes intimi-
dés avaient cédé à ses menaces. Dans le pre-
mier ef&oi , les réformés crurent qu'on allait les
poursuivre i extinction , et qu'ils ne se relève-
raient jamais de ce coup. Les uns essayèrent de
sortir de France , les autres se sauvèrent dans
les marais du Poitou et dans les défilés des Cé-
vennes. Après ces scènes sanglantes* on pensait
que la cour profiterait de la circonstance poiir
exterminer le parti ; heiu-eusem^ent elle fut in-
conséquente, et ne fit pas tout le mal qu'on
avait droit d'attendre d'elle. Au mois d'août , elle
avait massacré les réformés ; au mois d'octobre
de ta même année , elle promit de les protéger
et de leur rendre leurs biens. Mais , en même
temps, elle ordonne d'assiéger la Rochelle, Ni-,
mes, Montauban, Sancerre, les derniers asiles
des religiontiaires , qui se préparent à les défen-
dre , et invoquent le secours de l'Angleterre.
La Rochelle est menacée la première ; le brave
Iji Noue y commande; vrai citoyen, attaché
également à sa religion et à sa patrie , zélé sans
fanatisme et modéré sans faiblesse, La Noue
jouit de la confiance des deux partis. Charles
l'avait nommé gouverneur de la Rochelle, et
cependant les Rochellois lui abandonnent le soin
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XÏI. a65
de défendre la place contre l'armée .de Charles,
qui s'avance sous les ordres du duc d'Anjou.
La ville fait une belle résistance. La Noue ré-
pond à la confiance des calvinistes par les me-
sures.s^es et vigoureuses qu'il prend, à celle
du roi f n exhortant les calvinistes à la paix. Le
duc d'Anjou presse mollement le siège, et son
indolence l'empêche, de réussir. Bientôt il ap-
prend que l'argent prodigué par Jtlédicis en
Pologne, et l'habileté de Montluc, chargé de
conduire cette négociatigo , lui ont procuré le
trône ^ Polo^e, Pressé d'aller prendre posses-
sion de sa nouvelle couronne, et voulant ter-
miner la guçrre avant son départ, il se hâte de
conclure la paix avec les religionnaires ; ils ob-
tiennent le droit de» qélébrer librement leur 1573.
culte à la Eochelle , à Nîmes, à Montauban. La
ville de Sancerre abandonnée, soutint encore
uu siège de deux mois , et liit ensuite déman-
telée.
Henri quitte la France ; Médicis se sépare à
regret de son fils chéri; Charles éprouve une
joie secrète en voyant son successeur s'éloigner.
Ije roi de Pologne recueille, sur son passage en
Allemagne, des expressions non équivoques de.
l'horreur qne la Saint-Barthélemi a excitée dans
tous les pays, et il va dans ses nouveaux États,
DiailizodbvGoOgle
^66 PAKTiE 1.— PÉRIODE 111.
vivre avec les Français qiii l'ont accompagné,
manquer aux^ serments qui le lient hhx' Polo-
ifiùs, s'ennuyer avec eux et s'en faire mépriser.
A peine est-it sorti de France, que la cour de-
vient le théâtre d'intrigues nouvelles. Le* parti
des Montmorencî avait été contraire aux projets
homicides qii'dn avait exécutés-; mécontents de
l'administration, ou plutôt irrités de ce qu'elle
né leur était pas confiée, ils s'étaient rapprochés
des huguenots. Confondant leurs plaintes et
leurs désirs , ils demandent hautement la convo-
cation des États-Généraux , pour réforr*r tous
les abus. Voulant se distinguer des autres par-
tis , ils prennent le titre de Politiques , et gagnent
le duc d'Alençon, le plus jeune des fils de Ca-
' therine. Ce prince avait pFus d'inquiétude que
d'ambition, et peu de moyens. Jaloux de tous
les genres de succès , il avait envié à son frère ,
le roi de Pologne, ceux qu'il avait eus auprès
des femmes, comme ceux qu'il avait obtenus
à la tête des armées; mais la nature lut avait
refusé les grâces dé la figure et les talents de
l'esprit. Il avait assez d'activité pour craindre le
repos , sans avoir assez de force et de tenue
pour supporter une vie active ; assez.de "vanité
pour désirer dé jouer un rôle dans les^afFaires,
et trop de légèreté et dlnconséquençe pouf
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXI. a(>7
s'acquitta de celui que les circonstances lui
présentaient. Il entreprenait beaucoup et n'a-
chevait rien. Son zèle se refroidissait pluspromff-
tement encore 'qu'il ne s'était allumé. Tel était
rhomme que les mécontents voulaient mettre à
leur tête. Ils domptaient le créer Keutenant-gé-
néral du royaume. Le rang du duc d'Aleîïçon
Légitimait en quelque sorte les vues- de leur am-
bition , et on lui persuada facilement qu'il était
fait pour sauver l'État. Ses favoris, La Môle et
COconas , l'euivraieut des fumées de l'espérance
el de l'orgueil. Il devait quitter la cour où il était
surveillé pour se mettre à la télé des protes-
tants. Le projet manqua parce que les mesures
avaient été mal concertées.. Catherine fit juger,
condamner et mourir La Môle et Coconas , gar-
der à vue le roi de Navari-e et le duc d'Alençon ,
mettre à la Bastille les maréchaux de Montmo-
renci et de Côssé; et les complots qui devaient
la perdre ne servirent qu'à augmenter son
pouvoir.
Encore , s'ils avaient attendu ma mort ! s'écria
douloureusement le jeune roi, en se sauvant dé
Saint-Germain à Paris, au premier bruit de la.
conjuration. Entouré de dangers et d'ennemis,
il s'était de nouveau entièremeiit abandonné à
sa mère , dont il avait commencé à se défier.
DiailizodbvGoOgle
268 PARTIE I. PÉRIODE I ï I,
Depuis le massacre de la Saist-Barthélemi , ce
malheureux piince n'avait f^it que languir. Agité
de remords et de craintes , inquiet sur le passé
et sur l'avenir, son imagination firappée lui pré-
sentait sans cesse les crimes qu'il avait ordonnés^
Le jour et la nuit il se croyait environné des
victîtnes sanglantes de ses fureurs , et d'ennemû
qui se préparaient à venger sur lui le sang inno-
cent. Sa ,vie ne fut plus qu'une longue agonie.
i574- Il mourut dans l'état le plus déplorable. Ses
cruelles angoisses prouvent qu'il n'était pas fa-
miliarisé avec le cnme , et que ceux qu'il a fait
commettre appartiennent t6us à sa mère. Avant
de s'éteindre, il confia la régence du royaume à
sa plus grande ennemie. ]|klédicis en fut chargée
jusqu'à Tarrivée du roi de Pologne.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII. 269
CHAPITRE XXII.
Eut de la France II la mort de Charles IX. Henri III
monté sur le trftne. Caractère de son administratîoD.
Naiuance de la ligue dirigée contre les Bourbons. Ëtata
de Blois. Mort de Gùise. Assassifiat de Henri IH. Henri IV
triomphe de ta Ligue et de l'EsjfMgne. Paix de Vervins.
A. la mort de Charles IX^la France paraissait
calme, mais c'était un calme perfide, avant- '
coureur de longues et terribles tempêtes ; tous
les éléments de discorde , de crime et d'infortune
y étaient réunis dans un même foyer. Les dis-
positions du peuple, l'animosité des partis, les
intrigues des grands, les mœurs publiques, et
la corruption de ta cour , annonçaient à l'État les
plus grands malheurs , et te menaçaient d'une
désorganisation entière. Quatorze années de
troubles et de guerres civiles avaient rompu
toutes les habitudes de travail, de repos et d'o-
béissance dans les classes inférieures de ta so-
ciété. Des révolutions continuelles avaient donné
le besoin des mouvements et des troubles. On
les avait désirées comme moyen; beaucoup de
=dbïGoogIe
a7« PARTIE U PÉRIODE 111.
gens avaient 6ni,par les aimer, et ne voyaient,
rien au-delà. Nombre d'individus, dans toutes
leS" provinces , aimaient mieux vivre de butin
que de travail, profiter des troubles que les pré-
venir , et employer leur force à désobéir impu-
nément aux lois que de s'en servir poiir les pro-
téger ; ceux qui n'avaient jamais rien eu à
perdre, comptaient refaire leur fortune dans le
bouleversement générât. Les catholiques .avaient
commis tro'p de crimes pour s'arrêter dans le
plan de détruire les protestants, et pour se re-
fuser à quelques-ut^ de plus qui semblaient de-
voir leur assurer un triomphe complet sur leurs
adversaires. Les protestants avaient trop souf-
fert pour ne pas désirer la vengeance, et ils.
étaient encore assez puissants pour l'espérer.
I^s pairtis de Montmorenci et des Guises exis-
taient toujours. Les premiers avaient fait avec
le roi de Navarre et le duc d'Alençon une coa-
lition dictée par la nécessité seule; les autres,
dirigés par un jeune homme qui avait hérité du
géuiey de l'ambition et des projets de son père,
étaient regardés comme les auteurs de la Saint-
Barthélemi, et ce grand crime donnait la me-
sure de leur audace , de leur crédit et de leur
attachement à la religion catholique. Dans le
fond, les deux sectes suivaient- des chefe itidif-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII. .271
férénts sur la doctrÎDie et sur le ciilte; les gMerres ,
les massacres, les querelles, les débats, les écrits
polémiques qui avaient allumé ou nourri le fa-
natisme du peuple, avaient éteint celui des
hommes considérés, qui avaient passé de la con-
viction au doute, et du doute à l'incrédulité ;
mais ils n'en étaient que plus dangereux, parce
qu'ils en devenaient plus propres à diriger le
fanatisme de lenxs partisans , et que , sous le
masque de l'hypocrisie , ils allaient plus sûre-
ment à leur but. La cour était une véritable
sentine de corruption et de désordres. Les étran-
gers les plus dépravés y accouraient de toutes
parts oflirir à Médicis les ressources de leur es-
prit et le secours de leur bras, et naturalisaient
en France l'empoisonnement et l'assassinat. La
reine employait les charmes et les mœurs fa-
ciles des femmes de sa cour , pour séduire et
captiver ses ennemis. Ses dames la suivaient
partout, et elle ne marchait jamais sans cet es-
cadron volant. Le commerce journalier et intime
des deux sexes avait ôté à l'amour le caractère
tendre , i;espectueus , moral , que lut avait donné
la chevalerie ; et l'on n'y avait pas encore sub-
stitué cette galanterie décente , ni cette politesse
délicate qui sauvent du moins les dehors des
mœurs. La férocité des hommes rendait les
DiailizodbvGoOgle
aya- partie i. — pimoDK m.
femmes violentes et cruelles, et la hardiesse ef-
Iréoée des femmes rendait les hommes étrangers
au sentiment. Il ne restait de l'ancienne cheva-
lerie que le goût des choses extraordinaires ;
mais on le portait dans le désordre et le crime,
et il y multipliait les raffinements et les excès.
Dans ces temps de troubles, les confraternités
d'armes devenaient des confraternités d'intrigues
' et de conspirations. La manie de mêler à tout
la dévotion, subsistait encore; mais, bien loin
d'épurer l'amour, elle ne faisait qu'ajouter l'im-
piété au dérèglement, et enfantait les supersti-
tions les plus bizarres. On consultait les astro-
logues pour prévoir les succès; où employait ieS
philtres pour s'en assurer, et l'on avait recours
aux sortilèges pour se débarrasser de ses rivaux,
"f elles étaient les mœurs générales à l'époque
où Henri fut appelé au trône de France par la
mort de son frère. Il ressemblait trop à son
siècle pour le changer. Bien loin d'avoir cette
énei^e de caractère qui donne à un souverain
les moyens de régénérer les mœtu^ publiques
par ses lois , par ses leçons et par son exemple,
il réunissait au plus haut degré dans sa personne
les défauts et les vices de la cour la plus cor-
rompue. Son séjour en Pologne n'avait fait que
développer ses mauvais penchants. Il était brave
Diailiz.dbvGoOglc
CHAPITRE XXII.. 373
mais il ne l'était que datis les moments critiqnes
et décisif. Enclin^ l'indolence et à la mollesse ,
il n'avait pris àsiia les camps ni une humeur
belliqueuse, nides habitudes guerrières. Le vœu
des Polonais t'avait transplanté dhns un pays
étranger aux arts et à la culture du midi de l'Eu-
rope , et entouré de voisins plus barbares; par-
mi une nation qui ne connaissait qu'un luxe
grossier , où il régnait plus de magnificence que
de goût , et où les plaisirs et les désordres de
la cour de France étaient également inconnus.
Après avoir donné quelque temps à la représen-
tation, qu'il aimait, et pour laquelle il était fait,
Henri s'était enfermé dans son palais avec les
favOTis qu'il avait amenés, et avait tâché d'y re-
tracer l'image des fêtes bruyantes et licencieuses
auxquelles U était accoutumé. Ce liit là que les
jeunes gens qui étaient.à sa suite, acqinrent sur
lui cet empire absolu qui fut si funeste à la
France , qu'il s'abandonna à une entière oisi-
veté, que l'ennui, déréglant son imagination,
W pervertit, qu'il prit l'habitude de ne tenir
aucun compte de l'opinion, et de oe pas plus
respecter la décence que la morale.
Sa mère se hâta de lui annoncer la mort de
son frère. Cette nouvelle lui parvint dans l'es-
pace de quatorze jours. Transporté de joie de
:,, Google
374 PARTIE. I. fijtlODE III.
cet événement, qiil le tirait de son exil, il ne
consulta que son iinpatienc^t celle de ses ^-
voris. Sans penser i ce qu'il fierait à la nation
qui Tavait honoré de la couronne, ni à ce qu'il
se devait à Idi-tnéme , il se déroba la nuit de son
palais, àl'insu de tout le monde, de.crainte ^e
son départ ne fût retardé. A. leur réveil^ les Po>
louais apprirent que leur roi avait déserté son
■ trône. Ils le poursuivent, et l'atteignent. en Si-
lésie ; Henri les berce d'e^érancés vaguer , et
. continue sa route. La manière indigne dont il
quitte le trône de Pologne, annonce à l'Europe
comment il remplira celui de France.
Il avait été plus pressé de partir qu'il n'était
pressé d'arriver. lies plaisirs et les iiêtes rarrêtè-
rent à Vienne et à Venise. Partout on luidonna
le conseil de maintenir la paix en France , et
d'empêcher la naissance.de nouveaux troubles,
en accordant aux calvinistes protection et sûreté.
Il aurait fallu , pour cet elFet , se faire .estimer et
craindre des protestante et des catholiques , ga*
guer les honnêtes gens par une administratidn
sage et paternelle , contenir les factieux par la
fermeté et la justice, et suivre avec constance
et vigueur un plan uniforme. A peine Henri
eut-il pris possession du sceptre , qu'il devint le'
jouet de tous les partis. La France Je revit plus
/f^»
■ o^cfTOS
=dbïGoogIe
CHAPITRE XXII. a^5
frivole, plus incapable, plus corrompu qu'il ne
levait été. L'éclat qu'avaient répandu sur sa jeu-
nesse quelques actions brillantes, s'était eâacé.
Le Français, toujours l'eanemi secret de ceux
qui le gouvernent, qui reconnair difficilement
une supériorité quelconque , et lui obéit plus dif-
ficilement encore, le Français, toujours prêt -à
passer le niveau du ridicule sur tous les objets,
devait couvrir de ses mépris un prince qui pas- '
sait sa journée à jouer avec de petits chiens ou
bien à arranger des diamants ; qui , croyaot de-
voir s'occuper d'actes de religion , et ne pouvant
renoncer à ses frivolités, tâchait de les allier
ensemble , et faisais du culte un- spectacle, de
la pénitence une ferce, et des processions autant
de mascarades. '
Le parti de» politiques ou des mécontents, né
la dernière année du règne de Charles IX, sub-
sistait toujours, et ses' liaisons avec les protes-
tants étaient devenues plus intimes. Cette coa-
lition était redoutable. Elle ne se contentait
plus de demander la liberté des cultes : elle pa-
raissait vouloir qu'on réformât les abtis de l'ad-
ministration , et sollicitait hautement la convo-
cation des États-'Généraux ; mais , dans le fait,
plusieurs des chefs se proposaient de démembrer
la France,' et d'y former des souverainetés indé-
=dbï Google
■^"jG . PARTIE I. PimODE III.
pendantes , ou d'y établir des formes démocra-
tiques et de faire du tout une espèce de répu-
blique fédératîve. L'opposition des vuc^ et des
intérêts des chefe, la naissance de la ligue, le
génie et les vertus de Henri TV, éloignèrent de
la France une révolution qui l'eût rendue' im-
puissante au-dehors, et qui, dans l'intérieur,
l'eût fait passer du despotisme à l'anarchie, pour
la ramener au despotisme-
Cependant la coalition était menaçante. Le
ducd'Alençon, mécontent de son frère, qui l'ob-
serve, le soupçonne , et le fatigue par ses plai-
santeries, échappe à sa surveillance, se sauve,
et va se mettre k la tête des coalisés. Le roi de
Navaire suit son exemple, se retire dans la
Guienne, sert la cause des mécontents , et s'ar-,
racbant à l'inaction et à la mollesse , entre dans
ia carrière de la vie active, pour ne plus la quit-
ter. Le comte palatin, Jean Casimir, amène au
secours de la coalition une forte armée , et les ,
étrangers viennent de nouveau se mêler'des que-
^ relies domestiques des Français. Henri, intimidé
• par les forces des mécontents j et craignant tout
ce qui peut troubler ses plaisirs , charge sa mère
de négocier là paix à tout prix. Médicis se pré-
sente, à la tête des femmes de la cour, au duc
■S76. d'Alençon. Le prince est ébranlé; elle le presse.
:.,Goo^c
CHAPITRE XXII. 277
et conclut, avec la coalitiou, un traité ttéshono-
rant pour le roi, coDlraire au bonheur de la
France , et dans lequel les intérêts du trône et
ceux de la religion catholique sont également
sacrifiés.. On cède au duc d'Alençon l'Anjou, la
Touraine , le Beiry , avec tous leurs revenus ; les
protestants obtiennent la liberté de célébrer
leur culte dans toute l'étendue du royaume , à
J'esception de Paris; oa leur accorde dans cha-
que parlement , une chambre mi-partîe , qui doit
prononcer sur les points litigieux , et huit villes
de sûreté, où il leur est permis de mettre gar-
nison, et qui doivent garantir à la coaUtion tMl9
les auti«s avantages que le traité lui assure. <
Ce traité de paix donna naissance à la Ilgue^ 1576.
et la Ugue eu&nta dix-huît années d'infortun^
et de guerres. On avait d^a feit quelquefois des
associations partielles etfaibles pour le maintien
de la religion catholique. Celle-ci fut une asso-
ciation générale qui étendit ses rameaux par
toute la France. L'objet ostensible en était la ~
«défense de l'ancienne religion contre tous ses -
ennemis; l'occasion fut la paix honteuse conclue -
à l'avantage des protestants : le but secret était
l'espulûoii des Valois et un changement de ây-
, nastie; mais ce faut n'était connii que des chefs.
Les moyens de la ligue consistaient dans les sa.-
DiailizodbvGoOgle
278 PAani I. ^PÉRIODE III.
crifices <les fanatiques qui n'épar^aient riwi
pour la cause qu'ils défendaient; lesi prédica-
tions et l«ft écrits incendviires qnî enflammaient
et égaraient'les écrits, l'inflocDcé des prêtres,
qui dans le confessicMinal exerçaient nq empirer
|b5(du sur les consciences, et leur ordonnaient
le crime; les bulles du piq>e, l'aient et les
troupes èc' Philippe II, qui voulait combattre
eti France les insurgés des Pays-Bas * et se fl^t-v
tait qu'en attirant de nouveaux malheurs sur le
royauine, îl amùierait le moment où les Fran-
çais, las de leurs agitations «t de leurs peines,
chercheraient le r^os dans ses bras, et se don-
neraient à lui. L'arae de la ligue était Hknri duc
de Guise, Ûs- de -François. Dans la dernière
pierre contre lesprtrtestauts, où le roi n'avait
mouârëque de la ^iblesse, -ce. jeune h^t» avait
. été blessé à l>ai^;res, en combattant les ennemis
de l'état, et en avait- remporté le surnom du
Balafré. Il réunissait toutes les; qualités néces-
saires à un chef de parti dans cette époque mal-
' heurevse : une naissance ilhistre, un. nom chei^
à la France et- à la^reL^on catholique, un ex-
térieur imposant et majestueux, des- manières
prévenantes, dea. résolutions promptes, pro-
noncées et durables ,. de la bravoure et du talent ,
- pour, l'intrigue , un esprit fécond et un lerapé-
:.,C00glc
GU&ftTRE XXII. 379
rameot actif, de l'audace «t de la meuire , une
ambition ^ue hea ne satis&it et que rien n'é-
toQiKe. On a 4>t que le cardinal de l4>iTaine, son
oiide , ava^l formé -le projet de la ligue ajurès ^
batftille de Dreux. Henri de 'Guise réalisa cette
ftnleite.idée,'de concert avec le légat du pape
et l'envoyé d^pagne. Son plan ne fut pas d'a-
bord Aussi Vaste qu'il le devint dans la suite : il
s'étendit avec ses succès. A la naissance de la
ligue , il ne voulait que se rendre 'redoutable au
roi , et parvenir à régner sous son nom.
Baus le dernier traité conclu avec les protes-
tants , on avait résolu de convoquer les États-
GéaéraUx. Us fureut assemblés à £lpis. Bodin, i!»76.
qbi , duis ce siècle de désordres , avait réfléchi
sur les principes constttutifs-des gouvernements,
célèbre encore aujourd'hui par ses écrits, et qui,
mérite surtout de l'être par son patriotisme in-
'comiptible , fit entendre lavoix de la, raison au
railieii des clameurs de la violence et du délire.
L^ états de Blois voulaient limiter l'autorité
rojâle, en créant \m comité p«inanent âe dé-
putés pris dans leur propre sein. Cette mesure
aurait été aussi funeste à la liberté nationale
qu'à l'autorité du prince; sans guérir. les maux
du moment, elle aurait affaibli pour toujours le
pouvoir royal, qui devait un jour régénérer la
Diailizoab'/GoOgle
a8o P\RTIË I. PÉRIODE III.
Fraace, substitué à un roi faible plusieurs ty-
rans , et fait de la monarchie une aristocratie
turbulente. 'Bodin combattit ce plan avetT au-
tant de sagesse que de vigueur : (^tendant la
proposition eût peut-être passé malgré sa résis>
tance, si les États, divisés sur ta conduite à
tenir envers les protestants , ne s'étaient pas sé-
parés sans être arrivés à des conclusions fixes et
générales. Dans ces temps de troubles, les as-
semblées ^ nationales, étrangères à tout esprit
public, n'étaient elles-mêmes que des instru-
ments dans la main des divers partis. *
Henri III, que la naissance de la ligue avait
tiré un moment de son apathie , s'était flatté
d'opposer la volonté nationale à la puissance de
ctftte iaction. Tl avait paru aux États avec tout
l'éclat d'une grande représentation, et y avait
employé toutes les ressources de son éloquence
naturelle , pOur rallier les esprits autour du
trône; mais ce fut sans effet. Il vit clairement
qAe la plupart des membre^ de l'assemblée
avaient signé l'acte de l'union , on se pr^araieut
à le faire. Trop faible pour combattre la ligue à
force ouverte, trop pénétrant pour ne pas me-
surer toute l'étendue du danger qui le mena-
çait, il -prit une résolution qui étonna tous les
partis. Ce fut de se mettre lui-même à la tête de
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII. a8i
la ligue, et d'accéder à une confédération qui
secrètement était dirigée contre lui. Ce moyen
de déjouer les projets de ses ennemis, était
plutôt singulier qtie sage. A la vérité, il parais-
sait propre à reconcilier avec le roi les catho-
liques zélés, mais il équivalait à une déclaratioa
de guerre contre les protestants. Comme les
chefs de la ligue ne pouvaient pas croire à la
bonne foi de Henri , cette mesure hasardée de-
vait être à leurs yeux un aveu formel de son
impuissance, ef il était facile de prévoir qu'ils
ne présenterafent aux fanatiques du parti , son
accession à là ligue , que comme une ruse de
guerre et une nouvelle preuve de sou hypocrisie.
Après cette démarche décisive, qui ne récon-
ciliait pas les ligueurs avec le roi , et qui leur
donnait le secret de sa faibletise , il iallait du
noins qu'il épousât avec çhalefir les affections
de la ligue , et qu'il évitât ces demi-mesures qui,
dans les otages des guerres civiles, irritent tous
les partis. Henri en sentit un moment la néces-
sité : il rompit la paix conclue avec les pi'otes-
tant», et les hostilités recommencèrent. Elles se 1577.
firent mollement. Le roi manquait de troupes ,
d'argent , et surtout d'une volonté bien pro-
noncée. Il craignait d'augmenter les prétentions
des ligueurs , en agissant avec sévérité contre
j^vGoogle
l8a PAKTIK 1. PÉRIODJi 111.
les calviaistes. L'édit de Bergerac,- qui laisse
aux réformés leurs places fortes et les «hunbres
mi-parties , soulève 'tes catholiques. - Guise , le
Pape, l'Espagne emploient, pour enflailiiner les
passions des zélateurs , leurs armes ordinaires ,
les prédications et les pamphlets incendiaires.
Cependant le défaut ^e moyens , des ménage-'
ments politiques, la conduite ferme et habile
du roi de Ifavarre> et du prince de Condé, ar-
rêtent encore l'impétuosité des ligueurs f mais
la mort du duc d'Alënçon, frèr^ unique du roi,
i384. devient le ^nal de nouveaux désastres. Ce
prince entre[»%nant et mobile^ se mêlant de
tout , et ne conduisant rien à terme , mourut
subitement, après avoir joué dans leS' Pays-Bas
un râledigne'de son caractère; Tant qu'il avait
vécu , rambitïon de Guise n'avait pas empli^é
ouvertement contre le roi les grandes ressonrcea
<Iont il pouvait disposer.' Que lui aurait'^l servi
àe détrôner Henri? son frère le remplaçait; mais
la' mort' du duc d'Alënçon ouvre à Guise des
> perspectives aussi vaste» qu'imprévues; son
imagination s'en saisit , et il s'empresse de les
réaliser. La ligue n'avait été qu'un moyen pré-
paré avec art , pour produire un grand boule-
versement, dans un but quelconque. Maintenant
le but est déterminé. Le roi n'a point d'enj&nls.
ailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXII. î83
Henri de Navarre «st un hérétique qui ije sau-
rait l^ii succéder. Le tlnc de Guise se voit déjà
sur le trône. Des généalogistes 'complaisants le
font descoidre en ligne directe de Cbarlemagne,
et publiait que la race de Gapet et de Valois est
une race d'usurpateurs. Ht pape promet de
lancer ses bulles et d'approuver toutes les dé-
mardbes qui auront besoin d'être légitimées.
L*Ëspagne applaudit à ce plan. L'ordre de la
succession une fols bouleversé, et l'héritier na-
turel exclu du trône, Philippe ne désespère pas
de voir porter le sceptre de France à un prince
ou à une princesse de sa maison. Guise, aussi
adroit qu'audacieux, se propose de se servir,
pendant quelque' temps,, du nom du cardinal
Charles de Bourbon, oncle du roi de Navarre,
pour voiler ses projets ambitieux et ses vues
personnelles.
' Intimidé' par la hardiesse des propos, îles
écrits et des actions des ligueurs , qui va tou-
jours croissant, Henri voudrait employer la
politique que sa mère a suivie dans le com-
mencement des troubles civils , contenir les
protestants et les catholiques , le parti des Guises
et celui du roi de Navarre, en les abaissant et
les élevant tour à tour. Mais cette mardie arti-
ficieAse était moins que jamais adaptée aux
DiailizodbvGoOgle
284 PARTIE I. PÛAIODE III,*
circonstances. Obligé de se déclarer pour ou-.
contre te» ligueurs , le foÎ conclut avec e^px le
i585. traité de Nemours, leur accorde dix places de
sûreté, et redemande aux huguenots celtes qu'ils
ont obtenues par les traités précédents.
La guerre était inévitable ; elle éclate. Heurt
est forcé , malgré lui , de combattre les protes-
tants, et il tes combat avec désavantage. Le roi
de Navarre, à la tête d'une armée peu nom-
breuse , mais qui adore son ctief ^ remporte ,
près de Coutras , une victoire signalée sur celle
iSS?. du roi, commandée par Joyeuse. Ce favori de
Henri III est tué dans la bataille. Guise, qui ne
perd pas un moment _de vue son plan , profite
de cette déiaite pour calomnier le roi dans l'es-
prit du peuple, et l'accuse d'entretenir des in»
telligences secrètes avec les protestants. Dans
le même temps , il obtient de Rome une balle
qui déclare le roi de Navarre et le jjrince de
Condé déchus de leurs droits à la couronne, et
proclame le vi,eux cardinal premi^ prince du
sang.
Cependant Paris devient le foyer des troubles
et le centre des opérations de là ligue. Réunis
sur un point, les esprits s'exaltent ; les têtes s'é-
chauffent ; tes factieux peuvent , avec la phis
grande facilité , donner les ordres , répandre tes
:,, Google
CHAPITRE XXII. a85
impressions,' communiquer les idées dont ils
ont besoin ponr réiisùr. Une populace nom-
breuse , ignorante et pauvre , qu'il coûte peu
d'acheter et de séduire; qui croit tout, convoite
tout, ne peut que gagnw au désordre; à qui
ses chefs promettent du bulin et les prêtres le
ciel pour prix de ses crimes, devient une véri-
table armée, susceptibledese former et se séparer
avec une égale promptitude. Des hommes plus
éclairés et plus réfléchis dirigent cette multitude
de bras. Les députés des seize quartiers de Paris
composent un conseil qui gouverne la com-
mune, et qui, par ses correspondances et ses
écrits , étend son pouvoir sur toute la France ,
et pousse au loin ses rameaux. Les fourbes et
les fanatiques se partagent l'autorité. Les citoyens
probes et honnêtes seuf](^rent, se taisent, et per-
dent la chose publique par leur silence et leur
inaction. La religion et Guise ne sont plus sé-
parés dans les discours et dans les cœurs. Le
méfHÏs et la haine pour le roi montent à leur
comble. On lui prodigue les noms les plus
odieux , on le menace ouvertement. Le duc de
Guise , qui a taillé en pièces une armée d'Alle-
mands, avec laquelle le roi de Navarre aurait
pu <4>érer sa jonction , s'il n'avait pas perdu un
temps précieux , fier de sa victoire , se met en
DiailizodbvGoOgle
af)6 pA.ttTiK I. — p:ériode III.
marche pour Paris, dans le dessein d'y dicter
des lois. Le roi lui défend de s'y rendre. Cet
ambitieux , qui ne respecte et ne craint plus
rien, y paraît malgré ces ordres. Sa présence
augmente l'effervescence générale. Henri ne se
croit plus en sûreté , et fait entrer dans Paris
un corps de troupes suisses. Il irrite le peuple
par cette précaution; et, en différant d'employer
ces forces ,' il tourne cette mesure contre lui-
même. Le peuple, voyant que la force armée
reste immobile, et paraît le craindre, t'attaque
et l'oblige à reculer; les chaînes sont tendues
dans les mes de Paris ; on pousse les barricader
jusqu'au Louvre , et Guise- a besoin de tout
son ascendant sur les esprits pour empêcher le
massacre des Suisses. Ce service iait sentir au
roi toute sa nullité et jtoute l'étendue du pou-
i588. voir de Guise. Il quitte furtivement Paris, tan-
dis que Catherine de Médicis amuse son ennemi
par de feintes négociations. Guise profite de
cette évasion pour déployer dans la ville sa toute-
puissance. Il déplace les magistrats et en nomme
d'autres ; il s'empare de ta BastUle : tout lui
obéit. I.e moment est venu où il peut précipiter
du trône le dernier des Valois, et y monter
lui-mêîne; mais il diffère l'exécution de sxmi
plan, soit pour donner à ses démarches une
j^vGooglf
CÏIAPITHE XXII. 387
sorte de légalité, soit que les caractères les
plus audacieux aient des moments de timidité
et de scrupule. Henri a de nouveau recours aux
négociatioos ; il flatte et caresse ses sujets ré-
voltés. Les protestants doivent être exterminés.
Guise doit obtenir un degré de pouvoir qui
le rende à peu prés indépendant, et tes États
sont convoqués à Blois pour réformer tous les i588.
abus (lu royaume. Le rtii espère trouver dans
cette assemblée nationale de l'appui contre
Guise , le con^attre avec ses propres armes ,
gagner le peuple , en s'eovironnant des formes
coustitutionuelles , et' perdre son ennemi en
rivalisant avec lui de popularité. Les États s'ou-
vrent, et Henri voit avec effroi que la grande
majorité des députés adopte les principes, et
- partage les afFections des ligueurs. L'édit d'union
est déclaré loi de l'état. Guise, parlant d'un ton
de maîtr* , fait des demandes et forme des pré-
tentions qui tendent à dépouiller le roi de toute
son 'autorité. Henri se réveille sur le bord du
précipice. La peur lui donne un moment le
courage de la résolution , mais il ne résout qu'un
lâche assassinat. A la fois furieux contre- Guise
et impuissant dans sa fureur, -il n'ose lutter de
front contre un sujet rebelle ; il distribue lui-
même les poignards aux assassins, et- Guise
=dbïGoogIe
att8 FAUTIR I. PiKIODE Ifl.
tombe percé de coups , dans le moment où il se
rendait au conseil du roi.
Il fallait du moios recueillir le fruit de ce crime.
Si le roi se fut rendu sur-le-champ à Paris y il
aurait pu frapper un coup décisif, et profiter de
la première consternation que la nouvelle de la
mort de Guise y avait répandue, pour recou-
vrer son autorité ; mais , toujours ami des demi-
mesures , et fidèle à son caractère , Henri laisse
à Paris le temps nécessaire pour se reconnaître.
La fiireur y succède bientôt à l'étonnement.
L'ambassadeur d'£spagoe et les Seize rallient les
esprits. La duchesse de Montpensier, sœur de
Guise, ennemie personnelle de Henri lU , souille
la vengeance dans tous les cœurs. Mayenne suc-
cède à son frère dans la direction de la ligue.
Plus sage, plus modéré, avec moins d'éclat et
moios d'audace, il a trop d'ambition pour se
refuser aux dangereux honneurs qu'on lui pro-
digue ; et il n'a pas assez de hardiesse pour tirer
des circonstances tout le parti possible.
Les Etats assemblés à Blois nomment un co-
mité de quarante personnes pour gérer les affoi-
res générales du royaume. Henri est excommu-
nié. On prêche ouvertement à Paris le régicide ,
on le recommaîide comme l'action la plus méri-
toire. Henri n'a plus d'autre asile que le camp
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII, 28g
des protestants; l'intérêt de sa siireté lui dicte ce
parti; la politique conseille au roi de 'Navarre
de le recevoir; leur entrevue a Keu au château
de Plessis-lès-Tours. Les deux rois marchent sur
Paris pour y étouffer la révolte; l'armée des cal-
vinistes est renforcée par tous les royalistes purs ,
étrangers à tous les partis, et par les ennemis
personnels des Gui&es ; les bons citoyens con-
çoivent de nouvelles espérances. Dans le moment '
où les affaires de Henri prennent une direction
plus favorable, il est assassiné à Saint-Çloud, par 1589^
un dominicain nommé Jacques Clément, dont
le fanati.sme a échauffé l'imagination. En plon-
geant le poignard dans le sein de son roi , il sait
qu'il marche à une mort certaine, mais il croit
l'ecevoir, en même temps, la mort et l'immor-
talité.
Ainsi périt le dernier des Valois. Cette mai-
son malheureuse s'éteignit par un crime, comme
la plupart de celles qui ont régné en France (*).
Henri de Navarre est désigné roi de France par
Valois mourant, et bientôt après proclamé par
l'armée tout entière. Il prend le nom deHenri IV;
{*) Childénc m, le Jemter des Mérovingiens, fut dé-
trôné, rasé et jeté dans un cli^tre par rambitienx Pépin.
Louis V, le dernier des Carlovingiens , fraya par sa mort
2 19
=dbï Google
290 PARTIE I. PénlODE III.
mais le royaume ne le ^connaît pas ; et il se
voit dans la cruelle nécessité de reoonquérir ses
propres états. Les ligueurs se divisent. Ils se réu-
nissent tous à ne pas vouloir un rtoi protestant ;
mais les uns destinent la couronne k Mayenne ,
d'autres préfèrent le cardinal de Bourbcm, vieil-
lard faible de corps et d'esprit; un troisième
parti, moins nombreux, incline pour l'Espagne.
Mayenne , trop faiMe ou trop scrupiil^ix pour
déférer au vœu de la action qui le porte sur le
trône, proclune lui^n^ne le cardinal de Bour-
I- bon , sous le nom de Charles X , et se contente
du titre de Ueutenant-^néral du royaun>e. Hen-
ri rv, abandonné d'une grande partie de son
armée, qui refuse de s'attacher à sa mauvaise
fortune, est forcé de se retirer en Normandie.
Mayenne l'y suit. La bravoure de Henri et l'en-
thousiasme que ses qualités personnelles inspi-
I. rent à ses troupes, triomphent , près d^Arques ,
des ligueurs et des £spa^ols réunis. L'année
suivante, une victoire plus décisive et plus com-
le chemin du trône à l'heureux Capct. Charles IV, le der-
nier de ta branctie de Capet, mourur aussi de sa mort na-
turelle ; mais les attentats du tiànatistnc rdigieux ont donné
la courooae aux Bourbons , et le crime , sons le masque du
fanatisme poliiiqne , la Leur a ctUevét^.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII. 391
plète que Henri remporte sur Abyenue, près
d'Iwy, aHgmente la gloire de ce prince' sans
améliorer sa situation ; et la France , aveuglée sur
ses iatéréts, s'obstine à repousser du trône celui
qui doit faire son bonheur.
- Le fantôme de roi qui a régné sous le nom de
Charles X, meurt et disparaît. Mais la hgue re-
fuse toujours de reconnaître le légitime souve-
rain. Mayenne lui-même est dominé par les Seize ,
et, bien loin de lui permettre de reculer, ils
l'entraînent en avant. Ces tyrans se permettent ,
durant son absence , les exécutions les plus san-
glantes, et espèrent comprimer par la terreur
les mouvements des hoas câtoyens. Au milieu
du désordre général, les gouverneurs des pro-
vinces veulent démembrer le royaume, et se
créer des souverainetés indépendantes. Philippe
prodigue pltis que jamais ses troupes et ses tré-
sors pour placer l'infante sa fille sur le trône.
Par ses Qtdres , Alexandre de Parme entre en
France , à la tête d'une armée redoutable , afin
d'arrêter les succès de Henri IV. Obligé de lever
le blocus de Paris, Henri voit avec douleur que
la guore se prolonge et que le dénouement
s'éloigne; on lui persuade que le seul moyen
d'écraser la ligue et de pacifier le rpyaume, est
d'embrasser la reli^oa catholique. Il cède, à la
'9-
D,a,l,zt!dbvGb0gIe
aga partie i, — période m.
fin , aux sollicitations pressantes de ses amis , et -
1593, fait son abjuration solennelle à Saint-Denis (*),
(') Henri agit-il dans cette occaMOn par conviction on
par calcnl ? Ce fait restera toujours douteux. Le cardinal
du Perron, qui fut châtié de l'instruire, avait tout ce qu'il
fallait pour l'éblouir et le persuader : un esprit subtil et
brillant, des connaissances profondes, une élocution facile,
et même une éloquence entrûnante. Cette rénnion de qua-
lités était plus que sufIGsante pour ramener à la religion
catholique on priace qui l'avait déjà une foi^ embrassée,
qni, pour concilier son intérêt et sa conscience, souhaitait
secrètement d'être convaincu, et chez qui, plus que chez
tout autre, l'esprit pouvait être la dupe du cœur. Le choix
de du Perron était du motus très-propre à donner le change
. à l'opinion, et à faire cvoire que Henri n'avait cédé qu'à la
force des preuves et des arguments. Mais les réflexions de
Sully sur cette époque de la vie de son maître, et les plai-
santeries qui échappèrent à Henri lui-même , peuvent faire
douter de sa sincérité. Sous le point de vne de la morale,
s'il ne fut pas convaincu , son action peut être excusée par
les circonstances, mais elle ne saurait être justifiée. Sous le
point de vue politique, la question a toujours paru décidée;
et l'on a dit et répété qu'il n'y avait qu'un changement de
religion qui pût assurer le trône à Henri IV, et pacifier la
France. On pourrait peut-être en appeler de cette décision.
La lassitude générale des esprits, et te déùr du repos, qui
ont toujours été les meilleurs alliés des usurpateurs dans
les pays long-temps agités par les discordes civiles, et qui
souvent ont attaché les peuples même à uae autorité illé-
gale; auraient ramené les Français à leur roi légitime, quand
il serait resté protestant, et ses qualités personnelles l'au-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII. 293
au milieu des transports et des bénédictions d'un
peuple immense, qui voit dans cette cérémonie
la fin de ses malheur» et l'époque du rétablis-
sement de l'ordre et des lois.
On recueillit bientôt les heureux eflets de
cet événement. Paris ouvre ses portes au roi.
lies che& des ligueurs négocient leur paix par-
ticulière. Chacun d'eux tâche d'obtenir des con-
ditions avantageuses, et vend chèrement son
obéissance. Mayenne luî^néme pose les armes. i5g4.
Le cardinal d'C^sat, envoyé de Henri à Rome,
réconcilie son maître avec le pape , par un heu-
reux mélange de souplesse et de fermeté , et
obtient pour lui l'absolution. Philippe II voit
échouer tous ses projets. II a voulu démembrer
la France, et elle existe encore dans toute son
intégrité ; il a espéré que l'état périrait , déchiré
raient fait triginpher de toutes les preventioDS et de tontes
les craintes. Sa convecsion ne lui gagna pas les catholiques
zélés, qui doutèrent toujours de sa sincérité; elle ne lui
concilia pas les prètfes, qui ne demandaient pas moins que
l'anéantissement des réformés ; elle n'émoussa pas les poi-
gnards du fanatisme, et souleva les protestants, qui accor
sérent Henri de légèreté et d'ingratitude. Pour ïix calmer,
il fut obligé de donner le fameux édit de Nantes, et cet
édit, mal calculé, devint un principe de troubles et de noti-
veauï malheurs.
DiailizodbvGoOgle
394 PARTIE I. PÉRIODE HT.
par le» guerres civiles, et , après de longs éga-
reiDtos, la nation revient à elle-méxoe, le Iràae
est encore d^KHit, et Heoii IV prcnnet de lui
rendre tout son éclat; Phifippe s'est flatté que
Ws malheurs de la France assureraient en Eu-
rope la dominatK»! de l'Espagne, et qu'elle
os connaitrait plus ni rival ni concurrent ; il
oocnraence à craindre de nouveaux dai^ers. La
France parait épuisée, mais elle a de grandes
ressources , et lui-même s'est afiaibit en travail-
lant à la ruine des autres. Son orgueil s'indigne
de riuutilité de se&e£Eorts; il ne veut pas avoir
prodigué sans fruit ses trésors , et il s'obstine à
n« pas quitter l'arèoe. La journée de Fontaine-
1S98. Française, lui fait perdre toutes ses espérances,
et les négociations s'ouvrent à Vervins entre
VËSpagne et la France. Bellièvre et Sillery ne
sacrifient rien de la puissance réelle de la France;
et par le ton de dignité qu'ils prennent dans les
conférences, ils préparent sa pmssance dans- l'o-
pinion. Après vingt-huit années de combats et
d'intrigues , da crimes et de malheurs , Philippe
n'obtient d'autre avantage que le comté de Cha-
Tolois , et ne remporte de cette sanglante lutte
qoe le pressentiment du bonheur qui attend la
France.
Les talents de Henri, et la désunion de ses
DiailizodbvGoOgle
CIlAI>fTRE XIII. »95
ennemis, leurs crimes et ses vo'tus devaient
umeaer ce dénouement. Le fanaû»ae s'était usé
par ses excès mèisea; les esprits étaient fatignés;
le caTaétère et les -qualités du roi ârent le restç.
Henri IV ne serait probablemeht jamais monté
stir le trône , s'il avait suivi les cooseils de ceux
qui voulaient qu'il cherchât hors du royaume
Un asile et des setx>urs. Il dut scm trionif^
tardif, mais éclatant « à soo otiurage et à sa con-
stance, qui rempéchèrent de dése^iérer de sa
propre cause. £n restant dans le pays, et. en
exposant sa vie tous les jours , connue le moindre
soldat, il provoqua les saçriûces des autres. Ses
partisans eurent un point de ralliement ; sou
exemple fortifia tes hommes énergiques, encou-
ragea les timides, décida les incertains; et le
devœr, personnifié sous ses traits, donna aux
gens de bien le courage de la vertu.
Henri était ntonté sur le trône, mais il était
encore environné de dangers et entouré d'en-
nemis; il fallait intimider les uns, gagner les
autres , et les attacher au nouvel ordre de choses,
par des craintes ou des espérances. La France
avait pui^é sou sc^ des étrangers qui l'infes-
taient ; la masse de la nation était lasse de& trou-
bles , et augurait bien du règne de Henri ; mais
les ligueurs redoutaient de justes vengeances ;
DiailizodbvGoOgle
agG PARTIE I. PÉillODE III.
les esprits étaient tourmentés de défiances et de
soupçons. Le vice ne croit pas facilement à la
vertu : des hommes perdus de crimes, et qui
avaient toujours été implacables, ne pouvaient
pas s'abandonner avec confiance à la démence
du vainqueur. Ceux qui avaient combattu le
roi , devaient naturellement s'attendre qu'il leur
préférerait- ceux qui l'avaieut servi ; ils voyaient
avec douleur , et même avec une fureur secrète ,
que le pouvoir, la considération, les richesses
allaient leur échapper et passer en d'autres
mains. Henri trompa toutes les craintes, et sur-
passa toutes les espérances, par une conduite
vraiment magnanime. Il fit par un instinct du
cœur ce que d'autres eussent fait par politique.
Sa grande ame, au-dessus de toute espèce de
ressentiment, pardonnait sans effort, car elle
avait besoin d'oublier toutes les offenses. Il sentit
que le seul moyen de prévenir la renaissance
des troubles, était d'employer les hommes de
tous les partis , d'opérer le rapprochement des
Français en leur donnant l'exemple de la récon-
ciliation, d'empêcher par sa douceur le déses-
poir du crime, et d'inspirer par sa générosité
des sentiments généreux à ses adversaires les
plus acharnés. S(hi ton loyal , ses manières sim-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITAE ' XXII. 297
pies, sa frauchise dievaleresque ne permirent
pas de douter long-temps de sa sincérité : aussi
parvint-il à éteindre les haines et à calmer les
pa^îoiis qui menaçaieut encore la tranquillité
du royaume. Le désintéressement de ses amis
lui facilita cette tâche diiBcile. Bien loin d'exer-
cer sur te parti opposé des réactions toujours
dangereuses , ils virept sans regret les chefs de
la ligue obtenir les emplois, les distinctions,
les titres auxquels eux-mêmes pouvaient pré-
tendre légitimement. Contents d'avoir sauvé la
France, en plaçant la couronne sur la tête de
Henri, ce noble sentiment leur tenait lieu de
. toute autre récompense. L'amitié du roi suffisait
à leur cœur, et ils étaient fiers de voir que Henri ,
assuré de leur fidélité, répandît ses faveurs sur
ceux qui n'étaient pas assez heureux pour l'aimer.
Insensiblement , le souvenir du passé s'eflaça ;
de nouvelles habitudes prirent naissance ; les
divisions cessèrent; les Français apprirent à s'ai-
mer, les différents partis formèrent un seul
peuple : bientôt Henri put entreprendre avec
succès de réparer les maux du royaume, et de
faire disparaître toutes les traces des guerres
civiles. A sou avènement au trône, la France
n'offirait que des ruines fumantes et des campa-
=dbïGoogIe
agë PARTIE I. PÉRIODE III.
gnes incultes. Tout avait été détruit ; l'agricul-
ture, l'industrie, le cmumerce avaient dépéri,
Jaote de bras, de capitaux, et surtout de sûreté
publique. Dans l'espace de douze ans, toutes les
branches de la richesse nationale rej^iient une
vie nouvelle, et la France renaquît de ses cen-
dres, plus vigoureuse et plus brillante. Les îd-
tentions droites et pures de Henri lY, la tête
et l'activité de Sully opérèrent ces prodiges, et
montrèrent au monde ce que peuvent , pour le
bonheur d'un grand peuple , un roi qui veut le
bieu , un ministre qui sait le faire , et ne vit
que pour exécuter les vues bienjbîsantes de scm
souverain.
Quelque intéressioit qu'il lût de laire succéder
le tableau des créations du génie et de la vertu
au tableau des ravages des passions , l'tH'dre des
faits nous demande d'ajourner encore nos plai-
urs. Avant de voir la FVance acquérir , par le
développ^nent intérieur de ses fcn-ces , une puis-
sance capaUe de menacer l'Espagne, il iaut
fixer nos regards sur les événem^it» qui enle-
vèrent k l'Espagne une partie de ses provinces,
et SUT Tadminiatration d'Elisabeth en Angleterre.
Le despotisme de Philippe a échoué en France
contre Henri IV; il échoua dans le même temps
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXll. 399
contre ses propres sujets. I^es troubles des Pays-
Bas , où l'Espagne perdit ses troupes et ses tré-
sors, fireut une diversion forcée à son activité
malfaisante dans les guerres civiles de la France ,
qui, à leur tour, favoiisèrent les troubles des
Pays-Bas et la naissance de la république des
Provincès-Unies.
p,a,i,;t!dbïGoogIe
PARTIE 1. -
CHAPITRE XXIII.
Eut des Pays-Bas avant le règne de Philippe II. Ktualion
de ces provinces lors de son avènement au trâne. Minis-
tère de Granvelle. Changements inconstitutionnels et
imprudents. Origine des troubles. Leurs prt^rès sous
Albe , Requesens et don Juan. Guillaume sépare les pro-
vinces du Nord de celles du Midi. Union d*Utredit. For-
mation de la république de Hollande.
Jj'hi»toire du monde présente peu de specta-
cles plus imposants que la révolution qui déta-
cha sept provinces de la monarchie espagnole ,
qui créa en Europe une nouvelle puissance ,
changea tous les rapports de la politique et du
commerce , et força le possesseur des mines du
Nouveau-monde à une banqueroute hontetise.
' Un peuple de pêcheurs et de pâtres , relégué
dans des marais où il dispute son existence à
la nature ; qui , pendant une longue suite d'an-
nées , résiste à la première puissance de l'Eu-
rope, se donne à lui-même, au milieu des orages,
un nouveau gouvernement , d'une main combat
les Espagnols , et de l'autre repousse de ses ri-
=dbï Google
CHA^PITRE ^XIII. 3oi
vages la mer qiri les menace , et fertilise, par
un travail opiniâtre , le sol qu'il a conquis sur
l'Océan i des villes florissantes et populeuses
s'élevant du sein des eaux , et rivalisant d'indus-
tFÏe , d'audace et d'opulence avec les premières
nations commerçantes; un état qui, dans le
même temps où son existence en Europe est
encore un problême, couvre les mers de flottes "
victoiieuses , attaque <lans les deux Indes la
base de la puissance de ses ennemis , et , tandis
que l'Espagne n'y voit que des sujets rebelles ,
acquiert lui-même des sujets et des provinces
entières; qui , avec un sol suffisant à peine à sa
subsbtance , devient le pourvoyeur général de
l'Europe, et, parvenant rapidement à une pro-
sp^té dont les causes sont aussi remarquables
que les effets , donne à tous les autres états
d'utiles leçons et de grands exemples ; un tel
phénomène a , sans contredit , de quoi surpren-
dre , et devait exciter l'étonnement et l'admira-
tion du monde. Entre le degré d'élévatioji au-
quel cette nation est parvenue, et son point de
départ , l'intervalle paraît immense : il importe
de voir comment elle l'a franchi, et quels évé-
nements ont déâdé sa fortune.
Les peuples qui habitent entre l'Escaut, la
Meuse, le Rhin et la mer du Nord, sont d'ori-
=dbï Google
3oa PABTIE I. — PÉRIODE III.
gine germanique. De tout temps braves et labo-
rieux , flegmatiques et réfléchis , plus ennemis
(le la servitude que passionnés pour la liberté ,
ils n'ont eu ni les vices ni les vertus qui beunent
à une ima^nation vive et ardente. Les Komains
estimèrent leur valeur; elle leur &it souvent
utile, tant qu'ils suroît les ménager; et lorsqu'ils
essayèrent de les asservir, ils reconnurent qu'on
n'opprimait pas les Bataves impunément. A la
destruction de l'empire, ils passèrent sous la
domination des Francs , ou plutôt ils s'associè-
rent k leurs victoires. Diu>aut tout le moyen
âge , ils partagèrent le sort du reste de l'Âlle-
magne, et le gouvememoit féodal s'y établit
avec les modifierions qu'il reçut dés localités.
Les provinces du Nord, moins propres à la cul-
ture , virent moins de grands propriétaires naîb%
et s'élever dans leur sein que tes provinces du
Midi. A l'époque ourles querelles du sacerdoce
et de l'empire offiirent aux propriétaires ter-
riens, et aux officiers qui, sous le nom de
comtes et de ducs, administraient les provinces,
les moyens de se rendre indépeudants , et où
tous en profitèrent , pour acquérir une sonve-
raineté plus ou moins illimitée, on vit naître
dans les Pa3«-Ba6 des comtes de Hainault, de
Hollande, de Frise, de Malines, d'Artois, de
=dbvGooglc
CHAPITRE XXIII, 3o3
Flandre ; il y eut autant d'états distincts et sé-
parés qu'on a depuis compté de provinces. Des
circonstances faTorables créèrent dans ces con-
trées, plutôt que dans le reste de l'Europe, un
tiers-état riche et puissant. I* voisinage de la
mer et de grands fleuves navigat^es invitaient
les Belges et les Bataves au commerce. Le com-
merce appela la liberté des personnes et des biens;
la liberté étendit et virifia le commerce. Dans
un temps où partout aitteurs le clergé et la no-
blesse avaient seuls une existence politique , en
Flandre et en Brabant un troisième ordre était
déjà venu se placer à côté des deux autres , et
jouissait du droit de délib^%r sur* les affaires
publiques dans l'assemblée générale de la nation.
Des mariages avantageux, des contrats et des
achats avaient fait de toutes ces provinces , dans
le quinzième siècle, l'héritage de la maison de
Bourgogne. Philippe-le-Hardi , le plus jeune des
61s de Jean-le-Bon , roi de France , ayant reçu
de son père le fief de Ip Bourgogne, avait com-
mencé la fortune de sa maison. Il épousa la
comtesse Marguerite de Flandre, et obtint avec 1369,
elle les comtés de Flandre, d'Artois, de Nevers,
de- Rhetel , de Salins et de Malines. Ses succes-
seurs furent aussi heureux que lui. Philippe-le-
Bon . son petit-fils, acquit Namur par un ar-
=dbïÇoogIe
3u4 PAHTIK I. PÉRIODE III.
i4a8- rangement fait avec le dernier comte; les duchés
de Brabant et de Limbourg , par la mort du duc
1/(3(1. Philippe, son cousin; les comtés de Haînault,
de Hollande, de Zeclande, de la Frise occiden-
tale, par un contrat avec Jacqueline de Bavière,
héritière de ces provinces; et le Luxembourg,
par la cession que lui en fit la princesse Eli-
sabeth, petite-fille de l'empereur Charles IV. La
réunion de toutes ces provinces formait, avec
la Bourgogne et la Franche-Comté, une masse
de puissance h laquelle il ne inanquait que le
titre, pour se ranger avec les premières monar-
chies.
Les Pays-Bas étaient le centre d'uri commerce
immense qui liait le nord et le midi de l'Europe.
Une industrie active y avait créé de belles ma-
nufactures de laine, dont les Belges échangeaient
les productions contre les marchandises de
l'Inde , qu'ils achetaient des Vénitiens , et qu'ils
répandaient ensuite dans tous les pays du ^Tford.
Anvers, grande, riche, populeuse, était, après
Venise , la première ville commerçante de l'Eu-
rope. Gand, Bruges, Matines, Bruxelles la sui-
vaient de près , et rivalisaient avec elle. Le tra-
vail y avait amené l'abondance ; . l'abondance
enfanta le luxe ; et les arts multiplièrent leurs
créations , pour midtiplier les besoins et les plai-
=dbï Google
CHAPITRE XXIII. 3o5
sirs de la vie. La cour <1es ducs de Bourgogne
était la plus magnifique et la plus brillante de
toutes les coure de l'Europe.
Les projets gigantesques de Charles-le-Temé-:
raire, et sa mort qui les termina, furent un mal-
heur pour les Pays-Bas et pour l'Europe entière.
La fin tragique et prématurée de Charles fit dis-
paraître de la carte du monde politique une
puissance indépendante et respectable qui, dans
la suite , eût pu prévenir les guerres sanglantes
de la France et de TAutricbef s'opposer avec
succès aux projets de domination de l'une et de
l'autre, assurer la liberté de l'Allemagne, et fixer
l'équilibre de l'Europe. Au lieu de ces brillantes
et utiles destinées , le duché de Bourgogne de-
vint province d'un autre étal, l'objet et le théâ-
tre des dissensions de l'Autriche et de la France.
Ce riche héritage passa à la maison de Haps-
faourg, par le mariage de Marie ^ fille unique de
Charles, avec Maximilien I*'. Philippe-le-Bel,
leur fils , en épousant Jeanne de Castille , avait
préparé la réunion de ces provinces à la monar-
chie espagnole, et Charles-Quint avait recueilli
cette superbe succession.
Né et élevé en Flandre, il aitaiait ces provin-
ces préférablement à tous ses autres états. Son
caractère était analogue au caractère de la na-
D,a,l,3t!dbvC00gIe
3o6 PARTIE I. PÉBIOUE III.
tion. Il réaidait le plus souvent au milieu d'elle,
et la regardait comme le centre de sa sphère
d'activité , et comme la source principale de sa
puissance. Les Flamands le secondèrent avec »èle
dans toutes ses entreprises. Us estiraaieot les
qualités personnielles 4e l'enapereur; ils s'intéres-
saient à sa gloire, et faisaient tourner ses vastes
projets à l'avantage de leur commerce. Ce com-
merce avait moins souffert que celui des Italiens
par les découvertes de Vasco de Gaina et de
Colomb, car les Flamands n'avaient jamais pris
une part directe au commerce de l'Inde, et l'ar-
gent de l'Espagne alimentait leurs spéciilations.
Charles po'ssédait l'art de n^nier les esprits ;
connaissant les habitudes .et les maximes favo>
rites de ses compatriotes , il les employait à ses
vues en respectant les formes consacrées par la
constitution du pays. 11 leur demandait de grands
sacrifices, et les pbtenait sans peiné, parf:e qu'il
avait le talent de leur persuader que ces sacri-
fices étaient volontaires. Charles arrondit ses
possessions de ce côté , et il fut le premier qui
réunit sous son sceptre les dix-sept provinces
des Pays-Bas {*).
(*} Le duo George de Saxe vendit ses droits sur la Frise
à Charles- Quifl t. L'Over-ïsse] ce loumit de lui-même en
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XSIII. 3o7
Chacune de ces provinces ^vait des lois et
une constitution particulières. Ifulle part la sou-
veniixieté ne réùdait uniquement dans la per-'
sonne du prince. Partout elle était partagée en-
tre le fKÎnce et les états, suivant des formes et
des proportions différentes, L'oi^nisatioq des
états variait de {nrovince à province. Composés,
comme dans la plus grande partie de l'Europe ,
du clergé , de la n(J>lesse et des villes , le nom-
bre des représentants de chaque cwdre, leur de-
gré d'influence et la me»ire de leur pouvoir
n'étaient pas les mùnes partout. Dans toutes,
raut(Hité du prince était limitée, et il ne pou-
vait rien décider d'important sans le concours
des corps que la loi plaçait à côté de lui. Par-
tout il rencontrait des barrières constitution-
nelles dans l'exercice de sa puissance ; ici , elles
étaient peut-être trop rapprochées, et resser-
raient le prince dans un cercle trop étroit pour
qu'il pût même ùàre le bien; là, elles étaient
1 5>8. l.a même aanée, i'évéque d'Utrecht rtnonça,«ii faveur
de rempêrenr, à aon pouvoir gëculier. Le duo de Ouddre
fut obligé de coDseQtir à la réiiniDii de Qrooiiigue en j636;
et , 1 la fin , le duc de Clèves se vit forc^ de céder la Gueldre
et le pays de Zutphea, qui lui étaient tombés en partage
depuis la mort de Charles Egniont,et qu'il n'était pas en
iut de défendre ni de conieircr.
DiailizodbvGoOgle
3o8 PARTIE I. PÉRIODE ïll.
trop faibles ou posées À une trop grande dis-
tance du centre d'action pour qu'elles pussent
^mpécher le mal et prévenir tes abus de l'auto-
rité. On avait senti la nécessité d'assujettir le
gouverneineat à une marche légale ; mais les
lois politiques étaient imparfaites. L'art difBcile
de diviser les pouvoirs sans nuire à l'unité du
corps social , et de les unir sans les confi^ndre ,
était encore dans son enfance.
Ainsi les Pays-Bas formaient une masse homo-
gène relativement à la langue , à l'origine , aux
' moeurs et aux. habitudes du peuple; mais, sous
le rapport politique, ils ne formaient pas un vé-
ritable tout, et offraient des éléments fort hété-
rogènes. Les lois établies dans chaque province ,
et qui réglaient le partage et l'exercice de la
souveraineté, ou qui déterminaient les principes
de l'administration , entravaient souvent les af-
faires, et s'opposaient quelquefois à des réfor-
mes utiles. Charles n'avait pas la maladie de Vu-
_ niformité. II connaissait trop bien les Flamands
pour croire que le but de l'ordre social pût y
être attànt par les mêmes moyens et les mêmes
formes qu'en Espagne et en Italie ; il sentait
surtout qu'il ne fallait pas introduire chez ce
peuple, attaché à ses habitudes , des changements
précipités; qu'il se reftiserail aux Jûis les plus
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIIt. 3o9
Si^es , si etles lui étaient imposées par la force ;
et que , pour être utiles .et durables , les réfor-
mes et les innovations devaient être préparées
dans l'opicion générale. Cependant il désira tou-
jours de pouvoir faire des dix-sept provinces un
seul état qui ne fut plus composé de pièces de
rapport , et de donner à l'administration une
marche plus régulière , plus rapide et plus fixe.
Il ne perdit jamais ce plan de vue, et il y tra-
vailla, toujours sourdement. La réunion de ces
provinces à l'empire germanique, dont elles 1648.
formèrent un cercle particulier, devait préparer
cekte grande opération. La pragmalique-sanc-<
tion qui établit l'indivisibilité des Pays-Bas et la
loi de la primogéniture étaient un pas marqué
vers l'accomplissement de ce but.
Lorsque Charles-Quint abdiqua les couronnes
qu'il avait portées avec tant de gloire , et qu'il
les remit à Philippe , il recommanda particuliè-
rement les Pays-Bas à ses soins et à son amour ,
et ne se sépara qu'avec douleur des Flamands.
De leur côté, sans prévoir «ncore tous les mal-
heurs qui les menaçaient , ils sentirent qu'ils ne
pouvaient que perdre à ce changement. I..es lar-
mes dont ils honorèrent la cérémonie de l'abdi-
cation de Charles, furent moins données au sou-
venir du passé qu'à la crainte de l'avenir. Déjà
DiailizodbvGoOgle
3lO PARTIK i. — 'PERIODE 111. .
ils auguraient mal du tigae de Philippe, et le
caractère de ce prince leur donnait d«s appré-
benùons légitiaies.
En effet, Hiilippe n'aimait pas les Flamands.
Leur caractère contrastait avec le sien. Leur fran-
che gMté lui paraissait une Êmailiaritâ offensante.
La simplicité de leurs manières et de leur genre
de vie choquait soo goût pour l'étîqnette et pour
la représentation. L'attachement qu'ils avaient
pour leur constitution et pour lenr pays, n'é-
tait à ses yeus qu'une obstination qui révoltait
son orgueil, ou un esprit d'indépendance incom-
patible avec ses principes despotiques, il haïssftit
un pays où te prince n'était pas tout , et où les
sujets étaient comptés pour quelque chose. J^es
Flamands étaient riches; ils savaient défendre
leurs biens contre l'avidité du fisc , et se mon-
traient d'autant plus jaloux de leur liberté poU-
tique, qu'ils y voyaient la garantie et la sauve-
garde de leurs propriétés. Philippe convoitait
leur» richesses ^ et s'indignait de ne pouvoir se
les approprier en muhiptiant à volonté tes im-
* pots. Il y avait dans les Pi^s-Bas des formes con-
sacrées pour les affaires r auxquelles it fallait se
plier pour réussir. Philippe , lui-même inflexible ,
demandait des autres une soumission entière,
et ne pouvait 5U{>porter qu'on osât lui opposer
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIII. 3l 1
des privilèges et des lois. 0 ne voulait céder
(ju'à là nature', encore lé b£saît-il à r^ret, et
son esprit altier s'irritait de cette iftviiïciblê. né-
cessité.
Le& Flamands s'apei^çûrent bientôt que le roi
d*Ëspa^e était pen fait pour gouverner un pay&.
tel que te leur. Jusqu'à ^on avënem^t-au trône,
des con^ila composés d'hoHimes d'élite , pris du
sein de la nation même, avaient condnit les reTa-
tirais ext^teur«s,> g^ré les finances et survètUé
l'admiiiistFation de la j ustvcé. Il était- facile de plré-
voir que Philippe substituerait' k cette autorité
tntélaire celle de ses ministres, et- que ses mr-
nistres seraient des étrangers. Il ne vivait qu'a-
vec des Espagnols , ne Consultait et n'employait
qu'eux. Après ta paix de Câteau^CambreSis, il
prit le parti de quitter ta FlaAdre, et d'établif iSSg.
sa résidence en Espagne. De là , sans être té-
moin de la poblicafion de ses ordres, ni de la
résistance qu'on l*ur opposerait, il se proposait
de changer f organisation dés Pays-Bas, de pro-
voquer des soulèvements pour les punir, et de
les punir en ôtant auit peuplés ces foniies politi-
ques (fai leur étaient aussi chères qu'elles lui
étaient odieuses. Dans ce projet, contraire à la
politique autant qu'à la juétîee, il voyait uiY
moyen sur d'accroître sa puissance et d'affermir
DiailizodbvGoOgle
3ia PABItS 1. PÉBIODK III.
sa dominatiou en Europe. A son dé|^ de Flan-
dre y SOU plan était déjà arrêté irrévocablement ,
et la religion devait lui fournir Toccasion de le
développer.
Les idées nouvelles des réformateurs avalent
pénétré de bonne heure dans les Pays-Bas. Le
oonmierce qui amène l'échange des marchan-
dises, facilite aussi celui des opinion^ , et.les Fla-
mands étaient liés avec tous les peuples du Nord
chez lesquels la réformation avait fait des pro-
grès rapides. Déjà, sous le règne de Charles-
Quiut , la religion nouvelle compta dans ces pro-
vinces beaucoup de partisans. Cet appel solennel
fait par la raison, de l'autorité à l'examen, de-
vait plaire à des esprits réfléchis , chez qui le ju-
gement dominait l'imagioation^ Des principe^
aussi, hardis devaient trouver un accès facile au-
près d'hommes que l'habitude de la liberté poli-
tique faisait pencher vers la liberté religieuse.
Cependant , une tolérance éclairée eût prévenu
les troubles, en prévenant l'effervescence des
passions; et, pour empêcher la naissance du fa-
natisme , il eût suffi que le gouvernement mon- ■
trât plus d'indifférence et moins de partialité.
Dans le temps où Charles-Quint fit la guerre
aux protestants d'Allemagne, il s'était cru obligé
de sévir contre les novateurs dans les Pays-Bas.
Diailizodbv Google
GUAPlTitE XXIII. 3l3
Au lieu de laisser aux opinions un- libre cours
et aux esprits un mouvement salutaire, il avait
persécuté avec violence ceux qui s'éloignaient
de la doctrine de l'église. Plus tard , l'expérience
l'avait éclairé sur le danger de ces moyens, et,
dans les dernières années de sa vie, il était re-
veuu à des remèdes plus doux et à des maximes
plus libérales.
Philippe répugnait également aux uns et aux
autres. Il haïssait toute espèce de liberté; il au-
rait voulu pouvoir exercer sur ses sujets tous
les genres de contrainte. Pendant son séjour dans
les Pays-Bas , il avait vu avec indignation les pro-
grès de la doctrine nouvelle. Attaché à sa reli-
gion par tempérament et par principes , ce qu'il
eu aimait le mieux était l'autorité. Il y voyait un
moyen de domination, et son esprit pénétrant
fut frappé de l'appui réciproque que se prêtent
le despotisme religieux et le despotisme politi-
que. Voulant détruire la constitution qui assu-
rait la liberté civile des Pays-Bas , il se proposa
d'attaquer le culte qui favorisait la liberté reli-
gieuse et d'extirper les protestants , afin de pré-
parer la .servitude générale de tout le pays.
Tels étaient les desseins qu'il méditait lors-
qu'il s'embarqua pour l'Espagne et quitta les
Pays-Bas, leur disant , sans le savoir, un étemri
:,, Google
3l4 PARTIE I. P'ÉRIODE III.
adieu. Les Flanrands-le vi^Atp»^r sans regrets,
-fDftift avec des craintes trop légitimes'. A la vérité ,
il» ne poHvaieot Émaner toute retendue des
projets sinistres qu'il roulah dans soii éS^rit;
mais ce qu'ils avaiant vu de lui su£5sait pôùi- leur
faire redouta les plus grands malheurs. Mar-
^erit« y fille dé Cbarles-Quinl , épouse' d'Octave
Famèse, duc de Parme , fut nommée gouvernante
des Pays-Bas. Ce choix semblait devoir rassurer
tes' Flamands. Cette' princesse avait le ton', ta
dértfffche, les m'aftièi^es et les goûïs d'un homme';
elle aimait avec passioA la chaâse ei tôUs lés
exercices violents. Mais sous ces formés mâles et
sév^s elle portait nn cœur hutnain et sensible;
élevée par Marguerite d'Autriche , et , après sA
mort , par Marie , reine- de Hongrie , toutes deux
tantes' de Cbarles-Quint , elle avait reçu de ces
femmes supérieiWes à leur sexe, une éducatiùd
soignée : exercée de bonHie heure dans les tra-
vaux du gouveraement-, formée à la politique
detns les cours d'Italie, elle n'était pas étraûgèré
à fart de deviner et de conduire tes hooùMés;
son esprit actif,- adroit y eonéîHateur, convenait
à des temps difficiles; disciple de Loyola, elfe
était catholique zélée^sanâ incliner au fanatisme.
Elle avait ^sé un« partft de sa vie dans l'es
Pays-Bas; ellie cotiTitaissaft le pays, elle l'aimait.
bvGooglc '
CHAPITRE xxiii. 3-15
et l'oQ pouvait espérer de voir renaître sous son
administration lés beaux jours de C^arles-Quint.
Mais Philippe , qui ne voit jamais dans la mo-
dération que de la faiblesse, et qui craint que Mar^
guérite de Parme ne se prête difficilement à ses
funestes projets, lui donne le cardinal de Grafl-
vetle pour conseiller, cm plutôt pour surveillant
et pour maître. Ce ministre , qui a joui de la
confiance de Charles , a en le talent de gagner
au plus haut degré celle de son successenr. Peu
d'hommes ont été plus capables que lui de di-
riger de grandes afEaires dafis dés circonstàiïéeis
critiques. Son esprit profond, ses Tastes coti-
Dœsances et snrtôTit son ~ infatigable activité
étaient à l'unisson de sa haute fortune. H ne
eoDnaisssri d'autre délassement que celui de
cfaangerde travMl;le'jour et la nuit le trouvaient
égaloBent appliqué. Il fatiguait en même temps
plusieurs secrétaires, en leur dictant en difiFé-
reottes lai)gnes« ses ordres et ses instructions sur
diËférents objets. Son éloquence était rapide ,
facile, brillante. Somnis aFreugtément aux vo-
lontés! de PbHippe et dévoué à son service , il
était l'homme du prince au lieu d'être celui de
V'état. Codfident de toutes les penses- de' son
Biaitre , lut seul a soil seeret, lui seul connaît
toute l'étendae du plan qu'il a formé contre les
DiailizodbvGoOgle
3l6 PABTIK l. — PÉRIODE III.
Pays-Bas^ il travaille k servir ses passions ar-
dentes et sombres, et il oe désespère pas du
succès.
Trois hommes , aussi distingués par leur mé-
rite personnel que par leur naissance et leurs
richesses , l'inquiètent par l'ascendant qu'ib ont
sur les esprits , et l'irritent par la résistance qu'ils
opposent à ses démarches. Exercé à porter sur
ceux qui l'entourent un jugement aussi prompt
que sur, Granvelle ne prend pas le change sur
le caractère, les principes et les moyen* de ses
eunemis. A leur tète est le prince d'Orange , de
l'illustre maison de iN'assaa , qui a donné un em-
pereur k l'Allemagne. Guillaume avait développé
son génie près du trône de Chartes et sous là
puissante influence de l'exemple et des leçons
de l'empereur , qui devina en lui le grand homme.
Libéral et magnifique, il prodigue tout à ses
amis, il n'est avare que de sa confiance^ son es-
prit observateur pénètre les hommes et les cho-
ses ; et lui-même est impénétrable. Froid , réservé,
timide même en apparence , -quand il parle, le
feu et la hardiesse de ses discours persuadent ,
entraînent, subjuguent tous les esprits. Le comte
d'Egmoot partage âvec lui l'amour et l'admira-
tion des Flamands; l'illustration qu'il doit à ses
victoires relève l'éclat de sa fortune; mais son
=dbï Google
CHAPITRE XXIII. 3l7
orgueil est encore au-dessus de ses talents, et
l'habitude des armes lui a donné le goût des me-
sures violentes. Horn est plus riche et moins
considéré que Guillaume et Egmont ; cependant
il n'a pas dégénéré de la vertu de ses ancêtres.
Sorti d'une maison française , lié par le sang aux
Montmorenci , il avait prouvé <lans les guerres
de Flandre qu'il était digne de son illustre ori-
gine. Inférieur en génie àGuiUaume, en talents
militaires à Egmont, comme eux il hait la ty-
rannie , et sait lui opposer le courage de la ré-
sistatice et de l'action.
Tous trois avaient reçu de Philippe, au dé-
faut de marques de confiance, des places dis-
tinguées qu'il avait plutôt accordées à la crainte
qu'à l'estime. L'opinion publique ne lui per-
mettait pas de laisser sans pouvoir et sans em-
ploi des hommes aussi considérés. Guillaume
avait obtenu le gouvernement de la Hollande,
de la Zélande et dIJtrecht, Egmont celui de
l'Artois, Hom la place d'amiral. Mais ces places,
peu propres à les satisfaire, répondaient mal
aux vceux de leur ambition. Ces faveurs pré-
tendues ne les avaient pas attachés au trône, et
n'avaient fait que leur fournir contre lui des
moyens de résistance. Chacun d'eux croyait
avoir des titres à la place de Marguerite , et ils
:,, Google
3l8 PARTIE I. PIShIUDE III.
né pouvaient supporter le crédit de Granvelle,
'qui exerçait ojie vifritabte toutei-puissance «ous
le ikhh de la gouv^nante, et dont la qualité
d'étr^iger suffisait pour le leur rendre odieux.
. Ite cardinal désirait déguiser aux Flamands
l'étendue de son influence, soit pour ménager
l'oi^neil de Marguerite, soit pour donna* le
change à ta haine des grands et prévenir l'op-
position qu'il redoutait. Plus jaloux du pouvoir
que des signes extérieurs du pouvoir, et du
Miccès de ses entreprises que de vaines décora-
tions , Granvelle , dans l'espérance de cacher la
main qui faisait jouer tous les ressorts de l'ad-
ministration, correspondait avec Mai^erite, au
lieu de conférer avec elie , et ne la voyait que
rarement. Mais les Flamands, intéressés à décou*
vrir la vérité, surent bientôt, malgré toutes ses
précautions , que rien ne se faisait que par lui,
et cette idée augmenta leur éloigoement pour
les innovations projetées.
Entre toutes les institutions nouvelles, l'in-
quisitiou devait révolter le plus des esprits qui
n'étaient pas encore façonnés à la servitude.
Ce tribunal abhorré, qui punissait les erreurs
coQune des crimes, et qui regardait comme une
erreur dangereuse la moindre déviation de la
doctrine de l'églifie, était encore plus redoutable
=dbï Google
CHAPITRE XXIII. 3ir)
par les mo]>ens 4ont M se aervait pour décou-
vrir les h4rétiqufes , que par les arrêts qu'il lan-
çait çoQtre eux. liTon-seuianeiit il attei^ait par-
tout sa vidàioEie., saaç quelle [ût lui écfaapper,
il la frappait s^ns qu'elle pût se défendre; mais
eacofe i) employait l'espiunnage , les délations
domestiques, les interprétatioDS a^isurdes ou
mal^fiiies ijes cj^oses les ^us innocentes, pour
pénétrer en quelque sorte dans l'intérieur de
l'ame, ,deviner les pensées les plus secrètes, et
s'assurer d'un prétendu délit dont l'auteur,
l'objet et le théâtre sont également invisibles.
Ce tribunal avait été dans f origine établi contre
les Maures d'Espagne, par des raisons plutôt
politiques que religieuses ; mais par la suite les
progrès lie la réfonnation avaient fait croire
dans plusieurs pay« à la nécesùté de multiplier
ces formes tyranniques. Afin de laisser moins
d'espérance à ceux coatre lesquels l'inquisition
devait sévir, on l'avait ôtée aux évêques, pour
la donner aux moines, plus dévoués au pape,
plus étrangers aux relations sociales, et moins
accessibles aux sentiments de l'humanité. Jamais
on n'avait fait de conjuration plus inique ni
plus active contre la raison et la liberté de l'es-
pèce huBUdae. En Espagne, elle avait déjà ra-
lenti l'activité des «sprils, arrêté ta circulation
DiailizodbvGoOgle
3aO P4RTIÉ I. PÉRIODE III. '
des idées et substitué partout à l'abandon d'une
franche gaieté le silence de la réserve, de la
contrainte et de la défiance. La liberfié avait été
bannie des conversations, la confiance du sein
des familles, et l'on ea était venu à se défier de
soi-même et à craindre ce qu'on ne saurait ni
diriger ni prévenir, les combinaisons de la
pensée et les jeux d'une imagination active, qtii
amènent toutes sortes d'idées. Les objections se-
crètes, les doutes timides qui s'élevaient quel-
qiiefois dans les esprits , y portaient la terreur.
On les voyait déjà trahis, condamnés et punis.
Dans te plan de Philippe , tes Flamands de*
valent éprouver le même sort , et déjà le fléau
de l'inquisition menaçait ce - qu'ib avaient de
plus cher. La prospérité du commerce des Pays-
Bas était inséparable d'une sage tolérance. Les
lois, le caractère, tes habitudes même des Fla-
mands repoussaient cette institution redoutée.
On ne pouvait l'introduire légalement chez eux
sans le consentement des états; mais Philippe,
qui voulait assurer la servitude dç ses sujets paf
l'iuiiformité de la croyance et du culte, avait
établi ce tribunal dans les Pays-Bas, avant de
partir pour l'Espagne; et il l'avait fait de sa
propre autorité, malgré les réclamations de$
Flamands. Granvelle animait le zèle de ce tri-^
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIII. 3al
buual, et provoquait son actinté. C'était à ses
yeux, un excellent laoyen de se dé&ire. de toutes
les personnes qui le gênaient dans l'exécution
de ses plana. On les accusait d'hérésie ,, et cette
accusation vague menaittoujours àja mort. I^s
arrêts se multipliaient ; diaquejour voyait tomber
de nouvelles ^ctimes. Les rigueurs de l'inqui-
sition augmentaient le nombre des sectateurs
de la doctrine nouvelle; le mécontentement gé-
néral n'en était que plus prononcé, et, malgré
les bourreaux , rindignation s'exhalait en plaintes
et en menaces.
A ces justes griefs des Flamands contre Gran-
velle et contre Philippe, s'en joignaient encore
d'autres, qui tenaient aux mêmes causes que les
premiers. Dans ce temps de troubles et d'inno-
vations, le nombre des évêques des Pays-Bas
avait paru.trop petit pour surveiller les diocèses.
Ces évêques ressortissaient. des archevêques de
Rheims et de Cologne, et cette dépendance
étrangère déplaisait à Philippe. A son instiga-
tion , le pape Paul lY avait créé dans les Pays-
Bas treize évéchés. nouveaux, et l'archevêque de
Malines avait été déclaré primat et juge suprême
de toutes les affaires eccléàastiques de ces-pro-
vinces. Ce changement pouvait être utile; à une
époque différente , il eût peut-être réuni tous
DiailizodbvGoOgle
3«a PARTIE I. P3ÏBIODC' III.
les suffrages, mai^ il avait été fait d'une nMuère
arbitraire. Ce nouvel curdre de choses dtéMît
tous les anciens rapports de la conrtitutiDB du
pays. GranreHe, qui l'avait conseillé, avait été
<b*rgé de llntrodnire, et ce boBlevaMancM
des IcHS avait soulevé ocmtre loi tes «itt^etu de
toutes les classes. I>a moment où tant de créa-
tures du roi prennent séanoe dtta le» Éttts ,
la noblesse cra^^^ntc que la Hbeité pid>Kque ne
fût bientôt pitra qu'un vain nom; les abbés
riches et puissants regrettaient iM sacrifia» qu'ils
étaient obligés de faire pour doter IfS nouvettux
évéques; le peuple ne les regardait que emmiie
des suppôts de la t^nnie religieuse , et le jour
où ils prirent possession de leun néges fot un
jour de deuil pour la nation.
ABn d'appuyer par la force ces innovations ,
que proscrivait l'o^nion publique , Mùt^ipe
avfût , au mépris des lois , laissé des troupes es-
pagnoles dans ces provinces. Dans la crainte
que la force, qui devsât |votéger l'ordre sodal,
ne se touniftt contre lui , la constitution de la
Flandre ne confiait qu'aux indigène» le soin de
la sûreté pubKqOe. Philippe le savait; les Fla-
mands le lui avaifflit rappelé ; il avait sf^nnel-
lement promis de retirer ses salîtes; mais il
n'en avait rien &it, et ces troupes, assez nom*
DiailizodbvGoOgle
CRAVITBB Xtllf. ^a3
breiMM ^otirdoiuiei' de FinqfUiéni^à k ii«i6tf ,
ne l'étaieat pas assez pour la conteatr, fil' fwM
prévemr les eff^s de bod métxmtedteniéDt.
Ainsi FhUippe avait; vialë ses sranttènts, etti'é-
tait joué des loin aticquetles il dévate sôiïaiitoi-
rite; nais le people, qui aectisé toujouM plutôt
les ministreB que le prince, rt^eokt fisus- s«s
griefs sttr Granvellé seul ; ce minâtre portBÎt
tout le p<Hds d0 riudigfialiou ^ubllqufl, et e&*
pflOidant il ne fmaàn qa'^Aéeatet fldélëtâeM lèS
«MNlfet crn^ qtl'it recevait de sôU lùtâtféi Lé
{n-inee d'Orange , Egmont et ïlotn , qui te haôA-
«eaC peMoaè&Btûffat , mais qià petsasà&Êa- SBhi
Ftomands que le pij&iot^ne ietà le» fiùt i^,
et Se le peFsuadenf peut«ti)e -à eas^médoes ,
veulent pTc£t*r de ces di^)o$itioii$ pour le pevo
drer IK énivent i Philippe des lettres fortes él
pressantes, afin d'obtemt- mn rappel. Ph^pe
demande des feits et dtis preuve»; il répugné ft
congédier un immstre qui ne peM avcMT d*aui»e
tort, à sesfeuz^queeelttidWoù-tmp&ieBistn*!^
ses pdsHions; mais GraoteHe lui^méviM watqtM
l'animosité générale etf paweHueàuntéïdegsé^
qu'il Ht peut pUu étv6 ittile k VkHif/pt; il de-
mande son cMigé , et on l'aticonie à^ sw kistM^
ces. Il perd s» j^ace sdns pertke la cMifianeé étr i564.
DiailizodbvGoOgle
3a4 PARTIE I. — PERIODE III.
son maître, qui eJDploie ailleiu^ ses talents et
^ fiddité. ,
Lesnc^leS) qui s'étaient éloignés du conseil pen-
.daot radmini^atiou de Grauvelle, y reparaissent
de nouveau , .et insistent sur la liberté des cultes.
Philippe les berce de vaines espéraiices, dans
le temps . même où , dans les conférences de
Baïoone, le duc d'vAlbe et Catherijie de-Médicis
concertaient la mine des protestants^ Le comte
iS65. d'Egmont fait le voyage d'Espagne pour lâcher
de fléchir Philippe , et pour, prévenir de plus
grands malheurs, en l'engageant à se relâcher
sur l'articlie de la religion.. Guillaume adresse à
Marguerite des représentations, d'autant plus
fortes qu'elles. sont plus mesurées. Philippe ca-
cbs ses desseins secrets sous un masque de sin-
cérité. Il ' paraît s'intéresser au sort des Fla-
mands> iet; cependant il ordonne que les décrets
du concile' de Trente soient publiés dans les
Pays-Bas, et exécutés avec la plus grande ri-
gueur. Aforguerite, qui peut mieux juger de
l'exaspération des esprits, tâche -d'adoucir dans
l'appltcat'ron les maumes sévères qu'elle est obli-
gée de professer en apparence; elle voudrait
assurer la tranquillité des Pays-Bas, en compo-
.' sant.avet les intérêts des:Flamauds et les pas-
sions de Philippe. Ce râle est difficile : elle est
DiailizodbvGoOgle
■ - CHAPITRE xxiri. ■ SaS
généé dans sa marche , et soumise à' une sur-
veillance continuelle. De là les incertitudes et
les contradictions de sa conduite. Les protes-
tants ne peuvent prendre confiance ■ dans un
gouvernemient qui n'est. pas d'accord avec lui-
même, et dont les actions et le tangage corres-
pondent si mal ensemble. Dans le dessein de
donner plus de force à leurs rept-ésentations ',
et de suite à leurs démarches , ils forment une
association -étroite. Louis de Itàssau, frère 'de
Guillaume;' qui professe la doctrine nouvelle ,
dirige leurs' mouvements. Les catholiques' eux-^
mêmes approuvent cette ' mesure hardie , parce
qu'ils ne voient, dans la résistance des protes-
tants, qu'un moyen de sauver la constitution et
la liberté publique. Les chefe de l'opposition y
applaudissent également. Ceux d'entre eux qui
s'intéressent au bien général , se flattent que la
crainte' ramènera. HiiUppe à des sentiments plus
modérés ; 'ceux qui ont des vues personnelles,
se félicitent ' de trouver dans les trolibles des
moyens de satisfaire leur ambition et leur cu-
pidité. Le roi d'Espagne pouvait encore d'un
mot tout pacifier; mais, étranger au caractère et
au génie du peuple flamand,' il me connaissait
pas la natnre du mal, et méprisait ses ennemis,
A ses yeux , toute résistance est un crime f un
DiailizodbvGoOgle
|la0 FAiiTi^ i.-r,rt%ioDi III.
grime doU êtpe n^prîmé om piwi par h ^wce ;
ta inç^^r^ioQ paraitrait iwpHUWfîcç ; la dou-
ceur oç serait qu'une feiblewe hoqteu^. Quatre
cent» gfptiMuHDmes Jiïi pr^enteut ujoe i)dr«9w
respectueuse, da^s laquelle il» o« demaoïi^it
.qve jl'mt^rité de lit CQpstitUtipipi çt r«holition
ijiç l'wqUMÎti&n r«%ieu^. ppur tqute répoiue ,
PbUippfi envQV le duc d'AU>e gouverner le»
1567. Pays-jÇ^s, i M plaice de M*i绫ïri!(e,
,C'j^ti«t décima que I9 fopçfl 9«Hle dewKÎt dé-
cider pe grand procès, et qtes towte espérance
SMit FlsuaaQds. ^Uto arrive à la tète de huit
mille E^wguols éprouvé», qui a^^^mt de -fidèles
ipim^tre» de ks veogeances. Soa i»isictère est
çpçnu : fei'me jusqu'^ la dureté, impérieux et
in^orablei il ainuit mieux briser Ie$ résisiiances
que iea fléchir. Accoutumé k prqdjguer le stng
499» lef combats , il »era peu di^osé à ïépM-
gner .dans les troubles civils. Au wul nom de
cçt homme redouté, 1^ terreur et la coQstema-
^01^ «e répandent dans toutes les provinces , et
il s^tpmc que toijtff la nation ^t jété mifie sous le
gl^ye. Guillaume, qqi cspnnût d'Albé, etsait qu'il
ne pardonne pas, ne voulant pas péiir sans ^oire
et sans fruit pour son pays, soustrait sa tète aux
dangers qui la menacent, et se retire en Alle-
wagoe. I^ipont et Uorn , moips piévoyants que
DiailizodbvGoOgle
CMAVlfRS YXIIL 337
ImÎ) refite^idaps le pays, et exposent leur vie
eQ voulant sauver leur fisrtunç. Guillaume est
«iMvi dans f» fuite par beaucoiip d'hommes puis-
siinlfi et considérés , qui ont montré assez de
vertu poMT ivériter 1» haine ou les soupçons de
P}ijijij)pe, çt qut<(wit trop de courage pour ache-
tfir leur sùreité p^r des bassesses. Vne partie du
peu^e vw» abandonne ses foyers, et s'exile
ToluBtaireaieat ; la terres du nom d'AIbe iait
quitter 4u labouççur «? «jtwrnie, k Tartisan son
atflier , çt nombre de citoyens de toutes lf;s
cbsaes vont porter ailleurs lieur activité et letu*
industrie. Lacmauté d'jUbe surpasse les craintes
des malheureux' Flamands. Les troupes sont ré-
parties dans les villes piîncipales ; et les soldats
espagnols, animés par la haine des Flamands ,
jfK le désir du butin et par le &natisme de la
religkin , se prêtent avec joie aux ordres de leur
général. Fartout on .dres&e des échafauds. Un
ttibunal inique, composé de douze juges, tous
étxangecs aux Pays-Bas par lew naissance , ou
vendu» k l'E^iagoe, s'oi:;gaui9e m mépris des
loi^ du pays. Il prginonce la peàne de mort çson-
trs iss délits les plus légers, sur des indices
faibles ou ^uiwoques, et ffiéfae ^^i preuves
quelconques. Tous ceux qui ont appuya des ré-
clamations l^aUs contre les abus de l'autorité »
DiailizodbvGoOgle
3a8 l>ARTIE I. PÉRIODE III.
OU qu'on peut soupçonner de les avoir approu-
vées secrètement, sont regardés et jugés comme
autant de fauteurs de l'hérésie; et tous ceux qui
professfent la doctrine nouvelle ou qui y incli-
nent, sont condamnés et punis comme rebelles.
' La richesse , la naissance , les talents deviennent
des crimes; les vertus et les services éclatants
mènent à la mort ; l'obscuTÎté même ne sauve
personne. Ëgmoiit et'Hom, arrêtés et mis aux
fers, invoquent en vain le privilège que les lois
assurent aux accusés de leur rang, de n'être
jugés que par leurs pairs; leur rang même est
■ 568. un titre'de condamnation, et ils meurent dans
les supplices sous les yeux d'un peuple immense.
En voyant tomber ces têtes Ulustres, il semble
que la liberté elle-même expire ; on prévoit que
la tyrannie qui ne les a pas respectées , ne res*
pectera rien, et qu'elle sera sans pudeur et sans
terme. Les nombreux satellites d'Albe, répan-
dus parmi les spectateurs de cet attentat, con-
iienuent leurs mouvements et leur murmures;
mais ils ne peuvent empêcher la douleur pu-
blique de s'exhaler en géinisséments; et les vic-
times généreuses que le- despotisme s'immole ,
objets de culte pour leurs concitoyens , sont sui-
vies de leurs regrets et -dé leurs larmes.
Ou confisque lès biens de Guillaume, et ces
DiailizodbvGoOgle
CUA.PITHB XXIIl. 3^9
biens servent à payer les excès et les crimes des
soldats. Albe parcourt tout le pays avec ses
bouiteaux , et partout de sanglantes exécutions
annoncent au peuple son arrivée ; la hache du
bourreau est levée sur toutes les têtes. Plus il
commet de meurtres juridiques, plus les pro-
vinces se dépeuplent: Le nombre de ceux qui
s'exilent volontairement s'accroît tous les joiu-s ;
mais ces exils multiplient le5 confiscations , et
les confiscations procurent au duc d'Albe les
moyens de multiplier les instruments de sa fu-
reur , et de récompenser les suppôts de sa ty-
rannie.
Cependant Guillaume, retiré en Allemague,
n'oublie ni ce qu'il doit à sa patrie, ni ce qu'il
se doit à lui-même. Les exilés lepressent de pren-
dre les armes et de sauver la liberté mourante.
Il ne s'agît pas pour lui de jouer le bonheur de
toute une génération sur la table du hasard,
dans l'espérance d'une perfection idéale, ni de
sacrifier le présent à un avenir éloigné, incer-
tain, chimérique; il s'agit de jffévenir, par une
mesure vigoureuse, la ruine de tout un peuple,
de combattre pour le maintien de l'ordre social
que la tyrannie attaque, ébranle et menace, de
renverser , de défendre enfin , par la force , des
droits positifs que la* force croit jpouvoir violer
DiailizodbvGoOgle
33o PASTtE I. — VÉRIODE III.
impunéiBeitt. X^es loU autorisent Quillaume à U
défense dç son pays, ^-llemand d'oiigine, il est
Brabançon par les terres considér^les qu'il pos-
sède dans le pays. Le contrat qui lie les État»
du ^«bvit à leur prince, libère tes citoyens de
toute obligation , du moment où le prince s'i£~
irancbjt dç» swnaes, et leur assure même le
droit de le nunener m devoir jw la contrainte.
Cette constitution pouvait être vicieuse : elle
plaçait la garantie des lois politiques dans la
force physique des individus, au Heu de la. placer
dam le mode même d'organisation de la .société ,
dans l'action et la réaction réciproques de» élé-
ments du pouvoir. C'était retomber dans l'état
de nature pour sauver l'état social , en appeler
aux passions des excès des passions, et lew
fournir un moyen légal de bouleverser Tordre
public; mais enfin, cette constitutiop nistaitj
elle avait été jurée par le prince et par l^ mem-
Im%9 des États; ils ne pouvaient et ne devaient
pia$ avoir d'autre règle de la légitimité de leur
condiûte.
Guillaume développe ces principes dans un
iS68. manifeste qn'il publie pour justifier ses démar-
ches , etj les vmes à I9 main, deinande.le redres^
semeot des griefe 4«s Pays-Bas. Le» puissances
ffiMtesUotes dont il implore le fieooun , se mop-
DiailizodbvGoOgle
CB4.V1T«1| XXIII. 33l
troDt peu ^posées à le fleecmder. La Suède et
le Daaemftfck craignent l'Espagne, et espèrent
que les troubles de la Flandre fercmt tomber son
commerce et que le leur s'élèvera rapidement.
La rdn« d'Angleterre, £U&abeth, nourrit les
mèm^ cjwntes et les mêmes espérâmes; mais,
plus habile et plus voiwie du foyer des agita-
tJtOBis, eUe veut entretenir le mouveDoent dont
eU« compte profita, et promet de fevoriser &e>-
crètf meQt les plans de Guillaume. Coligni et
Ids protestants de Fraace sentent combien il
leur importe que Phili|^ , soutien de leurs en-
Beoais, soit occupé dans ses propres États, et
que le» partisans de la Bovvelle doctrine ne
niQoombent pas wus ses e£Ebpts. Aji défaut d'aa-
tr9S seopurs , Coligni éclaire Guillaume de ses
coQseils. Soit politique, soit copvlctioD, soit
pçut-^tïe l'une et l'v:itre, Guillaume prend de
{'^(»giMKieqt pow la religion des oppresseurs
dç Aou pays; Mutant la néetmté de s'attadier
fert^nent un parti, il etpbrjtsse Ut religion pro-
tétante, .qui est déj» celle de son frère, e£ se
$4m qu'une partie de l'AlUnoi^oe épousera sa
fiauie. M»is l'esprit concitiateur, le caractère
doux et tolérant de l^axipttlwn II , étaient par-
v«aus à calmer les antmosités dans l'Empire , et
U [^part des princes protestants lui avaient
=dbvGooglc
33a PARTIE I. -^PÉRIODE III.
promis de ne pas prendre de part directe et ac-
tive à la querelle sanglante qui allait s'euga^rl
Cependant ils favorisaient' sourdement les mé-
contents des. Pays-Bas. Sans se déclarer pour
eux, plusieurs avaient fourni à Guillaïune des
troupes et de' Tangent , et ce fut avec ces secours
qu'il commença la 'goeire. ■
Ses premiers efforts furent malheureux. A la
vérité , dans toutes les |M-ovince9 , l'opiaiou pu-
blique étùt pour lui:-Les^cathotiqucjis et les pro-
testants fomlai^it' également des vœux poi^F' le
succès de- ses armes, -car d'Albe ïtvait irrité tous
les partis. Il-n'étaitptus question de l'aUtCM^té
des États; tout se faisait sans eux et contre eux:
Aux persécutions religieuses avaient suecédé-des
impôts arbitraires, inconstitutionnels, excessifs,
mal répartis , qui , pessii^t sur le commerce î
avaient -réveillé l'égôisme et l'avaient attaché lui-
même à la cause<comrBude; mais les provinces
et les villes étaient contenues par la terreur et
par la force. Il ne fallait 'pas moins que des vic-
toires pour leur donner le courage d'agir, et
les premiers pas de Guillaume furent marqués
par ses -défaites. Trois fois- lUosa se mesurer'avec
d'Albe, et trms foisla supériorité du génie-mi-
litaire de l'Espagnol , la discipline de ses tfou-
pes, triomphèrent de Itf .valeur et de la généreuse
=dbï Google
CHAPITRE XXIII. 335
persévérance de Guillaume. La cause de la li-
Inerte politique des Pays-Bas paraissait perdue
sans rçtouT. Un éTénément: aussi heureux qu'im-
prévu changea la face des affaires. . i
Des corsaires équijpéspar des-émigrés be^es
■et bataves ayant été obligés de quitta- les ports
d'Angleterre , et ne sadiaht où trouver un asyle,
surprirent le port et la' -ville de la Brille, et y
arborèrent l'étendard de l'insurrection. La con-
quête de cttte ville fut le signal d'un, grand mou-
vement dans; les provinces du Nord. Cette partie
du pays ofire un terrein- coiq>é dans tous les
sens par des rivières, des canaux, et par la mer
elle-même. Elle est singulièrement propre à une
guerre défensive. Les victoires ne peuvent y être
décisives ni. les défaites fort désastreuses; on
peut avec facilité s'y re&ire de ses pertes. Les
habitants de ces provinces , moins riches que
ceux des provinces du Midi, endurcis aux fati-
gues et aux'dangerS'par une vie difficile et un
travail soutenu,. étaient plus disposés aux sacri-
fices, parce qu'ils avaient moins à. perdre, et
ils n'attendaient qu'ime occasion d'éclater. Pres-
que' tous protestants , ils étaient plus irrités
que les autres des persécutions du duc d'Albe,
quoiqu'ils en «jssent moins soufiFert; et ce ne
fut qu'à cette époque qnç l'insurrection prit
DiailizodbvGoOgle
334 FARTIK t. — PÉRIODE III.
une marche fixe, et un caractère redoutable.
Giiillaurae arrive dans ces contrées, dont Phi-
lippe l'aTait nommé autrefois gouTcroeur, et où
il avait des biens considérables , des intelligences
secrètes et beaucoup d'amis. Il fsiti de ces pro-
TÎnces le centre de ses opérations et le foyer de
la liberté. Le» Hollandais loi accordent de l'ar-
gent , et lui permettent de lever des troupes.
Cependant, quelque prononcées' que fnss^it ces
mesures, les mécontents n'accusaient et n'atta-
quaient encore que le duc d'Albe; ils i^e pen-
saient pas à rompre les liens qui les attachaient
k leur prince, ou du moins les cfa^ ne trabis-
aaieat pas leur secret.
. Leurs premières entreprises écbouèrent ^celles
du duc d'Albe fiirent presque toutes couronnées
de succès. Les insur^s avaient plus «f ardeur
que de nkoyen»,plu»d'énei^qnede tactique,
et leurs mouvemeuts manquaient le but, fmite
d'unité et de direction. Au contraii% d'Albe Atxf
blait SCS forces par l'activité : lui seul avait pno-
dnit le mal , mais lui seul fuissi paraissait capable
de le combattre et de le conjurer.
x573. H est rappdé au moment oii il espérait de
triompher de l'insurrection et de recueillir le
prix de ses fc«faite. Philippe, qui a long-temps
apfiTouvé sa conduite « cède aux insinuations de
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIII. 335
ses ennettiis. its lui persuadent que la baine
peMôimelle des Flamands éontre lé diic les erti-
pdche de se soumettre, et que son rappel serait
un bienfait tpii les disposerait à l'obéissitnce.
Lé roi d'Espagne cominence k envisager d'un
antra œil les tronbles des Pays-Bas, croit en
^et qu'il £aut cbatiger de système ou dlnstm-
ment pour les réduire. Requesens , commandeur
de l'ordre de SaintJacqueS , rient remplacer le
duc d'Albe; c'était faire sucicéder la laiUesse à
la férocité. Requesêns, plus initié dans les se-
crets de la politique que dans ceux de l'art de
la guerre, trop égé pour être actif et entrepre-
nant , naturellement dotât , timide , irrésolu ,
adopte un système mitoyen , peu analogue aux
ârconstances. Il «foit devoir mêler les voies de
ligueur aux voies de conciliation , et par ce
mélange, il détruit l'effet des unes, et s'ôte le
mérite des antres. Les insultés ne se contentent
plus de promesses vagues, et, connaissant les
avantages de leur position , ils demémdent Une
garantie solennelle de leurs droits et de leur
existence politique. Les propres soldats de Re-
quesens servent leur cause. Malgré la richesse de
l'Espagne, le prêt des troupes h'était pas assuré,
et souvent les soldats se mutinant, se payaient
eux-mêmes en commettant des brigandages af-
DiailizodbvGoOgle
336 PARTIE I. PERIODE Itl.
freux, ou refusant de marcher à l'ennemi, fai-
saient manquer les plans les mieux concertés.
L'année de Requeseos , à laquelle il ^tait dû des
1576. arrérages considérables , se révolte , et les désor-
dres qu'elle se permet , rendent le régime espa-
gnol encore plus odieux. A peine, ce mouvement
e»t apaisé, que Requesens meurt, et Don Juan
1577. d'Autriche le remplace.
, Ce jeune héros , . digne rejeton de Charles-
Quint, t'effroi des Ottomans, t'çn&nt chéri de
l'Eglise, l'objet de la haine secrète de Miilippe,
arrive avec tout l'éclat que répand sur lui la
victoire de Lépante , qu'il vient de remporter sur
les infidèles. Les provinces du Nord et celles du
Midi avaient conclu la pacification de Gand. Le
danger commun auquel les exposaient les excès
d'une soldatesque efïErénée, avait rapproché lès
protestants et les catholiques. Durant l'intervalle
qui s'était écoulé entre la mort de Requesens et
l'arrivée de Don Juan d'Autriche, on avait sus-
pendu l'activité des lois pénales contre les reli-
gionnaires ; et afin de décider définitivement tes
points litigieux, on s'était réuni à demander la
convocation de l'assemblée générale des états
du pays. En arrivant dans tes Pays-Bas, Dbn
1877. Juan avait confirmé le traité de. Gand par l'édit
perpétuel, et ses premières démarches n'avaient
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIU. 337
annoncé que des vues impartiales et des inten-
tions paci6ques.
Bientôt les Belges remarquent qu'il ne veut
que gagner du temps, flatter les esprits pour les
endormir, promettre pour tromper plus sûre-
ment, et diviser les partis pour les détruire l'un
par l'autre. Comme les mécontents manquent
d'un centre de direction, qu'ils savent bien ce
qu'ils ne veulent pas, mais qu'ils ne savent pas
distinctement ce qu'ils veulent, ils essaient de
se ménager un appui dans un prince étranger.
Sans former le dessein de se séparer à jamais
de l'Espagne, ils appellent l'archiduc Matthias, 1
pour le mettre à leur tête , et lui donner les
décorations du pouvoir. Ce prince, sans moyens
et sans énergie, manque de toutes les qualités ,
propres à fixer la confiance , et bientôt il re-
tourne en Allemagne. Les Belges espèrent plus
de service^ de François, duc d'Anjou ; ils se flat- ■
tent qu'un prince du sang de France leur don-
nera de la puissance et de la considération , et
le duc, inquiet et ambitieux , saisit avec empres-
sement cette occasion de faire parler de lui. Les
espérances des Belges sont encore trompées:
imprudent, léger, élevé dans une cour despo-
tique, le duc d'Anjou trahit trop tôt ses vues
intéressées ; il veut obtenir par la force ce qu'il
DiailizodbvGoOgle
33Q PA.aTlK I. PÉRIODE III.
ne peut deroir qu'à l'adresse , au temps , à une
soumission volontaire ; il provoque la résistance
par des entreprises hasardées ; et, ses desseins
contre Anvers ayant échoué, il va cacher sa
i583. honte en France, où le chagrin abrège sesjoars.
1S78. Don Juan était mort, accusé de projets am-
bitieux et contraires aux intérêts de l'Espagne.
Sa mort subite avait fait soupçonner d'un nou-
veau forfait une cour qui ne s'était jamais refusé
les crimes utiles. Alexandre Farnèse, prince de
Parme, fils de Mai^uerite, avait remplacé don
Juan. La victoire qu'il avait remportée sur les
insurgés à Gemblours, l'avait désigné à I4iilippe
pour ce poste difÇcile. Guerner consommé, il
joignait à une valeur brillante une imagination
vaste et un esprit réfléchi; il concevait des
plaus hardis; ils les exécutait avec prudence.
Autant ho^me d'état que ca|Htaine, il savait
paiement combattre et négocier. Exercé à dis-
simuler et à feindre , il espère beaucoup de la
division qui règne entre les provinces du Midi
et celles du Nord; il l'entretient avec art, il la
nourrit avec soin , ^ , en semant adroitement la
défiance et l'espérance dans les esprits, il par-
vient à son but. L'Artois , le Hainaut , la Flandre
fi'ançaise se séparent des autres provinces , et
se déclarent pour l'Espagne ; une grande partie
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXllI. 339
<le la noblesse forme une alliance étroite avec
le nouveau gouverneur, pour rétablir la sou-
mission et l'ordre dans les Pays-Bas.
Guillaume mûrissait depuis long-temps dans
le silence un projet hardi , mais sagement com-
biné, qui seul pouvait fixer la liberté dans la
contrée qn'il avait arrachée à l'esclavf^e, et em-
pêcher que le sang qu'on avait versé n'eût coulé
sans fruit pour le bien de l'humanité ; c'était de
former des provinces du Nord une république
indépendante , et d'abandonner les autres à leur
destinée. Le prince d'Orange avait vu de bonne
heure que l'union des dix-sept provinces serait
toujours faible, incertaine et précaire; qu'il était
difficile de resserrer leurs liens, et que, si elles
conservaient les mêmes rapports, elles finiraient
par subir toutes le joug également. La religion
protestante dominait dans les provinces du
Kord; celles du Midi étaient presque tout en-
tières catholiques. Dans les premières, le clergé
n'avaiit aucune espèce d'inÛuence politique;
dans les autres, les évéques et les abbés étaient
tout-puissants. Dans celles-ci, le peuple plus
riche, et par conséquent plus amolli, craignait
tes dangers et les sacrifices; dans celles-là, le
peuple pauvre, robuste, entreprenant, familia-
risé avec la mer, était plus jaloux d'acquérir
22.
DiailizodbvGoOgle
34o PARTIE I. PÉRIODE III.
qae de conserver. Guillaume ne voyait personne
dans ces provinces qui pût lui disputer la nais-
sance, le rang et les ricbesses, et le pouvoir
qu'il y exerçait n'était ni partagé ni contesté.
Au contraire , dans les autres il trouvait des ri-
vaux d'ambition qui lui étaient inférieurs en
mérite, mais qui pouvaient former les mêmes
prétentions que lui, et dont le crédit était même
supérieur au sien. Toutes ces considérations
réunies avaient attaché fortement Guillaume au
projet d'uuir les provinces du Nord , et de les
isoler des autres. Ramenant toutes ses pensées
à ce pian fevori, il préparait de loin les voies à
ce grand événement. L'alliance étroite qu'ime
partie des provinces du Midi venait de former
avec le duc de Parme et avec l'Espagne, lui
. parut une occasion favorable d'éclater , et il en
profita avec autant d'habileté que de succès.
Les députés de la Hollande, de la Zélande,
de la Gueldre, de la Frise et de Groningue
s'assemblent à Utrecht. Guillaume leur déve-
loppe son plan ; il leur fait sentir la nécessité -
de cette mesure , leur en montre tous tes avan-
tages, prévoit les obstacles et les facilités de
l'entreprise, combat les uns par les autres, cal-
cule les résistances et les moyens de les vaincre,
et fixe les esprits incertains en leur offrant en
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIII. ôqi
perspective la liberté, la gloire et la puissance
de la patrie commune. Sou discours lumineux
et profond semble dérouler à tous les yeux l'his-
toire fiiture de la république, et, en parlant des
suites heureuses de cette grande résolution,
il parle avec tant d'assurance, de force et de
clarté, que l'avenir paraît aussi certain que le
passé, et que le doute fait place à une entière
confiance. Convaincus par les raisons, ou per-
suadés par l'éloquence de Guillaume, les dé-
putés obéissent à sou ascendant, et signent
l'acte solennel de leur union. C'est de cette 1579.
époque que date la création de la république et
la naissance d'une puissance nouvelle. Dans ce
moment, les liens qui attachaient l'existence des
provinces du Nord à l'Espagne furent rompus
pour toujours, et la révolution fut consommée.
En jugeant cette révolution, on ne doit pas
oublier qu'elle ne mérite ce nwn qu'impropre-
ment , si l'on entend par ce mot un bouleverse-
ment subit et total de ta constitution, des lois,
et de la situation politique, tme - dissolution
complète de la souveraineté légitime, pour la
placer sur d'autres télés, ou l'asseoir sur d'autres
bases. Ce fut insensiblement que celle dont
nous parlons atteignit son terme. Des circon-
stances imprévues et incalculables y avaient
DiailizodbvGoOgle
34> ' PARTIE I. PÉRIODE III.
pluB contribué que des préparations réfléchies.
Elle fut plutôt le résultat de causes localed et
accidentelles que de ces causes générales qui,
déterminant de loin le sort des états, semblent
agir avec une nécessité égale à celle des lois de
la nature. La séparation des Pays-Bas de l'Es-
pagne ne fut pas du tout l'effet d'une nouvelle
direction des opinions ni des idées dominantes.
Les formes établies y étaient approprïées aux
besoins , aux vœux et aux habitudes de la na-
tion, et bien loin que le peuple fut las de ce
mode d'existence, il y tenait avec chaleur. Ce
ne lurent ni l'amour vague des innovatioas, ni
la manie de réaliser des théories abstraites et
de &ire des expériences hasardées et sanglantes,
qui amenèrent la fondation de la république.
Ijb comble de la tyrannie inspira aux victimes
de l'oppression le courage du désespoir. Ce
furent des sentiments^ bien plus que des idées,
qui dictèrent les premières résolutions. Les Fla-
mands, dans l'origine, ne voulaient pas changer
leur constitution. Leur seul désir était de la
conserver dans son intégrité, et les démarches
que Philippe se permit contre leurs lois politi'
ques, fiirent l'unique objet de leurs plaintes et
le motif de leur insurrection.
Dans ces provinces, la souveraineté était par-
DiailizodbvGoOgle
CUA.FITBE XXllI. 343
tagée eatre le prince et les états. Leur concours
était absolument nécessaire pour créer de v^i-
tables lois. Du moment où le prince essayait de
substituer à ce concours salutaire, qui seul de-
vait être l'oigne de la volonté générale, sa
volonté particulière, c'était lui proprement et
lui seul, qui entreprenait une révolution. Dès
ce, moment, les états n'avaient plus l'oUligatioD
de lui obéir, et pouvaient lui résister légitime-
ment, puisqu'il n'avait pas le droit de violer les
tonnes constitutionnelles du pays. Partout où
la souveraineté est composée de diâérents élé-
ments et de plusieurs pouvoirs, celui d'entre
eux qui tâche le premier de paralyser et d'a-
néaittir les autres, dépasse le premier la ligne
du droit : franchissant les limites qui seules ren-
dent sa puissance légale , il donne aux autres le
drmt de le refouler dans sa sphère, et d'assurer
le maintien de leurs lois poUtiques, en s'oppo-
sant à son usurpation. Ainsi, dans les Pays-Bas,
non-seulement les états pouvaient, mais ils de-
vaient même résister à Philippe. En exécutant
leurs déo'ets et en appuyant leurs mesures, le
peuple obéissait à une autorité légitime.
Au commencement des troubles , on ne vou-
lait pas enlever au roi d'Espagne la part qu'il
avait à la souveraineté; on voulait simplement
DiailizodbvGoOgle
344 PARTIE r. P^BIODK ill
l'empêcher de s'attribuer un' pouvoir qui ne lui
appartenait pas, et, lorsque toutes les représen-
tations eurent été inutiles , le ramener par la
force aur termes du droit. Cette juste entreprise
conduisit finalement à l'entier i:enversement de
l'ancienne constitution et à la création d'un
nouvel ordre de choses; mais ce grand change^
meut ne s'opéra qu'au bout de vingt ans ; il fut
l'ouvrage de la nécessité et des circonstances.
Lors des premières divisions et même des prc'
mières hostilités, aucun de ceux qui prirent les
armes ne pensait à détacher les Pays-Bas de
l'Espagne. Guillaume lui-même, quand il s'en-
gagea dans la carrière qu'il a fournie avec tant
de gloire , n'avait pas conçii un plan aussi vaste
et aussi hardi. En supposant le contraire, on se
ferait une fausse idée de ses principes, et l'on
élèverait son géuie aux dépens de son caractère.
Si Philippe avait fait droit aux justes griefs des
mécontents, ils seraient restés avec plaisir dans
leiuï anciens rapports, et se seraient rangés
de nouveau sous les lois d'une dépendance à
laquelle ils étaient accoutumés. Il ne fallait pas
moins que les fautes multipliées du ministère es-
pagnol , pour faire d'une insurrection , qui n'était
pas dans ces contrées un phénomène extraordi-
naire , le premier anneau d'une révolution dé-
cisive.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIll. 345
L'acte d'uniop , signé à Utrecht , conservait à
chaque province ses formes politiques, ses droits
et ses usages. I/association n'avait d'autre but
que le maintien de la liberté générale et la dé-
fense commune du pays contre l'ambition per-
sévérante du roi d'Espagne. Chaque province
devait former un état séparé , mais réunir ses
forces et concerter ses mesures avec les autres ,
pour tout ce qui tenait à la sûreté extérieure.
Les dépenses et les sacrifices devaient être ré;
partis également par l'assemblée fédérative com-
posée des députés des différentes provinces. Ce
n'était qu'à l'unanimité que ta guerre ou la paix
devaient être résolues, et qu'on pouvait exiger
des peuples de nouveaux impôts. Ddns toutes
les autres affaires , la majorité des voix était dé-
cbive. Les démêlés qui s*éleveraient entre les
provinces, devaient être jugés par les stadtbou-
ders ou capitaines-généraux. Les confédérés de-
vaient s'assembler à Utrecht à des jours marqués,
et on s'en remettait à eux pour éclaircir'et in-
terpréter les points litigieux ou obscurs de l'acte
d'union.
Guillaume avait été l'ame des opérations de
l'assemblée d'Utrecbt. Des raisons politiques Sa-
vaient empêché de se montrer entièrement à
découvert ; mais peu de temps après que l'acte
DiailizodbvGoOgle
34^ PAHTIE I. PÉRIODE III.
d'union eût été codcIu et publié, il y accéda ou-
vertement. Les imperfections et les défauts de
ce gouvemement fëdératif n'avaient sûrement
pas échappé à son œil pénétrant. L'acte d'union
était l'ouvrage de la nécessité des circonstances.
On y avait calculé les rapports et les mesures
pour le présent, et non pour un avenir éloigné.
Cette fédération manquait d'ensemble et d'unité.
On y avait sacrifié l'unité à la division des pou-
voirs. Les ressorts n'étaient pas assez concen-
trés, pour que le mouvement fût rapide, uni-
forme et sûr (*). Le génie de Guillaume fut
(*) Qu^ que soient Les défauts que les théoriciens politi-
ques ont trouvés dans la constitution fédérabve des Provinces-
Unies, il est certain qu'elles été le priucipe de leur puissance
et de leur bonheur pendant plus de deux siècles. Durant
cette période, la marche progressive de la population, du
travail , de la richesse et de la culture dkns cette république
coninerçaDte, dépose en faveur de la sagesse de ses lois'
politiques, ou plutôt prouve, par un exemple frappant,
une vérité qu'on ne doit pas se lasser de répéter, parce
qu'on ne se lasse pas de la perdre de vue : c'est que les
mœurs, les habitudes, le caractère national d'an peuple
servent de contre-poids ou de correctif à l'imperfecdon de
ses loisj que l'esprit de son gouvemement importe plus à
son bien-être que les formes de sa constitution , et que
l'étude des faits inspire nue juste défiance contre les prin-
cipes généraux de toutes ces théories politiques qui pro-
cMent par voie d'exclusion.
=dbï Google
CUAPITRK XXIll. 347
maîtrisé par les événements. C'était beaucoup
pour le moment d'avoir organisé cette union ;
ses vues s'étendaient plus loin. Dans ses idées
cet acte devait être temporaire , et non servir de
base fixe et durable à ta constitution des Pro-
vinces-Unies. Il attendait beaucoup du temps ,
de ses services et d'une paix glorieuse. S'il avait
été conservé à son pays, il lui jurait probable-
ment donné une constitution où les pouvoirs
eussent été partagés sans être isolés ; et, conci-
liant l'intérêt général avec son int^êt particu-
lier , il aurait assuré , par de nouveaux arran-
gements, la fortune de sa maison et la liberté
publique.
Du moment où Philippe apprit que les pro-
vinces du Nord s'étaient formellement séparées
de l'Espagne, et que Guillaume avait été te mo-
teur secret de cette entreprise , et l'approuvait
hautement, il ne déguisa plus sa haiue; il an-
nonça clairement ses projets de vengeance, et,
déclarant te prince d'Orauge hors la loi, il mit
sa tête à prix. Les Provinces-Unies répondirent à
cette démarche violente j en publiant que Phi-
lippe était un tyran, qui ne méritait aucune es-
pèce d'obéissance , et qu'ils rompaient pour tou-
jours les liens de dépendance qui les attachaient
à lui. Guillaume n'opposa à l'arrêt qui le con- ■
DiailizodbvGoOgle
348 PARTIE I. PÉRIODE III.
dainnait à mort, que l'indifférence du mépris
et le calme du courage. Plus sa vie était en dan-
ger , plus il l'exposait avec une généreuse con-
fiance.
La mort l'attendait à Delft. L'or de l'Espagne
et les promesses des prêtres avaient déjà , plus
d'une fois, armé contre lui le bras des assassins;
Javrigni et Saizedo avaient attenté à ses jours,
sans succès. Balthasar Gérard fut plus heureux.
Ce scélérat , bourguignon de naissance , tua
Guillaume d'un coup de pistolet , au sortir de
table. Arrêté et interrogé, il avoua qu'un francis-
cain de Tournai et un jésuite de Trêves l'avaient
encouragé à ce meurtre; que l'idée de gagner en^
même temps le ciel et la récompense promise
par l'Espagne avait été le motif de son action ;
qu'il en avait prévenu le prince de Parme , le-
quel l'avait adressé au conseiller d'état d'Asson-
viHe , pour se concerter avec lui. Il périt dans
les supplices, faible expiation d'un si grand for-
fait, et porta sur l'échafaud la même audace que
dans le crime.
Guillaume mourut à cinquante^eux ans, dans
toute la force de son génie, à l'époque où lare-
connaissance des Provinces-Unies allait lui faire
recueillir le fruit de ses travaux. On a prétendu
qu'il était mort à propos pour sa gloire , et que
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXII i. 349
la puissance qu'il était sur le point d'acquérir
aurait affaibli l'éclat de sa réputation : mais ce
que nous connaissons de lui doit nous faire pré-
siuner que sa grande ame ne se serait pas dé-
mentie, et que, par un bel usage de ta puis-
sance, afïermissant la liberté publique, il se
serait fait pardonner son élévation.
Sa mort répandit te deuit et la consternation
parmi les Bataves , et la joie à Madrid. Philippe
se flatta que la nouvelle république expirerait
avec son créateur , et que l'insurrection s'étein-
drait d'elle-même. Les victoires du duc de Parme ,
la prise dTpres, de Bruges, de Gand, de Bru- ï585.
Telles, de Matines, qui fut suivie de celle d'An-
vers, paraissaient justifier les espérances du roi
d'Espagne. Elles furent trompées ; la nouvelle
république supporta ce malheur sans faiblesse.
Elle honora la mémoire de son fondateur, en
prenant une attitude ferme et fière, et en per-
sévérant dans ses principes. L'esprit de Guil-
laume lui survécut. L'impulsion qu'il avait don-
née à ses concitoyens avait été trop forte pour .
se perdre dans le repos de la servitude.
Après la mort du prince d'Orange, la répu-
blique crut avoir , plus que jamais , besoin du
secours de l'Angleterre. Elisabeth le lui promit i585.
et le tui accorda ; mais les ports de Flessingue ,
DiailizodbvGoOglc
35o PARTIE 1. PERIODE III.
de Ramekens et de la Brille furent engagés à
l'Angleterre pour payer sa protection , et ce prix
pouvait paraître excessif. Le comte de Leices-
ter, favori d'Elisabeth, qu'elle envoya en Hol-
i586. lande pour être gouverneur-général de la répu-
blique, était peu fait pour cet emploi. Incapable
de la défendre, il nuisit à ses intérêts par des
fautes graves , l'agita par ses intrigues , et an-
nonça le dessein de l'asservir. Ses inconsé-
quences et sa légèreté le perdirent, et , en obli-
geant la reine à le rappeler , elles sauvèrent les
iS88. Provinces-Unies. La guerre directe, qui éclata
bientôt après entre l'Angleterre et l'Espagne,
devait entraîner la ruine de ta république si
l'Espagne triomphait; elle succomba, et la répu-
blique acquit, durant cette lutte sanglante, un
plus haut degré de consistance et de force. lHous
ne nous arrêterons pas à ces événements; ils
trouveront leur place dans le tableau du règne
d'Elisabeth.
Les victoires de Henri IV , les défaites de la
ligue, les eÉforts multipliés et inutiles de Phi-
lippe II , pour la soutenir, servirent puissamment
la cause de l'indépendance des Provinces-Unies.
La politique leur dictait impérieusement de
s'attacher à la France et à l'Angleterre , qui obli-
geaient leur ennemi commun k partager ses
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXI 11. 35 i
forces. Si Philippe avait pu réunir toutes les
sienues contre la Hollande, la Hollande anmit
subi le joug; mais l'Angleterre et la France
sentaient que l'existence de la république nou-
velle importait à leur propre sûreté , et elles fa-
vorisèreut l'établissement de cette puissance
naissante. Cette union fut durable; elle repo-
sait sur l'identité des intérêts.
Les circonstances assuraient des alliés aux
ftxivinces-Unies ; les événements conspiraient à
leurs succès ; mais elles se montraient dignes de
. leur bonbeur, par une conduite réfléchie, sage,
mesurée, qui n'excluait pas les entreprises har-
dies. Le duc de Parme trouva dans le jeune
Maurice un rival , toujours brave et souvent
heureux. Le génie de Guillaume revivait dans le
second de ses fils. Après la mort .du duc de iSyi.
Parme , l'Espagne n'eut plus à opposer à Mau-
rice de général qui méritât de combattre contre
lui. C'est à cette époque que les Hollandais je-
taient les fondements de leur puissance dans
l'Inde ; leur amiral Corneille Hootman doublait
le cap de Bonne-Espérance ; le commerce et la
marine des Bataves s'élevaient sur les ruines du i5q5.
commerce et de la marine de l'Espagne, et ils
attaquaient cette puissance avec ses propres ri-
chesses.
DiailizodbvGoOgle
35a PARTIE 1. — PÉRIODE 111.
. L'époque des grands dangers de la république
fut cçlle des grandes vertus. Le gouvernement
montrait de la prudence sans timidité , de l'ar-
deur sans enthousiasme , de la persévérance
sans obstination. Le même esprit avait passé
dans tes particuliers , et aaimait toute la nation.
On ne composait point avec les besoins de l'état.
Chacun voyait sa fortune dans la fortune pu-
blique; les sacrifices étaient les seules jouis-
sances dont on fût avide et jaloux. Les mœurs
étaient sévères et pures, la vie simple et mâle,
les relations domestiques douces et saintes, la
piété sincère et fervente. Ce peuple méritait
d'être libre , car il craignait Dieu , respectait les
lois, et plaçait la liberté dans la justice.
bv Google
CHAPITRE XXiV. 353
CHAPITRE XXIV.
Elisabeth monte sur le trône. Son caractère. Ses princ^ies
de gouvernemeat et d'administratioD. Sa politique exté-
rieure. Progrès de la puissance et de la richesse natio-
nale de l'Angleterre. Hort tragique, de Marie, reine
d'Ecosse. La guerre «date entre l'Espagne et l'Angleterre.
L'Angleterre triomphe. Troubles d'Irlande. Faveur, dis-
grâce, mort d'Esses, Mort d'Elisabeth et de Philippe IL
Épuisement de l'Espagne. Sa décadence politique.
. J_jbS passions et le Ëinatisme détruisaient en
France l'ouvrage de plusieurs siècles , et y natu-
ralisaient le désordre et le crime ; l'Espagne s'af-
faiblissait en semant letrouble chez ses voisins;
l'insurrection des Pays-Bas obligeait Philippe II
à prodiguer ses troupes et son argent pour sou-
mettre ses propres sujets; l'Angleterre seule,
tranquille et heureuse, se félicitait des faux cal-
culs du roi d'Espagne , profitait de ses fautes, et
augmentait en silence ses forces , pendant qu'il
constunait inutilement les siennes. Du sein de
son lie , Elisabeth suivait de l'œil les agitations
du continent, les dirigeait par son active pré-
voyance, et jouait le rôle d'un spectateur paisi-
a 23 ■
=dbï Google
354 PARTIE I. PÉRIODE III.
bte, tout en prenant une part indirecte aux évë<
nements. Son génie créa la puissance de l'Angle-
terre. Elle suscita des obstacles et des ennemis
à l'Espagne, l'attaqiia d'abonl sourdement, puis
avec éclat, et, par ses triomphes, sauva tous
les états de FEurope de l'esclavage qui' les me-
naçait.
Elisabeth, fille de Henri VIII et d'Anne de
I S33. Bcdeyti , étair née sous les plus heureux auspices.
Bientôt le sort tragique de sa mère changea en-
tièrement le sien , et elle connut de bonne heure
l'infortune et les larmes. Le malheur , qui brise
lés âmes iaibles , donne de la trempe aux esprits
supérieurs; c'^t U meilleure licole des princes;
ce fiit celle d'ËUsabetfa. Elle ne trouvait k la
cour de son père ni les plaisirs, ni les fiaitteries
qui enivrent tes jeunes cœurs ; l'avenir ne i«i
ofirait point de perspective riante ni assurée ;
die sentit le besoin de se ménager d'autres res-
sources que celles de la fortune et de la fkpenr.
Ses études, sérienses et profondes, furent au-
dessus de son âge et de son sexe. Elle apprit le
français, l'italien, i« l^o et m&ne le grèc. Os
l'occapa beaucoup plus des langues mortes que
des sciences; c'était l'esprit du siècle. Le com-
merce des grands écrivains de l'antiqinté déve-
loppa son caractère , li» donna le gocrt du beau
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. 355
et une certaine élévation de pensée. Soti esprit
était juste et solide. Active sans inquiétude,
eHe savait s'assujettir à un travail réglé et oni-
fonne. Dans tes affaires, son jugement exercé
préférait les partis surs aux projets vastes et in-
certains. Elle saisissait , par un tact heureux , dans
tous les objets le point essentiel, et démêlait fa-
cilement la vérité au milieu de toutes les ei'reurs
qui lui ressemblent. Maltresse d'elle-même", elle
ne donnait rien au hasard dans l'administration ,
. et ne cédait pas au premier mouvement ; calme
et réfléchie, elle mettait de la mesure dans ses
discours et dans ses démarches, et réservait l'é-
ner^e pour les cas extrêmes. Sa politique n'était
rien moins que généreuse, franche et noble; la
générosité qu'elle afiectait quelquefois n'était
elle-même qu'une politique déguisée. Tout chez
elle était soumis au calcul , comme il arrive à
tous ceux qui ont plus d'esprit que de sensibi-
lité et d'ame. Habile à deviner les hommes et à
les employer, elle ne voyait dans la défiance
qu'une précaution nécessaire pour ne pas mal
placer sa confiance ; l'avait-elle une fois accordée,
die la retirait difficilement. Vaine de sa beauté,
elle attachait plus de prix aux dons de la figure
qu'elle croyait posséder et que la nature lui svait
refusés, qu'à ses éminentes et grandes qualités.
a3.
=dbvGooglc
356 PARTIE I. PiniODE III,
Plus jalouse de plaire que d'être aimée, elle
employa le pouvoir royal à punir les femmes
qui effaçaient ses charmes, et les hommes qui
les dédaignaient. Sur le trône , elle parait grande
et commande l'admiratioi} ; dans les relations
domestiques et sociales, elle se montre puérile,
petite, odieuse , et ne se ressemble plus à elle-
même.
Lés Qiaximes uniformesd'administration qu'elle
suivit pendant son règne, feraient croire, au pre-
mier coup-d'œil , qu'elle avait un système forte-
ment conçu et lié dans toutes ses parties. Celte
uniformité de principes tenait à la fermeté de
son caractère, bien plus qu'à des réflexions pro*
fondes. Elle s'explique en partie par les circon-
stances où elle s'est trouvée ; mais il faut princi-
palement en attribuer l'honneur à Guillaume
Cécil qui a eu une influence décisive dans toutes
IcKï affaires; ministre de confiance d'Elisabeth, il
méritait son crédit et son élévation par la sagesse
de ses conseils et par l'étendue de ses vues. Une
paftîe des grandes choses qui se- sont faites sous
ce régne lui appartiennent ; mais Elisabeth con-
serve toujoifrs la gloire d'avoir su distinguer , in-
teiTOger, comprendre et suivre cet esprit supé-
rieur , qui n'était étranger à aucune branche de
l'administration.
=dbï Google
CHAPITHE XXIV. 357
Elisabeth avait vingt-cinq ans lorsqu'elle monta
sur le trône. Sous les règnes précédents sa vie.
avait été souvent en danger. Sommerset et Nop-.
thumberland , les favoris de son frère Edouard ,
avaient craint l'ascendant qu'elle pourrait pren-
dre sur l'esprit du jeune roi ; et, l'éloignant d'elle,
lui avaient suscité des persécutions secrètes.
Marie, toujours défiante et sombre, la haïssait.
Elle ne voyait dans sa sœur que la fille d'Anne
de Boleyn , l'auteur de toutes les infortunes de
sa mère. Jalouse de toute espèce de prééminence ,
elle ue pouvait pardonner à Elisabeth de lui
être supérieure pour les connaissances et l'esprit.
Elle soupçonnait les protestants d'attendre s»
mort avec impatience, et de hâter par leurs
vœux le règne de sa sœur. Cette idée suffisait
pour provoquer ses vengeances. Elisabeth per-
dit la liberté, et fut détenue dans une étroite
prison. Marie forma même le dessein de la faire
mourir , et sans Philippe , qui soutenait Elisabeth
dans des vues intéressées , et qui voulait acqué-
rir des droits à sa reconnaissance , elle n'aurait
probablement pas échappé au supplice. D'abord
après la mort de Marie, elle fut proclamée reine i558.
par le parlement, et pendant quarante-quatre ans
elle gouverna l'Angleterre avec autant d'habileté
que de bonheur. Reposons nos regards fiitigués
DiailizodbvGoOgle
358 PARTIE 1. PÉAIODE 111.
de crimes et de malheurs sur le spectacle d'une
admtnistratioD sage, longue et pacifique, dont
nous ne pourrons saisir que les traits les plus
saillants : nous verrons l' Angleterre prendre des
accroissements rapides, augmenter sa puissance
en augmentant sa richessenationale, et déployer
cette puissance avec succès , pour la défense de
sa liberté et l'établissement de l'équilibre poli-
tique.
La religion solliàtait avant ttuit l'attention
d'Elisabeth. Par des lois de sang et des exécu-
tions multipliées , Marie avait détruit l'ouvrage
d'Edouard; mats eu replaçant par des moyens
violents la religion ca^olique sur le trône, elle
n'avût fait qu'affermir dans leur opinion les sec-
tateurs de la doctrine nouvelle , et qu'accroître
le nombre de ses partisans. Déclarée illégitime
par le pape , Elisabeth ne peut soutenir le parti
qui attaque ses droits à la couronne ; elle dcût
fHxitéger l'autre. Élevée dans les principes con-
traires à ta foi cathoKque, elle y tient par poli-
tique , encore plus que par conviction et par ha-
bitude. Son ame fîère et indépendante r^ugne
à l'idée d'être soumise à un souverain étranger.
Son esprit éclairé sent que la religion protes-
tante favorise la population et le travail; et ce
motif suffirait pour la déterminer en sa iaveur.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XZIV. 359
D'ailleurs, Philippe est à la tète du parti catho-
tiqiK en Europe ; elle connaît ses vues ambitieu-
ses, eUe les redoute : il feut opposer ua contre-
poids à la- puissance menaçante de l'Espagne;
elïe le trouve dans ta réumori des états protes-
tants cMitre l'eDuemi commtln , et elle espère
jouer le prwDter rôle dans cette association à la
fois politique et rrii^euse» et se servir d'elle
. pour combAtXee Philippe.
Rien n'était plus contraire au caractère d'Eli-
sabeth que la précipitatitm. Elle observe pendant
quckpie temps tes deux partis, puis elle fait suc-
céder av^ lenteur les changements les uns aux
autres. On rétablit la sufvéniatie; on célèbre le iSSg.
service divin eu langue vulgaire; ta messe est
aboHe, et les biens ecclésiastiques sont de nou-
veau enlevés à leurs premiers possesseurs. Le
parlement, toujours docile et accoutumé à chan-
ger tes lois relatives à la religion avec autant
de fetàtité que des règlements de poKce, sanc-
tionne toutes les mesures d'ÉliKibetb. Cette ré-
volution religieuse produit beaucoup de mé-
contents, et oblige ta reine à une vigilance
ointinurile , qui prévienne ou déjoue tous les
coio plots. Les catholiques , irrités des pertes qu'ils
ont &ite3 , enhardis par leurs {HÏucipes , qui légi-
timeot tous les moyens , conspweot contre Éti-
=dbïGoogIe
36o P4RtlE I. PÉBIODE III.
sabeth ; ces conspirations D'écha(>pent pas à $a
surveillance, et elle les ponit sévèrement. Phi-
lippe, qui n'espère plus l'épouser, est devenu
son ennemi secret; son or et ses intrigues le
rendent l'ame du parti catholique. Elle tâche
d'écarter de l'Angleterre l'activité malfaisante de
ce .prince, en lui suscitant des affaires et des
dangers dans ses propres états. Les protestants
sont divisés entre eux. Les sectateurs rigides de
la discipline et des dogmes de Calvin veulent
les introduire daus le royaume, une réformation
faite dans les principes mitigés de Cranmer , qui
conserve la hiérarchie, et semble composer avec
l'erreur, leur parait inadmissible. Elisabeth, ja-
louse de son pouvoir, croit que le souverain
doit avoir de l'autorité dans l'église, afin d'en
avoir d'autant plus dans l'état, et s'oppose aux
i563. progrès du calvinisme. L'acte d'uniformité con-
1573. sacre l'ordre établi par Cranmer; on dresse même
trente-neuf articles qui doivent être le symbole
de la religion nouvelle , servir de règle , de loi
et de point de ralliement aux opinions flottantes.
Cette ligne de démarcation, invariable entre les
deux partis , augmente leur animosité mutuelle.
Sous le nom de presbytériens , de puritains, de
non-conformistes, les calvinistes zélés se pro-
noncent avec plus de force. La résistance qu'ils
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. 36f
opposent, à l'autorïté ne dérive pas essentielle-
ment de leurs principes ; elle tient bien plus au
sentiment de leur défaite et au désir du triom-
phe; mais elle provoque, de la part d'Elisabeth,
une résistance active et des mesures vigoureuses.
Elle croit , avec quelque apparence de raison ,
que cette secte incline à faire deâ révolutions
politiques , et veut appliquer à la société civile
les maximes de son gouvernement ecclésiastique.
Pour l'empécheiv de dominer , elle tâcbe de tenir
la balance exacte entre les protestants et les ca-
tboliques, et en effrayant les uns par les autres,
elle les retient tous dans l'obéissance.
Sur le tbéàtre politique elle suit ta même
marche, et emploie' les mêmes moyens, avec un
égal succès. En France et dans les Pays-Bas, le
fanatisme persécuteur a enfanté le fanatisme de
la résistance. La guerre civile a éclaté. Le roi
d'Espagne est le ressort secret des troubles de
la France. Il les a préparés par ses perfides con-
seils ; il les alimente par les discours et les écrits
des prêtres qu'il entretient à sa solde; il les
prolonge et les complique en faisant naître en
France de nouveaux incidents, et en envoyant
sans gesse de nouveaux secours. Son intolérance
qui sévit contre les opinions , sou despotisme
qui renverse toutes les barrières légales , et ta
DiailizodbvGoOgle
363 PA.BT1E 1. PÉRIODE III.
cruauté du duc d'Âlbe oui aUumé les feux de la
révolte daus ke Pays-fias. Élisabetb est sollicitée
d'un côté par Coudé et Cc^gni, d« l'autre par
Guillaume de Nassau, de protéger la liberté
contre la tyrannie. L'intérêt de sa sûreté lui
dicte de les secourir. S'il» succombent, l'orgueil
et Tambltiou de Philippe pèseront sur l'Europe
entière , et l'Angleterre sera la première asser-
vie. S'ils résistent avec succès « elle peut ca■l:^l-
ter Siur des alliés fidèlfis, dcHil, au dé&ut de la
reconnaissance , l'intérêt lui garantit le dévoue-
ment. L'Espagne, à cette époque, la première
puissance maritime de l'Ëun^, est l'ennemie
naturelle de l'Auglet^re , qui ne pmt élever sa
puisfiauce que sur la mer , et s'enrichir que par
le cotmnaerce. L'Espagne domine sur l'une , et
voudrait seule faire l'mitre. Le seul moyen de
détruire sa domination, est d'occuper et d'af-
faiblir Philippe , es) lui suscitant des ennemis qui
l'obligent k une grande dépense de moyens, et'
en lui opposant , dans la carrière que son am-
bition hii ouvre, des obstacles qui usent et coa-
sumeot ses forces. Elisabeth ne peut ni ne veut
paraître elle-même dans l'arène. £Ue se résout
à donner des secours aux protestants de France
et des Pay&-Bas; mais ces secours seront secrets,
k6d de ne pas engager l'An^cterre dans une
DiailizodbvGoO^IC
CHAPITRE XXIV. 363
guerre directe contre l'Espagne. Elisabeth cou-
vre ses démarches d'un respect apparaît pour
le droit des gens. Sont-elles découvertes, elle
les désavoue, et met sur le compte du hasard ce
qui fut l'ouvrage d'un dessein prémédité, ou ac-
cuse ses ministres pour se justifier elle-même.
Philippe la péqètre; mais, comme eUe ménage
son orgueil eu sauvant les dehors, il dissimule
ses ressentiments, et ajourne ses vengeauces. Les
secours qu'Elisabeth accorde aax protestants
suiËseot pour les empêcher de succomber sous
leurs ennerab; mais ils «e sont pas assez con-
sidérables pour leur assurer une supériorité dé-
cisive et constante. Elle nourrit la guerre au lieu
de hâter sa fin; elle paraît craindre le triomphe
de ses «mis presque autant que leur entière dé-
faite ; elle voudrait du moins les retenir tou-
jours dans la dépendance de l'Angleterre, et ne
jamais les mettre en état de se [tasser de ses
secours.
Cette politique peu généreuse suppose plus
d'aptitude au calcul que d'élévation d'ame , mais
elle était impérieusement dictée à Elisabeth par
la loi de sa propre conservation. D'ailleurs, eUe
ne faisait qu'user de représailles en soutenant
les protestants dans les Pays-Bas, puisque les
émissaires de Philippe travaillaient sans relâche.
ailizodbvGoOglf ■
364 PARTIE I. PÉRIODE III.
en Angleterre, à soulever contre elle les catho-
liques. Enfin, elle se devait avant tout à ses
propres sujets , et le premier de ses devoirs était
d'assurer leur tranquillité. Le dévouement et la
générosité sont admirables quand on ne sacrifie
et ne dévoue que soi-même ; mais un souverain
ne doit jamais oublier que la nation qu'il gou-
verne veut, avant tout, conserver son existence,
et non la compromettre pour étonner le monde
par des actes de magnanimité.
L'événement justifia la politique d'Elisabeth.
Philippe perdit son temps et ses forces, en vou-
lant enlever le trône de France aux Bourbons ,
et en faisant de vains efforts pour soumettre les
Flamands. Quelque faibles que fussent les se-
cours d'ÉIisabçth, sans eux, Henri IV et Guil-
laume auraient difficilement résisté à la puis-
sance espagnole. Du moment où la mort de
Henri III eut fait de la cause des protestants
celle du souvemn légitime , et où l'union d'U-
trecht eut décidé de l'existence d'une république
nouvelle , Elisabeth envoya des secours plus
considérables, et se prononça plus hautement
en faveur de ses alliés. Deux fois on lui offrit la
souveraineté des Pa}'&-Bas , et deux fois elle la
refusa : en l'acceptant , elle eût fait perdre à l'An-
gleterre de sa puissance réelle, et l'eût mise
=dbï Google
CHAPITRE IXIV. Stif»
dans la nécessité de tlevenir une paissance con-
tinentale. Elle souhaitait acquérir quelques ports
sur les côtes de France et sur celles des Pays-
Bas. Le Havre, qu'elle posséda un moment, '66»
devait la dédommager de la perte de Calais; ,663.
elle le perdit : mais Ramekens, Flessingue et la
firïlle, qu'elle obtint des Hollandais, restèrent
à i'Aogleterre pendant tout son règne.
Elisabeth augmentait sa puissance par des
moyens plus sûrs et plus glorieux , en encou-
rageant le travail et en développant tous les
genres d'industrie. £lie ne s'occupait des rela-
tions étrangères et des intérêts politiques, qu'au-
tant qu'il le fallait pour procurer aux Anglais
cette tranquillité prépegse qui permet aux peu-
ples .de produire et de jouir en paix. Pendant
qu'elle acquérait une plus grande puissance re-
lative , en concourant à i'afbiblissement de l'Es-
pagne , sa puissance absolue s'accroissait avec
la richesse nationale. ÉgaJement éloignée de
l'aVarice et de la prodigalité , elle mettait une
économie sévère dans sa dépense, accordait peu
de faveurs aux courtisans , se refusait beaucoup
de choses à elle-même, et se ménageait les
moyens d'encourager les entreprises utiles et de
récompenser le mérite. Elle remarqua de bonne
heure que les principes de la réformation et les
DiailizodbvGoOgle
36(> PARTIE 1. piHIODE III.
progrès de l'aisance générale avaient amené un
changement dans l'opinion pnbHqae, et que les
parlements pourraient bien lui opposer plus dç
résistance qu'à ses prédécesseurs. Ne voulant ni
sacrifier, ni compromettre son autorité, elle
prit le parti de se passer des parlements, le plus
que possible , en ne leur demandant pas de sub-
sides. Pour cet effet, elle mit dans l'administra-
tion de sa maison et de ses domaines un ordre
admirable , et ne voulut multiplier ses revenus
et ses ressources, qu'en b&tant les progrès de la
prospérité nationale. Ses travaux dans ce genre
lurent aussi éclairés que soutenus ; pour la pre-
mière fois, dans les temps modernes, les pro-
grès de l'activité d'un grand peuple furent le but
suprême d'un gouvernement, et non un simple
moyen d'atteindre d'autres fins motus nobles et
moins belles.
La liberté des forces est le principe de leur
\ développement ; le travail des nations , comme
celui des individus , a bien plus besoin de lois
q'si le protègent , que de lois qui le diluent.
Celles d'Élisabedi ne furent pas toujours con-
formes aux vrais principes de l'économie poli-
tique; mais cette science, qui de nos jours est
encore dans son oiiance, n'était pas même née
à cette époque. Elisabeth fit peut-être trop de
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. 367
rëglements relatifs à l'industrie et au commerce ,
et CCS ré^ements furent soDvent de Térifables
«ntrarves ; mais , dans tous les genres , les erreurs
précèdent la venté , les preowers pas sont dif-
6cdes, et l'histoire de son administration prouve
du moins que son attention s'étendait à toutes
les branches de la prospéi^é pnbltque , qu'elle
ne vo^it la puissance que dan» le travail , et
qu'elle ne séparait pas la richesse de l'état de la
rif^esse nationale.
L'a^icalture perfectionna ses procédés, éten-
dit ses travaux , et multiplia les productions et
les matières pren«ères. L'exportation du blé fut 1^71.
pOTDÎse'; le laboureur, ayant la perspective de
vendre avec avsntt^e , puisqu'il avait la liberté
de vendre partout, défricha et cultiva le sol avec
plus d'ardeur et de succès; pour concilier la sû-
reté publicpie avec l'intérêt des propriétaires , il
fat statué que le ccHnmerce des grains serait dé-
fendu dès le moment où leur prix dépasserait Iç
unne mt^u. Le servage n'était pas aboli , on
adoucit le sort des serfs par des lois sages; on 1574.
leur offrit des facilités pour se racheter de cet
état de sujétion ; et, sans porter atteinte au res-
pect pour les propriétés, on lâcha d'amener, par
des moyens doux et insensibles, le moment de
la liberté des personnes. Les pauvres s'étaient
DiailizodbvGoOgle
368 PARTIE I. PÉRIODE 111.
multipliés avec les richesses; la taxe pour les
1S71. pauvres prit naissance; elle fit de l'aumône un
impôt , et d'une obligation morale une redevance
civile ; mais elle assura la tranquillité générale ,
sans tarir les sources de la bienËtisance volon-
taire.
L'industrie des Flamands était supérieure 4
celle de toutes les autres nations; les troubles
religieux et politiques des Pajs-Bas forçant les
arts, qui cherchent toujours le repos, à s'expa-
trier , l'Angleterre adopta un graiid nombre de
1567. colons actifs et intelligents. Les manufactures de
laine prirent des accroissements rapides : celle
qu'on vendait autrefois aux Flamands, fiit tra-
vaillée dans le pays même; de nouvelles étoffes
de cette matière précieuse vinrent étonner l'An-
gleterre ("). '
Le commerce extérieur demandait que les mon-
naies ne fussent pas sujettes à des altérations
continuelles; que leur valeur réelle fut propor-
tionnée à celle des monnaies des autres nations,
(*) Les boys, les serges, les camelots furent fabriqués
par des mains anglaises. On découvrit et lion exploita des
mines de cuivre dans le comté de Cumberland. On établit
des fabriques de couteaux, des mannfactures de bas de
:,, Google ,
CH&.P1TIIE XXIV. 369
et ne se trouvât pas trop au-dessous de leur va-
leur de convention t'Ëtisabetb régla déânitive-
ment cet objet important. Les dangers que cou-
rent les marcbandis» , eo passant d'un pays dans
un autre , devinrent moins redoutables , grâce k
ringéatense iaveatiou des assurances; l'incerti-
tude elle-même fut assujettie au calcul.
Le commerce maritime exige de grandes avan-
ces qui ne peuvent être couvertes que par de
grïmds profits. Il se forma en Angleterre tles so-
ciétés pour le commerce du I^evant, de la Bal-
tique, de la Russie; on leur accorda des droits -
CKclusife pour un temps déterminé; ces mono-
poles devaient amener la liberté du commerce
et mettre la nation «h état d'en jouir. Jusqu'alors,
les villes d« la Hanse avaient eu en Angleterre
des privilèges considérables , qui tournaient au
détrim^it des indigènes. Elisabeth voulait encou-
rager l'Activité nationale ; elle accueillit les négo-
ciants de la Hanse, mais ue les favorisa pas 1^7%-
ptOs que les autres étrangers; et, pour exciter
ses sujets à faire eux-mêmes les spéculations qui-
enrichissaient lés villes banséatiques , elle mit
sur leurs marchandises un impôt qui tendait à'
faire pencher labalahce en faveur des Anglais.
- Le' génie d'Élisabefh étectrisant les esprits,-
les entreprises les plus hardies se succédèrent
2 a4
=dbï Google
370 PABTJE I. PERIODE ïri.
avec rapidité. Chaque particulier pouvait comp'
ter sur les secours, les récompenses et l'approba-
tion éclairée de sa souveraine, s'il travaillait à
la mériter. La navigation s'étendit ; on réalisa
' âes projets qui paraissaient chimériques avant
d'avoir été exécutés. Hawkins fit le premier le
commerce des nègres, sur les câtes de la Guir
née , et arbora le pavillon anglais dans tes Indes
1^77- occidentales. Forbisher chercha un passage aux
Indes orientales , du côté du Nord ; il ne trouva
pas ce qu'il cherchait , mais il découvrit une
i5S5. partie de t'Am^que septentrionale. Dawis pé-
i577 nétra dans le détroit qui porte son' nom. L'au-
i58o. dacieux Drake, et après lui Cavendish firent le
tour du monde. Le premier , aussi célèbre par
son habileté et par son courage , que fameux
par sa barbarie , reçut à son retour, sur son vais-
seau , la visite de sa souveraine ; et , après avoir
porté le nom anglais sur des mers inconnues, il
le fit redouter et triompher sur les mers voi-
sines dé sa patrie. Ces voyages, ces expéditions,
ces découvertes enflammèrent l'émulation, ani-
mèrent l'activité et développèrent les talents; en
multipliant les besoins et les jouissances , et of-
frant au travail de nouveaux débouchés, elles
amenèrent la mul.tipIication et la perfection du
travail.
:,, Google _
CHAPITRE XXIV. i-Jl^
Pendant qu'Elisabeth faisait avancer sa nation
clans la carrière du développement des arts et de
la richesse , l'Ecosse était le .théâtre de troubles
et -de divisions sanglantes , et ces événements
tragiques détournaient l'attention de la reine
d'Angleterre de ses occupations favorites. Marie
Stuart, veuve de François II, roi de France, il
était revenne , après sa mort , prendre posses-
sion d'un trône «nal affermi. Catholique zélée ,
elle était haie des protestants qui, souS la ban-
nière de Jean Knox, le réformateur de l'Ecosse,
, nombreux, ardents, enflammés par des prédi-
cateurs fougueux, se faisaient un devoir de
perdre Marie, par leurs calomnies, dans l'opi-
nion publique. La haute noblesse d'Ecosse ,
riche , puissante , et familiarisée avec l'indépen-
dance durant une longue régence, voyait à re-
gret le retour de la reine, et répugnait à lui
obéir. Marie, dans la fleur de la jeunesse et de
la beauté, faite pour vivre au sein d'un peuple
aimable et léger, accoutumée aux hommages et
aux plaisirs d'une cour brillante et polie, fut
frappée du contraste que les manières agrestes,
les mœurs austères, le genre de vie monotone
et triste des Écossais. formaient avec les objets
qu'elle venait de quitter. Au lieu de faire le
sacrifice de ses goûts et de ses habitudes, et de
^4-
:,, Google
37a PABTIE I. piRIODE III.
dissimuler ses regrets , elle souleva les rigo-
ristes par les fêtes et les amusements qui se
succédaient à sa cour ; irrita les patriotes par
son mépris pour les usages de sa nation ; et ,
par ses inconséquences, mérita le blâme des
sages. Elisabeth la haïssait et la craignait. Ifon-
seulement elle voyait en elle une rivale de
beauté, dont les channes séduisants e£^aient
les siens, mais encore une "ennemie dange-
reuse. Au défaut d'Elisabeth, Marie avait les
premiers droits sur te trône d'Angleterre. Elle
les tenait de son aietile , sceur de Henri VIU.
Les catholiques qui, dans leurs principes, ne
pouvaient reconnaître la légitimité d'ÉtisaJbetfa,
portaient Marie à sa place par leurs vomix et par
leurs efforts. La reine d'Ecosse avait même pris
en France le titre de reine d'Angleterre , et Eli-
sabeth n'avait pas oublié cette injure. La jalou-
sie , la crainte , la vengeance se réunissent dans
son ame contre Marie ; et ces passions s'alHitant
sous le masque de la politique et de la reJigion ,
elle conspire en secret contre sa tranquillité, et
travaille sans relâche à la perdre. Marie elle-
même fevorise les projets de son ennemie , et
court à sa perte. Elle était douée de tous les
talents, de toutes les grâces, de tous les dons
de l'esprit et dit cœur ; mais irréfléchie autant
=dbvGooglc
CHAPITRE XXIV. 373
que sensible, esclave de ses penchants, dupe des
premières impressions, portant toutes ses afifec- '
tions à l'excès, elle ne voyait jamais que le.mo-
ment , ne calculait aucune de ses démarches ;
par sa légèreté , elle ne servit que trop bien la
haine d'Elisabeth , et devint l'artisan de sa pro-
pre ruine. Éprise de Darnley, avenglëe sur sa
médiocrité, elle l'épousa dans un accès de pas-
sion. Bientôt dégoûtée de lui , elle le négligea
entièrement ; et Darnley, jaloux des préférences
qu'elle accordait à un muûcien, nommé Rizzio,
les punit par un assassinat. Après la mort de i566.
Bizzio , Marie joignant la haine au mépris pour
son ^poux , forma des liaisons intimes avec le
comte de Bothwel. Ce nouvel amant conjm^ la
ruine de Damtey ; il voyait dans cette cata-
strophe le chemin de la torttme et jceUii'du cœur
de ta reine. L'infortuné Darnley , victime d'une
réconciliation feinte entre Marie et lui, périt
tragiquement. Au lieu de punir Bothwell de son iSe?.
crime, elle ne craignit pas de paraître sa com-
plice en lui pardonnant. Enlevée par le meur-
trier de son mari, elle eut même la criminelle
faiblesse de l'épouser. L'Ecosse justement indi-
gnée réclama contre cette union scandaleuse. La
noblesse avait pris les armes; les mécontents
s'élaieut rangés sous sa bannière ; les prédica-
DiailizodbvGoOgle
374 PARTIE I. PÉRIODE III.
teurs du nouveau culte avaient profité de cette
occasion pour soulever tous les esprits contre
la reine. Marie essaya de repousser la violence
i568. par la force; battue, prisonnière, privée du
trône, fugitive, elle vint chercher un asile où
elle ne pouvait rencontrer que des dangers , et
se réfugia dans le sein de sa plus q^ortelle en-
nemie.
Accusée par ses propres sujets devant une
reine qui était son égale et qui ne pouvait être
son juge, elle consentit à répondre à ses accu-
sateurs, oubliant ce qu'elle se devait à elle-
même et à la dignité royale. Elle ne fut pas con-
damnée, mais elle ne fut pas absoute, et la vie
qu'on lui laissa parut être une grâce bien plutôt
qu'un acte de justice ; elle ne méritait pas du
moins le* nom de bienfait. Marie traîna pendant
dix-huit ans, en Angleterre, une existence lan-
guissante , ignominieuse , précaire ; elle vécut
sans plaisir et sans honneurs, tourmentée jar ses
souvenirs et ses espérances, agitée de craintes
et de remords , passant d'une extrémité du
royaume à l'autre , au gré des alarmes et des
soupçons d'Elisabeth. Souvent on conspira à
son iusu, en son nom et pour elle; elle servait
de >igiie et de pt>int de ralliement à tous les en-
nemis d'Elisabeth ; elle était l'objet des vœux
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXIV. ^"^5
secrets ou prononcés des catholiques. Babing-
ton, d'intelligence avec l'Espagne, ayant formé
le projet de détrôner Elisabeth ,. et de placer Ma-
rie sur le trône, sa conspiration fut découverte,
et la reine d'Angleterre enveloppa l'infortunée
reine d'Ecosse dans la ruine de ceux qui avaient
voulu la servir. On suborna des témoins; on hii
refusa d'être confrontée avec eux; on employa
tous les moyens reçus par la tyrannie pour per-
dre l'innocence. Après une étroite et longue
captivité , Marie regarda comme une laveur
l'arrêt de mort qui brhait ses liens et l'ailran-
chissait du joug d'Elisabeth. Toujours aimable lis-j.
et intéressante , elle parut grande dans ses der-
niers moments. Ses infortunes, en surpassant ses
fautes , les avaieut fait oublier ; son déplorable
sort, remplissant l'ame tout entière, effaçait les
souvenirs du passé. On ne vit en elle qu'une vic-
time auguste et touchante de la politique et de
l'envie; elle emporta l'admiiation générale, et
légua à sa cruelle rivale l'indignation publique.
Elisabeth avait immolé Marie à sa jalousie et
À sa haine bien plus qu'à sa sûreté. Ces passions
' implacables qui ne pardonnent et ne se repo-
sent jamais , lui avaient fait saisir avec empres-
sement le prétexte de la conjuration de Babing-
ton, pour perdre une reine qui n'avait eu
DiailizodbvGoOgle
376 P\BTI£ I. ' — PBHIODE III.
d'autt« tort que de désirer sa liberté, et qui
n'était pas comptable , devant un tribunal étran-
ger, des fantes graves qu'elle avait commises
eh Ecosse. La reine d'Angleterre sentait que
cette injustice criante révolterait toute l'Europe;
joignant la dissimulaticm et la feinte à la bar-
barie, elle joua la douleur^ désavoua et punit
même ceiix qui n'avaient été que trop fidèles à
ses ordres , et écrivit au roi d'Ecosse , fils de
l'infortunée Marie , les lettt-es les plus tou-
chantes. Jacques VI parut un mcnnent vouloir
venger la mort de Marie ; mais il av^it à peiné
connu sa mère, et il manquait d'élévation d^ame
et d'énergie ; les raisons d'état l'emportèrent
sur le plus juste ressentiment. L'Ecosse ne pou-
vait pas lutter avec succès. contre l'Angleterre;
les protestants , de tout temps ennemis de Ma-
rie, se montraient peu disp(Ȏs k venger sa
mort; Jacques craignit de perdre ses espérances
au troue d'Angleterre , et de compromettre son
autorité dans ses propres états; il resta donc
tranquille. Ses amis dirent , pour justifier sa
conduite, que les rois se doivent tout entiers à
leurs sujets et non à leur famille , et qu'ils sont
obligés de sacrifier leurs affections les pins lé-
gitimes à l'intérêt de l'état ; maxime aussi juste
en elle-même, que cruelle pour les individus
DiailizodbvGoOglc
CUAPITB£ XXIV, 377
qu'elle regarde. Jamais peut-être il n'eût été
plus pardonnable de la violet' ., 411 plus sublime
de ta suivre par devoir; Jacques la suivit par
faiblesse ; il était trop iucapubte de toute espèce
d'élan , pour qu'on puisse lui faire un mérite de
sa modération.
Philippe II fit ce que le roi d'Ecosse ne pou-
vait et ne voulait pas faire; il parut affecté de
la iQort de Marie , comme d'un malheur on
d'unie insulte personnelle, et annonça de ter-
ribles vengeances. Soit par politique , soit par
attachement à la religion , il épousa avec chaleur
la canse des catholiques d'Angleterre , qne la
mort de la reine d'Ecosse avait dépouillés de
leurs espérances. Le pape partagea son animo-
sité, et lança ses foudres contre Elisabeth.
Sixte V occupait le. siège pontifical. Né dans
l'indigence, le pâtre de Montalte s'était élevé
aux premières dignités de l'Église , à force de ta*
lents et d'habileté ; par un heureux mélange de .
persévérance et de souplesse , il avait conservé
et augmenté son crédit sous des papes de carac-
tères différents et de principes opposés ; le cha-
peau de cardinal avait récompensé ses services.
Dans ufi état où l'ambition peut aspjrer à tout,
et où les formés électivËis offrent au génie les
cbancies les plus brillantes , le cardinal de Mont'
:,, Google
SyU PABTIE I. PÉKIOCE III.
alte, peu fait pour- la seconde place, coiivoitait
là tiare , et TolAint en affectant ]a décrépitude,
et en faisant croire à ses concurreuts qu'il n'a-
vait, plus que peu de jours à vivre. Arrivé au
pontificat, sous le masque de la faiblesse, en
s'appuyant . sur des béquilles, il déploya une
force de tète et de caractère et une vigueur de
tempérament qui étonnèrent l'Europe et con-
fondirent ses rivaux. Doué de toutes les qualités
d'un grand souverain, il prouva, par sa con-
duite, qu'il en connaissait les devoirs et savait
les remplir. Ardent, impérieux, ferme, dans te
siècle de Grégoire VU , il aurait été, comme lui,
la terreul* des princes et l'arbitre des couronnes;
mais assez éclairé pour juger son siècle et ap-
précier la force et la direction de l'opinion pu-
blique, il était trop habite pour lutter avec elle,
et hasarder des tentatives infructueuses. Plus ja-
loux d'augmenter sa puissance temporelle par
une administration sage et vigoureuse, que de
faire revivre des prélentious surannées, il s'oc-
cupait beaucoup plus de ses états que de l'É-
glise. Juste et sévère jusqu'à la rigueur, tl avait'
aboli le droit d'asile , qui n'était que -le droit dé
violer impunément ceux des autres; et les scé-
lérats qui troublaient l'ordre puMic , furent ar-
rêtés et punis, sans distinctioQ-de rang ni d'état.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. 3jÇ)
Créateur de la force armée et de la marine de
l'état ecclésiastique , il n'y voyait que ce qu'il
devait y voir, le moyen de protéger le com-
merce, et d'assurer la tranquillité publique. Ëco~
nome sans avarice, il savait être libéral saas pro-
digalité fastueuse. Ami des lettres et des arts ,
il consacra des sommes considérables à l'erabel-
lissement de Borne et à l'acquisition de chefs-
d'œuvre , et trouvait encore les moyens d'amas-
ser un trésor. Sixte avait trop de génie pour ne
pas rendre hommage à celui d'Elisabeth et de
Henri; il savait les comprendre, les admirer et
les imiter; mais cette estime et cette admiration
étaient secrètes. Comme souverain pbntife, il
ne pouvait pas avouer tout haut ces sentiments;
comme prince séculier , il craignait et ménageait
Philippe. Le roi d'Espagne lui ayant demandé
d'appuyer de ses armes spirituelles la guerre
qu'il méditait contre l'Angleterre, Sixte le lui
avait promis av«c d'autant plus de facilité , que
la mort de Marie était à ses yeux, comme à
"ceux de toute l'Europe, une action atroce et
tine tache ineffôçable de la vie d'Elisabeth.
pependant l'Angleterre était menacée du plus
grand dangerl Philippe faisait des préparatifs im-
menses, et ne se proposait rien moins que de
détrôner Elisabeth et de conquérir ses états.
D,a,l,zt!dbvC00gIe
38o PARTIE 1. PÉBIOX>£ III.
Long-temps il avait dissimulé sa baine et ajourné
ses vengeances. Ses griefs , étaient nombreux.
Elisabeth avait refusé sa main; elle avait établi
la religion protestante en Angleterre, persécuté
les catholiques, soutenu en France , tie ses trou-
pes et de son argent, le parti des réformés, et
âivorisé l'insurreclion des Pays-Bas. Partout elle
a*ail traversé secrètement ses entreprises, et fait
échouer des projets qui, sans elle, eussent pro-
bablement réussi. .Philippe aurait éclaté plutôt,
mais il voulait étouffer la république des Pro>
vinces-Uiiies dans son berceau, avant de punir
Elisabeth de sa complicité, et cette idée seule
l'avait engagé à dilférer sa vengeance. Jusqu'a-
lors il s'était contenté de diriger les mouvements
du parti catholique, qui voulait appeler Marie
sur le trône d'Angleterre. La mort de cette reine
rompit toutes ses mesures. Il craignit qu'Elisa-
beth , délivrée des inquiétudes que lui donnait
sa rivale , ne consolidât la république! naissante ,
par des secours qui pourraient être décisi&v
Changeant <lé plan, il résolut de combattre ses
sujets en punissant leurs alliés , et de conquérir
la Hollande en Angleterre. Les forces qui de-
vaieht assurer le succès de cette expédition de
pouvaient être trop considérables; on travailla
aux armements avec ta plus grande ardeur; les
D,a,l,zt!dbvG00gIe
CHAPITnEXXIV. 38 1
victoires de l'Espagne devaient être certaines, et
la ruine de l'Angteterre complète et inévitable.
La partie ne paraissait pas égale. A la vérité,
Philippe avait perdu quelques-unes de ses pro-
vinces, mais il avait acquis une nouvelle cou-
ronne, et venait de ranger au nombre de ses
états un royaume puissant dont la marine floris-
sante, les riches colonies et le commerce étendu
augmentaient considérablement ses ressources.
La conquête du Portugal avait étéiàcile et ra-
pide. Ce royaume, étranger aux intérêts poli-
tiques et aux malbeurs du reste de l'Europe,
avait étendu , dans toutes les parties du monde,
les rameaux de sa navigation. Maître du Brésil
et des plus beaux établissements sur les côtes
des Indes orientales et sur celles de l'Afrique ,
il approvisionnait toutes les autres contrées de
marchandises précieuses dont le luxe avait fait
des objets de nécessité première. Tranquille et
heureux, le Portugal s'enrichissait en silence
et multipliait ses capitaux,' en les appliquant k
un travail productif, pendant que les autres
états perdaient leurs forces en travaillant à s'af-
faiblir réciproquement. La mort du roi Sébas-
tien interrompit ce long et paisible cours de
prospérités, o« plutôt y mit fin par une révo-
lution désastreuse. Ce jetine prince, petit-fils (le
DiailizodbvGoOgle
38a PARTIE I. PémODJi III.
Jean IIl , avait reçu de la nature un de ces es-
prits romanesques qui n'aiment que les choses
extraordinaires. La lecture assidue de l'histoire
des croisades avait encore échauffé son imagi-
nation ardente. Les prêtres qui avaient dirigé
son éducation, lui avaient persuadé que les
guerres contre les Infidèles étaient, de toutes
les guen-es, les plus, méritoires et les plus glo-
rieuses. Sébastien, parvenu au trône, n'avait
soupiré qu'après l'occasion d'acquérir cette dou-
ble immortalité que ses maîtres avaient fait es-
pérer à son jeune cœur. Malheureusement elle
s'offrit à lui. Muley Mahomet, roi de Maroc,
chassé par son oncle Muley Moluc, de ce trône
ensanglanté où l'on ne monte que par un crime,
et d'où l'on descend de même, avait imploré le
secours du roi de Portugal. Sébastien saisît avi-
dement ce moyen de réaliser le plus cher de ses
vœux. Malgré les prières de sa mère et les re-
présentations de ses ministres, il résolut de por-
ter la guerre en Afrique. Philippe II , qui était
Son oncle maternel , l'avait fortement dissuadé
de son entreprise ; de bonne foi selon les uns,
selon d'autres afin d'irriter , par sa résistance ,
l'esprit vif et fier du jeune roi , et de l'enflain-
mer de plus en plus. Voyant que ses conseils
étaient inutiles, il lui avait promis des secours.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. 383
qu'il ne lui accorda jamais. Sans les attendre,
Sébastien s'était «mbarqué avec une armée d'é- «S:*-
lite; il avait pris terre en Afrique, et, encou-
ragé par ses premiers succès, il s'était engagé
imprudemment dans le pays. DéÊiit près d'At-
cassar, il «vait perdu ta vie dans la bataille. L'in- >57S.
dépendance, le, bonheur, la gloire du Portugal
avaient expiré avec lui. Son oncle, le cardinal
Henri , frère de Jean III , avait pris le sceptre ,
et le tenait d'une main défaillante. Appesanti
par l'Âge, incapable de régner, menacé d'une
mort prochaine , ce vieillard sentit Im-méme
qu'il fallait se hâter de choisir son successeur. Il
y avait trois compétiteurs au trôné, Antonio,
prieur de Crato , Philippe II et la duchesse de
Bragance ('). Les états se préparaient k décider
cette grande question , et probablement leur
choix ne serait pas tombé sur le roi d'Espagne,
lorsque Henri mourut subitement. Sa mort avait iSSo.
changé la £ace des afifaires , et la force avait été
(*} Tous trois descendaient d'Eromanuel-le-Grand , ah
même degré. Philippe était né d'Isabelle, fille d'Emmanuel,
Antonio était fils de Louis , duc de BeU , Tr^re cadet
dlrabelle. Catherine, duchesse de Bragance, était la fille
d'Edouard, duc de Guimaraens, le dernier des enfants
d'Smmantiel.
DiailizodbvGoOgle
384 PAKTIE I.- PÉKIODE III.
substituée au droit. Philippe avait sur-le-champ
fait avancer une armée,etleducd'AIbe, oubliaut
l'ingratitude de son maître, avait accepté le com-
mandement de ses troupes. Une partie de la no*
blesse et da clergé, gagnée par l'argent et les
promesses du roi d'Espagne , ou intimidée par
sa puissance , s'était déclarée pour lui. La masse
du peuple , plus incorruptible et plus attachée k
la gloire du pays , faisait des vœux pour Don An-
tonio, Ces vœux avaient été stériles. Ce prince,
avec plus d'ardeur que de talents, n'avait pu
lutter contre la puissance du toi d'Espagne , l'ac-
tivité du duc d'Albe et une partie de ses propres
concitoyens. Le royaume et les colonies avaient
prêté hommage à Philippe, et il n'était resté
au prieur que la petite île de Tercère, qui ne
i58o, tarda pas à suivre l'exemple du reste de la mo-
narchie.
Dans tout autre temps, l'Europe entière se
serait armée pour empêcher l'Espagne d'ajouter
cette superbe acquisition à ses vastes et riches
provinces, et de devenir par cette conquête la
rpine des mers et la maîtresse du commerce des
deux Indes. Philippe pe rencontra d'opposition
nulle part; toutes Les puissantes se tureot d'é-
, tonnement , de crainte et d'impuissance. Assez
éclairées pour sentir l'étendue du danger qtie
=dbïGoogIe^
CHAPITRE XXIV. 385
courait l'équilibre politique; elles étaient trop
faibles pour le conjurer. La France était occu-
pée de ses divisions intestines , l'Italie partagée'
entre un graud nombre de petits états , le Nord
trop éloigné et trop indifférent pour agir. L'An-
gleterre , plus intéressée que tous les autres états
à empêcher la réunion du Portugal à la mbiiar-
chie espagnole , connaissait trop la mesure de
ses forces , pour les exposer à un combat aussi
inégal.
En perdant son indépendance politique, le
Portugal perdit en même temps sa puissance , et
la nation vit tomber rapidement la considération
dont elle jouissait en Europe. Un esclave , fùt-il
heureux dans les fers d'un maître doux et hu-
main , perdra toujours dans la servitude sa per-
sonnalité. Il en est de même des états. En per-
dant son indépendance extérieure, un peuple
cesse de l'être ; sa physionomie s'efîàce ; son ca-
ractère se perd ; l'orgueil national ot le patrio-
tisme n'existent plus que dans les souvenirs et
les regrets, qui deviennent bientôt inutiles où
dangereux, et finalement s'éteignent dans tous
les cœurs. Le Portugal offrit un exemple frap-
pant de cette grande vérité. Sous le sceptre es-
pagnol , la nation fut appauvrie , dépouillée et
dégradée ; son opulence et sa dignité s'évanoui*
a a5
:,, Google
386 PARTIE I. PERIODE III.
rent. Philippe avait juré à la diète de Tomar ,
de respecter tous ses privilèges, de ne confondre
ni ses revenus , ni son commerce , ni son admi-
nistration avec celle des Espagnes, et de ne nom-
mer aux places de cou6ance que des Portugais.
Malgré ces promesses , le pays fut bientôt traité
en [frovince conquise, et livré à la rapacité des
gouverneurs et des autres officiers publics. La
perte de l'indépendance politique affaiblit l'hon-
neur national, auquel les Portugais avaient dii
leurs succès et leur gloire. Bientôt les Hollan-
dais , ne voyant en eux que des sujets de l'Es-
pagne , les traitèrent en ennemis et leur enle-
vèrent leurs plus florissantes colonies. Tandis que
Phihppe menaçait ^'Angleterre , le Portugal avait
encore une vigueur et une santé qu'il devait à
son premier régime; par ses vaisseaux et ses
trésors il augmentait considérablement la puis-
sance -de l'Espague.
Les yeux de toute l'Europe étaient fixés sur
les armements de Philippe. L'inquiétude gêné'
raie était d'autant plus grande qu'on ignorait
encore leur véritable destination. Le roi d'Es-.
pagne , qui espérait écraser l'Angleterre avant
qu'elle eût le temps de se reconnaître, couvrait
ses desseins de mystère , et paraissait n'avoir
d'autre but que de mettre fin , par un grand
:,, Google
CHAPITRE XXIV, 387
effort, à la guerre des Pays-Bas. Mais Elisabeth
avait pénétré son secret, et son esprit actif avait
pris aussitôt toutes les mesures nécessaires pour
détourner l'orage. Elle fut étonnée du danger
qui la menaçait , sans en être abattue. Avant que
les préparatifs de Philippe fassent achevés, elle
envoya Drake, à la tête d'une flotte,sur les côtes i
de l'Espagne. Cet audacieux marin détruisit un
grand nombre de vaisseaux ennemis, à la vue de
Cadix et de Lisbonne , enleva des galions qui
revenaient des Indes, chargés de richesses, et
retourna en Angleterre avec un butin immense.
Pendant ce, temps, le secrétaire-d'élat Walsin-
gham , de concert avec deux habiles négociants
anglais , Sutton et Gresham , par une opération
de banque bien calculée , enlevèrent à Philippe
les ressources pécuniaures qu'il comptait trbjiver
à Gènes, et prouvèrent à l'Europe l'influence
décisive du commerce et du crédit siu" la puis-
sance. L'expédition de Drake et le défaut d'ar-
gent obligèrent le roi d'Espagne à différer le dé-
part de la flotte jusqu'à l'année suivante. Elisabeth
gagnait beaucoup en gagnant du temps. Elle en-
tama des négociations, dont elle n'attendait au-
cun fruit , afin d'enflammer le patriotisme de sa
nation, et de la convaincre de la néce,ssité iné-
vitable de la guerre.
a5.
DiailizodbvGoOgle
3B8 PARTIE I. ^ — PERIODE Ut.
Cependant on débattait dans te conseil de
Philippe tous les détails du plan d'opérations
qu'on méditait, et les avis y étaient partagés.
Ibaquez, un des plus habiles ministres de l'Es-
pagne, apercevait des dangers où son maître ne
voyait que des victoires. La flotte anglaise
réunie aux forces navales des Hollandais lui pa-
raissait redoutable; un danger commun, disait-il,
ralliera toute l'Angleterre autour dn trône; les
catholiques eux-mêmes armeront en faveur d'Eli-
sabeth, et l'on ne peut compter sur leurs -se-
cours. Sa prudence ne fut aux yeux des autres
conseillers qu'une timidité honteuse, et le doute
qu'il osait hasarder sur les succès de Philippe
un attentat contre sa puissance. Le duc de Parme
voulait qu'on s'emparât de quelques ports de ta
Zélande, avant de rien entreprendre contre
l'Angleterre, afin que la flotte eût un refuge en
f:as de malbeor. Ce plan ne convenait ni à. l'im-
patience ni à l'oi^eil de Philippe ; il le rejeta.
La flotte -qu'il avait armée dans lé port de Lis-
bonne était à ses yeux une flotte invincible, et
il lui donna ce nom superbe. Cette flotte était,
en effet , plus grande et plus redoutable que
toutes celles qui jusqu'alors avaient paru sur
les mers. Elle se composait de cent trente vais-
seaux de différente grandeur, mais dont plu-
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXIV. 389
sieurs étaient d'uaeforce bien supérieure à tout
ce que l'on connaissait; servie par huit mille
matelots, elle portait près de vingt mille hom-
mes de troupes de débarquement, et deux
mille cinq cents canons. Il fut décidé dans le
conseil de Philippe qu'elle ferait voile vers le
Canal. Arrivée dans la Manche , elle devait <:^>é-
rer sa jonction avec le duc de Parme, qui avait
rassemblé près de quarante mille hommes dans
le voisinage de Dunkerque et de Nieuport, et
un ubmbre suffisant de bâtiments de transport
construits à Anvers, et cobduits par les canaux
d'Aavers à Gand, de Gand à fo^es, de Bruges
à Nieuport. La jonction &ite, les forces de l'Es-
pace devaient cingler vers la Tamise, â'em-
parer de Londres par suiprise ou par assaut,
soumettre l'Angleterre avec le secours des ca-
th<^ues -mécontents, et ajouter cette couronne
à toutes celles qui chargeaient déjà le front de
Philippe.
- Ces vast^ projets, soutenus par des forces
aussi menaçaid^is, prouvent que le système po-
lUique qu'Elisabeth avait suivi depuis son avè-
nement au trône, était sage et bien calculé. £n
fomentant les troubles des Pays-Bas et occu-
pant l'activité inquiète de Philippe, elle l'avait
forcé de différa* l'exécution de plans, qui dans
DiailizodbvGoOgle
SgO PARTIE I. PiRIOpE III.
ce moment, paraissaient dictés par la vengeance,
mais quir dans tous les temps, Tauraient été
par l'ambition. Durant ce long intervalle de re-
pos, elle avait pu multiplier les moyens de ré-
sistance de l'Angleterre; elle avait acquis un
allié utile dans la nouvelle république des Pro-
vinces-Unies. Des marins habiles et audacieux
s'étaient formés clans ses états, par des entre-
prises difficiles et des navigations lointaines , et
elle avait appris aux Anglais le secret de leurs
forces. Le péril qui la menaçait effrayait toute
l'Europe, mais elle n'en fut alarmée qu'autant
qu'il le fallait pour lui tenir tête. Jamais elle ne
parut plus féconde en ressources, plus calme
et plus ferme, que dans cette guerre de défense
légitime, où elle combattait pour son trône et
pour son existence. Ses sujets, qu'elle n'avait
jamais immolés à des vues personnelles et ambi-
tieuses, et qui, enrichis par ses soins, recueil-
laient les fruits d'une administration paternelle,
en sentaient tout le prix , et se prêtèrent volon-
tairement aux plus grands sacrifices. L'admira-
tion, la reconnaissance, l'intérêtpropre se réu-
nissaient pour leur inspirer le courage des priva-
tions. En annonçant qu'il voulait détruire l'An-
gleterre et perdre Elisabeth, Philippe resserra
tous les liens qui attachaient les Anglais à leur
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. Sgi
reine. La crainte d'un gouvernemeut de fer, qui
ne respecterait ni les propriétés ni la liberté des
personnes, éteignit l'esprit de parti; partout
on ne vit plus que l'esprit public; l'Angleterre
tout entière parut animée d'une même pensée,
et le patriotisme de ce peuple noble et fier, qui
n'est jamais plus grand que dans les crises na-
tionales, rivalisa de succès et d'audace avec les
peuples les plus célèbres de l'antiquité.
L'Angleterre n'a d'autres forteresses que ses
citadelles mouvantes. Rien n'était plus Ëicile aux
ennemis que d'opérer un débarquement, si une
flotte puissante ne les tenait pas éloignés des
côtes. Elisabeth n'avait que quarante vaisseaux,
bien inférieurs en force à ceux de l'Espagne (*).
La noblesse et les villes se disputent l'honneur
'de lui en fournir. On arme des vaisseaux mar-
chanda, et bientôt Elisabeth peut disposer de
plus de cent quatre-vingt-dix bâtiments. La
Hollande, sa seule alliée, qui sentque son exis-
tence dépend de celle de l'Angleterre, ordooue
(*) Il paraît qu'Elisabeth n'avait même que treize vais-
seaux de guerre. En tout, elle entretint à ses frais, dans
cette occasion, soixante-seize vaisseaux. La ville de Londres
en fournit trente-huit. On comptait qualre-vingt-troùi
garde-côtes.
DiailizodbvGoOgle
JqS partie I. PÉRIODE III.
à Justin de Nassau, de joindre ia flotte anglaise
avec quarante-quatre vaisseaux. Les côtes sont
visitées avec soin par ordre d'Elisabeth; elle
prend toutes les mesures nécessaires pour les
mettre en état de défense. Une armée dC quatre-
vingt mille bommes veille à la sûreté du '
royaume; vingt mille sont répartis sur les points
menacés; un corps considérable de troupes est '
posté à Tilbury, dans le comté d'Essex, sous
les ordres de Ijeicester; le reste se rassemble
autour d'Elisabeth elle-mérae, afin de se porter
avec elle partout où le danger l'exigera.
La flotte prétendue innncible devait mettre
à la voile dans les premiers jours du printemps;
]588. mais la mort subite du marquis de Santa-Cruz
et du duc de Paliaiio qui la commandaient ,
empêche son départ. La perte de ces oSBcîers ,
tous deux marins habiles et éprouvés, fut un
' premier malheàr pour l'Espagne. Celle d'un -
. temps précieux ne fut pas moins contraire aux
succès de l'expédition. Le choix du dii'c de Me-
dina-Sidonia , qui fut chaîné du commandement
de ia flotte, suffisait pour faire manquer toute
l'entreprise. Cet amiral n'avait pour lui qu'un
grand nom, d'ailleurs peu d'expérience et un
1S8H S^'*'^ médiocre. La flotte partit de Lâsbonne ,
ayant à bord le grand inquisiteur et cent cin-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. 393
quante dominicains, exécuteurs des arrêts de
l'inquisition. C'était préparer les chaînes de l'An*
gleterre, avant de l'avoir vaincue, et, en lui
montrant le sort qui l'attendait, l'exciter à une
résistance désespérée.
Howard , marquis d'Effingbam, qui comman-
dait la flotte anglaise , s'était stationné devant
Plymouth, croyant que Xarmade invincible ten-
terait d'y aborder. Howard la suit et la serre de
près , dans le dessein d'éviter la bataille et de
profiter de toutes les occasions pour l'attaquer
eu détail avec avantage. Drake , Hawkins et
Forbisher , qui commandent sous lui , le secon-
dent par leurs efforts. Le duc de Medina-Sido-
uia , airivé à la hauteur de Calais , en donne
avis au duc de Parme , et l'invite à le joindre ;
mais Farnèse, bloqué dans Nieuport par les
Hollandais, ne peut sortir du port, à moins que
l'amiral espagnol ne vienne le dégager. Médina
s'avance jusqu'à Dunkerque. Pendant la nuit les ^
Anglais lancent dans la flotte ennemie des bar-
ques chargées de matières coinbustil]les, qui y
portent le ravage et l'efiroi. Cinq combats con-
sécutif, qui s'engagent entre une partie de la
flotte invincible et la flotte anglaise , se décidait
à l'avantage de la dernière. Les vaisseaux an-
glais, plus légers et mieux servis, attaquent
=dbïGoogIe
394 PARTIE 1. PÉRIODE III.
avec succès dans ce bras de mer ces masses
énormes , dont les mouvements sont plus lents
et les maooeuvares moins justes et moins pré-
cises.
Médina ne peut opérer sa jcHiction- avec le
duc de Panne. Les vaisseaux espagnols, qui ti-
rent beaucoup plus d'eau que les vaisseaux hol-
landais , ue peuvent en approcher ni les obliger
à débloquer Nieuport. Déjà Médina veut retour-
ner en f^pagne, lorsqu'une tempête effroyable
s'élève ; les vaisseaux anglais cherchent et trou-
vent un asyle dans leurs ports ; la flotte espa-
gnole ne peut se réfiigier nulle part; elle est dis-
persée par les veuts , abîmée par les flots , . et
brisée contre les écueils. Plus de vingt vaisseaux
échouent sur les côtes d'Angleterre , près' de
cinquante sur celles de France , de Hollande et
de Danemarck. Il ne resta que des débris de ce
magnifique et redoutable armement. Cette ca-
tastrophe sauva l'Angleterre, assura la liberté
de l'Europe, et porta un coup mortel à la puis-
sance de l'Espagne. En apprenant la nouvelle
de ce funeste événement , qui détruisait ses ,plus
chères espérances, et plongeait la plupart des
familles de l'Espagne dans le deuil, Philippe af-
fecta de se montrer impassible. Ensevelissant
dans son ame ses fureurs secrètes et ses regrets
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. SgS
amers , il aurait voulu , par son insensibilité ,
donner le change sur l'étendue du malheur que
l'Espagne venait d'éprouver. IjOrsque le duc de
Medina-Sidonia reparut pour la première fois
devant lui , il le remercia de n'avoir pas déses-
péré de l'état, et dit froidement : La volonté du
Seigneur soit faite! J'avais envoyé ma flotte pour
combattre l'Angleterre et non les éléments.
Les expressions de la joie furent plus fortes
en Hollande et en Angleterre, que n'osèrent
l'être en Espagne les expressions delà douleur.
Plus le danger avait été grand, plus le triomphe
était flatteur. Elisabeth, qui. avait dissimulé ses
craintes et ses alarmes, et montré de l'espérauce
à tout le monde, se dédoounagea de cette con-
trainte, en laissant, après la victoire, un libre
coùrs-à ses sentiments. Sa vive satisfaction don-
nait la mesure des inquiétudes qui l'avaient agi-
tée. Le "ciel lui-même semblait avoir combattu
pour les Anglais. Portée sur un char , entourée
de tous les officiers de sa cour et des grands du
royaume , elle se rendit k l'Église de Saint-Paul ,
au milieu des flots d'un peuple immense qui
partageait , avec un juste et noble oi^eil , le
triomphe de sa souveraine; et les voûtes majes-
tueuses du temple retentirent .d'hymnes saints
adressés au Dieu libérateur. L'Europe entière
DiailizodbvGoOgle
396 PARTIE I. PSBIODE Ilf.
prit part au bonheur de l'ADgleterre. Avec elle
serait tombée l'indépendance de tous les états;
il n*y aurait plus eu qu'un maître et des es-
claves. Depuis ta destruction de Vtumade, la
puissance de l'Espagne ne fut plus l'épouvante
(les nations, et déclina senàblement.
Enhardis par leurs succès, les Anglais por-
tèrent à leur tour la terreur sur les côtes de
l'Espagne. Un essaim de corsaires se répandant
sur toutes les mers , enlevèrent, tous les vais-
teaux espagnols, interceptèrent les tributs que
les mines du Nouveau-Monde payaient à Phi-
lippe, et poussèrent l'audace jusqu'à piller la
Corogiie, et infestn- les embouchures du Tage.
Une flotte considérable attaqua la puissance na-
vale de VE^agne, prit Cadix, l'entrepôt du
commerce des deux mondes, et y fit un butin
prodigieux.
Pour se venger de ses pertes , et faire diver-
sion aux victoires de l'Angleteire, Philî{^,
fidèle à son ancienne politique , excita les ca-
tholiques de l'Irlande k pr^idre les armes : les
troubles qui s'^evèrent dans ce royaume, ralen-
tirent en effet l'activité de la guerre contre l'Es-
pagne , interrompirent le cours des prospérités
d'Elisabeth , et Uii préparèrent des chagrins do-
me^iques dont elle fut la victime.
DiailizodbvGoOglf
CHAPITBE XXIV.( 3()7
Llrlande , conquise par Henri II , avait ajouté
peu de chose à ia puissance de l'Angleterre.
Inculte et barbare, elle était partagée entre de
grands propriétaires qui se faisaient une guerre
éternelle , et ne savaient se réunir que contre
leur souverain. Cette île fertile , où la nature n'a
besoin que d'être sollicitée par le travail pour
produire en abondance toutes les choses néces-
saires à la vie , était habitée par un peuple pau-
vre , mais brave , intrépide , plus attaché aux
vices et aux abus de son régime, que d'autre^
peuples ne le sont quelquefois à un bon gou>
vernement. Rien n'était plus di£Bci]e que de gou-
verner cette nation ardente et opiniâtre , qui
plaçait son orgueil et sa liberté dans la conserva-
tion de ses anciens usages. T^e génie d'Elisabeth,
qui s'étendait à tout , avait formé le plan de ci-
viliser les Irlandais, et d'en faire des sujets do-
ciles en les rendant heureux. Elle avait donné
au gouverneur un plus grand pouvoir et des
forces considérables, pour contenir les grands
et protéger le peuple. Afin d'adoucir les moeurs
et de répandre les lumières dans le pays, elle
avait créé une université à Dublin. Des lois dic-
tées par la politique , et qui paraissaient l'être par
l'humanité , avaient amélioré la condition des
classes inférieures , et tendaient à diminuer l'a-
DiailizodbvGoOgle
39B PARTIE I. PÉRIODE III.
ristocrarie de la noblesse.- Les nobles , assez
éclairés pour deviner les vues secrètes de la
reine , trop cupides et trop orgueilleux pour les
seconder, avaient l'habitude du désordre et de
la désobéissance. Le peuple , familiarisé avec le
malheur, était tellement aveuglé sur ses vrais
intérêts , qu'il épousait la cause de ses tyrans
contre le souverain qui voulait le protéger. Hugh
Olféale , issu d'une des plus anciennes et des
plus illustres familles de l'Irlande , se propose de
feire échouer tous les projets d'Elisabeth, et
d'éterniser en Irlande l'état d'anarchie dont elle
voulait la faire sortir. Il avait trompé le gouver-
neur Norris par de vains dehors de soumission,
et .profité de sa sécurité pour organiser une in-
surrection générale. La. reine l'avait nommé
comte de Tyrone; mais il sentait que ces faveurs
n'avaient d'autre but que de l'asservir f et âoit
patriotisme, soit orgueil, il croyait que son
pays ne pouvait être heureux qu'en secouant le
jong de l'Angleterre. A un jour marqué, les Ir-
landais prennent les armes , se réunissent , et '
défont entièrement l'armée anglaise, comman-
dée par sir Henri Bagnal. Elisabeth voii la né-
cessité de repousser la force par la force; elle
nomme Essex lord-lieutenant d'Irlande , et le
charge de venger l'honneur des armes anglaises.
=dbvGooglc
CHAPITRE XXIV. 3^
D'Evereux , comte d'Essex , avait remplacé le
comte de Leicester dans le cœur de sa souve-
raine. Elisabeth croyait qu'un homme qui avait
eu lé bonheur de lui plaire, devait être un
grand homme, et que l'objet de son amour de-
vait être celui de sa confiance.- Elle employait '
Essex dans les afEaires les plus importantes,
comme elle avait employé Leicester. Doué de
toutes les grâces de la figure , qui font quelque-
fois pardonner le défaut du mérite réel , Essex
avait assez de méiite réel pour se passer du
secours des grâces. Son esprit, nourri et dé-
veloppé par l'étude et le travail , s'élevait au-
dessus de la mesure commune. Brave, entrepre-
nant, actif, il savait former des plans brillants,
et les exécuter avec succès. Magnifique et gé-
néreux par ostentation , impérieux , fier et ja-
loux dé son pouvoir, il se faisait aimer du peu-
ple et craindre des grands. L'amour qu'il avait
inspiré à Elisabeth , aurait été pour lui un far-
deau odieux, s'il n'avait pas flatté sa vanité et
servi son ambition. Essex avait paru avec éclat,
dans les guerres civiles de la France , à la tête
des secours qu'Elisabeth envoyait à Henri IV,
et ce prince avait rendu justice à sa valeur. Dans
la guerre contre l'Espagne, il s'était distingué
par des expéditions maritimes, brillantes et har-
DiailizodbvGoOglc
l^OO PIRTIE I, — P^aiOUG irl.
dies, sur les côtes de ce royaume. Elisabeth con-
naissant sa passion pour la gloire, et la consul-
tant plus que son amour pour lui , le chai^ea
de pacifier l'Irlande , lui confia une armée nom-
breuse et choisie , et pour assurer ses tiiom-
phes, lui accorda un pouvoir presque illimité.
Essex partit avec la confiance du succès , mais
sa présomption le pei^it. Il fut assez imprudent
pour diviser ses forces dans un pays qu'il ne
connaissait pas, et où il rencontrait des ennemis
à chaque pas. 014éale et les autres éhefs de
rinsuirection profitèrent de ses fautes et de la
connaissance qu'ils avaient du terrein, pour
battre ses troupes en détail. Essex vit son armée
se fondre et ses espérances s'évanouir. £n mèoie
temps, il apprit que ses ennemis, enhardis par
son absence, le calomniaient, lui attribuaient
ses malheurs, et en difEàmant ses talents, accu-
saient encore ses intentions secrètes. Il prit le
parti de retourner en Angleterre, et de quitter
l'armée, malgré la défense positive d'Elisabeth.
Il e^>érait que sa présence lui ferait tout par-
donner, et qu'un moment d'entretien avec la
reine lui suffirait pour effiicer toutes les impres-
sions qui lui étaient désavantageuses. Il parut
k la cour. Dans le premier moment , l'attendris-
sement et la surprise empêchèrent Elisabeth de
=db.;Googlc
; C H A P l'T RK X Z t V. 4o 1
lui faire de justes reproches. Mais à peine se
fut-il retiré que l'orçueil reprit ses droits, la
colère l'emporta sur l'amour, et l'amante fit
place à la souveraine. Irritée de ta désobéis-
sance d'Essex, elle le fit arrêter; un arrêt du
conseil-privé le dépouilla de toutes ses places,
et le priva de la liberté. Peu après ta reine lui
permit de se retirer dans ses terres, mais elle
ne lui rendit pas sa faveur.
C'était une épreuve bien plutôt qu'une dis-
grâce.-Elisabeth voulait humilier ce caractère
altier; son amour ne lui permettait pas de l'étbi-
gner pour toujours de sa personne. Mais le su-
perbe Ëssex, irrité de l'ascendant que ses en-
nemis conservaient sur la reine, oublia ses bien-
faits , et ouvrit son cœur a des projets de ven-
geance. Sou palais devint l'asile des mécontents
et un véritable foyer de conspirations. Il entama
des négociations avec le roi d'Ecosse, et lui
offrit de le placer sur le trône d'Angleterre.
Jacqaes n'était pas sans ambition; mais la timi-
dité de son caractère le faisait répugner à toutes
les entreprises hardies. Les principes ne Tau- ■
raient peut-être pas arrêté; la crainte de se
perdre l'arrêta. Il avait des droits au sceptre
qu'on lui offrait; il pouvait espérer qu'Elisabeth
le nommerait son successeur; il risquait de rui-
a 36
=dbïGoogIe
4oi PARTIE I. — '.PÉRIODE III.
ner sa fortune s'il essayait d'en hâter le mo-
ment, et il refusa les propositions d'Esse!. Eli-
sabeth en fut instruite. Le comte, voyant ses
projets découverts, avant qu'il les eût conduits
à maturité , hasarda une démarche extrême. U
se mit à la tète de deux cents chevaux, et tenta
de soulever le peuple. Le peuple, qui Taimait,
mais qui aimait encore plus Elisabeth, et qui
avait appris à respecter les lois, abandonna ce
jeune ambitieux aux suites funestes de sa témé-
rité, et ne fit rien pour le seconder. Essex se
retira dans son château, résolu de s'y défendre
jusqu'à la dernière extrémité; mais cette réso-
lution ne fut que passagère et bientôt il se ren-
dit à discrétion.
Elisabeth, partagée entre ses devoirs et ses
affections, tour à tour souveraine et amante,
craignant également de perdre son autorité et
de perdre Essex, flotta long-temps entre sa rai-
son et son cœur, entre la sévérité et la clé-
mence. Elle signa son arrêt de mort, elle le ré-
voqua, elle te prononça de nouveau. T^te à
accorder la grâce d'Essex à quiconque ta lui
aurait demandée, elle ne trouva personne qui
lui rendit ce service. Un mot d'Essex eût suift
pour le sauver; mais son orgueil irrité lui fit
préférer la mort à une vie qu'il aurait tenue de
=dbï Google
I
CHAPITRE XXIT. 4o3
la générosité d'Elisabeth. Il sentit qu'en mourant
il la punissait et vengeait sa mort. Cette idée
adoucit son supplice, et il porta avec courage
sa tête sur l'échafaud. On l'exécuta dans la tour
de Londres, afin de prévenir toute espèce de
mouvements populaires. Il avait trente-quatre
ans.
Cependant, Mountjoy, le successeur d'Essex
en Irlande, plus habile et plus heureux que
lui, termina la guerre. Vainqueur des rebelles à
Kinsale, il obligea les. chefs à poser les armes;
Tyrone lui-même n'espérant rien d'une plus
longue résistance, demanda la paix et obtint sa
grâce. i<
Elisabeth n'était plus capable de prendre un
vif intérêt à ces succès. XndifTérente à tout ce
qui l'avait occupée dans les jours de sa force
et de sa gloire, étrangère aux afîaires et aux
plaisirs, elle paraissait rarement en public; et
quand elle se montrait, elle semblait abattue,
rêveuse, dévorée d'un chagrin secret. La mcwt
d'Essex avait brisé tous les ressorts de son ame
et rompu les liens qui l'attachaient au monde;
mécontente d'etle-méme, dégoûtée de la vie,
fatiguée de sa grandeur, elle voyait sans regret
,se5 forces dépérir et sa profonde mélancolie la
conduire lentement à la mort. Après un règne
a6.
DiailizodbvGoOgle
4o4 PARTIE I. — PÉRIOOK Itl.
i6a3. long et heureux, elle mourut avec la douleur
et le désespoir dans le cœur, et hâta même l'ins-
tant décisif en refusant de prendre de la nour*
riture. Elle avait peu connu les passions dans
l'âge des passions, et ce fut une passion mal-
heureuse qui, à l'âge de soixante-dix ans, la
conduisit au tombeau.
La fin de Philippe II avait été plus tragique
1598. encore: il avait terminé sa coupable vie cinq
ans auparavant; une maladie affreuse avait nuel-
lement vengé l'espèce humaine. Cependant la
fiarce d'ame qu'il montra dans sa longue agonie,
répandit une sorte d'intérêt sur ses derniers
moments; sa volonté, disputant en quelque
sorte son cadavre k la nature, condamna ses
organes afïaissés à un travail opiniâtre, et il
ne cessa de régner qu'en cessant de vivre. Dé-
voré par une putréfaction lente et insensible,
il supp<H-ta les souffrances les plus aiguës, sans
laisser échapper un seul gémissement. Aussi
dur envers lui-même qu'envers les autres, il ne
sollicita pas une pîtié qu'il n'avait jamais ac-
cordée aux maux de personne, et se vit périr
d'un œil sec et insensible; mais sa superstition
pusillanime ne se démentit pas. Tourmenté de
craintes, il avait revêtu le froc, comme pour
surprendre l'entrée du ciel i la faveur de ce
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXIV. ^oS
déguisemeut qui devait couvrir ses crimes, et se
fit porter au couvent de l'Escurial pour calmer
les terreurs que lui inspirait une religion qu'il
n'avait jamais servie que par la terreur et par
le sang. Sa mort fut un bienfait pour l'huma-
nité. L'Espagne respira; l'Europe estera des
temps plus tranquilles.
Le règne de Philippe n'avait été qu'une longue
agitation. Son orgueil fut puni de ses projets ho
micides par la douleur de les voir tous échouer.
Il avait voulu démembrer la France , ou l'enlever
à son souverain légitime ; et il la vit tout en-
tière réunie f obéissante et heureuse, sous le
sceptre bienfaisant de Henri IV. Il avait voulu
ravir aux Pays-Bas leurs droits politiques, y as-
servir les consciences et ^es actions ; et la liberté
triom[^-de ses efforts, et lui enleva sçpt pro-
vinces, où elle établit sou règne sur des loi»
sages et fortes. Il avait voulu anéantir la piûs-
sance de l'Angleterre ; et l'Angleterre victorieuse
porta la terreur et la destruction dans ses pro-
près états , et éleva sa marine sur les débris de
celle d'Espagne. Si Philippe avait eu autant
de talent pour la guerre qu'il en avait pour le
travail du cabinet , l'Europe était perdue. Peut^
être même ne lui a-t-il manqué, pour réussir,
que de mettre dans ses entreprises moins de
=dt* Google
4o6 PARTIE i. PÉRIODE III.
violence et de précipitation. Il commençait trop
de choses à la fois ; ses projets se nuisaient les
lins aux autres; et en partageant ses forces entre
plusieurs objets, il les manquait tous également.
Son nom , devenu celui du délire de l'orgueil
et de l'ambition, est condamné à une honteuse
immortalité. S'il avait eu des succès, la postérité
éblouie ne l'aurait peut-être pas marqué d'un
sceau de réprobation ; car le succès est le grand
apologiste du crime. Avec un revenu de vingt-
cinq millions de ducats , il laissa cent cinquante
millions de dettes, et mourut insolvable. Ses
entreprises de tout genre lui coûtèrent plus de
cinq cents millions de ducats. Il laissa la mo-
narchie espagnole dans l'état le plus dé^^orable.
Elle avait un sol superbe, et point de bras pour
le cultiver, un luxe effréné et point d'industrie,
des mines d'or et des dettes ; c'était un vaste
corps sans vigueur et sans-nerf, qui avait perdu
ses forces dans les débauches de l'ambition , et
qui ne pouvait plus supporter le poids de sa
propre grandeur.
I
=dbvGooglc
CHAPITRE IXV, 407
QUATRIÈME PÉRIODE. 1698— 1618.
CHAPITRE XXV.
État de la France lors de la paix de Vervim. Caractère dfe
Sully. Son ministère. Sa mardie pour rétablir l'ordre dans,
les finances, et pour augmenter la richesse nationale.
Heureux effets de son adadvistratioii. Vastes proj^eta d&
Henri IV. Mort de re prince.
-Li'ESPAGirG perdait sa prépondérance en £urc^e »
la France augmentait la sienne : l'époque de
l'affaiblissement et de la décadence de l'une, est
celle de la régénération de l'autre. Treiite-huit
années de guerre civile avaient desséché en.
France toutes les sources de la richesse publi-
que et de la puissance nationale- On, s'était battu
avec acharnement sur tous les points de cette
vaste surface, et partout on avait détruit, avec
une égale fureur, les hommes et tes troupeaux,.
les villes et les villages, les Miits et les instru-
ments dit travail. Il s'était fait une dépense im-
mense de forces et de capitaux. , désormais perdus
DiailizodbvGoOgle
/(o8 PARTIK I. PÉalODE IV.
sans retour, et qui auraient pu se reproduire à
l'infini. A la vérité, les Français avaient acheté
(l'eux-mèmes les moyens de se détruire , et la
perte était moindre pour le royaume que s'ils
les avaient achetés au-dehors; mais elle n'en
était pas moins réelle. On ne songeait qu'aux
besoins du moment , et l'on ne s'occupait plus
de l'avenir. Le travail languissait , car on man-
quait de capitaux. Le défaut de sûreté rendait
. toutes les propriétés précaires. Le Êinatisme et
les passions avaient tellement rempli toutes les
têtes , qu'il n'y était point resté de place pour
les projets utiles ni pour les spéculations paci-
fiques. L'agriculture manquait de bras pour re-
mettre en valeur des terres que l'absence des
grands propriétaires et les ravages des armes
avaient frappées de stérilité. Les villes avaient
été toutes converties en places de guerre, et
l'industrie ne pouvait y prospérer. La plupart
des habitants, uniquement occupés d'exercices
militaires, ne savaient que se battre. Dans un
temps où l'on renonçait à tous les besoins de
luxe, parce qu'on avait il^peine l'étroit néces-
saire, les demandes étaient rares et la produc-
tion ne pouvait -être fort abondante ; le com-
merce était nul ; il n'y avait point d'objets
il'échange ni de circulation. I.«s grandes routes
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXV. ^Of)
étaient dégradées et peu sûres. La marine u'exis-
tait pas. Tout avait péri , ou s'était arrêté au
milieu des borreurs de l'anarchie.
Cependant la situation de la France n'était
rien moins que désespérée. Son sol fertile et
varié, son climat doux et heureux , le génie in-
ventif et l'activité de ses habitants lui offraient
de précieuses ressources. Il suffisait de quelques
années de repos et d'une administration sage ,
poiu* réparer les maux de la guerre et couvrir
les vestiges de la destruction par des créations
nonvelles. Déjà Henri IV avait donné la paix au iSgS.
royaume. Ce prince avait la passion du bien pu- .
blic. Son cœur sensible et bienfaisant volait à la
rencontre de toutes les idées utiles à ses peu-
ples. Mais il avait besoin d'un homme assez
éclairé pour voir le bien , et assez ferme pour
le faire. Il eut le bonheur de le trouver , le ta-
lent de le deviner , et assez de vertu pour se
servir de lui. Cet homme était Sully.
Maximilien de Béthune, baron de Kosny , qui
fut dans la suite duc de Sully, était né à Rosny. i56o.
Sa naissance coïncide presque avec celle des
guerres civiles. Les malheurs de la France com-
mencèrent, et à la même époque, parut celui
. qui devait les guérir et les faire oublier. Il fut
sur le point d'être victime du fanatisme de la
DiailizodbvGoOgle
4lO PARTIE I. PÉRIODE IV,
SaUit-Barthélemi. Il s'attacha au roi de Navarre
depuis le moment où ce prince rompit les liens
dans lesquels Catherine de Médicis le tenait em-
barrassé. Partageant sa' bonne et sa mauvaise
fortune , il s'était entièrement associé à ses des-
tinées, et n'avait presque plus quitté sa per-
sonne. Brave sans témérité, prudent sans fai-
blesse , économe de son bien , afin de se ménager
les moyens d'être libéral , il avait servi son maî-
tre de son bras, de sa tète et de sa fortune,
dans le temps où ce prince combattait pour son
trône , et se voyait dans la cruelle nécessité de
conquérir ses propres états. Henri avait reconnu
dans ce jeune homme un esprit juste , un juge-
ment sain et une ame ferme; il savait que Ros-
ny avait peu de besoins et beaucoup d'activité;
qu'il mettait de l'ordre dans ses affaires, au mi-
lieu du désordre général ; qu'il était sévère pour
lui-même et pour les autres , et qu'il lui était
sincèrement attaché. Devenu roi de France, il
le récompensa d'une manière digne de lui, en
lui imposant de nouveaux devoirs, et lui ou-
vrant une carrière où il pouvait être utile à sa
patrie. Sully parvenu au ministère des finances,
y déploya toutes les grandes qualités dont il re-
celait le germe; son génie et sa vertu se tiou-
vèrent au niveau d'une place toujours di£Scile,
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXV. qi t
et qui l'était surtout dans ces circonstances criti-
ques. Son esprit savait s'élever en administration
à des principes fixes et généraux , sans lesquels
la connaissance des détails devient un véritable
dédale , où l'on marche au hasard ; mais il s'en-
gageait avec courage dans l'étude et la recherche
des détails, dont la privation fait que l'on se
trompe toujours dans l'appUcation des principes.
Infatigable au travail, il trouvait du temps pour
tout, parce que ses occupations étaient réglées,
et qu'il ne connaissait ni les passions ni les plai-
sirs. Appelé à vivre dès sa jeunesse au milieu
des hommes , et à les voir dans les orages des
factions , où ils quittent leur masque , il les ai-
mait assez pour Les servir , mais il les connais-
sait trop pour les estimer facilement , et il ne
prodiguait pas sa confiance. Nourri dans les
camps , élevé au sein des armées , il y avait pris
le goût d'une éloquence nerveuse et serrée , et
l'habitude d'une marche franche et libre , de
mesures prononcées et expéditives. Lié par le
sang à ce qu'il y avait de plus illustre en France,
et distingué dans la carrière des armes, il se
servait de l'ascendant de la naissance et de, sa
réputation de bravoure pour appuyer dans les
affaires le langage de la raison , et pour se faire
pardonner des vérités dures. Jamais il ne sépa-
DiailizodbvGoOgle
4i:t PARTIE 1. PÉRIODE IV,
rait, nt dans son esprit ni dans son cœur, la
cause du roi des intérêts de l'état ; il croyait la.
gloire de l'un intimement attachée à la puis-
sance et au bonheur de l'autre; il, était l'ami de
son maître, parce qu'il était citoyen; et quauil
Henri se préférait à la France , et voulait passer
avant elle , il trouvait dans Sully autant de ré-
sistance qu'il y rencontrait d'ordinaire de dé-
vouement. Religieux sans fanatisme, tolérant
sans indifféreuce , vertueut par principes, il y
a eu peu d'ames humaines sur qui ta sainte idée
du devoir ait eu plus d'empire que sur la sienne ;
sa mâle et rigide vertu brisait tous les obstacles
que lui opposaient les passions , et ne fléchissait
jamais. Sa fierté ne s'abaissait pas à l'intrigue ,
repoussait et refusait la flatterie. Plus jaloux de
l'honneur de Henri que de sa faveur, et plus
. empressé de lui être utile que de lui plaire , il
ne le ménageait pas plus qu'un autre; il con*
naissait de plus grands malheurs que la dis-
grâce, et fut toiijours digne de sa place, parce
qu'il ne craignait pas avant tout de la perdre.
Pendant tout son ministère, il n'eut en vue-
qu'un seul objet , la prospérité de la France.
Sa table était frugale, sa maison opulente mais
simple; ses délassements consistaient dans ses
relations ,domestiqueii. Sa franchise ressemblait
=dbï Google
CHAPITRE XXV. 4(3
quelquefois à la rudesse , sa fermeté à la roi-
deur, sa justice à la dureté., et la conscience
qu'il avait de' sa vertu à l'orgueil; mais ces dé-
fauts tenaient à Ténei^e même de son carac-
lère , et la force de la volonté fut le Irait distinctif
de l'ame de Snlly et la source de sa grandeur.
Pour bien apprécier ses principes d'économie
politique et les services qu'il a rendus à la
France, il faut se faire une juste idée de l'état
dans lequel il trouva les finances , et des diffi-
cultés de tout genre qu'il eut à vaincre. Les
dettes montaient à trois cent trente millions de
livres , ce qui ferait aujourd'hui à peu près huit
cents millions. Ces dettes, contractées à des con-
ditions très-onéreuses, devaient, suivant les ma-
. ximes erronées qu'on suivait à cette époque
dans les emprunts , être remboursées à des ter-
mes fixes ; et, bien loin d'avoir les moyens de
rendre le capital aux préteurs , on ne savait pas
même comment acquitter régulièrement les in-
térêts. Il n'entrait dans les caisses du roi que
trente millions de livres, et les contribuables en
payaient annuellement cent cinquante. Cet or-
dre de choses, qui appauvrissait en même temps
les particuliers et l'état, tenait au mode de per-
ception , à l'avidité de tous les employés de la
finance , et à la métho<1e qu'on suivait pour sa-
=dbvGooglc
4l4 PARTIE I, P^RIOUE IV,
tisfaire les créanciers du 6sc. Les impôts n'étaient
pas en régie , mais en ferme. Les fermiers géné-
raux avaient leurs fermiers particuliers, à qui
ils abandonnaient une partie de leurs droits;
ceux-ci en avaient d'autres à leur tour. Âûn que
tous les intermédiaires trouvassent leur profit
à ces opérations , les derniers pesaient sur le
pauvre peuple, et l'obligeaient à payer le qua-
druple de ce qu'ils avaient droit d'exiger de lui.
Au sortir des guerres civiles , le roi s'était vu
dans la nécessité de marchander la soumission
des gouverneurs des provinces , et l'obéissance
de tous les personnages considérables par leur
naissance, leurs richesses et leurs services. Obligé
d'acheter la fidélité de ses sujets , il avait sacri-
fié la somme de trente-deux millions pour ra-
mener les réfractaires à leur devoir. Il avait eu
la faiblesse de leur permettre de se payer de
leurs propres mains, et de lever sur les pro-
vinces des droits qui leur rapportaient le double
et le triple de ce qui leur revenait. On s'était
même arrangé de cette manière avec plusieurs
souverains étrangers; et la France entière se
trouvait à peu près engagée aux créanciers de
l'état.
Les impôts, mal assis et mal répartis, n'é-
taient proportionnés ni à la fortune ni aux jouis*
DiailizodbvGoOgle
CHAPITR B XXV. ' 4l5
sauces des individus ; la taille et la gabelle for-
maient les- deux sources principales du revenu
public. La tailie était excessive; elle frappait le
sol de stérilité, en ôtant au laboureur la vo-
lonté et les moyens de perfectionner la culture
des terres. La gabelle portait sur un objet de
nécessité première, et exigeait une surveillance
continuelle, parce que les contribuables tra-
vaillaient sans cesse à se soustraire à un impôt
aussi onéreux. Des essaims de commis, de trai-
tants et d'agents mettaient tout leur art à trom-
per l'état impunément, et s'entendaient entre
eux pour couvrir leurs dilapidations. On ne
dressait point d'état annuel de la recette et de
la dépense, et il n'y avait point d'ordre dans ta
comptabilité, point de contrôle sévère sur l'em-
ploi fidèle des deniers publics. Aussi l'aident
manquait pour toutes les entreprises utiles, et
même pour les objets de première nécessité.
Les troupes, quoique peu nombreuses, ne re-
cevaient pas le prêt exactement, et se dédom-
mageaient aux dépens des campagnes ; les arse-
naux étaient vides; la marine n'existait pas; les
bâtiments publics tombaient en ruines; le roi
lui-même ne pouvait pas entretenir sa maison ,
et se trouvait réduit à mendier les secours des
traitants, qui le volaient. Nous avons vu que
DiailizodbvGoOgle
4l6 PARTIE 1. PÉRIODE IV.
l'agriculture, l'industrie et le commerce ne pro-
duisaient aucune valeur nouvelle, faute de ca-
pitaux, de confiance, de bras et de sûreté. Bien
loin de vivifier ces principes de richesses répa-
rateurs des maux de l'état, on travaillait à leur
àter toute activité. I^s guerres civiles avaient
donné aux esprits des habitudes d'insubordina-
tion qui paraissaient incompatibles avec la re-
naissance de l'ordre ; le lien social était partout
relâché et affaibli; quiconque était en état de se
faire craindre, ne craignait rien; et ce qu'il y
avait encore de force publique, ne paraissait
exister que pour opprimer la faiblesse. Henri
voulait le rétablissement des finances, de l'ordre
et du travail; mais ses idées, en fait d'adminis-
tration, ne pouvaient être que superficielles; il
manquait sur cet objet de principes et d'expé-
rience, et les vues du génie lui-même ne sau-
raient tenir lieu de la connaissance des faits. Il
désirait sincèrement que chaque paysan eût ta
poule au pot le dimanche, mais il ignorait les
moyens de réaliser ce mot heureux , qui ex-
prime avec tant de simplicité le grand œuvre
du gouvernement. Plus sensible que ferme, il
ne savait rien refuser aux besoins et aux pas-
sions des individus; sa bonté était souvent celle
d'un, particulier aimable, et non celle d'un rui
=dbvGoogIf
CHAPITRE XXV. 4'7
qui doit vouloir le bonhenr généra) et ne Toii>
le bien des individus que dans celui de toute la
nation. Les femmes qu'il aimait, et les grands
qu'il redoutait, pouvaient facilement ëgaferson
impétuosité naturelle, lui donner le change sur
les projets les plus utiles, et lui montrer des
abus d'autorité dans les mesures vigoureuses
qui devaient les faire desser pour toujours.
Tel était l'état de la France, lorsque SuUy eut
le courage de se charger de l'administration,
sans être effrayé des obstacles nombreux que
lui préparaient les choses et les personiies. La
mardie qu'il suivit dans cette grande entreprise
ne fut ni compliquée, ni oblique, ni timide;
elle allait au but; elle fut simple, droite, et
ferme, comme son caractère.
L'essentiel dans les opérations de ce genre
est de savoir ce qui existe, pour juger de ce
qui peut et doit se flaire. Il Ëillait commencer
par acquérir une connaissance exacte et appro-
fondie du désordre oi^anisé qui portait le titre
d'administration. Sully parcourut toutes les gé-
néralités du royaume pour se Êiire une juste
idée de leurs besoins et de leurs ressources. Il
interrogea le sol , le climat, la position , afin de
déterminer te genre d'industrie qui convenait k
chaque province , et d'apprécier la nature et la
a a?
DiailizodbvGoOgle
4i8 PARTIE I. — pimoDE rv.
({uotité (tes impositteD» qu'elle pouvait suppor-
ter sans iuoonvénicnt. Mal^é la mawraise vo-
lonté (les intéressés, il se fit donner tous les
papiws pelâtes, aux iinlni(xs, et parvint à porter
kt lumière dans ce chaos. Faisant un dépouille-
Bitot laborieux de tous les registres, il dévoila
les noeft de gestion, les fourbenes secrètes et
déguisées, les erreurs ^ les né^igences ht»-
loises dont les ofi&ciers du roi s'étaient rendus
coupables. l>e retour à Pans, il commença ses
réformes. Les baux que les fermiers avaient
multipliés à l'infini, sans Fautorisation du gmi-
vemement, fiirent cassés. L'état de toutes les
créances et de toutes les pensions fut revu; on
n'abandonna plus une partie des revenus pu-
blics à ceux qui avaient de justes prétentions k
Ibnner, mais ils furent assignés sur le trésor
public. Le nombre des agents et des emplojrés
subadternes fat consid^^blement diminué. On
créa des formes fixes et déterminées, pour ac-
cuser Içt recettes et justifier les dépenses. Tous
les ans on dressa des tableaux comparatifs des
unes et des autres. Sully, retranchant sans [ùtié
et sans ménagement toutes les brandies para-
sites, se trouva riche pour les objets utiles. Les
revenus de l'état n'allèrent plus se rendre dans
lés eaÎBBes des particuliers; le versement se fit
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXV. 4'9
d'une manière plus directe et plus sûre dans le
trésor du souverain. Hon-aeulement le mode de
perception fut simplifié; mais il partagea si bien
le travail, que les employés, divisés d'intérêt,
exercèrent une «irveillance sévère les uns sur
les autres. L4ii-méme se multipliait pour faire
face aux affaires. Dans les premières années de
son ministère, il s'assujettit à écrire tout lui-
même, afin de s'instruire des détails et de ne
pas être trompé par ses secrétaires. Il ne poti-
vait sans doute tout examiner lui-même, mais
il contenait tout le monde dans les limites du
devoir par la seule idée de son activité, qui
d'un moment à l'autre se portait sur les objets
les plus différents. On redoutait son œil péné-
trant; on connaissait son inflexible justice; et
bientôt la machine de t'administrationv tour-
nant.sur les deux pivots de l'ordre et de l'éco-
nomie, eut un jeu libre et assuré.
Ces travaux étaient nécessaires pour sauver
t'état et assurer sa subsistance ; mais ils ne de-'
mandaient qu'une probité scrupuleuse, une vo-
lonté droite, une activité soutenue, des mesures
sages et yigouk-euses. Sully n'était pas fiait pour
fi'arrêtra au milieu de la route ; il voulait créer
ia richesse de l'état en créant la richesse natio-
nale. 1) remit au peuple vingt millions de tailles
' 27.
=dbï Google
4aO PARTIE I. P^BIODE IV.
danft une année, et répartit cette chai^ avec
plus d'équité entre les contribuables; l'impôt
sur le sel, ayant été diminué, devint productif.
Le ministre encouragea le travail ; c'était en mul-
tipliant les productions et en facilitant la circu-
lation des naarcbandises , qu'il voulait accroître
les revenus du n». Plus un peuple travaille
avec succès , plus il vend avec profit à l'étran-
ger, plus il achète de lui d'objets de jouissances;
et, à raison de son bien-être et de ses jouissances,
il est plus di^osé et plus capable de contribuer
aux charges publiques.
Quand le mouvement «st une fms imprimé à
une nation par le bestûn, les circonstances, ou
parx|uelques hommes d'élite, et que toutes les
forces sont sorties de leur léthai^e, il n'est plus
nécessaire que le gouvernement agisse directe-
ment pour multiplier les valeurs ; U doit peut-
être se contenter d'une action négative, proté*
ger les particuliers et les laisser faire. Qu'il
débarrasse 4a liberté d'industrie de toutes les
«ntraves qui ne sont pas commandées par l'in-
térêt général; qu'il assure à tous les individus
la paisible possession des fruits de leurs entre-
prises; qu'il les fasse jouir, sous son égide tuté-
laire, de la plus grande liberté possible; et ils
n'auront besoin ni de ses encouragements ni de
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXT. ^il
ses seoours. L'espérance d'un profit certain et
d'un plus grand bien-être sera le ressort de l'ac-
tivité générale ; la richesse enfantera la richease.
et le peuple s'élèvera gradudlem^it auj^us
haut degré d'opulence et de développement.
Au contraire, lorsqu'un pays' n'est pas encore
sorti de l'enfiaace, et que le génie de ses habi-
tants ne s'est pas aperçu de ses re^ourees , ou
lorsque -des circonstances désastreuses , après
' avoir détruit l'ouvrage des siècles, l'ont replacé
dans une espèce de barbarie , il faut que le gou-^
vemement prépare et élève ce peuple à la li-
berté de l'industrie et du commerce, et avant
de l'émanciper, lui apprenne à se 'passer de tu-
telle. On doit alors éclairer l'ignorance , enharr
dir la timidité, inarquer le but, et dessiner la
route à l'inexpérience qui s'essaie dans une. car-
rière nouvelle. Alors des encotuagements et de»
avances, ou des récompense dispensées à pto-
pos,' développeront les- premiers germes du tra-
vail et de l'industrie. La simple protection -so^it
insuffisante; l'état des choses demande une ac<-
tion. directe, positive et continuelle..
Telle était, à là paix 'de.Vénviiiis,.bi sitoatioup i5gS.
la France. Tout j- avait péri; ïLiallait tout'&ire
reilaître. Â la vérité, le^ malheur même des
temps pouvait donner des espérances de suc-
DiailizodbvGoOgle
4l!l PABTIE I. pimODE IV.
ces : les écrits étaient Êitigués des troubles
civils; cependant ils avaient pria au sein des
orages l'habitude de l'activité; ils sentaient le
besoin de mouvenient, et Ton pouvait se flatter
que la paix les portn^t sur des objets utiles.
La guerre avait considérablement diminué la
population; mais.ce décbet même, facilitant aux
pères l'entretien de leur famille, devait aug-
menter les naiasïmces dans des proportions plus
qu'ordinaires. Durant les guerres civiles on avait
détruit beaucoup d'objets d'agrément et de
liixe; les demandes fréquentes qu'on allait en
faire , devaient réveiller les arts et les encoura-
ger à la reproduction. Mais quelque favorables
que ces circonstances fussent à la renaissance
du travail, il fallait le génie et l'activité de SnUj
po<ur en profiter, et les fan% servir aux progrès
de la richesse nationale.
L'agriculture attira principalement son atten-
tion et ses soins; il la protégea préfërableoient
aux arts qui augmentent la valeur des matières,
en leur donnant des formes i nouvelles, et au
commerce^ qui produit le même effet, en trans-
portant les marcbandises d'un lieu dans un
autre et eh acc^érant leur circulation. Ce ne
fut pas la maladie des systèmes ni la manie d'un
principe exclu^f qui firent regarder à Sully la
DiailizodbvGoOglf
CHAPITRE. XXV..t 4^3
cuItuR. des tarres oomae la |HÎadp&le sourd*
fie la richeesede la France; es Êu-tatides idées
simples et saincâ, qui kû étaieat suggérées par
im *boa sens exquis , et que ki nature eUc-mên^
llovitait à. suivre. Il fout aux artfdes inatime^
[Nvmières pour les élaborer, au comioeroe des
objets, d^'éabange-i l'agiicultuTe les fournit. Ce
^«ire de- tiavsil.est le mraiH espbsé aux Tuna^
tions; a consora toujtMirs son prix,. parce qu'il
eonaerTe toujours sa. nécessité , et .c'est ntrânè le
plus ou le. moioK de cbertâde aca produits qui
règle te prix de la main d'œuvre etdelou» les
genres d'ÛMiustrie. C'est par l'a^cnltufe ifup
Sully commence, et il fxott,:a.vec.i3ison» que
les pn^rès de od,te branche de. ridusses antè*
lieront ceux de l'iodustrie et dnrcfUDmencé'^il
ne Teut pJas interrertir la marcbe de ia naodrdî
il veut la suivre; «lis culture .des.jchamps^' de
la vigne, des oliviers, ramélicratioD des £cHtèCst
r^ueatian de toutes les. espèces -de .bétail I, -et
surtout celle des mouton»,. dewicaBeai les àb*-
jets lavons de ses méditations- et de««» tranvu.
]> labour et le pitunage , disùt-il, soiot lea dcuot
nMmelles de l'ét^. . ' , :i
Fidèle i ces pnDC)pi»ii«,tI {Nmolvpiflt.Ie.premite'-
cn France, la libre «pcwtatMtii deH,grBiin9«.IlMtt
que plus les débouchés sont faciles «t iwfqbnwii,
=dbvGooglc
4^4 PARTI»' I. — ■PÉBIODE IV.
plnS'la ciriture alimente, etquepour-fixerdans
le royaume l'abondance , il vaut mieux produire
beaucoup et- exporter beuicoup, que de pro-
duire peu et oe heR-:ekporter> Les habitants
des oontrée» qui vivent de l'éducation du bétail,
peuveuty en<vertu deses sages règlements, ache-
ter le sel'à bas prix, etn'ayant plus besoin de
réporgnes , ils -n'eu seixinc plus aivares pour tes
troupeaux. .Bien loin -d'iattirer de liches proprié-
taires à ta cour, et de 1» rendre étrangers à leurs
teireft et à leurs vassaux, il engage Henri a té-
mbigneir ^de l'indilTéFenoe aux gentilshommes
tfà viennent étaler àî Paris uq luxe stérile, au
lieu de rendre au .slol qui les nourrit une partie
des irichjeaflès. qu'ils en tirent. Bien loin de mul-
tiplier le'<nombire des serviteurs oisife du luxe ,
il'drame à cet égard l'exemple de la plus grande
sbnpliçité, xlkninue le nombre de ceux qui vi-
veBt'Sàn&peodaire, les.renvoieià la charme , et
les force à lin travail utile. En général, le tra-
vail est à' ses' jréiix le principe de la richesee pu-
blique,-et"surtout le régulateur de^ mœurs na-
tioi^alesl. I>ans-ses vues éclairée» et bienjàisantes,
il voudrait ameuer en France tm éta^ de c^ioses
où^av^c ue'taravailàbsida,, 'Chacun' fôt sûr- de
tHniier'fBÏwiloe,<<etfi4iii, -Baos travail, on ne
tfdovâl'pas même' le nécessaire. ' '
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXV. 4^5
EtiDemi du luxe, par caractère encore plus
que par principes, il aurait voulu le baonir dé
la France. Peut-être lui reprochera-t-on de n'a-
voir pas vu que les peuples ne produisent qu'à
raison dé leurs besoins et des plaisirs qu'ils goû-
tent ou qu'ils espèrent, et qu'en leur présentant
de nouveaux objets de jouissances, on augmente
leur activité , et par oMiséquent la ricbesse. Mus
il avait des mœurs: sévères; il croyait que:les
vertus publiques sont les garants de la puissance
et du bonheur de? nations , que la vertii n'existe
pas sans la simplicité, et, fidèle aux maximes des
anciens, il plaçait la -nuu'alité dans la jnodéna- ^
tio« et dans l'abstinence. Ce fut conformément
à ces idées, qu'il vit à regret Henri IV encou-
rager la culture du mûrier et le planter même
dans ses jardins,. et' qu'il s'opposa inutilement à
la création des manufactures fie soie, d'étoffes
d'or et. d'argent, qu'on établit à Lyon. Une pré-
voyait pas qu'îles., sellaient. <un jour une des
sources principales de la .richesse. de. la France.
' Peut-être aussi pensait-il que le moment de.tiul-
ti<T«c.cette branche d'induetrieu'étaJt.pas.encDre
arrivé, et voulait-il moinsla proswire qpe i'a^
journer à d'autres teoaps. • : ' . - . ' S
On ne doit pas s'^tenoar: qu'il ait «Qnfoodif
la richesse qtii' ne. consiste .que: dan» t'e&cédaut
DiailizodbvGoOgle
4at> P&HTiE I. P^ftlODE IV.
annuel du travail sur La coiuominatitm, Avec
l'aident qui en est le signe ou plutôt le véhi-
cule. Cette erreur, encore aujourd'hui trop cooi'
nume, était plus pardonnable de son temps.
Il défendit l'exportation de l'or et de l'ai^^it ,
sans songer qu'une nation doit payer sei dettes,
et que si elle achète plus qu'elle ne vend, il
est tout simple qu'elle paie son solde en numé'
raire. Pour empêcher la sortie des espèces, il
dimiouala valeur intrinsèque des monnaies; et,
sans atteindre son but, il nuisit 'ui commerce
extérieur de la France. L'intérêt légal était très-
considérable ; il le baissa , dans l'idée de favoriser
le laboureur par cette mesure. Mais le prêt à
intérêt est un de ces objets qu'il faut aban-
donner à eux-mêmes ; le législateur ne saurait
fixer la ligne de démarcation entre le prêt à
intérêt et l'usure, que d'une manière arbitraire;
au lieu- que la force des choses tend toujours à
conserver ou à rétablir l'équilibre entre les cobt
ditions du préteur et les profits de celui qui
emprunte.
Sully paya peut-être à cet égard tribut à son
siècle } mais il se montra supérieur i lui , en
débarrassant le commerce des oitraves mnlti-
pliéei que des courtisant avides Toukient y met-
tre. Un Jour il ranvoya à Henri vingt-cinq édits
DiailizodbvGoOgle
CMAPlTaB XXV. 4^7 '
qui tendaient tous à g^er la circulation des
mardiaudises, «n les chargeant de droits maltir
plies. Dans ses idées, l'impôt n'était que la mise
que chaque individu apporte dans ta société ci-
vile, pour avoir part à ses bienfaits; elle doit
être prt^rtionnée aux avantages qu'il en tetire*
à sa fortune eit à ses jouisisances; surtout «Ile
doit être prise sur ses profits ; mais elle ne doit
pas entraver son activité, qui seule peut renri-r
chir, ni entreprendre sur son indu^rie qu'il
place, CD payant l'impôt, sous la sauvegarde
du gouvernement.
' Après dix années de travaux et d'opératioj);,
toutes dictées par l'amour du bien public , et
dont la plupart le fuient par la sagesse « Sully
recueillit le &uit de ses peines : la France ^ qui
n« se reconnaissait pas ell&-inème, fut étonnée
de ses progrès)^ Les traces des guerres civiles
paient effacées; l'état était riche, et donajodait
moins aux particuliers que dans le temps où il
étût pauvre et obéré. Les dettes étaient acquit-
tées; les créanciers avaient consenti, à des jrem-
bonrsements partiels, qui leur étaient avantageai
tout ep libérant l'état. Les troupes , augmmtées
et payées régulièrement^ maintenaient Tordxe
public, et n'étaient [dus l'effî-oi des citoyctit pal«
sibles. Kotnmé grand-maiti-e de l'artillerie, Sully 1604.
DiailizodbvGoOgle
438 PARTIE l. — FiHIODE IV.
travailla dans cette partie avec son activité ordi-
naire, et bientôt il y eut ceùt pièces de canon
dans l'arsenal, et un approviàonnement prodi*
gieax de munitions de guerre. I^a marine ne fut
pas négligée. Les Français , ne faisant pas en-
core le commerce des deux Indes, n'avaient pas
dans leurniarine marchande une pépinière nom-
breuse de bons m&telots. Mais l'état de la France,
à cette époque , n'exigeait pas de forces navales
0-, considérables. Les 'pcots de l'Océan Atlantique
r- \ n'existaient pas encore , ou bien étaient peu fré-
quentés ; on construisit dans ceux de la Médi-
t«prannée des galères destinées à protéger le
commerce. Des routes commodes et sûres et
dos canaux de navigation multipliàrmt le tra-
vail en multipliant les débouchés, et au^meu-
tàrentla richesse nationale en facilitant la cir-
culation des marchandises. Sully/exécuta le canal
de Briare; il fit réparer les grands chemins; des
arbres plantés par ses ordres , et qui long-temps
ont. conservé son nom, .embcUireotles routes
et' oCfrirent un abri eomniode' au voyageur fati-
gué. 'lk>ujours libéral, .qpand il ËtUait L'être, il
savait'-mème être magnifique dans les d^enses
publiques. Saris -vit. élever, au sein de. ses, murs
des; bitiments '.Bolides et^ dessinés, avec. goût; le
l'M Pont-Neuf, la rue Dau{rfiJae,.une partie, des
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XSV. 4^9
quais qui bordent la Seine , forent entrepris et
exécutés par l'ordre de Sally , qui avait joint k
toute» ses autres places celle de grand-voyer et
de suriotendant des bâtiments. Ija galerie du
Louvre fut commencée. Lesbienfaits du roi al- 1604.
lèrent chercher et récompenser le savant Ca-
saubon. Inexorable pour les maîtresses et les
courtisans , Sully ne refusait rien aux plaisirs
innocents du roi, et n'épai^ait rien de ce qui
pouvait relever la majesté du trône. Au milieu
de ses vastes projets, il étendit et embellit Fon-
tainebleau; le palais et les terrasses de Saint-
Germain s'élevèrent par ses ordres et sous ses
yeux.
Ainsi les lumières de ce grand homme , sa vo-
lonté forte et persévérante , son activité infati-
gable , secondant les intentions pures de son
maître, opérèrent en peu de temps des prodiges
d'administration qui régénérèrent la France et
prouvèrent ce que peuvent un roi et un ministre
éclairés, avec l'idée toute simple que le but su-
prême de l'état est le bonheur du peuple, et que
le gouvernement n'est que le grand moyen de
l'ordre et de la félicité publique. Les formes
monardiiques le secondèrent puissamment. Il
n'y en a point de plus favorables à une action
prompte et rapide , qui du centre s'étende à tous
DiailizodbvGoOgle
43o PARTIE I. PÉRIODE IV.
les points de la ciroonférence; elles n'empêchent
pas toujours le mat, mais avec elles, un prince
et an ministre qui veulent et voient le bien , le
font avec plus de facilité; les ressorts sont con-
centrés , l'action est une , la marche du gouvn^
nement n'est pas compliquée par la multiplioté
des rouages, ni embarrassée par les résistances.
On s'étonne d'autant plus de tout ce que Sully
a pensé, exécuté, écrit en fait d'administration,
que ses travatix dans le ministàre n'tHit été
qu'une partie de sa tâche, et que son temps
était partagé entre des occttpatioos d'un genre
bien différent. Comme il avait toute la confiance
de son maître , Henri le consultait sur tous les
objets, versait dans son sein ses chagrins et ses
inquiétudes, et le chargeait de toutes les afEiires
épineuses. C'était, lui qui empêchait le roi de
satisfaire l'avidité etl'ambition de ses maîtresses;
la duchesse de Beaufbrt le trouvait toc^'ou}^ sur
son chemin, et il déjouait todtes ses intrigues.
Sans lai , l'adroite marquise de Yemeuil anrait
épousé Henri IV. Ce fut lui qui négocia le ma-
riage du roi avec Marie de Médicis , fille de Fran-
çois de Médicis, duc de Toscane; il crut voir
daus cette union te bien du royaume, mais
Henri n'y trouva pas le bonheur. Marie , pins
spirituelle que sensible, jalouse sans amour,
DiailizodbvGoOglc
CHLPITHE XXV. ^Zl
dénuée de douceur et de gaieté, n'était p^s &ite
pour fixer Henri au sein des relations domes-
tiques, où ce bon prince anrait aimé à vivre, et
dont il était fait pour sentir te cbarnie et le prix.
Henri, éloigné par sa froideur et sa gravité,
cherchait ailleurs des consolatioQS ; elle lui re-
prochait ses torts avec aigreur; les querelles
s'envenimaient et se multipliaient. Sully était
sans cesse occupé à les rapprocher l'un de l'au-
tre, et à pacifier leurs différends ; il recomman*
dait la sagesse au. roi, la douceur à la reine;
ses leçons étaient souvent mal reçues , et plus
mal suivies , mais sa tendresse pour Henri le
soutenait dans cette position difficile.
Également propre à servir l'état dans les
camps et dans le cabinet, Sully fut changé de 1600.
la guerre contre Charles Emmanuel, duc de
Savcne. Ce prince ayant refusé de rendre k la
France le marquisat de Saluées, Henri prit le
parti de l'y contraindre, et de lui &ire sentir sa
puissance. Ce ftit une guerre de si^és. Sully la
conduisit avec autant d'activité qne d'art. La
prise de Carbonnîàre et de M(»itmélian, qui
passaient pour imprenables, fut son ouvrage.
La paix avantageuse qui termina cette guerre,
et procura la Bresse et te Bugey à la France, fut
encore due k ses conseils et à son tal«it pour
les négociations.
=dbvGoogIf
43a PARTIE I. P^RIOUK I T.
Le maréchal de Birou, qui avait partagé les
dangers et la gloire de Herni TV, et qu'il avait
récompensé en souverain généreux, conspira
contre lui. Il avait été utile k la bonne cause;
mais en la défendant il n'avait fait que son de-
voir, et Henri, qui ne comptait pas avec ses ser-
viteurs, s'était acquitté envers lui en le comblant
de distinctions et d'honneurs. Biron fut assez
ingrat pour oublier les preuves qu'il avait reçues
de la reconnaissance de son maître. Cet homme
superbe, d'un caractère- inquiet et ardent, ivre
de sa réputation, ne jugeant rien au-dessus de
son mérite ni de ses espérances, forma avec la
Savoie et l'Espagne des relations intimes et se-
crètes, dont le but était de détrôner Henii, et
de replonger le' royaume dans les borreors de
la'gueire civile.^ Philippe III et Charles Emma-
nuel avaient flatté Biron de l'espérance de de-
venir un souverain indépendant, et de lui for-
mer un état des débris de la France. La conju-
ration fut découverte par un des complices.
Henri refîisa long-temps d'y ajouter foi ; il était
trop reconnaissant pour croire facilement à l'in-
gratitude. A la fin il fut forcé de se rendre à
l'évidence. Le maréchal fut arrêté, et conduit à
>6o3. la Bastille. Sully, seul digne de la confiance du
roi, détourna le danger qui le menaçait, lui en
=db.;Goôglc
CHAPITRE XXV.* 433
dévoila toute l'étendiie, provoqua sa juste sévé-
rité contre Biron, et le consola de cette ligliein-
fiientôt après, ta marquise de Yerneuil , long-
temps l'objet de l'amour de Henri, et chargée
de ses bienfaits, ourdit de nouvelles-^mes con-
tre lui ,. de concert avec d'Entraigues , son père ,
et le comte d'Auvergne. Ce fut encore Sully qui
surveilla l'instruction de ce procès; il servit
obligé de garder Henri de son propre cœur, et
de le préserver des excès d'une clémence dan-
gereuse, qui ne feisait que provoquer de nou-
veaux crimes.
ïjifin ce fut à lui que Henri confia le plan
politique qu'il avait a>nçu sur les mesures pro-
pres à garantir la tranquillité et l'indépendance
générale des états de l'Europe. Sully, de con-
cert avec lui, s'occupa beaucoup de ces idées
plus grandes que solides, et prépara les moyens
de les exécuter. Leur but était d'attaquer la mai-
son d'Autriche en Allemagne et en Espagne, de
lui enlever une grande partie de ses provinces,
de faire un nouveau partage de l'Europe , et
d'asseoir sur cette base une paix générale et
durable , garantie par la fédération de tons les
états de l'Europe. Sully avait développé ce vaste
projet à Elisabeth , et en le lui faisant connat-
2 a8
DiailizodbvGoOgle
434 PARTIE I. PisiOUE IV.
tre , il avait eu l'art de le lui faire goûter. La
reine d'Ai^leteHre avait assez d'élévation dans
l'esprit pour être éblouie par des conceptions
Hussi bnllantes; cependant la politique sage et
niesurée d'Elisabeth l'aurait peut-être fait reve-
nir de cette première impression ; peut - être
ménie que sa pénétration lui ofi&it d'abord ce
qu'il y avait d'avantageux pour l'Angleterre dans
les plans de Henri lY, et qu'elle résolut de pro-
fiter de son anleur généreuse, sans la partager.
Sully parut avoir complètement réussi dans sa
négociation avec elle. Après la mort de la reine,
il fut de nouveau envoyé en Angl^erre pour
gagner Jacques l"^ et s'assurer de son concours.
Ce prince était peu &it pour saisir et admirer
un plan qui embrassait toute l'Europe, et s'éten-
dait sur un avenir élcHgné. Sully eut pourtant le
bonheur ou l'adresse de lui présenter ces idées
sous <les formes simples «t des couleurs sédui-
santes , et Jacques lui promit de s'intéresser à
ce projet gigantesque. Ainsi cet homme unique
se multipliait pour le service de sa patrie ; il pa-
raissait réunir tous les taleirts , il prenait tous
les rôles ^ il ^ chargeait de tous tes genres de
travaux. La politique, la guerre , les finaDCCs
étaient en même temps le théâtre de son acti-
vité et dç ses sufy:ès.
=dbï Google
RHAPITAE XXV. 43S
Le projet politique communiqué par Sully à
l'ADgleterra était le projet favori et l'idée do-
rainante de Henri IV. Il l'avait conçu de bonne
heure et long-temps médité dans le silence; il
en avait combiné toutes les partie ; ce qu'il y
avait de praticable, de juste et de sage, lui fai-
sait illuùoa stu- le reste; la pureté de ses motifs,
l'élévation du but, -la nouveauté et la grandeur
même de l'entreprise', concouraient à lui en dé-
guiser les difBcultés insurmontables ; il comp-
tait fléchir tes résistances par la force de la rai-
son, ou les briser par la puissance de ses armes;
mais dans son généreux enthousiasme , il exa-
gérait également Tune et Tautré.
La première partie de son plan reposait sur
des hases solides et conformes aux maximes
d'une saine politique. Il voulait assurer la tran-
quillité de la France et de l'Europe , en aSaï- ■-
blissant la maison d'Autriche. Les deux branches
de cette maison, celle, d'Alleniagne ât celle d'Es-
pagne, s'étaient ra^>rochées, et formaient des
projets contraires à la liberté politique et' reli-
gieuse de tous les états. Leurs forées réunies
étaient redout^les. Henri voulait se servir de
la puissance qu'il devait aux progrès de la ri-
chesse uationale, pour humilier son ennemi na-
turel , venger ses anciennes injures , prévenir de
DiailizodbvGoOgle
430 PARTIE I. PÉRIODE IV.
iiouTeltes attaques, et donner une garantie so-
lide à la sûreté générale de l'Europe. L'Angle-
terre, la Hollande, la république de Tenise, les
princes protestants d'Allemagne, lui avaient pro-
mis de concourir au rétablissement de l'équi-
libre.
Dans les vues de Henri, l'abaissement de ta
maison d'Autriche ne devait être que le premier
acte de la pièce, et conduire à un grand dénoue-
ment. Vainqueur de l'Espagne, il voulait Ëiire,
de concert avec ses alliés, un nouveau partage
de l'Europe.
Les Turcs devaient être relégués en Asie. Le
czar de Russie devait avoir le même sort, s'il
refusait d'entrer dans l'association.
Le nombre des puissances devait être réduit
à quinze, savoir: six monarchies héréditaires,
cinq monarchies électives, et quatre républiques
souveraines.
Les six monarchies héréditaires étaient la
France , qui ne prenait pour elle-même que le
duché de Limbourg, le Brabant, la juridiction
de Malinés , à charge d'en former huit pairies ;
TÂngleterre , qui ne devait rien acquérir sur le
continent; la Suède réunie avec le Danemarck;
l'Espagne , qu'on voulait resserrer dans ses h-
raites naturelles en Eiirope, en lui laissant ce
bvGoogIf
CHAPITRE XXV. 4^7
qu'elle avait découvert et conquis dans les autres
parties du monde : la maison d'Autriche devait
perdre tout ce qui lui avait appartenu en Alle-
magne,dans les Pays-Bas et en Italie; enfln, ou
créait une nouvelle monarchie héréditaire dans
le nord de l'Italie , en feveur du duc de Savoie,
sous le nom de royaame de Lomhardie , et pour
lui former une masse d'états qui méritât de
porter ce nom , on ajoutait à ses ancieimes pro-
vinces le MUauez et le Montferrat.
Les monarchies électives devaient être la
Bohème (en y joignant la Moravie, la Silésie et
la Lusace ) la Hongrie , la Pologne , l'empire
d'Allemagne , et l'État ecclésiastique j qu'on vou-
lait décorer du titre de monarchie, et agrandir
en yincorporant Naples, ta Fouille et la Cala-
bre. On conservait la république de Venise eh
lui accordant la Sicile, la république Helvétique
en la déclarant souveraine ; on associait les
Pays-Bas catholiques à la république des sept
Provinces-Unies , et on lui donnait le nom de
république Belgique; enfin, on appelait répu-
blique italique la réunion de tous les petits
états de lltalie, Gênes, Florence, Mantoue , Mo-
dène, Parme et Lucqûes, qui devaient garder
leur forme de gouvernement, de Bologne et
de Ferrare qui devaient être érigées en villes
:,, Google
438 PA^KT1£ I. PÉRIODE IV,
libres et readre, tous les vingt ans, homm^e
au pape, ^
L'Europe ainsi partagée, toutes les puissances
devaient accorder une liberté et une protection
eutières aux trois religions principales, la catbo-
- lique , la luthérienne et la réformée ; mais en
même temps , bien loin de lavorisef la licence
des esprits, elles devaient s'opposer à la nais-
sance de sectes nouvelles.
La guerre nécessaire pour amener ce boulC'
versement g^éral, devait être ta derni^ de
toutes. Ce nouvd ctfdre des choses une fois éta-
bli, pour le rendre permanent et invariable, on
voulait substituer, dans la grande association des
éiats de l'Europe, le droit à la force , et organiser
un tribunal suprême qui décidât en d^-iùer
ressort de tputes les collisiâns d'intérêts , et dont
toutes les puissances s'^igageraient à feire exé-
cuter l«s arrêts.
Cette espèce dé conseil généc^ de. l'Europe
devait être composé de dépiités de tous les
états. Les ministres* au nombre de soixante-
six, d^evaieat cx^nsexver leurs places pend^
trois ai^. Les foiixaes et la manière de pnx^der
de ce sénat de représeniwits dos souverains de-
vaient êi^ déterminées par des lois organiques,
qui suaient son propre c^vrage. Il devait pro-
DiailizodbvGoOglc
CUA.PITAB XXV. 4^
noncer lui-ipêen^ dans toutes ksai&ires dSt^
in^jortance majeure, et celtes d'une raoilittpe
iiAportance devaient être souniise6 à lia décision
de six corps subalternes, qui seraient pracés sur
difierents. point: de. la sariacé de l'Euiiope-
Tels étaient les principaux traits du vaste
plan de Henri 'IV. Quelque extraordinaire qu'il
nous paraisse, ce qu'il a de ângulier ne nouA
douie pas le droit de révoquer en doute son ■
authenticité. SuUy, ïairà et le confident de sa»
soaitre, qui avait jnédité ce projet 'avec 4tii, tX
s'était chaîné de lé iair^ adopter- par les pRÏs^
sauces am^ de la Ei»iïâe« entre' sur cet -objet
dans des détails qui ne faouBpèniiâftebt.pa* 'de
nier sa réalité-
Mais pour avoir été formé séneusenient , ce
plan n'en est pas moins chkmàique ; poar avoir
été ressuscité et rajeuni par plusieurs' écrivaitii
politiques, il n'en, pèche pEts moins, par .le but
et pw les moyens d'exécution. Les noms de
Henri et de Sully ne sauraient ici nous imposte!
Us sont assez grands pour qu'on doive convenir
de leurs Bublesses , et celle-ci était la fîitttlesM
d'une belle ame^ Hien de plus vague ni de fàai
arbitraire que cette nouvelle. divʻnn' de l'Ett-
rope qu'on voulait substituer à l'anci^ne. Le
nombre des états qu'on laissait subsister, et -àe
DiailizodbvGoOgle
44*> PARTIE l. PERIODE IV.
ceux qu'où 3c proposait de créer- ou d'agrandir,
la nature du gouvernement qu'on leur assignait,
tout parait avoir été fait et réglé au hasard ,
saa& qu'on puisse soupçonner même les prin-
cipes qui ont dirigé cet arrangement. Si ces états
avaient été à peu près égairi eu forces , et capa-
bles de se contre-balance dans leur action, la
fédération uniyerselle aurait été inutile, le repop
serait né de l'équilibre , et l'équiUbre de Taction
réciproque des masses les unes sur les autres;
Si ces états étaient in^itf par leur étendue et
leurs moyens, si, par la différence même de
leur r^ûne , les uns étaient forts et les autres
faibleS', il était £acile .de prévoir que les pre-
miers ne se soumettraient pas aux arrêts du
tribunal suprême, et que les seconds seraient
victimes d'tm despotisme d'un nouveau genre.
Or dans le partage projeté, la plus grande iné-
galité, régnait entre les di£Férentes parties de cet
assemblage confus de monarchies et de répu-
bliques.
Enlever à la maispn d'Autriche toutes ses pos-
aessioDS , ne lui laisser que l'Espagne et ses co-
lonies, c'était trop l'afi&iblir, et donner aux autres
états de justes craintes contre la prépondérance
de la France^ qui, au n<Hn delà liberté générale,
aurait exercé en Ëuro)>e ime véritable dictature.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITBE XXT, 44l
L'idée de former, entre la France et l'Allemagne,
une seule république des dix-sept provinces des
Pays-'Bas , et dans le nord d« lltalie" une puis-
sance capable d'en défendre et d'en fermer les
passages aux étrangers , était une idée, liunï-
neuse, et offrait ie seul moyen de contemr dans
de sages limites l'ambition de la maison d'Au-
triche et de la famille des Bourbons. On doit
regretter, pour le bonheur de l'Europe, que cette
partie du plan de Henri IV n'ait pas été réalisée.
Etablir Une nouvelle balance des forces, en
partageant r£ur<^,, comme, un terrain, inhabité
entre des colons qui y abordent, c'était y natu-
raliser la guerre pour, la faire cesser, et entre-
prendre un oun«ge long et di£5ctle qui devait
rencontrer des résistances invincibles.
En supposant même que ce. partage eut réussi ,
qu'en fut-jl" résulté ?,Oi^aniser en Europe-une
grande république de puissances, feire cesser
pour les nations l'état hostile où chacune d'elles
est seule juge et seple garante de ses droits i
substituer à cette anarchie, où la force seule
décide de tout , un ordre légal , c'était tenter
l'impossible : il aurait fallu pour cet effet rendre
tous les gouvernements impassibles ou impuis-
* sants ; ou ne pouvait espérer l'un , on ne devait
pas même souhaiter l'autre. La tranquillité de
DiailizodbvGoOgle
44a PARTIR I. ' — PÉRIODE IV.
l'Europe et 1a sûreté des états ne peuvent ré-
sulter que d'un système de contre-forces, où
chaque -puissance serût assez fdrte pour ré^ster
à des attaques injustes , et où aucune ne le serait
assez pour briser- focilement ht résistance des
autres (*).
On peut présomer que l'expérience, ou de plus
mûres ré0esions, auraient ramené Henri IV à
ces principes , et qu'il aurait abandonné un pro>
jet plutôt extraordinaire que grand , et qui était
en contradict^n avec la nattn% humaine. Il se
serait ooateaté d'abaisser la maison d'Au^cbe,
sans prétendre L'anéantir ; il aurait enrichi d'au-
tres états de ses dépouilles, et l'Europe n'aurait
pas été dans le cas d'édianger un danger contre
un autre.
Tout était préparé pour cette- grande »itïe-
|»rise. La France avait conclu des alliances étroi'
tes avec les ennemis naturels de l'Autriche; les
magasins étaieiitremplis de munitions de guerre
et de bouche; coa niHle homffles ét&ient pr^
à combattre ; le roi lui-même voulait comman-
de Tarmée qui devait aitaqiief les Pays-Bas;
celle qui était dipgée contre I^Malie devait v^r-
. (*) Voyez sur cette matièrelc Dîscoura prélîiDÏuairc du
premier volume.
=dbvGooglc
CHAPITRE XXV. 443
cfa^ SOUS le» ordres de Lesdiguières. Quarante
millions de livres, fruits de l'ordre et de Véco-
nomie de Sully , auraient couvert les dépenses
de la goerre, jusqu'au moment où la victoire
permettant aux Français de tirer de nouvelles
ressources de leurs conquêtes, iAs auraieht com-
battu leurs ennemis avec leurs propres armés.
La succession litigieuse des états du dilc de
Gtèves devait servir de prétexte aux mouve-
ments de l'armée française , et dévenir le pre-
mier chaînon d'une longue suite d'événements.
Guillaume IV, dernier duc de Clèves, était mort
sans héiitiers, mâïes; ses sœurs, et à leur défaut,
leurs descendants, devaient hii succéder,- sui-
vant les lois féodales du pays. L'électeur de
Brandebourg, lean-Sigismond , gendre de ta
satar aSnée de Guillaume , Philippe Louis , pa-
latin de Neuboarg, époux de sa sœur cadette,
étaient lee deux principaux compétiteurs qui
se disputaient cette riche succession. Les droits
de Jeait - Sigismond étaient încontestabtes. La
msàson d'Autriche avait tenté de s'emparer des
états de Guillaume, sous prétexte que la figne
masculine était éteinte ; ayant échoué dans cette
usurpation , elle se déclara , conjointement avec
l'Espagne, pour le palatin de Neubourg ,Wotf-
gang-Guitlaunie , 6h de Philippe-Louis , qui hiî
:,, Google
444 PABTIE 1.-— PÉRIODE IV.
avait succédé et qui avait embrassé )s religion
catholique. I^a république des Provinces^Unies
et les princes protestants d' Allemagne épousaient
les intérêts de S^^iismond. Jl leur importait beau-
coup que les états de Clèves, situés entre la
Hollande et l'ÂUemagne, ne tombassent pas au
pouvoir d'un prince catholique. Sigismond était
protestant , et il avait passé , peut-être par po-
litique , du culte luthérien au culte réformé.
Cette succession litigieuse partageait toute l'Eu-
rope. La France se préparait à servir la cause
de Si^mond. Le séquestre de tous les états de
Clèves devait être la première opération de la
guerre. Une agitation sourde régnait dans tous
les pays; l'inquiétude tourmentait toutes les
cours; les peuples étaient suspendus entre t'es-
pérance et la crainte : tout annonçait un grand
mouvement; mais on ne connaissait ni sa me-
sure, ni sa direction, ni ses effets, et l'Europe
trenU>lait.
Henri, ^ur le point de partir pour l'armée,
résolut, avant son d^>art, de faire couronner
solennellement la retne son épouse,, afin qu'elle
put au besoin être chargée de la régènce.-du
royaume. Paris n'était occupé que de cette iete
brillante. Henri voulut en contempler les pré-
paratifs. Au milieu de son peuple qu'il aimait et
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXV. 445
dont il était aimé, il se promenait eu voiture,
sans défiance et sans crainte, la sérénité sur le
&ont, la bienveillance dans l'anle. La voiture
est forcée de s'arrêter au passage de la rue de
la Féronnerie; un fanatique obscur, nommé Tta-
vdîllac, saisit ce moment pour plonger un poi- .^^
gnard dMis le sein du roi. Il meurt , et avec lui ï6»o'
s'évanouissent ses vastes projets ; la France perd
le gage de son bonheur; un seul instant change
les destinées de l'Europe; tout ce que le règne
dé Henri a réalisé , tout ce qu'il promettait en-
core , ne parait plus qu'un rêve brillant.
Peu de catastrophes ont été plus frappantes;
peu d'événements ont été plus malheureux et
plus décisif. Selon toutes les apparences, Henri
aurait été vainqueur dans la guerre contre l'Au-
triche. L'incapacité de Rodolphe II , la faiblesse
de Philippe III, les immenses préparatife de
Henri, son armée, son trésor, ses alliances, les
ressources de son génie , l'amour que son peu-
ple lui portait , tout lui présageait des triom-
phes. La victoire lui aurait donné le droit et les
moyens d'établir, sur des bases plus solides et
plus équitables , les rapports des catholiques et
des- protestants , et d'assurer l'indépendance de
la Hollande. Une guerre courte, rapide, active,
eût prévenu la plus longue et la plus désffs-
DiailizodbvGoOgle
446 PARTIE 1. PÉRIODE IV.
treuse de toutes ; celle de trente ans n*eùt pro-
bablement pas ea lieu. Les causes qui la firent
naître et qui l'alimentèrent eussent été étouf-
fées dans leur principe, k l'époque où elle com-
mença, l'Europe aurait été eu possession des
avantages qu'elle acquit par la paix de West-
phalie , peut-être même dans une position po-
litique plus sûre et mieux affermie. En assassi-
nant Henri IV, Aavaillac porta un coup mortel
à l'humanité , et retarda ses progrès d'un demi-
siècle. Depuis sa mort jusqu'à l'anDée où la
1618. guerre commença, l'Europe jouit du calme; mais
c'était un calme perfide , avant-coureur des plus
terribles calamités.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXVI. 44?
CHAPITRE XXVI.
Des États de l'Es rope jusqu'au commencement delà guerre
de trente ans. La France. L'Espagne. L'Italie. La repu-
bSquo des Provinces-Unies. L'Angleterre.
JLiA mort de Heari IV avait plDngé dans le deuil
toute la France, à l'exception de la cour. Le
peuple craignait le retour de l'anarchie; les
grands l'e&péraient, et 3e flattaient de voir re-
nïûtre le temps des i,ntrigues, des cabales et
des actions. Le génie, lavertu, le patriotisme
avaient quitté les a£faiies avec la personne de
Sully. Ke pouvant [^us &îre le bien de son
pays, et ne voulant pas sanctionner le mal par
sa présence, cegnuid citoyen s'était retiré dans
son château de SuUy. Après avoir pay^ sa dette
à l'état , U n'avait pas voulu assister à la des-
tructickn de son ouvrage , et il avait cru qu'il se
devait à lui-même de quitter une place où il ne
pouvait plus être utile Sa retraite était une pn>-
teitation solennelle contre lés nouveUes maiii-
m«s d'administration, et une forte leçon pour
la cour. Elle n'ayait pas su la cooipf endre , ou
DiailizodbvGoOgle
44ti PARTIE I. PÉRIODE IV.
elle D'avaic pas. eu b sagesse <l'en profiter. Ma-
rie de Médicis , déclarée régente , fondait la du-
rée de son pouvoir sur l'ignorance et la faiblesse
de son fils , le jeune roi Louis XIQ. Elle prolon-
geait avec art son enfance , en remplissant sa vie
de plaisirs pnérib et frivoles, au tièu de Toc-
cuper de choses utiles. Avec un esprit médio-
cre , elle avait une inquiétude de caractère qui
lui faisait entreprendre des choses qu'elle n'a-
vait pas le talent A'exécuter. Elle voulait gouver-
ner les autres, et elle avait elle-même besoin
d'être gouvernée. Impétueuse et violente, elle
ne savait, pas employer, les amjes de l'adresse
et de. l'artifice. Timide et irrésolue, elle ne sa-
vait pas emporter , par des mesures vigoureuses,
ce qu'elle n'avait pu Qbtemr par la ruse. Ex-
trême dans ses attatdiements et dans ses haines,
amie crédule et facile , ennemie implacable , elle
inspirait trop de sécurité à ses iavom , trop de
crainte et de défiance à ceux qui avaient en-
couru sa disgrâce. Avec moins de talents et
d'énei^e que Catherine de Médicis , elle était
moins dépravée que cette reine, et ne portait
dans le mal ni ses combinaisons savantes oi
son audace.
Marie de Médicis avait donné toute sa con-
fiance à des Ëivoris indignes de l'obteoir, C'é-
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. 449
taient deux Florentins qui l'ayaient suivie en
France, Concîni et sa femme, Éléonore Galigaï.
Concini, fils d'un secrétaire du duc dé Florence,
sans fortune et sans relief personnel , avait été
fait gentilbpmme ' de la chambre et maréchal
d'Ancre y et s'était élevé rapidement , à ^rce de
complaisances et de bassesses, au plus haut
degré de pouvoir. Il était généralement haï. Sa
qualité d'étranger blessait la ^vanité natioi|ale.
11 irritait les grands par ses hauteurs, le peuple
par son avidité vexatoire, les vrais citoyens par
son ineptie. Cependant il valait mieux que sa
feijDme; souvent il répugnait aux prétédtioDS et
aux démarches ambitie'Uses'qu'eUe lui suggérait,
et regrettait son obscurité ; mais sa femme l'avait
asservi à ses volontés, et faisait; de lui l'instru-
ment de sçs passions. Sœur de lait de la reine ,
Ëléônore Galigaï exerçait sur sçn esprit un as-
cendant sans bornes. Marie la consultait dans
toutes les affaires, et suivait aveuglément ses
conseils. Altière, impérieuse, vindicative, intri-
gante, cette femme, se plaisant à semer, la di-
vision entre le roi et la reine, avait causé de
cruels chagrins à Henri IV, et, depuis sa mort,
elle faisait le malheur de la France, Bien supé-
rieure à son mari en esprit et en talents , elle
avait même une certaine élévation de courage
:,, Google
45o PARTIE f. pMrIODE IV.
qui ne la rendait que pins dangerense; pouvant
tout, elle osait tout; sa hanliesse égalait son
pouvoir.
Les grands du royaume ne pouvaient voir
avec indifférence ta toute-puissance de ces deux
étrangn^. Comme ils n'avaient encore perdu ni
les moyens ni le goût de la révolte, ils avaient
pris Ie6 armes pour obliger la reine à choisir des
ministres plus dignes d'elle. Henri II, prince de
Condé, qui aurait voulu gouverner fétat, s'était
mis k ta tête de$ mécontents. Marie les avait
combattus par un grand déploiement de forces
et par des négociations habilement conduites.
1614. Le traité de Sainte-Menefaould , qui assurait des
avantages aux principaux chefe des ennemis de
la cour, avait paru apaiser les troubles.
i6'4- La majorité du roi et l'assemblée des États-
Généraux du royaume n'avaient apporté aucun
changement à l'état des choses. Le roi , majeur
de nom , était resté de fait sous la tutelle de sa
mère, gouvernée elle-même despotiquement par
ses favoris. Les États-Généraux ne firent rien
pour le bonheur du royaume; leur langage fut
Ëiible, leur marche incertaine, et leurs doléances
demeurèrent Sans eflèt. Depeis cette époque on
ne les convoqua plu», Karemeut ils avaient fait
le bien; souvent ils avaient fait ou laissé faire
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. 4^1
le mal ; mais leur existence seule était un prin-
cipe de liberté^ qui pouvait se développer au
besoin, et devenir le moyeu actif <!' utiles ré^
formes': malheureusement pour elle, la France
n'y attachait pas assez <le prix, et iU tombèrent
en désuétude, sans qu'elle parût s'en aperce-
voir. - '
Bientôt après, la faveur toujours croissante
des CoDcini fit renaître les troubles. Le prince
de Condé, jaloux de leur crédit, reprit les ar-
meSf et fiit encore calmé par le traité de Lou-
dun. Mais Connni, ayant eu l'audace de le faire
arrêter et d'éloigner les anciens ministres, pré-
cipita lui-même sa ruine. Ce fut un jeune
homme, dont personne ne se dé&tit, qui le per^
dit. Luynes, attaché de boime heure à Louis XIII
tin qualité de page de la cbagobre, avait gagné
sa confiance par -de .petits talents agréables. C'é-
tait dans son sein que le roi versait les chagrins
secrets que lui donnaient sa propre nullité et
l'insolence des favoris de sa mère. Les succès
de Luynes développèrent son aoôbition. Résolu
de s'élever sur la ruine du maréchal d'Ancre,
il inspira au roi un parti . vigoureux. L'ordre
fut donné à Vitri, capitaine des gardes, d'ar-
rêter le maréchal; il obéit, mais, dans le mo-
ment même où il demandait à Concini son épée,
^9-
DiailizodbvGoOgle
453 PARTIE I. — P^SIODE IV.
cemalheitfeux fut tué par les gardes, sous pré-
texte de résistance. Le peuple assouvit sa haine
sur son cadavre. On 6t le procès à sa femme;
il?, ce procè« la conduisit à l'échafaud. On lui prêta
des crimes pour la perdre: elle était coupable,
sans être criminelle aux yeux de ,1a loi; cet ar-
rêt couvrit ses juges de honte. Elle subit l'in-
t«Togatoire avec noblesse, et mourut avec
fermeté.
Marie de Médicis, étonnée de l'audace des
conseillers de son fils , effrayée du sort tragique
de ses favoris, et traitée encore avec une défé-
rence apparente, dévorait ses ressentiments et
sa fureur. Luynes était tout-puissant. Louis n'a-
vait fait que changer de maître ; mais Luynes lui
laissait du moins les dehors de la liberté, et
-n'était pas tout-àifait indigne de sa fortune. Il
ne manquait pas d'esprit,, mais il manquait de
lumières, de connaissauces, d'activité, et ses ta-
lents n'étaient pas à l'unisson de sa place. Ce-
pendant il avait pour lui des formes agréables
et nobles; il aimait sincèrement le roi, et il pré-
férait l'honneur à l'argent.
Louis XIII se croyait libre, et paraissait l'être,
parce que Luynes était l'homme de son choix.
Ce prince, qui fut malheureux toute sa vie faute
de volonté, n'avait aucune des qualités brillantes
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. 4^3
et ainiables de son père; mais il n'était paS' sans
moyens, et il avait des vertus. La nature lut
avait refusé l'imagioation active et féconde du
grand Henri; mais elle lui avait donné un esprit
judicieux qui saisissait avec ÉiciUté, et. jugeait
sainement les idées des autres. Sa valeur ne je-
tait pas un éclat éblouissant ; mais aussi souvent
qu'on lui permit de paraître à la tête de ses
troupes, il prouva qu'il ne craignait pas le
danger, et savait lui opposer un courage froid
et réfléchi. Son humeur sévère et triste contras-
tait avec le caractère enjoué de son père; mais
elle était Teffet naturel d'un tempérament faible
et des soupçons dont <»i avait environné sa jeu-
nesse. On évita de lui inspirer de la gaieté, parce
qu'elle est pour les princes le signe, et quel-
quefois le principe , d'une utile confiance en
leurs propres forces , et ceux qui dirigèrent
son éducation voulaient "qu'il se défiât de lui-
ménie, afin qu'il se reposât sur eux de tontes
les affaires. Ce défaut fut Tunique cause de ses
torts, de ses fautes et de son malheur. Il voyait
bien , et il renonçait à ses propres lumières pour
suivre celles des autres; il voulait agir, et il se
condamnait lui-même à l'inaction. Impatient
du joug et ne pouvant s'en passer, s'indignant
en sei^et de sa faiblesse, sans avoir le courage
DiailizodbvGoOgle
/|54 PARTIE I. PERIODE IV.
de rompre ses fers, tel fut Louis Xm pendant
toute sa vie ; tel il était déjà au nuHnent de sa
majorité.
Les dilapidations de Marie avaient appauvri
l'état; les intrigues de la cour avaient distrait
l'attention dn gouvernement des objets utiles ;
cependant la f^Vance n'avait pas perdu ses forces;
elle travaillait et s'enrichissait en silence : mais
les grands n'avaient pas encore appris à res-
pecter les lois qui leur déplaisaient, et à plier
sons l'autorité du souverain, lors même qu'il
paraissait en abuser. Les réformés, à qui les
grands privilèges que l'édit de Nantes leur as-
surait pouvaient facilement servir d'armes of-
fensives , formaient dans le royaume une espèce
d'état à part, et leurs chefe étaient souvent in-
téressés à leur persuader qu'il fallait attaquer
pour se défendre. L'esprit factieux des grands
et l'indépendance des réformés nourrissaient les
espérances des étrangers , qui travaillaient à com-
battre la France par la France elle-même. Marie
de Médicis avait abandonné le système politique
du grand Henri , qui voyait avec raison dans
l'Autriche l'ennemie naturelle de la France. Un
double mariage avait rapproché la maison d'Au-
triche de la maison de Bourbon. ï^ouis XIII avait
épousé Anne d'Autriche, fille de PfailippelII ,
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXVI. 455
roi d'Espagne , et le prince des Asturies s'était
uni à uae princesse du sang de France. A voir
rharmoaie apparente des deux coiira, on aurait
(lit que toutes les craintes et les défiances avaient
cessé ; et cependant les rapports des deux puis-
sances n'avaient pas changé , et leurs intérêts
étaient toujours opposés. C'était k Richelieu qu'il
était réservé de ramener la Frajace aux. vrais
principes. Anoand du Plessis, alors évéque de
Luçon , avait commencé sa fortune sous Con-
cini , et Ijt continuait sous Luyues. Il travaillait
sourdement à satis&ire sa vaste ambition , qui
n'était que le besoin naturel d'un génie plus
vaste encore. Mettant à parvepir au timon des
a£^es autant d'adre$se que plus lard il mit
d'audace k s'y maintenir, il se montrait alors
aussi souple qu'il parut dans la suite inflexible
et inébranlable,
L'Espagne n'ayait pas, prodté, comme elle
l'aurait dû, des grands changements que la mort
de Henri avait amenés en France. Le danger qui
la menaçait l'aVait &it &émir; mais elle n'avait
pris aucune mesure pour l'eropècher de renaî-
tre. Les talents, l'activité, l'énergie qui avaient
caractérisé le régne de Charles-Quint et celui
de son fils, paraissaient avoir abandonné pour
toujours cette branche de la maison d'Autriche.
DiailizodbvGoOgle
456 PARTIE I. — PERIODE IV.
Elle n'oflte plus de prioces qui gouvernent par
■ eux-mêmes , et sans avoir gagné de la sagesse
et de la modération, elle ne présente plus de
traces de cette vigueur, qai, pendant un demi-
siècle, avait étonné et efirayé -l'Europe. Malgré
l'épuisement des finances, la désorganisation de
l'état, le défaut de génie et de caractère dans
le souverain , 'les vastes projets et les hautes
prétentions da cabinet espagnol subsistaient
toujours. Ces idées ambitieuses et ces plans de
monarchie universelle , plus que jamais chimé-
riques, se perpétuaient par tradition. C'étaient
autant de maximes fondamentales, qu'une es-
pèce de respect superstitieux empêchait d'aban-
donner. L'Espagne était ruinée; mais elle avait
conservé le ton et les habitudes d'une grande
fortune ; elle se berçait d'espérances qui appar-
tenaient à sa grandeur passée. Faute de choisir
un régime approprié- k sa laiblesse , cet état s'af-
faiblissait de plus en plus, et prenant l'effort
pour la force, s'aveuglait sur les prc^rès de sa
décadence.
1698 Phili^e ni, qui occupait le trône d'Espagne,
g ne ressemblait à son père que par une dévotion
minutieuse, et par ce fanatisme persécuteur qui,
pour conquérir le ciel, convertit la terre en
désert. Ce prince ne voyait la grandeur que
=dbïGoogIe
CUA.PITHE XXVI. /[Sy
dans l'étiquette, et confondait la représentatioa
avec la dignité. Indolent et tadturne, il faisait
consister la sagesse dans la gravité, et la poli-
tique dans le silence. Retiré daos le frnid de son
palais, inaccessible à tout le monde, il ne ré-
gnait que par des apparitions ,- et ne se montrait
en public que pour honorer de sa présence les .
auto-da-fé. Dès son avèneinent au trône, il aVait
abandonné le royaume à François Gomez de
Sandoval, marquis de Dénia et duc de Lerme.
Ce ministre joignait à l'esprit d'un liomme du
monde, l'avidité d'un financier, la mollese d'un _
épicurien, et rivalisait d'indolence avec son mû-
' tre. Philippe lui abandonnait toutes les afiaires,
et le duc se reposait lui-même de tout sur Ro-
drigue de Calderone, son favori. Calderone était
fils d'un pauvre soldat de Valladolid ; de laquais
du duc de Lerme, il était devenu comte d'Oliva,
et marquis de Siete-lgtesias; il exerçait un em-
pire absolu sur l'esprit du duc, et gouve^ait
despotiquement les Espagnols.' On ne s'élève
jamais d'une condition aussi obscure k une si
haute fortune, sans avoir une certaine mesure
de talents; Calderone en avait, mais il devait sa
fortune aux défauts du duc , et peut-être à ses
propres vices, beaucoup plus qu'à son esprit et
à son activité. Bas et rampant envers son maï-
DiailizodbvGoOgle
458 PARTIE 1. — PÉRIODE IV.
tre, il était âer avec les grands, insolent avec
ses égaux , tyrannique envers se$ inférieurs. Le
tluc deLerme regardait l'état comme une ferme
dont le produit devait alimenter son luxe, et
qu'il avait chargé Calderone d'expl(»ter, en lui
abandonnant des profits immenses. Calderone
s'acquittait dignement de cette fonction. Il met-
tait tout son art à enlever aux particuliers , à
titre d'impôts ou d'amendes, ce qui leur appar*
tenait , et à vendre au plus ollirant ce qui ap-
partenait à l'état. Ces deux hommes régnaient
en Ë^agne sans contrôle. Le conseil d'état , que
Philippe II consultait toujours, sans suivre tou-
jours ses conseils, avait été aboli par de Lerme,
qui ne voulait être ni arrêté, ni éclairé, ni même
observé de près dans ses opérations politiques.
Le clergé et la noblesse faisaient quelquefois
entendre aux ËtatS'Généraux de la nation des
vérités hardies et fortes; bientôt on,De les con-
i6oa. voqua plus, et l'on se contenta de demander
l'avis du troisième ordre, plus docile et plus
sou|de , parce qu'il était moins riche et moins
éclairé. Les rii^es cai^aisons des galions d'Amé-
rique ne BufEsaient pas aux dilajHdations'des
roiais^es; l'impôt terntcmal fut haussé au point
de lirapp» la terre de stérilité. L'Esp^ne souf-
frait de la décadeuce de l'agriculture et de la
=dbvGooglc
CHAPITRE XXVI. 459
. population; et semblable à un malade exténué,
qui croirait regagner ses forces en se faisant
ouvrir les veines, Philippe ne prenant conseil
que (le sa superstition, et n'écoutant que les fu-
nestes conseils des archevêques de Tolède et de
Valence, avait banui de ses états six cent mille 1609
Morisques. Malgré l'oppression sous laquelle ils ,gjQ,
gémissaient , les Morisques , actifs et intelligents ,
cultivaient et embellissaient le pays. Ce fut une
fwrte iiréparable pour le royaume. Au dehors,
l'Espagne avait perdu de sa considération et de
sa puissance. Elle avait même été forcée de con-
clure une trêve de douze ans avec la république
des Provinces-Unies, et de reconnaître leur
indép^3VlaDce. Mais les gouverneurs et les en-
voyés qui la représentaient dans les différentes
parties de la mouarchie, et dans les pays étran-
gers, étaient encore animés de l'esprit domina-
teur et inquiet de Philippe 11. Ne pouvant plus
parvenir k la domination universelle par le dé-
ploiement d'une grande puissance , ils étaient
réduits à devenir des conspirateurs , et substi-
tuaient aux attaques ouvertes et aux négocia-
tions franches, des trames secrètes et des com^
plots homicides.
L'Italie venait d'être le théâtre d'une de ces
conspirations ourdies avec art, profoodément
DiaiiiJdbïGoogle
4(io PIBTIE I. P^BIODE IV.
combinées, et loDg-temps couvertes d'un voile
impénétrable ; elle était encore étonnée de l'an-
Hace du projet, et partagée entre la saq)nse et
l'eflroi. L'Europe entière avait été indignée de
cet attentat; l'Espagne en avait récompensé les
auteurs. Trois hommes que rapprochaient le ta-
lent , le goût et même le besoin des entreprises
hasardeuses, avides de la gloire qui suit trop
souvent les succès de ce genre , et jaloux des
récompenses que le cabinet espagnol accordait
aux crimes qui lui étaient utiles , avaient uni leur
génie, leurs ressources et leur activité pour dé- -
truire Venise , la plus ancienne et la plus illustre
des républiques de l'Italie. Tous trois étaient
revêtus d'un caractère public. Le marquis de
Tolède était gouverneur de Milan; le duc d'Os-
sune, vice-roi de Maples; le marquis de Bedmar,
ambassadeur d'Espagne à Venise. Leur plan
était de mettre le feu à l'arsenal de Venise , et
de profiter du désordre et de la confusion que
cette catastrophe devait amener, pour s'empa-
rer de la ville, et bouleverser l'état. Tolède de-
vait faire avancer des troupes du côté du Mî-
lanez; d'Osstine avait promis d'envoyer une
flotte dans la mer Adriatique , sous prétexte de
punirles brigands qui l'infestaient; Bedmar avait
employé les intrigues, l'argent, les promesses.
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE IXVl. 461
pour se former un parti dans Venise tnéine^ et
gagner les ouvriers de l'arsenal. Il comptait sur
les Bemabottes , la petite noblesse de Venise ,
toujours jalouse des patriciens riches et distin-
gués; sur la noblesse de la terre-ferme, qui,
exclue du gouvernement, était étrangère à l'es-
prit public, et devait désirer une révolution qui
mettrait ses maîtres à son niveau; sur cette
populace nombreuse qui , sans fortune et sans
principes, n'attend, dans toutes les grandes
villes, qu'un acheteur pour se vendre au crime.
Les craintes et les espérances que Bed!mar savait
répandre habilement, l'étonnement et l'efiroi
que la première explosion devait faire naître,
pouvaient promettre aux conspirateurs un suc-
cès complet. L'hôtel de l'ambassadeur était le
foyer des complots; l'arsenal , le théâtre secret de
leurs mouvements: tout était concerté, prévu,
préparé; les rôles étaient distribués.; la marche,
le jour , l'heure même étaient axés; la vigilance
du conseil des dix était en défaut ; Venise pé-
rissait. Peu d'heures avant la catastrophe, le re-
mords parla dans t'ame d'un des conjurés; il
révéla tous les détails du complot ; le gouver-
nement répara sa sécurité par des mesures aussi
sages que promptes et vigoureuses; la républi-
que fut sauvée. t6»8-
DiailizodbvGoOgle
4Ga PARTIR I. pémoDE IV.
Cett€ conjuration avait donné k Iltalie la me-
sure de Taudaèe et de l'ambition de l'Espagne ;
mais au lieu de provoquer de justes vengeances,
ce terrible exemple n'avait feit que glacer de
terreur tous les esprits. Venise elle-même s'était
vue dans la cruelle nécessité <le dissimuler son
ressentiment , et le silence qu'elle garda fut si
profond, qu'il répandit même quelques doutes
sur la certitude de l'événement.
L'Italie jouissait de la paix , mais c'était la paix
de la servitude. Maîtresse du Milanez et de Na-
ples , l'Espagne contenait dans la soumission le
Nord et le Midi. Dans les états où elle ne do-
minait pas par la force, elle régnait par son
crédit et par une influence toujours active. Les
patriotes éclairés de l'Italie désiraient que la
France y acquit de la considération et de l'as-
cendant, pour contre-balancer le pouvoir de
l'Espagne; mais ce moment n'était pas encore
venu.
Paul V, qui occupait la chaii-e de Saint-Pierre,
haïssait l'Espagne comme souverain; mais sa
haine était impuissante; et, en qualité de pape,
il ménageait cette puissance redoutable; son in-
térêt lui dictait de ne pas se brouiller avec eHe.
Ce pays , dévoué à la religion catholique, était
une mine de richesses pour le Saint-Siège.
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXVI. /|63
La Toscane ft'enricliîssait par le commerce.
Côme II qui gouvernait ce petit état , se livrait,
à l'exemple des premiers Médicis, à des spé-
culations mercantiles, et, sous des noms em-
pruntés, feisait de grandes affaires. C'était sous
le sien qu'il protégeait les lettres , et même la
philosophie. Pour assurer son existence poli-
tique, il tâchait de suppléef par l'adresse k la
force qui lui manquait.
Les Gonzagues , qui régnaient k Mantoue ,
ainsi qUe les duGâ de Parme et de Modène, n'é-
taient que des souverains titulaires : les vice-rois
d'Espagne leur dictaient deâ ordres et dirigeaient
toutes leurs démarches.
Charles -Emmanuel, duc' de Savoie, avait
perdu , par le traité de Lyon , la Bresse et le
Bugey ; il avait été dédommagé de cette perte
par l'acquisition du marquisat de Saluces. La
Savoie travaillait sourdement à s'agrandir aux
dépens de Gènes; elle y excitait el fomentait des
troubles dont elle espérait profiter. Gênes , jadis
puissante , était réduite à prévenir ou k repous-
ser les attaques d'un ennemi qu'elle avait long-
temps méprisé.
Pendant que les états de l'Italie marchaient à
leur décadence, la république des Provinces-
Unies , qui s'était déjà fortifiée au milieu des
DiailizodbvGoOgle
464 PARTIE I. PÉRIODE IV.
orages, achevait de se consolider au sein de 4a
paix. Elle avait forcé l'Ëspagoe de signer sou
acte d'affiranchissement. £n vain Philip]>e II avait
espéré recouvrer les Provinces-UDÎes pour sa
maison, en faisant épouser à l'ArcLiduc Albert
l'infante Isabelle , et en lui cédant les Pays-Bas.
La nouvelle république était trop éclairée pour
s'aveugler sur ses vrais intérêts ; elle était trop
puissante pour craindre l'issue de la guerre. Les
talents d'Ambroise Spinola, qui combattait avec
zèle pour l'Archiduc, avaient trouvé dans ceux
de Maurice , héritier du pouvoir , du nom et de
la gloire de Guillaume, un rival digne de lui,
et plus d'une fois la fortune de la république
triompha du génie et des efforts de l'habile
Génois. L'Espagne avait senti le besoin de la
pais , cependant elle n'avait voulu conclure
qu'une trêve ; mais la trêve signée par elle était
une véritable paix. Le président Jeannin , qui
1609. négociait pour lé Provinces - Unies au Jioni de
la France, avait eu une grande influence sur ce
traité. L'orgueil espagnol avait vu dans le terme
de trêve un déguisement heureux de son im-
puissance , et la république comptait en profiter
pour augmenter ses forces. Elle se réservait
d'achever l'humiliation de son ennemi, quand
elle aurait pris plus de consistance , et que les
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. 465
événements auraient amené des circonstances
favorables, qu'il n'était pas difficile de prévoir.
Mais, tranquille et déjà respectée au-dehors, ta
république était agitée par des troubles inté-
rieurs. Les deux partis qui . ont toujours existé
dans toutes les républiques , s'étaient formés de
bonne heure dans les Provinces- Unies. Tous
deux voulaient le bonheur de la patrie ; tous
deux comptaient d'excellents citoyens; mais tous
deux pouvaient fournir un uiasq.ue et des armes
à t'ambilion. L'un craignait que l'autorité du
gouvernement ne dégénérât en despotisme ,
l'autre que la liberté du peuplé ne prît les ca-
ractères de la licence et de l'anarchie : le premier
voulait que le pouvoir fût partagé et amovible,
et que la part des Etats fût beaucoup .plus grande
que celle du Stadthouder ; le second , persuadé
qu'il fallait concentrer et fixer tes ressorts du
gouvernement dans im petit nombre de mains,
inclinait à augmenter la prérogative du prince.
Maurice était naturellement le chef, et l'ame
du parti qui voyait le bonheur public dans le
maintien et l'accroissement de son autorité ; 01-
den Barneweldt , avocat de la province de Hol-
lande , était regardé comme le chef de l'autre.
Ce vertueux citpyen était .républicain par ses
mœurs et son caractère , encore plus que par
2 3o
D„j,i,zt!dbvGoogIe
466 PARTIE I. PiRIOUK IV.
ses principes, il ne séparait jamais la cause (le
la liberté , dans son cœur ni dans sa tête , de
celle de l'ordre et de la justice; mais il se défiait
de l'ambition et des grands talents de Maurice ;
il craignait les excès auquel la recounaissaoce
pouvait entraîner les Bataves. A un esprit lu-
mineux, sage , profond , il joignait une grande
expérience des âfFalres , nu zèle infatigable pour
son pays «l une simplicité vraiment antique. Il
avait blanchi dqns des travaux utiles à l'état;
SA vigilance inquiète avait veillé sur la république
naissante; il avait conjuré les dangers extérieurs
par sa fermeté dans les moments crù^ques et
par l'a^ des négociations. C'était principalemeut
à lui que les Hollandais devaient les avantages
de la trêve , et tout nouvellement il avait en-
gagé le roi d'Angleterre à leur rendre la Brille,
Flessingue et Ramekens. Trente-tiois années de
services lui avaient acquis un crédit mérité. Dans
le tenips de l'adminbtration de I>eicester, il
avait sauvé la république de son ambition, et
il observait d'un œil éclairé celle de Maurice.
Les deux partis, surveillants naturels l'un de
l'autre, auraient entretenu dans l'état un esprit
d'opposition salutaire, et, restant ttanquilles,
auraient servi la chose publique par leur dé-
fiance réciproque , saus les quf»-elles théologi-
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRU: XXVI, 4S7
ques qui s'élevèrent ctaiisces Provinces. L'église
protestante, par la liberté qui la caractérise,
favoiise la variété des opinions. Celte variété,
qui entretient le mouvement des esprits, serait
un bien pour l'espèce humaine , si les passirNns
ne se hâtaient pas toujours de fairs atbanCe
avec les opinions utiles à leurs vues , et si k
politique ne corrompait, par un alliage imptir, '
les> idées les plus saîoes. La Hollande en offrit
un triste exemple. Deux sectes opposées étaient
nées à l'université de Leyde. Jacqties. Armiuios 1609.
avait mitigé les ' principes sévères et durs- de
Calvin siu* la prédestiDation et- la grâce?' il
croj»t que l'uaagc que- l'homme fait de sa H-
berté est la ocHKkliïHi du salut et la raison des
décrets divins. Françcàs Genoar soutenait les
principes de Calvin dans toute leur rigueur;
pour sauver la liberté de Dieu « il anéantissait
celle de l'homme. Ces questions , qui. tiennent
à tout ce que la métaphysique a de.[diM.Bubti(.,
n'auraieot jamais dû. être agitées parie comnjim ~
des esprits; des écoles où- ftlles -avaient prie
naissance , elles passèrent dans tonte» les Iaa9il>- ^
les; bientôt la Hollande fut divisée:. d'opinion
sur des objets inoompré^osiblaspouv la- phi-
part des hommes, obscurs pour tousi Les nemfi
de secttt aefaevérent de toutperdre) on ire vît
3o.
DiailizodbvGoOgle
468 PARTIE I. PÉRIODE IV.
plus que des Gomaristes et des Arminiens. Olden
Barneweldt trouvait les idées d'Arminius plus
simples et plus saines que celles de Gomar,
parce qu'elles étaient conformes au sens intime
et à la dignité de la nature morale de l'homme.
Maurice redoutait l'ascendant de BarneTtreldt, et
le haïssait comme Tennemi secret de sa per-
sonne et de sa maison. Il suffisait que Barneweldt
épousât le parti d'Arminius , pour que le prince
<rOrange se déclarât en faveur de Gomar. Les
deux partis se prononçant plus ibrtement l'un
contre l'autre, et les chaires retentissant d'in-
jures et de déclamations violentes , on crut que
le vrai moyen de terminer cette lutte scanda-
leuse serait de porter le procès devant uu sy-
node national. Les arminiens, plus doux, plus
tolérants et plus faibles que leurs adversaires ,
avaient, eux-mêmes demandé que la cause de
leurs opinions iut jugée. Barnevireldt et les Étals
de Hollande, qu'il dirigeait de concert avec le
savant et profond Grotius , étaient contraires à
la convocation d'un synode. A leurs yeux, la dé-
cision d'une assemblée de ce genre ne prouvait
ni pour ni contre la vérité d'un principe; ses
arrêts ne pouvaient avoir force de loi, car les
lois ne doivent porter que sur les actions, et
les opinions ne sont pas de leur ressort; d'ail-
DiailizodbvGoOglf
CUAPITAE XXVI. 46g
leurs, il était facile de prévoir qUe les arminieus
seraient condamnés -à ce synode, et leur tolé-
rance oonvenait mieux à une république com-
merçante que l'intolérance de leurs adversaires;
enfin , tes Etats de Hollande croyaient que cha-
que province n'avait besoin de prendre conseil
que d'elle-même dans ttfut ce qui regardait la
religion. Pour appuyer leur résistance et faire
régner l'ordre dans les villes que les goraaristes
troublaient par leur violence , les États de Hol-
lande levèrent des troupes , sans le concours de
Maurice, capitaine-général de ta république. Ce
fut te signal des vengeances. Le prince , blessé
de cette atteinte portée à son pouvoir, excité
par les gomaristes à des mesures hardies , sûr
de la protection de ce parti nombreux et puis-
sant, saisit cette occasion de satisfaire sa liaiae
contre Otden Bameweldt , à qui il ne pardon-
nait pas d'avoir hâté la conclusion de la trêve
avec l'Espagne. Ce respectable vieillard fut ar-
rêté avec Hogerbeets, Grotius et Ledenbei^, ses
partisans déclarés. Maurice voulait le perdre;
pour y réussir, il se mit au-dessus de toutes, les
lois. L'arrestation se fit sans la permission des
Etats-généraux , et l'on n'eut aucun égard aux
représentations fortes et motivées des États de
Hollande. Le fanatisme des gomaristes se prètaili
DiailizodbvGoOgle
470 PARTIE I. PHBIODE IV.
a toutes les ilémarches illégales du prince , on'
les sanctionaait après qu'il se les était permises.
he$ Étatfr^énéraux approuvèrent ce qui s'était
fait ; on écarta des États de Hollande et des ma-
gistratureâ des villes tous les arminiens; on leur
substitua des goraaristes, et les corps, qui
avaient généreusement protesté contre le des-
potisme de Maurice , ne firent plus entendre
que des applaudissements. Encouragé par ces
succès , le prince fait instruire le procès de
Barneweldt et de ses amis. La plupart de leurs
juges étaient leurs ennemis dériarés; c'étaient
des fanatiques qui se croyaient tout permis pour
assurer le triomphe de leur cause, ou de ces
ètreâ faibles et liches, toujours vmdus au pou-
voir qui les paie ou les intimide. Dans l'im-
poâstbililé de trotiver même des torts à ces il-
lustres, citoyens , on leur imputa des crimes; on
accusa Barneweldt d'avoir trahi la patrie qui lui
devait so» existence. L'envoyé de I^Vance, du
Mauriev , et la princesse dosairière d'Orange ,
vewlant épargner à Maurice et ji la république
un étesiid sujet déboute et de regret, élevèrent
leur voiix en faveur de Barneweldt ; son ^e t ses
vertus, ses longs et irantortels services parlaient
pour Im avec une force à laquelle on ne pou-
vait rien ajoutée ; tout ftM inutile. Son épouse
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. 4?'
et sea enfants demandèrent il grands cris qu'on
lui rendit justice , et elle lui fut refusée ; rîiais
dignes d'appartt^nir k ce grand homme par leur
aobit fierté , ils ne voulurent pas le déshonorer
ni se déshonorer eux-flaénies en «^mandant sa
gracé , qu'ils auraient peut-être oblfenue de l'or-
gueil de Maurice. A l'âge de soixante-douze ans, 1619.
Bsrheweldt pottz sur l'échafaud sa tête blanchie
dnns des travaux' honorables. Tout en protes-
tant de son irmocence, il abandonna sans peine
à fa fureur de ses ennen^rs les restes d'une vie
que la nature devait bientôt terminer, et son
dernier soupir fut un voeu pour cette patrie in-
grate qui récompensait par le supplice trente-
trois ans de dévouement Hogerbeets et Grotius
furent condamnés à une priiiOn perpétuelle ;
Ledenberg , efftéyé de la torture dont on le me-
naçait, s'était lu^rtième donné ta mort. Le sy-
node de Dordreéht condamna les arminiens , et
l'on sévit contre euit àaaS toutes Ici provinces.
Au milieu de ces scènes tragiques dont, pour
la gloire dé Maurice et l'honneur de l'humanité,
on voudrait pouvoir effacer le souvenir, l'in-
dustrre et le commerce de la république fai-
saient des progrès continuels, et se dévelop-
paient avec une rapidité prodigieuse. Le pavil-
lon hollandais se montrait ^ur toutes les mers;
DiailizodbvGoOgle
47^ PARTIE 1. PÉRIODE IV.
douze cents vaisseaux marchands portaient dans
les ports de la Hollande les productions du
monde connu, et les faisaient circuler dans
toute l'Europe. Ces richesses permettaient aux
Provinces-Unies d'entretenir trente mille hom-
mes d'in^terie.et quatre mille chevaux. Leurs
places étaient fortifiées avec art, letu-s camps
regardés comme Técole de la valeur, et la jeune
noblesse d'une grande partie de l'Europe s'em-
pressait à venir apprendre la guerre sous les
ordres du prince Maurice et de son frère Fré-
déric-Henri.
L'Angleterre ne conservait plus en Europe la
haute considération dont elle avait joui sous te
règne d'Elisabeth. Le caractère p«^oanel de
Jacques et le système politique qu'il avait suivi
depuis sou avènement au trône, la lui avaient
j6o3. fait perdre. Ce prince avait été proclamé roi,
par le parlement , aussitôt après la mort d'Eli-
sabeth, qui le désigna pour son successeur. Jac-
ques, fils de Marie Stuart et de Damley, n'avait
aucune des qualités aimables et brillantes de sa
mère. Son esprit n'était pas dépourvu de saga-
cité, mais il manquait de justesse et d'étendue.
Plus instruit que ne le sont la plupart des sou-
verains, il l'était sur des objets étrangers à son
état, et s'occupait beaucoup de théologie. Dans
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XX.VI. 473
le choix de ses études et par l'étalage qu'il.faisait
de son savoir, il montrait une pédanterie ridi-
cule. Passionné pour la chasse et poiu* tous les
genres de spectacles, il avait «de la gaieté sans
noblesse, et ne savait pas être populaire avec
dignité. Sa timidité le faisait répugner à toutes
les entreprises difficiles ou d'un succès douteux.
Trop faible ou trop indolent pour gouverner
par lui-même, il avait cependant, sur l'origine
et la nature de l'autorité royale, les idées les
plus exagérées et tes plus contraires à l'esprit
du siècle. Embarrassé même de la mesure de
pouvoir que les lois lui assuraient, il s'imagi-
nait qu'un pouvoir illimité serait seul à l'unisson
de ses talents,, de sa «iignité et de ses devoirs.
Les Ecossais l'aimaient sans l'estimer et sans le
craindre; les Anglais, le comparant avec Eli-
sabeth, le jugeaient peu propre à soutenir la
gloire de la nation, et ne voyaient en lui qu'un
esprit étroit et une ame commune.
Son avènement au trône avait réuni deux
puissances long-temps rivales et ennemies na-
turelles l'une de l'autre. Dans la joie qu'avait
l'Ecosse de donner un roi à l'Angleterre, elle
oubliait qu'elle-même allait jouer un rôle se-
condaire, et de-son côté la réunion entière des
deux royaumes n'aurait peut-être pas rencontré
DiailizodbvGoOgle
474 PARTIE 1. P^HIOUE IV.
de difficultés insurmontables. Mais l'Angleterre
n'était pas encore assez éclairée sur ses vrais
intérêts, ponr exécuter un projet (ïicté par la
saine politique. D'ailleurs l'organisation de )'£-
glise en Ecosse et les principes reKgieuit des
Ecossais s'opposaient à l'union des deux peu-
ples. Les différentes sectes se prononçaient alors
arec phis de force. Quoique Jacques eût été
élevé dans les maximes rigides des presbyté-
riens, il protégeait la hiérarchie anglicane y par
goût encore plus que par devoir. Il croyait y
trouver un des plus fermes appuis du pouvoir
royal, tandis que la doctrine des presbytériens
lui paraissait le menacer. Cette derrière avait
fait de grands progrès en Angleterre, et même
elle y avait pris wi caractère alarmant pour
l'ordre et la liberté puliitique. Les porittfins
commençaient à devenir dangereux, et se plai-
gnaient hautement de Jacques. De leçr côté, les
catholiques, qui s'étaient flattés que le fils d'une
reine catholique replacerait leur religion sur
le trône ,■ s'irritaient de voir que Jacques eût
trompé leurs espérances. Dans leur fanatisme
aVeugle et cruel', persuadés que le but légitime
les moyens, exâtés sé<a-ètemeat par les jésuites,
agents du pape et de KEspagoe, ils formaient
deS' etwij«rat4oii9 toujotirs renaissantes contre le
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. ^-jH
gouvememeiit. La plus terrible de toutes avait
été la conjuration des poudres. On ne voulait
rien moins que faire périr le roi, la famille
royale, la cour et les deux cbambres assemblées.
Jamais peut-être le fanatisme ne s'était montré
pliis atroce, plu» réfléchi, plus inaccessible aux
remords. Mais une lettre obscure, écrite par
l'un des conjurés i un pair du royaume, qui
(tevait être épargné, et la sagacité de Jacques A
l'interpréter, sauvèrent l'Angleterre.
Malgré les complots homicides des catholi-
ques el les preuves multipliées de leurs intelli-
gences avec l'Espagne, Jacques avait non-seule-
ment fait la paix avec cette puissance, mais il n
paraissait encore vonlorr former avec elle des
relations plus intime;^. Soit politique, soit jalou-
sie, il n'inelinait pas pour la France. L'adresse
et l'éloqnence de Sully l'avaient gagné en appa-
rence anx grands projets de Henri IV, mais il
ne les aurait probablement jamais appuyés. La
Hollande, dont l'Angherre regardait la prospé-
rité et la puissance comme son ouvrage, nlnté-
ressait Jacques que faiblement. Infidèle au sys-
tème politique qu^Élisabeth avait suivi avec tant
de gloire, il voulait conserver la paix à tout
prix , fàt-ce aux dépens de ta considération el
de l'honneur national , parce qu'il ne savait pas
=dbï Google
476 PARTIE I, p:éRIOD£ IV.
faire la guerre, et qu'en général il étaîLpeu fait
pour paraître avec éclat dans des circonstances
critiques. Les Anglais, passiounés pour les en-
treprises hasardeuses , ennemis de l'Espagne par
religion encore plus que par politique , et qui
de tout temps otit préféré les dangers de la
gloire et l'activité de la puissance à la nullité
d'une existence précaire et obscure, murmu-
raient contre la pusillanimité de Jacques , et ne
déguisaient pas leur mépris poiu* sa personne.
Cependant on lui doit la justice de dire qu'il
employait les loisirs de la pais à des travaux
utiles. L'Irlande, toujours inquiète, agitée et
étrangère aux bienfaits de la civilisatiou, avait
vu naitre dans son sein une oi^nisation judi-
Claire qui garantissait la liberté civile des indi-
vidus de toutes les classes. Des lois écrites
avaient été substituées à des coutumes arbi-
traires et vagues. La navigation avait été encou-
ragée. Le gouvernement favorisait les nouveaux
établissements dans l'Amérique septentrionale
et les Antilles. Ces colonies produisaient de nou-
velles valeurs, et ouvraient im vaste marché
aux manufactures anglaises. Dans ce temps, les
entreprises de ce genre étaient ordinairement
formées par de simples particuliers actife et
hardis, qui ne demandaient au souverain que la
DiailizodbvGoOglf
CHAPITRE XXV i. l\']']
permission d'entreprendre; on abandonnait k
peu près à eux-mêmes ces établissements, qui
devaient être un jour le principe de la richesse
de l'Angleterre, et- ils n'wi prospéraient que
mieux. Elisabeth avait laissé subsister ou même
créé des monopoles de commerce; elle voulait
encourager le génie des spéculateurs par l'appât
d'un grand profit, A cette époque les monopoles
arrêtaient l'essor de l'activité, et entravaient l'in-
dustrie; Jacques tâcha de les abolir.
Pendant que ces travaux pacifiques et utiles
tendaient à lui réconcilier sa nation , ses favoris
le perdaient dans l'esprit du peuple. Il les choi-
sissait sans discernement , leur prodiguait les
honneurs , ignorant ou pardonnant les abus ré-
voltants qu'ils faisaient de leur pouvoir. Robert
Carr, qu'il avait créé comte de Sommerset, et v
qui le gouvernait en maître, n'avait dû sa fur-
tune qu'à une figure agréable et à des manières
séduisantes. Ses liaisons scandaleuses avec la
comtesse d'Esscx , l'empoisonnement de Tho-
mas Owerbury , qui avait été son guide , son
ami , et qui n'avait eu d'autre tort que de com-
battre sa coupable passion , son mariage amené
parle divorce d'Ëssex, avaient rendu Sommerset
odieux à toute la nation. Jacques lui-même avait
à la fin ouvert les yeux sur l'indigne conduite
DiailizodbvGoOgle
^•jS PARTIE 1. P«HIUUE IV.
de son favuri. Le peuple demandait sa mort .
mais le roi s'éCtiit contenté de l'éloigner de ta
cour. Le mépris public et le remtvds avaiml
fait justice de ce scélérat , et il était mort à
cbarge à lui-même et aux autres, odieux à son
>• odieuse épouse. George» VilUers , simple gentil-
homme, daus la fleur de l'â^e et de la beauté,
l'avait remplacé daoâ le cceur et dans la con-
fiance de Jacques ; et bientôt , au titre de duc
de Buckinghara. il avait réuai les plus- hautes
dignités et les pliices les plus importantes de
l'état. Buckinglyim avait plus d'esprit , plus d'io-
structiQH et, surtout, plus d'activité que Som-
ra,erset, A l'amour de l'or et du pouvoir il joi-
gnait des velléités de réputation qui l'arrachaient
momentanément aux plaisirs et à la mollesse.
D'ailleurs , passionné pour la représentation ,
magnifique, superbe, prodigue des revenus de
l'étal et des. sien^, confondant la hauteur avec
la fierté , l'éclat avec la gloire, il accablait son
maître du poids de ses prétentions, et portiait,
jusque, dans ses relations avec les femmes , d«s
bespit^s 4^ vanité incompatibles avec l'amour.
Ses dépenses insensées , épuisant, les ressoiirces
du trésor public, mettaient Jacques dans la né^
ce^sité. d'av<w^ recours aux parlements. Lespar^
lements , moinS' dociles que sous le r^ne de
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVI. 479
Henri VHl et de ses successeurs , profitaient de
la pénurie du xo\ pour attaquer sa prérogative
et augmenter leur pouvoir. Jacques et Buckin-
gbam opposaient la hauteur et la violence à un
langage qui était appuyé sut l'écrit du temps ,
et ils irritaient, par une résistance maladroite,
ceux qu'ils auraient pu gagner ou apaiser par
une marche ferme et sage. La conduite du gou-
vernement ne lui conciliait pas l'estime du peu-
ple. On venait de rendre aux Hollandais les
villes de la Brille, de Flessingue, de Raraeken^,
qu'ils avaient engagées à l'Angleterre , et qui
étaient pour elle d'une grande importance. Cette
politique était plus généreuse qu'habile , ou plu-
tôt elle était simplement l'efifet de la vénalité
du favori de Jacques. L'avidité de Buckingham
lui avait lait proposer cette mesUve au roi, qui
l'avait adoptée avec sa complaisance odinaire. Iji
mort de sir Walter Raleigh, qui périt sur l'é-
chafaud avec le mçme courage qn'il ava,it mon-
tré daas les combats , acheva de pei;d]'e le roi
et son ministre dans l'opinion publique. Raleigh
avait une de ces iinaginations vastes, fortes, ar-
dentes, qui aiment de préférence les projets
extraordinaires, enfantent des combinaisons ro-
manesques, et prennent Ëicilement des désirs
pour des espérances. Des âmes de cette trempe
=dbï Google
48o PARTIE I. PÉRIODE IV.
sont toujours le foyer de passions violentes, et
vivent dans une agitation continaelle. Raleigh
était ambitieux , mais de cette ambition indiffé-
rente aux places et aux titres, qui ne veut que
les jouissances de l'activité , le travail et la gloire.
Les hommes de ce caractère sont quelquefois
de grands hommes , mais souvent aussi des
hommes dangereux. Ils se jouent de la vie des
autres comme de la leur. Les conspirations, les
découvertes lointaines, les révolutions politi-
ques, la création ou la ruine des états, sont les
seuls objets à l'unisson de leur activité dévo-
rante. Raleigh, navigateur audacieux , marin ha-
bile, guerrier intrépide, s'était distingué sous le
règne d'Elisabeth , dans la guerre contre l'Es-
pagne, par des actions d'éclat Sous le règne de
Jacques, il avait été accusé de projets contraires
à la tranquillité publique. Faute de preuves, on
n'avait pu le condamner; mais, les présomp-
tions ayant été trop fortes pour l'absoudre, il
avait été privé de la liberté. Dans sa prison , le
loisir et l'ennui lui avaient fait entreprendre des
travaux littéraires. Son esprit impatient du re-
pos , avait formé le projet d'écrire une histoire
universelle. Ces occupations paisibles ne suffi-
saient pas à. son ame de feu. Aân de sortir de
captivité , il conçut le projet de créer des éta-
=dbï Google
CHAPITRE XXVI. 481
blissements nouveaux sur les côtes de la Guyane.
Le plan fut agréé par le gouvernement , et Ra-
teigh , qu'on désirait élai^r et éloigner de l'An-
gleterre, avait été chargé de l'exéciiter. Ayant
mal réussi dans cette entreprise , il avait attaqué
les possessions de l'Espagne. Cette violation du
droit des gens était un délit grave, et devait
perdre Raleigh , dans un temps où l'Angleterre
caressait TEspagne, et où Bucliingham, au mé-
pris de la politique, voulait faire épouser une
infante au prince de Galles. On fit^ le procès à
l'audacieux Raleigh, qui paya de sa tête sa té-
mérité ; sa mort fut pleurée par l'Angleterre, que
la religion et la politique animaient contre l'Es-
pagne , et qui n'avait vu dans le supplice de cet
homme extraordinaire , qu'une nouvelle preuve
de la haine du gouvernement contre lui , et de
la basse complaisance du ministère pour le ca-
binet de Madrid.
Ainsi l'Angleterre, sans perdre de sa puis-
sance réelle , avait perdu de sa puissance d'opi-
nion , en suivant un faux système politique et
' en s'attachant à son ennemie naturelle. Elle
était plus riche qu'elle ne l'avait été sous Elisa-
beth ; mais sa marche timide et incertaine tra-
hissait un défaut de confiance , et rendait ses
2 3i
=dbiGôoglc
48a PARTIE 1. P^HIOUK IV.
ressources inutiles. La hardiesse des principes
et le mécontenteoaent général y préparaient des
événemefits qui devaient lui ^r, pendant un
long espace de temps , toute influence exté-
DiailizodbvGoOgle
CHAPITRE XXVII. /|83
CHAPITRE XXVn.
Cimtinu^tioii du même anjct. ËUt du Nord jusqu'au com-
mencement de la guerre de trente ans. La Suède. Le
Danemarck. La Pologne. La Prusse. La Russie. L'Alle-
magne.
JjE Nord était encore séparé du reste de l'Eu-
rope; étranger à la politique du Midi et aux
intérêts qui l'agitaient , il n'avait pas participé à
son développement et Jt sa culture. Aucune des
puissances qui te composent n'était assez grande
pour inspirer de la jalousie , m assez éclairée
pour en ressentir; aucune ne pensait à des pro-
jets d'agres&ipn qui auraient obligé les autres à
préparer leurs moyens de défense. M'aysnt pas
éprouvé de (^ngements dans leurs forces al>fio-
lues, leurs forces relatives étaient restées les
mêmes. Elles ne se contre-ba)fuiçaient pa$ l'une
l'autre; elles se trouvaieift toutes à peu près
danç la même impuissance ; mjiis déjà ^e pré-
paraient les événeoiepts qui devaient Jiss jj^^-e
soi^tr de leup t)bsairité; un seul hiomme re-
celait dans soQ génie les moyens de puissaoce
3i.
DiailizodbvGoOgle
^84 PARTIE 1. PERIODE IV,
qui devaient changer le système politique de
l'Europe.
La Suède avait perdu, depuis long-temps le
créateur de son indépendance et de ses lois.
i56o. Gustave Wasa était descendu dans le tombeau ,
avec des souvenirs glorieux , mais avec des crain-
tes légitimes sur l'avenir de son royaume. Il
avait laissé trois 61s, Eric, Jean et Charles. Eric, .
d'un caractère ardent et sombre , d'un tempéra-
ment fougueux, était emporté dans ses désirs,
imprudent dans sa conduite. Jean , faible et am-
bitieux, dissimulé et faux, était également in-
capable de s'élever au pouvoir par des moyens
généreux, et de l'employer avec modération.
Charles, le cadet, joignait à une tête active et
forte, une volonté plus forte encore; avide de
pouvoir , il avait assez de génie pour faire un
bel usage de l'autorité ; inflexible et souple tour
à tour, tantôt il préférait les partis prononcés
aux mesures adroites ; tantôt il savait employer
à propos et avec succès la ruse et l'artifice.
i56o Eric XIV n'avait régné que huit ans, et il avait
i567. signalé son règne par des inconséquences mul-
tipliées et des violences révoltantes. Assez heu-
reux pour ajouter l'Esthonie à la Suède , il n'a-
vait dû cette conquête qu'aux troubles de 1»
Ltvonie. Après avoir brigué la main d'Elisabeth,
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVIi. ^OO ,
il s'était marié avec la 611e d'un caporal , Dom-
inée Caliberiiie Moncik. Jean, son frère, avait
épousé une princesse catholique , la fille de Si-
gismond-Ali^uste, le dernier des Jagellons. Éric
le soupçonna ( et ses soupçons n'étaient . pas
destitués de fondement ), d'avoir concerté sa
ruine avec les Polonais, et de conspirer contre
lui. Jeaniut arrêté, jugé et condamné. à mort;
sou frère lui fit grâce de la vie; ce fut-ce .qui
perdit le malheureux Éric. Son humeur! som-
bre, défiante et cruelle tenait à uu vice de con-
stitutipn qu'il avait apporté en naissant; cette
maladie fit, à .la suite, de cette conspiration,
des progrès rapides et alarmants , et cet infor-
tuné prince tonpba dans une véritable démence.
Aliéné et même fiirieux,, il n'épargnait personne.
Jean et Chipies, sesfirères, soutenus .par la pre-
mière noblesse du. royaume, se saisiredt de lui^ -
et renfermèrent dans le château de Gripsholm,
où, après avoir promené pendant.. plusieurs an-
nées sa mélancolique, ex^êfice', il tnourut em-
poisoooé. Jean fut proclama roi. Pendant .un iSgg.
règne de vingt-quatre ans, il ne sul:- gagner ni
* l'amour de ses sujets , ni la confiance et la con-
sidération de ses Toisins.' Soa'attachement, se-
cret pour la religion catholique, et son pen-
chant à se mettre au-dessus des lois, donnèrent
DiailizodbvGoOgle
486 PARTIE ï- PÉHlODi IV.
des Eipprében&iotis tégitintes aux Suédois ; éga-
lem^t attachés k leurs lois et k leui- cuUe; mais
son ttiractère incettain et timide le relitlit peu
dangereux. Sigismond, son fils', av&tt été élu
i587. roi de Pologne. Eri acquérant ufie Couronne
élective, il perdit un trône héréditaire. A la
159a. mort de son père, il montra aux Suédois du
mépris pour les lois du royaume , un zèle mal-
adroit et imprudent pour la religion catholique,
et le dessein de résider en Pologne et de trai-
ter la âuèd« en proviaoe.
Charles, son oncle , qui savait œ qu'on pou-
vait attendre et espérer àa caractère tiationat,
dans dds ciroonstarnses patelHèB, et quifmlnait
depuis Idng^erAps des plans ambitieux^ obser-
vait les fautes de son neypu , les envenimait avec
art,- eteta prtAlàit habilèmetit. Deux partis di-
visaient la Suède : l'uni' coAiposé âe» grandes
famtllos, avait vu avec plaisir que le souverain
résidât en l*oiogne; il espérait rëgnier en son
absence^ et établir l'Mïstocïètie Sur les mines
de TâutorUé monardiiqtle': l'autl^, foigpé de
la maese <hi peuple, jalôUï de sa Constitution
politique et religteasë, redbtlttlit les atteintes
dont Sigi^mond le nienaçaît. Son oi^ueil Sup-
portait irtifïatiemment- l'idée de se vrar préférer
une autre nation, et it craignait le retour des
j^vGooglf
CHAPITRE KXVII. 4^7
temps d'nvUisMiAèiît et d'anarehte , triistes fruits
de l'ahion de Galmar. Charies s'était ultaiché à
ce parti, dont tes intentîoDfr étaient droites,
mais qui était tndins éclairé que fautrê, et plus
fait pour se laisser entraîner pcrr ses passions
qoe pour eskuler s«s démarehes-; on pouvait
échauffer txfs es|rrits, et les mener avee plus de
facilité. Ce fut à leur instigation , ou plutôt <l(tns
Tespérmoc &t tes calmer, que Sigismond nomma
Charles admiaittrateur du royaume pendant soii
absence, et hasarda de remettre son pouvoir
entre les m»iis de son plus et-uel ennemi. L'ha-
bile Charlra suivit une marche lente et sage, et
ne perdaht jamais de vue son but, il s'en appro-
cha insensiblement. A la fin, Sigismond, éclairé
sur l'étendue du danger qui le menaçait, réso-
lut d'employer la force pour régner sans con-
trôle, et d« se défaire d'an tuteur incommode.
Batto k Staftgeb#(), il fut obligé de se sovimettre, t5<)9.
à la diète dâ LinLoepiag, aux conditions les
plus dures. Quatre sénateurts qui avaient épousé
sa cause avec Kop de chaleur, furent euvoyéD k
l'échafaud psr l'ambitieux Charles, qui, depuis
cette époque, régna sans porter le titre de roi.
Sigisfflond courut cacher en Pt^ogue sa honte et
son impulsante fureur. iVois ans s'écoulèrent
avant que Charles osât s'asseoir sur te trône et
DiailizodbvGoOgle
488 PARTIE I. PÉHIOOE IV. ,
prendre le sceptre., Il voulait avoir te tonps de
gagner la noblesse jalouse de son pouvoir, ou
l,ui donuer l'habitude de l'obéissance , et la pré-
parer à son élévation. A la fin, .il fit le pas dé-
cisif; la diète de Norkoeping fixa la couronne
dans sa maison ; et après douze ans de travaux,
de dangers et de persévérance, il se vit au terme
de 3es vœux.
lia guerre était inévitable. Les Polonais sou-
i6o5. tenaient Sigismond, et battirent, les Suédois à
Kirkholm, en Livonie; mais la noblesse de Po-
logne connaissait trop ses.intéréts, et aimait trop
la liberté, pour désirer que Sigismond triom-
phât de son rival, et rétablit sa' puissance en
Suède. Ils voulaient sauver leur honneur en
donnapt des secours à laur roi, et 'en même
temps assuKer leur indépendance ; i]5 négligerait
leurs avantages, et firent la guerre moHement.
, Bientôt après, les affaires politiques dn Nord
se, compliquèrent, et la Suède eut à combattre
les Russes , qui rejetaient le prince qu'elle -
youlftit placer sur le trône des tzyrST.et les Da-
nois, dont le .souverain haïssait personnellement
Charles IX, et craignait l'ascendant de la Suède
iSii. dans le Mord. Charles, en mourant, laissa ces
trois guerres à son fils; m^is ce^fils était un
grand homme, et ces guerres furent pour lui
DiailizodbvGoOglc
CUAPITUE XX Vil. 4^9
l'école de la yaleur, de l'héroïsme el de la po-
litique. Gustave-Adolphe n'avait que dix-huit
aas quand il succéda à son père; mais c'était
un de ces génies rares qui ne connaissent point
d'enfance, étouneat par leur maturité précoce,
portent en même temps des fleurs et des fruits,
et devinent tout ce qu'ils ignorent. Ses qualités
brillantes et ses défauts même étaient à l'unisson
des besoins de sa nation , qui aimait l'enthou-
siasme et la gloire comme d'autres peuples
aiment le repos. Nous verrons Gustave-Adolphe
paraître sur un plus g^and théâtre, tirer ses
braves Suédois de leiu- obscurité, placer, par la
force de son talent, la Suède au premier rang
des puissances, et la servir selon son goût, en.
l'illustrant, sans l'ennchir.
, Le Danemarck se reposait de ses agitations ,
et réparait, sous l'administration paternelle de
Chrétien IV, les maux que lui avaient causés la
religion et la politique. Peu de princes ont eu
à un degré aussi éminent le goût des choses
utiles. Il était plus fait pour les travaux paisi-
bles du gouvernement que pour les entreprises
hasardeuses et. brillantes. Cependant il avait ob-
tenu des succès dans la guerre, £aite aux Suédois
par politique encore plus que par passion; la
conquête de Calmar avait été le fruit de son k
=dbï Google
49*1 ' PARTIE I. PÉHIODË IV.
habileté; il avait conclu avec Gustave-Adolphe,
à Storod, uRe paix avantageuse ati DaDenrarck,
Cette puissance possédait encore la Scaiiie, la
Blekingie et lè fief de Babiis.
Sigismond Ht occupait le trône de Pologne;
il le devait aux talents et au zèle du grand-
chancelier Zamoïski. Ce trône, en devenant
électif, avait perdu de son éclat et de sa stabi-
lité; la haute noblesse de la république se
croyait libre, parce qu'elle était libre de se ren-
dre, de fouler le peuple et de résister au prince;
l'autorité du roi n'était pas assez forte pour as-
surer le règne des lois, et plus son pouvoir
légal était faible et restreint, plus il était tenté
de l'accroître par des mesures illégales. De là,
des plaintes continuelles de la nation, et de
justes récriminations de la part du pHnce. Les
nobles reprochaient à Sigismond ses infractions
nombreuse» au «>ntrat stJennel et sacré qu'il
avait fait avec la république en [H^naiit le
sceptre. Sigismond avait été repoussé par les
Suédois. La perte de la couronne de Suède
donnait aux mécontents plus de hardiesse, et à
leurs reproches plus d'amertume. A la mort de
Zamoïski, une confédà^tiou générale s'était
formée contre Sigismond. Après deux ans de
troubles , où pour éviter le despotisme on orga-
=dbvGooglc
CHAPITRE XX.TI1. 49'
uisait l'anarchie, le roi avait été obligé de sous-
crire aux dures conditions qUe lai avaient im-
posées les grands , et de promettre plus de mo-
dération. Mais pour c>C(!Uperati dehors l'activité
inquiète des l^lOttais, dVidés de mouvenient et
de gloire , il fomeutait les troubles que l'ettinc-
tion de la laaison régnante avait amenés en
Russie, et ce fut de la Pologne que sortirent
les aventuriers qui, sous de faux noms, agi-
tèrent la Moscovie, et la remplirent de- leurs
crimes.
La Russie s'était long*tefnps débattue au mi-
lieu des horribles convulsions de la guerre ci-
vile et de là guerre extérieure. Depuis la mort
de Boris Goudounow, qui était devenu maître iCo5.
de l'empiré eu de débarrassant par le poison du
tzar Fédor, dont il avait épousé la sœur, et -du
jeune Démétriuâ , son Érère , par un assassinat ,
la Russie était déchirée pàf les étrangers et par
ses propres erifants ; et datib la lutte sanglante
dont elle Kit le théâtre et l'objet, elle paraissait
destinée à devenir le partage èfle prix du plus
seélérat des concurrents. Soit que le prince Ré-
métriua eût échappé à ses meurtriers , soit que
des ressemblances imparfaites égarassent le peu-
ple ignorant et fanatique, le trône des tzars fut
successivement occupé par des hommes auda-
DiailizodbvGoOgle
49^ PABTIE I. PÉRIODE IV.
deux qui, sous le nom de Démétrius, mssouvî-
reat leurs pasùons aux dépeos des malheureux
Moscovites. Chez une nation où il n'y avait point
de lois politiques fixes et respectées, où les ha-
bitudes aveugles qui en tenaient lieu étaient
rompues par les événements, où l'opinion pu-
blique était muette ou nulle , où le peuple ne
connaissait qu'une obéissance passive, et les
grands n'avaient d'autre activité que celle des
passions, les révolutions devaient être fréquentes
et cruelles. Chaque nouvel usurpateur s'était lé-
gitimé en versant le sang de 8e$ sujets; la force
l'avait élevé ; l'abus de la force le faisait redouter,
jusqu'à ce qu'une force supérieure à la sienne,
et QOa moins oppressive, l'étendU aux pieds de
ce trône souillé de meurtres. Lasse de tant d'hor-
reurs, une partie de la nation avait offert la
couronne aux princes voisins, qui refusèrent le
dangereux honneur de lui donner des lois , ou
firent un triste et court essai du pouvoir, et fu-
rent chassés par le parti véritablement patriote,
qui ne voulait pas obéir à un étranger. Après
quinze ans de troubles et de malheurs, ce parti
triompha; le bon génie de cet empire, réservé
pour de grandes choses, fit tomber le choix de
i6i3. ta nation sur Michel-Fédorowitz Romanoff, allié
à la dynastie qui venait de s'éteindre. Ce prince ,
DiailizodbvGoOglc
CHAPITRE XXVII. ^g'i
d'un esprit sage et d'un caractère hinnaîn , tâ-
cha de fermer les plaies de l'état; et, par son
mariage avec la vertueuse Eudoxie, il prépara
)a gloire d'un empire qui devait se former plus
tant que les autres , profiter de leurs travaux ,
et , eu sortant de son obscurité , partager le
monde entre l'étonnement, l'admiration et l'ef-
froi.
Au commencement de ce siècle , on se doutait
aussi peu de ses destinées futures, que de celles
de la Prusse. Ce duché avait passé à là branche
de la maison de HohenzoUem , qui occupait le
trône électoral de Brandebourg. Déjà , sous le
règne de l'électeur Joachimll, il avait été dé- 1668.
ridé, par les négociations habiles du chancelier
Distetmaier, que la Prusse orientale retomberait
à la maison électorale, à l'extinction des des-^
cendants niâtes d'Albert de Brandebourg , qui
avait enlevé cette province à l'Ordre Teutonique. i6a5.
L'électeur Jean-Sigismond s'était encore assuré
cette importante succession par son mariage avec
Anne , fille d'Albert-Frédéric , duc de Prusse.
Ce prince,' faible d'esprit, végétait depuis long-
temps dans un état d'imbécillité qui le mettait
hors d'état de se gouverner lui-même, bien plus
encore rie gouverner ses états; son gendre avait
été chargé de la r^ence. A sa mort , Sigismond
DiailizodbvGoOgle
494 PARTIE. I. PERIOUB IV.
avait pris possession de la Prasse , avec L'agré-
ment de la répuhlique de Pologne, qui lui en
i6ift. avait accordé l'investiture, tt était mort peu de
temps après avcàr fait cette acquisition , si déà-
sive pour la grandeur de sa mûscHi; Geoi^e-
Guillaurae , S(m fils , lui avait succédé. Ce princ« ,
capable de [Hrévoir l«a d^ingers, mais non de tes
prévenir ou de les surmonter , parvenait au
tràne dans des circonatances critiques, où la
force terrible des choses et des ^vénemepts ne
pouvait être maîtrisée que par des aines foptes,
et il- avait une aoje iaUïle. Se défiant de lui-
même , et ne se défiant pas dcâ conseillers pcr-
. fides qui l'environnaient, prenant l'tQaction pour
le repos et la tiraidité pour la prudence , son
caractère devait faire son malheur et celui de ses
sujets. Jusqu'à soa règpe , le Brandeboui^ avait
pris des accrtùssements lents et sûrs; à cette
époque , tout devait être détruit pour reti^tte
sous des formes brillantes , et la fortune de
l'état devait rétrograder pour prendre un vol
aussi rapide que soutenu. Aucun état n'a eu de
plus grandes pbligations aux qualités person-
nelles de ses souverains, ^ui ont été prç^que
tou« des hoiniQe& sages et énergiques, et dont
qufilqueHiiis ont éjté d^s ho.mnies prodigieui.
On peut dire à la lettre quç la fortune de la
DiailizodbvGoOglc
CHAPiTRK XXVII. 49>^
Pru&se a été la foitune de la maison régnante;
elle a dû beaucoup aux rirconstanoes , lïiais
elle a toujours eu l'art de les attendre, ou 4?
Ie9 laire n»Stre , et le talent d'en profiter. Cette
dyna&tie des HohenvollerD , qui de Souabe â
pa$sé en FranconJe, pour prendre de là son es^r
vers le trône , oSre une empreinte de vigueur
d'esprit et de force de yqlipQté qui la distinguent
de toiites les 9ntre$ maisoqs souveraines. Depuis
Fréd,éric I" qui, en acquérant la Marche, ay»it
fait prenve d'ordre, d'économie et de sagesse,
jusqu'à Geoi^e - GuiUapipe, ih ont toys pré-
senté, à un degré inégal, ces trait? caractéris-
tiques.
A cette époque tout 9nqpnç;)|t noo-setilement
à la Prusse , mais à l'AUepiagne entière , les plus
grands malheurs. Celte belle contrée de l'Eu-
rope, fertile, riche, habitée par un peuple mâle,
patient et actif, souffrait des vices de sa consti-
tution, et.d'une fermentation religieuse qui de-
vait, tôt ou tard, amener les plus terribles ca-
tastrophes. Les princes qui avaient acquis la
sopveraineté n^ yoyj^i^nt dans l'emperepr qu'un
chef titulaire , qu'ils observaient d'un œil jaloux ,
dont ils redoutaient la grandeur, et auquel ils
ne savaient pas obéir. Ils choisissaient les chefs
de l'empirp dans la branche allemande de ta
DiailizodbvGoOgle
49** PARTIE I. — PÉRIODE IV,
maison d'Autriche, parce qu'ils craignaient les
Turcs , et que la Hongrie était regardée comme
le iwulevard de l'Allemagne. Depuis Charles-
Quint, qui avait vu échouer ses projets ambi-
tieux contre le génie et l'activité de Maurice,
les empereurs qui avaient occupé le trône im-
périal n'avaient rien entrepris contre la liberté
de l'Allemagne; les uns par une sage politique,
d'autres par indolence, d'autres encore par im-
j555. puissance. L'Allemagne avait dû à Ferdinand I
la paix de religion, et, Sdèle à ses maximes pa-
cifiques, il avait su calmer les esprits échauffés,
contenir tous les partis ; et faire croire à son
impartialité. Tempérant sa tolérance par une
juste sévérité contre les perturbateurs de l'ordre
public, il avait eu le bonheur d'entretenir ta
tranquillité générale. Par un bonheur plus grand
encore , il avait laissé le trône à un fils digne
de lui qui hérita de ses principes et le surpassa
1S64. en vertus. Maxîmilien II n'avait aucuiie de ces
qualités brillantes qui dans les souverains font
souvent la gloire et le malheur des peuples;
mais il voulait sincèrement le bien. Son ame
douce et humaine ne connaissait d'autre passion
que celle de ses devoirs. Éclairé et sensible,
il aurait désiré de faire servir ses lumières
au rapprochement des catholiques et des pro-
j^vGooglc
CHAPITRK XXTII. ^97
testants, et k l'iextinction de tont esprit de secte.
Son siècle n'était pas asse^ sage pour le com-
preodre ni pour le snivre; pour sentir le prix
de la modération , il fallait encore aux esprits les
cruelles leçons de l'expérience. Maximilien fut
du-moins assez habite pour reculer l'époque où
les animosités religieuses devaient enfanter les
guerres civiles^ partout il recommandait la fer-
meté et la justice comme les seuls appuis solides
de l'autorité , et Philippe II n'aurait pas perda
une partie des Pays-Bas, s'il avait suivi ses ocHi'
seils. Rodolphe II, fils de Maiùmilien, lui avait 1576.
succédé; son esprit vif et pénétrant, ses con-
naissances variées et sc^ides avaient donné des
espérances aux peuples. Mais à peine était-il
monté sur le tr^e , qu'il se plongea dans l'inac-
tion et dans ta mollesse; livré aux femmes qui
le gouvernaient et aux ministres qui abusaient
de son autorité, il avait préparé les malheurs
de l'Alleniagne. Au lieu de s'enrichir en met-
tant de l'ordre et de l'économie dans ses finances,
il s'occupait sérieusement à faire de l'or, et
cherctiait à connaître l'avenir par les rêves de
l'astrologie judiciaire , tandis qu'il n'apercevait
pas même les symptômes alarmants que pré-
sentait l'état de l'Europe. Pendant un règne de
trente^six ans, il n'avait rien fait pour le bon-
1 32
:,, Google
498 PAH.TIE I. PiBIODE IV.
heur de l'Atlemagne. Spectateur indifféreDt ^t
inactif des démêlés continuels des catholiques
et -des protestants, qui s'accusaient réciproque-
ment d'usurpation et de violation .des. traités,
il ne savait ni les contenir ni les calnier. Les
Turcs ravageaient. ses provinces héréditaires, et
ne rencontraient que peu o\i point-de résistance.
- Ij«s princes de l'empire ne consultaient que leurs
convenances, ou plutôt la mesure de .leurs.for-
ces.,«t l'on s'accoutHmait au désordre, à l'anar-
chie , à nne .guerre sourde et continuelle. Ro-
dolphe a!avait jamais. été marié. Il avait voulu
i6io. exclure de la suocessioo son firère Matfaias; mais
ce pcioce , plus actif, et plus entrepreaant que
lui, l'avait prévenu et l'avait même £orcé à lui
céder la Bohème de son. vivant, le faible Ro-
1612. dol|^ avait consenti à tout. Il; était mort, ne
pouvant pas s'estimer soi-même, et générale-
jntient méprisé.
'Mathias avait été-élu empereur; mais comme
son âge et ses infirmités ne lui promettaient pas
une longue vie^ le choix éventuel de son suc-
cesseur occupût tous les esprits, et .fixait les
craintes et les espérances. Mathias, ain^ que ses
frères, Albert et Maximilieu, n'avait point d'en-
fants. Les lois de la succession appelaient au
-trône l'archiduc Ferdinand , de ta branche de
=dbvGooglc
CHAPITRE xyvir, 499
Stirie, cousin germain de Mathias et petit-fils
de l'empereur Ferdinand I". Le roi d'Espagne,
Philippe m , qui connaissait le caractère de ce
prince , et qui comptait sur lui pour l'exécution
de ses projets d'ambition , ne s'opposa pas à la
grande fortune qui Tattendait. Ferdinand avait
déjà été' couronné roi de Hongrie et de Bohê-
me, et il était facile de prévoir qu'il obtiendrait
aussi l'empire. Ses principes, ses passions et ses
moyens le rendaient également redoutable. Élevé
par lés jésuites dans les maximes' de l'intolé-
rance, avide de pouvoir, et assez habile pour
faire servir les mêmes moyens à conquérir la '
terre, et à gagner le ciel, doué d'un esprit ré-
fléchi , propre aux combinaisons de la politique
et capable d'un grand travail, Ferdinand réunis-
sait tout ce qu'il fallait pour donner à ceux qui
rapprochaient de ses talents et de ses disposi-
tions l'état de l'Allemagne , des craintes bien lé-
gitimés.
Nous avons déjà observé que la paix de re- i555.
ligion avait été l'ouvrage des circonstances, bien
plus que d'une saûie politique , et que , loin
de satisfaire les parties intéressées, elle leur
fournissait des armes à l'une contre l'autre. On
n'avait point placé de protestants dans la Cham-
bre impériale de Spire. Elle était toute com-
32.
:,, Google '
5oO PARTIE r. — PÉRIODE IV.
poaée de catholiques, et dans un temps où les
intérêts religieux effeçaient toutes les idées de
justice, les protestants ne pouvaient pas croire
à t'impartialité de ce tribunal. Il était impossible
qu'il leur inspirât de la confiance, et ils devaient
souvent être tentés d'eu appeler de ses arrêts à
la force. Les protestants s'étaient engagés, s'ils
disaient encore des conquêtes dans l'opinion , k
ne plus en faire sur les biens des catholiques.
La réservation ecclésiastique était la barrière
qu'on avait opposée à leurs projets d'agrandis-
sement Mais ils étaient trop puissants pour ne
pas désirer de le devenir davantage , et les car
tboliques avaient trop perdu pour ne pas crain-
dre de nouvelles [tertes, et pour ne pas sou-
baitor de recouvrer une partie de ce qu'on leur
avait enlevé. Suivant que l'un des deux partis
était le plus fort ou' le plus laible , on violait , on
éludait les traités. De là les plaintes, les récri-
minations , les vengeances , tes animosîtés , les
haines, qui devenaient de jour en jour et plus
actives et plus prononcées. L'empereur gardait
le silence, ou parlait plutôt en parue intéressée
qu'en juge. On s'irritait de sa partialité, ou l'fMi
se moquait de sa faiblesse.
Cependant on paraissait toujours craindre de
voir renaître les projets de Charles-Quint. Il est
DiailizodbvGoOglc
CUAPITRE XXVII. 5oi
certain qtie ces plans long-temps ajournés sem-
blaient rept>entlre de la faveur à la cour de Ma-
drid et k celle de Vienne. Les deux branches
de la maison d'Autriche s'étaient rapprochées
depuis le règne de Philippe III, et surtout de-
puis l'avéùeroent de Mathias au trône impérial.
Bien que l'Espagne eût beaucoup perdu de sa
puissance , et que le pouvoir de la maison d'Au>
triche en Bohême et en Hongrie fût fort contesté,
la réunion de leurs forces pourait amener de
nouveaux dangers pour l'Allemagne. Henri TV
avait donné t'éreil aux protestants, et leur avait
persuadé que leur existence serait toujours pré-
caire , tant que l'Autriche ne serait pas écrasée.
Ces idées avaient germé dans des têtes faites
[KHir les recevoir. L'union évangélique, conclue
à Halle en Souabe, avait été amenée par les 1610.
craintes que la France avait adroitement suggé>
rées. Les catholiques qui sentaient que l'intérêt
de la maison d'Autriche était défaire cause com-
mune avec eux , s'étaient rappi-ochés d'elle , et
voyant que c'étaient eux que l'union évangé-
lique menaçait , ils lui uvaient opposé une ligue,
qui s'était formée à Wurtzbourg, la même année
que l'union.
Ainsi les deux partis étaient déjà en présence
l'un de l'autre , dix ans avant qa,e ta guerre
=dbvGooglc
302 l'AHTIE I. — PERIODE IV.
i6u6. éclatât. Les troubles religieux de Dônawerth, à
la suite . desquels «ette ville avait perdu sa li-
berté, avaient donné aux protestants de justes
sujets de crainte. La succession de Clèves et de
Jutiers qui était encore en litige , quoique l'élec-
teur de Brandebourg, Jean Sigismond , et le pa-
latin de Neubourg se fussent emparés d'une
1611. partie de ces provinces, était un objet de la
plus haute importance. Il ne s'agissait de rien
moins que de savoir si elles accroîtraient la puis-
sance du parti protestant ou du parti catholique;
et déjà le sort des armes paraissait devoir en
décider. Les progrès de l'Allemagiie dans, la
route de la civilisation allaient être.interrompus.
Ces progrès avaient été soutenus; elle avait pro-
fité de près de soixante ans de paix pour s'en-
richir par le travail et par l'industrie , et n'avait
pris qu'une part- indirecte aux guerres des pays
voisins; ses belliqueux habitants, qui aiment la
gloire, et le butin, s'étaient enrôlés, en France
et dans les Pays-Bas, sous les drapeaux de tous
les partis , et avaient versé leur sang dans . des
caiises qui leur étaient étrangères. La noblesse
. surtout ne connaissait encore d'autres occupa-
tions que celle des armes. Le commerce de l'Al-
lemagne avait diminué depuis que Venise avait
perdu une partie du^sien, et que .l'Angleterre,
aiiizodbvGoogli:
CHAlTTftE XXVlf. 5o3
la Suède, te Danemarck faisaient elles-raémes
leurs affaires , e^ ne les abandonnaient plus à la
Hanse. Les arts mécaniques prospéraient dans
tcHites les contrées de l'empire; on recherchait
tes artisans allemands, et on leur attribuait gé-
néralement plus d'activité, de patience et d'exac--
titude qu'aux autres. Les ressources des princes
étaient peu considérables; partout les états du
pays partageaient l'autorité avec eux , et c'était
sur l'article de l'impôt qu'ils se montraient te
plus difficiles. Les souverains les plus puissants
étaient l'électeur palatla, le duc de Bavière et
l'électeur de Saxe.
Frédéric V; électeur palatin, aurait mérité
d'être à la tête de l'union évangétique par sa
puissance et par les sûretés que présentaient
ses principes et son caractère; mais sa qualité
de réformé aliénait de lui tous les luthériens qui
formaient la grande majorité du corps des pro-
testants; d'ailleurs, il manquait du génie et de
la fermeté nécessaires à un chef de parti. Doux,
humain , bienfaisant , il eût été un souverain es-
timable dans des circonstances ordinaires ; œ»s
ses qualités n'étaient pas à l'unisson des cir»
constances difficiles où il devait se t»ouver. II
avait épousé Elisabeth , fille de Jacques I , roi
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5o4 PAHTIB I. PERIODE IV.
d'Angleterre; cette, union devait faire, son mal-
heur et la fortune de ses descendants.
HaKimilien de Bavière, qui était destiné k le
combattre, à le vaincre et à s'eniichir de ses
dépouilles , lui était bien supérieur en talents ,
en énergie, en activité. Ambitieux et réfléchi,
son esprit calculateur connaissait à fond les in-
térêts , les besoins et les ressources de tous les
princes de l'Allemagne. Il vit ce que les circon-
stances lui permettaient d'espérer et d'mtre-
prendre, et il ne ae trompa ni dans ses espé-
rances ni dans ses projets. Mesuré dans les
acheminements à ses vues, et l^'ave dans le mo-
ment décisif, il ne donnait rïen à la violence,
peu au hasard, beaucoup i La {H>udence et à la
sagesse des combinaisons.
L'électeur de Saxe, /ean George I, étùt un
prince indécis et irrésolu, danâ un temps où
les demi-mesures devaient infailUblement perdre
celui qui les employait. Trop vain pour se con-
tenter d'un rôle isubordonné, il n'avait pas assez
de moyens pour jouer te premier rôle, et se
laissait gouverner par des minifit3<es vendus à
ses ennemis.
Tel était l'état de l'empire et do l'Europe à la
fin de la première époque des révolutions du
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chàpitsc zxvii. 5o5
système ' politique. If ous- avons vu la marche
progressive de ta puissance de l'Espagne, sa
prépondérance décidée , son despotisme , les ex-
cès qui la perdirent, et sa décadence. La France,
dans la seconde époque, nous présentera les
mêmes phases de croissance , et prendra la place
de sa rivale. Les puissances du midi ont jusqu'ici
paru seules sur la scène , et seules ont senti la
nécessité de l'équilibre et les avantages du sys-
tème des contre-forces. Ici commence un nouvel
ordre de choses. Le Danemarck et la Suède
vont prendre part au mouvement général. Le
Nord influera sur le Midi, le Midi sur le Nord;
les rapports changent, \e système se complique,
les dangers et les ressources se multiplient.
FIN DU TOME SECOND ET DE LA PUEMIÈIIK PARTIE.
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TABLE
DV TOME DEUSISHE.
RiFLExioNs sur l'impartialité historique Page i
TABLEAU
t>E$ MivoinTiOKS DU sTSTiuE POLITIQUE DE l'sckofe.
PREMIÈRE PARTIE.
i4ga — 161-8.
smTE DE LA SECONDE PÉRIODE. iSiS— iS56.
Chapitre XIII. Des causes et de l'occasioo de la Ré-
formatioa. Sa naissance, ses pn^rès,» mardie,
ses, effets 33
Châpithe XIV. Ligue de Smalkalde. Guerre de Charles-
Quint contre les protestaots. Ses conséquences. Mau-
rice de Sase sauve l'Allemagae. Paix de Passau.. . . 74
Chipitke XV. Changement dans le Nord. La Suède se
sépare du Danemarck. La réformatioa s'établit dans
ces deux royaumes m
CBipiTaEXVI. Fluctuations religieuses de l'Angleterre.
Elle se sépare de Rome. Mort de Heuii VIII; son
fils Edouard VI prépare les voies à la réformation.
Marie rétablit la religion catholique dans son inté-
:,, Google
5o8
TEOISIËHE PÉRIODE. i556~i59S.
CKiKTKE XVn. Abdicalioo de Charles-Quînt. Soa fils
Philippe lui succède. Caractère de ce priuce ,. . 178
Cbàpitke XVin. De la puissance de l'Espagne à cette
époque. Guerre contre la France. Paix de Citeau-
Cambresis 186
Châpitkk XIX. État de la France à l'époque de la
naissance des troubles civils. Considérations géné-
rales sur ces troubles. Caractères des principaux ac-
teurs ai&
CBAPiTaK XX. Commeacentent des guerres civiles.
Conspiration de La Renaudie. Mort de François 11.
Régence de Catlierine de Médicis. Première, se-
conde , troisième guerre de religion ï38
CHAPiTae XXI.. Henii de Navarre paraît à ta tète des
protestants. Fin de la troisième guerre. Paix simulée.
La cour veut l'extinction des rérormés. Massacre de
la Saint-Barthélémy. Mort de Charles IX a57
Cbipitkb XXII. État de la France à la mort de
Charles IX. Henri III monte sur le trâné. Carac-
tère de ioa adminbtration. Naissance de la Ligue
dirigée contre les Bourbons. États de Blois. Mort de
Guise. Assassinat de Henri III. Henri IV triomphe
de la Ligne et de l'Espagne. Paix de Tervins 269
Ch«?itbe XXill- État des Pays-Bas avant le règne de
PhiKppe II. Situation de ces provinces low de son
avénemoit au trdne. Ministère de Granvdle. Chao-
gements inconstitutionnels et imprudents. Origine des
troubles. Leurs progrès sous A.lbc , Requesenf et
don )uan. Guillaume sépare les provinces du Non)
:,; Google
TABtE. Sog
de celles du Midi. Union dtJtrecht. Formation de I9
république de Hollande. '. 3oa
Chapitre XXIV. Elisabeth monte «ur |e trAne. Son
caractère. Ses principes de gouvernement et d'admi-
nistration. Sa politique extérieure. Progrès de U
puissance et de la richesse nationale de l'Angleterre.
Mort tragique de Marie, reine d'Ecosse. La guerre
éclate entre l'Espagne et l'Angleterre. L'Angleterre
triomphe.Troublesd'Irlande. Faveur, disgrâce, mort
d'Esses. Mort d'Elisabeth et de Philippe II. Épui-
sement de l'Espagne. Sa décadence politique. . . .,. 351
■ QUATRIÈME PÉRIODE. iSgS — 161S.
CfliPiTKB XXV. État de la France lors de la paix de
Vervins. Caractère de Sully. Son ministère. Sa
marche pour rétablir l'tmlre dans les finances , et
pour augmenter le richesse uationale. Heureux efTets
de son administration. Vastes projets de Henri IV,
Mort de ce prince ^o^
. Chafitbb XXVI. Des États de l'Europe jusqu'au com-
mencement de la guerre de trente ans. La France.
L'Espagne. L'Italie. La république des Provinces-
Unies. L'Angleterre J 447
Cbapitbb XXVII. Continuatiou du même sujet. État
du Nord jusqu'au commencement de la guerre de
trente ans. La Suède. Le Danemarck. La Pologne.
La Prusse. La Russie. L'Allemagne 483
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