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Full text of "Testament de sa vie première, recueilli et expurgé par Fagus"

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Testament 

Ds  sa  Vie  prefr^îèVe 


CEUVRES      DE      JEUNESSE 
I 


Testament 


D$  sa  vie  prernîère 


RECUEILLI      ET      EXPURGE 


Par  FAGUS  Cp^eoT. 


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PARIS 
LIBRAIRIE   LEON   VANIER.    ÉDITEUR 

19,    QUAI    SAINT-MICHEL,     I9 


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sous 
L'INVOCATION 

DE  SON  GRAND  FRÈRE 
Arthur     RIMBAUD 

EXPLORATEUR    FRANÇAIS 
récemment  massacré 


L'auteur  de  cet  intéressant  florilège  est  mort  ; 
c'était  un  bon  garçon,  très  adolescent  d'âge  et  plus 
adolescent  de  caractère,  comme  vous  verrez  ;  des 
liaisons  funestes  l'amenèrent  à  se  consacrer  aux 
besognes  d"art,  et  une  logique  trop  juvénilement 
rigoureuse  l'obligea  de  conformer  sa  vie  à  l'Esthé- 
tique ;  de  sorte  qu'il  sombra  dans  le  pire  Anarchisme, 
comme  vous  verrez  aussi  (Barrés  n'avait  pas  décou- 
vert encore  l'antinomie  de  la  pensée  avec  l'action). 
Com'promis,  il  obtint  cependant  son  pardon  en 
échange  de  son  repentir  et  de  la  dénonciation  de 
quelques  camarades,  et  sous  la  stipulation  de  ne  se 
plus  commettre  avec  la  littérature,  inconciliable,  en 
effet,  avec  une  conversion  sincère  à  une  société  égali- 
taire  et  démocratique,  assise  sur  le  suffrage  universel. 
Il  se  fit,  en  conséquence,  incorporer  dans  un  journal 
patriote,  et,  aussitôt  la  condamnation  d'Emile  Zola, 
sans  forfanterie  comme  sans  faiblesse,  il  est  allé 
chaque  matin  dans  sa  boîte  aux  lettres  insérer  une 
lettre  d'injures  anonymes,  nous  proposant  ainsi  le 
consolant  exemple  : 

d'  «  Un  poète  mort  jeune  à  qui  l'homme  survit  ». 


Juin  I098. 


Sonnet  :  c'est  un  sonnet  ;  il  vaut  un  long  poème. 
Car  il  est  sans  défaut  ;  mais  de  plus,  observez, 
Comme  il  jongle  avec  les  commandements  gravés 
Es  évacuations  du  bétail  monotrème* 

Des  Sarceys  de  jadis!  et  l'aisance  suprême 
Du  verbe  évoluant  entre  tant  de  pavés 
Stercoraires  lâchés  par  ces  mal  élevés  : 
N'est-ce  pas  un  sonnet  tel  que  Boileau  les  aime? 

Et  tant  de  soins,  lecteur,  sont  pour  vous  :  oui,  méchant  ! 

Les  règles,  je  les  chéris  tant  qu'en  les  touchant 

J'ai  peur  que  tombent  en  poudre  ces  bonnes  vieilles; 

Donc  mon  intention  est  de  n'en  user  pas, 
Mais  tu  formulerais,  juge  aux  longues  oreilles, 
Que  c'est  par  impuissance  ;  et  je  prévois  ce  cas. 


*  Monotrème.  —  Préf.  :  mono,  un  seul:  grec  :  trcma,  trou.  — 
Zool.  :  animaux  n'ayant  qu'un  seul  orifice  pour  l'émission  de  la 
semence  et  l'évacuation  de  l'urine  et  des  excréments. 


DEVOIRS   D'ÉCOLIER 


TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


PRIÈRE  FERVENTE  AVANT  D'ENTRER 


Grand  Dieu  1  Mon  Dieu  1  sublime  Maître  I 
Si  tu  daignes  la  grâce  d'être 

Tel  que  t'ont  fait  —  ou  le  paraître  — 
Le  Fou,  le  Poète, le  Prêtre, 

Si  tu  t'occupe" un  peu  de  nous, 
Millions  de  milliards  de  poux 
Fourmillant,  les  glorieux  fous, 
Sur  les  milliards  de  grains  de  boue, 

Si  tu  suis  chacune  vermine 
A  la  fois  —  et  je  m'imagine 
Cette  omniprésence  divine 
Si  simple,  quand  on  examine  !  — 

Dieu  un  sous  l'intini  des  Dieux  ! 
Dieu  toujours  futur,  et  plus  vieux 
Que  l'Eternité  !  en  tous  lieux 
Manifeste,  invisible  aux  yeux  ! 

Mon  imperceptible  existence 
Égale  pour  Ta  Providence 
Tout  l'Univers  en  importance 
Ni  moins  ni  plus  —  et  le  balance  : 


TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 

Grand  Dieu,  sois  favorable  et  bon 
Envers  ton  enfant  vagabond  ; 
Aie  pitié  de  son  abandon 
Et  dispense-lui  ce  seul  don  : 

Non  les  richesses  de  la  Terre  : 
Pour  mon  grand  cœur  c'est  la  misère, 
Bonheur  ni  science  :  j'en  sais  faire, 
Mais,  Je  pouvoir  d'être  sincère! 

—  Mais  mon  destin  est  arrêté 
Depuis  toute  TÉternité  ; 
Toi  ni  moi  n'en  pouvons  ôter 
Rien,  comme  lui  rien  ajouter  : 

Si  même,  hypothèse  impossible. 
Absurde,  un  angle  imperceptible 
M'allait  écarter  de  la  cible 
Où  m'implante  Notre  inflexible 

Fatalité,  l'unique  Loi, 
Moi,  tout  l'Univers  avec  moi 
S'effondreraient,  et  même  Toi  ; 
Grand  Dieu,  finirions  à  la  fois! 


DEVOIRS    D  ECOLIER 


Le  Printemps  m'a  percé  le  cœur 
Et  je  me  meurs  avec  bonheur 
De  la  frissonnante  blessure  : 
Le  Printemps  m'a  percé  le  cœur 
Et  j'en  expire  de  bonheur  I 

Je  deviens  femme,  je  sens  bien, 
Je  rentre  au  grand  Tout  féminin. 
Nature,  l'infinie  femelle... 
Je  deviens  femme,  je  sens  bien, 
J'ai  faim  de  viols  gonfler  mon  sein... 

C'est  trop  de  fleurs,  c'est  trop  de  fleurs! 
Trop  d'exténuantes  odeurs... 
Ah  fadeurs!...  je  m'y  sens  dissoudre... 
C'est  trop  de  fleurs  !  c'est  trop  de  fleurs  ! 
Je  sens  s'y  dissoudre  mon  cœuri 

Mon  cœur  s'est  envolé  de  moi, 

Dispersé  dans  lair  et  les  bois... 

Mon  sang  coule  avec  l'eau  des  sources... 

Mon  cœur  s'est  envolé  de  moi, 

Je  ne  suis  plus  rien  qu'une  voix, 

Je  ne  suis  plus  rien  qu'un  parfum, 
L'un  des  mille  parfums  si  fins 
Haleine  immense  de  la  terre... 


6  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 

Je  ne  suis  plus  rien  qu'un  parfum, 
Qui  vibre,  insaisissable...  et  rien  !... 

Je  suis  bulle  d'air  voguant  dans  l'eau  de  la  source, 
Bulle  de  buée  d'eau  qui  balance  en  la  brume 
Violette  autour  du  soleil  sanglant  des  soirs 
Sous  le  ciel  vert  et  bleu,  lavé  de  vapeur  d'or  ; 
Je  suis  encor  bondissante  odeur  en  délire. 
Dont  les  brises  du  crépuscule  se  parfument  ; 
Ou  l'aérien  arc-en-ciel  versicolore. 
Voltigeante  auréole  aux  fins  jets  d'eau  sonores, 
Friable  diamant  d'eau  dans  la  neige,  ou  l'écume 
Sur  la  vague  dansante  et  qu'allume  la  Lune... 


DEVOIRS    d'écolier 


HYMNE  NUPTIAL 


La  Lune  a  jailli  des  bois  ;  et,  comme  si  elle 

eût  charrié  tout  le  sang,  toutes  les  larmes  et 

toutes  les  fanges  de  la  terre, 

rouge,  boursouflée,  distendue,  immense,  elle  a 

lourdement  monté,  obscurcissant  Thorizon  bleu 

d'un  reflet  d'incendie  ; 

mais  à  mesure  qu'elle  s'élevait,  se  désagrégea 

le  saignant  manteau  de  misères,  et  son  disque, 

se  resserrant,  blanchissait,  blanchissait,  et  versait 

à  mesure  de  plus  éclatantes  clartés  ; 

et  quand  elle  occupa  son  Zénith,  ce  fut  l'insoutenable 

étincellement  d'une  merveilleuse  étoile,  qui 

lavaitl'Universsousunresplendissant  déluge  de  pureté, 

et  l'auguste  silence  fourmillant  de  vie,  et  la 

prodigieuse  majesté  dans  l'immobilité  frémissante  ! 

Ainsi,  ma  Bien-Aimée,  mon  humanité  brutale 
put  ternir  l'illuminant  reflet  en  moi  de  ton  image  ; 
mais  te  voilà  :  ton  rayonnement  eff"ondre,  efface 
les  fumées,  et,  purifiée  à  jamais,  s'exalte  ma 
tendresse  en  adoration  vers  Toi  ' 


TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 


OBERON 


(Et  page  Pûck  de  l'antenne 
Verte  d'une  sauterelle 
Les  a  griffonnés  sur  l'aile 
En  velours  d'un  gros  phalène.) 


Je  mis  prisonnier  l'Arc-en-Ciel 
Dans  le  filet  d'une  araignée, 
Où  dansaient  les  rais  du  soleil 
Sur  des  globules  de  rosée: 

Pour  que  la  prison  lui  fût  douce, 
J'ai  dit  aux  clochettes  du  thym 
D'émouvoir  leur  cage  de  mousses 
D'un  frais  carillon  de  parfums; 

Le  jeune  Arc-en-Ciel  s'est  dressé, 
Frissonnant  d'aise  au  soleil  clair, 

En  riant  il  a  secoué 
Sa  jupe  de  fragiles  braises... 

Il  l'agite  au  rythme  changeant 
Dont  la  brise  berce  la  toile, 
Étoile  des  cheveux  argent 
Et  nacre  d'une  fée  Urgelle, 


DEVOIRS    d'écolier 

Il  l'agite,  et  danse...  oh!  léger 
Balancement  des  flammes  d'or, 
Or  vert,  rose  et  bleu,  orangé, 
Qui  vous  mêlez  I  fluide  corps, 

Vois-tu  à  travers  lui  vibrer 
Les  ailes  d'eau  des  libellules? 
Ondulent  les  colonnes  d'air 
Soulevées  par  la  canicule. 

Et  prodige  qui  me  harcèle, 
Ces  bruissements  de  couleurs 
Et  de  lumière  folle  isolent 
La  splendeur  d'une  étrange  fleur 

Où  je  découvre  Ton  visage. 
Et  Ton  corps,  enfin  dévoilé... 

—  Dans  l'air  passait  un  nuage, 
Tout  s'est  envolé  1 


10  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 


PAYSAGE  LORRAIN 


Tétant  la  pipe  en  porcelaine 
En  ce  cabaret  délaissé, 
J'exhume  longuement  l'haleine 
Qui  s'envole  d'un  cher  passé  ; 
Le  soleil  filtre  par  les  vitres 
Et  fait  des  ronds  blancs  sur  le  mur  ; 
Il  vagabonde  entre  les  litres 
Et  les  verres  à  l'éclat  dur  ; 
Des  mouches  filent,  caracolent, 
Et  font  des  zigzags  tournoyants, 
Tourbillonnent  et  se  bousculent; 
Les  cloches  brament  lourdement; 
Fillettes  gentiment  niaises 
Trottent  leur  missel  dans  la  main 
Par  grappes  blondes  vers  l'église 
Offrir  à  Dieu  l'éveil  fervent 
De  leur  petit  coeur  en  dentelles. 
Qui  cherche,  cherche  son  chemin  ; 
L'Amour  s'exhale  de  la  terre 
Comme  un  parfum  lent  et  brûlant 
Qui  me  grise  et  sans  fin  m'altère 
Vertigineusement  ! 


DEVOIRS    D  KCOLIER  I  I 


VARIATION  AUTRE  SUR  LE  VIEUX 
THÈME 


Zut  alors!  le  Printemps  fait  de  l'impressionnisme  ! 
Vieux  gamin  éternel  et  tant  banalisé, 
Dieu  chéant  en  Prudhomme  endémocratisé, 
Grand  seigneur  mésallié  qui  te  prends  de  lyrisme, 
Tu  veux  donc  te  refaire  une  virginité  ? 
Va  donc,  eh  raté  !... 

Piochant  tes  complémentaires, 
Tu  fais  pleuvoir  aux  éventaires 
Des  petites  marchandes  de  fleurs, 
De  si  adorables  horreurs 
Que  le  bourgeois  pris  de  coliques 
Croit  voir  les  splendeurs  hérétiques 
De  van  Gogh  et  de  Pissarro, 
Et  recommande  avec  terreur. 
En  passant  devant  les  boutiques 
Des  petites  marchandes  de  fleurs. 
Sa  pauvre  âme  à  Notre  Seigneur, 
A  Notre  Seigneur  Bouguereaul 


12  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 

Tu  jettes  par  folles  brassées 
Les  houx,  feuilles  de  tôle  et  de  zinc  vernissées 

Et  peinturées  au  gros  vert  jardinier, 
Où  mille  et  mille  boules  de  corail  sanglant 

Eclatent,  vibrent  violemment; 
Sur  ce  chantier  vert  sombre  aux  mordorures  vives, 
Tu  répands  tendrement  les  idylles  plaintives 
Des  violettes  de  Nice  et  de  Meudon 
Avec,  pour  assoupir  les  teintes, 
Des  violettes  de  Parme,  aux  pâleurs  plus  maladives 

Et  langoureusement  éteintes 
De  jeunes  princesses,  "  s'en  allant  de  la  poitrine  ». 

Et  sur  ce  sage  et  triste  et  paisible  poème 
Viennent  cataracter  les  campanules  d'or  — 
Se  bousculent,  s'entrechoquent,  dansent  et  tintent 
—  Oh  !  les  filles,  oh  !  les  filles  folles  !  — 

Dont  volent  les  corps  — 
Et  tapageusement  font  avec  leurs  corolles 
De  grands  airs  de  bravoure  en  vieux  Jaune  Mineur  !... 

Ah  !  pour  assagir  ces  frivoles 
Tu  fais  intervenir  les  lilas,  grandes  sœurs 
Aux  douceurs  recueillies  et  quasi  maternelles... 
O  noble  et  bienveillante  et  pudique  attitude    [viride  ! 
Des  lilas  à  peine  lilas  et  des  lilas  au   blanc  presque 

Saveur  jamais  fade. 

Candeur  jamais  rude  !... 

Et  ces  touffes 
De  narcisses, 
Neiges  collerettées  de  paillettes  de  soufre 


DEVOIRS    D  ÉCOLIER  I3 

De  partout  jaillissent 
Et  s'offrent  !... 
Vous,  mimosas,  tremblotantes  flammes  d'or  grêles, 
Egrenez  des  arpèges  rares 
Qui  bimbulent  et  s'égarent 
Si  savoureusement  frêles  !... 

—  Et  là-dessus,  Printemps  délicieux 

Tu  verses  à  grands  flots  de  lumière  glacée 

L'or  clair  et  somptueux 
De  ton  frileux  soleil  de  Février  !... 

Mais  nous  n'y  croyons  plus  à  ta  mission  d'artiste, 

Pas  même  toi  ! 
Pour  nous,  tu  n'es,  vois-tu,  qu'un  Prudhomme  fumiste, 

Un  très  nul  bourgeois, 
Depuis  qu'intronisant  l'art  utilitariste. 

L'art  selon  les  vœux 
Des  anciens  négociants  en  bouchons  de  carafes. 
Rayon  à  rayon,  tu  vends  aux  photographes 

L'or  de  ton  soleil  vieux  !... 


14  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


La  Lune  dispersant  ses  blancheurs  ingénues 

Mène  par  le  ciel  bleu  le  blond  troupeau  des  nues  ; 

Peu  loin  un  violon  gémit  bien  doucement, 

On  ne  sait  où  :  c'est  comme  une  fleur  entr'ouverte 

Qui  dégorgerait  son  âme  anonymement 

Dans  un  parfum  qui  serait  un  chant,  essaimant 

A  travers  la  magique  immensité  déserte  ; 

Un  couple  chat  miaule,  exaspéré  d'amour. 

Un  chien  sentimental  sans  fin  hurle  à  la  Lune, 

En  vain  lui  vouant  son  cœur  de  chien  ;  et,  tambour 

Assourdi,  tout  là-bas  bruit  l'affreux  faubourg... 

Des  heures  d'un  clocher  s'égrènent  une  à  une. 

Et  je  fume  ma  pipe  avec  sérénité, 

Humant  le  bon  pétun  à  la  svelte  clarté 

De  la  Lune  assoupie  ;  et  contre  moi  Denyse 

Dans  le  fauteuil  profond,  silencieuse  Assise, 

Nous  rêvons  qu'il  serait  bien  doux  auprès  de  toi. 

Mère,  de  respirer  la  multiforme  voix,  — 

—  Submergés  ainsi  dans  la  caresse  indécise 

Dont  la  Lune  voluptueuse  nous  poursuit  — 

Respirer  la  mélancoliquement  exquise, 

La  voix,  la  vaste  voix  muette  de  la  nuit. 


DEVOIRS    D  rCOLIER  I5 


Baisers  d'eau,  baisers  verts  de  la  Lune  fluide, 

Baisers  d'eau,  baisers  verts. 
Baisers  vous  délayant  au  ciel  d'azur  liquide 
Et  qui  vous  égouttez  lentement  au  travers, 
Au  travers  du  ciel  bleu  presque  décoloré, 
Eveillez,  baisers  d'eau,  des  regards  somnambules 
Aux  alignements  morts  de  prunelles  carrées. 

Les  mille  vitreuses  prunelles 
Des  impotents  monuments  sans  voix  et  sans  vie, 
Aux  froides  colonnades  solennelles 
Dont  l'immense  et  morne  place  se  pétrifie  ; 

Baisers  d'eau,  baisers  verts, 
Vous  éveillez,  humides  baisers  lunaires 
De  ce  ciel  d'immobile  lumière  funéraire 
Qui  s'égoutte,  muet,  sur  la  terre. 
Eveillez  au  fond  de  votre  océan  qui  dort. 

Lugubrement  fantastique. 
Une  ville  noyée  en  un  sommeil  de  mort, 
Qu'illumine  de  loin  un  blême  astre  aquatique. 


l6  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


VESPER 


Tandis  qu'en  souriant  je  veille 

Et  choyé  ce  rêve  divin, 

La  lourde  forêt  s'ensommeille, 

Le  jour  pleure  sa  fin  ; 
Comme  des  sonnailles  de  mules, 
Les  clochettes,  les  campanules 
D'argent  s'entrechoquent  sans  fin 
En  symphonie  étouffée 
A  l'appel  de  chaque  bouffée 
Qui  passe  comme  leur  soupir 
Dans  l'immensité  déserte 
De  la  grande  forêt  verte 

Enviant  de  s'assoupir 
Sous  rhaleine  du  crépuscule... 


DEVOIRS    D  ÉCOLIER  I7 


LA  SYMPHONIE  EN  SI  , 

de  Robert  Schumann 


Oh  Robert,  je  te  vois  ! 
Bel  étudiant  d'Heidelberg  ou  de  Bonn, 

Tes  longs  cheveux  blond  fade, 

Ta  barbe  fade  et  molle 
Et  ta  petite  toque  querelleuse. 
Et  ton  grand  sabre  plat,  qui  brimbale  et  cliquetaille  : 

C'est  dimanche  matin, 
'<  C'est  aujourd'hui  dimanche,  dimanche,  dimanche. 

'<  C'est  le  jour  du  repos  I  // 
Comme  aux  opéras  comiques  et  matrimoniaux, 

Toi,  tu  vas,  allongeant  tes  longues  jambes  maigres 

(Et  le  grand  sabre  plat 

Qui  tressaute  et  cliquetaille 
Si  tapageusement  sur  les  pavés  pointus!; 
Vers  ce  chemin  où  ta  petite  Gretchen  à  toi 

Si  lentement,  s'en  vient 
La  rouée  1 
Afin  que  tu  la  rencontres  sûrement... 
Et  puis,  et  puis,  et  puis,  nous  savons  la  chanson, 

C'est  toujours,  n'est-ce  pas,  la  même  ?... 


l8  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

F,t  puis,  et  puis,  et  puis,  on  s'en  revient  tout  seul 
Le  long  du  fleuve 
Gris  bleu  qui  roule  et  fuit 
Avec  des  colères  emportées... 
On  soliloque  philosophiquement 
Et  très  doctoralement, 
Analyse  selon  Hegel  et  Fichteet  Kant, 
La  substance  de  son  amour. 
On  a  des  éblouissements 
De  sa  propre  profondeur... 
Et  puis  on  redescend  du  nuage  bleu  clair 

Substantiel  pas  assez, 
Et  l'on  donne  des  forces  à  sa  philosophie  : 

La  brasserie, 
La  mangeaille  et  la  bière  et  les  pipes 
(Et  toujours  ce  pendard  de  grand  sabre!). 
Et  les  lieds  qu'on  soupire, 
Et  les  lieds  qu'on  vocifère 
(Et  toujours  le  grand  sabre 
Qui  fait  un  train  d'enfer)... 
Et  les  dissertations  politiques  et  philosophiques 
Qui  font  trembler  les  vitres, 
Et  les  chopes  qu'on  entrechoque. 
Et  puis,  etpuis,et  puis,  broum  !  on  roulesous  lestables, 
Et  la  philosophie  avec, 
Et  l'amour  bleu  clair, 
Et  le  sabre  aussi, 
Tout  ça  roule, 
Tout  ça  coule, 
Et  s'écroule 
Dans  la  nuit  ! 


DEVOIRS    d'écolier  I9 


EVENING  AT  TEN  O'CLOCK 


C'est  Chloris  en  court  jupon 

Et  Mélibée  en  casquette 

Qui  jouent  des  mains  et  coquettent 

Sous  la  lune,  aux  Buttes  Chaumont; 

C'est  la  plastique  en  paillons 
Des  volumineux  athlètes 
Qu'amasse  les  populations 
Boulevard  de  la  Villette  ; 

C'est  Fagus  en  faction 
En  sa  cellule  d'ascète 
Qui  fait  tout  seul  la  causette 
Comme  un  grand  garçon. 


TESTAMENT   DE    SA    VIE    PREMIERE 


—  Je  chéris  ma  Main  gauche  parce  qu'elle  est  la 
main  oisive,  vierge  des  flétrissures  de  la  vie  en  com- 
mun et  des  servitudes  du  travail  avilissant  ; 

Qu'elle  ignore,  l'aristocrate  Pucelle,  et  les  serre- 
ments des  mains,  et  toutes  les  dérisoires  pantomimes 
des  salutations  ; 

Qu'elle  ne  fut  pas  martyrisée.  Elle,  et  déformée  par 
les  besognes  : 

L'autre,  pourtant,  l'Autre  main  sera  lavée  de  ses 
misères,  pour  ce  que  Ton  bras  daigna  s'y  poser,  tiède 
oiseau  léger  et  palpitant; 

Que  s'y  emprisonna  ta  frêle  petite  main,  ainsi  que 
dans  un  nid  ; 

Que  la  souplesse  ondoyante  de  ta  ceinture  y  glissa 
parfois,  lorsque  tu  me  permis  d'enceindre  cette  taille 
fuyante  ; 

Mais,  quand  je  t'attirerai  sur  mes  deux  genoux, 
siège  amoureux,  et  que,  servante  heureuse,  l'obéis- 
sante main  droite,  dans  ma  poitrine  enfermera  ton 
corps, 

Immergera  ta  tête  chère  au  creux  de  mon  aisselle 
ravie, 

Ne  sera-ce  pas  à  toi,  ô  noble  Main  gauche,  à  toi  la 
gloire  d'un  à  un  lever  les  voiles. 

Les  voiles  gardeurs  des  profondeurs  sacrées  de  Sa 
généreuse  Chair? 


DEVOIRS    D  t.COLIF.R 


BARCAROLE  EN  XOCTURXE 


Le  fleuve  gronde, 
Frissonne,  luit  ; 
Lourde  et  profonde. 
L'onde  bruit  ; 
C'est  comme  un  monde 
Qui  croule  et  fuit, 
Mon  rêve,  lui, 
Sans  but  la  suit, 
La  vagabonde  ! 

Bien  haut  la  Lune 
Minaude,  ardant 
La  gaze  brune 
De  rOccident, 
Crible  d'argent 
Des  Rois  de  Thune  ! 

L'n  beau  nuage, 
Presque  de  neige, 
Se  désagrège 


TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 

A  son  passage 
Et  fait  cortège, 
O  Lune  sage, 
A  ton  image! 

Va,  coule,  eau  noire, 

File  et  bruis, 

Roule  ta  nuit, 

Radote-lui 

Ta  vieille  histoire 

Au  vent  qui  fuit  ! 

Tourne,  mijote. 
Sempiternel 
Flot  caramel  ! 
Pleure,  clapote. 
Dans  la  bouillotte 
A  l'Éternel  ! 

Frêles  chimères. 
Nuits  de  prières 
Sans  lendemains, 
Espoirs  gamins, 
Sottes  misères. 
Jeunes  chagrins. 
Boissons  amères, 
Fades  levains... 
Ah  !  c'est  en  vain 
Qu'on  se  souvient  1 


DEVOIRS    D  ÉCOLIER  23 

Douleurs  sans  causes, 
Courses  sans  but, 
Apothéoses 
A  l'eau  de  roses 
Que  Ton  élut 
Aux  soirs  moroses. 
Thèmes  et  gloses, 
On  vous  dit  zut  ! 

Que  tout  se  noie 
En  ces  flots  noirs, 
Rancœurs,  espoirs. 
Mystiques  soirs 
Et  désespoirs  I 

Vieille  défroque 

Des  Idéals 

Qui  pendeloque 

Et  s'eftiloque 

Au  vent  banal 

Du  bien  -  ou  -  mal  I 

Mon  idéal 

Bat  la  berloque. 

Et  je  m'en  moque  ; 

Ça  m'est  égal, 

Mes  idéals  !... 

Mais  l'eau,  c'est  bête 
A  voir  couler... 
Moi  je  m'entête 


24  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

A  m'écouter 
Faire  la  bête... 
Mieux  s'en  aller!... 


DEVOIRS    d'kCOLIFR  2'y 


ACTE  DE  CONTRITION 


J'ai  toujours  envié  le  sans-façon  liautain. 
Sévère,  avec  lequel  un  canasson  de  fiacre, 
Sans  presser  ni  ralentir  son  trot  incertain. 
Ni  s'émouvoir  au  fouet  du  collignon  qui  sacre, 
Entr'ouvre  son  anus,  fiente  son  crottin  : 

O  Sagesse,  Sagesse  ! 
O  Pureté  ! 

Ardeur  et  paresse  ! 

O  vieille  tendresse 
Pour  l'éternité  1 
Vénérant  la  candeur  des  bons  chiens  amoureux 
A  soulager  leur  rut,  gravement  impudiques. 
J'aurais  voulu,  me  navrant  de  n'avoir  comme  eux 
L'inconscient  mépris  des  morales  phalliques, 
Baiser  sans  songer  quand  le  membre  dit  :  Je  veux  I 

O  Sagesse,  Sagesse  ! 
O  Pureté  1... 
Aux  paresseux  midis,  sous  le  bleu  tropical, 
J'admirais  avec  le  respect  le  plus  intense 
Comme  les  poissons  rouges,  en  l'eau  d'un  bocal. 
Savent  inscrire  et  circonscrire  l'existence 
Dans  le  fonctionnement  de  l'appareil  buccal, 

O  Sagesse,  Sagesse  ! 
O  Pureté  1... 

2 


26  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Chers  animaux!  pourrai-je  assez  vous  honorer, 

Mes  Innocents  en  qui  s'inclut  toute  sagesse  ! 

De  Tidéal  fuyard  dont  je  me  veux  leurrer 

Nous  avons,  Tard-venus,  ce'  que  la  chair  nous  laisse 

Soyez  adorés,  Vous,  qui  savez  ignorer  ! 

O  Sagesse,  Sagesse  ! 
O  Pureté  1 

Ardeur  et  paresse  1 

O  vieille  tendresse 
Pour  l'éternité  ! 


DEVOIRS  d'Écolier  27 


VANITÉ 


Ou  devenir  encor  cet  adorable  chien  : 

Allongé  sur  son  flanc  au  soleil  méridien, 

Il  cuit  sa  carcasse  et  fait  celui  qui  sommeille, 

Et  puis,  battant  de  l'œil  comme  un  qui  se  réveille, 

Bâille,  s'étire  et  —  pour  se   donner  un  maintien  ?  — 

Mordille  doucement  le  coin  de  son  oreille; 

Ce  que  j'envie  en  toi,  digne  chien,  ce  n'est  pas 

Ton  placide  mépris  de  dervis  ou  mapas, 

A  tout  indifférent  sous  le  brasier  solaire  : 

Je  serais  tel  —  et    mieux  !  —  s'il  m'agréait   de  faire  ; 

J'aspire  à  la  puissance  dont  tu  m'excipas 

De  se  grignoter  l'appendice  auriculaire  ! 

Un  de  ces  jours,  lorsque  je  n'aurai  rien  de  mieux 
A  faire,  pour  donner  plaisir  à  mes  aïeux, 
Jepromouvraigrandhomme —  ohl  c'est  pasdifficile  ! — 
Ou  bien  grand  criminel...  mais  ce  qui  m'horripile 
Est  que  fus-je  le  plus  bruyamment  glorieux 
Des  mortels,  ou  —  (voire  :  et)  —  le  dernier  imbécile, 


a8  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Je  ne  pourrai  jamais  sustenter  ce  désir 

Que  contente  le  chien  que  je  vois  là  gésir  ! 

Tout  m'est  permis!  je  suis  le  Maître  de  la  Terre, 

Je  détiens  tout,  j'ai  la  clef  d'or  de  tout  mystère. 

Mais  toute  l'éternité  tu  me  fuis,  plaisir 

De  m'immiscer  l'oreille  en  l'appareil  dentaire  ! 


DEVOIRS    D  1-COLIER 


CONVICTIONS    POLITIQUES 


Il  existe  un  être  qu'au  monde 
J'abhorre,  moi  :  c'est  l'Urinoir  I 
Oh  !  c'est  laid,  c'est  puant,  immonde 
Comme  un  mouchard  homme  du  monde 
Qui  prend  le  quart  en  habit  noir! 

Oh  1  dis  :  viens-tu  pisser  dans  l'herbe, 
Au  soleil,  au  milieu  du  pré  ? 
Epanouir  en  vaste  gerbe 
Le  jet  éblouissant,  superbe, 
Charmant,  grand  seigneur,  diapré, 

Musical  !  dont  les  gouttelettes 
Scintillent  en  tas  de  paillettes 
D'un  métal  à  l'éclat  changeant 

Qui  sous  l'astre  en  rage  étincellent, 
Fusent,  rebondissent,  ruissellent. 
Cascatelles  d'or  et  d'argent  !... 


3©  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


VISION  D'UN  MIDI  D'ÉTÉ 


Le  spectre  d'un  cheval  entier 
Stoppe  —  et  somnole  emmi  la  rue, 
Bucéphale  promu  côtier,  — 
Quand  soudain,  il  s'émeut  et  rue 
Et  jette  un  long  hennissement, 
Cri  de  guerre,  et  gémissement  : 

Vient  de  surgir  une  jument 

A  la  croupe  aristocratique 

Et  qui  vibre  superbement; 

Alors  le  canasson  étique 

Pressent  son  vieux  cœur  amoureux 

D'étalon  jadis  généreux 

Refleurir  en  rut  vigoureux  ; 
La  virilité  quasi  morte, 
Au  penser  des  coïts  heureux, 
Gonfle  et  jaillit  d'étrange  sorte, 

Et  Priapus  encoléré 
S'allonge  et  vient  démesuré  ; 


DEVOIRS    d'écolier  ^I 


Or  un  vieux  Monsieur  décoré 
Contemple  ce  gros  membre  avide 

J'oziS 

Et/aS^un  paraître  écœure, 
Regrettant  son  sien  pénis  —  vide  — 
Qu'il  ne  brandira  plus  jamais. 
Il  pleure:'?  O  le  temps  où  j'aimais  !  » 


POTION 

pour 

ÉVACUER 


POTION    POUR    ÉVACUER  35 


CANTIQUE  A  LA  PLUS  JOLIE 


Vous  passez  :  un  frisson  d'amour  vous  accompagne 
Et  fait  longtemps  rougir  les  jeunes  gens  troublés, 
Vous,  qui,  par  vos  cheveux  de  nuit,  vos  yeux,  semblez 
Une  vierge  en  Hellas,  une  Infante  d'Espagne! 

Emouvront  de  désirs  le  plus  douloureux  bagne 
Ces  chauds  regards,  volière  aux  rires  endiablés  ! 
Votre  corps  a  l'ondoiement  fier  qu'ont  les  grands  blés 
Quand  les  haleines  d'Août  soulèvent  la  campagne  ! 

—  Mais,  ne  nous  parlez  pas:  il  s'évanouirait, 
Le  charme,  et  le  Poète  en  vous  ne  saluerait 
Qu'Eve  plus  belle  !...  Allez  de  Silence  vêtue, 

Et  ferez  (secret  de  votre  Divinité 

Très  à  rinsu  de  vous  I)  la  mouvante  statue 

De  la  Jeunesse  en  fleur  et  pour  l'éternité  ! 


36  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


EN  GRATITUDE  DU  JOLI  BONSOIR 
ET  DU  PLUS  JOLI  SOURIRE 


Princesse  de  Là-bas  :  pour  le  loyal  sourire 
Attestant  que  TEnfui  n'est  pas  oublié  tant, 
Et  le  «  Bonsoir!  »  sans  plus,/6i  fidèle  pourtant, 
Recevez  le  salut,  tendre  autant  qu'on  peut  dire, 

Du  passant  que  jadis  il  vous  a  plu  d'élire  ! 
Ah  !  que  le  fier  parfum  des  fanfares  d'antan 
Vous  obsède,  papillons  de  flamme  hantant 
L'oeil  qui  poursuivit  trop  les  soleils  ardre  et  luire  I 

Je  les  veux  garder,  moi,  ces  beaux  reflets  d'alors 
(Tel  des  fleurs  qu'on  insère  en  le  coftre  aux  vieux  ors), 
Des  ingénuités  mièvrement  jolies, 

Et  le  '■<  Bonsoir  >/  câlin,  et  le  sourire  ailé, 
Scelleront  ce  recueil  de  visions  toUies: 
Fermail  riche  au  coff'ret  pieusement  celé  ! 


POTION    POUR    ÉVACUER  }"] 


DÉVERGONDAGE    D'ÉTÉ 


Ole  !  clé  !  tétins  au  vent  ! 

Au  vent,  fiers  poitrails  bataillant 

Sous  la  camisole  sournoise 

De  la  jeunesse  pantinoise  ! 

Ole,  olé  !  gorges  pointant 

Qui  sautillez,  nous  cherchez  noise, 

A  travers  le  tissu  flottant  ! 

Comme  d'altiers  soufflets  de  forges, 

Cher  Eté,  comme  tes  bourgeons. 

Fais-les  sourdre,  gonfler,  ces  gorges, 

Tandis  que  nous  autres  songeons 

A  de  libidineux  plongeons 

Sous  leurs  deux  fruits,  durs  sauvageons 

Sucrés  comme  des  sucres  d'orge  ! 

O  les  jeunes,  les  durs  tétins, 
Marbre  tendre  et  tièdes  satins  ! 
Leur  tête  frétille  et  s'agace. 
Voyez...  contre  l'étoffe  !  oh,  grâce. 
Grâce  pour  leurs  dois  clandestins  ! 


38  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

S'ils  pouvaient  emporter  la  place, 
S'arborer,  les  doux  libertins, 
Au  vent  qui  les  caresse  et  passe  ! 

O  ces  gorges  presque  d'enfants  ! 

O  babillages  triomphants 

De  ces  chaudes  gorges  blanc  rose  ! 

Sous  les  prisons  souvent  mal  closes, 

Parfois  d'un  coin  se  dégrafant. 

Notre  œil  glisse,  entrevoit  les  choses... 

O  furtifs  rapts  ébouriffants 

Que  va  notre  main  paraphant  ! 

O  toutes  jeunettes  gorges  1  que  sont  auprès  de 
votre  fleur  toutes  les  autres: 

Gorges  de  matruUes  ! 
Gorges  minuscules 
Où  font  les  veinules 
Des  brouillards  lilas! 
Gorges  de  nourrices, 
Gorges  sans  malices 
Prêtes  aux  délices 
Des  Enfants  de  xMars  ! 

Gorges  de  nonnettes! 
Gorges  aigrelettes 
Des  femmes  honnêtes, 
Fleurant  le  vieux  lard  ! 
Gorge  sans  scrupule 
De  la  femme-Hercule, 
Que  l'on  manipule 
Pour  l'amour  de  l'Art! 


POTION    POUR    1- VAGUER  39 

Gorges  surannées  ! 
Gorges  malmenées  ! 
Gorges  tant  vannées 
Par  les  jeux;  d'amour  1 
Gorges  surmenées! 
Gorges  morphinées  ! 
Gorges  basanées 
Comme  un  vieux  tambour  ! 

Gorges  en  ri  botte  ! 
Gorges  rigolottes 
Qui  dansent,  ballottent 
Un  sacré  chahut! 
Gorges  qui  marinent 
Comme  en  sa  terrine 
Une  gélatine 
Au  fond  du  bahut  ! 

Gorges  irritées  ! 

Gorges  effrontées  ! 

Gorges  cahotées, 

Qui  font  plouf  —  plouf  —  plouf  ! 

Gorges  provocantes  ! 

Gorges  aguichantes  ! 

Gorges  décadentes 

S'aggravant  de  poufs  ! 

Gorges  anémiques  ! 
Gorges  hystériques! 
Gorges  lymphatiques 
Fonçant  sous  les  doigts  ! 


40  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Gorges  qui  n'en  crèvent 
Du  trop-plein  de  sève. 
Telles  tu  les  rêves, 
Don  Juan  Badois  ! 

Gorges  violacées  ! 
Gorges  bleuissées  ! 
Gorges  nuancées 
De  tons  beurre  frais  ! 
Gorges  élastiques  ! 
Gorges  esthétiques  ! 
Gorges  à  Cantiques 
Des  Cantiques  vrais! 

Gorges  triomphales  ! 
Gorges  ithyphalles, 
Couples  de  cavales 
Bondissant  de  rut  ! 
Gorges  courroucées 
Aux  pointes  dressées  ! 
Gorges  retroussées 
D'un  air  qui  dit  :  Zuth  ! 

Gorges  de  malades 
Fleurant  et  pommades 
Et  potions  fades, 
Oh  la  la,  la  la!... 
Gorges  de  ribaudes: 
Gorges  toujours  chaudes 
Où  le  désir  rôde 
En  grand  tralala  ! 


POTION    POUR    FVACUF.R  41 

Gorges  urticantes  ! 
Gorges  de  bacchantes  ! 
Gorges  rouge'autant  qu' 
Un  fessier  d'enfant  ! 
Gorges  gargamelles. 
Sœurs  de  vos  mamelles, 
O  pleines  femelles 
Des  grands  éléphants  ! 

Gorges  radoubées  ! 
Gorges  masturbées  ! 
Gorges  macchabées, 
Où  courent  des  vers  ! 
Gorges  surbaisées! 
Gorges  sursucées  ! 
Gorges  malaxées 
Par  les  doigts  pervers! 

Gorges  gangreneuses  ! 
Gorges  variqueuses  ! 
Gorges  cancéreuses  ! 
Gorges  d'hôpital  1 
Gorges  dépecées  ! 
Gorges  rapiécées  ! 
Gorges  déhiscées 
Par  Tacier  brutal  ! 

Gorges  toutes  fraîches  ! 
Gorges  très  revêches  ! 
Gorges  que  dessèchent 
Les  mvsticités  ! 


TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Gorges  décrassées  I 
Gorges  dégraissées  ! 
Gorges  hérissées 
De  villosités  ! 

Gorges  irascibles 
Des  Phàmes  sensibles, 
Que  n'ose  pour  cible 
Élire  l'amour  ! 
Grasses  gorges  rondes 
Des  peu  pudibondes 
Femelles  fécondes 
Qu'ont  les  moyens  pour  ! 

Gorges  tristes  !  tristes  ! 
Tristes  !  Combien  tristes, 
Ah  !!!..  des  Salutistes 
Qui,  fuyant  Vénus, 
Avec  des  cantiques 
Apocalyptiques 
—  Et  quelles  musiques!  — 
Epousent  Jésuss  ! 

Gorges  maigrichonnes  ! 
Gorges  «  bien  cochonnes  !  » 
Gorges  folichonnes  ! 
Gorges  berrichonnes 
Selon  George  Sand  1 
Gorges  libertines 
Aux  dures  tétines. 
Qui  font  les  mutines, 


POTION    POUR    ÉVACUFR  43 

Doigt,  quand  tu  t'obstines 
Et  deviens  pressant  ! 

Gorges  mal  convexes 
Des  vieux  doubles  sexes, 
Quêtant  leurs  annexes 
En  les  urinoirs  ! 
Gorges  plutôt  veules 
Des  filles  bégueules, 
Qui  s'amusent  seules 
Mains  sous  leurs  peignoirs  ! 

Gorges  inutiles 
Des  vierges  tranquilles, 
Qui,  la  nuit,  titillent. 
Trésors  pubiens  ! 
Gorges  tout  exsangues, 
D'autres  dont  les  dengues 
Font  tirer  la  langue 
Aux  complaisants  chiens  ! 

Gorge  qui  s'érige 
De  la  Callipyge, 
Et  qui  fait  la  pige 
Aux  gorges  de  chair  ! 
Gorges  très  affables 
Des  dames  aimables. 
Si  vite  habitables, 
Mais  coûtant  si  cher  ! 

Gorges  trop  désertes  ! 
Gorge'à  tous  offertes  ! 


44  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Gorges  découvertes... 
(Oh  î  par  dévoùment  !)  ! 
Gorge'en  marmelade  I 
Gorges  de  tribades, 
Que  rendent  malades 
Les  chatouillements  1 

Gorges  de  négresses  ! 
Gorges  de  duchesses  ! 
Gorges  de  gonzesses 
Par  tous  pelotées  ! 
Gorges  prolétaires  ! 
Gorges  terre  à  terre  ! 
Gorges  adultères 
Mal  recorsetées  ! 

Gorges  invalides  ! 
Doubles  vessies  vides 
Que  plissent  les  rides, 
Tels  des  coings  séchés  ! 
Gorges  plates  comme 
Le  cul  d'un  pauvre  homme, 
Et  dont,  Gottferdomne  ! 
Peu  sont  entichés  ! 

Gorges  tant  asperches 
Qu'en  vain  Ton  y  cherche 
Où  gît,  niche  et  perche 
L'appareil  mammal  ! 
Gorges  qu'on  désosse  ! 
Gorges  si  tant  grosses 
Qu'il  faut  trois  colosses 
Pour  les  mettre  à  mal  ! 


POTION    POUR    I^. VAGUER  45 

Gorges  mamelues  ! 
Gorges  trop  velues  ! 
Gorges  qui  —  goulues  !  — 
Brament  au  baiser  ! 
Gorges  qu'ont  les  fièvres  ! 
Gorges  si  mièvres 
Que  nos  pauvres  lèvres  : 
—  Où  donc  nous  poser  ? 

Gorges  à  musique. 

Pièces  mécaniques 

Qui,  lorsqu'on  les  pique, 

Font  :  couic-couic-couic-couic  ! 

Gorges  demi-pommes 

Des  jolis  jeune-hommes, 

Mignons  de  Sodome, 

Pédérastes  chics  ! 

Gorges  à  tétasses  ! 
Gorges  blettes,  lasses  ! 
Gorges  aussi  grasses 
Que  du  bon  foie  gras  ! 
Gorges  de  quécottes, 
Laissant  aux  quenottes 
De  qui  les  bécotte 
Des  blocs  de  blanc  gras  ! 

Gorges  automates  ! 
Gorges  aux  tomates  ! 
(Gorges,  ô  Tom,  à  te 
Faire  évanuoir  !) 


46  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Gorges  cucurbites 
Que  des  clans  habitent, 
De  poux  cénobites 
En  voeu  de  jouir  ! 

Gorges  ivoirines 
Aux  deux  purpurines 
Pointes  corallines, 
Dards  ji  Cupido  I 
Gorges  amaigries  ! 
Gorges  rabougries  ! 
Gorges  suraigries, 
Plates  comme  un  dos  ! 

Gorges  que  les  suites 
D'outrageuses  cuites 
Ont  bouillies  et  cuites  : 
Des  langues  de  bœuf! 
Gorges  laminées! 
Gorges  étirées, 
Tirebouchonnées 
En. ..en...  nerf  de  bœuf! 

Gorge  d'Arthénice! 
Gorge  d'Eurydice! 
Gorge  de  Clarisse  ! 
Gorge  de  Lais! 
Gorge  de  Faustine  ! 
Gorge  de  Fantine  ! 
Gorge  de  Justine  ! 
Gorge  d'Alexis^  ! 

1  «  Corydon  ardebat  Alexin  !   .. 


POTION    POUR    EVACUER  47 

Gorge  de  Joconde  ! 
Gorge  rubiconde, 
Mafflue  et  bien  ronde 
Des  femme'à  Téniersl 
Gorges  Boug"reautesques! 
Gorges  Cormonesques  ! 
(Dirait  des  pastèques 
A  même  un  panier  !) 

Gorges  immortelles 
Que  les  Louvres  cèlent  ! 
Gorges  irréelles 
De  la  Genitrix, 
De  la  Melpomène, 
De  Diane,  Hélène, 
Où  trône  leur  reine, 
La  Vénus  Victrix! 

Gorges  belles,  laides, 
Gorges  fraîches,  tièdes, 
Gorges  molles,  raides, 
—  Marbre  ou  feutre  mou!  — 
Roses  ou  livides, 
Jeunes  ou  putrides. 
Gorges  pleines,  vides, 
Trop,  ou  pas  du  tout  ! 

Rien, 

Rien  n"égale  celles 
Des  vertes  pucelles. 

Nulles  tant  n'excellent 
A  nous  affoler, 


48  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Quand  Juin  les  caresse, 
Les  gonfle,  les  dresse. 
Durs  fruits  de  tendresse 
Qu'on  veut  dévorer!... 


Grand  Dieu  sans  honte  et  sans  mystère, 
Grand  Dieu  de  Cnide  et  de  Paphos  ! 
Dieu  de  Cypris  et  de  Cythère  ! 
Seigneur  du  Ciel  et  de  la  Terre  ! 

Eros,  omnipotent  Eros  I 
Accueille,  exauce  ma  prière  ! 
Fais  qu'il  me  soit  permis  un  jour 
De  coucher  ma  tête  endormie 
Sur  —  adoré  coussin  d'amour!  — 
Sur  la  Gorge  de  mon  Amie  ! 


POTION    POUR    ÉVACUER  49 


DIONYSIA 


Lxtius  dum  sonat  in  urbe  cornu 
Maximi  festo  redeunte  lacchi 
Virgines  grandis  simulacra  portant 

Lignea  plialli. 
Ast  tu  nostro  semper  amata  cordi 
Longiter  dantes  simulacra  blandas 
Longiter  vincis  roseo  puella 

Ore   puellas  1 
11  Ast  tu,  blande  nostra  refert  araata, 
Longiter  quos  dant,   simulacra.    blanda". 
Longiter  fervens  superas  amantis 

Phalle  tu   phallos.   » 

Catulle  Mendès. 


Par  la  Ville,  tandis  que  la  trompe  en  furie 
Rugit  la  gloire  de  lacchos,  l'auguste  Enfant, 
Les  vierges  font  errer  en  chaude  théorie 
Les  effigies  en  bois  du  Phallus  triomphant. 

Or  toi,  de  notre  cœur  la  toujours  bien-aimée, 
Jeune  fille,  tu  scelles  à  ta  bouche  en  fleur, 
Des  jeunes  filles  la  bouche  demi-pàmée 
A  baiser  les  images  du  Sexe  en  chaleur. 

«  O  Phallus  de  l'Aimé,  prometteur  des  délices. 
Toujours  brandi,  tel  que  ces  simulacres  vains, 
Mais  non  de  bois,  sois  prêt  aux  ardents  sacrifices, 
O  Phallus  des  Phallus,  que  réclament  mes  faims!  » 


^O  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


VIERGE   NUBILE 


Ma  gorge  fourmille  et  brûle...- 

Mes  seins  douloureux  se  distendent, 

Tirent  en  afifamés  sur  mon  cœur  en  tumulte. 

Tirent  à  l'arracher...  Je  souffre  !.. 
Me  brûle  et  me  pèse  mon  ventre, 
De  lancinants  frissons  y  entrent, 
Et  me  remontent  jusqu'au  cœur... 
Mon  sang  coule  de   moi  comme  l'eau  d'une   source, 
D'affreux  frémissements  me  secouent,  et  alors. 
Je  brûle  et  je  grelotte... 
Des  images  qui  me  font  honte 
(En  même  temps  je  sens  bien  que  je  les  désirel) 
La  nuit  montent,  montent  m'assaillir... 

Ah  !  je  souffre  !... 
Les  filles,  les  hommes,  me  troublent 

Aussi  chaleureusement. 
Et  l'instant  d'après  me  font  peur... 
Mes  seins  tumultueux  et  lourds  tirent   mon   cœur... 


POTION    POUR    ÉVACUER  S  I 


Une  aube.  Au  délicieusement  harassé  réveil  de 
l'amoureuse  nuit,  et  la  caresse  glacée  de  l'eau  vive, 
inondé  de  voluptueuses  langueurs  nos  corps,  et  que 
l'aérienne  légèreté  du  peignoir  aux  nuances  pâles 
environnera  tes  jeunes  formes,  alors  tu  développeras 
toutes  les  élégances  de  ce  corps  chéri  dans  la  profon- 
deur de  quelque  chaise  longue  ; 

Ton  buste  cambrant,  renversée  en  arrière,  vers 
moi,  ta  tète  mignonne  écoulera  ta  chevelure,  molle 
cascade  de  lumière,  jusqu'au  sol  : 

J'atteindrai  un  peigne,  lentement  te  peignerai  :  fleur 
blonde  et  rose  émergeant  la  caresse  du  tissu,  ta  gorge 
enflera,  montante,  descendante,  déchargera  en  moi 
ses  arômes  captieux... 

Les  dents  aiguës  du  peigne  creusent,  divisent  ta 
chevelure,  m'en  expriment  l'électricité  lourde;  elles 
grattent  l'épiderme  de  la  nuque,  le  tendre  épiderme 
de  la  nuque,  irritent  cette  chair  —  et  se  lieront,  se 
fondront  les  chaleurs  de  nos  sens  : 

Elle  hésite,  elle  vacille,  cette  main  qui  plonge  le 
peigne  ;  l'autre  main  se  dérobe  à  ton  épaule,  la 
découvre,  glisse  aux  moelleuses  élasticités  du  col 
—  là.  sous  la  joue  veloutée  —  6  duvet  de  fruit  point 
cueilli  1  — 


5 2  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Ravis  de  fièvres,  ta  poitrine,  ton  ventre  meuvent 
comme  les  vagues,  tes  jambes  s'étirent,  se  lient  Tune 
à  l'autre... 

Voilà  que  tes  deux  bras  crispés  aux  bras  de  la 
chaise  jaillissent,  agiles  tentacules  blancs,  agrafent 
mon  cou,  attirent  à  ton  visage  mon  visage  obéissant. 

Et  nos  lèvres  se  pétrissent,  se  détache  ton  vête- 
ment, et  sans  paroles  se  soudent  nos  chairs... 


POTION    POUR    K VAGUER  53 


IDYLLE 


Celle  qui  m'a  ce  brin  de  lilas  chlorotique 
Donné,  c'est  une  fille  publique 
Que  j'ai  louée  avec  le  lit. 
Cette  nuit  ; 

Brin  de  Lilas  rosé,  fané,  violàtre  à  peine, 
Comme  la  lèvre  où  suinte  en  sifflant  l'haleine 

D'un  phtisique  au  dernier  degré  ; 
Il  semble  écrit  dessus:  Souvenirs  et  Regrets... 

Elle  m'a  dit  —  je  veux  la  croire  — 

J'ai  dix-huit  ans  du  mois  passé; 

Et  puis,  la  jeune  vieille  histoire 
Du  beau  séducteur  éclipsé  : 
Et  tout  son  maigre  corps  aux  menus  seins  rigides, 
Tout  son  air  animalement  candide, 
Ame  s'évaporant  dans  son  parfum  tout  frais. 

M'ont  crié  qu'elle  disait  vrai  : 

Alors  j'en  ai  pleuré  comme  un  sot,  pour  de  vrai. 


54  TESTAMENT    DF    SA    VIE    PREMIIRRE 


Je  passais  hier  soir  place  de  la  Bastille  ; 

Une  fille  s'en  vint  se  couler  contre  moi, 

Elle  dit:  Beau  garçon,  veux-tu  monter  chez  moi? 

C'est  pas  loin,  tu  verras,  je  serai  bien  gentille... 

Ah  !  jamais  saurons-nous  te  mettre  à  bas,  guenille 
Qui  courbe  mon  esprit  sous  ton  ignoble  loi. 
Chair  !  —  Saoulé  par  l'éveil  de  ma  bête  en  émoi, 
Je  dis  oui  de  la  tète  et  je  suivis  la  fille. 

Oh  !  passons  le  prélude  !...  Elle  se  déshabille 

Et  dénudant  ce  corps,  pollué  tant  de  fois, 

Jésus  !  avec  des  peurs  et  des  pleurs  dans  la  voix  : 

«  Prends  garde,  iic    nie  pèse  pas  de  tout  Ion  poids... 
Et  dévoile  un  ventre  arrondi  comme  une  bille  : 
Vois-tu,  c'est  que  je  suis  enceinte  de  cinq  mois.  » 


POTION    POUR    1- VAGUER  <)'j 


VEILLE  AMOUREUSE 


O  pauvres,  pauvres  chairs  de  femmes! 

\'ous.  l'amour  n"est  pas  un  plaisir, 

La  volupté  pas  un  plaisir. 

Le  plaisir  n'est  pas  un  plaisir  ! 

L'n  ver  vous  ronge,  il  vous  atïame 

De  sa  faim  vorace  !  il  réclame 

Chair  de  mâle  pour  s'assouvir  ! 

Quand  vous  bramez  entre  nos  bras, 
Pauvres  sœurs  !  quand  vos  corps  se  tordent 
En  spasmes  funèbres,  nous  mordent, 
Vos  baisers  chaleureux  et  gras 
Ont  un  avant-goùt  de  trépas  ! 

Quand  nous  accouplons  dans  l'alcôve 
Nos  os  pour  la  chaude  oraison, 
^'otre  odeur,  cette  exhalaison 
Que  vous  suez  de  votre  alcôve,. 
Est  rien  moins  qu'un  fumet  de  fauve  ; 
Oh  !  comme  vous  puez  le  fauve  ! 
Que  vous  puez  la  venaison  ! 


^6  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

La  bête  échauffée  et  meurtrie, 
Fermentant,  se  décomposant, 
Fade,  acre,  et  forte,  et  te  faisant 
Fuir,  narine  mal  aguerrie  ! 

Ah  !  l'amoureuse  exhalaison  ! 
Tiède  haleine  butyreuse, 
Quand  elle  dégorge  à  foison 
Du  bas-ventre  de  l'amoureuse 
En  amoureuse  pâmoison, 
T'en  faut-il,  amant,  du  courage 

Pour  parachever,  sans  renier 
L'amour,  ton  amoureux  ouvrage. 
Tant  du  corps  chéri  se  dégage 
L'exact  arôme  du  charnier  ! 

Qui  prétendra  que  je  diffame  ? 
Qui  ?  pas  toi,  malheureuse  femme, 
Notre  sœur,  notre  pauvre  sœur  ! 
O  pauvre,  pauvre  chair  de  femme, 
Soyez  donc  bénie  en  mon  cœur, 
Car  vous  êtes  l'intercesseur. 
Vous  !  l'impérativement  tendre 
Voix  de  l'inéluctable  sort 
Qui  murmure  a  qui  sait  entendre: 
Prépare-toi,  frère,  à  la  mort  ! 


POTION    POUR    ÉVACUER  57 


HG 


Je  suis  une  déesse  autrement  redoutée 
Q.ue  le  troupeau  des  innombrables  déités 

Qu'ont  jamais  adoré  les  Humanités  ; 

Je  courbe  sous  ma  loi,  Reine  incontestée, 
Cent  millions  de  dévots  et  n'ai  pas  un  athée  ; 

Q.u'expirent  tous  les  dieux  et  croulent  leurs  autels, 
Et  s'effacent  leurs  noms  des  tables  et  des  stèles, 
Je  trône  sur  leurs  os  effondrés  pêle-mêle 
Et  préside  à  leur  mort,  à  tous  ces  Immortels! 

Je  règne  par  l'effroi,  mes  peuples  me  haïssent  ;  "sent, 
Mais  rien  qu'à  mon  nom  seul  ils  tremblent,  ils  pàlis- 
IIs  frissonnent  comme  au  vent  frissonnent  des  lys, 
A  mon  nom  si  charmant,  si  doux  :  la  Syphilis. 


58  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


ROMANCE  OBJURGATIVE 
ET    COMMINATOIRE 


Laissez  les  enfants  à  leurs  mères. 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  ! 

Qu'importe...  si  le  geste  est  beaul 


Ohé  I  les  Bourgeois  respectables, 
Si  vous  lâchiez  Lesbos  un  peu? 
Remémorez-vous,  sous  les  tables 
Du  collège,  la  joue  en  feu, 
Avec  vos  petits  camarades, 
A  quels  jeux  vous  vous  amusiez  ? 
Laissez  les  gouges  aux  tribades, 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  ! 

La  passion  contre  nature, 
C'est  la  tienne,  vieux  ventre  épais, 
Quand  ton  stupre  ignoble  torture 
De  la  jeune  chair  au  rabais  ! 
Toucheurs  de  fillettes  malades, 
Sades  entés  sur  Grandgousiers, 
Laissez  les  gouges  aux  tribades. 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  1 


POTION    POUR    ÉVACUER  ^y 

Mais,  splendeurs  des  corps  qui  s'étreignent 

Sous  réperon  des  désirs  fous, 

Flambez  I  os,  craquez  !  mordent,  saignent 

Ces  bouches  !...  C'est  beau  ?  Donc  me  fous 

De  l'état  civil,  ô  Ménades, 

De  vos  couples  extasiés 

Laissez  les  gouges  aux  tribades, 

Laissez  les  roses  aux  rosiers  I 

Bourgeois,  cocutiables  âmes, 
Nous  sommes  nés  pour  d'autres  ruts, 
Que  forniquer  avec  vos  dames, 
Vos  filles,  vos  maîtresses  I  Zut, 
Zut  au  feu  doux  des  amours  fades 
Selon  Priape  !  autres  brasiers: 
Laissez  les  gouges  aux  tribades, 
Laissez  les  roses  aux  rosiers! 

D'autres  brasiers,  plus  que  terrestres  ! 
Assez  des  Gretchens,  des  Didons, 
Des  Phèdres  et  des  Hypermnestres  1 
Et  vous,  Sapphos  et  Corydons, 
Assez!  besoin  d'autres  passades 
A  nos  sens  irrassasiés  : 
Laissez  les  gouges  aux  tribades, 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  ! 

Eros  Lesbien.  veuille  !  et  la  femme 
Saura  sa  bonne  solution 
Si  le  ver  sexuel  l'affame  ; 
Tribadisme  ou...  macération. 


6o  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 

C'est  son  aflfaire  :  et,  camarades. 
De  la  chair  serons  graciés  : 
Laissez  les  gouges  aux  tribades. 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  ! 

Si  l'on  te  matait,  chair  immonde, 
Quelles  merveilles  nous  ferions. 
Hommes!  ô  le  radieux  monde, 
Qu'à  loisir  nous  édifierions. 
Chasteté  !  chasteté  !  bravades  ! 
Hymnes  d'art  pur  à  pleins  gosiers  !.. 
Laissez  les  gouges  aux  tribades, 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  ! 

Le  temps  que  vous  gâchez,  poètes, 
A  sensibiliser  le  lard 
Des  vierges,  des  femmes  honnêtes 
Et  des  ribaudes,  lœuvre  d'art 
Le  revendique  !...  O  les  ruades 
Hors  du  Réel,  si  vous  osiez  : 
Laissez  les  gouges  aux  tribades. 
Laissez  les  roses  aux  rosiers  !... 


POTION    POUR    EVACUER 


DYSENTERIE 


Avorton  dévoré  d'inquiétudes  vaines, 

Et  fanfaron  d'humilité, 
Tu  criais  :  Je  suis  pur  !  Voyez  ma  chasteté, 

Arrachée  à  si  grande  peine  ! 

—  Je  souffle  et  te  voilà  dompté  ; 
Pour  avoir  levé  ton  mufle  de  ta  litière, 
Tu  bêlais  :  Penh!  la  chair!  nous  sommes  les  esprits, 

Nous  évacuons  la  matière. 
Nous  sommes  lumineux!  nous  sommes  les  épris 

Courtiseurs  de  la  science  altière; 
Nous  allons  démêler  l'énigme  et  tout  entière  ; 

Nous  recevrons  pour  notre  prix 
La  peau  du  sphinx,  et  la  laisserons  au  vestiaire 

Avec  le  plus  parfait  mépris  ! 
Quand  tu  es  saoulé  des  vanités  les  plus  vaines 

Comme  d'un  alcool  frelaté. 
Sournoisement  je  m'installe,  filtre  en  tes  veines 

Et  m'amuse  à  les  infecter  ; 
Je  triture  ton  corps  comme  une  vieille  loque 

Et  calcine  et  pourris  ton  sang: 
Vois-tu  ton  grand  esprit,  reclus,  dans  sa  défroque. 

S'y  tordre,  tordre  en  gémissant  ? 


02  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PRExMIÉRE 

Cracheur  d"idéal  mort,  contemple-la:  c'est  elle, 
C'est  ton  àme.  vois-tu  ?  et  puis  ça,  c'est  ta  chair 
Qui  par  rancune  de  ton  inepte  querelle 

Met  à  l'autre  derrière  à  l'air, 
La  fustige,  l'accule  à  l'abdominal  antre. 

Et  tiens  :  vois-tu  ton  idéal 
Qu'elle  expulse  honteusement  de  ton  bas-ventre 

Avec  le  ilôt  fécal  ? 


Onguent 

Contre 

La  Gale 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  6=, 


THALASSA!   THALASSA! 


O  vaste  Mer!  en  vain  tu  fais  la  courroucée, 
je  sais  ce  que  tu  es,  moi  qui  pleure  ton  sort  : 
Je  te  reconnais  bien,  courtisane  inlassée 
Qui  éternellement  tords  et  détords  ton  corps, 
Frotte  ton  ventre  vert,  frotte  ta  croupe  d"or 
Contre  la  grève,  et  la  mordille,  exaspérée 
De  désir,  et  te  roule,  haletant,  sur  son  bord! 

Où  sont-ils,  tes  sursauts  de  vierge  effarouchée, 

Quand  les  premiers  de  nous  t'osèrent  approcher. 

Faibles  audacieux  qui  n'osaient  qu'en  tremblant 

De  leur  nef  effleurer  en  un  sillage  blanc 

Ta  frissonnante  robe  aux  reflets  d'émeraude. 

Ta  robe  verte  et  bleue  aux  reflets  frissonnants, 

Et  pressentir  ta  chair  mouvante,  énorme  et  chaude? 

Vierge  que  nos  terreurs  avaient  faite  sacrée 
Quel  fut-il,  celui  qui  de  son  esquif  fatal 
Le  premier  déchira  ta  tunique  nacrée, 
Troubla  de  son  baiser  ta  gorge  indéflorée. 
Et  laboura  ton  flanc  de  son  rostre  brutal  ? 


66  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Mes  malédictions  harcèleront  sans  cesse 
Ce  héros  au  grand  cœur  bardé  du  triple  airain  ! 
Car  pour  jamais,  dès  que  tu  subis  sa  caresse, 
Ton  sein  loge  et  nourrit,  déplorable  Déesse, 
L'exaspéré  désir  qui  dévaste  tes  reins  ! 

Et  depuis,  envers  toi,  toute  insulte  est  permise, 

O  sublime  berceuse  de  TAphrodité  ! 

Tu  fais  la  complaisante  aux  familiarités, 

Te  voilà  devenue  une  fille  soumise, 

Le  plus  sale  voyou  vient  lever  ta  chemise 

Pour  quelques  liards  crasseux  âprement  disputés, 

En  ces  jours  où  ton  flot  fume  comme  une  lave. 
Un  grouillement  humain  assiège  ton  corps, 
Et  tout  fier  de  lui-même  à  sentir  qu'il  te  brave. 
Le  Peuple  Souverain  qui  quelquefois  se  lave, 
Déchausse  ses  souliers  et  met  tremper  ses  cors  ! 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  67 


—  Je  me  révolte  contre  la  chose  précisément  que 
révèrent  tous  mes  frères  : 

L'odieux  équilibre,  inerte  comme  de  cadavres  qu'un 
bout^fon  funèbre  maintiendrait  debout  de  les  adosser 
les  uns  aux  autres, 

L'équilibre  qui  d'ensemble   enchaîner   des    énergies 
équivalant  en  puissance,  divergeant  de  direction,  les 
entredétruit  dans  un  duel  sans  issue. 
Les  finit  en  cadavres  restés  debout,  d'être  adossés  les 
uns  aux  autres  ; 

Je  hais  la  symétrie  des  choses  qui  se  complètent;  vio- 
let et  jaune  font  deux  nobles  couleurs  —  mais  les 
reconnaître  accouplées  en  un  mariage  qui  enfante  le 
noir  mort  ou  le  blanc  qui  n'existe  pas,  m'indigne  et 
me  fait  souffrir  I 

Et  j'excècre  autant  l'accouplement  où  un  homme  avec 
sa  femelle  agglutinent  leurs  bestialités  à  s'anéantir 
dans  l'édition  des  bâtards,  des  bâtards  de  leurs  attri- 
buts originaux  fermentant  mélangés  l'un  dans  l'autre! 
Mais  je  révère,  mais  j'adore  la  symétrie  mouvante 
des  forces  ^/'('5(7//t' semblables,  et  qui  perpétuellement 
gravitent  entre  elles,  tendent  infiniment  à  se  joindre 
sans  se  joindre  jamais  ; 

Q.ui  développent  des  infinités  d'aspects,  des  infinités 
de  rapports  infiniment  divers  et  changeants,  infini- 
ment neufs,  infiniment  harmonieux; 


6S  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


J'adore  les  courbes  fuyant  à  l'infini,  la  Parabole, 
l'Hyperbole...  ; 

J'adore  le  chaste  rapprochement  des  êtres  du  même 
sexe,  les  fraternités  tendres  de  jeunes  hommes,  les 
disparitions  enlacées  des  couples  de  femmes  ; 

Et  je  t'adore,  Toi,  puisque  ta  poitrine  est  menue  ainsi 
qu'une  gorge  d'éphèbe,  que  tes  gestes  et  que  tes  atti- 
tudes, les  jeux  de  ta  voix  et  de  ton  visage,  à  travers 
les  grâces  féminines,  laissent  filtrer  les  virilités  souples 
d'un  bel  adolescent  ; 

Et  que,  fondant  par  le  souvenir  tous  tes  attributs  per- 
sonnels, je  doute  délicieusement  de  ton  sexe... 


ONGUENT   CONTRE    LA    GALE  69 


COMPLAINTE 


DES    PAUV    GOSSES    QUI    VEULENT     PAS    ALLER     A    L  ECOLE 


C'est  nous  qui  sommes, 

C'est  nous  qui  sont 

Les  p'tits  garçons, 

Les  p'tits  bonshommes, 
Les  pauv'  gosses 
Qu'on  force 
A  fair'  des  d'voirs,  apprend'  des  l'çons, 

Quand  ça  s'rait  si  bon 

D'caner  l'école, 
Et  d'fair'  les  polissons 
Bien  loin  des  barbacoles  ! 

«  Je  n'irai  pas  à  l'école, 
Maman  me  l'a  défendu. 
EU'm'a  dit  qu'si  j'y  allais, 
E'm'donn'rait  des  coups  d'balai  ; 
EU'm'a  dit  qu'si  j'y  allais  pas, 
E'm'donn'rait  du  chocolat  !  >/ 


70  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

—  Bon  Dieu  !sont-i' heureux  ceux  qui  peuv"  chanter  ça  ! 
Hélas  1  à  la  classe 
On  nous  fait  dire  en  place  : 

<■<  Je  serai  sage 
Comme  un  petit  mouton, 

J'irai  à  l'école, 
Pour  apprendr"  mes  leçons  !  » 
Mais  tout  bas  nous  disons  .• 
'<  Je  serai  sale 
Comme  un  petit  cochon, 
J'irai  à  l'école 
Pour  fair'caner  les  pions  !  » 

—  C'est  nous  qui  sommes...,  etc. 

Ça  s'rait  si  bon  d'pas  travailler, 
D'piquer  des  sommes 

Quand  ça  nous  prend,  et  d'vadrouiller 
Comme  des  hommes  ! 
Mais  par  ordr'du  Gouvernement 
On  nous  agrippe  et  on  nous  colle 
A  l'Asil',  ça,  c'est  l'commenc'ment, 
Après,  ça  s'ra  la  grande  école. 
Puis  l'atelier,  puis  l'régiment... 
Puis,  on  s'marira,  à  la  colle, 
Ou  par-devant  l'mair' légalement, 
Si  on  n'peut  pas  faire  autrement; 
L'conjungo  non  plus,  c'est  pas  drôle, 
Et  quand  i'viendra  des  enfants, 
Ça  s'ra  pour  eux  l'mêra'boniment... 
—  Tout'la  vie  on  est  à  l'école  !  — 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE 
PRIÈRE  : 

Dab  des  Dabs,  Mec  des  Mecs,  Manitou, 
Sempiternel  Grand  Tout  qui  trônes 

On  sait  pas  trop  où, 
Oh  va  !  pour  un'fois  sois  pas  rosse, 

Eh  vieux  ! 
Prends  en  pitié  les  pauvres  gosses 
Qu'on  colle  à  l'écol"  malgré  eux  ! 


72  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


EX-VOTO  AUX  PETITES  RAFEINEUSES 


DE    LA    RUE    DE    FLANDRE 


Ho  !  hohél  petites  raffineuses, 
Mes  raffineuses  délicieuses  ! 
La  fine  fleur  de  sucre  qui  s'éparpille 
Et  scintille 
En  nuages  précieux  de  fumées  neigeuses, 
Cristallise 
Et  pleut  sur  vos  chers  corps  savoureusement  canailles 
Et  les  poudrederize 
En  marquises  de  quels  Versailles  ! 
Ho  !  ohé  I  Lucindes  et  Primroses, 
Athénais  et  Cydalises  ! 
—  Mais  marquises  artificielles, 
Combien  et  combien  plus  belles 
De  leur  apparaître  irréel  !  — 
Et  la  si  fine  tieur  de  sucre  se  dépose 
Sur  vos  cheveux  blonds  du  blond  des  sucres  d'orge, 
Et  qui  drôlement  frisent, 
Sur  vos  grasses  joues  cruellement  roses, 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  73 

Sur  ces  jupes  folles 
Et  ces  camisoles 
Qui  voilent  vos  gorges 
Et  vos  autres  choses 
De  rouge  hardi  et  bleu  puissant. 
Dépose  sur  ces  flamboiements 
Ardents  comme  les  couleurs, 
Des  gâteaux  flambant 
Aux  vitrines  des  confiseurs 
Se  dépose  la  vaporeuse, 
La  fine  fleur  saccharine 
Et  fait  de  vous,  mes  divines, 
De  velouteuses  pralines. 
Bonbons  coulés  en  figurines. 
De  délicieux  bonbons  acides,  framboises 
Et  qu'on  s'attend  à  voir  fondre  sous  le  baiser... 
—  Ainsi,  mes  suaves  raffineuses. 
Vous  penserait-on  évadées 
De  pâtisseries  compliquées. 
Edifiées  en  scènes  de  mythologie, 
Décorant  l'apparat  des  tables  fastueuses. 
Aux  soupers  de  gala  des  vieilles  monarchies  ! 

Mais... 
Mais.ô  mes  chers  reflets  des  vieux  Louvres. 
Quels  désastres,  mes  amoureuses, 
Quand  le  destin  veut  que  s'entr'ouvrent 
Vos  jeunes  bouches  rouges, 
Fraichement  savoureuses, 
Epaisses  gelées  de  framboises  1 
A  travers  un  éboulis,  monstrueux  chaos 


74  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIERE 

De  dents  en  ruines, 
Un  écroulement  de  chicots 
Noircis,  jaunis  et  verdis. 
Corrodés,  rongés  et  pourris 
Sous  l'envahissement 
De  la  charmante  fleur  de  sucre,  si  divinement  fine, 
Comme  sous  une  hypocrite  et  féroce  vermine, 
Et  se  désagrégeant  en  purulents  morceaux  ! 
A  travers  cette  vivante  et  vivace  pourriture. 
Comme  par  le  grillage  effrité  d'un  vieil  égout 
S'échappe  et  coule,  et  roule,  infecte. 
Avec  un  flot  débordé  de  puanteurs, 
De  gros  gargouillements  de  paroles  abjectes 
Qui  fleurent  l'énorme  horreur 
D'immondes  excréments  en  décomposition  !... 

...  Ah  !  ce  n'est  plus  alors  les  petites  marquises 

Et  lesgourmandises  savoureuses. 

Et  plus  les  sucreries  exquises 
Que  vous  nous  évoquez,  suaves  raffineuses  ! 
Mais  des  bidets  royaux  en  porcelaines  rares 

Galamment  enluminées  et  peintes. 

De  sujets  artistement  libertins, 
Autels  d'unCupidon  hygiéniste  et  bibeloteur  d'art, 
Montés  sur  luxeux  socle... 
O  bidets  !  bidets  savoureux  ! 
—  Et  d'où  débonde,  quand  se  lève  le  couvercle. 
Le  résidu  punais  de  l'égout  amoureux  ! 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  'J -, 

CHANSON     DE    ROUTE 

A  MES   FUTURS  FRÈRES  D'ARMES 

(D'après  une  rengaine  de  Café-concert.) 

«  Allons,  enfants  de  la  Patrie  1   » 

On  nous  mène  à  la  bouch"rie  ; 

Pourquoi?  on  n'nousTa  pas  dit... 

Il  paraît  qu'c'est  la  Patrie 

Qu'a  besoin  qu'on  donn"  sa  vie  I 

Marche  1  march"  !  c'est  la  Patrie, 
Marche  !  march'  !  que  nous  servons! 

D'ia  Patrie  on  s"bat  les  zanches. 

Les  enn'mis  on  s'fout  bien  d'eux. 

Etr'  fusillé  si  on  flanche, 

Y  a  qu'  ça  qui  rend  courageux  ! 

Marche!  march'!   c'est  la  Patrie, 
Marche  I  march"  !  que  nous  servons  ! 

Comme  on  a  vu  les  tillasses, 

Soldat,  sous-otï,  officier, 

De  l'amour  on  gard"  les  traces 

D'ia  lèvre  jusqu'au  fessier! 

Marche!   march'!  c'est  la  Patrie, 
Marche  !  march'  !  que  nous  servons  ! 


76  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Et  nos  blessur's  nous  sont  chères: 

Copahu,  mercur",  santal, 

Chaud'piss',  vérol',  chancre,  ulcère 

Nous  ont  mangé  l'capital  ! 

Marche!  mardi"!   c'est  la  Patrie, 
Marche  !  march'  !  que  nous  servons  ! 

Aussi  quand  on  voit  les  femmes 

On  s'rappeir  c'qu'on  a  souffert, 

Et  qu'y  a  p'us  rien  dans  nos  âmes, 

C'qui  fait  qu'on  n'peut  plus  rien  fair'  : 

Marche!  march'!  c'est  la  Patrie, 
Marche  !  mardi'  !  que  nous  servons  I 

Mais  quand  mêm'faut  qu'l'amour  aille 

L'caporal  prend  un  bécot, 

Le  capitain'  prend  la  taille, 

Au  soldat  il  rest'  la  peau... 

Marche!  march"  !  bj.est  la  Patrie, 
Marche  !  march"  !  que  nous  servons  ! 

Et  comme  elles  sont  bonn's  tilles 

Et  connaiss't  pas  mal  le  loup. 

Pour  quequ'ronds,  e's'  font  gentilles, 

L'pauv'soldat  il  tir'  son  coup... 

Marche  !  march' !  c'est  la   Patrie, 
Marche  !  march'  !  que  nous  servons  ! 

Le  soldat  qu'a  pas  d'pécule 
Ou  qu'les  dam"s  ont  dégoûté, 
Prend  son  copain  et  l'en. ..voûte. 
C"est  meilleur  pour  sa  santé: 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  77 

Marche  !  mardi'!  c'est  la  Patrie, 
Marche  !  march'  !  que  nous  servons! 

Et  celui  qui  n'veut  plus  d'rhomme 
Ni  d'ia  femme,  si  l'cœur  y  en  dit 
Avant  que  de  piquer  son  somme 
Il  peut  ...  dans  son  lit... 

Marche  !  March'  !  c'est  la  Patrie  ! 

Marche!  March'  1  que  nous  servons  ! 

Ceux  qui  surviv't  vaill'  que  vaille 

Et  qu'ça  n'a  pas  fait  crever, 

A  la  première  bataille, 

Le  plomb  saura  les  ach'ver! 

Marche  !  march'  !  c'est  la  Patrie, 
Marche  1  march'  !  que  nous  servons  ! 

Mais  notre  mission  est  haute, 

Si  nous  tuons,  si  nous  mourons, 

C'est  poilr'ils^gros  d'ia  haute 

Dorment  sur  leurs  picaillons! 

Marche!  march"!  c'est  la  Patrie, 
Marche  !  march'  !  que  nous  servons  ! 


78  '  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


Ma  sœur,  le  vent  pleure  à  la  vitre, 
Pleure  comme  un  petit  enfant, 

La  pluie 
Le  flagelle,  il  sanglote  aux  vitres 
Les  bat  de  ses  millions  d'élytres, 
Ecoute  pleurer  aux  vitres  le  vent! 

Qu'il  fait  froid  !  notre  chair  meurtrie 
Grelotte,  serrons-nous  bien  fort. 

Bien  fort. 
L'un  contre  l'autre,  ma  chérie... 
O  les  soldats  au.K  mains  meurtries. 
Qu'ils  doivent  avoir  faim  et  froid,  dehors! 

Ma  sœur,  le  vent  pleure  à  la  porte, 
Il  tourne  autour  de  la  maison 

Glacée, 
Il  la  secoue,  et  sous  les  portes 
Il  glisse  ses  rauques  cohortes 
Nous  envahir  par  trahison!... 
Oh  !  la  nuit  est  pesante  et  noire, 
Elle  s'assied  sur  notre  cœur, 

La  nuit. 
L'étouffé  en  ses  ouates  noires... 
Pauvres  soldats  sans  feu  ni  boire. 
Perdus,  seuls  dans  la  nuit  et  la  douleur. 

Endolorissons-nous  de  leur  douleur,  ma  sœur! 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  79 


ARISTOCRATIE 


Mon  dos  vierge  ignorait  Toutrage  des  bretelles. 
Royalement   coulaient   mes    cheveux   sur  mon    cou. 
Et  j'allais,  bienheureux  de  ne  pas  savoir  où, 
Oubliant  —  par  dédain  vos  lois  et  vos  tutelles  : 

Mais,  Patrie!  à  présent,  voici  que  tu  m'attelles 
Au  char  égalitaire,  où  le  même  licou 
Accouple  à  ton  bétail  puant  —  le  jeune  loup 
Délicat  que  je  fus...  O  nobles  bagatelles. 

Voiles  clairs  où  ma  vie  aimait  tant  se  draper, 
Musiques,  Poésie,  enthousiasme  ironique, 
De  vos  prestiges  fiers  volez  m'envelopper, 

Sauvez-moi  du  contact  naïvement  cynique, 
Des  citoyens  soldats  souillant  ma  pureté, 
De  leur  fraternité,  de  leur  égalité! 


8o  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


Quand  on  fut  toujours  vertueux 
On  aime  à  voir  lever  l'Aurore  : 
Aussitôt  que  le  soleil  dore 
La  cour  du  quartier  poussiéreux, 

Je  saisis  d'un  bras  vigoureux 
L'oreille  au  Jule  ex-inodore, 
Telle  une  précieuse  amphore, 
Je  rélève,  majestueux... 

Au  premier  cri  de  l'alouette 
Je  mets  en  branle  la  brouette 
Et  fais  balader  le  balai. 

Puis  m'éloigne  avec  l'assurance 
D'avoir  rempli  comme  il  fallait 
Tout  mon  devoir  envers  la  France  ! 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE 


CHANSON  DE  ROUTE 


Le  ciel  en  feu  pleure  sur  ma  tête 
Des  averses  de  plomb  bouillant... 
Ma  gorge  râle  et  halète 

Effroyablement; 
Mes  pauvres  pieds  saignent  et  brûlent, 
La  sueur  m'inonde,  m'aveugle, 
La  sueur  sale  et  calcine  mes  yeux... 
—  Suivons  la  colonne  1 

Je  n"ai  plus  de  pensée... 
Chaque  pas  que  je  pousse 
Bat  son  écho  sous  ma  tête 
Mon  crâne  en  résonne,  résonne 
Comme  un  chaudron  vide  et  fêlé 
Sous  de  grands  coups  de  marteau... 

Et  chaque  sursaut 
—  Loge  un  écho 

Par  tout  mon  corps, 
Chaque  pas  tire  sur  mon  cœur 
A  l'arracher  de  ma  poitrine... 

• —  Suivons  la  colonne  !.,. 


o2  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Je  n'ai  plus,  plus  de  pensée... 
Ma  tête  se  disloque, 
Ma  cervelle  pend  comme  une  loque, 
Elle  s'arrache,  elle  fuit  et  voltige 
A  l'entour  de  moi... 
Je  me  tue 
Douloureusement  vainement 
A  la  pourchasser... 

—  Suivons  la  colonne... 

La  route  jaune  éblouissante 

S'allonge,  s'allonge  infinie... 

Le  sable  jaune,  et  les  arbres  le  long... 

Et  la  verdure  sans  cœur 
Monotone,  uniforme,  impassible!... 

Oh!  paysage  impitoyable. 
Vas-tu  l'arrêter,  ta  course  obstinée... 

On  ne  va  donc  pas  s'arrêter?... 
Vas-tu  cesser  de  courir  à  ma  rencontre. 

Et  de  fuir  entre  mes  pieds?... 

Ah!...  j'ai  le  vertige  ! 
La  poussière  remplit  ma  bouche  et  mes  narines. 

—  Suivons  la  colonne! 

...  J'ai  le  vertige  et  la  fièvre... 
Je  tremble...  oh  !  je  grelotte  et  je  brûle... 
J'ai  froid,  j'ai  chaud  à  la  fois... 

Mes  genoux  se  battent. 
Mes  jambes  s'écroulent  sous  moi. 
Je  vais  m'effondrer,  en  morceaux. 
Je  vais  tomber  là... 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  83 

Pourquoi  me  poussez-vous?...  Non!... 
On  me  pousse...,  il  faut  aller... 
—  Suivons  la  colonne... 

Mon  Dieu  !  mon  Dieu  I  la  ferme  avec  son  clos  fleuri, 
Je  ne  les  reverrai  plus  jamais... 
(Ah  !  je  meurs  I...) 
Et  l'étang  où  les  crapauds  chantaient  si  doux,  la  nuit, 

Et  ma  chambre  claire 
Où  la  grande  horloge  égrenait  des  musiques 
Sans  fin... 
(Oh  !  si  je  pouvais  boire  un  peu  !...) 
Et  petite  mère  toujours  assise  à  la  fenêtre, 
Et  ma  Denise,  et  ma  chère  petite  Denise... 
Oh  !  toute,  toute  ma  vie  pour  la   voir  une  minute!... 
Mais  je...  oh  !  j'ai  soif...  Je  ne  vois  plus  clair... 
Les  cierges  dansent:  c'est  comme  à  l'église... 
C'est  ici...  non,  je...  Maman!!! 


84  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 


CARNAVAL    ROUGE 

Matin  du  Lundi  gras  de  94.  exécution  de  Vaillant. 


Vivat  !  illuminez!  incendiez  vos  croisées  ! 

Des  lampions,  des  lampions,  des  pétards,  des  fusées, 

Volez,  illuminez  ! 
Faites  claquer  aux  vents  les  loques  tricolores 

Comme  aux  fêtes  nationales  ! 
Des  lampions,  des  lampions  !  à  tas  !...  encore  !  encore  ! 
Vivat  !  Faites  tourner  les  flammes  de  Bengale 

Le  long  des  façades 

Embrasées  !... 

Triomphe,  Mardi  gras  !...  houp  !  sautez,  gourgandines, 

Devant  les  vieux  messieurs! 
Retroussez-leur  le  nèz  du  coin  de  vos  bottines  ; 

Eh  houp!  la  cuisse  à  Tair  ! 
Et  faites  s'envoler  vos  jupes  de  Malines 

Dans  un  sublime  grand  écart  ! 

Tout  bas,  promettez-leur  d'être  bien   libertines 

Si  eux  sont  bien  généreux... 
Jonchez  la  nappe  de  poses  mythologiques, 
Extrayez  du  corset  vos  seins  gélatineux!... 


ONGUENT    CONTRE    LA    GALE  8^ 

(Prenez  garde,  donc  !  les  voilà  qui  dégringolent 

Sur  ces  molles  poitrines. 
Qu'illustrent  des  boutons  suspects 

Mal  refrénés  par  les  mercures, 
Les  chlorures  et  les  antiseptiques  !) 
Et  vous,  fœtus  vannés  et  moribonds  corrects, 
Allons,  décollez  vos  bandages  hygiéniques. 
Tâchez  de  réchauffer  vos  lambeaux  de  vigueur 
Et  soyez  donc  cochons,  si  vous  pouvez  encore  !... 

—  Mais  ayez-moi  donc  Tair  d'être  gais,  sacrebleu  ! 
Faites  semblant,  du  moins,  quoi  !  pour  la  galerie  ! 
¥a  pour  votre  ruban  rouge  !  Honneur  et  Patrie  ! 
Oh!  par  grâce  un  peu  de  tenue  ! 

Voulez-vous  bien  ne  pas  flageoler  de  la  sorte, 
Ne  pas  vous  écraser  l'oreille  sur  les  portes, 
Et  ne  pas  regarder,  effarés,  dans  la  rue  ! 

—  Mais  renfoncez  donc  votre  peur, 

Arrêtez-vous  de  geindre, 
Et  torchez  vos  sueurs, 
Fils  de  Quatre-vingt-neuf  ! 

Là,  voyez:  c'est  fini,  bien  fini,  rien  à  craindre  : 
L'Hydre  de  l'Anarchie  expire  et  pour  de  bon, 
Et  Ton  vous  a  servi  pour  votre  carnaval 
Discrètement,  entre  deux  bals. 
Cette  tête  toute  fraîche  emmaillotée  de  son  !... 
Eh  bien  ?  et  vous  tremblez  encore  ? 
"Voyons,  que  diable,  il  faut  se  faire  une  raison! 
Non?  pas  moyen?  doit-on  vous  le  hurler  encore, 
Que  c'est  exactement,  finalement  fini  ? 
Que  voulez-vous  encore  ? 


86  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Ah  !  VOUS  le  savez  bien  que  ça  n'est  pas  fini  ! 
Voilà  pourquoi  sous  vos  gros  airs  matamoresques 
Vous  grelottez  de  peur,  ô  laquais  décatis  ! 
Ah  !  vous  avez  voulu  qu'aux  joies  carnavalesques 

S'instituât  ce  prélude  inédit  ? 
Ah  !  vous  avez  choisi  pour  signal  à  nos  fêtes, 

Pour  initial  chahut  ceci  : 

La  culbute  d'une  tête  ? 
Ah,  c'est  votre  façon  de  faire  de  l'esprit  ? 
Soit  !  dansez  et  dansez  !  sautez!  lâchez  la  bête, 

Soit,  nous  serons  vos  vis-à-vis, 

Et  pour  avec  vous  ne  pas  être  en  reste 

Nous  poursuivrons  le  jeu  aussi, 

Puisque  vous  êtes  si  lestes  ! 


ONGUENT    CONTRF    LA    GALE 


87 


VIGILE  DE    FÊTE    NATIONALE 


J'étais  en  mon  cabaret,  entre  un  cruchon  d"eau-de-vie,  ma  pipe 
et  le  livre  de  Pascal:  tout  contre  la  terrasse,  un  bal  en  plein  air  > 
un  15  juillet,  vers  dix  heures  de  la  nuit. 

Le  peuple-roi  et  Pascal   . 

Parce  Domine  ! 
Parce  Populo  tuo  ! 

Pascal 

—  '<  Il  faut  arrêter  cette  insolence  qui  n'épargne 
pas  les  lieux  les  plus  saints...  >/ 

Le  peuple-roi 

...  Allons,  enfants  de  la  Patri-i-e, 
...  Mon  canard  est  amoureux  : 
...  Le  jour  de  gloire  est  arrivé  ; 
...  Mon  canard  est  amoureux, 
...  On  va  lui  couper  la  tête  ! 
...  C'est  un  oiseau  qui  vient  de  France, 
...  On  va  lui  couper  la  queue  1... 
Tzing  !  palaboum,  palaboum,  boum-boum! 
Baing  !... 

Parce  Domine  ! 

Parce  Populo  tuo  ! 


88  testament  de  sa  vie  première 

Pascal 

—  «  Toute  notre  dignité  consiste  donc  à  bien  pen- 
ser !  travaillons  à  bien  penser  !  >/ 

La  PIPE 

— •  Zinzizulé  !...  zulizinzizulé  !... 

Le  cornet  a  piston 

Bâfrons,  dansons,  buvons,  aimons! 
Notre  cervelle, 
Elle  est  entre  nos  jambes  ! 

Pascal 

—  «  Dans  une  grande  âme,  tout  est  grand  !  » 

La  pipe 

—  Danzudingunamul...  tulilingandigan... 

Le  bass-tuba 

Je  grogne  et  je  flatue  et  fais  des  borborygmes 

Et  c'est  l'âme  au  peuple  abruti 
Que  dégorgent  mes  larges  boyaux  de  vieux  cuivre 
En  gaz  empuantis  ! 

La  pipe 

—  Flui,  flui,  flui...  fallafam-flui  !.  . 

Pascal 

—  «  Le  premier  effet  de  l'amour,  c'est  d'inspirer 
un  grand  respect...  » 

La  pipe 

—  Fluiz...  spluir...  filazouli,  zalaflui...  effespelile... 


onguent  contre  la  gale  89 

La  clarinette 

Mes  piaulements  impudiques 
Sont  les  sanglots  de  pâmoisons 
Des  petites  filles  lubriques 
Que  sur  le  paillasson 
Troussent  les  éphèbes  cyniques  ! 

Pascal 

—  «  Il  est  dangereux  de  dire  au  peuple  que  les  lois 
ne  sont  pas  justes  ;  car  il  n'obéit  qu'à  cause  qu'il  les 
croit  justes  I  » 

La  pipe 

—  Juss-juss-juss...  titu,  titu,  titu,  loluluit  !... 

La  grosse  caisse 

Boum  !  boum  !  adorons  la  trique  !... 
Boum  !  boum  !  suçons  notre  gourme  !... 
Boum  !  boum  !  mordons  qui  nous  aime  !... 
Boum  !  boum  !  léchons  qui  nous  gourme  !... 
Boum  !  boum  !  et  battons  la  flemme  !... 
Boum  ! 

Pascal 

—  «  L'immortalité  de  l'âme  !  » 

La  pipe 

—  Pouh-pou-pou-pou  ;  pou-pou-pouh  1... 

Les  cymbales 

Dzing  !...  Vive  la  peau  !  vive  le  corps  ! 

Abaissons-nous  !  toujours  !  encor  1 


90  TESTAMENT    DE    SA    VIE    PREMIÈRE 

Vivent  le  vin,  la  viand'des  femmes, 
L'absinthe  et  les  gros  mélodrames, 
Vivent  l'argent  et  le  gourdin!...  Dzing!. 

Pascal,  la  pipe,  le  peuple-roi 

Parce  Domine  ! 
Parce  Populo  tuo  !... 


ONGUHNT    CONTRH    LA    GALE  i)  l 


MORALE 


Ton  baiser  emprisonne  le  léger  havane, 

Lèvre,  et  hume  l'arôme  hors  l'artificiel 

Fruit  acre  et  succulent  —  du  poivre  sous  du  miel  — 

Qui,  fuselé  s'allonge  en  l'air,  et  s'y  pavane, 

Et  tel  l'eau  du  canal  dont  tu  lèves  la  vanne. 
Son  âme  aristocrate,  en  un  torrentiel 
Tournoiement  de  flocons  bleus  montant  vers  le  ciel. 
Je  la  crache  :  ils  s'en  vont  en  molle  caravane; 

Mon  œil  les  accompagne  avec  détachement 

Se  dissoudre  un  à  un  au  bleu  du  firmament  :     [crime, 

Ne  sachant  qu'un  seul  crime,  un  vers  plat,  mais  grand 

Rêver  vaut  mieux  qu'agir  et  dormir  que  rêver. 
Etre  mort  que  dormir;  prudence  légitime: 
Hélas  !  un  mauvais  vers  est  si  vite  arrivé  ! 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DEVOIRS    D  ECOLIER 

Pag-es. 

Prière  fervente  avant  d'entrer 3 

Hymne  nuptial 7 

Obéron 8 

Paysage  lorrain lo 

Variation  autre  sur  le  vieux  thème ii 

Vesper i6 

La  Symphonie  en  si  [7 17 

Evening  at  ten  o'clock 19 

Barcarole  en   nocturne 21 

Acte  de  contrition 25 

Vanité 27 

Convictions  politiques 29 

Vision  d'un  midi  d'Été 30 


POTION    POUR    EVACUER 

Cantique  à  la  plus  jolie 35 

En  gratitude  du  joli  bonsoir  et  du  plus  joli  sourire. . .  36 

Dévergondage   d'Eté 37 

Dionysia 49 

Vierge  nubile 50 

Idylle 53 


94  TABLE    DES    MATIERES 

Pages. 

Veille  amoureuse 55 

Hg 57 

Romance  objurgative  et  comminatoire 58 

Dysenterie 61 


ONGUENT     CONTRE    LA     GALE 

Thalassa  !  Thalassa  ! 65 

Complainte 69 

Ex-voto  aux  petites  raffineuses 72 

Chanson  de  route 75 

Aristocratie "<) 

Chanson  de  route ->i 

Carnaval  Rouge 84 

Vigile  de  fête  Nationale 87 

Morale 91 


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PQ     Faillet,  Georges 

2611      Testament  de  sa  vie  première 

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