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Full text of "Théophile : avec le portrait de Danet et une notice de Rémy Le Gourmont"

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nOU.ECTlOS  DES    PLUS   BELLES   PAGES 

c  c' 

Théophile 

ODES   ET    STANCES.  —  ÉLÉGIES    ET    SONNETS 

I  A  MAISON  DE  SYLVIE;  FRAGMENTS  :    PTRAHE  ET  TTSDÉ  ; 

POÉSIES     niVERSES;     CONTES 

appendice:  docoments  biographiques;  anecdotes; 

jugements  littéraires  ; 

le    parnasse   satyrique  et  le  procès.  —  bibliographie 

avec  le  pontrait  de  danet 

et  une  notice  de 

RE»nr   DE   GOURMONT 


PARIS 

SOCIÉTÉ  DV  MERCVRE  DE  FRANCE 

XXVI,    RVE   DE   CONDÉ,    XXVI 


\^t>1 


THÉOPHILE 


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Et  Jon    e/jjrtt  en  Jej   ouurajej 


COLLECTION  DES    PLUS   BELLES   PAGES 


Théophile 

ODES    ET    STANCES. —  ÉLIiGIES   ET   SONNETS 

I.A  MAISON  DE   SYLVIE.  FRAGMENTS  .*    l'YRAME  ET  TTSBli  ; 

l'OÉSlES     diverses;    CONTES 
Al'l'ENDICE  ;    documents    lUOUUAI'HlQUES  ;    ANECDOTES; 

jugements  littéraires; 
le    parnasse   satyrigue  et   le  proces.  —   1jibli0gka1-111e 


AVEC  LE  POUÏRAIT  DE  DANET 
ET  UNE  NOTICE  DE 


REMY    DE    GOURMONT 


PARIS 

SOCIÉTÉ  DV  MERCVRK  DE  FRANCE 

XXVI,    RVE   DE   CONDÉ,    XXVI 


BIBLIOTHECA    j 

tiàv  en?' 


Jyf ,  ^ 


II  faut  un  peu  d'adresse  à  bien  cueillir  des  roses. 

TUÉOI'IIILE. 


NOTICE 


THÉOPHILE 


a  Depuis  ce  temps-là,  écrivait  Sorel,  dans  sa 
Bibliothèque  française,  en  i6G4,  nos  premiers 
poètes  furent  Théophile  et  Saint-Amant.  »  De- 
puis ce  temps-là,  c'est-à-dire  depuis  Malherbe 
et  son  école,  jusqu'au  renouveau  de  lOGo, Théo- 
phile est  en  efFet  avec  Saint-Amant,  délaissé 
un  peu  plus  vite,  avec  Tristan  Lhermite  et  Guil- 


THEOPHILE 


laume  Golletct,  connus  seulement  dans  un  cer- 
cle, à  peu  près  le  seul  poète.  Sa  vog'ue  dura 
environ  soixante  ans,'  et  pendant  ce  larg'e 
demi-siècle,  ses  poésies  furent  réimprimées, 
chaque  année  à  peu  près,  soit  à  Paris,  soit  à 
Rouen,  Lyon  ou  Bordeaux.  C'était  plus  que 
la  vog'ue,  c'était  la  gloire;  sans  Boileau,  Théo- 
phile eût  sans  doute  continué  de  régner  jusqu'à 
la  fin  de  l'ancienne  littérature  française. L'idole 
renversée,  le  socle  resta  vide.  La  démolition  de 
Théophile  l'ut  celle  de  la  poésie  lyrique  person- 
nelle :  depuis  la  Maison  de  Sylvie  jusqu'à  la 
Jeune  captive,  la  poésie  française  fut  dramati- 
que, satirique,  précieuse,  burlesque,  éloquente, 
spirituelle,  et  même  tendre,  quoique  pas  sou- 
vent, elle  ne  fut  jamais  plus  lyrique.  Une  veine 
qui  remontait  jusqu'aux  trouvères, et  plus  haut, 
jusqu'aux  anciens  provençaux,  se  trouva  tarie. 
Il  y  a  là  une  curieuse  modification  du  g-énie  et 
du  goût  français;  laquelle,  si  elle  est  explica- 
ble, n'a  pas  encore  été  expliquée,  car  Boileau 
n'est  sans  doute  qu'une  cause  seconde.  Un 
critique  n'a  raison  que  si  le  public,  d'avance, 
lui  donne  raison. 

Théophile  a  donc  un  grand  intérêt.  Il  mar- 
que la  date  où  meurt  un  genre  qui  ne  devait 


iciiattre  que  deux  cents  ans  plus  tard  dans  la 
forme  môme  où  il  avait  ôté  enseveli.  Le  roman- 
tisme renoue  si  naturellement  avec  Théophile 
qu'il  est  encore  permis  d'en  manifester  quel- 
que surprise  et  aussi  quelque  contentement, 
(]ela  permettrait,  en  opposition  à  des  idées  qui 
ont  pris  corps  récemment,  de  considérer  le 
romantisme  lyrique  comme  le  développement 
d'un  g-erme  national  et  non  plus  comme  une 
importation  étrang-ère.  Théophile  Gautier, 
retrouvant  un  des  siens  dans  cevieux  Théophile 
de  Viau,  fut  heureux.  Soyons-le  avec  lui  et 
reconnaissons  que  le  lyrisme  personnel,  s'il  est, 
comme  le  disent  les  néo-classiques,  une  dépra- 
vation de  la  poésie,  est,  du  moins,  chez  nous,  une 
dépravation  traditionnelle. 

La  Bruyère,  dans  son  jugement,  joint  Théo- 
phile à  Malherbe,  preuve  qu'à  la  fin  du  dix- 
septième  siècle  Théophile  g-ardait  encore  son 
rang".  «  Ils  ont,  dit-il,  tous  les  deux  connu  la 
nature.  »  Malherbe  en  aurait  fait  l'histoire  et 
Théophile,  le  roman.  Gela  n'est  plus  très  clair 
pour  nous,  qui  avons  vu  tant  de  romanciers 
de  la  nature,  infiniment  plus  romanesques  que 
Théophile.  Mais  ne  retenons  que  le  premier 
terme.  Théophile  a  connu  la  nature.  Cela  sera 


THEOPHILE 


Tune  de  ses  originalités.  Non  pas  que  l'intimilc 
avec  la  nature  soit  rare  à  cette  époque  de  la  poé- 
sie française.  Malherbe,  Racan,  Maynard,  Saint- 
Amant  lui-même  sont  des  poètes  de  la  nature 
et  qui  aiment  les  champs  et  les  bois, les  fleuves, 
la  mer,  mais  Théophile  a  peut-être  regardé  les 
paysag-es  d'un  peu  plus  presque  ses  contempo- 
rains. D'un  peu  trop  près,  pensait  La  Bruyère  : 
«  Il  s'appesantit  sur  le  détail  »  ;  d'assez  près, 
dirons-nous,  au  contraire,  pour  que  ses  dessins 
soient  formés  avec  une  précision  ing-énue.  Il  y 
a  encore  bien  des  réminiscences  littéraires  dans 
les  paysages  de  Théophile,  et  aussi  bien  des 
feintes  et  bien  du  mauvais  goût,  mais  on  y 
verra  çà  et  là  des  traits  et  même  des  figures 
d'une  élégante  et  juste  simplicité  : 

La  charrue  écorche  la  plaine, 
Le  bouvier  qui  suit  les  sillons 
Presse  de  voix  et  d'aiguillons 
Le  couple  de  bœufs  qui  l'entraîne. 

Alix  apprête  son  fuseau, 
Sa  mère  qui  lui  fait  sa  lâche 
Presse  le  chanvre  qu'elle  attache 
A  sa  quenouille  de  roseau. 

Une  confuse  violence 
Trouble  le  calme  de  la  nuit 


l'it  la  Iuniit"'iv  nxrc  \c  hniil 
Uissipoiil  l'umliic  cl  le  silence. 

Mais  pourquoi  faut-il  <jue,  danscelte  ac^rôable 
description  du  malin,  il  fasse  intervenir  «  le 
îjénéreux  lion  «  et,  ce  qui  est  pire,  «  sa  dame 
entrant  dans  les  hocaj^cs  ■»?  C'est  que  Théophile 
ne  possède  pas  encore  l'art  de  localiser  un  pay- 
sajafe.  II  veut  nous  décrire  un  matin  universel, 
et  son  tahleau,  heureux  dans  le  détail,  est,  dans 
l'ensemble,  incohérent. 

Le  Matin,  cette  ode  célèbre  et  d'après  la- 
quelle on  juge  toujours  du  pi'Oilt  de  Théophile 
et  de  sa  sensibilité  pour  la  nature,  n'est  qu'un 
charmant  exercice  de  rhétorique.  Il  y  a  cepen- 
dant un  Théophile  ivre  des  beautés  champêtres 
et  amoureux  de  son  pays  natal  ;  il  se  révélera 
beaucoup  plus  tard,  après  son  procès,  quand 
il  écrit  à  son  frère,  quand  il  révc,  après  tous  ses 
malheurs,  du  ciel  et  des  jours  de  son  enfance  : 

S'il  plaît  à  l.T  l)onlé  des  cioux, 
Encore  une  ibis  en  ma  vie 
Je  paîtrai  ma  dent  et  mes  yeux 
Du  rouiçe  éclat  de  la  pavie. .. 
Je  verrai  sur  nos  grenadiers 
Leurs  rouges  pommes  cnlr'ouvertes 
Où  le  ciel,  comme  à  ses  lauriers, 


10  THEOPHILE 

Garde  toujours  des  feuilles  vertes... 
Je  reverrai  fleurir  nos  prés. 
Je  leur  verrai  couper  les  herbes, 
Je  verrai  quelque  temps  après 
Le  paysan*  couché  sur  les  gerbes, 
Et  comme  ce  climat  divin 
Nous  est  très  libéral  de  vin, 
Après  avoir  rempli  la  grange 
Je  verrai  du  matin  au  soir 
Comme  les  flots  de  la  vendange 
Ecumeront  dans  le  pressoir... 

Aucun  poète  contemporain  n'est  capable 
d'une  chanson  aussi  familière,  et  c'est  un  des 
charmes  de  Théophile  qu'il  ait  osé  être  aussi 
personnel  et  aussi  doux. 

La  Maison  de  Sylvie^  qui  date  de  la  même 
époque,  est  d'une  inspiration  moins  naturelle, 
mais  le  talent  de  Théophile  y  est  très  sûr  et  très 
maître  de  lui.  La  Maison  de  Sylvie,  c'est  le  châ- 
teau de  Chantilly,  et  Sylvie,  c'est  Marie-Fôlice 
des  Ursins,  duchesse  de  Montmorency.  Théo- 
phile passa  près  d'elle  les  derniers  et  peut-être 
les  plus  doux  mois  de  sa  vie.  En  cet  asile 
mag-nifique,  il  devient  un  homme  nouveau;  le 
temps  est  loin  où  il  s'écriait  :  «  Mon  âme  inca- 
gue  les  destins  !  »  Les  destins  lui  sont  si  clé- 
ments, enfin,  qu'il  les  adore.  La  Maison   de 


Sylvie  est  bien,  comme  on  l'a  dit,  une   suite 
«rodes  à  la  Joie  : 

Dans  ce  parc,  un  vallon  secret 
Tout  voilé  de  ramatijes  sombres, 
Où  le  soleil  est  si  discret 
(Ju'il  n'y  force  jamais  les  ombres. 
Presse  d'un  cours  si  dilii^ent 
Les  flots  de  deux  ruisseaux  d'arjjent 
Et  donne  une  fraîcheur  si  vive 
A  tous  les  objets  d'alentour, 
Oue  même  les  martyrs  d'amour 
Y  trouvent  leur  douleur  captive. 

Ce  beau  poème  est  g^âté,  au  yoût  moderne, 
par  des  touches  de  préciosité.  Sylvie  poche  à  la 
ligne,  et  les  poissons  se  battent  «  à  qui  plus  tôt 
perdrait  la  vie,  en  l'honneur  de  ses  hameçons  ». 
La  strophe  suivante,  encore  dans  le  même  ton, 
est  cependant  très  jolie  : 

D'une  main  défendant  le  bruit 
Et  de  l'autre  jetant  la  lii'ne  *, 
Elle  fait  qu'abordant  la  nuit, 
Le  jour  plus  bellement  décline. 
Le  soleil  craignant  d'éclairer 
Et  craignant  de  se  retirer. 
Les  étoiles  n'osaient  paraître, 
Les  flots  n'osaient  s'entrepousser, 
Le  zéphyre  n'osait  passer. 
L'herbe  se  retenait  de  croître  *. 


THEOPHILE 


Voilà  une  nature  bien  spirituelle.  On  la  retrou- 
vera dans  le  Songe  de  Vaux.  La  Fontaine  a 
beaucoup  pratiqué  Théophile.  Il  a  su  par  cœur 
la  Maison  de  Sylvie  ;  cela  est  visible  dans  ses 
premières  œuvres  :  «  A  Malherbe,  à  Racan,  il 
préférait  Théophile,  y^ 

Voilà  pour  le  goût  de  la  nature.  On  aimera 
ensuite  Théophile  pour  la  grâce  qu'il  sait  don- 
ner à  l'expression  de  sa  tendresse  amoureuse  : 

Quand  tu  me  vois  baiser  tes  bras. 
Que  tu  poses  nus  sur  les  draps, 
Bien  plus  blancs  que  le  linge  même  ; 
Quand  tu  sens  ma  brûlante  main 
Se  pourmener  *  dessus  ton  sein. 
Tu  sens  bien,  Cloris,  que  je  t'aime. 

Comme  un  dévot  devers  les  cieux, 
Mes  yeux  tournés  devers  tes  yeux, 
A  genoux  auprès  de  ta  couche, 
Pressé  de  mille  ardents  désirs. 
Je  laisse  sans  ouvrir  ma  bouche 
Avec  toi  dormir  mes  plaisirs... 

Théophile,  bien  qu'il  se  soit  adonné,  lui 
aussi,  aux  Cloris  et  aux  Mélicerles,  avait  un 
certain  sens  du  ridicule  qui  s'attache  aux  noms 
mythologiques  transportés  dans  notre  civilisa- 
tion. Amarante,  dit-il, 


i3 


AmaraDte,  Philis,  Calistc,  Pasilhée, 

Je  hais  celte  noblesse  à  vos  uonis  affectée, 

et  il  continue  par  ce  joli  vers  qui  est  un  conseil 
de  naturel  et  Je  simplicité  : 

Le  plus  beau  nom  du  monde  est  le  nom  de  Marie. 

Quant  à  l'ode  à  la  Malherbe,  Théophile  la 
fait  presque  aussi  bien  que  Malherbe  lui-même  : 

Celui  qui  lance  le  tonnerre, 

Qui  gouverne  les  éléments, 

Et  meut  avec  des  tremblements 

La  grande  masse  de  la  terre  ; 

Dieu  qui  vous  mit  le  sceptre  en  main, 

Qui  vous  le  peut  ôler  demain. 

Lui  <iui  vous  prête  sa  lumière, 

Et  qui,  malgré  les  fleurs  de  lys. 

Un  jour  fora  de  la  poussière 

De  vos  membres  ensevelis  ; 

Ce  grand  Dieu,  etc. 

Il  y  en  a  très  long  sur  ce  ton  bien  soutenu. 
Bossuet  mettra  cela  en  prose  :  «  Celui  qui 
règne  dans  les  cieux,etc.  »,et  il  paraît  que  du 
coup  cela  devient  très  beau.  Passons.  La  rhé- 
torique n'est  pas  ce  qui  nous  attire,  ni  dans 
Théophile,  ni  dans  Bossuet. 

Faut-il  accorder  à  l'auteur  de  quelques  sati- 


THEOPHILE 


res  ou  épîtres,  qui  sont  des  professions  de  foi. 
le  mérite  d'avoir  été  un  poète  philosophique? 
Je  crois  que  cela  est  nécessaire,  car  Théophile 
eut  peut-être  autant  d'influence  par  son  incré- 
dulité que  par  son  talent.  Sa  philosophie  d'ail- 
leurs est  brève  et  se  résume  à  peu  près  par  ce 
vers  : 

J'approuve  qu'un  chacun  suive  en  tout  la  nature. 

Il  ajoute,  et  sa  vie  donna  à  la  maxime  une 
valeur  déplaisante  : 

Jamais  mon  jugement  ne  trouvera  blâmable 
Celui-là  qui  s'attache  à  ce  qu'il  trouve  aimable. 

L'accusation  de  libertinag-e  dont  on  charg'ea 
Théophile  n'aurait  pas  suffi  à  émouvoir  la 
justice  si  les  Jésuites,  on  ne  sait  trop  pourquoi, 
ne  s'étaient  acharnés  contre  lui.  Le  projet  de 
réquisitoire  de  Mathieu  Mole  est  un  monument 
de  partialité  stupide.  Théophile  écrit  de  sa  maî- 
tresse : 

Tout  seul  dedans  ma  chambre,  où  j'ai  fait  ton  église. 
Ton  image  est  mon  dieu,  mes  passions,  ma  foi, 

et  le  procureur  lui  impute  cela  à  crime  d'im- 
piété ! 


Théophile  était  connu,  ses  vers  se  vendaient. 
Cela  fit  que  le  sieur  Lcstoc,  imprimeur,  donna 
sous  son  nom  le  Parnasse  des  Muses  satijri- 
(jiies.  Le  P.  Garasse  dénonça  ce  recueil,  d'ail- 
leurs peu  recommandabIe,ct,  pendant  que  Tau- 
torité  royale  laissait  fuir  Théopile,  il  s'achar- 
nait, avec  le  P.  Voisin  et  le  lieutenant  le 
Blanc,  contre  l'imprudent  poète.  Théophile  fut 
pris  ;  le  procès  dura  deux  ans,  et  se  termina 
par  un  arrêt  de  bannissement.  Mais  l'exécution, 
jÇràce  à  de  puissantes  protections,  en  fot  pour- 
suivie assez  mollement  et  Théophile  trouva  à 
Chantilly,  puis  au  château  de  Selles,  en  Berry, 
chez  le  duc  de  Béthune,  un  asile  inviolable. 

Quelle  est  sa  part  dans  le  Parnasse  safi/- 
rique?  On  n'en  sait  rien,  ni  s'il  y  collabora 
volontairement.  En  tout  cas,  le  livre  sortait  du 
milieu  libertin  où  fréquentait  Théophile.  Cela 
n'a  d'ailleurs  aucune  importance  ;  la  plupart 
des  poètes  connus  du  xix*=  siècle  ont  fait  des 
vers  obscènes;  c'est  un  passe-temps  comme  un 
autre,  qui  n'a  pas  nui  à  leur  g'ioire,  et  qui  ne 
t-loit  point  nuire  non  plus  à  celle  de  Théophile. 

On  lui  reprocherait  plutôt  Pi/rame  et  This- 
bé,  trag-édie  déclamatoire  et  peu  dig-ne,  vrai- 
ment, du  chantre   délicat    de  Sylvie.    Disons 


THEOPHILE 


pourtant  qu'elle  contient  une  jolie  scène,  quel- 
ques vers  délicieux  et  que  le  rôle  de  Thisbé  est 
une  esquisse  assez  curieuse. 

Théophile  a  fait  lui-même  sa  psycholog-ie 
littéraire  : 

La  règle  me  déplaît,  j'écris  confusément  : 
Jamais  un  bon  esprit  ne  fait  rien  qu'aisément. 

On  lui  tiendra  compte  de  ce  qu'il  est  mort  à 
l'âge  même  où  Malherbe  commençait  d'écrire. 
Théophile,  avec  les  défauts  d'un  tempérament 
trop  ardent,  d'une  imagination  insoumise, 
d'une  verve  déclamatoire,  était,  comme  en  jugè- 
rent ses  contemporains,  un  beau  génie. 

Il  a  un  autre  mérite,  et  qui  n'est  pas  mé- 
diocre, ajouté  aux  autres.  Théophile  fut  un 
libre  esprit,  de  la  lignée  des  indisciplinés  et 
des  incrédules.  Elle  remonte  loin,  dans  la  litté- 
rature française,  jusqu'au  treizième  siècle,  et 
peut-être  plus  haut.  L'auteur  à'Aucassin  et 
Nicoleite  raille  le  paradis  où  ne  vont  que  non- 
nes et  vieux  prêtres  et  toutes  vilaines  gens  qui 
passent  leur  temps  accroupis  devant  les  autels  ; 
il  veut  aller  en  enfer  où  vont  les  beaux  clercs 
et  les  cavaliers,  les  belles  dames  courtoises  avec 


'7 


leurs  barons.  C'est  sans  iloutc  ce  que  répondit 
Tlicophile  au  curù  do  Saint-Nicolas,  qui  s'en 
courrouça.  11  était  païen,  de  ce  paganisme 
admirable  qui  e.\it;e  que  l'on  vive  sa  vie,  avant 
tout.  Bientôt  va  commencer  la  grande  littéra- 
ture soumise  au  clergé,  pendant  laquelle  Mo- 
lière presque  seul  représente  l'intelligence 
affranchie.  C'est  dans  Théophile  et  dans  Cyra- 
no, plus  que  dans  l'équivoque  Gassendi,  que 
Molière  avait  puisé  sa  philosophie.  On  n'est 
pas  un  esprit  secondaire,  quand  on  prépare  la 
venue  de  plus  grands  esprits  que  soi.  Théo- 
phile est  un  de  ceux  qui  ont  maintenu  le  flam- 
beau allumé.  Des  gouttes  de  cire  brûlante  sont 
tombées  sur  sa  main  :  c'est  pour  cela  qu'elle 
tremble  un  peu. 

En  cette  édition,  on  a  tâché  de  donner  de 
son  talent  une  idée  à  la  fois  exacte  et  favorable. 
Môme  dans  un  Ronsard  ou  un  La  Fontaine,  il 
faut  choisir.  Nous  avons  choisi  dans  Théoj)hile, 
sans  rien  omettre,  pensons-nous,  d'essentiel  ou 
de  caractéristique.  On  trouvera  en  ce  peu  de 
pages  le  poète  lyrique,  rélégiaque,le  satyrique, 
le  dramatique  même  ;  on  trouvera  le  conteur. 


l8  THÉOl'HILE 

on  trouvera,  en  appendice  aux  œuvres  désinté- 
ressées, l'apolog-iste  de  soi-même. 

C'est  un  service  à  rendre  à  ces  poètes  qui 
n'agréent  plus  qu'aux  lettrés  ou  aux  curieux, 
d'allég'er  leur  bag'ag'e  :  écrasé  sous  les  deux 
tomes  de  ses  œuvres  complètes,  Théophile, 
chargé  de  ce  seul  petit  volume,  se  relève  et  se 
présente  allègre  à  une  lointaine  postérité. 

Gomme  on  fait  pour  Corneille^  son  contem- 
porain à  quelques  années  près, pour  Malherbe, 
plus  ancien,  nous  avons  modernisé  l'orthog-ra- 
phede  notre  Théophile  :  l'usage  de  rajeunir  les 
imprimés  du  temps,  quand  il  s'ag"it  d'un  Cor- 
neille, et  de  les  suivre  strictement,  quand  il 
s'agit  d^un  Théophile  ou  d'un  Saint-Amant,  est 
absurde.  Tous  ont  droit  à  une  mesure  ég"ale. 
Voici  du  Corneille  authentique  :  «  le  connoij 
celuy-cy  —  Vay  ueu  que  nostre  peuple  — 
Oueussay-Jejait, Pollux...  ?  —  Fust  péry  le 
premier. y)  Les  seuls  archaïsmes  que  nous  avons 
respectés  sont  leso//  pour  ait  et  quelques  for- 
mes que  la  rime  impose,  tel  coral  pour  corail  : 

....  Pour  se  faire  voir  libéral, 
Arrache  de  son  sein  avare 
L'ambre,  la  perle  et  le  coral. 


«9 


Ou  ne  peut  pas  non  plus  remplacer  en  \crs  J'oy 
qui  n'a  qu'une  syllabe,  par  Jouis,  qui  en  a 
lieux.  Ces  remarques  montrent  que,  loin  de 
prétendre  <i  une  édition  savante,  nous  avons  au 
contraire  cherché  à  mettre  Théophile  en  état 
d'être  goûté  sans  peine  par  tous  les  amateurs 
de  poésie  française. 

REMY  DE  GOUUMONT. 


LIVRE  PREMIER 
ODES  ET  STANCES 


LE  MATIN 

ODE 

L'aurore  sur  le  front  du  jour 
Sème  l'azur,  l'or  et  l'ivoire, 
Et  le  soleil,  lassé  de  boire, 
Conimeuce  son  obliciuo  tour. 

Ses  chevaux,  au  sortir  de  l'onde, 
De  flamme  et  de  clarté  couverts, 
La  bouche  et  les  naseaux  ouverts. 
Ronflent  la  luniiôrc  du  monde. 


12  THEOPHILE 

La  lune  fuit  devant  nos  yeux  ; 
La  nuit  a  retiré  ses  voiles  ; 
Peu  à  peu  le  front  des  étoiles 
S'unit  à  la  couleur  des  cieux. 

Déjà  la  diligente  avette  *  (1) 
Boit  la  marjolaine  et  le  thym, 
Et  revient  riche  du  butin 
Qu'elle  a  pris  sur  le  mont  Hymette. 

Je  vois  le  généreux  lion 
Qui  sort  de  sa  demeure  creuse, 
Hérissant  sa  perruque  affreuse, 
Oui  fait  fuir  Endymion. 

Sa  dame,  entrant  dans  les  bocages, 
Compte  les  sangliers  *  qu'elle  a  pris 
Ou  dévale  chez  les  esprits 
Errant  aux  sombres  marécages . 

Je  vois  les  agneaux  bondissants 
Sur  ces  blés  qui  ne  font  que  naître  ; 
Cloris,  chantant,  les  mène  paître 
Parmi  ces  coteaux  verdissants. 

Les  oiseaux,  d'un  joyeux  ramage, 

(i)  Pour    les  mots  marqués  d'un  *,  voir  le  Lexique, 
IV  de  V Appendice. 


\ 


ODES    ET    STANCRS  23 


Kii  cliantanl  semblent  adorer 
La  lumii'iT  qui  vient  dorer 
Leur  cabinet  et  leur  plnniaiçc. 

I^a  charrue  écorehe  la  plaine; 
Le  bouvier,  ([ui  suit  les  sillons, 
Presse  de  voix  et  d'aii>iiillons 
Le  couple  de  bœuis  qui  renlraînc. 

Alix  apprête  son  fuseau  ; 
Sa  mère,  qui  lui  fait  la  t;\che, 
Presse  le  chanvre  qu'elle  attache 
A  sa  cpienouille  de  roseau. 

Une  confuse  violence 
Trouble  le  calme  de  la  nuit, 
Et  la  lumière,  avec  le  bruit. 
Dissipe  l'ombre  et  le  silence. 

Alidor  cherche  à  son  réveil 
L'ombre  d'Iris  qu'il  a  baisée. 
Et  pleure  en  son  âme  abusée 
La  fuite  d'un  si  doux  sommeil. 

Les  bêtes  sont  dans  leur  lanière, 
Oui  tremblent  de  voir  le  soleil. 
L'homme,  remis  par  le  sommeil, 
Reprend  son  œuvre  coulumière. 


24      ■  TIIKOI'IIILE 

Le  forgeron  est  au  fourneau  ; 
Oy*  comme  le  charbon  s'allume  ! 
Le  fer  rouge,  dessus  l'enclume. 
Etincelle  sous  le  marteau. 

Cette  chandelle  semble  morte, 
Le  jour  la  fait  évanouir  ; 
Le  soleil  vient  nous  éblouir  : 
Vois  qu'il  passe  au  travers  la  porte  ! 

Il  est  jour  :  levons-nous,  Philis  ; 
Allons  à  notre  jardinage. 
Voir  s'il  est,  comme  ton  visage, 
Semé  de  roses  et  de  lys. 


LA  SOLITUDE 


Dans  ce  val  solitaire  et  sombre, 
Le  cerf,  qui  brame  au  bruit  de  l'eau, 
Penchant  ses  yeux  dans  un  ruisseau, 
S'amuse  à  regaraer  son  omlire. 

De  cette  source  une  Naiade 
Tous  les  soirs  ouvre  le  portai  *   . 


ODKS    ET    STANf.KS 


I)o  sa  demeure  de  eristal, 
El  nous  ehanle  une  sérénade. 

Les  nymphes  que  la  chasse  attire 
A  l'onibratïe  de  ces  forêts 
Chcrcheni  les  cabinets  secrets. 
Loin  de  l'embûche  du  satyre. 

Jadiji  au  pied  de  ce  ij;rand  chêne, 
Presque  aussi  vieux  que  le  soleil, 
liacchus,  l'Amour  et  le  Sommeil. 
Firent  la  fosse  de  Silène. 

Un  froid  et  ténébreux  silence 
Dort  à  l'ombre  de  ces  ormeaux. 
Et  les  vents  battent  les  rameaux 
D'une  amoureuse  violence. 

L'esprit  plus  retenu  s'engage 
Au  plaisir  de  ce  doux  séjour, 
Où  Philomène  nuit  et  jour 
Renouvelle  un  pileux  langage. 

L'orfraie  *  et  le  hibou  s'y  [)erche  ; 
Ici  vivent  les  loups-garous  ; 
Jamais  la  justice  en  courroux 
Ici  de  criminels  ne  cherche. 


aG  THÉOPHILE 

Ici  l'amour  fait  ses  études  ; 
Venus  y  dresse  des  autels  ; 
Et  les  visites  des  mortels 
Ne  troublent  point  ces  solitudes . 

Cette  forêt  n'est  point  profane; 
Ce  ne  fut  point  sans  la  fâcher 
Ou' Amour  y  vint  jadis  cacher 
Le  berger  qu'en seignoit  Diane. 

Amour  pouvoit  par  innocence, 
Comme  enfant,  tendre  ici  des  rets, 
Et  comme  reine  des  forêts 
Diane  avoit  cette  licence. 

Cupidon,  d'une  douce  flamme 
Ouvrant  la  nuit  de  ce  vallon, 
Mit  devant  les  yeux  d'Apollon 
Le  garçon  qu'il  avoit  dans  l'àme. 

A  l'ombrage  de  ce  bois  sombre 
Hyacinthe  se  retira, 
Et  depuis  le  soleil  jura 
Qu'il  seroit  ennemi  de  l'ombre. 

Tout  auprès  le  jaloux  Borée, 
Pressé  d'un  amoureux  tourment, 
Fiit  la  mort  de  ce  jeune  amant, 
Encore  par  lui  soupirée. 


ODES    ET    STANCES  27 


Sainte  forêt,  ma  confidente, 
Je  jure  par  le  Dieu  du  jour 
Que  je  n'aurai  jamais  anioiu- 
Oui  ne  te  soit  toute  évidente. 

Mon  ange  ira  par  cet  ombrage  ; 
Le  soleil,  le  voyant  venir, 
Ressentira  du  souvenir 
L'accès  de  sa  première  rage. 

Corine,  je  te  prie,  approche  ; 
Couchons-uous  sur  ce  tapis  vert, 
Et  pour  être  mieux  à  couvert, 
Entrons  au  creux  de  cette  roche. 

Ouvre  tes  yeux,  je  te  supplie  : 
Mille  amours  logent  là  dedans, 
Et  de  leurs  petits  traits  ardents 
Ta  prunelle  est  toute  remplie. 

Amour  de  tes  regards  soupire. 
Et,  ton  esclave  devenu, 
Se  voit  lui-même  retenu 
Dans  les  liens  de  son  empire. 

0  beauté  sans  doute  immortelle, 
Où  les  Dieux  trouvent  des  appas  ! 
Par  vos  yeux  je  ne  croyois  pas 
Que  vous  fussiez  du  tout  si  belle. 


28  THÉOPHILE 

Oui  voudroit  faire  une  peinture 
Qui  peut  ses  traits  représenter. 
Il  faudroit  bien  mieux  inventer 
Que  ne  fera  jamais  nature. 

Tout  un  siècle  les  destinées 
Travaillèrent  après  ses  yeux, 
Et  je  crois  que  pour  faire  mieux 
Le  temps  n'a  point  assez  d'années. 

D'une  fierté  pleine  d'amorce, 
Ce  beau  visage  a  des  regards 
Qui  jettent  des  feux  et  des  dards 
Dont  les  Dieux  aimeroient  la  force. 

Que  ton  teint  est  de  bonne  grâce  ! 
Qu'il  est  blanc,  et  qu'il  est  vermeil  ! 
Il  est  plus  net  que  le  soleil. 
Et  plus  uni  que  de  la  glace. 

Mon  Dieu  !  que  tes  cheveux  me  plaisent  ! 
Ils  s'ébattent  dessus  ton  front, 
Et  les  voyant  beaux  comme  ils  sont, 
Je  suis  jaloux  quand  ils  te  baisent.  ; 

Belle  bouche  d'ambre  et  de  rose, 
JTon  entretien  est  déplaisant 
Si  tu  ne  dis,  en  me  baisant. 
Qu'aimer  est  une  belle  chose. 


ODES    ET    STAM.rS 

D'un  air  plein  tranioureu.se  llaniine, 
Aux  accents  île  la  douce  voix, 
Je  vois  les  fleuves  et  les  bois 
^     iilirascr  coiuine  a  l'ail  mon  àine. 

Si  tu  mouilles  les  doigls  d'ivoire 
Dans  le  cristal  de  ce  ruisseau, 
Le  Dieu  qui  loge  dans  cette  eau 
Aimera,  s'il  en  ose  boire. 

Pn'sente-lui  la  face  nue, 
Tes  yeux  avec(]ue  l'eau  riront. 
Et  dans  ce  miroir  écriront 
Que  Vénus  est  ici  venue. 

Si  bien  elle  y  sera  dépeinte 
Que  les  Faunes  s'enflammeront, 
Et  de  tes  yeux,  qu'ils  aimeront, 
Ne  sauront  découvrir  la  feinte. 

Entends  ce  Dieu  qui  te  convie 
A  passer  dans  son  élément  ; 
Oy  *  qu'il  soupire  bellement 
Sa  liberté  déjà  ravie. 

Trouble-lui  cette  fantaisie. 
Détourne-toi  de  ce  miroir, 
Tu  le  mettras  au  dé.sespoir, 
El  m'iMoras  la  jalousie. 


29 


3o  THÉOPHILE 

Vois-lu  ce  tronc  et  cette  pierre? 
Je  crois  qu'ils  prennent  garde;  à  nous, 
Et  mon  amour  devient  jaloux 
De  ce  myrthe  et  de  ce  lierre. 

Sus,  ma  Corine  !  que  je  cueille 
Tes  baisers  du  matin  au  soir  ! 
Vois  comment,  pour  nous  l'aire  asseoir, 
Ce  myrte  a  laissé  choir  sa  feuille  ! 

Oy  *  le  pinson  et  la  linotte, 
Sur  la  branche  de  ce  rosier  ; 
Vois  branler  leur  petit  gosier  ! 
Oy  *  comme  ils  ont  changé  de  note  ! 

Approche,  approche,  ma  Dryade  ! 
Ici  murmureront  les  eaux  ; 
Ici  les  amoureux  oiseaux 
Chanteront  une  sérénade. 

Prète-moi  ton  sein  pour  y  boire 
Des  odeurs  qui  m'embaumeront  ; 
Ainsi  mes  sens  se  pâmeront 
Dans  les  lacs  de  tes  bras  d'ivoire. 

Je  baignerai  mes  mains  folâtres 
Dans  les  ondes  de  tes  cheveux, 
Et  ta  beauté  prendra  les  vœux 
De  mes  œillades  idolâtres. 


ODES    ET    STANCES  '^l 

Ni'  <Taiiis  rioii,  ('.iipidon  nous  f^ardc. 
Mon  petit  autfc,  cs-lu  pas  mica? 
Ha!  j»'  vois  que  lu  m'aimes  bien  : 
Tu  rouîi^is  ipiancl  je  U".  rci^arde. 

Dieu  !  »pie  cotte  Faron  timide 
Est  puissante  sur  mes  esprits  ! 
Renaud  ne  fut  pas  mieux  épris 
Par  les  charmes  de  son  Armide. 

Ma  Gorine,  ijue  je  t'embrasse! 
Personne  ne  nous  voit  tju'Amour  ; 
Vois  (jue  même  les  yeux  du  jour 
Ne  trouvent  point  ici  de  place. 

Les  vents,  ([ui  ne  se  peuvent  taire, 
Ne  peuvent  écouter  aussi. 
Et  ce  que  nous  ferons  ici 
Leur  est  un  inconnu  mystère. 


SUR  UNE  TEMPETE 

I  s'éleva  COMME  IL  ÉtOIT  PKKT  DE  s'eMBAROUER 
POUR   ALLER   EN     ANGLETERRE 

Parmi  ces  promenoirs  sauvai^es 
J'oy*  bruire  les  vents  et  les  flots, 
Attendant  (juo  les  matelots 


32  THÉOPHILE 

M'emportent  hors  de  ces  rivages. 
Ici  les  rochers  blanchissants, 
Du  choc  des  vagues  gémissants, 
Hérissent  leurs  masses  cornues 
Contre  la  colère  des  airs, 
Et  présentent  leurs  têtes  nues 
A  la  menace  des  éclairs. 

J'oy  *  sans  peur  l'orage  qui  gronde, 
Et,  fût-ce  l'heure  de  ma  mort. 
Je  suis  prêt  à  quitter  le  port 
En  dépit  du  ciel  et  de  l'onde. 
Je  meurs  d'ennui  dans  ce  loisir  : 
Car  un  impatient  désir 
De  revoir  les  pompes  du  Louvre 
Travaille  tant  mon  souvenir, 
Que  je  brûle  d'aller  à  Douvre, 
Tant  j'ai  hâte  d'en  revenir. 

Dieu  de  l'onde,  un  peu  de  silence  ! 
Un  Dieu  fait  mal  de  s'émouvoir. 
Fais-moi  paroître  ton  pouvoir 
A  corriger  ta  violence. 
Mais  à  quoi  sert  de  te  parler, 
Esclave  du  vent  et  de  l'air. 
Monstre  confus  qui,  de  nature 
Vide  de  rage  et  de  pitié, 
Ne  montre  que  par  aventure 


ODKS    ET    STANCES  33 


Ta  haine  ni  ton  amilii';? 

iNooliers  *|iii,  par  un  loni;!,"  usage, 
\'oyez  les  vajçues  sans  effroi, 
Kl  qui  conuoisscz  mieux  que  moi 
I^eur  bon  et  leur  mauvais  visage, 
nites-moi,  ce  ciel  foudroyant, 
Ce  Ilot  de  lenipèle  aboyant, 
Les  flancs  île  ces  montagnes  grosses 
Sont-ils  mortels  à  nos  vaisseaux, 
Kt  sans  aplanir  tant  de  bosses 
Pourrai-je  l)ien  courir  les  eaux? 

Allons,  pilote,  où  la  fortune 
Pousse  mon  généreux  dessein  ; 
Je  porte  un  Dieu  dedans  le  sein 
Mille  fois  plus  grand  (pie  Neptune  : 
Amour  me  force  de  partir. 
Et,  diU  Tliétis,  pour  m'engloutir, 
Ou\Tir  mieux  ses  moites  entrailles, 
Cloris  m'a  su  trop  enflammer 
Pour  craindre  que  mes  funérailles 
Se  puissent  faire  dans  la  mer. 


0  mon  ange  !  ù  ma  destinée  1 
Qu'ai-je  fait  à  cet  élément, 
(Ju'il  tienne  §i  cruellement 
Contre  moi  sa  rage  obstinée  ? 
Ma  Cloris,  ouvre  ici  tes  yeux. 


3/j  THÉOPHILE 


Tire  un  de  tes  regards  aux  cieux  : 

Ils  dissiperont  leurs  nuages. 

Et,  pour  l'amour  de  ta  beauté, 

Neptune  n'aura  plus  de  rages,  , 

Que  pour  punir  sa  cruauté.  l 

Déjà  ces  montagnes  s'abaissent,  i 

Tous  les  sentiers  sont  aplanis,  | 

Et  sur  ces  flots  si  bien  unis 
Je  vois  des  alcyons  qui  naissent. 
Cloris,  que  ton  pouvoir  est  grand  ! 
La  fureur  de  l'onde  se  rend 
A  la  faveur  que  tu  m'as  faite. 
Oue  je  vais  passer  doucement. 
Et  que  la  peur  de  la  tempête 
Me  donne  peu  de  pensement  ! 

L'ancre  est  levée,  et  le  zéphire, 
Avec  un  mouvement  léger. 
Enfle  la  voile  et  fait  nager 
Le  lourd  fardeau  de  la  navire  *. 
Mais  quoi  !  le  temps  n'est  plus  si  beau, 
La  tourmente  revient  dans  l'eau  ! 
Dieu  !  que  la  mer  est  infidèle  ! 
Chère  Cloris,  si  ton  amour 
N'avoit  plus  de  constance  qu'elle,  , 

Je  mourrois  avant  mon  retour.  î 


ODKS     KT    STANCES 


Heureux,  tandis  qu'il  est  vivant, 
Celui  qui  va  toujours  suivant 
Le  grand  maître  de  la  nature, 
Dont  il  se  croit  la  créature  ! 
Il  n'enviera  jamais  autrui, 
Ouand  tous  les  plus  heureux  que  lui 
Se  moqueroient  de  sa  misère; 
Le  rire  est  toute  sa  colère. 
Celui-là  ne  s'éveille  point 
Aussitôt  que  l'aurore  point 
Pour  venir  des  soucis  du  monde 
Importuner  la  terre  et  l'onde; 
Il  est  toujours  plein  de  loisir; 
La  justice  est  tout  son  plaisir, 
Et,  permettant  à  son  envie 
Les  douceurs  d'une  sainte  vie. 
Il  borne  son  contentement 
Par  la  raison  tant  seulement; 
L'espoir  du  gain  ne  l'importune, 
En  son  esprit  est  la  fortune; 
L'éclat  des  cabinets  dorés 
Où  les  princes  sont  adorés 
Lui  plaît  moins  que  la  face  nue 
De  la  campagne  ou  de  la  nue  ; 
La  sottise  d'un  courtisan, 


35 


36  THÉOPHILE 

La  peine  qu'un  amant  soupire, 

Lui  donne  également  à  rire  ; 

Il  n'a  jamais  trop  affecté  I 

Ni  les  biens  ni  la  pauvreté, 

Il  n'est  ni  serviteur  ni  maître  ; 

Il  n'est  rien  que  ce  qu'il  veut  être, 

Jésus-Christ  est  sa  seule  foi  ; 

Tels  seront  mes  amis  et  moi. 


A  PHILIS 

STANCFS 

Ha  !  Philis,  que  le  ciel  me  fait  mauvais  visage  ! 
Tout  me  fâche  et  me  nuit, 
Et  réservé  l'amour  et  le  courage, 
Rien  de  bon  ne  me  suit. 
Les  astres  les  plus  doux  ont  conjuré  ma  perte, 
Je  n'ai  plus  nul  soutien  ; 
La  cour  me  semble  une  maison  déserte, 
Où  je  ne  trouve  rien. 
Les  hommes  et  les  Dieux  menacent  ma  fortune  ; 
Mais,  en  leur  cruauté, 
Pour  mon  soûlas  tout  ce  que  j'importune 
Ce  n'est  que  ta  beauté. 
Les  traits  de  tes  beautés  sont  d'assez  fortes  armes 


ODES    KT    STANCES  87 

Pour  vaincre  mon  nmllioiir, 
Kl  dans  la  afc^nc,  assisté  dp  tes  charmes, 
Je  mourrais  sans  douleur. 
Dedans  rextrémité  de  la  peine  où  nous  sommes, 
Soupirant  nuit  et  jour, 
Je  feins  que  c'est  la  disgrâce  des  hommes, 
Mais  c'est  celle  d'amour. 
Parmi  tant  de  dangers,  c'est  avec  peu  de  crainte 
Que  je  prends  garde  à  moi, 
Kn  tous  mes  maux,  le  sujet  de  ma  plainte 
C'est  d'être  absent  de  loi. 
Pour  m'ôter  aux  plus  forts  qui  me  voudroient  poursuivre 
Je  trouve  assez  de  lieux, 
Maïs  quel  climat  m'assurera  de  vivre. 
Si  je  (piille  tes  yeux. 
Le  soleil  meurt  pour  moi,  une  nuit  m'environne, 
Je  pense  que  tout  dort, 
Je  ne  vois  rien,  je  ne  parle  à  personne, 
N'est-ce  pas  être  mort  ? 


STANCES 

Mon  espérance  refleurit, 
Mon  mauvais  destin  perd  courage 
Aujourd'hui  le  soleil  me  rit 
Et  le  ciel  me  fait  bon  visasre. 


Mes  maux  ont  achevé  leur  temps, 
Maintenant  ma  douleur  se  range, 
A  la  fm  mes  vœux  sont  contents  : 
Amour  a  ramené  mon  auge. 

Dieux,  que  j'ai  si  souvent  priés, 
Sans  me  vouloir  jamais  entendre, 

Je  vous  ai  bien  injuriés 
D'être  si  longs  à  mêla  rendre. 

J'excuse  votre  cruauté  ; 
Je  perds  le  soin  de  vous  déplaire: 
Le  retour  de  cette  beauté 
A  fini  toute  ma  colère. 


Q 


STANCES 

uand  tu  me  vois  baiser  tes  bras, 
^'Oue  tu  poses  nus  sur  tes  draps, 
B^nVas  blancs  que  le  linge  même; 

Quand  tu  sens  ma  brûlante  mam 
Se  pourmener  *  dessus  ton  sein, 
Tusensbien,  Cloris,  quejet'amie. 

Comme  un  dévot  devers  les  cieux, 
Mes  yeux  tournés  devers  tes  yeux, 


ODES    ET   STANCES  89 


A  genoux  auprès  de  ta  couche, 
Pressé  de  mille  ardents  désirs, 
Je  laisse  saus  ouvrir  ma  bouche 
Avec  loi  dormir  mes  plaisirs. 

Le  sommeil,  aise  de  l'avoir. 
Empêche  tes  yeux  de  me  voir 
Et  te  retient  dans  son  empire 
Avec  si  peu  de  liberté 
Que  ton  esprit  tout  arrêté 
Ne  murmure  ni  ne  respire. 

La  rose  en  rendant  son  odeur, 
Le  soleil  donnant  son  ardeur, 
Diane  et  le  char  qui  la  traîne, 
Une  Naïade  dans  l'eau, 
Et  les  Grâces  dans  un  tableau, 
Font  plus  de  bruit  que  ton  haleine. 

Là,  je  soupire  auprès  de  toi, 
Et,  considérant  comme  quoi 
Ton  œil  si  doucement  repose, 
Je  m'écrie  :  O  Ciel  !  peux-tu  bien 
Tirer  d'une  si  belle  chose 
Un  si  cruel  mal  (juo  le  mien  ! 


4o  THÉOPHILE 


CONSOLATION 

A    MADEMOISELLE    DE    L.. 


D 


onne  un  peu  de  relâche  au  deuil  qui  t'a  surpris  ; 
Ne  t'oppose  jamais  aux  droits  de  la  nature, 
pour  l'amour  d'un  corps  ne  mets  point  tes  esprits  ; 
Dedans  la  sépulture. 


La  mort,  dans  tes  regrets  à  toi  se  présentant. 
Te  fait  voir  qu'elle  n'est  qu'horreur  et  que  misère  ; 
Pourquoi  donc  tâches-tu  qu'elle  t'en  fasse  autant 
Qu'elle  a  fait  à  ton  père? 

Quoi  que  l'affection  te  fasse  discourir, 
Tes  beaux  jours  ne  sont  point  en  état  de  le  suivre; 
Comme  c'étoit  à  lui  la  saison  de  mourir. 
C'est  la  tienne  de  vivre. 


Il  étoitlas  d'honneur,  de  fortune  et  de  jours, 
Tes  jeunes  ans  ne  font  que  commencer  la  vie, 
Et,  si  tu  vas  si  tôt  en  achever  le  cours, 
Que  deviendra  Livie  '? 

Remets  pour  l'amour  d'elle  encore  ces  appas 

Qui  s'en  vont  effacés  dans  ton  visage  sombre, 

Et  qu'un  si  long  chagrin  ne  te  maltraite  pas 

Pour  contenter  une  ombre. 


ODES    ET    STANCKS  4' 

Il  est  vrai  qu'un  tel  mal  est  fâcheux  A  içuérir, 
Et,  (le  (juel(]ue  visçueur  ([uc  ton  esprit  puisse  être, 
Il  te  faut  soupirer  iors(|ue  tu  vois  périr 
Celui  (jui  t'a  lait  naître. 

Encore  ses  vertus  touchoient  ton  amitié 
Au  deh\  du  devoir  où  la  nature  oblijçe, 
Si  bien  que  la  raison  approuve  la  pitié 
Pour  l'ennui  qui  t'afflige. 

Ses  conseils  savoieul  rendre  un  roi  victorieux, 
iSon  renom  honoroit  et  la  paix  cL  la  guerre, 
Et  je  crois  que  l'envie  est  cause  que  les  Cieux 
L'ont  ùté  de  la  terre. 

Mais  aussi,  quel  climat  n'en  a  du  déplaisir? 
L'Europe  à  son  sujet  se  plaint  contre  les  Parques, 
Autant  que  si  leurs  lacsétoient  venus  saisir 
Quelqu'un  de  ses  monarques. 

Je  vois  comme  le  ciel  pour  soulager  ton  deuil 
Veut  que  tout  Tunivers  à  tes  soupirs  réponde, 
Et,  pour  t'eu  exempter,  ordonne  à  son  cercueil 
Les  pleurs  de  tout  le  monde. 

Toutefois  tous  ces  cris  sont  des  sons  superflus; 
Nos  plaintes  dans  les  airs  sont  vainement  poussées; 
Un  homme  enseveli  ne  considère  plus 
Nos  yeux  ui  nos  pensées. 


4. 


THEOPHILE 


Sachant  qu'il  a  rendu  ce  qu'on  doit  aux  autels. 
Tu  dois  être  assuré  de  sa  béatitude, 
Ou  ton  esprit  troublé  croit  que  les  Immortels 
Sont  pleins  d'ingratitude. 

Tes  importuns  regrets  se  rendront  criminels  ; 
Ton  père  en  son  repos  ne  trouvera  que  peine, 
Puisqu'il  semble  être  admis  aux  plaisirs  éternels 
Pour  te  mettre  à  la  gêne. 

Le  mal  devient  plus  grand  lorsque  nous  l'irritons. 
Reviens  dans  les  plaisiT-s  que  la  jeunesse  apporte 
C'est  un  grand  bien  de  voir  fleurir  les  rejetons 
Lorsque  la  souche  est  morte. 

Un  homme  de  bon  sens  se  moque  des  malheurs  ; 
Il  plaint  également  sa  servante  et  sa  fille. 
Job  ne  versa  jamais  une  goutte  de  pleurs 
Pour  toute  sa  famille. 

Après  t'ètre  affligé,  pense  à  te  réjouir: 
Qui  t'a  fait  la  douleur  t'a   laissé  les  remèdes. 
Il  ne  te  reste  plus  que  de  savoir  jouir 
Des  biens  que  tu  possèdes. 

Arrête  donc  ces  pleurs  vainement  répandus  ; 
Laisse  en  paix  ce  destin  que  tes  douleurs  détestent. 
Il  faut,  après  ces  biens  que  nous  avons  perdus, 
Sauver  ceux  qui  nous  restent. 


t 


ODES    ET    STANCRS  ^'i 


ODE 

L'inficlélilé  nie  déplaîl, 
El  mon  humeur  juij^e  (lu'olle  est 
Le  plus  noir  'crime  de  la  terre  : 
Lorsque  les  Dieux  tirent  venir 
Les  premiers  éclats  du  tonnerre, 
Ce  ne  fut  ([ue  pour  la  punir. 

La  déesse  qui  fait  aimer, 
Des  flots  de  l'inconstante  mer 
Sortit  à  la  clarté  du  monde. 
Or,  Vénus,  si  ton  doux  tlambeau 
FiU  venu  d'ailleurs  que  de  l'onde 
Sans  doute  il  eût  été  plus  beau. 

Ce  (ju'uu  hiver  a  tait  mourir 
Un  printemps  le  fait  refleurir. 
Le  destin  change  toutes  choses  : 
Mon  amitié  tant  seulement. 
Vos  beaux  lys  et  vos  belles  roses, 
Dureront  éternellement. 


44  THÉOPHILE 


ODE 

Enfin  mon  amitié  se  lasse  : 
Je  suis  forcé  de  me  guérir. 
L'amour  qui  me  faisoit  périr 
Tous  les  jours  peu  à  peu  se  passe. 
J'ai  rappelé  mon  jugement, 
J'ai  fait  vœu  d'aimer  sagement. 
Je  rougis  de  ma  servitude 
Et  proteste  devant  les  Dieux 
Que  je  hais  ton  ingratitude 
Plus  que  je  n'ai  chéri  tes  yeux. 

Je  n'ai  plus  le  soin  de  te  plaire  : 
Mes  charmes  sont  évanouis  ; 
Désormais  je  me  réjouis 
De  ta  haine  et  de  ta  colère. 
Cette  lâcheté  d'endurer 
Ne  me  sauroit  guère  durer  ; 
Je  veux  être  exempt  de  souffrance 
Aussi  hien  que  toi  de  pitié, 
Et  vivre  avec  l'indifférence 
Dont  tu  traites  mon  amitié. 

Jamais  douleur  insupportahle 
Jusques  à  mon  mal  n'empira, 


1 


ODES    KT    STANCES  45 

.l;iniais  esprit  no  soupira 
D'un  travail  si  pou  protitablo. 
Jo  vis  trop  amoureusement, 
Jr  sers  trop  malheureusement  : 
Ma  belle  ne  veut  point  entendre 
Le  mal  qu'elle  me  fait  sentir, 
Et  me  détend  de  rien  prétendre 
Oue  la  honte  et  le  repentir. 

O  mes  Dieux  !  ô  mon  influence  ! 
Recrardez  la  peine  où  je  suis  ! 
Sans  l'aire  un  orime  je  ne  puis 
Espérer  une  récompense. 
0  Dieux  (|ui  gouvernez  nos  cœurs, 
Si  vous  n'êtes  des  Dieux  moqueurs 
Ou  des  Dieux  sans  miséricorde, 
Remettez-moi  dans  ma  maison, 
Ou  faites  enfin  qu'on  m'accorde 
Ou  la  mort  ou  la  ffuérison  ! 


ODE 

Un  corbeau  devant  moi  croasse, 
Une  ombre  offusque  mes  regards  ; 
Deux  belettes  et  deux  renards 
Traversent  l'endroit  où  je  passe 


46  THÉOPHILE 


I 


'4 
Les  pieds  faillent  à  mon  cheval. 

Mon  laquais  tombe  du  haut,  mal  ; 

J'entends  craqueter  le  tonnerre  ; 

Un  esprit  se  présente  à  moi  ; 

J'entends  Caron  qui  m'appelle  à  soi. 

Je  vois  le  centre  de  la  terre. 

Ce  ruisseau  remonte  en  sa  source  ; 
Un  bœuf  gravit  sur  un  clocher  ; 
Le  sang  coule  de  ce  rocher; 
Un  aspic  s'accouple  d'une  ourse; 
Sur  le  haut  d'une  vieille  tour 
Un  serpent  déchire  un  vautour  ; 
Le  feu  brûle  dedans  la  glace  ; 
Le  soleil  est  devenu  noir; 
Je  vois  la  lune  qui  va  choir  ; 
Cet  arbre  est  sorti  de  sa  place. 


STANCES 

Le  plus  aimable  jour  qu'ait  jamais  eu  le  monde 
Le  plus  riche  printemps  que  le  soleil  ait  vu. 
Celui  de  nos  amours  d'attraits  le  plus  pourvu, 
Ni  toutes  les  beautés  de  la  fdle  de  l'onde. 

Ce  que  donne  Apollon  pour  embellir  sa  sœur, 


OnES    ET    STANCKS  l\'] 

\\\\  u^rAccs  (le  vos  yeux  à  poirif  s'acconiparc, 
Vi  loiilos  ces  fleurs  d'or  don!  l'Aurore  se  pare, 
)uaiul  elle  va  baiser  son  amoureux  chasseur. 


ODE 

T-kcrfidc,  je  nie  sens  heureux 
De  ma  nouvelle  servitude  ; 
Vous  n'avez  point  dint^ratitude 
Oui  rebute  un  cœur  amoureux . 
Il  est  bien  vrai  que  je  me  fiichc 
Du  fard  où  votre  teint  se  cache  ; 
Nature  a  mis  tout  son  crédit 
A  vous  l'aire  entièrement  belle; 
L'art  qui  pense  mieux  faire  qu'elle 
Me  déplaît  et  vous  enlaidit. 

L'éclat,  la  force  et  la  peinture 
De  tant  et  de  si  belles  fleurs, 
Oue  l'aurore  avec([ue  ses  pleurs 
Tire  du  sein  de  la  nature, 
SaDs  fard  et  sans  déguisement 
Nous  donne  bien  plus  aisément 
Le  plaisirjd'une  odeur  naïve  ; 
Leur  objet  nous  contente  mieux 


48  THÉOPHILE 

Et  se  montre  devant  nos  yeux 
Avec  une  couleur  plus  vive. 

Les  oiseaux,  qui  sont  si  bien  teints. 
Ne  couvrent  point  d'une  autre  image 
Le  lustre  d'un  si  beau  plumage 
Dont  la  nature  les  a  peints. 
Et  leur  céleste  mélodie, 
Plus  aimable  qu'en  Arcadie 
N'étoient  les  flageolets  des  Dieux, 
Prend  elle-même  ses  mesures, 
Choisit  les  tons,  fait  les  césures. 
Mieux  que  l'art  le  plus  curieux. 

L'eau  de  sa  naturelle  source 
Trouve  assez  de  canaux  ouverts 
Pour  traîner  par  les  plis  divers 
La  facilité  de  sa  course  ; 
Ses  rivages  sont  verdissants, 
Où  des  arbrisseaux  fleurissants 
Ont  toujours  la  racine  fraîche; 
L'herbe  y  croît  jusqu'à  leur  gravier. 
Mais  une  herbe  que  le  bouvier 
N'apporta  jamais  à  sa  crèche. 

Ces  petits  cailloux  bigarrés 
En  des  diversités  si  belles, 
Où  trouveroient-ils  des  modèles, 
Qui  les  fissent  mieux  figurés? 


OOKS    KT    STANCES  /|l) 

La  nature  est  iniiiiilal)le, 

Kt  dans  sa  beauté  vérilaldc 

Klle  éclate  si  vivement 

Ouc  l'art  gî\lc  tous  ses  ouvrages 

Va  lui  fait  plutiM  mille  outrajgcs 

(Ju'il  ne  lui  donne  un  ornement. 

L'art,  ennemi  de  la  franchise, 
Ne  veut  point  être  reconnu  ; 
Mais  l'Âinour,  qui  ne  va  que  du, 
Ne  souffre  point  (ju'on  se  déguise. 
Les  Nvmplies,  au  sortir  des  eaux, 
D'un  peu  de  jonc  et  de  roseaux 
Se  font  la  coiffure  et  la  robe, 
Et  les  yeux  du  Sat}Te  ont  droit 
De  regretter  encore  l'endroit 
Oue  le  vêtement  leur  dérobe. 

Si  vous  saviez  que  peut  l'effort 
De  votre  beauté  naturelle 
Et  combien  de  vaiucjueurs  pour  elle 
Implorent  l'aide  de  la  mort, 
Vous  casseriez  ces  pots  de  terre, 
De  bois,  de  co<iuille,  de  verre, 
Où  vous  renfermez  vos  onguents; 
La  nuit  vous  quitteriez  le  masque, 
Et  perdriez  *  cette  humeur  fantasque 
De  dormir  avecque  vos  gants. 


5o  THÉOPHILE 

Lorsque  vous  serez  hors  d'usage 
Et  que  l'injure  de  vos  ans 
Appellera  les  courtisans 
A  l'amour  d'un  plus  beau  visage, 
Quand  vos  appas  seront  ôtés, 
Que  les  rides  de  tous  côtés 
Auront  coupé  ce  front  d'albâtre, 
Tâchez  lors  d'escroquer  l'amour, 
Et,  si  vous  pouvez,  chaque  jour 
Faites-vous  de  cire  ou  de  plâtre. 

Si  le  ciel  me  fait  vivre  assez 
Pour  voir  la  fin  de  votre  gloire 
Et  me  punir  de  la'mémoire 
De  nos  contentements  passés. 
Je  crois  que  je  serai  bien  aise, 
Ne  trouvant  plus  rien  qui  me  plaise 
Au  visage  que  vous  aurez, 
De  revoir  l'Amour  et  les  Grâces 
Et  d'en  aller  baiser  les  traces 
Sur  le  fard  dont  vous  userez. 

Mais  aujourd'hui,  belle  Perside, 
Vos  jeunes  yeux  seront  témoins 
Qu'il  faut  un  siècle  pour  le  moins 
Pour  vous  amener  une  ride. 
L'Aurore,  qui  dedans  mes  vers 
Voit  apprendre  à  tout  l'univers 


ODES    ET    STANCES  5l 


Oue  votre  lieaulé  la  surmonte, 
Arrachant  de  ses  beaux  habits 
Et  les  perles  et  les  rubis, 
Klle  pleure  et  rouiçit  de  honte. 

Klle  n'est  point  rouge  au  malin, 
n'autant  (pie  Titon  l'a  baisée, 
Et  ne  verse  point  sa  rosée 
l'our  la  marjolaine  et  le  thym, 
La  rougeur  (juî  paroît  en  elle, 
C'est  de  voir  Perside  trop  belle, 
Et  l'humidité  de  ses  pleurs, 
Ouoi  que  chante  la  poésie. 
Ce  sont  des  pleurs  de  jalousie 
Et  des  marques  de  ses  douleurs. 


ODE 

Clorîs,  pour  ce  petit  moment 
D'une  volupté  frénélicpie, 
Crois-tu  (|ue  mon  esprit  se  pique 
De  t'aimer  éternellement  ? 
Lorsque  mes  ardeurs  sont  passées, 
La  raison  chan2;e  mes  pensées. 
Et,  perdant  l'amoureuse  erreur, 
Je  me  trouve  dans  des  tristesses 


52  THÉOPHILE 


Qui  font  que  tes  délicatesses 
Commencent  à  me  faire  horreur. 

A  voir  tant  fuir  *  ta  beauté, 
Je  me  lasse  de  la  poursuivre, 
Et  me  suis  résolu  de  vivre 
Avec  un  peu  de  liberté. 
Il  ne  me  faut  qu'une  disgrâce, 
Qu'encore  un  trait  de  cette  audace 
Qui  t'a  fait  tant  manquer  de  foi . 
Après,  tiens-moi  pour  un  infâme 
Si  jamais  mes  yeux  ni  mou  âme 
Songent  à  s'approcher  de  toi. 

Je  me  trouve  prêt  à  te  voir 
Avec  beaucoup  d'indifférence, 
Et  te  faire  une  révérence 
Moins  d'amitié  que  de  devoir. 
Toutes  les  complaisances  feintes 
Où  tes  affections  mal  peintes 
Ont  troublé  mes  sens  hébétés, 
Je  les  tiens  pour  faibles  feintîses 
Et  n'appelle  plus  que  sottises 
Ce  que  je  nommois  cruautés. 

Je  ne  veux  point  te  décrier 
Après  t'avoir  loué  nioi-mèine  : 
Ce  seroit  tacher  d'un  blasphèjne 
L'autel  où  l'on  m'a  vu  prier. 


ODES   KT    STANCES  HS 

T'ayant  prodiiçué  des  iouansçes 
(Jiic  jo  ne  devois  «|u'à  des  anales, 
Je  ne  le  les  veux  point  ravir  : 
Je  les  donne  à  la  tyrannie 
Pour  déiyuiser  l'ignominie  * 
(^ue  j'ai  soufferl  à  te  servir. 

Je  ne  veux  point  mal  à  propos 
Mes  vers  ni  ton  honneur  détruire  ; 
iMon  dessein  n'est  pas  de  le  nuire  : 
Je  ne  son<j^e  qu'à  mon  repos. 
Encore  auras-tu  celte  gloire 
Oue,  si  la  voix  de  la  mémoire 
Parle  à  quehju'un  de  mes  douleurs, 
On  dira  que  ma  servitude 
Respecta  Ion  ingratitude 
Jusqu'au  dernier  de  mes  malheurs. 


PRIERE  AUX  POETES  DE  CE  TEMPS 

Vousà(|ui  des  fraîches  vallées, 
Pour  moi  si  durement  gelées, 
Ouvrent  leurs  l'onlaines  de  vers; 
Vous  qui  pouvez  mettre  en  peinture 
Le  grand  objet  de  l'univers 
Et  tous  les  traits  de  la  nature. 


54  THÉOPHILE 


Beaux  esprits  si  chers  à  la  gloire. 
Et  sans  qui  l'œil  de  la  mémoire 
Ne  sauroit  rien  trouver  de  beau, 
Ecoutez  la  voix  d'un  poète 
Que  les  alarmes  du  tombeau 
Rendent  à  chaque  fois  muette  : 

Vous  savez  qu'une  injuste  race 
Maintenant  fait  de  ma  disgrâce 
Le  jouet  d'un  zèle  trompeur. 
Et  que  leurs  perfides  menées, 
Dont  les  plus  résolus  ont  peur, 
Tiennent  mes  Muses  enchaînées. 

S'il  arrive  que  mon  naufrage 
Soit  la  fin  de  ce  grand  orage 
Dont  je  vois  mes  jours  menacés. 
Je  vous  conjure,  ù  troupe  sainte  ! 
Par  tout  l'honneur  des  trépassés. 
De  vouloir  achever  ma  plainte. 

Gardez  bien  que  la  calomnie 
Ne  laisse  de  l'ignominie 
Aux  tourments  qu'elle  m'a  jurés, 
Et  que  le  brasier  qu'elle  allume, 
Si  mes  os  en  sont  dévorés. 
Ne  brûle  pas  aussi  ma  plume. 

Ma  Muse,  foible  et  sans  haleine, 


ODES    ET    STANCES  55 

Ouvrant  sa  inallieiircusc  veine, 
A   reeours  à  votre  pitié  : 
No  mordez  point  sur  mon  ouvrage, 
Car  ici  votre  inimitié 
Démenliroit  votre  courage. 

Je  ne  fus  jamais  si  superbe 
Oue  d'ùter  aux  vers  de  Malherbe 
Le  franeois  qu'ils  nous  ont  appris. 
Et,  sans  malice  et  sans  envie. 
J'ai  toujours  lu  dans  ses  écrits 
L'immortalité  de  sa  vie. 

Plût  au  ciel  que  sa  renommée 
Fût  aussi  chèrement  aimée 
De  mon  prince  qu'elle  est  de  moi  ! 
Son  destin,  loin  de  la  commune  *, 
Seroit  toujours  avec  le  roi 
Dedans  le  char  de  la  Fortune. 

Une  autre  veine  violente, 
Toujours  chaude  et  toujours  sanglante 
De  combats  de  guerre  et  d'amour, 
A  tant  d'éclat  sur  le  théâtre 
Qu'en  dépit  des  frelons  de  cour 
Elle  a  fait  mes  sens  idolâtres. 

Hardy,  dont  le  plus  grand  volume 
N'a  jamais  su  tarir  la  j)lume, 


THEOPHILE 

Pousse  un  lorreot  de  tant  de  vers 
yu'on  diroit  ([uc  leau  d'Hypocrène 
Ne  lient  tous  ses  vaisseaux  ouverts 
Ou'alors  (ju'il  y  rcni])lit  sa  veine. 

Porchères  avec  tant  de  flamme 
Pousse  les  mouvements  de  l'Ame 
Vers  la  route  des  immortels, 
Qu'il  laisse  partout  des  matières 
Où  ses. vers  trouvent  des'aufcls 
Et  les  anircs  des  cimetières. 

Encore  n"ai-je  point  l'audace 
De  fouler  leur  première  trace  ; 
Boisrobert  en  peut  amener 
Après  ses  pas  toute  une  presse 
Qui  mieux  que  moi  peuvent  donner 
Des  louantes  à  sa  princesse. 

Saint-Amant  sait  polir  la  rime 
Avec  une  si  douce  lime 
Que  son  luth  n'est  ])as  plus  mignard, 
Ni  Gomhauld  dans  une  élégie, 
Ni  l'épigrammc  de  Maynard, 
Oui  semble  avoir  de  la  magie. 

Et  vous,  mille  ou  plus  que  j'adore, 
Que  mon  dessein  veut  joindre  encore 


ODES    ET    STAM  K.S 


A  ces  srénies  visfoureux 
Do  i|ui  je  cache  ici  la  tçloire, 
Pour  ce  que  le  sort  malheureux 
Les  a  fait  cht>ir  à  ma  mémoire, 

Voyant  mes  Muses  étourdies 
Des  frayeurs  et  des  maladies 
Oui  me  prennent  à  tous  les  moments, 
Faites-leur  un  peu  de  caresse 
Et  leur  rendez  les  compliments 
De  celui  (jui  vous  les  adresse. 


LETTRE  A  SON  FRERE 

Mon  frère,  mon  dernier  appui. 
Toi  seul  dont  le  secours  me  dure, 
Et  qui  seul  trouves  aujourd'hui 
Mon  adversité  longue  et  dure  ; 
Ami  ferme,  ardent,  généreux, 
Oue  mon  sort  le  plus  malheureux 
Pique  davantage  à  le  suivre. 
Achève  de  me  secourir  : 
Il  faudra  qu'on  me  laisse  vivre 
Après  m'avoir  fait  tant  mourir 


58  THÉOPHILE 


Quand  les  dangers  où  Dieu  m'a  mis 
Verront  mon  espérance  morte; 
Quand  mes  juges  et  mes  amis 
T'auront  tous  refusé  la  porte  ; 
Quand  tu  seras  las  de  prier, 
Quand  tu  seras  las  de  crier. 
Ayant  bien  balancé  ma  tête 
Entre  mon  salut  et  ma  mort. 
Il  faut  enfin  que  la  tempête 
M'ouvre  le  sépulcre  ou  le  port. 

Mais  l'heure,  qui  la  peut  savoir? 
Nos  malheurs  ont  certaines  courses 
Et  des  flots  dont  on  ne  peut  voir 
Ni  les  limites  ni  les  sources. 
Dieu  seul  connoît  ce  changement, 
Car  l'esprit  ni  le  jugement 
Dont  nous  a  pourvu  la  nature, 
Quoi  que  l'on  veuille  présumer. 
N'entend  non  plus  notre  aventure 
Due  le  secret  flux  de  la  mer. 


En  quelle  plage  des  mortels 
Ne  peut  le  vent  crever  la  terre? 
En  quel  palais  et  quels  autels 
Ne  peut  se  glisser  un  tonnerre  ? 
Quels  vaisseaux  et  quels  matelots 
Sont  toujours  assurés  des  flots? 


ODES    ET    STANCES  5q 

(Juehiuelbis  des  villes  entières, 
l';ir  un  horrible  chane^ement, 
(  )iit  rencontri'  leurs  ciinolières 
lui  la  place  du  ronilenient. 

Le  sort,  tiui  va  toujours  de  nuit, 
lOnivré  d'orgueil  et  de  joie, 
(Juoiqu'il  soit  sagement  conduit, 
Garde  malaisément  sa  voie. 
Ah  !  (jue  les  souverains  décrets 
(^nl  toujours  demeuré  secrets 
A  la  subtilité  des  hommes  ! 
Dieu  seul  connoît  l'état  humain  ; 
Il  saii  ce  qu'aujourd'hui  nous  sommes 
Et  ce  que  nous  serons  demain. 

Or,  selon  l'ordinaire  cours 
Ou'il  lait  observer  à  nature. 
L'astre  (jui  préside  à  mes  jours 
S'en  va  changer  mon  aventure  ; 
Mes  yeux  sont  épuisés  de  pleurs  ; 
Mes  esprits,  usés  de  malheurs, 
N'ivent  d'un  sang  gelé  de  craintes. 
La  nuit  trouve  enfin  la  clarté, 
Va  l'excès  de  tant  de  contraintes 
Me  présage  ma  liberté. 

Quelque  lac  qui  me  soit  tendu 
Par  de  si  subtils  adversaires. 


6o     .  THÉOPHILE 

Encore  n'ai-je  point  perdu 
L'espérance  de  voir  Boussères  : 
Encore  un  coup,  le  Dieu  du  jour 
Tout  devant  moi  fera  sa  cour 
Aux  rives  de  notre  héritage, 
Et  je  verrai  ses  cheveux  hlonds 
Du  même  or  qui  luit  sur  le  Tage 
Dorer  l'argent  de  nos  sablons. 

Je  verrai  ces  bois  verdissants 
Où  nos  îles  et  l'herbe  fraîche 
Servent  aux  troupeaux  mugissants 
Et  de  promenoir  et  de  crèche. 
L'aurore  y  trouve  à  son  retour 
L'herbe  qu'ils  ont  mangé  le  jour. 
Je  verrai  l'eau  qui  les  abreuve, 
Et  j'oirrai  *  plaindre  les  graviers 
Et  repartir  *  l'écho  du  fleuve 
Aux  injures  des  mariniers. 

Le  pêcheur,  en  se  morfondant, 
Passe  la  nuit  dans  ce  rivage. 
Qu'il  croit  être  plus  abondant 
Que  les  bords  de  la  mer  sauvage. 
11  vend  si  peu  ce  qu'il  a  pris 
Qu'un  teston  *  est  souvent  le  prix 
Dont  il  laisse  vider  sa  nasse. 
Et  la  quantité  du  poisson 


01)i:S    ET    STANCES  6l 

Dccliiiv  parfois  la  tirasse  * 
Et  n'en  paye  pas  la  façon. 

S'il  plail  à  la  honli-  des  cieux, 
Hncore  une  fois  à  ma  vie 
Je  paîtrai  ma  dent  et  mes  yeux 
Du  rouge  éclat  de  la  pavie  *  ; 
Encore  ce  brignon  *  muscat, 
Dont  le  pourpre  est  plus  délicat 
Oue  le  teint  uni  de  Caliste, 
Rie  fera  d'un  œil  ménager 
Etudier  dessus  la  piste 
Oui  me  l'est  venu  ravager. 

Je  cueillerai  ces  abricots, 

Ces  fraises  à  couleur  de  flammes. 

Dont  nos  bergers  font  des  ccots  * 

Qui  seroient  ici  bons  aux  dames. 

Et  ces  ligues  et  ces  melons  , 

Dont  la  bouche  des  acpiilons 

N'a  jamais  su  baiser  l'écorce, 

Et  ces  jaunes  muscats  si  chers, 

Oue  jamais  la  grêle  ne  force 

Dans  l'asile  de  nos  rochers. 

Je  verrai  sur  nos  gnMiadiers 
Leurs  rouges  pommes  entr'ouvertes, 
Où  le  ciel,  comme  à  ses  lauriers, 


62  THÉOPHILE 


Garde  toujours  des  feuilles  vertes. 

Je  verrai  ce  touffu  jasmin 

Qui  fait  ombre  à  tout  le  chemin 

D'une  assez  spacieuse  allée, 

Et  la  parfume  d'une  fleur 

Oui  conserve  dans  la  gelée 

Son  odorat  et  sa  couleur. 

Je  reverrai  fleurir  nos  prés  ; 
Je  leur  verrai  couper  les  herbes  ; 
Je  verrai  quelque  temps  après 
Le  paysan  *  couché  sur  les  gerbes  ; 
Et,  comme  ce  climat  divin 
Nous  est  très  libéral  de  vin 
Après  avoir  rempli  la  grange, 
Je  verrai  du  matin  au  soir, 
Comme  les  flots  de  la  vendange 
Ecumeront  dans  le  pressoir. 

Là,  d'un  esprit  laborieux, 
L'infatigable  Bellegarde, 
De  la  voix,  des  mains  et  des  yeux. 
A  tout  le  revenu  prend  garde, 
Il  connoît  d'un  exact  soin 
Ce  que  les  prés  rendent  de  foin, 
Ce  que  nos  troupeaux  ont  de  laine, 
Et  sait  mieux  que  les  vieux  paysans  * 
Ce   que  la  montagne  et  la  plaine 
Nous  peuvent  donner  tous  les  ans. 


ODES    ET    STANCES  03 


Nous  cueilloroiis  Idul  à  moitié, 
C.oinine  nous  avons  fait  encore, 
I ignorants  de  l'ininiilié 
Uonl  une  race  se  dévore  ; 
Kt  frères,  et  sa'urs,  el  neveux. 
De  même  soin,  de  mêmes  vœux 
Flaltanl  une  si  douce  terre, 
Nous  y  trouverons  trop  de  quoi, 
Y  dût  l'oraije  de  la  sçuerre 
Ramener  le  canon  du  roi. 

Si  je  passois  dans  ce  loisir 
Encore  autant  que  j'ai  de  vie, 
Le  comble  d'un  si  cher  plaisir 
Borneroit  toute  mon  envie. 
Il  faut  qu'un  jour  ma  liberté 
Se  li\che  en  cette  volupté. 
Je  n'ai  plus  de  reijret  au  Louvre, 
Ayant  vécu  dans  ces  douceurs  ; 
Oue  la  même  terre  me  couvre 
(Jui  couvre  mes  prédécesseurs. 

Ce  sont  les  droits  que  mon  pays 
A  mérité  de  ma  naissance, 
El  mon  sort  les  auroit  trahis 
Si  la  mort  m'arrivoit  en  France. 
Non,  non,  quelque  cruel  complot 
Oui  de  la  Garonne  et  du  Lot 


64  THÉOPHILE 

Veuille  éloigner  ma  sépulture, 
Je  ne  dois  point  en  autre  lieu 
Rendre  mon  corps  à  la  nature, 
Ni  résigner  mon  âme  à  Dieu. 

Derechef,  mon  dernier  appui. 
Toi  seul  dont  le  secours  me  dure. 
Et  qui  seul  trouves  aujourd'hui 
Mon  adversité  longue  et  dure. 
Rare  frère,  ami  généreux, 
Que  mon  sort  le  plus  malheureux, 
Pique  davantage  à  le  suivre. 
Achève  de  me  secourir  : 
Il  faudra  qu'on  me  laisse  vivre 
Après  m'a  voir  liiittant  mourir. 


ACHIRON,  MEDECIN  (i) 

STANCES 

Toi  qui  fais  un  hreuvage  d'eau 
Mille  fois  meilleur  et  plus  l»eau 
Que  celui  du  beau  Ganymède, 

(i)  Le  célèbre  de  Lorme,  dont  Marioa  était  la  fille  na- 
turelle. Voir  Tallemant  des  Réaux.  [Collection  des  plus 
belles  pages .  ) 


ODES    ET    STANCK»  65 


l']|  (|iii  lui  donne  tant  cl'iippas 
(JiH-  sa  liiiucur  t'sl  un  rcinrde 
Coniro  lallciiilc  du  Irrpas, 

l*ensos-tu  (jue,  malgré  l'ennui 
Ouc  me  peut  donner  aujourd'hui 
L'horreur  d'une  prison  si  noire, 
Je  ne  le  t!,arde  encore  un  lieu 
Au  même  endroit  de  ma  mémoire 
Où  se  doit  mettre  un  demi-dieu  ? 

Bouffi  d'un  air  tout  infecté, 
De  tant  d'ordures  humecté 
Kt  du  froid  (jui  me  fait  la  içuerre. 
Tout  chaa^rin  et  tout  ahattn, 
Mieux  (pi'en  autre  lieu  de  la  terre 
Il  me  souvient  de  ta  vertu. 

Chiron,  au  moins  si  je  pouvois 
Te  faire  ouïr  les  tristes  voix 
Dont  t'invo(|uent  mes  maladies, 
Tu  me  pourrois  donner  de  (pioi 
Forcer  mes  muses  étourdies 
A  parler  diiçnement  de  toi. 

De  tiint  de  vases  précieux 
Où  l'art  le  plus  exipiis  des  cieux 
A  caché  sa  meilleure  force. 
Si  j'avois  seulement  goûté 


66  THÉOPHILE 


A  leur  moindre  petite  amorce, 
J'aurois  trop  d'aise  et  de  santé. 

Si,  devant  que  de  me  coucher, 
Mes  soupirs  se  pouvoient  boucher 
D'un  long  trait  de  cet  hydromelle* 
Où  tout  chagrin  s'évanouit. 
L'enfant  dont  avorta  Semelle  * 
Ne  me  mettroit  jamais  au  lit. 

Au  lieu  des  continus  ennuis 
Qui  me  font  passer  tant  de  nuits 
Avec  des  visions  horribles, 
Mes  yeux  verroient  en  sommeillant 
Mille  voluptés  invisibles 
Que  la  main  cherche  en  s'éveillant. 

Au  lieu  d'être  dans  les  enfers, 
De  songer  des  feux  et  des  fers 
Oui  me  font  le  repos  si  triste, 
Je  songerois  d'être  à  Paris, 
Dans  le  cabinet  où  Caliste 
Eut  le  triomphe  de  Cloris. 

A  l'éclat  de  ses  deux  flambeaux. 
Les  noires  caves  des  tombeaux 
D'où  je  vois  sortir  les  furies 
Se  peindroient  de  vives  couleurs, 


ODES    BT   STANCES  67 

Kt  feroient  A  mes  rêveries 

De  licaux  prés  tapissés  do  fleurs. 

Ali  !  tpie  je  perds  de  ne  pouvoir 
(1uel(juetois  t'ouïr  cl  te  voir 
Dans  mes  noires  mélancolies, 
Oui  ne  me  laissent  prcscpic  rien 
De  tant  d'agréables  folies 
Ou'on  aimoit  en  mon  entretien  ! 

Que  les  dieux  sont  mes  ennemis 
De  ce  «pi'iis  ne  m'ont  pas  permis 
De  t'appeler  eu  ma  détresse  ! 
Docte  Chiron,  après  le  roi 
Et  les  faveurs  de  ma  maîtresse. 
Mon  cœur  n'a  de  regret  (|u'à  toi. 


À  MONSIEUR  DE  L... 

SUR  LA  MORT  DE  SON  PÈRE 
ODE 

Ote-toi,  laisse-moi  rêver  : 
Je  sens  un  feu  se  soulever 
Dont  mon  âme  est  toute  embrasée. 
0  beaux  prés,  beaux  rivages  verts 
0  grand  flambeau  de  l'univers, 


68  THÉOPHILE 


Que  je  trouve  ma  veine  aisée  ! 

Belle  aurore,  douce  rosée, 

Que  vous  m'allez donner  de  vers! 

Le  vent  s'enfuit  dans  les  ormeaux, 
Et,  pressant  les  feuillus  rameaux. 
Abat  le  reste  de  la  nue  ; 
Iris  a  perdu  ses  couleurs; 
L'air  n'a  plus  d'ombre  ni  de  pleurs  ; 
La  bergère,  aux  champs  revenue. 
Mouillant  sa  jambe  toute  nue. 
Foule  les  herbes  et  les  fleurs. 

Ces  longues  pluies  dont  l'hiver 
Empêchait  Tircis  d'arriver 
Ne  seront  plus  continuées  ; 
L'orag'e  ne  fait  plus  de  bruit; 
La  clarté  dissipe  la  nuit. 
Ses  noirceurs  sont  diminuées  ; 
Le  vent  emporte  les  nuées, 
Et  voilà  le  soleil  qui  luit. 

Mon  Dieuj  que  le  soleil  est  beau  ! 
Que  les  froides  nuits  du  tombeau 
Font  d'outrages  à  la  nature  ! 
La  Mort,  grosse  de  déplaisirs, 
De  ténèbres  et  de  soupirs. 
D'os,  de  vers  et  de  pourriture, 


ODES    ET    STANCES  Og 

hUoiille  dans  sa  sépulture 
I]l  nos  Ibrces  et  nos  désii's. 

Chez  elle  les  géants  sont  nains; 
Les  Mores  et  les  Africains 
Sont  aussi  glacés  que  le  Scythe; 
Les  dieux  y  tirent  l'aviron  ; 
César,  comme  le  bûcheron. 
Attendant  que  l'on  ressuscite, 
Tous  les  jours  aux  bords  du  Cocyte 
Se  trouve  au  lever  de  Caron. 

Tircis,  vous  y  viendrez  un  jour; 
Alors  les  Grâces  et  l'Amour 
Vous  (juilteront  sur  le  passage  : 
!]llacé  du  rang  des  humains, 
Sans  mouvement  et  sans  visage, 
Vous  ne  trouverez  plus  l'usage 
Ni  de  vos  yeux  ni  de  vos  mains. 

Votre  père  est  enseveli. 
Et,  dans  les  noirs  flots  de  l'oubli 
Où  la  Parque  l'a  fait  descendre. 
Il  ne  sait  rien  de  votre  ennui, 
lit,  ne  fùt-il  mort  (ju'aujourd'hui, 
Puis([u'il  n'est  plus  (ju'os  et  (jue  cendre. 
Il  est  aussi  mort  qu'Alexandre, 
Et  vous  touche  aussi  peu  (|ue  lui. 


70  THEOPHILE 


Saturne  n'a  plus  ses  maisons, 
Ni  ses  ailes,  ni  ses  saisons  : 
Les  Destins  en  ont  fait  une  ombre. 
Ce  grand  Mars  n'est-il  pas  détruit  ? 
Ses  faits  ne  sont  qu'un  peu  de  bruit. 
Jupiter  n'est  plus  qu'un  feu  sombre 
Qui  se  cache  parmi  le  nombre 
Des  petits  flambeaux  de  la  nuit. 

Le  cours  des  ruisselets  errants, 
La  fière  chute  des  torrents. 
Les  rivières,  les  eaux  salées, 
Perdront  et  bruit  et  mouvement 
Le  soleil  insensiblement 
Les  ayant  toutes  avalées, 
Dedans  les  voûtes  étoilées 
Transportera  leur  élément. 


Le  sable,  le  poisson,  les  flots, 
Le  navire,  les  matelots, 
Tritons,  Nymphes  et  Neptune, 
A  la  fin  se  verront  perclus  : 
Sur  leur  dos  ne  se  fera  plus 
Rouler  le  char  de  la  fortune, 
Et  l'influence  de  la  lune 
Alîandonnera  le  reflux. 

Les  planètes  s'arrêteront. 
Les  éléments  se  mêleront, 


ODES    ET    STANCES  ^I 


Va  cette  admirable  structure 
Dont  le  ciel  nous  laisse  jouir. 
Ce  (ju'on  voit,  ce  qu'on  peut  ouïr, 
Passera  comme  une  j)elnture  : 
L'impuissance  de  la  Nature 
Laissera  tout  évanouir. 

Celui  (jui,  Formant  le  soleil. 
Arracha  d'un  protond  sommeil 
L'air  et  le  feu,  la  terre  et  l'onde, 
Ilenversera  d'un  coup  de  main 
La  demeure  du  genre  humain 
Et  la  base  où  le  ciel  se  fonde, 
Et  ce  grand  désordre  du  monde 
l'eut-ctre  arrivera  demain. 


LIVRE  II 

ÉLÉGIES  ET  SONNETS 


ELEGIE 

A    UNE    DAME 

Si  votre  doux  accueil  n'eût  consolé  ma  peine, 
Mon  âme  languissoit,  je  n'avois  plus  de  veine, 
Ma  fureur  étoit  morte,  et  mes  esprits,  couverts 
D'une  tristesse  sombre,  avoient  (juitté  les  vers. 
Ce  métier  est  pénible,  et  notre  sainte  élude 
Ne  connoît  que  mépris,  ne  sent  qu'ingratitude  ; 
Oui  de  notre  exercice  aime  le  doux  souci, 
Il  hait  sa  renommée  et  sa  fortune  aussi. 
Le  savoir  est  honteux,  depuis  que  l'ignorance 
A  versé  son  venin  dans  le  sein  de  la  France. 


KI.KniFS    F.T    SONNETS  78 


Aujourd'hui  rinjustico  a  vaincu  la  raison, 

Les  lionnes  (|ualilos  ne  sont  |)lus  de  saison, 

La  vertu  n'eut  jamais  un  siècle  plus  harliare, 

Et  jamais  le  bon  sens  ne  se  trouva  si  rare. 

Celui  (|ui  dans  les  cœurs  met  le  mal  ou  le  bien 

Laisse  faire  au  destin  sans  se  mêler  de  rien  : 

Non  pas  que  ce  a^rand  Dieu  qui  donne  l'Ame  au  monde 

Ne  trouve  à  son  plaisir  la  nature  tcconde, 

Et  que  son  influence  encore  à  pleines  mains 

Ne  verse  ses  faveurs  dans  les  esprits  humains  : 

Parmi  tant  de  fuseaux  la  l'arque  en  sait  retordre 

Où  la  conlaa;-ion  du  vice  n'a  su  mordre, 

Et  le  ciel  en  fait  naître  encore  intinilc 

Oui  retiennent  beaucoup  de  la  divinité, 

Des  bons  entendements  qui  sans  cesse  travaillent 

Contre  l'erreur  du  peuple,  et  jamais  ne  défaillent, 

Et  (jui,  d'un  sentiment  hardi,  ç^rave  et  profond, 

Vivent  tout  autrement  que  les  autres  ne  font. 

Mais  leur  divin  génie  est  forcé  de  se  feindre, 

El  les  rend  malheureux  s'il  ne  se  peut  contraindre  ; 

La  coutume  et  le  nombre  autorisent  les  sols  : 

Il  faut  aimer  la  cour,  rire  des  mauvais  mots. 

Accoster  un  brutal,  lui  plaire,  en  faire  estime  ; 

Lors(|ue  cela  m'advient,  je  pense  faire  un  crime. 

J'en  suis  tout  transporté,  le  cœur  me  bat  au  sein  ; 

Je  ne  crois  plus  avoir  l'entendement  bien  sain, 

Et,  pour  m'ètre  souillé  de  cet  abord  funeste, 

Je  crois  longtemps  après  (juc  mon  âme  a  la  peste. 


74  THÉOPHILE 


Cependant  il  faut  vivre  en  ce  commun  malheur, 
Laisser  à  part  esprit  et  franchise  et  valeur. 
Rompre  son  naturel,  emprisonner  son  âme 
Et  perdre  tout  plaisir  pour  acquérir  du  blâme. 
L'ignorant  qui  méjuge  un  fantasque  rêveur, 
Me  demandant  des  vers,  croit  me  faire  faveur, 
Blâme  ce  qu'il  n'entend,  et  son  âme,  étourdie. 
Pense  que  mon  savoir  me  vient  de  maladie. 
Mais  vous,  à  qui  le  ciel  de  son  plus  doux  flambeau 
Inspira  dans  le  sein  tout  ce  qu'il  a  de  beau, 
Vous  n'avez  point  l'erreur  qui  trouble  ces  infâmes, 
Ni  l'obscure  fureur  de  ces  brutales  âmes  : 
Car  l'esprit  plus  subtil,  en  ses  plus  rares  vers, 
N'a  point  de  mouvements  qui  ne  vous  soient  ouverts; 
Vous  avez  un  génie  à  voir  dans  les  courages. 
Et  qui  connaît  assez  mon  âme  et  mes  ouvrages. 
Or,  bien  que  la  façon  de  mes  nouveaux  écrits 
Diffère  du  travail  des  plus  fameux  esprits, 
Et  qu'ils  ne  suivent  point  la  trace  accoutumée 
Par  où  nos  écrivains  cherchent  la  renommée. 
J'ose  pourtant  prétendre  à  quelque  peu  de  bruit, 
Et  crois  que  mon  espoir  ne  sera  point  sans  fruit. 
Vous  me  l'avez  promis,  et,  sur  cette  promesse. 
Je  fausse  ma  promesse  aux  vierges  de  Permesse  ; 
Je  ne  veux  réclamer  ni  Muse,  ni  Phébus; 
Grâce  à  Dieu,  bien  gucri  de  ce  grossier  abus, 
Pour  façonner  un  vers  que  tout  le  monde  estime. 
Votre  contentement  est  ma  dernière  lime  ; 


ELEQIES    ET    SONNETS  70 

Vous  entenilez  \c  poids,  le  sens,  la  liaison, 

I']t  n'avez,  en  iny;eanl,  pour  i)ut  (|ue  la  raison; 

Aussi  nuiu  sentiment  à  votre  aveu  se  range, 

l'A  ne  re(;oit  d'aulrui  ni  bli\me  ni  louange. 

Imite  qui  voudra  les  merveilles  d'aulrui. 

Malherbe  a  très  bien  t'ait,  mais  il  a  fait  pour  lui  ; 

Mille  petits  voleurs  l'écorclicnt  tout  en  vie. 

Quant  à  moi,  ces  larcins  ne  me  font  point  d'envie  ; 

J'approuve  que  chacun  écrive  à  sa  façon  : 

J'aime  sa  renommée,  et  non  pas  sa  leçon. 

Ces  esprits  mendiants,  d'une  veine  infertile, 

Prennent  à  tous  propos  ou  sa  rime  ou  son  style, 

Et  de  tant  d'ornements  qu'on  trouve  en  lui  si  beaux 

Joignent  l'or  et  la  soie  à  de  vilains  lambeaux, 

Pour  paroître  aujourd'hui  d'aussi  mauvaise  grâce 

Oue  j)arut  autrefois  la  corneille  d'Horace. 

lis  travaillent  un  mois  à  chercher  comme  à  fîls 

Pourra  s'apparier  la  rime  de  Memphis; 

Ce  Liban,  ce  turban  et  ces  rivières  mornes 

Ont  souvent  de  la  peine  à  retrouver  leurs  bornes; 

Cet  effort  tient  leurs  sens  dans  la  confusion, 

Ils  n'ont  jamais  un  rais*  de  bonne  vision. 

J'en  connois  (|ui  ne  font  des  vers  qu'à  la  moderne, 

Qui  cherchent  à  midi  Phébus  à  la  lanterne. 

Grattent  tant  le  françois  qu'ils  le  déchirent  tout. 

Blâmant  tout  ce  (jui  n'est  facile  qu'à  leur  goût; 

Sont  un  mois  à  connaître,  en  tàtant  la  parole, 

Lorscjuc  l'accent  est  rude  ou  que  la  rime  est  molle. 


7G  THÉOPHILE 

Veulent  persuader  que  ce  qu'ils  font  est  beau 
Et  que  leur  renommée  est  franche  du  tombeau, 
Sans  autre  fondement  sinon  que  tout  leur  âge 
S'est  laissé  consommer  *  en  un  petit  ouvrage, 
Que  leurs  vers  dureront  au  monde  précieux, 
Pour  ce  qu'en  les  feisant  ils  sont  devenus  vieux. 
De  même  l'araignée,  en  filant  son  ordure, 
Use  toute  sa  vie  et  ne  fait  rien  qui  dure. 
Mais  cet  autre  poète  est  bien  plein  de  ferveur  : 
Il  est  blrme,  transi,  solitaire,  rêveur, 
La  barbe  mal  peignée,  un  œil  branlant  *  et  cave. 
Un  front  tout  renfrogné,  tout  le  visage  hâve, 
Ahanc  dans  son  lit  et  marmotte  tout  seul, 
Comme  un  esprit  (ju'on  oit*  parler  dans  un  linceul; 
Grimace  par  la  rue,  et,  stupide,  retarde 
Ses  yeux  sur  un  objet  sans  voir  ce  qu'il  regarde. 
Mais  déjà  ce  discours  m'a  porté  trop  avant  : 
Je  suis  bien  près  du  port,  ma  voile  a  trop  de  vent  ; 
D'une  insensible  ardeur  peu  à  peu  je  m'élève, 
Commençant  un  discours  que  jamais  je  n'achève. 
Je  ne  veux  point  unir  le  fil  de  mon  sujet  : 
Diversement  je  laisse  et  reprends  mon  objet. 
Mon  âme,  imaginant,  n'a  point  la  patience 
De  bien  polir  les  vers  et  ranger  la  science. 
La  règle  me  déplaît,  j'écris  confusément  : 
Jamais  un  bon  esprit  ne  fait  rien  qu'aisément. 
Autrefois,  quand  mes  vers  ont  animé  la  scène. 
L'ordre  où  j'estois  contraint  m'a  bien  fait  de  la  peine. 


KI.KGIKS    ET    SONNETS 


77 


Ce  travail  inipurtun  m'a  loiii'tciniis  marlyrc  *, 
Mais  t'iiliii,  i;Tàco  aux  Dieux,  j(^  m'en  suis  relire. 
Peu  sans  rairc  naufrage  cl,  sans  perdre  leur  ourse* 
Se  sont  aventurés  à  celte  longue  course  : 
Il  y  faut  par  miracle  estre  fol  sagement, 
Confontlre  la  mémoire  avec  le  jugement, 
Imaginer  beaucoup,  et  d'une  source  pleine 
Puiser  toujours  des  vers  dans  une  même  veine. 
Le  dessein  se  dissipe,  on  change  de  propos 
Ouand  le  style  a  goûté  tant  soit  peu  le  repos. 
Donnant  à  tels  efforts  ma  première  furie. 
Jamais  ma  veine  encor  ne  s'y  trouva  tarie. 
Mais  il  me  faut  résoudre  à  ne  plus  la  presser  ; 
Elle  m'a  bien  servi  :  je  la  veux  caresser. 
Lui  donner  du  relâche,  entretenir  la  flamme 
Oui  de  sa  jeune  ardeur  m'échaufl'c  encore  l'àme. 
Jo  veux  faire  des  vers  (jui  ne  soient  pas  contraints, 
Promener  mon  esprit  par  des  petits  desseins, 
Chercher  des  lieux  secrets  où  rien  ne  me  déplaise. 
Méditer  à  loisir,  rêver  tout  à  mon  aise, 
Employer  toute  une  heure  à  me  mirer  dans  l'eau, 
Ouïr,  comme  en  songeant,  la  course  d'un  ruisseau, 
Ecrire  dans  le  bois,  m'interrompre,  me  taire, 
Composer  un  quatrain  sans  songer  à  le  faire. 
Après  m'être  égayé  par  cette  douce  erreur. 
Je  veux  qu'un  grand  dessein  réchauffe  ma  fureur  ; 
Ou'un  œuvre  de  dix  ans  me  tienne   à  la  contrainte 
De  quelque  beau  poème  où  vous  serez  dépeinte. 


78  THÉOPHILE 

Là,  si  mes  volontés  ne  manquent  de  pouvoir, 
J'aurai  bien  de  la  peine  en  ce  plaisant  devoir. 
En  si  haute  entreprise  où  mon  esprit  s'engage, 
Il  faudrait  inventer  quelque  nouveau  langage, 
Prendre  un  esprit  nouveau,  penser  et  dire  mieux 
Que  n'ont  jamais  pensé  les  hommes  et  les  Dieux. 
Si  je  parviens  au  but  où  mon  dessein  m'appelle. 
Mes  vers  se  moqueront  des  ouvrages  d'Apelle. 
Qu'Hélène  ressuscite  :  elle  aussi  rougira, 
Par  tout  où  votre  nom  dans  mon  ouvrage  ira. 
Tandis  que  je  remets  mon  esprit  à  l'école, 
Obligé  dès  longtemps  à  vous  tenir  parole, 
Voici  de  mes  écrits  ce  que  mon  souvenir. 
Désireux  de  vous  plaire,  en  a  pu  retenir. 


ELEGIE 

Aussi  souvent  qu'amour   lait  penser  à  mon  âme 
Combien  il  mit  d'attraits  dans  les  yeux  de  ma  damf 
Combien  ce  m'est  d'honneur  d'aimer  en  si  bon  lieu, 
Je  m'estime  aussi  grand  et  plus  heureux  qu'un  Dieu. 
Amaranthe,  Philis,  Caliste,  Pasilhée, 
Je  hais  cette  noblesse  à  vos  noms  affectée  ; 
Ces  titres  recherchés  avecque  tant  d'appas 
Témoignent  qu'en  eff'et  vos  yeux  n'en  avoient  pas. 
Au  sentiment  divin  de  ma  douce  furie, 


KLECiIES    ET    SONNETS 


79 


Le  plus  l)eau  nom  du  monde  est  le  nom  de  Marie. 
(Quelque  souci  qui  m'ait  enveloppé  l'esprit. 
En  l'oyant  proférer,  ce  beau  nom  me  guérit  ; 
Mon  sang  en  est  ému,  mon  Ame  en  est  touchée. 
Par  des  charmes  secrets  dune  vertu  cachée. 
Je  la  nonmie  toujours,  je  ne  m'en  puis  tenir; 
Je  n'ai  dedans  le  cœur  aucun  ressouvenir. 
Je  ne  connais  plus  rien,  je  ne  vois  plus  personne 
Pli\t  à  Dieu  qu'elle  sût  le  mal  qu'elle  me  donne  ! 
Ouun  bon  ange  voulût  examiner  mes  sens. 
Et  qu'il  lui  rapportât  au  vrai  ce  que  je  sens  ; 
Ou'Amour  eût  pris  le  soin  de  dire  à  cette  belle 
Si  je  suis  un  moment  sans  soupirer  pour  elle. 
Si  mes  désirs  lui  Font  aucune  trahison, 
Si  je  pensai  jamais  à  rompre  ma  prison  ! 
A  l'abord  d'un  censeur  je  sens  que   mon  martyre 
De  dépit  et  d'horreur  dans  mes  os  se  retire  ; 
Amour  ne  fait  alors  que  renforcer  ses  traits 
Et  donne  à  ma  maîtresse  encore  plus  d'attraits. 
Ainsi  je  trouve  bon  que  chacun  me  censure, 
Atin  que  mon  tourment  davantage  me  dure. 
F^our  conserver  mon  mal  je  fais  ce  que  je  puis, 
Et,  me  croyant  heureux,  sans  doute  je  le  suis. 
Je  ne  recherche  point  de  dieux  ni  de  fortune  ; 
Ce  qu'ils  font  au-dessous  ou  par-dessus  la  lune 
Pour  le  bien  des  mortels,  tout  m'est  indilférent, 
Excepté  le  plaisir  que  ma  peine  me  rend. 
Je  crois  que  mon  servage  est  digne  de  louange, 


8o  THÉOPHILE 


Je  crois  que  ma  maîtresse  est  belle  comme  un  ange, 

Qu'elle  mérite  bien  d'avoir  lié  ma  foi. 

S'il  est  vrai  que  son  âme  ait  de  l'amour  pour  moi  ; 

Elle  me  l'a  juré:  la  promesse  est  un  gage 

Où  la  foi  tient  le  cœur  avecque  le  langage. 

Je  suis  bien  peu  dévot  d'avoir  quitté  ses  yeux  ; 

Je  suis  trop  nonchalant  d'un  bien  si  précieux. 

Je  ne  devrois  jamais  éloigner  *  ce  visage 

Qu'après  que  de  mes  sens  j'aurois  perdu  l'usage. 

Aussi  ])ien  mes  esprits,  loin  de  ses  doux  regards. 

N'ont  que  mélancolie  et  mal  de  toutes  parts. 

Le  seul  ressouvenir  des  l^eautés  de  ma  dame 

Est  l'unique  entretien  qui  réjouit  mon  àme  ; 

Mais  si  les  immortels  me  font  jamais  avoir, 

Au  moins  avant  mourir,  l'honneur  de  la  revoir, 

Quelque  nécessité  que  le  Ciel  me  prescrive. 

Quelque  si  grand  malheur  qui  jamais  m'en  arrive, 

Je  me  suis  résolu  d'attendre  que  le  sort 

Auprès  de  ses  beautés  fasse  venir  ma  mort  ; 

Si  tandis  *  je  souffrois  le  coup  des  destinées, 

J'aurois  bien  du  regret  à  mes  jeunes  années; 

Mon  ombre  ne  feroit  qu'injurier  les  Dieux 

Et  plaindre  incessamment  l'absence  de  ses  yeux. 


ÉLKGIES    ET   SO>fNET.S 


Souverain  (|ui  rt'uis  riiilliii'nco  des  vers 
-     Aussi  hienquclu  fais  uiouvoir  loiil  l'univers, 
Ame  (le  nos  esprits,  qui  dans  noire  naissance 
Inspiras  un  rayon  de  ta  divine  essence, 
Founpioi  ne  m'as-tu  fait  les  sentiments   meilleurs".'' 
Pounpioi  tes  beaux  trésors  sont-ils  coulés  ailleurs  ? 
Je  vois  de  toutes  parts  des  écrivains  sans  nombre, 
Dont  la  grandeur  a  mis  mon  petit  nom  à  l'ombre. 
Je  n'ai  (pi'un  pauvre  fond  d'un  médiocre  esprit. 
Où  je  vais  cultiver  ce  ({ue  le  Ciel  m'apprit; 
Les  tristes  sons  rimeurs  d'un  style  qui  se  traîne 
Epuisent  tous  les  jours  ma  lani^uissante  veine. 
Si  j'avois  la  vigueur  de  ces  fameux  Latins, 
Ou  l'esprit  de  celui  qui  força  les  destins, 
Qui  vit  à  ses  chansons  les  Parques  désarmées 
Et  de  tous  les  damnés  les  tortures  charmées. 
Quand  pour  l'amour  de  lui  le  prince  des  enfers 
Laissa  vivre  Eurydice  et  la  tira  des  fers; 
Ou,  si  c'est  trop  d'avoir  ces  merveilleux  génies. 
Qu'à  notre  siècle  inf;\me*  à  bon  droit  tu  dénies, 
Je  me  contenterois  d'égaler  en  mon  art 
La  douceur  de  Malherbe  ou  l'ardeur  de  Ronsart  *, 
Et  mille  autres  encore  à  «jui  je  fais  hommage, 
Et  de  qui  je  ne  suis  que  l'ombre  et  cpie  l'image. 

6 


THEOPHILE 


Je  donnerois  ma  plume  à  ces  soins  violents, 

A  peindre  ces  sanglots  et  ces  désirs  brûlants, 

Que  depuis  peu  de  jours  quelque  démon  allume 

Dans  mon  sang,  où  l'amour  se  plaît  et  me  consume. 

0  Dieux,  pourrois-je  bien,  sans  vous  fâcher  un  peu, 

Suivre  les  mouvements  de  mon  aveugle  feu? 

Déjà  comme  l'amour  m'engage  à  la  furie. 

Je  crois  que  l'adorer  n'est  pas  idolâtrie  ; 

Dussé-je  dépiter  votre  divin  courroux. 

Tout  ce  que  j'en  veux  dire  est  au-dessous  de  vous  ; 

S'il  vous  plaît  que  le  monde  uniquement  vous  aime, 

Si  vous  voulez  purger  la  terre  du  blasphème, 

Faire  que  les  mortels  rendent  la  liberté  « 

De  leurs  désirs  pervers  à  votre  volonté, 

Sans  les  épouvanter  de  l'éclat  du  tonnerre, 

Changez-vous  en  Cloris  et  venez  sur  la  terre. 

Alors  de  votre  amour  ils  seront  tous  ravis. 

Alors  absolument  vous  en  serez  servis. 

Il  est  vrai  que  tout  cède  à  l'amoureuse  peine, 

Que  Paris  et  sa  ville  ont  brûlé  pour  Hélène, 

Et  les  antiquités  font  voir  aux  curieux 

Que  l'Aube  mit  Titon  dans  le  siège  des  Dieux; 

Et  de  tant  de  beautés  qui  furent  les  maîtresses 

De  l'aîné  de  Saturne,  on  en  fait  des  Déesses, 

Qui  n'ont  été  pourtant,  non  plus  que  leur  amant, 

Que  le  triste  butin  d'un  mortel  monument. 

Mais,  d'autant  que  l'amour  est  le  bien  de  la  vie 

Qui  seul  ne  peut  jamais  éteindre  son  envie. 


KLKGIES    ET    SONNETS  83 

Qui  toujours  dans  la  peine  espère  le  plaisir, 
Qui  dans  la  résislancc  augmente  le  désir, 
Et  <pic  les  senlinRMits  de  celte  douce  flaninic 
Suivent  justiu'à  la  Hn  les  derniers  traits  de  l'àme, 
On  a  cru  de  l'amour  qu'il  éloit  innnortel, 
Et  qn'aussi  son  sujet  ne  peut  être  que  toi. 
Ainsi  ces  Dieux  païens  furent  ce  que  nous  sommes. 
Ainsi  les  vrais  amants  seront  plus  que  les  hommes. 
Si  le  sort  me  donnoit  la  qualité  de  roi, 
Si  les  plus  chers  plaisirs  s'adrcssoient  tous  à  moi, 
Si  j'étois  empereur  de  la  terre  et  de  l'onde, 
Si  de  ma  propre  main  j'avois  bâti  le  monde, 
(  Et,  comme  le  soleil,  de  mes  regards  produit 
Tout  ce  (jue  l'univers  a  de  tleur  et  de  fruit, 
Si  cela  m'arrivoit,  je  n'aurois  pas  tant  d'aise 
Ni  tant  de  vanité  que  si  Cloris  me  baise  ; 
Mais  j'entends  d'un  baiser  où  le  cœur  puisse  aller 
Avec  les  mouvements  des  yeux  et  du  parler. 
Que  son  àme  sans  peine  avec  moi  s'entretienne, 
Et  (]ue  sa  volonté  seconde  un  peu  la  mienne. 
Amants  qui  vous  piquez  vers  un  objet  forcé. 
Qui  ne  savez  que  c'est*  d'un  baiser  bien  pressé, 
Qui  ne  trouvez  l'amour  que  dans  la  tyrannie 
Et  n'aimez  les  faveurs  qu'en  tant  ipi'on  vous  les  nie, 
Que  vous  êtes  heureux  en  vos  lâches  désirs, 
Puis(|ue  même  vos  maux  font  naître  vos  plaisirs  ! 
Pour  moi,  chère  Cloris,  je  n'en  suis  pas  de  même; 
Je  ne  saurois  aimer  que  si  je  vois  qu'on  m'aime. 


84  THÉOPHILE 

Et,  si  peu  qu'on  refuse  à  ma  sainte  amitié, 
Je  sens  que  mon  ardeur  décroît  de  la  moitié. 
J'entends  que  le  salaire  égale  mon  service  ; 
Je  pense  qu'autrement  la  constance  est  un  vice, 
Qu'amour  hait  ces  esprits  qui  lui  sont  trop  dévols, 
Et  que  la  patience  est  la  vertu  des  sots  ; 
Ce  que  je  dis,  Cloris,  avec  plus  d'assurance 
D'autant  que  je  te  vois  flatter  mon  espérance, 
Et  que,  pour  nous  tenir  dans  cet  heureux  lien, 
Je  vois  déjà  d'accord  ton  esprit  et  le  mien. 
Aimons-nous,  je  te  prie,  et,  lorsque  mon  visage 
Tu  voudras  rebuter,  ou  mon  poil,  ou  mon  âge, 
Regarde  en  mon  esprit  où  j'ai  mis  ton  tableau; 
Lors  tu  verras  en  moi  quelque  chose  de  beau  : 
Tu  te  verras  logée  en  un  petit  empire 
Où  l'esprit  de  l'amour  avecque  moi  soupire  ; 
Il  se  tient  glorieux  de  recevoir  ta  loi. 
Et  semble  qu'il  poursuit  même  dessein  que  moi. 
Si  je  vais  dans  tes  yeux,  il  y  va  prendre  place  ; 
Je  ne  vois  là-dedans  que  ses  traits  et  ma  face. 
Je  doute  s'il  y  fait  ou  mon  bien  ou  mon  mal. 
Et  ne  sais  plus  s'il  est  mon  maître  ou  mon  rival. 
Je  connais  bien  l'amour,  je  sais  qu'il  est  perfide. 
Et,  si  pour  le  chasser  je  suis  un  peu  timide, 
Je  lui  ferai  toujours  un  traitement  humain. 
Puisque  je  l'ai  reçu  d'une  si  bonne  main. 
Puisque  c'est  toi,  Cloris,  après  l'avoir  fait  naître. 
Qui  l'as  mis  dans  mon  àme,  où  ton  œil  est  le  maître. 


étÉGIES    ET     SONNETS 


Où  lu  vis  al)soliic  en  (os  coiniiiaiultMiiciits, 

Où  ton  vouloir  piTsiilc  à  tous  mes  soiilimcnts. 

Je  sais  biL'ii  (|iu*  ('.loris  ne  me  vtMit  pas  coiitraindre 

Au  soin  [lerpcluol  de  servir  et  de  craindre  ; 

(Ju'elle  a  des  mouvements  sujcls  à  la  pilié, 

Et  qu'au  moins  sa  raison  songe  à  mon  amitié. 

Cloris,  si  je  venois,  aveuglé  de  tes  charmes. 

Le  cti'ur  tout  en  soupir  et  les  yeux  tout  en  larmes, 

Demander  instamment  un  amoureux  i)laisir, 

Je  crois  (pic  ton  amour  m'en  laisseroit  choisir. 

Maintenant  que  le  ciel  dépouille  les  nuages, 

Oue  le  front  du  printemps  menace  les  orages, 

(Jue  les  ciiamps  comme  toi  paroissent  endjcllis 

De  ipiantité  d  triliets,  de  roses  et  de  lis, 

Oue  tout  est  sur  la  terre,  et  cpi'une  humeur  féconde 

(Qu'attire  le  soleil  fait  rajeunir  le  monde, 

Comme  si  j'avois  part  à  la  faveur  des  cieux, 

^ui  redonne  l'enfance  à  ces  bocages  vieux, 

El  que  ce  renouveau,  qui  rend  tout  aii^réable, 

Me  rendît  à  les  yeux  plus  jeune  et  plus  aimable, 

Je  te  veux  conjurer  avec  des  vœux  discrets 

De  passer  avec  moi  quelques  momenls  secrets. 

Nous  irons  dans  des  bois,  sous  des  feuillages  sombres 

Où  jamais  le  soleil  n'a  su  forcer  les  ombres; 

Personne  là-iledans  n'entendra  nos  amours  : 

(;ar  je  veux  que  les  vents  respectent  nos  discours 

Et  que  chaque  ruisseau  plus  vitement  s'enfuie 

De  devant  tes  regards,  de  peur  qu'il  ne  t'ennuie. 


86  THÉOPHILE 


Maintenant  que  le  roi  s'éloigne  de  Paris, 
Suivi  de  tant  de  gens  au  carnage  nourris, 
Qui,  dans  ces  chauds  climats,  vont  recueillir  les  restes 
Du  danger  des  coml)ats  et  de  celui  des  pestes. 
Il  faut  que  je  le  suive,  et  Dieu,  sans  me  punir, 
Cloris,  ne  te  sauroit  empêcher  d'y  venir. 
Si  tu  fais  ce  voyage  (et  mon  amour  te  prie 
D'y  ramener  tes  yeux,  car  c'est  là  ma  patrie. 
C'est  où  les  rais  du  jour  daignèrent  dévaler 
Pour  faire  vivre  un  cœur  que  tu  devois  hrùler). 
Là  tu  verras  un  fonds  où  le  paysan  *  moissonne 
Mes  petits  revenus  sur  les  bords  de  Garonne, 
Le  fleuve  de  Garonne,  où  de  petits  ruisseaux 
Au  travers  de  mes  prés  vont  apporter  leurs  eaux, 
Où  des  saules  épais  leurs  rameaux  verts  abaissent 
Pleins  d'ombre  et  de  fraîcheur  sur  mes  troupeaux  qui 
Cloris,  si  tu  venois  dans  ce  petit  logis,       [paissent. 
Combien  qu'à  te  l'offrir  de  si  loin  je  rougis. 
Si  cette  occasion  permet  que  tu  l'approches. 
Tu  le  verras  assis  entre  un  fleuve  et  des  roches, 
Où  sans  doute  il  falloit  que  l'amour  habitât 
Avant  que  pour  le  ciel  la  terre  il  ne  quittât. 
Dans  ce  petit  espace,  une  assez  bonne  terre, 
Si  je  la  puis  sauver  du  butin  de  la  guerre, 
Nous  fournira  des  fruits  assez  délicieux 
Qui  sauroient  contenter  ou  ton  goût  ou  tes  yeux. 
Mais,  afin  que  mon  bien  d'aucun  fard  ne  se  voile, 
Mes  plats  y  sont  d'étain  et  mes  rideaux  de  toile  ; 


KLKGIES    ET    SONNETS  87 

l'n  polit  pavillon,  ilont  le  vieux  biUimcnt 

Kul  nia(;onnô  tic  i)ri(nio  cl  de  luauvais  ciment, 

Montre  assez  qu'il  n'est  pas  orgueilleux  de  nos  titres; 

Ses  chandires  n'ont  plancher,  toit,  ni  portes,  ni  vitres, 

Par  où  les  vents  d'hiver,  sinîroduisant  un  peu, 

Ne  puissent  venir  voir  si  nous  avons  du  l'eu. 

Je  ne  veux  point  mentir,  et,  (piand  le  sort  avare, 

Oui  me  traite  si  mal,  m'eût  été  plus  barbare 

Et  qu'il  m'ciU  fait  sortir  d'un  sang^  moins  reconnu, 

Je  te  confesserois  d'où  je  serois  venu. 

Car  j'ai  bien  plus  de  peine  à  découvrir  ma  face 

Devant  tes  yeux  si  beaux  «ju'à  te  montrer  ma  race. 

Dans  l'état  où  je  suis,  j'ai  bien  plus  de  raison 

De  te  faire  agréer  mes  yeux  que  ma  maison. 

Je  jure  les  rayons  dont  ta  beauté  m'éclaire 

Que  le  but  de  mon  àme  est  le  soin  de  te  plaire. 

Et  (jue  j'aime  si  fort  ta  vue  et  tes  propos 

Qu'à  ton  sujet  la  nuit  est  pour  moi  sans  repos. 

Et,  sans  faire  l'amour  à  la  façon  commune. 

Sans  accuser  pour  toi  le  ciel  ni  la  fortune, 

Sans  me  plaindre  si  fort,  j'ai  ce  coup  plus  profond 

Que  les  autres  mortels,  j'aime  mieux  cju'iis  ne  font; 

Et,  si  ton  cœur  n'en  tire  une  preuve  assez  bonne. 

De  ces  vers  insensés  que  mon  amour  te  donne, 

Pour  m'en  justirter  à  tes  yeux  adorés. 

Je  répandrai  le  sang  d'où  je  les  ai  tirés, 

Si  ton  humeur  étoit  do  me  le  voir  répandre. 

Et  ([u'autrement  ton  cœur  ne  me  voulût  entendre. 


THEOPHILE 


ELEGIE 

C loris,  lorsque  je  songe,  en  te  voyant  si  hcUe, 
Que  ta  vie  est  sujette  à  la  loi  naturelle, 
Et  qu'à  la  fin  les  traits  d'un  visage  si  beau 
Avec  tout  leur  éclat  iront  dans  le  tombeau, 
Sans  espoir  que  la  mort  nous  laisse  en  la  pensée 
Aucun  ressentiment  de  l'amitié  passée. 
Je  suis  tout  rebuté  de  l'aise  et  du  souci 
Que  nous  fait  le  destin  qui  nous  gouverne  ici. 
Et,  tombant  tout  à  coup  dans  la  mélancolie. 
Je  commence  à  blâmer  un  peu  notre  folie, 
Et  fais  vœu  de  bon  cœur  de  m'arracher  un  jour 
La  chère  rêverie  où  m'occupe  l'amour. 
Aussi  bien  faudra-t-il  qu'une  vieillesse  infâme 
Nous  gèle  dans  le  sang  les  mouvements  de  l'àme. 
Et  que  l'âge,  en  suivant  ses  révolutions, 
Nous  ôte  la  lumière  avec  les  passions. 
Ainsi  je  me  résous  de  songer  à  ma  vie 
Tandis  que  la  raison  m'en  fait  venir  l'envie  ; 
Je  veux  prendre  un  objet  où  mon  libre  désir 
Discerne  la  douleur  d'avecque  le  plaisir. 
Où  mes  sens  tout  entiers, sans  fraude  et  sans  contrainte. 
Ne  s'embarrassent  plus  ni  d'espoir  ni  de  crainte. 
Et,  de  sa  vaine  erreur  mon  cœur  désabusant, 


Ér-iCfilES    ICI     SDNNKTS  89 

Je  s^oiktcrai  le  bien  que  je  verrai  présent  ; 

Je  prendrai  les  douceurs  à  quoi  je  suis  sensil)l(>, 

Le  plus  abondamment  qu'il  me  sera  possible. 

Dieu  nous  a  tant  donne  de  divertissements, 

Nos  sens  trouvent  en  eux  tant  de  ravissements, 

(Jue  c'est  une  fureur  de  chercher  qu'en  nous-mème 

Quelqu'un  que  nous  aimions  et  ([uehju'un  qui  nous  aime 

Le  ccinir  le  mieux  donné  lient  toujours  à  demi, 

Chacun  s'aime  un  peu  mieux  toujours  <[ue  son  ami  ; 

On  les  suit  rarement  dedans  la  sépulture  ; 

Le  droit  de  l'amitié  cède  aux  lois  de  nature. 

Pour  moi,  si  je  voyois,  en   l'humeur  où  je  suis, 

Ton  àme  s'envoler  aux  éternelles  nuits, 

Quoi  que  puisse  envers  moi  l'usage  de  îes  charmes, 

Je  m'en  consolerois  avec  un  peu  de  larmes. 

N'attends  pas  que  l'amour  aveugle  aille  suivant, 

Dans  l'horreur  de  la  nuit,  des  ombres  et  du  vent. 

Ceux  qui  jurent  d'avoir  l'àme  encore  assez  forte 

Pour  vivre  dans  les  yeux  d'une  maîtresse  morte 

N'ont  pas  pris  le  loisir  de  voir  tous  les  ellorts 

Que  fait  la  mort  hideuse  à  consumer  un  corps, 

Quand  les  sens  pervertis  sortent  de  leur  usage, 

Qu'une  laideur  visible  ettace  le  visage. 

Que  l'esprit  défaillant  et  les  membres  perclus, 

En  se  disant  adieu,  ne  se  connoisseut  plus  ; 

Que,  dedans  un  moment,  après  la  vie  éteinte, 

La  face  sur  son  cuir  n'est  pas  seulement  peinte, 

Et  que  l'infirmité  de  la  puante  chair 


go  THEOPHILE 


Nous  fait  ouvrir  la  terre  afin  de  la  cacher. 

Il  faut  être  animé  d'une  fureur  bien  vive, 

Ayant  considéré  comme  la  mort  arrive, 

Et  comme  tout  l'objet  de  notre  amour  périt. 

Si  par  un  tel  remède  une  âme  ne  guérit. 

Cloris,  tu  vois  qu'un  jour  il  faudra  qu'il  advienne 

Que  le  destin  ravisse  et  ta  vie  et  la  mienne  ; 

Mais,  sans  te  voir  le  corps  ni  l'esprit  dépéri. 

Le  Ciel  en  soit  loué  !  Cloris,  je  suis  guéri. 

Mon  âme,  en  me  dictant  les  vers  que  je  t'envoie, 

Me  vient  de  plus  en  plus  ressusciter  la  joie  ; 

Je  sens  que  mon  esprit  reprend  la  liberté. 

Que  mes  yeux  dévoilés  connoissent  la  clarté. 

Que  l'objet  d'un  beau  jour,  d'un  pré,  d'une  fontaine, 

De  voir  comme  Garonne  en  l'Océan  se  traîne. 

De  prendre  dans  mon  île,  en  ses  longs  promenoirs, 

La  paisible  fraîcheur  de  ses  ombrages  noirs 

Me  plaît  mieux  aujourd'hui  que  le  charme  inutile 

Des  attraits  dont  Amour  te  fait  voir  si  fertile. 

Languir  incessamment  après  une  beauté. 

Et  ne  se  rebuter  d'aucune  cruauté  ; 

Gagner  au  prix  du  sang  une  faible  espérance 

D'un  plaisir  passager,  qui  n'est  qu'en  apparence  ; 

Se  rendre  l'esprit  mol,  le  courage  abattu  ; 

Ne  mettre  en  aucun  prix  l'honneur  ni  la  vertu  ; 

Pour  conserver  son  mal  mettre  tout  en  usage; 

Se  peindre  incessamment  et  l'âme  et  le  visage, 

Cela  tient  d'un  esprit  où  le  Ciel  n'a  point  mis 


ÉLKr.iES  Ht  sonnf.ts  gi 

Ce  (|ut'  son  iiilliicnco  inspire  à  srs  amis. 

l'onr  moi,  (|uc  la  raison  ('-clairo  en  quelque  sorte, 

Je  no  saurois  porter  un(<  fureur  si  forte, 

Kt  déjà  lu  peux  voir,  au  train  de  cet  écrit, 

Comme  la  içuérison  avance  en  mon  [esprit  : 

(^ar  insensiblement  ma  musc  un  peu  léfçèrc 

A  passé  dessus  toi  sa  plume  passasçèro, 

l*]t,  détournant  mon  C(cur  de  son  premier  objet, 

Dès  le  conuucnccment  j'ai  cbangé  de  sujet, 

Emporté  du  plaisir  de  voir  ma  veine  aisée 

Sûrement  aborder  ma  flamme  rapaiséc 

El  jouer  à  son  jçré  sur  les  propos  d'aimer, 

Sans  avoir  aujourd'hui  pour  but  (pie  de  rimer, 

Et  sans  te  demander  (|ue  ton  bel   omI  éclaire 

Ces  vers,  où  je  n'ai  pris  aucun  soin  de  te  plaire. 


ELEGIE 

Depuis  ce  triste  jour  (pi'un  adieu  malheureux 
M'ùta  le  cher  ol)jet  de  mes  yeux  amoureux. 
Mon  âme  de  mes  sens  fut  toute  désimie 
Et,  privé  que  je  fus  de  votre  eompai^nie, 
Je  me  trouvai  si  seul  aveccpie  tant  d'effroi 
Que  je  me  crus  moi-même  être  éloigné  de  moi  ! 
La  clarté  du  soleil  ne  m'étoit  point  visible, 


THEOPHILE 


La  douceur  de  la  nuit  ne  m'étoit  point  sensible, 

Je  sentois  du  poison  eu  mes  plus  doux  repas 

Et  des  goufl'res  partout  où  se  portoient  mes  pas. 

Depuis,  rien  que  la  mort  n'accompagna  ma  vie, 

Tant  me  coûta  l'honneur  de  vous  avoir  suivie. 

O  Dieux  qui  disposez  de  nos  contentements. 

Les  donnez-vous  toujours  avecque  des  tourments  ? 

Ne  se  peut-il  jamais  qu'un  bon  succès  arrive 

A  l'état  des  mortels  qu'un  mauvais  ne  le  suive  ? 

Mêlez-vous  de  l'horreur  au  sort  plus  gracieux 

De  celui  des  humains  que  vous  aimez  le  mieux  ? 

Ici  votre  puissance  est  en  vain  appelée  ; 

Comme  un  corps  a  son  ombre,  un  coteau  sa  vallée; 

Ainsi  que  le  soleil  est  suivi   de  la  nuit, 

Toujours  le  plus  grand  bien  a  du  mal  qui  le  suit. 

Lorsque  le  beau  Paris  accorapagnoit  Hélène, 

Son  âme  de  plaisir  voit  la  fortune  pleine  ; 

Mais  le  sort  ce  bonheur  cruellement  vengea  : 

Car,  comme  avec  le  temps  la  fortune  changea, 

De  sa  prospérité  naquit  une  misère 

Qui  fit  brûler  sa  ville  et  massacrer  son  père. 

Bien  que  dans  ce  carnage  on  vit  tant  de  malheurs, 

Qu'on  versât  dans  le  feu  tant  de  sang  et  de  pleurs. 

Je  jure  par  l'éclat  de  votre  beau  visage 

Que  pour  l'amour  de  vous  je  souHre  davantage  : 

Car,  si  longtemps  absent  des  grâces  de  vos  yeux, 

Il  me  semble  qu'on  m'a  chassé   d'auprès  des  Dieux 

Et  que  je  suis  tombé  par  un  coup  de  tonnerre 


ÉLÉGIES    ET    SONNETS  qS 

Du  plus  haut  lieu  liu  ciol  au  plus  Itas  de  la  terre. 
Depuis,  tous  mes  plaisirs  duraient  dans  le  cercueil. 
Aussi  vraiment  depuis  je  suis  vêtu  de  deuil, 
Je  suis  cliasfrin  partout  où  le  |ilaisir  abonde, 
Je  n'ai  |)his  nul  souci  (]ut'  de  déplaire  au  monde. 
Connue,  sans  me  tlaltcr,  je  vous  proteste  ici 
yue  le  monde  ne  fait  que  me  déplaire  aussi. 
Au  milieu  de  Paris  je  me  suis  fait  ermite  ; 
Dedans  un  seul  oitjct  mon  esprit  se  limite  ; 
Ouel(iue  part  où  mes  yeux  me  pensent  divertir, 
Je  traîne  une  prison  d'où  je  ne  puis  sortir; 
J'ai  le  t'en  dans  les  os  et  l'ànie  déchirée 
De  cette  flèche  d'or  que  vous  m'avez  tirée. 
Ouel(|uc  tentation  qui  se  présente  à  moi, 
Son  appas  ne  me  sert  (pi'à  renforcer  ma  foi. 
L'ordinaire  secours  que  la  raison  apjjorle, 
Pour  rendre  atout  le  moins  ma  i>assion  moins  forte, 
L'irrite  davantage  et  me  fait  mieux  soufFrir 
Un  tourment  qui  m'ohlis;e  en  me   faisant  mourir. 
Contre  un  dessein  prudent  s'obstine  mon  courage, 
Ainsi  que  le  rocher  s'endurcit  à  l'orage  ; 
J'aime  ma  frénésie  et  ne  saurois  aimer 
Aucun  de  mes  amis  qui  la  voudroit  blâmer. 
Aussi  ne  crois-je  point  que  la  raison  consente 
De  m'approcher  tandis  (pie  vous  serez  absente. 
J'entends  que  ma  pensée  éprouve  incessamment 
Tout  ce  que  peut  l'ennui  sur  un  Hdèle  amant  ; 
J'onlcnds  que  le  soleil  aveccjue  moi  s'ennuie, 


g4  THÉOPHILE 


Que  l'air  soit  couvert  d'ombre  et  la  terre  de   pluie, 
Que,  parmi  le  sommeil,  de  tristes  visions 
Enveloppent  mon  âme  en  leurs  illusions, 
Que  tous  mes  sentiments  soient  mêlés  d'une  rage, 
Qu'au  lit  je  m'imagine  tître  dans  un  naufrage, 
Tomber  d'un  précipice  et  voir  mille  serpents 
Dans  un  cachot  obscur  autour  de  moi  rampants. 
Aussi  bien,  loin  de  vous,  une  vie  inhumaine 
Sans  doute  me  sera  plus  aimable  et  plus  saine, 
Car  je  ne  puis  songer  seulement  au  plaisir 
Qu'une  mort  ne  me  vienne  incontinent  saisir. 
Mais,  quand  le  ciel,  lassé  du  tourment  qu'il  me  livre, 
Sous  un  meilleur  aspect  m'ordonnera  de  vivre, 
Et  qu'en  leur  changement  les  astres  inconstants 
Me  pourront  amener  un  favorable  temps, 
Mon  àme  à  votre  objet  se  trouvera  changée 
Et  de  tous  ces  malheurs  incontinent  vengée. 
Quand  mes  esprits  seroient  dans  un  mortel  sommeil. 
Vos  regards  me  rendront  la  clarté  du  soleil  ; 
Dessus  moi  votre  voix  peut  agir  de  la  sorte 
Que  le  zéphir  agit  sur  la  campagne  morte. 
Voyez  comment  Philis  renaît  à  son  abord  : 
Déjà  l'hiver  contre  elle  a  fini  son  effort. 
Désormais  nous  voyons  épanouir  les  roses, 
La  vigueur  du  printemps  reverdit  toutes  choses. 
Le  ciel  en  est  plus  gai,  les  jours  en  sont  plus  beaux, 
L'aurore  en  s'habillant  écoute  les  oiseaux; 
Les  animaux  des  champs,  qu'aucun  souci  n'outrage. 


ÉLÉGIES    ET    SONNETS  g5 

Sentent  renouveler  et  leur  sanjç  et  leur  Age, 
Et,  suivant  leur  nature  et  l'appétit  des  sens, 
Cultivent  sans  remords  dos  plaisirs  innocents. 
Moi  seul,  dans  la  saison  où  chacun  se  contente, 
Accalilc  des  douleurs  d'une  cruelle  attente. 
Languis  sans  réconfort,  et  tout  seul  dans  l'hiver 
Ne  vois  point  de  printemps  qui  me  puisse  arriver; 
Seul  je  vois  les  l'orèts  encore  désolées, 
Les  parterres  déserts,  les  rivières  gelées, 
Et,  comme  ensorcelé,  ne  puis  goûter  le  fruit 
Qu'à  la  faveur  *  de  tous  cette  saison  produit. 
Mais,  lorsque  le  soleil  adoré  de  mon  âme 
I  Du  feu  de  ses  rayons  réchauffera  ma  flamme, 
Mon  printemps  reviendra,  mais  mille  fois  plus  beau 
Que  n'en  donne  aux  mortels  le  céleste  flambeau. 
Si  jamais  le  destin  permet  que  je  la  voie. 
Plus  que  tous  les  mortels  tout  seul  j'aurai  de  joie. 
O  Dieu!  pour  défier  l'horreur  du  monument, 
Je  ne  demande  rien  (pie  cela  seulement. 


ELEGIE 

Proche  de  la  saison  où  les  plus  vives  fleurs 
Laissent  évanouir  leur  àme  et  leurs  couleurs, 
Un  amant  désolé,  mélancoli(iue,  sombre. 
Jaloux  de  son  chemin,  de  ses  pas,  de  son  ombrcj 


(jG  THÉOPHILE 

Baisoit  aux  bords  de  Loire,  en  flattant  son  ennui, 
L'image  de  Calisle  errante  avecque  lui. 
Rêvant  auprès  du  fleuve,  il  disoit  à  son  onde  : 
«  Si  tu  vas  dans  la  mer  qui  va  par  tout  le  monde, 
Fais-la  ressouvenir  d'apprendre  à  l'univers 
Qu'il  n'a  rien  de  si  beau  que  l'objet  de  mes  vers. 
Ces  fleurs  dont  le  printemps  fait  voir  tes  rives  peintes 
Au  matin  sont  en  vie  et  le  soir  sont  éteintes  ; 
Mais,  quelque  changement  qui  te  puisse  arriver, 
Caliste  et  ses  beautés  n'auront  jamais  d'hiver. 
Ces  humides  baisers  dont  les  rives  mouillées 
Seront  pour  quelques  jours  encore  chatouillées 
Arrêteront  enfin  leur  amoureuse  erreur, 
Et,  s'approchant  de  toi,  se  gèleront  d'horreur. 
Alors  que  tous  les  flots  sont  transformés  en  marbres. 
Lorsque  les  aquilons  vont  déchirer  les  arbres. 
Et  que  l'eau,  n'ayant  plus  humidité  ni  poids. 
Fait  pendre  le  cristal  des  roches  et  des  bois; 
Que  l'onde,  applanissant  ses  orgueilleuses  bosses, 
Souffre  sans  murmurer  le  fardeau  des  carrosses  ; 
Que  la  neige  durcie  a  pavé  les  marais. 
Confondu  les  chemins  avecque  les  guérets  ; 
Que  l'Hiver  renfrogné,  d'un  orgueilleux  empire. 
Empêche  les  amours  de  Flore  et  de  Zéphire  ; 
Qu'Endymion,  vaincu  du  froid  et  du  sommcilj 
Ne  peut  tenir  parole  à  la  sœur  du  Soleil, 
Qui  cependant  toujours  va  visiter  sa  place. 
Sur  le  haut  d'un  rocher  tout  hérissé  de  fflace  : 


«   I 


KLKCiIES    ET    SONNETS  f)7 

Moi  qui,  il'un  sort  plus  humble  ou  l)icii  plus  glorieux, 
Sur  les  beauh^s  du  ciel  n'ai  point  jeté  les  yeux, 
Qui  n'ai  jamais  cherché  cette  bonne  fortune 
lJu'Eiul\  aiion  Irouvoit  aux  beautés  île  la  Lune, 
Durant  celte  saison  où  leur  ardent  désir 
Ne  trouve  à  son  dessein  ni  place  ni  loisir, 
Je  verrai  ma  Caliste  après  ce  long  voyage, 
Oui  plus  (jue  cent  hivers  m'a  fait  souffrir  d'orage, 
Qui  m'a  plus  ruiné  que  de  faire  abîmer 
Un  vaisseau  chargé  d'or  que  j'aurois  sur  la  mer. 
Quel  outrage  plus  grand  auroil-il  pu  me  faire 
Que  me  cacher  un  mois  le  seul  jour  qui  m'éclaire  '? 
Dieux,  hâtez  donc  l'hiver  et  lui  soyez  témoins 
'Que  le  printemps,  l'automne  et  l'été  valent  moins; 
Qu'il  dépouille  les  bois,  et  de  sa  froide  haleine 
Perde  tout  ce  (|ue  donne  et  le  mont  et  la  plaine  : 
Ce  mois  qui  maintenant  retient  cette  beauté 
A  bien  plus  d'injustice  et  plus  de  cruauté. 
Car  l'hiver,  au  plus  fort  de  sa  plus  dure  guerre, 
Nous  ôte  seulement  ce  que  nous  rend  la  terre, 
N'emporte  ([ue  des  fruits,  n'étoutVe  (|ucdes  lleurs. 
Et  sur  notre  destin  n'étend  point  ses  malheurs, 
Où  la  dure  saison  qui  m'ôte  ma  maîtresse 
Toutes  ces  cruautés  à  ma  ruine  adresse. 
Mon  front  est  plus  terni  que  des  lys  effacés. 
Mon  sang  est  plus  gelé  que  des  ruisseaux  glacés  ; 
Blois  est  l'enfer  pour  moi,  la  Loire  est  le  Cocyte  ; 
Je  ne  suis  plus  vivant  si  je  ne  ressuscite. 


THEOPHILE 


Vous  qui  feignez  d'aimer  avecque  tant  de  foi, 

Trompeurs,  vous  êtes  bien  moins  amoureux  que  moi  ; 

Courtisans  qui  partout  ne  servez  que  de  nombre, 

Qui  n'aimez  que  le  vent,  qui  ne  suivez  que  l'ombre, 

Qui  tramez  sans  plaisir  vos  jours  mal  assurés. 

Pendant  chez  la  fortune  à  des  liens  dorés, 

Vous  savez  mal  que  c'est  *  des  véritables  peines 

Que  donne  un  feu  subtil  qui  fait  brûler  les  veines. 

Esclaves  insensés  des  pompes  de  la  cour. 

Vous  savez  mal  que  c'est  *  d'un  véritable  amour. 

Infidèle  Alidor,  tu  feins  d'aimer  Sylvie, 

Mais  tu  perds  son  objet  et  ne  perds  point  la  vie. 

Tu  chasses  tout  le  jour,  tu  dors  toute  la  nuit. 

Et  tu  dis  que  partout  son  image  te  suit. 

Qu'elle  est  profondément  empreinte  en  ta  pensée. 

Et  que  ton  âme  en  est  mortellement  blessée. 

0  toi  qui  ma  Caliste  aujourd'hui  me  ravis. 

Qui  vois  ce  que  je  sens,  qui  sais  comme  je  vis, 

Malicieux  Destin  qui  me  sépare  d'elle. 

Tu  répondras  pour  moi  si  je  lui  suis  fidèle. 

Parfois,  lorsque  je  pense  écrire  mon  tourment. 

Je  passe  tout  le  jour  à  rêver  seulement. 

Et  dessus  mon  papier,  laissant  errer  mon  âme, 

Je  peins  cent  fois  mon  nom  et  celui  de  ma  dame. 

De  penser  en  penser  confusément  tiré, 

Suivant  le  mouvement  de  mon  sens  égaré. 

Si  j'arrête  mes  yeux  sur  nos  noms  que  je  trace, 

Quelque  goutte  de  pleur  m'échappe  et  les  efface, 


KLEOIES    ET    SONNETS  QQ 

Ef  sans  que  mon  travail  puisse  changer  d'objet, 
Mille  l'ois  sans  dessein  je  change  de  projet. 
Toute  celte  beauté,  dans  nies  sens  ramassée, 
Tant^^t  ses  doux  regards  présente  à  ma  pensée, 
Quelquefois  son  iieau  teint,  et  m'offre  quelquetbis 
Les  œillets  de  sa  lèvre  et  l'accent  de  sa  voix  : 
Tantôt  son  bel  esprit,  d'une  superbe  image, 
Tout  seul  (le  mes  écrits  veut  recevoir  l'hommage. 
Confus  je  me  retire,  et  songe  (pi'il  vaut  mieux 
Consoler  autrement  et  mon  Ame  et  mes  yeux. 
Je  m'en  vais  dans  les  champs  pour  voir  s'il  est  possible 
Qu'un  bienheureux  hazard  me  la  rendît  visible; 
Je  m'en  vais  sur  les  bords  de  ces  publicjues  eaux 
Dont  le  dos  nuit  et  jour  est  chargé  de  bateaux, 
Et  tout  ce  que  je  vois  descendre  sur  la  rive 
Me  fait  imaginer  que  ma  Caliste  arrive. 
Bref,  contre  tout  espoir  mon  omI  n'est  jamais  las 
De  travailler  en  vain  à  chercher  du  soulas  *  ; 
Quoique  le  temps  prescrit  à  cette  longue  absence 
Pour  tout  ce  que  je  fais  d'un  seul  point  ne  s'avance, 
Je  veux  persuader  à  mon  ardent  amour 
Qu'il  voit  à  tout  moment  l'heure  de  son  retour.  » 
Ainsi  dit  Mélibée,  et  pâle,  et  las,  et  triste. 
Acheva  sa  journée  en  adorant  Caliste. 


'■    BIBLIOTHECA 

ttaviens'v'',. 


THEOPHILE 


SONNET 


Ton  orgueil  peut  durer  au  plus  deux  ou  trois  ans; 
Après,  cette  beauté  ne  sera  plus  si  vive  : 
Tu  verras  que  ta  flamme  alors  sera  tardive, 
Et  que  tu  deviendras  l'objet  desTmédisants. 

Tu  seras  le  refus  de  tous  les  courtisans, 
Les  plus  sots  laisseront  ta  passion  oisive. 
Et  tes  désirs  bonteux,  d'une  amitié  lascive. 
Tenteront  un  valet  à  force  de  présents. 

Tu  chercheras  à  qui  te  donner  pour  maîtresse , 
On  craindra  ton  abord,  on  fuira  ta  caresse  ; 
Un  chacun  de  partout  te  donnera  congé. 

Tu  reviendras  à  moi  :  je  n'en  ferai  nul  compte;  ? 

Tu  pleureras  d'amour  :  ie  rirai  de  ta  honte. 

r  .... 

Lors,  tu  seras  punie,  et  je  serai  venge. 


SONNET 

'autre  jour,  inspiré  d'une  divine  flamme, 
ij'entrai  dedans  un  temple,  où,  tout  religieux, 


LLEGIES    ET    SONNETS 


lv\aniin:iiit  ilc  prrs  mes  actes  vicieux, 

Un  repentir  profond  fait  soupirer  mou  Ame. 

Tandis  qu'A  mon  secours  tous  les  Dieux  je  réclame, 
Je  vois  venir  Pliilis.  Ouand  j'apen^us  ses  yeux, 
Je  m'écriai  tout  haut  :  Ce  sont  ici  mes  Dieux  ; 
Ce  temple  et  cet  autel  appartient  à  ma  dame. 

Les  Dieux,  injuriés  de  ce  crime  d'amour, 
Conspirent  par  venc^eancc  à  me  ravir  le  jour; 
Mais  que  sans  plus  larder  leur  tlamme  me  confonde! 

O  mort  I  quand  lu  voudras,  je  suis  prêt  à  partir, 
Car  je  suis  assuré  que  je  mourrai  martyr 
Pour  avoir  adoré  le  plus  bel  œil  du  monde. 


SONNET 

Si  quelquefois  Amour  permet  que  je  respire. 
Et  que  pour  un  moment  j'écoule  ma  raison, 
Mon  esprit  aussitôt  pense  à  ma  guérison, 
Tâchant  de  m'affranchir  de  ce  fâcheux  empire. 

Il  est  vrai  que  mon  mal  ne  peut  devenir  pire. 
Qu'un  esclave  seroit  honteux  de  ma  prison. 


THEOPHILE 


Et  que  les  plus  damnés,  à  ma  comparaison, 
Trouveroient  justement  des  matières  pour  rire. 

Cloris,  d'un  œil  riant  et  d'un  cœur  sans  remords, 
Me  tient  dans  les  tourments  pires  que  mille  morts, 
Sans  espoir  que  jamais  sa  cruauté  s'amende. 

Hélas  !  après  avoir  à  mes  douleurs  songé, 
Je  voudrois  me  résoudre  à  demander  congé; 
Mais  j'ai  peur  d'obtenir  le  don  que  je  demande. 


SONNET   DE  THEOPHILE 

SUR    SON    EXIL 

Quelque  si  doux  espoir  où  ma  raison  s'appuie, 
Un  mal  si  découvert  ne  se  sauroit  cacher  : 
J'emporte,  malheureux,  quelque  part  où  je  fuie, 
Un  trait  qu'aucun  secours  ne  me  peut  arracher. 

Je  viens  dans  un  désert  mes  larmes  épancher, 
Où  la  terre  languit,  où  le  soleil  s'ennuie. 
Et,  d'un  torrent  de  pleurs  qu'on  ne  peut  étancher. 
Couvre  l'air  de  vapeurs  et  la  terre  de  pluie. 

Parmi  ces  tristes  lieux  traînant  mes  longs  regrets. 


ÉLÉGIES    ET    80NNKTS  I03 

Je  nie  promène  seul  dans  l'horreur  des  forèls 
Où  la  Funeste  orfraie  *  et  le  hibou  se  perchent. 

Là,  le  seul  réconfort  (jui  peut  ni'entretenir. 
C'est  de  ne  craindre  point  que  les  vivants  me  cher- 
Où  le  llambcau  du  jour  n'osa  jamais  venir,     [chent 


SONNET 

SUR    LE    MÊME    SUJET,    FAIT    DANS    LES    LANDES 
DE    CASTEL-JALOUX 

Je  passe  mon  exil  parmi  de  tristes  lieux 
Où  rien  de  plus  courtois  (ju'un  loup  nem'avoisine  ; 
Où  des  arbres  puants  fourmillent  d'écurieux  *, 
Où  tout  le  revenu  n'est  (ju'un  peu  de  résine, 

Où  les  maisons  n'ont  rien  plus  froidque  la  cuisine, 
Où  le  plus  fortuné  craint  de  devenir  vieux, 
Où  la  stérilité  fait  mourir  la  lésine, 
Où  tous  les  éléments  sont  mal-voulus  des  cieux, 

Où  le  soleil  contraint  de  plaire  aux  destinées. 
Pour  étendre  mes  maux  allonfçe  ses  journées, 
Et  me  fait  plus  durer  le  temps  de  la  moitié. 

Mais  il  peut  bien  changer  le  cours  de  sa  lumière. 


io4 


THEOPHILE 


Puisque  le  roi,  perdant  sa  bonté  coutumière, 
A  détourné  pour  moi  le  cours  de  sa  pitié. 


SONNET 

On  n'avoit  point  posé  les  fondements  de  Rome, 
On  n'avoit  point  parlé  du  sièffe  d'IIion, 
La  terre  n'avoit  point  reçu  Deucalion, 


Les  sœurs  de  Phaéton  ne  pleuroient  point  la  ^onime  ■ 
Les  géants  n'avoient  point  monté  sur  Pélion, 
Et  celui  qui  causa  notre  rébellion 
N'avoit  pas  mis  la  dent  sur  la  première  pomme. 

Cypre  n'avoit  point  vu  ses  rives  écumer 
De  ce  germe  divin  qui  tomba  dans  la  mer. 
Quand  la  mère  d'Amour  voulut  sortir  de  l'onde. 

Bref,  nous  ne  savons  point  de  siècles  assez  vieux. 
Depuis  qu'on  a  connu  l'origine  du  monde, 
De  qui  l'antiquité  ne  le  cède  à  vos  yeux. 


ÂLÂGIES    P.T    SONNETS 


SONNKT 

Ministre  du  repos,  sommeil,  père  des  sonates, 
Poiinpioi  t'a-t-on  nommé  limatje  de  la  mort? 
Que  ces  Faiseurs  de  vers  l'ont  jadis  tait  de  tort, 
De  le  persuader  avecque  leurs  mensonges  ! 

Faut-il  pas  conlcssercpi'en  l'aise  où  lu  nous  plonges 
Nos  esprits  sont  ravis  par  un  si  doux  transport, 
Qu'au  lieu  de  raccourcir  à  la  fureur  du  sort 
'Les  plaisirs  de  nus  jours,  Sommeil,  lu  les  allonges? 

Dans  ce  petit  moment,  ù  songes  ravissants, 
}u'Amour  vous  a  permis  d'entretenir  mes  sens, 
J'ai  tenu  dans  mon  lit  Elise  toute  nue. 

Sommeil,  ceux  (jui  l'ont  fait  l'image  du  trépas, 
Quand  ils  ont  peint  la  mort,  ils  ne  l'ont  poinlconnue, 
Car  vraiment  son  portrait  ne  lui  ressemble  pas. 


SONNET 

u  moins  ai-je  songé  que  je  vous  ai  baisée, 
I.  Et,  bien  que  tout  l'amour  ne  s'en  soit  pas  allé. 


J06  THÉOPHILE 


Ce  feu,  qui  dans  mes  sens  a  doucement  coulé, 
Rend  en  quelque  façon  ma  flamme  rapaisée. 

Après  ce  doux  effort,  mon  âme  reposée 
Peut  rire  du  plaisir  qu'elle  vous  a  vole, 
Et,  de  tant  de  refus  à  demi  consolé, 
Je  trouve  désormais  ma  guérison  aisée , 

Mes  sens  déjà  remis  commencent  à  dormir; 
Le  sommeil,  qui  deux  nuits  m'a  voit  laissé  gémir. 
Enfin  dedans  mes  yeux  vous  fait  quitter  la  place. 

Et,  quoiqu'il  soit  si  froid  au  jugement  de  tous. 
Il  a  rompu  pour  moi  son  naturel  de  glace 
Et  s'est  montré  plus  chaud  et  plus  humain  que  vous. 


SONNET 

D'un  sommeil  plus  tranquille  à  mes  amours  rêvant, 
J'éveille  avant  le  jour  mes  yeux  et  ma  pensée, 
Et,  cette  longue  nuit  si  durement  passée. 
Je  me  trouve  étonné  de  quoi  je  suis  vivant. 

Demi  désespéré,  je  jure  en  me  levant 
D'arracher  cet  objet  à  mon  âme  insensée, 


ÉLéOlKS    ET    SONNETS  IO7 

El  sDiiiljun  (lo  ces  vd'ux  ma  raison  ollcnsée 
Se  ilctlit  ol  me  laisse  aussi  loi  (|iie  devant. 

Je  sais  bien  (jue  la  mort  suit  de  près  ma  folie, 
Mais  je  vois  tant  d'appas  en  ma  mélancolie 
(Jue  mon  esprit  ne  peut  souffrir  sa  guérison. 

Chacun  à  son  plaisir  doit  gouverner  son  àmc  ; 
Alitliridale  autrefois  a  vécu  de  poison, 
Les  Lestrigons  de  sang,  et  moi  je  vis  de  flamme. 


I  SONNET 

Chère  Isis,  tes  beautés  ont  trouble  la  nature, 
Tes  yeux  ont  mis  l'Amour  dans  son  aveuglement. 
Et  les  Dieux,  occupés  après  toi  seulement. 
Laissent  l'état  du  monde  errer  à  l'aventure. 

Voyant  dans  le  soleil  tes  regards  eu  peinture. 
Ils  en  sentent  leur  cœur  touché  si  vivement 
Que,  s'ils  û'étoient  cloués  si  fort  au  firmament, 
Ils  descendroient  bientôt  pour  voir  leur  créature. 

Croîs-moi  qu'en  cette  humeur  ils  ont  peu  de  souci 
Ou  du  bien  ou  du  mal  que  nous  faisons  ici  ; 
Et,  tandis  que  le  Ciel  endure  que  tu  m'aimes. 


I08  THKOPUILE 

Tu  peux  bien  dans  mon  lit  impunément  coucher  ; 
Isis,que  craindrois-tu, puisque  les  Dieux  eux-mêmes 
S'estimeroient  heureux  de  te  faire  pécher? 


SONNET 

Sacrés  murs  du  soleil  où  j'adorai  Philis, 
Doux  séjour  où  mon  àme  étoit  jadis  charmée, 
Qui  n'est  plus  aujourd'hui  sous  mes  toits  démolis 
Que  le  sanglant  butin  d'une  orgueilleuse  armée; 

Ornement  de  l'autel,  qui  n'êtes  que  fumée, 
Grand  temple  ruiné,  mystères  abolis, 
Effroyables  objets  d'une  ville  allumée, 
Palais,  hommes,  chevaux,  ensemble  ensevelis; 

Fossés  larges  et  creux  tous  comblés  de  murailles, 
Spectacle  de  frayeur,  de  cris,  de  funérailles. 
Fleuve  par  où  le  sang  ne  cesse  de  courir; 

Charniers  où  les  corbeaux  et  lesloupsvontrepaîlrc, 
Clérac,  pour  une  fois  que  vous  m'avez  faitnaître, 
Hélas!  combien  de  fois  me  faites-vous  mourir  ! 


LIVRE  III 

LA  MAISON  DE  SYLVIE 
ODE  I 


Pour  laisser,  avant  de  mourir, 
Les  traits  vivants  d'une  peinture 
Oui  ne  puisse  jamais  périr 
Qu'en  la  perle  de  la  nature, 
Je  passe  des  crayons  dorés 
Sur  les  lieux  les  plus  révérés 
Où  la  vertu  se  rétuiçie, 
Et  dont  le  port  me  fut  ouvert 

(i)  Chantilly  a  souvent  changé  de  propriétaires:  mais 
le  bois  de  Sylvie  a  qardé  son  nom  et  le  cardera  tant  (]iio 
ses  beaux  ombrages  subsisteront  (AlleacmkK 


THEOPHILE 


Pour  mettre  ma  tête  à  couvert 
Quand  on  brûla  mon  effigie. 

Tout  le  monde  dit  qu'Apollon 
Favorise  qui  le  réclame, 
Et  qu'avec  Teau  de  son  vallon 
Le  savoir  peut  couler  dans  l'âme  ; 
Mais  j'étouffe  ce  vieil  abus 
Et  bannis  désormais  Phébus 
De  la  bouche  de  nos  poètes  : 
Tous  ses  temples  sont  démolis 
Et  ses  démons  ensevelis 
Dans  les  sépultures  muettes. 

Satan  ne  nous  fait  plus  broncher 
Dans  de  si  dangereuses  toiles, 
Le  Dieu  que  nous  allons  chercher 
Loge  plus  haut  que  les  étoiles  ; 
Nulle  divinité  que  lui 
Ne  me  peut  donner  aujourd'hui 
Cette  flamme  ou  cette  fumée 
Dont  nos  entendements  épris 
S'efforcent  à  gagner  le  prix 
Qui  mérite  la  renommée. 

Après  lui  je  m'en  vais  louer 
Une  image  de  Dieu  si  belle 
Que  le  ciel  me  doit  avouer 


LA    MAISON    DK    SYLVIE 

Du  (ravail  que  j'ai  fait  pour  elle: 
Car  aprôs  les  sncrrs  autels, 
Oui  devant  leurs  feux  immortels 
Font  aussi  prosterner  les  anges, 
Nous  pouvons  sans  impiété 
Flatter  une  chaste  beauté 
Du  doux  encens  de  nos  louanges. 

Ainsi,  sous  de  modestes  vnnix, 
Mes  vers  promettent  à  Sylvie 
O  bruit  charmeur  que  les  neveux 
Nomment  une  seconde  vie; 
Que  si  mes  écrits,  méprisés, 
Ne  peuvent  voir  autorisés 
Les  témoignages  de  sa  gloire, 
Ces  eaux,  ces  rochers  et  ces  bois, 
Prendront  des  àmcs  et  des  voix 
Pour  en  conserver  la  mémoire. 

Si  quelques  arbres  renommés 
D'une  adoration  profane 
Ont  été  jadis  animés 
Des  sombres  regards  de  Diane  ; 
Si  les  ruisseaux,  en  murmurant, 
Alloient  autrefois  discourant 
Au  gré  d'un  Faune  et  d'une  fée. 
Et  si  la  masse  d'un  rocher 


THEOPHILE 


Se  laissoit  quelquefois  toucher 
Aux  chansons  que  disoit  Orphée, 

Quelle  dureté  peut  avoir 
L'objet  que  ma  princesse  touche, 
Qu'elle  ne  puisse  le  pourvoir 
Tout  aussitôt  d'âme  et  de  bouche  ? 
Dans  ses  bâtiments  orgueilleux, 
Dans  ses  promenoirs  merveilleux, 
Quelle  solidité  de  marbres 
Ne  pourront  pénétrer  ses  yeux  ? 
Quelles  fontaines  et  quels  arbres 
Ne  les  estimeront  des  Dieux? 

Les  plus  durs  chênes  entr'ouverts 
Bien  plutôt  de  gré  que  de  force, 
Peindront  pour  elle  de  mes  vers 
Et  leurs  feuilles  et  leur  écorce. 
Et,  quand  ils  les  auront  gravés 
Sur  leurs  fronts  les  plus  relevés. 
Je  sais  que  les  plus  fiers  orages 
Ne  leur  oseront  pas  toucher, 
Et  pourront  plutôt  arracher 
Leurs  racines  et  leurs  ombrages. 

Je  sais  que  ces  miroirs  flottants 
Où  l'objet  change  tant  de  place, 
Pour  elle  devenus  constants. 


LA    MAISON    DE    SYLVIE  Il3 

Auront  une  fidèle  e;Iace, 

Et,  sous  un  ornemont  si  beau, 

Lu  surlace  nièiiie  de  l'eau, 

Nonobstant  sa  délicatesse, 

Gardera  sûrement  encrés 

Et  mes  caractères  sacrés 

Et  les  attraits  de  la  princesse. 

Mais  sa  ccloiro  n'a  pas  besoin 
Oue  mon  seul  ouvrasse  en  n-ponde  : 
Le  ciel  a  déjà  pris  le  soin 
De  la  peindre  par  tout  le  monde. 
Ses  yeux  sont  peints  dans  le  soleil  ; 
L'aurore  dans  son  teint  vermeil 
Voit  ses  autres  beautés  tracées, 
Et  rien  n'éteindra  ses  vertus 
Que  les  cieux  ne  soient  abattus 
Et  les  étoiles  effacées. 


ODE  II 

Un  soir  (jue  les  flots  mariniers] 
Apprcloient  leur  molle  litière 
Aux  quatre  rouges  limonniers 
Oui  sont  au  joug  de  la  lumière, 


Il4  THÉOPHILE 

Je  penchois  mes  yeux  sur  le  bord 
D'un  lit  où  la  Naïade  dort, 
Et,  regardant  pêcher  Sylvie, 
Je  voyois  hattre  les  poissons 
A  qui  plutôt  perdroit  la  vie 
En  l'honneur  de  ses  hameçons. 

D'une  main  défendant  le  bruit, 
Et  de  l'autre  jetant  la  line  *, 
Elle  fait  qu'abordant  la  nuit, 
Le  jour  plus  bellement  décline. 
Le  soleil  craignoit  d'éclairer 
Et  craignoit  de  se  retirer; 
Les  étoiles  n'osoient  paroître, 
Les  flots  n'osoient  s'entrepousser, 
Le  zéphire  n'osoit  passer, 
L'herbe  se  retenoit  de  croître  *. 

Ses  yeux  jetoient  un  feu  dans  l'eau; 
Ce  feu  choque  l'eau  sans  la  craindre. 
Et  l'eau  trouve  ce  feu  si  beau 
Qu'elle  ne  l'oseroit  éteindre. 
Ces  Eléments  si  furieux, 
Pour  le  respect  de  ses  beaux  yeux 
Interrompirent  leur  querelle, 
Et,  de  crainte  de  la  fâcher, 
Se  virent  contraints  de  cacher 
.    Leur  inimitié  naturelle. 


LA    MAISON    DE    SYLVIE 


Les  Tritoiis,  en  la  rcuanlaiil 
Au  travers  leurs  vitres  liquides, 
D'aliorc!  à  cet  oI)jcl  ardent 
Sentent  (ju'ils  ne  sont  plus  humides, 
Kl  d'un  élonnenient  soudain 
Chacun  d'eux  dans  un  corps  de  daim 
Cache  sa  forme  dépouillée, 
S'étonne  de  se  voir  cornu 
Kt  comment  le  poil  est  venu 
Dessus  son  écaille  mouillée. 

Soupirant  du  cruel  affront 
(Jui  de  dieux  les  a  iait  des  hètcs, 
Kt  sous  les  cornes  de  leur  front 
A  courbé  leurs  honteuses  Ictcs, 
Ils  ont  abandonné  les  eaux, 
Kt,  dans  la  rive  où  les  rameaux 
Leur  ont  fait  un  logis  si  sombre, 
Promenant  leurs  yeux  ébahis, 
N'osent  plus  fier  que  leur  ombre 
A  l'étang  qui  les  a  trahis. 

On  dit  que  la  sœur  du  Soleil 
Eut  ce  pouvoir  sur  la  Nature 
Lorsque  d'un  changement  pareil 
Actéon  quitta  sa  figure. 
Ce  que  fit  sa  divine  main 
Pour  punir  dans  un  corps  humain 


Il6  THÉOPHILE 

La  curiosité  profane 
S'est  fait  ici  contre  les  dieux, 
Oui  n'avoient  approché  leurs  yeux 
Que  des  yeux  de  notre  Diane. 

Ces  daims^  que  la  honte  et  la  peur 
Chassent  des  murs  et  des  allées, 
Maudissent  le  destin  trompeur 
Des  froideurs  qu'il  leur  a  volées. 
Leur  cœur,  privé  d'humidité, 
Ne  peut  qu'avec  timidité 
Voir  le  ciel  ni  fouler  la  terre, 
Où  Sylvie  en  ses  promenoirs 
Jette  l'éclat  de  ses  yeux  noirs. 
Oui  leur  font  encore  la  guerre. 

Ils  s'estiment  heureux  pourtant 
De  prendre  l'air  qu'elle  respire  ; 
Leur  destin  n'est  que  trop  content 
De  voir  le  jour  sous  son  empire. 
La  princesse,  qui  les  charma 
Alors  qu'elle  les  transforma, 
Les  fit  être  blancs  comme  neige. 
Et,  pour  consoler  leur  douleur, 
Ils  reçurent  le  privilège 
De  porter  toujours  sa  couleur. 

Lorsqu'à  petits  flocons  liés 


LA     MAISON    DK    SYI.VIK 

La  neiîçe,  fraîchement  venue, 
Sur  des  grands  tapis  déliés 
|]panche  l'amas  de  la  mie; 
Lorsque,  sur  le  chemin  des  cieux. 
Ses  "grains  serrés  et  ii^racieux 
l\'ont  trouvé  ni  veut  ni  tonnerre, 
Lt  ([ue  sur  les  premiers  coupeaux  *, 
Loin  des  hommes  et  des  troupeaux, 
Ils  ont  peint  le  hois  et  la  terre. 

Quelque  vigueur  que  nous  ayons 
Contre  les  éclats  qu'elle  darde, 
ils  nous  blessent,  et  leurs  rayons 
l]i)louissent  (pii  les  regarde. 
Tel  dedans  ce  parc  ond)rageux  * 
Eclate  le  troupeau  neigeux, 
Et,  dans  ces  vêtements  modestes. 
Où  le  front  de  Sylvie  est  peint. 
Fait  briller  l'éclat  de  son  teint 
A  l'envi  des  neiges  célestes. 

En  la  saison  que  le  soleil. 
Vaincu  du  froid  et  de  l'orage. 
Laisse  tant  d'heures  au  sommeil 
Et  si  peu  de  temps  à  l'ouvrage, 
La  neige,  voyant  que  ces  daims 
La  foulent  avec  des  dédains, 
S'irrite  de  leurs  bonds  superbes. 


117 


Il8  THÉOPHILE 

Et,  pour  affamer  ce  troupeau 
Par  dépit  sous  un  froid  manteau, 
Cache  et  transit  toutes  les  herbes. 

Mais  le  parc  pour  ses  nourrissons 
Tient  assez  de  crèches  couvertes, 
Que  la  neige  ni  les  glaçons 
Ne  trouveront  jamais  ouvertes. 
Là,  le  plus  rigoureux  hiver 
Ne  les  sauroit  jamais  priver 
Ni  de  loge  ni  de  pâture  : 
Ils  y  trouvent  toujours  du  vert, 
Qu'un  peu  de  soin  met  à  couvert 
Des  outrages  de  la  nature  ; 

Là,  les  faisans  et  les  perdrix 
Y  fournissent  leurs  compagnies 
Mieux  que  les  halles  de  Paris 
Ne  les  sauroient  avoir  fournies. 
Avec  elles  voit-on  manger 
Ce  que  l'air  le  plus  étranger 
Nous  peut  faire  venir  de  rare, 
Des  oiseaux  venus  de  si  loin 
Qu'on  y  voit  imiter  le  soin 
D'un  grand  roi  qui  n'est  pas  avare. 

Les  animaux  les  moins  privés, 
Aussi  bien  que  les  moins  sauvages, 


i.A  MAISON  nn  sYi.vii:  iii) 

Sont  également  captivés 
I  >ans  ces  bois  et  dans  ces  rivages. 
Le  niaîlre  d'un  lieu  si  plaisant 
De  l'hiver  le  plus  nialfaisant 
Défie  (ouïes  les  malices, 
A  l'uljoudance  de  son  bien 
Les  éléments  ne  trouvent  rien 
Pour  lui  relranclier  ses  délices. 


ODE  III 

Dans  ce  parc  un  vallon  secret, 
Tout  voilé  de  ramages  sombres. 
Où  le  soleil  est  si  discret 
Qu'il  n'y  torce  jamais  les  ombres, 
Presse  d'un  cours  si  diligent 
Les  tlots  de  deux  ruisseaux  d'argent, 
Et  donne  une  fraîcheur  si  vive 
A  tous  les  objets  d'alentour, 
Que  môme  les  martyrs  d'amour 
Y  trouvent  leur  douleur  captive. 

Un  étang  dort  là  tout  auprès 
Où  ces  fontaines  violentes 
Courent  et  font  du  bruit  exprès 
Pour  éveiller  ses  vagues  lentes. 


THEOPHILE 

Lui,  d'un  maintien  majestueux. 
Reçoit  l'abord  impétueux 
De  ces  Naïades  vagabondes 
Oui  dedans  ce  large  vaisseau 
Confondent  leur  petit  ruisseau 
Et  ne  discernent  plus  ses  ondes. 

Là,  Mélicerte,  en  un  gazon, 
Près  de  l'étang  qui  l'environne, 
Fait  aux  cygnes  une  maison 
Qui  lui  sert  aussi  de  couronne. 
Si  la  vague  qui  bat  ses  bords 
Jamais  avecque  des  trésors 
N'arrive  à  son  petit  empire, 
Au  moins  les  vents  et  les  rochers 
N'y  font  point  crier  les  nochers 
Dont  ils  ont  brisé  la  navire  *. 

Là  les  oiseaux  font  leurs  petits, 
Et  n'ont  jamais  vu  leurs  couvées 
Soûler  les  sanglants  appétits 
Du  serpent  quilles  a  trouvées  ; 
Là  n'étend  point  ses  plis  mortels 
Ce  monstre  de  qui  tant  d'autels 
Ont  jadis  adoré  les  charmes, 
Et  qui,  d'un  gosier  gémissant, 
Fait  tomber  l'àme  du  passant 
Dedans  l'embûche  de  ses  larmes. 


LA    MAISON    DE    SYLVIE 


Zéj)hyrc  en  chasse  I«^s  clialcurs. 
RiiMi  (|ue  les  cygues  n'y  repaissent  ; 
On  n'y  trouve  rien  sous  les  tleurs 
Oue  la  Iraîclieur  dont  elles  naissent; 
Le  Efazon  içarde  quel([uet'ois 
Le  bandeau,  l'arc  et  le  carquois 
De  mille  amours  qui  se  dépouillent 
A  l'ombrage  de  ces  roseaux, 
Et  dans  l'humidilc  des  eaux 
Trempent  leurs  jeunes  corps  qui  bouillent. 

L'étang  leur  prête  sa  fraîcheur, 
La  Naïade  leur  verse  à  boire  ; 
Toute  l'eau  prend  de  leur  blancheur 
L'échu  tl'une  couleur  d'ivoire. 
On  voit  lu  ces  nageurs  ardents, 
Dans  les  ondes  qu'ils  vont  tendants, 
Faire  la  guerre  aux  Néréides, 
Oui,  devant  leur  teint  mieux  uni, 
Cachent  leur  visage  terni 
Et  leur  front  tout  coupé  de  rides. 

Or  ensemble,  ores  dispersés. 
Ils  brillent  dans  ce  crêpe  sombre 
Et  sous  les  flots  qu'ils  ont  percés 
Laissent  évanouir  leur  ombre. 
Parfois  dans  une  claire  nuit, 
Oui  du  feu  de  leurs  yeux  reluit 


THEOPHILE 

Sans  aucun  ombrao'e  de  nues, 
Diane  quitte  son  berger 
Et  s'en  va  là-dedans  nager 
Avecque  ses  étoiles  nues. 

Les  ondes,  qui  leur  font  l'amour, 
Se  refrisent  sur  leurs  épaules, 
Et  font  danser  tout  à  l'entour 
L'ombre  des  roseaux  et  des  saules. 
Le  dieu  de  l'eau,  tout  furieux, 
Haussé  pour  regarder  leurs  yeux 
Et  leur  poil  qui  flotte  sur  l'onde, 
Du  premier  qu'il  voit  approcher 
Pense  voir  ce  jeune  cocher 
Oui  fit  jadis  brûler  le  monde. 

Et  ce  pauvre  amant  langoureux, 
Dont  le  feu  toujours  se  rallume, 
Et  de  qui  les  soins  amoureux 
Ont  fait  ainsi  blanchir  la  plume, 
Ce  beau  cygne  à  qui  Phaëton 
Laissa  ce  lamentable  ton. 
Témoin  d'une  amitié  si  sainte, 
Sur  le  dos  son  aile  élevant. 
Met  ses  voiles  blanches  au  vent 
Pour  chercher  l'objet  de  sa  plainte. 

Ainsi,  pour  flatter  son  ennui, 


LA    MAISON    DE    SYLVIE  1^3 

Je  dcmainU'  an  dieu  Méliceric 
Si  cliîUjiic  dieu  n'est  pas  celui 
Dont  il  soupire  taut  la  perle, 
Et,  contemplant  de  tous  côtés 
La  semltlance  de  leurs  beautés, 
Il  sent  renouveler  sa  tlanune, 
Errant  avec  des  faux  plaisirs 
Sur  les  traces  des  vieux  désirs 
Oue  conserve  encore  son  Ame. 

Toujours  ce  furieux  dessein 
Entretient  ses  blessures  fraîches, 
Et  fait  venir  contre  son  sein 
L'air  brûlant  et  les  ondes  sèches. 
Ces  attraits,  empreints  là  dedans 
Comme  avec  des  tlambeaux  ardents. 
Lui  rendent  la  peau  toute  noire. 
Ainsi,  dedans  comme  dehors, 
Il  lui  tient  l'esprit  et  le  corps, 
La  voix,  les  yeux  et  la  mémoire. 


ODE  IV 

Chaste  oiseau,  que  ton  amitié 
Fut  malheureusement  suivie  ! 
Ta  mort  est  digne  de  pitié, 


124  THÉOPHILE 

Comme  ta  foi  digne  d'envie. 
Que  ce  précipité  tombeau 
Qui  t'en  laissa  l'objet  si  beau 
Fut  cruel  à  tes  destinées  ! 
Si  la  mort  t'eût  laissé  vieillir, 
Tes  passions  alloient  faillir, 
Car  tout  s'éteint  par  les  années. 

Mais  quoi  1  le  sort  a  des  revers 
Et  certains  mouvements  de  haine 
Qui  demeurent  toujours  couverts 
Aux  yeux  de  la  prudence  humaine. 
Si,  pour  fuir  *  ce  repentir, 
Ton  jug'ement  eût  pu  sentir 
Le  jour  qui  vous  devoit  disjoindre, 
Tu  n'eusses  jamais  vu  le  jour, 
Et  jamais  le  trait  de  l'amour 
Ne  se  fût  mêlé  de  te  poindre. 

Pour  avoir  aimé  ce  garçon 
Encore  après  la  sépulture. 
Ne  crains  pas  le  mauvais  soupçon 
Oui  peut  blâmer  ton  aventure  : 
Les  courages  des  vertueux 
Peuvent  d'un  vœu  respectueux 
Aimer  toutes  beautés  sans  crime, 
Comme,  donnant  à  tes  amours 


LA    MAISON    DE    SYLVIE 


125 


Ce  chaste  et  ce  coninuiii  discours, 
Mou  cœur  n'a  point  passe  ma  rime. 


Certains  crili(|ues  curieux 
En  trouvent  les  mœurs  oHensées  ; 
Mais  leurs  soupçons  injurieux 
Sont  les  crimes  de  leurs  pensées  : 
Le  dessein  de  la  chasteté 
Prend  une  honnête  liberté, 
Et  franchit  les  soties  limites 
Que  prescrivent  les  imposteurs 
Oui,  sous  des  robes  de  docteurs, 
Ont  des  âmes  de  sodomites. 

Le  Ciel  nous  donne  la  beauté 
Pour  une  marque  de  sa  grâce  : 
C'est  par  où  la  divinité 
Marque  toujours  un  peu  sa  trace. 
Tous  les  objets  les  mieux  formés 
Doivent  être  les  mieux  aimés, 
Si  ce  n'est  qu'une  âme  maline  *, 
Esclave  d'un  corps  vicieux. 
Combatte  les  faveurs  des  Cieux 
Et  démente  son  origine. 

O  que  le  désir  aveuglé 
Où  l'àme  du  brutal  aspire 
Est  loin  du  mouvement  réglé 


I  20  THÉOPHILE 

Dont  le  cœur  vertueux  soupire  ! 
Que  ce  feu  que  nature  a  mis 
Dans  le  cœur  de  deux  vrais  amis 
A  des  ravissements  étranges  ! 
Nature  a  fondé  cet  amour  : 
Ainsi  les  yeux  aiment  le  jour, 
Ainsi  le  Ciel  aime  les  anges. 

Ainsi,  malgré  ces  tristes  bruits 
Et  leur  imposture  cruelle, 
Thyrsis  et  moi  goûtons  les  fruits 
D'une  amitié  chaste  et  fidèle. 
Rien  ne  sépare  nos  désirs. 
Ni  nos  ennui?  ni  nos  plaisirs  ; 
Nos  influences  enlacées 
S'étreignent  d'un  même  lien, 
Et  mes  sentiments  ne  sont  rien 
Que  le  miroir  de  ses  pensées. 

Certains  feux  de  divinités 
Qu'on  nommait  autrefois  génies 
D'une  invisible  affinité 
Tiennent  nos  fortunes  unies  : 
Quelque  visage  différent, 
Quelque  divers  sort  apparent 
Qui  se  lise  en  mes  aventures. 
Sa  raison  et  son  amitié 


LA    MAISON    Di;    SYl.VIK  1 27 

Prennent  aujouririiui  la  inoilic 
De  ma  honte  et  de  mes  injures. 

Lorsque  d'un  si  subit  eUVoi 
Les  plus  noirs  enfants  de  l'Envie, 
Au  milieu  des  faveurs  du  roi, 
Osèrent  menacer  ma  vie, 
Et  que,  pour  me  voir  opprimé, 
Le  parlement  même,  animé 
Des  rapports  de  la  (^alonmie, 
Sans  pitié  me  vît  condjattu 
De  la  secrète  tyrannie 
Des  ennemis  de  la  vertu, 

Thyrsis,  outré  de  mes  doaleurs, 
Me  redit  ce  songe  effroyable. 
Qu'un  long  train  de  tant  de  malheurs 
Me  rend  dorénavant  croyable. 
D'un  long  soupir  qui  dcvanra 
La  première  voix  qu'il  poussa 
Pour  prédire  mon  aventure, 
Je  sentis  mon  sang  se  geler 
Et  comme  autour  de  moi  voler 
L'ombre  de  ma  douleur  future. 


128  THÉOPHILE 


ODE    V 


Damon,  dit-il,  j'étais  au  lit, 
Goûtant  ce  que  les  nuits  nous  versent, 
Lors  que  le  somme  ensevelit 
Les  soins  du  jour  qui  nous  traversent. 
Au  milieu  d'un  profond  repos 
Où  nul  regard  ni  nul  propos 
N'abusoit  de  ma  fantaisie. 
Une  froide  et  noire  vapeur 
Me  transit  l'âme  d'une  peur 
Oui  la  tient  encore  saisie. 

Jamais  qu'alors  notre  amitié 
N'avoit  mis  mon  cœur  à  la  gêne  ; 
Tu  me  fis  lors  plus  de  pitié 
Que  Philis  ne  me  fait  de  peine. 
Cet  effroyable  souvenir 
Me  vient  encore  entretenir, 
Et  me  redonne  les  alarmes 
Du  spectacle  plus  ennemi 
Qui  jamais  d'un  œil  endormi 
A  put  faire  couler  des  larmes. 

Un  grand  fantôme  souterrain, 
Sortant  de  l'infernale  fosse, 


LA    MAISON    DK    SYI.VIK  J  21) 

Enroué  connue  de  l'airain 
Où  roulcroit  Un  carrosse, 
D'un  iilniril  (|ui  nie  nienaroit 
Kl  d'un  regard  (|ui  nie  Messoit, 
Dressant  vers  moi  ses  |)as  funèbres, 
Kier  des  commissions  du  Sort, 
Me  dit  trois  fois  :  Damon  est  mort. 
Puis  se  perdit  dans  les  léuèbi'es. 

Sans  doute  (jue  leurs  vérités, 
Plus  puissantes  (jue  les  mensonges. 
Touchent  plus  fort  nos  facultés 
Kt  nous  impriment  mieux  les  songes. 
Je  relins  si  bien  ses  accents. 
Et  son  image  dans  mes  sens 
Demeura  tellement  empreinte, 
Que  ton  corps  mort  entre  mes  bras 
!U  ton  sang  versé  dans  mes  draps 
Ne  m'eussent  pas  fait  plus  de  crainte. 

Cherchant  du  soûlas  *  par  mes  yeux. 
Je  mets  la  tète  à  la  fenêtre 
Et  regarde  un  peu  dans  les  cieux 
Le  jour,  qui  ne  faisoit  que  naître  ; 
Et,  combien  que  ce  songe-là 
Dans  mon  sang,  que  la  peur  gela, 
Laissât  encore  ses  images, 
Je  me  rassure  et  me  rendors, 


THEOPHILE 


Croyant  que  les  vapeurs  du  corps 
Avoient  enfanté  ces  nuages. 

Le  sommeil  fie  m'eut  pas  repris 
Que,  songeant  encore  à  ta  vie. 
Tu  vins  rassurer  mes  esprits 
Qu'on  ne  te  l'avoit  point  ravie. 
Il  est  vrai,  Thyrsis,  me  dis-tu, 
Qu'on  en  veut  bien  à  ma  vertu. 
Là  je  te  vis  dans  une  émeute 
Avancer,  l'épée  à  la  main. 
Vers  un  portail  qui  chut  soudain 
Et  qui  t'accabla  de  sa  chute. 

De  là,  ce  songe  en  mon  cerveau 
Poursuivant  toujours  son  idée. 
Je  te  vis  suivre  en  un  tombeau 
Par  une  foule  débordée. 
Les  juges  y  tenoient  leur  rang, 
L'un  d'entre  eux  épancha  du  sang 
Qui  me  jaillit  contre  la  face. 
Là  tout  mon  songe  s'acheva, 
Et  ton  pauvre  ami  se  leva 
Noyé  d'une  sueur  de  glace. 


L\    MAISON    DB    SYLVIE  l3l 


ODI<]    VI 

NOUS  étions  dans  un  cabinet 
Enccinl  tle  fontaines  et  d'arljics; 
Son  meuble  est  si  clair  et  si  net 
Que  l'émail  l'est  moins  ou  les  marbres. 
Celui  (jui  l'a  lait  si  poli 
Semble  avoir  jadis  démoli 
Le  fi^rand  |)alais  de  la  lumière, 
Et,  pillant  son  riche  pourpris. 
De  tout  ce  glorieux  débris 
Avoir  là  porté  la  matière. 

Pour  conserver  son  ornement, 
Le  soleil  le  lave  et  l'essuie, 
Car  c'est  le  soleil  seulement 
Qui  fait  le  beau  temps  et  la  pluie. 
Flore  y  met  tant  de  belles  fleurs 
Que  l'Aurore  ne  peut  sans  pleurs 
Voir  leur  éclat  (pii  la  surmonte  : 
C'est  à  cause  de  cet  alVront 
Qu'elle  montre  si  peu  son  front 
Et  qu'on  la  voit  rougir  de  honte. 

L'odeur  de  ces  fleurs  passeroit 


[3p.  THÉOPHILE 

Le  musc  de  Rome  et  de  Caslillc, 
El  la  terre  s'offenseroit 
Qu'on  y  brûlât  de  la  pastille. 
Le  garçon  qui  se  consuma 
Dans  les  ondes  qu'il  alluma 
Voit  là  tous  ses  appas  renaître, 
Et,  ravi  d'un  objet  si  beau. 
Il  admire  que  son  tombeau 
Lui  conserve  encore  son  être. 

La  nymphe  qui  lui  lait  la  cour 
Le  voit  là  tous  les  ans  revivre. 
Car  son  opiniâtre  amour 
La  contraint  encore  à  le  suivre  ; 
Là  le  ciel  semble  avoir  pitié 
Des  longs  maux  de  son  amitié. 
Et  permet  parfois  au  Zéphyre 
De  la  mener  à  son  amant, 
Qui  respire  insensiblement 
L'air  des  flammes  qu'elle  soupire. 

Echo,  dedans  un  si  beau  feu 
Jalouse  que  le  ciel  la  voie. 
Est  invisible  et  parle  peu. 
De  respect,  de  honte  et  de  joie. 
Ainsi  mes  esprits  transportés, 
Se  trouvent  tous  déconfortés 
Quand  une  beauté  me  regarde, 


LA    MAISON     DE    SYIA'IE  l33 

l'^l  mon  discours  le  moins  suspect 
Trouve  toujours  ou  le  respect 
Ou  la  honte  qui  le  retarde. 

Quand  je  vois  partir  les  regards 
Des  superbes  yeux  de  Caliste, 
Uni  sont  autant  de  coups  de  dards 
Où  nulle  qu'elle  ne  résiste, 
Le  témoin  le  plus  assuré 
Qui  de  mon  esprit  égaré 
Montre  la  passion  confuse, 
C'est  que  je  ne  saurois  comment 
Le  prier  d'un  mot  seulement 
Que  sa  voix  ne  me  le  reiuse. 

Je  suivrois  l'importun  désir 
Qui  m'en  parle  toujours  dans  l'âme, 
Et  prendrois  ici  le  loisir 
De  parler  un  peu  de  ma  flamme  ; 
Mais  l'entreprise  du  tableau. 
Qui  par  un  cabinet  si  beau 
Commence  à  pourmcner  *  la  muse. 
Me  tient  dans  ce  parc  enchanté, 
Où  le  Printemps  le  plus  hâté 
Toujours  cinq  ou  six  mois  s'amuse. 

Quand  le  Ciel,  lassé  d'endurer 
Les  insolences  de  Borée, 


[34  THÉOPHILE 

L'a  contraint  de  se  retirer 
Loin  de  la  campagne  azurée  ; 
Que  les  Zéphyres,  rappelés, 
Des  ruisseaux  à  demi  gelés 
Ont  rompu  les  écorces  dures, 
Et,  d'un  souffle  vif  et  serein, 
Du  céleste  palais  d'airain 
Ont  chassé  toutes  les  ordures^ 

Les  rayons  du  jour,  égarés 
Parmi  des  ombres  incertaines, 
Eparpillent  leurs  feux  dorés 
Dessus  l'azur  de  ces  fontaines  ; 
Son  or,  dedans  l'eau  confondu, 
Avecque  ce  cristal  fondu 
Mêle  son  teint  et  sa  nature. 
Et  sème  son  éclat  mouvant. 
Comme  la  branche,  au  gré  du  vent, 
Efface  et  marque  sa  peinture. 

Zéphyre,  jaloux  du  soleil. 
Oui  paroît  si  beau  sur  les  ondes. 
Traverse  ainsi  l'état  vermeil 
De  ces  allées  vagabondes. 
Ainsi  ces  amoureux  Zéphyrs, 
De  leurs  nerfs,  qui  sont  leurs  soupirs. 
Renforçant  leurs  secousses  fraîches, 
Détournent  toujours  ce  flambeau, 


X.\    MAISON    DE    SYuVlE  |35 

l''t,  pour  cacher  !e  fond  de  l'eau. 
Jettent  au  moins  des  leuilles  sèches. 

L'eau,  qui  fuit  en  h>s  res^anhint, 
Orijfueilleuse  (h>  h-ur  (|uei'ello, 
l\it  et  s'échappe  cependant 
Qu'ils  sont  à  disputer  pour  elle. 
Et  pour  prix  de  tous  leurs  efforts, 
Laissant  les  ànies  sur  les  bords 
De  celte  fontaine  superbe. 
Dissipent  toutes  leurs  chaleurs 
A  conserver  l'état  des  fleurs 
Et  la  molle  fraîcheur  de  l'herbe. 

C'est  où  se  couche  Palémon, 
Oui  triomphe  de  leur  maîtresse. 
Et  plein  d'écume  et  de  limon, 
Quand  il  veut  reçoit  sa  caresse. 
Ainsi  naguère  deux  bers^ers 
Ont  couru  les  sauglants  daniçers 
Que  l'honneur  a  mis  à  l'épée, 
Et  par  un  malheur  mutuel 
Laissent  vain(|ueur  de  leur  duel 
Un  vilain  qui  plut  à  Napée. 


l36  THÉOPHILE 


ODE  VII 

Le  plus  superbe  ameublement 
Dont  le  séjour  des  rois  éclate, 
L'or,  semé  prodigalement 
Sur  la  soie  et  sur  l'écarlate. 
N'eurent  jamais  rien  de  pareil 
Aux  teintures  dont  le  soleil 
Couvre  les  petits  flots  de  verre. 
'Quelle  couleur  peut  plaire  mieux 
Oue  celle  qui  contraint  les  cieux 
De  faire  l'amour  à  la  terre  ? 

Ce  cabinet,  toujours  couvert 
D'une  large  et  haute  tentuVe, 
Prend  son  ameublement  tout  vert 
Des  propres  mains  de  la  Nature, 
D'elle,  de  qui  le  juste  soin 
Etend  ses  charités  si  loin. 
Et  dont  la  richesse  féconde 
Paroît  si  claire  en  chaque  lieu 
Oue  la  providence  de  Dieu 
L'établit  pour  nourrir  le  monde. 

Tous  les  blés,  elle  les  produit; 


LA    MAISON    DE    SYLVIE  187 

Le  ce|)  ne  vient  ([ue  de  sa  force  : 
ICIIe  en  fait  le  pampre  H  le  f'ruil, 
Va  les  racines  cl  l'ëcorce; 
Elle  donne  le  mouvement 
Et  le  siège  à  charpie  clément, 
Et,  selon  (pie  Dieu  l'autorise, 
Notre  destin  pend  de  ses  mains, 
El  l'influence  des  humains 
Ou  leur  nuit,  ou  les  favorise. 

Elle  a  mis  toute  sa  bonté, 
El  son  savoir  et  sa  richesse, 
Et  les  trésors  de  sa  beauté. 
Sur  le  duc  et  sur  la  duchesse  ; 
Elle  a  fait  les  heureux  accords 
Oui  joiîfnent  leur  âme  et  leur  corps. 
Bref,  c'est  elle  aussi  cpii  marie 
Les  zéphyres  avec  nos  fleurs, 
Et  qui  fait  de  tant  de  couleurs, 
Tous  les  ans,  leur  tapisserie. 

Avec  les  naturels  appas 
Dont  ce  beau  cabinet  se  pare, 
La  musique  ne  manque  pas 
D'y  fournir  ce  quelle  a  de  rare. 
Ces  chantres  si  lût  éveillés. 
Oui  dorment  toujours  habillés, 
Ouand  l'Aurore  les  vient  semondre  * 


l38  THÉOPHILE 

Lui  donnent  un  si  doux  salut 
Que  Saint-Amant,  avec  son  luth, 
Auroit  peine  de  les  confondre. 

Quand  la  princesse  y  fait  séjour, 
Ces  oiseaux  pensent  que  l'Aurore, 
A  dessein  d'y  tenir  sa  cour, 
A  quitté  les  rives  du  More. 
Un  saint  désir  de  l'approcher 
Les  anime  et  les  fait  pencher 
Des  branches  qui  lui  font  ombrage, 
Et,  devant  ces  divinités, 
Leurs  innocentes  libertés 
Ne  craignent  rien  qui  les  outrage. 

Leurs  cœurs  se  laissent  dérober, 
Insensiblement  ils  s'oublient, 
Et  des  rameaux  qu'ils  font  courber 
Quelquefois  leurs  pieds  se  délient  ; 
Leur  petit  corps  précipité 
Se  fie  en  la  légèreté 
De  la  plume,  qui  les  retarde; 
Ils  planent  sur  leurs  ailerons 
Et  volètent  aux  environs 
De  Sylvie,  qui  les  regarde. 

Quand  elle  écoute  leurs  chansons. 
Leur  vaine  srloire  s'étudie 


LA    MAISON    DE    SYLVIE  1  .'i(( 


A  rt'cilcr  «luoliines  I(N;niis 
hi'  leur  plus  douce  inclotlit;. 
Chacun  d'eux  se  trouve  ravi  ; 
Ils  étalent  tous  à  l'envi 
Leur  trésor  cache  sous  la  plnmc. 
Et  ces  remèdes  si  plaisants 
(Jui  des  soucis  les  plus  cuisants 
Détrempent  toute  raiiierluine. 

Comme  les  chantres  quelquefois, 
D'une  complaisance  ignorante 
.Mii^iiardant  et  l'u'II  cl  la  voix 
Devant  les  beaux  yeux  d'Amarante, 
Leur  plaisir  et  leur  vanité 
Fait  qu'avec  importunité 
Ils  nous  prodia;ucnt  leurs  merveilles, 
Et  qu'ils  chantent  si  lontifuement 
Oue  leur  concert  le  plus  charmant 
Lasse  l'esprit  et  les  oreilles. 

Ainsi  l'entretien  d'un  rimeur, 
Knflé  des  arts  et  des  sciences, 
Lorsqu'il  se  trouve  en  bonne  humeur, 
Vient  à  bout  de  nos  patiences. 
Et,  sans  qu'on  puisse  rebuter 
Cet  instinct  de  persécuter 
Oue  leur  inspire  le  ccénie. 
Il  faut,  à  force  de  parler, 


l/(0  THÉOPHILE 


Que  le  poumon,  las  de  souffler, 
Fasse  paix  à  la  compagnie. 

Ainsi  ces  oiseaux,  s'attachant 
Au  dessein  de  plaire  à  Sylvie, 
Dans  les  lons^s  efforts  de  leurs  chants 
Semblent  vouloir  laisser  la  vie  : 
Leur  jgosier  sans  cesse  mouvant 
Etourdit  les  eaux  et  le  vent. 
Et,  vaincu  de  sa  violence, 
Quoi  qu'il  veuille  se  retenir, 
Il  peut  à  peine  revenir 
A  la  liberté  du  silence. 

Comme  ils  tâchent  à  qui  mieux  mieux 
De  faire  agréer  leur  hommage, 
Leur  zèle   rend  presque  odieux 
Le  tumulte  de  leur  ramage  ; 
Leur  bruit  est  ce  bruit  de  Paris 
Lorsqu'une  voix  de  tant  de  cris 
Bénit  le  roi  parmi  les  rues 
Qu'on  le  fâche  en  le  bénissant. 
Et  l'air  éclate  d'un  accent 
Oui  semble  avoir  crevé  les  nues. 


LA    MAISON    DK    SYLVIK  l/|l 


oDi:  \\\\ 


Sur  tous  le  rossignol  outre, 
Dans  son  ùmc  encore  altérée, 
N'a  jamais  pu  dire  à  son  gré 
Les  affronts  (jue  lui  fit  Tcrce. 
Ses  poumons,  sans  cesse  enflammés, 
Sont  ses  vieux  soupirs  ranimés, 
Et  ce  peu  d'esprit  qui  lui  reste 
N'est  qu'un  souvenir  éternel 
De  maudire  son  criminel 
Et  l'appeler  toujours  inceste. 

Ce  petit  oiseau  tout  penché 
Où  la  princesse  se  présente 
Craint  d'avoir  le  gosier  bouché, 
Le  bec  clos,  la  langue  pesante, 
Et,  cependant  qu'il  peut  jouir 
Du  bonheur  de  se  Faire  ouïr. 
Lui*  raconte  son  aventure, 
Et  gazouille  soir  et  matin 
Sur  les  caprices  du  Destin, 
Oui  lui  fil  changer  de  nature. 

Il  a  lie  si  divers  accès 


l42  THÉOPHILE 

Dans  le  long  récit  de  sa  honte, 
Qu'on  aura  fini  mon  procès 
Quand  il  aura  fini  son  conte. 
Les  morts  gisants  sous  Pélion, 
Toutes  les  cendres  d'Ilion, 
N'ont  point  donné  tant  de  matière 
De  faire  des  plaintes  aux  cieux 
Que  cet  oiseau  malicieux 
En  vomit  sur  son  cimetière. 

Ce  plaisir  reste  à  son  malheur 
Que  sa  voix,  qui  daigne  le  suivre, 
Afin  de  venger  sa  douleur, 
La  fait  continuer  de  vivre. 
Il  ne  fait  pas  bon  irriter 
Celui  qui  sait  si  bien  chanter, 
Car  l'artifice  de  l'envie 
Ne  sauroit  trouver  un  tombeau 
D'où  son  esprit  toujours  plus  beau 
Ne  revienne  encore  à  la  vie. 

La  cendre  de  son  monument, 
Malgré  les  traces  ennemies, 
Fait  revivre  éternellement 
Son  mérite  et  leurs  infamies. 
Les  vers  flatteurs  et  médisants 
Trouvent  toujours  des  partisans 
Le  pinceau  d'un  faiseur  de  rimes,. 


VK    MAISON    Dli:    SYLVIE  l43 

S'il  est  adroit  aux  fictions, 

Aux  plus  sincères  actions 

Sait  ilonner  la  couleur  dos  crimes. 

Pieux!  que  c'est  un  eontentenienl 
IJien  doux  à  la  raison  humaine 
Oue  d'exhaler  si  doucement 
La  douleur  (juc  nous  fait  la  haine  ! 
Un  brutal  (ju'on  va  poursuivant 
Dans  des  soupirs  d'air  et  de  vent 
Cherche  une  honteuse  allégeance  ; 
Mais  la  douleur  des  bons  esprits, 
Oui  laisse  îles  soupirs  écrits. 
Guérit  avecque  la  vengeance. 

Aujourd'hui,  dans  les  durs  soucis 
Du  malheur  qui  me  bal  sans  cesse, 
Si  mes  sens  n'étoient  adoucis 
Par  le  respect  de  la  princesse, 
J'écrirois  avecque  du  Hel 
Les  adversités  dont  le  Ciel 
Souftre  que  les  méchants  me  troublent, 
Et,  quand  mes  maux  m'accabicroient, 
Mes  injures redoubleroicnt 
Comme  leurs  cruautés  redoublent. 

Peut-être  les  sanglants  auteurs 
De  tant  et  de  si  longs  outrages, 


i44 


THEOPHILE 


Ces  infâmes  persécuteurs, 
Verront  mourir  leurs  vieilles  rages  ; 
Et  si  ma  fortune,  à  son  tour 
Permet  que  je  me  venge  un  jour, 
N'ai-je  point  une  encre  assez  noire 
Et  dans  ma  plume  assez  de  traits 
Pour  les  peindre  dans  ces  portraits 
Oui  font  horreur  à  la  mémoire  ? 

Mais  ici  mes  vers,  glorieux 
D'un  objet  plus  beau  que  les  anges, 
Laissent  ce  soin  injurieux 
Pour  s'occuper  à  des  louanges. 
Puisque  l'horreur  de  la  prison 
Nous  laisse  encore  la  raison. 
Muses,  laissons  passer  l'orage  ; 
Donnons  plutôt  notre  entretien 
A  louer  qui  nous  fait  du  bien 
Qu'à  maudire  qui  nous  outrage. 

Et  mon  esprit  voluptueux 
Souvent  pardonne  par  foiblesse. 
Et  comme  font  les  vertueux. 
Ne  s'aigrit  que  quand  on  le  blesse. 
Encore,  dans  ces  lieux  d'horreur. 
Je  ne  sais  quelle  molle  erreur 
Parmi  tous  ces  objets  funèbres 
Me  tire  toujours  au  plaisir. 


I,A    MAISON    DE    SYI.VIF.  l/(5 

Kl  mon  d'il,  i|ui  suit  mon  désir, 
Voit  Chantilly  dans  ces  tcnrl)ros. 

Au  travers  de  ma  noire  tour 
Mon  àme  a  des  rayons  qui  percent 
Dans  ce  parc,  que  les  yeux  du  jour 
Si  difficilement  traversent. 
Mes  sens  en  ont  tout  le  tableau  : 
Je  sens  les  Heurs  au  bord  de  l'eau  ; 
Je  prends  le  frais  qui  les  humecte. 
La  princesse  s'y  vient  asseoir. 
Je  vois,  comme  elle  y  va  le  soir, 
Que  le  jour  fuit  et  la  respecte. 

Les  oiseaux  n'y  font  plus  de  bruit. 
Le  seul  roi  de  leur  harmonie, 
Oui  touche  un  luth  en  pleine  nuit. 
Demeure  en  notre  compaiçnie, 
Et,  laissant  ses  vieilles  douleurs 
Dans  la  lumière  et  les  chaleurs 
Oue  la  fuite  du  jour  emporte, 
Il  concerte  si  sagement 
Qu'il  semble  «jue  le  jugement 
Lui  forme  des  airs  de  la  sorte. 


l4C  THÉOPHILE 


ODE  IX 


Moi  qui  chante  soir  et  matin 
Dans  le  cabinet  de  l'Aurore, 
Où  je  vois  ce  riche  butin 
Qu'elle  prend  au  rivage  more, 
L'or,  les  perles  et  les  rubis. 
Dont  ses  flammes  et  ses  habits 
Ont  jadis  marqué  la  cigale. 
Et  tout  ce  superbe  appareil 
Qu'elle  déroboit  au  soleil 
Pour  se  faire  aimer  à  Céphale, 

Tous  les  jours  la  reine  des  bois 
Devant  mes  yeux  passe  et  repasse, 
Et  souvent,  pour  ouïr  ma  voix, 
Se  détourne  un  peu  de  la  chasse. 
Souvent  qu'elle  se  va  baigner, 
Où  rien  ne  l'ose  accompagner 
Que  ses  Dryades  vagabondes. 
J'ai  tout  seul  cette  privauté 
De  voir  l'éclat  de  sa  beauté 
Dans  l'habit  de  l'air  et  de  l'onde. 

Mais  j'atteste  l'air  et  les  cieux, 


l.A    M  VISON     DE    SYLVIE  1^7 

Dont  je  lions  la  voix  et  la  vie, 
Oiic  mon  jugement  et  mes  yeux 
Aiment  mieux  mille  fois  Sylvie, 
l'n  (le  SCS  regards  seulement, 
Oui  partent  si  nonchalanunent, 
Donne  à  mes  chansons  tant  d'amorce 
Et  de  si  douces  vanités, 
Oue  les  autres  divinités 
N'en  jouissent  plus  que  de  force. 

Si  mes  airs  cent  fois  récités. 
Comme  l'ambition  me  presse. 
Mêlent  tant  de  diversités 
Aux  chansons  que  je  vous  adresse, 
C'est  que  ma  voix  cherche  des  traits 
Pour  un  chacun  de  vos  attraits. 
Mais  c'est  en  vain  qu'elle  se  pique 
De  satisfaire  à  tous  mes  vœux, 
Car  le  moindre  de  vos  cheveux 
Peut  tarir  toute  ma  musique. 

Quand  ma  voix,  qui  peut  tout  ravir, 
Rcussiroit  à  vous  complaire, 
Le  soin  que  j'ai  do  vous  servir 
TAche  en  vain  de  me  satisfaire. 
Je  crois  que  mes  airs  innocents, 
Au  lieu  d'avoir  flatté  vos  sens. 
Leur  ont  donné  de  la  tristesse, 


l48  THÉOPHILE 

Et  que  mes  accents  enroués. 
Au  lieu  de  les  avoir  loués. 
Ont  choqué  leur  délicatesse. 

Quand  la  nuit  vous  ôte  d'ici, 
Et  que  ses  ombres  coulumières 
Laissent  ce  cabinet  noirci 
De  l'absence  de  vos  lumières. 
Aussitôt  j'oy  *  que  le  Zéphyr 
Me  demande  avec  un  soupir 
Ce  que  vous  êtes  devenue, 
Et  l'eau  me  dit  en  murmurant 
Que  je  ne  suis  qu'un  ignorant 
De  vous  avoir  si  peu  tenue. 

O  Zéphyres  !  ô  chères  eaux  ! 
Ne  m'en  imputez  point  l'injure  : 
J'ai  chanté  tous  les  airs  nouveaux 
Que  m'apprit  autrefois  Mercure. 
Mais  que  ma  voix  dorénavant 
N'approche  ni  ruisseau  ni  vent, 
Que  l'air  ne  porte  plus  mes  ailes, 
Si,  dans  le  printemps  à  venir, 
Je  n'ai  de  quoi  l'entretenir 
De  dix  mille  chansons  nouvelles. 

Ainsi  finit  ces  tons  charmeurs 
L'oiseau  dont  le  gosier  mobile 


LA    MAISON    DE    SYLVIE  l '\t) 

Soiiftlo  toujours  à  nos  humeurs 

De  ([uoi  faire  mourir  la  Itile, 

Lit,  brûlant  après  son  dessein, 

11  ramasse  dedans  son  sein 

Le  doux  eliarnie  des  voix  humaines, 

La  musique  des  iuslrumenls 

Kl  les  paisii)les  roulements 

Du  beau  cristal  de  nos  lontaincs. 

Comme  en  la  terre  et  par  le  ciel 
Des  petites  mouches  errantes 
Mêlent,  pour  composer  leur  miel. 
Mille  matières  diiïérentes. 
Formant  ses  airs,  qui  sont  ses  fruits, 
L'oiseau  digère  mille  bruits 
En  une  seule  mélodie, 
Et,  selon  le  temps  de  sa  voix, 
Tous  les  ans  le  parc  une  fois 
Le  re(;oit  et  le  congédie. 


ODE  X 

ossis^nol,   c'est  assez  chanté-; 

Ce  parc  est  désormais  trop  sombre 
Je  trouve  Apollon  rebuté 
D'écrire  si  longtemps  à  l'ombre. 


R 


5o  THÉOPHILE 


Ces  lieux  si  beaux  et  si  divers 
Méritent  chacun  tous  les  vers 
Que  je  dois  à  tout  le  volume  ; 
Mais  je  sens  croître  mon  sujet. 
Et  toujours  un  plus  grand  objet 
Se  vient  présenter  à  ma  plume. 

Je  sais  qu'un  seul  rayon  du  jour 
Mériteroit  toute  ma  peine. 
Et  que  ces  étangs  d'alentour 
Pourroient  bien  engloutir  ma  veine  ; 
Une  goutte  d'eau,  une  fleur, 
Chaque  feuille  et  chaque  couleur 
Dont  nature  a  marqué  ces  arbres, 
Mérite  tout'un  livre  à  part, 
Aussi  bien  que  chaque  regard 
Dont  Sylvie  a  touché  ces  arbres. 

Mais  les  myrtes  et  les  lauriers 
De  tant  de  beautés  de  sa  race 
Et  de  tant  de  fameux  guerriers 
Me  demandent  déjà  leur  place. 
Saints  rameaux  de  Mars  et  d'Amour, 
En  quel  si  reculé  séjour 
Vous  plaît-il  que  je  vous  apporte? 
C'est  pour  vous,  immortels  rameaux. 
Que  j'abandonne  ces  ormeaux 
Et  foule  aux  pieds  leur  feuille  morte. 


LA    MAISON    nu    SYLVir. 


Pour  vous  je  laisse  auprès  de  moi 
L'ne  losfc,  aujourd'hui  dcscrlc, 
Que  jadis  pour  l'amour  d'un  roi 
Ces  arbres  ont  ainsi  couverte . 
Sous  ce  toit,  loin  des  coiu'tisans, 
De  (jui  les  soiipijons  médisants 
N'ont  jamais  appris  à  se  taire, 
Alcandre  a  mille  fois  goûté 
Ce  qu'un  prince  a  de  volupté 
Ouand  il  trouve  un  lieu  solitaire. 

Je  dirois  les  secrets  moments 
Des  faveurs,  des  saintes  malices. 
Dont  le  caprice  des  amants 
Forme  leur  plainte  et  leurs  délices  : 
Mais  si  l'œil  de  Sylvie  un  jour 
De  cette  lecture  d'amour 
Avoit  surpris  son  innocence. 
Ma  prison  me  seroit  trop  peu  ; 
Lors  faudroit-il  dresser  le  feu 
Dont  on  veut  punir  ma  licence. 

Suivant  le  vertueux  sentier 
Où  mon  juste  dessein  m'attire, 
Je  laisse  à  gauche  ce  quartier 
Pour  le  Faune  et  pour  le  Satyre. 
Or,  (juelque  si  pressant  dessein 
Qui  m'enflamme  aujourd'hui  le  sein, 


l52  THÉOPHILE 

Quelque  vanité  qui  m'appelle, 
Ce  seroit  un  péché  mortel 
Si  je  ne  visifois  l'autel, 
Etant  si  près  de  la  chapelle. 

Que  ces  arbres  sont  bien  ornés! 
Je  suis  ravi  quand  je  contemple 
Que  ces  promenoirs  sont  bornés 
Des  sacrés  murs  d'un  petit  temple. 
Ici  loge  le  roi  des  rois  : 
C'est  ce  Dieu  qui  porta  la  croix, 
Et  qui  fit  à  ces  bois  funèbres 
Attacher  ses  pieds  et  ses  mains 
Pour  délivrer  tous  les  humains 
Du  feu  qui  ard  dans  les  ténèbres. 

Son  esprit  partout  se  mouvant 
Fait  tout  vivre  et  mourir  au  monde  ; 
Il  arrête  et  pousse  le  vent, 
Et  le  flux  et  reflux  de  l'onde  ; 
Il  ôte  et  donne  le  sommeil  ; 
Il  montre  et  cache  le  soleil  ; 
Notre  force  et  notre  industrie 
Sont  de  l'ouvrage  de  ses  mains, 
Et  c'est  de  lui  que  les  humains 
Tiennent  race,  et  biens,  et  patrie. 

Il  a  fait  le  tout  du  néant  ; 


I.K    MAISON    DE    SYI.VIK  l53 

Tous  les  animes  lui  f(Mit  homniame, 
Et  lo  nain  comme  le  i;Tant 
Porte  sa  a^lorieuse  iman'C. 
Il  fuit  au  corps  de  l'univers 
Et  le  sexe  et  l'Age  divers. 
Devant  lui  c'est  une  peinture 
Que  le  ciel  et  chaque  élément; 
Il  peut  d'un  trait  d'(eil  seulement 
Efl'acer  toute  la  nature. 

Tous  les  siècles  lui  sont  présents. 
Et  sa  s^randeur  non  mesurée 
Fait  des  minutes  et  des  ans 
Même  trace  et  même  durée. 
Son  esprit  partout  épandu, 
Jusqu'en  nos  âmes  descendu, 
Voit  naître  toutes  nos  pensées  ; 
Même  en  dormant,  nos  visions 
N'ont  jamais  eu  d'illusions 
Ouil  n'ait  auparavant  tracées. 

Ici,  Muses,  à  deux  genoux 
Implorons  sa  divine  grâce 
D'imprimer  toujours  devant  nous 
Les  marques  d'une  heureuse  trace  ; 
C'est  elle  qui  nous  doit  guider, 
Depuis  celui  qui  vint  fonder 
La  première  croix  dans  la  France, 


l54  THÉOPHILE 


Jusqu'à  sa  race,  qui  promet 
De  la  planter  chez  Mahomet 
Avec  la  pointe  de  sa  lance. 

C'est  où  mon  esprit  enchaîné 
Goûtera  par  un  longue  étude  * 
L'aise  que  prend  mon  cœur  bien  né 
Quand  il  combat  l'ingratitude. 
Et  si  j'ai  bien  loué  les  eaux, 
Les  ombres,  les  fleurs,  les  oiseaux, 
Oui  ne  songent  point  à  me  plaire, 
Lisis,  qui  songe  à  mon  ennui. 
Verra  sur  sa  race  et  sur  lui 
Ma  reconnoissance  exemplaire. 


LIVRE  IV 

PIÈCES  DIVERSES 

A  MONSIEUR  DU  FARGIS  (1) 

Je  ne  m'y  puis  résoudre,  excuse-moi  de  grâce  : 
Ecrivant  pour  autrui,  je  me  sens  tout  de  glace. 
Je  t'ai  promis  chez  toi  des  vers,  pour  un  amant 
Oui  se  veut  faire  aider  à  plaindre  son  tourment  ; 
Mais,  pour  lui  satisfaire  et  bien  peindre  sa  flamme. 
Je  voudrois  par  avant  avoir  connu  son  Ame. 
Tu  sais  bien  que  chacun  a  des  goûts  tous  divers, 
Ou'il  faut  à  chaque  esprit  une  sorte  de  vers, 
Et  que,  pour  bien  ranger  le  discours  et  l'étude, 
En  matière  d'amour  je  suis  un  peu  trop  rude. 

(i)  M.  Du  Fargis  d'Angenncs,  neveu  de  M.  de  Ram- 
bouillet. Voyez  TallemantdesRéaux  (Collection  des  plus 
belles  pages  . 


[56  THÉOPHILE 


II  faudroit,  comme  Ovide,  avoir  été  piqué  ; 

On  écrit  aisément  ce  qu'on  a  pratiqué, 

Et  je  te  jure  ici,  sans  faire  le  farouche, 

Que  de  ce  feu  d'amour  aucun  trait  ne  me  touche. 

Je  n'entends  point  les  lois  ni  les  façons  d'aimer. 

Ni  comme  Cupidon  se  mêle  de  charmer. 

Cette  divinité,  des  Dieux  même  adorée, 

Ces  traits  d'or  et  de  plomb,  cette  trousse  dorée, 

Ces  ailes,  ces  brandons,  ces  carquois,  ces  appas, 

Sont  \Taiment  un  mystère  où  je  ne  pense  pas. 

La  sotte  antiquité  nous  a  laissé  des  fables 

Qu'un  homme  de  bon  sens  ne  croit  point  recevables, 

Et  jamais  mon  esprit  ne  trouvera  bien  sain 

Celui-là  qui  se  paît  d'un  fantôme  si  vain, 

Qui  se  laisse  emporter  à  des  honteui;  mensonges 

Et  vient,  même  en  veillant,  s'embarrasser  de  songes. 

Le  vulgaire,  qui  n'est  qu'erreur,  qu'illusion, 

Trouve  du  sens  caché  dans  la  confusion  ; 

Même  des  plus  savants,mais  non  pas  des  plus  sages, 

Expliquent  aujourd'hui  ces  fabuleux  ombrages. 

Autrefois  les  mortels  parlaient  avec  les  Dieux, 

L'on  en  voyait  pleuvoir  à  toute  heure  des  cieux  ; 

Quelquefois  on  a  vu  prophétiser  des   bêtes  ; 

Les  arbres  de  Dodone  étoient  aussi  prophètes. 

Ces  contes  sont  fâcheux  à  des  esprits  hardis, 

Qui  sentent  autrement  qu'on  ne  faisait  jadis. 

Sur  ce  propos  un  jour  j'espère  de  t'écrire 

Et  prendre  un  doux  loisir  pour  nous  donner  à  rire. 


piKCns  nivEnsES  lyy 


Copoiidanl  je  te  prie  cncor  de  m'cxcuser 

Et  me  laisser  ainsi  libre  à  te  refuser, 

Me  permellre  toujours  de  te  fermer  l'oreille 

(Juand  tu  mo  prieras  d'une  faveur  pareille. 

Peuses-tu,  quand  j'aurois  employé  tout  un  jour 

A  bien  imaginer  des  passions  d'amour 

(Jue  mes  conceptions  seruient  i)ien  exprimées 

En  paroles  de  elioix,   bien  mises,  bien  rimées  '? 

L'autre  n'y  trouveroit  possible  rien  pour  lui, 

Tant  il  est  malaisé  d'écrire  pour  autrui. 

Après  qu'à  son  plaisir  j'aurois  donné  ma  peine. 

Je  sais  bien  que  possible  il  loueroit  ma  veine  : 

«Vraiment  ces  vers  sont  beaux,  ils  sont  doux  et  coulants, 

if.  Mais  pour  ma  passion  ils  sont  un  peu  trop  lents. 

«  J'eusse  bien  désiré  que  vous  eussiez  encore 

u  Mieux  loué  sa    beauté,  car  vraiment  je  l'honore. 

«  Vous  n'avez  point  parlé  du  front,  ni  des  cheveux, 

«  Ni  de  son  bel  esprit,  seul  objet  de  mes  vœux. 

«  Tant  seulement  six  vers  encor,  je  vous   supplie. 

«  Mon  Dieu,  que  de  travail  vous  donne  ma  folie  !  » 

Il  voudroit  que  sou  front  fût  aux  astres  pareil, 

Que  je  la  fisse  ensemble  et  l'aube  et  le  soleil, 

Que  j'écrive  comment  ses  reg-ards   sont  des  armes, 

Comme  il  verse  pour  elle  un  océan  de  larmes. 

Ces  termes  égarés  offensent  mon  humeur, 

Et  ne  viennent  qu'au  sens  d'un  novice  rimeur 

Qui  réclame  Phébus;  quant  à  moi,  je  rai)jure 

Et  ne  reconnois  rien  pour  tout  que  ma  nature. 


i58 


THEOPHILE 


SATIRE  PREMIERE 

Oui  que  tu  sois,  de  grâce,  écoute  ma  satire, 
^  Si  quelque  humeurjoyeuse  autre  part  ne  t'attire; 
Aime  ma  liardiesse  et  ne  t'offense  point 
De  mes  vers,  dont  l'aigreur  utilement  te  point. 
Toi  que  les  éléments  ont  fait  d'air  et  de  boue, 
Ordinaire  sujet  où  le  malheur  se  joue, 
Sache  que  ton  filet,  que  le  destin  ourdit, 
Est  de  moindre  importance  encor  qu'on  ne  te  dit. 
Pour  ne  te  point  flatter  d'une  divine  essence, 
Vois  la  condition  de  ta  sale  naissance, 
Que,  tiré  tout  sanglant  de  ton  premier  séjour, 
Tu  vois  en  gémissant  la  lumière  du  jour  ; 
Ta  bouche  n'est  qu'aux  cris  et  à  la  faim  ouverte. 
Ta  pauvre  chair  naissante  est  toute  découverte, 
Ton  esprit  ignorant  encor  ne  forme  rien 
Et  moins  qu'un  sens  brutal  sait  le  mal  et  le  bien. 
A  grand  peine  deux  ans  t'enseignent  un  langage 
Et  des  pieds  et  des  mains  te  font  trouver  l'usage. 
Heureux  au  prix  de  toi  les  animaux  des  champs  ! 
Ils  sont  les  moins  haïs, comme  les  moins  méchants. 
L'oiselet  de  son  nid  à  peu  de  temps  s'échappe 
Et  ne  craint  point  les  airs  que  de  son  aile  il  frappe  ; 
Les  poissons  en  naissant  commencent  à  nager. 


PIÈCES  DivensRs  i5g 


Kt  le  |Htulol  ôclos  chante  et  cherche  à  maniçer. 
NaUire,  douce  mère  à  ces  hnilales  races, 
Phis  larîçeinenl  qu'A  toi  leur  a  donné  des  grAccs. 
Leur  vie  est  moins  sujette  aux  l'Acheux  accidents 
(Jui  travaillent  la  ticiuie  et  deiiors  et  dedans. 
La  hôte  ne  sent  point  peste,  a^uerre  ou  famine, 
Le  remords  d'un  forfait  en  son  cœur  ne  la  mine; 
Elle  ignore  le  mal  pour  n'en  avoir  la  peur, 
Ne  connaît  point  l'effroi  del'Achéron  trompeur. 
Elle  a  la  tèle  basse  et  les  yeux  contre  terre. 
Plus  près  de  son  repos  et  plus  loin  du  tonnerre. 
L'ombre  des  trépasses  n'aigrit  son  souvenir. 
On  ne  voit  à  sa  mort  le  désespoir  venir  ; 
Elle  compte  sans  bruit  et  loin  de  toute  envie 
Le  terme  dont  nature  a  limité  sa  vie, 
Donne  la  nuit  jiaisibie  aux  charmes  du  sommeil 
Et  tous  les  jours  s'égaie  aux  clartés  du  soleil, 
Franche  de  passions  et  de  tant  de  traverses 
Qu'on  voit  au  changement  de  nos  humeurs  diverses. 
Ce  que  veut  mon  caprice  à  ta  raison  déplaît. 
Ce  que  lu  trouves  beau,  mon  œil  le  trouve  laid. 
Un  même  train  de  vie  au  plus  constant  n'agrée  : 
La  profane  nous  fâche  autant  que  la  sacrée. 
Ceux  qui,  dans  les  bourbiers  des  vices  empêchés, 
Ne  suivent  que  le  mal,  n'aiment  que  les  péchés. 
Sont  tristes  bien  souvent,  et  ne  leur  est  jiossible 
De  consumer  une  heure  eu  volupté  paisible. 
Le  plus  libre  du  monde  est  esclave  à  son  tour, 


l6o  THÉOPHILE 

Souvent  le  plus  barbai'e  est  sujet  à  l'amour, 
Et  le  plus  patient  que  le  soleil  éclaire 
Se  trouve  quelquefois  emporté  de  colère. 
Comme  Saturne  laisse  et  prend  une  saison, 
Notre  esprit  abandonne  et  reçoit  la  raison  ; 
Je  ne  sais  quelle  humeur  nos  volontés  maîtrise, 
Et  de  nos  passions  est  la  certaine  crise  ; 
Ce  qui  sert  aujourd'hui  nous  doit  nuire  demain, 
On  ne  tient  le  bonheur  jamais  que  d'une  main. 
Le  destin  inconstant  sans  y  penser  oblige, 
Et,  nous  faisant  du  bien,  souvent  il  nous  afflige. 
Les  riches  plus  contents  ne  se  sauroient  guérir 
De  la  crainte  de  perdre  et  du  soin  d'acquérir. 
Notre  désir  changeant  suit  la  course  de  l'âge  : 
Tel  est  grave  et  pesant  qui  fut  jadis  volage, 
Et  sa  masse  caduque,  esclave  du  repos. 
N'aime  plus  qu'à  rêver,  hait  le  joyeux  propos. 
Une  sale  vieillesse,  en  déplaisir  confite. 
Qui  toujours  se  chagrine  et  toujours  se  dépite, 
Voit  tout  à  contre  cœur,  et,  ses  membres  cassés. 
Se  ronge  de  regret  de  ses  plaisirs  passés. 
Veut  traîner  notre  enfance  à  la  fin  de  la  vie, 
De  notre  sang  bouillant  veut  étouffer  l'envie. 
Un  vieux  père  rêveur,  aux  nerfs  tout  refroidis. 
Sans  plus  se  souvenir  quel  il  étoit  jadis. 
Alors  que  l'impuissance  éteint  sa  convoitise. 
Veut  que  notre  bon  sens  révère  sa  sottise, 
Que  le  sang  généreux  étouffe  sa  vigueur. 


PIÈCES    DIVKUSES  iGl 

Et  qu'un  esprit  bien  né  se  plaise  à  la  riii^ucur. 
Il  nous  veut  arracher  nos  passions  humaines, 
Que  son  malade  esprit  nejuge  pas  bien  saines  ; 
Soit  par  rébellion,  ou  bien  par  une  erreur, 
Ces  repreneurs  tacbeux  me  sont  tous  en  horreur; 
J'approuve  (ju'un  chacun  suive  en  tout,  la  nature: 
Son  empire  est  plaisant  et  sa  loi  n'est  pas  dure  ; 
Ne  suivant  que  son  train  jusqu'au  dernier  moment. 
Même  dans  les  malheurs  on  passe  heureusement. 
Jamais  mon  jugement   ne  trouvera  blâmable 
(lelui-là  qui  s'attache  à  ce  qu'il  trouve  aimable, 
Qui  dans  l'état  mortel  tient  tout  indiflérent  ; 
Aussi  bien  même  fin  à  l'Achéron  nous  rend. 
Si  tu  veux  résister,  l'amour  te  sera  pire. 
Et  ta  rébellion  étendra  son  empire; 
Amour  a  quelcjue  but,  (piehpic  temps  de  durer, 
Que  notre  entendement  ne  peut  pas  mesurer. 
C'est  un  fiévreux  tourment,  qui,  travaillant  notre  âme, 
Lui  donne  des  accès  et  de  glace  et  de  flamme, 
S'attache  à  nos  esprits  comme  la  fièvre  au  corps, 
Jusqu'à  ce  que  l'humeur  en  soit  toute  dehors. 
Contre  ses  longs  elTorts  la  résistance  est  vaine  ; 
Qui  ne  peut  l'éviter,  il  doit  aimer  sa  peine. 
L'esclave  patient  n'est  qu'à  demi  dompté 
S'il  veut  à  sa  contrainte  unir  sa  volonté. 
Le  sanglier  *  enragé,  qui  d'une  dent  pointue 
Dans  son  gosier  sanglant  mord  l'épieu  (|ui  le  tue, 
Se  nuit  pour  se  défendre,  et,  d'un  aveugle  ettort, 


102  THÉOPHILE 

Se  travaille  lui-même  et  se  donne  la  mort. 
Ainsi  l'homme  souvent  s'obstine  à  se  détruire 
Et  de  sa  propre  main  il  prend  peine  à  se  nuire. 
Celui  qui  de  nature,  et  de  l'amour  des  Cieux, 
Entrant  en  la  lumière,  est  ne  moins  vicieux. 
Lorsque  plus  son  génie  aux  vertus  le  convie, 
Il  force  sa  nature,  et  fait  toute  autre  vie  ; 
Imitateur  d'autrui,  ne  suit  plus  ses  humeurs. 
S'égare  pour  plaisir  du  train  des  bonnes  mœurs; 
S'il  est  ué  libéral,  au  discours  d'un  avare 
Il  tiichera  d'éteindre  une  vertu  si  rare  ; 
Si  son  esprit  est  haut,  il  le  veut  faire  bas; 
S'il  est  propre  à  l'étude,  il  parle  des  combats. 
Je  crois  que  les  destins  ne  font  venir  personne 
En  l'être  des  mortels  qui  n'ait  l'àme  assez  bonne  ; 
Mais  on  la  vient  corrompre,  et  le  céleste  feu 
Qui  luit  à  la  raison  ne  nous  dure  que  peu  : 
Car  l'imitation  rompt  notre  bonne  trame. 
Et  toujours  chez  autrui  fait  demeurer  notre  âme. 
Je  pense  que  chacun  auroit  assez  d'esprit, 
Suivant  le  libre  train  que  nature  prescrit. 
A  qui  ne  sait  farder  ni  le  cœur  ni  la  face, 
L'impertinence  même  a  souvent  bonne  grâce. 
Qui  suivra  son  génie  et  gardera  sa  foi. 
Pour  vivre  bien  heureux,  il  vivra  comme  moi. 


PIÈCES    DIVEURKS  |63 


SECONDE  SATIRE 

Coiiiiols-tu  ce  IVicIicux  ([iii  coiilic  lu  rurtiiiic 
AI)()io  iinpuik'iuiiieiit  coiiiinc  un  ciiicii  ù  la  luiio, 
Et  qui  vouilroit,  ce  semble,  eu  détourner  le  cours 
Par  riniporluDité  d'un  outrageux  discours? 
D'une  sotte  malice  en  son  Ame  il  s'alllige 
Quand  la  faveur  du  roi  ses  Favoris  oblige. 
Un  boninie  dont  le  nom  est  à  peine  connu, 
D'un  pays  étranger  nouvellement  venu, 
Que  la  fortune  aveugle,  en  promenant  sa  roue, 
Tira  sans  y  penser  d'une  ornière  de  boue. 
Malgré  toute  l'envie,  au-dessus  du  malheur, 
D'un  crédit  insolent  gourmande  la  valeur. 
Et  nous  le  permettons!  Et  le  François  endure 
Qu'à  ses  propres  dépens  celle  grandeur  lui  dure  ! 
Nos  princes  autrefois  éloient  bien  plus  hardis  : 
Où  se  cache  aujourd'hui  la  vertu  de  jadis? 
Apprends,  malicieux,  comme  tu  sais  mal  vivre, 
Qu'une  Ibrlunc  est  d'or  et  que  l'autre  est  de  cuivre; 
Que  le  sort  a  des  lois  ([u'on  ne  sauroit  forcer; 
Que  son  compas  est  droit,  qu'on  ne  le  peut  fausser. 
Nous  venons  tous  du  ciel  pour  posséder  la  terre; 
La  laveur  s'ouvre  aux  uns,  aux  autres  se  resserre  ; 
Une  nécessité,  que  le  ciel  établit, 


l04  THÉOPHILE 

Déshonore  les  uns,  les  autres  anoblit; 
Un  ignoble  souvent  de  riches  biens  hérite, 
L'autre  dans  l'hôpital  est  tout  plein  de  mérite. 
Pour  trouver  le  meilleur,  il  faudroit  bien  choisir; 
Ne  crois  point  que  les  Dieux  soient  si  pleins  de  loisir. 
Encor  si  chaque  infâme  ctoit  marqué  d'un  signe 
Oui  de  toutes  vertus  le  fit  trouver  indigne, 
Les  rois,  qui  sous  les  dieux  disposent  du  bonheur, 
Enrichiroient  toujours  le  mérite  et  l'honneur. 
Que  si  l'âme  des  dieux  est  la  même  justice, 
Si  ce  qui  leur  déplaît  porte  le  nom  de  vice, 
Les  rois,  qui  sont  leurs  fils  et  lieutenants  ici, 
Peuvent  juger  des  bons  et  des  mauvais  aussi  ; 
Et,  sans  flatter  mon  roi,  je  trouve  bien  étrange 
Qu'un  vulgaire  ignorant  et  tiré  de  la  fange 
Contre  sa  majesté  se  montre  injurieux. 
Dessus  ses  actions  portant  l'œil  curieux. 
Quant  à  moi,  je  répute  une  faveur  bien  mise 
Envers  le  plus  chétif  que  le  roi  favorise  ; 
Quoique  toujours  bien  pauvre  et  toujours  dédaigné. 
Sur  mon  esprit  l'envie  encor  n'a  rien  gagné. 
Qu'un  homme  de  trois  jours  de  soie  et  d'or  se  couvre. 
Du  bruit  de  sa  carrosse  *  importune  le  Louvre  ; 
Qu'un  étranger  heureux  se  moque  des  François, 
Qu'il  ait  mille  suivants,  pourvu  que  je  n'en  sois. 
Qui  voudra  pénitence  aux  déserts  se  consomme. 
Qu'il  vive  tout  ainsi  que  s'il  n'étoit  plus  homme, 
Ne  mange  que  du  foin,  ne  boive  que  de  l'eau, 


Pièces  DIVERSES  i65 

A»  i)liis  l'iirl  (le  riiivfi'  iiail  rolic  ni  manteau, 

Se  louelle.  Ions  les  jours,  cl  d'une  vie  austère 

Accom|»lisse  de  (".lirisl  le  i;li)iieux  mystère. 

Moi  ([ni  suis  d'une  luuneur  trop  encline  à  pcclier, 

D'un  fardeau  si  pesant,  je  ne  puis  nï'enipèclier  *. 

Suis  ta  dévotion,  et  ne  crois  point,  liermitc, 

Ouc  mon  Ame  te  blâme,  et  moins  qu'elle  t'imite. 

Puissent  les  envieux  de  la  Faveur  du  roi. 

Bien  (jne  leur  rajjfe  eneor  ne  se  soit  i)rise  à  moi, 

De  tels  désespérés  croître  le  triste  nombre  ! 

Reclus  dans  un  rocher  plein  de  silence  et  d'ombre, 

Ou'ils  ne  puissent  trouver  le  doux  air  de  la  cour, 

El  ne  voient  jamais  un  agréable  jour  ! 

Je  leur  lais  ce  souhait  en  mon  humeur  hardie; 

Je  ne  crains  point  taillir,  (juoi  ([ue  ma  Muse  die  ; 

Ma  liberté  dit  tout  sans  toutefois  nommer, 

Par.  une  vaine  aigreur,  ceux  que  je  veux  blâmer. 

Aussi  n'attends  jamais  que  je  te  fasse  rire 

D'un  vers  que  sans  danger  je  ne  saurois  écrire. 

Ceux-là  sont  fols  vraiment  ([ui  vendent  un  bon  mot 

De  cent  cpui)s  de  bàlou  (pie  fait  donner  un  sot. 


i66 


THEOPHILE 


SUR  UN  BALLET  DU  ROI 

I.    APOLLON    CHAMPION 

Moi  de  qui  les  rayons  font  les  traits  du  tonnerre 
Et  de  qui  l'univers  adore  les  autels,  [la  guerre. 
Moi  dont  les  plus  grands  Dieux  redouteroient 
Puis-je  sans  déshonneur  me  prendre  à  des  mortels  ? 

J'attaque  malgré  moi  leur  orgueilleuse  envie, 
Leur  audace  a  vaincu  ma  nature  et  le  sort  : 
Car  ma  vertu,  qui  n'est  que  pour  donner  la  vie. 
Est  aujourd'hui  forcée  à  leur  donner  la  mort. 

J'affranchis  mes  autels  de  ces  fâcheux  obstacles. 
Et  foulant  ces  brigands  que  mes  traits  vont  punir. 
Chacun  dorénavant  viendra  vers  mes  oracles 
Et  préviendra  le  mal  qui  lui  peut  advenir. 

C'est  moi  qui,  pénétrant  la  dureté  des  arbres. 
Arrache  de  leur  cœur  une  savante  voix. 
Qui  fais  taire  les  vents,  qui  fais  parler  les  marbres, 
Et  qui  trace  au  destin  la  conduite  des  rois. 

C'est  moi  dont  la  chaleur  donne  la  vie  aux  roses. 


PIÈCES    DIVERSES  «G? 


El  fait  ressusciter  les  Fruits  euscveiis  ; 

Je  cloiuie  la  dun-f  cl  la  cnulrur  aux  choses. 

Et  fais  vivre  l'cclal  de  la  blauclicur  dos  lys. 

Si  peu  (juc  je  m'abseulc,  m\  manloau  de  léuèbres 
Tient  d"une  froide  horreur  ciel  el  terre  couverts  ; 
Les  vergers  les  plus  heaux  soûl  des  objets  funèbres 
Et,  quand  mon  œil  est  clos,  tout  nieurl  en  l'univers. 


II.    —   LES  NAUTONNIERS 

es  Amours  plus  mignards  à  nos  rames  se  lient, 
Les  Tritons  à  l'euvi  nous  viennent  caresser, 
Les  vents  sont  modérés,  les  vagues  s'humilient 
Par  tous  les  lieux  de  l'onde  où  nous  voulons  passer. 


L 


Avec  notre  dessein  va  le  cours  des  étoiles, 
L'orage  ne  fait  point  blômir  nos  matelots, 
El  jamais  Alcyon  sans  regarder  nos  voiles 
Ne  commit  sa  nichée  à  la  merci  des  flots. 

Notre  Océan  est  doux  comme  les  eaux  d'Euphrate  ; 
Le  Pactole,  le  Tage,  est  moins  riche  que  lui, 
Ici  jamais  nocher  ne  craignit  le  pirate, 
Ni  d'un  calme  trop  long  ne  ressentit  l'ennui. 

Sous  un  climat  heureux,  loin  du  bruit  du  tonnerre, 


l68  THÉOPHILE 

Nous  passons  à  loisir  nos  jours  délicieux, 
Et  là  jamais  notre  œil  ne  désira  la  terre, 
Ni  sans  quelque  dédain  ne  regarda  les  cieux. 

Agréables  beautés  pour  qui  l'amour  soupire, 
Eprouvez  avec  nous  un  si  joyeux  destin 
Et  nous  dirons  partout  qu'un  si  rare  navire 
Ne  fut  jamais  chargé  d'un  si  rare  butin. 


FRAGMENTS 


Si  je  passe  en  un  jardinage 
Semé  de  roses  et  de  lys, 
Il  me  ressouvient  de  Philis, 
Qui  les  a  dessus  son  visage. 

Diane  qui  luit  dans  les  Cieux, 
Toujours  jeune,  amoureuse  et  belle. 
Me  la  remet  devant  les  yeux, 
Parce  qu'elle  est  chaste  comme  elle. 

Je  la  vois  si  je  vois  l'Aurore, 
Et  quand  le  Soleil  luit  ici, 


PIÈCES    DIVERSES  iOq 


Il  iiu'  iTssniiviciit  (l'rllc  îuissi, 
Pour  Cl*  (]ii('  ri'iiivors  l'adorp. 

Les  fçrAces  dedans  un  tableau. 
Le  petit  Amour  et  la  flamuie, 
Href,  tout  ce  (|ue  je  vois  de  beau 
Me  la  l'ail  revenir  dans  l'âme. 

(De  ilinmorlalilè  de.  l'ànie. 


Les  objets  d'étrange  figure 
Sont  rares  parmi  les  humains, 
Il  se  trouve  dans  la  nature 
Peu  de  Géants  et  peu  de  Nains. 

Bien  peu  de  beautés  comme  Hélène, 
Peu  de  frères  comme  Castor, 
Peu  d'ivrognes  comme  Silène, 
Peu  de  sages  comme  Nestor. 

Peu  de  chiens  comme  étoit  Cerbère, 
Peu  de  fleuves  comme  Achéron, 
Peu  de  femmes  comme  Mégère, 
Peu  de  nochers  comme  Caron . 

Aucun  teint  beau  connue  Jacinthe, 
Rien  de  si  clair  que  le  Soleil, 


lyo 


THEOPHILE 


Rien  de  plus  amer  que  l'absinthe, 
Et  rien  plus  doux  que  le  sommeil . 

Peu  de  bruits  comme  le  tonnerre. 
Peu  de  morts  comme  Pélion, 
Et  des  animaux  de  la  terre, 
Peu  sont  fiers  comme  un  lion. 

Peu  de  félicités  suprêmes, 
Peu  d'incomparables  malheurs, 
Peu  de  ressentiments  extrêmes, 
De  voluptés  ou  de  douleurs. 

[Ibid. 


III 

Celui  qui  lance  le  tonnerre, 
Oui  gouverne  les  éléments. 
Et  meut  avec  des  tremblements 
La  grande  masse  de  la  terre; 
Dieu  qui  vous  mit  le  sceptre  en  main, 
Qui  vous  le  peut  ôter  demain. 
Lui  qui  vous  prête  la  lumière, 
Et  qui  malgré  les  Fleurs  de  Lys, 
Un  jour  fera  de  la  poussière 
De  vos  membres  ensevelis  ; 

Ce  grand  Dieu  qui  fit  les  abîmes 


PléCKS    DIVERSES  I7I 


Dans  le  centre  de  l'Univers, 
Et  qui  U's  lient  toujours  ouverts 
A  la  punition  des  crimes, 
Veut  aussi  ([ue  les  innocents 
A  l'ombre  de  ses  bras  puissants 
Trouvent  un  assuré  rcluiçc, 
Et  ne  sera  point  irrité 
Que  vous  tarissiez  le  déluî^e 
Des  maux  où  vous  m'avez  jeté. 

Eloigné  des  bords  de  la  Seine, 
Et  du  doux  climat  de  la  Cour, 
Il  me  semble  »pie  l'œil  du  jour 
Ne  me  luit  |)lus  qu'avec  peine; 
Sur  le  laîle  allreux  d'un  rocher, 
D'où  les  ours  n'osent  approcher, 
Je  consulte  avec  des  furies, 
Oui  ne  foulque  solliciter 
Mes  importunes  rêveries 
A  me  faire  précipiter. 

Aujourd'hui  parmi  des  sauvages. 
Où  je  ne  trouve  à  qui  parler, 
Ma  triste  voix  se  perd  en  l'air, 
Et  dedans  l'écho  des  rivasses  : 
Au  lieu  des  pompes  de  Paris, 
Où  le  peuple  avecque  des  cris 
Bénit  le  Roi  parmi  les  rues. 


lyS  THEOPHILE 

Ici  les  accents  des  corbeaux, 
Et  les  foudres  dedans  les  nues 
Ne  me  parlent  que  de  tombeaux. 

[Au  Roi.  Sur  son  exil.  Ode.) 


La  paix,  trop  longtemps  désolée, 
Revient  aux  pompes  de  la  Cour 
Et  retire  du  mausolée 
Les  jeux,  les  danses  et  l'amour; 
Au  seul  éclat  de  nos  épées 
Les  tempêtes  sont  dissipées, 
Tous  nos  bruits  sont  ensevelis  : 
Mon  prince  a  fait  cesser  la  guerre, 
Et  la  grâce  a  rendu  la  terre 
Pleine  de  palmes  et  de  lys. 

{Sar  la  Paix  de  r année  1620.  Ode. 


Tout  ce  que  la  nature  a  de  rare  et  de  beau, 
Ce  qui  vit  au  Soleil,  qui  dort  dans  le  tombeau, 
Tout  ce  que  peut  le  Ciel  pour  obliger  la  terre. 
Les  plaisirs  de  la  paix,  les  vertus  de  la  guerre, 
Les  roses  des  rosiers,  les  ombres,  les  ruisseaux. 
Le  murmure  des  vents,  et  le  bruit  des  oiseaux. 


PIKCF.S    DIVERSES  I^S 

Les  vôlenienls  d'Iris,  cl  le  Icinl  ilt*  l'Aurore, 
Les  attraits  de  Venus,  ui  les  douceurs  de  KIore, 
Tout  ce  (jue  tous  les  Dieux  (tnt  de  cher  et  de  doux, 
Grand  Prince,  ne  peut  point  se  comparer  à  vous. 
(Au  Roi.    Etrennes.) 


vt 


Chaque  saison  donne  ses  fruits; 
L'automne  nous  donne  ses  pommes, 
L'hiver  donne  ses  lontçues  nuits, 
l'our  un  plus  çrand  repos  des  hommes  ; 
Le  |»rintemps  nous  donne  des  fleurs. 
Il  donne  l'ànie,  et  les  couleurs 
A  la  feuille  qui  semhle  morte  ; 
Il  donne  la  vie  aux  forets, 
El  l'autre  saison  nous  apporte 
Ce  qui  fait  jaunir  nos  guérets. 

La  terre  pour  donner  ses  biens 
Se  laisse  fouiller  jusqu'au  centre  ; 
Et  pour  nous  les  champs  indiens 
Se  tirent  les  trésors  du  ventre  ; 
L'onde  enrichit  de  cent  façons 
Nos  vaisseaux  et  nos  hameçons. 
Et  cet  élément  si  barbare. 
Pour  se  faire  voir  libéral. 


174  THÉOPHILE 

Arrache  de  son  sein  avare, 
L'ambre,  la  perle  et  le  coral  *. 

Les  zéphyrs  se  donnent  aux  flots, 
Les  flots  se  donnent  à  la  lune, 
Les  navires  aux  matelots, 
Les  matelots  à  la  fortune  ; 
Tout  ce  que  l'univers  conçoit 
Nous  apporte  ce  qu'il  reçoit 
Pour  rendre  notre  vie  aisée  : 
L'abeille  ne  prend  point  du  ciel 
Les  doux  présents  de  la  rosée 
Que  pour  nous  en  donner  le  miel. 

Les  rochers  qui  font  le  tableau 
Des  stérilités  de  nature, 
Afin  de  nous  donner  de  l'eau, 
Fendent-ils  pas  leur  masse  dure  ? 
Et  les  champs  les  plus  impuissants 
Nous  donnent  l'ivoire  et  l'encens, 
Les  déserts  les  plus  inutiles 
Donnent  de  grands  titres  aux  rois. 
Et  les  arbres  les  moins  fertiles 
Nous  donnent  de  l'ombre  et  du  bois, 

[Au  marquis  de  Bouquinkant  (i).  Ode. 

(i)  Buckingham. 


PIÈCES    DIVERSES  lyS 


Tous  nos  arbres  sont  dépouillés, 
Nos  promenoirs  sont  tous  mouillés, 
L'émail  de  notre  beau  parterre 
A  perdu  ses  vives  couleurs, 
La  c^elée  a  tué  les  fleurs, 
L'air  est  malade  d'un  calerre*, 
Et  l'œil  du  ciel  noyé  de  pleurs 
Ne  sait  plus  reg'arder  la  terre. 

La  nacelle  attendant  le  tlux 
Des  ondes  qui  ne  courent  plus, 
Oisive  au  port  est  retenue  ; 
La  tortue  et  les  limaçons 
Jeûnent  perclus  sous  les  glaçons  ; 
L'oiseau  sur  une  branche  nue 
Attend  pour  dire  ses  chansons 
Oue  la  feuille  soit  revenue. 

Le  héron  quand  il  veut  pocher. 
Trouvant  l'eau  toute  de  rocher, 
Se  paît  du  vent  et  de  sa  plume, 
Il  se  cache  dans  les  roseaux. 
Et  contemple  au  bord  des  ruisseaux. 
La  bise,  contre  sa  coutume, 
Souffle  la  neige  sur  les  eaux 
Où  bouillait  autrefois  l'écume. 


[■yÔ  THÉOPHILE 

Les  poissons  dorment  assurés, 
D'un  mur  de  glace  remparés, 
Francs  de  tous  les  dangers  du  monde 
Fors  que  toi  tant  seulement, 
Qui  restreins  leur  moite  élément 
Jusqu'à  la  goutte  plus  profonde. 
Et  les  laisses  sans  mouvement 
Enchâssés  en  l'argent  de  l'onde. 

Tous  les  Agents  brisent  leurs  liens, 
Et  dans  les  creux  éoliens 
Rien  n'est  resté  que  le  zéphyr, 
Qui  tient  les  œillets  et  les  lys 
Dans  ses  poumons  ensevelis. 
Et  triste  en  la  prison  soupire 
Pour  les  membres  de  sa  Philis 
Que  la  tempête  lui  déchire, 

{Contre    Vhiver.  Ode.) 


Lorsque  l'aube  en  suivant  la  nuit  qu'elle  a  chassée 
Epart  *  ses  tresses  d'or, 
Le  premier  mouvement  qui  vient  à  ma  pensée. 
C'est  l'amour  d'Alidor. 

Je  tâche  en  m'éveillant  à  rappeler  les  songes 
Que  j'ai  faits  en  dormant, 


Pif.CKS    DIVI  USES  177 


El  dans  le  souvenir  tic  leurs  plaisants  mensonjçes 
Je  revois  mon  atnaiil . 

Mon  esprit  anionrcux  n'est  point  sans  violence 

An  milieu  du  repos, 
Je  le  vois  dans  la  nuit  et  parmi  le  silence. 

J'entends  ses  doux  propos. 

Tous  les  secrets  d'amour  «pic  le  sommeil  ex[)rime 

Mon  âme  les  ressent, 
El  le  matin  je  pense  avoir  commis  un  crime 

Dans  mon  lit  innocent. 

De  honte  à  mon  réveil  je  suis  loute  confuse, 

Et  d'un  œil  loul  fâché 
Je  vois  dans  mon  miroir  la  rougeur  (jui  m'accuse 

D'avoir  fait  un  péché . 

[Pour  Mlle  de  .1/.  Slances). 


ue  mon  sort  étoil  doux,  s'il  eùl  coulé  mes  ans 
^Où  les  bords  de  Garonne  ont  les  flots  si  plaisants! 


0 


Tenanl  mes  jours  cachés  dans  ce  lieu  solitaire. 
Nul  que  moi  ne  m'eût  fait  ni  parler  ni  me  taire  : 
A  ma  commodité  j'aurois  eu  le  sommeil, 
A  mon  i^ré  j'aurois  pris  et  l'ombre  et  le  soleil. 


178  THÉOPHILE 

Dans  ces  vallons  obscurs,  où  la  mère  nature 
A  pourvu  nos  troupeaux  d'éternelle  pâture, 
J'aurois  eu  le  plaisir  de  boire  à  petits  traits 
D'un  vin  clair,  pétillant,  et  délicat  et  frais, 

Qu'un  terroir  assez  maigre  et  tout  coupé  de  roches 
Produit  heureusement  sur  les  montagnes  proches. 
Là  mes  frères  et  moi  pouvions  joyeusement, 
Sans  seigneur  ni  vassal,  vivre  assez  doucement. 

Là  tous  ces  médisants,  à  qui  je  suis  en  proie, 
N'eussent  point  ennuyé  ni  censuré  ma  joie, 
J'aurois  suivi  partout  l'objet  de  mes  désirs, 
J'aurois  pu  consacrer  ma  plume  à  mes  plaisirs. 

Là  d'une  passion,  ni  ferme  ni  légère, 
J'aurois  donné  ma  flamme  aux  yeux  d'une  bergère, 
Dont  le  cœur  innocent  eût  contenté  mes  vœux 
D'un  bracelet  de  chanvre,  avecque  ses  cheveux. 

J'aurois  dans  ce  plaisir  si  bien  flatté  la  vie, 
Que  l'orgueil  de  Caliste  en  eût  crevé  d'envie; 
J'aurois  peint  la  douceur  de  nos  embrasements 
Par  tous  les  lieux  témoins  de  nos  embrassements. 

Et  comme  ce  climat  est  le  plus  beau  du  monde, 
Ma  veine  en  eût  été  mille  fois  plus  féconde  : 


piiii:ES  nivEKSES  179 

L'.iilf  (l'iMi  pjtpillcin  m't>i\l  plus  lourni  de  vers, 

nirjMijdiird'Iiiii  lie  l'croil   le  liniit  de  riiiiivers. 

{Plainte  de  Théophile  à  son  aini  Tircis.) 


EPIGRAMMKS 


('^  race  à  ce  comte  lil)éral 
JEt  à  la  guerre  de  Mirande, 
Je  suis  poète  et  caporal. 
O  Dieux  1  que  ma  fortune  est  grande  ! 
O  combien  je  rerois  d'honneur 
Des  sentinelles  que  je  pose  ! 
Le  sentiment  de  ce  bonheur 
Fait  que  jamais  je  ne  repose  : 
Si  je  couche  sur  le  pave, 
Je  n'en  suis  (]ue  plus  tût  levé. 
Parmi  les  troubles  de  la  guerre 
Je  n'ai  point  un  repos  en  l'air, 
Car  mon  lit  ne  sauroit  branler 
Que  par  un  tremblement  de  terre. 


l8o  TIIÉOPIULK 


Qui  voudra  pense  à  des  empires, 
Et,  avecque  des  vœux  mutins, 
S'obstine  contre  ses  destins, 
Qui  toujours  lui  deviennent  pires. 

Moi,  je  demande  seulement, 
Du  plus  sacré  vœu  de  mon  âme. 
Qu'il  plaise  aux  Dieux  et  à  ma  dame 
Que  je  brûle  éternellement. 


M 


on  frère,  je  me  porte  bien, 
La  Muse  n'a  souci  de  rien  ; 


J'ai  perdu  cette  humeur  profane; 
On  me  souffre  au  coucher  du  roi. 
Et  Phébus  toQs  les  jours  chez  moi 
A  des  manteaux  doublés  de  panne. 

Mon  âme  incague  les  destins  ! 
Je  fais  tous  les  jours  des  festins; 
On  me  va  tapisser  ma  chambre. 
Tous  mes  jours  sont  des  mardi-çras, 
Et  je  ne  bois  point  d'hypocras 
S'il  n'est  fait  avecque  de  l'ambre. 


imk*:es  iiivunsKS  i8l 


Pour  ctio  (liviiio  cl  liiiiu.iiiif. 
Il  faut  ni  jeunesse  senlir 
Les  plaisirs  de  la  ISIanfilelciiie, 
Kl  [)uis,  vieille,  s'cu  reperilir. 


Ie  inupiis  au  momie  lout  nu  ; 
Je  ne  sais  combien  je  vivrai. 
Si  je  n'ai  rien  quand  je  mourrai, 
Je  n'aurai  jçaefné  ni  perdu. 


LES  AMOURS  TRAGIQUES  DE  PYRAME 

ET    TuTseÉ 

{Fragments)  ] 

ACTE  I 
Scène  première 


D 


THisui: 

u  bruilel  des  fâcheux  aujourd'hui  séparée, 
Ma  seule  fantaisie  avec  moi  retirée, 


THEOPHILE 


Je  puis  ouvrir  mon  âme  à  la  clarté  des  cieux, 
Avec  la  liberté  de  la  voix  et  des  yeux  ; 
Il  m'est  ici  permis  de  te  nommer,  Pyrame, 
Il  m'est  ici  permis  de  t'appeler  mon  âme  : 
Mon  âme,  qu'ai-je  dit?  c'est  fort  mal  discourir, 
Car  l'âme,  nous  fait  vivre  et  tu  me  fais  mourir. 
Il  est  vrai  que  la  mort  que  ton  amour  me  livre 
Est  aussi  seulement  ce  que  j'appelle  vivre. 
Nos  esprits  sans  l'amour,  assoupis  et  pesants. 
Comme  dans  un  sommeil  passent  nos  jeunes  ans. 
Auparavant  qu'aimer  on  ne  sait  point  l'usage 
Du  mouvement  des  sens,  ni  des  traits  du  visage. 
Sans  cette  passion,  les  plus  lourds  animaux 
Connoîtroient  mieux  que  nous  et  les  biens  et  les  maux. 
Notre  destin  seroit  comme  celui  des  arbres. 
Et  les  beautés  en  nous  seroient  comme  des  marbres, 
En  qui  l'ouvrier  *,  gravant  l'image  des  humains. 
Ne  sauroit  faire  agir  ni  les  pieds  ni  les  mains. 
Un  bel  œil  dont  l'éclat  ne  luit  qu'à  l'aventure, 
C'est  comme  le  Soleil  qui  cachoit  la  nature. 
Auparavant  qu'il  fût  entré  dans  ses  maisons 
Et  qu'il  pût  discerner  la  beauté  des  saisons. 
Moi  je  crois  seulement  depuis  l'heure  première 
Que  l'amour  me  toucha,  d'avoir  vu  la  lumière. 
Et  que  mon  cœur  ne  vint  à  respirer  le  jour 
Que  dès  l'heure  qu'il  vint  à  soupirer  d'amour  ; 
Et  combien  que  le  ciel  fasse  couler  ma  vie 
Dans  cette  passion  avec  un  peu  d'envie. 


IMKC.KS     IUVRHSES 


i83 


Oue  mille  empêchements  combattent  mes  désirs, 

|]t  qu'un  triste  succès  menace  nos  plaisirs, 

Que  les  discours  mutins  d'une  haiue  ancienne, 

Divisent  la  maison  de  Pyrame  et  la  mienne, 

nuliomnies,  ciel,  temps  et  lieux  nuisent  à  mon  dessein. 

Je  ne  saurois  pourtant  me  l'arracher  du  sein, 

El  (]uand  je  le  pourrois,  je  scrois  bien  marrie 

Que  d'un  si  cher  tourment  mon  ûme  fût  guérie. 

Une  telle  santé  me  donneroit  la  mort; 

Le  penser  seulement  m'en  lâche  et  me  fait  tort. 

BERSIANE 

Conuiient?vous  être  ainsi  de  nous  tous  éloignée  ! 
Osez-vous  bien  aller  sans  être  accompagnée  ? 
Tout  le  monde  au  logis  est  en  peine  de  vous, 
Et  surtout  votre  mère  en  est  en  grand  courroux. 

THISBÉ 

Pourquoi  cela?  ma  vie  est-elle  si  suspecte? 

BERSIANE 

Non, mais  toujours  les  vieux  veulent  qu'on  lesrespecte. 
Vous  deviez  pour  le  moins  un  de  nous  avertir, 
Faire  quelque  semblant  que  vous  alliez  sortir. 

TUISBÉ 

Sais-tu  [tas  bien  que  j'ain)e  à  rêver,  à  me  taire, 
Et  que  mon  naturel  est  un  peu  solitaire? 
Que  je  cherche  souvent  à  m'ùter  hors  du  bruit? 
Alors,  poui'  dire  vrai,  je  hais  bien  qui  me  suit; 


l84  THÉOPHILE 

Quelquefois  mon  chagrin  trouveroit  importune 
La  conversation  de  la  bonne  Fortune  ; 
La  visite  d'un  Dieu  me  désobligeroit, 
Un  rayon  du  Soleil  parfois  me  fàcheroit. 

ACTE    II 
Scène  II 

PYRAME 

Ta  bonne  volonté  n'est  pas  diminuée? 

THISBÉ 

Elle  a  crû  davantage,  on  n'a  fait  que  jeter. 
Du  soufre  dans  la  flamme  afin  de  l'irriter  : 
Je  suis  d'un  naturel  à  qui  la  résistance 
Renforce  le  désir,  l'espoir  et  la  constance  ; 
Je  crois  qu'on  me  verroit  mourir  autant  de  fois 
Qu'on  me  force  d'ouïr  ces  importunes  voix. 
Sinon  que  mon  amour  de  plus  en  plus  persiste, 
Et  brûle  davantage  alors  qu'on  lui  résiste  ; 
Et  je  n'ai  rien  de  cher  comme  une  occasion 
De  tout  ce  qui  sauroit  nourrir  ma  passion, 
Puisqu'au  divin  objet  dont  je  suis  amoureuse 
Le  sort  veut  que  je  sois  parfaitement  heureuse, 
Que  tu  mérites  bien  l'inviolable  foi 
Que  jusques  au  tombeau  je  garderai  pour  toi. 

PYKAME 

Et  moi  si  le  tombeau  laissoit  encore  aux  âmes 


PIÈCES   DIVERSES  I 85 


Quelque  petit  rayon  de  leurs  défuntes  flammes, 
Je  n'aurois  autre  feu  (|ue  toi  dans  les  enfers, 
Kt  dedans  leurs  prisons  je  n'aurois  que  tes  fers  : 
Mais  ]iarini  nos  iliscours  nous  ne  prenons  pas  jçarde 
(Juo  ce  doux  entretien  dont  Amour  nous  retarde. 
S'il  n'est  bien  ménage  nous  man(piera  bientôt. 

Tuisnii 
Ilolas  !  ue  pourrons-nous  jamais  dire  qu'un  mol'.'' 
Les  oiseaux  dans  les  bois  ont  toute  la  journée 
A  chanter  la  fureur  qu'Amour  leur  a  donnée  ; 
Les  eaux  et  les  zéphirs,  <piand  ils  se  font  l'amour. 
Leur  rire  et  leurs  soupirs  font  durer  nuit  et  jour. 

l'YR.VME 

11  le  faut  retirer  de  crainte  qu'il  n'arrive 

One  de  ce  peu  de  bien  encore  on  ne  nous  prive. 

TIIISDÉ 

Dans  une  heure  au  plus  tard  je  reviens  donc  ici. 

PYUAME 

Et  moi  je  serai  mort  si  je  n'y  viens  aussi. 

ACTE  V 
Scène  dernière 

THiSBÉ,  seule. 

A  peine  ai-jc  repris  mou  esprit  et  ma  voix. 
Celle  peur  m'a  fait  perdre  un  voile  que  j 'a vois 


l86  THÉOPHILE 

Et  m'a  fait  demeurer  assez  longtemps  cachée. 
Possible  mon  amant  m'aura  depuis  cherchée. 
Il  doit  être  arrivé,  s'il  n'a  perdu  le  soin 
De  me  venir  trouver,  car  le  jour  n'est  pas  loin. 
Je  n'entends  plus  que  l'eau  que  verse  la  fontaine  ; 
Le  silence  profond  me  rend  assez  certaine 
Que  je  puis  approcher  la  tombe,  où  cependant 
Mon  Pyrame  languit  sans  doute  en  m'attendant. 
La  bête  qui  cherchoit  l'eau  de  cette  vallée, 
Ayant  éteint  sa  soif,  ores  s'en  est  allée. 
Autrement  j'entendrois  qu'elle  feroit  du  bruit. 
Et  ses  yeux  brilleroient  au  travers  de  la  nuit. 
O  nuit,  je  me  remets  enfin  sous  ton  ombrage. 
Pour  avoir  tant  d'amour,  j'ai  bien  peu  de  courage. 
Mais,  ou  mon  œil  s'abuse  en  un  objet  trompeur. 
Voici  de  quoi  rentrer  en  ma  première  peur  : 
Une  subite  horreur  me  prend  à  l'impourvue  *, 
Et,  si  l'obscurité  peut  assurer  ma  vue. 
Un  augure  incertain  mes  soupçons  ne  dément. 
Certains  pas  dans  les  miens  mêlés  confusément. 
Cette  place  partout  sanglante  et  si  foulée, 
Montre  qu'ici  la  bête  a  sa  fureur  soûlée. 
Dieux  !  je  vois  par  la  terre  un  corps  qui  semble  mort. 
Mais  pourquoi  m'effrayer?  c'est  Pyrame  qui  dort. 
Pour  divertir  l'ennui  de  son  attente  oisive 
Il  repose  aux  doux  bruit  de  cette  source  vive. 
Ce  sera  maintenant  à  lui  de  m'accuscr  ! 
Mais  ce  lieu  dur  et  froid  mal  propre  à  reposer, 


PIÈCES   DIVERSES  187 

Que  tléjà  la  rosée  a  rendu  loul  Inimitié, 
M'iiiilii^e  i\  l'éveiller.  Dieux  !  i|ue  je  suis  limido! 
J'ai  sou  conlentcinent  el  son  repos  si  cher, 
Que  rua  voix  seulement  a  peur  de  le  fâcher; 
H  ilorl  si  doucement  qu'on  ne  sauroit  à  peine 
Discerner  parmi  l'air  le  bruit  de  son  haleine  : 
Mais  d'un  vient  qu'inuiiobile  et  froid  dessous  ma  main 
Il  sendjie  mort'.'  Pyrame  !  ô  Dieux  j'appelle  en  vain. 
Je  ne  respire  plus,  ce  beau  corps  est  de  jçlace. 
Ili'Ias!  je  vois  la  mort  peinte  dessus  sa  face; 
D'une  éternelle  nuit  sou  bel  œil  est  couvert, 
Je  vois  d'un  larii^e  coup  son  estomac  ouvert. 
Ht'  !  ne  meurs  pas  si  tût,  ouvre  un  peu  la  paupière 
Respire  encore  un  coup,  je  mourrai  la  prendère, 
Ne  t'en  va  point  sans  moi,  ne  me  fais  point  ce  tort 
Tu  ne  me  réponds  rien,  mon  cœur?  Tu  n'esjpas  mort? 
Les  Dieux  ne  meurent  point,  la  nature  est  trop  sage 
Pour  laisser  ruiner  son  plus  aimable  ouvrage. 
Mais,  ù  faible  discours,  ù  faux  soulagement, 
La  perte  que  je  fais  m'ôte  le  jugement  : 
Pyrame  ne  vit  plus,  ha  !  ce  soupir  l'emporte. 
Comment? il  ne  vit  plus,  et  je  ne  suis  pas  morte? 
Pyrame,  s'il  te  reste  encore  un  peu  de  jour. 
Si  ton  esprit  me  garde  encore  un  peu  d'amour, 
Et  si  le  vieux  Caron  touche  de  ma  misère, 
Retarde  tant  soit  peu  sa  barque  à  ma  prière. 
Attends-moi,  je  te  prie,  et  qu'un  même  trépas. 
Achève  nos  destins  ;  je  m'en  vais  de  ce  pas. 


THEOPHILE 


Mais  tu  ne  m'attends  point,  et  si  peu  que  je  vive, 
En  ce  dernier  devoir  mon  sort  veut  que  je  suive, 
Coupable  que  je  suis  de  cette  injuste  mort. 
Malheureux  criminel  de  la  fureur  du  sort. 
Quoi,  je  respire  encore  et,  regardant  Pyrame 
Trépassé  devant  moi,  je  n'ai  point  perdu  l'àme  ! 
Je  vois  que  ce  rocher  s'est  éclaté  du  deuil. 
Pour  répandre  des  pleurs,  pour  m'ouvrir  un  cercueil  ; 
Ce  ruisseau  fuit  d'horreur  qu'il  a  de  mon  injure, 
Il  en  est  sans  repos,  ses  rives  sans  verdure  ; 
Même,  au  lieu  de  donner  de  la  rosée  aux  fleurs, 
L'aurore,  à  ce  matin,  n'a  versé  que  des  pleurs, 
Et  cet  arbre  touché  d'un  désespoir  visible, 
A  bien  trouvé  du  sang-  dans  son  tronc  insensible; 
Son  fruit  en  a  changé,  la  lune  en  a  blêmi, 
Et  la  terre  a  sué  du  sang  qu'il  a  vomi. 
Bel  arbre  puisqu'au  monde  après  moi  tu  demeures. 
Pour  mieux  faire  paroître  au  ciel  tes  rouges  meures  * 
Et  lui  monfrer  le  tort  qu'il  a  fait  à  mes  vœux,    , 
Fais  comme  moi,  de  grâce,  arrache  tes  cheveux. 
Ouvre-toi  l'estomac,  et  fais  couler  à  force 
Cette  sanglante  humeur  par  toute  ton  écorce. 
Mais  que  me  sert  ton  deuil?  Rameaux,prés  verdissants, 
Qu'à  soulager  mon  mal  vous  êtes  impuisssants  !j 
Quand  bien  vous  en  mourriez,  on  voit  la  destinée 
Ramener  votre  vie,  en  ramenant  l'année. 
Une  fois  tous  les  ans  nous  vous  voyons  mourir, 
Une  fois  tous  les  ans  nous  vous  voyons  fleurir  : 


PIKCeS    DIVERSES 


Mais  ninn  Pyr.imp  est  mort,sans  espoir  qu'il  retourne 
De  ces  pAles  manoirs  où  son  esprit  séjourne. 
Depuis  que  le  soleil  nous  voit  naître  et  finir, 
Le  premier  des  dtMunts  est  encore  à  venir, 
El  (jiiand  les  Dieux  demain  me  le  feroient  revivre, 
Je  me  suis  résolue  aujourd'hui  de  le  suivre. 
J'ai  trop  d'impatience,  et  puisque  le  destin 
De  nos  corps  amoureux  fait  son  cruel  butin. 
Avant  que  le  plaisir  «pie  niéritoient  nos  flammes 
Dans  leurs  emiirassemenis  ait  pu  mêler  nos  âmes, 
Nous  les  joindrons  là-bas  et  par  nos  saints  accords 
Ne  ferons  «ju'uu  esprit  de  l'ombre  de  deux  corps. 
El  puisqu'à  mon  sujet  sa  belle  àme  sommeille. 
Mon  esprit  innocent  lui  rendra  la  pareille. 
Toutefois  je  ne  puis,  sans  mourir  doublement; 
Pyrame  s'est  tué  d'un  soupron  seulement; 
Son  amitié  fidèle  un  peu  trop  violente, 
D'autant  qu'à  ce  devoir  il  me  voyoit  trop  lente, 
Pour  avoir  soupçonné  (|ue  je  ne  l'aimois  pas, 
Il  ne  s'est  pu  ejuérir  de  moins  que  du  trépas. 
Que  donc  ton  bras  sur  moi  davantas^e  demeure, 
O  mort  !  et,  s'il  se  peut,  cpie  |)lus  que  lui  je  meure! 
(Jue  je  sente  à  la  fois,  poisons,  flammes  et  fers  ! 
Sus  !  qui  me  vient  ouvrir  les  portes  des  enfers  ? 
Ha  !  voici  le  poitï^nard  qui  du  sang'  de  son  maître 
S'est  souillé  lâchement  !  il  en  rougit,  le  traître  ! 
Exécrable  bourreau,  si  tu  te  veux  laver 
Du  crime  commencé,  tu  n'as  qu'à  l'achever  ! 


igO  THEOPHILE 

Enfonce  là  dedans,  rend-toi  plus  rude,  et  pousse 
Des  feux  avec  ta  lame.  Hclas  !  elle  est  trop  douce. 
Je  ne  pouvois  mourir  d'un  coup  plus  gracieux. 
Ni  pour  un  autre  objet  haïr  celui  des  cieux. 


FRAGMENTS  D'UNE  HISTOIRE  COMIQUE 


L'élégance  ordinaire  de  nos  écrivains  est  à  peu 
près  selon  ces  termes  : 

«  L'aurore,  toute  d'or  et  d'azur,  brodée  de  perles 
et  de  rubis,  paraissoit  aux  portes  de  l'Orient;  les 
étoiles,  éblouies  d'une  plus  vive  clarté,  laissoient 
effacer  leur  blancheur  et  devenoient  peu  à  peu  de 
la  couleur  du  ciel  ;  les  bêtes  de  la  quête  revenoient 
aux  bois  et  les  hommes  à  leur  travail;  le  silence 
faisoit  place  au  bruit,  et  les  ténèbres  à  la  lumière.» 

Et  tout  le  reste  que  la  vanité  des  faiseurs  de  livres 
fait  éclater  à  la  faveur  de  l'ignorance  publique. 

Il  faut  que  le  discours  soit  ferme,  que  le  sens  y 
soit  naturel  et  facile,le  langage  exprès  et  signifiant  ; 
les  afféteries  ne  sont  que  mollesse  et  qu'artifice,  qui  ! 
ne  se  trouve  jamais  sans  effort  et  sans  confusion.  | 
Ces  larcins,  qu'on   appelle  imitation  des  auteurs^ 


PIKCKS     niVKHSES  I  (J  I 


iincicns,  se  doivcnl  dire  des  ornements  qui  ne  sont 
pointa  noire  mode.  Il  laiil  (icrire  à  la  nioderne  ; 
Déniosliiène  el  Virsçiie  n'ont  point  écrit  en  notre 
temps,  et  nous  ne  saurions  écrire  en  leur  siècle  ; 
leurs  livres,  quand  ils  les  firent,  éloient  nouveaux, 
2t  nous  en  Hiisons  tous  les  jours  de  vieux.  L'invo- 
cation des  Muses  à  l'exemple  de  ces  païens  est  pro- 
fane pour  nous  et  ridicule,  llonsard,  pour  la  vigueur 
le  l'esprit  et  la  nue  ima<>,ination,  a  mille  choses 
comparables  à  la  mae^nificence  des  anciens  Grecs 
^t  Latins,  et  a  mieux  réussi  à  leur  ressembler  qu'a- 
ors  qu'il  les  a  voulu  traduire,  et  ([u'il  a  pris  plaisir 
i  les  contrefaire,  connue  en  ces  mots  cythcréan, 
)atarean,  le  trépied  tymbrean.  Il  semble  qu'il  se 
.•euille  rendre  inconnu  pour  paraître  docte,  et  qu'il 
ifl'ecte  une  fausse  réputation  de  nouveau  et  hardi 
'crivain.  Dans  ces  termes  étrangers,  il  n'est  point 
ntelligible  pour  les  Fran(;ois;  ces  extravagances  ne 
ont  que  dégoûter  les  savants  et  étourdir  les  faibles. 
Jn  appelle  cette  fai;on  d'usurper  des  termes  obscurs  et 
mpropres,  les  uns  barbarie  et  rudesse  d'esprit,  les 
mtres  pédanterie  et  suffisance.  Pour  moi,  je  crois 
jue  c'est  un  respect  et  une  passion  que  Ronsard 
ivoit  pour  ces  anciens  à  trouver  excellent  tout  ce 
]ui  venoit  d'eux  el  chercher  de  la  gloire  à  les  imi- 
ter partout.  Je  sais  qu'un  prélat,  homme  de  bien, 
est  imitable  à  tout  le  monde.  Il  faut  être  chaste 
comme  lui  ;  charitable  et  savant,  qui  peut .  Mais  un 


192  THEOPHILE 

courtisan,  pour  imiter  sa  vertu,  n'a  que  faire  de 
prendre  ni  le  vivre,  ni  les  habillements  à  sa  sorte. 
Il  faut  comme  Homère  faire  bien  une  description, 
mais  non  point  par  ses  termes  ni  par  ses  épithètes. 
Il  faut  écrire  comme  il  a  écrit,  mais  non  pas  ce  qu'il 
a  écrit.  C'est  une  dévotion  louable  et  digne  d'une 
belle  àme  que  d'invoquer  au  commencement  d'une 
œuvre  des  puissances  souveraines;  mais  les  chré- 
tiens n'ont  que  faire  d'Apollon  ni  des  Muses,  et  nos 
vers  d'aujourd'hui,  qui  ne  se  chantent  point  sur  la 
lyre,  ne  se  doivent  point  nommer  lyriques,  non  plus 
que  les  autres  héroïques,  puis  que  nous  ne  sommes 
plus  au  temps  des  héros,  et  toutes  ces  singeries  ne 
sont  ni  du  plaisir  ni  du  profit  d'un  bon  entendement. 
Il  est  vrai  que  le  dégoût  de  ces  superfluités  nous  a 
fait  naître  un  autre  vice  :  car  les  esprits  faibles  que  , 
l'amorce  du  pillage  avoit  jetés  dans  le  métier  des 
poètes,  de  la  discrétion  qu'ils  ont  eue  d'éviter  les 
extrêmes  redites,  déjà  rebattues  par  tant  de  siècles, 
se  sont  trouvés  dans  une  grande  stérilité,  et,  n'étant 
pas  d'eux-mêmes  assez  vigoureux  ou  assez  adroits 
pour  se  servir  des  objets  qui  se  présentent  à  l'imagi- 
nation, ont  cru  qu'il  n'y  avoit  plus  rien  dans  la  poé- 
sie que  matière  de  prose,  et  se  sont  persuadés  que 
les  figures  n'en  étoient  point,  et  qu'une  métaphore 
étoit  une  extravagance.  Mais,  comme  j'avois  dit,  il 
étoit  jour.  Or  ces  digressions  me  plaisent,  je  me 
laisse  aller  à  ma  fantaisie,  et,  quelque  pensée  qui  se 


i 


l'IKCES    DIVEUSKS  I  f)3 

prt'sonle,  je  n'en  dt-loiirno  point  la  pliiine  ;  je  fais 
ici  imo  roiivn'salioii  divfi'sc  cl  iiilPrroin|)uc,  ot  non 
pas  (les  loçons  exactes,  ni  des  raisons  avec  ordre  :  je 
ne  suis  ni  assez  docte  ni  assez  ambitieux  pour  l'en- 
•.re|>rendre.  Mon  li^Te  ne  prétend  point  d'obliîçer  le 
lecteur,  car  son  dessein  n'est  pas  de  le  lire  pour 
m'olilii^er,  et,  |)tiisqu'll  lui  est  permis  de  me  blâ- 
mer, (pi'il  me  soit  permis  de  lui  ih-plaire. 


Aussitôt  <|ue  je  lus  liabillt-,  je  passai  dans  la  eham- 
hre  de  C.liliphon,  qui  d'abord  sVcria  vers  moi  : 
ICst-il  possible  (jue  vous  ayez  dormi  si  à  repos  dans 
une  affliction  si  récente  ?  Vous  ne  fûtes  banni  (|ue 
d'hier,  et  vous  voilà  déjà  ^niéri  de  cette  peine  !  C'est 
avoir  les  sentiments  bien  tarouches  ou  bien  hébétés. 
—  Ce  (jui  ne  me  touche,  lui  dis-je,  ni  le  corps  ni 
l'âme,  ne  me  donne  point  de  douleur  ;  je  me  porte, 
Dieu  merci,  assez  bien  de  l'un  et  de  l'autre;  si  les 
bannissements  faisoient  effort  à  quelqu'un  des  sens, 
tu  me  verrois  atteint  de  tous  les  déplaisirs  dont  la 
nature  et  la  raison  sont  capables.  Je  ne  résiste  point 
par  philosophie  aux  atteintes  du  malheur  :  car  c'est 
accroître  son  injure,  et  tout  le  combat  que  le  dis- 
cours fait  contre  la  tristesse  larena^rège  *  sans  doute 

I.  Ce   frai^mcnt  peut  t-tre  considéré  comme  le  portrait 
de  Théophile  peint  par  lui-même. 

i3 


ig\  THEOPHILE 


et  la  prolonge.  Si  je  m'apercevois  que  j'eusse  du  ■ 
mal,  tu  rac  verrois  bientôt  soupirer  ;  mais  je  ne  sau- 
rois  prendre  l'apparence  pour  l'effet,  ni  la  menace 
pour  le  coup.  Cette  disgrâce  n'est  que  paroles,  qui 
ne  sont  que  vent.  On  m'a  chassé  de  la  cour,  où  je 
n'avois  que  faire  ;  si  on  me  presse  encore  à  sortir  de  4 
France,  quelque  part  de  l'Europe  où  je  veuille  aller,  ^ 
mon  nom  m'y  a  fait  des  connoissances.  Je  me  sais 
facilement  accommoder  à  toute  diversité  de  vivres 
et  d'habillements  ;  les  climats  et  les  hommes  me  sont 
indifférents;  j'ai  l'esprit  et  le  corps  à  la  fatigue.  — 
Mais  toujours  serez-vous  étranger  et  reçu  dans  la 
société  des  autres  avec  moins  de  familiarité  et  d'hon- 
neur. —  Celui,  dis-je,  qui  prise  moins  la  faveur 
des  hommes  et  l'avantage  de  la  fortune  que  sa  pro- 
pre vertu  se  trouve  peu  empêché  de  ces  incommodités 
ordinaires.  —  Si  est-ce,  disait  Cliliphon,  que  ce 
sera  un  exil,  et  un  honnête  homme  ne  doit  pas  être 
indifférent  à  l'infamie.  —  Si  j'ai  mérité  la  mienne, 
lui  dis-je,  je  serois  injuste  de  m'en  plaindre;  et  si 
je  n'en  suis  pas  coupable,  je  suis  assez  sage  pour  la 
mépriser.  Ne  crois  point  que  la  joie  qui  me  reste  en 
cet  accident  soit  d'aucun  étourdissement  :  je  connois 
bien  que  je  suis  sorti  de  Paris,  que  le  roi  le  veut, 
que  mes  ennemis  en  sont  aises,  que  je  perds  la  pré- 
sence de  mes  amis,  et  qu'ensuite  leur  affection  ne 
me  durera  guère,  car  ils  sont  hommes  et  courtisans. 
A  cela  voici  mon  remède  :  je  ne  tâcherai  point  de. 


l'iKCis  ni\r-.iisi;s  U)5 

i(>vcnir  A  la  cour,  mais  j^  m'en  passer,  et,  nu  lieu  de 
iTiiInT  dans  la  içrAco  du  roi,  je  penserai  à  ni'ôler 
(lésa  nu'inoire.  Je  m'edorcerai  d'ouitlicr  mes  amis: 
car,  s'ils  sont  Hdèles,  ils  me  le  pardonneront,  et, 
s'ils  ne  m'aiment  tçuère,  j'aurai  le  plaisir  d'avoir 
pn-venu  leur  intidélité,  cl  serai  bien  aise,  d'autant 
«pie  je  les  aime,  de  me  rendre  coupable  pour  les 
sauver  de  ce  blâme.  Il  me  sendile  que  c'est  taire  des 
amitiés  de  bonne  sorte  :  il  i'aut  avoir  de  la  passion 
non  seulement  pour  les  hommes  de  vertu,  pour  les 
l)elles  femmes,  mais  aussi  pour  toute  sorte  de  belles 
choses.  J'aime  un  beau  jour,  des  fontaines  claires, 
l'aspect  des  montai!;nes,  l'étendue  d'une  grande 
plaine,  de  belles  forets  ;  l'océan,  ses  vagues,  son 
calme,  ses  rivau^es  ;  j'aime  encore  tout  ce  qui  touche 
plus  particulièrement  les  sens  :  la  musique,  les  fleurs, 
les  beaux  habits,  la  chasse,  les  beaux  chevaux,  les 
bonnes  odeurs,  la  bonne  chère;  mais  à  tout  cela 
mon  désir  ne  s'attache  (pie  pour  se  plaire,  et  non 
point  pour  se  travailler  ;  lorsque  l'un  ou  l'autre  de 
ces  divertissements  occupe  entièrement  une  âme, 
cela  passe  d'affection  en  fureur  et  brutalité;  la  pas- 
sion la  plus  forte  que  je  puisse  avoir  ne  m'engage 
jamais  au  point  de  ne  la  pouvoir  ([uitter  dans  un 
jour.  Si  j'aime,  c'est  autant  que  je  suis  aimé,  et, 
comme  la  nature  ni  la  fortune  ne  m'ont  pas  donné 
beaucoup  de  parties  à  plaire,  cette  passion  ne  m'a 
jamais  guère  continué  ni  son   plaisir  ni  sa  peine. 


igG  THÉOPHILE 

Je  me  tiens  plus  àprement  à  l'étude  et  à  la  bonne 
chère  qu'à  tout  le  reste.  Les  livres  m'ont  lassé 
quelquefois,  mais  ils  ne  m'ont  jamais  étourdi,  et  le 
vin  m'a  souvent  réjoui,  mais  jamais  enivré.  La  dé- 
bauche des  femmes  et  du  vin  faillit  à  m'empiéter  ^- 
au  sortir  des  écoles  :  car  mon  esprit  un  peu  pré- 
cipité avoit  franchi  la  sujétion  des  précepteurs, 
lorsque  mes  mœurs  avoient  encore  besoin  de  dis- 
cipline. Mes  compaonons  avoient  plus  d'âge  que 
moi,  mais  non  pas  tant  de  liberté.  Ce  fut  un  pas 
bien  dangereux  à  mon  âme  que  cette  première  licence 
qu'elle  trouva  après  les  contraintes  de  l'étude.  Là, 
je  m'allois  plonger  dans  le  vice,  qui  s'ouvroit  assez 
favorablement  à  mes  jeunes  fantaisies  ;  mais  les 
empêchements  de  ma  fortune  détournèrent  mon 
inclination,  et  les  traverses  de  ma  vie  ne  donnèrent 
pas  le  loisir  à  la  volupté  de  me  perdre.  Depuis, 
insensiblement,  mes  désirs  les  plus  libertins  se  sont 
attiédis  avecque  le  sang,  et  leur  violence,  s'éva- 
nouissant  tous  les  jours  avecque  l'âge,  me  promet 
dorénavant  une  tranquillité  bien  assurée.  Je  n'aime 
plus  tant  ni  les  festins,  ni  les  ballets,  et  me  porte 
aux  voluptés  les  plus  secrètes  avec  beaucoup  de 
médiocrité . 


PIECES    DIVERSES  I97 


LAHISSIi    (i) 

«  Je  servais  dans  la  maison  d'un  citoyen  romain 
avec  un  jeune  esclave  grec,  à  qui  les  hasards  de  la  mer 
avaient  fait  trouver,  au  lieu  de  la  liberté  dont  il  jouis- 
sait dans  sa  patrie,  resclavat;esur  une  terre  étrangère. 
Tous  les  caractères  et  les  signes  naturels  (\i\\,  sur  le 
front  des  gens  bien  nés,  marquent  la  naissance  ou 
l'éducation,  ou  les  démêlait  sur  son  visage  :  l'air 
distingué  de  sa  personne  annonçait  la  noblesse  de 
son  origine  et  l'on  voyait  par  toutes  ses  manières 
«ju'il  avait  employé  ses  premières  années  à  des  exer- 
cices bien  dillérents  de  ceux  où  le  sort  le  condam- 
nait ;  car  il  était  si  peu  fait  pour  servir  qu'à  le  voir 
manier  une  broelie  on  eût  dit  (ju'il  tenait  une  lance. 
S'il  fallait  porter  quelipie  fardeau,  il  pliait  sous  le 
plus  léger,  et  il  ne  jwuvait  porter  un  poids  de  vingt 
livres  au  delà  d'un  mille  :  cependant,  malgré  sa  fai- 
blesse, il  montrait    beaucoup  de  courage  ;  tout  ce 

(i)  Théopliile,  qui  était  bon  latiniste,  a  écrit  ce  conte 
en  latin.  Nous  avons  cru  |)réfiTable  de  donner  en  traduc- 
tion cette  agrt'ablc  Larissa,  trop  peu  connue.  Cette  ver- 
sion unique  est  empruntée  à  un  recueil  fort  rare,  le 
Portefeuille  choisi  ou  Mélanje  nouveau  en  vers  et  en 
prose:  Londres,  1739.  —  On  y  a  fait  quelques  retouches. 


198  THÉOPFULE 


(jue  sa  condition  exigeait  de  lui,  quelque  pénible 
qu'il  fût,  il  le  faisait  de  bonne  grâce,  et,  oubliant  ce 
qu'il  était  né,  il  avait  su  plier  son  esprit  à  la  doci- 
lité exigée  par  la  dureté  de  sa  situation;  mais  sa 
délicatesse  avait  beaucoup  à  souffrir  sous  le  joug 
d'une  servitude  inattendue.  En  effet,  peu  de  temps 
après  qu'il  eut  tâté  de  l'esclavage,  ses  forces,  épui- 
sées par  une  vie  dure,  par  le  travail  et  par  les  veilles, 
l'abandonnèrent  tout  à  coup,  et  il  tomba  dans  une 
langueur  mortelle.  Ses  beaux  cheveux  blonds,  autre- 
fois soigneusement  frisés,  étaient  négligés  et  tout 
en  désordre  ;  son  front,  uni  et  blanc  comme  la  neige, 
avait  perdu  son  éclat  et  presque  contracté  des  rides  ; 
il  avait  les  yeux  mourants,  les  joues  creuses  et  dé- 
charnées, les  mains  rudes  et  durcies  par  le  travail  ; 
enfin  une  maigreur  affreuse  répandue  par  tout  son 
corps  le  défigurait  horriblement  et  l'avait  presque 
réduit  à  la  dernière  extrémité  ;  ainsi  dépérissant  de 
jour  en  jour,  s'il  donnait  encore  quelque  signe  de 
vie,  ce  n'était  que  par  des  sanglots  et  par  des  sou- 
pirs. Touchée  de  l'état  où  je  le  voyais,  je  partageais 
en  secret  ses  peines,  et,  compatissant  à  ses  malheurs, 
je  me  plaignais  de  l'injustice  du  sort.  Lorsque  j'en 
trouvais  l'occasion,  je  l'exhortais  à  prendre  courage; 
je  mêlais  souvent  mes  larmes  aux  siennes  et  j'es- 
sayais de  le  consoler,  ou  du  moins  d'adoucir  ses 
maux.  De  plus,  pour  ménager  sa  faiblesse,  je  le 
prévenais  surtout,  je  faisais  moi-même  son  ouvrage 


•IKC.KS   DIVERSES  IQQ 


et  presque  toiilo  la  bcsosfne  tlu  loiçis;  mais  je  ne  nie 
Cdiilentais  pas  de  prendre  sur  moi  toute  la  tAclie  et 
(le  lui  procurer  par  mes  faliu-ues  le  repos  dont  il 
a\ait  liesoiii,  j'étais  devenue  volontairement  son 
esclave  et,(pioi(pi"il  \\\i  mon  compagnon,  je  le  ser- 
vais comme  mon  maître,  je  m'elVorçais  de  lui  mar- 
quer mou  zèle  et  mon  altacliemcnt. 

«  Au  reste,  tout  abattu  (juil  était  par  sa  nouvelle 
condition,  il  y  avait  dans  sa  physionomie  quelcjue 
chose  de  grand  et  d'élevé;  ses  yeux,  à  demi  éteints, 
laissaient  échapper  un  certain  éclat  qui  semblait 
exercer  ses  droits  et  dominer  souverainement  sur 
l'obscurité  de  mon  étoile.  On  voyait  briller  sur  son 
visage  une  dignité  naturelle  et  je  ne  sais  (juelle 
autorité  qui  me  soumettaient  d'abord  à  lui,  et  je 
suivais  avec  plaisir  les  impressions  de  cet  ascendant. 
Ce  jeune  homme  bien  né  sentit  bientôt  toutes  les 
obligations  (|u'il  m'avait,  et  ce  que  la  pitié  m'inspi- 
rait pour  lui.  Toutes  les  fois  (pie  je  lui  rendais  quel- 
(pie  service,  je  remarquais  la  peine  (pi'il  avait  de  ne 
pouvoir  me  rendre  la  pareille,  et,  tout  confus  de  mes 
bontés,  il  me  remerciait  avec  ces  grAces  et  ce  tour 
heureux  d'expression  que  donne  la  politesse  des 
cours,  (^omme  il  avait  beaucoup  de  douceur  dans 
l'esprit  et  dans  le  caractère,  ([u'il  avait  l'entretien 
fort  aimable,  la  ligure  charmante  et  toute  la  beauté 
qui  peut  rendre  un  mortel  adorable,  je  ne  fus  pas 
longtemps  sans  passer  de  la  compassion  à  l'amour. 


200  THEOPHILE 

_  j 

Il  est  vrai  que,  quoique  mon  cœur  eût  été  jusqu'a- 
lors intact,  la  blessure  fut  d'abord  légère;  l'amour  ne 
pénétrait  pas  très  avant,  je  luttais,  contre  les  attein- 
tes de  cette  flamme  naissante  ;  mais,  entrée  par  les 
yeux,  la  flèche  pénétra  bientôt  jusqu'au  fond  de 
mon  âme  et  c'est  avec  joie  que,  cédant  enfin  aux 
efforts  de  l'ennemi,  elle  se  livra  à  lui  sans  plus  de 
combat.  » 

Le  début  de  cette  agréable  histoire  avait  rendu 
toute  la  compagnie  attentive  au  récit  de  Larisse  et 
principalement  deux  jeunes  filles;  mais  elles  fei- 
gnaient d'être  distraites,  pour  ne  point  paraître 
écouter  un  récit  trop  libre,  où  la  pudeur  ne  leur 
permettait  point  de  prendre  part,  et  elles  affectaient 
de  détourner  la  tête  ;  ensuite,  s'efforçant  de  bâiller, 
puis  fermant  peu  à  peu  les  yeux,  on  eût  dit,  à  voir 
toute  leur  attitude,  que  le  sommeil  les  gagnait  réel- 
lement. Elles  feignaient  cette  envie  de  dormir  pour 
être  seulement  plus  recueillies  et  se  li\Ter  avec  plus 
d'attention  au  récit  voluptueux  de  la  vieille,  car  leurs 
oreilles  étaient,  en  effet,  tout  aussi  alertes  et  aussi 
éveillées  que  leur  imagination, et  elles  goûtaient  avi- 
dement la  séduisante  peinture  qui  flattait  leurs 
désirs.  Cependant,  une  de  ces  dormeuses  ne  put 
résister  à  un  mouvement  de  curiosité  qui  lui  fit 
jeter  à  l'échappée  quelques  regards  sur  la  conteuse  : 
mais,  comme  si  ses  yeux, éblouis  par  les  images  con- 
fuses d'un  songe  qui    fait  errer  la  vue  au   hasard 


PIECES    DIVERSES 


se  fussent  oinrrts  iiiacliiiialcniciil,  clic  les  rcrcrtiia 
Itieu  vile,  l/aiilrc  (illc,  pour  rcuchcrir  sur  sa  coni- 
|)ai^Mc,  s'élaut  laissé  i^lisser  de  dessus  sou  sièsfc, 
coruiue  si  elle  \'ùl  touibéc  de  sou  lit  CJi  se  réveillant 
le  matin  en  sursaut  :  «  Quoi  donc,  dit-elle,  est-ce 
(|u'il  fait  jour?  »  Mais,  s'étant  bientôt  déconcertée, 
une  rougeur  subite,  dont  elle  ne  fut  point  maîtresse, 
Iraliil  par  une  véritable  confusion  le  slratai-ème  de 
sa  fausse  pudeur,  et  découvrit  toute  la  feinte;  on 
se  mit  à  rire  et  toute  l'assemblée,  Hxant  ses  regards 
sur  les  deux  filles,  qui  rougissaient  à  qui  mieux 
mieux,  on  leur  Ht  connaître  qu'on  n'était  point  la 
ilupe  de  leur  sonuneil,  et  ([u'elles  s'étaient  décelées 
elles-mêmes. 

Cependant  Larisse  avait  cessé  ilc  parler,  elle  ne 
voulait  point,  disait-elle,  achever  un  récit  qui  fût 
capable  d'offenser  ipii  que  ce  fût  des  assistants  et 
elle  menaça  la  compagnie  de  quelque  vieux  conte 
des  plus  usés,  lorsque  Philère,  impatient  d'entendre 
la  suite  de  son  histoire  :  «  Ne  voyez-vous  pas,  leur 
dit-il,  que  ces  jeunes  filles  tâchent  en  cftet  de  s'en- 
dormir pour  embrasser  en  songe  l'image  voluptueuse 
de  votre  jeune  Grec?  »  Alors,  sautant  au  col  de  la 
vieille  par  une  vivacité  de  jeune  homme  :  «  Ma 
bonne  mère,  continua-t-il,  je  vous  en  conjure  par 
vos  amours,  ne  nous  faites  pas  payer  si  cher  l'in- 
terruption (pi'on  vous  a  faite.  »  Enfin,  à  force  de 
caresser  et  d'embrasser  la  vieille  esclave,  ce  beau 


THEOPHILE 


Sfarçon  la  fit  consentir  à  continuer  son  histoire.  Elle 
promit  de  ménager  le  plus  qu'il  lui  serait  possible, 
dans  la  suite  de  ses  amours,  la  pudeur  des  deux  jeu- 
nes filles,  et  voulant  qu'elles  vinssent  s'asseoir  plus 
près  d'elles  :  «  On  permet,  dit-elle,  une  fois  le  jour, 
un  peu  de  folie  à  la  jeunesse.  »  Ces  paroles,  pro- 
noncées d'un  ton  de  législateur,  furent  comme  une 
espèce  de  dispense  pour  les  oreilles  scrupuleuses,  et 
comme  un  passe-port  pour  les  histoires  de  la  soirée. 
Les  deux  jeunes  filles  ne  se  firent  point  prier  pour 
se  mettre  auprès  de  Larisse  et  la  vieille  reprit  ainsi 
la  suite  de  ses  aventures  : 

«  Comme  le  feu  qui  se  déclare  dans  une  meule  de 
blé  et  qui,  parti  de  rien,  forme  en  quelques  instants 
le  brasier  le  plus  ardent,  l'amour  fut  bientôt  maître 
absolu  chez  moi. Ce  n'était  déjà  pi  us  cet  amour  séduc- 
teur dont  les  jeux  m'avaient  paru  si  douxdansla  nais- 
sance de  ma  passion,  mais  un  Dieu  cruel,  et  qui, 
devenu  plus  fier  encore  après  avoir  triomphé  de  ma 
faiblesse,  exerçait  sur  moi  son  pouvoir  tyrannique  ; 
enfin,  au  lieu  de  cet  amour  paisible  (pii  s'était  d'a- 
bord logé  dans  mes  yeux  et  que  j'hébergeais  inno- 
cemment, je  sentis  un  feu  violent  qui  m'enflammait 
le  sang  dans  les  veines  et  qui  dévorait  jus<ju'à  mes 
os.  Toutes  les  armes  que  ma  vertu  opposait  à  son 
ennemi  étaient  des  soupirs  et  des  larmes,  et,  comme 
d'intelligence  avec  l'amour,  ma  volonté  était  trop 
faible  pour  tenter  même  de  résister  à  ce  qu'il  plai- 


PIECES    DIVKHSKS 


r.iil  à  mmi  Ivran  (ronloimcr  de  la  innllu'iirousc 
Larlsse.  Au  reslc,  je  ne  puis  bien  cxpriiucr  quelle 
ctaitiua  situation,  eljc  ne  sais  (|uelnoTii  lui  donner. 
Eli!  connnenl  puis-je décider  si  c'est  volontairement 
ou  nialu^ré  soi  qu'on  subit  le  joui^  de  l'amour,  puis- 
(pie,  dans  mon  éîçarement,  en  me  plaic^nant  de  sa 
cruauté,  je  lui  adressais  en  même  temps  mes  vœux  ! 

«  Fatal  amour  (disais-je,  dans  ces  moments  où  ma 
raison  semblait  vouloir  reprendre  le  dessus),  funeste 
Iléau  des  mortels,  pour(|uoi  viens-tu  troubler  mon 
repos?  »  Puis,  à  l'iiislant  même,  chanu^eant  de  lan- 
t!fau,e  :  a  Doux  vainqueur  (disais-je  tout  de  suite), 
amour,  le  plus  puissant  des  dieux,  pardonne-moi 
mon  emportement,  mon  cœur  désavoue  les  plaintes 
injustes  que  ma  bouche  insensée  profère,  et  si  le 
trouble  de  mes  sens  permet  quelque  retour  à  ma 
raison,  Dieu  de  Paphos  et  d'Idalie,  j'adore  ton  pou- 
voir imprévu  ;  lais  que  mon  cher  Glison  réponde 
à  mes  feux,  et  toutes  les  offenses  que  j'ai  pu  com- 
mettre contre  toi,  je  vais  les  expier  en  faisant  cou- 
ler parmi  les  roses,  sur  tes  autels,  le  sanec  des  moi- 
lioaux  et  des  colombes.  »  ('ependant  ma  blessure 
inortelle  avait  abattu  mes  esprits  et  je  dépérissais  à 

le  d'œil.  Il  n'y  avait  plus  de  soulagement  pour 
moi  ni  dansla  nourriture  nidans  le  sommeil  et  nulle 
considération  ne  pouvait  alfrancbir  mon  âme  maî- 
trisée par  une  passion  furieuse,  et  asservie  à  un 
cliétif  esclave.  Glison  (c'est  le  nom  de  cet  aimable 


204  TnÉOPHILE 


enfant)  me  paraissait  plus  beau  de  jour  en  jour,  je 
trouvais  son  entretien  plus  agréable  et  je  découvrais 
à  chaque  instant  de  nouveaux  charmes  dans  ses  yeux 
qui  reprenaient  leur  vivacité.  En  effet,  aussitôt  que  le 
temps,  qui  guérit  tous  les  maux,  à  la  longue,  eut 
adouci  l'amertume  de  son  chagrin,  et  que,  par  l'habi- 
tude de  soufirir,  il  fut  endurci  à  la  douleur,  son 
visage,  ayant  repris  son  ancien  éclat,  fit  bientôt  bril- 
ler tant  d'agréments  et  de  beauté  qu'en  le  regardant 
on  se  rappelait  l'idée  de  cette  admirable  Vénus,  le 
chef-d'œuvre  du  pinceau  d'Apelles.  Hélas  !  tandis 
qu'il  se  faisait  un  changement  si  heureux  chez  Gli- 
son,  j'en  éprouvais  un  bien  triste  en  moi  :  le  feu 
secret  qui  me  minait,  consumait  de  plus  en  plus  mes 
forces,  et  autant  ce  garçon  si  charmant  s'embellis- 
sait encore  chaque  jour,  autant  je  voyais  s'altérer 
ma  figure,  (jui,  sans  vanité,  dans  ce  temps-là,  n'était 
point  tout  à  fait  à  rejeter.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus 
cruel  dans  les  maux  que  souffrent  les  amants,  à 
mesure  que  le  feu  qui  me  dévorait  se  fortifiait  dans 
mon  sein,  une  timidité  malheureuse  me  contraignait 
de  l'étouffer,  et  quoique  les  transports  d'une  passion 
qui  était  à  son  dernier  degré  fussent  devenus  trop 
violents  pour  pouvoir  être  retenus  davantage,  com- 
me j'étais  fort  jeune  et  fort  novice,  je  n'avais  point 
assez  de  hardiesse  pour  exposer  ma  chère  pudeur, 
par  une  déclaration  téméraire,  au  danger  d'essuyer 
un  refus.  Je  n'avais  donc  plus  de  salut  à  espérer. 


PIÈCES    DIVEnSËS  2o5 

puisque,  si'cliant  dj'jouron  jour,  il  sonil)I;iit  ([iic  mon 
Amp  niour.iute  se  ciTiisail  son  lonihoau  dans  nioii 
corps,  lorsque  mon  amant,  par  un  coup  du  deslin, 
m'ouvrit  lui-mènip,  sur  \c,  liord  do  ma  fosse,  l'uni- 
que voie  ([u'il  y  avait  pour  me  sauver.  Car  aussitôt 
qu'il  vit  sueconihor  à  son  tour  celte  inforlnnée  à 
laquelle  il  prétendait  avoir  de  si  jj^randes  ol)lii>ations, 
son  bon  cœur  ne  put  s'empèchcr  de  faire  éclater 
sa  tristesse;  il  ne  pouvait  retenir  ses  larmes,  et,  se 
souvenant  de  l'état  affreux  dans  lequel  il  s'était 
trouvé,  il  s'empressait  de  me  rendre  les  soins  dont 
ma  tendresse  l'avait  prévenu. 

«  Un  jour  (c'était  justement  un  vendredi,  jour  con- 
sacré à  Vénus)  ;  ce  jour  donc,  environ  sur  le  soir, 
nous  nous  mîmes  à  table  à  notre  ordinaire,  pour 
souper  ensemble  delà  desserte  de  notre  maître.  Gli- 
son,  parlaitement  guéri  du  dégoût  que  lui  causait 
son  cha£çrin,  mangeait  beaucoup  et  de  bon  appétit. 
Comme  j'avais  les  yeux  attachés  sur  lui  et  que  j'é- 
tais fort  affaiblie,  pour  avoir  été  trois  jours  entiers 
sans  prendre  aucune  nourriture,  il  m'excitait  de 
temps  en  temps  à  manger.  Toutes  les  attentions 
qu'il  avait  pour  moi  et  tout  ce  qu'il  me  disait  d'o- 
blisfeant  semblaient  justifier  mon  amour  et  nourris- 
saient ma  folle  passion,  en  me  remplissant  d'espé- 
rance. Ses  yeux  d'ailleurs  paraissaient  m'ètre  garants 
detoul  ce  que  j'augurais  de  sa  sensibilité.  Ainsi  ma 
fureur    amoureuse  fut  bientôt  allumée  à    un  j)oint 


206  THÉOPHILE 


qu'il  fallait  ou  périr  sans  oser  parler  ou  surmonter, 
au  hasard  d'un  refus,  ma  timidité  naturelle  et  ris- 
quer une  déclaration.  C'est  pourquoi,  dès  le  lende- 
main je  commençai  à  lui  faire  des  avances. 

«  Il  s'était  jeté,  pour  y  faire  la  méridienne,  sur 
mon  lit  de  repos  ;  je  l'y  surpris  et  là,  débutant  par 
un  torrent  de  larmes  :  «  Mon  cher  Glison,  lui  dis- 
je,  il  me  faut  tes  baisers,  ou  je  n'ai  qu'à  mourir.  Je 
t'en  conjure  par  tes  beaux  yeux  et  par  tes  genoux 
que  j'embrasse,  aie  pitié  d'une  malheureuse  qui 
meurt  d'amour  pour  toi.  »  Je  vis  aussitôt  sur  le 
visage  de  mon  amant  briller  une  joie  et  une  viva- 
cité qui  furent  le  gage  de  mon  bonheur,  et  il  se  rendit 
à  mes  premières  instances.  Que  vous  dirais-je  de 
plus  ?  Il  m'entraîna  sans  résistance  sur  le  lit,  encore 
toute  troublée  de  la  démarche  que  je  venais  de  faire, 
et,  me  tenant  étroitement  embrassée,  après  m'avoir 
fait  entre  ses  bras  expirer  plus  d'une  fois  de  plai- 
sir, il  me  ranima  par  de  longs  baisers.  0  jour 
de  volupté,  ô  jour  que  je  n'oublierai  jamais  !  Nous . 
goûtâmes  librement  dans  la  suite  les  douceurs  secrè 
tes  d'une  tendre  union.  Tandis  que  l'âge  le  permet,  T 
jeunes  gens,  jouissez,  comme  moi,  de  la  vie,  et  que 
tous  les  jours  de  votre  printemps,  filés  parles  mains 
des  amours,  vous  préparent  un  agréable  automne, 
afin  qu'un  délicieux  souvenir,  vous  retraçant  les 
plaisirs  passés,  vous  aide  à  supporter  le  poids  de 
l'ennuyeuse  et  triste  vieillesse.  « 

i 


i 


APPENDICE 


BIOGRAPHIE 


^  I. 


Vie  de  Théophile 


Tlu'ophilc  de  Vian  naquit  en  i5f)0,  à  CkTac,  dans  l'A- 
gcnais,  et  il  semble  avoir  été  élevé  à  Boussères-Saintc- 
Radcçondc,  où  son  père,  ancien  avocat  au  Parlement  de 
Bordeaux,  possédait  un  petit  château.  Sa  famille  était 
huç^uenote.  Cependant  on  croit  qu'avant  d'aller  faire  sa 
philosophie  àSaumur,où  les  prolestants  avaient  uneacadé- 
mie,  il  fréquenta  le  collège  de  la  Flèche,  que  diric;eaient 
les  Jésuites.  Son  incrédulité,  excitée  peut-être  par  cette 
éducation  contradictoire,  fut  précoce.  Ouand  il  abjura, 
vers  iGaijCe  fut  par  politique.  Théophile  vécut  et  mou- 


208 


THEOPHILE 


rut  en  libertin,  selon  tous  les  sens  que  l'on  peut  donner 
à  ce  mot. 

En  1610,  il  vint  à  Paris.  Un  de  ses  portraits  le  mon- 
tre avec  «  une  figure  osseuse,  labourée  en  tous  sens,  le 
front  protubérant,  l'œil  mal  fendu,  mais  plein  de  feu,  les 
moustaches  retroussées  en  l'air,  la  lèvre  inférieure 
bouffie  et  dédaigneusement  saillante  (i)  ».  Tout  autre 
apparaît-il  dans  l'effigie  que  Mairet  fit  graver  en  tête  de 
ses  Nouvelles  Œuvres  (2).  Peu  importe.  Il  sut  plaire  et 
se  faire  beaucoup  d'amis,  en  même  temps  que  ses  vers 
commençaient  sa  réputation,  qui  fut  fort  grande, qui  fut, 
pendant  quelques  années,  immense. 

«  Balzac  et  lui  se  lient  d'amitié,  dit  Paul  Olivier  (3), 
font  ensemble  un  voyage  en  Hollande,  en  161 2,  au  beau 
milieu  duquel,  on  ne  sait  pourquoi,  ils  se  brouillent  ;  du 
reste  l'épistolier  se  montra  peu  généreux  envers  son  ami, 
puisqu'il  l'attaqua,  au  moment  même  qu'il  était  détenu  à 
la  Conciergerie,  et  sous  le  coup  d'une  accusation  capitale. 
De  retour  à  Paris,  il  trouva  un  protecteur,  Henri  II,  duc 
de  Montmorency  (celui  qui  devait  être  décapité  en  1032), 
et  composa  des  vers  de  ballets,  des  mascarades,  des  im- 
promptus, avec  une  facilité  qui  était  passée  en  proverbe, 
mais  lui  fit  quand  même  beaucoup  d'honneur.C'est  alors, 
dit- il,  qu'il  se  plongea  dans  le  vice  ouvert  favorablement 
à  ses  jeunes  fantaisies  ;  la  débauche  des  femmes  et  du  vin 
'.(  l'empiéta*  »  ;  en  tout  cas  il  n'en  fit  ni  plus  ni  moins  que 
les  autres;  seulement  il  était  calviniste,  un  peu  trop  frarit 

(1)  Tli.  Gautier. 

(2)  C'est  celui  que  nous  reproduisons,  d'après  le  tirage  de  \M^. 

(3)  Paul  Olivier,  Cent  Poètes  lyriques  du  XVII'  siècle.  —Nous 
corrigeons,  dans  cette  citation,  quelques  inexactitudes. 


AI'PICNDICE  20g 

d'allure  et  d'opinions.  Une  pièce  de  vers  libertins  lui  va- 
lut lin  ordre  du  roi  d'avoir  à  sortir  du  royaume  le  plus 
prouipleuienl  possible,  arrèl  (jue  lui  sivjniHa,  au  mois  de 
mai  i6uj,  le  chevalier  du  t^uel.  11  vint  à  Londres,  essaya 
mais  en  vain  d'émouvoir  la  bicnveillaucc  du  roi  Jacques, 
et  se  plaignit  bientôt  amèrement  de  ne  respirer  plus  «  le 
»loux  air  de  la  cour  »;  on  lui  accorda  sa  grâce,  et,  en 
iGai,  ne  se  possédant  plus  de  joie,  il  rentrait  à  Paris.  A 
jjartir  de  ce  moment,  hélas  !  son  étoile  allait  faire  rage, 
il  sans  répit,  jusqu'à  sa  mort.  Au  détour  d'une  rue,  ils 
se  croisent,  lui  et  un  ami,  ave»:  un  prêtre  qui  portait  le 
bon  Dieu  à  un  malade  ;  Théophile  se  découvre  et  s'in- 
cline, mais  l'ami,  imprudent,  persiste  à  vouloir  passer  léte 
haute  :  un  homme  du  peuple  se  précipite,  lui  jette  son 
chapeau  dans  la  boue  et  se  met  à  crier  à  lue-téle:  «  Cal- 
vinisle!  »  ce  (jui  ameute  la  foule.  Théophile  eut  beau  se 
convertir  :  ou  lui  mit  tout  sur  le  dos,  et  on  invoqua  ce 
l'ait  plus  tard  parmi  d'autres  griefs.  En  1623,  paraît  le 
Parnasse  salijrique  sous  le  nom  de  Théophile.  Il  eut 
beau  désavouer  l'ouvrage,  le  faire  saisir,  poursuivre  les 
imprimeurs  et  même  gagner  son  procès  :  les  pères 
N'oisin,  Garasse,  fiuérin,  Renaud,  l'attaquent,  obtien- 
nent une  prise  de  corps  ;  une  action  criminelle  est  ou- 
verte; Théophile  n'a  plus  qu'à  fuir,  cl  c'est  ce  qu'il  fait, 
lentement,  espérant  toujours  accommoder  l'affaire.  Mais 
il  est  décrété  en  Parlement,  déclaré  coupable  de  lèse- 
majcstc  divine,  condamné  de  ce  fait  à  venir,  pieds  nus, 
la  corde  au  cou,  au  Parvis  Notre-Dame,  faire  amende 
honorable,  ensuite  de  quoi  il  sera  brûlé  vif  en  place  de 
Grève.  L'arrêt  fut  exécute  en  effigie  le  19  août  1G23. 
«  Le   poète  était  à  Chantilly,  chez   le  duc  de  Montmo- 

.'4 


210  TIIKOPHILE 

rency.  Par  une  délicatesse  exquise,  ne  voulant  pas  que 
son  protecteur  fût  inquiété,  il  s'enfuit,  changeant  tous  les 
jours  de  retraite,  mais,  arrêté  au  Catelet,  en  Picardie,  le 
38  septembre,  il  est  ramené  de  brigade  en  brigade,  Dieu 
sait  avec  quelles  brutalités  !  transporté  à  la  Conciergerie 
dans  le  cachot  même  où  avait  langui  Ravaillac.  La  situa- 
tion était  navrante;  la  sentence  du  Parlement  pouvait 
être  appliquée  le  jour  même,  stricte  :  de  plus,  un  in- 
quarto  venait  de  paraître,  du  Père  Garasse  :  «  la  Doc- 
trine curieuse  des  beaux  esprits  du  temps,  contenant 
plusieurs  maximes  pernicieuses  à  l'Etat  et  aux  bonnes 
mœurs  »  —  in-quarto  bourré  d'injures  à  l'adresse  de 
Théophile,  «  poetastre  A'ilain,  pouacre,  écornifleur,  yvron- 
gne,  de  Veau  plutôt  que  de  Viau,  —  que  dis-je  un  veau? 
d'un  veau  la  chair  en  est  bonne  bouillie,  rostie,  de  sa 
peau  on  couvre  les  livres,  mais  la  tienne,  meschant,  n'est 
bonne  qu'à  estre  grillée;  aussi  le  seras-tu  demain...  » 
Ah  I  il  s'en  fallut  de  peu  que  la  prédiction  ne  se  réalisât; 
cependant,  sur  une  apologie,  très  franche,  très  honnête 
et  très  loyale  que  le  poète  adressa  au  roi,  le  procès  fut 
révisé  :  cela  demanda  deux  ans  —  deux  ans  d'incroya- 
bles souffrances,  au  bout  desquels  la  peine  fut  commuée 
en  un  simple  bannissement  à  perpétuité  avec  confiscation 
des  biens.  » 

Théophile  se  retira  à  Chantilly,  où  il  avait  trouvé  l'hos- 
pitalité, mais  M.  de  Gaillon  (i)  a  prouvé  qu'il  n'y  fit  qu'un 
séjour  assez  bref,  puisqu'on  le  retrouve,  dans  Tété  de 
i6aG,  au  château  de  Selles,  en  Berry,  chez  le  comte  de 
Béthune.  C'est  de  là  qu'il  revint  mourir  à  Paris,  à  l'hu- 
it) Le  Poète  Théophile,  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile,  aoùt- 
seplembre  1855. 


APPKNOICB 


lel  de  Monlmorcncy.lc  a5  septembre  iGaG.îlt^c  de  trente- 
six  ans.  Il  fut,  dit  Goiijpt  (i),  cnlcrrë  dans  le  cimclièrc 
de  Sainl-Nicolas-des-Ciiamps. 

^2.  —  Anecdotes 

«  Théophile  avait  une  grande  facilité  à  composer  des 
vers;  il  en  faisait  même  dans  le  moment  sur  le  sujet 
qu'on  lui  proposait.  Tels  sont  ceux  qu'il  fil  au  Louvre, 
devant  Henri  IV,  sur  une  petite  figure  éipirslre  en  bronze 
de  ce  monaniue,  qu'on  venait  d'apporter.  Le  poète, presse 
de  dire  son  sentiment,  passa  doucement  la  main  sur  la 
croupe  du  cheval,  en  disant  : 

Petit  cheval,  joli  cheval, 

Doux  au  montoir,  doux  au  descendre, 

Bien  plus  pelil  que  Buc(5phal, 

lu  portes  plus  grand  ((u'Alexandre. 

(GoDJET,  Blbl.  fr.,  XIV.) 

t  Malherbe  écrivait  à  Racan,  le  4  novembre  1628  : 
•  Pour  moi,  je  pense  vous  avoir  déjà  écrit  que  je  ne  le 
(Théophile)  tiens  coupable  de  rien  que  de  n'avoir  rien 
fait  qui  vaille  au  métier  dont  il  se  mesloit.  »  Quoique 
.Alalherbe  n'estimât  pas  les  vers  de  Théophile,  Théo- 
phile ne  laissait  pas  d'estimer  ceux  de  Malherbe  : 

.Malherbe  a  très  bien  fait,  mais  il  a  fait  pour  lui. 

J'niiiie  sa  renommée  cl  non  pas  sa  le<;on. 
Théophile  se  moquait  néanmoins  de  ces   vers  de  Mal- 
Ci)  Bibliothèque  fvançaUe,  lomc  .\1V. 


2  12  TIIICOPIIILE 

herbe,  Cette  Anne  si  belle,  et,  pour  les  tourner  en  ridicule, 
il  en  avait  ainsi  parodié  le  premier  couplet  : 

Ce  l;rave  Malherbe 
Qu'on  lient  si  parfait. 
Donnons-lui  de  l'herbe. 
Car  il  a  bien  fait.    » 

(MÉNAGE,  Anti-Baillet.) 

Le  jésuite  Voisin,  un  des  ennemis  les  plus  acharnés 
de  Théophile,  fut  exilé  en  1626  et  dut  partir  pour  Kome, 
accompagné  d'un  M.  Machaud  ou  Machault.  Or,  raconte 
le  père  Garasse  : 

«  Les  principaux  amis  de  Théophile  Viau,  qui  sont 
Vallaux  (ou  Vallot),  Desbarreaux,  Saint-Remy,  les  allè- 
rent surprendre  sur  le  chemin  de  Dijon,  sous  prétexte 
d'un  voyage  vers  la  Limagne  d'Auvergne.  Ils  l'atten- 
daient dans  un  logis  sur  le  grand  chemin  auquel  il  de- 
vait nécessairement  passer,  et,  le  Père  étant  arrivé,  ils 
lui  firent  mille  caresses  d'abord,  et  des  protestations 
étranges  d'une  amitié  sincère,  et,  sur  leur  départ,  lui 
persuadèrent  par  leurs  cajoleries  d'entrer  dans  leur  car- 
rosse, donnant  son  cheval  et  celui  de  M.  Machaud,  son 
compagnon,  à  deux  laquais  pour  les  mener  doucement  ; 
auxquels  néanmoins  ils  avaient  donné  le  mot  de  courir 
devant  à  toute  bride.  Quand  ils  tinrent  le  Père  dans  le 
carrosse,  ils  lui  firent  mille  indignités,  jusques  à  le 
souffleter  et  lui  tirer  la  barbe,  et  lui  donnèrent  des 
coups  d'éperons  dans  le  ventre  :  ce  qu'il  endura  patiem- 
ment, sans  leur  répondre  une  seule  parole.  M.  Machaud, 
néanmoins,  leur  donna  une  verte  réprimande,  et,  levant 
la  portière,  s'élança  du  carrosse,  et  fît  si  bien  qu'il  tira 


APPENDICE  aiiJ 

le  père  île  Jours  mains,  parrc  que  le  carrossier  mrrne 
clail  honteux  des  indigiiiti's  que  l'ou  comuiotlait  eu  sa 
pcrs(inn<'.  Après  tous  ces  outrages,  ils  furent  contraints 
tic  courir  à  pied  plus  d'une  lieue,  pour  avoir  leurs  che- 
vaux et  leurs  hardes.  » 

(L.  P.  Garasse,  Mémoires  publiés  par  Cl). 
Nisard,   18G1.) 

«  La  maladie  de  Théophile  fut  longue.  J'apprends  de 
Clioricr,  dans  la  Vie  de  Pierre  de  Boissat,  part.  I,  p.  30, 
que  Théophile  étant  au  lit  de  mort,  et  recevant  visite  de 
son  ami  Boissat,  témoigna  une  extrême  envie  de  manger 
des  anchoix.  Celui-ci,  qui  croyait  ce  mets  fort  conlraire 
à  un  malade,  le  lui  refusa,  et  depuis  s'en  repentit, disant, 
quand  l'occasion  se  présentait  d'en  parler,  que  ces  an- 
choix  auraient  peut-être  sauvé  la  vie  à  son  ami,  la  nature 
souhaitant  (juelqucfois  des  choses  qui,  toutes  malsaines 
qu'elles  paraissent,  lui  seraient  très  salutaires,  par  la  dis- 
position particulière  où  elle  se  trouve.   » 

(MÉNAGE,  Anti-Baillet.) 

«  Il  (Théophile)  mourut  comme  une  béte  le  premier 
(le  20)  septembre  iGaG,  dans  l'iiùtel  de  Montmorency, 
après  avoir  traduit  en  risée  les  exhortations  qu'on  lui 
faisait  pour  l'amendement  de  sa  vie.  Car  telles  furent  les 
paroles  que  m'en  écrivit  M.  de  Saint-Nicolas  (le  curé  de 
la  paroisse),  du  20  septembre  iGaG  :  Theophilus,iit  vLvit, 
ila  inortuus  est.  sine  sensu  religionis  et  pielalis.  » 

(Gau.\.sse,  Méni.) 


21  C\  TIIKOPIHLE 


§  3,  —  Nécrologie 

«  Théophile  mourut  le  35  septembre,  après  avoir  été 
exilé  par  plusieurs  fois,  étroitement  emprisonné,  et 
.avoir  employé  si  longtemps  le  premier  Parlement  de 
France  à  sa  condamnation.  Enfin,  il  mourut  d'une  fièvre 
tierce,  qui  commença  de  le  tourmenter  quelque  temps 
après  son  élargissement.  Sa  mort  enfanta  encore  autant 
d'écrits,  les  uns  pour,  et  les  autres  contre  lui,  comme 
l'on  avoit  fait  durant  sa  prison.  Le  discours  remarqualjle 
qui  se  fit  sur  sa  vie  et  mort  dit  que  le  grand  amas  de 
mélancolie  qui  s'estoit  fait  en  lui  pendant  sa  prison 
avoit  conçu  un  ardeur  (se  voyant  élargi)  qui  lui  causa 
cette  fièvre  tierce,  qui  eût  été  peu  de  chose  si  l'on  y 
eût  apporté  les  remèdes  et  que  l'on  eût  suivi  le  chemin 
ordinaire  de  la  médecine  frayé  par  Hippocrate,  qui  estoit 
le  plus  sûr,  de  même  qu'il  estoit  le  premier  de  cet  art; 
mais  le  malheur  voulut  qu'un  chimiste  eut  le  premier  le 
soin  de  Théophile  en  cette  maladie,  lequel  lui  donna 
d'une  poudre  pour  lui  faire  perdre  cette  fièvre  tierce,  la- 
quelle se  tourna  en  quarte  et  se  communiqua  après  au 
cerveau,  ce  qui  contraignit  Théophile  de  se  mettre  au 
lit,  où,  après  avoir  été  trois  semaines,  la  parole  enfin 
lui  cessa,  ses  yeux  appesantis  ne  purent  plus  vaquer 
à  leur  fonction  ordinaire,  et  ses  oreilles  se  fermèrent. 
Après  cela,  lui  étant  sorti  quelques  larmes  des  yeux,  la 
violence  -àa  mal  le  contraignit  de  payer  le  tribut  à  la  na- 
ture. Voilà    le  dernier  état  de  Théophile  et  la  fin  de  ses 

jours.  » 

(Mercure  français,  t.  XII,  1626.) 


I 


APPENDICE 


II 

JUGEMENTS   LITTÉUAIH ES 


«  Je  ne  sa'jrois  approuver  celte  làclie  espèce  d'hom- 
mes qui  mesurent  la  durée  de  leur  affection  à  celle  de  la 
félicité  de  leurs  amis  ;  et  pour  moi,  bien  loin  d'être 
d'une  humeur  si  basse,  je  me  pique  d'aimer  jusques  en 
la  prison  et  dans  le  sépulcre.  J'en  ai  rendu  des  tcmoi» 
j;;Dagcs  publics  durant  la  plus  chaude  persécution  de  ce 
grand  et  divin  Théophile,  et  j'ai  fait  voir  que,  parmi 
l'intidélité  du  siècle  où  nous  sommes,  il  se  trouve  encore 
des  amitiés  assez  généreuses  pour  mépriser  tout  ce  que 
les  autres  craignent;  mais,  puisque  sa  mort  m'a  ravi  le 
moyen  de  le  servir,  je  veux  donner  à  sa  mémoire  les 
soin»  que  j'avois  destinés  à  sa  personne,  et  faire  voir 
à  la  postérité  que,  pourvu  que  l'ignorance  des  imprimeurs 
ne  mette  point  de  faute  à  des  ouvrages  qui  d'eux-mêmes 
n'en  ont  pas  une,  elle  ne  sauroit  rien  avoir  qui  puisse 
égaler  ce  qu'ils  valent.  Or,  de  ce  grand  nombre  d'im- 
pressions qu'on  u  fait  par  toute  la  France  de  ces  excel- 
lentes pièces,  je  n'en  ai  point  remarqué  qui  ne  doive 
faire  rougir  ceux  qui  s'en  sont  voulu  mêler,  et,  certes,  je 
commençois  à  désespérer  de  les  voir  jamais  dans  leur 
pureté  naturelle,  lorsqu'un  imprimeur  de  cette  ville,  plus 
désireux  d'acquérir  de  Ihoniieur  que  du  bien,  sans  consi- 


2l6  THÉOPHILE 

dérer  le  temps,  la  peine  et  la  dépense,  s'est  ofl'ert  d'y 
apporter  tout  ce  que  peut  un  homme  de  sa  profession. 
J'ai  pris  cette  occasion  au  poil,  et,  me  servant  des  ma- 
nuscrits que  la  bienveillance  de  cet  incomparable  au- 
teur a  mis  jadis  entre  mes  mains,  j'en  ai  corrigé  ses 
épreuves  si  exactement  que  quiconque  achètera  ce  digne 
livre  sans  doute  sera  contraint  d'avouer  que  c'est  la 
première  fois  qu'il  a  bien  lu  Théophile.  De  sorte  que  je 
ne  fais  pas  difficulté  de  publier  hautement  que  tous  les 
morts  ni  tous  les  vivants  n'ont  rien  qui  puisse  approcher 
des  forces  de  ce  vigoureux  génie  ;  et  si,  parmi  les  der- 
niers, il  se  rencontre  quelque  extravagant  qui  juge  que 
j'otïense  sa  gloire  imaginaire,  pour  lui  montrer  que  je  le 
crains  autant  comme  je   l'estime,  je  veux  qu'il    sache  que 

je  m'appelle 

De  ScunERY  (i).  » 


«  J'ai  lu  ;Malherbe  et  Théophile  ;  ils  ont  tous  deux 
connu  la  nature,  avec  cette  différence  que  le  premier, 
d'un  style  plein  et  uniforme,  montre  tout  à  la  fois  ce 
qu'elle  a  de  plus  beau  et  de  plus  noble,  de  plus  naïf  et  de 
plus  simple;  il  en  fait  la  peinture  ou  l'histoire. 

«L'autre,  sans  choix,  sans  exactitude,  dune  plume  li- 
bre et  inégale,  tantôt  charge  ses  descriptions,  s'appesan- 
tit sur  les  détails;  il  fait  une  anatomie;  tantôt,  il  feint,  il 
exagère,  il  passe   le  vrai  dans  la  nature;  il  en  fait  le 

roman.  » 

(La  Bruyère.  Des  ouvrages  de  l esprit.) 

(1)  Préface  de  l'édition  de  1032  et  de  toutes  les  suivantes. 


APPENDICE  217 


§  3 

«  Oiioi(]iic  dès  infériinir  à  Malherbe,  il  est  certain 
qu'il  n'est  |)as  l'ionnanl  qu'il  ail  ébloui  quelques  person- 
nes de  son  tcm|)s,  et  qu'il  se  soit  trouvé  alors  dans 
Paris,  comincle  dit  M.  Desprcaux, 

...  des  sols  (le  qimlité 
Pour  juger  'le  travers  avec  inipunité, 
A  Malherbe,  à  Hneau  préférer  Théophile,  etc. 

o  On  pnuvoit  ne  pas  s'apercevoir  aussi  facilement  alors 
qu'aujourd'hui  qu'il  y  a  beaucoup  d'irrcjîularit(''  et  de  iié- 
f;liçcnce  dans  ses  vers;  que  ce  poète  s'est  plus  pi([ué  d'es- 
prit que  de  justesse:  qu'il  a  plus  donné  à  l'imagination 
qu'au  jugement. 

«  Mais  on  pouvoit  l'excuser  aussi  en  faveur  même  de  son 
imagination,  qu'il  avoit  belle  et  grande,  et  de  son  heu- 
reux génie  ;  et  croire  que  si  la  mort  ne  l'avoit  pas  sur- 
pris à  l'âge  de  trente-six  ans,  et  s'il  eût  eu  une  vie  moins 
orageuse,  il  auroit  donné  dans  un  âge  plus  avancé,  et 
dans  une  situation  plus  tranquille,  des  ouvrages  plus  par- 
faits et  plus  exacts.  » 

(Goujet,  Uibliolhùque  française,  tome  XIV.) 

a  Cette  fois,  c'est  d'un  véritable  grand  poète  que  nous 
allons  parler.  —  Il  est  mort  jeune  ;  il  a  été  persécuté 
toute  sa  vie  et  méconnu  après  sa  mort.  On  voit  que  sa 
destinée  de  malheur  a  été  complète  :  aussi  dit-il  lui-même 
qu'il  fallait  qu'il  ftit  né  sous  une  étoile  enragée. 


THEOPHILE 


«  Il  serait  complètement  oublié  sans  les  deux  ridicules 
vers  de  Nicolas  Boileau  dans  l'Art  poétique  : 

A  Malherbe,  à  Racan  préférer  Théophile, 

Et  le  clinquant  du  Tasse  à  tout  l'or  de  Virgile, 

et  sans  une  mauvaise  pointe  tirée  de  sa  tragédie  do 
Pyrame  et  Thisbê  : 

Le  voilà,  ce  poignard  qui,  du  sang  de  son  maître, 
S'est  souillé  lâchement;  —  il  en  rougit,  le  traître, 

que  l'on  cite  dans  tous  les  traités  de  rhétorique  comme 
un  monstrueux  exemple  de  faux  goût,  ce  qui  ne  l'empê- 
che pas  d'être  un  poète  dans  le  sens  le  plus  étendu  du 
mot,  et  d'avoir  fait  un  des  vers  les  plus  vantés  de  l'abbé 
Delille  : 

11  n'oyt  *  que  le  silence,  il  ne  voit  rien  que  l'ombre, 

et  beaucoup  d'autres  dont  de  plus  heureux  ont  profité, 
entre  autres  le  même  Nicolas  Boileau  qui  parle  de  lui 
d'un  ton  si  dédaigneux.  —  Il  est  vrai  qu'il  le  met  en  com- 
pagnie du  Tasse,  et  que  c'est  un  affront  que  l'on  pourrait 
envier... 

i(  11  est  difficile  d'avoir  un  plus  heureux  tempérament 
poétique  que  Théophile.  —  Il  a  de  la  passion  non  seule- 
ment pour  les  hommes  de  vertu,  pour  les  belles  femmes, 
mais  aussi  pour  toutes  les  belles  choses;  il  aime  un  beau 
jour,  des  fontaines  claires,  l'aspect  des  montagnes,  l'é- 
tendue d'une  grande  plaine,  de  belles  forêts,  l'océan,  ses 
vagues,  son  calme,  ses  rivages;  il  aime  encore  tout  ce 
qui  touche  plus  particulièrement  les  sens,  la  musique,  les 
fleurs,  les  beaux  habits,  la  chasse,   les   beaux  chevaux. 


■■'■  '  9 


les  bonnes  odeurs,  la  bonne  chère;  c'est  une  Amcfacileel 
pleine  de  sympathies,  prèle  à  se  passionner  à  propos  de 
tout  cl  de  rien,  un  vrai  cristal  à  mille  facéties,  rélléchis- 
Eunt  dans  chacune  de  ses  uuamcs  un  tableau  différent, 
avivé  et  nuancé  de  tous  les  feux  de  l'iris,  et  je  ne  sais 
vraiment  pour(juoi  son  nom  est  si  totalement  oublié, 
tandis  que  celui  de  Malherbe,  l'éplucheiu'  juré  de  diph- 
thoni;ues,  est  partout  cité  avec  honneur.  Riais,  comme  je 
l'ai  dit,  Théophile  était  né  sous  une  étoile  enragée,  et  de 
tout  temps  les  hommes  de  prudence  l'ont  emporté  sur 
les  hommes  d'audace  :  c'est  ce  (jui  explique  comment  le 
grammairien  Malherbe  a  éclipsé  Théophile  le  poète... 

«  Théophile  a  fait  à  Chantilly  trois  ou  quatre  pièces  de 
vers  oii  fourmillent,  parmi  un  grand  nombre  de  beautés, 
un  aussi  grand  nombre  de  fautes  de  goût.  Ces  pièces 
sont  malheureusement  trop  longues  pour  les  rapporter 
ici.  Elles  sont  semi-mythologiques,  semi-descriptives  et 
marquées  du  sceau  le  plus  original  et  le  plus  étrange.  Je 
ne  sais  si  vous  avez  vu  djins  quelque  galerie  un  de  ces 
tableaux,  où  l'Albanc  jette,  sur  un  fond  si  vert  qu'il  en  est 
noir,  un  essaim  de  petits  amours  bien  blancs,  avec  de 
toutes  petites  ailes  bien  roses  :  ou  bien,  avcz-vous  vu  au 
Musée  la  délicieuse  aquarelle  de  Dccamps  représentant 
des  baigneuses?  Si  vous  avez  vu  l'un  ou  l'autre,  ou  tous 
les  deux,  vous  pouvez  vous  former  une  idée  de  ce  que 
sont  les  charmantes  stances  de  Théophile  ;  ce  sont  de 
grands  arbres,  vieux  chênes  séculaires  dont  le  front  .s'ar- 
rondit en  panache  d'un  vert  foncé,  se  détachent  sur  un 
ciel  d'outremer,  pommelé  çà  et  là  de  nuages  blonds  et  flo- 
conneux. Ce  sont  des  terrasses  de  brique  avec  des  angles 
de  pierre,  de  grandes  fleurs  épanouies  dans  des  vases  de 


220  THKOPIIILE 

marbre,  des  rampes  à  pente  douce  et  à  balustres  ventrus. 
C'est  un  parc  Louis  XIII  dans  toute  sa  magnificence.  On 
voit  à  travers  les  arbres  et  derrière  les  charmilles  courir 
des  daims  privés  et  blancs  comme  la  neige;  des  perdrix, 
des  faisans  de  la  Chine  se  promènent  familièrement  dans 
les  allées  avec  toute  leur  couvée;  des  ruisseaux  coulent 
en  babillant  sous  des   arcades    de    feuillage,  et  se  vont 
rendre  à  l'étang  et  aux  viviers,  où  nagent  indolemment, 
dans  une  eau  diamantée,  quelques  cygnes,  le  col  replié, 
les  ailes  ouvertes.    Pour  personnage,    sur  le  devant,  une 
belle  jeune  femme,  assise  sur  l'herbe  haute  et  drue  de  la 
rive,  pèche  à  la  ligne  les  beaux  poissons  bleus  et  rouges 
des    réservoirs.   Dans    le   fond   des    vallées,    de    petits 
amours  rebondis,  blancs  et  potelés  qui  se  jouent  ensem- 
ble, et  puis  un  groupe  de  ces  belles  nymphes  allégoriques 
comme  on  les  peignait  de   ce   temps,  un  peu   cousines 
de  celles  de  Rubens,  plus  femmes  que  déesses,  avec  des 
mamelles  saillantes,  les    hanches  larges   et  ondoyantes, 
les  bras  gras  et  ronds,  les  mains  et  les  joues  toutes  plei- 
nes de  fossettes,  la  chevelure  blonde  et  flottant  en  arrière 
comme  un  manteau  d'or,  l'œil  limpide  et  bleu,  la  bouche 
souriante   et  rouge   comme  un   pavot,    le  dos  et  l'épaule    t 
d'une  blancheur  de  lis  et  d'un  poli  d'agate,  qui  reluisent    - 
sous  l'eau  verte  comme  autant  de  statues  d'ivoire  submer- 
gées. Cette  onde  est  si  claire  et  si  fraîche  dans  son  cadre 
de  verdure  que  les  étoiles,   la   nuit,    descendent  du  ciel     • 
pour  s'y  baigner  toutes  nues.  Ce  val  est  si  solitaire  et  si 
discret  que  Diane,  la  chaste,  ne  craint  pas  d'y  amener  son 
Endymion  et  de  l'y  baiser  au  front  avec  ses  lèvres  d'ar- 
gent. C'est  un   paradis  à  dégoûter  du  paradis  terrestre. 
C'est  un  de  ces  beaux  rêves  que  les  poètes  et  les  peintres 


( 


AfrUNDICE  2«I 

f'onl  le  soir  (luand  ils  rc^ardcnl  le  soleil  se  coucIict  der- 
rière les  u:raii(ls  nuirrounicrs,  el  comme  j'en  ai  (ail  bien 
stiuvcnt  à  ma  l'enôtre  en  rei;'ardant  les  pavillonsde  brigue 
el  les  toits  d'ardoise  de  ma  place  lloyale,  au  bruit  de 
l'eau  dans  les  bassins  el  du  venl  dans  les  arbres. 

<<  (Juanl  à  la  place  que  Tla-ophile  doit  tenir  parmi  les 
poètes  de  son  temps,  clic  est  dit'ticile  à  manjucr.  11  est 
mort  1res  jeune  et  n'a  pas  eu  le  temps  de  réaliser  ses 
idées,  ou  du  moins  il  n'a  pu  le  faire  que  d'une  manière 
iii(Om]>lèle;  mais  tel  qu'il  est,  il  nous  semble,  Régnier 
étant  mort  et  Corneille  n'étant  pas  encore  venu,  le  poclc 
le  plus  remaripiabic  de  celte  période;  il  vaut  mieux  que 
Hardy  el  que  Porchère,  que  Bois-Roberl,  Maynard,  Gom- 
baud,  et  tous  les  beaux  esprits  du  temps  qui  ont,  du  reste, 
pins  de  mérite  que  l'on  n'a  l'air  de  le  croire.  Saint-Amant 
est  le  seul,  à  noire  avis,  qui  le  puisse  balancer  avec  avan- 
tai^e;  mais  aussi  Saint-Amant  est-il  un  grand  poète, 
d'un  magnifique  mauvais  goût,  el  d'une  verve  chaude  et 
luxuriante  qui  cache  beaucoup  de  diamants  dans  son 
fumier,  mais  il  n'a  pas  l'élévation  et  la  mélancolie 
de  Théophile,  ce  qu'il  rachète  par  un  grotesque  et 
un  entrain  dont  Théophile  n'est  pas  doué.  —  L'un  fait 
de  la  poésie  d'homme  gras,  l'autre  de  la  poésie 
d'homme  maigre,  voilà  la  ditVércnce.  Pour  Malherbe  et 
Racan,  quoiqu'ils  soient  plus  irréprochables,  ils  lui  sont 
assurément  inférieurs,  el  j'ai  toujours  élé  étonné  du  dis- 
crédit et  de  l'oubli  où  ce  nom  recommandable  à  tant  d'é- 
gards est  tombé  depuis  si  longtemps.  Maintenant  ([ue  les 
réformes  qu'il  voulait  introduire  sont  acceptées  de  tout  le 
monde,  peut-être  n'y  Irouvera-l-on  rien  (jue  de  fort  sim- 
ple et  de  fort  naturel  ;  mais  il  faut  se  reporter  au  temps  ; 


222  TIIieOPIIILE 

et  par  ce  qui  arrive  dans  la  suite,  on  verra  combien 
Théophile  était  un  esprit  progressif  et  en  avant  de  son 
siècle;  mais  toutes  les  vérités  ont  toujours  quelque  pau- 
vre saint  Jean  précurseur  qui  marche  hors  de  la  voie, 
prêche  dans  le  désert  et  meurt  à  la  peine.  —  Théophile 
a  été  un  de  ceux-là  ;  et  s'il  revenait  au  monde  maintenant, 
nul  doule  qu'il  ne  fût  une  des  plus  lumineuses  étoiles  de 
la  nouvelle  pléiade.  » 

(Théophile  Gautier,   les  Grotesques.) 


§  5 

«  ...  Thisbé,  si  moquée,  la  Thisbé  de  Théophile,  avec 
quelle  grâce  délicieuse  elle  raconte  à  Bersiane  sa  peur  du 
bruil,  de  la  vie  extérieure  du  mouvement  des  choses! 

THISBÉ 

Sais-tu  pas  bien  que  j'aime  à  rêver,  h.  me  taire, 
Et  que  mon  naturel  est  un  peu  solitaire, 
Que  je  cherche  souvent  h  m'oter  hors  du  bruit  ? 
Alors,  pour  dire  vrai,  je  hais  bien  qui  me  suit. 
Quelquefois  mon  chagrin  trouverait  importun. 
La  conversation  de  la  bonne  Fortune, 
La  visite  d'un  dieu  me  désobligerait, 
Un  rayon  de  soleil  parfois  me  fâcherait. 

Et  que  les  professeurs  ne  viennent  pas  nous  dire  que  le 
sentiment  de  la  nature  était  inconnu  au  xvii*  siècle, 
quand  on  trouve  encore  dans  ce  même  Théophile  des 
vers  tels  : 

Les  roses  des  rosiers,  les  ombres,  les  ruisseaux, 
Le  murmure  des  vents  et  le  bruit  des  oiseaux... 


ArPENDU'.r. 


ou  tels  : 

Clia(|uo  saison  donne  ses  fruits, 
I.'Aiiti>nino  nous  donne  ses  pommes, 
I.'llivrr  donne  ses  louffucs  nuits 
Pour  un  plus  grand  repos  des  hommes, 
I^  Printemps  nous  donne  des  Heurs, 
Il  donne  l'Ame  et  les  couleurs 
A  la  feuille  (|ui  semblait  morte... 

Je  ne  sais  plus  le  reste.  On  lit  toujours  les  mêmes  livres, 
acheva  Calixte,  sans  se  douter  que  ceux-là  seuls  ont  un 
inliTct  «lue  le  grand  nombre  dédaigne. 

—  Théophile,  dit  Entraînes,  est  un  des  rares  poètes 
français.  Il  est  plein  de  délicates  rêveries,  je  le  connais 
bien  et  je  l'aime  : 

Prête-moi  ton  sein  pour  y  lioire 
Des  odeurs  ([ui  m'embaumeront.  » 

(Remy  deGourmo-nt,  Siœtine,  i8go.) 

§  6 

«  Théophile  de  Viau...  était  un  poète  irrégulier,  non- 
chalant, négligé,  diffus  souvent,  mais  doué  de  la  plus 
charmante  imagination  du  monde. 

«...  A  vrai  dire,  il  a  ru  tous  les  Ions  et  pour  ainsi  dire 
tous  les  goûls.  Il  a  été  poète  philosophe  dans  la  Mort  de 
Sacrale,  poêle  précieux  dans  Pijrame,  poète  Malherbien 
dans  ses  odes.  Le  plus  souvent,  c'est  un  virtuose  qui  s'ac 
corde  lui-même  avec  l'instrument  qu'il  prend  en  main,  au 
lieu  de  l'accommoder  à  soi.  Où  il  est  vraiment  lui-même 
et  d'un  vrai  mérite,  c'est  dans  ses  ouvrages  élégiaqucs. 
Le    Théophile  amoureux   et   le  Théophile  rustique  son 


224  THÉOPHILE 

quelquefois  charmants...  Soit  qu'il  décrive,  dans, /a  Mai- 
son de  Sylvie,  une  nature  très  civilisée,  parc,  jardins, 
pièces  d'eau,  etc.,  soit  que,  plus  rustique,  il  nous  peigne 
les  coleaux  dorés  du  soleil,  les  vignes,  les  grappes 
mûres  et  les  espaliers  de  son  pays,  il  est  minutieux,  un 
peu  mesquin,  «  il  s'appesantit  sur  le  détail  »,  comme  dit 
La  Bruj'ère,  il  décrit  infatigablement  et  comme  insatia- 
blementde  petites  choses;  mais  cela  prouve  qu'il  regarde 
et  qu'il  aime  à  regarder,  et  l'on  voit  bien  qu'il  sent  pro- 
fondément le  charme  de  ce  qu'il  décrit,  et  il  a  des  bon- 
heurs d'expression  àfaire  envie  aux  plus  grands  poètes... 
La  Solitude,  après  un  beau  début,  est  un  peu  traînante  ; 
mais  des  vers  charmants,  originaux,  qui  n'ont  jamais  été  < 
faits  auparavant,  y  fleurissent  par  intervalles. 

«...  11  est  admirable  pour  rencontrer  des  vers  pittores- 
ques, de  ceux  que  les  Anglais,  dès  le  xvui'  siècle,  ont 
appelés  romantic...  11  est  même  romantique  jusque  dans 
les  excès  du  romantisme  moderne.  Cela  est  rare,  mais  est 
à  noter  comme  tendance... 

«  C'était  un  beau  génie  poétique  très  mal  réglé  et  avec 
des  bizarreries  et  incartades.  11  était  plein  d'imagination 
et  d'esprit. . .  » 

(Emile  Faguet,  Histoire  delà  littérature  française, 
igoo,  tome  II.) 

«...  Le  talent  poétique  de  Théophile  de  Vian  consiste 
surtout  à  une  succession  (on  pourrait  dire  accumulation) 
d'images  brillantes,  ou  plutôt  brillantées. 

Cette  manière,  si  en  contraste  avec  celle  plus  sobre  de 
l'art  classicjuc  au  dix-septième  siècle,  surprit  et  fit  extra- 
vaguer  l'ignorance  des  Romantiques,  au   temps  où   ils 


AIM'ENDK.E  225 

venaient  de  découvrir,  pour  s'en  n'clamer,  toute  la  bande 
obscure  des  rimeurs  Louis  XIII, 

Tlicopliile  Gautier  (il  est  vrai  qu'il  n'avait  point  achevé 
de  jeter  sa  gourme)  en  délira.  Ouant  à  Sainte-Beuve,  il 
fut  plus  circonspect  et  remit  les  choses  en  place. 

Disons  que  ce  pittoresque,  souvent  défraîchi,  venait  à 
Théophile  de  Viau  et  à  ses  émules,  du  seizième  siècle 
finissant.  Mais  comme  alors  les  derniers  héritiers  directs 
de  la  Pléiade  savaient  encore  observer  la  décence  et  fuir 
une  improvisation  de  mauvais  aloi  ! 

^lalgré  toutes  réserves  et  toutes  répu^^nanccs,  malgré 
les  objections  les  plus  fortes,  il  faut  avouer  que  Théophile, 
ainsi  que  quelques  autres  parmi  ses  contemporains,  avait 
reçu  le  don  de  poésie,  vicié  certes,  mais  véritable. 

Théophile  n'est  pas  si  primesautier  ou  plein  de  fraî- 
cheur (jue  quelques-uns  l'affirment,  ni  Boileau-Despréaux 
si  morne  et  rébarbatif  que  plusieurs,  hier  encore,  se  flat- 
taient de  le  penser. 

Hélas  !  la  juste  ojjinion  a  sa  tare  comme  la  fausse. 
Saisir  un  avis  et  rappliiiucr  ciiaque  fois  à  point,  mais 
c'est  le  diable  ! 


«  Plus  d'un  parle  encore  de  Théophile,  et  avec  assez 
d'ostentation,  mais  en  continuant  d'iiçnorer  ses  ouvrages, 
sauf  (juelques  morceaux  cités  par  Gautier  et  principale- 
ment la  Solitade. 

A  la  vérité,  celte  pièce, qui  est  fort  longue  et  que  Gau- 
tier a  su  émonder  avec  discernement,  enferme  plus  d'une 
image  poétique  vive  et  harmonieuse. 

La  première  strophe  en  est  belle  : 

i5 


220  THÉOPHILE 

Dans  ce  val  solitaire  et  sombre. 
Le  cerf  qui  brame  au  bord  de  l'eau, 
Penchant  ses  yeux  dans  un  ruisseau, 
S'amuse  à  regarder  son  ombre. 

Dans  ses  paysages,  Théophile  de  Viau  nous  montre, 
comme  d'ailleurs  tous  ses  contemporains,  un  mélançe  de 
faux  et  de  vrai  qui  ne  laisse  pas  d'être  curieux  à  noter. 
Dans  un  décor  de  toile  et  de  carton-pâte,  au  milieu  des 
concetti  et  des  pointes,  il  trouve  moyen  de  faire  entendre 
parfois  la  voix  naturelle  des  choses... 

Les  rayons  du  jour  égarés 
Parmi  les  ombres  incertaines 
Eparpillent  les  feux  dorés 
Dessus  l'azur  de  ces  fontaines. 
Son  or  dedans  l'eau  confondu 
Avccque  ce  cristal  fondu 
Mêle  son  teint  et  sa  nature, 
Et  sème  son  éclat  mouvant. 
Comme  la  branche  au  gré  du  vent 
Eiïace  et  marque  sa  peinture. 

On  comprend  l'éblouissement  de  la  jeunesse  romanti- 
que devant  de  pareils  vers  :  elle  y  trouvait  un  modèle  de 
débraillé  et  de  truculent  cher  à  ses  propres  aspirations. 
Cependant  Théophile  de  Viau  vivait  en  un  temps  où  les 
plus  abandonnés  gardaient  encore  comme  un  arrière- 
goût  de  style. 

Ce  que  le  romantisme  a  goûté  chez  les  petits  poètes 
Louis  XIII,  ce  que  les  ignorants  y  goûtent  encore  au- 
jourd'hui, c'est  surtout  le  plaisir  de  la  surprise. 

Ne  soyons  pas  tout  à  fait  intolérants  avec  la  nouveauté 
même  équivoque.  Et  j'ajouterai:  Admettons  une  pointe 
de  mauvais  goût  capable  de  relever  à  l'occasion  le  beau   N 
immuable.  Mais  il  ne  faut  pas  qu'elle  l'encanaillé. 


aim'knhicg  K27 


V  Certes,  la  Irage'die  de  Pijratne  et  Tliisbè  contribua 
peu  à  la  gloire  de  Tlico[)hile  de  Viau.  Cependant,  il  ne 
serait  pas  exagéré  de  direcju'elle  le  garda  de  l'oubli  mieux 
toute  autre  de  ses  œuvres.  Et  cela,  à  cause  d'un  hémisti- 
che qui  est  devenu  proverbial,  ayant  fait  sourire  les  doc- 
tes et  les  ignorants. 

Le  passage  suivant  de  Boilcau  finira  de  vous  rappeler 
cette  affaire. 

«  Veut-on  voir,  dit-il.  combien  une  pensée  fausse  est 
froide  et  puérile?  Je  ne  saurais  rapporter  un  exemple  qui 
le  fasse  mieux  sentir  que  deux  vers  du  poète  Théophile, 
dans  sa  tragédie  intitulée  Pyrame  et  Thisbé,  lorsque 
cette  malheureuse  amante  ayant  ramassé  le  poignard 
encore  tout  sanglant  dont  Pyrame  s'est  tué,  elle  querelle 
ainsi  ce  poignard  : 

Ah  !  voici  lo  poignard  qui  du  sang  de  son  maître 
S'est  souillé  Idchement.  Il  en  rougit,  le  traître! 

«  Toutes  les  glaces  du  Nord  ensemble  ne  sont  pas,  à 
Hion  sens,  plus  froides  que  cette  pensée.  Quelle  extrava- 
gance, bon  Dieu  !  de  vouloir  que  la  rougeur  du  sang 
dont  est  teint  le  poignard  d'un  homme  qui  vient  de  s'en 
luer  lui-même  soit  un  effet  de  la  honte  qu'a  ce  poignard 
de  l'avoir  tué  I  » 

A  la  vérité  ce  :  Il  en  rougit, le  traître',  lu  à  sa  place, 
ne  doit  pas  surprendre  outre  mesure  dans  une  œuvre 
écrite  tout  entière  dans  un  style  renchérissant  sur  les 
préciosités  les  plus  forcées.  Avouons  maintenant  qu'il 
se  rencontre  dans  Shakespeare,  dans  quelques  Espagnols 


2  28  THÉOPHILE 

et  dans  Racine  même  deux  ou  trois  fois,  de  pareilles 
o  extravagances  »  et  qui,  à  force  de  génie,  touchent  au 
sublime.  Mais  il  est  vrai  dédire  qu'il  vaudra  toujours 
mieux  se  tenir  dans  la  juste  mesure. 


*** 


«  Théophile  professait  qu'il  fallait  que  le  discours  fût 
ferme  et  le  sens  naturel  et  facile  ;  il  rejetait  les  afféleries 
«  qui  ne  sont  que  mollesse  et  qu'artifice  »,  comme  par 
exemple  :  L'aurore  toute  d'or  et  d'azur,  brodée  de  per- 
les et  de  rubis,  paraissait  aux  portes  de  rOrient.  Les 
étoiles,  éblouies  d'une  plus  vive  clarté,  laissaient  effa- 
cer leur  blancheur  et  devenaient  peu  à  peu  de  la  cou- 
leur du  ciel,  etc. 

«  Le  plaisant  est  qu'il  se  trouvait  être  justement  plein  à 
l'excès  de  toutes  ces  molles  afféteries  et  que  son  discours 
manquait  surtout  de  fermeté  et  de  bon  naturel...  » 

(Jean  Moréas,  l'Ermitage,  i5  oct.  1906.) 

§8 

«...  Pendant  ce  temps,  la  réputation  de  Théophile 
allait  grandissant;  l'éclat  de  son  nom  se  répandait  par 
toute  la  France,  et  c'est  sur  lui  que  tous  les  poètes,  tous 
les  beaux  esprits  tenaient  les  yeux  fixés  comme  sur  leur 
chef...  Malherbe,  que  les  vers  de  Boileau  ont  mis  hors 
de  pair,  malgré  l'admiration  de  quelques-uns,  n'a  jamais 
obtenu  parmi  ses  contemporains  cette  place  incontestée 
que  lui  donne  la  postérité,  et  certes  si  Théophile  eût  vécu, 


APPENDICE  229 


Tht'opliile   eùl  occupé  le    premier    rang  que    nul    ne  lui 
aurait  disputé.  » 

(CiiAiiLKs  Garrisson,  Tlu'opliilc  et  Paul  de  Vian, 
r.-iris,  Picard,   1899.) 


III 
LE  PARNASSE  SATYRIOUE 


Le  J'amasse  salijriqae  est  un  recueil  de  vers  où  le 
madrigal  voisine  avec  l'épigramme  obscène  et  l'élégie 
avec  l'ode  priapique.  Il  parut  en  1622  et  ne  souleva  nulles 
colères.  L'année  suivante,  l'imprimeur  Lestoc  en  fit  une 
nouvelle  édition  avec  le  nom  de  Théophile.  Sur  la  dénon- 
ciation probable  du  jésuite  Garasse  qui,  dans  la  suite, 
s'acharna  après  lui,  Théophile  fut  poursuivi  et  condamne 
à  être  brûlé  vif.  Il  put  s'enfuir,  fut  pris,  jeté  en  prison, 
puis  relaxé  après  deux  ans  de  procédures  et  de  vexa- 
lions. 

Âlleaume,  dans  son  édition  des  Œuvres  de  Théophile 
(r866),  a  donné  en  appendice  les  pièces  obscènes  qui  lui 
sont,  sans  preuve,  attribuées.  Nous  ne  pouvons  ici  être 
aussi  hardis.  Ce  sont  de  pures  ordures  et  on  souhaite 
quelles  ne  soient  pas  de  Théopliilc. 

«  G  est,  dit  Théophile  Gautier,  un  singulier  monument 
littéraire,  dans  son  genre,  que  le  Parnasse  satyrique  : 
quelle  différence  avec  les   petits  vers  orduriers  de  Fer- 


230  THÉOPHILE 

rand,  de  Dorât,  de  Voisenon,  et  autres  coureurs  de 
ruelle,  mousquetaires  ou  abbés!  —  c'est  comme  une  tête 
du  Caravage,  toute  noire  de  bitume,  à  côté  d'un  pastel  de 
Latour,  enluminé  de  carmin  ;  comme  un  bas-relief  de 
vase  antique  à  côté  d'une  lithographie  de  Maurin.  Sans 
doute  de  pareilles  productions  sont  indisi;nes  de  l'art  ; 
mais  cependant  il  y  reste  encore  assez  d'art  pour  qu'on 
les  voie  brûler  avec  un  sentiment  de  regret,  et  qu'on  en 
retire  avec  le  bout  des  doigts  quelques  feuillets  échappés 
au  feu  de  paille  du  bourreau  :  c'est  comme  ce  musée 
erotique  de  Naples  et  ces  belles  statues  qu'on  n'a  pas  le 
courage  de  briser,  mais  sur  qui  la  morale  est  obligée  de 
tirer  à  tout  jamais  son  rideau.  » 

Tout  n'est  pas  à  dédaigner  dans  ce  Parnasse,  bien  qu'il 
soit  assez  inférieur,  dans  son  genre,  au  Cabinet  salyri- 
que  paru  quelques  années  auparavant.  Vers  obscènes  : 
que  cela  ne  nous  effraie  pas  trop  I  La  seule  différence 
qu'il  y  ait  entre  la  poésie  obscène  et  l'autre  est  dans  le 
vocabulaire. Un  mot  fait  du  Lac  de  Lamartine  une  poésie 
obscène,  tant  il  est  vrai  que  l'obscénité  est  une  question 
de  philologie.  Dans  l'une  et  dans  l'autre  poésie,  le  sujet 
est  le  même,  le  rêve  est  le  même,  le  désir  est  le  même 
et  l'une  et  l'autre  aboutissent  nécessairement  au  Crescite 
et  multiplicamini  que  Marot  et,  après  lui,  Théophile 
traduisirent  en  termes  fâcheux  pour  les  oreilles  chastes. 
Une  partie  des  pièces  obscènes  du  Parnasse  satyrique 
est  obtenue  ainsi  ;  c'est  œuvre  de  libraire  sans  scrupule 
ou  de  grimaud  gagiste.  Comme  c'est  difficile  de  substi- 
tuer au  mot  aimer  tel  mot  sale  ou  tel  mot  technique  ! 
Et  voilà-t-il  pas  un  quatrain  bien  troublant! 

Quelques    pièces    ont   délibérément  été    écrites   sur  le 


AHPl'NnK.E  23 1 

mode  çrossier.  11  en  est  de  rebutanlcs;  il  ca  est  de  spi- 
rituelles ;  il  en  est  de  tout  à  fait  licencieuses  ;  il  en  est 
peu  de  voluptueuses  ;  quelques-unes  sont  assez  piquantes. 
J'avoue  i;-oiUer  fort  l'épitaiihe  appolcc  Tombeau  : 

Ci-(lossi)Us  gll  la  belle  Nymphe  au  lait  ; 
Fille  d'amour  et  m^re  des  aiidotiillcs. 
Qui  ainia  mieux  le  f  —  que  le  lait 
Et  usa  moins  do  souliers  que  de  c  — . 

Le  trait  est  donné  par  le  mot  c;rossier,  qui  ne  paraît 
que  vif,  parce  qu'il  est  un  trait.  Cepen.-fant,  de  peur  de 
rouiçir,  soyons  discrets. 

Voici  deux  épigrammcs  qui  sont  presque  de  bonne 
compagnie  et  qui  certes  n'avaient  nui  besoin  d'être  impri- 
mées sous  le  manteau  : 

ÉPKinAMMi: 

CorHIle  d'un  seul  fils  fut  mère, 
Qui,  morl,  fut  mis  nu  cercueil. 
Toute  la  cour  en  fut  en  deuil, 
Car  chacun  s'en  pensait  le  pt're. 

ÉPICiHAM.ME 

Je  perds  mon  temps  et  mes  discours 
De  vous  raconter  mes  amours 
Et  la  rigueur  de  mon  martyre. 
.Mon  désir  ne  se  peut  horner  ; 
Je  veux  ce  qne  je  n'ose  dire 
El  ce  qu'on  n'ose  me  donner. 

Celle-ci  a  le  mérite  de  l'impiété  : 

ÉPIGRAMME 

J'enrage  de  lever  la  cotte 
De  quelque  jolie  huguenote 


232  THÉOPHILE 


Et  de  faire  un  timbre*  plaisant 

A  quelque  huguenot  sufTisant. 

Ce  n'est  pas  que  j'aime  le  vice, 

Ni  pour  pratiquer  l'exercice 

Que  le  sale  Arétin  décrit. 

Tout  ce  qui  me  le  fera  faire 

N'est  que  pour  venger  le  Saint-Père 

Qu'ils  ont  appelé  l'Antéchrist. 

Quant  à  ces  quatrains,  on  les  trouvera  je  pense  de 
l'excellente  satire  et  bien  dans  la  tradition  des  médisances 
contre  les  femmes  : 

QUATRAINS 

Délivre-moi  Seigneur. 

Des  filles  de  Paris  qui  ne  disent,  sinon  : 
Je  ne  vous  entends  point,  cela  vous  plaît  à  dire 
Qui  ne  répondent  rien  que  oui  et  voire  et  non 
Et  au  partir  de  là  se  mêlent  de  médire, 
Délivre-moi  Seigneur. 

De  celle  qui  vous  jure,  étant  entre  vos  bras. 
Que  vous  êtes  tout  seul  qu'elle  aime  et  favorise 
Et  si  vous  la  laissez  seulement  de  trois  pas, 
Vous  trouvez  aussitôt  que  votre  place  est  prise, 
Délivre-moi,  Seigneur. 

De  celle-là  qui  dit  qu'elle  n'échauffe  pas 
Si  elle  est  seule  au  lit,  qu'elle  y  meurt,  qu'elle  y  glace, 
Qui  veut  avoir  quelqu'un  pour  réchauffer  sa  place. 
Qui  ne  craint  nullement  que  l'on  use  ses  draps, 
Délivre-moi,  Seigneur. 

De  celle-là  qu'on  dit  commenter  (1)  l'Aretin, 
Qui  fait  fort  bien  les  vers,  qui  écrit  bien  en  prose, 
Qui  trouve  fort  mauvais  qu'on  touche  à  son  tétin 
Et  ne  se  fâche  point  que  l'on  touche  autre  chose. 
Délivre-moi,  Seigneur. 

(1)  Texte  :  commencer... 


233 


De  celle-là  qui  veut  quelques  tapisseries 
Avant  que  de  vouloir  vous  donner  ce  qu'elle  a, 
Kt  quand  ello  en  n  eu,  il  fiiul  des  pieri'erics 
Kt  puis  une  niaisou,  avnnt  d'en  venir  là, 
Délivre-moi,  SeUjneur. 

Do  celle  qui  s'en  va,  balayant  les  églises, 
La  chandelle  à  la  main  et  un  ^rand  chapelet. 
Et  si  vous  l'épiez,  vous  la  verrez  aux  prises, 
Dedans  un  cabinet,  avec  quelque  valet, 
Délivre-moi,  Seigneur. 

De  celle-là  qui  feint  s'enfermer  tout  le  jour, 
N'ayant  d'autre  plaisir  que  d'être  solitaire. 
Qui  trouve  fort  mauvais  que  l'on  parle  d'amour, 
Qui  n'en  veut  rien  ouïr,   mais  qui  le  veut  bien  faire, 
Dilivre  moi,  Seigneur. 

De  ccllc-li\  qui  dit  qu'elle  est  fort  bien  pucelle, 
Qu'elle  n'en  quitte  rien  à  fille  de  Paris, 
Et  a  toutes  les  nuits  son  ami  auprrs  d'elle, 
Non  pas  pour  faire  mal,  mais  de  peur  des  esprits, 
Délivre-moi,  Seigneur. 

Voici  quelque  chose  d'un  peu  plus  scabreux,  mais  cela 
ne  va  pas  encore  très  loin  : 

ÉPIGRAMME 

Lorsque  sur  ton  lit  à  mon  aise, 
Catin,  ton  tétin  droit  je  baise. 
Tu  me  dis  :  «  0  cher  favori, 
o  C'est  le  tétin  de  mon  mari  ; 
w  Celui  qui  s'enlle  au  côté  gauche 
o  C'est  pour  toi  seul  qui  nie  débauches  ; 
«  Ton  partage  est  bien  le  meilleur  : 
«  Puisque  c'est  le  coté  du  cœur.  » 

Quant  à  ce  sonnet,  il  faut  se  ri'signcr  ou  à  le  trouver 
plat,  ou  à  n'en  pas  comprendre  la  pointe.  Si  l'on  com- 


234  THÉOPHILE 

prend,  on  est  perdu  ;  je  compte  sur  beaucoup  de  mau- 
vaise volonté  : 

SONNET 

Doux  est  le  front  de  ma  belle  maîtresse, 
Doux  est  le  trait  que  décochent  ses  yeux, 
Doux  est  son  teint,  doux  son  ris  gracieux, 
Douce  est  aussi  sa  bouche  charmeresse. 

Douce  est  sa  voix,  douce  sa  blonde  tresse. 
Douce  est  sa  joue  où  se  plaisent  les  dieux  ; 
Uoux  est  aussi  son  sein  délicieux, 
Douce  est  sa  main  qui  doucemeot  me  presse. 

Douce  est  sa  jambe  et  doux  son  pied  joli, 
Doux  son  nombril,  doux  son  ventre  poli, 
Doux  est  l'attrait  de  sa  grâce  divine. 

Mais  plus  que  tout,  ami,  je  trouve  doux 
Le  mouvement  de  cette  belle  Aline, 
Lorsqu'il  advient  qu'en  secret  e  la  f 

Même  remarque  pour  ce  que  l'on  ose  encore  transcrire. 
L'esprit  est  dans  le  contraste  entre  une  idée  tendre  et 
une  image  licencieuse  ;  l'éclair  est  obtenu  par  le  frotte- 
ment d'un  mot  très  doux  et  d'un  mot  très  violent..  C'est, 
après  tout,  un  genre  où  les  maîtres  sont  rares  et  où  l'on 
trouve  peu  de  Régniers,  de  Motins,  de  Berthelots,  de 
Théophiles,  ou  de  Sigognes  : 


Je  songeais  que  Phillis,  des  enfers  revenue. 
Belle  comme  elle  était  à  la  clarté  du  jour. 
Voulait  que  son  fantôme  encor  me  (ît  l'amour 
Et  que,  comme  Ixion,  j'embrassais  une  nue. 

Son  ombre  dans  mon  lit  se  glisse  toute  nue. 
Et  me  dit  :  «  Cher  amant,  me  voici  de  retour, 


APPENDICE  235 


Je  n'ai  fnit  qu'emliollir  en  ce  triste  S(^joui' 
(^û,  depuis  mon  départ,  lo  sort  m'a  retenue. 

Jo  viens  pour  rebaiser  le  plus  beau  des  amants, 
Je  viens  pour  remourir  dans  tes  embrassemoiits.  s 
Alors,  quand  cotte  idole  cul  abreuve  ran   flumme, 

Elle  me  dit  :  c  Adieu,  je  m'en  vais  chez  les  nioris', 
Comme  tu  t'es  vanté  d'avoir  f...  mon  corps, 
Tu  pourras  te  vanter  <l'avoir  f. ..  mon  âme.  » 

Cependant,  el  tel  est  bien  mon  dessein,  avec  ces  jeux 
d'esprit,  nous  restons  sur  le  seuil  du  Parnasse  satyri- 
que.  C'est  un  endroit  où,  si  l'on  peut  y  donner  de  compa- 
gnie un  rapide  coup  d'oeil,  on  ne  peut  entrer  que  seul. 

UN    ninLIOPlIILE. 


§  2 

«  Arrêt  de  la  Cour  de  parlement  par  lequel  les  sieurs 
Théophile,  Berlhelot  et  autres  sont  déclares  criminels  de 
lèse-majesté  divine  pour  avoir  composé  et  fait  imprimer 
des  vers  impies  contre  l'honneur  de  Dieu,  son  Eglise  et 
honnêteté  publique. 

Avec  défense  à  toutes  personnes  d'avoir  ni  tenir  au- 
cuns exemplaires  da  livre  intitulé  le  Parnasse  satyri- 
que,  n  autres  œuvres  dudil  Théophile,  sous  peine  d'être 
déclarés  fauteurs  et  adhérants  dudil  crime  et  punis 
comme  les  accusés. 

A  Paris,  chez  Antoine  Vilray,au  collège  Saint-Michel, 
i6a3  (8  p.  10-13). 

Arrêt  de  la  Cour  de  Parlement  contre  Théophile  et 
autres  faiseurs  de  vers  impies,  exécuté  le  igaoùt  i6a3. 

Vu    par    la   Cour,  les  Grand    Chambre    et    Tournclle 


236  THÉOPHILE 


assemblées,  l'arrêt  de  celle  du  ii  juillet  dernier,  par 
lequel,  sur  la  plainte  faite  par  le  procureur  général  du 
roi  et  livres  par  lui  représentés,  avoit  été  ordonné  que 
les  nomnoés  Théophile,  Berthelot,  Colletet  et  Frenide  ', 
auteurs  des  sonnets  de  vers  contenant  les  impiétés, blas- 
phèmes et  abominations  mentionnées  au  livre  très  per- 
nicieux intitulé  le  Parnasse  sàtyriqun,  seraient  pris  au 
corps  et  emmenés  prisonniers  en  la  Conciergerie  du 
Palais,  pour  leur  être  le  procès  fait  et  parfait,  et  où  ils 
ne  pourraient  être  appréhendes,  ajournés  à  trois  brefs 
jours,  à  son  de  trompe  et  cris  publics  à  comparaître  en 
icelle;  exploits  de  perquisition  faits  de  la  personne  des- 
dits accusés,  ajournements  à  trois  brefs  jours,  les 
défauts  à  trois  brefs  jours  obtenus  en  ladite  Cour 
par  le  procureur  général  du  roi  contre  ceux  accusés  le 
5  août  et  autres  jours  suivants;  autres  livres  et  œu- 
vres dudit  Théophile  imprimés  par  les  nommés  Billaine  et 
Quesnel  ;  conclusions  du  procureur  général  du  roi  ;  tout 
considéré,  dit  a  été  que  lesdits  défauts  ont  été  bien  et 
dûment  obtenus,  et,  pour  le  profit  d'(iceux),  ladite  Coijr 
a  déclaré  et  déclare  lesdits  Théophile,  Berthelot  et  Colle- 
tet, vrais  contumax,  atteints  et  convaincus  du  crime  de 
lèse-majesté  divine,  et,  pour  réparation,  les  a  condamnés 
et  condamne,  sçavoir  :  lesdits  Théophile  et  Berthelot  à 
être  menés  et  conduits  des  prisons  de  la  Conciergerie  en 
un  tombereau  au  devant  la  principale  porte  de  l'église 
Notre-Dame  de  cette  ville  de  Paris,  et  là,  à  genoux, 
tête  et  pieds  nus,  en  chemise,  la  corde  au  col,  tenant 
chacun  en  leurs   mains  une   torche  de  cire  ardente  du 

i.  Le  nom  est   écrit    comme  dans   la  Doctrine    curieuse    du 
P.  Garasse.  11  s'agit  de  N.  Frenicle. 


APrENDir.E  2'^•] 

p.iiils  de  deux  livres,  dire  et  dcclarcr  que  très  mécliam- 
iiieiil  cl  abomiDablcmenl  ils  ont  composé,  (ait  imprimer 
et  exposé  en  vente  le  livre  intitulé  le  Parnasse  safijri- 
(/ur,  contenant  les  blasphèmes,  sacrilèges,  impiétés  et 
abominations  y  mentionnées  contre  l'honneur  de  Dieu, 
son  Ei^lise  et  honnêteté  publique,  dont  ils  se  repentent 
et  eu  demandent  pardon  à  Dieu,  au  roi  et  à  justice.  Ce 
fait,  menés  et  conduits  en  la  place  de  Grève  de  cette 
dite  ville,  et  là  ledit  Théophile  brûlé  vif,  son  corjis  réduit 
eu  cendres,  celles-ci  jetées  au  vent, et  lesdits  livres  aussi 
brûlés,  et  ledit  Berthelot  pendu  et  étranglé  à  une  potence 
qui,  pour  ce  faire,  y  sera  dressée,  si  pris  et  appréhendés 
peuvent  être  en  leurs  personnes;  sinon  ledit  Théophile 
par  figure  et  représentation,  et  ledit  Berthelot  en  effigie 
à  un  tableau  attaché  à  ladite  potence.  Tous  et  chacuns 
leurs  biens  déclarés  acquis  et  confisqués  à  qui  il  appar- 
tiendra, sur  lesquels  et  autres  non  subjects  à  la  confisca- 
tion sera  préalablement  pris  la  somme  de  quatre  mille 
livres  d'amende  applicables  à  œuvres  pies, ainsi  que  ladite 
Cour  avisera,  et  a  banni  et  bannit  ledit  Colletet  pour 
neuf  ans  hors  du  royaume;  lui  enjoint  de  garder  son 
ban,  à  peine  d'être  pendu  et  étranglé;  et,  en  tant  que 
touche  ledit  Frcnide,  a  permis  et  permet  audit  procureur 
général  du  roi  faire  informer  plus  amplement  contre  lui 
des  cas  mentionné  audit  procès,  circonstances  et  dépen- 
dances; fait  ladite  Cour  inhibitions  et  défenses  à  toutes 
personnes,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient, 
d'avoir  et  retenir  par  devers  eux  aucuns  exemplaires 
dudit  livre  intitulé  le  J'amasse  satijrique, ni  autres  œu- 
vres dudit  Théophile,  ainsi  leur  enjoint  les  apporter  et 
mettre    dans    vingt-quatre    heures   au     grefle   criminel 


238  THIÎOPIIILE 

d'icfille  pour  êire  pareillement  brûlés  et  rt'duits  en  cen- 
dres, sur  peine,  contre  les  contrevenants  et  qui  s'en  trou- 
veront saisis,  d'être  déclarés  fauteurs  et  adhérents  dudit 
crime  et  punis  comme  les  accusés.  Outre,  ordonne  que 
les  libraires  nommés  Estoc,  Sommaville,  Billaine  et 
Quesnel,  qui  ont  imprimé  les  œuvres  dudit  Théophile, 
seront  pris  au  corps  et  amenés  prisonniers  es  prisons  de 
la  Conciergerie  du  Palais  pour  être  ouïs  et  interrogés  sur 
aucuns  faits  résultant  dudit  procès,  et,  où  ils  ne  pour- 
ront être  appréhendés,  seront  ajournés  à  trois  brefs  jours 
à  son  de  trompe  et  cris  public  à  comparaître  en  icelle, 
leurs  biens  [saisis  et  commissaires  y  établis  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  obéi . 

Prononcé  et  exécuté  le  19  août  1623.  » 

'i  3 

APOLOGIE    AU    ROI 

...  Ce  premier  arrêt  donné  par  contumace  n'énonce 
aucunes  charges  et  informations  faites  contre  moi  ;  les 
ruses  de  mes  ennemis  ont  surpris  la  religion  de  la  Cour, 
et  supposé  malicieusement  des  livres  dont  j'avois  désa- 
voué et  la  composition  et  l'impression,  et  fait  condam- 
ner les  libraires  par  sentence  du  Prévôt  de  Paris.  Même, 
d'un  dessein  particulier  que  j'avois  d'en  éclaircir  mes 
accusateurs,  que  la  condition  de  Religieux  me  faisoit 
croire  plus  aveuglés  de  zèle  que  d'inimitié,  je  pris  le 
soin  de  leur  faire  voir  la  condamnation  de  l'imprimeur 
absent  et  fugitif,  mais  ils  ont  toujours  déguisé  la  con- 
noissance  de  mon  bon  droit,  et  par  une  hypocrisie  cruel- 


AI'PKNDir.F.  239 


le,  ont  continué  leurs  sollicitalions,  jusqu'à  ce  qu'une 
ignominie  publique  leur  eiH  fait  cun'e  de  ce  fanlônie  qui 
fut  hriUé  en  ma  représentation.  Ce  qui  fait  évanouir 
toutes  les  apparences  de  l'infamie  que  je  pouvois  encourir 
par  ce  jugement,  et  qui  aconvaiiicu  l'absurdité  de  ccsinu- 
tiles  poursuites,  c'est  que  le  dernier  Arrêt  donné  en 
plein  Parlement,  et  en  grande  assemblée  de  Juges,  a  re- 
connu véritable  le  désaveu  que  j'avois  fait  des  livres  sup- 
posés; comme  le  premier  jugement  fut  sans  aucune 
preuve  ni  d'écrits,  ni  de  témoins  contre  moi.  aussi  l'a-t-on 
poursuivi  au  temps  que  votre  Parlement  étoit  congédié, 
à  cause  de  la  contagion,  et  qu'en  l'absence  du  plus  grand 
nombre  de  Messieurs  de  la  grand  Chambre,  il  fallut 
cxtraordinairement  emprunter  des  Juges  des  Enquêtes 
pour  trouver  le  nombre  de  dix  Juges,  auquel  nombre  le 
procès  de  contumace  fut  visité  et  jugé  en  une  matinée 
seulement,  qui  est  pour  cela  peu  de  temps.  Je  ne  me 
plaindrai  jamais  de  votre  Parlement  ;  la  voix  publique 
est  véritable,  qui  nous  apprend  que  c'est  où  la  justice  est 
rendue  avec  intégrité,  et  que  l'innocence  n'y  peut  être 
opprimée.  11  m'a  conserve  la  vie  que  l'on  conspiroit  de 
m'ôter  avec  l'honneur,  et  m'a  banni  sans  être  convaincu 
que  du  malheur  d'avoir  été  haï. 

Les  mieux  sensés  et  les  plus  Chrétiens  du  siècle,  qui 
sont  instruits  des  faussetés  de  mes  accusations,  accom- 
parent»  mon  accident  au.x  Arrêts  qui  souvent  intervien- 
nent aux  procès  de  sortilège,  lors  que  vos  premiers 
Juges  ont  condamné  à  mort  des  pauvres  paysans  idiots; 
le  Parlement,  qui  est  l'asile  de  l'innocence,  justifie  ces  mi- 
sérables, et  néanmoins  sur  la  diffamation  les  bannit  du 
lieu  de  leur,  demeure. 


240  THi;oririLE 

C'est  une  nécessité  de  la  Police  contre  laquelle  je  ne 
murmure  point,  aussi  bien  ai-je  contribué  quelque  chose 
à  mon  malheur,  pour  ce  que  d'abord,  au  lieu  de  lui  résis- 
ter, je  lui  cédai,  et  le  renforçai  au  lieu  de  le  corrompre. 
Il  est  vrai  que  les  Juges  ne  font  rien  par  imprudence,  ni 
par  colère. 

Mon  absence,  qui  n'éloit  que  de  peur,  a  donné  des 
soupçons  de  crime,  et  la  fuite,  que  je  prenois  par  respect 
de  mes  ennemis,  a  autorisé  leur  persécution.  Tandis  que 
mon  éloignement  sembloit  appuyer  les  prétextes  de  leur 
inimitié,  V.  M.  faisoit  paraître  quelque  trace  des  favora- 
bles inclinations  qui  m'ont  engagé  à  son  service.  Ils  em- 
ployoient  avec  licence  tout  l'effort  et  l'artifice  qui  pouvoit 
faire  réussir  leur  entreprise.  On  m'avoit  bouché  tous  les 
passages  du  Royaume.  Quelques  Prévôts,  de  l'intelligence 
de  leur  cabale,  éloient  toujours  aux  environs  du  lieu  de 
ma  retraite.  Leurs  livres,  leurs  sermons,  leurs  visites  et 
leurs  voyages  n'avoient  plus  autre  sujet  que  mon  oppres- 
sion. J'ai  une  consolation  bien  glorieuse  et  très  sensible 
d'avoir  reconnu  que  V.  M.  nedonnoit  aucun  aveu  à  tous 
ces  appareils  de  ma  perte.  Vous  prêtiez  votre  consente- 
ment à  mon  salut,  et  la  disposition  que  vous  aviez  à  me 
plaindre  plutôt  qu'à  me  punir  condamnoit  la  procédure 
de  mes  parties,  et  détruisoitles  avantages  qu'ils  pensoient 
tirer  de  mon  éloignement;  vous  approuviez  le  soin  de  % 
ceux  qui  me  vouloient  conserver.  Monsieur  de  Montmo-  • 
rency  remarqua  que  V.  M.  m'aimoit  autant  à  Chantilly 
qu'à  Londres,  et  l'exemple  de  votre  bienveillance  me  ser- 
voit  de  protection  inviolable  envers  tous  ceux  qui  avoient 
à  cœur  votre  respect  et  la  charité  chrétienne.  Le  Parle- 
ment imitoit  votre  bonté,  et  par  une  connoissance  parti- 


APPENDICE  24  l 

culicre  de  vos  internions  mepcrmclloil  de  fuir  lentement, 
et  doiinoil  assez  de  loisir  à  mes  ennemis  pour  se  drdire 
d'une  jioursuite  qui  n'a  fini  qu'à  leur  confusion.  J'ctois 
déjà  sur  la  frontière,  en  la  méditation  de  quitter  ma  pa- 
trie, et  dans  l'incertitude  d'y  plus  revenir,  et  cette  con- 
trainte d'cloii^ner*  votre  Courtenoil  mon  esprit  dans  des 
troubles  (pii  me  rcndoient  indilVorentes  et  la  capture  et  l'é- 
vasion. Ce  changement  de  pays  ne  m'eût  pas  été  fâcheux 
si  Dieu  m'eût  fait  naître  ailleurs  qu'en  France,  ou  sous  un 
autre  règne  que  celui  de  V.  M.,  mais  votre  Empire  et 
vos  vertus  ont  pour  moi  des  amorces  si  puissantes  que 
c'est  me  retirer  du  monde  que  de  vous  abandonner  :  aussi 
m'en  allois-je  avec  des  inquiétudes  et  des  paresses,  qui 
témoicnoient  assez  que  le  danger  de  mourir  en  votre 
Royaume  m'affligeoit  moins  que  le  regret  d'en  sortir. 
Celte  appréhension  ne  laissoit  point  de  repos  en  mon 
;îme.  .1  étois  déjà  dans  les  supplices  dont  mon  emprison- 
nement m'a  retiré,  et  si  la  violence  de  mes  ennemis 
n'eût  précipité  le  dessein  de  ma  ruine,  j'eusse  toujours 
reculé  à  ma  justification,  et  on  n'eût  jamais  découvert 
mon  innocence,  ni  leur  imposture.  Lorsque  j'élois  aux 
termes  de  relâcher  *  à  leur  fureur,  et  que  la  patience  de 
'V.  M.  et  des  Juges  leur  donnoit  et  le  temps,  et  le  con- 
seil de  se  modérer,  un  homme  qui  fait  profession  de  Re- 
ligieux, et  qui  a  fait  le  dernier  vœu,  s'avisa  de  corriger 
votre  clémence,  et  n'étant  hardi  que  de  ma  timidité,  s'a- 
Tentura  de  me  tendre  les  pièges  dont  il  se  trouve  encore 
enveloppé.  II  avoit  à  dévotion  un  Lieutenant  du  Prévôt 
de  la  Connétablerie  nommé  le  Blanc,  son  conBdent  parti- 
culier :  celui-là  prit  un  tel  soin  de  lui  rendre  celte  com- 
plaisance, et  se  trouva  si  puissant   dans  cette  commis- 

iC 


2!\2  THÉOPHILE 

sion,  qu'une  place  qui  peut  soutenir  des  sièges  royaux 
se  trouva  foible  pour  ma  protection.  Ce  Religieux  qui  dis- 
posa si  absolument  de  cet  officier  de  Justice,  et  qui  trouva 
le  Gouverneur  de  votre  Citadelle  si  facile,  c'est,  Sire,  le 
Père  Voisin,  Jésuite,  qui,  par  une  fantaisie  déréglée  et 
par  un  caprice  très  scandaleux,  s'est  jeté  dans  la  ven- 
geance d'un  tort  qu'il  n'a  point  reçu,  et  s'est  forgé  des 
sujets  d'offense,  pour  avoir  prétexte  de  me  haïr.  Jedirois 
à  V.  M.  les  secrètes  maladies  de  cet  esprit,  si  ce  n'étoit 
une  incivilité  criminelle  que  de  vous  en  entretenir  :  cet 
homme-là,  égaré  de  son  sens,  très  ignorant  du  mien,  a 
fait  glisser  dans  des  âmes  foibles  une  fausse  opinion  de 
mes  mœurs  et  de  ma  conscience,  et  prostituant  l'autorité 
de  sa  robe  à  l'extravagance  de  sa  passion,  il  a  fait  éclat 
de  toutes  ces  infâmes  accusations,  dont  il  fait  aujourd'hui 
pénitence.  11  a  pénétré  tous  les  lieux  de  ses  connoissan- 
ces  et  des  miennes,  pour  y  répandre  la  mauvaise  odeur 
qui  avoit  rendu  ma  réputation  si  odieuse.  Il  a  suborné  le 
zèle  d'un  Père  éloardi  (i),  qui  a  vomi  tout  un  volume, 
pour  décharger  la  bile  de  son  compagnon  :  c'est  lauleur 
de  la  Doctrine  Curieuse  et  de  quelques  autres  livres  ou- 
trageux,  à  qui  ma  seule  disgrâce  semble  avoir  donné 
des  privilèges,  et  dont  les  crimes  n'ont  trouvé  de  l'impu- 
nité qu'en  la  faveur  de  cette  aniraosité  publique,  qui  au- 
torise tout  ce  qui  peut  injurier.  Le  rapport  de  l'erreur 
populaire  à  ces  génies  malins,  et  certaine  conformité  des 
envieux  et  des  ignorants,  m'avoit  suscité  une  haine  si 
générale,  et  tellement  altéré  les  sentiments  des    gens  de 

(1)  Le  P.  Garasse,  qui  produisit  contre  Théophile  un  énorme  li- 
belle aussi  infâme  que  bouil'un  ;  Doctrine  curieuse  des  beaux: 
esprits  de  ce  ttmps. 


Al'PENUICK  2/|5 

bien,  que  cliaciiii  avoil  inlriVt  à  me  «It'shonorer,  el  (|uo 
personne  no  pouvoit  <^lri'  saiiv»',  s'il  ne  lilcfioil  îi  me  per- 
dre. Cela  uie  mit  des  espions  partout  :  mes  |>lus  silrcs 
couliil<nces  m'éloienl  des  cml)ilclics,  cl  le  lieu  de  mon 
asile  fut  celui  de  ma  prise...  Je  suis  l'exemple  de  la  plus 
longue  cl  plus  dure  cuhimilé  do  voire  siècle.  II  n'y  a 
|x>int  d'homme  (|ui  ail  des  a|)pé(its  si  délicats  pour  la  vie 
ui  de  si  tendres  sentiments  pour  la  volupté,  qui  n'aimât 
mieux  se  priver  de  l'un  et  de  l'autre  par  des  tourments 
les  plus  exquis  *,  (juc  de  souffrir  le  sale  et  le  cruel  traite- 
ment d'une  si  lons;ue  prison  <pic  la  mienne.  Si  Dieu  ne 
m'eût  fait  naître  d'un  îcmpérament  robuste  et  d'une  cons- 
titution bien  saine,  je  fusse  mort  mille  fois  de  plusieurs 
incommodités,  dont.  Dieu  merci,  je  n'ai  pas  été  seule- 
ment malade.  Ou  m'a  traité  deux  ans  durant  avec  des 
rij^ucurs  capables  de  consommer  des  pierres;  d'abord 
que  je  fus  pris  on  me  tint  pour  condamné  ;  ma  détention 
fut  uu  supplice  el  les  Prévols,  des  exécuteurs.  Ils  étoient 
trois  sur  chacun  de  mes  bras,  et  autour  de  moi  autant 
que  le  lieu  par  où  je  passois  en  pouvoit  contenir.  On 
m'enleva  dans  la  chambre  du  sieur  de  Menilier  pour  y 
faire  mon  procès-verbal,  qui  ne  fut  autre  chose  que  l'in- 
ventaire de  mes  bardes  et  de  mon  arijcnt,  qui  me  fut  tout 
saisi.  Apres  mon  interroc;atoire,  qui  ne  conlenoit  aucune 
accusation,  monsieur  de  Commartin  m'assura  que  j'élois 
mort;  je  lui  répondis  que  le  Roi  étoit  juste  et  moi  inno- 
cent. De  là  il  ordonna  que  je  fusse  conduità  Saint-Quen- 
tin, par  oîi  il  prenoil  son  chemin,  afin  de  rejoindre  Mon- 
sieur le  Connétable  qu'il  avoil  quille  pour  assister  le  Pré- 
vôt à  ma  capture.  On  m'attacha  de  grosses  cordes  par 
tout,  cl  sur  un  cheval  foible  el  boiteux,  qui  m'a  fait  cou- 


244  THÉOPHILE 

rir  plus  de  risque  que  tous  les  témoins  de  mes  confron- 
tations. L'exécution  de  quelque  criminel  bien  célèbre  n'a 
jamais  eu  plus  de  foule  à  son  spectacle  que  j'en  eus  à 
mon  emprisonnement.  Soudain  que  je  fus  écroué,  on  me 
dévala  dans  un  cachot,  dont  le  toit  même  étoit  sous  terre  ; 
jecoucliois  tout  vêtu  et  chargé  de  fers  si  rudes  et  si  pe- 
sants, que  les  marques  et  la  douleur  en  demeurent  encore 
en  mes  jambes;  les  murailles  y  suoient  d'humidité,  et  moi 
de  peur.  Je  vous  confesse,  Sire,  que  je  ne  me  trouvai 
ni  assez  brûlai  ni  assez  philosophe  pour  me  résoudre 
promptement  en  un  accident  si  outrageux... 

Je  passois  ces  premiers  jours  de  ma  captivité  dans  des 
incommodités  très  rigoureuses,  et  dans  de  vives  appré- 
hensions de  mon  procès,  qui  m'a  toujours  été  plus  à 
craindre  pour  la  puissance  de  mes  ennemis  que  pour 
mon  crime.  Et  sans  blesser  l'intégrité  des  autres  corps 
de  Justice,  je  crois  que  l'avantage  que  V.  M.  m'a  fait, 
de  laisser  ma  cause  à  la  Cour  du  Parlement  de  Paris,  a 
beaucoup  diminué  mon  danger.  Ces  Juges-là,  Sire,  ne 
trompent  personne  et  ne  sauroient  être  trompés.  Us  en- 
voûtèrent la  compagnie  de  Deffuntis  à  Saint-Quentin, 
pour  de  là  me  conduire  à  la  Conciergerie  du  Palais. 

J  etois  bien  aise  d'aller  rendre  compte  de  ma  vie  de- 
vant des  gens  que  je  sa  vois  être  capables  de  la  bien  ména- 
ger. Mais  la  rudesse  de  ceux  qui  m'amenèrent  troubloit 
un  peu  mon  espérance,  et  me  faisoit  craindre  la  passion 
de  quelques  particuliers,  qui  pouvoient  leur  avoir  recom- 
mandé cette  sévérité  ;  mes  accusateurs  ont  des  instru- 
ments de  toute  nature  et  condition  partout.  J'étois  monté 
encore  plus  mal  que  l'ordonnance  de  Monsieur  de  Com- 
marlin,  et  attaché  tout  le  long  du  voyage  avec  des  chaî- 


APPENDICE  2/);) 

nos,  sans  avoir  la  liberté  du  sommeil  ni  du  repos,  et  sans 
quitter  les  fers  ni  nuit  ni  jour  :  on  ne  suivit  jamais  le 
praïul  chemin,  et  comme  s'il  y  eût  eu  des  desseins  par- 
tout à  menlcver,  les  troupeaux  ou  les  arbres  un  peu  éloi- 
gnés leur  donnoienl  quelques  alarmes  assez  ridicules,  que 
je  réserve  à  mes  vers,  plus  capables  de  cette  peinture  que 
la  prose.  Etant  arrivé  à  la  Conciergerie,  dont  la  presse 
du  peuple  m'empéchoit  l'entrée,  je  fus  enlevé  dans  la 
grosse  tour,  et  porté  tout  d'abord  dans  le  même  cachot, 
où  le  plus  exécrable  parricide  de  la  mémoire  *  a  été  gardé; 
on  y  renferma  deux  gardes,  (pii  furent  quatre  mois  dans 
le  cachot,  avec  aussi  peu  de  liberté  que  j'en  avois.  Le 
chagrin  et  les  maladies,  (]ui  sont  presque  inévitables  en 
ce-licu  là,  leur  firent  à  la  fin  donner  licence  de  sortir;  de- 
puis on  m'associa  des  prisonniers  appelant  de  la  mort. 
Après  avoir  été  six  mois  dans  une  très  grande  impatience 
de  me  faire  ouïr,  Monsieur  le  Procureur  Général  me  fit 
l'honneur  de  me  venir  voir,  sur  le  bruit  qu'il  eut  d'une 
abstinence  extraordinaire  dont  je  me  macérois  depuis 
qucl(jues  jours,  lime  parla  avec  des  civilités  que  je  n'eusse 
pas  méritées  même  en  l'état  de  liberté,  et  commanda 
très  expressément  à  ceux  qui  avoienl  charge  de  moi  de 
me  gouverner  avec  toute  la  douceur  que  la  nécessité  de 
leur  devoir  me  pouvoit  faire  espérer.  En  cela  il  a  été 
toujours  très  mal  obéi,  car  ces  gens-là,  sans  se  contenir 
même  dans  la  rudesse  permise  aux  guichetiers  les  moins 
humains,  ont  passé  au-delà  de  la  félonie  des  hommes  les 
plus  barbares.  Je  ne  saurois,  avec  le  respect  que  je  dois  à 
V.  M.,  lui  dépeindre  les  saletés  et  l'horreur  ni  du  lieu  ni 
des  personnes  dont  j'élois  gardé  :  je  n'3'  avois  de  la  clarté 
que   d  une  petite  chandelle  à  chaque  repas  ;  le  jour    y 


2/Î6  T  UKOPHILIÎ 

éclaire  si  peu,  qu'on  ne  sauroit  discerner  la  voûte  d'avec 
'e  plancher,  ni  la  fenêtre  d'avec  la  porte.  Je  n'y  ai  jamais 
eu  de  feu  ;  aussi  la  vapeur  du  moindre  charbon,  n'ayant 
là-dedans  par  où  sexhaler,  m'eût  été  du  poison  ;  mon  lit 
étoit  de  telle  disposition  que  l'humidité  de  l'assiette  et  la 
pourriture  de  la  paille  y  engendroit  des  vers,  et  autres 
animaux  qu'il  me  falloit  écraser  à  toute  heure.  Divers 
prisonniers  qui  ont  tlé  avec  moi,  s'ils  en  sont  sortis  pour 
vivre,  peuvent  vérifier  mes  plaintes.  L'on  me  nourrissoit 
de  la  pension  qu'il  a  plu  à  V.  M.  de  me  continuer,  mais 
mon  manger  et  mon  boire  étoient  tels  qu'ils  sembloient  avoir 
re(;u  pour  me  faire  mourir  l'argent  que  vous  leur  don- 
niez pour  me  faire  vivre  ;  et  comme  si  les  cruautés  d'un  tel 
entretien  n'eussent  pu  donner  assez  d'exercice  à  leur  ma- 
iioe,  ils  s'ingérèrent  dans  mes  affaires,  et  trompant  la  fa- 
cilité que  j'ai  toujours  eue  à  donner  ma  confidence  à 
ceux  qui  la  demandent,  par  diverses  ruses  ils  aitrapèrenl 
tous  mes  secrets,  qui  se  sont  par  la  grâce  de  Dieu  trou- 
vés à  ma  justification.  Pour  un  témoignage  plus  mani- 
feste de  la  fureur  extraordinaire  qui  les  animoit  contre 
moi,  c'est  que  durant  tout  le  temps  d'une  si  dure  captivité 
où  toutes  sortes  d'objets,  de  fraj'curs  et  de  peines  me 
tenoient  toujours  en  nécessité  de  consolation,  il  ne  me 
fut  jamais  permis  de  communi(pier  avec  un  Religieux, 
ni  de  me  faire  donner  un  chapelet.  Il  sembloil  qu'on  eût 
pris  à  lâche  de  me  faire  périr  le  corps  et  l'âme;  c'est 
alors  que  mes  accusateurs  faisoient  retentir  les  Eglises 
de  mi'disances  dont  l'Hôlel  de  Bourgogne  eût  été  scan- 
dalisé. 

C'est  lors,  Sire,  que  le  Père  Gucrin  fit  un  voyage  exprès 
en  Bretagne,  pour  suborner  des  témoins  contre  moi,  ce 


APPENDICE  2/|7 


que  je  vérifierai  par  ilcs  Conseillers  de  la  Cour  du  Par- 
lement de  Hennés, cl  lui-niônic  a  eu  l'audoco  de  d»'poscr; 
mais  il  n'a  osé  soutenir  In  confrontation.  Le  Père  Cliaillou, 
supérieur  des  Minimes,  qui  est  en  réputation  d'avoir  bon 
sens  cl  bonne  conscience,  représenta  à  ses  Confrères  les 
nlTrunls  que  ce  détracteur  taisait  ordinairement  à  leur 
couvent,  si  bien  qu'on  se  résolut  de  le  faire  sortir  de 
Paris,  où  ses  imprudences  se  faisoieiit  avec  trop  d'éclat.  Je 
serais  bien  heurcu.\,  si  les  comp{)t;'n()ns  du  Père  Garasse 
naavoicnt  donné  sujet  d'un  rcsscntinjcnl  pareil.  Le  Père 
Marg^aslant,  supi'rieur  des  Jésuites  de  Paris, après  m'avoir 
dit  plusieurs  injures  dans  son  collette,  s'en  alla  solliciter 
Monsieur  le  Lieutenant  Civil,  pour  faire  donner  main- 
levée aux  imprimeurs,  de  ce  ramas  de  bouffonneries  et 
d'impiétés  de  Garassus,  quej'avois  fait  saisir.  Le  P.  Voi- 
sin a  été  chez  plusieurs  de  mes  Jujçes  à  leur  demander 
ma  mort  pour  la  défense  de  la  Vierge  et  des  Saints, dont 
il  leur  rccommandoit  la  cause.  Et  voilà.  Sire,  tout  le 
fondement  de  ces  crieries  impudentes  dont  ils  ont  si 
longtemps  agile  mon  innocence,  et  tout  ce  que  ce  long 
travail  de  persécution  a  pu  produire  contre  moi. 

La  Cour  ayant  député  ^Messieurs  de  Pinon  et  de  Ver- 
lamond,  pour  instruire  mon  procès,  on  me  fit  sortir  du 
cachot  où  j 'a vois  été  six  mois  sans  voir  la  clarté,  et  on 
m'amena  devant  eux  dans  la  salle  de  saint  Louis,  où  le 
grand  air  m'éblouit  d'abord,  et  faillit  à  me  faire  pâmer; 
après  avoir  levé  la  main  et  dit  mon  nom,  mou  pays, 
mon  îîge  et  ma  profession,  on  me  demanda  si  j'étois 
catholique  romain,  et  si  je  l'avois  toujours  été.  Je  répon- 
dis qu'il  y  avoit  peu  de  temps  que  j'étois  catholique, 
cl  qu'auparavant  j'avois  toujours  fait  profession   de  la 


248  THÉOPHILE 

religion  prétendue  réformée.  Oue  je  m'ctois  instruit  en 
la  foi  romaine  par  les  conférences  du  Père  Athanase, 
du  Père  Arnoux,  et  du  Père  Seguirand,  entre  les  mair.s 
de  qui  j'avois  fait  mon  abjuration.  Monsieur  de  Pinon 
me  remontra  que  j'avois  mal  fait  mon  profit  des  ins- 
tructions de  ces  bons  Pères,  et  que  j'étois  tenu  pour  un 
homme  qui  ne  croyoit  autre  Dieu  que  la  nature.  Je  répli- 
quai que  j'étois  tenu  pour  très  homme  de  bien  par  tous 
ceux  qui  me  connaissoient,  et  que  mes  accusateurs  par- 
loient  sans  preuve  ni  apparence,  et  qu'ils  étoient  calom- 
niateurs et  imposteurs.  Monsieur  de  Vertamond,  contri- 
buant peut-être  un  avis  à  ma  justification,  repartit  qu'il 
n'y  avoit  point  d'apparence  que  je  fusse  un  athée,  puis- 
que pour  faire  voir  au  public  que  j'avois  des  sentiments 
de  la  divinité  tel  qu'un  chrétien  les  doit  avoir,  j'avois 
fait  un  livre  de  l'Immortalité  de  l'Ame,  qui  rendoit  rai- 
son de  ma  créance. 

Cela  étoit  dangereux  pour  un  étourdi  ou  pour  un  mé- 
chant ;  mais  moi  qui  avois  l'esprit  tendu  à  ma  justifica- 
tion, et  qui,  pour  ne  m'égarer,  n'avois  autre  chemin  à 
suivre  que  celui  de  la  vérité,  je  répondis  que  je  n'avois 
point  composé  ce  livre-là,  que  c'étoit  un  ouvrage  de 
Platon,  que  je  l'avois  traduit  sans  m'éloigner  du  sens  de 
l'auteur,  et  que  ce  n'étoit  point  par  où  je  rendois  raison 
de  ma  foi;  que  pour  montrer  que  j'étois  chrétien,  j'allois 
à  la  Messe,  je  communiois,  je  me  confessois.  On  m'allé- 
gua quelques  passages  de  ce  traité,  dont  je  me  suis  en- 
tièrement justifié. 

Saint  Augustin,  qui  ne  parle  jamais  de  Platon  sans 
admiration,  m'a  fourni  de  quoi  faire  approuver  la  peine 
que  j'ai  prise  en    cette  traduction.  Après    l'examen    de 


APPENDICE  2.'J9 

celle  version  ou  paraphrase  sur  l'immortalité  de  lame, 
oa  ne  me  trouva  convaincu,  je  ne  dis  pas.  Sire,  d'une 
inipiclé,  mais  non  pas  seulement  de  la  moindre  irrévé- 
rence contre  l'Eifiise  ;  même  il  y  a  plusieurs  endroits 
(jue  j'ai  en  quelque  façon  déguisés  pour  les  tourner  à 
l'avanlaçe  de  notre  créance. 

Les  libraires  ont  imprimé  ensuite  de  ce  traité  quan- 
tité de  mes  vers,  avec  les  ignorances  que  j'y  ai  laissées 
cl  avec  les  crimes  <iue  mes  ennemis  y  ont  ajoutés;  j'ai 
éclairci  la  Cour  de  tout  ce  qui  étoil  de  ma  composition, 
cl  remlu  toutes  mes    pensées   manifestement  innocentes. 

On  m'apporta  d'antres  faits  sur  la  prose  d'un  second 
tome  imprimé  en  mon  nom,  mais  je  fis  voir  clairement 
l'impertinence  des  accusateurs,  qui,  par  des  subtilités 
scolastiques,  avoient  embrouillé  le  sens  de  mes  écrits,  et 
d'une  malice  aveuglée,  pensant  profiter  de  mon  peu  de 
mémoir(',  produisoicnt  des  périodes  imparfaites  en  des 
choses  où  le  mécompte  d'une  syllabe  peut  d'une  pensée 
innocente  faire  un  crime. 

Messieurs  mes  commissaires  étoient  bien  aises  que  j'é- 
vitasse les  surprises,  et  se  montrèrent  toujou.-s  aussi 
prompts  à  me  justifier  (ju'à  me  convaincre.  Après  que 
je  me  fus  purgé  de  tout  ce  qu'on  pouvoit  reprendre  ou 
soupçonner  contre  moi,  dans  ces  deux  tomes  qui  portent 
mon  nom,  on  me  présenta  un  livre  intitule,  le  Parnasse 
des  vers  sali/riques  dont  j'étois  accusé  d'avoir  compilé 
les  rapsodies  et  les  avoir  mises  en  vente.  J'apportai 
pour  ma  défense  la  sentence  du  Prévôt  de  Paris,  obtenue 
contre  les  imprimeurs,  et  suppliai  la  Cour  de  considérer 
que  j'étois  le  premier  de  ma  profession  qui,  par  une 
aft'ection    aux  bonnes   mœurs  et  pour  oter   le  scandale 


20  0  THEOPHILE 

public,  avoit  fait  supprimer  de  telles  œuvres.  Ayant 
annulé  toutes  les  charges  que  ces  livres  me  pouvoient 
mettre  sus,  je  croyois  avoir  fini  les  interrogatoires  qui 
furent  de  trois  journées,  et  m'attendois  à  jouir  du  pri- 
vilèiçe  d'uii  peu  d'élargissement  qu'on  ne  me  pouvoit 
refuser  selon  les  formalités  du  Palais;  mais  l'hypo- 
crisie effi'ontée  de  ceux  qui  sollicitoient  ma  mort, 
avoit  rendu  mon  affaire  de  telle  importance,  et  fait 
estimer  ma  délivrance  si  dangereuse  qu'il  fallut  donner 
haleine  aux  calomniateurs,  et  leur  accorder  la  licence 
de  redresser  les  embûches  que  j'avois  évitées  jusques- 
là.  On  me  remit  dans  le  cachot  pour  quatre  mois, 
durant  lesquels  les  guichetiers  me  continuèrent  leurs 
inhumanités  avec  tant  d'excès  qu'on  eût  jugé  qu'ils  crai- 
gnoient  plus  mes  ennemis  qu'ils  ne  respectoient  leurs 
maîtres.  A  la  seconde  attaque,  qui  fut  de  quatre  jour- 
nées en  nouveaux  interrogatoires,  on  me  représenta 
plusieurs  manuscrits,  et  de  mes  amis  et  de  moy,  oii  il 
ne  se  trouva.  Dieu  merci,  non  plus  de  crime  qu'aux  accu- 
sations précédentes.  Le  Père  Garassus  avoit  malicieuse- 
ment altéré  quelques  vers  en  mon  Elégie  à  Thyrsis,  dont 
je  me  suis  justifié  par  mon  manuscrit,  qui  s'est  trouvé 
tout  contraire  à  l'imprimé  de  ce  faussaire.  Tout  ce  que 
j'ai  composé  et  avoué  est  encore  dans  le  greffe.  Si  j'étois 
assez  heureux  pour  le  faire  confronter  à  la  supposition 
de  Garassus,  lui  qui  fait  tant  du  subtil,  et  qui  profane 
si  impudemment  la  dignité  de  sa  profession,  se  trouve- 
roit  convaincu  d'une  fausseté  punissable  du  feu,  aussi 
bien  que  son  Compagnon,  qui  se  trouve  coupable  d'avoir 
suborné  des  témoins,  et  dont  la  conviction  est  à  la  con- 
noissance  de  la  Cour.  Permettez-moi,  Sire,  de  vous  dé- 


APPENDICE 


couvrir  cette  imposture,  et  prenez  la  peine  d'ouïr  les  fri- 
voles et  l'alomnieuses  dépositions  des  principaux  qui 
m'ont  été  confronttjs.  Le  premier  se  nomme  Anisé,  avo- 
cat, qui  se  fit  liii-miinc  tant  de  reproches  et  se  coupa 
si  souvent,  que  ^lonsieur  de  Vertamond  ne  se  put  tenir 
de  rire  de  ses  absurdités.  Cet  homme-là,  qui  me  fut 
confronté  avec  la  gravité  de  la  robe  et  du  bonnet  carré, 
lémoignoit  m'avoir  ouï  dire  que<[uand  je  couchois  sur  la 
dure  cela  me  meltoit  en  humeur.  Ces  impertinences  me 
l'ont  rougir,  et  supplie  très  humblement  votre  Majesté  de 
pardonnera  la  nécessité  qui  m'oblige  à  les  dire  jiar  leurs 
termes,  et  non  par  les  miens.  11  ajoutoit  encore  que 
certain  Pavicj  à  qui  je  n'ai  jamais  parié,  l'avoit  entretenu 
de  ([uelques  discours  profanes  qu'il  suppo-oit  venir  de 
moi.  Le  sens  en  étoit,  que  je  disputois  si  l'âme  étoit  dans 
le  sang.  C'est  un  discours  de  philosophie  dont  je  ne  suis 
point  capable,  il  ne  m'importe  qu'elle  soit  dans  le  sang 
ou  ailleurs,  pourvu  qu'au  sortir  du  corps  je  sois  assuré 
qu'elle  ne  perd  point  son  être.  Le  second  témoin  est  un 
homme  vagabond,  et  sans  autre  appui  (pie  du  P.  Voisin, 
qui  la  entretenu  aux  écoles  depuis  douze  ans  ;  il  se 
nomme  Sajot,  son  père  le  déshérita  pour  d'étranges  re- 
bellions qu'il  lui  avoit  laites  dès  l'âge  de  seize  à  dix-sept 
ans,  et  couroit  risque  de  passer  sa  vie  dans  de  grandes 
nécessités  s'il  ne  se  fût  rendu  agréable  au  Père  Voisin, 
qui  se  joignit  à  lui  d  unearteclioii  fort  particulière,  quoi- 
que ce  garçon  fût  alors  dans  uue  rc'putalion  très  hon- 
teuse. Depuis  le  commerce  qu'il  eut  avec  ce  religieux,  il 
n'amenda  point  sa  vie,  car  les  débordenneuts  qu'il  conli- 
nuoit,  au  scandale  du  collège,  lui  tirent  interdire  la  con- 
versation de   quelques  écoliers  de  la   Flèche  qu'il   avoit 


2.52  THÉOPHILE 

tâché  de  corrompre.  La  contrainte  de  lui  donner  des 
reproches  ma  fait  dire  quelques-unes  de  ses  infamies 
qui  l'ont  fait  pleurer  à  la  confrontation  ;  et  d'autant  que 
les  larmes  ne  se  peuvent  pas  écrire,  le  Greffier,  qui  est 
homme  de  bien,  témoig-nera  cette  vérité.  Sachant  bien  que 
la  trahison  lui  seroit  inutile  si  je  venois  à  la  découvrir 
pour  ce  que  je  savois  bien  ses  crimes,  il  changea  son 
nom  et  son  pays,  ce  qui  mérite  punition  exemplaire. 
Nonobstant  ce  déguisement,  le  regardant  fixement  aux 
yeux,  il  me  revint  quelque  image  d'une  personne  que  des 
accidents  très  notables  avoient  rendu  signalé  :  Tayant 
reconnu,  je  dis  modestement  quelques  secrets  de  sa  vie, 
assez  capables  d'aifaiblir  sa  déposition.  11  ne  nia  point 
qu'il  n'eût  été  en  ses  jeunes  ans  disciple  du  P.  Voisin , 
avoua  que,  depuis  leur  première  reconnoissance,  ils  s'é- 
toient  entretenus  d'une  amitié  très  étroite  et  d'une  con- 
fidence qu'ils  n'ont  jamais  interrompue,  qu'ils  avoient 
communiqué  ensemble  les  accusations  contre  moi,  et  que 
le  Père  Voisin  l'avoit induit  à  déposer.  Il  y  avoit  pour  le 
moins  quinze  ans  que  je  n'avois  vu  Sajot.  Il  dépose  que 
depuis  trois  ans,  il  m'avoit  ouï  dire  des  vers  sales  et 
profanes,  dont,  à  la  vérité,  il  ne  se  souvient  point;  il 
m'accuse  notamment  avoir  dit  que  je  ne  croyois  autre 
chose  que  Jésus-Christ  crucifié,  et  infère  de  là  que  je 
tiens  les  cérémonies  de  l'Eglise  peu  nécessaires.  Je  le  ' 
pressai  de  me  nommer  le  lieu  où  il  prétendoit  m'avoir  ^ 
vu,  en  présence  de  qui,  en  quel  jour,  et  à  quelle  heure  i 
j'avois  parlé  à  lui,  il  répond  qu'il  n'en  sait  rien,  et  con-  j 
fesse  toujours  que  le  Père  Voisin  lui  a  dit  qu'il  étoit  | 
obligé  de  déposer  contre  moi.  II  se  trouve.  Sire,  que  cet  , 
homme-là  est  aux  gages  du  Père  Voisin,  qu'il  est  neveu 


ArPENDICE  253 

il'une  Ds-tne  Mercie,  qui  contribue  aussi  à  la  nourriture 
de  Sajot.  Celle  femme  est  confidente  du  Père  Voisin  et 
du  Prévôt  le  Blanc. "car  aussitôt  que  je  fus  pris,  le  Blanc 
s'en  conjoait  par  lettre  avec  le  P.  Voisin,  et  adressa  son 
paquet  à  la  Dame  Mercie,  qui  comnuiiiique  ordinairement 
avec  ce  Religieux.  La  lettre  m'est  tombée  entre  les  mains. 
11  y  avoit  entre  autres  termes  de  respect  pour  ce  Père, 
qu'il  m'avoit  si  soigneusement  veille  qu'enfin  il  m'avoit 
attrapé,  selon  le  commandement  qu'il  en  avoit  reçu  de 
Sa  Ilévérence.  Il  me  fut  encore  confronté  un  sourd,  nommé 
Bonnet,  avocat  à  lîourçcs,  qui  déposoit  m'avoir  ouï  dire 
en  la  présence  du  Père  Philippes,  capucin,  qu'il  y  avoit 
dos  gens  qui  se  rcpcnliroient  de  m'avoir  tiré  de  la  dé- 
hanche. Le  Père  Philippes  a  rendu  des  témoignages 
tous  contraires  à  cette  imposture. 

Tous  les  autres  témoins,  hormis  un  que  je  dirai  après, 
ne  m'accusent  point  de  m'avoir  jamais  vu  faire  ni  ouï 
dire  quelque  chose  de  repréhcnsible.  Ils  ne  connoissent 
pas  même  ma  personne,  et  n'ont  autre  instruction  que  les 
livres  et  les  sermons  de  mes  accusateurs.  Ici  je  ne  me 
puis  taire  de  l'intégrité  de  monsieur  le  Procureur  Géné- 
ral, qui  ayant  pris  le  soin  d'en  examiner  quelques-uns, 
même  des  libraires,  qui  confessent  avoir  pris  part  en 
l'impression  du  Parnasse  Satyrique,  il  a  si  bien  sondé 
cette  vérité  que  tous  les  témoins  qu'il  a  produits  n'ont 
parlé  qu'à  ma  décharge. 

Celui  qui  reste  se  résout  de  me  faire  un  pur  assassi- 
nat, car,  sans  accompagner  sa  déposition  d'aucune  cir- 
constance, ni  couvrir  d'aucun  prétexte  les  calomnies 
qu'il  m'improperoil*,  il  fit  une  copie  de  tout  ce  qui  est 
de  plus  exécrable  dans  le   Parnasse,  et  sans  m'accuser 


2^4  THE0P5HLE 

toutefois  d'avoir  rien  contribué  à  la  composition,  il  me 
soutint  en  justice  qu'il  avoit  appris  par  cœur  ces  vers 
infâmes  à  me  les  ouïr  dire  plusieurs  fois,  et  en  diverses 
compagnies  où  il  avoit  eu  ma  fréquentation,  depuis  dix 
ou  douze  ans  qu'il  disoit  me  connottre.  Je  n'eus  point 
d'autre  reproche  à  lui  faire,  sinon  que  je  ne  le  connois- 
sois  point  du  tout,  et  priai  monsieur  de  Vertamond  de 
lui  faire  dire  le  lieu  et  les  personnes  qui  peuvoient  faire 
foi  de  sa  déposition.  Il  ne  sut  dire  ni  rue,  ni  maison  où 
il  m'eût  vu,  ni  ne  se  peut  ressouvenir  d'un  seul  homme 
parmi  tant  de  conversations.  Là  je  priai  la  Cour  de  con- 
sidérer que  cet  homme,  incapable  de  se  ressouvenir  des 
maisons  et  des  personnes,  qui  sont  objets  fort  apprélien- 
sibles  à  la  mémoire,  n'étoit  pas  croyable  de  se  ressouve- 
nir d'un  vers,  qui  n'est  qu'un  son;  et  je  le  voulus  obliger 
d'en  réciter  quelqu'un,  mais  le  témoin  se  trouva  muet. 
Je  m'aperçus  encore  que,  dans  les  premiers  interrogatoi- 
res, on  m'avoit  représenté  une  ligne  de  prose  pour  un 
vers,  ce  qui  me  donna  des  ombrages  d'un  faux  témoin. 
Je  trouvai  dans  cette  déposition  ce  vers-là,  qui  étoit  failli 
tout  de  même  dans  l'impression  du  Parnasse  Salyrique; 
si  bien  qu'il  appert  clairement  qu'il  a  retenu  cette  faute 
des  imprimeurs  et  non  pas  de  moi,  pour  ce  que  les  moins 
versés  dans  la  Poésie  ne  sauroient  faillir  en  la  mesure 
des  syllabes.  La  condition  de  la  personne  rendoit  aussi 
son  témoignage  très  suspect,  car  un  homme  de  sa  sorte 
ne  se  trouve  pas  ordinairement  à  ouïr  des  vers  ;  c'est  un 
boucher  de  la  rue  Saint-Martin,  nommé  Guibert.  Voilà, 
Sire,  la  somme  de  toutes  les  charges  qui  ont  si  longtemps 
entretenu  les  espérances  orgueilleuses  de  quelques  hypo- 
crites, qui  ne  savent  montrer  leur  dévotion  que  par  la 


APPENDICE  20.-) 

cniautr,  cl  q\ii  croient  que,  hors>  de  leur  cabale,  il  n'y  a 
point  de  salut.  Us  murmurent  encore  après  mon  arrêt,  et 
ne  se  peuvent  satisfaire  de  la  justice  de  Dieu  et  de  celle 
(lu  Parletncnt,  parce  qu'ils  n'ont  pas  du  tout  accompli 
leur  haine.  Ils  cherchent  tous  les  jours  des  prétextes  nou- 
veaux à  rallumer  leur  persécution,  font  courir  en  mon 
nom  des  vers  mal  faits  et  malicieux,  qui  déshonorent  la 
réputation  de  mes  mœurs  et  de  mon  esprit... 

TlllioPUlLE. 


IV 

LEXIQUE 

AccOMi'AUER  (S').  —  Encorc  usité  quelquefois  au  xvn» 
siècle,  pour  comparer. 

AVETTE. —  Pour  abeille.  Déjà  fort  archaïque  au  xvii''  siècle. 

DRANLAM  .  —  Un  œil  branlant,  qui  remue  constamment, 
hagard. 

BRioNO.N.  —  Se  disait  concurremment  avec  brugnon. 
Cf.  Richclet. 

CARROSSE  (La).  —  Premier  genre  de  ce  mot,  qui  est  l'ita- 
lien carrocca. 

CATERRE.  —  Forme  plus  usitée  au  xvii«  siècle  que 
catarrhe.  De  même,  giiiterre  i>o\xr  tjui tare. 

COMMUNE  (La).  — Le  peuple,  le  vulgaire. 

CONSOMMER.  —  Lcs  nuanccs  entre  consumer  et  con- 
sommer ne  sont  pas  encorc  déterminées  au  temps 
de  Théophile.  Plus  tard,  Corneille  hésitera  encore. 

COKAL.  —  Forme  ancienne  de  corail,  très  usitée  au 
xvu"  siècle. 


200  THÉOPHILE 

€OUPEAu.  —  Cime.  Corneille  :  «  Un  passereau  —  Qui 
d'un  arbre  écarté  s'est  choisi  le  coupeau.  »  [Imi- 
tation.) 

couRO^■^"E.  —  Royaume.  Cf.  trois  vers  plus  bas  ;  Petit 
empire. 

CROÎTRE.  —  Se  prononçait  craitrc  et  rimait  donc  avec 
paraître  qui  avait  le  son  actuel. 

ÉcoT.  —  Théophile  semble  donner  à  ce  mot  le  sens  de 
festin,   régal. 

ÉcuRiEu.  —  Forme  dialectale  de  écureuil.  Se  trouve 
dans  Rabelais.  Cf.  Jaubert,  Glossaire. 

ÉLOIGNER.  —  Est  encore  employé  au  xvu"  siècle  au  sens 
de  s'éloigner  de.  Donc,  CLtte  contrainte  d'éloigner 
votre  cour  veut  dire  :  De  m'éloigner  de  votre  cour. 

EMPÊCHER.  —  Embarrasser. 

EMPIÉTER.  —  Est,  au  sens  actif,  un  terme  de  fauconne- 
rie :  tenir  entre  ses  serres. 

ÉPARTiR.  —  Séparer,  répandre. 

ÉTUDE.  —  Se  faisait  encore  masculin  :  Studiam. 

EXQUIS.  —  Raffiné.  Cf.  Bossuet  :  «  Un  supplice  plus 
exquis  ». 

FAVEUR.  —  A  la  faveur  de  doit  se  comprendre  en  fa- 
veur de,  et  à  ma  faveur  signifie  en  ma  faveur . 

FUIR.  —  Se  faisait  encore  parfois  de  deux  syllabes. 

GOMME.  —  Les  larmes   des  Héliades  changées  en    ambre. 

HYDROMELLE.  —  Cette  formc,  pour  hydromel,  se  ren- 
contre au  xvi"  siècle. 

iGAOMiNiE.  —  Doit  être  entendu  en  un  sens  moins  bas  que 
maintenant. 

IMPOURVUE  (A  1').  —  Au  dépourvu,  à  l'improviste. 


APPENDICE  Sjy 

iMi'Hoi'LKKii.  —  C'est  du  pur  laliii  :  improperare,  repro- 
cher, imputer  :  €  Dont  il  m'impropiToil  »,  dont  il 
me  chargeait. 

INFAMIE.  —  Même  remarque  que  pour  Ii/noniinie. 

Li.NE.  —  Ligne.  Orlhofrraphe  conforme  i»  la  prononcia- 
tion du  xvii»  siècle.  Bénigne,  Cggne,  ligne,  maligne, 
signe,  signet  se  prononçaient  bénine,  cyne,  Une,  ina- 
line,  sine,  sinct.  Ce  dernier  mot,  signet,  a  rt'sisté. 

MALiNR.  —  Voyez  Line. 

MAHïYUEK.  —  Martyriser.  Richelet  dit  que  marigrer  est 
vieux  et  que  martyriser,  au  sens  profane,  n'entre  pas 
dans  le  beau  style.   On  n'employait  que    tourmenter. 

MÉMOiuE  (De  la).  —  Dont  on  ail  gardé  la  mémoire. 

MEURE.  —  Mûre,  fruit.  Se  prononçait  comme  mainte- 
nant et  ne  pouvait  rimer  que  pour  l'œil  avec  demeure. 

NAVIRE  (La).  —  Bossuet  fait  encore  navire  du    féminin. 

oïl».  —  Ancienne  forme  de  ouïr.  De  là  :  oy,foy,  il  oit, 
j'oirrai.  Nous  avons  conservé  oyez  et  oyant,  etc. 
Dans  la  coojugaison  actuelle,  fort  irrégoilicre,  les 
deux  formes  ouïr  et  oïr  sont  mêlées,  ce  qui  donne  : 
ouï  et  nous  oyons. 

OMBRAGEUX.  —  Cousidéré  comme  incorrect,  au  sens  de 
ombreua:. 

ORFRAIE.  —  Il  s'agit  de  Veffraie  ou  fresaie,  variété  de 
chouette.  L'orfraie  est  un  oiseau  de  mer.  Cette  confu- 
sion est  générale,  depuis  des  temps  très  anciens,  dans 
la  littérature  française,  si  générale  qu'il  faudra  peut- 
être  finir  par  en  prendre  son  parti.  Il  semble  d'ail- 
leurs vraisemblable  [que  effraie  ne  soit  que  la  défor- 
mation de  orfraie,  sous  l'influence  de  effrayer.  Le 
retour  à   os/raie  ou  or/raie  (latin  ossifraga)  aurait 

«7 


258  THÉOPHILE 

été   l'œuvre  des   t  tymologistes  amateurs  qui  ont,  de 
tout  temps,  ravagé  la  langue  française. 

OL'RSE.  —  Perdre   son  ourse.  Nous  disons:  Perdre  le 
nord.  L'étoile  polaire,  qui  marque  le  nord,  se  trouve 
dans  la  Petile-Ourse. 
OUVRIER.  —  Se  prononçait  de  deux  syllabes. 

l'AviE.  —  Variété  de  pêche. 

j'AVSAx,  —  De  deux  syllabes  :  Prononciation  dialectale, 
toujours  en  usage  en  beaucoup  de  régions. 

PERDRIEZ  (Vous).    —   Dc  deux  syllabes. 

PORTAL.  —  Pour  portail.  C'est  encore  la  forme  courante 
au  xvi"  siècle. 

pouRMENER.  —  Forme  archaïque  de  promener. 

QUE  c'est.  —  Ce  qu'il  en  est. 

RAIS.  —  La  forme  régulière  serait  rai,  pluriel  rais. 

RELACHER.  —  Théophile  emploie  ce    mot   au  sens  d'é- 
chapper. 

RENGRÉGER.  —  Acfgruvcr  :  «  Ma  douleur  se  rengrége  », 
a  dit  Régnier. 

REPARTIR.  —  Répondre. 

ROKSART.  —  La  vraie  forme  est  Ronsard. 

SANGLIER.  —  Etait  encore  de  deux  syllabes. 

SEMELLE.  —  Sémélé. 

SEMONDRE.  — Avertir. 

SOULAS.  —   Encore  employé  par   Corneille  :  «   Vain    et 
faible  soûlas.  » 

TAKDis.  —  Adverbe  :  Pendant  cela. 

TESTOx.  —  Pièce  de  monnaie  qui  valait  alors  une   quin- 
zaine de  sous. 

TIRASSE.  —  Filet. 


APPENDICE  269 


V 

BIBLIOGRAPHIE 

^  Ici-, —  Œuvres  de  Théophile,  ou  attribuées 
à,  Théophile,  ou  concernant  son  procès 

Le  Catalogue  de  la  Dibliothiqur  du  l'oij,  1750,  donne 
la  liste  suivante  des  œuvres  de  Tliéopliiic,  ou  qu'on  lui 
attribuait,  ou  qui  le  concernaient  : 

1.  Les  œuvres  de  Théophile;  Lyon,  iG3o. 

2.  Les  œuvres  de  Théophile  ;  Rouen,  if)3G. 

3.  Nouvelles  œuvres  de  Théophile,  composées  d'excel- 
lentes lettres  fran(;oises  et  latines,  recueillies  et  corrigées 
parM.  Mayret;  Paris,  1G48  (Portrait  par  Danet). 

4.  Les  œuvres  de  Théophile;  Paris,  iG36. 

5.  Les  œuvres  de  Théophile;  Paris,  1C61. 

6.  Le  tableau  salyrique  des  Pères  de  la  Société,  en 
vers,  par  Théophile. 

7.  Recueil  de  toutes  les  pièces  faites  par  Théophile, 
depuis  sa  prise  jusques  à  présent;  tG34. 

8.  EloE^e  du  duc  de  Luynes,  avec  l'avis  au  Roy,  par 
Théophile;  1G20. 

9.  Vers  présentés  au  Roysur  l'exil  de  Théophile;  1620. 

10.  Les  Aventures  de  Théophile  au  Roy,  par  lui  faites 
pendant  son  exil  ;   1624. 

1 1 .  La  Remontrance  à  Théophile  ;  1620. 

12.  Plainte  de  Théophile  à  un  sien  ami  pendant  son 
absence;  i6a3. 


26o  THÉOPHILE 

i3.  Réponse  de  Tircis  à  la  plainte  de  Théophile,  pri- 
sonnier, en  prose  ;  1G23. 

i4-  Théophile  au  Roy  sur  son  exil;  1624. 

i5.  Dialoj^ue  de  Théophile  à  une  sienne  maîtresse,  l'al- 
lant visiter  en  prison,  en  vers  ;  1624. 

16.  La  Maison  de  Silvie,  par  Théophile;  1624. 

17.  La  Pénitence  de  Théophile;  1G24. 

18.  Prière  de  Théophile  aux  poètes  de  son  tennps,  en- 
semble la  compassion  de  Philolhée  aux  misères  de  Théo- 
phile; 1624. 

ig.  Requête  de  Théophile  au  Roy;  1624. 

20.  Requête  de  Théophile  au  Parlement, en  vers;  1624. 

ai.  Requête  de  Théophile  à  M.  le  Premier  Président, 
en  vers  ;  1624- 

22.  La  Rome  ridicule,  caprice;  1628. 

28.  Les  soupirs  d'Alexis  sur  la  retenue  si  longue  de 
son  ami  Théophile  ;  i6a4- 

24.  La  tragédie  de  Pasiphaé,  par  le  sieur  Théophile  ; 
Troyes,  1621. 

26.  Vers  pour  le  ballet  des  Bacchanales,  par  Théo- 
phile Viaud,  Marc  Ant.  de  Gérard  de  Saint-Amant,  du 
Vivier,  Sorel,  Bois-Robert  Metel  ;  1628. 

Un  recueil  factice  du  temps  contient  les  pièces  sui- 
vantes : 

26.  La  Prise  de  Théophile  par  un  Prévôt  des  maré- 
chaux, dans  la  citadelle  du  Castelet  en  Picardie,  amené 
prisonnier  à  la  conciergerie  du  Palais,  le  jeudi  28  de  ce 
mois  (septembre)  ;   1628. 

27.  Theophilus  in    carcere  ;  1624. 

28.  Consolation  à  Théophile  en  son  adversité;  1624. 


Ari"KM>li;K  20  1 

?ij.  Les  Larmes  de  Tliéopliile  prisonnier,  sur  l'cspi;- 
rance  de  sa  liberté;  iGî/|. 

3o.  Apologie  de  Théophile. 

Ajoutons,  d'après  Niceron,  .Mémoires,  tome  XXXV'l  : 

3i.  Lettre  de  Damon  envoyée  à  Tircis  et  à  Théophile, 
ausujot  de  sou  interrogatoire  du  18  novembre  iGaS  ;iG23. 

32.  Arrêt  de  la  Cour  du  Parlement  ;  1623. 

33.  Atteinte  contre  les  impertinences  de  Théophile, 
ennemi  des  bons  esprits  ;  i6î4. 

34.  L'apparition  d'un  fantôme  à  Théophile  dans  les 
sombres  ténèbres  de  sa  prison  ;  ensemble  les  {)ropos  te- 
nus enire  eux  ;  1G34. 

35.  Récit  de  la  mort  et  pompe  funèbre  observée  aux 
obsèques  du  S'  Théophile;  1G2G. 

3G.  Discours  remariiuabic  de  la  vie  et  mort  de  Théo- 
phile; iGr>G. 

37.  Le  Testament  de  Théophile;   1G2G. 

38.  La  rencontre  de  Théophile  et  du  P.  Coton  en 
l'autre  monde  ;   1G2G. 

3(j.  L'ombre  de  Théophile  apparue  au  P.  Garasse; 
iGaO. 

4o.  I''asiphaé,  tragédie,  revue,  corrigée  et  embellie, 
^c.  ;  i6a8. 

Ajoutons  encore,  d'après  les  catalogues  actuels  de  la 
Bibliothèque  Nationale  : 

4i.  Le  bannissement  de  Théophile  présenté  au  Roi  ; 
lOao. 

4a.  Le  Théophile  réformé  ;   1G23. 

43.  Procès-verbal  de  l'emprisonnement  de  Théophile; 
1623. 


262  THÉOPHILE 

44-  Lettre  consolaloire  à  Théophile  ;  1G23. 

45.  Le  Sacrifice  des  Muses,  par  le  sieur  H.  Théophile, 
frère  du  défunt  Théophile  ;   1627. 

46.  Répouse  du  sieur  Hydaspe  au  sieur  de  Balzac, 
sous  le  nom  de  Sacrator,  touchant  l'Anti-lhéophile  et 
ses  écrits  ;  1624. 

47.  Factum  de  Théophile  ;  ensemble  sa  requête,  etc.  ; 
1625. 

48.  Consolation  sur  la  résolution  de  la  mort  ;  ensemble 
l'adieu  du  monde,  adressé  aux  beaux  esprits  de  ce  temps; 
1625. 

49.  Miroir  de  la  cour,  sur  lequel  les  revers  et  lincons- 
tance  de  la  fortune  se  voient,  adressé  au  sieur  Théophile; 
1625. 

50.  Le  Théâtre  de  la  fortune  des  beaux  esprits  de  ce 
temps;  ensemble  l'action  de  grâce  sur  la  liberté  de  Théo- 
phile; 1G25. 

5i.  Le  triomphe  de  Minerve,  par  les  muses  d'Hippo- 
crène,  sur  l'heureuse  liberté  du  sieur  Théophile  ;  1626. 

.52.  La  honteuse  fuite  des  ennemis  de  Théophile  après 
sa  délivrance  ;  1625. 

53.  L'oraison  funèbre  de  Théophile,  avec  la  défense 
des  Jésuites  ;  1626. 

54-  Discours  remarquable  sur  la  vie  et  la  mort  de 
Théophile;  1626. 

55.  La  mélemphycose  (sic)  de  Théophile,  ou  le  trans- 
port de  son  ombre  en  divers  corps  ;  1626. 

56.  La  descente  de  Théophile  aux  enfers;  1626. 

57.  La  première  lettre  que  Théophile  a  envoyée  de 
l'autre  monde  à  son  ami;  1626. 

Ajoutons  encore  ; 


AITENUICIC  2ti3 

58.  Le  Parna.sso  des  iniises  salyriques:  iGa^.  Ri'im- 
priiui- ru  iti:i7  sdiis  le  lilro,  (|iii  lui  est  rcsl<'-,  de  :  Par- 
nasse satjriquc  du  sietir  ThfO|iliile, 

Si).  i.i'S  Amours  trafiques  de  Pvrame  et  Thisl)é;  i6a6, 
iàs7  el  iti3o.  ^iielijiies  exemplaires  de  rédiliou  de  iGaG 
portent  ce  titre  singulier  ;  La  Traç^die  de  Monsieur  de 
Vendôme  el  monsieur  le  grand  Prieur,  son  Frère,  dans 
le  bois  de  Vincciincsà  leur  c^rand  regret.  Faict  par  Théo- 
phile devant  que  de  mourir. 

La  première  édition  colleclive  des  poésies  de  Théophile 
est  lie  i("iai  : 

fio.  Les  Œuvres  de    Théopiiile  ;  Paris,  QucsncI,  iGai. 

Vinrent  ciisuile  : 

61.  Les  (Euvres  de  Tliéo[iliiIe  ;  iGaa. 

6a.  (.Euvrcs  de  Thi'opliile.  revues,  corrigées  et  aug- 
mentées.  Parties  I  et  JI.  Paris,   Billaine,  i6i>.'}. 

G.3.  Recueil,  etc.  (Vo3'ez  n»  7).  Réimprimé  en  iCa», 
iGsG  el  1637. 

6/).  Œuvres  de  Théophile,  divisées  en  Irois  parlies; 
Paris,  Rillaine  et  Ouesnel,  1626;  Rouen,  Delamasse,  1G27, 
iGaS,  1G29;  Paris,  iOîq  ;  Lyon,  Alichon,  iG3o  (Portrait 
par  Palliotl. 

(T).  Œuvres  de  Théophile. publiées  par  Sciuléry;  Rouen, 
Oelaman,tG33.  —  Cetle  édition  a  élè  réimprimée  de  iGS^J 
à  1677,  tant  à  Pnris(pi'à  Lyon,  à  Rouen,  àlîûrdeaux,  etc., 
environ  cinijuanle  fuis. 

C6.  Œuvn-s  complètes  de  Théophile,  publiées  avec  une 
notice  bioijraphique  par  .^L  .\lleanme;  Paris,  iS.'jG,  2  vol. 
in-iG.  —  Cette  édition  contient  : 

I.  Préface  de  Scudéry.  Préface  de  l'auteur.  Le  Tom- 
beau de    Tiiéophile,   par   Scudcry.   De   l'immorlaiité    de 


204  THÉOPHILE 

l'âme.  Odes,  stances,  élégies,  satires,  sonnets,  épigram- 
mes.  Larissa. — II.  Au  Lecteur,  par  Théophile.  Frag- 
ments d'une  histoire  comique.  Elégies,  sonnets,  odes, 
stances.  Les  Amours  tragiques  de  Pyrame  et  Thisbé, 
tragédie.  Les  Requêtes  et  autres  poèmes  apologétiques. 
La  Maison  de  Sylvie.  Theophilus  in  carcere.  Lettres  à 
Mole,  à  Balzac  et  au  Roi. Nouvelles  Œuvres  de  Théophile- 
Dédicace  et  Avis,  par  Mairet.  Soixante-douze  lettres  en 
français.  Epître  d'Actéon  à  Diane.  Vingt-quatre  lettres 
latines.  Pièces  du  Parnasse  satyrique  attribuées  à  Théo- 
phile. 


I  2.  —  Autres  écrits  anciens,  où  il  est 
question  de  Théophile 

67.  La  Doctrine  curieuse  des  beaux  esprits  de  ce  temps 
par  Fr.  Garasse;  1628. 

68.  Apologie  du  P.  Fr.  Garasse;  1624. 

69.  Nouveau  jueement  de  ce  qui  a  été  dit  ou  écrit  pour 
et  contre  le  livre  de  la  Doctrine  curieuse  ;  1625. 

70.  Recueil  des  pièces  les  plus  curieuses  qui  ont  été 
faites  pendant  le  règne  de  M.  le  connétable  de  Luynes  ; 
1628. 

71.  Lettres  de  Phyllarque,  par  le  P.  Goulu;  162.. 

72.  ISIémoires  de  Mathieu  Mole  (Société  de  l'histoire  de 
France). 

78.  Mercure  français  ;  1619  et  1626. 

74.  Mémoires  de  Garasse, publiés  par  Ch.Nisard  ;  18G1. 

70.  Bibliothèque  française,  par  Ch.  Sorel;  1664. 


APPENDICr. 


265 


711.  Jugoincnls  des  Savants,  par  Baillet  ;  iGS.'). 

77.  Anli-Baillct,  par  Ménage;  lûgo. 

78.  Mémoires   pour  servir    à    l'iiisloirc    des    hommes 
illustres,  parle  P.  Niceron;  1727-1745. 

7g.  Bibliothèque    fran(;aise,  par  l'abbé    Goujet  ;   1740- 


55  3. 


Travaux   modernes   sur   Théophile 


80.  Th.  Gautier,  les  Grotesques. 

81.  Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi. 

8ï.  rhilarète  Chasles,  Revue  des  Deux  Mondes;  iSSg. 

83.  Bazin,  Revue  de  l'aris  ;  i83r). 

84.  Vicomte  de  Gaillon,  Bulletin  du  Bibliophile  ;  i855, 

85.  Allcaum^  (Voyez  n»  GC)). 

8G.  D'  Kaethe  Schirmacher,  Théophile  de  Viau;  Leip- 
sik,  1897. 

87.  Ch.  Garrison,  Théophile  et  Paul  de  Viau  ;  1899. 

88.  Eugène  Rittcr,  Revue   d'Histoire   littéraire  de  la 
France  ;  1902. 


^ 


(T 


TABLE  DES  MATIÈRES 


>-oriCE 


5 


LIVRE  PREMIER 
ODES  ET  ST.ANCES 

LE  MATIN,   ode : 21 

LA  SOLITUDE,   odc 24 

SUR  UNE   TEMPÊTE 3-1 

ODE  (Heureuse  tandis  qu'il  est  vivant'' 35 

A  ruiLis,  stances 36 

STANCES  {Mon  espérance  refleurit] 37 

STANCES  {Quand  lu  me  vois  baiser  tes  bras) 38 

CONSOLATION   A   .m""  DE  L 4° 

ODE  (L' infidélité  me  déplait) 43 

ODE  (Enfin  mon  amitié  se  lasse) 44 

ODE  {Un  corbeau  devant  moi  croasse) 4^ 

STANCES  [Le  plus  aimable  jour  qu'ait  jamais  eu  le 

monde) 46 


268  THÉOPHILE 

ODE  [Perfide,  je  me  sens  heureux) 4? 

ODE  [Claris,  pour  ce  petit  moment) 5i 

PRIÈRE  AUX  POÈTES  DE  CE  TEMPS 53 

LETTRE  A  SON  FRÈRE 67 

A  ciiiRON  MÉDECIN,   stanccs 64 

A  MONSIEUR  DE    L...    SUR  LA  MORT    DE  SON   PÈRE.  ....  O7 

LIVRE  H 
ÉLÉGIES  ET  SONNETS 

ÉLÉGIES    : 

A   UNE  DAME 72 

Aussi  souveni  qu'amour  fait  penser  à  mon  âme. .  78 

Souverain  qui  refais  l' influence  des  vers 81 

Claris,  lorsque  je  songe,  en  le  voyant  si  belle. . .  88 

Depuis  ce  triste  jour  qu'un  adieu  malheureux . . .  91 

Proche  de  la  saison  où  les  plus  vives  Jleurs 95 

SONNETS   : 

Tonorgaeil  peut  durer  au  plus  deux  outrais  ans.  100 

L'autre  jour,  inspiré  d'une  divine  Jlanime 100 

Si  quelquefois  Amour  permet  que  je  respire loi 

SONNET  DE  THÉOPHILE  SUR.  SON   EXIL 103 

SUR  LE  MÊME   SUJ  ET I o3 

On  n'avait  point  posé  les  fondements  de  Rome. . .  io4 

MinisLr£  du  repos,  sommeil,  père  des  songes....  io5 

Au  moins  ai-je  songé  que  je  vous  ai  baisée io5 

D'un  sommeil  plus  tranquille  âmes  amours  rêvant.  io6 

Chère  Isis,  tes  beautés  ont  troublé  la  nature 107 

Sacrés  mars-  du  soleil  où  j'adorais  Philis 1 08 


TAiii.E  ni:s  .MATii;ivES  ;>.0(j 

LIVIiE  III 
LA  MAISON  Di:  SYLVIE 

ODES 1  09 

LIVRE  IV 
PIÈCES  DIVERSES 

A  MONSIEUIX   Df  KARCilS.  . I  55 

SATIHE  rnEMikni: 1 58 

SECONDE  SATIRE lC3 

Sun  UN    BALLET  DU  ROI l66 

FHAC.MIC.MS    : 

Si  je  passe  en  un  jardinage 1 68 

Les  objets  tVctranfje  figure 16;) 

Celui  qui  lance  le  tonnerre 1 70 

La  paix,  trop  longtemps  désolée 172 

Chaque  saison  donne  ses  fruits 173 

Tous  nos  arbres  sont  dépouillés 1 75 

Lorsque  l'aube  ensuivant  la  nuit  qu'elle  a  chassée.  17O 

Que  mon  sort  ëloit  doux  s'il  eût  coulé  mes  ans..  177 

EPIGUAMMES  : 

Grâce  à  ce  comte  libéral 1 79 

Qui  voudra  pense  à  des  empires 180 

Mon  frère,  je  me  porte  bien 180 

Pour  être  divine  et  humaine j8i 

Je  naquis  au  monde  tout  nu 181 

LES    AMOURS    TBAGlyVES    DE  l'YRAME  ET  THISBÉ  (Frag- 

mcnls) 181 


270  THEOPHILE 

FRAGMENTS   d'cNE   HISTOIRE  COMIQUE IQO 

LARISSE 197 

APPENDICE 

BIOGRAPHIE 207 

JUGEMENTS   LITTÉRAIRES 2l5 

LE    PARNASSE  SATYRIQOE 229 

LEXIQUE 255 

BIBLIOGRAPHIE 258 


ACHEVE    D- IMPRIMER 
le    cinq  avril    mil    neuf    cent    sej.t 
l'.vn 

BLAIS  ET  ROY 

A   l'OITIEnS 

pour  le 
MERCVRE 

DE 

FRANCE 


MERCVRE 

DE  FRANCE 

(Série  modtrn») 

26,    R«E    DE   CONDÉ.    PARIS 

paraît  le  i"""  et  le  i5  de  chaque  mois 

Littérature,  Poésie,  Théâtre,  Musique 

Peinture,  Sculpture,  Philosophie,  Histoire 

Sociologie,   Sciences,  Voyages,   Bibliophilie 

Sciences  occultes 

Critique,  Littératures  étrangères 

Revue  de  la  Quinzaine 


Le  Mercure  de  France  occupe  dans  la  presse  une 
place  unique  :  il  est  établi  sur  un  plan  très  différent 
de  ce  qu'on  a  coutume  d'appeler  une  revue,  et  cepen- 
dant plus  que  tout  autre  périodique  il  est  la  chose  que 
signifie  ce  mot.  Les  deux  tiers  au  moins  des  matières 
qu'il  publie  ne  sont  jamais  réimprimées  :  il  garde 
ainsi  une  inappréciable  valeur  documentaire.Etcomme 
il  est  attentif  à  tout  ce  qui  se  passe,  à  l'étranger  aussi 
bien  qu'en  France,  dans  presque  tous  les  domaines, 
il  présente  un  caractère  encyclopédique  du  plus  haut 
intérêt. 

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POITIERS.  —    IMP.  BLAIS    ET    ROY. 


La  Bibliothèque  The 

Université  d'Ottawa  Universij 

Echéance  Date 


1  3: 


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â39003  002379278b 


CE  PC   1933 

.^5     19C7 

CÛ2   VIAUt  THEÛPh 

ACC#  1341497 


THEQPhlLE