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nOU.ECTlOS DES PLUS BELLES PAGES
c c'
Théophile
ODES ET STANCES. — ÉLÉGIES ET SONNETS
I A MAISON DE SYLVIE; FRAGMENTS : PTRAHE ET TTSDÉ ;
POÉSIES niVERSES; CONTES
appendice: docoments biographiques; anecdotes;
jugements littéraires ;
le parnasse satyrique et le procès. — bibliographie
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Théophile
ODES ET STANCES. — ÉLIiGIES ET SONNETS
I.A MAISON DE SYLVIE. FRAGMENTS .* l'YRAME ET TTSBli ;
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XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
BIBLIOTHECA j
tiàv en?'
Jyf , ^
II faut un peu d'adresse à bien cueillir des roses.
TUÉOI'IIILE.
NOTICE
THÉOPHILE
a Depuis ce temps-là, écrivait Sorel, dans sa
Bibliothèque française, en i6G4, nos premiers
poètes furent Théophile et Saint-Amant. » De-
puis ce temps-là, c'est-à-dire depuis Malherbe
et son école, jusqu'au renouveau de lOGo, Théo-
phile est en efFet avec Saint-Amant, délaissé
un peu plus vite, avec Tristan Lhermite et Guil-
THEOPHILE
laume Golletct, connus seulement dans un cer-
cle, à peu près le seul poète. Sa vog'ue dura
environ soixante ans,' et pendant ce larg'e
demi-siècle, ses poésies furent réimprimées,
chaque année à peu près, soit à Paris, soit à
Rouen, Lyon ou Bordeaux. C'était plus que
la vog'ue, c'était la gloire; sans Boileau, Théo-
phile eût sans doute continué de régner jusqu'à
la fin de l'ancienne littérature française. L'idole
renversée, le socle resta vide. La démolition de
Théophile l'ut celle de la poésie lyrique person-
nelle : depuis la Maison de Sylvie jusqu'à la
Jeune captive, la poésie française fut dramati-
que, satirique, précieuse, burlesque, éloquente,
spirituelle, et même tendre, quoique pas sou-
vent, elle ne fut jamais plus lyrique. Une veine
qui remontait jusqu'aux trouvères, et plus haut,
jusqu'aux anciens provençaux, se trouva tarie.
Il y a là une curieuse modification du g-énie et
du goût français; laquelle, si elle est explica-
ble, n'a pas encore été expliquée, car Boileau
n'est sans doute qu'une cause seconde. Un
critique n'a raison que si le public, d'avance,
lui donne raison.
Théophile a donc un grand intérêt. Il mar-
que la date où meurt un genre qui ne devait
iciiattre que deux cents ans plus tard dans la
forme môme où il avait ôté enseveli. Le roman-
tisme renoue si naturellement avec Théophile
qu'il est encore permis d'en manifester quel-
que surprise et aussi quelque contentement,
(]ela permettrait, en opposition à des idées qui
ont pris corps récemment, de considérer le
romantisme lyrique comme le développement
d'un g-erme national et non plus comme une
importation étrang-ère. Théophile Gautier,
retrouvant un des siens dans cevieux Théophile
de Viau, fut heureux. Soyons-le avec lui et
reconnaissons que le lyrisme personnel, s'il est,
comme le disent les néo-classiques, une dépra-
vation de la poésie, est, du moins, chez nous, une
dépravation traditionnelle.
La Bruyère, dans son jugement, joint Théo-
phile à Malherbe, preuve qu'à la fin du dix-
septième siècle Théophile g-ardait encore son
rang". « Ils ont, dit-il, tous les deux connu la
nature. » Malherbe en aurait fait l'histoire et
Théophile, le roman. Gela n'est plus très clair
pour nous, qui avons vu tant de romanciers
de la nature, infiniment plus romanesques que
Théophile. Mais ne retenons que le premier
terme. Théophile a connu la nature. Cela sera
THEOPHILE
Tune de ses originalités. Non pas que l'intimilc
avec la nature soit rare à cette époque de la poé-
sie française. Malherbe, Racan, Maynard, Saint-
Amant lui-même sont des poètes de la nature
et qui aiment les champs et les bois, les fleuves,
la mer, mais Théophile a peut-être regardé les
paysag-es d'un peu plus presque ses contempo-
rains. D'un peu trop près, pensait La Bruyère :
« Il s'appesantit sur le détail » ; d'assez près,
dirons-nous, au contraire, pour que ses dessins
soient formés avec une précision ing-énue. Il y
a encore bien des réminiscences littéraires dans
les paysages de Théophile, et aussi bien des
feintes et bien du mauvais goût, mais on y
verra çà et là des traits et même des figures
d'une élégante et juste simplicité :
La charrue écorche la plaine,
Le bouvier qui suit les sillons
Presse de voix et d'aiguillons
Le couple de bœufs qui l'entraîne.
Alix apprête son fuseau,
Sa mère qui lui fait sa lâche
Presse le chanvre qu'elle attache
A sa quenouille de roseau.
Une confuse violence
Trouble le calme de la nuit
l'it la Iuniit"'iv nxrc \c hniil
Uissipoiil l'umliic cl le silence.
Mais pourquoi faut-il <jue, danscelte ac^rôable
description du malin, il fasse intervenir « le
îjénéreux lion « et, ce qui est pire, « sa dame
entrant dans les hocaj^cs ■»? C'est que Théophile
ne possède pas encore l'art de localiser un pay-
sajafe. II veut nous décrire un matin universel,
et son tahleau, heureux dans le détail, est, dans
l'ensemble, incohérent.
Le Matin, cette ode célèbre et d'après la-
quelle on juge toujours du pi'Oilt de Théophile
et de sa sensibilité pour la nature, n'est qu'un
charmant exercice de rhétorique. Il y a cepen-
dant un Théophile ivre des beautés champêtres
et amoureux de son pays natal ; il se révélera
beaucoup plus tard, après son procès, quand
il écrit à son frère, quand il révc, après tous ses
malheurs, du ciel et des jours de son enfance :
S'il plaît à l.T l)onlé des cioux,
Encore une ibis en ma vie
Je paîtrai ma dent et mes yeux
Du rouiçe éclat de la pavie. ..
Je verrai sur nos grenadiers
Leurs rouges pommes cnlr'ouvertes
Où le ciel, comme à ses lauriers,
10 THEOPHILE
Garde toujours des feuilles vertes...
Je reverrai fleurir nos prés.
Je leur verrai couper les herbes,
Je verrai quelque temps après
Le paysan* couché sur les gerbes,
Et comme ce climat divin
Nous est très libéral de vin,
Après avoir rempli la grange
Je verrai du matin au soir
Comme les flots de la vendange
Ecumeront dans le pressoir...
Aucun poète contemporain n'est capable
d'une chanson aussi familière, et c'est un des
charmes de Théophile qu'il ait osé être aussi
personnel et aussi doux.
La Maison de Sylvie^ qui date de la même
époque, est d'une inspiration moins naturelle,
mais le talent de Théophile y est très sûr et très
maître de lui. La Maison de Sylvie, c'est le châ-
teau de Chantilly, et Sylvie, c'est Marie-Fôlice
des Ursins, duchesse de Montmorency. Théo-
phile passa près d'elle les derniers et peut-être
les plus doux mois de sa vie. En cet asile
mag-nifique, il devient un homme nouveau; le
temps est loin où il s'écriait : « Mon âme inca-
gue les destins ! » Les destins lui sont si clé-
ments, enfin, qu'il les adore. La Maison de
Sylvie est bien, comme on l'a dit, une suite
«rodes à la Joie :
Dans ce parc, un vallon secret
Tout voilé de ramatijes sombres,
Où le soleil est si discret
(Ju'il n'y force jamais les ombres.
Presse d'un cours si dilii^ent
Les flots de deux ruisseaux d'arjjent
Et donne une fraîcheur si vive
A tous les objets d'alentour,
Oue même les martyrs d'amour
Y trouvent leur douleur captive.
Ce beau poème est g^âté, au yoût moderne,
par des touches de préciosité. Sylvie poche à la
ligne, et les poissons se battent « à qui plus tôt
perdrait la vie, en l'honneur de ses hameçons ».
La strophe suivante, encore dans le même ton,
est cependant très jolie :
D'une main défendant le bruit
Et de l'autre jetant la lii'ne *,
Elle fait qu'abordant la nuit,
Le jour plus bellement décline.
Le soleil craignant d'éclairer
Et craignant de se retirer.
Les étoiles n'osaient paraître,
Les flots n'osaient s'entrepousser,
Le zéphyre n'osait passer.
L'herbe se retenait de croître *.
THEOPHILE
Voilà une nature bien spirituelle. On la retrou-
vera dans le Songe de Vaux. La Fontaine a
beaucoup pratiqué Théophile. Il a su par cœur
la Maison de Sylvie ; cela est visible dans ses
premières œuvres : « A Malherbe, à Racan, il
préférait Théophile, y^
Voilà pour le goût de la nature. On aimera
ensuite Théophile pour la grâce qu'il sait don-
ner à l'expression de sa tendresse amoureuse :
Quand tu me vois baiser tes bras.
Que tu poses nus sur les draps,
Bien plus blancs que le linge même ;
Quand tu sens ma brûlante main
Se pourmener * dessus ton sein.
Tu sens bien, Cloris, que je t'aime.
Comme un dévot devers les cieux,
Mes yeux tournés devers tes yeux,
A genoux auprès de ta couche,
Pressé de mille ardents désirs.
Je laisse sans ouvrir ma bouche
Avec toi dormir mes plaisirs...
Théophile, bien qu'il se soit adonné, lui
aussi, aux Cloris et aux Mélicerles, avait un
certain sens du ridicule qui s'attache aux noms
mythologiques transportés dans notre civilisa-
tion. Amarante, dit-il,
i3
AmaraDte, Philis, Calistc, Pasilhée,
Je hais celte noblesse à vos uonis affectée,
et il continue par ce joli vers qui est un conseil
de naturel et Je simplicité :
Le plus beau nom du monde est le nom de Marie.
Quant à l'ode à la Malherbe, Théophile la
fait presque aussi bien que Malherbe lui-même :
Celui qui lance le tonnerre,
Qui gouverne les éléments,
Et meut avec des tremblements
La grande masse de la terre ;
Dieu qui vous mit le sceptre en main,
Qui vous le peut ôler demain.
Lui <iui vous prête sa lumière,
Et qui, malgré les fleurs de lys.
Un jour fora de la poussière
De vos membres ensevelis ;
Ce grand Dieu, etc.
Il y en a très long sur ce ton bien soutenu.
Bossuet mettra cela en prose : « Celui qui
règne dans les cieux,etc. »,et il paraît que du
coup cela devient très beau. Passons. La rhé-
torique n'est pas ce qui nous attire, ni dans
Théophile, ni dans Bossuet.
Faut-il accorder à l'auteur de quelques sati-
THEOPHILE
res ou épîtres, qui sont des professions de foi.
le mérite d'avoir été un poète philosophique?
Je crois que cela est nécessaire, car Théophile
eut peut-être autant d'influence par son incré-
dulité que par son talent. Sa philosophie d'ail-
leurs est brève et se résume à peu près par ce
vers :
J'approuve qu'un chacun suive en tout la nature.
Il ajoute, et sa vie donna à la maxime une
valeur déplaisante :
Jamais mon jugement ne trouvera blâmable
Celui-là qui s'attache à ce qu'il trouve aimable.
L'accusation de libertinag-e dont on charg'ea
Théophile n'aurait pas suffi à émouvoir la
justice si les Jésuites, on ne sait trop pourquoi,
ne s'étaient acharnés contre lui. Le projet de
réquisitoire de Mathieu Mole est un monument
de partialité stupide. Théophile écrit de sa maî-
tresse :
Tout seul dedans ma chambre, où j'ai fait ton église.
Ton image est mon dieu, mes passions, ma foi,
et le procureur lui impute cela à crime d'im-
piété !
Théophile était connu, ses vers se vendaient.
Cela fit que le sieur Lcstoc, imprimeur, donna
sous son nom le Parnasse des Muses satijri-
(jiies. Le P. Garasse dénonça ce recueil, d'ail-
leurs peu recommandabIe,ct, pendant que Tau-
torité royale laissait fuir Théopile, il s'achar-
nait, avec le P. Voisin et le lieutenant le
Blanc, contre l'imprudent poète. Théophile fut
pris ; le procès dura deux ans, et se termina
par un arrêt de bannissement. Mais l'exécution,
jÇràce à de puissantes protections, en fot pour-
suivie assez mollement et Théophile trouva à
Chantilly, puis au château de Selles, en Berry,
chez le duc de Béthune, un asile inviolable.
Quelle est sa part dans le Parnasse safi/-
rique? On n'en sait rien, ni s'il y collabora
volontairement. En tout cas, le livre sortait du
milieu libertin où fréquentait Théophile. Cela
n'a d'ailleurs aucune importance ; la plupart
des poètes connus du xix*= siècle ont fait des
vers obscènes; c'est un passe-temps comme un
autre, qui n'a pas nui à leur g'ioire, et qui ne
t-loit point nuire non plus à celle de Théophile.
On lui reprocherait plutôt Pi/rame et This-
bé, trag-édie déclamatoire et peu dig-ne, vrai-
ment, du chantre délicat de Sylvie. Disons
THEOPHILE
pourtant qu'elle contient une jolie scène, quel-
ques vers délicieux et que le rôle de Thisbé est
une esquisse assez curieuse.
Théophile a fait lui-même sa psycholog-ie
littéraire :
La règle me déplaît, j'écris confusément :
Jamais un bon esprit ne fait rien qu'aisément.
On lui tiendra compte de ce qu'il est mort à
l'âge même où Malherbe commençait d'écrire.
Théophile, avec les défauts d'un tempérament
trop ardent, d'une imagination insoumise,
d'une verve déclamatoire, était, comme en jugè-
rent ses contemporains, un beau génie.
Il a un autre mérite, et qui n'est pas mé-
diocre, ajouté aux autres. Théophile fut un
libre esprit, de la lignée des indisciplinés et
des incrédules. Elle remonte loin, dans la litté-
rature française, jusqu'au treizième siècle, et
peut-être plus haut. L'auteur à'Aucassin et
Nicoleite raille le paradis où ne vont que non-
nes et vieux prêtres et toutes vilaines gens qui
passent leur temps accroupis devant les autels ;
il veut aller en enfer où vont les beaux clercs
et les cavaliers, les belles dames courtoises avec
'7
leurs barons. C'est sans iloutc ce que répondit
Tlicophile au curù do Saint-Nicolas, qui s'en
courrouça. 11 était païen, de ce paganisme
admirable qui e.\it;e que l'on vive sa vie, avant
tout. Bientôt va commencer la grande littéra-
ture soumise au clergé, pendant laquelle Mo-
lière presque seul représente l'intelligence
affranchie. C'est dans Théophile et dans Cyra-
no, plus que dans l'équivoque Gassendi, que
Molière avait puisé sa philosophie. On n'est
pas un esprit secondaire, quand on prépare la
venue de plus grands esprits que soi. Théo-
phile est un de ceux qui ont maintenu le flam-
beau allumé. Des gouttes de cire brûlante sont
tombées sur sa main : c'est pour cela qu'elle
tremble un peu.
En cette édition, on a tâché de donner de
son talent une idée à la fois exacte et favorable.
Môme dans un Ronsard ou un La Fontaine, il
faut choisir. Nous avons choisi dans Théoj)hile,
sans rien omettre, pensons-nous, d'essentiel ou
de caractéristique. On trouvera en ce peu de
pages le poète lyrique, rélégiaque,le satyrique,
le dramatique même ; on trouvera le conteur.
l8 THÉOl'HILE
on trouvera, en appendice aux œuvres désinté-
ressées, l'apolog-iste de soi-même.
C'est un service à rendre à ces poètes qui
n'agréent plus qu'aux lettrés ou aux curieux,
d'allég'er leur bag'ag'e : écrasé sous les deux
tomes de ses œuvres complètes, Théophile,
chargé de ce seul petit volume, se relève et se
présente allègre à une lointaine postérité.
Gomme on fait pour Corneille^ son contem-
porain à quelques années près, pour Malherbe,
plus ancien, nous avons modernisé l'orthog-ra-
phede notre Théophile : l'usage de rajeunir les
imprimés du temps, quand il s'ag"it d'un Cor-
neille, et de les suivre strictement, quand il
s'agit d^un Théophile ou d'un Saint-Amant, est
absurde. Tous ont droit à une mesure ég"ale.
Voici du Corneille authentique : « le connoij
celuy-cy — Vay ueu que nostre peuple —
Oueussay-Jejait, Pollux... ? — Fust péry le
premier. y) Les seuls archaïsmes que nous avons
respectés sont leso// pour ait et quelques for-
mes que la rime impose, tel coral pour corail :
.... Pour se faire voir libéral,
Arrache de son sein avare
L'ambre, la perle et le coral.
«9
Ou ne peut pas non plus remplacer en \crs J'oy
qui n'a qu'une syllabe, par Jouis, qui en a
lieux. Ces remarques montrent que, loin de
prétendre <i une édition savante, nous avons au
contraire cherché à mettre Théophile en état
d'être goûté sans peine par tous les amateurs
de poésie française.
REMY DE GOUUMONT.
LIVRE PREMIER
ODES ET STANCES
LE MATIN
ODE
L'aurore sur le front du jour
Sème l'azur, l'or et l'ivoire,
Et le soleil, lassé de boire,
Conimeuce son obliciuo tour.
Ses chevaux, au sortir de l'onde,
De flamme et de clarté couverts,
La bouche et les naseaux ouverts.
Ronflent la luniiôrc du monde.
12 THEOPHILE
La lune fuit devant nos yeux ;
La nuit a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des étoiles
S'unit à la couleur des cieux.
Déjà la diligente avette * (1)
Boit la marjolaine et le thym,
Et revient riche du butin
Qu'elle a pris sur le mont Hymette.
Je vois le généreux lion
Qui sort de sa demeure creuse,
Hérissant sa perruque affreuse,
Oui fait fuir Endymion.
Sa dame, entrant dans les bocages,
Compte les sangliers * qu'elle a pris
Ou dévale chez les esprits
Errant aux sombres marécages .
Je vois les agneaux bondissants
Sur ces blés qui ne font que naître ;
Cloris, chantant, les mène paître
Parmi ces coteaux verdissants.
Les oiseaux, d'un joyeux ramage,
(i) Pour les mots marqués d'un *, voir le Lexique,
IV de V Appendice.
\
ODES ET STANCRS 23
Kii cliantanl semblent adorer
La lumii'iT qui vient dorer
Leur cabinet et leur plnniaiçc.
I^a charrue écorehe la plaine;
Le bouvier, ([ui suit les sillons,
Presse de voix et d'aii>iiillons
Le couple de bœuis qui renlraînc.
Alix apprête son fuseau ;
Sa mère, qui lui fait la t;\che,
Presse le chanvre qu'elle attache
A sa cpienouille de roseau.
Une confuse violence
Trouble le calme de la nuit,
Et la lumière, avec le bruit.
Dissipe l'ombre et le silence.
Alidor cherche à son réveil
L'ombre d'Iris qu'il a baisée.
Et pleure en son âme abusée
La fuite d'un si doux sommeil.
Les bêtes sont dans leur lanière,
Oui tremblent de voir le soleil.
L'homme, remis par le sommeil,
Reprend son œuvre coulumière.
24 ■ TIIKOI'IIILE
Le forgeron est au fourneau ;
Oy* comme le charbon s'allume !
Le fer rouge, dessus l'enclume.
Etincelle sous le marteau.
Cette chandelle semble morte,
Le jour la fait évanouir ;
Le soleil vient nous éblouir :
Vois qu'il passe au travers la porte !
Il est jour : levons-nous, Philis ;
Allons à notre jardinage.
Voir s'il est, comme ton visage,
Semé de roses et de lys.
LA SOLITUDE
Dans ce val solitaire et sombre,
Le cerf, qui brame au bruit de l'eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S'amuse à regaraer son omlire.
De cette source une Naiade
Tous les soirs ouvre le portai * .
ODKS ET STANf.KS
I)o sa demeure de eristal,
El nous ehanle une sérénade.
Les nymphes que la chasse attire
A l'onibratïe de ces forêts
Chcrcheni les cabinets secrets.
Loin de l'embûche du satyre.
Jadiji au pied de ce ij;rand chêne,
Presque aussi vieux que le soleil,
liacchus, l'Amour et le Sommeil.
Firent la fosse de Silène.
Un froid et ténébreux silence
Dort à l'ombre de ces ormeaux.
Et les vents battent les rameaux
D'une amoureuse violence.
L'esprit plus retenu s'engage
Au plaisir de ce doux séjour,
Où Philomène nuit et jour
Renouvelle un pileux langage.
L'orfraie * et le hibou s'y [)erche ;
Ici vivent les loups-garous ;
Jamais la justice en courroux
Ici de criminels ne cherche.
aG THÉOPHILE
Ici l'amour fait ses études ;
Venus y dresse des autels ;
Et les visites des mortels
Ne troublent point ces solitudes .
Cette forêt n'est point profane;
Ce ne fut point sans la fâcher
Ou' Amour y vint jadis cacher
Le berger qu'en seignoit Diane.
Amour pouvoit par innocence,
Comme enfant, tendre ici des rets,
Et comme reine des forêts
Diane avoit cette licence.
Cupidon, d'une douce flamme
Ouvrant la nuit de ce vallon,
Mit devant les yeux d'Apollon
Le garçon qu'il avoit dans l'àme.
A l'ombrage de ce bois sombre
Hyacinthe se retira,
Et depuis le soleil jura
Qu'il seroit ennemi de l'ombre.
Tout auprès le jaloux Borée,
Pressé d'un amoureux tourment,
Fiit la mort de ce jeune amant,
Encore par lui soupirée.
ODES ET STANCES 27
Sainte forêt, ma confidente,
Je jure par le Dieu du jour
Que je n'aurai jamais anioiu-
Oui ne te soit toute évidente.
Mon ange ira par cet ombrage ;
Le soleil, le voyant venir,
Ressentira du souvenir
L'accès de sa première rage.
Corine, je te prie, approche ;
Couchons-uous sur ce tapis vert,
Et pour être mieux à couvert,
Entrons au creux de cette roche.
Ouvre tes yeux, je te supplie :
Mille amours logent là dedans,
Et de leurs petits traits ardents
Ta prunelle est toute remplie.
Amour de tes regards soupire.
Et, ton esclave devenu,
Se voit lui-même retenu
Dans les liens de son empire.
0 beauté sans doute immortelle,
Où les Dieux trouvent des appas !
Par vos yeux je ne croyois pas
Que vous fussiez du tout si belle.
28 THÉOPHILE
Oui voudroit faire une peinture
Qui peut ses traits représenter.
Il faudroit bien mieux inventer
Que ne fera jamais nature.
Tout un siècle les destinées
Travaillèrent après ses yeux,
Et je crois que pour faire mieux
Le temps n'a point assez d'années.
D'une fierté pleine d'amorce,
Ce beau visage a des regards
Qui jettent des feux et des dards
Dont les Dieux aimeroient la force.
Que ton teint est de bonne grâce !
Qu'il est blanc, et qu'il est vermeil !
Il est plus net que le soleil.
Et plus uni que de la glace.
Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent !
Ils s'ébattent dessus ton front,
Et les voyant beaux comme ils sont,
Je suis jaloux quand ils te baisent. ;
Belle bouche d'ambre et de rose,
JTon entretien est déplaisant
Si tu ne dis, en me baisant.
Qu'aimer est une belle chose.
ODES ET STAM.rS
D'un air plein tranioureu.se llaniine,
Aux accents île la douce voix,
Je vois les fleuves et les bois
^ iilirascr coiuine a l'ail mon àine.
Si tu mouilles les doigls d'ivoire
Dans le cristal de ce ruisseau,
Le Dieu qui loge dans cette eau
Aimera, s'il en ose boire.
Pn'sente-lui la face nue,
Tes yeux avec(]ue l'eau riront.
Et dans ce miroir écriront
Que Vénus est ici venue.
Si bien elle y sera dépeinte
Que les Faunes s'enflammeront,
Et de tes yeux, qu'ils aimeront,
Ne sauront découvrir la feinte.
Entends ce Dieu qui te convie
A passer dans son élément ;
Oy * qu'il soupire bellement
Sa liberté déjà ravie.
Trouble-lui cette fantaisie.
Détourne-toi de ce miroir,
Tu le mettras au dé.sespoir,
El m'iMoras la jalousie.
29
3o THÉOPHILE
Vois-lu ce tronc et cette pierre?
Je crois qu'ils prennent garde; à nous,
Et mon amour devient jaloux
De ce myrthe et de ce lierre.
Sus, ma Corine ! que je cueille
Tes baisers du matin au soir !
Vois comment, pour nous l'aire asseoir,
Ce myrte a laissé choir sa feuille !
Oy * le pinson et la linotte,
Sur la branche de ce rosier ;
Vois branler leur petit gosier !
Oy * comme ils ont changé de note !
Approche, approche, ma Dryade !
Ici murmureront les eaux ;
Ici les amoureux oiseaux
Chanteront une sérénade.
Prète-moi ton sein pour y boire
Des odeurs qui m'embaumeront ;
Ainsi mes sens se pâmeront
Dans les lacs de tes bras d'ivoire.
Je baignerai mes mains folâtres
Dans les ondes de tes cheveux,
Et ta beauté prendra les vœux
De mes œillades idolâtres.
ODES ET STANCES '^l
Ni' <Taiiis rioii, ('.iipidon nous f^ardc.
Mon petit autfc, cs-lu pas mica?
Ha! j»' vois que lu m'aimes bien :
Tu rouîi^is ipiancl je U". rci^arde.
Dieu ! »pie cotte Faron timide
Est puissante sur mes esprits !
Renaud ne fut pas mieux épris
Par les charmes de son Armide.
Ma Gorine, ijue je t'embrasse!
Personne ne nous voit tju'Amour ;
Vois (jue même les yeux du jour
Ne trouvent point ici de place.
Les vents, ([ui ne se peuvent taire,
Ne peuvent écouter aussi.
Et ce que nous ferons ici
Leur est un inconnu mystère.
SUR UNE TEMPETE
I s'éleva COMME IL ÉtOIT PKKT DE s'eMBAROUER
POUR ALLER EN ANGLETERRE
Parmi ces promenoirs sauvai^es
J'oy* bruire les vents et les flots,
Attendant (juo les matelots
32 THÉOPHILE
M'emportent hors de ces rivages.
Ici les rochers blanchissants,
Du choc des vagues gémissants,
Hérissent leurs masses cornues
Contre la colère des airs,
Et présentent leurs têtes nues
A la menace des éclairs.
J'oy * sans peur l'orage qui gronde,
Et, fût-ce l'heure de ma mort.
Je suis prêt à quitter le port
En dépit du ciel et de l'onde.
Je meurs d'ennui dans ce loisir :
Car un impatient désir
De revoir les pompes du Louvre
Travaille tant mon souvenir,
Que je brûle d'aller à Douvre,
Tant j'ai hâte d'en revenir.
Dieu de l'onde, un peu de silence !
Un Dieu fait mal de s'émouvoir.
Fais-moi paroître ton pouvoir
A corriger ta violence.
Mais à quoi sert de te parler,
Esclave du vent et de l'air.
Monstre confus qui, de nature
Vide de rage et de pitié,
Ne montre que par aventure
ODKS ET STANCES 33
Ta haine ni ton amilii';?
iNooliers *|iii, par un loni;!," usage,
\'oyez les vajçues sans effroi,
Kl qui conuoisscz mieux que moi
I^eur bon et leur mauvais visage,
nites-moi, ce ciel foudroyant,
Ce Ilot de lenipèle aboyant,
Les flancs île ces montagnes grosses
Sont-ils mortels à nos vaisseaux,
Kt sans aplanir tant de bosses
Pourrai-je l)ien courir les eaux?
Allons, pilote, où la fortune
Pousse mon généreux dessein ;
Je porte un Dieu dedans le sein
Mille fois plus grand (pie Neptune :
Amour me force de partir.
Et, diU Tliétis, pour m'engloutir,
Ou\Tir mieux ses moites entrailles,
Cloris m'a su trop enflammer
Pour craindre que mes funérailles
Se puissent faire dans la mer.
0 mon ange ! ù ma destinée 1
Qu'ai-je fait à cet élément,
(Ju'il tienne §i cruellement
Contre moi sa rage obstinée ?
Ma Cloris, ouvre ici tes yeux.
3/j THÉOPHILE
Tire un de tes regards aux cieux :
Ils dissiperont leurs nuages.
Et, pour l'amour de ta beauté,
Neptune n'aura plus de rages, ,
Que pour punir sa cruauté. l
Déjà ces montagnes s'abaissent, i
Tous les sentiers sont aplanis, |
Et sur ces flots si bien unis
Je vois des alcyons qui naissent.
Cloris, que ton pouvoir est grand !
La fureur de l'onde se rend
A la faveur que tu m'as faite.
Oue je vais passer doucement.
Et que la peur de la tempête
Me donne peu de pensement !
L'ancre est levée, et le zéphire,
Avec un mouvement léger.
Enfle la voile et fait nager
Le lourd fardeau de la navire *.
Mais quoi ! le temps n'est plus si beau,
La tourmente revient dans l'eau !
Dieu ! que la mer est infidèle !
Chère Cloris, si ton amour
N'avoit plus de constance qu'elle, ,
Je mourrois avant mon retour. î
ODKS KT STANCES
Heureux, tandis qu'il est vivant,
Celui qui va toujours suivant
Le grand maître de la nature,
Dont il se croit la créature !
Il n'enviera jamais autrui,
Ouand tous les plus heureux que lui
Se moqueroient de sa misère;
Le rire est toute sa colère.
Celui-là ne s'éveille point
Aussitôt que l'aurore point
Pour venir des soucis du monde
Importuner la terre et l'onde;
Il est toujours plein de loisir;
La justice est tout son plaisir,
Et, permettant à son envie
Les douceurs d'une sainte vie.
Il borne son contentement
Par la raison tant seulement;
L'espoir du gain ne l'importune,
En son esprit est la fortune;
L'éclat des cabinets dorés
Où les princes sont adorés
Lui plaît moins que la face nue
De la campagne ou de la nue ;
La sottise d'un courtisan,
35
36 THÉOPHILE
La peine qu'un amant soupire,
Lui donne également à rire ;
Il n'a jamais trop affecté I
Ni les biens ni la pauvreté,
Il n'est ni serviteur ni maître ;
Il n'est rien que ce qu'il veut être,
Jésus-Christ est sa seule foi ;
Tels seront mes amis et moi.
A PHILIS
STANCFS
Ha ! Philis, que le ciel me fait mauvais visage !
Tout me fâche et me nuit,
Et réservé l'amour et le courage,
Rien de bon ne me suit.
Les astres les plus doux ont conjuré ma perte,
Je n'ai plus nul soutien ;
La cour me semble une maison déserte,
Où je ne trouve rien.
Les hommes et les Dieux menacent ma fortune ;
Mais, en leur cruauté,
Pour mon soûlas tout ce que j'importune
Ce n'est que ta beauté.
Les traits de tes beautés sont d'assez fortes armes
ODES KT STANCES 87
Pour vaincre mon nmllioiir,
Kl dans la afc^nc, assisté dp tes charmes,
Je mourrais sans douleur.
Dedans rextrémité de la peine où nous sommes,
Soupirant nuit et jour,
Je feins que c'est la disgrâce des hommes,
Mais c'est celle d'amour.
Parmi tant de dangers, c'est avec peu de crainte
Que je prends garde à moi,
Kn tous mes maux, le sujet de ma plainte
C'est d'être absent de loi.
Pour m'ôter aux plus forts qui me voudroient poursuivre
Je trouve assez de lieux,
Maïs quel climat m'assurera de vivre.
Si je (piille tes yeux.
Le soleil meurt pour moi, une nuit m'environne,
Je pense que tout dort,
Je ne vois rien, je ne parle à personne,
N'est-ce pas être mort ?
STANCES
Mon espérance refleurit,
Mon mauvais destin perd courage
Aujourd'hui le soleil me rit
Et le ciel me fait bon visasre.
Mes maux ont achevé leur temps,
Maintenant ma douleur se range,
A la fm mes vœux sont contents :
Amour a ramené mon auge.
Dieux, que j'ai si souvent priés,
Sans me vouloir jamais entendre,
Je vous ai bien injuriés
D'être si longs à mêla rendre.
J'excuse votre cruauté ;
Je perds le soin de vous déplaire:
Le retour de cette beauté
A fini toute ma colère.
Q
STANCES
uand tu me vois baiser tes bras,
^'Oue tu poses nus sur tes draps,
B^nVas blancs que le linge même;
Quand tu sens ma brûlante mam
Se pourmener * dessus ton sein,
Tusensbien, Cloris, quejet'amie.
Comme un dévot devers les cieux,
Mes yeux tournés devers tes yeux,
ODES ET STANCES 89
A genoux auprès de ta couche,
Pressé de mille ardents désirs,
Je laisse saus ouvrir ma bouche
Avec loi dormir mes plaisirs.
Le sommeil, aise de l'avoir.
Empêche tes yeux de me voir
Et te retient dans son empire
Avec si peu de liberté
Que ton esprit tout arrêté
Ne murmure ni ne respire.
La rose en rendant son odeur,
Le soleil donnant son ardeur,
Diane et le char qui la traîne,
Une Naïade dans l'eau,
Et les Grâces dans un tableau,
Font plus de bruit que ton haleine.
Là, je soupire auprès de toi,
Et, considérant comme quoi
Ton œil si doucement repose,
Je m'écrie : O Ciel ! peux-tu bien
Tirer d'une si belle chose
Un si cruel mal (juo le mien !
4o THÉOPHILE
CONSOLATION
A MADEMOISELLE DE L..
D
onne un peu de relâche au deuil qui t'a surpris ;
Ne t'oppose jamais aux droits de la nature,
pour l'amour d'un corps ne mets point tes esprits ;
Dedans la sépulture.
La mort, dans tes regrets à toi se présentant.
Te fait voir qu'elle n'est qu'horreur et que misère ;
Pourquoi donc tâches-tu qu'elle t'en fasse autant
Qu'elle a fait à ton père?
Quoi que l'affection te fasse discourir,
Tes beaux jours ne sont point en état de le suivre;
Comme c'étoit à lui la saison de mourir.
C'est la tienne de vivre.
Il étoitlas d'honneur, de fortune et de jours,
Tes jeunes ans ne font que commencer la vie,
Et, si tu vas si tôt en achever le cours,
Que deviendra Livie '?
Remets pour l'amour d'elle encore ces appas
Qui s'en vont effacés dans ton visage sombre,
Et qu'un si long chagrin ne te maltraite pas
Pour contenter une ombre.
ODES ET STANCKS 4'
Il est vrai qu'un tel mal est fâcheux A içuérir,
Et, (le (juel(]ue visçueur ([uc ton esprit puisse être,
Il te faut soupirer iors(|ue tu vois périr
Celui (jui t'a lait naître.
Encore ses vertus touchoient ton amitié
Au deh\ du devoir où la nature oblijçe,
Si bien que la raison approuve la pitié
Pour l'ennui qui t'afflige.
Ses conseils savoieul rendre un roi victorieux,
iSon renom honoroit et la paix cL la guerre,
Et je crois que l'envie est cause que les Cieux
L'ont ùté de la terre.
Mais aussi, quel climat n'en a du déplaisir?
L'Europe à son sujet se plaint contre les Parques,
Autant que si leurs lacsétoient venus saisir
Quelqu'un de ses monarques.
Je vois comme le ciel pour soulager ton deuil
Veut que tout Tunivers à tes soupirs réponde,
Et, pour t'eu exempter, ordonne à son cercueil
Les pleurs de tout le monde.
Toutefois tous ces cris sont des sons superflus;
Nos plaintes dans les airs sont vainement poussées;
Un homme enseveli ne considère plus
Nos yeux ui nos pensées.
4.
THEOPHILE
Sachant qu'il a rendu ce qu'on doit aux autels.
Tu dois être assuré de sa béatitude,
Ou ton esprit troublé croit que les Immortels
Sont pleins d'ingratitude.
Tes importuns regrets se rendront criminels ;
Ton père en son repos ne trouvera que peine,
Puisqu'il semble être admis aux plaisirs éternels
Pour te mettre à la gêne.
Le mal devient plus grand lorsque nous l'irritons.
Reviens dans les plaisiT-s que la jeunesse apporte
C'est un grand bien de voir fleurir les rejetons
Lorsque la souche est morte.
Un homme de bon sens se moque des malheurs ;
Il plaint également sa servante et sa fille.
Job ne versa jamais une goutte de pleurs
Pour toute sa famille.
Après t'ètre affligé, pense à te réjouir:
Qui t'a fait la douleur t'a laissé les remèdes.
Il ne te reste plus que de savoir jouir
Des biens que tu possèdes.
Arrête donc ces pleurs vainement répandus ;
Laisse en paix ce destin que tes douleurs détestent.
Il faut, après ces biens que nous avons perdus,
Sauver ceux qui nous restent.
t
ODES ET STANCRS ^'i
ODE
L'inficlélilé nie déplaîl,
El mon humeur juij^e (lu'olle est
Le plus noir 'crime de la terre :
Lorsque les Dieux tirent venir
Les premiers éclats du tonnerre,
Ce ne fut ([ue pour la punir.
La déesse qui fait aimer,
Des flots de l'inconstante mer
Sortit à la clarté du monde.
Or, Vénus, si ton doux tlambeau
FiU venu d'ailleurs que de l'onde
Sans doute il eût été plus beau.
Ce (ju'uu hiver a tait mourir
Un printemps le fait refleurir.
Le destin change toutes choses :
Mon amitié tant seulement.
Vos beaux lys et vos belles roses,
Dureront éternellement.
44 THÉOPHILE
ODE
Enfin mon amitié se lasse :
Je suis forcé de me guérir.
L'amour qui me faisoit périr
Tous les jours peu à peu se passe.
J'ai rappelé mon jugement,
J'ai fait vœu d'aimer sagement.
Je rougis de ma servitude
Et proteste devant les Dieux
Que je hais ton ingratitude
Plus que je n'ai chéri tes yeux.
Je n'ai plus le soin de te plaire :
Mes charmes sont évanouis ;
Désormais je me réjouis
De ta haine et de ta colère.
Cette lâcheté d'endurer
Ne me sauroit guère durer ;
Je veux être exempt de souffrance
Aussi hien que toi de pitié,
Et vivre avec l'indifférence
Dont tu traites mon amitié.
Jamais douleur insupportahle
Jusques à mon mal n'empira,
1
ODES KT STANCES 45
.l;iniais esprit no soupira
D'un travail si pou protitablo.
Jo vis trop amoureusement,
Jr sers trop malheureusement :
Ma belle ne veut point entendre
Le mal qu'elle me fait sentir,
Et me détend de rien prétendre
Oue la honte et le repentir.
O mes Dieux ! ô mon influence !
Recrardez la peine où je suis !
Sans l'aire un orime je ne puis
Espérer une récompense.
0 Dieux (|ui gouvernez nos cœurs,
Si vous n'êtes des Dieux moqueurs
Ou des Dieux sans miséricorde,
Remettez-moi dans ma maison,
Ou faites enfin qu'on m'accorde
Ou la mort ou la ffuérison !
ODE
Un corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards ;
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe
46 THÉOPHILE
I
'4
Les pieds faillent à mon cheval.
Mon laquais tombe du haut, mal ;
J'entends craqueter le tonnerre ;
Un esprit se présente à moi ;
J'entends Caron qui m'appelle à soi.
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte en sa source ;
Un bœuf gravit sur un clocher ;
Le sang coule de ce rocher;
Un aspic s'accouple d'une ourse;
Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent déchire un vautour ;
Le feu brûle dedans la glace ;
Le soleil est devenu noir;
Je vois la lune qui va choir ;
Cet arbre est sorti de sa place.
STANCES
Le plus aimable jour qu'ait jamais eu le monde
Le plus riche printemps que le soleil ait vu.
Celui de nos amours d'attraits le plus pourvu,
Ni toutes les beautés de la fdle de l'onde.
Ce que donne Apollon pour embellir sa sœur,
OnES ET STANCKS l\']
\\\\ u^rAccs (le vos yeux à poirif s'acconiparc,
Vi loiilos ces fleurs d'or don! l'Aurore se pare,
)uaiul elle va baiser son amoureux chasseur.
ODE
T-kcrfidc, je nie sens heureux
De ma nouvelle servitude ;
Vous n'avez point dint^ratitude
Oui rebute un cœur amoureux .
Il est bien vrai que je me fiichc
Du fard où votre teint se cache ;
Nature a mis tout son crédit
A vous l'aire entièrement belle;
L'art qui pense mieux faire qu'elle
Me déplaît et vous enlaidit.
L'éclat, la force et la peinture
De tant et de si belles fleurs,
Oue l'aurore avec([ue ses pleurs
Tire du sein de la nature,
SaDs fard et sans déguisement
Nous donne bien plus aisément
Le plaisirjd'une odeur naïve ;
Leur objet nous contente mieux
48 THÉOPHILE
Et se montre devant nos yeux
Avec une couleur plus vive.
Les oiseaux, qui sont si bien teints.
Ne couvrent point d'une autre image
Le lustre d'un si beau plumage
Dont la nature les a peints.
Et leur céleste mélodie,
Plus aimable qu'en Arcadie
N'étoient les flageolets des Dieux,
Prend elle-même ses mesures,
Choisit les tons, fait les césures.
Mieux que l'art le plus curieux.
L'eau de sa naturelle source
Trouve assez de canaux ouverts
Pour traîner par les plis divers
La facilité de sa course ;
Ses rivages sont verdissants,
Où des arbrisseaux fleurissants
Ont toujours la racine fraîche;
L'herbe y croît jusqu'à leur gravier.
Mais une herbe que le bouvier
N'apporta jamais à sa crèche.
Ces petits cailloux bigarrés
En des diversités si belles,
Où trouveroient-ils des modèles,
Qui les fissent mieux figurés?
OOKS KT STANCES /|l)
La nature est iniiiiilal)le,
Kt dans sa beauté vérilaldc
Klle éclate si vivement
Ouc l'art gî\lc tous ses ouvrages
Va lui fait plutiM mille outrajgcs
(Ju'il ne lui donne un ornement.
L'art, ennemi de la franchise,
Ne veut point être reconnu ;
Mais l'Âinour, qui ne va que du,
Ne souffre point (ju'on se déguise.
Les Nvmplies, au sortir des eaux,
D'un peu de jonc et de roseaux
Se font la coiffure et la robe,
Et les yeux du Sat}Te ont droit
De regretter encore l'endroit
Oue le vêtement leur dérobe.
Si vous saviez que peut l'effort
De votre beauté naturelle
Et combien de vaiucjueurs pour elle
Implorent l'aide de la mort,
Vous casseriez ces pots de terre,
De bois, de co<iuille, de verre,
Où vous renfermez vos onguents;
La nuit vous quitteriez le masque,
Et perdriez * cette humeur fantasque
De dormir avecque vos gants.
5o THÉOPHILE
Lorsque vous serez hors d'usage
Et que l'injure de vos ans
Appellera les courtisans
A l'amour d'un plus beau visage,
Quand vos appas seront ôtés,
Que les rides de tous côtés
Auront coupé ce front d'albâtre,
Tâchez lors d'escroquer l'amour,
Et, si vous pouvez, chaque jour
Faites-vous de cire ou de plâtre.
Si le ciel me fait vivre assez
Pour voir la fin de votre gloire
Et me punir de la'mémoire
De nos contentements passés.
Je crois que je serai bien aise,
Ne trouvant plus rien qui me plaise
Au visage que vous aurez,
De revoir l'Amour et les Grâces
Et d'en aller baiser les traces
Sur le fard dont vous userez.
Mais aujourd'hui, belle Perside,
Vos jeunes yeux seront témoins
Qu'il faut un siècle pour le moins
Pour vous amener une ride.
L'Aurore, qui dedans mes vers
Voit apprendre à tout l'univers
ODES ET STANCES 5l
Oue votre lieaulé la surmonte,
Arrachant de ses beaux habits
Et les perles et les rubis,
Klle pleure et rouiçit de honte.
Klle n'est point rouge au malin,
n'autant (pie Titon l'a baisée,
Et ne verse point sa rosée
l'our la marjolaine et le thym,
La rougeur (juî paroît en elle,
C'est de voir Perside trop belle,
Et l'humidité de ses pleurs,
Ouoi que chante la poésie.
Ce sont des pleurs de jalousie
Et des marques de ses douleurs.
ODE
Clorîs, pour ce petit moment
D'une volupté frénélicpie,
Crois-tu (|ue mon esprit se pique
De t'aimer éternellement ?
Lorsque mes ardeurs sont passées,
La raison chan2;e mes pensées.
Et, perdant l'amoureuse erreur,
Je me trouve dans des tristesses
52 THÉOPHILE
Qui font que tes délicatesses
Commencent à me faire horreur.
A voir tant fuir * ta beauté,
Je me lasse de la poursuivre,
Et me suis résolu de vivre
Avec un peu de liberté.
Il ne me faut qu'une disgrâce,
Qu'encore un trait de cette audace
Qui t'a fait tant manquer de foi .
Après, tiens-moi pour un infâme
Si jamais mes yeux ni mou âme
Songent à s'approcher de toi.
Je me trouve prêt à te voir
Avec beaucoup d'indifférence,
Et te faire une révérence
Moins d'amitié que de devoir.
Toutes les complaisances feintes
Où tes affections mal peintes
Ont troublé mes sens hébétés,
Je les tiens pour faibles feintîses
Et n'appelle plus que sottises
Ce que je nommois cruautés.
Je ne veux point te décrier
Après t'avoir loué nioi-mèine :
Ce seroit tacher d'un blasphèjne
L'autel où l'on m'a vu prier.
ODES KT STANCES HS
T'ayant prodiiçué des iouansçes
(Jiic jo ne devois «|u'à des anales,
Je ne le les veux point ravir :
Je les donne à la tyrannie
Pour déiyuiser l'ignominie *
(^ue j'ai soufferl à te servir.
Je ne veux point mal à propos
Mes vers ni ton honneur détruire ;
iMon dessein n'est pas de le nuire :
Je ne son<j^e qu'à mon repos.
Encore auras-tu celte gloire
Oue, si la voix de la mémoire
Parle à quehju'un de mes douleurs,
On dira que ma servitude
Respecta Ion ingratitude
Jusqu'au dernier de mes malheurs.
PRIERE AUX POETES DE CE TEMPS
Vousà(|ui des fraîches vallées,
Pour moi si durement gelées,
Ouvrent leurs l'onlaines de vers;
Vous qui pouvez mettre en peinture
Le grand objet de l'univers
Et tous les traits de la nature.
54 THÉOPHILE
Beaux esprits si chers à la gloire.
Et sans qui l'œil de la mémoire
Ne sauroit rien trouver de beau,
Ecoutez la voix d'un poète
Que les alarmes du tombeau
Rendent à chaque fois muette :
Vous savez qu'une injuste race
Maintenant fait de ma disgrâce
Le jouet d'un zèle trompeur.
Et que leurs perfides menées,
Dont les plus résolus ont peur,
Tiennent mes Muses enchaînées.
S'il arrive que mon naufrage
Soit la fin de ce grand orage
Dont je vois mes jours menacés.
Je vous conjure, ù troupe sainte !
Par tout l'honneur des trépassés.
De vouloir achever ma plainte.
Gardez bien que la calomnie
Ne laisse de l'ignominie
Aux tourments qu'elle m'a jurés,
Et que le brasier qu'elle allume,
Si mes os en sont dévorés.
Ne brûle pas aussi ma plume.
Ma Muse, foible et sans haleine,
ODES ET STANCES 55
Ouvrant sa inallieiircusc veine,
A reeours à votre pitié :
No mordez point sur mon ouvrage,
Car ici votre inimitié
Démenliroit votre courage.
Je ne fus jamais si superbe
Oue d'ùter aux vers de Malherbe
Le franeois qu'ils nous ont appris.
Et, sans malice et sans envie.
J'ai toujours lu dans ses écrits
L'immortalité de sa vie.
Plût au ciel que sa renommée
Fût aussi chèrement aimée
De mon prince qu'elle est de moi !
Son destin, loin de la commune *,
Seroit toujours avec le roi
Dedans le char de la Fortune.
Une autre veine violente,
Toujours chaude et toujours sanglante
De combats de guerre et d'amour,
A tant d'éclat sur le théâtre
Qu'en dépit des frelons de cour
Elle a fait mes sens idolâtres.
Hardy, dont le plus grand volume
N'a jamais su tarir la j)lume,
THEOPHILE
Pousse un lorreot de tant de vers
yu'on diroit ([uc leau d'Hypocrène
Ne lient tous ses vaisseaux ouverts
Ou'alors (ju'il y rcni])lit sa veine.
Porchères avec tant de flamme
Pousse les mouvements de l'Ame
Vers la route des immortels,
Qu'il laisse partout des matières
Où ses. vers trouvent des'aufcls
Et les anircs des cimetières.
Encore n"ai-je point l'audace
De fouler leur première trace ;
Boisrobert en peut amener
Après ses pas toute une presse
Qui mieux que moi peuvent donner
Des louantes à sa princesse.
Saint-Amant sait polir la rime
Avec une si douce lime
Que son luth n'est ])as plus mignard,
Ni Gomhauld dans une élégie,
Ni l'épigrammc de Maynard,
Oui semble avoir de la magie.
Et vous, mille ou plus que j'adore,
Que mon dessein veut joindre encore
ODES ET STAM K.S
A ces srénies visfoureux
Do i|ui je cache ici la tçloire,
Pour ce que le sort malheureux
Les a fait cht>ir à ma mémoire,
Voyant mes Muses étourdies
Des frayeurs et des maladies
Oui me prennent à tous les moments,
Faites-leur un peu de caresse
Et leur rendez les compliments
De celui (jui vous les adresse.
LETTRE A SON FRERE
Mon frère, mon dernier appui.
Toi seul dont le secours me dure,
Et qui seul trouves aujourd'hui
Mon adversité longue et dure ;
Ami ferme, ardent, généreux,
Oue mon sort le plus malheureux
Pique davantage à le suivre.
Achève de me secourir :
Il faudra qu'on me laisse vivre
Après m'avoir fait tant mourir
58 THÉOPHILE
Quand les dangers où Dieu m'a mis
Verront mon espérance morte;
Quand mes juges et mes amis
T'auront tous refusé la porte ;
Quand tu seras las de prier,
Quand tu seras las de crier.
Ayant bien balancé ma tête
Entre mon salut et ma mort.
Il faut enfin que la tempête
M'ouvre le sépulcre ou le port.
Mais l'heure, qui la peut savoir?
Nos malheurs ont certaines courses
Et des flots dont on ne peut voir
Ni les limites ni les sources.
Dieu seul connoît ce changement,
Car l'esprit ni le jugement
Dont nous a pourvu la nature,
Quoi que l'on veuille présumer.
N'entend non plus notre aventure
Due le secret flux de la mer.
En quelle plage des mortels
Ne peut le vent crever la terre?
En quel palais et quels autels
Ne peut se glisser un tonnerre ?
Quels vaisseaux et quels matelots
Sont toujours assurés des flots?
ODES ET STANCES 5q
(Juehiuelbis des villes entières,
l';ir un horrible chane^ement,
( )iit rencontri' leurs ciinolières
lui la place du ronilenient.
Le sort, tiui va toujours de nuit,
lOnivré d'orgueil et de joie,
(Juoiqu'il soit sagement conduit,
Garde malaisément sa voie.
Ah ! (jue les souverains décrets
(^nl toujours demeuré secrets
A la subtilité des hommes !
Dieu seul connoît l'état humain ;
Il saii ce qu'aujourd'hui nous sommes
Et ce que nous serons demain.
Or, selon l'ordinaire cours
Ou'il lait observer à nature.
L'astre (jui préside à mes jours
S'en va changer mon aventure ;
Mes yeux sont épuisés de pleurs ;
Mes esprits, usés de malheurs,
N'ivent d'un sang gelé de craintes.
La nuit trouve enfin la clarté,
Va l'excès de tant de contraintes
Me présage ma liberté.
Quelque lac qui me soit tendu
Par de si subtils adversaires.
6o . THÉOPHILE
Encore n'ai-je point perdu
L'espérance de voir Boussères :
Encore un coup, le Dieu du jour
Tout devant moi fera sa cour
Aux rives de notre héritage,
Et je verrai ses cheveux hlonds
Du même or qui luit sur le Tage
Dorer l'argent de nos sablons.
Je verrai ces bois verdissants
Où nos îles et l'herbe fraîche
Servent aux troupeaux mugissants
Et de promenoir et de crèche.
L'aurore y trouve à son retour
L'herbe qu'ils ont mangé le jour.
Je verrai l'eau qui les abreuve,
Et j'oirrai * plaindre les graviers
Et repartir * l'écho du fleuve
Aux injures des mariniers.
Le pêcheur, en se morfondant,
Passe la nuit dans ce rivage.
Qu'il croit être plus abondant
Que les bords de la mer sauvage.
11 vend si peu ce qu'il a pris
Qu'un teston * est souvent le prix
Dont il laisse vider sa nasse.
Et la quantité du poisson
01)i:S ET STANCES 6l
Dccliiiv parfois la tirasse *
Et n'en paye pas la façon.
S'il plail à la honli- des cieux,
Hncore une fois à ma vie
Je paîtrai ma dent et mes yeux
Du rouge éclat de la pavie * ;
Encore ce brignon * muscat,
Dont le pourpre est plus délicat
Oue le teint uni de Caliste,
Rie fera d'un œil ménager
Etudier dessus la piste
Oui me l'est venu ravager.
Je cueillerai ces abricots,
Ces fraises à couleur de flammes.
Dont nos bergers font des ccots *
Qui seroient ici bons aux dames.
Et ces ligues et ces melons ,
Dont la bouche des acpiilons
N'a jamais su baiser l'écorce,
Et ces jaunes muscats si chers,
Oue jamais la grêle ne force
Dans l'asile de nos rochers.
Je verrai sur nos gnMiadiers
Leurs rouges pommes entr'ouvertes,
Où le ciel, comme à ses lauriers,
62 THÉOPHILE
Garde toujours des feuilles vertes.
Je verrai ce touffu jasmin
Qui fait ombre à tout le chemin
D'une assez spacieuse allée,
Et la parfume d'une fleur
Oui conserve dans la gelée
Son odorat et sa couleur.
Je reverrai fleurir nos prés ;
Je leur verrai couper les herbes ;
Je verrai quelque temps après
Le paysan * couché sur les gerbes ;
Et, comme ce climat divin
Nous est très libéral de vin
Après avoir rempli la grange,
Je verrai du matin au soir,
Comme les flots de la vendange
Ecumeront dans le pressoir.
Là, d'un esprit laborieux,
L'infatigable Bellegarde,
De la voix, des mains et des yeux.
A tout le revenu prend garde,
Il connoît d'un exact soin
Ce que les prés rendent de foin,
Ce que nos troupeaux ont de laine,
Et sait mieux que les vieux paysans *
Ce que la montagne et la plaine
Nous peuvent donner tous les ans.
ODES ET STANCES 03
Nous cueilloroiis Idul à moitié,
C.oinine nous avons fait encore,
I ignorants de l'ininiilié
Uonl une race se dévore ;
Kt frères, et sa'urs, el neveux.
De même soin, de mêmes vœux
Flaltanl une si douce terre,
Nous y trouverons trop de quoi,
Y dût l'oraije de la sçuerre
Ramener le canon du roi.
Si je passois dans ce loisir
Encore autant que j'ai de vie,
Le comble d'un si cher plaisir
Borneroit toute mon envie.
Il faut qu'un jour ma liberté
Se li\che en cette volupté.
Je n'ai plus de reijret au Louvre,
Ayant vécu dans ces douceurs ;
Oue la même terre me couvre
(Jui couvre mes prédécesseurs.
Ce sont les droits que mon pays
A mérité de ma naissance,
El mon sort les auroit trahis
Si la mort m'arrivoit en France.
Non, non, quelque cruel complot
Oui de la Garonne et du Lot
64 THÉOPHILE
Veuille éloigner ma sépulture,
Je ne dois point en autre lieu
Rendre mon corps à la nature,
Ni résigner mon âme à Dieu.
Derechef, mon dernier appui.
Toi seul dont le secours me dure.
Et qui seul trouves aujourd'hui
Mon adversité longue et dure.
Rare frère, ami généreux,
Que mon sort le plus malheureux,
Pique davantage à le suivre.
Achève de me secourir :
Il faudra qu'on me laisse vivre
Après m'a voir liiittant mourir.
ACHIRON, MEDECIN (i)
STANCES
Toi qui fais un hreuvage d'eau
Mille fois meilleur et plus l»eau
Que celui du beau Ganymède,
(i) Le célèbre de Lorme, dont Marioa était la fille na-
turelle. Voir Tallemant des Réaux. [Collection des plus
belles pages . )
ODES ET STANCK» 65
l']| (|iii lui donne tant cl'iippas
(JiH- sa liiiucur t'sl un rcinrde
Coniro lallciiilc du Irrpas,
l*ensos-tu (jue, malgré l'ennui
Ouc me peut donner aujourd'hui
L'horreur d'une prison si noire,
Je ne le t!,arde encore un lieu
Au même endroit de ma mémoire
Où se doit mettre un demi-dieu ?
Bouffi d'un air tout infecté,
De tant d'ordures humecté
Kt du froid (jui me fait la içuerre.
Tout chaa^rin et tout ahattn,
Mieux (pi'en autre lieu de la terre
Il me souvient de ta vertu.
Chiron, au moins si je pouvois
Te faire ouïr les tristes voix
Dont t'invo(|uent mes maladies,
Tu me pourrois donner de (pioi
Forcer mes muses étourdies
A parler diiçnement de toi.
De tiint de vases précieux
Où l'art le plus exipiis des cieux
A caché sa meilleure force.
Si j'avois seulement goûté
66 THÉOPHILE
A leur moindre petite amorce,
J'aurois trop d'aise et de santé.
Si, devant que de me coucher,
Mes soupirs se pouvoient boucher
D'un long trait de cet hydromelle*
Où tout chagrin s'évanouit.
L'enfant dont avorta Semelle *
Ne me mettroit jamais au lit.
Au lieu des continus ennuis
Qui me font passer tant de nuits
Avec des visions horribles,
Mes yeux verroient en sommeillant
Mille voluptés invisibles
Que la main cherche en s'éveillant.
Au lieu d'être dans les enfers,
De songer des feux et des fers
Oui me font le repos si triste,
Je songerois d'être à Paris,
Dans le cabinet où Caliste
Eut le triomphe de Cloris.
A l'éclat de ses deux flambeaux.
Les noires caves des tombeaux
D'où je vois sortir les furies
Se peindroient de vives couleurs,
ODES BT STANCES 67
Kt feroient A mes rêveries
De licaux prés tapissés do fleurs.
Ali ! tpie je perds de ne pouvoir
(1uel(juetois t'ouïr cl te voir
Dans mes noires mélancolies,
Oui ne me laissent prcscpic rien
De tant d'agréables folies
Ou'on aimoit en mon entretien !
Que les dieux sont mes ennemis
De ce «pi'iis ne m'ont pas permis
De t'appeler eu ma détresse !
Docte Chiron, après le roi
Et les faveurs de ma maîtresse.
Mon cœur n'a de regret (|u'à toi.
À MONSIEUR DE L...
SUR LA MORT DE SON PÈRE
ODE
Ote-toi, laisse-moi rêver :
Je sens un feu se soulever
Dont mon âme est toute embrasée.
0 beaux prés, beaux rivages verts
0 grand flambeau de l'univers,
68 THÉOPHILE
Que je trouve ma veine aisée !
Belle aurore, douce rosée,
Que vous m'allez donner de vers!
Le vent s'enfuit dans les ormeaux,
Et, pressant les feuillus rameaux.
Abat le reste de la nue ;
Iris a perdu ses couleurs;
L'air n'a plus d'ombre ni de pleurs ;
La bergère, aux champs revenue.
Mouillant sa jambe toute nue.
Foule les herbes et les fleurs.
Ces longues pluies dont l'hiver
Empêchait Tircis d'arriver
Ne seront plus continuées ;
L'orag'e ne fait plus de bruit;
La clarté dissipe la nuit.
Ses noirceurs sont diminuées ;
Le vent emporte les nuées,
Et voilà le soleil qui luit.
Mon Dieuj que le soleil est beau !
Que les froides nuits du tombeau
Font d'outrages à la nature !
La Mort, grosse de déplaisirs,
De ténèbres et de soupirs.
D'os, de vers et de pourriture,
ODES ET STANCES Og
hUoiille dans sa sépulture
I]l nos Ibrces et nos désii's.
Chez elle les géants sont nains;
Les Mores et les Africains
Sont aussi glacés que le Scythe;
Les dieux y tirent l'aviron ;
César, comme le bûcheron.
Attendant que l'on ressuscite,
Tous les jours aux bords du Cocyte
Se trouve au lever de Caron.
Tircis, vous y viendrez un jour;
Alors les Grâces et l'Amour
Vous (juilteront sur le passage :
!]llacé du rang des humains,
Sans mouvement et sans visage,
Vous ne trouverez plus l'usage
Ni de vos yeux ni de vos mains.
Votre père est enseveli.
Et, dans les noirs flots de l'oubli
Où la Parque l'a fait descendre.
Il ne sait rien de votre ennui,
lit, ne fùt-il mort (ju'aujourd'hui,
Puis([u'il n'est plus (ju'os et (jue cendre.
Il est aussi mort qu'Alexandre,
Et vous touche aussi peu (|ue lui.
70 THEOPHILE
Saturne n'a plus ses maisons,
Ni ses ailes, ni ses saisons :
Les Destins en ont fait une ombre.
Ce grand Mars n'est-il pas détruit ?
Ses faits ne sont qu'un peu de bruit.
Jupiter n'est plus qu'un feu sombre
Qui se cache parmi le nombre
Des petits flambeaux de la nuit.
Le cours des ruisselets errants,
La fière chute des torrents.
Les rivières, les eaux salées,
Perdront et bruit et mouvement
Le soleil insensiblement
Les ayant toutes avalées,
Dedans les voûtes étoilées
Transportera leur élément.
Le sable, le poisson, les flots,
Le navire, les matelots,
Tritons, Nymphes et Neptune,
A la fin se verront perclus :
Sur leur dos ne se fera plus
Rouler le char de la fortune,
Et l'influence de la lune
Alîandonnera le reflux.
Les planètes s'arrêteront.
Les éléments se mêleront,
ODES ET STANCES ^I
Va cette admirable structure
Dont le ciel nous laisse jouir.
Ce (ju'on voit, ce qu'on peut ouïr,
Passera comme une j)elnture :
L'impuissance de la Nature
Laissera tout évanouir.
Celui (jui, Formant le soleil.
Arracha d'un protond sommeil
L'air et le feu, la terre et l'onde,
Ilenversera d'un coup de main
La demeure du genre humain
Et la base où le ciel se fonde,
Et ce grand désordre du monde
l'eut-ctre arrivera demain.
LIVRE II
ÉLÉGIES ET SONNETS
ELEGIE
A UNE DAME
Si votre doux accueil n'eût consolé ma peine,
Mon âme languissoit, je n'avois plus de veine,
Ma fureur étoit morte, et mes esprits, couverts
D'une tristesse sombre, avoient (juitté les vers.
Ce métier est pénible, et notre sainte élude
Ne connoît que mépris, ne sent qu'ingratitude ;
Oui de notre exercice aime le doux souci,
Il hait sa renommée et sa fortune aussi.
Le savoir est honteux, depuis que l'ignorance
A versé son venin dans le sein de la France.
KI.KniFS F.T SONNETS 78
Aujourd'hui rinjustico a vaincu la raison,
Les lionnes (|ualilos ne sont |)lus de saison,
La vertu n'eut jamais un siècle plus harliare,
Et jamais le bon sens ne se trouva si rare.
Celui (|ui dans les cœurs met le mal ou le bien
Laisse faire au destin sans se mêler de rien :
Non pas que ce a^rand Dieu qui donne l'Ame au monde
Ne trouve à son plaisir la nature tcconde,
Et que son influence encore à pleines mains
Ne verse ses faveurs dans les esprits humains :
Parmi tant de fuseaux la l'arque en sait retordre
Où la conlaa;-ion du vice n'a su mordre,
Et le ciel en fait naître encore intinilc
Oui retiennent beaucoup de la divinité,
Des bons entendements qui sans cesse travaillent
Contre l'erreur du peuple, et jamais ne défaillent,
Et (jui, d'un sentiment hardi, ç^rave et profond,
Vivent tout autrement que les autres ne font.
Mais leur divin génie est forcé de se feindre,
El les rend malheureux s'il ne se peut contraindre ;
La coutume et le nombre autorisent les sols :
Il faut aimer la cour, rire des mauvais mots.
Accoster un brutal, lui plaire, en faire estime ;
Lors(|ue cela m'advient, je pense faire un crime.
J'en suis tout transporté, le cœur me bat au sein ;
Je ne crois plus avoir l'entendement bien sain,
Et, pour m'ètre souillé de cet abord funeste,
Je crois longtemps après (juc mon âme a la peste.
74 THÉOPHILE
Cependant il faut vivre en ce commun malheur,
Laisser à part esprit et franchise et valeur.
Rompre son naturel, emprisonner son âme
Et perdre tout plaisir pour acquérir du blâme.
L'ignorant qui méjuge un fantasque rêveur,
Me demandant des vers, croit me faire faveur,
Blâme ce qu'il n'entend, et son âme, étourdie.
Pense que mon savoir me vient de maladie.
Mais vous, à qui le ciel de son plus doux flambeau
Inspira dans le sein tout ce qu'il a de beau,
Vous n'avez point l'erreur qui trouble ces infâmes,
Ni l'obscure fureur de ces brutales âmes :
Car l'esprit plus subtil, en ses plus rares vers,
N'a point de mouvements qui ne vous soient ouverts;
Vous avez un génie à voir dans les courages.
Et qui connaît assez mon âme et mes ouvrages.
Or, bien que la façon de mes nouveaux écrits
Diffère du travail des plus fameux esprits,
Et qu'ils ne suivent point la trace accoutumée
Par où nos écrivains cherchent la renommée.
J'ose pourtant prétendre à quelque peu de bruit,
Et crois que mon espoir ne sera point sans fruit.
Vous me l'avez promis, et, sur cette promesse.
Je fausse ma promesse aux vierges de Permesse ;
Je ne veux réclamer ni Muse, ni Phébus;
Grâce à Dieu, bien gucri de ce grossier abus,
Pour façonner un vers que tout le monde estime.
Votre contentement est ma dernière lime ;
ELEQIES ET SONNETS 70
Vous entenilez \c poids, le sens, la liaison,
I']t n'avez, en iny;eanl, pour i)ut (|ue la raison;
Aussi nuiu sentiment à votre aveu se range,
l'A ne re(;oit d'aulrui ni bli\me ni louange.
Imite qui voudra les merveilles d'aulrui.
Malherbe a très bien t'ait, mais il a fait pour lui ;
Mille petits voleurs l'écorclicnt tout en vie.
Quant à moi, ces larcins ne me font point d'envie ;
J'approuve que chacun écrive à sa façon :
J'aime sa renommée, et non pas sa leçon.
Ces esprits mendiants, d'une veine infertile,
Prennent à tous propos ou sa rime ou son style,
Et de tant d'ornements qu'on trouve en lui si beaux
Joignent l'or et la soie à de vilains lambeaux,
Pour paroître aujourd'hui d'aussi mauvaise grâce
Oue j)arut autrefois la corneille d'Horace.
lis travaillent un mois à chercher comme à fîls
Pourra s'apparier la rime de Memphis;
Ce Liban, ce turban et ces rivières mornes
Ont souvent de la peine à retrouver leurs bornes;
Cet effort tient leurs sens dans la confusion,
Ils n'ont jamais un rais* de bonne vision.
J'en connois (|ui ne font des vers qu'à la moderne,
Qui cherchent à midi Phébus à la lanterne.
Grattent tant le françois qu'ils le déchirent tout.
Blâmant tout ce (jui n'est facile qu'à leur goût;
Sont un mois à connaître, en tàtant la parole,
Lorscjuc l'accent est rude ou que la rime est molle.
7G THÉOPHILE
Veulent persuader que ce qu'ils font est beau
Et que leur renommée est franche du tombeau,
Sans autre fondement sinon que tout leur âge
S'est laissé consommer * en un petit ouvrage,
Que leurs vers dureront au monde précieux,
Pour ce qu'en les feisant ils sont devenus vieux.
De même l'araignée, en filant son ordure,
Use toute sa vie et ne fait rien qui dure.
Mais cet autre poète est bien plein de ferveur :
Il est blrme, transi, solitaire, rêveur,
La barbe mal peignée, un œil branlant * et cave.
Un front tout renfrogné, tout le visage hâve,
Ahanc dans son lit et marmotte tout seul,
Comme un esprit (ju'on oit* parler dans un linceul;
Grimace par la rue, et, stupide, retarde
Ses yeux sur un objet sans voir ce qu'il regarde.
Mais déjà ce discours m'a porté trop avant :
Je suis bien près du port, ma voile a trop de vent ;
D'une insensible ardeur peu à peu je m'élève,
Commençant un discours que jamais je n'achève.
Je ne veux point unir le fil de mon sujet :
Diversement je laisse et reprends mon objet.
Mon âme, imaginant, n'a point la patience
De bien polir les vers et ranger la science.
La règle me déplaît, j'écris confusément :
Jamais un bon esprit ne fait rien qu'aisément.
Autrefois, quand mes vers ont animé la scène.
L'ordre où j'estois contraint m'a bien fait de la peine.
KI.KGIKS ET SONNETS
77
Ce travail inipurtun m'a loiii'tciniis marlyrc *,
Mais t'iiliii, i;Tàco aux Dieux, j(^ m'en suis relire.
Peu sans rairc naufrage cl, sans perdre leur ourse*
Se sont aventurés à celte longue course :
Il y faut par miracle estre fol sagement,
Confontlre la mémoire avec le jugement,
Imaginer beaucoup, et d'une source pleine
Puiser toujours des vers dans une même veine.
Le dessein se dissipe, on change de propos
Ouand le style a goûté tant soit peu le repos.
Donnant à tels efforts ma première furie.
Jamais ma veine encor ne s'y trouva tarie.
Mais il me faut résoudre à ne plus la presser ;
Elle m'a bien servi : je la veux caresser.
Lui donner du relâche, entretenir la flamme
Oui de sa jeune ardeur m'échaufl'c encore l'àme.
Jo veux faire des vers (jui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par des petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise.
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouïr, comme en songeant, la course d'un ruisseau,
Ecrire dans le bois, m'interrompre, me taire,
Composer un quatrain sans songer à le faire.
Après m'être égayé par cette douce erreur.
Je veux qu'un grand dessein réchauffe ma fureur ;
Ou'un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte
De quelque beau poème où vous serez dépeinte.
78 THÉOPHILE
Là, si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J'aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s'engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n'ont jamais pensé les hommes et les Dieux.
Si je parviens au but où mon dessein m'appelle.
Mes vers se moqueront des ouvrages d'Apelle.
Qu'Hélène ressuscite : elle aussi rougira,
Par tout où votre nom dans mon ouvrage ira.
Tandis que je remets mon esprit à l'école,
Obligé dès longtemps à vous tenir parole,
Voici de mes écrits ce que mon souvenir.
Désireux de vous plaire, en a pu retenir.
ELEGIE
Aussi souvent qu'amour lait penser à mon âme
Combien il mit d'attraits dans les yeux de ma damf
Combien ce m'est d'honneur d'aimer en si bon lieu,
Je m'estime aussi grand et plus heureux qu'un Dieu.
Amaranthe, Philis, Caliste, Pasilhée,
Je hais cette noblesse à vos noms affectée ;
Ces titres recherchés avecque tant d'appas
Témoignent qu'en eff'et vos yeux n'en avoient pas.
Au sentiment divin de ma douce furie,
KLECiIES ET SONNETS
79
Le plus l)eau nom du monde est le nom de Marie.
(Quelque souci qui m'ait enveloppé l'esprit.
En l'oyant proférer, ce beau nom me guérit ;
Mon sang en est ému, mon Ame en est touchée.
Par des charmes secrets dune vertu cachée.
Je la nonmie toujours, je ne m'en puis tenir;
Je n'ai dedans le cœur aucun ressouvenir.
Je ne connais plus rien, je ne vois plus personne
Pli\t à Dieu qu'elle sût le mal qu'elle me donne !
Ouun bon ange voulût examiner mes sens.
Et qu'il lui rapportât au vrai ce que je sens ;
Ou'Amour eût pris le soin de dire à cette belle
Si je suis un moment sans soupirer pour elle.
Si mes désirs lui Font aucune trahison,
Si je pensai jamais à rompre ma prison !
A l'abord d'un censeur je sens que mon martyre
De dépit et d'horreur dans mes os se retire ;
Amour ne fait alors que renforcer ses traits
Et donne à ma maîtresse encore plus d'attraits.
Ainsi je trouve bon que chacun me censure,
Atin que mon tourment davantage me dure.
F^our conserver mon mal je fais ce que je puis,
Et, me croyant heureux, sans doute je le suis.
Je ne recherche point de dieux ni de fortune ;
Ce qu'ils font au-dessous ou par-dessus la lune
Pour le bien des mortels, tout m'est indilférent,
Excepté le plaisir que ma peine me rend.
Je crois que mon servage est digne de louange,
8o THÉOPHILE
Je crois que ma maîtresse est belle comme un ange,
Qu'elle mérite bien d'avoir lié ma foi.
S'il est vrai que son âme ait de l'amour pour moi ;
Elle me l'a juré: la promesse est un gage
Où la foi tient le cœur avecque le langage.
Je suis bien peu dévot d'avoir quitté ses yeux ;
Je suis trop nonchalant d'un bien si précieux.
Je ne devrois jamais éloigner * ce visage
Qu'après que de mes sens j'aurois perdu l'usage.
Aussi ])ien mes esprits, loin de ses doux regards.
N'ont que mélancolie et mal de toutes parts.
Le seul ressouvenir des l^eautés de ma dame
Est l'unique entretien qui réjouit mon àme ;
Mais si les immortels me font jamais avoir,
Au moins avant mourir, l'honneur de la revoir,
Quelque nécessité que le Ciel me prescrive.
Quelque si grand malheur qui jamais m'en arrive,
Je me suis résolu d'attendre que le sort
Auprès de ses beautés fasse venir ma mort ;
Si tandis * je souffrois le coup des destinées,
J'aurois bien du regret à mes jeunes années;
Mon ombre ne feroit qu'injurier les Dieux
Et plaindre incessamment l'absence de ses yeux.
ÉLKGIES ET SO>fNET.S
Souverain (|ui rt'uis riiilliii'nco des vers
- Aussi hienquclu fais uiouvoir loiil l'univers,
Ame (le nos esprits, qui dans noire naissance
Inspiras un rayon de ta divine essence,
Founpioi ne m'as-tu fait les sentiments meilleurs".''
Pounpioi tes beaux trésors sont-ils coulés ailleurs ?
Je vois de toutes parts des écrivains sans nombre,
Dont la grandeur a mis mon petit nom à l'ombre.
Je n'ai (pi'un pauvre fond d'un médiocre esprit.
Où je vais cultiver ce ({ue le Ciel m'apprit;
Les tristes sons rimeurs d'un style qui se traîne
Epuisent tous les jours ma lani^uissante veine.
Si j'avois la vigueur de ces fameux Latins,
Ou l'esprit de celui qui força les destins,
Qui vit à ses chansons les Parques désarmées
Et de tous les damnés les tortures charmées.
Quand pour l'amour de lui le prince des enfers
Laissa vivre Eurydice et la tira des fers;
Ou, si c'est trop d'avoir ces merveilleux génies.
Qu'à notre siècle inf;\me* à bon droit tu dénies,
Je me contenterois d'égaler en mon art
La douceur de Malherbe ou l'ardeur de Ronsart *,
Et mille autres encore à «jui je fais hommage,
Et de qui je ne suis que l'ombre et cpie l'image.
6
THEOPHILE
Je donnerois ma plume à ces soins violents,
A peindre ces sanglots et ces désirs brûlants,
Que depuis peu de jours quelque démon allume
Dans mon sang, où l'amour se plaît et me consume.
0 Dieux, pourrois-je bien, sans vous fâcher un peu,
Suivre les mouvements de mon aveugle feu?
Déjà comme l'amour m'engage à la furie.
Je crois que l'adorer n'est pas idolâtrie ;
Dussé-je dépiter votre divin courroux.
Tout ce que j'en veux dire est au-dessous de vous ;
S'il vous plaît que le monde uniquement vous aime,
Si vous voulez purger la terre du blasphème,
Faire que les mortels rendent la liberté «
De leurs désirs pervers à votre volonté,
Sans les épouvanter de l'éclat du tonnerre,
Changez-vous en Cloris et venez sur la terre.
Alors de votre amour ils seront tous ravis.
Alors absolument vous en serez servis.
Il est vrai que tout cède à l'amoureuse peine,
Que Paris et sa ville ont brûlé pour Hélène,
Et les antiquités font voir aux curieux
Que l'Aube mit Titon dans le siège des Dieux;
Et de tant de beautés qui furent les maîtresses
De l'aîné de Saturne, on en fait des Déesses,
Qui n'ont été pourtant, non plus que leur amant,
Que le triste butin d'un mortel monument.
Mais, d'autant que l'amour est le bien de la vie
Qui seul ne peut jamais éteindre son envie.
KLKGIES ET SONNETS 83
Qui toujours dans la peine espère le plaisir,
Qui dans la résislancc augmente le désir,
Et <pic les senlinRMits de celte douce flaninic
Suivent justiu'à la Hn les derniers traits de l'àme,
On a cru de l'amour qu'il éloit innnortel,
Et qn'aussi son sujet ne peut être que toi.
Ainsi ces Dieux païens furent ce que nous sommes.
Ainsi les vrais amants seront plus que les hommes.
Si le sort me donnoit la qualité de roi,
Si les plus chers plaisirs s'adrcssoient tous à moi,
Si j'étois empereur de la terre et de l'onde,
Si de ma propre main j'avois bâti le monde,
( Et, comme le soleil, de mes regards produit
Tout ce (jue l'univers a de tleur et de fruit,
Si cela m'arrivoit, je n'aurois pas tant d'aise
Ni tant de vanité que si Cloris me baise ;
Mais j'entends d'un baiser où le cœur puisse aller
Avec les mouvements des yeux et du parler.
Que son àme sans peine avec moi s'entretienne,
Et (]ue sa volonté seconde un peu la mienne.
Amants qui vous piquez vers un objet forcé.
Qui ne savez que c'est* d'un baiser bien pressé,
Qui ne trouvez l'amour que dans la tyrannie
Et n'aimez les faveurs qu'en tant ipi'on vous les nie,
Que vous êtes heureux en vos lâches désirs,
Puis(|ue même vos maux font naître vos plaisirs !
Pour moi, chère Cloris, je n'en suis pas de même;
Je ne saurois aimer que si je vois qu'on m'aime.
84 THÉOPHILE
Et, si peu qu'on refuse à ma sainte amitié,
Je sens que mon ardeur décroît de la moitié.
J'entends que le salaire égale mon service ;
Je pense qu'autrement la constance est un vice,
Qu'amour hait ces esprits qui lui sont trop dévols,
Et que la patience est la vertu des sots ;
Ce que je dis, Cloris, avec plus d'assurance
D'autant que je te vois flatter mon espérance,
Et que, pour nous tenir dans cet heureux lien,
Je vois déjà d'accord ton esprit et le mien.
Aimons-nous, je te prie, et, lorsque mon visage
Tu voudras rebuter, ou mon poil, ou mon âge,
Regarde en mon esprit où j'ai mis ton tableau;
Lors tu verras en moi quelque chose de beau :
Tu te verras logée en un petit empire
Où l'esprit de l'amour avecque moi soupire ;
Il se tient glorieux de recevoir ta loi.
Et semble qu'il poursuit même dessein que moi.
Si je vais dans tes yeux, il y va prendre place ;
Je ne vois là-dedans que ses traits et ma face.
Je doute s'il y fait ou mon bien ou mon mal.
Et ne sais plus s'il est mon maître ou mon rival.
Je connais bien l'amour, je sais qu'il est perfide.
Et, si pour le chasser je suis un peu timide,
Je lui ferai toujours un traitement humain.
Puisque je l'ai reçu d'une si bonne main.
Puisque c'est toi, Cloris, après l'avoir fait naître.
Qui l'as mis dans mon àme, où ton œil est le maître.
étÉGIES ET SONNETS
Où lu vis al)soliic en (os coiniiiaiultMiiciits,
Où ton vouloir piTsiilc à tous mes soiilimcnts.
Je sais biL'ii (|iu* ('.loris ne me vtMit pas coiitraindre
Au soin [lerpcluol de servir et de craindre ;
(Ju'elle a des mouvements sujcls à la pilié,
Et qu'au moins sa raison songe à mon amitié.
Cloris, si je venois, aveuglé de tes charmes.
Le cti'ur tout en soupir et les yeux tout en larmes,
Demander instamment un amoureux i)laisir,
Je crois (pic ton amour m'en laisseroit choisir.
Maintenant que le ciel dépouille les nuages,
Oue le front du printemps menace les orages,
(Jue les ciiamps comme toi paroissent endjcllis
De ipiantité d triliets, de roses et de lis,
Oue tout est sur la terre, et cpi'une humeur féconde
(Qu'attire le soleil fait rajeunir le monde,
Comme si j'avois part à la faveur des cieux,
^ui redonne l'enfance à ces bocages vieux,
El que ce renouveau, qui rend tout aii^réable,
Me rendît à les yeux plus jeune et plus aimable,
Je te veux conjurer avec des vœux discrets
De passer avec moi quelques momenls secrets.
Nous irons dans des bois, sous des feuillages sombres
Où jamais le soleil n'a su forcer les ombres;
Personne là-iledans n'entendra nos amours :
(;ar je veux que les vents respectent nos discours
Et que chaque ruisseau plus vitement s'enfuie
De devant tes regards, de peur qu'il ne t'ennuie.
86 THÉOPHILE
Maintenant que le roi s'éloigne de Paris,
Suivi de tant de gens au carnage nourris,
Qui, dans ces chauds climats, vont recueillir les restes
Du danger des coml)ats et de celui des pestes.
Il faut que je le suive, et Dieu, sans me punir,
Cloris, ne te sauroit empêcher d'y venir.
Si tu fais ce voyage (et mon amour te prie
D'y ramener tes yeux, car c'est là ma patrie.
C'est où les rais du jour daignèrent dévaler
Pour faire vivre un cœur que tu devois hrùler).
Là tu verras un fonds où le paysan * moissonne
Mes petits revenus sur les bords de Garonne,
Le fleuve de Garonne, où de petits ruisseaux
Au travers de mes prés vont apporter leurs eaux,
Où des saules épais leurs rameaux verts abaissent
Pleins d'ombre et de fraîcheur sur mes troupeaux qui
Cloris, si tu venois dans ce petit logis, [paissent.
Combien qu'à te l'offrir de si loin je rougis.
Si cette occasion permet que tu l'approches.
Tu le verras assis entre un fleuve et des roches,
Où sans doute il falloit que l'amour habitât
Avant que pour le ciel la terre il ne quittât.
Dans ce petit espace, une assez bonne terre,
Si je la puis sauver du butin de la guerre,
Nous fournira des fruits assez délicieux
Qui sauroient contenter ou ton goût ou tes yeux.
Mais, afin que mon bien d'aucun fard ne se voile,
Mes plats y sont d'étain et mes rideaux de toile ;
KLKGIES ET SONNETS 87
l'n polit pavillon, ilont le vieux biUimcnt
Kul nia(;onnô tic i)ri(nio cl de luauvais ciment,
Montre assez qu'il n'est pas orgueilleux de nos titres;
Ses chandires n'ont plancher, toit, ni portes, ni vitres,
Par où les vents d'hiver, sinîroduisant un peu,
Ne puissent venir voir si nous avons du l'eu.
Je ne veux point mentir, et, (piand le sort avare,
Oui me traite si mal, m'eût été plus barbare
Et qu'il m'ciU fait sortir d'un sang^ moins reconnu,
Je te confesserois d'où je serois venu.
Car j'ai bien plus de peine à découvrir ma face
Devant tes yeux si beaux «ju'à te montrer ma race.
Dans l'état où je suis, j'ai bien plus de raison
De te faire agréer mes yeux que ma maison.
Je jure les rayons dont ta beauté m'éclaire
Que le but de mon àme est le soin de te plaire.
Et (jue j'aime si fort ta vue et tes propos
Qu'à ton sujet la nuit est pour moi sans repos.
Et, sans faire l'amour à la façon commune.
Sans accuser pour toi le ciel ni la fortune,
Sans me plaindre si fort, j'ai ce coup plus profond
Que les autres mortels, j'aime mieux cju'iis ne font;
Et, si ton cœur n'en tire une preuve assez bonne.
De ces vers insensés que mon amour te donne,
Pour m'en justirter à tes yeux adorés.
Je répandrai le sang d'où je les ai tirés,
Si ton humeur étoit do me le voir répandre.
Et ([u'autrement ton cœur ne me voulût entendre.
THEOPHILE
ELEGIE
C loris, lorsque je songe, en te voyant si hcUe,
Que ta vie est sujette à la loi naturelle,
Et qu'à la fin les traits d'un visage si beau
Avec tout leur éclat iront dans le tombeau,
Sans espoir que la mort nous laisse en la pensée
Aucun ressentiment de l'amitié passée.
Je suis tout rebuté de l'aise et du souci
Que nous fait le destin qui nous gouverne ici.
Et, tombant tout à coup dans la mélancolie.
Je commence à blâmer un peu notre folie,
Et fais vœu de bon cœur de m'arracher un jour
La chère rêverie où m'occupe l'amour.
Aussi bien faudra-t-il qu'une vieillesse infâme
Nous gèle dans le sang les mouvements de l'àme.
Et que l'âge, en suivant ses révolutions,
Nous ôte la lumière avec les passions.
Ainsi je me résous de songer à ma vie
Tandis que la raison m'en fait venir l'envie ;
Je veux prendre un objet où mon libre désir
Discerne la douleur d'avecque le plaisir.
Où mes sens tout entiers, sans fraude et sans contrainte.
Ne s'embarrassent plus ni d'espoir ni de crainte.
Et, de sa vaine erreur mon cœur désabusant,
Ér-iCfilES ICI SDNNKTS 89
Je s^oiktcrai le bien que je verrai présent ;
Je prendrai les douceurs à quoi je suis sensil)l(>,
Le plus abondamment qu'il me sera possible.
Dieu nous a tant donne de divertissements,
Nos sens trouvent en eux tant de ravissements,
(Jue c'est une fureur de chercher qu'en nous-mème
Quelqu'un que nous aimions et ([uehju'un qui nous aime
Le ccinir le mieux donné lient toujours à demi,
Chacun s'aime un peu mieux toujours <[ue son ami ;
On les suit rarement dedans la sépulture ;
Le droit de l'amitié cède aux lois de nature.
Pour moi, si je voyois, en l'humeur où je suis,
Ton àme s'envoler aux éternelles nuits,
Quoi que puisse envers moi l'usage de îes charmes,
Je m'en consolerois avec un peu de larmes.
N'attends pas que l'amour aveugle aille suivant,
Dans l'horreur de la nuit, des ombres et du vent.
Ceux qui jurent d'avoir l'àme encore assez forte
Pour vivre dans les yeux d'une maîtresse morte
N'ont pas pris le loisir de voir tous les ellorts
Que fait la mort hideuse à consumer un corps,
Quand les sens pervertis sortent de leur usage,
Qu'une laideur visible ettace le visage.
Que l'esprit défaillant et les membres perclus,
En se disant adieu, ne se connoisseut plus ;
Que, dedans un moment, après la vie éteinte,
La face sur son cuir n'est pas seulement peinte,
Et que l'infirmité de la puante chair
go THEOPHILE
Nous fait ouvrir la terre afin de la cacher.
Il faut être animé d'une fureur bien vive,
Ayant considéré comme la mort arrive,
Et comme tout l'objet de notre amour périt.
Si par un tel remède une âme ne guérit.
Cloris, tu vois qu'un jour il faudra qu'il advienne
Que le destin ravisse et ta vie et la mienne ;
Mais, sans te voir le corps ni l'esprit dépéri.
Le Ciel en soit loué ! Cloris, je suis guéri.
Mon âme, en me dictant les vers que je t'envoie,
Me vient de plus en plus ressusciter la joie ;
Je sens que mon esprit reprend la liberté.
Que mes yeux dévoilés connoissent la clarté.
Que l'objet d'un beau jour, d'un pré, d'une fontaine,
De voir comme Garonne en l'Océan se traîne.
De prendre dans mon île, en ses longs promenoirs,
La paisible fraîcheur de ses ombrages noirs
Me plaît mieux aujourd'hui que le charme inutile
Des attraits dont Amour te fait voir si fertile.
Languir incessamment après une beauté.
Et ne se rebuter d'aucune cruauté ;
Gagner au prix du sang une faible espérance
D'un plaisir passager, qui n'est qu'en apparence ;
Se rendre l'esprit mol, le courage abattu ;
Ne mettre en aucun prix l'honneur ni la vertu ;
Pour conserver son mal mettre tout en usage;
Se peindre incessamment et l'âme et le visage,
Cela tient d'un esprit où le Ciel n'a point mis
ÉLKr.iES Ht sonnf.ts gi
Ce (|ut' son iiilliicnco inspire à srs amis.
l'onr moi, (|uc la raison ('-clairo en quelque sorte,
Je no saurois porter un(< fureur si forte,
Kt déjà lu peux voir, au train de cet écrit,
Comme la içuérison avance en mon [esprit :
(^ar insensiblement ma musc un peu léfçèrc
A passé dessus toi sa plume passasçèro,
l*]t, détournant mon C(cur de son premier objet,
Dès le conuucnccment j'ai cbangé de sujet,
Emporté du plaisir de voir ma veine aisée
Sûrement aborder ma flamme rapaiséc
El jouer à son jçré sur les propos d'aimer,
Sans avoir aujourd'hui pour but (pie de rimer,
Et sans te demander (|ue ton bel omI éclaire
Ces vers, où je n'ai pris aucun soin de te plaire.
ELEGIE
Depuis ce triste jour (pi'un adieu malheureux
M'ùta le cher ol)jet de mes yeux amoureux.
Mon âme de mes sens fut toute désimie
Et, privé que je fus de votre eompai^nie,
Je me trouvai si seul aveccpie tant d'effroi
Que je me crus moi-même être éloigné de moi !
La clarté du soleil ne m'étoit point visible,
THEOPHILE
La douceur de la nuit ne m'étoit point sensible,
Je sentois du poison eu mes plus doux repas
Et des goufl'res partout où se portoient mes pas.
Depuis, rien que la mort n'accompagna ma vie,
Tant me coûta l'honneur de vous avoir suivie.
O Dieux qui disposez de nos contentements.
Les donnez-vous toujours avecque des tourments ?
Ne se peut-il jamais qu'un bon succès arrive
A l'état des mortels qu'un mauvais ne le suive ?
Mêlez-vous de l'horreur au sort plus gracieux
De celui des humains que vous aimez le mieux ?
Ici votre puissance est en vain appelée ;
Comme un corps a son ombre, un coteau sa vallée;
Ainsi que le soleil est suivi de la nuit,
Toujours le plus grand bien a du mal qui le suit.
Lorsque le beau Paris accorapagnoit Hélène,
Son âme de plaisir voit la fortune pleine ;
Mais le sort ce bonheur cruellement vengea :
Car, comme avec le temps la fortune changea,
De sa prospérité naquit une misère
Qui fit brûler sa ville et massacrer son père.
Bien que dans ce carnage on vit tant de malheurs,
Qu'on versât dans le feu tant de sang et de pleurs.
Je jure par l'éclat de votre beau visage
Que pour l'amour de vous je souHre davantage :
Car, si longtemps absent des grâces de vos yeux,
Il me semble qu'on m'a chassé d'auprès des Dieux
Et que je suis tombé par un coup de tonnerre
ÉLÉGIES ET SONNETS qS
Du plus haut lieu liu ciol au plus Itas de la terre.
Depuis, tous mes plaisirs duraient dans le cercueil.
Aussi vraiment depuis je suis vêtu de deuil,
Je suis cliasfrin partout où le |ilaisir abonde,
Je n'ai |)his nul souci (]ut' de déplaire au monde.
Connue, sans me tlaltcr, je vous proteste ici
yue le monde ne fait que me déplaire aussi.
Au milieu de Paris je me suis fait ermite ;
Dedans un seul oitjct mon esprit se limite ;
Ouel(iue part où mes yeux me pensent divertir,
Je traîne une prison d'où je ne puis sortir;
J'ai le t'en dans les os et l'ànie déchirée
De cette flèche d'or que vous m'avez tirée.
Ouel(|uc tentation qui se présente à moi,
Son appas ne me sert (pi'à renforcer ma foi.
L'ordinaire secours que la raison apjjorle,
Pour rendre atout le moins ma i>assion moins forte,
L'irrite davantage et me fait mieux soufFrir
Un tourment qui m'ohlis;e en me faisant mourir.
Contre un dessein prudent s'obstine mon courage,
Ainsi que le rocher s'endurcit à l'orage ;
J'aime ma frénésie et ne saurois aimer
Aucun de mes amis qui la voudroit blâmer.
Aussi ne crois-je point que la raison consente
De m'approcher tandis (pie vous serez absente.
J'entends que ma pensée éprouve incessamment
Tout ce que peut l'ennui sur un Hdèle amant ;
J'onlcnds que le soleil aveccjue moi s'ennuie,
g4 THÉOPHILE
Que l'air soit couvert d'ombre et la terre de pluie,
Que, parmi le sommeil, de tristes visions
Enveloppent mon âme en leurs illusions,
Que tous mes sentiments soient mêlés d'une rage,
Qu'au lit je m'imagine tître dans un naufrage,
Tomber d'un précipice et voir mille serpents
Dans un cachot obscur autour de moi rampants.
Aussi bien, loin de vous, une vie inhumaine
Sans doute me sera plus aimable et plus saine,
Car je ne puis songer seulement au plaisir
Qu'une mort ne me vienne incontinent saisir.
Mais, quand le ciel, lassé du tourment qu'il me livre,
Sous un meilleur aspect m'ordonnera de vivre,
Et qu'en leur changement les astres inconstants
Me pourront amener un favorable temps,
Mon àme à votre objet se trouvera changée
Et de tous ces malheurs incontinent vengée.
Quand mes esprits seroient dans un mortel sommeil.
Vos regards me rendront la clarté du soleil ;
Dessus moi votre voix peut agir de la sorte
Que le zéphir agit sur la campagne morte.
Voyez comment Philis renaît à son abord :
Déjà l'hiver contre elle a fini son effort.
Désormais nous voyons épanouir les roses,
La vigueur du printemps reverdit toutes choses.
Le ciel en est plus gai, les jours en sont plus beaux,
L'aurore en s'habillant écoute les oiseaux;
Les animaux des champs, qu'aucun souci n'outrage.
ÉLÉGIES ET SONNETS g5
Sentent renouveler et leur sanjç et leur Age,
Et, suivant leur nature et l'appétit des sens,
Cultivent sans remords dos plaisirs innocents.
Moi seul, dans la saison où chacun se contente,
Accalilc des douleurs d'une cruelle attente.
Languis sans réconfort, et tout seul dans l'hiver
Ne vois point de printemps qui me puisse arriver;
Seul je vois les l'orèts encore désolées,
Les parterres déserts, les rivières gelées,
Et, comme ensorcelé, ne puis goûter le fruit
Qu'à la faveur * de tous cette saison produit.
Mais, lorsque le soleil adoré de mon âme
I Du feu de ses rayons réchauffera ma flamme,
Mon printemps reviendra, mais mille fois plus beau
Que n'en donne aux mortels le céleste flambeau.
Si jamais le destin permet que je la voie.
Plus que tous les mortels tout seul j'aurai de joie.
O Dieu! pour défier l'horreur du monument,
Je ne demande rien (pie cela seulement.
ELEGIE
Proche de la saison où les plus vives fleurs
Laissent évanouir leur àme et leurs couleurs,
Un amant désolé, mélancoli(iue, sombre.
Jaloux de son chemin, de ses pas, de son ombrcj
(jG THÉOPHILE
Baisoit aux bords de Loire, en flattant son ennui,
L'image de Calisle errante avecque lui.
Rêvant auprès du fleuve, il disoit à son onde :
« Si tu vas dans la mer qui va par tout le monde,
Fais-la ressouvenir d'apprendre à l'univers
Qu'il n'a rien de si beau que l'objet de mes vers.
Ces fleurs dont le printemps fait voir tes rives peintes
Au matin sont en vie et le soir sont éteintes ;
Mais, quelque changement qui te puisse arriver,
Caliste et ses beautés n'auront jamais d'hiver.
Ces humides baisers dont les rives mouillées
Seront pour quelques jours encore chatouillées
Arrêteront enfin leur amoureuse erreur,
Et, s'approchant de toi, se gèleront d'horreur.
Alors que tous les flots sont transformés en marbres.
Lorsque les aquilons vont déchirer les arbres.
Et que l'eau, n'ayant plus humidité ni poids.
Fait pendre le cristal des roches et des bois;
Que l'onde, applanissant ses orgueilleuses bosses,
Souffre sans murmurer le fardeau des carrosses ;
Que la neige durcie a pavé les marais.
Confondu les chemins avecque les guérets ;
Que l'Hiver renfrogné, d'un orgueilleux empire.
Empêche les amours de Flore et de Zéphire ;
Qu'Endymion, vaincu du froid et du sommcilj
Ne peut tenir parole à la sœur du Soleil,
Qui cependant toujours va visiter sa place.
Sur le haut d'un rocher tout hérissé de fflace :
« I
KLKCiIES ET SONNETS f)7
Moi qui, il'un sort plus humble ou l)icii plus glorieux,
Sur les beauh^s du ciel n'ai point jeté les yeux,
Qui n'ai jamais cherché cette bonne fortune
lJu'Eiul\ aiion Irouvoit aux beautés île la Lune,
Durant celte saison où leur ardent désir
Ne trouve à son dessein ni place ni loisir,
Je verrai ma Caliste après ce long voyage,
Oui plus (jue cent hivers m'a fait souffrir d'orage,
Qui m'a plus ruiné que de faire abîmer
Un vaisseau chargé d'or que j'aurois sur la mer.
Quel outrage plus grand auroil-il pu me faire
Que me cacher un mois le seul jour qui m'éclaire '?
Dieux, hâtez donc l'hiver et lui soyez témoins
'Que le printemps, l'automne et l'été valent moins;
Qu'il dépouille les bois, et de sa froide haleine
Perde tout ce (|ue donne et le mont et la plaine :
Ce mois qui maintenant retient cette beauté
A bien plus d'injustice et plus de cruauté.
Car l'hiver, au plus fort de sa plus dure guerre,
Nous ôte seulement ce que nous rend la terre,
N'emporte ([ue des fruits, n'étoutVe (|ucdes lleurs.
Et sur notre destin n'étend point ses malheurs,
Où la dure saison qui m'ôte ma maîtresse
Toutes ces cruautés à ma ruine adresse.
Mon front est plus terni que des lys effacés.
Mon sang est plus gelé que des ruisseaux glacés ;
Blois est l'enfer pour moi, la Loire est le Cocyte ;
Je ne suis plus vivant si je ne ressuscite.
THEOPHILE
Vous qui feignez d'aimer avecque tant de foi,
Trompeurs, vous êtes bien moins amoureux que moi ;
Courtisans qui partout ne servez que de nombre,
Qui n'aimez que le vent, qui ne suivez que l'ombre,
Qui tramez sans plaisir vos jours mal assurés.
Pendant chez la fortune à des liens dorés,
Vous savez mal que c'est * des véritables peines
Que donne un feu subtil qui fait brûler les veines.
Esclaves insensés des pompes de la cour.
Vous savez mal que c'est * d'un véritable amour.
Infidèle Alidor, tu feins d'aimer Sylvie,
Mais tu perds son objet et ne perds point la vie.
Tu chasses tout le jour, tu dors toute la nuit.
Et tu dis que partout son image te suit.
Qu'elle est profondément empreinte en ta pensée.
Et que ton âme en est mortellement blessée.
0 toi qui ma Caliste aujourd'hui me ravis.
Qui vois ce que je sens, qui sais comme je vis,
Malicieux Destin qui me sépare d'elle.
Tu répondras pour moi si je lui suis fidèle.
Parfois, lorsque je pense écrire mon tourment.
Je passe tout le jour à rêver seulement.
Et dessus mon papier, laissant errer mon âme,
Je peins cent fois mon nom et celui de ma dame.
De penser en penser confusément tiré,
Suivant le mouvement de mon sens égaré.
Si j'arrête mes yeux sur nos noms que je trace,
Quelque goutte de pleur m'échappe et les efface,
KLEOIES ET SONNETS QQ
Ef sans que mon travail puisse changer d'objet,
Mille l'ois sans dessein je change de projet.
Toute celte beauté, dans nies sens ramassée,
Tant^^t ses doux regards présente à ma pensée,
Quelquefois son iieau teint, et m'offre quelquetbis
Les œillets de sa lèvre et l'accent de sa voix :
Tantôt son bel esprit, d'une superbe image,
Tout seul (le mes écrits veut recevoir l'hommage.
Confus je me retire, et songe (pi'il vaut mieux
Consoler autrement et mon Ame et mes yeux.
Je m'en vais dans les champs pour voir s'il est possible
Qu'un bienheureux hazard me la rendît visible;
Je m'en vais sur les bords de ces publicjues eaux
Dont le dos nuit et jour est chargé de bateaux,
Et tout ce que je vois descendre sur la rive
Me fait imaginer que ma Caliste arrive.
Bref, contre tout espoir mon omI n'est jamais las
De travailler en vain à chercher du soulas * ;
Quoique le temps prescrit à cette longue absence
Pour tout ce que je fais d'un seul point ne s'avance,
Je veux persuader à mon ardent amour
Qu'il voit à tout moment l'heure de son retour. »
Ainsi dit Mélibée, et pâle, et las, et triste.
Acheva sa journée en adorant Caliste.
'■ BIBLIOTHECA
ttaviens'v'',.
THEOPHILE
SONNET
Ton orgueil peut durer au plus deux ou trois ans;
Après, cette beauté ne sera plus si vive :
Tu verras que ta flamme alors sera tardive,
Et que tu deviendras l'objet desTmédisants.
Tu seras le refus de tous les courtisans,
Les plus sots laisseront ta passion oisive.
Et tes désirs bonteux, d'une amitié lascive.
Tenteront un valet à force de présents.
Tu chercheras à qui te donner pour maîtresse ,
On craindra ton abord, on fuira ta caresse ;
Un chacun de partout te donnera congé.
Tu reviendras à moi : je n'en ferai nul compte; ?
Tu pleureras d'amour : ie rirai de ta honte.
r ....
Lors, tu seras punie, et je serai venge.
SONNET
'autre jour, inspiré d'une divine flamme,
ij'entrai dedans un temple, où, tout religieux,
LLEGIES ET SONNETS
lv\aniin:iiit ilc prrs mes actes vicieux,
Un repentir profond fait soupirer mou Ame.
Tandis qu'A mon secours tous les Dieux je réclame,
Je vois venir Pliilis. Ouand j'apen^us ses yeux,
Je m'écriai tout haut : Ce sont ici mes Dieux ;
Ce temple et cet autel appartient à ma dame.
Les Dieux, injuriés de ce crime d'amour,
Conspirent par venc^eancc à me ravir le jour;
Mais que sans plus larder leur tlamme me confonde!
O mort I quand lu voudras, je suis prêt à partir,
Car je suis assuré que je mourrai martyr
Pour avoir adoré le plus bel œil du monde.
SONNET
Si quelquefois Amour permet que je respire.
Et que pour un moment j'écoule ma raison,
Mon esprit aussitôt pense à ma guérison,
Tâchant de m'affranchir de ce fâcheux empire.
Il est vrai que mon mal ne peut devenir pire.
Qu'un esclave seroit honteux de ma prison.
THEOPHILE
Et que les plus damnés, à ma comparaison,
Trouveroient justement des matières pour rire.
Cloris, d'un œil riant et d'un cœur sans remords,
Me tient dans les tourments pires que mille morts,
Sans espoir que jamais sa cruauté s'amende.
Hélas ! après avoir à mes douleurs songé,
Je voudrois me résoudre à demander congé;
Mais j'ai peur d'obtenir le don que je demande.
SONNET DE THEOPHILE
SUR SON EXIL
Quelque si doux espoir où ma raison s'appuie,
Un mal si découvert ne se sauroit cacher :
J'emporte, malheureux, quelque part où je fuie,
Un trait qu'aucun secours ne me peut arracher.
Je viens dans un désert mes larmes épancher,
Où la terre languit, où le soleil s'ennuie.
Et, d'un torrent de pleurs qu'on ne peut étancher.
Couvre l'air de vapeurs et la terre de pluie.
Parmi ces tristes lieux traînant mes longs regrets.
ÉLÉGIES ET 80NNKTS I03
Je nie promène seul dans l'horreur des forèls
Où la Funeste orfraie * et le hibou se perchent.
Là, le seul réconfort (jui peut ni'entretenir.
C'est de ne craindre point que les vivants me cher-
Où le llambcau du jour n'osa jamais venir, [chent
SONNET
SUR LE MÊME SUJET, FAIT DANS LES LANDES
DE CASTEL-JALOUX
Je passe mon exil parmi de tristes lieux
Où rien de plus courtois (ju'un loup nem'avoisine ;
Où des arbres puants fourmillent d'écurieux *,
Où tout le revenu n'est (ju'un peu de résine,
Où les maisons n'ont rien plus froidque la cuisine,
Où le plus fortuné craint de devenir vieux,
Où la stérilité fait mourir la lésine,
Où tous les éléments sont mal-voulus des cieux,
Où le soleil contraint de plaire aux destinées.
Pour étendre mes maux allonfçe ses journées,
Et me fait plus durer le temps de la moitié.
Mais il peut bien changer le cours de sa lumière.
io4
THEOPHILE
Puisque le roi, perdant sa bonté coutumière,
A détourné pour moi le cours de sa pitié.
SONNET
On n'avoit point posé les fondements de Rome,
On n'avoit point parlé du sièffe d'IIion,
La terre n'avoit point reçu Deucalion,
Les sœurs de Phaéton ne pleuroient point la ^onime ■
Les géants n'avoient point monté sur Pélion,
Et celui qui causa notre rébellion
N'avoit pas mis la dent sur la première pomme.
Cypre n'avoit point vu ses rives écumer
De ce germe divin qui tomba dans la mer.
Quand la mère d'Amour voulut sortir de l'onde.
Bref, nous ne savons point de siècles assez vieux.
Depuis qu'on a connu l'origine du monde,
De qui l'antiquité ne le cède à vos yeux.
ÂLÂGIES P.T SONNETS
SONNKT
Ministre du repos, sommeil, père des sonates,
Poiinpioi t'a-t-on nommé limatje de la mort?
Que ces Faiseurs de vers l'ont jadis tait de tort,
De le persuader avecque leurs mensonges !
Faut-il pas conlcssercpi'en l'aise où lu nous plonges
Nos esprits sont ravis par un si doux transport,
Qu'au lieu de raccourcir à la fureur du sort
'Les plaisirs de nus jours, Sommeil, lu les allonges?
Dans ce petit moment, ù songes ravissants,
}u'Amour vous a permis d'entretenir mes sens,
J'ai tenu dans mon lit Elise toute nue.
Sommeil, ceux (jui l'ont fait l'image du trépas,
Quand ils ont peint la mort, ils ne l'ont poinlconnue,
Car vraiment son portrait ne lui ressemble pas.
SONNET
u moins ai-je songé que je vous ai baisée,
I. Et, bien que tout l'amour ne s'en soit pas allé.
J06 THÉOPHILE
Ce feu, qui dans mes sens a doucement coulé,
Rend en quelque façon ma flamme rapaisée.
Après ce doux effort, mon âme reposée
Peut rire du plaisir qu'elle vous a vole,
Et, de tant de refus à demi consolé,
Je trouve désormais ma guérison aisée ,
Mes sens déjà remis commencent à dormir;
Le sommeil, qui deux nuits m'a voit laissé gémir.
Enfin dedans mes yeux vous fait quitter la place.
Et, quoiqu'il soit si froid au jugement de tous.
Il a rompu pour moi son naturel de glace
Et s'est montré plus chaud et plus humain que vous.
SONNET
D'un sommeil plus tranquille à mes amours rêvant,
J'éveille avant le jour mes yeux et ma pensée,
Et, cette longue nuit si durement passée.
Je me trouve étonné de quoi je suis vivant.
Demi désespéré, je jure en me levant
D'arracher cet objet à mon âme insensée,
ÉLéOlKS ET SONNETS IO7
El sDiiiljun (lo ces vd'ux ma raison ollcnsée
Se ilctlit ol me laisse aussi loi (|iie devant.
Je sais bien (jue la mort suit de près ma folie,
Mais je vois tant d'appas en ma mélancolie
(Jue mon esprit ne peut souffrir sa guérison.
Chacun à son plaisir doit gouverner son àmc ;
Alitliridale autrefois a vécu de poison,
Les Lestrigons de sang, et moi je vis de flamme.
I SONNET
Chère Isis, tes beautés ont trouble la nature,
Tes yeux ont mis l'Amour dans son aveuglement.
Et les Dieux, occupés après toi seulement.
Laissent l'état du monde errer à l'aventure.
Voyant dans le soleil tes regards eu peinture.
Ils en sentent leur cœur touché si vivement
Que, s'ils û'étoient cloués si fort au firmament,
Ils descendroient bientôt pour voir leur créature.
Croîs-moi qu'en cette humeur ils ont peu de souci
Ou du bien ou du mal que nous faisons ici ;
Et, tandis que le Ciel endure que tu m'aimes.
I08 THKOPUILE
Tu peux bien dans mon lit impunément coucher ;
Isis,que craindrois-tu, puisque les Dieux eux-mêmes
S'estimeroient heureux de te faire pécher?
SONNET
Sacrés murs du soleil où j'adorai Philis,
Doux séjour où mon àme étoit jadis charmée,
Qui n'est plus aujourd'hui sous mes toits démolis
Que le sanglant butin d'une orgueilleuse armée;
Ornement de l'autel, qui n'êtes que fumée,
Grand temple ruiné, mystères abolis,
Effroyables objets d'une ville allumée,
Palais, hommes, chevaux, ensemble ensevelis;
Fossés larges et creux tous comblés de murailles,
Spectacle de frayeur, de cris, de funérailles.
Fleuve par où le sang ne cesse de courir;
Charniers où les corbeaux et lesloupsvontrepaîlrc,
Clérac, pour une fois que vous m'avez faitnaître,
Hélas! combien de fois me faites-vous mourir !
LIVRE III
LA MAISON DE SYLVIE
ODE I
Pour laisser, avant de mourir,
Les traits vivants d'une peinture
Oui ne puisse jamais périr
Qu'en la perle de la nature,
Je passe des crayons dorés
Sur les lieux les plus révérés
Où la vertu se rétuiçie,
Et dont le port me fut ouvert
(i) Chantilly a souvent changé de propriétaires: mais
le bois de Sylvie a qardé son nom et le cardera tant (]iio
ses beaux ombrages subsisteront (AlleacmkK
THEOPHILE
Pour mettre ma tête à couvert
Quand on brûla mon effigie.
Tout le monde dit qu'Apollon
Favorise qui le réclame,
Et qu'avec Teau de son vallon
Le savoir peut couler dans l'âme ;
Mais j'étouffe ce vieil abus
Et bannis désormais Phébus
De la bouche de nos poètes :
Tous ses temples sont démolis
Et ses démons ensevelis
Dans les sépultures muettes.
Satan ne nous fait plus broncher
Dans de si dangereuses toiles,
Le Dieu que nous allons chercher
Loge plus haut que les étoiles ;
Nulle divinité que lui
Ne me peut donner aujourd'hui
Cette flamme ou cette fumée
Dont nos entendements épris
S'efforcent à gagner le prix
Qui mérite la renommée.
Après lui je m'en vais louer
Une image de Dieu si belle
Que le ciel me doit avouer
LA MAISON DK SYLVIE
Du (ravail que j'ai fait pour elle:
Car aprôs les sncrrs autels,
Oui devant leurs feux immortels
Font aussi prosterner les anges,
Nous pouvons sans impiété
Flatter une chaste beauté
Du doux encens de nos louanges.
Ainsi, sous de modestes vnnix,
Mes vers promettent à Sylvie
O bruit charmeur que les neveux
Nomment une seconde vie;
Que si mes écrits, méprisés,
Ne peuvent voir autorisés
Les témoignages de sa gloire,
Ces eaux, ces rochers et ces bois,
Prendront des àmcs et des voix
Pour en conserver la mémoire.
Si quelques arbres renommés
D'une adoration profane
Ont été jadis animés
Des sombres regards de Diane ;
Si les ruisseaux, en murmurant,
Alloient autrefois discourant
Au gré d'un Faune et d'une fée.
Et si la masse d'un rocher
THEOPHILE
Se laissoit quelquefois toucher
Aux chansons que disoit Orphée,
Quelle dureté peut avoir
L'objet que ma princesse touche,
Qu'elle ne puisse le pourvoir
Tout aussitôt d'âme et de bouche ?
Dans ses bâtiments orgueilleux,
Dans ses promenoirs merveilleux,
Quelle solidité de marbres
Ne pourront pénétrer ses yeux ?
Quelles fontaines et quels arbres
Ne les estimeront des Dieux?
Les plus durs chênes entr'ouverts
Bien plutôt de gré que de force,
Peindront pour elle de mes vers
Et leurs feuilles et leur écorce.
Et, quand ils les auront gravés
Sur leurs fronts les plus relevés.
Je sais que les plus fiers orages
Ne leur oseront pas toucher,
Et pourront plutôt arracher
Leurs racines et leurs ombrages.
Je sais que ces miroirs flottants
Où l'objet change tant de place,
Pour elle devenus constants.
LA MAISON DE SYLVIE Il3
Auront une fidèle e;Iace,
Et, sous un ornemont si beau,
Lu surlace nièiiie de l'eau,
Nonobstant sa délicatesse,
Gardera sûrement encrés
Et mes caractères sacrés
Et les attraits de la princesse.
Mais sa ccloiro n'a pas besoin
Oue mon seul ouvrasse en n-ponde :
Le ciel a déjà pris le soin
De la peindre par tout le monde.
Ses yeux sont peints dans le soleil ;
L'aurore dans son teint vermeil
Voit ses autres beautés tracées,
Et rien n'éteindra ses vertus
Que les cieux ne soient abattus
Et les étoiles effacées.
ODE II
Un soir (jue les flots mariniers]
Apprcloient leur molle litière
Aux quatre rouges limonniers
Oui sont au joug de la lumière,
Il4 THÉOPHILE
Je penchois mes yeux sur le bord
D'un lit où la Naïade dort,
Et, regardant pêcher Sylvie,
Je voyois hattre les poissons
A qui plutôt perdroit la vie
En l'honneur de ses hameçons.
D'une main défendant le bruit,
Et de l'autre jetant la line *,
Elle fait qu'abordant la nuit,
Le jour plus bellement décline.
Le soleil craignoit d'éclairer
Et craignoit de se retirer;
Les étoiles n'osoient paroître,
Les flots n'osoient s'entrepousser,
Le zéphire n'osoit passer,
L'herbe se retenoit de croître *.
Ses yeux jetoient un feu dans l'eau;
Ce feu choque l'eau sans la craindre.
Et l'eau trouve ce feu si beau
Qu'elle ne l'oseroit éteindre.
Ces Eléments si furieux,
Pour le respect de ses beaux yeux
Interrompirent leur querelle,
Et, de crainte de la fâcher,
Se virent contraints de cacher
. Leur inimitié naturelle.
LA MAISON DE SYLVIE
Les Tritoiis, en la rcuanlaiil
Au travers leurs vitres liquides,
D'aliorc! à cet oI)jcl ardent
Sentent (ju'ils ne sont plus humides,
Kl d'un élonnenient soudain
Chacun d'eux dans un corps de daim
Cache sa forme dépouillée,
S'étonne de se voir cornu
Kt comment le poil est venu
Dessus son écaille mouillée.
Soupirant du cruel affront
(Jui de dieux les a iait des hètcs,
Kt sous les cornes de leur front
A courbé leurs honteuses Ictcs,
Ils ont abandonné les eaux,
Kt, dans la rive où les rameaux
Leur ont fait un logis si sombre,
Promenant leurs yeux ébahis,
N'osent plus fier que leur ombre
A l'étang qui les a trahis.
On dit que la sœur du Soleil
Eut ce pouvoir sur la Nature
Lorsque d'un changement pareil
Actéon quitta sa figure.
Ce que fit sa divine main
Pour punir dans un corps humain
Il6 THÉOPHILE
La curiosité profane
S'est fait ici contre les dieux,
Oui n'avoient approché leurs yeux
Que des yeux de notre Diane.
Ces daims^ que la honte et la peur
Chassent des murs et des allées,
Maudissent le destin trompeur
Des froideurs qu'il leur a volées.
Leur cœur, privé d'humidité,
Ne peut qu'avec timidité
Voir le ciel ni fouler la terre,
Où Sylvie en ses promenoirs
Jette l'éclat de ses yeux noirs.
Oui leur font encore la guerre.
Ils s'estiment heureux pourtant
De prendre l'air qu'elle respire ;
Leur destin n'est que trop content
De voir le jour sous son empire.
La princesse, qui les charma
Alors qu'elle les transforma,
Les fit être blancs comme neige.
Et, pour consoler leur douleur,
Ils reçurent le privilège
De porter toujours sa couleur.
Lorsqu'à petits flocons liés
LA MAISON DK SYI.VIK
La neiîçe, fraîchement venue,
Sur des grands tapis déliés
|]panche l'amas de la mie;
Lorsque, sur le chemin des cieux.
Ses "grains serrés et ii^racieux
l\'ont trouvé ni veut ni tonnerre,
Lt ([ue sur les premiers coupeaux *,
Loin des hommes et des troupeaux,
Ils ont peint le hois et la terre.
Quelque vigueur que nous ayons
Contre les éclats qu'elle darde,
ils nous blessent, et leurs rayons
l]i)louissent (pii les regarde.
Tel dedans ce parc ond)rageux *
Eclate le troupeau neigeux,
Et, dans ces vêtements modestes.
Où le front de Sylvie est peint.
Fait briller l'éclat de son teint
A l'envi des neiges célestes.
En la saison que le soleil.
Vaincu du froid et de l'orage.
Laisse tant d'heures au sommeil
Et si peu de temps à l'ouvrage,
La neige, voyant que ces daims
La foulent avec des dédains,
S'irrite de leurs bonds superbes.
117
Il8 THÉOPHILE
Et, pour affamer ce troupeau
Par dépit sous un froid manteau,
Cache et transit toutes les herbes.
Mais le parc pour ses nourrissons
Tient assez de crèches couvertes,
Que la neige ni les glaçons
Ne trouveront jamais ouvertes.
Là, le plus rigoureux hiver
Ne les sauroit jamais priver
Ni de loge ni de pâture :
Ils y trouvent toujours du vert,
Qu'un peu de soin met à couvert
Des outrages de la nature ;
Là, les faisans et les perdrix
Y fournissent leurs compagnies
Mieux que les halles de Paris
Ne les sauroient avoir fournies.
Avec elles voit-on manger
Ce que l'air le plus étranger
Nous peut faire venir de rare,
Des oiseaux venus de si loin
Qu'on y voit imiter le soin
D'un grand roi qui n'est pas avare.
Les animaux les moins privés,
Aussi bien que les moins sauvages,
i.A MAISON nn sYi.vii: iii)
Sont également captivés
I >ans ces bois et dans ces rivages.
Le niaîlre d'un lieu si plaisant
De l'hiver le plus nialfaisant
Défie (ouïes les malices,
A l'uljoudance de son bien
Les éléments ne trouvent rien
Pour lui relranclier ses délices.
ODE III
Dans ce parc un vallon secret,
Tout voilé de ramages sombres.
Où le soleil est si discret
Qu'il n'y torce jamais les ombres,
Presse d'un cours si diligent
Les tlots de deux ruisseaux d'argent,
Et donne une fraîcheur si vive
A tous les objets d'alentour,
Que môme les martyrs d'amour
Y trouvent leur douleur captive.
Un étang dort là tout auprès
Où ces fontaines violentes
Courent et font du bruit exprès
Pour éveiller ses vagues lentes.
THEOPHILE
Lui, d'un maintien majestueux.
Reçoit l'abord impétueux
De ces Naïades vagabondes
Oui dedans ce large vaisseau
Confondent leur petit ruisseau
Et ne discernent plus ses ondes.
Là, Mélicerte, en un gazon,
Près de l'étang qui l'environne,
Fait aux cygnes une maison
Qui lui sert aussi de couronne.
Si la vague qui bat ses bords
Jamais avecque des trésors
N'arrive à son petit empire,
Au moins les vents et les rochers
N'y font point crier les nochers
Dont ils ont brisé la navire *.
Là les oiseaux font leurs petits,
Et n'ont jamais vu leurs couvées
Soûler les sanglants appétits
Du serpent quilles a trouvées ;
Là n'étend point ses plis mortels
Ce monstre de qui tant d'autels
Ont jadis adoré les charmes,
Et qui, d'un gosier gémissant,
Fait tomber l'àme du passant
Dedans l'embûche de ses larmes.
LA MAISON DE SYLVIE
Zéj)hyrc en chasse I«^s clialcurs.
RiiMi (|ue les cygues n'y repaissent ;
On n'y trouve rien sous les tleurs
Oue la Iraîclieur dont elles naissent;
Le Efazon içarde quel([uet'ois
Le bandeau, l'arc et le carquois
De mille amours qui se dépouillent
A l'ombrage de ces roseaux,
Et dans l'humidilc des eaux
Trempent leurs jeunes corps qui bouillent.
L'étang leur prête sa fraîcheur,
La Naïade leur verse à boire ;
Toute l'eau prend de leur blancheur
L'échu tl'une couleur d'ivoire.
On voit lu ces nageurs ardents,
Dans les ondes qu'ils vont tendants,
Faire la guerre aux Néréides,
Oui, devant leur teint mieux uni,
Cachent leur visage terni
Et leur front tout coupé de rides.
Or ensemble, ores dispersés.
Ils brillent dans ce crêpe sombre
Et sous les flots qu'ils ont percés
Laissent évanouir leur ombre.
Parfois dans une claire nuit,
Oui du feu de leurs yeux reluit
THEOPHILE
Sans aucun ombrao'e de nues,
Diane quitte son berger
Et s'en va là-dedans nager
Avecque ses étoiles nues.
Les ondes, qui leur font l'amour,
Se refrisent sur leurs épaules,
Et font danser tout à l'entour
L'ombre des roseaux et des saules.
Le dieu de l'eau, tout furieux,
Haussé pour regarder leurs yeux
Et leur poil qui flotte sur l'onde,
Du premier qu'il voit approcher
Pense voir ce jeune cocher
Oui fit jadis brûler le monde.
Et ce pauvre amant langoureux,
Dont le feu toujours se rallume,
Et de qui les soins amoureux
Ont fait ainsi blanchir la plume,
Ce beau cygne à qui Phaëton
Laissa ce lamentable ton.
Témoin d'une amitié si sainte,
Sur le dos son aile élevant.
Met ses voiles blanches au vent
Pour chercher l'objet de sa plainte.
Ainsi, pour flatter son ennui,
LA MAISON DE SYLVIE 1^3
Je dcmainU' an dieu Méliceric
Si cliîUjiic dieu n'est pas celui
Dont il soupire taut la perle,
Et, contemplant de tous côtés
La semltlance de leurs beautés,
Il sent renouveler sa tlanune,
Errant avec des faux plaisirs
Sur les traces des vieux désirs
Oue conserve encore son Ame.
Toujours ce furieux dessein
Entretient ses blessures fraîches,
Et fait venir contre son sein
L'air brûlant et les ondes sèches.
Ces attraits, empreints là dedans
Comme avec des tlambeaux ardents.
Lui rendent la peau toute noire.
Ainsi, dedans comme dehors,
Il lui tient l'esprit et le corps,
La voix, les yeux et la mémoire.
ODE IV
Chaste oiseau, que ton amitié
Fut malheureusement suivie !
Ta mort est digne de pitié,
124 THÉOPHILE
Comme ta foi digne d'envie.
Que ce précipité tombeau
Qui t'en laissa l'objet si beau
Fut cruel à tes destinées !
Si la mort t'eût laissé vieillir,
Tes passions alloient faillir,
Car tout s'éteint par les années.
Mais quoi 1 le sort a des revers
Et certains mouvements de haine
Qui demeurent toujours couverts
Aux yeux de la prudence humaine.
Si, pour fuir * ce repentir,
Ton jug'ement eût pu sentir
Le jour qui vous devoit disjoindre,
Tu n'eusses jamais vu le jour,
Et jamais le trait de l'amour
Ne se fût mêlé de te poindre.
Pour avoir aimé ce garçon
Encore après la sépulture.
Ne crains pas le mauvais soupçon
Oui peut blâmer ton aventure :
Les courages des vertueux
Peuvent d'un vœu respectueux
Aimer toutes beautés sans crime,
Comme, donnant à tes amours
LA MAISON DE SYLVIE
125
Ce chaste et ce coninuiii discours,
Mou cœur n'a point passe ma rime.
Certains crili(|ues curieux
En trouvent les mœurs oHensées ;
Mais leurs soupçons injurieux
Sont les crimes de leurs pensées :
Le dessein de la chasteté
Prend une honnête liberté,
Et franchit les soties limites
Que prescrivent les imposteurs
Oui, sous des robes de docteurs,
Ont des âmes de sodomites.
Le Ciel nous donne la beauté
Pour une marque de sa grâce :
C'est par où la divinité
Marque toujours un peu sa trace.
Tous les objets les mieux formés
Doivent être les mieux aimés,
Si ce n'est qu'une âme maline *,
Esclave d'un corps vicieux.
Combatte les faveurs des Cieux
Et démente son origine.
O que le désir aveuglé
Où l'àme du brutal aspire
Est loin du mouvement réglé
I 20 THÉOPHILE
Dont le cœur vertueux soupire !
Que ce feu que nature a mis
Dans le cœur de deux vrais amis
A des ravissements étranges !
Nature a fondé cet amour :
Ainsi les yeux aiment le jour,
Ainsi le Ciel aime les anges.
Ainsi, malgré ces tristes bruits
Et leur imposture cruelle,
Thyrsis et moi goûtons les fruits
D'une amitié chaste et fidèle.
Rien ne sépare nos désirs.
Ni nos ennui? ni nos plaisirs ;
Nos influences enlacées
S'étreignent d'un même lien,
Et mes sentiments ne sont rien
Que le miroir de ses pensées.
Certains feux de divinités
Qu'on nommait autrefois génies
D'une invisible affinité
Tiennent nos fortunes unies :
Quelque visage différent,
Quelque divers sort apparent
Qui se lise en mes aventures.
Sa raison et son amitié
LA MAISON Di; SYl.VIK 1 27
Prennent aujouririiui la inoilic
De ma honte et de mes injures.
Lorsque d'un si subit eUVoi
Les plus noirs enfants de l'Envie,
Au milieu des faveurs du roi,
Osèrent menacer ma vie,
Et que, pour me voir opprimé,
Le parlement même, animé
Des rapports de la (^alonmie,
Sans pitié me vît condjattu
De la secrète tyrannie
Des ennemis de la vertu,
Thyrsis, outré de mes doaleurs,
Me redit ce songe effroyable.
Qu'un long train de tant de malheurs
Me rend dorénavant croyable.
D'un long soupir qui dcvanra
La première voix qu'il poussa
Pour prédire mon aventure,
Je sentis mon sang se geler
Et comme autour de moi voler
L'ombre de ma douleur future.
128 THÉOPHILE
ODE V
Damon, dit-il, j'étais au lit,
Goûtant ce que les nuits nous versent,
Lors que le somme ensevelit
Les soins du jour qui nous traversent.
Au milieu d'un profond repos
Où nul regard ni nul propos
N'abusoit de ma fantaisie.
Une froide et noire vapeur
Me transit l'âme d'une peur
Oui la tient encore saisie.
Jamais qu'alors notre amitié
N'avoit mis mon cœur à la gêne ;
Tu me fis lors plus de pitié
Que Philis ne me fait de peine.
Cet effroyable souvenir
Me vient encore entretenir,
Et me redonne les alarmes
Du spectacle plus ennemi
Qui jamais d'un œil endormi
A put faire couler des larmes.
Un grand fantôme souterrain,
Sortant de l'infernale fosse,
LA MAISON DK SYI.VIK J 21)
Enroué connue de l'airain
Où roulcroit Un carrosse,
D'un iilniril (|ui nie nienaroit
Kl d'un regard (|ui nie Messoit,
Dressant vers moi ses |)as funèbres,
Kier des commissions du Sort,
Me dit trois fois : Damon est mort.
Puis se perdit dans les léuèbi'es.
Sans doute (jue leurs vérités,
Plus puissantes (jue les mensonges.
Touchent plus fort nos facultés
Kt nous impriment mieux les songes.
Je relins si bien ses accents.
Et son image dans mes sens
Demeura tellement empreinte,
Que ton corps mort entre mes bras
!U ton sang versé dans mes draps
Ne m'eussent pas fait plus de crainte.
Cherchant du soûlas * par mes yeux.
Je mets la tète à la fenêtre
Et regarde un peu dans les cieux
Le jour, qui ne faisoit que naître ;
Et, combien que ce songe-là
Dans mon sang, que la peur gela,
Laissât encore ses images,
Je me rassure et me rendors,
THEOPHILE
Croyant que les vapeurs du corps
Avoient enfanté ces nuages.
Le sommeil fie m'eut pas repris
Que, songeant encore à ta vie.
Tu vins rassurer mes esprits
Qu'on ne te l'avoit point ravie.
Il est vrai, Thyrsis, me dis-tu,
Qu'on en veut bien à ma vertu.
Là je te vis dans une émeute
Avancer, l'épée à la main.
Vers un portail qui chut soudain
Et qui t'accabla de sa chute.
De là, ce songe en mon cerveau
Poursuivant toujours son idée.
Je te vis suivre en un tombeau
Par une foule débordée.
Les juges y tenoient leur rang,
L'un d'entre eux épancha du sang
Qui me jaillit contre la face.
Là tout mon songe s'acheva,
Et ton pauvre ami se leva
Noyé d'une sueur de glace.
L\ MAISON DB SYLVIE l3l
ODI<] VI
NOUS étions dans un cabinet
Enccinl tle fontaines et d'arljics;
Son meuble est si clair et si net
Que l'émail l'est moins ou les marbres.
Celui (jui l'a lait si poli
Semble avoir jadis démoli
Le fi^rand |)alais de la lumière,
Et, pillant son riche pourpris.
De tout ce glorieux débris
Avoir là porté la matière.
Pour conserver son ornement,
Le soleil le lave et l'essuie,
Car c'est le soleil seulement
Qui fait le beau temps et la pluie.
Flore y met tant de belles fleurs
Que l'Aurore ne peut sans pleurs
Voir leur éclat (pii la surmonte :
C'est à cause de cet alVront
Qu'elle montre si peu son front
Et qu'on la voit rougir de honte.
L'odeur de ces fleurs passeroit
[3p. THÉOPHILE
Le musc de Rome et de Caslillc,
El la terre s'offenseroit
Qu'on y brûlât de la pastille.
Le garçon qui se consuma
Dans les ondes qu'il alluma
Voit là tous ses appas renaître,
Et, ravi d'un objet si beau.
Il admire que son tombeau
Lui conserve encore son être.
La nymphe qui lui lait la cour
Le voit là tous les ans revivre.
Car son opiniâtre amour
La contraint encore à le suivre ;
Là le ciel semble avoir pitié
Des longs maux de son amitié.
Et permet parfois au Zéphyre
De la mener à son amant,
Qui respire insensiblement
L'air des flammes qu'elle soupire.
Echo, dedans un si beau feu
Jalouse que le ciel la voie.
Est invisible et parle peu.
De respect, de honte et de joie.
Ainsi mes esprits transportés,
Se trouvent tous déconfortés
Quand une beauté me regarde,
LA MAISON DE SYIA'IE l33
l'^l mon discours le moins suspect
Trouve toujours ou le respect
Ou la honte qui le retarde.
Quand je vois partir les regards
Des superbes yeux de Caliste,
Uni sont autant de coups de dards
Où nulle qu'elle ne résiste,
Le témoin le plus assuré
Qui de mon esprit égaré
Montre la passion confuse,
C'est que je ne saurois comment
Le prier d'un mot seulement
Que sa voix ne me le reiuse.
Je suivrois l'importun désir
Qui m'en parle toujours dans l'âme,
Et prendrois ici le loisir
De parler un peu de ma flamme ;
Mais l'entreprise du tableau.
Qui par un cabinet si beau
Commence à pourmcner * la muse.
Me tient dans ce parc enchanté,
Où le Printemps le plus hâté
Toujours cinq ou six mois s'amuse.
Quand le Ciel, lassé d'endurer
Les insolences de Borée,
[34 THÉOPHILE
L'a contraint de se retirer
Loin de la campagne azurée ;
Que les Zéphyres, rappelés,
Des ruisseaux à demi gelés
Ont rompu les écorces dures,
Et, d'un souffle vif et serein,
Du céleste palais d'airain
Ont chassé toutes les ordures^
Les rayons du jour, égarés
Parmi des ombres incertaines,
Eparpillent leurs feux dorés
Dessus l'azur de ces fontaines ;
Son or, dedans l'eau confondu,
Avecque ce cristal fondu
Mêle son teint et sa nature.
Et sème son éclat mouvant.
Comme la branche, au gré du vent,
Efface et marque sa peinture.
Zéphyre, jaloux du soleil.
Oui paroît si beau sur les ondes.
Traverse ainsi l'état vermeil
De ces allées vagabondes.
Ainsi ces amoureux Zéphyrs,
De leurs nerfs, qui sont leurs soupirs.
Renforçant leurs secousses fraîches,
Détournent toujours ce flambeau,
X.\ MAISON DE SYuVlE |35
l''t, pour cacher !e fond de l'eau.
Jettent au moins des leuilles sèches.
L'eau, qui fuit en h>s res^anhint,
Orijfueilleuse (h> h-ur (|uei'ello,
l\it et s'échappe cependant
Qu'ils sont à disputer pour elle.
Et pour prix de tous leurs efforts,
Laissant les ànies sur les bords
De celte fontaine superbe.
Dissipent toutes leurs chaleurs
A conserver l'état des fleurs
Et la molle fraîcheur de l'herbe.
C'est où se couche Palémon,
Oui triomphe de leur maîtresse.
Et plein d'écume et de limon,
Quand il veut reçoit sa caresse.
Ainsi naguère deux bers^ers
Ont couru les sauglants daniçers
Que l'honneur a mis à l'épée,
Et par un malheur mutuel
Laissent vain(|ueur de leur duel
Un vilain qui plut à Napée.
l36 THÉOPHILE
ODE VII
Le plus superbe ameublement
Dont le séjour des rois éclate,
L'or, semé prodigalement
Sur la soie et sur l'écarlate.
N'eurent jamais rien de pareil
Aux teintures dont le soleil
Couvre les petits flots de verre.
'Quelle couleur peut plaire mieux
Oue celle qui contraint les cieux
De faire l'amour à la terre ?
Ce cabinet, toujours couvert
D'une large et haute tentuVe,
Prend son ameublement tout vert
Des propres mains de la Nature,
D'elle, de qui le juste soin
Etend ses charités si loin.
Et dont la richesse féconde
Paroît si claire en chaque lieu
Oue la providence de Dieu
L'établit pour nourrir le monde.
Tous les blés, elle les produit;
LA MAISON DE SYLVIE 187
Le ce|) ne vient ([ue de sa force :
ICIIe en fait le pampre H le f'ruil,
Va les racines cl l'ëcorce;
Elle donne le mouvement
Et le siège à charpie clément,
Et, selon (pie Dieu l'autorise,
Notre destin pend de ses mains,
El l'influence des humains
Ou leur nuit, ou les favorise.
Elle a mis toute sa bonté,
El son savoir et sa richesse,
Et les trésors de sa beauté.
Sur le duc et sur la duchesse ;
Elle a fait les heureux accords
Oui joiîfnent leur âme et leur corps.
Bref, c'est elle aussi cpii marie
Les zéphyres avec nos fleurs,
Et qui fait de tant de couleurs,
Tous les ans, leur tapisserie.
Avec les naturels appas
Dont ce beau cabinet se pare,
La musique ne manque pas
D'y fournir ce quelle a de rare.
Ces chantres si lût éveillés.
Oui dorment toujours habillés,
Ouand l'Aurore les vient semondre *
l38 THÉOPHILE
Lui donnent un si doux salut
Que Saint-Amant, avec son luth,
Auroit peine de les confondre.
Quand la princesse y fait séjour,
Ces oiseaux pensent que l'Aurore,
A dessein d'y tenir sa cour,
A quitté les rives du More.
Un saint désir de l'approcher
Les anime et les fait pencher
Des branches qui lui font ombrage,
Et, devant ces divinités,
Leurs innocentes libertés
Ne craignent rien qui les outrage.
Leurs cœurs se laissent dérober,
Insensiblement ils s'oublient,
Et des rameaux qu'ils font courber
Quelquefois leurs pieds se délient ;
Leur petit corps précipité
Se fie en la légèreté
De la plume, qui les retarde;
Ils planent sur leurs ailerons
Et volètent aux environs
De Sylvie, qui les regarde.
Quand elle écoute leurs chansons.
Leur vaine srloire s'étudie
LA MAISON DE SYLVIE 1 .'i((
A rt'cilcr «luoliines I(N;niis
hi' leur plus douce inclotlit;.
Chacun d'eux se trouve ravi ;
Ils étalent tous à l'envi
Leur trésor cache sous la plnmc.
Et ces remèdes si plaisants
(Jui des soucis les plus cuisants
Détrempent toute raiiierluine.
Comme les chantres quelquefois,
D'une complaisance ignorante
.Mii^iiardant et l'u'II cl la voix
Devant les beaux yeux d'Amarante,
Leur plaisir et leur vanité
Fait qu'avec importunité
Ils nous prodia;ucnt leurs merveilles,
Et qu'ils chantent si lontifuement
Oue leur concert le plus charmant
Lasse l'esprit et les oreilles.
Ainsi l'entretien d'un rimeur,
Knflé des arts et des sciences,
Lorsqu'il se trouve en bonne humeur,
Vient à bout de nos patiences.
Et, sans qu'on puisse rebuter
Cet instinct de persécuter
Oue leur inspire le ccénie.
Il faut, à force de parler,
l/(0 THÉOPHILE
Que le poumon, las de souffler,
Fasse paix à la compagnie.
Ainsi ces oiseaux, s'attachant
Au dessein de plaire à Sylvie,
Dans les lons^s efforts de leurs chants
Semblent vouloir laisser la vie :
Leur jgosier sans cesse mouvant
Etourdit les eaux et le vent.
Et, vaincu de sa violence,
Quoi qu'il veuille se retenir,
Il peut à peine revenir
A la liberté du silence.
Comme ils tâchent à qui mieux mieux
De faire agréer leur hommage,
Leur zèle rend presque odieux
Le tumulte de leur ramage ;
Leur bruit est ce bruit de Paris
Lorsqu'une voix de tant de cris
Bénit le roi parmi les rues
Qu'on le fâche en le bénissant.
Et l'air éclate d'un accent
Oui semble avoir crevé les nues.
LA MAISON DK SYLVIK l/|l
oDi: \\\\
Sur tous le rossignol outre,
Dans son ùmc encore altérée,
N'a jamais pu dire à son gré
Les affronts (jue lui fit Tcrce.
Ses poumons, sans cesse enflammés,
Sont ses vieux soupirs ranimés,
Et ce peu d'esprit qui lui reste
N'est qu'un souvenir éternel
De maudire son criminel
Et l'appeler toujours inceste.
Ce petit oiseau tout penché
Où la princesse se présente
Craint d'avoir le gosier bouché,
Le bec clos, la langue pesante,
Et, cependant qu'il peut jouir
Du bonheur de se Faire ouïr.
Lui* raconte son aventure,
Et gazouille soir et matin
Sur les caprices du Destin,
Oui lui fil changer de nature.
Il a lie si divers accès
l42 THÉOPHILE
Dans le long récit de sa honte,
Qu'on aura fini mon procès
Quand il aura fini son conte.
Les morts gisants sous Pélion,
Toutes les cendres d'Ilion,
N'ont point donné tant de matière
De faire des plaintes aux cieux
Que cet oiseau malicieux
En vomit sur son cimetière.
Ce plaisir reste à son malheur
Que sa voix, qui daigne le suivre,
Afin de venger sa douleur,
La fait continuer de vivre.
Il ne fait pas bon irriter
Celui qui sait si bien chanter,
Car l'artifice de l'envie
Ne sauroit trouver un tombeau
D'où son esprit toujours plus beau
Ne revienne encore à la vie.
La cendre de son monument,
Malgré les traces ennemies,
Fait revivre éternellement
Son mérite et leurs infamies.
Les vers flatteurs et médisants
Trouvent toujours des partisans
Le pinceau d'un faiseur de rimes,.
VK MAISON Dli: SYLVIE l43
S'il est adroit aux fictions,
Aux plus sincères actions
Sait ilonner la couleur dos crimes.
Pieux! que c'est un eontentenienl
IJien doux à la raison humaine
Oue d'exhaler si doucement
La douleur (juc nous fait la haine !
Un brutal (ju'on va poursuivant
Dans des soupirs d'air et de vent
Cherche une honteuse allégeance ;
Mais la douleur des bons esprits,
Oui laisse îles soupirs écrits.
Guérit avecque la vengeance.
Aujourd'hui, dans les durs soucis
Du malheur qui me bal sans cesse,
Si mes sens n'étoient adoucis
Par le respect de la princesse,
J'écrirois avecque du Hel
Les adversités dont le Ciel
Souftre que les méchants me troublent,
Et, quand mes maux m'accabicroient,
Mes injures redoubleroicnt
Comme leurs cruautés redoublent.
Peut-être les sanglants auteurs
De tant et de si longs outrages,
i44
THEOPHILE
Ces infâmes persécuteurs,
Verront mourir leurs vieilles rages ;
Et si ma fortune, à son tour
Permet que je me venge un jour,
N'ai-je point une encre assez noire
Et dans ma plume assez de traits
Pour les peindre dans ces portraits
Oui font horreur à la mémoire ?
Mais ici mes vers, glorieux
D'un objet plus beau que les anges,
Laissent ce soin injurieux
Pour s'occuper à des louanges.
Puisque l'horreur de la prison
Nous laisse encore la raison.
Muses, laissons passer l'orage ;
Donnons plutôt notre entretien
A louer qui nous fait du bien
Qu'à maudire qui nous outrage.
Et mon esprit voluptueux
Souvent pardonne par foiblesse.
Et comme font les vertueux.
Ne s'aigrit que quand on le blesse.
Encore, dans ces lieux d'horreur.
Je ne sais quelle molle erreur
Parmi tous ces objets funèbres
Me tire toujours au plaisir.
I,A MAISON DE SYI.VIF. l/(5
Kl mon d'il, i|ui suit mon désir,
Voit Chantilly dans ces tcnrl)ros.
Au travers de ma noire tour
Mon àme a des rayons qui percent
Dans ce parc, que les yeux du jour
Si difficilement traversent.
Mes sens en ont tout le tableau :
Je sens les Heurs au bord de l'eau ;
Je prends le frais qui les humecte.
La princesse s'y vient asseoir.
Je vois, comme elle y va le soir,
Que le jour fuit et la respecte.
Les oiseaux n'y font plus de bruit.
Le seul roi de leur harmonie,
Oui touche un luth en pleine nuit.
Demeure en notre compaiçnie,
Et, laissant ses vieilles douleurs
Dans la lumière et les chaleurs
Oue la fuite du jour emporte,
Il concerte si sagement
Qu'il semble «jue le jugement
Lui forme des airs de la sorte.
l4C THÉOPHILE
ODE IX
Moi qui chante soir et matin
Dans le cabinet de l'Aurore,
Où je vois ce riche butin
Qu'elle prend au rivage more,
L'or, les perles et les rubis.
Dont ses flammes et ses habits
Ont jadis marqué la cigale.
Et tout ce superbe appareil
Qu'elle déroboit au soleil
Pour se faire aimer à Céphale,
Tous les jours la reine des bois
Devant mes yeux passe et repasse,
Et souvent, pour ouïr ma voix,
Se détourne un peu de la chasse.
Souvent qu'elle se va baigner,
Où rien ne l'ose accompagner
Que ses Dryades vagabondes.
J'ai tout seul cette privauté
De voir l'éclat de sa beauté
Dans l'habit de l'air et de l'onde.
Mais j'atteste l'air et les cieux,
l.A M VISON DE SYLVIE 1^7
Dont je lions la voix et la vie,
Oiic mon jugement et mes yeux
Aiment mieux mille fois Sylvie,
l'n (le SCS regards seulement,
Oui partent si nonchalanunent,
Donne à mes chansons tant d'amorce
Et de si douces vanités,
Oue les autres divinités
N'en jouissent plus que de force.
Si mes airs cent fois récités.
Comme l'ambition me presse.
Mêlent tant de diversités
Aux chansons que je vous adresse,
C'est que ma voix cherche des traits
Pour un chacun de vos attraits.
Mais c'est en vain qu'elle se pique
De satisfaire à tous mes vœux,
Car le moindre de vos cheveux
Peut tarir toute ma musique.
Quand ma voix, qui peut tout ravir,
Rcussiroit à vous complaire,
Le soin que j'ai do vous servir
TAche en vain de me satisfaire.
Je crois que mes airs innocents,
Au lieu d'avoir flatté vos sens.
Leur ont donné de la tristesse,
l48 THÉOPHILE
Et que mes accents enroués.
Au lieu de les avoir loués.
Ont choqué leur délicatesse.
Quand la nuit vous ôte d'ici,
Et que ses ombres coulumières
Laissent ce cabinet noirci
De l'absence de vos lumières.
Aussitôt j'oy * que le Zéphyr
Me demande avec un soupir
Ce que vous êtes devenue,
Et l'eau me dit en murmurant
Que je ne suis qu'un ignorant
De vous avoir si peu tenue.
O Zéphyres ! ô chères eaux !
Ne m'en imputez point l'injure :
J'ai chanté tous les airs nouveaux
Que m'apprit autrefois Mercure.
Mais que ma voix dorénavant
N'approche ni ruisseau ni vent,
Que l'air ne porte plus mes ailes,
Si, dans le printemps à venir,
Je n'ai de quoi l'entretenir
De dix mille chansons nouvelles.
Ainsi finit ces tons charmeurs
L'oiseau dont le gosier mobile
LA MAISON DE SYLVIE l '\t)
Soiiftlo toujours à nos humeurs
De ([uoi faire mourir la Itile,
Lit, brûlant après son dessein,
11 ramasse dedans son sein
Le doux eliarnie des voix humaines,
La musique des iuslrumenls
Kl les paisii)les roulements
Du beau cristal de nos lontaincs.
Comme en la terre et par le ciel
Des petites mouches errantes
Mêlent, pour composer leur miel.
Mille matières diiïérentes.
Formant ses airs, qui sont ses fruits,
L'oiseau digère mille bruits
En une seule mélodie,
Et, selon le temps de sa voix,
Tous les ans le parc une fois
Le re(;oit et le congédie.
ODE X
ossis^nol, c'est assez chanté-;
Ce parc est désormais trop sombre
Je trouve Apollon rebuté
D'écrire si longtemps à l'ombre.
R
5o THÉOPHILE
Ces lieux si beaux et si divers
Méritent chacun tous les vers
Que je dois à tout le volume ;
Mais je sens croître mon sujet.
Et toujours un plus grand objet
Se vient présenter à ma plume.
Je sais qu'un seul rayon du jour
Mériteroit toute ma peine.
Et que ces étangs d'alentour
Pourroient bien engloutir ma veine ;
Une goutte d'eau, une fleur,
Chaque feuille et chaque couleur
Dont nature a marqué ces arbres,
Mérite tout'un livre à part,
Aussi bien que chaque regard
Dont Sylvie a touché ces arbres.
Mais les myrtes et les lauriers
De tant de beautés de sa race
Et de tant de fameux guerriers
Me demandent déjà leur place.
Saints rameaux de Mars et d'Amour,
En quel si reculé séjour
Vous plaît-il que je vous apporte?
C'est pour vous, immortels rameaux.
Que j'abandonne ces ormeaux
Et foule aux pieds leur feuille morte.
LA MAISON nu SYLVir.
Pour vous je laisse auprès de moi
L'ne losfc, aujourd'hui dcscrlc,
Que jadis pour l'amour d'un roi
Ces arbres ont ainsi couverte .
Sous ce toit, loin des coiu'tisans,
De (jui les soiipijons médisants
N'ont jamais appris à se taire,
Alcandre a mille fois goûté
Ce qu'un prince a de volupté
Ouand il trouve un lieu solitaire.
Je dirois les secrets moments
Des faveurs, des saintes malices.
Dont le caprice des amants
Forme leur plainte et leurs délices :
Mais si l'œil de Sylvie un jour
De cette lecture d'amour
Avoit surpris son innocence.
Ma prison me seroit trop peu ;
Lors faudroit-il dresser le feu
Dont on veut punir ma licence.
Suivant le vertueux sentier
Où mon juste dessein m'attire,
Je laisse à gauche ce quartier
Pour le Faune et pour le Satyre.
Or, (juelque si pressant dessein
Qui m'enflamme aujourd'hui le sein,
l52 THÉOPHILE
Quelque vanité qui m'appelle,
Ce seroit un péché mortel
Si je ne visifois l'autel,
Etant si près de la chapelle.
Que ces arbres sont bien ornés!
Je suis ravi quand je contemple
Que ces promenoirs sont bornés
Des sacrés murs d'un petit temple.
Ici loge le roi des rois :
C'est ce Dieu qui porta la croix,
Et qui fit à ces bois funèbres
Attacher ses pieds et ses mains
Pour délivrer tous les humains
Du feu qui ard dans les ténèbres.
Son esprit partout se mouvant
Fait tout vivre et mourir au monde ;
Il arrête et pousse le vent,
Et le flux et reflux de l'onde ;
Il ôte et donne le sommeil ;
Il montre et cache le soleil ;
Notre force et notre industrie
Sont de l'ouvrage de ses mains,
Et c'est de lui que les humains
Tiennent race, et biens, et patrie.
Il a fait le tout du néant ;
I.K MAISON DE SYI.VIK l53
Tous les animes lui f(Mit homniame,
Et lo nain comme le i;Tant
Porte sa a^lorieuse iman'C.
Il fuit au corps de l'univers
Et le sexe et l'Age divers.
Devant lui c'est une peinture
Que le ciel et chaque élément;
Il peut d'un trait d'(eil seulement
Efl'acer toute la nature.
Tous les siècles lui sont présents.
Et sa s^randeur non mesurée
Fait des minutes et des ans
Même trace et même durée.
Son esprit partout épandu,
Jusqu'en nos âmes descendu,
Voit naître toutes nos pensées ;
Même en dormant, nos visions
N'ont jamais eu d'illusions
Ouil n'ait auparavant tracées.
Ici, Muses, à deux genoux
Implorons sa divine grâce
D'imprimer toujours devant nous
Les marques d'une heureuse trace ;
C'est elle qui nous doit guider,
Depuis celui qui vint fonder
La première croix dans la France,
l54 THÉOPHILE
Jusqu'à sa race, qui promet
De la planter chez Mahomet
Avec la pointe de sa lance.
C'est où mon esprit enchaîné
Goûtera par un longue étude *
L'aise que prend mon cœur bien né
Quand il combat l'ingratitude.
Et si j'ai bien loué les eaux,
Les ombres, les fleurs, les oiseaux,
Oui ne songent point à me plaire,
Lisis, qui songe à mon ennui.
Verra sur sa race et sur lui
Ma reconnoissance exemplaire.
LIVRE IV
PIÈCES DIVERSES
A MONSIEUR DU FARGIS (1)
Je ne m'y puis résoudre, excuse-moi de grâce :
Ecrivant pour autrui, je me sens tout de glace.
Je t'ai promis chez toi des vers, pour un amant
Oui se veut faire aider à plaindre son tourment ;
Mais, pour lui satisfaire et bien peindre sa flamme.
Je voudrois par avant avoir connu son Ame.
Tu sais bien que chacun a des goûts tous divers,
Ou'il faut à chaque esprit une sorte de vers,
Et que, pour bien ranger le discours et l'étude,
En matière d'amour je suis un peu trop rude.
(i) M. Du Fargis d'Angenncs, neveu de M. de Ram-
bouillet. Voyez TallemantdesRéaux (Collection des plus
belles pages .
[56 THÉOPHILE
II faudroit, comme Ovide, avoir été piqué ;
On écrit aisément ce qu'on a pratiqué,
Et je te jure ici, sans faire le farouche,
Que de ce feu d'amour aucun trait ne me touche.
Je n'entends point les lois ni les façons d'aimer.
Ni comme Cupidon se mêle de charmer.
Cette divinité, des Dieux même adorée,
Ces traits d'or et de plomb, cette trousse dorée,
Ces ailes, ces brandons, ces carquois, ces appas,
Sont \Taiment un mystère où je ne pense pas.
La sotte antiquité nous a laissé des fables
Qu'un homme de bon sens ne croit point recevables,
Et jamais mon esprit ne trouvera bien sain
Celui-là qui se paît d'un fantôme si vain,
Qui se laisse emporter à des honteui; mensonges
Et vient, même en veillant, s'embarrasser de songes.
Le vulgaire, qui n'est qu'erreur, qu'illusion,
Trouve du sens caché dans la confusion ;
Même des plus savants,mais non pas des plus sages,
Expliquent aujourd'hui ces fabuleux ombrages.
Autrefois les mortels parlaient avec les Dieux,
L'on en voyait pleuvoir à toute heure des cieux ;
Quelquefois on a vu prophétiser des bêtes ;
Les arbres de Dodone étoient aussi prophètes.
Ces contes sont fâcheux à des esprits hardis,
Qui sentent autrement qu'on ne faisait jadis.
Sur ce propos un jour j'espère de t'écrire
Et prendre un doux loisir pour nous donner à rire.
piKCns nivEnsES lyy
Copoiidanl je te prie cncor de m'cxcuser
Et me laisser ainsi libre à te refuser,
Me permellre toujours de te fermer l'oreille
(Juand tu mo prieras d'une faveur pareille.
Peuses-tu, quand j'aurois employé tout un jour
A bien imaginer des passions d'amour
(Jue mes conceptions seruient i)ien exprimées
En paroles de elioix, bien mises, bien rimées '?
L'autre n'y trouveroit possible rien pour lui,
Tant il est malaisé d'écrire pour autrui.
Après qu'à son plaisir j'aurois donné ma peine.
Je sais bien que possible il loueroit ma veine :
«Vraiment ces vers sont beaux, ils sont doux et coulants,
if. Mais pour ma passion ils sont un peu trop lents.
« J'eusse bien désiré que vous eussiez encore
u Mieux loué sa beauté, car vraiment je l'honore.
« Vous n'avez point parlé du front, ni des cheveux,
« Ni de son bel esprit, seul objet de mes vœux.
« Tant seulement six vers encor, je vous supplie.
« Mon Dieu, que de travail vous donne ma folie ! »
Il voudroit que sou front fût aux astres pareil,
Que je la fisse ensemble et l'aube et le soleil,
Que j'écrive comment ses reg-ards sont des armes,
Comme il verse pour elle un océan de larmes.
Ces termes égarés offensent mon humeur,
Et ne viennent qu'au sens d'un novice rimeur
Qui réclame Phébus; quant à moi, je rai)jure
Et ne reconnois rien pour tout que ma nature.
i58
THEOPHILE
SATIRE PREMIERE
Oui que tu sois, de grâce, écoute ma satire,
^ Si quelque humeurjoyeuse autre part ne t'attire;
Aime ma liardiesse et ne t'offense point
De mes vers, dont l'aigreur utilement te point.
Toi que les éléments ont fait d'air et de boue,
Ordinaire sujet où le malheur se joue,
Sache que ton filet, que le destin ourdit,
Est de moindre importance encor qu'on ne te dit.
Pour ne te point flatter d'une divine essence,
Vois la condition de ta sale naissance,
Que, tiré tout sanglant de ton premier séjour,
Tu vois en gémissant la lumière du jour ;
Ta bouche n'est qu'aux cris et à la faim ouverte.
Ta pauvre chair naissante est toute découverte,
Ton esprit ignorant encor ne forme rien
Et moins qu'un sens brutal sait le mal et le bien.
A grand peine deux ans t'enseignent un langage
Et des pieds et des mains te font trouver l'usage.
Heureux au prix de toi les animaux des champs !
Ils sont les moins haïs, comme les moins méchants.
L'oiselet de son nid à peu de temps s'échappe
Et ne craint point les airs que de son aile il frappe ;
Les poissons en naissant commencent à nager.
PIÈCES DivensRs i5g
Kt le |Htulol ôclos chante et cherche à maniçer.
NaUire, douce mère à ces hnilales races,
Phis larîçeinenl qu'A toi leur a donné des grAccs.
Leur vie est moins sujette aux l'Acheux accidents
(Jui travaillent la ticiuie et deiiors et dedans.
La hôte ne sent point peste, a^uerre ou famine,
Le remords d'un forfait en son cœur ne la mine;
Elle ignore le mal pour n'en avoir la peur,
Ne connaît point l'effroi del'Achéron trompeur.
Elle a la tèle basse et les yeux contre terre.
Plus près de son repos et plus loin du tonnerre.
L'ombre des trépasses n'aigrit son souvenir.
On ne voit à sa mort le désespoir venir ;
Elle compte sans bruit et loin de toute envie
Le terme dont nature a limité sa vie,
Donne la nuit jiaisibie aux charmes du sommeil
Et tous les jours s'égaie aux clartés du soleil,
Franche de passions et de tant de traverses
Qu'on voit au changement de nos humeurs diverses.
Ce que veut mon caprice à ta raison déplaît.
Ce que lu trouves beau, mon œil le trouve laid.
Un même train de vie au plus constant n'agrée :
La profane nous fâche autant que la sacrée.
Ceux qui, dans les bourbiers des vices empêchés,
Ne suivent que le mal, n'aiment que les péchés.
Sont tristes bien souvent, et ne leur est jiossible
De consumer une heure eu volupté paisible.
Le plus libre du monde est esclave à son tour,
l6o THÉOPHILE
Souvent le plus barbai'e est sujet à l'amour,
Et le plus patient que le soleil éclaire
Se trouve quelquefois emporté de colère.
Comme Saturne laisse et prend une saison,
Notre esprit abandonne et reçoit la raison ;
Je ne sais quelle humeur nos volontés maîtrise,
Et de nos passions est la certaine crise ;
Ce qui sert aujourd'hui nous doit nuire demain,
On ne tient le bonheur jamais que d'une main.
Le destin inconstant sans y penser oblige,
Et, nous faisant du bien, souvent il nous afflige.
Les riches plus contents ne se sauroient guérir
De la crainte de perdre et du soin d'acquérir.
Notre désir changeant suit la course de l'âge :
Tel est grave et pesant qui fut jadis volage,
Et sa masse caduque, esclave du repos.
N'aime plus qu'à rêver, hait le joyeux propos.
Une sale vieillesse, en déplaisir confite.
Qui toujours se chagrine et toujours se dépite,
Voit tout à contre cœur, et, ses membres cassés.
Se ronge de regret de ses plaisirs passés.
Veut traîner notre enfance à la fin de la vie,
De notre sang bouillant veut étouffer l'envie.
Un vieux père rêveur, aux nerfs tout refroidis.
Sans plus se souvenir quel il étoit jadis.
Alors que l'impuissance éteint sa convoitise.
Veut que notre bon sens révère sa sottise,
Que le sang généreux étouffe sa vigueur.
PIÈCES DIVKUSES iGl
Et qu'un esprit bien né se plaise à la riii^ucur.
Il nous veut arracher nos passions humaines,
Que son malade esprit nejuge pas bien saines ;
Soit par rébellion, ou bien par une erreur,
Ces repreneurs tacbeux me sont tous en horreur;
J'approuve (ju'un chacun suive en tout, la nature:
Son empire est plaisant et sa loi n'est pas dure ;
Ne suivant que son train jusqu'au dernier moment.
Même dans les malheurs on passe heureusement.
Jamais mon jugement ne trouvera blâmable
(lelui-là qui s'attache à ce qu'il trouve aimable,
Qui dans l'état mortel tient tout indiflérent ;
Aussi bien même fin à l'Achéron nous rend.
Si tu veux résister, l'amour te sera pire.
Et ta rébellion étendra son empire;
Amour a quelcjue but, (piehpic temps de durer,
Que notre entendement ne peut pas mesurer.
C'est un fiévreux tourment, qui, travaillant notre âme,
Lui donne des accès et de glace et de flamme,
S'attache à nos esprits comme la fièvre au corps,
Jusqu'à ce que l'humeur en soit toute dehors.
Contre ses longs elTorts la résistance est vaine ;
Qui ne peut l'éviter, il doit aimer sa peine.
L'esclave patient n'est qu'à demi dompté
S'il veut à sa contrainte unir sa volonté.
Le sanglier * enragé, qui d'une dent pointue
Dans son gosier sanglant mord l'épieu (|ui le tue,
Se nuit pour se défendre, et, d'un aveugle ettort,
102 THÉOPHILE
Se travaille lui-même et se donne la mort.
Ainsi l'homme souvent s'obstine à se détruire
Et de sa propre main il prend peine à se nuire.
Celui qui de nature, et de l'amour des Cieux,
Entrant en la lumière, est ne moins vicieux.
Lorsque plus son génie aux vertus le convie,
Il force sa nature, et fait toute autre vie ;
Imitateur d'autrui, ne suit plus ses humeurs.
S'égare pour plaisir du train des bonnes mœurs;
S'il est ué libéral, au discours d'un avare
Il tiichera d'éteindre une vertu si rare ;
Si son esprit est haut, il le veut faire bas;
S'il est propre à l'étude, il parle des combats.
Je crois que les destins ne font venir personne
En l'être des mortels qui n'ait l'àme assez bonne ;
Mais on la vient corrompre, et le céleste feu
Qui luit à la raison ne nous dure que peu :
Car l'imitation rompt notre bonne trame.
Et toujours chez autrui fait demeurer notre âme.
Je pense que chacun auroit assez d'esprit,
Suivant le libre train que nature prescrit.
A qui ne sait farder ni le cœur ni la face,
L'impertinence même a souvent bonne grâce.
Qui suivra son génie et gardera sa foi.
Pour vivre bien heureux, il vivra comme moi.
PIÈCES DIVEURKS |63
SECONDE SATIRE
Coiiiiols-tu ce IVicIicux ([iii coiilic lu rurtiiiic
AI)()io iinpuik'iuiiieiit coiiiinc un ciiicii ù la luiio,
Et qui vouilroit, ce semble, eu détourner le cours
Par riniporluDité d'un outrageux discours?
D'une sotte malice en son Ame il s'alllige
Quand la faveur du roi ses Favoris oblige.
Un boninie dont le nom est à peine connu,
D'un pays étranger nouvellement venu,
Que la fortune aveugle, en promenant sa roue,
Tira sans y penser d'une ornière de boue.
Malgré toute l'envie, au-dessus du malheur,
D'un crédit insolent gourmande la valeur.
Et nous le permettons! Et le François endure
Qu'à ses propres dépens celle grandeur lui dure !
Nos princes autrefois éloient bien plus hardis :
Où se cache aujourd'hui la vertu de jadis?
Apprends, malicieux, comme tu sais mal vivre,
Qu'une Ibrlunc est d'or et que l'autre est de cuivre;
Que le sort a des lois ([u'on ne sauroit forcer;
Que son compas est droit, qu'on ne le peut fausser.
Nous venons tous du ciel pour posséder la terre;
La laveur s'ouvre aux uns, aux autres se resserre ;
Une nécessité, que le ciel établit,
l04 THÉOPHILE
Déshonore les uns, les autres anoblit;
Un ignoble souvent de riches biens hérite,
L'autre dans l'hôpital est tout plein de mérite.
Pour trouver le meilleur, il faudroit bien choisir;
Ne crois point que les Dieux soient si pleins de loisir.
Encor si chaque infâme ctoit marqué d'un signe
Oui de toutes vertus le fit trouver indigne,
Les rois, qui sous les dieux disposent du bonheur,
Enrichiroient toujours le mérite et l'honneur.
Que si l'âme des dieux est la même justice,
Si ce qui leur déplaît porte le nom de vice,
Les rois, qui sont leurs fils et lieutenants ici,
Peuvent juger des bons et des mauvais aussi ;
Et, sans flatter mon roi, je trouve bien étrange
Qu'un vulgaire ignorant et tiré de la fange
Contre sa majesté se montre injurieux.
Dessus ses actions portant l'œil curieux.
Quant à moi, je répute une faveur bien mise
Envers le plus chétif que le roi favorise ;
Quoique toujours bien pauvre et toujours dédaigné.
Sur mon esprit l'envie encor n'a rien gagné.
Qu'un homme de trois jours de soie et d'or se couvre.
Du bruit de sa carrosse * importune le Louvre ;
Qu'un étranger heureux se moque des François,
Qu'il ait mille suivants, pourvu que je n'en sois.
Qui voudra pénitence aux déserts se consomme.
Qu'il vive tout ainsi que s'il n'étoit plus homme,
Ne mange que du foin, ne boive que de l'eau,
Pièces DIVERSES i65
A» i)liis l'iirl (le riiivfi' iiail rolic ni manteau,
Se louelle. Ions les jours, cl d'une vie austère
Accom|»lisse de (".lirisl le i;li)iieux mystère.
Moi ([ni suis d'une luuneur trop encline à pcclier,
D'un fardeau si pesant, je ne puis nï'enipèclier *.
Suis ta dévotion, et ne crois point, liermitc,
Ouc mon Ame te blâme, et moins qu'elle t'imite.
Puissent les envieux de la Faveur du roi.
Bien (jne leur rajjfe eneor ne se soit i)rise à moi,
De tels désespérés croître le triste nombre !
Reclus dans un rocher plein de silence et d'ombre,
Ou'ils ne puissent trouver le doux air de la cour,
El ne voient jamais un agréable jour !
Je leur lais ce souhait en mon humeur hardie;
Je ne crains point taillir, (juoi ([ue ma Muse die ;
Ma liberté dit tout sans toutefois nommer,
Par. une vaine aigreur, ceux que je veux blâmer.
Aussi n'attends jamais que je te fasse rire
D'un vers que sans danger je ne saurois écrire.
Ceux-là sont fols vraiment ([ui vendent un bon mot
De cent cpui)s de bàlou (pie fait donner un sot.
i66
THEOPHILE
SUR UN BALLET DU ROI
I. APOLLON CHAMPION
Moi de qui les rayons font les traits du tonnerre
Et de qui l'univers adore les autels, [la guerre.
Moi dont les plus grands Dieux redouteroient
Puis-je sans déshonneur me prendre à des mortels ?
J'attaque malgré moi leur orgueilleuse envie,
Leur audace a vaincu ma nature et le sort :
Car ma vertu, qui n'est que pour donner la vie.
Est aujourd'hui forcée à leur donner la mort.
J'affranchis mes autels de ces fâcheux obstacles.
Et foulant ces brigands que mes traits vont punir.
Chacun dorénavant viendra vers mes oracles
Et préviendra le mal qui lui peut advenir.
C'est moi qui, pénétrant la dureté des arbres.
Arrache de leur cœur une savante voix.
Qui fais taire les vents, qui fais parler les marbres,
Et qui trace au destin la conduite des rois.
C'est moi dont la chaleur donne la vie aux roses.
PIÈCES DIVERSES «G?
El fait ressusciter les Fruits euscveiis ;
Je cloiuie la dun-f cl la cnulrur aux choses.
Et fais vivre l'cclal de la blauclicur dos lys.
Si peu (juc je m'abseulc, m\ manloau de léuèbres
Tient d"une froide horreur ciel el terre couverts ;
Les vergers les plus heaux soûl des objets funèbres
Et, quand mon œil est clos, tout nieurl en l'univers.
II. — LES NAUTONNIERS
es Amours plus mignards à nos rames se lient,
Les Tritons à l'euvi nous viennent caresser,
Les vents sont modérés, les vagues s'humilient
Par tous les lieux de l'onde où nous voulons passer.
L
Avec notre dessein va le cours des étoiles,
L'orage ne fait point blômir nos matelots,
El jamais Alcyon sans regarder nos voiles
Ne commit sa nichée à la merci des flots.
Notre Océan est doux comme les eaux d'Euphrate ;
Le Pactole, le Tage, est moins riche que lui,
Ici jamais nocher ne craignit le pirate,
Ni d'un calme trop long ne ressentit l'ennui.
Sous un climat heureux, loin du bruit du tonnerre,
l68 THÉOPHILE
Nous passons à loisir nos jours délicieux,
Et là jamais notre œil ne désira la terre,
Ni sans quelque dédain ne regarda les cieux.
Agréables beautés pour qui l'amour soupire,
Eprouvez avec nous un si joyeux destin
Et nous dirons partout qu'un si rare navire
Ne fut jamais chargé d'un si rare butin.
FRAGMENTS
Si je passe en un jardinage
Semé de roses et de lys,
Il me ressouvient de Philis,
Qui les a dessus son visage.
Diane qui luit dans les Cieux,
Toujours jeune, amoureuse et belle.
Me la remet devant les yeux,
Parce qu'elle est chaste comme elle.
Je la vois si je vois l'Aurore,
Et quand le Soleil luit ici,
PIÈCES DIVERSES iOq
Il iiu' iTssniiviciit (l'rllc îuissi,
Pour Cl* (]ii(' ri'iiivors l'adorp.
Les fçrAces dedans un tableau.
Le petit Amour et la flamuie,
Href, tout ce (|ue je vois de beau
Me la l'ail revenir dans l'âme.
(De ilinmorlalilè de. l'ànie.
Les objets d'étrange figure
Sont rares parmi les humains,
Il se trouve dans la nature
Peu de Géants et peu de Nains.
Bien peu de beautés comme Hélène,
Peu de frères comme Castor,
Peu d'ivrognes comme Silène,
Peu de sages comme Nestor.
Peu de chiens comme étoit Cerbère,
Peu de fleuves comme Achéron,
Peu de femmes comme Mégère,
Peu de nochers comme Caron .
Aucun teint beau connue Jacinthe,
Rien de si clair que le Soleil,
lyo
THEOPHILE
Rien de plus amer que l'absinthe,
Et rien plus doux que le sommeil .
Peu de bruits comme le tonnerre.
Peu de morts comme Pélion,
Et des animaux de la terre,
Peu sont fiers comme un lion.
Peu de félicités suprêmes,
Peu d'incomparables malheurs,
Peu de ressentiments extrêmes,
De voluptés ou de douleurs.
[Ibid.
III
Celui qui lance le tonnerre,
Oui gouverne les éléments.
Et meut avec des tremblements
La grande masse de la terre;
Dieu qui vous mit le sceptre en main,
Qui vous le peut ôter demain.
Lui qui vous prête la lumière,
Et qui malgré les Fleurs de Lys,
Un jour fera de la poussière
De vos membres ensevelis ;
Ce grand Dieu qui fit les abîmes
PléCKS DIVERSES I7I
Dans le centre de l'Univers,
Et qui U's lient toujours ouverts
A la punition des crimes,
Veut aussi ([ue les innocents
A l'ombre de ses bras puissants
Trouvent un assuré rcluiçc,
Et ne sera point irrité
Que vous tarissiez le déluî^e
Des maux où vous m'avez jeté.
Eloigné des bords de la Seine,
Et du doux climat de la Cour,
Il me semble »pie l'œil du jour
Ne me luit |)lus qu'avec peine;
Sur le laîle allreux d'un rocher,
D'où les ours n'osent approcher,
Je consulte avec des furies,
Oui ne foulque solliciter
Mes importunes rêveries
A me faire précipiter.
Aujourd'hui parmi des sauvages.
Où je ne trouve à qui parler,
Ma triste voix se perd en l'air,
Et dedans l'écho des rivasses :
Au lieu des pompes de Paris,
Où le peuple avecque des cris
Bénit le Roi parmi les rues.
lyS THEOPHILE
Ici les accents des corbeaux,
Et les foudres dedans les nues
Ne me parlent que de tombeaux.
[Au Roi. Sur son exil. Ode.)
La paix, trop longtemps désolée,
Revient aux pompes de la Cour
Et retire du mausolée
Les jeux, les danses et l'amour;
Au seul éclat de nos épées
Les tempêtes sont dissipées,
Tous nos bruits sont ensevelis :
Mon prince a fait cesser la guerre,
Et la grâce a rendu la terre
Pleine de palmes et de lys.
{Sar la Paix de r année 1620. Ode.
Tout ce que la nature a de rare et de beau,
Ce qui vit au Soleil, qui dort dans le tombeau,
Tout ce que peut le Ciel pour obliger la terre.
Les plaisirs de la paix, les vertus de la guerre,
Les roses des rosiers, les ombres, les ruisseaux.
Le murmure des vents, et le bruit des oiseaux.
PIKCF.S DIVERSES I^S
Les vôlenienls d'Iris, cl le Icinl ilt* l'Aurore,
Les attraits de Venus, ui les douceurs de KIore,
Tout ce (jue tous les Dieux (tnt de cher et de doux,
Grand Prince, ne peut point se comparer à vous.
(Au Roi. Etrennes.)
vt
Chaque saison donne ses fruits;
L'automne nous donne ses pommes,
L'hiver donne ses lontçues nuits,
l'our un plus çrand repos des hommes ;
Le |»rintemps nous donne des fleurs.
Il donne l'ànie, et les couleurs
A la feuille qui semhle morte ;
Il donne la vie aux forets,
El l'autre saison nous apporte
Ce qui fait jaunir nos guérets.
La terre pour donner ses biens
Se laisse fouiller jusqu'au centre ;
Et pour nous les champs indiens
Se tirent les trésors du ventre ;
L'onde enrichit de cent façons
Nos vaisseaux et nos hameçons.
Et cet élément si barbare.
Pour se faire voir libéral.
174 THÉOPHILE
Arrache de son sein avare,
L'ambre, la perle et le coral *.
Les zéphyrs se donnent aux flots,
Les flots se donnent à la lune,
Les navires aux matelots,
Les matelots à la fortune ;
Tout ce que l'univers conçoit
Nous apporte ce qu'il reçoit
Pour rendre notre vie aisée :
L'abeille ne prend point du ciel
Les doux présents de la rosée
Que pour nous en donner le miel.
Les rochers qui font le tableau
Des stérilités de nature,
Afin de nous donner de l'eau,
Fendent-ils pas leur masse dure ?
Et les champs les plus impuissants
Nous donnent l'ivoire et l'encens,
Les déserts les plus inutiles
Donnent de grands titres aux rois.
Et les arbres les moins fertiles
Nous donnent de l'ombre et du bois,
[Au marquis de Bouquinkant (i). Ode.
(i) Buckingham.
PIÈCES DIVERSES lyS
Tous nos arbres sont dépouillés,
Nos promenoirs sont tous mouillés,
L'émail de notre beau parterre
A perdu ses vives couleurs,
La c^elée a tué les fleurs,
L'air est malade d'un calerre*,
Et l'œil du ciel noyé de pleurs
Ne sait plus reg'arder la terre.
La nacelle attendant le tlux
Des ondes qui ne courent plus,
Oisive au port est retenue ;
La tortue et les limaçons
Jeûnent perclus sous les glaçons ;
L'oiseau sur une branche nue
Attend pour dire ses chansons
Oue la feuille soit revenue.
Le héron quand il veut pocher.
Trouvant l'eau toute de rocher,
Se paît du vent et de sa plume,
Il se cache dans les roseaux.
Et contemple au bord des ruisseaux.
La bise, contre sa coutume,
Souffle la neige sur les eaux
Où bouillait autrefois l'écume.
[■yÔ THÉOPHILE
Les poissons dorment assurés,
D'un mur de glace remparés,
Francs de tous les dangers du monde
Fors que toi tant seulement,
Qui restreins leur moite élément
Jusqu'à la goutte plus profonde.
Et les laisses sans mouvement
Enchâssés en l'argent de l'onde.
Tous les Agents brisent leurs liens,
Et dans les creux éoliens
Rien n'est resté que le zéphyr,
Qui tient les œillets et les lys
Dans ses poumons ensevelis.
Et triste en la prison soupire
Pour les membres de sa Philis
Que la tempête lui déchire,
{Contre Vhiver. Ode.)
Lorsque l'aube en suivant la nuit qu'elle a chassée
Epart * ses tresses d'or,
Le premier mouvement qui vient à ma pensée.
C'est l'amour d'Alidor.
Je tâche en m'éveillant à rappeler les songes
Que j'ai faits en dormant,
Pif.CKS DIVI USES 177
El dans le souvenir tic leurs plaisants mensonjçes
Je revois mon atnaiil .
Mon esprit anionrcux n'est point sans violence
An milieu du repos,
Je le vois dans la nuit et parmi le silence.
J'entends ses doux propos.
Tous les secrets d'amour «pic le sommeil ex[)rime
Mon âme les ressent,
El le matin je pense avoir commis un crime
Dans mon lit innocent.
De honte à mon réveil je suis loute confuse,
Et d'un œil loul fâché
Je vois dans mon miroir la rougeur (jui m'accuse
D'avoir fait un péché .
[Pour Mlle de .1/. Slances).
ue mon sort étoil doux, s'il eùl coulé mes ans
^Où les bords de Garonne ont les flots si plaisants!
0
Tenanl mes jours cachés dans ce lieu solitaire.
Nul que moi ne m'eût fait ni parler ni me taire :
A ma commodité j'aurois eu le sommeil,
A mon i^ré j'aurois pris et l'ombre et le soleil.
178 THÉOPHILE
Dans ces vallons obscurs, où la mère nature
A pourvu nos troupeaux d'éternelle pâture,
J'aurois eu le plaisir de boire à petits traits
D'un vin clair, pétillant, et délicat et frais,
Qu'un terroir assez maigre et tout coupé de roches
Produit heureusement sur les montagnes proches.
Là mes frères et moi pouvions joyeusement,
Sans seigneur ni vassal, vivre assez doucement.
Là tous ces médisants, à qui je suis en proie,
N'eussent point ennuyé ni censuré ma joie,
J'aurois suivi partout l'objet de mes désirs,
J'aurois pu consacrer ma plume à mes plaisirs.
Là d'une passion, ni ferme ni légère,
J'aurois donné ma flamme aux yeux d'une bergère,
Dont le cœur innocent eût contenté mes vœux
D'un bracelet de chanvre, avecque ses cheveux.
J'aurois dans ce plaisir si bien flatté la vie,
Que l'orgueil de Caliste en eût crevé d'envie;
J'aurois peint la douceur de nos embrasements
Par tous les lieux témoins de nos embrassements.
Et comme ce climat est le plus beau du monde,
Ma veine en eût été mille fois plus féconde :
piiii:ES nivEKSES 179
L'.iilf (l'iMi pjtpillcin m't>i\l plus lourni de vers,
nirjMijdiird'Iiiii lie l'croil le liniit de riiiiivers.
{Plainte de Théophile à son aini Tircis.)
EPIGRAMMKS
('^ race à ce comte lil)éral
JEt à la guerre de Mirande,
Je suis poète et caporal.
O Dieux 1 que ma fortune est grande !
O combien je rerois d'honneur
Des sentinelles que je pose !
Le sentiment de ce bonheur
Fait que jamais je ne repose :
Si je couche sur le pave,
Je n'en suis (]ue plus tût levé.
Parmi les troubles de la guerre
Je n'ai point un repos en l'air,
Car mon lit ne sauroit branler
Que par un tremblement de terre.
l8o TIIÉOPIULK
Qui voudra pense à des empires,
Et, avecque des vœux mutins,
S'obstine contre ses destins,
Qui toujours lui deviennent pires.
Moi, je demande seulement,
Du plus sacré vœu de mon âme.
Qu'il plaise aux Dieux et à ma dame
Que je brûle éternellement.
M
on frère, je me porte bien,
La Muse n'a souci de rien ;
J'ai perdu cette humeur profane;
On me souffre au coucher du roi.
Et Phébus toQs les jours chez moi
A des manteaux doublés de panne.
Mon âme incague les destins !
Je fais tous les jours des festins;
On me va tapisser ma chambre.
Tous mes jours sont des mardi-çras,
Et je ne bois point d'hypocras
S'il n'est fait avecque de l'ambre.
imk*:es iiivunsKS i8l
Pour ctio (liviiio cl liiiiu.iiiif.
Il faut ni jeunesse senlir
Les plaisirs de la ISIanfilelciiie,
Kl [)uis, vieille, s'cu reperilir.
Ie inupiis au momie lout nu ;
Je ne sais combien je vivrai.
Si je n'ai rien quand je mourrai,
Je n'aurai jçaefné ni perdu.
LES AMOURS TRAGIQUES DE PYRAME
ET TuTseÉ
{Fragments) ]
ACTE I
Scène première
D
THisui:
u bruilel des fâcheux aujourd'hui séparée,
Ma seule fantaisie avec moi retirée,
THEOPHILE
Je puis ouvrir mon âme à la clarté des cieux,
Avec la liberté de la voix et des yeux ;
Il m'est ici permis de te nommer, Pyrame,
Il m'est ici permis de t'appeler mon âme :
Mon âme, qu'ai-je dit? c'est fort mal discourir,
Car l'âme, nous fait vivre et tu me fais mourir.
Il est vrai que la mort que ton amour me livre
Est aussi seulement ce que j'appelle vivre.
Nos esprits sans l'amour, assoupis et pesants.
Comme dans un sommeil passent nos jeunes ans.
Auparavant qu'aimer on ne sait point l'usage
Du mouvement des sens, ni des traits du visage.
Sans cette passion, les plus lourds animaux
Connoîtroient mieux que nous et les biens et les maux.
Notre destin seroit comme celui des arbres.
Et les beautés en nous seroient comme des marbres,
En qui l'ouvrier *, gravant l'image des humains.
Ne sauroit faire agir ni les pieds ni les mains.
Un bel œil dont l'éclat ne luit qu'à l'aventure,
C'est comme le Soleil qui cachoit la nature.
Auparavant qu'il fût entré dans ses maisons
Et qu'il pût discerner la beauté des saisons.
Moi je crois seulement depuis l'heure première
Que l'amour me toucha, d'avoir vu la lumière.
Et que mon cœur ne vint à respirer le jour
Que dès l'heure qu'il vint à soupirer d'amour ;
Et combien que le ciel fasse couler ma vie
Dans cette passion avec un peu d'envie.
IMKC.KS IUVRHSES
i83
Oue mille empêchements combattent mes désirs,
|]t qu'un triste succès menace nos plaisirs,
Que les discours mutins d'une haiue ancienne,
Divisent la maison de Pyrame et la mienne,
nuliomnies, ciel, temps et lieux nuisent à mon dessein.
Je ne saurois pourtant me l'arracher du sein,
El (]uand je le pourrois, je scrois bien marrie
Que d'un si cher tourment mon ûme fût guérie.
Une telle santé me donneroit la mort;
Le penser seulement m'en lâche et me fait tort.
BERSIANE
Conuiient?vous être ainsi de nous tous éloignée !
Osez-vous bien aller sans être accompagnée ?
Tout le monde au logis est en peine de vous,
Et surtout votre mère en est en grand courroux.
THISBÉ
Pourquoi cela? ma vie est-elle si suspecte?
BERSIANE
Non, mais toujours les vieux veulent qu'on lesrespecte.
Vous deviez pour le moins un de nous avertir,
Faire quelque semblant que vous alliez sortir.
TUISBÉ
Sais-tu [tas bien que j'ain)e à rêver, à me taire,
Et que mon naturel est un peu solitaire?
Que je cherche souvent à m'ùter hors du bruit?
Alors, poui' dire vrai, je hais bien qui me suit;
l84 THÉOPHILE
Quelquefois mon chagrin trouveroit importune
La conversation de la bonne Fortune ;
La visite d'un Dieu me désobligeroit,
Un rayon du Soleil parfois me fàcheroit.
ACTE II
Scène II
PYRAME
Ta bonne volonté n'est pas diminuée?
THISBÉ
Elle a crû davantage, on n'a fait que jeter.
Du soufre dans la flamme afin de l'irriter :
Je suis d'un naturel à qui la résistance
Renforce le désir, l'espoir et la constance ;
Je crois qu'on me verroit mourir autant de fois
Qu'on me force d'ouïr ces importunes voix.
Sinon que mon amour de plus en plus persiste,
Et brûle davantage alors qu'on lui résiste ;
Et je n'ai rien de cher comme une occasion
De tout ce qui sauroit nourrir ma passion,
Puisqu'au divin objet dont je suis amoureuse
Le sort veut que je sois parfaitement heureuse,
Que tu mérites bien l'inviolable foi
Que jusques au tombeau je garderai pour toi.
PYKAME
Et moi si le tombeau laissoit encore aux âmes
PIÈCES DIVERSES I 85
Quelque petit rayon de leurs défuntes flammes,
Je n'aurois autre feu (|ue toi dans les enfers,
Kt dedans leurs prisons je n'aurois que tes fers :
Mais ]iarini nos iliscours nous ne prenons pas jçarde
(Juo ce doux entretien dont Amour nous retarde.
S'il n'est bien ménage nous man(piera bientôt.
Tuisnii
Ilolas ! ue pourrons-nous jamais dire qu'un mol'.''
Les oiseaux dans les bois ont toute la journée
A chanter la fureur qu'Amour leur a donnée ;
Les eaux et les zéphirs, <piand ils se font l'amour.
Leur rire et leurs soupirs font durer nuit et jour.
l'YR.VME
11 le faut retirer de crainte qu'il n'arrive
One de ce peu de bien encore on ne nous prive.
TIIISDÉ
Dans une heure au plus tard je reviens donc ici.
PYUAME
Et moi je serai mort si je n'y viens aussi.
ACTE V
Scène dernière
THiSBÉ, seule.
A peine ai-jc repris mou esprit et ma voix.
Celle peur m'a fait perdre un voile que j 'a vois
l86 THÉOPHILE
Et m'a fait demeurer assez longtemps cachée.
Possible mon amant m'aura depuis cherchée.
Il doit être arrivé, s'il n'a perdu le soin
De me venir trouver, car le jour n'est pas loin.
Je n'entends plus que l'eau que verse la fontaine ;
Le silence profond me rend assez certaine
Que je puis approcher la tombe, où cependant
Mon Pyrame languit sans doute en m'attendant.
La bête qui cherchoit l'eau de cette vallée,
Ayant éteint sa soif, ores s'en est allée.
Autrement j'entendrois qu'elle feroit du bruit.
Et ses yeux brilleroient au travers de la nuit.
O nuit, je me remets enfin sous ton ombrage.
Pour avoir tant d'amour, j'ai bien peu de courage.
Mais, ou mon œil s'abuse en un objet trompeur.
Voici de quoi rentrer en ma première peur :
Une subite horreur me prend à l'impourvue *,
Et, si l'obscurité peut assurer ma vue.
Un augure incertain mes soupçons ne dément.
Certains pas dans les miens mêlés confusément.
Cette place partout sanglante et si foulée,
Montre qu'ici la bête a sa fureur soûlée.
Dieux ! je vois par la terre un corps qui semble mort.
Mais pourquoi m'effrayer? c'est Pyrame qui dort.
Pour divertir l'ennui de son attente oisive
Il repose aux doux bruit de cette source vive.
Ce sera maintenant à lui de m'accuscr !
Mais ce lieu dur et froid mal propre à reposer,
PIÈCES DIVERSES 187
Que tléjà la rosée a rendu loul Inimitié,
M'iiiilii^e i\ l'éveiller. Dieux ! i|ue je suis limido!
J'ai sou conlentcinent el son repos si cher,
Que rua voix seulement a peur de le fâcher;
H ilorl si doucement qu'on ne sauroit à peine
Discerner parmi l'air le bruit de son haleine :
Mais d'un vient qu'inuiiobile et froid dessous ma main
Il sendjie mort'.' Pyrame ! ô Dieux j'appelle en vain.
Je ne respire plus, ce beau corps est de jçlace.
Ili'Ias! je vois la mort peinte dessus sa face;
D'une éternelle nuit sou bel œil est couvert,
Je vois d'un larii^e coup son estomac ouvert.
Ht' ! ne meurs pas si tût, ouvre un peu la paupière
Respire encore un coup, je mourrai la prendère,
Ne t'en va point sans moi, ne me fais point ce tort
Tu ne me réponds rien, mon cœur? Tu n'esjpas mort?
Les Dieux ne meurent point, la nature est trop sage
Pour laisser ruiner son plus aimable ouvrage.
Mais, ù faible discours, ù faux soulagement,
La perte que je fais m'ôte le jugement :
Pyrame ne vit plus, ha ! ce soupir l'emporte.
Comment? il ne vit plus, et je ne suis pas morte?
Pyrame, s'il te reste encore un peu de jour.
Si ton esprit me garde encore un peu d'amour,
Et si le vieux Caron touche de ma misère,
Retarde tant soit peu sa barque à ma prière.
Attends-moi, je te prie, et qu'un même trépas.
Achève nos destins ; je m'en vais de ce pas.
THEOPHILE
Mais tu ne m'attends point, et si peu que je vive,
En ce dernier devoir mon sort veut que je suive,
Coupable que je suis de cette injuste mort.
Malheureux criminel de la fureur du sort.
Quoi, je respire encore et, regardant Pyrame
Trépassé devant moi, je n'ai point perdu l'àme !
Je vois que ce rocher s'est éclaté du deuil.
Pour répandre des pleurs, pour m'ouvrir un cercueil ;
Ce ruisseau fuit d'horreur qu'il a de mon injure,
Il en est sans repos, ses rives sans verdure ;
Même, au lieu de donner de la rosée aux fleurs,
L'aurore, à ce matin, n'a versé que des pleurs,
Et cet arbre touché d'un désespoir visible,
A bien trouvé du sang- dans son tronc insensible;
Son fruit en a changé, la lune en a blêmi,
Et la terre a sué du sang qu'il a vomi.
Bel arbre puisqu'au monde après moi tu demeures.
Pour mieux faire paroître au ciel tes rouges meures *
Et lui monfrer le tort qu'il a fait à mes vœux, ,
Fais comme moi, de grâce, arrache tes cheveux.
Ouvre-toi l'estomac, et fais couler à force
Cette sanglante humeur par toute ton écorce.
Mais que me sert ton deuil? Rameaux,prés verdissants,
Qu'à soulager mon mal vous êtes impuisssants !j
Quand bien vous en mourriez, on voit la destinée
Ramener votre vie, en ramenant l'année.
Une fois tous les ans nous vous voyons mourir,
Une fois tous les ans nous vous voyons fleurir :
PIKCeS DIVERSES
Mais ninn Pyr.imp est mort,sans espoir qu'il retourne
De ces pAles manoirs où son esprit séjourne.
Depuis que le soleil nous voit naître et finir,
Le premier des dtMunts est encore à venir,
El (jiiand les Dieux demain me le feroient revivre,
Je me suis résolue aujourd'hui de le suivre.
J'ai trop d'impatience, et puisque le destin
De nos corps amoureux fait son cruel butin.
Avant que le plaisir «pie niéritoient nos flammes
Dans leurs emiirassemenis ait pu mêler nos âmes,
Nous les joindrons là-bas et par nos saints accords
Ne ferons «ju'uu esprit de l'ombre de deux corps.
El puisqu'à mon sujet sa belle àme sommeille.
Mon esprit innocent lui rendra la pareille.
Toutefois je ne puis, sans mourir doublement;
Pyrame s'est tué d'un soupron seulement;
Son amitié fidèle un peu trop violente,
D'autant qu'à ce devoir il me voyoit trop lente,
Pour avoir soupçonné (|ue je ne l'aimois pas,
Il ne s'est pu ejuérir de moins que du trépas.
Que donc ton bras sur moi davantas^e demeure,
O mort ! et, s'il se peut, cpie |)lus que lui je meure!
(Jue je sente à la fois, poisons, flammes et fers !
Sus ! qui me vient ouvrir les portes des enfers ?
Ha ! voici le poitï^nard qui du sang' de son maître
S'est souillé lâchement ! il en rougit, le traître !
Exécrable bourreau, si tu te veux laver
Du crime commencé, tu n'as qu'à l'achever !
igO THEOPHILE
Enfonce là dedans, rend-toi plus rude, et pousse
Des feux avec ta lame. Hclas ! elle est trop douce.
Je ne pouvois mourir d'un coup plus gracieux.
Ni pour un autre objet haïr celui des cieux.
FRAGMENTS D'UNE HISTOIRE COMIQUE
L'élégance ordinaire de nos écrivains est à peu
près selon ces termes :
« L'aurore, toute d'or et d'azur, brodée de perles
et de rubis, paraissoit aux portes de l'Orient; les
étoiles, éblouies d'une plus vive clarté, laissoient
effacer leur blancheur et devenoient peu à peu de
la couleur du ciel ; les bêtes de la quête revenoient
aux bois et les hommes à leur travail; le silence
faisoit place au bruit, et les ténèbres à la lumière.»
Et tout le reste que la vanité des faiseurs de livres
fait éclater à la faveur de l'ignorance publique.
Il faut que le discours soit ferme, que le sens y
soit naturel et facile,le langage exprès et signifiant ;
les afféteries ne sont que mollesse et qu'artifice, qui !
ne se trouve jamais sans effort et sans confusion. |
Ces larcins, qu'on appelle imitation des auteurs^
PIKCKS niVKHSES I (J I
iincicns, se doivcnl dire des ornements qui ne sont
pointa noire mode. Il laiil (icrire à la nioderne ;
Déniosliiène el Virsçiie n'ont point écrit en notre
temps, et nous ne saurions écrire en leur siècle ;
leurs livres, quand ils les firent, éloient nouveaux,
2t nous en Hiisons tous les jours de vieux. L'invo-
cation des Muses à l'exemple de ces païens est pro-
fane pour nous et ridicule, llonsard, pour la vigueur
le l'esprit et la nue ima<>,ination, a mille choses
comparables à la mae^nificence des anciens Grecs
^t Latins, et a mieux réussi à leur ressembler qu'a-
ors qu'il les a voulu traduire, et ([u'il a pris plaisir
i les contrefaire, connue en ces mots cythcréan,
)atarean, le trépied tymbrean. Il semble qu'il se
.•euille rendre inconnu pour paraître docte, et qu'il
ifl'ecte une fausse réputation de nouveau et hardi
'crivain. Dans ces termes étrangers, il n'est point
ntelligible pour les Fran(;ois; ces extravagances ne
ont que dégoûter les savants et étourdir les faibles.
Jn appelle cette fai;on d'usurper des termes obscurs et
mpropres, les uns barbarie et rudesse d'esprit, les
mtres pédanterie et suffisance. Pour moi, je crois
jue c'est un respect et une passion que Ronsard
ivoit pour ces anciens à trouver excellent tout ce
]ui venoit d'eux el chercher de la gloire à les imi-
ter partout. Je sais qu'un prélat, homme de bien,
est imitable à tout le monde. Il faut être chaste
comme lui ; charitable et savant, qui peut . Mais un
192 THEOPHILE
courtisan, pour imiter sa vertu, n'a que faire de
prendre ni le vivre, ni les habillements à sa sorte.
Il faut comme Homère faire bien une description,
mais non point par ses termes ni par ses épithètes.
Il faut écrire comme il a écrit, mais non pas ce qu'il
a écrit. C'est une dévotion louable et digne d'une
belle àme que d'invoquer au commencement d'une
œuvre des puissances souveraines; mais les chré-
tiens n'ont que faire d'Apollon ni des Muses, et nos
vers d'aujourd'hui, qui ne se chantent point sur la
lyre, ne se doivent point nommer lyriques, non plus
que les autres héroïques, puis que nous ne sommes
plus au temps des héros, et toutes ces singeries ne
sont ni du plaisir ni du profit d'un bon entendement.
Il est vrai que le dégoût de ces superfluités nous a
fait naître un autre vice : car les esprits faibles que ,
l'amorce du pillage avoit jetés dans le métier des
poètes, de la discrétion qu'ils ont eue d'éviter les
extrêmes redites, déjà rebattues par tant de siècles,
se sont trouvés dans une grande stérilité, et, n'étant
pas d'eux-mêmes assez vigoureux ou assez adroits
pour se servir des objets qui se présentent à l'imagi-
nation, ont cru qu'il n'y avoit plus rien dans la poé-
sie que matière de prose, et se sont persuadés que
les figures n'en étoient point, et qu'une métaphore
étoit une extravagance. Mais, comme j'avois dit, il
étoit jour. Or ces digressions me plaisent, je me
laisse aller à ma fantaisie, et, quelque pensée qui se
i
l'IKCES DIVEUSKS I f)3
prt'sonle, je n'en dt-loiirno point la pliiine ; je fais
ici imo roiivn'salioii divfi'sc cl iiilPrroin|)uc, ot non
pas (les loçons exactes, ni des raisons avec ordre : je
ne suis ni assez docte ni assez ambitieux pour l'en-
•.re|>rendre. Mon li^Te ne prétend point d'obliîçer le
lecteur, car son dessein n'est pas de le lire pour
m'olilii^er, et, |)tiisqu'll lui est permis de me blâ-
mer, (pi'il me soit permis de lui ih-plaire.
Aussitôt <|ue je lus liabillt-, je passai dans la eham-
hre de C.liliphon, qui d'abord sVcria vers moi :
ICst-il possible (jue vous ayez dormi si à repos dans
une affliction si récente ? Vous ne fûtes banni (|ue
d'hier, et vous voilà déjà ^niéri de cette peine ! C'est
avoir les sentiments bien tarouches ou bien hébétés.
— Ce (jui ne me touche, lui dis-je, ni le corps ni
l'âme, ne me donne point de douleur ; je me porte,
Dieu merci, assez bien de l'un et de l'autre; si les
bannissements faisoient effort à quelqu'un des sens,
tu me verrois atteint de tous les déplaisirs dont la
nature et la raison sont capables. Je ne résiste point
par philosophie aux atteintes du malheur : car c'est
accroître son injure, et tout le combat que le dis-
cours fait contre la tristesse larena^rège * sans doute
I. Ce frai^mcnt peut t-tre considéré comme le portrait
de Théophile peint par lui-même.
i3
ig\ THEOPHILE
et la prolonge. Si je m'apercevois que j'eusse du ■
mal, tu rac verrois bientôt soupirer ; mais je ne sau-
rois prendre l'apparence pour l'effet, ni la menace
pour le coup. Cette disgrâce n'est que paroles, qui
ne sont que vent. On m'a chassé de la cour, où je
n'avois que faire ; si on me presse encore à sortir de 4
France, quelque part de l'Europe où je veuille aller, ^
mon nom m'y a fait des connoissances. Je me sais
facilement accommoder à toute diversité de vivres
et d'habillements ; les climats et les hommes me sont
indifférents; j'ai l'esprit et le corps à la fatigue. —
Mais toujours serez-vous étranger et reçu dans la
société des autres avec moins de familiarité et d'hon-
neur. — Celui, dis-je, qui prise moins la faveur
des hommes et l'avantage de la fortune que sa pro-
pre vertu se trouve peu empêché de ces incommodités
ordinaires. — Si est-ce, disait Cliliphon, que ce
sera un exil, et un honnête homme ne doit pas être
indifférent à l'infamie. — Si j'ai mérité la mienne,
lui dis-je, je serois injuste de m'en plaindre; et si
je n'en suis pas coupable, je suis assez sage pour la
mépriser. Ne crois point que la joie qui me reste en
cet accident soit d'aucun étourdissement : je connois
bien que je suis sorti de Paris, que le roi le veut,
que mes ennemis en sont aises, que je perds la pré-
sence de mes amis, et qu'ensuite leur affection ne
me durera guère, car ils sont hommes et courtisans.
A cela voici mon remède : je ne tâcherai point de.
l'iKCis ni\r-.iisi;s U)5
i(>vcnir A la cour, mais j^ m'en passer, et, nu lieu de
iTiiInT dans la içrAco du roi, je penserai à ni'ôler
(lésa nu'inoire. Je m'edorcerai d'ouitlicr mes amis:
car, s'ils sont Hdèles, ils me le pardonneront, et,
s'ils ne m'aiment tçuère, j'aurai le plaisir d'avoir
pn-venu leur intidélité, cl serai bien aise, d'autant
«pie je les aime, de me rendre coupable pour les
sauver de ce blâme. Il me sendile que c'est taire des
amitiés de bonne sorte : il i'aut avoir de la passion
non seulement pour les hommes de vertu, pour les
l)elles femmes, mais aussi pour toute sorte de belles
choses. J'aime un beau jour, des fontaines claires,
l'aspect des montai!;nes, l'étendue d'une grande
plaine, de belles forets ; l'océan, ses vagues, son
calme, ses rivau^es ; j'aime encore tout ce qui touche
plus particulièrement les sens : la musique, les fleurs,
les beaux habits, la chasse, les beaux chevaux, les
bonnes odeurs, la bonne chère; mais à tout cela
mon désir ne s'attache (pie pour se plaire, et non
point pour se travailler ; lorsque l'un ou l'autre de
ces divertissements occupe entièrement une âme,
cela passe d'affection en fureur et brutalité; la pas-
sion la plus forte que je puisse avoir ne m'engage
jamais au point de ne la pouvoir ([uitter dans un
jour. Si j'aime, c'est autant que je suis aimé, et,
comme la nature ni la fortune ne m'ont pas donné
beaucoup de parties à plaire, cette passion ne m'a
jamais guère continué ni son plaisir ni sa peine.
igG THÉOPHILE
Je me tiens plus àprement à l'étude et à la bonne
chère qu'à tout le reste. Les livres m'ont lassé
quelquefois, mais ils ne m'ont jamais étourdi, et le
vin m'a souvent réjoui, mais jamais enivré. La dé-
bauche des femmes et du vin faillit à m'empiéter ^-
au sortir des écoles : car mon esprit un peu pré-
cipité avoit franchi la sujétion des précepteurs,
lorsque mes mœurs avoient encore besoin de dis-
cipline. Mes compaonons avoient plus d'âge que
moi, mais non pas tant de liberté. Ce fut un pas
bien dangereux à mon âme que cette première licence
qu'elle trouva après les contraintes de l'étude. Là,
je m'allois plonger dans le vice, qui s'ouvroit assez
favorablement à mes jeunes fantaisies ; mais les
empêchements de ma fortune détournèrent mon
inclination, et les traverses de ma vie ne donnèrent
pas le loisir à la volupté de me perdre. Depuis,
insensiblement, mes désirs les plus libertins se sont
attiédis avecque le sang, et leur violence, s'éva-
nouissant tous les jours avecque l'âge, me promet
dorénavant une tranquillité bien assurée. Je n'aime
plus tant ni les festins, ni les ballets, et me porte
aux voluptés les plus secrètes avec beaucoup de
médiocrité .
PIECES DIVERSES I97
LAHISSIi (i)
« Je servais dans la maison d'un citoyen romain
avec un jeune esclave grec, à qui les hasards de la mer
avaient fait trouver, au lieu de la liberté dont il jouis-
sait dans sa patrie, resclavat;esur une terre étrangère.
Tous les caractères et les signes naturels (\i\\, sur le
front des gens bien nés, marquent la naissance ou
l'éducation, ou les démêlait sur son visage : l'air
distingué de sa personne annonçait la noblesse de
son origine et l'on voyait par toutes ses manières
«ju'il avait employé ses premières années à des exer-
cices bien dillérents de ceux où le sort le condam-
nait ; car il était si peu fait pour servir qu'à le voir
manier une broelie on eût dit (ju'il tenait une lance.
S'il fallait porter quelipie fardeau, il pliait sous le
plus léger, et il ne jwuvait porter un poids de vingt
livres au delà d'un mille : cependant, malgré sa fai-
blesse, il montrait beaucoup de courage ; tout ce
(i) Théopliile, qui était bon latiniste, a écrit ce conte
en latin. Nous avons cru |)réfiTable de donner en traduc-
tion cette agrt'ablc Larissa, trop peu connue. Cette ver-
sion unique est empruntée à un recueil fort rare, le
Portefeuille choisi ou Mélanje nouveau en vers et en
prose: Londres, 1739. — On y a fait quelques retouches.
198 THÉOPFULE
(jue sa condition exigeait de lui, quelque pénible
qu'il fût, il le faisait de bonne grâce, et, oubliant ce
qu'il était né, il avait su plier son esprit à la doci-
lité exigée par la dureté de sa situation; mais sa
délicatesse avait beaucoup à souffrir sous le joug
d'une servitude inattendue. En effet, peu de temps
après qu'il eut tâté de l'esclavage, ses forces, épui-
sées par une vie dure, par le travail et par les veilles,
l'abandonnèrent tout à coup, et il tomba dans une
langueur mortelle. Ses beaux cheveux blonds, autre-
fois soigneusement frisés, étaient négligés et tout
en désordre ; son front, uni et blanc comme la neige,
avait perdu son éclat et presque contracté des rides ;
il avait les yeux mourants, les joues creuses et dé-
charnées, les mains rudes et durcies par le travail ;
enfin une maigreur affreuse répandue par tout son
corps le défigurait horriblement et l'avait presque
réduit à la dernière extrémité ; ainsi dépérissant de
jour en jour, s'il donnait encore quelque signe de
vie, ce n'était que par des sanglots et par des sou-
pirs. Touchée de l'état où je le voyais, je partageais
en secret ses peines, et, compatissant à ses malheurs,
je me plaignais de l'injustice du sort. Lorsque j'en
trouvais l'occasion, je l'exhortais à prendre courage;
je mêlais souvent mes larmes aux siennes et j'es-
sayais de le consoler, ou du moins d'adoucir ses
maux. De plus, pour ménager sa faiblesse, je le
prévenais surtout, je faisais moi-même son ouvrage
•IKC.KS DIVERSES IQQ
et presque toiilo la bcsosfne tlu loiçis; mais je ne nie
Cdiilentais pas de prendre sur moi toute la tAclie et
(le lui procurer par mes faliu-ues le repos dont il
a\ait liesoiii, j'étais devenue volontairement son
esclave et,(pioi(pi"il \\\i mon compagnon, je le ser-
vais comme mon maître, je m'elVorçais de lui mar-
quer mou zèle et mon altacliemcnt.
« Au reste, tout abattu (juil était par sa nouvelle
condition, il y avait dans sa physionomie quelcjue
chose de grand et d'élevé; ses yeux, à demi éteints,
laissaient échapper un certain éclat qui semblait
exercer ses droits et dominer souverainement sur
l'obscurité de mon étoile. On voyait briller sur son
visage une dignité naturelle et je ne sais (juelle
autorité qui me soumettaient d'abord à lui, et je
suivais avec plaisir les impressions de cet ascendant.
Ce jeune homme bien né sentit bientôt toutes les
obligations (|u'il m'avait, et ce que la pitié m'inspi-
rait pour lui. Toutes les fois (pie je lui rendais quel-
(pie service, je remarquais la peine (pi'il avait de ne
pouvoir me rendre la pareille, et, tout confus de mes
bontés, il me remerciait avec ces grAces et ce tour
heureux d'expression que donne la politesse des
cours, (^omme il avait beaucoup de douceur dans
l'esprit et dans le caractère, ([u'il avait l'entretien
fort aimable, la ligure charmante et toute la beauté
qui peut rendre un mortel adorable, je ne fus pas
longtemps sans passer de la compassion à l'amour.
200 THEOPHILE
_ j
Il est vrai que, quoique mon cœur eût été jusqu'a-
lors intact, la blessure fut d'abord légère; l'amour ne
pénétrait pas très avant, je luttais, contre les attein-
tes de cette flamme naissante ; mais, entrée par les
yeux, la flèche pénétra bientôt jusqu'au fond de
mon âme et c'est avec joie que, cédant enfin aux
efforts de l'ennemi, elle se livra à lui sans plus de
combat. »
Le début de cette agréable histoire avait rendu
toute la compagnie attentive au récit de Larisse et
principalement deux jeunes filles; mais elles fei-
gnaient d'être distraites, pour ne point paraître
écouter un récit trop libre, où la pudeur ne leur
permettait point de prendre part, et elles affectaient
de détourner la tête ; ensuite, s'efforçant de bâiller,
puis fermant peu à peu les yeux, on eût dit, à voir
toute leur attitude, que le sommeil les gagnait réel-
lement. Elles feignaient cette envie de dormir pour
être seulement plus recueillies et se li\Ter avec plus
d'attention au récit voluptueux de la vieille, car leurs
oreilles étaient, en effet, tout aussi alertes et aussi
éveillées que leur imagination, et elles goûtaient avi-
dement la séduisante peinture qui flattait leurs
désirs. Cependant, une de ces dormeuses ne put
résister à un mouvement de curiosité qui lui fit
jeter à l'échappée quelques regards sur la conteuse :
mais, comme si ses yeux, éblouis par les images con-
fuses d'un songe qui fait errer la vue au hasard
PIECES DIVERSES
se fussent oinrrts iiiacliiiialcniciil, clic les rcrcrtiia
Itieu vile, l/aiilrc (illc, pour rcuchcrir sur sa coni-
|)ai^Mc, s'élaut laissé i^lisser de dessus sou sièsfc,
coruiue si elle \'ùl touibéc de sou lit CJi se réveillant
le matin en sursaut : « Quoi donc, dit-elle, est-ce
(|u'il fait jour? » Mais, s'étant bientôt déconcertée,
une rougeur subite, dont elle ne fut point maîtresse,
Iraliil par une véritable confusion le slratai-ème de
sa fausse pudeur, et découvrit toute la feinte; on
se mit à rire et toute l'assemblée, Hxant ses regards
sur les deux filles, qui rougissaient à qui mieux
mieux, on leur Ht connaître qu'on n'était point la
ilupe de leur sonuneil, et ([u'elles s'étaient décelées
elles-mêmes.
Cependant Larisse avait cessé ilc parler, elle ne
voulait point, disait-elle, achever un récit qui fût
capable d'offenser ipii que ce fût des assistants et
elle menaça la compagnie de quelque vieux conte
des plus usés, lorsque Philère, impatient d'entendre
la suite de son histoire : « Ne voyez-vous pas, leur
dit-il, que ces jeunes filles tâchent en cftet de s'en-
dormir pour embrasser en songe l'image voluptueuse
de votre jeune Grec? » Alors, sautant au col de la
vieille par une vivacité de jeune homme : « Ma
bonne mère, continua-t-il, je vous en conjure par
vos amours, ne nous faites pas payer si cher l'in-
terruption (pi'on vous a faite. » Enfin, à force de
caresser et d'embrasser la vieille esclave, ce beau
THEOPHILE
Sfarçon la fit consentir à continuer son histoire. Elle
promit de ménager le plus qu'il lui serait possible,
dans la suite de ses amours, la pudeur des deux jeu-
nes filles, et voulant qu'elles vinssent s'asseoir plus
près d'elles : « On permet, dit-elle, une fois le jour,
un peu de folie à la jeunesse. » Ces paroles, pro-
noncées d'un ton de législateur, furent comme une
espèce de dispense pour les oreilles scrupuleuses, et
comme un passe-port pour les histoires de la soirée.
Les deux jeunes filles ne se firent point prier pour
se mettre auprès de Larisse et la vieille reprit ainsi
la suite de ses aventures :
« Comme le feu qui se déclare dans une meule de
blé et qui, parti de rien, forme en quelques instants
le brasier le plus ardent, l'amour fut bientôt maître
absolu chez moi. Ce n'était déjà pi us cet amour séduc-
teur dont les jeux m'avaient paru si douxdansla nais-
sance de ma passion, mais un Dieu cruel, et qui,
devenu plus fier encore après avoir triomphé de ma
faiblesse, exerçait sur moi son pouvoir tyrannique ;
enfin, au lieu de cet amour paisible (pii s'était d'a-
bord logé dans mes yeux et que j'hébergeais inno-
cemment, je sentis un feu violent qui m'enflammait
le sang dans les veines et qui dévorait jus<ju'à mes
os. Toutes les armes que ma vertu opposait à son
ennemi étaient des soupirs et des larmes, et, comme
d'intelligence avec l'amour, ma volonté était trop
faible pour tenter même de résister à ce qu'il plai-
PIECES DIVKHSKS
r.iil à mmi Ivran (ronloimcr de la innllu'iirousc
Larlsse. Au reslc, je ne puis bien cxpriiucr quelle
ctaitiua situation, eljc ne sais (|uelnoTii lui donner.
Eli! connnenl puis-je décider si c'est volontairement
ou nialu^ré soi qu'on subit le joui^ de l'amour, puis-
(pie, dans mon éîçarement, en me plaic^nant de sa
cruauté, je lui adressais en même temps mes vœux !
« Fatal amour (disais-je, dans ces moments où ma
raison semblait vouloir reprendre le dessus), funeste
Iléau des mortels, pour(|uoi viens-tu troubler mon
repos? » Puis, à l'iiislant même, chanu^eant de lan-
t!fau,e : a Doux vainqueur (disais-je tout de suite),
amour, le plus puissant des dieux, pardonne-moi
mon emportement, mon cœur désavoue les plaintes
injustes que ma bouche insensée profère, et si le
trouble de mes sens permet quelque retour à ma
raison, Dieu de Paphos et d'Idalie, j'adore ton pou-
voir imprévu ; lais que mon cher Glison réponde
à mes feux, et toutes les offenses que j'ai pu com-
mettre contre toi, je vais les expier en faisant cou-
ler parmi les roses, sur tes autels, le sanec des moi-
lioaux et des colombes. » ('ependant ma blessure
inortelle avait abattu mes esprits et je dépérissais à
le d'œil. Il n'y avait plus de soulagement pour
moi ni dansla nourriture nidans le sommeil et nulle
considération ne pouvait alfrancbir mon âme maî-
trisée par une passion furieuse, et asservie à un
cliétif esclave. Glison (c'est le nom de cet aimable
204 TnÉOPHILE
enfant) me paraissait plus beau de jour en jour, je
trouvais son entretien plus agréable et je découvrais
à chaque instant de nouveaux charmes dans ses yeux
qui reprenaient leur vivacité. En effet, aussitôt que le
temps, qui guérit tous les maux, à la longue, eut
adouci l'amertume de son chagrin, et que, par l'habi-
tude de soufirir, il fut endurci à la douleur, son
visage, ayant repris son ancien éclat, fit bientôt bril-
ler tant d'agréments et de beauté qu'en le regardant
on se rappelait l'idée de cette admirable Vénus, le
chef-d'œuvre du pinceau d'Apelles. Hélas ! tandis
qu'il se faisait un changement si heureux chez Gli-
son, j'en éprouvais un bien triste en moi : le feu
secret qui me minait, consumait de plus en plus mes
forces, et autant ce garçon si charmant s'embellis-
sait encore chaque jour, autant je voyais s'altérer
ma figure, (jui, sans vanité, dans ce temps-là, n'était
point tout à fait à rejeter. Mais ce qu'il y a de plus
cruel dans les maux que souffrent les amants, à
mesure que le feu qui me dévorait se fortifiait dans
mon sein, une timidité malheureuse me contraignait
de l'étouffer, et quoique les transports d'une passion
qui était à son dernier degré fussent devenus trop
violents pour pouvoir être retenus davantage, com-
me j'étais fort jeune et fort novice, je n'avais point
assez de hardiesse pour exposer ma chère pudeur,
par une déclaration téméraire, au danger d'essuyer
un refus. Je n'avais donc plus de salut à espérer.
PIÈCES DIVEnSËS 2o5
puisque, si'cliant dj'jouron jour, il sonil)I;iit ([iic mon
Amp niour.iute se ciTiisail son lonihoau dans nioii
corps, lorsque mon amant, par un coup du deslin,
m'ouvrit lui-mènip, sur \c, liord do ma fosse, l'uni-
que voie ([u'il y avait pour me sauver. Car aussitôt
qu'il vit sueconihor à son tour celte inforlnnée à
laquelle il prétendait avoir de si jj^randes ol)lii>ations,
son bon cœur ne put s'empèchcr de faire éclater
sa tristesse; il ne pouvait retenir ses larmes, et, se
souvenant de l'état affreux dans lequel il s'était
trouvé, il s'empressait de me rendre les soins dont
ma tendresse l'avait prévenu.
« Un jour (c'était justement un vendredi, jour con-
sacré à Vénus) ; ce jour donc, environ sur le soir,
nous nous mîmes à table à notre ordinaire, pour
souper ensemble delà desserte de notre maître. Gli-
son, parlaitement guéri du dégoût que lui causait
son cha£çrin, mangeait beaucoup et de bon appétit.
Comme j'avais les yeux attachés sur lui et que j'é-
tais fort affaiblie, pour avoir été trois jours entiers
sans prendre aucune nourriture, il m'excitait de
temps en temps à manger. Toutes les attentions
qu'il avait pour moi et tout ce qu'il me disait d'o-
blisfeant semblaient justifier mon amour et nourris-
saient ma folle passion, en me remplissant d'espé-
rance. Ses yeux d'ailleurs paraissaient m'ètre garants
detoul ce que j'augurais de sa sensibilité. Ainsi ma
fureur amoureuse fut bientôt allumée à un j)oint
206 THÉOPHILE
qu'il fallait ou périr sans oser parler ou surmonter,
au hasard d'un refus, ma timidité naturelle et ris-
quer une déclaration. C'est pourquoi, dès le lende-
main je commençai à lui faire des avances.
« Il s'était jeté, pour y faire la méridienne, sur
mon lit de repos ; je l'y surpris et là, débutant par
un torrent de larmes : « Mon cher Glison, lui dis-
je, il me faut tes baisers, ou je n'ai qu'à mourir. Je
t'en conjure par tes beaux yeux et par tes genoux
que j'embrasse, aie pitié d'une malheureuse qui
meurt d'amour pour toi. » Je vis aussitôt sur le
visage de mon amant briller une joie et une viva-
cité qui furent le gage de mon bonheur, et il se rendit
à mes premières instances. Que vous dirais-je de
plus ? Il m'entraîna sans résistance sur le lit, encore
toute troublée de la démarche que je venais de faire,
et, me tenant étroitement embrassée, après m'avoir
fait entre ses bras expirer plus d'une fois de plai-
sir, il me ranima par de longs baisers. 0 jour
de volupté, ô jour que je n'oublierai jamais ! Nous .
goûtâmes librement dans la suite les douceurs secrè
tes d'une tendre union. Tandis que l'âge le permet, T
jeunes gens, jouissez, comme moi, de la vie, et que
tous les jours de votre printemps, filés parles mains
des amours, vous préparent un agréable automne,
afin qu'un délicieux souvenir, vous retraçant les
plaisirs passés, vous aide à supporter le poids de
l'ennuyeuse et triste vieillesse. «
i
i
APPENDICE
BIOGRAPHIE
^ I.
Vie de Théophile
Tlu'ophilc de Vian naquit en i5f)0, à CkTac, dans l'A-
gcnais, et il semble avoir été élevé à Boussères-Saintc-
Radcçondc, où son père, ancien avocat au Parlement de
Bordeaux, possédait un petit château. Sa famille était
huç^uenote. Cependant on croit qu'avant d'aller faire sa
philosophie àSaumur,où les prolestants avaient uneacadé-
mie, il fréquenta le collège de la Flèche, que diric;eaient
les Jésuites. Son incrédulité, excitée peut-être par cette
éducation contradictoire, fut précoce. Ouand il abjura,
vers iGaijCe fut par politique. Théophile vécut et mou-
208
THEOPHILE
rut en libertin, selon tous les sens que l'on peut donner
à ce mot.
En 1610, il vint à Paris. Un de ses portraits le mon-
tre avec « une figure osseuse, labourée en tous sens, le
front protubérant, l'œil mal fendu, mais plein de feu, les
moustaches retroussées en l'air, la lèvre inférieure
bouffie et dédaigneusement saillante (i) ». Tout autre
apparaît-il dans l'effigie que Mairet fit graver en tête de
ses Nouvelles Œuvres (2). Peu importe. Il sut plaire et
se faire beaucoup d'amis, en même temps que ses vers
commençaient sa réputation, qui fut fort grande, qui fut,
pendant quelques années, immense.
« Balzac et lui se lient d'amitié, dit Paul Olivier (3),
font ensemble un voyage en Hollande, en 161 2, au beau
milieu duquel, on ne sait pourquoi, ils se brouillent ; du
reste l'épistolier se montra peu généreux envers son ami,
puisqu'il l'attaqua, au moment même qu'il était détenu à
la Conciergerie, et sous le coup d'une accusation capitale.
De retour à Paris, il trouva un protecteur, Henri II, duc
de Montmorency (celui qui devait être décapité en 1032),
et composa des vers de ballets, des mascarades, des im-
promptus, avec une facilité qui était passée en proverbe,
mais lui fit quand même beaucoup d'honneur.C'est alors,
dit- il, qu'il se plongea dans le vice ouvert favorablement
à ses jeunes fantaisies ; la débauche des femmes et du vin
'.( l'empiéta* » ; en tout cas il n'en fit ni plus ni moins que
les autres; seulement il était calviniste, un peu trop frarit
(1) Tli. Gautier.
(2) C'est celui que nous reproduisons, d'après le tirage de \M^.
(3) Paul Olivier, Cent Poètes lyriques du XVII' siècle. —Nous
corrigeons, dans cette citation, quelques inexactitudes.
AI'PICNDICE 20g
d'allure et d'opinions. Une pièce de vers libertins lui va-
lut lin ordre du roi d'avoir à sortir du royaume le plus
prouipleuienl possible, arrèl (jue lui sivjniHa, au mois de
mai i6uj, le chevalier du t^uel. 11 vint à Londres, essaya
mais en vain d'émouvoir la bicnveillaucc du roi Jacques,
et se plaignit bientôt amèrement de ne respirer plus « le
»loux air de la cour »; on lui accorda sa grâce, et, en
iGai, ne se possédant plus de joie, il rentrait à Paris. A
jjartir de ce moment, hélas ! son étoile allait faire rage,
il sans répit, jusqu'à sa mort. Au détour d'une rue, ils
se croisent, lui et un ami, ave»: un prêtre qui portait le
bon Dieu à un malade ; Théophile se découvre et s'in-
cline, mais l'ami, imprudent, persiste à vouloir passer léte
haute : un homme du peuple se précipite, lui jette son
chapeau dans la boue et se met à crier à lue-téle: « Cal-
vinisle! » ce (jui ameute la foule. Théophile eut beau se
convertir : ou lui mit tout sur le dos, et on invoqua ce
l'ait plus tard parmi d'autres griefs. En 1623, paraît le
Parnasse salijrique sous le nom de Théophile. Il eut
beau désavouer l'ouvrage, le faire saisir, poursuivre les
imprimeurs et même gagner son procès : les pères
N'oisin, Garasse, fiuérin, Renaud, l'attaquent, obtien-
nent une prise de corps ; une action criminelle est ou-
verte; Théophile n'a plus qu'à fuir, cl c'est ce qu'il fait,
lentement, espérant toujours accommoder l'affaire. Mais
il est décrété en Parlement, déclaré coupable de lèse-
majcstc divine, condamné de ce fait à venir, pieds nus,
la corde au cou, au Parvis Notre-Dame, faire amende
honorable, ensuite de quoi il sera brûlé vif en place de
Grève. L'arrêt fut exécute en effigie le 19 août 1G23.
« Le poète était à Chantilly, chez le duc de Montmo-
.'4
210 TIIKOPHILE
rency. Par une délicatesse exquise, ne voulant pas que
son protecteur fût inquiété, il s'enfuit, changeant tous les
jours de retraite, mais, arrêté au Catelet, en Picardie, le
38 septembre, il est ramené de brigade en brigade, Dieu
sait avec quelles brutalités ! transporté à la Conciergerie
dans le cachot même où avait langui Ravaillac. La situa-
tion était navrante; la sentence du Parlement pouvait
être appliquée le jour même, stricte : de plus, un in-
quarto venait de paraître, du Père Garasse : « la Doc-
trine curieuse des beaux esprits du temps, contenant
plusieurs maximes pernicieuses à l'Etat et aux bonnes
mœurs » — in-quarto bourré d'injures à l'adresse de
Théophile, « poetastre A'ilain, pouacre, écornifleur, yvron-
gne, de Veau plutôt que de Viau, — que dis-je un veau?
d'un veau la chair en est bonne bouillie, rostie, de sa
peau on couvre les livres, mais la tienne, meschant, n'est
bonne qu'à estre grillée; aussi le seras-tu demain... »
Ah I il s'en fallut de peu que la prédiction ne se réalisât;
cependant, sur une apologie, très franche, très honnête
et très loyale que le poète adressa au roi, le procès fut
révisé : cela demanda deux ans — deux ans d'incroya-
bles souffrances, au bout desquels la peine fut commuée
en un simple bannissement à perpétuité avec confiscation
des biens. »
Théophile se retira à Chantilly, où il avait trouvé l'hos-
pitalité, mais M. de Gaillon (i) a prouvé qu'il n'y fit qu'un
séjour assez bref, puisqu'on le retrouve, dans Tété de
i6aG, au château de Selles, en Berry, chez le comte de
Béthune. C'est de là qu'il revint mourir à Paris, à l'hu-
it) Le Poète Théophile, dans le Bulletin du Bibliophile, aoùt-
seplembre 1855.
APPKNOICB
lel de Monlmorcncy.lc a5 septembre iGaG.îlt^c de trente-
six ans. Il fut, dit Goiijpt (i), cnlcrrë dans le cimclièrc
de Sainl-Nicolas-des-Ciiamps.
^2. — Anecdotes
« Théophile avait une grande facilité à composer des
vers; il en faisait même dans le moment sur le sujet
qu'on lui proposait. Tels sont ceux qu'il fil au Louvre,
devant Henri IV, sur une petite figure éipirslre en bronze
de ce monaniue, qu'on venait d'apporter. Le poète, presse
de dire son sentiment, passa doucement la main sur la
croupe du cheval, en disant :
Petit cheval, joli cheval,
Doux au montoir, doux au descendre,
Bien plus pelil que Buc(5phal,
lu portes plus grand ((u'Alexandre.
(GoDJET, Blbl. fr., XIV.)
t Malherbe écrivait à Racan, le 4 novembre 1628 :
• Pour moi, je pense vous avoir déjà écrit que je ne le
(Théophile) tiens coupable de rien que de n'avoir rien
fait qui vaille au métier dont il se mesloit. » Quoique
.Alalherbe n'estimât pas les vers de Théophile, Théo-
phile ne laissait pas d'estimer ceux de Malherbe :
.Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui.
J'niiiie sa renommée cl non pas sa le<;on.
Théophile se moquait néanmoins de ces vers de Mal-
Ci) Bibliothèque fvançaUe, lomc .\1V.
2 12 TIIICOPIIILE
herbe, Cette Anne si belle, et, pour les tourner en ridicule,
il en avait ainsi parodié le premier couplet :
Ce l;rave Malherbe
Qu'on lient si parfait.
Donnons-lui de l'herbe.
Car il a bien fait. »
(MÉNAGE, Anti-Baillet.)
Le jésuite Voisin, un des ennemis les plus acharnés
de Théophile, fut exilé en 1626 et dut partir pour Kome,
accompagné d'un M. Machaud ou Machault. Or, raconte
le père Garasse :
« Les principaux amis de Théophile Viau, qui sont
Vallaux (ou Vallot), Desbarreaux, Saint-Remy, les allè-
rent surprendre sur le chemin de Dijon, sous prétexte
d'un voyage vers la Limagne d'Auvergne. Ils l'atten-
daient dans un logis sur le grand chemin auquel il de-
vait nécessairement passer, et, le Père étant arrivé, ils
lui firent mille caresses d'abord, et des protestations
étranges d'une amitié sincère, et, sur leur départ, lui
persuadèrent par leurs cajoleries d'entrer dans leur car-
rosse, donnant son cheval et celui de M. Machaud, son
compagnon, à deux laquais pour les mener doucement ;
auxquels néanmoins ils avaient donné le mot de courir
devant à toute bride. Quand ils tinrent le Père dans le
carrosse, ils lui firent mille indignités, jusques à le
souffleter et lui tirer la barbe, et lui donnèrent des
coups d'éperons dans le ventre : ce qu'il endura patiem-
ment, sans leur répondre une seule parole. M. Machaud,
néanmoins, leur donna une verte réprimande, et, levant
la portière, s'élança du carrosse, et fît si bien qu'il tira
APPENDICE aiiJ
le père île Jours mains, parrc que le carrossier mrrne
clail honteux des indigiiiti's que l'ou comuiotlait eu sa
pcrs(inn<'. Après tous ces outrages, ils furent contraints
tic courir à pied plus d'une lieue, pour avoir leurs che-
vaux et leurs hardes. »
(L. P. Garasse, Mémoires publiés par Cl).
Nisard, 18G1.)
« La maladie de Théophile fut longue. J'apprends de
Clioricr, dans la Vie de Pierre de Boissat, part. I, p. 30,
que Théophile étant au lit de mort, et recevant visite de
son ami Boissat, témoigna une extrême envie de manger
des anchoix. Celui-ci, qui croyait ce mets fort conlraire
à un malade, le lui refusa, et depuis s'en repentit, disant,
quand l'occasion se présentait d'en parler, que ces an-
choix auraient peut-être sauvé la vie à son ami, la nature
souhaitant (juelqucfois des choses qui, toutes malsaines
qu'elles paraissent, lui seraient très salutaires, par la dis-
position particulière où elle se trouve. »
(MÉNAGE, Anti-Baillet.)
« Il (Théophile) mourut comme une béte le premier
(le 20) septembre iGaG, dans l'iiùtel de Montmorency,
après avoir traduit en risée les exhortations qu'on lui
faisait pour l'amendement de sa vie. Car telles furent les
paroles que m'en écrivit M. de Saint-Nicolas (le curé de
la paroisse), du 20 septembre iGaG : Theophilus,iit vLvit,
ila inortuus est. sine sensu religionis et pielalis. »
(Gau.\.sse, Méni.)
21 C\ TIIKOPIHLE
§ 3, — Nécrologie
« Théophile mourut le 35 septembre, après avoir été
exilé par plusieurs fois, étroitement emprisonné, et
.avoir employé si longtemps le premier Parlement de
France à sa condamnation. Enfin, il mourut d'une fièvre
tierce, qui commença de le tourmenter quelque temps
après son élargissement. Sa mort enfanta encore autant
d'écrits, les uns pour, et les autres contre lui, comme
l'on avoit fait durant sa prison. Le discours remarqualjle
qui se fit sur sa vie et mort dit que le grand amas de
mélancolie qui s'estoit fait en lui pendant sa prison
avoit conçu un ardeur (se voyant élargi) qui lui causa
cette fièvre tierce, qui eût été peu de chose si l'on y
eût apporté les remèdes et que l'on eût suivi le chemin
ordinaire de la médecine frayé par Hippocrate, qui estoit
le plus sûr, de même qu'il estoit le premier de cet art;
mais le malheur voulut qu'un chimiste eut le premier le
soin de Théophile en cette maladie, lequel lui donna
d'une poudre pour lui faire perdre cette fièvre tierce, la-
quelle se tourna en quarte et se communiqua après au
cerveau, ce qui contraignit Théophile de se mettre au
lit, où, après avoir été trois semaines, la parole enfin
lui cessa, ses yeux appesantis ne purent plus vaquer
à leur fonction ordinaire, et ses oreilles se fermèrent.
Après cela, lui étant sorti quelques larmes des yeux, la
violence -àa mal le contraignit de payer le tribut à la na-
ture. Voilà le dernier état de Théophile et la fin de ses
jours. »
(Mercure français, t. XII, 1626.)
I
APPENDICE
II
JUGEMENTS LITTÉUAIH ES
« Je ne sa'jrois approuver celte làclie espèce d'hom-
mes qui mesurent la durée de leur affection à celle de la
félicité de leurs amis ; et pour moi, bien loin d'être
d'une humeur si basse, je me pique d'aimer jusques en
la prison et dans le sépulcre. J'en ai rendu des tcmoi»
j;;Dagcs publics durant la plus chaude persécution de ce
grand et divin Théophile, et j'ai fait voir que, parmi
l'intidélité du siècle où nous sommes, il se trouve encore
des amitiés assez généreuses pour mépriser tout ce que
les autres craignent; mais, puisque sa mort m'a ravi le
moyen de le servir, je veux donner à sa mémoire les
soin» que j'avois destinés à sa personne, et faire voir
à la postérité que, pourvu que l'ignorance des imprimeurs
ne mette point de faute à des ouvrages qui d'eux-mêmes
n'en ont pas une, elle ne sauroit rien avoir qui puisse
égaler ce qu'ils valent. Or, de ce grand nombre d'im-
pressions qu'on u fait par toute la France de ces excel-
lentes pièces, je n'en ai point remarqué qui ne doive
faire rougir ceux qui s'en sont voulu mêler, et, certes, je
commençois à désespérer de les voir jamais dans leur
pureté naturelle, lorsqu'un imprimeur de cette ville, plus
désireux d'acquérir de Ihoniieur que du bien, sans consi-
2l6 THÉOPHILE
dérer le temps, la peine et la dépense, s'est ofl'ert d'y
apporter tout ce que peut un homme de sa profession.
J'ai pris cette occasion au poil, et, me servant des ma-
nuscrits que la bienveillance de cet incomparable au-
teur a mis jadis entre mes mains, j'en ai corrigé ses
épreuves si exactement que quiconque achètera ce digne
livre sans doute sera contraint d'avouer que c'est la
première fois qu'il a bien lu Théophile. De sorte que je
ne fais pas difficulté de publier hautement que tous les
morts ni tous les vivants n'ont rien qui puisse approcher
des forces de ce vigoureux génie ; et si, parmi les der-
niers, il se rencontre quelque extravagant qui juge que
j'otïense sa gloire imaginaire, pour lui montrer que je le
crains autant comme je l'estime, je veux qu'il sache que
je m'appelle
De ScunERY (i). »
« J'ai lu ;Malherbe et Théophile ; ils ont tous deux
connu la nature, avec cette différence que le premier,
d'un style plein et uniforme, montre tout à la fois ce
qu'elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de
plus simple; il en fait la peinture ou l'histoire.
«L'autre, sans choix, sans exactitude, dune plume li-
bre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s'appesan-
tit sur les détails; il fait une anatomie; tantôt, il feint, il
exagère, il passe le vrai dans la nature; il en fait le
roman. »
(La Bruyère. Des ouvrages de l esprit.)
(1) Préface de l'édition de 1032 et de toutes les suivantes.
APPENDICE 217
§ 3
« Oiioi(]iic dès infériinir à Malherbe, il est certain
qu'il n'est |)as l'ionnanl qu'il ail ébloui quelques person-
nes de son tcm|)s, et qu'il se soit trouvé alors dans
Paris, comincle dit M. Desprcaux,
... des sols (le qimlité
Pour juger 'le travers avec inipunité,
A Malherbe, à Hneau préférer Théophile, etc.
o On pnuvoit ne pas s'apercevoir aussi facilement alors
qu'aujourd'hui qu'il y a beaucoup d'irrcjîularit('' et de iié-
f;liçcnce dans ses vers; que ce poète s'est plus pi([ué d'es-
prit que de justesse: qu'il a plus donné à l'imagination
qu'au jugement.
« Mais on pouvoit l'excuser aussi en faveur même de son
imagination, qu'il avoit belle et grande, et de son heu-
reux génie ; et croire que si la mort ne l'avoit pas sur-
pris à l'âge de trente-six ans, et s'il eût eu une vie moins
orageuse, il auroit donné dans un âge plus avancé, et
dans une situation plus tranquille, des ouvrages plus par-
faits et plus exacts. »
(Goujet, Uibliolhùque française, tome XIV.)
a Cette fois, c'est d'un véritable grand poète que nous
allons parler. — Il est mort jeune ; il a été persécuté
toute sa vie et méconnu après sa mort. On voit que sa
destinée de malheur a été complète : aussi dit-il lui-même
qu'il fallait qu'il ftit né sous une étoile enragée.
THEOPHILE
« Il serait complètement oublié sans les deux ridicules
vers de Nicolas Boileau dans l'Art poétique :
A Malherbe, à Racan préférer Théophile,
Et le clinquant du Tasse à tout l'or de Virgile,
et sans une mauvaise pointe tirée de sa tragédie do
Pyrame et Thisbê :
Le voilà, ce poignard qui, du sang de son maître,
S'est souillé lâchement; — il en rougit, le traître,
que l'on cite dans tous les traités de rhétorique comme
un monstrueux exemple de faux goût, ce qui ne l'empê-
che pas d'être un poète dans le sens le plus étendu du
mot, et d'avoir fait un des vers les plus vantés de l'abbé
Delille :
11 n'oyt * que le silence, il ne voit rien que l'ombre,
et beaucoup d'autres dont de plus heureux ont profité,
entre autres le même Nicolas Boileau qui parle de lui
d'un ton si dédaigneux. — Il est vrai qu'il le met en com-
pagnie du Tasse, et que c'est un affront que l'on pourrait
envier...
i( 11 est difficile d'avoir un plus heureux tempérament
poétique que Théophile. — Il a de la passion non seule-
ment pour les hommes de vertu, pour les belles femmes,
mais aussi pour toutes les belles choses; il aime un beau
jour, des fontaines claires, l'aspect des montagnes, l'é-
tendue d'une grande plaine, de belles forêts, l'océan, ses
vagues, son calme, ses rivages; il aime encore tout ce
qui touche plus particulièrement les sens, la musique, les
fleurs, les beaux habits, la chasse, les beaux chevaux.
■■'■ ' 9
les bonnes odeurs, la bonne chère; c'est une Amcfacileel
pleine de sympathies, prèle à se passionner à propos de
tout cl de rien, un vrai cristal à mille facéties, rélléchis-
Eunt dans chacune de ses uuamcs un tableau différent,
avivé et nuancé de tous les feux de l'iris, et je ne sais
vraiment pour(juoi son nom est si totalement oublié,
tandis que celui de Malherbe, l'éplucheiu' juré de diph-
thoni;ues, est partout cité avec honneur. Riais, comme je
l'ai dit, Théophile était né sous une étoile enragée, et de
tout temps les hommes de prudence l'ont emporté sur
les hommes d'audace : c'est ce (jui explique comment le
grammairien Malherbe a éclipsé Théophile le poète...
« Théophile a fait à Chantilly trois ou quatre pièces de
vers oii fourmillent, parmi un grand nombre de beautés,
un aussi grand nombre de fautes de goût. Ces pièces
sont malheureusement trop longues pour les rapporter
ici. Elles sont semi-mythologiques, semi-descriptives et
marquées du sceau le plus original et le plus étrange. Je
ne sais si vous avez vu djins quelque galerie un de ces
tableaux, où l'Albanc jette, sur un fond si vert qu'il en est
noir, un essaim de petits amours bien blancs, avec de
toutes petites ailes bien roses : ou bien, avcz-vous vu au
Musée la délicieuse aquarelle de Dccamps représentant
des baigneuses? Si vous avez vu l'un ou l'autre, ou tous
les deux, vous pouvez vous former une idée de ce que
sont les charmantes stances de Théophile ; ce sont de
grands arbres, vieux chênes séculaires dont le front .s'ar-
rondit en panache d'un vert foncé, se détachent sur un
ciel d'outremer, pommelé çà et là de nuages blonds et flo-
conneux. Ce sont des terrasses de brique avec des angles
de pierre, de grandes fleurs épanouies dans des vases de
220 THKOPIIILE
marbre, des rampes à pente douce et à balustres ventrus.
C'est un parc Louis XIII dans toute sa magnificence. On
voit à travers les arbres et derrière les charmilles courir
des daims privés et blancs comme la neige; des perdrix,
des faisans de la Chine se promènent familièrement dans
les allées avec toute leur couvée; des ruisseaux coulent
en babillant sous des arcades de feuillage, et se vont
rendre à l'étang et aux viviers, où nagent indolemment,
dans une eau diamantée, quelques cygnes, le col replié,
les ailes ouvertes. Pour personnage, sur le devant, une
belle jeune femme, assise sur l'herbe haute et drue de la
rive, pèche à la ligne les beaux poissons bleus et rouges
des réservoirs. Dans le fond des vallées, de petits
amours rebondis, blancs et potelés qui se jouent ensem-
ble, et puis un groupe de ces belles nymphes allégoriques
comme on les peignait de ce temps, un peu cousines
de celles de Rubens, plus femmes que déesses, avec des
mamelles saillantes, les hanches larges et ondoyantes,
les bras gras et ronds, les mains et les joues toutes plei-
nes de fossettes, la chevelure blonde et flottant en arrière
comme un manteau d'or, l'œil limpide et bleu, la bouche
souriante et rouge comme un pavot, le dos et l'épaule t
d'une blancheur de lis et d'un poli d'agate, qui reluisent -
sous l'eau verte comme autant de statues d'ivoire submer-
gées. Cette onde est si claire et si fraîche dans son cadre
de verdure que les étoiles, la nuit, descendent du ciel •
pour s'y baigner toutes nues. Ce val est si solitaire et si
discret que Diane, la chaste, ne craint pas d'y amener son
Endymion et de l'y baiser au front avec ses lèvres d'ar-
gent. C'est un paradis à dégoûter du paradis terrestre.
C'est un de ces beaux rêves que les poètes et les peintres
(
AfrUNDICE 2«I
f'onl le soir (luand ils rc^ardcnl le soleil se coucIict der-
rière les u:raii(ls nuirrounicrs, el comme j'en ai (ail bien
stiuvcnt à ma l'enôtre en rei;'ardant les pavillonsde brigue
el les toits d'ardoise de ma place lloyale, au bruit de
l'eau dans les bassins el du venl dans les arbres.
<< (Juanl à la place que Tla-ophile doit tenir parmi les
poètes de son temps, clic est dit'ticile à manjucr. 11 est
mort 1res jeune et n'a pas eu le temps de réaliser ses
idées, ou du moins il n'a pu le faire que d'une manière
iii(Om]>lèle; mais tel qu'il est, il nous semble, Régnier
étant mort et Corneille n'étant pas encore venu, le poclc
le plus remaripiabic de celte période; il vaut mieux que
Hardy el que Porchère, que Bois-Roberl, Maynard, Gom-
baud, et tous les beaux esprits du temps qui ont, du reste,
pins de mérite que l'on n'a l'air de le croire. Saint-Amant
est le seul, à noire avis, qui le puisse balancer avec avan-
tai^e; mais aussi Saint-Amant est-il un grand poète,
d'un magnifique mauvais goût, el d'une verve chaude et
luxuriante qui cache beaucoup de diamants dans son
fumier, mais il n'a pas l'élévation et la mélancolie
de Théophile, ce qu'il rachète par un grotesque et
un entrain dont Théophile n'est pas doué. — L'un fait
de la poésie d'homme gras, l'autre de la poésie
d'homme maigre, voilà la ditVércnce. Pour Malherbe et
Racan, quoiqu'ils soient plus irréprochables, ils lui sont
assurément inférieurs, el j'ai toujours élé étonné du dis-
crédit et de l'oubli où ce nom recommandable à tant d'é-
gards est tombé depuis si longtemps. Maintenant ([ue les
réformes qu'il voulait introduire sont acceptées de tout le
monde, peut-être n'y Irouvera-l-on rien (jue de fort sim-
ple et de fort naturel ; mais il faut se reporter au temps ;
222 TIIieOPIIILE
et par ce qui arrive dans la suite, on verra combien
Théophile était un esprit progressif et en avant de son
siècle; mais toutes les vérités ont toujours quelque pau-
vre saint Jean précurseur qui marche hors de la voie,
prêche dans le désert et meurt à la peine. — Théophile
a été un de ceux-là ; et s'il revenait au monde maintenant,
nul doule qu'il ne fût une des plus lumineuses étoiles de
la nouvelle pléiade. »
(Théophile Gautier, les Grotesques.)
§ 5
« ... Thisbé, si moquée, la Thisbé de Théophile, avec
quelle grâce délicieuse elle raconte à Bersiane sa peur du
bruil, de la vie extérieure du mouvement des choses!
THISBÉ
Sais-tu pas bien que j'aime à rêver, h. me taire,
Et que mon naturel est un peu solitaire,
Que je cherche souvent h m'oter hors du bruit ?
Alors, pour dire vrai, je hais bien qui me suit.
Quelquefois mon chagrin trouverait importun.
La conversation de la bonne Fortune,
La visite d'un dieu me désobligerait,
Un rayon de soleil parfois me fâcherait.
Et que les professeurs ne viennent pas nous dire que le
sentiment de la nature était inconnu au xvii* siècle,
quand on trouve encore dans ce même Théophile des
vers tels :
Les roses des rosiers, les ombres, les ruisseaux,
Le murmure des vents et le bruit des oiseaux...
ArPENDU'.r.
ou tels :
Clia(|uo saison donne ses fruits,
I.'Aiiti>nino nous donne ses pommes,
I.'llivrr donne ses louffucs nuits
Pour un plus grand repos des hommes,
I^ Printemps nous donne des Heurs,
Il donne l'Ame et les couleurs
A la feuille (|ui semblait morte...
Je ne sais plus le reste. On lit toujours les mêmes livres,
acheva Calixte, sans se douter que ceux-là seuls ont un
inliTct «lue le grand nombre dédaigne.
— Théophile, dit Entraînes, est un des rares poètes
français. Il est plein de délicates rêveries, je le connais
bien et je l'aime :
Prête-moi ton sein pour y lioire
Des odeurs ([ui m'embaumeront. »
(Remy deGourmo-nt, Siœtine, i8go.)
§ 6
« Théophile de Viau... était un poète irrégulier, non-
chalant, négligé, diffus souvent, mais doué de la plus
charmante imagination du monde.
«... A vrai dire, il a ru tous les Ions et pour ainsi dire
tous les goûls. Il a été poète philosophe dans la Mort de
Sacrale, poêle précieux dans Pijrame, poète Malherbien
dans ses odes. Le plus souvent, c'est un virtuose qui s'ac
corde lui-même avec l'instrument qu'il prend en main, au
lieu de l'accommoder à soi. Où il est vraiment lui-même
et d'un vrai mérite, c'est dans ses ouvrages élégiaqucs.
Le Théophile amoureux et le Théophile rustique son
224 THÉOPHILE
quelquefois charmants... Soit qu'il décrive, dans, /a Mai-
son de Sylvie, une nature très civilisée, parc, jardins,
pièces d'eau, etc., soit que, plus rustique, il nous peigne
les coleaux dorés du soleil, les vignes, les grappes
mûres et les espaliers de son pays, il est minutieux, un
peu mesquin, « il s'appesantit sur le détail », comme dit
La Bruj'ère, il décrit infatigablement et comme insatia-
blementde petites choses; mais cela prouve qu'il regarde
et qu'il aime à regarder, et l'on voit bien qu'il sent pro-
fondément le charme de ce qu'il décrit, et il a des bon-
heurs d'expression àfaire envie aux plus grands poètes...
La Solitude, après un beau début, est un peu traînante ;
mais des vers charmants, originaux, qui n'ont jamais été <
faits auparavant, y fleurissent par intervalles.
«... 11 est admirable pour rencontrer des vers pittores-
ques, de ceux que les Anglais, dès le xvui' siècle, ont
appelés romantic... 11 est même romantique jusque dans
les excès du romantisme moderne. Cela est rare, mais est
à noter comme tendance...
« C'était un beau génie poétique très mal réglé et avec
des bizarreries et incartades. 11 était plein d'imagination
et d'esprit. . . »
(Emile Faguet, Histoire delà littérature française,
igoo, tome II.)
«... Le talent poétique de Théophile de Vian consiste
surtout à une succession (on pourrait dire accumulation)
d'images brillantes, ou plutôt brillantées.
Cette manière, si en contraste avec celle plus sobre de
l'art classicjuc au dix-septième siècle, surprit et fit extra-
vaguer l'ignorance des Romantiques, au temps où ils
AIM'ENDK.E 225
venaient de découvrir, pour s'en n'clamer, toute la bande
obscure des rimeurs Louis XIII,
Tlicopliile Gautier (il est vrai qu'il n'avait point achevé
de jeter sa gourme) en délira. Ouant à Sainte-Beuve, il
fut plus circonspect et remit les choses en place.
Disons que ce pittoresque, souvent défraîchi, venait à
Théophile de Viau et à ses émules, du seizième siècle
finissant. Mais comme alors les derniers héritiers directs
de la Pléiade savaient encore observer la décence et fuir
une improvisation de mauvais aloi !
^lalgré toutes réserves et toutes répu^^nanccs, malgré
les objections les plus fortes, il faut avouer que Théophile,
ainsi que quelques autres parmi ses contemporains, avait
reçu le don de poésie, vicié certes, mais véritable.
Théophile n'est pas si primesautier ou plein de fraî-
cheur (jue quelques-uns l'affirment, ni Boileau-Despréaux
si morne et rébarbatif que plusieurs, hier encore, se flat-
taient de le penser.
Hélas ! la juste ojjinion a sa tare comme la fausse.
Saisir un avis et rappliiiucr ciiaque fois à point, mais
c'est le diable !
« Plus d'un parle encore de Théophile, et avec assez
d'ostentation, mais en continuant d'iiçnorer ses ouvrages,
sauf (juelques morceaux cités par Gautier et principale-
ment la Solitade.
A la vérité, celte pièce, qui est fort longue et que Gau-
tier a su émonder avec discernement, enferme plus d'une
image poétique vive et harmonieuse.
La première strophe en est belle :
i5
220 THÉOPHILE
Dans ce val solitaire et sombre.
Le cerf qui brame au bord de l'eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S'amuse à regarder son ombre.
Dans ses paysages, Théophile de Viau nous montre,
comme d'ailleurs tous ses contemporains, un mélançe de
faux et de vrai qui ne laisse pas d'être curieux à noter.
Dans un décor de toile et de carton-pâte, au milieu des
concetti et des pointes, il trouve moyen de faire entendre
parfois la voix naturelle des choses...
Les rayons du jour égarés
Parmi les ombres incertaines
Eparpillent les feux dorés
Dessus l'azur de ces fontaines.
Son or dedans l'eau confondu
Avccque ce cristal fondu
Mêle son teint et sa nature,
Et sème son éclat mouvant.
Comme la branche au gré du vent
Eiïace et marque sa peinture.
On comprend l'éblouissement de la jeunesse romanti-
que devant de pareils vers : elle y trouvait un modèle de
débraillé et de truculent cher à ses propres aspirations.
Cependant Théophile de Viau vivait en un temps où les
plus abandonnés gardaient encore comme un arrière-
goût de style.
Ce que le romantisme a goûté chez les petits poètes
Louis XIII, ce que les ignorants y goûtent encore au-
jourd'hui, c'est surtout le plaisir de la surprise.
Ne soyons pas tout à fait intolérants avec la nouveauté
même équivoque. Et j'ajouterai: Admettons une pointe
de mauvais goût capable de relever à l'occasion le beau N
immuable. Mais il ne faut pas qu'elle l'encanaillé.
aim'knhicg K27
V Certes, la Irage'die de Pijratne et Tliisbè contribua
peu à la gloire de Tlico[)hile de Viau. Cependant, il ne
serait pas exagéré de direcju'elle le garda de l'oubli mieux
toute autre de ses œuvres. Et cela, à cause d'un hémisti-
che qui est devenu proverbial, ayant fait sourire les doc-
tes et les ignorants.
Le passage suivant de Boilcau finira de vous rappeler
cette affaire.
« Veut-on voir, dit-il. combien une pensée fausse est
froide et puérile? Je ne saurais rapporter un exemple qui
le fasse mieux sentir que deux vers du poète Théophile,
dans sa tragédie intitulée Pyrame et Thisbé, lorsque
cette malheureuse amante ayant ramassé le poignard
encore tout sanglant dont Pyrame s'est tué, elle querelle
ainsi ce poignard :
Ah ! voici lo poignard qui du sang de son maître
S'est souillé Idchement. Il en rougit, le traître!
« Toutes les glaces du Nord ensemble ne sont pas, à
Hion sens, plus froides que cette pensée. Quelle extrava-
gance, bon Dieu ! de vouloir que la rougeur du sang
dont est teint le poignard d'un homme qui vient de s'en
luer lui-même soit un effet de la honte qu'a ce poignard
de l'avoir tué I »
A la vérité ce : Il en rougit, le traître', lu à sa place,
ne doit pas surprendre outre mesure dans une œuvre
écrite tout entière dans un style renchérissant sur les
préciosités les plus forcées. Avouons maintenant qu'il
se rencontre dans Shakespeare, dans quelques Espagnols
2 28 THÉOPHILE
et dans Racine même deux ou trois fois, de pareilles
o extravagances » et qui, à force de génie, touchent au
sublime. Mais il est vrai dédire qu'il vaudra toujours
mieux se tenir dans la juste mesure.
***
« Théophile professait qu'il fallait que le discours fût
ferme et le sens naturel et facile ; il rejetait les afféleries
« qui ne sont que mollesse et qu'artifice », comme par
exemple : L'aurore toute d'or et d'azur, brodée de per-
les et de rubis, paraissait aux portes de rOrient. Les
étoiles, éblouies d'une plus vive clarté, laissaient effa-
cer leur blancheur et devenaient peu à peu de la cou-
leur du ciel, etc.
« Le plaisant est qu'il se trouvait être justement plein à
l'excès de toutes ces molles afféteries et que son discours
manquait surtout de fermeté et de bon naturel... »
(Jean Moréas, l'Ermitage, i5 oct. 1906.)
§8
«... Pendant ce temps, la réputation de Théophile
allait grandissant; l'éclat de son nom se répandait par
toute la France, et c'est sur lui que tous les poètes, tous
les beaux esprits tenaient les yeux fixés comme sur leur
chef... Malherbe, que les vers de Boileau ont mis hors
de pair, malgré l'admiration de quelques-uns, n'a jamais
obtenu parmi ses contemporains cette place incontestée
que lui donne la postérité, et certes si Théophile eût vécu,
APPENDICE 229
Tht'opliile eùl occupé le premier rang que nul ne lui
aurait disputé. »
(CiiAiiLKs Garrisson, Tlu'opliilc et Paul de Vian,
r.-iris, Picard, 1899.)
III
LE PARNASSE SATYRIOUE
Le J'amasse salijriqae est un recueil de vers où le
madrigal voisine avec l'épigramme obscène et l'élégie
avec l'ode priapique. Il parut en 1622 et ne souleva nulles
colères. L'année suivante, l'imprimeur Lestoc en fit une
nouvelle édition avec le nom de Théophile. Sur la dénon-
ciation probable du jésuite Garasse qui, dans la suite,
s'acharna après lui, Théophile fut poursuivi et condamne
à être brûlé vif. Il put s'enfuir, fut pris, jeté en prison,
puis relaxé après deux ans de procédures et de vexa-
lions.
Âlleaume, dans son édition des Œuvres de Théophile
(r866), a donné en appendice les pièces obscènes qui lui
sont, sans preuve, attribuées. Nous ne pouvons ici être
aussi hardis. Ce sont de pures ordures et on souhaite
quelles ne soient pas de Théopliilc.
« G est, dit Théophile Gautier, un singulier monument
littéraire, dans son genre, que le Parnasse satyrique :
quelle différence avec les petits vers orduriers de Fer-
230 THÉOPHILE
rand, de Dorât, de Voisenon, et autres coureurs de
ruelle, mousquetaires ou abbés! — c'est comme une tête
du Caravage, toute noire de bitume, à côté d'un pastel de
Latour, enluminé de carmin ; comme un bas-relief de
vase antique à côté d'une lithographie de Maurin. Sans
doute de pareilles productions sont indisi;nes de l'art ;
mais cependant il y reste encore assez d'art pour qu'on
les voie brûler avec un sentiment de regret, et qu'on en
retire avec le bout des doigts quelques feuillets échappés
au feu de paille du bourreau : c'est comme ce musée
erotique de Naples et ces belles statues qu'on n'a pas le
courage de briser, mais sur qui la morale est obligée de
tirer à tout jamais son rideau. »
Tout n'est pas à dédaigner dans ce Parnasse, bien qu'il
soit assez inférieur, dans son genre, au Cabinet salyri-
que paru quelques années auparavant. Vers obscènes :
que cela ne nous effraie pas trop I La seule différence
qu'il y ait entre la poésie obscène et l'autre est dans le
vocabulaire. Un mot fait du Lac de Lamartine une poésie
obscène, tant il est vrai que l'obscénité est une question
de philologie. Dans l'une et dans l'autre poésie, le sujet
est le même, le rêve est le même, le désir est le même
et l'une et l'autre aboutissent nécessairement au Crescite
et multiplicamini que Marot et, après lui, Théophile
traduisirent en termes fâcheux pour les oreilles chastes.
Une partie des pièces obscènes du Parnasse satyrique
est obtenue ainsi ; c'est œuvre de libraire sans scrupule
ou de grimaud gagiste. Comme c'est difficile de substi-
tuer au mot aimer tel mot sale ou tel mot technique !
Et voilà-t-il pas un quatrain bien troublant!
Quelques pièces ont délibérément été écrites sur le
AHPl'NnK.E 23 1
mode çrossier. 11 en est de rebutanlcs; il ca est de spi-
rituelles ; il en est de tout à fait licencieuses ; il en est
peu de voluptueuses ; quelques-unes sont assez piquantes.
J'avoue i;-oiUer fort l'épitaiihe appolcc Tombeau :
Ci-(lossi)Us gll la belle Nymphe au lait ;
Fille d'amour et m^re des aiidotiillcs.
Qui ainia mieux le f — que le lait
Et usa moins do souliers que de c — .
Le trait est donné par le mot c;rossier, qui ne paraît
que vif, parce qu'il est un trait. Cepen.-fant, de peur de
rouiçir, soyons discrets.
Voici deux épigrammcs qui sont presque de bonne
compagnie et qui certes n'avaient nui besoin d'être impri-
mées sous le manteau :
ÉPKinAMMi:
CorHIle d'un seul fils fut mère,
Qui, morl, fut mis nu cercueil.
Toute la cour en fut en deuil,
Car chacun s'en pensait le pt're.
ÉPICiHAM.ME
Je perds mon temps et mes discours
De vous raconter mes amours
Et la rigueur de mon martyre.
.Mon désir ne se peut horner ;
Je veux ce qne je n'ose dire
El ce qu'on n'ose me donner.
Celle-ci a le mérite de l'impiété :
ÉPIGRAMME
J'enrage de lever la cotte
De quelque jolie huguenote
232 THÉOPHILE
Et de faire un timbre* plaisant
A quelque huguenot sufTisant.
Ce n'est pas que j'aime le vice,
Ni pour pratiquer l'exercice
Que le sale Arétin décrit.
Tout ce qui me le fera faire
N'est que pour venger le Saint-Père
Qu'ils ont appelé l'Antéchrist.
Quant à ces quatrains, on les trouvera je pense de
l'excellente satire et bien dans la tradition des médisances
contre les femmes :
QUATRAINS
Délivre-moi Seigneur.
Des filles de Paris qui ne disent, sinon :
Je ne vous entends point, cela vous plaît à dire
Qui ne répondent rien que oui et voire et non
Et au partir de là se mêlent de médire,
Délivre-moi Seigneur.
De celle qui vous jure, étant entre vos bras.
Que vous êtes tout seul qu'elle aime et favorise
Et si vous la laissez seulement de trois pas,
Vous trouvez aussitôt que votre place est prise,
Délivre-moi, Seigneur.
De celle-là qui dit qu'elle n'échauffe pas
Si elle est seule au lit, qu'elle y meurt, qu'elle y glace,
Qui veut avoir quelqu'un pour réchauffer sa place.
Qui ne craint nullement que l'on use ses draps,
Délivre-moi, Seigneur.
De celle-là qu'on dit commenter (1) l'Aretin,
Qui fait fort bien les vers, qui écrit bien en prose,
Qui trouve fort mauvais qu'on touche à son tétin
Et ne se fâche point que l'on touche autre chose.
Délivre-moi, Seigneur.
(1) Texte : commencer...
233
De celle-là qui veut quelques tapisseries
Avant que de vouloir vous donner ce qu'elle a,
Kt quand ello en n eu, il fiiul des pieri'erics
Kt puis une niaisou, avnnt d'en venir là,
Délivre-moi, SeUjneur.
Do celle qui s'en va, balayant les églises,
La chandelle à la main et un ^rand chapelet.
Et si vous l'épiez, vous la verrez aux prises,
Dedans un cabinet, avec quelque valet,
Délivre-moi, Seigneur.
De celle-là qui feint s'enfermer tout le jour,
N'ayant d'autre plaisir que d'être solitaire.
Qui trouve fort mauvais que l'on parle d'amour,
Qui n'en veut rien ouïr, mais qui le veut bien faire,
Dilivre moi, Seigneur.
De ccllc-li\ qui dit qu'elle est fort bien pucelle,
Qu'elle n'en quitte rien à fille de Paris,
Et a toutes les nuits son ami auprrs d'elle,
Non pas pour faire mal, mais de peur des esprits,
Délivre-moi, Seigneur.
Voici quelque chose d'un peu plus scabreux, mais cela
ne va pas encore très loin :
ÉPIGRAMME
Lorsque sur ton lit à mon aise,
Catin, ton tétin droit je baise.
Tu me dis : « 0 cher favori,
o C'est le tétin de mon mari ;
w Celui qui s'enlle au côté gauche
o C'est pour toi seul qui nie débauches ;
« Ton partage est bien le meilleur :
« Puisque c'est le coté du cœur. »
Quant à ce sonnet, il faut se ri'signcr ou à le trouver
plat, ou à n'en pas comprendre la pointe. Si l'on com-
234 THÉOPHILE
prend, on est perdu ; je compte sur beaucoup de mau-
vaise volonté :
SONNET
Doux est le front de ma belle maîtresse,
Doux est le trait que décochent ses yeux,
Doux est son teint, doux son ris gracieux,
Douce est aussi sa bouche charmeresse.
Douce est sa voix, douce sa blonde tresse.
Douce est sa joue où se plaisent les dieux ;
Uoux est aussi son sein délicieux,
Douce est sa main qui doucemeot me presse.
Douce est sa jambe et doux son pied joli,
Doux son nombril, doux son ventre poli,
Doux est l'attrait de sa grâce divine.
Mais plus que tout, ami, je trouve doux
Le mouvement de cette belle Aline,
Lorsqu'il advient qu'en secret e la f
Même remarque pour ce que l'on ose encore transcrire.
L'esprit est dans le contraste entre une idée tendre et
une image licencieuse ; l'éclair est obtenu par le frotte-
ment d'un mot très doux et d'un mot très violent.. C'est,
après tout, un genre où les maîtres sont rares et où l'on
trouve peu de Régniers, de Motins, de Berthelots, de
Théophiles, ou de Sigognes :
Je songeais que Phillis, des enfers revenue.
Belle comme elle était à la clarté du jour.
Voulait que son fantôme encor me (ît l'amour
Et que, comme Ixion, j'embrassais une nue.
Son ombre dans mon lit se glisse toute nue.
Et me dit : « Cher amant, me voici de retour,
APPENDICE 235
Je n'ai fnit qu'emliollir en ce triste S(^joui'
(^û, depuis mon départ, lo sort m'a retenue.
Jo viens pour rebaiser le plus beau des amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassemoiits. s
Alors, quand cotte idole cul abreuve ran flumme,
Elle me dit : c Adieu, je m'en vais chez les nioris',
Comme tu t'es vanté d'avoir f... mon corps,
Tu pourras te vanter <l'avoir f. .. mon âme. »
Cependant, el tel est bien mon dessein, avec ces jeux
d'esprit, nous restons sur le seuil du Parnasse satyri-
que. C'est un endroit où, si l'on peut y donner de compa-
gnie un rapide coup d'oeil, on ne peut entrer que seul.
UN ninLIOPlIILE.
§ 2
« Arrêt de la Cour de parlement par lequel les sieurs
Théophile, Berlhelot et autres sont déclares criminels de
lèse-majesté divine pour avoir composé et fait imprimer
des vers impies contre l'honneur de Dieu, son Eglise et
honnêteté publique.
Avec défense à toutes personnes d'avoir ni tenir au-
cuns exemplaires da livre intitulé le Parnasse satyri-
que, n autres œuvres dudil Théophile, sous peine d'être
déclarés fauteurs et adhérants dudil crime et punis
comme les accusés.
A Paris, chez Antoine Vilray,au collège Saint-Michel,
i6a3 (8 p. 10-13).
Arrêt de la Cour de Parlement contre Théophile et
autres faiseurs de vers impies, exécuté le igaoùt i6a3.
Vu par la Cour, les Grand Chambre et Tournclle
236 THÉOPHILE
assemblées, l'arrêt de celle du ii juillet dernier, par
lequel, sur la plainte faite par le procureur général du
roi et livres par lui représentés, avoit été ordonné que
les nomnoés Théophile, Berthelot, Colletet et Frenide ',
auteurs des sonnets de vers contenant les impiétés, blas-
phèmes et abominations mentionnées au livre très per-
nicieux intitulé le Parnasse sàtyriqun, seraient pris au
corps et emmenés prisonniers en la Conciergerie du
Palais, pour leur être le procès fait et parfait, et où ils
ne pourraient être appréhendes, ajournés à trois brefs
jours, à son de trompe et cris publics à comparaître en
icelle; exploits de perquisition faits de la personne des-
dits accusés, ajournements à trois brefs jours, les
défauts à trois brefs jours obtenus en ladite Cour
par le procureur général du roi contre ceux accusés le
5 août et autres jours suivants; autres livres et œu-
vres dudit Théophile imprimés par les nommés Billaine et
Quesnel ; conclusions du procureur général du roi ; tout
considéré, dit a été que lesdits défauts ont été bien et
dûment obtenus, et, pour le profit d'(iceux), ladite Coijr
a déclaré et déclare lesdits Théophile, Berthelot et Colle-
tet, vrais contumax, atteints et convaincus du crime de
lèse-majesté divine, et, pour réparation, les a condamnés
et condamne, sçavoir : lesdits Théophile et Berthelot à
être menés et conduits des prisons de la Conciergerie en
un tombereau au devant la principale porte de l'église
Notre-Dame de cette ville de Paris, et là, à genoux,
tête et pieds nus, en chemise, la corde au col, tenant
chacun en leurs mains une torche de cire ardente du
i. Le nom est écrit comme dans la Doctrine curieuse du
P. Garasse. 11 s'agit de N. Frenicle.
APrENDir.E 2'^•]
p.iiils de deux livres, dire et dcclarcr que très mécliam-
iiieiil cl abomiDablcmenl ils ont composé, (ait imprimer
et exposé en vente le livre intitulé le Parnasse safijri-
(/ur, contenant les blasphèmes, sacrilèges, impiétés et
abominations y mentionnées contre l'honneur de Dieu,
son Ei^lise et honnêteté publique, dont ils se repentent
et eu demandent pardon à Dieu, au roi et à justice. Ce
fait, menés et conduits en la place de Grève de cette
dite ville, et là ledit Théophile brûlé vif, son corjis réduit
eu cendres, celles-ci jetées au vent, et lesdits livres aussi
brûlés, et ledit Berthelot pendu et étranglé à une potence
qui, pour ce faire, y sera dressée, si pris et appréhendés
peuvent être en leurs personnes; sinon ledit Théophile
par figure et représentation, et ledit Berthelot en effigie
à un tableau attaché à ladite potence. Tous et chacuns
leurs biens déclarés acquis et confisqués à qui il appar-
tiendra, sur lesquels et autres non subjects à la confisca-
tion sera préalablement pris la somme de quatre mille
livres d'amende applicables à œuvres pies, ainsi que ladite
Cour avisera, et a banni et bannit ledit Colletet pour
neuf ans hors du royaume; lui enjoint de garder son
ban, à peine d'être pendu et étranglé; et, en tant que
touche ledit Frcnide, a permis et permet audit procureur
général du roi faire informer plus amplement contre lui
des cas mentionné audit procès, circonstances et dépen-
dances; fait ladite Cour inhibitions et défenses à toutes
personnes, de quelque qualité et condition qu'ils soient,
d'avoir et retenir par devers eux aucuns exemplaires
dudit livre intitulé le J'amasse satijrique, ni autres œu-
vres dudit Théophile, ainsi leur enjoint les apporter et
mettre dans vingt-quatre heures au grefle criminel
238 THIÎOPIIILE
d'icfille pour êire pareillement brûlés et rt'duits en cen-
dres, sur peine, contre les contrevenants et qui s'en trou-
veront saisis, d'être déclarés fauteurs et adhérents dudit
crime et punis comme les accusés. Outre, ordonne que
les libraires nommés Estoc, Sommaville, Billaine et
Quesnel, qui ont imprimé les œuvres dudit Théophile,
seront pris au corps et amenés prisonniers es prisons de
la Conciergerie du Palais pour être ouïs et interrogés sur
aucuns faits résultant dudit procès, et, où ils ne pour-
ront être appréhendés, seront ajournés à trois brefs jours
à son de trompe et cris public à comparaître en icelle,
leurs biens [saisis et commissaires y établis jusqu'à ce
qu'ils aient obéi .
Prononcé et exécuté le 19 août 1623. »
'i 3
APOLOGIE AU ROI
... Ce premier arrêt donné par contumace n'énonce
aucunes charges et informations faites contre moi ; les
ruses de mes ennemis ont surpris la religion de la Cour,
et supposé malicieusement des livres dont j'avois désa-
voué et la composition et l'impression, et fait condam-
ner les libraires par sentence du Prévôt de Paris. Même,
d'un dessein particulier que j'avois d'en éclaircir mes
accusateurs, que la condition de Religieux me faisoit
croire plus aveuglés de zèle que d'inimitié, je pris le
soin de leur faire voir la condamnation de l'imprimeur
absent et fugitif, mais ils ont toujours déguisé la con-
noissance de mon bon droit, et par une hypocrisie cruel-
AI'PKNDir.F. 239
le, ont continué leurs sollicitalions, jusqu'à ce qu'une
ignominie publique leur eiH fait cun'e de ce fanlônie qui
fut hriUé en ma représentation. Ce qui fait évanouir
toutes les apparences de l'infamie que je pouvois encourir
par ce jugement, et qui aconvaiiicu l'absurdité de ccsinu-
tiles poursuites, c'est que le dernier Arrêt donné en
plein Parlement, et en grande assemblée de Juges, a re-
connu véritable le désaveu que j'avois fait des livres sup-
posés; comme le premier jugement fut sans aucune
preuve ni d'écrits, ni de témoins contre moi. aussi l'a-t-on
poursuivi au temps que votre Parlement étoit congédié,
à cause de la contagion, et qu'en l'absence du plus grand
nombre de Messieurs de la grand Chambre, il fallut
cxtraordinairement emprunter des Juges des Enquêtes
pour trouver le nombre de dix Juges, auquel nombre le
procès de contumace fut visité et jugé en une matinée
seulement, qui est pour cela peu de temps. Je ne me
plaindrai jamais de votre Parlement ; la voix publique
est véritable, qui nous apprend que c'est où la justice est
rendue avec intégrité, et que l'innocence n'y peut être
opprimée. 11 m'a conserve la vie que l'on conspiroit de
m'ôter avec l'honneur, et m'a banni sans être convaincu
que du malheur d'avoir été haï.
Les mieux sensés et les plus Chrétiens du siècle, qui
sont instruits des faussetés de mes accusations, accom-
parent» mon accident au.x Arrêts qui souvent intervien-
nent aux procès de sortilège, lors que vos premiers
Juges ont condamné à mort des pauvres paysans idiots;
le Parlement, qui est l'asile de l'innocence, justifie ces mi-
sérables, et néanmoins sur la diffamation les bannit du
lieu de leur, demeure.
240 THi;oririLE
C'est une nécessité de la Police contre laquelle je ne
murmure point, aussi bien ai-je contribué quelque chose
à mon malheur, pour ce que d'abord, au lieu de lui résis-
ter, je lui cédai, et le renforçai au lieu de le corrompre.
Il est vrai que les Juges ne font rien par imprudence, ni
par colère.
Mon absence, qui n'éloit que de peur, a donné des
soupçons de crime, et la fuite, que je prenois par respect
de mes ennemis, a autorisé leur persécution. Tandis que
mon éloignement sembloit appuyer les prétextes de leur
inimitié, V. M. faisoit paraître quelque trace des favora-
bles inclinations qui m'ont engagé à son service. Ils em-
ployoient avec licence tout l'effort et l'artifice qui pouvoit
faire réussir leur entreprise. On m'avoit bouché tous les
passages du Royaume. Quelques Prévôts, de l'intelligence
de leur cabale, éloient toujours aux environs du lieu de
ma retraite. Leurs livres, leurs sermons, leurs visites et
leurs voyages n'avoient plus autre sujet que mon oppres-
sion. J'ai une consolation bien glorieuse et très sensible
d'avoir reconnu que V. M. nedonnoit aucun aveu à tous
ces appareils de ma perte. Vous prêtiez votre consente-
ment à mon salut, et la disposition que vous aviez à me
plaindre plutôt qu'à me punir condamnoit la procédure
de mes parties, et détruisoitles avantages qu'ils pensoient
tirer de mon éloignement; vous approuviez le soin de %
ceux qui me vouloient conserver. Monsieur de Montmo- •
rency remarqua que V. M. m'aimoit autant à Chantilly
qu'à Londres, et l'exemple de votre bienveillance me ser-
voit de protection inviolable envers tous ceux qui avoient
à cœur votre respect et la charité chrétienne. Le Parle-
ment imitoit votre bonté, et par une connoissance parti-
APPENDICE 24 l
culicre de vos internions mepcrmclloil de fuir lentement,
et doiinoil assez de loisir à mes ennemis pour se drdire
d'une jioursuite qui n'a fini qu'à leur confusion. J'ctois
déjà sur la frontière, en la méditation de quitter ma pa-
trie, et dans l'incertitude d'y plus revenir, et cette con-
trainte d'cloii^ner* votre Courtenoil mon esprit dans des
troubles (pii me rcndoient indilVorentes et la capture et l'é-
vasion. Ce changement de pays ne m'eût pas été fâcheux
si Dieu m'eût fait naître ailleurs qu'en France, ou sous un
autre règne que celui de V. M., mais votre Empire et
vos vertus ont pour moi des amorces si puissantes que
c'est me retirer du monde que de vous abandonner : aussi
m'en allois-je avec des inquiétudes et des paresses, qui
témoicnoient assez que le danger de mourir en votre
Royaume m'affligeoit moins que le regret d'en sortir.
Celte appréhension ne laissoit point de repos en mon
;îme. .1 étois déjà dans les supplices dont mon emprison-
nement m'a retiré, et si la violence de mes ennemis
n'eût précipité le dessein de ma ruine, j'eusse toujours
reculé à ma justification, et on n'eût jamais découvert
mon innocence, ni leur imposture. Lorsque j'élois aux
termes de relâcher * à leur fureur, et que la patience de
'V. M. et des Juges leur donnoit et le temps, et le con-
seil de se modérer, un homme qui fait profession de Re-
ligieux, et qui a fait le dernier vœu, s'avisa de corriger
votre clémence, et n'étant hardi que de ma timidité, s'a-
Tentura de me tendre les pièges dont il se trouve encore
enveloppé. II avoit à dévotion un Lieutenant du Prévôt
de la Connétablerie nommé le Blanc, son conBdent parti-
culier : celui-là prit un tel soin de lui rendre celte com-
plaisance, et se trouva si puissant dans cette commis-
iC
2!\2 THÉOPHILE
sion, qu'une place qui peut soutenir des sièges royaux
se trouva foible pour ma protection. Ce Religieux qui dis-
posa si absolument de cet officier de Justice, et qui trouva
le Gouverneur de votre Citadelle si facile, c'est, Sire, le
Père Voisin, Jésuite, qui, par une fantaisie déréglée et
par un caprice très scandaleux, s'est jeté dans la ven-
geance d'un tort qu'il n'a point reçu, et s'est forgé des
sujets d'offense, pour avoir prétexte de me haïr. Jedirois
à V. M. les secrètes maladies de cet esprit, si ce n'étoit
une incivilité criminelle que de vous en entretenir : cet
homme-là, égaré de son sens, très ignorant du mien, a
fait glisser dans des âmes foibles une fausse opinion de
mes mœurs et de ma conscience, et prostituant l'autorité
de sa robe à l'extravagance de sa passion, il a fait éclat
de toutes ces infâmes accusations, dont il fait aujourd'hui
pénitence. 11 a pénétré tous les lieux de ses connoissan-
ces et des miennes, pour y répandre la mauvaise odeur
qui avoit rendu ma réputation si odieuse. Il a suborné le
zèle d'un Père éloardi (i), qui a vomi tout un volume,
pour décharger la bile de son compagnon : c'est lauleur
de la Doctrine Curieuse et de quelques autres livres ou-
trageux, à qui ma seule disgrâce semble avoir donné
des privilèges, et dont les crimes n'ont trouvé de l'impu-
nité qu'en la faveur de cette aniraosité publique, qui au-
torise tout ce qui peut injurier. Le rapport de l'erreur
populaire à ces génies malins, et certaine conformité des
envieux et des ignorants, m'avoit suscité une haine si
générale, et tellement altéré les sentiments des gens de
(1) Le P. Garasse, qui produisit contre Théophile un énorme li-
belle aussi infâme que bouil'un ; Doctrine curieuse des beaux:
esprits de ce ttmps.
Al'PENUICK 2/|5
bien, que cliaciiii avoil inlriVt à me «It'shonorer, el (|uo
personne no pouvoit <^lri' saiiv»', s'il ne lilcfioil îi me per-
dre. Cela uie mit des espions partout : mes |>lus silrcs
couliil<nces m'éloienl des cml)ilclics, cl le lieu de mon
asile fut celui de ma prise... Je suis l'exemple de la plus
longue cl plus dure cuhimilé do voire siècle. II n'y a
|x>int d'homme (|ui ail des a|)pé(its si délicats pour la vie
ui de si tendres sentiments pour la volupté, qui n'aimât
mieux se priver de l'un et de l'autre par des tourments
les plus exquis *, (juc de souffrir le sale et le cruel traite-
ment d'une si lons;ue prison <pic la mienne. Si Dieu ne
m'eût fait naître d'un îcmpérament robuste et d'une cons-
titution bien saine, je fusse mort mille fois de plusieurs
incommodités, dont. Dieu merci, je n'ai pas été seule-
ment malade. Ou m'a traité deux ans durant avec des
rij^ucurs capables de consommer des pierres; d'abord
que je fus pris on me tint pour condamné ; ma détention
fut uu supplice el les Prévols, des exécuteurs. Ils étoient
trois sur chacun de mes bras, et autour de moi autant
que le lieu par où je passois en pouvoit contenir. On
m'enleva dans la chambre du sieur de Menilier pour y
faire mon procès-verbal, qui ne fut autre chose que l'in-
ventaire de mes bardes et de mon arijcnt, qui me fut tout
saisi. Apres mon interroc;atoire, qui ne conlenoit aucune
accusation, monsieur de Commartin m'assura que j'élois
mort; je lui répondis que le Roi étoit juste et moi inno-
cent. De là il ordonna que je fusse conduità Saint-Quen-
tin, par oîi il prenoil son chemin, afin de rejoindre Mon-
sieur le Connétable qu'il avoil quille pour assister le Pré-
vôt à ma capture. On m'attacha de grosses cordes par
tout, cl sur un cheval foible el boiteux, qui m'a fait cou-
244 THÉOPHILE
rir plus de risque que tous les témoins de mes confron-
tations. L'exécution de quelque criminel bien célèbre n'a
jamais eu plus de foule à son spectacle que j'en eus à
mon emprisonnement. Soudain que je fus écroué, on me
dévala dans un cachot, dont le toit même étoit sous terre ;
jecoucliois tout vêtu et chargé de fers si rudes et si pe-
sants, que les marques et la douleur en demeurent encore
en mes jambes; les murailles y suoient d'humidité, et moi
de peur. Je vous confesse, Sire, que je ne me trouvai
ni assez brûlai ni assez philosophe pour me résoudre
promptement en un accident si outrageux...
Je passois ces premiers jours de ma captivité dans des
incommodités très rigoureuses, et dans de vives appré-
hensions de mon procès, qui m'a toujours été plus à
craindre pour la puissance de mes ennemis que pour
mon crime. Et sans blesser l'intégrité des autres corps
de Justice, je crois que l'avantage que V. M. m'a fait,
de laisser ma cause à la Cour du Parlement de Paris, a
beaucoup diminué mon danger. Ces Juges-là, Sire, ne
trompent personne et ne sauroient être trompés. Us en-
voûtèrent la compagnie de Deffuntis à Saint-Quentin,
pour de là me conduire à la Conciergerie du Palais.
J etois bien aise d'aller rendre compte de ma vie de-
vant des gens que je sa vois être capables de la bien ména-
ger. Mais la rudesse de ceux qui m'amenèrent troubloit
un peu mon espérance, et me faisoit craindre la passion
de quelques particuliers, qui pouvoient leur avoir recom-
mandé cette sévérité ; mes accusateurs ont des instru-
ments de toute nature et condition partout. J'étois monté
encore plus mal que l'ordonnance de Monsieur de Com-
marlin, et attaché tout le long du voyage avec des chaî-
APPENDICE 2/);)
nos, sans avoir la liberté du sommeil ni du repos, et sans
quitter les fers ni nuit ni jour : on ne suivit jamais le
praïul chemin, et comme s'il y eût eu des desseins par-
tout à menlcver, les troupeaux ou les arbres un peu éloi-
gnés leur donnoienl quelques alarmes assez ridicules, que
je réserve à mes vers, plus capables de cette peinture que
la prose. Etant arrivé à la Conciergerie, dont la presse
du peuple m'empéchoit l'entrée, je fus enlevé dans la
grosse tour, et porté tout d'abord dans le même cachot,
où le plus exécrable parricide de la mémoire * a été gardé;
on y renferma deux gardes, (pii furent quatre mois dans
le cachot, avec aussi peu de liberté que j'en avois. Le
chagrin et les maladies, (]ui sont presque inévitables en
ce-licu là, leur firent à la fin donner licence de sortir; de-
puis on m'associa des prisonniers appelant de la mort.
Après avoir été six mois dans une très grande impatience
de me faire ouïr, Monsieur le Procureur Général me fit
l'honneur de me venir voir, sur le bruit qu'il eut d'une
abstinence extraordinaire dont je me macérois depuis
qucl(jues jours, lime parla avec des civilités que je n'eusse
pas méritées même en l'état de liberté, et commanda
très expressément à ceux qui avoienl charge de moi de
me gouverner avec toute la douceur que la nécessité de
leur devoir me pouvoit faire espérer. En cela il a été
toujours très mal obéi, car ces gens-là, sans se contenir
même dans la rudesse permise aux guichetiers les moins
humains, ont passé au-delà de la félonie des hommes les
plus barbares. Je ne saurois, avec le respect que je dois à
V. M., lui dépeindre les saletés et l'horreur ni du lieu ni
des personnes dont j'élois gardé : je n'3' avois de la clarté
que d une petite chandelle à chaque repas ; le jour y
2/Î6 T UKOPHILIÎ
éclaire si peu, qu'on ne sauroit discerner la voûte d'avec
'e plancher, ni la fenêtre d'avec la porte. Je n'y ai jamais
eu de feu ; aussi la vapeur du moindre charbon, n'ayant
là-dedans par où sexhaler, m'eût été du poison ; mon lit
étoit de telle disposition que l'humidité de l'assiette et la
pourriture de la paille y engendroit des vers, et autres
animaux qu'il me falloit écraser à toute heure. Divers
prisonniers qui ont tlé avec moi, s'ils en sont sortis pour
vivre, peuvent vérifier mes plaintes. L'on me nourrissoit
de la pension qu'il a plu à V. M. de me continuer, mais
mon manger et mon boire étoient tels qu'ils sembloient avoir
re(;u pour me faire mourir l'argent que vous leur don-
niez pour me faire vivre ; et comme si les cruautés d'un tel
entretien n'eussent pu donner assez d'exercice à leur ma-
iioe, ils s'ingérèrent dans mes affaires, et trompant la fa-
cilité que j'ai toujours eue à donner ma confidence à
ceux qui la demandent, par diverses ruses ils aitrapèrenl
tous mes secrets, qui se sont par la grâce de Dieu trou-
vés à ma justification. Pour un témoignage plus mani-
feste de la fureur extraordinaire qui les animoit contre
moi, c'est que durant tout le temps d'une si dure captivité
où toutes sortes d'objets, de fraj'curs et de peines me
tenoient toujours en nécessité de consolation, il ne me
fut jamais permis de communi(pier avec un Religieux,
ni de me faire donner un chapelet. Il sembloil qu'on eût
pris à lâche de me faire périr le corps et l'âme; c'est
alors que mes accusateurs faisoient retentir les Eglises
de mi'disances dont l'Hôlel de Bourgogne eût été scan-
dalisé.
C'est lors, Sire, que le Père Gucrin fit un voyage exprès
en Bretagne, pour suborner des témoins contre moi, ce
APPENDICE 2/|7
que je vérifierai par ilcs Conseillers de la Cour du Par-
lement de Hennés, cl lui-niônic a eu l'audoco de d»'poscr;
mais il n'a osé soutenir In confrontation. Le Père Cliaillou,
supérieur des Minimes, qui est en réputation d'avoir bon
sens cl bonne conscience, représenta à ses Confrères les
nlTrunls que ce détracteur taisait ordinairement à leur
couvent, si bien qu'on se résolut de le faire sortir de
Paris, où ses imprudences se faisoieiit avec trop d'éclat. Je
serais bien heurcu.\, si les comp{)t;'n()ns du Père Garasse
naavoicnt donné sujet d'un rcsscntinjcnl pareil. Le Père
Marg^aslant, supi'rieur des Jésuites de Paris, après m'avoir
dit plusieurs injures dans son collette, s'en alla solliciter
Monsieur le Lieutenant Civil, pour faire donner main-
levée aux imprimeurs, de ce ramas de bouffonneries et
d'impiétés de Garassus, quej'avois fait saisir. Le P. Voi-
sin a été chez plusieurs de mes Jujçes à leur demander
ma mort pour la défense de la Vierge et des Saints, dont
il leur rccommandoit la cause. Et voilà. Sire, tout le
fondement de ces crieries impudentes dont ils ont si
longtemps agile mon innocence, et tout ce que ce long
travail de persécution a pu produire contre moi.
La Cour ayant député ^Messieurs de Pinon et de Ver-
lamond, pour instruire mon procès, on me fit sortir du
cachot où j 'a vois été six mois sans voir la clarté, et on
m'amena devant eux dans la salle de saint Louis, où le
grand air m'éblouit d'abord, et faillit à me faire pâmer;
après avoir levé la main et dit mon nom, mou pays,
mon îîge et ma profession, on me demanda si j'étois
catholique romain, et si je l'avois toujours été. Je répon-
dis qu'il y avoit peu de temps que j'étois catholique,
cl qu'auparavant j'avois toujours fait profession de la
248 THÉOPHILE
religion prétendue réformée. Oue je m'ctois instruit en
la foi romaine par les conférences du Père Athanase,
du Père Arnoux, et du Père Seguirand, entre les mair.s
de qui j'avois fait mon abjuration. Monsieur de Pinon
me remontra que j'avois mal fait mon profit des ins-
tructions de ces bons Pères, et que j'étois tenu pour un
homme qui ne croyoit autre Dieu que la nature. Je répli-
quai que j'étois tenu pour très homme de bien par tous
ceux qui me connaissoient, et que mes accusateurs par-
loient sans preuve ni apparence, et qu'ils étoient calom-
niateurs et imposteurs. Monsieur de Vertamond, contri-
buant peut-être un avis à ma justification, repartit qu'il
n'y avoit point d'apparence que je fusse un athée, puis-
que pour faire voir au public que j'avois des sentiments
de la divinité tel qu'un chrétien les doit avoir, j'avois
fait un livre de l'Immortalité de l'Ame, qui rendoit rai-
son de ma créance.
Cela étoit dangereux pour un étourdi ou pour un mé-
chant ; mais moi qui avois l'esprit tendu à ma justifica-
tion, et qui, pour ne m'égarer, n'avois autre chemin à
suivre que celui de la vérité, je répondis que je n'avois
point composé ce livre-là, que c'étoit un ouvrage de
Platon, que je l'avois traduit sans m'éloigner du sens de
l'auteur, et que ce n'étoit point par où je rendois raison
de ma foi; que pour montrer que j'étois chrétien, j'allois
à la Messe, je communiois, je me confessois. On m'allé-
gua quelques passages de ce traité, dont je me suis en-
tièrement justifié.
Saint Augustin, qui ne parle jamais de Platon sans
admiration, m'a fourni de quoi faire approuver la peine
que j'ai prise en cette traduction. Après l'examen de
APPENDICE 2.'J9
celle version ou paraphrase sur l'immortalité de lame,
oa ne me trouva convaincu, je ne dis pas. Sire, d'une
inipiclé, mais non pas seulement de la moindre irrévé-
rence contre l'Eifiise ; même il y a plusieurs endroits
(jue j'ai en quelque façon déguisés pour les tourner à
l'avanlaçe de notre créance.
Les libraires ont imprimé ensuite de ce traité quan-
tité de mes vers, avec les ignorances que j'y ai laissées
cl avec les crimes <iue mes ennemis y ont ajoutés; j'ai
éclairci la Cour de tout ce qui étoil de ma composition,
cl remlu toutes mes pensées manifestement innocentes.
On m'apporta d'antres faits sur la prose d'un second
tome imprimé en mon nom, mais je fis voir clairement
l'impertinence des accusateurs, qui, par des subtilités
scolastiques, avoient embrouillé le sens de mes écrits, et
d'une malice aveuglée, pensant profiter de mon peu de
mémoir(', produisoicnt des périodes imparfaites en des
choses où le mécompte d'une syllabe peut d'une pensée
innocente faire un crime.
Messieurs mes commissaires étoient bien aises que j'é-
vitasse les surprises, et se montrèrent toujou.-s aussi
prompts à me justifier (ju'à me convaincre. Après que
je me fus purgé de tout ce qu'on pouvoit reprendre ou
soupçonner contre moi, dans ces deux tomes qui portent
mon nom, on me présenta un livre intitule, le Parnasse
des vers sali/riques dont j'étois accusé d'avoir compilé
les rapsodies et les avoir mises en vente. J'apportai
pour ma défense la sentence du Prévôt de Paris, obtenue
contre les imprimeurs, et suppliai la Cour de considérer
que j'étois le premier de ma profession qui, par une
aft'ection aux bonnes mœurs et pour oter le scandale
20 0 THEOPHILE
public, avoit fait supprimer de telles œuvres. Ayant
annulé toutes les charges que ces livres me pouvoient
mettre sus, je croyois avoir fini les interrogatoires qui
furent de trois journées, et m'attendois à jouir du pri-
vilèiçe d'uii peu d'élargissement qu'on ne me pouvoit
refuser selon les formalités du Palais; mais l'hypo-
crisie effi'ontée de ceux qui sollicitoient ma mort,
avoit rendu mon affaire de telle importance, et fait
estimer ma délivrance si dangereuse qu'il fallut donner
haleine aux calomniateurs, et leur accorder la licence
de redresser les embûches que j'avois évitées jusques-
là. On me remit dans le cachot pour quatre mois,
durant lesquels les guichetiers me continuèrent leurs
inhumanités avec tant d'excès qu'on eût jugé qu'ils crai-
gnoient plus mes ennemis qu'ils ne respectoient leurs
maîtres. A la seconde attaque, qui fut de quatre jour-
nées en nouveaux interrogatoires, on me représenta
plusieurs manuscrits, et de mes amis et de moy, oii il
ne se trouva. Dieu merci, non plus de crime qu'aux accu-
sations précédentes. Le Père Garassus avoit malicieuse-
ment altéré quelques vers en mon Elégie à Thyrsis, dont
je me suis justifié par mon manuscrit, qui s'est trouvé
tout contraire à l'imprimé de ce faussaire. Tout ce que
j'ai composé et avoué est encore dans le greffe. Si j'étois
assez heureux pour le faire confronter à la supposition
de Garassus, lui qui fait tant du subtil, et qui profane
si impudemment la dignité de sa profession, se trouve-
roit convaincu d'une fausseté punissable du feu, aussi
bien que son Compagnon, qui se trouve coupable d'avoir
suborné des témoins, et dont la conviction est à la con-
noissance de la Cour. Permettez-moi, Sire, de vous dé-
APPENDICE
couvrir cette imposture, et prenez la peine d'ouïr les fri-
voles et l'alomnieuses dépositions des principaux qui
m'ont été confronttjs. Le premier se nomme Anisé, avo-
cat, qui se fit liii-miinc tant de reproches et se coupa
si souvent, que ^lonsieur de Vertamond ne se put tenir
de rire de ses absurdités. Cet homme-là, qui me fut
confronté avec la gravité de la robe et du bonnet carré,
lémoignoit m'avoir ouï dire que<[uand je couchois sur la
dure cela me meltoit en humeur. Ces impertinences me
l'ont rougir, et supplie très humblement votre Majesté de
pardonnera la nécessité qui m'oblige à les dire jiar leurs
termes, et non par les miens. 11 ajoutoit encore que
certain Pavicj à qui je n'ai jamais parié, l'avoit entretenu
de ([uelques discours profanes qu'il suppo-oit venir de
moi. Le sens en étoit, que je disputois si l'âme étoit dans
le sang. C'est un discours de philosophie dont je ne suis
point capable, il ne m'importe qu'elle soit dans le sang
ou ailleurs, pourvu qu'au sortir du corps je sois assuré
qu'elle ne perd point son être. Le second témoin est un
homme vagabond, et sans autre appui (pie du P. Voisin,
qui la entretenu aux écoles depuis douze ans ; il se
nomme Sajot, son père le déshérita pour d'étranges re-
bellions qu'il lui avoit laites dès l'âge de seize à dix-sept
ans, et couroit risque de passer sa vie dans de grandes
nécessités s'il ne se fût rendu agréable au Père Voisin,
qui se joignit à lui d unearteclioii fort particulière, quoi-
que ce garçon fût alors dans uue rc'putalion très hon-
teuse. Depuis le commerce qu'il eut avec ce religieux, il
n'amenda point sa vie, car les débordenneuts qu'il conli-
nuoit, au scandale du collège, lui tirent interdire la con-
versation de quelques écoliers de la Flèche qu'il avoit
2.52 THÉOPHILE
tâché de corrompre. La contrainte de lui donner des
reproches ma fait dire quelques-unes de ses infamies
qui l'ont fait pleurer à la confrontation ; et d'autant que
les larmes ne se peuvent pas écrire, le Greffier, qui est
homme de bien, témoig-nera cette vérité. Sachant bien que
la trahison lui seroit inutile si je venois à la découvrir
pour ce que je savois bien ses crimes, il changea son
nom et son pays, ce qui mérite punition exemplaire.
Nonobstant ce déguisement, le regardant fixement aux
yeux, il me revint quelque image d'une personne que des
accidents très notables avoient rendu signalé : Tayant
reconnu, je dis modestement quelques secrets de sa vie,
assez capables d'aifaiblir sa déposition. 11 ne nia point
qu'il n'eût été en ses jeunes ans disciple du P. Voisin ,
avoua que, depuis leur première reconnoissance, ils s'é-
toient entretenus d'une amitié très étroite et d'une con-
fidence qu'ils n'ont jamais interrompue, qu'ils avoient
communiqué ensemble les accusations contre moi, et que
le Père Voisin l'avoit induit à déposer. Il y avoit pour le
moins quinze ans que je n'avois vu Sajot. Il dépose que
depuis trois ans, il m'avoit ouï dire des vers sales et
profanes, dont, à la vérité, il ne se souvient point; il
m'accuse notamment avoir dit que je ne croyois autre
chose que Jésus-Christ crucifié, et infère de là que je
tiens les cérémonies de l'Eglise peu nécessaires. Je le '
pressai de me nommer le lieu où il prétendoit m'avoir ^
vu, en présence de qui, en quel jour, et à quelle heure i
j'avois parlé à lui, il répond qu'il n'en sait rien, et con- j
fesse toujours que le Père Voisin lui a dit qu'il étoit |
obligé de déposer contre moi. II se trouve. Sire, que cet ,
homme-là est aux gages du Père Voisin, qu'il est neveu
ArPENDICE 253
il'une Ds-tne Mercie, qui contribue aussi à la nourriture
de Sajot. Celle femme est confidente du Père Voisin et
du Prévôt le Blanc. "car aussitôt que je fus pris, le Blanc
s'en conjoait par lettre avec le P. Voisin, et adressa son
paquet à la Dame Mercie, qui comnuiiiique ordinairement
avec ce Religieux. La lettre m'est tombée entre les mains.
11 y avoit entre autres termes de respect pour ce Père,
qu'il m'avoit si soigneusement veille qu'enfin il m'avoit
attrapé, selon le commandement qu'il en avoit reçu de
Sa Ilévérence. Il me fut encore confronté un sourd, nommé
Bonnet, avocat à lîourçcs, qui déposoit m'avoir ouï dire
en la présence du Père Philippes, capucin, qu'il y avoit
dos gens qui se rcpcnliroient de m'avoir tiré de la dé-
hanche. Le Père Philippes a rendu des témoignages
tous contraires à cette imposture.
Tous les autres témoins, hormis un que je dirai après,
ne m'accusent point de m'avoir jamais vu faire ni ouï
dire quelque chose de repréhcnsible. Ils ne connoissent
pas même ma personne, et n'ont autre instruction que les
livres et les sermons de mes accusateurs. Ici je ne me
puis taire de l'intégrité de monsieur le Procureur Géné-
ral, qui ayant pris le soin d'en examiner quelques-uns,
même des libraires, qui confessent avoir pris part en
l'impression du Parnasse Satyrique, il a si bien sondé
cette vérité que tous les témoins qu'il a produits n'ont
parlé qu'à ma décharge.
Celui qui reste se résout de me faire un pur assassi-
nat, car, sans accompagner sa déposition d'aucune cir-
constance, ni couvrir d'aucun prétexte les calomnies
qu'il m'improperoil*, il fit une copie de tout ce qui est
de plus exécrable dans le Parnasse, et sans m'accuser
2^4 THE0P5HLE
toutefois d'avoir rien contribué à la composition, il me
soutint en justice qu'il avoit appris par cœur ces vers
infâmes à me les ouïr dire plusieurs fois, et en diverses
compagnies où il avoit eu ma fréquentation, depuis dix
ou douze ans qu'il disoit me connottre. Je n'eus point
d'autre reproche à lui faire, sinon que je ne le connois-
sois point du tout, et priai monsieur de Vertamond de
lui faire dire le lieu et les personnes qui peuvoient faire
foi de sa déposition. Il ne sut dire ni rue, ni maison où
il m'eût vu, ni ne se peut ressouvenir d'un seul homme
parmi tant de conversations. Là je priai la Cour de con-
sidérer que cet homme, incapable de se ressouvenir des
maisons et des personnes, qui sont objets fort apprélien-
sibles à la mémoire, n'étoit pas croyable de se ressouve-
nir d'un vers, qui n'est qu'un son; et je le voulus obliger
d'en réciter quelqu'un, mais le témoin se trouva muet.
Je m'aperçus encore que, dans les premiers interrogatoi-
res, on m'avoit représenté une ligne de prose pour un
vers, ce qui me donna des ombrages d'un faux témoin.
Je trouvai dans cette déposition ce vers-là, qui étoit failli
tout de même dans l'impression du Parnasse Salyrique;
si bien qu'il appert clairement qu'il a retenu cette faute
des imprimeurs et non pas de moi, pour ce que les moins
versés dans la Poésie ne sauroient faillir en la mesure
des syllabes. La condition de la personne rendoit aussi
son témoignage très suspect, car un homme de sa sorte
ne se trouve pas ordinairement à ouïr des vers ; c'est un
boucher de la rue Saint-Martin, nommé Guibert. Voilà,
Sire, la somme de toutes les charges qui ont si longtemps
entretenu les espérances orgueilleuses de quelques hypo-
crites, qui ne savent montrer leur dévotion que par la
APPENDICE 20.-)
cniautr, cl q\ii croient que, hors> de leur cabale, il n'y a
point de salut. Us murmurent encore après mon arrêt, et
ne se peuvent satisfaire de la justice de Dieu et de celle
(lu Parletncnt, parce qu'ils n'ont pas du tout accompli
leur haine. Ils cherchent tous les jours des prétextes nou-
veaux à rallumer leur persécution, font courir en mon
nom des vers mal faits et malicieux, qui déshonorent la
réputation de mes mœurs et de mon esprit...
TlllioPUlLE.
IV
LEXIQUE
AccOMi'AUER (S'). — Encorc usité quelquefois au xvn»
siècle, pour comparer.
AVETTE. — Pour abeille. Déjà fort archaïque au xvii'' siècle.
DRANLAM . — Un œil branlant, qui remue constamment,
hagard.
BRioNO.N. — Se disait concurremment avec brugnon.
Cf. Richclet.
CARROSSE (La). — Premier genre de ce mot, qui est l'ita-
lien carrocca.
CATERRE. — Forme plus usitée au xvii« siècle que
catarrhe. De même, giiiterre i>o\xr tjui tare.
COMMUNE (La). — Le peuple, le vulgaire.
CONSOMMER. — Lcs nuanccs entre consumer et con-
sommer ne sont pas encorc déterminées au temps
de Théophile. Plus tard, Corneille hésitera encore.
COKAL. — Forme ancienne de corail, très usitée au
xvu" siècle.
200 THÉOPHILE
€OUPEAu. — Cime. Corneille : « Un passereau — Qui
d'un arbre écarté s'est choisi le coupeau. » [Imi-
tation.)
couRO^■^"E. — Royaume. Cf. trois vers plus bas ; Petit
empire.
CROÎTRE. — Se prononçait craitrc et rimait donc avec
paraître qui avait le son actuel.
ÉcoT. — Théophile semble donner à ce mot le sens de
festin, régal.
ÉcuRiEu. — Forme dialectale de écureuil. Se trouve
dans Rabelais. Cf. Jaubert, Glossaire.
ÉLOIGNER. — Est encore employé au xvu" siècle au sens
de s'éloigner de. Donc, CLtte contrainte d'éloigner
votre cour veut dire : De m'éloigner de votre cour.
EMPÊCHER. — Embarrasser.
EMPIÉTER. — Est, au sens actif, un terme de fauconne-
rie : tenir entre ses serres.
ÉPARTiR. — Séparer, répandre.
ÉTUDE. — Se faisait encore masculin : Studiam.
EXQUIS. — Raffiné. Cf. Bossuet : « Un supplice plus
exquis ».
FAVEUR. — A la faveur de doit se comprendre en fa-
veur de, et à ma faveur signifie en ma faveur .
FUIR. — Se faisait encore parfois de deux syllabes.
GOMME. — Les larmes des Héliades changées en ambre.
HYDROMELLE. — Cette formc, pour hydromel, se ren-
contre au xvi" siècle.
iGAOMiNiE. — Doit être entendu en un sens moins bas que
maintenant.
IMPOURVUE (A 1'). — Au dépourvu, à l'improviste.
APPENDICE Sjy
iMi'Hoi'LKKii. — C'est du pur laliii : improperare, repro-
cher, imputer : € Dont il m'impropiToil », dont il
me chargeait.
INFAMIE. — Même remarque que pour Ii/noniinie.
Li.NE. — Ligne. Orlhofrraphe conforme i» la prononcia-
tion du xvii» siècle. Bénigne, Cggne, ligne, maligne,
signe, signet se prononçaient bénine, cyne, Une, ina-
line, sine, sinct. Ce dernier mot, signet, a rt'sisté.
MALiNR. — Voyez Line.
MAHïYUEK. — Martyriser. Richelet dit que marigrer est
vieux et que martyriser, au sens profane, n'entre pas
dans le beau style. On n'employait que tourmenter.
MÉMOiuE (De la). — Dont on ail gardé la mémoire.
MEURE. — Mûre, fruit. Se prononçait comme mainte-
nant et ne pouvait rimer que pour l'œil avec demeure.
NAVIRE (La). — Bossuet fait encore navire du féminin.
oïl». — Ancienne forme de ouïr. De là : oy,foy, il oit,
j'oirrai. Nous avons conservé oyez et oyant, etc.
Dans la coojugaison actuelle, fort irrégoilicre, les
deux formes ouïr et oïr sont mêlées, ce qui donne :
ouï et nous oyons.
OMBRAGEUX. — Cousidéré comme incorrect, au sens de
ombreua:.
ORFRAIE. — Il s'agit de Veffraie ou fresaie, variété de
chouette. L'orfraie est un oiseau de mer. Cette confu-
sion est générale, depuis des temps très anciens, dans
la littérature française, si générale qu'il faudra peut-
être finir par en prendre son parti. Il semble d'ail-
leurs vraisemblable [que effraie ne soit que la défor-
mation de orfraie, sous l'influence de effrayer. Le
retour à os/raie ou or/raie (latin ossifraga) aurait
«7
258 THÉOPHILE
été l'œuvre des t tymologistes amateurs qui ont, de
tout temps, ravagé la langue française.
OL'RSE. — Perdre son ourse. Nous disons: Perdre le
nord. L'étoile polaire, qui marque le nord, se trouve
dans la Petile-Ourse.
OUVRIER. — Se prononçait de deux syllabes.
l'AviE. — Variété de pêche.
j'AVSAx, — De deux syllabes : Prononciation dialectale,
toujours en usage en beaucoup de régions.
PERDRIEZ (Vous). — Dc deux syllabes.
PORTAL. — Pour portail. C'est encore la forme courante
au xvi" siècle.
pouRMENER. — Forme archaïque de promener.
QUE c'est. — Ce qu'il en est.
RAIS. — La forme régulière serait rai, pluriel rais.
RELACHER. — Théophile emploie ce mot au sens d'é-
chapper.
RENGRÉGER. — Acfgruvcr : « Ma douleur se rengrége »,
a dit Régnier.
REPARTIR. — Répondre.
ROKSART. — La vraie forme est Ronsard.
SANGLIER. — Etait encore de deux syllabes.
SEMELLE. — Sémélé.
SEMONDRE. — Avertir.
SOULAS. — Encore employé par Corneille : « Vain et
faible soûlas. »
TAKDis. — Adverbe : Pendant cela.
TESTOx. — Pièce de monnaie qui valait alors une quin-
zaine de sous.
TIRASSE. — Filet.
APPENDICE 269
V
BIBLIOGRAPHIE
^ Ici-, — Œuvres de Théophile, ou attribuées
à, Théophile, ou concernant son procès
Le Catalogue de la Dibliothiqur du l'oij, 1750, donne
la liste suivante des œuvres de Tliéopliiic, ou qu'on lui
attribuait, ou qui le concernaient :
1. Les œuvres de Théophile; Lyon, iG3o.
2. Les œuvres de Théophile ; Rouen, if)3G.
3. Nouvelles œuvres de Théophile, composées d'excel-
lentes lettres fran(;oises et latines, recueillies et corrigées
parM. Mayret; Paris, 1G48 (Portrait par Danet).
4. Les œuvres de Théophile; Paris, iG36.
5. Les œuvres de Théophile; Paris, 1C61.
6. Le tableau salyrique des Pères de la Société, en
vers, par Théophile.
7. Recueil de toutes les pièces faites par Théophile,
depuis sa prise jusques à présent; tG34.
8. EloE^e du duc de Luynes, avec l'avis au Roy, par
Théophile; 1G20.
9. Vers présentés au Roysur l'exil de Théophile; 1620.
10. Les Aventures de Théophile au Roy, par lui faites
pendant son exil ; 1624.
1 1 . La Remontrance à Théophile ; 1620.
12. Plainte de Théophile à un sien ami pendant son
absence; i6a3.
26o THÉOPHILE
i3. Réponse de Tircis à la plainte de Théophile, pri-
sonnier, en prose ; 1G23.
i4- Théophile au Roy sur son exil; 1624.
i5. Dialoj^ue de Théophile à une sienne maîtresse, l'al-
lant visiter en prison, en vers ; 1624.
16. La Maison de Silvie, par Théophile; 1624.
17. La Pénitence de Théophile; 1G24.
18. Prière de Théophile aux poètes de son tennps, en-
semble la compassion de Philolhée aux misères de Théo-
phile; 1624.
ig. Requête de Théophile au Roy; 1624.
20. Requête de Théophile au Parlement, en vers; 1624.
ai. Requête de Théophile à M. le Premier Président,
en vers ; 1624-
22. La Rome ridicule, caprice; 1628.
28. Les soupirs d'Alexis sur la retenue si longue de
son ami Théophile ; i6a4-
24. La tragédie de Pasiphaé, par le sieur Théophile ;
Troyes, 1621.
26. Vers pour le ballet des Bacchanales, par Théo-
phile Viaud, Marc Ant. de Gérard de Saint-Amant, du
Vivier, Sorel, Bois-Robert Metel ; 1628.
Un recueil factice du temps contient les pièces sui-
vantes :
26. La Prise de Théophile par un Prévôt des maré-
chaux, dans la citadelle du Castelet en Picardie, amené
prisonnier à la conciergerie du Palais, le jeudi 28 de ce
mois (septembre) ; 1628.
27. Theophilus in carcere ; 1624.
28. Consolation à Théophile en son adversité; 1624.
Ari"KM>li;K 20 1
?ij. Les Larmes de Tliéopliile prisonnier, sur l'cspi;-
rance de sa liberté; iGî/|.
3o. Apologie de Théophile.
Ajoutons, d'après Niceron, .Mémoires, tome XXXV'l :
3i. Lettre de Damon envoyée à Tircis et à Théophile,
ausujot de sou interrogatoire du 18 novembre iGaS ;iG23.
32. Arrêt de la Cour du Parlement ; 1623.
33. Atteinte contre les impertinences de Théophile,
ennemi des bons esprits ; i6î4.
34. L'apparition d'un fantôme à Théophile dans les
sombres ténèbres de sa prison ; ensemble les {)ropos te-
nus enire eux ; 1G34.
35. Récit de la mort et pompe funèbre observée aux
obsèques du S' Théophile; 1G2G.
3G. Discours remariiuabic de la vie et mort de Théo-
phile; iGr>G.
37. Le Testament de Théophile; 1G2G.
38. La rencontre de Théophile et du P. Coton en
l'autre monde ; 1G2G.
3(j. L'ombre de Théophile apparue au P. Garasse;
iGaO.
4o. I''asiphaé, tragédie, revue, corrigée et embellie,
^c. ; i6a8.
Ajoutons encore, d'après les catalogues actuels de la
Bibliothèque Nationale :
4i. Le bannissement de Théophile présenté au Roi ;
lOao.
4a. Le Théophile réformé ; 1G23.
43. Procès-verbal de l'emprisonnement de Théophile;
1623.
262 THÉOPHILE
44- Lettre consolaloire à Théophile ; 1G23.
45. Le Sacrifice des Muses, par le sieur H. Théophile,
frère du défunt Théophile ; 1627.
46. Répouse du sieur Hydaspe au sieur de Balzac,
sous le nom de Sacrator, touchant l'Anti-lhéophile et
ses écrits ; 1624.
47. Factum de Théophile ; ensemble sa requête, etc. ;
1625.
48. Consolation sur la résolution de la mort ; ensemble
l'adieu du monde, adressé aux beaux esprits de ce temps;
1625.
49. Miroir de la cour, sur lequel les revers et lincons-
tance de la fortune se voient, adressé au sieur Théophile;
1625.
50. Le Théâtre de la fortune des beaux esprits de ce
temps; ensemble l'action de grâce sur la liberté de Théo-
phile; 1G25.
5i. Le triomphe de Minerve, par les muses d'Hippo-
crène, sur l'heureuse liberté du sieur Théophile ; 1626.
.52. La honteuse fuite des ennemis de Théophile après
sa délivrance ; 1625.
53. L'oraison funèbre de Théophile, avec la défense
des Jésuites ; 1626.
54- Discours remarquable sur la vie et la mort de
Théophile; 1626.
55. La mélemphycose (sic) de Théophile, ou le trans-
port de son ombre en divers corps ; 1626.
56. La descente de Théophile aux enfers; 1626.
57. La première lettre que Théophile a envoyée de
l'autre monde à son ami; 1626.
Ajoutons encore ;
AITENUICIC 2ti3
58. Le Parna.sso des iniises salyriques: iGa^. Ri'im-
priiui- ru iti:i7 sdiis le lilro, (|iii lui est rcsl<'-, de : Par-
nasse satjriquc du sietir ThfO|iliile,
Si). i.i'S Amours trafiques de Pvrame et Thisl)é; i6a6,
iàs7 el iti3o. ^iielijiies exemplaires de rédiliou de iGaG
portent ce titre singulier ; La Traç^die de Monsieur de
Vendôme el monsieur le grand Prieur, son Frère, dans
le bois de Vincciincsà leur c^rand regret. Faict par Théo-
phile devant que de mourir.
La première édition colleclive des poésies de Théophile
est lie i("iai :
fio. Les Œuvres de Théopiiile ; Paris, QucsncI, iGai.
Vinrent ciisuile :
61. Les (Euvres de Tliéo[iliiIe ; iGaa.
6a. (.Euvrcs de Thi'opliile. revues, corrigées et aug-
mentées. Parties I et JI. Paris, Billaine, i6i>.'}.
G.3. Recueil, etc. (Vo3'ez n» 7). Réimprimé en iCa»,
iGsG el 1637.
6/). Œuvres de Théophile, divisées en Irois parlies;
Paris, Rillaine et Ouesnel, 1626; Rouen, Delamasse, 1G27,
iGaS, 1G29; Paris, iOîq ; Lyon, Alichon, iG3o (Portrait
par Palliotl.
(T). Œuvres de Théophile. publiées par Sciuléry; Rouen,
Oelaman,tG33. — Cetle édition a élè réimprimée de iGS^J
à 1677, tant à Pnris(pi'à Lyon, à Rouen, àlîûrdeaux, etc.,
environ cinijuanle fuis.
C6. Œuvn-s complètes de Théophile, publiées avec une
notice bioijraphique par .^L .\lleanme; Paris, iS.'jG, 2 vol.
in-iG. — Cette édition contient :
I. Préface de Scudéry. Préface de l'auteur. Le Tom-
beau de Tiiéophile, par Scudcry. De l'immorlaiité de
204 THÉOPHILE
l'âme. Odes, stances, élégies, satires, sonnets, épigram-
mes. Larissa. — II. Au Lecteur, par Théophile. Frag-
ments d'une histoire comique. Elégies, sonnets, odes,
stances. Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé,
tragédie. Les Requêtes et autres poèmes apologétiques.
La Maison de Sylvie. Theophilus in carcere. Lettres à
Mole, à Balzac et au Roi. Nouvelles Œuvres de Théophile-
Dédicace et Avis, par Mairet. Soixante-douze lettres en
français. Epître d'Actéon à Diane. Vingt-quatre lettres
latines. Pièces du Parnasse satyrique attribuées à Théo-
phile.
I 2. — Autres écrits anciens, où il est
question de Théophile
67. La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps
par Fr. Garasse; 1628.
68. Apologie du P. Fr. Garasse; 1624.
69. Nouveau jueement de ce qui a été dit ou écrit pour
et contre le livre de la Doctrine curieuse ; 1625.
70. Recueil des pièces les plus curieuses qui ont été
faites pendant le règne de M. le connétable de Luynes ;
1628.
71. Lettres de Phyllarque, par le P. Goulu; 162..
72. ISIémoires de Mathieu Mole (Société de l'histoire de
France).
78. Mercure français ; 1619 et 1626.
74. Mémoires de Garasse, publiés par Ch.Nisard ; 18G1.
70. Bibliothèque française, par Ch. Sorel; 1664.
APPENDICr.
265
711. Jugoincnls des Savants, par Baillet ; iGS.').
77. Anli-Baillct, par Ménage; lûgo.
78. Mémoires pour servir à l'iiisloirc des hommes
illustres, parle P. Niceron; 1727-1745.
7g. Bibliothèque fran(;aise, par l'abbé Goujet ; 1740-
55 3.
Travaux modernes sur Théophile
80. Th. Gautier, les Grotesques.
81. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi.
8ï. rhilarète Chasles, Revue des Deux Mondes; iSSg.
83. Bazin, Revue de l'aris ; i83r).
84. Vicomte de Gaillon, Bulletin du Bibliophile ; i855,
85. Allcaum^ (Voyez n» GC)).
8G. D' Kaethe Schirmacher, Théophile de Viau; Leip-
sik, 1897.
87. Ch. Garrison, Théophile et Paul de Viau ; 1899.
88. Eugène Rittcr, Revue d'Histoire littéraire de la
France ; 1902.
^
(T
TABLE DES MATIÈRES
>-oriCE
5
LIVRE PREMIER
ODES ET ST.ANCES
LE MATIN, ode : 21
LA SOLITUDE, odc 24
SUR UNE TEMPÊTE 3-1
ODE (Heureuse tandis qu'il est vivant'' 35
A ruiLis, stances 36
STANCES {Mon espérance refleurit] 37
STANCES {Quand lu me vois baiser tes bras) 38
CONSOLATION A .m"" DE L 4°
ODE (L' infidélité me déplait) 43
ODE (Enfin mon amitié se lasse) 44
ODE {Un corbeau devant moi croasse) 4^
STANCES [Le plus aimable jour qu'ait jamais eu le
monde) 46
268 THÉOPHILE
ODE [Perfide, je me sens heureux) 4?
ODE [Claris, pour ce petit moment) 5i
PRIÈRE AUX POÈTES DE CE TEMPS 53
LETTRE A SON FRÈRE 67
A ciiiRON MÉDECIN, stanccs 64
A MONSIEUR DE L... SUR LA MORT DE SON PÈRE. .... O7
LIVRE H
ÉLÉGIES ET SONNETS
ÉLÉGIES :
A UNE DAME 72
Aussi souveni qu'amour fait penser à mon âme. . 78
Souverain qui refais l' influence des vers 81
Claris, lorsque je songe, en le voyant si belle. . . 88
Depuis ce triste jour qu'un adieu malheureux . . . 91
Proche de la saison où les plus vives Jleurs 95
SONNETS :
Tonorgaeil peut durer au plus deux outrais ans. 100
L'autre jour, inspiré d'une divine Jlanime 100
Si quelquefois Amour permet que je respire loi
SONNET DE THÉOPHILE SUR. SON EXIL 103
SUR LE MÊME SUJ ET I o3
On n'avait point posé les fondements de Rome. . . io4
MinisLr£ du repos, sommeil, père des songes.... io5
Au moins ai-je songé que je vous ai baisée io5
D'un sommeil plus tranquille âmes amours rêvant. io6
Chère Isis, tes beautés ont troublé la nature 107
Sacrés mars- du soleil où j'adorais Philis 1 08
TAiii.E ni:s .MATii;ivES ;>.0(j
LIVIiE III
LA MAISON Di: SYLVIE
ODES 1 09
LIVRE IV
PIÈCES DIVERSES
A MONSIEUIX Df KARCilS. . I 55
SATIHE rnEMikni: 1 58
SECONDE SATIRE lC3
Sun UN BALLET DU ROI l66
FHAC.MIC.MS :
Si je passe en un jardinage 1 68
Les objets tVctranfje figure 16;)
Celui qui lance le tonnerre 1 70
La paix, trop longtemps désolée 172
Chaque saison donne ses fruits 173
Tous nos arbres sont dépouillés 1 75
Lorsque l'aube ensuivant la nuit qu'elle a chassée. 17O
Que mon sort ëloit doux s'il eût coulé mes ans.. 177
EPIGUAMMES :
Grâce à ce comte libéral 1 79
Qui voudra pense à des empires 180
Mon frère, je me porte bien 180
Pour être divine et humaine j8i
Je naquis au monde tout nu 181
LES AMOURS TBAGlyVES DE l'YRAME ET THISBÉ (Frag-
mcnls) 181
270 THEOPHILE
FRAGMENTS d'cNE HISTOIRE COMIQUE IQO
LARISSE 197
APPENDICE
BIOGRAPHIE 207
JUGEMENTS LITTÉRAIRES 2l5
LE PARNASSE SATYRIQOE 229
LEXIQUE 255
BIBLIOGRAPHIE 258
ACHEVE D- IMPRIMER
le cinq avril mil neuf cent sej.t
l'.vn
BLAIS ET ROY
A l'OITIEnS
pour le
MERCVRE
DE
FRANCE
MERCVRE
DE FRANCE
(Série modtrn»)
26, R«E DE CONDÉ. PARIS
paraît le i""" et le i5 de chaque mois
Littérature, Poésie, Théâtre, Musique
Peinture, Sculpture, Philosophie, Histoire
Sociologie, Sciences, Voyages, Bibliophilie
Sciences occultes
Critique, Littératures étrangères
Revue de la Quinzaine
Le Mercure de France occupe dans la presse une
place unique : il est établi sur un plan très différent
de ce qu'on a coutume d'appeler une revue, et cepen-
dant plus que tout autre périodique il est la chose que
signifie ce mot. Les deux tiers au moins des matières
qu'il publie ne sont jamais réimprimées : il garde
ainsi une inappréciable valeur documentaire.Etcomme
il est attentif à tout ce qui se passe, à l'étranger aussi
bien qu'en France, dans presque tous les domaines,
il présente un caractère encyclopédique du plus haut
intérêt.
VENTE ET ABONNEMENT
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Le numéro.. 1 fr. 25
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POITIERS. — IMP. BLAIS ET ROY.
La Bibliothèque The
Université d'Ottawa Universij
Echéance Date
1 3:
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CE PC 1933
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