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Full text of "Théâtre de Meilhac et Halévy"

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THEATRE 


MEILHAC  ET  HALEVY 


II 


COULOMMIERS 
Imprimerie  Paul  BRODARD. 


THEATRE 


DE 


MEILHAG  ET  HALEVY 


1)  E     L    A  C  A  D  E  .\r  I  E      F  R  A  N  T.  A  I  S  E 


II 


LA   PETITE  MARQUISE 

LA  VEUVE 

LA    GRANDE    DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN 

-    L'INGENUE 

LES    SONNETTES 


PARIS 

CALMAXX   LEVY,   EDITEUR 

3,    RL"E    ALBER,     3 


Droits  de  tradnclion,  de  reproduction  et  de  representation  reserves  pour  tons  les  pays, 
y  compris  la  Suede,  la  Norrege  et  la  Uollande. 


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LA  PETITE  MARQUISE 

COMEDIE   EN   TROIS   ACTES 

Representee  pour  la  premiere  fois,  a  Paris,  sur  le  Theatre  des  Variktes 
le  13  fevrior  1874. 


PERSONNAGES 


LE  VICOMTE  MAX   DE  BOISGOMMEUX.    .  MM.  Dupuis. 

LE  MARQUIS   DE  KERGAZON Barok. 

LE  CHEVALIER Blondelet. 

MOUCHE BoBDiER. 

JOSEPH,  doracstiquc Coste. 

URBAIN,  id Lebrun. 

TURQUET ViDEx. 

HENRIETTE,  MARQUISE  DE  KERGAZOX.  M""^'  Celine  Chaumont. 

JULIETTE Berthal. 

MARTINE Granville. 

GEORGETTE • •   .    .   .  Bode. 

U.NE  FEMME  DE  CHAMBRE. 


Le  premier  ct  le  troisifemo  acto  a  Paris ;  le  deuxicmc  a  la  campagno, 
dans  le  Poitou.  —  De  nos  jours. 


LA 

PETITE    MARQUISE 


ACTE  PREMIER 


Chez  la  Marquise. 

Un  salon.  —  A  gauche,  an  premier  plan,  une  cheminee;  au  Jcuxieme, 
line  porte;  au  troisicme.  une  console.  — A  droitc,  au  premier  plan,  un 
bonheur  du  jour:  au  deuxicme,  une  parte:  au  troisiomc,  une  console.  — 
I)es  lamjies  allumces  et  des  statuettes  sur  Ics  consoles.  L'nc  pendule  et 
deux  canddlabrcs  allumes  sur  la  cheminee;  a  cote  de  I'un  de  ces  can- 
delalires,  un  petit  bougeoir  non  allunie.  —  A  gauche,  devant  la  che- 
minee, une  table,  et.  sur  cette  table,  du  papier,  deux  ou  trois  gro.s 
livres  tout  ouvcrts :  prcs  do  cette  table,  un  lauteuil  et  deux  chaises.  — 
A  droite,  une  chaise  longue :  derriere  la  cliaise  longue.  une  table.  Sur 
cette  table,  une  lanipc  allumee,  un  plateau  jjortant  des  tasses  a  cafe  et 
un  sucrier:  un  petit  necessaire  dc  fcmmc  uvcc  de  a  coudre,  ciseaux,  lil, 
aiguilles,  etc. ;  une  broderie.  et  un  numero  dc  la  Revue  des  Deux  Mondes. 
—  Chaises  et  fauteuils  au  fond. 


SCENE   PREMIERE 

JOSEPH,    URBAIX,   puis  IIKXRIETTE, 
BOISGOMMEUX  et  KERGAZOX. 

Au  lever  du  ridcau,  Joseph  dispose  les  tasses  pour  le  cafe. 
Entrc  Urbain. 

r  U  IS  A  I  N  . 

Unc  lettre  pour  monsieur  le  marquis. 

II  remct  la  Icttrc  a  Joseph. 


4  LA   PETITE    MARnUlSE. 

JOSKPII. 

Donaez.  Jc  la  liii  remettrai  tout  a  Iheure. 

Urbain  sort.  Par  la  portc  do  g-anclic,  qui  ouvre  sur  la   salle  k  manger, 
Ilenriettc  entro  au  liras  de  Boisgommeux. 

H  E  N  U I  I;TT  K,    cxasport-e. 

Oh!  oh!  oh!...  Oh!  oh!  oh!  oh!... 

r.  (»IS(;()MMKr.\,  cssnvant  de  la   calmer. 

Voyons.  marquise,  voyons... 

IIKNRIETTE. 

C'est  a  n'y  pas  tenir...  etre  liee  pour  la  vie  a  un  pareil 
homme ! 

Kergazon  est  entre  a  temps  pour  entendre  cctte  phrase  :  il  regarde 
sa  femme  avcc  une  compassion  dedaigncuse.  Henriettc  fait  un  mou- 
venicnt  conimc  si  ellc  allait  s'dlanccr  sur  lui ;  Boisgommeux  la  retient. 

B  O  1  S  G  O  M  M  E  U  X . 

Voyons,  marquise,  voyons! 

KERGAZON,  a  Joseph. 

Est-ce  que  Ton  n"a  pas  apporte  une  lettre  pour  moi? 

JOSEPH,    romcttant   la   lettre. 

Si  fait,  monsieur. 

K  E  R  G  A  z  o  \ . 
•'  A  la  bonne  heure! 

HENRIETTE,    ;\   part. 

Oh!  cette  voi\',  surtout,  cette  voix!... 

KERGAZON,   a   qui  .Joseph   vient   de  donncr  la  lettre. 

C'est  bien  cela,  c'est  la  reponse  de  M'^  Canivet... 

Joseph  sort.  —  Kergazon  lit  tout  has. 
HENRIETTE.    a  Boisgommeux. 

Un  homme  qui  est  riche,  qui  est  marquis...  marquis 
de  Kerg-azon...  et  qui,  au  lieu  de  mener  la  vie  d'un 
gentilhomme,  menc  celle  d'un  rat  de  bibliotheque;  un 
homme  qui  m'a,  moi,  pour  femme...  et  qui,  au  lieu  de 
s'occuper  de  moi,  passe  son  temps  a  ecrire  une  histoire 


ACTE   PREMIER.  5 

des  troubadours  au  quinzienie  siecle...  (Avec  fuieur.) 
Troubadour!... 

I5()ISG().MMEUX. 

Voyons,  marquise,  voyons!... 

HENRIETTE. 

Troubadour  1 1 ! 

Rentre  Joseph  apportant  lacafetiere.  llenriottc  verse  le  cafe,  en  offro 
unc  tasse  a  Bois^ommeux,  etc.,  etc. 

KERGAZoN,   rclisant   la  lettrc. 

I  Si  vous  etes  vraiment  decide  a  mettre  tous  les 
torts  de  votre  cote,  rien  n'est  plus  facile  que  d'obtenir 
la  separation  que  vous  desirez  :  le  meilleur  moyen 
serait  alors  de  rouer  de  coups  madame  la  marquise, 
devant  temoins,  bien  entendu...  »  (ii  sanete  et  rogarde 

sa  lommc  qui  vient  justoment  u  lui,  une  tasse  do  catc  ;"i,  la  main) 
Hum  I...  (Ilenrietto  depose  la  tasse  de  cafe  sur  la  table  de  gauche; 
echange  de  petits  saluts  c^remonieu.x  entre  le  marquis  ct  la  marquise. 
Kergazon    reprend  :)  «   Ou    bieil    VOUS    pourricz    illtroduirC 

une  maitresse  dans  le  domicile  conjugal...  »  Une 
maitresse  dans  le  domicile  conjugal?...  Oui,  cela  se 
pent...  il  suffira  de  trouver  une  personne  qui  consente  a 
faire  semblant...  (a  Boisgoaimaux.)  Deux  mots,  mon  cligr, 
je  vous  en  prie... 

R(ll.S(a)MMEr.\,   allanl   au   marquis. 

A  vos  ordres,  marquis,  a  vos  ordres... 

Kergazon  a  pris  sur  la  table  la  tasse  apportee  par  la  marquise.  Bois- 
gommeux  a  toujours  sa  tasse  a  la  main.  Ilenrietto  s'ostjetee  sur  la 
chaise  longue  et  parcourt  fievrcusomcnt  la  Rcviie  des  Deux  Mondes. 

K  E R G  A  Z  O  N  ,    a   Boisgommcux. 

Vous  devez,  vous,  connaitre  des  inq^ures?... 

BOISGO.MMEU.X. 

Plait-il?... 

K  E  R  G  A  Z  O  N  . 

Des  cocottes,  si  vous  aimez  mieux! 


6  LA   PETITE    MAROUISE. 

UOISC.DMMKL'X. 

Peuli !  ce  n'cst  guere  mon  affaire,  a  moi,  les  cocottes... 
Vous  savez  que  j'ai  toujours  prcfere  les  femmes  mariees. 

K  i:  R  G  A  Z  ( )  N . 
Et    je    vous    en    estime...  (Il    Uu    sen-e   chaleui-cusement  la 

main.)  Mais  cnfin,  lance  comme  vous  Fetes,  il  me  parait 
impossible  que  vous  nc  connaissiez  pas... 

BolSCOMMKUX,  riant. 

Dame!  oui,  j'en  connais... 

KERGAZON. 

Ayez  la  bonte  de  m"ea  indiquer  unel 

r.  ( 1 1 S  G  I )  M  M  K  V  \  ,   stupufuit. 

He?... 

KKRGAZON. 

Celle  que  vous  voudrez,  ga  m'est  egal...  Dites-moi 
seulemcnt  un  nom...  et  luieadresse. 

i',()is(;(iM  Mi;rx. 
Pourquoi  faire? 

K  K  R  G  A  Z I  >  N  . 

Pour  y  aller,  done! 

B01SGl).MMEUX, 

Pour  y  aller,  vous  !... 

kkr(;azi)N. 
Etlout  de  suite,  encore! 

i!()is(;(iMMi:rx. 
Oh!  mais...  c'est  etrange,  ce  que  vous  me  demandez 
la,  comme  ca,  en  sortant  de  table!...  c'est  etrange  I... 

(Se   tournant  vers   Henrictte.)  ImagiuCZ-VOUS,  madame,  qUC 

ce  cher  marcjuis... 

K  i:  U  G  A  Z  ( )  .N  . 

Xe  le  dites  pas  a  mafemme...  (Avec  fcrmete.i  Xe  le  lui 
ditespas.  Je  me  reserve  de  le  lui  dire  moi-meme... 


ACTE    PREMIER.  7 

BOISGOMMEUX. 

C'est  etrange,  positivcment ! 

Ki:  RGAZOX. 

Vous  croyez  que  j'ai  eiivic  de  faire  la  noce?... 

I?  O I  S  G  ()  M  M  E  U X . 

Dame!... 

KERGAZON. 

Vous  n'y  etes  pas,  mon  ami.  Jo  suis  un  homme  de 
science,  moi,  et  non  un  homme  de  dissipation...  J'ai 
des  motifs  serieux,  onne  pent  plus  serieux,  et  je  vous 
assure  que  vous  me  rendrez  un  veritable  service  en 
m'indiquant... 

Hcnrictte  prcnJ  sa  guipure,  ct,  toujours  dtonduc  sur  la  chaise  longue, 
a  droite,  se  mot  a  travailler. 

BOISGOMMEUX. 

Eh  bien,  voyons...  Bebe  Patapouf...  Elle  est  blonde, 
Bebe  Patapouf...  ca  vous  va-t-il,  une  blonde? 

K  E  R  G  A  Z  0  X  . 

Qa  m'est  egal,  je  vous  ai  dit!... 

BOISGOMMEUX. 

Aimez-vous  mieux  une  brune?  Marguerite  Lamber- 
thier...  Tiens,  au  fait,  ce  serait  drole! 

K  E  R  G  A  Z  0  X . 

Pourquoi  ce  serait-il  drole? 

BOISGOMMEUX. 

Pour  rien...  (En  riant.)  Moi,  a  voire  place,  je  prendrais 
Marguerite  Lamberthier...  C'est  une  bonne  fille. 

K  E  R  G  A  z  0  X . 

Va  pour  Marguerite  Lamberthier!...  L'adresse? 

BOISGOMMEUX. 

117,  rue  de  I'Arcade... 


8  LA   PETITE    MARQUISE. 

K  E  R  G  A  Z  0  N . 

ficrivcz-moi  cela  sur  une  de  vos  cartes... 

nOISGOMMEUX,  donnant  sa  tasse  a  Kergazon. 
Pardon!...    (II   prend  line   carte   dans  son   portefeuille.)    VOUS 

avez  un  crayon?... 

KERGAZON,  repassant  les  deux  tasses  a,  Boisgommeux. 

Pardon!... 

II  prend  un  crayon  ct  Toffre  a,  Boisgommeux.  Celui-ci  no  pouvant 
saisir  le  crayon  avec  los  mains,  le  saisit  delicatement  avec  les  levres, 
puis  il  repasse  les  deux  tasses  a  Kergazon. 

B  0  I S  G  ()  M  M  E U X . 

Pardon!...  (ii  ecrit.)  Marguerite  Lamberthier...  Arcade, 
117. 

K  E  R  G  A  Z  0  N  . 

Ajoutez  un  petit  mot  de  recommandation...  ca  ne 
pent  pas  faire  de  mal. 

B  0  I S  G  ()  M  M  E U X ,  e-crivant. 

«  Le  marquis  de  Kergazon...  homme  d'un  merite 
reel...  mon  ami...  Comme  pour  moi-meme.  — Vicomte 
Max  de  Boisgommeux.  » 

KERGAZON,  prenant  la  carte. 
Merci.  (ll  sonne:entre  Joseph.)  Mon  cliapcau,  lllCS  gauts. 

Ah!  Joseph,  vous  ferez  preparer  I'appartement  du 
second  etage...  II  est  possible  que,  d"un  moment  a 
I'autrc,  une  personne  vienne  s'y  installer...   (iienriette 

regarde  son  marl  avec  etonnement.  — Joseph  sort.)  AlleZVOUS,  Ce 

soir,  chcz  la  baronne,  madame? 

IIENRIETTE. 

Non,  monsieur,  jc  ne  sortirai  pas. 

K  E  R  G  A  Z  O  N  . 

Je  vous  prierai,  alors,  de  vouloir  bien  m'attendre... 
j'aurai  a  vous  parler  tout  a  riieure. 


ACTE    PREMIER.  9 

H  E  N  R I  E  T  T  E . 

A  moi?... 

K E R C  A Z  ()  N  . 
Oui,  madamc,  a  VOUS.  (Ilcntre  Josepli   apiioitant  le  chapeau, 
les  gants  et  une  vaste  pelisse  ornee  do  fourrures.  Kei-gazon   endosse 

la   pelisse.)  Si   notre  oncle  le  chevalier  vient  pour  me 
voir,  VOUS  aurez  la  bonte  de  m'excuser... 

HENRIETTE. 

Ah  I  ah!...  notre  oncle  le  chevalier  I  En  voilii  un,  en- 
core, dont  la  conversation  est  agreable!...  11  est  sourd 
commc  un  pot,  notre  oncle  le  chevalier...  sourd  comme 
un  pot  I 

KERGAZON,  a  Boisgoinmcux. 

Merci  encore  une  fois.  On  vous  verra  demain? 

p.  tilStloMMKUX. 

Non,  pas  demain.  Je  pars  ce  soir  meme  pour  ma 
terre  de  la  Serpolette  et  je  compte  y  rester  un  bon 
mois. 

Ilcnrietto  se  rcdrcsse  brusquemcnt  et  regarde  Boisgommcux. 
KERdAZO.N,   scn-ant    la  main  de  Boisgommcux. 

Dans  un  mois  alors.  (A  demi-voix.i  17.  rue  de  TArcade. 

B  ()  I S  G  0  M  M  E  U  X . 

Xon,  117. 

KERGAZOX,  sort   en  repetant  a.  voix  basse 

117,  rue  de  TArcade,  Marguerite  Lamberthier. 


SCENE  II 

HENRIETTE,   BOISGOMMEUX. 

HENRIETTE,  se  levant. 

Ou'est-ce  que  vous  venez  de  dire?...  Vous  partez  ce 
soir  pour  la  Serpolette? 

I. 


10  LA   PETITE    MARQUISE. 

MOISGoMMEUX. 

Oui,  par  le  train  do  dix  heures  vingt-cinq. 

IIKXUIKTTE. 

C'est  serieux? 

HoiSGOMMEfX, 

Tres  serieux. 

IIEXRIKTTE. 

Et  vous  y  resterez  uu  mois  ? 

IWUSGO.MMKUX. 

Un  mois,  six  semaines...  je  ne  sais  pas  au  juste. 

HEXRIETTE. 

Vraimeat?  VOUS  ne  savez  pas  au  juste...  Ce  que  je 
sais  fort  bien,  moi,  c'est  que  vous  ne  partirez  pas. 

I5  0ISG0MMEUX. 

Je  vous  assure  que  vous  vous  trompez  et  quo  je  par- 
ti rai. 

HEXRIETTE. 

Max!!! 

B  U  1  S  G  O  .\i  M  E  U  X . 

Madame? 

HEXRIETTE. 

Je  vois  ce  que  c'est...  vous  m'cn  voulez... 

I!  ( 1 1  S  G  ( )  M  M  E  U  X  .   ironi(|\ie. 

Par  cxemple!... 

HEXRIETTE. 

Si  fait,  vous  m'en  voulez!...  ^'ous  m'en  voulez  parce 
qu'hier,  apres  six  mois  de  resistance,  je  vous  avals 
enfm  promis  d'aller  passer  une  heure  rue  Saint-Hya- 
cinthe-Saint-Honore ,  et  parce  que  je  n'y  suis  pas 
allee... 

R  OISGOMMEUX,  dc  plus  en  plus  ironiquo. 

Pourquoi  vous  en  voudrais-je  a  cause  de  cela?  Vous 
m'aviez,  en  cffet,  autorise  a  I'aire  capitonner  un  appar- 


ACTE    PREMIER.  H 

teinent,  dans  la  rue  que  vous  venez  de  dire...  au  troi- 
sieme,  sur  la  cour...  et  vous  m'aviez  promis  d'y  venir. 
«  J"y  serai  a  trois  lieures  »,  m'aviez-vous  dit...  II  est  vrai 
qu'apres  avoir  dit  cela,  vous  n'etes  venue  ni  a  trois 
heures,  ni  a  quatre,  ni  a  cinq,  ni  a  six,  ni  a  sept,  ni  a 
huit...  Je  nai  renonce  qu'a  huit  trente-cinq...  Mais 
qu'est-ce  que  cela  fait?  N'ai-je  pas,  en  rentrant  chez 
moi,  trouve  une  lettre  de  vous,  dans  laquelle  vous  me 
disiez  de  venir  diner  aujourd'hui,  et  que  vous  m'expli- 
queriez  tout?...  C'est  bien  de  la  bonte,  vraiment,  et 
j'aurais,  apres  cela,  le  plus  grand  tort  de  vous  en 
vouloir. 

IIENRIETTE. 

J"y  suis  allee,  a  ce  rendez-vous... 

13  O  1 S  G  U  M  M  E  U  X . 

Oh!... 

HENRIETTE. 

Vous  ne  me  croyez  pas? 

15  ()  1  S  G  ()  M  M  E U X  . 

Non,  certes,  je  ne  vous  crois  pas,  puisque  je  vous  dis 
que  je  vous  ai  attendue  jusqu'a... 

HENRIETTE,  prenant  tievreuscinent  trois  petits    papicrs   dans    un 
tiroir,  —  trois  numeros  do  fiacre,  —  et  les  tendant  a  Boispommcux. 

Tenez!... 

BOISGOMMEUX. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  Qa?... 

HENRIETTE,  lui  remettant  les  trois  petits  papiers. 

Ce  sont  les  trois  numeros  des  trois  fiacres  que  j'ai 
pris  :  il  vous  sera  facile  de  retrouver  les  trois  cochers... 
^'ous  leur  demanderez  si,  hier,  ils  n'ont  pas  conduit 
une  femme...  (Mouvement  de  Boisgommeux.)  Ell  bien,  oui, 
moi,  Henriette  de  Kergazon,  je  suis  sortie  de  chez  moi 
comme  une  voleuse,  jetant  pour  excuse  a  ma  femme 
de  chambre  je  ne  sais  quelle  phrase  sur  le  plaisir  que 


12  LA   PETITE    MARQUISE. 

j'aurais  a  faire  un  tour  a  pied...  Ma  feninie  de  chambre 
m'a  regardee  d'une  drole  de  maniere  ;  dans  la  rue,  les 
passants  s'arretaient,  se  parlaient  a  I'oreille  et  avaient 
I'air  de  se  dire : «  La  voici,  c'est  elle,  la  petite  marquise... 
qui  court  a  un  rendez-vous  d'amour...  rue  Saint-IIya- 
cinthe-Saint-Honore...  i  Mes  yeux  se  sont  voiles,  il  m'a 
semble  que  la  terre  se  derobait  sous  moi,  j'ai  fait  signe 
a  un  cocher  qui  passait,  et  j'ai  pris  mon  premier 
fiacre... 

BOISGOM.MEUX.  regardant  un  des  numeros. 

Numero  8  226. 

HENRIETTE. 

Peut-etre  bien...  Jemesuis  faitconduire  au  Pantheon, 
pour  depister...  Au  Pantheon,  j'ai  pris  mon  second 
fiacre... 

B  0  I S  G  0  M  M  E  U  X ,  meme  jeu. 

Numero  4il. 

HENRIETTE. 

Je  ne  dis  pas  non...  Et  je  me  suis  fait  conduire  a  la 
Bastille,  toujours  pour  depister...  A  la  Bastille,  j'ai  pris 
mon  troisieme  fiacre... 

B  0  I  S  G  0  M  M  E  U  X ,  meme  jeu. 

iXumero  3  723. 

HENRIETTE. 

Je  ne  sais  pas... 

BOISGOMMEUX. 

II  n'ya  plus  que  celui-la... 

HENRIETTE. 

Et  j'ai  enfin  donne  au  cocher  la  veritable  adresse  : 
rue  Saint-Hyacinthe-Saint-IIonore...  numero  ..  J'y  suis 
arrivee...  j"ai  passe  devant  le  concierge  sans  rien 
demander ;  j'ai  reconnu  le  cordon  de  sonnette  dont 
nous  avions  parle  ensemble. 


ACTE    PREMIER.  13 

liOlSGOMMEUX,  avec  expression 

Bleu  deciel!... 

HENRIETTE. 

Mais,  au  moment  de  sonuer,  je  me  suis  arretee... 

ROISGOMMEUX. 

Pourquoi,  puisque  le  plus  fort  etait  fait? 

HENRIETTE. 

Vous  trouvez  ^a,  vous?...  Je  suis  restee  la,  appuyee 
contre  le  mur...  me  demandant  ou  j'etais  et  pourquoi 
j"}'  etais...  (Mouvemont  du  vieomtc).  En  ce  moment...  j'ai 
entendu  dire  que  pareille  chose  arrivait  aux  gens  qui 
sont  en  train  de  se  noyer...  en  ce  moment,  ma  vie 
entiere  s'est  deroulee  devant  mes  yeux!...  Mon  cnfance 
heureuse  et  libre  dans  les  grandes  allocs  du  pare,  le 
convent,  mon  entree  dans  Ic  monde,  mes  premiers 
triomphes  de  jeune  iillc...  tant  d'esperanccs,  tant  de 
reves,  tant  d"aspirations  !...  Tout  cela  pour  arriver  a 
quoi?  A  me  trouver  la,  au  troisieme  etage  d'une 
maison  obscure...  J'ai  entendu  du  bruit...  GY'tait  un 
marmiton  qui  montait  I'escalier...  il  portait  un  volau- 
vent  sur  sa  tele...  il  m'a  demande  :  «  C'est-y  pas  ici 
madame  INIargotin?...  »  J'ai  repondu  :  «  Je  ne  sais  pas!  » 
Le  marmiton  a  continue  de  monter,  il  a  passe  pres  de 
nioi...  il  m'a  regardee,  il  a  regarde  le  cordon  de  son- 
nette...  Alors,  je  n'y  ai  plus  tenu,  je  me  suis  enfuie,  j'ai 
saute  dans  mon  fiacre  et  je  suis  rentree  chez  moi, 
jurant  bien  que  de  ma  vie  je  ne  recommencerais 
pareille  aventure  et  que,  puisque  c'etait  la  cc  qui  s'ap- 
pelle  avoir  un  amant...  jamais  je  n'aurais  d'amant! 

B  0  I  S  G  ()  M  M  E  U  X  . 

Comment,  jamais  !... 

HENRIETTE. 

Oh!  non,  jamais,  jamais,  jamais! 


li  LA   PETITK    MARQUISE. 

BOISGOMMEUX. 

Eh  bien,  a  la  bonne  heure!...  mais  il  fallait  me  dire 
cela  plus  tot! 

HENIUKTTE. 

Par  exemple!... 


Kiitrc  Josepli. 


J  (»  S  K  I'  II,  luinunnant. 

Monsieur  le  chevalier. 

HENRIETTE. 

Ah!  le  chevalier,  maintenant!... 


SCENE  III 

Les  Memes,  le  chevalier. 

le  chevalier. 
Mon  aimable  niece!...  Get  excellent  vicomtel... 

BOISGO.MMEUX. 

Bonsoir,  le  sourd,  bonsoir,  le  sourd !  (Hemiette  apporto  au 

milieu  de  la  scene  uiie  chaise  pour  le  chevalier.  Le  chevalier  sourit  et 
s'assied;  Boisgommeux,  saus  plus  s'occuper  do  lui,  se  tournc  vers  Hcn- 

rietto.)  Ainsi,  j'aurai  perdu  six  mois  a  vous  faire  la  cour, 
et,  au  lioul  de  ces  six  mois,  vous  en  serez  quitte  pour 
venir  me  dire  que  vous  ne  voulez  plus  avoir  d'amant, 
parce  que  vous  avez  rencontre  un  marmiton  dans 
I'escalier !... 

lis  sent  assis  tons  les  trois. 

LE    CHEVALIER,  cpii   n"a   ccsso   de  regarder  Boisgommeux 
en  souriant. 


Je  vous  reniercie,  ca  ne  va  pas  trop  mal... 

li  0  ISGOMMEUX  ,  tunjuurs  a  Ilcnriette,  sans  mC-me  regarder 
lo  chevalier. 

C'etait  il  y  a  six  mois  qu'il  fallait  me  dire  cela,  au 


ACTE    PREMIER.  15 

lieu  de  faire  la  coquette  et  de  me  donner  des  encoura- 
gements!... 

HENRIETTE. 

Je  vous  ai  donnc  dcs  encouragements,  moi? 

I50ISG0MMEUX. 

Certainement,  vous  m"en  avez  donnel 

LE  CHEVALIER,  qui,  apros  chaque  phrase,  a  tendu  Toreille 
du  Cote  de  la  personno  qui  pai-lait.  et  qui  a  toujours  approuvii 
de  la  tetc,  Ic  souriro  aux  levres. 

Et  ce  cher  Ivergazon,  je  ne  le  vois  pas? 

HENRIETTE. 

II  est  sorti... 

LE    CHEVALIER. 

He? 

li  ()  I S G O M  M E U X ,  ciiant. 

II  est  sorti,  on  vous  dit!...  (A  Hem-iette.)  Certainement, 
vous  m'en  avez  donne!... 

HENRIETTE. 

Quand  cela,  s"il  vous  plait? 

D  0  I  .S  ('.  O  M  M  E  U  X ,  bondissant. 

Quand  cela??? 

II  so  leve.  —  Lo  clicvalier  parait  surpris. 
HENRIETTE. 

Ne  faites  pas  de  gestes  :  il  est  sourd.  mais  il  n'est  pas 
aveugle. 

r.  OISGOMMEUX,  essay  ant  d'etre  calme. 

Quand  cela?... 

II  so  ra.ssicd.  —  Lc  chevalier  se  rcmet  a  sourire  et  a  teudre  roreille, 
tantot  d"un  cotd,  tantot  dc  I'autrc,  paraissant  charme  de  co  qui  so 
dit. 

HENRIETTE. 

Oui... 

C  0  I S  G  0  M  M  E  U  X  . 

Toutes  les  fois  que  nous  nous  sommes  rencontres... 
chez  la  haute  banque...  a  I'ambassade...  partoutl... 


16  LA   PETITI-:    MARQUISE. 

IIKNRIKTTE. 

Oh!... 

HOISGOMMEUX. 

Vous  nc  vous  rappelez  pas,  mais  moi,  je  mc  rappelle... 
Un  petit  coup  d'aMl,  un  eclat  de  rire  a  propos  de  rien, 
quelqiies  mots  insignifiants  derriere  I'eventail,  et  puis, 
quand  vous  me  quittiez,  un  regard  bien  d'aplomb... 
J'en  appelle  a  tous  ceux  qui  ont  Thabitude  des  femmes 
du  monde...  Est-ce  que  ^a  ne  veut  pas  dire  :  «  Vous 
pouvez  marcher  »?... 

LE   CHEVALIER,  interrompant. 

II  est  malade?...  Ca  n'est  pas  grave,  au  moins? 

HEN'RIETTE,  sans  s'occupor  de  rintei-ruption. 

Est-ce  mafaute,  a  moi,  si  I'amour  que  vous  m'offrez 
ressemble  si  peu  a  celui  que  j'avais  reve? 

BOISGOMMEUX. 

Des  phrases,  tout  cela,  des  phrases!... 

LE   CHEVALIER. 

Tout  le  monde  a  eteenrhume.  Moi-memeje  Tai  ete... 

HENRIETTE. 

Ah!  si  j'etais  libre!...  si  les  liens  qui  m'attachent  a 
monsieur  de  Kergazon  etaient  brisesl...  niais  ils  nc  le 
sont  pas...  Singulier  amour  (Kilo  so  Il'vc.)  qui  consenti- 
rait  a  partager  avec  un  maril... 

BOISdiiMMErX. 

Puisque  c'est  I'usage!... 

II  sc  love.  Lc  clicvalicr.  a  son  tour,  sc  love. 
HENRIETTE. 

Moi,  si  j'ainiais,  jc  ne  voudrais  pas  de  partage...  je 
voudrais  etre  toute  a  celui  que  j'aimerais  et  n'etre  qu'a 
lui... 

15  O  I  S  G  O  M  M  E  I"  X  . 

Puisque  Qa  ne  se  pcut  pas  I... 


ACTE    PREMIER.  17 

HENRIKTTE. 

Eh  bien.  puisque  ca  ne  se  pent  pas,  ga  ne  sera  pas, 
voila  tout! 

BOISGOMMEUX. 

Decidement? 

HENRIETTE. 

Decidement. 

BOISGOMMEUX. 

Ell  bien,  c'est  bonl... 

I.E    CHEVALIER. 

Desole  de  vous  quitter  si  vite...  mais  je  vais  ce  soir 
chcz  la  duchesse.  et.  comme  on  doit  faire  de  la  musique, 
je  ne  voudrais  pas  manquer. 

BOISGOMMEUX. 

Eh  bien,  c'est  bon  !...  Eh  bien,  c"est  bon! 

I.E  CHEVALIER,  lucnant  conge. 

Mon  aimable  niece!...  Get  excellent  vicomte!..  Dites 
a  ce  cher  Kergazon  que  je  viendrai  prendre  de  ses 
nouvelles... 

II  sort. 


SCENE  IV 

HENRIETTE,  BOISGOMMEUX. 

B  0  I S  G  (J  M  M  E  U  X . 

Moi  aussi,  je  vais  etre  oblige  de  vous  quitter... 

HENRIETTE,  incredulc,  railleuse. 

Oh!... 

BOISGOMMEUX. 

Le  train,  je  vous  lai  dit,  part  a  dix  heures  vingt- 
cinq...  Le  temps  de  passer  chez  moi  pour  changer  de 
costume... 


18  L.V   PETITE    MARQUISE. 

lIK.VHIKTTi;. 

Laisscz-moi  done  traiuiuillel  vous  savez  bien  que 
vous  ne  partirez  pas... 

Elle  pose  sa  main  sur  lo  liossior  d'une  chaise  placeo  au  milieu 
tlu  theatre. 

li  ( 1 1  S  ( ;  ( )  M  M  K  r  X  , 

Je  serai  a  Poitiers  a  quatre  heures  du  matin;  a 
quatre  heures  et  demie,  je  serai  cliez  moi,  a  la  Serpo- 
lette. 

II  pose  dgalement  sa  main  sur  le  dossier  dc  la  chaise. 
irENRIETTE. 

A  quatre  heures  et  demic,  vous  serez  chez  vous,  a 
Paris...  (Caiine.)  et  vous  reverez  de  moi... 

1!  O  I  SGO  M  M  EUX  ,  prenunt  la  main  dc  la  maiipiise. 

Henriette?... 

IIENUIETTK. 

Eh  iiien?... 

BiilSdIt.MMEUX. 

Si  vous  vouliez,  pourtant!... 

lis  doscendcnt  en  scene. 
HENRIETTE. 

Si  je  voulais  quoi?... 

r.  ()  1  s  c.  < )  M  M  E  r  X . 
Oue  je  ne  parte  pas... 

HENHIETTE. 

^'ous  resteriez"? 

15(I1S<'>()MMEI'X,  tres  tondrc 

Henriette?.., 

HENHIETTE,  ties  timue. 

Eh  bien?... 

liOlSC.o.MMEIX. 

Je  resterais,  certainement,  si  vous,  de  voire  cote  .. 

HENHIETTE. 

Si  nioi,  de  mon  cote?... 


ACTE    PREMIER.  19 

ROISGOMMEUX,  jnenant  Hcnrietto  par  la  taille. 

Hcnriettel... 

HKNRIKTTE. 

Eh  bien?... 

n  t)  I  s  0  ()  M  M  E  r  X . 
II  n'y  a  pas  de  marmilon,  ici!... 

HENRIETTE. 

^'ous  me  faites  peur... 

I'-UISOOMMEUX. 

Henricttel... 

HENRIETTE. 

Eli  bien?... 

I!  (1 1  S  G  ( >  M  M  E  U  X  ,  avcc  passion . 

II  n'y  en  a  pas  ici,  de  marmiton!!! 

Elle  tomhc  assise,  —  Boisgommcux  a.  ses  pieds.  la  tenant 
toujours  entre  ses  bras. 

HENRIETTE,  d'uno  vuix  mouranto. 

Ca,  c"est  vrai...  il  n'y  a  pas  de  marmiton...  (Sechap- 

pant  pre.'^tement  et  cuurant   a  la  sonnette,  a.  gauche,  pres   de  la  chc- 

minec)  mais  il  y  a  des  domestiques! 

EUc  Sonne  a  tour  de  Lras  :  cntre  Josei)li. 
15  ( )  i  S G ()  M  M  E U X ,  furieux. 

Eh  bien,  c'cst  bon!... 

HENRIETTE,  montranl  Ic  plateau  sur  lequcl  sont  les  tasses. 

Emportez  cela,  Joseph. 

Joseph  sort  aprcs  avoir  jete  sur  Boisgommcux  un  long  regard. 
ROISGOMMEUX. 

C'est  entendu,  alors,  vous  ne  m"aimez  pas? 

HENRIETTE,  agressivo,  mechante. 

Non,  je  ne  vous  aime  pas!...  (Marchant  vers  Boisgommcux 

autant  que  le  lui  permet  la  longueur  du  cordon  do  sonnette  qu"elle  n'a 

pas   quitte.)  Non,  je  nC  VOUS  aime   pas!...  (Le  vicomte  fait  un 

mouvement  :  clle  rccule  precipitammcnt.)  Non,  jC  nC  VOUS  aime 

pas!... 


20.  LA   PETITE    MARQUISE. 

I!  ()  1  S G (>  M  M  E U X  . 

Eh  bien,  c'est  bon!... 

II  prend  son  chapcau,  —  un  cliapoau  mccaniquc:  —  il  rouvre  en  Ic 
faisant  claquor  avcc  I'orcc  ct  il  sort. 

IIENUIKTTE. 

Max!...  Est-ce  qu'il  serait  parti   vraiment?...  (Eiie  va 

sur  la  pointe  du  pied  jusqu'a  la  portc  du  fond  ct  rentr'ouvrc  :  Boisgom- 
meux,  qui  etait  cache  derrierc  cette  porte,  rcntre  brusqucmcnt  ct  court 
aprcs  ellc.  Elle  fait  en  courant,  poursuivie  par  lui,  tout  le  tour  du  salon, 
lui  jette  une  chaise  entre  les  janibes,  so  precipite  sur  lo  cordon  de 
la    sonncttc,  et,   une    fois    qu'cllc    Ic   tient,    so   retourne   triouiphante.) 

C'est  manque,  nion  ami! 

BOISCOMMEUX. 

Eh  bien,  c'est  bon!...  je  m'en  vais,  et  pour  tout  de 

bon,    cette   fois...    (Il   so  hcui-te   a   la  cliaisc  rcstce   au  milieu  du 

theatre.)  Mais  si,  a  cause  de  vous,  je  me  trouve  avoir 
manque  I'express,  vous  pouvez  etre  sure  que  je  ne 
vous  le  pardonnerai  de  ma  vie...  Bousoir,  marquise, 
bonsoir! 

II  sort. 

SCENE  V 

HENRI  ETTE,  scuic. 

Max!!!  Max!!!    Max!!!    (Com-ant  a  la  purto  du   fond  ct  I'ou- 

vrant  toute  grande.)  II  cst  parti !...  Insensee  que  je  suis,  je 
I'ai  laisse  partir.  (Eiie  sassicd.)  et  je  Tadore!...  II  etait  la. 
pres  de  moi,  il  me  parlait  d'amour...  a  sa  manierel..  et 
j'ai  refuse  de  I'ecouler,  et  je  I'ai  repousse...  et  je  lui  ai 
dit  que  je  ne  I'aimais  pas!...  Ce  n'etait  pas  vrai,  au 
moins...  Oh!  non,  ce  n'etait  pas  vrai...  (Knvovant  un  baiter 
dans  Ic  vide)  Je  vousaime,  monsieur...  Max...  je  t'aime... 
(Avec  exaltation.)  Je  puis  bien  le  dire  maintenant  que  tu 
n'es  plus  la  pour  rontendre,  je  puis  Ijicn  le  crier:  Je 
t'aime!...  je  t'aime! !...  je  faime! ! !... 

Entre  Joseph. 


ACTE    PREMIER.  21 

JOSEPH. 

Madame  a  appcle?... 

IlENRIETTE,   :1  part. 

J'ai  failli  me  traliir...  (iiant.)  Non,  Joseph,  non...  c'est 

tres  bien,  laissez-moi...  (Joseph  sort;  llenriette  continuo,  mor- 
dant son  mouchoir  pour  etouffer  ses  cris.)  Je  t  aimc!  je  t  aime  !... 
(Se  relevant  brnsruiement.)  YoVOnS,  c'est  impossible...  II  Il'est 

pas  parti  serieusement...  ce  serait  une  betise,  et  il  n'est 
pas  bete,  le  brigand!...  II  va  revcnir...  (Pretant  loreiiie.) 
Oui...  je  ne  me  trompe  pas...  on  ouvre  la  porte,  on 
marche...  quelqu'un  vient,  c'est  lui!...  (La  purto  souvre 

at  llenriette  recule  epouvantee.l  Non  !  c'est  Ic  marquis!... 


SCENE   YI 

HENRIETTE,    KERGAZON. 

KERG.VZOX. 

A'ous  m'avez  altcndu,  je  vous  en  remercie. 

HENRIETTE,  a  part. 

Oh  !  cette  voix  !... 

K  I". R  G  A Z  () N  . 

Asseyez-vous,  madame. 

HENRIETTE. 

Ce  sera  long?... 

K  !•:  R  G  A  Z  ( 1  N . 

Je  serai  aussi  bref  que  possible...  D'ailleurs,  ce  que 
j'ai  a  vous  dire  vous  fera  sans  doute  assez  de  plaisir 
pour  que  vous  ne  regreltiez  pas... 

HENRIETTE. 

Allons  done!... 

KERGAZON. 

Vous  allez  voir,  (ii  sassied.)  Je  ne  crois  pas  me  trom- 


22  LA  PETITE    MARQUISE. 

pel"  en  affirmant  que  je  vous  suis  absolument  insup- 
portable. 

}ii:nkiette. 
Xon,  monsieur,  vous  ne  vous  trompez  pas. 

KKRG  \Z(tN. 

.Je  vous  en  ol'fre  autant.  Je  ne  pcux  pas  vous  souf- 
frir... 

iik.nrii:tte. 
Ah!... 

KERGAZOX. 

Je  sais  que  vous  avez  de  vous-meme  une  tres  haute 
idee,  et  que  cette  illusion  est  entretenue  chez  vous  par 
une  demi-douzaine  de  freluquets  qui  se  pament  a  vos 
mines  et  mangent  mes  diners...  Mais  mon  avis,  a  moi... 

(ici.    il   pren.l   nn   air   tout    ;'i   fait   gracieux.i    je    puis    bicn    VOUS 

Tavouer,  puisque  nous  sommes  entrc  nous...  mon  avis, 
a  moi,  c'est  que  vous  etes  la  plus  impertinente  petite 
pecore... 

HEN'RIETTE,  non  moins  gracieuse. 

Serieuscment,  monsieur,  est-ce  qu'il  nc  vous  serait 
pas  possible  de  me  dire  cela  avec  une  autre  voix? 

K  E R  G  A Z  ()  N . 

Non,  madame,  cela  ne  me  serait  pas  possible...  Etant 
donnee  cette  opinion  que  nous  avons  Fun  de  I'autre, 
il  m'a  paru  demontre  que  nous  serious  parlaitement 
lieurcux  si  nous  pouvions  nous  se[)arer... 

IIEXRIETTE. 

A  quoi  bon  parler  de  (;a?...  Vous  savcz  bien  que 
nous  avons  cssaye  deja... 

KERGAZON. 

En  effet!...  nous  avons,  a  trois  reprises  dilTerentes, 
essaye  de  nous  separer  a  ramiable...  Des  amis  com- 
muns,  des  parents  out,  a  toute  force,  tcnu  a  nous 
reconcilier...  Nous   avons  bien   etc    oblii^^es  de   nous 


ACTE    PREMIER.  23 

laisser  faire  :  quel  pretexte  donner?  Nous  n'avions  ni 
run  ni  I'autre  de  torts  reels...  Mais  si  I'un  de  nous 
consentait  a  avoir  des  torts  reels?... 

HENRIETTE. 

Si  Tun  de  nous  consentait?... 

KERGAZON. 

Moi,  bien  entendu,  ce  serait  moi...  Nous  pourrions 
alors  arriver  a  une  separation  serieuse... 

HENRIETTE. 

Vraiment,  monsieur,  vous  auriez  un  moyen?... 

EUe  so  rapproclie. 
KERGAZON. 

On  m'en  a  propose  deux  :  le  premier  serait  dc  vous 
rouer  de  coups  devant  temoins. 

HENRIETTE. 

Je  voudrais  voirga!... 

KERGAZON. 

Le  second  serait  dMntroduire  une  maitresse  dans  le 
domicile  conjugal.  C'est  a  ce  second  moyen  que  je  me 
suis  arrete. 

HENRIETTE. 

Vous  auriez  une  maitresse,  vous? 

KERGAZON. 

11  n'est  pas  indispensable  que  j'aie  une  maitresse... 
[1  suffit  que  j'introduise  dans  le  domicile  conjugal  une 
personne  qui  aura  J"air  d'etre  ma  maitresse...  Voici 
3onc  ce  que  j'ai  imagine.  Vous  allez  passer  vingt- 
ijuatre  lieures  en  Normandie,  chez  votre  tante.  Au 
jout  de  ces  vingt-quatre  heures,  vous  revenez,  vous 
ionstatez,  vous  faites  constater  par  qui  de  droit  la 
Dresence  de  la  personne...  et  il  vous  est  facile,  alors, 
I'obtenir  une  separation  que  ni  amis  ni  parents  ne 
aarviendront  a  empecher. 


.    24  LA    PETITE    iMARQUISE. 

HENRIETTE,   avec  enthousiasme. 

Tout  de  bon!  vous  feriez  cela? 

KERGAZON. 

^a  vous  va-t-il? 

HENRIETTE. 

Si  ga  me  va!...  (Eiie  se  leve.)  II  me  demande  si  ga  me 
va!...  je  crois  bien,  que  ga  me  va! 

Ellc  Sonne. 
KERGAZON, 

Vous  partez,  alors...  (ii  se  ieve.)Quand  partez-vous? 

HENRIETTE. 

Je  vais  vous  le  dire...  (Entre  Joseph.)  Vite,  un  indicateur 
des  chemins  de  fer!  ..  vite!  vite!... 

JOSEPH. 

J'en  ai  un,  madame. 

II  sort. 
HENRIETTE. 

Ce  n'est  pas  pour  rire?...  Nous  cessons  tous  les  deux 
d'etre  mari  et  fcmme,  vous  me  rendez  ma  liberty,  ma 
liberte  tout  enticre?... 

KERGAZON. 

Oui,  je  vous  la  rends,  et  je  reprends  la  mienne... 

HENRIETTE. 
Ah!...  (Rentre  Joseph  :  Henriettc  saute  sur  I'indicateur.)  Atten- 

dez...  voyons,  voyons...  Poitiers...  dix  heures  vingt- 
cinq...  (Regardant  la  penduie.)  II  est  trop  tard...  mais  il  y  a 
un  autre  train...  a  trois  heures  dix...  Vite,  Joseph,  dites 
h  ma  femme  de  chambre  de  m'apporter  un  chapeau, 
un  manteau...  ma  petite  malle  de  voyage...  et  puis  une 
voiture,  vite,  une  voiture...  (Joseph  sort.)  Je  pars  tout  de 
suite,  monsieur. 

KERGAZON. 

Je  m'y  attendais. 


ACTE    PREMIER.  23 

PIENUIETTi:. 

Ah!... 

KERCAZON. 

El  la  preuve,  c'est  que  j"ai,  a  tout  liasard,  invite  la 
personne  a  venir  souper  ici  ce  soir  meme... 

IIENRIKTTE. 

Et  vous  souperez? 

EUe  passe. 
K  E  R  C.  A  Z  o  X . 

II  n'est  pas  indispensable  que  je  soupe.  II  suffira  que 
j'aie  Fair  d'avoir  soupe. 

Entrent  Vrbain  avec  la  petite  malle,  la  femmc  de  chambre  avec  un 
chapeau  ct  un  mauteau ;  llenrictte  met  fidvreusemcnt  le  cliapeau  et 
Ic  nianteau. 

HENRI  ETTE,  a  la  fenime  de  chambre  ct  a  Urbain. 

C'est  bien,  merci...  je  n"ai  plus  besoin  de  vous. 

La  femme  de  chambre  et  Urbain  sortent.  Ilenriette  jctte  dans  la  malla 
unc  foule  de  petits  objets.  sa  guipure,  la  Revue  des  Deux  Mondes, 
un  petit  paquct  de  lettres  qu'clle  va  prendre  dans  le  bonhcur  du  jour; 
puis  elle  fcrme  la  serruro. 

KERGAZOX. 

^'ous  n'eniportez  pas  autre  chose? 

HENRI  ETTE,  avec   exaltation. 

Non,  rien,  rien...  (Kntre  JoseidiJ  La  voiture  est  la? 

JOSEPH. 

Madame  la  marquise  scmblait  si  pressee  que  je  n'ai 
pas  cru  devoir  donner  Tordrc  d'attelcr  :  j'ai  fait  venir 
un  fiacre. 

HENRI  ETTE,    a  part. 

Men  quatrieme!...  (Haut.)  Prenez  cette  malle,  Joseph. 
(Joseph  prend  la  malle  et  sort.)  Et  maintcnant,  mon  ami... 

KERGAZOX. 

Ma  chere?... 

HEXRIETTE,  lui  tendant  les  bras. 

Puisque  c"est  pour  la  derniere  I'ois... 
H.  2 


26  LA   PETITE    MARQUISE. 

K  E  R  G  A  Z  ()  N ,    remljiassant. 

Avec  plaisir!... 

lIKNRIETTi:,  cMTiuo. 

C'est  bien,  ce  que  vous  I'aites  lii,  c'est  tivs  bien...  Ca 
efface  un  las  de  petites  choses. 

K  E  R  G  A  Z  ()  N . 

Dans  vingt-qiiatre  houres...  Et  amenez  le  commis- 
saire!...  n'oubliez  pas  d'amener  le  commissaire ! 

HENRIETTE. 

Dans  vingt-quatre  heures,  c'est  convemi!...  Enfin! 

Ellc  sort  rapidement  par  Ic  fond. 


SCENE   YII 

KERGAZOX,  puis  JOSEPH. 

KKRGAZON. 

Enfin  !...  Et  niaintenant,  travaillons  !...  (ii  sassieii.  prend 

sur  sa  table  uii  ciiorme  eahicr.  et,  apros  avoir  consultc  trois  ou  quatrc 

in-foiios,  so  mot  a  ccriio.)  «  Lc  mot  troubadour  vient  du 
verbe  trohar  —  inventer...  et  non  du  substantif  trou- 
badc,  ainsi  que  se  le  figurent  les  ignorants.  Ce  mot 
n'avait  point  du  tout  au  quinzieme  siccle  le  sens  badin 
que  lui  donnent  aujourd'hui  les  personnes  qui  aiment 
a  s'amuser.  Aussi  pouvons-nous  affirmer,  sans  craindre 
d'etre  dementi,  que  la  celebre  chanson  :  Cest  le  trou... 
c'est  lc  Iron...  c'est  le  trouhadour,  nest  pas  une  chanson 
du  quinzieme  siecle...  » 

Kiitrc  Joseph. 
JOSEI'II. 

Monsieur... 

KERGAZON,  la  plume    A  roreille. 

Ell  bien,  qu'est-ce? 


AGTE   PREMIER.  27 

josEPir. 
II  y  a  la  line  femme  de  chambre. 

K  !•;  R  ( ;  A  z  o  N . 
Une  Temme  de  chambre"?... 

JOSKPII. 

Oui,  monsieur...  ellc  vient  tie  la  part  de  mademoi- 
selle Lamberthicr. 

KKRC.  AZO.N. 
FaiteS-la  Cntrer.  (.luseph   sort.   —  Korg-azun    reiircnd  sa  plume 
et  achovc   (Ic'Ciiie  sa  phiasc.)  «   ...  n'est  paS  11116  cliailSOn  du 

quinzieme  siccle.  » 

Entre  Juliette. 

SCENE    YIII 
KERGAZON,  JULIETTE. 

Jl'Lll-TTK. 

BonjoLir,  monsieur. 

K  !•  R  G  A  Z  t»  N  . 

Bonjour,  mon  enfant. 

JULIETTE. 

C'est  vous,   monsieur,  qui  (ites  venu  tout  a  I'heure 
cliez  madame? 

KF.RCAZON. 

Oui,  c'est  moi. 

jn.lETTE. 

Pour  rinviter  a  souper? 

K  !•:  i{  ( ;  A  z  ()  N . 
Oui,  mon  enfant. 

jn.lETTE. 

Eh  bien,  monsieur,  madame  ne  pent  pas. 

K  i:  R  ( ;  A  z  ( )  \ . 
Ah! 


28  LA   PETITE    MARQUISE. 

JlMKTTi:. 

Et  clle  m'envoie  vous  le  dire...  Elle  regrette...  mais 
elle  nc  pcut  pas,  parce  qu'elle  s'en  va,  pour  deux  jours, 
a  Fontainebleau,  cliez  sa  marraine. 


11  sc  leve. 


Fausse  sortie. 


KKIU;  AZON. 

Ah  I  c'est  conlrariant. 

J  r  1. 1 K  T  T  i: . 
Adieu,  monsieur. 

K  !■:  R  c;  A  Z  ( I N . 
\'ous  vous  en  allez? 

JULIETTE. 

Oui,  monsieur. 

K  E  R  ( ;  A  Z  ( )  N . 

Attendez  done  un  pen!...  II  I'aut  que  je  Irouve  un 
moyen...  Ainsi,  votre  maitresse  ne  pent  pas? 

jn.IETTE,  icdcscenclant. 

Non,  monsieur. 

K  E  R  C.  A  Z  O  N  . 

C'est  conlrariant. 

jri.lETTE. 

Dame!  monsieur... 

KKRCAZON,  hi  regardant. 

Mais...  mais  vous!... 

jn.IETTE,   rofiilant. 

Moi,  monsieur  I... 

K  E  R  ( ;  A  Z  ( I  N . 

Puisque  votre  maitresse  va  pour  deux  jours  a  Fon- 
tainebleau, vous  etes  libre,  vous,  pendant  ces  deux 
jours  ? 

JII.IETTE. 

Oui,  monsieur. 


ACTE    PREMIER.  29 

KEUGAZON. 

Vous  etes  trcs  gentille,  par-dessus  le  marche!...Et 
puis,  vous  ne  le  seriez  pas...  (U  sonnc  :  cntie  Joseph.)  Dites 
que  Ton  mette  deux  couverts  sur  une  petite  table  avec 
ce  qu"il  faut  pour  souper,  pour  bien  souper  :  du  foie 
gras,  du  via  de  Champagne...    . 

JULIETTE. 

Oh! 

JOSEPH,   suffoquo. 

Oh! 

KEROAZOX. 

Vous  n"avez  pas  entendu? 

JOSEPH,  trcs  truulile. 

Si  fait,  monsieur. 

II  sort. 
JTM.IETTE,  gaie. 

Vous  allez  souper.  monsieur? 

KERO  AZdX. 

Qui,  mon  enfant,  je  vais  souper  avec  vous. 

JULIETTE. 

Oh!  non,  monsieur. 

K E R 0  A Z  (> X . 

Non? 

JULIETTE,   avee  conviction. 

Je  suis  une  honnete  fille,  moi,  monsieur  :  j"ai  un 
amant. 

K  E  R  (".  \  Z  (1  X  . 

Ah! 

JULIETTE. 

J'aimc  Eugene  ct,  pour  rien  au  monde,  je  ne  le 
tromperais. 

K  E  R  G  A  Z  ( >  X . 

IMais  si  je  vous  assurais  que  vous  ne  serez  [)as  du 
tout  obligee  de  tromper  Eugene?... 


30  I. A    I'KTITi:    MAHOUISE. 

jri.i  KTTK,  (I'lin  air  do  douto. 

Oh!  oil! 

K  F. R  C.  A Z ()  N  . 

Si  jc  vous  en  donnais  uia  parole?... 

J  r  1. 1 1:  T  T  V. . 
\o\.ve  vraie  parole? 

KKIUIAZON. 
Ma  vraie  parole.   tJuliottc  Ic   regardc   ct    so    mot   :\   riro.    Kci- 
ga/.un  prend  un  ))illct  dc  iiiille  francs  dans  Ic  tiroir  do  sa  table. ^^  OUS 

savez  ce  que  c'est  que  ga?... 

JlI.IKTTi:. 

Oui,  monsieui". 

K E  lUi  A  Z  ()  N  . 

Qu'est-ce  que  c'est? 

JI'Lil-TTK,  eblouie. 

C'est  un  billet  de  mille  francs,  monsieur. 

K  i:  R  G  A  Z  ( »  N . 

Eh  bien?... 

JUI.IETTi:. 

Et  vous  me  jurez   que  je  ne  serai  pas  obligee  de 
tromper  Eugene? 

Kile  prcnd  Ic  billet. 
KERGAZON. 

Je  vous  le  jure.   II  iaudra  seulemcnt  passer  vingt- 
quatre  heures  iei  et  faire  semblant  de  m'aimer. 

JULIETTE. 

Oh  I  non,  par  exemple!... 


Kile  vout  rcndro  Ic  billet. 


K  i;  R  ( ;  A  z  (t  N , 
Faire  semblant.  j<;  vons  disl 


JULIETTE. 

Ma  maltressc  aussi  fait  semblant...  elle  ne  fail  pas 
autre  chose...  et  qi\  ne  I'enqxjche  pas  dc...  Non...  non  I 


ACTE    PREMIER.  31 

KKRGAZON,  la  rassurant. 

Mais  non,  niais  non...  Faire  semblant,  rien  que  faire 
semblant,  qiiand  il  y  aura  du  monde...  Ainsi,  tenez,  je 
vais  sonner  :  le  domestique  eutrera... 

jri.iETTi:. 
Bon!... 

K  E  R  G  A  Z  0  N  . 

A'ous  aurcz  la  bonte  de  vous  asseoir  sur  mes  genoux, 
et,  quand  le  domestique  sera  la,  vous  ferez  semblant... 
vous  me  donnerez  des  petites  tapes,  vous  me  passerez 
la  main  dans  les  cheveux. 

JUI.IETTK,  sc   tunlant  do  rire. 

C'est  serieux? 

K  !■; R G  A  Z ()  N . 

C'est  tres  serieux...  Vous  voulez  bien? 

JULIETTE. 

Je  veux  bien.  monsieur. 

Kile  utc  son  eliapeau. 

KERGAZON,  apres  avuir  sonne. 
\  enez,    alors.    (Juliette   s'as.sierl  sur  Ics  genuux  dc  Kergazon. 

Entre  Joseph.)  Le  souper  est  pret?... 

JOSEPH,  stupetait. 

Oui.  monsieur. 

KERGAZON. 

Alors,  apportez  la  table. 

Joseph  sort. 
JULIETTE,  vuulant  sc   lover. 

Je  peux  m'en  alter? 

KERGAZON,  la  retenant. 
Non,  restez  :  il   va   revenir...    (Entrent  Urbaln    et   un   autre 
domestique,  appurtant  la  table.)  Ils  SOnt  deux,  c"est    parfait... 

mais  I'aites  semjjlant  de  m"aimer...  Vous  ne  faites  pas 
assez  semblant...  Ohe  I  ohe! 


32  LA   PKTITK    MARQUISE. 

jri.ir.TTi:. 
Olu',  monsieur!  ohe  !  ohcl 

KKUCAZUN. 

A  la  bonne  heure!...  A  table,  maintenant.  (ii  conduit 

Juliette  a  la  table,  la  fait  asscoir,  s'assicd,  lui  doniie  du   via  de  C'liam- 
pagne,  boit  lui-memc  et  love  son  vcnc  en  cliantant.)  C  CS^  /(.'  tl'OU... 

c^est  le  trou...  c'cst  le  troubadour!...  (\nx  domesiicines.)  Lais- 
sez-nous    tous   deux,    nous   n'avons    plus   besoin   de 

VOUS...  ^^es    domcstiques   sortcnt  on    levant    les  bras  au    ciel.)  Ils 

sont  partis... 

Jri.li-TTE. 

Oui. 

KKUCi AZttX,  [ironant   sun  caliier  ct   son  in-fulio. 

Je  VOUS  souhaite  le  bonsoir. 

JULIETTE,  stupefaite. 

Ah  bien!...(Eiic  so  leve.)  j'en  ai  vu  chez  ma  maitresse, 
des  hommes!  et  qui  6taicnt  drdles...  mais  la,  vrai...  jc 
n'en  ai  jamais  vu  comme  vous  ! 

KERGAZU.N.   11  allume  son  bougooir,  s'cn  va, 
ct,  arrive  a  la  portc  de  sa  cliamlire,  se  retoiirne  pour  saluer. 

Je  vous  souhaite  le  bonsoir.  (ii  sort.; 

JULIETTE,  courant   a  la  porte. 

Monsieur,  monsieur,  en  ne  vous  ferait-y  rien  que 
j'ecrive  a  Eugene?...  Monsieur,  monsieur!... 


ACTE  DEUXIEME 


A  la  Serpolette. 

Une  salle  de  vicux  chateau  :  lambris  en  bois  Jcchene;  murs  tendus 
de  vieilles  tapisscrics.  —  Ce  salon  donne  sur  Ic  pare  du  chateau  :  la 
campag-ne,  en  liiver.  par  un  beau  jour.  —  Porte  au  fond,  portes  a 
droitc  ct  a  gauclic:  deux  grandes  fenetres,  au  fond,  une  de  chaque  cote 
do  la  porte.  —  Deux  butfcts  avcc  etagcrcs  entre  la  portc  et  les  fenetres. 
—  A  gauche,  centre  Ic  mur,  un  grand  cartel ;  a  droite,  une  haute  che- 
niinee  dans  laquello  flanibe  un  grand  feu.  —  A  gauche,  une  grande 
table  en  vieux  clu'ne ;  pros  de  cette  table,  un  grand  fauteuil ;  un 
tabouret  dcvant  le  fauteuil.  —  Canape,  a  droite.  pres  do  la  cheminee, 
et.  pros  du  canape,  un  petit  gueridon :  a  cote,  deux  chaises.  —  Chaises 
au  fond. 


SCENE  PREMIERE 

BOISGOMMEUX,    en    costume    do    chasse,    MARTIXE 

MOUCHE. 

Boisgommeux  dans  le  grand  fauteuil,  la  jambe  sur  un  tabouret,  prenant 
son  cafe. —  Martine,  a  genoux,  la  figure  tournec  vers  le  public,  acheve 
de  boutonner  les  guctres  du  vicomte.  —  Au  fond  du  theatre,  Mouche 
preparant  le  fusil,  les  cartouches,  etc. 

liUlSGOMMEUX. 

A  la  bonne  licurel  on  e.st  bien,  ici. 


.MARTINE. 

Pas  vrai.  m'sieir? 


EUe  se  leve. 


B  0  I S  G  O  M  M  i:  r  X  . 
De  bonnes  grosses  chaussures...  des  habits  qui  ne 
vous  genent  pas...  de  Tespace,  de  lair... 


3i  LA    I'ETITt:    MARQUISI:: 

martini:. 
Et  du  Ijoii  caft' ! 

nOISCOMMKUX. 

C"est  toi  qui  las  fait,  le  cafe? 

MARTINE,  so  relevant. 

Jc  crois  bien,  que  c'est  moi!... 

I!  ()  I  S  G  ()  M  M  E  U X  . 

Viens  m'embrasser,  Marline. 

MART  INK,  rcnitji-assant  ;i  la  paysanne. 

Je  crois  Ijicn,  que  j"y  vas!... 

HUISGOMMETX. 

A  la  bonne  heurel  c'est  Qa  de  I'aniour...  ui  prcna  sa 
pipe.)  Tandis  que  cette  mijauree  d"hier  soir...  (Avec 
fuieur.)  Ouand  on  soni^e  que,  pendant  six  mois,  j'ai  etc 
son  esclave,  son  chien...  une  chose  a  elle!...  voila  ce 
que  j'ai  ete  pendant  six  mois...  et  au  bout  de  ces  six 

niOlS...  ah!...  (Maitinc.  q)n  .s'elait  eloignee  pendant  les  dernieres 
jiarolcs  do  Boi;,'ommeu\-.  revicnt  et  lui  pr^sente  un  bout  de  papier 
enflamme    avec  lequel   il    alhime    sa   pipe.)   A  la    bonne    llCUre ! 

c"est  qa  de  I'amour!...  Viens  m'embrasser,  Marline... 

MARTINE. 

Tant  que  vous  voudrezl 

Kile  I'cmbrasse. 
I'.Dl.SGOMMEl'X. 

Bonne  fille  !...  (Tom  en  lumani.uVli  ca,  et  Tautrc?...  ui  so 
leve>...  et  Georgette?... 

MAHTINIC,   pen  conlcnte. 

Georgette?... 

ROISOOM  MEU.X,  allant  s'adosser  ii  la  chominee. 

Oui,  nous  la  vcrrons  bientot,  j'aime  a  croire... 

MARTINE,  furieuse. 

Elle  est  a  la  ferine.  Georgette...  Sa  place  n'est  pas 


ACTE   DEUXIEME.  35 

au  chateau,  a  Georgette,  sa  place  est  a  la  ferme...  et 
elle  I'era  bien  d'y  raster,  car  si  cllc  avait  riniprudence 
do  vciiir  ici,  je  la... 

MorCHK,  toiijuui'.s  au  I'uml.  sans  sc  rctourncr. 

La  via ! 

M  AUTINE. 

Oirest-ce  cjue  tu  dis? 

Mot'ClI  K. 

.le  dis  quo  v'la  Georgette  (;[u"arrivc...  (Montrant  hi 
fcnetici  et  elle  court,  elle  court!...  uioguenaniant.)  Mais, 
coaime  elle  sait  que  c^a  vous  d<''plairait,  p't'etre  ben 
qu'elle  n'entrera  pas...  (Entro  Ocoigctte.)  Si!  elle  a  entre 
tout  de  meme...  J'  vas  lacher  Diane,  pas  vrai?  ni'sicu. 

1!(1ISG{»MMEU\. 

Oui,  va  lacher  Diane. 

Muuche  sort.  —  Georgette  est  rcstee  sur  le  scuil  de  la  porto. 


SCENE  II 

BOISGOMMEUX,  MARTINE,  GEORGETTE. 

I!()1S(;()MMEUX. 

Donjour,  Georgette. 

G  K  ()  R  G  E T T  !■  . 

Bonjour,  m'sieu. 

I!i)IS(;oMM  VA'X. 

Tu  as  quitte  la  ferme,  il  parait? 

G i: (I R G  E T T I-  . 

Je  suis  venue  des  rjue  j'ai  su  que  monsieur  le  vicomte 
etait  arrive...  et  si  je  I'avais  su  plus  tO)t,  je  serais  venue 
plus  tot... 

1',  ()  1  S  G  ()  M  M  K  V  X  . 

Bonne  petite!..   Viens  m'endjrasser,  Georgette. 


36  LA    I'F.TITE    MARQUISE. 

GKURGETTE. 

Oh  !  m'sieu... 

liOlSGOMMEUX. 

Eh  bieu?... 

GEORCKTTE. 

J'ose  pas... 

RdlSGOMMEUX. 

Puisque  je  te  le  permets  !... 

II  pose  sa  pipe  sur  unc  chaise,  prcs  de  la  cheminde. 
GE(JRGETTE. 

Tout  de  bon"?... 

I!(MSG()MMEl'.\. 

Tout  de  bon. 

GEORGETTE. 

Oh!  alors... 

Ello  viont  a  lui  ct  rembrassc. 
MARTIN  E.  bondissant  dans  son  coin  ct  nicnacant  Georgette. 

Toi.  tout  a  I'heure...  je  ne  te  dis  que  cal... 

liuiSGiiMMEUX. 

AUons,  la  jalouse,  allons...  Viens  aussi,  toi... 

M  AUTINE. 

Non,  par  exemplel... 

ROISGOMMEUX,  marchant  vers   Marline   sans  (jniltcr 
Georgette. 

Non?... 

M  A  R  TINE. 

Non  ! 

ROISGOMMEI'X,  tout  pres  de  Martine. 

Bien  vrai,  tu  ne  voux  pas?... 

Apres  un  instant  de  resistance,  Martine  sc  laissc  tombcr  dans  les  bras 
de  Boisgommcux. 

MARTINE. 

Ah!... 


ACTE    DEUXIEME.  37 

BOlSGUMMF.rX,  los  cmbrassant  toutos  les  deux.  — 
II   coniincncc  par   Martinc. 

A  la  bonne  heure!  c'est  (^a  de  I'amour...  pas  dc  sima- 

greeS,  pas  de  manieres...  (Les  deux  lemmes  sans  le  quitter, 
essaient  dc  s'envoyer  des  coups  dc  pied.)  Ell   bicn?...  CJu'cst-CC 

que  e'est?...  voulez-vous  bien  vous  tenir  tranquilles?... 

(I.cs  deux  fi'iumes  s"arretont  :  il  les  cmbrasse ;  cllcs  rocommenccnt) 
Eh  ]jien?...  (Les  deux  fenimes  s'arretont  da  nouvoau  :  il  les 
embrasse.)  C'cst  ^a  dc...  (Les  ecavtant  bi-tisipiemont.)  Ell    bien, 

non!  ce  n'est  pasca  du  tout!...  L'amour,  c'est  une  petite 
femme,  pas  pkis  haute  que  qq,  qui  vous  fait  poser  et 
qui  se  moque  de  vous,  qui  vous  donne  des  rendez-vous 
et  qui  n'y  va  pas,  qui  se  barricade  derriere  an  cordon 
de  sonnette  et  qui.  de  la,  avec  des  petites  mines  de 
roquet  en  colere,  vous  crie  :  «  Non,  je  ne  vous  aime 

pas...  (imitant  les  intonations  do  la  manjuiso.)  Non,  jc  ne  VOUS 

aime  pas!  non,  je  ne  vous  aime  pas!...  »  C'est  ca  qui 
est  Tamour,  et  ce  n'est  pas  autre  chose  !.. 

De  chaque  coto  dc  la  scene,  les  deux  femmes  le  regardent  avec 
stupefaction. 

M  .\  U  T  1  N  1-: ,  a  Georgette. 

Que  quMl  a?... 

Georgette  rcpond  par  gcstes  qu'cllc  n'en  sait  ricn. 
IU»  I  SCO  MM  LUX. 

Vous  n'etes  pas  comme  ca,vous  deux...  he?  (Les  deux 

femmes    se    rapprucliont    dc    lui    avec    une   certainc   imjuiutude. )   Ce 

n'est  pas  vous  c{ui,  si  Ton  vous  parlait  d'amour,  iriez- 
vous  pendre  a  la  sonnette?... 

.\L\11T1N'E,  ne  cumprenant  pas. 

Nous  pendre?... 

GFORGETTE. 

A  la  sonnette,  il  a  dit?... 

M.UITINL. 

A  la  sonnette!... 

Apres  avoir  essaye  pendant  quelque  temps  de  ne  pas  rire,  Ics  dcu.x 
femmes  linis-scnt  par  eclatcr. 

II.  3 


38  LA   PETITE    MARQUISE. 

I?(^lSGoMMKU.\. 
Ell  Ijieill...    (Ec   rirc   ilcs   fommcs    .s'arvetc   court.)  ElleS   SOnt 

betes  commc  des  oies...  (ii  ics  quitte.)  Allons,  vous  etes 
trcs  gentillcs,  toutes  les  deux,  tres  gentilles,  tres  gen- 

tilles...  (II  rcmontc  ct  prond  ilcs  cartouches.)  Adorez-moi.  je  Il'v 

vois  pas  do  mal,  niais  ne  vous  donaez  plus  de  coups 
de  poing  ni  de  coups  de  pieil,  je  vous  le  defends... 

MAUTINF,  :i  part. 

Oh!  quant  a  cal... 

Udl.sCd.MMEr.X. 

Je  vous  le  defends,  vous  entendezl  (A  Mouchc,  qui  parait 
an  fon.i.)  Ell  bien.  Mouche.  y  sommes-nous? 

More  hi:. 
Qui,  m'sieu. 

r,  1 1 1  .^ ( ;  (I  M  M  r. u .\ . 
Allons,  alors...   iii  prcnd  son  fusil.)  A  tout  a  riieure, 
vous  deux  I...  Ill  surt.)  Tout  beau,  Diane!...  Eh  la  I  eh 
la!...  tout  beau  !... 

On  cntcnd  encore  sa  voi.\  pendant  quelquc  temps. 


SCENE  III 

MARTINE,  GEORGETTE. 

GEORGETTE,  qui  Cst  rcmontoo  pour  voir  Boisgommcux 
plus  long-temps. 

11  n'a  pas  d"espi'it  du  tout,  not'  maitre...  niais,  mon 
Dieu,  qu'il  est  beau  ! 

M  .\  R  T  1  N  E . 

Tu  trouves?... 

GEORGETTE. 

Oh!  oui. 


ACTE   DEUXIEME.  39 

M  A  U  TINE. 

Georgette!... 

OEOROETTi:. 

Apres?... 

M  A  U  T  1 N  E . 

Onelle  heure  est-il?...  Reg-arde  bien  la... 

Georgette  passe. 
GEORGETTE,  regardant  le  cartel. 

Xeuf  heures  et  demie  moins  quelques  minutes...  Tu 
ne  le  vols  pas? 

M  A  R  T 1 N  E . 

Si  fait,  je  le  vols... 

G  E  0  R  0  E  T  T  E . 

Eh  ben,  alors?... 

M  A  R  T I N  I-  . 

Cest  pour  t'avertir  que,  lorsque  la  demie  sonnera, 
je  te  sauterai  dessus. 

GEORGETTE. 

Ah!  bon!... 

MARTINE. 

A  moins  que  tu  ne  t'engages  a  ne  pas  sortir  de  la 
ferme  pendant  tout  le  tenqDS  que  m'sieu  le  vicomte 
restera  au  chateau... 

GEORGETTE. 

Ou"est-ce  que  tu  y  gagnernis?  Si  je  restais  a  la 
ferme,  m"sieu  le  vicomte  y  viendrait,  a  la  ferme,  etv"la 
tout!... 

MARTINE. 

Ca  me  regarde,  ga...  Promets-moi  seulement  de  ne 
pas  venir  flaner  par  ici,  et  je  ferai,  moi,ce  qu'il  faudra 
pour  qu'il  n'aille  pas  flaner  par  la...  Promets-tu?... 

GEORGETTE. 

Je  ne  promets  rien  du  tout. 


40  LA   PETITE    MARQUISE. 

martini:. 
Decidement?... 

GICnUGETTE. 

Decidement  I... 

MARTINE,  retroussant  ses  manches. 

Alors,  tu  sais,  quand  la  demie  sonnera... 

GEORGETTE,  ineine  jeu. 

C'est  entendu!... 

■Moment  de  silence.  La  demie  sonne  :  Marline  et  Georgette  s'elancent 
I'une  sur  Tautre,  la  main  levee.  Au  moment  oii  elles  vont  frappcr, 
elles  s'arretent,  tendent  I'oreille  :  on  cntcnd  les  grelots  dun  chcval,  le 
claquement  d'un  fouet. 

TOUTES    DEUX,   ensemble. 

Ou'est-ce  que  c'cst  que  (;a? 

Elles  font  dcmi-tour  ct  rcmontent. 
GEORGETTE,  regardant  par  la  gauche. 

La  voiture  du  pere  Turquet... 

MARTINE. 

Une  femme!... 

I, a  marquise  parait  au  fond,  sans  ontrer;  die  tient  a  la  main  son 
indicateur  des  clieniiiis  de  for. 


SCENE   IV 

Les  Memes,  IIEXRIETTE,  puis  TL'RQUET, 
puis  MOUCIIE. 

HENRIETTE. 

3Ionsieur  le  viconite  Max  de  Boisgommeux"? 

GEORGETTE. 

Vous  eles  cliez  lui,  madamc. 

Martinc  passo. 


ACTE   DEUXIEME.  41 

}I1:nU1I:TTE,    entrant. 

Chez  Uli  !...  (Se  laissant  tomber  sur  le  I'auteuil  qui  est  pres  de 
la  talilc.  —  Au  cocher  qui  s'arrcte  au  fond,  portant  la  petite  malle.) 
Entrez,  mon  ami.  (Montrant  le  gueiidon  a  droite).  MettCZ  CCla 

ici...  iLui  donnant  de  laigont.)  Tencz...  voici  ce  que  je  vous 
ai  promis. 

TURQUET. 

Merci,  madame...  Mais  vous  me  permettrez  bien  de 
laisser  soulHcr  moii  cheval?... 

HEXRIETTE. 

Certaincment...  Restez  ici  autant  qu"il  vous  plaira, 
et  demandez  ce  dont  vous  aurez  besoin. 

GEURGETTE,  a  part. 

Elle  est  sans  srene ! 


MARTI  NE. 

Adieu,  pcre  Turquct. 


Le  cocher  sort. 


HENRIETTE,    regardant   autour  d'clle. 
Chez   lull...    cheZ  moi!...  (Deux  coups   de    fusil  assez    loin.) 

Qu'est-ce  que  c'esl  que  ^a? 

MARTINE. 
HENRIETTE. 

Oui... 

MARTINE. 

C'est  monsieur  le  vicomte  qui  chasse. 

HENRIETTE. 

Ah!...  et  dans  conibien  de  temps  va-t-il  revenir? 

MARTINE. 

Dans  combien  de  temps?... 

HENRIETTE. 

Oui...  dans  combien  de  temps  sera-t-il  ici? 


42  LA   PETITE   MARQUISE. 

M  A  It  T  I  N  E . 

Jo  ne  sais  pas,  nioi...  dans  une  licure... 

CI-ORGKTTE. 

Ou  Lou  dans  doux. 

IIENRIETTE. 

Je  raltcndrai. 

Ellc  se  l('vc,  rcgardc  encore  unc  fois  autour  d'cUe,  se  dtibarrassc  de 
son  nianteau,  va  sc  cliauffcr  les  picds  a  la  grande  cliemince,  etc.,  etc. 
—  Martine  ct  Georgette  descendcnt  en  scene  a  gauche. 

MARTIXE,    ;i  Georgette. 

Regarde-moi  celte  toilette...  I'egai-dc-moi  done  q,a\... 
cette  robe,  ces  jupons,  ces  has!... 

GEORGETTE. 

Et  CCS  soui'ers!...  T'as  vii  les  sou'iors?... 

MARTIN  E . 

C"est  quequ'  coqnine  de  Paris  qui  court  apros  mon- 
sieur. 

GEtiRGETTE. 

Et  nous  qui  allions  nous  Ijattre!... 

M  A  R  TINE. 

Ah  bien,  par  exemple!... 

GEORGETTE. 

Dis  done,  Martine? 

MARTINE. 

He?... 

GEORGETTE. 

Au  lieu  de  nous  battre,  si  nous  Fempoignions,  toutes 
les  deux,  he?...  et  si  nous  la  fichions  dans  la  mare?... 

M  A  R  T  I  N  K . 

C'est  une  idee!... 

Mouclie  accourt  tout  essoufdc. 


ACTE   DEUXIEME.  « 

MOUCHE. 

La  pipe!  donnez-moi  la  pipe! 

HENRIETTE,    4iiiit;uU  la  chcminee   ot  venant  pres   do 
la  table. 

Ou'est-cc  qu'il  y  a,  mon  gargon? 

MOUCllE,  cffare. 

Ah!... 

HENRIETTE. 

Ell  bien"?... 

More  HE. 
C'est  m"sieu  le  vicomte  qu'a  oublic  sa  pipe. 

HENUIETTE. 

Sa  pipe!... 

MdUCHE. 

Oui,  niadame...  sa  pipe... 

Ilcnriclto  voit  la  pipe  sur  la  chaise,  la  prcnd  en  souriant,  la 
rcgarde  ct  la  donne  clle-memc  u  Mouche. 

HENRIETTE. 

Tiens,  mon  gar(;on,  porte-lui  sa  pipe,  et  dis-lui  en 
meme  temps...  qirune  personne...  i.Mouvement  de  Martine 

ct  de  Georgette.)  Noil,  lie  lui  dis   Hen...  (Elle    s'assied.  dechire 
une  fcuillc  de  son  carnet  et  ucrit  quelques  mots.)  Doniie-lui  cela, 

tout  simplement...  va  vite... 

MARTINE    et   GEORGETTE,  so  precipitant  .sur  Muuclie. 

Ou"est-ce  qu'elle  a  ecrit?  lais  voir...  qu'cst-ce  qu'elle 
a  ecint  sur  le  papier? 

EUcs  sortent  avcc  Mouclie. 

SCENE   V 

HENRIETTE,  .scuic. 

J'ai  eu  raison  d'ecrire  en  anglais...  Enfin  j'y  suis,  la 
chose  est  faite,  il  n"y  a  pas  moyen  de  retourner  en 
arriere...  Maintenant,  rellechissons.  J  ai  essaye  d«3Ja.. , 


44  LA   PETITE    MARQl'I^E. 

mais,  pendant  la  routC;  c'etait  impossible...  L"cmotion, 

10  tapage  du  chemin  de  fer...  pan  pan...  et  puis,  apres 
le  chemin  de  fer,  cette  carriole  qui  versaitii  moitic,  et 
sc  rclevait  pour  retomber  encore...  II  n"y  avait  pas 
moyen...  Ici,  au  moins,  je  suis  tranquille...  je  puis 
fixer  mes  idces,  ici...  Voyons...  Eli  bien,  non...  j"ai 
beau  faire...  tout  ^a.  danse,  danse...  (Eiie  essaic  encore  et  se 

pren<l  la  teto  a  deux  mains  )  Vovons,  pOUftant,  je  veux...  je 

veux...  (En  riant.)  Ah!  all  bien.ouil...  prrr!...a  quoi  bon 
reflechir,  d"ailleurs  I...  Je  ne  sais  quiine  chose...  c"est 
qu'hier  j'etais  la-bas...  et  qu'aujourdhui  je  suis  ici... 
C'est  qu'hier  encore  je  me  croyais.  j'avais  toute  raison 
de  mecroire  condamnee  aux  troubadours  a  perpetuite, 
et  qu'aujourdluii  je  suis  libre...  ils  ne  viendront  pas 
me  chcrcher  ici,  les  troubadours  !J'en  ai  fini  avec  eux... 
Une  existence  nouvelle  va  commencer  pour  nioi,  exis- 
tence toute  remplie  d'amour,  de  passion,  de  delire!... 

11  est  a  moi,  je  suis  a  lui!...  C'est  ca  que  je  lui  ai  ecrit 
tout  a  rheure,  en  anglais...  sur  le  petit  papier...  Et 
maintenant,  sans  doute,  il  a  lu  le  petit  papier...  11  sait 
que  je  I'attends...  il  s'elance...  il  accourt.  il  est  la  I... 
C'est  lui! 

Entrc  Boisgommcux. 

SCENE   YI 

llEXRIETTE,    BOISGOM.MEUX. 

HF.NRlKTTi:. 


Max!... 

llenriettc!... 

Ah! 

EUe  tombc  dans  ses  bras.  —  Eml.rassemcnts,  transports.  —  Martino  et 
Georgette  paraissent  au  fond  et  levcnt  Ics  bras  avec  indignation. 


BulSG(tMMEUX. 
IIKNRIKTTE. 


ACTE   DEUXIEME.  45 

13  ()  I  S  G  U  M  M  E U X . 

Henriette! 

MARTI  NE  et  GEORGETTE,  avcc  un  grand  cri. 

Ohl... 

B  U  1 S  G  0  M  M  E  r  X . 

Voulez-voLis  bien  filer,  toules  les  deux,  voulez-vous 

bieil"?...  lElles   sc  sauvcnt   precipitaniment ;  Boisgommeux  forme  la 
porte  dufond  et  rcdescend.)  Henriette!... 

HENRIETTE. 

Max!... 

B  U  I  S  G  U  M  M  E  U  X  . 

Ce  n'cst  pas  un  reve,  c'est  bien  vous  qui  etes  la,  c'est 
bien  vous  que  je  serre  dans  mes  bras... 

HENRIETTE,   criant  parcc  qu'il  la  icrre  un  pou  trop. 

Aie!...  Oui,  c'est  bien  moi. 

BOISGOMMEUX. 

Vous  qui,  hicr  soir... 

HENRIETTE. 

Ne  parlous  plus  de  ga. 

BOISGOMMEUX. 

Tandis  que  maintenant... 

HENRIETTE. 

Ah!... 

BOISGOMMEUX 

A  moi!  maintenant,  a  moi!... 

HENRIETTE. 
Oui...  a  vous...  ai  lembrasse.)  A  toi... 
BOISGOMMEUX. 

A  toi!...  tu  Fas  dit?... 

HENRIETTE. 

Oui,  jc  I'ai  dit... 


46  LA    PETITE    MARQUISE. 

I$01SG0MMi:r.\,    (loutant   encore. 

Tu  Tas  dit,  niais   la   ne  le  dirais  pas  Line  seconde 
fois? 

lIKNRIETTi:,   lesoliic. 

Si,  jc  Ic  (lirais... 

B  0  I S  G  0  M  M  K  U  X . 

Dis-l<v  alors... 

IIKNRIETTi:. 

A  toi...  a  toil... 

i;  0  I  .■<  G  0  M  M  E  U -K . 

Ell  bicn,  ecoutc. 

HENRIETTE. 

J'ecoute. 

BOISGOMM  EUX  ,  au  conible  do  rentliousiasmc. 

Tout  ce  qu'une  poitrine  humaine  peut  renfermcr  de 

IjOnheur...  (ll  tire  un  perdrcau  do  la  poche  de  sa  veste  et  le  pose 
siu-  la  taljlc.)  Tu  eiltends,  n'estce  pas?  (Il  tire  de  sa  pochc  un 

second  perdreau.)  Tout  cc  qu'uiic  poitriiie  humaino  peut 
renfermer  de  bonheur... 

HENllIETTE,  c-perdue. 

Eh  bicn?... 

liOISGOMMEUX,  avec  calme. 

Ma  poitrine,  a  moi,  le  renlerme  en  ce  moment. 

HENRIETTE. 

All  1 

liOLSGO  MMEUX,  la  conduisant  vers  le  canape. 

Ilenriette!... 

HE.NRIETTE,  se  laissant  tonihcr  sur  le  canape. 

Max!... 

ROISGOM  MEUX.  tombant  aux   pieds  d'llcnrielle. 

Mij  little  marchioness... 

HENRIETTE. 

Darlinfj!  darlinij! 


ACTE   DEUXIEME.  47 

HOISGOMMEUX. 

For  ever,  n"est-ce  pas,  for  cccr?... 

IIENRIETTE. 

Oh!  yes...    yours,    yours   for    cccr...    and    nothiiuj    can 
prevent  me  being  yours... 

BOISGdMMEUX,  avec  force. 

I  love  you!  I  love  you!... 

HENRIETTE. 

Et  moi  done! 

Ij  0  1  SGO  M  MEUX   se  love  et  s'assied  stir  lo  canape  a  cote 
d'llcnrictte. 

Extase...  longue,  longue  extasc... 

HENRIETTE.  apres  quehpies  secondes  d'oxtasc. 

Vous  avez  dejeune,  mon  ami? 

B  U  I S  G  O  M  M  E UX  ,    simplement. 

Non,  j'ai  seulement  pris  un  pen  de  cafe,ce  matin;  je 
dejeuncrai  a  onze  houres,  comme  d'habitude. 

HENRIETTE,  inquieto. 

A  onze  heures? 

B  U  1 S  G  0  M  M  E  U  X . 

Oui. 

HENRIETTE. 

C"est  que.  je  ne  sais  comment  vous  dire...  Vous 
allez  mo  trouver  bien  materielle... 

BOISGOMMEUX,  se  relevant. 

Insense  que  je  suis ! 

II   Sonne  :  les  deu.x  portes  de  cote  s'ouvrcnt  en  int'mo  temps:  Martino 
parait  a  Jroite,  Georgette  parait  a  gauche. 


i  LA    PETITE    MARQUISE. 

SCENE   YII 

Les  Memes,  MARTIXE,  GEORGETTE. 

BOISGOMMEUX. 

Le  dejeuner,  tout  do  suite! 

MARTI  NE,    stnpolaitc. 

Tout  do  suite? 

r,  o  I  s;  G  o  M  M  E  t:  x  . 
Oui,  tout  de  suite. 

GEORGETTE,    ironiqne. 

Combien  de  converts? 

R  ()  I  S  G  1 1  M M  E T'  X . 

Deux  couverts. 

MARTIN  E    et   GEORGETTE,  fivec   le   memo  grand  cri. 

Oh! 

BOISGOMMEUX,  severcmcnt. 

Eh  bien?... 

Les  deux  portes   sc   referment  violemmcnt  et  d'un   seul  coup 
juste  en  mcme  temps  les  deux  femmes  ont  disparu. 


SCENE  YIII 

HENRIETTE,  .MAX. 

IIEXRIETTE. 

Vous  nc  vous  allendicz  pas  a  me  donner  a  dejeuner?... 

ROISGOMMEUX,  venant  s'asscoir  pres  dTIenriettc. 

Oh!  pour  qa  non,  par  exemple!..,  et  meme,  si  je  ne 
craignais  pas  d'etre  iiidiscret... 

HENRIETTE. 

Ne  craigncz  pas. 


ACTE   DEUXIEME.  49 

I5  0ISGOMMEUX. 

Je  vous  demanderais  comment  vous  avcz  pu  vous  y 
prendre... 

IlENRIETTK. 

J"ai  dit  que  je  m'en  allais  en  Normandie,  chez  ma 
tante. 

BOISGOMMEUX. 

Chez  votre  respectable  tante... 

IIENRIETTE. 

Oui. 

HOISOOMMEUX,  emu. 

Et...  pour  combien  de  jours  avez-vous  dit  que  vous 
vous  en  alliez?... 

IIENRIETTE. 

Pour  deux  ou  trois  jours. 

15  ( •  I  S  G  0  M  M  E  U  X  . 
Pour    deux    ou    trois?...    ^IIenl■iotto   incline    la    tetc).  Mais, 

alors,  dites  done?... 

IIENRIETTE. 

Ouoi?... 

p.  ( )  I S  G  0  M  M  E  U  X . 

Mais,  alors,  dites  done?...  Vous  ne  serez  pas  obligee 
de  partir  tout  de  suite  apres  le  dejeuner?...  (Homiettc 

sourit.)  He?... 

IIENRIETTE. 

Non,  je  ne  serai  pas  obligee... 

BOISGOMMEUX,  so  mcttant  a  courir  dans  la  chambre   commc  s'il 
a\ait  poi'ihi  la  toto. 

Mais  alors,  dites  done?...  mais  alors,  dites  done?... 

Ileurietto  so  love. 
H  E  N  R  I  E  T  T  E . 

Qu'est-ce  que  vous  avez?... 


50  LA    PETITE    MARQUISE. 

p,()isg»)mmi:l'.\. 
C'est  le  bouhcur!... 

HKNUIETTE. 

Vraimcnl,  vous  etcs  heureux?... 

IMMSGOMMEU.X. 

Tout  ce  qu'une  poitrinc  humaine... 

11  E  X  R  I  E  T  T  E ,   li  iilcrioinpant. 

Oiii.  je  sais.  Qirest-cc  que  cc  sera  done,  quaad  je 
vous  aurai  dit  ce  que  j'ai  encore  a  vous  dire  ? 

lUHSGOMMEr.X. 

II  y  a  encore  quelque  chose?... 

IIENIUETTE. 

Venez  la,  pres  dc  moi... 

B  ()  I  S  G  U  M  M  E  U  X . 

II  y  a  encore  quelque  chose.  Ah!...  c'est  trop!... 
c'est  troi)!...  Ah ! 

IIEXIUETTE. 

Calmez-vous,  voyons... 

P.OISGOMMEUX. 

Je  ne  \)eux  pas... 

HENRIETTE. 
AsseyeZ-VOUS  la...  la...    (Boisgommcux  s'assied  caupres  dcllo.) 

Vous  rappelez-vous  ceque  vous  me  disiez  quand  vous 
me  faisiez  la  cour? 

BOISGoMMEt'X. 

Et  que  vous  vous  nioquiez  de  moi... 

IIKXIUETTE,    rcinpechant  de  continuer. 

Oh!...  oh!...  Votrc  amour  etait  immense,  profond 
com  me  le  grondement  loinlaiu  du  tonnerre,  suave 
comme  la  palpitation  dcs  etoiles...  II  devait  durer  loute 
la  vie,  voire  amour,  toutc  la  vie!... 


ACTE    DEUXIEME.  51 

BOISGOMMEUX. 

Et  I'eternite  done!...  a  quoi  devais-je  I'eniployer, 
reternite?... 

II  i:\lUETTE. 

A  voiis  souvenir  que  vous  m"aviez  ainiee... 

r,  0 1  s  G  o  M  M  i:  r  .\ . 
Kt  elle  no  dcvait  pas  nie  paraitrc  trop  longue...  vous 
vous  I'appclez...  j'a joutais  qu'elle  ne  me  paraitrait  pas 
trop  longue. 

HEXRIETTE. 

«  Si  vous  etiez  libre,  me  disiez-vous,  si  rien  ne  nous 
separait  Fun  de  I'autre,  si  nous  pouvions  vivre  tons  les 
deux,  tout  seuls,  enlermes  dans  notre  amour...  » 

B  U  I S  G  O  M  M  E  r  X  . 

Oui!...  Malheureusement,  e'est  un  revc... 

HEXRIETTE. 

I'n  r>!"ve?... 

liUISGoMMEUX. 

Dame!... 

HEXRIETTE. 

Kli  bien,  mon  ami,  ce  reve...  va  maintenant  devenir 
une  realite... 

IJUISGOMMET'X. 

Pas  possible? 

HEXRIETTE. 

Par  suite  d'arrangements  intcrvenus  entre  mon  mari 
et  moi,  jc  suis  libre,  maintenant. 

ROISGO.M.MEUX. 

Libre!... 

HEXRIETTE. 

Et  noil  seulement  je  ne  partirai  pas  dici  lout  de 
suite  apres  le  dejeuner,  mais  jamais  jc  n'en  partirai, 
d'ici,  jamais,  jamais! 


52  LA   PirriTI']    MARQUISE. 

I'.olSCOMMKUX. 

Vous  badinez!... 

IIKMUETTE. 

Pas  Ic  moins  du  nionde...  c'esttivs  serieux.  (Le  vicomtc 
sc  levo.)  Jc  serai  bicu  obligee  de  faire  iiii  pelit  voyage  a 
Paris,  pour  la  regularisation  de  ces  arrangements  dont 
je  vous  ai  parle...  Mais  je  reviendrai  tout  de  suite... 
(Eiie  so  leve)  et  je  ne  m'en  irai  plus!... 

nolSOOMMKUX. 

Ah!  ah!... 

III'NRIETTE. 

Ou'est-ce  que  vous  en  dites? 

r.OlSGUMMEUX. 

C'est  un  nouveau  point  de  vue,  voilii  ce  que  j"en  dis, 
c'est  un  nouveau  point  de  vue. 

IIENRIETTE,  oiivi-;int  sa  niallo  do  voyage  ot  en  tirant  divers 
objels. 

Vous  voyez.  (Eiie  passe.)  J'ai  apporte  toutes  nies  petites 
affaires...  ma  guipure,  pour  travailler  au  coin  du  feu... 

r.OISC.OMMEUX. 

La  Revue  des  Deux  Mondcs... 

IIEXr,  lETTE. 

Vous  me  la  lirez... 

r.  ( )  1  s  o  ( )  M  M 1-:  u  X . 
Toulela  vie!... 

IIENRIETTE. 

Oui,  toute  la  vie,  Max,  toute  la  vie!...  Ah  !  jepeux  bien 
le  dire,  maintenant...  jamais,  s'il  avait  fallu  etre  a  la 
foisa  monmarieta  vous,  jamais  je  n'aurais  consenti... 

(cachant  sa   tete   sur   la  poitrine   du    vicomte.)  Je    n"aurais    paS 

pu!...  (Relevant  la  teto.)  Mais  maintenant  (pril  n'y  a  plus 
(pie  vous...  maintenant  que  c'est  vous,  en  quelque 
sorte,  qui  ctes  mon  mari... 


ACTE    DEUXIE.ME.  53 

UOISGdMMEUX. 


Ah!... 

HENRIETTE. 

A  vous,  maintenant,  a  vous!  a  vousll. 


ROISGOMMErX,  cssayant  d'etre  convaincu. 

Oui,  a  moi!!  a  moi!! 

HENRIETTE. 

Ou'avez-vous,  Max?...  on  dirait...  Est-ce  que,  par 
hasard,  vous  ne  seriez  pas  ravi?... 

R  0 1  S  G  U  M  M  E  U  X . 

Pas  ravi!...  quand  vous  faites  pour  moi...  beaucoup 
plus  que  je  n'aurais  demande...  pas  ravi!...  Si  fait, 
Henriette,  je  suis  ravi.  transporte...  Seulenient... 

HENRIETTE. 

Seulenient?... 

B  0  I S  G  O  -M  M  E  i;  X . 

C'est  un  nouveau  point  de  vue,  voila  tout,  c'est  un 
nouveau  point  de  vue...  (ii  se  promene).  II  y  a  du  bon, 
certainement,  il  y  a  du  bon... 

HENRIETTE. 

La,  me  voila  installee,  vous  voyez. 

1!  1 1 :  S  G  ( )  M  M  E  U  X . 

Oui,  je  vols! 

Entrent  Georgette  ct  '.Martine  apportant  ce  qu'il  faut  pour 
mettrc  lo  couvert. 


oi  LA   PETITE   MARQUISE. 

SCENE  IX 

Li:s  Memi:s.  MARTIXE,  GEORGETTE. 

Ilcnrictlc  a  pris  sa  guipure  ct  travaille.  —  Boisgonimeux  sc  promenc  de 
long  en  large,  va  regarder  an  fond  par  la  fenetre.  —  Georgette  ct 
Martine,  tout  en  mcttant  le  couvcrt,  devorent  des  yeux  la  marquise.  — 
Boisgomnieux,  en  se  pronienant,  tire  macliinalement  de  sa  pochc  sa 
pi])c  ct  se  met  a  la  bourrcr,  Ilcnrictte  s'en  apereolt. 

HKNRlETTi:. 

Max!... 

Boisgonimeux  s"arrcte;  du  regard  Ilcnrictte  lui  indii|uc  sa  pipe. 

r.  0 1  s  c  ( )  M  M  i:  u  x . 

Ah!    Oui...   (En    rcniettant   s:i  pipe    dans    sa   poche.)  C'est   un 

nouveau  i)oinl:  de  vue... 

II  rcprend  sa  promenade. 
MARTl.NE,  ;i  GcorgcttCj  tout  en  mcttant  !c  couvcrt. 

T'as  vu? 

GEORGETTE. 
J'ai  VU. 

M  A  R  T  1  X  E . 

11  u'a  pas  Fair  content,  tout  de  meme! 

ge()R(;ette. 
Jour  de  ma  vie!  si  j'etais  homnie...  el  si  une  femmc 
voulait  nfempcchcr  de  I'unier  ma  pipe!... 

M;irtinc  rcmontc. 

llliNRlETTE,  toujour.s  assise. 
Max!...  venez  un  peu  ici...  (Il  vient  dcrrierc  Ic  canape.)  plus 

pres...  Ou'est-ce  que  c'est  que  ces  deux  personnes?... 
oui,  CCS  deux  personnes  qui  sent  la,  en  train  de  mettre 
Ic  couvei't... 


ACTE   DEUXIEME.  55 

BoiSGOMMErX. 

Mais...  il  y  en  a  une  qui...  il  y  en  a  line  qui  est  de  la 
maison... 

HENUIETTK. 

Et  lautre  vient  pour  raider? 

r.UlSGOMMEUX. 

Kile  vient  de  la  ferme,  Tautre... 

IIENRIETTK. 

Eh  bien,  la,  vrai...  elles  ont  toutes  les  deux  une  sin- 
guliere  fagon  de  me  regai'der. 

I?  ( )  I  s  c.  ( •  M  M  E  r  X . 
Ah!...  bien!... 

HEMUETTE. 

Comment?... 

p.  ( 1 1 S  G  0  M  M  E  r  X  . 

Bien,  bien,  cela  sulTit...  Vous  aurez  soin  de  sortir  le 
moins  possible  de  la  lingerie,  Marline.  Et  vous.  Geor- 
gette, il  faudra  retournera  la  ferme...  mon  enfant. 

MARTINE. 

Ell  bien,  a  la  bonne  lieurelll 

GEORGETTE. 

A  la  bonne  lieure!...  mais  cela  n"est  pas  juste,  enten- 
dez-vous,  madame...  Puisque  vous  I'avez  a  Paris,  vous 
devriez  au  moins  nous  le  laisser  a  la  campagne! 

HOIS  G 1 1  M  M  E r X  ,    luiicnx. 

Voulez-vous  bien  filer!... 

II  chassc  violcmmcnt  los  deux  femmcs. 
GEORGETTE. 

Oh! 

Ello  sort,  procc'dee  do  Martiac.  —  Sur  la  plirasc  de  Georgette,  la  mar([uise 
sest  levee  brusfiueinent  :  Boisgommeux  et  ello  se  trouvcnt  debout, 
I'lm  en  face  dc  I'autre. 


50  LA   PKTITE    MARQUISE. 

SCENE  X 

HE.XRIETTE,  BOISGOMMEUX. 

liUISGO.MMEUX. 

Elle  paitira,  die  partira...    , 

HE  NRlKTTi;. 

J'y  compte  bien ! 

BOISGOMMEUX. 

Co  n'est  pas  au  moment  ou  vous  me  faites  tant  de 
sacrifices  que  j'liesiterais...  Car  vous  m"en  faites,  de 
ces  sacrifices!...  m'en  faitcs-vous,  men  Dieu,  m'en 
iaites-vous!...  voire  situation  dans  le  monde...  voire 
reputation... 

ilENUlETTE. 

Tout,  tout... 

BOISGOMMEUX. 

C'est  beaucoup,  peut-etre? 

IIENRIETTE. 

Xon,  mon  ami,  non... 

BOISGOMMEUX. 

\'ous  ditcs  Qa  parce  que  vous  n'avez  pas  fait  le 
compte...  mais,  si  vous  aviez  I'ait  le  compte... 

}(ENRIETTE. 

Jc  Tai  fait... 

BOISGOMMEUX. 

Et  ^a  ne  vous  a  pas  empechee?... 

IIENRIETTE. 

J'aurais  voulu  qu'il  y  en  cut  davantage... 

BOISGOMMEUX. 

All!...  i.Muuvoinent.)  Commc  ^a,  nous  allons  vivre  tons 


ACTE    DEUXIEME.  57 

les  deux?...  (Ilcmicttc  fait  slgno  que  oui.)  Ou'est-CC  qUC  llOUS 

ferons? 

IIKNRIKTTE. 

Nous  voyagerons!  nous  irons  en  Suisse... 

1!  (1 1  S  ( ;  ()  .\!  M  K r  x . 

Oh!  la  Suisse  en  hiver... 

IIKNRIKTTE. 

Nous  irons  en  Italic...  a  Yenise... 

I'.  (»ISC.  IIMMKU  X,  :l  part. 

J'attendais  Yenisei... 

IIKNRIKTTE. 

Et  puis  nous  reviendrons  ici... 

ROISGOMMEUX. 

Toujours  tous  les  deux,  tout  seuls?... 

IIKNUIKTTK. 

Dans  les  premiers  temps,  il  I'audra  bien...  Yous  ne 
voudriez  pas  m'exposer...  Mais,  vous  savez,  le  temps 
arrange  bien  des  choses...  plus  tard,  dans  deux  ou 
trois  ans,  nouspourrons  commencer  avoir  du  nionde... 

r.  ()is(;(iM  M  Ki'x. 
Ah!... 

IIEXRIETTE,  avcc  un  pcu  irinquiclude. 

Ah?... 

liOlSGOMMETX. 

Je  suis  ravi... 

IIEXRIETTE. 

Bien  sur?... 

lioisCOM  MEUX,  sans  conviction. 

Ma  parole!... 

IIEXRIETTE. 

Je  voudrais  vous  croire,  mais,  malgre  moi,  en  vous 
regardant... 


58  LA    I'KTITE    MARQUISE. 

r.Ol  SCO  MMEUX. 

Mais  si,  je  tous  assure,  je  suis  ravi...  Cc  qui  me 
donnc  Fair,  commc  ra,  un  peu...  c'est  que,  dans  cc  que 
vous  m'avez  dit  tout  a  I'heure,  11  y  a  quelque  chose 
que  je  ne  comprends  pas... 

IIKNUIKTTE. 

Quoi  done?... 

P.OISGOMMEl'X. 

Ces  arrangements  intervenus  entre  votre  mari  et 
vous... 

IIENRIKTTI- . 

lis  sont  les  plus  simples  du  monde...  Mon  mari  m'a 
redeniande  sa  liberie  et  m'a  rendu  la  miennc. 

BOISC.  ilMMi:i'.\. 

II  vous  a  rendu?... 

lIKNTvIHTTK. 

Ma  liberie,  ma  liberie  lout  enliere ! 

I!  (I  I  S  G  { »  M  M  i:  r  X ,  6i-latant. 

INIais  il  n"a  pas  le  droit!...  Certainement  non.  il  n"a 
pas  le  droit  I...  Ah  bien!  ce  serait  joli,  si,  le  jour  on  il 
a  enviede  se  debarrasser  do  safemme,  un  mari  n'avait 
qu'a  lui  dire  :  «  Vous  etes  libre!...  »  et  si  la  femme, 
apres  cela,  n'avait  qu'a  s"en  alter  toniber  chez  un 
pauvre  jeune  hommc  I... 

HENHIKTTK. 

Oh ! ! ! 

p.  II I  SCO  MM  KfX. 

Mais  le  lei;islateur  n"a  pas  voulu  de  Qa,  il  n'a  pas 
voulu  de  (^a,  le  sage  legislateur... 

HI- NIlIKTTi:. 

Vraiment?.. 

i!i)isc.(»MMi:rx. 
Votre  mari  vous  a  tromjjee,  ma  ch("iv,ou  bien  il  s'est 


ACTE    DEUXIEME.  S9 

trompe  lui-meme;  vous  n'ctcs  pas  librc,  pas  libre  du 
tout...  Votre  position  estfansse,  vous  nc  vous  eu  doutez 
pas,  mais  elle  est  on  nc  pent  plus  fausse,  votre  posi- 
tion!... et  si  j"avais  un  conscil  a  vous  donner... 

HKNRIKTTE,  so  cuntcnant. 

Ce  serai t  de  m'en  retourner? 

BOISGOMMEUX,  liesitant  ilevant  sa  pcnsoc. 

Oh!... 

IIEXRIKTTI: . 

N'cst-ce  pas?... 

BOISGOMMEI'X,   p.jli. 

Certainement,  sije  ne  consultais  que  mon  amour... 

HENRIETTE,  c-clatant. 

Son  amour!  il  ose  parler  dc  son  amour!... 

I?  0  I  s  G  0  M  M  E  r  X . 
Madame... 

IIEXRIETTE. 

Un  homme  qui  se  trainait  a  mes  pieds  pour  obtenir 
une  lieure  dema  vie!...  je  lui  apportc  ma  vie  tout  entiere, 
et  il  n'en  veut  pas  !... 

r.OISC.O.MMET'X. 

Parce  qu'il  y  a  de  ces  responsabilites  devant  les- 
quelles  un  gentleman... 

HEXUIETTE. 

Des  phrases,  tout  cela,  des  phrases!... 

liOISGOMMEUX,  sec. 

Comme  vous  voudrez!... 

HEXKIETTE. 

Jamais,  je  le  vois  bien  maintenant.  jamais  vous  no 
m'avez  aimee. 

I!  (I  I  S  G  ()  M  M  E  r  X . 

Jcvous  ai  aimee  en  homme  du  monde... 


60  LA    PETITE    MAUQL'ISE. 

n  i:  N  u  1 1;  T  T  r. . 
Et  il  invoquait  reternitc!...   II  prenait  a  tomoin  le 
grondement  da  tonnerre  et  la  palpitation  des  ctoilcs... 

I!  ( H  S G  ()  M  M  K U  X  . 

Justement!...  J'cn  appelle  a  toutes  celles  qui  ont 
I'habitude  des  homines  du  monde...  le  tonnerre,  les 
etoiles,  Icternite...  est-ce  que  cela  ne  veut  pas  dire?... 

IIENRIETTE. 

Rue  Saint-Hyacinthe-Saint-Honore...  n'est-ce  pas, 
c'est  gaque  ca  veut  dire?...  Rue  Saint-Hyacinthc-Saint- 
Honore...  au  troisieme,  sur  la  cour... 


P.OlSGdMMEUX. 
11  HNISIKTTE. 

i$uis(;(iMMi;rx. 


Madame! ! 
Miserable ! 
Eh  la!... 

IIENRIETTE. 

Oui,  miserable!  miserable!  grand  miserable!... 

BOISGOMMEUX. 

Eh  bien,  c'est  bon  ! 

II  passe. 
IIENRIETTE. 

vSoyez  done  franc,  au  moins,  et  dites  que,  si  vous  me 
conseillez  de  partir,  c'est  parce  que  deja  vous  avez 
assezdemoi,  parce  que  je  vousassommerais  enrestant 

plus  longtenips. 

li  o  I  j;  G  ( t  M  M  E  r  X . 

Oh! 

IIENRIETTE. 

Dites-le,  voyons... 

ROISGOMMEIX. 

yon,  je  ne  le  dirai  pas...  Je  suis  trop  bien  eleve... 


ACTE    DEUXIEME.  61 

HENRIETTE,  fiappuo  an  ccpur. 

Oh! 

Elle  commence  a  reniettre  dans  sa  malic  dc  voyage  tons  les  objets 
qu'cllo  en  avail  retires. 

BOISGOMMEUX,  tres  cnui,  cheieliant  a  lattrapcr  sa  phrase. 

Voyons,  Henriette...  j'ai  etc  trop  loin...  cc  n'est  pas 
tout  k  faitga  que  je  voulais  dire...  Henriette,  voyons... 

Henriette,  implacable,  terminc  son  demenagcment  ct  ferme  sa  malle. 
Puis  cllo  consulto  fidvrcusement  son  indicateur  et  jcttc  un  coup 
d"oeil  sur  la  pendule. 

HENRIETTE. 

J'aurni  le  temps...  (Au  vicomte,  d'uno  voix  giaciaie.)  Une 
voiture,  monsieur,  pouvez-vous  me  fairc  avoir  une 
voiture?... 

noiSGOMMEUX,  de  plus  en  plu';  emu. 

Henriette,  voyons...  Je  retire  ma  phrase...  ct  je  vous 
en  demande  pardon...  Henriette! 

Entre  Mouclie,  apportant  Ic  premier  plat  dn  dejenner. 
HENRIETTE,  :i  Mouche. 

Pouvez-vous  me  dire  ou  je  trouverai  une  voiture, 
mon  ami?... 

M  ()  U  C  II  E . 

II  y  a  celle  qui  vous  a  amenee... 

HENRIETTE. 

Elle  est  encore  la!... 

M  or  CHE. 

Oui,  le  pere  Turquet  monte  sur  son  siege  et  va 
retourner  a  la  gare. 

HENRIETTE. 

A  la  gare!...  (a  Mouche.)  Vite,  mon  ami,  prenez  cette 
malic  et  portez-la  dans  la  voiture  du  pere  Turquet. 

More  HE. 

Bien,  madame. 
II.  4 


62  LA    PETITE    MARQUISE. 

I'.  (J  I  S  C  (J  M  M  E  U  X . 

Voyons,  Hcnrirtte... 

Mouclie  prend  la  malic  et  sort.  —  Ilenriettc  rcmet  son  manteaii, 
son  chapcau,  etc. 

I!  O  I S  G  0  M  M  E  U  X . 

Piiisquejevousdemando  pardon,  voyons...  Ilenrietle, 
je  vous  en  supplie... 

Ilcnriette  fait  un  pas  pour  sortir  :  Boisgommeux  veut  la  retenir ; 
ellc  so  degaije  avoc  un  mouvcraent  d'horreur. 

IIENRIETTE. 

All!...  no  me  touchez  pas  I... 

BOISGOMMEUX. 

Eh  bien.  an  diable  !... 

Arrivee  a  la  porte,  Ilcnriette  so  retournc  et  revient  brusiucnient 
sur  le  devant  dc  la  scene. 

HENT.IETTE. 

Et  VOUS,  femmes,  qui  seriez  tentees  de  m'imiter, 
femmes  qui  avez,  ainsi  que  moi,  reve  I'amour  venant, 
sur  un  nuage  de  pourpre  et  d'or,  vous  consoler  des 
deboiresdu  mariage!...  que  n"etes-vous  la,  messreurs! 
Je  ne  vous  donnerais  pas  de  conseils,  je  ne  vous  ferais 
pas  de  tirades,  je  vous  dirais  tout  simplement :  <  Ecou- 

tez...  (Montrant  Boisgommeux.)  regardez...  et  SOUVenez-VOUS, 

mes  scRurs,  souvenez-vous!...  » 

EUe  remontc  :  Boisgommeux  se  jette  encore  uno  fois  au-devant  d'clle, 
mais  elle  I'evite,  en  faisant  un  crochet,  et  sort  en  lui  jetant  un  dernier 
rcs-ard  de  colore. 


ACTE    DEUXIEME.  63 


SCENE   XI 

BOISGOMMEUX,    puisMARTINE 
et  GEORGETTE. 

I?  ( )  I  s  G  ()  M  M  i:  r  X . 
Eh  bien,  au  diable!...  (ii  buuno  sa  piiic]  Certaincment, 
j"ai  ete  flatte  de  ce  qu'elle  a  fait  pour  moi,  tres  llatte, 
tres  flatte... 

Eufrcnt  Martinc  et  Georgette,  Tunc  par  la  droite,  Fautre  par  la  gauclie; 
cllcs  s"avancent  sur  la  pointc  du  pied  et  arrivcat  saus  faire  de  bruit 
ju!>qu"a  Boisgommcux. 

martini:. 
Et  le  dejeuner!... 

15  O  I  S  G  O  M  M  E  U  X . 

Le  dejeuner?... 

GEi>RGETTE. 

II  est  la,  le  dejeuner. 

lUHSGOMMEUX. 

II  est  la...  Ell  bien,  s'il  est  la,  il  faut  le  manger  :  c'est 
bien  simple. 

G  E  ( )  R  G  E  T  T  E ,  empressee. 

Nous  allons  vous  servir  toules  les  deux. 

Boisgomnieiix  so  met  a  taljle. 
M  A  R  T  1  N  E . 

A  moins  que  vous  ne  vouliez  toujours  que  je  reste  a 
la  lingerie... 

GEORGETTE. 

Et  que,  moi,  je  retourne  a  la  lerme... 

ROISGOMMEUX, 

Jeveux  que  vous  ne  bougiez  d'ici  ni  I'une  ni  Fautre... 
Vous  entendez,  voila  ce  que  je  veux...  Sont-elles  gen- 


6i  LA    I'ETITE    MARQUISE. 

tllles!...  (II  commence  :i  dejeuner.  — Marline,  ;V  sa  Jruite,  tient  une 
assictte;  Georgette,   a  sa  gauche,  lui   verse  a  boire.)  A   IS  IJOIine 

hcure!  c'est  qo.  qui  est  de  I'ainour!...  (ii  embrasse  Martina, 

il  embrasse  Georgette.)  C'est   Qa    qui    est    de...   (Se   levant  brus- 

quement.)  Eh  bien,  non...  j'ai  beau  dire  et  beau  faire... 
ga  n'est  pas  ga  du  tout,  I'amour...  II  galope  dans  la 
carriole  du  pere  Turquet,  I'amour!...  Mais,  en  montant 
h  cheval  tout  de  suite,  j'aurai  peut-etre  le  temps  de 
le  rattraper...  vite!  vite!... 

11  va  prendre  son  cliapeau. 
GEORGETTE. 

Vous  partez,  m'sieu? 

BOISGOMMEU.X,  d6ja  arrive  a  la  porte. 

Oui,  je  pars... 

M.VUTIXE. 

Et  le  dejeuner? 

liDlSGU.MMEUX. 

Mangez-le  toutes  les  deux! 

II  sort. 
GEORGETTE  et  M.VRTINE,    stupclaites.  les  bras   au   cicl. 

Ah!... 

BOISGOMMEUX,  dans  la  coulisse,  pendant  que  le  rideau  tonibe. 

Vite,  un  cheval!  unc  voiture!  Vite!  vite! 


ACTE   TROISIEME 


Chez  la  Marquise. 


Decor  du  premier  acte.  —  I>es  lampes  et  les  candelabres  ne  sont 
pas  allumes. 


SCENE    PREMIERE 

KERGAZON,  JULIETTE. 

Kergazon,  assis  a  sa  table,  travaillo.  —  Juliette,  assise  au  milieu  de 
la  scene,  no  fait  rien  du  tout.  —  Moment  de  silence,  apres  le  rideau 
leve. 

KERGAZON. 

Vous  avez  passe  une  bonne  nuit,  mon  enfant? 

JULIETTE. 

Oui,  monsieur. 

KERGAZON, 

Vous  etes  contente,  alors? 

JULIETTE. 

Oh!  oui,  monsieur,  je  suis  bien  contente.  (Kergazon 
Sonne.)  Vous  sonnez,  monsieur? 

KERGAZON. 

Oui,  mon  enfant,  je  sonne. 

JULIETTE. 

Est-ce  qu"il  faudra  faire  semblant  de  vous   aimer, 
quand  on  entrera? 

4. 


66  LA    PETITE    .MARQUISE. 

K  E  R  G  A  Z  0  N  . 

Cest  inutile...  les  domesliqiies  sont  maintenant  suf- 
fisamment  edifies.  (Entic  Joscpii.)  Rien  encore"? 

JOSEPH. 

Non,  monsieur. 

KERGAZUN,  regardant  sa  montre. 

Quatre  heures  vingt-cinq...  elle  devrait  etre  arrivec. 
Enfin!...  (A  Joseph.)  Vous  faitcs  bien  attention,  n'est-ce 
pas? 

JOSEI'lI. 

Oui,  monsieur. 

KERGAZON. 

Des  que  vous  apercevrez  madame,  vous  viendrez 
vite  me  prevenir. 

JOSEPH. 

N'ayez  pas  peur,  monsieur! 


II  sort. 


KERGAZON. 

Mon  enfant? 

JULIETTE. 

Monsieur? 

KERGAZON. 

Voulez-vous  mc  faire  un  plaisir?. 

jri.IETTE. 

Oui,  monsieur,  jc  veux  bien. 


Ellc  se  leve. 


KERGAZON. 

Prenez  ce  livrc  qui  est  la,  sur  cctte  console. 

11  montre  la  console  au  fond  a  gauclie. 
JULIETTE. 

Ce  gros  livrc-la? 

KERGAZON. 

Oui,  mon  enfant. 


ACTE   TROISIEME.  67 

JUI-IKTTE.  prcnant  Ic  livrc.  qui  est  lourJ. 

Aie ! 

EUe  rcvient  s'asscoir. 

K  K  R  G  A  Z  ( I  N  . 

Cherchez  page  411. 

JULIETTE. 

414?... 

KERGAZON. 

Oui,  moil  enfant...  y  etes-vous? 

JULIETTE. 

Oui,  monsieur. 

K  E  R  ( i  A  Z  ( )  N . 

Ayez  la  bonte  de  lire... 

JULIETTE,  lisant. 

«  Taillefer...  » 

KERGAZUX. 

«  Taillefer  »,  c"est  bien  cela...  continuez. 

JULIETTE,  lisant. 

«  Taillefer  qui  moul...  moul...  » 

KERGAZO.N,  avcc  bonte. 

Moult,  mon  enfant,  inoultl...  c'est  du  vieux  francais... 
Ne  vous  troublez  pas...  lisez  comme  c"est  ecrit. 

JULIETTE,    lisant. 
Taillefer  qui  moult  bien  cantout 
Sur  un  cheval  qui  tost... 

K  E  R  G  A  Z  0  N ,  linten-ompant. 

I  Sur  un  cheval  »,  n'est-ce  pas?...  il  y  a  bien  :  «  sur 
un  cheval »?... 

JULIETTE. 

Oui,  monsieur,  «  sur  un  cheval...  » 

(Rcprenant.) 

Sur  un  cheval  qui  tost  alout, 
Dcvant  li  dus  alout  cantant 
De  Kariemaine  el  de  Rollanl. 


68  LA    P1::TITE    MARQUISE. 

K  E  R  0  A  Z  0  N . 

Merci,  mon  enfant. 

(Se  mettant  a  declamer,  avec  clialeur.) 
Taillefer  qui  tres-bien  chantait, 
Sur  un  cheval  qui  vite  allait, 
Uevanl  le  due  allait  chanlanl 
De  Charlemagne  et  de  Roland. 

Taillefer  chantait,  et  il  chantait  sur  un  cheval.  C'est 
la  justement  le  point  que  je  tenais  a  eclaircir...  Merci, 
mon  enfant...  vous  pouvez  remettre  le  volume.  (Juliette 

va    remettre    le    vulumc    sur    la    console ,    Kergazon    ecrit.)    «    De 

meme  qu'il  y  a  aujourd'hui  des  gendarmes  a  cheval  et 
des  gendarmes  a  pied,  il  y  avait  autrefois,  —  nous  en 
donnons  la  preuve  aux  pieces  justificalives,  —  il  y  avait 
autrefois  des  troubadours  a  [nrd  et  des  troubadours  a 
cheval.  » 

JOSEPH,  entrant. 

Monsieur!...  monsieur!... 


C"est  madame"? 
Oui,  monsieur. 


KEIlCAZdN. 
JOSEPH. 


11  sort. 

KERG AZOX,  se  levant  et  posant  une  chaise  au 
milieu  de  la  scene. 

Vite,  mon  enfant...  vite,  sur  mes  genoux...  et  faites 
semblanl  do  m'aimer,  vite!  vite! 

11  la  fait  asseoir  sur  scs  genoux. 
JFLIETTE. 

Oui,  monsieur. 

K  E  U  G  A  Z  O  N  . 

Ohe !  ohe!...  Criez  «  ohe!  »  vous  aussi. 

JULIETTE,   sur  les  genoux  de  Kergazon. 

Oui,  monsieur...  ohe!  ohe!... 

TOL'S    LES    DEUX,  ensemble,  avec  des  gestes  gaudies 

Ohe!  ohe!  ohe! 

Entre  Ilenriette. 


ACTE   TROISIEME.  69 


SCENE   II 

Les  Memes,  HEXRIETTE,  sume  dURBAIX 

qui  portc  la  petite  malle. 
K  E  R  G  A  Z  ( » \ . 

Eh   bien,    et   le    commissaire!...    vous    n'avez   pas 
ameiie  le  commissaire"? 

JULIETTE,  se  levant  brusquement. 

Le  commissaire!... 

HENRIETTE,  a   Uibain. 
Mettez  la  Cette  malle...  (a  Urbain  qui  depose  la  petite  malle 
sur     la     table    a    droite.)    et     laissez    llOUS...    laisSeZ-tlOLlS... 

(a  Keigazon.)  Eloignez  cette  jeune  personne,  moii  ami. 

KERGAZON. 

Mais,  madame,  je  croyais...  II  avail  ete  coiivenu... 
Ohe !  ohe ! 

HENRIETTE. 

Eloignez-la,  je  vous  en  prie... 

KERGAZU.N,  bas. 

Ah!...  c"est   bien!...   (a  Juliette.)   Remonte    chez  toi, 
alors,  remonte  chez  toi,  ma  cherie... 

JULIETTE,   etonnee. 

Eh! 

KERGAZON,  bas. 

Repondez-moi  quelque  chose,  et  tutoyez-moi  en  me 
repondant. 

JULIETTE,  bas. 
II  fa  lit? 

KERGAZON,  bas. 

Oui,  tutoyez-moi.  (Haut.)  Remonte  chez  toi,  dans  ton 


70  LA   PETITE   MARQUISE. 

petit  appartement...  (ii  la  fait  passer.)  et  attends-moi... 
j'irai  fy  retrouver  tout  a  I'heiire. 

JULIETTE,  dune  voix  douce. 

Vicns  quand  tu  voudi^as...  je  ne  suis  pas  press6e. 

Elle  sort  par  le  fond, 


SCENE   III 

HEXRIETTE,    KERGAZON. 

K  E  R  G  A  Z  (J  .\ . 

Et  maintenant,  madame... 

HEXRIETTE. 

Ah!  man  ami,  mon  ami!... 

Elle  se  laisse  tomber  dans  les  bras  de  son  niari  ct  delate  en 
sanglots  convulsifs.  —  Stupt^faction  dc  Kcrgazon. 

XERGAZ(».N. 

II  avail  ete  convenu  que  vous  ameneriez  le  commis- 
saire...  Enfin,  nous  pouvons,  a  la  rigueur,  nous  passer 
de  lui...  Vous  avez,  vous,  constate  la  presence  de  ma 
maitresse. 

HEXRIETTE. 

La  jeune  personne?... 

KERGAZUX. 

Oui...  ^'ous  Tavez  meme  surprise  sur  mes  genoux, 
c'est-a-dire  dans  une  situation  qui  seinblait  ne  laisser 
aucun  doute. 

HEXRIETTE. 

Oh! 

KERGAZOX. 

Vous  n'avez  plus  qu'a  vous  en  aller  racontcr  la 
chose  au  premier  avoue  que  vous  rencontrerez. 


ACTE    TUOISIEME.  71 

}II:NRIKTT1:,  avoc  force. 

Jamais!...  quant  a  cela...  jamais! 

KERGAZON. 

Ou'est-ce  que  voiis  dites? 

IIEXRIETTE,    emue. 

Ce  que  jedis?... 

K  E  R  ( ;  A  Z  (1  N . 

Oui! 

IIENRIETTE. 

Je  dis  qu'il  n"y  a  pas  au  monde  d'homme  meilleur 
que  vous...  Je  dis  que  je  ne  veux  plus  entendre  parler 
de  separation  et  que  je  reviens  ici  pour  n'en  plus 
sortir. 

KERGAZUX. 

Par  exemple!  I !... 

HEXRIETTE,  ouvrant  sa  malic. 

Vous  voyez,  j'ai  rapporte  toutes  mes  petites  affaires. 

KERGAZoX,  so  precipitant   et  rcmottant  les  olijcts 
dans  la  nialle  a  mesure  qu'IIenriettc  Ics  pose  siir  la  table. 

Mais  pas  dn  tout,  pas  du  tout!...  Ce  n'est  pas  du  tout 
ga  qui  a  ete  convenu...  II  a  ete  convenu  que  j'introdui- 
rais,  moi,  une  maitresse  dans  le  domicile  conjugal,  et 
que  vous  partiriez  de  la,  vous,  pour  obtenir  une  sepa- 
ration... J'ai  fait  ma  part...  J"ai  introduit  une  mai- 
tresse, j'ai  soupe  avec  elle,  je  I'ai  tutoyee,  je  I'ai  prise 
sur  mes  genoux... 

IIEXRIETTE. 

Eh  bien  !  je  vous  pardonne,  voila  tout. 

K  E  R  G  A  Z  ( »  X . 

Plait-il? 

HEXRIETTE. 

On  a  toujours  le  droit  de  pardonner...  Je  vous  par- 
donne. mon  ami. 


72  LA   PETITE    MARQUISE. 

KERGAZON. 

Ah! 

HENRIKTTE,  avec  transport. 

Mais  vous  ne  comprenoz  done  rien?  Vous  ne  voyez 
done  pas  qu'une  revolution  s'est  faite  en  moi,  et  que 
je  ne  suis  plus  la  menie  femme? 

KERGAZON. 

Absolument  la  meme,  au  contraire  :  ne  pensant 
jamais  qua  m'etre  desagreable. 

HENRIETTE,  froissee. 

Ah! 

KERGAZON,  avec  mauvaise  liumeur. 

Ah  ben!... 

HENRIETTE. 

C'esl  mal,  ce  que  vous  venez  dc  dire  la,  c'est  mal. 

K  E  R  G  A  Z  O  N . 

Mettez-vous  a  ma  place!... 

HENRIETTE. 

Vous  y  tenez  done  bien,  a  cette  separation? 

KERGAZON. 

J'avais  deja  arrange  ma  vie  dans  ma  tcte...  Elle  ctait 
charmante,  ma  vie,  telle  que  je  I'avais  arrangec... 

HENRIETTE. 

Eh  bien,  soil!  nous  nous  separerons.  (i;iic  sc  leve.)  Mais 
ne  me  demandez  pas  de  vous  accuser...  je  ne  pour- 
rais  pas...  Un  homme  comme  vous!...  Ah!...  non...  je 
ne  vous  accuserai  pas...  La  separation  ne  sera  pas 
prononcee  contre  vous,  ma  is,  si  vous  voulez,  je  vous 
donnerai  un  moyen  de  la  faire  prononcer  contre  moi. 
En  vous  quittant  hier,  je  vous  ai  laisse  croire  que 
j'nllais  chez  ma  tante.  Ce  n'est  pas  chez  elle  que  je 
suis  allce...  J'ai  passe  ma  nuit  en  chemin  de  fer,  et,  ce 
matin,  sur  les  neuf  heures,  je  suis  arrivee  chez... 


ACTE    TROISIEME.  73 

KERGAZUN. 


Chez?... 
Chez  un  ami. 
Un  ami  a  vous  ? 
A  tous  les  deux. 
Son  nom? 


HENRIETTE. 


K  E  R  G  A  Z  0  \ , 


IlKXRIETTE. 


KERGAZON, 


HENRIETTE. 

Je  ne  peux  pas  le  dire. 

K  E  R  G  A  Z  0  X . 

Mais  vous  me  direz,  au  moins,  ce  que  vous  etes  allee 
faire... 

HENRIETTE. 

Je  suis  allee  chez  lui  pour  lui  demander  conseil. 

KERGAZON. 

Et  qu'est-ce  qu'il  vous  a  conseille,  cet  ami? 

HENRIETTE. 

De  reprendre  au  plus  vite  le  chemin  de  fer...  de 
revenir  ici...  de  m'agenouillcr  devant  vous  et  de  vous 
demander  pardon. 

KERGAZON. 

^'^aiment,  il  vous  a  dit?... 

HENRIETTE. 

En  d'autres  termes  peut-etre...  Mais  c'etait  Ik  le 
sens...  il  n'y  avait  pas  a  s'y  tromper. 

KERGAZON. 

Eh  bien,  c'est  un  honnete  homme. 

HENRIETTE. 

Un  honnete  homme! 

II.  5 


74  LA    PETITE    MARQUISE. 

K  K  R  ( ;  A  Z  ( )  N  . 

Sans  doute! 

HKNRIETTE. 

Soit!...  Mais  la  demarche  que  j'ai  faite,  en  allant  chez 
cot  honnete  homme,  n'en  est  pas  moins  fort  inconsi- 
d^ree.  II  vous  serait  done  facile,  si  vous  vouliez,  de 
vous  en  servir  contre  nioi. 

KERG  AZdX. 

A  Dieu  ne  plaise  que  je  vous  fasse  un  crime  du  pre- 
mier bon  mouvement  que  jaie  remarque  en  vous! 

IIENUIETTE. 

vVh!  si  vous  vouliez!... 

KER(;  \Z(tX. 

Si  je  voulais"?... 

IIENRIETTE. 

J"en  aurais  bien  d'autres,  des  bons  mouvements, 
j'en  aurais  bien  d'autres... 

KERGAZOX. 

Hum!... 

HEXRIETTE,  lui  montrant  une  place  li  cote  d'clle 
sur  la  chaise  longuc. 

Venez  la,  pres  de  moi...  iKeigazon  parait  iiesiter.)  S'enez, 
je  vous  en  prie. 

KERGAZOX,  a  part. 

Moi  qui  avais  si  bien  arrange... 

HEXRIETTE,  robligcant  a  sasscoir  a  cote  d'clle 

Pourquoi  la  desiriez-vous,  celte  separation? 

KERGAZOX. 

Mais  parce  que... 

HEXRIETTE. 

Parce  que  j'etais  insupportable,  vous  me  Tavez  dit... 
Si  je  promettais  de  ne  plus  roirc  ?... 


ACTE   TROISIEME.  73 

Ki;iU; AZdN,  incic'diile. 

Oh! 

lIKNUlKTTi: . 

Si  je  promettais  d'etre  douce,  reservee,  alTeclueuse 
sans  iinportuiiite...  Si  jc  promettais  de  prendre  ma 
part  de  vos  travaux...  (Avoc  ctfuit.)  dc  m"intcresser  aux 
troubadours? 

K  K  II  ( ;  A  Z  O  N  . 

J"ai  fait  tout  a  Tlieure  une  decouverte  importaute... 
j"ai  decouvert  qu'il  y  en  avait  a  cheval. 

IIK.NRIKTTK. 

A  cheval!...  C"est  prodigicux!...  A'ous  voycz,  je  m'in- 
tci'esse  deja. 

KKRCAZO.N. 

Pourquoi  ne  m'avez-vous  pas  toujours  paric  ainsi? 

IIKNUII-TTK. 

Pourquoi  v.. . 

KERGAZUX. 

Oui. 

1I1:NRIETTE,  jucc  tcndresso. 

Farce  que  je  ne  vous  connaissais  pas,  alors. 

K  E  R  ( ;  A  Z  (I  N ,  Onm. 

Henriette! 

IIE.NRIETTE. 

Parce  que  je  ne  savais  pas...  parce  que  je  n'avais 

pas  compare...    ah!  IKlle  oiiilinissc  son  m.iii  deux  on  trois  fois.) 

A'ous  ne  pouvez  pas  vous  ligurer  commc  vous  gagnez 

a     h\    COmparaison...    (Kerga/.on     ohorcho     ;l     !,c     dcgiigcr.)    Ou 

allez-vous? 

KERGAZON. 

La-haut...  Je  vais  cougedier  la  jeune  personne... 

HENRIETTE,  calmc. 

Elle  a  dit  qu'elle  n'etait  pas  pressee. 


76  LA    PETITE    MARQUISE. 

KI-nOAZON. 

Ca  ne  fait  rien...  je  vais  la  congcdier.  (ii  so  leve).  Mais 
je  garderai  son  adresse. 

Hp:NRir;TTE. 
Pourquoi  faire? 

Ki:  RGAZON. 

Pour  lui  ecrire  de  revenir...  si  jamais  vous  manquiez 
aux  engagements  que  vous  venez  de  prendre. 

IltNRlETTE. 

Je   n"y   mnnquerai  pas,  mon  ami...  je  tiendrai  ma 
parole... 

Elle  echanp:c  des  signcs  do  tote  avec  Kcrgazon. 
KERGAZON. 

Bien  vrai?...  bien  vrai"?... 

Tl  sort. 


SCENE  IV 

HENRIETTE,  scuic. 

Oui,  je  la  tiendrai...  homme  estimable!...  et  je  te  res- 
pecteraije  t'admirerai,  jet'aimerai...  Je  ferai,dumoins, 

tout  mon  possible...  (Apres  avoir  retire  truis  ou  quatre  objcts 
de  la  petite  malic,  olio  trouve  lo  paquet  do  lottres  qu'ello  a  cmportc  au 

premier  actc.)  Ou'est-ce  que  c'est  que  Qa?  Des  lettres!... 
Les  lettres  de  I'autre  que  j'avais  emportees...  Le  tor- 
rent!... les  etoiles!...  Teternite!...   Ah!   ah!...  Au   feu 

les  etoiles!...  au  feu!...  au  feu!...  lEllojette  Ics  lettres  dans  la 
cheminee.)  La!  la!... 

La  portc  du  fond  s'ouvrc  ;  entre  Boisgommcux. 


J'y  suis! 

Oh! 

Ilenriette!. 

Sorlez! 

Henriette! 


ACTE   TROISIEME.  77 

SCENE  V 

HENRIETTE,  BOISGOMMEUX. 

15  0  I  S  G  0  M  M  E  U  X . 

HENRIETTE,  se  rctournant. 

B  0  I S  G  0  M  M  E  U  X . 


HENRIETTE. 


B  C)  I  S  0  0  M  M  E  U  X . 


H  E  N  R I  E  T  T  E . 

Sortez,  Yous  dis-je!... 

BOISGOMMEUX. 

Non...  jc  ne  sortirai  pas.  (lis  iicscGndcnt.)  Sonnez,  si 
vous  voulez  :  je  ne  sortirai  pas...  On  me  trouvera  la,  a 
vos  picds. 

HENRIETTE. 

Que  vcnez-vous  faire  ici? 

BOISGOMMEUX,  \ 

^'ous  dire  que  je  vous  aime! 

HENRIETTE. 

Hein?...  repetez  un  peu... 

BOISGOMMEUX. 

Vous  dire  que  je  vous  aime! 

IIENIUETTE,   stupolaite. 

Ah  bien!... 

Elle  passe  devant  Boisgommeux  et  se  met  a  marcher 
avec  agitation.  Boisgommeux  la  suit. 


78  LA    PETITE   MARQUISE. 

iu>is(;i)M  M  K.rx. 
Henriette! 

IlKMtlKTTK. 

Ah  l)ieii!...  jen  ai  eiilendu,  tlans  nia  vie.  des  choses 
violentcs!  mais  celle-la,  par  excmplel...  Apres  m"avoir 
chassee  de  chez  vous!... 

I'^llo  so  renict  a  marcher. 
BOI.SGOMMEUX,  tout  en  suivant  Ilcniiette. 

Eh  bien!  oui,  apres  vous  avoh"  chassee  de  chez  moi, 
j"ai  couru  apres  vous  pour  vous  dire  que  je  vous  aime... 
que  je  vous  aime  plus  que  jamais...  Ca  vous  ])arait 
extraordinaire? 

IIKNRIETTK,  tomUant  sur  la  chaise  longiic. 

Ah  I  oui.  ca  me  parait... 

i?()is(;(»MMi:rx. 
C'est  pourtant  bien  naturel...   J'en    appelle   a    tous 
ceux  et  a  toutes  celles  qui  ont  un  peu  Ihabitude  de 
Tamour! 

HKNRIKTTE. 

Ainsi,  vous  avez  couru  apres  moi? 

noisGDMM  i:rx. 
Oui...  Malheureusement,  quand  je  suis  arrive   a  hi 
gare,  le  train  que  vous  aviez  pris  venait  de  partir...  j'ai 
pris  le  train  suivant,  et  me  voici. 

llKMUI-TTi:. 

Et  vous  voila!... 

r. nisc. oMM  i;rx. 
Me  voici...  me  voila...  ci^mnie  vous  voudrez. 

IIKNUIKTTK. 

Ef  vous  mainiez  toujours? 

r.olSC.oMMKI-X. 

Et  je  vous  aime  toujours. 


ACTE   TROISIEME.  79 

HENRIETTE. 

Et  vous  venez  me  demander  de  vous  aimer? 

B  0 1 S  G  0  M  M  E  U  X . 

Juste!... 

HENRIETTE,  suffoquant. 

Ah  bien!  (euc  se  leve.)  ah!  bien!...  ah  bieii,  nonl... 
il  n"v  a  pas  a  se  facher...  il  vaut  mieux  en  rire. 

Elle  passe  et  va  s'asscoir  a  gauche,  pres  de  la  table. 
BOISGOMMEUX. 

Henriette! 

HENRIETTE,  luint. 

Bien,  bien...  allez!... 

BOISGOMMEUX,  s'asseyant  de   Tautre   cdte  de  la  table. 

Henriette!...  mon  Henriette! 

HENRIETTE,   riant. 

Dites  ce  que  vous  voudrez,  maintenant!... 

BOISGOMMEUX. 

Nous  n"avons  pas  de  temps  a  perdre. 

HENRIETTE. 

Bien...  bien... 

B.  O  I  S  ( V  O  M  M  E  U  X . 

n  est  six  heures  dix...  le  train  part  a  sept  heures 
quinze. 

HENRIETTE. 

Le  train  1...  quel  train? 

Elle  se  leve. 
BOISGOMMEUX,  se  levant. 

Le  train  de  Poitiers...  Nous  y  serous  a  une   heure 
vingt-sept. 

HENRIETTE. 

En  cliemin    de    fer,   encore!...    All  bien,  non !   par 
cxemple!...  ah  bien,  non! 


80  LA    PETITE    MARQUISE. 

B  0  I S  G  0  M  M  E  U  X . 

Mais  si!.,   niais  si!... 

IIENRIETTE. 

Comment!  en  moins  de  vingt-quatre  heures,  je  serai 
allee  de  Paris  a  Poitiers,  revenue  de  Poitiers  a  Paris, 
et  vous  Youlez  encore  que  je?... 

BOISGOMMEUX. 

Henriette! 

HENRIETTE. 

II  faudrait  prendre  un  abonnement,  alors! 

BOISGOMMEUX. 

Vous  rappelez-vous  ceque  vous  me  disiez,ce  matin?... 
que  je  m'etais  traine  a  vos  pieds  pour  obtenir  une 
heure  de  votre  existence...  que  vous  m'apportiez  votre 
existence  tout  entiere... 

HENRIETTE,  linterronipant. 

Et  que  vous  n'en  vouliez  pas! 

BOISGOMMEUX. 

Maintenant,  j'cn  veux  bien. 

HENRIETTE. 

Ah ! ah ! 

BOISGOMMEUX,  avec  cncrgie. 

C'est  une  betise,  mais  je  la  ferai!..  Partons  en- 
semble.... d'abord  pour  la  Serpolette...  le  temps  de 
vous  reposer...  et  puis  nous  voyagerons...  nous  irons 
en  Suisse. 

HENRIETTE. 

Oh!  la  Suisse,  en  hiverl... 

n  ()  I  S  G  O  M  M  E U  X . 

Nous  irons  a  \enise... 

HENRIETTE. 

Ah!  ah!  Venise!... 


ACTE   TROISIEME.  81 

BOISGOMMEUX. 

Partons,  partons,  tout  de  suite...  (ii  remonte.)  Ou  sont 
toutes  vos  petites  affaires?...  ah !  les  voila  ! 

II  commence  a  rcmcttrc  dans  la  petite  malic  la  guipure, 
la  Revue  des  I>fux  Mondes,  etc. 

IIENUIETTE. 

Mais  pas  du  tout!...  mais  pas  du  tout! 

Ellc  retire  Ics  objcts  que  Boisgommeux  a  reniis  dans  la  petite  malic; 
lui,  au  fur  et  a,  mesure,  s'obstine  k  les  \  remctlre. 

l!()lS(;()M.\lEr.\. 

Mais  si!...  mais  si!... 

HENRIETTE. 

Voulez-vous  bien  laisser  tout  Qa?... 

Ellc  fcrmc  violcrament  la  petite  malic. 
BOISGOMMEUX,  le  doigt  pince. 

Aie ! 

HENRIETTE. 

Tout  est  fiui  entre  nous. 

B  0 1  S  ( ;  O  M  M  E  U  X . 

Je    vous   aime,    Henriclte!  je    vous    aime,   et   vous 
m'ainiez! 

HENRIETTE. 

Miserable  !... 

BOISGOMMEUX. 

Ca  n'cmpeche  pas. 

HENRIETTE. 

Tout  est  fini,  jc  vous  le  r(§pete...   (lis  descondcnt.)  Je 
viens  de  bruler  vos  Icttres. 

B(JISGOMMEUX. 

Estil  possible! 

HENRIETTE. 

La...  dans  cette  cheminee. 

5. 


82  LA    PETITH    MARQUISE. 

lioISdOMMI-rX. 

Ileureusemenl,  j'ai  garde  Ics  brouillons. 

llKNUIKTTi:. 

Je  viens  de  bruler  vos  lettros  ct  je  me  suis  rc'conciliee 
avL'c  moil  mari. 

lU)l.SG(>M.Mi:U\. 

Deja!... 

Ill- NKIKTTE. 

II  a  etc  pai'fait,  mon  mari...  il  lira  pardonne. 

U()is(i(»MMi:r.\. 
Eh  bien!  faites  commc  lui.  pardonncz-moi... 

HKNHIKTTE. 

Vous  pardonner?...  il  ne  vous  laut  que  cela?...  vous 
ne  demandez  pas  autre  chose?... 

BOISC.OM.MKIX. 

Non,  je  ne  suis  pas  assez  maladroit  pour  vous 
demander  autre  chose  aujourdhui...  Mon  pardon,  mon 
pardon  seulement... 

iii:.niui:tti;. 
Jamais! 

1!  O  I  S  0  < )  M  M  !■:  r  X ,    avcc  eclat. 

Tout  ce  qu'une  poiti'ine  liumaine  peut  renfermer  de 
remords !... 

HKNRIKTTi;. 

Ah! 

BOISGO.MM  KUX,  prcnant   los   deux  ni.-'.ins   irilcnrictte 
et  tombant  a  irenoux. 

Ilenrieltc!...  mon  Henrielte! 

IIKNUIKTTK. 

Taisez-vous...  Eh  bien!  que  faites-vous? 

15  0  1  S  G  0  M  .M  E 1  ■  X . 

Je  ne  me  relevcrai  pas  avant  que  vous  m'ayez  par- 
donne. 


ACTE   TROISIEME.  83 

HENRIETTK,  cherchant  use  degager. 

C'est  indigne!... 

BOISGUMMEUX,  toujours  a  genoux  ct  tenant  toujours 
les  mains  d'Henriettc. 

Me  pardonnez-vous? 

HENRIETTE. 

Max...  vous  etes  fou!...  J'entends...  on  vieiit...  Vous 
allez  me  perdre... 

B  ()  1 S  G O  M  .M  E U  X . 

Me  pardonnez-vous? 

HENRIETTE. 

Oui,  je  vous  pardonne...  mais  relevez-vous...  (Parait 

le  chcvaliei'.)  All ! 

LE    CIIEV.VLIER,   indigne. 

Oh! 

Boisyommeux  se  rclcve. 
HENRIETTE. 

Qu'est-ce  que  je  vous  disais?...  Me  voila  perdue!... 

Ello  tombo  assise  a  droite. 


SCENE  VI 

Les  Memes,  LE  CHEVALIER. 

I.E   CHEVALIER. 

Comment,  madame!...  vous  profitez  du  moment  oii 
ce  cher  marquis  est  malade...  Moi  qui  venais  prendre 
de  ses  nouvelles ! 

HENRIETTE. 

Ah!... 

LE   CHEVALIER. 

Et  vous,  son  ami,  vous,  son  nieilleur  ami!... 


84  LA    PETITE    MARQUISE. 

BOISGOMMEUX,  a  Henriettc,  suns  s'occuper  du   chevalier. 

C'est  de  peu  dimportance...  si  vous  consentez  a  me 
suivre...  Y  consentez-voiis?... 

HENRIETTE. 

Non  ! 

n  0  I S  G  0  M  M  E  U  \ . 

Une  fois,  deux  fois,  trois  ibis!... 

HENRIETTE. 

Non!  non!  non!...  maintenant  que  je  suisrentree  dans 
le  droit  cheniin.  jc  n'en  veux  plus  sortir. 

BOI.SGoMMErX. 

C'est  bien,  alors...   rs'ayez   pas  peur,  je  vous  sau- 
verai ! 

LE  CHEVALIER. 

Allons! 

II  remonte. 
n<U!>GOMMEUX,  ramenant  le  chevalier  et  criant. 

Eh    bien!    chevalier,    eh    bien!...    Ou    courez-vous 
comme  qal... 

LE    CHEVALIER,  n'entendant  pas. 

He?... 

HENRIETTE  et  DOISGOMMEUX,  criant. 

Oii  allez-vous  ? 

LE    CHEVALIER. 

Faire  mon  devoir...  avertir  mon  pauvre  neveu  que, 
pendant  qu'il  est  la,  etendu  sur  son  lit  de  douleur... 

BOISGOMMEUX,  criant  toujours. 

Vous  vous  tronipez! 

HENRIETTE,  criant  aussi. 

Vous  VOUS  trompez!...  (A  Boisgommeux.)  Je  ne  peux  pas, 
moi,  je  ne  peux  pas. 

BOISCOMMEUX,  criant  fie  plus  en  plus  fort. 

Vous  vous  trompez ! 


ACTE   TROISIEME.  8,5 

LE   CHEVALIER. 

Comment,  je  me  trompe?... 

I!  ( » I  S  0(1  M  M  E  U  X ,  lunlant. 

En  me  voyant  aux  genoux  de  madame... 

IIENRIETTE,    se  rcmettant  a  crier. 

En  le  voyant  a  mes  genoux...  (A  Boisgommeux.)  Ah  !  j  y 
renonce. 

nOISGOMMEUX,  toujours  hurlant. 

En  me  voyant  aux  genoux  de  madame,  vous  avez  cru 
que  je  lui  parlais  d'amour... 

LE   CHEVALIER,  qui  a  enfin  entendu. 

Certainement,  je  Tai  cru. 

HENRIETTE,  a  Boisgonimeux. 

Tres  bien...  allez  toujours...  il  vous  cntend... 

B  O  I  S  G  O  M  M  E  I'  X  . 

Eh    bien,    pas    du    tout!...  je    ne    lui    parlais    pas 
d'amour... 

LE    CHEVALIER. 

De  quoi  done  lui  parliez-vous? 

BOISGOMMEUX. 
Je  VaisvOUS  le  dire...{Il  fait  .signc  (juil  a  bcsoin  dun  pen  de 
repos.  —  Puis  se   rcmettant  a  crier.)  VouS   Savez   que  le  mar- 

quis  et  la  marquise  n'ont  pas  toujours  vecu  en  ires 
bonne  intelligence? 

LE  CHEVALIER. 

Chut!  parlez  has...  ce  sont  la  des  choses  intimes, 
des  secrets  de  famille... 

BOISGiiMMEI'X,  criant  de  plus  en  plus  fort. 

Vous  savez  qu'a  plusieurs  reprises  ils  ont  ete  sur  le 
point  de  se  scparer? 

LE    CHEVALIER. 

G'est  Qa,  ne  parlez  pas  plus  haut  que  ^a... 


86  LA    I'ETITK    MARUUISE. 

P.olSGtJMMEUX. 

Vous  le  savcz? 

1,1::     CHHVAI.lEll. 

Oui.  jc  le  sais... 

liUISC.OMMEUX. 

Eh  bien,  je  venais  d'apprendre  qu'a  la  suite  dune 
discussion  violenle...  iiiaussant  la  voix.)  qu'a  la  suite  d'une 
discussion  violente,  la  marquise  etait,  celte  fois-ci, 
absolument  decidee  a  quitter  son  mari. 

LE    CHEVALIER. 

Oh  I...  marquise!... 

B()IS(i(»M.\n;i\\,  criant  tuujours. 

Je  la  suppliais  a  genoux  de  n'en  rien  iaire. 


SCENE  VII 

Les  Memes,  KERGAZON,  puis  JOSEPH 
et  JULIETTE. 

KERGAZON. 

J'ai  tout  entendu...  (ii  vient  a,  Boisgommeux.)  Get  ami 
dont  ma  lemnie  refusait  de  me  faire  connaitre  le  nom, 
cot  ami  a  qui  elle  est  allee  demander  conseil  et  de 
chez  (jui  elle  est  revenue  meilleure,  c'etait  vous? 

HOIS ( ;  () M  M  E i: X ,  embarrasse. 

Mais,  cher  marquis... 

K  E  R  O  A  Z  O  N . 

G'etait  vous,  n'essayez  pas  de  le  nier  !...  C"est  bien, 
de  lui  avoir  dit  cc  que  vous  lui  avez  dit...  c'est  bien, 
surtout,  d'etre  revenu  a  Paris  tout  expres  pour  insister ! 


ACTE   TROISIEME.  87 

LK   CUKVAL lER,  A  la  maniui.so,  montrant  Korgazon. 

II  va  mieux. 

Entront  Joseph  et  Juliette:  —  Juliette  s'arrete  a  la  porto  du  fond. 
K  1-;  H  ('.  A Z ()  N  . 

Ou"y  a-t-il? 

J  (I si: I'll. 
Mademoiselle   deniande    uii    petit    cliale    qu'elle   a 
laisse  dans  cette  chambre. 

J  r  1. 1  KTTK,  montrant  lo  clialo  sur  nnc  chaise. 

II  est  la,  tenez... 

LK    CHEVALIER. 

Mais...  c'est  Juliette,  la  iemnie  dc  chambre  de  Mar- 
guerite Lamberthierl... 

JULIETTE,  rceonnai.ssant  Ic  chevalier. 

Monsieur  le  chevalier  !...  oh!... 

IIEMUETTK. 

Comment?... 

Joseph  so:t. 
LE    CI1KV.\LIER,   ;1  Korgazon  ct  Uoisgonimcux. 

Marguerite  Laniberthier...  unc  femme  charmante. 
Elle  ne  pent  pas  se  passer  de  moi...elle  m'cnvoie  clier- 
cher...  Vous  permettez,  ma  chi-re  niece?...  (a  Juliette.) 
Je  pars  avec  vous,  mon  enfant... 

II  reniontc. 
JULIETTE,    criant. 

]\Iais...  mais,  monsieur,  madame  n'est  pas  chez  elle  I 

LE    CHEVALIER. 

Elle  m'attend  chez  elle! 

II  a  pris  lo  bras  de  Juliette  ct  s'cn  va  avec  elle. 
JULIETTE,   criant  a  tuc-teto. 

Madame  est  sortie !  madame  est  sortie ! 

lis  sortent. 


88  LA    I'ETITE    MARQUISE. 

SCENE  YIII 

HENRIETTE,    KERGAZON,    BOISGOMM  EUX. 

KKKCAZON,  riant. 

II  paraltrait  que  notre  cher  oncle?... 

liOlSCOMMErX. 

II  paraitrait... 

K  E  R  G  A  Z  U  N . 

Je  coniprends,  maintenant.  pourquoi  vous  mc  disiez 
que  ce  serait  drole  si  je  m"adressais  a  cetle  Margue- 
rite Lamberthier. 

HOlSGOM.MErX. 

Eu  effet,  cetait  pour  qa...  Mais  dites-moi  done... 
puisque  vous  eu  parlez  tout  liaut,  je  crois  pouvoir 
vous  demander...  Que  diable  vouliez-vous  done  en 
faire,  de  Marguerite  Lamberthier?... 

KERGAZON,  a  HenricUe. 

Vous  ne  lui  avez  pas  dit .'... 

II  E  N  R  I  E  T  T  E . 

Xon,  je  ne  lui  ai  pas  dit. 

KER(;aZUN,  riant,  :i  Boisgoinmcux. 

Je  voulais  lui  faire  passer  ici  Ics  vingt-quatre  heures 
que  la  marquise  irait  passer...  chez  sa  tante. 

ROISGOMMEfX. 

Ici...  chez  vous  I 

KERGAZON. 

Ici...  chez  moi... 

r.  o  I  s  G  O  M  M  E  u  X . 
Mais  ga  ne  se  fait  pas,  cher  marquis...  ca  ne  se  fait 
pas!...  Le  legislateur  n'a  certaincnicnt  pas  intcrditaux 


ACTE    TROISIEME.  89 

gens  maries  de  faire  des  bctises,  il  ne  leur  a  pas  inter- 
dit  ga,  le  sage  legislateur ;  mais  il  a  decide  qu'en  pareil 
cas  le  mari  doit  aller  en  ville!... 

HENRIETTE. 

Tandis  que  la  femme  doit  rester  chez  elle? 

BOISGOMMEUX. 

Hein? 

KERGAZON. 

C'est  un  coup  de  patte...  Elle  vous  en  veut  a  cause 
de  la  morale  que  vous  lui  avez  faite...  ^a  s'arrangera, 
nayez  pas  peur...  qa  s'arrangera. 

JOSEPH,  entrant. 

Madame  la  marquise  est  servie. 

Moment  d'liesitation. 
KERGAZON,   a,  Boisgommcux. 

Eh  bien  I...  qu"est-ce  que  vous  attendez?...  Offrez 
votre  bras  a  la  marquise...  vous  dinez  avec  nous. 

11  pousse  douceineiit  Henriette  vers  Boisgommeux. 
BOISGOMMEUX,  s'excusant. 

Mais,  clier  marquis...  je  ne  sais  pas... 

KERGAZON,  avec  auturite. 

^'ous  dinez  avec  nous. 

HENRIETTE,  prenant  Ic  bras  du  viconite.  ct  regardant  son  mari 
avec  une  exasperation  contenue. 

Troubadour  I ! ! 

lis  se  dirigent  vers  la  salle  a  manger.  —  Henriette  au  bras  do 
Boisgommeux;  Kergazon  marclic  derriere  eux. 


LA   VEUVE 


CO.MEDIE    EN    TROIS    ACTES 

Ropr^sentec  pour  la  preiuRTO  fois,  a  Paris,  sur  Ic  thkatre  nu  Gvmnase, 
le  5  noveinbre  1871. 


PERSONNAGES 


LEONEINS MM.    F.  Achard. 

NORANCEY Landrol. 

BAGIMEL Pradeac, 

GAETAN Andhif.u. 

GEORGES Lenormant. 

JOSEPH Fraxces. 

KERNOA Dalbert. 

LA  COMTESSE M""'  Blanche  Pierson. 

MADAME  PALMER Angelo. 

MADAME  DE  CIIATEAl'-LANSAC Persoons. 

ALBERTLNE PiKRSKi. 

MADEMOISELLE   DE  CHARENTONNAY  . .  TIelmoxt. 

MADAME  ROBERT Prioleau. 

VICTORINE Juliette. 

AMELIE ScHULER. 


A  Paris,  dc  nos  jours. 


LA    VEUVE 


ACTE    PREMIER 


Un  salon.  —  L"arrangement  de  co  salon  doit  etro  aussi  sombre  et 
aussi  severe  que  possible.  —  Au  milieu,  entoure  d'un  divan  circulaire, 
le  busto  en  marbre  du  raari.  —  Chcminec  a  gauclie;  pros  de  cetto 
I'hcminee,  unc  chaise  longue  et  unc  table  ;  sur  ccttc  table,  uno  collection 
de  petitcs  photographies  encadrdes ;  toujours  des  portraits  du  mari.  — 
Piano  a  droite;  divan  adosse  au  piano.  —  Au  fond,  face  au  public, 
porte  conduisant  a  la  sallo  a  manger.  —  En  pan  coupe,  au  fond,  deux 
portos.  —  Deux  autres  portes,  a  droite  et  a  gauche,  au  second  plan. 


SCENE   PREMIERE 

JOSEPH,    VICTORIXE,    Autres    domestiques  , 
puis  MADAME    ROBERT. 

Pendant  les  premieres  repliques,  alleos  et  venues  des  domestiques 
preparant  tout  dans  le  salon.  —  Tons  sent  en  grand  deuil.  —  Entre 
Joseph  par  le  fond  :  il  sort  do  la  sallo  a  manger. 

^'  1  C  T  ( )  R 1 X  E . 

C'est  fini,  le  diner? 

JOSEPH. 

Oui. 

V I  C  T  0  R I N  E . 

Et  Q'a  et6  gai? 


f)i  LA  VEUVE. 

JOSEPH. 

Aussi  gai  que  les  autres  jours...  On  vcnait  de  servir 
du  macaroni:  niadame  la  corntcsse,  alors,  s'est  rappele 
que  feu  monsieur  le  comtc  adorail  le  macaroni...  elle 
a  fondu  en  larmes...  Scs  deux  amies,  madame  de  Cha- 
teau-Lansac  et  madame  Palmer,  se  sont  jetees  sur  elle 
et  ont  essaye  de  la  consoler... 

\'  I  C  T  O  R I  N  !■: . 

Et  mademoiselle  de  Charentonnay? 

JUSEIMI. 

Mademoiselle  de  Charentonnay,  la  cousine  pauvre 
qu'on  a  fait  venir  de  province  pour  jouer  des  Dc  Pro- 
fundus sur  le  piano?...  Elle  a  jjrofite  du  desordre  pour 
redemander  du  pate  de  foie  gras...  Quant  a  mon- 
sieur de  Kcrnoa,  Tofficier  de  marine,  et  a  ces  deux 
petits  jeunes  gens  qui  sV'taient  laisse  inviter,  ils 
buvaient  coup  sur  coup  de  grands  verres  dc  vin  de 
Bordeaux,  avec  lair  de  gens  qui  voudraient  bicn  boire 
du  vin  de  Bordeaux  dans  un  endroit  plus  amusant. 

^'  1  C  T  ( )  R  I  N  E . 

Et  vous,  monsieur  Josepli? 

JOSEPH. 

Moi,  mademoiselle  Victorinc?je  regardais,  et,  tout 
en  regardant,  je  prenais  une  resolution. 

V 1  C  T  O  R  I  N  E . 

Oh!  oh! 

JOSEPH. 

Je  prenais  la  resolution  de  vous  empoigner  solide- 
ment,  par  les  deux  bras,  la  premiere  fois  que  je  vous 
attraperais,  et  de  vous  appliquer  ensuite  un  des  plus 
i'ameux  baisers  que  j'aie  appliques  de  ma  vie. 

II  rcmbrasse.  —  Kiitro  luadainc  Robert. 
MADAME    ROBERT. 

Eh  bien,  Joseph? 


ACTE    PREMIER.  93 

JOSEPH. 

Eh  bien,  quoi?...  Voyons,  puisque  j'ai  promis  a 
mademoiselle  Victorine  de  I'epouser... 

MAD  AMI-:    ROBERT. 

Ce  nest  pas  une  raison.  Et  puis  ce  que  je  vous 
reproche,  ce  n"est  pas  tantd'avoir  embrasse  mademoi- 
selle... c'est  d'avoir  fait  du  bruit  eii  Tembrassant. 

JOSEPH. 

Ah! 

M  A  D  A  M  E   R  ( )  P.  E  R  T . 

On  fait  trop  de  bruit  dans  Thotcl...  madame  la  com- 
tesse  s'en  plaint...  Hier  soir  encore  on  a  marche  au- 
dessus  de  sa  tete...  elle  a  entendu  comme  une  espece 

de  bataille...  (.loseiih  et  victorine  se  jettent  un  coup  d'«;il  et 
reprennent  aussitot  lair  seiieux.)  Elle  ne  veut  paS  que  pareille 

chose  se  renouvelle...  et  elle  m'a  cliargee  d'y  veiller. 
Ce  tapage  trouble  sa  douleur...  et  vous  devriez  com- 
prendre  que  ce  n'est  pas  au  moment  oii  elle  vient  de 
])erdre  un  mari  qu'elle  adorait... 

VICTORINE. 

Oh!  quelle  adorait!... 

JOSEPH. 
II  y  a  dix  mois  qu'il  est  mort  monsieur  le  comte,  ce 
n'est  pas  hier!... 

MADAME    ROBERT. 

Madame  le  pleure  comme  si  c'etait  hier...  Elle  est 
triste,  etelle  entend  que  tout  soit  triste  autour  d'elle... 
De  Tobscurite,  du  silence...  Marchez  doucement,  ne 
faites  pas  claquer  les  portes,  et  quand  vous  annoncez 
les  rares  personnes  que  madame  la  comtessc  consent 
a  recevoir,  ne  braillez  pas  comme  vous  Tavez  fait  hier. 

JOSEPH. 

J'ai  braille,  moi?... 


96  LA  VEUVE. 

MADAME    RDliF.RT. 

Parfaitenient.  Mndamc  en  a  eu  une  crise  qui  lui  a 
dure  une  bonne  demi-heure...  Pas  de  bruit.  Pas  trop 
de  lumiere,  non  plus...  baissez  les  lampes...  on  sort  de 

table...  Est-Ce  fait?  (Les  domcstiques  sortent  apres  avoir  baisse 
les  lampes,   mis  des   abat-jour,  etc.]    Marchez    doucenieilt,    nc 

faites  pas  de  bruit. 

Elle  sort  la  derniere,  aprcs  une  reverence  discrete.  —  Les  personnages 
de  la  scene  suivaatc  sont  entrcs  pendant  la  sortie  des  domestiques. 


SCENE  II 

MADAME  DE  CH ATE AU-LAXSAC  au  bras  de 
GAETAN,  MADAME  PALMER  au  bras  de  GEOR- 
GES; puis  LA  COMTESSE  au  bras  de  KERXOA; 
MADEMOISELLE  DE  CH  AREXTONNAY  ferme 

la  marche. 

Entree  silencieuse  ct  lente.  Salutations  ceremonieuses,  apres  lesquellcs 
mesdames  Palmer  et  de  Chateau-Lansac  se  trouvcnt  d'un  cote  de  la 
scene,  Georges  et  Gaetan  de  I'autrc.  Les  deux  jeunes  gens  commen- 
cent  a  regarder  leur  niontre. 

M  A 1)  A  M  E    PALMER. 

Cela  devient  de  rexageration,  a  la  fin...  Elle  est  trop 
triste! 

MADAME    DE    C  II  ATE  AU-L  \N  S  AC. 

Xous  devrions  le  lui  dire,  decidement. 

MADAME    PALMER. 

Voulez-vous  que  nous  Ic  lui  disions  tout  a  I'heure... 
des  que  nous  serons  seules  avec  elle? 

MADAME    DE    C  II  ATE  AU-LAN  S  A  C. 

Je  vcux  bien...  quand  ce  ne  scrait  que  pour  rendre 


ACTE    PREMIER.  91 

service  h  monsieur  de  Leoneins,  qui  est  un  homme 
charmant  et  qui  Tadore!... 

MADAME    PALMEU,  montrant  la  comtesse   qui  entrc. 

C'est  a  elle  surtout  que  nous  rendrons  service... 
Regardez-la...  cela  est-il  croyuble?...  line  veuve  de 
dix  mois! 

MADAME   DE    C  11  ATE  AU-LAN  S  AC  . 

C'est  prodigieux! 

La  comtesse  est  entree.  —  Ello  est  en  dcuil  de  lainc.  —  Ello  s'arreto 
dovant  le  buste  et  le  montre  a  Kernoa.  Celui-ci,  no  sachant  que  dire, 
so  contente  de  s"incliner.  La  comtesse  quitte  brusquement  son  bras 
et  se  laisse  tomber  sur  un  divan.  Elle  plcure.  —  Moment  d'ombarras  : 
on  se  regarde.  Mademoiselle  do  Charentonnay,  qui  est  entree  la 
derniere,  s'approclic  do  la  comtesse  et  lui  presente  un  flacon. 

LA    CO.MTESSE,  en  gemissant. 

He?... 

MADEMOISELLE    DE    CHARENTONNAY. 

Vous  I'aviez  oublie...  sur  la  table... 

LA     COMTESSE. 

Mon  flacon...  Ah!  oui...  merci,  ma  bonne  Charen- 
tonnay, merci.  Est-ce  que  vous  voulez  bien  vous 
mettre  au  piano? 

MADEMOISELLE    DE    CHARENTONNAY. 

Certainement,  ma  chere. 

Elle  commence  a  jouer  la  marche  funcbre   do  Chopin. 
Un  moment  do  silence. 

0  ALT  AN,  bas,  a  Georges. 

A  quelle  heure  est-ce  que  Qa  commence,  la-bas?... 
Tu  as  vu  Taffiche? 

GEORGES. 

A  neuf  heures. 

GAETAN. 

Et  il  est? 

GEORGES. 

Neuf  heures  moins  trois  minutes, 
n.  6 


98  LA  VKl-VK. 

( ■.  A  l':  T  A  N  . 

Moi,  j"ai  ueiif  licurcs  passees. 

GEORGES. 

Nous  no  pouvons  pourtaiit  i)as  nous  en  allor  comnie 
ca,  tout  (Ic  suite...  Ah!  Ton  m'y  reprcndra,  a  diner  en 
ville  un  jour  dc  premiere  I 

I'll  silcni'c. 
KEUN'OA,   bas.  :\  maihuuc  Palmer  ot  a  madainc  ilc  Cliatcau-Lansac. 

Je  croyais  que  niadame  de  >soi'ancey  ne  quittait  pas 
plus  cetle  pauvre  comtesse  que  vous  ne  la  quittiez 
vous-nieme...  Comment  se  fait-il  qu'ellc  ne  soit  pas 
ici? 

MAIiAMi:    OE    Cll  A'l'K  AT'-I.ANSAC. 

C'est  qu'elle  n"est  pas  a  Paris...  Son  mari  Ta  subi- 
tement  obligee  a  partir  pour  la  Touraine. 

K  EI!  NO  A. 

Ce  brave  Norancey !...  Est-ce  qu"il  a  toujours  la 
mcme  manie? 

MAIIAME    I'AI.MEU. 

Toujours.  A  cliaque  instant  il  se  figure  qu"Alber- 
tine  est  sur  le  point  de  se  mettre  a  aimer  quelqu'un... 
Alors,  pour  combatlre  cet  amour,  il  se  donne  un  mal  I... 
Cettc  fois-ci,  il  a  emmene  sa  femme  en  Touraine  pour 
la  souslraire  a  rinlluence  de  je  ne  sais  quel  I'^spagnol. 

KEUNOA. 

Et  madame  de  Norancey,  qu'est-ce  quelh^  dit  de  ^a? 

M  \1) AM  E    I'AI.MEH. 

Elle  ne  dil  ricMi  ct  elle  continue  a  n'aiiner  que  son 
mari... 

Un  silence.  —  Mademoiselle  dc  Cliarentonnay,  qui  avait  jouc  tres  dou- 
ccmcnt  jus(iuo-la,  joiic  nn  iicu  plus  fort. 

K  i:  11  N  (»  A . 

All !  bravo...  tres  bieii ! 


A  GTE    PUKMIKU.  99 

MADAME    DK    C  II  ATK  AI'-L  A  N  S  A  C,  a  Koinoa. 

Vous    nous  avez    dit,    monsieur,    que   vous   alliez 
bientot  reprendre  la  mer... 

K  K  U  N  ( >  A . 

En  effet,  madame,  je  partirai  demain. 

MADAME    PALMER. 

Et  ou  allez-vous? 

K  E  It  N  ( t  \ . 

A  la  -Martinique. 

LA    COMTESSE,   avcc  uckit. 

A  la  Martinique! !! 

Tout  Ic  monJe  boinlit. 
KERN  II  A,  effrayo. 

Oui,  madame. 

LA    COM'IESSE. 

II  est  ne  a  la  Martinique,  monsieur!...  Amelie, Valen- 
tine... messieurs...  est-ce  que  vous  saviez?... 

MADAME    PALMER. 

Non.  je  ne  savais  pas,  moil 

MADAME    ])E    C  H  ATE  AU-L  AN  S  AC. 

Moi  non  plus! 

G AETAN. 

Nous  ignorions  completement... 

LA    COMTESSE. 

A  la  Martinique!... 

K  E  R  N  ( »  A  . 

Croyez  bien,  madame,  que  je  suis  desole... 

LA    CDMTESSE. 

Ce  n'cst  pas  voire  faute.  (Avec  intorot.)  Qu'est-ce  que 
vous  allez  laire,  a  la  Martinique? 

K  E  R  N  0  A . 

J'y  transporte  une  compagnic  d'iulanterie  de  ma- 


400  LA   VEUVE. 

rine...  ct  j'en  ramenerai  unc  autre  qui  a  fait  ses  trois 
ans  de  sejour... 

I.A    CUMTESSE, 

Ah! 

K  E  R  N  ( I  A . 

J'irai  d'abord  a  Fort-de-France  et  j'y  prendrai  les 
malades...  de  la  j'irai  a  Saint-Pierre. 

I.  V    CUMTESSE,   nouvcl  eclat. 

A  Saint-Pierre! ! ! 

K  E 11 N  o  A . 

Oui,  madanie... 

MADAME    DE    C  H  ATE  AU-I.  A  N  S  AC. 

Qu'est-ce  qu"il  y  a  encore"?  J'ai  beau  avoir  I'habi- 
tude...  elle  me  fait  des  peurs!... 

LA    COMTESSE. 

Les  sept  premieres  annees  de  sa  vie,  c'est  a  Saint- 
Pierre  quit  les  a  passees!...  Monsieur  de  Kernoa?... 

KERNOA. 

Madame... 

LA    COMTESSE. 

Dans  une  des  cliambres  de  la  maison  oi'i  il  est  nc... 
cctte  maison  appartenait  et  appartient  toujours  a  un 
oncle  a  lui,  monsieur  de  Scnermont...  dans  une  des 
chambres  de  cette  maison,  il  y  avait,  il  doit  y  avoir 
encore  un  portrait  do  mon  pauvre  mari... 

K  E R  N  (I  A . 

Un  portrait... 

LA    COMTESSE. 

II  avait  six  ans,  quand  ce  portrait  a  ete  fait...  II  se 
le  rappelait  trrs  bien...  et  sonvent,  tres  souvent,  il 
m'en  pariait  :  «  J'etais,  me  disait-ii,  un  des  plus  jolis 
enfants...  » 


ACTE    PREMIER.  iOl 

MADAME   PALMER. 

Tous  les  hommes  disent  ^a... 

LA   COMTESSE. 

11  est  represente  a  cheval,  sui-  un  cheval  de  bois; 
de  la  main  droite  il  tient  un  petit  sabre,  sa  main 
gauche  laisse  echapper  une  trompette. 

MADAME     DE     C  H  ATE  AU-LANS  AC  . 

Une  petite  trompette... 

LA    COMTESSE. 

Oui...  Des  que  vous  serez  arrive  a  Saint-Pierre,  jc 
vous  en  prie,  allez  trouvcr  monsieur  de  Senermont 
et  demandez-lui  ce  portrait...  demand ez-le-lui  pour 
moi ;  il  ne  refusera  pas,  il  ne  pent  pas  refuser. 

KERXOA. 

Non,  madame,  non,  j'en  suis  sur,  il  ne  refusera 
pas...  Un  enfant,  nous  disons,  un  enfant  de  six  ans... 

MADAME    I'ALMER. 

Sur  un  cheval  de  bois. 

MADAME    DE    C  II  AT  E  AU-L  AN  S  A  C. 

Avcc  une  petite  trompette. 

MADEMOISELLE  D  E   C  H  A  R  E  X  T  0  X  X  A  Y  ,  dune  voix  douce. 

Et  un  petit  sabre. 

KERXOA, 

C'est  tres  bien...  je  me  ferai  donner  ce  portrait... 
vous  Faurez  k  mon  retour. 

LA    COMTESSE. 

Et...  vous  reviendrez? 

K  E  R  X  0  A . 

Dans  trois  mois... 

LA    COMTESSE. 

Bien  sur,  je  puis  compter?... 


10-2  L.V  VKL'Vt:. 

K  i:  U  N  (J  A . 

Oui,  niadnnic.  je  vous  le  promets. 

I.A    COMTI-SSE. 

Merci. 

Moment  de  silence.  —  Toutc  petite  reprise  du  piano. 
GEORGES,  bas. 

Ncuf  lieurcs  douzel 

(1  \ETAN. 

Neuf  heuros  et  quart  1 ! 

LA    CO.MTESSE. 

Ces  pauvrcs  enfants!  vous  ne  vous  amusez  pas? 

GAKTAN    ct    GKURGES. 

Oh! 

LA    CO.MTESSE. 

Je  VOUS  cn  prie,  ne  vous  croycz  pas  obliges,  si  vous 
avez  quelque  chose  a  faire  ce  soir... 

G  E  O  R  G  E  S . 

Mon  Dieu,  madame... 

LA    CUMTESSE. 

Oui,  n'est-ce  pas? 

(lEORGES. 

II  y  a,  cn  effet... 

G  A  E  T  A  N  . 

Aux  Folies-Dramatiqucs... 

LA    CO.MTESSE. 

Une  premiere.* 

G  A  E  TAN. 

Oui,  madame. 

LA    COMTESSE. 

Plus  jamais  pour  moi,   plus  jamais  I...  Mais  je   ne 
veux  pas  vous  relenir...  allez,  je  vous  en  prie,  allez... 


ACTE    PREMIER.  103 

C.  A  K  T  A  N  . 

Puisque  vous  I'exigez... 

Us  se  prciciiiitent  sur  lours  cliapoaux  ct  sc  trouvent  pros  de  mesdames 
Palmer  ot  de  Chateau-Lansac. 

MADAM  K    PAI.MKR,  bas.  <■ 

Elle  est  impoi'tantc.  cette  premiere? 

(1  Alii  AN. 

Trois  actes,  quatre  lalileaux.  A'oulez-vous  venir? 

M  A  1)  A  M  K    I>  A  L  M  E  R . 

Pas  nioyen.  (Montram  la  coiutossc.)  Nous  avons  quelque 
chose  a  I'aire  ici.  nous. 

Sortent  Georges  ct  (Jaetan. 

LA    COMTKSSE,  a  Kcrnoa.  —  Kilo  a  cause  avec  lui  pendant 
les  dei-niercs  repliques. 

Dans  trois  niois?... 

KERN  O  A . 

Oui,  madame...  et  j'espere  Lien  alors  vous  trouver 
un  pen  moins...  J'espere  que  le  temps,  qui  apaise 
toutes  les  douleurs... 

LA  COMTESSE,  scveremont. 

II  y  a  des  douleurs  que  le  temps  n'apaise  pas,  mon- 
sieur. Vous  me  trouverez  dans  trois  mois  telle  que  je 
suis  aujoui'd'hui. 

KERN  II  A.  s'inclinant. 

]\Iadame... 

LA    COMTESSE. 

Vous  en  aurez  bien  soin,  n'est-ce  pas,  pendant  la 
traversee? 

.Sortie  do  Kernoa.  —  La  conitossc  va  avec  lui  jusqu'au  fond 
do  la  scone. 


lOi  LA   VEUVE, 


SCENE  III 

LACOMTESSE,  MADAME  PALMER,  MADAME 
DE  CHATEAU-LAXSAC,  MADEMOISELLE 
DE  CHARENTON.XAY. 

MADAME    PALMi:it,;i  nuidame  de  Chateau-Lansac. 

C'est  entendu.  a"cst-ce  pas?  nous  kii  parlons. 

MADAME    DE    C  II  ATE  AU-LAN  S  AC,  montrant  mademoiselle 
dc   Charentorinay 

Tout  a  riieure. 

La  comtessc  redesccnd  et  va  sc  rasseoir. 
MADEMOISELLE    DE    C  II  ARENT  U  N  N  A  V. 

Joucrai-jc  encore,  nia  chere? 

LA    COMTESSE. 

Xon,  ma  bonne  Cliarentonnay,  non,je  vous  remercie. 

(.Madame  Palmer  et  madame  de  Chateau-Lansac  echangent  un  regard.) 

J'abuse  de  vous,  en  verite!  La-bas,  en  Bretagne,  vous 
n'aviez  pas  I'habitude  de  veiller  si  tard. 

Mademoiselle  de  Cliarentonnay  quitto  Ic  piano  ct  traverse  la  scene 
pour  aller  embrasser  la  comtcsse. 

MADEMOISELLE    DE    CII  ARENTO  N  N  A  Y. 

Bonsoir,  ma  cousine. 

LA    COMTESSE. 

Bonsoir,  ma  bonne  Cliarentonnay...  a  demain. 

MADEMOISELLE  DE    C  II  A  RE  N  TO  N  N  A  Y. 

Mesdames... 

MESDAMES    PALMER  et    DE    CHATEAU-LANSAC. 

Bonsoir,  ma  bonne  Charenlonnay,  bonsoir. 

Mademoiselle  dc  Cliarentonnay  sort. 


ACTE    PREMIER.  105 


SCENE  IV 

LA  COMTESSE,  MADAME  PALMER, 
MADAME  DE  CH  ATEAU-LANSAC. 

Moment  Jc  silence,  jcu  Jc  scene. 
MADAME  PALMER,  bas,  a  madamc  do  Chateau-Lansac. 

Maintenant,  n'est-ce  pas?... 

MADAME   DE    CHATEAU-LANSAC. 

Oui. 

Au  moment  oil  madame  Paimer  va  parlor,  cntrc  .Tosojili  apportant  lo 
the  :  madame  Palmer  s'arrcte.  Joscjili  depose  le  plateau  sur  la  table  dii 
I'ond  ct  s'on  va  sans  faire  Ic  moindi-c  bruit. 

MADAME   DE    CHATEAU-LANSAC,   bas. 

Ah!  maintenant,  par  excmple!... 

LA   COMTESSE,  etonnee  ilu   niouvcnient  de  scs  deux  amies  qui  so 
sont  rapprocliecs  d'clle  avcc  une  certaine  inipetuosite. 

Ou"est-ce  quil  y  a?... 

MADAME   DE   CHATEAU-LANSAC. 

II  y  a,  ma  chcre  Louise,  que  nous  avons  resolu  de 
vous  parler  toutes  les  deux... 

LA    C(JMTESSE. 

C'est  grave,  il  parait... 

MADAME    PALMER. 

C'est  tres  grave...  et  nous  nianquerions  a  notre 
devoir  d'amies  si  nous  liesitions  plus  longtenips  a 
vous  declarer...  (senhardissant.)  ix  VOUS  declarer  que  ce 
noir,  dans  lequel  vous  vous  obstinez  a  vivrc,  finit  deci- 
dement  par  devenir  un  peu  trop  noir. 

LA    COMTESSE. 

Ah!  VOUS  trouvez,  vous? 


106  LA  VEUVK. 

MADAMK    1)1-:    CIIATEAI'-I.A.NSAC. 

Certainement  jc  comprends  que  Ton  regrette  un 
mari...  mais  enlin  il  nie  semble  quau  bout  dedix  mois 
de  veuvage  on  a  bicn  le  droit  de... 

MADAMK    TAI-MER,  has. 

La  robe... 

MADAMK   nr.    CHATEAU-LANSAC,  a  madiuiie  Palmor. 

Vous  dites?... 

MADAMK   I'ALMKR,  consultant  un  carnct. 

J'ai  fait  mi  i)etit  resume  de  ce  que  nous  avons  a  lui 
dire,  ^a  sera  plus  facile...  parlez  (Tabord  de  la  robe... 

MADAMK    DK    C  II  ATK  A  T-I,  A  N  S  A  C  . 

Ah!  oui...  (A  la  conitosse.)  Aiusi,  teuez,  cetle  meclianle 
petite  robe  noire,  vous  nc  I'avez  i)as  quiltee  depuis 
di.x  mois. 

LA    COMTKSSE. 

Kt  jamais  je  ne  la  quitterai. 

MADAMK    DE    C  II  ATK  AU-I.  A  N  S  AC. 

Jamais? 

.MADAME    PALMER. 

Eh  bien,  voila  justenient...  c'est  de  I'exageration...  II 
me  semble  a  moi  qu'une  robe  de  sole...  iiuunvoment  de  la 
comtesse)  noire,  noire  et  toute  unie...  (a  maaame  do  chatcau- 
Lansac.)  N'est-ce  pas,  ma  chere? 

.MADAMK    DK    Cll  ATE  AU-I.  A  N  .S  A  C  . 

Oui,  toute  unie...  ou  bicn  avec  dcs  ornements  tres 
simples... 

LA   COMTKSSE. 

Je  nc  vous  en  venx  pas...  vous  nc  pouvez  pas  me 
comprendrc.  On  ne  sail  pas  ce  que  c'est  que  dcperdre 
un  mari  I 


ACTE    PREMIER.  107 

MADAME    I)£    C  II  ATE  AL'-LAN  S  AC. 


Mais  si!. 


I.  A    COMTESSE. 

Non,  on  ne  le  sail  pas. 

MADAME    PALMER,    avcc  elan. 

Mais  si  I...  heureusenieut ! 

LA    COMTESSE,   sutfoqiico. 

He! 

MADAME    I'ALMEIi. 

Non...  ce  n'est  pas  cela  (juc  je  voulais  dire...  Moi- 
meine,  si  je  perdais  monsieur  Palmer,  je  serais  alTectee, 
prniblement  arfectee,  mais  je  n'exagererais  pas. 

MADAME  DE    C  II  ATE  AI'-L  A  \  S  A  C  . 

Et  voiis  auriez  raison...  (Bas,  a  madamc  Palmer.)  Ou'est-cc 
qu'il  y  a  apres  la  robe?... 

MADAME    I'ALMER,  bas. 

Les  dettes... 

MADAME    DE     C  II  ATE  AU-LA  N  S  A  C. 

Oh!  oh!  c'est  sericux,  cela... 

LA    COMTESSE. 

Ou"est-ce  qui  est  serieux? 

MADAME    DE    C  II  ATE  AU-L.\  \  S  A  C. 

Les  dettes...  II  en  a  laisse  pas  mal,  dc  dettes,  votre 
mari...  vousavez  promis  de  les  payer...  vous  avez  bien 
fait...  mais  vous  avez  ajoute  que  vous  les  paieriez  sans 
meme  examiner  les  comptes... 

MADAME     PALMER. 

C'est  de  Texageration...  il  faut  verifier,  au  contraire, 
et  plutot  deux  Ibis  qu'une.  Cela  en  vaut  la  peine.  On 
in'a  parle  d"un  memoire  de  bijou  tier  qui  arrive  a  un 
chilTre!... 


108  LA  VEUVK. 

LA   COMTESSE,  avec  enthousiasmc  ct  montrant  lo  buste. 

II  eut  paye  sans  regarder,  liii!... 

M  A  n  A  M  E     P  A  I.  M  E  R . 

Assurement,  mais  ce  n'est  pas  unc  raison... 

L  A     COMTESSE. 

Je    pense    que    la    meilleure    fac^on    d'honorer    sa 
memoire  est  de  payer  comme  il  eut  paye  lui-meme. 

MADAME    PALMER,  deconragee. 

Ah  bien  !  si  c'est  la  le  resultat!... 

Ellc  se  love  ct  commence  a  s"cmmitouflcr  pour  parlir. 
MADAME   DE    C  II  ATE  AU-L  AN  S  A  C,  has,  ;l  madame  Palmer. 

II  n'y  a  plus  rien? 

MADAME    PALMER. 

Eh  si!...  il  y  a  encore  quelque  chose...   le  dernier 
point,  le  plus  delicat... 

MADAME    DE    C  II  ATE  AU-L  AN  S  A  C. 

Monsieur  de  Leoneins? 

Madame  Palmer  incline  la  tote. 
LA    COMTESSE. 

\'ous  avez  dit?... 

MADAME    DE    C  II  ATE  AU-LAN  S  A  C. 

J'ai  dit  :  monsieur  de  Leoneins...  11  vous  aime  et  je 
crois  l)ion  que  vous,  de  voire  cote... 

LA    COMTESSE. 

Je  vous  arrete  la,  par  exemple!  et  je  vous  supplie... 

(Repondant  a  un  niouvement  de  madame  do  Chateau-Lansac.)  tres 

serieusement,  je  vous  supplie  de  ne  pas  ajouter  un 
mot...  Monsieur  de  Leoneins  a  essaye  de  tons  les 
moyens  pour  se  rapprocher  de  moi...  II  m'a  ecrit,  je 
n"ai  pas  ouvert  sos  lettres...  il  s'est  presente  ici,  je  ne 
I'ai  pas  rcQU  ct  j'ai  fait  serment  de  ne  jamais  le  rece- 
voir... 


ACTE    PREMIER.  109 

MADAME    I'ALMER. 

ToLijours  de  rexageratioii!...  II  a  Tail  quelqiic  chose 
d'etonnant,  monsieur  de  Leoneins...  II  vous  a  aimee 
quand  votre  mari  etait  la...  ce  n'est  pas  ga  que  jc 
trouve  etonnant...  mais  plus  tard,  quand  votre  mari 
n'a  plus  ete  la,  il  a  continue  de  vous  aimer.  C'est  tres 
rare  par  le  temps  qui  court,  et  je  declare,  moi,  que 
riiomme  capable  d'une  action  pareille  meritait  d'etre 
traite  moins  durement. 

LA    COMTESSE. 

Yous  ne  pouvez  pas  me  comprendre. 

Entre  Joseph. 


SCENE  V 

Les  Memes,  JOSEPH. 

JOSEI'II. 

Monsieur  de  Norancey  demande  si  madame  la  com- 
tesse  peut  le  recevoir. 

LA    CDMTESSE. 

Monsieur  de  Norancey? 

JOSEPH. 

Oui,  madame  la  comtesse. 

LA   COMTESSE. 
Mais   Certainement,  je  peux...  (Penaant   que  Joseph    sort.) 

Est-ce  que  vous  saviez  qu'il  etait  de  retour? 

M  A  n  A  M  E   P  A  L  M  E  W. . 

Non...  nous  no  le  savions  pas... 

Kntre  Norancey.  —  II  a  une  figure  tragique. 

II.  7 


no  LA  VEUVE, 


SCENE  YI 

xMADAME   DE   CHATE AU-LANSAC,  MADAME 
PALMER,  LA  COMTESSE.  NORANCEY. 

MAOAMK    I'Al.MKR. 

All!  nion  Dieu !  quelle  figure! 

N  O  R  V  N  C  E  Y . 

Mesdames... 

LA    COMTESSI:. 

Depuis  quand  etes-vous  revenu? 

N  (>  R  A  N  C  E  Y . 

Depuis  liier. 

I. A    CnMTESSE. 

Albeiiinc  est  a  Paris  ilepuis  hier,  et  elle  n'esl  pas 
venue  lue  voir  I 

N  () R  A  N  C  E  V  . 

Alberline...  nia  remmc? 

I.  A  c  1 1  M  r  E  s  s  E . 
Sans  cloule! 

N  ORANGEY. 

Ma  fcmmel...  elleviendra  tout  a  Theure,  ma  femme! 

II  roinontc  et  va  se  vorser  un  grand  verre  d'eau. 
MAHAME    palmer,    ba.s,  :i  la  cointesso. 

Ou'est-ce   qu'il  y  a  encore?...  de  qui  est-il  jaloux. 
maintenant? 

LA    COMTESSE. 

Ah!  ^a,  par  exemple,  je  n'en  sais  rieni 

MAbA.ME    DE    C  MAT  E  A  T'-L  A  N  S  A  G  . 

II  va  vous  le  dire...  et  vous  nous  le  direz...  Bonsoir, 
Louise. 


ACTE   PREMIER.  HI 

LA   COMTESSE. 

A  demain,  n'est-ce  pas?  Vous  viendrez? 

MAO AME   PALMER,  on  regardant  Xorancoy. 

Je  crois  bieu,  que  nous  viendrons!... 

MADAME    I)E    C  II  ATE  AU-L  A  N  S  A  C  . 

Et  de  bonne  heure,  encore!...  (a  Norancey.)  Bonsoir, 
monsieur  de  Norancey. 

Xt)RANCEV. 

Bonsoir,  mesdames. 

11  redoscoml :  los  trois  fcinmes  romontont.  —  Adieux.  ombrassades.  — 
Sorteut  incsdaines  Palmer  et   de  Chatcau-Lansac. 


SCENE  VII 

NORANCEY,  LA  COMTESSE. 

NORANCEY,  regardant  lo  buste. 

Vieil  ami!...  il  est  frappant. 

LA    COMTl'lSSE,   rodoscondant. 

Qu'est-ce  cju'il  y  a?  Voyons. 

NORANCEY. 

La  chose  la  plus  simple  du  monde.  Je  voudrais  saYoir 
s'il  est  vrai...  mais,  la...  bien  Yrai,  que  yous  ayez  cesse 
de  prendre  le  moindre  interet  a  monsieur  de  Leoneins? 

LA    COMTESSE. 

Monsieur  de  Leoneins...  encore!...  Tout  le  monde 
aujourd'liui  me  parlera  done  de  monsieur  de  Leoneins! 

NOR  A  N  C  E  Y . 

Je  ne  yous  demande  qu'un  mot  :  est-il  vrai,  oui  ou 
non,  qu'il  yous  soit  aujourd'hui  tout  a  fait  indifferent? 


H2  LA  VEUVE. 

LA   CUMTKSSK,  exasperee. 

Oui,  oui,  cent  fois  oui !...  monsieur  deLeoncins  m'est 
indifferent...  tout  a  fait  indifferent.  Le  plus  irrand 
plaisir  que  Ton  puisse  me  faire  est  de  ne  jamais  me 
parler  delui...  cela  suffit-il? 

N  ( )  RANG  E  Y . 

Cela  suffit...  je  le  tuerai  demain  matin... 

LA    COMTESSE. 

Vous  dites?... 

NORAN'CEY,  commc  s'il  regrettait  ce  quil  vient  do  dire. 

Une  chose  que  je  ne  voulais  pas  dire  assurement... 
mais,  ma  foi,  puisque  c'est  parti!... 

LA   COMTESSE. 

Voyons,  voyons,  je  n'y  suis  plus,  moi...  vous  voulez 
tuer  monsieur  de  Leoneins? 

X  ORANGEY. 

Maintenant  que  je  sais  que  ga  vous  est  egall... 

LA   GOMTESSE. 

Et  pourquoi  voulez-vous?... 

N  ()  R  A  N  G  E  Y  . 

Parce  qu"il  aime  Albertine  et  que,  si  je  ne  le  tue  pas 
demain  matin,  Albertine  Taimera  dans  liuit  jours. 

LA    COMTESSE. 

Allons,  bien!...  mais  c'est  absurde,  mon  ami,  ce  que 
vous  dites  la ! 

N  O  R  A  N  C  E  V . 
Oh! 

LA   COMTESSE. 

D'abord,  rien  n"est  ridicule  comme  celte  manie  que 
VOUS  avez  maintenant  de  toujours  vous  imaginer  que 
votre  femmc...  Et  puis,  comment  pouvez-vous  croire... 


ACTE    PREMIER.  113 

cest  cela  surtout  qui  est  absurde...  comment  pouvcz- 
Yous  croire  que  monsieur  de  Leoneins  aime  Alber- 
tine'?...  Monsieur  de  Leoneins  ne  pent  pas  aimer  Alber- 
tine,  puisque... 

N  O  R  A  N  C  E  Y . 

Puisque?... 

LA  COMTESSE,    impatientee. 

Eh!... 

X  ORANGEY. 

Puisque  c'esl  yous  qu'il  aime...  n'est-ce  pas?...  Oui, 
il  y  a  un  mois,  lorsqiril  est  Yenu  nous  retrouYer  ea 
Touraine,  c'etait  yous  qu'il  ainiait. 

LA    COMTESSE. 

II  est  alle  yous  retrouYer  en  Touraine? 

NORANCEY, 

Vous  ne  le  saYiez  pas? 

LA    COMTESSE. 

Albertine  ne  m"en  a  pas  dit  un  mot  dans  ses  lettres. 

N  0  R  A  X  c  E  ^' . 
Vous  Yoyez  bien  I...  Je  dois  couYenir  que,  le  jour  oil  il 
est  arriYe  chez  nous,  il  etait  desespere...  11  parlait  de 
vous,  encore  de  vous,  toujours  de  vous,  et  il  etait 
desespere...  Mais,  au  bout  de  huit  jours,  ce  grand 
dcsespoir  n'etait  plus  que  de  la  tristesse...  Au  bout  de 
quinze  jours,  cette  tristesse  elle-meme  se  changeait  en 
une  douce  melancolie,  et,  au  bout  de  trois  semaines... 

LA   COMTESSE. 

Au  bout  de  trois  semaines?... 

XORAXCEY. 

Eh  bien,  je  vous  I'ai  dit...  il  adorait  Albertine... 

LA    COMTESSE. 

Encore  une  t'ois,  c'est  impossible. 


114  LA  vi:rvE. 

NORANCi:  Y. 

Et  pourquoi  cola,  sil  vous  plait?...  pourquoi  n'ado- 
reraitil  pas  Albertiue?...  Est-ce  qu'Albertine  n'a  pas 
tout  ce  qu'il  faut  pour  etre  adoree?...  (Momement  de  la 
comtcssc.)  Vous  doutez  encore?...  vous  ne  doutericz  plus, 
si  vous  Ics  aviez  vus  tout  a  Theurc  a  TOpora... 

LA    COMTESSE. 

A  rOpera!...  ils  sout  a  TOperal... 

N  ( t  R  A  N  C  E  V . 

Oui...  tous  les  deux... 

LA    COMTESSE. 
Ah! 

N  t )  R  A  N  C  E  V . 

Vous  voyez  bienl...  II  y  a  une  heure,  j"y  etais  aussi. 
Albertiue  et  moi,  nous  <Hions  sur  le  devant  de  la  loge... 
II  etait,  lui,  derriere  Albertiue,  comme  ecci,  tenez...  11 
lui  parlait  tout  bas...  et  elle  rayonnait  en  Tecoutant... 
Pendant  ce  temps-la,  sur  la  scene,  il  y  avait  mademoi- 
selle chose...  vous  savez,  une  grande  brune  tres  belle, 

qui    Chantait...  (Il    iVedonnc   nnc   plirase   dii   Troiirh-c.)  Mais    ni 

lui.  ni  elle  ne  I'ecoutaient...  lui,  continuait  a  parler 
bas...  elle,  continuait  a  rayonncr.  Alors,  n"y  tenant  plus, 
je  suis  sorti  de  la  loge...  mon  parti  etait  pris...  Alber- 
tine  vicndra  ici  tout  a  Iheure.  II  I'accompagnera,  natu- 
rellement;  mais,  comme  il  sait  que  vous  ne  consentiriez 
pas  a  le  recevoir,  il  reslera  en  bas. 

LA    COMTESSE. 

En  bas?... 

NORANCEV. 

Oui,  dans  la  voiture.  Je  vous  laisserai  Alltortine. 
J'irai  retrouver  monsieur  de  Leoneins,  nous  ii'ons 
ensemble  au  cercle,  jamenerai  lout  doucement  la  con- 


ACTK    PUKMIER.  115 

vcrsation  sur  L'l  politique,  nous  nous  qucrellerons  et 
dcmain  .. 

I.A   COMTESSK,  Ic  roganlant  avoc    stuiicur. 

Mais...  c'e&t  que,  vrainient,  il  serait  capable!... 

La  portc  du  fond  s'ouvrc  brusqucment  :  Albcrtine,  en  grandc  toilette, 
ciitrc  comme  un  tourbillon  et  se  jctte  dans  les  bras  do  la  comtcsse. 


SCENE   VIII 

Les  Memes,  ALBERTINE. 

albertine. 
Ah!  Louise...  enfin!...  Laisse-moi  t'embrasser...  Tu 
dois  m"en  vouloir  parce  que  je  ne   suis  pas  venue... 
mais  jc  te  dirai,  tu  comprendras... 

La  comtesse  sc  laisse  embrasscr  sans  quitter  dcs  yeux,  uii  seul  instant, 
Xoranccy. 

N  (> R  A X  C E  V  . 

Je  vous  laisse  toutes  les  deux...  (a  Aibeitine.)  Je  vous 
renverrai  la  voiture. 

ALBERTIXK. 

Vous  allez  au  cercle? 

N  (J  R  A  X  C  E  Y . 

Oui. 

I.A    COMTESSE. 

Avec  monsieur  de  Leoneins?... 

Albcrtine  se  rctournc  et  rcgardc  la  comtesse  d'un  air  dtonnc. 
XORANCEY. 

Oui. 

LA  COMTESSE,  bas. 

Et  tout  a  riieure  vous  amenerez  la  conversation?... 


116  LA  VEUYE. 

NORANCEY. 

Sur  la  polilique. 

LA    COMTESSE,  has. 

Et  demain?...  (Noranccy  fait  signe  que  oui.)  Mais  jc  ne 
veux  pas,  moi,  je  vous  defends!...  Je  ne  crois  pas  un 
mot  de  ce  que  vous  m'avez  dit.  Mais,  lors  meme  que 
tout  cela  serait  vrai,  est-ce  que  ce  serait  una  raison?... 
est-ce  qu'il  n'y  aurait  pas  mille  autres  moyens?... 

NOR  A  N  C  E  Y  . 

Lesquels? 

LA    COMTESSE. 

Par  exemple,  on  pourrait...  Non!...  dites  a  monsieur 
de  Leoneins  qu'il  a  eu  tort  de  penser  que  je  ne  le  rece- 
vrais  pas...  dites-lui  qu'il  vienne,  que  je  I'attends... 

N  0  RANG  E  Y . 

Mais... 

LA    COMTESSE. 

Faites  ce  que  je  vous  dis...  amenez-le. 

NURANCEY. 

Oui,  maisje  garde  toujours  mon  moyen. 

11  s'incline  ct  sort. 


SCENE   IX 

LA  COMTESSE,  ALBERTINE. 

ALRERTINE. 

Mon  mari  fa  dit  que  monsieur  de  Leoneins  etait  la? 

LA    COMTESSE. 

Tu  ne  me  Taurais  pas  dit,  loi! 

ALBERTINE. 

Non,  sans  doutcl 


ACTE    PREMIER.  117 

LA   COMTESSE. 

Pas  plus  que  tu  ne  m'as  ecrit  qu'il  etait  alle  vous 
retrouvei  en  Touraine. 

ALBERTl.NE. 

Tu  m'avais,  une  fois  pour  toutes,  priee  de  ne  jamais 
te  parler  de  lui...  sans  cela,  je  t'aurais  certainement 
raconte  son  arrivee  chez  nous.  II  etait  desespere,  ce 
jour-la... 

LA    COMTESSE. 

Oui,  je  sais...  mais,  au  bout  de  huit  jours,  ce  grand 
desespoir  commencait  a  se  calmer. 

A  L 15  E  R  T I N  E . 

Oui,  uu  peu. 

LA   COMTESSE. 

Au  bout  de  quinze  jours,  il  etait  calme  tout  a  fait... 

ALBERTINE. 

Oh! 

LA    COMTESSE. 

Et  au  bout  de  trois  semaines!... 

Norancey  ouvre  la  porte  lui-meme  et  fait  entrer  monsieur  de  Leoneins. 
lis  font  un  pas  ou  deux,  puis  s'arrctent. 


SCENE  X 

Les  Memes,  LEOXEINS. 

LEONEINS,  bas,  a  Norancey. 

EUe  va  me  chasser!... 

NORANCEY,    bas. 

Mais  non,  elle  ne  vous  chassera  pas...  puisque  c'est 
elle  qui  vous  cnvoie  chercher... 

Un  silence.  —  Norancc\'  et  Leoneins  sont  au  fond. 

7. 


118  LA   VKUVE. 

LA    CctMTESSE. 

Eh  bien...  entrez,  monsieur  de  Leoneins... 

I.EONEINS. 

Vi'ainient,  vous  voulez  bien?... 

LA   COMTESSE. 

Oui.  Kntrez  et  asseyez-vousl... 

Salutations   cmljarrassces.  —  Moment    dc    silence.   —   On    s'assied,   a 
I'cxception  dc  Norancey  qui  sc  promenc  en  jetant  sur  sa  fcmmc  ctsur 

Leoneins  dcs  regards  furieux. 

NORANCEY,  bas.  :i  Albeitine. 

Je  favais  dit  qu'ii  onze  heures,  il  serait  ici  :  onze 
heures  nioins  cinq...  il  y  est! 


ACTE    DEUXIEME 


Meme  decor,  mais  Jcjii,  par  toiUc  une  scric  do  le^'ors  cliangemeiits, 
I'aspcct  du  salon  est  Ijoaucoup  moins  sombre.  —  Sur  le  divan,  dcs  coussins 
gris,  mauves,  et  sur  la  table,  siir  le  piano,  sur  la  cheminoe,  de  pctits 
vases,  des  bibelots  donnent  une  imjircssioii  de  clarte,  de  vie  nouvelle. 
—  Rien  detrop  brillant  ccpenJant. 


SCENE  PREMIERE 
LACOMTESSE,   LEONEINS. 

La  comtessc  est  en  dcmi-dcuil,  pas  trop  severe. 
LA    COMTESSE. 

Non,  vraiment,  c'est  impossible... 

LEONELNS. 

Poiirquoi?... 

I.  A    COMTESSE. 

II  y  a  si  longtenips  que  jc  ne  suis  entree  dans  une 
salle  de  spectacle!... 

LEOXEINS. 

Raison  de  plus  [)Our  y  aller  ce  soir! 

LA    CUMTESSE. 

Au  thratre,  moi!...  figurez-vous  done!  moi,  j'irais  au 
theatre!... 

LEOXEINS. 

Je  vous  en  prie... 


120  LA  VEUVE. 

LA   CUMTESSE. 

Je  sais  Ijicn  que  cela  ferait  beaucoup  de  plaisir  a 
mademoiselle  de  Charentonnay... 

LEONEINS. 

Ah!  nous  irions  avee  elle? 

LA    CdMTESSE. 

Assurement !...  vous  n"avez  pas  pense  que  nous  irions 
tons  les  deux... 

LEONEINS. 

Non,  non...  nous  irions  avec  mademoiselle  de  Cha- 
rentonnay, et  ca  I'amuserait  beaucoup,  ga  I'amuserait 
enormement,  mademoiselle  de  Charentonnay. 

LA    COMTESSE. 

Alors  on  pourrait...  en  m'enveloppant  bien...  et  en 
prenant  des  places  ou  je  ne  serais  pas  vue. 

LEONEINS. 

Une  baignoire? 

LA    COMTESSE. 

Une  baignoire  dans  lefond... 

LEONEINS. 

Tout  a  fait  dans  le  fond... 

LA    CUMTESSE. 

Mais  h  quel  theatre  irions-nous"?... 


LEONEINS. 

Ah!...  quant  a  cela... 

JOSEPH. 

Madame  de  Xorancey... 

LEONEINS. 

Madame?... 


Entre  Joseph. 


ACTE   DEUXIEME.  121 

LA    CUMTESSE. 

Cela  vous  cnnuio  de  la  voir? 

I.  E  ( )  N  E  INS. 

Cela  ne  m"ennuie  pas  precisemont,  mais... 

LA   COMTESSE. 

Mais  vous  aimeriez  mieux  ne  pas...  Eh  bien,  sauvez- 
vouspar  le  petit  salon...  Attendez  un  instant,  Joseph... 

(a  Leoneins.)  Sauvez-vous  vite... 

LEONEINS. 

Je  vais  chercher  la  baignoire. 

LA   CUMTESSE. 
C'est   cela.    (Leoneins   sort  par  la   gauche;  sur  un    signe    de  la 
comtesse,  Joseph  sort  par  le  fond.)  Apres  tout,  il  y  a  deux  OU 

trois  theatres  auxquels  je  puis  aller...  et  jc  suis  bien 
sure  que  monsieur  de  Leoneins  aura  assez  de  tact  .. 

Albertinc  cntre. 


SCENE   II 

LA  COMTESSE.  ALBERTINE. 

ALBERT  I  NE,  du   fond  de  la  scene 

Bonjour... 

LA    COMTESSE. 

Bonjour... 

ALBERTI.NE. 

Je  viens  te  remercier. 

LA    COMTESSE. 

De  quoi  me  remercier"?.,. 

ALBERTINE. 

De  m'avoir  sauvee,  done!... 


122  LA  VEUVE. 

LA    COMTESSE. 

Moi,  jc  fai  sauvec"?... 

ALBERTINE. 

Ell!  oui...  (DesconJant.)  Xous  somiiies  bicii  seules,  au 
moins".'... 

I.A    COMTESSE. 

Ccrtainement,  nous  sommes  seules. 

ALBERTINE. 

C'est  que  je  no  voudrais  pas  que  quclqu"un...  (Eiie 
sassied.)  Ma  chere  Louise,  nion  niari  t'a  coiile  de  singu- 
lieres  choses,  pas  vrai"?...  II  y  a  un  niois,  le  soir  que  je 
suis  venue  ici  en  sortant  de  I'Opera...  tu  ne  dois  pas 
avoir  oublie... 

LA    COMTESSE. 

Xon.  jo  ii"ai  pas  oublie... 

ALBERTINE. 

Mon  mari  etait  venu  avant  moi,  il  fa  parle?... 

LA    COMTESSE. 

En  elfet!... 

ALBERTINE. 

Ou'ost-cc  qu'il  t'a  dit? 

LA    COMTESSE,  cssayant  d'eludcr. 

Mais... 

ALBERTI.NE. 

11  fa  dit  quil  etait  jaloux?...  Si  ^a  fennuiede  repou- 
dre.  ne  reponds  pas...  mets-toi  la  seulement,  bien  en 
face  de  moi...  jc  te  regarderai,  ct  je  saurai  l)icn  voir 
sur  ton  visage... 

LA     COMTESSE. 

All  !...  tu  crois  que  tu  pourras  voir  sur  mon 
visaere?... 


ACTE    DEUXIEME.  123 

AI.F.ERTINi:. 


Mais  oui!... 


LA   COMTESSE,  se  placant  commc  Ic  lui  a  dit  Albertine. 

Je  veux  bien,  moi,  alors... 

ALBERTINE. 
II  t'a  (lit  qu"il  etait  jaloux?...  ILa  comtcsse  ne  bouge  pas.) 

jaloux  dc  monsieur  de  Leoneins?...  C'est  bien  cela, 
n'est-ce  pas?...  Oui,  si  ce  n"ctait  pas  eela,  lu  ne  te 
donnerais  pas  tant  de  mal  pour  essayer  dc  roster  inipe- 
netral)le...  II  t'a  raconte  que  monsieur  de  Leoneins 
m'aimait,  que  j'aimais  monsieur  de  Leoneins...  Heu- 
reusement,  tu  connais  trop  mon  mari  pour  attacher  la 
nioindre  importance...  et  je  suis  bien  sure  que  tu  ne 
m'as  pas  crue  capable...  (Mouvement  dc  la  comtessc.j  Tiens, 
si!  il  parait  que  tu  m'en  as  crue  capable.  Oh!  (Riant.) 
Ell  bien,  cntre  nous,  tu  n"as  pas  eu  tout  a  fait  tort.... 

LA    COMTESSE. 

Comment!  tu  avoues"? 

ALT,  ERTINE. 

II  etait  si  tristel...  Ah!  ma  cliere,  s'il  t'arrive 
jamais  de  rencontrer  uu  jtauvre  diable  d'amoureux 
que  les  rigueurs  d'une  de  tes  amies  aient  reduit  au 
desespoir,  ne  t'avise  pas  de  vouloir  le  consoler  :  on  va 
vite,  sur  ce  chemin-Ia...  J"ai  manque  y  etre  prise.  (.Avec 
terreur.)  Brrr...  !Mais  c'est  fini,  grace  au  ciel,  c'est  bien 
fini.  Le  danger  est  passe.  Tu  dois  comprendre... 
maintenant  que  je  sais  que  tu  vas  cpouser  monsieur 
de  Leoneins... 

LA    COMTESSE,  avec  un  sursaut. 

Moi !  je  vais !... 

ALBERTINE,  simplcment. 

C'est  de  cela  que  je  viens  le  remercier. 


124  LA  YEUVi:. 

I,  A     CI )  M  T  E  S  S  E . 

Moi,  je  vais  cpouser!...  Tu  oses,  devant  liii... 

AI.HERTINE,  cffrayee. 

Lui !...  qui,  lui '!... 

I. A    CO.MTESSE,  monlrant  lo  bu.stc  dc  son  mari. 

Lui!... 

A  L  B  E  R  T I  N  E . 

Ah!...  lu  m'as  fait  unc  peurl...  J'ai  cru  que  quclqu'un 
nous  ecoutait... 

LA    C  O  M  T  E  S  S  E . 

Tu  OSes  dire  que  je  vais  epouser?... 

AI.IiERTINE. 

Monsieur  de  Leoneins...  On  le  dit  })artoul. 

I.A    COMTESSE. 

Partout?... 

ALI3ERTI.NE. 

Partout,  partout... 

LA    COMTESSE,  avcc  indignation. 

Oh!... 

ALBERTINE. 

Je  te  demande  i)ardon...  je  ne  croyais  pas,  en  t"an- 
nongant  une  chose  qui  me  paraissait,  a  moi,  toutenatu- 
relle... 

LA    COMTESSE. 

Toute  naturelle!... 

A  L  B  E  R  T  I  N  E . 

Bien...  bien...  n"en  parlous  plus.  Pauvre  monsieur 
dc  Leoneins!...  il  y  comptait,  hii,  sur  ce  mai'iagc... 

LA    COMTESSE. 

Par  exempU"!... 

ALBERTINE. 

Lvidemnienl,  il  y  comptait!...  et  quand  il  va  savoir... 


ACTE   DEUXIEME.  12j 

ah!  moil  Dieu!   il  est   capaljle  d'avoir  encore  bcsoin 

de  consolations...  Ct  alors,  moi...  (Commo  si  elle   se    defen- 

dait.)  Xon.  non!...  il  faut  que  tu  repouses...  il  Ic  faut, 
ct  tu  I'cpouseras... 

LA    COMTESSE. 

Albertinel 

.\LI5ERTINE. 

Je  ne  veux  pas  te  mettre  en  colere,  je  me  sauve... 

(.\u  moment  do  sortir.)  mais  tu  I'epouseras. 

LA     COMTESSE. 

Non,  c'est  impossible...  je  no  suis  pas  tombee  assez 
bas  dans  I'opinion...  C'est  impossible...  on  ne  dit  pas 
une  chose  pareille...  On  ne  dit  pas  que,  moi...  (Montrant 
le  buste.)  sa  veuve...  je  songe  a  me  remarier!... 

A  L  r,  E  R  T I  N  E . 

Mais  si,  je  t'assure,  on  lo  dit  pnrtout... 

LA    COMTESSE. 

Partout?... 

ALBERTINE,  de  I'autro  cute  de  la  porte,  passant  la  teto  pour 
repondro. 

Partout,  partout  I... 

Elle  sort. 


SCENE   III 

LA  COMTESSE,  seuic. 

Partout,  partout  I...  voila  de  quelle  facon  je  suis 
recompensee...  Car  enfin,  si  j'ai  consent!  a  le  recevoir... 
c'etait  pour  rendre  service...  c'etait  pour  empocher 
monsieur  de  Norancey...  (Paiiant  au  buste.)  tu  le  sais 
bien,  toil...  il  etait  si  jaloux,  si  desespert^!...  je  me  suis 


126  LA   VKLVE. 

souvenuc  qu'il  avail  6te  ton  ami,  ton  meilleur  ami...  il 
m'a  seniblc  qu(*  si  tu  avais  ete  la,  tu  m'aurais  toi- 
m6mc  ordonnr...  j'ai  obci,  je  me  suis  devouee...  Et 
voila  comment  Ton  rend  justice!...  Ah  bien!  c'est  fini, 
par  exemple!...  (S"as.seyant  dcvant  la  table.)  Monsieur  de 
Norancey  s'en  tirera  comme  il  pourra...  (Eiic  prend  une 
carte  et  eciit.)  «  Mon  ami,  venez  me  voir  sur-le-champ... 

il    i'aut    que    je  VOUS    parle.    »    (Elle   sonne    :   entrc    Joseph.) 

Faites  porter  ceci  chez  monsieur  de  Xorancey,  tout  de 
suite...  (.Joseph  sort.i  On  le  dit  partout!...  Eh  bien,  soil! 
ce  qui  est  sur,  c'est  que  demain  on  ne  le  dira  plus. 

Rcntree  de  Leoneins. 


SCExXE   IV 

LA  COMTESSE,  LEOXEIXS 

I.EiiNEINS. 

Me  voila,  moi. 

I.  A    COMTESSE. 

Vous  voila,  VOUS... 

l.EDNEl.NS. 

Et  j'ai  la  loge. 

I.  A    C()MTE<SE. 

.Vli  I  VOUS  avcz?... 

I.EIINEINS. 

La  voici ! 

LA     COMTESSE,  pvcnant  lo  billet. 

Thraire  des  Bouffes-Parisiens... 

I.EONEINS. 

11  y  a  des  baignoin-s  dans  le  I'ond. 


ACTE    DEUXIEME.  ii't 

LA    COMTESSE. 

Et  qirest-cc  que  Ton  joue,  aux  Bouifes-Parisiens? 

LEUNEINS. 

La  Tiinhale  dWr'jcnt. 

LA    Ct)MTESSE. 

La  Timhalc  d'Ar...  II  me  semble,  d"abord,  que  vous 
auriez  pu  choisir  une  piece  un  peu  moins...  Mais  il  ue 
s'agit  pas...  Repondez-moi,  mon  ami,  et  faites  atten- 
tion a  votre  reponsc...  Est-il  vrai?...  (A  part.)  La  Tt in- 
hale d'argent!...  cnfinl...  (iiaut.^  Est-il  vrai  que  vous  ayez 
suppose  un  instant  qui'  je  jiourrais  consentir  a  vous 
epouser? 

LEONEINS,   stupefuit. 

Mais...  darnel...  oui. 

LA   COMTESSE,  lui  len.lant  Ic  billet. 

C'cst  tres  bienl...  reprenez  cette  loge. 

LEONEINS. 

Comment? 

LA    C(IMTE.SSE. 

Nous  ne  nous  reverrons  plus,  mon  ami. 

LEONEINS. 

Nous  ne"?... 

LA     COMTESSE. 

Nous  ne  nous  reverrons  plus...  et  comme,  apres 
I'aveu  que  vous  venez  de  me  I'aire,  il  me  parait  de- 
montre  que  toute  explication  serait  inutile,  je  peuse 
qu'il  vaut  mieux  nous  separer  tout  de  suite.  Adieu, 
mon  ami ! 

LEONEINS,  abasourdi. 

Adieu?... 

LA    COMTESSE. 

Oui,  adieu! 


128  LA  VEUVE. 

I.ICD.NEINS. 

Et  vous  croyoz  que  jo  nic  laisscrai  renvoyer  ainsi? 

I. A    COMTESSE. 

Non?...  (Faisant  un  pas )  Alors,  c'ost  moi  qui... 

LEOXEIXS,  I'arretant. 

Je  nc  vous  laissorai  pas  sortir,  non,  jo  ne  vous  lais- 
scrai pas!...  Ah!  j'ai  eu  assez  de  mal  a  arriver  pres 
de  vous...  mais  j'y  suis,  niaintenant,  et  rien  nepourra 
m'en  arracher...  rien  nc  m'cmpechera  de  tomber  a  vos 
pieds  (II  y  tombe.)  ct  d'y  roster  pour  vous  dire  que  je 
vous  aime,  que  je  vous  adore... 

I.A    COMTESSE. 

Oh!... 

Ellc  sc  jottc  sur  lo  bustc  ct  Tcntourc  do  ses  bras  commc  pour  lui 
demander  protection.  —  Ldoneins  est  a.  ses  genoux.  —  Entre  made- 
moiselle de  Charcntonnay,  cllc  s'arretc  an  fond,  stnpofaite. 


SCENE  Y 

Les    Memes,    mademoiselle    DE 
CHARE  XTON  NAY. 

MADEMOISELLE     I)  E     C  H  AR  ENT  O  X  X  A  V. 
Ce  cri  doit  fairc  echo  au  cri  do  la  comtesse. 

Oh! 

L  E  0  X  E  I  X  S ,  a  la  comtesse. 

Madame... 

LA    COMTESSE. 
RelevCZ-VOUS,   monsieur...    (Leoneins  se   relevc,  I'air  assez 
penaud.)  et  laisSCZ-nOUS...  (Mouvement  suppliant  do  Leoneins.) 

Laissez-nous! 

II  sort. 


ACTE   DEUXIEME.  129 


SCENE  VI 

LA    COMTESSE,    MADEMOISELLE    DE 
CHAREXTONNAY. 

La  comtcsse  se  laissc  tonibcr  snr  unc  chaise  et  caclic  sa  tctc  dans  scs 
mains.  —  Petite  exiilosioii  do  larmes. 

MADEMOISELLE    DE    C  II  ARENT  0  N  N  A  Y,  cunsteinee. 

Alors,  comme  ^a,  nous  n'allons  pas  au  theatre  ce 
soir?... 

LA    COMTESSE. 
He?...  (Mademoiselle  dc   Cliarentonnay  baisse  precipitamment  le 

nez.  —  Silence.)  Quelle  legoii,  ma  pauvre  Cliarentonnay, 
quelle  legon!...  mais  elle  ne  sera  pas  perdue,  oh!  non, 
elle  ne  le  sera  pas!... 

MADEMOISELLE   DE    C  II  AREN  T  ON  X  A  Y  . 

Je  suis  allee  chez  le  bijoutier... 

LA   COMTESSE. 

Ah!... 

MADEMOISELLE   DE    C  II  AREN  TONX  A  Y. 

II  va  venir  et  il  apportera  ses  livres. 

LA    CUMTESSE. 

Qu'ai-je  besoin  de  ses  livres?...  J'ai  dit  quejepaierais 
tout,  que  je  paierais  tout  sans  regarder  :  c'est  ce  que 
je  vais  faire,  et  je  me  reproche  de  ne  pas  avoir  encore 
termine  cette  pieuse  liquidation...  Ah!  quelle  lecon!... 

Elle  restc  immobile,  Ic  menton  dans  ses  mains,  —  Entrent  madame 
Palmer  et  madame  dc  Chatcau-Lansac.  Elles  intcrrogent  du  regard 
mademoiselle  de  Cliarentonnay  :  cellc-ci  hausse  legerement  les 
opaules  et  s'en  va. 


130  LA  VEUVE. 


SCENE  VII 

MADAME    PALMER.    LA   COMTESSE, 
MADAME    DE   CH ATEAU-LANSAC. 

MADAME   DE   C  !l  ATE  A  I'-I.  A  N  >  AC. 

Est-ce  que  nous  vous  derangeons,  Louise?...  Si  nous 
vous  derangeons,  ne  vous  genez  pas.  meltez-nous  a  la 
porte. 

MADAME   PAI-MER. 

Javais,  il  est  vrai,  dit  a  la  gouvernante  de  venir  me 
rejoindre  ici  avec  ma  fdle...  niais  la  gouvernante  en 
sera  quitte  pour  ramener  ma  fille  chez  moi... 

I.  A    C()MTE.SSE. 

Xon,  vous  ne  me  derangez  pas...  Je  serai  enchantee 
de  voir  cette  chere  petite  Amelie...  (D'un  ton  serieux.)  Et 
je  suis  enchantee  de  vous  voir,  vous,  pour  vous  remer- 
cier  des  excellents  conseils  (pie  vous  m'avez  donnes... 

MADAME    I'AI.MER. 

Quels  conseils? 

LA    COMTESSE. 

Vous  m'avez  reproche  Texageration  de  ma  douleur 
et  le  fracas  de  mes  larmes...  Vous  m'avez  fait  entendre 
que  ma  rojjc  n'en  serait  pas  moins  une  robe  de  deuil 
si,  au  lieu  d'etre  en  laine,  elle  etait  en  soie,  et  que  je  ne 
ferais  pas  mal,  pas  mal  du  tout,  d'adoucir  ce  noir,  un 
pen  trop  noir,  au  milieu  duquel  je  m'obstinais  a  vivrc  .. 
Ce  sont  la  vos  paroles...  et  moi,  je  vous  ai  ecoutees... 
j'ai  eu  la  faiblesse!...  Eh  bien,  savez-vous  quel  a  etc  Ic 
resultat?...  savez-vous  ce  que  cela  a  fait  dire?... 

MADAME   PALMER. 

Non...  qu"cst-ce  qu'on  a  dit? 


ACTE   DEL'XIKME.  131 

LA    COMTESSE. 

Que  j'etais  sur  le  point  de  me  remarier  ! 

M\1V\ME    PALMER. 

Oh!... 

LA   COMTESSE. 

Oui,  ma  chere ! 

MADAME    PALMER. 

Ce  n"est  pas  possible!  on  n"a  pas  dit  cal... 

MADAME    DE    C  II  ATE  AT'-L  A  N  S  A  C,  navice. 

Si  lait,  si  I'nit.  on  Ta  dit...  je  Tai  entendu. 

MADAME    PALMER,  d'unc  voix  in.lignee. 

Vous  remarier!...  C'est  affreux...  vous  rema...  rierl!! 

(Dun  ton  tres  tranquillc.)  Et  avec  qui?... 

MADAME   DE   C  H  ATE  AU-L  AN  S  A  C. 

Avec  monsieur  de  Leoneins. 

MADAME    PALMER. 
Oh!...  (Elle  regarde  la  comtosse  qui  fait  signe  que   oui,  d'un  air 

desespere.)  C'cst  epouvantablc... 

LA    COMTESSE. 

Vous  comprendrez  que  je  ne  desire  pas  pousser 
I'experience  plus  loin...  Ma  porte  va  de  nouveau  etre 
fermee,  je  reprendrai  ma  robe  de  laine  noire,  et  ma 
maison  redeviendra  cc  qu'elle  etait  avant  ces  quinze 
derniers  jours...  je  vous  en  previens.  (Dune  voix  umue.) 
C'est  a  vous  maintenant  de  voir  si  vous  voulez  vous 
condamner  a  unc  pareille  existence,  ou  si  vous  aimez 
mieux  me  laisser  seule,  m'abandonner... 

MADAME    DE    CIl  ATE  AU-LA  N  S  AG  . 

Nous  nc  VOUS  abandonnerons  pas... 

Entre  Joseph. 


132  LA   VEUVE. 

JOSEIMI. 

Madame,  cest  monsieur  Bagimel,  le  bijoutier... 

I. A   COMTKSSE,  avoc  un  air  de  triomplie. 

All  I...  diles-lui  d'entrer!... 

Madame  do  Chatcau-Lansac  et  madanie  Palmer  cchangcnt  un  regard 
Entre  Bagimel  portant  un  livrc  enorme,  —  un  livre  de  commerce,  —  et 
suivi  d'un  domostiqno  qui  porta  deux  autres  livres  non  moins  dnormcs. 


SCENE    VIII 

BAGIMEL,  LA   COMTESSE,    >LVDAME 
PALMER,    MADAME   DE    CH ATEAU-LANSAC. 

BAGIMEL,  saluant. 

Madame  la  comtesse,  mcsdamcs...  Madame  la  com- 
tesse  m'a  I'ait  dire  d'apporter  mes  livres. 

LA    COMTESSE. 

Je  regrette  de  vous  avoir  donne  cette  i)einc...  J'ai 
besoin  seulcment  de  savoir  au  juste  ce  que  vous  devait 
mon  mari. 

BAGIMEL. 

327  280  francs,  madame  la  comtesse... 

LA  COMTESSE,  abasourdie. 
327  000-?... 

I!  A  G 1  M  E  L . 

...  280  francs. 

LA    COMTESSE. 

Cest  bien,  ccla  suflit... 

Kilo  va  prendre  une  plume  ct  unc  fcuillc  dc  papier. 

MADAME    PALMICR,    airetant   la  comte^^^c   au  moment  ou   elle  va 
ecrire. 

Ell  bien,  mais...  puisque  les  livres  sont  la,  pourt[uoi 


ACTE   DEUXIEME.  133 

ne  pas  examiner  un  pen?...  (Mouvement  do  la  comtosse.) 
Monsieur  Bagimel  a  pu  se  tromper  dans  son  addition... 

I5AGIMEL. 

Oh!  madame!... 

MADAME   PALMER. 

Cela  arrive,  monsieur  Bagimel,  cela  arrive  :  ma  cou- 
turiere  m"avait  bien  compte  dix  mille  francs  de  trop,  a 
moi,  sur  une  facture  de  dix-neuf  mille... 

BAGIMEL. 

Les  couturieres.  je  ne  dis  pas,  mais  les  bijoutiers... 

MADAME  PALMER. 

II  vaut  mieux  verifier,  je  vous  assure!...  (a  la  comtosse.) 

Si  vous  VOuleZ,  je  m'en  charge...  (Prenant  la  plume  ct  le 
papier  dont  la  comtesse  a  ete  sur  Ic  point  de   se  servir.)  Monsieur 

Bagimel  aura  la  bontc  d'appelcr  chaque  article...  avec 
le  prix,  a  mesure...  (a  Bagimel.)  Et  c'est  au  total  que  je 
vous  attends!...  (a  la  comtesse.)  Je  vous  en  prie,  laissez- 
moi  faire... 

la   COMTESSE. 

Si  cela  vous  amuse... 

BAGIMEL. 

Alors,  madame  la  comtesse,  il  faut?... 

LA   COMTESSE. 

Oui,  monsieur  Bagimel. 

Lc  domestique  depose  sur  la  table  les  deux  registres  qu'il  portait,  puis 
il  s"en  va;  Bagimel  fait  un  pas  et  s'arri'te  devant  le  buste. 

BAGIMEL,  avec  emotion. 

Oh!... 

MADAME    DE    C  H  ATE  AU-LAN  S  A  C. 

Qu'est-ce  que  vous  avez?... 

BAGIMEL. 

Mille  pardons,  je  n'avais  pas  rcconnu  encore...  En 
ir.  8 


13 i  LA   VEL'VH. 

rcconnaissant,  je    n'ai    pas   cte    luaitn-...   un    si    bon 
client !... 

MADAME    I'AI.MER,  montiant  Ics  livres. 

Vous  avez  bicn  tout?... 

HAOIMEL. 

Qui.  madaiiie,  jiii  apporte  mes  livres  pour  les   trois 
annces... 

LA   COMTESSE,  ties  emue. 

Mes  trois  aniiees  de  bonheur!... 

MADAME    I'AI.MER. 

Allons  I  monsieur  Baginiel,  commenQons... 

BAGIMEL.  II  regarde  la  comtcsse  :  ce!le-ci,  d'un  air  languissant, 
lui  fait  signc  dc  commcncer. 

Du  28  Janvier  1866,  une  baguc,  perlc  et  brillants  : 
2  liOO  francs. 

LA    COMTESSE. 

C'est  lo  premier  bijou  qu'il  m'ait  donne. 

MADAME  PALMER,  ecrivant. 

2  '600  francs. 

15  A  CI  MEL. 

Du  4  mars... 

LA    COMTESSE,   tres  omue. 

Du  4  mars...  Nous  nous  sommes  maries  le  0... 

B  A  ( ;  I  M  E  L . 
Du  4  mars...  deux  alliances  et  une  medaille  dc  ma- 
riage,  inscription  emaillec  sur  or  mat  :  100  francs... 

LA   COMTESSE,  avcc  un  regard  dc  reconnaissance  au  bustc. 

Ah!... 

r.  A  CI  MEL. 

Un  bracelet,  pcrles  et  brillants  :  10  000  francs. 


AGTE   DEUXIEME.  J35 

LA    COMTESSE. 
All!!... 

I!  A  C.  1  M  E  I, . 

Une  broche  joailleric  brillaiits  :  45  000  francs. 

MADAME    1>ALMER. 

Voiis  avez  dit"?... 

BAGIMEE. 

45  000  francs. 

MADAME   DE   C  II  ATE  AI'-L  AN  S  AC. 

Mazctte!... 

LA   COMTESSE,  avec  enthousiasme. 

Et  voila  riiomme  que  vous  soup^onniezl...  Car  je  ne 
suis  pas  voire  dupe  et  j'ai  bien  compris  ce  que  vous 
vouliez  dire...  Continuez,  monsieur  Bagimel. 

HAC.IMEL,  gagne  par  renthousiasmc  dc  la  comtesse. 

Toujours  du  4  mars...  Une  paire  de  boucles  d'oreilles, 
—  deux  brillants,  deux  perles  noires  :  —  10  000  francs. 
Une  chatelaine,  —  chiffre  et  couroime,  diamants  et 
sapliirs  :  — 4  000  francs...  En  tout,  pour  le  4  mars  : 
71  000  francs. 

LA   COMTESSE,  a  ses  deux  amies. 

Hein!... 

liAGIMEL. 

En  JLiin,  une  parure  Campana,  —  collier,  boucles 
d'oreilles  et  bracelets  :  —  2  200  francs.  En  septembre, 
une  bague  saphir  et  brillants  :  4  000  francs.  En  decem- 
bre,  fourni  et  serti  un  brillant :  75  francs;  remis  a  neuf 
diverses  pieces  joaillerie  :  30  francs  ;  reenfile  cinq 
rangs  de  perles  :  50  francs...  et  c'est  tout,  je  crois,  pour 
18GG...  Non!...  encore  en  decembre,  une  aigrette  en 
brillants  :  3  000  francs...  et  c'est  tout! 


136  LA  VEUVE. 

MADAME  PALMER,  tres  vitc. 

80  953  francs... 

B  VGIMEL,  etonne. 

Madame?... 

M  A  D  A  M  E   P  A  L  M  E  R . 

Ca  fait  80  95o  francs  pour  la  premiere  annee.  Pas- 
sons  aux  suivantes... 

LA    CUMTESSE. 

Je  ne  demande  pas  mieux,  passons  aux  suivantes. 

BAGIMEL,  feuilletant  le  second  livre. 

1867.  En  mars  1867...  un  bracelet  Souvenir,  diamanls 
sur  or  mat  :  2  500  francs. 

LA    COMTESSE. 

En  mars...  Souvenir!...  souvenir  du  9  mars... 

BAGIMEL. 

En  juin,  un  monogramme,  pierrcs  varices  :  800  francs. 
En  septembre,  un  oiseau  pour  la  coiffure... 

LA    COMTESSE.  chcrchant  ct  no  so  souvcnant  pas. 

Un  oiseau?...  Un  oiseau?... 

BAGIMEL. 

Oui,  madame,  un  oiseau  pour  la  coiffure :  4  000  Irancs. 

LA   COMTESSE. 

Vous  devez  vous  trompcr,  monsieur  Bagimel. 

MADAME   PALMER,  s'arretant,  posant  la  plume. 

Qu'est-ce  que  je  vous  disais?  Monsieur  Bagimel 
s'est  trompe...  J'aurais  parie,  moi,  que  monsieur  Ba- 
gimel s'etait  trompe ! 

BAGIMEL,  montrant  son  livre. 

Cepcndant.  madame... 


ACTE    DEUXIEME.  137 

LA    COMTESSE. 

Je  suis  sure  de  ne  pas  avoir...  (En  somiant.)  II  y  a,  du 

reste,  Une  facon  bien  simple...  (a  Joseph,  qui  vient  dentier.) 

Priez  madame  Robert  d'apporter   ici   men  coffret  k 
bijoux.  (Joseph  sort.)  Coiitinucz,  monsieur  Bagimel. 

MADAME  PALMER. 

Alors,  je  n'ecris  pas  I'oiseau?... 

LA   COMTESSE. 

Non,  sans  doute! 

BAGIMEL. 

Hum  !...  Deux  boutons,  solitaires,  brillants  :  20  000  fr. 

LA   COMTESSE. 

Je  les  ai...  jeles  ai!...  Vous  voyez  bien  que,  pour  I'oi- 
seau, c'etait  une  erreur...  les  deux  boutons,  je  les  ai... 
Continuez,  je  vous  en  prie... 

BAGIMEL. 

Un  medaillon  en  brillants  sur  onyx  :  3  000  francs. 

LA    COMTESSE. 

Oui... 

MADAME   PALMER,  ecrivant. 

0  000  francs. 

BAGIMEL. 

En  octobre,  une  paire  de  boucles  d'oreilles,  oiseaux... 

LA   COMTESSE,  de  nouveau  tres  surprise. 

Encore! 

BAGIMEL,  trouble. 

Oui...  madame...  une  paire  de  boucles  d'oreilles, 
oiseaux,  pierres  varices  :  3  oOO  francs... 

LA   COMTESSE,  sechement. 

Pour  le  coup,  vous  vous  trompez ! 


138  LA   VEUVE. 

BAOIMEL. 

Cependant,  madame  la  comtesse,  il  y  a  la... 

LA    CdMTESSE. 

11  y  a  la  une  erreiir. 

Madame  Robert  vient  d'entrer;  cllc  pose  le  cofFret  a  bijoux  sur 
la  table,  devant  la  comtesse,  et  elle  sort. 

LA  COMTESSE,  ouvrant  le  coffret. 

Regardez...  je  n'ai  pas,  moi,  d'oiseaux,  pierres 
varices... 

BAGIMEL,  de  plus  en   plus  trouble. 

Madame  la  comtesse  doit  comprendre  combien  ma 
situation  est  delicate... 

Jeu  de   scene  :  la  comtesse  regarde  Bagimcl;clle   rcgarde  mesdames 
Palmer  et  de  Chateau-Lansac,  qui,  toutes  les  deux,  detournent  la  tctc. 

LA   COMTESSE,  avec  effort,  a  Bagimel. 

Continuez... 

M  A  n  A  M  E    P  A  L  M  E  R . 

Un  instant...  comment  vais-je  fairc,  moi?...  Je  vais 
etre  obligee  d'ouvrir  un  nouveau  compte. 

MADAME   DE    C  II  ATE  AU-LAN  S  A  C. 

Passez-moi  une  feuille  de  papier... 

MADAME   PALMER,  passant  une  feuille  de  papier  et  une  plume  a 
madame  dc  Chateau-Lansac. 

C'est  ^a.  nous  risquerons  moins  de  nousembrouiller... 
Boucles  d'oreilles,  oiseaux  :  3  oUO  francs... 

MADAME   DE    CHATEAU-LANSAC,  ecrivant. 

3  500  francs. 

MADAME   PALMER. 

Et  Tautre  oiseau?...  celui  de  tout  a  riieure...  celui 
de  4  000  francs?...  Est-ce  que  vous  ne  trouvez  pas 
qu"en   bonne  justice  nous   devrions?...  Oui,   n"est-cc 

pas?...   (A  madame   de   Chateau-Lansac.)  Ajoutcz    4  OUO   fraUCS 

au  nouveau  compte...  Y  etes-vous?... 


ACTE   DEUXIEME.  139 

MADAME    DE    C  H  ATE  AU-L  AN  S  A  C. 

J'y  suis. 

MADAME    I'AI.MER,  ;i  Bagimcl. 

AUez,  mainteaant. 

B  A  G I  M  E  L . 

Ell  novembre,  un  pendant  de  cou ,  brillauts  : 
KiOOO  francs. 

L  A   C  O  M  T  E  S  S  E ,  d'une  voix  breve. 

Je  ne  I'ai  pas. 

MADAME   I'AI.MER,  :i  mailamo  de  Cliuteau-Lansac. 

A  vous,  alors. 

Madame  de  Cliatcau-Lansac  ecrit. 
B  A  G 1  M  E  1. . 

En  decembre...  deux  bracelets  tour  de  bras,  bril- 
lants.  (Avec  cmpiesscment.)  J'ai  cu  I'lionneur  de  les 
apporter  moi-meme  a  madame  la  comtesse...  Madame 
la  comtesse  doit  se  rappcler... 

LA    CdMTE.^SE. 

Oui.  je  me  rappelle... 

BAGIMEE. 

2'2  000  francs,  les  deux  bracelets  tour  de  liras  : 
22  000  francs. 

MADAME   DE   C  H  AT  E  AU-L  AN  .'^  AC,  a  madame  Palmer. 

Ca,  c'est  pour  vous. 

MADAME    PALMER. 

Qa,  c'est  pour  moi. 

Avant  d'annoncer  l"articlc  suivant,  Bagimel  cherche  a.  voir  dans  le 
coffret  a  bijoux  :  la  comtesse  s'apcrgoit  du  manege  et  place  le  colfret 
do  i'acon  que  Bagimel  ne  puissc  pas  voir  ce  qu'il  y  a  dedans. 

BAGIMEL. 

Un  bandeau  cinq  etoiles,  brillants... 

LA    COMTESSE,  ironiqiie. 

Cinq  etoiles?... 


140  LA  VEUVE. 

BAC.IMi:!.. 

Oui.  madanie  la  comtesse. 

LA   COMTESSE,  de  plus  en  plus   ironique. 

Conibien?... 

p.  A  G 1  M  E  I. . 

3o000  francs. 

LA   COMTESSE,  eclatant. 

3o  000  francs  1 ! 

BAGIMEL,  eperdu. 

Madame  la  comtesse  doit  coniprendre  combien  ma 
situation... 

MADAME   PALMER,  a  madame  de  Cluiteau-Lansac. 
A  YOUS. 

MADAME   DE    C  H  ATE  AU-L  AN  S  A  C  . 

II  commence  a  prendre  tournure,  le  nouveau  compte  ! 

LA   COMTESSE,  a  Bagimel. 

Apres,  voyons... 

R  A  G I M  E  L . 

C'est  tout,  madame,  e'est  tout  pour  la  seconde  annee. 

MADAME   PALMER. 

J'ai  50  300  francs  pour  la  seconde  annee.  (a  madame 

de  Chateau-Lansac.)  Et  VOUS?.,. 

MADAME  DE   C  H  ATE  AU-LAN  S  A  C. 

52  500  francs,  moi. 

MADAME   PALMER. 

Cinquante...  cinquante-deux... 

LA   COMTESSE. 

Qa  se  balance...  Voyons  la  troisienie  annee...  jc  suis 
curieuse  vraiment... 

BAGIMEL,  s'essuyant  le  front. 

En  Janvier...  une  glace  or  mat,  chiffres  enlaces,  bril- 


ACTE   DEUXIE.ME.  141 

lants  :  3  500  francs.  (La  comtesse  fait  de  la  tete  signe  qu'elle 
n'a  pas  cela  et  niaJame  dc  Chateau-Lansac  ccrit  Ic  chiffrc.  —  Quant  a 
madarao  Palmer,  ellc  pose  sa  plume  et  s'appuie.  les  bras  croiscs,  sur  Ic 
dossier  de  sa  chaise,  comme  si  elle  savait  parfaitement  qu"elle  n'aura 

plus  rien  a  ecrire.)  Ell  fevricr,  uii  oiscau...  o  000  francs. 

(Denegation    muette    do    la    comtesse.)    Madame    la    COmteSSC 

doit  coniprendre  combien  ma  situation  est  delicate... 
En  mars,  une  boucle  de  ceinture  or  avec  brillants  : 

10  000  francs...  (Toujours   la  meme  denegation.)  Quand  mon- 

sieur  le  comte  commandait  quelque  chose,  je  ne  pou- 
vais  pas  savoir,  moi...  En  avril,  quatre  porle-bonheur  : 
20  000  francs...  (Memo  jeu.)  En  mai,  un  peigne  bandeau, 
argent,  brillants  :  30  000  francs...  (Meme  jeu.  Bagimei,  bou- 
leverse,  s'essuie  encore  le  front.)  Je  vous  demande  pardon... 
est-ce  que  vous  ne  trouvez  pas  qu'il  fait  ici  une  cha- 
leur?...  En  juin,  un  collier,  cinq  rangs  de  perles  et  un 
fermoir  saphir  et  diamants  :  75  000  francs...  (.\rretant  un 

mouvement  furieux  de  la  comtesse.)   Ah!   par  exemple,  voici 

quelque  chose  pour  madamc  la  comtesse  :  le  nom  de 
madamc  la  comtesse  est  en  marge... 

LA   COMTESSE. 
Eh  bien?...  (Bagimei  a  regarde  et,  suffoque,  n'ose  dire  ce  qu'il 

a  vu.)  Eh  bien!  voyons...  pour  moi? 

MAD.XME   P.\LMER,  lisant  ce  que  Bagimei  n'a  pas  ose  lire. 

Un  lot  de  bijoux  remis  aneuf...  25  francs! 

LA   COMTESSE. 

Oh! 

RAGIMEL,  accable. 

Madame  la  comtesse  doit  comprendre  combien  ma 
situation... 

LA    COMTESSE. 

Qu'y  a-t-il  encore? 

I5AGIMEL,  epuise. 

Plus  rien...  c"est  fini  :  monsieur  le  comte  est  tombe 


Ii2  LA   VEUVH. 

maladc  en  juin...  ct  nous  n'avons  pas  cu  le  plaisir  de 
le  voir  en  juillet. 

MADAME   PALMEU. 

Cost  fini"?...  alors,  j"ai,  moi,  25  francs  a  ajouter.  (Eiie 

les  ajoute.)  Ct  VOUS...  VOyonS  Un  pen.  (Elle  parcourt  le  compte 
de  madame  de  Chateau-Lansac.)  143  500   franCS,  en  dix   mois, 

c'est  gentil!...  143  500  francs  et  25  francs  font  143  525,  ce 
qui,  avec  les  102  800  de  la  seconde  et  les  80  955  de  la 
premiere,  nous  donne  327  280  francs...  Cest  bien  le 
chiffre  que  vous  aviez  dit,  monsieur  Bagimel!...  Je 
VOUS  demande  pardon...  votre  addition  etait  parfaite- 
ment  exacte... 

MADAME   DE    CHATEAU-LANSAC. 

Mais,  j"y  pense,  monsieur  Bagimel...  vous  eles  le 
bijoutier  de  mon  mari... 

BAGIMEL. 

En  effet,  madame  la  marquise,  monsieur  le  marquis 
me  fait  I'lionneur... 

M  A  D  A  M  E    P  A  L  M  E  K . 

Et  c'est  chez  vous  aussi  que  mon  mari,  a  moi.. 

P,  A  G 1 M  E  L . 

Oui,  madame. 

MADAME  DE   CHATEAU-LANSAC. 

Les  comptes,  alors,  sont  sur  ces  livres? 

BAGIMEL,  tres  inquiet. 

Sans  doute,  madame!... 

MADAME  DE   CHATEAU-LANSAC,  voulant  ouvrir  un  des  livres. 

Eh  bien,  la,  vrai,  puisque  I'occasion  se  presente... 

p.  AGIMEL,  defendant  ses  livres. 

Mesdames,  je  vous  en  prie,  mesdanies... 

MADAME    PALMER. 

Si  fait,  nous  voulons  voir... 


ACTE  DEUXIEME.  143 

n  A  G I  M  E  I. . 

Mesdames,  je  vous  en  supplie...  le  secret  profes- 
sionnel... 

LA    COMTESSE. 

Emportez  vos  livres,  monsieur  Bagimel...  (Avec  hau- 
teur.) Je  vous  ai  dit  que  vous  auriez  votre  argent,  vous 
I'auroz...  Vous  pouvez  vous  retirer... 

BAGIMEL,    suppliant. 

Madame... 

Sur  un  signc  dc  la  comtcsse,  il  rctourno  a  ses  livres. 
MADAME    I)E   CH  ATE  AU-L  AN  S  AC. 

Laissez-aous  seulement  voir  un  peu... 

I5AGIMEL,    se  ilebattant  ot  cmportant  sos  livres. 

Mesdames,  mesdames...  le  secret  professionnel, 
mesdames,  le  secret  professionnel!... 

II  sort. 
LA    COMTESSE. 

143  000  francs  en  six  mois!...  II  etait  temps  que  Qa 
finit ! 


SCENE  IX 

LA  COMTESSE,  MADAME  PALMER,  MADAM  E 
DE  CHATEAU-LANSAC,  puis  MADEMOI- 
SELLE DE  CHARE  N  TON  NAY  et  la  petite 
AMELIE. 

Silence.  —  Colcrc  muottc  dc  la  comtcsse,  regards  furieu.^  adrcsses  au 
buste,  mots  entrecoupes  :  «  Cent  quarante-trois  mille  francs!...  vingt- 
cinq  pour  moi !  »  —  Sourircs  d'intelligence  echanges  entre  madamc 
Palmer  et  madame  do  Chatcau-Lansac.  —  Mademoiselle  do  Cliarcn- 
tonnay  entr'ouvre  la  porto. 

MADEMOISELLE     DE    C  H  AREiNTU  N"  N  A  V  ,    ti    madamc   Palmer. 

C'est  votre  fille,  madame... 


144  LA  VEUVE . 

LA   COMTESSE,  i  madame  Palmer. 

Votre  petite  Amelie...  Amenez-Ia,  ma  boanc  Charen- 
tonnay,  amenez-la... 

MADAME  PALMER,  se   levant;  —  madame  do  Chatcau-Lansac   se 
leve  aussL 

Mais  non...  il  est   tout  a  fait   inutile...  Nous   vous 
laissons,  ma  chere. 

LA    COMTESSE. 

Pas  du  tout!  je  tiens  absolument  a  voir...  (Mademoiselle 

de  Charontonnay  amene  .\melie ;  celle-ci  s'approche  de  la  comtesse.) 
Cette  chere  petite  I  (a  madame  Palmer,  en  embrassant.\melie  avec 

une  sorts  de  fureur.)  Etes-vous  heureusc  d'avoii'!...  Si  moi, 
au  moins,  j'avais!...  maisnon...  (Regard  au  buste.)  Yingt- 
cinq  francs!...  (a  Amelie.)  Ou'elle  est  gentille!...  Mets- 
toi  la,  parle-moi...  Toi,  du  moins,  tu  ne  me  diras  rien 
qui  puisse  me  faire  dc  la  peine... 

AMELIE. 

Oh!  non,  madame... 

LA    COMTESSE. 

Cher  ange!...  Tu  viens  de  ton  cours? 

AMELIE. 

Oui,  madame. 

LA    COMTESSE. 

Et  tu  travailles  bien? 

AMELIE. 

Oh!  oui!...  j"ai  etc  premiere  en  recitation  classique... 

LA    COMTESSE. 

Vraimenl!...  et  qu'esl-ce  que  tu  as  recite? 

A  M  E  L I  E . 

Une  fable  de  La  Fontaine...  une  belle  fable... 

LA    COMTESSE. 

Eh  bien!  recite-la-moi,  veux-tu? 


ACTE   DEUXIEME.  14o 

AMELIE. 

Je  veux  bien! 
La  perte  d'un  epoux  ne  va  pas  sans  soiipirs; 
On  fait  beaucoup  de  bruit  et  puis  on  se  console. 
Sur  les  ailes  du  temps  la  tristesse  s'envole; 

Le  temps  ramene  les  plaisirs. 

Entre  la  veuve  d'une  annee 

Et  la  veuve  d'une  journee 
La  difference  est  grande... 

MADAME    PALMER,  interrompant  sa  fille  et  remmenant. 

C'est  bien...  en  voila  assez!...  Viens,  Amelie... 

MADAME   DE   C  II  AT  E  AU-LAN  S  A  C,  embrassant  la  comtesse. 

A  domain,  ma  chere ! 

AMELIE,  emmenee  par  sa  mere. 

Pourquoi  ne  me  laisse-t-on  pas  finir  ma  fable?...  Je 
la  sais  tres  bien... 

Entre  la  veuve  d'une  annee 
Et  la  veuve  d'une  journee 
La  difference  est  grande... 

MADAME    PALMER. 
Mais  tais-toi  done!...  (A  la  comtesse  qui  n"a   pas  bouge.)  A 

demain,  ma  chere,  a  demain! 

Sortent  madame  Palmer,  madame  de  Cliateau-Lansac  et  Amdlie. 


SCENE  X 

LA  COMTESSE,   MADEMOISELLE  DE 
CHARENTONNAY,  puis  NORANXEY. 

LA    COMTESSE. 

Comment  s'appelle  cctte  proprietc  que  j'ai  la-bas. 
au  bord  de  la  mer,  tout  au  fond  de  la  Bretagne?... 

MADEMOISELLE    DE    CHARENTONNAY. 

EUe  s'appelle  le  Kerzu... 

n.  9 


146  LA  VEUVE. 

LA    COMTESSE. 

Qu'est-ce  que  ra  veut  dire,  le  Kerzu?... 

MADEMOISELLE    UE    C  H  ARENTO  N  \  A  Y. 

C.a  veut  dire  la  maison  de  I'ennui,  la  maison  de  la 
tristesse,  la  maison  de  la  desolation...  Et,  de  fait,  il 
est  impossible  d'imaginer  un  sejour  plus  insuppor- 
table... 

LA    GOMTESSE,  avec   elan. 

Nous  allons  partir  pour  le  Kerzu,  ma  bonne  Charen- 
tonnay ! 

M  .\  D  E  M  ( M  S  E  L L  E   I)  E   C  H  .\ R E N T ()  N  N  A  Y  . 

Ah: 

LA    COMTES.se. 

C'est  la  que  nous  irons  nous  enfermer...  et  nous  y 
vivrons,  toutes  Ics  deux,  sans  voir  personne...  seules, 
toules  seules...  Vous  voulez  bien?... 

MADEMtMSELLE   DE   C  II  A  REN  TO  N  N  A  Y  . 

Je  veux  bien,  ma  cousine. 

Eiitre  Norancey,  Tair  furibond  :  —  a  peu  pres  la  meme  entree  qu'au 
premier  acte;  —  il  serre,  sans  parler,  la  main  de  la  comtcsse  et  sc 
jette  sur  une  chaise. 


SCENE  XI 

Les  Memes,  norancey. 

LA    COMTESSE. 

Eh  bien!  qu'esl-ce  qu'il  y  a  encore?...  (Dun  coup  doeii, 

Norancey  montre  mademoiselle  de  Charcntonnay.)  OuOl,  VOyons  . 
(Norancey  explique,  par  un  geste,  qu'il  ne  peut  parler  devant  made- 
moiselle de  charentonnay).  Ma  bonne  Charentounav,  voulez- 


ACTE  DEUXIEME.  147 

vous  avoir  la  bonte  de  prendre  ce  coffret...  vous   le 
donnerez  a  madanie  Robert,  qui  le  reniettra  a  sa  place. 

MADEMOISELLE    I)  E    C  H  AR  ENTU  N  N  A  Y. 

Jc  veux  bien,  ma  cousine. 

Elle  sort  emportant  le  cotlret  a  Vjijoux. 


SCENE  XII 

LA  COMTESSE,   NORANCEY. 

LA    COMTESSE, 

Eh  bien"?... 

NOR  A  N  C  E  Y  . 

Eh  bien,  il  est  revenu!...  il  est  chez  moi  mainte- 
nant...  il  est  chez  moi,  pres  d'Albertine. 

LA    COMTESSE. 

Deja!... 

NORANCEY. 

Tout  a  rheure,  au  moment  oii  jo  m"y  attendais  le 
moins,  je  Tai  vu  arriver,  tenant  a  la  main  une  loge 
pour  la  Timbale...  11  a  demande  a  Albertine  si  elle  vou- 
lait  y  venir;  Albertine  a  repondu  qu'elle  voulait  bien... 
Voila  oil  en  sont  les  choses  :  nous  allons  ce  soir  a  la 
Timbale...  tons  les  trois! !!  Et  ce  qui  s'est  passe,  il  y  a 
un  mois,  a  TOpera,  va,  derechef,  se  passer  aux  Rouffes... 
avec  cette  difference  qu"au  lieu  d'entendre...  (ii  fredonne 

tres  legeremeni   quelques  notes  du  Miserere  du  Trouvere.)   j'enten- 

drai  :  «  Encore  un  qui  n'  I'aura  pas,  la  timbale,  la 
timbale!...  »  (Avec  luieur.)  Mais  mon  parti  est  pris!  Pen- 
dant Tentr'acte.  je  propose  a  monsieur  de  Leoneins  de 
venir  faire  un  tour  dans  le  passage  Choiseul ;  j'amene 
tout  doucement  la  conversation... 


148  LA  VEUVE. 

I.A    COMTKSSE. 

Sur  la  politique?... 

N  0  R  A  N  C  E  Y  . 

On  nous  separe,  et  demain  matin... 

LA    COMTESSE. 

Vous  y  revenez?... 

NORANCEY. 

II  faut  bien  que  j"y  revienne,  puisque  votre  moyen, 
a  vous,  n'a  pas  reussi !  (Mouvcment  de  la  cumtesse.)  Je  ne 
vous  le  reproche  pas  :  je  m'y  attendais...  J'etais  bien 
sur  qu'un  jour  ou  I'autre  il  se  remeUrait  a  adorer 
Albertine,  et  que,  cc  jour-la,  vous  auriez  beau  faire,  il 
vous  serait  impossible  de  le  retenir... 

LA    COMTESSE. 

Qu'est-ce  que  vous  dites?... 

NORANCEY. 

Ce  qui  est  arrive,  n'est-ce  pas?...  Vous  avez  voulu 
le  retenir,  mais  il  n'y  a  pas  eu  moyen... 

LA   COMTESSE. 

Mais  pas  du  tout  I...  S'il  n'est  plus  ici,  c'est  que  je  Tai 
chass6... 

N  O  R  A  N  C  E  Y  . 
Oh! 

LA    COMTESSE. 

Sans  cela,  il  y  serait  encore.... 

NORANCEY. 

C'est  vous  qui  Tavez  chassc? 

LA    COMTESSE. 

Oui. 

N  O  R  A  N  C  E  Y . 

Vous  etcs  bien  sure?... 


ACTE   DEUXIKMK.  149 

LA    COMTESSE. 

Comment,  si  je  suis  bien  sure!... 

N  ORANGEY. 

Mais  alors...  vous  pourriezme  d6barrasser  de  la  Tim- 
bale...  en  lui  declarant  tout  a  Theure  que  vous  regrettez 
de  I'avoir  chasse?... 

LA    COMTESSE. 

Tout  a  riieure?... 

X  O  R  A  X  C  E  Y . 

Oui...  il  va  revenir... 

LA    COMTESSE. 

Ell  non,  il  ne  reviendra  pas!...  apres  la  faQon  dont 
je  lui  ai  parle... 

XORAXCEY. 

Qa.  ne  fait  rien  :  il  a  regu  votre  billet  et  il  va  revenir... 

LA    COMTESSE. 

Mon  billet?...  quel  billet?... 

XORAXCEY. 

Celui  que  vous  lui  avez  ecrit... 

LA    COMTESSE. 

J"ai  ecrit  a  monsieur  de  Leoneins?  moi?... 

X  ()  R  A  X  C  E  Y . 

Deux  lignes  seulement  :  «  Mou  ami,  venez  me  voir 
sur-le-cliamp...  » 

LA    COMTESSE. 

Hein? 

X  O  R  A  X  C  E  Y  . 

I  Venez  me  voir  sur-Ie-champ;  il  Taut  que  je  vous 
parle...  » 

LA    COMTESSE. 

Mais  c'est  ci  vous  que  j'ai  ecrit  cela!... 


loO  LA   VEUVE. 

NUR.V.NCEY. 
Oui...  a  nioi.  d'abord...  Mais  comnie,  api'es  avoir  lu, 
j'ai  soigneusement  reuiis  votre  petit  mot  sous  cnve- 
loppe,  et  comme  je  Tai  envoye  de  votre  part  a  mon- 
sieur de  Leoneins... 

LA    COMTESSE. 

Vous  vous  etc3  permisl... 

Entre  Joseph. 
N  0  R  .\  .N  C  E  V  . 

C'est  monsieur  de  Leoneins?... 

JOSEPH. 

Oui,  monsieur. 

N  0  R  A  N  C  E  V  . 
Faites    entrer.   (A  la   comtesse,    has    ct  duno    voix    tragique.) 

Mais,  cette  fois,  par  exemple,  si  vous  le  laissez  encore 
echapper!... 

.Josepli  sort. 

LA    COMTESSE,  ne   sachant  si   clle  a  envie   de  rire 
ou  do  so  facher. 

Ah  Qa!  mais.... 

N  O  R  A  N  C  E  V  . 

Ne  VOUS   occupez  pas   de  moi...  louviant  la  pone  de 
gauche.)  je  passerai  par  le  petit  salon. 

LA    COMTESSE. 

Mais  je  ne  veux  pas  que  vous  me  laissiez... 

NORANCEV. 
Adieu.  (II    sort,  ferme   la   porte   ct   la   rouvre    [u-esque   aussitot.) 

Ah!  tenez,  j'oubliais... 

11  donne  un  j  apicr  a  la  comtesse. 
LA    COMTESSE. 

Ou"est-ce  que  c'est  que  ga"?... 


ACTE   DEUXIEME.  lol 

N  0  R  A  N  C  E  Y  . 

G'est  le  coupon...  pour  la  Timbalel..  Je  vous  I'ai  rap- 
porte.... 

II  refcrme  la  porte  de  gauche  et  disparalt.  —  Au  meme  instant,  la  porte 
du  fond  s'cst  ouvcrtc  :  Leoncins  cntre,  tenant  une  carte  a  la  main.  — 
La  comtessc  ticnt  toujours  le  coupon  que  lui  a  remis  Norancoy.  — 
lis  se  regardent,  un  moment,  sans  rien  dire. 


SCENE   XIII 

LEONEINS,   LA  COMTESSE. 

L  E  0  N  E  I  N  S  . 

Madame... 

La  comtessc  regarde  Leoneins;  clle  regarde  le  bustc,  hesite.  puis  a  la 
tin,  ello  part  d'un  eclat  do  rire  un  peu  ncrvcux,  auquel,  naturcllemcnt. 
LSoncius  ne  comprend  pas  grand'cliosc. 

LEONEINS. 

Je  viens  de  recevoir  cette  carte,  (ii  montic  le  billet  de 

la  comtessc  qui   lui  a  ele  cnvoyo  par  monsieur  de  Norancey.) 
L.\    COMTESSE. 

Cette  carte?...  (kiic  jetto  le  coupon  sur  la  tabic. )  Doimcz- 

la-moi,  cette  carte...  (Kile  la  prend  et.  riant  toujours  par  soubre- 
sauts,  la  decliirc  en  petits  niorceaux.  —  Leuncins  la  regarde  d'un  air 

etonne.)  Ne  cherchez  pas  a  comprendre...  vous  ne 
pouvez  pas...  Vous  etes  venu...  je  suis  contente  que 
vous  soyez  venu. 

LEU  NE  INS,  transporte. 

Ah! 

LA    CO.MTESSE. 

Asseyez-vous... 

LEONEINS. 

C'est  bien  vrai,  vous  me  pardonnez? 


lo2  LA  VEUVE. 

LA    COMTESSE,    apres  un  regard  au  bustc. 

Oui...  jc  vous  pardonne... 

L  E  (>  N  E  I  N  S  . 

Et  je  pourrai  vcnir...  comme  je  venais...   tous  les 
jours?  Et  je  vous  verrai?,.. 

LA    COMTESSE. 

Vous  me  verrez  tant  qu'il  vous  plaira...  Je  n'y  mets 
qu'une  condition... 

L  E  0  N  E  I  N  S  . 

Je  I'accepte  d'avance. 

LA    COMTESSE. 

Bien,  mais  asseyez-vous... 

LEONE  INS,   s'asseyant  sous  le  buste. 

Oui,  oui...  tout  ce  que  vous  voudrez. 

LA    COMTESSE. 

Cette  condition... 

L  E  0  N  E I  N  S  . 

Je  I'accepte,  vous  dis-je;  a  quoi  bon  en  parler, 
puisque  je  I'accepte?... 

LA     COMTESSE,  souriant. 

II  faut  en  parler  tout  de  memo...  Je  vous  recevrai,  je 
vous  le  repete,  et  vous  me  verrez...  tous  les  jours,  si 
vous  voulez...  mais  a  la  condition  que  jamais  il  ne 
sera  (Question  de  mariage  entre  nous... 

L  E  0  N  E  1  N  S  . 

C'est  entendu,  jamais  il  ne  sera  question  de...  (s'arru- 
tant.)  Oh!  mais,  la...  qu'est-cc  que  vous  me  faites 
diro?... 

LA    COMTESSE. 

Jamais  je  ne  me  remarierai...  Vous  avez  vu  comme 
j'etais  en  colere,  il  ya  une  hcurc.iMouvement  dc  Looncins.) 


ACTE   DEUXIEME.  153 

Rassurez-vous,  je  ne  suis  plus  en  colere  maintenant... 
centre  vous,  du  moins,  parce  que,  depuis,  il  s'est  passe 

deS    Choses...    (a    part,    en    regardant    le    buste.)    Yillgt-ciliq 

francs!...  iv  Ldoneins.)  Mais  si  je  ne  dois  rien  aux  autres, 
je  me  dois  a  moi-meme...  afin  de  repondre  a  ces  bruits 
qui  ont  couru...  Et  c'est  justement  pour  concilier  ce 
que  je  me  dois  a  moi-meme  avec...  avec  les  sentiments 
d'estime,  d'affection...  c'est  pour  ccla  que  je  vous 
recevrai  et  que  j'avouerai  que  j'ai  du  plaisir  a  vous 
recevoir...  si  vous  me  promettez,  vous,  de  ne  jamais 
me  parler... 


De  mariage?. 
Oui. 


LEONE  INS, 


LA   CO.MTESSE. 


LEONE  INS. 

De  quoi  vous  parlerai-je,  alors? 

LA     COMTESSE. 

De  tout  ce  que  vous  voudrez.  Eh  bien,  promettez- 
vous?... 

LEONEINS,   inilecis. 

Voyons!... 

LA    COMTESSE, 

Promettez-vous?...  II   iaut  promettre  ou   cesser  de 
me  voir... 

LEONEINS,   vivcmcnt. 

Je  promets,  alors,  je  promets... 

LA    COMTESSE. 

A  la  bonne  heure!... 

LEONEINS. 

Mais  il  faut  bien  que  ce  soit  vous  qui  me  le  deman- 
diez! 

9. 


151  LA   VEUVE. 

LA    COMTESSE. 

Voyoz  comme  maintenant  je  m'approche  de  vous 
avec  confiance... 

LEONEINS. 

Mais...  jc  vous  aime,  moi... 

LA    COMTESSE,  se  fachant. 

Eh  bien?... 

L  E  u  N  E I N  s . 

Je  ne  vous  paiie  pas  de  mariaire!...  Vous  m'avez  dit 
que  je  pourrais  parler  de  tout  ce  que  je  voudrais, 
excepte... 

LA    COMTESSE,    riant. 

Oh!  oul,  mais... 

LEONEINS. 

Et  il  y  a  longtemps  que  je  vous  aime!..  Vous  le 
savez  bien,  qu'il  y  a  longtemps,  car  autrefois  vous  nie 
permettiez  de  vous  le  dire... 

LA   COMTESSE. 

Oui,  mais  alors  mon  mari  etait  la,  et  vous  dcvcz 
bien  comprendre  que  ce  qui,  alors,  etait  permis... 

LEONEINS. 

Ah!... 

LA    COMTESSE. 

Nous  devons  maintenant  nous  en  lenir  a  Tamitie... 

L  E  O  N  E  I  N  S  . 

L'amitic?... 

LA    COMTESSE,   en  souriant. 

C'est  cela  que  je  voulais  dire...  Ouand  je  vous  disais 
qu'il  ne  fallait  pas  me  parler  de  mariage,  il  ^tait  bien 
entendu  qu'il  ne  lallait  pas  me  parler  non  plus... 
L'amitie,  voila  tout,  la  bonne  et  franche  amitie!... 


ACTE   DEUXIEME.  15o 

L  E  0  N  E I N  S  . 

La  bonne  et  franche?... 

LA    C  O  M  T  E  S  S  E  . 

C'esttou jours  Qal... 

L  E  0  N  E  I N  S  . 

Sans  doute... 

LA    C  O  M  T  E  S  S  E  . 

Et   c'est   vraimeut    la    tout   ce   que   je   peux  vous 
donner... 

L  E  0  N  E  1  N  S  . 

Tout? 

LA     C  U  M  T  E  S  S  E  . 

Si  vous  n'en  voulez  pas?... 

L  E  O  N  E  1  N  S  . 

Si  fait,  si  fait,  j'en  veux  bien,  mais... 

LA    COMTESSE. 

Ah!  pas  de  mais...  C'est  un  engagement  qu'il  faut 
prendre,  et  vous  ferez  bien  de  ne  pas  y  manquer... 

L  E  0  N  E  1  N  s . 

Pourquoi? 

LA    COMTESSE. 

Si  vous  y  manquiez... 

L  E  0  N  E  I N  S  . 

Si  j'y  manquais?... 

LA    COMTESSE,    d'unc  voix   qui  n'est  pas  clii  tout  d'accori 
avcc  Ics  paroles. 

Je  vous  renverrais...  et  ce  serait  pour  tout  de  bon, 
celte  fois... 

L  E  U  N  E  1  N  S  . 

Je  n'y  manquerai  pas!... 


156  LA  VEUVE. 

LA    COMTESSE,  tic.s  tendienient. 

Je  veux  vous  croire...  C'est  si  bon  de  ne  rien  avoir 
a  craindre!... 

L  E  0  N  E  I  N  S  . 

Non,  ne  craignez  rien,  rien... 

LA  COMTESSE. 

De  Tamitie"?... 

L  E  0  N  E  I  N  S  . 

Qui,  de  I'amitie... 

LA  COMTESSE. 

De  Tamitie,  pas  autre  chose... 

LEOxNEINS. 

Pas  autre  chose,  je  vous  le  jure...  Vous  entendez, 
je  vous  jure... 

L.\    COMTESSE,    fcrmant  presquc  les  ycux. 

J'entends. 

Pendant  ces  dix  dernicrcs  rcpliques,  les  deux  personnages  se  sont  rap- 
proch^s  I'un  de  I'autre.  Les  voix  sont  devcnues  tremblantes.  —  Cela 
doit  etre  joue  avec  une  grande  delicatesse.  —  Sur  le  mot : «  J'entends  », 
les  Icvres  de  Lconcins  effleurent  Ic  front  de  la  comtesse.  Elle  se  Icvc 
tirusquement. 

LA    COMTESSE. 

Ah! 

LEONEINS,    eperdu. 

Louise !... 

En  se  levant,  la  comtesse  a  apcr^u  le  buste.  —  C'est  justement  sous  cc 
malhcureux  buste  qu'ellc  s'ost  laisse  embrasser.  —  Elle  pousse  un  cri 
et  sc  sauve  chez  elle  en  cacliant  son  visage  dans  ses  mains.  Leoneins 
rcste  seul  en  tote  a  tete  avec  le  buste  ct  lui  adresso  un  geste  violen 
d'impatience  et  dc  colerc. 


AGTE    TROISIEME 


Toujours  iiKhnc  decor,  mais  tres  eclairtj,  tres  brillant.  —  Des  fleurs, 
beaucoup  dc  fleurs.  Le  buste  a  disparu;  il  est  remplac6  par  unc  voliere 
dorcc,  dans  laquellc  il  y  a  des  oiseaux  des  lies. 


SCENE   PREMIERE 

MADAME   ROBERT,  VICTORINE,  Autres 

DOMESTIQUES,   puis   JOSEPH. 

Les  domcstiques  portent  des  livrees  eclatantos ;  madame  Robert  ct 
Victorine  ont  des  robes  claires  :  tout  doit  donncr  une  impression  de 
vie  et  de  gaicte. 

MADAME  ROBERT,  entrant. 

Vifel  vite!...  on  va  sortir  de  table...  Allumez  le 
lustre!  les  flambeaux,  les  candelabi^es!...  Allumez  tout 
ce  qui  peut  etre  allume!... 

UX   DOMESTigUE,  tres  gaicmont. 

Illumination  generate ! 

MADAME  ROBERT. 

Justement!...  c'est  cela  que  demande  madame  la 
comtesse...  de  la  lumiere,  de  la  lumiere  partout! 
Allumez,  allumez! 

On  entend  de  grands  eclats  de  rire. 
VICTORINE. 

lis  sont  gais,  dans  la  salle  a  manger!...  (Nouveaux  eclats 
de  rire.)  All!  mais...  ils  sont  tres  gais,  decidement! 

Entre  Joseph. 


158  LA   VEUVE. 

JOSEPH  ,  sc  tonlant. 

J'ai  cte  oblige  de  sortir...  je  n'y  tenais  plus! 

MADAME   ROBERT. 

Qu'est-ce  qui  se  passe  done? 

JOSEPH. 

Cast  monsieur  Gaetan...  II  n'y  en  a  pas  deux  comme 
monsieur  Gaetan!...  II  s'est  altrape  avec  mademoiselle 
de  Charentonnay...  Et  toutes  les  fois  que  monsieur 
Gaetan  s'attrape  avec  mademoiselle  de  Charentonnay. 
on  pent  s'attendre  a  rire...  11  lui  a  demande  quelle  diC- 
ference  il  y  a...  attendez,  que  je  me  rappelle...  quelle 
difference  il  y  a  entre  une  toque  et  la  belle-mere 
d'un  conseiller  referendaire  a  la  Gourdes  Comptes... 
Mademoiselle  de  Charentonnay  a  repondu  qu'elle  ne 
savait  pas. 

VIGTORINE. 

Quelle  difference  il  y  a  entre  une  toque?... 

JOSEPH. 

Oui,  une  toque  de  juge...  une  toque  d'avocat... 

MADAME   ROOERT. 

Entre  une  toque  et  la  belle-mere  d'un  conseiller... 

LE   DOMESTIQI'E. 

Referendaire... 

VIGTORINE. 

A  la  Cour  des  Comptes... 

JOSEPH. 

Je  parie  que  vous  ne  trouvez  pas!... 

VIGTORINE. 

Eh  bien,  voyons... 

JOSEPH. 

Cost  que  la  belle-mere  d'un  conseiller  referendaire 


ACTE   TROISIEME.  lott 

a  la  Cour  des  Comptes  peut  tres  bien  etre  toe,  tandis 
qu'une  toque  ne  peut  jamais  etre  la  belle-mere  d'un 
conseiller... 

TOUT    LE    MONDE. 

Oh! 

MADAME   ROBERT,  dedaigneuse. 

^'est  ga  qui  les  a  tant  fait  rire? 
JOSEPH. 

Oui...  (Kclats    de    rire  dans   la   salle   a   manger.)  Et  teUCZ,  il 

est  probable  que  monsieur  Gaetan  vient  de  leur  en 
dire  une  autre  de  la  meme  force... 

^•  1  C  T  0  K  I  N  E  . 

Est-il  possible  que  des  ma i tres?... 

JOSEPH. 

Les  maitres"?,..  lis  adorent  les  grosses  betises,  les 
maitres ! 

LE   DOMESTIQUE. 

J"aurais  cru,  moi,  qu'une  repartie  ingenieuse,  une 
pensee  delicate,  delicatement  cxprim(5e... 

JOSEPH. 

D'oii  sort-il,  celui-la?...  Les  pensees  delicates...  ah! 
bien,  ouichel...  Tenez,  je  me  souviens  qu'a  un  grand 
diner...  c'etait  du  temps  de  monsieur  le  comte,  il  y  a 
plus  d'un  an...  on  nous  avait  amene  ici  un  homme 
eminent,  membre  de  I'lnstitut,  etc.,  etc.,  et  tout...  un 
homme  du  i)remier  merite...  et  on  nousavaitdit :  «  Vous 
allez  voir  cet  homme-la...  quand  il  parle,  c'est  prodi- 
gieux!  »  Nous  voila  prevenus!...  On  passe  dans  la  salle 
a  manger,  on  se  place...  L'homme  eminent  est  a  droite 
demadamelacomtesse...  c'est  tres  bien  !...  II  commence 
a  parler  :  personne  ne  bronche...  (Avec  coiere.)  II  n'a  pas 
ctrenne,   I'homme  eminent!  il  a  parle  pendant  deux 


160  LA  VEUVE. 

heures  sans  s'arreter,  et  il  n'a  pas  etrenne  une  pauvre 
petite  fois !!!...  A  la  fin,  moi,  j'en  avals  pitie,  et,  de 
temps  a  autre,  pour  essayer  de  le  remonter  un  peu,  je 
souriais!...  II  s'en  est  apercu,  et,  pendant  la  seconde 
moitie  du  diner,  toutes  les  fois  qu"il  prenait  la  parole, 
c'etait  a  moi  qu'il  s'adressait...  Yoila  les  maitres!... 
Un  homme  eminent  les  laisse  froids...  (Rires  dans  la  saiie  a 
manger.)  tandis  que  monsieur  Gaetan,  avec  ses  betises  .. 

V  I C  T  O  R  I  N  E  , 

Eh  bien!  moi,  pour  me  faire  rire,  il  mc  faudrait 
d'autres  betises  que  celles  de  monsieur  Gaetan. 

JOSEPH. 
Je  sais  bien,  moi,  quelles  betises  il  vous  faudrait!... 

II  rcmlirassc. 
M.VDAME   ROBERT. 

Eh  bien,  Joseph  I... 

JOSEPH. 

Allons,  madame  Robert,  allons...  vous  nallez  pas 
etre  plus  mechante  que  madame  la  comtesse...  Elle 
m'a  parTaitement  vu,  hier,  madame  la  comtesse.  Elle 
m'a  parfaitement  vu  embrasser  mademoiselle  Victo- 
rine,  dans  le  petit  salon,  et  elle  est  d'abord  restee 
comme  ga!...  Mais  quand  je  lui  ai  eu  dit  que  j'avais 
promis  k  mademoiselle  Victorine  de  I'epouser,  madame 
la  comtesse  s'est  mise  a  rire  et  elle  nous  a  dit :  «  C'est 
tres  bien,  alors,  c'est  tres  bien...  » 

E.xplosion  de  rires  plus  forte  que  Ics  precedentcs ;  la  portc  de  la  salle 
a  manger  s'ouvre  avec  fracas  et  tous  les  convives,  avec  dc  grands 
eclats  de  rire,  entreat  dans  le  salon. 


ACTE   TROISIEME.  161 


SCENE   II 

LA  COMTESSE,  LEONEINS,  ALBERTINE,  NO- 
RANGEY,  MADAME  PALMER,  MADAME  DE 
CHATEAU-LANSAC,  GAETAN,  GEORGES, 
MADEMOISELLE   DE   CH AREN TONN A Y. 

Toutos  Ics  femmes  dans  les  toilettes  les  plus  claires  et  les  plus  tapa- 
geuses.  —  Entro  Gaetan,  tournant  Ic  dos  au  public,  riant  tres  fort,  par- 
lant  a  madanio  de  Chateau-Lansac  et  a  madamo  Palmer  qui  arrivent 
ensemble. 

G  A  E  T  A  X  . 

Rein?  elle  est  bonne,  pas  vrai?...  Ecoutez  encore 
celle-la...  Quelle  difference  y  a-t-il... 

MADAME    DE    C  II  A  TE  AU -L  AN  S  A  C  . 

Oh!  assez,  Gaetan,  assez! 

G  A  E  T  A  N  . 

Quelle  difference  y  a-t-il  entre  une  bille  de  billard... 

MADAME    PALMER. 

Assez,  on  vous  ditl... 

G  A  E  T  A  N  . 

Vous  ne  voulez  pas?  (■a  m'est  egal,  je  m'en  vas  le 

dire   a...  (ll    abandonne    madame    do   Chateau-Lansac    et   madame 
Palmer,  qui  traversent  la  scone,  et  va  a  la  comtesse,  qui  vient  d'entrer 

au  bras  do  Norancoy.)  Ecoutcz  un  peu!...  Quelle  difference 
y  a-t-il... 

LA    COMTESSE. 

Si  vous  continuez,  nous  allons  vous  battre!... 

G  A  E  T  A  N  . 

Vous  ne  voulez  pas  non  plus?...  Eh  bien,  entre  nous, 
vous  avez  tort.  Ellc  ctait  d'un  sale,  celle-lti,  elle  etait 
d'un  sale!... 


162  LA  VEUVE. 

L.V   CUMTESSE. 

Vous  dites  toujours  ga,  et  puis... 

Gaetan  va  retrouver  madamc  de  Chatcau-Lansac  et  madame  Palmer.  — 
La  comtessc  arrive  jusciu'aii  milieu  de  la  scene,  aupres  de  la  voliere  qui 
a  remplac(5  le  bustc ;  elh-  s'arrete,  met  un  cenou  sur  le  pouf,  regards 
les  oiseaux  et  s'amuse  a  Icur  faire  becqueter  des  grains  de  raisin. 
Norancey  I'obscrve  en  riant.  —  Pendant  ce  temps-la  entre  mademoiselle 
de  Charentonnay  au  bras  de  Georges. 

M.\  DEMOISELLE  DE   C  II  ARE  N  TO  .\N  A  Y  ,    bas. 

Certainement,  macousineest  bonne  pourmoi,mais... 

GEORGES. 

Vous  n'etes  pas  heureuse ? 

MADEMOISELLE    DE    CHARENTONNAY. 

Non. 

GEORGES. 

Moi  non  plus,  je  ne  suis  pas  heureux... 

MADEMOISELLE    DE   CHARENTONNAY. 

Que  peut-il  vous  manquer? 

GEORGES. 

Je  ne  sais  pas.  Voulez-vous  vous  mettre  au  piano  et 
nous  jouer  quelquf  chose?...  Quand  vous  nous  jouez 
quelquc  chose,  il  mc  semble  que  je  suis  moins  Iriste... 
Voulez-vous? 

MADEMOISELLE    DE    CHARENTONNAY. 

Je  vcux  bien. 

Elle  se  met  au  piano  :  Gaetan  s'elance,  traverse  toute  la  scene 
et  vient  pres  d"ellc. 

G  A  E  T  A  N  . 

C'est  ga,  mademoiselle  de  Charentonnay!...  mais 
quelque  chose  de  gai!...  la  maison  est  gaie  mainte- 
nant,  il  faut  joucr  quelque  chose  de  gai. 

Mademoiselle  de  Charentonnay  joue  sans  s'arroter  plusieurs  airs  de  la 
Belle  Helenc,  de  la  Grande  Diicliesse,  etc. 


ACTE    TROISIEME.  163 

LEONEINS,   a  Albertine,  bas. 

A  chaque  instant,  j'ai  envie  de  tomber  a  ses  pieds. 

ALBERTINE. 

Gardez-vous-en  bien!... 

L  E  O  N  E  I  N  S  . 

Ah!... 

ALBERTINE. 

Elle  vous  a  defend u  de  lui  parler  d'amour,  de 
mariage...  Eh  bien,  il  nc  faut  pas  lui  en  parler!... 

LEONEINS. 

Mais...  c'est  que,  si  je  ne  lui  en  parte  pas... 

ALBERTINE. 

Elle  finira  par  vous  en  parler  elle-meme...  Et  c'est 
ce  que  nous  voulons. 

LA   CO.MTESSE,    a,  Noiancey  qui    legarde    Albertine  et 
Ldoneins,  et  qui  t'ronce  Ic  sourcil  en  Ics  regardant. 

Eh  bien,  quoi?...  Vous  n'etes  pas  encore  rassure? 

NOR  A  N  C  E  Y . 

Si  fait...  il  y  a  des  moments...  mais  il  y  en  a  d'autres 
ou  je  suis  plus  inquiet  que  je  ne  I'ai  jamais  ete... 

LA   CUMTESSE. 

Oh! 

N  0  R  A  N  C  E  Y  . 

Ileureusement,  d'ici  a  une  heure,  j'espere  etre  fix6,  et 
alors,  selon  que  je  serai  fix6  dans  un  sens  ou  dans 
I'autre...  Qu'est-ce  que  vous  avez  a  rire?... 

LA   C0.\ITESSE. 

Rien...  je  ris  parce  que  je  suis  gaie...  voila  tout!... 

GEORGES,   a   mademoiselle  de  Charentonnay. 

Tenez...  la...  I'air  des  Conspirateurs,  dans  ta  Fille  de 
Madame  Angot...  jouez-nous  Qa. 

Entrc  Joseph.  II  apporto  la  cafeticre  et  sort  apres  I'avoir  posec  stir  un 


164  LA  VEUVE. 

plateau  ou  sont  deji  les  tasses,  Ic  sucre,  plateau  qui  a  et^  prepare 
par  madamc  Robert  au  commencemeut  do  Tacte.  La  comtesse  verse 
le  caf(5.  —  AUees  ct  venues  de  divers  pcrsonnages,  avec  des  fusees 
de  I'air,  fredoniie  a  nii-voix. 

GEORGES,    suivant   I'air  joue  au   piano    et   chantant   sans    y   faire 
attention. 
Quand  on   conspire, 
Quand,  sans  frayeur, 

GAETAN,  entraine  par  Georges. 
On  peut  se  dire 
Conspirateur, 

ALDERTINE. 
Pour  tout  le  monde 
II  faut  avoir 

MADAME    PALMER    ct   MADAME   DE    C  H  A  TE  AU-L  AN  S  A  C. 
Perruque  blonde 
Et  collet  noir. 

GAETAN,    GEORGES,    ALBERTINE,    MADAME   DE 
CHATEAU-LANSAC   et  MADAME   PALMER. 

Quand  on  conspire, 
Quand,  sans  frayeur, 
On  peut  se  dire 
Conspirateur, 

N  ORANGEY,  sombre. 
Pour  tout  le  monde 
II  faut  avoir 

LA   COMTESSE.  tres  gaio. 
Perruque  blonde 
Et  collet  noir. 

TOUS. 

Bravo!  bravo! 

LA   CO.MTESSE,  avec  exaltation,  la  teto  prescjuo  perdue. 

Comme  je  suis  contente,  moii  Dieu,  comme  je  suis 
contentel...  Jamais  jc  n'ai  ete  contente  comme  je  le 
suisaujourJ'hui...  Ah!  je  ne  saispas...  je  voudrais  rire, 


ACTE    TROISIEME.  163 

je  voudrais  chanter,  je  voudrais...  Plus  fort  done, 
Charentonnay,    plus   fort!...   Vous   n'allez   pas!  vous 

n'allez  pas!...  (Elle  fait  lever  mademoiselle  de  Charentonnay, 
jirend  sa  place  au  piano,  ct,  aprcs  avoir  plaque  deux  ou  trois  accords, 
rcprend    a     sa    facon     I'air    des    Conspirateufs.)    Chantez    doiie, 

monsieur  de  Leoneins!...  si  vous  ne  chantez  pas,  nous 
ne  serons  pas  bons  amis. 

TOUT   LE    MONDE. 

Pour  tout  le  monde 
II  faut  avoir 
Perruque  blonde 
Kt  collet  noir! 

LA    COMTESSE. 

Et  voilai...  quand  on  tape,  c'est  comme  Qa  qu'il  faut 

taper!...  (Continuant  a  jouer,  mais  autre  chose  que  la  Fille  de 
Madame  AiKjot-^  elle  joue  doucement  une  phrase  nuisicale  un  peu 
Icnte.    une   phrase   qui   accompagne   les  repliques   suivantcs.)   A   la 

bonne  heure,  monsieur  de  Leoneins,  vous  avez  chante!... 

LEONEINS,  a  voix  basse,  pendant  que  les  autres  personnages 
vont  et  vienncnt  autour  de  la  table  sur  laquelle  on   a    servi  le    cafe. 

Vous  m'aviez  dit  que,  si  je  ne  chantais  pas,  nous  ne 
resterions  pas  bons  amis. 

LA  COMTESSE. 

Et  vous  tenez  a  cc  que  nous  restions  bons  amis? 

LEONEINS. 

Je  crois  bicn,  que  j'y  tiens!... 

LA    COMTESSE. 

Avouez  que  j'avais  raison  ct  qu'il  n'ya  rien  de  meil- 
leur  que  Tamitic. 

LEONEINS,  encourage  par  les  signes  que  madame  Palmer  et 
madamc  de  Chateau-Lansac  lui  font  de  loin. 

Certainement,  certaincment!... 


iW,  LA   VEUVE. 

LA    COMTESSE. 

Avouez  qu'il  faudrait  etre  fou  pour  ne  pas  s'en 
tenir  \h. 

LEONE  INS,    meme  jeu. 

Certainement,  certaineinent ! . . . 

LA   COMTESSE,    tin    peu  nervouse;  —  cela  doit  se  voir  a  la 
facon  dont  cllc  jouo   la  plimse  qu'ellc  avait  commenceo  doucoment. 

Bien  vrai?  men  amitie  vous  suffit? 

LEONE  INS. 

Parfaitemeat,  parf... 

LA   COMTESSE,  dc  plus   en   plus  neiveuse. 

Vous  vous  trouvez  heureux  comme  celaV  vous  ne 
d^sirez  pas  autre  chose?...  (Looneins  no  repond  pas.)Parlez, 
voyons. 

LEONE  INS,  changeant   do    ton  et   se  rajiprochant 
de  la  comtesse. 

Oui,  je  parlcrai...  dut  cela  me  perdre  aupres  de 
vous...  mais  je  n'y  tiens  plus,  je  suis  a  bout,  et  il  taut 
absolument  que  je  vous  disc... 

(lAETAN,  avec  clan  ct  interronipant  bru>;iiucmGnt  raj)arte  de  la 
comtesse  ct  de  Ijconeins. 

Ou'est-ce  que  nous  allons  faire  maintenant,  he?...  il 
faut  jouer  a  quelque  chose. 

TOUT   LE   MONDE. 

Oui...  oui...  c'est  cela!  jouonsl... 

MADAME    PALMER. 

A  quoi? 

GEORGES. 

Aux  petits  papiers,  voulez-vous?... 

LA    COMTESSE,   sc    retournant  vivemcnt,    mais   sans  quitter 
lo  piano. 

Oh  I  non,  par  exemplc,  pas  aux  petits  papiers!...  Vous 


ACTE    TROISIEME.  167 

en  etes  arrives  a  6crire  de  lelles  choses  sur  vos  petits 
papiers  qu'on  est  oblige  de  les  bruler  tout  de  suite... 
tant  on  a  peur  que  les  domestiques  ne  les  lisent  le 
lendemain !... 

GAETAN. 

Le  fait  est  que,  I'autre  jour,  chez  madame  Palmer, 
j'en  ai  6crit  une  qui  etaitd'un  sale,d'un  sale!... 

MADAME    PALMER. 

Vous  ne  devriez  pas  vous  en  vanter. 

GAETAN. 

La  demande  6tait  pourtant  bien  simple.-,.  On  deman- 
dait  quelle  difference  il  y  a  entre  une  caleche  et  un 
ballon  captif...  C'etait  bien  simple,  n'est-ce  pas?  eh 
bien,  j'ai  trouve  moyen,  dans  la  reponse...  Je  vais  vous 
dire  ce  que  j'ai  repondu... 

MADAME    PALMER. 

Gaetan...  je  vous  defends... 

GAETAN. 

J'ai  repondu... 

MADAME  PALMER. 

Je  vous  defends,  tres  sericusement... 

GAETAN. 

C'est  bon,  je  me  tais...  Mais  qu'est  ce  qui  y  perd?... 
ce  n'est  pas  vous,  qui  la  connaissez,  la  reponse...  ce 
sont  ces  dames  et  ces  messieurs,  qui  ne  la  connaissent 
pas. 

GEORGES. 

Enfln,  vous  ne  voulez  pas  des  petits  papiers.  Voulez- 
vous  que  Gaetan  et  moi  nous  vous  jouions  une  cha- 
rade ? 


168  LA  VEUVE. 

NFADAME    DE    C  H  ATE  A  U  -  L  A  N  SA  C. 

Va  pour  line  charade! 

GEORGES. 

Seulement,  nous  vous  demanderons  la  permission 
d'aller  nous  recueillir  dans  le  petit  salon. 

LA   COMTESSE. 

Allez  vous  recueillir. 

Ellc  se  remet  au  piano,  regarJe  Ldoneins  et  laisse  courir  scs  doigts 
sans  jouer  positivemcnt  :  quelques  modulations ;  quelques  accords.  — 
Gactau  et  Georges  sortent  par  le  fond  a  gauche. 


SCENE  III 

LeS   MeMES,  moins  Georges  et  Gaetan. 
N  ORANGEY,   a.  mademoiselle  de  Gharentonnay. 

Venez    faire   un    besigue  avec   moi...    cela  vaudra 
mieux...  vous  savez  le  besigue?... 

MADEMOISELLE    DE    CII  ARE  N  T  0  N  N  A  V. 

Oh!  oui...  monsieur  Georges  a  bien  voulu... 

N  ORANGEY. 

Savez-vous  le  besigue  chinois? 

MADEMOISELLE  DE   GHARENTONNAY. 

Oh!  oui...  monsieur  Gaetan  a  eu  la  bont^... 

lis  s'installent  etcommencent  a  jouer.  —  Albertine,  niadaraede  Ch&teau- 
Lansac  et  madamo  Palmer  bavardent  tout  en  observant.  —  Lconcins 
s'est  rapproch6  de  la  comtesse. 

LA   CO.MTESSE,  bas,  a  Leoneins. 

Eh   bien,  voyons!...  qu'alliez-vous  me  dire,  tout  a 
I'heure? 

LEONEINS,   pendant  que  la  comtesse  continue  a  jouer  du  piano 
en  parcourant  unc  partition  do  Gounod,  Mireille. 

J'allais   vous   dire...  Cest,  sans   aucun  doute,  une 


ACTE  TROISIEME.  169 

grande  maladresse  que  je  commets  la...  mais  qu'est-ce 
que  vous  voulez?  c'est  plus  fort  que  moi,  j'ai  absolu- 
ment  besoin  d'etre  maladroit...  J"allais  vous  dire  que 
j'ai  ete  coupable  envers  vous  et  que  je  m"en  accuse. 
J"ai  souffert  que  Ton  jouat  une  comedie  pour  vous 
tromper...  je  n'aurais  pas  du  le  souffrir. 

LA   COMTESSE. 

Une  comedie?... 

LEONE  INS. 

Oui,  Ton  vous  a  dit  un  tas  de  choses.  n'est-ce  pas? 
On  vous  a  dit  que  j'etais  amoureux  de  madame  de 
Norancey...  ce  n'etait  pas  vrai.  Je  n'aime,  je  n'ai  jamais 
aime  que  vous;  je  vous  ai  aimee  le  jour  oii  je  vous  ai 
vue  pour  la  premiere  fois,  et,  depuis  ce  jour-la,  vous 
avez  ete  le  but  unique  et  la  constante  occupation  de 
ma  vie!...  II  nx  a  pas  eu  un  battement  de  mon  coeur 
qui  ne  fut  a  vous...  Je  vous  aime  enfin.  je  vous  aime... 
je  vous  adore...  Je  sais  bien  qu"en  vous  disant  ces 
choses-la,  je  vous  irrite...  et  que  je  me  perds...  Mais 
c'est  plus  fort  que  moi,  je  vous  le  repete,  et  je  ne  puis 
pas  ne  pas  vous  les  dire... 

LA   COMTESSE. 

Et...  pourquoi  cette  comedie?... 

LEONEINS. 

Vous  ne  vouliez  pas  me  recevoir...  alors,  on  avail 
imagine...  Mon  Dicu  !  il  est  bien  clair,  apres  cela,  C{ue 
vous  ne  me  pardonnerez  jamais...  On  avail  imagine... 
on  avail  suppose... 

LA   COMTESSE. 

One,  le  jour  ou  je  vous  croirais  amoureux  d'une 
autre,  je  m'empresserais... 

LEONEINS. 

Je  ne  voulais  pas  d'un  tel  moyen,  moi...  et,  chaque 
II.  10 


no  LA  VEUVE. 

jour,  j'arrivais  ici  avec  rintention  bien  arretee  de  tout 
vous  avouer;  si  je  n'en  ai  ricn  fait,  c'cst  que... 

LA   COMTESSE. 

C'est  que?... 

LEONE  INS. 

C'est  que... 

LA   CO.MTESSE. 

C"est  que  vous  avez  vu  que  le  moyen  en  question 
reussissait  assez  bien?... 

LEONEINS. 

Oui...  c"est-a-dire,  non...  enfin,  oui,  le  moyen  avait 
I'air  de  reussir...  je  pouvais  vous  voir...  L^-dessus  est 
arriv^e  I'histoire  de  la  Timbalel...  vous  m'avez  mis  a 
la  porte...  et  puis  vous  m'avez  permis  de  revenir  k  la 
condition  que  je  nc  vous  parlerais  ni  de  mariage,  ni 
d'amour. 

LA   COMTESSE, 

Et  vous  avez  promis... 

LEONEINS. 

Oui,  j'ai  promis,  et  je  crois,  Dieu  me  pardonne,  que 
j'ai  ri,  que  j'ai  plaisante...  j'avais  si  peur  de  vous  de- 
plairc!...  Mais  je  n'ai  pas  la  force  de  mentirplus  long- 
temps;  Tamour  n'est  pas  plaisant  de  sa  nature,  il  est 
serieux,  au  contraire,  tout  ce  qu'ily  a  deplus  serieux... 
et  c'est  de  Tamour  que  j'ai  pour  vous,  et  c'est  de 
I'amour  que  je  vous  demande.  Je  ne  veux  pas  que  vous 
soyez  mon  amie;  je  veux  que  vous  soyez  ma  femme... 
ma  femme,  vous  entendez!...  ma  femme  et  ma  femme 
adoree...  On  m'avait  bien  defendu  de  vous  le  dire, 
mais  qa.  m'est  egal,  je  vous  le  dis...  et  quoi  qu'il  puisse 
arriver,  je  suis  content  de  vousl'avoir  dit.  Maintenant, 
c'est  k  vous  de  repondre. 


ACTE   TROISIEME.  {![ 

SCENE   IV 

Les  Memes,   GAETAN,   GEORGES. 

GAETAN,  paraissant  a  la  poite  Jii  petit  salon. 

Une  petite  ouverture,  s'il  vous  plait...  (A  la  comtesse.) 
Madame,  je  vous  en  prie,  une  petite  ouverture  I...  (La  com- 
tesse joue  I'air  de  la  Belle  Helene  :  «  Pars  pour  la  Crele  ».  —  Tout  en 
jouant,   elle   regarde   Leoneins  de  I'air  le  plus   railleur.  —  Georges 

reprend  :)  C'est  tres  bien,  je  vous  remercie... 

Gaetan  rentre  avec  Georges  :  la  comtesse  quitte  le  piano :  tout  le  monde 
regarde  la  charade.  —  Gaetan  est  arrivd  apportant  une  petite  table ; 
Georges  un  bougeoir  et  un  jeu  de  cartes.  Gaetan  pose  la  petite  table 
sur  le  devant  de  la  scene,  Georges  place  le  bougeoir  sur  la  table,  et 
tous  deu.x  se  mettent  a  joucr  au  baccara. 

GEORGES. 

«  II  y  a  cent  louis,  monsieur. 

GAETAN. 

»  Je  les  tiens,  monsieur... 

GEORGES. 

»  Au  baccara,  monsieur? 

GAETAN. 

»  Oui,  monsieur,  au  baccara. 

GEORGES,  apres  avoir  donne   les    cartes 

»  En  voulez-vous  une,  monsieur? 

GAETAN. 

»  Oui,  monsieur,  j'en  veux  une. 

GEORGES. 

»  Moi,  monsieur,  j'ai  un. 

GAETAN. 

I  Et  moi,  monsieur,  j'ai  trois  figures. 


172  LA    VEUVE. 

GEORGES. 

»  Alors,  monsieur,  vous  avez  pata ! 

GAETAX. 

»  Oui,  monsieur,  j'ai  pata;  qu'y  trouvcz-vous  u  dire? 

GEORGES. 

»  Rien  du  lout,  monsieur  :  passez-moi  vos  cent  louis. 

GAETAN. 

I  Jamais  de  la  vie,  monsieur!...  »  (Saiuant,)  Fin  du 

premier    tableau.    (Grands  eclats   de  rire.  applaudissements;  on 

feiicite  Gaetan  et  Georges.)  Notre  charade  en  aura  deux; 
mais,  pour  le  second,  il  nous  faudrait  quelques  acces- 
soires... 

LA  COMTESSE. 

Demandez  a  Joseph  :  il  vous  donnera  tout  ce  dont 
vous  aurez  besoin... 

GAETAX. 

Mesdames  et  messieurs,  nous  avons  i'honneur... 

lis  retourncut  dans  le  petit  salon  en  emportant  Icur  table,  leur 
bougeoir  ct  leurs  cartes. 


SCENE    V 

LeS  MeMES,  moins  Gaetan   et  Georges. 
MADAME   DE    C  H  A  TE  A  U- L  A  X  S  A  G. 

Le  premier  tableau,  c'cst  bac...  ils  vont  faire  semblant 
de  franchir  unc  haie,  et  le  mot  sera  baquet. 

MADAME    PALMER. 

Moi,  je  crois  que  c' est  pata,  le  premier  tableau;  ils 
vont  arriver  avec  une  caisse,  et  le  mot  sera  initaques. 


ALUEKTIXE. 

Moi,  jc  crois  que  c'est  abat-jour. 


ACTE   TROISIEME.  lliJ 

LA   COMTESSE,   lepondant    a    un    regard   suppliant   de   Loonoins. 

Comme  cela,  alors,  ils  vous  avaient  dit  que  le  meil- 
leur  moyen  de  reussir  etait  de  ne  pas  me  parlei'  de 
mariage? 

LEONEINS. 

Oui,  ils  m'avaient  meme  assure  que,  si  je  tenaisbon, 
que  si  je  ne  vous  demandais  pas  votre  main... 

LA    COMTESSE. 

Ce   serait  moi,  peut-etre,  qui  vous  demanderais  la 

votre?  (Leoneins  incline  la  tete   d'un   air  confus.)  Eh  bien,  ma 

foi...  au  risque  d'etre  plus  maladroite  encore  que  vous 
n'avez  ete  maladroit,  je  vous  avouerai  qu'ils  n'avaient 
pas  tout  a  fait  tort...     • 

LEONEINS,  (ipeidu. 

Louise!... 

LA  CU.MTESSE. 

Que  voulez-vous?...  il  eut  bien  fallu  en  venir  \h,  si 
vous  ne  vous  etiez  pas  decide;  mais  je  vous  remercie 
de  m'avoir  epargn6  la  peine  d'en  venir  1^. 

LEONEINS. 

Ah!... 

II  tombe  aux  pie'ls  de  la  comtesse  et  lui  baise  les  mains  avec 
transport. 

TOUT  LE  MONDE. 

Enfin  ! 

LA  COMTESSE. 

Eh  bien,  oui!...  II  est  a  mes  picds  pour  me  renier- 
cier...  (A  Noranccy.)  et  VOUS  aussl,  vous  devriez  y  etre, 
pour  me  demander  pardon...  car  je  sais  tout...  il  m'a 
tout  dit. 

N O RANG EY,   s'agenouillant. 

N'est-ce  que  cela?  m'y  voici... 

10. 


174  LA   VEUVE. 

A  L 13  E  R  T I N  E  . 

Et  nous  aussi...  car,  nous  aussi,  nous  sonimes  cou- 
pables. 

Albertine,  madame  Palmer  ct  madame  de  Chateau-Lansac,  sans  s'age- 
nouiller,  tcndent  les  mains  vers  la  comtesse.  —  Entrant  Ga^tan  et 
Georges,  habill6s  en  Chinois  de  fantaisie;  ils  tombent  a  gcnoux  au 
milieu  du  salon. 


SCENE    VI 

Les  Memes,  GAETAN  et  GEORGES. 

GAETAN. 

Et  nous  done!...  et  nous!!! 

Tableau  :  tout  Ic  monde  suppliant  autour  de  la  comtesse. 
LA  COMTESSE,   souriant. 

C'etait  une  eonspiration  generale,  il  parait!... 

N  ORANGEY. 

Et  vous  savez... 

Quand  on  conspire. 

TOUT  LE  .MONDE. 


II  reprend  I'air. 


Quand  on  conspire, 
Quand,  sans  frayeur, 
On  pent  se  dire... 

LA  COMTESSE,  les  interrompant. 

II  n'y  a  vraimcnt  pas  moyen  de  resister...  et  puis,  je 
n'ai  guere  le  droit  de  me  facher,  car...  au  moins  dans 
les  derniers  temps,  j'en  ^tais  bien  un  peu,  moi  aussi, 
de  la  conspiration! 

Elle  tend  la  main  k  Ld'oneins.  Tout  le  monde  se  rcleve. 
GEORGES. 

A  quand  la  noce,  maintenant,  u  quaud  la  noceV 


ACTE   TROISIEME.  175 

MADAME    DE    C  H  ATE  AU- LA  N  S  A  C. 

Dans  un  mois. 

LA   CO  MT  ESSE,    se  recriant. 

Oh! 

ALBERTINE. 

Dans  quinze  jours,  si  tu  dis  un  mot!... 

LA  COMTESSE. 

Eh  bien,  soit,  dans  un  mois...  mais  pas  k  Paris,  par 
exemplc! 

NORANCEY. 

Non!  a  la  campagne...  Nous  organiserons  une  petite 
fete...  une  fete  champetre. 

MADAME    PALMER. 

Avec  des  divertissements  varies. 

GEORGES. 

Et,  le  soir,  feu  d'artifice! 

LA  COMTESSE. 

Un  feu  d'artifice?...  cst-ce  que  cela  ne  vous  parait 
pas  un  peu?... 

ALBERTINE. 

Non,  non...  un  feu  d'artifice,  et,  apres  le  feu  d'artifice, 
un  petit  bal. 

GAETAN,  voulant  prendre  la  comtesse  par  la  taille. 

Etje  I'ouvrirai  avec  vous,  le  petit  bal... 

LA  COMTESSE. 

Gaetan,  tenez-vous  tranquille! 

GAETAN. 

Avec  vous,  je  vous  dis...  Jouez-nous  quelque  chose, 
mademoiselle  de  Charentonnay,  joueznous  quelque 
chose. 

Mademoiselle  de    Cliarentoiaiay  sc   remct  au   piano  et  joue  une  valse. 


170  LA  VEUVE. 

I,.\  COMTESSE. 

Charentonnay,  je  vous  defends...  voyons,    Gaetan, 
voyons... 

Aprcs  une  resistance  16g6re,  la  comtesse  finit  par  so  laisser  entrainer  et 
par  faire  un  tour  de  valse  avec  Gaetan.  —  Entrent  deu.x  domestiques 
portant  unc  caisse  grande  et  plate. 


SCENE    VII 

Les  Memes,  puis  KERNOA,  JOSEPH, 
Domestiques. 

norancey. 
Qivest-ce  qu'ils  apportent  la"? 

M  A  DAME  P  A  L  M  E  B . 

C'est  le  second  tableau  de  la  charade...  une  caisse... 
je  vous  avals  bien  d'll...  putaquesl...  (a  Gaetan.)  N'estce 
pas  que  votre  mot,  c'est  patac/ues'l 

GAETAN, 

Non,  c'etait  Patagomjl...  nous  attendions  que  Joseph 
nous  eut  trouve  un  gong... 

LA  COMTESSE. 

Mais  qu*est-ce  que  c'est  que  ga,  alors?... 

GEORGES. 

Je  ne  sais  pas. 

Los  domestiques  out  pose  la  caisse  devant  le  pouf.  —  Entre  Kornoa 
en  costume  d'officier  de  marine. 

C  A  E  T  A  N . 

Kernoa ! 

KERNOA  ,  a  la  comtesse. 

Madame,  J'arrive  de  Brest...  Et,  vous  voyez,  je  n'ai 
pas  voulu  perdre  une  minute... 

Les  domestiques  cnlevcnt  d'un  soul  coup  un  des  panneaux  do  la  caisse; 
on  apergoit  le  portrait  d'onfant  qui  .a  ete  decrit  au  premier  acte. 


ACTE   TROISIEME.  173 

NORANCEY. 

Patatras! 

Georges  et  Gaetan  comprimcnt  un  violent  eclat  de  rire. 
MADAME  DE  C  H  ATE  AU-L  A  N  S  A  C,   bas. 

C'est  le  portrait!... 

MADAME  PALMER,  bas 

Avec  le  petit  sabre!... 

MADEMOISELLE   CM  A  RE  NTO  N  N  A  Y,   d'une   voix  douce. 

Et  la  petite  trompette... 

KERNKA,  d'une   vuix  qui   devient  de   plus   on   plus  erabarrassce   a 
mesuro  qu'il  s'apcrroit  du  singulier  etfct  dc  son  discours. 

Le  voici,  madame...  Monsieur  de  Senermont, 
d'abord,  ne  voulait  pas  s'en  separer...  c'etait  le  seul 
souvenir  qui  lui  rcstat  d'un  neveu  qu'il  avait  tendre- 
ment  aime...  mais,  quand  jelui  ens  parle  de  votre  dou- 
leur,  a  vous,  de  vos  regrets,  de  vos  larmes,  monsieur 
de  Senermont  n'a  pas  pu  resister;  il  m'a  permis  de  le 
prendre...  et  moi,  alors,  comme  je  vous  I'avais  promis... 

LA  COMTESSE,  tres  digne,  tres  grand  air. 

Je  vous  remercie,  monsieur. 

KERNOA,  bas,  a  Xorancoy. 

Ah  Qa,  mais  que  se  passe-til  done? 

NORANCEY,  bas. 

Elle  se  remarie  dans  huit  jours. 

KERNOA. 

Ah!...  bien! 

LA  COMTESSE.  a  Kernoa,  tout  en  examinant  lo  tableau 

Je  vous  remercie...  Je  constate  avec  satisfaction 
qu'il  sulTit  d'exprinier  un  desir  devant  vous  pour  que 
vous  vous  empressiez,  en  depit  des  obstacles...  Je  vous 
suis  reconnaissante...  (Bas,  i\  Norancey.)  11  ne  pent  pas 
rester  la,  ce  tableau! 


f78  LA  VEUVE. 

NMJRANCEY,   a  Joseph. 

Emportez  ce  tableau...  Vous  le  mettrez  dans  la 
chambre  de  mademoiselle  de  Charentonnay. 

MADEMOISELLE  DE   CHARENTONNAY,  bas,  a  Norancey. 

J'ai  d6ja  le  buste. 

NORANCEY,    bas. 

^a  vous  fera  un  petit  musee. 

Les  domestiques  emportent  le  portrait.  On  se  refrarde.  Kernoa,  dans  un 
coin,  cause  avec  Gaetan  et  Georges.  Madame  Palmer,  madame  de  Cha- 
teau-Lansac  et  Alberline  ont  beaucoiip  de  peine  a  no  pas  rire.  La 
comtesse  a  pris  un  air  sdrieux,  presque  sombre;  Leoneins,  inquiet, 
s'approche  d'elle. 

LEONEINS,    bas. 

Louise,  qu'avez-vous? 

LA    COMTESSE. 

Cast  un  avertissement  du  ciel.  mon  ami.  Ce  portrait 
arrivant  juste  au  moment  ou  je  viens  de  consentir... 

LEONEINS,    effraye. 

Oh!... 

LA   COMTESSE. 

C'est  un  avertissement  du  ciel,  vous  dis-je,  et  cet 
avertissement  me  confirme  dans  une  idee  que  j'avais 
d6ja  :  le  feu  d'artifice  etait  de  trop,  decid^ment.  (.A.vec 
fermete.)  II  n'y  aura  pas  de  feu  d'artifice, 

NOR  A  N  C  E  Y . 

Mais  il  y  aura  toujours  un  petit  bal... 

La  comtesse  sourit;  mademoiselle  de  Charentonna_v  s'est  remise  au 
piano  et  reprend  la  valse  qu'elle  jouait  A  I'entree  de  Kernoa.  Gaetan 
se  remet  t  valser  avec  Albertine.  Le  rideau  tombc  sur  un  tableau  tres 
animc,  tres  joyeux. 


LA 

GRANDE   DUGHESSE 
DE    GEROLSTEIN 

OPERA-BOUFFE  EN  QUATRE  ACTES 

Reprdsente  pour  la  premiere  fois.  a  Paris,  sur  le  Theatre  des  VARiEras, 
le  U  avril  1867. 

McsiouE  DE  Jacques  Offenbach. 


PERSONNAGES 


LA  GRANDE-DUCHESSE M"'    Schneide 

FRITZ MM.  Dupuis. 

LE  PRINCE  PAUL Grenier. 

LE  BARON  PUCK Kopf . 

LE  GENERAL  BOUM Coudeh. 

LE  BARON  GROG Baron. 

NEPOMUC,  aide  de  camp Gardel. 

WANDA,  paysanue M""  Garait. 

IZA \  Legrand 

AMELIE f       demoiselles  d'honneur  de  la  Veron. 

OLGA I                grandc-duchesse.  Morosin 

CHARLOTTE  ...   J  Maucoui 
Seigneurs  et  Dames  de  la  cour,  Demoiselles  d'honneur,  deux  Page 

DEU.K      HUISSIERS,     SOLDATS      DE      LA     GraNDE-DuCHESSE  ,     ViVANDIERE 

Paysans  et  Paysannes. 


La  scene  en  17-20,  ou  a  peu  pr6s. 
Costumes  allcmands,  avec  autant  de  fantaisie  que  Ton  voudra. 


LA    GRANDE-DUGHESSE 

DE   GEROLSTEIN 


AGTE  PREMIER 


Campemont   de    soldats.    —    Tentes    au  milieu   de  la  campap-ne.    

L  droite,  au  deuxieme  plan,  I'entree  de  la  tcnte  du  general  Bourn. 
-  A  gauche,  au  premier  plan,  la  cantine.  —  Au  fond,  un  praticable, 
epresentant  une  colline,  au  milieu  de  la  scfene,  monte  d'abord  de  droite 

gauche,  puis  de  gauche  k  droite.  —  Fusils,  au  fond,  ranges  sur  des 
ateliers. 


SCENE  PREMIERE 

Soldats,  Paysannes,  ^'iVA^"DlEREs, 
puis  FRITZ  et  WANDA. 

c  n  cc  u  B  . 

En  attendant  que  I'heure  sonne, 
L'heure  heroique  du  combat, 
Ciiantons  et  buvons!  Courte  et  bonne, 
C'esl  la  devise  du  soldat! 

Chantons, 

Buvons, 

Jouons, 

Dansons! 

11 


182     LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIX . 

En  attendant  que  Theure  sonne, 

L'heure  heroique  du  combat  I  etc. 
Pendant  cc  choeur,  quclqucs  soldats  valscnt  avec  des  paysaniies; 
d'autres  jouent  aux  cartes  ct  aux  des  sur  des  tambours;  d'autrcs 
Ijoivent,  etc.  Les  vivandicres  vent  de  I'un  a  I'autre.  —  Tableau 
anime.  —  Entrcnt  Fritz  et  Wanda,  par  le  fond  a  gauche;  ils  dcscen- 
dent  au  milieu. 

W  A  N  I)  A . 

0  mon  Fritz,  que  tii  m'affliges 
En  m'apprenant  ton  depart! 

K  R 1 T  z . 
Va,  je  ferai  des  prodiges, 
Pour  revenir  sans  retard! 

COUPLETS. 

I 

Allez,  jeunes  filles, 

Dansez  et  tournez  : 

Vous,  dans  vos  families, 

Vous,  vous  resterez; 

Mais  nous,  pauvres  hommes, 

Bientot  notis  irons, 

Pour  de  faibles  sommes, 

Braver  les  canons!... 

Si  le  sort  funeste 

Ne  pent  s'eviter, 

Du  temps  qui  nous  reste 

Sachons  profiler. 

Vidons  notre  verre 

En  brave  guerrier, 

Et  tant  pis,  ma  chere. 

Si  c'est  le  dernier! ... 

0  filles  jolies, 

0  braves  gar^ons, 

Tournons  et  valsons 

Valsons  et  tournons, 

Comme  des  loupies, 

Comme  des  tontons; 

Tournons  et  valsons, 

Valsons  ct  tournons! 


ACTE    PREMIER.  183 


T  0  U  S . 

0  filles  jolies,  etc. 


II 


(Valsc  sur  le  refrain. 


Quand,  prenant  les  amies, 
Nous  nous  en  irons, 
Que  de  cris,  de  larmes 
Et  de  pamoisons! 
N'ayez  peur,  mes  belles. 
Nous  vous  ecrirons, 
Et  de  nos  nouvelles 
Nous  vous  donnerons. 
Votre  coeur,  je  pense, 
Restcra  constant, 
Malgre  notre  absence... 
Mais,  en  attendant, 
Vidons  notre  verre, 
Prenons  un  baiser, 
Et  tant  pis,  ma  chere, 
Si  c'est  Ic  dernier! ... 
0  filles  jolies, 
0  braves  garcons, 
Tournons  et  valsons, 
Valsons  cl  tournons, 
Comme  des  toupies, 
Comme  des  ton  Ions; 
Tournons  et  valsons, 
Valsons  et  tournons! 

Tors. 
0  filles  jolies,  etc.,  etc. 
Reprise  de  la  valsc.  -   Au  moment  ou  la  valse  est  tres  anim6c,  parait 
le  general  Bourn,  arrivant  de  la  droite,  par  la  colline.  —  II  s'arreto, 
indign6,  et  leve  les  bras  au  ciel :  —  il  a  un  6norme  panache  sur  son 
chapeau. 


I8i     LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

SCENE  II 
Les  Memes,  LE   general   BOUM. 

I5(!)UM,  descendant  en  scene. 

Des  femmes  dans  le  camp,  elTroyable  licence!... 

(Toutes  Ics  femmes  s'enfuient  avec  un  grand  cri,  par  la  droito 
et  par  la  gauche). 

FRITZ,  sur  Ic  dcvant  de  la  scene,  a  part. 
Bon  I  voila  le  geneur!... 

I50U.M,  faisant  un  pas  en  avant. 
Avez-vous  done,  soldats,  perdu  toute  prudence"? 

FRITZ. 
Pour  etre  militaire,  en  a-t-on  moins  un  cojur? 

BOUM,   vcnant  a,  Fritz. 
Vous  encor,  vous  parlez! 

FRITZ, 

Mais,  general... 


I?  O  U  M . 

Quand  je  me  fache,  Ton  se  lait! 
Car  ma  rigueur,  on  la  connait. 

C1I(£UR. 
Quand  il  se  fache.  Ton  se  tail! 
Car  sa  rigueur,  on  la  connait. 

BOUM. 

COUPLETS. 

I 

A  cheval  sur  la  discipline, 

Par  les  vallons 
Je  vais  devant  moi,  j'extermine 

Les  bataillons! 


Silence! 


ACTE    PREMIER.  183 

Le  plus  fier  ennemi  se  cache, 

Treniblant,  penaud, 
Quand  il  aper^oil  le  panache 

Que  j'ai  la-haut! 

Pif  paf  pouf,  tara  papapoum! 
Je  suis  le  general  Bourn!  Boum ! 

TOUS. 
Pif  paf  pouf,  tara  papapoum! 
11  est  le  general  Boum!  Boum! 

BOUM. 

II 

Dans  DOS  salons,  apres  la  guerre, 

Je  reparais; 
Et  la  plus  belle,  pour  me  plairc, 

Se  met  en  frais; 
Elle  caresse  ma  moustache, 

En  souriant... 
En  ce  moment-lii,  mon  panache 

Est  fort  genant. 

(Avec  eclat.) 
Paf  pouf,  tara  papapoum! 
Je  suis  le  general  Boum!  Boum! 

T  0  U  S . 

Pif,  paf  pouf,  tara  papapoum! 
11  est,  le  general  Boum!  Boum! 

TOUS. 

Vive  le  general  Boum ! 

B  ()  r  M . 
A  la  bonne  heure!  je  retrouve  mes  enfants,  les  vail- 
lants  soldats  dela  Grande-Duchesse,  notre  souveraine. 

Tors. 
Vive  la  Grande-Duchesse ! 

B  o  i:  M . 
Vous  n'eles  pas  mechants,  mais  il  y  a  cc  Fritz  qui 
vous  gate. 


180     LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
FRITZ,  :i    part. 

Bon!  j'etais  siir  que  ga  allait  tomber  sur  moi!... 

noUM. 
Fusilier  Fritz,  venez  ici. 

FRITZ,    .s'appiochant. 

General?... 

[?  O  U  M  . 

Mauvais  soldat!... 

FRITZ. 

Je  sais  bien  d'ou  qn  vient,  tout  Qa... 

BOUM,  frontant  Ic  sourcil. 

Qu'est-ce  que  vous  diles? 

FRITZ. 

Je  dis  que  jc  sais  bien  d'oii  ^a  vient,  tout  Qa...  c'est 
des  histoires  de  femmes. 

nouM. 
Comment?... 

FRITZ. 

C'est  parce  que  vous  avez  fait  la  cour  a  la  petite 
Wanda... 

15  0  U  M . 

Pas  du  tout! 

FRITZ. 

Je  vous  demande  bien  pardon...  Vous  lui  avcz  fait 
la  cour...  et  elle  n'a  pas  voulu  de  vous,  parce  qu'eile 
est  amoureuse  de  moi...  Et  voila!... 

HO  I'M,  ;\  part. 

0  fureur ! 

FRITZ, 

EUes  ont  mauvais  gout,  les  femmes  :  ellcs  aimcut 
micux  le  jeune  soldat  que  le  vieux  chef. 


ACTE    PREMIER.  187 

15  O  U  M . 

Je  vous  mettrai  a  la  salle  de  police,  moi ! 

FRITZ. 

Qa  n'y  fera  rien. 

B  ( ) I'  M  . 

Je  vous  I'erai  fusilier! 

FRITZ. 

Comme  ga  sera  malin  ! 

B  0  U  M  . 

Mauvais  soldat!... 

FRITZ. 

^a  vous  scrait  bien  egal  que  je  soye  ua  mauvais 
soldat...  mais  je  suis  un  joli  soldat...  c'est  ga  qui  est 
vcxant... 

B  u  U  M  . 

Taisez-vous !... 

FRITZ. 

Je  me  tais...  mais  qa  n"empeche  pas!... 

R  0  U  M , 

Jamais  je  ne  me  suis  occupe  de  cette  petite. 

FRITZ. 

Je  vous  demaudebien  pardon  derechef...  vous  vous 
en  etes  occupe. 

Entre  Nepomuc  par  lo  fond  a  Jroito. 


SCENE  III 

Les  Memes,  nepomuc. 

NEPOMUC,  :l  Bourn. 

General! 

BOUM,  avec  energie. 

Dites-moi  que  vous  m'annoncez  Tapproche  de  Tcn- 
nemi,  monsieur;  dites-le-moi,  je  vous  en  prie! 


188      LA   GRANDE-DUCHESSE   DE   GEROLSTEIN. 
N  E  P  O  M  U  C . 

Non,  general...  Je  viens  vous  prevenir  que  la  Grandc- 
Duchesse  va  venir  passer  son  regiment  en  revue. 

B  U  U  M  . 

Vous  entendez,  soldats!... 

N  E  P  0  M  u  c . 
Elle  desire  qu'une    tente    soil  drcssee   pour  elle... 
ici...  au  milieu  meme  du  campement  de  ses  soldats. 

II  sort  par  Ic  fond,  &  droitc. 
liOUM. 

Vite...  un  homme  en  faction!...  Fusilier  Fritz!... 

FRITZ,  a  part. 

Toujours  moi!...  (Haut.)  General?... 

BOUM. 

Vous  allez  vous  mettre  en  faction  ici... 

FRITZ. 

En  plein  soleil...  naturellement ! 

BOUM. 

Ne  repliquez  pas ! 

FRITZ. 

Pourquoi  faire,  d'abord,  me  mettre  en  faction? 

B  0  U  M  . 

Pour  garder  la  tente  de  la  Grande-Duchesse. 

FRITZ. 

Puisqu'elle  n'est  pas  dress^e!... 

BOUM. 

Vous  garderez  Tendroit  ou  elle  sera... 

FRITZ. 

Alors,  c'est  pour  empecher  qu'on  ne  vienne  emporter 


ACTE    PREMIER.  189 

le  terrain?...  Je  voiis  demaiide  un  peu  si  ^a  a  le  sens 
commun ! 

I?  0  u  M . 
Toujours,  alors?... 

FRITZ. 

Bon!...  bon!...  je  sais  d'oii  ca  vienl...  Les  femmes, 
voila!...  les  femmes!... 

B  0  u  M . 

Ah !  comme  je  te  ferais  fusilier,  toi,  si,  a  la  veille 
d'une  bataille,  je  n'avais  pas  peur  de  diminner  mon 
effectif! 

FRITZ. 

Mais  voila!...  vous  avez  peur  de  diminuer  voire 
effectif... 

B  U  U  M . 

Je  n'aurai  pas  le  dernier,  alors?... 

FRITZ. 

Non,  par  exemple!... 

BOUM. 

Alors,  je  serais  bien  bete  de  m'obstiner...  Soldats,  i^i 

VOS    rangs!...   (Roulement  de  tambours  :  les  soldats  vent  prendre 
leurs  fusils  et  se  placcnt  sur  deux  rangs,  au  fond.  —  Quand  ils  sont 

places.)  Portez...  amies  I... 

Fritz,  qui  a  pris  son  fusil  dans  le  coin,  a  gauche,  \>vcs  de  la  cantiue, 
regarde  tout  cela  d'un  air  detach^. 

FRITZ,  au  general  Bourn,  quand  les  soldats  sont  ranges. 

Ell  bien,  oii  allez-vous  comme  ga? 

BOUM,  terrible. 

C'est  trop  fort,  ga,  par  exemple !...  ga  ne  vous  regarde 
pas!...  Est-ce  qu'il  va  falloirque  je  vous  rende  compte 
demes  mouvements?...  Soldats... par leflanc gauche!... 
en  avant...  marche! 

11. 


lUO     LA   GRANDE-DUCIIESSE   DE    GEROLSTEIN. 

REPRISE  ij  u  c net;  i:  R  . 

Pif  paf  pouf,  lara  papapounil 
Suivonri  le  general  Bourn!  Bourn  I 

Lds  soldats  sortent  par  le  fond  a  droite :  Fritz  rcste  en  faction.  — 
Apr6s  le  d(5lil6,  Ic  general  Bourn  s'approche  do  Fritz. 

nOUM,  :i  Fritz. 

Hon!  le  vilain  soldat!... 

II  sort  en  courant,  pour  rattraper  son  armJe. 


SCENE   IV 

FRITZ,  soul,  montant  sa  faction. 

Comme  c'est  encore  malin,  qa,  de  venir  faire  la  gri- 
mace a  un  pauvre  jeune  soldat  qui  ne  peut  pas 
repondre  a  son  general!... C'est  une  chose  qu'on  ne  veut 
pas  comprendre!  11  y  a  comme  Qa  des  generaux  qui 
ont  des  grades,  des  honneurs...  Eh  bien,  ils  croient 
que  qa  suffit  aupres  des  femmes...  Pas  du  toutl...  il 
arrive  que  les  femmes  prelerent  le  jeune  soldat  qui 
n'a  pas  de  grades...  mais  qui  est  aimable...  Alors,  le 
vieux  general  asticote  le  jeune  soldat...  Et  c'est  tou- 
jours comme  Qa...et  tant  que  le  monde  durera,  qa.  sera 
comme  qa...  et  voila!...  Tout  ca...  c'est  des  histoires 
de  femmes...  et  pas  autre  chose!...  ixournant  la  tete  a 
gauche.)  Ah!  la  voici,  la  petite  Wanda!...  Elle  croit  quo 
je  vais  aller  la  retrouver...  ah!  si  je  pouvais!...  voyant 
que  je  n'y  vais  pas,  elle  vient...  elle  vient...  (Entre  Wanda 

par  la  gauche;  cllc  resto,  un  moment,  au  fond.)  Comiue  U  enra- 

gerait,  le  vieux  general,  s"il  voyait  cela!... 

II  restc  immobile,  Tarnic  au  bras. 


ACTE    PREMIER.  101 

SCENE   V 

WANDA,   FRITZ. 


WANDA,  loin  de  Fritz. 
Me  voici,  Fritz!...  j'ai  tant  couru 
Que  j'en  suis,  ma  foi,  hors  d'haleine! 

(Se  rapprochant  un  peu.) 

Mais,  pour  te  voir  cet  air  bourru, 
Ce  n'etait  vraiment  pas  la  peine... 
Dis-moi 
Poiirquoi? 
Fritz    !ui  montre    son    fusil,  puis,  un  doigt   sur   la  bouche,  il    indiqae 
qu'on   no  pout  pas  parlor  sous    Ics  armes.  —  Wanda  se  rapproche 
encore  ot  reprend  : 

I 

Que  veut  dire  cette  grimace?... 
J'accours,  el  le  voila  de  glace!... 
Es-tu  muet,  beau  grenadier? 
Ne  sais-tu  m'aimer  que  par  signe? 

FRITZ,  immobile  a  son  poste. 
II  le  faut  bien,  car  la  consigne, 
Helas!  me  defend  de  parler. 

I II  passe  a  gauche.) 

WANDA,  se  rapprochant  toujours  de  Fritz, 

II 

Finis  cette  plaisanterie... 
Lorsque  Ton  voit  sa  bonne  amie, 
Monsieur,  Ton  doit  tout  oublier... 
Vite,  unjnot,  ou  bien  j'egratignc! 


FRITZ,  toujours  immobile. 
Je  ne  peux  pas,  car  la  consigne, 
Helas!  me  defend  de  bouger. 


192     LA    GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN 

E  .N  S  E  M  D  L  E  . 
FRITZ. 

Je  ne  peux  pas,  car  la  consigne,  etc. 

WANDA. 

11  me  (lit  non,  car  la  consigne, 
HelasI  lui  defend  de  bouger. 

(Fritz  repasse  i  droite.) 

Ill 

Et  si,  pour  lui  perdant  la  tete, 
Je  te  disais  :  «  Viens,  grosse  bete, 
Viens  vite  la  prendre  un  baiser  », 
Me  ferais-tu  I'injure  insigne?... 

FRITZ,  allant  vivement  a  elle,  apres  avoir  pose  son  fusil  a  droite. 
Ah!  ma  foi,  non!  car  la  consigne 
Ne  me  defend  pas  d'embrasser. 

WANDA,  gaiement. 
Je  savais  bien  que  la  consigne 
Ne  defendait  pas  d'embrasser  I 

ENSEMBLE. 
FRITZ. 

Non,  ma  Wanda,  non,  la  consigne 
Ne  me  defend  pas  d'embrasser! 

WANDA. 

Je  savais  bien  que  la  consigne 
Ne  defendait  pas  d'embrasser! 

(Fritz  rombrassc.) 

ENSE.VBLE. 

All  diable  la  consigne! 
Et  vive  I'amour! 
Tant  pis!  en  cejour 
Bravons  la  consigne, 
Obeissons  a  I'amour! 

Fritz  embrassc  do  nouveau  Wanda.  —  A  cc  moment,  le  general  Bourn 
cntrc  par  le  fond  k  droite,  en  bondissant. 


ACTE    PREMIER.  193 

SCENE  VI 

\YANDA,  FRITZ,  BOUM. 

nOUM,  qui  a  vu  le  baiser. 

Ah  I  ah !  je  t'y  preiids ! 

FRITZ,   bas,  a  Wanda. 

Nous  sommes  pinces!... 

II  reprend  vivement  son  fusil  et  se  rcmet  en  faction. 
\V.\NI).\.  tremblante. 

Mon  Fritz!... 

BOUM,  a  Fritz. 

Cette  faction  que  je  t'ai  ordonne  de  nionter,  ce  mou- 
vement  que  j"ai  I'ait  faire  k  mon  armee...  tout  cela  a  ete 
fait  pour  te  surprendre...  et  je  te  surprends... 

FRITZ. 

Eh  bien,  tenez!  ga  doit  vous  faire  plaisir...  car  c'est 
la  premiere  fois  que  je  vois  reussir  un  de  vos  mouve- 
ments!... 

B  U  U  -M . 

Malheureux  I 

Uu  coup  do  fusil  au  dehors. 
\'\'.\ND.\,  tombant  dans  les  bras  de  Fritz. 

Ah! 

FRITZ. 

Ma  Wanda ! 

Elle  s'est  evanouio  dans  ses  bras,  il  la  soutient. 
B  0  r  M  . 

Qu'est-ce  que  c'est  que  qal..  quest-ce  que  c'est? 


194     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

FRITZ. 
Une  attaque  peut-etre...  Pcrnicttezmoi  de  la  reporter 
chez  sa  mere... 

Second  coup  dc  fusil. 
noUM. 

Oui...  va...  et  veille  bien  sur  elle. 

FRITZ. 

Ah!  vous  voyez  bien,  general...  vous  voyez  bien  que 
vous  Tainiez!... 

B  0  u  M  . 
Va!...  va!... 

FRITZ,  u  Wanda  qu'il  soutient  toujours. 

Viens  prendre  im  verre  de  schnaps... 

II  entre  avec  elle  dans  la  cautine.  —  Nouveaux  coups  de  fusil  au  dehors. 
—  Entre  par  le  fond,  a  droite,  le  baron  Puck  :  il  court  effare,  courbe 
en  deux. 


SCENE   VII 

BOUM.   PUCK,  puis  NEPOMUC. 

PUCK, 

Ah!  nion  cher  Bourn!... 

BOUM. 

Qu'est-il  done  arrive? 

PUCK, 

On  ni'a  demande  le  mot  dordre...  absorbe  comme 
je  I'etais  par  les  hautes  combinaisons  de  la  politique, 
j'ai  neglige  de  repondre,  et,  alors... 

p.  0  u  M , 
Pan,  pan,  ratapanl... 


ACTE    PREMIER.  195 

ITCK. 

Pan,  pan,  ratapan!...  lis  ont  tire... 

u  0  u  M . 
C'etait  leur  devoir... 

I'fCK. 

Ileureusement,  ils  m'ont  manque... 

i;  ()  u  M . 
lis  seront  punis  pour  cela... 

1 '  u  c  K . 
Ou"est-ce  que  vous  dites? 

B  GUM. 

Je  dis  qu"ils  n'auraient  pas  dii  vous  nianquer. 

I'UCK. 

Alors,  vous  auriez  voulu?... 

I!  U  U  .M  . 

Comme  general,  certainement !...  mais  j"en  aurais  ete 
desole  comme  ami... 

PUCK,   lui  serrant  la  main. 

A  la  bonne  heure  I... 

B  0  u  M . 
Et  qu'est-ce  qui  me  procure  Tavantage?... 

prcK. 
C'est  une  chose  tres  delicate...  V^ous  savez  que  notre 
habitude,  a  la  veille  d'une  campagiie,  est  de  no  rien 
negliger  de  ce  qui  peut  animer  le  soldat  et  faire  de 
lertet  sur  les  troupes... 

B  u  u  M  . 
Sans  doutel... 

I'UCK. 

Cette  t'ois-ci,  nous  avons  imagine  quelque  chose  qui, 


190     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEUOLSTEIX. 

je  crois.est  assez  ing6iiieux...  La  Grande-Duchcsse  va 
vcnir... 

B  0  u  M . 
Jc  le  sais. 

PUCK. 

Elle  restera  au  milieu  des  soldats.  Quand  elle  sera 
la,  vous  lui  offrirez  de  chanter  devant  elle  la  chanson 
du  regiment. 

0  0  U  M . 

Bon!... 

PUCK. 

Son  Altesse  vous  repondra  :  «  Mais  cetle  chanson, 
je  la  sais...  »  et  elle  la  chantera. 

15  0  U  .M . 

EUe-meme? 

PUCK. 

EUe-meme...  Et  c"est  avec  vous,  Rudolph,  qu'elle  la 
chantera ! 

B  U  U  M . 

Avec  moi!...  quel  honncur!...  mais  la  sait-elle  vrai- 
ment?... 

PUCK. 

Elle  la  salt  parfaitement...  nous  avons  etudie  ga 
pendant  deux  heures,  ce  malin. 

B  0  U  M  . 

C'est  une  affaire  entendue. 

PUCK. 

Bien!...  maintenant,  parlons  un  peu  de  nos  propres 

affaires...  (ll  lui  offic  une   prise   de  tabac.)  En   USez-VOUS?... 

BiiUM. 
Non,    pas    de    cela...    (Il    prend  a  sa   ceinturc   un   pistolct   a 
deu.\  coups,  Ic  dccliargoen  I'air,  puis  portc,  I'un  aprOs  I'autre,  les  canons 
fumants  sous  cliacunc  do  sos  narinos  on  respirant  avec  force  rodcur  do 

la  poudie.)  Voila  ma  civette,  ci  moi ! 


ACTE    PREMIER.  197 

PUCK,  liumant  sa  prise. 

Vous  savez  pourquoi  nous  faisons  la  guerre... 

B  0  u  M . 
Moi?...  pas  du  lout! 

PUCK. 

Je  vais  vous  le  dire...  La  Grande-Duchesse,  notre 
souveraine  et  mon  61eve...  car  j'ai  ete  son  precepteur... 

(U   6tc   rcspectueuscment  son  chapeau,  ct,  en  Ic   regardant,  dit  avcc 

frayeur.)  Ah !  mon  ami !... 

Li  U  U  .\I . 

Qu'est-ce  que  c'est? 

PUCK.  — •  II  s'cvanouit  prosquo   en  montrant  un  grand  trou 
dans  Ic  chapeau. 

Regardez...  la  balle!... 

BOUM,  satisfait. 

Aliens!  lis  n'ont  pas  trop  mal  vise... 

PUCK. 

Qa  me  fait  un  effet!...  Comme  c'est  heureux  que  j'aie 
ou  mon  chapeau!...  Sans  cela,  j"etais  mort. 

B  (I u  M . 
Remettez-le  vite. 

I'T'CK,  remettant  son  chapeau. 

Ah!  oui!...  lis  n'auraient  qu'a  tirer  encore...  La 
Grande-Duchesse  done,  notre  souveraine  et  mon  eleve, 
a  vingt  ans...  Jusqu'a  present,  elle  nous  a  laiss6  le  pou- 
voir;  mais  j"ai  remarquc  que,  depuis  quelque  temps, 
clle  etait  inqui^te,  preoccupee...  Je  me  suis  dit : «  Voila 
une  femme  qui  s'ennuie...  il  faut  que  je  lui  trouve  une 
distraction...  »  Alors,  j'ai  fait  declarer  la  guerre...  et 
voila!... 

B  o  u  M . 
Tres  ingenieux!... 


19S     LA    GRANDE-DUCHESSE    DE   GEROLSTEIN. 

PUCK. 
N'est-ce  pas?...  Distraire  mon  elfevc!...  c'est  commc 
cela  que  je  I'ai  toujours  tenue...  Par  des  joujoux  .. 
quancl  elle  etait  petite...  niais  n'anticipons  pas  sur  le 
passe...  Plus  tard,  il  a  fallu  autre  chose...  et  c'est 
pour  la  distraire  que  jelui  ai  cherche  un  niari. 

n  o  u  M . 
Le  prince  Paul?... 

PUCK. 

Oui...  mais  ce  malheureux  prince,  que  j'avais  eu 
soin  dc  choisir,  du  reste,  parfaitement  nul,  n'a  produit 
aucun  effet :  la  Grandc-Duchesse  ne  peut  pas  se  decider 
a  r^pouser...  Elle  le  traine  depuis  six  mois...  II  y  a 
huit  jours,  le  pere  du  jeune  homme,  I'electeurde  Steis- 
steinsteis-Laper-Dobottmoll-Schorstenburg,  I'electeur, 
dis-je,  a  envoye  ici  un  de  ses  plus  fins  diploniates,  le 
baron  Grog,  avec  mission  de  decider  notre  aimable 
maitresse  a  prononcer  le  oui  sacramentel.  Notreaimable 
maitresse  a  formellement  refuse  de  recevoir  le  baron 
Grog  et  continue  a  s'ennuyer...  Esperons  que  la  guerre 
la  ilistraira  un  j)eu. 

li  o  u  M  . 
Coniptez  sur  moi. 

PUCK. 

Malheureusement,  cette  distraction  ne  pourra  durer 
que  quelque  temps.  La  princesse  a  vingt  ans...  Elle  ne 
tardera  pas  a  s"apercevoir  qu'il  y  a  d'autres  plaisirs... 
Son  cceur  n'a  pas  parte  encore...  il  parlera  bientOt... 
et,  ce  jour-la,  malheura  nous,  si  nous  n'avons  pas  pris 
nos  precautions! 

r.  ( )  u  M . 

Vous  me  faites  peur... 

PI'CK. 

Avez-vous  jamais  pense  a  ce  que  nous  pourrions 
devenir,  si  la  princesse  s'avisait  d'avoir  un  favori? 


ACTE    PREMIER.  199 

BorM. 
Nous  serions  rases!...  11  ne  faut  pas  qu'elle  en  ait! 

PUCK. 

11  ne  le  faut  pas! 

B  o  u  M . 

11  ne  le  faut  pas!...  (Roulement  do  tambours  a  une  ccrtaine 
distance.  —  Entrc  par  Ic  fonJ.  a  droite,  Nepomuc.  —  Boum  remontc  au 
devant    de    lui ;  avcc   energie,    :i   Nepomuc.)    L'ennemi !...    c'cst 

rennenii !... 

N  E  P ()  .M  r  c . 

Mais  non,  general...  c'est  Son  Altesse  qui  arrive. 

B  () u M . 

C'est  bien,  monsieur...  faitesmeltre  les  troupes  sous 
les  arnies. 

NEPOMUC. 

Oui,  general. 

II  sort  par  Ic  fond,  a  droite. 
PUCK. 

Done,  c'est  entendu  :  tout  a  I'henre  la  chanson  mili- 
taire...  dans  huit  jours,  la  victoire!... 

B  u  u  M . 
Apres  Qa,  le  retour  dans  nos  foyers!... 

PUCK. 

Et  a  nous  deux  le  pouvoir! 

ENSEMBLE. 

A  nous  deux  le  pouvoir!... 

I.'armee  arrive  par  le  fond,  a  droite,  tambours  ct  clairons  en  t6te,  et 
forme  une  ligne  oblique  depuis  I'avant-sccne  de  gauche  jusqu'au  fond,  J. 
droite.  —  Les  paysannes,  Wanda  parmi  elles,  entrent  dps  deux  cotes, 
et  restent  au  foad,  sur  le  praticable,  derricrc  Ics  solJats.  —  Fritz  est 
dans  les  rangs.  —  Puck  a  passe  i  droite. 


200     LA   GRANDE-DUGHESSE    DE    GEROLSTEIN, 


SCENE  YIII 

Les  Memes,  l'Armee,  FRITZ,  WANDA,  Paysannes, 
puis  LA  GRAXDE-DUCHESSE,  IZA,  OLGA, 
AMELIE  et  CHARLOTTE,    NEPOMUC,   etat- 

MAJOR    UE    la     GRANDE-DUCHESSE. 
C  H  OE  f  R  . 

Porlons  amies!  presentons  armes! 
Fixes,  droits,  I'ceii  a  quinze  pas! 

Que  son  Altesse  a  de  cliarmes! 

Que  son  Altesse  a  d'appas! 
Portons  armes!  Presentons  armes! 
Fixes,  droits,  I'oeil  a  quinze  pas! 

Au  son  d'une  musiquc  militaire,  entre  par  le  fond,  a  droite,  la  Grande- 
Duchesse  :  —  tenue  de  cheval,  cravache  k  la  main ;  die  porte  le  cos- 
tume de  son  regiment.  —  Derriere  elle  viennent  ses  demoiselles 
d'honneur,  egalement  en  amazoncs  ot  dans  le  costume  du  regiment ; 
puis,  un  briliant  6tat-major  de  jeunes  officiers  en  uniformcs  eclatants. 
—  Les  soldats  presentent  les  amies.  —  La  Grande-Duchesse  passe 
dcvant  le  front  des  troupes  en  commeni;ant  par  le  fond,  a  droite ; 
arrivee  sur  le  dovant,  a  gauche,  elle  parait  frappee  de  la  beaute  de 
Fritz,  qui  est  a  ravant-sccne  entre  deux  tout  pctits  soldats.  —  Scene 
muctte  :  Fritz  est  trcs  trouble  par  les  regards  de  la  Grande-Duchesse  ; 
celle-ci  se  remet  assez  difticilemont  et  vient  au  milieu. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

H  0  .N  II  E  A  L' . 

Ah!  quo  j'aime  les  miiitaires, 

Leur  uniforme  coquet, 

Leur  moustache  et  leur  pluniet! 
Ah!  que  j'aime  les  militairos! 

Leur  air  vainqueur,  leurs  manieres, 
En  eux  tout  me  plait! 


Quand  je  vois  la  mes  soldats 
Prets  a  partir  pour  la  guerre. 


ACTE    PREMIER.  201 

Fixes,  droits,  roeil  a  quinze  pas, 
Vrai  Dieu!  je  suis  toute  fiere! 
Seront-ils  vainqueurs  ou  defaits?... 
Je  n'en  sais  rien...  ce  que  je  sals... 

LE    CHOEUR. 
Ce  qu'elle  sait... 

LA    GUANDE-DUCHESSE. 

Ce  que  je  sais... 
C'est  que  j'aime  les  militaires, 
Leur  uniforme  coquet,  etc. 

Je  sais  ce  que  je   voudrais... 
Je  voudrais  etre  cantiniere! 

Pres  d'eux  toujours  je  serais 
EL  je  les  griserais!... 
Avec  eux,  vaillante  et  legere, 
Au  combat  je  m'elancerais  ! 
Cela  me  plairait-ii,  la  guerre?... 
Je  n'en  sais  ricn...  ce  que  je  sais... 

LE    CHOSUR. 

Ce  qu'elle  sait... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Ce  que  je  sais... 
C'csl  que  j'aime  les  militaires, 
Leur  uniforme  coquet,  etc. 

TOUTE   L'ARMEE. 

Vive  la  Grande-Diichesse  ! 

Sur  uii  coinmandemont,  les  soldats  se  rcmettent  au  port  d'armcs. 
LA   GRANDE-DUCHESSE,  a  Bourn. 

Je  suis  contente,  general...  tres  contente...  (eiio  fait 

quclqucs  pas  et  s'arroto  en  regardant  Fritz.)  General?... 
BOUM,  avec  empressement. 

Altesse?... 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Faites  avancer  ce  soldat... 


202     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN 
BOl'M,  appelant  la  soMat  (|ui  est   a  la  droite  de  Fritz 

Schwartz ! 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Non,  pas  celui-la,  pas  Schwartz. 

BOUM;  appelant  cclui  qui  est  a  la  gauche  de  Fritz. 

Schumacher! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Non,  pas  Schumacher...  I'autrc...  (Boum  designc  Fntz.) 
Vous  y  etesl... 

BOUM,  soui-dement  inite. 

Fusilier  Fritz,  trois  pas  en  avant!... 

Fritz  fait  trois  pas  en  avant,  pruscntant  Ics  armcs. 
LA  GRANDE-DUCHESSE,  a  Fritz. 

Ton  nom? 

FRITZ. 

Fritz. 

L  A    G  R  .\  N  D  E  -  D  U  C  H  E  S  S  E . 

Combien  de  campagnes?...  combien  de  blessures? 

FRITZ. 

Aucune  campagne...  aucune  blessure...  Pourtant. 
une  fois,  en  grimpant  sur  un  mur,  pour  aller  chij^er 
des  pommes,  je  me  suis  un  peu...  niais  je  ne  sais  pas 
si  ca  peut  compter...  Aucune  blessure,  decidement, 
aucune  blessure. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Simple  soldat? 

!•  R I T  Z . 

Simple  soldat. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Je  te  fais  caporal. 

FRITZ. 

Ah!... 

II  fait  quelques  pas  pour  aller  a  Wanda,  qui  est  au  fond,  au 
premier  rang  des  paysannes. 


ACTE   PREMIER.  -21)3 

BOL'M,  I'arretant. 

Mille  millions!... 

FRITZ. 

Ell  bicn,  c'est  boa !... 

II  sc  rcaiet  en  position. 
I.A    GRANnE-DUCHES>E. 

Ou  allais-tu  done?... 

FRITZ. 

J'allais  dire  a  ma  bonne  amie  que  je  suis  caporal. 

LA    GRANI)E-DUCHES.SE. 

Ah  !...  Eh  jjiea... 

B  0  u  M . 
Eh  bien?... 

LA    GRANDE-DL'CHESSE.  a  Fritz. 

Til    diras    a   ta   bonne   amie    que    tu    es    sergent.. 
(a  Bourn. j  Faites  rompre  les  rangs,  general. 

BOUM,  commandant. 
Rompez  les  rangs!...  (Les  soldats  executent  ce  mouvement ) 

et  eloignez-vous... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Pourquoi  s"eloigneraient-ils"?...  Ne  sont-ils  pas  mes 
soldats,  mes  enfants?... 

PUCK,  bas.  a  la  Giande-Duchesse. 

Tres  bien,  Altesse,  tres  bien! 

LA    GRANDE-DUCHESSE,    aux  soldats. 

Rcstez,    mes   amis,    restez,   et    bavardons    un    peu 
ensemble. 

Les  soldats  se  rapprochent  un  peu,  au  milieu;  les  paysannes  descen- 
dent  en  scene,  moitie  a  gauche,  moitie  a  droite.  —  La  Grande- 
Duchesso  s'assied  sur  un  tambour  qu'apporte  une  cantiniere.  —  Les 
demoiselles  d'honneur  so  placcnt  a  ses  cotes,  sur  des  pliants  que  leur 
donnent  des  soldats.  —  Dans  cc  mouvement,  Puck  a  pass(5  pres  de 
Bourn,  et  Fritz,  aprcs  avoir  depos(5  son  fusil  au  fond,  est  rodescendu 
a  droiic. 


i>Oi     LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 
PUCK,  bas,  a  Bouni. 

Est-ce  que  vous  avez  remarque  robstination  avec 
laquelle  Son  Allesse  regardait  ce  sold  at? 

BOUM,  bas. 

Oui...  mais  on  ne  pcut  pas  supposer... 

PUCK,  bas. 

II  faut  tout  supposer...  J'ai  ete  precepteur  de  la 
Grande-Duchesse  et  je  I'ai  haljituee  a  faire  tout  ce  qui 
lui  plait. 

BOUM,    bas. 

All  diable!...  observons,  alors. 

PUCK,   bas. 

Observons. 

11  passo  a  la  gauche  dc  Boum. 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  se  letournant  vers  Fritz  qui  est  k 
droitc. 

Approebe  un  pen,  toi. 

FRITZ,  s'approchant. 

Altesse?... 

PUCK,    bas,  a  Boum. 

Encore!...  vous  voyez... 

BOUM,  bas. 
Oui,  je  VOis...    (a  part,  en   regardant   Fritz.)  Toi,  jC  tc    rat- 

traperai ! 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  a  Fritz. 

Eh  bien,  est-elle  contento,  ta  bonne  amie? 

FRITZ. 

Tres  contente. 

LA  CRANDE-DUCHESSE. 

Et  toi...  et  tcs  camaradcs...  etes-vous  contents? 


ACTE   PREMIER.  205 

FRITZ. 

Mais,  dame!...  vous  savez,  Altesse...  On  est  content, 
et  on  ne  I'estpas...  C'est  dans  la  nature!... 

LA    GRA.NUE-DUCHESSE. 

Bien  nourri? 

FRITZ. 

Oui...  bien  nourri...  pas  mal  nourri...  beaucoup  de 
ponames  de  terre...  pas  mal  nourri  tout  de  meme. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Et  les  ofliciers,  bons  pour  le  soldat? 

FRITZ. 

Tres  bons,  les  officiers...  bons  et  pas  bons...  il  y  a 
Ic  general  qui  est  severe... 

LA   GRAXDE-DUGHESSE. 

En  v6rite"?... 

BOU.M, 

Mais,  Altesse... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Laissez-le  parler! 

FRITZ. 

Tr6s  severe,  le  general...  mais  je  sais  d'oii  ga  vient... 
des  histoires  de  fenimes...  pas  autre  chose...  des  his- 
toires  de  femmes... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Comment?... 

B  0  u  M . 
Ah!  j'empecherai... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

G6n6ral  Boum,  je  vous  ordonne  de  laisser  parler  cet 
honime.  Tu  disais?... 

II.  12 


20C     LA   GRAXDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 
FRITZ. 

Tres  severe,  le  general...  parce  qiril  a  fail  la  cour  a 
ma  bonne  amie,  et  qu'elle  Va  envoye  proniener. 

LA    C.RANUE-DUCIIESSE. 

Ah  Qa!  mais  tout  le  monde  est  done  amoureux  de  la 
bonne  amie?...  Elle  est  done  bien  joliel... 

P'lUTZ,    dtisignant  Wanda. 

Tenez,  c'est  cetle  petite,  la-bas... 

LA    GRANI)E-DUCHE.SSE. 

Fais-la  venir. 

FRITZ. 

Ell!  Wanda  !...  Elle  n'ose  pas...  Allons,  viens  done... 
C'est  timide...  ce  n'est  pas  comme  nous  autres*  jeunes 
soldals... 

Wanda  s'est  avancee  ct  est  vonuc  se  placer  devant  la  Grande-Duchcssc. 
LA   GRAN  DE-nUCH  ESSE. 

II  t'aime,  ce  grand  gai'Qon-la ?... 

WANDA,  timidcment. 

Je  le  crois,  madame. 

LA   GRANDE-DUCIIESSE. 

El  loi,  tu  I'aimes? 

V^ANDA. 

Oh!  pour  cela,  j'en  suis  sure! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

En  verite?...  (A  pan.)  Ah  qi\\  qu'est-ce  que  j'eprouve 
done,  moi?...  (a  Fritz.)  T'ai-jc  dit  que  tu  etais  lieutenant? 

Kilo  so  leve  ainsi  quo  les  domoisollcs  d'honncur.  —  Waiida  rcgagne 
sa  place. 

F  R  I T  Z . 

Non,  Altesse. 


ACTE    PREMIER.  207 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Eh  bien,  je  te  Icdis. 

Etonnement  gdm'ral. 
FRITZ. 

Eh  bion,  je  vous  remercie. 

PUCK,  Ijas.  a  Boum. 

Gomnie  elle  va!  comme  elle  va! 

BUUM,    bas. 

Soyez  tranquille!  voila  un  lieutenant  que  demain  je 
placerai  a  lavant-garde. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
II  lait  Chaud  ici.  (A  ses  demoiselles  d'honneur.)  VoUS  u'avez 

pas  soil",  mesdames? 

IZA. 

Mais  si  fait,  Altesse! 

LA    C.RANDE-Dl'CHESSE. 

Moi  aussi. 

PUCK,  avcc  emprossement. 

On  va  chercher  des  sorbets. 

LA    C.RANDE-DUCHESSE. 

Que  parlez-vous  do  sorbets?  Je  veux  boire  ce  que 
boivent  mes  soldats. 

B  o  u  M . 
Mais  ils  boivent... 

LA     C.RANDE-DUCHKSSE. 

Ce  que  la  vivandiere  leur  verse,  sans  doute!...  (a  la. 
vivandiere  qui  est  a  gauche.)  Eh  bicn,  approchez,  vivandiere, 

Ct  donnez-moi  un    verre...  (La  vivandiere   approche    et  verso 
un  petit  \-OTvo  a  la  Grando-Duchesse).  Jusqu'au    bord...  Je  bois 

h  vos  victoires,  soldats,  je  bois  a  votre  retour... 

Kile  vide  son  verro.  —  L'autre  vivandi6re  verse  aux  demoiselles d'Lonnour. 


208     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE   GEROLSTEIN 

Tors. 
Vive  la  Grande-Duchcsse ! 

PUCK,  bas,  a  Bouni. 

La  Yoyez-vous,  mon  elevel...  comme  clle  va! 

BOUM,  bas,  ■:<.  Puck. 

Voici  le  moment,  je  crois,  pour  la  chanson. 

PUCK,  bas. 

Cast  mon  avis. 

BOUM,  allant  a  la  Grande-Duchesse. 

Vous  plairait-il,  Altcsse,  puisque  vous  avez  fait  k 
vos  soldats  riionneur  de  venir  passer  quelques  ins- 
tants aupres  d'eux,  vous  plairait-il  d'entendrc  la 
chanson  de  leur  regiment? 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  a  part. 
Ah  I    tres  bien...    (EUe   reg-arde   Puck.  —  Haul.)   Mais   Cette 

chanson,  general,  je  la  connais. 

BOUM,  fcignant  la  surprise. 

Est-il  possible,  Altesse? 

LA  GRANOE-DUCIIESSE. 

Et,  si  vous  le  voulez  bien,  je  la  chanterai  inoi-m^me. 

BOUM. 

Oh!  Altesse!... 

LA   GRANDE-DUCIIESSE. 

CommenQons ! 

BOUM.  se  preparant  a  chanter. 

Hum!  hum! 

LA   GRAN  DE-nUC  HESSE. 

Est-ce  que  vous  allez  chanter  avcc  moi? 

B  0  u  M . 
Si  Votre  Altesse  daigne  permettrc... 


ACTE   PREMIER.  209 

LA   (".RANDE-DUCIIESSE. 

Un  general  en  chef!...  Oh!  non!  Ne  compromettons 
pas  YOtre  dignite...  (a  Fritz.)  Yiens,  toi,  tu  chanteras 
avec  moi. 

B  0  u  M  . 

Oh !  vous  n'y  pensez  pas ! 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  se  tournant   vers  lui. 

Ou*est-ce  que  c"est?... 

BOUM. 

Un  simple  lieutenant  chanter  avec... 

LA    GRANDE   DUCHESSE. 

Un  lieutenant,  est-ce  trop  peu?...  Jo  le  fais  capi- 
taine...  Cela  suffit-il? 

WanJa.  toute  jo^veuse,  romonte  et  passe  a.   droite,  pres  dc  Fritz  qu'cllc 
semble  feliciter. 

BOUNL  s'inclinant  dun  air  contraint. 

Altesse... 

II    passe  k  gauche.  —  L'aide  de  camp  Xcpomuc  est  sorti,  par  le  fond, 
i  droite,  depuis  uq  instant. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  a  Fritz. 

Venez,  monsieur  le  capitaine,  et  chantez  avec  moi! 

Les  demoiselles  d'houneur  desccndcnt,  —  Iza  et  Charlotte  a  gauche,  Olga 
et  Amd'lie  k  droite.  —  Fritz  se  rapproclic  de  la  Grande-Duchesse. 

CHANSON    DU    REGIMENT 
LA    GRAXDE-DUCHESSE. 
I 

Ah!  c'est  un  fameux  regiment, 
Le  regiment  de  la  Grande-Duchesse! 

FRITZ. 

Quand  I'enn'mi  fait  I'impertinent, 
A  tomber  d'ssus  faul  voir  comme  il  s'empresse! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

On  dit  qu'les  housards  ont  du  bon, 
Et  qu'  c'est  un  aimable  escadron... 

12. 


210     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

F  U  1 T  Z . 

Avec  sa  crinierc  dans  I'dos, 
L'dragon  a  Fair  tres  comme  il  faul... 

LA    GRANDE-Ul'CHESSE. 

On  sail  qu'  dans  I'corps  des  artilleurs 

On  n'prend  qu'  des  homm's  qu'ont  d'  la  valcur... 

FRITZ. 
Mais  rien  ne  vaul,  malgre  cela, 
Le  beau  regiment  que  voila! 

ENSEMBLE . 

Ah!  ce  sont  de  Tiers  soldats! 

Au  sein  des  combats, 
Tout  comme  au  sein  des  amours, 
Les  premiers  toujours! 
Trompettes,  sonnez  done,  et  Italtez,  les  tambours. 
En  I'honneur  de  la  guerre,  en  I'honneur  des  amours! 

c  H  OE  u  u . 

Trompetles,  sonnez  done,  etc. 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 
II 

Ah!  c'est  un  fameux  regiment, 
Le  regiment  de  la  Grande-Duchesse! 

FRITZ. 
II  a  I'honneur  pour  sentiment; 
El  la  victoire,  il  la  z'a  pour  maitresse! 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 
Avec  son  superbe  etendard, 
Quantl  il  arrive  quelque  part... 


Les  fenim's,  elles  sont  enchantees, 
Mais  c'est  les  homm's  qui  font  un  nez  ! 

LA     GRANDE-DUCHESSE, 
Quand  il  s'en  va,  le  regiment, 
Les  chos's,  ell's  se  pass'nl  aulrement... 


ACTE    PREMIER.  n\ 

FRITZ. 
C'cst  les  homm's  qui  sonl  cnchantes, 
Mais  c'est  les  femm's  qui  fonl  un  noz! 

ENSEMBLE. 

Ah!  ce  sont  de  iiers  soldats! 

Au  sein  des  combats, 
Tout  comme  au  scin  des  amours, 
Les  premiers  toujours! 
Trompettcs,  sonnez  done,  et  battez,  les  tambours. 
En  I'honneur  de  la  guerre,  en  I'honneur  des  amours! 

C  II  OK  u  R  . 

Trompettcs,  sonnez  done,  etc... 

NEPOMUC,  revenant  par  lo  I'ond,  a  Jroite.. 

Madame!...  madame!... 

LA    CRANDE-nUCHESSE. 

Eh  bien,  qu'est-ce  qu'il  y  a? 

B  O  U  M  . 

Cette  fois,  monsieur,  j'esperc  que  vous  m'annoacez 
rennemi ! 

NEPOMUC,  impalientc. 

>lais  VOUS  me  dites  toujours  la  meme  chose!...  (a  la 
(irande-Dnchc.sso.j  Madame,  c'est  le  prince  Paul...  il  est 
arrete  aux  avant-posles  avec  le  baron  Grog...  et  il 
fait  demander  le  mot  d'ordre  afin  de  pouvoir  passer. 

LA   (;RAM)E-DUCI1ESSE,  contianoe. 

Le  prince  Paul  I...  encore!... 

NEPOMUC. 

Que  faut-il  repondrc? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Enfin...  allez  chercher  le  prince  Paul  ct  amenez-le- 
moi...  Quant  au  baron  Grog,  qu'on  ne  m'en  parte 
plus!...  j'ai  refuse  de  le  recevoir  et   ne    le    recevrai 


■212      LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
pas  I...    (Xeponiuc   sort   par   le  fond,  a  droite.    —  A   Fritz.)  Allcz 

niettre  votre  unifornie,  monsieur  le  capitaine...  et,  des 
que  vous  Taurez  mis.  revenez...  je  liens  a  voir  comment 
il  vous  va. 

FRITZ. 

Ca  ni"ira  tres  bien. 

II  sort  par  le  premier  plan,  k  droite. 
L.V   GR.VNDE-DUCHESSE,   aux  soldats. 

Allez,  mes  amis...  allez...  tout  a  Theure,  je  vous 
reverrai  une  derniere  fois,  avant  votre  depart  pour  la 
bataille!... 

Sortent  par  le  fond,  k  droite,  les  soldats.  en  reprenant  Ic  refrain  de  la 
chanson  du  regiment.  —  Bourn  fait  entrcr  les  demoiselles  d'honneur 
dans  sa  tente.  —  Deux  soldats  restent  en  faction  au  fond  du  theatre. 
—  Les  paysannes  s'eloignent  par  la  colline,  a  gauche  et  k  droite.  — 
Wanda  sort  par  la  gauche. 


SCENE  IX 

LA  GRANDE-DUCHESSE,  PUCK,  BOUM. 

L.\   GR.\XI)E-DUCHESSE,  a  Puck. 

Ne  vous  eloignez  pas,  mon  cher  maitre...  (a  Boum.) 
Vous  non  plus,  general...  tout  a  I'heure,  nous  exami- 
nerons  votre  plan  de  campagne. 

r.dUM. 

Altesse,  il  est  excellent. 

L.\   GR.\NDE-DUCHESSE. 

Je  veux  le  croire...  Allez,  je  vous  ferai  appeler.  (Boum 

et  Puck  entrent  dans  la  tente.  —  La  Grande-Duchessc  rcsto   seule.) 

Le  prince  Paul!...  ah  I  maintenant  il  m"est  plus  insu[)- 
portable  que  jamais ! 

Entrc  par  le  fond,  a  droite,  le  prince  Paul.  —  II  est  en  marid,  avcc  un 
gros  bouquet  de  fleurs  d'orangers.  —  Nepomuc,  qui  le  prdci-de,  lui 
montre  la  Grando-Duchesse  et  sc  retire. 


ACTE    PREMIER.  213 

SCENE  X 

LA  GRAXDE-DUCHESSE,  LE  PRINCE  PAUL. 

LE   PRINCE   PAUL,    s'avancant  d  iin   air  piteux  vers  la 
Grande-Duchesse. 

Eh  bien,  Altesse,  ce  n"est  done  pas  encore  pour 
aujourd'hui? 

LA    GRANDE -DUCHESSE,  le  regardant. 

Mais,  prinee...  qu'est-ce  que  c'est  que  ce  costume? 

LE    PRINCE  PAUL,  satisfait. 

Ah!  vous  Tavez  remarque...  C'est  un  costume  de 
marie...  je  I'ai  mis  parce  que  j'esperais  vous  decider... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

A  VOUS  6pouser  aujourd'hui?...  Cela  est  impossible, 
mon  cher  prince...  Trop  de  choses  a  faire...  un  plan 
de  campagne  a  examiner...  mon  armee  qui  part... 
song-ezdonc!...  je  n'aurai  jamais Ic  temps  deme  marier! 

LE   PRINCE   PAUL. 

Vous  me  donnez  toujours  des  I'aisons... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Ne  sont-elles  pas  excellentes? 

LE   PRINCE    PAUL. 

Mais  c'est  que  voila  six  mois  que  vous  me  donnez 
des  raisons  excellentes!...  Ce  matiia  encore,  le  baron 
Grog,  ce  messager  d'amour,  que  vous  n'avez  pas  voulu 
admettre  en  voire  presence...  il  a  regu  une  lettre  de 
papa,  le  baron  Grog... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Et  que  dit  votrc...  papa,  dans  cette  lettre? 


211     LA    GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
LK    PRINCE    PAT' I,. 

11  (lit  que  tout  ga  finit  par  I'ennuyer...  Voila  six 
mois  que  j'ai  quitt6  sa  cour  afin  de  venir  ici  vous 
epouser...  il  me  fait  une  grosse  pension,  pour  que  je 
puisse  soutcnir  mon  rang  de  fiance...  je  mange  la 
pension...  et  je  ne  vous  epouse  pas...  ga  I'ennuie,  cet 
homme...  11  voudrait  savoir  a  quoi  s'en  tenir. 

L.V    GR.\.NDE-l)rCHES.SE. 

En  verite?... 

LE    PRINCE   P.\UL. 

Dame!...  oui...  parce  que,  si  je  ne  dois  pas  vous 
epouser,  papa  prendrait  un  parti  et  me  dirigerait  sur 
une  autre  grand e-duchesse. 

L.V    GR.VNDE-DUCHESSE. 

Rassurez  Telecteur  voire  pere...  ce  mariage  se  fera 
un  jour  ou  I'autre. 

LE  PRINCE   PAUL. 

Vous  me  dites  toujours  ^a---  ^^on  mariage  a  ete 
annonce  a  toutes  les  cours  de  Tunivers...  II  a  les  yeux 
sur  moi,  Tunivers...  et  il  doit  commencer  a  trouver 
que  je  fais  une  drole  de  figure... 

LA   GRANI)E-nUCIIE.SSE,  qui  le  regarde  en  riant. 

Le  fait  est  que  si  I'univers  vous  voyait  en  (•-• 
moment!... 

LE   PRINCE    PAPL. 

Et  puis,  il  y  a  encore  quelque  chose  qui  m"est  plus 
sensible  que  tout... 

LA    GRANDE-nUCIIESSE. 

Et  quoi  done,  mon  Dieu?... 

LE    PRINCE   PAUL,  tirant  do  sa  iiocho   un  journal 
dc  trcs  petit  formal. 

.Voyez,  Altesse... 


ACTE    PREMIER.  2Ui 

LA    GUANDE-DUCHESSE. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ga? 

LE   PRINCE    PAUL. 

C'est  une  gazette  imprimee  en  Hollande...  on  parle 
de  moi,  la  dedans. 

LA   G  R  A  N  n  E  -  n  U  C  H  E  S  S  E . 

Allons  done!... 

LE   PRINCE   PAUL. 

Mon  Dieu,  oui...  on  ose  parlcr  de  moi...  II  a  paru 
depuis  quelque  temps  une  race  d'hommes  qui  s'est 
donnc  pour  mission  de  parler  de  tout,  d'ecrire  sur 
tout,  afin  d'amuser  le  public...  On  les  appelle  des 
gazetiers...  lis  osent  entrer  dans  la  vie  privce,  ce  qui 
monstrueux,  et  ce  qui  est  plus  monstrueux  encore, 
c'est  qu'ils  osent  entrer  dans  ma  vie  privee,  a  moi! 
Ecoutez  un  pen. 

II  lit  la  Gazette  dc  Hollande 
C  0  f  r  L  E  T  s . 

I 

«  Pour  epouser  une  princesse, 

Le  prince  Paul  s'en  est  alle ; 

Mairi  il  parail  que  rieu  ne  presse  : 

Le  mariage  est  recule ! 

Tous  les  jours,  quand  parait  raurore, 

Le  prince  Paul  met  des  gants  blancs  : 

Esl-ce  aujourd'hui  ?...  non,  pas  encore... 

Alors  le  prince  ote  ses  gants... 

Le  prince  Paul  a  I'ame  grande  : 

11  souffrc,  mais  il  se  lient  coi...  » 

( .\vec  eclut.) 
Voila  ce  que  Ton  dit  de  moi 
Dans  la  Gazelle  de  Hollnndel... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

11  faut  loujours  ajouter  foi 
A  la  Gazelle  de  Hollande  I 

(La  grandc-duclicsse  passe  a,  droitc,  ca  riant.) 


/ 


2ir,     LA    GIIANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
LE   PRINCE    PAUL    (parle). 

Mais  ce  n'est  pas  tout,  Altesse...  Ecoutez  la  suite. 

I^isant  encore. 
11 

••  Le  prince  etail  tout  feu,  tout  flamme, 

En  arrivant  a  cetle  cour; 

Le  prince  elait  brulant  d'amour, 

En  arrivant  pres  de  sa  dame. 

11  a  tant  briilc  qu'on  suppose, 

Apres  six  mois  de  ce  jeu-Ia, 

Qu'il  ne  doit  pas  rester  grand'chose 

De  tout  ce  feu  dont  il  brula... 

Dans  ta  poche  mets  la  demande, 

Prince  Paul,  et  rentre  cliez  toi...  » 

Voila  ce  que  Ton  dit  de  moi 
Dans  la  Gazette  de  IloHandel... 

LA    GR  AN  DE-IU'C  HESSE. 
11  faut  toujours  ajouter  foi 
A  la  Gazette  de  Ilollande  ! 

(La  Grande-Duchesse  rit  do  plus  bollo.) 


Mechante!.. 


LE    PRINCE    PAUL, 

SCENE  XI 
Lr:s  Memes,  FRITZ. 

FRITZ,  on  capitaino,  entrant  par  lo  premier  plan,  4,  Jroite. 

Eh  bien,  voila!... 

LA   GRANDE-nUCHESSE. 

Ah!  il  est  encore  mieux  comme  cela!...  (Au  prince  Paul.) 
Regardez,  prince,  et  dites-moi  ce  que  vous  en  pensez. 

LE    PRINCE  PAUL. 

C'cst  un  beau  crars... 


ACTE    PRExMIER.  217 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

N'est-ce  pas  qu'on  est  fi6re  de  commander  h  de 
pareils  hommes?...  (A  Fritz.)  Monsieur  le  capitaine?... 

FRITZ. 

Altesse?... 

LA  GRAXDE-DUCHESSE,  montrant  la  tente. 

Entrez  la,  et  dites  au  general  Boum  et  au  baron 
Puck  que  nous  les  attendons. 

FRITZ. 

Eh  bien,  je  veux  bien  leur  dire!... 

II  entrc  Jans  la  tente. 
LE   PRINCE    PAUL. 

Altesse?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  avec  impatience. 

Ouoi  encore"?... 

LE  PRINCE   PAUL. 

Vous  ne  m'avez  pas  repondu... 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Que  voulez-vous  que  je  reponde,  prince!...  La  pre- 
miere fois  que  les  soucis  du  gouvernement  me  lais- 
seront  une  minute  pour  m'occuper  de  mon  bonheur 
particulier,  je  profiterai  de  cette  minute  pour  vous 
epouser...  Jusque-la,  il  faut  attendre. 

LE    PRINCE   PAUL,  avec  desespoir. 

Toujours  des  fins  de  non-recevoir ! 

Le  general  Boum,  le  baron  Puck  et  le  capitaine  Fritz  sortent  de  la 
tente.  —  Des  soldats,  venant  de  la  cantine,  apportent  une  table  et 
quatre  sieges ;  Us  placent  la  table  au  milieu  du  theatre,  un  peu  a  gauche, 
ct  disposent  les  sieges  de  la  maniSre  suivanto  :  deux  a  gauche  de  la 
table,  un  a  droite  et  le  quatriemc  an  milieu.  —  Sur  la  table,  une  carte 
g^ographique.  —  Cela  fait,  les  soldats  so  retirent. 

II.  13 


218      LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

SCENE  XII 

LE  PRINCE  PAUL,  LA  GRANDE-DUCHESSE, 
PUCK,  ROUM,  FRITZ. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Nous  aliens  examiner  le  plan  de  campagne  du 
general  Roum...  (Au  prince  Paul.)  Je  pense,  prince,  que 
vous  voudrez  bien  nous  aider  de  vos  lumieres... 

LE  PRINCE    PAUL,  d'un  ton  boudeur. 

Comme  il  vous  plaira! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Oh!  le  vilain,  qui  est  fache!... 

LE   PRINCE  PAUL,  du  meme  ton. 

C'est  vrai,  ga...  vous  me  faites  toujours  assister  au 
conseil... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

N'est-ce  pas  tout  naturel?...  Et,  puisque  vous  devez 
el  re  mon  mari,  ne  devez-vous  pas  avoir  les  privi- 
leges?... 

LE    PRINCE    PAUL. 

C'est  vrai...  vous  ne  me  rel'usez  aucun  des  privi- 
leges de  la  politique...  mais  il  y  en  a  d'autres... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  avec   fierte. 

Ou'est-ce  que  c'est?... 

LE   PRINCE   PAUL,  a  part. 

Falale  timidity! 

II  s"eIoignc  un  peu  vers  la  gauche.  —  La  Grande-Duchcsse  va  s'asseoir 
sur  lo  premier  siege  k  gauche  de  la  table. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  quand  elle  est  assise. 
Asseyez-VOUS,  messieurs.  (Boum  s'assied  devant  la  table,  et 


ACTE   PREMIER.  219 

Puck  sur  le  siege  de  droite.  —  A  Fritz.)  VOUS,  Capitaine...  (Bourn 

lui  fait  signe  de  se  retirer.)  VOUS  veillerez  sur  notre  per- 
sonne. 

FRITZ. 

N'ayez  pas  peur! 

II  tire  son  sabre  ct  se  promenc,  a  droite,  de  long  en  large.  —  Depit  de 
Bourn  et  de  Puck,  qui  echangent  un  regard. 

BOUM,  rcgardnnt  Fritz. 

Mais  je  ne  sais.  alors,  si  je  dois  developper  mes 
plans... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Ne  VOUS  inquietez  pas  de  cela,  general...  et  parlez. 

BOUM. 

Rien  de  plus  simple...  Voyez-vous,  Altesse,  I'art  de 
la  guerre  pent  so  resumer  en  deux  mots  :  couper  et 
envelopper. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Comme  la  galette,  alors?... 

B  0  U  M . 

Absolument,  Altesse...  Done,  pour  arriver  a  couper 
et  a  envelopper,  voici  ce  que  je  fais...  Je  partage  mon 
armee  en  trois  corps... 

rucK. 

Tres  bien ! 

BOUM,  indiquant  dcs  points  sur  la  carte. 

11  y  en  aura  un  qui  ira  a  droite... 

LE   PRINCE   PAUL. 

Tres  bien! 

BOUM. 

Un  autre  qui  ira  a  gauche... 

PUCK. 

Tres  bien ! 


220     LA   GRANDE-DUCIIESSE   DE   GEROLSTEIN. 
BOUM. 

Et  ua  autre  qui  ira  au  milieu. 

LE  PRINCE    PAUL. 

Tr6s  bien ! 

BOUM. 

Mon  armee  ainsi  disposee  se  rendra  par  trois  che- 
mins  differents  vers  le  point  unique  ou  j'ai  resolu  de 
me  concentrer...  Ou  est-il,  ce  point  unique?...  Je  n'en 
sais  rien...  mais  ce  que  je  sais  bien,  c'est  que  je 
battrai  I'ennemi!...  (Avec  loicc.)  Je  le  battrai!... 

LA   GRAXDE-DUGHESSE. 

Contcnez-vous. 

PUCK,  a  Bourn. 

Je  vous  en  prie... 

BOU.M,  avec  plus  de  force. 

Je  vous  dis  que  je  le  battrai ! 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Je  ne  vous  dis  pas  le  contraire...  mais  vous  allez 
vous  faire  du  mal. 

BOUM,  avec  e.xaltation. 
Cast    pour  mon   pays!...    (Se    levant  et    tirant   son    sabre.) 

L'ennemi!...  ou   est  I'ennemi ?  Ou'on  me   conduise   a 
Tcnncmi  !... 

Puck  le  calmc  et  Tobligo  k  se  rasseoir. 
FRITZ,  qui  s'cst  arrotc  dopuis  un  instant,  ricanant. 

Mais  vous  ircz  lout  a  I'heure  par  vos  trois  chemins! 

I'UCK,  se  levant,  ii  Frit/  avec  sevcrite. 

Taisez-vous,  monsieur! 

FRITZ,  ricanant  toujours. 

Ses  trois  chemins!...  Elle  est  trop  forte,  celle-la!... 
Ses  trois  chemins!... 


ACTE    PREMIER.  221 

BOUM,  furieux. 

Qu'est-ce  qu"il  dit"? 

FRITZ. 

C"est  bete  conime  tout,  vos  trois  chemins!... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Par  exemple!... 

BOUM,  se  levant. 

Je  vous  ferai  fusilier,  moi! 

PUCK. 

Parlor  ainsi  au  general!... 

II  passe  cntrc  Bourn  et  la  Grande-Duchesse. 
LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Un  peu  de  silence,  messieurs!...  (A  Fritz.)  Yous  dites 
done,  monsieur  le  capitaine...  qu'il  n'y  a  rien  de  bete 
comme  les  trois  chemins  du  general  Poum. 

FRITZ,  se  rapprochant  de  la  table. 

Sans  doute,  je  le  dis!...  et  je  le  prouve!... 

PUCK,  a,  la  Grande-Duchesse. 

Je  ferai  respectueusement  observer  a  Votre  Altesse 
que  cet  homme  n'a  pas  le  droit  de  prendre  la  parole... 

11  passe  pres  du  prince  Paul. 
B  O  U  M . 

Non,  il  n"a  pas  le  droit!... 

PUCK. 

II  faut  etre  officier  superieur!... 

LE   PRINCE  PAUL,  se  levant. 

II  faut  etre  noble!... 

B  0  u  M . 
II  n'a  pas  le  droit!... 

PUCK. 

II  n'a  pas  le  droit... 


222     LA   GRANDE-DUCHESSE   DE   GEROLSTEIN. 

LA   GRANnE-DUCHESSE,  se  levant. 

Silence,  messieurs!...  ou,  par  ma  vertu!  jc  I'erai 
tomber  la  tete  du  premier  qui  ne  se  taira  pas!...  Vous 
dites  done  que,  pour  avoir  le  droit  de  parler,  il  faut 
qu'il  soit  officier  superieur?...  je  le  fais  general  (a  Boum), 
comme  vous...  II  faut  qu"il  soit  noble?...  je  le  fais  baron 
de  Vermout-von-bock-bier ,  comte  d"Avall-vintt-katt- 
schopp-Vergissmeinnicht!...  Cela  sufflt-il,  messieurs?... 
A-t-il  le  droit  de  parler,  maintenant?... 

Puck  a  passe  a  la  droitc  du  prince  Paul. 
B  0  U  M . 

Altesse... 

LE  PRINCE   PAUL,  bas,  a  Puck. 

Ah  Qa!  mais,  dites  done...  ah  c^a!  mais,  dites  done... 

PUCK,  bas. 

Silence!...  nous  causerons. 

II  remonte;  Boum  passe  a  droite. 
LA   GRAXDE-DUC  HESSE,  a  Fritz,  en  se  rasscyant. 

Asseyez-vous,  general...  et  dites  ce  que  vous  avez  a 
dire. 

Puck  s'empresse  d'indiquer  a  Fritz  le  siege  qu'occupait  le  general 
Boum  et  se  rassied,  ainsi  que  le  prince  Paul.  —  Boum  reste  seul 
debout,  dans  le  coin,  a  droite. 

FRITZ,  sassevant. 

Au  lieu  d'aller  a  I'ennemi  par  trois  chemins... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  regardant  son  habit. 

Voyez-vous,  general,  le  collet  est  un  pcu  trop  eleve... 
il  faudrait  six  bonnes  lignes  de  moins...  pour  degager 
le  cou...  Continuez,  mou  ami...  (a  part.)  Dieu!  qu'il  est 
bien! 

FRITZ. 

Je  disais  done  qu'il  faut  aller  tout  droit  a  Tennenii, 
par  un  scul  chemin...  On  le  rencontre...  et  puis,  dame! 


ACTE    PREMIER.  223 

la,  avec  les  camarades...  on  cogne...  tant  qu'on  peut 
cogner...  on  cogne,  et  voilk!... 

^  11  se  leve. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,   se  levant,  ainsi  que  Puck 
et  le  prince  Paul. 

C'est  tres  bien...  et  voila  le  plan  que  vous  devrez 
suivre,  general  Bourn! 

BOUM,  passant  pies  de  Fritz. 

Je  ne  le  suivrai  pas! 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Comment"?... 

BOUM. 

Je  suis  responsable  envers  Votre  Altesse  du  sang  de 
ses  soldats...  Avec  mon  plan  ,  j'etais  sur  de  mon 
affaire...  il  n'y  avait  pas  de  bataille  possible...  avec  le 
sien,  je  ne  reponds  de  rien... 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Ainsi,  vous  refusez? 

BOUM. 

Je  refuse...  Que  monsieur  le  baron  de...  comment  a 
dit  Votre  Altesse?... 

FRITZ. 

Baron  de  Vermout-von-bock-bier  et  comte  d'Avall- 
vintt-katt-schopp-Vergissmeinnicht!...  (a  la  Giande- 
Duchesse.)  II  a  bien  entendu...  c'est  des  manieres,  tout 
ga... 

BOUM. 

Que  monsieur  le  baron  execute  son  plan,  s'il  le 
veut!... 

II  repasse  a.  droite. 
FRITZ. 

Mais  certainementl... 


224     LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Vraiment?...  et  vous  gagneriez  la  bataille?... 

FRITZ. 

Ou  je  la  perdrais...  tout  comme  un  autre. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Baron  de  Vermout-von-bock-bier?... 

FRITZ. 

Altesse?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Cue  le  Ciel  favorise  le  succes  de  vos  armes!... 
A  partir  de  ce  moment,  vous  eles  le  general  en  chef 
de  mes  armees ! 

FRITZ,  a  Bouni. 

A  moi  le  panache,  monsieur! 

BOUM. 

Mille  millions...! 

Puck  le  calme,  lui  enleve  le  panache  et  Ic  met  au  cbapeau  de  Fritz.  — 
Bourn  desesp^re  met  a  son  chapeau  le  simple  plumet  qui  surmomait 
le  chapeau  de  Fritz. 

FRITZ,  a  Bourn. 

Hou!  le  mauvais  soldat!... 

BOUM,  voulant  s'elancer. 
Oh!... 

PUCK,  passant  a  la  gauche  de  Boum,  has. 

Contenez-vous...  Nous  sommes  trois  qui  avons  a 
nous  venger...  et  nous  nous  vengerons... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  regardant  Fritz. 

Ah!  qu"il  est  bicn!...  qu'il  est  bien!...  General  Fritz... 
je  veu.x  a  linstant  vous  faire  reconnaitre  par  larm^e... 
Faites  mettre  sous  les  armes  Tarmce  enti^re,  general 
Boum... 


ACTE    PREMIER  225 

B  0  U  M , 

Moi!...  sous  les  ordres!... 

Les  ni6mes  soldats   qui   ont  apportc  la  talilc   et   les   chaises  reutrcnt 
et  les  remportent. 

PUCK,  bas,  a  Boum. 

Obeissez...  Son  coeiir  a  parle...  voila  ce  que  je  crai- 
gnais!.. 

Boum  remonte  au  fond,  fait  un  si^ne  au  dehors  et  rcdescend  a  droite; 
puis  de  la,  furieux,  Boum  hurlc  un  commandement  militaire,  avec 
des  mots  precipitds  et  inarticules.  Des  officiers,  au  loin,  repetent  ces 
cris.  —  Les  soldats  rcntrcnt  par  le  fond,  a  droite,  sur  un  roulemcnt 
de  tambour,  reprennent  leurs  fusils  et  se  mettent  sur  deux  rangs  au 
fond,  face  au  public  :  les  tambours  se  placent  en  tcte,  a  la  gauche; 
Nepomuc  les  precede  et  se  met  au  deuxicme  plan,  un  peu  en  arrierc 
do  la  Grande-Duchessc.  —  Les  demoiselles  d'honncur  sortcnt  de  la 
tente  et  vont  se  placer  a  Favant-sceue  de  gauche.  —  Les  paysannes 
arrivent  du  fond,  a  droite  et  a  gauche;  une  partio  so  range  a  droite 
ct  a  gauche  du  thdatre,  les  autres  restent  sur  la  colline.  —  Wanda, 
qui  est  entree  par  la  gauche,  se  place  de  ce  cote  devant  les 
paysannes,  un  peu  en  arrierc  de  Fritz.  —  Pendant  ce  mouvement,  le 
prince  Paul  est  alio  rejoindre  Boum  ct  Puck  a  Tcxtreme  droite.  — 
Les  vivandiores  sent  en  toto  do  leurs  pelotons  respectifs. 


SCENE  XIII 

Les    Memes,  WANDA,  NEPOMUC,  IZA,  OLGA, 
AMELIE,  CHARLOTTE,  i/Armee,  Pays.vnnes. 


CHCEUR    DES    SOLDATS. 

^'ous  allons  partir  pour  la  guerre, 

Tambour  ballanl! 
Encore  un  regard  en  arriere, 

Puis  en  avant ! 
Nous  allons  parlir  pour  la  guerre, 

Tambour  baltant! 

13. 


226     LA    GRANDE-DUGIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  aux  soldats. 

Ecoulez  tous  la  voix  de  voire  souvcraine... 

(Montrant  Fritz.) 
Voici  le  nouveau  general! 

C  H  (F.  U  R . 
Lui,  notre  general  I 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Oiii,  soldats,  et  je  suis  cerlaine 
Qu'il  ne  s'en  tirera  pas  mal. 
(Elle  presente  Fritz  aux  soldats,  puis  a  scs  demoiselles  d'honneur,  qui  Ic 
saluent.) 

LE    PRINCE  PAUL,   BOUM,  PUCK,  a  part,  dans  le  coin,  a  droite. 
Unissons-nous  pour  la  vengeance... 

Soyons  adroits! 
II  est  seul...  et  nous,  quelle  chancel 

Nous  sommes  troisl 

WANDA,  a  Fritz,  en  descendant  pres   de  lui. 
Toi,  general  en  chef!... 

FRITZ. 
Eh!  men  Dieu,  tu  vois  bien! 
WANDA. 

Ah!  tu  vas  m'oublier... 

FRITZ. 

Mignonne,  ne  crains  rien. 
^^■  A  N  D  A . 
Tu  m'aimeras  toujours?... 

FRITZ. 

Toujours!  n'en  doute  pas. 

WANDA. 

Dis  encore  une  fois!... 

FRITZ. 
Autant  que  tu  voudras! 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  a   Fritz    ct    Wanda,  avec   impatience 
aprcs  avoir  cntendu  leur  conversation. 
Quand  vous  aurez  fini  de  vous  parler,  la-bas, 
Vous  vous  rappellerez  que  j'attends,  n'est-ce  pas"? 


ACTE    PREMIER.  2-J7 

CHCEUR,  a  voix  basse. 
EUe  jette  sur  eux 
Des  regards  furieux! 

LA   GRANDE-DITCHESSE,  apart,  so  contenant. 
Mais  je  suis  reine,  el  mon  devoir, 
Pour  garder  moii  prestige, 

M'oblige 
A  ne  rien  laisser  voir. 

Haut,  a  Nepomuc,  qui  est  descendu  a  sa  gauche. 
Allez,  monsieur,  et  me  donnez 
A  I'inslanl  ce  que  vous  savez. 
(Ndp'omuc  sort  par  la  droite.  —  La  Graude-Duchcsse  fait  signe  a  Fritz 
de  vcDir  pres  d'ello.) 

TO  US,  les  uns  apres  les  autres. 

(Parle.)  Qu'est-ce  que  ga  pent  etre? 

(Nopomuc  ontro,  apportant  un  sabro  qu'il  porte  haut  et  avec  respect.) 
T  U  U  S . 

(Parle.)  Un  sabre ! 

LA   GRANI)E-n UCHES.se,  a  Fritz,  montrant  le  sabre. 

COUPLETS. 
I 
Voici  le  sabre  de  mou  pere! 
Tu  vas  le  meltre  a  ton  cole! 
Ton  bras  est  fort,  ton  ame  est  fiere, 
Ce  glaive  sera  bien  porte!... 
Quand  papa  s'en  allait  en  guerre, 
Du  moins  on  me  I'a  raconte, 
Des  mains  de  mon  auguste  mere 
11  prenait  ce  fer  redoute... 
Voici  le  sabre  de  mon  pere ! 
Tu  vas  le  mettre  a  son  cole! 

CHCEUR. 
Voici  le  sabre  de  son  pere! 
II  va  le  mettre  a  ton  cote! 

LA   GRAN  DE-DUC  HESSE,  prenant  Ic  sabre. 
II 
Voici  le  sabre  de  mon  pere! 
Tu  vas  le  mellre  a  ton  cole! 
Apres  la  victoire,  j'espere, 
Te  revoir  en  bonne  sanle; 


228    LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTELN. 

Car,  si  lu  mourais  a  la  guerre, 
J'aurairi  trop  pour,  en  verite, 
De  n'avoir  plus  jamais  sur  lerre 
Un  moment  de  felicite! 

(Sc  rcmettant  et  avec  noblesse.) 
Voici  le  sabre  de  mon  pere! 
Tu  vas  le  meltre  a  son  c6te ! 

(Elle  donne  le  sabre  k  Fritz.) 

CIICEUR. 
Voici  le  sabre  de  son  pere! 
II  va  le  mettre  a  ton  cote! 

FRITZ. 

Yous  pouvezsans  terreur  confier  a  mon  bras 

Le  sabre  venere  de  monsieur  votre  pere... 

Je  reviendrai  vainqueur,  ou  ne  rcviendrai  pas ! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Tu  reviendras  vainqueur! 

BOUM,  PUCK  et  LE  PRINCE   PAUL,  a  part. 
II  ne  reviendra  pas. 

CHCEUR. 

II  reviendra  vainqueur! 

BOU.M,   PUCK  et  LE  PRINCE  PAUL,  apart. 
II  ne  reviendra  pas! 

CIKJEUR,  avec  energie. 
Reviendra! 

BOUM,  PUCK  et  LE  PRINCE  PAUL,  avec  encore  plus  denergic 
Reviendra  pas! 

(Fritz  donuc  Ic  sabre  a  AVanda,  qui  Ic  contemple  avec  admiration.) 

C  H  CE  U  R 
FRITZ.  B0U.M,   PUCK  et  LE    PRINCK   P  A  f  L  . 

Je  serai  vainqueur,  II  sera  vaincu, 

Grace  a  ma  valeur!  II  sera  battu! 

Mon  artillerie,  Son  artillerie, 

Ma  cavalerie,  Sa  cavalerie, 

Mon  infanterie.  Son  infanterie, 


ACTE   PREMIER. 


2-29 


On 


Tout  cela  sera, 

Je  le  vois  deja, 

Sera  triomphanl! 

Et,  tambour  baltant, 

Le  long  des  chemins, 

Au  fond  des  ravins, 

On  se  repandra, 

On  envahira; 

L'ennemi  fuira, 

On  le  traquera, 

Le  dispersera 

Et  I'enfonceral 

Gaiment  nous  irons, 

Nous  L'iancerons; 

Nous   Ijrulerons  tout, 

Pillerons  partout... 

Ce  sera  parfait! 

Du  choix  qu'elle  a  fait 

Ce  sera  I'eirel! 

Ce  sera  parfait! 

Pour  nous  quand  viendra, 

Apres  tout  cela, 

Le  temps  du  rcpos, 

nous  recevra  conime 

[des  heros! 


Tout  cela  sera, 
Je  le  vois  deja, 
Ecrase,  brosse, 
Brise,  disperse... 
Et  dans  les  chemins, 
Et  dans  les  ravins, 
11  en  laissera, 
II  en  oubliera; 
On  le  poursuivra, 
On  le  traquera, 
Et  les  cnncmis 
De  notre  pays 
Gaiment  entreront 
Et  se  repandront; 
lis  bruleront  lout, 
Pillcront  partout... 
Ce  sera  bien  fail ! 
Du  choix  qu'elle  a  fait 
Ce  sera  I'eflet! 
Ce  sera  bien  fait! 
El  nous,  rejouis, 
Voyant  ce  gachis, 
Nous,   n'en  pouvant  plus, 
Nous  rirons  lous   Irois  comme 
[des  bossus! 


LES  AUTRES. 

II  sera  vainqueur, 
Grace  a  sa  valeur! 
Son  artillerie, 
Sa  cavalerie. 
Son  infanterie. 
Tout  cela  sera, 
Je  le  vois  deja, 
Sera  triomphanl!  etc. 


Gaiment 


nous  irons, 
ils  ironl, 
Nous  elancerons; 
lis  s'elanceront; 
Nous  brulerons  tout, 
lis  briileronl  lout, 
Pillerons  partout... 
Pilleront  partout... 


230     LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

Ce  sera  parfait! 

„       1    •     (  qu'elle  a  fait 
Uu  clioix  I  ^       .,..., 
(  que  J  ai  fait 

Ce  sera  reffet! 

Ce  sera  parfait! 

Pour  nous  )  j     •      i 

„  [  quand  viendra, 

Pour  eux     )  ^ 

Apres  tout  cela, 

Le  temps  du  repos, 

On  nous  )  ,i      u  ■       > 

r.    ,  i  recevra  comme  des  heros! 

On  les      ) 

Pendant  le  choeur  suivant,  Tarmee  se  met  en  marche  et,  partant  de  la 

gauche,  vient  defiler  devant  la  Grande-Duchessc,  qui  s"est   plac(5e  a 

droite.  —  Fritz  est  en  teto. 

C  H  CE  U  R    G  E  N  E  R  A  L  . 

Partons.  partons,  >  .  ...    • 

n     ,  .  '  >  musique  en  tete! 

Partez,  partez,        )  ^ 

Musique  en  tete,  en  avant! 

Partons,  partons.  pour  nous  )    ,    ^  <••.   i 

,-,     .  ^  .  '  >  c  est  une  fete! 

Partez,  partez,  pour  vons        ) 

Partons.  partons,  )  i      .      n 

Partez,  partez,     '  j  en  chantant! 

En  avant! 

L.\   GRANDE-DUCHESSE,  voyant  le  sabre  dans  les  mains 

de  Wanda,  a  Fritz. 
Vous  oubliez  le  sabre  de  mon  pere! 

c  n  a:  u  R . 
Vous  oubliez  le  sabre  de  son  pere! 
Fritz  accourt  reprenJre  Ic  sabre  et,  le  brandissant,  se  remet  en  tete  de 
son  armee.   —   Le  detile  continue   sur    la  reprise  du   choeur.   —  Les 
paysannes  qui  etaient  sur   la  coUinc  sont  venues  rejoindre  les  autres 
a  droite  et  a  gauche. 

CHCEUR. 

REPRISE. 
Partons,  partons,  )  .  ...    .    , 

Partez,  partez,        \  musique  en  tele !  etc.,  etc, 

L'armee  gravit  la  colline,  tambour  battant.  —  La  Grande-Duchesse  et 
Wanda  envoicnt  des  baisers  k  Fritz;  celui-ci  en  envoie  a  Wanda.  — 
Tableau.  —  Le  rideau  tombe. 


AGTE    DEUXIEME 


Une  salle  dans  le  palais.  —  A  droitc,  au  premier  plan,  porte  conduisant 
aux  appartements  de  la  Grande-Duchesse.  —  A  droite,  au  deuxicme  plan, 
une  porte  secrete  dissimulee  par  un  tableau  qui  represento  un  cheva- 
lier arme  de  pied  en  cap.  —  Autre  tableau  a  gauche,  en  face  de  celui- 
ci.  —  Porte  au  premier  plan,  a  gauche.  —  Au  fond,  grande  baie  don- 
nant  sur  une  galcrie  et  fermee  par  des  draperies.  —  Metier  a  tapisserie, 
tabourets,  plianis. 


SCENE   PREMIERE 

IZA,    CHARLOTTE,    AMELIE,    OLGA,    Autres 

Demoiselles  D'HOXNEUR,  assises  et  travalllant,  puis 
NEPOMUC.  —  Un  HuISSIER  se  tient  devant  les  apparte- 
ments de  la  Grande-Duchesse,  k  droite. 

C  H  CE  U  R . 

Enfin  la  guerre  esl  lerniinee, 
La  campagne  vienl  de  linir; 
Dans  le  courant  de  la  journee, 
Nos  amoureux  vonl  revenir. 

IZA,  regardant  a  gauche  et  so  levant,  ainsi  quo  les  autres 

demoiselles  d'honneur. 
Le  courrierl  le  coiirrier!  vite,  mesdemoiselles! 
Nous  alions  avoir  des  nouvelles! 

(On  jiorte  les  pliants  au  fond.) 

NEPOMUC,    entrant    par    la    gauche.    —    II     tient    des    lettres    et 
vient  au  milieu. 
Qui  veut  des  lettres?...  En  voici! 
(Un  autre  huissier  entre  par  la  gauche  et  emporte  le  metier  a  tapisserie.) 


232    LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

T  0  U  T  E  S . 
Par  ici,  monsieur,  par  ici! 

NEPOMUC,   flistribuant  Ics   Icttics. 
En  Yoici! 

TOUTES. 
En  voici! 

NEPOMUC,   allant  ii  la  porte   de  droitc,   u  riuiissier. 
Laissez-moi  passer,  le  temps  presse... 
Service  personnel  de  la  Grancle-Duchesse! 

(II  entre  a  droite,  I'liuissicr  Ic  suit.) 

TOUTES    LES    DEMOISELLES  d'HOKNEUR,  chacune   sa  lettrc 
a  la  main. 

Quel  trouble  avant  de  vous  ouvrir, 
Lettres  de  ceUii  qu'on  adore  I 
Apres  avoir  lu,  quel  plaisir 
De  vous  lire  et  rclirc  encore! 

OLG.\,   ouvrant  et  lisant  sa  lettre. 

I 

«  Je  t'ai  sur  men  coeur  placee  en  peinture, 

Quand  je  suis  parti. 
11  m"a  preserve  de  toute  lalessure, 

Ce  portrait  cheril 
El  si  je  reviens  sans  egratignure, 

G'est  bien  grace  a  lui! 

Ah!  Icltre  adoree, 
Toute  la  journee, 
Je  te  relirai 
Et  te  baiserai! 

.\  ME  LIE,    de   momc. 
II 
«'  II  parait  qu'on  va  terminer  la  guerre  : 

Je  reviens  demain; 
Etant  tres  presse,  je  compte,  ma  chore, 

Des  apres-demain. 
Sans  me  debotter,  aller  a  ta  mere, 
Demander  ta  main!  » 

Ah!  lettrc  adoree,  etc. 


(Baisant  la  lotti-c.) 


ACTE   DEUXIEME.  233 

CHARLOTTE,   de  meme. 

Ill 

«  Comme  je  tremblais  en  allant  combattre! 
En  allant  au  feu,  je  mourais  de  peur!... 
Je  me  suis  pourtant  battu  comme  qiiatre, 
Mon  amour  pour  loi  m'a  donne  du  coeur!  » 

Ah  !  lettre  adoree,  etc. 

IZA,    de    meme. 

IV 

«  Nous  avons,  liier,  gagne  la  bataille... 

Du  moins,  je  le  croi; 
Je  m'en  moque  autanlque  d'un  brin  de  paille. 

Car,  vois-lu,  pour  moi, 
Iza,  mon  amour,  il  n'est  rien  qui  vaille 

Un  baiser  de  loi!  » 

Ah  !  lettre  adoree,  etc. 

TOUTES. 
Ah!  lettre  adoree, 
Toute  la  journee, 
Je  te  relirai 
El  te  baiserai! 

IZA,    allant  k  Olga. 

Ou'est-ce  qu'il  y  a  dans  ta  lettre? 

OLGA. 

Beaucoup  de  choses...  Et  dans  la  tienne? 

Iza  lui  montre  sa  lettre. 
AMELIE,   a   Charlotte. 

Oh!  si  tu  savais  !... 

CHARLOTTE. 

Montre-moi... 

AMELIE. 

Tres  volontiers...  mais  tu  me  montrcras  aussi?... 


23i    LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
CHARLOTTE. 

Je  vcux  bien... 

EUes  sc  montrent  leurs  lettres. 
OLGA,  qui  a  lu  la  lettrc  de  Charlotte. 

Oh!  il  t'ecrit  des  clioses  comme  ga?... 

IZA. 

Oui...  et  le  tien...  non?... 

(JLGA,   montrant  sa  lettre. 

Le  mien  aussi...  Tiens !   regarde...  la...  ce  qui  est 
souligne!... 

Les  autres  demoiselles  d'honneur  ont  fait  de  memo  au  deuxieme  plan. 
—  Entrent,  par  la  gauche,  le  prince  Paul  et  le  baron  Grog;  les  de- 
moiselles d'honneur  remontcnt  un  peu. 


SCENE   II 

Les  Memes,  LE  PRINCE  PAUL,  LE  BAROX 
GROG;  puis  XEPOMUC,  puis  BOUM  et  PUCK. 

LE    PRINCE    PAUL. 

Venez,  baron,  venez...  je  vous  assure  que  vous  serez 
regu  aujourd"hui... 

GROG. 

Je  veux  le  croire,  men  prince. 

LE    PRINCE    I>AUL. 

Vous  avez  voire  lettrc  d'audience? 

GROG,   la  monti-ant. 

La  voici,  mon  prince. 

LE    PRINCE    PAUL. 

Alors,  Qa  va  allcr  tout  seul...  Bonjour,  mesdemoi- 
selles... 

II  les  salue. 


ACTE   DEUXIEME.  235 

AMELIE,    riant. 

BonjoLir,  prince  Paul ! 

CHARLOTTE,    de   mimo. 

Pauvre  prince !... 

IZA,    de   meme. 

Prince  infortune!... 

LE    PRINCE    PAUL,   ii   Grog. 

Elles  se  nioquent  de  moi. 

GROG. 

J'entends  bien! 

LE    PRINCE    PAUL. 

Je  ne  leur  en  veux  pas...  Mesdemoiselles,  j'ai  I'hon- 
neur  de  vous  presenter  le  baron  Grog,  I'envoye  de 
papa... 

LES    DEMOISELLES,   saluant. 

Monsieur  le  baron!... 

GROG,  de  meme. 

Mesdemoiselles!... 

LE    PRINCE    PAUL. 

II  a  une  lettre  d'audience  pour  aujourd'hui. 

IZA. 

Pour  aujourd"liui?... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Mais  sans  doute!  pour  aujourd'hui...  Voulez-vous 
me  faire  le  plaisir  d'allcr  annoncer  a  Son  Altesse  que 
le  baron  Grog  est  arrive? 

OLGA. 

Mais,  cher  prince,  cela  ne  nous  regarde  pas. 

CHARLOTTE. 

11  faut  vous  adresser  a  un  aide  de  camp. 

Entre,  par  la  droite,  Nepomuc. 


236    LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

A  M  E  L I  E . 

En  voici  un. 

NEPOMUC. 

Grande  nouvelle!...  le  general  Fritz  sera  regu  ici 
dans  une  heure,  en  grande  ceremonie...  II  est  vain- 
queur;  il  revient...  Son  Altesse  est  dans  une  joie!... 

(Faisant  quatre  pas  et  repetant.)  danS  UnC  joic  I...  (Faisant  encore 

quatre  pas.)  dans  une  joie!... 

II  a  traverse  le  thdatre  et  sort  viveraent  par  la  gauche. 
IZA,   toute  joyeuse. 

lis  reviennentl  nous  allons  les  revoir! 

Entrent,  par  la  gauche,  Boum  et  Puck.  —  L'huissier  les  suit  et  reste 

a  la  porte. 

PUCK. 

Allons,  vite,  mesdemoiselles  les  demoiselles  d'hon- 
neur,  depechez-vous!...  la  Grande -Duchesse  vous 
attend ! 

BOUM. 

Hatez-vous,  mesdemoiselles! 

CHCEUR    DES    DEMOISELLES    d'iIONNEUR. 
Ah !  lettre  adoree,  etc. 
Elles  entrent  par  la  droite.  —  Boum  et  Puck  salucnt  le  prince  Paul 

LE    PRINCE    PAUL. 

Eh  bien?...  et  mon  Groc:! 


Rassurez-vous... 
Ouoi? 


PUCK. 


GROG. 


BOUM. 

On  va  recevoir  monsieur  le  baron...  Huissier,  inlro- 
duisez  monsieur  le  baron,  et  faites  ce  qui  vous  a  ete 

dit...    (A   Grog,  lui   montrant    la    porte  de    droite.)   Monsieur    le 

baron... 


ACTE    DEUXIEME,  23T 

GROG,  sahiant. 

Tout  de  suite,  general... 

II  se  dirige  vers  la  porte. 
LE    PRINCE    PAUL,   lo   suivant. 

Allez,  Grog,  et  soyez  chaud! 

Grog,  precede  de  Thuissior,  sort  par  la  droite. 


SCENE  III 

PUCK,  LE  PRINCE  PAUL,  BOUM. 

LE    PRINCE    PAUL,  revonant  au   milieu.    —   Avoc  transport. 

Enfin!...  ah!  messieurs!... 

PUCK. 

Voyons,  Monseigneur... 

LK    PRINCE   PAUL. 

Vous  ne  pouvez  pas  vous  figurer  comme  je  suis 
emu!...  Elle  consent  a  recevoir  le  baron  Grog!...  je  le 
vols...  il  traverse  le  couloir  et  entre  dans  le  petit  salon 
de  reception... 

B  0  U  M . 

Qui... 

LE    PRINCE   PAUL. 

11  traverse  le  petit  salon  de  reception... 

PUCK. 

Oui... 

LE   PRINCE   PAUL. 
II  tourne  a   gauche...  (Denegation  enorgique  do  Bourn   ct   do 

Puck.)   On  souleve   la   portiere,    on   I'annonce...  il  se 
trouve  en  face... 


238     LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

BOUM. 
Oh  I  mais...  vous  allez,  vous  allezl...  ca  n'est  pas  ra 
du  tout...  le  baron  n'a  pas  tournea  gauche:  il  a  tourne 
a  droite...  toujours  precede  de  Thuissier...  et  il  s'est 
trouve  en  face  d  un  escalier...  au  moment  oil  nous  par- 
Ions,  il  doit  etre  en  train  de  monter...  quand  il  aura 
fini,  il  traversera  una  demi-douzaine  de  salles  et  se 
trouvera  en  face  d'un  autre  escalier...  qu'il  descendra... 
il  retraversera,  remontera,  redescendra.  reretraver- 
sera... 

PUCK. 

Reremontera... 

LE   PRINCE   PAUL. 

Reredescendra... 

PUCK. 

Et  ca?tera,  et  csetera...  jusqu'a  ce  qu'il  soit  arrive 
devant  une  petite  porte...  toute  grande  ouverte...  Votre 
Grog  trouvera  la  sa  voiture...  I'huissier  Tinvitera  poli- 
ment  a  y  monter  et  lui  dira  que  son  audience  est 
remise  a  un  autre  jour... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Voila  I'ordre  et  la  marche?... 

BOUM. 

Comme  vous  dites!... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Et  la  grande-duchesse  a  ose?... 

PUCK. 

EUe  a  ose...  Mais  aussi,  prince,  il  faut  que  vous 
soyez  fou...  (se  reprenant.)  Hvec  tout  Ic  respect  que  je 
vous  dois,  il  faut  que  vous  soyez  fou  pour  avoir  sup- 
pose que  le  jour  oii  le  general  Fritz  revient,  et  revient 
vainqueur,  la  Grandc-Duchesse  s'occuperait  d'autre 
chose  que  de  se  preparer  a  le  recevoir... 


ACTE   DEUXIEME.  239 

I.E    PRINCE  PAUL,  avec  colore. 

Fritz!...  encore!...  Ah!  cet  homme!  cet  hommel... 

BOUM,  avec  intention. 

II  sera  ici  tout  a  Theure...  et  il  triomphera. 

LE   PRINCE   PAUL,  sinistre. 

Eh  bien!...  qu'il  triomphe!...  Mais  apres... 

BOUM   et  PUCK. 

Apres?... 

LE    PRINCE    PAUL,  dissimulant. 

Rien...  rien...  Je  n'ai  rien  dit,  messieurs...  je  n'ai 
rien  voulu  dire. 

II  rcmonte. 
PUCK,   langant  un  coup  d'ceil  a  Bourn,  de  loin  et  bas. 

Ca  ne  prend  pas... 

BOUM,   bas. 
Disons    tout,  alors...   (Coups  do    canon   au   dehors.  —    Avec 

energie.)  L'eiiiiemi !...  c'est  Tennemi!... 

II  tire  son  sabre  et  vcut  se  precipiter. 
PUCK. 

Mais  non,  ce  n'est  pas  Tennemi!...  (Avec  intention.)  C'est 
notre  ennemil... 

LE    PRINCE    PAUL,  redesccndant. 

C'est  le  general  Fritz! 

BOUM, 

Pardon!...  c'est  qu'il  y  a  quinze  jours  que  je  ne  fais 
rien...  j'ai  la  nostalgic  de  la  guerre!... 

Les  draperies  du  fond  s'ouvrent.  —  Entro  toutc  la  cour,   prec^d^e   de 
deux  huissiers. 


240  LA  GRANDE-DUGHESSE  DE  GEROLSTEIN. 


SCENE  IV 

Les  Memes,  NEPOMUC,  La  Cour,Deux  Huissiers, 
puis  LA  GRANDE-DUCHESSE,  IZA,  OLGA. 
CHARLOTTE,  Les  autres  Demoiselles  d'hon- 
neur,  Pages,  FRITZ  et  son  etat-major. 

CHCEUR. 

Apres  la  vicloire, 
Void  revenir  nos  soldats; 

Celebrons  leur  gloire, 
Rendons  grace  au  Dieu  des  combats ! 
Pendant  ce  choeur,  la  Grande-Duchesse  ontre  par  la  droite,  prdcedee  de 
deux  pages  et   suivie   de   ses  demoiselles    d'honneur,   qui   restent   a 
droite;  deux  petits  negres  portent  la  queue  de  son  manteau  de  cour. 

—  A  sa  vue,  le  prince  Paul,  Bourn   ct  Puck  se  pr6cipitent  vers  ello 
et  la  saluent  humblement. 

LA    GRAXUE-DUCHESSE,  a  part. 
Done  je  vais  le  revoir!  voici  Tinstant  supreme! 
Pourrai-je,  en  le  voyant,  lui  cacher  que  je  I'aime? 
Les  deux  hnissiers  apportent  de  la  droite  un  grand  fauteuil  ducal  ct  un 
petit  tabouret  de  pied,  qu'ils  placent  un  peu  a  droite,  puis  ils  se  reti- 
rent  au  fond  et  se  ticnnent  de  chaque  cote  dc  la  porte. 

REPRISE  DU   CHCEUR. 

Apres  la  victoire,  etc. 

Pendant  cette  reprise,  la  Grande-Duchesse  s'est  plac6e  sur  lo  fauteuil, 

entour(5e  de  ses  demoiselles  d'honneur.  —  Fritz   entre  par    le  fond, 

suivi  d'un  briUant  etat-major.  II  s'approche  dc  la  Grande-Duchesse, 

et  flechit  le  genou  devant  elle;  elle  contient  difficilement  son  Amotion. 

—  Le  cliccur  tini,  Fritz  so  relevc. 

FRITZ,  a  la  Grande-Duchesse. 
Madame,  en  quatre  jours  j'ai  termine  la  guerre! 
Vos  soldats  sont  vainqueurs,  les  ennemis  ont  fui! 

Et  je  vous  rapporte  aujourd'hui 
Le  sabre  venere  de  monsieur  voire  pere! 

(II  le  prend  des  mains  d'un  de  ses  officiers.) 


ACTE    DEUXIEME.  241 

LA    GRANDE-DUCHESSE,    avec  transport,  se  lovant,  prcnant 
lo  sabre  et  I'embrassant. 

Voici  le  sabre  cle  mon  pere ! 

TOUS, 
Voici  le  sabre  de  son  pere! 

LA  GRANDE-DUCHESSE,  avec  dignite,  donnant  le   sabre   a 
Xepomuc,  qui  s'est  approch6  d'elle  ct  se  tient  a  sa  droite. 

Qiron  le  remette  en  mon  musee, 
D'arlillerie!... 

(N(;pomuc  sort  en  emportaiit  le  sabre.  —  S'adrcssant  a  Fritz.) 

Et  vous,  soldat  victorieux, 
Devant  ma  cour  eieclrisee, 
Parlez,  el  racontez  vos  exploits  glorieux! 

TOUS. 
Parlez  et  racontez  vos  exploits  glorieux! 

FRITZ. 

Done  je  m'en  vais  vous  dire,  Altesse, 

Le  resultat 

De  ce  combat, 
Et  comment,  grace  a  mon  adresse, 

Les  ennemis 

Parent  surpris. 

RONDEAU. 
En  tres  bon  ordre  nous  parlimes; 
Notre  drapeau  flottait  au  vent, 
Et,  quatre  jours  apres,  nous  vimes 
Cent  vingt  mille  hommes  manneuvrant. 
J'ordonne  alors  que  I'on  s'arrcte... 

J'avais  mon  plan, 

Et,  jugez-en ! 
Ce  plan-la  n'etait  pas  li'op  bete... 

On  a  du  flair, 

Sans  avoir  I'air !... 
J'avais  trois  cent  mille  bouteilles, 
Moitie  vin  et  moitie  liqueurs  : 
Je  me  fais  —  ouvrez  vos  oreilles! 
—  Tout  rafler  par  leurs  maraudeurs. 

II.  14 


242     LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEIIOLSTEIN 

Voila  tout  leur  camp  dans  la  joiel 

«  Du  vin!  buvons, 

Et  nous  grisons!  • 
Dans  le  vin  leur  raison  se  noie... 

Moi,  j'attendais, 

Et  j'esperais. 
Le  lendemain,  bonheur  insigne! 
lis  accepterent  le  combat! 
Je  les  vis  se  ranger  en  ligne, 
Mais,  seigneur  Dieu!  dans  quel  etat! 
lis  se  repandent  dans  la  plaine, 

Butant,  roulant, 

Deboulinant; 
C'etait  comme  un  grand  champ  d'aveine, 

Au  gre  du  vent, 

Se  balangant! 
Devant  son  armee  en  goguette, 
Leur  general,  I'oiil  allume, 
Gambadait,  gris  comme  un  trompelte, 
Etme  criait  :  «  Ohe!  ohel  » 
Je  lui  reponds  :  «  Yiens-y,  mavieille!  • 

Tout  aussitot, 

Le  pauvre  sot 
Se  fache.  brantlit  sa  bouleille, 

Et,  trebuchant, 

Marche  en  avantl... 
Non !  c'etait  a  mourir  de  rire! 
Sous  ce  general  folichon, 
Une  armee  entiere,  en  delire, 
Chantait  la  mere  Godichon... 
Ah!  la  bataille  fut  boufTonne! 

On  en  poussait 

Un,  tout  tombait. 
Du  reste,  on  n'a  tue  personne  : 

C'eut  ete  mal!... 

Mais  c'est  egal, 
Vos  soldats  onl  fait  des  merveilles, 
Et  le  soir,  c'est  flatteur  pour  eux, 
Le  soir,  sur  le  champ  de  bouleilles 
lis  ont  couche  victorieuxl 

T  0  U  S . 
Vive  le  general  Fritz! 


ACTE   DEUXIEME.  243 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  so  levant. 

Mes  compliments,  general!...  Vous  parlez  comme 
voLis  combattez...  (a  sa  com-.)  Mesdames  et  messieurs, 
cette  imposantc  ceremonie  est  terniinee...  L'interet  de 
notre  grand-duche  de  Gerolstein  cxigeant  que  nous 
disions  au  general  Fritz  des  choses  qui  ne  peuvent 
etre  entendues  que  de  lui,  nous  vous  permettons  de 
vous  retirer...  Allez-vous-en! 

LE    PRINCE    PAUL,  bas,  a   Puck. 

Seule  avec  lui!... 

BOUM,  bas. 

Comme  elle  va!...  comme  elle  va!... 

PUCK,    bas. 

Et  vous  soufi'ririez  cela,  prince? 

LE   PRINCE   PAUL,   do  memo. 

Ah!  s'il  y  avait  un  moyen!... 

15  GUM,  do  memo. 

II  y  en  a  un,  peut-etre... 

Cos  quelques  repliques  doivont  etre  (5changecs  trcs  rapidement. 
LA   GRANDE-DUCHESSE,  a  la  com-. 

Allez-vous-en,  gens  de  la...  gens  de  la  cour,  allez- 
vous-en  ! 

REPRISE    DU   CHCEUR. 

Apres  la  victoire, 
Voici  revenir  nos  soklats!  etc. 
Touto  la  cour  s'eloigne  par  lo  fond.  —  Lc  prince  Paul,  Bourn  et  Puck 
suivent  en  se  tenant  bras  dessus,  bras  dessous.  —  Lcs  huissiers  sor- 
tent  les  dernicrs  en  fermant  les  draperies  du  fond.  —  Les  demoiselles 
d'honncur,  les  nogres  et  les  pages  se  retirent  par  la  droitc.  —  La 
Grande-Duchosso  ct  Fritz  rostcnt  seuls. 


244    LA    GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIX. 

SCENE  V 

FRITZ,    LA   GRANDE-DUCHESSE. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Plus  personnel 

FRITZ. 

Eh  non!  plus  personnel 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

General!... 

FRITZ. 

Altesse?... 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Je  suis  contente  de  vous  voir. 

FRITZ. 

Et  moi  de  meme. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Merci. 

FRITZ. 

II  n'y  a  pas  de  quoi,  vraiment,  il  n"y  a  pns  de  quoi. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Je  me  felicite  de  ce  que  j'ai  fait...  Quand  j'ai  laisse 
tomber  mon  regard  sur  vous.  vous  n'etiez  qu"un  soldat... 

FRITZ. 

Un  pauvre  jeuue  soldat... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Jc  VOUS  ai  fait  general  en  chef:  vous  avez  l)atlu  Ten- 
nemi. 

FRITZ. 

Eh!  b6dame!... 


ACTE   DEUXIEME.  245 

LA    GHANDE-DUCIIESSE. 

Voulez-vous  que  nous  parlions  des  recompenses  qui 
vous  sont  dues?... 

FRITZ. 

Je  le  veux  bien,  Altesse,  mais  a  quoi  bon? 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Comment!... 

FRITZ. 

Puisque  je  suis  general  en  chef...  voyons,  raisonnez 
un  peu...  puisque  je  suis  general  en  chef,  je  ne  peux 
pas  monter  en  grade. 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Yous  croyez  Qa,  vous? 

FRITZ. 

Dame !  il  me  semble...  puisque  j'ai  le  panache...  je  ne 
peux  rien  avoir  de  plus... 

LA   GRAXDE-DUCHESSE. 

Dans  le  militaire,  c"est  possible;  mais... 

FRITZ. 

Mais?... 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

I\Iais  dans  le  civil... 

FRITZ. 

Ah  !  ah  !...  (a  part.)  Je  ne  comprends  pas  du  tout,  mais 
ca  ne  fait  rien...  puisqu'on  veut  me  donner  quclque 
chose,  n'est-ce  pas?... 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

D'abord,  vous  serez  loge  dans  le  palais  :  cela  a  ete 
decide,  ce  matin,  sur  la  proposition  du  general  Boum. 

FRITZ,   ctonne. 

Sur  la  proposition  du  general  Boum? 

14. 


246     LA   GRANDE-DUCIIESSE   DE    GEROLSTEIN. 
LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Oiii,  c'cst  line  idee  qui  lui  est  venue,  par  mon  ordre. 

FRITZ,  riant. 

A-t-il  du  ragerl... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Voulez-vous  que  je  Fexile? 

FRITZ. 

Oh  non!  Ce  n'estpas  un  mediant  liomme,  au  fond  I... 
(Riant )  Tout  qn.  c'est  des  histoires  de  femmes,  voila 
tout...  des  histoires  de  femmes. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

De  femmes? 

FRITZ. 

Pas  autre  chose! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Comme  elles  sont  heureuses,  les  femmes  de  la  cam- 
pagnel...  Ouand  une  femme  de  la  canipagne  aime  un 
homme  de  la  campagne...  elie  va  a  lui,  tout  bonnement, 
et  lui  dit... 

FRITZ. 

«  Mon  garf^on,  je  t'aime.  » 

L.V   GRANDE-DUCIIESSE. 

Avec  une  bonne  bourrade!...  Mais  dans  nos  spheres, 
c"est  autre  chose...  et  nous,  quand  nous  aimons,  nous 
somnics  obligees  de  prendre  des  detours,  de  nous 
faire  entendre  a  demi-mot...  Ainsi,  tenez,  ici  m^me, 
dans  ma  cour.  il  y  a  une  femme  qui  est  foUe  de  vous. 

FRITZ. 

Dans  votre  cour"?...  allons  done!... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Eh  bien...  au  lieu  d'aller  tout  bonnement  a  vous  et 
de  vous  dire... 


ACTE    DEUXIEME.  247 

FRITZ. 

Avec  line  bonne  bourrade  !... 

LA   GRANDE-DUCIIESSE. 

EUe  me  I'a  dit,  a  moi. 

FRITZ. 

A  vous? 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

A  moi. 

FRITZ. 

Oh!  mais,  alors,  dites  done,  c"est  line  intrigue! 

LA   GRA.NDE-DUGHESSE. 

Cost  unc  intrigue. 

FRITZ,  riant. 

11  faut  en  rire,  voila  tout...  il  taut  en  rire. 

LA    GRANDE-DUCIIESSE,   mecontcnte. 

Comment,  il  laut?... 

FRITZ,  a  part. 

Ah  diablel  non...  il  parait  qu'il  ne  faut  pas...  Soyons 
serieux.  (Haut.)  Eh  bien!  mais,  dites-moi,  d'abord...  cette 
dame...  est-elle  bien  de  sa  personne? 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Mes  courtisans  affirment  qu'il  n'y  en  a  pas  de  plus 
belle...  Quant  a  sa  position,  nous  n"en  parlerons  pas. 

FRITZ. 

Pourquoi  ca? 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

N'en  disons  qu'un  mot  :  ces  grades,  ces  honneurs. 
dont  il  m'a  plu  de  vous  combler,  vous  desirez  les 
garder,  sans  doute  ? 

FRITZ. 

Mettez-vous  a  ma  place!.. 


2iS     LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 
LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Eh!  mon  gaillard,  pendant  que  vous  y  etes,  vous  ne 
seriez  pas  fache  d'attraper  quelque  chose  d"inamo- 
vible? 

FRITZ,   ne  comprenant  pas. 

D"inamovible?...  (a  part.)  C'est  un  nouveau  grade. 

LA    GRAXDE-DUCIIESSE. 

Eh  bien!  sachez  que  la  personne  de  qui  je  vous 
parle...  est  assez  puissante  pour  vous  faire  obtenir 
tout  ce  que  vous  voudrez... 

FRITZ. 

Ah  diablel...  ah  fichtrel... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Votre  avenir  est  dans  ses  mains...  Maintenant.  j'en 
suis  sure,  vous  savez  de  qui  je  veux  parlor? 

Elle  passe   a  gauche. 
FRITZ. 

Un  mot  encore...  un  seul,  et  je  le  saurai. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Quel  mot? 

FRITZ. 

Le  nom  de  cette  femme. 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Le  nom? 

FRITZ. 

Oui. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

II  n'est  pas  defendu  de  le  deviner,  ce  nom...  mais  on 
ne  pent  pas  le  dire. 

FRITZ,  a  part. 

Diable!...  c'est  gcnant  ga...  pour  savoir...  (Haut.)  Vrai- 
ment,  on  ne  pent  pas  le  dire? 


ACTE    DEUXIEME.  249 

LA    GRAXDE-DUC HESSE,   souriant. 

Puisque  c'esl  une  intrigue!... 

FRITZ. 

Une  intrigue  amoureuse? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Vous  Tavcz  dit,  une  intrigue  amoureuse... 

FRITZ. 

Comme  ga,  alors,  votre  amie  vous  a  dit  de  me  dire 
quelque  chose?... 

DUO. 
LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Void  ce  qu'a  dit  mon  amie  : 
Quand  vous  le  verrez, 
Je  vous  prie. 
Dites-lui  ce  que  vous  savez... 

RONDO. 

Diteslui  qu'on  I'a  remarque, 

Distingue; 
Dites-lui  qu'on  le  trouve  aimable, 
Dites-lui  que,  s'il  le  voulait, 

On  ne  salt 
De  quoi  Ton  ne  serait  capable!... 
Ah!  s'il  lui  plaisait  d'ajouter 
Des  fleurs  aux  palmes  de  la  gloire, 
Qu'il  pourrait  vite  remporter, 
Ce  vainqueur,  une  autre  victoire!... 
Dites-lui  qu'a  peine  entrevu, 

II  m'a  plu! 
Dites-lui  que  j'en  perds  la  tete! 
Dites-lui  qu'il  m'occupe  tant, 

Le  brigand! 
Tant  et  tant  que  j'en  deviens  bete!... 
Helas!  ce  fut  instanlane  : 
Des  qu'il  a  paru,  tout  mon  etre, 
A  lui  tout  mon  coeur  s'est  donne; 
J'ai  senti  que  j'avais  un  mailre! 
Dites-lui  que,  s'il  ne  vent  pas 

Mon  trepas, 


2oO     LA   GRANDE-DUCHESSE   DE    GEROLSTEIN. 

Dites-lui  (je  parle  pour  elle), 
Dites-lui  qu'il  repondra  :  Oui! 

Dites-lui 
Que  je  I'aime  et  que  je  suis  belle!... 

Eh  bien,  reponds-moi  maintenant. 

FRITZ,   a    part. 
Ma  fortune  en  depend  : 
Soyons  intelligent. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Reponds,  —  deux  mots  doivent  suffire, 
—  A  la  dame  que  dois-je  dire? 

FRITZ. 

Dites-lui  que  je  suis  sensible... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ. 

Son  discours  n'a  rien  de  penible... 

LA     GRANDE-DUCHESSE. 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ. 

Et  de  tout  mon  cceur  je  m'empresse... 

LA    GRANDE-DUCHESSE, 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ. 

De  lui  rendre  sa  polilesse. 

LA    GRANDE-DUCHESSE, 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ,   -i  part. 
Je  dis  tout  Qa...  niais,  la,  sur  ma  parole, 
Je  n'y  comprends  rien, 
Mais,  la,  rien  de  rien ! 
Et  que  le  diable  ici  me  patafiole, 
Si  je  connais  cette  personnel 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Ell  bien"?... 


ACTE   DEUXIE.ME.  231 

FRITZ. 
Eh  bien...  Eh  bien... 
Dites-lui...  que  je  suis  sensible. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ. 

Son  discours  n'a  rien  de  penible... 

LA    GRANDE    DUCilESSE. 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ. 

Et  de  tout  mon  cijcur  je  m'empresse... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Je  le  lui  dirai. 

FRITZ. 

De  lui  rendre  sa  politesse. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Je  le  lui  dirai. 

E  iN  S  E  JI  B  L  E  . 

LA    GRANDE    DUCHESSE,    ;l   part. 
II  a  conipris  en  un  moment, 
Gar  le  coeur  est  intelligent. 

FRITZ,   a  part. 
J'  n'y  comprends  rien  absolument! 
Pourtantje  suis  intelligent. 

Fritz  remonte;  la  Grande-Duchesso  passe  a  droite  ct  va  se  rasscoir. 

FRITZ,  a  part,  rodcsccndant  et    reflochissant. 

Eh  bien,  voil^!...  ces  grades,  ces  honneurs...  le 
panache...  il  est  bien  evident  que  je  tiens  a  garder 
tout  Qa...  et  alors,  cette  grande  dame...  qui  m'aime... 
cc  serait  le  meilleur  moyen,  n'est-ce  pas?... 

LA    GRANDE-DUCHESSE,    qui   lobservait. 

General?... 


252     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE   GEROLSTEIN. 

FRITZ,  toujours  ii  part. 

Mais  Wanda...  il  y  a  Wanda  aussi...  c'cst  tres 
embarrassant! 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  plus   haut. 

General?... 

FRITZ,  so  ictoui-nant. 

Altesse?... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Venez  ici,  pres  de  moi. 

P'RITZ,  traversant  la  scene,  a  part. 

C'est  tres  embarrassant! 

II  va  pour  s'agcnoiiiller  sur  le  petit  tabouret,  aus  picJs 
de  la  Grande-Duchesse. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Non,  non...   asseyez-vous...  la...  (Fritz  s'assied  sur  lo 

tabouret.   —    Designant    les    decorations    qu"il    a    sur   la    poitrine.) 

Comme  ces  insignes  vous  vont  bien!...  si  vous  n'en 
avez  pas  assez,  demandez-moi  autre  chose...  Mais  je 
ra'egare...  ou  en  etions-nous?...  Cette  femme,  de  qui 
je  viens  de  vous  parlor...  vous  n'avez  pas  repondu, 
en  somme...  Vous  etes  reste  dans  les  generalites... 

FRITZ,  riant. 

Eh!  bedame!...  puisque  je  suis  general... 

LA    GRAXDE-DUC  HESSE,  avoc  un  riro  force. 

Ah!  charmant!...  charmant!...  mais  laissons  les 
jeux  de  mots...  il  faut  ropondrc. 

FRITZ. 

Ah  bien!...  cette  dame  ne  vous  a  pas  seulcment 
priee  de  fairs  la  commission,  il  parait...  Elle  vous  a 
price  aussi  de  rapporter  la  reponse?... 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Justementl...  Eh  bien?... 

Kllc  jouo  d'une  main  un  peu  nerveuso  avoc  lo  collier  Jo  I'ordro 
que  Fritz  porto  au  cou. 


ACTE    DEUXIEME.  253 

FRITZ,  faisant  une  grimace. 

Ah!... 

LA    GRANDE-DUGHESSE. 

Qu'est-ce  que  c'est? 

FRITZ. 

Rien...  en  jouant  avec  ce  collier,  vous  m'avez  un 
peu... 

LA    GRANDE-DUGHESSE. 

Pardonnez-moi...     '' 

FRITZ. 

Eh  bien,  je  vous  pardonnel... 

LA    GRANDE-DUGHESSE. 

Mais  voyons...  parlez...  cette  reponse...  si  vous  etiez 
pres  de  cette  femme,  comme  vous  etes  la,  pres  de 
moi...  vous  lui  diriez... 

FRITZ. 

Eh!  bedame!... 

LA    GRANDE-DUGHESSE. 

Pas  mal,  cela!...  cest  un  mot  que  vous  dites  un  peu 
souvent  peut-etre...  mais  vous  le  dites  si  bien!...  et 
apres  lui  avoir  dit  :  «  Eh!  bedame...  »? 

FRITZ. 

Apres?...  Voulez-vous  que  je  vous  le  declare?...  je 
serais  fort  embarrassel... 

Nepomuc  entre  par  le  fond,  ua  message  a  la  main. 


II. 


254     LA   GRANDE-DUGHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

SCENE  VI 

Les  Memes,  XEPOMUC. 

NEPOMUC,  du  fond. 

Altcsse... 

Fritz  se  Icve  et  passe  a  gauclic. 
LA    GP.ANDE-DUCHESSE,  se  levant  tres  vivement. 

Qui  vient?...  ai-je  appele"?... 

NEPOMUC,  descendant. 

Le  chef  dc  votre  police  particuliere...  II  attend  Voire 
Altesse. 

LA  GRAXDE-DUC HESSE,  avec  impatience. 

Ah!  j'ai  bien  le  temps  de  songer!... 

NEPOMUC. 

Jc  demande  pardon  a  Votre  Altesse...  il  parait  que 
c'est  tres  important. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Donnez. 

EUc  prend  le  message.  —  Nepomuc  se  retire  au  fond,  attendant 
les  ordres  de  la  Grandc-Duchesse. 

FRITZ,  a  part. 

Ah!  s'il  n'y  avait  pas  Wanda  I...  mais  il  y  a  Wanda  !... 
c'est  tres  cmbarrassant!... 

LA  GRANUE-DUCHESSE,  qui,  pendant  cc  temps  a  ouvert 
la  lettrc,  la  lisant  a  part. 

«    Scandale   public...    mauvaise    tenue    du    general 
Fritz...  jeune  fille  nommee  Wanda  amenee  par  lui  a 

la  villc...  »  (Sinterrompant  et  a  elle-meme.)  Oh!  oh!..,  il  faut 

savoir...  (naut,  a  Xepomnc.)  Vous  dites  qu'il  est  la,  le  chef 
dc  ma  police  particuliere?... 


ACTE   DEUXIEME.  2ob 

XEPOMTC,  rcdcscendant  un  peu. 

Oui,  Altesse. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,   a  part. 

Wanda!...  c'est  impossible!...  (Haut^  a  Fritz.i  Dans  un 
instant,  general,  je  suis  a  vous...  Vous  permettez?... 

FRITZ. 

Eh  bien,  je  per  mats!... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Eh  bien,  attendez-moi!...  (a  Nepomuc.)   Suivez-nous, 
capitaine. 

Ellc  sort  par  Ic  fond,  suivie  do  Nepomuc. 


SCENE   YII 

FRITZ,   seuL 

Eh  bien,  voila!...  c"est  tres  embarrassant,  n'est-ce 
pas?...  car.  si  je  dis  a  cette  dame  :  «  Je  ne  peux  pas 
vous  aimer...  j'en  aime  une  autre...  »,  cette  dame  se 
facliera...  Et  elle  aura  tort,  apres  tout...  car,  tons  les 
jours,  on  regoit  une  invitation  a  diner...  on  repond  : 
'(  Je  ne  peux  pas...  a  cause  d'une  invitation  ante- 
rieure...  »  Est-ce  que  Qa  veut  dire  C{u"on  a  peur  que  le 
diner  ne  soit  pas  bon?...  non...  ga  veut  dire  tout  bon- 
nement  qu"on  a  regu  une  invitation  anterieure...  Done, 
si  cette  dame  se  fache.  elle  aura  tort...  Je  vais,  sans 
l)lus  de  raanieres,  faire  savoir  a  la  Grande-Duchesse 
que  je  suis  invite...  Elle  en  fera  part  a  son  amie...  et 
voila! 

Musique  a  Torchestre.  —  Entrent  mystcrieuscment,  par  le  fond, 
Ic  prince  Paul,  Boum  et  Puck. 


25G    LA   GRANDE-DUGHESSE    DE    GEROLSTEIN 


SCENE  VIII 

PUCK,  LE  PRINCE  PAUL,  BOUM,  FRITZ, 
puis  NEPOMUC. 

FRITZ,  a  part,  en  les  voyant. 

Ah!  voil^  ces  trois  messieurs! 

PUCK,  Ijas,   aux  deux  autres,  en   apercevant  Fritz. 

Le  voici!... 

BOUM,   bas,   au  prince   Paul. 

II  va  nous  gfiner  pour  ce  que  nous  avons  a  vous 
dire. 

NEPOMUC,  entrant  par  le  fond,  a  Fritz. 

General?... 

FRITZ. 

Eh  bien,  capilaine?... 

NEPOMUC. 

Les  affaires  de  I'Etat  retiennent  Son  Altesse...  Elle 
m'a  ordonne  de  vous  conduire  a  votre  appartement, 
dans  le  pavilion  de  I'aile  droite. 

II  renionte  ct  reste  au  fond. 
PUCK,   bas,  au  prince  Paul. 

Dans  le  pavilion  de  I'aile  droite! 

Le  prince  Paul  ne  comprend  pas. 
FRITZ,  a  Nepomuc. 

Eh  bien,  allons...  [X  part.)  Je  vais  lui  fairc  dire  que, 
toutos  reflexions  faites,  je  veux  epouser  W^anda,  ct 
I'epouser  le  plus  vite  possible...  (iiaut.)  Et  maintenant, 
dans  le  pavilion  de  I'aile  droite!..  isaiuant  ic  prince  Paul. 
Bourn  et  Puck.)  Mcssicurs !... 


ACTE   DEUXIEME.  237 

LE    PRINCE    PAUL,   BOUM   et  PUCK,  saluant. 

Monsieur!... 

FRITZ,  a  Bourn,  en  le  narguant. 

Eh    bien,    il   a    fait   son    chemin,    le  pauvre  jeune 
soldat ! 

BOUM,  allant  a  lui. 

Qu'est-ce  que  c'est?... 

FRITZ. 

Hou!...  le  mauvais  general!... 

Gcste  do  fureur  de  Bourn:  Puck  Ic  contient.  —  Fritz  sort  par  le  fond, 
suivi  de  Ne])omuc. 


SCENE  IX 

PUCK,  LE  PRINCE  PAUL,  BOUM. 

PUCK,  au   prince  Paul,  avec  intention. 

Elle  a  ordonne  quon  preparat  pour  lui  le  pavilion 
de  I'aile  droitei...  vous  avez  entendu?...  de  Faile 
droite!... 

B  0  U  M ,    memo  jeu. 

Qa  ne  m"etonne  pas  de  sa  part. 

PUCK. 

Moi  non  plus!...  (au  prince  Paul.)  Je  suis  sur  que  vous 
ne  nous  comprenez  pas. 

LE    PRINCE    PAUL. 

Pas  du  tout. 

PUCK. 
Vous   allez   COmprendre...   (Indiquant  le   portrait   qui   est  a 

gauche. 1  Vous  voyez  ce  portrait  qui  est  la?... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Oui...  je  vois... 


2oS     LA   GRANDE-DUGIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

PUCK. 
Allez...   et   appuyez   vigoureusenient    sur  la   botte 
gauche  de  ce  noble  seigneur... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Ou'est-ce  que  vous  dites?... 

B  0  u  .M . 
On  vous  dit  d'appuyer... 

LE  PRINCE    PAUL,  allant  an   portrait,  puis  s'arretant 
avcc   inquietude. 

Vous  allez  me  faire  une  farce!... 

PUCK, 

Mais  non...  je  vous  assure... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Je  vols  ce  que  c"est...  il  y  a  un  ressort...  et  il  va 
m'arriver  quelque  chose  dans  le  nez. 

I!  0  U  M . 

Mais  non...  allez  done!... 

Le  prince  Paul  pousse  Ic  bouton,  le  portrait  remonte  et  le  panneau 
s'ouvre  lentement :  une  boutfce  d'air  glace  repousse  le  prince  Paul. 
—  Des  bruits  etranges  s'echappent  du  couloir.  —  Une  clariuetto 
iniitc  dans  la  coulisse  le  cri  de  la  chouette. 

LE    PRINCE    PAUL. 

TiensI  un  aveugle!.. 

BoU.M,  ramcnant  gravemcnt  le  prince  Paul  sur  Ic  dcvant 
de  la  scene. 

Non!...  ce  n'est  pas  un  aveugle!... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Qu'est-ce  que  c'est? 

PUCK. 

C'est  le  cri  de  la  chouette...  11  y  a  longtemps  que 

Ton  n'avait  OUVCrt  CCtte    porte...    [Un   ton   dun   homme   qui 

commence  un  recit.)  11  y  a  plus  de  dcux  ccnts  ans... 


ACTE    DEUXIEME.  259 

LE    PRINCE    PAUL,    allant  a  Puck. 

Vous  semblez  avoir  une  histoire  k  me  raconter... 

B  0  U  M . 

Une  lugubre  histoire!... 

LE    I'RINCE    PAUL,   a  Puck. 

Racontez-moi. 

PUCK. 

Tres  volontiers...  II  a  deux  issues,  ce  couloir... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Conime  la  plupart  des  couloirs. 

PUCK,  continuant. 

L'une  qui  donne  dans  cette  chambre,  I'autre  qui 
donne  dans  le  pavilion  de  Faile  droite,  ce  pavilion  ou 
sera  loge  le  general... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Aie!... 

PUCK. 

Ici,  il  y  a  un  portrait  d'homme;  a  I'autre  bout,  il  y  a 
un  portrait  de  I'emme...  Ici,  pour  ouvrir,  on  n'a  qu'a 
toucher  la  botte  de  rhomme;  la-bas,  on  n'a  qu'a  tou- 
cher le  genou  de  la  femme. 

LE    PRINCE    PAUL. 

Le  genou?... 

B  0  U  M . 

C'est  un  caprice  du  peintre...  Dc  son  vivant,  Fhomme 
qui  est  peint  ici  s'appelait  Max,  il  etait  comte  de 
Sedlitz-Calembourg...  La  femme  qui  est  peinte  la-bas 
s'appelait  la  Grande-Duchesse  Victorine,  Taieule  de 
notre  Grande-Duchesse... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Achevez. 


260    LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN, 

TRIO  . 
IJOUM. 

>'e  devinez-vous  pas?...  c'est  une  sombre  histoire ! 

PUCK, 
Les  murs  de  ce  palais  en  gardent  la  memoire! 

BALLADE. 

BOUM. 

I 

Max  elail  soldal  de  fortune; 

Mais  il  avait 
L'oeil  vif  et  la  moustache  brune... 

On  I'adorait! 
La  duchesse,  en  personne  adroite, 

A  ce  galant 
Donna  son  coeur...  et  I'aile  droile, 

Pour  logement. 
Et,  dans  son  amoureuse  ivresse, 

Max,  chaque  soir, 
Ecoutait  venir  sa  maitresse 

Par  ce  couloir! 

LE    PRINCE    PAUL,    DOUM    et   PUCK,   avec   eclat. 
Ecoutez,  race  future. 
Ecoutez,  ecoutez  la  sinistre  aventure 
Et  I'histoire  d'amour 
Du  comte  Max  de  Sedlitz-Calembourg! 

PUCK. 

II 

Un  soir,  Max,  avec  epouvante, 

N'etant  point  sourd, 
Trouva  le  pas  de  son  amanle 

Quelque  peu  lourd  : 
Ca  lui  mil  la  puce  a  I'oreille... 

Trop  lard,  helas! 
Que  ne  se  sauvail-il  la  veille"?... 

Ce  pas...  ce  pas... 
C'etail  le  pas  d'une  douzaine 

D'assassins,  qui 
Trouerent  gaiment  la  bedaine 

Du  favori! 


ACTE    DEUXIEME.  261 

LE    PRINCE    PAUL. 
Douze  assassins!... 

R  0  U  M .  • 

All  masque  noir! 

TOUS    I.ES    TROIS. 
Par  ce  couloir! 

REPRISE    DE     l'eNSEMBLE. 

Ecoutez,  race  future,  etc. 

(Boum  va  fermer  la  portc  du  couloir  ct  revient  pres  du  prince  Paul.) 

BOUM,    au  prince  Paul. 
Maintenant,  me  comprenez-vous? 

LE    PRINCE    PAUL. 
Je  vous  comprends...  mais  c'est  horrible! 

PUCK. 
11  faut  qu'il  tombe  sous  nos  coups! 

LE    PRINCE    PAUL. 
Le  croyez-vous"?...  C'est  bien  possible... 

PUCK   et   BOUM. 
II  faut  qu'il  tombe  sous  nos  coups! 

B  O  U  M . 
Logeons-le  done,  et  des  ce  soir, 
Dans  la  chambre  au  bout  du  couloir! 
Logeons-le  done,  ce  mirliflor, 
La-bas,  au  fond  du  corridor! 

EN.SEMBLE,   tres    gaiement. 
Logeons-le  done,  et  des  ce  soir,  etc. 

LE    PRINCE     PAUL. 

Ce  soir,  quand  il  se  fera  tard, 
Ecoute,  dans  ta  foUe  ivresse. 
Si  tu  n'entends  pas,  par  hasard, 
Le  pas  leger  de  ta  maitresse ! 

15 


202    LA    GRANDE-DUCHESSE    DE   GEROLSTEIN. 

BOUM. 

Ce  pas, 

Ce  pas, 
Cc  joli  pas, 

Ce  pas, 

Ce  pas, 
Ce  pelil  pas! 

TOUS    LES    TROIS. 
Tu  n'  Tentendras  pas,  Nicolas! 
Non,  non,  tu  ne  Tentendras  pas! 
Ce  pas, 
Ce  pas, 
Ce  joli  pas, 
Ce  pas, 
Ce  pas, 
Ce  petit  pas! 
Plus  gaiement  encore  ct  avec  un  l^ger  mouvement  de  dansc. 
Logeons-le  done,  et  des  cc  soir,  etc.,  etc. 

BOUM. 

Quand,  faisant  des  reves  de  gloire, 
Tu  te  dis  :  «  Je  serai  Grand-Due!  » 
Voici  venir,  dans  la  nuit  noire. 
Voici  venir  Paul,  Boum  el  Puck! 

LE    PRINCE    PAUL. 
Voici  venir  Paul! 

B  0  U  M . 
Voici  venir  Bourn! 

I'UCK. 
Voici  venir  Puck! 

THUS    LES    TROIS. 
Oui,  Paul,  Boum,  Puck! 

ENSEMBLE,    avec  une  gaiete  folic,   dansc  tres  animjc. 
Logeons-ie  done,  et  des  ce  soir, 
Dans  la  chambre  au  bout  du  couloir; 
Logeons-le  done,  ce  mirliflor. 
La-bas,  au  fond  du  corridor! 
La  rausiquc  continue  a  I'orchestre.  —  La  Grandc-Duchesso  cntro  par  lo 
fond  et,  voyant  le  prince  Paul,  Boum  et  Puck,  reste  i  I'dcart  ot  ocouto. 


ACTE    DEUXIEME.  263 

SCENE  X 
Les   Memes,   la  GRANDE-DUCHESSE,  au  fond. 

LE    PRINCE    PAUL. 

C'est  entendu...  alors,  nous  conspirons? 

BOUM    et    PUCK. 

Nous  conspirons! 

LE    PRINCE    PAUL. 

Dans  une  heure,  chcz  moi...  ga  vous  va-t-il?...  nous 
posei'ons  les  bases. 

PUCK. 

II  y  aura  des  rafraichissements? 

LE    PRINCE    PAUL. 

II  y  en  aura. 

U  O  U  M  . 

Pas  de  femmes? 

LE    PRINCE    PAUL,   sc  rccriant. 

Oh!  Bourn!...  une  conspiration!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  descendant  entre   le   prince 
Paul  ct  Bourn. 

Si  fait,  general,  il  y  aura  une  femme! 

T(JUS    LES    TROIS,   inquiets. 

Son  Altesse!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Oui,  moi!... 

PUCK. 

Nous  sommesperdus! 

LE    PRINCE    PAUL, 

Sauve  qui  pent!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Ne  craignez  rien...  vous  etes  en  train  de  conspirer 
contrc  le  general  Fritz...  eh  bien,  je  suis  des  vOtres! 


2Ci    LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 
BOUM. 

Ah  bah ! 

PUCK,   a  part. 

C'est  comme  ga? 

LE   PRINCE  PAUL,  a  part. 

J'aime  mieux  qh. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Savez-vous  ce  qiril  vient  de  faire,  le  general  Fritz?.., 
Ilvient  de  m'envoyerdemander  la  permission  d'epouser 
Wanda!...  Cette  permission,  je  Fai  accordee...  Mainte- 
nant;  le  general  est  a  la  chapelle...  et  de  la,  il  ira... 

LE    PRINCE    PAUL.    BUUM    et   PUCK. 

II  ira?... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

La  oil  vous  serez  pour  I'attendrel...  dans  le  pavilion 
de  I'aile  droite! 

LE    PRINCE    PAUL,    BOUM  et  PUCK,  avec  joie. 

Dans  le  pavilion  de  I'aile  droite  I 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
REPRISE    DU    DERNIER    .MOTIF    DU    TRIO. 

Logeons-le  done,  et  des  ce  soir, 
Dans  la  chambre  au  bout  du  couloir; 
Logeons-le  done,  ce  mirliflor, 
La-bas,  au  fond  du  corridor! 

ENSEMBLE,  en  dansant  follement. 
Logeons-le  done,  et  des  ce  soir,  etc.,  etc. 

Le  rideau  tombe. 


ACTE    TROISIEME 


La  chambre  rouge,  vieille  salle  gothiquc.  —  Porte  a  droite,  au  pre- 
mier plan;  autre  portc  au  dcuxifemo  plan,  a  gauche;  du  meme  cote,  au 
troisifeme  plan,  une  porta  secrete  dissimulee  par  un  tableau  representant 
la  grandc-duchcsse  Victorino  en  pied.  —  Au  fond,  a  gauche,  uno 
fenotre :  au  fond,  k.  droite,  un  lit  cache  par  des  rideaux.  —  Entre  la 
fenetre  et  le  lit.  une  console.  —  Sieges.  —  Des  draperies  recouvrent  les 
portes  du  premier  plan. 


SCENE   PREMIERE 

LA  GRANDE-DUCHESSE,  puis  BOUM. 

Au  lever  du  rideau,  la  scene  est  vide  ct  sombre.  —  Entre,  par  la 
droite,  la  Grande-Duchesse  pr6ccdee  d'un  page  qui  porte  un  cande- 
labre.  —  La  chambre  s'eclaire.  —  Le  page  se  retire  apres  avoir  pose 
le  candelabre  sur  la  console.  —  Alors  la  Grande-Duchesse,  se  voyant 
seule,  pousse  un  petit  cri.  —  .-Vussitot  un  cri  bizarre  repond  de  la 
coulisse  et  le  gdn^ral  Boum  entre  par  la  premiere  porte  de  gauche. 
—  Pendant  cette  scene  muette,  on  entend  la  musique  de  la  fete,  qui 
continue  au  loin. 

BOUM,   saluunt. 

Altesse!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Eh  bien,  general,  que  fait-il? 

I5  0UM. 

II  danse.  Quand  j'ai  quitte  le  bal,  il  etait  en  train 
d'ex^cuter  un  cavalier  seul... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

II  danse!...  Et  tout  a  I'heure,  cet  homme,  qui  main- 
tenant  se  tremousse...  Mais  aurez-vous  le  temps  de  tout 
preparer  pour  la...  catastrophe?...  S'il  allait  venir?... 


260    LA   GRANDE-DUGHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

I50UM. 

Pas  de  danger  !...jeluiai  fait  savoir  que  Voire  Altesse 
lui  defendait  de  quitter  le  bal  avant  la  fin  du  cotillon. 

LA    GRANDE-nUCHESSE. 

Comment  a-t-il  veQU  cet  ordre? 

BOUM. 

Avec  une  mauvaise  humeur  evidente...  «  Comme 
c'est  amusant,  a-t-il  dit,  un  jour  de  noces!...  » 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

II  a  dit  cela? 

BOUM. 

Ill'adit. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Ah!  il  I'aime  bien,  cette  petite!...  mais  patience!., 
patience!... 

EUo  rcstc  immobile,  regardant  lo  plaucher. 
BOUM. 

Que  regardez-vous,  Altesse? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

La,  sur  ce  parquet,  il  y  a  une  grande  tache  rouge... 
Ouand  les  etrangers  visitentce  palais,  on  leur  montre 
cette  tache,  en  leur  disant :  «  C'est  la  que  le  comte  .Max 
est  tombe!...  »  Est-ce  vraiment  la?  je  n'en  sais  rien... 
En  tout  cas,  les  concierges  du  palais  racontent  cette 
hisloire  et  s'en  font  un  bon  petit  revenu. 

COUPLETS. 

I 

LA    GRANDE-DUCHESSE,   gravement. 
0  grandes  lemons  du  passe! 

BOUM,  lie  meme. 
Grave  enseignemenl  de  I'hisloire! 


ACTE    TROISIEME.  267 

LA    GRANDE-UUCHESSE. 
Ici  le  drame  s'est  glisse! 

li  ()  u M . 
Eclair  sombre  dans  la  niiit  noire! 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  tres  gaiement. 
Tout  QSL  pour  que.  cent  ans  apres, 
Racontant  la  scene  emouvante, 
Le  concierge  de  ce  palais 
S'en  fasse  une  petite  rente!... 

ENSEMBLE. 
Le  concierge  de  ce  palais 
S'en  fasse  une  petite  rente!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

II 

Ce  qu'on  a  fait,  on  le  refail... 

BOUM. 

L'hisloire  est  comme  un  cerclc  immense! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

L'aieule  a  commis  son  forfait... 

B  0  u  M . 
L'enfant  vient  et  le  recommence  ! 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Tout  Qa  pour  que,  dans  deux  cents  ans, 
Exploilant  cos  scenes  navranles, 
Du  porlier  les  pelils-enfants 
Aienl  aussi  leurs  petilcs  rentes!... 

ENSEMBLE. 

Du  portier  les  pelits-enfanls 
Aient  aussi  leurs  pelites  rentes!... 

B  (J  U  M . 

A  partir  de  demain,  alors,  il  y  aura  deux  histoires  h 
raconler,  deux  laches  a  montrer...  et  deux  boas  petits 
revenus  pour  messieurs  les  concierges!... 


2C8     LA    GRANDE-DL'CIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 
LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Probablemeiit...  Mais  vos  complices?... 

B  U  U  M . 

lis  m'attendent  dans  ce  corridor  myst^rieux... 

II  montre  la  portc  secrete. 
LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Ouvrez-leur  la  porte;  je  vais,  moi,  me  cacher  der- 
riere  cette  draperie... 

EUo  ddsigae  la  porte  par  laquelle  elle  est  entree. 
BOU.M. 

Jen  suis  bien  aise. 

LA  GRA.NDE-DUCHESSE. 

Pourquoi  ^a? 

B  (J  r  M . 
Si  vous  n'aviez  pas  ete  la,  derriere  cette  draperie, 
noire  conspiration...  Qa  aurait  manque  de  femmes!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Gardez-vous  cepcndant  de  reveler  ma  presence...  au 
dernier  moment,  si  je  le  juge  convenable.  je  me  mon- 
tre rai... 

BOU.M,  saluant, 

Allesse!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Maintenant,  faites  entrer  vos  amis...  et  tachcz  de  me 
mener  ga  rondement !... 

Ellc  disparait  par  la  droite. 


SCENE  II 

BOUM,  puis  PUCK,  LE  PRINCE  PAUL, 

GROG,    NEPOMUC,    tons    armes    de    poignards. 
BOU.M,  seal,  allant  au  portrait. 

Le  portrait,  le  voila...  c'est  le  genou  qu'il  faut  tou- 
cher.   ^11   louche    le  genou,  la  porte    secrete    s'ouvre.  —  Entreat 


ACTE   TROISIEME.  269 

Puck,   le    prince    Paul.    Neporauc  et  le   baron    Grog.)   Un,    deUX, 

trois,  quatre...  oii  sont  les  autres? 

La  porto  secrete  se  referme. 
PUCK. 

lis  viendront  quand  il  en  sera  temps...  Si  nous  etions 
venus  tons  ensemble,  cette  fugue  generale  cut  inspire 
des  soupQons... 

B  u  u  .M . 
Vous  avez  raison. 

LE    PRINCE     PAUL. 

D"abord,  il  faut  prendre  nos  mesures... 

BOUM,  ;i  Xepomuc. 

Vous  etes  des  notres,  monsieur? 

N  E  P  0  M  U  C . 

Des  que  j'ai  su  que  cela  etait  agreable  a  la  Grande- 
Duchesse... 

LE  PRINCE  PAUL. 

Vous  etes  un  malin. 

NEPOMUC. 

Je  suis  pauvre,  monsieur,  mais  je  suis  ambitieux. 

BUUM,  lui  tendant  la  main. 

Donnez-moi  votre  main,  monsieur. 


NEPOMUC. 

La  Yoici,  general. 


lis  so  scrrent  la  main. 


BOUM. 
J"aime  les  gens  de  COeur!...  (.A.u  prince   Paul,   en   montrant 

le  baron  Grog.)  Monsieur  aussiest  avee  nous,  prince? 

LE    PRINCE    PAUL. 

Oui,  general. 

TOUT    LE    MONDE,  saluant. 

Baron!... 


270    LA    GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

GROG,  de  meme. 

Messieurs !... 

PUCK,    passant  pies   do   Bourn. 

3Ionsieur  le  baron  salt  de  quoi  il  s'agit? 

GROG,  d'un  ton  degage. 

Parfaitement!...  il  nc  s'agit  que  de  tuer  un  homme... 

LE   PRINCE  PAUL. 

C'est  ici  la  chambre?... 

PUCK. 

Oui ;  c'est  ici  que  nous  le  frapperons... 

BOUM. 

Et  maintenant,  ecoutez-moi  tous... 

II  tire  son  sabre. 
PUCK. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ga  encore? 

LE  PRINCE    PAUL,   etfraye. 

Rengainez  ca ! 

TOUS. 

Oui,  oui,  rengainez!... 

BOUM,   avec  energie. 

Ouand  on  se  fourre  dans  ces  choses-la,  il  faut  y 
rester  jusqu'au  bout!...  Je  coupe  en  quatre  celui  qui 
aurait  envie  de  renacler. 

PUCK. 

Mais  personne  n'a  cnvic... 

BOUM,  mena^ant  le  prince  Paul. 

Si  vous  avez  envie  de  renacler,  dites-le,  je  vous 
coupe  en  quatre ! 

LE    PRINCE    PAUL. 

Rengainez  done ! 


AGTE   TROISIEME.  271 

PUCK. 
Mais,  encore  une  fois,  personne  n'a  envie...  II  n'y  a 
pas    moyen    de    discuter    raisonnablement   avec    un 
homme  comme  vous. 

I5  0UM,  lemettant  son  sabre  au  fuurreau. 

J'ai  dit  CO  que  j'ai  ditl... 

LE    PRINCE    PAUL. 

En  voila  assez!... 

La  Grande-Duchesse  rcntrc  jiar  la  droito  et  vient  se  placer 
entrc  Bourn  ct  Puck. 


SCENE  III 

Les   Memes,  la  GRANDE-DUCIIESSE. 

la  grande-duchesse. 
Sont-elles  bonnes,  au  moins,  les  lames  de  vos  poi- 
gnai'ds,  messieurs? 

LES    CONJURES,    saluant. 

Son  Altesse!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Oui,  messieurs...  j'etais  la...  decidee  a  paraitre  au 
dernier  moment,  pour  exxiter  votre  courage,  s'il  en 
etaitbesoin;  mais  je  vols  que  cela  n"etait  pas  neces- 
saire... 

NEPOMUC. 

Non,  certes... 

PUCK. 

Qu'il  vienne,  et  vous  verrez!... 

B  U  U  M . 

Je  le  couperai  en  quatre! 


272    LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTELN. 
LA   GRANDE-UUGHESSE. 

Ah!...  une  priere,  messieurs... 

PUCK, 

Dites  :  un  ordre! 

LA    GRAXDE-UUCIIESSE. 

Ce  que  je  vous  recommande,  avant  tout,  c"est,  en  le 
Irappant,  de  ne  pas  le  frapper  au  visage... 

GROG,    dans    le    coin    ;i  gauche   et    masque    par 
lo  prince  Paul  ironiquement. 

Ah!  ce  serait  dommage!... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Qui  a  dit  cela? 

GROG,  so  montrant. 

Moi. 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Qui  Qa,  vous?...  je  connais  tous  les  conjures  qui  sont 
ici;  mais  vous,  je  ue  vous  connais  pas. 

LE   PRINCE  PAUL. 

C'est  mon  Grog. 

LA   GRANUE-DUCHESSE. 

^'otre  Grog?... 

LE  PRINCE   PAUL. 

Eh!...  le  baron  Grog...  I'envoye  de  papa...  celui  que 
vous  n'avez  pas  voulu  recevoir... 

LA  GRANDE-DUCHESSE,  regardant  Grog  avec  interet, 
cl  passant  pros  du  prince  Paul. 

Ah!  j'ai  eu  tort... 

B  0  V  M . 
Vous  dites?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  au  prince  Paul,  a   Bouiu  eta  Puck. 

Rien...  rien...  Allez  placer  vos  hommes,  messieurs, 


ACTE   TROISIEME  273 

et,  quand  vous  les  aurez  places,  revenez  tons  les  trois... 
vous,  baron  Grog,  restez. 

GROG,  etonne. 

Altesse!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Eh  bien,  quoi?...  ne  m'aviez-vous  pas  demande  une 
audience?...  cette  audience,  je  vous  la  donne  mainte- 
nant...  (aux  conjures.)  Allez,  messieurs,  allez. 

LE   PRINCE  PAUL,  bas,  :l  Grog. 

Grog,  soyez  brulant! 

Roum ,  Puck  et  lo  prince  Paul  sortont  par  la  premiere  porte  a 
gauche ;  la  Grande-Duchesse  les  accompagne  un  peu.  —  Grog  passe  a 
droite.  —  Pendant  cc  mouvement,  melodramc  a  rorchestrc. 


SCENE  IV 
LA  GRANDE-DUCHESSE,  GROG. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  revenant  :i  Grog. 

Ce  qui  m'a  tout  de  suite  frappee,  en  vous,  c'est  que 
vous  avez  I'air  bon. 

GROG. 

Altesse  I... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Tout  a  fait  l)on. 

GROG. 

11  vous  plait,  alors,  que  nous  parlions  de  mon  prince? 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Tout  a  riieure...  Laissez-moi,  d'abord,  me  feliciter 
d'avoir  pour  ami  un  homme  tel  que  vous. 

GROG. 

Comment? 


27i     LA    GRANDE-DUGHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Sans  doute!...  Puisque  je  vons  trouve  au  nombre  de 
ccux  qui  doivent  me  venger! 

GROG. 

Oh !  quant  a  cela,  j'avoue  que  ce  n'est  pas  precise- 
ment  par  amitie...  Votre  Altesse  s'obstinait  a  ne  pas 
me  recevoir  :  Qa  m'ennuyait  de  ne  rien  faire;  j'ai  cons- 
pire un  brin  pour  me  distrairc. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Pour  vous  distraire? 

G  R  ( t  G . 

Pas  pour  autre  chose. 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Comme  j'aime  votre  genre  de  conversation!...  Vous 
dites  des  choses  a  faire  sauter!...  et  votre  figure  ne 
bronche  pas. 

GROG. 

C'est  le  resultat  de  I'education. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 
Ah!... 

GROG. 

Des  mes  plus  jeunes  annees,  ma  famille  m'a  destine 
a  la  diplomatic...  Alors,  on  m'a  appris  a  avoir  Fair 
froid...  Quand  j'etais  tout  petit... 

LA  GRANDE-DUCHESSE,  souriant. 

II  y  a  longtenqis... 

GROG. 

Oui,  il  y  a  longtemps...  Quand  j'etais  tout  petit, 
toutes  les  fois  que  Ton  m'attrapait  a  ne  pas  avoir 
I'air  IVoid,  on  me  flanquait  des  coups. 


ACTE    TROISIEME.  275 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Pauvre  enfant!...  Voulez-vous  me  permettre  de  vous 
donnei"  un  conseil? 

GROG. 

Avec  plaisir. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Tout  a  riieure,  quand  le  moment  sera  venu,  quand 
il  faudra  taper  sur  le  general  Fritz,  ne  vous  mettez  pas 
en  avant...  vous  seriez  capable  d'attraper  une  balal're 
qui  vous  defigurerait. 

GROG. 

Ah!...  bien! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Tenez-vous  derriere  les  autres...  Ouand  le  coup  sera 
fait  et  qu"il  n"y  aura  plus  qu'a  recevoir  les  recom 
penses,  je  ferai  passer  les  autres  derriere  vous...  (Grog 

fait  un  petit  mouvement  des  levres.)  Qu'est-Ce  que  VOUS  avez?... 

Vos  levres  viennent  de  faire  un  petit  mouvement... 
comme  ca.  (Eiie limite.)  Chez  un  autre,  Qa  ne  serait  rien... 
mais  chez  vous,  ca  doit  etre  un  eclat  de  rire. 

GROG. 

Juste! 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Comme  je  vous  connais  deja!...  Qu'est-ce  qui  vous 
fait  rire  autant  que  ca,  dites-moi"? 

GROG. 

Je  ne  peux  pas. 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Pas  mon  ami,  alors? 

GROG. 

Si  fait. 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Eh  bien? 


276     LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 
GROG. 

II  y  a  line  heure,  vous  Irembliez  pour  la  figure  du 
general  Fritz...  maintenant,  vous  tremblez  pour  ma 
figure,  a  moi... 

LA  GRANDE-DUCHESSE,  sonriant,  a  part. 

C'est  vrai,  pourtant!... 

GROG. 

Si  Ton  otait  avantageux,  si  Ton  voulait  tirer  des 
consequences... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Chut!...  faut  pas!... 

GROG. 

Non. 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Ne  parlons  pas  de  ca! 

GROG. 

Si  nous  parlions  de  mon  prince?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Tout  a  I'heure...  Qu'est-ce  que  vous  etes  Ik-bas... 
la-bas,  a  la  cour  de  votre  niaitre?...  Chambellan? 

GROG. 

J'ai  aussi  le  grade  de  colonel,  au  palais  seulement. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Vous  aurlez  mieux  que  cela  a  ma  cour,  si  vous  vou- 
liez  quitter  le  service  de  I'filecteur... 

GROG. 

Malheurcusement  pour  moi,  c'est  impossible. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Impossible?... 

GROG. 

Sans  doutel...  a  moinsque  Votre  Altcsse  neconsente 
a  cpouser  mon  prince... 


ACTE   TROISIEME.  277 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  a  part. 

Are !  ai'e  !  ai'e  I 

c;  R  0  G . 
II  serait  tout  simple,  alors... 

LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Epoiiser  votre  prince...  nous  y  voila  revenus!... 

GROG. 

Je  pensais  que  nous  n'avions  pas  parle  d'autre  chose. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Mes  compliments,  baron...  vous  etes  un  fameux 
diplomate! 

GROG. 

Je  vous  en  supplie,  Altesse,  prenez  mon  prince...  je 
vous  assure  que  c'est  un  bon  petit  jeune  liomme... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Un  fameux  diplomate...  il  n'y  pas  a  dire!... 

GRUG. 

Eh  bien,  que  decidez-vous? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Voulez-vous  que  je  vous  dise?...  je  n'en  sais  rien. 

GROG. 

Ah! 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Tout  Qa,  voyez-vous,  tout  ga  danse  dans  ma  tete... 
Qa  tourne!  tja  tourne!...  Fritz,  vous,  le  prince...  et 
Puck  et  Boum  dans  le  fond...  Ferai-je  tuer,  ne  ferai-je 
pas  tuer?  Et  si  je  fais  tuer  quelqu"un,  qui  ce  sera-t-il?... 
Ce  sera-t-il  Fritz?...  ce  sera-t-il  vous? 

GROG. 

Moi? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Je  n'en  sais  rien...  voila  ou  j'en  suis...  je  n'en  sais 
rien...  absolument  rien... 

Le  prince  Paul,  Boum  et  Puck  rentrent  par  la  premiere  porte  a  gauche^ 
II.  16 


278    LA   GHANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIX. 

SCENE    V 

Le?  Memes,  LE  prince  PAUL,  BOUM,  PUCK. 

LE    PRINCE  PAUL,   BOUM  et  PUCK,  saluant. 

Altesse!... 

Le  prince  Paul  va  a  Grog,  avec  cniprcsscment. 
LA  GRANDE-DUCHESSE. 

Qu'y  a-t-il"?...  Ah!  c'est  vous,  messieurs... 

LE  PRINCE  PAUL,  bas,  a  Grog. 

Eh  bien?... 

GROG,  bas. 

Ca  marche. 

LE   PRINCE   PAUL,  bas,  avec  elTusion. 

Ah  I  mon  ami  I... 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  a  Boum. 

Vous  avez  place  vos  hommes? 

B  0  U  M . 

Oui,  Altesse. 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Eh   bien.   allez   les   trouver   derechcf  ct   dites-leur 
qu"ils  peuvent  rentrcr  chez  eux. 

PUCK,  etonne. 

Comment?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  regardant  Grog,  avec  intention. 

On  ne  frappera  pas. 

BOUM,  stupefait,  avec  eclat. 

Ah  bien,  par  excmple!... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  avec  severite. 

Vous  dites?... 


ACTE  TUOISIEME.  279 

1?  0  U  M . 

Je  ne  dis  rien...  parcc  que  Voire  Altesse  est  la... 
mais,  si  Voire  Altesse  n'etait  pas  la...  je  dirais  que  c"est 
insupportable,  a  la  fin!... 

LA   GRANnK-nrCIIESSE. 

Vous  vous  oubliez,  ce  me  seiublc!... 
15  o  r  M . 

Non,  mais...  enfin...  tout  ctait  bicn  conveau,  bien 
arrange...  el  puis,  au  dernier  moment,  vous  venez 
nous  dire... 

LE   PRINCE    PAUL. 

C'est  tres  desagreable...  on  se  donne  du  mal  pour 
monler  une  petite  partie... 

PUCK. 

Toute  la  peine  etait  prise...  il  ne  restait  plus  que  le 
plaisir... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

.J'ai  dil  que  Ton  ne  frapperait  pas... 

liUUM. 

Mais  pourquoi? 

LA  GRANDE-nUCHESSE. 

Frapper  un  homme  le  jour  oil  je  me  marie,  cela  ne 
serait  pas  convenal:)le. 

Etouncment  g6n6ra.l. 
PUCK. 

Le  jour  oii  vous  vous  mariez!... 

LE  PRINCE   PAUL,  avec  joio. 

Vous  Tavez  dil,  ma  cherc,  vous  I'avez  dit! 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Oui,  je  Tai  dil. 

LE   PRINCE   PAUL. 

Vraiment,  vous  consenlcz  enfin?... 


280     LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

LA    GRANDE-DUCllESSE. 

Eh  Ijien,  oui,  je  consens.  Remerciez  le  baron,  vous 
lui  devez  beaucoup  :  je  n'ai  pu  resister  a  son  elo- 
quence. 

LE    PRINCE   PAUL,  transporte,  au  baron  Grog. 

Ah!  baron!...  Tous  les  ans,  au  jour  de  I'an,  papa  me 
donne  le  droit  de  faire  un  margrave.  II  aime  mieux  qa 
que  de  me  donner  de  Fargent...  Eh  bien,  je  ne  vous 
dis  que  qa... 

LA    GRAN  1)E-DUC  HESSE,   a   Roum   ct  a   Puck  qui  causent 
avec  animation. 

Eh  bien,  general  Boum?...  Eh  bien,  baron  Puck"? 

p  r  c  K . 
Eh  bien,  mais,  Altesse,  il  est  bien  evident  que  le  jour 
ou   Votre  Altesse  consent  a  couronner  les  feux  dont 
Son  Altesse  briUait   pour   Votre   Altesse...   il    serait 
malseant  de... 

15  0  r  M . 
Je  ne  dis  pas  le  contraire,  mais  c'est  bien  desa- 
greable!...  II  m'en  a  fait  de  toutes  les  couleurs,  ce 
Fritz!...  il  m"a  enleve  ce  panache  qui  faisait  mon 
orgueill...  il  m'a  enleve  une  femme  qui  eut  fait  mon 
bonheur!...  et  je  ne  me  vcngerais  pas!...  (.\vec  force.) 
L'ennemi!...  oil  est?... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE.    rinterrompant. 

N'est-ce  que  cela?  Vengez-vous  tout  a  votre  aise... 
pourvu,  bien  entendu,  que  vous  n'alliez  pas  jusqu"a... 

ROUM. 

Pourvu  que  nous  ne  sortions  pas  des  limites  de  la 
fantaisie... 

LA    GRAN  DE-UUC  II  ESSE. 

Justement! 


ACTE    TROISIEME.  281 

PUCK. 
Alors,  si  nous  trouvons  quelque  bon  tour  a  lui  jouer, 
vous  nous  permettez... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Non  seulementje  vous  le  permets...  mais,  voulez-vous 
que  je  vous  disc?...  cela  me  fera  plaisir... 

BOUM. 

Oh!  alors... 

Musiquo  a  rorcliestrc. 
LA  GRANDE-nUCHESSE. 

On  vous  Taniene...  Trouvez  quelque  chose,  cela  vous 
regarde...  Prince  Paul?... 

LE   PRINCE   PAUL,  avec  empressement. 

Ma  cherie?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 

Dans  deux  heures.  a  la  chapelle...  soyez  exact...  Je 
vais,  moi,  faire  un  choix  parmi  les  quarante  toilettes 
de  mariage  que  j'ai  etc  sur  le  point  de  mettre  pour  vous 

epOUSer...  (EIIc  se  dlrlge  vers  la  droite,  le  prince  Paul  va  pour 
lui  baiser  la  main,  elle  la  retire  en  disant  :  )  Oh!  paS  enCOrc!... 
(Puis,   arrivee  pres  de  la  purte  elle  se  rctourne  et  dit  :)  DieU  VOUS 

garde,  messieurs! 

Elle  sort. 
PUCK,  tendant  rurcillo  vers  la  gauche.  ;l  Bourn. 

Le  voici...  qu"est-ce  que  nous  allons  lui  faire? 

BOUM. 

Je  tiens  ma  fantaisiel...  Nous  allons  lui  arranger 
une  petite  nuit  de  noces... 

Bourn  et  le  prince  Paul  se  rangent  pres  de  Grog.  —  Entrent,  par  la 
premiere  porte  a  gauche,  Fritz  et  AVanda  en  mariee ;  ils  sent  accom- 
pagnes  de  tous  les  seigneurs  ct  dames  de  la  cour.  —  Tous,  hommes 
ct  femmes,  portent  des  lantcrncs  dordcs 


16. 


282    LA   GRANDE-DUCHESSE    DE    GEROLSTEIN. 

SCENE  VI 

Les  Memes,  ^YANDA,  fritz,  La  cour. 


Nous  amenons  la  jeune  femme 
Dans  la  chambrc  de  son  mari; 
Maintenanl  nous  allons,  madame, 
Yous  laisser  seule  avecque  lui... 
Nous  amenons  la  jeune  femme, 
Dans  la  chambre  de  son  mari  I 

Musique  k  Torchestre. 

FRITZ. 

Bien  oblige,  messieurs,  mesdames...  bien  oblig6  de 

VOtre  bonne  COnduite!...  (Au  prince  Paul,  a  Grog,  ix.  Bourn  et  k 

Puck.)  Vous  etiez  ici,  messieurs?... 

PUCK. 

Oui,  pour  vous  faire  honneur. 

FRITZ. 

Bien  oblige  aussi!...  mais  si,  apres  m'avoirfait  beau- 
coup  d'honneur,  vous  vouliez  me  faire  beaucoup  de 
plaisir... 

PUCK. 

Nous  nous  en  irions? 

FRITZ. 

Eh!  bedame!...  Allons,  messieurs,  bonsoir,  bonsoir! 

PUCK,  a,  Fritz. 
Bonne  null,  monsieur,  bonne  nuit! 

LES   AUTRES. 
Bonne  nuil! 

PUCK. 
Ce  simple  mot  doit  vous  suffire  ; 
Vous  coniprenez  ce  qu'on  veut  dire, 
Heureux  coquin,  lors(iu'on  vous  dil  : 
Bonne  nuit! 


ACTE    TUOISIEME.  283 

T  C)  U  S . 
Bonne  nuil! 

liOUM,  :i  Wanda. 

Bonsoir,  madame,  bonne  nuit! 

Tors. 
Bonne  nuit! 

ROUM. 
Ce  compliment  vous  fait  sourire, 
Bien  qu'ignorant  ce  qu'on  vent  dire, 
Jeune  epouse.  quand  on  vous  dit  : 
Bonne  nuit ! 

T  0  U  S . 
Quand  on  vous  dit  :  bonne  nuit! 
Bonne  nuit! 
Tous,  exccpte  Fritz  ct  AVanda,  sortcnt  a  gauche.  —  Grog,  Bourn,  Puck 
ct  lo  prince  Paul  sortent  Ics  derniers,  aprcs  avoir  saluo  trcs  profon- 
demcnt  les  nouveaux  epoux. 


SCENE  VII 
FRITZ,    \YANDA. 

FRITZ,   sautant  do  joie. 

Enfin,  nous  voiKi  seals  ! 

W.VND.V. 

Oui...  et  je  n'en  suis  pas  fachee. 

FRITZ. 

Moi  non  plus,  par  exemple,  moi  non  plus  ! 

w  .\  X  I)  .V . 

Maisce  n'est  pas  cela...  je  vcux  dire  que,  maintenant 
que  tout  le  monde  vous  a  lelicite,  je  puis  enfin,  moi 
aussi,  vous  dire  mon  compliment... 


284    LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEl.N 

FRITZ. 

Naive  enfant! 

WANDA,  faisant  une   reverence. 

Monsieur  le  general!... 

FRITZ. 

^a  fait  une  difference,  n'est-ce  pas,  quand  on  s'atten- 
dait  a  epouser  un  pauvre  jeune  soldat,  et  quon  se 
trouve,  par  le  fait,  epouser  un  general  en  chef  cou- 
ronne  par  la  victoire  ? 

^^"  A  N  D  A . 
II  est  clair  que  dans  le  premier  moment... 

FRITZ. 

Tu  es  eblouie...  avoue-le,  naive  enfant. 

WAX  DA. 

Non...  mais... 

FRITZ. 

Mais...  tu  es  eblouie...  et  pourquoi  ca?...  C'est  parce 
que  tu  vols  mon  panache,  et  mes  insignes,  et  toute  ma 
passementerie...  mais  je  ne  me  serai  pas  plus  t6t 
debarrasse... 

II  6te  son  chapeau,  sa  pelisse  et  sa  sabretache  qu'il  pose  sur  la 
console  du  fond. 

WANDA. 

Eh  bien,  mais...  qu'est-ce  que  tu  fais? 

FRITZ. 

Je  te  rassure,  naive  enfant,  je  te  rassure. 

WANDA. 

Oh!  mais...  tu  as  une  faQon  de  rassurer  les  gens, 
toi... 

FRITZ. 

Eh  bien...  n'est-ce  pas?  quand  on  est  mari  et  femme... 
car  nous  sommes  mari  et  femme,  n'est-il  pas  vrai? 


AGTE    TROISIEME.  l>8o 

WAX  DA. 

Sans  doute...  sans  doute... 

FRITZ,  revenant  pres  d'elle. 

Eh  bien,  alors...  fais  conime  moi... 

WANDA. 

Tu  dis?... 

FTxITZ. 

J'ai  ote  mon  panache...  ote  ton  panache  aussi. 

WANDA. 

Tout  a  rheure... 

FRITZ. 

Pourquoi  tout  a  Theure?...  Toujours  cette  timidite!... 
A  cause  de  mon  grade...  n"est-ce  pas?...  Je  suis  bien 
sur  que  si,  au  lieu  d'etre  tous  les  deux...  ici...  dans  un 
appartement  richement  decore,  nous  etions  dans  ta 
simple  cabane,  tu  n"hesiterais  pas  tant...  Mais  voila!... 
c'est  une  chose  a  remarqucr  que,  plus  on  s"enfonce 
dans  les  classes  elevees,  plus  on  iait  des  manieres... 
Eh  bien,  il  ne  faut  pas...  il  n"y  a  pas  a  dire  :  «  ma 
belle  aniie...  »,  il  faut  te  rassurer,  a  la  fin...  0  ma 
Wanda!... 

11  la  prend  par  la  taille. 
WANDA,  so  degageant. 

C"est  pourtant  vrai  que  j'ai  un  pen  peur... 

COUPLETS. 
1 

Faul-il,  mon  Dieu.  queje  sois  bete! 
C'est  pourtant  vrai  qn'ii  m'interdit, 
Avec  cet  or  sur  son  habit 
Et  son  panache  sur  la  tele!... 
!Mon  Dieu,  faut-il  queje  sois  bete! 
Pourquoi,  diable,  avoir  pcur  de  lui?... 
C'est  mon  niari! 
(A  CO  moment,  on  entend  un  violent  roulcment  de  tambours.) 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ga"? 


286    LA   GRA.NDE-DUGIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 
FRITZ. 

Jc  ne  sais  pas,  moi. 

Nouveau  roulement  de  tambours. 
CRIS,  sous  la  fenetre. 

Vive  le  general  Fritz ! 

WANUA,  remontant  pres  do  la  fenutre. 

On  t'appelle... 

FRITZ. 

C'est  une  aubade...  II  n'y  a  pas  h  dire  :  «  mon  bel 
ami... »,  c'est  une  aubade...  Apres  ma  victoire,  c'est  bien 
nature!.. .  maisilsauraicnt  pu  choisirun  autre  moment. 

NOUVEAUX   CRIS. 

Vive  le  general ! 

WANDA. 

Mais  ils  ne  s'en  vont  pas!... 

FRITZ. 

Non...  ils  attendent  que  j'aille  leur  parler...  C'est  le 
seul  moyen  de  les  faire  partir... 

WANDA. 

Parle-leur  done...  Mais  tu  m'avoueras  que  c'est  bien 
desagreable... 

Fritz  va  k  la  fenotre  el  Touvre.  —  Nouvcau  roulement  do  tambours. 
NOUVEAUX   CRIS. 

Vive  le  general ! 

FRITZ,  a  la  fenetre. 

Messieurs  les  tambours...  je  n'ai  pas  besoin  de  vous 
declarer  que  jc  suis  sensible...  mais  je  vais  vous  dire... 
Vous  ne  savez  peut-etre  pas...  jc  me  suis  marie  aujour- 
dhui...  alors,  vous  devcz  comprendre...  Bonsoir,  mes- 
sieurs les  tambours...  allons,  bonsoir,  bonsoir!... 

II  leur  jette  do  I'argeut. 
NOUVEAUX   CRIS. 

Vive  le  general  Fritz  ! 

I.cs  tambours  s'61oi"nent. 


ACTE    TROISIEME.  287 

FRITZ,   revonant  u  Wanda,  apres  avoir  ferme  la  fenetre. 

Tu  vois,  c'cst  fini...  0  ma  Wanda!... 

II 

On  pent  etre  aimable  et  terrible! 
Je  siiis  un  grand  chef,  j'en  convien... 
]\Iais  sous  le  grand  chef,  vois-tu  liien, 
Tu  trouveras  Thomme  sensible, 
A  la  fois  aimable  el  terrible! 
Pourquoi,  diable,  avoir  peur  de  lui?... 

C'est  ton  marl! 
II  cmbrasse  Wanda.  —  Musiquo  militairc  sous  la  fenetre. 

^^'  A  X  D  A . 
Encore!... 

FRITZ,  passant  a  droite. 

Maintenant,  c'cst  la  musique.  Nous  aurions  du  nous 
y  attendre...  apr6s  les  tambours,  il  y  a  toujours  la 
musique. 

Suite  do  la  musique. 
CRIS,  sous  la  fenetre. 

Vive  le  general  Fritz! 

WAXDA. 

Ah!  tu  m'avoucras... 

FRITZ. 

Qu'est-ce    que    tu    veux?...    Je    vais    leur    parler... 

(ll  retourne  a  la  fenetre.)  McSsieurs  IcS  musiciens... 

La  musique  s'arrote. 
XOUVEAUX   CRIS. 

Vive  le  general ! 

On  bonibarde  Fritz  de  bouquets. 
FRITZ,   il  Wanda. 
Tu  vois!...  ils  SOnt  aimables!...  (Recevant   un   bouquet  on 
pleine  figure.)  trcs  aimablcs!...  (Wanda  ramasse  les  bouquets, 
los   met   sur   la  table.  —  Fritz    se   penche    a  la  fenetre  pour  parler 

aux  musiciens.)  McssicuFS  les  musicicns...  je  suis  fach6 
qu'en  venant  vous  n'ayez  pas  rencontre  messieurs  les 


288    LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

tambours...  lis  auraient  pu  voiis  dire  que  je  me  suis 
marie  aujourd'hui...  alors,  vous  devez  comprendre... 
Bonsoir.  messieurs  les  musiciens...  bonsoir,  bonsoir!... 

11  Icur  jettc  de  I'argent. 
NOUVE.vrX    CRIS. 

Vive  le  general  I 

FRITZ, 
lis  SOnt  partis,  je   t'assure...  (Formant  la  fenetro   et  reve- 

nant  a  Avanda.)  0  ma  Wanda!...  Ou  en  etais-je  reste?... 
(se  souvenant.)  Ah!  reprenons... 

II  va  pour  I'embrasser.  —  Au  meme  instant,  on  frappe  violemment 

a  toutes  les  portes,  excepte  a  la  porte  secrete. 

WANDA,  effrayee. 

Ou"est-ce  que  c'est  encore?... 


SCENE  YIII 

Les  Memes,  puis  BOUM,  PUCK,  LE  PRINCE 
PAUL,  GROG,  LES  Demoiselles  d'honneur, 
Seigneurs  et  Dames  de  la  Cour,  Pages,  puis 
NEPOMUC. 

CHCEUR,  au  dehors. 
Ouvrez,  ouvrez,  depechezvous, 
Ou  nous  irons  chercher  main-forte; 
Ouvrez,  ouvrez,  jeunes  epoux, 
Ou  biennous  enfongons  la  porte  I 

"WANDA. 

Mon  ami,  n'ouvre  pas  I 

FRITZ. 

As  pas  peur! 
WANDA. 
0  ciel!  la  porte  cede!  ah!  je  meurs  de  frayeur! 
Les  portes  s'ouvrent.  —  Entrent  par  cello  do  gauche  Ic    prince  Paul. 
Puck,  Grog  et  les  seigneurs  et  dames  do  la  cour;  par  celle  de  droite, 
les  demoiselles  d'honneur  et  les  pajos. 


ACTE    TROISIEME.  289 

LE  PRINCE    PAUL,    PUCK,  BUUM  et  GROG. 
Que  le  ciel  soil  beiii!...  nous  arrivons  a  temps! 

FRITZ    ct    WANDA,    ;i   part. 
Mais  que  nous  veulent  tous  cesgens! 

PUCK,  venant  se  placer  entre  Fritz  et  Wanda. 
A  cheval !  a  cheval ! 
Vile,  monsieur  le  general! 

(Wanda  revient  pres  de  Fritz.) 

CHtF.UR. 

A  cheval!  a  cheval! 
Vite,  monsieur  le  general! 

LE   PRINCE    PAUL,  venant  a  son  tour  entre  Fritz  el  Wanda. 
Au  combat  volez  tout  de  suite! 
II  s'agit  d'etre  expedilif !... 
L'ennemi,  qu'on  cr(Jyait  en  fuite, 
A  fait  un  retour  olTensif. 

(Wanda  rcpassc  pros  de  son  mari.) 

CHCEUR. 
Au  combat  volez  tout  de  suile!  etc.,  etc. 

BOU.M,   meme  jeu  quo  Puck  et  le  prince  Paul. 
Notre  maitresse  vous  invite 
A  ne  point  faire  le  poussif ; 
On  ne  vous  en  tiendra  pas  quitte, 
A  moins  d'un  succes  decisif. 

(Wanda  revient  encore  pres  de  Fritz.) 

cnffiUR. 
Noire  maitresse  vous  invite,  etc..  etc. 

(Pendant  ce  clioour,  Puck  remonte  vers  la  gauclie.) 

FRITZ,  allant  a  Bourn, 
Mes  bons  amis,  vous  oubliez 
Que  depuis  un  instant  nous  sommes  maries. 

p.  0 1:  M . 
Que  nous  importo!...  il  faut  parlir! 
11  faut  aller  vaincre  ou  mourir! 

FRITZ. 

Alors,  je  vous  laisse  ma  femme. 

;II  I'ait  passer  Wanda  pres  de  Boum.) 

II.  17 


2'JO     LA    (iRAM)K-DUCHESSE    DE    (lEROLSTEIN. 

liOL'XI,  prenant  la  main  de  M'anila. 
C'est  tres  bien...  nous  ganlons  madame. 
II  la  fait  passer  pres  du  prince  Paul,  (lui  chorche  a  la  calmer.) 
Mais  depechez 
Et  voLis  halez. 

FRITZ,  pcrdant  la   tetc, 
Qn"ai-je  fail  tie  mon  ccinturon? 

C  IK  El"  IS. 
Qu"a-t-il  fait  de  son  ceinturon? 
(A  niosnre  que  Fritz  nommc  un  objet  d'cquipement,  un  seigneur  le  pass- 
a.  Puck,  qui  le  donnc  a  Fritz  ct  I'aide  a  le  mettro.  —  Ccs  mouvemeut 
doivcnt  ("'trc  tres  rapides,  sans  confusion.) 
FRITZ. 
Puis(iu'il  faut  que  je  me  harnache. 
J'ai  besoin  de  mon  ceinturon. 

CHOvUR,  pendant  que  Puck  le  lui   donne. 
Le  Yoici,  votre  ceinturon. 

FRITZ. 
Mais  je  n"ai  pas  la  sabretache... 

CIKEUR. 
La  sal)retaclie ! 

fPuck  la  lui  doiinc.) 

FRITZ. 
Et  mon  panaclie?... 
Mon  panache  !... 
Apportez-le-moi,  s'il  vous  plait! 

(Puck  lui  met  son  cliapcau  sur  la  ti^te.) 
La!...  je  suis  complet! 

c  H  (*:  i:  u . 
II  a  son  pliuupt I 
NEri>MUtJ,  entrant  par  la  droite  et  apportant  Ic  salue.  — .\  Fritz 
Arretez,  monsieur,  arretezi 
J'apporte  ce  ipie  voussavez! 

FRITZ. 

(Pari6. 1  Encore  le  salire!... 

(Le  prcnant  ct  avec  rago.) 
Si  III  savais,  sabr'  de  son  pere. 
Comine  ton  aspect  m'exaspere ! 


AGTE   TROISIEME.  291 

CHCFA'R. 
II  faiit  parlirl 
II  faul  aller  vaincre  ou  mourirl 

A  cheval!  a  cheval! 
Vite,  monsieur  le  general ! 
All  combat  volez  tout  do  suite! 

A  cheval !  a  cheval  I 
Prenez  le  sabre  et  partez  vite! 
A  cheval !  a  cheval ! 

(Pendant  ce  choeur,  Puck  cherclic  a  entraincr  Fritz  vers  la  porte  de 
gauche;  Bourn  retient  Wanda,  qui  parvient  a  s'eeliapper  et  va  se  jeter 
dans  les  bras  do  Fritz;  Boum  Ics  separe  do  nouveau,  ct,  lorsquc  Fritz 
va  sortir,  entraine  par  Puck,  le  rideau  tombc.) 


AGTE  QUATRIEME 


Au  camp.  —  Mcmc  decoration  qu'au  premier  actc.  —  Trois  tables  scr- 
vies  parmi  les  tentcs  :  unc  au  troisieme  plan,  face  au  public;  les  deux 
autres  a  droite  et  a  gauche,  un  pou  obliquemcnt. 


SCENE  PREMIERE 

NEPOMUC,  GROG,  LE  PRINCE  PAUL,  BOUM, 
PUCK,  Seigneurs,  Dames  de  la  Cour,  les  deux 

liUISSIERS,    SOLDATS,    PaYSANNES. 

La  fin  d'un  grand  dejeuner.  —  Nepomuc,  Bourn,  le  prince  Paul,  Puck  ct 
Grog  sent  assis  a  la  table  du  milieu.  —  Les  dames  do  la  cour  sont  au.K 
deux  tables  de  cote,  les  seigneurs  sont  debout  dcrri(>ro  clles.  —  Dos 
soldats  et  des  paysannes  garnissent  le  fond.  —  Les  huissicrs  vcrsent  a 
boire. 

CIIOELR. 
Au  rcpas  comme  a  la  bataillc, 
Tapons  ferme  el  grisons-nous  tons; 
Chantons,  buvons,  faisons  ripaille, 
En  riionneur  des  nouveaitx  epoux! 
(Apres  ce  clioeur,  le   prince  Paul,  Puck,  Bourn,  Grog  et   Ncpomuc   so 
Idvent  et  vienncnt  sur  le  dcvant  de  la  scene.  —  Les  dames  se  levent 
aussi,  mais  restent  dcrricre  leurs  tables.  —  Tous  ont  le  verrc  a  la  main.) 

BOUM,  au  prince   Paul. 

Notre  aimable  mailressc 

A  vos  desirs  se  rend  enfin!... 

Kl  nous  buvons,  AUesse, 

En  voire  honneur  le  vin 

Hu  llhinl 


ACTE   QUATRIHME.  293 

C  H  (T.  U  R . 
Oui,  nous  buvons,  Altesse, 
En  votre  honneur  le  vin 
Du  Rhin! 

LE    PRIXCE    PAUL. 
Cost  vraimenl  chose  singuliere, 
Ne  tronvez-Yous  pas,  mesaniis? 
Hier  soir  on  ne  m'aimait  giierc, 
Et  CO  matin  meme  je  suis 
Marie!... 

CIICEUR. 
Marie ! 

LE    PRIXCE    PAUL. 
De  eel  hymen  si  tot  bade 
Je  suis  encor  epouslourie! 

CIKF.UR. 
Epoustoufle! 

REPRLSE    DU    CHCEUR. 
Au  repas  comme  a  la  bataille, 
Tapons  ferme  et  grisons-nous  tons; 
Chantons,  buvons,  faisons  ripaille, 
En  I'honneur  dcs  nouveaux  epoux!... 
(La  Grandc-Duchcsse  entre  par  le  fond  a  droite ;  ello  dcsocnd  la  collino, 
suivic  do  SOS  domoisellos  d'lionncur  ct  do  scs  pages.) 


SCENE   II 

Les  Memes,  la  GRANDE-DUCHESSE, 

Demolselles  d'iionneur,  Pages. 

Los  dcmoiscllos  d'honnour  ct  les  pages  so  placont 
dcvaiit  la  tabic  du  milieu. 

LA    GRANnE-DUCIIESSE,  descendant  la  scone. 
Messieurs,  je  vous  salue. 

PUCK. 
Ah!  la  Grande-Duchesse! 


2'Ji     LA   GRANDE-DUCIIESSE    UE   GEROLSTEIN. 

I. E    PUl.NCE    PAUL,   donnant  un  vcrre  a  la  Grande-Duchesse. 
Yite,  un  vcrre  pour  Son  Altesse! 

B  U  U  M . 

Nous  buvonri  au  bonheur  des  augusles  epoux! 

LA    GRAN  I)  L"-I)UC  HESSE,   le  verre  a  la  main. 
Ell  bien.  nies  cliors  amis,  je  vais  boire  avec  vous! 

BALLADE    A    BiHRE, 
I 

II  elait  un  de  mes  aieux 
Lequel,  si  j'ai  bonne  niemoire, 
Se  vantait  d'etre  un  des  fameux 
Parmi  les  gens  qui  savaient  boire... 

CIltEUR. 
Sc  vantait  d'clre  un  des  fameux 
Parmi  les  gens  qui  savaient  boire! 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Le  verre  qu'il  avait  tenait 

Un  peu  i)lus  qu'une  tonne  entiere; 

Et  son  echanson  lui  versait, 

Nuit  et  jour,  du  vin  dans  ce  verre... 

CHfF.UR. 
Et  son  echanson  lui  versait, 
Nuit  et  jour,  du  vin  dans  ce  verre! 

LA    GRANDE-UUGHESSE. 
Ah!  mon  aieul,  comme  il  buvait!... 
Et  quel  grand  verre  il  vous  avail! 

ClIOEUR. 
Ah!  comme  autrefois  I'on  buvait! 
Et  quel  grand  verre  on  vous  avait! 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 
H 
Un  jour,  on  ne  sail  |ias  commenl, 
11  le  laissa  loniber  par  lerre  : 
«  Ah!  fit-il  douloureuscmenl, 
Voila  que  j'ai  casse  mon  verre!  • 


ACTE    QUATRIEiME.  295 

CHCEUR. 

•■  Ah!  fit-il  douloiireusemeiit, 
Voila  que  j'ai  casse  mon  verre!  » 

I. A    CUANDE-DUCHESSE. 
(^Uiand  on  Ic  voiihit  remplacer  : 
"•  Non,  dit-il.  ce  n'cst  plus  le  noire...  » 
El  mieux  il  ainia  trepasser 
Que  boire  jamais  dans  un  autre! 

ciii*:L'R. 
El  mieux  il  aima  Irepasser 
Que  boire  jamais  dans  un  autre! 

LA    GRANOK-DUCHESSE. 
All!  mon  a'leul,  comme  il  buvait!... 
Et  quel  grand  verre  il  vous  avail! 

C II  (f:uu. 
Ah!  comme  autrefois  Ton  buvait! 
Et  quel  grand  verre  on  vous  avail! 
(Le  priuce  Paul  reprond  a  la  Graade-Ducliesse  sou  verre  et  le  met  sur  la 
table  de  gauclie.  —  Tous  posent  Ics  verres  qu'ils  avaient  gardes  a  la 
main  pcnJaut  la  chanson.! 

l.E    PRINCE    PAUL. 

Ah!  ma  chere  remmei... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Eh  bien,  mon  cher  mari?... 

LE    PRINCE    PAUL. 

Enfin,  nous  sommes  done  unis!...  nous  sommes 
done  Tun  k  Fautre!... 

LA    GRANDE-DUCHESSE,    legerement. 

Sans  doute...  sans  doute... 

LE    PRINCE     PAUL. 

Et  e"est  au  baron  Grog  que  jc  dois...  Dites  done, 
ma  eherie,  il  faudra  trouver  un  moycn  de  nous 
aequitter  envcrs  lui. 

LA    GRANDE-UUCMESSE. 

C'est  voire  avis?... 


29G     LA    GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEIN. 

I.E    PRINCE    PAUL. 

C'est  moil  avis. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  regardant  Grog. 

Je  n'ai  rien  a  vous  refuser...  mais  que  puis-jc  faire 
maintenant?...  Toutes  les  faveurs  dont  je  pouvais  dis- 
poser, ne  les  ai-jc  pas  amoncelees  sur  une  autre 
tete?...  Baron  Puck...  general  Bourn... 

PUCK    ct    BUUM. 

Altesse"?... 

LA    GRANDK-DUCIIESSE. 

Ou'est  devenu  le  general  Fritz?...  Vous  m"aviez 
assure  que  je  le  trouverais  au  camp. 

PUCK. 

Le  general  ne  pent  tarder  a  venir...  Pour  ne  pas 
sortir  du  programme  trace  par  Votre  Altesse,  pour 
rester  dans  la  fantaisie...  nous  lui  avons,  le  general  et 
moi,  fait  une  petite  farce. 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Quelle  farce?... 

P.OT-M. 

Je  vais  vous  dire...  J'avais,  depuis  dix  ans,  I'liabi- 
tude  d'aller  tons  les  mardis  soir  chcz  la  dame  dc  Roc- 
a-Pic... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Oh!... 

P.  OUM. 

Cluit!...  hier,  mardi,  cettc  dame  m'a  ecrit  :  «  Ne 
venez  pas  ce  soir...  II  se  doute  enfin  de  quclque 
chose...  il  vous  attend  avec  sa  canne  ct  quelques 
amis...  »  Cela  m'a  donne  une  idee...  J'ai  dit  au  general 
Fritz  :  «  Rendez-vous  immediatement  au  chateau  dc 
Roc-a-Pic;  vous  y  trouverez  la  43'^  du  oi"  et  la  oi"^  du 
4.3^..  » 


ACTE    QUATRIEME.  297 

LA    GRAN  I)E-I)UCH  ESSE. 

Et  il  est  allc  an  chateau?... 

PUCK. 

II  y  est  alle...  et,  an  lieu  de  la  43'"  du  52''  et  de  la  '62^ 
du  43'^,  il  aura  trouvc  le  mari... 

GROG, 

Et  sa  canne. 

r,(»r.\i. 

Une  heure  pour  alter  cliez  la  dame,  uiie  demi-heure 
pour  causer  avec  le  mari,  et  deux  heures  pour  revenir 
au  camp...  le  general  Fritz  ne  doit  pas  etre  loin. 

CRIS.  au   deliors. 

Le  general!...  le  general!... 

BOUM,  il  la  Grande-Duchesse. 

Ouand  je  vous  le  disais!... 

A  ce  moment,  AVanda  accourt  par  lo  I'ond  agaucho  et  descend  en  scene. 


SCENE   III 

Les   Memes,  WANDA,  puis  FRITZ. 

WANDA. 

Voici  revenir  mon  pauvre  hommo! 
Dans  quel  etat!...  ah!  voyez  comme. 
En  courant  apres  les  hauls  fails, 
II  a  dechire  ses  efTels! 

CHOEUR. 

II  a  dechire  ses  effets! 
(Fritz  entre  tout  eflfare  par  le  fond  a  gauche  ;  il  est  dans  un  etat  pitoj'able  : 
plus  d'epaulettes,  le  panache  tout  deplume,  le  sabre  tordu  a  la  main.) 

FRITZ,   ii  la  Grande-Duchesse. 

GOIPLETS. 


Eh  bien,  Altesse.  me  voiia! 
Ho  la  la! 

17. 


298     LA   GRANDH-DUGllKSSE    DE    GEIIOLSTEIN, 

El  ce  qui  m'cst  arrive  la, 

Ho  la  la! 
Peul  iiic  compter  pour  uii  combat, 

Car  on  m'a 
Mis  dans  un  pitoyable  etatl... 
De  votre  fameux  saljre  on  a 
Fait  Ic  tir'-bouchon  que  voila! 

llu  la  la! 
Eh!  bedam',  voila  le  grief 
De  votre  general  en  chef! 

CilCKUR,    se  mociuant   de   lui. 

Eh!  bedam',  voila  le  grief 
Du  general  en  chef! 

FRITZ. 

II 

J'arrive  etje  trouve  un  mari, 

Sapristi! 
Qui  me  dit  :  «  Venez  par  ici, 

Mon  ami.  » 
Jc  lui  reponds  d"un  Ion  poll  : 

«  Me  voici!  ■> 
Aussitot,  a  bras  raccourci, 
Le  traitre  lombe  sur  Bibi!... 
J'en  suis  encor  tout  etourdi, 

Sapristi! 
Eh!  bedam'!  voila  le  grief 
De  voire  general  en  chef! 

CHCEUR. 
Eh!  bedam',  voila  le  grief 
Du  general  en  chef! 

l.A    liUANDK-UUCIIESSE,  a,  Fritz. 

Vous  n'avcz  pas  d'autre  explication  a  me  donner  de 
voire  conduite? 

FRITZ. 

Comment?...  II  me  semble  pourtant... 

LA    GRANUE-DUCHESSE 

Ainsi,  au  lieu  de  venir  vous  niettre  ci  la  tdte  de  mon 


ACTE   QUATRIEME.  299 

armee,  comme  je  vous  en  avals  donne  I'ordre...  vous 
Yous  ^tes  amuse  a  porter  le  trouble  dans  un  menage!... 

FRITZ. 

Ell  bien,  par  c.xemplc!... 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

Cost  haute  trahison,  monsieur...  et  dans  quelle  tcnue 
osez-vous  paraitre  a  mes  yeux?... 

FRITZ. 

Puisque  je  vous  dis... 

I.A     GRANDE-DUCHESSE. 

Et  Ic  sabre  de  nion  pere!...  dans  quel  etat  ravcz-vous 
mis? 

FRITZ. 

C'est  Tautre,  avec  sa  canne!... 

ROU.M.    a,   Fritz. 

Mauvais  soldat! 

FRITZ. 

Ou'est-ce  qu'il  dit.  celui-la?...  qu"est-ce  qu'il  dit?... 

PUCK,  a  la  Grande-Duchesse. 

11  me  semble  quMl  n'y  a  qu'une  chose  a  faire, 
Altesse...  c'est  de  reunir  un  petit  conseil  de  guerre... 
et  de  le  juger  la...  seance  tenante. 

FRITZ. 

Un  conseil  de  guerre? 

LA    GRANDE-DUCHESSE,   limitant. 

Eh !  bedamel... 

FRITZ. 

Si  vous  vous  figurez  que  je  repondrai!...  On  ne  pent 
m"intcrroger  qu'en  presence  de  toute  la  noblesse  du 
duche...  je  suis  comte  d'Avall-vintt-katt-schop-Vergiss- 
meinnicht ! 


300     LA   GRANDE-DUCIIESSE    DE    GEROLSTEI.N. 
I.  A    GRANDE-DUCIIESSE. 

En  verite?..,  on  ne  pent  pas  vous  juger,  parce  que 
vous  etes  comte  d'Avall-vintt-katt-schop-Vergismein- 
niclit?...  Eh  bien,  vous  ne  Fetes  plus... 

FRITZ. 

Eh  l)ien,  a  la  bonne  heure!... 

LA    GR.VNDE-DUCHESSE. 

Ou'en  dites-vous,  colonel? 

FRITZ. 

Je  croyais  etre  general. 

LA    GRANDE-DUCIIESSE. 

J'ai  dit  :  colonel. 

FRITZ. 

Eh  bien,  a  la  bonne  heure  I...  capitaine,  si  vous 
voulez?... 

LA    GRAN  DE-DUC  HESSE. 

Capitaine...  je  le  veux  bien. 

FRITZ. 

Pourquoi  pas  lieutenant? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Lieutenant...  soit! 

FRITZ. 

Et  puis  sergent,  n'est-ce  pas? 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Sergent...  c'cst  entendu. 

FRITZ. 

Oh  bien!  par  exemple!...  Oh  bien!  par  exeniple  !... 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Pourquoi  farretes-tu?...  il  y  a  caporal  encore. 

FRITZ. 

Oui,  caporal...  et  puis,  simple  soldat. 


ACTE   QUATRIEME.  301 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Simple  soldat...  tu  I'as  dit! 

FHITZ. 

Simple  soldat? 

LA    GUAN1)E-1U:CIIES:?E. 

Pas  autre  chose. 

1!  11  I'M,    ;V  Fritz. 

Je  te  I'avais  promis,  que  je  te  rattraperais,  mauvais 
soldat...  liou!  hou!... 

FRITZ. 

Ah!  simple  soldat!...  Eh  bien,  puisque  c'est  comme 
^a,  je  doune  ma  demission. 

L  A  G  R  A  X  n  E  - 1 )  r  f :  1 1 E  s  s  E . 
Eh  bien!  je  I'accepte. 

FRITZ. 

Eh  bienlje  vous  remercie...  Bonsoir,  alors!...  Viens, 
ma  Wanda... 

LA   GRANDE-nUClIESSE, 

Enfin  ces  grades...  ces  honncurs...  je  puis  en  dis- 
poser !... 

r.  OU.M,  a  part. 

Quel  espoir!... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  an  prince  Paul. 

Prince,  je  puis  suivre  Ic  conscil  que  vous  me  don- 
nicz  tout  a  I'heure...  Baron  Grog,  approchez. 

Le  prince  Paul  remonte  un  pen,  on  regardant  co  qui  so  passe  dun  air 
satisfait. 

GROG,  s"approcliant. 

Altesse!... 

LA  GRANDE-DUCHESSE, enlevantle  panache  du  chapeau  de  Fritz 
ct  lo  dounant  a  Grog. 

A  vous  le  panache!...  prenez  le  panache!... 


302     LA    GRANDE-DUCllESSE    UE    GEROLSTEIN. 

r.iir.M,  ii   part. 


O  rage 


LA    GRANDE-DUCIIESSE,    prenant    le   sabre    et 
le  remettant  k  Grog. 

A  voLis  le  sabre  do  mon  pei'c!...  preiiez  le  sabre  de 
mon  pere !... 

liOU.M,  a  iiurt. 

0  fureur! 

LA    GllANDE-DUCHESSE. 

A  vous,   baron,  a  vous   tous  les  pouvoirs  civils  et 
militaires ! 

GROG. 

Merci,  Altesse...  ma  lenime  vous  benira. 

LA    GUANDE-DUCllESSE,  stupefaite. 

Vous  avez  dit"?... 

GROG. 

J'ai  dit  que  ma  femme  vous  benirait. 

LA    GRANDE-DUCHESSE,  au  prince  PauL 

II  a  une  femme!... 

LE    PRINCE    PAUL,  d'lin  air  radieux. 

Mais,  oui,  ma  cherie,  le  baron  a  une  femme  et  trois 
enfants. 

GROG. 

Quatre,  monseigneur...  pendanl  mon  scjour  ici,  il 
m'en  est  survenu  un  quatrieme. 

LA     GRAXDE-DrCIIESSE. 

Une  femme  et  quatre  enfants!...  Baron  Grog... 

GROG. 

Altesse?... 

LA   GRANDE-DUCHESSE,  avec  energie. 

Rendez  le  panache!...  rendez  le  sabre  I...  (Eiie  les  lui 


ACTE    QUATRIEME.  303 

reprend:    puis,    s'aJicssant    a    Bourn.)     Roprciiez    Ic    paiiaclie, 

general  Boum  ! 

Lo    general  s'approclic  avoc  empresscmcnt  do  la  Grandc-Dui_hcssc.  ([ui 
lui  rend  Ic  panache. 

BoU.M,  a  part,  i'Cto\irnant  ;l  sa  place. 

Cctte  fois-ci,  je  ie  ferai  visser. 

I.A    GRAXDE-DUCIIESSE,  a  Puck. 
Baron    Puck...   (Puck    sapproche ;    elle   lui   donne    le    sabre) 

Prenez  ce  tire-bouchon...  nous  vous  nommons  conser- 
vateur  du  sabre  de  mon  p6re ! 

PUCK,  a  part,  regagnant  sa  place  et  regardant  le  sabre. 

Jc  vais  en  faire  faire  un  autre. 

FRITZ. 

Eh!  qa.  va  bion  1...  ils  oat  tous  quelque  chose...  ct 
moi,  je  n'ai  rien...  que  mes  coups  de  baton... 

L\    GRAXDE-DUCUESSE. 

Voyons,  je  suis  bonne...  qu'est-ce  que  tu  veux?... 

^  FRITZ. 

Etrc  maitre  d'ecole  dans  nion  village. 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Tu  sais  lire?... 

FRITZ. 

Non...  c'est  pour  apprendre. 

LA   GRAXDE-DUCIIESSE,  riant. 

Eh  bien,  tu  es  nomme! 

1"  HI  T  Z . 

Ell  bien,  je  vous  remercie  ! 

LA    GRAXDE-DUCIIESSE,  se  tournant  vers  Grog. 

Ouant  a  vous,  baron  Grog... 

GROG. 

Altesse?... 


301     LA   (JUA.XDK-DUCIIESSE  DE  GKROLSTEIN  . 

LA    GRANDE-DUCHESSE. 

Gc  soir  memc,  voiis  rctournerez  a  la  cour  de  TElec- 
teur,  notre  beau-pere. 

GROG. 

Comment"?... 

LA    GRAXDE-DUCHESSE. 

Vous  y  annoncerez  notre  bonheur...  car  jc  suis  heu- 
reuse  d'avoir  epouse  Ic  prince...  bien  heureuse!... 

EUe  scrre  le  bras  du  prince  PauL 
LE    PRINCE    PAUL,  jetant  un  petit  cri. 

Aie!... 

LA   GRANDE-DUCHESSE. 
Ou'est-CC  que   vous  VOUleZ  y  faire?...    (a  part,  regardant 

Fritz  et  Grog.)  Quand  OH  n'a  pas  ce  que  I'on  aime,  il  fau  t 
aimer  ce  que  Ton  a. 

FINALE. 

BOUM,  a  part. 
Enfin,  j'ai  repris  le  panache! 

PUCK,    a  part. 
Enfin,  j'ai  repris  le  poiivoir!... 

LE    PRINCE   PAUL,  a  la  Gramle-Duchesse. 
Enfin,  I'hymen  a  vous  m'attaclie! 
GROG. 

Enfin,  chers  enfanls,  jc  vais  vous  revoir! 

WANDA,  a  Fritz. 
Uclournons  dans  notre  chaumiere. 

E  R I T  Z . 

Oui,  rentrons  chez  nous...  el  voila! 
LA   GRANDE-DUCIIESSE,  a  part,  regardant  le  prince  Paul. 
A  la  guerre  comme  a  la  guerre! 
Le  bonheur  est  peul-etre  la! 

FRITZ,  sur  Pair  do  la  ballade  a  boire. 
Eh  bien  I  je  renonce  aux  combats, 
Mais,  pour  defendre  la  patrie, 


ACTE   QUATRIEME.  305 

Jc  promets  des  petits  soldatsl... 

A  Wanda.) 
Yiens-tu  nous-en,  ma  I)onne  amie? 

Cii(*:ru. 
11   promet  dcs  petils  soklats, 
Qui  defendront  notre  palrie! 

LA    GRANI)E-Dl-CHE.SSE. 
Apres  avoir,  tan  I  bien  que  mal, 
Joue  son  role,  on  se  marie. 
C'esl  imprevu,  mais  c'esl  moral  I 
Ainsi  finit  la  comedie. 

cn(*:rR. 
C'est  imprevu,  mais  c'est  moral! 
Ainsi  finit  la  comedie. 

LA    GRANOE-DUCIIESSE. 
Ah  I  mon  aieul,  s'il  me  voyait, 
Ah!  quel  plaisir  qa  lui  ferait! 

CIKF.UR. 
Ah!  son  aieul,  s'il  la  voyait, 
Ah!  quel  plaisir  en  lui  ferait! 


L'INGENUE 

COMliDIE    EN    UN    ACTE 

Representee  pour  la  premiere  i'ois.  a,  Paris,  sur  le  THEAxnE  des  Varietes, 
le  -li  septembrc  181 1. 


PERSONNAGES 


TURQL'ET MM.  Dupuis. 

DAUBERTHIER Bahon. 

OCTAVE Cooper. 

ADELE M""'  Celine  Chaumoxt. 

LEONTINE Magnier. 


En  province,  dc  nos  jours. 


L'INGENUE 


Un  salon,  a  la  campagnc.  —  Au  fond,  grande  porte  donnant  sur  un 
jardin.  —  Portes  a  droite  ct  a  gauche.  —  Table  a  droite.  —  Sur  cette 
table,  du  papier,  des  plumes,  des  livres.  —  Canap6  et  console  a  gauche : 
cru(^'ridon  au  fond. 


SCENE  PREMIERE 
LEONTINE,  puis  TURQUET. 

LEON  TINE,   una  lettre  a  la  main. 

Une  leltro  d'amour...  a  moi!...  Et  envoyee  par  qui, 
cette  lettre  d'amour?...  par  un  pr^cepteur...  par  le  pre- 
ceptcur  do  men  cousin  Octave!... 

Kntro  Turquet.  vcnant  du  fund. 
TURQUET. 

Vous  m'avez  fait  dire,  madame,  que  vous  desiriez 
me  parler? 

LEONTINE. 

En  effet,  monsieur,  en  effet...  Cest  bien  vous  qui  avez 
ecrit  cette  lettre? 

TURQUET. 

Oui,  madame. 


310  L'INGENUE. 

LEiiNTINE. 

Et  c'est  bit'ii  a  moi  quo  cctte  lettrc  etait  adressee? 

TI'Rnl'F.T. 

Oui,  inadame. 

LEIINTINE. 

On  me  Fa  romiso  au  niomont  memcoii  je  montaison 
voiture  avec  mon  mari  i-t  Octave... 

TURQUET. 

Pour  aller  a  la  gare  chercher  mademoiselle  Adele, 
la  sceur  de  monsieur  Octave,  charmante  jeunc  per- 
sonne  qui  sort  aujourd'hui  du  couvent,  apres  y  avoir 
termine   son  t-ducation... 

LEONTINE. 

J'ai  lu  les  premieres  lignes.  (Eiie  se  love.;  Et  tout  aus- 
sitot  j'ai  dit  a  mon  mari  de  partir  sans  moi...  Je  suis 
restee  parce  que  je  tenais  a  avoir  avec  vous  une  expli- 
cation, et  a  Tavoir  tout  de  suite.  Ecoutez  moi.  mon- 
sieur... 

TUROIET. 

Je  vous  ecoute,  madame. 

I.EliNTINK. 

Mon  cousin  avait  un  precepteur  ipiil  ne  ponvait 
pas  souffrir.  J'ai  ecrit  a  Paris  pour  que  Ion  m'en 
envoyat  un  autre.  C'est  vous  que  Ton  a  envoye!...  II  y 
a  quinze  jours  que  vous  etes  ici,  et  je  voas  rends  bien 
volontiers  cette  justice  que  vous  ne  ressemblez  nulle- 
ment  k  votrc  predecesseur.  II  etait  vieux,  maussade, 
bourru,  et  nullement  homme  du  monde.  Vous,  au 
contraire,  vous  etes  jeune,  vous  ne  manquez  pas  d'un 
certain  air...  vous  valsez  a  ravir,  vous  domptez  les 
chevaux  les  plus  rebelles.  vous  faites,  a  ce  quJI  [larait, 
des  amies  dans  la  perlection,  et  vous  semez  lor  avec 


SCENE   PREMIERE.  311 

line  prodii^alitc  veritablenient  extraordinaire  chez  un 
hommc  qui  ne  gagne  que  deux  cent  cinquante  francs 
par  mois... 

TURQUET. 

Avec  de  lordre... 

LEUN'TINE. 

Votre  eleve  vous  adore...  Autrefois  il  n'y  avait  pas 
moyen  de  le  faire  travailler;  maintenant  les  le(;ons  nc 
lui  paraissent  jamais  assez  tongues...  men  mari  me  le 
faisait  encore  remarquer  it  y  a  deux  jours,  et  je  m'ap- 
plaudissais,  moi,  d'avoir  mis  ta  main  sur  te  plienix 
des  preccptcurs.  Je  m'en  serais  moins  apptaudie,  si 
j'avais  pu  pr<Jvoir  que  ce  singutier  prccepteur  pous- 
serait  la  singularite  jusqu'ii  m'adresser  une  declara- 
tion. 

Tl'RyrET. 

Une  declaration,  madanie?... 

LEON  TINE. 

Oui,  monsieur,  une  declaration.  (Lisant.)  «  Je  vous 
aime,  madame...  »  C'est  unc^  declaration  ccla,  ou  je  ne 
m'y  connais  pas.  «  Je  vous  aime,  mes  regards  ont  du 
vous  le  dire...  Dans  le  cas  ou  its  ne  vous  I'auraient  pas 
dit  d'une  facon  suflisamment  claire,  je  vous  Tecris.  Je 
vous  assure  que  si  vous  vouliez,  vous,  m'aimer  un  pen. 
ga  me  ferait  beaucoup  de  plaisir. »  Signe  :  « Turquct.  » 
Eh  bien,  monsieur?... 

TUIIQUET. 

Eh  bien,  madame... 

LEO  N  T I  N  1-: . 

()s(>rez-vous  pretendre  que  ce  n'est  pas  la  une  decla- 
ration? 

TURQUET. 

Je  suis  oblige  de  convenir... 


312  L'INGENUE. 

LEON  TINE. 

Si  je  n'ecoutais  que  moii  indignation,  je  dirais  lout 
c\  mon  niari,  je  vous  ferais  chasser... 

TUIIQI'ET. 

Oh!  madame... 

LEON  TINE. 

Mais  je  ne  veux  pas  priver  mon  cousin  Octave  d'un 
precepteur  tel  que  vous,  je  ne  dirai  rien... 

TURQUET,  a  part. 

A  la  bonne  heure!... 

LEON  TINE. 

Je  ne  dirai  rien  puree  que  je  veux  csperer...  parce 
que  j'espere  que  vous  trouverez  moyen  de  vous  jus- 
tifier... 

TURQUET. 

Rien  ne  me  sera  plus  facile,  madame...  Depuis  que 
je  suis  ici,  j'ai  observe  ce  qui  se  passait  autour  de 
moi,  et  il  m'a  semble  que  vous  n'rtiez  pas  aussi  heu- 
reuse  que  vous  meritez  de  I'etre... 

LEONTINE. 

Ah!  cela,  c'est  bien  vrai... 

TURQUET. 

11  m'a  semble  que  monsieur  votre  mari  perdait,  cha- 
que  semaine,  a  essayer  de  deviner  les  r^bus  de  VIllus- 
tration,  un  temps  qu'il  eut  mieux  fait  d'employer  a 
dechiffrer  cette  charade  eternelle  qui  s'appelle  la 
fern  me. 

LEONTINE  avcc  un  soupir. 

Ah! 

TT'RQUET. 

J'ai  reniarque  lout  cela,  madame,  et  alors,  comme 
rOducalion  de  mon  eleve  me  laissait  des  loisirs... 


SCENE    DEUXIEME.  313 

I.EONTINE,  avec  force. 

Sortez,  monsieur!... 

TURQUET. 

Madame!... 

LE  O  N  T I N  E ,  remontant. 

J"entends  la  voiture  .  On  va  venlr,  je  ne  veux  pas 
que  Ton  nous  surprenne  ensemble...  Sortez  et  reprenez 
cette  lettre...  Je  no  Tai  pas  regue,  vous  entendez,je  ne 
veux  pas  Tavoir  regue. 

TURQUET. 

Alors,  je  serai  oblige  de  vous  la  renvoyer... 

LEOXTIXE. 

Je  vous  le  defends  bien,  par  exemple!... 

Mouvemcnt  dc  Turquet  vers  L^ontine.  Ellc  I'arrete  du  geste  et  lui 
fait  signe  de  sortir. 

TURQUET. 

Ayez  la  bonte,  madame,  de  dire  a  mon  eleve  que  je 
compte  lui  donner  tout  a  Iheure  une  bonne  leQon 
d'histoire  de  France...  Je  vais  en  preparer  les  mate- 
riaux,  madame... 

LEUNTINE. 

Monsieur... 

Turquet  sort  par  la  portc  dc  droite,.  premier  plan. 


SCENE  II 

LEOXTINE,  seule. 

Je  crains  de  n'avoir  pas  ete  aussi  s6vere  qu'il  eut 
I'allu...  C'est  que  vraiment  ce  precepteur  a  en  lui  quel- 
que  chose  qui  n'est  pas  ordinaire...  II  y  a  des  instants 
ou  je  me  demande  si  c'est  reellemeut  un  precepteur... 

Enlre  Octave. 

II.  18 


31i  L'lNGENUE. 


SCENE  III 

LEONTIXK,  OCTAVE,  puis  ADELE 
et  DAUBERTHIEH. 

OCTAVK,  venant  du  fund  ;i  gauche. 

La  voici...  EUc  a  remportc  lous  les  premiers  prix... 

(ll  saute  au  cou  de   Leontine  ct  Teinltrasse   comine  un   fou.)  ToUS, 

tons!... 

LEON  TINE. 

A  la  boiiiK?  heuro!...  mais  ce  n'est  pas  uae  raison 
pour  m'embrasser  ainsi... 

o  c  T  A  V  !•: . 
Cost  que  je  vous  aime  tant,  ma  cousine!... 

Adidc  paraii  au  fond  suivie  do  Dauberlhier.  EUe  a  tjus  ses  prix, 

toutes  ses  oouronnes. 

L  I'  O  N  T 1  N  E . 

Adelc!... 

Elle  passe. 
A  DELE,  s'clancant  pour  enibrasser   Leontine. 

Ah!  ma  cousine...  ma  cousine... 

LEONTINE,   sasseyant. 

^'railnt'nt,  c'cst  a  toi,  loules  ces  couronnes? 

ADELE. 

Oni,  c'est  a  moi...  Histoire  et  Geographic,  premier 
prix... 

OCTAVE,  s'etant  place  derricre  la  chaise  de  Leontine 
ot  I'cnibrassant. 

Ah!... 

A  Die  I.E. 

Jo  suis  jolimoiit  Ibrte,  ^  en  geographic!...  Litlera- 
raUirc  Iramjaisc,  premier  prix... 


SCENE   TROISIEME.  315 

UCTAVK,  cmbrassant  Leontinc. 

All!... 

ADELE. 

Anglais,  prcniier  prix... 

OCTAA'i:,  cmbrassant    I.oontinc. 

Ah!... 

ADELE. 

Piano,  premier  prix... 

(•CT A'N'i:,   cmbrassant  Lcontine. 

Ah!... 

I.EONTINE,   so  levant. 

■Nlais  tenez-vous  done  tranquille.  Octave! 

Adelc  depose  ses  livrcs  sur  unc  chaise  a  jrauclic. 
()  C T  A ^'  E . 

C'est  que  je  vous  aime  tant,  ma  cousine,  c'esl  que  jc 
vous  aime  tant!... 

ADELE. 

Oh!  oui,  va,  nous  t'aimons  bien! 

EUc  embrasse  sa  cousine  sur  les  deux  jouos.  —  Octave,  lui. 
n'ayant  pu  attrapcr  que  la  main,  baise  cctte  main  avcc  fuicur. 

D  A  U  B  E  R T II 1 1-  R ,  descendant. 

Et  moi  aussi,  j'ai  merite  dcs  couronnes...  (Muntrant  nn 

journal  a  Adele.)  Rcgarde... 

ADIlLE. 

Ou'est-ce  que  c'cst  que  ca? 

DAUBERTIIIER. 

C'est  VlUmtration  de  cette  scmaine...  regarde...  la... 
liens!... 

Lcontine  s'assied,  Octave  aussi. 
ADELE,    lisant. 

«  Oni  envoye  rexplication  du  dernier  rt}bus  :  'SI.  Mi- 
gnard,  de  Carcassonne,  les  habitues  du  Cab'  du  Com- 


310  L'INGENUE. 

merco,  a  Angouleme...  M.  Dauberthicr...  ah  I  ah!...  (Eiic 

rcgardo  Daul)erihier  qui  sourit  avec  orgiieil.)  M.  Dauberthicr,  au 

chateau  d'Azay,  par  ChatcllerauU.  Vioiinc. 

DAUIJERTIIIEn. 

Tu  vois,  c"est  bien  moi. 

A  DELE,  riant. 

All!  ah! 

DAUBERTHIER. 

El,  la  semaine  prochaine,  j'y  serai  encore...  Cclui-Ia, 
pourtant,  est  difllcile.  II  y  a  d'abord  un  1...  le  chiffre  1... 
d"une  main  ce  chiffre  1  fait  I'aumone  a  un  mendiant, 
de  I'autre  main  il  tient,  et  a  I'air  de  tenir  solidement, 
un  boeuf  encore  jeune,  comme  dit  le  dessinateur... 
Ensuite  il  y  a  un  2...  le  chiffre  -2...  ce  2  semble  se 
lamenter  parce  qu'il  a  laisse  echapper  un  autre  boeuf 
du  meme  age  que  le  precedent...  Puis  le  chef-lieu  de 
la  Correzc...  Et  enfin  un  rat  :  ce  rat  a  cela  de  particu- 
lier  qu'il  est  pour  ainsi  dire  perche  sur  des  pattes  d'une 
longueur  demesuree...  j'appelle  toute  ton  attention  sur 
ce  detail,  car  enfin  ce  n'est  pas  pour  rien  que  le  dessi- 
nateur a  allonge  les  pattes  de  ce  rat...  Je  n"ai  pas  le 
commencement,  mais  jc  tiens  la  fin...  Pdris  gueux,  commc 
un  grand  rat.  Tu  vois,  une  ville  (Lisant.)  chef-lieu  de  la 
Correzo...  (s'interrompant.)  Perigucux ! 

A  n  E  I.  E . 

Mais  non,  mon  cousin.  Le  chef-licni  de  la  Correze... 
ce  n'cst  pas  Perigueux...  c'est  Tulle... 

UAUHERTlllEU. 

Tu  crois? 

AltEl.E. 

J'en  suis  sure...  Pi-cmicr  prix  de  geographic!...  et  si 
vous  savirz,  je  suis  d"une  force!... 


SCENE    QUATRIEME.  317 

DAUIii:  RTHIKU. 

x\h!  c'est  fAcheux...  j'avais  troave  avec  Perigueux... 
nvec  Tullo,  ^a  n'ira  plus...  Tulle  comme  un  grand  rat... 
(ja  ne  va  plus,  je  m'y  attendais...  Eh  bien,je  vais  chor- 
cher,  voila  tout...  je  vais  chercher... 

Adele  portc  scs  livres  sur  la  console  a  gauche, 
LK  ON  TINE,  haussant  les  epaulos. 

Ah  !  mon  Dieu  !... 

Ellc  sc  leve,  Octave  aussi. 
D  \UBERT1IIER. 

Vous  dites,  chere  amie!... 

LEON  TINE. 
]Moi,  monsieur?  riea  du  tout...  (Avec  le  domiormepris.)  Je 

ne  vous  dis  rien,  je  n'ai  rlen  a  vous  dire... 

OCTAVE,  a  cJemi-voix. 

Oil !  ma  cousine... 

D  A  U 15  E R T  H  I  E R ,  sortant  tout  en  parlant. 

Tulle  comme  un  grand  rat...  ca  n'a  point  de  sens... 
Si  la  bete  qui  est  dessinee  la  elait  un  chat,  qa.  irait  tres 
bien,  mais  ce  n'est  pas  un  chat...  Le  dessinateur  a 
ecrit  au-dessus  :  «  Boeuf  encore  jeune...  » 

II  sort   i  gauche,  premier   [ilan. 


SCENE  IV 

LKONTINE,  OCTAVE,  ADELE. 

LE  UN  TINE,  s'asseyant  a  gauche  sur  le  canape. 

Ah  !  parlous  de  toi  maintenant...  Tu  es  contente? 

ADELE. 
Si  je  Suis  contente  !...  (Elle  se  met  h.  genoux  devaut  Lcontine.) 

Je  crois  bien,  que  je  suis  contente!  Enfin  c'est  fini...  je 

18. 


318  L'lNGENUE. 

lie  suis  plus  line  enrant.  (avcc  transport.)  Je  suis    uiie 
jeune  fiUe  et  j'entre  dans  la  vie  !... 

LE  0  N  T I  N  1-: ,  avcc  melancolic. 

Adelc!... 

A  U  E  I K . 

Ah!  laisse-moi...  laisse-moi...  5a  doit  etre  si  bon,  la 
vie!...  qa.  doit  etre  si  beau!...  et  je  vais  en  connaitre 
toutes  les  joies,  toutes  les  fetes...  tons  les  enivrc- 
ments!... 

LEONTIXE,  tristcmcnt. 

Ah!... 

OCTAVE    passant  derrirrc  ct  s"appuyant  sur  Ic  canapi-. 

Oh  !  ma  cousine. 

LEO  MINE,    bas. 

Taisez-vous,  Octave...  •  * 

OCTAVE,    bas. 

Je  les  devine,  vos  souffrances.  . 

EEONTINE,  bas. 

Je  vous  ai  dit  de  vous  taire... 

OCTAVE,  t'Icvant  lavoix. 

C'est  que  je  vous  aimc  lant,  ma  cousine!... 

ADELE,  s'asscyant  sur  les  genoux  de  L6outine. 

Et  il  a  bien  raison  de  t'aimer!  Que  serions-nous 
devenus  tous  les  deux,  que  serions-nous  devenus,  si  tu 
n'avais  pas  ete  la"?  Sans  parents,  seuls  au  monde... 

LEONTIXE,   souriant. 

Avec  une  grossc  fortune...  un  million  chacun... 

AHELE. 

A  quoi  cela  sert-il,  la  fortune?  (Eiie  sc  levc.)  Si  tu 
n'avais  pas  consenti  a  nous  prendre  avec  toi,  son  mil- 
lion, a  lui,  Taurait-il  emixxhc  d'aller  mourir  dcnnui 


SCENE   QUATRIKME.  319 

dans  un  college?  et  moa  million,  a  moi,  m'auiailil 
empcchee  de  rester  au  convent  jnsqn'a  je  ne  sais  quel 
age?...  Oh!le  convent!  je  n'y  relournerai  pins,  an  con- 
vent, n'est-ce  pas? 

LEONTINE. 

CertaincnienL  non,  tu  n'y  retourncras  plus. 

A  DELE. 

Jamais,  jamais  ?... 

L 1-:  I  >  N  T 1  N  E . 
Jamais,  jamais ! 

ADELE. 

Plus  de  lec^ons  de  mnsiqne!...  oh!  les  lemons  de 
mnsique  !  oh !  le  cours  de  madame  de  la  Pivardiere !  oh ! 
la   mnsiqne   classiqne...  Glnckl  Alcestc!  Armidc!  (Eiie 

I'rcdonuc  uu  air  d'Armiile  :) 

Que  la  douceur  d'uii  triuuiiihc  est  exlremo, 
Quand  on  n'en  doit  tout  riioancur  qu"ii  soi-iin'mc  I 

EEONTINE,  se  lovaut. 

Mais  c'est  tres  beau,  cela!... 

ADEI.E. 

Jenedispas  le  contraii'e...  mais,  en  fait  dc  mnsiqne, 
j'aime  mienx  I'autre...  (Momraut  son  frcrc.)  celle  qne.jc 
Ini  ai  entendn  chanter,  a  Ini... 

Kile  frcdonnc  lo  galoj)  A'Orplire  anx  L'nfcrs.  Entraiue  par  rexciiiplo, 
Octave  le  fredonnc  a.  son  tour, en  arcouipagnant  lair  de  quelques  pas 
qu'Adele  est  sur  Ic  point  d'imitcr.  —  Cela  doit  etro  fait  trds  Icgere- 
mcnt,  tres  delicatcnient. 

I.  E  (I. \  TINE. 

Eh  bien,  Adrle!... 

Elle  descend  un  peu  a  droite. 
A  I)  E  L  E . 

Plus  de  lemons  de  danse!...  pins  de  prolessenr  qui. 
Yous  disc  :  «  IMadcmoisclle,  ayez  la  bontc  de  tourner  la 


320  L'lNGENUE. 

tete  et  de  me  fairc  dcs  oppositions...  »  Plus  de  logons, 
mais  de  la  danse  pour  de  vrai...  avec  uuc  jolie  toilette, 
(Eiic  i)asse.)  un  vrai  orchestrc...    ct  de  vrais  danseurs. 

(Ellc  danse  tout  cu  jiarlant  ot  iiiiitc  !a  vuix  <le  son  Janseur.)    «    ^'ouS 

aimez  le  bal,  mademoiselle? —  Oh  !  oui,  monsieur.  — 
Et  vous  avez  beaucoup  danse,  cet  Iiiver? —  Oh  !  non, 
monsieur,  car  je  sors  da  couvent  et  je  parais  aujour- 
d'hui  dans  le  monde  pour  la  premiere  fois.  —  Pour  la 
premiere  i'ois?  —  Oui,  monsieur.  —  A  la  bonne  hcure! 
car  si  j'avais  eu  deja  le  plaisir  de  vous  voir,  j'aurais 
certainement  remarque...  —  Oh  !  iiionsieur,  vous  dites 
cela.  —  Mais  si  fait,  mademoiselle,  si  fait!  —  Ayez  la 
bonte,  monsieur,  de  me  conduire  pres  de  ma  cousine... 
cette  dame-la...  qui  est  si  jolie...  »  II  me  conduit,  11  te 
salue,  il  me  salue,  et  il  s'en  va...  Alors,  toi,  tu  m'em- 
brasses,  tu  essuies  mon  front,  tu  arranges  mes  che- 
veux,  ct  tu  me  demandes  si  j'en  ai  assez  et  si  je  veux 
m'en  alter...  Ah  !  que  non,  je  ne  veux  pas  m'en  alter. 
C'est  si  amusant  le  bal !  c'est  si  amusant !  si  amu- 
sant  ! !... 

I.EdXTINE,  allant  a  ellc. 

Mais  prends  done  garde...  tu  taninies  trop,  tu  te  feras 
du  mat...  * 

AUELE, 

II  n'y  a  pas  de  danger,  va,  il  n'y  a  pas  de  danger... 
je  suis  contente,  je  suisheureuse...  Et  toujours  je  serai 
heureuse...  J'ai  une  telle  envie  de  I'etre  que  je  suis 
bien  sure  que  je  le  serai  toujours. 

Kutro  un  domcstiquc  par  Ic  fond. 
I.E    DOMESTIQUE. 

On  apporte  Ics  bagages  de  mademoiselle. 

II  sort. 
LEON  TINE,  remontant. 

Cost  bien...  (a  Adeie.)  Je  vais  faire.meltre  tout  cela 
dans  la  chambre. 

Lc  domestique  sort  par  le  fond. 


SCENE    CINQUIEME.  321 

OCTAVE,  vivement. 

Je  vais  avec  vous,  ma  cousine. 

LEONTINK. 

Pas  du  tout!...  restez  avec  votre  soeur,  je  vous  prie. 

OCTAVE. 

C"est  que... 

LEON  TINE. 

Restez  avec  votre  soeur.  Vous  devez  avoir  un  tas  de 
petites  choses  a  vous  dire  tous  les  deux,  un  tas  de 
petits  secrets  a  vous  connerl... 

Elle  sort  par  la  droite,  second  plan. 


SCENE   Y 

ADELE,    OCTAVE. 

OCTAVE,  il  s'assiod. 

Des  secrets !  certainement,  j'en  aurais  un  a  te  confier 
et  un  joli...  &i  tu  n'etais  pas  une  gamine. 

A  DELE,  inditrn6e. 

I_^ne  gamine  !... 

OCTAVE,  en  rian*. 

Darnel... 

A  D  E  L  E . 

Je  ne  suis  pas  une  gamine,  entends-tu?...  et  c'est  toi, 
au  contraire,  qui  cs  un  gamin  a  cote  de  moi... 

OCTAVE. 

J'ai  dix-neuf  ans,  moi! 

ADELE. 

Justementl...  Comme  si  un  garcon  de  dix-neuf  ans 


322  L'INGENUE. 

n'etait  pas  un  gamin,  a  cote  <riinc  jeuiie  lillc  dc  di\- 
sept !... 

OCTAVi:. 

Tu  n'as  pas  encore  dix-sei»t  ans... 

A  I)  E  L  E . 

Si  fait,  je  les  ai...  je  suis  une  grande  pcrsonne...  ct 
la  preuve,  c'cst  que,  moi  aussi,  j'ai  un  secret...  un 
secret  aupres  duquel  je  suis  bien  sure  que  ton  secret, 
a  toi,  n'est  rien  du  tout. 

OCTAVE. 

Oh!  quant  a  cela... 

ADELE. 

Dis-le  un  pen,  le  ticn,  pour  voir!... 

OCTAVE,  sc  levant. 

Tu  veux  ? 

ADELE. 

Oui. 

OCTAVE. 

Eh  bien... 

ADELE. 

Eh  bien  ?...  voyons... 

OCTAVE. 

Eh  bien,  je  suis  amourcux... 

ADELE. 

To\,  aussi ! ! ! 

OCTAVE. 

Comment,  moi  aussi?... 

ADELE. 

Ainsi,  tu  es  amourcux...  ah  !...  Et  de  qui  cs-tu  amou- 
rcux ? 


SCENE    CINQUIEME.  323 

OCTAVE. 

Je  ne  peux  pas  le  dire...  nion  amour  est  un  amour 
coupable... 

A  n  E  I.  K . 

Oh! 

(I  C T  A  V E . 

Qui,  coupaljle,  mais  il  n"en  est  que  plus  ardent. 

ADEI.E. 

Cela  est-il  possible?  toi,  moii  frere.  un  amour!...  et 
un  amour  coupable! 

OCTAVE. 

C'est  comnie  ca. 

A  n  E  I.  E . 
Oh! 

o  C  T  A  A'  i: . 

A  ton  tour,  maintenant.  voyons... 

ADEEE. 

Oh!  moi,  c'est  encore  jjIus  grave... 

n  C  T  A  V  E . 

Par  exemple !... 

A  1)  E  L  E . 

J'ai  uae  intrigue,  moi. 

OCTAVE. 

line  intrigue! 

A  DELE. 

Oui. 

OCTAVE. 

Une  intrigue  d'amour?... 

A  D  E  I.  E . 

Naturellement. 

OCTAVE. 

Cela  est-il  possible,  toi,  ma  sceur,  une  intrigue,  une 
intrisrue  damour! 


32i  L'lNGENUE. 

ADELE. 

Ne  sois  pas  mediant,  je  te  dirai  tout. 

OCTAVE. 

J'y  comptc,  mademoiselle. 

A  U  E  L  E . 

Xe  sois  pas  mechaiit...  (Eiic  le  prcnd  par  le  bras.)  C'etait  il 
y  a  sixsemaincs...  au  couvent...  ma  cousine  etait  venue 
me  voir.  En  face  de  nous,  dans  le  parloir,  il  y  avail  un 
jeune  homme,  qui,  liii,  etait  venu  voir  une  de  mes 
amies,  Caroline...  Caroline  de  la  Roche-Bardiere.  J'etais 
bien  tranquille,  moi,  je  bavardais  avec  ma  cousine,  et 
je  devorais  les  tartcs  qu'elle  m'avait  apportees.  Tout 
en  dovorant,  je  crus  m"apercevoir  que  ce  jeune  homme 
regardait  fort  souventde  notrecote...  moiaussi,  alors, 
je  m'amusai  a  le  regarder...  Ah!  mon  frere,  qu'il  etait 
beau!  Ce  n'etait  pas  un  gringalet  comme  toi... 

OCTAVE. 

Gringalet!... 

AUELE. 

Oh!...  tu  es  bien  gentil  tout  de  meme...  mais  enlin,  il 
n"y  a  pas  a  dire,  tu  es  un  peu  gringalet;  lui,  au  con- 
ti'aire,  c'etait  un  bel  homme...  grand,  fort,  solide...  il 
etait  superbe!...  A  la  recreation  suivante,  je  demandai 
a  Caroline  qui  etait  ce  monsieur  qui  etait  venu  la  voir... 
elle  me  repondit  que  c'etait  son  frere,  le  baron  ller- 
cule  de  la  Roche-Bardiere. 

OCTAVE. 

All!  ah!  ah!  c'est  ^a,  ton  intrigue?... 

A  DELE   passe  ct  va  s'asscoir.  Octave  s"assicd  a  cote  d'ellc. 

Attends  done.  Huit  jours  apres,jele  revis...  toujours 
au  parloir  :  il  y  etait  avec  Caroline,  j'y  etais  avec  ma 
cousine,  et,  cettc  fois  encore,  il  se  mit  ci  regarder  de 


SCENE   CINQUIEME.  323 

uotre  cote.  11  ii'y  avail  pas  a  s'y  tromper,  c"etait  bien 
a  I'une  de  nous  deux  qu'il  en  voulait.  II  se  retournait 
sur  sa  chaise  et  il  faisait  comme  ceci.  (Eiie  Cait  lo  gcbte  de 

frisor  sa  moustache.)  Et  il  faisait  COmmC  Cela.  (Geste  d'arranger 

ics  t  heveux.)  Toujours  toui'ne  vers  nous  et  ne  nous  quit- 
tantpas  des  yeux!...  Pour  qui  se  donnait-il  tout  ce  mal? 
A  qui  adressait-il  tous  ces  regards"?...  a  ma  cousine?... 
on  a  moi?...  Ce  ne  pouvait  pas  etre  a  ma  cousine,  puis- 

quelle  est  mariee.  (Surcettc  ddclaration,  Octave  donnc  les  signes 
duuc  violcnte  gaicte.)  Ou'est-CC  que  tu  as? 

()  C  T  AY  t: . 
Rien,  rien,  va  toujours... 

A 1)  E  I,  E . 

Ce  ne  pouvait  pas  etre  a  ma  cousine  :  done,  c'etait  a 
moi.  Cette  idee  m"entra  tout  de  suite  dans  I'esprit; 
quand  elle  y  fut  entree,  je  ne  sais  pas  ce  qui  se  passa 
en  moi...  je  devins  rouge,  je  devins  pale,  je  crus  que 
i'allais  m'evanouir;  ma  cousine  me  demanda  ce  que 
j'avais,je  lui  repondis  que  je  n'avais  rien...  J'essayaide 
me  remettre.  (Kiic  se  icve.)  Mais  j'eus  beau  faire...  ce 
jour-la,  pour  la  premiere  fois,  je  ne  mangeai  pas  jus- 
qu'au  bout  la  tarte  que  j'avais  commenc^e. 

OCTAVE,  se  levant. 
C'etait  si  grave  que  ca?... 

A  DELE. 

A  la  recreation  suivante,  je  demandai  h  .Caroline  si 
son  frere  etait  marie;  si  elle  m'avait  repondu  qu'il 
r6tait,  je  sais  bien  ce  que  j'aurais  fait... 

OCTAVE. 

Qu'est-ce  que  tu  aurais  fail? 

ADEI.E. 

Je  serais  morte. 

II.  19 


326  L'INGENUE. 

( 1  C  T  A  \'  i: . 
Uh!  oh! 

A  D  E  1. 1-; . 
Oiii,  je  serais  morte.  Mais  il  n'etait  pas  marie...  il  n( 
pouvait  pas  I't-lre...  c'ost  avec  moi  qu"il  se  mariera.. 
il  m'aime...  et  maintenant  il  sail  que  je  siits  sortie  di 
convent...  que  je  suis  ici...  et  tres  certainement  il  doii 
etre  en  route  pour  venir  demander  ma  main. 

OCTAVK,  riant. 

(^omme  ca,  tout  de  suite?... 

A  D  E  L  E . 

En  tout  cas,  ra  ne  pent  tarder. 

OCTAVE. 

Tu  en  es  sure?... 

ADELE. 

Qui,  j'en  suis  sure...  a  ce  point  que  si,  en  ce  moment 
menie,  je  le  voyais  entrer,  je  nen  serais  pas...  oh!  mais 
la,  pas  du  tout  surprise! 


SCENE  VI 

ADELE,    OCTAVE,   TURQUET,    entrant  avec  un 
gros  paquct  do  livrcs  sous  Ic  bras. 

ADELE,   a  la  vue  dc  Turquct. 
Ah!...    (Turquet,   surpris,  laissc   tombcr    scs  livrcs;   nouvcau    cri 
d'Adelc.)   Ah! 

Ellc  s'evanouit  dans  Ics  bras  d'Octavc. 

OCTAVE. 

Eh  bien...  eli  bien,  Adelel...  Monsieur  Turquet,  je 
vous  en  prie,  ayez  la  bontr  de  sonner. 


SCENE   SEPTIEME.  327 

TURljUKT,    couraiit  comine  uii  foil. 

La  sonnetle"?oii  est  la  sonnetle?...  je  ne  trouve  pas  la 
sonnette... 

(I  C  T  A  \  E . 

La...  la,  je  vous  dis. 

TURQT'ET,   couraiit  toiijours. 

Oil  ga,  la?...  oil  Qa,  la?... 

OCTAVK. 

Tenez...  voulez-vous,  pendant  un  instant?... 

II  met  Allele  dans  Ics  Ijras  do  Turquot,  court  a  la  sonrictto 
et  sonno  it  tour  do  bras. 

TURQUET,    pendant  qu'Octave  sonno. 

C'est  nn  flacon  qu'il  faudrait...  ou  bien  un  verre 
d'eau...  Ou'est-ce  qu'elle  a,  cette  petite?  qu'est-ce 
qu'elle  a? 

Kntront  deux  ou  trois  doniestiques  par  lo  fond,  L6ontine  par  la  droite, 
tout  ce  monde  effaie  criani  :  «  Qu'cst-CC  qu"il  y  a?...  qu'cst-Ce 

que  c'est?...  » 


SCENE  VII 
Li:s    Memes,   LEONTINE,    DAUBERTHIER. 

OCTAVE. 

Ma  socur  qui  vient  de  s'cvanouir... 

.\dele  revient  a  olio  et,  so  voyant  dans  les  bras  do  Turquet, 
clle  le  quitte  brusquement  ct  court  a  Leontino  qui  vicnt  d'entrcr. 

LEONTINE. 

Comment,  de  s'evanouir?...  et  a  quel  propos? 

lOntro  Dauberthier  par  la  gauche,  premier  plan. 
A  I)  E  I.  E . 

A  propos  de  rien...  ga  m'est  venu  comme  Qa...  mais 
c'est  fini...  n'ayez  pas  peur. 


328  L'INGEXUE. 

DAUBERTHIER. 

Adele!  inon- enfant... 

ADELE. 

Ce  n"est  rien,  je  vous  assure.  (Regardant  Turquet.)  (^a  va 
tres  bien,  ga  va  mieux  qu'avant... 

LEONTINE. 

Je  favais  bien  dit  que  tu  te  ferais  du  mall...  tu  t'ani- 
mais  trop... 

AUELE. 

C'est  cela,  ma  cousine,  c'est,  justement  cela...  je  me 
suis  trop  animee. 

DAUBERTHIER. 

AUons,  viens,  le  grand  air  te  remettra. 

ADELE. 

Oui,  je  crois,  en  effet,  que  le  grand  air...  (Eiic  faitquei- 

ques  pas,  soutenue  par  Daubertliicr  ct  Leontinc.)  Qucl  CSt  donC  CC 

monsieur? 

DAUBERTHIER. 

Cest  monsieur  Turquet,  le  precepteur  de  ton  frere. 

ADELE. 

Monsieur  Turquet?... 

DAUBERTHIER. 

Oui. 

ADELE. 

Le  precepteur?... 

DAUBERTHIER. 

Oui. 

ADELE. 

All!  c'est  le  precepteur... 

DAUBERTHIER. 
AUons,  viens...  (Octavc  descend  a  gauche.)  Es-tu  bicil  Sl'irc 

que  c'est  Tulle,  Ic  chel-lieu  de  la  Corrcze?...  Je  Irouve 


SCENE   HUITIEME.  329 

avec  Castelnaudary;  il  n"y  a  qiravec  Tulle  que  je  ne 
peux  pas  trouver. 

A  DELE,    regardant  toujours  Turqiiot. 

Le  precepteur!... 

EUe  sort  par  le  fond  a  droite  avec  Haubcrthier  et  Ldontine. 


SCENE  VIII 

OCTAVE,   TURQUET. 

OCTAVE,   au  fond  do  la  scrne,  regardant  sa  soeur  s'cloigner. 

Decidement,  ce  n'etait  rien.  Elle  rit  maintenant,  elle 
est  tres  ij;aie... 

TURQUET. 

Nous  pouvons  prendre  notre  legon  alors...  notre 
bonne  legon  d'histoire  de  France. 

Octave  passe  et  s'assied  a  la  table,  a  droite.  ainsi  que  Turqnet. 
OCTAVE. 

Mais  certainement... 

11  est  assis  en  face  do  Turquct.  Celui-ci  lui  tend  un  etui  plein  de 
cigares  :  Octave  en  prend  un,  rallume ;  Turquct  en  fait  autant  et  ils 
se  mettent  a  fumer  tons  Ics  deux.  Moment  de  silence. 

OCTAVE,   avec  admiration. 

Voila  un  precepteur!... 

TURQUET,   s'asseyant. 

Eh  bien,  voyons,  de  quoi  parlerons-nous  aujour- 
d'hui? 

OCTAVE. 

Avant-hier  nous  avons  parle  de  chasse,  hier  nous 
avons  parlc  de  chevaux...  Si  nous  parlions  de  femmes 
aujourd'hui?... 

TURQUET. 

De  femmes?... 


330  L'INGENUE. 

OCTAVE. 
Oui... 

TURQUET. 

Je  nc  demandc  pas  mieux!  parlous  tie  rciiimcs. 

tiCTAYE,   avec  ciitliousiasmo. 

Ah!...  Et  quand  je  me  rappellc  que  vous  me  faisiez 
peur,  et  qiravant  votre  arrivce  je  clierchais  deja  les 
moyens  de  me  debarrasscr  de  vous!... 

TURQUET. 

Oh!... 

OCTAVE. 

.Moil  Dieu,  oui  I...  Ma  cousine  m'avait  montre  une 
lettre  ecrite  par  la  pcrsonne  qui  vous  avail  recom- 
mande  a  elle...  On  ne  parlait  que  de  votre  erudition 
dans  cette  lettre,  de  votre  immense  erudition  et  de 
votre  ardeur  pour  le  travail.  «  M.  Turquet,  disait-on, 
est  un  jeune  homme  consciencieux  et  modeste.  Sa  vie 
cntiere  a  cte  consacree  a  Tctude.  II  sait  tout,  littera- 
ture,  philosophic,  histoire,  langues  mortes,  langues 
vivantes,  etc.,  etc...  »  Et  moi,  voyant  que  vous  saviez 
lant  de  choscs,  jc  me  disais... 

TURQUET. 

En  voila  encore  un  qui  va  m'assonimer!... 

OCTAVE. 

Mais  vous  etes  venu,  nous  avons  fait  connaissance... 

TURQUET. 

Et  vous  avcz  vu  que,  malgre  mon  immense  erudi- 
tion... 

OCTAVE, 

J'ai  vu  que  vous  eliez  le  plus  charmant  des  hommes... 

Jl  lui  scrrc  la  niaiu  ;  ils  sc  levcut. 


SCENE    HUITIEME.  331 

Tl'RQrET. 

Je  suis  tout  bonnement  iin  precepteur  qui  connait 
son  metier...  Vous  devez  plus  tarcl  etre  un  jeune  homme 
riche,  un  jeune  homme  a  la  mode  :  je  tache  de  vous 
enseigner  ce  que  doit  savoir  un  jeune  homme  riche, 
un  jeune  homme  a  la  mode...  Voyons,  est-ce  des  femmes 
en  general  que  vous  dcsirez  parler,  ou  bicn  d'une 
femme  en  particulier?... 

0  C  T  A  V  E . 

C'est  d'une  femme  en  particulier. 

TURQUET. 

Ah! 

OCTAVE. 

Oui...  je  voudrais  savoir  comment  il  I'aut  s'y  prendre 
pour  ecrire,  a  une  femme  qu'on  adore,  une  lettre  dans 
laquelle  on  lui  dit  qu'on  I'adore... 

TURQUET. 

All!  ah!  nous  sommes  amoureux... 

(ICTAVE. 

Oui. 

TURQUET. 

Et  quelle  est  cette  personne? 

OCTAVE. 

C'est  une  amie  de  ma  cousine...  vous  ne  connaissez 
pas...  une  voisine  de  campagne. 

TURQUET. 

Qui  s'appellc"?... 

( I  C  T  A  V  E . 

Oh!  je  ne  peux  pas  dire. 

TURQUET. 

Bien.  jeune  homme!...  de  la  discretion...  qa  vous  pas- 
sera,  mais  c"est  tres  bien!...  Vous  pouvez  me  dire,  au 


332  L' INGE  N  UK. 

moins,  si  celte  voisinc  de  campagne  est  une  jeunc  fiUe 
ou  si  die  est  mariee? 

OCTAVE. 

Elle  est  mariee. 

TURQUET. 

Bien,  jeune  liomme.  ires  bien! 

II  va  prendre  une  allumetto  sur  la  talile. 
OCTAVE,   «n  peu  otonnc'. 

Ah! 

TI'RorET. 

Ce  n'ost  pas  qu'il  soit  desagreable  d'etre  aime  par 
une  jeune  fille...  (n  sassicd.)  Oh!  non,bien  au  contraire... 
adorables,  les  jeunes  filles.  Elles  ont  surtout  une  fran- 
chise, une  cranerie...  Elles  se  jettent  dans  I'amour 
comme  les  terre-neuve  se  jettent  dans  I'eau...  d'un  sen) 
coup...  pouf!...  mais  il  taut  prendre  garde,  parcequ'avec 
elles  ces  choses-la  se  terminent  generalement  par  un 
mariage!...  ou  bien  alors  jl  faudrait  etre  tout  a  fail 
canaille... 

OCTAVE. 

Et  il  ne  fautpas  Tetre  tout  a  fait? 

TrRQI'ET. 

Non ! 

OCTAVE. 

Meme  avec  les  femmes  niariees? 

TfRQl'ET. 

Qa,  c'est  une  autre  alTairc!... 

OCTAVE,   a  part. 

Voila  un  precepteur!... 

TFRQUET. 

Nous  disious  done  que  vous  voudriez  lui  ecrire... 


SCENE   IIUITIEME.  333 

OCTAVE. 

Oui,  i'ai  essaye  tout  seul,  je  n'ai  rien  trouve... 

TURyUKT. 

C'est  une  dictee,  alors!...  jc  vois  ce  qu'il  vous  faut, 
c'est  line  dictee...  vous  desirez  que  je  vous  dicte... 

OCTAVE. 

Oui... 

TURQUET,    so  levant. 

C'est  bon ! . . .  prenez  une  feuille  de  papier. . .  (Octave  va  a  la 

table.)  et^Crivez...  (Tirant  de  sa  poclio  la  lettre  que  Leontine  lui  a 

rendue.)  J"ai  justement  la... 

OCTAVE. 

Comment!  vous  avez  dans  votre  poche... 

TURQUET. 

Je  me  doutais  bien  qu'un  jour  ou  I'autre  la  legon 
roulerait  Ih-dessus...  et  j'avais  prepare  un  modele... 
Y  etes-vous"? 

OCTAVE. 

J'y  suis. 

TURQUET,   dictant. 

«  Je  vous  aime.  Madame,  je  vous  aime...  » 

OCTAVE. 

J'avais  trouve  qa...  mais  je  n'avais  pas  pu  aller  plus 
loin.  «  Je  vous  aime...  » 

TURQUET. 

«  Mes  regards  ont  du  vous  le  dire...  » 

OCTAVE. 

Oh!  que  oui,  its  le  lui  ont  ditl...  mais,  tant  que  Ton 
s'en  tient  aux  regards,  on  n'est  jamais  sur. 

TURQUET. 

«  Mes  regards  ont  du  vous  le  dire.  Dans  le  cas  oii 

19. 


334  L' INGENUE. 

ils  ne  vous  rauraieiit  ])as  dit  dune  I'agoii  sullisammcnt 
claire,  jc  vous  rccris.  » 

OCTAVE. 

Ah!  que  c'est  biea! 

T  r  R  o  u  1-:  T . 
Je  le  crois,  que  c'est  bien!...  c'est  d'un  bon  auteur. 
«  Jc  vous  assure...  » 

OCTAVE. 

J'ai  envic  de  mettrc  encore  :  «  Je  vous  aime...  » 

TURQUET. 

Si  vous  voulez...  «  Jevous  aime  etjcvous  assure  que 
si  vous  voulicz,  vous,  m'aimcr  un  peu,  qa.  me  ferait 
beaucoup  de  plaisir.  » 

OCTAVE. 

C'est  tout? 

TURQUET. 

Oui. 

OCTAVE,  iin  peu  desappoint6. 

Ah! 

TURQUET. 

Que  voulez-vous  dire  de  plus?  C'est  net,  c'est  clair, 
Qa  dit  ce  que  ^a  veut  dire... 

OCTAVE. 

Oh!  oui,  quant  a  cela...  mais  je  croyais  qu'il  fallait 
mettre  la  dedans  un  peu  de  flammc,  un  peu  de  pas- 
sion. 

TURQUET. 

Autrerois,  c'est  possible...  mais  nous  avons  chang6 
tout  cela. 

OCTAVE,   mcttant  sa  lettrc  dans  unc  cnvcloppe. 

.\hl  alors...  je  vais  faire  porter  ma  lettre,  jc  vais  la 
I'aire  porter  tout  dc  suite... 

II  sc  Icvc. 


SCENE   NEUVIEME.  335 

TURQUET. 

Et  vous  me  direz  comment  ellc  aura  ete  regue...  Seu- 
Icment...  pour  plus  tard,  un  conseil.  II  vaut  mieux,  en 
general,  sadresser  a  deux  femmes  qu'a  une  seule... 

OCTAVE. 

Oh! 

TURQUET. 

Oui,  vous  vous  adressez  en  meme  temps  a  deux 
femmes  et  vous  vous  arrangez  de  maniere  qu'elles  s'en 
doutent...  La  premiere,  alors,  vous  prend  pour  que  la 
seconde  ne  vous  ait  pas ;  la  seconde,  apres  cela,  se 
donne,  pour  avoir  le  plaisir  de  vous  enlever  a  la  pre- 
miere. 

OCTAVE. 

Et  on  les  garde  toutes  les  deux? 

TURQUET. 

Ou  bien  Ton  en  prend  une  troisieme... 

OCTAVE,   a  part. 

Voila  un  precepteur!! ! 

TURQUET. 

Nous  en  resterons  la  pour  aujourd'hui. 

Entre  Ad^le. 


SCENE  IX 

Les  Memes.  ADELE. 

A  DELE.    Octave  rcmonte  derriere  la  table. 

Pardon,  monsieur,  je  vous  derange...  Vous  donniez 
a  mon  irerc  une  bonne  leQon"?... 

TURQUET. 

En  elfet,  mademoiselle,  je  donnais  a  monsieur  votre 
frere  une  bonne  lecon. 


336  L'INGENUE. 

A  DELE,   regardant  Ics  livres. 

D'liistoirc  de  France? 

^        TI'RQUET,   posant  son  cigarc  sur  un  gudridon. 

Oui. 

A  DELE,   toussant. 

Cost  que...  tout  a  Iheurc...  cet  evanouissenient  ridi- 
cule... vous  m'avez  secourue  avec  tant  d'empressp- 
ment...  J'ai  demande  a  mon  cousin  ot  a  ma  cousine 
la  permission  de  venir  vous  remercier...  lis  me  Tout 
accordec  et  je  suis  venue,  mais  si  j'avais  su  que  je 
vous  dorangeais... 

OCTAVE. 

Tu  nc  nous  deranges  pas  du  tout  :  la  IcQon  etait 
finie.  Merci,  mon  cher  precepteur,  merci...  (Has, aTurquet.) 
Je  vais  faire  porter  ma  lettre. 

11  sort  par  la  portc  de  Jroitc,  second  plan. 


SCENE  X 

ADELE,  TURQUET. 

ADELE,  a  part. 

Nous  allons  bien  voir  si  c'est  un  precepteur!... 

Jcu  de  scene.  Adelc  regarde  Turquet  avec  una  telle   flxite,   que  celui-ci 
finit  par  croirc  qu'il  a  sur  la  figure  quelque  chose  d"extraordinaire. 

TURQUET,  a  part. 

J'ai  quelque  chose,  bien  sur!  (ii  va  a  lagiacc.)  Non, 
pourtant!  (ii  rcvient  a  Aduie.)  Mais  qu'est-cc  qu'elle  a,  cette 
petite,  qu"est-ce  qu'elle  a? 

11  prend  scs  livres.  —  Adcle  continue  a  le  rcgardcr  et  sourit. 

Mademoiselle... 

11  s'incline  dcvant  ollc  ct  so  dirigc  vers  la  porte. 


SCENE   DIXIEME.  337 

ADEI.F. 

Monsieur,  je  vous  ai  dit  que  jVHais  venuo  pour 
m'excuser  aupres  de  vous,  pour  vous  remercier,  et 
c'est  bien  vrai,  niais  il  y  a  autre  chose. 

TTRQUET. 

Ouoi  done? 

A  DELE. 

Jai  une  prierc  a  vous  adresser. 

TURQUET. 

Une  priere?... 

A 1)  E  I.  E . 

Oui,  monsieur...  je  vlens  vous  prier  de  vouloir  bien 
me  donner,  k  moi  aussi,  quelques  leeons. 

TURQUET. 

A  VOUS,  mademoiselle? 

A  DELE. 

A  moi. 

TURQUET. 

Mais  vous  n'en  avez  pas  besoin,  il  me  semble,  et 
toutes  ces  couronnes... 

ADELE. 

Oh !  cest  peu  de  chose,  ce  qu'on  apprend  au  cou- 
vent...  et  vous  me  rendriez  vraiment  service  en  vou- 
lant  bien  vous  charger  de  completer  mon  education. 

TURQUET. 

Hein?...  Ah!  ah!... 

II  recule  un  pen. 
AOELE. 

Oh  !  vous  ne  pouvez  pas  refuser... 

TURQUET. 

Aussi  je  ne  refuse  pas,  mademoiselle,  je  ne  refuse 
pas,  et,  un  de  ces  jours,  nous  pourrons... 


338  L'lNGENUE. 

ADKI-K,   s'assojaiit. 

Si  Yous  voulez,  nous  cominenceroiis  tout  de  suite. 

TUiiyrKT. 
Comment,  tout  de  suite  I... 

II  pose  ses  livres  sur  la  table. 

A  n  i:  L  E . 
Oui...  il  y  a  la  tout  CC  quil  faut.  (Ucgardant  un  livre  qui  est 

tout  ouwert  sur  la  table.)  Httiloire  de  France...  C'est  ma  pas- 
sion, Ihistoire  de  France,  et,  puisque  vous  etiez  jus- 
tement  occupe,  avec  mon  frere...  Ou  en  etiez-vous? 
Louis  XII...  Eh  bien,  prenons  ou  vous  en  etiez;  dites- 
moi  le  regne  de  Louis  XII. 

TTROI'I-T,  a  part. 

Ahga!  mais...  elle  m"ennuie,  cette  petite! 

ADIlI.E,  a  part. 

Nous  allons  bien  voir  si  c'est  un  precepteur! 

TURQUET,  a  part. 

D'un  autre  cote,  si  je  ne  fais  pas  re  qu"elle  veut,  on 
va  decouvrir...  et,  alors,  je  serai  oblige  de  renoncer  a 
la  jolie  madame  Dauberthier...  et  je  I'adore,  moi,  la 
jolie  madame  Dauberthier! 

A  I)  E  L  E . 

Eh  bien,  monsieur? 

TURQUET. 

Eh  bien,  mademoiselle,  puisque  vous  me  faites 
I'honneur  d'insister... 

11  s'assicd. 
A  DELE. 

Oui,  monsieur,  j'insistc.  (Apart.)   Nous  aHons  bien 

voir,  nous  allons  bien  voir!...  (Turquct  s'assied  en  face 
d".\dc'ic  :  nouvcaux  regards,  nouvelles  mines  do  cclle-ci.  Apres  un 
silence,  ellc  prcnd  un  air  gracicux,  ct,  du  ton  d'une  personne  qui 
attend  :)  Louis  XII  ?... 


SCENE   DlXlliME.  339 

TURyUET,  a.  part. 

Le  diable  m'emporte,  si  je  sais  un  mot... 

ADE  1,E. 

Louis  Xir?... 

T  U  U  u  U  E  T . 

Cost   que...    uous    avious    fini    Louis   XH...    uous 
venions  justement  de  finir... 

ADEI.E. 

Coiitinuons,  alors  ;  passons  a  sou  successeur... 

T  U  R  O  U  E  T ,  cmbarrasse . 

Sou  successeur?... 

ADEI.E. 

Oui. 

TURQUET,  a  part. 

Ball!  elle  n'en  sail  peut-etre  })as  plus  que  uioi,  apres 

tout!...  (Haul  ct  rdsolumeut.)  Louis  XII  eut  pOUr  SUCCeSSCUF 

Louis  XIII. 

A  DELE,  d'line  voix.  douce. 

Non...  Francois  P''. 

TTRorET. 

C'est  ce  que  je  voulais  dire...  Louis  XII  eut  pour 
successeur  FraiiQois  L^  son  fits. 

A  DELE. 

Non...  son  cousin. 

TURQUET. 

C'est  cc  que  je  voulais  dire...  Son  cousin  Francois  P"" 
monta  sur  le  tr6ne  en  iilO. 

A  D  i;  L  E . 
>\)n...  en  lol5. 

TURyUET. 

1515...  C'est  ce  que  je  voulais  dire.  11  eut  pour  femme 
Ac-nes  Sorel...  non...  la  celebre  Diane  de  Poitiers... 


340  L'INGENUE. 

ADE  Li:. 

Oh !  lion,  ce  n'^tait  pas  sa  femme,  Diane  de  Poitiers... 

TURQL'ET. 

Vous  vous  moquez  de  moi?... 

ADELE,  avec  transiiort,  sc  levant. 

Oh  !  non...  je  ne  me  moque  pas  de  vous,  je  vous 
admire,  au  contraire,  je  vous...  Mais  je  sais  mainte- 
nant  ce  que  je  voulais  savoir.  Vous  n'etes  pas  un  pre- 
cepteur. 

TURQUET,  so  levant. 

Aie  ! 

A  I)  E  I.  K . 

Un  precepteur  saurait  au  moins  quelques  petites 
choses...  vous  ne  savez  rien,  vous,  vous  ne  savez  rien 
du  tout!  vous  etes  un  homme  du  monde!... 

TURQT-ET. 

Mademoiselle... 

ADELE. 

Vous  etes  le  baron  Hercule  de  la  Roche-Bardiere... 

TURQUET. 

Mademoiselle,  je  vous  prie... 

AUELE. 

Ah  !  je  vous  ai  bien  reconnu,  tout  i\  I'heure,  quand 
vous  etes  entre...  Vous  etes  Ic  baron  Hercule  de  la 
Roche-Bardiere...  et  je  sais  dans  quelle  intention  vous 
etes  venu  ici... 

TURQUET. 

Par  exemple!... 

A  I)  E  I,  E . 

Mais  pourquoi  avez-vous  pris  un  deguisemont?pour- 
quoi  tons  ccs  detours?...  Vous  avez  eu  peur  de  ren- 
contrer  des  difficultes?...  II  n'y  en  aura  pas,  je  vous 
assure;  ma  cousine  ne  demandera  pas  mieux... 


SCENE    ONZIEME.  341 

TURQUET. 

Ah  ! 

A  DELE. 

Quant  a  son  mari,  ra  lui  fera  plaisir... 

TURQUET,  a  part. 

Mais  qu"est-ce  qu'elledit"?  mais  qu'est-ce  qu'elledit? 

A  D  E  I.  E . 

Et  moi...  quoique  je  sache  fort  bien  qu'il  ne  m'ap- 
partient  pas  d'avoir  une  opinion  sur  un  pareil  sujet, 
je  puis  vous  assurer...  Voici  ma  cousine...  n'ayez  pas 
peur...  dites-lui  hardiment  cc  que  vous  avez  a  lui  dire... 
Qa  ira  tout  seul... 

Entro  Leontinc. 


SCENE  XI 
Les   Memes,   LEONTINE. 

I,  E  n  \  T I  N  1-  . 

Laisse-nous,  Adfele... 

ADEl.E. 

Ah  !  il  faut  que  je  ?... 

I.EONTINE. 

Oui,  laisse-nous. 

ADEI.E,  a  part. 

C'est  juste...  II  va  deniander  ma  main...  je  nc  peux 
pas  etre  la...  ce  ne  serait  pas  convenable...  J'aurais 
bien  voulu,  pourtant!... 

I.lioNTINE. 

Eh  bien  ?... 

A  1)  E  I.  E . 

Je  m'en  vais,  ma  cousine,  je  m'en  vais...  (a  part.)  Au 


3'.2  L'INGENUE. 

lait,  puisque  c'est  de  moi  qu'il  s'agil,  j'ai  bien  le  droit... 
je  ne  verrai  pas,  mais  j'entendrai...  (sur  un  regard  de 
Ltontiiio.)  Je  m'en  vais,  ma   cousine,  je  m'en  vais  ! 

Kile  sort  par  la  pjorte  de  gauche,  jircniior  idan,apres  avoir  fait 
un  signc  d'encouragenicnt  a  Turcjuct. 


SCENE  XII 
TURQUET,  LEONTINE. 

LEoXTINK,  ticvrcuse. 

Mon  cousin  Octave  vient  de  me  faire  remettre  cette 
lettre  ;  ayez  la  bonte  d'y  Jeter  les  yeux. 

Ellc  lui  doiine  la  Icttrc. 
TX'WnVET. 

Comment!  c'etait  pour  vous...  Tiens,  tiens,  tiens,  ce 
petit  bonhomme !...  Votre  cousin  m'a  tronipe,  madame... 
il  m'a  dit  qu'il  etait  amoureux  d'une  de  vos  amies... 
une  voisine  de  campagne...  alors,  moi...  croyez  bien 
que  si  j'avais  su  que  c'etait  vous  qu'il  aimait,  que 
.  c'etait  a  vous  qu'il  voiilait  ccrire... 

LEUNTINE. 

Ainsi,  monsieur,  voila  les  lemons  que  vous  donnez 
k  votre  eleve...  c'est  ainsi  que  vous  remplissez  vos 
devoirs  de  pr^cepteur! 

T  u  u  g  I"  1-  T . 

Eh!  madame,  je  ne  suis  pas  un  precepteur!... 

I.EONTINi:. 

Ah!  vous  en  convenez  a  la  fin!... 

TriigiKT,  il  part. 

II  Taut  bien  que  jen  convienne,  puisque  cette  petite... 
(iiaut.)  Je  suis  le  baron  de  la  Uoche-Bardiere, madame... 


SCENE    DOUZIEME.  343 

Si  j'ai  fait  scmblant  d'etre  un  i)receptcur,  si  j"ai  coii- 
senti  a  recevoir  deux  cent  cinquante  francs  d'avance, 
c'est  que  je  vous  aimais,  cest  que  je  vous  adorais, 
c'est  que  je  vous  adore... 

On  cntend  a  gauche  uii  soupir  laiuentable. 
LEONTINE. 

INIonsieur...  u"avez-vuus  pas  cnti'udu  ?... 

TURQUET,  la  tt-tc  perdue. 

Non,  madame,  je  n'ai  rien  entendu...  les  deux  cent 
cinquante  francs,  je  les  rendrai,  mais  quant  a  mon 
amour... 

LEO.NTINK. 

Prenez  garde!...  si  Ton  venait... 

TURQUET. 

N'avez   pas    peur,  j'ai    i'habitude...   Quant  a   mon 

amour... 

LEONTINE. 

Laisscz-moi  sortir... 

Elle  veut  sortir.  II  la  rotieut. 
TrUyrET. 

Non.je  ne  vous  laisserai  pas...  Quant  a  mon  amour, 
rien  au  monde  ne  m'empecliera  de  vous  en  parler. 
C'est  au  convent  que  je  vous  ai  apergue  pour  la  pre- 
miere fois,  au  parloir...  Vous  veniez  y  voir  voire  cou- 
sine,  et  je  venais,  moi,  y  voir  ma  sceur;  c'est  la  que 
j'ai  commence  a  vous  aimer... 


LEONTINE. 


Laissez-raoi... 


TLRyT'ET. 

Non,  vous  dis-je...  Depuis,  je  n"ai  pense  qua  une 
chose...  trouver  un  moyen  de  me  rapproclier  de 
vous!  Aussi  quand  un  do  mes  camarades  de  college, 


344  L'INGENUE. 

iin  pnuvre  diable  nomm6  Turquet,  est  venu  m'annon- 
cer  qu'ii  allait  etre  precepteur  au  chateau  dAzay,  chez 
vous,  je  n'ai  pas  hesite,  je  lai  supplie  de  me  ceder  sa 
place  ot  je  suis  venu... 

I.lioNTINE. 

Laissez-moi,  je  vous  en  prie... 

TURQT'ET. 

Non,  c'est  inutile,  je  ne  vous  laisserai  pas  sortir 
avant  que  vous  ni'ayez  rcpondu. 

LEONTINE. 

Ici!...  c'est  impossiI)le...  J'ai  trop  peur.  (Nouvcau 
pomissement  au  iiehors.)  II  me  seuible  encore  que  je  viens 
d'entendre... 

TURQUET. 

Vous  dites  cela  pour  que  je  vous  laisse... 

LEONTINE. 

Je  vous  en  prie.  Tout  a  I'lieure,  si  vous  voulez,  je 
vous  repondrai...  mais  pas  ici. 

TURQUET. 

Eh  bien,  dans  le  kiosque,  au  bout  du  jardin. 

LEONTINE. 

Dans  le  kiosque! 

TURQUET. 

Oui. 

LEONTINE. 

Eh  bien!  soil,  dans  le  kiosque. 

TURQUET. 

Vous  y  viendrez? 

LEONTINE. 

Oui,  mais  laissez-moi. 


J'ai  confiance 
Ah!... 


SCENE    QUATORZIEME.  34o 

TURQUET. 

LEONTINE. 

Elle  sort  par  la  portc  do  ilroitc.  second  plan. 


SCENE  XIII 

T  U  R  Q  U  K  T  ,  alluniant  un  cigaro. 

Tout  a  riicure...  dans  le  kiosque...  au  loud  du  jar 
din...C'('st  tres  bien...  mais  apres?...  Cette  petite  qui  a 
devine  que  j'etais  un  homnie  du  monde...  et  qui  sait 
mon  vrai  noml...  Si  elle  allait  parler!...  Que  le  diable 
I'enqjorte,  cette  petite!.. 

La  porte  de  gauclie  s'est  ouvertc  ;  Adcle  entre.  Elle  a  entendu 
les  dernieres  paroles  de  Turquet  ;  elle  pousse  un  troisieme  soupir. 

SCENE  XIV 

ADELE,  TURQUET. 

A  D  E  L  E . 
Ah!... 

TURQUET,  so  rctournant  au  moment  oii  il  allait  .sorlir. 

Eh  bien...    qu'est-ce   que  c'est  encore?...  (Courant   a 
Adiie.)  Mademoiselle!...  eh  bien,  mademoiselle!... 

ADELE,  s'dchappant  avec  indignation. 

Ne  mc  touchez  pas!  ne  ni'approchez  pas! 

TURQUET. 

Qu'est-ce  qu'elle  a?... 


346  L'INGENUE. 

A  U  E  1. 1-  . 

Alliv.  rch'ouver  ma  cousine...  EUc  vous  attend  ... 
dans  Ic  kiosque!... 

TURQl'ET. 

Comment!  vous  avez  entendu?... 

ADELE. 

Oui...  j'ai  entendu...  j'etais  Ik... 

TURQI'ET,   ii  part. 

All!  mais...  elle  est  insupportable... 

ADELE. 

Allez-y  dans  le  kiosque  I... 

TURQUET,  faisant  un  pas  et  s'arrL-tant  furieiix. 

.Tc  ne  peux  plus  y  aller,  maintcnant!...  je  ne  pcux 
plus!...  c'est  une  affaire  manquee! 

ADELE,   allant  a  lui. 

Quanta  moi,  jc  pars  d'ici...  je  retourne  au  convent... 
et  j'y  resterai  toute  ma  vie,  au  convent...  toute  ma  vie, 
vous  entendez?  toute  ma  vie,  toute  ma  vie! 

TURQUET,  ii  part. 

Ellcest  folle!... 

ADELE. 

Mais,  avant  de  partir,  je  tiens  a  vous  remercier...  u 
vous  remercier  de  Texcellente  legon  que  vous  m'avez 
donnee...  Oh!  je  ne  parle  pas  de  I'histoirc  de  France... 
vous  n'en  savez  pas  un  mot... 

TURQUET. 

.J"rn  ai  su  un  i)eu  autrefois... 

A  D  E  1.  E . 

Cedontje  vous  remercie,  c'est  de  m'avoir  appris  ce 
que  c'est  que  la  vie  !...  (KUc  passe,  Turquot  desocniL)  Moi  qui 


SCENE   QUATORZIEME.  3i7 

ctais  si  hourcuso  d'y  entrcr!...  «  Ce  doit  etre  si  bon, 
me  disais-je,  ce  doit  etre  si  beau!...  »  (Kiio  tombc  assise.) 
I'lt  voila  ce  que  c'(>stl...  0  mes  illusions,  mes  pauvres 
illusions  de  jeuae  fdle!... 

TURQUET,  indinuant  du  gostc  qu"il  continue  a  la  croirc  folle,  a  part. 

Ou'est-ce  que  je  vous  disais?...  (Eiie  se  leve.)  On  a  tort 
de  la  laisser  aller  et  venir  conime  cela... 

ADELE. 

Je  me  figurais,  moi,  que  lorsqu'un  jeune  homme  se 
deguisait  en  precepteur...  que  lorsqu'il  s'introduisait 
dans  une  maison  oil  il  y  a  une  jeune  fdle  et  une  I'emme 
mariee... 

TURQUET. 

Qu'est-cc  qu'elle  dit"?... 

A  DELE. 

Ce  devait  necessairement  etre  pour  la  jeune  fille... 

TURQUET. 

Eh  la!... 

A  HE  I.E. 

Vous  m'avez  prouve  le  contraire,  et  je  vous  en  re- 
mercie...  Je  regrelte  seulement  que  vous  ne  me  I'ayez 

pas    prouve    plus    t6t...   {Haletantc,    mots    entrecoupd's.)  Car, 

bien  certainement,  si  j'avais  su  plus  tot  que  ce  netait 
pas  moi  que  vous  aimiez...  moi  non  plus,  je  ne  vous 
aurais  pas... 

TI'UnUET. 

Vous  ne  m'auricz  pas?... 

A  D  E  L  E . 

Je  ne  Tai  pas  dit,  je  ne  veux  pas  le  dire!  Dailleurs, 
c'cst  liui  maintenanti  c'est  bien  fini!  je  ne  vous  aime 
plus... 

TURQUET. 

Oh! 


348  L'lNGENUli. 

ADELE. 

All  contraiiv,  jc  vous  deteste,  je  vous  detestel 

TURQUET,  a  part. 

Ah  bien!...  ilnenousmanquaitplus  que  Qa...(naut,  avcc 
bontc.)  Voyons,  ma  chore  petite,  voyons... 

ADELE. 

Je  ne  veux  pas  que  vous  m'appeliez  votre  chere  petite, 
et  jc  vous  defends  do  vous  moquer  de  moi... 

TriiQUET. 

Je  lie  me  moquc  pas... 

ADELE. 

Si  fait,  je  vois  bien! 

TURQUET. 

Je  ne  me  moque  pas...  je  suis  touche,  au  contraire, 
je  vous  assure  que  je  suis  veritablement  touche...  mais 
enfin,  voyons... 

ADELE. 

Nous  n'avons  rien  a  voir...  Et  je  vous  ai  dit  ce  que 
j'avais  a  vous  dire,  et  vous  pouvez  y  aller  inaintenant, 
dans  le  kiosque... 

TURQUET. 

Dans  le  kiosque?... 

ADELE. 

Oui,  dans  le  kiosque,  oil  ma  cousine... 

TURQUET. 

No  parlous  plus  do  (;a...  c'est  une  affaire  manquee... 

A  D  i:  L  E . 
Vraimcnt!  vous  n'irez  i)as?... 

TURQUET. 

Kh  lion !... 

ADELE. 

Vous  n'irez  pas  dans  le  kiosque? 


SCENE   QUATORZIEME.  349 

TURQUET,  riant. 

Je  n'irai  pas  dans  le  kiosque. 

ADELE,  avec  elan. 

Ah!  c'est  bien,  c'est  tres  bien!...  Ce  n'est  pas  pour 
moi  que  je  vous  disga...  ga  m'est  bien  egal,  a  moi,  que 
vous  alliez  dans  le  kiosque  ou  que  vous  n'y  alliez  pas... 
mais  mon  cousin...  un  si  bon,  un  si  excellent  honimel... 
lui  faire  de  la  peine  I...  je  vous  disais  tout  a  I'heure  que 
ga  lui  lerait  plaisir,  qu'il  ne  demanderait  pas  mieux... 
mais  ce  n'est  pas  de  Qa  que  je  voulais  parler... 

TURQUET,  a  part,  gardant  dans  ses  mains  la  main  qu'Adele  lui 
a  tendue  au  commencement  de  la  replique  prec6dente. 

Ces  petites  fdles !...  (Haut  et  i  attirant  a  lui.)  C'est  au  par- 
loir  que  vous  m'avez  vu  pour  la  premiere  fois?... 

ADELE. 

Oui. 

TURQUET. 

C'est  ma  soeur  qui  vous  a  dit  qui  j'etais?... 

ADELE. 

Oui. 

TURQUET,  souriant. 

Et  vous  vous  etes  mise  a  m'aimer  comme  ga,  tout  de 
suite?... 

ADELE. 

Tout  de  suite,  tout  de  suite... 

TURQUET, 

Et  de  toutes  vos  forces?... 

ADELE. 

Eperdument. 

TURQUET,  a  part. 

Ces  petites  filles!  eh!...  quelle  franchise,  quelle  cru- 
/lerie!...  ga  fait  quelque  chose,  tout  de  mcme!... 
II.  20 


350  L'INGENUE. 

ADELK,  lo  quittant. 

Mais  c'cst  fini.  n'ayez  pas  peur,  c'est  bion  fini.  (Eiio 

rcmontc  chercher  sos  prix,  puis  die  descend  avec  scs   livres   et   va 

s'asseoir  sur  ic  canape.)  Je  retourne  au  couvcnt,  mainte- 
nant,  j'y  retourne  pour  n'en  plus  soiiii*  :  jai  trop 
souflVrt,  je  suis  lassc  du  monde. 

TURQUET. 

Ah! 

A  D  E  I.  E . 

Mensonge,  fourberic,  trahisou !  voila  ce  que  j'ai 
vu  pour  mon  premier  jour...  Et  il  n'est  pas  quatre 
heures...  quVst-ce  que  je  verrais  done,  mon  Dieu,  si 
j'attendais  jusqu'au  diner?... 

TUUyUET,  s'asseyant. 

Tout  cela  parce  que  tout  a  I'heure  vous  avez  cru 
entendre... 

ADELE. 

Je  n'ai  pas  cru  entendre...  j'ai  entendu...  jetais  la, 
derriere  cett(*  porte,  et  j'ai  parfaiteinent  entendu. 

Kilo  continue  ses  preparatifs. 
TURQUET,  a  part. 

(lomme  ce  serait  facile  de  lui  i)rouvcr  qu'elle  s'est 
tronipee!...  il  n"y  aurait  pas  besoin  de  lui  donner  de  rai- 
son...  je  suis  bien  sur  qu'elle  trouverait  elle-meme!... 

A0i:i.E,   se  levant,  mcttant  ses  livres  sous  son  liras  et  passant. 

Allons!... 

TURQUET,  so  levant. 

Ainsi,  vous  etiezla,  derriere  cette  porte? 

ADELE. 

Oui...  la...  la...  j'etais  la...  et  je  vous  ai  entendu  dire 
ti  ma  CO u sine... 

TURQUET,   se  levant. 

Que  c'ctait  elle  que  j'aimais... 


SCENE  QUATOUZIEME.  351 

ADELE. 

Oui,  et  que  vous  iricz  la  rctrouver  dans  le  kiosque. 

Ellc  rcmontc. 
TrUQT'ET. 

Vous  m'avez  cntcmlu  hii  dire  cela,  et  vous  n'avez  pas 
devine"?... 

ADEl.E,    s'arrctant. 

^'ous  difes?... 

TURQrET. 

Vous  n'avez  pas  devine?...  (a  part.)  Je  parie  qu'elle  va 
deviner  quelque  chose  I... 

ADELE,   avcc  un  grand  ori  ot  laissant  tomljcr  tout  cc  qu'elle  ticnt 
ii  la  main. 

Ah! 

TUllQUET,   ii  part. 

Qu'est-ce  que  je  vous  disais!... 

ADELE. 

Vous  saviez  que  j'etais  la?... 

TIIKJUET. 

Juste!... 

ADELE. 

Et  c'est  pour  me  punir  d'ecouter  aux  porles?... 

TUUgUET. 

Certainement! 

A  D  E  L  E . 

A  cliaqne  mot,  Tur(iuct  fait  signe  que  c'cst  bicn  ccla. 

Sans  cela,  au  lieu  dc  lui  dire  que...  vous  lui  auriez 
dit...  tandis  que,  moi  etant  la...  vous,  alors,  naturel- 
lement...  et  elle  aussi,  par  consequent...  c'est  bien 
simple...  il  faut  qUe  j'aie  ete  folle  pour  ne  pas  avoir 

devine   tout  de  suite...  (Tombant  dans  les  bras  dc  Turquet.)  Ah  ! 

je  savais  bien  que  je  nc  pouvais  pas  ne  pas  etre  heu- 
reuse...  je  savais  bicn  que  c'etait  moi...  que  c'etait 
pour  moi!... 


352  L'INGENUE. 

TURQ^'ET,   la  tenant  embrassee. 

Ces  pelites  (illes!... 

Entre  Dau>)erthier,  suivi  de  Ldontine  et  d"Octave.  Adelo  s'eloigno  brus- 
quonipnt  de  Turquct ;  celui-ci,  effare,  se  met  k  genoux  pour  ramasser 
les  livres  d'Adcle. 


SCENE   XY 

Les    Memes,    DAUBERTIIIER,   OCTAVE, 
LEONTINE. 

D.VUBERTHIER,   a  la  cantonade. 

C'est  bien,  j'y  vais...  (a  Turquct.)  Voici  deux  cent 
cinquantc  francs,  monsieur,  que  je  vous  prie  d'ac- 
cepter... 

TURQUET,   sc  relevant. 

Encore!...  mais  j'ai  deja  requ  un  mois  d'avance!... 
et  je  ne  suis  ici  que  depuis  quinze  jours... 

D  AUBERTHIER. 

Cela  ne  fait  rien,  je  vous  prie  de  recevoir  ces  deux 
cent  cinquante  francs  a  titre  d'indemnite...  Ma  femme 
m'ayant  declare  (Leontine  descend.)  que,  pour  des  raisons 
qu'elle  n'a  pas  voulu  me  dire,  il  nous  etait  impossible 
de  vous  garder  plus  longtemps... 

TT-RQTET. 

Ah!  madame  vous  a  declare?... 

LEONTINE. 

Oui,  monsieur,  jai  ete  obligee,  a  mon  grand  regret... 

A  DELE,   a  Turquct." 

Je  vois  re  f[ue  c'est...  elle  n'aura  pas  compris  et 
vousl'aurez  fAchee...  (a  Leontine.)  H  savait  que  j't^taisla, 
derriere  la  porte  :  c'est  pour  cela  qu'ill'a  dit  tout  ce 
qu'il  t'a  dit.  Tu  n'as  pas  compris... 


SCENE    QUINZIEME.  353 

DAUHERTHIER. 

Moi  non  plus,  je  ne  comprends  pas... 

A  DELE. 

Cc  n'est  pas  deux  cent  clnquante  francs  qu'il  faut  lui 
donner,  c'cst  un  million... 

DAUBERTHIER. 

Un  million? 

A  1)  E  L  E . 

Ma  dot  n'est-clle  pas  d'un  million?...  Eh  bien,  il  faut 
lui  donner  ma  dot,  puisqu'il  m'epouse... 

TURQUET. 

Un  million  do  dot!!!...  Ah  bien!  par  exemple,  je  ne 
savais  pas...  je  vous  donne  ma  parole  d'honncur  que  je 
ne  savais  pas...  mais  Qa  ne  fait  rien,  ce  ne  sera  pas  un 
obstacle... 

DAURERTHIER. 

Comment!  il  t'epouse?...  Le  prccepteur  de  ton  frere !... 
jamais  de  la  vie!... 

ADELE. 

Monsieur  n'est  pas  un  precepteur...  ma  cousine  sail 
bien  que  ce  n'est  pas  un  precepteur... 

EUe  passe. 
DAUBERTHIER,   a  Leontine. 

Vous  savez...  ? 

ADELE, 

Monsieur  est  le  baron  Hercule  de  la  Roche-Bardiere. 

OCTAVE. 

Le  baron!... 

ADELE. 

Demandez  a  mon  frere,  je  lui  ai  tout  conte. 

O  C  T  A  \''  E . 

^a,  c'est  vrai,  elle  m'a  tout  conte...  (a  L^omino.)  Elle 

20. 


2ni  L'INGENUE. 

I'a  vu  au  convent...  (Kn  riant.)  Et  c'llc  cst  lollc  dc  lui, 
absolumcnt  folic!... 

LKONTINE. 

All!  c'est  different,  alors,  c'est  different... 

DAUBEIITFIIER. 

«  C'est  different,  c'est  different...  »  Cela  ne  m'explique 
pas  comment  il  se  fait  que  depuis  quinze  jours  mon- 
sieur le  baron...  Ah!  -j'y  suis!...  (Avec  eclat.)  j'y  suis!... 
Comma  c'est  drdle  que  ce  soit  juste  au  moment  on  Ton 
y  pense  le  moins  que  les  choses  vous  entrent  dans 
I'esprit  :  Un  ton  tlens  vaitt  rnieitx  que  deux  tu  Vaiivas!... 

(Prenant  le  journal  dans  sa  poche  )   Un   bon...    il    est    bon   Ce   1" 

puisqu'il  fait  I'aumdne...  Un  bon  liens  vaut...  il  en 
tient  un...  Un  bon  liens  vaut  mieu.v  que  deux  lu  Vauras!... 

(Turquet  et  Adelc  s'cloigncnt;  Turqiiet  s'asseoit  sur  Ic  canap<5,  Adcic 
sur  la  chaise.  Leontine  ot  Octave  reniontent  et  passcnt  derricre  la  table  ; 
Dauberthicrrestc  dcbout.)  All!  CClui-la,  par  CXemplel... 

11  se  precipite  sur  une  feuillo  dc  pajtier  et  sc  met  a  ccrire. 

OCTAVE  las,  a  Leontine. 

0  ma  cousine!... 

LEONTINE. 

Taisez-vous,  Octave... 

ADELE,   a  Turquet. 

Je  vous  aime  tant,  si  vous  saviez,  je  vous  aime  taut!... 

TURQUET,    presquc  sorieux. 

Eh  bien,  je  suis  touche...  je  vous  assure  que  jc  suis 
vcritablement  louche... 

OAUIU: nTIIIEU,  ecrivant. 

«  A  monsieur...  monsieur  le  dirccteur  de  I'/Z/i/s^rfl/tou, 
Paris...  » 

Le  rideau  tombo. 


LES    SONNETTES 


COMEDIE    EN    UN    ACTE 

Representee  pour  la  premiere  fois,  a  Paris,  sur  Ic  Theatre  des  Varietes 
le  15  novcmbrc  18"2. 


PERSONNAGES 


JOSEPH M.  Dupuis 

AUGUSTINE M"^*  Celine  Chaumost 

LA  Mi«  DE  CHATEAU-LAN  SAC,  personnage 

mud X... 


A   Paris,  de  nos  jours. 


LES  SONNETTES 


Lo  theatre  en  doux  parties.  —  Deux  cliambres  Je  domostiques  tres 
gentiment  mcublees.  —  A  droite,  la  chambro  do  Joseph;  a  gauche,  la 
chambre  d'Augustine.  —  Une  porte  do  communicatioQ  cntre  ces  deux 
charabres;  cctto  porte  est  fermec.  —  Au  fond,  deux  fon6tres  avec  balcon 
praticable.  —  Dans  chaque  <-hambre  une  porte,  Tune  k  droite,  I'autro 
a  gauche,  qui  donnent  sur  deux  petits  escaliers  do  service  conduisant  a 
I'etage  interietir,  Tuna  I'appartement  du  marquis,  I'autre  i  I'appartement 
de  la  marquise.  —  Dans  la  chambre  d"Augustine,  une  alcove  pres  de  la 
fenetre ;  une  table  a  droite  ;  une  armoire,  de  forme  basse,  pres  de  la  porte 
du  petit  cscalior;  au  milieu,  un  gueridon  avec  lanipe  et  corbeillo  a 
ouvrage.  —  Dans  la  chambre  do  Joseph,  un  lit  garni  de  rideaux  pres 
de  la  fenetre;  a  droite,  une  table  avec  ustcnsilcs  de  toilette;  une  malle 
au  pied  du  lit;  a  gauche,  pres  de  la  porte  de  communication,  uno  petite 
armoire  basse  et  pateres  centre  le  mur.  —  Des  chaises.  —  Le  timbre 
d"uno  sonnerie  electrique  dans  chaque  chambre. 


SCENE    PREMIERE 

AUGUSTINE,  scuio. 

Ello  coud  pr6s  du  gueridon;  —  la  lampe  est  allumee:  —  quelques  ins- 
tants de  travail  siloncieux.  —  Ellc  remonte  la  petite  manivelle  de  sa 
lampe.  —  On  cntend  uno  voiture  :  ellc  se  Icve,  va  au  fond,  ouvre  sa 
fenetre  et  regarde. 

Voici  madame  la  marquise  qui  rentrc...  II  est  sur  le 
siege,  le  mist^rable!...  Le  miserable,  e'est  moii  mari!... 
11  descend...  il  ouvre  la  portiere...  Tiens,  monsieur  le 
marquis  est  avec  madame...  Les  voila  rentres...  (Eiie 
ferme  la  fenetre.)  II  faut  que  je  desccnde  pour  coucher 


358  LES  SONNETTES. 

niadanie...     (EUc    allume   sun     bougcoir    qui    est    sur    rarnioirc.) 

II  I'aut  que  je  descende...  mais  avaut...  (Eiie  va  a  la  pone 

de  communication   et    la   ("erme    a    iloulile   tour.^    II    sera    la    tout 

a  riieure,  le  miserable!...  il  sera  la,  a  cote,  dans  sa 
chanibre  a  lui...  et  il  y  restera,  dans  sa  chambre  a 

lui...  tout  seul!...    tout  seal!  !...  (A  chaque  «  tout  soul  »,  elle 
met  un  verrou;   puis    elle   se    penclie   vers    la    porte  et  ccoute.)   Jc 

I'entends...  il  monte  par  son  petit  escalier,  le  miserable, 
il  monte!... 

Elle  prcnd  son  bougeoir  et  descend  par  I'escalier  de  gauche. 
Entre  Joseph,  arrivant  par  rescalier  de  droite. 


SCENE  II 

JUSLFII,  en  livrce  ;  long  pardessus  gris,  presquc  blanc,  palatine 
ct  manchettes  de  fourrurc.  —  II  a  un  bougcoir  a  la  main  :  il  pose  co 
bougeoir  sur  rarmoirc,  apres  avoir  allume  un  flambeau  qui  est  sur  la 
table.  —  Puis  il  fait  un  ou  deux  tours  dans  la  chamlirc,  regarde  la 
porte  de  communication,  et  so  met  a  frcdonner  : 

II   etait  un  '  fois  quatre  tiommes 
Conduits  par  un  caporal... 

Je  chante,  c'est  pourexpriraer  rindifference... 

II  s'approche  de  la  porte  ct  regarde  par  la  serrurc, 
tout  en  continuant  a  fredonncr  : 

Jl  ctail  un  ■  fois  quatre  hommes... 

Elle  n'est  pas  \k...  alors,  ce  n'est  pas  la  peine  d'cx- 

primer  I'indifference.  (Il  accroche  son  chapeau  a  run  des 
pateres  do  la  porte  de  communication,  puis  met  ses  manchettes  sur  I'ar- 
moire  et  sa  palatine  sur  une  chaise  a  gauche,  au  fond.  Chcrchant  ;l 
ouvrir      la      porte      de     communication     qui     resiste.)     Toujours 

I'ermee!...  (Avec  fureur.)  II y  a  quinze  jours  que  cette  porte 
est  ferniec!...  Et  pourquoi  ra?...  c'est  a  vous  que  je  le 
demande,  pourquoi  c^a?...  La  berline!...  Taventure  dela 
berline!...  (En  poutfant  de   rire.)   avec  I'Anglai.^e!...    Eh, 


SCENE    TROISIEME.  339 

bien,  quoi?  voj'ons...  puisque  j'ai  reconnu  que  j'avais 
tort!...  II  me  semble,  a  moi,  que  lorsqu'un  mari  a 
reconnu  qu'il  avail  tort...  lorsqu'il  I'a  reconnu  complc- 
tcnient,  lorsqu'il  a  dit  :  «  C'est  bon,  n'en  parlous  plus, 
en  voila  assez  sur  ce  sujet!...  »  il  me  semble,  a  moi, 
qu'une  femme  ne  devrait  pas   s'obstiner...   (ii  6te  son 

parilessus,    qu'il    accrocho    :i    gauche,   ct    i)arait    alor.s    en   habit    do 

potito  livree.)  Mais  wo'ilk  ce  que  ni  la  marquise  de  Cha- 
teau-Lansac,  ni  Augustine  Pidoux  ne  veulent  com- 
prendre...  Madame  la  marquise  de  Chateau-Lansac, 
c'est  la  femme  de  mon  maitre...  Augustine  Pidoux,  c'est 
ma  femme  a  moi...  ma  cruelle  petite  femme! 

Rentro  Augustine. 
Joseph  commence  a  deljoutonncr  ses  guctres. 


SCENE  III 

AUGUSTINE,   JOSEPH. 

AUGUSTINE,   posant  son  bougeoir  sur  I'armoire. 

Oh!  oh!  oh!  oh!  ga  ne  va  pas  en  has,  ga  ne  va  pas  du 
tout!...Ouandjesuis  arrivee,  madamela  marquise  etait 
en  train  de  dire  a  monsieur  le  marquis  :  «  Je  vous  dis 
que  si  I  »  et  monsieur  etait  en  train  de  rcpondre  a 
madame  :  «  Je  vous  dis  que  non!  »  Je  n'ai  pas  entendu 
la  suite,  parce  cjue  madame  la  marquise  m'a  renvoyce... 
oh!  mais,  la...  renvoyee!... «  Allez-vous-en!...  vousvien- 
drez  quand  je  sonnerai...  »  Et  voila!...  en  bas  et  en 
haul,  les  hommes  se  valent...  et  ne  valent  pas  cher  I... 
Enfin...  attendons  qu'on  nous  sonne... 

Kilo  s'assied  prfes  du  gu^ridon  et,  en  s'asseyant,  remue  sa  cliaiso.  — 
Joseph,  qui  a  acheve  doter  ses  guetres,  entend  le  Ijruit  de  la  chaise 
et  se  tourno  vers  la  chamhre  d'Augustine. 


360  LES   SONNETTES. 

JOSEPH. 
Ah!  voilii  nia  femme... 

11  s"approchc  dc  la  porte  de  communication.  II  frappc  d'abord  douce- 
meut,  puis  plus  fort :  Augustine,  qui  a  recommence  a  travailler,  liausse 
les  epaules  sans  repondre.  A  la  fin,  Joseph  secoue  violcmment  la  porte. 

AUGUSTINE. 

Ca  ne  va  pas  finir,  ra,  bientOt? 

JOSEPH,  quittant  la  porte  et  riant. 

La  berlinc!...  je  sais  bien...  la  berline!... 


AUGUSTINE,  a  voi.x  basse,  tout  en  coiisant. 

Jamais  de  la  vie,  entends-tu,  miserable,  jamais  de  la 
vie! 

Ellc  coud  avcc  furcur. 
JOSEPH,    regardant  par  la  serrure. 

Elle  rage...  la  voyez-vous,  comme  elle  rage!...  comma 
ses  petits  doigts  voiit  vite...  tzing!...  tzingl... 

AUGUSTINE,   qui  vicnt  de  se  piqucr  le  doigt. 

Aie!... 

Elle  se  leve. 
JOSEPH. 

C'est  bien  fait! 

AUGUSTINE  ,  se  tournant  vers  la  porte. 

Qu'est-ce  que  c'est?... 

JOSEPH,  se  redressant. 

L'indifference,  maintenant,  I'indifference...  m  ivedonne 
une  tyroiienne.)  Tra  la  la  la  la  la  ou  la !... 

AUGUSTINE  . 

II  chante...  au  moment  oil,  a  cause  dc  lui,  jc  viens... 

Ellc  cntortille  son  doigt  avcc  I'ureur. 
JOSEPH. 

Au  fond,jc  ne  suis  pas  indiffeivnt  du  tout :  je  I'aime 
lout   plcin...    au    fond...    ma    cruclle   petite   icmine... 


SCENE    QUATRIEME.  361 

mais   ^a    ne    fait    rien,    il    Taut    avoir    I'air    pour    la 

(lompler...    in  rci-uinmoncc  a  cluvntor  en  allant  et  venant  dans  sa 

chambrc.)  Tra  la  la  la  la  la  la  ou  la!... 

AUGUSTINE. 

Ah  I  tu  chantes!...  atteiiLls...  attends...  (Kilo  se  mot  a 

clumtor  la  memo  tyrolicnno.)  Tra  la  la  la  la  la  la  OU  la!... 
JOSEPH. 

II  faut  la  dompter...  Ui  chanto  plus  fort.)  Tra  la  la  la  la !... 

A  U  ( '■  U  S  T I  N  K ,  memo  jeu . 

Tra  la  la  la  la!... 

JOSEPH. 

Je  la  dompterai. 

II  chanto  a  pleinc  voix;  Augustine  egalonient.  Tons  doux  so  precipitcnt 
en  memo  temps  vers  la  porta  de  commuuication,  et  la,  do  chaquc  cote 
do  cette  porte  fermeo,  se  menaoant  Tun  Tautro  par  des  gestes  furieux, 
ils  continueut  a  chanter  leur  tyrolicnne  et  arrivcnt  a  faire  tons  les 
doux  un  tol  vacarme  qu'Augustine  n'cntend  pas,  d'abord,  lasonnotte  de 
la  marquise.  EUc   linit  ])ar  I'cntendro,  et  alors  olio  so  precipitc. 

A  U  0  r  S  T  1  N  E . 

Voila.    madame,    VOila!...    (A    Joseph    qui    chanto    toujours.) 

Va...  va...  nous  rcprendrons  (^a  quand  je  reviendrai... 
Voila,  madame.  voila!... 

Kilo   sort    en   omportant  son  bougooir. 


SCENE   IV 

J  0  S  L  P  H  ,  cossant  do  chanter. 

Tiens,  on  sonne...  C'est  la  sonnelte  de  madame  la 
marquise  de  Chateau-Lansac...  Brrr...  brrr...  (imitant  la 

sonnctto   electriquo    qui    va    toujours.)   ElltendeZ-VOUS    COmmc 

ellc  rage,  madame  la  marquise  do  Chateau-Lansac?... 
(La  sunnette  sarrete.)  Elle  rage  quasi  autant  (ju'Augustine 

Pidoux!...  Ill  rogarde   par    la  sorrurc.l  Elle  GSt  descenduc... 
H.  21 


3G2  LES   SOxNNETTES. 

Si  je  profitais  du  moment  on  clle  n'est  pas  \k  pour 

CSSayer?...  (Il  clieiche  a  enfoncer  la  poite ;  la  porte  resiste.)  PaS 
moj'en,  pas  moyen!  (Il  prend  sur  la  table  sa  brosse  a  cheveux.) 

II  faudrait  (aire  une  pesee.  (ii  essaye.)  Oui...  mais  je 
casserais  le  manche  de  ma  brosse.  (ii  la  remet  sm-  la 
table.)  11  y  a  bien  un  autre  chemin  pour  alter  chez  ma 
femme...  (En  montiant  le  fond.)  par  la  fenetre...  en  enjam- 
bant  d'un  balcon  a  I'autre...  mais  c'est  dangereux... 

(ll  prend  deux  chaises  qui  representent  les  deux  balcons,  et  les 
place  a  une  certaine  distance  Tune  de  I'autre.)  11  faudrait  d'abofd 

poser  le  pied  sur  un  tout  petit  rebord,  et  puis,  en  se 
tenant  a  la  balustrade,  faire  comme  ga,  comme  ^a... 

(ll  dessine  le  mouvement  en  so  fondant  lo  plus  possible,  glisse  et 
manque    de    toniber   a   la    seconde    experience.  Se   rattrapant  :)  Ce 

n'est  pas  dangereux  ici,  parce  qu'il  y  a  le  plancher.., 
mais  la-bas,  entre  les  deux  balcons,  il  n'y  a  rien...  le 
vide,  le  neant,  et,  au  bout  du  neant,  le  pav6  de  la  cour. 
Et  cependant,  malgre  le  danger,  j'y  ai  pense  bien 
souvent,  et,  en  ce  moment  meme...  (ii  va  au  fond  et  ouvre 
la  fenetre.)  Ma  foi,  oui !  cc  quc  c'cst  quc  d'etre  amou- 

reux!...  on  serai t  capable  de  tout...  (Fermant  la  fenetre.)  si 

on  ne  se  retenait  pas...  mais  on  se  retient...  (ii  rodcs- 
cend.)  Va  falloir  se  coucher,  alors...  se  coucher  comme 
tons  les  soirs...  depuis  quinze  jours,  (ii  retire  los  faux 
moiiets  qu'il  a  sous  ses  bas.)  Trouvez-en  beaucoup,  qui  aient 

des  moUets  comme  Qa!  dl  met  les  mollets  sur  I'armoire.)  Qd. 

m'apprendra  a  me  laisser  pincer...  La  voila,  ma  faute !... 
c'est  de  m'^tre  laisse  pincer...  Ainsi,  voyez...  Monsieur 
le  marquis...  il  en  a  fait  tout  autant  que  moi...dans 
sa  sphere...  mais  il  n"a  pas  ete  pince.  Qa  lui  donne  un 
avantage...  Et  a  cause  de  qui  n'a-t-il  pas  ete  pince,  je 
vous  le  demande?  a  cause  de  qui?...  a  cause  de  moi, 
fidele  et  malheureux  serviteur...  J'etais  sur  le  siege,  k 
c6te  d'Edouard,  le  cocher...  et  monsieur  le  marquis 
ctait  dans  le  coupe...  A  chacun  sa  place,  n'est-cepas?... 


SCENE    QUATRIEME.  363 

Moi,  quand  je  suis  sur  Ic  siege,  ^a  m'amuse  de  regarder 
autour  de  moi...  on  est  tres  bien,  on  domine...  J'aime 
surtout  a  regarder  dans  les  fiacres,  parce  que  dans 
les  fiacres  on  voit  quelquefois  des  choses...  Ainsi,  une 
fois,  je  me  rappelle  avoir  vu  un  petit  bossu...  mais  ^a 
nous  mcnerait  trop  loin...  J'etais  done  sur  le  siege  a 
cote  du  cocher,  monsieur  le  marquis  etait  dans  le 
coupe...  et  nous  nous  en  allions,  tons  les  trois,  chez 
mademoiselle  Heloise  Tourniquet,  avenue  de  Fried- 
land...  Depuis  quelque  temps,  moi,  je  remarquais  un 
fiacre  qui  essayailde  nous  suivre  :  le  cocher  fouettait 
son  cheval,  fouettait,  fouettait...  c'etait  une  pitie. 
Enfin,  dans  un  embarras,  ce  fiacre  parvient  a  se  rap- 
procher...  Je  regarde,  selon  mon  habitude,  et  qu"est-ce 
que  je  vois  dans  ce  fiacre"?  Madame  la  marquise!... 
madame  la  marquise  de  Chateau-Lansac,qui  designait 
notre  voiture,  en  ayant  Fair  de  dire  a  son  cocher  : 
«  C'est  celle-la,  c'est  bien  celle-Ia...  »  Alors,  moi,  sans 
faire  semblant  de  rien,  je  me  mets  a  cogner  comme 
ga  :  toe,  toe...  contre  la  glace  du  coupe...  D'abord, 
monsieur  le  marquis  ne  comprenait  pas  et  croyait 
que  je  perdais  le  respect...  A  la  fin,  pourtant,  il  a 
baisse  la  glace,  jc  me  suis  penche  et  je  lui  ai  dit 
respectueusement  :  «  Je  crois  devoir  prevenir  mon- 
sieur le  marquis  que  nous  sommes  files  par  madame 
la  marquise.  —  C'est  bien,  m'a-t-il  repondu,  dites  a 
Edouartl  de  ne  pas  arreter  avenue  de  Friedland.  »  Et 
nous  sommes  alles  au  Tattersall,  et  monsieur  le  mar- 
quis n'a  pas  ete  pince!...  Moi,  je  I'ai  et6!...  voila  la 
difference...  je  I'ai  ete  en  plein!...  la  berlinc!...  C'est  la 
faute  de  ce  maudit  chien  qui  s'est  mis  a  aboyer...  un 
petit  chien,  pas  plus  gros  que  ^a...  mauvaise  bete!... 
mauvaise  bete !... 

II  ferine  les  riJoaiix    du   lit   et  passe  dcrriorc  pour  achcver 
de  se  deshabiUci-.  —  Kntre  Aufrustine. 


30i  LES   SOxNNETTES. 

SCENE  V 

AUGUSTINE,    JOSEPH,   deirie.c    Ics  ri.leaux. 
AT  ftl'STIN  E.   son  liougcuir  :i  la  main. 

Oh!  oh  I  oh  I  oh  I  Qa  continue  a  ne  pas  aller  du  tout 
en  has...  11  y  a  je  ne  sais  quelle  histoire  de  Tatter- 
sall...  Monsieur  est  rentre  chez  lui  et  madarae  est 
dans  un  etat!...  0(i  est  Teau  dc  melisse?  ou  est-elle, 

I'eaU   de  melisse?...   (Klle    la  trouvc   snr  la   chcmineo,  la   [ircnrl 

ct  sort  en  disant  :]  Ca  ne  va  pas,  ca  ne  va  pas!... 
SCENE   Yl 

JOSEPH,  cuuclu-  ot  cnfuncc  sons  sa  couverturc.  oiivro  los 
rideaux   dos  qu".\iigustinn  a   disparu. 

Mauvaise  bete!...  et  tout  a  Thoure  il  sera  ici,  ce 
maudit  chien,  et  il  me  mordra  les  jambes...  c'est 
comme  ca  toutes  les  nuits...  des  que  je  m"endors,  j'ai 
le  cauchemar...  c"est  le  remords...  ca  viont  de  I'es- 
tomac...  J'essaye  de  la  chasser,  la  mauvaise  bete,mais 
elle  revient  toujours...  alors,  je  me  reveille  et  je  ne 
pcux  plus  me  rendormir...  rinsomniel...  la  lacheuse 
insomniel...  Je  vous  demande  si  c'est  la  une  position 
pour  un  mari,  pour  un  mari  qui  a  une  I'emme!...  Enfin, 
qa  m'apprendra  a  me  laisser  pincer  ..  Monsieur  le 
marquis,  lui,  an  moins...  (Sc  mettant  sm-  son  seantJ  Apres 
Qa,  Qa  ne  lui  a  guerc  servi  dc  ne  pas  avoir  cte  pince, 
a  monsieur  le  marquis  :  il  a  eu  son  galop  tout  de 
menie...  j'ai  bien  vu  ca,  tout  a  Tlieure,  a  la  sortie  de 
rOpera...    J"ai    vu    arriver    monsieur    le    marquis    et 


SCENE    SEPTIEME.  365 

niadanie  la  marquise...  ils  iie  sc  disaient  rien  et  ils 
avaient  un  air!...  lis  sont  monies  dans  la  voiturc, 
toujours  sans  rien  dire...  Moi,  j"attendais  a  la  portiere, 
pour  les  ordres...  Le  municipal  a  clieval  s'est  mis  k 
crier  :  iPienant  line  grosse  voix.)  a  Avanccz  douc,  qu'cst-ce 
que  vous  faites  la?...  avancez  done!...  »  Moi,  j'atten- 
dais  toujours...   Monsieur  le  marquis  a  fini  par  dire 

(imitant   le    marquis.)  :    «  A   I'liotcl!...    »    (Imitant  la    marquise.) 

«  Comme  ga,  a  dit  alors  madame  la  marquise,  vous 
n'allez  pas  au  Tattersall,  ce  soir?...  »  C'etait  de 
I'ironie!...  j'ai   failli    pouffer...    c'etait    de    I'ironie!... 

Koitre  Augustine. 


SCENE   VII 

AUGUSTINE,  JOSEPH,  cou.he. 

AUGUSTINE,  etcignant  son  I)ougeoir  el  le  mcttant  sur  le  gueridon. 

Allons...  allons...  je  ne  crois  pas  que  madame  dorme 
beaucoup  celtc  nuit,  mais  cnfin  elle  s'est  coucliec  et 
je  vais  pouvoir  en  faire  autant... 

Elle  va  a  Talcnvc,  ilelait  le  couvrc-picils,  taniponnc  rorcillcr,  etc.,  etc. 
JOSEI'H,  sc  tournant  ct  sc  retuurnant  dans  son  lit 

Qu'est-ce  que  je  disais?...  I'insomnie,  la  faclieuse 
insomnie!...  C'est  dans  ces  moments-la  que  je  pense 
a  la  fenelrc...  pour  aller  clicz  ma  femme  par  les  deux 
balcons...  Ah!  s'il  n'y  avait  pas  de  danger!...  mais  il  y 
en  a,  il  y  en  a... 

A  U  G  U  S  T I  N  E . 

llparait  qu'ellca  joliment  traite  monsicur,madanie!... 
Elle  craint  meme  d'etre  allee  un  peu  loin...  Et  elle  n'a 
que  des  soupcons!...  qu'est-ce  qu'elle  aurait  done  fait 


3G6  LES   SONNETTES. 

si  clle  avail,  comme  moi,  trouvc  son  mari?...  C.a  c'est 
riiistoii'e  dc  la  berline!... 

J  us  El' II.  parlant  comnie  iin  homme  qui  s'eiiilort. 

Pourvu  que  cc  maudit  chien  ne  viennc  pas...  Ah! 
s'il  n'y  avail  pas  de  danger,  mais  11  y  en  a,  il  y  en  a... 

La  voix  s"6teint;  .Joseph  s'cnilort,  le  visage  coiitro  la  nuiiaille. 
AUGUSTINE,   ajjres  avoir  regarde  [lar  la  scnuie. 

Rien!...  II  dorl,  le  miserable!...  II  dort...  ou  il  fait 

Seniblanl...  (Klle  continue,  tout  on  allant  ct  vcnant  dans  la 
chamljie   ot  en    faisant    ses    prcparatifs    pour    sc   couclier.)   Je    les 

avais  deja  pinces  ime  fois...  avec  I'Anglaise...  made- 
moiselle Sarah...  une  bonne  qu'on  avail  prise  pour 
faire  leducation  des  enfants...  quand  il  y  en  aurait... 
el  comme  il  n'y  en  avail  pas  encore,  elle  s'etait...  en 
atlendanl,  charg6e  de  Tcducalion  de  mon  mari...  (Se 

tournant  vers   la  chambre   de   son    mari.)   GrOS   bebe,    Va!...  Je 

les  avais  pinces  pres  de  la  lingerie,  dans  le  corridor... 
en  m  apercevanl,  ils  s'elaienl  separes  brusquement  el 
mon  imbecile  de  mari  s'elait  mis  h  baragouiner  comme 
un  perdu  :  «  One,  tico,  three...  »  en  complanl,  comme  ga, 
sur  ses  grandes  mains...  «  One,  two,  three,  four,  five...  » 
hisloire  de  me  I'aire  croire  que  I'Anglaise  etait  la  seu- 
lemenl  pour  lui  monlrer  sa  langue...  mais  je  n'ai  pas 
donne  la  dedans...  J'ai  dit  a  Joseph  de  passer  devanl... 
il  ne  se  I'esl  pas  fait  r^peter...  el  il  a  bien  fail !...  Quanl 
a  mademoiselle  Sarah,  je  I'ai  averlie  qu'a  la  prochaine 
IcQon  d'anglais,  je  me  chargeais,  moi,  de  lui  admi- 
nislrer  une  triijotee...  en  frangais.  Pendant  les  huil 
jours  qui  out  suivi.  il  ne  s'est  rien  passe...  j'ai  eu  beau 
guetter,  jen'ai  rien  vu...  mais,  an  bout  deces  huil  jours, 
ah!  ah!...  an  bout  de  ces  huil  jours...  nous  y  voila,  i\  la 
berline  !...  Je  traversais  la  cour  des  ecuries,  je  lenais 
a  la  main  un  joui-nal,  la  Vie  2)f"is/e»/ie,  que  j'allais 
porter  a  madame.  15ob,  le  petit  terrier  etait  la...  c'est 


SCENE    SEPTIEME.  367 

un  tout  jeune  chicn,  tres  gai,  tres  joueur...  il  vient  a 
moi  en  aboyant,  et  il  se  met  a  sauter  pour  attraper  le 
journal...  Moi,  ga  m'amusait;  je  levais  le  bras,  conime 
ga,  et  je  riais...  «  Tu  ne  Tauras  pas,  Bob,  tu  ne  I'auras 
pas!... »  Mais  Bob  a  si  bien saute  qu'il  a  fini  par  Favoir, 
et  il  est  parti  avec...  Moi,  pour  rattraper  la  Vie  pari- 
slennc  de  madame,  j'ai  couru  apres  Bob...  la  porte  de  la 
remise  etait  ouverte.  Bob  y  est  entre...  et  moi,  j'y  suis 
entree  apres  Bob,  ecarquillant  les  yeux,  car  on  n'y 
voyait  guere,  et  relevant  mes  jupes  pour  me  faufiler 
au  milieu  des  roues...  Elle  est  tres  grande,  cette 
remise...  Oh!  c'est  enorme!  il  y  a  la  dedans  trois 
rangees  de  voitures,  les  vieilles  dans  le  fond,  natu- 
rellement,  celles  dont  on  ne  se  sert  plus...  et  parmi 
ces  vieilles  voitures...  la  berline!  la  berline!  la  fameuse 
berline!...  la  berline  jaune...  un  souvenir  de  famille... 
c'est  dans  cette  berline  que  le  pere  de  monsieur  alia  it 
a  la  Cliambre  des  pairs...  autrefois,  sous  Louis-Phi- 
lippe... et  c'est  pres  de  cette  berline  que  je  finis  par 

retrouver  Bob  !  (Elle  se  laisse  tomber   sur  une  chaise  a  droite.) 

11  avait  lache  le  journal,  il  etait  la,  immobile,  dressant 
ses  deux  petits  bouts  d"oreilles,  en  arret  sur  la  berline, 
et  tout  d'un  coup...  vlan!...  il  bondit,  il  se  jeta  sur  la 
portiere  en  aboyant...  ouah!  ouah!...  et  cinq  ou  six 
fois  de  suite  il  sauta  et  rcssauta...  en  aboyant  tou- 
jours...  ouah!  ouah!  ouah! 

JOSEPH,    s'agitant  dans  son  lit. 

Le  voila,  ce  maudit  chien,  le  voilal... 

AUGUSTINE. 

Et  alors,  du  fond  de  la  berline  sortit  une  voix...  celle 
qui  m'avait  jure  fidelite  au  pied  des  autcls...  et  cette 
voix  disait  :  «  Tu  ne  vas  pas  te  taire,  mauvaise  bete, 
tu  ne  vas  pas  te  taire!  » 


368  LES   SONNETTES. 

JOSEPH,  tourmente  p;u-  son  cancliemar. 

La  voila,  la  mauvaise  bete!... 

AUGUSTINE. 

Et  comme  la  mauvaise  bete  ne  se  taisait  pas,  comme 
elle  ne  cessait  pas  d'aboyer,  la  mauvaise  bete,  une  des 
glaces  de  la  portiere  tomba  et  dans  Tencadrement  une 
figure  parut,  la  sienne,  au  miserable,  la  sienne!  11 
m'aperc^ut  et,  pour  essayer  de  me  donner  Ic  change, 
passa  ses  deux  grandes  mains  et  se  remit  a  compter, 
comme  dans  le  corridor  :  «  One,  tivo,  three...  »  mais  avant 
qu'il  eut  compte  jusqu"a  three,  moi  aussi,  je  m'etais 
61ancee  sur  la  portiere,  je  I'avais  ouverte...  (Eiie  se  leve.) 
et  le  terrier  et  moi  nous  ctions  dans  la  berline !...  Alors 
il  se  passa  dans  cette  berline...  ce  qui  probablement 
ne  s'etait  passe  dans  aucune  berline  au  monde!...  J'y 
allais  de  tout  cceur,  moi!...  Je  gillais  a  tort  et  a  tra- 
vers...  L'Anglaise,  terrifiee,  piaillait  dans  son  idiome... 
Bob,  ravi,  aboyait  dans  le  sien,  et  mon  imbecile  de 
mari,  la  tete  completoment  perdue,  continuait  a 
compter  :  «  One,  tuo,  three...  »  Et  voila  pourquoi  il  est 
de  ce  c6t6-la,  lui,  pourquoi  je  suis,  moi,  de  ce  c6te-ci,  et 
pourquoi  il  y  a  des  verroux  a  la  porte  de  communica- 
tion... Ce  n'est  pas  que  qa  m'amuse,  au  moins!... 

JOSEPH,    se  roveillant  tout  ;'i  fait. 

Eh!...  eh  bien!  la,  me  voila  reveille,  maintenant... 
et  il  me  sera  impossible,  tout  a  fait  impossible,  de  me 
rendormir.  Linsomnie...  la  facheuse  insomnie!... 

II  rcfernie  ses  ridcaux. 
A  U  G  I'  S  T 1  N  E  . 

Non,  qa.  ne  m'amuse  pas...  mais  je  me  dis  que  qa 
Tennuie  encore  plus  que  moi,  et  cette  idee-la  me  sou- 
tient... 

Joscpli  rcparait,  sortant  de  dcrricrc  los  ridcaux.  II  a  passe  un  jiantalon 
et  un  gilet  a  manclics 


SCENE    SEPTIEME.  369 

JOSEPH. 
Non...  qa.  n'est  plus  possible!...  (Il  fait  deux  ou  trois  tours 
dans  sa  chambrc,  va  rcgardcr  par  la  serruro  ct  aper^oit  sa  femmc  qui 
est  en  train  d'oter  son  corsage.)  Ell  la!...  eh  la!...  (11  replace 
deux  chaises  comme  il  les  a  placecs  a  la  scene  iv,  recommence  I'expc- 
ricnce  en  se  fendant  deux  ou  trois  fois,  va  ouvrir  la  fcnetre  du  fond, 
regarde,  revient,  se  remet  a  la  serrure,  se  consultc  ct  flnit  par  prendre 

son  parti.)  N'y  a  pas...  n'y  a  pas...  cette  fois-ci,  j'en- 
jambe,  il  n'y  a  pas  a  dire...  j'enjambe,  cette  fois-ci !... 

II  court  a  son  liaUon,  enjambe  la  balustrade  ct  disparait.  —  Musique  k 
I'orchestre.  —  Au  liout  d'un  instant,  bruit  do  vitre  briscc,  grands  cris 
derricrc  la  fenctre. 

JCSEPII. 

Eh  la!...  eh  la!... 

.\  U  G  U  S  T  I  .N  E  ,  e tfray ee. 

Moil  Dieu!  qu"est-ce  que  c'est? 


JOSEPH. 


Eh  la!...  a  moi!. 


.V  U  G  U  S  T I N  E  . 

Joseph! 

lOlIe  court  a  la  fenetre  ;   on  aper^oit  Joseph  faisant  inutilcment 
des  efforts  desesperis  pour  so  hisser  sur  Ic  balcon. 

J  0  S  E  P  II . 

Eh  la!...  eh  la! 

.\  r  G  U  S  T  1  N  E  ,  cmpoignant  Joseph. 

Tiens  boa,  je  suis  la!...  (iens  bon,  iie  laclie  pas! 

EUe  tinit,  aprcs  une  lutte  qui  doit  durer  quclque  temps,  par  faire  fran- 
chir  a  Joseph  la  balustrade,  puis  elle  le  pousse  sur  le  dcvant  de  la 
scene  ct  le  fait  asscoir,  tremblant,  offare,  grotesque.  —  Fin  du  mOlo- 
drame  a  I'orchestre. 

JOSEPH,    assis  pres  du  gueridon. 

Oil  est  mon  bras?...  Ma  janibe,  ou  est-elle?...  Et  moii 
autre  jambe?  et  mon  autre  bras?...  ou  est-il,  mon  autre 
bras?.., 

De  sa  main  gauche  il  s'est  cramponne  a  la  chaise. 

21, 


370  LES   SONNETTES. 

AUGUSTINE,   a  gcnoux  ct  docrocliant  avcc  ort'uit  lo  liras  de  Joseph. 

Le  voila,  mon  ami... 

JOSEPH . 

Ah!...  le  voila!...  c'est  bicn... 

II  promone  aiitour  dc  Iiii  dos  regards  epcrdus. 
AUGUSTINE. 

Allons,  voyoiis...  remets-toi,  le  danger   est  passe. 

(EUc  lui  donne  ua  vcrrc  d'oau  qu'ello  avait  prepare  pour  elle  sur  I'ar- 
moirc.)  Bois...  bois...  (Joscpli  Ijoit.  —  Elle  lui  parle  comme  a 
un  petit  enfant  :)  Boil  lianail,  (;a...  (Lui  donnant  le  reste  du 
Sucre  dans  la  petite  cuiller.)  Boil  SUSUCre...  tieilS...  (Jusopli, 
avalant  de  travers,  sc  met  a  tousser  :  elle  lui  tape   dans  le  dos.)  Cc 

n'est  rien...  la,  c'est  passe. 

Joseph  se  tato,  regarde  autour  de  lui,  reste  silencicux  cacorc 
pendant  un  moment,  puis  eclate. 

JOSEPH,    avec  violence,  se  levant. 

Eh  bien!...  eh  bien!...  La  voilii  satisfaite,  n'est-ce 
pas,  ta  coquetterie  feminine?  la  voila  satisfaite!...  Tu 
aurais  ete  bien  aise  si  jc  m'etais  casse  le  cou  a  cause 
de  toi,  mauvais  petit  bout  de  femme! 

AUGUSTINE,  posant  le  verre  sur  le  gueriduii. 

Mauvais  petit?...  Qu'est-cc  que  tu  dis,  grand  cheval 
de  berline,  qu'est-ce  que  tu  dis?... 

JOSEPH. 

Mauvais  petit  Ijout  de  femme,  je  dis  I... 

AUGUSTINE,    surt'oquce. 

Ah  bien!...  Elle  est  forte,  cclle-la!...  moi  qui  ctais  la 
k  le  soigner,  a  m'attendrir...  Et  pourquoi?...  Parce 
qu'il  essaye  de  franchir  un  espace  grand  comme  qa... 

Elle  niontrc  la  moitic  ile  son  bras. 
JOSEPH,    I'uricux. 

Grand  comme  ga!... 


SCENE    SEPTIEME.  371 

AUGUSTINE. 

Et  il  n'en  est  pas  meme  venu  a  bout,  le  maladroit!... 
il  degringolait,  si  je  n'avais  pas  ete  la  pour  le... 

Elle  remet  son  corsage. 
JOSEPH. 

Grand  comme  Qal...  Ah  bien,  par  exemple!...  Apres 
un  pareil  acte  d'intrepidite,  etre  re^n...  Ah  bien!...  ah 
bien!...  (sonnerie  eiectriquo.)  Et  voila  qu'on  souue  a  pre- 
sent, voila  qu'on  sonne...  et  c'est  monsieur  le  marquis. 
(Criant.)  Voila,  mousieur  le  marquis,  voila!...  (comant  dans 
la  chambre  comme  un  fou.)  Par  Oil  est-ce  que  je  vais  passer? 

AUGUSTINE. 

Passe  par  la  fenetre. 

JOSEPH. 

Par  la  fe...?  c'est  de  I'ironiel...  tout  comme  madame 

la  marquise  de  Chftteau-Lansac...  c'est  de  I'ironiei... 

(Sonnerie.)  Voila,  mousieur,  voila!...  Non,  je  ne  passerai 

pas  par  la  fenetre.  je  passerai  par  la  porte...  (ii  6te  les 

veiTOUx  de  la  porte  de  communication.)  J'y  paSSCrai  pOUr  m'en 

alter,  mais  jamais...  entends-tu  bien?...  jamais...  et  ne 
prends  pas  tes  airs...  ne  les  prends  pas,  tes  airs!... 
jamais  je  n'y  passerai  pour  revenir... 

II  rentro  chez  lui. 
A  U  G  U  S  T  I  N  E  . 

Et  tu  feras  bien!...  (sonneric.)  Madame  aussi!...  Mais 
qu'est-ce  qui  leur  arrive  done,  en  bas,a  lous  les  deux?... 

(Aiiumant  sun  bougeoir.)  Voila,  madame,  voila! 

JOSEPH,    revenant  chez  sa  lemmo. 

C'est  pour  le  coup  que  c'est  fini  entre  nous,  et  c'est 
moi  qui  le  dis,  cette  ibis,  c'est  moi  qui  le  dis!...  (Ren- 
trant  dans  sa  chambre.)  Et  I'Anglaise...  tu  sais  bien,  I'An - 
glaise?... 


3-;2  '    LES  SONNETTES. 

AT'GUSTINE,    s'airetant    brusqnement    au    moment    ou    cllc    allait 
desccndre  par  son  cscalicr. 

L'Anglaisc!...(sonnerie.)  Voilii,  madame,  voila!  (Eiie  va 

Chez  son  mari.)  L'Anglaise !... 

JOSEPH. 

Elle  m'avait  envoye  sa  nouvelle  adresse...  etje  n"y 
etais  point  alle,  mais  maintenant...  (sonneiie.)  Voila, 

monsieur,  voila!  (II  va  s"en   aller.   Augustine   conit  ajues  lui  et 

I'arretc.)  J'irai,  maintenant,  j'irai... 

A  U  G  U  S  T I  N  E  . 

Eh  bien,  vas-y!...  etje  sais  bien  ce  que je  ferai,  moi... 

Elle  s'en  va  dans  sa  chambre,  il  court  aprcs  elle. 
JOSEPH. 

Qu'est-ce  que  tu  feras? 

AUGUSTl.NE. 

Tu  verras  bien  I... 

JOSEPH. 

Eh  bien,ga  m'estegal,  ceque  tu  feras,  Qa  m'estegal!... 

11  s"en  va,  elle  court  apres  lui. 
AUGUSTINE. 

Qa.  fest  egal!... 

JOSEPH. 

Parfaitement  egal!... 

AUGUSTINE,    rentrant  ohez  elle. 

Fallait  done  le  dire  plus  tot!... 

Elle  sort  par  son  escalier. 
JOSEPH. 

Et  puis  ne  m'agace  pas,  tu  sais,  ne  m'agace  pas!... 

11  sort  par  son  escalier.  A  peine  a-t-il  disparu  qu'Augustine  rentre 
brusquement. 

AUGUSTINE. 
II  me  menace!...  (EUe  traverse  la  scene  commc  une  flcchc,  va 


SCENE   SEPTIE.ME.  373 

jusqu'A,  I'escalier  de  Joseph  ct  retraversc  la  scene  en  disant  :)  II  a 

bien  lait  de  s'en  aller,  il  a  bien  fail!...  (sonneiie.)  ^'oiIa, 
madame,  voila! 

EUo  sort.  Des  qu'elle  a  disparu,  Joseph  revient,  traverse  la 
scene  a  son  tour  et  va  jusqu'a  I'escalier  d" Augustine. 

JOSEPH,  criant  dans  I'escalier. 

Ne  m'agace  pas!...  J'ai  eule  dernier,  tout  de  nieme.  (ii 

rentre  chez    lui  et  va    regarder    par    la    fenetre.)  Grand   COniniC 

c:a!...  C'est  enornie,  I'espace  qu'il  y  a  entre  ces  deux 
balcons...  c'est  enorme,  je  vous  assure...  Vous  ne 
pouvezpas  vous  rendre  compte,  c'est  facheux...si  vous 
pouviez  vous  rendre  compte,  vous  verriez...  Et  elle 
n'aurait  pas  demande  mieux  que  de  me  faire  reconi- 
mencer...  La  coquetterie!...  reternelle  coquetterie 
lemininel...  Qa  me  rappelle...  (sonnerie.)  Voila,  monsieur 
le  marquis,  voila  I...  ^a  me  rappelle  Faventure  d"une 
dame  d'autrefois,  d'une  dame  du  siecle  de  Louis  XIV, 
qui  etait  allee  se  promener  au  Jardin  des  Plantes  de 
ce  temps-la,  avecunjeune  seigneur  de  la  cour  de  Fran- 
cois I"'...  C'est  historique!...  Elle  avail  laisse  lomber 
son  mouchoir  dans  la  fosse  a  I'ours,  et  puis  elle  s'etail 
mise  a  crier  :  «  Ah !  mon  mouchoir  I  Ah !  mon  joli  mou- 
choir brode!... »  en  regardant  le  jeune  seigneur  de  cote, 
comma  ga...  pour  Tinviter  a  aller  chercher  le  mou- 
choir... (Sonnerie. 1  Voila,  monsieur  le  marquis,  voila  I.. 
Eh  bien,  qu'esl-ce  qu"il  a  fail,  le  jeune  seigneur?  II  n'a 
fait  ni  une  ni  deux,  il  a  empoigne  la  dame  el  il  Ta 
fichue  dans  la  fosse  a  Tours...  C'est  historique!...  II 
I'a  fichue  dans  la  fosse  a  Tours,  en  lui  disant  :  «  Allez 
le  chercher  vous-meme.  votre  joli  mouchoir  brode!...  » 
Apres,il  en  a  eu  du  regret...  parce  qu'elle  etail  parenle 
de  la  reine...  Mais  qu'esl-ce  que  vous  voulez?...  a  ces 
epoques-la,  on  n'y  allait  pas  par  quatre  chemins. 
(Sonnerie  furieuse.)  Voila,  mousicur  Ic  marquis,  voila!... 
Eh  bien,  voila! 

II  sort.  —  Rentre  .4ucusiine. 


374  LES   SONNKTTES. 

SCENE   VIII 

AUGUSTINE,  puisJOSEPH. 

AUGUSTINE,  allant  dans  la  chambre  de  son  mari. 

Ou  est-il,  le  miserable,  ou  est-il?...  II  n'est  pas  la... 
taut  pis!  (EUe  revient  chez  eiie.)  J'aurais  eu  dii  plaisir  a  lui 
dire  que  je  le  quitte,  que  je  m'en  vais  d'ici...  avec 
madame...  Qa  nc  va  pas  en  has,  ga  ne  va  pas  du  tout!... 
madame  s'est  relevee...  elle  a  eu  avec  monsieur  une 
nouvelle  entrevue...  et  le  resullat  de  cette  cntrevue,  c'est 
que  nous  partons  toutes  les  deux...  nous  nous  retirons 
chez  la  mere  de  madame...  et  elle  ne  demeure  pas  au 
coin  de  la  rue,  la  mere  de  madame...  elle  demeure 

dans  le  Langucdoc.  (Elleprend  une  malle  qui  est  sous  la  table 
et  la  trainc  sur  lo  devant  de  la  scene.)  Voilu  la  situation...  Au 

point  du  jour,  nous  partons  pour  le  Languedoc. 

Elle  ouvrc  la  malle.  —  Entrc  Joseph. 
JOSEPH. 

En  voila  bien  d'unc  autre!...  Nous  partons  pour  I'An- 
gleterre,  a  c't'heure!...  Avant  I'aurore,  moi  et  monsieur 
le  marquis,  nous  cinglerons  vers  I'Angleterre...   Ma 

malle!...  (Il  la  prend  au  pied  do  son  lit  et  la  place  sur  deux  chai- 
ses. —  Dans  ces  allees  et  venues,  Joseph  et  Augustine  se  trouvent 
I'un  en  face  do  I'autro  :  lis  se  rcgardcnt  pendant  un  instant,  puis  ils  se 
tournent  brusquemcnt  lo  dos ;  ils  se  mottcnt  k  fredonner  tous  les  deux 
d'un  air  indiifdrent.  —  Augustine  commence  a  faire  sa  malic;  Joseph 
veut  faire  la  sienne,  mais  ne  trouve   pas  la  clef.)  AUonS,  bon  — 

allons,  bon!...  voila  que  je  n'ai  pas  la  clef  de  ma  malle, 
k  present! 

Apres  quelques  moments  d'hdsitation,  il  sc  decide  a  cntrer  dans 
la  chambre  do  sa  femme,  qui  so  romot  a  fredonner. 


SCENE    IIUITIEME.  37o 

JO  si:  I'll. 
Desole  de  deranger  madame,  mais  commc,  du  temps 
que  madame  etait  ma  femme,c'etait  madame  qui  avail 
toutes  les  clefs,  je  suis  oblige  de  prier  madame  de 
vouloir  bien  me  donner  la  clef  de  ma  malle. 

AUGUSTINE,  agonouillue   par  tcrrc  pros  do  sa  nialle. 

La  clef  de  voire  malle?... 

JOSEPH. 

Devant  partir  en  voyage...  Eh  !  mais,  Dieu  me  par- 
donne.  on  dirail  que  madame  fail  ses  preparalifs  pour 
partir  en  voyage,  elle  aussi. 

AUGUSTINE,  continuant  a  t'airc  sa  malic. 

Comme  vous  diles,  je  pars. 

JOSEI'H. 

Vous  partez,  c'est  fori  bien...  El,  sans  incriminer 
aucunement,  ni  vouloir  revenir  sur  le  passe,  peul-on 
vous  demander  ou  vous  allez  comme  Qa? 

AUU'.USTINE. 

Je  vais  dans  le  Languedoc,  avec  madame. 

JOSEPH. 

Dans  le  Languedoc,  c'esl  fort  bien...  V'ous  allez  dans 
le  Languedoc  avec  madame  ;  je  vais,  moi,  en  Angle- 
terre  avec  monsieur. 

AUGUSTINE,  sc  levant  ct  sur  Ic   point  d'liclater. 

En  Angle... 

JOSEPH. 

En  Anglelerrc. 

A U  G  U  S  T I N  E ,  froidenient . 

C'esl  bon,  voici  la   clef  do  voire  malle. 

Ellc  la  lui  donne. 


370  LES   SONNETTES. 

JilSKl'H. 
Ell  bien,  alors!...  (ll  leste  un  instant   indecis,   jmis,   il  rentic 
dans  sa  chambre,  ouvrc  sa  inalle,  etc.,  etc.,  et  tous  deux  se  rcmettcnt  a 

fiedonner.)  Ca  la  chilTonne  que  j'aille  en  Angletcrre...  a 
cause  des  Anglaises...  Moi  aussi,  du  reste,  ga  me  chif- 
lonne...  a  cause  de  la  traversee.  (Enveioppant  avee  soin 

ses  faux  mollets  et  les  muntrant  au  public.)  A  LoudPCS  I ! !...  (II  range 
lesl:iii.\  mollets  dans   .sa  malle.)  Et  puis,  J)OUrquoi  est-CC  qUC 

je  nc  I'avouerais  pas,  voyons?...  qa.  me  cliilfonne  en- 
core a  cause  d'autre  chose.  (ll  revient  dans  la  chambre  de  sa 
femme  et  la  regarde  sans  rieii  dire.  —  .\ugustine  affecte  de  ne  pas  faire 

attention  u  lui.)  Et  comme  c^a...  est-ce  que  vous  y  resterez 
longtemps,  dans  le  Languedoc? 

.VUGUSTINE,  il  gcnou.x  devant  sa  malic  qu'ellc  continue  do 
rcmplir. 

Le  plus  longtemps  possible. 

JdSEI'H,  s'assied  a  droits 

Ost  fort  bien...  Et,  toujours  sans  incrimineraucu- 
nement,  peut-on  vous  demander  de  quelle  facon  vous 
comptez  passer  vos  soirees  la-bas"? 

.\t:gu<tine. 
Qu"est-ce  que  ca  pent  vous  faire? 

JOSEPH. 
Ca  me  fait...  ga  me  fait...  ^a  me  fait  que  vous 
portez  mon  nom,  apres  tout...  Je  voudrais  savoir  ce 
que  vous  comptez  en  faire,  de  mon  nom...  J'aime  ;i 
croire  que  vous  nallez  pas  le  galvauder  dans  le  Lan- 
guedoc. 

AUGUSTINE,  ferniant  sa  malle  et  s'asscvant  sur  nn  coin 
de  la  maile. 

Vous  pretendiez  tout  a  Iheureque  ca  vousetaitpar- 
faitement  egal... 


SCENE    llUrriEME.  377 

JiiSEI'H. 

Egal,  a  moi,  de  voir  Ic  nom  dc  Pidoux!... 

AUGUSTINE. 

Voiis  avez  change  d'avis,  a  ce  qu'il  parait.  Si  vous 
avez  change  d'avis...  il  Taut  h'dirc...  ditcsde...  voyons... 
ditcs-le  done ! 

Kile  se  Icve. 
JOSEPH,  sc  levant  anssi  et  pa.s.sant  a  gauche. 

Hum !...  hum !... 

AUGUSTINE. 

Dis-le  done,  imbecile,  dis-le  done,  que  ga  te  creve 
le  coeur  de  te  separer  de  moi...  Dis-le  done,  que  tu 
mourrais  de  colere,  si  je  m'avisais  de  galvauder  le  nom 
de  Pidoux  dans  le...  Dis-le  done,  que  tu  es  jaloux  et 
cjue  tu  m"aimes...  Est-ce  cjue,  si  tu  ne  m'aimais  pas, 
tu  aurais  risque  de  te  casser  le  cou  tout  a  Fheure  pour 
venir  dans  ma  chambre?...  Dis-le  done,  que  lu  Tadores, 
ton  mauvais  petit  bout  de  femmel...  dis-le  done, 
voyons,  dis-le  done!... 

J<)SEPH,  a[ii-L's  un  temiis. 

Et  si  je  dis  ga,  qu"est-ce  que  tu  diras,  toi? 

A  U  G  U  S  T 1  N  E . 

Ce  que  je  dirai?... 

J  U  S  E  I'  H . 

Oui. 

AT'GUSTINE. 

Assieds-toi...  tu  es  trop  grand,  comme  qa. 

JOSEI'fl,  s'asseyant  sur  la  malle. 

Eh  bien,  alors?... 

.\UC>USTINE,  se  laissant  tomber  snr  les  genoux  de  Joseph. 

Ce  que  je  dirai...  tu  le  sais  bien,  ce  que  je  dirai...  je 


378  LES   SONNETTES. 

dirai  que,  moi  aussi,  je  t'aime,  grande  bete!...  Voyons, 
rappelle-toi...  Quand  je  t'ai  epouse,  tu  sais  bien  que 
lu  n'etais  pas  scul  a  demander  ma  main...  II  y  avait 
M.  Capuron,  le  grand  cpicier  de  la  rue  Saint-Domini- 
que; il  y  avait  Jean,  le  cocher  du  due  de  Montesinos... 
quatorze  chevaux  dans  I'ecurie!...  ga  vaut  une  place 
dans  un  ministere,  ga,  ct  une  bonne!...  II  y  avait  le 
nevou  de  madame... 

JOSEPH,   souriant. 

II  voulait  t'epouser,  le  neveu  de  madame? 

AUGUSTINE. 

A  peu  de  chose  pres...  II  yen  avait  d'autres  encore... 
Eh  bien !  pourquoi  est-ce  que  je  t'aurais  choisi,  toi, 
qui  n'avais  que  soixante  francs  de  gages...  et  pas  de 
casuel?...  pourquoi  est-ce  que  je  t'aurais  choisi,  si  je 
ne  t'avais  pas  aime?...Et  maintenant,  pourquoi  est-ce 
que  je  serais  comme  qa.  autour  de  toi,  a  te  tapoter,  k 
t'embrasser...  malgre  la  berline?... 

JOSEPH. 

Allons...  voyons,  voyons... 

-V  U  G  U  .S  T I N  E . 

Pourquoi  est-ce  que  j  oublierais  que  c"est  toi  qui  as 
tous  les  torts?...  (Se  levant.)  Justice  du  ciel!  c'est  pour- 
tant  vrai  que  c'est  lui  qui  a  tous  les  torts!...  (eiio  se  ras- 
sied  sur  ses  genoux.)  et  que  cest  moi  qui  ai  I'air  de 
demander  pardon...  (Commencant  a  pieurer.)  Pourquoi  est- 
ce  que  je  serais  bete  et  lache  comme  ga,  dis,  si  je 
n'etais  pas  amoureuse?... 

JOSEPH. 

Amoureuse?... 


SCENE   IIUITIEME.  379 

AUGUSTINE,  oclatant  on  sunglots. 

Oh!  ouil... 

EUe  jotto  ses  bras  au  cou  de  son  mari  et  appuic  sa  tete 
sur  Tepaulc  gauche  dc  Joseph. 

JOSKI'H. 

Faut  pas  rougir  pour  ra...  quand  I'amour  est  bien 
place,  n'y  a  pas  a  en  rougir. 

AUGUSTINE,  se  levant. 

Mon  Joseph  I... 

JOSEPH,  se  levant    aussi ;  avoc  tcndresse. 

Mon  Augustine !...  (changeant  de  ton.)  Et  tu  en  conviens, 
n'est-cc  pas,  lu  en  conviens,  que  c'est  enorme,  Tespace 
({u'il  y  a  cntrc  les  deux  balcons?... 

A  U  G  U  S  T  1  N  E . 

Qui,  oui,  j'en  conviens... 

JOSEI'H. 

Grand  comme  ca,  tu  disais... 

AUGUSTINE. 
J'avais  tort.  IKtendant   les  bras    le    plus   (pi'elle  peut.)  C'ctait 

comnic  ca... 

JOSEI'II. 

A  \a  bonn«>  heure!...  Et  je  I'ai  Iranchi...  C'est  histori- 
quc!...  Mon  Augustine!... 

11  prend  Augustine  dans  ses  bras. 
AUGUSTINE. 

Mon  Joseph!... 

Sonnorie. 
JOSEPH,  occupe  a  emlirasser  longuemcnt  Augustine. 

Et  voila  qu'on  sonne!... 

AUGUSTINE. 

C"esl  madame...  Ellc  est  pressec  de  s'en  alter,  ma- 
dame.  (Sunnorie.)  Ellc  cst  mcmc  trcs  pressee... 


380  LES   SONNETTES. 

JosKI>H. 
Mais  qu"est-cc  qui  a  pu  se  passer,  en  has,  je  vous  le 
demande?...  Ou'est-ce  qui  a  pu  se  passer? 

ArcrsTiNK. 
Je    n"en   sais   rien,    niais   madame  est  comnio  une 
lionne... 

J  (1  S  K  P  H . 

Et  monsieur  done  I...  II  est  conimo  un  coq  d"Inde, 
monsieur!...  et  pour  quun  homme  aussi  distingue  que 
monsieur  soit  coninie  un  coq  d'Inde.  il  faut... 

Sonnerie. 
A  U  C.  U  S  T I  N  i: . 

On  sonno  toujours. 

JOSEPH. 

Ell  l)ien  I  alors... 

Arr.T'STlNE. 

^'oila.  madame,  voila!...  Mon  Joseph  I... 

Ello  plcurc. 
Joseph,    se    mettant  aus>i   u  lileurer. 

Mon  Augustine  I. ..  Voila  que  nous  pleurons  a  c"  t"  heui'e 
et  que  nous  melons  nos  larmes... 

AUCiUSTINE,   (I'lino  voix  brisiie  par  les  sanglots. 

Et  jamais  peut-ctre,  depuis  que  le  monde  est  monde, 
il  n'y  a  eu  dans  la  nature  un  spectacle  aussi  tou- 
cliant. 

JOSEPH. 

Mon  Augustine !... 

AlcrSTINE. 

M(jn  Josei)h!...  isonnerie.)  \'oila,  madame,  voilii! 

Kile  sort. 


SCENE  DIXIEME.  381 


SCENE    IX 

JOSEPH,  soul. 

II  renire  dans  sa  cliamliro  et  continue  a  lairo  sa  niallo, 

Sommes-nous  betes  de  nous  etre  raccommodes  nii 
moment  meme  on  nous  allions  nous  separcr!...  Si 
nous  etions  restes  faches,  Qa  nous  aurait  fait  moins 
de    peine...  Et  meme,  ea   nous    aurait    peut-etre   fait 

plaisir...  (Il  fcimc  sa  malle   et  la   purte  an   luml.)  Mou  AugUS- 

tinel...  Enlln,  tout  qa.  ne  serait  rien  si  j'etais  sur  de  no 
pas  avoir  le  mal  de  mer  pendant  la  traversee !... 


SCENE    X 

JOSEPH,  AUGUSTINE. 

AUGUSTINK,  dans  lescalier. 

Josepl)  I  Joseph  I... 

JOSEPH. 

n  est  encore  arrive  quelque  chose...  Eh  bien,  quoi, 
voyons"?...  Eh  bien,  quoi? 

AT'til'STIN  K,  so   profipitant  tout  cssouffleo   dans  la 
cliambrc  de  Joseph. 

Ah  I  Joseph,  nous  ne  p;irtons  plus! 

.1  IKK  I'll. 

Eh  lal...  eh  la  I... 

ATM.TSTI.Ni;. 

Je  sais    maintenant    pourquoi    madame  avail  peur 


382  LES  SONNKTTES. 

d'etre  alloc  iiii  pen  loin...  EUc  est  vive,  madaine...  rile 
est  du  Midi...  Et  il  paralt  (\n'ii  la  suite  de  rexplicalion 
sur  le  Tattersall... 

JOSEPH,    riant. 

Lc  Tattersall!... 

Aror.^TiNE. 
Tu  connais  ga,  toi,  Taffaire  du  Tattersall? 

JOSEPH,    riant. 

Si  je  connais  ca?---  Jl'  te  crois!... 

A  I'  O  l"  S  T I  N  E . 

II  parait  qua  la  suite  de  fexplication  sur  lc  Tatter- 
sall, madame  s'est  oubliee  jusqu'a  administrer  a  mon- 
sieur le  marquis... 

EUe  fait  lo  ireste  dc  donncr  unc  citto. 


Allons  done ! 
Et  une  bonne!. 


J  (1  s  E  P  H  . 


AUGUSTINE. 


JOSEPH. 

Un  liommer  i<i  distingue  !... 

AUGUSTINE. 

II  a  ete  ve.xe,  monsieur  le  marquis,  et  il  s'est  retire 
dans  ses  appartements,  en  jurant  que  tout  etaitrompu 
cntre  madame  et  lui...  Un  quart  d'heure  apres,  madame 
s'est  repentie.  et  s'en  est  allee  gentiment  frapper  h  la 
porte  de  monsieur  le  marquis...  Mais  monsieur  le 
marquis  s"etait  barricade  et  a  refuse  douvrir...  il 
continuait  a  etre  vcxe. 

JOSEP)I. 

Un  coq  dTnde,  jc  I'ai  dit,  un  coq  dTnde!... 


SCENE   DIXIEME.  383 

AUGUSTIXE. 

Furieuse,a  son  tour,  de  cette  reception,  madame  est 
rentree  chez  elle...  et  c'est  alors  qu'elle  ni'a  sonnee 
pour  me  dire  que  nous  nous  en  allions. 

Dans  le  Languedoc... 

AUGUSTINE. 

Dans  le  Languedoc...  Mais,  depuis,  elle  a  encore 
reflechi.  Elle  etait  amoureuse,  elle  aussi!  et,  a  toutc 
force,  elle  voulait  aller  demander  pardon  a  son  mari... 
mais  comment,  puisque  toutes  les  portes  etaient  fer- 
mees?...  C'est  alors  que  moi.  je  m'en  suis  melee... 
j'ai  fait  j'ai  insinue  qu'en  montant  par  mon  escalier, 
en  traversant  ma  chambre,  et  puis  la  tienne,  et  en 
redescendant  par  ton  escalier,  madame  la  marquise 
pourrait  tres  bien...  Brave  petite  femme!  elle  a  tout 
de  suite  saute  sur  cette  idee...  Mais  toi...  pouvait  elle 
devant  toi? 

J  0  S  EP  H.  enchante,  ravi,  mais  ne  comprenant  lien  du  tout 
a  cc  que  lui  raconte  Augustine. 

Vadoncl...  va  done! 

AUGUSTINE 

Attends...  attends!  Je  I'ai  rassuree,  en  lui  disant  que 
tu  dormais  conime  une  souche...  Te  voila  au  courant. 
Madame  la  marquise  va  passer  par  ici  pour  aller  se 
raccommoder  avec  son  mari...  Et  toi... 

JOSEPH,  qui  dans  sa  joie.  continue  ii  ne  rien  comprendre. 

Moi?... 

AUGUSTINE,  avec  un  ]ie>i  dimpatience. 

Tu  vas  te  coucher.  toi,  et  tu  feras  semblant  de 
dormir... 

JOSEPH,  comprenant  enfin. 
Ah!  j"y  suis!   (Augustine  le  regarde.)  J'y  Suis,  je  te  dis!  je 

ne  suis  pas  une  bete ! 


384  LES   SONNETTES. 

AfCrsTINK. 

Une  betel...  Ah  I  grand  Dieu!... 

JOSEPH,  riant  aux  eclats. 

Va  falloir  que  je  feigne... 

.vrorsTiNE. 
Comnic  til  dis...  couche-toi  vite...  il  me  semble  que 
j'entends...  C'est  madame  la  marquise...  oui...  couche- 
loi  vite  et  fais  semblant  de  dormir. 

JOSEPH,   se  couchant  tout  habillo  ct  d'lin  seul  coup. 

Ya  falloir  que  je  feigne  I... 

Musiquc    jusqu'au  baisser   Ju    riileau.  —    Kntrc  la   marquise  dans    la 
chanihre  d'Augustinc  :  Augustine  va  au- levant  dc  la  marquise. 


SCENE  XI 

AUGUSTIXE,  JOSEPH,  couch-,  LA  MARQUISE. 

.VUGUSTINE,  a  la  marquise. 

Par  ici,  madame,  venez  par  ici.  (a  peine  la  marquise 

est-elle  entree  que  la  force  lui  manque  :  clle  so  laisso  tpniber  sur  une 
chaise.)  N'ayeZ  pas  peur,  madame...  (La  marquise  so  releve 
et  fait  quelques  pas,  mais  clle  s'arrete,  trcs  emuc,  au  moment  d'cntrer 
dans   la    chambre    de   Joseph,    .\ngustine    reprend   :)    Mon    man? 

Soyez  sans  inquietude...   il  dort...  Si  vous  voulez,  je 

Vais  allez  voir...  (.Vugustinc  entre  dans  la  chambre  de  Joseph. 
Cclui-ci,  en  Tapercevant,  est  pris  d'un  acces  de  gaiete,  ct  sc  met  a  fairc 
dcs  cabrioles  sur  son  lit  :  Augustine  sc  precipite;  petite  lutte.  Joseph 
embrasse  Augustine,  qui  I'oblige  a  se  rcnfoncer  dans  son  lit.  Rovenant 
i  la  marquise,   avec   le   plus  grand   calms  :)  II  dort   profonde- 

ment,  madame. 

La  marquise  sc  decide  alors  a  entrcr  dans  la  chambre  do  Joseph. 


SCENK   DOUZIEME.  385 

JUSKl'll,  ent"onc(i   ilans   scs    cuuvertures    jusqu'au    mcnton.  a   voix 
liasso. 

Maiiame  la  marquise...  madame  la  marquise  de 
Chateau-Laiisac... 

La  niarriuise  clfrayf;c  rccule. 
AUOrSTINE,  ;i  part. 

Imbecile!...  (iiam,  a  la  marquise. i  II  revc,  madame,  il 
reve...  Et,  en  revant,  il  pense...  il  est  si  devoue  a 
madame  la  marquise!... 

I.a  marquise  roprcml  sa  marche  ot  arrive  jusqu"a  Tescalicr 
qui  mcne  cliez  Ic  marquis. 

A  r  ( ;  r  s  T 1  m:  . 
La.  madame...   vous  n'avez  plus  qu'a  descendre  .. 

(La  marquise  passe  prcs  de  Joseph.  —  Celui-ci,  au  moment  oii  elle  passe, 
so  met  a  ronflcr  d'une  t'acon  formidable  :  epouvaiito  do  la  manjuisc  qui 
se   sauve.   Augustine   la    ramCMic.  i   La,   madame,    la...    CH    VOUS 

i'ait  peur,  a  vous...  mais  moi,  je  suis  liabituee...  allons, 
madame,  du  courage...  au  bas  de  cet  escalier...  vous 
trouverez  uue  porte,  et  cette  porte  ne  sera  pas  fermee... 

La  marqtiiso  sort;  Augustine  sort   avce  clle.  .Joseph  se  prccipitc 
hors  do  son  lit  et  se  mot  a  danscr  au  milieu  do  la  cliamljre. 


SCENE  XII 

JOSEPH,  AUGUSTINE. 

AUC'T'STIN  p;,  rentrant  prcs(iuc  aussitut. 
Qa  y  est!...  (Xous  les  deux  se  regardent  en  riant,  i 

JOSKI'H. 
Ell  ])ien,  alorsl...  (ll  va  donner  deux  tours  do  clot  a  la  porto 
de  resealier.l  Et    mailltenaut...  (Il  rcvicnt  il  sa  lemme.t 

II.  22 


386  LES    SONNETTES. 

AUGUSTINE,   en  riant. 
Et  niaintenant...  (Gravementetavco  line  petite  reverence.)  boil- 

soir. 

Ello  se  sauve  dans  sa  chambre  ct  fcrme  la  jjorto 
do   communication. 

JOSEl'H,  courant  apres  Augustine. 

Voyons,  ma  femme!...  ma  cruelle  petite  femme!... 

.\UGUSTINE;  en  riant. 

Bonsoir,  mon  gentil  petit  mari,  boiisoirl 

Joseph  pousse  la  portc  faiblement  defendue  par  .Vurrustinc. 
AUGUSTl.NE,  riant. 

Grande  bete...  va! 

Le  rideau  tombe  au  moment  oii  la  porte  cede  et  ou  Joseph 
entre  dans  la  chambre  d'Augustine. 


FIN      DU     DEIXIEME     V  O  H  M  E  . 


TABLE 


LA     PETITE     MARQUISE I 

L  A     V  E  r  V  E 91 

LA    (IKA.NDE     DUCHESSE     DE     GLKOLSTEIN 1"9 

l"kngenue 307' 

LES    sonnettes 355 


Coulommicrs.  -  Innj.  Pall  BKODARD.  —  1350-1-2-99. 


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1 


PQ 
2359 
M3 
t.2 

Meilhac,  Henri 

Theatre  de  Meilhac  et 
Hale'vy 

cop.  2 

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