ANDRE GAYOT
UNE ANCIENNE MUSCADINE
FORTUNEE HAMELIN
LETTRES liNÉDITES
1839-1851
PRÉFACE
DE M. EMILE FAGUET
De l'Académie Française.
Orné d'un portrait en héliogravure.
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Droits de reproiluction et de liadiiclioii réservrs pour lous pays.
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FORTUNEE HAMELIN
(D'après le tableau d'AppiANi).
ANDRÉ GAYOT
UNE ANCIENNE MUSCADINE
FORTUNÉE HAMELIN
LETTRES INEDITES
1839-1831
PRÉFACE
DE M. EMILE FAGUET
De l'Académie Française.
Orné d'un portrait en héliogravure.
PARIS
ÉMILE-PAUL, ÉDITEUR
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PREFACE
M. André Gayol a retrouvé, par hasard, c'est-
à-dire par un de ces décrets providentiels qui font
tomber assez souvent les pièces rares aux mains
de ceux qui savent les bien encadrer et les mettre
en bonne lumière , une centaine de Lettres de cette
illustre Merveilleuse, 3/""^ Hamelin, qui fut Famie
de Aapoléon I^'', de Montrond, de Chateaubriand
(pour ne citer que les personnages historiques) et
qui a occupé une grande place dans la société
française depuis le Directoire jusqu'à la veille
même du Second Empire.
Ces Lettres sont beaucoup plus intéressantes que
celles qu'on connaissait déjcà comme parties de la
même main, parce qu'elles sont de véritables
mémoires. C'est en vérité par un scrupule de stricte
probité, peut-être excessif, que M. Gayot ne les a
intitulées Mémoires de M^^ Forlunée Hamelïn et
je crois que je n'aurais pas hésité à les intituler
ainsi.
En effet, elles ont été adressées par M"' Hamelin
Il PRICFACh;
vieillie à un très jeune ami de M™*" Hamelin,
apprenti diplomate, apprenti administrateur, plus
tard inspecteur des prisons, à qui — je ne sais pas
du tout pourquoi — M""^ Hamelin dit tout, sur
ses amis, sur ses ennemis, sur les anecdotes du
jour, sur les cancans et sur elle-même. Et vous
pensez... deux choses ; la première, que, très sou-
vent, on n'y comprend rien, car on n'a point les
lettres de C... et fréquemment iM""" Hamelin écrit
par allusion aux lettres de C... et alors ce n'est
pas très clair et par conséquent c'est très piquant
parce que cela excite la curiosité et la sagacité ; la
seconde, que, quand on comprend, et cela ne
laisse pas d'être très fréquent, il n'y a rien de plus
amusant que la petite histoire du temps de Louis-
Philippe racontée par la femme la plus sardo-
nique et dont les épigrammes, au temps de sa
jeunesse, avaient fait pâlir et trembler tant de
personnages, parmi lesquels de très haut placés.
h^s Mémoires cleM^^ Hamelin sont extrêmement
divertissants et instructifs.
Elle a connu tout le monde : Napoléon P'" qui
est resté son idole jusqu'au dernier soupir; Cha-
teaubriand, qu'elle a beaucoup aimé, dont elle a
été une des conquêtes les plus faciles, mais à qui
elle n'a pas pardonné de ne l'avoir pas nommée
dans ses Mémoires de peur de contrarier M™^ Réca-
mier ; Talleyrand, dont elle goûte assez les « comé-
PRÉFAGli III
dies » successives sans pouvoir, bien entendu,
aimer un homme que Napoléon n'aimait pas ; ce
(( sot » de Flahaut, cet excellent Belmontet qui
est « bête comme un âne » ; Walewski, qui com-
promet le sang des Napoléon dans ses relations
sans discrétion et sans dignité avec Rachel. Que
d'autres! Hortense AUartde Meritens deSaman,..,
etc., qui est une folle en cinq lettres; mais qui a
tant (le talent et qui aime tant à aimer qu'on ne
peut pas lui en vouloir et que l'on a pour elle une
indulgence où il entre de la tendresse.
C'est un joli cinématographe que les Mémoires
tie J/™^ Hamelm.
On y trouve de tout et non pas seulement les
historiens anecdotiques mais les historiens, et non
pas seulement la petite histoire mai*^ la grande
auront à s'en occuper très sérieusement.
Tenez, jusqu'à cette petite-cousine de Louis-Phi-
lippe qui s'appelait M™*^ Lafarge. Un épisode de
la vie de M""" Lafarge se trouve ici, qui ne se trouve
pas ailleurs. Pourquoi? Parce que ce scélérat deC...
est en 1846 inspecteur des prisons. Or, M"' Lafarge
est en prison. Elle y a été mise sous prétexte qu'elle
a empoisonne son mari avec de la liqueur de Fowler
à fortes doses. Or, inspectant, C... lui a dit quel-
ques bonnes paroles et lui a pris la main. Or,
M™*' Lafarge est devenue amoureuse de lui. Du
moins — car je n'en crois rien — elle le lui écrit
IV PRKFACE
en style romantique. Et cettre lettre, qui le flatte
ou qui l'amuse, G... racommuniquéeàM™-Hamelin
et M. Gayot Ta retrouvée dans les papiers de la
Merveilleuse (ou, tout simplement, G... l'avait
gardée et jointe aux lettres de M™^ Hamelin, ce qui
n'était pas respectueux, mais ce qui n'a rien de
très condamnable; . Et voilà comment nous sommes
informés des amours ergastulaires d'une princesse
de la main gauche.
M. André Gayot s'est acquitté avec le plus grand
zèle de sa tâche, qui n'était pas petite. Pour expli-
quer le texte il lui a fallu feuilleter tous les journaux
du temps et les lire souvent comme à la loupe. Et
il lui a fallu identifier bien des personnages sou-
vent très obscurs. Il a fait tout cela avec une
grande patience et une extrême sagacité. G'est là
un très bon travail d'éditeur érudit. Il reste encore
bien des points qui seraient à élucider. Personne
ne le sait mieux que M. Gayot. Mais il a fait, que
je crois, tout le possible.
Je ne veux cependant pas désespérer ceux qui
voudront s'attacher à démêler les points obscurs
de M""® Hamelin. G'est un travail épineux qui ne
sera pas sans roses.
Emile Faguet,
de l'Académie française.
UNE ANCIENNE MUSCADINE
FORTUNÉE HAMELIN
INTRODUCTION
COUP D ŒIL SUR SA VIE
SA CORRtlSPONDAXCI':
« J'ai assisté aux victoires do la République, j'ai
traversé les Saturnales du Directoire, j'ai vu la gloire
du Consulat et la g-randeur de l'Empire : sans avoir
jamais affecté une force et des sentimens qui ne sont
pas de mon sexe, j'ai été, à vingt-trois ans de dis-
tance, témoin des triomphes de Valmy et des funé-
railles de Waterloo. »
On peut appliquer — en les complélant — ces
paroles, que la Contemporaine [fda SaiiH-Elnie) pla-
çait en tète de ses Mémoires, à une anciemie Musca-
dine, Bonapartiste fougueuse, séduisante et originale
créole, Fortunée Hainelin, qui, après avoir frémi tout
enfant aux éciios de 89, traversé la réaction thermi-
dorienne, triomphé aux soupers do Rarras, aux
réceptions du prince do Talloyrand et aux bosquets
1
2 FORTUINÉI': IIAMELIN
d'Jdalie avec les Belles-Sans-Chcmise, aux lèvres de
poupées, velues à la Sauvage de robes cinsse-de-
nyiii'phc-émue et chaussées de cothurnes violet cul-
de-mouchc à bouts pointus, admiré de près ou de
loin les pompes fastueuses du Consulat et de TEm-
pire, vibré de toute son âme à la lecture des Bulletins
des victoires ou des défaites napoléoniennes, raillé
Louis XYlIl et la cocarde blanche, audacieusement
conspiré pour le retour de son « astre adoré », vu
sombrer l'Aigle dont elle gardera la vision jamais
éteinte et l'impérissable souvenir, subi les rigueurs
de l'exil, critiqué — et servi (juelquefois — la seconde
Restauration, décoché des flèches à la Monarchie de
Juillet, vu les Journées glorieuses et les Barricades
de 18i8, ne s'endormit du dernier sommeil qu'à la
veille du Coup d'Etat, non sans avoir salué, fidèle au
culte « du mort glorieux de Sainte-Hélène », l'avène-
ment d'un Bonaparte au pouvoir.
Que d'agitation, que de péripéties, que d'orages,
que d'équipées, que de fêles, que de spectacles
lugubres ou splendidcs tour à tour, que d'émotions
vibrantes d'espoir ou douloureuses d'amertume pour
celte créole voluptueuse qui, sans adcctation, mais
guidée par un naturel ardent et fier, servie par une
haute intidligence, découvrit dans les did'érents évé-
nements politiques et autres, auxijuels elle fut mêlée
de très près, une force et des sentiments que l'on n'est
pas accoutumé de rencontrer chez les personnes de
son sexe. A cause de cela, vraiment, et pour d'autres
raisons encore, M"^' Hamelin mérite de retenir l'atten-
tion des liistoriographes, voire même la sympathie
admirative de tous les curieux de choses littéraires.
INTRODUCTION 3
car, SLiiiout dans les vingt dernières années de sa
vie, devenues presque champêtres, elle écrivit des
Lettres qui lui valurent l'honneur d'être appelée par
ses amis une petite-fille de la marquise de Sévigné.
Et nous verrons que cet éloge ne fut point une usur-
pation.
Sa vie, mouvementée et riche en épisodes, nous est
assez connue. Nous n'en retiendrons que les traits les
plus saillants.
Née en 177G à Saint-Domingue (quartier de la
Nouvelle-Bretagne, paroisse de Ouanaminthe, juridic-
tion de Fort-Dauphin), Jeanne-Genevicve-Fortunée
Lormier-Lagrave mourut à Paris, 37, rue Latour
d'Auvergne, le 29 avril 18oL
Venue en France à l'âge de douze ans, elle fut
mariée de honne heure (1792) à un fournisseur géné-
ral des armées, Antoine-Marie-Romain îlamelin (1770-
1855) dont elle eut une fille, Léontine, plus tard mar-
quise de Varambon et un fils, Edouard, qui épousa la
nièce de la comtesse de Yillèle.
Le joug marital ne lui fut pas une contrainte trop
lourde. Séparée de biens le 3 messidor an X, elle
s'était rapidement affranchie de cette tutelle, dont
pourtant son goîit pour l'indépendance et son amour
des plaisirs ne soufifrirent jamais. Les maris des Aspa-
sies du Directoire surent se montrer, en l'occurrence,
bénévoles et accommodants, sans doute par nécessité.
Elle eut des liaisons célèbres avec le général Bona-
parte (à ce que nous assure Hortense Allart), avec
Montrond sui'tout, intrigant de grande envergure,
spirituel ami de Talleyrand, dont il partagea souvent
les « mangeries » et les pourboires diploniali(jues
4 FORTUNÉE ilAMELIN
[Barras], Fournier-Sarlovèze, Morisel, aide de camp
de Rovigo, d'autres peut-être, dout le nombre effa-
roucha de vertueux mémorialistes, Thiébault, par
exemple, qui justifient parfois la parole latine : Sed
memoria nos sœpe fallit...
D'autre part, Fortunée Hamelin s'honora d'amitiés
illustres, aima le jeu, l'amour, la danse, — son inter-
minable passion — la musique, consolation de ses
vieux jours, 1' « idole m Bonaparte dont elle demeura
la prêtresse aux lendemains de Mareng^o comme de
Sainte-Hélène, conquit Cliateaubriand par sa verve,
son habileté et la finesse de son esprit, détesta
Juliette Récamier de tout son cœur, s'enthousiasma
pour Berryer, et toujours, en quelque milieu qu'elle
se trouvât, resta passionnément férue de politique,
La comtesse Bassanville nous trace son portrait
phvsique. 11 v a lieu de remarquer (jue les femmes se
montrèrent envers M"^"" Hamelin beaucoup plus indul-
gentes et véridiques que les hommes, exception faite
d'Ida Saint-Elme, qui s'effaroucha de l'amitié du
général Moreau pour l'ancienne Merveilleuse.
« Sa figure était plus originale que belle ; elle portait
le tvpe ci'éole fortement accentué. Elle avait un teint
très brun, des lèvres rouges et épaisses, des dents
blanches et pointues, des ciieveux noirs magnifiques,
une taille de nymphe, un pied d'enfant, et une grâce
extraordinaire qui la rendait presque l'égale des
reines de beauté du jour. M"" Récamier, Tallien^
Yisconti... Si ses rivales étaient plus régulièrement
belles, elle les surpassait en élégance personnelle. »
11 n'v a qu'à considérer attentivement la reproduc-
tion du tableau peint par Appiani à Milan pour juger
INTRODUCTION 5
que la comtesse Bassanvillc était peut-être au dessous
de la vérité. Si l'on compare les divers poriraits des
filles de la Révolution, on est étonné de la grâce
légère, de la sécurité épanouie et tranquille que reflète
leur visage. Elles usaient sans retenue ni réflexion
de la licence des mœurs, du costume et de la pensée
et gardaient une paix insouciante et osée. Les traits
de M""' Hamelin révèlent une mentalité tout autre :
ardente par ses yeux de flamme, elle paraît réfléchir
et voir plus loin en gardant quelques reflets tourmen-
tés dupasse, elle semble discerner, juger en s'inquié-
tant; ses yeux admirables pénètrent et précisent; le
nez aigu et fin flaire les orages, la bouche, grande et
sensuelle, n'est ni vulgaire ni méchante, le cou est
puissant, les épaules, la gorge et les bras ont une
ampleur et une netteté de lignes superbes, les mains
sont innocentes et pures. Toute l'attitude est cons-
ciente d'une valeur personnelle, maintenue avec
dignité. On l'appelait « la jolie laide » et celle jolie
laide fut une rivale à sa manière de Juliette Récamier,
une rivale dangereuse parfois, dont la malice n'épar-
gna jamais — à tort ou à raison — la « coquetterie
angélique » de celle qui fut « une psyché dans
laquelle Chateaubriand se regardait » [JohnLcmoine],
ange consolateur de tout ce qui souffrait, d'amour con-
tenu ou d'adoration avouée, plus divine qu'iiumaine,
sans effort comme sans orgueil, immatérielle presque à
nos yeux éblouis et devant notre esprit qui voulut être
curieux et ne sait pas encore ou ne sait qu'à demi.
Une telle rivalité suffirait à assurer quelque noto-
riété à une femme dont l'auteur (\!Alala, qu'elle avait
auvé en 1811, prisa fort la compagnie, et qui —
6 FORTUNÉE HAMELIN
malice suprême — semble avoir jeté dans les bras de
TEiichanteur l'aimable, l'enlhousiastc Horlense Allart.
3Iais Fortunée Hameliii était douée des talents les
{)lus divers : danseuse remarquable, alerte et désin-
volte dans le particulier comme au sein des fêtes oii
son esprit brillait, — un esprit à remporte-pièce et
dont le trait fut cuisant à plus d'une — écuyère con-
sommée, celte piquante créole, dénommée « le pre-
mier polisson de France », connut la vog"ue aux temps
frivoles et scandaleux du Directoire, oii la liorde des
agioteurs au luxe grossier, des banquiers cnricbis
pour avoir spéculé sur les biens nationaux, conviait à
leurs orgies ces créatures légères et jolies, Déesses
de la Liberté, extravagantes dans leur tenue comme
dans leurs mœurs et libres aulant que les roués qui se
pavanaient à leurs côtés.
« Plusieurs femmes delà même épo(jue, dit quelque
part Benjamin Constant, ont rempli l'Europe de leurs
diverses céléljrités. La plupart ont payé le tribut à
leur siècle, les unes par des amours sans délicatesse,
les autres par de coupables condescendances envers
des tyrannies successives. Celle que je peins (Juliette
Récamier) sortit brillante et pure de cette atmospbère
qui flétrissait ce qu'elle ne corrompait pas. »
En supposant que Benjamin Constant n'ait été con-
duit à écrire ces lignes que par une admiration fer-
vente pour celle dont la vertu devint assez « para-
doxale )), il est bien vrai de dire que Fortunée Hamelin,
au contraire, ne cberclia point à demeurer « blancbe
comme un ange des cieux ». Avec Notre-Dame de
Tliermidor, qui futjalouse d'elle et critiqua souvent la
« noire Belzi », avec toutes les Eclaireuses de la mode
INTRODUCTION 7
qui, emporloes dans le tourl)iilon, se grisèrent do
leurs succès et de leur renommée, M""° Hamelin
semble avoir connu sans aucun cynisme et le plus
naturellement du monde toutes les passions et, brise-
raison, faisant tout par bousculades, avoir goûté vrai-
ment le bonbcur de vi\'re, puisqu'il cette époque trou-
blée, seule, on put savourer cette joie, si Ion en croit
M. de Talleyrand, qui avait quelque expérience.
Au milieu du cortège bariolé des Incroyables et des
Mer\eilleuses, sa petite })ersonne preste, mobile, sau-
tillante, se distinguait par son art souverain à danser
la gavotte. la monaco, le pas ducliàle, — dont cliaque
pas était un sentiment et oi!i Corinne se surpassait — ■
avec Trénitz et Gardel, Yestris et ce Moutrond, beau
comme un Adonis et cyni(}ue autant que Lauzun,
cependant que Garât, Dieu du cbant, minaudeur et
rengorgé, roucoulait Le Bouton de Rose devant une
société pâmée. Les ]>als Tlielusson et Riclielieu, les
bosquets d'Idalie, les cascatelles de Tivoli, les
ombrages de l'Elysée, le brillant Bagatelle, la plaine
du Bois de Boulogne, Mousseaux, « ces jardins fré-
quentés d'Armide et de ses nymplies «, étaient alors
pour les Belles réputées, auxquelles M'"'' Hamelin dis-
puta le sceptre, des lieux de prédilection.
Paris n'est joli
Que par Tivoli,
Un peuple poli
S'y presse
Sans cesse,
Ses bosquets fleuris
Protègent les ris ^..
' Fagot d'Kpinos, an IX.
8 FORTUNÉE lIAMIiLIN
Et Le Grondeur ■dyn.iiconsiailô le 16 nivôse an V : « Un
homme qui ne saurait pas par cœur toutes les anec-
cloLes des coulisses et des foyers, qui ne connaîtrait
pas le nombre, la grosseur et la qualité des diamans
de M""^' Tallien, Boyer-Fonfrède et Amelin, serait le
personnage le plus maussade de Paris. »
M'"" Hamelin était donc une célébrité parisienne au
même litre que Thérésa Cabarrus ou Notre-Dame de
Bon-Secours et avant Juliette Récamier. Ecrire son
histoire alors serait raconter toute cette période sur
laquelle les renseignements abondent. Elle fait en 1794
un premier voyage en Italie et quand Bonaparte
revint d'Egypte, avec, au cœur, la brûlure de la
jalousie, c'est M"" Hamelin, dont la maison était trop
étroite pour contenir les dépouilles opimes, que le
Général victorieux alla voir, c'est elle, dit-on, qui le
conseilla, lui persuada de ne point donner prise aux
envieux et de garder Joséphine.
Si elle fut écartée de la cour consulaire avec
d'autres Beautés à la mode, si Joséphine lui manifesta
quelque ingratitude, si elle ne fut pas régulièrement
admise dans les salons officiels de l'Empire,
M'"^ Hamelin n'en garda pas moins un culte dévo-
tieux à Bonaparte qui, redevenu Empereur, sut
rémunérer les services que Ihabile intrigante lui ren-
dait. Elle suit toutes les phases de Tépopée napoléo-
nienne, elle s'enivre de ces jours glorieux. Junot,
qu'elle marie à M"® Permon (plus tard duchesse
d'Abrantès), Savary, Moreau, Ney lui-même, tous
les héros des guerres de l'Empire fréquentent chez elle,
assistent aux raouts qu'elle organisait à la perfection
et qui étaient des plus suivis.
IiNTRODUCTION 9
Il est permis de se demander si, quelque jour,
l'amitié qu'elle avait pour le beau colonel Fournier
ne la rendit pas suspecte à Bonaparte. Le dévouement
dont elle fit preuve en ces circonstances, récemment
relatées avec d'intéressants détails, lui porta peut-
être préjudice auprès du maître ombrageux. Ce ne
fut, sans doute, qu'un nuage vite dissipé.
Un soir de floréal an X, Fournicr-Sarlovèze s'était
vanté dans un diner qu'il abattrait le Premier Consul
d'un coup de pistolet. Bonaparte donna l'ordre ù
Fouché de s'emparer de cet officier. L'arrestation eut
lieu le 14 floréal à l'Opéra oii Fournier, liabit bleu-
barbeau à collet de velours, gilet blanc à transparent
rose, culotte noire, bas de soie, escarpins vernis,
plastronnait, beau parleur et bravacbe presque, sous
les yeux du Premier Consul. Le lendemain, pendant
(jue l'on perquisitionnait à son domicile oii il avait été
conduit pour assister les policiers dans leurs opéra-
tions, il s'évada prestement, et fut retrouvé chez
M""' Hamelin, rue Lepelletier. On a prêté à ce sujet à
notre ancienne Merveilleuse les plus noires intentions
et quelques historiens seraient tentés de supposer que
M™" Hamelin, ayant des accointances avec le Minis-
tère de la police, aurait livré Fournier.
Nous ne partageons pas leur opinion. M™' Hamelin
fut prudente et songea aussi bien à elle-même qu'au
prisonnier en faveur duquel elle intervint auprès de
Joséphine. Nous touchons ici d'ailleurs à un côté
important de sa vie. Si on lui pardonne de s'être
montrée à Tivoli à peine drapée d'une tunique de gaze,
d'avoir tra/ersé, libre d'allures, les Saturnales du
Directoire, que Juvénal, « gonflé de lave ardente «,
dO FORTUxNKK IIAMELLN
eût peiil-èLro fouaillécs, il semble qu'on puisse lui
faire grief d'avoir, à certaines épotiucs île gène, mis
son inlellig'ence, sa finesse el sa connaissance des
potins mondains au service du pouvoir. Quelque
indulgence que l'on doive accorder à ces femmes
désemparées, malgré elles ou le voulant bien, et qui
— soucieuses de maintenir un rang' (jue les caprices
de la foi'lune ou leur imprévoyance un peu folle de
coquettes avaient diminué — cliercbi'rent dans l'expé-
dition de (|U(d(]ues rapports discrets des subsides
indispensables <à leur existence, il est clioijuant, pour
ceux (|ui la voient à travers ses Leltî'esdc N'icillesse,
de l'encontrer parmi elles le nom de M'"*' Ilamelin.
Mais ce (jui l'excuse aux yeux des censeurs les plus
rigides, c'est que jamais, en ISiti conmie apivs
Waterloo, elle n'a satisfait une vengeance. • — Et cola
est déjà fjuelque cliose. — Et c'est quelque clioso
aussi, à son avantage, que ce témoignage de TEmpe-
reur qui disait à son propos : « Je ne sais comment
elle tourne sa plirase, mais je me sens disposé à bien
accueillir tous ceux dont elle rappoi'te les paroles, du
moins ceux-là ne se plaindront pas (ju'elle les enve-
nime. » Admirons, en passant, l'ancien fonctionnaire
de la police, Peucliot, mémorialiste sur ses vieux
jours, qui déclare avec une ingénuité charmante :
« Plus tard, je raconterai la vie de cette femme, en
ce qu'elle a trait à la police, et si mes mémoires arri-
vent entre ses mains, elle conviendra, je l'espère, que
si je ne la ménage pas, ma sévérité n'est que justice. »
La précaution est superllue.
Un historien contemporain (Ernest Daudet) a fort
judicieusement caractérisé, en une étude documentée,
INTRODUCTION 11
les rapports de M'"° Descliamps (pseudonyme de
M"^ Hamelin), « par laquelle on savait quelle duchesse
ou quelle actrice tel ambassadeur avait pour amante».
Nous lui empruntons ces lignes où les admirateurs
posthumes de M""' Hamelin pourront trouver un pal-
liatif à certains actes do sa vie, oserons-nous dire
politique ! « Hàtous-nous d'ajouter que dans son rôle
qui se boi'nera à rendre compte de ce ({uYdle voit et
d(; C(! (|u'elle entend, elle se préoccupera beaucoup
plus, en servant le gouvernement qui la paie, d'être
utile à ses amis, que de leur nuire. Souvent même à
ses indiscrétions elle joindra des conseils qu'elle
croira utiles et elle sera plus souvent une informatrice
bienveillante qu'une dénonciatrice pei'fide. Passionnée
et mobile^ impulsive et besogneuse, elle l'est; mais
intéressée, capable de calculs ténébreux ou méchants,
jamais. »
Gela se passait en 1818, à son retour de Bruxelles
oi^i elle avait été exilée. Depuis longtemps, « l'espé-
rance en habit blanc )> avait éclairé Ihorizon; elle
était devenue une réalité. Napoléon, le « Dieu de
Sainte-Hélène », comme elle l'appelle, ne portait plus
ombrage aux puissances. L'ancienne Merveilleuse
n'espérait pas son retour. Mais avant de servir — on
l'a vu brièvement — la seconde Restauration, elle
avait criblé d'épigrammes les acteurs de la première
et travaillé de son mieux, avec une extraordinaire
audace, au retour de l'île d'Elbe. C'est elle qui fit
afficher, qui afficha peut-être (car qui peut dire
jusqu'oi^i n'alla pas son dévouement à la cause napo-
léonienne) une des trois proclamations adressées au
peuple français et à l'armée par l'Empereur, et,
d2 FORTUiNËE IIAMELIN
lorsque ce dernier arriva à Fontainebleau en mars 1815,
c'est un courrier de M""*^ Hamelin et du vieux comte
de Ségur qu'on lui remit au palais.
Quels durent être son découragement et sa tris-
tesse, son insolente raillerie contre quelques frères
d'armes de Napoléon, flagorneurs et jaloux « de ne
pas attendre un jour pour saluer un nouveau maître »
[Houssaye], la correspondance que nous publions le
laisse entrevoir. En présence des terribles retours de
la fortune et de la chute de l'Aigle sur le champ de
bataille de Waterloo, elle sut rester courageuse, mais
résignée à peine. Le gouvernement de Louis XYIII,
auquel elle portait ombrage bien avant que ion eût
trouvé dans les papiers de l'Empereur des lettres
de M""" Hamelin accusant son bonapartisme invétéré
et la pétulance de son caractère batailleur à l'endroit
des maîtres de l'heure, le gouvernement de Louis XYIII
lui enjoignit de quitter Paris. Les avertissements ne
l'avaient pas rendue plus circonspecte; l'on n'ignorait
pas quelle hostilité persistante s'était manifestée chez
elle envers la famille rovale, ainsi que chez la duchesse
de Saint-Leu et 31'"" de Souza. Après avoir exprimé
le désir qu'on ne lui iiUimAt point l'ordre de s'en
aller, « sous forme d'exil », M"" Hamelin prit en
novembre 1813 le chemin de Bruxelles où lord Wel-
lington, d'après elle, devait la protéger et la soustraire
aux vexations dont elle pourrait être l'objel.
Elle y resta deux années environ. Elle retrouva là
des amis et des compagnons, Arnault, Merlin de
Douai, Gai nier de Saintes, Faudoas, le général
Exelmans, Benjamin Constant, qu'elle qualifiera un
jour de « brave, mais poltron politique », Teste et
INTRODUCTION 13
surtout iMorisel, sa liaison du moment, avxmturier sans
préjugé aucun.
Les uns et les autres entretenaient avec la France
des communications fréquentes, malgré la surveillance
étroite dont ils étaient l'objet. Mais l'ancienne Mus-
cadine se montra plus fine mouciiequeles « mouches »
<|ui l'espionnaient.
Autorisée par le duc de Richelieu à rentrer en
octobre 1817, M""^ Hamelin regagna Paris deux mois
après, grâce au passe-port envoyé par Montrond.
Ce qu'elle devint à son retour de Bruxelles, nous
ravonsrapidementesquisséplushaut;M""'Descliamps-
Hamelin renseignait le duc Decazes, et cette même
police, dont elle se rendait, pour un temps assez
court, l'auxiliaire avisée, la tint à nouveau en obser-
vation dès 1822, car elle était réputée comme s'occu-
pant activement d'intrigues politiques, et rangée au
nombre des factieux. Aussi fait-on signaler ses faits
et gestes et les diverses pérégrinations qu'elle se
permet à Londres (1827) et à Brighton où se trouvait
le comte de Montrond. Parmi les habitués de sa maison
les rapports de police mentionnaient le prince de Talley-
rand, les généraux Flahaut et de Girardin, le duc de
Choiseul et Ouvrard, le munitionnaire, qui avait été
arrêté chez elle en 1810 par un officier de Rovigo. Ses
voyages en Angleterre furent semés d'incidents aux-
quels il n'y a pas lieu de s'attarder. Au reste, on n'est
pas sûrement fixé sur les desseins de la Bonapartiste
impénitente, dont, selon les termes mêmes d'une note
de police conservée aux Archives, on surveillait rigou-
reusement « la manière d'être, de vivre et d'agir ».
On jouait beaucoup chez elle et l'on paraissait sup-
14 FORïUiNÉE 11AM1:LIX
poser dans le pays où elle avait eu, un instant, l'in-
tenlion de s'installer, que le but de M"''' Hamelin, de
concert avec M. de Moulrond, était un établissement
de jeux ; mais on remarquait aussi que toutes les per-
sonnes qu'ils voyaient étaient très connues par leurs
opinions libérales. Il est piquant d'enregistrer la
sympatliie de notre Bonapartiste pour plusieurs per-
sonnages de la nation voisine (jui avait vaincu et fait
prisonnier l'Empereur, dont elle regrette pourtant
« le passage lumineux », trop court à son gré.
Elle n'avait donc pas de rancune !
Elle était toujours subjuguée par l'aide de camp
habituel de Talleyrand, ce comte de Montrond — sur
lequel on lira plus loin de copieux détails — et dont
les allées et venues entre Paris et Londres étaient
régulièrement dévoilées au miiiistère de Tlntérieur.
On le disait chargé de missions secrètes plus ou
moins louches, et intéressé aussi à régler certaines
affaires pécuniaires du prince de Bénévent.
Mais, avant cette date, il no faut point omettre de
noter l'amitié très vive qui lia Gbateaubriand et
Fortunée Hamelin, au moment où René détenait le
portefeuille des Affaires Étrangères. Malgré son âge
(([uarante-sept ans) elle sut captiver le cœur et l'esprit
de l'Enchanteur auiquel Juliette Récamier, fleur déli-
cate, ne sut pas résister, après tant d'autres. Et de
savoir que l'ancienne Merveilleuse dos bals Thelusson,
Tirréductible Napoléonienne dont Chateaubriand
taquina souvent — • c'est elle qui nous l'apprend —
le farouche bonapartisme, fut au nombre de ces
Madames^ qui adorèrent René et furent adorées par
* Le mot est de la comlc?se de Boignc.
INTRODUCTION 15
lui, parce qu'elles se trouvaient sur son chemin, cela
ne donne-t-il pas un attrait de plus à ce qu'a pu faire
ou écrire Fortunée Hamelin ?
Célèbre, elle l'avait été et l'était encore: et si elle
n'était plus aussi preste, aussi sémillante qu'au temps
oiî, Therpsicliore des Bacchanales du Ijal Richelieu,
elle soulevait les applaudissements des Muguets et
des Mirlillores du Directoire, elle avait conservé ses
« yeux des Tropi({ues », la vivacité, la grâce enjouée
de son esprit, sa conversation pétillante, son intelli-
gence fine et avertie. Elle connaissait tant de choses,
tant de potins, tant de détails qui tenaient de près ou
de loin à la politique! L'Enchanteur lui écrivait tous
les jours. Que n'avons-nous ses billets! Fortunée
alhiit le voir et le clierchcr souvent. Il lui écrivait, en
elTet, le 11 décembre 1814 : « Aimez-moi toujours
comme quand vous veniez me chercher aux All'aires
Etrangères. »
Allèrent-ils ensemble au Jardin des Plantes et le
long de la Seine jusqu'au Champ de 3Iars, comme
liortensc AUart quelques années après?
La « petite histoire » no le dit pas.
M"® de Castellane se montra jalouse des hommages
que Chateaubriand déposait — momentanément —
aux pieds de son heureuse rivale, moins jeune qu'elle
et moins jolie. Mais la mélancolie de René commu-
niait alors avec la verve de la créole, i^^t c'était un
nouvel encens que l'on brûlait pour lui, si choyé! Il
ne fut, on le sait surabondamment, jamais insensible
au.x regards féminins qui parlaient d'adoration pour
sa personne ou pour son œuvre et pour son ceuxre à
travers sa personne. Les yeux de Fortunée Hamelin
46 FORTUNEE HÂMELIN
furent encore feu et flamme, et ses réparties, sa
science des événements écoulés et des iiommes d'hier
et d'alors, durent séduire, amuser, instruire aussi
l'auteur du Génie du Chrislianisme.
De plus, n'avait-il pas, à l'égard de M'"" Hamelin,
une dette de reconnaissance à payer? Il attendit près
de douze années pour lui en fournir le témoignage
écrit. Voici sa lettre du 9 février 1823 :
« Je n'oublie jamais, Madame, les services qu'on
m'a rendus! C'est à l'intérêt que vous avez bien
voulu me témoigner que je dois de n'avoir pas été
fusillé ou enfermé à Yinccnnes par Buonaparle.
Aussi, Madame, si je puis vous être utile, je suis
prêt à payer la dette de la reconnaissance. Je
voudrais pouvoir me rendre à vos ordres ; mais la
mullitude des affaires ne me laisse pas le temps de
sortir pour d'autres affaires. Si je ne craignais d'a-
buser de vos bontés, je vous prierais de fixer le jour
et riieure où je pourrais avoir l'iionncur de vous
recevoir chez moi ; je serai bien heureux de pouvoir
vous olfrir à la fois mes remcrciemens et mes hom-
mages. ))
Sans doute M*"" Hamelin ne perdit poiut de temps
et courut-elle chez lui bientôt après ! Utile à ses amis,
toujours empressée à rendre service — c'est un des
traits les plus marquants de son caractère — elle
intervint auprès du ministre puissant en faveur de ses
protégés. Et le minisire ne lui accorda pas toujours.
Elle le déclare elle-même. Mais il faut, dans la lettre
que nous avons reproduite d'après le Constitutionnel
du T' août 1849, souligner cette phrase tombée de la
plume de Chateaubriand et qui est une confidence, un
LN'rRODUGTION 17
éloge un peu risqué peut-être ([u'il faisait de lui-
même :
« Je )i oublie yc/;y/c//s, }[ada)ne, les services r/uoii
ma rendus... »
L'avenir dira qu'il avançail là une assertion dont
il n'était pas très sûr, cet homme changeant!
Les mômes termes, la même preuve de gratitude se
retrouvent dans une lettre à Sophie Gay — antérieure
à celle de M'"' Hamelin — Sophie Gay qui s'entremit
en sa faveur lorsque, quelques années après la mort
du duc d'Jùighien, (^hateauhriand, dont la démission
avait été hruyante, recueillit à l'Académie Française
la succession de Marie-Joseph Chénier. Il est hors
de contestation que Fortunée Ilamelin et Sophie Gay
furent inRniment utiles à celui qui venait d'appeler
Bonaparte « le glorieux assassin ». Mais Tinter-
vention de M"^ Hamelin a plus de prix, semhle-t-il,
car c'est par ses soins qu'une entrevue fut ménagée
entre Ghateauljriand et Rovigo dans les serres de
M. Boursault. El si nulle entente, nul rapprochement
durahle ne résulta de ce conciliahule, du moins
laissa-t-on Ghateaubriand tranquille à la Vallée-aux-
Loups, car Rovigo écoutait les avis de celle à qui le
liait ime amitié de frère.
Nous serions vraisemblablement mal éclairés sur
ce point si M""" Hamelin et So[)hie Gay n'avaient pris
la peine de nous renseigner l'une et l'autre. Toutes
deux ont raison, assurément, et leur geste gra-
cieux et bon fut efficace. Seul, Giiateaubriand, écri-
vant les M ('• moires d^ Outre-Tombe, qu'il révisera peu
d'amiées avant de mouiir, est-il coupable, vraiment,
d'avoir oublié ou donné à croire (ju'il ouldiait les
18 FORTUNEE HAMELLN
services à lui rendus, en ne consignant pas dans
son œuvre posthume les noms de toutes ses bien-
faitrices.
Et c'est ce qui causa à notre ancienne Muscadine,
dévouée même à ceux dont elle ne partageait pas
l'opinion, mais dont elle admirait et respectait le
profond génie, un dépit et une tristesse qui éclatent
dans l'article brillant, passionné, signé d'elle et
qu'on lira plus loin.
Chateaubriand oublieux ! Devons-nous donc nous
en étonner !
Rappelons ce passage un peu singulier et signifi-
catif de ses Mémoires : (f Sincère et véridique, je
manque d'ouverture de cœur: mon ûme tend inces-
samment à se fermer; je ne dis point une chose
entière et je n'ai laissé passer ma vie complète que
dans ces Mémoires. »
Hélas ! la vérité en est apparue bien relative par
plusieurs détails et Chateaubriand, qu'une amie de
Bonaparte avait sauvé de la geôle ou de l'exil, Y ado-
rable, l'illustre Chateaubriand laissera — après sa
mort — dans le cœur ulcéré de Fortunée Hamelin le
souvenir d'une ingratitude qu'elle ne méritait pas.
Encore cette ingratitude, dans son admiration inalté-
rable pour l'auteur à'Afala, elle l'explique, non par
un scrupule d'adorateur, un scrupule délicat et tou-
chant envers celle dont la créole avait été rivale,
mais par l'influence « hypocrite » d'une « femme
inexplicable», de Juliette Récamier. « Lbie belle pelile
menotte, celle de Juliette^ hélas l a fait des corrections
à l'usage de ses propres rancunes. »
Inexplicable, certes elle le demeura, celle à qui
i:*iTRODUCTION 19
M™" de Staël écrivait en 1807 : « Avec vous, qui peut
espérer avec certitude... Il ne faut pas trop vous
aimer, vous faites mal! »
Mais hypocrite, jalouse et rancunière, voilà qui peut
nous surprendre !
Hé quoi ! Celle qui fut, a-t-oii cru longtemps et
encore aujourd'hui, toute décence et toute pureté,
déesse candide dont l'attrait mystérieux élevait tout
ce qui s'agenouillait au pied de son autel, Juliette
Récamier, à la couronne blanche, aurait-elle été trop
humaine, une fois? Et son âme se froissa-t-elle à
cette « vie de petites coquetteries » que lui repro-
chait la duchesse de Broglie et ne connut-elle point
toujours vis-à-vis de ses rivales ce sentiment si admi-
l'able, si digne d'elle.... la générosité?
Insondable cœur de la femme !
De quelle olïense avait-elle été victime, quel diffé-
rend avait surgi dont s'effaroucha sa froideur gra-
cieuse et noble et qui paraissait insensible!...
Faut-il en chercher Texplication dans ses opinions
de royaliste (elle l'était beaucoup plus par sentiment
que par conviction) [Herriot], dans son opposition à
Bonaparte, dont Fortunée Ilamelin admirait tout le
despotisme et toutes les folies guerrières ou plutôt
dans le ressentiment qu'elle nourrissait envers celle
qui lui fit un beau soir un afTront public ?
Montroncl, le conquérant sans scrupules, avait été,
dit-on ^ curieux de Juliette, et Juliette ne fut point de
' C'est, en ciTet, une simple liypullièsc que nuus éinetlons. 11 )' eut
brouille, jalousie pout-èlrc entre Juliette nécauiier el Fortunée Ilame-
lin. Le plus solide et le mieux éclairé des historiographes de Juliette,
M. Edouard Herriot, s'insci'it en faux contre le récit que nous résu-
20 FOKTUiNEl-: HAMELLN
marbre pour « l'Enfant Jésus de l'Enfer » ([ui dominait
alors l'esprit et le cœur de la Muscadinc. Celle-ci,
devinant leur intrigue dans un h;\[ masqué,, les pour-
suivit quand ils s'enfuvaicnt en fiacre vers un lieu
connu du séducteur et s'écria, indignée, apitoyée
aussi et ironique : « M'"'' Récamier. .. Gomment!
3|me Récamier, c'est vous? Ali ! je me suis trompée! »
Elle se fit un malin plaisir, sans doute, — vengeance
bien féminine — de colporter l'histoire et d'alimenter,
avec une malignité peut-être répréhensible, la chro-
nique scandaleuse des salons où l'on dut s'étonner et
rire de la « virginale » Juliette.
Cette jalousie de la créole hardie se manifesta sou-
vent, d'ailleurs, après ISOo^àl'endroit de M"'' Récamier,
à laquelle ses dévots adorateurs ne manquaient pas
de rapporter les propos tenus sur son compte, et,
probablement ne sut-elle pas opposer un front d'airain
à la raillerie mordante de M'"- Hamelin, Il y a, notam-
ment, l'histoire d'un canari, que raconte de façon
charmante Caroline Jaubert, la « Marraine » spirituelle
d'Alfred de Musset, qu'amusait fort la conversation
ailée, capricante, de l'ancienne Merveilleuse.
« Puis, passant d'un coup d'aile à M""^ Récamier,
clic (M'"'' Hamelin) commenta de la plus plaisante
façon les droits de cette Beauté à prendre rang parmi
les poètes. «Non que jamais, ajoutait-elle, cette mer-
ce veille eût commis un hémistiche : j'ignore môme si
« elle pouvait écrire en prose. Pas d'indiscrétion à
« craindre qui pût faire lire un billet d'elle. Inspirant
« le genre humain, elle était la grande prêtresse
mons ici tl qui aurail tUé fait par Sucliet à ThiLbault qui la rulalé
(Herriot, 3/°^'= Récamier et ses amis, I).
INTRODUCTION 21
« d'Eros. Elle régnait sur toule la naLure. » Pour se
sentir profondément remué, il fallait lui entendre
narrer le désespoir d'un canari, qui, par distraction,
s'était envolé. L'oiseau favori, disait-elle, voulait
revenir ou mourir. Le moyen? Portes et fenêtres
fermées. De Montmorency, trois générations, sentant
leur impuissance, ne tentaient même pas la capture
du fugitif. L'illustre Ballanclie, martyr dévoué,
essayait, mais en vain : il faisait peur au volatile par
sa laideur. Comme on désespérait de réussir, le serin,
par un miracle de l'amour, enfin devenu ingénieux,
se prit avec l'énergie du désespoir à becqueter le
marteau de la porte cochère, jusqu'à ce qu'on vint
ouvrir. Palpitant, il vola vers sa belle maîtresse et se
réfug^ia dans son sein virg^inal... »
« C'était la parodie des adorations excitées par
^£me I{j5camier », dit Sainte-Beuve, qui note l'art
merveilleux de M™° Hamelin îi « piquer le défaut
d'autrui ». Mais on ne nous dit pas l'eflet produit par
« cette bistoire à mourir de rire » sur l'béroïne qui
en était l'objet. Et apparemment Juliette s'en est-elle
souvenue quand, à l'Abbaye-au-Bois, Cbateaubriand
lui lisait ses Mémoires — et peut-être conseilla-t-elle
à René d'efïaccr le nom de sa rivale...
Connnent démêler ce problème?
Sopliie Gay, bienveillante et d'esprit sagace, s'y
est essayée et, tout en blâmant Cbateaubriand de
son oubli, de son geste ingrat envers une bienfai-
trice, amis cette « correction » au compte d'un scru-
pule de conscience et d'un respect bonorable envers
Juliette vieillie qu'il ne voulait pas offuscjucr, môme
avec un nom... prononcé devant elle et qui, seul,
22 F0RTL\\1:E IIAMRLIN
faisait surgir les fantômes altristanls du passé.
L'excuse est délicieuse, elle vient de Sophie Gay.
On eût aimé néanmoins — pour la vérité — lire le
nom de M""' Hamelin à côté de celui de M"""' Lindsay,
Regnault de Saint-Jean-d'Angely et Sophie Gay. Le
vieux Chat, ce jour-là, avait rentré sa gritfe ! Et cette
lacune — faut-il l'avouer! — nous laisse perplexe
sur la « divinité « de Juliette et les scrupules do
M. de Chateauhriand, qui se disait sincère et véi-i-
dique et (}ui iiiancjua d'ouverture de cœur... quel-
quefois.
Les années se sont écoulées ; les événements ont
changé la France, ne réalisant ni les rêves ni la poli-
tique de M""" Hamelin. Louis-Philippe est sur le trône.
L'âge est venu, et avec lui les inlirmilés physiques et
les misères morales aggravées par des spéculations
malheureuses, peut-être, par des revers de fortune et
des affaires domestiques emhrouillées qui la contrai-
gnirent, après 1830, croyons-nous, à se retirer une
partie de Tannée à l'Hermitage de la Magdelaine, dans
la foret de Fontainehleau. Quoique fêtée toujours
dans les salons où elle était reçue, l'ancienne Musca-
dine, accablée par l'âge et les amertumes, mais cou-
rageuse et fière, préférait la quiétude champêtre de la
maison de campagne « qui avait pris la place d'un
modeste oratoire fondé sous Louis XIII, entre une
futaie plusieurs fois séculaire et la rive gauche de la
Seine, à quidijues centaines de mètres du pont do
Val vins i>.
INTRODUCTION 23
C'est de là que sont datées la plupart des Lettres
que nous publions et qui sont adressées à un de ses
jeunes amis, M. Charles C.., Bonapartiste comme
elle, et auquel, sans nul doute, elle servit d'intermé-
diaire et de protectrice auprès des membres de la
famille Bonaparte dispersés en Europe et en Amé-
rique. 31. C... voyageait alors en Italie, en Afrique,
dirigea un journal dans le Nord, et de passage à
Montpellier, comme Inspecteur général des prisons,
vers 1846, rencontra M""" Lafarge, qui reçut après
cette visite « un coup de soleil sur la joue ». Très
répandu, entre temps, dans la société choisie de la
capitale, le correspondant deM™° Hamelin était aussi
le familier du salon de Caroline Jaubert, de la Com-
tesse Moraska, des réceptions d'Augerville, oùBerryer
tenait une cour spirituelle, légère et sans protocole.
Plus tard, M. C... devint, croyons-nous, secrétaire de
Persigny, et consul en Espagne. Ce n'est là, objectera-
t-on, qu'un personnage de second plan. Mais, peut-être
à cause de cela, M""" Hamelin s'épanche-t-elle avec
plus d'abandon, avec plus de confiance aussi, car
il a la même idolâtrie — et elle l'encourage dans
ses travaux en mettant à son service les nombreuses
relations et le crédit (ju'elle a conservés.
De 1839 à 1851, année de sa mort, elle envoie à
son jeune ami, acquis aux idées napoléoniennes qui
lui sont chères, de longues lettres curieuses à plus
d'un titre. Elle adore ce coin de rile-de-France oii elle
fait des séjours prolongés ; la songerie y est bonne et
consolante lorsque les souvenirs d'autan assaillent son
cerveau. Elle dépeint son « bivouac » et son jardin
avec autant de ciiarme que M'"" de Sévigné décrivant
24 FORTUNEE HAMELLX
les Rochers ; elle s'y repose, un peu désenclumlée,
résignée cependant, oubliant ses propres déboires
pour suivre et discuter avec intérêt, avec passion,
avec la mt'me « exaltation politique » qu'au temps où
son « maître » Napoléon dominait le monde, les évé-
nements qui agitent la France. De Paris et de la
Madelaine, elle renseigne son correspondant sur ce
que Mérimée appelait « les cancans et les grosses
nouvelles », sur les discours de Tliiers, la pièce à la
mode, Raidiel et VV'alewski, les exceniricilés d'un
Bonaparte à Eglington, les voyages de Berryer et du
duc de Bordeaux, ou encore sur la dernière réception
à l'Académie, le greluchonnage de quelques Lions, les
enlèvements, et un discours de Victor Hugo. Avec une
compétence et un esprit — non seulement primesau-
tier, mais profond — bien dignes d une femme à qui
Cliateaubriand écrivait tous les jours (juand il était
minisire des AlFaires V^trangères, elle disserte sur la
politique intérieure ou extérieure, les douanes en Tos-
cane, les livres du jour, auxquels elle préfère les vieux
livres, les corrections dWiaia ou de Rancè, les tableaux
pour lesquels son goût est vif et éclairé, G/iir/andaJo
et la ]'irrr/f' à f ll/js/ic. Mais elle le fait sans pi-daii-
tisme ni allélerie.
Ses letti'es, on le \erra, sont des causeries fami-
lières, remplies souxcnt de bons conseils, é^naillées
de détails toujours curieux et [)i{[uauls, d'aperçus
légers et profonds, causeries (jue M''" llamelin renou-
velle et prolonge pour distraire son ennui, faire revivre
quel(|ues-uns de ses souvenirs — et peut-être aussi,
j)ar liabitude de bavardage.
Elbî réidame à son tour du « butin pri)\incial » à
INTRODUCTION 2b
son jeune ami qui voyage, s'amuse et s'instruit. Son
exil à la Madelainc s'égaie souvent de la visite daniis
fidtdes. Si elle va chez Berryer, oli elle rencontra
Musset, Liszt, Caroline Jaubert, elle accueille dans sa
modeste maison de campagne le châtelain d'Auger-
ville, Faudoas, frère de la duchesse de Rovigo, La Rue,
Trechi, d'Astorg;, la Duchesse de Yicence, M'"" Bar-
rière, d'Aligre, ^P'^Reg'nault de Saint-Jean-d'Angélv,
l'amie de cœur de toute sa vie, et 3L de Chateau-
briand lui-même qui l'avait reçue à l'infirmerie Marie-
Thérèse et au Ministère, ne dédaigne point d'aller la
saluer à son retour des eaux de Néris et de Bourbonne.
Elle a des correspondants un peu parlout. M"'" Kis-
selefF et Regnault sont prodigues de nouvelles et Hor-
lenseAllart lui conte souvent ses peines et ses joies
intellectuelles et autres. M""" Hamelin commente
leurs lettres et les résume pour son correspondant.
L'ancienne 3Iuscadine des Jiosquets d'Llalie est
devenue dévote. Elle a un confesseur. Ses entretiens
avec son « bon curé » devaient être variés et sans
austérité aucune — on limagine du moins ainsi. Elle
ne cherche d'ailleurs pas h en faire accroire. Elle
laisse dire, à son sujet, l'adage connu : « Quand h;
diable ile\ient vieux, il se fait ennil(\ » l'Uh' avait
été si diable, si lurbulenle. si débriilée, parfois, et
Juliette, au contraire, était restée — ■ poui* les autres
■ — décence, mesure, harmonie!
Elle est dévote et tache même à convertir Montrond.
le mécréant, (jui, jadis, s'était joué des deux l'ivales,
26 FORTUNÉE IIAMELLN
sans innocence et comme un reître — talon rouffe et
musqué — mais avec de belles manières et de l'es-
prit, beaucoup d'esprit. LaMuscadine, qui connaissait
le pardon des injures, fut secourable, dans l'infortune,
au Muscadin qui l'avait meurtrie et que la destinée
aljatlit presfjue à ses pieds.
Si — quelquefois — elle verse des larmes sur les
laves de sa jeunesse morte, de ses espoirs à peine
entrevus, elle demeure rési^^née, courageusement
résignée en face de l'ingratitude et des trahisons de
ses anciens amis.
Elle avait souffert, elle qui, si souvent, se montra
indépendante et libre et elle redit, presque souriante,
avec Chateaubriand : « J'ai tant de regrets (jue je ne
sais auquel entendre ! »
Mais les aveux, les confidences, les déceptions et
les amertumes qui se lisent à travers les feuillets
jaunis que nous avons recueillis seraient peu de chose
peut-être et ne mériteraient point l'honneur d'une
publication si M"'' Hamelin ne faisait preuve dans sa
Correspondance de véritables qualités d'épistolière —
qualités rares chez les femmes du xix'' siècle, au dire
de Caroline Jaubert elle-même, qui, pourtant, écrivit
des billets infiniment spirituels et pleins de détails
jolis, qui sont entre nos mains.
A l'intérêt documentaire de celte Correspondance,
pour qui s'attache aux à-côtés de l'histoire et de la
liKéralure, aussi bien qu'à la littérature et à l'his-
toire elles-mêmes, s'ajoutent les (|ualités qui avaient
maintenu autrefois à M™^ Hamelin une réputation uni-
verselle dans les salons où elle fréquentait. Hortense
Allart le consigne en ses Nouveaux Encliantejiienls
INTRODUCTION 27
et son témoignage vient précieusement corroborer
ceux (les mémorialistes qui se sont occupés d'elle
autrement que pour en médire, de la comtesse Ras-
sanville, de Sainte-Beuve, de Caroline Jaubert, de la
comtesse Mollien.
« M'"" Hamelin dépassait toutes les espérances; on
était ébloui; on sentait une imagination, une âme douée
autrement que la foule : sa noblesse d'esprit, sa liau-
teur, son élégance répandaient sur tout leur ricliesse.
On ne pouvait pas dire qu'elle avait ses jours et ses
heures, car tout l'animait, la politique, le monde, les
récits, les amours, les talens, les réputations nou-
velles... Sa conversation, la plus brillante et la plus
gracieuse du monde, avait les deux qualités qui, selon
M. de Chateaubriand, caractérisent la France : la
grandeur et la légèreté. »
Cette légèreté et cette grandeur, cette force et cette
variété dans la conversation se retrouvent ici. Et l'on
peut dire que, si les causeurs célèbres ne réussissent
pas toujours à écrire délicieusement des Lettres,
j^jme Hamelin, elle, y réussit pleinement. Douée d'une
clairvoyance surprenante quand elle juge les hommes
et les clioses, malgré son esprit malicieux el mordant,
qui n'épargne rien, aimant les questions élevées et
le talent cbez les autres, fidèle au culte de l'amitié et
à son adoration pour Napoléon, — que tant d'autres
avaient abandonné, — M"'" Hamelin conserva jusqu'au
dernier jour un caractère fier, l'horreur d'ennuyer, le
mépris des g-ens communs en prospérité, un esprit
alerte et primesaulicr, et son style dénote une imagi-
nation pitlorescjue, une finesse [)i(|uante, le sens et
la valeur de l'expression inf^énieuse et vraie, (jui
28 FORTUNÉE IIAMELIN
jaillit la « bride sur le cou m, toutes qualités qui,
réunies, donnent un charme prenant à ses Lettres oi^i
se laisse deviner, hélas ! malgré sa verve amusée et
son stoïcisme plus apparent que réel, la solitude amère
de son cœur !
Quelques folies, quelques erreurs, quelques machi-
nations ou intrigues que l'on puisse reprocher à sa
jeunesse aventureuse, il semble bien — et cette (Cor-
respondance inédite autorise, pensons-nous, à le faire,
— que l'on doive souscrire au jug'ement que Sophie
Gay émettait, au lendemain de la mort de M""" Hamelin,
sur l'ancienne Muscadine qui avait si longtemps
détenu le sceptre de l'esprit et conservé dans son
cœur passionné et mobile le culte de la gloire immor-
telle :
« Encore une des Etoiles de l'Empire éteinte !
un de ces esprits brillans, souvent profonds, toujours
amusans, joig'uant à la frivolité d'une gaieté intaris-
sable l'enthousiasme d'un cœur chaud, la malice à la
générosité, la raison à la folie, le bon goût à l'audace,
enfin un de ces esprits, enfans de la Révolution de 89,
qui conservaient de leur éducation aristocraticjue
l'élégance de nos anciennes manières, ce culte pour
la supéi'iorité, les talens, le succès, qui entraine par-
fois ti'op loin, mais n'expose jamais à rougir de ses
idoles. ))
Soiiloiiiljrc 1010.
André Gayot.
V.-/.'. — Nous avons suivi If conseil fourni par Sainto-Dcuvo. (l.c//re
l.NTKODUGTlOiN 29
à Chanlelauze. Corresp. II, 255), en nous bornant au rôle d'enca-
dreur, esliiuant que l'on peut mieux juger ainsi de la valeur d'-s
Lettres de M""» llamelin, pour lesquelles éclairer nous avons fourni
le plus de renseignements que nous avons pu.
Nous devons à une personne de la faniille de M'""^ llamelin l'au-
torisation d'avoir pu reproduire en tète de cet ouvrage l'admirable
l)ortrait de l'ancienne ^luscadine peint par Appiani. Nous nous fai-
sons un agréable devoir de lui adresser ici nos plus sincères remer-
ciements et nos respectueux sentiments de gralitude.
ANNÉE 1839
Le colonel La Rue. — Edmond de Talleyrand-Périgord. — Ilor-
lense Allart. — Le journal le Capitale et Charles Durand. — Le
roi Joseph Bonaparte. — Une lettre de Jérôme Bonaparte. —
M"»Rapponi. — Ghirlandajo. — Les ennemis de M"" Hamelin. —
Les dames do la Halle. — Liszt et M™° d'Agoult. — Le prince
Achille jSIurat. — M™» Hamelin regrette son exil à Bruxelles. —
Négociations avec la famille Bonaparte. — Conseils. — Plati-
tudes du prince Louis-Bonaparte à liglington. — L'Ermitage de
la Madelaine. — Fauiloas, d"Astorg, Cubières et le camp de Fon-
tainebleau. — Le roi Josepli au.x Etats-Unis. — Pauvreté de Ber-
ryer. — Le prince Achille à Paris. Cii. Durand auprès du prince Louis
Bonaparte. — Thiers et Montrond. — Le traître ^laroto. — Une
succession. — Ch. Durand a donné un « galop » au prince Louis.
— Goût pour les tableaux. — Comment on doit écrire à une sœur de
Napoléon. — M™" KisselelT et M™» Hamelin. — Le duc de Rovigo.
— Capponi. — Gonfalonieri. — Un legs. — Berryer, candidat à
l'Académie franeaise. — Cynisme du prince Achille. — Les douanes
toscanes. Emile de Girardin et Berryer. — Delphine Gay. —
Berryer à la Madelaine. — La guerre d'Algérie. — Mariage du
duc de Dino. — Anatole DemidolT. — Souhaits. — Les régies à
Naples. — Le « delphinisme « de M=»" Anceiot. — Vatout et
l'Académie.
PREMIERE DES GLORIEUSES'
Vos lettres' pour l'Amérique ne sont parties qu'au-
jourd'hui. Jugez du temps et ne vous impatientez
' Annivcrsaii'c.
'" Le corresponilant de Jl'"» Hamelin partageait b; culte de l'an-
cienne Merveilleuse pour Napoléon. Fortunée Hamelin, dans le but
de le pousser à une situation, lui servait d'intermédiaire et de pro-
tectrice auprès de la l'amille Bonaparte dont les membres étaient dis-
persés en Italie, en Amérique et en Angleterre.
32 UNE ANCIENNE .MUéCADlNE
pas trop. Je viens de causer de vous, de votre frère
une matinée entière avec votre ami La Rue *. Votre
frère a été anéanti de vos douleurs ; on le trouve
plein Je talent, de zMe, d'assiduité, de discrétion.
« GY'st une muraille ». dit La Rue, et « son frère est une
dentelle », dit M"' IL..-. Oui, il faut aimer cet aimable
et si bon et si reconnaissant frère, mais il faut aussi
rimiter, reprendre un travail, modérer voire indomp-
table Immeur, et vous répéter ce triste dilemne :
« Le duc de Lauzun est mort, la jeune France vit
encore. »
J'ai découpé vos dernii-res lettres et j'hérite de
vos ennemis (qui peut-être étaient tout disposés à
devenir les miens). Le retour de La Rue ino sera un
bon auxiliaire ainsi que l'appui d'Edmond ^ pour
vous. Je vous répète pour ce dernier : « Ne lui deman-
' Baron de La Rue (Isidore), chef de balaillon, aide de camp du
niaréchal de Raguse (Almanach royal 1830) et en 1839, officier d'or-
donnance du roi.
- M"'^ Ilamclin, clle-aiènic.
* Il s'agit ici certainement du comte Edmond de Talleyrand-Péri-
gord (1787-187:2), duc de Dino depuis 1817, et duc de Talleyrand depuis
la mort de son oncle (1838). Il épousa en 1809 la princesse Doi'otliée
de Courlande (1792-1862). Excellent officier, avait fait les campagnes
de la Grande Armée et passa à Florence (où se trouvait en 1839 le
correspondant de M''-" Hamelin) les quarante dernières années de sa
vie. Il était cousin de la duchesse d'Eselignac, laquelle était la lille
du baron Boson de Talleyrand-Périgord (cf. plus loin). La comtesse
de Boigne (Mémoires, T. I et II). nous fournit quelques renseignemcnls
utiles. On sait que Talleyrand, prince de Bénévent, était amoureux
comme un homme de dix-huit ans de sa nièce, la comtesse Edmond
de Périgord, « excessivement jolie, prévenante et gracieuse. Elle pos-
sédait tous les agréments, hormis le naturel ». Une grande distance
séparait le mari de la femme qui abandonna aussi le prince de Tal-
leyrand pour suivre un Autrichien, le comte de Clam. Lors de ren-
trée des Alliés à Paris, elle était avec les éhonlées ijui montèrent en
croupe derrière les cosaques do la garde pour mieuK voir le défilé.
(Henri Iloussaye, 1814-1815).
FOUTUNEK IIAMELIN 33
clez que ce qu'il peut faire de plus, car ce qu'il a fait
pour vous, c'est à peines'ill'eûtfaitpour laplus impor-
tante de ses affaires. » Gullivez son amitié, sans heur-
ter son opinion (car il en a). Lorsque vous le voulez,
vous causez si ])ien que vous devez vous rendre très
agréable. Mais ne faites pas des frasques avec sa
madame ou ses fdles. Soyez prudent et ménagez ceux
qui ont du pencliant pour vous.
Comme il est bon que vous sachiez toul, je vous
dirai que le déchaînement ne lient nullement à la
scène du médecin anglais. On dit que vous lui avez
arraché un bouquet devant tout le monde. Mais c'est
débat d'amoureux, jalousie, ça s'est déjà vu et per-
sonne n'en meurt. Le sérieux, l'aiïreux, c'est ceci :
« Vous ne mangez pas, monsieur C...? » — « Non,
madame. » — « Pourquoi ? » — « C'est que vous
mangez salement, madame, et cela me dégoûte. »
Alors, pleurs, indignation, évanouissement.
Est-ce possible, C...? Ça serait trop injuste, Irop
cruel. J'avais vu des choses presque aussi cruelles de
sa part. Elle vous a gâté par son excessive faiblesse
et cette habitude de porter plainte sans cesse de ce
qu'elle aimait le plus... Enfin, avec ses défauts elle
avait mille charmes et mille belles qualités, elle est à
jamais regrettable, non seulement pour vous, mais
pour nous tous.
Hortense' m'a écritune Icltre qui m'a véritablement
interloquée. Elle me conte son nouvel enfant, sa
' Uorlcnsc-Thérèse-Sigismondo-Sophie-Alexandiine Allarl, née à
Milan le 7 septembre 1801, morlc à Montlhcry, le :i2S février 1879.
Femme de lettres. Epousa, le 30 mars 1843, M. de Méritons, qu'elle
abandonna une année aprrs. Très liée avec Gino Capponi, Libri,
34 LNE ANCIENNE MUSGADINE
nouiTilure, me parle de l'homme de ses délices rjui
voit bien à présent que c'est lui qui ne savait pas
faire d'enfants. Elle explique cela par Sparte et le
midi, m'engage à ne pas faire la prude et à limiter
si je peux...„ etc. Pauvre noble folle! Tout cela me
déchire le cœur. Quel est ce nouveau père ? Peut-il
être père et soutien de cette mère insensée, qui aime
ailleurs et sépare le corps de Tàme'? Cela va compli-
quer la position de ce charmant petit Marcus ; les
enfants tendres sont jaloux, leurs pères sont bar-
bares.
Hortense pouvait donner son fils au frère de M. S.. *
Chatoaubiiand, Déranger, Sainte-Beuve, etc., elle eut une vie quelque
peu aventureuse et « ignora toujours le vertueux agrément de la tran-
quillité. » (André Beaunier, Trois Amies de Chateaubriand. Fasquelle,
lOlOj. D'un esprit original, elle se livra de bonne heure à la littéra-
ture et écrivit de 1822 à 1873 plusieurs ouvrages dont elle a dressé
elle-mèiue la chronologie, reproduite par M. Léon Séché dans l'étude
qu'il a consacrée à Hortense Allart (2 vol. Hortense Allart de Meri-
tens et Lettres à Sainte-Beuve. Mercure de France, 19û8j. Elle eut
deux fils, l'un (Marcus) de sa liaison avec le comte de Sampayo,
mort en 1844, et l'autre de Jacopo Mazzei. Elle avait été de 1829 à
1831 la maîtresse de Chateaubriand, qu'elle était allée voir à Rome,
sur la recommandation de M"» Hamelin : de 1831 à 1836, celle de
Bulwer Lytton ; de 1837 à 1839, celle de Jacopo Mazzei ; en 1841, celle
de Sainte-Beuve; de 1843 à 1845, la femme de M. de Meritcns. Elle
suivit toujours la nature, estimant que « la fille qui combat la nature
ne connaît que des tourments ». Citons parmi ses écrits les Enchan-
tements de Prudence, les Souveaux Enchantements, les Derniers
Enchantements, parus sous le nom de P. de Saman l'Esbatz. Il est
souvent question de M°"= Hamelin dans sa Correspondance avec Sainte-
Beuve, et elle a consacré à son amie un article judicieux et exact
dans les Xouveaux Enchantements. H. Allart de Meritens, pauvre
sur la fin de sa vie recevait en 1851 une indemnité de 600 à 900 francs
sur le fond d'encouragement aux sciences et aux lettres. (Moniteur,
4 avril IS.jI).
* Sampayo, qu'Hortense Allart à dépeint dans Jérôme (1829) sous
les traits d'un jeune et séduisant prélat romain. Il fut en 1844 attaché
à l'ambassade des Etats-Unis.
FORTUNEE HAMELIN 35
Je la suppliais depuis trois ans de faire ce sacrifice
maternel, et lui disais que, dans ces temps hideux,
elle devait, pour son fils, l'offrir au veau d'or, puisque
c'est l'unique Dieu de France. Je crains que l'occasion
soit perdue. S... est tout hérissé de son équipée d'Es-
pagne, du ministère Passy ^ que sais-je ? Il croit qu'il
porte le monde et en le regardant, on voit qu'il ne
porte que les deux plus énormes cornes de France,
que sa femme si médiocre le domine entièrement et
s'opposera en maître h tout ce qu'on aura pu espérer
pour Marcus. Tâchez donc de porter le cœur d'Hor-
tense vers cet avenir, le sien, sur celui même du
petit dernier. Je l'aime, cette Hortense, car en dépit
d'elle, elle a de l'honneur et de la honte '.
Voilà votre ami De Nyon porté sur les ailes de
l'amour et de la fortune. Ces deux belles divinités se
disputent l'honneur d'embellir sa vie. Le voilà Consul
général à Tanger et le but de sa vie est accompli le
neuvième mois de son mariage. Eh bien ! croiriez-vous
que c'est le 13 juillet que j'ai reçu pour la première
fois une lettre de lui, et pas un mot d'Henriette !
' HippolyLe el Antoine Passy étaient en relations suivies avec Hor-
tense Allart. Cf. leurs lettres fort curieuses à Hortense (Séché).
* Sur Hortense Allart, sa vie et ses ouvra.çres nous renvoyons le
lecteur aux: travaux que nous avons cités de MM. Léon Séché et
André Beaunier et aux documents publiés par M. Paul Bunnefon
dans VAmateur d'autographes et de documents historiques
(octobre 1908). A propos de son second enfant, Hortense Allart écri-
vait le 1" décembre 1S4G à Sainte-Bi/uve ces lignes que l'on peut rap-
procher de celles de M"»» Haraelin : « Mon enfant m'amuse et il
annonce beaucoup d'esprit. Entre Marcus et lui j"ai connu la volupté
et j'ai eu pour ce deuxième enfant une autre sorte d'amour que pour
le premier. Je l'ai cru fils de l'homme qui, sans me faire mère, m'a
faite mère. On ne pourrait pas mettre cela dans un roman, ce serait
all'reux et c'est vrai. »
36 UNE ANCIENNE MUSCAUlNE
C'est bien là l'égoïsme à deux, c'est môme Timpo-
litessfi pour deux. Enfin j'ai eu de lui six paj^es toutes
remplies de leurs mamours, des descriptions de la
Saint-Philippe, de la g^ràce inouïe d'Henriette, de
l'enfant qui va naître, de la loge, de la calèche, puis
en post-scriptum : « Et vos jambes, madame? J'espère
qu'elles soutiennent votre démarche gracieuse! »
Certes, si elles ne me soutenaient pas, c'est quelles
auraient été coupées. Vous a t-il écrit dej)uis? Il est
comme fou en vérité ! M. Ilis m\i dit « qu'il alarmait
la pudeur des officiers de la Junon, (ît qu(; le capitaine
était déterminé à faire tirer le canon pour annoncer
leurs visites ».
J'ai eu une idée de mariage pour M. de la Rue. C'était
modeste, mais joli, sage, simple, convenable en tout.
Le visage l'avait sédaii, le reste valait mieux : dix mille
francs do rente acquis, positifs. Elle nous a été souf-
flée dans ces deux mois d'absence. Ne lui en parlez pas.
Reçoit-on le Capilolc^ à Florence? Ce journal
• ' Le Capitile, dont parlera souvent M">- llaniiilin, défendait les
idées de Bonaparte. Il s"lmprimait rue Saint-Pierre-Monlmarlrc, 17.
Parmi ses principau.x rédacteurs nous avons relevé les noms de
E. d'Auriac et F. -T. Glaudon qui y tenait le feuilleton dramatique.
Ch. Durand, rédaclour on chef, avait pris pour épigraphe de son
journal : « Honneur et patrie. Tout pour le peuple français. » H
écrivait, le 2 janvier 1840, dan^ un article-programme intitulé : De
la nécessité d'un système moral à l'égard dns fonctionnaires : « En
défendant les idées napoléoniennes, le Capitule demande le retour
aux sages institutions de l'Empire qui, dans les diverses adminis-
trations de la France, assuraient au mérite et à la probité l'avène-
ment aux fonctions publiques, le maintien des emplois et l'avance-
ment au([uel les capacité.s avaient le juste droit de prétendre. » Il ne
vécut pas longtemps. Nettement {La Presse Parisienne, 1844) fait
mention du Capitole en ces termes : « Quand un journal meurt,
c'est qu'il représentait une situation prescrite, un principe sans
application possible, un parti sans avenir. C'est ainsi que nous avons
vu mourir La Tribune qui était dans la presse la personnification
FORTUNÉE HAMELIN 37
vient de nous loinber comme une bombe. Le rédacleur
en chef est M. Charles Durand, homme d'un immense
talent; c'est quelque chose de grand qui s'est modelé
sur la politique impériale, qui sert ce grand dieu à
genoux et qui combat ralliance anglaise avec une
verve, une instruction de la position européenne qui
surprend et entraine. C'est un grand événement que
ce journal et ses doctrines. Est-il russe, est-il loui-
siste? Ce qui est coilain, c'est qu'il est plein de feu,
de dévouement, et logicien comme Carrel.
Vous voyez que vous ne pouvez espérer de
réponse d'Amérique avant trois mois. Quittez Florence
et cette position pénible qui excite l'attention, les
éternels commérages; profitez de ce temps pour voir
l'Italie, non plus en prince, mais comme tant do grands
hommes, de grands artistes, moitié le bâton sur
l'épaule, moitié en vapeur et en voiturin. Vous éprou-
verez malgré vous de la distraction et de celle qui
n'appauvrit pas le cœur, mais qui excite et pose l'ima-
gination sur de nobles objets.
Allons ! retrouvez des jambes, du style et des idées
nouvelles. Marclicz. Voyez Rome en pèlerin, c'est le
séjour des grandes misères. Là tous les regrets sont
acceptés et honorés, lion courage. Apprenez, voyez,
des exagérations républicaines et que le Capilole et les autres jour-
nau.K quotidiens qui ont voulu ressusciter parmi nous TEmpire, des-
cendu tout entier au tombeau avec l'Empereur, sont venus empirer
dans la Revue de TEmpire, comme ces lleuvcs dont les cau.K taris-
sent, et f[ui no sont plus i[u'uri faible ruisseau quand ils finissent. »
M. Thurcau-Dangin, [Histoire de la Monarchie de Juillel) signale
l'efïort tenté par le Capilole pour faire campagne avec les radicaux,
tout en étant t'organe olïiciel de la propagande napoléonienne. (Cf.
E. llatin. Histoire de la Presse en France). En juillet 1840, la poli-
tique du Capitole était défendue dans Vidée Napoléonienne (Paris et
F^ondrcs, une livraison unique).
38 UNE ANCIENNE MUSCADINE
pleurez. Tout cela forme et rend meilleur. Après celte
tournée, vous reviendrez à Florence et les lettres
seront arrivées.
A propos de lettres ! Priez M. le colonel Marion
de remettre au duc de Talleyrandlalettre que j'écrivais
pour lui à la reine. M'"* Resmault^ lui a mandé de
donner la sienne à M"'° la princesse Louise... Je
demande Edmond et qu'il la hrùle. Ajoutez beaucoup de
remerciements et de souvenirs du bon baron Faucliet.-
Hamrlin.
Que dites-vous d'Ilii'aliim • ? Je l'adore. Quelle
sûreté ! Quelle rapidité ! C'est de la victoire à la
Marengo. Ici nous ne mangeons que le poulet à cette
sauce. Cette bataille devait être belle! Si le costume
turc est bideux, les Égyptiens sont encore superbes,
puis les cbevaux, les armes, les tentes, le soleil, les
ruines de Balbek, l'Eupbrate passé à la nage, Dieu!
quel spectacle! C'est peut-être encore plus merveilleux
que le sit'gc de Saint-Jean d'Uloba.
' M"' Rcsnaull de Sdinl-.Ican-dAngély. dont le mari avait fait la
campagne de 1815 dans l'état-major impérial. Elle avait été la bien-
faitrice d'IIortense Aliart. Elle ilemcura l'amie de M"' llamelin pen-
dant toute sa vie.
- Le baron Fauchet avait été préfet du Var puis à Florence (1809).
^ Ibrahim, fils de Mehemcl-Ali. Les relations entre les deux Sul-
tans d'Egypte et de Turquie, Mehemet-Ali et Mahmoud, étant de
plus en plus tendues (avril 1839i, la guerre fut déclarée. Grâce à son
impétuosité et à la supériorité de discipline de ses troupes qui avaient
des instructeurs français, Ibraliiin remporta la victoire en moins de
deux heures. Les Ottomans laissèrent sur le champ de bataille plus
de 400 tués ou blessés et aux mains des vainqueurs 1 20Û prisonniers,
i~2 bouches à feu, 2 000 fusils, leurs tentes et jusqu'aux insignes du
commandement en chef.
FORTUNÉE HAMELIN 39
Paris, \'6 aoùl 1839.
Je pleure toujours en lisant vos lettres, et mes
larmes s'adressent surtout à cette gracieuse* mémoire
qui fut placée comme un double lien entre vous et
moi. Croyez bien que lorsque je fais la rodomont,
c'est pour cacher ma faiblesse. Le sort a été rude
pour nous deux; mais le temps est vaste pour vous.
Les révolutions vont arriver; vous trouverez place,
distractions, plaisirs. Moi, je vais mourir malheu-
reuse. Mais parlons des choses qui se peuvent réparer.
Oui, vous avez bien fait de rester devant cette inso-
lente. Vos paquets eussent-ils été faits, il fallait les
défaire.
Vous m'avez écrit une fois : « Que me fait l'arrivée
du roi Joseph"? » Vous le voyez dans la lettre qui
vient d'être publiée sous la dictée de Jérôme ' sur le
* Nous ne savons pas à qui il est fait allusion.
* Joseph Bonaparte avait quitté Paris après W'aterloo et s'était
établi près de Philadelphie sous le nom de comie de Survilliers. Il
habita l'Angleterre en 1832, repartit en Amérique (1837-183'.)) revient en
Angleterre et obtint en 1844 du Grand-Duc de Toscane l'autorisation
de résider à Florence où il mourut. Son arrivée en l!;uropc fut con-
sidérée comme ayant un but politique; elle se rattachait aux espé-
rances que nourrissait la famille Bonaparte malgré la mort du duc
de Reichstadt.
' Jérôme Bonaparte, qui avait épousé Catherine de W'urtemberg.
Après Waterloo, ils furent prisonniers dans les Etats du Roi de
Wurtemberg pendant une année. De 181'J àl8i'3 ils habitèrent Triestc.
Ils eurent trois enfants, Jérôme, Mathilde (dont parlera plus loin
JI"»» llamelin et qui épousa Anatole DemidofT) et Napoléon. En 1831,
à la suite d'événements auxquels fut mêlé Louis-Napoléon, Jérôme
se réfugia en Toscane avec sa famille. Il y vécut pendant dix-sept ans
sous le règne des grands ducs. A Florence il habitait le palais Ser-
ristori, le même où moururent le roi Joseph et sa femme la reine
Julie. Plus tard il échangea cotte résidence contre celle du palais
Orlandini. La reine Catherine mourut le 30 novembre 1835. Sur les
40 UNE ANCIENNE MUSCADINE
leslament du cardinal. Dans cet écrit, les déshérites
en appellent à la bonté, générosité, l'extrême loyauté
de leur aîné, qui fut toujours l'drbilre, le conciliateur
de tous les intérêts de la fcunille que tous lui portaient
à régler, lors môme qu'ils ne paraissaient pas de
nature à lui être soumis, etc. Je suivrai son con-
seil. SiM^^'Happoni a refusécet A^^/a/i- etTalleyrand,
elle ne refusera pas l'arbitrage de son oncle, chef de
leur famille. En le demandant, vous vous rendez fort
honorable, et mettez tous les bons esprits de votre
côté; en menaçant, vous vous affaiblissez. Croyez-moi,
Joseph a beaucoup d'esprit, d'expérience, de noblesse,
surtout de tolérance. Votre esprit aura plus d'action
sur lui que sur aucune des personnes de la famille.
Cultivez en attendant ]M"'° Julie ^ qui a plus d'expé-
rience qu'on ne croit sur son mari et qui a écrit des
choses bonnes et tendres sur notre reine. Elle sait
tout. Prenez-la pour médiatrice près de son mari
après lavoir préparée. Visitez sa triste solitude, ne la
cabrez pas, et par cette voie vous arriverez, j'en suis
certaine. Voici l'idée, exécutez-la i)ien, tout est là.
Non, non je n'exagère pas ces odieux commérages ;
les noms n'y font rien, il faut les connaître pour les
livrer au ridicule, au mépris. Les éclaboussures m'ar-
rivent au visage. Le vieux Thibaudeau ' m'a dit à moi :
négociations entreprises par Tliiers, OJilon Barrot, olc, pour obtenir
du gouvernement l'autorisation pour Jérôme de résider en France,
\oh- Correspondance du roi Jérôme. Il vint à Paris le 1" octobre 1847
et mourut le 2i juin 1860, dans son château de Villegcnis.
' La reine .Julie, femme de Josopli lîonaparto, après avoir habile
Francfort et Bruxelles, finit par s'élablir en Toscane.
' Le conile Thibaudeau, conventionnel, membre du Comité de
Salut public, président du Conseil des Cinq-Cents, surnommé Barre-
FORTUNÉE IIAMELIN 41
u Vous le défendiez parce que vous l'acicz prctc a. la
reine. » Je vous demande si celle turpilude a élé
relevée. Il a prétendu que M"^ Rapponi désirait savoir
mon opinion, parce que sa mère parlait souvent de ma
loyauté. Si elle me fait l'hoimeur de me consulter, je
lui dirai mon opinion; mais par voire ambassade elle
serait décomposée. Tenez-vous donc au courant de
l'arrivée et offrez l'arbitrage. On ne peut refuser,
vous dis-je, et s'il ne peut arriver en Italie, il faudrait
le rejoindre à tout prix... oili il sera. Les lettres dans
ce cas ne valent rien. Ce sera la présence qui l'entraî-
nera à condamner ses nièces, fiit-ce en payant pour
elles.
La légèreté d'Edmond ne m'étonne pas, je la connais,
je l'ai éprouvée, mais il est une exception rare, c'est
le seul caractère faijjlc f[ui ne soit pas devenu lâche,
ingrat, mécliant par le contact des S3ts et des infâmes.
Il faut lui savoir gré de ce noble ca?ur qui lui indique
le bien lors même qu'il n'a pas la force de l'atteindre.
Ménagez-le de toutes les manières au nom de Dieu
et d'elle. C'est votre ancre à Florence et surtout près
de Joseph. .]o lui écrirai lorsque vous le croirez utile
sur la résolution de prendre le roi pour seul nrbilre.
Alors jugez combien son appui vous sera utile.
Ne me faites plus de ces plaisanteries de juste
milieu et n'épuisez point un courage dontj'ai souvent
besoin. Lisez, lisez bien le Capitale et rougissez
d'avoir le nez polili([ue si court. M. Cbarles Durand
de-Fcr. avait Ole noiiiiné préful parRonapartc après li; 18 lirumairo.
11 écrivit de nombreux; ouvrages, dont une Histoire de Bonaparte.
Son iîls, adiuinistratcur émincnt, prit part à la Révolution de -ISoO
et comljatlit Louis-l'liilippe.
42 UNlî ANCIENNE MUSCA.DINE
n'est pas vendu à la Russie, à moins que la Russie ne
soit vendue à Louis Bonaparte.
Ouvrez les yeux, nig-aud, lisez la brochure du
prince et voyez ce qu'a produit le mariage Leucli-
tenberg^ la mort de Mahmoud- et la victoire d'Ibra-
him 1 Ces événements ont réalisé mes rêves et ma
politique : l'alliance russe, le Rliin,la Belgique, la
Pologne à Bcauharnais, la France au nom de mon
idole. Ces espérances me ressusciteraient du fond de
la tombe et ces nobles idées sont propagées par un
talent admirable, dont le style, sans chercher l'imi-
iation, rappelle celui de Carrel à chaque ligne. Mais
l'avez-vous à Florence? Si vous le lisiez, vous seriez
moi à l'instant. Peut-on vous le faire arriv^er ? Je vous
l'enverrais. La famille" est capable de ne pas le con-
naître... Ce M. Durand, en effet, a écrit mais dans
quel sens! Qu'on rapprocbe tout. Il a vu, connu,
jugé tous les politiques de TEurope. Depuis douze ans
il est dans le i\ord. Chargé d'une grande mission, il
l'a acceptée à condition de ne la pas déguiser. Son
but, ses travaux, ses idées, tout est grand et national.
N'allez pas comme les envieux baver devant cette
aurore et ces nobles elforts. C'est le refuge de tous
et l'espoir surtout de la jeunesse. Soyez religieux à
cet évangile.
M. Durand me distrait un peu des beaux-arts, car
il a tous les mérites, il est malin, gai, souvent fort
' Le duc j\Iaxiiiiilicn de Luchtenberg élait le gendre de Tempe-
reur Nicolas.
* Le Sullan Mahmoud mouruL le 1" juillet 1839. La Presse du
23 juillet 1839 raconte ses funérailles, d'après VObservaleur Autri-
chien.
^ La famille Bonaparte.
FORTUNEE HAMELIN 43
impertinent. Ainsi je m'enivre de lui et ne lis que lui.
Bien m'en prend, car tout tombe en lambeaux et
notre littérature est dig-ne de notre arcliitecture. Je
n'ai pas un livre à vous indiquer. Votre Gliirlandajo
sera reçu, clioyé, prôné, vendu au mieux. Je le con-
nais ce beau pèlerin et me souviendrai toujours de
cette sublime guirlande d'ang'es qui est dans l'arcade
du dôme de Pise sur un fond d"or. C'est enclianteur.
En visitant 31ikali à Livourno il me montra un tableau
de ce peintre dont il demandait 10 000 francs. Votre
sujet est-il gracieux? 11 faudrait pourvoir le tableau
d'un beau cadre ancien. Ici ils sont si cliers que
5 à 600 trancs pour une grandeur de chevalet est le
prix vulgaire. Si vous réunissiez des attestations,
origines, çà serait parfait. Si le musée nous manque,
il y a foule d'Anglais chez Bronkins. On n'y parle que
de 10, 20, 80 000 francs pour un original. Croyez
bien surtout que je ne le lâcherai que pour du bon
argent.
M. de La Rue n'a pas trahi la confiance amicale. Ce
projet n'a été qu'une idée qui lui souriait assez, mais
jamais arrivée aux paroles. Maintenant une chose
singulière arrive : le mariage de la veuve s'est rompu,
elle est libre. Tout pourrait se renouer. .Mais je décon-
seille. Une veuve sait ce (ju'elle a voulu. Le lien brisé
tient aux familles et le futur avait vingt-huit ans...
M. de La Rue a compris.
Voici un trait qui peint le caractère polonais. Ber-
nard Polocki est arrivé de Bruxelles, où, après une
noble campagne, il a laissé 200.000 francs de perle
dans la banque nationale. Léger d'argent, il va au
Club et y perd 55.000 francs sur parole. Le lendemain
41 UNE ANGIEJixNE MU8CADINE
il décampe sans écrire ni prévenir môme son hôLesse.
Cela fait révolution au Club. Le comte Michelski s'y
présente et dit : « 3Icssieurs, envoyez-moi vos notes,
je paierai pour lui. » Les Français se piquent dlion-
neur et disent : « Vous êtes proscrit: si Polocki
manque d'honneur, nous ne voulons pas nous ruiner,
s'il a de la probité, il nous paiera et nous pouvons
attendre. » Arrivé à Berlin, ce fou de Bernard écrit :
« J'ai oublié de vous prévenir, Messieurs, que,
détroussé par la l)an(jue de Belgique, je suis parti
pour vous envoyer de Posen l'argent (jue je vous
dois. » L'argent est arrivé hier.
Je ne pense plus à l'Italie, hélas ! Pour aller {)laider
à Naples il me faudrait beaucoup d'argent, de temps.
Plus, j'ai rendu pot de fer cette cruche de Dupont.
Naples, les tribunaux, le roi, la noblesse, tout est à
ses pieds. La noce Beauvau s'est faite chez lui a cop
di monte, parce qu'il fait entrer sans droits les chif-
fons des belles dames. Ce malheureux me vole
200.000 francs. Il le sait et dit : « Qu'elle vienne
plaider ! »
N'est-ce pas du malheur de trouver de tels misé-
rables ! Quelle destinée ! Lorsque j'ai été, il y a cinq
ans, lui apporter la ferme des douanes et sa caution,
il devait 150.000 francs, il avait tout vendu, tout
engagé, tout, jusqu'à son linge de corps. C'est vio-
lent ! Il a tout reconquis. Il a la continuation de la
ferme pour six ans, et il conteste mes droits en me
menaçant, si je n'accepte pas son offre, de faire con-
naître ma créance à mes créanciers livpothécaires.
Imaginez-vous une telle bassesse ! Voilà les hommes
d'allaire de ce temps-ci.
FORTUNÉE HAMKLIN 4b
Hier les Dames ' de la Halle ont envoyé aux bureaux
du Capitale pour acheter le n" du M. « Est-ici le jour-
nal de Bonaparte? » — « Oui, Mesdames. » — « Il
nous faut le n° du II ». — « Le voilà. » — « Com-
bien? » — « Pour les Dames de la Halle, rien. »
— « C'est bien, mon brave ! Alors, nous prenons
deux abonnements que tu nous adresseras au comp-
toir. M — « Quel nom ? » — « Les Dames de la
Halle. »
J'ai demandé à 3L Durand si les frères d'Italie lui
avaient donné signe de vie. Eux! Mais ils sont anti-
bonapartistes, ils s'occupent do plaider entre eux, de
trôner pour les niais, sui-lout d'envoyer des sup-
pliques à Louis Pbilijjpe sous toutes les formes ima-
ginables. Nous attendons Joseph. Nous verrons s'il
veut être l'aîné de la famille...
J'ai regret que vous n'ayez pas vu Horlensc", Tous
les malheureux se doivent appui et cette noble folle,
tout en faisant la forte, se trouvera mal avec tous les
pères de ses enfants, Marcus lui-même sera jaloux,
et plus tard sévère. M. B... " n'aimera pas le ridicule
et déjà n'était pas si dévoué. Ce dernier et tardif
enfant la perdra, et quoiqu'elle fasse l'enchantée, il
perce une grande agitation dans ses lettres. Voyez-
' Ces inùmeà Daines de la Ualh', tour à t jur bonapartislos et
royalislcs — comme tant d'autres — so piquaient de royalisme en
1815 et chantaient : « Dieu ! rends nous noUo père do Gand. »
- Hort'.'nse Allait.
^ Bulwer-Lytton, le Warwkdc des Enclianloincnts, secrétaire d'am-
bassade et ministre plénipotentiaire, a publié divers ouvrages, entre
autres la France sociale, lilféraire el polifique (1834), la Monarchie
des classes moyennes (1836), la Vie de lord Dijron (1839), un Essai
sur Talleyrand (18(58). Il mourut à Naplcs en 1872. Il était le frère
du romancier.
46 UNE ANCIENNE MUSCADINE
VOUS M. Liszt et sa belle amie' qu'on dit aussi fort
spirituelle? Etes-vous resté en relations avec M. Per-
signy" (du procès)? On m'a soutenu (juc vous étiez
brouillés. Tant pis. Mais à vos âges tout se renoue
et même avec plaisir. Faites mes amitiés à ce bon
cœur de Palmieri. Avant son départ il vint me voir
et me trouva malade et au bain. Il me dit : a Vous
avez ma maladie, chère amie. Il n'y a que le sublimé
qui m'ait guéri, m Comprenez-vous cette naïveté toute
roba siciliana? Tout de même ça m'a fait bien rire.
Paris, 23 août 1839.
Le prince Achille ' ne recevra pas vos lettres. Il est
' Marie de Flavigny, comtesse d'Agoult, la Marie aux longs che-
veux, s'était expatriée pour Liszt en 1835. Elle rentra seule et désen-
chantée à Paris en 1840. Elle avait alors trente-cinq ans. Sainte-Beuve
lasurnomiiiaiL «la Corinne du quai Malaquais » (Lettre à Juste Olivier,
25 octobre 1840). Elle était en relations suivies avec M""" Hamelin
dont elle parle dans une lettre à Hortense AUart du 2 mars 1846 citée
par L. Séché (//. AUart, t. I). Elle écrivit quelques ouvrages sous
le pseudonyme de Daniel Stern. Hortense la jugeait ainsi dans une
lettre à Sainte-Beuve : « Je la trouve une femme élevée et plus sen-
sible que vous ne croyez, mais de cette sensibilité une fois prise
et qui reste là. » M"» d'Agoult venait de rompre avec George Sand ;
« rupture froide et acceptée. » G. Sand l'appelle Arabella dans les
Lettres d'un voyageur. Mirabelle et Princesse dans sa Correspon-
dance. Marie aurait été « perfide et ingrate » à l'égard de l'auteur
de Lélia qui écrivait d'elle cependant à M""" Marliani, le 28 septembre
183'J : « C'est une personne inflniment spirituelle, gracieuse et de
bonne compagnie : c'est l'ornement d'un salon... » La dédicace de
Julien au sujet d'une amitié brisée, (contient ces mots : « La vie se
passe en vains elïorts et en plus vains regrets. Nous avions voulu
nous aimer. » (S. Rocheblave. Une amitié romanesque G. Sand et
M"'' d'Agoult. Revue de Paris, lo décembre 1894.)
- Fialin de Persigny (1808-1872), d'abord républicain, puis converti
au bonapartisme, fut l'ami le plus fidèle de Louis Bonaparte (Napo-
léon lil). Depuis le complot de Strasbourg qu'il organisa, jusqu'au
coupd'élat, ilparticipaactivementauxtentatives duprince. Le corres-
pondant de M°"| Hamelin fut, croyons-nous, secrétaire de Persigny.
^ Le prince Achille Murât était le fils aîné de Joachim et de Caro-
FORTUNEE IIAMELIiN 47
parti, il arrive parla Ilollanilo et Bruxelles où il res-
tera en attendant un permis pour passer deux mois
en France avant de se rendre en Toscane. C'est
M. Thibaudcau qui a reçu ces avis, c'est chez lui que
descendra le prince. C'était en vérité la plus mauvaise
et fatale combinaison pour vos justes réclamations.
M. de Lille est tout aussi monté que le vieux Thibau-
dcau et tant d'impitoyables injustices, duretés m'ont
révoltée au point que sans être brouillées avec M""® A . . .
nous sommes très en froid en ce moment. 11 m'est
échappé de dire que, si vous étiez titré ou marchand de
vin, on vous traiterait avec plus d'indulgence. La
pauvre femme est subjuguée par cet homme, qui n'a
pas oublié, lui, de se faire faire un bon testament.
Voyons ! Quel parti prendrez-vous?Des millions d'avis
vont lui pleuvoir contre vos demandes. Edmond qui
écrivait en Amérique ne peut-il écrire les mêmes choses
ici? Cet Anglais que vous preniez pour arbitre serait-
il assez le loyal Edouard de Rousseau pour écrire, en
Anglais, son opinion? Cela ferait elîet sur Achille et
sa femme. Vous voilà prévenu. Le mieux certaine-
ment est de venir expliquer, voir, plaider vous-même.
Une Bonaparte — (21 janvier 1801 — 1 5 avril 1 Si"). On sait que sa mère,
au terme de sa grossesse, se trouvait dans la voiture de Joséphine
lors de reK[jlosion de la machine infernale, rue Saint-Nicaise, et fut
frappée d'une telle frayeur qu'on fut obligé de la ramener aux Tui-
leries. La constitution de l'enfant se ressentit de cette catastrophe.
Achille voyagea dès sa majorité et s'installa dans les Florides. Il
avait épousé en 1826 Catherine Dudley, petite-nièce de Washington.
Il mourut à JelTerson-County (1847). On a de lui Lettres d'un citoyen
des Etats-Unis, (1830). Esquisse morale et politique des Etats-Unis
(18:^2), Exposition des principes du Gouvernement Républicain tel
qu'il a été perfectionné en Amérique (1833). Pour obtenir appui,
sans doute, le correspondant de M'"" Hamelin s'était adressé à tous
les membres de la famille Bonaparte.
48 UNE ANCIENNE MUSCADIXE
Le roi Joseph fait en cette occasion comme après
juillet. Il attend. Rien ne presse. Il n'annonce pas son
départ. Achille, à la nouvelle portée par les gazettes,
n'a fait qu'un bond sur le vaisseau. Sa santé paraît
bonne, il n'était malade que pour jeter de l'odieux
sur sa mère. On dit qu'il demandera la continuation
de la pension. Il ne l'aura pas.
Je ne vous écrivais que pour cette nouvelle, car je
suis fatiguée, triste et découragée à désirer la mort
pour finir toute celle agonie. Les gens de mon opi-
nion, à mesure (ju'ils se croient près du succès, arbo-
rent l'insolence, la grossièreté de ceux-ci. L'autre
jour je disais : « En vérité, vous me renverrez à
lîruxelles^ si vous continuez. »
' Où Furtunéo Ilamelin avait clij cviiro. Nous lisons dans le Moni-
teur du 18 juillet ISlii : « Sous lo refuge du pavillon blanc, Bonaparte
a terminé, à bord du vai.ssoau anglais le Delléropkon. l'entreprise
connue par lui et exécutôe à l'aide de .MM. Labédoyèrc, Ney,
Savary, etc., et de JM™-* llortensc, Souza et Ilamelin. « Sus-
pectée avec juste raison de faire opposition au gouvernement,
M"">Hame]in, /;i//"?y/rtn/e (ainsi que la dénomme un rapport de police)
fut priée de quitter l'aris. Le ol octobre 1815, en effet, lu préfet de
police, comte Angles, recevait un ordre écrit : (Arcliivcs nationales.
Folio 0 79u. Dossier 61-2) « M. le Comte, la conduite politique de
M"» Hamelin ne permet plus do tolérer son séjour dans la capi-
tale. Vous voudrez donc bien, au reçu de la présente, la mander
devant vous et lui intimer l'ordre de quitter Paris dans les quarànte-
buit beures. » Devant le préfet do police qui l'avait fait appeler,
M'"" Ilamelin témoigna quelque surprise de l'injonction iju'elle rece-
vait et protesta de sa neutralité. Elle consentit à se retirer à
Bruxelles, où, disait-elle, elle devait se retrouver sous la protection
d'un grand bomme (lord Wellington) « qui la traiterait sûrement
avec toutes sortes d'égards et la protégerait contre les vexations
auxquelles elle serait longtemps en butte. » (Rapport du comte
Angles. 1" novembre 181o). Notons que M"" Ilamelin réclama un
délai. De plus elle exprima le désir qu'on ne lui intimât pas l'oidre
de départ» en forme d'exil». Les avertissements n'ayant pas rendu
notre fougueuse bonapartiste plus circonspecte, la police pressa
M^o Ilamelin de quitter Paris. Les termes mêmes des ordres transmis
au préfet de police prouvent combien sa présence dans la capitale
FORTUNEE IIAMELIN 49
La Madelaine 9 septembre 1839.
Edmond^ vous montrera ma lettre, je crois. Je le
tourne, le maintiens, le pousse adonner à son appui la
force de sa conviction et de son indépendance. Je lui
dis : « Si vous ne réussissez pas dans ses intérêts, vous
le sauvez du moins dans son lionneuret c'est bien hono-
rable, cher, qu'un témoignage ait tant d'autorité. Ne
l'abandonnez pas, il n'a d'appui que votre noble cœur. »
Ma pensée est que vous n'obtiendrez rien de la
famille, mais que si Edmond tient ferme, le roi déci-
dera tout à fait en votre faveur et que pour ce roi la
parole du duc vaudra mieux que les criailleries de ses
neveux et des conventionnels de Paris. Ainsi, jamais,
portait ombrage au gouvernement. C'est donc à Bruxelles qu'elle se
retira, mais ne cessa de correspondre avec ses amis de Paris par
Tintermédiaire de sa femme de chambre qui distribuait ses lettres.
Un de ses intimes était alors Morisel, ancien aide de camp de Savary.
M"" Haraelin et Moriscl rentrèrent à Paris le o décembre 1817. (Lettre
ducomte Angles, préfet de police, 24 janvier 1818 — et La Quotidienne —
i) décembre 1817). Parmi les personnes qui voyaient à Bruxelles
M^^Hamelin, citons M"'«sRegnault de Saint-Jean-d'Angély et Arnault.
La police continua de la faire surveiller à Paris, rue de Clichy, 20,
où elle habitait — (Notes du4 juillet 1822). — Une note du 6 août 1823
(Dossier 8,768) dit que M. le duc Decazes « employa M"": Hamelin
en Belgique ». Il est avéré que l'ancienne Merveilleuse adressa des
communications au duc Decazes. En 1827, des rapports fréquents
sont adressés au miaistre de l'Intérieur touchant les déplacements
de M""> Hamelin en Angleterre où se trouvait Montrond. (Archives
nationales. F' G, 988. Dossier 13,693). Une même note concernait la
dame Hamelin, Durand (du Capitole) et la nièce de Rœderer,
M"° de Longchamp. « C'est encore des réunions épouvantables »,
disait le policier. Voir à ce sujet Ernest Daudet [Revue des Deux
Mondes, i"' janvier 1910 et Supplément de Figaro, 25 juin 1910)
(Archives nationales. F' 6814. Doss. 1952. (Rapport Al. Decazes sur
les Exilés à Bruxelles) F' 0812 doss. 1829. F' 6810. Doss. 1698).
' Edmond de Talleyrand-Périgord. Ces lettres montrent que
jamais M»"» Hamelin ne perdit le goût des affaires politiques ; elles
donnent idée de ce qu'avaient pu être autrefois ses machinations et
ses intrigues.
50 UNE ANCIENNE MUSGADINE
jamais jo ne menacerais de la publicilé. Jécrirais, à
elle, un mémoire et je réclamerais l'arbitrage du chef.
Ils n'oseront pas le refuser et comme cela flattera
Joseph, il acceptera. Par malheur la reine l'avait bien
blessé. Cependant tous les sacrifices ont été accordés
par lui qui a l'horreur des procès. Ce Lucien qui
saura vous devoir la part de son (ils sera peut-être
équitable. Si vous en détachiez un, ce serait beau-
coup. Que fait donc cet Anglais aimé de Louise?
Comment n'avez-vous pas pu vous le rendre favo-
rable? C'est que vous n'êtes point adroit. II faut pour-
tant le devenir un peu en dépit de votre humeur
altière. Ce qu'il ne faut pas, mon pauvre enfant, c'est
le découragement. Votre dernière lettre me fait bien
du chagrin. Vos malheurs ont plus d'espoir que les
miens. Vous êtes jeune, spirituel, brave et bon. Tout
cela trouve emploi, croyez-moi. Il est trop tard pour
mourir, on dirait que c'est pour cet argent... Allons!
courage! Est-ce que cette belle M'"'' ... Ka ne vous
envoie pas quelque encouragement? Je suis sùi'c
(jue si. Les Polonaises ont du cœur. Ne me reparlez
jamais d'abandonner vous et votre cause. Ce serait
une lâcheté ! Les inimitiés ne me font pas peur, j'en
ai éprouvé par torrent, et toutes aussi méritées que
celles qui me viendront pour ce petit héritage.
Je ne vous ai pas dit que le prince Achille fût arrivé,
mais qu'il arriverait par la Hollande et Bruxelles. Au
lieu d'arriver, je vous ai écrit que des scènes fâcheuses
avaient retardé son départ. Il a été arrêté, il a fallu
des cautions et durant ces débats, Lucien ^ est arrivé
' La Presse du 24 août 1839 publiait rinformalioQ suivante à la
rubr.quo : Nouvelles cL Faits-Divers : « Le Capitole annonce que
FORTUNIÎE HA ME LIN
jusqu'à Paris. Le marociial Soull \ a jelo des flammes
(en preuve de sou amitié pour la reine), baron Mer-
cey ne s'est pas dérangé, parce que vous l'avez guéri,
dit-il, de son dévouement. Le prince a été reçu par
Thibaudeau, Daure - et Exelmans\ On ne l'a pas
trouvé si bête, car il n'avait qu'une idée : obtenir la
réversion de la rente. Pour cela, tout grand et gros
qu'il est, on l'aurait passé par le trou d'une aiguille.
De sorte qu'on l'a conduit à la préfecture de police
pour remercier M. Gabriel Delessert' de lui accorder
quatre jours. Voilà de la dignité. Des visites à Saint-
Cloud on le fait descendre à remercier la police d'un
M. Lucien Murât est à Paris, que le Conseil a délibéré sur la ques-
tion de savoir si on l'y tolérerait ou si on l'expulserait et que cette
question aurait été résolue affirmativement. » Le lendemain, la note
ci-après paraissait dans le môme journal : « On lit dans An Courrier
Français relativement à l'alTaire du prince Murât : « On nous informe
que la version du Capitole n"est point exacte. Le prince Murât n"est
ici que de passage pour aller régler la succession de sa mère et
sur l'avis qu'il a reçu de l'autorité il a promis de ne rester que très
peu de jours à Paris. »
' Le mai'échal Soult avait constitué un ministère le 13 mai 1839.
Soult avait la présidence du Conseil et les Atïaires Étrangères, Duehàtel,
l'Intérieur, Teste, la Justice, Passy, les Finances, Villemain l'Instruc-
tion publique, Dufaure, les Travaux publics, Cunin-Gridaine, le Com-
mei'ce, le général Scline'idcr, l'a Guerre, l'amiral Duperré, la Marine.
' Daure avait été ministre île la Guerre et de la Marine auprès du
roi de Naples après avoir été quasi capitaine général à Saint-
Domingue après la mort do Leclorc.
^ Exelmans (177.o-18j2) exilé au retour des Bourbons ne put ren-
trer en France qu'en 1823. Il fut grand-chancelier do la Légion d'hon-
neur en 1823.
■* Elevé à la pairie en 1814, M. Gabriel de Lesseit avait été appelé
à la Préfecture de police de la Seine le 10 septembre 183fi, avec le
titre de Conseiller d'Etat. C'était un ami de Jlontrond. Le Rivarol de
1842 (Fortunatus) l'appelait le « patron honoré des gardes municipaux,
des sergents de ville et des mouchards ». (v. G. de Lcssert par Tri-
pier Le Franc, Paris, Dentu.)
52 UNK ANCIENNE MUSCADINE
délai de quatre jours. Tout cela pour le prince Louis ^
Et ce prince Louis lui-môme enchante la cour ici par les
inexplicables platitudes qu'il a été faire à Egling-ton.
Concevez-vous çà, grand Dieu! le successeur d'Alcide
allant jouer des scènes mimiques pour divertir la
société qui a tué son oncle, s'y montrant matin et
soir en baladin provincial! Rien n'a pu larrèter !
Cent lettres écrites par ses amis ! Le Sot! Il a cru
que c'était par envie de ses nobles plaisirs et que cela
taquinerait fort ici. Il n'a désolé que ses amis. Yovez
donc où conduit une éducation donnée par de
méchants artistes. II sera toujours cabotin.
Si vous étiez ici à la Madelaine, le calme vous
gag"nerait. Cette nature est incomparable et les pluies
conservent aux arbres la verdure de juin. On ne peut
pas rêver rien de plus joli et l'on vit si bien avec les
yeux, le nez, que les blessures cuisent moins fort. J'y
suis seule avec Sophie et mon méchant marmiton.
J'ai des maçons. Plus tard nous nettoierons le jardin
qui fait pitié de dégradation, mais dont les clématites
se sont emparées avec une telle force de végétation
qu'on évente la Madelaine de l'autre côté de la rivière.
M. de Chamois m'est venu voir et, s'étant perdu dans
' Le prince Louis-Napoléon (Napoléon III), fils de la reine Hor-
tense. A la suite de l'attentat de Strasbourg (183G', il était parti pour
l'Amérique où il ne séjourna pas longtemps. Débarqué le 5 avril 1837
à New-York, il en était reparti, deux mois après, pour rejoindre en
Suisse sa mère qui mourut (octobre 1837). Il fut contraint en 1838,
à la suite des réclamations de M. Mole, de quitter la Suisse et se
réfugia en Angleterre. Lune de ses priacipales préoccupations, dans
ses menées contre la monarchie de Juillet, était toujours de lier
partie avec la gauche. (Idées napoléoniennes). Quelques temps après
eut lieu l'afTaire de Boulogne (6 août I8i0) où Louis-Napoléon débar-
qua d'Angleterre pour recommencer « la pitoyable échaufîourée de
Strasbourg» (Thureau-Dangin. Histoire de la Monarchie de Juillet, III.)
FORTUNEE HAMELIN 53
la forêt, m'a juré que c'étaient les clématites qui
l'avaient rallié. Je suis obligée de me défendre des
visites. Je connais toutes les châtelaines des environs.
L'ennui me les jette sur les bras. Pour le camp ce
serait bien autre chose; tous mes amis le commandent,
Faudoas', d'Astorg-, Gubières^ Je leur ai écrit que
je n'avais que de l'eau de la source, du gros pain et
trois lits de sangle, que c'était à eux à faire du maré-
chal de Boufflers, et à nous régaler tous. De cette
oreille personne n'entend et le maréchal de Boufflers
n'a pas à craindre la contrefaçon ni belge ni française.
Mon peu de curiosité est tel que, malgré les chars à
bancs oflferts par M. de Chamois, je n'ai pas été au
camp. Il y a là un régiment que je ne veux pas voir.
Le roi Joseph fait pour son héritage ce qu'il fit pour
celui du duc de Rcichstadt: Il se hâte lentement. J'ai
vu un voyageur qui a parcouru les propriétés du roi
aux États-Unis. Il dit que cela passe toute idée en
grandeurs, beautés pittoresques et valeur réelle. Ce
sont des provinces cultivées, des forêts percées et des
fleuves dont les rivages sont à lui. Je vois passer ici
autant de vapeurs que sur le fleuve américain. Cin(j
par jour, depuis neuf lieures jusqu'à quatre. C'est
charmant de les voir mais fièrement ennuyeux d'y
être. J'aime mieux nos vieux cahots.
' Faudoas, l'rère de la duchesse de liovigo, Napoléon avait vou'u
le marier à M''" d'Aligre. (Comtesse de Bo'igne, t. I.)
* Astorg (AlexandreEugène-Louis-François-Saturninde Barbazan,
comte d') (1787-1852) commandait en ISiO la brigade de Fontaine-
bleau. Inspecteur général de Cavalerie en 1843. Pair de France depuis
1834 par droit héréditaire, son oncle le comte de Puy étant mort.
^ Cubières (Despans de), pair do France en 1839, deux fois ministre
de la Guerre, impliqué dans le procès Teste, condamné à la dégra-
dation civique, réhabilité en 18j2.
54 UNE ANCIENNE MUSGADINE
Je ne conçois rien à cette grande faveur de M. B... '.
Il est ici un petit oracle d'Albion, par conséquent du
juste milieu. Ce qui nie désole, c'est qu'Hortense ait
brisé celte liaison au moment oi!i elle pouvait lui être
amusante, utile et lui donner même un peu d'impor-
tance. Mais que va-t-elle faire? Cet enfant va-t-il aug-
menter sa pauvreté? Pauvre folle ! Voyez-vous Liszt
et sa madame? Ils ont, dit-on, bien de Tesprit. M"""^ de
Salvage^, Forgetet M... sont nos trois chefs, nos trois
grâces. Elles sont en général impitoyables, ce qui en
ferait trois Parques, si on les laissait faire. La dernière,
qui a l'instinct bon et noble, est dominée par ce
Scarron politique qui xoudrail faire pendre tout ce
qui a des jambes, des dents et du cœur. Plus il infecte,
plus il est méchant et il n'a pas dépendu de lui de
brouiller deux amis d'enfance... Un jour je demandais
à M. Durand ce qu'il pensait de cette façon d'amener
' Bulwcr.
- M""= Salvagc de Favcrollos, fille du Consul dt- France à Civila-Voc-
chia, royalisle exalléo. femme d'esprit, d'un caractiTe assez difficile
au reste. (Herriot, M"" Hécamier e( ses amis. Il, 156;. Chateaubriand
écrivait le 18 novembre i8i2S à Juliette Récamier : « M""" Salvage
est venue iiicr au soir nous voir ; elle est toute singulière. » D'autre
part, Sainte-Beuve dans sa Correspondance avec M. et M»» Juste
Olivier parle ainsi :
H 11 y avait hier à cinij heures chez M'°* Récamier, M. do Cha-
teaubriand, M. Ballanche, M. Ampère, une M"" Salvage, amie et
légataire de la reine Hortense, grand-colonel d'empire, grand bona-
partiste, comptant plus que jamais que le moment est arrive pour
le prince Louis, et le disant fort haut. Sa tiièsc d'hier était que
M. de Lafayctte, s'il n'était mort, aurait travaillé à la Restaurai ion
bonapartiste. Elle sortait triomphant comme un porte-drapeau et
regardant de l'œil les brochures bonapartistes qu'on avait laissées
sur la cheminée et apportées du malin, quand la duchesse de Raguse
est entrée, et tout le monde a ri de M^° Salvage, tout en reconnais-
sant la sincérité de son dévouement ; car il faut toujours chez
M""" Récamier que, même dans la raillerie, la charité soit sauvée. On
raille après plus à son aise et avec une plus douce conscience. »
FORTUNÉE IIAMELIN 53
les cœurs. Il la trouva odieuse, car lui est bon autant
que spirituel. Il va vous adresser le Capitole. Com-
bien croyez- vous que Félicie voudrait d'une copie du
bénitier? Ici on faisait l'original 2 000 francs. Je trou-
vais ça bon marcbé et sublime. Ces ânes n'ont rien
acheté malgré dix articles encourageants. M. Berryer ',
toujours pauvre, voudrait bien mais ne peut aller
loin. Adieu. Voilà le maçon qui me fait une bêtise et le
facteur qui apporte et emporte les lettres.
J'ai bien eu l'idée d'écrire à la princesse, mais c'eût
été gauche, partial de le faire d'office. Moi qui parle
d'adresse, j'ai été maladroite avec Tliibaudeau, mais il
n'a dit qu'à la fin que la princesse désirait mon avis
et qu'il me vit. Il Fa su.
Paris. 21 septembre 1839.
Le prince Achille est ici. Je l'ai entrevu. Sa laideur
est immense. Il a fait un prodige, puisqu'il ressemble
parfaitement ou cruellement à sa pauvre et délicieuse
' l'erryei- (1790-1868), dont il est souvcnl ijucslion dans les Lettres
de jM">° Uamelin, alla en 1832 trouver la duchesse de Berry pour la
dissuader de soulever la Vendée. Traduit devant la cour d'assises
de Blois, il fut acquitté En 1833-3i, il défend Chateaubriand. Il se
rend à Londres en 1843 avec les légitimistes pour saluer le comte
de Chambord du titre de Roi de Fi'ance. Ce pèlerinage fut flétri par
la Chambre des députés. Député des Bouches-du-Rhone en 1848, il
fut élu membre de l'Acailémie Française en 1834. M™» llamclin fut
de SCS amis fidèles. M™» Caroline Jaubert, une habituée d'Augerviile,
où résidait Berryer, caractérise ainsi le grand avorat : n Les goûls
les plus aristocratiques s'alliaient chez Beiryer aux idées libérales.
L'indépendance du caractère se prêtait à une soumission absolue. Sa
fierté plébéienne était au service de l'autorité monarchique. »(G.Jau-
borl. Souvenirs. Lettres et Correspondance, 1 vol. Hetzcl, Paris, s. d.)
(v. aussi d'Alton-Shée, frère de Caroline Jaubert. Mes Mémoires
Paris, 1869.)
56 UiNE ANCIENNE MUSCADINE
mère*. C'est à s'arrêter pour s'indigner de cet hor-
rible persiflage de la nature. Son esprit, qui est fort
supérieur à celui de sa mère, est tout tourné (à jeun)
au paradoxe et aux éternelles discussions. 11 fait
l'anti-français et l'américain ardent. Il ne veut point
aller en Toscane ni voir ses sœurs. Il traitera de ses
affaires de Marseille ou de Genève, s'il ne peut rester
en France. Jl est sous la protection de M. Cass,
ministre des États-Unis.
Tout me paraît donc assez mal pour nos espérances.
Je vous demande ce qu'il y a à attendre de cet homme
étrang-e lorsqu'il est encore conseillé par Thibaudcau
et de Lille! Je n'ai pas été très contente de votre
lettre à la princesse Louise. Ce qui vous étonnera,
c'est que je trouve qu'elle manque de force, d'assu-
rance, puis aussi de convenance, de forme. On ne dit
pas : votre mère, à une telle femme..., etc. Plus res-
pectueuse de langag'e, elle pouvait sans inconvénients
être plus ferme de raisonnement.
Vous avez trop attendu pour chercher à voir la
reine Julie. Elle a jugé le motif. C'était tout chaud
après l'événement qu'il fallait tenter de vous faire là
* Carolino Bonaparte, la sœur préft-rcc de l'Empereur, femme très
pratique, d'esprit positif, très intelligente, à la fois passionnée et
calculatrice, aimant le plaisir et le pouvoir. Elle eut quatre enfants :
Achille, liûritier présomptif, Lœtitia, Lucien et Louise. Elle avait la
passion de faire des mariages (v. Albert Vandal. Le roi et la veine
de Xaples. Revue des Deux Mondes, février-mars, l'JlÛ). Prisonnière
des Autrichiens après la chute de Murât, elle s'établit à Hambourg,
près de Vienne, et quelques années après à Trieste. Elle mourut en
1838 à Florence après un court voyage à Paris.
La duchesse d'Abrantès (Méinoires. Cf. La Nouvelle Revue, 1910.
G. Stenger. Les r/randes Dames au XIX» siècle) est quelque peu sévère
pour Caroline Bonaparte « personne de beaucoup d'esprit et de
finesse, mais qui avait une ignorance qu'on pouvait qualifier de rien
du tout. »
FORTUNEE HAMELIN 57
lia appui. Enfin plus que jamais je n'espère qu'en
Joseph, lequel, se revoyant une fortune, veut tout
liquider pour ne plus avoir à s'inquiéter de l'Amérique.
Les fils de Caroline, au contraire, y ont laissé leur
famille et surtout des créanciers. Achille doit plus
qu'il n'aura jamais. Aussi leur pensée unique et mal-
heureuse est la continuation de la pension.
Vous voici instruit de tout ce que j'ai pu apprendre.
Par malheur ce n'est guère hon.
M. Durand est à Londres près du prince Louis.
Ayez-vous reçu le Capitale? ia suis sûre qu'on vous
l'envoie.
Trechi est ici, pas trop changé et toujours aimable,
bon, vif d'esprit, tendre de cœur. Vous dire son éton-
nement, son indignation de la conduite de Montrond '
* Montrond (Casimir, comte de) (1709-1843) ,fils d'un lieutenant aux
gardes franraises ctd'Angélique-^Iarie d'Arlus. Né à Besançon. Lieu-
tenant en 1788, démissionna en 1791, fut nommé peu de temps après
aide de camp du général Matliieu Dumas, capitaine au S'^ chasseurs,
aide de camp du général Tliéodore de Lametli et le 16 février 1792
du général Latour-Maubourg. 11 fut aux temps du Directoire un des
Muscadins les plus réputés pour son élégance et son esprit imper-
tinent. Très lié avec Fortunée Ilatnelin, il la fit beaucoup soullrir.
On lira plus loin les lettres vraiment belles d'émotion et de regret
qu'elle écrivit à son correspondant au moment de la mort de Mon-
trond. Il avait épousé Aimée de Coigny, ex-duchesse de Fleury, la
Jeune Captive chantée par André Cliénier. Ami intime et confident
politique de Talleyrand, prince de liénévent. Exilé en 1809, empri-
sonné au fort de ilam en 1811, il s'évada un an après, voyagea en
Angleterre et en Espagne, revint en France après le départ de Napo-
léon pour l'île d'Elbe. En 1815, laFranc3 étant en interdit, Napoléon,
voulant forcer le blocus, eut recours à des émissaires secrets. Flabaut.
Montrond, Saint-Léon etc., furent chargés de dépèches, Montrond
put gagner Vienne, muni d'un passe-port au nom d'un abbé italien.
11 portait une lettre de Napoléon à Marie-Louise, des lettres de Cau-
laincourtà Méneval et à M""= de .MonteS(iuiou, etc. (IL Uoussaye, dSlii),
Montrond ne réussit pas. Il jouait double jeu, étant une créature de
Talleyrand et de Fouché. Des rapports de i)olice (F' G988. Doss. 13695,
Arc/lices Nulionates) nous renseignent sur ses faits et gestes pendant
fis UM:: ANCIENNE MUSCADINE
serait impossible. Le fuit est que malgré l'admiration
de M, Thiers pour M... il n'a plus ni tête ni mémoire
pour le cœur. La perte était facile, mais son esprit
d'autrefois l'aurait préservé d'infamies' que le monde
d'autrefois ne pardonnait pas.
Taylor - a dîné hier dans mon chalet. Le musée
sous Teste^ et Passy "^ n'achètera rien. Nous verrons
ailleurs.
Que dites-vous du Maroto? Le monde devient beau
et deux puissances trament ces abominations. C'est
du Macaire royal.
Mais que fait la pauvre Ilortense''? Sa position est
la Ruslauratiuu. Ilabitui.' du Cercle de l'Union, il avait fait et défait
plusieurs iois sa fortune au jeu. La Comtesse de Boifjiie (t. IV) l'a
parfaitement caractérisé : « Singulier personnage, écrit-elle, formé
dos travers du xviii= siècle, et des vices du xix» M. de Monlrond a su, pcn-
ilant plus de soixante ans, côtoyer la boue, sans jamais mettre les
pieds tout à fait dedans. Son existence paraissait une énigme à tous. 11
jouait gros jeu, mais sans àpreté. On ne saurait dire que M. de Mont-
rond ait joui d'aucune considération; toutefois il était re«;u partout
frté et recherché par beaucoup île gens haut placés. 11 était railleur
impitoyable, ne ménageait pas ses meilleurs amis et emportait la
pièce. » Surnommé dans le grand monde « l'àine damnée »,
« Taboyeur », voire même c le Soulllenr » de Talleyrand, celui ci
l'appelait « l'Entant Jésus di; l'Enfer ». Thiers aimait beaucoup le
consulter de IS:i8 à 1813. (Welsi.lung«r, Revuede l'avis l^février 1895.
Marquiset. Une Merveilleuse, 1909, Champion).
1 M°"> Hamelin fut secourabic à Montrond dans 1 infortune.
* Taylor était Inspecteur général des Beaux-Arts en i839.
^ Teste, frère du général, minisire du Commerce pendant trois jours
en 1834, ministre de la. Justice en 18:i9 et des Travaux Publics en 1840.
Il fut compromis dans le procès Cubières en 1847. Teste avait accordé
en 184o la concession des mines de sel gemme Gouhenans. Condamné
à trois ans de prison, aune amende et à la restitution des 94,000 francs
qu'on l'accusait d'avoir touchés ; prévoyant sa condamnation, il tenta
de se tuer.
^ Ministre sous la Hestauralion.
^ Ilortense Allart. Dans une lettre à Sainte-Beuve (7 septembre 1848)
Ilortense écrit : « La lettre de M"" Hamelin (renvoyant l'ort-Royal
FORTUNEE MAMKLIN 59
cruollo, elle s'étourdit, mais elle verra î enfin le père,
quel est-il? S'il pouvait la consoler, l'aider, lui per-
suader que la grâce, lorsqu'on est femme, est de rester
femme, que la passion seule excuse les emportements.
Mon Dieu, quel travers ! Trechi m'a dit : Oij demeure
le sublime Libri ^ ? Ça m'a fait éclater de rire et
penser à Hortense. C'est Treclii qui m'avait envoyé
le sublime Libri.
Adieu ami.
Paris, 27 soptcnibre 1830.
C'est fatal que le prince Achille soit tombé ici et
dans vos plus sincères ennemis. Une personne rai-
sonnable m'a dit hier que ce prince vahiit mieux que
son air, son cynisme et sa réputation. Il ne s'enivre
plus (de vin au moins), il boit de l'eau-de-vie et de
l'eau, ce que les Anglais appellent grog, il est gai,
parle souvent de sa mère, de sa préférence pour lui et
des chagrins que sa négligence, ses incorrigil>les cra-
chats faisaient à la fenmie Ui plus reciierchée de la terre.
do Sainle-Bcuvc (|U0 son amie lui avait pièlé) n"Otail-elle pas comique
et. spiril-uclle ? Vous altondiez-vous que Porl-Royal eût fait la Répu-
blique? Elle n'est pas très contente de Capponi. Le père de mon
enfant est ministre avec lui. » Nous savons ainsi que Jacopo Mazzei
était le père du second lils d'Horteose.
' On sait qu'il y eut une affaire Libri. Cet ami d'ilorlcnse Allart
fut condamné en ISiiO à div années de réclusion, à la perte de ses
emplois publics, pour les soustractions (ju'il avait commises dans nos
bibliotlièques en qualité d'inspecteur général (Cf. Nouvelle Revue,
ih mai 1907). Libri mourut à Eicsole (Toscane) en 180'.), sans avoir
été réhabilité. M. Léon Séché {op. cil.) cite deux letlres de Libri à
llortenso Allart. au moment de son procès.
II est question d'un Trequi dans une lettre de Déranger à Hor- .
tense Allart. Comme on le verra dans les lettres (jui suivent, c'était
un des familiers de M"'" liamclin.
60 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Il croit la succession riche de 1 uOO 000 francs et cola
d'après les lettres de ses sœurs. La Pipoli est, dit-il,
la bonne tète d'affaire. Il donnera rendez-vous à
toutes deux à Marseille ou à Genève; il voudrait
toucher, puis après regagner l'Amérique, payer,
vendre, etc. Le roi Joseph est toujours attendu. Cette
grande succession, la mort de sa fille la plus chérie
lui a fait prendre la résolution de tout liquider en
Amérique pour vivre en Angleterre, en attendant la
fin de Texil du sang impérial. Ainsi nos espérances
sont détruites. Le mieux serait d'arriver ici muni et
armé de toutes pièces. Nous trouverions par qui
lui faire parler. Berryer ne me refuserait pas ce ser-
vice. Vous pouvez même dire à Edmond que j'en
réponds, lui demander le secret et le garder vous-
même. Il faudrait apporter les lettres qui se sont
croisées avec lui et vous servir le plus possible du
témoignage d'Edmond, une lettre à vous, ou une
déclaration de ce qu'il a entendu, su, etc. Traitez tout
avec moelleux. Il est clair que vous aviez négligé
M""" Julie et qu'un tardif retour lui a fait juger le but
du votre visite.
J'ai nouvelle du tableau. Vous êtes tombé dans les
griffes du Claude Clerc, le plus avide des Provençaux.
Je le fis prier de me faire mettre deux boîtes en
fonte à ma voiture pour mon retour. Rien que cela,
puis un timon sans garniture. Le tout vaudrait à Paris
grandement 30 francs, mettons 60. Il m'a envoyé une
note de 300 francs. Il en agit presque de même pour
ce tableau d'une petite dimension. L'amusant, c'est la
multitude des noms, des sujets de rapacerie. Voilà :
assigné de l'expédition de LvNounie, déclaration,
FORTUiNEE HAMELIN 61
permis, bateau préposé, portefaix au débarquement,
port, en douane, pesage net, brut et port, emballeurs
à la visite de douane et recondition, droit de Jouane,
timbre, plomb, plombeur, acquit à caution, port de
lettres, commission de réception et de réexpédition.
Et ce n'est encore qu'à Marseille. Gomment ne pas
prendre en borreur les juifs qui font ce métier I Tran-
quillisez-vous, j'ai payé le premier mandat et suis en
fond.
Il y a trois beaux GJiirlandajo au musée. Il n'v a
pas 100 francs pour acheter. Ce serait pour le budget
prochain. Je crois que vous connaissez aussi M. Cail-
leux. Taylor veut des experts toujours, à cause des
calomnies sur la galerie espagnole. Taylor dit que
c'est à Paris et en Italie que les Anglais payentbienles
tableaux et les filles; chez eux, ils achètent peu et mal.
Les derniers envois restent là, ils sont exclusifs dans
ce momentet n'entendent qu'à l'école flamande. Leurs
longues oreilles pour les arts expliquent cette mode.
On dit que M. Durand a été donner un galop au
prince Louis sur les scènes mimiques d'Eglington^
En effet, c'est surnaturel d'inconvenance et de bêtise.
Ainsi vous allez revenir ? Le prince Lucien étant bloqué
àLivournel'autre se hasarderailmoinsencore en Italie.
A bientôt, je pense.
Maroto ■ n'est-il pas le bouquet des traîtres !
* L'idée Napoléonienne (juillet 1840) signalait aux Annonces une
plaquette ainsi intitulée : Visite au Napoléon-Louis. Lettres de Lon-
dres. L'auteur en était sans doute Cli. Durand.
- La reine Christine fut aiïermie sur son tronc par la traiiison de
Marolo. Elle distribua des récompenses ; mais vu le mauvais état
des finances elle a prodigué les honneurs. (.\lph. Karr. Guêpes).
Sur la trahison de iJaroto, v. Mitchell, Le camp et la cour de Don
G2 UNE ANCIliNNE MUSGADINE
La MaJolaine, 17 octobre 1839.
Hier M. de Bronkins m'a écrit que le tableau était
arrivé, mais en très mauvais état, le panneau cassé
en deux endroits et la caisse mal jointe. Il trouve les
retouches mauvaises. Est-ce vous qui les avez fait
faire? Je retourne à Paris lundi pour huit jours. Je
verrai Tavlor, le tableau, et vous écrirai mon senti-
ment et mon espoir. Le goiit d'avant Raphaël n'est pas
fort répandu encore, et si l'on débitait sérieusement vos
sornettes à ce sujet, on se ferait lapider. Vous vous
chargerez de prouver que l'art a décliné en Raphaël.
Je trouve toujours, toujours que vous avez tort de
dédaigner les usages des gens bien élevés, surtout
pour des lettres qui doivent être lues, montrées, com-
mentées. On ne dit pas : votre mère à un égal, à plus
forte raison, lorsque votre mère est une femme qui a
régné et qui est sœur de Napoléon. Dans votre opinion,
dans vos sentiments même, ce nom doit être précédé
des plus respectueuses et tendres épithètes. Ainsi il
faut dire sans restriction : la Reine votre mère, votre
auguste, votre excellente, noble, généreuse mère, etc.
Plus, j'aurais dit net ceci : « Comment penser, prince,
que la femme et la reine la plus généreuse qui fût jamais
eût accepté mon dévouement, m'eût fait abandonner
mes engagements littéraires, mes amis, mes appuis,
pour m'oublier sur une terre étrangère! Elle savait
que j'avais tout repoussé, que mes seuls débats avec
elle consistaient à lui prêcher l'économie et à lui faire
Carlos. D'après La Presse (o octobre 1839), Maroto avait, dans sa tra-
hison, que beaucoup regardaient comme une transaction, agi au
nom de presque tous ses compagnons d'armes.
FORTUNEE IIAMELIN 63
reporter les yeux sans cesse sur la posilioii de ses
fils! Ce défaut de formalité de ses dernières volontés
à mon égard est mon titre à votre estime, prince ; car
qui ne sait à quel point il m'était facile de faire établir
ses donations ! » etc.
Je passe si doucement ma vie ici que je ne conçois
pas le vertige qui m'a fait dédaig'ner celte consolation.
J'arrange ce jardin de curé qui montre ses poires à
la futaie la plus hautaine et à cette Seine si fameuse.
Mon ménage est encore misérable, nous en rions,
mais les perdreaux, les grives ivres de notre bon
raisin, le poisson qui sort de l'eau n»us font de petits
dîners très bons. Trechi a passé trois jours ici. Il
était dans l'extase. Par mallieur voici novembre.
M""" Kisselelf * s'est établie à Fontainebleau pour être
près de moi. Souvent nous courons le pays en car-
riole et elle revient manger ma matelotte. Je n'ai pas
voulu voir le camp-, trouvant que c'était trop déjà de
rencontrer des Français de 1839 ressemblant si peu à
ceux de 1810. On dit que le 4""= lanciers n'a pas eu
les honneurs du camp. Il parait que le jeune duc dti
Rovigo est attrapé par son Irlandaise qui n'a pas
18 000 francs de rente nets et n'a pu lui paver
30 mauvaises mille livres de dettes nécessaires pour
* Son mari, le général Je Kisseloiï élait uiinislre des domaines en
Russie. 11 fut en 18'ti chargé d'aifaires de la Russie. M"^» Kisseleff
était amie intime do Fortunée Ilamclin. C'est chez elle que cette der-
nière fut transportée lorsqu'elle fut prise d'une attaque au sortir
d'un dîner oJl'ert par la princesse S. en 1831. L'article du Conslitu-
lionnel (1" août 1849) de M""-" Hamelin, née de La Grave, lui est
adressé.
- A cette date, le duc de Nemours était commandant supérieur du
camp de Fontainebleau. Le lieutenant général marquis de Faudoas
commandait la cavalerie.
64 UNE ANCIEiNNE MUSCADINE
reparaître à Paris. Vraiment c'est bien fait, et ils
devraient être las, tous, Je se laisser mystifier par
ces commères. Il faut ajouter que la jeune duchesse
est à peu près naine et louche à faire reculer même
une g-arde impériale. Du reste, la belle Marie est jolie
à croquer et va... assez bien. Pour la petite F..., c'est
à bride abattue et toujours avec le premier homme.
Voilà de pauvres nouvelles. De Paris je vous dirai
mieux. Le grand événement c'est la grêle sur Thomery.
Elle a détruit pour 300000 francs des plus beaux rai-
sins.
Est-ce vrai que Capponi^ devient aveugle? Est-ce
vrai qu'il est ruiné, mais à quoi? 11 vivait si modeste-
ment. Les Florentins sont terriblement économes.
Mais lui est bon et aimable.
M. Gonfalonieri - n'estpas changé du tout; toujours
un grand air, et un air dédaigneux qui va bien après
ce long supplice. Adieu. Je vais voir planter mes
lilas et mes framboises. Je voudrais être en mai et
vous ici, mon cber ami.
P. S. — Le démenti des scènes mimiques a été donné
par un Lombard de la rue Banche. Tout mauvais cas
est niable \ Tout était vrai, jusqu'aux brodequins'de
' Gino Capponi (1792-1876), l'une des plus grandes figures du Risor-
gimento italien. De 1S21 à 184S, chef du parti libéral modéré en Tos-
cane. Membre de l'Assemblée constituante en Toscane (1859) et séna-
teur. Quoique devenu aveugle il publia en 1875 une Histoire de Flo-
rence. Thiers prisait fort Capponi.
- Gonfalonieri était le chef de la Jeune Italie en 1830. 11 fut
emprisonné. 11 mourut en Suisse le 1" décembre 18i6 (v. Andryane,
Mémoires d'un Prisonnier d'Elat, augmentés d'une Correspondance
inédite de Gonfalonieri, 2 vol. Paris, Gaume, ISJO).
^ La Presse du 18 août 1839 reproduisait une note parue dans le
FORTUNEE HAMELIN 65
satin roug'e, lacés d'arg-ent; puis la veniriloquerie,
oui, la scone du ventriloque! C'est à s'arracher les
cheveux ! S'il n'est pas fils de son père, il Test bien
de sa comédienne de mère. A propos de père, que
fait-il de M"^ Sig-aud ? Est-elle arrivée? Charme-t-elle
Florence, a-t-elle subjugué, épousé le roi Louis? Elle
a annoncé qu'elle ferait tout cela. Nous avons cette
folle de comtesse SamaïlolT qui a suivi un comédien
français. La vie de cette femme est inouïe. C'est une
cabotine du boulevard ne pouvant aimer que des
misérables histrions... puis ces gens-là ne sont pas
parvenus à gâter ses manières, elle est distinguée,
câline, gaie, gracieuse, généreuse jusqu'à la démence.
Elle ne laisse rien à faire pour ce qu'elle aime, elle
adopte, donne, assure à tous de véritables fortunes.
Son palais de Milan, elle Ta donné à la fille de
Paccini. Je l'ai vue deux fois, elle est jolie et amu-
sante.
J'ai bien regret à M""" de Meneval, elle a toute la
confiance de ces dames et la mérite. Son tact pour les
Journal du Havre au .?uj<3t des scènes mimiques d'Eglington et de
la conduite du prince Louis-NapoUJon à Londres : « M. Louis-Napo-
léon tranciie tout à la fuis du dandy et du grand homme ; on le voit
tous les jour» aux exercices de wolwich et au pU du Queen's Théâtre,
aux courses d'Epsom et aux séances de la Chambre des Communes ;
il tient d'une main la plume du publiciste et de l'autre la lance du
paladin..., etc. C'est, au reste, une chose assez curieuse qu'un neveu
de Napoléon roulé sur la poussière d'un champ clos par un baron
Irlandais : on s"est depuis beaucoup amusé d'une pelile aventure
arrivée au prince Louis au Théâtre Français de 8aint-James où il
se trouvait dans une loge en face de celle de M"» Taglioni. Dans
un entracte, le prince envoya un de ses aides de camp dire à la
rav manie Si/lphide qu'il la recevrait avec plaisir. M"" Taglioni lit
répondre que ce serait elle qui se ferait un plaisir de recevoir
M. Louis Bonaparte en sa qualité de Français. La négociation n'eut
pas d'autre suite et les deux puissances, pendant tout le temps du
spectacle, conservèrent leur ([uant à soi respectif. »
5
60 UNK ANCIENNE MUSCADINE
arts est exquis. Peut-être partage-t-elle votre engoue-
mont pour la vieille peinture! Trechi possède le plus
beau Pérugin connu. Il est dans sa famille depuis
Cliarles-Quint. Je l'engage aie faire venir. Les tableaux
baissent à Lomlrcs. Ils en sont encombrés et les
Anglais n'aiment à les acheter (ju'en Italie, en France,
ou nouNellement en Espagne.
C'est moi qui ai ouvert ma lettre.
31 octobre 1839.
Me voici à Paris pour le Ghirlandajo. Il est arrivé
brise, sale, moisi. On n'accuse pas le transport, mais
l'ancienneté de sa noblesse. M. Bronkins était fort
peu édifié et me dit qu'à la salle des Commissaires
cela vaudrait au plus 300 francs. Moi je fus enchantée,
il y a quatre anges superbes, de ces anges qui croient
en Dieu. C'est un tableau noble, chrétien, fini, et tel
a été l'avis de La Neuville, de Taylor et de Trechi
qui a plus de goût qu'eux encore. Je l'ai donné au
meilleur des réparateurs, on lui croit six lignes de
saleté. Il sera resplendissant, car les couleurs existent.
La Neuville le croyait digne d'être enlevé. Taylor s'y
oppose, nous aussi. Il sera vu par M. Porlalis, Antoni
Rotschild et M'"^ Alfred et sera acheté certainement et
très bien.
J'ai des prétentions à la clarté que je crois fondées
et vous me désolez en ne me comprenant pas. D'abord
je vous disais que j'étais en fonds, c'était clair et
voulait dire : « Ne vous inquiétez pas des frais. »
.b; vous ai dit (jue Claude Clerc ^ était Arabe et
* Contradiclion. Voir Lultres prccûdenlcs.
FORTUNICE IIAMELIN 67
non pas Provençal. C'est connu. li m'a fait payer
300 francs deux boîtes de roues et les malles les plus
lourdes de Trechi ne lui coûtent que 30 francs, tout
compris, de Milan ici. Ainsi il vous reste crédit sur
moi non seulement de GO francs, mais de plus si vous
on avez besoin. Ali î cà! Venons au legs! Voici un
nouveau tlième trouvé par eux. Ils disent : « Mais notre
mère a testé pour lui. Elle a déclaré dans son testa-
ment qu'un tableau de l'école ancienne et une col-
lection du Moniteur étaient à lui, et comme elle les
lui avait donnés, c'est là ce qu'elle lui voulait laisser.
Aussi n'avons-nous fait aucune difficulté. » Ouclb',
grandeur! Ainsi l'on dit: « Mais ([ue demande M. C...
Il a été nommé au testament. Il a deux souvenirs lio-
norables. »
Mais conçoit-on cette pauvre clière d'avoir été
parler de ces bêtises dans un tel acte ! J'ignorais cette
circonstance dont ils s'appuient. Quant au paragraphe
de H..., il est clair et tel qu'un homme sans cœui- le
peut écrire à un pauvre être à qui les lois divines et
humaines défendent d'en demander raison. C'est
infâme. Qu'ils volent un legs, c'est tout simple d'eux,
mais qu'ils parlent de taches à leur nom, qu'ils
sachent que leur nom en a d'inelfaçables, (jue leur
pèi'e a commencé tous les traîtres dont le monde rou-
git et qu'à la bravoure près, ils sont dignes de ce père.
Je vais aller pour vous à Augerville '. Il est revenu
' Où liabitait Ben-yef qu'elle allait voir souvent (Caroline Jaubei-t.
Souvenirs, Lettres et Correspondances, i vol. lletzel, Paris. Sans
date). Les réunions d'Augerville étaient célèbres. C. Jaubert, la « Mar-
raine » (l'Alfret de Musset, qu'elle avait emmené chez Berryer dès
18:J5, décrit ainsi la propriété de Berryer, traversée par l'Essonne :
« Cette campagne d'Augerville plait et attache. Une ceinture d'an-
68 UiNE ANCIENNE MUSCADINE
pour rAcadémie. Je tenterai tout de ce côté. Nous
verrons, mais je n'espère rien de ces cancres.
Edmond n'est que trop de mon avis à ce sujet. Nous
verrons. Le prince est ici très toléré et goutteux.
C'est un cynisme, une saleté au-dessus des descrip-
tions. Il a dit qu'il aurait été curieux de me con-
naître, si je ne m'étais déclaiée votre clievalier. J'ai
répondu que je n'avais pas cette curiosité pour lui.
Louise est un culte, c'est la femme forte, habile. On
lui confie tout, on agira d'après ses avis, les yeux
fermés. Ainsi, si cet Anglais voulait bien, s'il parlait
transaction, B...^ l'appuierait. Tentez cela, mon
enfant. Avec de telles gens la moindre capitulation
serait un avantage, en obtenant de quoi attendre, c'est
beaucoup. Le sort ne sera pas déchaîné toujours.
Ne croyez donc pas que le retour du noble
Edmond^ serait une délivTance pour lui des liens de
Florence? Vous ne connaissez pas encore assez bien
les Anglaises. Toute la tribu le suivra, l'obsédera, le
dépouillera. Elles ne lâchent pas une proie. Leur gou-
vernement exploite en masse notre France, et elles,
individuellement. Le jeune duc de Rovigo voit déjà
([u'il est attrapé bien ferme. Il lui reste le plus triste
laideron de France et d'Irlande.
Les ofïres de M. de Sercey" ne seraient pas certes à
cieiis fossés, avivés par une eau courante, entoure le château, lais-
sant sur une des fai;ades l'espace d'un parterre. Le parc .semble un
fragment soustrait au parc de Fontainebleau. « Berryer était, à ce
nioment-lù. candidat à l'Académie.
' Berryer.
' Comte Edmond de Talleyrand-Périgord, 1787-lS7i. Marié depuis
1809 à la princesse Dorothée de Courlande.
^ M. de Sercey était ministre de France en Perse.
FORTUNEE HAMELIN 69
dédaigner, si ce n'était M. de Sercey. 3Iais ceci change
tellement la chose fjue je ne sais quoi vous conseiller.
S'il s'agissait d'un capitaliste, je lui dirais : Sauvez-
vous, mais que risquez- vous? Du temps, des traite-
ments perdus! .Mais eniin, vous apprendrez les
marbres, le négoce. Ce sera utile. Ça ne durera guère.
Acceptez. J'irai vous voir — ou vous viendrez m'eni-
brasser. — Ce qui serait extrêmement sérieux, beau,
faisable, ce serait l'affaire de la douane toscane, si le
grand-duc y est enfin résolu comme au mode le plus
avantageux, solide, régulier, qu'on puisse pratiquer.
Sur cette affaire je suis passée maître. Je réponds
du cautionnement et d'un nom honorable. Je réponds
(jue ce nom aurait toutes les connaissances néces-
saires et que l'affaire ne serait conduite ni avec légè-
reté ni avec le charlatanisme de gens qui partout
souitlent la considération de l'industrie, du conwnerce
de notre pays. Si Edmond en parlait au ministre ou
au grand-duc même, l'on saurait si l'on veut. Mais
par malheur Edmond a cédé à son obligeance et a
beaucoup contribué au succès de cette cochonnerie
de Borax. C'est ainsi qu'une bonne influence se perd
en faveur de fripons, et voyez-vous, et entre nous,
Sercey, Bourbevelle, le condamné, Guitart, Pascalis
((|ui sont des associés) valent moins que 31. de Saint-
Berin, car ils sont moins habiles. Mais enfin, si les
qualités d'Edmond effacent le petit tort de protéger
des intrigants (au moins), sachez que l'affaire des
douanes est raisonnable, sûre, facile pour moi, que,
moins considérable (jue celle de Naples, elle n'aura
pas un vampire comme Dupont (|ui est obligé de
payer sur elle deux millions de prises de coi'ps qu'il
70 UNE ANCIENNE MUSGADINE
avait et un véritable état de prince que ce comédien
croit devoir tenir pour faire oublier sa basse nais-
sance et ses banqueroutes. En Toscane tout doit être
cori'cct, pur, loyal pour rentrer dans l'esprit de son
excellent, illustre prince. C'e^il àonc un hoiinrte ho /)une
que j'ap[)orterai, un travailleur — et je suis sûre de
l'administration, des résullals et du contentement
du prince. Ce qu'il faut obtenir, ce serait sa promesse
d ui\ bail de neuf ans. Celui de Naplcs est de six et
le paiement doit donner plus de facilités, de délais au
fermier (jui aura tout à établir convenablement,
bai'(|ucs, buieanx. Iiabillements, postes, etc. Le grand-
duc n'aurait pas la petitesse d'exclure tous les étran-
gers dos emplois comme a fait le roi de Naples. Mais
ils seraient pris sobrement et avec sùnîlé. Enfin tout
est prêt. Tout est à mon cntirrr disposi/ioti, et je suis
certaine que mes gens peuvent oll'rir plus et mieux
([ue (jui (jue ce soit. Est-ce clair? Le secret des
démarclies serait utile, car si les faiseurs s'en empa-
rent, ils galvauderont tout. Il y a sérieusement à
craindre aussi Torlonia. Je vous ai demandé plusieurs
fois d(;s nouvelles sur M"" Sigaud. Je vous ai dit
qu'il était important, loyal, amical de faire savoir iiu
Roi qui tdle était, car une si vraie friponne esttoujours
gibier de police. Nous avons tous pensé qu'elle était
lancée pour cet objet, et c'est là ce qui nous alarme.
Elle dit ici avoir été appelée parle Roi, en avoir reçu
2300 francs pour son voyage, et les assurances les
plus délicieuses... pour la vérité f/'/c/. Elle a été ren-
voyée pour la dixième fois de cliez la princesse B... \
' La iirincessc Belyiujoso.
FORTUNr:i-: iiamiiILIn h
Elle a pillé son mobilier, mais elles se seraient encore
raccommodées si la Gacaudan n'avait eut argent,
mission pour aller exploiter, inventer et se faire une
fortune sur les intérieurs impériaux. N'oubliez pas de
me répondre sur toute cette subalterne mais politique
ambassadrice '.
Paris, 2 novembre 1830.
Loi'scju'on a dit que le prince Acbille avait la goutte,
c'est qu'on voulait cacher son départ, je ne sais dans
quel motif. Il est à Marseille pour y attendre sœurs et
frère. Dans ce congrès vous serez arrangé comme la
France le fut à Vérone, les yeux pour pleurer, le cœur
pour enrager. Voilà la justice de ceux qui con-
naissent la justice et le droit du plus fort. Enfin
Louise étant déifiée, tutrice, je ne vois que son ami
qui pourrait la déterminer à dire : « J'ai cru pouvoir
vous consulter tous, maintenant traîisigeons. » Ac-
ceptez tout, engagez Edmond à ouvrir ce dernier
parti et cet Anglais à le soutenir. Autrement vous
demanderez l'arbitrage du roi Joseph. Il valait mieux
le réclamer seul et cVahord (jue d'attendre des relus
positifset grossiers. Enfin, vons êtes un peu opiniâtre,
encore plus tranchant. La nécessité était pressante, la
justice révoltante. Voilà votre excuse d'avoir espéré
une minute dans l'équité de gens que vous aviez vu
si étrangement.
Je vous ai écrit sur nos espérances et notre salis-
' Nous avons cilé ((■Ko lellre in extenso pour montrer que
M"" Ilamelin ne cessa jamais de s'occui)er (falVairos et y apporta
beaucoup de compétence et un sens réiloclii. Elle avait le génie de
la spéculation.
72 UNE ANCIENNE MUSGADINE
faction du Ghirlaîidajo. Je retourne à la Madclaine
passer tout le mois de novembre. Je vous disais bien
que la colère, les bonds de tijî^re de J. ' se calmeraient
vite, que c'était une comédie. Le bon Stilling-en faisait
autant, plus peut-être, eh bien, le voilà ambassadeur
à la suite de M"*' de Salvage, le voilà le plus dévoué à
cette cause... Au reste, en bon Allemand il ne perd
pas la tête et songe sérieusement, dit-on, à épouser
les 80000 francs de rente de cette belle dame. Le
prince de Londres appuie ses prétentions et ils sont
sous son toit hospitalier. C'est amusant pour moi qui
ai vu ses colères et qui les combattais.
Je voudrais bien avoir des nouvelles de la pauvre
Hortense. Je ne puis rire de ses tristes folies. 11 y a
bien des douleurs sous cet étourdissement. Croyez-
moi; femme, je connais bien les femmes.
Naples va mal, très mal. Dieu finira par punir cet
ingrat chenapan de Dupont. Conmieil n'y met pas un
écu, par la bonne raison qu'il n'avait pas un sou, il
se moque des cautions. Au petit bonheur il a outré
les prix pour avoir la préférence et ils perdent en ce
moment 40 000 ducats. Pourtant point de guerre ni
de choléra, mais un staglio énorme et la crise de
France qui paralyse toutes les expéditions. Ces
renseignements peuvent être utiles, ils sont authen-
tiques.
Vous savez que le borax est abimé ? Vous rendrez
tous justice à mes prédictions. J'avais peur d'y voir
Edmond attrapé et des Bonaparte aussi.
J'ai lu une lettre de la Sigaud où elle parle du bon
* Jérôme, sans doute.
' StôltiiiR ou SliltinK fut secrétaire du roi Jérôme. .
FORTUNÉE HAMELIN 73
vieux roi. (La Sigauil a quarante-cinq ans.) Elle a tout
à SCS pieds et le roi apprend Racine à son fils ; la
Sigaud, elle, ne prendra pas racine. Le roi est trop
(in pour no pas éventer ce gibier.
J'ai des lettres où Ton me charge de tendresses un
peu tardives pour vous. Le positif, c'est qu'on m'an-
nonce un petit barillet de malaga exquis, et que
12 bouteilles sont pour vous, i2! n'en demandez
pas 13!
Que dites-vous de ce polisson d'Emile^ qui dit que
Berryer ne sait pas le Français? Oh! comme le Capi-
tale rhabille ! Que d'esprit a parfois ce Durand! C'est
aux postes qu'il faut vous prendre. Il a été expédié à
plusieurs et reçu par aucun. J'adore pourtant le
grand-duc, modèle des bons princes et des princes
éclairés.
* Emile de Girardin. M'"» Ilamclin l'ail loi allusion à un entrefilet
paru dans lu Presse du 30 octobre 1839, ainsi coneu :
« L'Académie française donne en ce moment un triste spectacle
au monde lettré. Elle se barricade soigneusement à rintéricur pour
l'ermer l'accès de ses fauteuils au^c poètes et aux romanciers qui
attirent sur nous les yeux de l'Europe, et elle se met en quête de
petits vaudevillistes émérites et d'avocats, comme si elle avait honte
de donner des successeurs aux grands écrivains qu'elle a eus et des
confrères aux grands écrivains qu'elle a encore, il parait que tous
les avocats du grand rùle sont destinés à cueillir les palmes de
l'Académie. Elle a déjà nommé ^I. Dupin ; elle se prépare à nommer
M. Berryer et il est probable que le tour de M. ÎSarrot viendra
ensuite. Voici un petit échantillon du style de M. Berryer, candidat
à l'Académie française ; c'est une phrase extraite d'un discours sur
l'hérédité de la pairie : « Abolir l'hérédité de la pairie, c'est pros-
crire les véritables bases du lien social. » Si le discours de réception
est rédigé avec le même purisme, nous demanderons que M. Berryer
soit adjoint à la Commission du Dictionnaire pour préparer l'article
Mélapkore. »
Cuvillier-Fleury avait combattu également la candidature Berryer
dans le Joiuiud des Debals et s'attira une vive critiiiue du Courrier
Fraiirais au(iuel il riposta.
74 UNE ANCIENNE iMUSCADINE
Delphine' a présenté une comédie [Les Journalislcs),
elle est une attaque directe et payée conti'cM. Tliiers.
Vous voyez : Berryer, Tliiers que veulent mordre ces
lâches vipères!
La Mark'la'me, mercredi 10 dcceiiibro 1839.
Sully Brunet s'était chargé de faire partir votre
lettre par une occasion sûre partant le 8 du Havre.
Ayant appris le retour du roi, j'ai vile écrit pour la
ravoir. Elle m'est revenue samedi et, dimanche, elle
était adranchie à Fontainebleau au comte de Survil-
liers', Cavendish-Scjuare-Londres. Allons 1 Au petit
bonheur et à la justice des honnêtes hommes.
J'ai trouvé votre lettre au prince très bien, parfai-
tement bien. Mais quelle manie d'abandonner les
vieilles formules (que je trouve comme vous très
absurdes), mais enlin de les délaisser devant un loi
de soixante-douze ans, frère de noire Empereur !
Le profond respect n'était pas de trop blanc bec. Il
trouvera la lin très leste, sans savoir que c'est noire
' Delphine Gay (1804-lSo6). Femme de lellres et poêle. ICpousa
llmile de Girardin en 1831 cl collabora à la l*resse de 18.36-à 18:;9
où elle donna des Lellres Parisiennes sous le nom de vicomte de
Launay. Publia des romans et des nouvelles (Le Lorgnon, 1831;
Contes d'une vieille fille à ses neveuc, 183.2; Ja; marquis de Fon-
lanf/es, 1835; La Canne de M. de Balzac, 1836, etc.) ; des tragédies
dont les plus célèbres sont Judith. 1843, et Cléopdtre, 1847 ; et des
coméilies dont nous citerons La Joie fait peur. La censure avait
interdit la représentation de l'Ecole des Journalistes à la Comédie-
Française. Delphine Gay était la troisième fille de Sophie Gay. Sa
sipur Elisa s'était mariée en 1817 avec le comle O'Donnell, l'autre,
Isaure, venait d'épouser (1837) M. Th. Garre.
' Nom sous lenuel Joseph Bonaparte s'était elabli à l'étranger
(voiv lie eue Napoléonienne, octobre 1!>0:2, mars l'J03, t. 111. Les Bona-
parte et la Clironique. Joseph à Londres].
FORTUiNKE HAMELIX 75
mode. Eiilîn, es[)t'rons de son tact et de son âme
souvent napoléonienne.
Vous voyez que je suis ici au 10 décembre. Ainsi
le bonheur cahiiant que j'y trouve n'est pas une
fantaisie de Parisienne. Les visites deviennent rares,
je m'en console avec Berryer qui passe ici pour aller
à Aug"crville, par le Capitole qu'il admire comme moi
et par des feux enragés mêlés de souches de g-enièvrc
qui embaument comme le bois d'aloès. Je passerai
ainsi ce lumulte du jour de l'an, envoyant à quelques
amis de beaux faisans pour étrennes. Hier pourtant,
vers quatre heures, j'eus une belle visite, un grand
cerf et deux biches. Certainement les cerfs font aussi
des visites à Paris, mais rarement ils conduisent de si
jolies biches.
Je croyais que rafl'aire des douanes en Toscane
était chose élaborée, décidée. S'il faut les conduire à
une décision, la vie d'un homme n'y suffirait pas. A
Parme, il y a un iM. Mistrali, ministre, qui laisse cet
État, si fertile, dans le sillon du xvf siècle. Il veut, il
promet, puis il continue et les vieilles habitudes, le
mystère sur les vraies recettes triomphent de tout,
môme de l'appas des augmentations. Ci'oyez, (juoi
([u'on en dise (surtout parmi les Français), que ces
ministre de Parme, de Toscane, de Naples sont des
gens intègres. Le contraire serait impossii)le dans ces
petites administrations et avec des princes qui allè-
guent toute chose et s'occupent sérieusement de leurs
ressources. A Naples, j'ai enteiulu cent mille horreurs
du ministre des Finances. En définitive, c'est Dupont
qui est le fripon et le ministre rhonnne jusl<', et même
généreux. Notre nation a pris un caracti're de râpa-
76 UNE ANCIENNE MUSGADINE
cité qui l'entraîne à toutes les calomnies, aux plus
lâches actions pour arriver à son but. Vous avez à
Florence le rebut de la tourbe de Paris. On fait bien
de s'en défier. A Naples, ce coquin de Dupont jette les
hauts cris et c'est lui, le malheureux, qui doit au gou-
vernement, à nous tous, et qui a empoché 1 million
depuis quatre ans et accroché un nouveau bail de
six ans.
Si j'avais l'honneur de causer avec le grand-duc ou
son ministre, je leur prouverais que par l'adminis-
tration en régie intéressée (mode que préférait l'Em-
pire) le revenu serait augmenté, régularisé et sa per-
ception plus douce, décente et en harmonie avec les
mœurs de cette belle Toscane. Dans le bail Dupont
les employés ont été maintenus et y sont de rigueur
au moins pour dix-huit mois. Les bons alors sont con-
servés, les mauvais s'efforcent à devenir meilleurs.
On fait peu d'économies sur ce personnel tout national.
Le talent est de le bien distribuer, surveiller et encou-
rager par des primes sur les prises. Le talent est de
connaître par l'espionnage des ports les arrivages de
contrebande, leurs dépôts, puis d'attirer le commerce
par mille moyens, intérêts, correspondance et souvent
diminution des droits. C'est dans le bureau de Dupont
qu'il lui a été permis d'adtnettre quelques étrangers.
Il a un Anglais, trois Français, et un Génois, tous
gens de talent et spéciaux. L'homme que je présen-
terais a étudié tout ce mécanisme très simple (conduit
par le Génois, car Dupont est paresseux, ignorant
et va seulement blaguer à la Bourse et jouer au
whist chez les ambassadeurs). On pourrait faire infi-
niment mieux pour Naples, mais il faudrait un
FORTUNEE HAMELIN • 77
fermier simple, travailleur, voyageur. Il y a un tiers
de plus à obtenir.
A Florence, en réunissant les octrois des villes à la
Douane (comme à Naples), on serait surpris de l'amé-
lioration et de la satisfaction des étrangers qui n'éprou-
veraient plus des tracas au seul bénéfice des pour-
boires à donner à ces chenapans de gabelous. Voyez
sur cet aperçu. Je suis en mesure de donner toule
l'explication, garantie et loyale exécution, en accep-
tant la juste et sévère surveillance de l'État qui devient
associé dans les bénéfices, passé le prix fixé pour le
staglio.
Je vois avec un vrai cliagrin que vous allez tout
faire pour rester en Toscane. Mais trouverez-vous
des choses honorables, suffisantes pour y vivre dou-
cement? Si votre caractère pouvait s'adoucir, persé-
vérer, certes, avec vos connaissances et votre esprit,
vous trouveriez à vous classer soit dans les biblio-
thèques, la librairie, le secrétariat du prince, que
sais-je? Vous pourriez tout faire, bien faire et voire
bile maudite vous arrache à tout. Tâchez donc de
vous dompter pour l'amour de vous-même et de
moi.
Hélas! l'espoir de revoir l'Italie^ et vous cbez elle,
je ne l'ai plus. Ce voyage est trop cher pour une
femme, puis, je ne sais comment je fais, mais le
bon marché n'existe pas pour moi. J'ai dépensé
14 000 francs à mon dernier voyage, en me privant
' Le premier séjour de M"»» Ilamclin en Italie date, croyons nou.s.
de 1794, époque à laquelle elle suivit son mari à Milan, où il était
ciiargé de l'approvisionnement de l'armée du f,'énéral Bunaparlo.
C'est là qu'Appiani lit le portrait (jue nous avons reproduit en tète
de ce livre.
78 UN't: ANCIENNE MUSCADINE
de tout et ici inèine, au fond des Ijois, je trouve
moyen de surpasser mon budget (à la vérité très
léger}. Aussi, cher ami, ce serait avec une joie folle,
un bonheur de vingt ans que je saisirais une nou-
velle occasion de revoir celle Italie cliérie, si une
affaire môme modeste en espérance, nmis faite enlre
honnêtes gens, pouvait m'en faciliter les moyens.
L'honnne (jue jr présenterais est le senl (jui depuis
vingt-deux ans ne m'a donné que dos sujets de l'es-
timer, de laimcr même. Oljligé (h; quitter le parcjuct
par la faillite de la Banque de Belgique, loin de pro-
fiter du motif, il a toul payé en vendant les dernièi'es
propriétés. Aussi un crédit iUimilé lui reste et une
rare capacité pour la comptabilité, les changes, les
transactions commerciales et tout ce qui importe
pour des alfaires de régie, emprunts, banque, etc.
Cet homme est Amet, qui, seul, a fait trouver les
fonds de ce misérable Dupont et n'avait pas voulu
d'autre avantage que celui de m'ohliger. Ah ! si
Nicolle lui eût ressemblé î Mais ils sont séparés,
grâce au ciel pour Amet. Je partirais donc avec mon
gros bonliomme, laissant sa femme avec ses perro-
quets, et nous irions, moi, regarder, adorer, ache-
tailler un peu, el lui nous régler, étal)lir et faire
marcher nos alïaires. Par malheur il ne sait pas un
mot d'italien, il lui faudrait un interprète collé <à lui.
Que dites-vous des horreurs de l'Algérie ? J'ai bien
pensé à votre jeune frère. Si Gubières y commande
je lui en reparlerai et je l'ai tant câliné, remercié de
ce qu'il a fait ou pas fait, (ju'il se croit lié, du moins,
à rendre justice.
Vous avez mille fois raison sur les feuilletons du
FORTUNEE HAMELIN 79
Capitule. Il est pitoyable de voir l'Empereur en mau-
vais vaudevilles subir les inventions de votre ami
Arago et autres baladins. J'en ai vraiment fait sentir
Tinconvenance à M. Durand qui a réponse à tout. Il
dit : « Ces trivialités plaisent à la fureur \\ une classe
importante : le peuple. Toutes les Halles sont mes
abonnées. Elles nous appellent le Journal de Bona-
parte, et ces platitudes les divertissent beaucoup plus
que nos discussions. Par exemple, tous les marcliands
de vins de Paris payent le Capitole par année. Croyez-
vous que le délicieux article de l'élection Berryer et
de Cuvillier-Fleury serait compris par eux? Eii bien !
le journal sert aux deux classes. » C'est juste.
Vous vous tromperiez bien de compter, d'espérer
en D... pour votre projet. D'abord sa position serait
obstacle même avec bonne volonté. Puis, la passion,
l'orgueil l'ont jeté vers les artistes et le faubourg*
Saint-Germain dont il est adoré et adorateur. Dans ce
moment il fait exécuter un album qui lui coûtera
3(J0UU0 francs — et les mêmes dessins, acjuarelles, qu'il
paye 1000 francs pièce, les artistes en envoyent
aux ventes qu'on acliète de GO à loO francs. Au ma-
riage du jeune duc de Dino^, qui s'est fait dans un
vieux cliâteau en rechercliant les modes féodales,
Anatole" a été parrain d'une cloche avec la belle
mariée. Deux foui'gons de bonbons sont arrivés ap-
' AlcxanJre do l'érigord (comte), plus tard duc deDino (1813-189i).
djUKiôiue ûls du duc do Talleyrand et do la princesse Dorolliée de
Cuurlande. Se maria avec M"» Valcntine de Sainte-Aldegonde.
- Anatole DemidoU" (mort on 1870) fonda un asile pour indigents
laborieux à Mosoou- Epousa on 1840 la i)rinccsso Matliilde, lllle de
Jérôme Bona})arte et de Catliorine de Wurloniborg dont il se sépara
en ls45.
80 UNE ANCIENNE MUSCADINE
portant la rue des Lombards et le Palais-Royal tout
entier. Il a donné des vases d'or à l'Eg-lise, doté six
jeunes filles, donné 6 000 francs aux pauvres et tandis
que les villages traversaient pour voir le banquet,
ses cbasseurs distribuèrent des sclialls, des dentelles,
des tabliers aux paysannes; le tout a fini par une
parure de diamant et de rubis à M"^ de Sainte-Alde-
gonde, cette parure est estimée 30 000 francs. J'avoue
qu'à la place de la mère; je ne l'aurais pas laissée
accepter.
Pour revenir à votre projet, pourquoi, lorsqu'il
en sera temps, ne pas vous entendre avec Durand?
J'avais toujours espoir que cette feuille vous pouvait
abriter. Tout ce qui n'est pas lui est si mauvais! Il a
fait des démarclies près des Balzac, Eugène Sue.
Mais ces gens-là, sans passion, déjà flétris, aux prises
avec des besoins et des dettes immenses, demandent
énormément et sont toujours prêts à des infidélités.
Il s'en tient donc à amuser ses marchés en attendant
le moment où les talents sentiraient venir le vent et
s'attelleront à un char dont la marche est solide et
peut aller loin.
Je sens bien la délicatesse de la position d'Edmond.
Celui-là a de l'honneur, de la bonté. Aussi je le
regarde comme garrotté. Il restera ou elle viendra.
Est-ce un si grand malheur s'ils s'aiment et se con-
viennent? L'important, c'est qu'elle sait le maintenir
et non l'entraîner. La vanité est le seul mobile véri-
table des Anglaises et non seulement un duc est
irrésistible pour elles, mais encore ce duc doit faire
grande dépense. Si Edmond vient ici en s'arrangeant
avec ses créanciers, son revenu serait bien rogné.
FORTUNliE I1.\ML:L1N SI
Alors coiimiciiL soutenir ù Paris tant de ciiarges. 11
restera.
Je pense que peut-être vous aurez écrit directement
au roi en apprenant son arrivée. Il n'y aurait pas de
mal. — J'ai fait faire par Treclii et M""" Kisselelf
mille altaijues pour déterminer la SamaïlolF à acheter
le miroir de M"Tauvau^ Celle folle n'a pas de goût,
elle le prouve du reste. Elle a acheté pour 18 ù
20 000 francs de cochonneries d'Alphonse Giroux et
donnerait hien .300 francs du miroir! Son comédien
ne désaoùle pas. Il régale tous les cahotins du houle-
vard, revient, casse tout et la bat. Elle dit alors : Ahl
qu'il est drôle !
Votre ami de Nyon se trouve sur le grand théâtre.
Il était tout ravi de l'Empereur j^du Maroc) qui écrit
directement à tous les consuls. J'espère qu'il aura
osé voir et dénoncer l'intrigue des Anglais. Dites-moi 1
Nous en donnent-ils assez sur le dos, sur le ventre,
nos bons alliés? Ils ravagent et prennent toute l'Asie,
ils sont maîtres en Espagne, ils vont nous chasser de
l'Algérie avant deux ans. Bien, allez, vous pouvez
encore plus, braves amis 1 Ce que je ne comtois pas,
c'est le sang-froid de la Russie.
J'ai donc reçu le petit baril de la reconnaissance.
Il y aurait pour un déjeuner de M. Balatier.
Les nouvelles de Capponi sont tristes. Ruiné, passe,
je connais ça, mais aveugle ! En vérité cette ruine
est trop dure à un homme qui a toujours vécu comme
un rat. L'intendant ne s'expli(jue qu'à des dépensiers
comme Luchesini, ou nos grand seigneurs de jadis.
' « Ai'Liàtc liabilc ol moJoaLu » (Le Ulcarol de ISi-).
82 UNE ANCIENNE MUSCADINE
C'est dommage. Capponi a de l'esprit, du savoir, et
le bruit des fameuses cloches de son aïeul retentit
encore dans son âme. Son ami Gonfalonieri est devenu
riche, même sous les séquestres et les verroux. Il est
môme resté beau, d'une beauté altière et noble. Je
crois qu'il va pouvoir retourner en Italie, il l'espère
du moins.
Je n'ai pas de préventions sur la madame d'Edmond.
Entre nous, ce que j'en sais, c'est de notre pauvre
chère amie. Elle resrardait comme une condescen-
dance pour Edmond le bon accueil qu'elle lui faisait,
surtout le marrainage. Cette dame m'a fait une sot-
tise en refusant la cassette charmante. Elle m'a privée
par cette impolitesse d'un souvenir qui a été retrouver
vos 30 000 francs. Cela vaut certes une petite rancune.
Je vous demande toujours des nouvelles d'Hor-
tense', car toujours j'y prendrai intérêt. Croyez-vous
qu'avec ce bon et sincère sentiment, je n'ai pas
répondu à son étrange lettre. Elle m'appelle prude et
ce serait bien ridicule qu'elle m'interdît le droit de la
blâmer pour la louer — ma foi, c'est impossible. Sa
position me déchire le cœur. Je voudrais parier que
le petit B... ne restera pas même son ami. Je suis
fâchée que vous vous accordiez mal. Sa conversation
vaut mieux assurément que celles que vous trouvez,
et quoique amant de la nature, on parle.
Mon Dieu! que j'aurais voulu assister à la première
entrevue du roi Joseph et du prince Louis. Tout est
bien changé ! Ils doivent se juger. L'union est toute
leur politique.
• Ilortense Allart.
FORTUNEE HAMELIN 83
La Mailulainc, -9 décembre 1839.
Je ne quitterai pas l'année et la Madelaine sans
vous dire adieu et vous souhaiter, cher ami, un 1840
moins cruel que ce 1839 que nous quittons. Nos
épreuves ont été grandes et mon cœur presque aussi
blessé que le vôtre. Vos projets d'habiter l'Italie
m'ont cliagrinée, mais je me garde bien de les com-
battre, persuadée comme je le suis que tout vaut
mieux que la France d'aujourd'hui et que le pays, le
gouvernement toscan sont les plus douces choses de
la terre. Ce que je voudrais, ce serait de connaître
les moyens que vous vous y créerez pour y immer
son air délicieux.
Je vous ai répondu fort en détail sur vos idées rela-
tives à Demidoir. 11 n'y aurait rien à faire là que dans
le sens légitimiste et encore ses caprices, sa vanité
ne laissent d'espoir de succès qu'aux plus vils para-
sites ou aux hommes d'un grand nom.
Ce que je vous écrivais sur les régies reçoit à
Naples une triste conlirmation. L'Etat a voulu aug-
menter de beaucoup le fermage (Staglio). Dupont,
pour repousser toute concurrence, a tout accepté.
Enfin la régie de Sicile, refusée par les anciens et
honorables régisseurs à 900 ducats d'estaglio, a été
prise par cet impudent à 1420 000 D. Presque le
double! Que risque Dupont"? Pas un traître sou, ni
même une réputation. Il a l'art d'entraîner par son
faste et ses airs de comédie. Il a campé le cautionne-
ment de la Sicile sur le dos de NicoUe, et celui de
Naples sur Rotschild, Lefèvre, etc. — Mais en ce mo-
ment, ils sont enfoncés de la presque totalité des eau-
84 UNE AiNClliNiNK MUSGADINE
Lions L'L iiiiiilrc l)in)0ut n'en pi'élèvo pas moins ses
Iraiteiiieiils (jui iiionlent à plus de 'JO 000 francs sans
compter 3o pour cent dans les hénélices futurs. La
crise du commerce menace d'être longue, car jamais
tous les grands intérêts de TEurope n'ont été si
effroyablement embrouillés. Ainsi les gouvernements
font un mauvais calcul en poussant trop loin les
fermes de l'Etat. L'habileté, la surveillance d'un bon
régisseur arrive aux mêmes résultats lors du pai'tage
des bénélices et l'affaire dans son cours n'éprouve
j)as de discrédit et d'inquiétude pour sa durée. —
J'attends vos réponses de Londres avec impatience.
Peut-être un duplicata eût-il été bon, quoique rien ne
me paraisse plus sur (|u'un bon alfcanchissement fait
par Sophie. Mais cette famille! \ous avez voulu
connue (die avoir des illusions sur Achille. Ça me
paraît le plus ignoble de tous les cyniques. Un
homme, dont l'honneur dirige le tact, m'écrivait :
« Je l'ai bien observé, il n'y a rien dans cette âme, et
c'est inoui que deux êtres tels que3L.. et C^•. aient pu
enfanter un être immonde qui manque même de cou-
rage ! )) Il a tout approuvé et il est convenu entre
eux tous que Louise a tant d'ordre, de fermeté, que
ce serait une Régente digtie des Blanche de Castille.
Vos projets hostiles je les combattrai comme inutiles,
car pour eux toute la honte du procédé est bue. Ils
ont un nom, une fortune. — Vous n'avez à perdre
que votre honneur, gardez-le intact, faites ce sacrifice
à cette chère ombre. Si Joseph n'accepte pas, envoyez-
lui ce (jue vous \ouliez publier.
* Mural cl Caruliiiu.
FORTUNEE HAMELIN 8n
Mon st'jour ici n'a pas empêché les soins pour le
tableau. Trechi l'avait vu avant M'"'' A..., c'est-à-dire
la veille de son dernier séjour ici. Le groupe d'anges
du haut était nettoyé et magnifique; il paraît que la
vierge qui me paraissait la partie faible est devenue
la plus brillante et que sa tête, l'éclat de son manteau
excitent des cris de surprise, car de noir il est devenu
d'un blanc si fin, si lin, que Trechi dit que la valeur
de cette belle composition lui parait devoir monter au
moins à ("> 000 et il y a deux ans seulement à 10.
L'arrivée de Joseph a été un coup terrible pour
toutes ces négociations. On attend. On est assuré
que Facquéreur quelconque jettera dans le commerce
tous les objets de second ordre. — Enfin de Paris je
vous écrirai plus et mieux j'espère. Dans ce moment,
Alphonse Giroux absorbe Paris. Il est digne du bon
goût du temps. Vous avez, j'espère, des nouvelles
de votre frère ! J'y ai bien pensé. Il va se distinguer,
j'en suis sûre. On envoie de solides renforts, mais
quels chevaux et quels mauvais cavaliers à opposer
de suite aux Arabes ! Nos jeunes soldats sont à l'ins-
tant de bons fantassins, mais cavaliers ! Hélas ! j'ai
vu le camp !
]^/[me ^j^ceioL' s'est faite delphiniste. Elle ne les
quitte plus, dit-on, du reste tout cela tourne comme
ses succès, à de bous résultats d'écus. Voilà l'Acadé-
' Femme du malhéinaticien Ancclot, née à Dijon on 1792, morte
en 1875; s'occupa do peinture et de littérature et publia de noiii-
bi'oux ouvrages. Le Dicllonnaire Satirique des céléhritéx conlempo-
raines (1842) dit do M"'» Ancclot que Fortunc-e Hamelin n'aimait
pas : « Epouse d'un dévouement fanatique qui s'est tutie à bâtir des
vaudevilles et des romans pour l'ain; excuser les vaudevilles de sun
mari... avant sa conversion. »
86 UNE ANCIENNE MUSGADINE
mie plus bas que les avoués. Celle voix unique de
Scribe pour Yaloul' est d'un cynisme ignoble, el
loule celle troupe de polirons reculant devant les
deux grands noms de répofjue est un spectacle hideux
en vérité. Les agents de change n'eussent pas fait ça,
même pour 10 centimes de hausse. Je vous assure
que Berryer en est bien réjoui.
Adieu, comme une vieille que je suis, je vous
souhaite santé, bonne chance et modération.
' Valout (1792-1848), socrélaiie du duc Docazos cl Mbliothéoaire
de Louls-Pliilippe qui lui témoif^nait beaucoup (raiaitié; admis à
l'Académie française quand il suivit Louis-Philippe dans son exil.
(Cf. .lournal de CuviWer-Fleiirij et Quicherat : Histoire de Sainte-
Barbe). (Charles Bocher. Mémoires I, 32, parle de l'esprit de Vatout
chezM""=de Vatry). Après sept tours de scrutin pour l'élection d'un
membre à l'Académie française. Berryer obtint 10 voix, Victor
Hugo 7, Casimir Bonjour 8 et Vatout 1. la voix de Scribe « voix
solitaire comme celle du rossignol ». {Charii'ari,20 décembre 1839).
Sur la proposition de Victor Cousin, l'élection fut renvoyée à trois
ANNEES 1840-1841
La folie parisienne. — Bals des Ambassades. — L'hôtel Portalis. —
Une lettre du roi Josepli. — Anatole Demidoffet M'"» de Montaut.
Question d'Orient. — Dotation du duc de Nemours. — La reine
Victoria. — Scbasliani. — Guizot. — Fluctuations du Capilole. —
Walcwski et le Messager. — Les Belles à la Mode. — Antonin de
Noailles. — Thiers. — Ilortense AUart est-elle malade? — Edmond
de Talleyrand et sa cousine. — Le bivouac de la Madclaine. —
Montrond. — Procès du prince Louis. — ^lontholon. — Anatole
Demidoiï et sa femme. — Le dernier champ de bataille de Napo-
léon. — Les futaies de Fontainebleau. — y\.""> Ilamelin à Auger-
ville. — Accueil de Berryer. — Son esprit. — Un plan de Berryer.
— M. de Chateaubriand. — La Revue Parisienne. — La liste
civile. — Lord Alvanley. — Ch. Didier. — M"» de Talleyrand.
— M""» Ilamelin réclame des livres. — Le Siècle l'a mise en
cause au sujet de l'arrestation d'Ouvrard. — Gcnoude à l'index.
— Faudoas. — M"» Berryer. — Le duc de Bordeaux. — Le comte
lelski. — Les treilles de Thomery. — Ladrerie de M'"" S..., amie
de Berryer. — Jérôme Bonaparte et Anatole Demidoiï. — M""" De-
midoiï. — L'Empereur Nicolas. — Les vieux livres. — M"» O'Don-
nell. — M'"» de Bourges. — L'Empereur Julien. — Les mémoires
de Gourville. — M""= de Sévigné. — Jules Janin. — M""= Dosne et
Thiers. — La reine Christine. — Un Souvenir au Fossé de Vin-
cennes. — Une défense de Berryer. — Le journal La Presse. —
Espartero. — Sur un travail de son correspondant. — M. de Mon-
trond. — Desvoisins. — La Taglioni. — La maison civile de
l'Empereur en 1804.
Paris, 2 février 1840.
Paris m'a ôlé de mon calme sans m'apporter cou-
rage ou consolation. Je n'ai pas eu la petite joie d'y
finir la plus petite all'aire. Les amis (jui étaient
aimables et bons à la Madelaine sont ici connue de
88 UNE ANCIENNE MUSCADINE
vieux éventés, courant comme dos fous et folles après
toutes les cohues, et se faisant un chagrin d'être
oubliés une fois en mille. Au milieu de toutes les
misères, buvant toutes les humiliations, les Parisiens
dansent et font faillite. Je ne connais que trois hôtels '
où l'on puisse rire et se moquer de tout, c'est l'am-
bassade d'Angleterre, d'Autriche et de Russie. A
ceux-là, l'année et l'hiver sont beaux.
Je n'ai rien pu faire encore pour h' joli tableau. J'ai
suivi exprès deux ventes, celle de Bisson boy entre
autres où une déteslal)le copie d'une Made/aine du
Guide a été posée à GÛ francs et par l'ignorance d'un
benêt d'Anf^lais a été poussée à 3.100 francs. A chaque
enchère qui dépassait 100 francs (valeur du cadre)
c'étaient des cris, des rires immodérés ! Mais il a
obtenu sa chère Madeiaine. En tout les tableaux se
soutiennent malgré la vogue du flamand. J'ai été voir
avec Trechi et le comte OfTeli de Milan la maison de
M. Portails, rue Tronchet. C'est joli, g'racieux, à
croire que Raphaël l'a dessinée pour sa Fornarina.
Le musée commence au marteau, puis tout est habité,
commode et ce pêle-mêle de statues, de canapés, de
tableaux, de tables à écrire, de vases, de colonnes
devenues meubles, est un mélange délicieux dune vie
réelle et idéale. J'ai très bien remarqué du coin de
l'œil qu'il n'a dans sa galerie ni un Pérugin ni un
' On dansait beaucoup, en ellVt, cliez la comtesse d'Apponyi,
femme de ranibassadeur d'Autriche, ^lais M"'» Ilamelin ne men-
tionne pas les bals et les soirées qui se donnaient au ministère de
l'Intérieur, chez la comtesse Duchàtel, à Tambassade de Belgique où
recevait le marquis de Brignole-Sale. avec sa fille la iluchesse do
Galliera. chez la comtesse Lehon, femme très à la mode, à l'ambas-
sade de Belgique, à l'Hôtel de Ville, où trônait la comtesse île Ram-
buteau, femme du préfet.
FORTUXEE IIAMKLIN 89
Ghirlandajo et j'csptTe que le nôtre pourrait s'y caser
en bonne compao^nie.
Vous n'êtes point né pour la diplomatie, cher ami.
La lettre du prince que je trouve bonne et presque
paternelle, cette lettre, si vous l'eussiez comprise,
était une négociation à entamer et non un cartel à
envoyer. Vous deviez charger un tiers d'aller la mon-
trer et d'établir que vous, étranger, demandant l'ar-
bitrage du prince, eux, famille, le repoussaient.
Devant une ville ils n'auraient pas osé, mais Joseph a
raison de dire qu'il ne peut provoquer un arbitrage
qui ne lui est pas demandé par les deux partis. D'ail-
leurs il connaît bien ses deux neveux. Cruquenbourg
le connaît aussi. Entre nous, son cynisme de saleté
est dépassé par la bassesse de son âme. Il se roule
dans la fange ici, fait sa cour aux plus subalternes et
n'a d'autres dieux que l'argent, l'eau-de-vie et la
boue. Pauvre Caroline qui l'aimait tant ! Que faire,
direz-vous? Mais que ferait une blessure ou la mort
de Rusponi ? On leur arracherait plutôt la vie à tous
les quatre que d'abandonner un écu. C'est cette posi-
tion sans issue honorable, lucrative qui me désespère,
car c'est dix mois perdus. N'abandonnez pas la négo-
ciation. Ecrivez directement à Joseph (toujours
Cavendish-Square). Suppliez-le de demander compte
de la réclamation, mais, mon Dieu, Jérôme est là et
vous vous êtes trop fortement brouillé avec lui.
M. de La Rue, à qui j'ai lu la lettre, partage toute
mon opinion. Il faut encore espérer en Joseph et lui
écrire, sans dire que votre dernière lettre a été
alhanchie.
Savez-vous à Florence de quelle faron Demi(|oiï a
90 UNE ANCIENNE MUSCADINE
rompu avec M""* de Montaut? A grands coups d'étri-
vicres, de canne, de poings, en la traînant par ses
beaux cheveux du premier dans la cour. On raconte
que depuis un an il cherchait un moyen de briser cette
liaison. N'en trouvant pas d'honnête, il s'est mis à
l'assommer. Le dernier assaut a failli lui coûter la
vie. La famille de la Rochefoucauld s'est conduite avec
bonté et honneur. Ils ont été reprendre cette infortu-
née, elle est chez son frère, mais point encore réta-
blie, car un coup de cravache lui a emporté la joue
et la paupière. Tous les meubles, bijoux, donnés par
Anatole lui ont été renvoyés ; il a refusé de les
reprendre et ils se vendent au profit des hospices par
les mains du curé. On dit qu'elle veut s'établir dans
un couvent de province; tout le monde s'y intéresse
beaucoup.
Beaucoup de bons esprits croient aujourd'hui la
guerre inévitable \ M. de La Rue môme était fort à
bout de logique ces jours-ci. Il dit que dans un mois
nous aurons douze vaisseaux de guerre. Des vais-
seaux, quelle stupidité ! C'est une belle armée, une
opinion nationale, un système, des hommes enfin !
Mais laissez faire, on baissera le front, on fera dos
noces, des bals, et l'Orient sera partagé à notre nez
comme la Pologne. Néanmoins le gâchis s'épaissit au
point de devenir une boue si épaisse qu'ils y laisse-
ront les pieds. Cette dotation du duc de Nemours-
' A propo.s de la {|ueslion d'Orient.
* Le 25 janviiu" 1840, le président du Conseil, maréchal Soult,
annonçait à la Chanihrc le mariage du duc de Nemours, second fils
du roi Louis-IMiilippe avec une princesse de Saxe-Cobourg-Golha et
déposait en même temps un projet de loi attribuant au jeune prince
une dotation de 300.000 francs et à la princesse en cas de survivance
FORTUNÉE HAMELIN 91
devant ce gouffre de l'Algérie, le budget, les faillites,
la misère, a révolté les plus lâches. L'Angleterre fait
justice de ces mendiants qui se disent des princes.
Victoria, frénétique d'amour, voulait que son jeune
premier eût le pas sur des vieux oncles, fils, frères
de rois et qui peuvent le redevenir. La nation a fait
justice de cette fatuité. Nous allons voir ici, mais ça
se chauffe et le retour de Sébastiani \ le départ de
M. Guizot (qui ne fera rien de plus que de changer le
traitement de poches), tous ces événements glorieux
sont vivement sentis par tous ceux qui ne sont pas
les pierrots de la cour ou du théâtre Ventadour.
un douaire de 300. OUO francs. La discussion vint devant la Chambre
le 20 lévrier 1840. Par 226 vois contre 220 la Chambre refusa de
continuer la discussion. Le cabinet démissionna. Thiers fut chargé
de former le cabinet. En mai 18i3 le projet de dotation fut de nou-
veau déposé et rencontra la même opposition. Le Munileuv (30 juin
184ij inséra un ailiele à ce sujet, émanant du roi lui-même. Thureau-
Dangin (Ilis/oire de la Monarchie de Juillet, t. III) (cf. Journal de
CuvilUer-Fleiirij. Hené Bazin. Le Duc de Nemours. Emile-Paul 1907).
' Sébasliani (Horace) (I772-î8"j1), colonel en Italie, général de bri-
gade au camp de Boulogne, de division après Austeriitz. Ambassa-
deur en Turquie (180G). En demi-solde après Waterloo. Député (1819-
4830) minisire de la marine, des Affaires étrangères (1800). Ambas-
sadeur à Naples, à Londres. 11 fut nommé maréchal de France le
21 octobre 18i0. c'est-à-dire le jour anniversaire d'un jour où il se
laisse surprendre par les Cosaques et enlever 400 voitures de
bagages et 100 prisonniers, le 21 octobre 1812. Le Capitale enregis-
trait ainsi celte nomination : « La promotion de M. Sébastian! à la
dignité de maréchal est un scandale qui dépasse tous ceux que
nous avons vus depuis longtemps. » La carrière militaire de M. Sébas-
tian! a été caractérisée par ces mots de Napoléon : « Sébastian!
nous fait aller de surprise en surprise. » Horace Sébasliani avait
épousé la fille de IM"" de Coigny (qui avait ('ti; la femme de Mon-
Irond et dont le père était le manjuis de Conflans, célèbre par son
esprit mordant). La comtesse Horace Sébastian! mourut ((uelque
temps après avoir donné le jour à celle qui fut la duchesse de
Prasiin. (Vtdr plus loin année 1847. Lettres de F. Ilanielin.) Le mot
fameux : « L'ordre règae à Varsovie », est de lui. Son frère Tihurce
Sé'bastiani (I78G-1871) fut dépuli' (1828) et pair de France (1837).
92 UNE ANCIENNE iVlUSGADINE
On s'arraclio Bernard Polocki. On dit votre amie
éprise, jalouse, désolée. Elle a fait un petit drame où
l'on pleure beaucoup et une très jolie dédicace à un
ami absent. J'ai cru que c'était vous. Mais, baste, on
n'a d'amis absents que les marécbaux, ducs, etc.
Ainsi c'est à Raguse^ à qui la pièce et la préface sont
adressées.
Votre frère va bien et se bat encore mieux. Il n'est
plus spabi, il est cbasseur, et il aura un colonel ami
iiiLiinc de La Rue. Je perdrais mes peines à me tant
intéresser aux spabis l'éguliers.
Le Capitule, malgré tout, ne croulera pas. Ce n'est
pas une spéculation, c'est une affaire d'opinion. Cba-
cun s'y ruine. Les journaux juste milieu ne vont pas
mieux. Ils ont leur bassesse en caisse pour tout capi-
tal. Coste e.st ruiné, la fortune de sa femme y passera
en grande partie. Il a vendu aux délégués des colo-
nies, se réservant seulement sa petite subvention du
roi des Belges, laquelle est mignonne. Personne ne le
louerait à si bon marcbé. Il a raison de garder
Coste.
Le beau \Yale\vski - et son Messar/ri' font aussi capo.
* Marmont, duc de Ragusc (1774-1852), aide de camp de Bonaparte
en Italie, général île division en 1800, duc de Raguse en 1808, maré-
chal de France. 180'J, pair do France sous Louis XVIII, major
général de la garde du Roi pendant la deuxième Restauration, com-
mandant des troupes royales, juillet 1830. « Séduit par fjuel(|ues
succès d'école jadis obtenus par Marmont, l'Empereur supposait à
ce maréchal des talents militaires que sa conduite à la guerre ne
justifia jamais. » Baron de ]SIarbot (Mémoires).
* Le maréchal de Castellane dit de Walewski (1810-1868) :
« M. 'W'alewski, qui est fils de l'Empereur et d'une Polonaise,
M»"» Walewska, est un des jeunes gens les plus à la mode parmi ces
dames: il a de beaux yeuv, il est pâle, il a un cercle de barbe
autour du visage, suivant la mode actuelle de quelques personnes ».
FORTUNEE IIAMELIN 93
Le journal cl sa comédie et sa maiLresse et sa jolie
maison rue Blanche el ses dîners, tout cela a vile mis
lin à ses pauvres 50.000 francs de rente. Le Messa-
ger est en vente, la maison est vendue pour rien et
la maîtresse le serait si elle trouvait acquéreur.
Walewski va partir pour retrouver une héritière
ang-laise; il va voir Joseph comme l'enfant prodigue.
On pardonne les sottises d'argent, elles ont presque
de la grâce avec la jeunesse, la beauté, un sang
illustre... Mais l'oublier, ce sang, fléchir devant les
veaux, qui ne sont pas môme d'or... ali I fi ! c'est
misérable.
M"*" Hariett Dorsay est la belle à la mode. Elle a
tout enlevé à Rondeau, même Antonin de Noailles^, le
très beau neveu d'Edmond. M"° Dorsay est plus chère
(jue Rondeau, à huiuelle il ne reste pour capitaliste
et cavalier que Montrond, qu'elle rend imbécile de fou
qu'il était. 11 lui donne tout l'argent que le roi lui
[Journal, II, 318, anace iS3Û). En luars ISiO (t. ill, 2L2j il éciiL : « Un
des lions, M. Waluwski, lils do l'Empereur, est à la modo depuis
tiuinzo ans ; il a mangé la plus grosso partie de sa fortune ; il achève
de se ruinur avec le journal le Messager. C'est un ami de M. Thiers. »
Nettement [op. cit.) classe le Messager parmi les journaux qui défen-
daient l'opinion dynastique. (Le Moniteur, le Moniteur Parisien, le
Siècle, la l're.'ise, le Globe, etc.) (Cf. Véron, Mém. d'an Bourgeois de
Paris). Walewski avait l'ait jouer au.x Français avec un grand luxe
d'ameublement VEcole du Monde [La Coquette sans le savoir), 8 jan-
vier 1840 et les Dandys. Ana'is Aubert et Raoliel se disputaient le
cœur du jeune écrivain homme du monde, ijui devait plus tard
devenir ministre des All'aires élrangères.
Le Messager acheté on 1837 par Walewski avait appartenu à
j\l. Aguado. Tiiéophile Gautier disait dans la Presse (li<4U) à propos
de l'Ecole du Monde : « Illustres gentilsliommes, lions à tous crins,
très précieux fasiiionahles, il vous mantiue d'avoir soull'ert. »
' Antonin-Glaude-.Iuste de Noailles, né en 1777, second fils du
prince de Poix, avait épousé Honorine de Tallcyrand-l'érigord, nièce
du prince de Talleyrand.
91 UNE ANCIENNE MUSCADINE
donne pour ses conseils politiques et cet arg-ent-là
est encore le mieux employé. Vous aurez vu la belle
Virvouste de M. Thiers. Ceci était fort! Mais quelle
])ètise, quel nez court, quel petit homme! Tout le
monde en a été ébahi, Treclii même suffoque. Moi
seule j'ai ri et vraiment triomphé, car je l'ai jugé
ainsi et sachant les pleurs, la rage de la femme, de la
mère, sachant les besoins de dépenses et d'argent, je
m'étonnais seulement qu'il tarde tant. La bombe a
crevé. Elle n'a surpris que les niais. Le joli, c'est
qu'il n'avait que des paroles vagues et rien de conclu;
il s'est trop pressé, il attendra encore.
Moi j'attends le printemps pour retrouver ma
cabane et mes bois. Je m'arrangerais du 10 mars et je
repartirais avant même si j'avais terminé (juehjues
petits arrangements.
Je n'ai pas de nouvelle ni de réponse d'Hortense.
Celte pauvre fille serait-elle malade ou maliieureuse?
En vérité j'en suis incjuiète. Personne ici n'a de ses
nouvelles.
Edmond n'est qu'un enfant pour la dépense, le
désordre près de sa cousine Desclignac'. Elle a pris
un train de reine, concerts, dîners exquis, loges, toi-
lette enragée. Je souhaite que cela dure, car elle est
malgré tout gentille, assez spirituelle et fort attachée
à ceux qu'elle aime, à Edmond par exemple. Embras-
sez-le pour moi, ce bon Edmond. Lisez-lui quelques-
unes de ces billevesées qui sont écrites à son intention.
Adieu ami.
' Gcorginc (1801-186S), fille du baron Boson de Tallcyrand-Péri-
gord, Ifoisiùiiic Irère ilu prince de Talleyrand et de Gliarlulte-Louise
de l'uissigaeux, avail éiiousé le duc d"Esclignac.
FORTUNEE IIAMELIN 93
La Madclaine, 18 juin 1810.
Il n'y a plus rien à dire de Bertrand après les forti-
fications', car il est imbécile et fou.
Vous êtes décidément orléaniste. Dernièrement je
vous ai cru même valétiste, car vous avez voulu nous
prouver que la campagne n'était pas si mal faite, nos
pertes si grandes, etc. Je connais les petits chemins
que le colonel vous fait parcourir. Vous savez que je
l'aime lui, en nous arrêtant net devant les opinions
et approuvant en bloc les motifs.
Des affaires pénibles et par conséquent bien
ennuyeuses me ramèneront à Paris mercredi soir. Je
quitte mon bivouac avec déchirement de cœur. Toutes
les innocentes prospérités pleuvent à la Madelaine,
les fruits rouges y sont exquis et si abondants que je
manque de voisins à qui les offrir. J'ai vendu mon
foin, devinez?... 100 francs. Il se prépare des cocagnes
de poires, pommes et raisins. A Paris je vais me dis-
puter avec des rapaces qui m'ont tout pris et veulent
le reste... Je verrai le pavillon déchiré sans ressources
etMontrond le quitter comme une auberge dont l'hô-
tesse n'était pas trop chère; et cette amitié, j'y ai cru
en vérité pendant quarante ans ! Enfin, je déménage
pour prendre la fin du bail' de Montrond qui est
encore de quatorze mois... Puis... à la grâce de Dieu!
Ne m'écrivez plus à moins de pressantes choses. A
' La question des forlificalions de Paris passionnait la Cour et la
Ciianibre. (Ci', ^iielicl Ciievalier. Les Forlilication do Paris 1841 in-S°).
' Le bail de Montrond. On verra plus loin les diriicultés judiciaires
qui s'élevèrent au sujet de la succession du comte de Montrond.
'Jtj UNI:: ANCIENNE MCSGADLNE
inoii rrloLir. nous engagerons M. do La Une ù venir
l'aire ici une petite campagne d'Afrique.
Nous avons une nouvelle vapeur tellement adorable
que si on voulait se dire un mot important, se faire
une visite de trente minutes, on peut partir de Paris
à sept heures, arrivera Samois à deux heures et demie
et repartir à trois iieures pour être à Paris à huit heures
et aller vite à Franconi voir M"" de Valençay et toutes
les belles cocottes de la ville. Ainsi on aurait fait
trente lieues de terre, soixante-dix d'eau claire en
treize heures pour neuf francs (car elle est moins
chère que les autres), puis les omnibus passent au
pied des jardins ou prairies ; on fait arrêter et on n";i
qu'à monter. Convenez que c'est délicieux, ex(juis,
comme dit Antonia^ toujours plus amoureuse). Je lui
ai persuadé (|ue \ous lui u\iez écrit et vraiment elle
s'appli(}ue plus pour apprendre à lire. Souvent je me
trouve criminelle d'élever si bien cet enfant. Que
puis-je lui laisser que l'horreur et le dégoûtdes siens "?
Le bien est souvent bien mauvais.
Notre bateau se nomme Ville-de-Corbeil. Il est moins
lourd, moins cher et plus rapide que les autres, puis,
s'arrêter devant nous, n'est-ce pas galant?
Jeudi 10 octobre 1S40. La Md'lelainc.
Cher ami, je suis toute consternée de la pâleur du
discours de notre prince'. Quelle insignifiance de
choses rcbalUies ! Puis rien sur les immortels regrets
' i'our tlislrairc sa viuillcssc, H'^' liaiuulin avait pris avec clic uue
iillelte, appelée Tony, dont oUc parlera souvent.
* Le prince Louis-Bonaparte. Sou procès. (Tliuruau-Dangiu. //(5-
loire de la Monarchie de Juillet}.
L .TTC /-^ '/:^/c^.^^.o 7^..^.,./^^^
FAC-SIMILE d'une LETTRE DE MADAME HAMELIN
(10 octobre 1840.)
FORTUNÉE IIAMELIN 97
de la France, sur son abaissement devenu dérisoire
depuis Juillet, rien sur le duc de Reiclistadt, rien sur
cette loi barbare qui prend toute une famille en Iiolo-
causte parce que son sang- a donné à la France un
liéros immortel.
Comment, ce jeune iiommc qui donne sa vie à tous les
enjeux recule devant une chambre de renégats! C'est
inouï ! Qui donc a paralysé cette défense ? Sonl-ce
des traîtres encore? Berryer ne voyait pas ainsi
lorsque nous en avons causé. S'agissait-il, bon Dieu,
d'une condamnation plus ou moins douce ? Qu'est-ce
que cette impuissante condamnation près d'une grande
circonstance manquée ? Je suis désolée.
Vous devez bien penser que j'ai été et suis encore
malade. Mes anciennes crises m'ont accablée encore
et maintenant la lièvre les suit trois à quatre jours.
Je vais mieux ce matin et j'espère arriver samedi.
Tâchez de venir un moment le soir.
Notre belle Madelaine a été bien désorganisée. La
vapeur, les voitures, les ânes même arrêtés par la
bonne raison qu'on se défait de tout ce qui mange
du fourrage. La crème qui en mange a manqué; et
sur tout cela des tempêtes horribles. Un de ces jours
de déluge, nous nous sommes avisées, M"'° de Sailly
et moi, d'aller courir les bois. Elle voulait voir
Saint-Aubin, bâti par M"'^ deMaintenon. Nous avons
été bien punies de nous croire de vigoureuses jeunes
femmes. Elle a été gravement malade et moi je n'en
suis pas quitte encore.
Ce reitre de Monlholon ' a été le plus bète de tous
' Montbolon (l7S3-18o3), avait accoinpagntj rEiupt-reur à Sainte^
Ilélono. Apres 1830, il sollicita sa roinlcgration dans rarniée ; son
98 U'SE ANCIENNL; MUSCAUlNi:
sans comparaison. Voilà les liommes sans honneur,
les contloUieri modernes, les li-aîlres ne sont pas
mêmes braves. Fùl-il rien de si slupide (|u'un \ ieux
compagnon de Napoléon se faisant faii'e un uniiorme
pour alli'r à un bal où la haute société devait se
rendre! Làclie ! 11 fallait dire : « Napoléon nTavait
fait jurer de suivre son héritier s'il tentait de recou-
vrer ses droits légitinies. » Et c'était un homme
réhabilité. Je reviens malgré moi sur leur défense car
elle me brise le cu-ur.
A-t-on des nouvelles de l'iirureux cou[)le toscan'?
Ils sont ivres de joie et vont passer l'hiver à Naples.
Je m'étonne qu Edmond n'ait rien écrit. J'ai bi(Mi
envie de vous voir. 11 marrive quelques meubles.
Octobre sera beau et j'espère vous ramener. J'ai lu
des accusations fort injustes sur des marchés de che-
vaux qui ont été faits au rabais et dont personne ne
voulait. Mais en définitive, ce vaillant a mieux au
que tous et fait des bénéfices de plus de lUO francs
par cheval.
A l'audace les succès.
La Madelaine, 10 oclobre 1840.
11 y a huit jDUi'S j'écrivis à Treclii juslenn-nl le
nouvel itinéraire pour m'ai'river, le priant de vous
envover cette lettre, il m'a réj)ondu mille cajoleries
nom ayant figure il8-l0) avi-c le litre île cliel' d'elat-inajor au lja.s de
ta proelaiiialion de Louis-Napoléon lors do l'écliaulfourée de Bou-
lo,'.;ne, Montiiolon l'ut condamné par la Chambre des pairs à vingt ans
i!f détention ot enl'eniié avec le i)rinie au cliâleau de llaiii ; il en
sortit après l'évasion de Louis-Napoléon.
' Anatole DemidofFet sa femme.
FORTUNÉli IIAMI-LLIN 9'j
sur cetlo loUrc. (jui serait une petite lorluiie si je vou-
lais, et l'a tait iii"(^ à d'autres que vous prohaltlenient,
car vous ne niedeinanderiezpasccque je vous donnais.
Cette nouvelle route est une suite de Teniers, c'est
la nature verte encore, mais ivre des vendanges; la
vapeur traverse tout, vit avec tous ces charmants
cottages. C'est un million de fois plus joli que tout ce
(jue l'Angleterre ollVe de joli, surtout par la variété
infinie des aspects, et ce mot variété n'existe pas
dans l'empire l)ritaimi(|ue, mais ils t'ont bien les traités
et paraissent encore plus habiles que Pailiasse'^ Tal-
leyrand. Donc, on arj-ive à Corbeil, on traverse à
l'instant le dernier champ de bataille choisi par Napo-
léon pour défendre sa France, l'on admire cette
admirable position, unique en France, dit-on, avec
laquelle il pouvait reformer son armée, délier l'Eu-
rope, puis l'attacjuer et la vaincre encore. (Rag'use
donne cjuittance pour solde) et ma foi, ce compte est
bon pour eux. Bon Dieu ! après ce terrible spectacle
des plaines d'Essonne, vous traversez les belles futaies
de Fontainebleau et vous voilà à la Madelaine devant
une matelotte ou des perdreaux; aujourd'hui c'était
un grand lièvre, surtout un feu d'enfer ramassé dans
tous les coins et pétillant à brûler les jupes. Le néces-
saire est de ne pas arriver deux à la fois, voilà pour-
(|uoi j'écrivais à Trechi de vous entendre.
' iJ'uu mot M'"" Uaiiiolin jugcïalleyraiid donl Monlroml — anii (1b
l'ancienne Merveilleuse — avait été le conlidont politiijuc et privé.
Gliàlcaubriand avait dit avant elle : o Quand M. de Talleyrand ne
conspire pas, il trafique. » N'oublions pas cependant qu(î M'»" Ha-
niçlin avait assisté aux réceptions de l'hôtel de la rue Saint-Florentin
sous le Directoire et ([u'Ouvrard était avec le prince de Bénévent
lorsqu'il fut arrêté cIhîz M'"" llarnelin. F. Loliée-Tallcyrand et la
Société Française. Ktnile-Paul, l'JlO.
100 UNE ANCIENNE MUSCADINE
M""" de Sailly est établie dans mon voisinage et me
tient au collet pour aller chez son frère où il y a un
monde de curiosité : Tabbé de Lamennais, Rachel, les
Musset, Liszt, que sais-je ! Vingt personnes et son
lils qui devient aussi aimable et poli que son père.
Tout cela était ici vendredi s'arrangeant gaiement de
ma misère et emportant mes serments. Je serai de
retour vendredi soir. J'écrirai encore s'il y avait
changement.
Ce matin, M'"" Kisselefï était peinée des paroles
injustes, ofïensantes, dites par vous sur le général
Wuith, son frère de mère. Elle vous expliquera toute
sa vie, sa carrière. Il aimait le feu, mais elle dit
gaiement : « Le feu d'Austerlitz, ma chère, personne
ne l'a aimé, ils n'ont rien à se reprocher tous, car
tous ont fui, lui comme les autres. » Songez qu'Aus-
terlitz était la gloire du glorieux; Mars, Alexandre,
César, Napoléon le jour de leur apogée ! Qui diable y
résisterait, dit Basile! 11 faudra changer vos lignes
dans ce sens. Cela sera la vérité et ne blessera pas
une amie que j'aime vraiment. Vous en causerez en
détail avec elle et ces détails qu'elle donne sont fort
intéressants.
Votre lingère me fait horreur. C'est une chute
honteuse et dont je ne veux pas rire. A bientôt. Vous
ne deviez pas repousser les avances des Capitoliens.
Quel triste Machiavel vous êtes ! Vous savez mes con-
seils, mes vœux, suivez-les donc.
La ^ladclaino, 21 oclobrc 1840.
Cher ami, voici encore un petit changement. Ber-
FORTUNÉE HAMELIN 101
ryer est forcé de revenir du 24 au 25 et nous écrit
des injures et des prières. Nous partons demain jeudi
pour revenir samedi soir 24. J'envoie le môme avis
à Trechinette. Ainsi dimanclie le plus brave arrivera
le premier. Puis je rentre et ajourne en novembre le
voyage à Cbâleaugaillard.
Aux nominations on croirait à la paix. Monlrond
mène Cubières haut la main. Faire couvrir nos armées
par des généraux qui n'ont jamais commandé une
compagnie ! Attendre le jour échu de l'ordonnance
de deux ans ! Enfin, ils s'en donnent à co^ur-joie de
la France, du budget ! Tout ce qu'on voit dépasse
tellement ce qu'on a vu qu'on ne trouve plus d'ex-
pressions pour peindre une si lâche apathie et des
maîtres si grotesques !
La Madelaine, £6 octobre ISiU.
Le déménagement, la rente, le cher M. Thiers
tiennent mon ami Trechi enchaîné aux boulevards. Je
ne me plaindrais pas si vous l'aviez remplacé,
puisque ma misère ne me permet pas d'offrir deux
lits (encore celui que je donne n'est-il pas fameux!)
Ah! cher! quels lits, quels dîners, quelles divines
tourelles, quel bon accueil nous venons d'avoir chez
Berryer* ! J'en suis toute émue, non certes du confort,
* Sur Augcrvillo et les visites quy recevait Borryer on consultera
avec fruit le livre de Soiivenir.i de Caroline Jauhevl qui raconte,
ainsi que Sainte-Beuve {Cahiers), avec quel esprit M"" llainolin amu-
sait ses auditeurs. C. Jauliert cl Sainte-Beuve relatent l'hisluire du
serin de M"» Bécamier, dont iM'"" llainelin parlait avec un art evquis.
C'était la parodie dfs amours de la Belle .luliette. Les adorati-urs
de iM™" Récamier (Haicnt appeN'-s à Augerville lus moines, les enqlnés
de TAbbaye-au-Bois. Sur l'esprit de l-\ llanielin dans la conversa-
102 UNK A^■CIE^•^T. MUSCADINE
mais de ces fins de soirre où nous millions le maître
à sa tribune familière, d'où découlaient si gaiement,
si noblement cent mille liistoires, mots charmants,
scandales adorables, politique sublime! Cet homme a
le plus d'esprit de France, et par conséquent c'est
son plus patriotique citoven. Plus on a d'esprit, plus
on aime son pays. Voyez l'Empereur. Animée par
tant de ilainmc que je voyais ])étiller devant moi. mon
ancienne gaieté m'a ressaisie et j'ai rendu la balle au
maître avant tant d'afTection, de bonne humeur et
d'audace qu'il me dévorait de contentement. A mon
départ il y eut vraiment des effusions d'amitié, des
serments demandés, accordés. J'étais toute enivrée
de semblables suifrages, puis, pour me rappeler à mon
humilité, j'ai jiianqué verser dans mon coucou.
Arrivée dans ma masure, je n'ai rien vu venir de
Paris. Hier j'avais pourtant une matelotle délicieuse,
exquise selon le goût de Tonie. M"*'' Kisseleff est
venue savoir où en était mon intervention sur la
mémoire de son frère. Point de réponse, point de
voyageur. Vous n'avez pourtant ni rente ni pleurs à
sécher!
Est-ce que M. Tliiers se croit un patriote battu par
un tyran? (ja me paraît le combat de deux poltrons,
dont le moins sot emporte du moins ses forteresses.
Dieu ! que c'est noble et joli tout ce qui se passe en
France! IMais où se cache donc la France? Dans le
golfe de la Spezzia comme sa Hotte.
tion, voir aus.si un roinarqualjle ailiflo de M'"" P. do Saman (llor-
tensc Allartde Méritons) dan.s les Xouceai/.r Enchanlemenls. « C'élail.
suilnut par l'esprit que brillait M"'« Uamclin ; elle n'était pas seu-
lement spirituelle, elle était l'esprit uiènio ». Comte.«se de Bassanviile
(Lp,* Suions cl' Autrefois, t. II).
FORTUNI'E IIA^n.LIN 40:i
Voulez-vous bien aller renouveler mon abonnement
à la Reçue Parisienne \ rue du Croissant même,
Hôtel Colbert et non cbez ces gueux de libraires.
Allez vite, ça coûte 3 fr. lo pour la campagne et ils
doivent être assez amusants. Pardon. Encore. Si vous
venez, faites demander à M. Bernlieim s'il n'a pas de
lettres pour moi. 11 doit être revenu.
Nous avons du soleil. .M"" Fodor couve un rossignol
de la foret qui cadence et file les sons déjà comme
Ijuic Persiani. Nous avons été l'entendre. Par malheur
le plumage ne répond pas au langage, mais tout
passe à la scène et la voix est magnifique.
Edmond est un nigaud de ne nous rien écrire du
mariage qui occupe tant les lingères de Paris. Il est
plus nigaud encore de n'avoir pas suivi mes avis
pour sa direction d'affaire. Le plan de Berryer alors
était de se confier et de s'entendre avec rarchevêque
de Paris pour forcer la Duchesse^ par lui à traiter
honorablement un mari (|ui lui avait épargné à elle le
scandale, l'exil quelle aurait eu d'un autre. Mainte-
nant tout est perdu. Il paraît qu'elle ose proclamer sa
fortune, elle est énorme et après avoir promis, juré,
elle rétracte la promesse de garantir seulement
' Il s'afïit certainement ici de la Revue Parisienne, dirigée par
^I. de Balzac, éditée à Ijfu.xelles ciiez .Jamar, 8, rue de la Régence,
1840. Elle contenait les Fantaisies tle Claudine iBalzac), des l.ellres
parisiennes e\ russes (sur la littérature, le théâtre et les arts) adres-
sées à M""^ la comtesse K... L'introduction portait ravertissoment
suivant : « La Revue l'arisienne a pour objet de donner la ciiro-
nir[ue réelle des affaires publiques en la dégageant des nuages dans
les(iuels l'enveloppe la phraséologie hypocrite des débats quotidiens.
La critique littéraire manquait également de sincérité, nous avons
pensé qu'il était nécessaire de la faire marcher parallèlement avec
la criti([ue poliliquc. »
- La duchesse de Dino, l'i^mnie dljlniond de Talleyrand-l'érigord,
104 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Edmond pour vingt ans cl on cas de mort do continuer
ces vingt ans une rente de 21 000 francs. Qu'est-ce
que cette éventualité pour elle ! C'est pitoyable.
Adieu, ami très singulier.
Dimanche à minuit. La Madelaino. 8 novoml)rc 4840.
Je vais vous coûter six sous, mais vous ne les
regretterez pas, j'espère. C'est aujourd'hui seulement
que M*"" Labiche m'a renvoyé la brochure. Je l'ai lue
d'une traite, sans la lire vite ni pouvoir la quitter.
J'en ai été enchantée et grandement surprise. Ceci
est une œuvre, un bel écrit qui plaira à tous les grands
et beaux esprits. C'est un beau spectacle que cette
étude de Napoléon par de nobles jeunes gens' et ce
vrai amour du pays, si désintéressé, doit plaire môme
à ceux qui le traitent de duperie.
Le style, quoique un peu néglig-é par quelques cons-
tructions gauches, est simple, clair, vivace et tout à
fait adapté à ce genre rapide. Je n'aime pas les mots
nouv'eaux, il n'y en a pas un seul, et si on réformait
anxieuse^ ce serait sans tache. Je n'aime pas trop que
vous disiez aux ennemis « qu'ils n'étaient pas au tiers
en 94 de ce qu'ils étaient en 1813, qu'ils seraient
arrivés sans cette faute pour étrangler la révolution
au berceau. » Ce sera amèrement critiqué, quoique ce
' Le correspondant de M'"" Ilamolin, M. G... avait écrit une Élude
sur Napoléon pour lequel il pariageail le culte de l'ancienne Mer-
veilleuse ([ui lui adressait quelques jours après le ijciit Lillet sui-
vant : « C'est spirituel et fier. Mais le style est absolument trop
négligé, familier, heurté. 11 faut être duc de Saint-Simon pour
écrire tellement en gentilhomme. Nous relirons ensemble des choses
qui font sauter en 1 air. Mais le difficile, ce qui ne se corrige pas
d'un Irait est très bien, très haut » (Lettre inédile).
FORTUNEE HAMELIN 10?î
soit (le toute vérité, car tout est vrai dans cet aperçu
et cette forme, ce sujet et cette discussion est votre
vocation de talent, parce que lorsqu'on est né pour
un genre on y débute haut et ferme, ainsi que vous
venez de faire.
Je ne conçois pas Trechi qui est vraiment iiomme
d'esprit et d'honneur de ne m'avoir pas dit un mot
sur cet oiivraçe. Il ne l'aura pas lu, car le ton seul
l'eût frappé. Mais a-t-il le temps de lire? Connaissant
sa politesse, son silence m'a fait croire que la hro-
chure était détestable et j'ai à peine osé en parler
pour n'embarrasser ni lui ni vous. Sans l'aimable tour
de M""^ Labiche, le silence eût été rompu par des
félicitations du cœur, car c'est une joie de cœur pour
moi que vos succès.
Le discours du trône est curieux. Du moins il ne
fait pas le fanfaron, celui-là.
Je suis fâchée que vous ne m'ayez pas lu l'ouvrage
plus tôt. J'en eusse parlé à Berryer qui doit l'appré-
cier par tous les motifs, car il aime le talent dans les
autres. Je vais lui écrire. Voulez-vous que je vous
envoie ma lettre pour lui ? En voulez-vous une pour
un envoi à M. de Chateaubriand? Vous avez fait une
faute, une injustice, en parlant des médiocrités pro-
duites par les Chartes, de ne pas en excepter par un
mot Chateaubriand et Berryer. Le premier est tils de
l'Empire, c'est notre bon despotisme qui l'a fait éclore.
Mais Berryer! on se fait par un mot de puissants amis,
et enfin tout prêtre doit vivre de son autel.
Je n'ai pas celte Renie. Elle devrait être curieuse.
Faites faire des articles sur votre ouvrage. Continuez
celte pubhcalion. Si le public sentait comme moi.
d06 UNE ANCIENNE MUSCÂDINE
elle vous serait ulile, et le Caphole y aura regret et
le prince consolation. Mais... quel temps !
Il fait un temps radieux et je vous ai bien regretté.
Je vous demande pardon de mon liospitalité d'auberg'e.
L'été prochain j'aurai deux bons lits et puisque la
noire Belzi ' ne vous fait pas peur, je compte sur de
vrais séjours où la forêt enchantée ne vous laissei'a
pas manquer de nobles inspirations.
Envoyez donc celte brochure à Balzac avec un mol
aimable.
Labiche vous enverra certainement Sommer pour
le coup dY'paule. Passy aidera Trechi. Celui qui
viendra de sa part est un très bon et aimable garçon,
très riche, créole de la Louisiane, dévoué à tous les
Berryer, quoique libéral dans le genre délicieux de
Trechi. Un créole libéral, c'est vraiment une mons-
truosité en bêtise, lesquels libéraux fouettent leurs
nègres à mourir. Celui-là se laisse taquiner plus gaie-
ment ([ue Ti'echi et Berryer et moi nous usons de la
permission.
Sans dat(\ 1840.
Jai été bien taquinée du retour de Berryer. Il
m'écrit « qu'à Paris les vendanges sont faites, que le
roi a tout dans ses paniers, et qu'il élève une statue
à Thiers ». C'est juste. Gardez la lettre à lacjuelle là-
propos manquera, mais pas les occasions de retrouver
Berryer.
Lisez celle-ci, mettez-y un joli cachet de cire — il
aime ça — ■ et portez-la avec carte et adresse, vers
' M'"" Hamelin, on Ta vu jilus liant, iHait rréolo, comnio Joséphine
Ronapaite.
FORTUNÉE HAMELIN 107
onze heures et demie il y est ou répond. J'attacherais
heaucoup de prix à ce qu'il fût de lionne humeur et
vous donnât ses idées.
Trechi a vraiment un côté du cerveau malade, mais
il a souffert cinq ans pour les doctrines dont il nous
accahle. C'était l'apogée de IHl'i à 1821. Cela ne
l'empêche pas vraiment d'être fidèle, délicat, poli,
tolérant, car lorsqu'il crie, il ne s'entend pas crier.
La société actuelle n'a pas encore heaucoup de si
honnêtes gens que lui, et vous le hrusquez trop, non
pas de langage, mais de ton.
Faites donc la cour à M'"^ K... Ca vaudrait mieu.x
que la lingère, en vérité. M. Soulié, le patito de
M""' Lahicht,', ne va lâcher ni vous ni Trechi que le
théâtre ne soit ouvert. Lahiche recommencerait
AI"'" de Valence \ qui disait que les peines de ca}ur
c'était de manquer d'argent.
La dernière note de Lord Palmerston est le comjjle
de la dérision et de l'outrage. Ils ne laisseront pas
même l'Egypte au pacha.
Je n'ai pas reçu la Revue, a-t-elle paru, est-elle
honne? La Presse a été drôle quand elle a dit « que
le dévouement des amis de M. Thiers ne les avait pas
empêchés de se mettre tous à la hausse. » Ainsi l'in-
fo i-l une Trechi y regagne ses pertes.
Pourquoi donc, puisque le proci'S du prince" a été
' Fillo (le M'"- de Genlis. Elle avait épousi' M. île Vali'ncc, iiov(>u
de M'"» de Montcsson. M"'° de Valence, d"après Thiébault. qui, pour
roj'dinaire, nous pai'aîl avoir une assez mauvaise langue, avait
renchéri sur la répulation libertine de M'"" de Genlis. On lui repro-
chait SOS complaisances pour de passagers adorateurs. « Que vou-
lez-vous, cela leur fait tant de iilaisir et nie coûte si peu ! » (Thié-
bault. Mémolrex, 111, 182i.
- Le iirincc Louis-Napoléon Bunaparle.
*08 UNE ANCIENNE MUSCADINE
liquidé à 4 SOO francs, qu'on lui en a rendu 4 000, n'a-
t-il pas envoyé à Berryer une seule marque d'Iion-
neur, de souvenir ! C'est en prendre trop à son aise.
Les gens de son parti lui arraclient tout et il ne trouve
pas une ressource pour se conduire en gentilliomme
vis-à-vis d'une autre opinion ilont la défense l'a fort
grandi. C'est mal et maladroit.
s. d.
Tout va bien, on est généralement satisfait dans
le département, mais M. Tliiers a trop d'esprit, il ne
peut pas vivre.
J'ai si bien manœuvré que j'éviterai tous ces
admirables qui étaient comme entassés chez Berryer.
Nous n'irons que lundi 2") pour en revenir avec lui
le 27. Ainsi venez de jeudi à samedi pour coucher,
jusqu'à lundi, où je pars. Treclii viendrait plus tard
dans la semaine prochaine. Ce n'est pas le garde-
manger qui m'effraie ; dans ce temps-ci, il y a de
tout et même de bonnes choses, mais je suis honteuse
de renvoyer coucher àl'auberge par des nuits froides,
pluvieuses, d'autant que dans cette contrée barbare
les clieminées sont inconnues, et moi j'en donne,
avec des fagots encore. N'oubliez pas de passer chez
moi. Apportez vos manuscrits, tous.
Jeudi soir. (s. d.)
Voici un fier courrier, j'espère ! Le facteur m'ap-
porte une délicieuse lettre de Berryer et une de
M. de Chateaubriand. Aussi j'ai regardé le garde-
cliampêtre de haut en bas. Je vous envoie ces lettres,
dont vous êtes l'occasion, en vous priant bien de me
FORTUNÉE IIAMELIN 109
les garder. Elles sont curieuses, mises en regard, car
elles peignent dans nos deux aigles deux caractères
bien différents. L'un, qui a le temps et la parole à lui,
lit, écoute, saisit tout et voit tout possible. L'autre
croit n'avoir plus le temps de contribuer, d'apprendre,
de modifier même, et il repousse avec désolation et
amertume, (^e sentiment qu'il peint malgré lui m'a
serré le cœur, car il a des mérites adorables, notre
grand écrivain! Lorsqu'il aura lu, il comprendra et
je vous dirai mes idées sur des clioses à lui écrire.
C'est un liomme à ramener, car il n'est peut-être pas
revenu de cette abomination des chambres représenta-
tives. Par bonlieur qu'il y a tout à faire avec les gens
de son âme et de son imagination.
Lisez ces lettres à M""^ K... Si elle n'est pas dans
ses jours de frivolités et de tendresses pour un
illustre gentilliomme, elles l'intéresseront et lui prou-
veront que nous ne sommes russes ni par la con-
quête ni par la barbarie. Mon retour vous sera une
économie, mais j'ai bien pensé que ces lettres ne vous
paraîtraient pas clières à lo sous.
Nous avons un temps lamentable, la rivière monte,
elle est dans la prairie. Ce n'est plus la Seine, c'est
le Saint-Laurent, mais ma forêt n'est pas vierge.
J'ai aussi une lettre d'Hortense. Elle devient ma
voisine^ surtout celle de Sampayo. Elle me conte de
belles choses des meubles de M"'" d'Agoult, de son
départ précipité, d'une brochure que fait Didier et de
Pierre Leroux qui fait rage. Je n'ai pas lu ra ni reçu
la Revue, parce que M. Conte", le grand administra-
' A Herblay.
' Conte fut directeur gijnei-a.1 àa postes.
110 UiXE ANCIENNE MUSGADINE
leur, a louL reculé, désorganisé pour préseiiL-r de
beaux résultats.
Sous cette bète de Restauration on ne payait pas
plus cher et à deux heures j'avais lettres et journaux
du même jour. A présent ils arrivent le lendemain,
encore d'un jour l'un.
Je pense bien revenir à la lin de la semaine pro-
chaine.
P. S. — J'ai passé la nuit à lire les Conclusions {\yi
M. Hugo^ Ilcst sublime sur le passé, très médiocre
sur le présent, mais toujours poète et français ado-
rable. Lisez-le vite.
La IMaileliiino, :24 juillet 18U.
Il faut attendre le soleil pour venir dans nos bois.
Je suis arrivée ici par la seule belle journée de la
saison. Aussi c'était délicieux et Tony est tombée
en frénésie à l'aspect de tant de groseilles, de prunes
et de framboises. Dans son délire elle a trouvé que
ses beaux cheveux la gênaient pour fourrer sa tête
dans les noisetiers, elle a été chercher des ciseaux et
les a tous coupés. Certes, dans dix ans elle ne le fera
' Victor Hugo avait été nommé membre do l'Académie française
par 18 voix contre 17 le 7 janvier 1841. 11 prit séance Je 2 juin.
L'exorde de son discours fut un panégyrii[Uô enlhousia.slc de Napo-
léon qui dut enchanter notre fougueuse et (idèlo bonapartiste.
Sainte-Beuve écri\ait à M. et M'"» Juste Olivier : « C'est demain
(jue Victor Hugo est reçu académicien ou, comme on dit. est sacré '....
Le discours, dit-on d'avance, est étourdissant, est éblouissant, est
irs|)lendissant. Ce sont les seules variantes. Salvandy dit qu'il est
écarlate cl quel écarlatc que celui qui semble tel à Salvandy! Le
discours de Hugo durera six quarts d'heure et même sept en comp-
tant les applaudissements. Il y est moins (lucstion de Lemercier
que do rEmpcreur. Ia/I, loujoui's lui! La coupole de l'Institut n'aura
jamais ouï tant de métaphores, une telle explosion d'images, Sal-
vandy n'y nuira pas. »
FORTUNlit: IIAMELIX 111
plus. 3lais eu allcndant elle est [trivée pour l'été de
sa plus eliarniaiite parure.
Ne croyez pas que la récolte des Ijlés soit couipro-
luise, tout va dépendre d'août, si la chaleur revient, ils
seront superbes. Le mal est déjà irréparable, car la
([ualité ne peut plus qu'être mauvaise. La France en
regorgeait; sur cela il y aurait à gagnoter, mais au
milieu de détestables embarras.
Votre monsieur, qui veut qu'on retire des grilles
d'une liste civile des biens saisis par elle, est un plai-
sant extravag'ant d'offrir après une location avanta-
geuse. Si ce miracle pouvait se faiie, la moitié du
domaine rendu ne serait pas de trop. MM. Decazes,
Saint-Aulaire, Montrond, ont, eux, des biens acquis,
payés, enregistrés pour GOOOOO francs, le roi de
Prusse les a pris aussi pour son domaine privé, et
nulle faveur sous la Restauration et sous Juillet n'a
obtenu de faire broncher la couronne. Les ambassa-
deurs disent : « On ne fera pas la guerre pour vos
biens. » Le roi dit : « Venez les prendre. » De plus,
mon enfant, lorsqu'un pays offre et donne, est-ce la
peine de lui faire des procès inutiles. Lord Alvanley'
' Lord Alvanley était en relations depuis de longues années avec
M""» Ilamclin. M. Manjuiset (o/j. cil.) cite une lettre de M™» Hainelin,
alors à Londres, adressée au duc Decazes, le 16 septembre 1820.
« Avez-vuus pu juger combien Alvanley est spirituel et amusant?
Amusant paraît impropre en parlant d'un pair d'Angleterre, mais
personne à Paris n'a plus de drôlerie, de piquant et d'urbanité. Il
est un parfait dandy, ruiné, gai, mais de bonne compagnie et fort
loyal. » Le Dicllonnari/ of Nalioiuil Uiogruplnj, bji l,eslie Sleplien
(London'i, nous parle du baron Alvanley (Ardcn, Kiciiard Pc]>per)
(17io-1804) (jui avait laissé deux fils, l'aîné (1789-18-49), le cadet (1792-
18i)7) qui épousa enl831 Araliella, la i)lus jeune (ille du premier due
lie, Gleveland. H avait appartenu à l'armée comme son frère, avec
le grade de lieulcnant-coloïKd.
H2 UNE AiNCIENNE MUSCADINE
m'a parlé des concessions si magnifiques à obtenir,
pour lesquelles il ne faut que dévouer sa vie, ses
capitaux, et courir les chances de guerres, de réac-
tions, etc. Du reste, il dit qu'il y a des vallées qui sur-
passent tous les délices connus, et que la Grèce, telle
quelle, est sans comparaison le plus beau si^jour de
toute la Méditerranée, le seul qui olTre chance et
avenir. Les biens véritablement s'y donnent. Sachez
ce qu'est la concession de Bronkins. Pourquoi n'en
pas obtenir étant appuyé.
Vous ne me parlez pas de la Vierge à l'Hostie
L'avez-vous vue, malheureux? Notre Vierge en pâlit
un peu. J'ai eu offre écrite, sérieuse. Devinez de qui?
De Didier. L'offre est à 3 000. J'ai refusé sans con-
sulter. Voici pourquoi. Je n'ai aucun motif d'obliger
un homme riche que je ne connais pas. Si c'est une
copie, c'est trop cher encore. Si c'est original un
tantinet, c'est trop bas. J'ai donné dix mille comme la
dernière concession à obtenir, on n'a pas dit non
encore. Je vous mettrai la clé avec un mot lorsque
vous partirez d'ici. Mais certainement il y a quelqu'un
derrière Didier qui le croit un grand connaisseur.
Apportez-moi le plus de livres possible et si votre ami
est bon garçon, nous aurons des trésors de Fontaine-
bleau. 31. de Besplas m'a dit que la demande de M. de
Bondy aurait toute autorité puisqu'il ne s'agit (jue
d'éviter la garantie des livres et du blâme. On laisse
à riionoraire beaucoup de ces petits agréments,
d'abord G 000 francs de pension (archicumulée), les
approvisionnements, les permis, etc. ; enfin la retraite
est encore une place des plus agréables et profitables.
J'ai eu peine à mordre au pape, mais tout à coup
FORTUNÉE HAAIELIN M 3
j'ai été saisie par ce style simple, fier et spirituel ; la
logique ardente de cet homme vous pousse tant et si
ferme que, dès le second jour, j'ai cru à l'infaillibilité
du pape. En tout ce livre me plaît beaucoup et je veux
le prêter à monsieur mon curé.
Hier j'ai dîné avec mon bon maire. Je l'ai un peu
enivré avec du gros vin de Bourgogne. Aloi's nous
avons pleuré... qui? L'Empereur, bien entendu.
Faites-moi le plaisir extrême de vous imposer la
corvée que voilà. Du même côté de la rue de
M. Berryer, en descendant vers la rue Saint-Anne, il
y a une boutique d'horreurs à prix fixe, des gravures
rebutées, mais dans des cadres superbement dorés.
Vous trouverez là les Adieux de Fontainebleau
à 6 fr. 10. Le difficile sera d'établir ça dans le fiacre
qui vous conduira à la grève. Pour arriver à la grève
vous ferez prix pour 2 francs (au plus) avec un petit
fiacre en lui donnant des arrhes et en prenant son
numéro. Il [sera chez vous à six heures et demie
précises et vous serez arrivé à sept pour le bateau. Il
y a baisse sensible. Vous payerez 2 francs au lieu
de 4. Il y en a qui poussent l'industrie jusqu'à venir
pour un franc. Enfin la concurrence rend le prix arbi-
traire et l'on traite de gré àgré. Vous comprenez que
celUi gravure détestable sera voilée par votre plus
grosse serviette et que je ne vous aurais pas donné
cet ennui si M"*" Sophie n'avait brûlé la commission
à cause de la pluie. Vous arriverez donc, bien
chargé, mais en venant simplement par la vapeur
tout s'arrangera. Les déménagements du chemin de
fer sont odieux, ils sont d'ailleurs grossiers, voleurs,
enfin comme les gens communs en prospérité.
114 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Je suis enchantée qu'une jeune fille française ait
enfin empaumé des belles guinées données par un
joli garçon. La partie n'est pas égale encore, car
M"* deTalleyrand est de grande qualité, un peu riche,
d'une bonne éducation et réputation, tandis que ces
intrigantes d'Anglaises nous arrivent avec des jupes
flétries et relevées par tout le monde et pour toute
famille a iin oncle clans les Indes ».
30 juillet d841, La Madelaine.
Lisez. J'avais répondu en toute probité : « Réflé-
chissez. Si c'est une spéculation, elle est hasardeuse,
si c'est une fantaisie pour vous, elle est trop chère. —
Enfin j'avais dit : Dix mille livres sera le dernier
rabais ». Je crois qu'il prendra. Il faudrait avoir celte
filiation du château piémontais. Écrivez pour cela,
c'est indispensable.
N'oubliez pas les livres. Demandez une Vie ou des
Lettres de l'Empereur Julien traduites par La Blet-
terie^ Je ne veux pas devenir plus papiste que
M. Lemaistre - et il sera curieux de lire le grand
apostat après le grand croyant. Je crois que ce Julien
doit être du Voltaire en grand, il sera bien fin s'il me
fait aimer, respecter une apostasie quelconque. Tâ-
chez d'avoir la traduction de... de... l'ouvrage sur la
peinture. Yassari, voilà.
Vous aurez eu l'infamie de ne pas voir la Vierge
* M""= Ilamelin. esprit cultivé, réclamait souvent des livres à son
correspondant. L'ouvrage de l'oratorien La Bletterie (1696-177^)
était un peu désuet à répoque où se place la lettre que nous publions.
'Sans doute M'"« Haraelin a-t-elle voulu écrire M. de Maistre.
FORTUNEE HAMELIN 113
à rHostic\](i le gage, et cela pour quelques cocottes
de deux sous.
J'attends Treciii pour le 10. Il s'ennuie, c'est déjà
un progrès. Jadis il se gonflait d'aise en arrivant à
Londres. — Que dit-on du camp? Je regrette qu'il
ne soit pas ici, j'aurais vendu mes foins et mes hari-
cots, c'eût été bien agréable. Avez-vous lu un article
du Siècle où ils parlent de moi pour l'arrestation
d'Ouvrard - ? Tâchez, je vous prie, de le lire ou de
* Le tableau d'Inp;res.
■ Ouvrant (1770-lSiG), munitionnaire général de la marine sous le
Consulat: il eut des démêlés avec Bonaparte qui le fit emprisonner.
Devenu financier, il rendit de grands services à l'Empereur avec
lequel il se brouilla à nouveau en 1807. En 1809 il est emprisonné
jusqu'en 1813. 11 i-edevinl munitionnaire général jusqu'en 1844. Com-
promis sous la Restauration dans les marcbés de la guerre d'Es-
pagne, il fut condamné à cinq ans de prison. 11 mourut ruiné en 1846
à Londres. Cet habile mais peu scrupuleux financier fut arrêté à
Paris chez M-"" llamelin par le duc de Rovigo au moment où le
conseil des ministres se tenait à Saint-Cloud ; ses papiers furent
saisis et il fut mis en prison (Munier-Dcsclozeaux, Indiscrétions,
t. 1). L'article du Siècle était signé Emile Marco Saint-Hilaire avec,
pour titre : Soui'etiirs Inlime.t du temps de l'Empire : Un change-
ment de ministère en ISIO. Il parut en feuilleton le 21 juillet 1841.
Fouclié avait envoyé Ouvrard à Londres comme négociateur, sans
informer l'Empereur de ses desseins. Napoléon donna l'ordre d'ar-
rêter Ouvrard. Savary, qui connaissait les relations d'Ouvrard et de
M'"" Hamelin, et qui avait reçu l'ordre d'arrêter le spéculateur dans
les vingt-quatre heures, se rendit, à tout hasard, chez M'"» Hamelin :
« Celle-ci, sans lui laisser le temps de lui apprendre le motif de sa
visite, le prie de ne pas rester chez elle, parce qu'elle attend deux
visiteurs, qui lui ont demandé de tenir sa porte close pour tout le
monde ». — M'"» Hamelin, croyant n'avoir aucun motif de taire à
Savary le nom des deux personnages, lui dit, d'un air de confidence :
Eh ! bien, c'est M. de Talleyrand et Ouvj-ard. Cette indiscrétion
involontaire vint fort à propos à l'aide de Savary, qui choisit aus-
sitôt dans le régiment des gendarmes d'élite dont il était le colonel,
un capitaine, M. de Meckmel, à qui mission fut donnée d'aller immé-
diatement chez M'"^ Hamelin. Ouvrard y fut arrêté par ordre de
Sa Majesté l'Empereur et transféré à Vincennes le lendemain.
Quelque temps après, Rovigo fut nommé au ministère de la police
en remplacement de Fouché. H nous paraît que M"»» llamelin n'eut
116 UNE ANCIENNE MU.>CADINE
me Tai-heter. Je suppose qu'on y traduit le duc de
Rovigo ou Ouvrard mùmi'. Lo duc tourne son mau-
vais procédé en badinai^e, et moi je n'ai pas badiné.
La lâcheté a été d'attendre que M. de Talleyrand et
le prince Esterhazy* fussent partis, pour me donner ce
cruel assaut. 11 m'a fallu bien du temps, bien des
ré(ds services pour oublior cette injure.
Tony est belle comme l'amour, si cet infâme amour
a jamais été beau. M""^ Morel gagne-t-elle son procès?
Dites-lui que je le désire beaucoup et qu'alors elle
devienne châtelaine de deux ou trois arpents par ici,
il y a de jolies choses à vendre, et les biens tombent
de prix, et la vapeur de 5 francs est à 2 et tout est
à rien pour la vie à Fontainebleau. Le temps est
magnifique, la nature s'essuye et n'épargne pas les
parfums pour sa toiliUc
M auût 18 il.
CAit'V pflil, nous n'avons pas de chance. M. D^,.
m'a écrit (juc, sa femme étant malade, il pai'tait à l'ins-
tant, que si je pouvais garder le tableau jusqu'à son
l'elour, il ferait ses elTorls j)Our réunir les capitaux,
car il était féru de cette admirable toile.
Le soleil fêle le retour de Trechi, mais pour lui
faire honte d'être anglomane. Je savais bien que
celle noble' nature paierait ses dettes, nous voilà avec
pas ce jour-là sa finesse habituelle. L"arrestalion dOuvianl chez
elle a pu laisser supposer qu'elle servait (rinterinéiliaire. Nous ne
le croyons pas, du moins à cette date (ISIU) ; t-t ce quelle en dit ici
prouve sa bonne foi.
' Comte Fleury. {Fantômes et silouhelles). Les Eslerhazy à la
cour de Marie Antoinette (Emjle-l'aulj.
* Didier^
FORTUNliE HAMELIN M7
un Leuips ladicLix pour deux mois ! Un événement :
liier on m'a volé 3 à 400 pôclies — tout l'espalier
enfin — nous sonniies consternés.
La tendresse de Tony pour vous a résisté aux plus
vives épreuves. M. de liesplas m'a emmené ses deux
jolis enfants de onze à quatorze ans, montés sur des
chevaux cliarmants. Tous deux se sont offerts en ado-
rateurs et maris. Tony a été au père et a dit : « C'est
que j'aime M. C... ; il a beautout d'esprit, quoicju'un
peu farce. »
Je vous souhaite à Paris des femmes aussi fidèles.
Tâchez de m'avoir des ouvrages de Salvator, ce
Juif qui crucilie encore Jésus-Christ. Si vous pouvez
m'atlraper Condjes, Texier, même Champollion, ça
me ferait bien plaisir.
Il n'y a plus de raisin. Le vilain vaut 40 sous la
livre. J'ai eu des nouvelles de M™^ K... Elle court les
champs avec Zamoïski ^
Et ce pape (|ui mit Genoude' à l'index! 3L de
' Le coiiitu Zaïnoïriki, né le 24 mars 1803, mort le 11 janvier 1868,
l'ut aclivement mêlé à la Révolution de Pologne de 1831. Neveu du
lirinee (Jzarloriski, il fut son principal collaborateur politique. En
ISi'.), il servit dans larmée piéinontaise et s'occupa, en 18.5.H. de la
l'ormation de réj^iments polonais au service de l'Angleterre qui le
nomma général.
- Genoude (Antoiin'-Eugène de) (170iJ-1849) entra au séminaire de
Sainl-Sulpice, y connut Lamennais et en 181:2 fréquenta Chateau-
briand. Traduisit haïe où l'on vit dans Nabucliodonosor changé en
bètc une allusion à Napoléon 1", donna en 1814 Héflexions sur
i/uelt/ues tjue.sfions pol'iluiues, fonda en 1818 le Conservaleuv (aveu
Chateaubriand), le Défenseur (18i>0), devint après son mariage (1820)
avec M'i° Léontine de Fleury, parenliî de Racine et de La Fontaine,
propriétaire de l'Etoile, qui soutint la politique de Villrle. Iai Quo-
tidienne (organe de tous ceux ([ui voulaient une légitimité pure de
tout alliage démocratique) le combattit. Genoude entra dans les
118 UNE ANCIliNNE MCSGADINE
Maistre le Irouvera-t-il infaillible? Les voilà qui tirent
clans leur camp, les insensés, les corrompus! Que
fait Berryer, que fait sa sœur? Ne song^eons plus aux
Souliers, il y a plus de mousse que de crème dans ces
fortunes-là.
Sachez où est Faudoas. Je ne sais où lui écrire, il
est désolé.
La Madclainc. Sans date.
Non, non, c'est faux, c'est faire injure à M. de
Chateaubriand, il ne l'a dit ni pensé. M. de V... est
un niais extrêmement cocu, M. de H... un talpaclie
poltron (qui voudrait piafïer dans un camp en temps
de paix). Dieu permet (jue cette horrible chose ne
soit pas arrivée. Tout le monde de ce coin-ci était
bouleversé. A Fontainebleau il y avait queue partout
pour les nouvelles et des fig^ures !... J'ai fini par en
riie aux éclats, mais lorsqu'on était tranquillisé.
M""^ Berryer m'écrit que cela doit servir de leçon et
qu'on doit marier le duc avec la première venue,
pourvu (ju'elle soit catholique romaine.
Je lui ai répondu qu'un tel mariage déplairait beau-
coup au pape depuis qu'il s'est fait huguenot. Les
Autrichiens ne laissent pus les prétendants se marier,
surtout lorsqu'ils ne veulent pas qu'ils prétendent.
Mon Dieu! que c'eût été bien avec Mathilde, puis-
qu'elle est belle, gracieuse et bien parisienne. Ber-
ordres en 1835, fut député de la Haute-Garonne de ISib à 1818. Cest
sans doute pour son E.i position du Doqnie catholique (1840) qu'il
fut mis à l'index. On a de lui Considérai ions sur les Grecs et les
Turcs (1821), Raisons du C/irisHaaisnie (1831-183Ô), La Raison nio-
narc/iique (J83S), une Défense du C/iristianisrne contre les philo-
sophes, etc., etc.
FORTUNEE HAMELIN 119
ryer était passionné pour cette idée, mais le beau, le
nouveau ne peut réussir à Goritz.
Le comte lelski 'a passé six jours ici. C'est un fort
aimable compagnon, qui fait des frais, ne s'ennuie
jamais et trouve tout bon. Moi qui suis souvent hon-
teuse de ma pauvreté, ça me donne courage à rece-
voir mes amis. Il a voulu être l'amphitryon d'une
belle partie sur l'eau. Nous voilà tous partis jusqu'au
confluent du Loing dans la Seine. Tout cela, cher
ami, est d'une beauté sauvage, d'une fraîcheur qui
transporte de boniieur. A Tliomery on a visité les
treilles. Je vous laisse à penser de l'état de Tony !
D'autant que les poires elles pèches sont aussi mer-
veilleuses que le merveilleux raisin. Nous sonmies
rentrés, cliarg-és de ces beaux fruits, de sorte que le
comte commence à vous balancer dans le cœur de la
dévote qui a fort prié Dieu pour la conservation de
Monseigneur le duc de Bordeaux.
lelski devait vous voir ainsi que Trechi, mais, à son
débotté, il a été enlevé pour aller voir le camp de
Compiègne. Vous a-t-il tenté aussi? On dit que les
touristes y vont peu. En revanche, Fontainebleau
regorge de monde'; il ne s'y trouve pas un cabinet à
louer et tous les bergeois y cèdent leur logement et
se campent au grenier. La Madelainc est occupée
jusqu'à samedi. — Si vous veniez avant, vous tente-
riez Madame ou la jolie petite Simon qui ont aussi un
' lelski (Louis), mort à Néris le 8 avril 1843, fonda à Paris une
banijuc polonaise (jui p('riciita. 11 avait servi clans rarmée du fj;rand-
duelié de Varsovie, puis oecupé un emploi dans ladministration
financière du Royaume de Pologne.
' Dans une lettre inédite, M'"» Ilamelin disait : « Tout Fontaine-
bleau est eu émoi des hussards noirs. Quels ravages ils vont l'aire! »
120 UNE ANCIKNNK MUSCADINE
monde immense. — On appelle ceux qui voyagenl en
septembre des vacanceux.
Je désapprouve fort le libertinage (jui risque de
perdre une pauvre fille, lorsqu'on n'a aucune passion
à échanger contre sa misère. Cette Figeac a été bien
niaise. Enfin vous avez une poudre.
Apportez-moi un Napoléon encadré. J'aimerais
Ratisbonne puisque Fontainebleau est impossible.
Pour Ratisbonne, le pied en l'air il y foisonne. Vous
êtes fort obligeant, mais vite et tôt. Jl faut retourner,
cher ami, voir M. Saint-Salvy\ homme bon, poli. Il
a grande influence. Dites-lui que c'est pour une amie
de M'"" Boursault". Demandez à voir le relief de la
salle, vous jugerez si ces troisii-mes fermées sont
aussi hautes que celles où étaient les belles Bigham,
Newkerque, l'Anglaise, etc. — Si c'était ça, ce serait
encore passable. SaNoir combii'ii de places — quels
jours — voilà.
Mercredi 22
' SiJLiiil-Salvy était un des propriétaires de la salle Veiiladour i|ui
avait appartenu en 18i'.) à Boursault.
- M™" BoursauIt-iMalherlu!. l'eninie de l'ancien acteui'. plus tard
directeur de théâtre, ^a'and amateur do lleurs. Un rapport de iioiiee
du l"" août 1815 cite liuursault, « l'entrepreneur du nettoieiaent de
Paris » comme étant à Bruxelles l'ami et le conlidenl de M""" lla-
mclin. « C'est un inlrif^ant, un révolutionnaire et qui déteste le gou-
vernement des Bourbons » (Ernest Daudet, La Pulice poliiique soun
la Reslauratioii, Reçue des Veux Mondes i" janvier l'JlO). Véron
{Mémoires d'un Bourgeois de Pai'is, I) raconte (jue ce l'ut dans les
serres de Boursault, successeur de Perrin, fermier des jeux, que,
vers les dernières années de l'Empire, une entrevue eut lieu entre
le duc do Rovigo et Chateaubriand par les soij)s de la baronne 11a-
jnelin. Cette entrevue n'amena, dit> Véron, aucun rapproc.heninnt.
Boursault se pavanait au milieu d'un luxe de lleurs rares. ISIontrond,
qui gardait un mot cruel contre la l'atuit(; d(\i parvenus, avait donné
à Boursault un sobri(iuet (jui faisait pouH'cr tout Paris; il l'appelait :
« Merdi flore ».
FORTUNEE HAMELIN 12i
La Madelaino, 8 sepleinbrc 1841.
Je saute sur la pluuie pour vous dire : « Epousez,
épousez. » 3Iais les réllexions me glacent. On n'épouse
pas une vraie folle. La mère, la famille feraient
rompre. Enfin, il s'est vu mille Anglais épouser des
coureuses françaises, surtout d'honnêtes Français
avaler des rebuts d'Anglaises, mais une fille riche et
noble d'Albion n'a pas, de mémoire d'homme, épousé
un jeune Français sans fortune, sans titre. Ne recom-
mencez pas, cher ami, l'incartade de Pise. La vanité
seule a prise sur cette race de filles, et, lorsqu'elles
sont mariées, le reste arrive par torrents. Je sais
(ju'Edmond^ a la main heureuse, c'est le saint Nicolas
du grand monde, mais il connaît peu les lois (même
celles de la prise de corps) et vous devez éviter des
frais et du ridicule, si la chose est impossible et je le
crois — , si vous ne pouvez surtout jouer avec elle la
dernière scène de Nina.
Que puis-je écrire à Edmond? Je ne sais ce (|u'on
lui propose et ce qu'il refuse ? J'aurais pu vous mettre
à couvert en laissant entrevoir que c'est sa femme (jui
en aurait parlé à Berryer, Je puis aussi lui faire
écrire par la duchesse Desclignac, mais dites quoi.
Hien ne m'étonne de la mobilité et d<' l'incroyable
ladrerie de M""' de S"... Berryer lui ayant dit un jour :
« Si tu pouvais me donner ta loge un jour pour la dépu-
tation vendéenne, tu me ferais bien plaisir. » Elle la lui
donne. Le lendemain elle lui écrit qu'elle a disposé
' Toujours Edmoiul île Tallcyraiiil-I'erigorii, iiioiu; ci'lchio <|ue sa
femme, la rlucliessc de Dino.
* L'amie de Berryer ([ui, ou le sait, était galaut comnie Henri IV.
12i Ui\E ANCIENNE MUSCADINE
sur lui de 00 francs pour un petit mémoire. Berryer
a payé et n'a plus voulu remettre le pied dans cette
loge. Vous vous en souvenez, c'était cet hiver, lorsque
vous en étiez amoureux. Pour la location de récep-
tion, elle a bien fait (fors le style). En vérité, pour
donner des bals comme des soupes économiques,
pour y recevoir la basoche, les clients de toutes les
études, ce n'est pas la peine de garder un loyer de
8 000 francs. Elle pourrait vivre avec aisance, élé-
gance, mais elle n'est pas si riche qu'on croit. — La
sottise prend la grosse part de ces fortunes-là. Le
bien-être, le goût, le cœur n'y trouvent pas cent francs
à leur service.
Pour juger enlre la loyauté de Jérôme* et d'Ana-
tole, il faudrait être Salomon. Après avoir donné
tous les goûts du luxe à sa fille, l'avoir élevée à l'an-
glaise, il devait recueillir son dédain lorsqu'elle se
serait assurée une meilleure maison que la sienne.
D'ailleurs, elle savait les nobles motifs delà résistance
de son père. Elle a bien fait. Du reste, M"^ Regnault
m'écrit des merveilles de la beauté divine, de la grâce,
de l'esprit de M"'" Demidod". Elle a été accueillie à
ravir par ce couple fortuné. Tous deux lui ont parlé
de leur bonheur suprême et Anatole avait avec sa
femme les façons les plus tendres et respectueuses
même.
Ma jardinière dirait à l'amant de M"" Figeac :
«31a, tu manne ta vache au robin. » Ce Nicolas^
* Jérôme Bonaparte et Anatole DemidolT.
- L'Empereur Nicolas de Russie avait la réputation d être un des
plus beaux hommes. Son aspect inspirait à la fois la terreur et l'ad-
miration.
FORTUNEE HAMELIN 123
empereur est le Minotaure des filles de Paris. Voilà
à son compte Despréaux, Taglioni*, Rondeau, etc.,
mais on dit Rondeau en pied. On dit même qu'elle
négocie le consentement de l'Empereur au mariage
de la fille du roi de Hollande, que c'est le sujet de
son rapide et dernier voyage à Paris le mois dernier.
Quels auspices !
Le livre de Grégoire Vil doit être de M. de Nadaillan,
homme que j'aime assez, écrivain déplorable. J'ai eu,
j'ai cet ouvrage, fort inférieur à tout ce qu'Hortense"
écrit de plus mauvais. C'est de la littérature de comé-
dien du Gymnase. J'ai repris à Fontainebleau toute
cette marquise de Créquy^. C'est à croquer. J'ai
voulu relire le dernier roman d'Anne Radclill", c'est
impossible. Je vais me pourvoir de vieux livres, tandis
(jue les élégantes de la ville dévorent le Chevalier de
Saint-Georges, la Lescombat et Lélia.
Je suis fort chagrine du départ de Trechi. 11 a des
qualités charmantes et rares aujourd'hui. Mais avec
lui, quand il part, il faut dire « ne sait quand reviendra»,
parce qu'il est faible, voluptueux, que mille giues se
prendront à ses pattes. Surtout je crains la méca-
ni(jue, l'industrie anglaise que Libri veut appliiiuer à
la noble Italie. Faites-lui donc entendre qu'un gen-
tilhomme italien n'a rien à faire avec un gentleman
' La Taglioni, la célcbrc danseuse qui trioniplia paiticuliLTeiiiont
dans les ballets de la Sylphide et de la Fille du Danube. Elle avait
épousé en 1832 le comte Gilbert de Voisins. Malgré celte union elle
conserva son nom et reparut au tliéàlre.
- Ilorlense Aliart, qui avait alors publié la Conjuration d'Amboise.
les Lellres sur M"'^ de Slacl, Uerlrude, la Femme et la Démo-
cratie, etc.
^ Cré(|ui. Soucenirs, l'aris i83i-18:J7. Apocryphe
124 UNE ANCIENNE MUSCADINE
industriel. Qu'il conserve son bon petit reste de for-
tune, qu'il le place solidement, et qu'il papillonne
encore vingt-cinci ans, aimant tout, aimé de tous; ne
le laissez pas s'attrister et ne le tourmentez pas pour
venir, s'il a mieux à faire.
Tony ne connaîtra pas vos désordres. Elle est en-
foncée dans la plus haute dévotion. Après trois jours
radieux nous revoilà sous l'abîme des eaux... C'est
désolant, non pour moi, résip^née à tout, mais pour
les champs et les amis qui voulaient faire mon petit
pèlerinage. Espérons. De grâce, passez à cette loca-
tion des Boulions; voyez ce qu'il y a moyen d'avoir.
Un jour, au rez-de-ciiaussée le jeudi, quatre places
conviendraient; le prix — si, au second, dans les coins,
il y a loges de deux ou trois places pour un jour.
Ecrivez-moi cela, mais écoutez les réponses et soyez
doux dans les questions. Cette musique est ma seule
joie de l'hiver. J'aurais le cœur gros d'être forcée de
m'en priver. Dites à la voisine qu'on a illuminé à la
Madelaine pour le gain de son procès. Ce qui veut
dire qu'on a posé le carcel et deux boug'ies sur la
fenêtre. Lui avez-vous parlé du joli chapitre de Fran-
roisP'?]! y a à Samois une maison vraiment jolie,
assez grande, qu'on mettrait en état, dans une posi-
tion ravissante, dont la vue, peut-être, est préférable à
la nôtre et (jue j'obtiendrais par liail à JIIO francs. Il
y a jai'dinet, puis clos (comme promenade), puis la
futaie de Balleroy loin comme de chez aous à la co-
lonne. Qu'elle prenne donc ru. Le bon mnrché des
vivres paiera le loyer, et les amoureux prendront
l'air et feront un exercice salutaire.
Venez donc, débauché,
FORTUNEE HAMELIN d25
La Madeliiine, iJ à G heures de soir, 1841.
(Septembre).
Sophie veut aller à Paris pour consulter sur un
mal de dents cruel. Elle n'y restera que quelques
heures, car je ne saurais que faire, seule avec ce démon
de Tony, qui, ce matin, à la messe derrière une énorme
brioche qu'elle lorgnait tendrement, le cierge à la
main, la rohe blanche et légère, avait Tair d'un bel
ange qui songe à déserter le ciel... J'attendais un mot
de vous ce matin dimanclie 13. Trechi est-il arrivé ?
Avez-vous été l'ue Saint-Honoré ? Hier j'ai reçu des
lettres de M"'^' de Bourges^ et Regnault. Est-ce vous
(jui avez fait l'éloge de cette pauvre duchesse que je lis
ilans la Presse? C'est inconcevable d'impudence et de
bêtise. Ça doit être du baron Soubiran... Mais cette
malheureuse O'Donnel-qui était heureuse, fort aimée,
fort gaie et passablement spirituelle ! C'est encore un
massacre de M. Paquier. — M*"" de Bourges donne
une raison pitoyable à cet événement, connue si
la mort pouvait jamais être ridicule!
Je n'ai plus de livres. Faites-m'en provision avec
patience. Je n'aime pas ce Julien \ C'est une belle
étotfe, gâtée par la plus servile imitation. Il voulait
être Alexandre comme Alexandre voulait être Achille.
Mais le bel Alexandre était bien au-dessus d'Achille et
Julien reste bien et mille fois au-dessous d'Alexandre.
' Amie de longue date de iM™" llaïueliii.
* La comtesse O'DonQell, morte à Paris, le 8 août 1841, était une
femme spirituelle qui eut une nolde inlluence sur beaucoup des
esprits de l'époque. Sœur île Delphine Gay.
" La vie de l'Empereur Julien, de l'oratorien La Blelterie.
d26 UNE ANCIENNE MUSCÂDINE
Vive notre liéros, qui n'a rion imité et reste inimi-
table.
J'espérais du beau temps et \a pluie tombe à tor-
rents... Cependant il nous est dû un automne et la
nature paye toujours ses dettes.
Ramassez-moi des nouvelles et gardez-nous un bon
souvenir.
La Madelaine. 24 octobre 1841.
Clier ami, que devenez-vous donc? Certes, de ce
temps tantôt glacé, tantôt pluvieux, je ne réclame pas
votre présence (ce serait un dévouement des premiers
âges), mais j'avais bien besoin de consolation, car
vraiment le départ de Treclii m'afflige et celui de
Faudoas m'est une nouvelle perte très douloureuse
et sans espoir. C'est un enterrement pour ses amis
d'ici, car là-bas il va entrer dans les douceurs de
l'économie en faisant une chère immense, exquise,
qui va l'engraisser et peut-être le tuer, puis, il est si
dou.x de commander, les Gascons sont si amusants
qu'il n'y a plus moyen de les quitter. Je ne sais
même si Treclii est parti, il devait m'écrire de Paris
encore, de Nancy où il s'arrête, et je ne vois arriver
ni son énorme écriture ni son gros papier comme le
parchemin à charte. Je ne sais aussi quand Faudoas '
rejoint ses états, et s'il sera assez bien avisé pour me
venir dire adieu en passant. Ce temps épouvantable
empêche tout, excepté les succès du colonel or et
noir qui règne à Fontainebleau. Les dragons avaient
tellement déplu que les femmes atfamées sont tom-
' Faudoas venait dï-tre appelé au commandement de la division
de Bordeaux.
FORTUNÉE HAMELIN d27
bées sans combats sur toutes ces tresses d'or. Ils ne
savent auxquelles entendre et l'on peut dire qu'en ce
moment la ville renaît.
Où en êtes-vous, cher? La maxime d'aimer ses
amis pour eux est dure à pratiquer, surtout lorsqu'on
en perdrait trois à la fois et des meilleurs (chacun
dans leur genre). Mon Dieu, je reçois une lettre d'Eu-
gène; il n'est pas content, c'est encore plus triste de
le perdre. Mais qu'il est bon, cet homme si raide,
quelle vraie candeur et dévouement aux autres! Vrai,
je ne connais pas un plus galant homme. Je voulais
partir pour lui dire adieu. Il m'écrit qu'il va éclaircir
l'hôtel là-bas et revenir. Ainsi je reste un mois au
moins encore dans l'idée d'une petite affaire à bien
approfondir ici et qui me donnerait un intérêt à gou-
verner dans cet aimable gîte et, par conséquent, le
moyen d'en faire mon dernier asile et mon tombeau
modeste sous une pierre à Samois. Telle est ma
préoccupation.
Trechi a dû vous remettre Agrippa. J'ai Gourvillei.
Ces gens-là seraient adorables s'ils en disaient plus,
s'ils avaient pu prévoir combien leurs actions, leurs
caractères, leurs figures, leurs accents à tous devaient
nous intéresser. Nos messieurs d'aujourd'hui sont
trop ce qu'eux ne sont pas assez. Aussi, lorsqu'on
trouve un seul détail, comme il intéresse ! Pour la
nature, bonsoir, inconnue. Il faut arriver à M'"" de
Sévigné. C'est elle, ce bel ange d'amour, qui a trouvé
* « Les Mémoires de Goiirville sont curieux ». M'"» ^\q Genlis
(Méin. viii).
Il y a deux Gourville, l'oncle et le neveu. Jean llérauKl lie Gour-
viile (1025-1703) et Fran(;ois son neveu. Le premier, hunime d'esprit,
de sens et d'intrigue, écrivit les Mémoires dont parle M'"» llamelin.
128 UNE ANCIENNE MUSCADINE
le prinlemps et son coucou, les bois, la toilette,
l'amour, le dévouement sans prétention et toute la
dignité de la femme. Je ne sais pas comment on ne
Ta pas canonisée; elle le méritait plus que sa tante.
Les mères, les femmes d'esprit devraient s'en cliarger
en cour de Rome. Les jansénistes aideraient un peu...
Maintenant, eliercliez-moi du bon que je n'aie |)as lu
di.\; fois. Je vouilrais ces livres de Salvalor ou dor. ce
Juif. Toujours le Vassari — des voyages nouveaux,
puis à votre idée.
Ti'ccbi était-il bien désolé? Ici il était navré. J'aime
fju'on pleure aussi en nous ({uittaiil et plus je vis,
plus je déteste le stoïcisme.
Êtes-vous pour Espartero^? J'en suis. J'oubliais —
vous êtes Cbristinos, vous autres dévoués — Trecbi
vous a-t-il lu mon sentiment sur certain prospectus ?
Je le crois nuisible tout net. Les vivants délestent
leur successeur, ainsi le veut la triste liumanité, et
puis, les conseils seraient perfides au successeur. Rien
à faire avec les blancs que leur donner du blanc; les
bleus sont de meilleure composition et s'arrangent
de toutes les couleur.s mélangées du jaune d'or.
Que faites-vous de M'" F...? Elle va vous tordre
votre dernier écu. — Dites-moi de la mariée de Jules
Janiii. Est-elle passable"? La belle Mathilde ne quitte
pas M""*" Dosne. M. Tbiers veut leur donner un trùne
à la première occasion.
' Baldomero Esparero, comte de Lucliana, duc delà victoire (1792-
187'J) ; général et homme d'Etat espagnol. Prenant parti pour la
reine Isabelle, il combattit les Carlistes et exerça une influence pré-
pondérante sur le gouvernement. 11 était le clief des '( exallados ».
Régent après l'abdication de la reine Christine en 1841. une insur-
rection l'obligea à s'enfuir en Angleterre (18i3i. Il renonça après 1856
à la vie politique et mourut en 1879,
FORTUNEE HAMELIN 129
La Madelaino, 28 octobre 1811.
Je suis fâchée qu'indirectement même votre main
ait rendu un mauvais service à Eugène. Je ne ris pas
du tout de l'éloignement d'un si digne ami, lorsqu'il
s'en afllige, lorsqu'il est inutile, onéreux même à ses
intérêts. C'est uniquement pour arrondir M. delaW...
qu'on l'a ôté pour l'y mettre. Bordeaux est aussi cher
que Paris, il sera tenu à un grand état, et le tiendra
(car il est honorable) ; il sera forcé de se séparer de
ses filles pour les priver de l'épouv^antahle accent, et
pour tant de sacrifices il aura... moins qu'il n'a ici.
Son chagrin vous étonne? Mais c'est qu'il est bon et
sensible, tout cela sous lag'lace. Et vous... vous n'êtes
que bon, point sensible... et léger!
Cher ami, c'est trop bourgeois pour vous d'aimer
une femme, parce qu'elle est reine ! Soyez donc reine,
vulgaire courtisane 1 Ouvrez vos mains rapaces, aimez
les arts, la belle politique, ayez comme les autres des
comtes de Champagne, des Buckingam, des Carra-
chiolo, mais que voulez- vous refaire en Espagne
malheureuse? Vous y avez tout détruit; le sublime
ouvrage de Louis XIV tout arrosé du sang français,
votre sainte et grande religion, le goût, la galanterie
d'une cour élégante et fastueuse; enfermée avec des
subalternes et un amant ignoble, négligeant même
vos filles, vous avez rêvé d'être la Rotschild des reines.
Que feriez-vous, pauvre poularde qui ne pouvez
même imiter le coq gaulois! Pour Espartero... nous
sounnes brouillés. Je hais l'échafaud de Léon. L'éner-
gie, c'est avant, c'est durant le combat. Après le
triomphe, l'énei'gie... c'est la clémence. Il (le\ail
130 UNE ANCIENNE MUSCADINE
renvoyer ce beau gentilhomme à Christine en lui
écrivant : « Tenez, il vaut mieux que Mugnos. »
Vous n'approuvez pas la clémence. La jeunesse est
ainsi. Quelquefois aussi je défends le fossé de Vin-
cennes mais par culte. Dans mon cœur je le pleure, et
je connais trop le dieu de Sainte-Hélène pour n'être
pas sûre qu'il Tait aussi déploré'. Silence.
• Vos raisons sont raisonnables, ne venez pas encore.
C'est encore un fameux crève-cœur qu'on me pré-
pare. C'est difficile de n'être pas un peu égoïste.
Mais je combats avec énergie cet afïreux défaut de la
vieillesse. Trechi n'aura pas l'idée que vous croyez.
Il était bien trop oppressé, affairé, pour se picoter si
injustement. Je lui en écrirai. J'ai de ses nouvelles de
Nancy.
Non. Ce n'est pas un coup qu'a la pauvre K... Elles
croient toutes cela, les infortunées ! Voilà trois ans
déjà qu'elle souffre. Sa fantasque obstination peut la
perdre. Lisez -lui le Volti Subito.
Si vous voyez M"*" Kisseleff, dites-lui que je suis
ulcérée contre elle. Je l'aime toujours, mais j'ai la
conviction qu'elle ne m'aime plus. Je sais qu'elle
souffre, que c'est la reine fantasque en personne,
qu'elle peut augmenter ses souffrances; mais voyez-
' Celte confidence est bonne à retenir, de la part d'une ancienne
amie intime de Bonaparte. M™» Ilamclin n'en fera pas moins grief à
Chateaubriand d'avoir écrit son chapitre sur la mort du duc d'En-
ghien. {Mémoires d'Outre-Tombe], voir article de F. Hamelin {Cons-
lil.utionnel, 1" août 1849i, inséré à V Appendice. Comme le dit
j\I"" Ilamelin, le front de Napoléon s'assombrissait lorsque sa pensée
se reportait au fossé de Vincennes. A quelque temps du meurtre,
voyant Fontanes triste, D'empereur lui dit : « Vous pensez donc tou-
jours à votre duc d'Enghien'? » — « Sire, vous y pensez aussi »,
répondit Fonlanes (Forneron, III).
FORTUiNÉI:: HAMELIN 131
VOUS, j'ai la certitude de la guérir, j'y engagerai mon
honneur et ma vie. J'ai vu le miracle. Je me mettrai
à ses pieds, j'y mettrai Zamoïski, Félix, tout ce qui
l'aime et nous la sauverons.
Que voulez-vous que fasse la belle Mathildc ? Nos
lauriers se changent en roses; si elle aimait autre
chose que le bal et les diamants, elle ne serait pas à
Paris.
Trechi est unique. Il me tourmente pour lui donner
des lettres fort insignifiantes que j'écris aux autres et
lorsque je lui en écris de très bonnes il ne les lit
pas. Je disais à peu près... que le prospectus était
spirituel, plein d'idées (comme tout ce qu'écrit l'au-
teur) mais que dans sa circonstance je le trouvais
maladroit. Tous les rois sontplus ou moins Charles VII
pour leur dauphin. Puis, les conseils au fils lui
iraient-ils? L'origine est indélébile, les blancs restent
blancs, a dit un grand homme. S'ils oubliaient les
torts du père en faveur du fils, pourquoi ne pas
oublier ceux du grand-père en faveur du pelit-fils?
Croyez-le bien, c'est encore par cette détestable classe
moyenne qu'ils se soutiennent et se soutiendront; le
reste n'arrivera jamais.
Que dites-vous, étourdi, sur la défense d'un gros
pataud parBerryer? Mais c'est parfait. Lelégitimisme
comme le catholicisme est essentiellement propagan-
diste, il veut ramener en ouvrant les bras. C'est l'é-
clectisme divin de Jésus-Christ. Ainsi Berrycr défend
pour rien les plus sales révolutionnaires, il a été, il
est la consolation du pauvre prince Louis si oublié.
Ces gens-là voient qu'il y a une religion politique
qui ordonne aussi la charilé, l'oubli des injures!
132 tNE ANCIENNE MLFSCADINE
Mais... VOUS ne comprenez donc pas rien? Est-ce
que Berryer peut mal dire ou mal faire ?
Je vous ai dit que les Nouvelles à la ?nain étaient
de M. de Balzac. Lui et M. Victor Hugo tiennent la
poésie et la prose françaises. Ce sont, sans conteste,
nos deux princes. Ayez la bonté de m'envoycr tout de
suite la nouvelle Nouvelle à la main. Si vous pouvez
joindre le n° de Janin sur son mariage, ça m'amusera.
J'ai un petit faible honteux pour Janin \ Il a vraiment
de l'esprit et j'ai plusieurs raisons de lui croire bon
cœur, même un cœur généreux.
Votre amoureuse, enfoncée dans la plus haute
dévotion, parlait peu de vous, lorsque le feu enterré
sous la cendre s'est révélé par ce charmant petit dia-
logue : Un gros bijoutier très riche habite une jolie
maison à Samois. Voyant tous les matins Tony dans
son panier, sur son petit cheval, arriver à Técole, il
en devint fou et l'attendit un matin tout chargé de
friandises. Tony accepta tout, puis le bijoutier s'offrit
pour futur. « Non, c'est pas possible, je vais me
maïer à Paï cet hiver. » — « A qui donc ?» — « A
mon ami T.... » — « Eh bien, j irai vous voir dans
votre ménage. » — « Oui. « — « J'irai dîner avec
' Le aiaiiage de Jules Janiu, au dire d'Arsène Iloussaye (Souve-
nlrsde Jeunesse) « fut un événement. Le contrat était étoile de toutes
les illustrations de ce temps-là, ïhiers et Hugo en tête. ;)
Balzac cité par M"»« Hamelin ne partageait pas son goût pour
Jules Janin. « Janin est un gros pelit homme qui mord tout le
monde », écril-il à M™'^ llanska. Il disait encore en parlant du cri-
tique des Débats : « Un homme que je n'estime et qui n'ohtiendra
jamais rien de moi. » (Balzac, Lettres à l'Etrangère, t. I). Signalons
aussi le jugement de Fortunatus (LeRicarol de 18 42) sur Jules Janin :
« Bon gros original, sans haine comme sans amour, capable seule-
ment de louer ou de critiquer avec esprit n'importe quoi et nïm-
poite qui, en faveur de n'impoite quoi, contre n'importe qui. )>
FORTUNÉE HAMELIN 133
VOUS. » — « Nom, non, mon ami est gouement, il ne
laisse rien. » — « Alors j'irai vous porter une petite
montre. » — « Non, non, ça le rendrait zalou. « — « Eh
bien, des gâteaux. » — « Oui, beautout, nous les
mangerons tous les deux. » A ce propos, je vous
dirai que vous donnez tous des bonbons trop cliers
à Tony. Elle préfère la quantité et même les gâteaux
aux pastilles, aux fondants. Je vous jure même
que la praline naturelle, le pain d'épice et la
brioche l'enchantent, qu'ainsi la réforme ici plaira à
tous.
Mes projets, tout modestes qu'ils sont, offrent encore
de grandes difficultés. Rien n'est si simple, si sûr, si
palpable. Pas un coin de ciiarlalanisme, ni de dupli-
cité. Voilà le malheur peut-être. L'élégant industriel
Morny a dit à Trechi « Mais si c'était vrai, on aurait
trouvé ! » C'est parce que c'est vrai, simple qu'on ne
trouve pas, Monsieur. Votre borax l'est-il plus? Et
vous avez des millions de niais qui ont rempli vos
poches. Nous causerons de cela en attendant le secret.
Comme Eugène part et revient, je ne me presse pas
plus (que si M'"'' K... devenait sage et eût besoin de
celui qui la guérira). Je reste jusqu'à ce que la faim
chasse le loup du bois.
Sans date.
Cher auii, voici mon itinéraire. Je reste jusqu'au 16,
puis mon petit ménage file sur Paris et moi je vais
chez M"'" DWstoi'g. Je brûle Augerville cette année à
mon grand regret. Mais Derryer n'y fait que paraître
et se sauve vite. Vous savez pourquoi. Si le cœur
vous en dit, vous serez toujours le bienvenu. Votre
134 UiNE ANCIENNE MUSCADINE
absence me fait espérer, plulùt craindre. Enfin, sou-
mettons-nous. Faudoas est-il parti pour sa pointe? Je
suis en vérité comme sa femme, et ne puis m'en
consoler.
Merci des nouvelles. L'opinion de M. Rover Col-
lard est du meilleur style, du meilleur temps de
M. de Balzac. Comment en pouviez-vous douter ?
J'ai fait lire le prospectus à M. de Besplas qui est un
chef de file légitimiste, de plus homme d'esprit. Il
m'a dit net ce que je vous ai écrit, et je suis toute fière
d'avoir le mot d'une opinion qui n'est pas trop la
mienne. Ils disent de plus que le Roi sent si i)ien
qu'avec le catholicisme il reste sur le sable, qu'il n'a
pas fait un pas, dit un mot qui ne fût une flatterie,
un appel au protestantisme, qu'enfin il l'a voulu
établir sur son trône pour lui succéder, et qu'il est là
pour faire espérer que le fils ira à lui et non la fille
vers le catholicisme. Sans cette idée qu'il poursuit
seule // eût abjuré, le désirait même. Mais depuis elle
a connu la pensée, elle persiste et sa faveur en
augmente. Jamais ils ne transigeront, car le principe
ne se perd à aucune génération. C'est autant une
guerre do religion qu'une usurpation odieuse, et les
apostats entraînent d'autant moins que vous n'en
trouverez pas un seul, disent-ils, qui ne soit ou
pauvre, ou déjà taché.
Le comte de Chamois, qui a moins d'esprit que
M. de Besplas, m'a redit exactement les mêmes choses.
Je crois donc que la classe moyenne nous gouvernera
longtemps, et aidés de 20 000 francs de rente qu'on
va donner à tout le monde (car quel pédant, quel
mercier ne sera pas ministre), ils se trouveront aisés,
FORTUNEE HAMELIN 13a
encouragés, et nous bien heureux de pcayer tant de
grandeurs et de nationalité.
Ceci dit à un aspirant pauvre par une occasion.
Je tripote mon jardin qui sera plus propre dans la
prairie. On y met une multitude de fleurs qu'on
m'envoie des jardins légitimistes. D'Astorg-, lui, en
vrai pliilippiste, m'en vient prendre.
Il me tarde de renvoyer cette Presse aussi impu-
dente qu'ennuyeuse. Voilà deux mois que je n'y lis
que rarticle Paris, le reste étant d'Henry Berthoud et
de Charlotte de Sor\ Ils espèrent et arriveront aux
20Û00 francs de rente avec cela.
A bientôt de toute manière.
La Madelaine, 12 novembre 1841.
Vite, vite, de quelle brochure parlez-vous ? Je
n'ai reçu que les Nouvelles à la main et, avant le
départ de Trechi, votre prospectus. Si c'est la bro-
chure suite du prospectus, envoyez à la poste, j'y
tiens furieusement. J'ai parfaitement payé à beau
terme 7 à 8 francs pour l'œuvre qu'il ne m'envoie
pas. Si elle n'est pas rue Blanche ', je la réclamerai
puisque ce fou est bien tombé. Certes je changerai
^ Henry Berthoud avait publié en octobre lSo9 dans la Presse un
feuilleton intitulé : Histoire anecdotique du xi.x» siècle, les Diamans
méconnus. En novembre 1839, Cliarlotte de Sor tenait le rez-de-
chaussée du journal avec le Berger-Roi (Esquisses d'Histoire Con-
temporaine).
Charlotte de Sor était ainsi jugée par Le Riuurol de iSi'2 :
a La Marco Saint-Hilaire de la Presse, comme l'autre .Marco du
Siècle, dont les lauriers rempcchent de dormir : elle a acquis une
certaine célébrité en nous servant la petite oie de Taigle napoléonien
en hachis de leuilleton «
- Où habitait alors M'"» Hamelin.
i36 UNE ANCIENNE MUSGADLNE
la Presse, le livre de Sophie* est moins ennuyeux
à lire.
Oui, oui, la noininalion de M. Mercey m'a fait bien
mal au cœur! J"ai dit : « C'était ça qu'il lui fallait ! )>
Celui-là est encore un ennuyeux passé maître. Cepen-
dant il a dit de bonnes choses sur le Francia et la
Ferrari à la galerie de Turin. Vous placez bien vos
œuvres d'art! La KisselelT et un valet! Cela prouve
(pour le valet) que vous ne vous y connaissiez guère
mieux que lui. Mais à présent, nous sommes savants.
Trechi et sa graisse noire m'ont fait rire. 11 doit
toutes ces bêtises qui le dévorent à M. Hutchinson-,..
Vous vous souvenez? C'est cette même graisse qui
traîne dans les journaux et qu'un vieux cochon d'an-
glais fait à l'entresol du pavillon. Votre petite braise
est bien autrement gentille et chaleureuse, mais ça
ne brûlera pas longtemps. Les boulangers garderont,
augmenteront, c'est une surprise heureuse.
jyjmo DeniidofT est mieux avec une jeune femme
bien née qui est mariée à un homme de lettres qu'avec
cette sale traînée de Dosne^ Je trouve même de
' Sophie Gay, née Michault de la Valelte (l776-i8o2), mère de Del-
phine de Girardin, publia plusieurs ouvrages, entre autres Laure
iVEslell, 1808 ; Léonie de Montbveuse, 1813 ; Anatole. 1815 : Les Mal-
heurs d'un amant heureux, 1818-1823, etc , et au théâtre le Marqïiis
de Pomenars, la Sérénade, le Maître de Chapelle.
- M. Ilutchinson avait contribué à l'évasion de M. de La Valette.
^ Rapprochons de ce passage les lignes suivantes que Balzac écri-
vait en mars 1840 dans ses Lettres russes de la Hevue Parisienne :
« Comme les enfants, JL Thiors a dans son intérieur une étonnante
naïveté quand il est surpris par les événements qu'il aru'ait dû pré-
voir et qu'il n'a pas prévus, cjr, queliiue intelligente que soit sa
bonne (il a dans M"" Dosne une bonne), cette femme n'a pas encore
toute la virilité nécessaire à si^s fonctions politiques... Celte bonne
est certainement le cœur de la politique de 1\L ïhiers, une espèce
FORTUNEE HAMELLN 137
l'adresse à tout ce qu'on fait de gracieux pour les gens
qui se font lire tous les matins par 80 à 100 000 Fran-
çais. M. Jules Janin m'a écrit un faire-part fort gra-
cieux et je lui ai riposté du même ton. Je parie que
c'est lui qui donne des log^es à Demidoff.
J'ai trouvé aussi une petite braise qu'on ne pourrait
pas éteindre. C'est pour cela que je reste, que je
serai pcut-elre forcée d'aller jusqu'à Nemours et que
je ne pars plus le l.j. L'idée m'en a été donnée parle
jeune homme qui est le gérant du xix" siècle. Mais
comme il me faut de la faveur, il s'est retiré fort loya-
lement. Nous aurions besoin de mais je vous con-
terai cela dans ma chambrette, car je trouve que cela
chausserait M. de C... comme un ange. Dites-lui
pour le sonder « qu'il s'agit d'une braise exactement,
acheter d'une main, vendre à l'instant de l'autre et le
transvasement serait ici de 30 p. 100 sur 12 à
1 500 000 francs qu'on peut obtenir tous les ans pour
les avances; à peine GO à 80 000 francs dont je don-
nerai moitié et les marchés, états, renseig'nements, tout
enfin excepté ce que je vous dirai. Vous voyez
qu'il y aurait pitance pour tous. Taisez tous les noms.
Quel monstre que cet Espartero ! Et je lui vois des
imitateurs dans ces jeunes misérables élevés par l'his-
toire de la Révolution de M. Tliiers. Après lui, arrive
cette juive de Christine*. Vous voyez que la rnalhou-
de père Joseph en jupons qui remonte le courage du premier
ministre quand il s'amollit. Le pouvoir de celte l'emme est
immense : en mainte occasion M"»» iJosne a fait revenir M. Tiiiers
sur une décision. Aujourd'hui, ([uanJ, après son diner, il reçoit un
ambassadeur et qu'il s'endort, elle reste à trois pas, le surveille et
répond pour lui. »
' La reine Christine vint à Paris (décembre 1840) et fut reçue par
138 UNE ANGIIiNNE MUSCADINE
reuse lui a manqué de parole pour les sept millions
promis. La lettre trouvée explique sa lâcheté et pour
sept millions à qui en possède 120, que de nobles
victimes ! La pauvre Berry n'a pas trouvé de tels
chevaliers! Pourtant quelle difiérence de cause, de
courage et de générosité ! C'est que le cœur de la
France est bien inférieur à celui de l'Espagne.
La petite Potocka n'est pas coquine. Elle est ga-
lante, dépensière, capricieuse et polonaise. On la
rajuste avec son mari pour lui faire tenir une bonne
maison.
Saint-Simon^ ne vaut ni plus ni moins qu'eux tous,
seulement il est plus aimable et bon vivant. Il votera
la mort du roi Louis-Philippe aussi lestement que
celle des autres... J'avoue que ces procédés-lk sont
brusques, mais rien n'est trop fort pour ce temps-ci.
M. de M... - m'a fait savoir qu'il était très content
de votre brochure. Je conçois le pourquoi, et pourquoi
il m'a voulu être agréable à bon marché en me le
faisant dire! Mais où est-elle celle brochure?
Il fait un temps inouï; la chute du Rhin tombe sur
notre toit qui tient bon. M. de Chamois a le courage
de faire douze lieues à cheval à travers les boues
Louis-Philippe. Alphonse Karr cite uu mot de la reine Christine à
Espartero. « Je t'ai fait duc de li victoire, marquis de comte
de mais jamais je n'ai pu le faire gentilhomme. » Dans une
autre lettre. M"»" Uamelin l'appelle la Pomaré de Madrid. On peut
rap[)eler à propos du jugement de M'^" Hamolin sur Thiers l'opinion
d'IIorlense AUart dans une lettre à Sainte-Beuve (21 mai 18i8) :
« C'est M. Thiers avec Danton, c'est son école imbécile qui a fait
ce parti du peuple. »
' Pair de France, lieutenant général commandant,, en 1844, la
division de Baslia.
- Montrond.
FORTUNEE HAMELLN 139
grasses de la Brie, les bois, les rivières débordées
pour venir dîner, puis le soir, par la nuit noire, il
retourne. Il est soutenu, je crois, par un parfum de
bonne fortune, il rêve le reste.
J'ai bien du regret d'avoir brûlé Augerville, d'au-
tant que M. de Cliamois eût bien désiré y venir et cela
m'eût été plus commode que notre guimbarde de
M'"" Sailly. Mais le temps et ma basse clique ne me
l'ont pas permis. Que fait donc M""^ Sailly en son
magnifique appartement de réception? Vous seriez
bon de me savoir si Brunet est arrivé ou attendu?
Aux élections procbaincs j'espère qu'il sera enfin
élu.
Tout ceci veut dire que j"ai le temps de recevoir
encore une lettre de vous et que je la désire. Tony
pleure dans un coin d'être oubliée. Mais des biscottes
de Bruxelles parviennent dans nos bois pour sécher
ses pleurs.
C'était bien pour lui que Didier' voulait! Il espé-
rait une avance du grand-père qui n'a pas été sensible
aux beautés du Raphaël. Voilà. Nous sommes dans
un temps de pleutrerie et la braise occupe plus que la
découverte de Perpignan.
La Madelaine, 1841.
Mercredi soir.
J'ai renouvelé connaissance avec grand plai.sir.
C'est une personne qui gagne à être connue, et à la
première vue je n'avais pas assez senti tout ce (ju'il y
a d'ingénieux, de frappant dans le charmant paral-
lèle de Catori et de Lafayette. C'est une de ces trou-
' Cliarles Didier, lilléraleur.
140 UNE ANCIENNE MUSGADINE
vailles qui feraient seules un succès, s'il y avait des
lecteurs de goût et occupés d'autre chose que de leurs
intérêts. Avec vos idées et votre esprit vous devez
étudier sérieusement la phrase ; la votre se présente
souvent tortueuse, rud;', elle s'éclaircit trop tard. Il
faudrait la lire par sa lin pour la comprendre plus
vite, elle fait presque l'eifet d'être écrite par un étranger
qui sait la langue, mais manque d'habitude pour
la parler. La phrase doit présenter l'idée comme
sur un plateau, elle n'est que cadre. Voyez la lim-
pidité de celle de Napoléon dans son Précis de
César ! C'est cette netteté qu il faut atteindre ; ce
ne serait pas imiter, ce serait apprendre et prati-
quer Varl, Ce qui n'empêche pas 31. Buloz d'être un
stupide.
C'estsingulier comme souvent sur les choses morales
nos jugements diffèrent. Heureusement vous êtes si
rapide et si peu convaincu que vous revenez franche-
ment au premier aperçu qui vous semble plus vrai
que votre impression. Eh bien! Je trouve que M. de
Monlrond agit en bon prince en plaçant ses serviteurs.
C'est d'ailleurs une impertinence qu'il jette au nez du
public qui se trouve payer ses valets. Je trouve que
des Voisins fait la première action louable de sa vie
en acceptant le travail le plus subalterne pour ne pas
donner à lui, à sa maîtresse, à ses enfants, le seul pain
des entrechats de Taglioni. Ce qui est inouï, infâme,
c'est une administration qui recueille tout ce qu'il y a
de dégradé, de flétri même par les tribunaux, en bra-
vant l'indignation des honnêtes gens. A ce sujet,
voici un fait qui fait sentir cruellement la différence
des hommes, des temps En 1804, lors de la for-
FORTUNÉE IIAMELhN Ul
matioii de la maison civile de l'Empereur, seize cham-
bellans furent nommés à la fois et publiés au Moni-
teur. Presque tous étaient des émigrés ou des gens de
qualité. M'"* de Caumont' avait si bien tripoté près de
Joséphine que son mari était de la promotion. Le soir,
lous se rassemblèrent, adressèrent un placet à l'Em-
pereur sig-né des quinze promus, lui expliquèrent que
M. de C. . . ayant été souffleté à Saint-James avait refusé
de se battre, que, s'abaissant aux escroqueries les plus
honteuses, nulle personne ne le voulait recevoir et qu'as-
surés que la religion de l'Empereur avait été surprise,
on ne leur réservait pas de faire un service d'honneur
avec un homme déshonoré, etc. — L'Empereur alla
donner un g-alop effroyable à Joséphine et Duroc fit
partir pour Chaudeur (oii était M. de C.) un cour-
rier chargé de lui dire que sa nomination était une
erreur de nom.
Ce que vous m'écrivez de votre vie ne m'a pas fait
rire, mais m'afflige véritablement. Il ne faut ni faire
le pédant, ni se lancer parmi les plus extravagants,
les plus riches. C'est presque manquer de dignité que
d'être toujours l'ami qui tamponne et l'amant gratis
des filles. D'ailleurs, vous visez au sérieux. Ces habi-
tudes soldatesques ne vous ont jamais quitté et
si vous avez manqué à une certaine époque de la
délicatesse du cœur, comment espérer le tact queje
réclame pour vous! Ah! Tony a raison « vous êtes
un peu trop farceur ». Ce qui ne l'euipùclie pas de
* M""» de G « si longtemps la plus jolie femme de Paris. » (Nor-^
vins, Mémorial, I. 137).
(V. Anae de Caumont — La Force Comlesse de Baibi par le
Y"= de Rciset. ■- Emile-l'aul, 1009).
142 UNE ANCIENNE MUSGADINE
VOUS embrasser et moi aussi. A mercredi procliain.
Ecrivez, je vous prie, à la Presse, qu'on l'envoie
samedi prochain, rue Blanche, 39. Il y a une M"*' de
Semei'illc de ce sale Bazaucour et ce n'est pas trop
mauvais.
r
ANNEE 1842
Allusion à l'accident mortel du duc d'Orléans. — Mort de M. de
Lille. — Moraski. — Le duc d'Orléans. — Sa mort. — Michel Che-
valier. — Thiers, lâche Pasquin. — M. Biard. — Des visites. —
M. de Chateaubriand. — Mauvaises nouvelles de Montrond. —
Confidences. — M"» Ancelot. — Un cousin du pays. — M"« Biard.
— Le Hon et le Prince de Ligne. — Une brochure du prince
Louis sur la betterave. — Le marquis de Saint-Simon. — Pajol et
Jacqueminot. — La baronne Reguault de Saint-Jean-d'Angely. —
Berryer à la Madelaine. — Berryer et le duc de Bordeaux.
16 juillet 1842, La Madelaine.
C'était par discrétion vraie que je ne vous ai point
écrit durant votre mission extraordinaire. Du reste je
lisais tout de la Sarthe. Rien n'y a été fait de mieux
que ce que j'ai eu sous les yeux pour M. de Ségur*.
Votre ami n'ayant pas eu les honneurs de la condam-
nation en police correctionnelle ne devait guère espé-
rer pour une condamnation deux collèges, pour deux,
trois, et toujours crescendo. Vous dites que Caroline
fait la précieuse. Bon Dieu ! que c'est amusant ! Croyez
que, sans lui nuire, c'est la plus effrontée coquine du
boulevard Italien, du reste bonne diablesse. Le duc de
Reichsladt" a tari toutes les larmes que je puis verser
sur les héritiers des couronnes : cette mort ressemble
' Il y eut un comte de Ségur (Paul-Charles-Louis-Philippe) (1809-
1886) qui fut élu le 9 juillet 1842 député de Seine-et-Marne.
* Le duc de Reichstadt était mort en 1832. Par cette mort, le prince
Louis -Napoléon était devenu l'héritier politique de Napoléon.
144 LNE ANGLENiN'E MUSCADLNE
à celle de l'Ancien Testament, elle est miraculeuse.
Mais peut-on s'cftarcr comme a fait ce jeune homme"?
Quel fond de poltronnerie ! Son innocente épée n'a
été fatale qu'à lui seul, s'il est vrai que c'est la garde
qui l'a tué. J'ai pensé que la Régence, et celle d'une
protestante, était impossible, mais le roi vivra cent
ans et tout s'arrangera.
M. de Cercey vous a-t-il conté l'aimable nuit ({ue
deux commissaires lui ont fait passer chez M... *? Etait-
il autorisé? Ne l'était-il pas? Je dis : oui, il l'était. 11
y a du malentendu dans la saisie et l'éclat, sans cela
on poursuivrait et on étouffe tout, et le roi na pas été
fâché... C'est malheureux, tout allait bien et ferme,
on donnait oOO francs par soirée, 1.000 francs par
mois aux valets. Est-ce vrai que M. de Cercey avait
des fonds dans la banque? Je croirais plutôt qu'il
recevait sans donner. Vous savez que M. de Lille est
mort. Son amie est venue passer plusieurs jours chez
moi à Paris. J'avais des peines infinies à contenir
ceux qui venaient nous voir, qui s'écriaient tous :
« Il est mort, quel bonheur! Elle a joué à qui perd
gagne, j'irai la voir maintenant, o Elle, la pauvre
femme, pleurait, sans jeu, ses regrets sont vrais,
profonds. 0 cœur humain, qui peut te définir!
Votre Tony est un diable déchaîné. Elle est tous
les jours plus jolie et plus violente, nous sommes
décidées à la jeter dans la rivière. Venez, venez donc !
Nous essuyerons vos pleurs, nous parlerons de nos
misères, nous verrons de meilleurs jours, vous sur-
tout, pauvre garçon.
* Ke s'agit-il pas ici de Menitcond et d'une maison de jeu.v; ylus ou
moins clandc=lino ?
FORTUNÉE HAMELIN 145
Parlez de moi au petit Bijon. Dites-lui de m'écrire
ses bons petits caquets. Dites à M. Moraski ' que
notre raisin sera abondant, délicieux, qu'il n'y aura
plus un malade après en avoir mangé.
1j au soir.
Sans date, 1842.
Cher ami, en lisant les détails de cette chute ,' on
se persuade que ce malheureux était un verre de
Venise. Quel roi il eût fait ! Je le regrette sous ce
rapport. A-t-on jamais vu tant de lâcheté, une tête
perdue pour si peu! Mille et mille fois cela m'est
arrivé. Il faut être juste. Montrond ne sautait pas
lorsque par des chemins horribles les chevaux s'em-
portaient. Ce jeune homme, au reste avait un corps
de coton, le cœur seul était dur. N'avoir pas été voir
les mourants du 8 mai, les avoir laissé chasser... ah !
c'est prodigieux!
On vous portera des drogues dont vous aurez la
bonté de vous charger pour ici. Mais tout est subor-
donné à vos projets.
Si ce nigaud de Brunet m'eût écouté et qu'il eût
acheté le pressoir, il eût été député au nez de M. de
Ségur. J'aurais eu tous les légitimistes et les rive-
rains étaient conduits par le coq notre meunier, votre
' Théodore Moraski, né en 1797, mort à Paris le 22 novembre 1879,
fut député à la diète do Pologne, ministre des Affaires étrangères
en 1831. Il a publié plusieurs opuscules politiques et une Histoire de
Pologne en six volumes.
- Le duc d'Orléans se tua en sautant de sa voiture dont les chevaux
s'étaient emballés, àNeuilly le 13 juillet 18i2. Cf. Journal de Cuvil-
lier-Fleunj, Thureau-Dangin (op. cit.). Alfred do Musset composa
au sujet de celte mort tragique des stances qui parurent dans la
Presse (juillet 1843).
10
146 UNI:: ANCIENNE ML'SCADINE
aubergiste Simon, Henrv, beau-frère du maire et le
brave Bertrand. Tout cela n'a pas coûté mille écus.
encore en cadeaux. Oui, les premières élections sont
horriblement chères. Nous prendrons toutes les infa-
mies de l'Angleterre et elle gardera ses grands
ministres, son patriotisme et la domination du
monde.
26 août 1845. La Madelaine.
Cher ami, je lis que M. Clievalier^ est de nouveau
en chance. Y allez-vous, en espérez-vous? Je crois
qu'en concurrence de M. B. de Lessert il doit l'enle-
ver. Enfin, je le désire beaucoup, puisque vous fondez
sur lui des espérances solides.
M. Thiers s'est surpassé lui-même. Aller au delà de
ce lâche Pasquin'' est désormais impossible. Quels
hommes, quel temps !
Le temps de Dieu) nous comble de faveurs. La
chaleur un peu diminuée nous donne des soirées et
des lunes magnifiques, yi. Biard^ ne vit que d'extases
et vient d'acheter à un grand propriétaire un arpent
' Michel Chevalier (1806-1879), ingénieur des mines, Saint-Simo-
uien, directeur du Globe, député de rAveyron (1845), membre de
l'AcaiIémie des Sciences morales (18.51). « Saint-Simonien à jaquette
bleue, à grande barbe et à gilet symbolique, il tâcha, enlSSO, d'allier
la chair avec Tesprit dans son couvent de Ménilmontant ; mais il
fut bientôt corrigé de son utopie par si'c mois de prison, partagés
avec le Père Enfantin. » [Le Rivarol de 1842). 11 a laissé trois filles
qui ont épousé. Tune M. Flourens, ancien ministre, l'autre
M. Leroy-Beaulieu, la troisième M. Le Play.
- ^1°"' Hamelin souscrivait au jugement de Fortunatus (Le Riva-
rol de 1845) qui appelait l'homme d'Etat : « moitié Crispin, moitié
Verres, espèce de clerc d'huissier dictateur. » Balzac (Reçue Pari-
sienne 1840) se montre également sévère envers lui.
^ Ancien ofQcier de marine, peintre et littérateur, qui habita Les
Plàtreries, non loin de la Madelaine.
FORTUNÉE HAMELIN 147
délicieusement placé sur lequel il va faire bâtir un
chalet dessiné par lui. L'autre jour ils ont dîné avec
nous et après, il a fait venir son bateau et nous
sommes restés sur la rivière jusqu'à onze heures. Ils
sont bons, polis et contents d'être au monde. Une
troupe brillante est venue au-devant de 31. de Mont-
rond à Fontainebleau; elle se composait, bien entendu
de M"""^ Doumere, Blanche, Grouchy pour cavalier, il
n'y manquait que Rondeau.
Parlez-moi donc de vous, de Paris, des tripotages
indéfinis de M. de Cercey et de votre petit frère.
Tony ne croît pas en sagesse, malheureusement. Elle
fatigue môme mon indulgence pour elle. Ça me désole
de ne réussir à rien, même dans cette innocente
entreprise.
La petite Morel' se dispose-t-elle à venir en sep-
tembre? Je la logerai, elle, et Moraski ira chez
M™* Simon oii je lui retiendrai une chambre. Je dis
retiendrai, car les chambres mêmes sont retenues
partout. M"^ Biard en a raflé utie quantité pour des
femmes de ses amies qui arrivent. Il ne faut penser
qu'au bateau. Le chemin de fer est tout ce qu'on peut
imaginer de saleté, difficulté, longueur et cherté. Je
suis arrivée à minuit, abîmée, jurant, mais un peu
tard, qu'on ne m'y prendrait plus.
M. de Chateaubriand m'avait promis de revenir par
la Madelaine en quittant sa diligence à Fontaine-
bleau. Cet honneur m'a été enlevé parle dévouement
de Madame- sa femme qui a été le prendre et l'a
' Petite-nièce, croyons-nous, rlc Mornay (1732-18^4), qui avait été
lié avec Montrond.
* Fortunée Hamelin peint ainsi .M»» de Chateaubriand : « petite
148 UNE ANCIENNE MUSCADINE
ramené par Chartres et 3Iaintenon où ils sont restés
huit jours.
Vous ferez hien encore une pointe par ici, n'est-ce
pas ?
La Madclaine, mercredi soir 14 septembre 1812.
Et voilà, cher enfant, qu'on m'écrit des choses
désolantes sur l'état de Monlrond. Sachez s'il est vrai
qu'il soit paralysé des deux bras et presque imbécile...
On donne ici des causes hideuses à cette nouvelle
attaque. C'est perdre deux fois ceux qu'on a aimés'
que de les voir mourir ainsi. Souvent, pour m'expliquer
son inexplicable conduite, j'ai senti que sa mémoire
était perdue et son cœur frappé, et lorsque je vois que
c'était bien vrai, j'ai horreur d'une si triste destinée.
Ah ! mon dieu ! Ayez donc tant d'esprit- !
femme délicate, aux traits un peu poiatus, vive, arrêtée et qui était
absorbée par la vente de son clioco'.at, un des moyens ingénieux
qu'elle avait imaginés afin de pourvoir à ses immenses cbarités ».
{Constitutionnel, 1" août 1840). Ladreif de Lacharrière. Les Culiiers
de 3/""° de Chateaubriand. Emile-Paul. G. PaiUiès. Chateaubriand,
sa femme et ses amis
* Il semble bien que cette Muscadine endiablée que fut Fortunée
Hamelin, qu'on appela le « premier polisson de France », eut une
préférence marquée pour Montrond. Qui manqua le premier à la foi
jurée? Montrond sans doute, bien que les équipées de M°>° Hamelin
avec le beau colonel Fournier et Morisel, d'autres peut-être, y com-
pris Chateaubriand, nous permettent quelque doute sur la fidélité
dont elle était capable. Mais si elle faisait tout par « bousculades »
(le mot est de Montrond lui-même), il serait injuste — les lettres de
sa vieillesse le prouvent surabondamment — de ne pas lui accorder
ce culte de l'amilié qui fut la consolation de ses vieux jours. Elle
aima Montrond, fut trahie et peut-être exploitée par lui, car il
n'était pas infiniment scrupuleux (Talleyrand).
* L'esprit de Montrond était aussi réputé que celui du prince de
Talleyrand dont plusieurs prétendent qu'il fut le « Souffleur ».
Citons quelques traits : « M""» Davidolf, quêtant, demandait l'autre
jour à M. de Montrond pour les filles-repenties; il lui a répondu :
« Madame, si elles so.Tt repenties, je ne leur donnerai pas; si elles
FORTUNEE HÂMELIN 149
Où en êtes-vous, cher? Quand donc verrai-je un
bon cœur réussir?
Ça ne severrapeut-êlrc jamais! En vérité je le crois!
Donnez un mot s'ils reviennent. J'ai lidée que
M. Moraski s'est horriblement ennuyé. Hélas! ce
n'est pas ma faute. La plus belle fille... et jugez
lorsqu'on n'est pas une belle fille! Rien ne remplace
le jeu.
« ne le sont pas, je ferai mes cliarités moi-même. » « On m'a dit
qu'aujourd'hui (mai 18i0) à sa réception, M. Cousin se tenait dans
la pièce la plus éloignée, faisait des apartés, ne donnant aucune
attention aux personnes qui arrivaient. M. de Montrond disait plai-
samment à cette occasion : « Quand on ne sait pas recevoir, on
« devrait prendre des répétitions. » [Journal dumaréchal de Casfel-
lane, t. Il et 111). Il était bien le digne pendant de celui à qui l'on
attribue, à tort (car Voltaire l'avait dit auparavant dans ses Dia-
logues) : « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa
pensée. » Nous trouvons dans îtlériniéo, Lettres à une Inconnue,
année 1842 : « M. de Montrond dit qu'il faut se garder des premiers
mouvements parce qu'ils sont presque toujours honnêtes. » Il ne
lisait pas les journaux : « Je ne suis pas fait, disait-il, pour manger
à cette gamelle do l'esprit public. » Une pièce de théâtre avait eu
une chute éclatante : « Je ne comprends pas, fait remarquer Mon-
trond, que l'auteur se soit trompé à ce point, il est pourtant bien
facile de ne pas faire une comédie en cinq actes. » La comtesse G...
[La Presse, 5 novembre 1843) cite le contrat de mariage de Mon-
trond : « La citoyenne C... apporte à son futur époux les terres et
bois de estimés par baux autlicntiques composer un revenu net
de 4 000 livres. Le citoyen Montrond se charge de fournir annuelle-
ment la somme de 100000 livres à la communauté... des produits
de son esprit, w La comtesse G... ajoute : « S'il était possible de
réunir les grains de l'esprit de Montrond ce serait, à coup sûr. le
chapelet de l'ancienne amabilité française, mais ce no serait le
code de la morale d'aucun temps ni d'aucun peuple, k Cf. Duches:~e
d'Abrantès, Mémoires sur la Restauration, Paris, 1837. Comtesse de
Bassanville, Salons d'autrefois. Comte d'Estourmel, Derniers Sou-
venirs, 1860. Cuvillier-FJeury, Journal Intime, publié par lù'nest Ber-
lin. H. Wclscliinger (Un ami de Tallcijrand. Renie de Paris, 1" fé-
vrier 189o). Marquis do Honneval [Mémoires anecdotiques, 1786-187:5,
Paris, 1900). Comtesse de Boigne (op. cit.). Marquiset [op. cit.).
N'ayons garde d'omettre Sainte-Beuve [Nouveaux Lundis, XII) qui
parle à plusieurs reprises de Montrond au cours de son étude sur
le Talleyrand de Sir Henry liulwcr.
i50 UNE ANG[ENNE MUSCADINE
J'ai un cliarnmnt petit chien noir d'un mois qui se
meurt... Mon pauvre jardinier est bien malade et les
chouettes ont crié pour la première fois. J'ai le cœur
bien serré. Je vous serre la main, cher ami.
La Madt-laine, 2i octobre 1842.
On dit bêtement : « Pas de nouvelles, bonnes nou-
velles. » C'est le contraire qui est vrai, car on est si
heureux d'écrire à ses amis ([u'un zépliyr de la for-
tune a caressé vos joues! La lettre d'Eugène m'a
chagrinée et j'ai bien peu d'espérance... pour le
moment. Est-ce que M""" Ancelot ne pourrait pas vous
arranger ce que le boyard et M. de C... vous avaient
promis (à la façon de Barbari mon ami) ? Variétés,
Vaudeville, ça se vaut. Voyez, osez. On vous a beau-
coup accordé dans cette maison. J'ai eu une rechute,
c'est-à-dire qu'à force de souffrir de cette douleur
sourde et incessante, j'ai eu des convulsions et la
fièvre. Je me suis livrée entièrement aux émollients,
au camphre, et je vais mieux, surtout je dors.
Dormir, c'est vivre, c'est être sauvé. L'ami Sully'
m'a écrit deux fois pour me demander à venir me
voir. J'ai cédé en donnant jour. Bien entendu alors
il n'est pas venu pour les raisons que de La Rue
appelle casseroleuses. Deux jours il m'a fait dîner à
huit heures du soir. (Grand grief pour une malade!)
Un autre cousin du pays ne m'a pas demandé la per-
mission, mais est arrivé à doux lieurcs et reparti
à trois, ayant apporté de bonnes choses sous ses bras.
Cette visite m'a fait beaucoup de plaisir, je l'ai
' Sullv Brunrl.
FORTUNEE IIAMELIN loi
trouvée très élégante pour le Lot-et-Garonne. C'est
que ce cousin-là est de la branche aînée, branche
toujours légitimiste, respectueuse, galante envers les
femmes et les cousines. Au reste, en Seine-et-3Iarne
on est très poli pour moi. Eugène * d'Astorg, cet aide
de camp du Duc de Bordeaux si piiilippiste aujourd'hui,
Eugène m'est venu proposer de m'amener le chirur-
gien-major des hussards noirs. J'ai décliné tant
d'honneurs et m'en tiens au rebouteux de mon vil-
lage. Du reste, j'ai su les caquets militaires et des
choses inouïes du desrré de saleté oii tombent nos
officiers généraux. Saint-Simon, le favori du cliàteau,
a fait son inspection en arrivant par la diligence.
Alors il empruntait ou louait une rosse pour passer
les revues dhonneur^ il avait ses listes de recom-
mandés, trouvait tout parfait, et montait en coucou à
la tète des régiments, ayant ses 12 francs par poste
au fond du gousset. Ceci est tout le temps.
Est-ce que la recrudescence Vallon aurait jeté du
trouble dans le ménage M... et M... ? J'ai mes raisons
pour vous faire cette question. Avez-vous été avec
eux voir ces charmantes danses polonaises ? Ah ! que
je les regrette, et que je suis honteuse d'être encore
si enfant ! J'ai reçu une urande lettre de M""^ Nariskin'.
' Eugène d'Asloig, nr à Paris 1787, mort en 1852, riait ciiargû
en 1840 du commandement de la brigade de Fontainebleau, inspec-
teurgénéral de cavalerie (1843). Il était pair de France depuis 1834
par droit héréditaire, son oncle le comte de Puy étant mort.
- Il y a plusieurs Nariskin ou Narisclikino. Le comte Dimilri fut
grand veneur de l'Empereur Alexamlre, qui avait sa femme pour
maîtresse. Le frère, grand maréchal du Palais, était connu pour ses
bons mots et pour ses dépenses exagérées. Musnier-Desciozeaux Un-
discrétions, t. I) raconte une anecdote curieuse sur ce Nariskin
chandjcllan de ri-impi'reur i'aul I". Il avail la direction suiirrme
152 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Elle ne savait rien de mes malheurs, ils n'ont pas
passé la Yistule.
Avez-vous tenté la bourrasque de Montrond? Il
faut l'oublier et puisque vous aviez cru convenable de
le voir, il ne faut pas l'abandonner mourant. Je
désire bien avoir de ses nouvelles, votre lettre et la
figure de B... en face du roi m'ont fait rire à pâmer,
mais enfin c'est un rire indigne. Combien il doit
souffrir de son abaissement ! 0 superbe ! 0 mal-
heureux !
La belle Biard n'est plus ma voisine, mais la
vôtre. Ne faites pas de bêtises par là. Tout est grave
pour elle par la frénétique jalousie de son mari.
M""" La Morlière ^ sont à Paris oii je crois qu'elles
placent leur carrière. Le vieux chevalier est seul
depuis quinze jours, où il aura consommé sept cho-
pines de lait : le chemin de fer va détruire tous mes
délices, ma consolation. Baissons la tête. Voilà toutes
nos nouvelles, avec un temps effroyable.
Mille baisers de ce monstre de Tony.
des Uit'àlres et l'argent destimj aux acteurs ainsi que le produit des
recettes journalières passaient de ses mains dans celles du banquier
du creps. M. de Nariskin était puissant. Les acteurs n'osaient se
plaindre. Duport, à qui on devait un arriéré de 7 à 8 000 roubles,
signifia à M. de Nariskin qu'il ne danserait pas avant d'avoir été
payé. Effrayé d'une résolution qui aurait pu éclairer l'Empereur sur
sa gestion, M. de Nariskin fut réduit à mettre en gage sa clef de
chambellan en diamants afin que Duport fût payé et dansât. Après
la mort de Paul I", il fut vertement rabroué par l'Empereur
Alexandre. {Comtesse de Bassanville, Les Salons d autre fois : Le salon
de la princesse Bar/ration, qui était une Nariskinej. [Comtesse de
Boigne, t. II. Chevalier de Cussy, I et II.)
* M. Forneron (Histoire des Émigrés. La Police et les Espions)
parle du chevalier de la Morlière, « ancien garde du corps du Roi,
dit Edouard, dit l'infâme Caroline, » qui retirait quelques bénéfices
— trop maigres à son gré — des dénonciations qu'il faisait.
FORTUNEE HAMELIN 153
La Madelaine, 30 octobre 1842.
Je crois pluvS Eugène que tout le conseil des
ministres sans en excepter M. Teste. Je crains votre
bile dans des explications qui me paraissent inuliles.
Votre silence m'inquiète. Allons, courage! Vous
vivrez plus que le mauvais temps, cous.
Mon ami Cruquenbourg' est aide de camp du roi
son cousin. L'anatlième sur les honnêtes gens ne
dure pas toujours, les fripons malgré tout ne restent
pas maîtres, car voilà Le Hon remplacé par le
prince de Ligne, lequel est un loyal gentilhomme qui
ne volera personne.
Connaissez- vous rien de plus bête, mon Dieu! que
la brochure du prince Louis sur le sucre de betterave !
Etre un Bonaparte, prisonnier d'État, ai foriniiler sur
la betterave ! Je crois vraiment qu'il est associé avec
son frère Morny et M™' le Hon, car il est frénétique
pour son triomphe.
Le marquis de Saint-Simon vient d'en faire une
bonne. 11 a passé son inspection en prenant les dili-
gences d'une ville à l'autre, empruntant les chevaux
des officiers enrossés, ou louant des locatisses. Pour
des dîners... Néant, les recevant jovialement. 0 grand-
duc, que dirais-tu ? Rien, puisque la maison d'Orléans
est sur le trône.
Je vais mieux, mais j'ai toujours la douleur sour-
' Cruquenbourg ou Croqucnbourg, officier bclgo, frère d'un aide
de camp du prince d"Orangc. Ami do longue date de M""" Ilamclin.
Quand cette dernière était à Bruxelles en 1817, Cruquenbourg et
Morisel (d'après Latour Saint-Ygest) avaient insulté la maréchaussée
royale lorsqu'un détachement cernait la maison de l'ex-colonel
Lasaussaye (Alfred Marquiset, op. cit.).
loi UNE ANCIENNE MUSCADINE
noise et une bosse sur la joue (Pélion sur Ossa). La
vapeur d'eau ne va plus; je n'ai ni assez de force,
ni assez de chance pour cet infâme chemin de fer où
Ion met toujours un boucher sur mes genoux. Je
prendrai un bon voiturin. Nos pères savaient seuls
la vie : la poste pour les riciies, le voiturin pour les
humbles. Je ne pense au retour que iju 12 au lo.
La MaJelaine, 5 noveinljre 1842.
J'ai le cœur serré de la vente du meuble. Elle
prouve, hélas! nos deux pauvretés... Vous y teniez
moins que moi peut-être, mais ne pouvant offrir sa
valeur, je n'eusse jamais osé donner moins. Dieu sait
ce qu'on l'a payé ! Voilà de durs moments à passer.
Tant mieux si vous voyez plus rose que moi et si
vous voyez juste. Il me paraissait, par la lettre de F.,
qu'on faisait un nouveau déclinaloire. Si M""" Ancelot
vous casait, cela laisserait du temps. Pourquoi dédai-
gner le possible. Vous acceptiez pour le boyard.
Vous devriez en parler à cet aimable monsieur (amant
de la Rubampré et dont le nom m'échappe], il est
obligeant, bien appris. Il trouvera ça convenable et
ne portera pas la parole. J'y reviens parce que cela
me paraît naturel. Voyons, ne parlons plus de choses
si désolantes.
Je ne comprends rien àPajoP, c'est de l'ultra-folie.
On a mis près du roi un homme méprisable. C'est
Jacqueminot qui lui paye sa femme. Au fond Pajol est
' Pajol commandait en 1840 une division militaire. JaC']uemiuot
(Joan-Fran<;ois) fut dr-puté et pair de France, commanda en ISol la
eardc nationale.
FORTUNÉE HAMELIN 155
excellent, vrai, grand hussard, bon cœur, choisissant
bien ses mailresses (car elle vaut bien dix amigo) et
d'un sabre parbleu bien affilé. Tout vieux qu'il est,
remettez-lui la pelisse et les 7ioirs mes voisins paraî-
tront de fameux clampins.Que vont-ils faire ? Il n'est
pas seulement un héros de Juillet, il est tout Juillet:
je ne sais oi^i il demeure, faites-lui porter le mot
ci-joint.
Oui, on trouve tout dans une lettre, surtout ce qu'on
n'y dit pas. C'est ainsi que j'ai vu que M"*" de La Rue ^
avait fait une petite farce à son frère. En partant, il
croyait qu'elle viendrait passer quinze jours ici et
zest ! à son départ, elle a été s'installera Versailles.
Versailles a du bon, je ne dis pas, mais le frère
avait raison de préférer la Madelaine. Ne plaisantez
pas de cela. Entre vous et M '' de La Rue je vois peu
d'éléments de crédit. Je n'en ai pas davantage, mais
Pajol eiit fait encore et s'y était engagé. Comment
Emile n'a-t-il pas poussé à cette roue ? Quel faquin
que cet Emile et quelle honte de se dire : « Voilà les
rois du pays ! » Avez vous lu ce qu'il dit de son
triomphe chez l'adjoint ? Le soL ! Enfin il pouvait, lui
ou sa femme, car les droits, la bienveillance étaient
à M. de La Rue.
Nos folles sont de retour. J'ai décoché un très joli
cadeau mais je viens de traverser leurs cœurs par un
grand service bien manœuvré.
La baronne Regnault". donne une fête pour la
' Sœuf du colonel do La Rue.
* La liaronnc Rognault de Sainl-Jean-d'Angôly dont 11 est souvent
iliiosUon dans la Correspondance de .W"" Ilainelin. FA\o faisait parlio
do la polito Cour libi raie quo V. llainoHn. lonjouis fidi'di' aux idée?
1Ô6 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Saint-Charles. Tout le grand monde, les autorités s'y
trouveront. Les pauvres femmes ne sont reçues nulle
part grâce à Fextravag'ance de la mère. Elle est venue
les larmes aux yeux me supplier de les faire inviter.
Je savais la chose des plus périlleuses. J'ai essayé
près de la baronne. Repoussée ! J'ai fait avancer... un
âne et j'ai été trouver le baron qui m'adore sans
discontinuer depuis 1801. J'ai dit à ce brave homme
que c'était payer ma dette, que sans elles il n'aurait
plus la passion de ses beaux jours, j'ai obtenu, la
femme môme v a mis de la complaisance. Il a été con-
venu qu'elle les donnerait un peu comme artistes.
J'ai fait une leçon sévère à la mère Saint-Aubin, la
priant de ne pas arriver à minuit, de ne point appeler
M. de Ség^ur « monstre enragé », etc.
Elle a promis. Que ne promettrait-elle pas? Nous
saurons, car bien entendu le jour de la fôle j'aurai la
fièvre.
Je vais mieux, j'ai toujours suivi les conseils d'un
médecin raisonnable et non ceux de la Saint-Aubin.
Elle me fait la réputation d'une réfractaire parce que
je n'ai pas voulu de ses drog"ues pour lesquelles il faut
des nerfs, un épidémie de gendarme.
La Madelaine a été éclairée ving't-sept heures de la
présence de Berryer. J'étais seule, je vous demande
si nous avons bien jasé, s'il a été aimable, bon homme,
de Bonaparte, avait réunie autour d'elle. Très liée aussi avec Hor-
tense AUart de Meritens. Le Gouvernement soupçonneux de
Louis XVIII l'avait exilée. Elle avait une propriété au Val, canton
de risle-Adam, commune de Mériel, où se tenaient des réunions
bonapartistes. Elle habita longtemps rue de Provence, l'hôtel où est
aujourd'liui la Société Générale. Son fils fut maréchal de camp en
184^ et maréchal de France en 18o9.
FORTUNÉE HÂMELIN 157
confiant, cliannanl ! Il paraît content, très content.
Toutes les guerres d'un parti sont terminées par la
volonté seule et ferme du duc de Bordeaux qui prend
Berryer seul pour guide du plein consentement de
M. de Villèle, puis mille histoires divertissantes sur
tous les preneurs actuels. Il est en extases de ce petit
coin et assure que les Goths même n'oseraient gâter
tout cela. Le fait est qu'il est arrivé sur des routes de
topaze et de rubis. La forêt n'a jamais été si belle, si
riche. On attribue ces couleurs si vives aux longues
chaleurs. Je reviens dans dix à douze jours, sans quoi
je vous dirais bien de venir voir ce bel écrin.
Je n'ai rien, rien de commencé avec M. Lescuyer;
du reste soyez sûr que pour les quatre sous qui me
restent, je serai tenace, harpagonne, avare comme...
ma foi, comme tout le monde.
A bientôt.
ANNEE 1843
Vn nouveau journal, La Xalion. — Karaeroski. — L'ordre de JMalte.
llortense Allart se marie. — M"» Ilamelin et l'inégalité. — Les
enlèvements. — La comtesse de Plaisance et le prince de Belgio-
joso. — M"»» de Contades. — M"" de Boisgelin et M. Jlanuel. —
llortense Allart de Meritens. — Le général Nariskin. — Walewski
et Rachel. — Le sang de Napoléon. — Difficultés de M""> Hamelin.
— M"»" KisseleO" et Xumala. — La duchesse de Vicence. — Souve-
nirs de l'Empire. — Faut-il convertir Moutrond? — La Fille de
Figaro au Palais-Royal. — On y parle de M-^» Ilamelin. — Ch. Di-
dier et son journal. — Les dames Bas-Bleus. — M'"» Ancelot. —
M. de Chateaubriand. — • La liste civile. — Encore des enlèvements.
— Confidences attristées. — Montrond est à la Madelaine. — jM. de
Noailles et M""» de Maintenon. — L'agonie de Montrond. —
M""= Kisselefî à Hombourg. — Mort de lelski. — La mort de Mon-
trond. — Le duc de Broglie et l'abbé Petitot. — Une prière pour
l'ami disparu. — M"'" Ancelot et Arnal. — Les correspondants de
Montrond. — Berryer et M"»» de Sotnariva. — Lacordaire. — Le
mariage de Berryer. — Déménagement.
Paris, 13 lévrier 1843.
J'ai laissé passer les lettres brûlantes, les réponses
palpitantes, les embarras de l'établissement, des pre-
mières visites, des premiers bains et j'arrive avec
cette égale et bonne amitié qui reste au bout du
compte la consolation des mauvais jours, le charme
des succès. J'ai fort envie d'avoir de vos nouvelles,
mais je ne vous gronde pas, car j'aime mieux que
vous puissiez causer à loisir et ramasser déjà du butin
provincial.
Il s'est élevé une grande puissance contre la votre,
160 UNE ANGlENiNE MUSGADINE
VOUS le savez sans doute. La Nation\ qui devait
s'appeler le Soleil, est ou sera un journal quotidien
* Lî spécimen auquel M-"» Haïuelin fait allusion parut le 5 février
1843 avec ce titre : La Salion, Journal des Droits et des Intérêts de
tous. Le programme du nouveau journal était ainsi défini : « Le
journal qui fait aujourd'hui son apparition dans le monde n'est pas
institué pour défendre des intérêts de Parti... La Nation est une
position nouvelle prise par la presse politique ; c'est un produit du
travail d'unité qui s'opère incessamment dans les sociétés libres et
auquel tous les hommes d'une époque ont coopéré sans le savoir.
Cette tendance des esprits pour se réunir dans les intérêts communs
à tous a été aperçue, il y a quelques années, par des hommes avancés
qui, dans les diverses opinions, forment pour ainsi dire l'avant garde
de la civilisation française. (Chateaubriand, Laffille, Arago, Odilon
Barrot, de la Rochejacquelein, Lalande, Mauguin^ Cordier, etc.). La
création de La Nation a pour but non seulement de réaliser celte
tendance, mais de constater son existence et de manifester son uni-
versalité. La Nation sera un lien entre les hommes de tous les partis
qui voudront sincèrement le bien de la France. » Dans ce numéro
la Nation donnait l'opinion de trois hommes « dont le génie est
cher à la France », Chateaubriand, Lamartine, Arago. Citons l'avis
de Chateaubriand et d'Arago. Chateaubriand : « Que tous les bons
esprits se réunissent pour créer un centre d'opinion d'où partiront
tous les mouvements. Liberté de nos institutions, honneur do notre
armée, amour de noire patrie, voilà les sentiments que nous devons
professer. Hors de là nous nous perdrons dans des chimères et le
siècle nous ramènera de force à ces principes dont nous avons voulu
nous écarter. Une idée a survécu à toutes nos révolutions, l'idée qui
en a été la cause et le principe, l'idée d'un ordre politique qui pro-
tège les droits du peuple. » Arago : « Le jour même de sa nais-
sance, tout homme reçoit en partage certains droits qui ont été très
justement, très légitimement appelés des droits naturels. La société
n'existe que pour assurer à chacun la complète jouissance de ces
droits. Les droits naturels sont imprescriptibles. Tout acte tendant à
les restreindre est ;aii fZe soi, suivant la belle e.xpression de Bossuet.
Un gouvernement dont l'existence serait incompatible avec le titre,
avec le plein exercice des droits naturels, n'aurait ni moralité, ni
force, ni durée. » Certains journaux (le Globe, la France, la Quoti-
dienne, le Courrier Français) ouvrirent l'attaque contre la ^ation
qui, dans son numéro du 16 février 1843, complétait son programme
en disant : « Quand nous attaquons les partis dans ce qu'ils ont
d'exclusif et de dominateur, on doit comprendre que nous n'atta-
quons nullement ce qu'il y a do bon dans chacun d'eux. » Le roman-
feuilleton que M'"" llamelin trouvait détestable avait pour litre : Un
Secret dans le Mariage et était signé : Camille Wolf.
FORTUNEE HAMELIN 161
OÙ les royalistes ont versé 800 000 francs pour pou-
voir le servir à 30 francs par an, et qui a pour rédac-
teurs quelques célébrités assez patentées qui sont
Chateaubriand, Arago, Lamartine et Genoude ; je
n'ai pas été contente du spécimen, je l'ai trouvé
lourd et sali d'une détestable nouvelle au feuilleton.
Gomment ne se sont-ils pas aiïranchis du roman-feuil-
leton, ces princes de la pensée ? C'est le 15 que paraît
le journal auquel je suis déjà abonnée, bien entendu.
Je n'ai pas vu encore le colonel arrivant, mais en
revanche j'ai vu Kanieroski chez moi, ce qui m'a sur-
prise. Il m'a parlé d'une carte que vous aviez posée
chez une illustre folâtre. L'autre jour j'ai rencontré la
jeune Kalmouk. Celle-là, à mon gré, surpasse toutes
les laideurs, les rousseurs permises môme à une mil-
lionnaire et à moins de 200 000 francs je défie de la
placer. A ce prix même ce n'est pas déjà trop noble.
Ne me faites pas d'affaires. L'autre soir, aux Italiens,
nous n'avons parlé que de vous, de ce triste Arras et
de ce monde intolérant, pédant que vous ne verrez
pas même. C'est dommage, car là il y a, dit-on, du
beau sang flamand, et des fortunes énormes et solides.
J'ai reçu un comte Ferretti qui vous aurait bien
amusé. C'est lui qui est le bailli général de leur ordre
de Malte. Il va à Londres gagner un procès, lequel
lui vaudra deux millions. Les vanités plébéiennes rap-
portent aussi beaucoup à la caisse. Le frère du bailly
est cardinal d'une grande science, d'une haute noblesse
et il a toutes les chances pour la première promotion
ou exaltation. Pour le coup, lorsque j'aurai un pape
dans ma manche, je ferai le diable et j'irai m'établir
sur sa mule. Je vous ferais faire le Diaro di Roma avec
11
162 UNE ANCIENNE MUSCADINE
dix mille escudi de traitement et nous achèterions de
beaux tableaux. A propos de tableaux, j'ai reçu une
convocation de M. Despag'nac qui n'ouvre sa galerie
que trois fois par hiver. J'ai battu le tambour et je
lui conduirai la Russie et la Pologne.
Je suis toujours prise d'une affection de larynx. Ce
n'était pas un rhume, mais cette irritation est assez
grave. L'air me fait mal. Patience. La Madelaine gué-
rira tout cela et j'irai de bonne heure. Je vous souhaite
aussi, pauvre ami, patience, guérison et succès dans
la publication que vous entreprenez.
Un mot de Tony. Elle est bien belle vraiment. Elle
dit bien quelquefois, par exemple, je lui demandais
pourquoi la petite classe ne voulait plus jouer avec
elle. Elle répondit en pleurant : « J'ai beau les taper,
elles me détestent. »
Pans. 2i avril 1843.
Je vis encore, mon pauvre petit ami, et vous avez
ma premiè're lettre. On vous a dit vrai, j'ai été soignée
avec des tendresses passionnées. Je ne me croyais
pas, je vous jure, si aimée, si estimée, car de toute
part on paraissait ne vouloir pas ma mort. Le Mon-
trond môme passait les matinées à sangloter dans la
cour, faisant monter tous les sortants dans sa voiture
et leur disant (}u"il se mourait do douleur. Il est bien
temps 1 Toutes ces bontés de mes amies ont bien eu
leurs contrariétés, j'ai été horriblement tourmentée,
questionnée, droguée. C'était un supplice pour le rat
des champs, mais je souffrais pour l'amour de l'amitié.
Sophie^ avait perdu la tète et toutes pour me rendre
' Sa camériste, apparemment.
FORTUNÉE HAMELIN d63
forte m'inondaient de larmes. Vous savez bien pour-
quoi. C'est que je trouvais que c'était une occasion
charmante, complète de quitter une vie à laquelle je
ne tiens plus du tout. Voilà le secret de ce courage
vanté. On a cru que j'allais m'évanouir lorsqu'on m'a
oflert les sacrements, j'en ai été ravie et les ai reçus
avec calme et respect. Mon rétablissement a été com-
plet malgré trois médecins dont Voluski. Mais je
rechute sans cesse et la fièvre tierce s'établit. Je
vous écris au bon jour. Le beau temps fera le reste.
Je plane sur un océan de lilas.
Hortense ' est mariée et d'une manière honorable,
brillante même. Dites donc aux filles d'être sages,
d'avoir le sens commun !
Je vous en dirai plus et mieux dès que cette tierce
me laissera reprendre des forces.
7 mai 1843.
A présent, j'ai repris des forces et je vais vous bien
gronder. Dites-moi donc à qui vous en aviez pour
répondre aux lettres les plus tendres, amicales, par
' 0 Quelle légèreté de se marier ! » écrivait Hortense AUart à Sainte-
Beuve (décembre 1842). Elle disait quelques jours après : « Qu'im-
porte, en effet, pour vous, tous les mariages tant qu'un certain
comte existe ? Il vit, il n'est pas encore un vieillard, qu'importe des
jeunes troubadours, car celui-ci comme Richard Cœur-de-Lion est à
la fois un héros, un troubadour et un Languedocien, une ancienne
et noble race de Toulouse, où sont les plus belles voix, vous savez,
Mais est-ce ma faute si je me trouve toujours précisément dans la
position de la reine Elisabeth, si je suis Vierge-Reine à sa façon ?
Je suis au moment d'épouser, un peu vieille, le duc d'Alençon, mais
j'aime encore Leicester, mais Essex déjà me charme, mais je n'ai
pas trop à mes pieds de mes sujets des trois royaumes. » Mariée au
printemps de 1843, Hortense habita quelque temps Montauban où
son mari fut nommé architecle du gouvernement. Son adresse était :
« M'"» de Merilens de Malvezie, Montauban. »
164 UiNE ANCIENNE MUSCÂDINE
un déluge do sermons, de joie égoïste, sans un mot
aimable ou poli même de regrets et d'amitié? En
relisant vos lettres vous en seriez étonné, fàclié.
Certes, je comprends le bien-être de la certitude d'un
bon petit matériel. Mais ça s'exprime moins brutale-
ment et Ton n'a nul besoin d'y joindre les pédantes-
ques avis que vous nous lancez d'Arras. Mon exalta-
tion politique n'est pas une nouveauté ' ; il faut bien
me la passer en souvenir de sa cause et de son anti-
(juité, car nous vous passons ce libertinage de
mœurs, d'opinion, solide produit du Saint-Simonisme.
J'ai fort respecté votre position et je comprends tout
ce que dicte la nécessité. Mais tomber même sur
Tony, m'engager à lui apprendre l'inégalité, est une
œuvre devant laquelle M. de Ravignan- reculerait.
Qui donc lui ferait sentir l'inégalité dans un temps
où presque tout ce qui domine n'est pas d'une nais-
sance supérieure à la sienne? Qui aurait le courage,
bon Dieu ! d'humilier une jeune fille belle, bonne et
bien élevée? En voyez-vous qui fassent sentir à
M"° Hubert que ses frères sont menuisiers? Non, je
lui dirai qu'elle est pauvre parce que je lui dis que je
suis pauvre aussi, mais je ne lui parlerai pas de
naissance, car c'est l'irréparable.
J'ai su que votre ami La Rue avait eu sa part d'avis,
de leçons même. Il n'a pas pris la chose si gaiement
que moi (quoiqu'il n'y pense plus), mais il a pensé
' On a vu plus liaul qnc Fortunée Ilamclin, mêlée de prés à la vie
do l'Empereur, ne négligea rien pour prouver son dévouement à
la cause de Bonaparte. Son « exaltation politique » d'ailleurs la fit
intriguer beaucoup.
' Le célèbre Père Jésuite qui avait succédé à Lacordaire dans la
chaire de Noire-Dame.
FORTUNEE HAMELIN 165
que c'était un peu le café qui faisait écrire à une
demoiselle, vraie demoiselle, « à Zoé » et à un colonel :
« Passez chez mon bottier, etc. ». Les amis colonels
se gardent pour les grands services et celui-là ne
recule pas pour vous le prouver. Je lui ai dit que la
province déteignait dans la première huitaine, mais
que je le défiais de vous ôter votre bon cœur et votre
esprit.
Mon cher, cette longue et dure maladie, dont je
sors, m'a bien fait réfléchir. J'ai vu que j'étais plus
aimée que je n'espérais, et que ces affections étaient
certes bien désintéressées. Hélas ! que puis-je pour
personne? Je sens le besoin de me rendre plus digne
de tant de bontés, mais le temps, la santé vont me
manquer. J'ai vu aussi des prêtres spirituels, savants,
surtout fort indulgents, et je me suis vivement attachée
à une religion si charmante et si noble. C'est fini, me
voilà dévote et je laisserai dire : « Quand le diable
fut vieux, il se fit ermite. »
Nos Belles de Paris ne sont pas ermites du tout. Elles
sont en plein scandale et sans médisance l'on peut
parler d'aventures qui sont dans les gazettes. La fuite
de la comtesse de Plaisance avec le prince Belgiojoso'
' Le prince Belgiojoso (Beau et Joyeux) avait épousé Chriâtine Tri-
vulce. « Formé pour séduire, dit d'Alton-Shée, le prince Belgiojoso
poursuivait sa carrière sans scrupule et sans remords. » Il était un
des camarades d'Alfred de Musset avec Tatlet, Major Frazer, d'Alton-
Shéu et d'autres. Alfred de Musset écrivait en mai 1843 à son frère
qui voyageait en Italie : o Je ne sais pas si vous savez, vous autres
à Catane, que le Principe... a enlevé la comtesse de... Il y avait
deux ans qu'ils étaient ensemble au su de tout Paris. La comtesse
s"est disputée, à ce qu'il paraît, avec son mari ; elle est arrivée chez
le prince (qui devait chanter le soir dans un concert) ornée de son
mouchoir pour tout bagage et elle lui a dit : « Allons-nous en ! »
Ils sont en route. Le vent est aux enlèvements à Paris, dans ce
166 UNE ANCIENNE MUSGADINE
est la stupidité même, puisqu'elle avait toute liberté
et qu'on lui oflVait la plus indulgente séparation. Le
mari a très bien pris révénement, mais le frère est
dans un état de rage tel qu'il a entraîné le mari sur
les traces des fugitifs et qu'il veut tuer Belgiojoso ou
s'en faire tuer. Les voilà tous courant la poste comme
au bon temps jadis et payant o francs de guides pour
aller cliercher un duel. (Remarquez qu'il n'v a pas de
banquiers et d'industriels lesquels feraient le décompte
de l'immense dot que laisse la fugitive.; Espérons que
la Belle Comtesse, comme Hersilic, séparera les com-
battants tout en restant avec son Romain.
Mais voici du plus mignon. M"* de Contades\ la
très gentille, fors même la très spirituelle, avait
trouvé moyen, par le crédit de sa mère, de fixer son
mari à Constantinople. Une perfide lui écrivit que la
maladie de sa femme n'était qu'une grossesse. Il part
comme un fou, tombe cbez lui à onze heures du soir
et trouve un ventre de près de neuf mois. La révolu-
tion fut telle pour la pauvre femme qu'elle accoucha
une heure après. Après avoir eu avec M""^ de Gastel-
momenl-ci, ou pour mieux dire, aux séparations. Je viens de voir
de mes yeux la même plaisanterie qui est beaucoup moins gaie qu'on
ne pense. Je t'expliquerai cela un jour, mais si lu m'en crois, n'en-
lève jamais personne, à moins que ce ne soit la reine d Espagne, w
La comtesse Bassanville, d'autre part, nous apprend (Salons d'autre-
fois, II) que dans le salon de la comtesse Merlin, sous la Monarchie
de Juillet, la duchesse de Plaisance « si blonde, si élégante, si par-
fumée, portait le surnom de princesse Pompon de Falbalas. Elle
cherchait alors à lutter avec le prince Belgiojoso et on ne sait que
trop comment elle y arriva depuis ». Dans ce même salon de la
comtesse Merlin, où vraiment la mode — comme naguère à Paris —
était aux surnoms, on appelait la princesse Belgiojoso la citoyenne
Couperet, « parce qu'elle rêvait toujours la République. » (Cf. Che-
valier de Cussy, Souvenirs, II.)
' Une des filles du maréchal de Castellanc.
FORTUNEE IIAMELIN 167
lane une explication un peu vive, il alla faire ses
déclarations d'alibi cliez un notaire et M. Guizot. Pour
M""" deBoisgelin, elle ne s'amuse plus au mystère. On
la rencontre dans tous les lieux publics avec
M. 3Ianuel, et elle est séparée du monde, de sa
famille, partage sa fortune, et voit ses enfants une
heure tous les huit jours.
Je vous ai parlé du bonheur d'Hortense, devenue
baronne de Mélitant\ parlant des grandes races de
province, et se moquant bien du temps oii elle était
communiste. Maintenant voilà bien un autre maria2:e
dans notre société ! Léontine de Thérauld a fait une
passion. Elle a pour amant le marquis de Sainte-Croix,
homme de qualité, qui vient, de plus, d'hériter à la
Martinique de très grands biens. Dernièrement, ledit
marquis s'est fait traîner par son cheval, la tête en
bas, tout le long du Faubourg Saint-Honoré. On l'a
relevé comme mort, on n'a pas osé même le trans-
porter chez lui et il a été établi chez l'apothicaire oii il
est resté vingt et un jours dans une situation déplo-
rable. Léontine, sans hésiter, est arrivée, a pris un
' C'est do Meritens, et non de Mélitant que s'appelait Ilortonse
Allart.
Ilortense correspondait avec M"» Hamelin qui est citée plusieurs
l'ois dans ses Lettres à Sainte-Beuve auquel le 28 mai 1843 elle pai'-
lait aussi des « grandes races ». « Vous demandez nos noms mieux
écrits. Je suis Meritens de Malvczie de Marcignac TAsclaves, de
Saraan et d'Esbatx. Je date de Gharlemagne et nous avons fait les
Croisades. Mon beau-père, le baron de Meritens de Malvczie, dit
pourtant que j'étais plutôt faite pour être Reine que femme d'un
arciiitecte. C'est un homme d'esprit, vrai homme du Midi, ijui me
raconte la jeunesse indomptable de mon mari et l'histoire fabuleuse
de sa vaillante épée. Je vous ai dit que c'est un liomnio mytholo-
gique. » On imagine aisément quel sourire devait éclairer le visage
malicieux de Sainte-Beuve à la lecture de ce passage ; il savait bien
qu'Hortense n'était pas, elle, une femme « mythologique « !
108 UNE ANCIENNE MUSGADINE
tablier el a passé près de lui vingt et une nuits el
vingt et un jours ! Jugez l'éclat! Revenu à lui, le mar-
quis a parlé mariage... Vile on a proclamé. Mais les
sœurs arrivent et cela se ralentit un peu. Le Breton,
qui a traité, doute, M. de la Rue appelle Sainte-Croix
un moutard (il a vingt-sept ans, Léonline quarante-
deux ans bien sonnés).
Qui est au désespoir, qui fait pitié, c'est notre
pauvre Faudoas, qui s'arrache le pain pour soutenir
toutes sesnièces, et qui estd'une pruderie... amusante.
Il aurait presque envie d'arriver à la \Vagra)7î, pour
dire deux mots au marquis. Mais je lui écris tant de
badinages sur le ridicule dont serait une telle incar-
tade, sur les lois qui ne dépassent pas l'honneur d'une
sœur, que j'espère bien qu'il n'y pense plus. Peut-être
le moutard se ravisera.
Ne viendrez-vous pas bientôt vous rappeler au bon
vouloir des puissances? Si Orléans vous était resté,
comme j'irais voir vite vous et la cathédrale ! La pau-
vreté est hideuse en ce qu'elle vous prend au collet à
ciiaque mouvement qu'on veut faire. Les eaux, par
exemple, me sont commandées et M*"® KisselefT me
veut emmener avec elle à Ilombourg, Ems, Cologne.
Mais je ne pourrai jamais laisser payer pour moi, et
je ne puis faire une telle dépense. Je chargerai la fon-
taine de la Madelaine de me rétablir seule. Nous ver-
rons si elle s'en acquittera bien.
M. le général Nariskin vient d'être nommé aide de
camp de l'Empereur, gouverneur de je ne sais quoi et
je crains mortellement que cela ne force sa femme à
retourner. J'avoue que ça me serait un désespoir, car
j'aime celte adorable créature d'une tendresse infinie.
FORTUNEE IIAMELIN 169
lyjmcs Lamorlior sont plus folles, insupportables que
jamais. Félicle a donné un concert qui a rapporté net
700 francs. C'est beaucoup, mais c'était le premier et
l'efTort de nous tous. Elle se croit supérieure à
^|me Persiani' et sa mère dit : « C'est le même genre. »
Elles vont partir avec M'"' Lovday pour courir la pro-
vince. Vous verrez ça peut-être et ferez un article
cliarmant en souvenir du bras que j'ai brisé cbez elles.
A propos de comédiennes, Walewski va tous les jours
en grandes loges avec M"" Rachel en grande parure,
et la maman Félix à côté d'elle, et le papa Félix à
côté de lui. C'est à ne pas croire à Arras, n'est-ce-pas ?
Oi^i donc va tomber ce sang de Napoléon ?
J'ai des listes de dîners comme un conservateur.
Lundi je dînerai cbez la petite Morel qui est plus
jeune, fringante que jamais. Moraski soutire toujours,
il est fort cbangé et il a perdu énormément au whist.
Le jeu est comme le reste, ibabileté n'y vaut pas le
bonheur. Tâchez d'avoir ces deux avantages.
'O'
Paris, 9 juin 1843.
Cher ami, écrivez à M. Courtois de se présenter
chez M. Didier de ma part. Le journal- paraît (au
grand regret de ma pauvre bourse) et j'en éprouverai
une vraie consolation s'il est utile à votre ami.
J'ai été à la Madelaine et suis revenue, rappelée par
un grand espoir qui a tourné comme tous mes
espoirs. Ah ! le temps de la réalisation des espoir.s est
passé pour jamais. Je retourne lundi prochain à la
' Répulce poui' sa voi.x.
- l.'Elat ([ue fondait Cliarlc? Didier.
170 UNE ANCIENNE MUSGADINE
Madehiine, elle me calme comme par eiicliantemeal.
Mais elle est comme l'opium, elle ne guérit pas. Je
vous écrirai de là en détail, sans plaindre les minutes.
Votre frère se tire-t-il bien des gloires de l'Afrique '?
Je crois ({ue le grand succès du jeune prince a pour
but de faire payer ij millions le palais qui était loué
2^000 iVancs. On n'y comprend plus rien, plus nous
cueillons de lauriers, plus nous perdons d'officiers.
A bientôt.
20 juin, (lo la Madi-laino, 1843.
Mon cher enfant, je respire, j'ai trouvé la foret
calme, verte et parfumée, le parterre comble de roses,
la vache reg-orgeant de bon lait, et tout le monde con-
tent de me revoir sauvée. Mes derniers temps de
Paris avaient été pleins d'amertume, j'espérais que
la Providence, après tant d'épreuves physiques, me
laisserait quelque repos... Non, Tannée aura sa fata-
lité jusqu'à la fin. Le pavillon a été définitivement
vendu à une belle grande dame qui a le bon goût de
le trouver la plus belle, originale et notre demeure de
Paris. Des circonstances vraiment inouïes ont rendu
cette perte encore plus irritante. J'avais facilement
persuadé à M"'^ Kisselefî que cette acquisition avait
un avenir immense et en attendant cette réalisation
(}ui serait un million pour Félix, elle aurait un séjour
divin pour bénir Dieu qui lui donnait Félix, le pavillon
et une amie près d'elle. Elle part pour lïombourg
après avoir fait venir Xumala, lui dit de suivre toutes
mes instructions, d'aller jusqu'à SoOOtlU francs —
qu'elle veut — . Mon étourdie part le soir, oublie de
FORTUNEE HAMELIN 171
donner un pouvoir, mais tous connaissent sa loyauté.
On vient chez moi ; nous allons chez un avoué, il a le
malheur de dire, cet avoué maudit : « Monsieur, vous
connaissez nos lois? N'ayant pas de pouvoir en
règle, vous restez solidaire en cas de folle enchère. »
Je vois Xumala décomposé. Il tint bon cependant. Le
bon et généreux Alexandre, auquel il fait part de sa
frayeur, cautionne sa sœur de 200 OUI) francs, Xumala
avait entre ses mains G2 000 francs de M"'*" K... C'était
rassurant I II vint me faire part de sa frayeur, vu
qu'un excellent architecte n'estimait le pavillon que
de 120 à 140 000 francs. « Faites-moi donc venir cet
âne », lui dis-je. L'àne ne vint pas, mais Xumala alla
tortiller Alexandre, l'effrayer. Enfin, à l'adjudication
qui ne laissait plus le temps d'avoir les réponses de
Sophie', Xumala poussa ferniement à 200 000 francs
et la duchesse de Vicence l'emporta à 3o0 000. On fut
au désespoir. On pouvait mettre surenchère, Sophie
le voulait. Le malin du jour de la surenchère,
M. Xumala dit que, n'ayant pas le pouvoir du mari, il
restait encore responsable. Enfin il a tout perdu : Je
ne lui en veux que du manque de franchise. S'efïrayer
d'aller à 350 000 francs, cautionné de 200, 62 000 francs
et l'immeuble n'était certes pas inquiétant ! Un homme
qu'on aurait reçu avec amitié vous rendrait ce service
et elle si généreuse envers les Polonais, elle, si liée
avec Xumala, en reçoit ce procédé ! S'il eût été sin-
cère, j'eusse trouvé dix bommes de paille qui pour
20, 30 000 francs font le métier de passer les adjudi-
cations, nous avions tous les frais en mains, et le
' Sophie Kisseleff.
172 UNE ANCIENNE MUSGADINE
pouvoir (le la duchesse n'allait qu'à 340 ; c'est son
avoué qui a dit : « Si elle n'est pas contente, je garde. »
Jugez mes douleurs. Je courais les éludes, les entre-
preneurs, tous me donnaient raison dans mes appré-
ciations. Ils m'en veulent de les avoir devinés.
Kameroski même conspirait contre Sopiiie pour ces
ladres de lieauvau, pensant que si on ne poussait pas
trop haut, ses amis arriveraient à avoir pour 230, 240.
Est-ce de la probité que tout cela"? Que Dieu leur
pardonne ! Mais jusqu'à présent le pardon des injures
est pour moi la vertu la plus difficile. Grâce à eux,
me voici sans asile. La sœur Olga est aussi désolée
que moi et n'avait pas démêlé toutes ces turpitudes.
Voilà cette noble nation pour laquelle il faut en
bonne politique se brouiller avec la Russie !
M™® de Yicence ' est fort empressée, gracieuse pour
moi. Elle sait tout et le trouve très hou. Elle tient le
bon bout et la générosité est facile alors. Nous parlons
de l'Empire, elle est bien pour l'Empereur, quoique
talleyrandiste ; elle a moins d'esprit qu'on disait, mais
des manières charmantes, bien de la volonté, de la
suite, un vieil ami dévoué, spirituel et amusant de
légitimité (c'est Vitrolles-), enfin deux fils cbarmants,
' M'"'' Gaulaincourt. duchesse de Viconce, avait été dame d"hoDneur
de l'impératrice Marie-Louise. Le maréchal de Castellane disait en
1860 {Journal. V) : « J'ai été chez la duchesse de Yicence, toujours spi-
rituelle, toujours gracieuse et bonne pour moi. »
- Vitrolles (baron de), (1774-1854), émigra à l'armée de Condé.
Rentra après le 18 brumaire. Arrêté à Toulouse pendant les Cent
Jours. Député des Basses-Alpes. Ministre d'Etat. Ministre à Florence
1827. Il avait épousé M"'' de Folleville, bâtarde de la duchesse de
Bouillon. (Cf. Pasquier, Mémoires, 111). Le baron de Frénilly dans
ses Soucenin: l'appelle une « espèce de Sous-Talleyrand de Provence »,
« intrigant, dans toute l'acception du mot, d'une activité inces-
sante, aimable, spirituel, entreprenant ». Pendant la Hestauration
FORTUNÉE HAMELIN 173
une grande fortune, un air encore très Proserpine, et
le soir elle est belle encore ; enfin, elle a le pavillon !
Que de bonheur pour une seule femme ! L'autre jour
elle a voulu m'avoir à dîner. J'ai trouvé grand
accueil, mag-nifique hôtel et mobilier à faire tourner
la tête. A dîner, c'était une argenterie de l'Empire,
porcelaine de l'Empire, linge de l'Empire et vieux et
excellent cuisinier de l'Empire. Le soir elle m'a
demandé à rester encore un an au pavillon. « Qui
sait, ensuite? » a-t-elle dit. J'ai refusé. Elle a répondu
qu'elle le voulait. Quelle chance aurais-je? Elle va
bâtir, marier ses fils, quoique bien souffrante. J'aurais
les crève-cœur — et le provisoire encore; non, le
sort a décidé, dix fois j'ai manqué ce paradis par la
mauvaise volonté de mes amis, je vois que les amis
des autres ne sont pas meilleurs.
Baissons la tète sous tant d'orages et cherchons
quelque humble coin entre le pavé d'une cour et celui
de la rue. Arrivée ici, j'ai trouv^é les architectes de la
liste civile qui me donnaient un dernier relai après
ceux de la duchesse de Vicence. On me promet la fin
de mon bail au moins. C'est quelque chose, si Ton
tient parole. Vous l'avez vu, les échanges ne pèsent
pas une once à la Chambre.
On vous annonce pour juillet. Nous y voici. Je
crains d'après ce que j'entends que vous ne soyez
retardé dans vos espérances, mais je ne trouve pas
mal de vous montrer (un peu plus sage) et de ne vous
point laisser oublier. Puis j'aurais une grande joie à
il était secrétaire et « drogman » des Conseils du Roi. La « qualité »
du royalisnae de Vitrolles est nettement caractérisée par II. IIous-
saye {ISiô).
rT4 U-NE ANCIEiNiNE MUSGADINE
VOUS revoir, et cela compte de faire plaisir à ses amis.
J'espère que vous serez meilleur prince près de nous
que dans vos premières lettres. Vous verrez si Tony
peut être jamais traitée en subalterne, elle est plus
belle tous les malins et tient lètc à mes roses.
Avez-vous écrit à M. Courtois? Je n'ai pas revu
Didier, j'avais fait dire que j'étais partie pour m"oc-
cuper toute entière d'enchères et de surenchère. Je
revenais brisée, car ma maladie m'a enlevé le reste
de mes jambes et ne voyais qu'eux. Beau résultat,
n'est-ce pas?
Ces Polonais ont tous un coin sale dans le carac-
tère. Arthur disait : « J'en connais quatre d'hon-
nêtes. » C'est chez eux que le masculin diffère le plus
du féminin. Je dis cela aussi pour ce grand bêta de
lelski qui, à moitié fou de coups de paralysie, vivant
des capitaux du boyard, s'avise de prendre à loyer la
Weiss, de l'entretenir très larg-ement, de voyager
avec elle et leurs trois enfants, car il a mis son jeune
bâtard chez elle, et tout cela, s'il vous plaît, avec
l'argent d'un ami. Je vous prie, cher ami, n'en écrivez
rien, jai assez de Pologne sur les bras, qu'ils s'ar-
rangent. Oliuski savait les précédents.
M. de La Rue aura liberté au départ du Maréchal.
11 me promet de m'amener sa sœur alors. Je le désire
plus que je n'y crois. Moraski souffre toujours; en
juillet ils partent pour les eaux. Montrond va mieux ;
il a fait venir deux nièces à Bourbonnc. Ce sont de
très honnêtes femmes et voilà la première fois qu'il
n'a pas à rougir de son entourage. Tous mes dévots
veulent que je convertisse ce mécréant. Quelle prise,
lui qui n'a jamais aimé et qui ne vit que de luxure
FORTUNÉE IIAMELLN 175
et de regrets de ne plus luxurer. Non, je ne suis ni
de crédit ni de force à tenter ce grand œuvre.
Ce singulier Brunot a traversé toute l'Italie en
deux mois; il appelle cela un voyage. Le duc de
Talleyrand est établi à tout jamais content de son
sort et toujours sous l'aimable joug. En définitive,
celte femme est sa Providence et fait mieux que sa
famille. Il est logé chez elle, elle chez lui, elle touche
ses revenus et tout (comme dit M"" Déjazet) et tout
cela le réforme et le rend heureux.
Nous avons eu une vraie belle tragédie ^ hclla ma
emmijosa, comme disait Vestris à Foscolo d'une tra-
gédie qu'il venait de lire ; puis une Fille de Figaro'
' Sans «louti; la pièce de F. Ponsard : Lucrèce, représentée celle
même année à l'Odéon. Balzac partageail l'avis de Fortunée Hamelin.
H écrivait à M"" Hanska (mai 1843) : « J'ai vu Lucrèce ! Quelle mys-
tification faite aux; Parisiens. C'est un pastiche de Chénier comme
trente poètes de second ordre acluols eussent pu le mieux faire. Ah !
si vous saviez comme Lucrèce est chose ennuyeuse! » Balzac, Let-
tres à l Etrangère, t. II. Cf. Feuilleton de Th. Gautier. La Presse,
(1843).
- La Fille de Figaro, cûmédic-vaudeville en cinq actes par Méles-
ville, jouée pour la première fois sur la scène du Palais-Royal le
17 mai 1S43. C'est la gageure d'une marchande à la toilette, Aspasie,
avec un fournisseur. Un munitionnairc des armées veut épouser sa
pupille qui se trouve être orpheline d'une femme de qualité qui a
sauvé la vie à .\spasie lorsqu'elle voulait se suicider après avoir été
séduite par le marquis de Miramonte. Aspasie jure qu'elle ne sera
pas sacrifiée. Saint Réant (incroyable, fou'nisseur géné'al des a'mées
de la 'épublique) jure qu'elle le sera. Aspasie, la marieuse ou la Fille
de Figaro (à cause de son talent à conduire une intrigue), avertit
Céline, qui est aimée du propre frère de Saint-Réant, Victor d'Hérigny,
lieutenant des guides. Mais les capitaines seuls peuvent se marier.
Aspasie court chez Duperron (sous-directeur à la Guerre) chcrclier
le brevet. Elle va aussi chez Joséphine Bonaparte. Ici se place la
scène des cartes à laquelle Bonaparte assiste, dissimulé derrière un
rideau. Ordre est donné de ne laisser sortir aucune femme. Jlais
Aspasie a sous sa robe un costume d'aide de camp. Elle peut donc
sortir. Saint-Réant organise en l'honneur du contrat une fête superbe.
II compte épouser Céline. Aspasie arrive habillée en mariée. Elle a
176 UNE ANCIENNE MUSGADINE
qui est une drôlerie fort amusante du Consulat. On
y a mis M"'" Bonaparte avec une tireuse de cartes; la
scène est pitoyable et pouvait être charmante. J'eusse
voulu la faire. On y parle souvent de moi comme
d'une élégante, voilà tout. Comme il y a un bal, je
mourrais de peur qu'on ne m'y fit danser par une
sauteuse de l'Ambigu. On se contente de m'envoyer
des glaces. On dit dans ce pays qu'un jeune ménage
éperdument amoureux est venu faire l'amour sous la
fouillée à Fontainebleau. Ce ménage était escorté
d'une belle belle-sœur. Serait-on venue prendre
revanche des amours d'Arras?
Vous n'êtes pas quitte de la Pologne; voici une
charmante histoire de RachoP avec son grand nigaud
reconnu en Sainl-Réanlle marquis do Miramonte qui l'avaiL séduite
autrefois. Tout finit par s'arranger et Saint-Rcant renonce à la main
de Céline qui épousera Victor dilérigny. jM'i» Fargueil jouait le rôle
d'Aspasie. M"»" Ilamelin est citée deux fuis. Aspasie (acte I, se. 4),
dans son magasin de revendeuse à la toilette, donne des ordres à
ses employées : « Allons, Mesdemoiselles... allons donc, à nos courses,
chez les pratiques... (Désignant des cartons). Ces dentelles chez la
Contât, ces plumes chez la générale IMoreau, (à une autre) Clotilde...
3/m8 Ilamelin et cette garniture de renard bleu chez la citoyenne
Talleyrand. » A l'acte V, dans la salle de danse de l'Hôtel Saint-Réant.
Scène I. Saint-Réant (Incroyable et parlant le jargon des Incroyables,
car la pièce se passe au commencement du Consulat) : « Faites
ci'culer des glaces, des so'bets. (aux masques). Allons messieurs,
des rent'ants à la bouillotte ! Ce diable d'Isabey décave tout le monde.
(.\ un domestique) Un ve'e d'o'geat pour M""> Ilamelin et dites à Julien
de commencer la valse de la 'eine de P'usse. » Le feuilletoniste de
La Nation (1" juin 1843) appréciait ainsi la Fille de Figaro : « Voici
une petite comédie aux allures vives et mutines qui court plutôt
qu'elle ne marche et où il y a avec fort peu de vraisemblance, beau-
coup d'action, de verve et de vivacité. »
' Les anecdotes abondent sur Rachel. Celle-ci est assurément une
des plus piquantes et Fortunée Ilamelin y a glissé une pointe de
malice qui n'est pas sans charme. (Valentine Thompson : La vie
senlimenlale de Rachel, 1910. A. de Faucigny-Lucingc : Rachel et
son temps. Emile-Paul, 1910).
FORTUNÉE HAMELIN 177
de fils d'un Dieu. Rachel, donc, allant chez une saltim-
banque de ses amies, vit une horrible vieille guitare
accrochée. — Vends-moi cette guitare. — Vingt
francs. — C'est dit.
Elle revient et accroche la guitare dans un intime
cabinet. « — Qu'est-ce que cette guitare ? di t Walewski.
— Ah! Ah! — Quoi donc, ah! ah! Mais enfin...
cette guitare... — Ah! Elle vient des temps misérables
de mon enfance. Je la garde pour me préserver de
l'orgueil. — Donnez-la moi. — Jamais, c'est un talis-
man. — Je la veux à deux genoux. — L'échange
est complet et le lendemain une agrafe magnifique
est acceptée pour prix. La guitare est alors placée
sur du velours, chargée de dates, d'inscriptions et
huit jours après, la perfide amie vient demander on
ne sait quoi à Walewski. Elle reconnaît l'instrument,
lit les inscriptions, éclate de rire, apprend tout à
l'amant consterné, arrive aux preuves et malgré la
conviction, la bouderie n'a duré que trois jours, tant
la vanité tient le pauvre sot. Il est parti pour Rouen
avec toutes les comédiennes du théâtre, leur a donné
un festin pour les adieux. II ne lui manquait plus que
de porter la guitare sur le dos. 0 pauvre sang de
Napoléon !
Adieu, cher ami.
Sans date, 20 au soir.
Je ne connais pas le Général Dandré, ' mais ne
' Il y a un Dandré ((ui fut on novembre 1815 directeur de la police.
Ancien Constituant, promoteur de la loi martiale, émigré en 92,
Dandré était rentré clandestinement à Paris en 97, s'était mêlé au-v
conspirations de Clichy, puis avait été le Conseil do Louis XVill
jusqu'en 1809. Il éniigra avec Laine en avril 1815.
12
178 UNE ANCIENNE MUSCADINE
peut-on y arriver par ricochets ? FauJoas, par exemple
qui est un général africain, en ce moment de superbe
humeur par le mariage inouï de sa nièce ^ et par sa
bonne santé qui lui permet l'inspection, Faudoas peut
nous donner du très bon. Ecrivez-lui, j'en ferai
autant. Sachez où il inspecte d'abord pour lui envoyer
nos demandes.
Oui, ce mariage de Léontine est un rêve à faire
rêver les jeunes filles belles, jeunes, sages. « Ah ! c'est
comme ça qu'on devient riche et marquise », vont-elles
dire ! Vraiment! c'est assez doux, car il a vingt-imit
ans, une très jolie figure et celte petite nonchalance
créole qui plaît au masculin connue au féminin. Qu'a-
t-elle fait, cette veuve qui a douze ans de plus que lui
et une figure terrible? Ce qu'elle a fait? Un enfant,
dit-on, mais c'est encore très facile. « Oui, ma mère,
mon frère, une famille toujours à me surveiller... »
Qu'en conclure, cher ami? C'est que le système
anglais est infaillible pour arriver au but de toutes
les filles, mais que nos idées françaises sont pleines
de grâce, de noblesse, de morale, qu'avec les habitudes
de l'Angleterre les virginités de corps sont très rares,
celles du cœur introuvables. Restons Français.
Vous devinez trop juste pour Didier-. Mais c'est
' Fille de Savary, duc de Rovigo, ijui avait épousé Félicité Faudoas,
« bien née, extrêmement jolie et spirituelle. » (d'Arjuzon, Hortense
de Beauhaniais).
- Charles Didier (1805-1864 arai d'IIortense Allart et de George Sand.
Il écrivit beaucoup, collabora à plusieurs journaux républicains,
le Courrier Français, le Mouvement, le Bon Sens, le Droil, le Monde,
le National, la Revue du Progrès]. 11 essaya de fonder lui-même YEtat
en 1843. C'est de ce journal qu'il est question ici.
Didier, après une mission en Pologne en 1848, voyagea. Il devint
aveusle sur la lin de ses jours. Citons parmi ses ouvrages : La Harpe
FORTUNÉE HAMELIN 179
une circonstance horrible. Le gérant a refusé de signer
la feuille la plus calme, la plus inoffensive, et cela
sans prévenir, sans donner un seul motif. Le cau-
tionnement est à son nom. Où retrouver cent mille
francs déjà si difficiles à trouver pour la première
fois ? Moi j'en trouvais la politique très pâle, d'autres
en jugaient autrement, car ça ne peut être qu'une
trahison achetée. Le pauvre soitrd ^orle malheur aux
journaux qui l'accueillent. Ils sont au désespoir et j'en
ai du chagrin aussi. Voici comment ils ont voulu
donner des coups de moi aux dames bas-bleus. M"*^ An-
celot, qui me paraît la plus formidable mégère d'elles
toutes, avait soupçonné l'inoffensive M"^ Didier d'avoir
poussé un ami de Didier à écrire quelques moqueries
sur un de ses assommants romans en dialogue. Alors
^jme ^Qcelot prend la plume et de cette écriture de
cuisinière qui vous a tant fait battre le cœur, elle
écrit un rassemblement d'imjures dignes de l'Écriture.
Elle ose la menacer d'ouvrir les yeux de son mari,
elle, elle ! Quelle lâche audace ! M""" Didier arrive
tout en pleurs chez moi et me dit : « Que faut-il
faire .^ « — « Me donner cette lettre et m'envoyer votre
mari dès qu'il arrivera de voyage. » 11 arrive un beau
matin, je lui parle et je lui remets la lettre. Quelle
imprudence! Non, c'était superbe, c'était lui dire :
C'est faux ! c'est infâme ! C'était engager son honneur
et il en a. Je lui dis, lorsque la lettre fut digérée :
« Répondons ensemble, écrivons chacun la nôtre. »
Ça fut fait. J'avais réuni d'avance toutes mes idées,
je m'étais fait mari et indigné et je ne crois pas que
Helvétique (1830, Paris), Rome Souterraine (1833), TItécla (ISJ'i), Pro-
menade au Maroc (1844), etc.
180 UNE ANCIENNE MUSGADINE
SOUS le ciel une, seconde lettre plus froide, plus mé-
prisante ait été écrite et reçue. Nous avons comparé.
Il m'a dit : v Je prends la vôtre, mais ceci est encore
trop poli. » — « Non, non, ne tombons pas dans la cui-
sine » et le billet dou.x est parti. Bientôt elle écrivit
des apologies, on no répondit plus, même on renvoya
quatre lettres en une semaine. C'est que le journal
avait paru. L'article qui vous a plu a été écrit par lui
et M. de Balzac en place d'un feuilleton de son cbar-
mant roman et j'y vois surtout deux beaux esprits
protégeant l'ignorance et la droiture.
Que dites-vous de l'idée do refaire un Pétrarque
de M. de Gliateaubriand ! C'est du Léon X tout pur.
Ah ! ces papes, quand ils s'en mêlent, ont bien do la
grandeur; comme cela nous sort des pots de vin de
M. Edmond Bl..., etc. M. do Chateaubriand n'acceptera
pas par goût et pudeur française, mais l'offre est
angélique.
Fontainebleau est en plein carnaval. On y danse,
on y joue gros jeu, surtout on y mange assez bien.
M""* de Besplas donne une fote. J'aurai certainement
mal aux yeux ce jour-là. Du reste elle est vraiment
gentille et redevient naturelle lorsqu'elle est contente
et bien alaise. Tout ce monde-là est bien bon pour
moi et je m'étonne souvent de tant do soins pour une
pauvre femme qui ne peut rien, hélas ! pour les
autres.
L'autre jour, d'Astorgqui était à Fontainebleau m'a
ramené chez lui; il voulait me donner une surprise.
Le colonel Gudin ' dînait avec nous et au dessert
' Probablement le fils du général Gudin qui avait épousé une des
filles de Mortier, duc do Trévisc (Cussy. Souvenirs, I et II).
FORTUNÉE HAMELIN 181
voilà une musique Iriompliante, vive, légère, d'accord
toujours, qui joue les plus jolis airs italiens, français,
allemands. Bref, cette musique-là est la meilleure,
la seule de l'armée. C'est à se faire rompre le cou
sur de telles fanfares.
M. Berryer va voyager^ ; on dit qu'il rencontrera en
Italie M. le duc de Bordeaux, seul. Les injures de la
Gazette ne lui font aucune impression, seulement
celte conversation l'ennuie, attendu que tous les sots
lui en parlent tout d'abord. J'ai rencontré chez lui un
matin 31. Buhver. Je l'ai bien turlupiné sur ce mari
qui était à la fois un athlète et un rossignol. La maison
de Berryer depuis la morf^ de sa femme est toute
renversée, mal arrangée ; il déteste Augerville, ne dîne
jamais chez lui et déjeune sur un méchant guéridon
avec une côtelette mal cuile qui fait pitié. C'est un
enfant pour lequt-l il faut tout faire, ne se chargeant,
lui, que de faire de l'amour et de l'éloquence^.
Si c'est vers la fin juillet que vous venez décidément
à Paris il se pourrait que mes affaires avec la duchesse
de Yicence me forçassent à y aller vers ce temps;
alors nous nous verrions plus longtemps, je vous
ramènerais ici d'oi^i vous repartiriez par le chemin de
fer jusqu'à Corbeil.
Je crois Moraski parti. 11 iiésitait entre... toutes les
' La Quotidienne cL la Presse comraenlôrent ce voyage.
- Sur la mort de M"'>= Berryer v. d'Alton-Shée (op. cit.) t. II p. 198).
' Sur l'éloquence de Berryer, étudiée par beaucoup d'iiisloriens
outre autres par Thureau-Dangin, de Lacombe, do Mazade, etc..
citons ce passage des J/émo()-es de Charles Bocherqui avait rencontré
Berryer dans le salon de ]\I""« de Vaufreland : « L'admirable conci-
sion du latin a permis de caractériser mieux en trois mots : Forum
et jus, que par une longue et pompeuse inscription le génie de ce
grand maître. »
182 UNE ANCIENNE MUSCADINE
eaux. Je crois que celle de notre fontaine eût été la
meilleure, d'autant que chez M""* Besplas, Regnault et
Destourmel je lui aurais fourni des whists assez pas-
sables. Tony vous écrit tous les jours. Le facteur a le
mot, prend sérieusement la lettre et la jette dans la
forêt. L'autre jour le curé est venu dîner. Ils ont
beaucoup parlé de religion. Tony a dit qu'elle avait
sept ans d'hier 2o juin et voulait se confesser. « Vrai-
ment ? Oui. Voyons ! » a dit ce bon prêtre 1 « Monsieur,
j'ai un ami qui me fait bien de la peine! » — « Mais
vous avez plus d'un ami ? » — « Oui, mais je n'en ai
qu'un à qui j'écris et... et il ne me répond pas. » Ne
trouvez-vous pas cette petite scène bien gracieuse?
Ne parlons jamais des illégalités de M™^ K'... Elle
est d'une bonté, d'un dévouement adorables. Elle est
revenue l'autre jour de Hombourg à Paris, y a passé
deux jours parce que sa belle-sœur avait dit « que ce
serait dur de mourir sans revoir Sophie ! » M""" La-
morlière courent la province la guitare à la main.
Eélicie pourfend le cœur de tous les provinciaux et
prend le parti anglais avec (juelqucs modifications
indiquées parla marquise de Sainte-Croix ([ui m'écrit
assez gentiment : « Madame, me voici donc bonne
d'enfants! » Je crois que les hommes ne doivent pas
faire comme les femmes et courir après des mariages.
Ils enrichissent bien rarement et bien sûrement ils
ennuient. Quelle perte que celle de l'indépendance !
Adieu ami.
J'ouvre ma lettre pour vous envoyer celle d'Eugène
qui vous donnera vite occasion de lui répondre, de le
" M""> Kissclcff.
FORTUNEE HAMELIN 183
complimenter sur le mariage de sa nièce et de lui
glisser la requête. Ne dites pas que j'ai envoyé sa
lettre. Dites que je vous écris. Certainement j'irai le
voir à Saint-Germain ou à Paris. M'"' La Rue m'écrit
qu'ils comptent bien venir au départ du maréchal.
Vous devriez un peu retarder pour venir ici avec eux.
Vous parlez de mes tribulations. Oui, elles sont rudes.
La Providence me traque comme une bête fauve ; en
me sauvant des architectes de M""^ de Vicence j'ai
trouvé ceux de la liste civile '. Hélas ! c'est clair, trop
clair. Ça veut dire que l'échange est consommé entre
le domaine et la liste civile. J'ai deux ans encore.
Puis nous verrons si M. de Montalivet- est bon
garçon. Je viens de vendre mes foins en attendant.
Les enlèvements continuent. Une grande et belle
M""^ de Murai (qui n'est pas la nôtre qui consentirait
aussi à l'enlèvement) vient de se sauver avec un assez
laid M. de la Paipoise. M. Beignère, sous i'infàme
prétexte que son fils ressemblait trop à M. de Nor-
' Cf. !M. Bourges, liecIiercUes sur Foiilainebleau, ouvrage fort
intéressant sur Fontainebleau et ses environs. Il y est question de
la Madelaine. « La Madelaine fit retour à l'Etat en vertu d'une loi
du 8 avril 1834. Louis-Philippe en devint propriétaire pour le compte
de la liste civile au moyen d'un échange passé devant M°Dentend,
notaire à Paris, le 10 juin lS4i, sanctionné par une loi du 2 août
suivant; un décret des 2(3 février et 18 avril 1848 eut pour consé-
quence de le faire rentrer une seconde fois dans le domaine de
PEtat. Après avoir donné la Madelaine à bail avec 2 hectares, 75 ares
21 centiares de dépendances à M"'» Hainelin moyennant 300 francs
l'an, l'administration jugea bon de la détacher clélinitivement de la
forêt de Fontainebleau et la vendit par adjudication le 13 juin 1851
pourlTOOU francs à M. Alfred Tattet.
Une petite vue de l Hennilage de la Madelaine est peinte dans la
Galerie des Assiettes au Palais de Fontaineldeau. V. L'Abeille de
Fontainebleau, io mai 1831 (renseignements fournis par M. Bourges
iils).
" >r. de Montalivet était intendant de la liste civile.
184 UNE ANCIENNE MUSCADINE
niandie, l'a souffleté en plein et en public. M. de Nor-
mandie ' laisse désenfler sa joue depuis quinze jours...
Est-ce philosophie évangélique, est-ce lâcheté"? Je
vous laisse juge.
28 juillet (s. d.i 1843.
Votre lettre me fait bien du crève-cœur. Hélas ! je
sais que la marmite est impérieuse, mais je ne vois
pas trop la sûreté, la compensation de ce dangereux
métier de journaliste. Il me faudrait autre chose pour
me donner courage et un changement de ministère
qui d"ici me paraît probable renversera le frêle édifice
quoii vous donne à conduire. Tout cela est triste,
mais quand un prêtre de Napoléon parle de suicide je
lui dis qu'il ment ou n'est pas digne de son Église.
Vraiment ce serait bien à trente-cinq ans, avec de la
santé, une jolie figure, beaucoup d'esprit, un vrai
courage, que vous auriez bonne grâce à nier votre
maître qui a survécu à Waterloo ! S'il a blâmé Gaton
que ne \'ous dirai l-il pas 1 Si tout vous manquait, vous
viendriez casser mon pain, si vous en mangiez trop,
nous le prendrions de seconde qualité. Les pauvres
s'enrichissent entre eux, Béranger l'a dit mieux que
' M. de Normandie succéda à Lord Seymour comme président du
Jockey-Club en 1835. L'un était Anglais, l'autre était Anglomane.
D'Alton-Shée raconte l'incident dans le 1" livre de ses Mémoires (Paris,
Librairie internationale, 1869) : « Avec une grande simplicité, M. de
Normandie possédait le vrai courage : un mari, ayant à se plaindre
de sa femme et de lui, le provoqua, linjuria et le frappa en plein
boulevard ; Normandie refusait de se battre ; quelques membres du
Jockey, se mêlant de ce qui ne les regardait pas. jugèrent quil y
avait lieu à réparation. Soit ! dit Normandie et allant sur le terrain,
il essuya, le sourire sur les lèvres, le feu de son adversaire, mais
refusa de tirer. Cette fois les plus raffinés durent convenir que Thon-
neur était satisfait. »
FORTUNEE HAMELIN 185
moi. Une cliose nous peut réussir, les événements me
font battre le cœur. Tout ce qui n'est pas ceci me
tendra la main, croyez-le bien. La Madelaine est un
asile qui ne nous manquera pas et peu à peu je ferai
rentrer le strict nécessaire pour attendre de meilleurs
temps. Vous tuer, bon Dieu ! Ça me ferait bien hon-
neur.
Non, je ne suis pas féroce, mais pourquoi ce jeune
homme est-il fils de son père ! Vous étiez bien jeune
et passablement fou lorsque ce père exila un pauvre
enfant auquel il n'a manqué que de lui faire crever les
yeux par Bugeaud pour imiter les Barbares des pre-
mières races. Plus tard, il a déshonoré sa nièce avec
la grossièreté d'un cocher de fiacre. La mort de notre
espoir adoré plane sur lui, il a étranglé Condé par les
mains de sa concubine dont il a fait son amie. Pour-
quoi? Pour de l'argent. Et lorsqu'un Dieu vengeur
vient enfin au secours des innocents, vous voulez que
comme les Hébreux je ne tombe pas à ses genoux, et
que je pleurniche avec des fonctionnaires publics !
Allons! cher! La contagion des imbéciles vous gagne.
Ne me souhaitez pas hypocrite ou stupide.
Je ne suis pas pressée des poteries, mais bien
pressée de vous voir. Ne croyez pas Tony gâtée, sacri-
fiée. Cette idée me fait frémir. Si je vis, je la domp-
terai, si je meurs, je lui laisserai un collier qui la
mariera. Le mal, c'est qu'elle a plus d'esprit que moi
et une volonté de fer. Que dire d'une petite fille de
six ans qui parodie les vers de Racine? « jMademoi-
selle, lui disais-jc, toutes les femmes à ma place vous
feraient donner le fouet! — Oui, mais vous n'èles pas
sans doute une dame ordinaire ! »
186 UNE ANCIENNE MUSCADINE
La câline ! Elle n'a pas été fouettée. Savez-vous
que sa mère qui l'adore est brutale comme... comme
le peuple ! on la bat, la pauvre Tony, et beaucoup.
Jugez comme les larmes me viennent aux yeux et
comme j'aurais envie de battre sa mère ! Si je la
gâte un peu, ce n'est qu'une compensation, et si vous
venez vivre avec nous, vous ne me blâmerez plus.
Vous parlez de mon bonheur! C'est pour me forti-
fier, car vous ne m'adresseriez jamais une dérision !
Heureuse! lorsque les plus rudes privations tombent
sur ma vieillesse, lorsque tout moyen d'être utile m'est
enlevé, lorsque les amis de toute ma vie m'ont si
lâchement trahie ^ que je ne connais que mon divin
maître Napoléon qui ait été plus malheureux que moi
dans ses affections, heureuse lorsque je suis forcée de
vous laisser atteler à cette infâme charrette, heureuse,
lorsque je ne puis pas acheter Tony ! Ah! vous n'êtes
pas dans la confidence de mon lit! Il vous dirait, lui,
que la fierté, l'horreur d'ennuyer, les privations com-
posent seules le maintien, la gaieté, le courage qui
vous donnent le change... oui, j'ai la Madelaine et du
pain, voilà tout.
Quel été splcndide nous avons ! C'est un climat plus
complet cent fois que les plus réputés de l'Italie ! En
cll'et pas un cliiroc, point de ces vents qui brûlent et
' La comtesse Bassanville dit dans Les Salons d'autrefois (t. It,
p. 22 s :[q) : « Beaucoup de femmes craignaient l'esprit satirique de
M"" liamelin ; c'est dire qu'elle avait peu d'amies. » Cette opinion
vient corroborer l'aveu de ;M""= liamelin, qui, à l'époque de sa vogue
et de son crédit, rendit, sans marchander, de nombreux services.
On la paya mal de retour, mais si elle lut résignée dans l'infortune,
il serait injuste de dire qu'elle manqua d'amis. Chateaubriand, à
qui pourtant elle fut utile, ne la nomme pas dans ses Mémoires
d' Outre-Tombe. 11 se contente de visites rares à la Madelaine.
FORTQNEt: HAMELIN 187
sèchent en même temps, point de ces nuils de Naples,
plus chaudes que les journées, surtout point de
malaria. Nous avons ici, cher ami, un éclat, une fraî-
cheur, un air vivifiant qui sèche les larmes en cares-
sant les joues. Les soirées surtout sont radieuses tant
la rivière, la lune, la futaie font assaut d'enchante-
ments ! 0 belle patrie I Toi seule étais diurne du lumi-
neux passag-e de Napoléon !
P. S. — Glier ami, portez ces deux lettres. Merci
de Massimilla '. C'est charmant. Balzac est grand, il
restera. Je vous garde une riposte qui vous amusera
ici, qui vous instruira môme. Regardez dans vos
livres si vous n'avez pas gardé ce joli premier volume
de Mirabeau ! Je ne le retrouve pas et les huit volumes
ne valent pas celui-là.
Quelles horreurs la Quotidienne dit de M... Comme
celui-là a gâché la faveur ! Mais est-ce vrai, ces pertes
énormes? ^IM. Devaux et Gobinaux sont les escrocs
les plus habiles connus, mais M... n'était pas là, dit-on.
3Iais le roi l'avait autorisé et sacrifié pour piper en
politique, puis il l'a lâché comme en 18i"3. Au reste,
au temps où nous sommes, qu'est-ce d'être espion,
escroc ? Ça fait avoir des élections doubles.
La Madelaine, 17 août 1843.
Vous êtes un meilleur ami pi'ésent (ju'absent. J'ai
été blessée au cœur de n'avoir pas été portée au moins
pour une journée dans l'emploi de votre temps qui
n'était certes pas compté à vingt-quatre heures
'Balzac (L' En fanl }[aiiilil. (jumbâia., Musnimilla Doni).
188 UNE ANCIENNE MUSCADINE
près. Enfin la vie se compose de mécomptes et il me
serait bien douloureux de n'être pas au premier rang
de A'os amitiés.
La pauvre Madelaine est fort à la mode, plus que
je ne voudrais, car j'y ai la main forcée. Si vous y
veniez, devinez qui vous y trouveriez? Montrond.
Ceci mérite explication. Du temps de mon alTreuse
maladie, ce pauvre pêcheur y a pris un intérêt de
désespéré. (Et qu'on dise qu'il n'y a pas de remords !)
Il était dans la cour et blotti dans sa voiture, lorsqu'il
a reconnu les personnes graves qui venaient m'as-
sister. Alors les sanglots ont redoublé. Ces mêmes
personnages m'en ont parlé ce jour-là, et depuis...
j'ai dit : « Pardonner, oui, oublier, le revoir, non. »
On m'a laissée assez tranquille parce que je me mourais,
mais depuis, amis, confesseur, tous m'ont demandé
de le voir, pour chercher à rendre cet esprit' (dont la
' yi. (le Talleyrand disait de Montrond, le beau Montrond : « C'est
certainement l'homme du monde qui a le plus d'esprit : de fait, il
n'a pas un sou de bien, ne jouit d'aucun traitement, il dépense
GOOÙO francs par an et n'a pas de dettes. » [Thiébault. II. 16'Ji. Cette
dernière assertion est erronée comme on le verra plus loin. Bocher,
dans ses Mémoires (I, 47), dit de l'ami de F. Hamelin : « Le comte
de Montrond était do ceux auxquels on passe tout : privilège de l'es-
prit. » Il avait autant d'esprit que le prince de Bénévent auquel on
a attribué des mots qui appartenaient à Montrond. C'était (Sainte-
Beuvc. Nouveaux Lundi!;, XII) « un Talleyrand à cheval, » « homme
d'audace et d'esprit, intrigant de haut vol. » D'après le comte d'Es-
tourmel {Derniers Souvetiirsi, les mots connus, ordinairement mis au
compte de Talleyrand, étaient de cet ancien roué du Directoire :
« S'il vous arrive quelque chose d'heureux, ne manquez pas d'aller
le dire à vos amis afln de leur faire de la peine. » D'Eslourmel en
relate d'autres qui valent d'être cités ici : « Son valet de chambre,
en rhabillant, avait perdu la tète et cherchait, sans les trouver, les
différentes pièces de sa toilette. Montrond fut les prendre lui-même
et les lui mettant entre les mains : Avouez, lui dit-il, que vous êtes
bien heureux de m'avoir; car, sans cela, vous ne pourriez pas faire
mon service. » Lors de la conspiration de Malet, on vint arrêter le
FORTUNÉE IIAMELIN IS'J
réputation est si grande) à une meilleure fin. J'ai
promis de le remercier. Il m'a fait répondre sans me
demander autre chose. Enfin, il y a un mois, j'étais
seule et pensive dans le salon, la pluie était battante
et je vis ouvrir la grande porte et entrer une voiture
de poste... Jugez ma surprise (c'était lui!), mon
trouble et du mouvement de rancune qui me rendit
rouge comme une furie. Cependant c'était bien cal-
culé à lui, car son âge, ses infirmités ne se mettent
point à la porte, et ma pauvre hospitalité appartient
à tous. Je l'ai donc bien reçu et lui ai cédé mon lit.
Il est resté huit jours sans paraître s'ennuyer ; il est
très peu sourd en ce moment, il mange assez bien,
babille beaucoup, faisait venir des chevaux pour
courir la forêt ; il a été doux, content de tout, enchanté
du pays, ses gens même ne sont plus insolents, il a
écouté mes sermons dans lesquels je ne me ména-
geais guère, enfin il a beaucoup promis. Dieu sait s'il
paiera, car toute promesse a peu d'importance pour
lui. Si ce spirituel podagre n'était pas ruiné, abîmé de
dettes, d'embarras de tout genre, j'eusse craint en
vérité que ceux qui ne me connaissent pas pussent
croire que je cherchais des rémunérations ou un appui.
Mais pour son malheur il ne peut même payer le cou-
rant de ses dépenses et son crédit est tombé avec ses
forces. Ce sera donc, et cela est déjà une absolution
à titre onéreux. Tout ceci bien entre nous, n'est-ce
pas?
duc de Rovigo qui su laissa emmener eu prison. 8a l'emiiio, épou-
vantée (c'était dans la nuit) se jeta hors du lit très légèrement
vêtue. Montrond disait à ce propos : « Lo ministre a été faible, mais
sa femme s'est bien montrée. »
190 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Vous êtes bien loin du temps acluel dans vos éva-
luations sur les carions de la Fornesina. Vous avez
vu une Vierge divine, authentique, prônée et vendue
à Londres 23 000 francs, puis vous osez parler de
600 même de 100 000 que veut le propriétaire. Mais
le roi abdiquerait plutôt que de donner de telles sommes
pour un chef-d'œuvre. Vous n'êtes pas plus dans
l'actuel pour l'hôtel Lambert'. Xumala, parce qu'il
couche avec sa princesse, prétend-il faire une bande
noire de ce grand nom et de cet honorable? S'il
habite, on l'isole, on désespère des proscrits, dont il
était la consolation et le centre; s'il habite encore, il
est ruiné. Gomment réparer, meubler cet immense
palais? C'est évidemment pour dépecer, alors la
spéculation devait se faire sous un autre nom.
Xumala me paraît la fausseté, la souplesse person-
nifiées. Cet éternel métier de greluchonnag-e éteint
tout, et il fera descendre à sa portée ce noble chef
polonais, mais pour l'élever... ça n'est pas dans ses
étroites et sordides pensées. Au reste, je le juge
peut-être bien sévèrement parce que nous devons à
sa poltronnerie, à ses mensonges, la perte radicale
du divin pavillon.
J"ai le petit et très petit livre de M. de Noailles"
' L'iiùlel Lambert (rue Sainl-Louis en l'Ile) est un des plus beaux
spécimens de l'art décoratif au xvii'= siècle. (Robert Hénard et
A. Fauchier. Magnan. — L'hôtel Lambert. Emile-Paul).
- Paul de Noailles (1802-1885) était le petit-fils du maréchal. Il fut
élu en 184'J à l'Académie française à la place de Chateaubriand et
forma avec le duc de Broglie et Pasquier le « parti des Ducs. » Son
livre sur Sainl-Cyr parut en 1843 et son Histoire de .V"'>= de Main-
tenon — livrée au public quelque temps après — lui valut l'accusa-
tion de plagiat de la part de M. Lavallée. Dans la Chronique de la
duchesse de l'i/io nous trouvons ce jugement sur P. de Noailles (1841,
FORTUNÉE HAMELIN 191
sur lagi-aiule Maintenon. Il ne coriiprenJ que SainL-
Cyr, c'est-à-dire le temps où elle a créé la grandeur
des Noailles. La beauté de cette femme se compose
de toute cette vie pittoresque si remplie de misères,
de désolation, de courage, de savoir, de grâces divines,
de raison et d'esprit. C'est la femme napoléonienne,
c'est une protégée de la Providence, Racine Ta dit,
c'est l'Eslher française ; alors le comte l'a faite seu-
lement une bonne et zélée supérieure ; il ne nous
apprend rien d'elle que nous ne sachions ; pas un
mot inconnu, rien de Louis XIV, rien d'elle sur sa
politique, sur les brouilles si gramles, si augustes
entre elle et Fénelon, entre le roi et Racine et
M"* Guyon ; pas un mot de justification, car elle avait
toujours raison et Racine était affreusement jansé-
niste, et Fénelon quiéliste et la monarchie et Saint-
Cyr perdus si ces adorables esprits eussentprédominé
en 1689 comme Lafayetle en 1789. Rien, rien. Un
charmant et élégant langage fait pour les jeunes
communiantes.
Les bras m'en tombent. M""' de Maintenon reste à
expliquer, elle est inconnue.
Il y a des paris pour ou contre votre avancement.
Je parie pour, parce que je le désire, et je vois trop
qu'à la passion avec laquelle vous avez pris l'espoir
du pouvoir, il faudrait vous enterrer, pauvre ami,
t. II) : « Le duc de Noailles qui nous est arrivé hier a lu ce matin
dans le salon la moitié du morceau qu'il a écrit sur le jansénisme
et qui doit trouver place dans la publication qu"il prépare sur
M""" de ^laintenon. Cette partie est faite avec talent et clarté. Je lui
reproche cependant de se montrer trop partial pour les jansénistes
et de ne pas tenir assez le juste milieu. » l'aul de Noailles avait
épousé Alicia de Mortcmart.
l'.)2 UNE ANCIENNE MUSCADINE
s'il VOUS écliappait ou s'il se faisait encore altemlre.
Dieu juste ! Que feriez-vous si un maire du Mans vous
tombait sous la main?
Je vais mieux, mais gare à l'hiver. J'ai peur de
tomber malade en quittant le pavillon pour jamais.
Quelle désolation, et de penser que tant d'agréments
étaient encore la meilleure affaire de Paris. Ah!
M. Xumala' !
Ecrivez plus souvent et comme ceci : M. Quillard,
épicier, pour M"'° Hamelin à Fontainebleau. Cela arrive
plus tôt sans aller à la Madelaine de Ghateau-Landon
La Madi'Iainc, 10 scptembru 1843.
Vous avez l'air d'un écolier faisant des contes à sa
grand'mcre. Pourquoi ne pas dire : « Ma clii're, les plus
solides amitiés cèdent aux plus légères amours. Voilà
pour([uoi je ne vais pas à la Madelaine. » J'entendrais
cela. Votre tournoi m'a t'ait rire, puis m'a fort tour-
mentée. Pourquoi ne pas rester sur l'estrade à hausser
les épaules de ces baladins ? Quelle rage de prendre
fait et cause lorsque votre mission à Arras est d'y
faire le mort ! Vous verrez que cela sera relevé par
vos bons amis (qui n'ont pas perdu courage) et que
vous en serez très retardé. Prenez donc garde, bon
Dieu, aujoui'd hui on est méchant partout, mais en
province on est encore lâche et bête.
Je me faisais une vraie joie de vous voir et en
vérité j'ai besoin de consolation, tout me tourne
si mal ! J'ai cédé à des personnes que je vénère en
' Est-ce Xumala ou Grzyinala, l'ami de Chopin, très répandu dans
la société parisienne?
FORTUNEE UAMELIN l'J3
permettant à Mon Irond de venir chez moi. Il a été très
tcnilro, ravi et très bon. M. Des Voisins me l'a expé-
dié ave:i deux laquais, une g-arde, le tout lesté de
120 francs, juste de quoi payer la poste. Durant quinze
jours toute cette cour a été ruineuse. Les besoins,
les fantaisies du pauvre malade incessantes, tout à
coup une fantaisie lui prend encore, et il faut qu'il
parte et qu'on donne force argent, car personne n'a
un écu. Puis il revient dès que le Des Voisins
maudit à mangé le mois. M... qui a perdu la mémoire,
me croit encore riche. C'est tout simple. Mais le
désordre hideux qui entoure ce pauvre misérable est
tel qu'on y épuiserait tout son sang-, qu'on ne pourrait
lui procurer ses besoins et satisfaire à l'inconcevable
avidité de son alentour. J'ai cherché à lui ouvrir les
yeux, j'y réussissais, mais l'empire d'Antoine est
remplacé par un autre valet donné par Gabriel et
gagné par les autres... A Paris on retournait tout.
Pour le but oii je voulais le conduire \ pas plus de
succès..., des pleurs, des promesses et le lendenîain
même tout était oublié et remplacé par des chansons
infâmes. Un diable dans un bénitier, dès qu'il respire
un peu... Je vous en prie, ne faites, n'écrivez aucun
badinage sur ma triste aventure. Elle est ridicule, je
le sens, mais elle est encore plus douloureuse, je vous
assure.
Tout a été brisé par ce séjour qui remplissait ma
masure; je n'ai pu recevoir, ni aller chez mes amis.
Le temps a été splendide, et je l'ai passé dans des
tourments continuels à soigner un malheureux
' Il s'aj^it d'amener ce inucréant à une (in digne et religieuse.
13
494 UNE ANCIENNE MUSCADINE
martyr que rien ne sortira de la tourbe où il est
plongé.
Les bons Besplas m'ont été bien secourables. Saint-
Simon même m'a témoigné de la sensibilité qui sera
aussi solide que celle de M... J'aurais reçu la petite
Bing-bam à leur prière si cela eût été possible avec ce
bivouac au salon. Elle vaut mieux qu'on ne dit, elle
est créole canadienne et son mari oncle des Bering.
Puis elle a une naïveté charmante et pleure M. de
Byron à faire pitié. Il l'a quittée pour cette afTreuse
Sarali, sœur de Rachel. Enfin elle a deux énormes
laides filles, un mari ivre-mort tous les soirs, lequel
est interdit, et elle se tient au milieu de tout cela en
bonne fille sans prétention, mais bonne et généreuse.
Je voudrais bien faire venir la petite Morel pour
me rafraîchir ; elle est d'une égalité d'humeur, d'une
gaieté qui m'attache à elle et me ranime, puis je crois
qu'elle m'aime un peu. Mais si elle tombe dans la
troupe ambulante, quel ennui ! La Kisseleff a vrai-
ment bâti de rage de n'avoir pas le pavillon, bâti à
Hombourg(les eaux, dans l'espoir de 8 p. 100, quelle
folie!) Quel ignoble tour nous a joué Xumala! On
offre (300 000 francs du pavillon à la duchesse de
Vincence. Je le disais, la rue ouverte a produit cette
hausse, ainsi près de 300 000 francs en quatre mois !
Bâtissez donc à Hombourg 1 Pauvre noble femme !
Que vous a-t-on dit de la mort de lelski ? Que
c'était celle du régent, de Lauriston? Cet homme
changeait si horriblement dès qu'il avait quatre sous
dans sa poche que je n'ai pas eu la duperie de le
regretter. Mais M. Oliuski ! Je crois qui l'échappe
belle et que le lelski ne l'aurait pas manqué.
FORTUNÉE HAMELIN 195
Je ne sais rien d'Eugone, sinon qu'il est bon garçon
d'avoir aidé votre frère. Je tâcherai de l'aller voir
à Saint-Germain, mais je suis à sec et ne puis trop
faire de pirouettes, ayant toujours trois et quatre
personnes autour de moi. Tony a été deux mois en
pension. Ça l'a un peu disciplinée. La pauvre enfant
est accablée d'une sœur de plus... Seule, on se
tire d'affaire, mais une sœur à traîner... Souvent, en
regardant cette petite mine si gaie, si fraîche et
malicieuse, je songe à ma mort... Quel malheur pour
elle! Pourtant maintenant je la crois prochaine, car
ce malheur assidu, que rien ne désarme, doit
annoncer une fin très désirable. S'il en est ainsi, je
compte sur quelques amis fidèles, qui veilleront sur
Tony. Edouard^ même, malgré ses charges énormes,
n'abandonnera pas cette dernière folie de sa mère.
Paris, 13 octobre 1843.
Si vous assistiez à l'agonie de Montrond, vous
l'aimeriez. C'est une fermeté, une clarté d'idées, une
grâce et des badinagesciiarmants. Il n'est point impie,
nel'a jamais été parce que c'est de mauvais goût'. Mais
' Son fils, Edouard Ilainelin, qui avait été sous-licutenant d'in-
fanterie légère. Il alla en 1817 aux Etats-Unis, où il resta deux ans^,
revint à Paris et partit pour l'île Bourbon. Il avait épousé M"» Ur.
suie Pajot, nièce de la comtesse de Villèlc. 11 mourut à Paris en 1852.
M""» Ilamelin se plaignait souvent des négligences de son fds
(vers 1848-1819) ; elle lui adressait régulièrement des lettres détail-
lées sur les graves événements (jui agitaient la France. Elle y peint
un épisode de la Révolution de 1848.
- La Reine avait cnvoj'é à Montrond l'abbé Dupanloup. « Je suis
trop bonoré de ses attentions pour ne pas remercier, mais je ne
suis pas assez éclairé pour recevoir, n disait Montrond. L'abbé l'e-
litot lui ayant demandé un jour; « Vous avez sans doute dans votre
406 uni: ancienne MUSCADINE
lu coudiiiie OÙ jo voulais, jamais je n'y parvien-
drai... Hrlas! cher ami, quelle douleur j'ai acceptée
inutilement! Mais dans tous les saints devoirs il y a de
grandes consolations. Ce maltieureux m'a déclaré dix
fois que le mois passé à la Madelaine avait été le plus
doux de sa vie, que ses rêves avaient été d'y mourir
près de moi, mais qu'il trouvait l'événement un peu
précipité, et qu'un mois n'était pas assez. Pauvre
infortuné ! Comme ce long martyre expie les joi«'S
passées ! Son neveu lui disait qu'il avait eu un prix
d'encouragement. S'il y en avait de découragement,
il serait pour moi. Mon Dieu ! Ayez pitié de lui !
Sa camarilla pille et vole tout. Sans Gabriel qui
veille, nous devrions lui tout apporter. Ce |monde-là
est au-dessous des descriptions d'Eugène Sue. Puis,
(juels valets ! le frère est un digne homme, le neveu
un lâche.
C'est une vraie marque d'amitié que de vous écrire
dans ces moments terribles. Le sentez-vous?
De la Madelaine, ii novembre 1843.
Merci, merci de votre amitié, mais ne croyez pas
que l'imagination puisse augmenter la cruauté du
coup qui vient de me frapper. Hélas ! des miracles
s'étaient faits, car il est vrai, il est certain que ma
maladie du printemps avait ouvert le cœur du pauvre
Montrondà des sentiments nouveaux, mconnus pour
lui ; la crainte de perdre une pauvre femme qu'il
avait tant offensée, martyrisée, lui plaça un poignard
temps l'ait beaucoup de plaisanteries contre la religion? — Non
monsieur l'abbé, répondit Montrondj j'ai toujours vécu en bonne
compagnie. »
FORTUNÉE HAMELIN 197
dans le sein. Il voulait mon pardon, morte ou vivante.
Dès que je pus écrire, je lui envoyai la moitié de
l'absolution que j'avais reçue... mais en refusant
encore de le revoir. Il mit tout en campagne pour
m'arracher cette grâce, et enfin je vis entrer dans
notre humble cour une calèche, quatre chev^aux de
poste traînant un infortuné et trois valets. II avait été
convenu que jamais un mot du passé ne sortirait de
nos deux cœurs. Le présent était assez rude à porter.
Quel changement, juste ciel ! Je ne l'avais pas revu
depuis que la foudre était tombée sur lui. Je montai
sur le marchepied, le reçus gaiement et passant la
main sur ses yeux je rempèchai de pleurer. A dater
de ce moment il fut rassuré, mais toutes ses manières
me parurent changées. La grâce dans toute sa grâce
résidait dans ce vieillard mourant. Plus de colère,
d'intolérance, de dénigrement et d'impertinence. Son
esprit, seul, était son ancien esprit, sa drôlerie, sa
prestesse et son enfantillage étaient ceux de sa jeu-
nesse, la mémoire seule faisait défaut, mais jamais
sur les temps éloignés. II paraissait peu souffrir, et
comme accoutumé à sa détresse, il aimait la vie et
Dieu lui conservait la gourmandise et la conversation
pour toute indemnité. Je mis tout en O'uvre pour
l'amuser dans cette solitude. Je lui lisais de belles
cboses qu'il ne connaissait pas; il faisait venir les
livres que j'indiquais et me tourmentait pour lire.
Le temps était radieux. Des chevaux étaient attelés
à la calèche et nous visitions tous les endroits mer-
veilleux de cette foret qui alors était toute rose des
bruyères en fleurs. La chasse et ses ravissements lui
revenaient en tète ; il vit des biches, il criait : taïavt^
198 UNE ANCIENNE MUSCADINE
taïaut, et chantait la vue. Enfin, en revenant, il appe-
lait la Seine son ruisseau, et se contentait parfaite-
de Suzanne que j'évertuais le mieux possible à satis-
faire son innocente friandise. Enfin le calme de ce
coin du monde enchanteur agit si puissamment sur
son âme, qu'il me supplia de passer l'hiver avec lui
dans cette retraite. Je ne promis rien, mais j'étais
touchée de sa persévérance, de l'énergie de sa passion
pour cette vie si pure et si douce... J'espérais beau-
coup. Il voulut tenter de voir le roi avant le voyage
au château d'Eu. Il partit comme un amoureux en
pleurant et en criant : « A bientôt, je m'ennuie déjà
dans la voiture. » Il revint quatre jours après. Des
Voisins le rappela encore pour des affaires qui con-
sistaient à lui tout voler, à le livrer à d'infâmes usu-
riers, à le laisser manquer du nécessaire et à garder
toutes ses pensions. Jugez du bonheur de cet infor-
tuné lorsqu'il se trouva un mois entier sans tourments,
huissiers, usuriers, fournisseurs, casse-tete, priva-
tions... Chez moi tout était modeste, mais ses
moindres désirs étaient satisfaits, tout était soigné,
propre autour de lui, et l'air, l'eau, la forêt enchantée
se chargeaient de ses plaisirs. Bien d'aimables gens
voulurent le voir et lui firent visite. Il fut très aimable,
sans la moindre polissonnerie ; il vantait son bien-
être, me comblait de tendresse et de louange, et enfin
vint à Paris livrer ses pensions en garantie d'un
emprunt dont Des Voisins gardait l'argent, y dîna
seul et prit une eflroyable indigestion. 11 ne respirait
que le retour aux bénédictions de la Madelaine; on
le laissa partir malade, enchanté de ce qu'il ne coii-
tait rien chez sa pauvre amie. Il arriva pour s'aliter.
FORTUNÉE HAMELIN 199
La crise cérébrale devint menaçante, il fut soigné et
le médecin et son valet principal (infâme drôle) vou-
lurent le ramener à Paris.. Il s'en défendait, j'étais
au désespoir, mais l'idée des reproches... un médecin
de campagne... Il fallut céder. J'eus tort, je devais
connaître l'horreur de sa camarilla, tout ce qu'il souf-
frirait, et tout préférer plutôt que de le livrer à ses
infâmes amis. Il lutta six semaines, la tète toujours
libre et l'esprit charmant. Lorsque le moment fut
venu, j'eus le bonheur de trouver le duc de Broglie
qui eut le dévouement de m'épargner une douloureuse
demande... Il le trouva préparé, ferme et noble. Mon
confesseur l'abbé Petilot fut demandé par lui. Il fut
adorable avec ce bon prêtre qui l'administra lui-même
le lendemain. Il vécut neuf jours encore après,
envoyant chercher sans cesse « son bon petit curé ».
Il me disait qu'il ne souffrait plus ... Il fit des adieux
presque gais et nous quitta'.,. Je l'ai embrassé mort.
* On lit dans la Quotidienne du 19 octobre 1843 : « M. le comte
di> Montrond. ancien ami intime de M. de Talleyrand est mort aujour-
d'hui dans sa soixante-seizième année à la suite d'une longue et
douloureuse maladie pendant laquelle MM. les D" Férus et
Cogny n'ont cessé de lui prodiguer les soins les plus assidus et les
plus empressés. » Huit jours après, l'entrefilet suivant était inséré
dans le même journal : « On a beaucoup parlé de la mort du comte
de Montrond, l'alter ego de Talleyrand et surnommé dans le grand
monde son àme damnée. Il assista à toutes les roueries qui précé-
dèrent, accompagnèrent et suivirent la première comédie de
quinze ans et se plaisait dans ses dernières années à annoncer la
seconde. Quoiqu'il en soit, nous apprenons de la meilleure source
l'intéressant détail de ses derniers jours. II est mort d'une goutte
violente qui lui remonta à l'œil d'une façon reconnue terrible par les
hommes de l'art. Ses derniers amis (les autres, disait-il, l'avaient
abandonné), ses amis de chevet, comme il les nommait, furent le
duc de Broglie, M. Delesscrt, le [)■■ Férus et son neveu Montrond,
le Franc-Comtois, son seul et pauvre héritier. « Mais voici le plus
sûr de mes amis », ajoutait-il peu de jours avant sa mort en voyant
arriver l'abbé Petilot. Ce fut celui-ci, en effet, qui lui fit entendre
200 UNE ANCIENNE MUSCADINE
J'ai prié deux soirs avec les prêtres qui le gardaient.
Il était superbe. Sa barbe poussée caciiait les ravages
de l'âge et de la maladie. Ses traits si nobles, si
calmes, paraissaient comme ua buste de Platon... Je
me suis navrée comme pour épuiser mes larmes et le
jour de son enterrement je suis tombée fourbue de
douleur sur son petit lit de la Madelaine. Alors j'ai
senti que j'avais ma maladie du printemps, moins les
frissons. J'ai été traitée avec intelligence et patience
par mon médecin de campagne (qui eiit sauvé Mon-
trond, massacré par l'implacable Férus). Je suis
mieux, je mange et aurai congé à la fin du mois pour
retourner à Paris.
Oui, je compte les mois de votre absence. Je
regrette de ne point pleurer sur votre épaule. Nous
avons souvent parlé de vous. Je lui avais envoyé à
Paris votre lettre sur le tournoi, à quoi il répondait :
« mais le téméraire ne voulait pas être sous-préfet ».
Il y a un neveu de Montrond qui dépare le mérite de
cet oncle et veut être aussi sous-préfet d'Autun. Je ne
l'avais pas vu depuis trente ans. C'est un monstre, un
monstre abominable. Dieu l'a marqué de ses répro-
bations par une laideur effrayante, une voix de dogue
et une ivresse continuelle. C'est ça qui assiégeait ce
pauvre ami, et voulait prendre sa main mourante
l'amitié par e.xcellence, la seule vraie, comme il disait encore, et
r[ui dédommage de l'ingratitude de toutes les autres. Il avait appris
à demander le prêtre dans l'habitude d'un petit crucifix d'ivoire qu'il
tint serré dans ses mains diu'ant les vingt-quatre dernières heures :
<! Je l'aime d'autant plus, diL-il, que je l'ai oublié et que je l'ai fait
oublier davantage. » Signalons, parmi les articles nécrologiques
parus à l'occasion de la mort de Montrond, ceiui de la comtesse de
G... — copieux de renseignements — dixns la Presse du o novembre 1843
(Oruison funèbre du dernier roué).
FORTUNEE HAMELIN 201
pour la faire écrire au roi. Je disais : il faut écrire,
mais pour qu'on lui applique l'ordonnance sur les
buU-dogues. Il a fait, il a dit mille saletés. Ce beau
mobilier le rendait furieux; Montrond ne l'avait reçu
qu'à cause de la mort récente de son père. 0 ce beau
sang' des trois Montrond ! Le voilà dans les veines
d'un boucher !
Clier ami, pensez à Dieu! Ça n'empêche pas
d'être aimable et Montrond l'a bien prouvé. Si vous
y pensez avec ardeur, priez pour lui, priez pour moi
plus malheureuse que lui, plus malheureuse que tout
le monde.
Paris, 12 décembre 1S43.
J'ai reçu et lu avec grand plaisir un très joli petit
opuscule d'un de mes amis, homme d'esprit et d'idées.
J'y trouve le même agrément et les mêmes défauts
qu'à ses précédents écrits. Sa phrase est étrangère,
mal sur ses pieds et comme diffuse par sa construc-
tion. J'insiste toujours sur les choses oli le remède
est sûr et facile, mais ce remède ne peut venir de
l'étude solitaire ; je crois qu'un très bon grammairien
ferait l'affaire en relisant avec vous et vous expliquant
l'irrégulier. Moi, hélas ! je ne puis que dire : « Ça
n'est pas bien, ça manque de netteté », mais expliquer
pourquoi, comment mieux faire, c'est impossible. Le
dernier des Saint-Simoniens, enlisant une de ces bro-
chures, la rendrait parfaite, car ce qui ne s'apprend
pas est charmant. Le premier usage que j'en ai fait a
été de la prêter à une personne pour laquelle on la
dirait faite. Nous verrons si elle comprendra. Je vous
reproche d'avoir cité M"'^ de Maintenon et de n'en avoir
202 UNE ANCIENNE MUSGADINE
(lit que ce qu'en a écrit l'Empereur. C'est assez pour
sa gloire. Mais la faire sentir au vulgaire comme
l'aigle des femmes sera chose longue, difficile et
l'apothéose de Louis XIV, qui n'a pu être sub-
jugué que par un génie, une grandeur égale à la
sienne.
Croyez-vous que tout fasse plaisir aux nouvelles
gens? J'en doute. Seigneur Lapin, le bout «l'oreille
perce toujours.
Je vous trouve devenu très bourgeois, c'est-à-dire
avare, car vous eussiez dû m'en envoyer quelques-
unes et je v^ous les demande sans façon.
T^jine ^ncelot (qui certainement a vendu des oranges)
fait le divertissement de Paris par ses lettres inconce-
vables. Qui que ce soit n'en est exempt et les mêmes
injures lui servent pour acteurs, littérateurs, journa-
listes, etc. Arnal, qui fait sa fortune par son jeu dans
une pièce délicieuse [in Homme Blasé), Arnal' a
* Le famoux acteur comique Arnal joua successivement aux Va-
riétés, au Vaudeville et au Gymnase. 11 se croyait destiné à la tra-
gédie, mais comme il l'écrivait lui-même : MUhridale devint Jo-
crisse corrigé. 11 rajeunit le type légendaire de Jocrisse. Arnal' se
piquait de littérature : on a de lui ijuelques ouvrages, une Épllre à
liou/fé, les Gendar)iies, elc.
L'Homme Blasé, vaudeville en deux actes, par Duvert et Lausanne
l'ut représenté au théâtre du Vaudeville pendant le mois de
novembre 1843. Dans son feuilleton dramatique de la Presse du
27 novembre de la même année, Théophile Gautier jugeait en
ces termes la nouvelle pièce et son principal acteur : « Arnal est
riche ; il a 150 000 livres de rente qu'il dépense consciencieusement.
Aussi est-il blasé... Charmante pièce, pleine de folie, de gaieté de
bons mots. Le motif, chose éminemment rare, en est oxio'ina'l et
neuf. Arnal a une gaieté pleine d'humour et de caprice qui lui'assio-ne
une place à part ; il est brus(iue. imprévu, fantasque, amusant par
son individualité propre autant peut-être que par celle du person-
nage qu'il représente. Ce n'est ni par la justesse ni parla vérité qu'il
brille et souvent une intonation fausse, une transposition d'ell'ct
FORTUNEE HAMELIN 203
reçu ses grossièretés, et a fini sa réponse par ces
mois : « Adieu ! Vieille insensée ! » Un autre a
écrit : « Ali! Virginie, tu t'oublies ! »
Vous dit-elle des injures aussi ?
J'ai été appelée à treiller beaucoup de lettres restées
cliez mon pauvre camarade. La médiocrité de certains
personnages que je jugeais si médiocres m'a été bien
révélée ! Rien ne peut vous donner une idée du bor-
nage de Flabaut ! M"^ Herbault eût mieux écrit sur
les événements depuis Juillet; elle eût été moins fri-
vole sur la mode, les commérages et de temps à autre
eût éprouvé des mouvements féminins moins serviles.
Et cela vous est ambassadeur! Que M. de Metternich
doit rire ! Voyez donc comme Hortense avait conservé
d'empire sur l'Empereur pour une vieille couclierie !
En revanclie, j'ai lu quelques lettres divines de M"'^ la
ducliesse de Broglie. C'est tout évangélique et rien de
protestant n'y fait taclie. D'Argcnson, dans ses lettres,
traite l'amitié avec le feu, la grâce de lamour. Quelle
amitié vive ne devait pas être celle qui liait des carac-
tères, des goûts, des passions si différents !
La pauvre ducliesse de Vicence m'est venue voir
hier. (Je n'ai pu encore mettre le nez dehors.) Elle
un geste à contre-temps produisent sur son puLlic l'hilanté la plus
franche. » La réputation d'Arnal datait déjà de longtemps: son jeu
n'était pas du goût de tout le monde. Nous lisons dans le Follet
(1830) ; « Au Vaudeville Arnal, travesti en prince Hercule, n'a pu
soutmir l'ouvrage de MM. Arnoult et Lockroi. On commence à se
lasser de ces rôles qui n'ont pas de correspondant dans le monde,
de ces ridicules forcés, de ces e.'cceplions d'absurdité, rien de plus
lassant que le niais quand il n'y a pas en dessous un attrait puis-
sant de vérité. Or, Arnal est rarement vrai ; il est plutôt gai de con-
vention; mais ce n'est pas la gaieté qui plaît, c'est la nature et la
vérité. 1) Le pulilic — comme il arrive souvent — ne partagea pas
toujours le goût des connaisseurs.
204 UNE ANCIENNE MUSCADINE
m'a conlé que son fils ' avait i'œil entièremcnl vidé,
que la balle étant l'essortie par le nez, il serait horri-
blement défiguré. Il a vingt-trois ans I Je baissais les
yeux devant ce récit. Comment n'est-elle pas à Alger !
Elle se porte bien, elle est riche ! Voilà de singulières
entrailles.
C'est donc en janvier que vous aurez un arrondis-
sement? Soyez bon prince, aimez-nioi mC-me dans la
grandeur.
Tony veut absolument taper du piano. Mais ça
n'aura pas de suite. Elle conserve un charme, une
fraîcbeur ravissante, mais elle est diable en diable.
Je veux quitter le pavillon -. La mort de Montrond
me le rend odieux. C'est ici qu'il a pu méconnaître la
plus tendre affection, devenir injuste, ingrat, déloyal
même. La pauvre Madelaine, au contraire, mêle con-
serve comme le plus aimable des vieillards, le plus
reconnaissant des amis et le plus noble cbrétien.
0 belle et pénitente Madelaine, vous avez fait là le
plus beau des miracles.
Paris, 15 décembre 1843.
Mais tu ne comprends donc pas rien ' ? Ce n'est
pas d'orlliograplu', grammaire dont j'ai voulu parler;
c'est d'une clarté vive dans la phrase, (jui conduit
' M. (le Caulaincourl Je Vicencc, sous-licutenanL au 4« chasseurs,
fut atteint d'une balle à la tête pendant la campagne d'Algérie (Mo7ii-
ieur, 15 novembre 184H).
- Montrond avait pris à bail en 1823 do M"»» Hamelin un apparte-
ment rue Blanche 20, dans la tour dite le pavillon de Richelieu.
3 ^[rao Hamelin avait adressé à son correspondant quelques obser-
vations qu'il avait mal accueillies, car, comme le disait la duchesse
d'Abrantès en parlant de Montrond, lui aussi n'avait pas toujours,
semble-t-il, l'humeur « endurante. »
FORTUNEE IIAMELIN 203
l'idée à se présenter neltement. Je déteste comme
vous la phrase pompeuse, syméti-i(jue, adoptée même
par ce grand talent de M"'" Sand depuis que la sensi-
bilité, l'idée, la grâce ont disparu. Je sais que vous
êtes pressé toujours. Keliscz-vous à quinzaine et ce
que je vous dis vous frappera vous-même. Si j'insiste,
c'est que je trouve sincrrcnient que vos idées en
valent la peine et si vous vouliez faire la moindre
élude sur ce que j'indique, vous verriez bien qu'au
lieu d'opuscules qui restent isolés, les publications les
plus recherchées vous ouvriraient les portes de leur
renommée.
Ma Kisselefî n'a rien compris, bien entendu, mais
elle a été trois jours malade; je lui ai lu, elle a trouvé
cela très délicat et a repris sa course.
La belle, savante et chaste M"^ Hubert n'est plus
chez M"'* Nariskin ^ Elle a mérité néanmoins le congé
qu'elle a reçu, elle l'a mérité sans avoir transgressé
aux qualités que je cite avec justice; mais il faut
(ju'elle ait de grands torts pour que je me range du
côté du plus fort, car j'aime terriblement les vaincus.
Berryer" vous souffle un bon parti... il épouse,
dit-on, M""' de Somariva avec 300 000 francs de rente
(mariage d'opinion). M. Scribe n'a pas encore fait
celui-là. Voilà le voyage de Londres assez bien payé,
' M"'» Nariskin était la mère de la princesse l>agralion qui, à la
seconde rentrée do Louis XVIII en France, la voyait fort intime-
ment dans son salon de la rue du Mont-Blanc (Chaussée d'Antin).
- La Presse (20 décembre 1843) donnait l'information suivante :
« Un joui-nal annonce le mariage de M. Berryer avec la veuve de
M. de Sominariva, ce riche l'iérnontais, mort il y a deux ans à
l'aris et à qui appartenait la Ijellc galerie où figurait la Madeleine
de Caaova. n
206 UNE ANCIENNE MUSCADINE
car le duc de Bordeaux a donné 200 000 francs à son
illustre avocat. Il saura bien employer celte pluie d'or
et je lui en souhaite autant qu'à O'Connel. (Prenez
garde à vos correspondances sur ce sujet.)
La bibliothèque de Montrond^ va être vendue en
détail (cette bibliothèque achetée par son valet de
chambre, comme dit la Presse). Elle est excellente,
mais qui donc achète autre chose que les illustrations?
Pauvre Montrond !
Tony me parait espacée... dans huit ans elle aura
sa revanche. Votre Brambilla^ refait fureur. Je ne
vais point encore au théâtre, mais tout le inonde adore
sa méthode, sa passion et jusqu'à sa voix éteinte.
Avez-vous lu le sermon du Révérend P. Lacor-
' La succession de Montrond donna lieu à un procès que la Gazelle
des Tribunaux du 30 novembre 1843 et du 11 janvier 18t4 a relaté
suus le titre : Le mobilier du comte de Montrond. Montrond lais-
sait un passif de -00 000 francs. « M. le comte de Montrond, dit la
</(/;L'Z/e (oO novembre 184o|, liabitailrue Blanche, un pavillon dépen-
dant d'une maison appartenant à une dame llameliu dans l'intimité
de laquelle il vivait; il était tout à la fois locataire de l'appartement
et des meubles: lorsque les créanciers de M"''^ Uamelin la poursuivi-
rent immobilièrement, la maison fut vendue d'abord et séparément
on vendit aussi le mobilier garnissant l'appartement de M. de ^lon-
Irund, mais à la charge par l'acquéreur de laisser jouir 31. de Mon-
trond du mobilier pendant sa vie. Boulanger (le valet de chambre),
acheta les meubles, mais pas sous son nom. Quelques années après,
.M. de ^lontrond voulut venir habiter place Vendôme. Pour cela il
lui fallait le consentement du propriétaire apparent du mobilier.
Craignant des diflicultés, il s'en entretint avec Boulanger et apprit
qu'il était locataire de son domestique. » Le tribunal reconnut bou-
langer propriétaire du mobilier. Les liéritiers de Montrond furent
déclarés mal fondés dans leur demande reconventionnelle et con-
damnés au.x dépens.
- Alfred de JSlussct écrivait à « sa marraine », Caroline Jaubcrt :
« Hier, mardi, je suis allé voir la Linda di Cliainouinj. Il y a de
jolies choses. Cela vaut la peine d'être entendu de vous. J'aime la
Brambilla, quoiqu'elle ait le plus gros postérieur du monde dans sa
culutte de savoyard, w (Alfred de Musset, Œuvres l'oulliumen).
FORTUNÉE HAMELIN 207
daire? Celui qui commence comme un cours d'Iiis-
loire est sublime et les pages sur Darius enlèvent,
comme dit M"'' de Sévigné. Quel talent, bon Dieu !
Paris, 29 décembre 1843.
Vous avez su l'horrible accident de Moraski? Il est
guéri merveilleusement. Hélas ! un de vos amis m'a
conté la déception qui allait ouvrir pour vous l'an de
grâce 1844. J'en ai bien du chagrin, je vous assure.
Je m'en doutais à l'air narquois d'une de ces bonnes
personnes qui sont si méchantes. Vous trouverez con-
venable que je ne m'étende pas sur ce retard qu'on
porte à six mois (comme si quelque chose aujourd'hui
avait six mois de vie, surtout un ministère !) Je veux
vous donner courage et savoir si cela change vos pro-
jets de retour en janvier. Le temps vous appartient et
je vois que partout votre heureux climat méridional
donne vie, amour, amitié, beaux arts à votre alentour.
Lorsque les préfets ont des anges pour femme et des
amours sauvages pour enfants, Arras vaut Paris. Je
vous engage de toute la force de notre vieille affection
à travailler sérieusement dans cet exil qui ne peut
être supportable que par le cœur et l'étude ; l'esprit ne
fera pas faute, mais je ne veux que la chaleur de Per-
pignan et non ses locutions. Votre opuscule plaît à
tout le monde, on me le demande en riant, et on le
garde en riant encore, de sorte que si je n'en étais
honteuse, je vous en demanderais deux encore, tou-
jours en riant.
Il faudra aiguiser votre grand sabre et toucher à
M"'^ de Maintenon. M. de Noailles, qui n'en fait qu'une
2IJ8 UNI:: ANCIENNE MUSCÂDINE
noble supérieure d'a])bayc royale on fournira l'occasion.
Il n'a pas même aperçu la femme égale à Loyola et
à Napoléon.
Je crève mes yeux à déchiffrer toutes ces atlreuses
écritures dont Montrond a laissé des tas énormes. Je
trouve qu'une détestable écriture est une chose bien
malhonnête. C'est le seul défaut connu de l'Empereur.
Dans ce fatras auquel ce grand esprit de Montrond
attachait l'importance des signatures, quelle inconce-
vable médiocrité ! Hommes, femmes, c'est à qui sera le
plus bête, le plus sec, le plus frivole. Flahaut^ brille
au premier rang, Mornay tout de suite après; M""" de
BroG'lie" comme un évançrile de la Passion, on la sent
mourir: d'Argenson " comme Brulus jouant avec un
enfant qu'il adore, mais dont il veut toujours dans
son âme assassiner la pension — au total, cher ami, je
vous dirai comme M""" de Sévigné à M""" de Grignan :
« Ma fille ! nous écrivons mieux que tout cela ! »
On a fait cent mille infamies pour briser le mariage
dcBerryer. Ebruité par une jalouse, tous ses ennemis
politiques ont braqué des centaines de lettres ano-
' Le général de Flahaut, mort en 18TÛ, avait été ministre plénipo-
tentiaire à Berlin en 1831. De sa liaison avec la reine llorlense, il
eut un fils naturel, le duc de Morny, ambassadeur à Vienne
en 1841, sénateur en 1833, grand chancelier delà Légion d"honneur
en i8o4. Sa femme était fort intrigante, au dire de la duchesse de
Dino [Chronique II et III). (Sur les Flahaut, voir baron de Maricourt;
M™» de Souza. Emile-Paul).
- Albcrtinede Staël, duchesse de Broglie (1797-1838). .M. le duc do
Broglio a publié les Lettres de sa mère (1814-1838) dont on peut
admirer la « largeur et le charme de Tcsprit ».
" D'Argenson avait été aide de camp de La Fayette. Très ancien-
nement lié avec Montrond. Etait en 1809 préfet des Dcux-Nèthes
{Reçue des Questions Uistoririues, 1" juillet 1834. Lanzac de Laborie :
Un préfet indépendant sous Napoléon.)
FORTUNEE HAMELIN 209
nymes toutes remplies de ces faits à peu près vrais,
mais défigurés. La dame de pierre s'est cabrée et a
rompu. C'est d'elle dont j'ai dit à un ami : « L'épousez-
vous? Je vous fais compliment. Ne l'épousez-vous
pas? Je vous fais compliment. »
On attend le gros marquis. Non, non, elle est fidèle
à ce sot premier homme. C'est lui qui est volage, qui
fait si bien connaître la bassesse d'esprit, de mœurs,
de goût des femmes de ce moment. On le dit fou de
M^^Biard. En vérité, je veux douter qu'il soit heureux.
Vous me trouverez peut-être dans les ennuis du
déménagement. Le pavillon que j'ai tant aimé me
fait horreur, je n'ai plus d'entrailles que pour la
Madelaine.
A propos d'entrailles, Félix est malade, très malade,
mon Dieu! Il faut voir, entendre la pauvre Kisselefï
pour savoir comment on peut aimer un enfant et
ce que c'est que le plus afiVeux désespoir. Zamoïski
et moi nous sommes épouvantés. L'abbé Petitot n'en
peut venir à bout. Quelle année pour les bonnes
gens !
Tony a froncé ses jolis sourcils en lisant la petite
Sauvage de Deux ans. Au fait, à deux, trois ans les
enfants sont moins tapageurs qu'à sept. Mais cette
Tony contre la règle est tous les jours plus jolie. Elle
sera très grande, elle reste tout ronde et enfantine de
cheveux, de petites dents et d'une fraîcheur mobile
qui donne envie à tous les passants et passantes de lui
appliquer un bon baiser.
li
ANNÉE 1844
La Princesse Czartoriska ot J'hôlol Lambert. — Le prince de la Mos-
kowa. — Un arlicle du Nalional. — Edouard Hamelin. — Discus-
sion de la Chambre. — Thiers et Billaut. — Un échec de Borryer.
— Le baron i'ierlot. — Potins. — Un mot de Montrond. — Amour
et politique. — M. Adam. — Démission do M. de Salvandy. —
Marliani. — Les raouts. — Impressions de Berryer sur i'Angleterrre.
— Un concert chez le prince de la Moskowa. — Le jooi///' d'Hor-
tense Allart à son mari. — Liszt et M'"* d'Agoult. — Le Père
Enfantin. — Quelques nouvelles. — Mort de Tristan de Rovigo. —
Un mot de M. de Chateaubriand. — La Sylphide. — Le duc d'An-
goulême. — La Vie de Rancé de Chateaubriand. — M^^ Haraelin
a suggéré des corrections. — Atala. — M'"^ Regnault à la Made-
Jaine. — Hippolyte Montrond. — M. de Montalivet. — La succession
de M. Buiïault. — Mort de Faudoas. — Le duc de Joinville. —
Anniversaire de Montrond. — L'automne à la Madelaine.
Paris. 5 janvier 1844.
Je suis comme vous pour les grands mallieurs, je
n'y puis croire, je m'acliarno à Tespérance. Ainsi la
nuit même de la mort de Montrond, je le trouvais
mieux. Je vis si éloignée du pouvoir que je ne connais
nullement le caractère de nos maîtres. Mais vous avez
foi en la parole de M. Duclultel'. Vous devez mieux
espérer ([ue moi. On m'a dit aussi dans la môme con-
fidence que vous auriez mieux fait peut-être de rester
ici tout décembre. Alors vous feriez bien certainement
de venir éclaircir toute cbose. II y a eu un petit gra-
* Duchàtol(1803-18G7)i rédacteur au ^i^o/'e pendant la Restauration,
ministre de 1834 à 1836 et cje 1840 à 1848.
212 UNE ANCIENNE MUSCADINE
buge selon toute apparence. Je ne crois guère à la
réconciliation forcée de Y. . . ' et il domie en ce moment
les meilleurs^dîners de Paris.
N'allez pas croire que mon conseil tienne tout à fait
au plaisir extrême que j'aurais de vous revoir. Hélas !
non, je baisse la tête devant toutes les privations, les
regrets, la solitude du cœur. La Providence ne se
souvient de moi que pour me foudroyer. Aussi votre
seul intérêt me guide. Voyez.
Félix est mieux. Il est sauvé. C'est une somnam-
bule qui au nez de huit médecins a fait ce miracle.
Que de réflexions cela fait naître ! J'avais osé en
parler pour Montrond. On a manqué m'avaler et ses
trois médecins m'ont prise en horreur. Mon Dieu !
n'être pas même maître d'un malade qu'on aime
parce que M. Férus est un favori ! La princesse Czar-
loriska a eu la noble idée ; assaillie par des milliers
de demaniles pour laisser voir son liel hôtel', elle a
dit aux curieux : « Venez-y, mais le jour où je l'ou-
vrirai pour un bal en faveur des réfugiés polonais. »
Vous jugez si ce bal sera beau et productif.
Le prince de la Moskowa^ est si sot, si fat qu'il a
* N'est-ce point Véron "?
* L'hôtel Lambert où elle habitait avec son mari le prince Adam
Czartoriski (1770-1861) qui fut en 1831 le chef du mouvement insur-
rectionnel de la Pologne. Le frère de ce dernier, Constanlin, mourut
en 1860.
La princesse Czartoriska organisait souvent des ventes au profit
des réfugiés polonais, o Cette respectable femme, dit Alphonse Karr
(Guêpes, 2° série) n'a d'autres occupations, d'autres plaisirs que de
soulager la détresse de ses compatriotes. »
^ Le prince de la Moskowa était fils du maréchal Ney. Le Xafio2ial
du 1" janvier 1844 reproduisait une lettre du prince au Journal des
Débals, au sujet des commentaires du Siècle et du Xalional sur une
audience que le duc de Nemours lui avait accordée. On lui repro-
FORTUNEE HAMELIN 213
donné le beau rôle à ses ennemis et qu'il s'est fait
écraser par le National. C'est Faudoas qui, dans son
inspection, a levé ce lièvre et n'a pas eu la moindre
peur de rayer le prince du tableau malgré la lettre du
spirituel Léon qui disait à son colonel : « Lorsqu'on
porte le plus beau nom militaire de France, qu'on a
cent mille francs de rente, on donne sa démission
lorsque l'avancement se fait trop attendre. »
Notre bon Faudoas avait un congé de trois mois,
mais son affreuse goutte le cloue sur son lit. Mon
Dieu ! la goutte que c'est affreux !
Tony n'aura pas besoin d et'rennes pour vous bien
recevoir. Elle a été comblée et j'en ai du malaise, car
on la traite comme ma fille, sans penser aux fièvres
pernicieuses... Du reste elle travaille un peu, elle est
grande, forte et jolie comme un cœur.
J'ai de bonnes nouvelles de Bourbon. La santé
d'Edouard ' paraît rétablie. M'"' Regnault m'a donné
clmit d'avoir eu recours au prince à propos d'un avancement pro-
mis par le ministre (Soult) et refusé ailleurs. « Nous ne nous arrê-
tons pas, disait le NadonaL au nom de rolTicicr qui est en cause : ce
nom nous gène au lieu de nous servir. Ce que nous voyons ici, c'est
un maréchal de France, un ministre dont la parole est démentie,
dont le pouvoir est réduit à néant. C'est la violation flagrante des for-
mes constitutionnelles et des garanties qu'elles assurent à l'armée.
Le nom que porto Jl. le prince de la Moskowa appartient à nos
fastes les plus glorieu.'c et nous regrettons vivement qu'il n'ait pas
compris les devoirs qu'il impose. La parole du ministre devait lui
suffire : comme militaire, il n'en doit pas connaître d'autre ; comme
pair de France, il lui convenait moins qu'à personne d'autoriser par
une démarche personnelle des sollicitations envers un prince qui
n'a aucune qualité pour le recevoir ; comme fils du maréchal Ney, il
est plus inconcevable encore iju'il ait été adresser ses rectifications
et ses écrits à un journal a) qui a si outrageusement traité son
père. »
a) La Presse.
* Son fils.
-Mi U.N't: ANCIENNE MUSCADINE
son beau buste en marbre, premier chef-d'œuvre de
Barlholini '. Ça m'a fait L-rand plaisir comme bonne
aniilié et comme objet d'art vraiment enchanteur.
Paris, -0 janvier 1844.
Oui certes, je garderai votre secret. Mais vous ?
Emporté, méridional, amoureux, comment être dis-
cret'? Enfin, tâchez, aj)prenez, contraignez-vous, car
cela me semble de la plus grande importance pour
elle et pour vous. Voilà de ces maliieurs ou de ces
maladresses qui cassent le cou le mieux attaché. Vous
n'avez pas besoin de nou\ eaux ennemis, bon Dieu, et
je voudrais bien vous voir ici le plus tôt possible.
Cette discussion de la Chambre est moins oiseuse
que les autres, voilà le ministère engagé. Pour rester,
il promet beaucoup. J'ai trouvé M. Thiers bien infé-
rieur à M. Billault". Sd cau'iei'ic est bien bourgeoise,
* Célèbre sculpteur lloreiilin.
- Le correspondant de M"'<= Ilauielin, M« C..., lui avait probable-
ment conlié un piojct de mariage. M"" llamelin — en cela, comme
en d'autres allaires — demeurait sa conlidente et sa conseillère. Eu
retour elle s"ouvre à lui, ain^i qu'on la vu, sans réserve et le plus
n.'gligemmeut du monde. Cet abandon, que nous ne retrouvons pas
dans les auties lettres que l'oii a publiées, est un des charmes de
la Correspondance de sa vieillesse.
^ Billault (Adolphe-AuguslinOIarie) fut député de 1837 à 1848, à
l'Assemblée Constituante en 1848, au Corps Législatif de iSo- à 1854,
sénateur du second Empire, ministi-e.
Un de ses biographes a dit que sa carrière polititiue et parlemen-
taire était tout entière dans la négociation de son mariage, o Je suis
sans richesse et sans nom, dit-il à son futur beau-père, mais je ne
suis pas sans avenir. Dans trois ans je serai le premier avocat de
Nantes, trois ans après je serai député, trois encore et je serai mi-
nistre. » Billault fut agréé et tint parole. L'horoscope qu'il avait
tracé se réalisa. 11 vota le plus souvent avec l'opposition dynas-
tique, tout en se rapprochant do tenqjs en autre du ministère. 11
FORTUNÉE IIAMELIN SIS
servile et vide. A tout il recule devant ces mots : Et
vous? Je ne sais si Berryër reprendra la parole. Ce
manque de courage qui l'a paralysé doit l'accabler
encore. Mon Dieu, quel deuil que celui de ce talent*.
La Pologne a plus de nerf, elle reprend courage.
Savez-vous que sérieusement, oui, oui, sérieusement
Zamoïski a été nommé régent? Du reste, la reine est
magnifique, 1 oOO billets sont placés, la liste civile a
demandé la faveur du local pour son bal et offert
3 000 francs pour les Polonais bien entendu. L'hôtel
Lambert fait fureur... Le petit palais brodé de la
Samaïloff est de mauvais goût comme ça devait être.
J'ai fait vos amitiés à Faudoas ([ui est mieux et plus
mari que jamais. Il m'a dit : « Cet Adam est bête et
commère, ma femme le porte sur ses épaules. Bah !
oui, elle le querelle toute la journée. » Puis il m'a
conté une jolie histoire du baron Pierlot" (que Môn-
trond appelait le baron Pierrot). Le baron dit : w Mon
général, on me presse fort de me marier. » « Pourquoi,
puisque vous avez une lille charmante qu'il faut marier
bientôt? ». « Mais, général, c'est pour mou nom et
mon litre ». Trouvez mieux que cela dans aucun fils
de hujuais. Faudoas est logé chez la petite M"'" Paul
soutint Guizot à propos des mariages espagnols — à sa nioit, 1803
(Billault s'Olait rallié à la poliLii[uc de L.-N. Bonaparte), iMcriinée
écrivit : « La iïiort de M. Billault est un coup funeste : c'est assdré-
lucûtle plus iialjile et le plus propre à lutter avec courage contre
les orateurs de l'opposition. Ce n'était pas un homme d'Etat, mais
c'était un instrument merveilleux entre les mains d'un homme
d'Etat. M
' Le National de janvier ISii signalait cette ini'ériorilé de Berryei"
à une des séances de la Chambre.
' Le baron l'ierlot habitait Creil. Ch. Bocheren parle dans ses Mé-
moires (I, :2u9).
216 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Berthier qui fait retraite à Royaumont. C'est une
petite cage très propre dont la salle de hal est grande
comme une armoire. Florence est dans l'ivresse,
DemidoIT y a fait venir la jeune Dino, et le mari y
joue les rôles d'Arnal. M""'^ Nicolle et Orlod sont la
partie spirituelle des dames.
Je veux finir en vous contant un mot de Montrond
qui prouve à quel point il pouvait être galant. Ce mot
fait bruit, mais ne sera pas imité par les lions du club.
Ce beau M. de Fournier disait à Montrond (en mon
absence) qu'à Parme il y avait cbez l'impératrice une
M""' Hamelin borriblement commune qu'on faisait
passer pour moi, qu'il avait vainement certifié le con-
traire, qu'elle n'était pas M""" Hamelin, née de la Grave.
« Ce n'est pas de La Grave qu'elle est née, dit Mon-
trond, c'est de la Grâce \ «
N'est-ce pas digne de ce temps dont vous parlez si
bien?
Paris, 6 février 1844.
J'ai cru lire une lettre de Saint-Preux. Dans cette
ville d'indusirie et de politique on n'entend jamais
parler de l'amour. L'amour est-il électeur? Qu'est-ce
(jue c'est que (;a, l'amour ? Du temps de M'"" de Pom-
padour il donnait encore des régiments; aujourd'bui
il ne donne pas môme de sous-préfectures et il pour-
rait plutôt les ôter. Voilà son pouvoir. C'est fini de
* Cette répartie un peu précieuse, mais jolie de Montrond — et
exacte si l'on en croit les mémorialistes qui ont parlé de Fortunée
Hamelin, n'est pas la plus spirituelle parmi colles que l'on allribuc
à ce LauKun du Directoire, dont Talleyrand prisait l'ort la compa-
gnie. — Nous avons déjà cité «luelques-uns de ses mots (jui décou-
vrent bien l'impertinence presque cyni([ue de jNlonlrond, d'ailleurs
fort goûtée.
FORTUNÉE HAMELIN 217
lui, même de Bacclius qu'on frelale trop en véiilé.
Soyez donc de voire temps. Vous Tavez voulu, c'est
nécessaire. Venez vous distraire et solliciter ici.
Est-ce M. Votre préfet qui défend de voir ceux qui
ont été à Londres? Si c'est lui, il mériterait bien des
cornes d'àne et d'autres.
Si fait l'amour existe et M. Adam en use en père
du genre humain.
Sa marquise et bien d'autres l'adorent et se l'arra-
chent. Le bon général' voit ça et dit. « Cet Adam est
bête! ma femme le porte sur ses épaules. » Pauvre
honnête homme ! Vous avez toutécrit à M. de LaRue.
Il ne me l'a pas dit, mais il a làté le terrain qu'il a
trouvé fi-oid et silencieux à l'endroit. J'étais sûre...
Et ce M. 13roé? 11 ne manque au secret que la petite
Morel.
N'avez-vous pas trouvé quehiuo chose de vif dans
la discussion de l'adresse et la démission de M. de
Salvandy-? LeMarliani% aide de camp d'Espartero,
' Faudoas.
- De Salvandy, homme d"Etat cl littérateur, mort en 1856. Fut
ministre de l'Instruction publi(iue de 1837 à 1839. 11 vola contre
l'adresse qui iniligcait un blâme à Berryer au sujet d'un voyage de
ce dernier auprès du comte de Ciiambord. Entre autres ouvrages
de M. de !^alvandy nous citerons La Vérilé sur les tuarchés Ouvranl
(1825). C'cslà lui ([ue l'on attribue le mol célèbre prononcé en 1830 :
« Nous dansons sur un volcan. »
■^ Marliani, « homme fin, spirituel et infidèle », était l'agent le
plus actif de la coterie anglo-esparteriste. Il avait publié en 1843 une
Histoire politique de l'Espagne moderne. Il fut Consul général d'Es-
pagne à Paris où sa femme tenait un salon très fréquenté . M™" ^lar-
liani (Carlolla) était « visiteuse, parleuse, complimenteuse ». au
demeurant, excellenle femme o grande avaleusede graine de ricin. »
(M'"" d'Af/oall}. Elle fut très mêlée à l'inliniilé de Marie d'Agoult et
de (ieorge Sand, dont elle était en iiueiiiue sorlc le factotum (S. Ho-
cheblave. Article cité).
218 CNE AxNCIENNE MUSCADINE
est ici et se promet avec son doux maître de boule-
verser l'Espagne et d'en faire un 93. De la Terreur je
n'en suis pas, et mes oppositions s'arrêtent au premier
sang. Je les trouve des lâches et des infâmes. Qu'ont-
ils fait du pouvoir ?
Prenez garde aux bals masqués. Il s'y fait des
méchancetés partout, surtout en province. Tony joue
au creps supérieurement ; elle n'hésite pas sur les
proportions et nique avec le bonheur de la jeunesse,
après quoi, elle boit un petit verre de Xérès au repos de
Montrond. Croiriez-vous que cela me touche de voir des
dés, d'entendre les mots de ce terrible jeu dans cette
bouche et ces mains innocentes ! Ne croyez pas que
je veuille l'enflammiT pour faire sourire l'ombre de
Montrond! Ce jeu est moins stupide que la bataille
et ne laissera pas plus de trace.
Les raouts ont produit leur eifet ; il n'y a plus de
société, partant plus de joie, de chansons, de jolis
mots, de bons billets même pour La Châtre. Les
Clubs même s'éteignent (excepté les Spéciaux, terme
à la mode). Ce n'est pas l'Angleterre, certes, c'est
Birmingham.
Berryer ' est tout stupéfait de la nuignihcence du
' Berryer étail allé à Londres. Le cotiile de Gliambord (due de Bor-
deaux) s'y était rendu pendant l'automne de 184o. Le 10 novembre
de la môme année, Chateaubriand y alla également. Une députation
de Français, ayant à sa tète le duc de Fitz-Jamcs, vint le saluer. Au
bout de queUiues instants, le comte de Ghambord parut accompagné
de Beiryer etdu duc de Valray. Quand Chateaubriand i|uitta TAngle-
terre, le duc de Bordeaux lui adressa une lettre (jue publia le journal
La France, du 29 décembre 184'i, ainsi que la réponse de Chateau-
briand. « Londres, i décembre 1843. M. le vieomle de Chateaubriand,
au moment où je vais avoir le chagrin de me séparer de vous, je
veux vous parler encore de toute ma reconnaissance pour la visite
que vous êtes venu me faire sur la terre étrangère et vous dire toiit
FORïUNLiE HAMELIN l'I'J
i^raud inonde anfrlais; il fait des descriptions d'Alton
qui font tressaillir d'envie. Ce sont des Romains du
temps de Lucullus. Que nous sommes petits, bour-
geois et babillards !
Je vais mieux, ma toux se calme, je vais un peu
sortir.
Soyez très sage. Adieu, ami.
Paris, 1844.
Votre babil est tombé, j'ai peur (juc vous n'ayez
de la tristesse, du découragement. Courage donc,
jamais vous ne soutIVirez autant que moi.
Me voici campée dans le plus ignoble des logements.
le plaisir que j'ai éprouvé à vous revoir et à vous cntretcuir des
grands intérêts de l'avenir. En me trouvant avec vous en parfaite
communauté d'opinions et de senlimens, je suis heureux de voir que
la ligne de conduite que j'ai adoptée dans l'e.vil et la position que
j'ai prise sont en tous poius conformes aus conseils que j'ai voulu
demander à votre longue expérience et à vos lumières. Je marcherai
donc encore avec plus de fermeté dans la voie que je me suis tracée.
Plus heureux que moi, vous allez hientôt revoir noire chère patrie.
Dites à la France tout ce qu'il y a dans mon cu-ur d'amour pour elle.
J'aime à prendre pour mon interprète cette voix chère à la France
et qui a si glorieusement défendu dans tous les temps les principes
monarchiques et les libertés nationales. Je vous renouvelle,
M. le vicomte, l'assurance de ma sincère amitié. Henri. » Lelendemain
Gliateaui>riand répondit : « Londres, a décembre 1843. Monseigneur,
les marques de votre estime me consoleraient de toutes les disgrâces ;
mais exprimées comme elles le sont, c'est i)lu3 ([ue de la bienveil-
lance pour moi, c'est un autre monde qu'elles découvrent, c'est un
autre univers qui aiq)arait à la Fiance. Je salue avec des larmes de
joie l'avenir que vous annoncez. Vous, innocent de tout, à qui l'on
ne peut rien opposer que d'être descendu de la race de saint Louis,
sericz-vous donc le seul malheureux parmi la jeunesse qui tourne
les yeux vers vous ? Vous dites que plus heureux qnc vous je vais
revoir la France. Plus heuieux que vous? C'est le seul reproche
que vous trouviez à adresser à votre patrie ! Non, jjrince, je ne puis
jamais être heureux tant ({ue le bonheur vous manque. J'ai peu de
temps à vivre, et c'est ma consolation. J'ose vous demander, après
moi, un souvenir pour votre vieux serviteur. Je suis avec un pro-
fond respect, monseigneur, etc. Chateaubriahd. »
'J20 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Ilélcis ! plus d'oiseaux, plus de fleurs, partant plus
de joie. Je n'imaginais pas (jue Tcspece iiumainc put
descendre à ce degré de misère qui la fait habiter en
façade sur la rue, entendant le bruit des fiacres, du
bas peuple et des enterrements. J'en suis là, cher
ami, et j'en pleure et je vous ouvre mon cœur tout
saignant des cruautés du sort. Des Espagnols de la
Havane sont venus me souffler ce logement vaste et
paisible que nous avions vu ensemble. Je crains bien
que leurs nègres ne me vengent. Le propriétaire a
manqué à sa parole à la mode du jour. La duchesse
de Vicence y avaitbien manqué, elle, pour 450 francs...
Gomme la pauvreté amène à connaître de vilaines
choses! Si j'étais à la Madelaine, mes poumons, ma
tète s'épanouiraient.
En attendant, bon gré, mal gré, j'ai été conduite,
samedi, au concert du prince de la Moskowa.
C'étaient en masse les faubourgs Saint-Germain et
Saint-Honoré, très légèrement saupoudrés de juste
milieu. Le prince et la Murât sont deux pigeons qui
roucoulent par redoublement dès qu'on les regarde.
Quelqu'un m'a dit : « Ils n'arrivent pas, ils s'abattent ! »
Le fiidle a un archet et bat de ces ailes-là à faire
crever d'envie M. Hai»eneck '. La musique est belle,
il l'a conduite vraiment comme son père conduisait
son armée. Il fait bien, on l'approuve. Voyez comme
le contraire réussit à Du Petit-Thouars-. Ge qui m'a
' Ilabcneck. mort en 1819. C'est à lui ijue Ton doit l'audition en
France etla naturalisation de la niusiquc de Bcetiioven.
- DupelitTliouars (.\bel Aubert) (1793-1864), contre-amiral en 1841.
Envoyé aux îles Manjuises. il lut désavoué par le Gouvernement
de Louis-I'liilijipe dans Tallaire l'ritchard. II siégea à la Cbambre en
1849 (député de Maine-et-Loire).
FORTUNÉE HAMELIN 221
bouleversée dans ce concert, c'est de voir un ran^ de
quinze à vingt femmes de la société se placer devant
un public payant, mêlées aux choristes de l'Opéra,
des Italiens et chanter avec tous les fions des canta-
trices, des duos plus ou moins tendres, des cbœurs
plus ou moins religieux, faire la révérence aux applau-
dissements, enfin contrefaire Grisi, fors le talent...
Mais ces femmes-là n'ont donc ni maris, ni frères,
ni amants...? Si, mais ils ont autant de bon goût
qu'elles-mêmes. Jugez-en. J'ai reconnu M'"'' Froissard,
agente de change, W^" Mural, sa sœur Leduwoski
qui pigeonne avec Edgar Ney, M""^ Borsoult, très
sage, M""^ Potocka, moins sage, M""^ Lagrange, con-
traltant, M*"" Thorne, vraie fauvette, etc., etc. Tout à
coup il leur tombe dessus une brune Milanaise,
nommée Juba Branca et de deux accents de son
puissant gosier, voilà toutes les amatrisses foudroyées.
Qu'ont-elles été chercher? Du ridicule.
Là, j'ai appris le mariage du frère cadet du duc de
Guiche* avec M"'' de Ségur, qui est si jolie et riche;
mais ces Ségur là font de la drôle de noblesse, lui
est fils naturel, elle. M"'' Mathieu, sœur de M*"* de
de Méneval. Elle aura 120 000 francs de rente.
Vous savez que M"^ Hubert est nommée ins-
pectrice et présidente. Un bonheur n'arrive jamais
seul. On parle pour elle d'un grand et honorable
mariage.
Je n'ai pas vu La Rue depuis ses épaulettes, mais
bien sa sœur qui me plaît malgré son manque d'élan.
11 lui faut une dominatrice, elle l'a trouvée dans Del-
* Le duc de Guiche Otait le lil» aîné du duc de Gramont.
222 UNE ANCIENNE MUSCADINE
pilinc ', Uoureusement Emile- est tombé dans des goûts
si crapuleux que cette honnête fille en a été sauvée.
Savez-vous là-bas qu'Hortense •' a fait un poufT au
comte de Méritens, son époux? Elle l'a campé là tout
net et s'est établie de plus belle à Herblay, comme si
de rien n'était. Les liens '* scellés de trois enfants de
^jme (l'Agoult et de Liszt paraissent entièrement
rompus. Les motifs sont divers, mais elle ose se
plaindre tout haut que Liszt mange tout ce qu'il gagne
et ne place rien pour elle et ses enfants. C'est une
querelle de servante, en vérité. Liszt a la passion de
donner et prêter, mais aux princes allemands, russes.
' Delphine Gay.
' Emile de Girardin sans doute.
^ Cest vers avril 184i qu'Hortense AHart (juilta son mari qu'elle
appelle Ajav, dans une lettre à Sainte-Beuve. La lune de miel, on
le voit, dura peu et cela n"étonna personne, à vrai dire. M. de Méri-
tons était « dur, despote, jaloux, emporté ». « Je déteste nos liens ;
aucune femme fière n'en supportera de pareils et je les aurais brisés
si ce n'eût été mon enfant que je ne puis transporter que dans un
mois. Sans cet accident, je me féliciterais de tout ce qui est arrivé
pour la connaifisance. J'ai parlé du mariage et je ne le connaissais
pas. La loi est mauvaise, qui soumet un rtre libre et capable do
liberté. La communauté n'est pas la môme, puisque l'Iioinme peut
tout et la femme rien sans lui. » (Lettre à Sainte-Beuve, 2 mars 1844)
Ilortense, donc, s'installa à Herblay, mais venait à Paris de temps
en temps, Hôtel du Rhnne. rue Saint-Nicaise où plusieurs amis allaient
la voir.
* Balzac {Lettres à l'Etrangère, 16 mai 1843) parle de cette rup-
ture : « Emile de Girardin a absorbé M'"" d'Agoult. On dit que son
voyage en Allemagne a été fait pour la garder pendant ses couches
secrètes. Etrange destinée! Girardin, entant naturel, n'aura que des
enfants naturels, car Delphine ne lui en donnera pas. C'est la Belgio-
joso qui a enlevé Liszt à M"» d'Agoult. C'est lui qui m'a présenté
presque malgré moi. Liszt m'a fait dîner avec elle et m'a dit (à moi
qui la savais avec Girardin) qu'il y avait entre elle et lui des liens
indissolubles. » Et plus loin : « La Belgiojoso a enlevé Liszt à
M"»-^ d'Agoult comme elle a enlevé lord Nomanby à sa femme, Mignet
à M™" Aubcrnon. Musset à George Sand, etc. »
FORTUNEE HAMELIN 223
prussiens, etc. La liste de ses débiteurs compose
celle de la noblesse du Nord.
Danse-t-on la polka à Arras ? Je vous expédierai
M'"^ de Sailly pour vous l'apprendre. Cette folle si
folle s'est élancée dans l'arène et trotte la polka avec
des étudiants, des allemands qui espèrent épouser...
Or, la maison seule rapporte aujourd'liui^90 000 francs.
On trouve des polkeurs avec ça. Une polkeuse qui
danse vraiment bien c'est la petite Besplas. Elle vous
glisse ses petits pieds avec une gentillesse infinie.
La Sailly ressemble au contraire à un télégraphe en
pleine correspondance.
Si mon confesseur lisait ces badinages, que je
serais grondée !
M. de Nyon n'a pas voulu de l'Egypte, Nous le
désapprouvons tous. Il veut être ministre et ne peut
l'être.
Je trouve que M'"*" Sand a trouvé la plus jolie des
polkas. Comme elle se relève ! Qu'il est beau de
dormir pour avoir un tel réveil ! M. Yéron a payé
cette petite Jeanne 10 000 francs et a dit : « C'est ma
meilleure affaire. » La scène où la petite dort est un
chef-d'œuvre. Écrivez-donc quelque chose do joli
comme votre dernier opuscule !
Cette bête de Janin n'a pas pensé dans sa Bretagne *
à mettre M°"= de Sévigné en regard avec M. de Cha-
teaubriand. Les Roc he/'s y aient bien le Val du Loup.
Qui durera le plus? Ce qui amuse.
La jésuite Maintenon a mieux parlé que M. de
Montalembert. Toute la question est jugée par
' l.a Breinyne fin .lulo.-^ Janin est dcdii'-f à Cliatoaulin'aml.
224 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Louis XIV. Les jésuites sont le trône et l'autel.
Voilà tout.
Adieu. Ecrivez plus, car je vous aime toujours
beaucoup.
Sans date (après 1843).
Cher petit. Me voilà comme partie. Ça n'a pas été
sans peine, tant les tracas, les petites faillites et mon
mauvais campement m'ont donné d'ennuis et de dif-
ficultés ! La Madelaine, au lieu de me calmer comme
d'ordinaire, va me serrer le cœur. J'y retrouverai tout
vivant ce pauvre Montrond qui est venu là s'abattre
à mes pieds... Quel événement inetïaçablc pour
moi !
Je veu.\ vous dire que M*"* Regnault ne \nent qu'en
août. Juillet est donc assez long encore. Sans gâter
vos sollicitations, venez respirer nos forêts, notre
fleuve et boire de cette eau divine accompagnée du
vin de Samois. Venez, venez.
s. d. Vendredi 10.
Je suis bloquée par les tempêtes. La nuit ce sont
des sifflements, des craquements tels qu'on dirait la
forêt déracinée passant par-dessus mon pauvre petit
toit. Eb bien ! au coin d'un grand feu tout cela n'est
pas sans charme.
Mes yeux vont mieux, bien mieux. Les maux de
tête intolérables ont cédé, le strabisme môme diminue,
c'est une joie, cher ami, de retrouver deux yeux.
Le mariage de la Guiccioli^ est violent, d'Aligre va
en remourir. 11 faut l'envisager comme un hommage
' La Guiccioli, ancienne maîtresse de Byron, devint marquise de
Boissv.
FORTUNÉE IIAMELIN 22o
à lord liyroii et trouver sa Béatrix bien dotée. Paris
est un grand refugium peccatonim.
Nous pensons de même sur les radicaux de Berne.
Partout ils sont les mêmes; dès que le pouvoir leur
advient, ils n'ont que le môme usage : proscriptions,
confiscations et triangle d'acier..., puis ils parlent bra-
vement du progrès et crient contre Nicolas ! Mais la
Pologne était conquise, étrangère, autre langue,
autre origine, Nicolas est un ange à côté du Yoros.
Concevez-vous qu'en présence de la politi(|ue divine
de Pie IX ces brutes de Suisses osent faire du Charles
le Téméraire ? J'en adore davantage les jésuites et le
pape qui a eu la fermeté de ne les pas rappeler.
S'il se vend, achetez-moi, je vous prie, l'opuscule
du Père Enfantin, s'il se prête, faites-le moi lire au
moins. Vous le savez, j'ai toujours admiré son élo-
quence et ses yeux sublimes. S'il renonçait au char-
latanisme qu'il a cru nécessaire, s'il assignait à la
femme une position forte, mais chaste, il serait le
Loyola du progrès '.
Je voudrais acheter aussi ce petit volume de Jou-
bert, dont j'ai tant entendu parler et que je ne connais
pas. Ça se vend chez Frey, rue Croix-des-Petits-
Champs, 33, Je suis affamée de livres nouveaux. Ici
' Le Père Enfantin cherchait la Fcnime-Messio et prêchait le res-
pect absolu des passions de l'iioiiime, quelles fussent mobiles ou
constantes. On le condamna en i8o2 à un an de prison. Ses ouvra.ices
sur la doctrine de Saint-Simon furent très lus. Hortense Allart clle-
mèmc subit Tinfluence des Saint-Simonicns. Dès 1S32, elle avait écrit
à Michd Chevalier, directeur du Globe: « Je crois que les femmes
doivent beaucoup de reconnaissance au.\ Saint-Simoniens, quoi qu'ils
aillent peut-être plus loin qu'elles ne voudraient. » (Paul Hnnnefon.
loc. cit.) (André Beaunicr, Trois Amies de Chaleaubriand, p. :ï06. sqq.)
(Sur le P. Enfantin et les Saint-Simoniens, voir Thureau-Dangm,
Uisloire de la Monarchie de Juillet, 1, 232.)
io
226 UNE ANCIENNE ^MUsCADINE
rien, absolument rien. Je trouverai ce petit paquet
chez mon portier et je vous remercie d'ici.
Vous devez être en plein tapage de carnaval etje vois
bien des choses que je veux voir une fois cet hiver :
A/boni, C/éopdtre et Jrnisaleni, nitMne le Caprice^
de votre ami Musset (jui amuse bien dans les tem-
pêtes. S'il peut se réformer aussi et rester maître de
son génie, que de beautés il peut nous donner encore î
Ces petites provisions donnent des idées pour la cam-
pagne que j'aime plus chaque jour. Grâce à Dieu, il
ne me reste plus qu'elle.
Votre plus vieille amie.
H.
Tony est une jeune tille belle et jolie, légèrement
plus douce, très légèrement... On est pourtant satis-
fait... comme Morny. Votre souvenir lui a fait joie.
Les réponses sont déjà défendues.
Les princes ont fait belle guerre aux gibiers. Les
faisans assurent que l'amiral tire mieux encore que
Charles X. Il ne leur a pas paru malade du tout. Ne
répondez plus ici, ça pourrait se croiser.
Paris, 0 avril 1844.
Cher ami, je n'ai pas de nouvelles de ce retour (jui
' Le Caprice d Allrocl de Mussil fut publié le la juin 1837 dans la
Revue des Deux Mondes. En 1845, Bocage, dirocleur de l'Odéon, tenta
«luelques répétitions vite abandonnées. La première représentation
ueut lieu que le 27 novembre 1S47 à la Comédie-Française. C'est
Caroline Jaubert. « sa marraine », qu'Alfred de Musset peignit dans
le personnage de M""= de Léry. Enregistrons ici l'admiration de For-
lunée Hamelin pour Musset. Elle n'aimait pas cependant les poètes
(Caroline Jaubert, Souvenirs.)
FORTUNEE HAMELIN '211
présentait bien des dangers. Etes-vous calme, espérez-
vous d'ici ? Si quelque chose d'heureux vous arrivait,
je le prendrais en acompte sur tous mes désappoin-
tements. Du moins ai-je de bonnes nouvelles d'Edouard,
sa santé est meilleure, son bon cœur se dilate. Dans
presque toutes mes anciennes lettres je lui parlais de
vous avec amitié. Il ne répondait mot, dans cette der-
nière il me charge de mille bons souvenirs et vœux
pour vos succès solides (solides soulignés).
J'ai vu La Rue tout hérissé. M""" Kisseleff l'ayant
rencontré chez la Raguse lui demanda sérieusement
comment il n'avait pas été voir sa sœur. Ce reproche
l'a mis à l'envers — à mon avis La Rue a le plus grand
tort, celui qui frise l'ingratitude et la mauvaise honte.
Ou'a-t-il fait? Il a posé une carte et s'est sauvé, sans
laisser môme le nom de sa sœur. Kameroski est le plus
misérable des manants d'avoir provoqué toutes ces
haines entre des gens qui devraient s'aimer, mais
La Rue a une lutte entre une sotte vanité et ses
bons sentiments, et la droiture devrait certes l'em-
porter. Enfin j'en donne ma démission, sûre de ne
pas l'emporter et de déplaire à tous.
La petite Morel est souvent malade. Elle a rompu
avec Lata qui dev^enait insupportable et l'uineuse, en
prenant une vraie cuisinière. Elle est dans le rcUionnel
et fera du bien au sang dont on lui saura gré. Je ne
puis, hélas! approuver autant tout le reste. En vieil-
lissant, sa vanité l'attache à faire florès d'être entre-
t(.'nue. Elle étale ses cadeaux, en exagère le prix, et
fait tropiiéc de ce qui me fait rougir même par le
récit. Comment faire comprendre la pudeur morale !
Souvent elle m'embarrasse beaucoup. Je vois (ju'elle
2i8 UNE ANCIENNE MUSCADINE
exploite Sarget, tout vieux qu'il est, de mains de
maître, car l'amour a des mains de fer. Silence au
reste, n'ajoutons pas à ses imprudences. J'ai entrevu
Cercey l'autre jour venant parler à la bonne Kissc-
letr. Il est changé. 11 dit à La Kue que vos aiïaires
n'avancent pas, parce qu'il faut passer à réparer cer-
taines choses le temps qu'on emploierait à pousser la
barque. Je crois ça juste.
La Vatry ne vend pas Stein à M""^ la duchesse d'Or-
léans comme le disaient les journaux. Elle a signé,
dit-on, un devis de 600 000 francs pour des réparations.
Quel mauvais goût! un lieu plat, malsain, volé... dans
ce cas-là on vend, on rachète du joli, du net, et on y
reçoit bonne compagnie, si faire se peut.
Tony est toute gentille, bien grandie et vous
aimant toujours ; elle veut que je vous dise que vous
êtes un petit coquin s il en fût !
Paris, 28 juin 1844.
Ce pauvre petit Tristan * a mené du moins une vie
courte et bonne ! Il avait vingt-huit ans ! Sebastiani
est au désespoir. C'est la même position que celle de
M. de La Rochefoucauld à la mort du jeune Longue-
ville. Mais il n'y a plus de M"* de Sévigné pour raconter
cette douleur, plus de duc de Saint-Simon pour l'ex-
pliquer durement à la diable mais pour rimmortalité.
On dit platement « Esther en sera débarrassée, il l'ai-
' Tristan de Rovigo, tué en Algérie. II avait vingt-huit ans. Se
destina d'abord à la marine. Reru à l'Ecole navale (1831). Lieutenant
de cavalerie (183 4). Lieutonant au 8» régiment île hussards
(2o février 1810). Servit en .\tri'iue où il obtint les galons de capitaine
le 21 janvier 1844.
FORTUNÉE HAMELIN 229
mait toujours ! » Le pauvre Faudoas a manqué mourir.
Ce chemin de la poitrine que sa goutte a pris est
menaçant, puis elle redouble de violence. Il crie après
la pairie et Paris. Le climat do Bordeaux le tue, cette
maladie affreuse, cette brave mort de son neveu doi-
vent toucher les cœurs qui dispensent les grâces.
Mais le pouvoir laisse-t-il un cœur !
Je suis encore ici à tirailler quelques écus pour La
3Iadelaine. Il en faut une petite provision pour toute
la saison. J'espère mardi avoir le paquetetje m'élance
vaporeusemeni vers nos bois. Nous leur dirons adieu,
hélas ! Ces horribles chemins de fer auront-ils jamais
massacré une retraite plus ravissante ? Que de regrets !
Je dis, hélas ! comme M. de Chateaubriand : « J'ai tant
de regrets que je ne sais auquel entendre ! »
Le mari de la petite Morel est mourant. Nous par-
lions de son bonheur, il s'apprête en vérité. Très
sérieusement j'y crois et très sérieusement je pense
que les clioses resteront telles qu'elles sont.
0 Polonais ! votre élite même porte une tache dans
le caractère !
Je suis retournée à la Sylphide qui m'a fort ennuyée.
Cette charlatanerie d'annoncer sa retraite pour attirer
est digne des plus bas comédiens. Puis elle a de la rai-
deur, une sorte de pédanterie de décence qui est exa-
gérée ; toute affectation est insupportable. La salle
iieureusement était plus naturelle. Les femmes, vu la
ciialeur, étaient toutes nues. Elles étaient toutes en
blanc, avec d'énormes bouquets de roses entre les
nainais, de petits bracelets noirs de velours sur des
bras découverts jusqu'à l'épaule. C'était frais et joli.
M'"" Potocka et Lagiange, hélas I bien maigres toutes
230 UNE ANCIENNE MUSGADINE
deux, étaient avec le vieux Marlinez de la Hoza qui
dévorait M""" Lagrang-e. Il y a une soubrette qu'on
nomme M"'* Martin de Nantes. Elle est jeune et jolie,
mais si fille, si nue, de si mauvais goût, qu'elle atteste
l'impossibilité de toute parvenue d'être autre chose
qu'une parvenue.
Nous avons ici une faillite femelle très amusante.
On avait trouvé honorable de donner un excellent
bureau de tabac à iVP* Brunetière pour l'honneur
qu'elle a d'être la maîtresse d'Emile de Girardin. qui
lui faisait faire aussi un journal gouvernemental. Par
malheur elle jouait à la hausse et le 5 p. lOU a voulu
Ijaisser. La Brunetière à donc levé son gros pied,
abandonné son labac, son timbre, sa subvention et
son loyal amant. Tout s'est sauvé. Mais quel beau
choix on avait fait là !
Je vous écrirai de là-bas et vous viendrez, n'est-ce
pas ? Je ne vous enverrai pas chez M"'^ Simon qui est
trop friponne; j'ai acquis un superbe lit de sangle qui
vaudra mieux que ses Mémoires.
Tony vous embrasse et moi aussi tout bonnement.
C'est pour le duc d'Angoulême ' que j'ai un cachet
noir. Je n'ai perdu personne que lui, mais le bon goût
exige ce deuil. Dites à votre frère d'être plus heureux
que Rovigo, car il est aussi brave. Quelle vilaine
guerre ! Où est la gloire? Même le profit ?
* Le duc d'Angoulême. fils de Charles X, mourut à Gorilz le
3 juin 1844. Chateaubriand écrivait à ce sujet : « Dans les déserts de
lu Boh('me, je voyais à la fenêtre dune tour une lumière isolée qui
annonçait le nouvel exil de M. le due d'Angoulême. Hélas ! Cette
lumière vient de disparaître ! Le vertueux prince est allé chercher
dans le ciel sa vraie patrie. Là. les révolutions ne l'atteindront plus. »
(De Guichen. Le duc d'Angoulêine. Eraile-I'auh.
i
FORTUNÉE HAMELIN 231
S. d. La Madelaine, 1844.
Glier petit, vous devez chanter avec Joconde. Quand
on attend sa place, que l'attente est cruelle ! Moi je la
trouve aussi crufdle, et je vous trouve insensé d'ima-
giner qu'une course ici lui serait nuisible. Elle vous
calmerait de toute manière et vous verriez toute celte
leerie dans son plus grand éclat. Le petit Bijon vous
aura dit que nous avons un nouveau bateau les jours
pairs. Ce bateau attend à Corbeil le voyageur arrivé
par le chemin de fer, et au lieu de le transvaser dans
une horrible et brûlante guimbarde, il le prend molle-
ment et vogue rapidement jusqu'à Valvin oii il arrive
à deux heures et demie. Le voyageur donc n'est plus
obligé de se lever à six heures du matin pour être à la
Grève à sept. Il part de l'embarcadère à neuf heures.
C'est assez doux, puis le bateau est doux et tout pein-
turluré à la Pompadour, ce qui fait que les déjeuners
y sont très bons.
Nous n'avons plus de M"''' Simon à redouter. Sa
juiverie l'a fait maudire de La Madelaine. Nous pos-
sédons deux lits de camp avec lesquels nous sonnnes
très hères. J'écris qu'on vous apporte des petites choses
h m'apporter, entr'autres Bancr ^ que j'ai prêté à
1 La Vie de Rancé de Chateaubriand parut en mai 1844. Le o sep-
tembre 1848, llortense AUart écrivait à Sainte-Beuve (cf. Séché, op.
cil.) : (<■ J'allais vous dire encore d'autres choses sur Port-Royal, et,
entre autres, que demander de la gravité à Chateaubriand en par-
lant de Hancé, c'était bien oublier que ce qui lui a fait pardonner
son catholicisme, c'est le peu de sérieux qu'il y a mis ; c'est ce qui
peut seul faire pardonner un voile volontaire, une chimère poétique,
une sorte d'insultn aux j^rands honmics d'hier.)) llortense nous paraît
ici bien austère. Elle était de l'avis de Vinet (UUéraluve Française
au XIX' siècle, l, 409) : « Il y a des paroles sérieuses dans ce livre,
232 UNE ANCIENNE xMUSCADINE
M"'* de Sailly, trop pauvre pour l'acheter ou le louer
douze sous. A propos de Rancé je vous dirai d'un ton
d'impératrice qu'ayant écrit à Hortense (qui me le
demandait) tout mon sentiment sur les corrections à
faire, M. de Cliateaubriand m'a répondu directement :
« C'est fait el vous êtes un grand littérateur, etc., etc. »
Je n'ose plus vous conter ses flatteries. Vous savez
i\uAfa/a^ rt'çut des corrections durant les cinq pre-
mières éditions. Quelle charmante obéissance à des
goûts inférieurs au sien. Les petites taclies^ dont il
vient de nettoyer Rancé sont des recherches trop
recherchées, le reste est charmant et noble, surtout
par une virilité de gaieté % de grâce qui certes ne sen-
tent pas le vieillard. On voit malgré lui qu'il n'aime
pas son héros, que sa dureté le révolte, que c'est une
parole qu'il tient, et sur cette rude figure de Rancé il
jette toutes les grâces du beau siècle sans en e.xcepter
Ninon et Taglioni.
0 poète ! Que ne pouvez-vous faire?
A propos de poètes, Belmontet m'a envoyé des vers
mais ce livre n'est pas sérieux, et ce n'est pas pour les lecteurs seu-
iLMiient que nous en avons du regret. »
* Balzac écrivait dans La Revue Paris'ientie (1840) : « M. de Cliateau-
hriand disait en tôte de la 11« édition à'Atala que son livre ne res-
semblait en rien au.K éditions précédentes, tant il l'avait corrigé. »
* Chateaubriand, en elïet, tint compte des vœux de la ciiliquo.
Après avoir dit que le respect du sujet aurait dû faire écarter cer-
tains passages et que ce qui endommageait l'u^uvrc c'était non cer-
tains mots, mais certaines choses, Vinct [op. cil.) ajoute cette obser-
vation : « Déférence respectable et touchante ! Il est peut-être encore
plus beau de se réformer ainsi que de n'avoir pas eu à se léformer.
Des pages entières de la 1"^' édition ont disparu dans la seconde ;
mais de plus belles, de meilleures en ont pris la place : feliciores
inaerit... » (Note de Vinet dans le Semeur, XIII, 276.)
^ Le froid bons sens de M. de Chateaubriand se « mêlait à l'éclat
d'une fantaisie éternellement jeune ». (Vinci).
i
FORTUNEE HAMELIN 233
qui sont vraiment charmants. Ceci est trop fort, car vous
ne l'ignorez pas, Belmontet est bête comme un âne.
Donc, très cher, si vous êtes en humeur et en
jambes, vous irez place du Carroussel comme pour
arriver au Louvre et tout de suite à main gauche vous
trouverez un bric à brac des plus ignobles et, pêle-
mele avec des pincettes, pioches, vous trouverez
beaucoup de vieilles longues- vues de main ou d'armée.
Ça va de trois à huit francs. Vous essaierez sur l'hor-
loge, surtout pour la clarté. Quand nous aurons ça,
nous verrons manoeuvrer les hussards noirs de l'autre
côté du fleuve, puis les cabriolets des médecins, le
fiacre de Durosnel ' qui a 80 000 francs de rente elles
Polonais Ludouwoski. Nous verrons aussi les jolis
clochers, les barques légères...
Hélas ! nous n'irons plus à Saint-Aubin... 11 doit être
à celte heure la proie de ces avares Ségur, et
M'"^ Lamorlière comme les oiseaux se débat depuis
trois ans pour tomber dans la gueule de ce serpent
de voisin; mais, comme dit M""" Biard, cette femme a
la fièvre du mensonge.
Vous ayant dit toutes ces niaiseries et aussi que
nous aurons énormément de prunes, que Tony est
noire comme moi et beaucoup plus méchante, que je
me porte très bien et vous aime beaucoup, vous saurez
toute la Madelaine.
La Madelaine, 1844.
Le Dieu d'hymen vous proti'ge, cher ami, et vous
' Durosnel (comte) (1771-174'J) fut en 1809 aide de camp de Napo-
léon (cf. Bausset, Mémoires). Pair des Cent-Jours. Député de 1830 à
18:n (Seine-et-Marne). Avait, été mis en non-activité lors du deuxième
retour des lîourljons. Sa carrière militaire avait été rapide.
234 UNE ANCIENNE MUSCADINE
garde aussi une femme Loiiiie el riche, puisque vous
en donnez à tous vos amis. J'espère que M. Miciiel
Clievalier sera plus touché, plus reconnaissant que de
Nyon qui parfile assez hien l'égoïsme. Le voilà dans
les grandeurs, c'est là où les cœurs généreux se
déploient.
Les génies sont imprévus, Tony nous confond par
sa douceur, sa convenance, sa gentillesse sans effer-
vescence. Vrai, c'est à n'y pas croire. Il est vrai que
la jeune Cœline la tient, car elles s'adorent et les
enfants n'ont de vrais attraits que pour l'enfance. —
M""" Regnault est arrivée samedi 10, embarquée à
7 heures^du matin et débarquée à 10 heures du soir;
il est vi'ai que durant ces quinze heures de navigation
la pluie n"a pas cessé d'être battante. Arrivée à
Valvin, une charrette l'attendait. Jugez les difficultés,
les cris, le désespoir! Enhn la voilà chez nous! Elle
a été chauffée, séchée, consolée, réparée. Le lende-
main on n'v pensait plus, et le ravissement a succédé
au découragement d'une journée sans égale dans les
fastes de la Madelaine, puis les raouls de Fontainebleau
ont sonné leurs fanfares. Ce qui veut dire que la
musi(jue des régiments a fait danser les belles dames
devant l'une des plus belles de l'Empire. J'ai décliné
ce triomplie, bien entendu, mais les récits m'ont fort
amusée. Il se passe des choses au sujet de la
belle Chai. On a fait arriver une Validé pour la
lui opposer. Elle est fière et n'a pas voulu se montrer.
J'adore les femmes qui dédaignent les bals '. Puis j'ai
' Aveu assez bizarre sous la plume d'une femme qui avait été sous
le Diioctoire la reine de la danse. Ue plus, dans plusieurs loUrcs où
• ■lie rappelle ses souvenirs, M°" llamelin ne caclie pas sa joie (Vei\-
FORTUNEE HAMCLIN 233
découvert qu'à travers celle difficullé de prononcer,
M™^ Clial est instruite, spirituelle, point commère,
au contraire, très nol)Ie femme; enfin je l'aime assez.
Le temps qui reste aiïroux détruit tous nos projets,
car il y avait des parties arrangées. Ce beau point de
vue s'appelle bien la route d'Amélie. On projette de
l'augmenter d'étendue. Ce qui veut dire que le cliemin
de fer passera sur mon corps.
J'attends les Nicolle qui m'en diront aussi de Flo-
rence. — Il est vrai que les Italiens ont une douce
avarice qui vaut celle même de la Sailly. Mais tout se
fait si gracieusement, si gaiement cliez eux qu'on ne
s'en peut trop révolter.
Par exemple, ils se laissent voler très silencieuse-
ment, témoin leur patience avec votre aimable ami.
Je savais l'arrangement d'Edmond, il est très bon,
très sage et M'"^ Macdonald est une habile femme qui
en définitive profite de tout et ne laisse pas perdre
une occasion de faire arriver le grain au moulin.
La petite .Alorel se plaint amèrement de vous. Ça
devient plaisant. Arrangez-vous donc pour la ren-
contrer; elle est excellente et gentille, elle vous aime
beaucoup. Ça ne doit pas se négliger ces bonnes
petites amitiés-là.
Nous revoilà donc à la paix! Allons! patience!
Vous devriez venir faire une pointe ici après votre
Ponthierry. Car c'est là où vous allez, je pense? Si
vous êtes encore à Paris, allez voir les Clial (aînésj
de la rue Blanche, i. Dites-leur que je demande des
tendre quelquolois les airs saulillaiils. Ii'gcis (raulrolois. Il est vrai
quo. comme elle le dit dan.s une lettre préei'ijcnli'. « quand le diable^
devient vieux il se l'ail erinile. »
236 UNE ANCIENNE MUSCADINE
nouvelles de la pelile Caroline qui était bien souf-
frante à mon départ. En battant la ville, trouvez-moi
donc un logement pour octobre.
Courage, vous approcbez.
Sans date. 1844.
Cette lettre vous sera portée par Ilippolyte ^ Mon-
trond, ce qui veut dire (|ue parce temps radieux il
y a un lit vide à la Madelaine. Ce lit tend ses bras et
ses draps au sous-préfet ou au simple particulier. La
Madelaine serait parfaite si j'y pouvais composer trois
ciiambrettes : la liste civile a pris possession très
civilement. M. de Montalivet étant venu au cbâ-
teau au même moment leur a dit : « Nous gardons
M""" Hamelin. » Ça m'a rendue reine de ce coin de
foret. Ils vont en attendant le tracé définitif me mettre
du moins à couvert. Les ouvriers vont donc arriver
du 15 au IG, voilà pourquoi je presse mes cliers amis
de faire une pointe pour y voir encore le soleil et le
raisin aux murs deThomery. La maladie de M. Sarget
père a bouleversé le séjour de la petite chère, puis
celui du pauvre Hippolytequi reprenait si visiblement
force et consolation ne pouvait être retranché et il
demandait des vacances d'écolier qui sont d'un mois,
d'un mois il a fait six semaines et j'ai eu plaisir à
lui faire plaisir. 11 a vraiment de cet esprit original
de son frère, moins gai, moins brillant, moins tout,
mais cette pâle contre-épreuve serait encore char-
mante si son caractère était plus sociable et moins
brusque. Nous avons passé une vie fraternelle fort
' Claude-l'hilibert-Ilippolyto Moulrond (1 770-1855) frère cadet du
comte de Monlrond.
FORTUNEE IIAMELIN 237
douce et il a fait eiïort pour être très doux et paraître
coulent de tout, môme de Tony qui l'a horriblement
tourmenté et qu'il gâtait presque aulant que M""'' de
Morel.
J'ai de très bormes nouvelles de Treclii ; après une
attaque des plus vives il a repris santé. N'est-ce pas
exactement la fable du roseau?
Hélas ! P'audoas était le cliône ! Il faut que la chère
petite écrive à M. Sarget qu'on attend les 3o bouteilles
au plus tôt. Qu'elle lui écrive aussi que ma pauvj'cté
est bien tentée de ce vin à 50 ou 00 francs la pièce
pris à Bordeaux, dont il a parlé comme bon pour
l'ordinaire. Il serait cent fois bon de se charger de
me l'expédier rue Blanche, 43, avec facture ou reçu.
On dit que les vendanges seront bonnes partout, ici
la grêle a tout perdu. Je n'ai pas une grappe de
raisin, les guêpes et Tony ont dévoré ce qui restait.
A peine relevée de sa chute de voiture, M™^ Regnault
a fait un très joli héritage. M. Buffault, receveur
général de Bar lui a légué 4 000 francs de rente, ses
dettes payées. On crie à l'ingratitude, elle en attendait
15 ou 20. Moi, accoutumée à l'oubli des amis morts
ou à payer pour eux, je trouve l'aventure encore fort
jolie, mais le choquant c'est que M"""^ de Gubières et
Sampayo ont de ce coup 15 à 18 000 francs chacune.
D'Astorgà ce sujet me contait qu'on l'avait déshérité
le plus amicalement du monde de 250000 francs de
rente. Il était seul héritier de la princesse de Talmont ',
sa tante. Elle laisse tout à une belle-fille sans enfants,
parce qu'elle s'est remariée à M. de la Ilochejacquelein.
' La piincossc de Talmont avait épousé La RocIicjaciiui.'lcin, le
frèro du héros de la Vendée.
238 UNK ANCIENNE MUSGADINE
Un frcrc de son père en fait autant pour sa servante.
Lui, d'Astorg, a eu un héritage de loOOO francs de
rente de M""' Lainzai qui était sa maîtresse. Il l'a
rendu en totalité à un fils naturel de cette dame, et
n'a gardé que sa bibliothèque et son lit. — Enfin la
recette générale de Bar est à donner, elle serait
encore préférable à une sous-préfecture — elle vaut,
bien conduite, 90 000 francs.
Je prie bien que les voyageurs envoient prévenir
chez moi et M"" Regnault. J'attendais Rovigo. L'exac-
titude n'est pas sa qualité brillante, mais il a bien
du cœur et de la drôlerie, puis il est très beau et a
grand air. — Hippolyte veut vous aller voir. Vous
me ferez plaisir d'aller le voir rue de Chaillot, 90; il
dit être passablement, agréablement même. Enfin
c'est la magnificence royale qui a accordé cet asile au
seul frère d'un ami, d'un dévoué, d'un utile, d'un com-
pagnon d'exil, d'ambition, de gaieté.
Mon dieu, quel temps !
Les aimables Besplas nous quittent. Je prétends
que ce départ fait baisser les immeubles de Fontai-
nebleau. Ils en étaient la vie, la gaieté, l'hospitalité,
M""^ de Child part aussi lundi. Elle est extrêmement
gentille et distinguée d'esprit, elle me témoigne des
tendresses infinies, et ne quitte pas la Madelaine.
Mais bon Dieu! Qu'a de commun tant de jeunesse,
d'agréments, de fortune avec ma vieillesse et ma pau-
vreté !
Notre supérieure du couvent de Samois se meurt...
C'était une vraie sainte, même une sainte fort habile,
cultivant les legs et les gens charitables. Elle n'avait
pas manqué Leduvoski son voisin, il était parrain de
FORTUNÉE HAMELIN 2^9
sa cloche. En tout elle avait de la tante de M""^ de
Sévignô et devait être dame de Sainl-Cv r. Un joue
je la priais de recommander Hippolyte dans ses
prières pour les vieillards (son hospice leur est con-
sacré), elle me dit : « Celui-là aune supérieure aussi. »
Convenez que c'est spirituel.
Je vous quitte pour assister à la cueillette des
pommes et poires. Tout cela est abondant, mais
véreux. Vous savez que les campag-nards ne sont
jamais contents. 11 me semble que la Sainte-Alliance
aurait bien dû ressembler à M. Guizot. Nous avons
payé nos vainqueurs assez cher pour exiger quehjues
petites choses de nos vaincus. Je soumets humble-
ment cette observation champêtre à votre ministé-
rialisme.
La iMadelaiue, 7 octobre 1814.
Ne ine faites pas un cancan sur la Madelaine. Elle
est pauvre et restera pauvre. xM. de M... a été fort
courtois et le souvenir de Montrond planait sur sa
politesse, il n'a rien offert de plus que ce que je
demandais ; j'espère seulement qu'en fait de magniti-
cence il ne pleuvra plus dans nos lits. — Votre
nouvelle du chemin de fer rive gauche est une bille-
vesée qu'on a débitée ici. Les ingénieurs campent ici
et rient de ce bruit. Cela m'aurait bien été. Mais à
cause de cela il n'aurait pas lieu.
Vous n'êtes pas prudent, cher ami ! Je ne dis pas
cela pour la iillc entretenue... mais pour vos inlércts.
Vos réllexions ^nv moi ne sont ni agréables, ni flat-
teuses, ni même honorables. — Je vaux plus que vous
ne pensez apparemment et puis bien vous jurer (jue
2i0 UiNE ANCIENNE MUSCADINE
si j'eusse seulement écouté, ce que vous supposez
serait fait depuis longtemps.
Le cancer de Faudoas n'est pas vrai, il a eu un
àne de médecin qui a pris une inflammation d'intes-
tins pour la goutte remontée. Cette inflammation
venait de pilules qui le soulageaient et lui permet-
taient de suivre sa femme au bal. La consultation a
été faite trop tard, tout était perdu. C'est le récit de
Rovigo présent à ces aiïreux moments. Le pauvre
créole est mort depuis six mois. Ce printemps j'es-
suyais les larmes de M. Gamaux qui l'a soigné, assisté,
et enseveli. Jamais poitrinaire n'est mort avec de telles
illusions, ce qui fait qu'il n'a pas laissé une bague
à son bien pauvre ami et que M'"^ sa veuve si riche ne
lui a pas ofl"ertun bijou ni remboursé même des quan-
tités de petites avances faites pour toutes les fantaisies
et besoins du malade. Ces protecteurs des arts étaient
deux avares, mais il était fort joli.
Hippolyte a des re/Iets qui me touchent beaucoup.
Ça lui nuit. Il est un enfant de soixante-quinze ans,
il n'y voit pas, il n'entend guère, il faudrait le con-
duire, et alors l'enfant devient le mulet le plus opi-
niâtre et rétif. Je l'aime plus qu'il ne mérite peut-être,
mais c'est mon sort avec son sang... On dit M. Daure
bien mal ? Ce serait un bien petit malheur, si sa mort
ne devait causer grand dommage à deux personnes
qui m'intéressent.
M'"^Regnault est furieuse de son legs de 4 000 francs
(le rente. Elle dit que lorsqu'on laisse quatre millions
dont la cause vient de son mari, cette rente est ce
(ju'on laisse à une brave concierge. Elle a raison.
Mais elle ne sait pas le monde financier. J'ai valu
FORTUNEE HAMELIN 241
plus de 4 millions à Dupont et Nicolle, et au diable
s'ils m'enverraient 10 000 francs pour me tirer des
galères.
Sully Brunet garde un silence éminemment diplo-
matique sur son illustre gendre. Le duc de Joinville'
a une mauvaise tête (|ui plaît beaucoup, parce qu'il y
a dessous un fier cœur. Sa rentrée est superbe. La
colère d'Achille n'était pas si belle ; je vois du noir
à l'horizon.
Si vous venez (venez donc ?) n'oubliez pas d'envoyer
rue Blanche et chez M"'° Regnault. Le temps est
adorable. La supérieure est sauvée. Tony est odieuse
lorsqu'elle se sent gâtée et rien ne peut vous donner
l'idée des impatiences que me donnait Hippolyte avec
elle. Ils ne pouvaient pas se quitter et Tony le trai-
tait plus mal qu'une vieille poupée. Au bal (de Samois)
elle lui venait dire : « Prête-moi dix sous. » Il prêtait
en se cachant. A l'autre contre-danse : « Prête-moi
dix sous. » Bref, elle payait ses danseuses et danseurs.
Vous conviendrez que c'est un peu trop tôt.
Cher ami, venez, venez, ne serait-ce que pour
fouetter Tony.
P. S. — Le 18 je fais faire un pauvre service anni-
versaire pour Montrond. Déjà un an, et mon cœur
saigne toujours. 0 premiers liens, longue habitude,
' Le prince de Joinville, troisième fils du roi Louis-Philippe, né à
Paris (14 août 1818). Il avait assisté à la bataille de Saint-Jean d'Ulolia
au Mexique (27 novembre 1838) ; commanda la Belle-Poule et se
rendit à Sainte-Hélène d'où il ramena en France (décembre 1840) les
restes de Napoléon. En 1843, le prince de Joinville épousa la sœur de
Tempereur Uon Pedro, participa en 1844 à l'cipédition contre le
Maroc. Pair de France, il lut en 1871 représentant à l'Assemblée
Nationale.
16
242 UNE ANCIENNE MUSCADINE
vie commune, coUtos, rires, vives réparties, misères,
élégance, plaisirs, et pleurs ! En vous perdant le
cœur se gonfle et se brise : Pensez à nous, entrez à
la Madelaine et priez entre 10 et 11 heures. Dites-le
à la petite M... aussi, si elle n'a pas le cœur, la vilaine
de faire une pointe ici.
11 novembre 1844, de la Madelaine.
Cher ami, il faut se résigner. Venez ici pour voir
comme on souffre avec courage (pas toujours pour-
tant). Acceptez avec la résolution d'être encore plus
sage qu'à Arras et fuyez ce sexe détestable qui partout
vous fait faire des sottises et surtout vous donne des
ennemis dont l'acharnement m'étonne et m'indigne,
car, n'en doutez pas, tous vos chagrins, les mauvais
vouloirs viennent de ces haines-là. Vous redevien-
drez Lauzuti lorsque vous serez préfet vers quarante-
cinq ans. D'ici là, laissez les belles aux puissants.
Oui, il faut se calmer avec l'eau de la Madelaine,
elle n'est pas Jouvence, mais elle est éthérée. La tem-
pête des nuits fait dormir agréablement, excepté les
moments où l'on croirait que la maison va glisser
dans la rivière. Quel autonme ! Mais que dis-je ! le
soleil éclate devant nos fenêtres et la rivière étincelle !
C'est une résurrection, une descente de l'arche !
Serait-ce tout simplement cet été de vieille femme
qu'on appelle la Saint-Martin ? Je le croirais.
Faites-moi le plaisir que voici. Sachez-moi l'adresse
de M""" Bayle, sœur de M'"^ Faudoas. Je ne veux pas
que vous envoyiez chez les Rovigo. Il y a du fort
temps. Moi je ne boude pas contre des pauvres
FORTUNÉE HAMELIN 243
enfants, des orphelins d'un si clier, si inforluné ami.
J'attendais la marquise. Jo erains qu'elle n'aura pas
eu ma lettre à temps. Je voutlrais vite lui écrire chez
cette sœur où elle va descendre. M. Adam, quoique
brouillé, donnera ça et vous me l'enverrez vite si vous
ne venez tout de suite.
Vers le 23 on parle de fêtes, de chasses. La chasse
amuse tout le monde, c'est de la vraie royauté. Notre
rivage est sauvé et je trouve aussi qu'il est hien royal
de proléger de si beaux paysages. J'espère donc et
vais me mieux établir pour l'été prochain.
Faites demander mes lettres. Le mieux est de venir
par le bateau neuf les jours impairs, ainsi vendredi,
dimanche. Si vous ne voulez pas vous lever avec le
jour, allez par le chemin de fer jusqu'à Gorbeil, Là on
prend le bateau qui attend à dix heures et il amène à
deux heures. Il est propre et rapide. Je suis venue
ainsi.
Il faut entrer dans une réforme pour Tony. Elle
préfère mille fois aux beaux et chers bonbons du
boulevard le simple pain d'épice aux amandes. Elle en
radote et c'est très bon pour ses petites entrailles.
Son instruction va doucement. Elle avait ici un
excellent maître et ce brave homme est très malade.
J
ANNÉE 1845
Victor Hugo reçoit Saintc-B<*uvc à lAcadômie. — M™» Hamelin con-
teste une assertion de Victor Hu^iO- — M-" Ancelot. — Rœderer.
— Edouard llameiin. — M. Biard. — Un regret sur le passé.
(Février 1845), s. d.
Clier ami. vous me Iraitez trop «n iriutilit*!- t.t 1 dmilic
sincère est justement applic^ljlv aux monit.'nt-; il"aii-
goisse où \'0u> ^."ou- frou\'t'Z. h: pt,Ti-(j à \"0u-; lii*;u
souvent en déplorant mes misères. Hélas '.
Hier j'étais donc à l'Académie'. Victor Hugo a été
adorable d-- langag-e tant qu'il n'a pas touch' aux
meuhlpi-. niais il a étrangement abusé d»^ ma passion
lorsqu'il a dit en parlant de Port-Royal : « ces soli-
' La réception de Sainte-Beuve à l'Académie française où il lut
élu en 1814 au fauteuil de Camisir Delavigne eut lieu le 17 février 1845.
Victor Hugo re':ut le critique de l'ort-Royal. Voici les divers passages
auxquels M<** Hamelin fait allusion : « Un Jour arriva où une injuste
et politique défaveur vint frapper ce poète (Casimir Delavigne) dont
le nom européen faisait tant d'honneur à la France ; il fut alors
noblement recueilli et soutenu par le prince dont Napoléon a dit :
le duc d'Orléans est toujours resté national ; grand et juste esprit qui
comprenait dès Ior comme prince et qui depuis a reconnu comme
roi que la pensée est une puissance et <jue le (aient est une liberté. »
Victor Hugo ajoutait plus loin : n Le véritable but de ces penseurs
attristés et rigides (MM. de Porl-Royal) était purement religieux.
Resserrer le lien de l'Kglise au dedans et à l'extérieur par plus de
discipline chez le prêtre et de croyance chez le fidèle : réformer Rome
en lui obéissant ; faire â l'intérieur et avec amour ce que Luther avait
tenté an dehors et avec colère... )>
246 UNE ANCIENNE MUSGADINE
taires, ces sages voulaient faire avec la douceur ce que
Lullier faisait avec colère. »
Ah ! vous le dites enfin ! Ils voulaient réformer la
F'rance, vous le voulez encore de plus belle, cliers doc-
trinaires, vous le voulez^ Hugo aussi avec la ferveur
du novice. Ceci est clair du moins, Port-Royal voulait
ce que faisait Calvin et Louis XIV a eu cent mille et
mille fois raison. Mais ce n'était pas tout; il nous a
assuré avec un aplomb inouï que Napoléon avait dit
(jue « le duc d'Orléans était un prince national ». Or,
c'est le contraire qu'il a dit et écrit, témoin sa fameuse
coLiversation avec Montrond. Je suis revenue moitié
contente, moitié fâchée, puis très chagrine de ne vous
avoir pas vu.
M"*^ Ancelot était là à dévorer son amant. Quelle
femme ! Quel mainlien ! Il est digne du temps.
Merci du livre de Hœderer^ Il y a des choses char-
mantes et tout est dans les belles doctrines.
Venez donc dîner? Vovons? Lundi par exemple.
H.
La Madelainc, 6 seplembro 1843.
Mais venez, venez vite! avec votre sanlé, votre
humeur fanlassine, vous ne me gênez pas plus qu'un
nid d'hirondelle sous la corniche. Allez trouver Treciii
et enlevez ce papillon léger, volage. On dit qu'il a une
cargaison de robes pour la Madelaine et la Madelaine
vit sur le vieux.
' 11 s'agit ici du fils de l'économisle Rœdcrcr. Le baron Antoine
Rœdorer cultiva les BcllosLetlros et cciivit des comédies sous la
Restauration. Citons son ouvrage Intrigues poUfiques et galanles de
la cour de France depuis Charles IX.
FORTUNÉE HAMELIN 247
Heureusement, je lisais votre lettre quand celle
d'Edouard est arrivée. Son système avec moi est de
me glacer le sang', en se faisant malade, fiévreux,
hypocondriaque, etc. Trechi aussi a des fièvres
typhoïdes après tous les bons dîners. Ils se moquent
de mon cœur crédule, et je suis décidée à rire des
maladies avec lesquelles on boit du bon vin, on court
les théâtres, on fait l'amour et l'on oublie les choses
sérieuses et même un peu l'amitié. Au diable les
malades qui sont si bons vivants !
J'ai un plaisir malin lorsque je vois des gcnlils-
liommes surpasser les artistes très plébéiens. Tous
ceux-ci sont envieux, mal élevés, sols, vaniteux. Par
le fait Chateaubriand, Saint-Simon, Montaig'ue, Mon-
tesquieu, Sévig'né, Maintenon n'écrivent pas mal, à la
vérité, c'est dans une autre langue que M. Eug;ène
Sue, mais enfin ça se lit. En parlant de ces artistes
qui ont deux vanités, celle de l'art, celle du parvenu,
l'autre jour je voulais arraclier à Biard' une main-
levée pour commuer Saint-Lazare en Sacré-Cœur. Il
bondissait de rage, ses cornes se dressaient sur sa
tète; je lui dis gaiement : « Mon voisin, il n'y a que
les rois et les cocus qui aient le droit de faire grâce.
'M"" Biard, la femme du peintro. fut priso en flagrant délit avec
Victor Hugo. Le mari blesse dans son honneur ne retira sa plainte
contre le poète qui était pair de France que sur les instances réité-
rées de M'"* Victor Hugo. C'est elle qui alla délivrer M"* Biard à la
prison de Saint-Lazare où elle attendait sa mise en jugement
(v. Léon Séclié, Sainte-Beuve). Le critique des Débats, à l'alFilt de
tous les potins et indiscrétions plus ou moins scandaleuses, écrivait
à ce propos à M"»" Juste Olivier : « On ne parle que de cela, vous,
n'en dites rien. Jugez, chère madame, de mon chagrin et de mon
trouble en tout ceci avec tout ce tjue vous savez. » Dans une lettre
à sa sœur (i*0 juillet 1845), Choi)in relate également le scandale.
(Souvenirs inédits de Frédéric C/topin).
i48 UNE ANClENNIi MU8CADINE
Prenez le beau côté de la chose, » Ma foi, il éclata
de rire et envoya le pouvoir à maître Fayol son avocat.
On dit que M, de Niewerke^ est aussi un immense
artiste dans un art peu cultivé de nos jours, ses
modèles s'en louent infiniment. Les places vous pieu-
vent, cher ami. Soyez donc le déguignonné. J'aime de
La Rue de toujours penser aux absents. 11 n'y a que
mon tapis qu'il oublie depuis dix ans. Hélas ! j'ai
peur qu'il ne se défie de mon exactitude. J'ai tout
fait pourtant afin de lui faire entendre poliment que
l'insistance voulait dire la note, les frais. Rien. Je ne
demanderai plus, car quelle plus grande circonstance
pour se souvenir !
0 vieillesse! Au retour d'Eg-yple-, ma maison était
(rop petite pour contenir les dépouilles opimes. Au-
jourd'hui je n'obtiens pas un tapis pour mon argent.
A lundi donc.
Tony rend le pain bénit demain. Jugez si elle saute
aux prunes !
' DeNiewerkcrko. Directeur fjénéral des musOes nationaux (en 1849).
Sénateur du second Empire.
* Si Von CQ cvoityi'"' yidry Summar i Les Belles Amies de Tulleyrandi,
M"" Hanielin, ijui jouissait alors d'un l'orl crédit et ijui avait quelque
autorité sur Donaparle, aurait rei;u la visite de ce dernier au retour
d'Egypte, lorsiiu'il avait des inquiétuiles au sujet de Joséphine. C'est
l'époque oii notre ancienne Merveilleuse qui avait contribué, après
le Directoire, à la renaissance du monde parisien, tenait un salon
très fréquenté par les puissants du jour. « Sa maison était devenue
une contrefaçon de ministère, on venait s'y faire inscrire, on postu-
lait, on intriguait : c'était la cour au petit pied » (comtesse Bassan-
ville, Les Salons d'autrefois.)
ANNÉE 1846
Anatole Dcraidolï et M'"" de Dino. — Carlotta Grisi dans Paquifa. —
M<"° Odilon Barrot. — Mm» Uaiiielin cherche un logement. — De
La Rue. — L'héritage de M-"» Des Bassyns. — L'alFaire Lai'arge. —
Edouard Hamelln et la succession Des Bassyns. — Cancans et
grosses nouvelles. — L'Empereur ?>'ico]as marie sa fille. — Le cou-
vent des Auguslincs. — M"»" Biard. — La marquise de La Grange.
— Le procès Le lion. — Morny.
Paris, 16 mai 1846.
Voire lellro m'a fait bien plaisir. Merci. Ecrivez
encore. Je viens d'avoir la fièvre durant vingt-trois
jours. C'est horriblement long. Il paraît que tous ces
dérangements tiennent à un désordre grave vers le
cœur. Je suis mieux avec beaucoup de sang de moins,
lequel entraîne aussi les idées et la vie.
Votre ami Edouard le Candide est très bien, ti'ès
bien. La grand'mère^ patriarche est morte. Elle hùs-'^f o-ij'l-ijo
serait une fortune colossale si les noirs n'étaient ùiAi^-SMU/vi/^"*^
tombés de moitié par Felfet des dernières lois. Ce qui ^
prouve les mérites de ma belle-HlIe, c'est qu'on lui
laisse hors part une propriété qui vaut, dit-on,
2u0 000 francs. Que de papillotes et de cocottes pour
ce bon Edouard !
Les bains de liarèges me retiennent ici. Après le 18
je partirai pour la Madelaine qui est à tourner la
tète. Cette fraîcheur vous plaira fort après rAfri(|ue
250 UNE ANCIENNE ML'SCADINE
et sa poussière. Vous y viendrez vite et tôt, n'est-ce
pas ?
Les DemidofT sont ici pour un an, vu la passion
d'Anatole pour M""- de Dino. La Matliilde sait tout.
Elle n'a plus d'illusion possible. Ça pourrait bien lui
faire faire un enfant. D'ailleurs, elle est inséparable
de ces commères de petites dindes dont M""' Gay est
la Sévigné.
Je n'ai pas revu la petite Morel ni Moraski. Mon
vieux cœur malade soulfre de rompre des amitiés de
vingt ans. Tout cela pour des bêtises inouïes de tous,
dont elle et Edouard ont surpassé les enfantillages
des Tuileries. Je la crois toujours faisant des nids avec
le petit cousin.
M*"" Kisselert", dont les coups de tète ont de la géné-
rosité et une grandeur orientale, sort vainqueur [sic)
de sa lutte avec TEmpereur. Il l'a traitée en folle de
cœur, l'a sermonnée, a fait régulariser sa fortune. Elle
reste avec 120 000 francs de rente. Félix ajusté béri-
lant de moitié. Tous les Nariskin reviennent. J'ai vu
M"® Hubert dans son ménage. A vrai dire, je l'y ai
trouvée importante et affectée.
0 Fortune ! Tu démolis l'esprit et le naturel.
Hier je voulais enlever M"^ de La Rue pour la con-
duire à l'Opéra, elle voulait, elle, que j'allasse prendre
des glaces cbcz elle pour la Saint-Isidor. Ça n'a pu
s'ai'ranger. Vous savez ma passion inlerminal)le
pour la danse, Grisi est à croquer dans Paquetta', et
l'acte se termine par un bal de l'empire, avec la
' Paquila, ballet-pantomime par Paul EoucIicretMazilier, musique
de Ueldevez. fut représenté à l'Opéra en avril 1846. Carlotta Grisi
joua le T'ilo de Paiiuita cl y remporta un succès considérable avec
M"" l'iunkett et l'etitpa.
FORTUNÉE HAMELIN fol
gavoltc, nos contredanses et nos costumes. Et lorsque
jerenlrc, je suis très surprise de ne plus me trouver
jeune et jolie comme lorsque je sautais sur ces airs-
là. M"" Kegnault a recruté le vieux marquis d'Aligre'
qui nous donne très souvent des places dans son beau
salon de l'Opéra. Il est content aussi de revoir des
figures qu'il trouvait si charmantes à son retour de
l'émigration. Excusez quarante-huit ans!
Tony est jolie et ardente. Son plus grand malheur
est sa sotte de mère qui lui donne ses vanités préten-
tieuses, la gale et la bat. Cette mère extravagante
s'est fait faire encore un enfant par ce boucher de
boulanger. Je ne sais quel parti prendre devant ce
délire qui redouble, que l'âge, la pauvreté, Fallection
pour Tony ne peut calmer. Elle peut faire encore
quatre ou cinq petits mitrons. Je n'en prendrai plus
certes ni n'abandonnerai la pauvre Tony, bien mal-
heureuse de tels entourages.
On marie ce bon M. de Longpré. Il a 14 000 francs
de rente. C'est 31""^ Odilon Barrot qui fait ce trait-là.
On lui donne une veuve, avec un fils, ayant peu de
ciiose, trente-cinq ans, s'appelant de Riancour. Je le
crois attrapé. Il me l'a présentée. C'est une provinciale
stylée par l'opposition Barrot. Lui si légitimiste ! p]nfin
' Le iuar<|uis <l"Aligre avait été chambellan df l'Emporeur. Ce der-
nier « lui lit demander sa lillc pour ^l. de Caulaincourt; il l'oignit
d'accepter avec joie ; mais peu de jours aprùs il vint dire, avec l'air
de l'ainiction, que M"° avait une répugnance invincible à la personne
du duc de Vicence. L'Empereur n'insista pas. M. d'Aligrc se crut
sauvé, mais apprenant peu de temps aiirùs (jue ^L de Kaudoas. le
frère de la duchesse de Rovigo, allait lui être proposé pour gendre,
il bâcla en huit jours do temps le mariage desa lille avec M. de l'om-
mereu. » {Coinlessc de Bovjnc, I, 289), (duchesse d'Abrantès,
Mémoires.)
i'o2 UNE ANCIENNE MUSCADINE
rien n'est traccord et sa vieille mère à lui s'en désole.
J'ai vu Berryer pour mon procès. Il est lumineux,
foudroyant au milieu de ces tristes gens d'affaires. 11
dit que les considérants de son jugement sont si con-
tradictoires, si stupides que leur lecture suffira en
Cour royale. Espérons.
Je n'ai pas de logement, on s'arrache tout. Des cin-
(juiènies valent o 000 francs. Enfin j'hésite entre la
rue d'Anjou et la rue de La Tour-d'x\.uvcrgne. Qu'en
(h"s-tu ? Je trouve là du Midi, du calme, de hcUes
pièces, et la proportion avec ma pauvreté.
Je voudrais hien apprendre ce mariage (juc vous
espériez pour votre ami. Va-t-il? Je crois qu'en
Algérie il faut plus craindre les coups de pied de Vénus
que ceux des chevaux. N'allez pas avoir l'un et
l'autre. Attendez les Belles de Paris pour ce dernier
présent.
Soyez sage, très doux, et l'on vous aimera beau-
coup.
Paris, 3 juillet 1846.
Vous savez hien (jue mon silence signifie la maladie ?
31ais vous! Jti m'incjuiètc de vous pourtant. Une
seule fois j'ai eu de vos nouvelles. C'est trop peu,
c'est mal traiter mon fidèle et sincère attachement.
Vous me faites faute de toutes façons, vous auriez hien
une occasion de me prendre en attendrissement.
Hélas ! près de trois mois de fièvre tierce qu'on ne
parvenait à couper que durant trois, cin(j, six jours.
Je reviens de la Madelaine pour des tracas à donner
la fièvre à qui ne l'aurait pas. Je ne puis être logée
qu'en novembre et j'ai cédé mon appartement, auquel
FORTUNÉE HAMELIN 233
on attribue net ma fièvre opiniâtre. Quatre personnes
sont mortes dans cette maison depuis que j'y suis.
Je vais faire porter mes meubles dans un taudis et
me sauver à la Madelaine.
Les Didier m'ont dit que M. de Broé avait de vos
lettres. Je regrette bien de ne le pas connaître. On
m'avait inspiré de la malveillance pour lui et je
vois avec combien de prudence il faut épouser les
petites querelles de ses amis. Je n'ai pu voir M"'' La
Rue, engloutie dans l'ameublement fraternel, songeant
peu aux malades, alors qu'elle engraisse à crever
d'embonpoint et d'importance, non pour elle, mais
pour ce frère dont elle fait le sauveur de l'Algérie. Je
ne conteste rien à cette immense capacité*, à cette
grâce qui a tant de succès en France, mais l'expres-
sion de mes yeux lui laisse du doute et alors elle
s'agite, se plaint ou admire avec une exaltation que
j'étais loin de lui connaître. Du reste, elle descend
comme son frère aux bons dîners des Nicolle, et je
ne la trouve pas assez renchérie sur le cboix de bien
des nouvelles connaissances. Tout ceci pour vous
seul, car dans l'âme de Zoé elle se croit très cbarmante
pour moi.
L'autre Zoé Barrière est heureuse, modeste, d'une
élégante propreté. J'ai fait un excellent petit dîner
chez elle dans un intérieur soigné, recherché et
docte par de beaux livres. Ah ! que j'aimerais une
telle bibliothèque, que j'en aurais besoin, quelle
misère de n'avoir pu racheter celle de Montrond !
Vous aurez lu que Sully est renommé délégué dv
' Assez contestée cependant (Roussot. Hls/oire de la Conquête de
l'Algérie).
234 UNE ANCrENNE MUSCADINE
Bourbon. Ce rointMle ne guérira pas la maladie colo-
niale, mais il le guérit, lui, car il va hion et engraisse.
La succession de la vieille des Bassins ' eut été double
si elle eût été recueillie il y a trois ans, alors qu'elle
n'avait que quatre-vingt-dix ans. Les noirs de
4 000 francs sont tombés à 1 500 2 000 francs, les
terres aussi. Edouard, avec son inconcevable fanfa-
ronnade, avait annoncé que sa femme était avantagée.
C'est le contraire de la vérité. M""^ des Bassins, en
femme de qualité n'a avantagé que ses fils, car étant
déjà tous millionnaires, il fait bon tondre des femmes,
des orplielins pour augmenter leur éclat. Ce testament
paraît du reste si inique qu'il va être attaqué non par
Edouard dont le sol orgueil préférera tout à l'honneur
' De la famille Desbassynsle plus connu est Desbassyns Je Riche-
mont (Philippe Panon, comte), né à Saint-Denis (Réunion), 3 février
1774, mort à Paris 7 novembre 1840. Député de 1824 à 1830. 11 avait
épousé la soiur de M. de Villèle,'*'dont la nièce était la femme
d'Edouard Hamelin. Son fils Paul Desbassyns (baron) lut député
(Tlndre-et-Loire au Corps Législatif (1832). Nous trouvons dans la
Villéliude ou la Prise du ckàleau de Rivoli de Bartliéloniy et Méry
(i'3 juillet 1823) ((uelques renseignements pi([uants mais contradic-
toires sur Villèie et Desbassyns. « M. de Yillèle épousa dans sa jeu-
nesse à l'île Bourbon la lille de M. Panon dont il était le régisseur.
M. Panon s'ennoblit ensuite. Il prit le nom de Desbassyns parce
([u"il avait trois bassins dans ses terres, ce qui est fort ingénieux.
M. de Villèie a été dans l'île Bourbon ministre de la Justice du riche
colon M. Desbassyns. Dans ce pays, la justice est toute paternelle ;
elle consiste à fouetter chaque soir tous les nègres afin que les cou-
pables ne puissent pas le lendemain se vanter de l'impunité. C'est
sous ces auspices que M. de Villèie a fait son noviciat. » Et dans le
poème héroicomique où Barthélémy et Méry critiquent les hommes
au pouvoir :
« Auprès d'eu.x sont rangés les amis du pouvoir...
Ces députés ventrus à la faim indomptable.
Qui votent des budgets et les mangent à table...
Desbassyns, orgueilleu.x de sa fraternité.
FORTUNÉE HAMELIN 255
(le dîner chez mon oncle Villèle, comte, baron
Ricliemond. Il laissera les pauvres se démêler et se
range parmi les gros bonnets qui le conduisent aux
inaugurations de chemins de fer, à la table des princes.
La santé de ce pauvre idiot est très bonne. Il dévore
depuis six heures jusqu'à neuf et boit ferme du plus
glacé. De là il va chercher une M"" du quartier
Lorette, bien entendu, et passe le reste de sa vie en
tiers avec elle et sa mère. Lorsqu'il arrive chez moi
vers cinq heures, il est épuisé, ses yeux sont troubles
et à la première parole sérieuse il dort profondément.
Je n'y mets point de désespoir ni d'exagération, il est
dans un hébétement complet et Sully dit : « S'il était
mon fils et père de famille, je n'hésiterais pas à le
faire interdire. »
Que de chagrins, d'humiliations, de misères !
Gomment n'être pas dévorée de fièvres môme dans
ce paradis de la Madelaine ?
Revenez-y donc à cette pauvre Madelaine, sûr, cher
ami, d'être accueilli en fils, en ami, ce qui vaut mieux.
Trechi est superbe et vous fait amitié. Il dit que
M. Lamoricière' épouse M"^ Dosne. Ce serait la pre-
mière faute de M. Lamoricière, mais elle serait bien
grande !
Paris, 18 juillet I84f).
Vite, vite, que je vous saisisse au passage. Cher
ami, j'ai été toute préoccupée de votre silence. Puis,
quelle banale excuse, la paresse! C'est beau et neuf.
* Le général Lamoricière fut quelques années après ambassadeur
à Saint-Pétersbourg.
256 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Moi j'écrivais entre deux accès de fièvre tierce qui
a duré plus de trois mois. C'est long et triste, n'est-ce
pas? La Madelaine même y a perdu ses grâces, et
préférant mes deux médecins de Paris qui causaient
bien, je suis revenue frissonner à Paris. Un beau
matin on m'a fait déménager parce que ce n" 43 inac-
cessible au soleil qui est le bonheur dites-vous, ou
qui console de n'avoir pas de bonheur, ce numéro
maudit de notre astre adoré donnait la fièvre à tous
ses habitants. Dessous, dessus moi nous étions tous
pris comme sur les bords de l'Allier. Je suis dans un
vieux château qui porte un beau nom; j'ai sa toundlo
et je n'ai plus la fièvre grâce au soleil plein midi, à
l'horizon immense et au calme des nuits. C'est donc
rue de la Tour d'Auvergne, n" 37, qu'il faut m'écrire
et plus souvent, entendez-vous ? Il y a deux lettres
de moi qui courent votre Arabie empêtrée. Je n'en
fais mention que pour mettre mon amitié et l'exacti-
titude ' qui en fait preuve, très au-dessus de vos sen-
timents fantasques.
Ce grand voyage" que vous faites est beau, et me
fait plaisir pour vous. Vous êtes homme à bien
regarder et à vous souvenir. Ce que vous dites de
votre nid m'a bien fait penser à ce que j'éprouve pour
le mien. J'ai toujours rêvé à mon pauvre Saint-Do-
* M'"» Hamelin écrivait en 1838 à son amie M'"" Boursault : « En
vérité je ne crois pas avoir besoin de vous dire que l'exacLitude à
s'acquitter est un devoir surtout envers ses amis. » On voit, qu'en
vieillissant, ce sentiment lui tenait toujours au cœur.
* Le correspondant de M"» Hamelin, après un voyage en Algérie,
habita quelque temps Perpignan et Montpellier où il remplissait
les fonctions d'inspecteur général des Prisons, qui lui permirent de
rencontrer M™'^ Lafarge et, comme on le verra plus bas. de s'enthou-
.siasmer pour la célèbre prisonnière.
FORTUNEE HAMELIN 257
mingue et les palmiers rabougris de Naples me faisaient
impression. A Paris, toutes les demeures que j'ai
habitées dans ma jeunesse n'existent plus ; la rue
Cbauchat^ où j'avais un petit hôtel tout coquet est
devenue une maison de location à six étages. Ainsi
de tout. Courage, le terme avance; pour vous la vie
s'arrange si vous voulez. Vous n'avez pas à con-
quérir mais à réformer.
Vous êtes en démence ou en tempérament (ce qui
a du rapport) pour M™^ Lafarge ". Jamais preuves ne
furent plus éclatantes, plus nettes. Elle a été com-
' Pendant le Directoire et le Consulat M"'' Hamelin recevait beau-
coup dans son salon de la rue Cliauchat. La maison en rotonde fai-
sait le coin de la rue Ghauchat et de la rue de Provence.
' Marie-Fortunée Gappelle, femme Lafarge, née le 13 janvier 1816
à Villers-Uellon (Picardie), morte à Ussat en 1832, pelite-iiile do
Philippe-Egalité et petite-cousine germaine de Louis-Philippe, accusée
d'avoir empoisonné son mari (mort le 14 janvier 1840). Ses tantes
maternelles avaient épousé l'une M. de Martens, diplomate prussien,
l'autre M. Garât, secrétaire général de la Banque de France. Le procès
de Marie Gappelle donna lieu à de vives polémiques entre Lafargistes
et Anli-Lafargistes. L'accord était complet entre tous les journaux
pour proclamer son innocence. M» Paillet assisté de MM" Lachaud
et Bac, défendit l'accusée le 2 septembre 1840 à Tulle. Il y eut expertise
et contre-expertise. OrfilactRaspail se prirent de querelle. M™» Lafarge
fut condamnée mais Napoléon III la gracia plus tard. Elle avait été
accusée (lorsqu'elle fut arrêtée pour l'empoisonnement) d'avoir volé
des diamants en juin 1839 chez M"" de Nicolaï, qui avait épousé
M. de Léolaud, et condamnée à deux ans de prison. « Intellectuelle »
et romanesque, M^-o Lafarge a laissé des Mémoires (1841-1842, 4 vol.
in-8"), Heures de Prison (18.53-a4, 3 vol. in-S») et des Lettres. Le cor-
respondant de M'"" Hamelin, qui était en 1846 inspecteur général des
Prisons à Perpignan, se montra un partisan irréductible do la célèbre
empoisonneuse ; elle lui écrivit de iMontpellicr où elle subissait sa
peine une lettre fort curieuse dont nous avons donné un fragment
(Supplément du Firjaro, 11 janvier in08). Fut-elle coupable? Doit-on
la considérer comme « l'Eloadc l'arsenic » (L. Tailhade) '/Aujourd'hui
encore quelques esprits se sont passionnés pour cette alfaire.
(Paul Muller, GH Blas, 1009. R. de Glnry, Grande lie i'ue,2'6 novembre
1909) (v. Appendice, Le /Ire de M'"'- La/'arç/e).
17
258 UNE ANCIENNE MUSCADINE
blée de faveurs, car des mains puissantes en eurent
pitié et la soutinrent. C'est une fate, enivrée des
sottises bourgeoises de ses tantes ; elle rêvait un
second mariag-e et lorsqu'elle-même a voulu refaire
son procès en publiant des Mémoires, elle s'est em-
brouillée au point d'apporter de nouvelles preuves et
n'a pu repousser une seule accusation. Puis, songez-y
l)ien, bon Dieu ! L'empoisonnement est son plus beau
trait, le vol des diamants, le vol partout oii elle était
accueillie 1 Ali ! fi ! fi ! Du reste, ayez pitié, faites-la prier,
elle sera jolie sous tous les babits. Ne vous a-t-elle
pas demandé si vous comptiez entrer dans les ordres ?
Je vous écrivais que le pauvre Edouard était fort
déçu, les fils seuls de M""" des Bassins sont avantagés.
C'est la justice daujourd'bui. Elle donne à des mil-
lionnaires en retranclmnt sur des filles pauvres et des
orplielines dont l'aînée a dix ans. La succession, du
reste, perd énormément par le fait de la dépréciation
des noirs. Il y en a 4G0 qui eussent été vendus
4000 francs en commun il y a trois ans et qui valent
à peine 2400 francs aujourd'bui. Depuis son retour à
une parfaite santé, cet extravagant a redoublé ses
extravagances. 11 est la joie du boulevard Italien pour
son appétit et ses appétits. Tous les buit jours il leur
présente une nouvelle cocotte des plus lorettes; il a
monté, dit-on, jusqu'à celte madame fille de Catalani,
qui accepte quelques louis le plus simplement du
monde. Jugez la gloire ! 3Iais elle a jugé le creux et
l'a remplacé par un banquier. Lorsque je m'afflige
sur cette nature si désbéritée, je pense modestement
à Napoléon... Du moins Edouard est très bonnêle
liomme, et son cœur est bon.
FORTUNÉE HAMELIN 259
Walewski ' et sa femme sont ici. Elle est jolie,
usagée, résolue et son grappin est déjà fort bien
établi. On lui fait fête espérant qu'elle enlèvera son
mari à ses tristes et sales habitudes.
ïrechi me charge de souvenirs pour vous. Il avait
eu la bonté d'aller à votre recherche chez M. de Cercey
lorsque j'étais vraiment inquiète de vous, et lorsque
j'ai reçu votre lettre de Perpig'nan, je savais de la
veille que vous y étiez. J'étais rassurée. Le petit
Trechi a été bien bon, bien soigneux pour moi durant
cette triste fièvre. M""® Barrière, plus belle que jamais,
venait souvent m inspecter ; elle s'y trouvait avec la
très bonne M"^ Durand, je n'étais point trop à plaindre.
Ces dames sont moins impérieuses que mes grandes
dames de ma typhoïde. Elles me laissaient respirer
et faire quelquefois ma fantaisie. Lebreton qu'on
n'avait pas blessé m'a soigné en frère, puis mon
voisin Daguerre qui a beaucoup de science et d'esprit
venait, disait-il, passer ses soirées avec moi. Ainsi
Dieu m'aidait un peu. Mais dites-moi, comment fai-
sait Bayard qui a eu vingt ans la fièvre ? C'étaient
d'autres natures en vérité. Faire la guerre avec les
cuirasses et la fièvre tierce ! Juste ciel !
M. Lamoricière n'épouse point M"^ Dosne. C'eût été
une faute irréparable pour lui qui a un avenir plus
grand que cette pétaudière politique.
jyjme Regnault est depuis trois mois dans une terre
près de Bordeaux. M""® Chai est établie conjuga-
lement à lo kilomètres de Paris. M™°Nariskin regarde
' Quelques années après le comte Walewski devenait ministre des
Affaires étrangères (1855).
260 U^^E ANCIENNE MUSCADINE
mourir son mari àNaples. M"'' Kisseleff^ est à Odessa
jusqu'à l'hiver prochain. Elle me conte les folies
orientales que fait l'empereur Nicolas pour les noces
sa fille. L'univers y apporte des tributs de magnifi-
cence. On a fait venir entre autres de Sicile trois
mille orangers en fleurs pour garnir les palais. Une
escadre portant des fleurs, c'est assez joli tout de
môme. Que dira cette belle princesse alors qu'elle
sera dans cet intérieur luthérien, ordonné, modeste
jusqu'à l'avarice ? Votre Tony devient trbs grande et
reste très jolie : le reste vient tout doucement. Sa
mère est son fléau. Déjà l'enfant la juge, mais l'imi-
tation est si naturelle qu'elle prend les défauts qu'elle
blâme. M"''' Biard me dit un bien inouï de l'éducation
des Augustines (ce couvent où elle a été six mois).
Elles sont jésuites et pour preuve, elles venaient
passer des soirées avec elle, et choisissaient sous sa
dictée les vers de M. Hugo qu'on pouvait enseigner
aux filles de quinze ans. Si j'étais plus riche, j'y met-
trais Tony.
La Mailolainc, 20 iiovciubro 1846.
J'ai envoyé à l'instant à Fonlainebleau, mais étant
chanceuse comme vous, il se trouve que le colonel est
absent pour quinze jours. Je lui ai tout expliqué avec
' Dans un posl-.scriptum. M"» llamclin ajoutait, le 4 octobre 1846 :
« Je ne crois pas à la condamnation de Micislas. Les dernières
lettres de M™» K... sont de Belgrade ot assez récentes. M"" Nariskin
n'était pas avec elle et marchait droit sur Kieff. Il faut être insensé
et justement déteste pour qu'il se trouve des honnêtes gens qui
croyent au poison sur des enfants qu'il adore, qui ne quittent ses
bras que pour dormir à ses côtés. Pour elle, elle a demandé neuf mil-
lions pour divorcer, laisser les enfants et partir. Il en a offert deux,
voilà le procès. Taisez vous là-dessus. » (Lettre inédite.)
FORTUNÉE HAMELIN 261
mon adresse à Paris, carie procès que je perdrai, bien
entendu, me force à revenir. Mais dites-moi : N'est-ce
pas des hussards qu'Amable commande à Melun? Je
suis en position de lui demander cette courtoisie,
sûre qu'il y mettra de l'empressement. Si vous y
eussiez pensé lors de votre courte visite, ce serait
peut-être fait. La baronne qui connaît sa garnison
profondément dit qu'ils feront leur devoir, mais qu'on
a peu d'empressement pour l'Afrique.
J'avais vu l'enlèvement dans la Gazette. J'étais loin
de me douter que le séducteur fût votre ami. Quel
guignon ! mais tout n'est pas perdu, on reculera
devant ce scandale. Espérez encore.
M"''' Biard amis ce couvent' à la mode. Il ne suffit
plus aux femmes maliieureuses, amoureuses ou battues.
Ce qui est bien triste, c'est l'état de lajeuneLagrange^
et de sa charmante petite mère. Pauvre roseau ! Mais
avec cette jeunesse, un mot, une journée sauve. Pour
ses rlmmatismes aigus, l'opium à grande dose est
sublime ; on le prend en abondantes frictions. Si elle
ne peut souffrir les frictions, les cataplasmes brûlants.
' Le couvent des Auguslines (rue Neuve-de-Berry).
' La fille de Caroline Jaubert, née d'Allon-Sliée, était mariée au
marquis de La Grange. La a marraine » d'Alfred do Musset écrivait,
vers la même époque, au correspondant de M"» Uamelin, qu'elle
rencontrait à Augcrville, chez Berryer : « Votre tour d'esprit, mon-
sieur l'inspecteur général, égaie ma malade, votre son de voix s'ac-
corde avec ses nerl's et votre visite manque à la mère, à la fille, et
pourquoi n'ajoutorai-je pas, à la cousine? Il n'y a plus de fièvre,
c'est un grand point, un peu d'appétit, de sommeil et plus de force. ■
Mais la coquine de douleur ne bouge pas do la jambe et la pauvre
marquise est toujours sur ce même lit où vous l'avez laissée
gisante, pas moyen de la transporter, la dernière potion a rendu le
mouvement au col, mais la jambe. — Enfin, patience, dit Pétroz,
et quoique ce soit la vertu des âmes, à ce que dit Mirabeau, je ne
sais trop comment faire pour m'en passer. » (Lettre inédite).
262 UNE ANCIENNE MUSCÂDINE
J'ai sauvé M""^ Regnault ainsi, en dépit de Bourdoie
et do sa mère. 3Iais elle allait mourir, nous nous
enfermions et je la frottais. Bourdoie n'a rien su qu'à
la parfaite guérison. Dites cela à M""" J... ^ et aussi les
prières que je fais pour cette résurrection qui se fera.
J'en ai le pressentiment.
Edouard -n'était pas malade, il me boude. Il m'écrit
de telles absurdités vaniteuses que je l'ai appelé fan-
faron. Alors, susceptible comme un provincial, il g-arde
le silence. Un autre tort de ma lettre, c'est que je lui
disais que vous étiez venu, que vous aviez été fort
doux, partantfort aimable et comme il n'y a plus qu'un
beau, qu'un aimable à Paris, il me prend en pitié. Il
est fou absolument.
M. de Morny^ a si bien conduit le procès Lelion
qu'il sortira vainqueur de tous les embarras. De la
débâcle des deux frères il a tiré audacieusement en son
nom un portefeuille qui contenait 1 300 actions qui
' M»» Jaubert.
- Son fils, voir les Lettres précédentes.
■' Le duc de Morny, né en 1811, mort en 1865, avait été élevé sous
la direction du comte de Flahaut et de la comtesse de Souza, mère
de ce dernier, n II rimait près de la comtesse des pièces de vers,
poussant la littérature jusqu'au vaudeville, en attendant que comme
l'a ditV. Hugo, il poussât la politique jusqu'à la tragédie. » (G.
Guyho, Portraits du second Empire.) Armand jSlarrast l'appela dans
son journal, « le plus jeune et le plus chauve des satisfaits, » au
lendemain de son élection comme député du Puy-de-Dôme, en 1842.
Il prépara et accomplit le Coup d'Etat. Il fut après 1852 de toutes les
entreprises, a les bonnes, les douteuses et... les autres. » Son bio-
graphe nous dit que sa force était faite surtout de son mépris pro-
fond des hommes et des femmes. Morny fut ambassadeur en Russie
de 1836 à 1857. Sous le pseudonyme de Saint-Rémy, il écrivit :
« M. Choufleury restera citez lui le... »
Octave Feuillet l'a peint dans M. de Camors. et Alphonse Daudet
dans le Nabab a dit de lui qu'il « fut l'incarnation la plus séduisante
du second Empire ». (F. Loliée. Le duc de Morny. Emile-Paul).
FORTUNÉE HAMELIN 263
étaient alors à 1 000 francs. Voilà sa fortune et celle
de sa maîtresse. Il arrangera tout encore, il est habile,
plein d'imagination, gracieux et bon garçon. Il fait
mentir Rubichon, il vaut mieux que son père. Mais
quel vieux fat et sot parfait que ce Flabaut !
Il y a dix-huit mois que M"^ de Fauveau me parlait
de ce mariag'e du duc de Bordeaux comme certain. Lui
seul à Vienne l'ig-norait. M. de iMetternich n'a pas fait
attendre la riposte de Madrid. La France n'a que des
idiots pour ambassadeurs, j'en excepte Christine et
Louis-Philippe lorsqu'ils négocient seuls. Il faut atteler
Bulwer avec Flahaut, ils sont de même force.
Le temps est radieux par i(-i. Vous viendrez bientôt
me voir dans mon château de Paris. Vous savez ? 37.
Je dîne là dans une tourelle.
ANNÉE 1847
Un assassinat. — La ducliesso de Ghoiseul-Piaslin. — Conseils. —
Cléopâtre de Delphine Gay. — tiachel. — M»» Kisseleff. — M™» lla-
nielin se compare à M"» de Ghanlal. — Une lettre du l'oi Jérôme.
La Madelaine. 17 septembre 1847.
Vous vous souvenez donc (}ue je respire encore
quel(}ue part dans un bois"? Merci. Moi je ne vous croyais
guère admirateur de ce tombeau des vivants que vous
observez sans doute comme pénitentiaire volontaire.
Non, non, la MeiHeraie n'est plus en Bretagne, elle est
aux antipodes. Jésus-Christ n'a jamais demandé ni
donné l'exemple de ces affreuses austérités. Il était
sociable, grand promeneur, vivait en famille, causait
avec les savants quil enchantait, faisait de belles
pêches, donnait à dîner à ses amis, ressuscitait les
jeunes filles et regardait Madeleine sans frémir. Cette
belle vie, ces grands miracles, il les fait recommencer
par son digne vicaire Pie IX. Je ne vois rien de si
beau que ces événements de Paris sous de tels éten-
dards. Cet archange inspiré ne dépassera pas le but,
ne fera pas une faute.
L'Italie est sauvée, libre, et le calholicisme immortel.
Qu'on regarde ici ce que font les protestants, les philo-
sophes ! Tout est dans cette comparaison. Pour des-
cendre à la petite pièce, Trechi le libéral, Tanglo-
266 UNE ANCIliNiXE MUSCADINE
mane est parti en croupe de deuxFerretti, a visité toutes
les villes romagnoles, donnant des poignées de mains
comme en 1830, mais évitantles ovations, puis, revenu
à Rome a vu Pie IX cm familiarité, a gagné un coup
de soleil effroyable, puis le choléra toscan. On l'a
ramené à moitié mort dans ses liumides prairies où
il attend le 7noment. Enfia il a fait de son mieux, et
pour lui rendre justice, il a toujours été bon Italien,
détestant l'Autriche de tout son cœur.
Hier, nousavonseuici notre assassinat. Le boulang(M'
d'Avon, brave homme très riche, a été égorgé au lit
avec sa femme. Les choses se passent en famille par
le temps qui court, et les soupçons tombant sur le fils
et le beau-frère, ils sont arrêtés et Avon dans la cons-
ternation. Quoique ce soit mal de tuer son père et sa
mère, je défie cette petite bourgeoisie de s'élever à la
hauteur de Praslin. Celui-là est une variété nouvelle
dans l'espèce des tigres. Mais quelle brave petite
femme que celte Fannie '. Contre le fer, le feu, la
massue, la corde, elle n'avait, la martyre, que sa peau
blanche et fine, ses petites mains et ses jolies dents, elle
a accepté le combat, elle a marché au salut en cher-
chant les portes, les fenêtres, elle a trouvé les son-
' La duchesse de Choiseul-Praslin, fille unique du maréchal Scbas-
liani, fut assassinée le 17 août 1847 par son mari — que l'on arrêta,
mais qui se tua avant d'être jugé (v. Thureau-Dangin, op. cit. t. VII).
En 1841 était entrée dans la maison comme gouvernante, une
demoiselle Deluzy, habile, dominatrice, intrigante, qui prit de
suite un très grand empire sur le duc de Praslin. La duchesse a
laissé des Lettres où Ton peut lire le récit de ses malhcui's. Au
sujet de cette publication, j\I™« Caroline Jaubert écrivait (4 sep-
tembre 1847) au correspondant de M"" Hamelin une lettre intéres-
sante, lettre que l'on trouvera à l'Appendice. — D'après la comtessse
de Boigne (IV) la duchesse de Praslin était une « bonne et aimable
femme ».
FORTUNÉE IIAMELIN 267
nettes et s'en est servie, et lorsqu'elle s'est vue aban-
donnée, elle a pris le rôle de la Providence en
stig-malisant son bourreau qu'elle a couvert des preuves
de son crime. 0 sang- Corse ! Que vous êtes énergique !
Savez-vous que si sa femme de chambre n'eût pas été
si lâche, elle eût sauvé sa maîtresse? Pas une plaie
n'était mortelle, l'hémorrag-ie seule l'a tuée.
Vous êtes en terre promise dans cette Touraine aux
bons fruits. Vous ne voudrez plus du raisin de Fon-
tainebleau. Quelle abondance aussi dans notre petit
canton. La Madelaine ploie sous ses prospérités, seu-
lement la caisse n"a pas beaucoup de récoltes. Elle
ressemble, hélas! à beaucoup d'autres. Il me semble
que le ministre des Finances n'a rien duColbertni du
Villèle, il arrange drôlement la France.
La Pomaré de Madrid s'en donne à cœur-joie. Hor-
tense étouffe d'orgueil des prouesses de Bulwer'.
Pour dire la vérité, il n'a pas été maladroit, soyons
juste. Edouard est en mer du 12 août, il a beaucoup
pleuré son Anglaise et moi aussi. Le cœur est bon, mais
le cœur tout seul est bien bête.
Ne vous mettez pas les austérités en tète. C'est vers
la douceur, l'égalité d'humeur, le respect des petites
convenances qu'il faut amener votre caractère âpre,
tranchant, absolu. Les femmes, les vieilles surtout,
observent et jugent bien. Elles sont amicales alors et
saventcombien les nobles amitiés demandent d'é"ards,
et que les conserver est une consolation, un honneur.
Soyez ici pourles vendanges. Nous ferons deux feuil-
lettes pour faire sauter les chèvres. Tonv est ici en
' Sans iloulc dans TalTairc des mariages espagnols.
268 UNE ANCIENNE MUSCADINE
vacances. Elle est toujours jolie, très grande, très
paresseuse et enragée de ce que vous ne parlez pas
d'elle.
Sans date, 1847.
J'ai su par Théophile le succès eïïréné de Clé opàti^e '.
C'est évidemment un billet donné. La chasteté de la
Madelaine a été cabrée de l'arrivée de l'esclave... C'est
dégoûtant et la barbarie n'ennoblit pas la débauche.
Il faut voir Rachel, elle divinise tout.
J'ai su par la Sainte-Croix bien des nouveautés sur
le procès. Elle adore cette mémoire et méprise le maré-
chal presque autant que Luzy. 11 court après tout ce
qui est Praslin, craint de perdre leurs bontés, leur
familiarité, il est iml)écile enfin, mais toujours cour-
tisan de la vanité.
Certes la pirouette de Xumala ne m'étonne pas du
tout. Je l'ai vu à l'œuvre et jugé; j'en ai parlé vive-
mont à ma KisselefTqui en a été dupe enfin. L'argent
(juillui aescobarbéestpeu de chose, mais pour n'avoir
pas à le lui rendre, il l'a dissuadée d'acheter mon
pavillon S.'iO 000 francs contrat en main. Elle avait
six ans pour payer. Jugez ! Elle a éparpillé ses capi-
taux à Hombourg, Sicile, Dieu sait ! Mais elle est heu-
reuse comme une bohémienne, et se retrouve toujours
bonne, riante, fidèle, établie sur ses deux grands
pieds,
Tony fait des progrès dans la douceur. Les larmes
abondent toujours aux séparations, mais j'aime les
' Cléopâlre du Delphine Gay. Raclicl joua ce l'ùlc le 13 no-
vembre 1847. En juillet 1849 elle jouait dans le Midi de la France,
à ïarbes et à Bagnères-de-Bigorre et elle écrivait à Véron : « Quelle
route! Quelle fatigue! Mais quelle dot! »
FORTUNEE HAMELIN 26'J
femmes qui pleurent, vous savez pourquoi. Lorsqu'on
est élevée par une vraie ^ M""" de Chantai, comment
n'être pas sag-e et instruite ?
Je suis touchée des larmes polonaises. J'écrivais en
Sicile : « Que n'êtes-vous tombée à la Madelaine un
soir où tout le salon était rempli des proscrites de
Posen ! » La Kisseleff les eût étoufTées de caresses.
J'ai envoyé à Palerme un très touchant autographe de
M"'*dePraslindonnéparLéontine-. Je trouve l'Anglais
fort noble puisqu'il n'était pas amoureux. Depuis la
mort de leur mère, ces filles-là ont mérité tous les
refus. Si vous ne vous en fâchiez pas, je vous dirais que
la Luzy^ est l'attelage parfait de M'"'' Lafarge. Mais
Luzy est bien plus adroite, on le dit, l'enseignement
apprend.
Je n'ose parler de moi, car les larmes me gagnent.
Hélas ! j'y vois si mal que c'est ne plus voir. Je fais
des remèdes violents qui m'ôtent toute énergie. Je
me consolerais de la loucherie extérieure, mais je
louche en dedans et vois tout double de loin, et brouillé
de près. C'est bien cruel, bon Dieu, et mes épreuves
sont trop dures.
Vous devez avoir une lettre de moi dont M. de Cor-
réard '* s'est chargé. J'avais besoin de vous dire que
' C'est d"clle-iiirnic quo parle ici M""! Ilaiiiclin. Nuus somme.-^ loin
(lu Directoire.
- Sa fille, iiiarii'c à M. de Varamhon. Le iiiaréclial de CastcUanc
en parle ainsi dans son journal (2i) mai d8i8, II, 245) : « Il y avait
aussi à ce dîner (chez eux) la inari|ui.se do Varainljon, fille de la
célèbre M""" Ilanieiin, plul'H jolie (jui- laide, et avant tout feninie
de beaucoup d'e.spiit. »
• C'est Deluzy que se nommait l'institutrice des enfants Praslin.
' Gorréard (1788-1857) s'embarqua en 1810 comme ingénieur liydro-
270 UNE ANCIENNE MUSGADINE
VOUS aviez été si bon garçon l'autre soir que je me
consolerais de mes maux avec des amis si aima-
bles.
J'ai reçu une aimable petite lettre de Jérôme*, (signée
Jérôme tout bonnement^. Ce mot est joliment tourné
graphe à bord de la Méduse, fut sauvé du naufrage. En 1818 il
fonda au Palais-Royal une librairie très fréquentée. On y publiait
les pamplilets contre la Restauration. La librairie fut fermée en 1822.
Corréard habitait au Prieuré des Basses-Loges, dans la forêt de Fon-
tainebleau.
' Jérôme Napoléon. La pension dont parle M""" Uauielin fut accor-
dée (100 000 francs) au prince Jérôme au lendemain de la Révolution
de 1848, avec le litre de pair de France. Le 20 janvier 1841 il écri-
vait à celle qui était demeurée fidèle à l'Empereur : « Quelle atroce
et inconséquente conduite que celle que l'on tient à l'égard des
frères de TEmpereur ! On les tient en exil et on lem' retient leurs
biens, afin qu'ils soient obligés de vivre des secom-s étrangers ! Mais
brisons sur ce sujet, la conduite du Gouvernement est réellement
par trop anti-française; aux Bourbons leurs biens sont conservés, et
à nous il y a prescription. » Thiers, Odilon Barrot, Passy s'étaient
occupés de lui. Le 22 septembre 1847, Duchàtel écrivit au roi Jérôme
qui fut autorisé à résider quelques mois en France, où il se fit pré-
céder par son fils le prince Napoléon.
N. B. Il y a une lacune dans la Correspondance de .V"" Hamelinà
M. C... Il eût été intéressant de connaître son avis sur la Révolution
de 1848 adressé à un bonapartiste convaincu. On trouvera à ce sujet
des pages curieuses dans le livre de M. Marquisel qui cite quelques
lettres de l'ancienne Merveilleuse à son fils (22, 23. 24 juin 1848).
Reproduisons ces lignes : « Chacun se bat pour mie idée dilférente.
Cependant la république rouge est le fond de toute chose pour le
peuple : il est acculé et ne se bat qu'en tombant sur le canon. Les
femmes sont terribles, depuis M""= Sandjus(iu'auxchilTonnières, elles
animent les hommes le drapeau à la main. Cavaignac est vigou-
reux et de la grande école, les prétendants se croisent les bras : s'il
s'en montrait un, tout s'expliquerait à l'instant : ceci pourrait bien
donner la présidence à Cavaignac qui la désire fort. » Et ailleurs :
« Tu peux dire à tous que le prince Louis, sans être très beau, est
agréatjle, gracieux même, sans une apparence d'impertinence ou
d'importance princière, qu'il est instruit, parle quatre langues et
connaît la littérature, (ju'il n'a pas oublié un nom, est bon. généreux,
fidèle à ses amis, et que nous touchons enfin aune époque de gloire
et de paix. Tout se rallie à lui. »
U"'" Hamelin mourut avant le coup d'État. Qu'en eût-elle dit?
FORTUiNÉE IIAMELIN 271
(à sa manière qu'il ferait bien de communiquer à son
Allemande). Il me dit de rev^enir, qu'il est content, que
la Franceest belle et bonne. Ça vaut IGO, 200 000 francs
de rente. Quelqu'un disait : « Il n'est pas beau comme
l'Empereur, mais c'est un joli Bonaparte. »
ANNÉES 1849-1850
La réponse de M™' Hamelin ■diix. Mémoires d'oulve-lombe de Chateau-
briand. — Les Cont-Jours. — Dévouement de M"° ilaniclin à Napo-
léon. — L'Italie, Niobée des nations. — M. de Falloux. — Manin.
— La sœur d(? Manara. Ingratitude des anciens amis de M"' Hame-
lin. — Elle juge le Second Empire. — Sa tristesse.
La Madelaine, 11 août 1849.
L'opinion des autres fait trop souvent la nôtre.
Vous avez reçu de moi vingt lettres qui valaient mieux
que ma réponse. Vous n'y faisiez guère attention.
C'étaient des chefs-d'œuvre, disent-ils. Badinage à
part, j'ai été dressée par 3Iontrond à riiorreui* de la
publication, justement parce qu'il trouvait mes lettres
jolies et disait que M""" de Se vigne était ma grand'-
mère, mais que personne n'avait assez d'esprit pour
en rien ôter à la conversation. Hélas ! il l'a dit même
à son confesseur... De son vivant donc je n'eusse
jamais osé ! D'ailleurs, je me sentais ignorante et
manquant de souffle. Jugez de ma modestie à soixante-
dix ans ! Je ne puis écrire que par un élan et cet élan
n'est (ju'un orage. Ma réponse ^ a été faite en une
' Le 1" août 1849, le ConslUulionnel publiait un article de M"'» Ha-
melin née de La Grave (que nous reproduisons à l'.Vppendice),
adressé à M"" la comtesse K... (KisseleiT) à llorabourg. Il constituait
une réponse aux Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand, où,
d'après elle (et nous croyons bien qu'elle avait raison), « une belle
18
274 UNE ANCIENNE MUSCADINE
matinée, ma tète était brisée et j'eus trois jours la
fièvre.
Vous vous trompez sur le vaste ciiamp des Ceiil-
Jours. Les hommes usés y prennent une physionomie
superbe à broyer. Est-ce que Ney \ apostat, ingrat,
tuant l'Empire mourant, peut, malgré son supplice,
rester debout et monumental? Est-ce que LaBédoyère-
n'est pas un héros nouveau et digne du Tasse?
Est-ce que moi-même enGn si méconnue, si insultée
par son neveu, je ne suis pas la seule femme mêlée
courageusement à l'histoire de l'Empereur? Dans mes
idées, les Gent-Jours commencent sur le perron du
Bramante à Fontainebleau. Rentré dans un salon,
l'Empereur lit des adieux particuliers à plusieurs offi-
ciers. Il connaissait peu La Bédoyère et ne voyait en
lui qu'un brillant officier. Ainsi il dit : « Vous avez
un bel avenir... Adieu. » « ]\on, non, Sire, à revoir. »
Est-ce beau cet à recoir?
Ce sont les Gent-Jours, car vous saurez après qu'il
a tout déterminé. Nous traversons en raillant la pre-
mière Restauration. La Bédoyère refuse toutes les
offres. Un jour il accepte... Les bêtes trouvent naturel
petite menotte, celle de Juliette, hélas ! avait fait des corrections à
l'usage de ses propres rancunes. » Juliette Récamicr rancunière, qui
l'aurait cru ! M"»» Hamelin n était pas nommée dans les Mémoires.
Pour sa vengeance elle publia la letU'e que René lui avait adi-essèe
le y février 18:23 et que nous citons dans notre Introduction (p. 16).
L'Enchanteur ne paya pas la dette de la reconnaissance. Regrettons-
le. pour la vérité, et môme pour l'auréole dont se pare le front de
Juliette qui ne sut pas rester « divine », toujours.
* Ney, on le sait, n'exécuta pas les ordres de Napoléon à Waterloo
(Henry floussaye, 1814-l81o.)
- La Bédoyère, qui avait épousé ii"^ de Gliastellux, mourut fusillé
en tSlb.
FORTUNEE HAMELIN 275
qu'on se rallie et qu'on pense au solide. Ma scène
avec lui en apprenant sa défection. Pour me calmer
et sûr de moi, il me découvre tout et me fait lire sur
une petite carte (que j'ai encore barbouillée de sa
brave main) les ports, les routes (l'Empereur voulait
la Spezzia) puis tous enfin aboutissant à... à...? à mon
nouveau régiment. Puis l'aigle arrive, la proclamation '
dans ses serres. Cette proclamation, seule, seule j'ai
pu la recevoir, la faire imprimer, afficlier, quoique
surveillée et menacée. Puis, puis, je dis au contraire
que c'est nouveau et qu'aucune odyssée ne contient
rien d'aussi vit ni d'aussi beau. Me voilà déjà fati-
guée.
Je vous félicite de revoir l'Italie, la Niobée des
nations, comme disait Byron. Cette Niobée est plus
noble, plus digne de tendresse depuis qu'elle a brave-
ment défendu ses enfants. L'Empereur de Sainte-
Hélène était plus noble que celui de Marengo. Mon
cœur s'attache passionnément aux vaincus et quel-
' Le rôle Irès actif jouû par M"" Jlamelin dans le retour de l'ilc
d'Elbe est signalé par les mémorialistes et les historiens. Son salon
était le quartier général des Impérialistes. Napoléon, avant d'entre-
prendre cette audacieuse équipée qu'on appela le « Vol de l'Aigle »,
avait rédigé dans son palais de l'île d'Elbe trois proclamations, les
deux premières adressées par lui au peuple français et à l'armée, la
troisième prétenduement adressée par la Garde Impériale aux géné-
raux, officiers et soldats de l'armée. Imprimées secrètement, les pro-
clamations furent envoyées à des partisans irréductibles de la cause
napoléonienne au premier rang desquels se trouvait M™» llamclin.
Et lorsque le :2û mars 1813 Paris s'éveilla sans gouvernement, lorsque
Lavalctte qui avait pris de sa propre autorité la direction des postes
dépêcha un courrier à Napoléon à Fontainebleau pour lui annonce!"
la fuite de Louis XVIII, presque en même temps l'iCmpcreur reçut
deux lettres de M""* llamclin et du vieux comte de Ségur i|ui annon-
çaient aussi la fuite de Louis XVIII. (Henry Iloussayo {.es Cent-
Jours. Fleury de Gliaboulon, Mémoires. Lavalette, Mémoires. Napo-
léon, Correspoadance. Archives Nadonales, F'3168-F"3200-'.)
276 UNE ANCIENNE MUSCADINE
quefois si bêtement que je ne surprends à plaindre et
regretter ce lâche Philippe ' !
Pour l'Italie, je l'adore et vous envie. Votre vie est
remplie. Quelle retraite ! Ce climat, ce langage, ces
aimables gens, cette aisance qui devient splendide
pour vous par la nouveauté et par le bon marché. Vos
peines, vos changements, vos colères, tout est indem-
nisé. Mes Cent-Jours ne m'ont pas si bien réussi,
convenons-en.
Je n'aime plus les légitimistes depuis qu'ils ont
adopté le drapeau de la perfidie. C'était celui de
l'honneur qu'ils arboraient jadis. Celui-là seul pour-
rait nous sauver. On devait répondre à M. de Falloux :
c( Mais si la pression des monarchies devait renverser
la République romaine, lorsque la Russie, l'Autriche
auront tout balayé, la pression des monarchies de
l'Europe renversera la République française pour v
replacer dans son spirituel et temporel le pape
Henri V. » C'est à ce but qu'ils marclient, mais quel
honteux chemin !
La Madelaine est sur la route d'Italie. Venez m'y
dire adieu. Vous y trouverez un pauvre cœur profon-
dément ulcéré, mais toujours heureux du bonheur de
ceux qui furent ses amis.
H.
La Madelaine, 3 septembre 1849.
Les disgraciés' ne cherchent point à compromettre. . .
Je ne vous engage point à venir nous dire adieu, quoi-
* Philippe d'Orléans.
- Elle écrivait à son fils le 9 décembre 1849 : « Je te parle peu de
m oi. Ma vie a été une déception cruelle depuis février. Ne- te tour-
FORTUNEE HAMELIN 277
qu'une journée suffirait, au plus une nuit avec :
Venise ! Venise ! Plaignez-vous donc ! Les plus nobles
doges sont surpassés par Manin^ Ainsi gloire ancienne
et grandeur nouvelle. Nous nous en tenons à l'an-
cienne pour chez nous. Je connaissais beaucoup la
sœur de Manara tué à côté de Dandolo ^ à Rome. Ce
dernier brigand disait en expirant : « Questa palla
doveva ci difendere e no mi uccidere ! m
Une nuée de favorites sont à Héricy. Elles ont
chassé un Polonais de soixante-treize ans, on lui a
offert 50 francs et un passeport.
M. de Meneval m'a écrit une lettre touchante, fort
noble même. Je ferais une jolie collection de cent
charmantes lettres dont Besplas a le pompon. Sophie
fait un peu la grimace à cette pluie. Tony est plus
grande que moi et plus méchante. Je reviens le 20 à
Paris pour huit jours. Ma chère princesse est bien
mal. Son mari est dans une exaltation religieuse qui
lient de la démence. J'espère que la chasse le va
calmer. Je vous envie. Je pleure sur le même sou-
venir. Quelle différence avec sa race !
// reste deux lettres de M"'^ Hamelin à M. C...
L'une datée du 8 novembre 1830 et l'autre du 14 /e-
mentc pas de ma position, elle a été aiïreuse et l'ingratitude en a
augmenté l'amertume. J'ai trouvé des affections très dévouées ; jo
suis recherchée et ma santé et ma pauvreté me font décliner abso-
lument toutes les avances comme chères et fatigantes. Je me plais
à la Madelaine doublement, car le voisinage de la famille Trou-
betzkoï est une providence consolatrice. » (Marquiset, op. cit.)
' Le patriote italien.
* 11 y eut plusieurs Dandolo. Les deux plus connus sont Vincent
Dandolo (17.t8-181!}), écononiiste et son petil-(ils Emile Dandolo (1830-
1859) qui fit partie de la légion des volontaires lombards organisée
en 1848 par Manara qui l'ut tué avec Henri Dandolo et Morosini.
278 UNE ANCIEiNiXE MUSCADINE
vricr I80I. Elles ont tirait à la mort d'une amie intime,
« nouvelle Cendrillon », qui voulait refjip lacer sa fille
Léontine, et qui mourut sans même nommer Fortunée
Hamelin dans son testament. Cette inrjratitude , ajoutée
à tant d'autrc!^^ arrache à ranciennc i\fcrveillcuse des
termes povjnants :
« A moi, sa nv'rc. disait-elle, sa mère adorée, com-
i:)ensation de sa famille, rien, rien, pas une bague,
pas un nom prononcé, un adieu! Rien, rien. C'est
étrange, c'est affreux! Quelle affreuse résolution se
fait au moment de la mort ou devant? On m'aime
pour vivre, ou m'oublie pour mourir, moi si fidèle au
culte des morts ! . . .
f< 0 cœur humain! 0 cœur polonais! L'expliquera
qui pourra ! Moi dont le cœur est très bete, je souffre
sans comprendre... Depuis cette mort si saisissante
pour moi, ma santé est déplorable. Je sens toujours
cette petite main frémir dans la mienne, sous les til-
leuls de la Madelaine. Là aussi j'avais quitté Montrond
et tous me demandaient d'y venir finir leur vie près
de moi. La Madelaine aussi va me quitter et son sou-
venir divin se mêlera le reste de ma vie à celui de
ces charmants amis. Courage, vieille femme ! Le
temps te presse, tu n'es point panthéiste, ces amis tu
les retrouveras.
« Vous parler de notre bas Empire c'est voler les
journaux. Ils sont plus rouges et plus blancs que
jamais. La dignité, la grâce sont bannies. Les sei-
gneurs par excellence s'appellent La Moskowa ', Tou-
longeon, Fleury et Belmontet.
* Napoléon-Henri-Edgar Ney, prince de la Moskowa, fils du maré-
chal Nev, fut attaché comme officier d'ordonnance à la maison
FORTUNÉE IIAMELIN 279
« Quel dommage que dans votre malaria on ne
cause pas, on ne lise rien et qu'on ne parle ({u'un
espagnol arabe. Que j'aimerais vos oranges, vos
vins, vos raisins et que j'aurais besoin de votre bon
marché ! J'espère que votre santé s'arrange avec la
malaria et que v'os amis ne vous oublieront pas, car
enfin petit bonbomme vit encore. Il y en a qui disent
que cet éciiec va beaucoup le populariser. Attendons.
Je n'espère en personne. Pardon de ma tristesse ^ »
militaire de L. Napoléon. Il fut représentant en ISoO, et sénateur
du second Empire.
Toulongeoii (Hippolyte-Alexandre-Paul-Léonel, comte de), député
au Corps Législatif de 1857 à 1868, né à Eclans (Jura) le 31 dé-
cembre 1820, mort le 21 mai 1868, fit de l'opposition au gouverne-
ment de Louis-Philippe et se rallia ensuite à la politique de Louis-
Napoléon.
Plusieurs hommes politiques du nom de Fleury vécurent à celte
époque. Il s'agit sans doute ici du général Fleury (Emile-Félix), né
en 181o, mort en 1884, qui devint officier d'ordonnance de L.-N. Bo-
naparte, et son conseiller intime. Il contribua, lors du Coup d'Etat
de décembre, à la répression des tentatives de résistance.
Belmonlet (Louis), né à Montauban (2*5 mars 1799), mort à Paris
(13 octobre 1879). député au Corps Législatif de 18.n2 à 1870. Il
publia un grand nombre de brochures politiques et de volumes de
vers (Les Mânes de Waterloo, la Mission, l'Apologie, une Fête de
Néron (1S29). Belmontet avait collaboré à la Muse Française, à la
Tribune, au Tribun du Peuple, au Capitole (dont parle souvent
M°"> Ilamelin). Il fut décoré en 1846 après la publication des Nombres
d'Or, recueil de vers. II avait été en relations avec M»»» Hamelin
qui le raillait quelquefois.
* M"" Hamelin mourut le 29 avril 1831 (v. Le Pays, 4 mai 1851,
et dans le Constitutionnel, 9 mai 1831, un article de Sophie Gay).
Cette lettre est donc une des dernières de l'ancienne Muscadine
qui méritait l'hommage ([ue nous lui avons rendu.
APPENDICE
APPENDICE
Lettre a Lucas de .Mo.ntigxy ^
Sans date.
Monsieur Lucas,
Mon sort est entre vos mains. Il est impossible que
vous n'ayez pas dans votre sang de cet art qui entraîne
les assemblées. Vous ferez pour vos amis ce que d'autres
font pour la gloire ou des intérêts personnels ; ici la
reconnaissance ne sera point éparpillée, combattue,
elle sera sentie et bien vivement.
F. Hamelin.
Lettre de Chateaubriand a M™'^ Hamelix^.
Paris, le 11 décembre 1844.
Grand merci de votre billet de la rue Blanclie ; ne
vous mettez plus en peine de moi, excepté de mon
amitié pour vous. Ces nouvelles indignités de la Presse^
' Bibliothèque nationale, Manuscrits. Fn. a. 2765. C'est la seule
lettre de M""» Hamelin qui soit à la Bibliotliéque nationale.
- Souvelle Revue ?-élrospective, octobre 1898.
^ Criblé de dettes. Chateaubriand avait cédé la propriété des Mé-
moires à une société composée d'amis et d'admirateurs. En 1844,
284 UiNE ANCIENNE MUSCADINE
ne me font rien. Je laisse passer et je ne m'embarrasse
pas de gens qui veulent voler jusqu'à mon cercueil.
Ne riez pas de moi ; je suis sincère. Je n'ai jamais rien
affecté. J'ai eu de jeunes faiblesses ; elles sont main-
tenant passées. Je suis en face de mes vieux ans qui
me regardent ; cela n'est pas très amusant. J'aimerais
mieux vous revoir, mais quand je vous reverrais, que
vous dirais-je ? Savez-vous que votre ancien ami *
m'a cberché avant de mourir? Voulait-il s'appuyer
sur moi ou voulait-il me donner le bras pour faire la
dernière enjambée ? Hélas ! je suis réduit, maintenant,
à prier, en attendant les dernières prières que l'on
voudra bien m'octroyer !
Vous voyez que je ne puis plus écrire et que je suis
obligé d'employer une main étrangère '. Nous avons vu
de meilleurs jours, de plus grands jours. Je suis,
maintenant, tout ratatiné. Si vous me voyiez, par
liasard, vous ne me reconnaîtriez pas.
Adieu ou bonjour, comme vous voudrez. Si vous
avez eu des inimitiés dans votre vie, oubliez-les. Que
votre colère surtout ne tombe jamais sur moi. Res-
pectez un bomme qui vous est si dévoué. C'est quelque
chose que le dévouement. Dans une âme bien née, il
Â'mile de Girardin obtint pour SO 000 francs le droit de publier les
Mémoires dans la Presse à la mort de l'auteur.
' Le comte de Montrond. On a lu plus haut le récit que M"»» Ha-
melio a fait de ses derniers moments.
- Ciiateaubriand ressentait déjà dès 4840 celte difficulté à écrire :
« Vous ne m'écrirez pas. Moi, je vous écrirai, quoique pouvant à
peine former une lettre. Le vieux chat ne peut plus jeter sa griffe
qui se retire. Je rentre en moi. Mon écriture diminue, mes idées
s'effacent; il ne m'en reste plus qu'une, c'est vous. » Lettre de Cha-
teaubriand à Juliette liécamier, 19 juillet 1840 (Edmond Biré. 1-es
Dernières années de Chateaubriand .)
APPENDICE 285
survit à tout. Il remplace les jeunes années et l'on peut
se faire des illusions.
Aimez-moi toujours comme quand vous veniez me
chercher aux Affaires élrangères. Je suis au moment
d'aller retrouver, dans quel coin isolé, la grande affaire
de tous les hommes.
Tout à vous et à toujours,
Chateaubriand.
Lettre de Madame Lafarge {Marie-Fortlxée Cappelle)
A M. C...1.
1846.
Merci, monsieur merci ! Votre lettre c'est vous ! C'est
votre chère brutalité, votre loyale franchise, votre es-
prit, votre tête... Votre lettre, c'est l'ombre de vous-
même, et voilà pourquoi elle m'a fait rêver, pleurer,
sourire, voilà pourquoi je veux avoir le courage d'y
répondre de la seule manière digne de vous et de moi.
Si j'étais une femme heureuse, j'userais de mes préro-
gatives de fille d'Eve, je vous laisserais apprendre au
jour le jour, par cœur, lentement, capricieusement mon
secret. Ici je ne \q imis. Je ne le dois. Ecoutez-moi et
que votre honneur protège maconfiance. Je vous aime;
mais de toute ma volonté, de toute ma conscience, de
toutes mes forces, de tout mon courage, je suisdécidée
à ne pas vous aimer. Je ne vous demande pas de res-
pecter cet aveu... Je ne vous le demande pas, car en
me lisant vous me sentez souffrir. Dieu ne donne jamais
à un seul cœur le baptême de ses saintes amours. Dans
' Voir Année 1846 (Lettres de Fortunée llamelin) ce que M'»» lia-
nielin pensait de M""» Lafarge.
286 UNE ANCIENNE MUSCADINE
un inonde selon ses lois, nous pouvions être bien heu-
reux, — dans celte société je ferais peser sur vous la
moitié de cette malédiction injuste qui m'a atteinte...
Ne revenez pas à Montpellier. Oubliez-moi. Cela vous
sera facile, à vous pour lequel mon amitié eût été,
tout au [)lus, l'étoile qui brille la nuit en l'absence du
soleil, — mais qui s'éteint à son retour. Dans l'esprit
de notre code civilisé ce que je vous dis est une
faute.
Selon ma conscience, c'est un devoir pénible que
j'accomplis. Vous êtes plus fort que moi. Pour la pre-
mière fois de ma vie je subis le charme d'une attrac-
tion indéfinissable, mais je le subis en me révoltant.
Je veux pouvoir parler de votre souvenir avec Dieu
sans rougir. Je veux sans rougir mériter l'estime de
mes amis. Surtout je ne veux plus m'exposer aux
coups de soleil. On dit qu'il en est d'assez puissants
pour rendre folle. Je le crois...
Ne vous irritez pas... 3c souffre. Souffrons ensemble.
La souffrance à deux est quasi du bonheur. Par-dessus
toutcomprenez le sentiment qui dicte cette lettre. Jeune
fille, j'ai beaucoup rcvé d'adorables rêves. J'ai été
trompée plus tard dans la première affection sérieuse
de ma vie, avant que cette affection soit devenue pas-
sion ; ramenée alors par mes tantes au sens commun
de la vie, voyant autour de moi ma sœur, mes cou-
sines, mes amies épouser le premier mari d'apparat
A'enuetsemontrer satisfaites, j'ai cru qu'il m'en arrive-
rait comme à elles, je me suis laissée marier en m'étour-
dissant le plus possible. Mais en face du monde qui
me lierait, mon cœur s'est révolté. J'abandonnais ma
dot, ma volonté, ma vie à celui qui m'avait épousé
APPENDICE 287
pour relever ses affaires avec ma fortune, meubler son
salon avec ma personne, compléter sa vie avec ma
pauvre vie. Mais je déclarai ne donner mon amour que
contre de l'amour et vous savez quelle fut la récom-
pense de ma franchise. La mort — le déshonneur —
une agonie à perpétuité. En prison, de nobles dévoue-
ments se pressèrent autour de moi. Ils adoraient la
Martyre. La femme resta calme. Un seul paraissait
m'aimer un peu pour moi ; il éprouvait la vanité de
l'amour et non sa sainte religion. Il m'oublia et comme
c'était moins lui qui m'avait trompée que moi qui avais
voulu mo tromper, je lui avais pardonné. Je me con-
solais en étant orgueilleuse de mes forces, je me sen-
tais invulnérable, invincible. J'ai eu tort. Dieu m'a
punie. J'ai peur aujourd'hui.
Ecoutez-moi encore... Si vous aimez une noble
femme qui vous aime, je le crois, me rappelant l'/mi-
tation que vous lisez chaque soir, ne l'oubliez pas,
môme un jour.
Ecoutez-moi. Je n'ai gardé en ce monde que la con-
solation de pouvoir vivre face à face avec moi-même,
sans avoir jamais à rougir d'un souvenir. Ne m'enviez
pas cette consolation.
Ce n'est pas que je croie l'amour un déshonneur
devant Dieu. Femme heureuse et libre, j'oserais aimer
de tout l'abandon de mon âme, de mon cœur, de mon
être, — dans ma position, c'est impossible ! dans ma
position vis-à-vis de vous, c'estplus impossible encore.
Un Inspecteur Général !... Ah ! pourquoi m'avez-vous
regardée comme jamais on ne m'avait regardée, pour-
quoi m'avez-vous pris la main comme jamais on ne
me l'avait prise, pourquoi m'avez-vous comprise)
288 UNE ANCIENNE MUSCADINE
devinée, dominée, commejamais on ne m'avait devinée,
dominée, comprise ?
Adieu, monsieur, à Bien. Si votre cœur lit dans le
mien, il comprendra que c'est irrévocablement que je
préfère le respect de votre cher, de votre aimé sou-
venir au bonheur de vous dire : au revoir en m'expo-
sant peut-être à mériter votre mépris.
Je souffre — soyez heureux — et dans la solitude
de votre foyer vide, de votre foyer éteint par la mort,
ne vous croyez pas seul. On ne l'est jamais alors qu'on
est aimé.
On m'a remis votre lettre fermée. La sachant par
cœur, je l'ai brûlée. Brûlez la mienne.
Depuis huit jours j'ai la lièvre; la réaction de mon
courage qui se fait sentir sur ma santé; ce ne sera
rien, malheureusement. Le fjênie de mon activité ne
s'exerce que trois heures par soirée.
Je suis encore sous le régime à.ç,\ engouement. Vous
croyez que cela ne continuera pas, c'est peu flatteur,
mais c'est vrai, je le crains.
Ma pauvre demi-morte est tout à fait ressuscitée.
Je me suis donnée pour tâche de porter tous les malades
dans mon cœur pour écraser mes instincts de révolte.
G'estlourd, mais moinslourd qu'uneidée fixe. M. de V. . .
met une délicatesse charmante à me faire faire du
bien. J'ai vu la Corse à laquelle vous vous intéressez.
Nous parlons italien ensemble. Je regarde souvent
avec plaisir le joli visage de saint Jean, parce que je
sais qu'avec plaisir aussi vous le regardiez et le trou-
viez joli. Adieu, et si vous aviez jamais besoin de
l'affection d'une sœur, appelez Marie, elle répondra.
Je suis bravement entrée en fonctions malgré la
APPENDICE 289
toux et la fièvre. Voici ce qui a été arrangé. J'irai à
quatre heures et demie surveiller les pansements, faire
la visite du soir dans les infirmeries et faire les obser-
vations de la clinique pour guider M. Pourcliet le len-
demain sur l'état des malades. De plus, le bon M. . . (illi-
sible) ((ue j'ai vu, me donne la charge de tout surveiller
a(in que je puisse aller partout un peu consoler les
prisonnières les plus intéressantes et leur être utile
en me chargeantde leurs réclamations vis-à-vis de ses
commis. M. l'inspecteur m'a guidée au milieu des ate-
liers et de l'hôpital. Son étonnement était prodigieux
en voyant que je connaissais le tiers des détenues par
leurs noms en dépit des barrières et de la surveillance.
Cette visite que je craignais a été une véritable ova-
tion. Il y a surtout une jeune malade à l'agonie, qui,
ayant une maladie contagieuse, était enfermée à part
et dans son délire avait le désespoir fixe de ne pas me
voir comme ses compagnes. Lorsque j'y entrai, que
la sœur lui dit mon nom, elle leva ses grands yeux
mornes vers moi et dit : « Non, ce n'est pas Elle.
Cela se gagne mon mal. Il faut que je meure seule. »
Je lui parlai, je lui pris la main. « Ah! s'écria-t-elle,
je reconnais sa voix. » Et je ne la connaissais pas, —
et l'eftet de ma longue visite fut si bi)n que ce soir elle
est mieux — que peut-être je la sauverai. Vous m'avez
donné le conseil, je vous offre la moitié de la première
joie qu'il me procure. Aimez-moi donc un peu, vous
voyez que je vais être forcée de vous aimer beaucoup.
31. Morcau et le préfet veulent me faire venir de
Paris un piano-orgue et, je l'espère, nous vous chan-
terons une belle inosse quand l'iieurc de votre retour
sonnera. Cependant, si vous priez pour moi, (jue ce
l'j
290 UNE ANCIENNt; MUSCADLNË
soit pour que Dieu me rappelle dans ses autres mondes.
Je souffre. Des années sont si longues qu'en voyant
votre retour à travers leur ombre, je ne le désire pas.
Un mot de reproche pour finir. Pourquoi m'avez-vous
demandé des conseils sur les plus difficiles pratiques
de nos religions, quand vous auriez pu me donner des
leçons ! Moi, pauvre femme, je n'ai jamais atteint les
iiauteurs de la confession en parties doubles. Depuis
votre départ, quand je passe près de ma table, j'ai la
réminiscence d'un petit coup de soleil sur la joue.
N'allez pas, je vous en supplie, vous en souvenir dans
un de ces moments où vous gagnez des indulgences
plénières en dénonçant les poutres qui se trouvent
dans le cœur de votre prochain... Il est vrai qu'un
coup de soleil sur la joue n'est pas une poutre dans
le cœur! Mais enfin, oubliez. Je m'en souviendrai pour
deux. Quel grand saint vous ferez ! Avouez que vous
me deviez un compliment quand je vous ai dit qu'avec
votre caractère vous trouveriez dans un grand mal-
heur ou dans une immense joie la force d'aller vous
jeter dans un confessionnal. C'était faire de la pro-
phétie les yeux tournés en arrière. »
Marie Lafarge.
Lettrh; de Caroline Jaubekt au .mè.me
{Fragment inédit).
Marly, 4 septembre 1847.
Je ne suis point assassinée et je prends mes mesures
pour ne pas être doublement victime comme cette
pauvre duchesse. N'avez-vous pas trouvé cette publi-
API'ENDICt: 291
cation très bizarre ? L'avez-vous dans les Débats ? Les
autres journaux ont tronqué ce que vraiment on
n'aurait pas dû mettre.
Elle ne pensait pas que le célibat forcé lui fût salu-
taire et regardait cet état comme celui de vos forçats.
Il paraît que la famille Sebastiani a trouvé encore
assez de vanité à travers cet événement pour penser
illustrer M""' de Praslin par la publication de ses écrits.
Il y a erreur s'ils ont pensé la grimper au rang des
Sévigné ou des Maintenon. Cependant vu le très bas
de la moyenne chez les femmes (en ce siècle), on peut
dire qu'elle est au-dessus. Paris, vous le savez,
adore les commotions et émotions. La mort du duc
a coupé les vivres. Mais tous les esprits sont en l'air
et demandent pâture. Alors on forge incessamment des
nouvelles, et nous nous les jetterions à la tête, mon
cher gobe-mouches, si vous veniez nous voir en ce
temps-là... »
Cahollm:; Jaubert.
Feuilleton du Conslilutionnel t/i< 1''' août 18^9.
On nous communique, avec prière de l'insérer, la
lettre suivante qui se rattache à l'un des récents para-
graphes des Mémoires d Outre-Tombe de M. de
Chateaubriand.
A M"**' LK COMTESSE K... ', A IIOMBOURG
Sophie, vous avez donc lu ces terribles feuilletons
' La comtesse KisselefT (M"»" Ilanielin écrit Kisselolï) doni il est
souvent question dans la Correspondance que nous publions.
292 UNI-: ANCIENNE MUSCADINE
sur le duc d'Eng-hicn* ; vous êtes choquée, moi je suis
navrée. 0 mon illustre, mon adorable Chateaubriand
qu'avez-vous fait ? Ces savans confesseurs i)0ur qui
vous écriviez Bancé ne vous ont donc pas appris le
Génie du Chrisiianistne? Ce mécréant de Voltaire le
savait mieux que vous lorsque dans l'Alzirc il dit :
« Notre Dieu, c'est le pardon. » Si grand par le génie
dans la tombe même vous n'avez pu supporter la
supériorité de cet autre génie- qui touchait aux nues.
L'envie fut donc bien forte, si, dans votre noble cœur
elle a produit ranalhème ! Hélas I moi, vieille femme,
j'ai vu, au commencement de ce siècle si tapageur, un
jeune croisé breton promener un (lambeau dont la
clarté mystérieuse laissait lire ces mots charmans :
« Atala, Amélie, René, Chateaubriand. » Ce jour-là %
' La Presse commença de publier les Mémoires dOulre-Tombc le
21 octobre 1848. Le feuilleton consaci-o à la mort du duc d'Engliicn
parut dans le numéro du 18 juin 1849. Chateaubriand, qui occupait
un poste dans la diplomatie, avait donné sa déuîission au lendemain
de cette mort (1804) qu'il imputait à Napoléon, appelé par lui « le
glorieux assassin ». Le Mercure imprima l'article en 1807. Cliateau-
briand dit qu'il remua le monde et que l'Empereur se serait écrié :
« Chateaubriand prétend que je suis un imbécile, que je ne le com-
prends pas! Je le ferai sabrer sur les marches des Tuileries. » Ordre
fut donné de supprimer le Mercure et d'arrêter Cliatcaubriand ;
mais René ne l'ut pas iniuiété. Néanmoins la menace pesait sur sa
tète. En 1807 il achetait la Vallée aux L.oups.
- Napoléon.
^ Le Génie du Christianisme fut imprimé en 1802. Six éditions se
vendirent en une anné ). « Alors, dit Chateaubriand, vinrent se presser
autour de moi, avec les jeunes femmes qui pleurent aux romans,
la foule des chrétiennes et ces autres enthousiastes dont une action
d'honneur fait palpiter le sein. » L'Empereur partageait l'admiration
de tous pour la nouvelle oîuvre de Chateaubriand, car en 1811 il fit
demander à l'Académie, où Ciiateaubriand vt-nait d'être élu, pour-
quoi, lorsqu'elle s'occupait de distribuer ses prix, elle n'avait pas
mis sur les rangs le Génie du Christianisme ? « Espèce de coquetterie
impériale, ajoute Sophie Gay (LaPresje, Il août l54'.)) à laquelle l'au-
APPENDICE 293
dans Paris, pas une femme n'a dormi. On s'arrachait,
on se volait un exemplaire. Puis quel réveil, quel babil,
quelles palpitations ! Quoi ! c'est là le christianisme,
disions-nous toutes, mais il est délicieux, qui donc
l'explique ainsi ? — C'est un preux de l'armée de
Condé, répondait la duchesse de Châtillon (un peu
pédante, femme d'esprit d'ailleurs). Dans mon âme
je pensais que notre armée d'Italie aurait le dernier
mot en toutes choses, et ne me doutais guère qu'elle
portait dans son sein César et ses commentaires ;
ainsi je pris l'avant-garde des jeunes enthousiastes,
et lorsque nous rencontrions un académicien, même
un très bel esprit, Fescarmouche commençait : il se
défendait vivement en relevant des fautes légères.
L'envie, hélas ! est le choléra parisien.
Le temps marchait, le canon grondait, les rois
captifs dansaient avec nous ; le monde nous appar-
tenait et Chateaubriand, plus spirituel que le baron
Dunois, partait pour la Syrie. Un soir d'octobre 1811,
M. de Mézi, aimable et bonhomme, aimé de tous, vint
me voir. C'était un parfait royaliste, ami intime de
M. de Chateaubriand et de plusieurs jolies pèlerines
qui s'étaient croisées avec lui. — Eh bien! que dit
le faubourg rebelle ? — Ne badinez plus, madame,
nous sommes très menacés par la police de votre
Empereur ([ui parle tout hautement de faire arrêter
René et de le traiter, ma foi !... comme le duc d'Enshien.
— Vraiment, et vous croyez cela? — Oui, oui, on
ne lui pardonnera jamais sa démission qu'il donne-
rait encore. — Non, car TEmpereur ne ferait plus ce
leur fut très sensible et qu'il crut devoir à la sollicitude de mes
amis. »
294 UNE ANCIENNE MUSCADINE
qu'il a fait; il n'avance pas sans réfléchir; il s'est
formé seul; quelle école pouvait lui enseigner sa
gloire ? Pourquoi ne s'apprendrait-il pas la perfection ?
Je le crois bien meilleur que sous son Consulat, il
laisse tout arriver jusqu'à lui, il supporte la contra-
diction, il n'exile plus les femmes d'esprit, il les écoute
souvent, lit leurs lettres, et toujours la générosité
pénètre avec la voix des femmes de cœur. Allons,
Mézi, vous êtes en démence. — Eh bien ! acceptez de
causer avec René. — J'en serai ravie. — Il vint ce
preux, ce croisé, ce ti'oubadour, ce grand écrivain.
D'abord, il fut un peu gourmé, mais son beau et fier
visage s'égayait vivement par des éclats de rire qui
laissaient voir beaucoup les plus belles dents de l'Aca-
démie, car déjà il était de l'Académie, et c'était l'a-
choppement. L'Empereur détestait les atermoiements ;
Cbénier ^ mort, il veut le remplacer par son antipode.
En vain, le comte Regnault, conciliateur-né, demande,
supplie, pour qu'on attende la mort de M. de Saint-
Ange qui ne tenait la vie que pour quelques journées.
Tous les obstacles alors s'aplanissaient, car il voulait
(ce suppôt de Néron) que la nomination, pour être
digne de l'écrivain, fut faite à l'unanimité. Savary,
chargé seul de faire presser la réception, avait délégué
M. Esmenard, homme de lettres distingué, tout dévoué
à M. de Chateaubriand; Savary disait à l'opposition
de l'Académie : — Mais, messieurs, ce Cliénier est
autre chose qu'un régicide; il a fait de jolis vers à
Voltaire, il a fait une tragédie, un Charles IX, une
religieuse de... je ne sais où... Louez tout cela et lui
' Cliûnier (Man(,'-Jost^})li) mourut le dû janvier 1811 .
APPENDICE 295
nous parlez pas de la Convention, nous n'en voulons
plus '.
Ainsi, ma chère, les deux amis me trouvaient trop
rassurée pour être une caution bien solide. Je
demandai s'ils voulaient voir le duc terrible ? — Pas
chez lui, s'écria M. de Cliateaubriand. — Voulez-vous
le rencontrer dans les serres de M. Boursault (dont
j'occupais le rez-de-chaussée), c'est un terrain neutre
et parfumé. Vous y trouverez les magnolias d'Atala ;
Rovigo y achètera des plantes pour sa femme ; vous,
vous y rencontrerez par hasard... Tout fut accepté,
exécuté sans un obstacle, et sans autres spectateurs
que des jardiniers et M""' Boursault, qu'on pouvait
prendre alors pour une de ses fleurs. Ils causèrent à
peu près trente minutes et rentrèrent chez moi par
une porte-fenêtre. — Eh bien, dit Rovigo, de cet air
railleur et cavalier qui était son maintien, la paix est
faite ! — M. de Chateaubriand, pâle et contraint,
répondit : — Monsieur le duc, que ce ne soit pas
seulement une trêve! — Rovigo tendit vivement la
main et dit très haut : — Non, certes ! — Chateau-
briand, sans ajouter un mot, plaça sa main dans celle
de Savary -.
Deux jours après, je revis M. de Chateaubriand. Il
me fit d'assez secs remerciements. Dans son âme, il
jugeait la frivolité de ses terreurs ; je l'en raillais sans
' Le discours que Chateaubriand devait prononcer en succédant
à Chénior avait été soumis à l'Empereur qui en ratura plusieurs pas-
sages. A côté d'un éloge de Napoléon, Chateaubriand avait placé un
éloge encore plus vif de la liberté. (Mémoires d'Oulve-To)nhe. Presse,
30 juin 1849).
- Véron [Mémoires d'un Bourgeois de Paris, I, 37) relate cet inci-
dent historique. D'après Véron, la paix ne fut qu'une trêve.
296 UNE ANCIENNE MUSGADINE
façon. « L'empereur Auguste' fusiller Virgile ! Ce
serait beau. » Il riait. — Mais ne voyez-vous donc pas
que l'Empereur vous adore ? Vous lui devenez si
utile ! — Par mes flatteries, n'est-ce pas? — Non,
mais les routes que vous tracez avec tant de grandeur
et de charme sont celles (ju'il veut suivre évidemment.
Vous faites diversion, et l'on s'occupe plus de vous
que de la guerre. Pourtjuoi ne me diriez-vous pas vos
rêves? car tout poMe rêve beaucoup. — Mon plus
beau rêve serait d'obtenir de votre enchanteur cinq
architectes, cin(j millions pour aller en son nom
rebâtir le temple de Jérusalem qui vient d'être brûlé.
Ce beau grand rêve fut communiqué à l'Empereur
qui répondit : — A la lil)erté des mers, à la paix. —
Cotait fort éloigner le rêve. Aussi dis-je un jour à
M. de Chateaubriand. N'avez-vous rien de plus
humain, de plus raisonnable à vouloir? — Vraiment
si : j'eusse voulu connne récompense de longs travaux
dans ces climats meurtriers, qu'on me créât un pai-
sible ministère des bibliothèques de l' Empire, le repos,
la solitude éloignée de toute politifjue, la certitude
de porter l'instruction vers des hauteurs inconnues,
voilà l'idée. — Je vois dans ce projclbien des vanités,
bien des intérêts blessés. — Nullenient, tout est com-
biné, prévu, et satisfaisant pour tous. Il m'envoya un
mémoire pour l'Empereur, mais caclieté. Je le remis
* Nous lisons dans les Me moires d'Oiilre-Tombc (II. 'ti'i) : « LaFrani'C
aurait pu gagner à uîa réunion avcr l'Em;)i.'reur; moi j'y aurais pcidu.
Peut-cti'c serais-jc parvenu à maintenir (juelques idées de liberté et
de modération dans la tête du grand liommc ; mais ma vie, rangée
parmi celles qu'on appelle heureuses, eût été privée de ce qui en a
l'ait le caractèic et l'iiouncur : la pauvreté, le combat et l'indépen-
dance. »
APPENDICE 297
à ce beau Lavalette^ souvent mon intermédiaire près
de notre dieu. Je sus qu'on en avait causé favora-
blement, avec MM. de Fontanes et Esmenard. Mais
l'heure fatale avait sonné, les apprêts de la campagne
de Russie absorbaient tout. Je ne revis plus M. de
Gbateaubriand : des cartes, des compliments seuls,
car déjà l'espérance en habit blanc éclairait l'horizon.
Hélas ! chère amie, au moment de sombrer, je faisais
mes rêves aussi : ce ministère des bibliothèques
aurait fait tomber un petit rellet de leur gloire sur
l'iiumjjle négociatrice. Voyez comme les beaux esprits
se rencontrent. C'était ce même directeur général que
veut aujourd'iuii M. Emile de Girardin sous mille
formes diverses. C'eût été, en 1812, Chateaubriand;
ce serait, en 1849, Victor Hugo. Mais ma pensée la
plus intime était le bonheur de ridolomio. Je voulais
que deux si grands hommes pussent s'aimer. Que
peut souhaiter Napoléon, me disais-je, que le trône
ne jette à ses pieds? Dieu, pour le complétci', lui a
donné la passion des beaux entretiens; ce goût vous
rend égaux? Qui peut se comparer, ô René, à voire
éclat, à votre grâce, lorsque par caprice. .. vous êtes de
bonne iiumeur! Vous connaîtriez aussi ce qu'on ne
connaît guère, un Napoléon charmant qui vous écou-
terait dans un silence où l'intelligence éclate, (jui vous
interromprait quelquefois par ces mots : Pardon !
vraiment, — puis, (|ui, d'une voix très douce, acccn-
' Lavali'ttc! avait pris di; sa prupri! autorilc la dirociion générale
des l'ostes au moment du retour de 1 ilc d'Elbe. Le courrier qu'il
dépêcha à l'Empereur sur la route d'Auxerre pour lui annoncer le
départ de Louis XVIII arriva à l''ontaineijl(>au vers midi (20 murs
4 SI .5). Presque en même temps l'Empereur reçut deux lettres de
M"'" Hamelin et du vieux comte de Ségur (Henry Iloussaye, 181b).
298 UNK ANCIENNE MUSCADINE
tuée d'un reflet italien, vous parlerait avec la noblesse
de Berryer et la concision de Tacite ; les récits de
cet esprit qui a tout résumé vous enchanteraient. Je
croyais cela possible sous TEmpire et je le rêve encore
comme si j'étais à Bagdad, causant avec la belle
sultane endormeuse, qui ajoutait à ses récits mes
souvenirs de l'Empire.
Mon réveil, chère Sophie, fut l'invasion, les cosa-
ques. Après ces hontes, une aventure sublime vint
nous tourner la tête. Ces Cent Jours S racontés,
écrits par tout le monde, sont encore à raconter et à
écrire. Exilée donc en novembre I8I0, je traversais,
en sanglotant, le champ de bataille de Waterloo.
J'allais à Bruxelles rejoindre force compagnons d'in-
fortune, presque tous conventionnels, que je n'avais
pas l'honneur de connaître'. Les officiers généraux,
les gens de lettres arrivèrent ; je me trouvai alors
comme chez moi, rue Blanche, à Paris. Un jour, je
dînais seule avec M. Benjamin Constant, et lui racon-
tant mes négociations pour M. de Chateaubriand, je
lui dis : — Je n'ose prendre un logement au Parc qui
me plaît beaucoup, car certainement M. de Chateau-
briand va me faire rappeler. — Prenez vite ce logement^
dit-il. Il eut raison. Comme nous devisions, il entra un
monsieur recommandé par... je ne sais plus qui. Son
ajustement était le plus négligé, le plus singulier qu'on
pût imaginer. M. Constant, brave, mais poltron poli-
tique, ne put dès lors ni manger ni dire un mot.
' Voir lettre de M°"> Ilamolin publiée plus haut.
* M™» Ilamelin, qu()i<iu'elle en dise ici, connaissait à Bruxelles cer-
tains compagnons d'inforlunc, entre autres Morisel qui fut un do
ses intimes.
APPENDICE 299
(l'auLaiit que l'étranger me parut avoir beaucoup
d'esprit. C'étaitM Teste. Quelle peur il fit à M. Cons-
tant'qu'il a beaucoup rassuré depuis ! De Cbateaubriand
rien, bêlas! rien. Enfin, un jour, j'étais àSpa;je
descendais de cheval, on me remit une grosse lettre
qui contenait un passeport que m'envoyait mon spi-
rituel et affectionné ami, le comte de Montrond. Celui-
là n'oubliait pas les absens ! Arrêtée par des affaires
et par un gros loyer que je ne voulais pas céder, je
ne revins à Paris qu'en janvier 1818 ^ J'attendais
toujours l'infidèle qui devint ministre, on sait quand
et pourquoi.
Une amie à moi, 31"° la comtesse d'Arcambal,
attendait tout pour son neveu, 31. Sourdau, d'une
bienveillance du ministre; et le général Pire, revenu
d'exil, réclamait une indemnité qui dépendait aussi de
lui. On me pressa tant et tant que poussée aussi par
la colère, je lui écrivis que je le priais de me venir
voir, que j'étais toujours logée devant les serres de
^I""" Boursault... Il répondit l'étonnante lettre dont je
vous joins ici la copie, et dont j'ai l'original tout daté,
signé de sa grosse écriture, conservant depuis douze
ans son califourcbon de Yincennes et de la fusillade.
Je fus chez lui, il fut très prometteur pour le jeune
' La inômoire semble ici faire défaut à Mi^" llamelin. En effet, la
Quolidieane du 5 décembre ISIT publiait Tinformation suivante :
« M. de ilaurisel et M™* Elamelin ont reçu l'ordre de quitter
Bruxelles .» D'autre part, le comte Angles, préfet de police, écrivait
au ministre de l'Intérieur, le 27 janvier 1818 : « Il résulte des infor-
mations que j'ai fait prendre que la dame llamelin et le sieur do Mori-
zelle sont elfectivement à Paris depuis le 3 du mois dernier, que
M'"» llamelin demeure depuis son arrivée rue Blanche, n» 20, et le sieur
de Morizelle. rue Pigalic, n" 2 ». [Archives nationales, F' 6790.
Doss. 612.)
300 UNE AiNCIENNE MUSCADIiNE
Sourilau, implacable pour le général * Pire, parce
qu'ils étaient Bretons bleu et blanc. Durant cette
guerre d'Espagne, il était ravi de taquiner mon bona-
partisme, qui ne voulait croire au succès de Tarmée
royale là où l'armée impériale avait perdu ses pres-
tiges... Il m'envoyait un valet à cheval pourm'an-
noncer le passage de la Bidassoa, puis la prise de la
Corogne ; pour celle de Cadix, il m'écrivit : « Illu-
minez ce soir. »
Juillet 1830 advint pour ces superbes. Beaucoup
trouvèrent que nous perdions au change. Chateau-
briand redevint juste, modéré et Français. Dès lors,
nous fûmes d'accord. Dieu sait si nous glosions à
rintirmerie de ^Marie-Thérèse oi^i il accueillit avec
courtoisie plusieurs étrangers d'esprit que j'eus l'hon-
neur de lui présenter, notre cher comte Arthur Po-
tocki, entre autres, sur lequel il m'a écrit une si
charmante lettre dont je vous ai bien souvent parlé,
que vous connaissez peut-être, et qui est aujourd'hui
entre les mains de sa femme. J'eus l'honneur aussi
d'être présentée par lui à madame de Chateaubriand,
petite femme délicate, aux traits un peu pointus, vive,
arrêtée, et qui était en ce moment absorbée par la
vente de son chocolat, un des moyens ingénieux
qu'elle avait imaginés afin do pourvoir à ses immenses
charités.
Rien ne troublait donc notre amitié ; la lière Bre-
tonne me supportait de très bonne grâce; son mari
relisait, étudiait Napoléon; il le comprenait, l'admi-
' Chalcaubrianrl fut foii occupe pcnciaul celle année de la guerre
«l'Espagne. Voir ce qu'en dit André Beaunier (Trois Amies de Cha-
Icauhriand, page 179).
APPENDICE 301
rait; je le rattachais à cette mémoire, lorsque des
influences que je ne veux pas indiquer firent de sa
vie ' un supplice, même une hypocrisie, car il n'avait
jamais conçu une religion implacable. Quelle nouvelle
domination cliangeaitcccœurmobile! II n'adorait donc
pas ses adorations ; ilne haïssait donc passes haines...
il avait donné la main à Rovigo ! Lous XIV, veuf,
épousa M"'" de Maintcnon ; Chateaubriand', veuf, ne
couronna pas Juliette. L'apothéose, pourtant, lui était
due, à cette femme inexplicable ; il ne l'offrit pas,
laissez-les dire, car il n'était pas de ces hommes dont
on refuse le nom glorieux.
Un petit paragraphe qui ne peut être de M. de Cha-
teaubriand, vous l'avez bien soupçonné déjà, ma chère
Sophie, car il est ridicule et fait pour des bonbons,
nous dit dans ses iV/e;?«o«Ve5 ^ : « Des femmes spirituelles
' Il n'apparaît point quo riunuouce de Juliette Récamier qui, dès
18i.3, « consacra les ressources de son esprit fertile à réaliser le tran-
quille bonheur de ramitié continuelle » (Ucaunier, op. cit.), fut un
supplice pour René. Cette influence — car c'est bien à Juliette que
Fortunée Hamelin fait allusion — contraignit Chateaubriand à
quelque « hypocrisie » et à quelques mensonges — il est vrai. Il avait
encore plusieurs aventures à mener de front et il suivait d'autres
chemins que celui de l'Abbaye au Bois. D'autre part, et c'est un des
traits do son caractère que M. André Beaunier a fort bien mis on
relief, « l'ànie sensible de René eut toujours une vive aptitude à se
teindre des couleurs environnantes. » Cette « mobilité » n'était pas
une excuse à certains actes aux yeux de M'"" Ilamelin, qui n'aimait
pas Juliette Récamier, laquelle, ne l'oublions pas ici, n'aimait pas
non plus Napoléon, 1" « idole » de l'ancienne Merveilleuse.
- M"!» de Chateaubriand mourut le 9 février ISiT. Quelques mois
après, Chateaubriand olfrit à Juliette de l'épouser. Mais elle refusa
en invoquant « leurs âges » et la cécité complète dont elle t-lait
frappée. Un mariage dans de semblables conditions n'eût pas été
une apothéose. M™» Hamelin ne le comprenait-elle pas ? (V. llerriot.
op. cit.)
^ Voici le passage des Miimoives tel qu'on le retrouve dans la
Presse du 30 juin 1849 : « Des personnes pleines de grâces, de gêné-
302 U-xl: ancienne musgadine
et courageuses curent l'héroïsme de s'occuper de mes
dangers. Ainsi M"*" Lainzai parla à M""^ Gay, M'^'^Gay
parla à M™* la comtesse Rcgnault de Saint-Jean-d'An-
gély, laquelle parvint à obtenir que Rovigo laissât
M. de Gliateaubriand à l'écart. » J'étais liée avec ces
aimables et belles personnes ; et la comtesse Regnault
est l'amie de cœur de toute ma vie. Or, file ne parla
pas à son mari, parce qu'elle savait que l'illustre écri-
vain n'était nullement menacé. Dire comment le nom
de M°'^ Gay ' a remplacé le mien, je l'ignore, et ne
rosiléet de courage, que je ne connaissais pas, s'inU-rcssaient à moi.
M°» Lindsay (jui, lors de ma rentrée en France en 1800. m'avait
ramené de Calais à Paris, en parla à M™» Gay: celle-ci s'adressa à
M"»» Rcgnault de Saint-Jcan-d'Angély, laquelle invita le duc de
Rovigo à me laisser à l'écart. Les femmes de ce leinps-là interpo-
saient leur beauté entre la puissance etl'infortune. »
' Sophie Gay (article cité) protesta quelques jours après et son
témoignage est intéressant à recueillir, car il prouve qu'elle inter-
vint en laveur de Chateaubriand parallèlement à M""= Ilamelin. a Une
femme d'esprit vient d'imprimer que mon nom avait été substitué
au sien, dans les Mémoires d'Oalre-Tombe, à propos d'un service
rendu à l'auteur û'Alala, ce qui doit naturellement faire croire que
j"ai usurpé la reconnaissance qu'il m'en témoigne et que j'ai été
lâchement complice d'un acte d'ingratitude. Je ne doute pas des
preuves d'intérêt qui ont été prodiguées à M. de Chateaubriand à
l'époque où l'on a cru sa liberté menacée et je le blâme d'en avoir
oublié quelques-unes ». Sophie Gay raconte alors les dénoarches
qu'elle fit en faveur de René, et un entretien qu'elle eut avec lui.
Laissons la parole à Sopliic Gay, le passage vaut la peine d'être cité :
« Vous exagérez, dit-elle à Chateaubriand, votre indignation contre
Bonaparte et vous n'en parlez avec tant de colère et de mépris que
pour le porter à quelque méchante action qui justifie votre haine.
Vous vous Ironipez, répondit M. de Chateaubriand ; avant d'avoir vu
cetempereur. moitié César, moitié Néron, devenir tout à coup traître
et assassin, j'étais comme le monde entier ébloui de sa gloire, et c'est
parce que je lui prêtais toutes les vertus que le succès rend faciles,
que je ne lui pardonne pas d'avoir rougi son épée du sang d'un
Bourbon ; lui, lionapirte, le vainqueur de tant d'armées, de conspi-
rations que nous croyions envoyé par Dieu même pour nous déli-
vrer de la tyrannie des Danton, des Robespierre ; lui qui avait
abattu la guillotine à coups de sabre et détrôné l'anarchie à coups
APPENDlCt: 303
relèverais pas celle subslitulion, si elle ne prouvai l
jusqu'à révidence qu'une belle petite menotte, celle
de Juliette, hélas ! a fait des corrections à l'usage de
ses propres rancunes.
Voici la lettre que M. de Chateaubriand m'écrivit
en 1823 et qui anéantit tout cet échafaudage de rubans
roses * :
de victoires ; lui, se rabaisser au rôle d'usurpateur, se faire le tyran,
le Cromwell dune famille proscrite, que le ciel semblait avoir mise
sous la protection de son génie ; lui, se faire l'égal de ce Cliénier
dont il veut que je vante le vote impie, inique et sanguinaire ! »
Sophie Gay assure qu'elle fit intervenir M'"" Rognault de Saint-Jean-
d'Angély. M"»" llamelin le nie. Qui croire? Elles sont toutes deux
de bonne foi et Sophie Gay nous découvre la clef de l'énigme, après
avoir mentionné une visite qu'elle fit au comte Daru, à propos du
discours de réception à l'Académie, auquel Chateaubriand ne voulut
pas retrancher un mot : « Je ne cite cette lettre (la lettre par laquelle
Chateaubriand la remerciait et qu'on lira plus loin) que pour répondre
à l'accusation d'avoir laissé substituer mon nom à celui de
M"» llamelin, dans la relation d'une affaire oîi sans nous entendre,
nous avions toutes deux fait preuve de zèle pour servir M. de Cha-
teaubriand ; il a eu tort de garder le silence sur l'intérêt que lui
avait montré M">° llamelin à une époque où il y avait autant de géné-
rosité que décourage à prendre son parti ; mais ce silence s'explique
naturellement par la rivalité de deux femmes également célèbres,
l'une par sa beauté, l'autre par son esprit et qui se disputaient les
hommages des hommes les plus distingués de la société... La belle
Juliette supportait les bons mots de M"» llamelin avec toute la
patience que donne le succès ; mais ses amis avaient plus de ran-
cune ; ils s'offensaient de la moindre épigramme sur l'objet de leur
culte, et c'est à une susceptibilité d'amitié qu'il faut attribuer le
mutisme de M. de Chateaubriand. II se serait cru coupable de
vanter l'ennemie de son amie. » Ce scrupule, certes, honoi'erait Cha-
teaubriand, mais on ne peut que se livrer à des conjectures. Juliette,
vieillie, aveugle, garda-t-elle rancune à son ancienne « rivale « ? Le
geste dont l'accuse M°"> llamelin la gâterait à nos yeux. N'est-il pas
trop humain ?
' Sophie Gay avait rei;u, beaucoup plus tùt, une lettre à peu près
identique. Chateaubriand exprime sa gratitude et son regret de n'aller
pas remercier immédiatement sa bienfaitrice : « Vous êtes, madame,
si bonne et si douce pour moi que je ne sais comment vous remercier.
J'irais à l'instant même mettre ma reconnaissance à vos pieds, si des
atfaires de toutes sortes ne s'opposaient à l'extrême plaisir que
304 UNE ANCIENNE MUSCADINE
Paris, le 9 février 18:23.
« Je n'oublie jamais, madame, les services qu'on
m'a rendus. C'est à l'intérêt que vous avez bien voulu
me témoigner que je dois de n avoir pas été fusillé ou
enfermé à Vincennes par Buonaparte . Aussi, madame,
si je puis vous être utile, je suis prêt à payer la dette
de la reconnaissance. Je voudrais pouvoir me rendre
à vos ordres; mais la multitude de mes affaires me
laisse à peine le temps de sortir pour d'autres affaires.
Si je ne craignais d'abuser de vos bontés, je vous
prierais de fixer le jour et l'heure où je pourrais avoir
l'honneur de vous recevoir chez moi ; je serai bien
heureux de pouvoir vous offrir à la fois mes remer-
ciemens et mes hommages. »
Chateaubriand.
Aussi, mo direz-vous, Sophie, pourquoi garder des
lettres ? J'en ai bien d'autres, ma i)elle ; et si je cher-
chais bien, elles pourraient être plus neuves, plus
variées, plus belles, disons le mot, que celles de Ben-
jamin Constant ' publiées par la Presse. Je crois môme
j'aurais à vous voir. Je no pourrai luènic aller vou.s préscnler tous
mes liouimages que jeudi prochain calre midi et une îieure, si vous
étiez assez bonne pour me recevoir. Je suis obligé (faller à la cam-
pagne. Pardonnez, madame, à cette écriture arabe. Songez que c'est
une espèce de sauvage ([ui vous écrit, mais un sauvage qui n'oublie
jamais les services qu'on lui a rendus et la bienveillance qu'on lui
témoigne. » La lettre adressée à M""* Ilamelin est plus formelle et
le service rendu à Ciiiteaubriand plus caractérisé. Sans l'inlervcntion
de l'ancienne Morveilb^use, Ileué était « fusillé ou enfermé à Vin-
cennes pai' Buonaparlc ».
' Louise Colet publia dans la Presse du 3 juillet 184'J les Lettres
de Dcnjamin Constant à .Juliette Récamier et fut citée devant les tri-
bunaux pouicelic publicalion par M^^ Lenormant.
APPENDICE 305
que si Emile de Girardin en avait le temps, il en écri-
rait d'infiniment plus jolies, et qu'on ne vendrait pas.
Pleurons, ma chère, sur les incohérences des grands
esprits, regrettons qu'eux-mêmes n'aient jamais eu la
candeur de sonder leur propre cœur. Napoléon, Cha-
teaubriand eussent trouvé qu'ils étaient nécessaires ^
l'un à l'autre, qu'ils se préoccupaient incessamment
de leurs pensées ; mais Napoléon, jusque dans sa
tombe, a conservé son incommensurable supériorité ;
car il a respecté le génie, et ce cercueil immortel n'a
maudit personne. Qui donc est le chrétien-?
Hamelin née de Lagrave.
' C'est l'opinion de Sopliie Gay : « Les génies de Chateaubriand
et de Napoléon s'entendaient en dépit de leurs caractères. »
* Cet article an Constilulionnel eninn énorme saccès.M'^^ Hamelin
le signale cUe-mêiae dans une lettre à son fils du 30 août 1849
(citée par Alfred Marquiset) : o Le temps de l'uLilité, de l'espérance
est maintenant passé pour moi et pour tous. Les cœurs si enivrés
des grands souvenirs ont vu leur espoir déçu. M. Thiers seul règne
en France et conduit ceci comme la monarchie de Juillet à sa perte.
Jamais, non jamais une si sublinie circonstance ne s'était présentée
à un jeune mortel ; il pouvait monter à l'instant sur le trône, donner
la main à l'Italie, paralyser l'Autriche et la Russie, et sans guerre,
et par un geste, reconstruire une France forte et respectée. Mais
lorsqu'il faut agir courageusement et non plus babiller, Thiers n'est
plus qu'une marionnette... Jamais tu ne pourras fimaginer le succès
fou de ma réponse au.x Mémoires d'Outre-Tombe : Hugo, Didier,
Mazères, tout le grand monde, tous les journalistes sont enchantés
et me font des offres ; le temps n'est pas venu, mais enfin, si tout
nous manquait, ce serait du pain. » Voir plus haut (année 1849) ce
que M"» Hamelin dit à son correspondant sur sa réponse aux
Mémoires d'Outre- Tombe .
20
INDEX ALPHABETIQUE
DES NOMS PROPRES CITÉS PAR M-"» HAMELIN
Achille, Irîo.
Adam, 215, 217,243.
Agoult (Marie de Flavigny, corn'
tcsse d'), 4G, 109, 222.
Agrippa, 127.
Ale.\andre-Ie-Grand, 125.
Aligre (marquis d"), 224, 2.51.
Allart (Hortonse), 33, 34, 35, 45
54, 58, 59, 72, 82. 94, 109, 16:;
1G7, 222, 232, 267.
Allart (Marcus), 34, 35, 43.
Alvanley (lord), 111.
Amable, 261.
Ainct, 78.
Ancelot (M">«), 85, 150, 154. 179,
202, 203, 246.
Angoulémo, (duc d'), 230.
Arago, 79, 161.
Arcambal (comtesse d'), 299.
Argenson (d'), 203, 208.
Arnal, 202.
Astorg (Eugène, comte d"), 53,
135, 151, 180, 237, 238.
Astorg (M"» d") 133.
Auguste (l'empereur), 296.
Balalier, 81.
Balzac (Honoré de), 80, )06, 132,
134, 180, 187. ^AVJii i^^h-^l
Barrière (M-»), 253, 259.
Bartholini (le sculpteur), 214
Bayard (le chevalier), 239.
Bayle (M™»), 242.
Bazaucour, 142.
Beauharnais (Hortonse de),
Beauvau, 172.
Beignèrc, 183.
Belgiojoso (prince), 165, 166.
Belgiojoso (princesse), 70.
Belmontet, 232, 233, 278.
Béranger, 184.
Bernheim, 103.
Berryer, 65, 60, 66, 67, 73,
75, 79, 86, 97, 101, 103,'
106, 108, 113, 118, 119,
122, 131, 132, 133, 1.56,
181, 205, 208, 215, 218,
252, 298.
Berryer (M"»), 118. 181.
Berthier (Mn>e Paul), 216.
Berthoud (Henry), 135.
Bertrand (général), 95.
Besplas (de), 112, 117, 134,
Besplas (M"» de), 180, 182,'
223, 238.
Biard, 146, 247.
Biard {M">»), 147, 152. 209,
260, 261.
Bijou, 145, 23).
Bi'Uault, 214.
Bingham (M"") 120. l'M.
Bisson-bey, 88.
203.
74,
105,
121,
157,
219.
277.
194,
233,
308
INDEX ALPHABETIQUE
Blanche (M-"»), 147.
Blanche (de Castille), 84.
Bûisgelin (M"-» de), 167.
Bonaparte (rtMnpereuf Napo-
léon), 62, 79, 98, 99, 102, 104,
113, 140, 169, 172, 177, 184.
186, 187, 202, 203, 208, 246,
258, 271, 274, 275. 292, 293,
294, 296, 297, 300. 303.
Bonaparte (le roi Joseph, comte
de Survilliers), 39, 40, 41, 45,
48, 50. 53, 57, 60, 71, 74, 82,
84, 83, 89, 93.
Bonaparte (Jérômei, 39, 72, 89,
122, 270, 271.
Bonaparte (Lucien), 30.
Bonaparte (Joséphine de Beau-
harnais), 176.
Bonaparte (Louis), 63.
Bonaparte (Louis-Napoléon-Napo-
léon III). 42, 52, 57, 61, 96, 97.
107, 131, 153.
Bonaparte (Caroline), voir Murât.
Bondy (de), 112.
Bordeaux (duc de), 119, 137, 181,
206, 263.
Borsoult (M-»«).221.
Boufïlers (chevalier de), 33.
Bourbevellc, 69.
Bourdoie, 262.
Bourges (M""« de), 125.
Boursault-Malherbe, 293.
Boursault-Malherbe (iM"»»), 120,
295, 299.
Brambilla (La), 206.
Broé (de). 217, 233.
Broglie (duc de), 199.
Broglie (duchesse de), 203, 208.
Bronkins, 43. 02, 66, 112.
Brunet (Sully), 74, 139, 145, 150,
175, 241, 253,233.
Brunetière (M'"), 230.
Brutus, 208.
Buckingam, 129.
Buiïault, 237.
Bugeaud, 183.
Buloz, 140.
Dulwer, 45, 54, 181, 263, 267.
Byron, 194, 225, 275.
Cailleux. 61.
Calvin, 246.
Capponi (Gino), 64, 81, 82.
Carrachiolo. 129.
Carrel (Armand), 37, 42.
Cass, 36.
Castellane (M"» de), 166, 1G7.
Catalani, 238.
Caton, 139, 184.
Caulaincourt, 204.
Caumont (de), 141.
Caumont (M""= de), 141.
Cavaignac (général), 270 (note).
Chales (M-»"), 234, 233, 259.
Chamois (de), 52, 53, 134, 138.
139.
Champagne (comte de), 129.
Champollion, 117.
Chantai (M"^» de). 269.
Charles VII, 131.
Charles X, 226.
Charles-Quint, 66.
Charles le Téméraire. 225.
Chateaubriand ( François -René,
vicomte de), 103, 108, 118, 147,
161, 180, 223, 229, 232, 247. 292,
293, 294, 293, 296, 297, 298,
299, 300, 301, 303.
Chateaubriand (>!■"» de), 147, 300.
Chàtillon (duchesse de), 293.
Chénier (Marie-Joseph), 294.
Chevalier (Michel), 146, 234.
Child (M"»»), 238.
Christine (la reine), 129, 130,
137, 263.
Clerc (Claude), 60, 66.
Colbert, 267.
Combes, 117.
Constant (Benjamin). 298, 304.
Contades (.M'" de), 166.
Conte, 109.
Corréard, 269.
Custe, 92.
INDEX ALPHABÉTIQUE
30I9
Courtois, i69. 174.
Créqui (marquise de), 123.
Cruquenbourg, 89, lo3.
Cubières. 53, 78, 101.
Cubières (M"»» de), 237.
Guvillier-Fleury, 79.
Czartoriska (princesse), 21:2.
Daguerre, 2b'.).
Dandolo, 277.
Dandré (général), 177.
Daure, 51, 240.
Decazes (duc), 111.
Déjazet (M""), 175.
Delessert (Gabriel), 51.
Delessert (B.), 146.
Deluzy (M"»), 268,269.
Dcmidolï (Anatole), 79, 83, 89,
98, 122, 137, 216, 250.
(M^o princesse
98, 118, 122, 128
Ma-
131,
n
DemidofT
thilde),
136.
Desbassyns (M»»), 254, 258.^- '
Desclignac (duchesse), 94, 121.
Despagnac, 162.
Despréaux (M"»), 123.
D'Estourmol (M"»»), 182.
Devaux, 187.
Didier (Charles). 109, 112, 116,
139, 169, 174, 178, 179, 253.
Didier (M"»), 179.
Dino (duchesse de) (mariée à
Edmond de Talleyrand-Péri-
gord), 103.
Diao (duc de), 79.
Dino (née de 8ainte-Aldegonde,
duchesse de), 250.
Dorsay (M-"), 93.
Dosne (M"»), 128, 136.
Dosne (Mn»), 255, 259.
Doumerc (M"»), 147.
Ducliàtel, 211.
Dunois (baron), 293.
Dupetit-Thouars, 220.
Dupont, 44, 69, 72. 75, 76. 78,
83, 84, 241.
Durand (Charles), 37, 41, 42. 45,
51, 57, 61, 73. 79, 80.
Durand (M-"), 259.
Duroc, 141.
Durosnel, 233.
E
Enfantin, 225.
Enghien (duc d'j, 292, 293.
Esmenard, 294. 297.
Espartero (Bahloiiiero), 128, 129,
137. 217.
Esterhazy (prince), 116.
Exelmans (général), 51.
Falloux (de), 276.
Fauchet, 38.
Faudoas (général)) 53, 126. 134,
168, 178,213, 215, 217,229, 237,
240.
Faudoas (M'""), 242.
Fauveau (M"» de), 81, 263.
Fayol. 248.
Félix (>!■"« et U.), 169.
Félix (Rachel), voir Rachel.
Félix (Sarah), 194.
Fénelon. 191.
Ferrelti (comte), 101, 266.
Férus, 200, 212.
Figeac (M""), 120, 122.
Fleury (général comte), 278.
Flahaut (général de) 203, 208,
263.
Fûdor (M'""), 103.
Fontanes, 297.
Forge t (M"»»), 54.
Fornarina (La), 88.
Foscolo, 175.
Fournier (de), 216.
François l", 121.
Franconi, 96.
Frey, 225.
Froissard (M""»), 221.
310
INDEX ALPHABETIQUE
G
Gamaux, 240.
Gay (Sophie), 136, 302.
Gay (Delphine), 74, 222, 2d0.
Genoude, 117, 161.
Ghirlandajo, 43, 61, 66. 72, 8'J.
Girardin (Emile de), 73, 222, 230,
297, 305.
Giroux (Alphonse), 81, Sa.
GobinauY, 187.
Gonfalonieri. 64, 82.
Gourville, 127.
Grignan (M™» de), 208.
Grisi (CarloUa), 221, 2o0.
Grouchy, 147.
Gudin (colonel), 180.
Guiccioli (La). 224.
Guiche (duc de), 221.
Guitart, 69.
Guizot (Fr.), 91, 167,239.
Guyon (M-»), 191.
H
Ilabeneek, 220.
Hamelin (Edouard], 193, 213, 227.
247, 249, 250, 235, 2o8, 262,
267.
Hamelin (Léontine), 269.
Henri V, 276.
Herbault (M™"), 203.
Hersilic, 160.
His, 36.
Hubert {^["•'), 164, 205, 221, 230.
Hugo (Victor), 110. 132, 24.-), 260,
297.
Ilutchinson, 136.
Ibrahim, 38, 42.
lelski, 119, 174, 194.
Jacqucminot, 134.
Janin (.Iules), 128, 132, 137, 223.
Jaubert (M°>° Caroline) , 262.
J<5sus-Christ, 131, 263.
Joinville (duc de), 241.
Joubert, 225.
Juba Branca, 221.
.Iulie (la reine), 40, 60.
Julien (l'empereur), 114. 125.
K
Kameroski, 101, 172, 227.
Kisseleff (M°">). 63, 81, 100, 102,
130, 136, 168,171,172,182, 194,
203, 209, 227, 228, 230, â60,
268. 269. 291. '
La Dédoyère (général), 274.
Labiche, 100. iû7.
Labiche (.M"»), 104, 105, 107.
La Bletteric. 114.
Lacordaire, 206, 207.
Lafarge (Marie Gappelle, femme),
237, 238, 269.
Lafayette (général), 139, 191.
Lagrange (M"" de), 221. 229. 261.
Lainzai ou Lindsay, 238, 3u2.
Lamartine, 161.
Lamennais, 100.
Lamoricière (général), 253, 259.
Lamorliùrc (M">»), 152, 169, 182,
233.
La Neuville, 60.
La Rochcloucauld (famille), 90.
La Rochefoucauld( duc de), 228.
La Hue (colonel), 32, 36, 43, 89,
90, 92, 96, 130, 155, 164, 168,
174, 217, 221, 227, 228, 248.
La Rue (M'ie), 155, 183, 227, 230,
233.
Lauriston, 194.
Lauzun, 32, 242.
Lavalette, 297.
Lcbreton, 168, 259.
Leduvoski, 238.
Leduwoski (M"''>), 22i.
Lefèvre, 83.
Le Hou, 153, 262.
Le lion (M">°), 153.
INDEX ALPHABÉTIQUE
311
Léon X, 180.
Leroux (Pierre), 109.
Lescuyer, 157.
Leuchtenberg (duc de), 42.
Libri, 59, 123.
Ligne (prince de), 153.
Lille (de), 47, 56, 144.
Liszt, 46, 54, 100, 222.
Longpré (de), 251.
Louis XIV, 129. 191. 202, 224, 246,
301.
Louise (princesse), 38, 56, 68, 71,
84.
Louis-Philippe, 45, 138, 2G3.
Lovday (M""), 16'J.
Loyola 208, 225.
Lucas (de Montigny), 283.
Lucchesini (comte), 81.
Lullier, 2i6.
M
iMacdonald (M'"<=), 235.
Maiunoud (sultan), 42.
Maintenon (M""»), 97, 191,201, 207.
223, 247, 301.
Maistrc (X. de), 114, M S.
Manara, 277.
Manin, 277.
Manuel, 107.
Marion (colonel), 38.
Marliani, 217.
Marmont (duc de Raguso), 92,
99.
Maroto, 58, 61.
Martin (M"'"), 230.
IMartinez de la Roza, 230.
Mathieu (M»"»), 221.
Mcneval (de), 277.
Meneval (M--» de), 65. 221.
Mercey (baron), 51, 136.
Meritens (de), 222.
Méritons (Ilortense Allart de),
voir Ilortense Allart.
Metternich (de). 203, 263.
Michelski (comte). 44.
Mikali, 43.
Mirabeau, 187.
Mistrali, 75.
Montaigne, 247.
Montalembcrt, 223.
Montalivet (de), 183,236.
Montant (M'"» de), 90.
Montesquieu. 247.
Montholon, 97
Montrond (comte Casimir de).
57, 58, 93, 95, 101, 111, 138,
140, 144, 145, 147, 148, 152, 162,
174, 188,189, 193, 194, 195, 190,
197, 198, 199, 200, 201, 204,
200, 208, 211, 212, 216, 218,
224, 239, 241, 246, 253, 273, 299.
Montrond (Hippolyte), 236, 238,
239. 240, 241.
Moraski, 145, 147, 149, 109, 174,
181, 207, 250.
Morel (M'""), 116, 147, 169, 194.
217, 227. 229,235,237, 250.
Mornay, 208.
Mornv' (duc do), 133, 153, 226,
Moskowa l'prince de la). 212, 213,
220, 278.
Mugnos, 130.
Murât (Achille), 46, 47. 48, 50,
55, 56, 57, 59, 68, 71, 8i, 89.
Murât (Joachiin), 84.
Murât (Lucien), 50, 61.
Murât (Caroline), 48, 55, 57, 59,
84, 89.
Murât (M-e), 183, 220, 221.
iSIusset (Alfred et Paul de). 100.
IMusset (Alfred de), 226.
N
Nadaillan, 123.
Napoléon I", voir Bonaparte.
Nariskin (général), 168.
Nariskin (M»"^), 151, 168, 205.
Nemours («lue de), 90.
Néron, 294.
Ney (maréchal), 274.
Ney (Edgar), 221.
Nicolas (empereur), 122, 123, 225'
260.
312
INDEX ALl'IlABÉTIQUE
Nicollc, 241.
Nicole (M'"»), 83, 216, 235, 2b3.
Niewerkerke, 248.
Niewcrkerke (M"°), 120.
Ninon (de Lcnclos), 232.
Noaiilcs (Antonin de), 'J3.
Noaillcs (Paul de), 190, l'Jl, 207.
Normandie (do), 184.
Nyon (de), 35, 81, 223.
OConnell, 20G.
O'Donnell (M-^), 123.
Odilon Barrot (M™») 251.
OlJeli (comte), 88.
Oliuski, 174, 194.
Orléans (duc d'). 144, 145, 246,
276.
Orléans (duchesse d"), 228.
Ouvrard, 113, 116.
Paccini, 63.
Paipoise (de la), 183.
Pajol, lui, 133.
Paimerston (lord), 107.
Palmicri, 46.
Pascalis, 69.
Passy, 33, 58, 106.
Persiani (M«-«), 103, 169.
Persigny (duc de), 46.
Pérugin (Le), 66, 88.
Petilot (abbé), 199, 209.
Pétrar([ue, 180.
Pio IX, 223, 265, 266.
Pierlot (baron), 215.
Pire (général), 299.
Plaisance (comtesse de), 163.
Platon. 200.
Pompadour (M'"» de), 216.
Porlalis, 66, 88.
Potocki (Arthur), 174, 300.
Potocki (Bernard), 43, 44, 93.
Potocka (comtesse), 138,221,229.
Praslin (duc de), 266, 268.
Praslin (duchesse de), 266. 267,
269.
Q
Quiliard, 19i!
Raciiel, 100, 109, 176, 177, 194,
268.
Racine (Jean), 73, 183, 191.
Radcliiïc (Anne), 123.
Raguse (duchesse de), 227.
Rancé, 232.
Raphaël, 62, 88, 139.
Rapponi (M""), 40, 41.
Ravignan (le Pure de), 164.
Récamier (Juliette), 301, 303.
Regnault de Saint-Jean -d'An-
gély, 294, 302.
Regnault de Saint-Jean-d'An-
gély (M-"»), 38, 122, 123, 153,
182, 213, 224, 234, 237, 238, 240,
241, 251, 259, 262, 302.
Reichstadt (duc de), 53, 97, 143.
Riancour (de), 231.
Rochejacquelein (La), 237.
Rœderer, 246.
Rondeau (M""), 93, 123,147.
Rostchild (Antoni), 66, 83.
Rovigo (Tristan de), 228, 230.
Rovigo (duc de), 63, 68, 240.
Rovigo (duc de), voir Savary.
Royer-Gollard, 134.
Sailly (M-« de), 97, 100, 139, 223,
232, 233.
Sainte-Aldegondc (M"" de), 80.
Saint-Ange (de). 294.
Saint-Aubin (M™"), 156.
Saint-.Vulaire (de), 111.
Saint-Bérin (de), 69.
Sainte-Croix (marquis de), 167,
168.
Sainte-Croiv (marquise de), 182,
208.
Saint-Preux, 216.
Saint-Salvy, 120.
Saint-Simon (duc de), 228, 247.
INDEX ALPHABliTlQUC
313
Saint-Simon (marquis de), 138,
151, 153, 194.
Salvage (M»<'), 54, 12.
Salvandy (de), 217.
Salvator, 117, 128.
Samaïloff (comtesse), 6j, 81, 215.
Sampayo, 33, 109.
Sampayo (M""»), 237.
Sand (George), 203, 223, 270.
Sarget, 228, 236, 237.
Savary (duc de Rovigo), 116,
238, 294, 295, 301.
Scribe, 86, 205.
Sébastiani (général Horace), 91.
Ségur (comte de), 143, li'6, 156.
Ségur (M'"" de), 221.
Sercey (ou de Cercey), 68, 69,
144, 147,228,239.
Sévigné (M"»» de). 127, 207, 208,
223, 228, 239, 247, 273.
Sigaud (Mlle), 65, 70. 72. 73.
Simon (M""»), 119, 147, 230, 231.
Somariva (M-° de), 205.
Sommer, 106.
Sor (Charlotte de), 133.
Soubiran, 123.
Soulié, 107.
Soult (maréclial), 31.
Sourdau, 299, 300.
Stilting, 72.
Sue (Eugène), 80, 196, 247.
Tacite, 298.
Taglioni, 123, 140, 232.
Talleyrand (princesse de Béné-
vent), 99, 116.
Talleyrand-Përigord (E d m o nd
de), 32, 38, 41, 47, 49. 60, 68,
09. 71, 72, 80, 82. 93, 94, 98,
104, 121,233.
Talleyrand (duc de), 38, 175.
Talleyrand (Mn» de), 114.
Talmont (princesse de), 237.
Tasse (Le), 274.
Taylor, 58, 61, 62, 06.
Teste, 58, 133, 299.
Texier, 117.
Thérauld (Léontine de), 167, 168,
178.
Thibaudeau, 40, 47, 51, 35, 56.
Thiers. 58, 74, 94, 101. 102, 106,
107, 108, 128, 137, U6, 214.
Thornc (>!■"•), 221.
Toulongeon, 278.
Trechi, 57, 59, 63, 66, 67, 81, 83,
88, 94, 98, 99, 101, 103, 106,
107, 108,113. 116, 119,123, 123,
126, 127, 128, 130, 131, 133, 133,
237, 246, 247, 239, 265.
Valençay (M™» de), 96.
Valence (M"» de), 107.
Vassari, 114, 128.
Vatout. 86.
Vatry (.M"" de), 228.
Véron, 223.
Yestris, 175.
Vicencc (M"" Caulaincourt, du-
chesse de), 171, 172, 173, 181,
183, 194, 203, 220.
Victoria (la reine), 91.
Villèle, 157, 255,267.
Vitrolles, 172.
Voisins (des), 140, 193, 198.
Voltaire, 114, 292, 294.
Voluski, 163.
W
Walewski (comte), 92, 169, 177,
259.
Walcwska (comtesse), 239.
Weiss, 174.
Wuith (général), 100.
Xumala. 170, 171, 190, 192, 194.
268.
Zamoïski, 117. 131, 200, 215.
TABLE DES MATIÈRES
Préface
INTRODUCTION
Coup il'œil sur sa vio. Sa Corrcsponilance I
ANNÉE 1839
Le colonnel La Rue. — Eduiond de Talieyrand-Périgord. — Hor-
tense Allait. — Le }ournaille Capitale cl Charles Durand. — Le
roi Joseph Bonaparte. — Une lettre de Jérôme Bonaparte. —
jM">° liapponi. — Ghirlandajo. — Les ennemis de M^-^ Hame-
lin. — Les dames de la Halle. — Liszt et M^" d'Agoult. —
Le prince Achille Murât. — M'"» Hamclin regrette son exil à
Bruxelles. — Négociations avec la famille Bonaparte. — Con-
seils. — Platitudes du prince Louis-Bonaparte à Eglington.
— L'Ermitage de laMadciaine. — Faudoas, d'Astorg, Gubières
et le camp de Fontainebleau. — Le roi Joseph aux Etats-
Unis. — Pauvreté de Berryer. — Le prince Achille à Paris.
— Ch. Durand auprès du prince Louis Bonaparte. — Thiers et
JMontrond. — Le traître Maroto. — Une succession. — Gh.
Durand a donné un « galop » au prince Louis. — Goût pour
les tableaux. — Comment on doit écrire à une sœur de Napo-
léon. — M°"> KisselefT et M'"» Hamelin. — Le duc de Rovigo.
— Capponi. — Gonfalonieri. — Un legs. — Berryer, candi-
dat à l'Académie française. — Cynisme du prince Achille. —
Les douanes toscanes. — Emile de Girardin et Berryer. — Del-
phineGay. — BerryeràlaMadelaine. — Laguerre d'Algérie. —
Mariage du duc de Dino. — Anatole Demidoff. — Souhaits.
— Les régies à Naples. — Le « delphinisme » de M""= Ance-
lot. — Vatout et l'Académie 31
ANNEES I840-I8AI
La folie parisienne. — Bals des Ambassades. — L'hùlid Porta-
lis. — Une lettre du roi Joseph. — Anatole DemîdotV et M™» de
3)6 TABLE DES MATIÈRES
-Montaut. Question d'Orient. — Dotation du duc de Nemours.
— La reine Victoria. — Sebastiani. — Guizot. — Fluctuations
du Capilole. — Walewski et le Messager. — Les Belles à la
Mode. — Antonin de Noailles. — Tliiers. — Hortense Allart
est-elle malade? — Edmond de Talleyrand et sa cousine. —
Le bivouac de la Madelaine. — Montrond. — Procès du
prince Louis. — Montholon. — Anatole Demidolï et sa
femme. — Le dernier champ de bataille de Napoléon. — Les
futaies de Fontainebleau. — M"" llamclin à Augerville. —
Accueil de Berryer. — Son esprit. — Un plan de Berryer. —
M.deCbateaubriand. — La. Revue Parisienne. — La liste civile.
— Lord .Alvanley. — Ch. Didier. — M"« de Talleyrand. —
M"»» Hamelin réclame des livres. — Le Siècle l'a mise en
cause au sujet de larrcstation dOuvrard. — Genoude à
l'index. — Faudoas. — M°" Berryer. — Le duc de Bordeaux.
— Le comte Iclski. — Les treilles de Thomery. — Ladre-
rie M^c de S.... amie de Berryer. — Jérôme Bonaparte
et Anatole Demidoff. — M°>« DcmidolT. — L'empereur Nicolas.
— Les vieux livres. — M»"» O'Donnell. — M"" de Bourges. —
L'empereur Julien. — Les Mémoires de Gourville. — M""» de
Sévigné. — Jules Janin. — M°"> Dosne et Tliiers. — La reine
Cliristine. — Un Souvenir au Fossé de Yincennes. — Une
défense de Berryer. — Le journal La Presse. — Espartero.
— Sur un travail de son correspondant. — M. de Montrond.
— Desvoisins. — La Taglioni. — La maisoncivile de l'Empe-
reur en 1804 87
ANNÉE (842
Allusion à l'accident mortel duc d'Orléans. — Mort de M. de
Lille. — Moraski. — Le duc d'Orléans. — Sa mort. — Michel
Chevalier. — Tliiers lâche Pasquin. — M. Biard. — Des
visites. — M. de Chateaubriand. — Mauvaises nouvelles de
Montrond. — Confidences. — M"» .\ncelot. — Un cousin du
pays. — M""> Biard. — Le Hon et le Prince de Ligne. — Une
brochure du prince Louis sur la betterave. — Le marquis de
Saint-Simon. — Pajol et Jacqueminot. — La baronne
Regnault de Saint-Jean-d'Angély. — Berryer et le duc de
Bordeaux 143
ANNÉE 1843
Un nouveau journal, La Xalion. — Kameroski. — L'ordre de
Malte. — Hortense Allart se marie. — M»"» Hamelin et l'inéga-
lité. — Les enlèvements. — La comtesse de Plaisance et le
prince de Belgiojoso. — M"» de Contades. — M"» de Bois-
gelin et M. Manuel. — Hortense Allart de Meritens. — Le
général Nariskin. — Walewski et Rachel. — Le sang de
TABLE DES MATIÈRES 317
Napoléon. — Diflicultés de M°"> Hamelin. — M"» Kisseleff et
Xumala. — La duchesse de Vicence. — Souvenirs de l'Empire.
— Faut-il convertir Montrond? — La Fille de Figaro au
Palais-Royal. — On y parle de M"» Ilanielin. — Cli. Didier
et son journal. — Les dames Bas-Bleus. — M-"» Ancelot. —
M. de Chateaubriand. — La liste civile. — Encore des
enlèvements. — Confidences attristées. — Montrond est à la
Madelaine. — M. de Noailles et M""» deMaintenon. — L'agonie
de Montrond. — M""= Kisseleff àllombourg. — Mort de lelski.
— La moit de Montrond. — Le duc de Broglie et l'abbé Pe-
titot. — Une prière pour l'ami disparu. — M""» Angelot et
Arnal. — Les correspondants de Montrond. — Berryer et
M"" de Somariva. — Lacordaire. — Le mariage de Berryer.
— Déménagements 159
ANNÉE 1844
La princesse Czartoriska et l'hôtel Lambert. — Le prince de
la Moskowa. — Un article du National. — Edouard Hamelin.
— Discussion de la Chambre. — Thiers et Billaut. — Un
échec de Berryer. — Le baron Pierlot. — Potins. — Un mot de
Montrond. — Amour et politique. — M. Adam. — Démission
de Salvandy. — Marliani. — Les raouts. — Impressions de
Berryer sur l'Angleterre. — Un concert chez le prince de la
Moskowa. — Le pow/f d'Hortense Allart à son mari. — Liszt
et M°« d'Agûult. — Le Père Enfantin. — Quelques nouvelles.
— Mort de Tristan de Rovigo. — Un mot de M. de Chateau-
briand. — La Sylphide. — Le duc d'Angoulème. — La Vie
de Raiicé de Chateaubriand. — M°"= Hamelin a suggéré des
corrections. — Alala. — M™» Regnault à la Made'.aine. —
Hippolyte Montrond. — M. de Montalivet. — La succession
de M. Buffault. — Mort de Faudoas. — Le duc de Joinville. —
Anniversaire de Montrond. — L'automne à la Madelaine . . 211
ANNÉE 1845
Victor Hugo reçoit Sainte-Beuve à l'Académie. — M""» Hamelin
conteste une assertion de Victor Hugo. — M"» Ancelot. — Roi-
derer. — Edouard Hamelin. — M. Biard. — Un regret sur
le passé 245
ANNÉE 1846
Anatole Demidoff et M"» de Dino. — Carlotta Grisi dans Pa-
quita. — M°"> Odiion Barrot. — M'"^ Hamelin clierche un loge-
ment. — De La Rue. — L'héritage de M"" Des Bassyns. —
L'affaire Lafarge. — Edouard Hamelin et la succession Des
Bassyns. — Cancans et grosses nouvelles. — L'empereur
318 TABLIC DES MATIERES
?sieolas marie sa lillo. — Le couvent dos Augustines.
— M"»» Biard. — La marquise do La Grange. — Le procès
Le lion. — Morny 249
ANNÉE 1847
Un assassinat. — La duchesse de Giioiseui-I'raslin. — Conseils.
— Cléopâlre de Delphine Gay. — Rachol. — Jl"» Kisseleff. —
M""» Hamelin se compare à M"» Chantai. — Une lettre du
roi Jérr^mc 263
ANNÉES 1849 1850
La réponse de M°"> Hamelin aux Mémoires d'oulre-lomhe de
Chaleaubriand. — Les Cent Jours. — Dévouement de M°"> Ha-
melin à Napoléon. — L'Italie, IS'iobée des nations. — M. de
Falloux. — ^Manin. — La sœur de Manara. — Ingratitude des
anciens amis de M"" Hamelin. — Elle juge le Second Em-
pire. — Sa tristesse 273
APPENDICE
Lettre à Lucas de Monligny 283
Lettre de Chateaubriand à -M""' Hamelin 283
Lettre de M""= Lafargc (Marie-Fortunée Cappelle) à M. G 28,ï
Lettre de Caroline Jaubcrt au même (fragment inédit) . . . 290
A M'"" la comtesse K..., à llonibourg 291
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