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Full text of "Une ancienne muscadine, Fortunée Hamelin : lettres inédites 1839-1851"

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ANDRE  GAYOT 


UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

FORTUNEE  HAMELIN 

LETTRES  liNÉDITES 
1839-1851 

PRÉFACE 
DE  M.   EMILE  FAGUET 

De  l'Académie  Française. 


Orné  d'un  portrait  en  héliogravure. 


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FORTUNÉE  HAMELIN 


Droits  de  reproiluction  et  de  liadiiclioii  réservrs  pour  lous  pays. 


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FORTUNEE    HAMELIN 


(D'après  le  tableau  d'AppiANi). 


ANDRÉ   GAYOT 


UNE   ANCIENNE  MUSCADINE 


FORTUNÉE  HAMELIN 


LETTRES    INEDITES 
1839-1831 

PRÉFACE 
DE  M.    EMILE   FAGUET 

De  l'Académie  Française. 


Orné  d'un  portrait  en  héliogravure. 


PARIS 

ÉMILE-PAUL,    ÉDITEUR 

100,    RUK   nu    KAUiiooiu;    s.vinï-iionoiie,    100 

PI,  \  i;  K    H  K  A  u  V  A  r 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/uneanciennemuscaOOhame 


PREFACE 


M.  André  Gayol  a  retrouvé,  par  hasard,  c'est- 
à-dire  par  un  de  ces  décrets  providentiels  qui  font 
tomber  assez  souvent  les  pièces  rares  aux  mains 
de  ceux  qui  savent  les  bien  encadrer  et  les  mettre 
en  bonne  lumière ,  une  centaine  de  Lettres  de  cette 
illustre  Merveilleuse,  3/""^  Hamelin,  qui  fut  Famie 
de  Aapoléon  I^'',  de  Montrond,  de  Chateaubriand 
(pour  ne  citer  que  les  personnages  historiques)  et 
qui  a  occupé  une  grande  place  dans  la  société 
française  depuis  le  Directoire  jusqu'à  la  veille 
même  du  Second  Empire. 

Ces  Lettres  sont  beaucoup  plus  intéressantes  que 
celles  qu'on  connaissait  déjcà  comme  parties  de  la 
même  main,  parce  qu'elles  sont  de  véritables 
mémoires.  C'est  en  vérité  par  un  scrupule  de  stricte 
probité,  peut-être  excessif,  que  M.  Gayot  ne  les  a 
intitulées  Mémoires  de  M^^  Forlunée  Hamelïn  et 
je  crois  que  je  n'aurais  pas  hésité  à  les  intituler 
ainsi. 

En  effet,  elles  ont  été  adressées  par  M"'  Hamelin 


Il  PRICFACh; 

vieillie  à  un  très  jeune  ami  de  M™*"  Hamelin, 
apprenti  diplomate,  apprenti  administrateur,  plus 
tard  inspecteur  des  prisons,  à  qui  —  je  ne  sais  pas 
du  tout  pourquoi  —  M""^  Hamelin  dit  tout,  sur 
ses  amis,  sur  ses  ennemis,  sur  les  anecdotes  du 
jour,  sur  les  cancans  et  sur  elle-même.  Et  vous 
pensez...  deux  choses  ;  la  première,  que,  très  sou- 
vent, on  n'y  comprend  rien,  car  on  n'a  point  les 
lettres  de  C...  et  fréquemment  iM"""  Hamelin  écrit 
par  allusion  aux  lettres  de  C...  et  alors  ce  n'est 
pas  très  clair  et  par  conséquent  c'est  très  piquant 
parce  que  cela  excite  la  curiosité  et  la  sagacité  ;  la 
seconde,  que,  quand  on  comprend,  et  cela  ne 
laisse  pas  d'être  très  fréquent,  il  n'y  a  rien  de  plus 
amusant  que  la  petite  histoire  du  temps  de  Louis- 
Philippe  racontée  par  la  femme  la  plus  sardo- 
nique  et  dont  les  épigrammes,  au  temps  de  sa 
jeunesse,  avaient  fait  pâlir  et  trembler  tant  de 
personnages,  parmi  lesquels  de  très  haut  placés. 

h^s  Mémoires  cleM^^  Hamelin  sont  extrêmement 
divertissants  et  instructifs. 

Elle  a  connu  tout  le  monde  :  Napoléon  P'"  qui 
est  resté  son  idole  jusqu'au  dernier  soupir;  Cha- 
teaubriand, qu'elle  a  beaucoup  aimé,  dont  elle  a 
été  une  des  conquêtes  les  plus  faciles,  mais  à  qui 
elle  n'a  pas  pardonné  de  ne  l'avoir  pas  nommée 
dans  ses  Mémoires  de  peur  de  contrarier  M™^  Réca- 
mier  ;  Talleyrand,  dont  elle  goûte  assez  les  «  comé- 


PRÉFAGli  III 

dies  »  successives  sans  pouvoir,  bien  entendu, 
aimer  un  homme  que  Napoléon  n'aimait  pas  ;  ce 
((  sot  »  de  Flahaut,  cet  excellent  Belmontet  qui 
est  «  bête  comme  un  âne  »  ;  Walewski,  qui  com- 
promet le  sang  des  Napoléon  dans  ses  relations 
sans  discrétion  et  sans  dignité  avec  Rachel.  Que 
d'autres!  Hortense  AUartde  Meritens  deSaman,.., 
etc.,  qui  est  une  folle  en  cinq  lettres;  mais  qui  a 
tant  (le  talent  et  qui  aime  tant  à  aimer  qu'on  ne 
peut  pas  lui  en  vouloir  et  que  l'on  a  pour  elle  une 
indulgence  où  il  entre  de  la  tendresse. 

C'est  un  joli  cinématographe  que  les  Mémoires 
tie  J/™^  Hamelm. 

On  y  trouve  de  tout  et  non  pas  seulement  les 
historiens  anecdotiques  mais  les  historiens,  et  non 
pas  seulement  la  petite  histoire  mai*^  la  grande 
auront  à  s'en  occuper  très  sérieusement. 

Tenez,  jusqu'à  cette  petite-cousine  de  Louis-Phi- 
lippe qui  s'appelait  M™*^  Lafarge.  Un  épisode  de 
la  vie  de  M"""  Lafarge  se  trouve  ici,  qui  ne  se  trouve 
pas  ailleurs.  Pourquoi?  Parce  que  ce  scélérat  deC... 
est  en  1846  inspecteur  des  prisons.  Or,  M"'  Lafarge 
est  en  prison.  Elle  y  a  été  mise  sous  prétexte  qu'elle 
a  empoisonne  son  mari  avec  de  la  liqueur  de  Fowler 
à  fortes  doses.  Or,  inspectant,  C...  lui  a  dit  quel- 
ques bonnes  paroles  et  lui  a  pris  la  main.  Or, 
M™*'  Lafarge  est  devenue  amoureuse  de  lui.  Du 
moins  —  car  je  n'en  crois  rien  —  elle  le  lui  écrit 


IV  PRKFACE 

en  style  romantique.  Et  cettre  lettre,  qui  le  flatte 
ou  qui  l'amuse,  G...  racommuniquéeàM™-Hamelin 
et  M.  Gayot  Ta  retrouvée  dans  les  papiers  de  la 
Merveilleuse  (ou,  tout  simplement,  G...  l'avait 
gardée  et  jointe  aux  lettres  de  M™^  Hamelin,  ce  qui 
n'était  pas  respectueux,  mais  ce  qui  n'a  rien  de 
très  condamnable; .  Et  voilà  comment  nous  sommes 
informés  des  amours  ergastulaires  d'une  princesse 
de  la  main  gauche. 

M.  André  Gayot  s'est  acquitté  avec  le  plus  grand 
zèle  de  sa  tâche,  qui  n'était  pas  petite.  Pour  expli- 
quer le  texte  il  lui  a  fallu  feuilleter  tous  les  journaux 
du  temps  et  les  lire  souvent  comme  à  la  loupe.  Et 
il  lui  a  fallu  identifier  bien  des  personnages  sou- 
vent très  obscurs.  Il  a  fait  tout  cela  avec  une 
grande  patience  et  une  extrême  sagacité.  G'est  là 
un  très  bon  travail  d'éditeur  érudit.  Il  reste  encore 
bien  des  points  qui  seraient  à  élucider.  Personne 
ne  le  sait  mieux  que  M.  Gayot.  Mais  il  a  fait,  que 
je  crois,  tout  le  possible. 

Je  ne  veux  cependant  pas  désespérer  ceux  qui 
voudront  s'attacher  à  démêler  les  points  obscurs 
de  M""®  Hamelin.  G'est  un  travail  épineux  qui  ne 
sera  pas  sans  roses. 

Emile  Faguet, 

de    l'Académie    française. 


UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 


FORTUNÉE  HAMELIN 


INTRODUCTION 


COUP   D  ŒIL   SUR   SA   VIE 

SA  CORRtlSPONDAXCI': 

«  J'ai  assisté  aux  victoires  do  la  République,  j'ai 
traversé  les  Saturnales  du  Directoire,  j'ai  vu  la  gloire 
du  Consulat  et  la  g-randeur  de  l'Empire  :  sans  avoir 
jamais  affecté  une  force  et  des  sentimens  qui  ne  sont 
pas  de  mon  sexe,  j'ai  été,  à  vingt-trois  ans  de  dis- 
tance, témoin  des  triomphes  de  Valmy  et  des  funé- 
railles de  Waterloo.  » 

On  peut  appliquer  —  en  les  complélant  —  ces 
paroles,  que  la  Contemporaine  [fda  SaiiH-Elnie)  pla- 
çait en  tète  de  ses  Mémoires,  à  une  anciemie  Musca- 
dine,  Bonapartiste  fougueuse,  séduisante  et  originale 
créole,  Fortunée  Hainelin,  qui,  après  avoir  frémi  tout 
enfant  aux  éciios  de  89,  traversé  la  réaction  thermi- 
dorienne, triomphé  aux  soupers  do  Rarras,  aux 
réceptions  du  prince  do  Talloyrand  et  aux  bosquets 

1 


2  FORTUINÉI':  IIAMELIN 

d'Jdalie  avec  les  Belles-Sans-Chcmise,  aux  lèvres  de 
poupées,  velues  à  la  Sauvage  de  robes  cinsse-de- 
nyiii'phc-émue  et  chaussées  de  cothurnes  violet  cul- 
de-mouchc  à  bouts  pointus,  admiré  de  près  ou  de 
loin  les  pompes  fastueuses  du  Consulat  et  de  TEm- 
pire,  vibré  de  toute  son  âme  à  la  lecture  des  Bulletins 
des  victoires  ou  des  défaites  napoléoniennes,  raillé 
Louis  XYlIl  et  la  cocarde  blanche,  audacieusement 
conspiré  pour  le  retour  de  son  «  astre  adoré  »,  vu 
sombrer  l'Aigle  dont  elle  gardera  la  vision  jamais 
éteinte  et  l'impérissable  souvenir,  subi  les  rigueurs 
de  l'exil,  critiqué  —  et  servi  (juelquefois  — la  seconde 
Restauration,  décoché  des  flèches  à  la  Monarchie  de 
Juillet,  vu  les  Journées  glorieuses  et  les  Barricades 
de  18i8,  ne  s'endormit  du  dernier  sommeil  qu'à  la 
veille  du  Coup  d'Etat,  non  sans  avoir  salué,  fidèle  au 
culte  «  du  mort  glorieux  de  Sainte-Hélène  »,  l'avène- 
ment d'un  Bonaparte  au  pouvoir. 

Que  d'agitation,  que  de  péripéties,  que  d'orages, 
que  d'équipées,  que  de  fêles,  que  de  spectacles 
lugubres  ou  splendidcs  tour  à  tour,  que  d'émotions 
vibrantes  d'espoir  ou  douloureuses  d'amertume  pour 
celte  créole  voluptueuse  qui,  sans  adcctation,  mais 
guidée  par  un  naturel  ardent  et  fier,  servie  par  une 
haute  intidligence,  découvrit  dans  les  did'érents  évé- 
nements politiques  et  autres,  auxijuels  elle  fut  mêlée 
de  très  près,  une  force  et  des  sentiments  que  l'on  n'est 
pas  accoutumé  de  rencontrer  chez  les  personnes  de 
son  sexe.  A  cause  de  cela,  vraiment,  et  pour  d'autres 
raisons  encore,  M"^'  Hamelin  mérite  de  retenir  l'atten- 
tion des  liistoriographes,  voire  même  la  sympathie 
admirative  de  tous  les  curieux  de  choses  littéraires. 


INTRODUCTION  3 

car,  SLiiiout  dans  les  vingt  dernières  années  de  sa 
vie,  devenues  presque  champêtres,  elle  écrivit  des 
Lettres  qui  lui  valurent  l'honneur  d'être  appelée  par 
ses  amis  une  petite-fille  de  la  marquise  de  Sévigné. 
Et  nous  verrons  que  cet  éloge  ne  fut  point  une  usur- 
pation. 

Sa  vie,  mouvementée  et  riche  en  épisodes,  nous  est 
assez  connue.  Nous  n'en  retiendrons  que  les  traits  les 
plus  saillants. 

Née  en  177G  à  Saint-Domingue  (quartier  de  la 
Nouvelle-Bretagne,  paroisse  de  Ouanaminthe,  juridic- 
tion de  Fort-Dauphin),  Jeanne-Genevicve-Fortunée 
Lormier-Lagrave  mourut  à  Paris,  37,  rue  Latour 
d'Auvergne,  le  29  avril  18oL 

Venue  en  France  à  l'âge  de  douze  ans,  elle  fut 
mariée  de  honne  heure  (1792)  à  un  fournisseur  géné- 
ral des  armées,  Antoine-Marie-Romain  îlamelin  (1770- 
1855)  dont  elle  eut  une  fille,  Léontine,  plus  tard  mar- 
quise de  Varambon  et  un  fils,  Edouard,  qui  épousa  la 
nièce  de  la  comtesse  de  Yillèle. 

Le  joug  marital  ne  lui  fut  pas  une  contrainte  trop 
lourde.  Séparée  de  biens  le  3  messidor  an  X,  elle 
s'était  rapidement  affranchie  de  cette  tutelle,  dont 
pourtant  son  goîit  pour  l'indépendance  et  son  amour 
des  plaisirs  ne  soufifrirent  jamais.  Les  maris  des  Aspa- 
sies  du  Directoire  surent  se  montrer,  en  l'occurrence, 
bénévoles  et  accommodants,  sans  doute  par  nécessité. 

Elle  eut  des  liaisons  célèbres  avec  le  général  Bona- 
parte (à  ce  que  nous  assure  Hortense  Allart),  avec 
Montrond  sui'tout,  intrigant  de  grande  envergure, 
spirituel  ami  de  Talleyrand,  dont  il  partagea  souvent 
les  «    mangeries  »   et  les   pourboires   diploniali(jues 


4  FORTUNÉE  ilAMELIN 

[Barras],  Fournier-Sarlovèze,  Morisel,  aide  de  camp 
de  Rovigo,  d'autres  peut-être,  dout  le  nombre  effa- 
roucha de  vertueux  mémorialistes,  Thiébault,  par 
exemple,  qui  justifient  parfois  la  parole  latine  :  Sed 
memoria  nos  sœpe  fallit... 

D'autre  part,  Fortunée  Hamelin  s'honora  d'amitiés 
illustres,  aima  le  jeu,  l'amour,  la  danse,  —  son  inter- 
minable passion  —  la  musique,  consolation  de  ses 
vieux  jours,  1'  «  idole  m  Bonaparte  dont  elle  demeura 
la  prêtresse  aux  lendemains  de  Mareng^o  comme  de 
Sainte-Hélène,  conquit  Cliateaubriand  par  sa  verve, 
son  habileté  et  la  finesse  de  son  esprit,  détesta 
Juliette  Récamier  de  tout  son  cœur,  s'enthousiasma 
pour  Berryer,  et  toujours,  en  quelque  milieu  qu'elle 
se  trouvât,  resta  passionnément  férue  de  politique, 

La  comtesse  Bassanville  nous  trace  son  portrait 
phvsique.  11  v  a  lieu  de  remarquer  (jue  les  femmes  se 
montrèrent  envers  M"^""  Hamelin  beaucoup  plus  indul- 
gentes et  véridiques  que  les  hommes,  exception  faite 
d'Ida  Saint-Elme,  qui  s'effaroucha  de  l'amitié  du 
général  Moreau  pour  l'ancienne  Merveilleuse. 

«  Sa  figure  était  plus  originale  que  belle  ;  elle  portait 
le  tvpe  ci'éole  fortement  accentué.  Elle  avait  un  teint 
très  brun,  des  lèvres  rouges  et  épaisses,  des  dents 
blanches  et  pointues,  des  ciieveux  noirs  magnifiques, 
une  taille  de  nymphe,  un  pied  d'enfant,  et  une  grâce 
extraordinaire  qui  la  rendait  presque  l'égale  des 
reines  de  beauté  du  jour.  M""  Récamier,  Tallien^ 
Yisconti...  Si  ses  rivales  étaient  plus  régulièrement 
belles,  elle  les  surpassait  en  élégance  personnelle.  » 

11  n'v  a  qu'à  considérer  attentivement  la  reproduc- 
tion du  tableau  peint  par  Appiani  à  Milan  pour  juger 


INTRODUCTION  5 

que  la  comtesse  Bassanvillc  était  peut-être  au  dessous 
de  la  vérité.  Si  l'on  compare  les  divers  poriraits  des 
filles  de  la  Révolution,  on  est  étonné  de  la  grâce 
légère,  de  la  sécurité  épanouie  et  tranquille  que  reflète 
leur  visage.  Elles  usaient  sans  retenue  ni  réflexion 
de  la  licence  des  mœurs,  du  costume  et  de  la  pensée 
et  gardaient  une  paix  insouciante  et  osée.  Les  traits 
de  M""'  Hamelin  révèlent  une  mentalité  tout  autre  : 
ardente  par  ses  yeux  de  flamme,  elle  paraît  réfléchir 
et  voir  plus  loin  en  gardant  quelques  reflets  tourmen- 
tés dupasse,  elle  semble  discerner,  juger  en  s'inquié- 
tant;  ses  yeux  admirables  pénètrent  et  précisent;  le 
nez  aigu  et  fin  flaire  les  orages,  la  bouche,  grande  et 
sensuelle,  n'est  ni  vulgaire  ni  méchante,  le  cou  est 
puissant,  les  épaules,  la  gorge  et  les  bras  ont  une 
ampleur  et  une  netteté  de  lignes  superbes,  les  mains 
sont  innocentes  et  pures.  Toute  l'attitude  est  cons- 
ciente d'une  valeur  personnelle,  maintenue  avec 
dignité.  On  l'appelait  «  la  jolie  laide  »  et  celle  jolie 
laide  fut  une  rivale  à  sa  manière  de  Juliette  Récamier, 
une  rivale  dangereuse  parfois,  dont  la  malice  n'épar- 
gna jamais  —  à  tort  ou  à  raison  —  la  «  coquetterie 
angélique  »  de  celle  qui  fut  «  une  psyché  dans 
laquelle  Chateaubriand  se  regardait  »  [JohnLcmoine], 
ange  consolateur  de  tout  ce  qui  souffrait,  d'amour  con- 
tenu ou  d'adoration  avouée,  plus  divine  qu'iiumaine, 
sans  effort  comme  sans  orgueil,  immatérielle  presque  à 
nos  yeux  éblouis  et  devant  notre  esprit  qui  voulut  être 
curieux  et  ne  sait  pas  encore  ou  ne  sait  qu'à  demi. 
Une  telle  rivalité  suffirait  à  assurer  quelque  noto- 
riété à  une  femme  dont  l'auteur  (\!Alala,  qu'elle  avait 
auvé   en  1811,  prisa  fort  la  compagnie,  et  qui    — 


6  FORTUNÉE  HAMELIN 

malice  suprême  —  semble  avoir  jeté  dans  les  bras  de 
TEiichanteur  l'aimable,  l'enlhousiastc  Horlense  Allart. 
3Iais  Fortunée  Hameliii  était  douée  des  talents  les 
{)lus  divers  :  danseuse  remarquable,  alerte  et  désin- 
volte dans  le  particulier  comme  au  sein  des  fêtes  oii 
son  esprit  brillait,  —  un  esprit  à  remporte-pièce  et 
dont  le  trait  fut  cuisant  à  plus  d'une  —  écuyère  con- 
sommée, celte  piquante  créole,  dénommée  «  le  pre- 
mier polisson  de  France  »,  connut  la  vog"ue  aux  temps 
frivoles  et  scandaleux  du  Directoire,  oii  la  liorde  des 
agioteurs  au  luxe  grossier,  des  banquiers  cnricbis 
pour  avoir  spéculé  sur  les  biens  nationaux,  conviait  à 
leurs  orgies  ces  créatures  légères  et  jolies,  Déesses 
de  la  Liberté,  extravagantes  dans  leur  tenue  comme 
dans  leurs  mœurs  et  libres  aulant  que  les  roués  qui  se 
pavanaient  à  leurs  côtés. 

«  Plusieurs  femmes  delà  même  épo(jue,  dit  quelque 
part  Benjamin  Constant,  ont  rempli  l'Europe  de  leurs 
diverses  céléljrités.  La  plupart  ont  payé  le  tribut  à 
leur  siècle,  les  unes  par  des  amours  sans  délicatesse, 
les  autres  par  de  coupables  condescendances  envers 
des  tyrannies  successives.  Celle  que  je  peins  (Juliette 
Récamier)  sortit  brillante  et  pure  de  cette  atmospbère 
qui  flétrissait  ce  qu'elle  ne  corrompait  pas.  » 

En  supposant  que  Benjamin  Constant  n'ait  été  con- 
duit à  écrire  ces  lignes  que  par  une  admiration  fer- 
vente pour  celle  dont  la  vertu  devint  assez  «  para- 
doxale )),  il  est  bien  vrai  de  dire  que  Fortunée  Hamelin, 
au  contraire,  ne  cberclia  point  à  demeurer  «  blancbe 
comme  un  ange  des  cieux  ».  Avec  Notre-Dame  de 
Tliermidor,  qui  futjalouse  d'elle  et  critiqua  souvent  la 
«  noire  Belzi  »,  avec  toutes  les  Eclaireuses  de  la  mode 


INTRODUCTION  7 

qui,  emporloes  dans  le  tourl)iilon,  se  grisèrent  do 
leurs  succès  et  de  leur  renommée,  M""°  Hamelin 
semble  avoir  connu  sans  aucun  cynisme  et  le  plus 
naturellement  du  monde  toutes  les  passions  et,  brise- 
raison,  faisant  tout  par  bousculades,  avoir  goûté  vrai- 
ment le  bonbcur  de  vi\'re,  puisqu'il  cette  époque  trou- 
blée, seule,  on  put  savourer  cette  joie,  si  Ion  en  croit 
M.  de  Talleyrand,  qui  avait  quelque  expérience. 

Au  milieu  du  cortège  bariolé  des  Incroyables  et  des 
Mer\eilleuses,  sa  petite  })ersonne preste,  mobile,  sau- 
tillante, se  distinguait  par  son  art  souverain  à  danser 
la  gavotte.  la  monaco,  le  pas  ducliàle,  —  dont  cliaque 
pas  était  un  sentiment  et  oi!i  Corinne  se  surpassait — ■ 
avec  Trénitz  et  Gardel,  Yestris  et  ce  Moutrond,  beau 
comme  un  Adonis  et  cyni(}ue  autant  que  Lauzun, 
cependant  que  Garât,  Dieu  du  cbant,  minaudeur  et 
rengorgé,  roucoulait  Le  Bouton  de  Rose  devant  une 
société  pâmée.  Les  ]>als  Tlielusson  et  Riclielieu,  les 
bosquets  d'Idalie,  les  cascatelles  de  Tivoli,  les 
ombrages  de  l'Elysée,  le  brillant  Bagatelle,  la  plaine 
du  Bois  de  Boulogne,  Mousseaux,  «  ces  jardins  fré- 
quentés d'Armide  et  de  ses  nymplies  «,  étaient  alors 
pour  les  Belles  réputées,  auxquelles  M'"''  Hamelin  dis- 
puta le  sceptre,  des  lieux  de  prédilection. 

Paris  n'est  joli 
Que  par  Tivoli, 
Un  peuple  poli 

S'y  presse 

Sans  cesse, 
Ses  bosquets  fleuris 
Protègent  les  ris  ^.. 

'  Fagot  d'Kpinos,  an  IX. 


8  FORTUNÉE  lIAMIiLIN 

Et  Le  Grondeur  ■dyn.iiconsiailô  le  16  nivôse  an  V  :  «  Un 
homme  qui  ne  saurait  pas  par  cœur  toutes  les  anec- 
cloLes  des  coulisses  et  des  foyers,  qui  ne  connaîtrait 
pas  le  nombre,  la  grosseur  et  la  qualité  des  diamans 
de  M""^'  Tallien,  Boyer-Fonfrède  et  Amelin,  serait  le 
personnage  le  plus  maussade  de  Paris.  » 

M'""  Hamelin  était  donc  une  célébrité  parisienne  au 
même  litre  que  Thérésa  Cabarrus  ou  Notre-Dame  de 
Bon-Secours  et  avant  Juliette  Récamier.  Ecrire  son 
histoire  alors  serait  raconter  toute  cette  période  sur 
laquelle  les  renseignements  abondent.  Elle  fait  en  1794 
un  premier  voyage  en  Italie  et  quand  Bonaparte 
revint  d'Egypte,  avec,  au  cœur,  la  brûlure  de  la 
jalousie,  c'est  M""  Hamelin,  dont  la  maison  était  trop 
étroite  pour  contenir  les  dépouilles  opimes,  que  le 
Général  victorieux  alla  voir,  c'est  elle,  dit-on,  qui  le 
conseilla,  lui  persuada  de  ne  point  donner  prise  aux 
envieux  et  de  garder  Joséphine. 

Si  elle  fut  écartée  de  la  cour  consulaire  avec 
d'autres  Beautés  à  la  mode,  si  Joséphine  lui  manifesta 
quelque  ingratitude,  si  elle  ne  fut  pas  régulièrement 
admise  dans  les  salons  officiels  de  l'Empire, 
M'"^  Hamelin  n'en  garda  pas  moins  un  culte  dévo- 
tieux  à  Bonaparte  qui,  redevenu  Empereur,  sut 
rémunérer  les  services  que  Ihabile  intrigante  lui  ren- 
dait. Elle  suit  toutes  les  phases  de  Tépopée  napoléo- 
nienne, elle  s'enivre  de  ces  jours  glorieux.  Junot, 
qu'elle  marie  à  M"®  Permon  (plus  tard  duchesse 
d'Abrantès),  Savary,  Moreau,  Ney  lui-même,  tous 
les  héros  des  guerres  de  l'Empire  fréquentent  chez  elle, 
assistent  aux  raouts  qu'elle  organisait  à  la  perfection 
et  qui  étaient  des  plus  suivis. 


IiNTRODUCTION  9 

Il  est  permis  de  se  demander  si,  quelque  jour, 
l'amitié  qu'elle  avait  pour  le  beau  colonel  Fournier 
ne  la  rendit  pas  suspecte  à  Bonaparte.  Le  dévouement 
dont  elle  fit  preuve  en  ces  circonstances,  récemment 
relatées  avec  d'intéressants  détails,  lui  porta  peut- 
être  préjudice  auprès  du  maître  ombrageux.  Ce  ne 
fut,  sans  doute,  qu'un  nuage  vite  dissipé. 

Un  soir  de  floréal  an  X,  Fournicr-Sarlovèze  s'était 
vanté  dans  un  diner  qu'il  abattrait  le  Premier  Consul 
d'un  coup  de  pistolet.  Bonaparte  donna  l'ordre  ù 
Fouché  de  s'emparer  de  cet  officier.  L'arrestation  eut 
lieu  le  14  floréal  à  l'Opéra  oii  Fournier,  liabit  bleu- 
barbeau  à  collet  de  velours,  gilet  blanc  à  transparent 
rose,  culotte  noire,  bas  de  soie,  escarpins  vernis, 
plastronnait,  beau  parleur  et  bravacbe  presque,  sous 
les  yeux  du  Premier  Consul.  Le  lendemain,  pendant 
(jue  l'on  perquisitionnait  à  son  domicile  oii  il  avait  été 
conduit  pour  assister  les  policiers  dans  leurs  opéra- 
tions, il  s'évada  prestement,  et  fut  retrouvé  chez 
M""'  Hamelin,  rue  Lepelletier.  On  a  prêté  à  ce  sujet  à 
notre  ancienne  Merveilleuse  les  plus  noires  intentions 
et  quelques  historiens  seraient  tentés  de  supposer  que 
M™"  Hamelin,  ayant  des  accointances  avec  le  Minis- 
tère de  la  police,  aurait  livré  Fournier. 

Nous  ne  partageons  pas  leur  opinion.  M™'  Hamelin 
fut  prudente  et  songea  aussi  bien  à  elle-même  qu'au 
prisonnier  en  faveur  duquel  elle  intervint  auprès  de 
Joséphine.  Nous  touchons  ici  d'ailleurs  à  un  côté 
important  de  sa  vie.  Si  on  lui  pardonne  de  s'être 
montrée  à  Tivoli  à  peine  drapée  d'une  tunique  de  gaze, 
d'avoir  tra/ersé,  libre  d'allures,  les  Saturnales  du 
Directoire,  que  Juvénal,  «  gonflé  de  lave  ardente  «, 


dO  FORTUxNKK   IIAMELLN 

eût  peiil-èLro  fouaillécs,  il  semble  qu'on  puisse  lui 
faire  grief  d'avoir,  à  certaines  épotiucs  île  gène,  mis 
son  inlellig'ence,  sa  finesse  el  sa  connaissance  des 
potins  mondains  au  service  du  pouvoir.  Quelque 
indulgence  que  l'on  doive  accorder  à  ces  femmes 
désemparées,  malgré  elles  ou  le  voulant  bien,  et  qui 
—  soucieuses  de  maintenir  un  rang'  (jue  les  caprices 
de  la  foi'lune  ou  leur  imprévoyance  un  peu  folle  de 
coquettes  avaient  diminué  —  cliercbi'rent  dans  l'expé- 
dition de  (|U(d(]ues  rapports  discrets  des  subsides 
indispensables  <à  leur  existence,  il  est  clioijuant,  pour 
ceux  (|ui  la  voient  à  travers  ses  Leltî'esdc  N'icillesse, 
de  l'encontrer  parmi  elles  le  nom  de  M'"*'  Ilamelin. 
Mais  ce  (jui  l'excuse  aux  yeux  des  censeurs  les  plus 
rigides,  c'est  que  jamais,  en  ISiti  conmie  apivs 
Waterloo,  elle  n'a  satisfait  une  vengeance.  • —  Et  cola 
est  déjà  fjuelque  cliose.  —  Et  c'est  quelque  clioso 
aussi,  à  son  avantage,  que  ce  témoignage  de  TEmpe- 
reur  qui  disait  à  son  propos  :  «  Je  ne  sais  comment 
elle  tourne  sa  plirase,  mais  je  me  sens  disposé  à  bien 
accueillir  tous  ceux  dont  elle  rappoi'te  les  paroles,  du 
moins  ceux-là  ne  se  plaindront  pas  (ju'elle  les  enve- 
nime. »  Admirons,  en  passant,  l'ancien  fonctionnaire 
de  la  police,  Peucliot,  mémorialiste  sur  ses  vieux 
jours,  qui  déclare  avec  une  ingénuité  charmante  : 
«  Plus  tard,  je  raconterai  la  vie  de  cette  femme,  en 
ce  qu'elle  a  trait  à  la  police,  et  si  mes  mémoires  arri- 
vent entre  ses  mains,  elle  conviendra,  je  l'espère,  que 
si  je  ne  la  ménage  pas,  ma  sévérité  n'est  que  justice.  » 
La  précaution  est  superllue. 

Un  historien  contemporain  (Ernest  Daudet)  a  fort 
judicieusement  caractérisé,  en  une  étude  documentée, 


INTRODUCTION  11 

les  rapports  de  M'"°  Descliamps  (pseudonyme  de 
M"^  Hamelin),  «  par  laquelle  on  savait  quelle  duchesse 
ou  quelle  actrice  tel  ambassadeur  avait  pour  amante». 
Nous  lui  empruntons  ces  lignes  où  les  admirateurs 
posthumes  de  M""' Hamelin  pourront  trouver  un  pal- 
liatif à  certains  actes  do  sa  vie,  oserons-nous  dire 
politique  !  «  Hàtous-nous  d'ajouter  que  dans  son  rôle 
qui  se  boi'nera  à  rendre  compte  de  ce  ({uYdle  voit  et 
d(;  C(!  (|u'elle  entend,  elle  se  préoccupera  beaucoup 
plus,  en  servant  le  gouvernement  qui  la  paie,  d'être 
utile  à  ses  amis,  que  de  leur  nuire.  Souvent  même  à 
ses  indiscrétions  elle  joindra  des  conseils  qu'elle 
croira  utiles  et  elle  sera  plus  souvent  une  informatrice 
bienveillante  qu'une  dénonciatrice  pei'fide.  Passionnée 
et  mobile^  impulsive  et  besogneuse,  elle  l'est;  mais 
intéressée,  capable  de  calculs  ténébreux  ou  méchants, 
jamais.   » 

Gela  se  passait  en  1818,  à  son  retour  de  Bruxelles 
oi^i  elle  avait  été  exilée.  Depuis  longtemps,  «  l'espé- 
rance en  habit  blanc  )>  avait  éclairé  Ihorizon;  elle 
était  devenue  une  réalité.  Napoléon,  le  «  Dieu  de 
Sainte-Hélène  »,  comme  elle  l'appelle,  ne  portait  plus 
ombrage  aux  puissances.  L'ancienne  Merveilleuse 
n'espérait  pas  son  retour.  Mais  avant  de  servir —  on 
l'a  vu  brièvement  —  la  seconde  Restauration,  elle 
avait  criblé  d'épigrammes  les  acteurs  de  la  première 
et  travaillé  de  son  mieux,  avec  une  extraordinaire 
audace,  au  retour  de  l'île  d'Elbe.  C'est  elle  qui  fit 
afficher,  qui  afficha  peut-être  (car  qui  peut  dire 
jusqu'oi^i  n'alla  pas  son  dévouement  à  la  cause  napo- 
léonienne) une  des  trois  proclamations  adressées  au 
peuple    français   et   à   l'armée   par    l'Empereur,    et, 


d2  FORTUiNËE  IIAMELIN 

lorsque  ce  dernier  arriva  à  Fontainebleau  en  mars  1815, 
c'est  un  courrier  de  M""*^  Hamelin  et  du  vieux  comte 
de  Ségur  qu'on  lui  remit  au  palais. 

Quels  durent  être  son  découragement  et  sa  tris- 
tesse, son  insolente  raillerie  contre  quelques  frères 
d'armes  de  Napoléon,  flagorneurs  et  jaloux  «  de  ne 
pas  attendre  un  jour  pour  saluer  un  nouveau  maître  » 
[Houssaye],  la  correspondance  que  nous  publions  le 
laisse  entrevoir.  En  présence  des  terribles  retours  de 
la  fortune  et  de  la  chute  de  l'Aigle  sur  le  champ  de 
bataille  de  Waterloo,  elle  sut  rester  courageuse,  mais 
résignée  à  peine.  Le  gouvernement  de  Louis  XYIII, 
auquel  elle  portait  ombrage  bien  avant  que  ion  eût 
trouvé  dans  les  papiers  de  l'Empereur  des  lettres 
de  M"""  Hamelin  accusant  son  bonapartisme  invétéré 
et  la  pétulance  de  son  caractère  batailleur  à  l'endroit 
des  maîtres  de  l'heure,  le  gouvernement  de  Louis  XYIII 
lui  enjoignit  de  quitter  Paris.  Les  avertissements  ne 
l'avaient  pas  rendue  plus  circonspecte;  l'on  n'ignorait 
pas  quelle  hostilité  persistante  s'était  manifestée  chez 
elle  envers  la  famille  rovale,  ainsi  que  chez  la  duchesse 
de  Saint-Leu  et  31'""  de  Souza.  Après  avoir  exprimé 
le  désir  qu'on  ne  lui  iiUimAt  point  l'ordre  de  s'en 
aller,  «  sous  forme  d'exil  »,  M""  Hamelin  prit  en 
novembre  1813  le  chemin  de  Bruxelles  où  lord  Wel- 
lington, d'après  elle,  devait  la  protéger  et  la  soustraire 
aux  vexations  dont  elle  pourrait  être  l'objel. 

Elle  y  resta  deux  années  environ.  Elle  retrouva  là 
des  amis  et  des  compagnons,  Arnault,  Merlin  de 
Douai,  Gai  nier  de  Saintes,  Faudoas,  le  général 
Exelmans,  Benjamin  Constant,  qu'elle  qualifiera  un 
jour  de  «  brave,  mais  poltron  politique  »,  Teste  et 


INTRODUCTION  13 

surtout  iMorisel,  sa  liaison  du  moment,  avxmturier  sans 
préjugé  aucun. 

Les  uns  et  les  autres  entretenaient  avec  la  France 
des  communications  fréquentes,  malgré  la  surveillance 
étroite  dont  ils  étaient  l'objet.  Mais  l'ancienne  Mus- 
cadine  se  montra  plus  fine  mouciiequeles  «  mouches  » 
<|ui  l'espionnaient. 

Autorisée  par  le  duc  de  Richelieu  à  rentrer  en 
octobre  1817,  M""^  Hamelin  regagna  Paris  deux  mois 
après,  grâce  au  passe-port  envoyé  par  Montrond. 

Ce  qu'elle  devint  à  son  retour  de  Bruxelles,  nous 
ravonsrapidementesquisséplushaut;M""'Descliamps- 
Hamelin  renseignait  le  duc  Decazes,  et  cette  même 
police,  dont  elle  se  rendait,  pour  un  temps  assez 
court,  l'auxiliaire  avisée,  la  tint  à  nouveau  en  obser- 
vation dès  1822,  car  elle  était  réputée  comme  s'occu- 
pant  activement  d'intrigues  politiques,  et  rangée  au 
nombre  des  factieux.  Aussi  fait-on  signaler  ses  faits 
et  gestes  et  les  diverses  pérégrinations  qu'elle  se 
permet  à  Londres  (1827)  et  à  Brighton  où  se  trouvait 
le  comte  de  Montrond.  Parmi  les  habitués  de  sa  maison 
les  rapports  de  police  mentionnaient  le  prince  de  Talley- 
rand,  les  généraux  Flahaut  et  de  Girardin,  le  duc  de 
Choiseul  et  Ouvrard,  le  munitionnaire,  qui  avait  été 
arrêté  chez  elle  en  1810  par  un  officier  de  Rovigo.  Ses 
voyages  en  Angleterre  furent  semés  d'incidents  aux- 
quels il  n'y  a  pas  lieu  de  s'attarder.  Au  reste,  on  n'est 
pas  sûrement  fixé  sur  les  desseins  de  la  Bonapartiste 
impénitente,  dont,  selon  les  termes  mêmes  d'une  note 
de  police  conservée  aux  Archives,  on  surveillait  rigou- 
reusement «  la  manière  d'être,  de  vivre  et  d'agir  ». 
On  jouait  beaucoup  chez  elle  et  l'on  paraissait  sup- 


14  FORïUiNÉE  11AM1:LIX 

poser  dans  le  pays  où  elle  avait  eu,  un  instant,  l'in- 
tenlion  de  s'installer,  que  le  but  de  M"'''  Hamelin,  de 
concert  avec  M.  de  Moulrond,  était  un  établissement 
de  jeux  ;  mais  on  remarquait  aussi  que  toutes  les  per- 
sonnes qu'ils  voyaient  étaient  très  connues  par  leurs 
opinions  libérales.  Il  est  piquant  d'enregistrer  la 
sympatliie  de  notre  Bonapartiste  pour  plusieurs  per- 
sonnages de  la  nation  voisine  (jui  avait  vaincu  et  fait 
prisonnier  l'Empereur,  dont  elle  regrette  pourtant 
«  le  passage  lumineux  »,  trop  court  à  son  gré. 

Elle  n'avait  donc  pas  de  rancune  ! 

Elle  était  toujours  subjuguée  par  l'aide  de  camp 
habituel  de  Talleyrand,  ce  comte  de  Montrond  —  sur 
lequel  on  lira  plus  loin  de  copieux  détails  —  et  dont 
les  allées  et  venues  entre  Paris  et  Londres  étaient 
régulièrement  dévoilées  au  miiiistère  de  Tlntérieur. 
On  le  disait  chargé  de  missions  secrètes  plus  ou 
moins  louches,  et  intéressé  aussi  à  régler  certaines 
affaires  pécuniaires  du  prince  de  Bénévent. 

Mais,  avant  cette  date,  il  no  faut  point  omettre  de 
noter  l'amitié  très  vive  qui  lia  Gbateaubriand  et 
Fortunée  Hamelin,  au  moment  où  René  détenait  le 
portefeuille  des  Affaires  Étrangères.  Malgré  son  âge 
(([uarante-sept  ans)  elle  sut  captiver  le  cœur  et  l'esprit 
de  l'Enchanteur  auiquel  Juliette  Récamier,  fleur  déli- 
cate, ne  sut  pas  résister,  après  tant  d'autres.  Et  de 
savoir  que  l'ancienne  Merveilleuse  dos  bals  Thelusson, 
Tirréductible  Napoléonienne  dont  Chateaubriand 
taquina  souvent  — •  c'est  elle  qui  nous  l'apprend  — 
le  farouche  bonapartisme,  fut  au  nombre  de  ces 
Madames^  qui  adorèrent  René  et  furent  adorées  par 

*  Le  mot  est  de  la  comlc?se  de  Boignc. 


INTRODUCTION  15 

lui,  parce  qu'elles  se  trouvaient  sur  son  chemin,  cela 
ne  donne-t-il  pas  un  attrait  de  plus  à  ce  qu'a  pu  faire 
ou  écrire  Fortunée  Hamelin  ? 

Célèbre,  elle  l'avait  été  et  l'était  encore:  et  si  elle 
n'était  plus  aussi  preste,  aussi  sémillante  qu'au  temps 
oiî,  Therpsicliore  des  Bacchanales  du  Ijal  Richelieu, 
elle  soulevait  les  applaudissements  des  Muguets  et 
des  Mirlillores  du  Directoire,  elle  avait  conservé  ses 
«  yeux  des  Tropi({ues  »,  la  vivacité,  la  grâce  enjouée 
de  son  esprit,  sa  conversation  pétillante,  son  intelli- 
gence fine  et  avertie.  Elle  connaissait  tant  de  choses, 
tant  de  potins,  tant  de  détails  qui  tenaient  de  près  ou 
de  loin  à  la  politique!  L'Enchanteur  lui  écrivait  tous 
les  jours.  Que  n'avons-nous  ses  billets!  Fortunée 
alhiit  le  voir  et  le  clierchcr  souvent.  Il  lui  écrivait,  en 
elTet,  le  11  décembre  1814  :  «  Aimez-moi  toujours 
comme  quand  vous  veniez  me  chercher  aux  All'aires 
Etrangères.    » 

Allèrent-ils  ensemble  au  Jardin  des  Plantes  et  le 
long  de  la  Seine  jusqu'au  Champ  de  3Iars,  comme 
liortensc  AUart  quelques  années  après? 

La  «  petite  histoire  »  no  le  dit  pas. 

M"®  de  Castellane  se  montra  jalouse  des  hommages 
que  Chateaubriand  déposait  —  momentanément  — 
aux  pieds  de  son  heureuse  rivale,  moins  jeune  qu'elle 
et  moins  jolie.  Mais  la  mélancolie  de  René  commu- 
niait alors  avec  la  verve  de  la  créole,  i^^t  c'était  un 
nouvel  encens  que  l'on  brûlait  pour  lui,  si  choyé!  Il 
ne  fut,  on  le  sait  surabondamment,  jamais  insensible 
au.x  regards  féminins  qui  parlaient  d'adoration  pour 
sa  personne  ou  pour  son  œuvre  et  pour  son  ceuxre  à 
travers  sa  personne.  Les  yeux  de  Fortunée  Hamelin 


46  FORTUNEE  HÂMELIN 

furent  encore  feu  et  flamme,  et  ses  réparties,  sa 
science  des  événements  écoulés  et  des  iiommes  d'hier 
et  d'alors,  durent  séduire,  amuser,  instruire  aussi 
l'auteur  du  Génie  du  Chrislianisme. 

De  plus,  n'avait-il  pas,  à  l'égard  de  M'""  Hamelin, 
une  dette  de  reconnaissance  à  payer?  Il  attendit  près 
de  douze  années  pour  lui  en  fournir  le  témoignage 
écrit.  Voici  sa  lettre  du  9  février  1823  : 

«  Je  n'oublie  jamais,  Madame,  les  services  qu'on 
m'a  rendus!  C'est  à  l'intérêt  que  vous  avez  bien 
voulu  me  témoigner  que  je  dois  de  n'avoir  pas  été 
fusillé  ou  enfermé  à  Yinccnnes  par  Buonaparle. 
Aussi,  Madame,  si  je  puis  vous  être  utile,  je  suis 
prêt  à  payer  la  dette  de  la  reconnaissance.  Je 
voudrais  pouvoir  me  rendre  à  vos  ordres  ;  mais  la 
mullitude  des  affaires  ne  me  laisse  pas  le  temps  de 
sortir  pour  d'autres  affaires.  Si  je  ne  craignais  d'a- 
buser de  vos  bontés,  je  vous  prierais  de  fixer  le  jour 
et  riieure  où  je  pourrais  avoir  l'iionncur  de  vous 
recevoir  chez  moi  ;  je  serai  bien  heureux  de  pouvoir 
vous  olfrir  à  la  fois  mes  remcrciemens  et  mes  hom- 
mages. )) 

Sans  doute  M*""  Hamelin  ne  perdit  poiut  de  temps 
et  courut-elle  chez  lui  bientôt  après  !  Utile  à  ses  amis, 
toujours  empressée  à  rendre  service  —  c'est  un  des 
traits  les  plus  marquants  de  son  caractère  —  elle 
intervint  auprès  du  ministre  puissant  en  faveur  de  ses 
protégés.  Et  le  minisire  ne  lui  accorda  pas  toujours. 
Elle  le  déclare  elle-même.  Mais  il  faut,  dans  la  lettre 
que  nous  avons  reproduite  d'après  le  Constitutionnel 
du  T'  août  1849,  souligner  cette  phrase  tombée  de  la 
plume  de  Chateaubriand  et  qui  est  une  confidence,  un 


LN'rRODUGTION  17 

éloge  un  peu  risqué  peut-être  ([u'il  faisait  de  lui- 
même  : 

«  Je  )i  oublie  yc/;y/c//s,  }[ada)ne,  les  services  r/uoii 
ma  rendus...  » 

L'avenir  dira  qu'il  avançail  là  une  assertion  dont 
il  n'était  pas   très  sûr,   cet  homme  changeant! 

Les  mômes  termes,  la  même  preuve  de  gratitude  se 
retrouvent  dans  une  lettre  à  Sophie  Gay  —  antérieure 
à  celle  de  M'"'  Hamelin  —  Sophie  Gay  qui  s'entremit 
en  sa  faveur  lorsque,  quelques  années  après  la  mort 
du  duc  d'Jùighien,  (^hateauhriand,  dont  la  démission 
avait  été  hruyante,  recueillit  à  l'Académie  Française 
la  succession  de  Marie-Joseph  Chénier.  Il  est  hors 
de  contestation  que  Fortunée  Ilamelin  et  Sophie  Gay 
furent  inRniment  utiles  à  celui  qui  venait  d'appeler 
Bonaparte  «  le  glorieux  assassin  ».  Mais  Tinter- 
vention  de  M"^  Hamelin  a  plus  de  prix,  semhle-t-il, 
car  c'est  par  ses  soins  qu'une  entrevue  fut  ménagée 
entre  Ghateauljriand  et  Rovigo  dans  les  serres  de 
M.  Boursault.  El  si  nulle  entente,  nul  rapprochement 
durahle  ne  résulta  de  ce  conciliahule,  du  moins 
laissa-t-on  Ghateaubriand  tranquille  à  la  Vallée-aux- 
Loups,  car  Rovigo  écoutait  les  avis  de  celle  à  qui  le 
liait  ime  amitié  de  frère. 

Nous  serions  vraisemblablement  mal  éclairés  sur 
ce  point  si  M"""  Hamelin  et  So[)hie  Gay  n'avaient  pris 
la  peine  de  nous  renseigner  l'une  et  l'autre.  Toutes 
deux  ont  raison,  assurément,  et  leur  geste  gra- 
cieux et  bon  fut  efficace.  Seul,  Giiateaubriand,  écri- 
vant les  M ('•  moires  d^ Outre-Tombe,  qu'il  révisera  peu 
d'amiées  avant  de  mouiir,  est-il  coupable,  vraiment, 
d'avoir   oublié    ou  donné   à  croire  (ju'il    ouldiait   les 


18  FORTUNEE  HAMELLN 

services  à  lui  rendus,  en  ne  consignant  pas  dans 
son  œuvre  posthume  les  noms  de  toutes  ses  bien- 
faitrices. 

Et  c'est  ce  qui  causa  à  notre  ancienne  Muscadine, 
dévouée  même  à  ceux  dont  elle  ne  partageait  pas 
l'opinion,  mais  dont  elle  admirait  et  respectait  le 
profond  génie,  un  dépit  et  une  tristesse  qui  éclatent 
dans  l'article  brillant,  passionné,  signé  d'elle  et 
qu'on  lira  plus  loin. 

Chateaubriand  oublieux  !  Devons-nous  donc  nous 
en  étonner  ! 

Rappelons  ce  passage  un  peu  singulier  et  signifi- 
catif de  ses  Mémoires  :  (f  Sincère  et  véridique,  je 
manque  d'ouverture  de  cœur:  mon  ûme  tend  inces- 
samment à  se  fermer;  je  ne  dis  point  une  chose 
entière  et  je  n'ai  laissé  passer  ma  vie  complète  que 
dans  ces  Mémoires.  » 

Hélas  !  la  vérité  en  est  apparue  bien  relative  par 
plusieurs  détails  et  Chateaubriand,  qu'une  amie  de 
Bonaparte  avait  sauvé  de  la  geôle  ou  de  l'exil,  Y  ado- 
rable, l'illustre  Chateaubriand  laissera  —  après  sa 
mort  —  dans  le  cœur  ulcéré  de  Fortunée  Hamelin  le 
souvenir  d'une  ingratitude  qu'elle  ne  méritait  pas. 
Encore  cette  ingratitude,  dans  son  admiration  inalté- 
rable pour  l'auteur  à'Afala,  elle  l'explique,  non  par 
un  scrupule  d'adorateur,  un  scrupule  délicat  et  tou- 
chant envers  celle  dont  la  créole  avait  été  rivale, 
mais  par  l'influence  «  hypocrite  »  d'une  «  femme 
inexplicable»,  de  Juliette  Récamier.  «  Lbie  belle pelile 
menotte,  celle  de  Juliette^  hélas  l  a  fait  des  corrections 
à  l'usage  de  ses  propres   rancunes.  » 

Inexplicable,  certes  elle  le   demeura,  celle  à   qui 


i:*iTRODUCTION  19 

M™"  de  Staël  écrivait  en  1807  :  «  Avec  vous,  qui  peut 
espérer  avec  certitude...  Il  ne  faut  pas  trop  vous 
aimer,  vous  faites  mal!  » 

Mais  hypocrite,  jalouse  et  rancunière,  voilà  qui  peut 
nous  surprendre  ! 

Hé  quoi  !  Celle  qui  fut,  a-t-oii  cru  longtemps  et 
encore  aujourd'hui,  toute  décence  et  toute  pureté, 
déesse  candide  dont  l'attrait  mystérieux  élevait  tout 
ce  qui  s'agenouillait  au  pied  de  son  autel,  Juliette 
Récamier,  à  la  couronne  blanche,  aurait-elle  été  trop 
humaine,  une  fois?  Et  son  âme  se  froissa-t-elle  à 
cette  «  vie  de  petites  coquetteries  »  que  lui  repro- 
chait la  duchesse  de  Broglie  et  ne  connut-elle  point 
toujours  vis-à-vis  de  ses  rivales  ce  sentiment  si  admi- 
l'able,  si  digne  d'elle....  la  générosité? 

Insondable  cœur  de  la  femme  ! 

De  quelle  olïense  avait-elle  été  victime,  quel  diffé- 
rend avait  surgi  dont  s'effaroucha  sa  froideur  gra- 
cieuse et  noble  et  qui  paraissait  insensible!... 

Faut-il  en  chercher  Texplication  dans  ses  opinions 
de  royaliste  (elle  l'était  beaucoup  plus  par  sentiment 
que  par  conviction)  [Herriot],  dans  son  opposition  à 
Bonaparte,  dont  Fortunée  Ilamelin  admirait  tout  le 
despotisme  et  toutes  les  folies  guerrières  ou  plutôt 
dans  le  ressentiment  qu'elle  nourrissait  envers  celle 
qui  lui  fit  un  beau  soir  un  afTront  public  ? 

Montroncl,  le  conquérant  sans  scrupules,  avait  été, 
dit-on  ^  curieux  de  Juliette,  et  Juliette  ne  fut  point  de 


'  C'est,  en  ciTet,  une  simple  liypullièsc  que  nuus  éinetlons.  11  )'  eut 
brouille,  jalousie  pout-èlrc  entre  Juliette  nécauiier  el  Fortunée  Ilame- 
lin. Le  plus  solide  et  le  mieux  éclairé  des  historiographes  de  Juliette, 
M.  Edouard  Herriot,  s'insci'it  en  faux  contre  le  récit  que  nous  résu- 


20  FOKTUiNEl-:  HAMELLN 

marbre  pour  «  l'Enfant  Jésus  de  l'Enfer  »  ([ui  dominait 
alors  l'esprit  et  le  cœur  de  la  Muscadinc.  Celle-ci, 
devinant  leur  intrigue  dans  un  h;\[  masqué,,  les  pour- 
suivit quand  ils  s'enfuvaicnt  en  fiacre  vers  un  lieu 
connu  du  séducteur  et  s'écria,  indignée,  apitoyée 
aussi  et  ironique  :  «  M'"''  Récamier. ..  Gomment! 
3|me  Récamier,  c'est  vous?  Ali  !  je  me  suis  trompée!  » 
Elle  se  fit  un  malin  plaisir,  sans  doute,  —  vengeance 
bien  féminine  — de  colporter  l'histoire  et  d'alimenter, 
avec  une  malignité  peut-être  répréhensible,  la  chro- 
nique scandaleuse  des  salons  où  l'on  dut  s'étonner  et 
rire  de  la  «  virginale  »  Juliette. 

Cette  jalousie  de  la  créole  hardie  se  manifesta  sou- 
vent, d'ailleurs,  après  ISOo^àl'endroit  de  M"'' Récamier, 
à  laquelle  ses  dévots  adorateurs  ne  manquaient  pas 
de  rapporter  les  propos  tenus  sur  son  compte,  et, 
probablement  ne  sut-elle  pas  opposer  un  front  d'airain 
à  la  raillerie  mordante  de  M'"- Hamelin,  Il  y  a,  notam- 
ment, l'histoire  d'un  canari,  que  raconte  de  façon 
charmante  Caroline  Jaubert,  la  «  Marraine  »  spirituelle 
d'Alfred  de  Musset,  qu'amusait  fort  la  conversation 
ailée,  capricante,  de  l'ancienne  Merveilleuse. 

«  Puis,  passant  d'un  coup  d'aile  à  M""^  Récamier, 
clic  (M'"''  Hamelin)  commenta  de  la  plus  plaisante 
façon  les  droits  de  cette  Beauté  à  prendre  rang  parmi 
les  poètes.  «Non  que  jamais,  ajoutait-elle,  cette  mer- 
ce  veille  eût  commis  un  hémistiche  :  j'ignore  môme  si 
«  elle  pouvait  écrire  en  prose.  Pas  d'indiscrétion  à 
«  craindre  qui  pût  faire  lire  un  billet  d'elle.  Inspirant 
«  le  genre    humain,  elle   était  la  grande    prêtresse 

mons  ici  tl  qui  aurail  tUé  fait  par  Sucliet  à  ThiLbault  qui  la  rulalé 
(Herriot,  3/°^'=  Récamier  et  ses  amis,  I). 


INTRODUCTION  21 

«  d'Eros.  Elle  régnait  sur  toule  la  naLure.  »  Pour  se 
sentir  profondément  remué,  il  fallait  lui  entendre 
narrer  le  désespoir  d'un  canari,  qui,  par  distraction, 
s'était  envolé.  L'oiseau  favori,  disait-elle,  voulait 
revenir  ou  mourir.  Le  moyen?  Portes  et  fenêtres 
fermées.  De  Montmorency,  trois  générations,  sentant 
leur  impuissance,  ne  tentaient  même  pas  la  capture 
du  fugitif.  L'illustre  Ballanclie,  martyr  dévoué, 
essayait,  mais  en  vain  :  il  faisait  peur  au  volatile  par 
sa  laideur.  Comme  on  désespérait  de  réussir,  le  serin, 
par  un  miracle  de  l'amour,  enfin  devenu  ingénieux, 
se  prit  avec  l'énergie  du  désespoir  à  becqueter  le 
marteau  de  la  porte  cochère,  jusqu'à  ce  qu'on  vint 
ouvrir.  Palpitant,  il  vola  vers  sa  belle  maîtresse  et  se 
réfug^ia  dans  son  sein  virg^inal...  » 

«  C'était  la  parodie  des  adorations  excitées  par 
^£me  I{j5camier  »,  dit  Sainte-Beuve,  qui  note  l'art 
merveilleux  de  M™°  Hamelin  îi  «  piquer  le  défaut 
d'autrui  ».  Mais  on  ne  nous  dit  pas  l'eflet  produit  par 
«  cette  bistoire  à  mourir  de  rire  »  sur  l'béroïne  qui 
en  était  l'objet.  Et  apparemment  Juliette  s'en  est-elle 
souvenue  quand,  à  l'Abbaye-au-Bois,  Cbateaubriand 
lui  lisait  ses  Mémoires  —  et  peut-être  conseilla-t-elle 
à  René  d'efïaccr  le  nom  de  sa  rivale... 

Connnent  démêler  ce  problème? 

Sopliie  Gay,  bienveillante  et  d'esprit  sagace,  s'y 
est  essayée  et,  tout  en  blâmant  Cbateaubriand  de 
son  oubli,  de  son  geste  ingrat  envers  une  bienfai- 
trice, amis  cette  «  correction  »  au  compte  d'un  scru- 
pule de  conscience  et  d'un  respect  bonorable  envers 
Juliette  vieillie  qu'il  ne  voulait  pas  offuscjucr,  môme 
avec  un  nom...    prononcé  devant  elle    et    qui,    seul, 


22  F0RTL\\1:E  IIAMRLIN 

faisait    surgir    les    fantômes    altristanls    du    passé. 

L'excuse  est  délicieuse,  elle  vient  de  Sophie  Gay. 

On  eût  aimé  néanmoins  —  pour  la  vérité  —  lire  le 
nom  de  M""'  Hamelin  à  côté  de  celui  de  M"""'  Lindsay, 
Regnault  de  Saint-Jean-d'Angely  et  Sophie  Gay.  Le 
vieux  Chat,  ce  jour-là,  avait  rentré  sa  gritfe  !  Et  cette 
lacune  —  faut-il  l'avouer!  —  nous  laisse  perplexe 
sur  la  «  divinité  «  de  Juliette  et  les  scrupules  do 
M.  de  Chateauhriand,  qui  se  disait  sincère  et  véi-i- 
dique  et  (}ui  iiiancjua  d'ouverture  de  cœur...  quel- 
quefois. 


Les  années  se  sont  écoulées  ;  les  événements  ont 
changé  la  France,  ne  réalisant  ni  les  rêves  ni  la  poli- 
tique de  M"""  Hamelin.  Louis-Philippe  est  sur  le  trône. 
L'âge  est  venu,  et  avec  lui  les  inlirmilés  physiques  et 
les  misères  morales  aggravées  par  des  spéculations 
malheureuses,  peut-être,  par  des  revers  de  fortune  et 
des  affaires  domestiques  emhrouillées  qui  la  contrai- 
gnirent, après  1830,  croyons-nous,  à  se  retirer  une 
partie  de  Tannée  à  l'Hermitage  de  la  Magdelaine,  dans 
la  foret  de  Fontainehleau.  Quoique  fêtée  toujours 
dans  les  salons  où  elle  était  reçue,  l'ancienne  Musca- 
dine,  accablée  par  l'âge  et  les  amertumes,  mais  cou- 
rageuse et  fière,  préférait  la  quiétude  champêtre  de  la 
maison  de  campagne  «  qui  avait  pris  la  place  d'un 
modeste  oratoire  fondé  sous  Louis  XIII,  entre  une 
futaie  plusieurs  fois  séculaire  et  la  rive  gauche  de  la 
Seine,  à  quidijues  centaines  de  mètres  du  pont  do 
Val  vins  i>. 


INTRODUCTION  23 

C'est  de  là  que  sont  datées  la  plupart  des  Lettres 
que  nous  publions  et  qui  sont  adressées  à  un  de  ses 
jeunes  amis,  M.  Charles  C..,  Bonapartiste  comme 
elle,  et  auquel,  sans  nul  doute,  elle  servit  d'intermé- 
diaire et  de  protectrice  auprès  des  membres  de  la 
famille  Bonaparte  dispersés  en  Europe  et  en  Amé- 
rique. 31.  C...  voyageait  alors  en  Italie,  en  Afrique, 
dirigea  un  journal  dans  le  Nord,  et  de  passage  à 
Montpellier,  comme  Inspecteur  général  des  prisons, 
vers  1846,  rencontra  M"""  Lafarge,  qui  reçut  après 
cette  visite  «  un  coup  de  soleil  sur  la  joue  ».  Très 
répandu,  entre  temps,  dans  la  société  choisie  de  la 
capitale,  le  correspondant  deM™°  Hamelin  était  aussi 
le  familier  du  salon  de  Caroline  Jaubert,  de  la  Com- 
tesse Moraska,  des  réceptions  d'Augerville,  oùBerryer 
tenait  une  cour  spirituelle,  légère  et  sans  protocole. 
Plus  tard,  M.  C...  devint,  croyons-nous,  secrétaire  de 
Persigny,  et  consul  en  Espagne.  Ce  n'est  là,  objectera- 
t-on,  qu'un  personnage  de  second  plan.  Mais,  peut-être 
à  cause  de  cela,  M"""  Hamelin  s'épanche-t-elle  avec 
plus  d'abandon,  avec  plus  de  confiance  aussi,  car 
il  a  la  même  idolâtrie  —  et  elle  l'encourage  dans 
ses  travaux  en  mettant  à  son  service  les  nombreuses 
relations  et  le  crédit  (ju'elle  a  conservés. 

De  1839  à  1851,  année  de  sa  mort,  elle  envoie  à 
son  jeune  ami,  acquis  aux  idées  napoléoniennes  qui 
lui  sont  chères,  de  longues  lettres  curieuses  à  plus 
d'un  titre.  Elle  adore  ce  coin  de  rile-de-France  oii  elle 
fait  des  séjours  prolongés  ;  la  songerie  y  est  bonne  et 
consolante  lorsque  les  souvenirs  d'autan  assaillent  son 
cerveau.  Elle  dépeint  son  «  bivouac  »  et  son  jardin 
avec  autant  de  ciiarme  que  M'""  de  Sévigné  décrivant 


24  FORTUNEE  HAMELLX 

les  Rochers  ;  elle  s'y  repose,  un  peu  désenclumlée, 
résignée  cependant,  oubliant  ses  propres  déboires 
pour  suivre  et  discuter  avec  intérêt,  avec  passion, 
avec  la  mt'me  «  exaltation  politique  »  qu'au  temps  où 
son  «  maître  »  Napoléon  dominait  le  monde,  les  évé- 
nements qui  agitent  la  France.  De  Paris  et  de  la 
Madelaine,  elle  renseigne  son  correspondant  sur  ce 
que  Mérimée  appelait  «  les  cancans  et  les  grosses 
nouvelles  »,  sur  les  discours  de  Tliiers,  la  pièce  à  la 
mode,  Raidiel  et  VV'alewski,  les  exceniricilés  d'un 
Bonaparte  à  Eglington,  les  voyages  de  Berryer  et  du 
duc  de  Bordeaux,  ou  encore  sur  la  dernière  réception 
à  l'Académie,  le  greluchonnage  de  quelques  Lions,  les 
enlèvements,  et  un  discours  de  Victor  Hugo.  Avec  une 
compétence  et  un  esprit  —  non  seulement  primesau- 
tier,  mais  profond  —  bien  dignes  d  une  femme  à  qui 
Cliateaubriand  écrivait  tous  les  jours  (juand  il  était 
minisire  des  AlFaires  V^trangères,  elle  disserte  sur  la 
politique  intérieure  ou  extérieure,  les  douanes  en  Tos- 
cane, les  livres  du  jour,  auxquels  elle  préfère  les  vieux 
livres,  les  corrections  dWiaia  ou  de  Rancè,  les  tableaux 
pour  lesquels  son  goût  est  vif  et  éclairé,  G/iir/andaJo 
et  la  ]'irrr/f'  à  f  ll/js/ic.  Mais  elle  le  fait  sans  pi-daii- 
tisme  ni  allélerie. 

Ses  letti'es,  on  le  \erra,  sont  des  causeries  fami- 
lières, remplies  souxcnt  de  bons  conseils,  é^naillées 
de  détails  toujours  curieux  et  [)i{[uauls,  d'aperçus 
légers  et  profonds,  causeries  (jue  M''"  llamelin  renou- 
velle et  prolonge  pour  distraire  son  ennui,  faire  revivre 
quel(|ues-uns  de  ses  souvenirs  —  et  peut-être  aussi, 
j)ar  liabitude  de  bavardage. 

Elbî  réidame  à  son  tour  du  «  butin  pri)\incial  »  à 


INTRODUCTION  2b 

son  jeune  ami  qui  voyage,  s'amuse  et  s'instruit.  Son 
exil  à  la  Madelainc  s'égaie  souvent  de  la  visite  daniis 
fidtdes.  Si  elle  va  chez  Berryer,  oli  elle  rencontra 
Musset,  Liszt,  Caroline  Jaubert,  elle  accueille  dans  sa 
modeste  maison  de  campagne  le  châtelain  d'Auger- 
ville,  Faudoas,  frère  de  la  duchesse  de  Rovigo,  La  Rue, 
Trechi,  d'Astorg;,  la  Duchesse  de  Yicence,  M'""  Bar- 
rière, d'Aligre,  ^P'^Reg'nault  de  Saint-Jean-d'Angélv, 
l'amie  de  cœur  de  toute  sa  vie,  et  3L  de  Chateau- 
briand lui-même  qui  l'avait  reçue  à  l'infirmerie  Marie- 
Thérèse  et  au  Ministère,  ne  dédaigne  point  d'aller  la 
saluer  à  son  retour  des  eaux  de  Néris  et  de  Bourbonne. 
Elle  a  des  correspondants  un  peu  parlout.  M"'"  Kis- 
selefF  et  Regnault  sont  prodigues  de  nouvelles  et  Hor- 

lenseAllart  lui  conte  souvent  ses  peines  et  ses  joies 

intellectuelles    et    autres.    M"""    Hamelin    commente 
leurs  lettres  et  les  résume  pour  son  correspondant. 


L'ancienne  3Iuscadine  des  Jiosquets  d'Llalie  est 
devenue  dévote.  Elle  a  un  confesseur.  Ses  entretiens 
avec  son  «  bon  curé  »  devaient  être  variés  et  sans 
austérité  aucune  —  on  limagine  du  moins  ainsi.  Elle 
ne  cherche  d'ailleurs  pas  h  en  faire  accroire.  Elle 
laisse  dire,  à  son  sujet,  l'adage  connu  :  «  Quand  h; 
diable  ile\ient  vieux,  il  se  fait  ennil(\  »  l'Uh'  avait 
été  si  diable,  si  lurbulenle.  si  débriilée,  parfois,  et 
Juliette,  au  contraire,  était  restée  — ■  poui*  les  autres 
■ — décence,  mesure,  harmonie! 

Elle  est  dévote  et  tache  même  à  convertir  Montrond. 
le  mécréant,  (jui,  jadis,  s'était  joué  des  deux  l'ivales, 


26  FORTUNÉE  IIAMELLN 

sans  innocence  et  comme  un  reître  —  talon  rouffe  et 
musqué  —  mais  avec  de  belles  manières  et  de  l'es- 
prit, beaucoup  d'esprit.  LaMuscadine,  qui  connaissait 
le  pardon  des  injures,  fut  secourable,  dans  l'infortune, 
au  Muscadin  qui  l'avait  meurtrie  et  que  la  destinée 
aljatlit  presfjue  à  ses  pieds. 

Si  —  quelquefois  —  elle  verse  des  larmes  sur  les 
laves  de  sa  jeunesse  morte,  de  ses  espoirs  à  peine 
entrevus,  elle  demeure  rési^^née,  courageusement 
résignée  en  face  de  l'ingratitude  et  des  trahisons  de 
ses  anciens  amis. 

Elle  avait  souffert,  elle  qui,  si  souvent,  se  montra 
indépendante  et  libre  et  elle  redit,  presque  souriante, 
avec  Chateaubriand  :  «  J'ai  tant  de  regrets  (jue  je  ne 
sais  auquel  entendre  !  » 

Mais  les  aveux,  les  confidences,  les  déceptions  et 
les  amertumes  qui  se  lisent  à  travers  les  feuillets 
jaunis  que  nous  avons  recueillis  seraient  peu  de  chose 
peut-être  et  ne  mériteraient  point  l'honneur  d'une 
publication  si  M"''  Hamelin  ne  faisait  preuve  dans  sa 
Correspondance  de  véritables  qualités  d'épistolière  — 
qualités  rares  chez  les  femmes  du  xix''  siècle,  au  dire 
de  Caroline  Jaubert  elle-même,  qui,  pourtant,  écrivit 
des  billets  infiniment  spirituels  et  pleins  de  détails 
jolis,  qui  sont  entre  nos  mains. 

A  l'intérêt  documentaire  de  celte  Correspondance, 
pour  qui  s'attache  aux  à-côtés  de  l'histoire  et  de  la 
liKéralure,  aussi  bien  qu'à  la  littérature  et  à  l'his- 
toire elles-mêmes,  s'ajoutent  les  (|ualités  qui  avaient 
maintenu  autrefois  à  M™^  Hamelin  une  réputation  uni- 
verselle dans  les  salons  où  elle  fréquentait.  Hortense 
Allart  le  consigne  en  ses  Nouveaux  Encliantejiienls 


INTRODUCTION  27 

et  son  témoignage  vient  précieusement  corroborer 
ceux  (les  mémorialistes  qui  se  sont  occupés  d'elle 
autrement  que  pour  en  médire,  de  la  comtesse  Ras- 
sanville,  de  Sainte-Beuve,  de  Caroline  Jaubert,  de  la 
comtesse  Mollien. 

«  M'""  Hamelin  dépassait  toutes  les  espérances;  on 
était  ébloui;  on  sentait  une  imagination,  une  âme  douée 
autrement  que  la  foule  :  sa  noblesse  d'esprit,  sa  liau- 
teur,  son  élégance  répandaient  sur  tout  leur  ricliesse. 
On  ne  pouvait  pas  dire  qu'elle  avait  ses  jours  et  ses 
heures,  car  tout  l'animait,  la  politique,  le  monde,  les 
récits,  les  amours,  les  talens,  les  réputations  nou- 
velles... Sa  conversation,  la  plus  brillante  et  la  plus 
gracieuse  du  monde,  avait  les  deux  qualités  qui,  selon 
M.  de  Chateaubriand,  caractérisent  la  France  :  la 
grandeur  et  la  légèreté.  » 

Cette  légèreté  et  cette  grandeur,  cette  force  et  cette 
variété  dans  la  conversation  se  retrouvent  ici.  Et  l'on 
peut  dire  que,  si  les  causeurs  célèbres  ne  réussissent 
pas  toujours  à  écrire  délicieusement  des  Lettres, 
j^jme  Hamelin,  elle,  y  réussit  pleinement.  Douée  d'une 
clairvoyance  surprenante  quand  elle  juge  les  hommes 
et  les  clioses,  malgré  son  esprit  malicieux  el  mordant, 
qui  n'épargne  rien,  aimant  les  questions  élevées  et 
le  talent  cbez  les  autres,  fidèle  au  culte  de  l'amitié  et 
à  son  adoration  pour  Napoléon,  —  que  tant  d'autres 
avaient  abandonné,  —  M"'"  Hamelin  conserva  jusqu'au 
dernier  jour  un  caractère  fier,  l'horreur  d'ennuyer,  le 
mépris  des  g-ens  communs  en  prospérité,  un  esprit 
alerte  et  primesaulicr,  et  son  style  dénote  une  imagi- 
nation pitlorescjue,  une  finesse  [)i(|uante,  le  sens  et 
la   valeur  de   l'expression   inf^énieuse   et    vraie,    (jui 


28  FORTUNÉE  IIAMELIN 

jaillit  la  «  bride  sur  le  cou  m,  toutes  qualités  qui, 
réunies,  donnent  un  charme  prenant  à  ses  Lettres  oi^i 
se  laisse  deviner,  hélas  !  malgré  sa  verve  amusée  et 
son  stoïcisme  plus  apparent  que  réel,  la  solitude  amère 
de  son  cœur  ! 


Quelques  folies,  quelques  erreurs,  quelques  machi- 
nations ou  intrigues  que  l'on  puisse  reprocher  à  sa 
jeunesse  aventureuse,  il  semble  bien  —  et  cette  (Cor- 
respondance inédite  autorise,  pensons-nous,  à  le  faire, 
—  que  l'on  doive  souscrire  au  jug'ement  que  Sophie 
Gay  émettait,  au  lendemain  de  la  mort  de  M"""  Hamelin, 
sur  l'ancienne  Muscadine  qui  avait  si  longtemps 
détenu  le  sceptre  de  l'esprit  et  conservé  dans  son 
cœur  passionné  et  mobile  le  culte  de  la  gloire  immor- 
telle : 

«  Encore  une  des  Etoiles  de  l'Empire  éteinte  ! 
un  de  ces  esprits  brillans,  souvent  profonds,  toujours 
amusans,  joig'uant  à  la  frivolité  d'une  gaieté  intaris- 
sable l'enthousiasme  d'un  cœur  chaud,  la  malice  à  la 
générosité,  la  raison  à  la  folie,  le  bon  goût  à  l'audace, 
enfin  un  de  ces  esprits,  enfans  de  la  Révolution  de  89, 
qui  conservaient  de  leur  éducation  aristocraticjue 
l'élégance  de  nos  anciennes  manières,  ce  culte  pour 
la  supéi'iorité,  les  talens,  le  succès,  qui  entraine  par- 
fois ti'op  loin,  mais  n'expose  jamais  à  rougir  de  ses 
idoles.  )) 

Soiiloiiiljrc  1010. 

André  Gayot. 
V.-/.'.  —  Nous  avons  suivi  If  conseil  fourni  par  Sainto-Dcuvo.  (l.c//re 


l.NTKODUGTlOiN  29 

à  Chanlelauze.  Corresp.  II,  255),  en  nous  bornant  au  rôle  d'enca- 
dreur, esliiuant  que  l'on  peut  mieux  juger  ainsi  de  la  valeur  d'-s 
Lettres  de  M""»  llamelin,  pour  lesquelles  éclairer  nous  avons  fourni 
le  plus  de  renseignements  que  nous  avons  pu. 

Nous  devons  à  une  personne  de  la  faniille  de  M'""^  llamelin  l'au- 
torisation d'avoir  pu  reproduire  en  tète  de  cet  ouvrage  l'admirable 
l)ortrait  de  l'ancienne  ^luscadine  peint  par  Appiani.  Nous  nous  fai- 
sons un  agréable  devoir  de  lui  adresser  ici  nos  plus  sincères  remer- 
ciements et  nos  respectueux  sentiments  de  gralitude. 


ANNÉE  1839 


Le  colonel  La  Rue.  —  Edmond  de  Talleyrand-Périgord.  —  Ilor- 
lense  Allart.  —  Le  journal  le  Capitale  et  Charles  Durand.  —  Le 
roi  Joseph  Bonaparte.  —  Une  lettre  de  Jérôme  Bonaparte.  — 
M"»Rapponi.  —  Ghirlandajo.  —  Les  ennemis  de  M""  Hamelin.  — 
Les  dames  do  la  Halle.  —  Liszt  et  M™°  d'Agoult.  —  Le  prince 
Achille  jSIurat.  —  M™»  Hamelin  regrette  son  exil  à  Bruxelles.  — 
Négociations  avec  la  famille  Bonaparte.  —  Conseils.  —  Plati- 
tudes du  prince  Louis-Bonaparte  à  liglington.  —  L'Ermitage  de 
la  Madelaine.  —  Fauiloas,  d"Astorg,  Cubières  et  le  camp  de  Fon- 
tainebleau. —  Le  roi  Josepli  au.x  Etats-Unis.  —  Pauvreté  de  Ber- 
ryer.  —  Le  prince  Achille  à  Paris.  Cii.  Durand  auprès  du  prince  Louis 
Bonaparte.  —  Thiers  et  Montrond.  —  Le  traître  ^laroto.  —  Une 
succession.  —  Ch.  Durand  a  donné  un  «  galop  »  au  prince  Louis. 

—  Goût  pour  les  tableaux.  —  Comment  on  doit  écrire  à  une  sœur  de 
Napoléon.  —  M™"  KisselelT  et  M™»  Hamelin.  —  Le  duc  de  Rovigo. 

—  Capponi.  —  Gonfalonieri.  —  Un  legs.  —  Berryer,  candidat  à 
l'Académie  franeaise.  —  Cynisme  du  prince  Achille.  —  Les  douanes 
toscanes.  Emile  de  Girardin  et  Berryer.  —  Delphine  Gay.  — 
Berryer  à  la  Madelaine.  —  La  guerre  d'Algérie.  —  Mariage  du 
duc  de  Dino.  —  Anatole  DemidolT.  —  Souhaits.  —  Les  régies  à 
Naples.  —  Le  «  delphinisme  «  de  M=»"  Anceiot.  —  Vatout  et 
l'Académie. 


PREMIERE  DES  GLORIEUSES' 

Vos  lettres'  pour  l'Amérique  ne  sont  parties  qu'au- 
jourd'hui. Jugez  du   temps   et  ne    vous    impatientez 


'  Annivcrsaii'c. 

'"  Le  corresponilant  de  Jl'"»  Hamelin  partageait  b;  culte  de  l'an- 
cienne Merveilleuse  pour  Napoléon.  Fortunée  Hamelin,  dans  le  but 
de  le  pousser  à  une  situation,  lui  servait  d'intermédiaire  et  de  pro- 
tectrice auprès  de  la  l'amille  Bonaparte  dont  les  membres  étaient  dis- 
persés en  Italie,  en  Amérique  et  en  Angleterre. 


32  UNE  ANCIENNE  .MUéCADlNE 

pas  trop.  Je  viens  de  causer  de  vous,  de  votre  frère 
une  matinée  entière  avec  votre  ami  La  Rue  *.  Votre 
frère  a  été  anéanti  de  vos  douleurs  ;  on  le  trouve 
plein  Je  talent,  de  zMe,  d'assiduité,  de  discrétion. 
«  GY'st  une  muraille  ».  dit  La  Rue,  et  «  son  frère  est  une 
dentelle  »,  dit  M"'  IL..-.  Oui,  il  faut  aimer  cet  aimable 
et  si  bon  et  si  reconnaissant  frère,  mais  il  faut  aussi 
rimiter,  reprendre  un  travail,  modérer  voire  indomp- 
table Immeur,  et  vous  répéter  ce  triste  dilemne  : 
«  Le  duc  de  Lauzun  est  mort,  la  jeune  France  vit 
encore.  » 

J'ai  découpé  vos  dernii-res  lettres  et  j'hérite  de 
vos  ennemis  (qui  peut-être  étaient  tout  disposés  à 
devenir  les  miens).  Le  retour  de  La  Rue  ino  sera  un 
bon  auxiliaire  ainsi  que  l'appui  d'Edmond  ^  pour 
vous.  Je  vous  répète  pour  ce  dernier  :  «  Ne  lui  deman- 

'  Baron  de  La  Rue  (Isidore),  chef  de  balaillon,  aide  de  camp  du 
niaréchal  de  Raguse  (Almanach  royal  1830)  et  en  1839,  officier  d'or- 
donnance du  roi. 

-  M"'^  Ilamclin,  clle-aiènic. 

*  Il  s'agit  ici  certainement  du  comte  Edmond  de  Talleyrand-Péri- 
gord  (1787-187:2),  duc  de  Dino  depuis  1817,  et  duc  de  Talleyrand  depuis 
la  mort  de  son  oncle  (1838).  Il  épousa  en  1809  la  princesse  Doi'otliée 
de  Courlande  (1792-1862).  Excellent  officier,  avait  fait  les  campagnes 
de  la  Grande  Armée  et  passa  à  Florence  (où  se  trouvait  en  1839  le 
correspondant  de  M''-"  Hamelin)  les  quarante  dernières  années  de  sa 
vie.  Il  était  cousin  de  la  duchesse  d'Eselignac,  laquelle  était  la  lille 
du  baron  Boson  de  Talleyrand-Périgord  (cf.  plus  loin).  La  comtesse 
de  Boigne  (Mémoires,  T.  I  et  II).  nous  fournit  quelques  renseignemcnls 
utiles.  On  sait  que  Talleyrand,  prince  de  Bénévent,  était  amoureux 
comme  un  homme  de  dix-huit  ans  de  sa  nièce,  la  comtesse  Edmond 
de  Périgord,  «  excessivement  jolie,  prévenante  et  gracieuse.  Elle  pos- 
sédait tous  les  agréments,  hormis  le  naturel  ».  Une  grande  distance 
séparait  le  mari  de  la  femme  qui  abandonna  aussi  le  prince  de  Tal- 
leyrand pour  suivre  un  Autrichien,  le  comte  de  Clam.  Lors  de  ren- 
trée des  Alliés  à  Paris,  elle  était  avec  les  éhonlées  ijui  montèrent  en 
croupe  derrière  les  cosaques  do  la  garde  pour  mieuK  voir  le  défilé. 
(Henri  Iloussaye,  1814-1815). 


FOUTUNEK  IIAMELIN  33 

clez  que  ce  qu'il  peut  faire  de  plus,  car  ce  qu'il  a  fait 
pour  vous,  c'est  à  peines'ill'eûtfaitpour  laplus  impor- 
tante de  ses  affaires.  »  Gullivez  son  amitié,  sans  heur- 
ter son  opinion  (car  il  en  a).  Lorsque  vous  le  voulez, 
vous  causez  si  ])ien  que  vous  devez  vous  rendre  très 
agréable.  Mais  ne  faites  pas  des  frasques  avec  sa 
madame  ou  ses  fdles.  Soyez  prudent  et  ménagez  ceux 
qui  ont  du  pencliant  pour  vous. 

Comme  il  est  bon  que  vous  sachiez  toul,  je  vous 
dirai  que  le  déchaînement  ne  lient  nullement  à  la 
scène  du  médecin  anglais.  On  dit  que  vous  lui  avez 
arraché  un  bouquet  devant  tout  le  monde.  Mais  c'est 
débat  d'amoureux,  jalousie,  ça  s'est  déjà  vu  et  per- 
sonne n'en  meurt.  Le  sérieux,  l'aiïreux,  c'est  ceci  : 
«  Vous  ne  mangez  pas,  monsieur  C...?  »  —  «  Non, 
madame.  »  —  «  Pourquoi  ?  »  —  «  C'est  que  vous 
mangez  salement,  madame,  et  cela  me  dégoûte.  » 
Alors,  pleurs,  indignation,  évanouissement. 

Est-ce  possible,  C...?  Ça  serait  trop  injuste,  Irop 
cruel.  J'avais  vu  des  choses  presque  aussi  cruelles  de 
sa  part.  Elle  vous  a  gâté  par  son  excessive  faiblesse 
et  cette  habitude  de  porter  plainte  sans  cesse  de  ce 
qu'elle  aimait  le  plus...  Enfin,  avec  ses  défauts  elle 
avait  mille  charmes  et  mille  belles  qualités,  elle  est  à 
jamais  regrettable,  non  seulement  pour  vous,  mais 
pour  nous  tous. 

Hortense'  m'a  écritune  Icltre  qui  m'a  véritablement 
interloquée.    Elle    me    conte    son  nouvel  enfant,    sa 


'  Uorlcnsc-Thérèse-Sigismondo-Sophie-Alexandiine  Allarl,  née  à 
Milan  le  7  septembre  1801,  morlc  à  Montlhcry,  le  :i2S  février  1879. 
Femme  de  lettres.  Epousa,  le  30  mars  1843,  M.  de  Méritons,  qu'elle 
abandonna  une  année  aprrs.   Très  liée  avec  Gino  Capponi,  Libri, 


34  LNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

nouiTilure,  me  parle  de  l'homme  de  ses  délices  rjui 
voit  bien  à  présent  que  c'est  lui  qui  ne  savait  pas 
faire  d'enfants.  Elle  explique  cela  par  Sparte  et  le 
midi,  m'engage  à  ne  pas  faire  la  prude  et  à  limiter 
si  je  peux...„  etc.  Pauvre  noble  folle!  Tout  cela  me 
déchire  le  cœur.  Quel  est  ce  nouveau  père  ?  Peut-il 
être  père  et  soutien  de  cette  mère  insensée,  qui  aime 
ailleurs  et  sépare  le  corps  de  Tàme'?  Cela  va  compli- 
quer la  position  de  ce  charmant  petit  Marcus  ;  les 
enfants  tendres  sont  jaloux,  leurs  pères  sont  bar- 
bares. 

Hortense  pouvait  donner  son  fils  au  frère  de  M.  S..  * 


Chatoaubiiand,  Déranger,  Sainte-Beuve,  etc.,  elle  eut  une  vie  quelque 
peu  aventureuse  et  «  ignora  toujours  le  vertueux  agrément  de  la  tran- 
quillité. »  (André  Beaunier,  Trois  Amies  de  Chateaubriand.  Fasquelle, 
lOlOj.  D'un  esprit  original,  elle  se  livra  de  bonne  heure  à  la  littéra- 
ture et  écrivit  de  1822  à  1873  plusieurs  ouvrages  dont  elle  a  dressé 
elle-mèiue  la  chronologie,  reproduite  par  M.  Léon  Séché  dans  l'étude 
qu'il  a  consacrée  à  Hortense  Allart  (2  vol.  Hortense  Allart  de  Meri- 
tens  et  Lettres  à  Sainte-Beuve.  Mercure  de  France,  19û8j.  Elle  eut 
deux  fils,  l'un  (Marcus)  de  sa  liaison  avec  le  comte  de  Sampayo, 
mort  en  1844,  et  l'autre  de  Jacopo  Mazzei.  Elle  avait  été  de  1829  à 
1831  la  maîtresse  de  Chateaubriand,  qu'elle  était  allée  voir  à  Rome, 
sur  la  recommandation  de  M"»  Hamelin  :  de  1831  à  1836,  celle  de 
Bulwer  Lytton  ;  de  1837  à  1839,  celle  de  Jacopo  Mazzei  ;  en  1841,  celle 
de  Sainte-Beuve;  de  1843  à  1845,  la  femme  de  M.  de  Meritcns.  Elle 
suivit  toujours  la  nature,  estimant  que  «  la  fille  qui  combat  la  nature 
ne  connaît  que  des  tourments  ».  Citons  parmi  ses  écrits  les  Enchan- 
tements  de  Prudence,  les  Souveaux  Enchantements,  les  Derniers 
Enchantements,  parus  sous  le  nom  de  P.  de  Saman  l'Esbatz.  Il  est 
souvent  question  de  M°"=  Hamelin  dans  sa  Correspondance  avec  Sainte- 
Beuve,  et  elle  a  consacré  à  son  amie  un  article  judicieux  et  exact 
dans  les  Xouveaux  Enchantements.  H.  Allart  de  Meritens,  pauvre 
sur  la  fin  de  sa  vie  recevait  en  1851  une  indemnité  de  600  à  900  francs 
sur  le  fond  d'encouragement  aux  sciences  et  aux  lettres.  (Moniteur, 
4  avril  IS.jI). 

*  Sampayo,  qu'Hortense  Allart  à  dépeint  dans  Jérôme  (1829)  sous 
les  traits  d'un  jeune  et  séduisant  prélat  romain.  Il  fut  en  1844  attaché 
à  l'ambassade  des  Etats-Unis. 


FORTUNEE  HAMELIN  35 

Je  la  suppliais  depuis  trois  ans  de  faire  ce  sacrifice 
maternel,  et  lui  disais  que,  dans  ces  temps  hideux, 
elle  devait,  pour  son  fils,  l'offrir  au  veau  d'or,  puisque 
c'est  l'unique  Dieu  de  France.  Je  crains  que  l'occasion 
soit  perdue.  S...  est  tout  hérissé  de  son  équipée  d'Es- 
pagne, du  ministère  Passy  ^  que  sais-je  ?  Il  croit  qu'il 
porte  le  monde  et  en  le  regardant,  on  voit  qu'il  ne 
porte  que  les  deux  plus  énormes  cornes  de  France, 
que  sa  femme  si  médiocre  le  domine  entièrement  et 
s'opposera  en  maître  h  tout  ce  qu'on  aura  pu  espérer 
pour  Marcus.  Tâchez  donc  de  porter  le  cœur  d'Hor- 
tense  vers  cet  avenir,  le  sien,  sur  celui  même  du 
petit  dernier.  Je  l'aime,  cette  Hortense,  car  en  dépit 
d'elle,  elle  a  de  l'honneur  et  de  la  honte  '. 

Voilà  votre  ami  De  Nyon  porté  sur  les  ailes  de 
l'amour  et  de  la  fortune.  Ces  deux  belles  divinités  se 
disputent  l'honneur  d'embellir  sa  vie.  Le  voilà  Consul 
général  à  Tanger  et  le  but  de  sa  vie  est  accompli  le 
neuvième  mois  de  son  mariage.  Eh  bien  !  croiriez-vous 
que  c'est  le  13  juillet  que  j'ai  reçu  pour  la  première 
fois  une  lettre  de   lui,    et  pas   un  mot   d'Henriette  ! 


'  HippolyLe  el  Antoine  Passy  étaient  en  relations  suivies  avec  Hor- 
tense Allart.  Cf.  leurs  lettres  fort  curieuses  à  Hortense  (Séché). 

*  Sur  Hortense  Allart,  sa  vie  et  ses  ouvra.çres  nous  renvoyons  le 
lecteur  aux:  travaux  que  nous  avons  cités  de  MM.  Léon  Séché  et 
André  Beaunier  et  aux  documents  publiés  par  M.  Paul  Bunnefon 
dans  VAmateur  d'autographes  et  de  documents  historiques 
(octobre  1908).  A  propos  de  son  second  enfant,  Hortense  Allart  écri- 
vait le  1"  décembre  1S4G  à  Sainte-Bi/uve  ces  lignes  que  l'on  peut  rap- 
procher de  celles  de  M"»»  Haraelin  :  «  Mon  enfant  m'amuse  et  il 
annonce  beaucoup  d'esprit.  Entre  Marcus  et  lui  j"ai  connu  la  volupté 
et  j'ai  eu  pour  ce  deuxième  enfant  une  autre  sorte  d'amour  que  pour 
le  premier.  Je  l'ai  cru  fils  de  l'homme  qui,  sans  me  faire  mère,  m'a 
faite  mère.  On  ne  pourrait  pas  mettre  cela  dans  un  roman,  ce  serait 
all'reux  et  c'est  vrai.  » 


36  UNE  ANCIENNE  MUSCAUlNE 

C'est  bien  là  l'égoïsme  à  deux,  c'est  môme  Timpo- 
litessfi  pour  deux.  Enfin  j'ai  eu  de  lui  six  paj^es  toutes 
remplies  de  leurs  mamours,  des  descriptions  de  la 
Saint-Philippe,  de  la  g^ràce  inouïe  d'Henriette,  de 
l'enfant  qui  va  naître,  de  la  loge,  de  la  calèche,  puis 
en  post-scriptum  :  «  Et  vos  jambes,  madame?  J'espère 
qu'elles  soutiennent  votre  démarche  gracieuse!  » 
Certes,  si  elles  ne  me  soutenaient  pas,  c'est  quelles 
auraient  été  coupées.  Vous  a  t-il  écrit  dej)uis?  Il  est 
comme  fou  en  vérité  !  M.  Ilis  m\i  dit  «  qu'il  alarmait 
la  pudeur  des  officiers  de  la  Junon,  (ît  qu(;  le  capitaine 
était  déterminé  à  faire  tirer  le  canon  pour  annoncer 
leurs  visites  ». 

J'ai  eu  une  idée  de  mariage  pour  M.  de  la  Rue.  C'était 
modeste,  mais  joli,  sage,  simple,  convenable  en  tout. 
Le  visage  l'avait  sédaii,  le  reste  valait  mieux  :  dix  mille 
francs  do  rente  acquis,  positifs.  Elle  nous  a  été  souf- 
flée dans  ces  deux  mois  d'absence.  Ne  lui  en  parlez  pas. 

Reçoit-on    le    Capilolc^    à  Florence?    Ce   journal 

•  '  Le  Capitile,  dont  parlera  souvent  M">-  llaniiilin,  défendait  les 
idées  de  Bonaparte.  Il  s"lmprimait  rue  Saint-Pierre-Monlmarlrc,  17. 
Parmi  ses  principau.x  rédacteurs  nous  avons  relevé  les  noms  de 
E.  d'Auriac  et  F. -T.  Glaudon  qui  y  tenait  le  feuilleton  dramatique. 
Ch.  Durand,  rédaclour  on  chef,  avait  pris  pour  épigraphe  de  son 
journal  :  «  Honneur  et  patrie.  Tout  pour  le  peuple  français.  »  H 
écrivait,  le  2  janvier  1840,  dan^  un  article-programme  intitulé  :  De 
la  nécessité  d'un  système  moral  à  l'égard  dns  fonctionnaires  :  «  En 
défendant  les  idées  napoléoniennes,  le  Capitule  demande  le  retour 
aux  sages  institutions  de  l'Empire  qui,  dans  les  diverses  adminis- 
trations de  la  France,  assuraient  au  mérite  et  à  la  probité  l'avène- 
ment aux  fonctions  publiques,  le  maintien  des  emplois  et  l'avance- 
ment au([uel  les  capacité.s  avaient  le  juste  droit  de  prétendre.  »  Il  ne 
vécut  pas  longtemps.  Nettement  {La  Presse  Parisienne,  1844)  fait 
mention  du  Capitole  en  ces  termes  :  «  Quand  un  journal  meurt, 
c'est  qu'il  représentait  une  situation  prescrite,  un  principe  sans 
application  possible,  un  parti  sans  avenir.  C'est  ainsi  que  nous  avons 
vu  mourir  La  Tribune  qui   était  dans  la  presse  la  personnification 


FORTUNÉE  HAMELIN  37 

vient  de  nous  loinber  comme  une  bombe.  Le  rédacleur 
en  chef  est  M.  Charles  Durand,  homme  d'un  immense 
talent;  c'est  quelque  chose  de  grand  qui  s'est  modelé 
sur  la  politique  impériale,  qui  sert  ce  grand  dieu  à 
genoux  et  qui  combat  ralliance  anglaise  avec  une 
verve,  une  instruction  de  la  position  européenne  qui 
surprend  et  entraine.  C'est  un  grand  événement  que 
ce  journal  et  ses  doctrines.  Est-il  russe,  est-il  loui- 
siste?  Ce  qui  est  coilain,  c'est  qu'il  est  plein  de  feu, 
de  dévouement,  et  logicien  comme  Carrel. 

Vous  voyez  que  vous  ne  pouvez  espérer  de 
réponse  d'Amérique  avant  trois  mois.  Quittez  Florence 
et  cette  position  pénible  qui  excite  l'attention,  les 
éternels  commérages;  profitez  de  ce  temps  pour  voir 
l'Italie,  non  plus  en  prince,  mais  comme  tant  do  grands 
hommes,  de  grands  artistes,  moitié  le  bâton  sur 
l'épaule,  moitié  en  vapeur  et  en  voiturin.  Vous  éprou- 
verez malgré  vous  de  la  distraction  et  de  celle  qui 
n'appauvrit  pas  le  cœur,  mais  qui  excite  et  pose  l'ima- 
gination sur  de  nobles  objets. 

Allons  !  retrouvez  des  jambes,  du  style  et  des  idées 
nouvelles.  Marclicz.  Voyez  Rome  en  pèlerin,  c'est  le 
séjour  des  grandes  misères.  Là  tous  les  regrets  sont 
acceptés  et  honorés,  lion  courage.  Apprenez,  voyez, 

des  exagérations  républicaines  et  que  le  Capilole  et  les  autres  jour- 
nau.K  quotidiens  qui  ont  voulu  ressusciter  parmi  nous  TEmpire,  des- 
cendu tout  entier  au  tombeau  avec  l'Empereur,  sont  venus  empirer 
dans  la  Revue  de  TEmpire,  comme  ces  lleuvcs  dont  les  cau.K  taris- 
sent, et  f[ui  no  sont  plus  i[u'uri  faible  ruisseau  quand  ils  finissent.  » 
M.  Thurcau-Dangin,  [Histoire  de  la  Monarchie  de  Juillel)  signale 
l'efïort  tenté  par  le  Capilole  pour  faire  campagne  avec  les  radicaux, 
tout  en  étant  t'organe  olïiciel  de  la  propagande  napoléonienne.  (Cf. 
E.  llatin.  Histoire  de  la  Presse  en  France).  En  juillet  1840,  la  poli- 
tique du  Capitole  était  défendue  dans  Vidée  Napoléonienne  (Paris  et 
F^ondrcs,  une  livraison  unique). 


38  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

pleurez.  Tout  cela  forme  et  rend  meilleur.  Après  celte 
tournée,  vous  reviendrez  à  Florence  et  les  lettres 
seront  arrivées. 

A  propos  de  lettres  !  Priez  M.  le  colonel  Marion 
de  remettre  au  duc  de  Talleyrandlalettre  que  j'écrivais 
pour  lui  à  la  reine.  M'"*  Resmault^  lui  a  mandé  de 
donner  la  sienne  à  M"'°  la  princesse  Louise...  Je 
demande  Edmond  et  qu'il  la  hrùle.  Ajoutez  beaucoup  de 
remerciements  et  de  souvenirs  du  bon  baron  Faucliet.- 

Hamrlin. 


Que  dites-vous  d'Ilii'aliim  •  ?  Je  l'adore.  Quelle 
sûreté  !  Quelle  rapidité  !  C'est  de  la  victoire  à  la 
Marengo.  Ici  nous  ne  mangeons  que  le  poulet  à  cette 
sauce.  Cette  bataille  devait  être  belle!  Si  le  costume 
turc  est  bideux,  les  Égyptiens  sont  encore  superbes, 
puis  les  cbevaux,  les  armes,  les  tentes,  le  soleil,  les 
ruines  de  Balbek,  l'Eupbrate  passé  à  la  nage,  Dieu! 
quel  spectacle!  C'est  peut-être  encore  plus  merveilleux 
que  le  sit'gc  de  Saint-Jean  d'Uloba. 

'  M"'  Rcsnaull  de  Sdinl-.Ican-dAngély.  dont  le  mari  avait  fait  la 
campagne  de  1815  dans  l'état-major  impérial.  Elle  avait  été  la  bien- 
faitrice d'IIortense  Aliart.  Elle  ilemcura  l'amie  de  M"'  llamelin  pen- 
dant toute  sa  vie. 

-  Le  baron  Fauchet  avait  été  préfet  du  Var  puis  à  Florence  (1809). 

^  Ibrahim,  fils  de  Mehemcl-Ali.  Les  relations  entre  les  deux  Sul- 
tans d'Egypte  et  de  Turquie,  Mehemet-Ali  et  Mahmoud,  étant  de 
plus  en  plus  tendues  (avril  1839i,  la  guerre  fut  déclarée.  Grâce  à  son 
impétuosité  et  à  la  supériorité  de  discipline  de  ses  troupes  qui  avaient 
des  instructeurs  français,  Ibraliiin  remporta  la  victoire  en  moins  de 
deux  heures.  Les  Ottomans  laissèrent  sur  le  champ  de  bataille  plus 
de  400  tués  ou  blessés  et  aux  mains  des  vainqueurs  1  20Û  prisonniers, 
i~2  bouches  à  feu,  2  000  fusils,  leurs  tentes  et  jusqu'aux  insignes  du 
commandement  en  chef. 


FORTUNÉE  HAMELIN  39 


Paris,  \'6  aoùl  1839. 

Je  pleure  toujours  en  lisant  vos  lettres,  et  mes 
larmes  s'adressent  surtout  à  cette  gracieuse*  mémoire 
qui  fut  placée  comme  un  double  lien  entre  vous  et 
moi.  Croyez  bien  que  lorsque  je  fais  la  rodomont, 
c'est  pour  cacher  ma  faiblesse.  Le  sort  a  été  rude 
pour  nous  deux;  mais  le  temps  est  vaste  pour  vous. 
Les  révolutions  vont  arriver;  vous  trouverez  place, 
distractions,  plaisirs.  Moi,  je  vais  mourir  malheu- 
reuse. Mais  parlons  des  choses  qui  se  peuvent  réparer. 

Oui,  vous  avez  bien  fait  de  rester  devant  cette  inso- 
lente. Vos  paquets  eussent-ils  été  faits,  il  fallait  les 
défaire. 

Vous  m'avez  écrit  une  fois  :  «  Que  me  fait  l'arrivée 
du  roi  Joseph"?  »  Vous  le  voyez  dans  la  lettre  qui 
vient  d'être  publiée  sous  la  dictée  de  Jérôme  '  sur  le 

*  Nous  ne  savons  pas  à  qui  il  est  fait  allusion. 

*  Joseph  Bonaparte  avait  quitté  Paris  après  W'aterloo  et  s'était 
établi  près  de  Philadelphie  sous  le  nom  de  comie  de  Survilliers.  Il 
habita  l'Angleterre  en  1832,  repartit  en  Amérique  (1837-183'.))  revient  en 
Angleterre  et  obtint  en  1844  du  Grand-Duc  de  Toscane  l'autorisation 
de  résider  à  Florence  où  il  mourut.  Son  arrivée  en  l!;uropc  fut  con- 
sidérée comme  ayant  un  but  politique;  elle  se  rattachait  aux  espé- 
rances que  nourrissait  la  famille  Bonaparte  malgré  la  mort  du  duc 
de  Reichstadt. 

'  Jérôme  Bonaparte,  qui  avait  épousé  Catherine  de  W'urtemberg. 
Après  Waterloo,  ils  furent  prisonniers  dans  les  Etats  du  Roi  de 
Wurtemberg  pendant  une  année.  De  181'J  àl8i'3  ils  habitèrent  Triestc. 
Ils  eurent  trois  enfants,  Jérôme,  Mathilde  (dont  parlera  plus  loin 
JI"»»  llamelin  et  qui  épousa  Anatole  DemidofT)  et  Napoléon.  En  1831, 
à  la  suite  d'événements  auxquels  fut  mêlé  Louis-Napoléon,  Jérôme 
se  réfugia  en  Toscane  avec  sa  famille.  Il  y  vécut  pendant  dix-sept  ans 
sous  le  règne  des  grands  ducs.  A  Florence  il  habitait  le  palais  Ser- 
ristori,  le  même  où  moururent  le  roi  Joseph  et  sa  femme  la  reine 
Julie.  Plus  tard  il  échangea  cotte  résidence  contre  celle  du  palais 
Orlandini.  La  reine  Catherine  mourut  le  30  novembre  1835.  Sur  les 


40  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

leslament  du  cardinal.  Dans  cet  écrit,  les  déshérites 
en  appellent  à  la  bonté,  générosité,  l'extrême  loyauté 
de  leur  aîné,  qui  fut  toujours  l'drbilre,  le  conciliateur 
de  tous  les  intérêts  de  la  fcunille  que  tous  lui  portaient 
à  régler,  lors  môme  qu'ils  ne  paraissaient  pas  de 
nature  à  lui  être  soumis,  etc.  Je  suivrai  son  con- 
seil. SiM^^'Happoni  a  refusécet  A^^/a/i- etTalleyrand, 
elle  ne  refusera  pas  l'arbitrage  de  son  oncle,  chef  de 
leur  famille.  En  le  demandant,  vous  vous  rendez  fort 
honorable,  et  mettez  tous  les  bons  esprits  de  votre 
côté;  en  menaçant,  vous  vous  affaiblissez.  Croyez-moi, 
Joseph  a  beaucoup  d'esprit,  d'expérience,  de  noblesse, 
surtout  de  tolérance.  Votre  esprit  aura  plus  d'action 
sur  lui  que  sur  aucune  des  personnes  de  la  famille. 
Cultivez  en  attendant  ]M"'°  Julie  ^  qui  a  plus  d'expé- 
rience qu'on  ne  croit  sur  son  mari  et  qui  a  écrit  des 
choses  bonnes  et  tendres  sur  notre  reine.  Elle  sait 
tout.  Prenez-la  pour  médiatrice  près  de  son  mari 
après  lavoir  préparée.  Visitez  sa  triste  solitude,  ne  la 
cabrez  pas,  et  par  cette  voie  vous  arriverez,  j'en  suis 
certaine.  Voici  l'idée,  exécutez-la  i)ien,  tout  est  là. 

Non,  non  je  n'exagère  pas  ces  odieux  commérages  ; 
les  noms  n'y  font  rien,  il  faut  les  connaître  pour  les 
livrer  au  ridicule,  au  mépris.  Les  éclaboussures  m'ar- 
rivent  au  visage.  Le  vieux  Thibaudeau  '  m'a  dit  à  moi  : 

négociations  entreprises  par  Tliiers,  OJilon  Barrot,  olc,  pour  obtenir 
du  gouvernement  l'autorisation  pour  Jérôme  de  résider  en  France, 
\oh-  Correspondance  du  roi  Jérôme.  Il  vint  à  Paris  le  1"  octobre  1847 
et  mourut  le  2i  juin  1860,  dans  son  château  de  Villegcnis. 

'  La  reine  .Julie,  femme  de  Josopli  lîonaparto,  après  avoir  habile 
Francfort  et  Bruxelles,  finit  par  s'élablir  en  Toscane. 

'  Le  conile  Thibaudeau,  conventionnel,  membre  du  Comité  de 
Salut  public,  président  du  Conseil  des  Cinq-Cents,  surnommé  Barre- 


FORTUNÉE  IIAMELIN  41 

u  Vous  le  défendiez  parce  que  vous  l'acicz  prctc  a.  la 
reine.  »  Je  vous  demande  si  celle  turpilude  a  élé 
relevée.  Il  a  prétendu  que  M"^  Rapponi  désirait  savoir 
mon  opinion,  parce  que  sa  mère  parlait  souvent  de  ma 
loyauté.  Si  elle  me  fait  l'hoimeur  de  me  consulter,  je 
lui  dirai  mon  opinion;  mais  par  voire  ambassade  elle 
serait  décomposée.  Tenez-vous  donc  au  courant  de 
l'arrivée  et  offrez  l'arbitrage.  On  ne  peut  refuser, 
vous  dis-je,  et  s'il  ne  peut  arriver  en  Italie,  il  faudrait 
le  rejoindre  à  tout  prix...  oili  il  sera.  Les  lettres  dans 
ce  cas  ne  valent  rien.  Ce  sera  la  présence  qui  l'entraî- 
nera à  condamner  ses  nièces,  fiit-ce  en  payant  pour 
elles. 

La  légèreté  d'Edmond  ne  m'étonne  pas,  je  la  connais, 
je  l'ai  éprouvée,  mais  il  est  une  exception  rare,  c'est 
le  seul  caractère  faijjlc  f[ui  ne  soit  pas  devenu  lâche, 
ingrat,  mécliant  par  le  contact  des  S3ts  et  des  infâmes. 
Il  faut  lui  savoir  gré  de  ce  noble  ca?ur  qui  lui  indique 
le  bien  lors  même  qu'il  n'a  pas  la  force  de  l'atteindre. 
Ménagez-le  de  toutes  les  manières  au  nom  de  Dieu 
et  d'elle.  C'est  votre  ancre  à  Florence  et  surtout  près 
de  Joseph.  .]o  lui  écrirai  lorsque  vous  le  croirez  utile 
sur  la  résolution  de  prendre  le  roi  pour  seul  nrbilre. 
Alors  jugez  combien  son  appui  vous  sera  utile. 

Ne  me  faites  plus  de  ces  plaisanteries  de  juste 
milieu  et  n'épuisez  point  un  courage  dontj'ai  souvent 
besoin.  Lisez,  lisez  bien  le  Capitale  et  rougissez 
d'avoir  le  nez  polili([ue  si   court.  M.   Cbarles  Durand 


de-Fcr.  avait  Ole  noiiiiné  préful  parRonapartc  après  li;  18  lirumairo. 
11  écrivit  de  nombreux;  ouvrages,  dont  une  Histoire  de  Bonaparte. 
Son  iîls,  adiuinistratcur  émincnt,  prit  part  à  la  Révolution  de  -ISoO 
et  comljatlit  Louis-l'liilippe. 


42  UNlî  ANCIENNE  MUSCA.DINE 

n'est  pas  vendu  à  la  Russie,  à  moins  que  la  Russie  ne 
soit  vendue  à  Louis  Bonaparte. 

Ouvrez  les  yeux,  nig-aud,  lisez  la  brochure  du 
prince  et  voyez  ce  qu'a  produit  le  mariage  Leucli- 
tenberg^  la  mort  de  Mahmoud-  et  la  victoire  d'Ibra- 
him 1  Ces  événements  ont  réalisé  mes  rêves  et  ma 
politique  :  l'alliance  russe,  le  Rliin,la  Belgique,  la 
Pologne  à  Bcauharnais,  la  France  au  nom  de  mon 
idole.  Ces  espérances  me  ressusciteraient  du  fond  de 
la  tombe  et  ces  nobles  idées  sont  propagées  par  un 
talent  admirable,  dont  le  style,  sans  chercher  l'imi- 
iation,  rappelle  celui  de  Carrel  à  chaque  ligne.  Mais 
l'avez-vous  à  Florence?  Si  vous  le  lisiez,  vous  seriez 
moi  à  l'instant.  Peut-on  vous  le  faire  arriv^er  ?  Je  vous 
l'enverrais.  La  famille"  est  capable  de  ne  pas  le  con- 
naître... Ce  M.  Durand,  en  effet,  a  écrit  mais  dans 
quel  sens!  Qu'on  rapprocbe  tout.  Il  a  vu,  connu, 
jugé  tous  les  politiques  de  TEurope.  Depuis  douze  ans 
il  est  dans  le  i\ord.  Chargé  d'une  grande  mission,  il 
l'a  acceptée  à  condition  de  ne  la  pas  déguiser.  Son 
but,  ses  travaux,  ses  idées,  tout  est  grand  et  national. 
N'allez  pas  comme  les  envieux  baver  devant  cette 
aurore  et  ces  nobles  elforts.  C'est  le  refuge  de  tous 
et  l'espoir  surtout  de  la  jeunesse.  Soyez  religieux  à 
cet  évangile. 

M.  Durand  me  distrait  un  peu  des  beaux-arts,  car 
il   a  tous  les  mérites,  il  est  malin,  gai,  souvent  fort 

'  Le  duc  j\Iaxiiiiilicn  de  Luchtenberg  élait  le  gendre  de  Tempe- 
reur  Nicolas. 

*  Le  Sullan  Mahmoud  mouruL  le  1"  juillet  1839.  La  Presse  du 
23  juillet  1839  raconte  ses  funérailles,  d'après  VObservaleur  Autri- 
chien. 

^  La  famille  Bonaparte. 


FORTUNEE  HAMELIN  43 

impertinent.  Ainsi  je  m'enivre  de  lui  et  ne  lis  que  lui. 
Bien  m'en  prend,  car  tout  tombe  en  lambeaux  et 
notre  littérature  est  dig-ne  de  notre  arcliitecture.  Je 
n'ai  pas  un  livre  à  vous  indiquer.  Votre  Gliirlandajo 
sera  reçu,  clioyé,  prôné,  vendu  au  mieux.  Je  le  con- 
nais ce  beau  pèlerin  et  me  souviendrai  toujours  de 
cette  sublime  guirlande  d'ang'es  qui  est  dans  l'arcade 
du  dôme  de  Pise  sur  un  fond  d"or.  C'est  enclianteur. 
En  visitant  31ikali  à  Livourno  il  me  montra  un  tableau 
de  ce  peintre  dont  il  demandait  10 000  francs.  Votre 
sujet  est-il  gracieux?  11  faudrait  pourvoir  le  tableau 
d'un  beau  cadre  ancien.  Ici  ils  sont  si  cliers  que 
5  à  600  trancs  pour  une  grandeur  de  chevalet  est  le 
prix  vulgaire.  Si  vous  réunissiez  des  attestations, 
origines,  çà  serait  parfait.  Si  le  musée  nous  manque, 
il  y  a  foule  d'Anglais  chez  Bronkins.  On  n'y  parle  que 
de  10,  20,  80  000  francs  pour  un  original.  Croyez 
bien  surtout  que  je  ne  le  lâcherai  que  pour  du  bon 
argent. 

M.  de  La  Rue  n'a  pas  trahi  la  confiance  amicale.  Ce 
projet  n'a  été  qu'une  idée  qui  lui  souriait  assez,  mais 
jamais  arrivée  aux  paroles.  Maintenant  une  chose 
singulière  arrive  :  le  mariage  de  la  veuve  s'est  rompu, 
elle  est  libre.  Tout  pourrait  se  renouer.  .Mais  je  décon- 
seille. Une  veuve  sait  ce  (ju'elle  a  voulu.  Le  lien  brisé 
tient  aux  familles  et  le  futur  avait  vingt-huit  ans... 
M.  de  La  Rue  a  compris. 

Voici  un  trait  qui  peint  le  caractère  polonais.  Ber- 
nard Polocki  est  arrivé  de  Bruxelles,  où,  après  une 
noble  campagne,  il  a  laissé  200.000  francs  de  perle 
dans  la  banque  nationale.  Léger  d'argent,  il  va  au 
Club  et  y  perd  55.000  francs  sur  parole.  Le  lendemain 


41  UNE  ANGIEJixNE  MU8CADINE 

il  décampe  sans  écrire  ni  prévenir  môme  son  hôLesse. 
Cela  fait  révolution  au  Club.  Le  comte  Michelski  s'y 
présente  et  dit  :  «  3Icssieurs,  envoyez-moi  vos  notes, 
je  paierai  pour  lui.  »  Les  Français  se  piquent  dlion- 
neur  et  disent  :  «  Vous  êtes  proscrit:  si  Polocki 
manque  d'honneur,  nous  ne  voulons  pas  nous  ruiner, 
s'il  a  de  la  probité,  il  nous  paiera  et  nous  pouvons 
attendre.  »  Arrivé  à  Berlin,  ce  fou  de  Bernard  écrit  : 
«  J'ai  oublié  de  vous  prévenir,  Messieurs,  que, 
détroussé  par  la  l)an(jue  de  Belgique,  je  suis  parti 
pour  vous  envoyer  de  Posen  l'argent  (jue  je  vous 
dois.  »  L'argent  est  arrivé  hier. 

Je  ne  pense  plus  à  l'Italie,  hélas  !  Pour  aller  {)laider 
à  Naples  il  me  faudrait  beaucoup  d'argent,  de  temps. 
Plus,  j'ai  rendu  pot  de  fer  cette  cruche  de  Dupont. 
Naples,  les  tribunaux,  le  roi,  la  noblesse,  tout  est  à 
ses  pieds.  La  noce  Beauvau  s'est  faite  chez  lui  a  cop 
di  monte,  parce  qu'il  fait  entrer  sans  droits  les  chif- 
fons des  belles  dames.  Ce  malheureux  me  vole 
200.000  francs.  Il  le  sait  et  dit  :  «  Qu'elle  vienne 
plaider  !  » 

N'est-ce  pas  du  malheur  de  trouver  de  tels  misé- 
rables !  Quelle  destinée  !  Lorsque  j'ai  été,  il  y  a  cinq 
ans,  lui  apporter  la  ferme  des  douanes  et  sa  caution, 
il  devait  150.000  francs,  il  avait  tout  vendu,  tout 
engagé,  tout,  jusqu'à  son  linge  de  corps.  C'est  vio- 
lent !  Il  a  tout  reconquis.  Il  a  la  continuation  de  la 
ferme  pour  six  ans,  et  il  conteste  mes  droits  en  me 
menaçant,  si  je  n'accepte  pas  son  offre,  de  faire  con- 
naître ma  créance  à  mes  créanciers  livpothécaires. 
Imaginez-vous  une  telle  bassesse  !  Voilà  les  hommes 
d'allaire  de  ce  temps-ci. 


FORTUNÉE  HAMKLIN  4b 

Hier  les  Dames  '  de  la  Halle  ont  envoyé  aux  bureaux 
du  Capitale  pour  acheter  le  n"  du  M.  «  Est-ici  le  jour- 
nal de  Bonaparte?  »  —  «  Oui,  Mesdames.  »  —  «  Il 
nous  faut  le  n°  du  II  ».  —  «  Le  voilà.  »  —  «  Com- 
bien? »  —  «  Pour  les  Dames  de  la  Halle,  rien.  » 
—  «  C'est  bien,  mon  brave  !  Alors,  nous  prenons 
deux  abonnements  que  tu  nous  adresseras  au  comp- 
toir. M  —  «  Quel  nom  ?  »  —  «  Les  Dames  de  la 
Halle.  » 

J'ai  demandé  à  3L  Durand  si  les  frères  d'Italie  lui 
avaient  donné  signe  de  vie.  Eux!  Mais  ils  sont  anti- 
bonapartistes, ils  s'occupent  do  plaider  entre  eux,  de 
trôner  pour  les  niais,  sui-lout  d'envoyer  des  sup- 
pliques à  Louis  Pbilijjpe  sous  toutes  les  formes  ima- 
ginables. Nous  attendons  Joseph.  Nous  verrons  s'il 
veut  être  l'aîné  de  la  famille... 

J'ai  regret  que  vous  n'ayez  pas  vu  Horlensc",  Tous 
les  malheureux  se  doivent  appui  et  cette  noble  folle, 
tout  en  faisant  la  forte,  se  trouvera  mal  avec  tous  les 
pères  de  ses  enfants,  Marcus  lui-même  sera  jaloux, 
et  plus  tard  sévère.  M.  B...  "  n'aimera  pas  le  ridicule 
et  déjà  n'était  pas  si  dévoué.  Ce  dernier  et  tardif 
enfant  la  perdra,  et  quoiqu'elle  fasse  l'enchantée,  il 
perce   une  grande  agitation  dans  ses  lettres.    Voyez- 

'  Ces  inùmeà  Daines  de  la  Ualh',  tour  à  t  jur  bonapartislos  et 
royalislcs  —  comme  tant  d'autres  —  so  piquaient  de  royalisme  en 
1815  et  chantaient  :  «  Dieu  !  rends  nous  noUo  père  do  Gand.  » 

-  Hort'.'nse  Allait. 

^  Bulwer-Lytton,  le  Warwkdc  des  Enclianloincnts,  secrétaire  d'am- 
bassade et  ministre  plénipotentiaire,  a  publié  divers  ouvrages,  entre 
autres  la  France  sociale,  lilféraire  el  polifique  (1834),  la  Monarchie 
des  classes  moyennes  (1836),  la  Vie  de  lord  Dijron  (1839),  un  Essai 
sur  Talleyrand  (18(58).  Il  mourut  à  Naplcs  en  1872.  Il  était  le  frère 
du  romancier. 


46  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

VOUS  M.  Liszt  et  sa  belle  amie'  qu'on  dit  aussi  fort 
spirituelle?  Etes-vous  resté  en  relations  avec  M.  Per- 
signy"  (du  procès)?  On  m'a  soutenu  (juc  vous  étiez 
brouillés.  Tant  pis.  Mais  à  vos  âges  tout  se  renoue 
et  même  avec  plaisir.  Faites  mes  amitiés  à  ce  bon 
cœur  de  Palmieri.  Avant  son  départ  il  vint  me  voir 
et  me  trouva  malade  et  au  bain.  Il  me  dit  :  a  Vous 
avez  ma  maladie,  chère  amie.  Il  n'y  a  que  le  sublimé 
qui  m'ait  guéri,  m  Comprenez-vous  cette  naïveté  toute 
roba  siciliana?  Tout  de  même  ça  m'a  fait  bien  rire. 

Paris,  23  août  1839. 

Le  prince  Achille  '  ne  recevra  pas  vos  lettres.  Il  est 

'  Marie  de  Flavigny,  comtesse  d'Agoult,  la  Marie  aux  longs  che- 
veux, s'était  expatriée  pour  Liszt  en  1835.  Elle  rentra  seule  et  désen- 
chantée à  Paris  en  1840.  Elle  avait  alors  trente-cinq  ans.  Sainte-Beuve 
lasurnomiiiaiL  «la Corinne  du  quai  Malaquais  »  (Lettre  à  Juste  Olivier, 
25  octobre  1840).  Elle  était  en  relations  suivies  avec  M"""  Hamelin 
dont  elle  parle  dans  une  lettre  à  Hortense  AUart  du  2  mars  1846  citée 
par  L.  Séché  (//.  AUart,  t.  I).  Elle  écrivit  quelques  ouvrages  sous 
le  pseudonyme  de  Daniel  Stern.  Hortense  la  jugeait  ainsi  dans  une 
lettre  à  Sainte-Beuve  :  «  Je  la  trouve  une  femme  élevée  et  plus  sen- 
sible que  vous  ne  croyez,  mais  de  cette  sensibilité  une  fois  prise 
et  qui  reste  là.  »  M"»  d'Agoult  venait  de  rompre  avec  George  Sand  ; 
«  rupture  froide  et  acceptée.  »  G.  Sand  l'appelle  Arabella  dans  les 
Lettres  d'un  voyageur.  Mirabelle  et  Princesse  dans  sa  Correspon- 
dance. Marie  aurait  été  «  perfide  et  ingrate  »  à  l'égard  de  l'auteur 
de  Lélia  qui  écrivait  d'elle  cependant  à  M"""  Marliani,  le  28  septembre 
183'J  :  «  C'est  une  personne  inflniment  spirituelle,  gracieuse  et  de 
bonne  compagnie  :  c'est  l'ornement  d'un  salon...  »  La  dédicace  de 
Julien  au  sujet  d'une  amitié  brisée,  (contient  ces  mots  :  «  La  vie  se 
passe  en  vains  elïorts  et  en  plus  vains  regrets.  Nous  avions  voulu 
nous  aimer.  »  (S.  Rocheblave.  Une  amitié  romanesque  G.  Sand  et 
M"''  d'Agoult.  Revue  de  Paris,  lo  décembre  1894.) 

-  Fialin  de  Persigny  (1808-1872),  d'abord  républicain,  puis  converti 
au  bonapartisme,  fut  l'ami  le  plus  fidèle  de  Louis  Bonaparte  (Napo- 
léon lil).  Depuis  le  complot  de  Strasbourg  qu'il  organisa,  jusqu'au 
coupd'élat,  ilparticipaactivementauxtentatives  duprince.  Le  corres- 
pondant de  M°"|  Hamelin  fut,  croyons-nous,  secrétaire  de  Persigny. 

^  Le  prince  Achille  Murât  était  le  fils  aîné  de  Joachim  et  de  Caro- 


FORTUNEE  IIAMELIiN  47 

parti,  il  arrive  parla  Ilollanilo  et  Bruxelles  où  il  res- 
tera en  attendant  un  permis  pour  passer  deux  mois 
en  France  avant  de  se  rendre  en  Toscane.  C'est 
M.  Thibaudcau  qui  a  reçu  ces  avis,  c'est  chez  lui  que 
descendra  le  prince.  C'était  en  vérité  la  plus  mauvaise 
et  fatale  combinaison  pour  vos  justes  réclamations. 
M.  de  Lille  est  tout  aussi  monté  que  le  vieux  Thibau- 
dcau et  tant  d'impitoyables  injustices,  duretés  m'ont 
révoltée  au  point  que  sans  être  brouillées  avec  M""®  A . . . 
nous  sommes  très  en  froid  en  ce  moment.  11  m'est 
échappé  de  dire  que,  si  vous  étiez  titré  ou  marchand  de 
vin,  on  vous  traiterait  avec  plus  d'indulgence.  La 
pauvre  femme  est  subjuguée  par  cet  homme,  qui  n'a 
pas  oublié,  lui,  de  se  faire  faire  un  bon  testament. 
Voyons  !  Quel  parti  prendrez-vous?Des  millions  d'avis 
vont  lui  pleuvoir  contre  vos  demandes.  Edmond  qui 
écrivait  en  Amérique  ne  peut-il  écrire  les  mêmes  choses 
ici?  Cet  Anglais  que  vous  preniez  pour  arbitre  serait- 
il  assez  le  loyal  Edouard  de  Rousseau  pour  écrire,  en 
Anglais,  son  opinion?  Cela  ferait  elîet  sur  Achille  et 
sa  femme.  Vous  voilà  prévenu.  Le  mieux  certaine- 
ment est  de  venir  expliquer,  voir,  plaider  vous-même. 


Une  Bonaparte  —  (21  janvier  1801  —  1 5  avril  1  Si").  On  sait  que  sa  mère, 
au  terme  de  sa  grossesse,  se  trouvait  dans  la  voiture  de  Joséphine 
lors  de  reK[jlosion  de  la  machine  infernale,  rue  Saint-Nicaise,  et  fut 
frappée  d'une  telle  frayeur  qu'on  fut  obligé  de  la  ramener  aux  Tui- 
leries. La  constitution  de  l'enfant  se  ressentit  de  cette  catastrophe. 
Achille  voyagea  dès  sa  majorité  et  s'installa  dans  les  Florides.  Il 
avait  épousé  en  1826  Catherine  Dudley,  petite-nièce  de  Washington. 
Il  mourut  à  JelTerson-County  (1847).  On  a  de  lui  Lettres  d'un  citoyen 
des  Etats-Unis,  (1830).  Esquisse  morale  et  politique  des  Etats-Unis 
(18:^2),  Exposition  des  principes  du  Gouvernement  Républicain  tel 
qu'il  a  été  perfectionné  en  Amérique  (1833).  Pour  obtenir  appui, 
sans  doute,  le  correspondant  de  M'""  Hamelin  s'était  adressé  à  tous 
les  membres  de  la  famille  Bonaparte. 


48  UNE  ANCIENNE  MUSCADIXE 

Le  roi  Joseph  fait  en  cette  occasion  comme  après 
juillet.  Il  attend.  Rien  ne  presse.  Il  n'annonce  pas  son 
départ.  Achille,  à  la  nouvelle  portée  par  les  gazettes, 
n'a  fait  qu'un  bond  sur  le  vaisseau.  Sa  santé  paraît 
bonne,  il  n'était  malade  que  pour  jeter  de  l'odieux 
sur  sa  mère.  On  dit  qu'il  demandera  la  continuation 
de  la  pension.  Il  ne  l'aura  pas. 

Je  ne  vous  écrivais  que  pour  cette  nouvelle,  car  je 
suis  fatiguée,  triste  et  découragée  à  désirer  la  mort 
pour  finir  toute  celle  agonie.  Les  gens  de  mon  opi- 
nion, à  mesure  (ju'ils  se  croient  près  du  succès,  arbo- 
rent l'insolence,  la  grossièreté  de  ceux-ci.  L'autre 
jour  je  disais  :  «  En  vérité,  vous  me  renverrez  à 
lîruxelles^  si  vous  continuez.  » 

'  Où  Furtunéo  Ilamelin  avait  clij  cviiro.  Nous  lisons  dans  le  Moni- 
teur du  18  juillet  ISlii  :  «  Sous  lo  refuge  du  pavillon  blanc,  Bonaparte 
a  terminé,  à  bord  du  vai.ssoau  anglais  le  Delléropkon.  l'entreprise 
connue  par  lui  et  exécutôe  à  l'aide  de  .MM.  Labédoyèrc,  Ney, 
Savary,  etc.,  et  de  JM™-*  llortensc,  Souza  et  Ilamelin.  «  Sus- 
pectée avec  juste  raison  de  faire  opposition  au  gouvernement, 
M"">Hame]in,  /;i//"?y/rtn/e  (ainsi  que  la  dénomme  un  rapport  de  police) 
fut  priée  de  quitter  l'aris.  Le  ol  octobre  1815,  en  effet,  lu  préfet  de 
police,  comte  Angles,  recevait  un  ordre  écrit  :  (Arcliivcs  nationales. 
Folio  0  79u.  Dossier  61-2)  «  M.  le  Comte,  la  conduite  politique  de 
M"»  Hamelin  ne  permet  plus  do  tolérer  son  séjour  dans  la  capi- 
tale. Vous  voudrez  donc  bien,  au  reçu  de  la  présente,  la  mander 
devant  vous  et  lui  intimer  l'ordre  de  quitter  Paris  dans  les  quarànte- 
buit  beures.  »  Devant  le  préfet  do  police  qui  l'avait  fait  appeler, 
M'""  Ilamelin  témoigna  quelque  surprise  de  l'injonction  iju'elle  rece- 
vait et  protesta  de  sa  neutralité.  Elle  consentit  à  se  retirer  à 
Bruxelles,  où,  disait-elle,  elle  devait  se  retrouver  sous  la  protection 
d'un  grand  bomme  (lord  Wellington)  «  qui  la  traiterait  sûrement 
avec  toutes  sortes  d'égards  et  la  protégerait  contre  les  vexations 
auxquelles  elle  serait  longtemps  en  butte.  »  (Rapport  du  comte 
Angles.  1"  novembre  181o).  Notons  que  M""  Ilamelin  réclama  un 
délai.  De  plus  elle  exprima  le  désir  qu'on  ne  lui  intimât  pas  l'oidre 
de  départ»  en  forme  d'exil».  Les  avertissements  n'ayant  pas  rendu 
notre  fougueuse  bonapartiste  plus  circonspecte,  la  police  pressa 
M^o  Ilamelin  de  quitter  Paris.  Les  termes  mêmes  des  ordres  transmis 
au  préfet  de  police  prouvent  combien  sa  présence  dans  la  capitale 


FORTUNEE  IIAMELIN  49 

La  Madelaine  9  septembre  1839. 

Edmond^  vous  montrera  ma  lettre,  je  crois.  Je  le 
tourne,  le  maintiens,  le  pousse  adonner  à  son  appui  la 
force  de  sa  conviction  et  de  son  indépendance.  Je  lui 
dis  :  «  Si  vous  ne  réussissez  pas  dans  ses  intérêts,  vous 
le  sauvez  du  moins  dans  son  lionneuret  c'est  bien  hono- 
rable, cher,  qu'un  témoignage  ait  tant  d'autorité.  Ne 
l'abandonnez  pas,  il  n'a  d'appui  que  votre  noble  cœur.  » 

Ma  pensée  est  que  vous  n'obtiendrez  rien  de  la 
famille,  mais  que  si  Edmond  tient  ferme,  le  roi  déci- 
dera tout  à  fait  en  votre  faveur  et  que  pour  ce  roi  la 
parole  du  duc  vaudra  mieux  que  les  criailleries  de  ses 
neveux  et  des  conventionnels  de  Paris.  Ainsi,  jamais, 

portait  ombrage  au  gouvernement.  C'est  donc  à  Bruxelles  qu'elle  se 
retira,  mais  ne  cessa  de  correspondre  avec  ses  amis  de  Paris  par 
Tintermédiaire  de  sa  femme  de  chambre  qui  distribuait  ses  lettres. 
Un  de  ses  intimes  était  alors  Morisel,  ancien  aide  de  camp  de  Savary. 
M""  Haraelin  et  Moriscl  rentrèrent  à  Paris  le  o  décembre  1817.  (Lettre 
ducomte  Angles,  préfet  de  police,  24  janvier  1818  —  et  La  Quotidienne  — 
i)  décembre  1817).  Parmi  les  personnes  qui  voyaient  à  Bruxelles 
M^^Hamelin,  citons  M"'«sRegnault  de  Saint-Jean-d'Angély  et  Arnault. 
La  police  continua  de  la  faire  surveiller  à  Paris,  rue  de  Clichy,  20, 
où  elle  habitait —  (Notes  du4  juillet  1822).  —  Une  note  du  6  août  1823 
(Dossier  8,768)  dit  que  M.  le  duc  Decazes  «  employa  M"":  Hamelin 
en  Belgique  ».  Il  est  avéré  que  l'ancienne  Merveilleuse  adressa  des 
communications  au  duc  Decazes.  En  1827,  des  rapports  fréquents 
sont  adressés  au  miaistre  de  l'Intérieur  touchant  les  déplacements 
de  M"">  Hamelin  en  Angleterre  où  se  trouvait  Montrond.  (Archives 
nationales.  F'  G, 988.  Dossier  13,693).  Une  même  note  concernait  la 
dame  Hamelin,  Durand  (du  Capitole)  et  la  nièce  de  Rœderer, 
M"°  de  Longchamp.  «  C'est  encore  des  réunions  épouvantables  », 
disait  le  policier.  Voir  à  ce  sujet  Ernest  Daudet  [Revue  des  Deux 
Mondes,  i"'  janvier  1910  et  Supplément  de  Figaro,  25  juin  1910) 
(Archives  nationales.  F'  6814.  Doss.  1952.  (Rapport  Al.  Decazes  sur 
les  Exilés  à  Bruxelles)  F'  0812  doss.  1829.  F'  6810.  Doss.  1698). 

'  Edmond  de  Talleyrand-Périgord.  Ces  lettres  montrent  que 
jamais  M»"»  Hamelin  ne  perdit  le  goût  des  affaires  politiques  ;  elles 
donnent  idée  de  ce  qu'avaient  pu  être  autrefois  ses  machinations  et 
ses  intrigues. 


50  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

jamais  jo  ne  menacerais  de  la  publicilé.  Jécrirais,  à 
elle,  un  mémoire  et  je  réclamerais  l'arbitrage  du  chef. 
Ils  n'oseront  pas  le  refuser  et  comme  cela  flattera 
Joseph,  il  acceptera.  Par  malheur  la  reine  l'avait  bien 
blessé.  Cependant  tous  les  sacrifices  ont  été  accordés 
par  lui  qui  a  l'horreur  des  procès.  Ce  Lucien  qui 
saura  vous  devoir  la  part  de  son  (ils  sera  peut-être 
équitable.  Si  vous  en  détachiez  un,  ce  serait  beau- 
coup. Que  fait  donc  cet  Anglais  aimé  de  Louise? 
Comment  n'avez-vous  pas  pu  vous  le  rendre  favo- 
rable? C'est  que  vous  n'êtes  point  adroit.  II  faut  pour- 
tant le  devenir  un  peu  en  dépit  de  votre  humeur 
altière.  Ce  qu'il  ne  faut  pas,  mon  pauvre  enfant,  c'est 
le  découragement.  Votre  dernière  lettre  me  fait  bien 
du  chagrin.  Vos  malheurs  ont  plus  d'espoir  que  les 
miens.  Vous  êtes  jeune,  spirituel,  brave  et  bon.  Tout 
cela  trouve  emploi,  croyez-moi.  Il  est  trop  tard  pour 
mourir,  on  dirait  que  c'est  pour  cet  argent...  Allons! 
courage!  Est-ce  que  cette  belle  M'"''  ...  Ka  ne  vous 
envoie  pas  quelque  encouragement?  Je  suis  sùi'c 
(jue  si.  Les  Polonaises  ont  du  cœur.  Ne  me  reparlez 
jamais  d'abandonner  vous  et  votre  cause.  Ce  serait 
une  lâcheté  !  Les  inimitiés  ne  me  font  pas  peur,  j'en 
ai  éprouvé  par  torrent,  et  toutes  aussi  méritées  que 
celles  qui  me  viendront  pour  ce  petit  héritage. 

Je  ne  vous  ai  pas  dit  que  le  prince  Achille  fût  arrivé, 
mais  qu'il  arriverait  par  la  Hollande  et  Bruxelles.  Au 
lieu  d'arriver,  je  vous  ai  écrit  que  des  scènes  fâcheuses 
avaient  retardé  son  départ.  Il  a  été  arrêté,  il  a  fallu 
des  cautions  et  durant  ces  débats,  Lucien  ^  est  arrivé 

'  La  Presse  du  24  août  1839  publiait  rinformalioQ  suivante  à  la 
rubr.quo  :  Nouvelles  cL  Faits-Divers  :   «  Le  Capitole  annonce  que 


FORTUNIÎE  HA  ME  LIN 


jusqu'à  Paris.  Le  marociial  Soull  \  a  jelo  des  flammes 
(en  preuve  de  sou  amitié  pour  la  reine),  baron  Mer- 
cey  ne  s'est  pas  dérangé,  parce  que  vous  l'avez  guéri, 
dit-il,  de  son  dévouement.  Le  prince  a  été  reçu  par 
Thibaudeau,  Daure  -  et  Exelmans\  On  ne  l'a  pas 
trouvé  si  bête,  car  il  n'avait  qu'une  idée  :  obtenir  la 
réversion  de  la  rente.  Pour  cela,  tout  grand  et  gros 
qu'il  est,  on  l'aurait  passé  par  le  trou  d'une  aiguille. 
De  sorte  qu'on  l'a  conduit  à  la  préfecture  de  police 
pour  remercier  M.  Gabriel  Delessert'  de  lui  accorder 
quatre  jours.  Voilà  de  la  dignité.  Des  visites  à  Saint- 
Cloud  on  le  fait  descendre  à  remercier  la  police  d'un 


M.  Lucien  Murât  est  à  Paris,  que  le  Conseil  a  délibéré  sur  la  ques- 
tion de  savoir  si  on  l'y  tolérerait  ou  si  on  l'expulserait  et  que  cette 
question  aurait  été  résolue  affirmativement.  »  Le  lendemain,  la  note 
ci-après  paraissait  dans  le  môme  journal  :  «  On  lit  dans  An  Courrier 
Français  relativement  à  l'alTaire  du  prince  Murât  :  «  On  nous  informe 
que  la  version  du  Capitole  n"est  point  exacte.  Le  prince  Murât  n"est 
ici  que  de  passage  pour  aller  régler  la  succession  de  sa  mère  et 
sur  l'avis  qu'il  a  reçu  de  l'autorité  il  a  promis  de  ne  rester  que  très 
peu  de  jours  à  Paris.  » 

'  Le  mai'échal  Soult  avait  constitué  un  ministère  le  13  mai  1839. 
Soult  avait  la  présidence  du  Conseil  et  les  Atïaires  Étrangères,  Duehàtel, 
l'Intérieur,  Teste,  la  Justice,  Passy,  les  Finances,  Villemain  l'Instruc- 
tion publique,  Dufaure,  les  Travaux  publics,  Cunin-Gridaine,  le  Com- 
mei'ce,  le  général  Scline'idcr,  l'a  Guerre,  l'amiral  Duperré,  la  Marine. 

'  Daure  avait  été  ministre  île  la  Guerre  et  de  la  Marine  auprès  du 
roi  de  Naples  après  avoir  été  quasi  capitaine  général  à  Saint- 
Domingue  après  la  mort  do  Leclorc. 

^  Exelmans  (177.o-18j2)  exilé  au  retour  des  Bourbons  ne  put  ren- 
trer en  France  qu'en  1823.  Il  fut  grand-chancelier  do  la  Légion  d'hon- 
neur en  1823. 

■*  Elevé  à  la  pairie  en  1814,  M.  Gabriel  de  Lesseit  avait  été  appelé 
à  la  Préfecture  de  police  de  la  Seine  le  10  septembre  183fi,  avec  le 
titre  de  Conseiller  d'Etat.  C'était  un  ami  de  Jlontrond.  Le  Rivarol  de 
1842  (Fortunatus)  l'appelait  le  «  patron  honoré  des  gardes  municipaux, 
des  sergents  de  ville  et  des  mouchards  ».  (v.  G.  de  Lcssert  par  Tri- 
pier Le  Franc,  Paris,  Dentu.) 


52  UNK  ANCIENNE  MUSCADINE 

délai  de  quatre  jours.  Tout  cela  pour  le  prince  Louis  ^ 
Et  ce  prince  Louis  lui-môme  enchante  la  cour  ici  par  les 
inexplicables  platitudes  qu'il  a  été  faire  à  Egling-ton. 
Concevez-vous  çà,  grand  Dieu!  le  successeur  d'Alcide 
allant  jouer  des  scènes  mimiques  pour  divertir  la 
société  qui  a  tué  son  oncle,  s'y  montrant  matin  et 
soir  en  baladin  provincial!  Rien  n'a  pu  larrèter  ! 
Cent  lettres  écrites  par  ses  amis  !  Le  Sot!  Il  a  cru 
que  c'était  par  envie  de  ses  nobles  plaisirs  et  que  cela 
taquinerait  fort  ici.  Il  n'a  désolé  que  ses  amis.  Yovez 
donc  où  conduit  une  éducation  donnée  par  de 
méchants  artistes.  II  sera  toujours  cabotin. 

Si  vous  étiez  ici  à  la  Madelaine,  le  calme  vous 
gag"nerait.  Cette  nature  est  incomparable  et  les  pluies 
conservent  aux  arbres  la  verdure  de  juin.  On  ne  peut 
pas  rêver  rien  de  plus  joli  et  l'on  vit  si  bien  avec  les 
yeux,  le  nez,  que  les  blessures  cuisent  moins  fort.  J'y 
suis  seule  avec  Sophie  et  mon  méchant  marmiton. 
J'ai  des  maçons.  Plus  tard  nous  nettoierons  le  jardin 
qui  fait  pitié  de  dégradation,  mais  dont  les  clématites 
se  sont  emparées  avec  une  telle  force  de  végétation 
qu'on  évente  la  Madelaine  de  l'autre  côté  de  la  rivière. 
M.  de  Chamois  m'est  venu  voir  et,  s'étant  perdu  dans 

'  Le  prince  Louis-Napoléon  (Napoléon  III),  fils  de  la  reine  Hor- 
tense.  A  la  suite  de  l'attentat  de  Strasbourg  (183G',  il  était  parti  pour 
l'Amérique  où  il  ne  séjourna  pas  longtemps.  Débarqué  le  5  avril  1837 
à  New-York,  il  en  était  reparti,  deux  mois  après,  pour  rejoindre  en 
Suisse  sa  mère  qui  mourut  (octobre  1837).  Il  fut  contraint  en  1838, 
à  la  suite  des  réclamations  de  M.  Mole,  de  quitter  la  Suisse  et  se 
réfugia  en  Angleterre.  Lune  de  ses  priacipales  préoccupations,  dans 
ses  menées  contre  la  monarchie  de  Juillet,  était  toujours  de  lier 
partie  avec  la  gauche.  (Idées  napoléoniennes).  Quelques  temps  après 
eut  lieu  l'afTaire  de  Boulogne  (6  août  I8i0)  où  Louis-Napoléon  débar- 
qua d'Angleterre  pour  recommencer  «  la  pitoyable  échaufîourée  de 
Strasbourg»  (Thureau-Dangin.  Histoire  de  la  Monarchie  de  Juillet,  III.) 


FORTUNEE  HAMELIN  53 

la  forêt,  m'a  juré  que  c'étaient  les  clématites  qui 
l'avaient  rallié.  Je  suis  obligée  de  me  défendre  des 
visites.  Je  connais  toutes  les  châtelaines  des  environs. 
L'ennui  me  les  jette  sur  les  bras.  Pour  le  camp  ce 
serait  bien  autre  chose;  tous  mes  amis  le  commandent, 
Faudoas',  d'Astorg-,  Gubières^  Je  leur  ai  écrit  que 
je  n'avais  que  de  l'eau  de  la  source,  du  gros  pain  et 
trois  lits  de  sangle,  que  c'était  à  eux  à  faire  du  maré- 
chal de  Boufflers,  et  à  nous  régaler  tous.  De  cette 
oreille  personne  n'entend  et  le  maréchal  de  Boufflers 
n'a  pas  à  craindre  la  contrefaçon  ni  belge  ni  française. 
Mon  peu  de  curiosité  est  tel  que,  malgré  les  chars  à 
bancs  oflferts  par  M.  de  Chamois,  je  n'ai  pas  été  au 
camp.  Il  y  a  là  un  régiment  que  je  ne  veux  pas  voir. 
Le  roi  Joseph  fait  pour  son  héritage  ce  qu'il  fit  pour 
celui  du  duc  de  Rcichstadt:  Il  se  hâte  lentement.  J'ai 
vu  un  voyageur  qui  a  parcouru  les  propriétés  du  roi 
aux  États-Unis.  Il  dit  que  cela  passe  toute  idée  en 
grandeurs,  beautés  pittoresques  et  valeur  réelle.  Ce 
sont  des  provinces  cultivées,  des  forêts  percées  et  des 
fleuves  dont  les  rivages  sont  à  lui.  Je  vois  passer  ici 
autant  de  vapeurs  que  sur  le  fleuve  américain.  Cin(j 
par  jour,  depuis  neuf  lieures  jusqu'à  quatre.  C'est 
charmant  de  les  voir  mais  fièrement  ennuyeux  d'y 
être.  J'aime  mieux  nos  vieux  cahots. 

'  Faudoas,  l'rère  de  la  duchesse  de  liovigo,  Napoléon  avait  vou'u 
le  marier  à  M''"  d'Aligre.  (Comtesse  de  Bo'igne,  t.  I.) 

*  Astorg  (AlexandreEugène-Louis-François-Saturninde  Barbazan, 
comte  d')  (1787-1852)  commandait  en  ISiO  la  brigade  de  Fontaine- 
bleau. Inspecteur  général  de  Cavalerie  en  1843.  Pair  de  France  depuis 
1834  par  droit  héréditaire,  son  oncle  le  comte  de  Puy  étant  mort. 

^  Cubières  (Despans  de),  pair  do  France  en  1839,  deux  fois  ministre 
de  la  Guerre,  impliqué  dans  le  procès  Teste,  condamné  à  la  dégra- 
dation civique,  réhabilité  en  18j2. 


54  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

Je  ne  conçois  rien  à  cette  grande  faveur  de  M.  B...  '. 
Il  est  ici  un  petit  oracle  d'Albion,  par  conséquent  du 
juste  milieu.  Ce  qui  nie  désole,  c'est  qu'Hortense  ait 
brisé  celte  liaison  au  moment  oi!i  elle  pouvait  lui  être 
amusante,  utile  et  lui  donner  même  un  peu  d'impor- 
tance. Mais  que  va-t-elle  faire?  Cet  enfant  va-t-il  aug- 
menter sa  pauvreté?  Pauvre  folle  !  Voyez-vous  Liszt 
et  sa  madame?  Ils  ont,  dit-on, bien  de  Tesprit.  M"""^  de 
Salvage^,  Forgetet  M...  sont  nos  trois  chefs,  nos  trois 
grâces.  Elles  sont  en  général  impitoyables,  ce  qui  en 
ferait  trois  Parques,  si  on  les  laissait  faire.  La  dernière, 
qui  a  l'instinct  bon  et  noble,  est  dominée  par  ce 
Scarron  politique  qui  xoudrail  faire  pendre  tout  ce 
qui  a  des  jambes,  des  dents  et  du  cœur.  Plus  il  infecte, 
plus  il  est  méchant  et  il  n'a  pas  dépendu  de  lui  de 
brouiller  deux  amis  d'enfance...  Un  jour  je  demandais 
à  M.  Durand  ce  qu'il  pensait  de  cette  façon  d'amener 

'  Bulwcr. 

-  M""=  Salvagc  de  Favcrollos,  fille  du  Consul  dt-  France  à  Civila-Voc- 
chia,  royalisle  exalléo.  femme  d'esprit,  d'un  caractiTe  assez  difficile 
au  reste.  (Herriot,  M""  Hécamier  e(  ses  amis.  Il,  156;.  Chateaubriand 
écrivait  le  18  novembre  i8i2S  à  Juliette  Récamier  :  «  M"""  Salvage 
est  venue  iiicr  au  soir  nous  voir  ;  elle  est  toute  singulière.  »  D'autre 
part,  Sainte-Beuve  dans  sa  Correspondance  avec  M.  et  M»»  Juste 
Olivier  parle  ainsi  : 

H  11  y  avait  hier  à  cinij  heures  chez  M'°*  Récamier,  M.  do  Cha- 
teaubriand, M.  Ballanche,  M.  Ampère,  une  M""  Salvage,  amie  et 
légataire  de  la  reine  Hortense,  grand-colonel  d'empire,  grand  bona- 
partiste, comptant  plus  que  jamais  que  le  moment  est  arrive  pour 
le  prince  Louis,  et  le  disant  fort  haut.  Sa  tiièsc  d'hier  était  que 
M.  de  Lafayctte,  s'il  n'était  mort,  aurait  travaillé  à  la  Restaurai  ion 
bonapartiste.  Elle  sortait  triomphant  comme  un  porte-drapeau  et 
regardant  de  l'œil  les  brochures  bonapartistes  qu'on  avait  laissées 
sur  la  cheminée  et  apportées  du  malin,  quand  la  duchesse  de  Raguse 
est  entrée,  et  tout  le  monde  a  ri  de  M^°  Salvage,  tout  en  reconnais- 
sant la  sincérité  de  son  dévouement  ;  car  il  faut  toujours  chez 
M"""  Récamier  que,  même  dans  la  raillerie,  la  charité  soit  sauvée.  On 
raille  après  plus  à  son  aise  et  avec  une  plus  douce  conscience.  » 


FORTUNÉE  IIAMELIN  53 

les  cœurs.  Il  la  trouva  odieuse,  car  lui  est  bon  autant 
que  spirituel.  Il  va  vous  adresser  le  Capitole.  Com- 
bien croyez- vous  que  Félicie  voudrait  d'une  copie  du 
bénitier?  Ici  on  faisait  l'original  2  000  francs.  Je  trou- 
vais ça  bon  marcbé  et  sublime.  Ces  ânes  n'ont  rien 
acheté  malgré  dix  articles  encourageants.  M.  Berryer  ', 
toujours  pauvre,  voudrait  bien  mais  ne  peut  aller 
loin.  Adieu.  Voilà  le  maçon  qui  me  fait  une  bêtise  et  le 
facteur  qui  apporte  et  emporte  les  lettres. 

J'ai  bien  eu  l'idée  d'écrire  à  la  princesse,  mais  c'eût 
été  gauche,  partial  de  le  faire  d'office.  Moi  qui  parle 
d'adresse,  j'ai  été  maladroite  avec  Tliibaudeau,  mais  il 
n'a  dit  qu'à  la  fin  que  la  princesse  désirait  mon  avis 
et  qu'il  me  vit.  Il  Fa  su. 

Paris.  21  septembre  1839. 

Le  prince  Achille  est  ici.  Je  l'ai  entrevu.  Sa  laideur 
est  immense.  Il  a  fait  un  prodige,  puisqu'il  ressemble 
parfaitement  ou  cruellement  à  sa  pauvre  et  délicieuse 


'  l'erryei-  (1790-1868),  dont  il  est  souvcnl  ijucslion  dans  les  Lettres 
de  jM">°  Uamelin,  alla  en  1832  trouver  la  duchesse  de  Berry  pour  la 
dissuader  de  soulever  la  Vendée.  Traduit  devant  la  cour  d'assises 
de  Blois,  il  fut  acquitté  En  1833-3i,  il  défend  Chateaubriand.  Il  se 
rend  à  Londres  en  1843  avec  les  légitimistes  pour  saluer  le  comte 
de  Chambord  du  titre  de  Roi  de  Fi'ance.  Ce  pèlerinage  fut  flétri  par 
la  Chambre  des  députés.  Député  des  Bouches-du-Rhone  en  1848,  il 
fut  élu  membre  de  l'Acailémie  Française  en  1834.  M™»  llamclin  fut 
de  SCS  amis  fidèles.  M™»  Caroline  Jaubert,  une  habituée  d'Augerviile, 
où  résidait  Berryer,  caractérise  ainsi  le  grand  avorat  :  n  Les  goûls 
les  plus  aristocratiques  s'alliaient  chez  Beiryer  aux  idées  libérales. 
L'indépendance  du  caractère  se  prêtait  à  une  soumission  absolue.  Sa 
fierté  plébéienne  était  au  service  de  l'autorité  monarchique.  »(G.Jau- 
borl.  Souvenirs.  Lettres  et  Correspondance,  1  vol.  Hetzcl,  Paris,  s.  d.) 
(v.  aussi  d'Alton-Shée,  frère  de  Caroline  Jaubert.  Mes  Mémoires 
Paris,  1869.) 


56  UiNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

mère*.  C'est  à  s'arrêter  pour  s'indigner  de  cet  hor- 
rible persiflage  de  la  nature.  Son  esprit,  qui  est  fort 
supérieur  à  celui  de  sa  mère,  est  tout  tourné  (à  jeun) 
au  paradoxe  et  aux  éternelles  discussions.  11  fait 
l'anti-français  et  l'américain  ardent.  Il  ne  veut  point 
aller  en  Toscane  ni  voir  ses  sœurs.  Il  traitera  de  ses 
affaires  de  Marseille  ou  de  Genève,  s'il  ne  peut  rester 
en  France.  Jl  est  sous  la  protection  de  M.  Cass, 
ministre  des  États-Unis. 

Tout  me  paraît  donc  assez  mal  pour  nos  espérances. 
Je  vous  demande  ce  qu'il  y  a  à  attendre  de  cet  homme 
étrang-e  lorsqu'il  est  encore  conseillé  par  Thibaudcau 
et  de  Lille!  Je  n'ai  pas  été  très  contente  de  votre 
lettre  à  la  princesse  Louise.  Ce  qui  vous  étonnera, 
c'est  que  je  trouve  qu'elle  manque  de  force,  d'assu- 
rance, puis  aussi  de  convenance,  de  forme.  On  ne  dit 
pas  :  votre  mère,  à  une  telle  femme...,  etc.  Plus  res- 
pectueuse de  langag'e,  elle  pouvait  sans  inconvénients 
être  plus  ferme  de  raisonnement. 

Vous  avez  trop  attendu  pour  chercher  à  voir  la 
reine  Julie.  Elle  a  jugé  le  motif.  C'était  tout  chaud 
après  l'événement  qu'il  fallait  tenter  de  vous  faire  là 

*  Carolino  Bonaparte,  la  sœur  préft-rcc  de  l'Empereur,  femme  très 
pratique,  d'esprit  positif,  très  intelligente,  à  la  fois  passionnée  et 
calculatrice,  aimant  le  plaisir  et  le  pouvoir.  Elle  eut  quatre  enfants  : 
Achille,  liûritier  présomptif,  Lœtitia,  Lucien  et  Louise.  Elle  avait  la 
passion  de  faire  des  mariages  (v.  Albert  Vandal.  Le  roi  et  la  veine 
de  Xaples.  Revue  des  Deux  Mondes,  février-mars,  l'JlÛ).  Prisonnière 
des  Autrichiens  après  la  chute  de  Murât,  elle  s'établit  à  Hambourg, 
près  de  Vienne,  et  quelques  années  après  à  Trieste.  Elle  mourut  en 
1838  à  Florence  après  un  court  voyage  à  Paris. 

La  duchesse  d'Abrantès  (Méinoires.  Cf.  La  Nouvelle  Revue,  1910. 
G.  Stenger.  Les  r/randes  Dames  au  XIX»  siècle)  est  quelque  peu  sévère 
pour  Caroline  Bonaparte  «  personne  de  beaucoup  d'esprit  et  de 
finesse,  mais  qui  avait  une  ignorance  qu'on  pouvait  qualifier  de  rien 
du  tout.  » 


FORTUNEE  HAMELIN  57 

lia  appui.  Enfin  plus  que  jamais  je  n'espère  qu'en 
Joseph,  lequel,  se  revoyant  une  fortune,  veut  tout 
liquider  pour  ne  plus  avoir  à  s'inquiéter  de  l'Amérique. 
Les  fils  de  Caroline,  au  contraire,  y  ont  laissé  leur 
famille  et  surtout  des  créanciers.  Achille  doit  plus 
qu'il  n'aura  jamais.  Aussi  leur  pensée  unique  et  mal- 
heureuse est  la  continuation  de  la  pension. 

Vous  voici  instruit  de  tout  ce  que  j'ai  pu  apprendre. 
Par  malheur  ce  n'est  guère  hon. 

M.  Durand  est  à  Londres  près  du  prince  Louis. 
Ayez-vous  reçu  le  Capitale?  ia  suis  sûre  qu'on  vous 
l'envoie. 

Trechi  est  ici,  pas  trop  changé  et  toujours  aimable, 
bon,  vif  d'esprit,  tendre  de  cœur.  Vous  dire  son  éton- 
nement,  son  indignation  de  la  conduite  de  Montrond  ' 

*  Montrond  (Casimir,  comte  de)  (1709-1843)  ,fils  d'un  lieutenant  aux 
gardes  franraises  ctd'Angélique-^Iarie  d'Arlus.  Né  à  Besançon.  Lieu- 
tenant en  1788,  démissionna  en  1791,  fut  nommé  peu  de  temps  après 
aide  de  camp  du  général  Matliieu  Dumas,  capitaine  au  S'^  chasseurs, 
aide  de  camp  du  général  Tliéodore  de  Lametli  et  le  16  février  1792 
du  général  Latour-Maubourg.  11  fut  aux  temps  du  Directoire  un  des 
Muscadins  les  plus  réputés  pour  son  élégance  et  son  esprit  imper- 
tinent. Très  lié  avec  Fortunée  Ilatnelin,  il  la  fit  beaucoup  soullrir. 
On  lira  plus  loin  les  lettres  vraiment  belles  d'émotion  et  de  regret 
qu'elle  écrivit  à  son  correspondant  au  moment  de  la  mort  de  Mon- 
trond. Il  avait  épousé  Aimée  de  Coigny,  ex-duchesse  de  Fleury,  la 
Jeune  Captive  chantée  par  André  Cliénier.  Ami  intime  et  confident 
politique  de  Talleyrand,  prince  de  liénévent.  Exilé  en  1809,  empri- 
sonné au  fort  de  ilam  en  1811,  il  s'évada  un  an  après,  voyagea  en 
Angleterre  et  en  Espagne,  revint  en  France  après  le  départ  de  Napo- 
léon pour  l'île  d'Elbe.  En  1815,  laFranc3  étant  en  interdit,  Napoléon, 
voulant  forcer  le  blocus,  eut  recours  à  des  émissaires  secrets.  Flabaut. 
Montrond,  Saint-Léon  etc.,  furent  chargés  de  dépèches,  Montrond 
put  gagner  Vienne,  muni  d'un  passe-port  au  nom  d'un  abbé  italien. 
11  portait  une  lettre  de  Napoléon  à  Marie-Louise,  des  lettres  de  Cau- 
laincourtà  Méneval  et  à  M""=  de  .MonteS(iuiou,  etc.  (IL  Uoussaye,  dSlii), 
Montrond  ne  réussit  pas.  Il  jouait  double  jeu,  étant  une  créature  de 
Talleyrand  et  de  Fouché.  Des  rapports  de  i)olice  (F'  G988.  Doss.  13695, 
Arc/lices  Nulionates)  nous  renseignent  sur  ses  faits  et  gestes  pendant 


fis  UM::  ANCIENNE  MUSCADINE 

serait  impossible.  Le  fuit  est  que  malgré  l'admiration 
de  M,  Thiers  pour  M...  il  n'a  plus  ni  tête  ni  mémoire 
pour  le  cœur.  La  perte  était  facile,  mais  son  esprit 
d'autrefois  l'aurait  préservé  d'infamies'  que  le  monde 
d'autrefois  ne  pardonnait  pas. 

Taylor  -  a  dîné  hier  dans  mon  chalet.  Le  musée 
sous  Teste^  et  Passy  "^  n'achètera  rien.  Nous  verrons 
ailleurs. 

Que  dites-vous  du  Maroto?  Le  monde  devient  beau 
et  deux  puissances  trament  ces  abominations.  C'est 
du  Macaire  royal. 

Mais  que  fait  la  pauvre  Ilortense''?  Sa  position  est 

la  Ruslauratiuu.  Ilabitui.'  du  Cercle  de  l'Union,  il  avait  fait  et  défait 
plusieurs  iois  sa  fortune  au  jeu.  La  Comtesse  de  Boifjiie  (t.  IV)  l'a 
parfaitement  caractérisé  :  «  Singulier  personnage,  écrit-elle,  formé 
dos  travers  du  xviii=  siècle,  et  des  vices  du  xix»  M.  de  Monlrond  a  su,  pcn- 
ilant  plus  de  soixante  ans,  côtoyer  la  boue,  sans  jamais  mettre  les 
pieds  tout  à  fait  dedans.  Son  existence  paraissait  une  énigme  à  tous.  11 
jouait  gros  jeu,  mais  sans  àpreté.  On  ne  saurait  dire  que  M.  de  Mont- 
rond  ait  joui  d'aucune  considération;  toutefois  il  était  re«;u  partout 
frté  et  recherché  par  beaucoup  île  gens  haut  placés.  11  était  railleur 
impitoyable,  ne  ménageait  pas  ses  meilleurs  amis  et  emportait  la 
pièce.  »  Surnommé  dans  le  grand  monde  «  l'àine  damnée  », 
«  Taboyeur  »,  voire  même  c  le  Soulllenr  »  de  Talleyrand,  celui  ci 
l'appelait  «  l'Entant  Jésus  di;  l'Enfer  ».  Thiers  aimait  beaucoup  le 
consulter  de  IS:i8  à  1813.  (Welsi.lung«r,  Revuede  l'avis  l^février  1895. 
Marquiset.  Une  Merveilleuse,  1909,  Champion). 

1  M°">  Hamelin  fut  secourabic  à  Montrond  dans  1  infortune. 

*  Taylor  était  Inspecteur  général  des  Beaux-Arts  en  i839. 

^  Teste,  frère  du  général,  minisire  du  Commerce  pendant  trois  jours 
en  1834,  ministre  de  la. Justice  en  18:i9  et  des  Travaux  Publics  en  1840. 
Il  fut  compromis  dans  le  procès  Cubières  en  1847.  Teste  avait  accordé 
en  184o  la  concession  des  mines  de  sel  gemme  Gouhenans.  Condamné 
à  trois  ans  de  prison,  aune  amende  et  à  la  restitution  des  94,000  francs 
qu'on  l'accusait  d'avoir  touchés  ;  prévoyant  sa  condamnation,  il  tenta 
de  se  tuer. 

^  Ministre  sous  la  Hestauralion. 

^  Ilortense  Allart.  Dans  une  lettre  à  Sainte-Beuve  (7  septembre  1848) 
Ilortense  écrit  :  «  La  lettre  de  M""  Hamelin  (renvoyant  l'ort-Royal 


FORTUNEE  MAMKLIN  59 

cruollo,  elle  s'étourdit,  mais  elle  verra  î  enfin  le  père, 
quel  est-il?  S'il  pouvait  la  consoler,  l'aider,  lui  per- 
suader que  la  grâce,  lorsqu'on  est  femme,  est  de  rester 
femme,  que  la  passion  seule  excuse  les  emportements. 
Mon  Dieu,  quel  travers  !  Trechi  m'a  dit  :  Oij  demeure 
le  sublime  Libri  ^  ?  Ça  m'a  fait  éclater  de  rire  et 
penser  à  Hortense.  C'est  Treclii  qui  m'avait  envoyé 
le  sublime  Libri. 

Adieu  ami. 

Paris,  27  soptcnibre  1830. 

C'est  fatal  que  le  prince  Achille  soit  tombé  ici  et 
dans  vos  plus  sincères  ennemis.  Une  personne  rai- 
sonnable m'a  dit  hier  que  ce  prince  vahiit  mieux  que 
son  air,  son  cynisme  et  sa  réputation.  Il  ne  s'enivre 
plus  (de  vin  au  moins),  il  boit  de  l'eau-de-vie  et  de 
l'eau,  ce  que  les  Anglais  appellent  grog,  il  est  gai, 
parle  souvent  de  sa  mère,  de  sa  préférence  pour  lui  et 
des  chagrins  que  sa  négligence,  ses  incorrigil>les  cra- 
chats faisaient  à  la  fenmie  Ui  plus  reciierchée  de  la  terre. 

do  Sainle-Bcuvc  (|U0  son  amie  lui  avait  pièlé)  n"Otail-elle  pas  comique 
et.  spiril-uclle  ?  Vous  altondiez-vous  que  Porl-Royal  eût  fait  la  Répu- 
blique? Elle  n'est  pas  très  contente  de  Capponi.  Le  père  de  mon 
enfant  est  ministre  avec  lui.  »  Nous  savons  ainsi  que  Jacopo  Mazzei 
était  le  père  du  second  lils  d'Horteose. 

'  On  sait  qu'il  y  eut  une  affaire  Libri.  Cet  ami  d'ilorlcnse  Allart 
fut  condamné  en  ISiiO  à  div  années  de  réclusion,  à  la  perte  de  ses 
emplois  publics,  pour  les  soustractions  (ju'il  avait  commises  dans  nos 
bibliotlièques  en  qualité  d'inspecteur  général  (Cf.  Nouvelle  Revue, 
ih  mai  1907).  Libri  mourut  à  Eicsole  (Toscane)  en  180'.),  sans  avoir 
été  réhabilité.  M.  Léon  Séché  {op.  cil.)  cite  deux  letlres  de  Libri  à 
llortenso  Allart.  au  moment  de  son  procès. 

II  est   question  d'un  Trequi  dans  une  lettre  de  Déranger  à  Hor-  . 
tense  Allart.  Comme  on  le  verra  dans  les  lettres  (jui  suivent,  c'était 
un  des  familiers  de  M"'"  liamclin. 


60  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Il  croit  la  succession  riche  de  1  uOO  000  francs  et  cola 
d'après  les  lettres  de  ses  sœurs.  La  Pipoli  est,  dit-il, 
la  bonne  tète  d'affaire.  Il  donnera  rendez-vous  à 
toutes  deux  à  Marseille  ou  à  Genève;  il  voudrait 
toucher,  puis  après  regagner  l'Amérique,  payer, 
vendre,  etc.  Le  roi  Joseph  est  toujours  attendu.  Cette 
grande  succession,  la  mort  de  sa  fille  la  plus  chérie 
lui  a  fait  prendre  la  résolution  de  tout  liquider  en 
Amérique  pour  vivre  en  Angleterre,  en  attendant  la 
fin  de  Texil  du  sang  impérial.  Ainsi  nos  espérances 
sont  détruites.  Le  mieux  serait  d'arriver  ici  muni  et 
armé  de  toutes  pièces.  Nous  trouverions  par  qui 
lui  faire  parler.  Berryer  ne  me  refuserait  pas  ce  ser- 
vice. Vous  pouvez  même  dire  à  Edmond  que  j'en 
réponds,  lui  demander  le  secret  et  le  garder  vous- 
même.  Il  faudrait  apporter  les  lettres  qui  se  sont 
croisées  avec  lui  et  vous  servir  le  plus  possible  du 
témoignage  d'Edmond,  une  lettre  à  vous,  ou  une 
déclaration  de  ce  qu'il  a  entendu,  su,  etc.  Traitez  tout 
avec  moelleux.  Il  est  clair  que  vous  aviez  négligé 
M"""  Julie  et  qu'un  tardif  retour  lui  a  fait  juger  le  but 
du  votre  visite. 

J'ai  nouvelle  du  tableau.  Vous  êtes  tombé  dans  les 
griffes  du  Claude  Clerc,  le  plus  avide  des  Provençaux. 
Je  le  fis  prier  de  me  faire  mettre  deux  boîtes  en 
fonte  à  ma  voiture  pour  mon  retour.  Rien  que  cela, 
puis  un  timon  sans  garniture.  Le  tout  vaudrait  à  Paris 
grandement  30  francs,  mettons  60.  Il  m'a  envoyé  une 
note  de  300  francs.  Il  en  agit  presque  de  même  pour 
ce  tableau  d'une  petite  dimension.  L'amusant,  c'est  la 
multitude  des  noms,  des  sujets  de  rapacerie.  Voilà  : 
assigné    de    l'expédition    de    LvNounie,    déclaration, 


FORTUiNEE  HAMELIN  61 

permis,  bateau  préposé,  portefaix  au  débarquement, 
port,  en  douane,  pesage  net,  brut  et  port,  emballeurs 
à  la  visite  de  douane  et  recondition,  droit  de  Jouane, 
timbre,  plomb,  plombeur,  acquit  à  caution,  port  de 
lettres,  commission  de  réception  et  de  réexpédition. 
Et  ce  n'est  encore  qu'à  Marseille.  Gomment  ne  pas 
prendre  en  borreur  les  juifs  qui  font  ce  métier  I  Tran- 
quillisez-vous, j'ai  payé  le  premier  mandat  et  suis  en 
fond. 

Il  y  a  trois  beaux  GJiirlandajo  au  musée.  Il  n'v  a 
pas  100  francs  pour  acheter.  Ce  serait  pour  le  budget 
prochain.  Je  crois  que  vous  connaissez  aussi  M.  Cail- 
leux.  Taylor  veut  des  experts  toujours,  à  cause  des 
calomnies  sur  la  galerie  espagnole.  Taylor  dit  que 
c'est  à  Paris  et  en  Italie  que  les  Anglais  payentbienles 
tableaux  et  les  filles;  chez  eux,  ils  achètent  peu  et  mal. 
Les  derniers  envois  restent  là,  ils  sont  exclusifs  dans 
ce  momentet  n'entendent  qu'à  l'école  flamande.  Leurs 
longues  oreilles  pour  les  arts  expliquent  cette  mode. 

On  dit  que  M.  Durand  a  été  donner  un  galop  au 
prince  Louis  sur  les  scènes  mimiques  d'Eglington^ 
En  effet,  c'est  surnaturel  d'inconvenance  et  de  bêtise. 
Ainsi  vous  allez  revenir  ?  Le  prince  Lucien  étant  bloqué 
àLivournel'autre  se  hasarderailmoinsencore  en  Italie. 

A  bientôt,  je  pense. 

Maroto  ■  n'est-il  pas  le  bouquet  des  traîtres  ! 

*  L'idée  Napoléonienne  (juillet  1840)  signalait  aux  Annonces  une 
plaquette  ainsi  intitulée  :  Visite  au  Napoléon-Louis.  Lettres  de  Lon- 
dres. L'auteur  en  était  sans  doute  Cli.  Durand. 

-  La  reine  Christine  fut  aiïermie  sur  son  tronc  par  la  traiiison  de 
Marolo.  Elle  distribua  des  récompenses  ;  mais  vu  le  mauvais  état 
des  finances  elle  a  prodigué  les  honneurs.  (.\lph.  Karr.  Guêpes). 

Sur  la  trahison  de  iJaroto,  v.  Mitchell,  Le  camp  et  la  cour  de  Don 


G2  UNE  ANCIliNNE  MUSGADINE 

La  MaJolaine,  17  octobre  1839. 

Hier  M.  de  Bronkins  m'a  écrit  que  le  tableau  était 
arrivé,  mais  en  très  mauvais  état,  le  panneau  cassé 
en  deux  endroits  et  la  caisse  mal  jointe.  Il  trouve  les 
retouches  mauvaises.  Est-ce  vous  qui  les  avez  fait 
faire?  Je  retourne  à  Paris  lundi  pour  huit  jours.  Je 
verrai  Tavlor,  le  tableau,  et  vous  écrirai  mon  senti- 
ment et  mon  espoir.  Le  goiit  d'avant  Raphaël  n'est  pas 
fort  répandu  encore,  et  si  l'on  débitait  sérieusement  vos 
sornettes  à  ce  sujet,  on  se  ferait  lapider.  Vous  vous 
chargerez  de  prouver  que  l'art  a  décliné  en  Raphaël. 

Je  trouve  toujours,  toujours  que  vous  avez  tort  de 
dédaigner  les  usages  des  gens  bien  élevés,  surtout 
pour  des  lettres  qui  doivent  être  lues,  montrées,  com- 
mentées. On  ne  dit  pas  :  votre  mère  à  un  égal,  à  plus 
forte  raison,  lorsque  votre  mère  est  une  femme  qui  a 
régné  et  qui  est  sœur  de  Napoléon.  Dans  votre  opinion, 
dans  vos  sentiments  même,  ce  nom  doit  être  précédé 
des  plus  respectueuses  et  tendres  épithètes.  Ainsi  il 
faut  dire  sans  restriction  :  la  Reine  votre  mère,  votre 
auguste,  votre  excellente,  noble,  généreuse  mère,  etc. 
Plus,  j'aurais  dit  net  ceci  :  «  Comment  penser,  prince, 
que  la  femme  et  la  reine  la  plus  généreuse  qui  fût  jamais 
eût  accepté  mon  dévouement,  m'eût  fait  abandonner 
mes  engagements  littéraires,  mes  amis,  mes  appuis, 
pour  m'oublier  sur  une  terre  étrangère!  Elle  savait 
que  j'avais  tout  repoussé,  que  mes  seuls  débats  avec 
elle  consistaient  à  lui  prêcher  l'économie  et  à  lui  faire 

Carlos.  D'après  La  Presse  (o  octobre  1839),  Maroto  avait,  dans  sa  tra- 
hison, que  beaucoup  regardaient  comme  une  transaction,  agi  au 
nom  de  presque  tous  ses  compagnons  d'armes. 


FORTUNEE  IIAMELIN  63 

reporter  les  yeux  sans  cesse  sur  la  posilioii  de  ses 
fils!  Ce  défaut  de  formalité  de  ses  dernières  volontés 
à  mon  égard  est  mon  titre  à  votre  estime,  prince  ;  car 
qui  ne  sait  à  quel  point  il  m'était  facile  de  faire  établir 
ses  donations  !  »  etc. 

Je  passe  si  doucement  ma  vie  ici  que  je  ne  conçois 
pas  le  vertige  qui  m'a  fait  dédaig'ner  celte  consolation. 
J'arrange  ce  jardin  de  curé  qui  montre  ses  poires  à 
la  futaie  la  plus  hautaine  et  à  cette  Seine  si  fameuse. 
Mon  ménage  est  encore  misérable,  nous  en  rions, 
mais  les  perdreaux,  les  grives  ivres  de  notre  bon 
raisin,  le  poisson  qui  sort  de  l'eau  n»us  font  de  petits 
dîners  très  bons.  Trechi  a  passé  trois  jours  ici.  Il 
était  dans  l'extase.  Par  mallieur  voici  novembre. 
M"""  Kisselelf  *  s'est  établie  à  Fontainebleau  pour  être 
près  de  moi.  Souvent  nous  courons  le  pays  en  car- 
riole et  elle  revient  manger  ma  matelotte.  Je  n'ai  pas 
voulu  voir  le  camp-,  trouvant  que  c'était  trop  déjà  de 
rencontrer  des  Français  de  1839  ressemblant  si  peu  à 
ceux  de  1810.  On  dit  que  le  4""=  lanciers  n'a  pas  eu 
les  honneurs  du  camp.  Il  parait  que  le  jeune  duc  dti 
Rovigo  est  attrapé  par  son  Irlandaise  qui  n'a  pas 
18  000  francs  de  rente  nets  et  n'a  pu  lui  paver 
30  mauvaises  mille  livres  de  dettes  nécessaires  pour 


*  Son  mari,  le  général  Je  Kisseloiï  élait  uiinislre  des  domaines  en 
Russie.  11  fut  en  18'ti  chargé  d'aifaires  de  la  Russie.  M"^»  Kisseleff 
était  amie  intime  do  Fortunée  Ilamclin.  C'est  chez  elle  que  cette  der- 
nière fut  transportée  lorsqu'elle  fut  prise  d'une  attaque  au  sortir 
d'un  dîner  oJl'ert  par  la  princesse  S.  en  1831.  L'article  du  Conslitu- 
lionnel  (1"  août  1849)  de  M""-"  Hamelin,  née  de  La  Grave,  lui  est 
adressé. 

-  A  cette  date,  le  duc  de  Nemours  était  commandant  supérieur  du 
camp  de  Fontainebleau.  Le  lieutenant  général  marquis  de  Faudoas 
commandait  la  cavalerie. 


64  UNE  ANCIEiNNE  MUSCADINE 

reparaître  à  Paris.  Vraiment  c'est  bien  fait,  et  ils 
devraient  être  las,  tous,  Je  se  laisser  mystifier  par 
ces  commères.  Il  faut  ajouter  que  la  jeune  duchesse 
est  à  peu  près  naine  et  louche  à  faire  reculer  même 
une  g-arde  impériale.  Du  reste,  la  belle  Marie  est  jolie 
à  croquer  et  va...  assez  bien.  Pour  la  petite  F...,  c'est 
à  bride  abattue  et  toujours  avec  le  premier  homme. 

Voilà  de  pauvres  nouvelles.  De  Paris  je  vous  dirai 
mieux.  Le  grand  événement  c'est  la  grêle  sur  Thomery. 
Elle  a  détruit  pour  300000  francs  des  plus  beaux  rai- 
sins. 

Est-ce  vrai  que  Capponi^  devient  aveugle?  Est-ce 
vrai  qu'il  est  ruiné,  mais  à  quoi?  11  vivait  si  modeste- 
ment. Les  Florentins  sont  terriblement  économes. 
Mais  lui  est  bon  et  aimable. 

M.  Gonfalonieri  -  n'estpas  changé  du  tout;  toujours 
un  grand  air,  et  un  air  dédaigneux  qui  va  bien  après 
ce  long  supplice.  Adieu.  Je  vais  voir  planter  mes 
lilas  et  mes  framboises.  Je  voudrais  être  en  mai  et 
vous  ici,  mon  cber  ami. 

P.  S.  — Le  démenti  des  scènes  mimiques  a  été  donné 
par  un  Lombard  de  la  rue  Banche.  Tout  mauvais  cas 

est  niable  \  Tout  était  vrai,  jusqu'aux  brodequins'de 

'  Gino  Capponi  (1792-1876),  l'une  des  plus  grandes  figures  du  Risor- 
gimento  italien.  De  1S21  à  184S,  chef  du  parti  libéral  modéré  en  Tos- 
cane. Membre  de  l'Assemblée  constituante  en  Toscane  (1859)  et  séna- 
teur. Quoique  devenu  aveugle  il  publia  en  1875  une  Histoire  de  Flo- 
rence. Thiers  prisait  fort  Capponi. 

-  Gonfalonieri  était  le  chef  de  la  Jeune  Italie  en  1830.  11  fut 
emprisonné.  11  mourut  en  Suisse  le  1"  décembre  18i6  (v.  Andryane, 
Mémoires  d'un  Prisonnier  d'Elat,  augmentés  d'une  Correspondance 
inédite  de  Gonfalonieri,  2  vol.  Paris,  Gaume,  ISJO). 

^  La  Presse  du  18  août  1839  reproduisait  une  note  parue  dans  le 


FORTUNEE  HAMELIN  65 

satin  roug'e,  lacés  d'arg-ent;  puis  la  veniriloquerie, 
oui,  la  scone  du  ventriloque!  C'est  à  s'arracher  les 
cheveux  !  S'il  n'est  pas  fils  de  son  père,  il  Test  bien 
de  sa  comédienne  de  mère.  A  propos  de  père,  que 
fait-il  de  M"^  Sig-aud  ?  Est-elle  arrivée?  Charme-t-elle 
Florence,  a-t-elle  subjugué,  épousé  le  roi  Louis?  Elle 
a  annoncé  qu'elle  ferait  tout  cela.  Nous  avons  cette 
folle  de  comtesse  SamaïlolT  qui  a  suivi  un  comédien 
français.  La  vie  de  cette  femme  est  inouïe.  C'est  une 
cabotine  du  boulevard  ne  pouvant  aimer  que  des 
misérables  histrions...  puis  ces  gens-là  ne  sont  pas 
parvenus  à  gâter  ses  manières,  elle  est  distinguée, 
câline,  gaie,  gracieuse,  généreuse  jusqu'à  la  démence. 
Elle  ne  laisse  rien  à  faire  pour  ce  qu'elle  aime,  elle 
adopte,  donne,  assure  à  tous  de  véritables  fortunes. 
Son  palais  de  Milan,  elle  Ta  donné  à  la  fille  de 
Paccini.  Je  l'ai  vue  deux  fois,  elle  est  jolie  et  amu- 
sante. 

J'ai  bien  regret  à  M"""  de  Meneval,  elle  a  toute  la 
confiance  de  ces  dames  et  la  mérite.  Son  tact  pour  les 

Journal  du  Havre  au  .?uj<3t  des  scènes  mimiques  d'Eglington  et  de 
la  conduite  du  prince  Louis-NapoUJon  à  Londres  :  «  M.  Louis-Napo- 
léon tranciie  tout  à  la  fuis  du  dandy  et  du  grand  homme  ;  on  le  voit 
tous  les  jour»  aux  exercices  de  wolwich  et  au  pU  du  Queen's  Théâtre, 
aux  courses  d'Epsom  et  aux  séances  de  la  Chambre  des  Communes  ; 
il  tient  d'une  main  la  plume  du  publiciste  et  de  l'autre  la  lance  du 
paladin...,  etc.  C'est,  au  reste,  une  chose  assez  curieuse  qu'un  neveu 
de  Napoléon  roulé  sur  la  poussière  d'un  champ  clos  par  un  baron 
Irlandais  :  on  s"est  depuis  beaucoup  amusé  d'une  pelile  aventure 
arrivée  au  prince  Louis  au  Théâtre  Français  de  8aint-James  où  il 
se  trouvait  dans  une  loge  en  face  de  celle  de  M"»  Taglioni.  Dans 
un  entracte,  le  prince  envoya  un  de  ses  aides  de  camp  dire  à  la 
rav manie  Si/lphide  qu'il  la  recevrait  avec  plaisir.  M""  Taglioni  lit 
répondre  que  ce  serait  elle  qui  se  ferait  un  plaisir  de  recevoir 
M.  Louis  Bonaparte  en  sa  qualité  de  Français.  La  négociation  n'eut 
pas  d'autre  suite  et  les  deux  puissances,  pendant  tout  le  temps  du 
spectacle,  conservèrent  leur  ([uant  à  soi  respectif.  » 

5 


60  UNK  ANCIENNE  MUSCADINE 

arts  est  exquis.  Peut-être  partage-t-elle  votre  engoue- 
mont  pour  la  vieille  peinture!  Trechi  possède  le  plus 
beau  Pérugin  connu.  Il  est  dans  sa  famille  depuis 
Cliarles-Quint.  Je  l'engage  aie  faire  venir.  Les  tableaux 
baissent  à  Lomlrcs.  Ils  en  sont  encombrés  et  les 
Anglais  n'aiment  à  les  acheter  (ju'en  Italie,  en  France, 
ou  nouNellement  en  Espagne. 

C'est  moi  qui  ai  ouvert  ma  lettre. 

31  octobre  1839. 

Me  voici  à  Paris  pour  le  Ghirlandajo.  Il  est  arrivé 
brise,  sale,  moisi.  On  n'accuse  pas  le  transport,  mais 
l'ancienneté  de  sa  noblesse.  M.  Bronkins  était  fort 
peu  édifié  et  me  dit  qu'à  la  salle  des  Commissaires 
cela  vaudrait  au  plus  300  francs.  Moi  je  fus  enchantée, 
il  y  a  quatre  anges  superbes,  de  ces  anges  qui  croient 
en  Dieu.  C'est  un  tableau  noble,  chrétien,  fini,  et  tel 
a  été  l'avis  de  La  Neuville,  de  Taylor  et  de  Trechi 
qui  a  plus  de  goût  qu'eux  encore.  Je  l'ai  donné  au 
meilleur  des  réparateurs,  on  lui  croit  six  lignes  de 
saleté.  Il  sera  resplendissant,  car  les  couleurs  existent. 
La  Neuville  le  croyait  digne  d'être  enlevé.  Taylor  s'y 
oppose,  nous  aussi.  Il  sera  vu  par  M.  Porlalis,  Antoni 
Rotschild  et  M'"^  Alfred  et  sera  acheté  certainement  et 
très  bien. 

J'ai  des  prétentions  à  la  clarté  que  je  crois  fondées 
et  vous  me  désolez  en  ne  me  comprenant  pas.  D'abord 
je  vous  disais  que  j'étais  en  fonds,  c'était  clair  et 
voulait  dire  :  «  Ne  vous  inquiétez  pas  des  frais.  » 

.b;  vous    ai    dit  (jue  Claude  Clerc  ^  était  Arabe  et 

*  Contradiclion.  Voir  Lultres  prccûdenlcs. 


FORTUNICE  IIAMELIN  67 

non  pas  Provençal.  C'est  connu.  li  m'a  fait  payer 
300  francs  deux  boîtes  de  roues  et  les  malles  les  plus 
lourdes  de  Trechi  ne  lui  coûtent  que  30  francs,  tout 
compris,  de  Milan  ici.  Ainsi  il  vous  reste  crédit  sur 
moi  non  seulement  de  GO  francs,  mais  de  plus  si  vous 
on  avez  besoin.  Ali  î  cà!  Venons  au  legs!  Voici  un 
nouveau  tlième  trouvé  par  eux.  Ils  disent  :  «  Mais  notre 
mère  a  testé  pour  lui.  Elle  a  déclaré  dans  son  testa- 
ment qu'un  tableau  de  l'école  ancienne  et  une  col- 
lection du  Moniteur  étaient  à  lui,  et  comme  elle  les 
lui  avait  donnés,  c'est  là  ce  qu'elle  lui  voulait  laisser. 
Aussi  n'avons-nous  fait  aucune  difficulté.  »  Ouclb', 
grandeur!  Ainsi  l'on  dit:  «  Mais  ([ue  demande  M.  C... 
Il  a  été  nommé  au  testament.  Il  a  deux  souvenirs  lio- 
norables.  » 

Mais  conçoit-on  cette  pauvre  clière  d'avoir  été 
parler  de  ces  bêtises  dans  un  tel  acte  !  J'ignorais  cette 
circonstance  dont  ils  s'appuient.  Quant  au  paragraphe 
de  H...,  il  est  clair  et  tel  qu'un  homme  sans  cœui-  le 
peut  écrire  à  un  pauvre  être  à  qui  les  lois  divines  et 
humaines  défendent  d'en  demander  raison.  C'est 
infâme.  Qu'ils  volent  un  legs,  c'est  tout  simple  d'eux, 
mais  qu'ils  parlent  de  taches  à  leur  nom,  qu'ils 
sachent  que  leur  nom  en  a  d'inelfaçables,  (jue  leur 
pèi'e  a  commencé  tous  les  traîtres  dont  le  monde  rou- 
git et  qu'à  la  bravoure  près,  ils  sont  dignes  de  ce  père. 

Je  vais  aller  pour  vous  à  Augerville  '.  Il  est  revenu 

'  Où  liabitait  Ben-yef  qu'elle  allait  voir  souvent  (Caroline  Jaubei-t. 
Souvenirs,  Lettres  et  Correspondances,  i  vol.  lletzel,  Paris.  Sans 
date).  Les  réunions  d'Augerville  étaient  célèbres.  C.  Jaubert,  la  «  Mar- 
raine »  (l'Alfret  de  Musset,  qu'elle  avait  emmené  chez  Berryer  dès 
18:J5,  décrit  ainsi  la  propriété  de  Berryer,  traversée  par  l'Essonne  : 
«  Cette  campagne  d'Augerville  plait  et  attache.  Une  ceinture  d'an- 


68  UiNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

pour  rAcadémie.  Je  tenterai  tout  de  ce  côté.  Nous 
verrons,  mais  je  n'espère  rien  de  ces  cancres. 
Edmond  n'est  que  trop  de  mon  avis  à  ce  sujet.  Nous 
verrons.  Le  prince  est  ici  très  toléré  et  goutteux. 
C'est  un  cynisme,  une  saleté  au-dessus  des  descrip- 
tions. Il  a  dit  qu'il  aurait  été  curieux  de  me  con- 
naître, si  je  ne  m'étais  déclaiée  votre  clievalier.  J'ai 
répondu  que  je  n'avais  pas  cette  curiosité  pour  lui. 
Louise  est  un  culte,  c'est  la  femme  forte,  habile.  On 
lui  confie  tout,  on  agira  d'après  ses  avis,  les  yeux 
fermés.  Ainsi,  si  cet  Anglais  voulait  bien,  s'il  parlait 
transaction,  B...^  l'appuierait.  Tentez  cela,  mon 
enfant.  Avec  de  telles  gens  la  moindre  capitulation 
serait  un  avantage,  en  obtenant  de  quoi  attendre,  c'est 
beaucoup.  Le  sort  ne  sera  pas  déchaîné  toujours. 

Ne  croyez  donc  pas  que  le  retour  du  noble 
Edmond^  serait  une  délivTance  pour  lui  des  liens  de 
Florence?  Vous  ne  connaissez  pas  encore  assez  bien 
les  Anglaises.  Toute  la  tribu  le  suivra,  l'obsédera,  le 
dépouillera.  Elles  ne  lâchent  pas  une  proie.  Leur  gou- 
vernement exploite  en  masse  notre  France,  et  elles, 
individuellement.  Le  jeune  duc  de  Rovigo  voit  déjà 
([u'il  est  attrapé  bien  ferme.  Il  lui  reste  le  plus  triste 
laideron  de  France  et  d'Irlande. 

Les  ofïres  de  M.  de  Sercey"  ne  seraient  pas  certes  à 

cieiis  fossés,  avivés  par  une  eau  courante,  entoure  le  château,  lais- 
sant sur  une  des  fai;ades  l'espace  d'un  parterre.  Le  parc  .semble  un 
fragment  soustrait  au  parc  de  Fontainebleau.  «  Berryer  était,  à  ce 
nioment-lù.  candidat  à  l'Académie. 

'  Berryer. 

'  Comte  Edmond  de  Talleyrand-Périgord,  1787-lS7i.  Marié  depuis 
1809  à  la  princesse  Dorothée  de  Courlande. 

^  M.  de  Sercey  était  ministre  de  France  en  Perse. 


FORTUNEE  HAMELIN  69 

dédaigner,  si  ce  n'était  M.  de  Sercey.  3Iais  ceci  change 
tellement  la  chose  fjue  je  ne  sais  quoi  vous  conseiller. 
S'il  s'agissait  d'un  capitaliste,  je  lui  dirais  :  Sauvez- 
vous,  mais  que  risquez- vous?  Du  temps,  des  traite- 
ments perdus!  .Mais  eniin,  vous  apprendrez  les 
marbres,  le  négoce.  Ce  sera  utile.  Ça  ne  durera  guère. 
Acceptez.  J'irai  vous  voir  —  ou  vous  viendrez  m'eni- 
brasser.  —  Ce  qui  serait  extrêmement  sérieux,  beau, 
faisable,  ce  serait  l'affaire  de  la  douane  toscane,  si  le 
grand-duc  y  est  enfin  résolu  comme  au  mode  le  plus 
avantageux,  solide,  régulier,  qu'on  puisse  pratiquer. 
Sur  cette  affaire  je  suis  passée  maître.  Je  réponds 
du  cautionnement  et  d'un  nom  honorable.  Je  réponds 
(jue  ce  nom  aurait  toutes  les  connaissances  néces- 
saires et  que  l'affaire  ne  serait  conduite  ni  avec  légè- 
reté ni  avec  le  charlatanisme  de  gens  qui  partout 
souitlent  la  considération  de  l'industrie,  du  conwnerce 
de  notre  pays.  Si  Edmond  en  parlait  au  ministre  ou 
au  grand-duc  même,  l'on  saurait  si  l'on  veut.  Mais 
par  malheur  Edmond  a  cédé  à  son  obligeance  et  a 
beaucoup  contribué  au  succès  de  cette  cochonnerie 
de  Borax.  C'est  ainsi  qu'une  bonne  influence  se  perd 
en  faveur  de  fripons,  et  voyez-vous,  et  entre  nous, 
Sercey,  Bourbevelle,  le  condamné,  Guitart,  Pascalis 
((|ui  sont  des  associés)  valent  moins  que  31.  de  Saint- 
Berin,  car  ils  sont  moins  habiles.  Mais  enfin,  si  les 
qualités  d'Edmond  effacent  le  petit  tort  de  protéger 
des  intrigants  (au  moins),  sachez  que  l'affaire  des 
douanes  est  raisonnable,  sûre,  facile  pour  moi,  que, 
moins  considérable  (jue  celle  de  Naples,  elle  n'aura 
pas  un  vampire  comme  Dupont  (|ui  est  obligé  de 
payer  sur  elle  deux  millions  de  prises  de  coi'ps  qu'il 


70  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

avait  et  un  véritable  état  de  prince  que  ce  comédien 
croit  devoir  tenir  pour  faire  oublier  sa  basse  nais- 
sance et  ses  banqueroutes.  En  Toscane  tout  doit  être 
cori'cct,  pur,  loyal  pour  rentrer  dans  l'esprit  de  son 
excellent,  illustre  prince.  C'e^il  àonc un  hoiinrte  ho /)une 
que  j'ap[)orterai,  un  travailleur  —  et  je  suis  sûre  de 
l'administration,  des  résullals  et  du  contentement 
du  prince.  Ce  qu'il  faut  obtenir,  ce  serait  sa  promesse 
d  ui\  bail  de  neuf  ans.  Celui  de  Naplcs  est  de  six  et 
le  paiement  doit  donner  plus  de  facilités,  de  délais  au 
fermier  (jui  aura  tout  à  établir  convenablement, 
bai'(|ucs,  buieanx.  Iiabillements,  postes,  etc.  Le  grand- 
duc  n'aurait  pas  la  petitesse  d'exclure  tous  les  étran- 
gers dos  emplois  comme  a  fait  le  roi  de  Naples.  Mais 
ils  seraient  pris  sobrement  et  avec  sùnîlé.  Enfin  tout 
est  prêt.  Tout  est  à  mon  cntirrr  disposi/ioti,  et  je  suis 
certaine  que  mes  gens  peuvent  oll'rir  plus  et  mieux 
([ue  (jui  (jue  ce  soit.  Est-ce  clair?  Le  secret  des 
démarclies  serait  utile,  car  si  les  faiseurs  s'en  empa- 
rent, ils  galvauderont  tout.  Il  y  a  sérieusement  à 
craindre  aussi  Torlonia.  Je  vous  ai  demandé  plusieurs 
fois  d(;s  nouvelles  sur  M""  Sigaud.  Je  vous  ai  dit 
qu'il  était  important,  loyal,  amical  de  faire  savoir  iiu 
Roi  qui  tdle  était,  car  une  si  vraie  friponne esttoujours 
gibier  de  police.  Nous  avons  tous  pensé  qu'elle  était 
lancée  pour  cet  objet,  et  c'est  là  ce  qui  nous  alarme. 
Elle  dit  ici  avoir  été  appelée  parle  Roi,  en  avoir  reçu 
2300  francs  pour  son  voyage,  et  les  assurances  les 
plus  délicieuses...  pour  la  vérité  f/'/c/.  Elle  a  été  ren- 
voyée pour  la  dixième  fois  de  cliez  la  princesse  B...  \ 

'  La  iirincessc  Belyiujoso. 


FORTUNr:i-:  iiamiiILIn  h 

Elle  a  pillé  son  mobilier,  mais  elles  se  seraient  encore 
raccommodées  si  la  Gacaudan  n'avait  eut  argent, 
mission  pour  aller  exploiter,  inventer  et  se  faire  une 
fortune  sur  les  intérieurs  impériaux.  N'oubliez  pas  de 
me  répondre  sur  toute  cette  subalterne  mais  politique 
ambassadrice  '. 

Paris,  2  novembre  1830. 

Loi'scju'on  a  dit  que  le  prince  Acbille  avait  la  goutte, 
c'est  qu'on  voulait  cacher  son  départ,  je  ne  sais  dans 
quel  motif.  Il  est  à  Marseille  pour  y  attendre  sœurs  et 
frère.  Dans  ce  congrès  vous  serez  arrangé  comme  la 
France  le  fut  à  Vérone,  les  yeux  pour  pleurer,  le  cœur 
pour  enrager.  Voilà  la  justice  de  ceux  qui  con- 
naissent la  justice  et  le  droit  du  plus  fort.  Enfin 
Louise  étant  déifiée,  tutrice,  je  ne  vois  que  son  ami 
qui  pourrait  la  déterminer  à  dire  :  «  J'ai  cru  pouvoir 
vous  consulter  tous,  maintenant  traîisigeons.  »  Ac- 
ceptez tout,  engagez  Edmond  à  ouvrir  ce  dernier 
parti  et  cet  Anglais  à  le  soutenir.  Autrement  vous 
demanderez  l'arbitrage  du  roi  Joseph.  Il  valait  mieux 
le  réclamer  seul  et  cVahord  (jue  d'attendre  des  relus 
positifset  grossiers.  Enfin,  vons  êtes  un  peu  opiniâtre, 
encore  plus  tranchant.  La  nécessité  était  pressante,  la 
justice  révoltante.  Voilà  votre  excuse  d'avoir  espéré 
une  minute  dans  l'équité  de  gens  que  vous  aviez  vu 
si  étrangement. 

Je  vous  ai  écrit  sur  nos  espérances  et  notre  salis- 

'  Nous  avons  cilé  ((■Ko  lellre  in  extenso  pour  montrer  que 
M""  Ilamelin  ne  cessa  jamais  de  s'occui)er  (falVairos  et  y  apporta 
beaucoup  de  compétence  et  un  sens  réiloclii.  Elle  avait  le  génie  de 
la  spéculation. 


72  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

faction  du  Ghirlaîidajo.  Je  retourne  à  la  Madclaine 
passer  tout  le  mois  de  novembre.  Je  vous  disais  bien 
que  la  colère,  les  bonds  de  tijî^re  de  J.  '  se  calmeraient 
vite,  que  c'était  une  comédie.  Le  bon  Stilling-en  faisait 
autant,  plus  peut-être,  eh  bien,  le  voilà  ambassadeur 
à  la  suite  de  M"*'  de  Salvage,  le  voilà  le  plus  dévoué  à 
cette  cause...  Au  reste,  en  bon  Allemand  il  ne  perd 
pas  la  tête  et  songe  sérieusement,  dit-on,  à  épouser 
les  80000  francs  de  rente  de  cette  belle  dame.  Le 
prince  de  Londres  appuie  ses  prétentions  et  ils  sont 
sous  son  toit  hospitalier.  C'est  amusant  pour  moi  qui 
ai  vu  ses  colères  et  qui  les  combattais. 

Je  voudrais  bien  avoir  des  nouvelles  de  la  pauvre 
Hortense.  Je  ne  puis  rire  de  ses  tristes  folies.  11  y  a 
bien  des  douleurs  sous  cet  étourdissement.  Croyez- 
moi;  femme,  je  connais  bien  les  femmes. 

Naples  va  mal,  très  mal.  Dieu  finira  par  punir  cet 
ingrat  chenapan  de  Dupont.  Conmieil  n'y  met  pas  un 
écu,  par  la  bonne  raison  qu'il  n'avait  pas  un  sou,  il 
se  moque  des  cautions.  Au  petit  bonheur  il  a  outré 
les  prix  pour  avoir  la  préférence  et  ils  perdent  en  ce 
moment  40  000  ducats.  Pourtant  point  de  guerre  ni 
de  choléra,  mais  un  staglio  énorme  et  la  crise  de 
France  qui  paralyse  toutes  les  expéditions.  Ces 
renseignements  peuvent  être  utiles,  ils  sont  authen- 
tiques. 

Vous  savez  que  le  borax  est  abimé  ?  Vous  rendrez 
tous  justice  à  mes  prédictions.  J'avais  peur  d'y  voir 
Edmond  attrapé  et  des  Bonaparte  aussi. 

J'ai  lu  une  lettre  de  la  Sigaud  où  elle  parle  du  bon 

*  Jérôme,  sans  doute. 

'  StôltiiiR  ou  SliltinK  fut  secrétaire  du  roi  Jérôme.  . 


FORTUNÉE  HAMELIN  73 

vieux  roi.  (La  Sigauil  a  quarante-cinq  ans.)  Elle  a  tout 
à  SCS  pieds  et  le  roi  apprend  Racine  à  son  fils  ;  la 
Sigaud,  elle,  ne  prendra  pas  racine.  Le  roi  est  trop 
(in  pour  no  pas  éventer  ce  gibier. 

J'ai  des  lettres  où  Ton  me  charge  de  tendresses  un 
peu  tardives  pour  vous.  Le  positif,  c'est  qu'on  m'an- 
nonce un  petit  barillet  de  malaga  exquis,  et  que 
12  bouteilles  sont  pour  vous,  i2!  n'en  demandez 
pas  13! 

Que  dites-vous  de  ce  polisson  d'Emile^  qui  dit  que 
Berryer  ne  sait  pas  le  Français?  Oh!  comme  le  Capi- 
tale rhabille  !  Que  d'esprit  a  parfois  ce  Durand!  C'est 
aux  postes  qu'il  faut  vous  prendre.  Il  a  été  expédié  à 
plusieurs  et  reçu  par  aucun.  J'adore  pourtant  le 
grand-duc,  modèle  des  bons  princes  et  des  princes 
éclairés. 


*  Emile  de  Girardin.  M'"»  Ilamclin  l'ail  loi  allusion  à  un  entrefilet 
paru  dans  lu  Presse  du  30  octobre  1839,  ainsi  coneu  : 

«  L'Académie  française  donne  en  ce  moment  un  triste  spectacle 
au  monde  lettré.  Elle  se  barricade  soigneusement  à  rintéricur  pour 
l'ermer  l'accès  de  ses  fauteuils  au^c  poètes  et  aux  romanciers  qui 
attirent  sur  nous  les  yeux  de  l'Europe,  et  elle  se  met  en  quête  de 
petits  vaudevillistes  émérites  et  d'avocats,  comme  si  elle  avait  honte 
de  donner  des  successeurs  aux  grands  écrivains  qu'elle  a  eus  et  des 
confrères  aux  grands  écrivains  qu'elle  a  encore,  il  parait  que  tous 
les  avocats  du  grand  rùle  sont  destinés  à  cueillir  les  palmes  de 
l'Académie.  Elle  a  déjà  nommé  ^I.  Dupin  ;  elle  se  prépare  à  nommer 
M.  Berryer  et  il  est  probable  que  le  tour  de  M.  ÎSarrot  viendra 
ensuite.  Voici  un  petit  échantillon  du  style  de  M.  Berryer,  candidat 
à  l'Académie  française  ;  c'est  une  phrase  extraite  d'un  discours  sur 
l'hérédité  de  la  pairie  :  «  Abolir  l'hérédité  de  la  pairie,  c'est  pros- 
crire les  véritables  bases  du  lien  social.  »  Si  le  discours  de  réception 
est  rédigé  avec  le  même  purisme,  nous  demanderons  que  M.  Berryer 
soit  adjoint  à  la  Commission  du  Dictionnaire  pour  préparer  l'article 
Mélapkore.  » 

Cuvillier-Fleury  avait  combattu  également  la  candidature  Berryer 
dans  le  Joiuiud  des  Debals  et  s'attira  une  vive  critiiiue  du  Courrier 
Fraiirais  au(iuel  il  riposta. 


74  UNE  ANCIENNE  iMUSCADINE 

Delphine'  a  présenté  une  comédie  [Les  Journalislcs), 
elle  est  une  attaque  directe  et  payée  conti'cM.  Tliiers. 
Vous  voyez  :  Berryer,  Tliiers  que  veulent  mordre  ces 
lâches  vipères! 

La  Mark'la'me,  mercredi  10  dcceiiibro  1839. 

Sully  Brunet  s'était  chargé  de  faire  partir  votre 
lettre  par  une  occasion  sûre  partant  le  8  du  Havre. 
Ayant  appris  le  retour  du  roi,  j'ai  vile  écrit  pour  la 
ravoir.  Elle  m'est  revenue  samedi  et,  dimanche,  elle 
était  adranchie  à  Fontainebleau  au  comte  de  Survil- 
liers',  Cavendish-Scjuare-Londres.  Allons  1  Au  petit 
bonheur  et  à  la  justice  des  honnêtes  hommes. 

J'ai  trouvé  votre  lettre  au  prince  très  bien,  parfai- 
tement bien.  Mais  quelle  manie  d'abandonner  les 
vieilles  formules  (que  je  trouve  comme  vous  très 
absurdes),  mais  enlin  de  les  délaisser  devant  un  loi 
de  soixante-douze  ans,  frère  de  noire  Empereur  ! 
Le  profond  respect  n'était  pas  de  trop  blanc  bec.  Il 
trouvera  la  lin  très  leste,  sans  savoir  que  c'est  noire 

'  Delphine  Gay  (1804-lSo6).  Femme  de  lellres  et  poêle.  ICpousa 
llmile  de  Girardin  en  1831  cl  collabora  à  la  l*resse  de  18.36-à  18:;9 
où  elle  donna  des  Lellres  Parisiennes  sous  le  nom  de  vicomte  de 
Launay.  Publia  des  romans  et  des  nouvelles  (Le  Lorgnon,  1831; 
Contes  d'une  vieille  fille  à  ses  neveuc,  183.2;  Ja;  marquis  de  Fon- 
lanf/es,  1835;  La  Canne  de  M.  de  Balzac,  1836,  etc.)  ;  des  tragédies 
dont  les  plus  célèbres  sont  Judith.  1843,  et  Cléopdtre,  1847  ;  et  des 
coméilies  dont  nous  citerons  La  Joie  fait  peur.  La  censure  avait 
interdit  la  représentation  de  l'Ecole  des  Journalistes  à  la  Comédie- 
Française.  Delphine  Gay  était  la  troisième  fille  de  Sophie  Gay.  Sa 
sipur  Elisa  s'était  mariée  en  1817  avec  le  comle  O'Donnell,  l'autre, 
Isaure,  venait  d'épouser  (1837)  M.  Th.  Garre. 

'  Nom  sous  lenuel  Joseph  Bonaparte  s'était  elabli  à  l'étranger 
(voiv  lie  eue  Napoléonienne,  octobre  1!>0:2,  mars  l'J03,  t.  111.  Les  Bona- 
parte et  la  Clironique.  Joseph  à  Londres]. 


FORTUiNKE  HAMELIX  75 

mode.  Eiilîn,  es[)t'rons  de  son  tact  et  de  son  âme 
souvent  napoléonienne. 

Vous  voyez  que  je  suis  ici  au  10  décembre.  Ainsi 
le  bonheur  cahiiant  que  j'y  trouve  n'est  pas  une 
fantaisie  de  Parisienne.  Les  visites  deviennent  rares, 
je  m'en  console  avec  Berryer  qui  passe  ici  pour  aller 
à  Aug"crville,  par  le  Capitole  qu'il  admire  comme  moi 
et  par  des  feux  enragés  mêlés  de  souches  de  g-enièvrc 
qui  embaument  comme  le  bois  d'aloès.  Je  passerai 
ainsi  ce  lumulte  du  jour  de  l'an,  envoyant  à  quelques 
amis  de  beaux  faisans  pour  étrennes.  Hier  pourtant, 
vers  quatre  heures,  j'eus  une  belle  visite,  un  grand 
cerf  et  deux  biches.  Certainement  les  cerfs  font  aussi 
des  visites  à  Paris,  mais  rarement  ils  conduisent  de  si 
jolies  biches. 

Je  croyais  que  rafl'aire  des  douanes  en  Toscane 
était  chose  élaborée,  décidée.  S'il  faut  les  conduire  à 
une  décision,  la  vie  d'un  homme  n'y  suffirait  pas.  A 
Parme,  il  y  a  un  iM.  Mistrali,  ministre,  qui  laisse  cet 
État,  si  fertile,  dans  le  sillon  du  xvf  siècle.  Il  veut,  il 
promet,  puis  il  continue  et  les  vieilles  habitudes,  le 
mystère  sur  les  vraies  recettes  triomphent  de  tout, 
môme  de  l'appas  des  augmentations.  Ci'oyez,  (juoi 
([u'on  en  dise  (surtout  parmi  les  Français),  que  ces 
ministre  de  Parme,  de  Toscane,  de  Naples  sont  des 
gens  intègres.  Le  contraire  serait  impossii)le  dans  ces 
petites  administrations  et  avec  des  princes  qui  allè- 
guent toute  chose  et  s'occupent  sérieusement  de  leurs 
ressources.  A  Naples,  j'ai  enteiulu  cent  mille  horreurs 
du  ministre  des  Finances.  En  définitive,  c'est  Dupont 
qui  est  le  fripon  et  le  ministre  rhonnne  jusl<',  et  même 
généreux.  Notre  nation  a  pris  un  caracti're  de  râpa- 


76  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

cité  qui  l'entraîne  à  toutes  les  calomnies,  aux  plus 
lâches  actions  pour  arriver  à  son  but.  Vous  avez  à 
Florence  le  rebut  de  la  tourbe  de  Paris.  On  fait  bien 
de  s'en  défier.  A  Naples,  ce  coquin  de  Dupont  jette  les 
hauts  cris  et  c'est  lui,  le  malheureux,  qui  doit  au  gou- 
vernement, à  nous  tous,  et  qui  a  empoché  1  million 
depuis  quatre  ans  et  accroché  un  nouveau  bail  de 
six  ans. 

Si  j'avais  l'honneur  de  causer  avec  le  grand-duc  ou 
son  ministre,  je  leur  prouverais  que  par  l'adminis- 
tration en  régie  intéressée  (mode  que  préférait  l'Em- 
pire) le  revenu  serait  augmenté,  régularisé  et  sa  per- 
ception plus  douce,  décente  et  en  harmonie  avec  les 
mœurs  de  cette  belle  Toscane.  Dans  le  bail  Dupont 
les  employés  ont  été  maintenus  et  y  sont  de  rigueur 
au  moins  pour  dix-huit  mois.  Les  bons  alors  sont  con- 
servés, les  mauvais  s'efforcent  à  devenir  meilleurs. 
On  fait  peu  d'économies  sur  ce  personnel  tout  national. 
Le  talent  est  de  le  bien  distribuer,  surveiller  et  encou- 
rager par  des  primes  sur  les  prises.  Le  talent  est  de 
connaître  par  l'espionnage  des  ports  les  arrivages  de 
contrebande,  leurs  dépôts,  puis  d'attirer  le  commerce 
par  mille  moyens,  intérêts,  correspondance  et  souvent 
diminution  des  droits.  C'est  dans  le  bureau  de  Dupont 
qu'il  lui  a  été  permis  d'adtnettre  quelques  étrangers. 
Il  a  un  Anglais,  trois  Français,  et  un  Génois,  tous 
gens  de  talent  et  spéciaux.  L'homme  que  je  présen- 
terais a  étudié  tout  ce  mécanisme  très  simple  (conduit 
par  le  Génois,  car  Dupont  est  paresseux,  ignorant 
et  va  seulement  blaguer  à  la  Bourse  et  jouer  au 
whist  chez  les  ambassadeurs).  On  pourrait  faire  infi- 
niment   mieux    pour    Naples,    mais  il    faudrait   un 


FORTUNEE  HAMELIN  •  77 

fermier  simple,  travailleur,  voyageur.  Il  y  a  un  tiers 
de  plus  à  obtenir. 

A  Florence,  en  réunissant  les  octrois  des  villes  à  la 
Douane  (comme  à  Naples),  on  serait  surpris  de  l'amé- 
lioration et  de  la  satisfaction  des  étrangers  qui  n'éprou- 
veraient plus  des  tracas  au  seul  bénéfice  des  pour- 
boires à  donner  à  ces  chenapans  de  gabelous.  Voyez 
sur  cet  aperçu.  Je  suis  en  mesure  de  donner  toule 
l'explication,  garantie  et  loyale  exécution,  en  accep- 
tant la  juste  et  sévère  surveillance  de  l'État  qui  devient 
associé  dans  les  bénéfices,  passé  le  prix  fixé  pour  le 
staglio. 

Je  vois  avec  un  vrai  cliagrin  que  vous  allez  tout 
faire  pour  rester  en  Toscane.  Mais  trouverez-vous 
des  choses  honorables,  suffisantes  pour  y  vivre  dou- 
cement? Si  votre  caractère  pouvait  s'adoucir,  persé- 
vérer, certes,  avec  vos  connaissances  et  votre  esprit, 
vous  trouveriez  à  vous  classer  soit  dans  les  biblio- 
thèques, la  librairie,  le  secrétariat  du  prince,  que 
sais-je?  Vous  pourriez  tout  faire,  bien  faire  et  voire 
bile  maudite  vous  arrache  à  tout.  Tâchez  donc  de 
vous  dompter  pour  l'amour  de  vous-même  et  de 
moi. 

Hélas!  l'espoir  de  revoir  l'Italie^  et  vous  cbez  elle, 
je  ne  l'ai  plus.  Ce  voyage  est  trop  cher  pour  une 
femme,  puis,  je  ne  sais  comment  je  fais,  mais  le 
bon  marché  n'existe  pas  pour  moi.  J'ai  dépensé 
14  000  francs  à  mon  dernier  voyage,  en  me  privant 

'  Le  premier  séjour  de  M"»»  Ilamclin  en  Italie  date,  croyons  nou.s. 
de  1794,  époque  à  laquelle  elle  suivit  son  mari  à  Milan,  où  il  était 
ciiargé  de  l'approvisionnement  de  l'armée  du  f,'énéral  Bunaparlo. 

C'est  là  qu'Appiani  lit  le  portrait  (jue  nous  avons  reproduit  en  tète 
de  ce  livre. 


78  UN't:  ANCIENNE  MUSCADINE 

de  tout  et  ici  inèine,  au  fond  des  Ijois,  je  trouve 
moyen  de  surpasser  mon  budget  (à  la  vérité  très 
léger}.  Aussi,  cher  ami,  ce  serait  avec  une  joie  folle, 
un  bonheur  de  vingt  ans  que  je  saisirais  une  nou- 
velle occasion  de  revoir  celle  Italie  cliérie,  si  une 
affaire  môme  modeste  en  espérance,  nmis  faite  enlre 
honnêtes  gens,  pouvait  m'en  faciliter  les  moyens. 
L'honnne  (jue  jr  présenterais  est  le  senl  (jui  depuis 
vingt-deux  ans  ne  m'a  donné  que  dos  sujets  de  l'es- 
timer, de  laimcr  même.  Oljligé  (h;  quitter  le  parcjuct 
par  la  faillite  de  la  Banque  de  Belgique,  loin  de  pro- 
fiter du  motif,  il  a  toul  payé  en  vendant  les  dernièi'es 
propriétés.  Aussi  un  crédit  iUimilé  lui  reste  et  une 
rare  capacité  pour  la  comptabilité,  les  changes,  les 
transactions  commerciales  et  tout  ce  qui  importe 
pour  des  alfaires  de  régie,  emprunts,  banque,  etc. 
Cet  homme  est  Amet,  qui,  seul,  a  fait  trouver  les 
fonds  de  ce  misérable  Dupont  et  n'avait  pas  voulu 
d'autre  avantage  que  celui  de  m'ohliger.  Ah  !  si 
Nicolle  lui  eût  ressemblé  î  Mais  ils  sont  séparés, 
grâce  au  ciel  pour  Amet.  Je  partirais  donc  avec  mon 
gros  bonliomme,  laissant  sa  femme  avec  ses  perro- 
quets, et  nous  irions,  moi,  regarder,  adorer,  ache- 
tailler  un  peu,  el  lui  nous  régler,  étal)lir  et  faire 
marcher  nos  alïaires.  Par  malheur  il  ne  sait  pas  un 
mot  d'italien,  il  lui  faudrait  un  interprète  collé  <à  lui. 

Que  dites-vous  des  horreurs  de  l'Algérie  ?  J'ai  bien 
pensé  à  votre  jeune  frère.  Si  Gubières  y  commande 
je  lui  en  reparlerai  et  je  l'ai  tant  câliné,  remercié  de 
ce  qu'il  a  fait  ou  pas  fait,  (ju'il  se  croit  lié,  du  moins, 
à  rendre  justice. 

Vous  avez  mille  fois  raison  sur  les  feuilletons  du 


FORTUNEE  HAMELIN  79 

Capitule.  Il  est  pitoyable  de  voir  l'Empereur  en  mau- 
vais vaudevilles  subir  les  inventions  de  votre  ami 
Arago  et  autres  baladins.  J'en  ai  vraiment  fait  sentir 
Tinconvenance  à  M.  Durand  qui  a  réponse  à  tout.  Il 
dit  :  «  Ces  trivialités  plaisent  à  la  fureur  \\  une  classe 
importante  :  le  peuple.  Toutes  les  Halles  sont  mes 
abonnées.  Elles  nous  appellent  le  Journal  de  Bona- 
parte, et  ces  platitudes  les  divertissent  beaucoup  plus 
que  nos  discussions.  Par  exemple,  tous  les  marcliands 
de  vins  de  Paris  payent  le  Capitole  par  année.  Croyez- 
vous  que  le  délicieux  article  de  l'élection  Berryer  et 
de  Cuvillier-Fleury  serait  compris  par  eux?  Eii  bien  ! 
le  journal  sert  aux  deux  classes.  »  C'est  juste. 

Vous  vous  tromperiez  bien  de  compter,  d'espérer 
en  D...  pour  votre  projet.  D'abord  sa  position  serait 
obstacle  même  avec  bonne  volonté.  Puis,  la  passion, 
l'orgueil  l'ont  jeté  vers  les  artistes  et  le  faubourg* 
Saint-Germain  dont  il  est  adoré  et  adorateur.  Dans  ce 
moment  il  fait  exécuter  un  album  qui  lui  coûtera 
3(J0UU0  francs  —  et  les  mêmes  dessins,  acjuarelles,  qu'il 
paye  1000  francs  pièce,  les  artistes  en  envoyent 
aux  ventes  qu'on  acliète  de  GO  à  loO  francs.  Au  ma- 
riage du  jeune  duc  de  Dino^,  qui  s'est  fait  dans  un 
vieux  cliâteau  en  rechercliant  les  modes  féodales, 
Anatole"  a  été  parrain  d'une  cloche  avec  la  belle 
mariée.  Deux  foui'gons  de  bonbons  sont  arrivés  ap- 


'  AlcxanJre  do  l'érigord  (comte),  plus  tard  duc  deDino  (1813-189i). 
djUKiôiue  ûls  du  duc  do  Talleyrand  et  do  la  princesse  Dorolliée  de 
Cuurlande.  Se  maria  avec  M"»  Valcntine  de  Sainte-Aldegonde. 

-  Anatole  DemidoU"  (mort  on  1870)  fonda  un  asile  pour  indigents 
laborieux  à  Mosoou-  Epousa  on  1840  la  i)rinccsso  Matliilde,  lllle  de 
Jérôme  Bona})arte  et  de  Catliorine  de  Wurloniborg  dont  il  se  sépara 
en  ls45. 


80  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

portant  la  rue  des  Lombards  et  le  Palais-Royal  tout 
entier.  Il  a  donné  des  vases  d'or  à  l'Eg-lise,  doté  six 
jeunes  filles,  donné  6  000  francs  aux  pauvres  et  tandis 
que  les  villages  traversaient  pour  voir  le  banquet, 
ses  cbasseurs  distribuèrent  des  sclialls,  des  dentelles, 
des  tabliers  aux  paysannes;  le  tout  a  fini  par  une 
parure  de  diamant  et  de  rubis  à  M"^  de  Sainte-Alde- 
gonde,  cette  parure  est  estimée  30  000  francs.  J'avoue 
qu'à  la  place  de  la  mère;  je  ne  l'aurais  pas  laissée 
accepter. 

Pour  revenir  à  votre  projet,  pourquoi,  lorsqu'il 
en  sera  temps,  ne  pas  vous  entendre  avec  Durand? 
J'avais  toujours  espoir  que  cette  feuille  vous  pouvait 
abriter.  Tout  ce  qui  n'est  pas  lui  est  si  mauvais!  Il  a 
fait  des  démarclies  près  des  Balzac,  Eugène  Sue. 
Mais  ces  gens-là,  sans  passion,  déjà  flétris,  aux  prises 
avec  des  besoins  et  des  dettes  immenses,  demandent 
énormément  et  sont  toujours  prêts  à  des  infidélités. 
Il  s'en  tient  donc  à  amuser  ses  marchés  en  attendant 
le  moment  où  les  talents  sentiraient  venir  le  vent  et 
s'attelleront  à  un  char  dont  la  marche  est  solide  et 
peut  aller  loin. 

Je  sens  bien  la  délicatesse  de  la  position  d'Edmond. 
Celui-là  a  de  l'honneur,  de  la  bonté.  Aussi  je  le 
regarde  comme  garrotté.  Il  restera  ou  elle  viendra. 
Est-ce  un  si  grand  malheur  s'ils  s'aiment  et  se  con- 
viennent? L'important,  c'est  qu'elle  sait  le  maintenir 
et  non  l'entraîner.  La  vanité  est  le  seul  mobile  véri- 
table des  Anglaises  et  non  seulement  un  duc  est 
irrésistible  pour  elles,  mais  encore  ce  duc  doit  faire 
grande  dépense.  Si  Edmond  vient  ici  en  s'arrangeant 
avec   ses  créanciers,   son  revenu  serait  bien  rogné. 


FORTUNliE  I1.\ML:L1N  SI 

Alors  coiimiciiL  soutenir  ù  Paris  tant  de  ciiarges.   11 
restera. 

Je  pense  que  peut-être  vous  aurez  écrit  directement 
au  roi  en  apprenant  son  arrivée.  Il  n'y  aurait  pas  de 
mal.  —  J'ai  fait  faire  par  Treclii  et  M"""  Kisselelf 
mille  altaijues  pour  déterminer  la  SamaïlolF  à  acheter 
le  miroir  de  M"Tauvau^  Celle  folle  n'a  pas  de  goût, 
elle  le  prouve  du  reste.  Elle  a  acheté  pour  18  ù 
20  000  francs  de  cochonneries  d'Alphonse  Giroux  et 
donnerait  hien  .300  francs  du  miroir!  Son  comédien 
ne  désaoùle  pas.  Il  régale  tous  les  cahotins  du  houle- 
vard,  revient,  casse  tout  et  la  bat.  Elle  dit  alors  :  Ahl 
qu'il  est  drôle  ! 

Votre  ami  de  Nyon  se  trouve  sur  le  grand  théâtre. 
Il  était  tout  ravi  de  l'Empereur  j^du  Maroc)  qui  écrit 
directement  à  tous  les  consuls.  J'espère  qu'il  aura 
osé  voir  et  dénoncer  l'intrigue  des  Anglais.  Dites-moi  1 
Nous  en  donnent-ils  assez  sur  le  dos,  sur  le  ventre, 
nos  bons  alliés?  Ils  ravagent  et  prennent  toute  l'Asie, 
ils  sont  maîtres  en  Espagne,  ils  vont  nous  chasser  de 
l'Algérie  avant  deux  ans.  Bien,  allez,  vous  pouvez 
encore  plus,  braves  amis  1  Ce  que  je  ne  comtois  pas, 
c'est  le  sang-froid  de  la  Russie. 

J'ai  donc  reçu  le  petit  baril  de  la  reconnaissance. 
Il  y  aurait  pour  un  déjeuner  de  M.  Balatier. 

Les  nouvelles  de  Capponi  sont  tristes.  Ruiné,  passe, 
je  connais  ça,  mais  aveugle  !  En  vérité  cette  ruine 
est  trop  dure  à  un  homme  qui  a  toujours  vécu  comme 
un  rat.  L'intendant  ne  s'expli(jue  qu'à  des  dépensiers 
comme  Luchesini,  ou  nos  grand  seigneurs  de  jadis. 

'  «  Ai'Liàtc  liabilc  ol  moJoaLu  »  (Le  Ulcarol  de  ISi-). 


82  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

C'est  dommage.  Capponi  a  de  l'esprit,  du  savoir,  et 
le  bruit  des  fameuses  cloches  de  son  aïeul  retentit 
encore  dans  son  âme.  Son  ami  Gonfalonieri  est  devenu 
riche,  même  sous  les  séquestres  et  les  verroux.  Il  est 
môme  resté  beau,  d'une  beauté  altière  et  noble.  Je 
crois  qu'il  va  pouvoir  retourner  en  Italie,  il  l'espère 
du  moins. 

Je  n'ai  pas  de  préventions  sur  la  madame  d'Edmond. 
Entre  nous,  ce  que  j'en  sais,  c'est  de  notre  pauvre 
chère  amie.  Elle  resrardait  comme  une  condescen- 
dance  pour  Edmond  le  bon  accueil  qu'elle  lui  faisait, 
surtout  le  marrainage.  Cette  dame  m'a  fait  une  sot- 
tise en  refusant  la  cassette  charmante.  Elle  m'a  privée 
par  cette  impolitesse  d'un  souvenir  qui  a  été  retrouver 
vos  30 000  francs.  Cela  vaut  certes  une  petite  rancune. 

Je  vous  demande  toujours  des  nouvelles  d'Hor- 
tense',  car  toujours  j'y  prendrai  intérêt.  Croyez-vous 
qu'avec  ce  bon  et  sincère  sentiment,  je  n'ai  pas 
répondu  à  son  étrange  lettre.  Elle  m'appelle  prude  et 
ce  serait  bien  ridicule  qu'elle  m'interdît  le  droit  de  la 
blâmer  pour  la  louer  —  ma  foi,  c'est  impossible.  Sa 
position  me  déchire  le  cœur.  Je  voudrais  parier  que 
le  petit  B...  ne  restera  pas  même  son  ami.  Je  suis 
fâchée  que  vous  vous  accordiez  mal.  Sa  conversation 
vaut  mieux  assurément  que  celles  que  vous  trouvez, 
et  quoique  amant  de  la  nature,  on  parle. 

Mon  Dieu!  que  j'aurais  voulu  assister  à  la  première 
entrevue  du  roi  Joseph  et  du  prince  Louis.  Tout  est 
bien  changé  !  Ils  doivent  se  juger.  L'union  est  toute 
leur  politique. 

•  Ilortense  Allart. 


FORTUNEE  HAMELIN  83 

La  Mailulainc,  -9  décembre  1839. 

Je  ne  quitterai  pas  l'année  et  la  Madelaine  sans 
vous  dire  adieu  et  vous  souhaiter,  cher  ami,  un  1840 
moins  cruel  que  ce  1839  que  nous  quittons.  Nos 
épreuves  ont  été  grandes  et  mon  cœur  presque  aussi 
blessé  que  le  vôtre.  Vos  projets  d'habiter  l'Italie 
m'ont  cliagrinée,  mais  je  me  garde  bien  de  les  com- 
battre, persuadée  comme  je  le  suis  que  tout  vaut 
mieux  que  la  France  d'aujourd'hui  et  que  le  pays,  le 
gouvernement  toscan  sont  les  plus  douces  choses  de 
la  terre.  Ce  que  je  voudrais,  ce  serait  de  connaître 
les  moyens  que  vous  vous  y  créerez  pour  y  immer 
son  air  délicieux. 

Je  vous  ai  répondu  fort  en  détail  sur  vos  idées  rela- 
tives à  Demidoir.  11  n'y  aurait  rien  à  faire  là  que  dans 
le  sens  légitimiste  et  encore  ses  caprices,  sa  vanité 
ne  laissent  d'espoir  de  succès  qu'aux  plus  vils  para- 
sites ou  aux  hommes  d'un  grand  nom. 

Ce  que  je  vous  écrivais  sur  les  régies  reçoit  à 
Naples  une  triste  conlirmation.  L'Etat  a  voulu  aug- 
menter de  beaucoup  le  fermage  (Staglio).  Dupont, 
pour  repousser  toute  concurrence,  a  tout  accepté. 
Enfin  la  régie  de  Sicile,  refusée  par  les  anciens  et 
honorables  régisseurs  à  900  ducats  d'estaglio,  a  été 
prise  par  cet  impudent  à  1420  000  D.  Presque  le 
double!  Que  risque  Dupont"?  Pas  un  traître  sou,  ni 
même  une  réputation.  Il  a  l'art  d'entraîner  par  son 
faste  et  ses  airs  de  comédie.  Il  a  campé  le  cautionne- 
ment de  la  Sicile  sur  le  dos  de  NicoUe,  et  celui  de 
Naples  sur  Rotschild,  Lefèvre,  etc.  — Mais  en  ce  mo- 
ment, ils  sont  enfoncés  de  la  presque  totalité  des  eau- 


84  UNE  AiNClliNiNK  MUSGADINE 

Lions  L'L  iiiiiilrc  l)in)0ut  n'en  pi'élèvo  pas  moins  ses 
Iraiteiiieiils  (jui  iiionlent  à  plus  de  'JO  000  francs  sans 
compter  3o  pour  cent  dans  les  hénélices  futurs.  La 
crise  du  commerce  menace  d'être  longue,  car  jamais 
tous  les  grands  intérêts  de  TEurope  n'ont  été  si 
effroyablement  embrouillés.  Ainsi  les  gouvernements 
font  un  mauvais  calcul  en  poussant  trop  loin  les 
fermes  de  l'Etat.  L'habileté,  la  surveillance  d'un  bon 
régisseur  arrive  aux  mêmes  résultats  lors  du  pai'tage 
des  bénélices  et  l'affaire  dans  son  cours  n'éprouve 
j)as  de  discrédit  et  d'inquiétude  pour  sa  durée.  — 
J'attends  vos  réponses  de  Londres  avec  impatience. 
Peut-être  un  duplicata  eût-il  été  bon,  quoique  rien  ne 
me  paraisse  plus  sur  (|u'un  bon  alfcanchissement  fait 
par  Sophie.  Mais  cette  famille!  \ous  avez  voulu 
connue  (die  avoir  des  illusions  sur  Achille.  Ça  me 
paraît  le  plus  ignoble  de  tous  les  cyniques.  Un 
homme,  dont  l'honneur  dirige  le  tact,  m'écrivait  : 
«  Je  l'ai  bien  observé,  il  n'y  a  rien  dans  cette  âme,  et 
c'est  inoui  que  deux  êtres  tels  que3L..  et  C^•.  aient  pu 
enfanter  un  être  immonde  qui  manque  même  de  cou- 
rage !  ))  Il  a  tout  approuvé  et  il  est  convenu  entre 
eux  tous  que  Louise  a  tant  d'ordre,  de  fermeté,  que 
ce  serait  une  Régente  digtie  des  Blanche  de  Castille. 
Vos  projets  hostiles  je  les  combattrai  comme  inutiles, 
car  pour  eux  toute  la  honte  du  procédé  est  bue.  Ils 
ont  un  nom,  une  fortune.  —  Vous  n'avez  à  perdre 
que  votre  honneur,  gardez-le  intact,  faites  ce  sacrifice 
à  cette  chère  ombre.  Si  Joseph  n'accepte  pas,  envoyez- 
lui  ce  (jue  vous  \ouliez  publier. 

*  Mural  cl  Caruliiiu. 


FORTUNEE  HAMELIN  8n 

Mon  st'jour  ici  n'a  pas  empêché  les  soins  pour  le 
tableau.  Trechi  l'avait  vu  avant  M'"''  A...,  c'est-à-dire 
la  veille  de  son  dernier  séjour  ici.  Le  groupe  d'anges 
du  haut  était  nettoyé  et  magnifique;  il  paraît  que  la 
vierge  qui  me  paraissait  la  partie  faible  est  devenue 
la  plus  brillante  et  que  sa  tête,  l'éclat  de  son  manteau 
excitent  des  cris  de  surprise,  car  de  noir  il  est  devenu 
d'un  blanc  si  fin,  si  lin,  que  Trechi  dit  que  la  valeur 
de  cette  belle  composition  lui  parait  devoir  monter  au 
moins  à  (">  000  et  il  y  a  deux  ans  seulement  à  10. 

L'arrivée  de  Joseph  a  été  un  coup  terrible  pour 
toutes  ces  négociations.  On  attend.  On  est  assuré 
que  Facquéreur  quelconque  jettera  dans  le  commerce 
tous  les  objets  de  second  ordre.  —  Enfin  de  Paris  je 
vous  écrirai  plus  et  mieux  j'espère.  Dans  ce  moment, 
Alphonse  Giroux  absorbe  Paris.  Il  est  digne  du  bon 
goût  du  temps.  Vous  avez,  j'espère,  des  nouvelles 
de  votre  frère  !  J'y  ai  bien  pensé.  Il  va  se  distinguer, 
j'en  suis  sûre.  On  envoie  de  solides  renforts,  mais 
quels  chevaux  et  quels  mauvais  cavaliers  à  opposer 
de  suite  aux  Arabes  !  Nos  jeunes  soldats  sont  à  l'ins- 
tant de  bons  fantassins,  mais  cavaliers  !  Hélas  !  j'ai 
vu  le  camp  ! 

]^/[me  ^j^ceioL'  s'est  faite  delphiniste.  Elle  ne  les 
quitte  plus,  dit-on,  du  reste  tout  cela  tourne  comme 
ses  succès,  à  de  bous  résultats  d'écus.  Voilà  l'Acadé- 

'  Femme  du  malhéinaticien  Ancclot,  née  à  Dijon  on  1792,  morte 
en  1875;  s'occupa  do  peinture  et  de  littérature  et  publia  de  noiii- 
bi'oux  ouvrages.  Le  Dicllonnaire  Satirique  des  céléhritéx  conlempo- 
raines  (1842)  dit  do  M"'»  Ancclot  que  Fortunc-e  Hamelin  n'aimait 
pas  :  «  Epouse  d'un  dévouement  fanatique  qui  s'est  tutie  à  bâtir  des 
vaudevilles  et  des  romans  pour  l'ain;  excuser  les  vaudevilles  de  sun 
mari...  avant  sa  conversion.  » 


86  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

mie  plus  bas  que  les  avoués.  Celle  voix  unique  de 
Scribe  pour  Yaloul'  est  d'un  cynisme  ignoble,  el 
loule  celle  troupe  de  polirons  reculant  devant  les 
deux  grands  noms  de  répofjue  est  un  spectacle  hideux 
en  vérité.  Les  agents  de  change  n'eussent  pas  fait  ça, 
même  pour  10  centimes  de  hausse.  Je  vous  assure 
que  Berryer  en  est  bien  réjoui. 

Adieu,   comme   une    vieille    que  je   suis,  je   vous 
souhaite  santé,  bonne  chance  et  modération. 

'  Valout  (1792-1848),  socrélaiie  du  duc  Docazos  cl  Mbliothéoaire 
de  Louls-Pliilippe  qui  lui  témoif^nait  beaucoup  (raiaitié;  admis  à 
l'Académie  française  quand  il  suivit  Louis-Philippe  dans  son  exil. 
(Cf.  .lournal  de  CuviWer-Fleiirij  et  Quicherat  :  Histoire  de  Sainte- 
Barbe).  (Charles  Bocher.  Mémoires  I,  32,  parle  de  l'esprit  de  Vatout 
chezM""=de  Vatry).  Après  sept  tours  de  scrutin  pour  l'élection  d'un 
membre  à  l'Académie  française.  Berryer  obtint  10  voix,  Victor 
Hugo  7,  Casimir  Bonjour  8  et  Vatout  1.  la  voix  de  Scribe  «  voix 
solitaire  comme  celle  du  rossignol  ».  {Charii'ari,20  décembre  1839). 
Sur  la  proposition  de  Victor  Cousin,  l'élection  fut  renvoyée  à   trois 


ANNEES  1840-1841 


La  folie  parisienne.  —  Bals  des  Ambassades.  —  L'hôtel  Portalis.  — 
Une  lettre  du  roi  Josepli.  —  Anatole  Demidoffet  M'"»  de  Montaut. 
Question  d'Orient.  —  Dotation  du  duc  de  Nemours.  —  La  reine 
Victoria.  —  Scbasliani.  —  Guizot.  —  Fluctuations  du  Capilole.  — 
Walcwski  et  le  Messager.  —  Les  Belles  à  la  Mode.  —  Antonin  de 
Noailles.  —  Thiers.  —  Ilortense  AUart  est-elle  malade?  —  Edmond 
de  Talleyrand  et  sa  cousine.  —  Le  bivouac  de  la  Madclaine.  — 
Montrond.  —  Procès  du  prince  Louis.  —  ^lontholon.  —  Anatole 
Demidoiï  et  sa  femme.  —  Le  dernier  champ  de  bataille  de  Napo- 
léon. —  Les  futaies  de  Fontainebleau.  —  y\."">  Ilamelin  à  Auger- 
ville.  —  Accueil  de  Berryer.  —  Son  esprit.  —  Un  plan  de  Berryer. 

—  M.  de  Chateaubriand.  —  La  Revue  Parisienne.  —  La  liste 
civile.  —  Lord  Alvanley.  —  Ch.    Didier.  —  M"»  de  Talleyrand. 

—  M""»  Ilamelin  réclame  des  livres.  —  Le  Siècle  l'a  mise  en 
cause  au  sujet  de  l'arrestation  d'Ouvrard.  —  Gcnoude  à  l'index. 

—  Faudoas.  —  M"»  Berryer.  —  Le  duc  de  Bordeaux.  —  Le  comte 
lelski.  —  Les  treilles  de  Thomery.  —  Ladrerie  de  M'""  S...,  amie 
de  Berryer.  —  Jérôme  Bonaparte  et  Anatole  Demidoiï.  —  M"""  De- 
midoiï. —  L'Empereur  Nicolas.  —  Les  vieux  livres.  —  M"»  O'Don- 
nell.  —  M'"»  de  Bourges.  —  L'Empereur  Julien.  —  Les  mémoires 
de  Gourville.  —  M""=  de  Sévigné.  —  Jules  Janin.  —  M""=  Dosne  et 
Thiers.  —  La  reine  Christine.  —  Un  Souvenir  au  Fossé  de  Vin- 
cennes.  —  Une  défense  de  Berryer.  —  Le  journal  La  Presse.  — 
Espartero.  —  Sur  un  travail  de  son  correspondant.  —  M.  de  Mon- 
trond.  —  Desvoisins.  —  La  Taglioni.  —  La  maison  civile  de 
l'Empereur  en  1804. 


Paris,  2  février  1840. 

Paris  m'a  ôlé  de  mon  calme  sans  m'apporter  cou- 
rage ou  consolation.  Je  n'ai  pas  eu  la  petite  joie  d'y 
finir  la  plus  petite  all'aire.  Les  amis  (jui  étaient 
aimables  et  bons  à  la  Madelaine  sont  ici  connue  de 


88  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

vieux  éventés,  courant  comme  dos  fous  et  folles  après 
toutes  les  cohues,  et  se  faisant  un  chagrin  d'être 
oubliés  une  fois  en  mille.  Au  milieu  de  toutes  les 
misères,  buvant  toutes  les  humiliations,  les  Parisiens 
dansent  et  font  faillite.  Je  ne  connais  que  trois  hôtels  ' 
où  l'on  puisse  rire  et  se  moquer  de  tout,  c'est  l'am- 
bassade d'Angleterre,  d'Autriche  et  de  Russie.  A 
ceux-là,  l'année  et  l'hiver  sont  beaux. 

Je  n'ai  rien  pu  faire  encore  pour  h'  joli  tableau.  J'ai 
suivi  exprès  deux  ventes,  celle  de  Bisson  boy  entre 
autres  où  une  déteslal)le  copie  d'une  Made/aine  du 
Guide  a  été  posée  à  GÛ  francs  et  par  l'ignorance  d'un 
benêt  d'Anf^lais  a  été  poussée  à  3.100  francs.  A  chaque 
enchère  qui  dépassait  100  francs  (valeur  du  cadre) 
c'étaient  des  cris,  des  rires  immodérés  !  Mais  il  a 
obtenu  sa  chère  Madeiaine.  En  tout  les  tableaux  se 
soutiennent  malgré  la  vogue  du  flamand.  J'ai  été  voir 
avec  Trechi  et  le  comte  OfTeli  de  Milan  la  maison  de 
M.  Portails,  rue  Tronchet.  C'est  joli,  g'racieux,  à 
croire  que  Raphaël  l'a  dessinée  pour  sa  Fornarina. 
Le  musée  commence  au  marteau,  puis  tout  est  habité, 
commode  et  ce  pêle-mêle  de  statues,  de  canapés,  de 
tableaux,  de  tables  à  écrire,  de  vases,  de  colonnes 
devenues  meubles,  est  un  mélange  délicieux  dune  vie 
réelle  et  idéale.  J'ai  très  bien  remarqué  du  coin  de 
l'œil  qu'il  n'a  dans  sa  galerie  ni  un    Pérugin  ni  un 

'  On  dansait  beaucoup,  en  ellVt,  cliez  la  comtesse  d'Apponyi, 
femme  de  ranibassadeur  d'Autriche,  ^lais  M"'»  Ilamelin  ne  men- 
tionne pas  les  bals  et  les  soirées  qui  se  donnaient  au  ministère  de 
l'Intérieur,  chez  la  comtesse  Duchàtel,  à  Tambassade  de  Belgique  où 
recevait  le  marquis  de  Brignole-Sale.  avec  sa  fille  la  iluchesse  do 
Galliera.  chez  la  comtesse  Lehon,  femme  très  à  la  mode,  à  l'ambas- 
sade de  Belgique,  à  l'Hôtel  de  Ville,  où  trônait  la  comtesse  île  Ram- 
buteau,  femme  du  préfet. 


FORTUXEE  IIAMKLIN  89 

Ghirlandajo  et  j'csptTe  que  le  nôtre  pourrait  s'y  caser 
en  bonne  compao^nie. 

Vous  n'êtes  point  né  pour  la  diplomatie,  cher  ami. 
La  lettre  du  prince  que  je  trouve  bonne  et  presque 
paternelle,  cette  lettre,  si  vous  l'eussiez  comprise, 
était  une  négociation  à  entamer  et  non  un  cartel  à 
envoyer.  Vous  deviez  charger  un  tiers  d'aller  la  mon- 
trer et  d'établir  que  vous,  étranger,  demandant  l'ar- 
bitrage du  prince,  eux,  famille,  le  repoussaient. 
Devant  une  ville  ils  n'auraient  pas  osé,  mais  Joseph  a 
raison  de  dire  qu'il  ne  peut  provoquer  un  arbitrage 
qui  ne  lui  est  pas  demandé  par  les  deux  partis.  D'ail- 
leurs il  connaît  bien  ses  deux  neveux.  Cruquenbourg 
le  connaît  aussi.  Entre  nous,  son  cynisme  de  saleté 
est  dépassé  par  la  bassesse  de  son  âme.  Il  se  roule 
dans  la  fange  ici,  fait  sa  cour  aux  plus  subalternes  et 
n'a  d'autres  dieux  que  l'argent,  l'eau-de-vie  et  la 
boue.  Pauvre  Caroline  qui  l'aimait  tant  !  Que  faire, 
direz-vous?  Mais  que  ferait  une  blessure  ou  la  mort 
de  Rusponi  ?  On  leur  arracherait  plutôt  la  vie  à  tous 
les  quatre  que  d'abandonner  un  écu.  C'est  cette  posi- 
tion sans  issue  honorable,  lucrative  qui  me  désespère, 
car  c'est  dix  mois  perdus.  N'abandonnez  pas  la  négo- 
ciation. Ecrivez  directement  à  Joseph  (toujours 
Cavendish-Square).  Suppliez-le  de  demander  compte 
de  la  réclamation,  mais,  mon  Dieu,  Jérôme  est  là  et 
vous  vous  êtes  trop  fortement  brouillé  avec  lui. 
M.  de  La  Rue,  à  qui  j'ai  lu  la  lettre,  partage  toute 
mon  opinion.  Il  faut  encore  espérer  en  Joseph  et  lui 
écrire,  sans  dire  que  votre  dernière  lettre  a  été 
alhanchie. 

Savez-vous  à  Florence  de  quelle  faron  Demi(|oiï  a 


90  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

rompu  avec  M""*  de  Montaut?  A  grands  coups  d'étri- 
vicres,  de  canne,  de  poings,  en  la  traînant  par  ses 
beaux  cheveux  du  premier  dans  la  cour.  On  raconte 
que  depuis  un  an  il  cherchait  un  moyen  de  briser  cette 
liaison.  N'en  trouvant  pas  d'honnête,  il  s'est  mis  à 
l'assommer.  Le  dernier  assaut  a  failli  lui  coûter  la 
vie.  La  famille  de  la  Rochefoucauld  s'est  conduite  avec 
bonté  et  honneur.  Ils  ont  été  reprendre  cette  infortu- 
née, elle  est  chez  son  frère,  mais  point  encore  réta- 
blie, car  un  coup  de  cravache  lui  a  emporté  la  joue 
et  la  paupière.  Tous  les  meubles,  bijoux,  donnés  par 
Anatole  lui  ont  été  renvoyés  ;  il  a  refusé  de  les 
reprendre  et  ils  se  vendent  au  profit  des  hospices  par 
les  mains  du  curé.  On  dit  qu'elle  veut  s'établir  dans 
un  couvent  de  province;  tout  le  monde  s'y  intéresse 
beaucoup. 

Beaucoup  de  bons  esprits  croient  aujourd'hui  la 
guerre  inévitable  \  M.  de  La  Rue  môme  était  fort  à 
bout  de  logique  ces  jours-ci.  Il  dit  que  dans  un  mois 
nous  aurons  douze  vaisseaux  de  guerre.  Des  vais- 
seaux, quelle  stupidité  !  C'est  une  belle  armée,  une 
opinion  nationale,  un  système,  des  hommes  enfin  ! 
Mais  laissez  faire,  on  baissera  le  front,  on  fera  dos 
noces,  des  bals,  et  l'Orient  sera  partagé  à  notre  nez 
comme  la  Pologne.  Néanmoins  le  gâchis  s'épaissit  au 
point  de  devenir  une  boue  si  épaisse  qu'ils  y  laisse- 
ront les  pieds.  Cette   dotation  du  duc  de  Nemours- 

'  A  propo.s  de  la  {|ueslion  d'Orient. 

*  Le  25  janviiu"  1840,  le  président  du  Conseil,  maréchal  Soult, 
annonçait  à  la  Chanihrc  le  mariage  du  duc  de  Nemours,  second  fils 
du  roi  Louis-IMiilippe  avec  une  princesse  de  Saxe-Cobourg-Golha  et 
déposait  en  même  temps  un  projet  de  loi  attribuant  au  jeune  prince 
une  dotation  de  300.000  francs  et  à  la  princesse  en  cas  de  survivance 


FORTUNÉE  HAMELIN  91 

devant  ce  gouffre  de  l'Algérie,  le  budget,  les  faillites, 
la  misère,  a  révolté  les  plus  lâches.  L'Angleterre  fait 
justice  de  ces  mendiants  qui  se  disent  des  princes. 
Victoria,  frénétique  d'amour,  voulait  que  son  jeune 
premier  eût  le  pas  sur  des  vieux  oncles,  fils,  frères 
de  rois  et  qui  peuvent  le  redevenir.  La  nation  a  fait 
justice  de  cette  fatuité.  Nous  allons  voir  ici,  mais  ça 
se  chauffe  et  le  retour  de  Sébastiani  \  le  départ  de 
M.  Guizot  (qui  ne  fera  rien  de  plus  que  de  changer  le 
traitement  de  poches),  tous  ces  événements  glorieux 
sont  vivement  sentis  par  tous  ceux  qui  ne  sont  pas 
les  pierrots  de  la  cour  ou  du  théâtre  Ventadour. 

un  douaire  de  300. OUO  francs.  La  discussion  vint  devant  la  Chambre 
le  20  lévrier  1840.  Par  226  vois  contre  220  la  Chambre  refusa  de 
continuer  la  discussion.  Le  cabinet  démissionna.  Thiers  fut  chargé 
de  former  le  cabinet.  En  mai  18i3  le  projet  de  dotation  fut  de  nou- 
veau déposé  et  rencontra  la  même  opposition.  Le  Munileuv  (30  juin 
184ij  inséra  un  ailiele  à  ce  sujet,  émanant  du  roi  lui-même.  Thureau- 
Dangin  (Ilis/oire  de  la  Monarchie  de  Juillet,  t.  III)  (cf.  Journal  de 
CuvilUer-Fleiirij.  Hené  Bazin.  Le  Duc  de  Nemours.  Emile-Paul  1907). 
'  Sébasliani  (Horace)  (I772-î8"j1),  colonel  en  Italie,  général  de  bri- 
gade au  camp  de  Boulogne,  de  division  après  Austeriitz.  Ambassa- 
deur en  Turquie  (180G).  En  demi-solde  après  Waterloo.  Député  (1819- 
4830)  minisire  de  la  marine,  des  Affaires  étrangères  (1800).  Ambas- 
sadeur à  Naples,  à  Londres.  11  fut  nommé  maréchal  de  France  le 
21  octobre  18i0.  c'est-à-dire  le  jour  anniversaire  d'un  jour  où  il  se 
laisse  surprendre  par  les  Cosaques  et  enlever  400  voitures  de 
bagages  et  100  prisonniers,  le  21  octobre  1812.  Le  Capitale  enregis- 
trait ainsi  celte  nomination  :  «  La  promotion  de  M.  Sébastian!  à  la 
dignité  de  maréchal  est  un  scandale  qui  dépasse  tous  ceux  que 
nous  avons  vus  depuis  longtemps.  »  La  carrière  militaire  de  M.  Sébas- 
tian! a  été  caractérisée  par  ces  mots  de  Napoléon  :  «  Sébastian! 
nous  fait  aller  de  surprise  en  surprise.  »  Horace  Sébasliani  avait 
épousé  la  fille  de  IM""  de  Coigny  (qui  avait  ('ti;  la  femme  de  Mon- 
Irond  et  dont  le  père  était  le  manjuis  de  Conflans,  célèbre  par  son 
esprit  mordant).  La  comtesse  Horace  Sébastian!  mourut  ((uelque 
temps  après  avoir  donné  le  jour  à  celle  qui  fut  la  duchesse  de 
Prasiin.  (Vtdr  plus  loin  année  1847.  Lettres  de  F.  Ilanielin.)  Le  mot 
fameux  :  «  L'ordre  règae  à  Varsovie  »,  est  de  lui.  Son  frère  Tihurce 
Sé'bastiani  (I78G-1871)  fut  dépuli'  (1828)  et  pair  de  France  (1837). 


92  UNE  ANCIENNE  iVlUSGADINE 

On  s'arraclio  Bernard  Polocki.  On  dit  votre  amie 
éprise,  jalouse,  désolée.  Elle  a  fait  un  petit  drame  où 
l'on  pleure  beaucoup  et  une  très  jolie  dédicace  à  un 
ami  absent.  J'ai  cru  que  c'était  vous.  Mais,  baste,  on 
n'a  d'amis  absents  que  les  marécbaux,  ducs,  etc. 
Ainsi  c'est  à  Raguse^  à  qui  la  pièce  et  la  préface  sont 
adressées. 

Votre  frère  va  bien  et  se  bat  encore  mieux.  Il  n'est 
plus  spabi,  il  est  cbasseur,  et  il  aura  un  colonel  ami 
iiiLiinc  de  La  Rue.  Je  perdrais  mes  peines  à  me  tant 
intéresser  aux  spabis  l'éguliers. 

Le  Capitule,  malgré  tout,  ne  croulera  pas.  Ce  n'est 
pas  une  spéculation,  c'est  une  affaire  d'opinion.  Cba- 
cun  s'y  ruine.  Les  journaux  juste  milieu  ne  vont  pas 
mieux.  Ils  ont  leur  bassesse  en  caisse  pour  tout  capi- 
tal. Coste  e.st  ruiné,  la  fortune  de  sa  femme  y  passera 
en  grande  partie.  Il  a  vendu  aux  délégués  des  colo- 
nies, se  réservant  seulement  sa  petite  subvention  du 
roi  des  Belges,  laquelle  est  mignonne.  Personne  ne  le 
louerait  à  si  bon  marcbé.  Il  a  raison  de  garder 
Coste. 

Le  beau  \Yale\vski  -  et  son  Messar/ri'  font  aussi  capo. 

*  Marmont,  duc  de  Ragusc  (1774-1852),  aide  de  camp  de  Bonaparte 
en  Italie,  général  île  division  en  1800,  duc  de  Raguse  en  1808,  maré- 
chal de  France.  180'J,  pair  do  France  sous  Louis  XVIII,  major 
général  de  la  garde  du  Roi  pendant  la  deuxième  Restauration,  com- 
mandant des  troupes  royales,  juillet  1830.  «  Séduit  par  fjuel(|ues 
succès  d'école  jadis  obtenus  par  Marmont,  l'Empereur  supposait  à 
ce  maréchal  des  talents  militaires  que  sa  conduite  à  la  guerre  ne 
justifia  jamais.  »  Baron  de  ]SIarbot  (Mémoires). 

*  Le  maréchal  de  Castellane  dit  de  Walewski  (1810-1868)  : 
«  M.  'W'alewski,  qui  est  fils  de  l'Empereur  et  d'une  Polonaise, 
M»"»  Walewska,  est  un  des  jeunes  gens  les  plus  à  la  mode  parmi  ces 
dames:  il  a  de  beaux  yeuv,  il  est  pâle,  il  a  un  cercle  de  barbe 
autour  du  visage,  suivant  la  mode  actuelle  de  quelques  personnes  ». 


FORTUNEE  IIAMELIN  93 

Le  journal  cl  sa  comédie  et  sa  maiLresse  et  sa  jolie 
maison  rue  Blanche  el  ses  dîners,  tout  cela  a  vile  mis 
lin  à  ses  pauvres  50.000  francs  de  rente.  Le  Messa- 
ger est  en  vente,  la  maison  est  vendue  pour  rien  et 
la  maîtresse  le  serait  si  elle  trouvait  acquéreur. 
Walewski  va  partir  pour  retrouver  une  héritière 
ang-laise;  il  va  voir  Joseph  comme  l'enfant  prodigue. 
On  pardonne  les  sottises  d'argent,  elles  ont  presque 
de  la  grâce  avec  la  jeunesse,  la  beauté,  un  sang 
illustre...  Mais  l'oublier,  ce  sang,  fléchir  devant  les 
veaux,  qui  ne  sont  pas  môme  d'or...  ali  I  fi  !  c'est 
misérable. 

M"*"  Hariett  Dorsay  est  la  belle  à  la  mode.  Elle  a 
tout  enlevé  à  Rondeau,  même  Antonin  de  Noailles^,  le 
très  beau  neveu  d'Edmond.  M"°  Dorsay  est  plus  chère 
(jue  Rondeau,  à  huiuelle  il  ne  reste  pour  capitaliste 
et  cavalier  que  Montrond,  qu'elle  rend  imbécile  de  fou 
qu'il  était.   11  lui  donne   tout  l'argent  que  le  roi  lui 


[Journal,  II,  318,  anace  iS3Û).  En  luars  ISiO  (t.  ill,  2L2j  il  éciiL  :  «  Un 
des  lions,  M.  Waluwski,  lils  do  l'Empereur,  est  à  la  modo  depuis 
tiuinzo  ans  ;  il  a  mangé  la  plus  grosso  partie  de  sa  fortune  ;  il  achève 
de  se  ruinur  avec  le  journal  le  Messager.  C'est  un  ami  de  M.  Thiers.  » 
Nettement  [op.  cit.)  classe  le  Messager  parmi  les  journaux  qui  défen- 
daient l'opinion  dynastique.  (Le  Moniteur,  le  Moniteur  Parisien,  le 
Siècle,  la  l're.'ise,  le  Globe,  etc.)  (Cf.  Véron,  Mém.  d'an  Bourgeois  de 
Paris).  Walewski  avait  l'ait  jouer  au.x  Français  avec  un  grand  luxe 
d'ameublement  VEcole  du  Monde  [La  Coquette  sans  le  savoir),  8  jan- 
vier 1840  et  les  Dandys.  Ana'is  Aubert  et  Raoliel  se  disputaient  le 
cœur  du  jeune  écrivain  homme  du  monde,  ijui  devait  plus  tard 
devenir  ministre  des  All'aires  élrangères. 

Le  Messager  acheté  on  1837  par  Walewski  avait  appartenu  à 
j\l.  Aguado.  Tiiéophile  Gautier  disait  dans  la  Presse  (li<4U)  à  propos 
de  l'Ecole  du  Monde  :  «  Illustres  gentilsliommes,  lions  à  tous  crins, 
très  précieux  fasiiionahles,  il  vous  mantiue  d'avoir  soull'ert.  » 

'  Antonin-Glaude-.Iuste  de  Noailles,  né  en  1777,  second  fils  du 
prince  de  Poix,  avait  épousé  Honorine  de  Tallcyrand-l'érigord,  nièce 
du  prince  de  Talleyrand. 


91  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

donne  pour  ses  conseils  politiques  et  cet  arg-ent-là 
est  encore  le  mieux  employé.  Vous  aurez  vu  la  belle 
Virvouste  de  M.  Thiers.  Ceci  était  fort!  Mais  quelle 
])ètise,  quel  nez  court,  quel  petit  homme!  Tout  le 
monde  en  a  été  ébahi,  Treclii  même  suffoque.  Moi 
seule  j'ai  ri  et  vraiment  triomphé,  car  je  l'ai  jugé 
ainsi  et  sachant  les  pleurs,  la  rage  de  la  femme,  de  la 
mère,  sachant  les  besoins  de  dépenses  et  d'argent,  je 
m'étonnais  seulement  qu'il  tarde  tant.  La  bombe  a 
crevé.  Elle  n'a  surpris  que  les  niais.  Le  joli,  c'est 
qu'il  n'avait  que  des  paroles  vagues  et  rien  de  conclu; 
il  s'est  trop  pressé,  il  attendra  encore. 

Moi  j'attends  le  printemps  pour  retrouver  ma 
cabane  et  mes  bois.  Je  m'arrangerais  du  10  mars  et  je 
repartirais  avant  même  si  j'avais  terminé  (juehjues 
petits  arrangements. 

Je  n'ai  pas  de  nouvelle  ni  de  réponse  d'Hortense. 
Celte  pauvre  fille  serait-elle  malade  ou  maliieureuse? 
En  vérité  j'en  suis  incjuiète.  Personne  ici  n'a  de  ses 
nouvelles. 

Edmond  n'est  qu'un  enfant  pour  la  dépense,  le 
désordre  près  de  sa  cousine  Desclignac'.  Elle  a  pris 
un  train  de  reine,  concerts,  dîners  exquis,  loges,  toi- 
lette enragée.  Je  souhaite  que  cela  dure,  car  elle  est 
malgré  tout  gentille,  assez  spirituelle  et  fort  attachée 
à  ceux  qu'elle  aime,  à  Edmond  par  exemple.  Embras- 
sez-le pour  moi,  ce  bon  Edmond.  Lisez-lui  quelques- 
unes  de  ces  billevesées  qui  sont  écrites  à  son  intention. 

Adieu  ami. 

'  Gcorginc  (1801-186S),  fille  du  baron  Boson  de  Tallcyrand-Péri- 
gord,  Ifoisiùiiic  Irère  ilu  prince  de  Talleyrand  et  de  Gliarlulte-Louise 
de  l'uissigaeux,  avail  éiiousé  le  duc  d"Esclignac. 


FORTUNEE  IIAMELIN  93 

La  Madclaine,  18  juin  1810. 

Il  n'y  a  plus  rien  à  dire  de  Bertrand  après  les  forti- 
fications', car  il  est  imbécile  et  fou. 

Vous  êtes  décidément  orléaniste.  Dernièrement  je 
vous  ai  cru  même  valétiste,  car  vous  avez  voulu  nous 
prouver  que  la  campagne  n'était  pas  si  mal  faite,  nos 
pertes  si  grandes,  etc.  Je  connais  les  petits  chemins 
que  le  colonel  vous  fait  parcourir.  Vous  savez  que  je 
l'aime  lui,  en  nous  arrêtant  net  devant  les  opinions 
et  approuvant  en  bloc  les  motifs. 

Des  affaires  pénibles  et  par  conséquent  bien 
ennuyeuses  me  ramèneront  à  Paris  mercredi  soir.  Je 
quitte  mon  bivouac  avec  déchirement  de  cœur.  Toutes 
les  innocentes  prospérités  pleuvent  à  la  Madelaine, 
les  fruits  rouges  y  sont  exquis  et  si  abondants  que  je 
manque  de  voisins  à  qui  les  offrir.  J'ai  vendu  mon 
foin,  devinez?...  100  francs.  Il  se  prépare  des  cocagnes 
de  poires,  pommes  et  raisins.  A  Paris  je  vais  me  dis- 
puter avec  des  rapaces  qui  m'ont  tout  pris  et  veulent 
le  reste...  Je  verrai  le  pavillon  déchiré  sans  ressources 
etMontrond  le  quitter  comme  une  auberge  dont  l'hô- 
tesse n'était  pas  trop  chère;  et  cette  amitié,  j'y  ai  cru 
en  vérité  pendant  quarante  ans  !  Enfin,  je  déménage 
pour  prendre  la  fin  du  bail'  de  Montrond  qui  est 
encore  de  quatorze  mois...  Puis...  à  la  grâce  de  Dieu! 

Ne  m'écrivez  plus  à  moins  de  pressantes  choses.  A 


'  La  question  des  forlificalions  de  Paris  passionnait  la  Cour  et  la 
Ciianibre.  (Ci',  ^iielicl  Ciievalier.  Les  Forlilication  do  Paris  1841  in-S°). 

'  Le  bail  de  Montrond.  On  verra  plus  loin  les  diriicultés  judiciaires 
qui  s'élevèrent  au  sujet  de  la  succession  du  comte  de  Montrond. 


'Jtj  UNI::  ANCIENNE  MCSGADLNE 

inoii  rrloLir.  nous  engagerons  M.  do  La  Une  ù  venir 
l'aire  ici  une  petite  campagne  d'Afrique. 

Nous  avons  une  nouvelle  vapeur  tellement  adorable 
que  si  on  voulait  se  dire  un  mot  important,  se  faire 
une  visite  de  trente  minutes,  on  peut  partir  de  Paris 
à  sept  heures,  arrivera  Samois  à  deux  heures  et  demie 
et  repartir  à  trois  iieures  pour  être  à  Paris  à  huit  heures 
et  aller  vite  à  Franconi  voir  M""  de  Valençay  et  toutes 
les  belles  cocottes  de  la  ville.  Ainsi  on  aurait  fait 
trente  lieues  de  terre,  soixante-dix  d'eau  claire  en 
treize  heures  pour  neuf  francs  (car  elle  est  moins 
chère  que  les  autres),  puis  les  omnibus  passent  au 
pied  des  jardins  ou  prairies  ;  on  fait  arrêter  et  on  n";i 
qu'à  monter.  Convenez  que  c'est  délicieux,  ex(juis, 
comme  dit  Antonia^  toujours  plus  amoureuse).  Je  lui 
ai  persuadé  (|ue  \ous  lui  u\iez  écrit  et  vraiment  elle 
s'appli(}ue  plus  pour  apprendre  à  lire.  Souvent  je  me 
trouve  criminelle  d'élever  si  bien  cet  enfant.  Que 
puis-je  lui  laisser  que  l'horreur  et  le  dégoûtdes  siens  "? 
Le  bien  est  souvent  bien  mauvais. 

Notre  bateau  se  nomme  Ville-de-Corbeil.  Il  est  moins 
lourd,  moins  cher  et  plus  rapide  que  les  autres,  puis, 
s'arrêter  devant  nous,  n'est-ce  pas  galant? 

Jeudi  10  octobre  1S40.  La  Md'lelainc. 

Cher  ami,  je  suis  toute  consternée  de  la  pâleur  du 
discours  de  notre  prince'.  Quelle  insignifiance  de 
choses  rcbalUies  !  Puis  rien  sur  les  immortels  regrets 

'  i'our  tlislrairc  sa  viuillcssc,  H'^'  liaiuulin  avait  pris  avec  clic  uue 
iillelte,  appelée  Tony,  dont  oUc  parlera  souvent. 

*  Le  prince  Louis-Bonaparte.  Sou  procès.  (Tliuruau-Dangiu.  //(5- 
loire  de  la  Monarchie  de  Juillet}. 


L   .TTC  /-^  '/:^/c^.^^.o  7^..^.,./^^^ 


FAC-SIMILE    d'une    LETTRE     DE    MADAME     HAMELIN 

(10  octobre  1840.) 


FORTUNÉE  IIAMELIN  97 

de  la  France,  sur  son  abaissement  devenu  dérisoire 
depuis  Juillet,  rien  sur  le  duc  de  Reiclistadt,  rien  sur 
cette  loi  barbare  qui  prend  toute  une  famille  en  Iiolo- 
causte  parce  que  son  sang-  a  donné  à  la  France  un 
liéros  immortel. 

Comment,  ce  jeune  iiommc  qui  donne  sa  vie  à  tous  les 
enjeux  recule  devant  une  chambre  de  renégats!  C'est 
inouï  !  Qui  donc  a  paralysé  cette  défense  ?  Sonl-ce 
des  traîtres  encore?  Berryer  ne  voyait  pas  ainsi 
lorsque  nous  en  avons  causé.  S'agissait-il,  bon  Dieu, 
d'une  condamnation  plus  ou  moins  douce  ?  Qu'est-ce 
que  cette  impuissante  condamnation  près  d'une  grande 
circonstance  manquée  ?  Je  suis  désolée. 

Vous  devez  bien  penser  que  j'ai  été  et  suis  encore 
malade.  Mes  anciennes  crises  m'ont  accablée  encore 
et  maintenant  la  lièvre  les  suit  trois  à  quatre  jours. 
Je  vais  mieux  ce  matin  et  j'espère  arriver  samedi. 
Tâchez  de  venir  un  moment  le  soir. 

Notre  belle  Madelaine  a  été  bien  désorganisée.  La 
vapeur,  les  voitures,  les  ânes  même  arrêtés  par  la 
bonne  raison  qu'on  se  défait  de  tout  ce  qui  mange 
du  fourrage.  La  crème  qui  en  mange  a  manqué;  et 
sur  tout  cela  des  tempêtes  horribles.  Un  de  ces  jours 
de  déluge,  nous  nous  sommes  avisées,  M"'°  de  Sailly 
et  moi,  d'aller  courir  les  bois.  Elle  voulait  voir 
Saint-Aubin,  bâti  par  M"'^  deMaintenon.  Nous  avons 
été  bien  punies  de  nous  croire  de  vigoureuses  jeunes 
femmes.  Elle  a  été  gravement  malade  et  moi  je  n'en 
suis  pas  quitte  encore. 

Ce  reitre  de  Monlholon  '  a  été  le  plus  bète  de  tous 

'  Montbolon  (l7S3-18o3),  avait  accoinpagntj  rEiupt-reur  à  Sainte^ 
Ilélono.  Apres  1830,  il  sollicita  sa  roinlcgration   dans  rarniée  ;  son 


98  U'SE  ANCIENNL;  MUSCAUlNi: 

sans  comparaison.  Voilà  les  liommes  sans  honneur, 
les  contloUieri  modernes,  les  li-aîlres  ne  sont  pas 
mêmes  braves.  Fùl-il  rien  de  si  slupide  (|u'un  \  ieux 
compagnon  de  Napoléon  se  faisant  faii'e  un  uniiorme 
pour  alli'r  à  un  bal  où  la  haute  société  devait  se 
rendre!  Làclie  !  11  fallait  dire  :  «  Napoléon  nTavait 
fait  jurer  de  suivre  son  héritier  s'il  tentait  de  recou- 
vrer ses  droits  légitinies.  »  Et  c'était  un  homme 
réhabilité.  Je  reviens  malgré  moi  sur  leur  défense  car 
elle  me  brise  le  cu-ur. 

A-t-on  des  nouvelles  de  l'iirureux  cou[)le  toscan'? 
Ils  sont  ivres  de  joie  et  vont  passer  l'hiver  à  Naples. 
Je  m'étonne  qu  Edmond  n'ait  rien  écrit.  J'ai  bi(Mi 
envie  de  vous  voir.  11  marrive  quelques  meubles. 
Octobre  sera  beau  et  j'espère  vous  ramener.  J'ai  lu 
des  accusations  fort  injustes  sur  des  marchés  de  che- 
vaux qui  ont  été  faits  au  rabais  et  dont  personne  ne 
voulait.  Mais  en  définitive,  ce  vaillant  a  mieux  au 
que  tous  et  fait  des  bénéfices  de  plus  de  lUO  francs 
par  cheval. 

A  l'audace  les  succès. 

La  Madelaine,  10  oclobre  1840. 

11  y  a  huit  jDUi'S  j'écrivis  à  Treclii  juslenn-nl  le 
nouvel  itinéraire  pour  m'ai'river,  le  priant  de  vous 
envover  cette  lettre,  il  m'a  réj)ondu  mille  cajoleries 


nom  ayant  figure  il8-l0)  avi-c  le  litre  île  cliel'  d'elat-inajor  au  lja.s  de 
ta  proelaiiialion  de  Louis-Napoléon  lors  do  l'écliaulfourée  de  Bou- 
lo,'.;ne,  Montiiolon  l'ut  condamné  par  la  Chambre  des  pairs  à  vingt  ans 
i!f  détention  ot  enl'eniié  avec  le  i)rinie  au  cliâleau  de  llaiii  ;  il  en 
sortit  après  l'évasion  de  Louis-Napoléon. 
'  Anatole  DemidofFet  sa  femme. 


FORTUNÉli  IIAMI-LLIN  9'j 

sur  cetlo  loUrc.  (jui  serait  une  petite  lorluiie  si  je  vou- 
lais, et  l'a  tait  iii"(^  à  d'autres  que  vous  prohaltlenient, 
car  vous  ne  niedeinanderiezpasccque  je  vous  donnais. 
Cette  nouvelle  route  est  une  suite  de  Teniers,  c'est 
la  nature  verte  encore,  mais  ivre  des  vendanges;  la 
vapeur  traverse  tout,  vit  avec  tous  ces  charmants 
cottages.  C'est  un  million  de  fois  plus  joli  que  tout  ce 
(jue  l'Angleterre  ollVe  de  joli,  surtout  par  la  variété 
infinie  des  aspects,  et  ce  mot  variété  n'existe  pas 
dans  l'empire  l)ritaimi(|ue,  mais  ils  t'ont  bien  les  traités 
et  paraissent  encore  plus  habiles  que  Pailiasse'^  Tal- 
leyrand.  Donc,  on  arj-ive  à  Corbeil,  on  traverse  à 
l'instant  le  dernier  champ  de  bataille  choisi  par  Napo- 
léon pour  défendre  sa  France,  l'on  admire  cette 
admirable  position,  unique  en  France,  dit-on,  avec 
laquelle  il  pouvait  reformer  son  armée,  délier  l'Eu- 
rope, puis  l'attacjuer  et  la  vaincre  encore.  (Rag'use 
donne  cjuittance  pour  solde)  et  ma  foi,  ce  compte  est 
bon  pour  eux.  Bon  Dieu  !  après  ce  terrible  spectacle 
des  plaines  d'Essonne,  vous  traversez  les  belles  futaies 
de  Fontainebleau  et  vous  voilà  à  la  Madelaine  devant 
une  matelotte  ou  des  perdreaux;  aujourd'hui  c'était 
un  grand  lièvre,  surtout  un  feu  d'enfer  ramassé  dans 
tous  les  coins  et  pétillant  à  brûler  les  jupes.  Le  néces- 
saire est  de  ne  pas  arriver  deux  à  la  fois,  voilà  pour- 
(|uoi  j'écrivais  à  Trechi  de  vous  entendre. 

'  iJ'uu  mot  M'""  Uaiiiolin  jugcïalleyraiid  donl  Monlroml  — anii  (1b 
l'ancienne  Merveilleuse  —  avait  été  le  conlidont  politiijuc  et  privé. 
Gliàlcaubriand  avait  dit  avant  elle  :  o  Quand  M.  de  Talleyrand  ne 
conspire  pas,  il  trafique.  »  N'oublions  pas  cependant  qu(î  M'»"  Ha- 
niçlin  avait  assisté  aux  réceptions  de  l'hôtel  de  la  rue  Saint-Florentin 
sous  le  Directoire  et  ([u'Ouvrard  était  avec  le  prince  de  Bénévent 
lorsqu'il  fut  arrêté  cIhîz  M'""  llarnelin.  F.  Loliée-Tallcyrand  et  la 
Société  Française.  Ktnile-Paul,  l'JlO. 


100  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

M"""  de  Sailly  est  établie  dans  mon  voisinage  et  me 
tient  au  collet  pour  aller  chez  son  frère  où  il  y  a  un 
monde  de  curiosité  :  Tabbé  de  Lamennais,  Rachel,  les 
Musset,  Liszt,  que  sais-je  !  Vingt  personnes  et  son 
lils  qui  devient  aussi  aimable  et  poli  que  son  père. 
Tout  cela  était  ici  vendredi  s'arrangeant  gaiement  de 
ma  misère  et  emportant  mes  serments.  Je  serai  de 
retour  vendredi  soir.  J'écrirai  encore  s'il  y  avait 
changement. 

Ce  matin,  M'""  Kisselefï  était  peinée  des  paroles 
injustes,  ofïensantes,  dites  par  vous  sur  le  général 
Wuith,  son  frère  de  mère.  Elle  vous  expliquera  toute 
sa  vie,  sa  carrière.  Il  aimait  le  feu,  mais  elle  dit 
gaiement  :  «  Le  feu  d'Austerlitz,  ma  chère,  personne 
ne  l'a  aimé,  ils  n'ont  rien  à  se  reprocher  tous,  car 
tous  ont  fui,  lui  comme  les  autres.  »  Songez  qu'Aus- 
terlitz  était  la  gloire  du  glorieux;  Mars,  Alexandre, 
César,  Napoléon  le  jour  de  leur  apogée  !  Qui  diable  y 
résisterait,  dit  Basile!  11  faudra  changer  vos  lignes 
dans  ce  sens.  Cela  sera  la  vérité  et  ne  blessera  pas 
une  amie  que  j'aime  vraiment.  Vous  en  causerez  en 
détail  avec  elle  et  ces  détails  qu'elle  donne  sont  fort 
intéressants. 

Votre  lingère  me  fait  horreur.  C'est  une  chute 
honteuse  et  dont  je  ne  veux  pas  rire.  A  bientôt.  Vous 
ne  deviez  pas  repousser  les  avances  des  Capitoliens. 
Quel  triste  Machiavel  vous  êtes  !  Vous  savez  mes  con- 
seils, mes  vœux,  suivez-les  donc. 

La  ^ladclaino,  21  oclobrc  1840. 

Cher  ami,  voici  encore  un  petit  changement.  Ber- 


FORTUNÉE  HAMELIN  101 

ryer  est  forcé  de  revenir  du  24  au  25  et  nous  écrit 
des  injures  et  des  prières.  Nous  partons  demain  jeudi 
pour  revenir  samedi  soir  24.  J'envoie  le  môme  avis 
à  Trechinette.  Ainsi  dimanclie  le  plus  brave  arrivera 
le  premier.  Puis  je  rentre  et  ajourne  en  novembre  le 
voyage  à  Cbâleaugaillard. 

Aux  nominations  on  croirait  à  la  paix.  Monlrond 
mène  Cubières  haut  la  main.  Faire  couvrir  nos  armées 
par  des  généraux  qui  n'ont  jamais  commandé  une 
compagnie  !  Attendre  le  jour  échu  de  l'ordonnance 
de  deux  ans  !  Enfin,  ils  s'en  donnent  à  co^ur-joie  de 
la  France,  du  budget  !  Tout  ce  qu'on  voit  dépasse 
tellement  ce  qu'on  a  vu  qu'on  ne  trouve  plus  d'ex- 
pressions pour  peindre  une  si  lâche  apathie  et  des 
maîtres  si  grotesques  ! 

La  Madelaine,  £6  octobre  ISiU. 

Le  déménagement,  la  rente,  le  cher  M.  Thiers 
tiennent  mon  ami  Trechi  enchaîné  aux  boulevards.  Je 
ne  me  plaindrais  pas  si  vous  l'aviez  remplacé, 
puisque  ma  misère  ne  me  permet  pas  d'offrir  deux 
lits  (encore  celui  que  je  donne  n'est-il  pas  fameux!) 

Ah!  cher!  quels  lits,  quels  dîners,  quelles  divines 
tourelles,  quel  bon  accueil  nous  venons  d'avoir  chez 
Berryer*  !  J'en  suis  toute  émue,  non  certes  du  confort, 

*  Sur  Augcrvillo  et  les  visites  quy  recevait  Borryer  on  consultera 
avec  fruit  le  livre  de  Soiivenir.i  de  Caroline  Jauhevl  qui  raconte, 
ainsi  que  Sainte-Beuve  {Cahiers),  avec  quel  esprit  M""  llainolin  amu- 
sait ses  auditeurs.  C.  Jauliert  cl  Sainte-Beuve  relatent  l'hisluire  du 
serin  de  M"»  Bécamier,  dont  iM'""  llainelin  parlait  avec  un  art  evquis. 
C'était  la  parodie  dfs  amours  de  la  Belle  .luliette.  Les  adorati-urs 
de  iM™"  Récamier  (Haicnt  appeN'-s  à  Augerville  lus  moines,  les  enqlnés 
de  TAbbaye-au-Bois.  Sur  l'esprit  de  l-\   llanielin  dans  la  conversa- 


102  UNK  A^■CIE^•^T.  MUSCADINE 

mais  de  ces  fins  de  soirre  où  nous  millions  le  maître 
à  sa  tribune  familière,  d'où  découlaient  si  gaiement, 
si  noblement  cent  mille  liistoires,  mots  charmants, 
scandales  adorables,  politique  sublime!  Cet  homme  a 
le  plus  d'esprit  de  France,  et  par  conséquent  c'est 
son  plus  patriotique  citoven.  Plus  on  a  d'esprit,  plus 
on  aime  son  pays.  Voyez  l'Empereur.  Animée  par 
tant  de  ilainmc  que  je  voyais  ])étiller  devant  moi.  mon 
ancienne  gaieté  m'a  ressaisie  et  j'ai  rendu  la  balle  au 
maître  avant  tant  d'afTection,  de  bonne  humeur  et 
d'audace  qu'il  me  dévorait  de  contentement.  A  mon 
départ  il  y  eut  vraiment  des  effusions  d'amitié,  des 
serments  demandés,  accordés.  J'étais  toute  enivrée 
de  semblables  suifrages,  puis,  pour  me  rappeler  à  mon 
humilité,  j'ai  jiianqué  verser  dans  mon  coucou. 
Arrivée  dans  ma  masure,  je  n'ai  rien  vu  venir  de 
Paris.  Hier  j'avais  pourtant  une  matelotle  délicieuse, 
exquise  selon  le  goût  de  Tonie.  M"*''  Kisseleff  est 
venue  savoir  où  en  était  mon  intervention  sur  la 
mémoire  de  son  frère.  Point  de  réponse,  point  de 
voyageur.  Vous  n'avez  pourtant  ni  rente  ni  pleurs  à 
sécher! 

Est-ce  que  M.  Tliiers  se  croit  un  patriote  battu  par 
un  tyran?  (ja  me  paraît  le  combat  de  deux  poltrons, 
dont  le  moins  sot  emporte  du  moins  ses  forteresses. 
Dieu  !  que  c'est  noble  et  joli  tout  ce  qui  se  passe  en 
France!  IMais  où  se  cache  donc  la  France?  Dans  le 
golfe  de  la  Spezzia  comme  sa  Hotte. 

tion,  voir  aus.si  un  roinarqualjle  ailiflo  de  M'""  P.  do  Saman  (llor- 
tensc  Allartde  Méritons)  dan.s  les  Xouceai/.r  Enchanlemenls.  «  C'élail. 
suilnut  par  l'esprit  que  brillait  M"'«  Uamclin  ;  elle  n'était  pas  seu- 
lement spirituelle,  elle  était  l'esprit  uiènio  ».  Comte.«se  de  Bassanviile 
(Lp,*  Suions  cl' Autrefois,  t.  II). 


FORTUNI'E  IIA^n.LIN  40:i 

Voulez-vous  bien  aller  renouveler  mon  abonnement 
à  la  Reçue  Parisienne  \  rue  du  Croissant  même, 
Hôtel  Colbert  et  non  cbez  ces  gueux  de  libraires. 
Allez  vite,  ça  coûte  3  fr.  lo  pour  la  campagne  et  ils 
doivent  être  assez  amusants.  Pardon.  Encore.  Si  vous 
venez,  faites  demander  à  M.  Bernlieim  s'il  n'a  pas  de 
lettres  pour  moi.  11  doit  être  revenu. 

Nous  avons  du  soleil.  .M""  Fodor  couve  un  rossignol 
de  la  foret  qui  cadence  et  file  les  sons  déjà  comme 
Ijuic  Persiani.  Nous  avons  été  l'entendre.  Par  malheur 
le  plumage  ne  répond  pas  au  langage,  mais  tout 
passe  à  la  scène  et  la  voix  est  magnifique. 

Edmond  est  un  nigaud  de  ne  nous  rien  écrire  du 
mariage  qui  occupe  tant  les  lingères  de  Paris.  Il  est 
plus  nigaud  encore  de  n'avoir  pas  suivi  mes  avis 
pour  sa  direction  d'affaire.  Le  plan  de  Berryer  alors 
était  de  se  confier  et  de  s'entendre  avec  rarchevêque 
de  Paris  pour  forcer  la  Duchesse^  par  lui  à  traiter 
honorablement  un  mari  (|ui  lui  avait  épargné  à  elle  le 
scandale,  l'exil  quelle  aurait  eu  d'un  autre.  Mainte- 
nant tout  est  perdu.  Il  paraît  qu'elle  ose  proclamer  sa 
fortune,  elle  est  énorme  et  après  avoir  promis,  juré, 
elle    rétracte    la    promesse    de    garantir    seulement 

'  Il  s'afïit  certainement  ici  de  la  Revue  Parisienne,  dirigée  par 
^I.  de  Balzac,  éditée  à  Ijfu.xelles  ciiez  .Jamar,  8,  rue  de  la  Régence, 
1840.  Elle  contenait  les  Fantaisies  tle  Claudine  iBalzac),  des  l.ellres 
parisiennes  e\  russes  (sur  la  littérature,  le  théâtre  et  les  arts)  adres- 
sées à  M""^  la  comtesse  K...  L'introduction  portait  ravertissoment 
suivant  :  «  La  Revue  l'arisienne  a  pour  objet  de  donner  la  ciiro- 
nir[ue  réelle  des  affaires  publiques  en  la  dégageant  des  nuages  dans 
les(iuels  l'enveloppe  la  phraséologie  hypocrite  des  débats  quotidiens. 
La  critique  littéraire  manquait  également  de  sincérité,  nous  avons 
pensé  qu'il  était  nécessaire  de  la  faire  marcher  parallèlement  avec 
la  criti([ue  poliliquc.  » 

-  La  duchesse  de  Dino,  l'i^mnie  dljlniond  de  Talleyrand-l'érigord, 


104  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Edmond  pour  vingt  ans  cl  on  cas  de  mort  do  continuer 
ces  vingt  ans  une  rente  de  21  000  francs.  Qu'est-ce 
que  cette  éventualité  pour  elle  !  C'est  pitoyable. 

Adieu,  ami  très  singulier. 

Dimanche  à  minuit.  La  Madelaino.  8  novoml)rc  4840. 

Je  vais  vous  coûter  six  sous,  mais  vous  ne  les 
regretterez  pas,  j'espère.  C'est  aujourd'hui  seulement 
que  M*""  Labiche  m'a  renvoyé  la  brochure.  Je  l'ai  lue 
d'une  traite,  sans  la  lire  vite  ni  pouvoir  la  quitter. 
J'en  ai  été  enchantée  et  grandement  surprise.  Ceci 
est  une  œuvre,  un  bel  écrit  qui  plaira  à  tous  les  grands 
et  beaux  esprits.  C'est  un  beau  spectacle  que  cette 
étude  de  Napoléon  par  de  nobles  jeunes  gens'  et  ce 
vrai  amour  du  pays,  si  désintéressé,  doit  plaire  môme 
à  ceux  qui  le  traitent  de  duperie. 

Le  style,  quoique  un  peu  néglig-é  par  quelques  cons- 
tructions gauches,  est  simple,  clair,  vivace  et  tout  à 
fait  adapté  à  ce  genre  rapide.  Je  n'aime  pas  les  mots 
nouv'eaux,  il  n'y  en  a  pas  un  seul,  et  si  on  réformait 
anxieuse^  ce  serait  sans  tache.  Je  n'aime  pas  trop  que 
vous  disiez  aux  ennemis  «  qu'ils  n'étaient  pas  au  tiers 
en  94  de  ce  qu'ils  étaient  en  1813,  qu'ils  seraient 
arrivés  sans  cette  faute  pour  étrangler  la  révolution 
au  berceau.  »  Ce  sera  amèrement  critiqué,  quoique  ce 

'  Le  correspondant  de  M'""  Ilamolin,  M.  G...  avait  écrit  une  Élude 
sur  Napoléon  pour  lequel  il  pariageail  le  culte  de  l'ancienne  Mer- 
veilleuse ([ui  lui  adressait  quelques  jours  après  le  ijciit  Lillet  sui- 
vant :  «  C'est  spirituel  et  fier.  Mais  le  style  est  absolument  trop 
négligé,  familier,  heurté.  11  faut  être  duc  de  Saint-Simon  pour 
écrire  tellement  en  gentilhomme.  Nous  relirons  ensemble  des  choses 
qui  font  sauter  en  1  air.  Mais  le  difficile,  ce  qui  ne  se  corrige  pas 
d'un  Irait  est  très  bien,  très  haut  »  (Lettre  inédile). 


FORTUNEE  HAMELIN  10?î 

soit  (le  toute  vérité,  car  tout  est  vrai  dans  cet  aperçu 
et  cette  forme,  ce  sujet  et  cette  discussion  est  votre 
vocation  de  talent,  parce  que  lorsqu'on  est  né  pour 
un  genre  on  y  débute  haut  et  ferme,  ainsi  que  vous 
venez  de  faire. 

Je  ne  conçois  pas  Trechi  qui  est  vraiment  iiomme 
d'esprit  et  d'honneur  de  ne  m'avoir  pas  dit  un  mot 
sur  cet  oiivraçe.  Il  ne  l'aura  pas  lu,  car  le  ton  seul 
l'eût  frappé.  Mais  a-t-il  le  temps  de  lire?  Connaissant 
sa  politesse,  son  silence  m'a  fait  croire  que  la  hro- 
chure  était  détestable  et  j'ai  à  peine  osé  en  parler 
pour  n'embarrasser  ni  lui  ni  vous.  Sans  l'aimable  tour 
de  M""^  Labiche,  le  silence  eût  été  rompu  par  des 
félicitations  du  cœur,  car  c'est  une  joie  de  cœur  pour 
moi  que  vos  succès. 

Le  discours  du  trône  est  curieux.  Du  moins  il  ne 
fait  pas  le  fanfaron,  celui-là. 

Je  suis  fâchée  que  vous  ne  m'ayez  pas  lu  l'ouvrage 
plus  tôt.  J'en  eusse  parlé  à  Berryer  qui  doit  l'appré- 
cier par  tous  les  motifs,  car  il  aime  le  talent  dans  les 
autres.  Je  vais  lui  écrire.  Voulez-vous  que  je  vous 
envoie  ma  lettre  pour  lui  ?  En  voulez-vous  une  pour 
un  envoi  à  M.  de  Chateaubriand?  Vous  avez  fait  une 
faute,  une  injustice,  en  parlant  des  médiocrités  pro- 
duites par  les  Chartes,  de  ne  pas  en  excepter  par  un 
mot  Chateaubriand  et  Berryer.  Le  premier  est  tils  de 
l'Empire,  c'est  notre  bon  despotisme  qui  l'a  fait  éclore. 
Mais  Berryer!  on  se  fait  par  un  mot  de  puissants  amis, 
et  enfin  tout  prêtre  doit  vivre  de  son  autel. 

Je  n'ai  pas  celte  Renie.  Elle  devrait  être  curieuse. 
Faites  faire  des  articles  sur  votre  ouvrage.  Continuez 
celte   pubhcalion.   Si   le  public  sentait  comme   moi. 


d06  UNE  ANCIENNE  MUSCÂDINE 

elle  vous  serait  ulile,  et  le  Caphole  y  aura  regret  et 
le  prince  consolation.  Mais...  quel  temps  ! 

Il  fait  un  temps  radieux  et  je  vous  ai  bien  regretté. 
Je  vous  demande  pardon  de  mon  liospitalité  d'auberg'e. 
L'été  prochain  j'aurai  deux  bons  lits  et  puisque  la 
noire  Belzi  '  ne  vous  fait  pas  peur,  je  compte  sur  de 
vrais  séjours  où  la  forêt  enchantée  ne  vous  laissei'a 
pas  manquer  de  nobles  inspirations. 

Envoyez  donc  celte  brochure  à  Balzac  avec  un  mol 
aimable. 

Labiche  vous  enverra  certainement  Sommer  pour 
le  coup  dY'paule.  Passy  aidera  Trechi.  Celui  qui 
viendra  de  sa  part  est  un  très  bon  et  aimable  garçon, 
très  riche,  créole  de  la  Louisiane,  dévoué  à  tous  les 
Berryer,  quoique  libéral  dans  le  genre  délicieux  de 
Trechi.  Un  créole  libéral,  c'est  vraiment  une  mons- 
truosité en  bêtise,  lesquels  libéraux  fouettent  leurs 
nègres  à  mourir.  Celui-là  se  laisse  taquiner  plus  gaie- 
ment ([ue  Ti'echi  et  Berryer  et  moi  nous  usons  de  la 
permission. 

Sans  dat(\  1840. 

Jai  été  bien  taquinée  du  retour  de  Berryer.  Il 
m'écrit  «  qu'à  Paris  les  vendanges  sont  faites,  que  le 
roi  a  tout  dans  ses  paniers,  et  qu'il  élève  une  statue 
à  Thiers  ».  C'est  juste.  Gardez  la  lettre  à  lacjuelle  là- 
propos  manquera,  mais  pas  les  occasions  de  retrouver 
Berryer. 

Lisez  celle-ci,  mettez-y  un  joli  cachet  de  cire  —  il 
aime  ça  — ■  et  portez-la  avec  carte  et  adresse,   vers 

'  M'""  Hamelin,  on  Ta  vu  jilus  liant,  iHait  rréolo,  comnio  Joséphine 
Ronapaite. 


FORTUNÉE  HAMELIN  107 

onze  heures  et  demie  il  y  est  ou  répond.  J'attacherais 
heaucoup  de  prix  à  ce  qu'il  fût  de  lionne  humeur  et 
vous  donnât  ses  idées. 

Trechi  a  vraiment  un  côté  du  cerveau  malade,  mais 
il  a  souffert  cinq  ans  pour  les  doctrines  dont  il  nous 
accahle.  C'était  l'apogée  de  IHl'i  à  1821.  Cela  ne 
l'empêche  pas  vraiment  d'être  fidèle,  délicat,  poli, 
tolérant,  car  lorsqu'il  crie,  il  ne  s'entend  pas  crier. 
La  société  actuelle  n'a  pas  encore  heaucoup  de  si 
honnêtes  gens  que  lui,  et  vous  le  hrusquez  trop,  non 
pas  de  langage,  mais  de  ton. 

Faites  donc  la  cour  à  M'"^  K...  Ca  vaudrait  mieu.x 
que  la  lingère,  en  vérité.  M.  Soulié,  le  patito  de 
M""'  Lahicht,',  ne  va  lâcher  ni  vous  ni  Trechi  que  le 
théâtre  ne  soit  ouvert.  Lahiche  recommencerait 
AI"'"  de  Valence  \  qui  disait  que  les  peines  de  ca}ur 
c'était  de  manquer  d'argent. 

La  dernière  note  de  Lord  Palmerston  est  le  comjjle 
de  la  dérision  et  de  l'outrage.  Ils  ne  laisseront  pas 
même  l'Egypte  au  pacha. 

Je  n'ai  pas  reçu  la  Revue,  a-t-elle  paru,  est-elle 
honne?  La  Presse  a  été  drôle  quand  elle  a  dit  «  que 
le  dévouement  des  amis  de  M.  Thiers  ne  les  avait  pas 
empêchés  de  se  mettre  tous  à  la  hausse.  »  Ainsi  l'in- 
fo i-l  une  Trechi  y  regagne  ses  pertes. 

Pourquoi  donc,  puisque  le  proci'S  du  prince"  a  été 

'  Fillo  (le  M'"-  de  Genlis.  Elle  avait  épousi'  M.  île  Vali'ncc,  iiov(>u 
de  M'"»  de  Montcsson.  M"'°  de  Valence,  d"après  Thiébault.  qui,  pour 
roj'dinaire,  nous  pai'aîl  avoir  une  assez  mauvaise  langue,  avait 
renchéri  sur  la  répulation  libertine  de  M'""  de  Genlis.  On  lui  repro- 
chait SOS  complaisances  pour  de  passagers  adorateurs.  «  Que  vou- 
lez-vous, cela  leur  fait  tant  de  iilaisir  et  nie  coûte  si  peu  !  »  (Thié- 
bault. Mémolrex,  111,  182i. 

-  Le  iirincc  Louis-Napoléon  Bunaparle. 


*08  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

liquidé  à  4  SOO  francs,  qu'on  lui  en  a  rendu  4  000,  n'a- 
t-il  pas  envoyé  à  Berryer  une  seule  marque  d'Iion- 
neur,  de  souvenir  !  C'est  en  prendre  trop  à  son  aise. 
Les  gens  de  son  parti  lui  arraclient  tout  et  il  ne  trouve 
pas  une  ressource  pour  se  conduire  en  gentilliomme 
vis-à-vis  d'une  autre  opinion  ilont  la  défense  l'a  fort 
grandi.  C'est  mal  et  maladroit. 

s.  d. 

Tout  va  bien,  on  est  généralement  satisfait  dans 
le  département,  mais  M.  Tliiers  a  trop  d'esprit,  il  ne 
peut  pas  vivre. 

J'ai  si  bien  manœuvré  que  j'éviterai  tous  ces 
admirables  qui  étaient  comme  entassés  chez  Berryer. 
Nous  n'irons  que  lundi  2")  pour  en  revenir  avec  lui 
le  27.  Ainsi  venez  de  jeudi  à  samedi  pour  coucher, 
jusqu'à  lundi,  où  je  pars.  Treclii  viendrait  plus  tard 
dans  la  semaine  prochaine.  Ce  n'est  pas  le  garde- 
manger  qui  m'effraie  ;  dans  ce  temps-ci,  il  y  a  de 
tout  et  même  de  bonnes  choses,  mais  je  suis  honteuse 
de  renvoyer  coucher  àl'auberge  par  des  nuits  froides, 
pluvieuses,  d'autant  que  dans  cette  contrée  barbare 
les  clieminées  sont  inconnues,  et  moi  j'en  donne, 
avec  des  fagots  encore.  N'oubliez  pas  de  passer  chez 
moi.  Apportez  vos  manuscrits,  tous. 

Jeudi  soir.  (s.  d.) 

Voici  un  fier  courrier,  j'espère  !  Le  facteur  m'ap- 
porte une  délicieuse  lettre  de  Berryer  et  une  de 
M.  de  Chateaubriand.  Aussi  j'ai  regardé  le  garde- 
cliampêtre  de  haut  en  bas.  Je  vous  envoie  ces  lettres, 
dont  vous  êtes  l'occasion,  en  vous  priant  bien  de  me 


FORTUNÉE  IIAMELIN  109 

les  garder.  Elles  sont  curieuses,  mises  en  regard,  car 
elles  peignent  dans  nos  deux  aigles  deux  caractères 
bien  différents.  L'un,  qui  a  le  temps  et  la  parole  à  lui, 
lit,  écoute,  saisit  tout  et  voit  tout  possible.  L'autre 
croit  n'avoir  plus  le  temps  de  contribuer,  d'apprendre, 
de  modifier  même,  et  il  repousse  avec  désolation  et 
amertume,  (^e  sentiment  qu'il  peint  malgré  lui  m'a 
serré  le  cœur,  car  il  a  des  mérites  adorables,  notre 
grand  écrivain!  Lorsqu'il  aura  lu,  il  comprendra  et 
je  vous  dirai  mes  idées  sur  des  clioses  à  lui  écrire. 
C'est  un  liomme  à  ramener,  car  il  n'est  peut-être  pas 
revenu  de  cette  abomination  des  chambres  représenta- 
tives. Par  bonlieur  qu'il  y  a  tout  à  faire  avec  les  gens 
de  son  âme  et  de  son  imagination. 

Lisez  ces  lettres  à  M""^  K...  Si  elle  n'est  pas  dans 
ses  jours  de  frivolités  et  de  tendresses  pour  un 
illustre  gentilliomme,  elles  l'intéresseront  et  lui  prou- 
veront que  nous  ne  sommes  russes  ni  par  la  con- 
quête ni  par  la  barbarie.  Mon  retour  vous  sera  une 
économie,  mais  j'ai  bien  pensé  que  ces  lettres  ne  vous 
paraîtraient  pas  clières  à  lo  sous. 

Nous  avons  un  temps  lamentable,  la  rivière  monte, 
elle  est  dans  la  prairie.  Ce  n'est  plus  la  Seine,  c'est 
le  Saint-Laurent,  mais  ma  forêt  n'est  pas  vierge. 

J'ai  aussi  une  lettre  d'Hortense.  Elle  devient  ma 
voisine^  surtout  celle  de  Sampayo.  Elle  me  conte  de 
belles  choses  des  meubles  de  M"'"  d'Agoult,  de  son 
départ  précipité,  d'une  brochure  que  fait  Didier  et  de 
Pierre  Leroux  qui  fait  rage.  Je  n'ai  pas  lu  ra  ni  reçu 
la  Revue,  parce  que  M.  Conte",  le  grand  administra- 

'  A  Herblay. 

'  Conte  fut  directeur  gijnei-a.1  àa  postes. 


110  UiXE  ANCIENNE  MUSGADINE 

leur,  a  louL  reculé,  désorganisé  pour  préseiiL-r  de 
beaux  résultats. 

Sous  cette  bète  de  Restauration  on  ne  payait  pas 
plus  cher  et  à  deux  heures  j'avais  lettres  et  journaux 
du  même  jour.  A  présent  ils  arrivent  le  lendemain, 
encore  d'un  jour  l'un. 

Je  pense  bien  revenir  à  la  lin  de  la  semaine  pro- 
chaine. 

P.  S.  — J'ai  passé  la  nuit  à  lire  les  Conclusions  {\yi 
M.  Hugo^  Ilcst  sublime  sur  le  passé,  très  médiocre 
sur  le  présent,  mais  toujours  poète  et  français  ado- 
rable. Lisez-le  vite. 

La  IMaileliiino,  :24  juillet  18U. 

Il  faut  attendre  le  soleil  pour  venir  dans  nos  bois. 
Je  suis  arrivée  ici  par  la  seule  belle  journée  de  la 
saison.  Aussi  c'était  délicieux  et  Tony  est  tombée 
en  frénésie  à  l'aspect  de  tant  de  groseilles,  de  prunes 
et  de  framboises.  Dans  son  délire  elle  a  trouvé  que 
ses  beaux  cheveux  la  gênaient  pour  fourrer  sa  tête 
dans  les  noisetiers,  elle  a  été  chercher  des  ciseaux  et 
les  a  tous  coupés.  Certes,  dans  dix  ans  elle  ne  le  fera 

'  Victor  Hugo  avait  été  nommé  membre  do  l'Académie  française 
par  18  voix  contre  17  le  7  janvier  1841.  11  prit  séance  Je  2  juin. 
L'exorde  de  son  discours  fut  un  panégyrii[Uô  enlhousia.slc  de  Napo- 
léon qui  dut  enchanter  notre  fougueuse  et  (idèlo  bonapartiste. 
Sainte-Beuve  écri\ait  à  M.  et  M'"»  Juste  Olivier  :  «  C'est  demain 
(jue  Victor  Hugo  est  reçu  académicien  ou,  comme  on  dit.  est  sacré  '.... 
Le  discours,  dit-on  d'avance,  est  étourdissant,  est  éblouissant,  est 
irs|)lendissant.  Ce  sont  les  seules  variantes.  Salvandy  dit  qu'il  est 
écarlate  cl  quel  écarlatc  que  celui  qui  semble  tel  à  Salvandy!  Le 
discours  de  Hugo  durera  six  quarts  d'heure  et  même  sept  en  comp- 
tant les  applaudissements.  Il  y  est  moins  (lucstion  de  Lemercier 
que  do  rEmpcreur.  Ia/I,  loujoui's  lui!  La  coupole  de  l'Institut  n'aura 
jamais  ouï  tant  de  métaphores,  une  telle  explosion  d'images,  Sal- 
vandy n'y  nuira  pas.  » 


FORTUNlit:  IIAMELIX  111 

plus.  3lais  eu  allcndant  elle  est  [trivée  pour  l'été  de 
sa  plus  eliarniaiite  parure. 

Ne  croyez  pas  que  la  récolte  des  Ijlés  soit  couipro- 
luise,  tout  va  dépendre  d'août,  si  la  chaleur  revient,  ils 
seront  superbes.  Le  mal  est  déjà  irréparable,  car  la 
([ualité  ne  peut  plus  qu'être  mauvaise.  La  France  en 
regorgeait;  sur  cela  il  y  aurait  à  gagnoter,  mais  au 
milieu  de  détestables  embarras. 

Votre  monsieur,  qui  veut  qu'on  retire  des  grilles 
d'une  liste  civile  des  biens  saisis  par  elle,  est  un  plai- 
sant extravag'ant  d'offrir  après  une  location  avanta- 
geuse. Si  ce  miracle  pouvait  se  faiie,  la  moitié  du 
domaine  rendu  ne  serait  pas  de  trop.  MM.  Decazes, 
Saint-Aulaire,  Montrond,  ont,  eux,  des  biens  acquis, 
payés,  enregistrés  pour  GOOOOO  francs,  le  roi  de 
Prusse  les  a  pris  aussi  pour  son  domaine  privé,  et 
nulle  faveur  sous  la  Restauration  et  sous  Juillet  n'a 
obtenu  de  faire  broncher  la  couronne.  Les  ambassa- 
deurs disent  :  «  On  ne  fera  pas  la  guerre  pour  vos 
biens.  »  Le  roi  dit  :  «  Venez  les  prendre.  »  De  plus, 
mon  enfant,  lorsqu'un  pays  offre  et  donne,  est-ce  la 
peine  de  lui  faire  des  procès  inutiles.  Lord  Alvanley' 


'  Lord  Alvanley  était  en  relations  depuis  de  longues  années  avec 
M""»  Ilamclin.  M.  Manjuiset  (o/j.  cil.)  cite  une  lettre  de  M™»  Hainelin, 
alors  à  Londres,  adressée  au  duc  Decazes,  le  16  septembre  1820. 
«  Avez-vuus  pu  juger  combien  Alvanley  est  spirituel  et  amusant? 
Amusant  paraît  impropre  en  parlant  d'un  pair  d'Angleterre,  mais 
personne  à  Paris  n'a  plus  de  drôlerie,  de  piquant  et  d'urbanité.  Il 
est  un  parfait  dandy,  ruiné,  gai,  mais  de  bonne  compagnie  et  fort 
loyal.  »  Le  Dicllonnari/  of  Nalioiuil  Uiogruplnj,  bji  l,eslie  Sleplien 
(London'i,  nous  parle  du  baron  Alvanley  (Ardcn,  Kiciiard  Pc]>per) 
(17io-1804)  (jui  avait  laissé  deux  fils,  l'aîné  (1789-18-49),  le  cadet  (1792- 
18i)7)  qui  épousa  enl831  Araliella,  la  i)lus  jeune  (ille  du  premier  due 
lie,  Gleveland.  H  avait  appartenu  à  l'armée  comme  son  frère,  avec 
le  grade  de  lieulcnant-coloïKd. 


H2  UNE  AiNCIENNE  MUSCADINE 

m'a  parlé  des  concessions  si  magnifiques  à  obtenir, 
pour  lesquelles  il  ne  faut  que  dévouer  sa  vie,  ses 
capitaux,  et  courir  les  chances  de  guerres,  de  réac- 
tions, etc.  Du  reste,  il  dit  qu'il  y  a  des  vallées  qui  sur- 
passent tous  les  délices  connus,  et  que  la  Grèce,  telle 
quelle,  est  sans  comparaison  le  plus  beau  si^jour  de 
toute  la  Méditerranée,  le  seul  qui  olTre  chance  et 
avenir.  Les  biens  véritablement  s'y  donnent.  Sachez 
ce  qu'est  la  concession  de  Bronkins.  Pourquoi  n'en 
pas  obtenir  étant  appuyé. 

Vous  ne  me  parlez  pas  de  la  Vierge  à  l'Hostie 
L'avez-vous  vue,  malheureux?  Notre  Vierge  en  pâlit 
un  peu.  J'ai  eu  offre  écrite,  sérieuse.  Devinez  de  qui? 
De  Didier.  L'offre  est  à  3  000.  J'ai  refusé  sans  con- 
sulter. Voici  pourquoi.  Je  n'ai  aucun  motif  d'obliger 
un  homme  riche  que  je  ne  connais  pas.  Si  c'est  une 
copie,  c'est  trop  cher  encore.  Si  c'est  original  un 
tantinet,  c'est  trop  bas.  J'ai  donné  dix  mille  comme  la 
dernière  concession  à  obtenir,  on  n'a  pas  dit  non 
encore.  Je  vous  mettrai  la  clé  avec  un  mot  lorsque 
vous  partirez  d'ici.  Mais  certainement  il  y  a  quelqu'un 
derrière  Didier  qui  le  croit  un  grand  connaisseur. 

Apportez-moi  le  plus  de  livres  possible  et  si  votre  ami 
est  bon  garçon,  nous  aurons  des  trésors  de  Fontaine- 
bleau. 31.  de  Besplas  m'a  dit  que  la  demande  de  M.  de 
Bondy  aurait  toute  autorité  puisqu'il  ne  s'agit  (jue 
d'éviter  la  garantie  des  livres  et  du  blâme.  On  laisse 
à  riionoraire  beaucoup  de  ces  petits  agréments, 
d'abord  G  000  francs  de  pension  (archicumulée),  les 
approvisionnements,  les  permis,  etc.  ;  enfin  la  retraite 
est  encore  une  place  des  plus  agréables  et  profitables. 

J'ai  eu  peine  à  mordre  au  pape,  mais   tout  à  coup 


FORTUNÉE  HAAIELIN  M  3 

j'ai  été  saisie  par  ce  style  simple,  fier  et  spirituel  ;  la 
logique  ardente  de  cet  homme  vous  pousse  tant  et  si 
ferme  que,  dès  le  second  jour,  j'ai  cru  à  l'infaillibilité 
du  pape.  En  tout  ce  livre  me  plaît  beaucoup  et  je  veux 
le  prêter  à  monsieur  mon  curé. 

Hier  j'ai  dîné  avec  mon  bon  maire.  Je  l'ai  un  peu 
enivré  avec  du  gros  vin  de  Bourgogne.  Aloi's  nous 
avons  pleuré...  qui?  L'Empereur,  bien  entendu. 

Faites-moi  le  plaisir  extrême  de  vous  imposer  la 
corvée  que  voilà.  Du  même  côté  de  la  rue  de 
M.  Berryer,  en  descendant  vers  la  rue  Saint-Anne,  il 
y  a  une  boutique  d'horreurs  à  prix  fixe,  des  gravures 
rebutées,  mais  dans  des  cadres  superbement  dorés. 
Vous  trouverez  là  les  Adieux  de  Fontainebleau 
à  6  fr.  10.  Le  difficile  sera  d'établir  ça  dans  le  fiacre 
qui  vous  conduira  à  la  grève.  Pour  arriver  à  la  grève 
vous  ferez  prix  pour  2  francs  (au  plus)  avec  un  petit 
fiacre  en  lui  donnant  des  arrhes  et  en  prenant  son 
numéro.  Il  [sera  chez  vous  à  six  heures  et  demie 
précises  et  vous  serez  arrivé  à  sept  pour  le  bateau.  Il 
y  a  baisse  sensible.  Vous  payerez  2  francs  au  lieu 
de  4.  Il  y  en  a  qui  poussent  l'industrie  jusqu'à  venir 
pour  un  franc.  Enfin  la  concurrence  rend  le  prix  arbi- 
traire et  l'on  traite  de  gré  àgré.  Vous  comprenez  que 
celUi  gravure  détestable  sera  voilée  par  votre  plus 
grosse  serviette  et  que  je  ne  vous  aurais  pas  donné 
cet  ennui  si  M"*"  Sophie  n'avait  brûlé  la  commission 
à  cause  de  la  pluie.  Vous  arriverez  donc,  bien 
chargé,  mais  en  venant  simplement  par  la  vapeur 
tout  s'arrangera.  Les  déménagements  du  chemin  de 
fer  sont  odieux,  ils  sont  d'ailleurs  grossiers,  voleurs, 
enfin  comme  les  gens  communs  en  prospérité. 


114  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Je  suis  enchantée  qu'une  jeune  fille  française  ait 
enfin  empaumé  des  belles  guinées  données  par  un 
joli  garçon.  La  partie  n'est  pas  égale  encore,  car 
M"*  deTalleyrand  est  de  grande  qualité,  un  peu  riche, 
d'une  bonne  éducation  et  réputation,  tandis  que  ces 
intrigantes  d'Anglaises  nous  arrivent  avec  des  jupes 
flétries  et  relevées  par  tout  le  monde  et  pour  toute 
famille  a  iin  oncle  clans  les  Indes  ». 

30  juillet  d841,  La  Madelaine. 

Lisez.  J'avais  répondu  en  toute  probité  :  «  Réflé- 
chissez. Si  c'est  une  spéculation,  elle  est  hasardeuse, 
si  c'est  une  fantaisie  pour  vous,  elle  est  trop  chère.  — 
Enfin  j'avais  dit  :  Dix  mille  livres  sera  le  dernier 
rabais  ».  Je  crois  qu'il  prendra.  Il  faudrait  avoir  celte 
filiation  du  château  piémontais.  Écrivez  pour  cela, 
c'est  indispensable. 

N'oubliez  pas  les  livres.  Demandez  une  Vie  ou  des 
Lettres  de  l'Empereur  Julien  traduites  par  La  Blet- 
terie^  Je  ne  veux  pas  devenir  plus  papiste  que 
M.  Lemaistre  -  et  il  sera  curieux  de  lire  le  grand 
apostat  après  le  grand  croyant.  Je  crois  que  ce  Julien 
doit  être  du  Voltaire  en  grand,  il  sera  bien  fin  s'il  me 
fait  aimer,  respecter  une  apostasie  quelconque.  Tâ- 
chez d'avoir  la  traduction  de...  de...  l'ouvrage  sur  la 
peinture.  Yassari,  voilà. 

Vous  aurez  eu  l'infamie  de  ne  pas  voir  la  Vierge 

*  M""=  Ilamelin.  esprit  cultivé,  réclamait  souvent  des  livres  à  son 
correspondant.  L'ouvrage  de  l'oratorien  La  Bletterie  (1696-177^) 
était  un  peu  désuet  à  répoque  où  se  place  la  lettre  que  nous  publions. 

'Sans  doute  M'"«  Haraelin  a-t-elle  voulu  écrire  M.  de  Maistre. 


FORTUNEE  HAMELIN  113 

à  rHostic\](i  le  gage,  et  cela  pour  quelques  cocottes 
de  deux  sous. 

J'attends  Treciii  pour  le  10.  Il  s'ennuie,  c'est  déjà 
un  progrès.  Jadis  il  se  gonflait  d'aise  en  arrivant  à 
Londres.  —  Que  dit-on  du  camp?  Je  regrette  qu'il 
ne  soit  pas  ici,  j'aurais  vendu  mes  foins  et  mes  hari- 
cots, c'eût  été  bien  agréable.  Avez-vous  lu  un  article 
du  Siècle  où  ils  parlent  de  moi  pour  l'arrestation 
d'Ouvrard  -  ?  Tâchez,  je  vous  prie,  de  le  lire  ou  de 

*  Le  tableau  d'Inp;res. 

■  Ouvrant  (1770-lSiG),  munitionnaire  général  de  la  marine  sous  le 
Consulat:  il  eut  des  démêlés  avec  Bonaparte  qui  le  fit  emprisonner. 
Devenu  financier,  il  rendit  de  grands  services  à  l'Empereur  avec 
lequel  il  se  brouilla  à  nouveau  en  1807.  En  1809  il  est  emprisonné 
jusqu'en  1813.  11  i-edevinl  munitionnaire  général  jusqu'en  1844.  Com- 
promis sous  la  Restauration  dans  les  marcbés  de  la  guerre  d'Es- 
pagne, il  fut  condamné  à  cinq  ans  de  prison.  11  mourut  ruiné  en  1846 
à  Londres.  Cet  habile  mais  peu  scrupuleux  financier  fut  arrêté  à 
Paris  chez  M-""  llamelin  par  le  duc  de  Rovigo  au  moment  où  le 
conseil  des  ministres  se  tenait  à  Saint-Cloud  ;  ses  papiers  furent 
saisis  et  il  fut  mis  en  prison  (Munier-Dcsclozeaux,  Indiscrétions, 
t.  1).  L'article  du  Siècle  était  signé  Emile  Marco  Saint-Hilaire  avec, 
pour  titre  :  Soui'etiirs  Inlime.t  du  temps  de  l'Empire  :  Un  change- 
ment de  ministère  en  ISIO.  Il  parut  en  feuilleton  le  21  juillet  1841. 
Fouclié  avait  envoyé  Ouvrard  à  Londres  comme  négociateur,  sans 
informer  l'Empereur  de  ses  desseins.  Napoléon  donna  l'ordre  d'ar- 
rêter Ouvrard.  Savary,  qui  connaissait  les  relations  d'Ouvrard  et  de 
M'""  Hamelin,  et  qui  avait  reçu  l'ordre  d'arrêter  le  spéculateur  dans 
les  vingt-quatre  heures,  se  rendit,  à  tout  hasard,  chez  M'"»  Hamelin  : 
«  Celle-ci,  sans  lui  laisser  le  temps  de  lui  apprendre  le  motif  de  sa 
visite,  le  prie  de  ne  pas  rester  chez  elle,  parce  qu'elle  attend  deux 
visiteurs,  qui  lui  ont  demandé  de  tenir  sa  porte  close  pour  tout  le 
monde  ».  —  M'"»  Hamelin,  croyant  n'avoir  aucun  motif  de  taire  à 
Savary  le  nom  des  deux  personnages,  lui  dit,  d'un  air  de  confidence  : 
Eh  !  bien,  c'est  M.  de  Talleyrand  et  Ouvj-ard.  Cette  indiscrétion 
involontaire  vint  fort  à  propos  à  l'aide  de  Savary,  qui  choisit  aus- 
sitôt dans  le  régiment  des  gendarmes  d'élite  dont  il  était  le  colonel, 
un  capitaine,  M.  de  Meckmel,  à  qui  mission  fut  donnée  d'aller  immé- 
diatement chez  M'"^  Hamelin.  Ouvrard  y  fut  arrêté  par  ordre  de 
Sa  Majesté  l'Empereur  et  transféré  à  Vincennes  le  lendemain. 
Quelque  temps  après,  Rovigo  fut  nommé  au  ministère  de  la  police 
en  remplacement  de  Fouché.  H  nous  paraît  que  M"»»  llamelin  n'eut 


116  UNE  ANCIENNE  MU.>CADINE 

me  Tai-heter.  Je  suppose  qu'on  y  traduit  le  duc  de 
Rovigo  ou  Ouvrard  mùmi'.  Lo  duc  tourne  son  mau- 
vais procédé  en  badinai^e,  et  moi  je  n'ai  pas  badiné. 
La  lâcheté  a  été  d'attendre  que  M.  de  Talleyrand  et 
le  prince  Esterhazy*  fussent  partis,  pour  me  donner  ce 
cruel  assaut.  11  m'a  fallu  bien  du  temps,  bien  des 
ré(ds  services  pour  oublior  cette  injure. 

Tony  est  belle  comme  l'amour,  si  cet  infâme  amour 
a  jamais  été  beau.  M""^  Morel  gagne-t-elle  son  procès? 
Dites-lui  que  je  le  désire  beaucoup  et  qu'alors  elle 
devienne  châtelaine  de  deux  ou  trois  arpents  par  ici, 
il  y  a  de  jolies  choses  à  vendre,  et  les  biens  tombent 
de  prix,  et  la  vapeur  de  5  francs  est  à  2  et  tout  est 
à  rien  pour  la  vie  à  Fontainebleau.  Le  temps  est 
magnifique,  la  nature  s'essuye  et  n'épargne  pas  les 
parfums  pour  sa  toiliUc 

M  auût  18 il. 

CAit'V  pflil,  nous  n'avons  pas  de  chance.  M.  D^,. 
m'a  écrit  (juc,  sa  femme  étant  malade,  il  pai'tait  à  l'ins- 
tant, que  si  je  pouvais  garder  le  tableau  jusqu'à  son 
l'elour,  il  ferait  ses  elTorls  j)Our  réunir  les  capitaux, 
car  il  était  féru  de  cette  admirable  toile. 

Le  soleil  fêle  le  retour  de  Trechi,  mais  pour  lui 
faire  honte  d'être  anglomane.  Je  savais  bien  que 
celle  noble'  nature  paierait  ses  dettes,  nous  voilà  avec 

pas  ce  jour-là  sa  finesse  habituelle.  L"arrestalion  dOuvianl  chez 
elle  a  pu  laisser  supposer  qu'elle  servait  (rinterinéiliaire.  Nous  ne 
le  croyons  pas,  du  moins  à  cette  date  (ISIU)  ;  t-t  ce  quelle  en  dit  ici 
prouve  sa  bonne  foi. 

'  Comte  Fleury.  {Fantômes  et  silouhelles).  Les  Eslerhazy  à  la 
cour  de  Marie  Antoinette  (Emjle-l'aulj. 

*  Didier^ 


FORTUNliE  HAMELIN  M7 

un  Leuips  ladicLix  pour  deux  mois  !  Un  événement  : 
liier  on  m'a  volé  3  à  400  pôclies  —  tout  l'espalier 
enfin  —  nous  sonniies  consternés. 

La  tendresse  de  Tony  pour  vous  a  résisté  aux  plus 
vives  épreuves.  M.  de  liesplas  m'a  emmené  ses  deux 
jolis  enfants  de  onze  à  quatorze  ans,  montés  sur  des 
chevaux  cliarmants.  Tous  deux  se  sont  offerts  en  ado- 
rateurs et  maris.  Tony  a  été  au  père  et  a  dit  :  «  C'est 
que  j'aime  M.  C...  ;  il  a  beautout  d'esprit,  quoicju'un 
peu  farce.  » 

Je  vous  souhaite  à  Paris  des  femmes  aussi  fidèles. 

Tâchez  de  m'avoir  des  ouvrages  de  Salvator,  ce 
Juif  qui  crucilie  encore  Jésus-Christ.  Si  vous  pouvez 
m'atlraper  Condjes,  Texier,  même  Champollion,  ça 
me  ferait  bien  plaisir. 

Il  n'y  a  plus  de  raisin.  Le  vilain  vaut  40  sous  la 
livre.  J'ai  eu  des  nouvelles  de  M™^  K...  Elle  court  les 
champs  avec  Zamoïski  ^ 

Et  ce  pape  (|ui  mit  Genoude'  à  l'index!    3L    de 


'  Le  coiiitu  Zaïnoïriki,  né  le  24  mars  1803,  mort  le  11  janvier  1868, 
l'ut  aclivement  mêlé  à  la  Révolution  de  Pologne  de  1831.  Neveu  du 
lirinee  (Jzarloriski,  il  fut  son  principal  collaborateur  politique.  En 
ISi'.),  il  servit  dans  larmée  piéinontaise  et  s'occupa,  en  18.5.H.  de  la 
l'ormation  de  réj^iments  polonais  au  service  de  l'Angleterre  qui  le 
nomma  général. 

-  Genoude  (Antoiin'-Eugène  de)  (170iJ-1849)  entra  au  séminaire  de 
Sainl-Sulpice,  y  connut  Lamennais  et  en  181:2  fréquenta  Chateau- 
briand. Traduisit  haïe  où  l'on  vit  dans  Nabucliodonosor  changé  en 
bètc  une  allusion  à  Napoléon  1",  donna  en  1814  Héflexions  sur 
i/uelt/ues  tjue.sfions  pol'iluiues,  fonda  en  1818  le  Conservaleuv  (aveu 
Chateaubriand),  le  Défenseur  (18i>0),  devint  après  son  mariage  (1820) 
avec  M'i°  Léontine  de  Fleury,  parenliî  de  Racine  et  de  La  Fontaine, 
propriétaire  de  l'Etoile,  qui  soutint  la  politique  de  Villrle.  Iai  Quo- 
tidienne (organe  de  tous  ceux  ([ui  voulaient  une  légitimité  pure  de 
tout  alliage  démocratique)    le  combattit.  Genoude  entra  dans   les 


118  UNE  ANCIliNNE  MCSGADINE 

Maistre  le  Irouvera-t-il  infaillible?  Les  voilà  qui  tirent 
clans  leur  camp,  les  insensés,  les  corrompus!  Que 
fait  Berryer,  que  fait  sa  sœur?  Ne  song^eons  plus  aux 
Souliers,  il  y  a  plus  de  mousse  que  de  crème  dans  ces 
fortunes-là. 

Sachez  où  est  Faudoas.  Je  ne  sais  où  lui  écrire,  il 
est  désolé. 

La  Madclainc.  Sans  date. 

Non,  non,  c'est  faux,  c'est  faire  injure  à  M.  de 
Chateaubriand,  il  ne  l'a  dit  ni  pensé.  M.  de  V...  est 
un  niais  extrêmement  cocu,  M.  de  H...  un  talpaclie 
poltron  (qui  voudrait  piafïer  dans  un  camp  en  temps 
de  paix).  Dieu  permet  (jue  cette  horrible  chose  ne 
soit  pas  arrivée.  Tout  le  monde  de  ce  coin-ci  était 
bouleversé.  A  Fontainebleau  il  y  avait  queue  partout 
pour  les  nouvelles  et  des  fig^ures  !...  J'ai  fini  par  en 
riie  aux  éclats,  mais  lorsqu'on  était  tranquillisé. 
M""^  Berryer  m'écrit  que  cela  doit  servir  de  leçon  et 
qu'on  doit  marier  le  duc  avec  la  première  venue, 
pourvu  (ju'elle  soit  catholique  romaine. 

Je  lui  ai  répondu  qu'un  tel  mariage  déplairait  beau- 
coup au  pape  depuis  qu'il  s'est  fait  huguenot.  Les 
Autrichiens  ne  laissent  pus  les  prétendants  se  marier, 
surtout  lorsqu'ils  ne  veulent  pas  qu'ils  prétendent. 
Mon  Dieu!  que  c'eût  été  bien  avec  Mathilde,  puis- 
qu'elle est  belle,  gracieuse  et  bien  parisienne.  Ber- 


ordres  en  1835,  fut  député  de  la  Haute-Garonne  de  ISib  à  1818.  Cest 
sans  doute  pour  son  E.i position  du  Doqnie  catholique  (1840)  qu'il 
fut  mis  à  l'index.  On  a  de  lui  Considérai  ions  sur  les  Grecs  et  les 
Turcs  (1821),  Raisons  du  C/irisHaaisnie  (1831-183Ô),  La  Raison  nio- 
narc/iique  (J83S),  une  Défense  du  C/iristianisrne  contre  les  philo- 
sophes,  etc.,  etc. 


FORTUNEE  HAMELIN  119 

ryer  était  passionné  pour  cette  idée,  mais  le  beau,  le 
nouveau  ne  peut  réussir  à  Goritz. 

Le  comte  lelski  'a  passé  six  jours  ici.  C'est  un  fort 
aimable  compagnon,  qui  fait  des  frais,  ne  s'ennuie 
jamais  et  trouve  tout  bon.  Moi  qui  suis  souvent  hon- 
teuse de  ma  pauvreté,  ça  me  donne  courage  à  rece- 
voir mes  amis.  Il  a  voulu  être  l'amphitryon  d'une 
belle  partie  sur  l'eau.  Nous  voilà  tous  partis  jusqu'au 
confluent  du  Loing  dans  la  Seine.  Tout  cela,  cher 
ami,  est  d'une  beauté  sauvage,  d'une  fraîcheur  qui 
transporte  de  boniieur.  A  Tliomery  on  a  visité  les 
treilles.  Je  vous  laisse  à  penser  de  l'état  de  Tony  ! 
D'autant  que  les  poires  elles  pèches  sont  aussi  mer- 
veilleuses que  le  merveilleux  raisin.  Nous  sonmies 
rentrés,  cliarg-és  de  ces  beaux  fruits,  de  sorte  que  le 
comte  commence  à  vous  balancer  dans  le  cœur  de  la 
dévote  qui  a  fort  prié  Dieu  pour  la  conservation  de 
Monseigneur  le  duc  de  Bordeaux. 

lelski  devait  vous  voir  ainsi  que  Trechi,  mais,  à  son 
débotté,  il  a  été  enlevé  pour  aller  voir  le  camp  de 
Compiègne.  Vous  a-t-il  tenté  aussi?  On  dit  que  les 
touristes  y  vont  peu.  En  revanche,  Fontainebleau 
regorge  de  monde';  il  ne  s'y  trouve  pas  un  cabinet  à 
louer  et  tous  les  bergeois  y  cèdent  leur  logement  et 
se  campent  au  grenier.  La  Madelainc  est  occupée 
jusqu'à  samedi.  —  Si  vous  veniez  avant,  vous  tente- 
riez Madame  ou  la  jolie  petite  Simon  qui  ont  aussi  un 

'  lelski  (Louis),  mort  à  Néris  le  8  avril  1843,  fonda  à  Paris  une 
banijuc  polonaise  (jui  p('riciita.  11  avait  servi  clans  rarmée  du  fj;rand- 
duelié  de  Varsovie,  puis  oecupé  un  emploi  dans  ladministration 
financière  du  Royaume  de  Pologne. 

'  Dans  une  lettre  inédite,  M'"»  Ilamelin  disait  :  «  Tout  Fontaine- 
bleau est  eu  émoi  des  hussards  noirs.  Quels  ravages  ils  vont  l'aire!  » 


120  UNE  ANCIKNNK  MUSCADINE 

monde  immense.  —  On  appelle  ceux  qui  voyagenl  en 
septembre  des  vacanceux. 

Je  désapprouve  fort  le  libertinage  (jui  risque  de 
perdre  une  pauvre  fille,  lorsqu'on  n'a  aucune  passion 
à  échanger  contre  sa  misère.  Cette  Figeac  a  été  bien 
niaise.  Enfin  vous  avez  une  poudre. 

Apportez-moi  un  Napoléon  encadré.  J'aimerais 
Ratisbonne  puisque  Fontainebleau  est  impossible. 
Pour  Ratisbonne,  le  pied  en  l'air  il  y  foisonne.  Vous 
êtes  fort  obligeant,  mais  vite  et  tôt.  Jl  faut  retourner, 
cher  ami,  voir  M.  Saint-Salvy\  homme  bon,  poli.  Il 
a  grande  influence.  Dites-lui  que  c'est  pour  une  amie 
de  M'""  Boursault".  Demandez  à  voir  le  relief  de  la 
salle,  vous  jugerez  si  ces  troisii-mes  fermées  sont 
aussi  hautes  que  celles  où  étaient  les  belles  Bigham, 
Newkerque,  l'Anglaise,  etc.  —  Si  c'était  ça,  ce  serait 
encore  passable.  SaNoir  combii'ii  de  places  —  quels 
jours  —  voilà. 
Mercredi  22 

'  SiJLiiil-Salvy  était  un  des  propriétaires  de  la  salle  Veiiladour  i|ui 
avait  appartenu  en  18i'.)  à  Boursault. 

-  M™"  BoursauIt-iMalherlu!.  l'eninie  de  l'ancien  acteui'.  plus  tard 
directeur  de  théâtre,  ^a'and  amateur  do  lleurs.  Un  rapport  de  iioiiee 
du  l""  août  1815  cite  liuursault,  «  l'entrepreneur  du  nettoieiaent  de 
Paris  »  comme  étant  à  Bruxelles  l'ami  et  le  conlidenl  de  M"""  lla- 
mclin.  «  C'est  un  inlrif^ant,  un  révolutionnaire  et  qui  déteste  le  gou- 
vernement des  Bourbons  »  (Ernest  Daudet,  La  Pulice  poliiique  soun 
la  Reslauratioii,  Reçue  des  Veux  Mondes  i"  janvier  l'JlO).  Véron 
{Mémoires  d'un  Bourgeois  de  Pai'is,  I)  raconte  (jue  ce  l'ut  dans  les 
serres  de  Boursault,  successeur  de  Perrin,  fermier  des  jeux,  que, 
vers  les  dernières  années  de  l'Empire,  une  entrevue  eut  lieu  entre 
le  duc  do  Rovigo  et  Chateaubriand  par  les  soij)s  de  la  baronne  11a- 
jnelin.  Cette  entrevue  n'amena,  dit>  Véron,  aucun  rapproc.heninnt. 
Boursault  se  pavanait  au  milieu  d'un  luxe  de  lleurs  rares.  ISIontrond, 
qui  gardait  un  mot  cruel  contre  la  l'atuit(;  d(\i  parvenus,  avait  donné 
à  Boursault  un  sobri(iuet  (jui  faisait  pouH'cr  tout  Paris;  il  l'appelait  : 
«  Merdi flore  ». 


FORTUNEE  HAMELIN  12i 

La  Madelaino,  8  sepleinbrc  1841. 

Je  saute  sur  la  pluuie  pour  vous  dire  :  «  Epousez, 
épousez.  »  3Iais  les  réllexions  me  glacent.  On  n'épouse 
pas  une  vraie  folle.  La  mère,  la  famille  feraient 
rompre.  Enfin,  il  s'est  vu  mille  Anglais  épouser  des 
coureuses  françaises,  surtout  d'honnêtes  Français 
avaler  des  rebuts  d'Anglaises,  mais  une  fille  riche  et 
noble  d'Albion  n'a  pas,  de  mémoire  d'homme,  épousé 
un  jeune  Français  sans  fortune,  sans  titre.  Ne  recom- 
mencez pas,  cher  ami,  l'incartade  de  Pise.  La  vanité 
seule  a  prise  sur  cette  race  de  filles,  et,  lorsqu'elles 
sont  mariées,  le  reste  arrive  par  torrents.  Je  sais 
(ju'Edmond^  a  la  main  heureuse,  c'est  le  saint  Nicolas 
du  grand  monde,  mais  il  connaît  peu  les  lois  (même 
celles  de  la  prise  de  corps)  et  vous  devez  éviter  des 
frais  et  du  ridicule,  si  la  chose  est  impossible  et  je  le 
crois  — ,  si  vous  ne  pouvez  surtout  jouer  avec  elle  la 
dernière  scène  de  Nina. 

Que  puis-je  écrire  à  Edmond?  Je  ne  sais  ce  (|u'on 
lui  propose  et  ce  qu'il  refuse  ?  J'aurais  pu  vous  mettre 
à  couvert  en  laissant  entrevoir  que  c'est  sa  femme  (jui 
en  aurait  parlé  à  Berryer,  Je  puis  aussi  lui  faire 
écrire  par  la  duchesse  Desclignac,  mais  dites  quoi. 

Hien  ne  m'étonne  de  la  mobilité  et  d<'  l'incroyable 
ladrerie  de  M""'  de  S"...  Berryer  lui  ayant  dit  un  jour  : 
«  Si  tu  pouvais  me  donner  ta  loge  un  jour  pour  la  dépu- 
tation  vendéenne,  tu  me  ferais  bien  plaisir.  »  Elle  la  lui 
donne.  Le  lendemain  elle  lui  écrit  qu'elle  a  disposé 

'  Toujours  Edmoiul  île  Tallcyraiiil-I'erigorii,  iiioiu;  ci'lchio  <|ue  sa 
femme,  la  rlucliessc  de  Dino. 

*  L'amie  de  Berryer  ([ui,  ou  le  sait,  était  galaut  comnie  Henri  IV. 


12i  Ui\E  ANCIENNE  MUSCADINE 

sur  lui  de  00  francs  pour  un  petit  mémoire.  Berryer 
a  payé  et  n'a  plus  voulu  remettre  le  pied  dans  cette 
loge.  Vous  vous  en  souvenez,  c'était  cet  hiver,  lorsque 
vous  en  étiez  amoureux.  Pour  la  location  de  récep- 
tion, elle  a  bien  fait  (fors  le  style).  En  vérité,  pour 
donner  des  bals  comme  des  soupes  économiques, 
pour  y  recevoir  la  basoche,  les  clients  de  toutes  les 
études,  ce  n'est  pas  la  peine  de  garder  un  loyer  de 
8  000  francs.  Elle  pourrait  vivre  avec  aisance,  élé- 
gance, mais  elle  n'est  pas  si  riche  qu'on  croit.  —  La 
sottise  prend  la  grosse  part  de  ces  fortunes-là.  Le 
bien-être,  le  goût,  le  cœur  n'y  trouvent  pas  cent  francs 
à  leur  service. 

Pour  juger  enlre  la  loyauté  de  Jérôme*  et  d'Ana- 
tole, il  faudrait  être  Salomon.  Après  avoir  donné 
tous  les  goûts  du  luxe  à  sa  fille,  l'avoir  élevée  à  l'an- 
glaise, il  devait  recueillir  son  dédain  lorsqu'elle  se 
serait  assurée  une  meilleure  maison  que  la  sienne. 
D'ailleurs,  elle  savait  les  nobles  motifs  delà  résistance 
de  son  père.  Elle  a  bien  fait.  Du  reste,  M"^  Regnault 
m'écrit  des  merveilles  de  la  beauté  divine,  de  la  grâce, 
de  l'esprit  de  M"'"  Demidod".  Elle  a  été  accueillie  à 
ravir  par  ce  couple  fortuné.  Tous  deux  lui  ont  parlé 
de  leur  bonheur  suprême  et  Anatole  avait  avec  sa 
femme  les  façons  les  plus  tendres  et  respectueuses 
même. 

Ma  jardinière  dirait  à  l'amant  de  M""  Figeac  : 
«31a,  tu  manne  ta  vache  au  robin.   »  Ce  Nicolas^ 

*  Jérôme  Bonaparte  et  Anatole  DemidolT. 

-  L'Empereur  Nicolas  de  Russie  avait  la  réputation  d  être  un  des 
plus  beaux  hommes.  Son  aspect  inspirait  à  la  fois  la  terreur  et  l'ad- 
miration. 


FORTUNEE  HAMELIN  123 

empereur  est  le  Minotaure  des  filles  de  Paris.  Voilà 
à  son  compte  Despréaux,  Taglioni*,  Rondeau,  etc., 
mais  on  dit  Rondeau  en  pied.  On  dit  même  qu'elle 
négocie  le  consentement  de  l'Empereur  au  mariage 
de  la  fille  du  roi  de  Hollande,  que  c'est  le  sujet  de 
son  rapide  et  dernier  voyage  à  Paris  le  mois  dernier. 
Quels  auspices  ! 

Le  livre  de  Grégoire  Vil  doit  être  de  M.  de  Nadaillan, 
homme  que  j'aime  assez,  écrivain  déplorable.  J'ai  eu, 
j'ai  cet  ouvrage,  fort  inférieur  à  tout  ce  qu'Hortense" 
écrit  de  plus  mauvais.  C'est  de  la  littérature  de  comé- 
dien du  Gymnase.  J'ai  repris  à  Fontainebleau  toute 
cette  marquise  de  Créquy^.  C'est  à  croquer.  J'ai 
voulu  relire  le  dernier  roman  d'Anne  Radclill",  c'est 
impossible.  Je  vais  me  pourvoir  de  vieux  livres,  tandis 
(jue  les  élégantes  de  la  ville  dévorent  le  Chevalier  de 
Saint-Georges,  la  Lescombat  et  Lélia. 

Je  suis  fort  chagrine  du  départ  de  Trechi.  11  a  des 
qualités  charmantes  et  rares  aujourd'hui.  Mais  avec 
lui,  quand  il  part,  il  faut  dire  «  ne  sait  quand  reviendra», 
parce  qu'il  est  faible,  voluptueux,  que  mille  giues  se 
prendront  à  ses  pattes.  Surtout  je  crains  la  méca- 
ni(jue,  l'industrie  anglaise  que  Libri  veut  appliiiuer  à 
la  noble  Italie.  Faites-lui  donc  entendre  qu'un  gen- 
tilhomme italien  n'a  rien  à  faire  avec  un  gentleman 


'  La  Taglioni,  la  célcbrc  danseuse  qui  trioniplia  paiticuliLTeiiiont 
dans  les  ballets  de  la  Sylphide  et  de  la  Fille  du  Danube.  Elle  avait 
épousé  en  1832  le  comte  Gilbert  de  Voisins.  Malgré  celte  union  elle 
conserva  son  nom  et  reparut  au  tliéàlre. 

-  Ilorlense  Aliart,  qui  avait  alors  publié  la  Conjuration  d'Amboise. 
les  Lellres  sur  M"'^  de  Slacl,  Uerlrude,  la  Femme  et  la  Démo- 
cratie, etc. 

^  Cré(|ui.  Soucenirs,  l'aris    i83i-18:J7.  Apocryphe 


124  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

industriel.  Qu'il  conserve  son  bon  petit  reste  de  for- 
tune, qu'il  le  place  solidement,  et  qu'il  papillonne 
encore  vingt-cinci  ans,  aimant  tout,  aimé  de  tous;  ne 
le  laissez  pas  s'attrister  et  ne  le  tourmentez  pas  pour 
venir,  s'il  a  mieux  à  faire. 

Tony  ne  connaîtra  pas  vos  désordres.  Elle  est  en- 
foncée dans  la  plus  haute  dévotion.  Après  trois  jours 
radieux  nous  revoilà  sous  l'abîme  des  eaux...  C'est 
désolant,  non  pour  moi,  résip^née  à  tout,  mais  pour 
les  champs  et  les  amis  qui  voulaient  faire  mon  petit 
pèlerinage.  Espérons.  De  grâce,  passez  à  cette  loca- 
tion des  Boulions;  voyez  ce  qu'il  y  a  moyen  d'avoir. 
Un  jour,  au  rez-de-ciiaussée  le  jeudi,  quatre  places 
conviendraient;  le  prix  —  si,  au  second,  dans  les  coins, 
il  y  a  loges  de  deux  ou  trois  places  pour  un  jour. 
Ecrivez-moi  cela,  mais  écoutez  les  réponses  et  soyez 
doux  dans  les  questions.  Cette  musique  est  ma  seule 
joie  de  l'hiver.  J'aurais  le  cœur  gros  d'être  forcée  de 
m'en  priver.  Dites  à  la  voisine  qu'on  a  illuminé  à  la 
Madelaine  pour  le  gain  de  son  procès.  Ce  qui  veut 
dire  qu'on  a  posé  le  carcel  et  deux  boug'ies  sur  la 
fenêtre.  Lui  avez-vous  parlé  du  joli  chapitre  de  Fran- 
roisP'?]!  y  a  à  Samois  une  maison  vraiment  jolie, 
assez  grande,  qu'on  mettrait  en  état,  dans  une  posi- 
tion ravissante,  dont  la  vue,  peut-être,  est  préférable  à 
la  nôtre  et  (jue  j'obtiendrais  par  liail  à  JIIO  francs.  Il 
y  a  jai'dinet,  puis  clos  (comme  promenade),  puis  la 
futaie  de  Balleroy  loin  comme  de  chez  aous  à  la  co- 
lonne. Qu'elle  prenne  donc  ru.  Le  bon  mnrché  des 
vivres  paiera  le  loyer,  et  les  amoureux  prendront 
l'air  et  feront  un  exercice  salutaire. 

Venez  donc,  débauché, 


FORTUNEE  HAMELIN  d25 

La  Madeliiine,  iJ  à  G  heures  de  soir,  1841. 
(Septembre). 

Sophie  veut  aller  à  Paris  pour  consulter  sur  un 
mal  de  dents  cruel.  Elle  n'y  restera  que  quelques 
heures,  car  je  ne  saurais  que  faire,  seule  avec  ce  démon 
de  Tony,  qui,  ce  matin,  à  la  messe  derrière  une  énorme 
brioche  qu'elle  lorgnait  tendrement,  le  cierge  à  la 
main,  la  rohe  blanche  et  légère,  avait  Tair  d'un  bel 
ange  qui  songe  à  déserter  le  ciel...  J'attendais  un  mot 
de  vous  ce  matin  dimanclie  13.  Trechi  est-il  arrivé  ? 
Avez-vous  été  l'ue  Saint-Honoré  ?  Hier  j'ai  reçu  des 
lettres  de  M"'^'  de  Bourges^  et  Regnault.  Est-ce  vous 
(jui  avez  fait  l'éloge  de  cette  pauvre  duchesse  que  je  lis 
ilans  la  Presse?  C'est  inconcevable  d'impudence  et  de 
bêtise.  Ça  doit  être  du  baron  Soubiran...  Mais  cette 
malheureuse  O'Donnel-qui  était  heureuse,  fort  aimée, 
fort  gaie  et  passablement  spirituelle  !  C'est  encore  un 
massacre  de  M.  Paquier.  —  M*""  de  Bourges  donne 
une  raison  pitoyable  à  cet  événement,  connue  si 
la  mort  pouvait  jamais  être  ridicule! 

Je  n'ai  plus  de  livres.  Faites-m'en  provision  avec 
patience.  Je  n'aime  pas  ce  Julien  \  C'est  une  belle 
étotfe,  gâtée  par  la  plus  servile  imitation.  Il  voulait 
être  Alexandre  comme  Alexandre  voulait  être  Achille. 
Mais  le  bel  Alexandre  était  bien  au-dessus  d'Achille  et 
Julien  reste  bien  et  mille  fois  au-dessous  d'Alexandre. 


'  Amie  de  longue  date  de  iM™"  llaïueliii. 

*  La  comtesse  O'DonQell,  morte  à  Paris,  le  8  août  1841,  était  une 
femme  spirituelle  qui  eut  une  nolde  inlluence  sur  beaucoup  des 
esprits  de  l'époque.  Sœur  île  Delphine  Gay. 

"  La  vie  de  l'Empereur  Julien,  de  l'oratorien  La  Blelterie. 


d26  UNE  ANCIENNE  MUSCÂDINE 

Vive  notre  liéros,  qui  n'a  rion  imité  et  reste  inimi- 
table. 

J'espérais  du  beau  temps  et  \a  pluie  tombe  à  tor- 
rents... Cependant  il  nous  est  dû  un  automne  et  la 
nature  paye  toujours  ses  dettes. 

Ramassez-moi  des  nouvelles  et  gardez-nous  un  bon 
souvenir. 

La  Madelaine.  24  octobre  1841. 

Clier  ami,  que  devenez-vous  donc?  Certes,  de  ce 
temps  tantôt  glacé,  tantôt  pluvieux,  je  ne  réclame  pas 
votre  présence  (ce  serait  un  dévouement  des  premiers 
âges),  mais  j'avais  bien  besoin  de  consolation,  car 
vraiment  le  départ  de  Treclii  m'afflige  et  celui  de 
Faudoas  m'est  une  nouvelle  perte  très  douloureuse 
et  sans  espoir.  C'est  un  enterrement  pour  ses  amis 
d'ici,  car  là-bas  il  va  entrer  dans  les  douceurs  de 
l'économie  en  faisant  une  chère  immense,  exquise, 
qui  va  l'engraisser  et  peut-être  le  tuer,  puis,  il  est  si 
dou.x  de  commander,  les  Gascons  sont  si  amusants 
qu'il  n'y  a  plus  moyen  de  les  quitter.  Je  ne  sais 
même  si  Treclii  est  parti,  il  devait  m'écrire  de  Paris 
encore,  de  Nancy  où  il  s'arrête,  et  je  ne  vois  arriver 
ni  son  énorme  écriture  ni  son  gros  papier  comme  le 
parchemin  à  charte.  Je  ne  sais  aussi  quand  Faudoas  ' 
rejoint  ses  états,  et  s'il  sera  assez  bien  avisé  pour  me 
venir  dire  adieu  en  passant.  Ce  temps  épouvantable 
empêche  tout,  excepté  les  succès  du  colonel  or  et 
noir  qui  règne  à  Fontainebleau.  Les  dragons  avaient 
tellement  déplu  que  les  femmes  atfamées  sont  tom- 

'  Faudoas  venait  dï-tre  appelé  au  commandement  de  la  division 
de  Bordeaux. 


FORTUNÉE  HAMELIN  d27 

bées  sans  combats  sur  toutes  ces  tresses  d'or.  Ils  ne 
savent  auxquelles  entendre  et  l'on  peut  dire  qu'en  ce 
moment  la  ville  renaît. 

Où  en  êtes-vous,  cher?  La  maxime  d'aimer  ses 
amis  pour  eux  est  dure  à  pratiquer,  surtout  lorsqu'on 
en  perdrait  trois  à  la  fois  et  des  meilleurs  (chacun 
dans  leur  genre).  Mon  Dieu,  je  reçois  une  lettre  d'Eu- 
gène; il  n'est  pas  content,  c'est  encore  plus  triste  de 
le  perdre.  Mais  qu'il  est  bon,  cet  homme  si  raide, 
quelle  vraie  candeur  et  dévouement  aux  autres!  Vrai, 
je  ne  connais  pas  un  plus  galant  homme.  Je  voulais 
partir  pour  lui  dire  adieu.  Il  m'écrit  qu'il  va  éclaircir 
l'hôtel  là-bas  et  revenir.  Ainsi  je  reste  un  mois  au 
moins  encore  dans  l'idée  d'une  petite  affaire  à  bien 
approfondir  ici  et  qui  me  donnerait  un  intérêt  à  gou- 
verner dans  cet  aimable  gîte  et,  par  conséquent,  le 
moyen  d'en  faire  mon  dernier  asile  et  mon  tombeau 
modeste  sous  une  pierre  à  Samois.  Telle  est  ma 
préoccupation. 

Trechi  a  dû  vous  remettre  Agrippa.  J'ai  Gourvillei. 
Ces  gens-là  seraient  adorables  s'ils  en  disaient  plus, 
s'ils  avaient  pu  prévoir  combien  leurs  actions,  leurs 
caractères,  leurs  figures,  leurs  accents  à  tous  devaient 
nous  intéresser.  Nos  messieurs  d'aujourd'hui  sont 
trop  ce  qu'eux  ne  sont  pas  assez.  Aussi,  lorsqu'on 
trouve  un  seul  détail,  comme  il  intéresse  !  Pour  la 
nature,  bonsoir,  inconnue.  Il  faut  arriver  à  M'""  de 
Sévigné.  C'est  elle,  ce  bel  ange  d'amour,  qui  a  trouvé 

*  «  Les  Mémoires  de  Goiirville  sont  curieux  ».  M'"»  ^\q  Genlis 
(Méin.  viii). 

Il  y  a  deux  Gourville,  l'oncle  et  le  neveu.  Jean  llérauKl  lie  Gour- 
viile  (1025-1703)  et  Fran(;ois  son  neveu.  Le  premier,  hunime  d'esprit, 
de  sens  et  d'intrigue,  écrivit  les  Mémoires  dont  parle  M'"»  llamelin. 


128  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

le  prinlemps  et  son  coucou,  les  bois,  la  toilette, 
l'amour,  le  dévouement  sans  prétention  et  toute  la 
dignité  de  la  femme.  Je  ne  sais  pas  comment  on  ne 
Ta  pas  canonisée;  elle  le  méritait  plus  que  sa  tante. 
Les  mères,  les  femmes  d'esprit  devraient  s'en  cliarger 
en  cour  de  Rome.  Les  jansénistes  aideraient  un  peu... 
Maintenant,  eliercliez-moi  du  bon  que  je  n'aie  |)as  lu 
di.\;  fois.  Je  vouilrais  ces  livres  de  Salvalor  ou  dor.  ce 
Juif.  Toujours  le  Vassari  —  des  voyages  nouveaux, 
puis  à  votre  idée. 

Ti'ccbi  était-il  bien  désolé?  Ici  il  était  navré.  J'aime 
fju'on  pleure  aussi  en  nous  ({uittaiil  et  plus  je  vis, 
plus  je  déteste  le  stoïcisme. 

Êtes-vous  pour  Espartero^?  J'en  suis.  J'oubliais  — 
vous  êtes  Cbristinos,  vous  autres  dévoués  —  Trecbi 
vous  a-t-il  lu  mon  sentiment  sur  certain  prospectus  ? 
Je  le  crois  nuisible  tout  net.  Les  vivants  délestent 
leur  successeur,  ainsi  le  veut  la  triste  liumanité,  et 
puis,  les  conseils  seraient  perfides  au  successeur.  Rien 
à  faire  avec  les  blancs  que  leur  donner  du  blanc;  les 
bleus  sont  de  meilleure  composition  et  s'arrangent 
de  toutes  les  couleur.s  mélangées  du  jaune  d'or. 

Que  faites-vous  de  M'"  F...?  Elle  va  vous  tordre 
votre  dernier  écu.  —  Dites-moi  de  la  mariée  de  Jules 
Janiii.  Est-elle  passable"?  La  belle  Mathilde  ne  quitte 
pas  M""*"  Dosne.  M.  Tbiers  veut  leur  donner  un  trùne 
à  la  première  occasion. 

'  Baldomero  Esparero,  comte  de  Lucliana,  duc  delà  victoire  (1792- 
187'J)  ;  général  et  homme  d'Etat  espagnol.  Prenant  parti  pour  la 
reine  Isabelle,  il  combattit  les  Carlistes  et  exerça  une  influence  pré- 
pondérante sur  le  gouvernement.  11  était  le  clief  des  '(  exallados  ». 
Régent  après  l'abdication  de  la  reine  Christine  en  1841.  une  insur- 
rection l'obligea  à  s'enfuir  en  Angleterre  (18i3i.  Il  renonça  après  1856 
à  la  vie  politique  et  mourut  en  1879, 


FORTUNEE  HAMELIN  129 

La  Madelaino,  28  octobre  1811. 

Je  suis  fâchée  qu'indirectement  même  votre  main 
ait  rendu  un  mauvais  service  à  Eugène.  Je  ne  ris  pas 
du  tout  de  l'éloignement  d'un  si  digne  ami,  lorsqu'il 
s'en  afllige,  lorsqu'il  est  inutile,  onéreux  même  à  ses 
intérêts.  C'est  uniquement  pour  arrondir  M.  delaW... 
qu'on  l'a  ôté  pour  l'y  mettre.  Bordeaux  est  aussi  cher 
que  Paris,  il  sera  tenu  à  un  grand  état,  et  le  tiendra 
(car  il  est  honorable)  ;  il  sera  forcé  de  se  séparer  de 
ses  filles  pour  les  priver  de  l'épouv^antahle  accent,  et 
pour  tant  de  sacrifices  il  aura...  moins  qu'il  n'a  ici. 
Son  chagrin  vous  étonne?  Mais  c'est  qu'il  est  bon  et 
sensible,  tout  cela  sous  lag'lace.  Et  vous...  vous  n'êtes 
que  bon,  point  sensible...  et  léger! 

Cher  ami,  c'est  trop  bourgeois  pour  vous  d'aimer 
une  femme,  parce  qu'elle  est  reine  !  Soyez  donc  reine, 
vulgaire  courtisane  1  Ouvrez  vos  mains  rapaces,  aimez 
les  arts,  la  belle  politique,  ayez  comme  les  autres  des 
comtes  de  Champagne,  des  Buckingam,  des  Carra- 
chiolo,  mais  que  voulez- vous  refaire  en  Espagne 
malheureuse?  Vous  y  avez  tout  détruit;  le  sublime 
ouvrage  de  Louis  XIV  tout  arrosé  du  sang  français, 
votre  sainte  et  grande  religion,  le  goût,  la  galanterie 
d'une  cour  élégante  et  fastueuse;  enfermée  avec  des 
subalternes  et  un  amant  ignoble,  négligeant  même 
vos  filles,  vous  avez  rêvé  d'être  la  Rotschild  des  reines. 
Que  feriez-vous,  pauvre  poularde  qui  ne  pouvez 
même  imiter  le  coq  gaulois!  Pour  Espartero...  nous 
sounnes  brouillés.  Je  hais  l'échafaud  de  Léon.  L'éner- 
gie, c'est  avant,  c'est  durant  le  combat.  Après  le 
triomphe,    l'énei'gie...    c'est   la    clémence.    Il    (le\ail 


130  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

renvoyer  ce  beau  gentilhomme  à  Christine  en  lui 
écrivant  :  «  Tenez,  il  vaut  mieux  que  Mugnos.  » 
Vous  n'approuvez  pas  la  clémence.  La  jeunesse  est 
ainsi.  Quelquefois  aussi  je  défends  le  fossé  de  Vin- 
cennes  mais  par  culte.  Dans  mon  cœur  je  le  pleure,  et 
je  connais  trop  le  dieu  de  Sainte-Hélène  pour  n'être 
pas  sûre  qu'il  Tait  aussi  déploré'.  Silence. 
•  Vos  raisons  sont  raisonnables,  ne  venez  pas  encore. 
C'est  encore  un  fameux  crève-cœur  qu'on  me  pré- 
pare. C'est  difficile  de  n'être  pas  un  peu  égoïste. 
Mais  je  combats  avec  énergie  cet  afïreux  défaut  de  la 
vieillesse.  Trechi  n'aura  pas  l'idée  que  vous  croyez. 
Il  était  bien  trop  oppressé,  affairé,  pour  se  picoter  si 
injustement.  Je  lui  en  écrirai.  J'ai  de  ses  nouvelles  de 
Nancy. 

Non.  Ce  n'est  pas  un  coup  qu'a  la  pauvre  K...  Elles 
croient  toutes  cela,  les  infortunées  !  Voilà  trois  ans 
déjà  qu'elle  souffre.  Sa  fantasque  obstination  peut  la 
perdre.  Lisez -lui  le  Volti  Subito. 

Si  vous  voyez  M"*"  Kisseleff,  dites-lui  que  je  suis 
ulcérée  contre  elle.  Je  l'aime  toujours,  mais  j'ai  la 
conviction  qu'elle  ne  m'aime  plus.  Je  sais  qu'elle 
souffre,  que  c'est  la  reine  fantasque  en  personne, 
qu'elle  peut  augmenter  ses  souffrances;  mais  voyez- 


'  Celte  confidence  est  bonne  à  retenir,  de  la  part  d'une  ancienne 
amie  intime  de  Bonaparte.  M™»  Ilamclin  n'en  fera  pas  moins  grief  à 
Chateaubriand  d'avoir  écrit  son  chapitre  sur  la  mort  du  duc  d'En- 
ghien.  {Mémoires  d'Outre-Tombe],  voir  article  de  F.  Hamelin  {Cons- 
lil.utionnel,  1"  août  1849i,  inséré  à  V Appendice.  Comme  le  dit 
j\I""  Ilamelin,  le  front  de  Napoléon  s'assombrissait  lorsque  sa  pensée 
se  reportait  au  fossé  de  Vincennes.  A  quelque  temps  du  meurtre, 
voyant  Fontanes  triste,  D'empereur  lui  dit  :  «  Vous  pensez  donc  tou- 
jours à  votre  duc  d'Enghien'?  »  —  «  Sire,  vous  y  pensez  aussi  », 
répondit  Fonlanes  (Forneron,  III). 


FORTUiNÉI::  HAMELIN  131 

VOUS,  j'ai  la  certitude  de  la  guérir,  j'y  engagerai  mon 
honneur  et  ma  vie.  J'ai  vu  le  miracle.  Je  me  mettrai 
à  ses  pieds,  j'y  mettrai  Zamoïski,  Félix,  tout  ce  qui 
l'aime  et  nous  la  sauverons. 

Que  voulez-vous  que  fasse  la  belle  Mathildc  ?  Nos 
lauriers  se  changent  en  roses;  si  elle  aimait  autre 
chose  que  le  bal  et  les  diamants,  elle  ne  serait  pas  à 
Paris. 

Trechi  est  unique.  Il  me  tourmente  pour  lui  donner 
des  lettres  fort  insignifiantes  que  j'écris  aux  autres  et 
lorsque  je  lui  en  écris  de  très  bonnes  il  ne  les  lit 
pas.  Je  disais  à  peu  près...  que  le  prospectus  était 
spirituel,  plein  d'idées  (comme  tout  ce  qu'écrit  l'au- 
teur) mais  que  dans  sa  circonstance  je  le  trouvais 
maladroit.  Tous  les  rois  sontplus  ou  moins  Charles  VII 
pour  leur  dauphin.  Puis,  les  conseils  au  fils  lui 
iraient-ils?  L'origine  est  indélébile,  les  blancs  restent 
blancs,  a  dit  un  grand  homme.  S'ils  oubliaient  les 
torts  du  père  en  faveur  du  fils,  pourquoi  ne  pas 
oublier  ceux  du  grand-père  en  faveur  du  pelit-fils? 
Croyez-le  bien,  c'est  encore  par  cette  détestable  classe 
moyenne  qu'ils  se  soutiennent  et  se  soutiendront;  le 
reste  n'arrivera  jamais. 

Que  dites-vous,  étourdi,  sur  la  défense  d'un  gros 
pataud  parBerryer?  Mais  c'est  parfait.  Lelégitimisme 
comme  le  catholicisme  est  essentiellement  propagan- 
diste, il  veut  ramener  en  ouvrant  les  bras.  C'est  l'é- 
clectisme divin  de  Jésus-Christ.  Ainsi  Berrycr  défend 
pour  rien  les  plus  sales  révolutionnaires,  il  a  été,  il 
est  la  consolation  du  pauvre  prince  Louis  si  oublié. 
Ces  gens-là  voient  qu'il  y  a  une  religion  politique 
qui  ordonne   aussi  la    charilé,    l'oubli   des    injures! 


132  tNE  ANCIENNE  MLFSCADINE 

Mais...  VOUS  ne  comprenez  donc  pas  rien?  Est-ce 
que  Berryer  peut  mal  dire  ou  mal  faire  ? 

Je  vous  ai  dit  que  les  Nouvelles  à  la  ?nain  étaient 
de  M.  de  Balzac.  Lui  et  M.  Victor  Hugo  tiennent  la 
poésie  et  la  prose  françaises.  Ce  sont,  sans  conteste, 
nos  deux  princes.  Ayez  la  bonté  de  m'envoycr  tout  de 
suite  la  nouvelle  Nouvelle  à  la  main.  Si  vous  pouvez 
joindre  le  n°  de  Janin  sur  son  mariage,  ça  m'amusera. 
J'ai  un  petit  faible  honteux  pour  Janin  \  Il  a  vraiment 
de  l'esprit  et  j'ai  plusieurs  raisons  de  lui  croire  bon 
cœur,  même  un  cœur  généreux. 

Votre  amoureuse,  enfoncée  dans  la  plus  haute 
dévotion,  parlait  peu  de  vous,  lorsque  le  feu  enterré 
sous  la  cendre  s'est  révélé  par  ce  charmant  petit  dia- 
logue :  Un  gros  bijoutier  très  riche  habite  une  jolie 
maison  à  Samois.  Voyant  tous  les  matins  Tony  dans 
son  panier,  sur  son  petit  cheval,  arriver  à  Técole,  il 
en  devint  fou  et  l'attendit  un  matin  tout  chargé  de 
friandises.  Tony  accepta  tout,  puis  le  bijoutier  s'offrit 
pour  futur.  «  Non,  c'est  pas  possible,  je  vais  me 
maïer  à  Paï  cet  hiver.  »  —  «  A  qui  donc  ?»  —  «  A 
mon  ami  T....  »  —  «  Eh  bien,  j  irai  vous  voir  dans 
votre  ménage.  »  —  «  Oui.  «  —  «  J'irai   dîner  avec 

'  Le  aiaiiage  de  Jules  Janiu,  au  dire  d'Arsène  Iloussaye  (Souve- 
nlrsde  Jeunesse)  «  fut  un  événement.  Le  contrat  était  étoile  de  toutes 
les  illustrations  de  ce  temps-là,  ïhiers  et  Hugo  en  tête.  ;) 

Balzac  cité  par  M"»«  Hamelin  ne  partageait  pas  son  goût  pour 
Jules  Janin.  «  Janin  est  un  gros  pelit  homme  qui  mord  tout  le 
monde  »,  écril-il  à  M™'^  llanska.  Il  disait  encore  en  parlant  du  cri- 
tique des  Débats  :  «  Un  homme  que  je  n'estime  et  qui  n'ohtiendra 
jamais  rien  de  moi.  »  (Balzac,  Lettres  à  l'Etrangère,  t.  I).  Signalons 
aussi  le  jugement  de  Fortunatus  (LeRicarol  de  18  42)  sur  Jules  Janin  : 
«  Bon  gros  original,  sans  haine  comme  sans  amour,  capable  seule- 
ment de  louer  ou  de  critiquer  avec  esprit  n'importe  quoi  et  nïm- 
poite  qui,  en  faveur  de  n'impoite  quoi,  contre  n'importe  qui.  )> 


FORTUNÉE  HAMELIN  133 

VOUS.  »  —  «  Nom,  non,  mon  ami  est  gouement,  il  ne 
laisse  rien.  »  —  «  Alors  j'irai  vous  porter  une  petite 
montre.  »  — «  Non,  non,  ça  le  rendrait  zalou.  «  —  «  Eh 
bien,  des  gâteaux.  »  —  «  Oui,  beautout,  nous  les 
mangerons  tous  les  deux.  »  A  ce  propos,  je  vous 
dirai  que  vous  donnez  tous  des  bonbons  trop  cliers 
à  Tony.  Elle  préfère  la  quantité  et  même  les  gâteaux 
aux  pastilles,  aux  fondants.  Je  vous  jure  même 
que  la  praline  naturelle,  le  pain  d'épice  et  la 
brioche  l'enchantent,  qu'ainsi  la  réforme  ici  plaira  à 
tous. 

Mes  projets,  tout  modestes  qu'ils  sont,  offrent  encore 
de  grandes  difficultés.  Rien  n'est  si  simple,  si  sûr,  si 
palpable.  Pas  un  coin  de  ciiarlalanisme,  ni  de  dupli- 
cité. Voilà  le  malheur  peut-être.  L'élégant  industriel 
Morny  a  dit  à  Trechi  «  Mais  si  c'était  vrai,  on  aurait 
trouvé  !  »  C'est  parce  que  c'est  vrai,  simple  qu'on  ne 
trouve  pas,  Monsieur.  Votre  borax  l'est-il  plus?  Et 
vous  avez  des  millions  de  niais  qui  ont  rempli  vos 
poches.  Nous  causerons  de  cela  en  attendant  le  secret. 
Comme  Eugène  part  et  revient,  je  ne  me  presse  pas 
plus  (que  si  M'"''  K...  devenait  sage  et  eût  besoin  de 
celui  qui  la  guérira).  Je  reste  jusqu'à  ce  que  la  faim 
chasse  le  loup  du  bois. 

Sans  date. 

Cher  auii,  voici  mon  itinéraire.  Je  reste  jusqu'au  16, 
puis  mon  petit  ménage  file  sur  Paris  et  moi  je  vais 
chez  M"'"  DWstoi'g.  Je  brûle  Augerville  cette  année  à 
mon  grand  regret.  Mais  Derryer  n'y  fait  que  paraître 
et  se  sauve  vite.  Vous  savez  pourquoi.  Si  le  cœur 
vous  en  dit,  vous  serez  toujours  le  bienvenu.  Votre 


134  UiNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

absence  me  fait  espérer,  plulùt  craindre.  Enfin,  sou- 
mettons-nous. Faudoas  est-il  parti  pour  sa  pointe?  Je 
suis  en  vérité  comme  sa  femme,  et  ne  puis  m'en 
consoler. 

Merci  des  nouvelles.  L'opinion  de  M.  Rover  Col- 
lard  est  du  meilleur  style,  du  meilleur  temps  de 
M.  de  Balzac.  Comment  en  pouviez-vous  douter  ? 
J'ai  fait  lire  le  prospectus  à  M.  de  Besplas  qui  est  un 
chef  de  file  légitimiste,  de  plus  homme  d'esprit.  Il 
m'a  dit  net  ce  que  je  vous  ai  écrit,  et  je  suis  toute  fière 
d'avoir  le  mot  d'une  opinion  qui  n'est  pas  trop  la 
mienne.  Ils  disent  de  plus  que  le  Roi  sent  si  i)ien 
qu'avec  le  catholicisme  il  reste  sur  le  sable,  qu'il  n'a 
pas  fait  un  pas,  dit  un  mot  qui  ne  fût  une  flatterie, 
un  appel  au  protestantisme,  qu'enfin  il  l'a  voulu 
établir  sur  son  trône  pour  lui  succéder,  et  qu'il  est  là 
pour  faire  espérer  que  le  fils  ira  à  lui  et  non  la  fille 
vers  le  catholicisme.  Sans  cette  idée  qu'il  poursuit 
seule  //  eût  abjuré,  le  désirait  même.  Mais  depuis  elle 
a  connu  la  pensée,  elle  persiste  et  sa  faveur  en 
augmente.  Jamais  ils  ne  transigeront,  car  le  principe 
ne  se  perd  à  aucune  génération.  C'est  autant  une 
guerre  do  religion  qu'une  usurpation  odieuse,  et  les 
apostats  entraînent  d'autant  moins  que  vous  n'en 
trouverez  pas  un  seul,  disent-ils,  qui  ne  soit  ou 
pauvre,  ou  déjà  taché. 

Le  comte  de  Chamois,  qui  a  moins  d'esprit  que 
M.  de  Besplas,  m'a  redit  exactement  les  mêmes  choses. 
Je  crois  donc  que  la  classe  moyenne  nous  gouvernera 
longtemps,  et  aidés  de  20  000  francs  de  rente  qu'on 
va  donner  à  tout  le  monde  (car  quel  pédant,  quel 
mercier  ne  sera  pas  ministre),  ils  se  trouveront  aisés, 


FORTUNEE  HAMELIN  13a 

encouragés,  et  nous  bien  heureux  de  pcayer  tant  de 
grandeurs  et  de  nationalité. 

Ceci  dit  à  un  aspirant  pauvre  par  une  occasion. 

Je  tripote  mon  jardin  qui  sera  plus  propre  dans  la 
prairie.  On  y  met  une  multitude  de  fleurs  qu'on 
m'envoie  des  jardins  légitimistes.  D'Astorg-,  lui,  en 
vrai  pliilippiste,  m'en  vient  prendre. 

Il  me  tarde  de  renvoyer  cette  Presse  aussi  impu- 
dente qu'ennuyeuse.  Voilà  deux  mois  que  je  n'y  lis 
que  rarticle  Paris,  le  reste  étant  d'Henry  Berthoud  et 
de  Charlotte  de  Sor\  Ils  espèrent  et  arriveront  aux 
20Û00  francs  de  rente  avec  cela. 

A  bientôt  de  toute  manière. 

La  Madelaine,  12  novembre  1841. 

Vite,  vite,  de  quelle  brochure  parlez-vous  ?  Je 
n'ai  reçu  que  les  Nouvelles  à  la  main  et,  avant  le 
départ  de  Trechi,  votre  prospectus.  Si  c'est  la  bro- 
chure suite  du  prospectus,  envoyez  à  la  poste,  j'y 
tiens  furieusement.  J'ai  parfaitement  payé  à  beau 
terme  7  à  8  francs  pour  l'œuvre  qu'il  ne  m'envoie 
pas.  Si  elle  n'est  pas  rue  Blanche  ',  je  la  réclamerai 
puisque  ce  fou  est  bien  tombé.  Certes  je  changerai 

^  Henry  Berthoud  avait  publié  en  octobre  lSo9  dans  la  Presse  un 
feuilleton  intitulé  :  Histoire  anecdotique  du  xi.x»  siècle,  les  Diamans 
méconnus.  En  novembre  1839,  Cliarlotte  de  Sor  tenait  le  rez-de- 
chaussée  du  journal  avec  le  Berger-Roi  (Esquisses  d'Histoire  Con- 
temporaine). 

Charlotte  de  Sor  était  ainsi  jugée  par  Le  Riuurol  de  iSi'2  : 

a  La  Marco  Saint-Hilaire  de  la  Presse,  comme  l'autre  .Marco  du 
Siècle,  dont  les  lauriers  rempcchent  de  dormir  :  elle  a  acquis  une 
certaine  célébrité  en  nous  servant  la  petite  oie  de  Taigle  napoléonien 
en  hachis  de  leuilleton    « 

-  Où  habitait  alors  M'"»  Hamelin. 


i36  UNE  ANCIENNE  MUSGADLNE 

la  Presse,  le  livre  de  Sophie*  est  moins  ennuyeux 
à  lire. 

Oui,  oui,  la  noininalion  de  M.  Mercey  m'a  fait  bien 
mal  au  cœur!  J"ai  dit  :  «  C'était  ça  qu'il  lui  fallait  !  )> 
Celui-là  est  encore  un  ennuyeux  passé  maître.  Cepen- 
dant il  a  dit  de  bonnes  choses  sur  le  Francia  et  la 
Ferrari  à  la  galerie  de  Turin.  Vous  placez  bien  vos 
œuvres  d'art!  La  KisselelT  et  un  valet!  Cela  prouve 
(pour  le  valet)  que  vous  ne  vous  y  connaissiez  guère 
mieux  que  lui.  Mais  à  présent,  nous  sommes  savants. 

Trechi  et  sa  graisse  noire  m'ont  fait  rire.  11  doit 
toutes  ces  bêtises  qui  le  dévorent  à  M.  Hutchinson-,.. 
Vous  vous  souvenez?  C'est  cette  même  graisse  qui 
traîne  dans  les  journaux  et  qu'un  vieux  cochon  d'an- 
glais fait  à  l'entresol  du  pavillon.  Votre  petite  braise 
est  bien  autrement  gentille  et  chaleureuse,  mais  ça 
ne  brûlera  pas  longtemps.  Les  boulangers  garderont, 
augmenteront,  c'est  une  surprise  heureuse. 

jyjmo  DeniidofT  est  mieux  avec  une  jeune  femme 
bien  née  qui  est  mariée  à  un  homme  de  lettres  qu'avec 
cette  sale   traînée  de   Dosne^    Je   trouve  même   de 


'  Sophie  Gay,  née  Michault  de  la  Valelte  (l776-i8o2),  mère  de  Del- 
phine de  Girardin,  publia  plusieurs  ouvrages,  entre  autres  Laure 
iVEslell,  1808  ;  Léonie  de  Montbveuse,  1813  ;  Anatole.  1815  :  Les  Mal- 
heurs d'un  amant  heureux,  1818-1823,  etc  ,  et  au  théâtre  le  Marqïiis 
de  Pomenars,  la  Sérénade,  le  Maître  de  Chapelle. 

-  M.  Ilutchinson  avait  contribué  à  l'évasion  de  M.  de  La  Valette. 

^  Rapprochons  de  ce  passage  les  lignes  suivantes  que  Balzac  écri- 
vait en  mars  1840  dans  ses  Lettres  russes  de  la  Hevue  Parisienne  : 
«  Comme  les  enfants,  JL  Thiors  a  dans  son  intérieur  une  étonnante 
naïveté  quand  il  est  surpris  par  les  événements  qu'il  aru'ait  dû  pré- 
voir et  qu'il  n'a  pas  prévus,  cjr,  queliiue  intelligente  que  soit  sa 
bonne  (il  a  dans  M""  Dosne  une  bonne),  cette  femme  n'a  pas  encore 
toute  la  virilité  nécessaire  à  si^s  fonctions  politiques...  Celte  bonne 
est  certainement  le  cœur  de  la  politique  de  1\L  ïhiers,  une  espèce 


FORTUNEE  HAMELLN  137 

l'adresse  à  tout  ce  qu'on  fait  de  gracieux  pour  les  gens 
qui  se  font  lire  tous  les  matins  par  80  à  100  000  Fran- 
çais. M.  Jules  Janin  m'a  écrit  un  faire-part  fort  gra- 
cieux et  je  lui  ai  riposté  du  même  ton.  Je  parie  que 
c'est  lui  qui  donne  des  log^es  à  Demidoff. 

J'ai  trouvé  aussi  une  petite  braise  qu'on  ne  pourrait 
pas  éteindre.  C'est  pour  cela  que  je  reste,  que  je 
serai  pcut-elre  forcée  d'aller  jusqu'à  Nemours  et  que 
je  ne  pars  plus  le  l.j.  L'idée  m'en  a  été  donnée  parle 
jeune  homme  qui  est  le  gérant  du  xix"  siècle.  Mais 
comme  il  me  faut  de  la  faveur,  il  s'est  retiré  fort  loya- 
lement. Nous  aurions  besoin  de mais  je  vous  con- 
terai cela  dans  ma  chambrette,  car  je  trouve  que  cela 
chausserait  M.  de  C...  comme  un  ange.  Dites-lui 
pour  le  sonder  «  qu'il  s'agit  d'une  braise  exactement, 
acheter  d'une  main,  vendre  à  l'instant  de  l'autre  et  le 
transvasement  serait  ici  de  30  p.  100  sur  12  à 
1  500  000  francs  qu'on  peut  obtenir  tous  les  ans  pour 
les  avances;  à  peine  GO  à  80  000  francs  dont  je  don- 
nerai moitié  et  les  marchés,  états,  renseig'nements,  tout 

enfin  excepté ce  que  je  vous  dirai.  Vous  voyez 

qu'il  y  aurait  pitance  pour  tous.  Taisez  tous  les  noms. 

Quel  monstre  que  cet  Espartero  !  Et  je  lui  vois  des 
imitateurs  dans  ces  jeunes  misérables  élevés  par  l'his- 
toire de  la  Révolution  de  M.  Tliiers.  Après  lui,  arrive 
cette  juive  de  Christine*.  Vous  voyez  que  la  rnalhou- 

de  père  Joseph  en  jupons  qui  remonte  le  courage  du  premier 
ministre  quand  il  s'amollit.  Le  pouvoir  de  celte  l'emme  est 
immense  :  en  mainte  occasion  M"»»  iJosne  a  fait  revenir  M.  Tiiiers 
sur  une  décision.  Aujourd'hui,  ([uanJ,  après  son  diner,  il  reçoit  un 
ambassadeur  et  qu'il  s'endort,  elle  reste  à  trois  pas,  le  surveille  et 
répond  pour  lui.  » 
'  La  reine  Christine  vint  à  Paris  (décembre  1840)  et  fut  reçue  par 


138  UNE  ANGIIiNNE  MUSCADINE 

reuse  lui  a  manqué  de  parole  pour  les  sept  millions 
promis.  La  lettre  trouvée  explique  sa  lâcheté  et  pour 
sept  millions  à  qui  en  possède  120,  que  de  nobles 
victimes  !  La  pauvre  Berry  n'a  pas  trouvé  de  tels 
chevaliers!  Pourtant  quelle  difiérence  de  cause,  de 
courage  et  de  générosité  !  C'est  que  le  cœur  de  la 
France  est  bien  inférieur  à  celui  de  l'Espagne. 

La  petite  Potocka  n'est  pas  coquine.  Elle  est  ga- 
lante, dépensière,  capricieuse  et  polonaise.  On  la 
rajuste  avec  son  mari  pour  lui  faire  tenir  une  bonne 
maison. 

Saint-Simon^  ne  vaut  ni  plus  ni  moins  qu'eux  tous, 
seulement  il  est  plus  aimable  et  bon  vivant.  Il  votera 
la  mort  du  roi  Louis-Philippe  aussi  lestement  que 
celle  des  autres...  J'avoue  que  ces  procédés-lk  sont 
brusques,  mais  rien  n'est  trop  fort  pour  ce  temps-ci. 

M.  de  M...  -  m'a  fait  savoir  qu'il  était  très  content 
de  votre  brochure.  Je  conçois  le  pourquoi,  et  pourquoi 
il  m'a  voulu  être  agréable  à  bon  marché  en  me  le 
faisant  dire!  Mais  où  est-elle  celle  brochure? 

Il  fait  un  temps  inouï;  la  chute  du  Rhin  tombe  sur 
notre  toit  qui  tient  bon.  M.  de  Chamois  a  le  courage 
de  faire  douze  lieues  à  cheval  à   travers  les  boues 


Louis-Philippe.  Alphonse  Karr  cite  uu  mot  de  la  reine  Christine  à 

Espartero.  «  Je  t'ai  fait  duc  de  li  victoire,   marquis  de comte 

de mais  jamais  je  n'ai  pu  le  faire  gentilhomme.   »  Dans   une 

autre  lettre.  M"»"  Uamelin  l'appelle  la  Pomaré  de  Madrid.  On  peut 
rap[)eler  à  propos  du  jugement  de  M'^"  Hamolin  sur  Thiers  l'opinion 
d'IIorlense  AUart  dans  une  lettre  à  Sainte-Beuve  (21  mai  18i8)  : 
«  C'est  M.  Thiers  avec  Danton,  c'est  son  école  imbécile  qui  a  fait 
ce  parti  du  peuple.  » 

'  Pair  de  France,  lieutenant  général  commandant,,  en  1844,  la 
division  de  Baslia. 

-  Montrond. 


FORTUNEE  HAMELLN  139 

grasses  de  la  Brie,  les  bois,  les  rivières  débordées 
pour  venir  dîner,  puis  le  soir,  par  la  nuit  noire,  il 
retourne.  Il  est  soutenu,  je  crois,  par  un  parfum  de 
bonne  fortune,  il  rêve  le  reste. 

J'ai  bien  du  regret  d'avoir  brûlé  Augerville,  d'au- 
tant que  M.  de  Cliamois  eût  bien  désiré  y  venir  et  cela 
m'eût  été  plus  commode  que  notre  guimbarde  de 
M'""  Sailly.  Mais  le  temps  et  ma  basse  clique  ne  me 
l'ont  pas  permis.  Que  fait  donc  M""^  Sailly  en  son 
magnifique  appartement  de  réception?  Vous  seriez 
bon  de  me  savoir  si  Brunet  est  arrivé  ou  attendu? 
Aux  élections  procbaincs  j'espère  qu'il  sera  enfin 
élu. 

Tout  ceci  veut  dire  que  j"ai  le  temps  de  recevoir 
encore  une  lettre  de  vous  et  que  je  la  désire.  Tony 
pleure  dans  un  coin  d'être  oubliée.  Mais  des  biscottes 
de  Bruxelles  parviennent  dans  nos  bois  pour  sécher 
ses  pleurs. 

C'était  bien  pour  lui  que  Didier'  voulait!  Il  espé- 
rait une  avance  du  grand-père  qui  n'a  pas  été  sensible 
aux  beautés  du  Raphaël.  Voilà.  Nous  sommes  dans 
un  temps  de  pleutrerie  et  la  braise  occupe  plus  que  la 
découverte  de  Perpignan. 

La  Madelaine,  1841. 
Mercredi  soir. 

J'ai  renouvelé  connaissance  avec  grand  plai.sir. 
C'est  une  personne  qui  gagne  à  être  connue,  et  à  la 
première  vue  je  n'avais  pas  assez  senti  tout  ce  (ju'il  y 
a  d'ingénieux,  de  frappant  dans  le  charmant  paral- 
lèle de  Catori  et  de  Lafayette.  C'est  une  de  ces  trou- 

'  Cliarles  Didier,  lilléraleur. 


140  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

vailles  qui  feraient  seules  un  succès,  s'il  y  avait  des 
lecteurs  de  goût  et  occupés  d'autre  chose  que  de  leurs 
intérêts.  Avec  vos  idées  et  votre  esprit  vous  devez 
étudier  sérieusement  la  phrase  ;  la  votre  se  présente 
souvent  tortueuse,  rud;',  elle  s'éclaircit  trop  tard.  Il 
faudrait  la  lire  par  sa  lin  pour  la  comprendre  plus 
vite,  elle  fait  presque  l'eifet  d'être  écrite  par  un  étranger 
qui  sait  la  langue,  mais  manque  d'habitude  pour 
la  parler.  La  phrase  doit  présenter  l'idée  comme 
sur  un  plateau,  elle  n'est  que  cadre.  Voyez  la  lim- 
pidité de  celle  de  Napoléon  dans  son  Précis  de 
César  !  C'est  cette  netteté  qu  il  faut  atteindre  ;  ce 
ne  serait  pas  imiter,  ce  serait  apprendre  et  prati- 
quer Varl,  Ce  qui  n'empêche  pas  31.  Buloz  d'être  un 
stupide. 

C'estsingulier  comme  souvent  sur  les  choses  morales 
nos  jugements  diffèrent.  Heureusement  vous  êtes  si 
rapide  et  si  peu  convaincu  que  vous  revenez  franche- 
ment au  premier  aperçu  qui  vous  semble  plus  vrai 
que  votre  impression.  Eh  bien!  Je  trouve  que  M.  de 
Monlrond  agit  en  bon  prince  en  plaçant  ses  serviteurs. 
C'est  d'ailleurs  une  impertinence  qu'il  jette  au  nez  du 
public  qui  se  trouve  payer  ses  valets.  Je  trouve  que 
des  Voisins  fait  la  première  action  louable  de  sa  vie 
en  acceptant  le  travail  le  plus  subalterne  pour  ne  pas 
donner  à  lui,  à  sa  maîtresse,  à  ses  enfants,  le  seul  pain 
des  entrechats  de  Taglioni.  Ce  qui  est  inouï,  infâme, 
c'est  une  administration  qui  recueille  tout  ce  qu'il  y  a 
de  dégradé,  de  flétri  même  par  les  tribunaux,  en  bra- 
vant l'indignation  des  honnêtes  gens.  A  ce  sujet, 
voici  un  fait  qui  fait  sentir  cruellement  la  différence 
des  hommes,  des  temps En  1804,  lors  de  la  for- 


FORTUNÉE  IIAMELhN  Ul 

matioii  de  la  maison  civile  de  l'Empereur,  seize  cham- 
bellans furent  nommés  à  la  fois  et  publiés  au  Moni- 
teur. Presque  tous  étaient  des  émigrés  ou  des  gens  de 
qualité.  M'"*  de  Caumont'  avait  si  bien  tripoté  près  de 
Joséphine  que  son  mari  était  de  la  promotion.  Le  soir, 
lous  se  rassemblèrent,  adressèrent  un  placet  à  l'Em- 
pereur sig-né  des  quinze  promus,  lui  expliquèrent  que 
M.  de  C. . .  ayant  été  souffleté  à  Saint-James  avait  refusé 
de  se  battre,  que,  s'abaissant  aux  escroqueries  les  plus 
honteuses,  nulle  personne  ne  le  voulait  recevoir  et  qu'as- 
surés que  la  religion  de  l'Empereur  avait  été  surprise, 
on  ne  leur  réservait  pas  de  faire  un  service  d'honneur 
avec  un  homme  déshonoré,  etc.  —  L'Empereur  alla 
donner  un  g-alop  effroyable  à  Joséphine  et  Duroc  fit 
partir  pour  Chaudeur  (oii  était  M.  de  C.)  un  cour- 
rier chargé  de  lui  dire  que  sa  nomination  était  une 
erreur  de  nom. 

Ce  que  vous  m'écrivez  de  votre  vie  ne  m'a  pas  fait 
rire,  mais  m'afflige  véritablement.  Il  ne  faut  ni  faire 
le  pédant,  ni  se  lancer  parmi  les  plus  extravagants, 
les  plus  riches.  C'est  presque  manquer  de  dignité  que 
d'être  toujours  l'ami  qui  tamponne  et  l'amant  gratis 
des  filles.  D'ailleurs,  vous  visez  au  sérieux.  Ces  habi- 
tudes soldatesques  ne  vous  ont  jamais  quitté  et 
si  vous  avez  manqué  à  une  certaine  époque  de  la 
délicatesse  du  cœur,  comment  espérer  le  tact  queje 
réclame  pour  vous!  Ah!  Tony  a  raison  «  vous  êtes 
un  peu   trop  farceur  ».   Ce  qui  ne  l'euipùclie  pas  de 


*  M""»  de  G «  si  longtemps  la  plus  jolie  femme  de  Paris.  »  (Nor-^ 

vins,  Mémorial,  I.  137). 

(V.  Anae  de  Caumont  —  La  Force  Comlesse  de  Baibi  par  le 
Y"=  de  Rciset.  ■- Emile-l'aul,  1009). 


142  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

VOUS  embrasser  et  moi  aussi.  A  mercredi  procliain. 
Ecrivez,  je  vous  prie,  à  la  Presse,  qu'on  l'envoie 
samedi  prochain,  rue  Blanche,  39.  Il  y  a  une  M"*'  de 
Semei'illc  de  ce  sale  Bazaucour  et  ce  n'est  pas  trop 
mauvais. 


r 


ANNEE  1842 


Allusion  à  l'accident  mortel  du  duc  d'Orléans.  —  Mort  de  M.  de 
Lille.  —  Moraski.  —  Le  duc  d'Orléans.  —  Sa  mort.  —  Michel  Che- 
valier. —  Thiers,  lâche  Pasquin.  —  M.  Biard.  —  Des  visites.  — 
M.  de  Chateaubriand.  —  Mauvaises  nouvelles  de  Montrond.  — 
Confidences.  —  M"»  Ancelot.  —  Un  cousin  du  pays.  —  M"«  Biard. 
—  Le  Hon  et  le  Prince  de  Ligne.  —  Une  brochure  du  prince 
Louis  sur  la  betterave.  —  Le  marquis  de  Saint-Simon.  —  Pajol  et 
Jacqueminot.  —  La  baronne  Reguault  de  Saint-Jean-d'Angely.  — 
Berryer  à  la  Madelaine.  —  Berryer  et  le  duc  de  Bordeaux. 

16  juillet  1842,  La  Madelaine. 

C'était  par  discrétion  vraie  que  je  ne  vous  ai  point 
écrit  durant  votre  mission  extraordinaire.  Du  reste  je 
lisais  tout  de  la  Sarthe.  Rien  n'y  a  été  fait  de  mieux 
que  ce  que  j'ai  eu  sous  les  yeux  pour  M.  de  Ségur*. 
Votre  ami  n'ayant  pas  eu  les  honneurs  de  la  condam- 
nation en  police  correctionnelle  ne  devait  guère  espé- 
rer pour  une  condamnation  deux  collèges,  pour  deux, 
trois,  et  toujours  crescendo.  Vous  dites  que  Caroline 
fait  la  précieuse.  Bon  Dieu  !  que  c'est  amusant  !  Croyez 
que,  sans  lui  nuire,  c'est  la  plus  effrontée  coquine  du 
boulevard  Italien,  du  reste  bonne  diablesse.  Le  duc  de 
Reichsladt"  a  tari  toutes  les  larmes  que  je  puis  verser 
sur  les  héritiers  des  couronnes  :  cette  mort  ressemble 

'  Il  y  eut  un  comte  de  Ségur  (Paul-Charles-Louis-Philippe)  (1809- 
1886)  qui  fut  élu  le  9  juillet  1842  député  de  Seine-et-Marne. 

*  Le  duc  de  Reichstadt  était  mort  en  1832.  Par  cette  mort,  le  prince 
Louis -Napoléon  était  devenu  l'héritier  politique  de  Napoléon. 


144  LNE  ANGLENiN'E  MUSCADLNE 

à  celle  de  l'Ancien  Testament,  elle  est  miraculeuse. 
Mais  peut-on  s'cftarcr  comme  a  fait  ce  jeune  homme"? 
Quel  fond  de  poltronnerie  !  Son  innocente  épée  n'a 
été  fatale  qu'à  lui  seul,  s'il  est  vrai  que  c'est  la  garde 
qui  l'a  tué.  J'ai  pensé  que  la  Régence,  et  celle  d'une 
protestante,  était  impossible,  mais  le  roi  vivra  cent 
ans  et  tout  s'arrangera. 

M.  de  Cercey  vous  a-t-il  conté  l'aimable  nuit  ({ue 
deux  commissaires  lui  ont  fait  passer  chez  M...  *?  Etait- 
il  autorisé?  Ne  l'était-il  pas?  Je  dis  :  oui,  il  l'était.  11 
y  a  du  malentendu  dans  la  saisie  et  l'éclat,  sans  cela 
on  poursuivrait  et  on  étouffe  tout,  et  le  roi  na  pas  été 
fâché...  C'est  malheureux,  tout  allait  bien  et  ferme, 
on  donnait  oOO  francs  par  soirée,  1.000  francs  par 
mois  aux  valets.  Est-ce  vrai  que  M.  de  Cercey  avait 
des  fonds  dans  la  banque?  Je  croirais  plutôt  qu'il 
recevait  sans  donner.  Vous  savez  que  M.  de  Lille  est 
mort.  Son  amie  est  venue  passer  plusieurs  jours  chez 
moi  à  Paris.  J'avais  des  peines  infinies  à  contenir 
ceux  qui  venaient  nous  voir,  qui  s'écriaient  tous  : 
«  Il  est  mort,  quel  bonheur!  Elle  a  joué  à  qui  perd 
gagne,  j'irai  la  voir  maintenant,  o  Elle,  la  pauvre 
femme,  pleurait,  sans  jeu,  ses  regrets  sont  vrais, 
profonds.  0  cœur  humain,  qui  peut  te  définir! 

Votre  Tony  est  un  diable  déchaîné.  Elle  est  tous 
les  jours  plus  jolie  et  plus  violente,  nous  sommes 
décidées  à  la  jeter  dans  la  rivière.  Venez,  venez  donc  ! 
Nous  essuyerons  vos  pleurs,  nous  parlerons  de  nos 
misères,  nous  verrons  de  meilleurs  jours,  vous  sur- 
tout, pauvre  garçon. 

*  Ke  s'agit-il  pas  ici  de  Menitcond  et  d'une  maison  de  jeu.v;  ylus  ou 
moins  clandc=lino  ? 


FORTUNÉE  HAMELIN  145 

Parlez  de  moi  au  petit  Bijon.  Dites-lui  de  m'écrire 
ses  bons  petits  caquets.  Dites  à  M.  Moraski  '  que 
notre  raisin  sera  abondant,  délicieux,  qu'il  n'y  aura 
plus  un  malade  après  en  avoir  mangé. 

1j  au  soir. 

Sans  date,  1842. 

Cher  ami,  en  lisant  les  détails  de  cette  chute  ,'  on 
se  persuade  que  ce  malheureux  était  un  verre  de 
Venise.  Quel  roi  il  eût  fait  !  Je  le  regrette  sous  ce 
rapport.  A-t-on  jamais  vu  tant  de  lâcheté,  une  tête 
perdue  pour  si  peu!  Mille  et  mille  fois  cela  m'est 
arrivé.  Il  faut  être  juste.  Montrond  ne  sautait  pas 
lorsque  par  des  chemins  horribles  les  chevaux  s'em- 
portaient. Ce  jeune  homme,  au  reste  avait  un  corps 
de  coton,  le  cœur  seul  était  dur.  N'avoir  pas  été  voir 
les  mourants  du  8  mai,  les  avoir  laissé  chasser...  ah  ! 
c'est  prodigieux! 

On  vous  portera  des  drogues  dont  vous  aurez  la 
bonté  de  vous  charger  pour  ici.  Mais  tout  est  subor- 
donné à  vos  projets. 

Si  ce  nigaud  de  Brunet  m'eût  écouté  et  qu'il  eût 
acheté  le  pressoir,  il  eût  été  député  au  nez  de  M.  de 
Ségur.  J'aurais  eu  tous  les  légitimistes  et  les  rive- 
rains étaient  conduits  par  le  coq  notre  meunier,  votre 


'  Théodore  Moraski,  né  en  1797,  mort  à  Paris  le  22  novembre  1879, 
fut  député  à  la  diète  do  Pologne,  ministre  des  Affaires  étrangères 
en  1831.  Il  a  publié  plusieurs  opuscules  politiques  et  une  Histoire  de 
Pologne  en  six  volumes. 

-  Le  duc  d'Orléans  se  tua  en  sautant  de  sa  voiture  dont  les  chevaux 
s'étaient  emballés,  àNeuilly  le  13  juillet  18i2.  Cf.  Journal  de  Cuvil- 
lier-Fleunj,  Thureau-Dangin  (op.  cit.).  Alfred  do  Musset  composa 
au  sujet  de  celte  mort  tragique  des  stances  qui  parurent  dans  la 
Presse  (juillet  1843). 

10 


146  UNI::  ANCIENNE  ML'SCADINE 

aubergiste  Simon,  Henrv,  beau-frère  du  maire  et  le 
brave  Bertrand.  Tout  cela  n'a  pas  coûté  mille  écus. 
encore  en  cadeaux.  Oui,  les  premières  élections  sont 
horriblement  chères.  Nous  prendrons  toutes  les  infa- 
mies de  l'Angleterre  et  elle  gardera  ses  grands 
ministres,    son    patriotisme    et    la    domination    du 

monde. 

26  août  1845.  La  Madelaine. 

Cher  ami,  je  lis  que  M.  Clievalier^  est  de  nouveau 
en  chance.  Y  allez-vous,  en  espérez-vous?  Je  crois 
qu'en  concurrence  de  M.  B.  de  Lessert  il  doit  l'enle- 
ver. Enfin,  je  le  désire  beaucoup,  puisque  vous  fondez 
sur  lui  des  espérances  solides. 

M.  Thiers  s'est  surpassé  lui-même.  Aller  au  delà  de 
ce  lâche  Pasquin''  est  désormais  impossible.  Quels 
hommes,  quel  temps  ! 

Le  temps  de  Dieu)  nous  comble  de  faveurs.  La 
chaleur  un  peu  diminuée  nous  donne  des  soirées  et 
des  lunes  magnifiques,  yi.  Biard^  ne  vit  que  d'extases 
et  vient  d'acheter  à  un  grand  propriétaire  un  arpent 


'  Michel  Chevalier  (1806-1879),  ingénieur  des  mines,  Saint-Simo- 
uien,  directeur  du  Globe,  député  de  rAveyron  (1845),  membre  de 
l'AcaiIémie  des  Sciences  morales  (18.51).  «  Saint-Simonien  à  jaquette 
bleue,  à  grande  barbe  et  à  gilet  symbolique,  il  tâcha,  enlSSO,  d'allier 
la  chair  avec  Tesprit  dans  son  couvent  de  Ménilmontant  ;  mais  il 
fut  bientôt  corrigé  de  son  utopie  par  si'c  mois  de  prison,  partagés 
avec  le  Père  Enfantin.  »  [Le  Rivarol  de  1842).  11  a  laissé  trois  filles 
qui  ont  épousé.  Tune  M.  Flourens,  ancien  ministre,  l'autre 
M.  Leroy-Beaulieu,  la  troisième  M.  Le  Play. 

-  ^1°"'  Hamelin  souscrivait  au  jugement  de  Fortunatus  (Le  Riva- 
rol de  1845)  qui  appelait  l'homme  d'Etat  :  «  moitié  Crispin,  moitié 
Verres,  espèce  de  clerc  d'huissier  dictateur.  »  Balzac  (Reçue  Pari- 
sienne 1840)  se  montre  également  sévère  envers  lui. 

^  Ancien  ofQcier  de  marine,  peintre  et  littérateur,  qui  habita  Les 
Plàtreries,  non  loin  de  la  Madelaine. 


FORTUNÉE  HAMELIN  147 

délicieusement  placé  sur  lequel  il  va  faire  bâtir  un 
chalet  dessiné  par  lui.  L'autre  jour  ils  ont  dîné  avec 
nous  et  après,  il  a  fait  venir  son  bateau  et  nous 
sommes  restés  sur  la  rivière  jusqu'à  onze  heures.  Ils 
sont  bons,  polis  et  contents  d'être  au  monde.  Une 
troupe  brillante  est  venue  au-devant  de  31.  de  Mont- 
rond  à  Fontainebleau;  elle  se  composait,  bien  entendu 
de  M"""^  Doumere,  Blanche,  Grouchy  pour  cavalier,  il 
n'y  manquait  que  Rondeau. 

Parlez-moi  donc  de  vous,  de  Paris,  des  tripotages 
indéfinis  de  M.  de  Cercey  et  de  votre  petit  frère. 
Tony  ne  croît  pas  en  sagesse,  malheureusement.  Elle 
fatigue  môme  mon  indulgence  pour  elle.  Ça  me  désole 
de  ne  réussir  à  rien,  même  dans  cette  innocente 
entreprise. 

La  petite  Morel'  se  dispose-t-elle  à  venir  en  sep- 
tembre? Je  la  logerai,  elle,  et  Moraski  ira  chez 
M™*  Simon  oii  je  lui  retiendrai  une  chambre.  Je  dis 
retiendrai,  car  les  chambres  mêmes  sont  retenues 
partout.  M"^  Biard  en  a  raflé  utie  quantité  pour  des 
femmes  de  ses  amies  qui  arrivent.  Il  ne  faut  penser 
qu'au  bateau.  Le  chemin  de  fer  est  tout  ce  qu'on  peut 
imaginer  de  saleté,  difficulté,  longueur  et  cherté.  Je 
suis  arrivée  à  minuit,  abîmée,  jurant,  mais  un  peu 
tard,  qu'on  ne  m'y  prendrait  plus. 

M.  de  Chateaubriand  m'avait  promis  de  revenir  par 
la  Madelaine  en  quittant  sa  diligence  à  Fontaine- 
bleau. Cet  honneur  m'a  été  enlevé  parle  dévouement 
de  Madame-  sa  femme   qui  a  été  le  prendre  et  l'a 

'  Petite-nièce,  croyons-nous,  rlc  Mornay  (1732-18^4),  qui  avait  été 
lié  avec  Montrond. 
*  Fortunée  Hamelin  peint  ainsi  .M»»  de  Chateaubriand  :  «  petite 


148  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

ramené  par  Chartres  et  3Iaintenon  où  ils  sont  restés 
huit  jours. 

Vous  ferez  hien  encore  une  pointe  par  ici,  n'est-ce 
pas  ? 

La  Madclaine,  mercredi  soir  14  septembre  1812. 

Et  voilà,  cher  enfant,  qu'on  m'écrit  des  choses 
désolantes  sur  l'état  de  Monlrond.  Sachez  s'il  est  vrai 
qu'il  soit  paralysé  des  deux  bras  et  presque  imbécile... 
On  donne  ici  des  causes  hideuses  à  cette  nouvelle 
attaque.  C'est  perdre  deux  fois  ceux  qu'on  a  aimés' 
que  de  les  voir  mourir  ainsi.  Souvent,  pour  m'expliquer 
son  inexplicable  conduite,  j'ai  senti  que  sa  mémoire 
était  perdue  et  son  cœur  frappé,  et  lorsque  je  vois  que 
c'était  bien  vrai,  j'ai  horreur  d'une  si  triste  destinée. 

Ah  !  mon  dieu  !  Ayez  donc  tant  d'esprit-  ! 

femme  délicate,  aux  traits  un  peu  poiatus,  vive,  arrêtée  et  qui  était 
absorbée  par  la  vente  de  son  clioco'.at,  un  des  moyens  ingénieux 
qu'elle  avait  imaginés  afin  de  pourvoir  à  ses  immenses  cbarités  ». 
{Constitutionnel,  1"  août  1840).  Ladreif  de  Lacharrière.  Les  Culiiers 
de  3/""°  de  Chateaubriand.  Emile-Paul.  G.  PaiUiès.  Chateaubriand, 
sa  femme  et  ses  amis 

*  Il  semble  bien  que  cette  Muscadine  endiablée  que  fut  Fortunée 
Hamelin,  qu'on  appela  le  «  premier  polisson  de  France  »,  eut  une 
préférence  marquée  pour  Montrond.  Qui  manqua  le  premier  à  la  foi 
jurée?  Montrond  sans  doute,  bien  que  les  équipées  de  M°>°  Hamelin 
avec  le  beau  colonel  Fournier  et  Morisel,  d'autres  peut-être,  y  com- 
pris Chateaubriand,  nous  permettent  quelque  doute  sur  la  fidélité 
dont  elle  était  capable.  Mais  si  elle  faisait  tout  par  «  bousculades  » 
(le  mot  est  de  Montrond  lui-même),  il  serait  injuste  —  les  lettres  de 
sa  vieillesse  le  prouvent  surabondamment  —  de  ne  pas  lui  accorder 
ce  culte  de  l'amilié  qui  fut  la  consolation  de  ses  vieux  jours.  Elle 
aima  Montrond,  fut  trahie  et  peut-être  exploitée  par  lui,  car  il 
n'était  pas  infiniment  scrupuleux  (Talleyrand). 

*  L'esprit  de  Montrond  était  aussi  réputé  que  celui  du  prince  de 
Talleyrand  dont  plusieurs  prétendent  qu'il  fut  le  «  Souffleur  ». 
Citons  quelques  traits  :  «  M""»  Davidolf,  quêtant,  demandait  l'autre 
jour  à  M.  de  Montrond  pour  les  filles-repenties;  il  lui  a  répondu  : 
«  Madame,  si  elles  so.Tt  repenties,  je  ne  leur  donnerai  pas;  si  elles 


FORTUNEE  HÂMELIN  149 

Où  en  êtes-vous,  cher?  Quand  donc  verrai-je  un 
bon  cœur  réussir? 

Ça  ne  severrapeut-êlrc  jamais!  En  vérité  je  le  crois! 

Donnez  un  mot  s'ils  reviennent.  J'ai  lidée  que 
M.  Moraski  s'est  horriblement  ennuyé.  Hélas!  ce 
n'est  pas  ma  faute.  La  plus  belle  fille...  et  jugez 
lorsqu'on  n'est  pas  une  belle  fille!  Rien  ne  remplace 
le  jeu. 

«  ne  le  sont  pas,  je  ferai  mes  cliarités  moi-même.  »  «  On  m'a  dit 
qu'aujourd'hui  (mai  18i0)  à  sa  réception,  M.  Cousin  se  tenait  dans 
la  pièce  la  plus  éloignée,  faisait  des  apartés,  ne  donnant  aucune 
attention  aux  personnes  qui  arrivaient.  M.  de  Montrond  disait  plai- 
samment à  cette  occasion  :  «  Quand  on  ne  sait  pas  recevoir,  on 
«  devrait  prendre  des  répétitions.  »  [Journal  dumaréchal  de  Casfel- 
lane,  t.  Il  et  111).  Il  était  bien  le  digne  pendant  de  celui  à  qui  l'on 
attribue,  à  tort  (car  Voltaire  l'avait  dit  auparavant  dans  ses  Dia- 
logues) :  «  La  parole  a  été  donnée  à  l'homme  pour  déguiser  sa 
pensée.  »  Nous  trouvons  dans  îtlériniéo,  Lettres  à  une  Inconnue, 
année  1842  :  «  M.  de  Montrond  dit  qu'il  faut  se  garder  des  premiers 
mouvements  parce  qu'ils  sont  presque  toujours  honnêtes.  »  Il  ne 
lisait  pas  les  journaux  :  «  Je  ne  suis  pas  fait,  disait-il,  pour  manger 
à  cette  gamelle  do  l'esprit  public.  »  Une  pièce  de  théâtre  avait  eu 
une  chute  éclatante  :  «  Je  ne  comprends  pas,  fait  remarquer  Mon- 
trond, que  l'auteur  se  soit  trompé  à  ce  point,  il  est  pourtant  bien 
facile  de  ne  pas  faire  une  comédie  en  cinq  actes.  »  La  comtesse  G... 
[La  Presse,  5  novembre  1843)  cite  le  contrat  de  mariage  de  Mon- 
trond :  «  La  citoyenne  C...  apporte  à  son  futur  époux  les  terres  et 

bois  de estimés  par  baux  autlicntiques  composer  un  revenu  net 

de  4  000  livres.  Le  citoyen  Montrond  se  charge  de  fournir  annuelle- 
ment la  somme  de  100000  livres  à  la  communauté...  des  produits 
de  son  esprit,  w  La  comtesse  G...  ajoute  :  «  S'il  était  possible  de 
réunir  les  grains  de  l'esprit  de  Montrond  ce  serait,  à  coup  sûr.  le 
chapelet  de  l'ancienne  amabilité  française,  mais  ce  no  serait  le 
code  de  la  morale  d'aucun  temps  ni  d'aucun  peuple,  k  Cf.  Duches:~e 
d'Abrantès,  Mémoires  sur  la  Restauration,  Paris,  1837.  Comtesse  de 
Bassanville,  Salons  d'autrefois.  Comte  d'Estourmel,  Derniers  Sou- 
venirs, 1860.  Cuvillier-FJeury,  Journal  Intime,  publié  par  lù'nest  Ber- 
lin. H.  Wclscliinger  (Un  ami  de  Tallcijrand.  Renie  de  Paris,  1"  fé- 
vrier 189o).  Marquis  do  Honneval  [Mémoires  anecdotiques,  1786-187:5, 
Paris,  1900).  Comtesse  de  Boigne  (op.  cit.).  Marquiset  [op.  cit.). 
N'ayons  garde  d'omettre  Sainte-Beuve  [Nouveaux  Lundis,  XII)  qui 
parle  à  plusieurs  reprises  de  Montrond  au  cours  de  son  étude  sur 
le  Talleyrand  de  Sir  Henry  liulwcr. 


i50  UNE  ANG[ENNE  MUSCADINE 

J'ai  un  cliarnmnt  petit  chien  noir  d'un  mois  qui  se 
meurt...  Mon  pauvre  jardinier  est  bien  malade  et  les 
chouettes  ont  crié  pour  la  première  fois.  J'ai  le  cœur 
bien  serré.  Je  vous  serre  la  main,  cher  ami. 

La  Madt-laine,  2i  octobre  1842. 

On  dit  bêtement  :  «  Pas  de  nouvelles,  bonnes  nou- 
velles. »  C'est  le  contraire  qui  est  vrai,  car  on  est  si 
heureux  d'écrire  à  ses  amis  ([u'un  zépliyr  de  la  for- 
tune a  caressé  vos  joues!  La  lettre  d'Eugène  m'a 
chagrinée  et  j'ai  bien  peu  d'espérance...  pour  le 
moment.  Est-ce  que  M"""  Ancelot  ne  pourrait  pas  vous 
arranger  ce  que  le  boyard  et  M.  de  C...  vous  avaient 
promis  (à  la  façon  de  Barbari  mon  ami)  ?  Variétés, 
Vaudeville,  ça  se  vaut.  Voyez,  osez.  On  vous  a  beau- 
coup accordé  dans  cette  maison.  J'ai  eu  une  rechute, 
c'est-à-dire  qu'à  force  de  souffrir  de  cette  douleur 
sourde  et  incessante,  j'ai  eu  des  convulsions  et  la 
fièvre.  Je  me  suis  livrée  entièrement  aux  émollients, 
au  camphre,  et  je  vais  mieux,  surtout  je  dors. 
Dormir,  c'est  vivre,  c'est  être  sauvé.  L'ami  Sully' 
m'a  écrit  deux  fois  pour  me  demander  à  venir  me 
voir.  J'ai  cédé  en  donnant  jour.  Bien  entendu  alors 
il  n'est  pas  venu  pour  les  raisons  que  de  La  Rue 
appelle  casseroleuses.  Deux  jours  il  m'a  fait  dîner  à 
huit  heures  du  soir.  (Grand  grief  pour  une  malade!) 
Un  autre  cousin  du  pays  ne  m'a  pas  demandé  la  per- 
mission, mais  est  arrivé  à  doux  lieurcs  et  reparti 
à  trois,  ayant  apporté  de  bonnes  choses  sous  ses  bras. 
Cette    visite    m'a    fait    beaucoup    de    plaisir,    je   l'ai 

'   Sullv  Brunrl. 


FORTUNEE  IIAMELIN  loi 

trouvée  très  élégante  pour  le  Lot-et-Garonne.  C'est 
que  ce  cousin-là  est  de  la  branche  aînée,  branche 
toujours  légitimiste,  respectueuse,  galante  envers  les 
femmes  et  les  cousines.  Au  reste,  en  Seine-et-3Iarne 
on  est  très  poli  pour  moi.  Eugène  *  d'Astorg,  cet  aide 
de  camp  du  Duc  de  Bordeaux  si  piiilippiste  aujourd'hui, 
Eugène  m'est  venu  proposer  de  m'amener  le  chirur- 
gien-major des  hussards  noirs.  J'ai  décliné  tant 
d'honneurs  et  m'en  tiens  au  rebouteux  de  mon  vil- 
lage. Du  reste,  j'ai  su  les  caquets  militaires  et  des 
choses  inouïes  du  desrré  de  saleté  oii  tombent  nos 
officiers  généraux.  Saint-Simon,  le  favori  du  cliàteau, 
a  fait  son  inspection  en  arrivant  par  la  diligence. 
Alors  il  empruntait  ou  louait  une  rosse  pour  passer 
les  revues  dhonneur^  il  avait  ses  listes  de  recom- 
mandés, trouvait  tout  parfait,  et  montait  en  coucou  à 
la  tète  des  régiments,  ayant  ses  12  francs  par  poste 
au  fond  du  gousset.  Ceci  est  tout  le  temps. 

Est-ce  que  la  recrudescence  Vallon  aurait  jeté  du 
trouble  dans  le  ménage  M...  et  M...  ?  J'ai  mes  raisons 
pour  vous  faire  cette  question.  Avez-vous  été  avec 
eux  voir  ces  charmantes  danses  polonaises  ?  Ah  !  que 
je  les  regrette,  et  que  je  suis  honteuse  d'être  encore 
si  enfant  !  J'ai  reçu  une  urande  lettre  de  M""^  Nariskin'. 


'  Eugène  d'Asloig,  nr  à  Paris  1787,  mort  en  1852,  riait  ciiargû 
en  1840  du  commandement  de  la  brigade  de  Fontainebleau,  inspec- 
teurgénéral  de  cavalerie  (1843).  Il  était  pair  de  France  depuis  1834 
par  droit  héréditaire,  son  oncle  le  comte  de  Puy  étant  mort. 

-  Il  y  a  plusieurs  Nariskin  ou  Narisclikino.  Le  comte  Dimilri  fut 
grand  veneur  de  l'Empereur  Alexamlre,  qui  avait  sa  femme  pour 
maîtresse.  Le  frère,  grand  maréchal  du  Palais,  était  connu  pour  ses 
bons  mots  et  pour  ses  dépenses  exagérées.  Musnier-Desciozeaux  Un- 
discrétions,  t.  I)  raconte  une  anecdote  curieuse  sur  ce  Nariskin 
chandjcllan  de  ri-impi'reur   i'aul  I".   Il  avail    la  direction   suiirrme 


152  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Elle  ne  savait  rien  de  mes  malheurs,  ils  n'ont  pas 
passé  la  Yistule. 

Avez-vous  tenté  la  bourrasque  de  Montrond?  Il 
faut  l'oublier  et  puisque  vous  aviez  cru  convenable  de 
le  voir,  il  ne  faut  pas  l'abandonner  mourant.  Je 
désire  bien  avoir  de  ses  nouvelles,  votre  lettre  et  la 
figure  de  B...  en  face  du  roi  m'ont  fait  rire  à  pâmer, 
mais  enfin  c'est  un  rire  indigne.  Combien  il  doit 
souffrir  de  son  abaissement  !  0  superbe  !  0  mal- 
heureux ! 

La  belle  Biard  n'est  plus  ma  voisine,  mais  la 
vôtre.  Ne  faites  pas  de  bêtises  par  là.  Tout  est  grave 
pour  elle  par  la  frénétique  jalousie  de  son  mari. 
M"""  La  Morlière  ^  sont  à  Paris  oii  je  crois  qu'elles 
placent  leur  carrière.  Le  vieux  chevalier  est  seul 
depuis  quinze  jours,  où  il  aura  consommé  sept  cho- 
pines  de  lait  :  le  chemin  de  fer  va  détruire  tous  mes 
délices,  ma  consolation.  Baissons  la  tête.  Voilà  toutes 
nos  nouvelles,  avec  un  temps  effroyable. 

Mille  baisers  de  ce  monstre  de  Tony. 


des  Uit'àlres  et  l'argent  destimj  aux  acteurs  ainsi  que  le  produit  des 
recettes  journalières  passaient  de  ses  mains  dans  celles  du  banquier 
du  creps.  M.  de  Nariskin  était  puissant.  Les  acteurs  n'osaient  se 
plaindre.  Duport,  à  qui  on  devait  un  arriéré  de  7  à  8  000  roubles, 
signifia  à  M.  de  Nariskin  qu'il  ne  danserait  pas  avant  d'avoir  été 
payé.  Effrayé  d'une  résolution  qui  aurait  pu  éclairer  l'Empereur  sur 
sa  gestion,  M.  de  Nariskin  fut  réduit  à  mettre  en  gage  sa  clef  de 
chambellan  en  diamants  afin  que  Duport  fût  payé  et  dansât.  Après 
la  mort  de  Paul  I",  il  fut  vertement  rabroué  par  l'Empereur 
Alexandre.  {Comtesse  de  Bassanville,  Les  Salons  d  autre  fois  :  Le  salon 
de  la  princesse  Bar/ration,  qui  était  une  Nariskinej.  [Comtesse  de 
Boigne,  t.  II.  Chevalier  de  Cussy,  I  et  II.) 

*  M.  Forneron  (Histoire  des  Émigrés.  La  Police  et  les  Espions) 
parle  du  chevalier  de  la  Morlière,  «  ancien  garde  du  corps  du  Roi, 
dit  Edouard,  dit  l'infâme  Caroline,  »  qui  retirait  quelques  bénéfices 
—  trop  maigres  à  son  gré  — des  dénonciations  qu'il  faisait. 


FORTUNEE  HAMELIN  153 

La  Madelaine,  30  octobre  1842. 

Je  crois  pluvS  Eugène  que  tout  le  conseil  des 
ministres  sans  en  excepter  M.  Teste.  Je  crains  votre 
bile  dans  des  explications  qui  me  paraissent  inuliles. 
Votre  silence  m'inquiète.  Allons,  courage!  Vous 
vivrez  plus  que  le  mauvais  temps,  cous. 

Mon  ami  Cruquenbourg'  est  aide  de  camp  du  roi 
son  cousin.  L'anatlième  sur  les  honnêtes  gens  ne 
dure  pas  toujours,  les  fripons  malgré  tout  ne  restent 
pas  maîtres,  car  voilà  Le  Hon  remplacé  par  le 
prince  de  Ligne,  lequel  est  un  loyal  gentilhomme  qui 
ne  volera  personne. 

Connaissez- vous  rien  de  plus  bête,  mon  Dieu!  que 
la  brochure  du  prince  Louis  sur  le  sucre  de  betterave  ! 
Etre  un  Bonaparte,  prisonnier  d'État,  ai  foriniiler  sur 
la  betterave  !  Je  crois  vraiment  qu'il  est  associé  avec 
son  frère  Morny  et  M™'  le  Hon,  car  il  est  frénétique 
pour  son  triomphe. 

Le  marquis  de  Saint-Simon  vient  d'en  faire  une 
bonne.  11  a  passé  son  inspection  en  prenant  les  dili- 
gences d'une  ville  à  l'autre,  empruntant  les  chevaux 
des  officiers  enrossés,  ou  louant  des  locatisses.  Pour 
des  dîners...  Néant,  les  recevant  jovialement.  0  grand- 
duc,  que  dirais-tu  ?  Rien,  puisque  la  maison  d'Orléans 
est  sur  le  trône. 

Je  vais  mieux,  mais  j'ai  toujours  la  douleur  sour- 

'  Cruquenbourg  ou  Croqucnbourg,  officier  bclgo,  frère  d'un  aide 
de  camp  du  prince  d"Orangc.  Ami  do  longue  date  de  M"""  Ilamclin. 
Quand  cette  dernière  était  à  Bruxelles  en  1817,  Cruquenbourg  et 
Morisel  (d'après  Latour  Saint-Ygest)  avaient  insulté  la  maréchaussée 
royale  lorsqu'un  détachement  cernait  la  maison  de  l'ex-colonel 
Lasaussaye  (Alfred  Marquiset,  op.  cit.). 


loi  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

noise  et  une  bosse  sur  la  joue  (Pélion  sur  Ossa).  La 
vapeur  d'eau  ne  va  plus;  je  n'ai  ni  assez  de  force, 
ni  assez  de  chance  pour  cet  infâme  chemin  de  fer  où 
Ion  met  toujours  un  boucher  sur  mes  genoux.  Je 
prendrai  un  bon  voiturin.  Nos  pères  savaient  seuls 
la  vie  :  la  poste  pour  les  riciies,  le  voiturin  pour  les 
humbles.  Je  ne  pense  au  retour  que  iju  12  au  lo. 

La  MaJelaine,  5  noveinljre  1842. 

J'ai  le  cœur  serré  de  la  vente  du  meuble.  Elle 
prouve,  hélas!  nos  deux  pauvretés...  Vous  y  teniez 
moins  que  moi  peut-être,  mais  ne  pouvant  offrir  sa 
valeur,  je  n'eusse  jamais  osé  donner  moins.  Dieu  sait 
ce  qu'on  l'a  payé  !  Voilà  de  durs  moments  à  passer. 

Tant  mieux  si  vous  voyez  plus  rose  que  moi  et  si 
vous  voyez  juste.  Il  me  paraissait,  par  la  lettre  de  F., 
qu'on  faisait  un  nouveau  déclinaloire.  Si  M"""  Ancelot 
vous  casait,  cela  laisserait  du  temps.  Pourquoi  dédai- 
gner le  possible.  Vous  acceptiez  pour  le  boyard. 
Vous  devriez  en  parler  à  cet  aimable  monsieur  (amant 
de  la  Rubampré  et  dont  le  nom  m'échappe],  il  est 
obligeant,  bien  appris.  Il  trouvera  ça  convenable  et 
ne  portera  pas  la  parole.  J'y  reviens  parce  que  cela 
me  paraît  naturel.  Voyons,  ne  parlons  plus  de  choses 
si  désolantes. 

Je  ne  comprends  rien  àPajoP,  c'est  de  l'ultra-folie. 
On  a  mis  près  du  roi  un  homme  méprisable.  C'est 
Jacqueminot  qui  lui  paye  sa  femme.  Au  fond  Pajol  est 


'  Pajol  commandait  en  1840  une  division  militaire.  JaC']uemiuot 
(Joan-Fran<;ois)  fut  dr-puté  et  pair  de  France,  commanda  en  ISol  la 
eardc  nationale. 


FORTUNÉE  HAMELIN  155 

excellent,  vrai,  grand  hussard,  bon  cœur,  choisissant 
bien  ses  mailresses  (car  elle  vaut  bien  dix  amigo)  et 
d'un  sabre  parbleu  bien  affilé.  Tout  vieux  qu'il  est, 
remettez-lui  la  pelisse  et  les  7ioirs  mes  voisins  paraî- 
tront de  fameux  clampins.Que  vont-ils  faire  ?  Il  n'est 
pas  seulement  un  héros  de  Juillet,  il  est  tout  Juillet: 
je  ne  sais  oi^i  il  demeure,  faites-lui  porter  le  mot 
ci-joint. 

Oui,  on  trouve  tout  dans  une  lettre,  surtout  ce  qu'on 
n'y  dit  pas.  C'est  ainsi  que  j'ai  vu  que  M"*"  de  La  Rue  ^ 
avait  fait  une  petite  farce  à  son  frère.  En  partant,  il 
croyait  qu'elle  viendrait  passer  quinze  jours  ici  et 
zest  !  à  son  départ,  elle  a  été  s'installera  Versailles. 
Versailles  a  du  bon,  je  ne  dis  pas,  mais  le  frère 
avait  raison  de  préférer  la  Madelaine.  Ne  plaisantez 
pas  de  cela.  Entre  vous  et  M ''  de  La  Rue  je  vois  peu 
d'éléments  de  crédit.  Je  n'en  ai  pas  davantage,  mais 
Pajol  eiit  fait  encore  et  s'y  était  engagé.  Comment 
Emile  n'a-t-il  pas  poussé  à  cette  roue  ?  Quel  faquin 
que  cet  Emile  et  quelle  honte  de  se  dire  :  «  Voilà  les 
rois  du  pays  !  »  Avez  vous  lu  ce  qu'il  dit  de  son 
triomphe  chez  l'adjoint  ?  Le  soL  !  Enfin  il  pouvait,  lui 
ou  sa  femme,  car  les  droits,  la  bienveillance  étaient 
à  M.  de  La  Rue. 

Nos  folles  sont  de  retour.  J'ai  décoché  un  très  joli 
cadeau  mais  je  viens  de  traverser  leurs  cœurs  par  un 
grand  service  bien  manœuvré. 

La  baronne    Regnault".  donne    une   fête  pour    la 

'  Sœuf  du  colonel  do  La  Rue. 

*  La  liaronnc  Rognault  de  Sainl-Jean-d'Angôly  dont  11  est  souvent 
iliiosUon  dans  la  Correspondance  de  .W""  Ilainelin.  FA\o  faisait  parlio 
do  la  polito  Cour  libi  raie  quo  V.  llainoHn.  lonjouis  fidi'di'  aux  idée? 


1Ô6  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Saint-Charles.  Tout  le  grand  monde,  les  autorités  s'y 
trouveront.  Les  pauvres  femmes  ne  sont  reçues  nulle 
part  grâce  à  Fextravag'ance  de  la  mère.  Elle  est  venue 
les  larmes  aux  yeux  me  supplier  de  les  faire  inviter. 
Je  savais  la  chose  des  plus  périlleuses.  J'ai  essayé 
près  de  la  baronne.  Repoussée  !  J'ai  fait  avancer...  un 
âne  et  j'ai  été  trouver  le  baron  qui  m'adore  sans 
discontinuer  depuis  1801.  J'ai  dit  à  ce  brave  homme 
que  c'était  payer  ma  dette,  que  sans  elles  il  n'aurait 
plus  la  passion  de  ses  beaux  jours,  j'ai  obtenu,  la 
femme  môme  v  a  mis  de  la  complaisance.  Il  a  été  con- 
venu qu'elle  les  donnerait  un  peu  comme  artistes. 
J'ai  fait  une  leçon  sévère  à  la  mère  Saint-Aubin,  la 
priant  de  ne  pas  arriver  à  minuit,  de  ne  point  appeler 
M.  de  Ség^ur  «  monstre  enragé  »,  etc. 

Elle  a  promis.  Que  ne  promettrait-elle  pas?  Nous 
saurons,  car  bien  entendu  le  jour  de  la  fôle  j'aurai  la 
fièvre. 

Je  vais  mieux,  j'ai  toujours  suivi  les  conseils  d'un 
médecin  raisonnable  et  non  ceux  de  la  Saint-Aubin. 
Elle  me  fait  la  réputation  d'une  réfractaire  parce  que 
je  n'ai  pas  voulu  de  ses  drog"ues  pour  lesquelles  il  faut 
des  nerfs,  un  épidémie  de  gendarme. 

La  Madelaine  a  été  éclairée  ving't-sept  heures  de  la 
présence  de  Berryer.  J'étais  seule,  je  vous  demande 
si  nous  avons  bien  jasé,  s'il  a  été  aimable,  bon  homme, 


de  Bonaparte,  avait  réunie  autour  d'elle.  Très  liée  aussi  avec  Hor- 
tense  AUart  de  Meritens.  Le  Gouvernement  soupçonneux  de 
Louis  XVIII  l'avait  exilée.  Elle  avait  une  propriété  au  Val,  canton 
de  risle-Adam,  commune  de  Mériel,  où  se  tenaient  des  réunions 
bonapartistes.  Elle  habita  longtemps  rue  de  Provence,  l'hôtel  où  est 
aujourd'liui  la  Société  Générale.  Son  fils  fut  maréchal  de  camp  en 
184^  et  maréchal  de  France  en  18o9. 


FORTUNÉE  HÂMELIN  157 

confiant,  cliannanl  !  Il  paraît  content,  très  content. 
Toutes  les  guerres  d'un  parti  sont  terminées  par  la 
volonté  seule  et  ferme  du  duc  de  Bordeaux  qui  prend 
Berryer  seul  pour  guide  du  plein  consentement  de 
M.  de  Villèle,  puis  mille  histoires  divertissantes  sur 
tous  les  preneurs  actuels.  Il  est  en  extases  de  ce  petit 
coin  et  assure  que  les  Goths  même  n'oseraient  gâter 
tout  cela.  Le  fait  est  qu'il  est  arrivé  sur  des  routes  de 
topaze  et  de  rubis.  La  forêt  n'a  jamais  été  si  belle,  si 
riche.  On  attribue  ces  couleurs  si  vives  aux  longues 
chaleurs.  Je  reviens  dans  dix  à  douze  jours,  sans  quoi 
je  vous  dirais  bien  de  venir  voir  ce  bel  écrin. 

Je  n'ai  rien,  rien  de  commencé  avec  M.  Lescuyer; 
du  reste  soyez  sûr  que  pour  les  quatre  sous  qui  me 
restent,  je  serai  tenace,  harpagonne,  avare  comme... 
ma  foi,  comme  tout  le  monde. 

A  bientôt. 


ANNEE   1843 


Vn  nouveau  journal,  La  Xalion.  —  Karaeroski.  —  L'ordre  de  JMalte. 
llortense  Allart  se  marie.  —  M"»  Ilamelin  et  l'inégalité.  —  Les 
enlèvements.  —  La  comtesse  de  Plaisance  et  le  prince  de  Belgio- 
joso.  —  M"»»  de  Contades.  —  M""  de  Boisgelin  et  M.  Jlanuel.  — 
llortense  Allart  de  Meritens.  —  Le  général  Nariskin.  —  Walewski 
et  Rachel.  —  Le  sang  de  Napoléon.  —  Difficultés  de  M"">  Hamelin. 

—  M"»"  KisseleO"  et  Xumala.  —  La  duchesse  de  Vicence.  —  Souve- 
nirs de  l'Empire.  —  Faut-il  convertir  Moutrond?  —  La  Fille  de 
Figaro  au  Palais-Royal.  —  On  y  parle  de  M-^»  Ilamelin.  —  Ch.  Di- 
dier et  son  journal.  —  Les  dames  Bas-Bleus.  —  M'"»  Ancelot.  — 
M.  de  Chateaubriand.  — •  La  liste  civile.  —  Encore  des  enlèvements. 

—  Confidences  attristées.  —  Montrond  est  à  la  Madelaine.  —  jM.  de 
Noailles  et  M""»  de  Maintenon.  —  L'agonie  de  Montrond.  — 
M""=  Kisselefî  à  Hombourg.  —  Mort  de  lelski.  —  La  mort  de  Mon- 
trond. —  Le  duc  de  Broglie  et  l'abbé  Petitot.  —  Une  prière  pour 
l'ami  disparu.  —  M"'"  Ancelot  et  Arnal.  —  Les  correspondants  de 
Montrond.  —  Berryer  et  M"»»  de  Sotnariva.  —  Lacordaire.  —  Le 
mariage  de  Berryer.  —  Déménagement. 


Paris,  13  lévrier  1843. 

J'ai  laissé  passer  les  lettres  brûlantes,  les  réponses 
palpitantes,  les  embarras  de  l'établissement,  des  pre- 
mières visites,  des  premiers  bains  et  j'arrive  avec 
cette  égale  et  bonne  amitié  qui  reste  au  bout  du 
compte  la  consolation  des  mauvais  jours,  le  charme 
des  succès.  J'ai  fort  envie  d'avoir  de  vos  nouvelles, 
mais  je  ne  vous  gronde  pas,  car  j'aime  mieux  que 
vous  puissiez  causer  à  loisir  et  ramasser  déjà  du  butin 
provincial. 

Il  s'est  élevé  une  grande  puissance  contre  la  votre, 


160  UNE  ANGlENiNE  MUSGADINE 

VOUS  le   savez   sans  doute.  La  Nation\  qui   devait 
s'appeler  le  Soleil,  est  ou  sera  un  journal  quotidien 


*  Lî  spécimen  auquel  M-"»  Haïuelin  fait  allusion  parut  le  5  février 
1843  avec  ce  titre  :  La  Salion,  Journal  des  Droits  et  des  Intérêts  de 
tous.  Le  programme  du  nouveau  journal  était  ainsi  défini  :  «  Le 
journal  qui  fait  aujourd'hui  son  apparition  dans  le  monde  n'est  pas 
institué  pour  défendre  des  intérêts  de  Parti...  La  Nation  est  une 
position  nouvelle  prise  par  la  presse  politique  ;  c'est  un  produit  du 
travail  d'unité  qui  s'opère  incessamment  dans  les  sociétés  libres  et 
auquel  tous  les  hommes  d'une  époque  ont  coopéré  sans  le  savoir. 
Cette  tendance  des  esprits  pour  se  réunir  dans  les  intérêts  communs 
à  tous  a  été  aperçue,  il  y  a  quelques  années,  par  des  hommes  avancés 
qui,  dans  les  diverses  opinions,  forment  pour  ainsi  dire  l'avant  garde 
de  la  civilisation  française.  (Chateaubriand,  Laffille,  Arago,  Odilon 
Barrot,  de  la  Rochejacquelein,  Lalande,  Mauguin^  Cordier,  etc.).  La 
création  de  La  Nation  a  pour  but  non  seulement  de  réaliser  celte 
tendance,  mais  de  constater  son  existence  et  de  manifester  son  uni- 
versalité. La  Nation  sera  un  lien  entre  les  hommes  de  tous  les  partis 
qui  voudront  sincèrement  le  bien  de  la  France.  »  Dans  ce  numéro 
la  Nation  donnait  l'opinion  de  trois  hommes  «  dont  le  génie  est 
cher  à  la  France  »,  Chateaubriand,  Lamartine,  Arago.  Citons  l'avis 
de  Chateaubriand  et  d'Arago.  Chateaubriand  :  «  Que  tous  les  bons 
esprits  se  réunissent  pour  créer  un  centre  d'opinion  d'où  partiront 
tous  les  mouvements.  Liberté  de  nos  institutions,  honneur  do  notre 
armée,  amour  de  noire  patrie,  voilà  les  sentiments  que  nous  devons 
professer.  Hors  de  là  nous  nous  perdrons  dans  des  chimères  et  le 
siècle  nous  ramènera  de  force  à  ces  principes  dont  nous  avons  voulu 
nous  écarter.  Une  idée  a  survécu  à  toutes  nos  révolutions,  l'idée  qui 
en  a  été  la  cause  et  le  principe,  l'idée  d'un  ordre  politique  qui  pro- 
tège les  droits  du  peuple.  »  Arago  :  «  Le  jour  même  de  sa  nais- 
sance, tout  homme  reçoit  en  partage  certains  droits  qui  ont  été  très 
justement,  très  légitimement  appelés  des  droits  naturels.  La  société 
n'existe  que  pour  assurer  à  chacun  la  complète  jouissance  de  ces 
droits.  Les  droits  naturels  sont  imprescriptibles.  Tout  acte  tendant  à 
les  restreindre  est  ;aii  fZe  soi,  suivant  la  belle  e.xpression  de  Bossuet. 
Un  gouvernement  dont  l'existence  serait  incompatible  avec  le  titre, 
avec  le  plein  exercice  des  droits  naturels,  n'aurait  ni  moralité,  ni 
force,  ni  durée.  »  Certains  journaux  (le  Globe,  la  France,  la  Quoti- 
dienne, le  Courrier  Français)  ouvrirent  l'attaque  contre  la  ^ation 
qui,  dans  son  numéro  du  16  février  1843,  complétait  son  programme 
en  disant  :  «  Quand  nous  attaquons  les  partis  dans  ce  qu'ils  ont 
d'exclusif  et  de  dominateur,  on  doit  comprendre  que  nous  n'atta- 
quons nullement  ce  qu'il  y  a  do  bon  dans  chacun  d'eux.  »  Le  roman- 
feuilleton  que  M'""  llamelin  trouvait  détestable  avait  pour  litre  :  Un 
Secret  dans  le  Mariage  et  était  signé  :  Camille  Wolf. 


FORTUNEE  HAMELIN  161 

OÙ  les  royalistes  ont  versé  800  000  francs  pour  pou- 
voir le  servir  à  30  francs  par  an,  et  qui  a  pour  rédac- 
teurs quelques  célébrités  assez  patentées  qui  sont 
Chateaubriand,  Arago,  Lamartine  et  Genoude  ;  je 
n'ai  pas  été  contente  du  spécimen,  je  l'ai  trouvé 
lourd  et  sali  d'une  détestable  nouvelle  au  feuilleton. 
Gomment  ne  se  sont-ils  pas  aiïranchis  du  roman-feuil- 
leton, ces  princes  de  la  pensée  ?  C'est  le  15  que  paraît 
le  journal  auquel  je  suis  déjà  abonnée,  bien  entendu. 

Je  n'ai  pas  vu  encore  le  colonel  arrivant,  mais  en 
revanche  j'ai  vu  Kanieroski  chez  moi,  ce  qui  m'a  sur- 
prise. Il  m'a  parlé  d'une  carte  que  vous  aviez  posée 
chez  une  illustre  folâtre.  L'autre  jour  j'ai  rencontré  la 
jeune  Kalmouk.  Celle-là,  à  mon  gré,  surpasse  toutes 
les  laideurs,  les  rousseurs  permises  môme  à  une  mil- 
lionnaire et  à  moins  de  200  000  francs  je  défie  de  la 
placer.  A  ce  prix  même  ce  n'est  pas  déjà  trop  noble. 
Ne  me  faites  pas  d'affaires.  L'autre  soir,  aux  Italiens, 
nous  n'avons  parlé  que  de  vous,  de  ce  triste  Arras  et 
de  ce  monde  intolérant,  pédant  que  vous  ne  verrez 
pas  même.  C'est  dommage,  car  là  il  y  a,  dit-on,  du 
beau  sang  flamand,  et  des  fortunes  énormes  et  solides. 

J'ai  reçu  un  comte  Ferretti  qui  vous  aurait  bien 
amusé.  C'est  lui  qui  est  le  bailli  général  de  leur  ordre 
de  Malte.  Il  va  à  Londres  gagner  un  procès,  lequel 
lui  vaudra  deux  millions.  Les  vanités  plébéiennes  rap- 
portent aussi  beaucoup  à  la  caisse.  Le  frère  du  bailly 
est  cardinal  d'une  grande  science,  d'une  haute  noblesse 
et  il  a  toutes  les  chances  pour  la  première  promotion 
ou  exaltation.  Pour  le  coup,  lorsque  j'aurai  un  pape 
dans  ma  manche,  je  ferai  le  diable  et  j'irai  m'établir 
sur  sa  mule.  Je  vous  ferais  faire  le  Diaro  di  Roma  avec 

11 


162  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

dix  mille  escudi  de  traitement  et  nous  achèterions  de 
beaux  tableaux.  A  propos  de  tableaux,  j'ai  reçu  une 
convocation  de  M.  Despag'nac  qui  n'ouvre  sa  galerie 
que  trois  fois  par  hiver.  J'ai  battu  le  tambour  et  je 
lui  conduirai  la  Russie  et  la  Pologne. 

Je  suis  toujours  prise  d'une  affection  de  larynx.  Ce 
n'était  pas  un  rhume,  mais  cette  irritation  est  assez 
grave.  L'air  me  fait  mal.  Patience.  La  Madelaine  gué- 
rira tout  cela  et  j'irai  de  bonne  heure.  Je  vous  souhaite 
aussi,  pauvre  ami,  patience,  guérison  et  succès  dans 
la  publication  que  vous  entreprenez. 

Un  mot  de  Tony.  Elle  est  bien  belle  vraiment.  Elle 
dit  bien  quelquefois,  par  exemple,  je  lui  demandais 
pourquoi  la  petite  classe  ne  voulait  plus  jouer  avec 
elle.  Elle  répondit  en  pleurant  :  «  J'ai  beau  les  taper, 
elles  me  détestent.  » 

Pans.  2i  avril  1843. 

Je  vis  encore,  mon  pauvre  petit  ami,  et  vous  avez 
ma  premiè're  lettre.  On  vous  a  dit  vrai,  j'ai  été  soignée 
avec  des  tendresses  passionnées.  Je  ne  me  croyais 
pas,  je  vous  jure,  si  aimée,  si  estimée,  car  de  toute 
part  on  paraissait  ne  vouloir  pas  ma  mort.  Le  Mon- 
trond  môme  passait  les  matinées  à  sangloter  dans  la 
cour,  faisant  monter  tous  les  sortants  dans  sa  voiture 
et  leur  disant  (}u"il  se  mourait  do  douleur.  Il  est  bien 
temps  1  Toutes  ces  bontés  de  mes  amies  ont  bien  eu 
leurs  contrariétés,  j'ai  été  horriblement  tourmentée, 
questionnée,  droguée.  C'était  un  supplice  pour  le  rat 
des  champs,  mais  je  souffrais  pour  l'amour  de  l'amitié. 
Sophie^  avait  perdu  la  tète  et  toutes  pour  me  rendre 

'  Sa  camériste,  apparemment. 


FORTUNÉE  HAMELIN  d63 

forte  m'inondaient  de  larmes.  Vous  savez  bien  pour- 
quoi. C'est  que  je  trouvais  que  c'était  une  occasion 
charmante,  complète  de  quitter  une  vie  à  laquelle  je 
ne  tiens  plus  du  tout.  Voilà  le  secret  de  ce  courage 
vanté.  On  a  cru  que  j'allais  m'évanouir  lorsqu'on  m'a 
oflert  les  sacrements,  j'en  ai  été  ravie  et  les  ai  reçus 
avec  calme  et  respect.  Mon  rétablissement  a  été  com- 
plet malgré  trois  médecins  dont  Voluski.  Mais  je 
rechute  sans  cesse  et  la  fièvre  tierce  s'établit.  Je 
vous  écris  au  bon  jour.  Le  beau  temps  fera  le  reste. 
Je  plane  sur  un  océan  de  lilas. 

Hortense  '  est  mariée  et  d'une  manière  honorable, 
brillante  même.  Dites  donc  aux  filles  d'être  sages, 
d'avoir  le  sens  commun  ! 

Je  vous  en  dirai  plus  et  mieux  dès  que  cette  tierce 
me  laissera  reprendre  des  forces. 

7  mai  1843. 

A  présent,  j'ai  repris  des  forces  et  je  vais  vous  bien 
gronder.  Dites-moi  donc  à  qui  vous  en  aviez  pour 
répondre  aux  lettres  les  plus  tendres,  amicales,  par 


'  0  Quelle  légèreté  de  se  marier  !  »  écrivait  Hortense  AUart  à  Sainte- 
Beuve  (décembre  1842).  Elle  disait  quelques  jours  après  :  «  Qu'im- 
porte, en  effet,  pour  vous,  tous  les  mariages  tant  qu'un  certain 
comte  existe  ?  Il  vit,  il  n'est  pas  encore  un  vieillard,  qu'importe  des 
jeunes  troubadours,  car  celui-ci  comme  Richard  Cœur-de-Lion  est  à 
la  fois  un  héros,  un  troubadour  et  un  Languedocien,  une  ancienne 
et  noble  race  de  Toulouse,  où  sont  les  plus  belles  voix,  vous  savez, 
Mais  est-ce  ma  faute  si  je  me  trouve  toujours  précisément  dans  la 
position  de  la  reine  Elisabeth,  si  je  suis  Vierge-Reine  à  sa  façon  ? 
Je  suis  au  moment  d'épouser,  un  peu  vieille,  le  duc  d'Alençon,  mais 
j'aime  encore  Leicester,  mais  Essex  déjà  me  charme,  mais  je  n'ai 
pas  trop  à  mes  pieds  de  mes  sujets  des  trois  royaumes.  »  Mariée  au 
printemps  de  1843,  Hortense  habita  quelque  temps  Montauban  où 
son  mari  fut  nommé  architecle  du  gouvernement.  Son  adresse  était  : 
«  M'"»  de  Merilens  de  Malvezie,  Montauban.  » 


164  UiNE  ANCIENNE  MUSCÂDINE 

un  déluge  do  sermons,  de  joie  égoïste,  sans  un  mot 
aimable  ou  poli  même  de  regrets  et  d'amitié?  En 
relisant  vos  lettres  vous  en  seriez  étonné,  fàclié. 
Certes,  je  comprends  le  bien-être  de  la  certitude  d'un 
bon  petit  matériel.  Mais  ça  s'exprime  moins  brutale- 
ment et  Ton  n'a  nul  besoin  d'y  joindre  les  pédantes- 
ques  avis  que  vous  nous  lancez  d'Arras.  Mon  exalta- 
tion politique  n'est  pas  une  nouveauté  '  ;  il  faut  bien 
me  la  passer  en  souvenir  de  sa  cause  et  de  son  anti- 
(juité,  car  nous  vous  passons  ce  libertinage  de 
mœurs,  d'opinion,  solide  produit  du  Saint-Simonisme. 
J'ai  fort  respecté  votre  position  et  je  comprends  tout 
ce  que  dicte  la  nécessité.  Mais  tomber  même  sur 
Tony,  m'engager  à  lui  apprendre  l'inégalité,  est  une 
œuvre  devant  laquelle  M.  de  Ravignan-  reculerait. 
Qui  donc  lui  ferait  sentir  l'inégalité  dans  un  temps 
où  presque  tout  ce  qui  domine  n'est  pas  d'une  nais- 
sance supérieure  à  la  sienne?  Qui  aurait  le  courage, 
bon  Dieu  !  d'humilier  une  jeune  fille  belle,  bonne  et 
bien  élevée?  En  voyez-vous  qui  fassent  sentir  à 
M"°  Hubert  que  ses  frères  sont  menuisiers?  Non,  je 
lui  dirai  qu'elle  est  pauvre  parce  que  je  lui  dis  que  je 
suis  pauvre  aussi,  mais  je  ne  lui  parlerai  pas  de 
naissance,  car  c'est  l'irréparable. 

J'ai  su  que  votre  ami  La  Rue  avait  eu  sa  part  d'avis, 
de  leçons  même.  Il  n'a  pas  pris  la  chose  si  gaiement 
que  moi   (quoiqu'il  n'y  pense  plus),  mais  il  a  pensé 

'  On  a  vu  plus  liaul  qnc  Fortunée  Ilamclin,  mêlée  de  prés  à  la  vie 
do  l'Empereur,  ne  négligea  rien  pour  prouver  son  dévouement  à 
la  cause  de  Bonaparte.  Son  «  exaltation  politique  »  d'ailleurs  la  fit 
intriguer  beaucoup. 

'  Le  célèbre  Père  Jésuite  qui  avait  succédé  à  Lacordaire  dans  la 
chaire  de  Noire-Dame. 


FORTUNEE  HAMELIN  165 

que  c'était  un  peu  le  café  qui  faisait  écrire  à  une 
demoiselle,  vraie  demoiselle,  «  à  Zoé  »  et  à  un  colonel  : 
«  Passez  chez  mon  bottier,  etc.  ».  Les  amis  colonels 
se  gardent  pour  les  grands  services  et  celui-là  ne 
recule  pas  pour  vous  le  prouver.  Je  lui  ai  dit  que  la 
province  déteignait  dans  la  première  huitaine,  mais 
que  je  le  défiais  de  vous  ôter  votre  bon  cœur  et  votre 
esprit. 

Mon  cher,  cette  longue  et  dure  maladie,  dont  je 
sors,  m'a  bien  fait  réfléchir.  J'ai  vu  que  j'étais  plus 
aimée  que  je  n'espérais,  et  que  ces  affections  étaient 
certes  bien  désintéressées.  Hélas  !  que  puis-je  pour 
personne?  Je  sens  le  besoin  de  me  rendre  plus  digne 
de  tant  de  bontés,  mais  le  temps,  la  santé  vont  me 
manquer.  J'ai  vu  aussi  des  prêtres  spirituels,  savants, 
surtout  fort  indulgents,  et  je  me  suis  vivement  attachée 
à  une  religion  si  charmante  et  si  noble.  C'est  fini,  me 
voilà  dévote  et  je  laisserai  dire  :  «  Quand  le  diable 
fut  vieux,  il  se  fit  ermite.  » 

Nos  Belles  de  Paris  ne  sont  pas  ermites  du  tout.  Elles 
sont  en  plein  scandale  et  sans  médisance  l'on  peut 
parler  d'aventures  qui  sont  dans  les  gazettes.  La  fuite 
de  la  comtesse  de  Plaisance  avec  le  prince  Belgiojoso' 

'  Le  prince  Belgiojoso  (Beau  et  Joyeux)  avait  épousé  Chriâtine  Tri- 
vulce.  «  Formé  pour  séduire,  dit  d'Alton-Shée,  le  prince  Belgiojoso 
poursuivait  sa  carrière  sans  scrupule  et  sans  remords.  »  Il  était  un 
des  camarades  d'Alfred  de  Musset  avec  Tatlet,  Major  Frazer,  d'Alton- 
Shéu  et  d'autres.  Alfred  de  Musset  écrivait  en  mai  1843  à  son  frère 
qui  voyageait  en  Italie  :  o  Je  ne  sais  pas  si  vous  savez,  vous  autres 
à  Catane,  que  le  Principe...  a  enlevé  la  comtesse  de...  Il  y  avait 
deux  ans  qu'ils  étaient  ensemble  au  su  de  tout  Paris.  La  comtesse 
s"est  disputée,  à  ce  qu'il  paraît,  avec  son  mari  ;  elle  est  arrivée  chez 
le  prince  (qui  devait  chanter  le  soir  dans  un  concert)  ornée  de  son 
mouchoir  pour  tout  bagage  et  elle  lui  a  dit  :  «  Allons-nous  en  !  » 
Ils  sont  en  route.   Le  vent  est  aux  enlèvements  à  Paris,  dans  ce 


166  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

est  la  stupidité  même,  puisqu'elle  avait  toute  liberté 
et  qu'on  lui  oflVait  la  plus  indulgente  séparation.  Le 
mari  a  très  bien  pris  révénement,  mais  le  frère  est 
dans  un  état  de  rage  tel  qu'il  a  entraîné  le  mari  sur 
les  traces  des  fugitifs  et  qu'il  veut  tuer  Belgiojoso  ou 
s'en  faire  tuer.  Les  voilà  tous  courant  la  poste  comme 
au  bon  temps  jadis  et  payant  o  francs  de  guides  pour 
aller  cliercher  un  duel.  (Remarquez  qu'il  n'v  a  pas  de 
banquiers  et  d'industriels  lesquels  feraient  le  décompte 
de  l'immense  dot  que  laisse  la  fugitive.;  Espérons  que 
la  Belle  Comtesse,  comme  Hersilic,  séparera  les  com- 
battants tout  en  restant  avec  son  Romain. 

Mais  voici  du  plus  mignon.  M"*  de  Contades\  la 
très  gentille,  fors  même  la  très  spirituelle,  avait 
trouvé  moyen,  par  le  crédit  de  sa  mère,  de  fixer  son 
mari  à  Constantinople.  Une  perfide  lui  écrivit  que  la 
maladie  de  sa  femme  n'était  qu'une  grossesse.  Il  part 
comme  un  fou,  tombe  cbez  lui  à  onze  heures  du  soir 
et  trouve  un  ventre  de  près  de  neuf  mois.  La  révolu- 
tion fut  telle  pour  la  pauvre  femme  qu'elle  accoucha 
une  heure  après.  Après  avoir  eu  avec  M""^  de  Gastel- 

momenl-ci,  ou  pour  mieux  dire,  aux  séparations.  Je  viens  de  voir 
de  mes  yeux  la  même  plaisanterie  qui  est  beaucoup  moins  gaie  qu'on 
ne  pense.  Je  t'expliquerai  cela  un  jour,  mais  si  lu  m'en  crois,  n'en- 
lève jamais  personne,  à  moins  que  ce  ne  soit  la  reine  d  Espagne,  w 
La  comtesse  Bassanville,  d'autre  part,  nous  apprend  (Salons  d'autre- 
fois, II)  que  dans  le  salon  de  la  comtesse  Merlin,  sous  la  Monarchie 
de  Juillet,  la  duchesse  de  Plaisance  «  si  blonde,  si  élégante,  si  par- 
fumée, portait  le  surnom  de  princesse  Pompon  de  Falbalas.  Elle 
cherchait  alors  à  lutter  avec  le  prince  Belgiojoso  et  on  ne  sait  que 
trop  comment  elle  y  arriva  depuis  ».  Dans  ce  même  salon  de  la 
comtesse  Merlin,  où  vraiment  la  mode —  comme  naguère  à  Paris  — 
était  aux  surnoms,  on  appelait  la  princesse  Belgiojoso  la  citoyenne 
Couperet,  «  parce  qu'elle  rêvait  toujours  la  République.  »  (Cf.  Che- 
valier de  Cussy,  Souvenirs,  II.) 
'  Une  des  filles  du  maréchal  de  Castellanc. 


FORTUNEE  IIAMELIN  167 

lane  une  explication  un  peu  vive,  il  alla  faire  ses 
déclarations  d'alibi  cliez  un  notaire  et  M.  Guizot.  Pour 
M"""  deBoisgelin,  elle  ne  s'amuse  plus  au  mystère.  On 
la  rencontre  dans  tous  les  lieux  publics  avec 
M.  3Ianuel,  et  elle  est  séparée  du  monde,  de  sa 
famille,  partage  sa  fortune,  et  voit  ses  enfants  une 
heure  tous  les  huit  jours. 

Je  vous  ai  parlé  du  bonheur  d'Hortense,  devenue 
baronne  de  Mélitant\  parlant  des  grandes  races  de 
province,  et  se  moquant  bien  du  temps  oii  elle  était 
communiste.  Maintenant  voilà  bien  un  autre  maria2:e 
dans  notre  société  !  Léontine  de  Thérauld  a  fait  une 
passion.  Elle  a  pour  amant  le  marquis  de  Sainte-Croix, 
homme  de  qualité,  qui  vient,  de  plus,  d'hériter  à  la 
Martinique  de  très  grands  biens.  Dernièrement,  ledit 
marquis  s'est  fait  traîner  par  son  cheval,  la  tête  en 
bas,  tout  le  long  du  Faubourg  Saint-Honoré.  On  l'a 
relevé  comme  mort,  on  n'a  pas  osé  même  le  trans- 
porter chez  lui  et  il  a  été  établi  chez  l'apothicaire  oii  il 
est  resté  vingt  et  un  jours  dans  une  situation  déplo- 
rable. Léontine,  sans  hésiter,  est  arrivée,  a  pris  un 

'  C'est  do  Meritens,  et  non  de  Mélitant  que  s'appelait  Ilortonse 
Allart. 

Ilortense  correspondait  avec  M"»  Hamelin  qui  est  citée  plusieurs 
l'ois  dans  ses  Lettres  à  Sainte-Beuve  auquel  le  28  mai  1843  elle  pai'- 
lait  aussi  des  «  grandes  races  ».  «  Vous  demandez  nos  noms  mieux 
écrits.  Je  suis  Meritens  de  Malvczie  de  Marcignac  TAsclaves,  de 
Saraan  et  d'Esbatx.  Je  date  de  Gharlemagne  et  nous  avons  fait  les 
Croisades.  Mon  beau-père,  le  baron  de  Meritens  de  Malvczie,  dit 
pourtant  que  j'étais  plutôt  faite  pour  être  Reine  que  femme  d'un 
arciiitecte.  C'est  un  homme  d'esprit,  vrai  homme  du  Midi,  ijui  me 
raconte  la  jeunesse  indomptable  de  mon  mari  et  l'histoire  fabuleuse 
de  sa  vaillante  épée.  Je  vous  ai  dit  que  c'est  un  liomnio  mytholo- 
gique. »  On  imagine  aisément  quel  sourire  devait  éclairer  le  visage 
malicieux  de  Sainte-Beuve  à  la  lecture  de  ce  passage  ;  il  savait  bien 
qu'Hortense  n'était  pas,  elle,  une  femme  «  mythologique  «  ! 


108  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

tablier  el  a  passé  près  de  lui  vingt  et  une  nuits  el 
vingt  et  un  jours  !  Jugez  l'éclat!  Revenu  à  lui,  le  mar- 
quis a  parlé  mariage...  Vile  on  a  proclamé.  Mais  les 
sœurs  arrivent  et  cela  se  ralentit  un  peu.  Le  Breton, 
qui  a  traité,  doute,  M.  de  la  Rue  appelle  Sainte-Croix 
un  moutard  (il  a  vingt-sept  ans,  Léonline  quarante- 
deux  ans  bien  sonnés). 

Qui  est  au  désespoir,  qui  fait  pitié,  c'est  notre 
pauvre  Faudoas,  qui  s'arrache  le  pain  pour  soutenir 
toutes  sesnièces,  et  qui  estd'une  pruderie...  amusante. 
Il  aurait  presque  envie  d'arriver  à  la  \Vagra)7î,  pour 
dire  deux  mots  au  marquis.  Mais  je  lui  écris  tant  de 
badinages  sur  le  ridicule  dont  serait  une  telle  incar- 
tade, sur  les  lois  qui  ne  dépassent  pas  l'honneur  d'une 
sœur,  que  j'espère  bien  qu'il  n'y  pense  plus.  Peut-être 
le  moutard  se  ravisera. 

Ne  viendrez-vous  pas  bientôt  vous  rappeler  au  bon 
vouloir  des  puissances?  Si  Orléans  vous  était  resté, 
comme  j'irais  voir  vite  vous  et  la  cathédrale  !  La  pau- 
vreté est  hideuse  en  ce  qu'elle  vous  prend  au  collet  à 
ciiaque  mouvement  qu'on  veut  faire.  Les  eaux,  par 
exemple,  me  sont  commandées  et  M*"®  KisselefT  me 
veut  emmener  avec  elle  à  Ilombourg,  Ems,  Cologne. 
Mais  je  ne  pourrai  jamais  laisser  payer  pour  moi,  et 
je  ne  puis  faire  une  telle  dépense.  Je  chargerai  la  fon- 
taine de  la  Madelaine  de  me  rétablir  seule.  Nous  ver- 
rons si  elle  s'en  acquittera  bien. 

M.  le  général  Nariskin  vient  d'être  nommé  aide  de 
camp  de  l'Empereur,  gouverneur  de  je  ne  sais  quoi  et 
je  crains  mortellement  que  cela  ne  force  sa  femme  à 
retourner.  J'avoue  que  ça  me  serait  un  désespoir,  car 
j'aime  celte  adorable  créature  d'une  tendresse  infinie. 


FORTUNEE  IIAMELIN  169 

lyjmcs  Lamorlior  sont  plus  folles,  insupportables  que 
jamais.  Félicle  a  donné  un  concert  qui  a  rapporté  net 
700  francs.  C'est  beaucoup,  mais  c'était  le  premier  et 
l'efTort  de  nous  tous.  Elle  se  croit  supérieure  à 
^|me  Persiani'  et  sa  mère  dit  :  «  C'est  le  même  genre.  » 
Elles  vont  partir  avec  M'"'  Lovday  pour  courir  la  pro- 
vince. Vous  verrez  ça  peut-être  et  ferez  un  article 
cliarmant  en  souvenir  du  bras  que  j'ai  brisé  cbez  elles. 
A  propos  de  comédiennes,  Walewski  va  tous  les  jours 
en  grandes  loges  avec  M""  Rachel  en  grande  parure, 
et  la  maman  Félix  à  côté  d'elle,  et  le  papa  Félix  à 
côté  de  lui.  C'est  à  ne  pas  croire  à  Arras,  n'est-ce-pas  ? 
Oi^i  donc  va  tomber  ce  sang  de  Napoléon  ? 

J'ai  des  listes  de  dîners  comme  un  conservateur. 
Lundi  je  dînerai  cbez  la  petite  Morel  qui  est  plus 
jeune,  fringante  que  jamais.  Moraski  soutire  toujours, 
il  est  fort  cbangé  et  il  a  perdu  énormément  au  whist. 
Le  jeu  est  comme  le  reste,  ibabileté  n'y  vaut  pas  le 
bonheur.  Tâchez  d'avoir  ces  deux  avantages. 


'O' 


Paris,  9  juin  1843. 

Cher  ami,  écrivez  à  M.  Courtois  de  se  présenter 
chez  M.  Didier  de  ma  part.  Le  journal-  paraît  (au 
grand  regret  de  ma  pauvre  bourse)  et  j'en  éprouverai 
une  vraie  consolation  s'il  est  utile  à  votre  ami. 

J'ai  été  à  la  Madelaine  et  suis  revenue,  rappelée  par 
un  grand  espoir  qui  a  tourné  comme  tous  mes 
espoirs.  Ah  !  le  temps  de  la  réalisation  des  espoir.s  est 
passé  pour  jamais.  Je  retourne  lundi  prochain  à  la 

'  Répulce  poui'  sa  voi.x. 

-  l.'Elat  ([ue  fondait  Cliarlc?  Didier. 


170  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

Madehiine,  elle  me  calme  comme  par  eiicliantemeal. 
Mais  elle  est  comme  l'opium,  elle  ne  guérit  pas.  Je 
vous  écrirai  de  là  en  détail,  sans  plaindre  les  minutes. 
Votre  frère  se  tire-t-il  bien  des  gloires  de  l'Afrique  '? 
Je  crois  ({ue  le  grand  succès  du  jeune  prince  a  pour 
but  de  faire  payer  ij  millions  le  palais  qui  était  loué 
2^000  iVancs.  On  n'y  comprend  plus  rien,  plus  nous 
cueillons  de  lauriers,  plus  nous  perdons  d'officiers. 

A  bientôt. 

20  juin,  (lo  la  Madi-laino,  1843. 

Mon  cher  enfant,  je  respire,  j'ai  trouvé  la  foret 
calme,  verte  et  parfumée,  le  parterre  comble  de  roses, 
la  vache  reg-orgeant  de  bon  lait,  et  tout  le  monde  con- 
tent de  me  revoir  sauvée.  Mes  derniers  temps  de 
Paris  avaient  été  pleins  d'amertume,  j'espérais  que 
la  Providence,  après  tant  d'épreuves  physiques,  me 
laisserait  quelque  repos...  Non,  Tannée  aura  sa  fata- 
lité jusqu'à  la  fin.  Le  pavillon  a  été  définitivement 
vendu  à  une  belle  grande  dame  qui  a  le  bon  goût  de 
le  trouver  la  plus  belle,  originale  et  notre  demeure  de 
Paris.  Des  circonstances  vraiment  inouïes  ont  rendu 
cette  perte  encore  plus  irritante.  J'avais  facilement 
persuadé  à  M"'^  Kisselefî  que  cette  acquisition  avait 
un  avenir  immense  et  en  attendant  cette  réalisation 
(}ui  serait  un  million  pour  Félix,  elle  aurait  un  séjour 
divin  pour  bénir  Dieu  qui  lui  donnait  Félix,  le  pavillon 
et  une  amie  près  d'elle.  Elle  part  pour  lïombourg 
après  avoir  fait  venir  Xumala,  lui  dit  de  suivre  toutes 
mes  instructions,  d'aller  jusqu'à  SoOOtlU  francs  — 
qu'elle  veut  — .  Mon  étourdie  part  le  soir,  oublie  de 


FORTUNEE  HAMELIN  171 

donner  un  pouvoir,  mais  tous  connaissent  sa  loyauté. 
On  vient  chez  moi  ;  nous  allons  chez  un  avoué,  il  a  le 
malheur  de  dire,  cet  avoué  maudit  :  «  Monsieur,  vous 
connaissez  nos  lois?  N'ayant  pas  de  pouvoir  en 
règle,  vous  restez  solidaire  en  cas  de  folle  enchère.  » 
Je  vois  Xumala  décomposé.  Il  tint  bon  cependant.  Le 
bon  et  généreux  Alexandre,  auquel  il  fait  part  de  sa 
frayeur,  cautionne  sa  sœur  de  200  OUI)  francs,  Xumala 
avait  entre  ses  mains  G2  000  francs  de  M"'*"  K...  C'était 
rassurant  I  II  vint  me  faire  part  de  sa  frayeur,  vu 
qu'un  excellent  architecte  n'estimait  le  pavillon  que 
de  120  à  140  000  francs.  «  Faites-moi  donc  venir  cet 
âne  »,  lui  dis-je.  L'àne  ne  vint  pas,  mais  Xumala  alla 
tortiller  Alexandre,  l'effrayer.  Enfin,  à  l'adjudication 
qui  ne  laissait  plus  le  temps  d'avoir  les  réponses  de 
Sophie',  Xumala  poussa  ferniement  à  200  000  francs 
et  la  duchesse  de  Vicence  l'emporta  à  3o0  000.  On  fut 
au  désespoir.  On  pouvait  mettre  surenchère,  Sophie 
le  voulait.  Le  malin  du  jour  de  la  surenchère, 
M.  Xumala  dit  que,  n'ayant  pas  le  pouvoir  du  mari,  il 
restait  encore  responsable.  Enfin  il  a  tout  perdu  :  Je 
ne  lui  en  veux  que  du  manque  de  franchise.  S'efïrayer 
d'aller  à  350  000  francs,  cautionné  de  200,  62  000  francs 
et  l'immeuble  n'était  certes  pas  inquiétant  !  Un  homme 
qu'on  aurait  reçu  avec  amitié  vous  rendrait  ce  service 
et  elle  si  généreuse  envers  les  Polonais,  elle,  si  liée 
avec  Xumala,  en  reçoit  ce  procédé  !  S'il  eût  été  sin- 
cère, j'eusse  trouvé  dix  bommes  de  paille  qui  pour 
20,  30  000  francs  font  le  métier  de  passer  les  adjudi- 
cations, nous  avions   tous  les  frais  en  mains,  et  le 

'  Sophie  Kisseleff. 


172  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

pouvoir  (le  la  duchesse  n'allait  qu'à  340  ;  c'est  son 
avoué  qui  a  dit  :  «  Si  elle  n'est  pas  contente,  je  garde.  » 
Jugez  mes  douleurs.  Je  courais  les  éludes,  les  entre- 
preneurs, tous  me  donnaient  raison  dans  mes  appré- 
ciations. Ils  m'en  veulent  de  les  avoir  devinés. 

Kameroski  même  conspirait  contre  Sopiiie  pour  ces 
ladres  de  lieauvau,  pensant  que  si  on  ne  poussait  pas 
trop  haut,  ses  amis  arriveraient  à  avoir  pour  230,  240. 
Est-ce  de  la  probité  que  tout  cela"?  Que  Dieu  leur 
pardonne  !  Mais  jusqu'à  présent  le  pardon  des  injures 
est  pour  moi  la  vertu  la  plus  difficile.  Grâce  à  eux, 
me  voici  sans  asile.  La  sœur  Olga  est  aussi  désolée 
que  moi  et  n'avait  pas  démêlé  toutes  ces  turpitudes. 

Voilà  cette  noble  nation  pour  laquelle  il  faut  en 
bonne  politique  se  brouiller  avec  la  Russie  ! 

M™®  de  Yicence  '  est  fort  empressée,  gracieuse  pour 
moi.  Elle  sait  tout  et  le  trouve  très  hou.  Elle  tient  le 
bon  bout  et  la  générosité  est  facile  alors.  Nous  parlons 
de  l'Empire,  elle  est  bien  pour  l'Empereur,  quoique 
talleyrandiste  ;  elle  a  moins  d'esprit  qu'on  disait,  mais 
des  manières  charmantes,  bien  de  la  volonté,  de  la 
suite,  un  vieil  ami  dévoué,  spirituel  et  amusant  de 
légitimité  (c'est  Vitrolles-),  enfin  deux  fils  cbarmants, 

'  M'"''  Gaulaincourt.  duchesse  de  Viconce,  avait  été  dame  d"hoDneur 
de  l'impératrice  Marie-Louise.  Le  maréchal  de  Castellane  disait  en 
1860  {Journal.  V)  :  «  J'ai  été  chez  la  duchesse  de  Yicence,  toujours  spi- 
rituelle, toujours  gracieuse  et  bonne  pour  moi.  » 

-  Vitrolles  (baron  de),  (1774-1854),  émigra  à  l'armée  de  Condé. 
Rentra  après  le  18  brumaire.  Arrêté  à  Toulouse  pendant  les  Cent 
Jours.  Député  des  Basses-Alpes.  Ministre  d'Etat.  Ministre  à  Florence 
1827.  Il  avait  épousé  M"''  de  Folleville,  bâtarde  de  la  duchesse  de 
Bouillon.  (Cf.  Pasquier,  Mémoires,  111).  Le  baron  de  Frénilly  dans 
ses  Soucenin:  l'appelle  une  «  espèce  de  Sous-Talleyrand  de  Provence  », 
«  intrigant,  dans  toute  l'acception  du  mot,  d'une  activité  inces- 
sante, aimable,  spirituel,  entreprenant  ».  Pendant  la  Hestauration 


FORTUNÉE  HAMELIN  173 

une  grande  fortune,  un  air  encore  très  Proserpine,  et 
le  soir  elle  est  belle  encore  ;  enfin,  elle  a  le  pavillon  ! 
Que  de  bonheur  pour  une  seule  femme  !  L'autre  jour 
elle  a  voulu  m'avoir  à  dîner.  J'ai  trouvé  grand 
accueil,  mag-nifique  hôtel  et  mobilier  à  faire  tourner 
la  tête.  A  dîner,  c'était  une  argenterie  de  l'Empire, 
porcelaine  de  l'Empire,  linge  de  l'Empire  et  vieux  et 
excellent  cuisinier  de  l'Empire.  Le  soir  elle  m'a 
demandé  à  rester  encore  un  an  au  pavillon.  «  Qui 
sait,  ensuite?  »  a-t-elle  dit.  J'ai  refusé.  Elle  a  répondu 
qu'elle  le  voulait.  Quelle  chance  aurais-je?  Elle  va 
bâtir,  marier  ses  fils,  quoique  bien  souffrante.  J'aurais 
les  crève-cœur  —  et  le  provisoire  encore;  non,  le 
sort  a  décidé,  dix  fois  j'ai  manqué  ce  paradis  par  la 
mauvaise  volonté  de  mes  amis,  je  vois  que  les  amis 
des  autres  ne  sont  pas  meilleurs. 

Baissons  la  tète  sous  tant  d'orages  et  cherchons 
quelque  humble  coin  entre  le  pavé  d'une  cour  et  celui 
de  la  rue.  Arrivée  ici,  j'ai  trouv^é  les  architectes  de  la 
liste  civile  qui  me  donnaient  un  dernier  relai  après 
ceux  de  la  duchesse  de  Vicence.  On  me  promet  la  fin 
de  mon  bail  au  moins.  C'est  quelque  chose,  si  Ton 
tient  parole.  Vous  l'avez  vu,  les  échanges  ne  pèsent 
pas  une  once  à  la  Chambre. 

On  vous  annonce  pour  juillet.  Nous  y  voici.  Je 
crains  d'après  ce  que  j'entends  que  vous  ne  soyez 
retardé  dans  vos  espérances,  mais  je  ne  trouve  pas 
mal  de  vous  montrer  (un  peu  plus  sage)  et  de  ne  vous 
point  laisser  oublier.  Puis  j'aurais  une  grande  joie  à 

il  était  secrétaire  et  «  drogman  »  des  Conseils  du  Roi.  La  «  qualité  » 
du  royalisnae  de  Vitrolles  est  nettement  caractérisée  par  II.  IIous- 
saye  {ISiô). 


rT4  U-NE  ANCIEiNiNE  MUSGADINE 

VOUS  revoir,  et  cela  compte  de  faire  plaisir  à  ses  amis. 
J'espère  que  vous  serez  meilleur  prince  près  de  nous 
que  dans  vos  premières  lettres.  Vous  verrez  si  Tony 
peut  être  jamais  traitée  en  subalterne,  elle  est  plus 
belle  tous  les  malins  et  tient  lètc  à  mes  roses. 

Avez-vous  écrit  à  M.  Courtois?  Je  n'ai  pas  revu 
Didier,  j'avais  fait  dire  que  j'étais  partie  pour  m"oc- 
cuper  toute  entière  d'enchères  et  de  surenchère.  Je 
revenais  brisée,  car  ma  maladie  m'a  enlevé  le  reste 
de  mes  jambes  et  ne  voyais  qu'eux.  Beau  résultat, 
n'est-ce  pas? 

Ces  Polonais  ont  tous  un  coin  sale  dans  le  carac- 
tère. Arthur  disait  :  «  J'en  connais  quatre  d'hon- 
nêtes. »  C'est  chez  eux  que  le  masculin  diffère  le  plus 
du  féminin.  Je  dis  cela  aussi  pour  ce  grand  bêta  de 
lelski  qui,  à  moitié  fou  de  coups  de  paralysie,  vivant 
des  capitaux  du  boyard,  s'avise  de  prendre  à  loyer  la 
Weiss,  de  l'entretenir  très  larg-ement,  de  voyager 
avec  elle  et  leurs  trois  enfants,  car  il  a  mis  son  jeune 
bâtard  chez  elle,  et  tout  cela,  s'il  vous  plaît,  avec 
l'argent  d'un  ami.  Je  vous  prie,  cher  ami,  n'en  écrivez 
rien,  jai  assez  de  Pologne  sur  les  bras,  qu'ils  s'ar- 
rangent. Oliuski  savait  les  précédents. 

M.  de  La  Rue  aura  liberté  au  départ  du  Maréchal. 
11  me  promet  de  m'amener  sa  sœur  alors.  Je  le  désire 
plus  que  je  n'y  crois.  Moraski  souffre  toujours;  en 
juillet  ils  partent  pour  les  eaux.  Montrond  va  mieux  ; 
il  a  fait  venir  deux  nièces  à  Bourbonnc.  Ce  sont  de 
très  honnêtes  femmes  et  voilà  la  première  fois  qu'il 
n'a  pas  à  rougir  de  son  entourage.  Tous  mes  dévots 
veulent  que  je  convertisse  ce  mécréant.  Quelle  prise, 
lui   qui   n'a  jamais  aimé  et  qui  ne  vit  que  de  luxure 


FORTUNÉE  IIAMELLN  175 

et  de  regrets  de  ne  plus  luxurer.  Non,  je  ne  suis  ni 
de  crédit  ni  de  force  à  tenter  ce  grand  œuvre. 

Ce  singulier  Brunot  a  traversé  toute  l'Italie  en 
deux  mois;  il  appelle  cela  un  voyage.  Le  duc  de 
Talleyrand  est  établi  à  tout  jamais  content  de  son 
sort  et  toujours  sous  l'aimable  joug.  En  définitive, 
celte  femme  est  sa  Providence  et  fait  mieux  que  sa 
famille.  Il  est  logé  chez  elle,  elle  chez  lui,  elle  touche 
ses  revenus  et  tout  (comme  dit  M""  Déjazet)  et  tout 
cela  le  réforme  et  le  rend  heureux. 

Nous  avons  eu  une  vraie  belle  tragédie  ^  hclla  ma 
emmijosa,  comme  disait  Vestris  à  Foscolo  d'une  tra- 
gédie qu'il  venait  de  lire  ;  puis  une  Fille  de  Figaro' 

'  Sans  «louti;  la  pièce  de  F.  Ponsard  :  Lucrèce,  représentée  celle 
même  année  à  l'Odéon.  Balzac  partageail  l'avis  de  Fortunée  Hamelin. 
H  écrivait  à  M""  Hanska  (mai  1843)  :  «  J'ai  vu  Lucrèce  !  Quelle  mys- 
tification faite  aux;  Parisiens.  C'est  un  pastiche  de  Chénier  comme 
trente  poètes  de  second  ordre  acluols  eussent  pu  le  mieux  faire.  Ah  ! 
si  vous  saviez  comme  Lucrèce  est  chose  ennuyeuse!  »  Balzac,  Let- 
tres à  l Etrangère,  t.  II.  Cf.  Feuilleton  de  Th.  Gautier.  La  Presse, 
(1843). 

-  La  Fille  de  Figaro,  cûmédic-vaudeville  en  cinq  actes  par  Méles- 
ville,  jouée  pour  la  première  fois  sur  la  scène  du  Palais-Royal  le 
17  mai  1S43.  C'est  la  gageure  d'une  marchande  à  la  toilette,  Aspasie, 
avec  un  fournisseur.  Un  munitionnairc  des  armées  veut  épouser  sa 
pupille  qui  se  trouve  être  orpheline  d'une  femme  de  qualité  qui  a 
sauvé  la  vie  à  .\spasie  lorsqu'elle  voulait  se  suicider  après  avoir  été 
séduite  par  le  marquis  de  Miramonte.  Aspasie  jure  qu'elle  ne  sera 
pas  sacrifiée.  Saint  Réant  (incroyable,  fou'nisseur  géné'al  des  a'mées 
de  la  'épublique)  jure  qu'elle  le  sera.  Aspasie,  la  marieuse  ou  la  Fille 
de  Figaro  (à  cause  de  son  talent  à  conduire  une  intrigue),  avertit 
Céline,  qui  est  aimée  du  propre  frère  de  Saint-Réant,  Victor  d'Hérigny, 
lieutenant  des  guides.  Mais  les  capitaines  seuls  peuvent  se  marier. 
Aspasie  court  chez  Duperron  (sous-directeur  à  la  Guerre)  chcrclier 
le  brevet.  Elle  va  aussi  chez  Joséphine  Bonaparte.  Ici  se  place  la 
scène  des  cartes  à  laquelle  Bonaparte  assiste,  dissimulé  derrière  un 
rideau.  Ordre  est  donné  de  ne  laisser  sortir  aucune  femme.  Jlais 
Aspasie  a  sous  sa  robe  un  costume  d'aide  de  camp.  Elle  peut  donc 
sortir.  Saint-Réant  organise  en  l'honneur  du  contrat  une  fête  superbe. 
II  compte  épouser  Céline.  Aspasie  arrive  habillée  en  mariée.  Elle  a 


176  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

qui  est  une  drôlerie  fort  amusante  du  Consulat.  On 
y  a  mis  M"'"  Bonaparte  avec  une  tireuse  de  cartes;  la 
scène  est  pitoyable  et  pouvait  être  charmante.  J'eusse 
voulu  la  faire.  On  y  parle  souvent  de  moi  comme 
d'une  élégante,  voilà  tout.  Comme  il  y  a  un  bal,  je 
mourrais  de  peur  qu'on  ne  m'y  fit  danser  par  une 
sauteuse  de  l'Ambigu.  On  se  contente  de  m'envoyer 
des  glaces.  On  dit  dans  ce  pays  qu'un  jeune  ménage 
éperdument  amoureux  est  venu  faire  l'amour  sous  la 
fouillée  à  Fontainebleau.  Ce  ménage  était  escorté 
d'une  belle  belle-sœur.  Serait-on  venue  prendre 
revanche  des  amours  d'Arras? 

Vous  n'êtes   pas  quitte   de  la  Pologne;  voici  une 
charmante  histoire  de  RachoP  avec  son  grand  nigaud 


reconnu  en  Sainl-Réanlle  marquis  do  Miramonte  qui  l'avaiL séduite 
autrefois.  Tout  finit  par  s'arranger  et  Saint-Rcant  renonce  à  la  main 
de  Céline  qui  épousera  Victor  dilérigny.  jM'i»  Fargueil  jouait  le  rôle 
d'Aspasie.  M"»"  Ilamelin  est  citée  deux  fuis.  Aspasie  (acte  I,  se.  4), 
dans  son  magasin  de  revendeuse  à  la  toilette,  donne  des  ordres  à 
ses  employées  :  «  Allons,  Mesdemoiselles...  allons  donc,  à  nos  courses, 
chez  les  pratiques...  (Désignant  des  cartons).  Ces  dentelles  chez  la 
Contât,  ces  plumes  chez  la  générale  IMoreau,  (à  une  autre)  Clotilde... 
3/m8  Ilamelin  et  cette  garniture  de  renard  bleu  chez  la  citoyenne 
Talleyrand.  »  A  l'acte  V,  dans  la  salle  de  danse  de  l'Hôtel  Saint-Réant. 
Scène  I.  Saint-Réant  (Incroyable  et  parlant  le  jargon  des  Incroyables, 
car  la  pièce  se  passe  au  commencement  du  Consulat)  :  «  Faites 
ci'culer  des  glaces,  des  so'bets.  (aux  masques).  Allons  messieurs, 
des  rent'ants  à  la  bouillotte  !  Ce  diable  d'Isabey  décave  tout  le  monde. 
(.\  un  domestique)  Un  ve'e  d'o'geat  pour  M"">  Ilamelin  et  dites  à  Julien 
de  commencer  la  valse  de  la  'eine  de  P'usse.  »  Le  feuilletoniste  de 
La  Nation  (1"  juin  1843)  appréciait  ainsi  la  Fille  de  Figaro  :  «  Voici 
une  petite  comédie  aux  allures  vives  et  mutines  qui  court  plutôt 
qu'elle  ne  marche  et  où  il  y  a  avec  fort  peu  de  vraisemblance,  beau- 
coup d'action,  de  verve  et  de  vivacité.  » 

'  Les  anecdotes  abondent  sur  Rachel.  Celle-ci  est  assurément  une 
des  plus  piquantes  et  Fortunée  Ilamelin  y  a  glissé  une  pointe  de 
malice  qui  n'est  pas  sans  charme.  (Valentine  Thompson  :  La  vie 
senlimenlale  de  Rachel,  1910.  A.  de  Faucigny-Lucingc  :  Rachel  et 
son  temps.  Emile-Paul,  1910). 


FORTUNÉE  HAMELIN  177 

de  fils  d'un  Dieu.  Rachel,  donc,  allant  chez  une  saltim- 
banque de  ses  amies,  vit  une  horrible  vieille  guitare 
accrochée.  —  Vends-moi  cette  guitare.  —  Vingt 
francs.  —  C'est  dit. 

Elle  revient  et  accroche  la  guitare  dans  un  intime 
cabinet.  «  —  Qu'est-ce  que  cette  guitare  ?  di  t  Walewski. 
—  Ah!  Ah!  —  Quoi  donc,  ah!  ah!  Mais  enfin... 
cette  guitare...  —  Ah!  Elle  vient  des  temps  misérables 
de  mon  enfance.  Je  la  garde  pour  me  préserver  de 
l'orgueil.  —  Donnez-la  moi.  —  Jamais,  c'est  un  talis- 
man. —  Je  la  veux  à  deux  genoux.  —  L'échange 
est  complet  et  le  lendemain  une  agrafe  magnifique 
est  acceptée  pour  prix.  La  guitare  est  alors  placée 
sur  du  velours,  chargée  de  dates,  d'inscriptions  et 
huit  jours  après,  la  perfide  amie  vient  demander  on 
ne  sait  quoi  à  Walewski.  Elle  reconnaît  l'instrument, 
lit  les  inscriptions,  éclate  de  rire,  apprend  tout  à 
l'amant  consterné,  arrive  aux  preuves  et  malgré  la 
conviction,  la  bouderie  n'a  duré  que  trois  jours,  tant 
la  vanité  tient  le  pauvre  sot.  Il  est  parti  pour  Rouen 
avec  toutes  les  comédiennes  du  théâtre,  leur  a  donné 
un  festin  pour  les  adieux.  II  ne  lui  manquait  plus  que 
de  porter  la  guitare  sur  le  dos.  0  pauvre  sang  de 
Napoléon  ! 

Adieu,  cher  ami. 

Sans  date,  20  au  soir. 

Je  ne  connais  pas  le    Général   Dandré,  '  mais  ne 

'  Il  y  a  un  Dandré  ((ui  fut  on  novembre  1815  directeur  de  la  police. 
Ancien  Constituant,  promoteur  de  la  loi  martiale,  émigré  en  92, 
Dandré  était  rentré  clandestinement  à  Paris  en  97,  s'était  mêlé  au-v 
conspirations  de  Clichy,  puis  avait  été  le  Conseil  do  Louis  XVill 
jusqu'en  1809.  Il  éniigra  avec  Laine  en  avril  1815. 

12 


178  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

peut-on  y  arriver  par  ricochets  ?  FauJoas,  par  exemple 
qui  est  un  général  africain,  en  ce  moment  de  superbe 
humeur  par  le  mariage  inouï  de  sa  nièce  ^  et  par  sa 
bonne  santé  qui  lui  permet  l'inspection,  Faudoas  peut 
nous  donner  du  très  bon.  Ecrivez-lui,  j'en  ferai 
autant.  Sachez  où  il  inspecte  d'abord  pour  lui  envoyer 
nos  demandes. 

Oui,  ce  mariage  de  Léontine  est  un  rêve  à  faire 
rêver  les  jeunes  filles  belles,  jeunes,  sages.  «  Ah  !  c'est 
comme  ça  qu'on  devient  riche  et  marquise  »,  vont-elles 
dire  !  Vraiment!  c'est  assez  doux,  car  il  a  vingt-imit 
ans,  une  très  jolie  figure  et  celte  petite  nonchalance 
créole  qui  plaît  au  masculin  connue  au  féminin.  Qu'a- 
t-elle  fait,  cette  veuve  qui  a  douze  ans  de  plus  que  lui 
et  une  figure  terrible?  Ce  qu'elle  a  fait?  Un  enfant, 
dit-on,  mais  c'est  encore  très  facile.  «  Oui,  ma  mère, 
mon  frère,  une  famille  toujours  à  me  surveiller...  » 
Qu'en  conclure,  cher  ami?  C'est  que  le  système 
anglais  est  infaillible  pour  arriver  au  but  de  toutes 
les  filles,  mais  que  nos  idées  françaises  sont  pleines 
de  grâce,  de  noblesse,  de  morale,  qu'avec  les  habitudes 
de  l'Angleterre  les  virginités  de  corps  sont  très  rares, 
celles  du  cœur  introuvables.  Restons  Français. 

Vous  devinez  trop  juste  pour  Didier-.    Mais  c'est 

'  Fille  de  Savary,  duc  de  Rovigo,  ijui  avait  épousé  Félicité  Faudoas, 
«  bien  née,  extrêmement  jolie  et  spirituelle.  »  (d'Arjuzon,  Hortense 
de  Beauhaniais). 

-  Charles  Didier  (1805-1864  arai  d'IIortense  Allart  et  de  George  Sand. 

Il  écrivit  beaucoup,  collabora  à  plusieurs  journaux  républicains, 
le  Courrier  Français,  le  Mouvement,  le  Bon  Sens,  le  Droil,  le  Monde, 
le  National,  la  Revue  du  Progrès].  11  essaya  de  fonder  lui-même  YEtat 
en  1843.  C'est  de  ce  journal  qu'il  est  question  ici. 

Didier,  après  une  mission  en  Pologne  en  1848,  voyagea.  Il  devint 
aveusle  sur  la  lin  de  ses  jours.  Citons  parmi  ses  ouvrages  :  La  Harpe 


FORTUNÉE  HAMELIN  179 

une  circonstance  horrible.  Le  gérant  a  refusé  de  signer 
la  feuille  la  plus  calme,  la  plus  inoffensive,  et  cela 
sans  prévenir,  sans  donner  un  seul  motif.  Le  cau- 
tionnement est  à  son  nom.  Où  retrouver  cent  mille 
francs  déjà  si  difficiles  à  trouver  pour  la  première 
fois  ?  Moi  j'en  trouvais  la  politique  très  pâle,  d'autres 
en  jugaient  autrement,  car  ça  ne  peut  être  qu'une 
trahison  achetée.  Le  pauvre  soitrd  ^orle  malheur  aux 
journaux  qui  l'accueillent.  Ils  sont  au  désespoir  et  j'en 
ai  du  chagrin  aussi.  Voici  comment  ils  ont  voulu 
donner  des  coups  de  moi  aux  dames  bas-bleus.  M"*^  An- 
celot,  qui  me  paraît  la  plus  formidable  mégère  d'elles 
toutes,  avait  soupçonné  l'inoffensive  M"^  Didier  d'avoir 
poussé  un  ami  de  Didier  à  écrire  quelques  moqueries 
sur  un  de  ses  assommants  romans  en  dialogue.  Alors 
^jme  ^Qcelot  prend  la  plume  et  de  cette  écriture  de 
cuisinière  qui  vous  a  tant  fait  battre  le  cœur,  elle 
écrit  un  rassemblement  d'imjures  dignes  de  l'Écriture. 
Elle  ose  la  menacer  d'ouvrir  les  yeux  de  son  mari, 
elle,  elle  !  Quelle  lâche  audace  !  M"""  Didier  arrive 
tout  en  pleurs  chez  moi  et  me  dit  :  «  Que  faut-il 
faire  .^  «  —  «  Me  donner  cette  lettre  et  m'envoyer  votre 
mari  dès  qu'il  arrivera  de  voyage.  »  11  arrive  un  beau 
matin,  je  lui  parle  et  je  lui  remets  la  lettre.  Quelle 
imprudence!  Non,  c'était  superbe,  c'était  lui  dire  : 
C'est  faux  !  c'est  infâme  !  C'était  engager  son  honneur 
et  il  en  a.  Je  lui  dis,  lorsque  la  lettre  fut  digérée  : 
«  Répondons  ensemble,  écrivons  chacun  la  nôtre.  » 
Ça  fut  fait.  J'avais  réuni  d'avance  toutes  mes  idées, 
je  m'étais  fait  mari  et  indigné  et  je  ne  crois  pas  que 

Helvétique  (1830,  Paris),  Rome  Souterraine  (1833),  TItécla  (ISJ'i),  Pro- 
menade au  Maroc  (1844),  etc. 


180  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

SOUS  le  ciel  une,  seconde  lettre  plus  froide,  plus  mé- 
prisante ait  été  écrite  et  reçue.  Nous  avons  comparé. 
Il  m'a  dit  :  v  Je  prends  la  vôtre,  mais  ceci  est  encore 
trop  poli.  »  —  «  Non,  non,  ne  tombons  pas  dans  la  cui- 
sine »  et  le  billet  dou.x  est  parti.  Bientôt  elle  écrivit 
des  apologies,  on  no  répondit  plus,  même  on  renvoya 
quatre  lettres  en  une  semaine.  C'est  que  le  journal 
avait  paru.  L'article  qui  vous  a  plu  a  été  écrit  par  lui 
et  M.  de  Balzac  en  place  d'un  feuilleton  de  son  cbar- 
mant  roman  et  j'y  vois  surtout  deux  beaux  esprits 
protégeant  l'ignorance  et  la  droiture. 

Que  dites-vous  de  l'idée  do  refaire  un  Pétrarque 
de  M.  de  Gliateaubriand  !  C'est  du  Léon  X  tout  pur. 
Ah  !  ces  papes,  quand  ils  s'en  mêlent,  ont  bien  do  la 
grandeur;  comme  cela  nous  sort  des  pots  de  vin  de 
M.  Edmond Bl...,  etc.  M.  do  Chateaubriand  n'acceptera 
pas  par  goût  et  pudeur  française,  mais  l'offre  est 
angélique. 

Fontainebleau  est  en  plein  carnaval.  On  y  danse, 
on  y  joue  gros  jeu,  surtout  on  y  mange  assez  bien. 
M""*  de  Besplas  donne  une  fote.  J'aurai  certainement 
mal  aux  yeux  ce  jour-là.  Du  reste  elle  est  vraiment 
gentille  et  redevient  naturelle  lorsqu'elle  est  contente 
et  bien  alaise.  Tout  ce  monde-là  est  bien  bon  pour 
moi  et  je  m'étonne  souvent  de  tant  do  soins  pour  une 
pauvre  femme  qui  ne  peut  rien,  hélas  !  pour  les 
autres. 

L'autre  jour,  d'Astorgqui  était  à  Fontainebleau  m'a 
ramené  chez  lui;  il  voulait  me  donner  une  surprise. 
Le  colonel  Gudin  '  dînait   avec    nous    et  au    dessert 

'  Probablement  le  fils  du  général  Gudin  qui  avait  épousé  une  des 
filles  de  Mortier,  duc  do  Trévisc  (Cussy.  Souvenirs,  I  et  II). 


FORTUNÉE  HAMELIN  181 

voilà  une  musique  Iriompliante,  vive,  légère,  d'accord 
toujours,  qui  joue  les  plus  jolis  airs  italiens,  français, 
allemands.  Bref,  cette  musique-là  est  la  meilleure, 
la  seule  de  l'armée.  C'est  à  se  faire  rompre  le  cou 
sur  de  telles  fanfares. 

M.  Berryer  va  voyager^  ;  on  dit  qu'il  rencontrera  en 
Italie  M.  le  duc  de  Bordeaux,  seul.  Les  injures  de  la 
Gazette  ne  lui  font  aucune  impression,  seulement 
celte  conversation  l'ennuie,  attendu  que  tous  les  sots 
lui  en  parlent  tout  d'abord.  J'ai  rencontré  chez  lui  un 
matin  31.  Buhver.  Je  l'ai  bien  turlupiné  sur  ce  mari 
qui  était  à  la  fois  un  athlète  et  un  rossignol.  La  maison 
de  Berryer  depuis  la  morf^  de  sa  femme  est  toute 
renversée,  mal  arrangée  ;  il  déteste  Augerville,  ne  dîne 
jamais  chez  lui  et  déjeune  sur  un  méchant  guéridon 
avec  une  côtelette  mal  cuile  qui  fait  pitié.  C'est  un 
enfant  pour  lequt-l  il  faut  tout  faire,  ne  se  chargeant, 
lui,  que  de  faire  de  l'amour  et  de  l'éloquence^. 

Si  c'est  vers  la  fin  juillet  que  vous  venez  décidément 
à  Paris  il  se  pourrait  que  mes  affaires  avec  la  duchesse 
de  Yicence  me  forçassent  à  y  aller  vers  ce  temps; 
alors  nous  nous  verrions  plus  longtemps,  je  vous 
ramènerais  ici  d'oi^i  vous  repartiriez  par  le  chemin  de 
fer  jusqu'à  Corbeil. 

Je  crois  Moraski  parti.  11  iiésitait  entre...  toutes  les 

'  La  Quotidienne  cL  la  Presse  comraenlôrent  ce  voyage. 

-  Sur  la  mort  de  M"'>=  Berryer  v.  d'Alton-Shée  (op.  cit.)  t.  II  p.  198). 

'  Sur  l'éloquence  de  Berryer,  étudiée  par  beaucoup  d'iiisloriens 
outre  autres  par  Thureau-Dangin,  de  Lacombe,  do  Mazade,  etc.. 
citons  ce  passage  des  J/émo()-es  de  Charles  Bocherqui  avait  rencontré 
Berryer  dans  le  salon  de  ]\I""«  de  Vaufreland  :  «  L'admirable  conci- 
sion du  latin  a  permis  de  caractériser  mieux  en  trois  mots  :  Forum 
et  jus,  que  par  une  longue  et  pompeuse  inscription  le  génie  de  ce 
grand  maître.  » 


182  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

eaux.  Je  crois  que  celle  de  notre  fontaine  eût  été  la 
meilleure,  d'autant  que  chez  M""*  Besplas,  Regnault  et 
Destourmel  je  lui  aurais  fourni  des  whists  assez  pas- 
sables. Tony  vous  écrit  tous  les  jours.  Le  facteur  a  le 
mot,  prend  sérieusement  la  lettre  et  la  jette  dans  la 
forêt.  L'autre  jour  le  curé  est  venu  dîner.  Ils  ont 
beaucoup  parlé  de  religion.  Tony  a  dit  qu'elle  avait 
sept  ans  d'hier  2o  juin  et  voulait  se  confesser.  «  Vrai- 
ment ?  Oui.  Voyons  !  »  a  dit  ce  bon  prêtre  1  «  Monsieur, 
j'ai  un  ami  qui  me  fait  bien  de  la  peine!  »  —  «  Mais 
vous  avez  plus  d'un  ami  ?  »  —  «  Oui,  mais  je  n'en  ai 
qu'un  à  qui  j'écris  et...  et  il  ne  me  répond  pas.  »  Ne 
trouvez-vous  pas  cette  petite  scène  bien  gracieuse? 

Ne  parlons  jamais  des  illégalités  de  M™^  K'...  Elle 
est  d'une  bonté,  d'un  dévouement  adorables.  Elle  est 
revenue  l'autre  jour  de  Hombourg  à  Paris,  y  a  passé 
deux  jours  parce  que  sa  belle-sœur  avait  dit  «  que  ce 
serait  dur  de  mourir  sans  revoir  Sophie  !  »  M"""  La- 
morlière  courent  la  province  la  guitare  à  la  main. 
Eélicie  pourfend  le  cœur  de  tous  les  provinciaux  et 
prend  le  parti  anglais  avec  (juelqucs  modifications 
indiquées  parla  marquise  de  Sainte-Croix  ([ui  m'écrit 
assez  gentiment  :  «  Madame,  me  voici  donc  bonne 
d'enfants!  »  Je  crois  que  les  hommes  ne  doivent  pas 
faire  comme  les  femmes  et  courir  après  des  mariages. 
Ils  enrichissent  bien  rarement  et  bien  sûrement  ils 
ennuient.  Quelle  perte  que  celle  de  l'indépendance  ! 
Adieu  ami. 

J'ouvre  ma  lettre  pour  vous  envoyer  celle  d'Eugène 
qui  vous  donnera  vite  occasion  de  lui  répondre,  de  le 

"    M"">  Kissclcff. 


FORTUNEE  HAMELIN  183 

complimenter  sur  le  mariage  de  sa  nièce  et  de  lui 
glisser  la  requête.  Ne  dites  pas  que  j'ai  envoyé  sa 
lettre.  Dites  que  je  vous  écris.  Certainement  j'irai  le 
voir  à  Saint-Germain  ou  à  Paris.  M'"'  La  Rue  m'écrit 
qu'ils  comptent  bien  venir  au  départ  du  maréchal. 
Vous  devriez  un  peu  retarder  pour  venir  ici  avec  eux. 
Vous  parlez  de  mes  tribulations.  Oui,  elles  sont  rudes. 
La  Providence  me  traque  comme  une  bête  fauve  ;  en 
me  sauvant  des  architectes  de  M""^  de  Vicence  j'ai 
trouvé  ceux  de  la  liste  civile  '.  Hélas  !  c'est  clair,  trop 
clair.  Ça  veut  dire  que  l'échange  est  consommé  entre 
le  domaine  et  la  liste  civile.  J'ai  deux  ans  encore. 
Puis  nous  verrons  si  M.  de  Montalivet-  est  bon 
garçon.  Je  viens  de  vendre  mes  foins  en  attendant. 

Les  enlèvements  continuent.  Une  grande  et  belle 
M""^  de  Murai  (qui  n'est  pas  la  nôtre  qui  consentirait 
aussi  à  l'enlèvement)  vient  de  se  sauver  avec  un  assez 
laid  M.  de  la  Paipoise.  M.  Beignère,  sous  i'infàme 
prétexte  que  son  fils  ressemblait  trop  à  M.  de  Nor- 

'  Cf.  !M.  Bourges,  liecIiercUes  sur  Foiilainebleau,  ouvrage  fort 
intéressant  sur  Fontainebleau  et  ses  environs.  Il  y  est  question  de 
la  Madelaine.  «  La  Madelaine  fit  retour  à  l'Etat  en  vertu  d'une  loi 
du  8  avril  1834.  Louis-Philippe  en  devint  propriétaire  pour  le  compte 
de  la  liste  civile  au  moyen  d'un  échange  passé  devant  M°Dentend, 
notaire  à  Paris,  le  10  juin  lS4i,  sanctionné  par  une  loi  du  2  août 
suivant;  un  décret  des  2(3  février  et  18  avril  1848  eut  pour  consé- 
quence de  le  faire  rentrer  une  seconde  fois  dans  le  domaine  de 
PEtat.  Après  avoir  donné  la  Madelaine  à  bail  avec  2  hectares,  75  ares 
21  centiares  de  dépendances  à  M"'»  Hainelin  moyennant  300  francs 
l'an,  l'administration  jugea  bon  de  la  détacher  clélinitivement  de  la 
forêt  de  Fontainebleau  et  la  vendit  par  adjudication  le  13  juin  1851 
pourlTOOU  francs  à  M.  Alfred  Tattet. 

Une  petite  vue  de  l Hennilage  de  la  Madelaine  est  peinte  dans  la 
Galerie  des  Assiettes  au  Palais  de  Fontaineldeau.  V.  L'Abeille  de 
Fontainebleau,  io  mai  1831  (renseignements  fournis  par  M.  Bourges 
iils). 

"  >r.   de  Montalivet  était  intendant   de  la  liste  civile. 


184  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

niandie,  l'a  souffleté  en  plein  et  en  public.  M.  de  Nor- 
mandie '  laisse  désenfler  sa  joue  depuis  quinze  jours... 
Est-ce  philosophie  évangélique,  est-ce  lâcheté"?  Je 
vous  laisse  juge. 

28  juillet  (s.  d.i  1843. 

Votre  lettre  me  fait  bien  du  crève-cœur.  Hélas  !  je 
sais  que  la  marmite  est  impérieuse,  mais  je  ne  vois 
pas  trop  la  sûreté,  la  compensation  de  ce  dangereux 
métier  de  journaliste.  Il  me  faudrait  autre  chose  pour 
me  donner  courage  et  un  changement  de  ministère 
qui  d"ici  me  paraît  probable  renversera  le  frêle  édifice 
quoii  vous  donne  à  conduire.  Tout  cela  est  triste, 
mais  quand  un  prêtre  de  Napoléon  parle  de  suicide  je 
lui  dis  qu'il  ment  ou  n'est  pas  digne  de  son  Église. 
Vraiment  ce  serait  bien  à  trente-cinq  ans,  avec  de  la 
santé,  une  jolie  figure,  beaucoup  d'esprit,  un  vrai 
courage,  que  vous  auriez  bonne  grâce  à  nier  votre 
maître  qui  a  survécu  à  Waterloo  !  S'il  a  blâmé  Gaton 
que  ne  \'ous  dirai l-il  pas  1  Si  tout  vous  manquait,  vous 
viendriez  casser  mon  pain,  si  vous  en  mangiez  trop, 
nous  le  prendrions  de  seconde  qualité.  Les  pauvres 
s'enrichissent  entre  eux,  Béranger  l'a  dit  mieux  que 


'  M.  de  Normandie  succéda  à  Lord  Seymour  comme  président  du 
Jockey-Club  en  1835.  L'un  était  Anglais,  l'autre  était  Anglomane. 
D'Alton-Shée  raconte  l'incident  dans  le  1"  livre  de  ses  Mémoires  (Paris, 
Librairie  internationale,  1869)  :  «  Avec  une  grande  simplicité,  M.  de 
Normandie  possédait  le  vrai  courage  :  un  mari,  ayant  à  se  plaindre 
de  sa  femme  et  de  lui,  le  provoqua,  linjuria  et  le  frappa  en  plein 
boulevard  ;  Normandie  refusait  de  se  battre  ;  quelques  membres  du 
Jockey,  se  mêlant  de  ce  qui  ne  les  regardait  pas.  jugèrent  quil  y 
avait  lieu  à  réparation.  Soit  !  dit  Normandie  et  allant  sur  le  terrain, 
il  essuya,  le  sourire  sur  les  lèvres,  le  feu  de  son  adversaire,  mais 
refusa  de  tirer.  Cette  fois  les  plus  raffinés  durent  convenir  que  Thon- 
neur  était  satisfait.  » 


FORTUNEE  HAMELIN  185 

moi.  Une  cliose  nous  peut  réussir,  les  événements  me 
font  battre  le  cœur.  Tout  ce  qui  n'est  pas  ceci  me 
tendra  la  main,  croyez-le  bien.  La  Madelaine  est  un 
asile  qui  ne  nous  manquera  pas  et  peu  à  peu  je  ferai 
rentrer  le  strict  nécessaire  pour  attendre  de  meilleurs 
temps.  Vous  tuer,  bon  Dieu  !  Ça  me  ferait  bien  hon- 
neur. 

Non,  je  ne  suis  pas  féroce,  mais  pourquoi  ce  jeune 
homme  est-il  fils  de  son  père  !  Vous  étiez  bien  jeune 
et  passablement  fou  lorsque  ce  père  exila  un  pauvre 
enfant  auquel  il  n'a  manqué  que  de  lui  faire  crever  les 
yeux  par  Bugeaud  pour  imiter  les  Barbares  des  pre- 
mières races.  Plus  tard,  il  a  déshonoré  sa  nièce  avec 
la  grossièreté  d'un  cocher  de  fiacre.  La  mort  de  notre 
espoir  adoré  plane  sur  lui,  il  a  étranglé  Condé  par  les 
mains  de  sa  concubine  dont  il  a  fait  son  amie.  Pour- 
quoi? Pour  de  l'argent.  Et  lorsqu'un  Dieu  vengeur 
vient  enfin  au  secours  des  innocents,  vous  voulez  que 
comme  les  Hébreux  je  ne  tombe  pas  à  ses  genoux,  et 
que  je  pleurniche  avec  des  fonctionnaires  publics  ! 
Allons!  cher!  La  contagion  des  imbéciles  vous  gagne. 
Ne  me  souhaitez  pas  hypocrite  ou  stupide. 

Je  ne  suis  pas  pressée  des  poteries,  mais  bien 
pressée  de  vous  voir.  Ne  croyez  pas  Tony  gâtée,  sacri- 
fiée. Cette  idée  me  fait  frémir.  Si  je  vis,  je  la  domp- 
terai, si  je  meurs,  je  lui  laisserai  un  collier  qui  la 
mariera.  Le  mal,  c'est  qu'elle  a  plus  d'esprit  que  moi 
et  une  volonté  de  fer.  Que  dire  d'une  petite  fille  de 
six  ans  qui  parodie  les  vers  de  Racine?  «  jMademoi- 
selle,  lui  disais-jc,  toutes  les  femmes  à  ma  place  vous 
feraient  donner  le  fouet!  —  Oui,  mais  vous  n'èles  pas 
sans  doute  une  dame  ordinaire  !  » 


186  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

La  câline  !  Elle  n'a  pas  été  fouettée.  Savez-vous 
que  sa  mère  qui  l'adore  est  brutale  comme...  comme 
le  peuple  !  on  la  bat,  la  pauvre  Tony,  et  beaucoup. 
Jugez  comme  les  larmes  me  viennent  aux  yeux  et 
comme  j'aurais  envie  de  battre  sa  mère  !  Si  je  la 
gâte  un  peu,  ce  n'est  qu'une  compensation,  et  si  vous 
venez  vivre  avec  nous,  vous  ne  me  blâmerez  plus. 

Vous  parlez  de  mon  bonheur!  C'est  pour  me  forti- 
fier, car  vous  ne  m'adresseriez  jamais  une  dérision  ! 
Heureuse!  lorsque  les  plus  rudes  privations  tombent 
sur  ma  vieillesse,  lorsque  tout  moyen  d'être  utile  m'est 
enlevé,  lorsque  les  amis  de  toute  ma  vie  m'ont  si 
lâchement  trahie  ^  que  je  ne  connais  que  mon  divin 
maître  Napoléon  qui  ait  été  plus  malheureux  que  moi 
dans  ses  affections,  heureuse  lorsque  je  suis  forcée  de 
vous  laisser  atteler  à  cette  infâme  charrette,  heureuse, 
lorsque  je  ne  puis  pas  acheter  Tony  !  Ah!  vous  n'êtes 
pas  dans  la  confidence  de  mon  lit!  Il  vous  dirait,  lui, 
que  la  fierté,  l'horreur  d'ennuyer,  les  privations  com- 
posent seules  le  maintien,  la  gaieté,  le  courage  qui 
vous  donnent  le  change...  oui,  j'ai  la  Madelaine  et  du 
pain,  voilà  tout. 

Quel  été  splcndide  nous  avons  !  C'est  un  climat  plus 
complet  cent  fois  que  les  plus  réputés  de  l'Italie  !  En 
cll'et  pas  un  cliiroc,  point  de  ces  vents  qui  brûlent  et 

'  La  comtesse  Bassanville  dit  dans  Les  Salons  d'autrefois  (t.  It, 
p.  22  s :[q)  :  «  Beaucoup  de  femmes  craignaient  l'esprit  satirique  de 
M""  liamelin  ;  c'est  dire  qu'elle  avait  peu  d'amies.  »  Cette  opinion 
vient  corroborer  l'aveu  de  ;M""=  liamelin,  qui,  à  l'époque  de  sa  vogue 
et  de  son  crédit,  rendit,  sans  marchander,  de  nombreux  services. 
On  la  paya  mal  de  retour,  mais  si  elle  lut  résignée  dans  l'infortune, 
il  serait  injuste  de  dire  qu'elle  manqua  d'amis.  Chateaubriand,  à 
qui  pourtant  elle  fut  utile,  ne  la  nomme  pas  dans  ses  Mémoires 
d' Outre-Tombe.  11  se  contente  de  visites  rares  à  la  Madelaine. 


FORTQNEt:  HAMELIN  187 

sèchent  en  même  temps,  point  de  ces  nuils  de  Naples, 
plus  chaudes  que  les  journées,  surtout  point  de 
malaria.  Nous  avons  ici,  cher  ami,  un  éclat,  une  fraî- 
cheur, un  air  vivifiant  qui  sèche  les  larmes  en  cares- 
sant les  joues.  Les  soirées  surtout  sont  radieuses  tant 
la  rivière,  la  lune,  la  futaie  font  assaut  d'enchante- 
ments !  0  belle  patrie  I  Toi  seule  étais  diurne  du  lumi- 
neux passag-e  de  Napoléon  ! 

P.  S.  —  Glier  ami,  portez  ces  deux  lettres.  Merci 
de  Massimilla  '.  C'est  charmant.  Balzac  est  grand,  il 
restera.  Je  vous  garde  une  riposte  qui  vous  amusera 
ici,  qui  vous  instruira  môme.  Regardez  dans  vos 
livres  si  vous  n'avez  pas  gardé  ce  joli  premier  volume 
de  Mirabeau  !  Je  ne  le  retrouve  pas  et  les  huit  volumes 
ne  valent  pas  celui-là. 

Quelles  horreurs  la  Quotidienne  dit  de  M...  Comme 
celui-là  a  gâché  la  faveur  !  Mais  est-ce  vrai,  ces  pertes 
énormes?  ^IM.  Devaux  et  Gobinaux  sont  les  escrocs 
les  plus  habiles  connus,  mais  M...  n'était  pas  là,  dit-on. 
3Iais  le  roi  l'avait  autorisé  et  sacrifié  pour  piper  en 
politique,  puis  il  l'a  lâché  comme  en  18i"3.  Au  reste, 
au  temps  où  nous  sommes,  qu'est-ce  d'être  espion, 
escroc  ?  Ça  fait  avoir  des  élections  doubles. 

La  Madelaine,  17  août  1843. 

Vous  êtes  un  meilleur  ami  pi'ésent  (ju'absent.  J'ai 
été  blessée  au  cœur  de  n'avoir  pas  été  portée  au  moins 
pour  une  journée  dans  l'emploi  de  votre  temps  qui 
n'était    certes  pas    compté    à    vingt-quatre    heures 

'Balzac  (L' En fanl  }[aiiilil.  (jumbâia.,  Musnimilla  Doni). 


188  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

près.  Enfin  la  vie  se  compose  de  mécomptes  et  il  me 
serait  bien  douloureux  de  n'être  pas  au  premier  rang 
de  A'os  amitiés. 

La  pauvre  Madelaine  est  fort  à  la  mode,  plus  que 
je  ne  voudrais,  car  j'y  ai  la  main  forcée.  Si  vous  y 
veniez,  devinez  qui  vous  y  trouveriez?  Montrond. 
Ceci  mérite  explication.  Du  temps  de  mon  alTreuse 
maladie,  ce  pauvre  pêcheur  y  a  pris  un  intérêt  de 
désespéré.  (Et  qu'on  dise  qu'il  n'y  a  pas  de  remords  !) 
Il  était  dans  la  cour  et  blotti  dans  sa  voiture,  lorsqu'il 
a  reconnu  les  personnes  graves  qui  venaient  m'as- 
sister.  Alors  les  sanglots  ont  redoublé.  Ces  mêmes 
personnages  m'en  ont  parlé  ce  jour-là,  et  depuis... 
j'ai  dit  :  «  Pardonner,  oui,  oublier,  le  revoir,  non.  » 
On  m'a  laissée  assez  tranquille  parce  que  je  me  mourais, 
mais  depuis,  amis,  confesseur,  tous  m'ont  demandé 
de  le  voir,  pour  chercher  à  rendre  cet  esprit'  (dont  la 

'  yi.  (le  Talleyrand  disait  de  Montrond,  le  beau  Montrond  :  «  C'est 
certainement  l'homme  du  monde  qui  a  le  plus  d'esprit  :  de  fait,  il 
n'a  pas  un  sou  de  bien,  ne  jouit  d'aucun  traitement,  il  dépense 
GOOÙO  francs  par  an  et  n'a  pas  de  dettes.  »  [Thiébault.  II.  16'Ji.  Cette 
dernière  assertion  est  erronée  comme  on  le  verra  plus  loin.  Bocher, 
dans  ses  Mémoires  (I,  47),  dit  de  l'ami  de  F.  Hamelin  :  «  Le  comte 
de  Montrond  était  do  ceux  auxquels  on  passe  tout  :  privilège  de  l'es- 
prit. »  Il  avait  autant  d'esprit  que  le  prince  de  Bénévent  auquel  on 
a  attribué  des  mots  qui  appartenaient  à  Montrond.  C'était  (Sainte- 
Beuvc.  Nouveaux  Lundi!;,  XII)  «  un  Talleyrand  à  cheval,  »  «  homme 
d'audace  et  d'esprit,  intrigant  de  haut  vol.  »  D'après  le  comte  d'Es- 
tourmel  {Derniers  Souvetiirsi,  les  mots  connus,  ordinairement  mis  au 
compte  de  Talleyrand,  étaient  de  cet  ancien  roué  du  Directoire  : 
«  S'il  vous  arrive  quelque  chose  d'heureux,  ne  manquez  pas  d'aller 
le  dire  à  vos  amis  afln  de  leur  faire  de  la  peine.  »  D'Eslourmel  en 
relate  d'autres  qui  valent  d'être  cités  ici  :  «  Son  valet  de  chambre, 
en  rhabillant,  avait  perdu  la  tète  et  cherchait,  sans  les  trouver,  les 
différentes  pièces  de  sa  toilette.  Montrond  fut  les  prendre  lui-même 
et  les  lui  mettant  entre  les  mains  :  Avouez,  lui  dit-il,  que  vous  êtes 
bien  heureux  de  m'avoir;  car,  sans  cela,  vous  ne  pourriez  pas  faire 
mon  service.  »  Lors  de  la  conspiration  de  Malet,  on  vint  arrêter  le 


FORTUNÉE  IIAMELIN  IS'J 

réputation  est  si  grande)  à  une  meilleure  fin.  J'ai 
promis  de  le  remercier.  Il  m'a  fait  répondre  sans  me 
demander  autre  chose.  Enfin,  il  y  a  un  mois,  j'étais 
seule  et  pensive  dans  le  salon,  la  pluie  était  battante 
et  je  vis  ouvrir  la  grande  porte  et  entrer  une  voiture 
de  poste...  Jugez  ma  surprise  (c'était  lui!),  mon 
trouble  et  du  mouvement  de  rancune  qui  me  rendit 
rouge  comme  une  furie.  Cependant  c'était  bien  cal- 
culé à  lui,  car  son  âge,  ses  infirmités  ne  se  mettent 
point  à  la  porte,  et  ma  pauvre  hospitalité  appartient 
à  tous.  Je  l'ai  donc  bien  reçu  et  lui  ai  cédé  mon  lit. 
Il  est  resté  huit  jours  sans  paraître  s'ennuyer  ;  il  est 
très  peu  sourd  en  ce  moment,  il  mange  assez  bien, 
babille  beaucoup,  faisait  venir  des  chevaux  pour 
courir  la  forêt  ;  il  a  été  doux,  content  de  tout,  enchanté 
du  pays,  ses  gens  même  ne  sont  plus  insolents,  il  a 
écouté  mes  sermons  dans  lesquels  je  ne  me  ména- 
geais guère,  enfin  il  a  beaucoup  promis.  Dieu  sait  s'il 
paiera,  car  toute  promesse  a  peu  d'importance  pour 
lui.  Si  ce  spirituel  podagre  n'était  pas  ruiné,  abîmé  de 
dettes,  d'embarras  de  tout  genre,  j'eusse  craint  en 
vérité  que  ceux  qui  ne  me  connaissent  pas  pussent 
croire  que  je  cherchais  des  rémunérations  ou  un  appui. 
Mais  pour  son  malheur  il  ne  peut  même  payer  le  cou- 
rant de  ses  dépenses  et  son  crédit  est  tombé  avec  ses 
forces.  Ce  sera  donc,  et  cela  est  déjà  une  absolution 
à  titre  onéreux.  Tout  ceci  bien  entre  nous,  n'est-ce 
pas? 


duc  de  Rovigo  qui  su  laissa  emmener  eu  prison.  8a  l'emiiio,  épou- 
vantée (c'était  dans  la  nuit)  se  jeta  hors  du  lit  très  légèrement 
vêtue.  Montrond  disait  à  ce  propos  :  «  Lo  ministre  a  été  faible,  mais 
sa  femme  s'est  bien  montrée.  » 


190  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Vous  êtes  bien  loin  du  temps  acluel  dans  vos  éva- 
luations sur  les  carions  de  la  Fornesina.  Vous  avez 
vu  une  Vierge  divine,  authentique,  prônée  et  vendue 
à  Londres  23  000  francs,  puis  vous  osez  parler  de 
600  même  de  100  000  que  veut  le  propriétaire.  Mais 
le  roi  abdiquerait  plutôt  que  de  donner  de  telles  sommes 
pour  un  chef-d'œuvre.  Vous  n'êtes  pas  plus  dans 
l'actuel  pour  l'hôtel  Lambert'.  Xumala,  parce  qu'il 
couche  avec  sa  princesse,  prétend-il  faire  une  bande 
noire  de  ce  grand  nom  et  de  cet  honorable?  S'il 
habite,  on  l'isole,  on  désespère  des  proscrits,  dont  il 
était  la  consolation  et  le  centre;  s'il  habite  encore,  il 
est  ruiné.  Gomment  réparer,  meubler  cet  immense 
palais?  C'est  évidemment  pour  dépecer,  alors  la 
spéculation  devait  se  faire  sous  un  autre  nom. 
Xumala  me  paraît  la  fausseté,  la  souplesse  person- 
nifiées. Cet  éternel  métier  de  greluchonnag-e  éteint 
tout,  et  il  fera  descendre  à  sa  portée  ce  noble  chef 
polonais,  mais  pour  l'élever...  ça  n'est  pas  dans  ses 
étroites  et  sordides  pensées.  Au  reste,  je  le  juge 
peut-être  bien  sévèrement  parce  que  nous  devons  à 
sa  poltronnerie,  à  ses  mensonges,  la  perte  radicale 
du  divin  pavillon. 

J"ai  le  petit  et  très  petit  livre  de  M.  de   Noailles" 

'  L'iiùlel  Lambert  (rue  Sainl-Louis  en  l'Ile)  est  un  des  plus  beaux 
spécimens  de  l'art  décoratif  au  xvii'=  siècle.  (Robert  Hénard  et 
A.  Fauchier.  Magnan.  —  L'hôtel  Lambert.  Emile-Paul). 

-  Paul  de  Noailles  (1802-1885)  était  le  petit-fils  du  maréchal.  Il  fut 
élu  en  184'J  à  l'Académie  française  à  la  place  de  Chateaubriand  et 
forma  avec  le  duc  de  Broglie  et  Pasquier  le  «  parti  des  Ducs.  »  Son 
livre  sur  Sainl-Cyr  parut  en  1843  et  son  Histoire  de  .V"'>=  de  Main- 
tenon  —  livrée  au  public  quelque  temps  après  —  lui  valut  l'accusa- 
tion de  plagiat  de  la  part  de  M.  Lavallée.  Dans  la  Chronique  de  la 
duchesse  de  l'i/io  nous  trouvons  ce  jugement  sur  P.  de  Noailles  (1841, 


FORTUNÉE  HAMELIN  191 

sur  lagi-aiule  Maintenon.  Il  ne  coriiprenJ  que  SainL- 
Cyr,  c'est-à-dire  le  temps  où  elle  a  créé  la  grandeur 
des  Noailles.  La  beauté  de  cette  femme  se  compose 
de  toute  cette  vie  pittoresque  si  remplie  de  misères, 
de  désolation,  de  courage,  de  savoir,  de  grâces  divines, 
de  raison  et  d'esprit.  C'est  la  femme  napoléonienne, 
c'est  une  protégée  de  la  Providence,  Racine  Ta  dit, 
c'est  l'Eslher  française  ;  alors  le  comte  l'a  faite  seu- 
lement une  bonne  et  zélée  supérieure  ;  il  ne  nous 
apprend  rien  d'elle  que  nous  ne  sachions  ;  pas  un 
mot  inconnu,  rien  de  Louis  XIV,  rien  d'elle  sur  sa 
politique,  sur  les  brouilles  si  gramles,  si  augustes 
entre  elle  et  Fénelon,  entre  le  roi  et  Racine  et 
M"*  Guyon  ;  pas  un  mot  de  justification,  car  elle  avait 
toujours  raison  et  Racine  était  affreusement  jansé- 
niste, et  Fénelon  quiéliste  et  la  monarchie  et  Saint- 
Cyr  perdus  si  ces  adorables  esprits  eussentprédominé 
en  1689  comme  Lafayetle  en  1789.  Rien,  rien.  Un 
charmant  et  élégant  langage  fait  pour  les  jeunes 
communiantes. 

Les  bras  m'en  tombent.  M""'  de  Maintenon  reste  à 
expliquer,  elle  est  inconnue. 

Il  y  a  des  paris  pour  ou  contre  votre  avancement. 
Je  parie  pour,  parce  que  je  le  désire,  et  je  vois  trop 
qu'à  la  passion  avec  laquelle  vous  avez  pris  l'espoir 
du  pouvoir,   il   faudrait  vous  enterrer,  pauvre  ami, 

t.  II)  :  «  Le  duc  de  Noailles  qui  nous  est  arrivé  hier  a  lu  ce  matin 
dans  le  salon  la  moitié  du  morceau  qu'il  a  écrit  sur  le  jansénisme 
et  qui  doit  trouver  place  dans  la  publication  qu"il  prépare  sur 
M"""  de  ^laintenon.  Cette  partie  est  faite  avec  talent  et  clarté.  Je  lui 
reproche  cependant  de  se  montrer  trop  partial  pour  les  jansénistes 
et  de  ne  pas  tenir  assez  le  juste  milieu.  »  l'aul  de  Noailles  avait 
épousé  Alicia  de  Mortcmart. 


l'.)2  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

s'il  VOUS  écliappait  ou  s'il  se  faisait  encore  altemlre. 
Dieu  juste  !  Que  feriez-vous  si  un  maire  du  Mans  vous 
tombait  sous  la  main? 

Je  vais  mieux,  mais  gare  à  l'hiver.  J'ai  peur  de 
tomber  malade  en  quittant  le  pavillon  pour  jamais. 
Quelle  désolation,  et  de  penser  que  tant  d'agréments 
étaient  encore  la  meilleure  affaire  de  Paris.  Ah! 
M.  Xumala'  ! 

Ecrivez  plus  souvent  et  comme  ceci  :  M.  Quillard, 
épicier,  pour  M"'°  Hamelin  à  Fontainebleau.  Cela  arrive 
plus  tôt  sans  aller  à  la  Madelaine  de  Ghateau-Landon 

La  Madi'Iainc,  10  scptembru  1843. 

Vous  avez  l'air  d'un  écolier  faisant  des  contes  à  sa 
grand'mcre.  Pourquoi  ne  pas  dire  :  «  Ma  clii're,  les  plus 
solides  amitiés  cèdent  aux  plus  légères  amours.  Voilà 
pour([uoi  je  ne  vais  pas  à  la  Madelaine.  »  J'entendrais 
cela.  Votre  tournoi  m'a  t'ait  rire,  puis  m'a  fort  tour- 
mentée. Pourquoi  ne  pas  rester  sur  l'estrade  à  hausser 
les  épaules  de  ces  baladins  ?  Quelle  rage  de  prendre 
fait  et  cause  lorsque  votre  mission  à  Arras  est  d'y 
faire  le  mort  !  Vous  verrez  que  cela  sera  relevé  par 
vos  bons  amis  (qui  n'ont  pas  perdu  courage)  et  que 
vous  en  serez  très  retardé.  Prenez  donc  garde,  bon 
Dieu,  aujoui'd  hui  on  est  méchant  partout,  mais  en 
province  on  est  encore  lâche  et  bête. 

Je  me  faisais  une  vraie  joie  de  vous  voir  et  en 
vérité  j'ai  besoin  de  consolation,  tout  me  tourne 
si  mal  !  J'ai  cédé  à  des  personnes  que  je  vénère  en 

'  Est-ce  Xumala  ou  Grzyinala,  l'ami  de  Chopin,  très  répandu  dans 
la  société  parisienne? 


FORTUNEE  UAMELIN  l'J3 

permettant  à  Mon Irond  de  venir  chez  moi.  Il  a  été  très 
tcnilro,  ravi  et  très  bon.  M.  Des  Voisins  me  l'a  expé- 
dié ave:i  deux  laquais,  une  g-arde,  le  tout  lesté  de 
120  francs,  juste  de  quoi  payer  la  poste.  Durant  quinze 
jours  toute  cette  cour  a  été  ruineuse.  Les  besoins, 
les  fantaisies  du  pauvre  malade  incessantes,  tout  à 
coup  une  fantaisie  lui  prend  encore,  et  il  faut  qu'il 
parte  et  qu'on  donne  force  argent,  car  personne  n'a 
un  écu.  Puis  il  revient  dès  que  le  Des  Voisins 
maudit  à  mangé  le  mois.  M...  qui  a  perdu  la  mémoire, 
me  croit  encore  riche.  C'est  tout  simple.  Mais  le 
désordre  hideux  qui  entoure  ce  pauvre  misérable  est 
tel  qu'on  y  épuiserait  tout  son  sang-,  qu'on  ne  pourrait 
lui  procurer  ses  besoins  et  satisfaire  à  l'inconcevable 
avidité  de  son  alentour.  J'ai  cherché  à  lui  ouvrir  les 
yeux,  j'y  réussissais,  mais  l'empire  d'Antoine  est 
remplacé  par  un  autre  valet  donné  par  Gabriel  et 
gagné  par  les  autres...  A  Paris  on  retournait  tout. 
Pour  le  but  oii  je  voulais  le  conduire  \  pas  plus  de 
succès...,  des  pleurs,  des  promesses  et  le lendenîain 
même  tout  était  oublié  et  remplacé  par  des  chansons 
infâmes.  Un  diable  dans  un  bénitier,  dès  qu'il  respire 
un  peu...  Je  vous  en  prie,  ne  faites,  n'écrivez  aucun 
badinage  sur  ma  triste  aventure.  Elle  est  ridicule,  je 
le  sens,  mais  elle  est  encore  plus  douloureuse,  je  vous 
assure. 

Tout  a  été  brisé  par  ce  séjour  qui  remplissait  ma 
masure;  je  n'ai  pu  recevoir,  ni  aller  chez  mes  amis. 
Le  temps  a  été  splendide,  et  je  l'ai  passé  dans  des 
tourments    continuels    à    soigner    un    malheureux 

'  Il  s'aj^it  d'amener  ce  inucréant  à  une  (in  digne  et  religieuse. 

13 


494  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

martyr  que  rien  ne  sortira  de  la  tourbe  où  il  est 
plongé. 

Les  bons  Besplas  m'ont  été  bien  secourables.  Saint- 
Simon  même  m'a  témoigné  de  la  sensibilité  qui  sera 
aussi  solide  que  celle  de  M...  J'aurais  reçu  la  petite 
Bing-bam  à  leur  prière  si  cela  eût  été  possible  avec  ce 
bivouac  au  salon.  Elle  vaut  mieux  qu'on  ne  dit,  elle 
est  créole  canadienne  et  son  mari  oncle  des  Bering. 
Puis  elle  a  une  naïveté  charmante  et  pleure  M.  de 
Byron  à  faire  pitié.  Il  l'a  quittée  pour  cette  afTreuse 
Sarali,  sœur  de  Rachel.  Enfin  elle  a  deux  énormes 
laides  filles,  un  mari  ivre-mort  tous  les  soirs,  lequel 
est  interdit,  et  elle  se  tient  au  milieu  de  tout  cela  en 
bonne  fille  sans  prétention,  mais  bonne  et  généreuse. 

Je  voudrais  bien  faire  venir  la  petite  Morel  pour 
me  rafraîchir  ;  elle  est  d'une  égalité  d'humeur,  d'une 
gaieté  qui  m'attache  à  elle  et  me  ranime,  puis  je  crois 
qu'elle  m'aime  un  peu.  Mais  si  elle  tombe  dans  la 
troupe  ambulante,  quel  ennui  !  La  Kisseleff  a  vrai- 
ment bâti  de  rage  de  n'avoir  pas  le  pavillon,  bâti  à 
Hombourg(les  eaux,  dans  l'espoir  de  8  p.  100,  quelle 
folie!)  Quel  ignoble  tour  nous  a  joué  Xumala!  On 
offre  (300  000  francs  du  pavillon  à  la  duchesse  de 
Vincence.  Je  le  disais,  la  rue  ouverte  a  produit  cette 
hausse,  ainsi  près  de  300  000  francs  en  quatre  mois  ! 

Bâtissez  donc  à  Hombourg  1  Pauvre  noble  femme  ! 

Que  vous  a-t-on  dit  de  la  mort  de  lelski  ?  Que 
c'était  celle  du  régent,  de  Lauriston?  Cet  homme 
changeait  si  horriblement  dès  qu'il  avait  quatre  sous 
dans  sa  poche  que  je  n'ai  pas  eu  la  duperie  de  le 
regretter.  Mais  M.  Oliuski  !  Je  crois  qui  l'échappe 
belle  et  que  le  lelski  ne  l'aurait  pas  manqué. 


FORTUNÉE  HAMELIN  195 

Je  ne  sais  rien  d'Eugone,  sinon  qu'il  est  bon  garçon 
d'avoir  aidé  votre  frère.  Je  tâcherai  de  l'aller  voir 
à  Saint-Germain,  mais  je  suis  à  sec  et  ne  puis  trop 
faire  de  pirouettes,  ayant  toujours  trois  et  quatre 
personnes  autour  de  moi.  Tony  a  été  deux  mois  en 
pension.  Ça  l'a  un  peu  disciplinée.  La  pauvre  enfant 
est  accablée  d'une  sœur  de  plus...  Seule,  on  se 
tire  d'affaire,  mais  une  sœur  à  traîner...  Souvent,  en 
regardant  cette  petite  mine  si  gaie,  si  fraîche  et 
malicieuse,  je  songe  à  ma  mort...  Quel  malheur  pour 
elle!  Pourtant  maintenant  je  la  crois  prochaine,  car 
ce  malheur  assidu,  que  rien  ne  désarme,  doit 
annoncer  une  fin  très  désirable.  S'il  en  est  ainsi,  je 
compte  sur  quelques  amis  fidèles,  qui  veilleront  sur 
Tony.  Edouard^  même,  malgré  ses  charges  énormes, 
n'abandonnera  pas  cette  dernière  folie  de  sa   mère. 

Paris,  13  octobre  1843. 

Si  vous  assistiez  à  l'agonie  de  Montrond,  vous 
l'aimeriez.  C'est  une  fermeté,  une  clarté  d'idées,  une 
grâce  et  des  badinagesciiarmants.  Il  n'est  point  impie, 
nel'a  jamais  été  parce  que  c'est  de  mauvais  goût'.  Mais 


'  Son  fils,  Edouard  Ilainelin,  qui  avait  été  sous-licutenant  d'in- 
fanterie légère.  Il  alla  en  1817  aux  Etats-Unis,  où  il  resta  deux  ans^, 
revint  à  Paris  et  partit  pour  l'île  Bourbon.  Il  avait  épousé  M"»  Ur. 
suie  Pajot,  nièce  de  la  comtesse  de  Villèlc.  11  mourut  à  Paris  en  1852. 
M""»  Ilamelin  se  plaignait  souvent  des  négligences  de  son  fds 
(vers  1848-1819)  ;  elle  lui  adressait  régulièrement  des  lettres  détail- 
lées sur  les  graves  événements  (jui  agitaient  la  France.  Elle  y  peint 
un  épisode  de  la  Révolution  de  1848. 

-  La  Reine  avait  cnvoj'é  à  Montrond  l'abbé  Dupanloup.  «  Je  suis 
trop  bonoré  de  ses  attentions  pour  ne  pas  remercier,  mais  je  ne 
suis  pas  assez  éclairé  pour  recevoir,  n  disait  Montrond.  L'abbé  l'e- 
litot  lui  ayant  demandé  un  jour;  «  Vous  avez  sans  doute  dans  votre 


406  uni:  ancienne  MUSCADINE 

lu  coudiiiie  OÙ  jo  voulais,  jamais  je  n'y  parvien- 
drai... Hrlas!  cher  ami,  quelle  douleur  j'ai  acceptée 
inutilement!  Mais  dans  tous  les  saints  devoirs  il  y  a  de 
grandes  consolations.  Ce  maltieureux  m'a  déclaré  dix 
fois  que  le  mois  passé  à  la  Madelaine  avait  été  le  plus 
doux  de  sa  vie,  que  ses  rêves  avaient  été  d'y  mourir 
près  de  moi,  mais  qu'il  trouvait  l'événement  un  peu 
précipité,  et  qu'un  mois  n'était  pas  assez.  Pauvre 
infortuné  !  Comme  ce  long  martyre  expie  les  joi«'S 
passées  !  Son  neveu  lui  disait  qu'il  avait  eu  un  prix 
d'encouragement.  S'il  y  en  avait  de  découragement, 
il  serait  pour  moi.  Mon  Dieu  !  Ayez  pitié  de  lui  ! 

Sa  camarilla  pille  et  vole  tout.  Sans  Gabriel  qui 
veille,  nous  devrions  lui  tout  apporter.  Ce  |monde-là 
est  au-dessous  des  descriptions  d'Eugène  Sue.  Puis, 
(juels  valets  !  le  frère  est  un  digne  homme,  le  neveu 
un  lâche. 

C'est  une  vraie  marque  d'amitié  que  de  vous  écrire 
dans  ces  moments  terribles.  Le  sentez-vous? 

De  la  Madelaine,  ii  novembre  1843. 

Merci,  merci  de  votre  amitié,  mais  ne  croyez  pas 
que  l'imagination  puisse  augmenter  la  cruauté  du 
coup  qui  vient  de  me  frapper.  Hélas  !  des  miracles 
s'étaient  faits,  car  il  est  vrai,  il  est  certain  que  ma 
maladie  du  printemps  avait  ouvert  le  cœur  du  pauvre 
Montrondà  des  sentiments  nouveaux,  mconnus  pour 
lui  ;  la  crainte  de  perdre  une  pauvre  femme  qu'il 
avait  tant  offensée,  martyrisée,  lui  plaça  un  poignard 

temps  l'ait  beaucoup  de  plaisanteries  contre  la  religion?  —  Non 
monsieur  l'abbé,  répondit  Montrondj  j'ai  toujours  vécu  en  bonne 
compagnie.  » 


FORTUNÉE  HAMELIN  197 

dans  le  sein.  Il  voulait  mon  pardon,  morte  ou  vivante. 
Dès  que  je  pus  écrire,  je  lui  envoyai  la  moitié  de 
l'absolution  que  j'avais  reçue...  mais  en  refusant 
encore  de  le  revoir.  Il  mit  tout  en  campagne  pour 
m'arracher  cette  grâce,  et  enfin  je  vis  entrer  dans 
notre  humble  cour  une  calèche,  quatre  chev^aux  de 
poste  traînant  un  infortuné  et  trois  valets.  II  avait  été 
convenu  que  jamais  un  mot  du  passé  ne  sortirait  de 
nos  deux  cœurs.  Le  présent  était  assez  rude  à  porter. 
Quel  changement,  juste  ciel  !  Je  ne  l'avais  pas  revu 
depuis  que  la  foudre  était  tombée  sur  lui.  Je  montai 
sur  le  marchepied,  le  reçus  gaiement  et  passant  la 
main  sur  ses  yeux  je  rempèchai  de  pleurer.  A  dater 
de  ce  moment  il  fut  rassuré,  mais  toutes  ses  manières 
me  parurent  changées.  La  grâce  dans  toute  sa  grâce 
résidait  dans  ce  vieillard  mourant.  Plus  de  colère, 
d'intolérance,  de  dénigrement  et  d'impertinence.  Son 
esprit,  seul,  était  son  ancien  esprit,  sa  drôlerie,  sa 
prestesse  et  son  enfantillage  étaient  ceux  de  sa  jeu- 
nesse, la  mémoire  seule  faisait  défaut,  mais  jamais 
sur  les  temps  éloignés.  II  paraissait  peu  souffrir,  et 
comme  accoutumé  à  sa  détresse,  il  aimait  la  vie  et 
Dieu  lui  conservait  la  gourmandise  et  la  conversation 
pour  toute  indemnité.  Je  mis  tout  en  O'uvre  pour 
l'amuser  dans  cette  solitude.  Je  lui  lisais  de  belles 
cboses  qu'il  ne  connaissait  pas;  il  faisait  venir  les 
livres  que  j'indiquais  et  me  tourmentait  pour  lire. 

Le  temps  était  radieux.  Des  chevaux  étaient  attelés 
à  la  calèche  et  nous  visitions  tous  les  endroits  mer- 
veilleux de  cette  foret  qui  alors  était  toute  rose  des 
bruyères  en  fleurs.  La  chasse  et  ses  ravissements  lui 
revenaient  en  tète  ;  il  vit  des  biches,  il  criait  :  taïavt^ 


198  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

taïaut,  et  chantait  la  vue.  Enfin,  en  revenant,  il  appe- 
lait la  Seine  son  ruisseau,  et  se  contentait  parfaite- 
de  Suzanne  que  j'évertuais  le  mieux  possible  à  satis- 
faire son  innocente  friandise.  Enfin  le  calme  de  ce 
coin  du  monde  enchanteur  agit  si  puissamment  sur 
son  âme,  qu'il  me  supplia  de  passer  l'hiver  avec  lui 
dans  cette  retraite.  Je  ne  promis  rien,  mais  j'étais 
touchée  de  sa  persévérance,  de  l'énergie  de  sa  passion 
pour  cette  vie  si  pure  et  si  douce...  J'espérais  beau- 
coup. Il  voulut  tenter  de  voir  le  roi  avant  le  voyage 
au  château  d'Eu.  Il  partit  comme  un  amoureux  en 
pleurant  et  en  criant  :  «  A  bientôt,  je  m'ennuie  déjà 
dans  la  voiture.  »  Il  revint  quatre  jours  après.  Des 
Voisins  le  rappela  encore  pour  des  affaires  qui  con- 
sistaient à  lui  tout  voler,  à  le  livrer  à  d'infâmes  usu- 
riers, à  le  laisser  manquer  du  nécessaire  et  à  garder 
toutes  ses  pensions.  Jugez  du  bonheur  de  cet  infor- 
tuné lorsqu'il  se  trouva  un  mois  entier  sans  tourments, 
huissiers,  usuriers,  fournisseurs,  casse-tete,  priva- 
tions... Chez  moi  tout  était  modeste,  mais  ses 
moindres  désirs  étaient  satisfaits,  tout  était  soigné, 
propre  autour  de  lui,  et  l'air,  l'eau,  la  forêt  enchantée 
se  chargeaient  de  ses  plaisirs.  Bien  d'aimables  gens 
voulurent  le  voir  et  lui  firent  visite.  Il  fut  très  aimable, 
sans  la  moindre  polissonnerie  ;  il  vantait  son  bien- 
être,  me  comblait  de  tendresse  et  de  louange,  et  enfin 
vint  à  Paris  livrer  ses  pensions  en  garantie  d'un 
emprunt  dont  Des  Voisins  gardait  l'argent,  y  dîna 
seul  et  prit  une  eflroyable  indigestion.  11  ne  respirait 
que  le  retour  aux  bénédictions  de  la  Madelaine;  on 
le  laissa  partir  malade,  enchanté  de  ce  qu'il  ne  coii- 
tait  rien  chez  sa  pauvre  amie.  Il  arriva  pour  s'aliter. 


FORTUNÉE  HAMELIN  199 

La  crise  cérébrale  devint  menaçante,  il  fut  soigné  et 
le  médecin  et  son  valet  principal  (infâme  drôle)  vou- 
lurent le  ramener  à  Paris..  Il  s'en  défendait,  j'étais 
au  désespoir,  mais  l'idée  des  reproches...  un  médecin 
de  campagne...  Il  fallut  céder.  J'eus  tort,  je  devais 
connaître  l'horreur  de  sa  camarilla,  tout  ce  qu'il  souf- 
frirait, et  tout  préférer  plutôt  que  de  le  livrer  à  ses 
infâmes  amis.  Il  lutta  six  semaines,  la  tète  toujours 
libre  et  l'esprit  charmant.  Lorsque  le  moment  fut 
venu,  j'eus  le  bonheur  de  trouver  le  duc  de  Broglie 
qui  eut  le  dévouement  de  m'épargner  une  douloureuse 
demande...  Il  le  trouva  préparé,  ferme  et  noble.  Mon 
confesseur  l'abbé  Petilot  fut  demandé  par  lui.  Il  fut 
adorable  avec  ce  bon  prêtre  qui  l'administra  lui-même 
le  lendemain.  Il  vécut  neuf  jours  encore  après, 
envoyant  chercher  sans  cesse  «  son  bon  petit  curé  ». 
Il  me  disait  qu'il  ne  souffrait  plus  ...  Il  fit  des  adieux 
presque  gais  et  nous  quitta'.,.  Je  l'ai  embrassé  mort. 

*  On  lit  dans  la  Quotidienne  du  19  octobre  1843  :  «  M.  le  comte 
di>  Montrond.  ancien  ami  intime  de  M.  de  Talleyrand  est  mort  aujour- 
d'hui dans  sa  soixante-seizième  année  à  la  suite  d'une  longue  et 
douloureuse  maladie  pendant  laquelle  MM.  les  D"  Férus  et 
Cogny  n'ont  cessé  de  lui  prodiguer  les  soins  les  plus  assidus  et  les 
plus  empressés.  »  Huit  jours  après,  l'entrefilet  suivant  était  inséré 
dans  le  même  journal  :  «  On  a  beaucoup  parlé  de  la  mort  du  comte 
de  Montrond,  l'alter  ego  de  Talleyrand  et  surnommé  dans  le  grand 
monde  son  àme  damnée.  Il  assista  à  toutes  les  roueries  qui  précé- 
dèrent, accompagnèrent  et  suivirent  la  première  comédie  de 
quinze  ans  et  se  plaisait  dans  ses  dernières  années  à  annoncer  la 
seconde.  Quoiqu'il  en  soit,  nous  apprenons  de  la  meilleure  source 
l'intéressant  détail  de  ses  derniers  jours.  II  est  mort  d'une  goutte 
violente  qui  lui  remonta  à  l'œil  d'une  façon  reconnue  terrible  par  les 
hommes  de  l'art.  Ses  derniers  amis  (les  autres,  disait-il,  l'avaient 
abandonné),  ses  amis  de  chevet,  comme  il  les  nommait,  furent  le 
duc  de  Broglie,  M.  Delesscrt,  le  [)■■  Férus  et  son  neveu  Montrond, 
le  Franc-Comtois,  son  seul  et  pauvre  héritier.  «  Mais  voici  le  plus 
sûr  de  mes  amis  »,  ajoutait-il  peu  de  jours  avant  sa  mort  en  voyant 
arriver  l'abbé  Petilot.  Ce  fut  celui-ci,  en  effet,  qui  lui  fit  entendre 


200  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

J'ai  prié  deux  soirs  avec  les  prêtres  qui  le  gardaient. 
Il  était  superbe.  Sa  barbe  poussée  caciiait  les  ravages 
de  l'âge  et  de  la  maladie.  Ses  traits  si  nobles,  si 
calmes,  paraissaient  comme  ua  buste  de  Platon...  Je 
me  suis  navrée  comme  pour  épuiser  mes  larmes  et  le 
jour  de  son  enterrement  je  suis  tombée  fourbue  de 
douleur  sur  son  petit  lit  de  la  Madelaine.  Alors  j'ai 
senti  que  j'avais  ma  maladie  du  printemps,  moins  les 
frissons.  J'ai  été  traitée  avec  intelligence  et  patience 
par  mon  médecin  de  campagne  (qui  eiit  sauvé  Mon- 
trond,  massacré  par  l'implacable  Férus).  Je  suis 
mieux,  je  mange  et  aurai  congé  à  la  fin  du  mois  pour 
retourner  à  Paris. 

Oui,  je  compte  les  mois  de  votre  absence.  Je 
regrette  de  ne  point  pleurer  sur  votre  épaule.  Nous 
avons  souvent  parlé  de  vous.  Je  lui  avais  envoyé  à 
Paris  votre  lettre  sur  le  tournoi,  à  quoi  il  répondait  : 
«  mais  le  téméraire  ne  voulait  pas  être  sous-préfet  ». 
Il  y  a  un  neveu  de  Montrond  qui  dépare  le  mérite  de 
cet  oncle  et  veut  être  aussi  sous-préfet  d'Autun.  Je  ne 
l'avais  pas  vu  depuis  trente  ans.  C'est  un  monstre,  un 
monstre  abominable.  Dieu  l'a  marqué  de  ses  répro- 
bations par  une  laideur  effrayante,  une  voix  de  dogue 
et  une  ivresse  continuelle.  C'est  ça  qui  assiégeait  ce 
pauvre  ami,  et  voulait  prendre    sa    main  mourante 

l'amitié  par  e.xcellence,  la  seule  vraie,  comme  il  disait  encore,  et 
r[ui  dédommage  de  l'ingratitude  de  toutes  les  autres.  Il  avait  appris 
à  demander  le  prêtre  dans  l'habitude  d'un  petit  crucifix  d'ivoire  qu'il 
tint  serré  dans  ses  mains  diu'ant  les  vingt-quatre  dernières  heures  : 
<!  Je  l'aime  d'autant  plus,  diL-il,  que  je  l'ai  oublié  et  que  je  l'ai  fait 
oublier  davantage.  »  Signalons,  parmi  les  articles  nécrologiques 
parus  à  l'occasion  de  la  mort  de  Montrond,  ceiui  de  la  comtesse  de 
G...  —  copieux  de  renseignements —  dixns  la  Presse  du  o  novembre  1843 
(Oruison  funèbre  du  dernier  roué). 


FORTUNEE  HAMELIN  201 

pour  la  faire  écrire  au  roi.  Je  disais  :  il  faut  écrire, 
mais  pour  qu'on  lui  applique  l'ordonnance  sur  les 
buU-dogues.  Il  a  fait,  il  a  dit  mille  saletés.  Ce  beau 
mobilier  le  rendait  furieux;  Montrond  ne  l'avait  reçu 
qu'à  cause  de  la  mort  récente  de  son  père.  0  ce  beau 
sang'  des  trois  Montrond  !  Le  voilà  dans  les  veines 
d'un  boucher  ! 

Clier  ami,  pensez  à  Dieu!  Ça  n'empêche  pas 
d'être  aimable  et  Montrond  l'a  bien  prouvé.  Si  vous 
y  pensez  avec  ardeur,  priez  pour  lui,  priez  pour  moi 
plus  malheureuse  que  lui,  plus  malheureuse  que  tout 
le  monde. 

Paris,  12  décembre  1S43. 

J'ai  reçu  et  lu  avec  grand  plaisir  un  très  joli  petit 
opuscule  d'un  de  mes  amis,  homme  d'esprit  et  d'idées. 
J'y  trouve  le  même  agrément  et  les  mêmes  défauts 
qu'à  ses  précédents  écrits.  Sa  phrase  est  étrangère, 
mal  sur  ses  pieds  et  comme  diffuse  par  sa  construc- 
tion. J'insiste  toujours  sur  les  choses  oli  le  remède 
est  sûr  et  facile,  mais  ce  remède  ne  peut  venir  de 
l'étude  solitaire  ;  je  crois  qu'un  très  bon  grammairien 
ferait  l'affaire  en  relisant  avec  vous  et  vous  expliquant 
l'irrégulier.  Moi,  hélas  !  je  ne  puis  que  dire  :  «  Ça 
n'est  pas  bien,  ça  manque  de  netteté  »,  mais  expliquer 
pourquoi,  comment  mieux  faire,  c'est  impossible.  Le 
dernier  des  Saint-Simoniens,  enlisant  une  de  ces  bro- 
chures, la  rendrait  parfaite,  car  ce  qui  ne  s'apprend 
pas  est  charmant.  Le  premier  usage  que  j'en  ai  fait  a 
été  de  la  prêter  à  une  personne  pour  laquelle  on  la 
dirait  faite.  Nous  verrons  si  elle  comprendra.  Je  vous 
reproche  d'avoir  cité  M"'^  de  Maintenon  et  de  n'en  avoir 


202  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

(lit  que  ce  qu'en  a  écrit  l'Empereur.  C'est  assez  pour 
sa  gloire.  Mais  la  faire  sentir  au  vulgaire  comme 
l'aigle  des  femmes  sera  chose  longue,  difficile  et 
l'apothéose  de  Louis  XIV,  qui  n'a  pu  être  sub- 
jugué que  par  un  génie,  une  grandeur  égale  à  la 
sienne. 

Croyez-vous  que  tout  fasse  plaisir  aux  nouvelles 
gens?  J'en  doute.  Seigneur  Lapin,  le  bout  «l'oreille 
perce  toujours. 

Je  vous  trouve  devenu  très  bourgeois,  c'est-à-dire 
avare,  car  vous  eussiez  dû  m'en  envoyer  quelques- 
unes  et  je  v^ous  les  demande  sans  façon. 

T^jine  ^ncelot  (qui  certainement  a  vendu  des  oranges) 
fait  le  divertissement  de  Paris  par  ses  lettres  inconce- 
vables. Qui  que  ce  soit  n'en  est  exempt  et  les  mêmes 
injures  lui  servent  pour  acteurs,  littérateurs,  journa- 
listes, etc.  Arnal,  qui  fait  sa  fortune  par  son  jeu  dans 
une   pièce   délicieuse  [in  Homme  Blasé),  Arnal'  a 


*  Le  famoux  acteur  comique  Arnal  joua  successivement  aux  Va- 
riétés, au  Vaudeville  et  au  Gymnase.  11  se  croyait  destiné  à  la  tra- 
gédie, mais  comme  il  l'écrivait  lui-même  :  MUhridale  devint  Jo- 
crisse corrigé.  11  rajeunit  le  type  légendaire  de  Jocrisse.  Arnal' se 
piquait  de  littérature  :  on  a  de  lui  ijuelques  ouvrages,  une  Épllre  à 
liou/fé,  les  Gendar)iies,  elc. 

L'Homme  Blasé,  vaudeville  en  deux  actes,  par  Duvert  et  Lausanne 
l'ut  représenté  au  théâtre  du  Vaudeville  pendant  le  mois  de 
novembre  1843.  Dans  son  feuilleton  dramatique  de  la  Presse  du 
27  novembre  de  la  même  année,  Théophile  Gautier  jugeait  en 
ces  termes  la  nouvelle  pièce  et  son  principal  acteur  :  «  Arnal  est 
riche  ;  il  a  150  000  livres  de  rente  qu'il  dépense  consciencieusement. 
Aussi  est-il  blasé...  Charmante  pièce,  pleine  de  folie,  de  gaieté  de 
bons  mots.  Le  motif,  chose  éminemment  rare,  en  est  oxio'ina'l  et 
neuf.  Arnal  a  une  gaieté  pleine  d'humour  et  de  caprice  qui  lui'assio-ne 
une  place  à  part  ;  il  est  brus(iue.  imprévu,  fantasque,  amusant  par 
son  individualité  propre  autant  peut-être  que  par  celle  du  person- 
nage qu'il  représente.  Ce  n'est  ni  par  la  justesse  ni  parla  vérité  qu'il 
brille  et  souvent  une  intonation  fausse,  une  transposition   d'ell'ct 


FORTUNEE  HAMELIN  203 

reçu  ses  grossièretés,  et  a  fini  sa  réponse  par  ces 
mois  :  «  Adieu  !  Vieille  insensée  !  »  Un  autre  a 
écrit  :  «  Ali!  Virginie,  tu  t'oublies  !  » 

Vous  dit-elle  des  injures  aussi  ? 

J'ai  été  appelée  à  treiller  beaucoup  de  lettres  restées 
cliez  mon  pauvre  camarade.  La  médiocrité  de  certains 
personnages  que  je  jugeais  si  médiocres  m'a  été  bien 
révélée  !  Rien  ne  peut  vous  donner  une  idée  du  bor- 
nage de  Flabaut  !  M"^  Herbault  eût  mieux  écrit  sur 
les  événements  depuis  Juillet;  elle  eût  été  moins  fri- 
vole sur  la  mode,  les  commérages  et  de  temps  à  autre 
eût  éprouvé  des  mouvements  féminins  moins  serviles. 
Et  cela  vous  est  ambassadeur!  Que  M.  de  Metternich 
doit  rire  !  Voyez  donc  comme  Hortense  avait  conservé 
d'empire  sur  l'Empereur  pour  une  vieille  couclierie  ! 
En  revanclie,  j'ai  lu  quelques  lettres  divines  de  M"'^  la 
ducliesse  de  Broglie.  C'est  tout  évangélique  et  rien  de 
protestant  n'y  fait  taclie.  D'Argcnson,  dans  ses  lettres, 
traite  l'amitié  avec  le  feu,  la  grâce  de  lamour.  Quelle 
amitié  vive  ne  devait  pas  être  celle  qui  liait  des  carac- 
tères, des  goûts,  des  passions  si  différents  ! 

La  pauvre  ducliesse  de  Vicence  m'est  venue  voir 
hier.  (Je  n'ai  pu  encore  mettre  le  nez  dehors.)  Elle 

un  geste  à  contre-temps  produisent  sur  son  puLlic  l'hilanté  la  plus 
franche.  »  La  réputation  d'Arnal  datait  déjà  de  longtemps:  son  jeu 
n'était  pas  du  goût  de  tout  le  monde.  Nous  lisons  dans  le  Follet 
(1830)  ;  «  Au  Vaudeville  Arnal,  travesti  en  prince  Hercule,  n'a  pu 
soutmir  l'ouvrage  de  MM.  Arnoult  et  Lockroi.  On  commence  à  se 
lasser  de  ces  rôles  qui  n'ont  pas  de  correspondant  dans  le  monde, 
de  ces  ridicules  forcés,  de  ces  e.'cceplions  d'absurdité,  rien  de  plus 
lassant  que  le  niais  quand  il  n'y  a  pas  en  dessous  un  attrait  puis- 
sant de  vérité.  Or,  Arnal  est  rarement  vrai  ;  il  est  plutôt  gai  de  con- 
vention; mais  ce  n'est  pas  la  gaieté  qui  plaît,  c'est  la  nature  et  la 
vérité.  1)  Le  pulilic  —  comme  il  arrive  souvent  —  ne  partagea  pas 
toujours  le  goût  des  connaisseurs. 


204  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

m'a  conlé  que  son  fils  '  avait  i'œil  entièremcnl  vidé, 
que  la  balle  étant  l'essortie  par  le  nez,  il  serait  horri- 
blement défiguré.  Il  a  vingt-trois  ans  I  Je  baissais  les 
yeux  devant  ce  récit.  Comment  n'est-elle  pas  à  Alger  ! 
Elle  se  porte  bien,  elle  est  riche  !  Voilà  de  singulières 
entrailles. 

C'est  donc  en  janvier  que  vous  aurez  un  arrondis- 
sement? Soyez  bon  prince,  aimez-nioi  mC-me  dans  la 
grandeur. 

Tony  veut  absolument  taper  du  piano.  Mais  ça 
n'aura  pas  de  suite.  Elle  conserve  un  charme,  une 
fraîcbeur  ravissante,  mais  elle  est  diable  en  diable. 

Je  veux  quitter  le  pavillon  -.  La  mort  de  Montrond 
me  le  rend  odieux.  C'est  ici  qu'il  a  pu  méconnaître  la 
plus  tendre  affection,  devenir  injuste,  ingrat,  déloyal 
même.  La  pauvre  Madelaine,  au  contraire,  mêle  con- 
serve comme  le  plus  aimable  des  vieillards,  le  plus 
reconnaissant  des  amis  et  le  plus  noble  cbrétien. 
0  belle  et  pénitente  Madelaine,  vous  avez  fait  là  le 
plus  beau  des  miracles. 

Paris,  15  décembre  1843. 

Mais  tu  ne  comprends  donc  pas  rien  '  ?  Ce  n'est 
pas  d'orlliograplu',  grammaire  dont  j'ai  voulu  parler; 
c'est  d'une  clarté   vive  dans  la  phrase,  (jui  conduit 


'  M.  (le  Caulaincourl  Je  Vicencc,  sous-licutenanL  au  4«  chasseurs, 
fut  atteint  d'une  balle  à  la  tête  pendant  la  campagne  d'Algérie  (Mo7ii- 
ieur,  15  novembre  184H). 

-  Montrond  avait  pris  à  bail  en  1823  do  M"»»  Hamelin  un  apparte- 
ment rue  Blanche  20,  dans  la  tour  dite  le  pavillon  de  Richelieu. 

3  ^[rao  Hamelin  avait  adressé  à  son  correspondant  quelques  obser- 
vations qu'il  avait  mal  accueillies,  car,  comme  le  disait  la  duchesse 
d'Abrantès  en  parlant  de  Montrond,  lui  aussi  n'avait  pas  toujours, 
semble-t-il,  l'humeur  «  endurante.  » 


FORTUNEE  IIAMELIN  203 

l'idée  à  se  présenter  neltement.  Je  déteste  comme 
vous  la  phrase  pompeuse,  syméti-i(jue,  adoptée  même 
par  ce  grand  talent  de  M"'"  Sand  depuis  que  la  sensi- 
bilité, l'idée,  la  grâce  ont  disparu.  Je  sais  que  vous 
êtes  pressé  toujours.  Keliscz-vous  à  quinzaine  et  ce 
que  je  vous  dis  vous  frappera  vous-même.  Si  j'insiste, 
c'est  que  je  trouve  sincrrcnient  que  vos  idées  en 
valent  la  peine  et  si  vous  vouliez  faire  la  moindre 
élude  sur  ce  que  j'indique,  vous  verriez  bien  qu'au 
lieu  d'opuscules  qui  restent  isolés,  les  publications  les 
plus  recherchées  vous  ouvriraient  les  portes  de  leur 
renommée. 

Ma  Kisselefî  n'a  rien  compris,  bien  entendu,  mais 
elle  a  été  trois  jours  malade;  je  lui  ai  lu,  elle  a  trouvé 
cela  très  délicat  et  a  repris  sa  course. 

La  belle,  savante  et  chaste  M"^  Hubert  n'est  plus 
chez  M"'*  Nariskin  ^  Elle  a  mérité  néanmoins  le  congé 
qu'elle  a  reçu,  elle  l'a  mérité  sans  avoir  transgressé 
aux  qualités  que  je  cite  avec  justice;  mais  il  faut 
(ju'elle  ait  de  grands  torts  pour  que  je  me  range  du 
côté  du  plus  fort,  car  j'aime  terriblement  les  vaincus. 

Berryer"  vous  souffle  un  bon  parti...  il  épouse, 
dit-on,  M""'  de  Somariva  avec  300  000  francs  de  rente 
(mariage  d'opinion).  M.  Scribe  n'a  pas  encore  fait 
celui-là.  Voilà  le  voyage  de  Londres  assez  bien  payé, 


'  M"'»  Nariskin  était  la  mère  de  la  princesse  l>agralion  qui,  à  la 
seconde  rentrée  do  Louis  XVIII  en  France,  la  voyait  fort  intime- 
ment dans  son  salon  de  la  rue  du  Mont-Blanc  (Chaussée  d'Antin). 

-  La  Presse  (20  décembre  1843)  donnait  l'information  suivante  : 
«  Un  joui-nal  annonce  le  mariage  de  M.  Berryer  avec  la  veuve  de 
M.  de  Sominariva,  ce  riche  l'iérnontais,  mort  il  y  a  deux  ans  à 
l'aris  et  à  qui  appartenait  la  Ijellc  galerie  où  figurait  la  Madeleine 
de  Caaova.  n 


206  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

car  le  duc  de  Bordeaux  a  donné  200  000  francs  à  son 
illustre  avocat.  Il  saura  bien  employer  celte  pluie  d'or 
et  je  lui  en  souhaite  autant  qu'à  O'Connel.  (Prenez 
garde  à  vos  correspondances  sur  ce  sujet.) 

La  bibliothèque  de  Montrond^  va  être  vendue  en 
détail  (cette  bibliothèque  achetée  par  son  valet  de 
chambre,  comme  dit  la  Presse).  Elle  est  excellente, 
mais  qui  donc  achète  autre  chose  que  les  illustrations? 
Pauvre  Montrond  ! 

Tony  me  parait  espacée...  dans  huit  ans  elle  aura 
sa  revanche.  Votre  Brambilla^  refait  fureur.  Je  ne 
vais  point  encore  au  théâtre,  mais  tout  le  inonde  adore 
sa  méthode,  sa  passion  et  jusqu'à  sa  voix  éteinte. 

Avez-vous  lu  le   sermon  du  Révérend  P.   Lacor- 


'  La  succession  de  Montrond  donna  lieu  à  un  procès  que  la  Gazelle 
des  Tribunaux  du  30  novembre  1843  et  du  11  janvier  18t4  a  relaté 
suus  le  titre  :  Le  mobilier  du  comte  de  Montrond.  Montrond  lais- 
sait un  passif  de  -00  000  francs.  «  M.  le  comte  de  Montrond,  dit  la 
</(/;L'Z/e  (oO  novembre  184o|,  liabitailrue  Blanche,  un  pavillon  dépen- 
dant d'une  maison  appartenant  à  une  dame  llameliu  dans  l'intimité 
de  laquelle  il  vivait;  il  était  tout  à  la  fois  locataire  de  l'appartement 
et  des  meubles:  lorsque  les  créanciers  de  M"''^  Uamelin  la  poursuivi- 
rent immobilièrement,  la  maison  fut  vendue  d'abord  et  séparément 
on  vendit  aussi  le  mobilier  garnissant  l'appartement  de  M.  de  ^lon- 
Irund,  mais  à  la  charge  par  l'acquéreur  de  laisser  jouir  31.  de  Mon- 
trond du  mobilier  pendant  sa  vie.  Boulanger  (le  valet  de  chambre), 
acheta  les  meubles,  mais  pas  sous  son  nom.  Quelques  années  après, 
.M.  de  ^lontrond  voulut  venir  habiter  place  Vendôme.  Pour  cela  il 
lui  fallait  le  consentement  du  propriétaire  apparent  du  mobilier. 
Craignant  des  diflicultés,  il  s'en  entretint  avec  Boulanger  et  apprit 
qu'il  était  locataire  de  son  domestique.  »  Le  tribunal  reconnut  bou- 
langer propriétaire  du  mobilier.  Les  liéritiers  de  Montrond  furent 
déclarés  mal  fondés  dans  leur  demande  reconventionnelle  et  con- 
damnés au.x  dépens. 

-  Alfred  de  JSlussct  écrivait  à  «  sa  marraine  »,  Caroline  Jaubcrt  : 
«  Hier,  mardi,  je  suis  allé  voir  la  Linda  di  Cliainouinj.  Il  y  a  de 
jolies  choses.  Cela  vaut  la  peine  d'être  entendu  de  vous.  J'aime  la 
Brambilla,  quoiqu'elle  ait  le  plus  gros  postérieur  du  monde  dans  sa 
culutte  de  savoyard,  w  (Alfred  de  Musset,  Œuvres  l'oulliumen). 


FORTUNÉE  HAMELIN  207 

daire?  Celui  qui  commence  comme  un  cours  d'Iiis- 
loire  est  sublime  et  les  pages  sur  Darius  enlèvent, 
comme  dit  M"''  de  Sévigné.  Quel  talent,  bon  Dieu  ! 

Paris,  29  décembre  1843. 

Vous  avez  su  l'horrible  accident  de  Moraski?  Il  est 
guéri  merveilleusement.  Hélas  !  un  de  vos  amis  m'a 
conté  la  déception  qui  allait  ouvrir  pour  vous  l'an  de 
grâce  1844.  J'en  ai  bien  du  chagrin,  je  vous  assure. 
Je  m'en  doutais  à  l'air  narquois  d'une  de  ces  bonnes 
personnes  qui  sont  si  méchantes.  Vous  trouverez  con- 
venable que  je  ne  m'étende  pas  sur  ce  retard  qu'on 
porte  à  six  mois  (comme  si  quelque  chose  aujourd'hui 
avait  six  mois  de  vie,  surtout  un  ministère  !)  Je  veux 
vous  donner  courage  et  savoir  si  cela  change  vos  pro- 
jets de  retour  en  janvier.  Le  temps  vous  appartient  et 
je  vois  que  partout  votre  heureux  climat  méridional 
donne  vie,  amour,  amitié,  beaux  arts  à  votre  alentour. 
Lorsque  les  préfets  ont  des  anges  pour  femme  et  des 
amours  sauvages  pour  enfants,  Arras  vaut  Paris.  Je 
vous  engage  de  toute  la  force  de  notre  vieille  affection 
à  travailler  sérieusement  dans  cet  exil  qui  ne  peut 
être  supportable  que  par  le  cœur  et  l'étude  ;  l'esprit  ne 
fera  pas  faute,  mais  je  ne  veux  que  la  chaleur  de  Per- 
pignan et  non  ses  locutions.  Votre  opuscule  plaît  à 
tout  le  monde,  on  me  le  demande  en  riant,  et  on  le 
garde  en  riant  encore,  de  sorte  que  si  je  n'en  étais 
honteuse,  je  vous  en  demanderais  deux  encore,  tou- 
jours en  riant. 

Il  faudra  aiguiser  votre  grand  sabre  et  toucher  à 
M"'^  de  Maintenon.  M.  de  Noailles,  qui  n'en  fait  qu'une 


2IJ8  UNI::  ANCIENNE  MUSCÂDINE 

noble  supérieure  d'a])bayc  royale  on  fournira  l'occasion. 
Il  n'a  pas  même  aperçu  la  femme  égale  à  Loyola  et 
à  Napoléon. 

Je  crève  mes  yeux  à  déchiffrer  toutes  ces  atlreuses 
écritures  dont  Montrond  a  laissé  des  tas  énormes.  Je 
trouve  qu'une  détestable  écriture  est  une  chose  bien 
malhonnête.  C'est  le  seul  défaut  connu  de  l'Empereur. 
Dans  ce  fatras  auquel  ce  grand  esprit  de  Montrond 
attachait  l'importance  des  signatures,  quelle  inconce- 
vable médiocrité  !  Hommes,  femmes,  c'est  à  qui  sera  le 
plus  bête,  le  plus  sec,  le  plus  frivole.  Flahaut^  brille 
au  premier  rang,  Mornay  tout  de  suite  après;  M"""  de 
BroG'lie"  comme  un  évançrile  de  la  Passion,  on  la  sent 
mourir:  d'Argenson  "  comme  Brulus  jouant  avec  un 
enfant  qu'il  adore,  mais  dont  il  veut  toujours  dans 
son  âme  assassiner  la  pension  —  au  total,  cher  ami,  je 
vous  dirai  comme  M"""  de  Sévigné  à  M"""  de  Grignan  : 
«  Ma  fille  !  nous  écrivons  mieux  que  tout  cela  !  » 

On  a  fait  cent  mille  infamies  pour  briser  le  mariage 
dcBerryer.  Ebruité  par  une  jalouse,  tous  ses  ennemis 
politiques  ont  braqué  des  centaines  de  lettres  ano- 


'  Le  général  de  Flahaut,  mort  en  18TÛ,  avait  été  ministre  plénipo- 
tentiaire à  Berlin  en  1831.  De  sa  liaison  avec  la  reine  llorlense,  il 
eut  un  fils  naturel,  le  duc  de  Morny,  ambassadeur  à  Vienne 
en  1841,  sénateur  en  1833,  grand  chancelier  delà  Légion  d"honneur 
en  i8o4.  Sa  femme  était  fort  intrigante,  au  dire  de  la  duchesse  de 
Dino  [Chronique  II  et  III).  (Sur  les  Flahaut,  voir  baron  de  Maricourt; 
M™»  de  Souza.  Emile-Paul). 

-  Albcrtinede  Staël,  duchesse  de  Broglie  (1797-1838).  .M.  le  duc  do 
Broglio  a  publié  les  Lettres  de  sa  mère  (1814-1838)  dont  on  peut 
admirer  la  «  largeur  et  le  charme  de  Tcsprit  ». 

"  D'Argenson  avait  été  aide  de  camp  de  La  Fayette.  Très  ancien- 
nement lié  avec  Montrond.  Etait  en  1809  préfet  des  Dcux-Nèthes 
{Reçue  des  Questions  Uistoririues,  1"  juillet  1834.  Lanzac  de  Laborie  : 
Un  préfet  indépendant  sous  Napoléon.) 


FORTUNEE  HAMELIN  209 

nymes  toutes  remplies  de  ces  faits  à  peu  près  vrais, 
mais  défigurés.  La  dame  de  pierre  s'est  cabrée  et  a 
rompu.  C'est  d'elle  dont  j'ai  dit  à  un  ami  :  «  L'épousez- 
vous?  Je  vous  fais  compliment.  Ne  l'épousez-vous 
pas?  Je  vous  fais  compliment.  » 

On  attend  le  gros  marquis.  Non,  non,  elle  est  fidèle 
à  ce  sot  premier  homme.  C'est  lui  qui  est  volage,  qui 
fait  si  bien  connaître  la  bassesse  d'esprit,  de  mœurs, 
de  goût  des  femmes  de  ce  moment.  On  le  dit  fou  de 
M^^Biard.  En  vérité,  je  veux  douter  qu'il  soit  heureux. 

Vous  me  trouverez  peut-être  dans  les  ennuis  du 
déménagement.  Le  pavillon  que  j'ai  tant  aimé  me 
fait  horreur,  je  n'ai  plus  d'entrailles  que  pour  la 
Madelaine. 

A  propos  d'entrailles,  Félix  est  malade,  très  malade, 
mon  Dieu!  Il  faut  voir,  entendre  la  pauvre  Kisselefï 
pour  savoir  comment  on  peut  aimer  un  enfant  et 
ce  que  c'est  que  le  plus  afiVeux  désespoir.  Zamoïski 
et  moi  nous  sommes  épouvantés.  L'abbé  Petitot  n'en 
peut  venir  à  bout.  Quelle  année  pour  les  bonnes 
gens  ! 

Tony  a  froncé  ses  jolis  sourcils  en  lisant  la  petite 
Sauvage  de  Deux  ans.  Au  fait,  à  deux,  trois  ans  les 
enfants  sont  moins  tapageurs  qu'à  sept.  Mais  cette 
Tony  contre  la  règle  est  tous  les  jours  plus  jolie.  Elle 
sera  très  grande,  elle  reste  tout  ronde  et  enfantine  de 
cheveux,  de  petites  dents  et  d'une  fraîcheur  mobile 
qui  donne  envie  à  tous  les  passants  et  passantes  de  lui 
appliquer  un  bon  baiser. 


li 


ANNÉE   1844 


La  Princesse  Czartoriska  ot  J'hôlol  Lambert.  —  Le  prince  de  la  Mos- 
kowa.  —  Un  arlicle  du  Nalional.  —  Edouard  Hamelin.  —  Discus- 
sion de  la  Chambre.  —  Thiers  et  Billaut.  —  Un  échec  de  Borryer. 

—  Le  baron  i'ierlot.  —  Potins.  —  Un  mot  de  Montrond.  —  Amour 
et  politique.  —  M.  Adam.  —  Démission  do  M.  de  Salvandy.  — 
Marliani.  —  Les  raouts.  —  Impressions  de  Berryer  sur  i'Angleterrre. 

—  Un  concert  chez  le  prince  de  la  Moskowa.  —  Le  jooi///' d'Hor- 
tense  Allart  à  son  mari.  —  Liszt  et  M'"*  d'Agoult.  —  Le  Père 
Enfantin.  —  Quelques  nouvelles.  —  Mort  de  Tristan  de  Rovigo.  — 
Un  mot  de  M.  de  Chateaubriand.  —  La  Sylphide.  —  Le  duc  d'An- 
goulême.  —  La  Vie  de  Rancé  de  Chateaubriand.  —  M^^  Haraelin 
a  suggéré  des  corrections.  —  Atala.  —  M'"^  Regnault  à  la  Made- 
Jaine.  —  Hippolyte  Montrond.  —  M.  de  Montalivet.  —  La  succession 
de  M.  Buiïault.  —  Mort  de  Faudoas.  —  Le  duc  de  Joinville.  — 
Anniversaire  de  Montrond.  —  L'automne  à  la  Madelaine. 


Paris.  5  janvier  1844. 

Je  suis  comme  vous  pour  les  grands  mallieurs,  je 
n'y  puis  croire,  je  m'acliarno  à  Tespérance.  Ainsi  la 
nuit  même  de  la  mort  de  Montrond,  je  le  trouvais 
mieux.  Je  vis  si  éloignée  du  pouvoir  que  je  ne  connais 
nullement  le  caractère  de  nos  maîtres.  Mais  vous  avez 
foi  en  la  parole  de  M.  Duclultel'.  Vous  devez  mieux 
espérer  ([ue  moi.  On  m'a  dit  aussi  dans  la  môme  con- 
fidence que  vous  auriez  mieux  fait  peut-être  de  rester 
ici  tout  décembre.  Alors  vous  feriez  bien  certainement 
de  venir  éclaircir  toute  cbose.  II  y  a  eu  un  petit  gra- 

*  Duchàtol(1803-18G7)i  rédacteur  au  ^i^o/'e  pendant  la  Restauration, 
ministre  de  1834  à  1836  et  cje  1840  à  1848. 


212  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

buge  selon  toute  apparence.  Je  ne  crois  guère  à  la 
réconciliation  forcée  de  Y. . .  '  et  il  domie  en  ce  moment 
les  meilleurs^dîners  de  Paris. 

N'allez  pas  croire  que  mon  conseil  tienne  tout  à  fait 
au  plaisir  extrême  que  j'aurais  de  vous  revoir.  Hélas  ! 
non,  je  baisse  la  tête  devant  toutes  les  privations,  les 
regrets,  la  solitude  du  cœur.  La  Providence  ne  se 
souvient  de  moi  que  pour  me  foudroyer.  Aussi  votre 
seul  intérêt  me  guide.  Voyez. 

Félix  est  mieux.  Il  est  sauvé.  C'est  une  somnam- 
bule qui  au  nez  de  huit  médecins  a  fait  ce  miracle. 
Que  de  réflexions  cela  fait  naître  !  J'avais  osé  en 
parler  pour  Montrond.  On  a  manqué  m'avaler  et  ses 
trois  médecins  m'ont  prise  en  horreur.  Mon  Dieu  ! 
n'être  pas  même  maître  d'un  malade  qu'on  aime 
parce  que  M.  Férus  est  un  favori  !  La  princesse  Czar- 
loriska  a  eu  la  noble  idée  ;  assaillie  par  des  milliers 
de  demaniles  pour  laisser  voir  son  liel  hôtel',  elle  a 
dit  aux  curieux  :  «  Venez-y,  mais  le  jour  où  je  l'ou- 
vrirai pour  un  bal  en  faveur  des  réfugiés  polonais.  » 
Vous  jugez  si  ce  bal  sera  beau  et  productif. 

Le  prince  de  la  Moskowa^  est  si  sot,  si  fat  qu'il  a 

*  N'est-ce  point  Véron  "? 

*  L'hôtel  Lambert  où  elle  habitait  avec  son  mari  le  prince  Adam 
Czartoriski  (1770-1861)  qui  fut  en  1831  le  chef  du  mouvement  insur- 
rectionnel de  la  Pologne.  Le  frère  de  ce  dernier,  Constanlin,  mourut 
en  1860. 

La  princesse  Czartoriska  organisait  souvent  des  ventes  au  profit 
des  réfugiés  polonais,  o  Cette  respectable  femme,  dit  Alphonse  Karr 
(Guêpes,  2°  série)  n'a  d'autres  occupations,  d'autres  plaisirs  que  de 
soulager  la  détresse  de  ses  compatriotes.  » 

^  Le  prince  de  la  Moskowa  était  fils  du  maréchal  Ney.  Le  Xafio2ial 
du  1"  janvier  1844  reproduisait  une  lettre  du  prince  au  Journal  des 
Débals,  au  sujet  des  commentaires  du  Siècle  et  du  Xalional  sur  une 
audience  que  le  duc  de  Nemours  lui  avait  accordée.  On  lui  repro- 


FORTUNEE  HAMELIN  213 

donné  le  beau  rôle  à  ses  ennemis  et  qu'il  s'est  fait 
écraser  par  le  National.  C'est  Faudoas  qui,  dans  son 
inspection,  a  levé  ce  lièvre  et  n'a  pas  eu  la  moindre 
peur  de  rayer  le  prince  du  tableau  malgré  la  lettre  du 
spirituel  Léon  qui  disait  à  son  colonel  :  «  Lorsqu'on 
porte  le  plus  beau  nom  militaire  de  France,  qu'on  a 
cent  mille  francs  de  rente,  on  donne  sa  démission 
lorsque  l'avancement  se  fait  trop  attendre.  » 

Notre  bon  Faudoas  avait  un  congé  de  trois  mois, 
mais  son  affreuse  goutte  le  cloue  sur  son  lit.  Mon 
Dieu  !  la  goutte  que  c'est  affreux  ! 

Tony  n'aura  pas  besoin  d  et'rennes  pour  vous  bien 
recevoir.  Elle  a  été  comblée  et  j'en  ai  du  malaise,  car 
on  la  traite  comme  ma  fille,  sans  penser  aux  fièvres 
pernicieuses...  Du  reste  elle  travaille  un  peu,  elle  est 
grande,  forte  et  jolie  comme  un  cœur. 

J'ai  de  bonnes  nouvelles  de  Bourbon.  La  santé 
d'Edouard  '  paraît  rétablie.  M'"'  Regnault  m'a  donné 

clmit  d'avoir  eu  recours  au  prince  à  propos  d'un  avancement  pro- 
mis par  le  ministre  (Soult)  et  refusé  ailleurs.  «  Nous  ne  nous  arrê- 
tons pas,  disait  le  NadonaL  au  nom  de  rolTicicr  qui  est  en  cause  :  ce 
nom  nous  gène  au  lieu  de  nous  servir.  Ce  que  nous  voyons  ici,  c'est 
un  maréchal  de  France,  un  ministre  dont  la  parole  est  démentie, 
dont  le  pouvoir  est  réduit  à  néant.  C'est  la  violation  flagrante  des  for- 
mes constitutionnelles  et  des  garanties  qu'elles  assurent  à  l'armée. 

Le  nom  que  porto  Jl.  le  prince  de  la  Moskowa  appartient  à  nos 
fastes  les  plus  glorieu.'c  et  nous  regrettons  vivement  qu'il  n'ait  pas 
compris  les  devoirs  qu'il  impose.  La  parole  du  ministre  devait  lui 
suffire  :  comme  militaire,  il  n'en  doit  pas  connaître  d'autre  ;  comme 
pair  de  France,  il  lui  convenait  moins  qu'à  personne  d'autoriser  par 
une  démarche  personnelle  des  sollicitations  envers  un  prince  qui 
n'a  aucune  qualité  pour  le  recevoir  ;  comme  fils  du  maréchal  Ney,  il 
est  plus  inconcevable  encore  iju'il  ait  été  adresser  ses  rectifications 
et  ses  écrits  à  un  journal  a)  qui  a  si  outrageusement  traité  son 
père.  » 

a)  La  Presse. 

*  Son  fils. 


-Mi  U.N't:  ANCIENNE  MUSCADINE 

son  beau  buste  en  marbre,  premier  chef-d'œuvre  de 
Barlholini  '.  Ça  m'a  fait  L-rand  plaisir  comme  bonne 
aniilié  et  comme  objet  d'art  vraiment  enchanteur. 

Paris,  -0  janvier  1844. 

Oui  certes,  je  garderai  votre  secret.  Mais  vous  ? 
Emporté,  méridional,  amoureux,  comment  être  dis- 
cret'? Enfin,  tâchez,  aj)prenez,  contraignez-vous,  car 
cela  me  semble  de  la  plus  grande  importance  pour 
elle  et  pour  vous.  Voilà  de  ces  maliieurs  ou  de  ces 
maladresses  qui  cassent  le  cou  le  mieux  attaché.  Vous 
n'avez  pas  besoin  de  nou\  eaux  ennemis,  bon  Dieu,  et 
je  voudrais  bien  vous  voir  ici  le  plus  tôt  possible. 

Cette  discussion  de  la  Chambre  est  moins  oiseuse 
que  les  autres,  voilà  le  ministère  engagé.  Pour  rester, 
il  promet  beaucoup.  J'ai  trouvé  M.  Thiers  bien  infé- 
rieur à  M.  Billault".  Sd  cau'iei'ic  est  bien  bourgeoise, 


*  Célèbre  sculpteur  lloreiilin. 

-  Le  correspondant  de  M"'<=  Ilauielin,  M«  C...,  lui  avait  probable- 
ment conlié  un  piojct  de  mariage.  M""  llamelin  —  en  cela,  comme 
en  d'autres  allaires  —  demeurait  sa  conlidente  et  sa  conseillère.  Eu 
retour  elle  s"ouvre  à  lui,  ain^i  qu'on  la  vu,  sans  réserve  et  le  plus 
n.'gligemmeut  du  monde.  Cet  abandon,  que  nous  ne  retrouvons  pas 
dans  les  auties  lettres  que  l'oii  a  publiées,  est  un  des  charmes  de 
la  Correspondance  de  sa  vieillesse. 

^  Billault  (Adolphe-AuguslinOIarie)  fut  député  de  1837  à  1848,  à 
l'Assemblée  Constituante  en  1848,  au  Corps  Législatif  de  iSo-  à  1854, 
sénateur  du  second  Empire,  ministi-e. 

Un  de  ses  biographes  a  dit  que  sa  carrière  polititiue  et  parlemen- 
taire était  tout  entière  dans  la  négociation  de  son  mariage,  o  Je  suis 
sans  richesse  et  sans  nom,  dit-il  à  son  futur  beau-père,  mais  je  ne 
suis  pas  sans  avenir.  Dans  trois  ans  je  serai  le  premier  avocat  de 
Nantes,  trois  ans  après  je  serai  député,  trois  encore  et  je  serai  mi- 
nistre. »  Billault  fut  agréé  et  tint  parole.  L'horoscope  qu'il  avait 
tracé  se  réalisa.  11  vota  le  plus  souvent  avec  l'opposition  dynas- 
tique, tout  en  se  rapprochant  do  tenqjs  en  autre  du  ministère.  11 


FORTUNÉE  IIAMELIN  SIS 

servile  et  vide.  A  tout  il  recule  devant  ces  mots  :  Et 
vous?  Je  ne  sais  si  Berryër  reprendra  la  parole.  Ce 
manque  de  courage  qui  l'a  paralysé  doit  l'accabler 
encore.  Mon  Dieu,  quel  deuil  que  celui  de  ce  talent*. 
La  Pologne  a  plus  de  nerf,  elle  reprend  courage. 
Savez-vous  que  sérieusement,  oui,  oui,  sérieusement 
Zamoïski  a  été  nommé  régent?  Du  reste,  la  reine  est 
magnifique,  1  oOO  billets  sont  placés,  la  liste  civile  a 
demandé  la  faveur  du  local  pour  son  bal  et  offert 
3  000  francs  pour  les  Polonais  bien  entendu.  L'hôtel 
Lambert  fait  fureur...  Le  petit  palais  brodé  de  la 
Samaïloff  est  de  mauvais  goût  comme  ça  devait  être. 
J'ai  fait  vos  amitiés  à  Faudoas  ([ui  est  mieux  et  plus 
mari  que  jamais.  Il  m'a  dit  :  «  Cet  Adam  est  bête  et 
commère,  ma  femme  le  porte  sur  ses  épaules.  Bah  ! 
oui,  elle  le  querelle  toute  la  journée.  »  Puis  il  m'a 
conté  une  jolie  histoire  du  baron  Pierlot"  (que  Môn- 
trond  appelait  le  baron  Pierrot).  Le  baron  dit  :  w  Mon 
général,  on  me  presse  fort  de  me  marier.  »  «  Pourquoi, 
puisque  vous  avez  une  lille  charmante  qu'il  faut  marier 
bientôt?  ».  «  Mais,  général,  c'est  pour  mou  nom  et 
mon  litre  ».  Trouvez  mieux  que  cela  dans  aucun  fils 
de  hujuais.  Faudoas  est  logé  chez  la  petite  M"'"  Paul 

soutint  Guizot  à  propos  des  mariages  espagnols  —  à  sa  nioit,  1803 
(Billault  s'Olait  rallié  à  la  poliLii[uc  de  L.-N.  Bonaparte),  iMcriinée 
écrivit  :  «  La  iïiort  de  M.  Billault  est  un  coup  funeste  :  c'est  assdré- 
lucûtle  plus  iialjile  et  le  plus  propre  à  lutter  avec  courage  contre 
les  orateurs  de  l'opposition.  Ce  n'était  pas  un  homme  d'Etat,  mais 
c'était  un  instrument  merveilleux  entre  les  mains  d'un  homme 
d'Etat.  M 

'  Le  National  de  janvier  ISii  signalait  cette  ini'ériorilé  de  Berryei" 
à  une  des  séances  de  la  Chambre. 

'  Le  baron  l'ierlot  habitait  Creil.  Ch.  Bocheren  parle  dans  ses  Mé- 
moires (I,  :2u9). 


216  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Berthier  qui  fait  retraite  à  Royaumont.  C'est  une 
petite  cage  très  propre  dont  la  salle  de  hal  est  grande 
comme  une  armoire.  Florence  est  dans  l'ivresse, 
DemidoIT  y  a  fait  venir  la  jeune  Dino,  et  le  mari  y 
joue  les  rôles  d'Arnal.  M""'^  Nicolle  et  Orlod  sont  la 
partie  spirituelle  des  dames. 

Je  veux  finir  en  vous  contant  un  mot  de  Montrond 
qui  prouve  à  quel  point  il  pouvait  être  galant.  Ce  mot 
fait  bruit,  mais  ne  sera  pas  imité  par  les  lions  du  club. 
Ce  beau  M.  de  Fournier  disait  à  Montrond  (en  mon 
absence)  qu'à  Parme  il  y  avait  cbez  l'impératrice  une 
M""'  Hamelin  borriblement  commune  qu'on  faisait 
passer  pour  moi,  qu'il  avait  vainement  certifié  le  con- 
traire, qu'elle  n'était  pas  M"""  Hamelin,  née  de  la  Grave. 
«  Ce  n'est  pas  de  La  Grave  qu'elle  est  née,  dit  Mon- 
trond, c'est  de  la  Grâce \   « 

N'est-ce  pas  digne  de  ce  temps  dont  vous  parlez  si 
bien? 

Paris,  6  février  1844. 

J'ai  cru  lire  une  lettre  de  Saint-Preux.  Dans  cette 
ville  d'indusirie  et  de  politique  on  n'entend  jamais 
parler  de  l'amour.  L'amour  est-il  électeur?  Qu'est-ce 
(jue  c'est  que  (;a,  l'amour  ?  Du  temps  de  M'""  de  Pom- 
padour  il  donnait  encore  des  régiments;  aujourd'bui 
il  ne  donne  pas  môme  de  sous-préfectures  et  il  pour- 
rait plutôt  les  ôter.  Voilà  son  pouvoir.  C'est  fini  de 

*  Cette  répartie  un  peu  précieuse,  mais  jolie  de  Montrond  —  et 
exacte  si  l'on  en  croit  les  mémorialistes  qui  ont  parlé  de  Fortunée 
Hamelin,  n'est  pas  la  plus  spirituelle  parmi  colles  que  l'on  allribuc 
à  ce  LauKun  du  Directoire,  dont  Talleyrand  prisait  l'ort  la  compa- 
gnie. —  Nous  avons  déjà  cité  «luelques-uns  de  ses  mots  (jui  décou- 
vrent bien  l'impertinence  presque  cyni([ue  de  jNlonlrond,  d'ailleurs 
fort  goûtée. 


FORTUNÉE  HAMELIN  217 

lui,  même  de  Bacclius  qu'on  frelale  trop  en  véiilé. 
Soyez  donc  de  voire  temps.  Vous  Tavez  voulu,  c'est 
nécessaire.  Venez  vous  distraire  et  solliciter  ici. 

Est-ce  M.  Votre  préfet  qui  défend  de  voir  ceux  qui 
ont  été  à  Londres?  Si  c'est  lui,  il  mériterait  bien  des 
cornes  d'àne  et  d'autres. 

Si  fait  l'amour  existe  et  M.  Adam  en  use  en  père 
du  genre  humain. 

Sa  marquise  et  bien  d'autres  l'adorent  et  se  l'arra- 
chent. Le  bon  général'  voit  ça  et  dit.  «  Cet  Adam  est 
bête!  ma  femme  le  porte  sur  ses  épaules.  »  Pauvre 
honnête  homme  !  Vous  avez  toutécrit  à  M.  de  LaRue. 
Il  ne  me  l'a  pas  dit,  mais  il  a  làté  le  terrain  qu'il  a 
trouvé  fi-oid  et  silencieux  à  l'endroit.  J'étais  sûre... 
Et  ce  M.  13roé?  11  ne  manque  au  secret  que  la  petite 
Morel. 

N'avez-vous  pas  trouvé  quehiuo  chose  de  vif  dans 
la  discussion  de  l'adresse  et  la  démission  de  M.  de 
Salvandy-?  LeMarliani%  aide  de  camp  d'Espartero, 


'  Faudoas. 

-  De  Salvandy,  homme  d"Etat  cl  littérateur,  mort  en  1856.  Fut 
ministre  de  l'Instruction  publi(iue  de  1837  à  1839.  11  vola  contre 
l'adresse  qui  iniligcait  un  blâme  à  Berryer  au  sujet  d'un  voyage  de 
ce  dernier  auprès  du  comte  de  Ciiambord.  Entre  autres  ouvrages 
de  M.  de  !^alvandy  nous  citerons  La  Vérilé  sur  les  tuarchés  Ouvranl 
(1825).  C'cslà  lui  ([ue  l'on  attribue  le  mol  célèbre  prononcé  en  1830  : 
«  Nous  dansons  sur  un  volcan.  » 

■^  Marliani,  «  homme  fin,  spirituel  et  infidèle  »,  était  l'agent  le 
plus  actif  de  la  coterie  anglo-esparteriste.  Il  avait  publié  en  1843  une 
Histoire  politique  de  l'Espagne  moderne.  Il  fut  Consul  général  d'Es- 
pagne à  Paris  où  sa  femme  tenait  un  salon  très  fréquenté .  M™"  ^lar- 
liani  (Carlolla)  était  «  visiteuse,  parleuse,  complimenteuse  ».  au 
demeurant,  excellenle  femme  o  grande  avaleusede  graine  de  ricin.  » 
(M'""  d'Af/oall}.  Elle  fut  très  mêlée  à  l'inliniilé  de  Marie  d'Agoult  et 
de  (ieorge  Sand,  dont  elle  était  en  iiueiiiue  sorlc  le  factotum  (S.  Ho- 
cheblave.  Article  cité). 


218  CNE  AxNCIENNE  MUSCADINE 

est  ici  et  se  promet  avec  son  doux  maître  de  boule- 
verser l'Espagne  et  d'en  faire  un  93.  De  la  Terreur  je 
n'en  suis  pas,  et  mes  oppositions  s'arrêtent  au  premier 
sang.  Je  les  trouve  des  lâches  et  des  infâmes.  Qu'ont- 
ils  fait  du  pouvoir  ? 

Prenez  garde  aux  bals  masqués.  Il  s'y  fait  des 
méchancetés  partout,  surtout  en  province.  Tony  joue 
au  creps  supérieurement  ;  elle  n'hésite  pas  sur  les 
proportions  et  nique  avec  le  bonheur  de  la  jeunesse, 
après  quoi,  elle  boit  un  petit  verre  de  Xérès  au  repos  de 
Montrond.  Croiriez-vous  que  cela  me  touche  de  voir  des 
dés,  d'entendre  les  mots  de  ce  terrible  jeu  dans  cette 
bouche  et  ces  mains  innocentes  !  Ne  croyez  pas  que 
je  veuille  l'enflammiT  pour  faire  sourire  l'ombre  de 
Montrond!  Ce  jeu  est  moins  stupide  que  la  bataille 
et  ne  laissera  pas  plus  de  trace. 

Les  raouts  ont  produit  leur  eifet  ;  il  n'y  a  plus  de 
société,  partant  plus  de  joie,  de  chansons,  de  jolis 
mots,  de  bons  billets  même  pour  La  Châtre.  Les 
Clubs  même  s'éteignent  (excepté  les  Spéciaux,  terme 
à  la  mode).  Ce  n'est  pas  l'Angleterre,  certes,  c'est 
Birmingham. 

Berryer  '   est  tout  stupéfait    de  la  nuignihcence  du 

'  Berryer  étail  allé  à  Londres.  Le  cotiile  de  Gliambord  (due  de  Bor- 
deaux) s'y  était  rendu  pendant  l'automne  de  184o.  Le  10  novembre 
de  la  môme  année,  Chateaubriand  y  alla  également.  Une  députation 
de  Français,  ayant  à  sa  tète  le  duc  de  Fitz-Jamcs,  vint  le  saluer.  Au 
bout  de  queUiues  instants,  le  comte  de  Ghambord  parut  accompagné 
de  Beiryer  etdu  duc  de  Valray.  Quand  Chateaubriand  i|uitta  TAngle- 
terre,  le  duc  de  Bordeaux  lui  adressa  une  lettre  (jue  publia  le  journal 
La  France,  du  29  décembre  184'i,  ainsi  que  la  réponse  de  Chateau- 
briand. «  Londres,  i  décembre  1843.  M.  le  vieomle  de  Chateaubriand, 
au  moment  où  je  vais  avoir  le  chagrin  de  me  séparer  de  vous,  je 
veux  vous  parler  encore  de  toute  ma  reconnaissance  pour  la  visite 
que  vous  êtes  venu  me  faire  sur  la  terre  étrangère  et  vous  dire  toiit 


FORïUNLiE  HAMELIN  l'I'J 

i^raud  inonde  anfrlais;  il  fait  des  descriptions  d'Alton 
qui  font  tressaillir  d'envie.  Ce  sont  des  Romains  du 
temps  de  Lucullus.  Que  nous  sommes  petits,  bour- 
geois et  babillards  ! 

Je  vais  mieux,  ma  toux  se  calme,  je  vais  un  peu 
sortir. 

Soyez  très  sage.  Adieu,  ami. 

Paris,  1844. 

Votre  babil   est  tombé,  j'ai  peur  (juc  vous  n'ayez 

de  la  tristesse,  du  découragement.  Courage  donc, 
jamais  vous  ne  soutIVirez  autant  que  moi. 

Me  voici  campée  dans  le  plus  ignoble  des  logements. 

le  plaisir  que  j'ai  éprouvé  à  vous  revoir  et  à  vous  cntretcuir  des 
grands  intérêts  de  l'avenir.  En  me  trouvant  avec  vous  en  parfaite 
communauté  d'opinions  et  de  senlimens,  je  suis  heureux  de  voir  que 
la  ligne  de  conduite  que  j'ai  adoptée  dans  l'e.vil  et  la  position  que 
j'ai  prise  sont  en  tous  poius  conformes  aus  conseils  que  j'ai  voulu 
demander  à  votre  longue  expérience  et  à  vos  lumières.  Je  marcherai 
donc  encore  avec  plus  de  fermeté  dans  la  voie  que  je  me  suis  tracée. 
Plus  heureux  que  moi,  vous  allez  hientôt  revoir  noire  chère  patrie. 
Dites  à  la  France  tout  ce  qu'il  y  a  dans  mon  cu-ur  d'amour  pour  elle. 
J'aime  à  prendre  pour  mon  interprète  cette  voix  chère  à  la  France 
et  qui  a  si  glorieusement  défendu  dans  tous  les  temps  les  principes 
monarchiques  et  les  libertés  nationales.  Je  vous  renouvelle, 
M.  le  vicomte,  l'assurance  de  ma  sincère  amitié.  Henri.  »  Lelendemain 
Gliateaui>riand  répondit  :  «  Londres,  a  décembre  1843.  Monseigneur, 
les  marques  de  votre  estime  me  consoleraient  de  toutes  les  disgrâces  ; 
mais  exprimées  comme  elles  le  sont,  c'est  i)lu3  ([ue  de  la  bienveil- 
lance pour  moi,  c'est  un  autre  monde  qu'elles  découvrent,  c'est  un 
autre  univers  qui  aiq)arait  à  la  Fiance.  Je  salue  avec  des  larmes  de 
joie  l'avenir  que  vous  annoncez.  Vous,  innocent  de  tout,  à  qui  l'on 
ne  peut  rien  opposer  que  d'être  descendu  de  la  race  de  saint  Louis, 
sericz-vous  donc  le  seul  malheureux  parmi  la  jeunesse  qui  tourne 
les  yeux  vers  vous  ?  Vous  dites  que  plus  heureux  qnc  vous  je  vais 
revoir  la  France.  Plus  heuieux  que  vous?  C'est  le  seul  reproche 
que  vous  trouviez  à  adresser  à  votre  patrie  !  Non,  jjrince,  je  ne  puis 
jamais  être  heureux  tant  ({ue  le  bonheur  vous  manque.  J'ai  peu  de 
temps  à  vivre,  et  c'est  ma  consolation.  J'ose  vous  demander,  après 
moi,  un  souvenir  pour  votre  vieux  serviteur.  Je  suis  avec  un  pro- 
fond respect,  monseigneur,  etc.  Chateaubriahd.  » 


'J20  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Ilélcis  !  plus  d'oiseaux,  plus  de  fleurs,  partant  plus 
de  joie.  Je  n'imaginais  pas  (jue  Tcspece  iiumainc  put 
descendre  à  ce  degré  de  misère  qui  la  fait  habiter  en 
façade  sur  la  rue,  entendant  le  bruit  des  fiacres,  du 
bas  peuple  et  des  enterrements.  J'en  suis  là,  cher 
ami,  et  j'en  pleure  et  je  vous  ouvre  mon  cœur  tout 
saignant  des  cruautés  du  sort.  Des  Espagnols  de  la 
Havane  sont  venus  me  souffler  ce  logement  vaste  et 
paisible  que  nous  avions  vu  ensemble.  Je  crains  bien 
que  leurs  nègres  ne  me  vengent.  Le  propriétaire  a 
manqué  à  sa  parole  à  la  mode  du  jour.  La  duchesse 
de  Vicence  y  avaitbien  manqué,  elle,  pour  450  francs... 
Gomme  la  pauvreté  amène  à  connaître  de  vilaines 
choses!  Si  j'étais  à  la  Madelaine,  mes  poumons,  ma 
tète  s'épanouiraient. 

En  attendant,  bon  gré,  mal  gré,  j'ai  été  conduite, 
samedi,  au  concert  du  prince  de  la  Moskowa. 
C'étaient  en  masse  les  faubourgs  Saint-Germain  et 
Saint-Honoré,  très  légèrement  saupoudrés  de  juste 
milieu.  Le  prince  et  la  Murât  sont  deux  pigeons  qui 
roucoulent  par  redoublement  dès  qu'on  les  regarde. 
Quelqu'un  m'a  dit  :  «  Ils  n'arrivent  pas,  ils  s'abattent  !  » 
Le  fiidle  a  un  archet  et  bat  de  ces  ailes-là  à  faire 
crever  d'envie  M.  Hai»eneck  '.  La  musique  est  belle, 
il  l'a  conduite  vraiment  comme  son  père  conduisait 
son  armée.  Il  fait  bien,  on  l'approuve.  Voyez  comme 
le  contraire  réussit  à  Du  Petit-Thouars-.  Ge  qui  m'a 

'  Ilabcneck.  mort  en  1819.  C'est  à  lui  ijue  Ton  doit  l'audition  en 
France  etla  naturalisation  de  la  niusiquc  de  Bcetiioven. 

-  DupelitTliouars  (.\bel  Aubert)  (1793-1864),  contre-amiral  en  1841. 
Envoyé  aux  îles  Manjuises.  il  lut  désavoué  par  le  Gouvernement 
de  Louis-I'liilijipe  dans  Tallaire  l'ritchard.  II  siégea  à  la  Cbambre  en 
1849  (député  de  Maine-et-Loire). 


FORTUNÉE  HAMELIN  221 

bouleversée  dans  ce  concert,  c'est  de  voir  un  ran^  de 
quinze  à  vingt  femmes  de  la  société  se  placer  devant 
un  public  payant,  mêlées  aux  choristes  de  l'Opéra, 
des  Italiens  et  chanter  avec  tous  les  fions  des  canta- 
trices, des  duos  plus  ou  moins  tendres,  des  cbœurs 
plus  ou  moins  religieux,  faire  la  révérence  aux  applau- 
dissements, enfin  contrefaire  Grisi,  fors  le  talent... 

Mais  ces  femmes-là  n'ont  donc  ni  maris,  ni  frères, 
ni  amants...?  Si,  mais  ils  ont  autant  de  bon  goût 
qu'elles-mêmes.  Jugez-en.  J'ai  reconnu  M'"''  Froissard, 
agente  de  change,  W^"  Mural,  sa  sœur  Leduwoski 
qui  pigeonne  avec  Edgar  Ney,  M""^  Borsoult,  très 
sage,  M""^  Potocka,  moins  sage,  M""^  Lagrange,  con- 
traltant,  M*""  Thorne,  vraie  fauvette,  etc.,  etc.  Tout  à 
coup  il  leur  tombe  dessus  une  brune  Milanaise, 
nommée  Juba  Branca  et  de  deux  accents  de  son 
puissant  gosier,  voilà  toutes  les  amatrisses  foudroyées. 
Qu'ont-elles  été  chercher?  Du  ridicule. 

Là,  j'ai  appris  le  mariage  du  frère  cadet  du  duc  de 
Guiche*  avec  M"''  de  Ségur,  qui  est  si  jolie  et  riche; 
mais  ces  Ségur  là  font  de  la  drôle  de  noblesse,  lui 
est  fils  naturel,  elle.  M"''  Mathieu,  sœur  de  M*"*  de 
de  Méneval.  Elle  aura  120  000  francs  de  rente. 

Vous  savez  que  M"^  Hubert  est  nommée  ins- 
pectrice et  présidente.  Un  bonheur  n'arrive  jamais 
seul.  On  parle  pour  elle  d'un  grand  et  honorable 
mariage. 

Je  n'ai  pas  vu  La  Rue  depuis  ses  épaulettes,  mais 
bien  sa  sœur  qui  me  plaît  malgré  son  manque  d'élan. 
11  lui  faut  une  dominatrice,  elle  l'a  trouvée  dans  Del- 

*  Le  duc  de  Guiche  Otait  le  lil»  aîné  du  duc  de  Gramont. 


222  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

pilinc  ',  Uoureusement Emile-  est  tombé  dans  des  goûts 
si  crapuleux  que  cette  honnête  fille  en  a  été  sauvée. 
Savez-vous  là-bas  qu'Hortense  •'  a  fait  un  poufT  au 
comte  de  Méritens,  son  époux?  Elle  l'a  campé  là  tout 
net  et  s'est  établie  de  plus  belle  à  Herblay,  comme  si 
de  rien  n'était.  Les  liens  '*  scellés  de  trois  enfants  de 
^jme  (l'Agoult  et  de  Liszt  paraissent  entièrement 
rompus.  Les  motifs  sont  divers,  mais  elle  ose  se 
plaindre  tout  haut  que  Liszt  mange  tout  ce  qu'il  gagne 
et  ne  place  rien  pour  elle  et  ses  enfants.  C'est  une 
querelle  de  servante,  en  vérité.  Liszt  a  la  passion  de 
donner  et  prêter,  mais  aux  princes  allemands,  russes. 


'  Delphine  Gay. 

'  Emile  de  Girardin  sans  doute. 

^  Cest  vers  avril  184i  qu'Hortense  AHart  (juilta  son  mari  qu'elle 
appelle  Ajav,  dans  une  lettre  à  Sainte-Beuve.  La  lune  de  miel,  on 
le  voit,  dura  peu  et  cela  n"étonna  personne,  à  vrai  dire.  M.  de  Méri- 
tons était  «  dur,  despote,  jaloux,  emporté  ».  «  Je  déteste  nos  liens  ; 
aucune  femme  fière  n'en  supportera  de  pareils  et  je  les  aurais  brisés 
si  ce  n'eût  été  mon  enfant  que  je  ne  puis  transporter  que  dans  un 
mois.  Sans  cet  accident,  je  me  féliciterais  de  tout  ce  qui  est  arrivé 
pour  la  connaifisance.  J'ai  parlé  du  mariage  et  je  ne  le  connaissais 
pas.  La  loi  est  mauvaise,  qui  soumet  un  rtre  libre  et  capable  do 
liberté.  La  communauté  n'est  pas  la  môme,  puisque  l'Iioinme  peut 
tout  et  la  femme  rien  sans  lui.  »  (Lettre  à  Sainte-Beuve,  2  mars  1844) 
Ilortense,  donc,  s'installa  à  Herblay,  mais  venait  à  Paris  de  temps 
en  temps,  Hôtel  du  Rhnne.  rue  Saint-Nicaise  où  plusieurs  amis  allaient 
la  voir. 

*  Balzac  {Lettres  à  l'Etrangère,  16  mai  1843)  parle  de  cette  rup- 
ture :  «  Emile  de  Girardin  a  absorbé  M'""  d'Agoult.  On  dit  que  son 
voyage  en  Allemagne  a  été  fait  pour  la  garder  pendant  ses  couches 
secrètes.  Etrange  destinée!  Girardin,  entant  naturel,  n'aura  que  des 
enfants  naturels,  car  Delphine  ne  lui  en  donnera  pas.  C'est  la  Belgio- 
joso  qui  a  enlevé  Liszt  à  M"»  d'Agoult.  C'est  lui  qui  m'a  présenté 
presque  malgré  moi.  Liszt  m'a  fait  dîner  avec  elle  et  m'a  dit  (à  moi 
qui  la  savais  avec  Girardin)  qu'il  y  avait  entre  elle  et  lui  des  liens 
indissolubles.  »  Et  plus  loin  :  «  La  Belgiojoso  a  enlevé  Liszt  à 
M"»-^  d'Agoult  comme  elle  a  enlevé  lord  Nomanby  à  sa  femme,  Mignet 
à  M™"  Aubcrnon.  Musset  à  George  Sand,  etc.  » 


FORTUNEE  HAMELIN  223 

prussiens,  etc.  La  liste  de  ses  débiteurs  compose 
celle  de  la  noblesse  du  Nord. 

Danse-t-on  la  polka  à  Arras  ?  Je  vous  expédierai 
M'"^  de  Sailly  pour  vous  l'apprendre.  Cette  folle  si 
folle  s'est  élancée  dans  l'arène  et  trotte  la  polka  avec 
des  étudiants,  des  allemands  qui  espèrent  épouser... 
Or,  la  maison  seule  rapporte  aujourd'liui^90  000  francs. 
On  trouve  des  polkeurs  avec  ça.  Une  polkeuse  qui 
danse  vraiment  bien  c'est  la  petite  Besplas.  Elle  vous 
glisse  ses  petits  pieds  avec  une  gentillesse  infinie. 
La  Sailly  ressemble  au  contraire  à  un  télégraphe  en 
pleine  correspondance. 

Si  mon  confesseur  lisait  ces  badinages,  que  je 
serais  grondée  ! 

M.  de  Nyon  n'a  pas  voulu  de  l'Egypte,  Nous  le 
désapprouvons  tous.  Il  veut  être  ministre  et  ne  peut 
l'être. 

Je  trouve  que  M'"*"  Sand  a  trouvé  la  plus  jolie  des 
polkas.  Comme  elle  se  relève  !  Qu'il  est  beau  de 
dormir  pour  avoir  un  tel  réveil  !  M.  Yéron  a  payé 
cette  petite  Jeanne  10  000  francs  et  a  dit  :  «  C'est  ma 
meilleure  affaire.  »  La  scène  où  la  petite  dort  est  un 
chef-d'œuvre.  Écrivez-donc  quelque  chose  do  joli 
comme  votre  dernier  opuscule  ! 

Cette  bête  de  Janin  n'a  pas  pensé  dans  sa  Bretagne  * 
à  mettre  M°"=  de  Sévigné  en  regard  avec  M.  de  Cha- 
teaubriand. Les  Roc  he/'s  y  aient  bien  le  Val  du  Loup. 
Qui  durera  le  plus?  Ce  qui  amuse. 

La  jésuite  Maintenon  a  mieux  parlé  que  M.  de 
Montalembert.     Toute    la  question     est    jugée     par 

'  l.a  Breinyne  fin  .lulo.-^  Janin  est  dcdii'-f  à  Cliatoaulin'aml. 


224  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Louis    XIV.    Les  jésuites  sont   le  trône    et   l'autel. 
Voilà  tout. 

Adieu.  Ecrivez  plus,  car  je  vous  aime  toujours 
beaucoup. 

Sans  date  (après  1843). 

Cher  petit.  Me  voilà  comme  partie.  Ça  n'a  pas  été 
sans  peine,  tant  les  tracas,  les  petites  faillites  et  mon 
mauvais  campement  m'ont  donné  d'ennuis  et  de  dif- 
ficultés !  La  Madelaine,  au  lieu  de  me  calmer  comme 
d'ordinaire,  va  me  serrer  le  cœur.  J'y  retrouverai  tout 
vivant  ce  pauvre  Montrond  qui  est  venu  là  s'abattre 
à  mes  pieds...  Quel  événement  inetïaçablc  pour 
moi  ! 

Je  veu.\  vous  dire  que  M*"*  Regnault  ne  \nent  qu'en 
août.  Juillet  est  donc  assez  long  encore.  Sans  gâter 
vos  sollicitations,  venez  respirer  nos  forêts,  notre 
fleuve  et  boire  de  cette  eau  divine  accompagnée  du 
vin  de  Samois.  Venez,  venez. 

s.  d.  Vendredi  10. 

Je  suis  bloquée  par  les  tempêtes.  La  nuit  ce  sont 
des  sifflements,  des  craquements  tels  qu'on  dirait  la 
forêt  déracinée  passant  par-dessus  mon  pauvre  petit 
toit.  Eb  bien  !  au  coin  d'un  grand  feu  tout  cela  n'est 
pas  sans  charme. 

Mes  yeux  vont  mieux,  bien  mieux.  Les  maux  de 
tête  intolérables  ont  cédé,  le  strabisme  môme  diminue, 
c'est  une  joie,  cher  ami,  de  retrouver  deux  yeux. 

Le  mariage  de  la  Guiccioli^  est  violent,  d'Aligre  va 
en  remourir.  11  faut  l'envisager  comme  un  hommage 

'  La  Guiccioli,  ancienne  maîtresse  de  Byron,  devint  marquise  de 
Boissv. 


FORTUNÉE  IIAMELIN  22o 

à  lord  liyroii  et  trouver  sa  Béatrix  bien  dotée.  Paris 
est  un  grand  refugium  peccatonim. 

Nous  pensons  de  même  sur  les  radicaux  de  Berne. 
Partout  ils  sont  les  mêmes;  dès  que  le  pouvoir  leur 
advient,  ils  n'ont  que  le  môme  usage  :  proscriptions, 
confiscations  et  triangle  d'acier...,  puis  ils  parlent  bra- 
vement du  progrès  et  crient  contre  Nicolas  !  Mais  la 
Pologne  était  conquise,  étrangère,  autre  langue, 
autre  origine,  Nicolas  est  un  ange  à  côté  du  Yoros. 
Concevez-vous  qu'en  présence  de  la  politi(|ue  divine 
de  Pie  IX  ces  brutes  de  Suisses  osent  faire  du  Charles 
le  Téméraire  ?  J'en  adore  davantage  les  jésuites  et  le 
pape  qui  a  eu  la  fermeté  de  ne  les  pas  rappeler. 

S'il  se  vend,  achetez-moi,  je  vous  prie,  l'opuscule 
du  Père  Enfantin,  s'il  se  prête,  faites-le  moi  lire  au 
moins.  Vous  le  savez,  j'ai  toujours  admiré  son  élo- 
quence et  ses  yeux  sublimes.  S'il  renonçait  au  char- 
latanisme qu'il  a  cru  nécessaire,  s'il  assignait  à  la 
femme  une  position  forte,  mais  chaste,  il  serait  le 
Loyola  du  progrès  '. 

Je  voudrais  acheter  aussi  ce  petit  volume  de  Jou- 
bert,  dont  j'ai  tant  entendu  parler  et  que  je  ne  connais 
pas.  Ça  se  vend  chez  Frey,  rue  Croix-des-Petits- 
Champs,  33,  Je  suis  affamée  de  livres  nouveaux.  Ici 

'  Le  Père  Enfantin  cherchait  la  Fcnime-Messio  et  prêchait  le  res- 
pect absolu  des  passions  de  l'iioiiime,  quelles  fussent  mobiles  ou 
constantes.  On  le  condamna  en  i8o2  à  un  an  de  prison.  Ses  ouvra.ices 
sur  la  doctrine  de  Saint-Simon  furent  très  lus.  Hortense  Allart  clle- 
mèmc  subit  Tinfluence  des  Saint-Simonicns.  Dès  1S32,  elle  avait  écrit 
à  Michd  Chevalier,  directeur  du  Globe:  «  Je  crois  que  les  femmes 
doivent  beaucoup  de  reconnaissance  au.\  Saint-Simoniens,  quoi  qu'ils 
aillent  peut-être  plus  loin  qu'elles  ne  voudraient.  »  (Paul  Hnnnefon. 
loc.  cit.)  (André  Beaunicr,  Trois  Amies  de  Chaleaubriand,  p.  :ï06.  sqq.) 
(Sur  le  P.  Enfantin  et  les  Saint-Simoniens,  voir  Thureau-Dangm, 
Uisloire  de  la  Monarchie  de  Juillet,  1,  232.) 

io 


226  UNE  ANCIENNE  ^MUsCADINE 

rien,  absolument  rien.  Je  trouverai  ce  petit  paquet 
chez  mon  portier  et  je  vous  remercie  d'ici. 

Vous  devez  être  en  plein  tapage  de  carnaval  etje  vois 
bien  des  choses  que  je  veux  voir  une  fois  cet  hiver  : 
A/boni,  C/éopdtre  et  Jrnisaleni,  nitMne  le  Caprice^ 
de  votre  ami  Musset  (jui  amuse  bien  dans  les  tem- 
pêtes. S'il  peut  se  réformer  aussi  et  rester  maître  de 
son  génie,  que  de  beautés  il  peut  nous  donner  encore  î 
Ces  petites  provisions  donnent  des  idées  pour  la  cam- 
pagne que  j'aime  plus  chaque  jour.  Grâce  à  Dieu,  il 
ne  me  reste  plus  qu'elle. 

Votre  plus  vieille  amie. 

H. 

Tony  est  une  jeune  tille  belle  et  jolie,  légèrement 
plus  douce,  très  légèrement...  On  est  pourtant  satis- 
fait... comme  Morny.  Votre  souvenir  lui  a  fait  joie. 
Les  réponses  sont  déjà  défendues. 

Les  princes  ont  fait  belle  guerre  aux  gibiers.  Les 
faisans  assurent  que  l'amiral  tire  mieux  encore  que 
Charles  X.  Il  ne  leur  a  pas  paru  malade  du  tout.  Ne 
répondez  plus  ici,  ça  pourrait  se  croiser. 

Paris,  0  avril  1844. 
Cher  ami,  je  n'ai  pas  de  nouvelles  de  ce  retour  (jui 

'  Le  Caprice  d  Allrocl  de  Mussil  fut  publié  le  la  juin  1837  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes.  En  1845,  Bocage,  dirocleur  de  l'Odéon,  tenta 
«luelques  répétitions  vite  abandonnées.  La  première  représentation 
ueut  lieu  que  le  27  novembre  1S47  à  la  Comédie-Française.  C'est 
Caroline  Jaubert.  «  sa  marraine  »,  qu'Alfred  de  Musset  peignit  dans 
le  personnage  de  M""=  de  Léry.  Enregistrons  ici  l'admiration  de  For- 
lunée  Hamelin  pour  Musset.  Elle  n'aimait  pas  cependant  les  poètes 
(Caroline  Jaubert,  Souvenirs.) 


FORTUNEE  HAMELIN  '211 

présentait  bien  des  dangers.  Etes-vous  calme,  espérez- 
vous  d'ici  ?  Si  quelque  chose  d'heureux  vous  arrivait, 
je  le  prendrais  en  acompte  sur  tous  mes  désappoin- 
tements. Du  moins  ai-je  de  bonnes  nouvelles  d'Edouard, 
sa  santé  est  meilleure,  son  bon  cœur  se  dilate.  Dans 
presque  toutes  mes  anciennes  lettres  je  lui  parlais  de 
vous  avec  amitié.  Il  ne  répondait  mot,  dans  cette  der- 
nière il  me  charge  de  mille  bons  souvenirs  et  vœux 
pour  vos  succès  solides  (solides  soulignés). 

J'ai  vu  La  Rue  tout  hérissé.  M"""  Kisseleff  l'ayant 
rencontré  chez  la  Raguse  lui  demanda  sérieusement 
comment  il  n'avait  pas  été  voir  sa  sœur.  Ce  reproche 
l'a  mis  à  l'envers  —  à  mon  avis  La  Rue  a  le  plus  grand 
tort,  celui  qui  frise  l'ingratitude  et  la  mauvaise  honte. 
Ou'a-t-il  fait?  Il  a  posé  une  carte  et  s'est  sauvé,  sans 
laisser  môme  le  nom  de  sa  sœur.  Kameroski  est  le  plus 
misérable  des  manants  d'avoir  provoqué  toutes  ces 
haines  entre  des  gens  qui  devraient  s'aimer,  mais 
La  Rue  a  une  lutte  entre  une  sotte  vanité  et  ses 
bons  sentiments,  et  la  droiture  devrait  certes  l'em- 
porter. Enfin  j'en  donne  ma  démission,  sûre  de  ne 
pas  l'emporter  et  de  déplaire  à  tous. 

La  petite  Morel  est  souvent  malade.  Elle  a  rompu 
avec  Lata  qui  dev^enait  insupportable  et  l'uineuse,  en 
prenant  une  vraie  cuisinière.  Elle  est  dans  le  rcUionnel 
et  fera  du  bien  au  sang  dont  on  lui  saura  gré.  Je  ne 
puis,  hélas!  approuver  autant  tout  le  reste.  En  vieil- 
lissant, sa  vanité  l'attache  à  faire  florès  d'être  entre- 
t(.'nue.  Elle  étale  ses  cadeaux,  en  exagère  le  prix,  et 
fait  tropiiéc  de  ce  qui  me  fait  rougir  même  par  le 
récit.  Comment  faire  comprendre  la  pudeur  morale  ! 
Souvent  elle  m'embarrasse  beaucoup.  Je  vois  (ju'elle 


2i8  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

exploite  Sarget,  tout  vieux  qu'il  est,  de  mains  de 
maître,  car  l'amour  a  des  mains  de  fer.  Silence  au 
reste,  n'ajoutons  pas  à  ses  imprudences.  J'ai  entrevu 
Cercey  l'autre  jour  venant  parler  à  la  bonne  Kissc- 
letr.  Il  est  changé.  11  dit  à  La  Kue  que  vos  aiïaires 
n'avancent  pas,  parce  qu'il  faut  passer  à  réparer  cer- 
taines choses  le  temps  qu'on  emploierait  à  pousser  la 
barque.  Je  crois  ça  juste. 

La  Vatry  ne  vend  pas  Stein  à  M""^  la  duchesse  d'Or- 
léans comme  le  disaient  les  journaux.  Elle  a  signé, 
dit-on,  un  devis  de  600  000  francs  pour  des  réparations. 
Quel  mauvais  goût!  un  lieu  plat,  malsain,  volé...  dans 
ce  cas-là  on  vend,  on  rachète  du  joli,  du  net,  et  on  y 
reçoit  bonne  compagnie,  si  faire  se  peut. 

Tony  est  toute  gentille,  bien  grandie  et  vous 
aimant  toujours  ;  elle  veut  que  je  vous  dise  que  vous 
êtes  un  petit  coquin  s  il  en  fût  ! 

Paris,  28  juin  1844. 

Ce  pauvre  petit  Tristan  *  a  mené  du  moins  une  vie 
courte  et  bonne  !  Il  avait  vingt-huit  ans  !  Sebastiani 
est  au  désespoir.  C'est  la  même  position  que  celle  de 
M.  de  La  Rochefoucauld  à  la  mort  du  jeune  Longue- 
ville.  Mais  il  n'y  a  plus  de  M"*  de  Sévigné  pour  raconter 
cette  douleur,  plus  de  duc  de  Saint-Simon  pour  l'ex- 
pliquer durement  à  la  diable  mais  pour  rimmortalité. 
On  dit  platement  «  Esther  en  sera  débarrassée,  il  l'ai- 

'  Tristan  de  Rovigo,  tué  en  Algérie.  II  avait  vingt-huit  ans.  Se 
destina  d'abord  à  la  marine.  Reru  à  l'Ecole  navale  (1831).  Lieutenant 
de  cavalerie  (183  4).  Lieutonant  au  8»  régiment  île  hussards 
(2o  février  1810).  Servit  en  .\tri'iue  où  il  obtint  les  galons  de  capitaine 
le  21  janvier  1844. 


FORTUNÉE  HAMELIN  229 

mait  toujours  !  »  Le  pauvre  Faudoas  a  manqué  mourir. 
Ce  chemin  de  la  poitrine  que  sa  goutte  a  pris  est 
menaçant,  puis  elle  redouble  de  violence.  Il  crie  après 
la  pairie  et  Paris.  Le  climat  do  Bordeaux  le  tue,  cette 
maladie  affreuse,  cette  brave  mort  de  son  neveu  doi- 
vent toucher  les  cœurs  qui  dispensent  les  grâces. 
Mais  le  pouvoir  laisse-t-il  un  cœur  ! 

Je  suis  encore  ici  à  tirailler  quelques  écus  pour  La 
3Iadelaine.  Il  en  faut  une  petite  provision  pour  toute 
la  saison.  J'espère  mardi  avoir  le  paquetetje  m'élance 
vaporeusemeni  vers  nos  bois.  Nous  leur  dirons  adieu, 
hélas  !  Ces  horribles  chemins  de  fer  auront-ils  jamais 
massacré  une  retraite  plus  ravissante  ?  Que  de  regrets  ! 
Je  dis,  hélas  !  comme  M.  de  Chateaubriand  :  «  J'ai  tant 
de  regrets  que  je  ne  sais  auquel  entendre  !  » 

Le  mari  de  la  petite  Morel  est  mourant.  Nous  par- 
lions de  son  bonheur,  il  s'apprête  en  vérité.  Très 
sérieusement  j'y  crois  et  très  sérieusement  je  pense 
que  les  clioses  resteront  telles  qu'elles  sont. 

0  Polonais  !  votre  élite  même  porte  une  tache  dans 
le  caractère  ! 

Je  suis  retournée  à  la  Sylphide  qui  m'a  fort  ennuyée. 
Cette  charlatanerie  d'annoncer  sa  retraite  pour  attirer 
est  digne  des  plus  bas  comédiens.  Puis  elle  a  de  la  rai- 
deur, une  sorte  de  pédanterie  de  décence  qui  est  exa- 
gérée ;  toute  affectation  est  insupportable.  La  salle 
iieureusement  était  plus  naturelle.  Les  femmes,  vu  la 
ciialeur,  étaient  toutes  nues.  Elles  étaient  toutes  en 
blanc,  avec  d'énormes  bouquets  de  roses  entre  les 
nainais,  de  petits  bracelets  noirs  de  velours  sur  des 
bras  découverts  jusqu'à  l'épaule.  C'était  frais  et  joli. 
M'""  Potocka  et  Lagiange,  hélas  I  bien  maigres  toutes 


230  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

deux,  étaient  avec  le  vieux  Marlinez  de  la  Hoza  qui 
dévorait  M"""  Lagrang-e.  Il  y  a  une  soubrette  qu'on 
nomme  M"'*  Martin  de  Nantes.  Elle  est  jeune  et  jolie, 
mais  si  fille,  si  nue,  de  si  mauvais  goût,  qu'elle  atteste 
l'impossibilité  de  toute  parvenue  d'être  autre  chose 
qu'une  parvenue. 

Nous  avons  ici  une  faillite  femelle  très  amusante. 
On  avait  trouvé  honorable  de  donner  un  excellent 
bureau  de  tabac  à  iVP*  Brunetière  pour  l'honneur 
qu'elle  a  d'être  la  maîtresse  d'Emile  de  Girardin.  qui 
lui  faisait  faire  aussi  un  journal  gouvernemental.  Par 
malheur  elle  jouait  à  la  hausse  et  le  5  p.  lOU  a  voulu 
Ijaisser.  La  Brunetière  à  donc  levé  son  gros  pied, 
abandonné  son  labac,  son  timbre,  sa  subvention  et 
son  loyal  amant.  Tout  s'est  sauvé.  Mais  quel  beau 
choix  on  avait  fait  là  ! 

Je  vous  écrirai  de  là-bas  et  vous  viendrez,  n'est-ce 
pas  ?  Je  ne  vous  enverrai  pas  chez  M"'^  Simon  qui  est 
trop  friponne;  j'ai  acquis  un  superbe  lit  de  sangle  qui 
vaudra  mieux  que  ses  Mémoires. 

Tony  vous  embrasse  et  moi  aussi  tout  bonnement. 

C'est  pour  le  duc  d'Angoulême  '  que  j'ai  un  cachet 
noir.  Je  n'ai  perdu  personne  que  lui,  mais  le  bon  goût 
exige  ce  deuil.  Dites  à  votre  frère  d'être  plus  heureux 
que  Rovigo,  car  il  est  aussi  brave.  Quelle  vilaine 
guerre  !  Où  est  la  gloire?  Même  le  profit  ? 


*  Le  duc  d'Angoulême.  fils  de  Charles  X,  mourut  à  Gorilz  le 
3  juin  1844.  Chateaubriand  écrivait  à  ce  sujet  :  «  Dans  les  déserts  de 
lu  Boh('me,  je  voyais  à  la  fenêtre  dune  tour  une  lumière  isolée  qui 
annonçait  le  nouvel  exil  de  M.  le  due  d'Angoulême.  Hélas  !  Cette 
lumière  vient  de  disparaître  !  Le  vertueux  prince  est  allé  chercher 
dans  le  ciel  sa  vraie  patrie.  Là.  les  révolutions  ne  l'atteindront  plus.  » 
(De  Guichen.  Le  duc  d'Angoulêine.  Eraile-I'auh. 


i 


FORTUNÉE  HAMELIN  231 

S.  d.  La  Madelaine,  1844. 

Glier  petit,  vous  devez  chanter  avec  Joconde.  Quand 
on  attend  sa  place,  que  l'attente  est  cruelle  !  Moi  je  la 
trouve  aussi  crufdle,  et  je  vous  trouve  insensé  d'ima- 
giner qu'une  course  ici  lui  serait  nuisible.  Elle  vous 
calmerait  de  toute  manière  et  vous  verriez  toute  celte 
leerie  dans  son  plus  grand  éclat.  Le  petit  Bijon  vous 
aura  dit  que  nous  avons  un  nouveau  bateau  les  jours 
pairs.  Ce  bateau  attend  à  Corbeil  le  voyageur  arrivé 
par  le  chemin  de  fer,  et  au  lieu  de  le  transvaser  dans 
une  horrible  et  brûlante  guimbarde,  il  le  prend  molle- 
ment et  vogue  rapidement  jusqu'à  Valvin  oii  il  arrive 
à  deux  heures  et  demie.  Le  voyageur  donc  n'est  plus 
obligé  de  se  lever  à  six  heures  du  matin  pour  être  à  la 
Grève  à  sept.  Il  part  de  l'embarcadère  à  neuf  heures. 
C'est  assez  doux,  puis  le  bateau  est  doux  et  tout  pein- 
turluré à  la  Pompadour,  ce  qui  fait  que  les  déjeuners 
y  sont  très  bons. 

Nous  n'avons  plus  de  M"'''  Simon  à  redouter.  Sa 
juiverie  l'a  fait  maudire  de  La  Madelaine.  Nous  pos- 
sédons deux  lits  de  camp  avec  lesquels  nous  sonnnes 
très  hères.  J'écris  qu'on  vous  apporte  des  petites  choses 
h   m'apporter,    entr'autres  Bancr  ^  que  j'ai    prêté    à 

1  La  Vie  de  Rancé  de  Chateaubriand  parut  en  mai  1844.  Le  o  sep- 
tembre 1848,  llortense  AUart  écrivait  à  Sainte-Beuve  (cf.  Séché,  op. 
cil.)  :  (<■  J'allais  vous  dire  encore  d'autres  choses  sur  Port-Royal,  et, 
entre  autres,  que  demander  de  la  gravité  à  Chateaubriand  en  par- 
lant de  Hancé,  c'était  bien  oublier  que  ce  qui  lui  a  fait  pardonner 
son  catholicisme,  c'est  le  peu  de  sérieux  qu'il  y  a  mis  ;  c'est  ce  qui 
peut  seul  faire  pardonner  un  voile  volontaire,  une  chimère  poétique, 
une  sorte  d'insultn  aux  j^rands  honmics  d'hier.))  llortense  nous  paraît 
ici  bien  austère.  Elle  était  de  l'avis  de  Vinet  (UUéraluve  Française 
au  XIX'  siècle,  l,  409)  :  «  Il  y  a  des  paroles  sérieuses  dans  ce  livre, 


232  UNE  ANCIENNE  xMUSCADINE 

M"'*  de  Sailly,  trop  pauvre  pour  l'acheter  ou  le  louer 
douze  sous.  A  propos  de  Rancé  je  vous  dirai  d'un  ton 
d'impératrice  qu'ayant  écrit  à  Hortense  (qui  me  le 
demandait)  tout  mon  sentiment  sur  les  corrections  à 
faire,  M.  de  Cliateaubriand  m'a  répondu  directement  : 
«  C'est  fait  el  vous  êtes  un  grand  littérateur,  etc.,  etc.  » 
Je  n'ose  plus  vous  conter  ses  flatteries.  Vous  savez 
i\uAfa/a^  rt'çut  des  corrections  durant  les  cinq  pre- 
mières éditions.  Quelle  charmante  obéissance  à  des 
goûts  inférieurs  au  sien.  Les  petites  taclies^  dont  il 
vient  de  nettoyer  Rancé  sont  des  recherches  trop 
recherchées,  le  reste  est  charmant  et  noble,  surtout 
par  une  virilité  de  gaieté  %  de  grâce  qui  certes  ne  sen- 
tent pas  le  vieillard.  On  voit  malgré  lui  qu'il  n'aime 
pas  son  héros,  que  sa  dureté  le  révolte,  que  c'est  une 
parole  qu'il  tient,  et  sur  cette  rude  figure  de  Rancé  il 
jette  toutes  les  grâces  du  beau  siècle  sans  en  e.xcepter 
Ninon  et  Taglioni. 

0  poète  !  Que  ne  pouvez-vous  faire? 

A  propos  de  poètes,  Belmontet  m'a  envoyé  des  vers 

mais  ce  livre  n'est  pas  sérieux,  et  ce  n'est  pas  pour  les  lecteurs  seu- 
iLMiient  que  nous  en  avons  du  regret.  » 

*  Balzac  écrivait  dans  La  Revue  Paris'ientie  (1840)  :  «  M.  de  Cliateau- 
hriand  disait  en  tôte  de  la  11«  édition  à'Atala  que  son  livre  ne  res- 
semblait en  rien  au.K  éditions  précédentes,  tant  il  l'avait  corrigé.  » 

*  Chateaubriand,  en  elïet,  tint  compte  des  vœux  de  la  ciiliquo. 
Après  avoir  dit  que  le  respect  du  sujet  aurait  dû  faire  écarter  cer- 
tains passages  et  que  ce  qui  endommageait  l'u^uvrc  c'était  non  cer- 
tains mots,  mais  certaines  choses,  Vinct  [op.  cil.)  ajoute  cette  obser- 
vation :  «  Déférence  respectable  et  touchante  !  Il  est  peut-être  encore 
plus  beau  de  se  réformer  ainsi  que  de  n'avoir  pas  eu  à  se  léformer. 
Des  pages  entières  de  la  1"^'  édition  ont  disparu  dans  la  seconde  ; 
mais  de  plus  belles,  de  meilleures  en  ont  pris  la  place  :  feliciores 
inaerit...  »  (Note  de  Vinet  dans  le  Semeur,  XIII,  276.) 

^  Le  froid  bons  sens  de  M.  de  Chateaubriand  se  «  mêlait  à  l'éclat 
d'une  fantaisie  éternellement  jeune  ».  (Vinci). 


i 


FORTUNEE  HAMELIN  233 

qui  sont  vraiment  charmants.  Ceci  est  trop  fort,  car  vous 
ne  l'ignorez  pas,  Belmontet  est  bête  comme  un  âne. 

Donc,  très  cher,  si  vous  êtes  en  humeur  et  en 
jambes,  vous  irez  place  du  Carroussel  comme  pour 
arriver  au  Louvre  et  tout  de  suite  à  main  gauche  vous 
trouverez  un  bric  à  brac  des  plus  ignobles  et,  pêle- 
mele  avec  des  pincettes,  pioches,  vous  trouverez 
beaucoup  de  vieilles  longues- vues  de  main  ou  d'armée. 
Ça  va  de  trois  à  huit  francs.  Vous  essaierez  sur  l'hor- 
loge, surtout  pour  la  clarté.  Quand  nous  aurons  ça, 
nous  verrons  manoeuvrer  les  hussards  noirs  de  l'autre 
côté  du  fleuve,  puis  les  cabriolets  des  médecins,  le 
fiacre  de  Durosnel  '  qui  a  80  000  francs  de  rente  elles 
Polonais  Ludouwoski.  Nous  verrons  aussi  les  jolis 
clochers,  les  barques  légères... 

Hélas  !  nous  n'irons  plus  à  Saint-Aubin...  11  doit  être 
à  celte  heure  la  proie  de  ces  avares  Ségur,  et 
M'"^  Lamorlière  comme  les  oiseaux  se  débat  depuis 
trois  ans  pour  tomber  dans  la  gueule  de  ce  serpent 
de  voisin;  mais,  comme  dit  M"""  Biard,  cette  femme  a 
la  fièvre  du  mensonge. 

Vous  ayant  dit  toutes  ces  niaiseries  et  aussi  que 
nous  aurons  énormément  de  prunes,  que  Tony  est 
noire  comme  moi  et  beaucoup  plus  méchante,  que  je 
me  porte  très  bien  et  vous  aime  beaucoup,  vous  saurez 
toute  la  Madelaine. 

La  Madelaine,  1844. 

Le  Dieu  d'hymen  vous  proti'ge,  cher  ami,  et  vous 

'  Durosnel  (comte)  (1771-174'J)  fut  en  1809  aide  de  camp  de  Napo- 
léon (cf.  Bausset,  Mémoires).  Pair  des  Cent-Jours.  Député  de  1830  à 
18:n  (Seine-et-Marne).  Avait,  été  mis  en  non-activité  lors  du  deuxième 
retour  des  lîourljons.  Sa  carrière  militaire  avait  été  rapide. 


234  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

garde  aussi  une  femme  Loiiiie  el  riche,  puisque  vous 
en  donnez  à  tous  vos  amis.  J'espère  que  M.  Miciiel 
Clievalier  sera  plus  touché,  plus  reconnaissant  que  de 
Nyon  qui  parfile  assez  hien  l'égoïsme.  Le  voilà  dans 
les  grandeurs,  c'est  là  où  les  cœurs  généreux  se 
déploient. 

Les  génies  sont  imprévus,  Tony  nous  confond  par 
sa  douceur,  sa  convenance,  sa  gentillesse  sans  effer- 
vescence. Vrai,  c'est  à  n'y  pas  croire.  Il  est  vrai  que 
la  jeune  Cœline  la  tient,  car  elles  s'adorent  et  les 
enfants  n'ont  de  vrais  attraits  que  pour  l'enfance.  — 
M"""  Regnault  est  arrivée  samedi  10,  embarquée  à 
7  heures^du  matin  et  débarquée  à  10  heures  du  soir; 
il  est  vi'ai  que  durant  ces  quinze  heures  de  navigation 
la  pluie  n"a  pas  cessé  d'être  battante.  Arrivée  à 
Valvin,  une  charrette  l'attendait.  Jugez  les  difficultés, 
les  cris,  le  désespoir!  Enhn  la  voilà  chez  nous!  Elle 
a  été  chauffée,  séchée,  consolée,  réparée.  Le  lende- 
main on  n'v  pensait  plus,  et  le  ravissement  a  succédé 
au  découragement  d'une  journée  sans  égale  dans  les 
fastes  de  la  Madelaine,  puis  les  raouls  de  Fontainebleau 
ont  sonné  leurs  fanfares.  Ce  qui  veut  dire  que  la 
musi(jue  des  régiments  a  fait  danser  les  belles  dames 
devant  l'une  des  plus  belles  de  l'Empire.  J'ai  décliné 
ce  triomplie,  bien  entendu,  mais  les  récits  m'ont  fort 
amusée.  Il  se  passe  des  choses  au  sujet  de  la 
belle  Chai.  On  a  fait  arriver  une  Validé  pour  la 
lui  opposer.  Elle  est  fière  et  n'a  pas  voulu  se  montrer. 
J'adore  les  femmes  qui  dédaignent  les  bals  '.  Puis  j'ai 

'  Aveu  assez  bizarre  sous  la  plume  d'une  femme  qui  avait  été  sous 
le  Diioctoire  la  reine  de  la  danse.  Ue  plus,  dans  plusieurs  loUrcs  où 
•  ■lie  rappelle  ses  souvenirs,  M°"  llamelin  ne  caclie  pas  sa  joie  (Vei\- 


FORTUNEE  HAMCLIN  233 

découvert  qu'à  travers  celle  difficullé  de  prononcer, 
M™^  Clial  est  instruite,  spirituelle,  point  commère, 
au  contraire,  très  nol)Ie  femme;  enfin  je  l'aime  assez. 
Le  temps  qui  reste  aiïroux  détruit  tous  nos  projets, 
car  il  y  avait  des  parties  arrangées.  Ce  beau  point  de 
vue  s'appelle  bien  la  route  d'Amélie.  On  projette  de 
l'augmenter  d'étendue.  Ce  qui  veut  dire  que  le  cliemin 
de  fer  passera  sur  mon  corps. 

J'attends  les  Nicolle  qui  m'en  diront  aussi  de  Flo- 
rence. —  Il  est  vrai  que  les  Italiens  ont  une  douce 
avarice  qui  vaut  celle  même  de  la  Sailly.  Mais  tout  se 
fait  si  gracieusement,  si  gaiement  cliez  eux  qu'on  ne 
s'en  peut  trop  révolter. 

Par  exemple,  ils  se  laissent  voler  très  silencieuse- 
ment, témoin  leur  patience  avec  votre  aimable  ami. 
Je  savais  l'arrangement  d'Edmond,  il  est  très  bon, 
très  sage  et  M'"^  Macdonald  est  une  habile  femme  qui 
en  définitive  profite  de  tout  et  ne  laisse  pas  perdre 
une  occasion    de  faire  arriver  le  grain  au  moulin. 

La  petite  .Alorel  se  plaint  amèrement  de  vous.  Ça 
devient  plaisant.  Arrangez-vous  donc  pour  la  ren- 
contrer; elle  est  excellente  et  gentille,  elle  vous  aime 
beaucoup.  Ça  ne  doit  pas  se  négliger  ces  bonnes 
petites  amitiés-là. 

Nous  revoilà  donc  à  la  paix!  Allons!  patience! 
Vous  devriez  venir  faire  une  pointe  ici  après  votre 
Ponthierry.  Car  c'est  là  où  vous  allez,  je  pense?  Si 
vous  êtes  encore  à  Paris,  allez  voir  les  Clial  (aînésj 
de  la  rue  Blanche,  i.  Dites-leur  que  je  demande  des 

tendre  quelquolois  les  airs  saulillaiils.  Ii'gcis  (raulrolois.  Il  est  vrai 
quo.  comme  elle  le  dit  dan.s  une  lettre  préei'ijcnli'.  «  quand  le  diable^ 
devient  vieux  il  se  l'ail  erinile.  » 


236  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

nouvelles  de   la  pelile  Caroline  qui  était  bien  souf- 
frante à  mon  départ.  En  battant  la  ville,  trouvez-moi 
donc  un  logement  pour  octobre. 
Courage,  vous  approcbez. 

Sans  date.  1844. 

Cette  lettre  vous  sera  portée  par  Ilippolyte  ^  Mon- 
trond,  ce  qui  veut  dire  (|ue  parce  temps  radieux  il 
y  a  un  lit  vide  à  la  Madelaine.  Ce  lit  tend  ses  bras  et 
ses  draps  au  sous-préfet  ou  au  simple  particulier.  La 
Madelaine  serait  parfaite  si  j'y  pouvais  composer  trois 
ciiambrettes  :  la  liste  civile  a  pris  possession  très 
civilement.  M.  de  Montalivet  étant  venu  au  cbâ- 
teau  au  même  moment  leur  a  dit  :  «  Nous  gardons 
M"""  Hamelin.  »  Ça  m'a  rendue  reine  de  ce  coin  de 
foret.  Ils  vont  en  attendant  le  tracé  définitif  me  mettre 
du  moins  à  couvert.  Les  ouvriers  vont  donc  arriver 
du  15  au  IG,  voilà  pourquoi  je  presse  mes  cliers  amis 
de  faire  une  pointe  pour  y  voir  encore  le  soleil  et  le 
raisin  aux  murs  deThomery.  La  maladie  de  M.  Sarget 
père  a  bouleversé  le  séjour  de  la  petite  chère,  puis 
celui  du  pauvre  Hippolytequi  reprenait  si  visiblement 
force  et  consolation  ne  pouvait  être  retranché  et  il 
demandait  des  vacances  d'écolier  qui  sont  d'un  mois, 
d'un  mois  il  a  fait  six  semaines  et  j'ai  eu  plaisir  à 
lui  faire  plaisir.  11  a  vraiment  de  cet  esprit  original 
de  son  frère,  moins  gai,  moins  brillant,  moins  tout, 
mais  cette  pâle  contre-épreuve  serait  encore  char- 
mante si  son  caractère  était  plus  sociable  et  moins 
brusque.    Nous   avons  passé  une  vie  fraternelle  fort 

'  Claude-l'hilibert-Ilippolyto  Moulrond  (1 770-1855)  frère  cadet  du 
comte  de  Monlrond. 


FORTUNEE  IIAMELIN  237 

douce  et  il  a  fait  eiïort  pour  être  très  doux  et  paraître 
coulent  de  tout,  môme  de  Tony  qui  l'a  horriblement 
tourmenté  et  qu'il  gâtait  presque  aulant  que  M""''  de 
Morel. 

J'ai  de  très  bormes  nouvelles  de  Treclii  ;  après  une 
attaque  des  plus  vives  il  a  repris  santé.  N'est-ce  pas 
exactement  la  fable  du  roseau? 

Hélas  !  P'audoas  était  le  cliône  !  Il  faut  que  la  chère 
petite  écrive  à  M.  Sarget  qu'on  attend  les  3o  bouteilles 
au  plus  tôt.  Qu'elle  lui  écrive  aussi  que  ma  pauvj'cté 
est  bien  tentée  de  ce  vin  à  50  ou  00  francs  la  pièce 
pris  à  Bordeaux,  dont  il  a  parlé  comme  bon  pour 
l'ordinaire.  Il  serait  cent  fois  bon  de  se  charger  de 
me  l'expédier  rue  Blanche,  43,  avec  facture  ou  reçu. 
On  dit  que  les  vendanges  seront  bonnes  partout,  ici 
la  grêle  a  tout  perdu.  Je  n'ai  pas  une  grappe  de 
raisin,  les  guêpes  et  Tony  ont  dévoré  ce  qui  restait. 

A  peine  relevée  de  sa  chute  de  voiture,  M™^  Regnault 
a  fait  un  très  joli  héritage.  M.  Buffault,  receveur 
général  de  Bar  lui  a  légué  4  000  francs  de  rente,  ses 
dettes  payées.  On  crie  à  l'ingratitude,  elle  en  attendait 
15  ou  20.  Moi,  accoutumée  à  l'oubli  des  amis  morts 
ou  à  payer  pour  eux,  je  trouve  l'aventure  encore  fort 
jolie,  mais  le  choquant  c'est  que  M"""^  de  Gubières  et 
Sampayo  ont  de  ce  coup  15  à  18  000  francs  chacune. 
D'Astorgà  ce  sujet  me  contait  qu'on  l'avait  déshérité 
le  plus  amicalement  du  monde  de  250000  francs  de 
rente.  Il  était  seul  héritier  de  la  princesse  de  Talmont  ', 
sa  tante.  Elle  laisse  tout  à  une  belle-fille  sans  enfants, 
parce  qu'elle  s'est  remariée  à  M.  de  la  Ilochejacquelein. 

'  La  piincossc  de  Talmont  avait  épousé  La  RocIicjaciiui.'lcin,  le 
frèro  du  héros  de  la  Vendée. 


238  UNK  ANCIENNE  MUSGADINE 

Un  frcrc  de  son  père  en  fait  autant  pour  sa  servante. 
Lui,  d'Astorg,  a  eu  un  héritage  de  loOOO  francs  de 
rente  de  M""'  Lainzai  qui  était  sa  maîtresse.  Il  l'a 
rendu  en  totalité  à  un  fils  naturel  de  cette  dame,  et 
n'a  gardé  que  sa  bibliothèque  et  son  lit.  —  Enfin  la 
recette  générale  de  Bar  est  à  donner,  elle  serait 
encore  préférable  à  une  sous-préfecture  —  elle  vaut, 
bien  conduite,  90  000  francs. 

Je  prie  bien  que  les  voyageurs  envoient  prévenir 
chez  moi  et  M""  Regnault.  J'attendais  Rovigo.  L'exac- 
titude n'est  pas  sa  qualité  brillante,  mais  il  a  bien 
du  cœur  et  de  la  drôlerie,  puis  il  est  très  beau  et  a 
grand  air.  —  Hippolyte  veut  vous  aller  voir.  Vous 
me  ferez  plaisir  d'aller  le  voir  rue  de  Chaillot,  90;  il 
dit  être  passablement,  agréablement  même.  Enfin 
c'est  la  magnificence  royale  qui  a  accordé  cet  asile  au 
seul  frère  d'un  ami,  d'un  dévoué,  d'un  utile,  d'un  com- 
pagnon d'exil,  d'ambition,  de  gaieté. 

Mon  dieu,  quel  temps  ! 

Les  aimables  Besplas  nous  quittent.  Je  prétends 
que  ce  départ  fait  baisser  les  immeubles  de  Fontai- 
nebleau. Ils  en  étaient  la  vie,  la  gaieté,  l'hospitalité, 
M""^  de  Child  part  aussi  lundi.  Elle  est  extrêmement 
gentille  et  distinguée  d'esprit,  elle  me  témoigne  des 
tendresses  infinies,  et  ne  quitte  pas  la  Madelaine. 

Mais  bon  Dieu!  Qu'a  de  commun  tant  de  jeunesse, 
d'agréments,  de  fortune  avec  ma  vieillesse  et  ma  pau- 
vreté ! 

Notre  supérieure  du  couvent  de  Samois  se  meurt... 
C'était  une  vraie  sainte,  même  une  sainte  fort  habile, 
cultivant  les  legs  et  les  gens  charitables.  Elle  n'avait 
pas  manqué  Leduvoski  son  voisin,  il  était  parrain  de 


FORTUNÉE  HAMELIN  2^9 

sa  cloche.  En  tout  elle  avait  de  la  tante  de  M""^  de 
Sévignô  et  devait  être  dame  de  Sainl-Cv  r.  Un  joue 
je  la  priais  de  recommander  Hippolyte  dans  ses 
prières  pour  les  vieillards  (son  hospice  leur  est  con- 
sacré), elle  me  dit  :  «  Celui-là  aune  supérieure  aussi.  » 
Convenez  que  c'est  spirituel. 

Je  vous  quitte  pour  assister  à  la  cueillette  des 
pommes  et  poires.  Tout  cela  est  abondant,  mais 
véreux.  Vous  savez  que  les  campag-nards  ne  sont 
jamais  contents.  11  me  semble  que  la  Sainte-Alliance 
aurait  bien  dû  ressembler  à  M.  Guizot.  Nous  avons 
payé  nos  vainqueurs  assez  cher  pour  exiger  quehjues 
petites  choses  de  nos  vaincus.  Je  soumets  humble- 
ment cette  observation  champêtre  à  votre  ministé- 
rialisme. 

La  iMadelaiue,  7  octobre  1814. 

Ne  ine  faites  pas  un  cancan  sur  la  Madelaine.  Elle 
est  pauvre  et  restera  pauvre.  xM.  de  M...  a  été  fort 
courtois  et  le  souvenir  de  Montrond  planait  sur  sa 
politesse,  il  n'a  rien  offert  de  plus  que  ce  que  je 
demandais  ;  j'espère  seulement  qu'en  fait  de  magniti- 
cence  il  ne  pleuvra  plus  dans  nos  lits.  —  Votre 
nouvelle  du  chemin  de  fer  rive  gauche  est  une  bille- 
vesée qu'on  a  débitée  ici.  Les  ingénieurs  campent  ici 
et  rient  de  ce  bruit.  Cela  m'aurait  bien  été.  Mais  à 
cause  de  cela  il  n'aurait  pas  lieu. 

Vous  n'êtes  pas  prudent,  cher  ami  !  Je  ne  dis  pas 
cela  pour  la  iillc  entretenue...  mais  pour  vos  inlércts. 
Vos  réllexions  ^nv  moi  ne  sont  ni  agréables,  ni  flat- 
teuses, ni  même  honorables.  — Je  vaux  plus  que  vous 
ne  pensez  apparemment  et  puis  bien  vous  jurer  (jue 


2i0  UiNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

si  j'eusse  seulement  écouté,  ce  que  vous  supposez 
serait  fait  depuis  longtemps. 

Le  cancer  de  Faudoas  n'est  pas  vrai,  il  a  eu  un 
àne  de  médecin  qui  a  pris  une  inflammation  d'intes- 
tins pour  la  goutte  remontée.  Cette  inflammation 
venait  de  pilules  qui  le  soulageaient  et  lui  permet- 
taient de  suivre  sa  femme  au  bal.  La  consultation  a 
été  faite  trop  tard,  tout  était  perdu.  C'est  le  récit  de 
Rovigo  présent  à  ces  aiïreux  moments.  Le  pauvre 
créole  est  mort  depuis  six  mois.  Ce  printemps  j'es- 
suyais les  larmes  de  M.  Gamaux  qui  l'a  soigné,  assisté, 
et  enseveli.  Jamais  poitrinaire  n'est  mort  avec  de  telles 
illusions,  ce  qui  fait  qu'il  n'a  pas  laissé  une  bague 
à  son  bien  pauvre  ami  et  que  M'"^  sa  veuve  si  riche  ne 
lui  a  pas  ofl"ertun  bijou  ni  remboursé  même  des  quan- 
tités de  petites  avances  faites  pour  toutes  les  fantaisies 
et  besoins  du  malade.  Ces  protecteurs  des  arts  étaient 
deux  avares,  mais  il  était  fort  joli. 

Hippolyte  a  des  re/Iets  qui  me  touchent  beaucoup. 
Ça  lui  nuit.  Il  est  un  enfant  de  soixante-quinze  ans, 
il  n'y  voit  pas,  il  n'entend  guère,  il  faudrait  le  con- 
duire, et  alors  l'enfant  devient  le  mulet  le  plus  opi- 
niâtre et  rétif.  Je  l'aime  plus  qu'il  ne  mérite  peut-être, 
mais  c'est  mon  sort  avec  son  sang...  On  dit  M.  Daure 
bien  mal  ?  Ce  serait  un  bien  petit  malheur,  si  sa  mort 
ne  devait  causer  grand  dommage  à  deux  personnes 
qui  m'intéressent. 

M'"^Regnault  est  furieuse  de  son  legs  de  4  000  francs 
(le  rente.  Elle  dit  que  lorsqu'on  laisse  quatre  millions 
dont  la  cause  vient  de  son  mari,  cette  rente  est  ce 
(ju'on  laisse  à  une  brave  concierge.  Elle  a  raison. 
Mais  elle  ne   sait  pas  le  monde    financier.  J'ai  valu 


FORTUNEE  HAMELIN  241 

plus  de  4  millions  à  Dupont  et  Nicolle,  et  au  diable 
s'ils  m'enverraient  10  000  francs  pour  me  tirer  des 
galères. 

Sully  Brunet  garde  un  silence  éminemment  diplo- 
matique sur  son  illustre  gendre.  Le  duc  de  Joinville' 
a  une  mauvaise  tête  (|ui  plaît  beaucoup,  parce  qu'il  y 
a  dessous  un  fier  cœur.  Sa  rentrée  est  superbe.  La 
colère  d'Achille  n'était  pas  si  belle  ;  je  vois  du  noir 
à  l'horizon. 

Si  vous  venez  (venez  donc  ?)  n'oubliez  pas  d'envoyer 
rue  Blanche  et  chez  M"'°  Regnault.  Le  temps  est 
adorable.  La  supérieure  est  sauvée.  Tony  est  odieuse 
lorsqu'elle  se  sent  gâtée  et  rien  ne  peut  vous  donner 
l'idée  des  impatiences  que  me  donnait  Hippolyte  avec 
elle.  Ils  ne  pouvaient  pas  se  quitter  et  Tony  le  trai- 
tait plus  mal  qu'une  vieille  poupée.  Au  bal  (de  Samois) 
elle  lui  venait  dire  :  «  Prête-moi  dix  sous.  »  Il  prêtait 
en  se  cachant.  A  l'autre  contre-danse  :  «  Prête-moi 
dix  sous.  »  Bref,  elle  payait  ses  danseuses  et  danseurs. 
Vous  conviendrez  que  c'est  un  peu  trop  tôt. 

Cher  ami,  venez,  venez,  ne  serait-ce  que  pour 
fouetter  Tony. 

P.  S.  —  Le  18  je  fais  faire  un  pauvre  service  anni- 
versaire pour  Montrond.  Déjà  un  an,  et  mon  cœur 
saigne  toujours.  0  premiers   liens,  longue  habitude, 

'  Le  prince  de  Joinville,  troisième  fils  du  roi  Louis-Philippe,  né  à 
Paris  (14  août  1818).  Il  avait  assisté  à  la  bataille  de  Saint-Jean  d'Ulolia 
au  Mexique  (27  novembre  1838)  ;  commanda  la  Belle-Poule  et  se 
rendit  à  Sainte-Hélène  d'où  il  ramena  en  France  (décembre  1840)  les 
restes  de  Napoléon.  En  1843,  le  prince  de  Joinville  épousa  la  sœur  de 
Tempereur  Uon  Pedro,  participa  en  1844  à  l'cipédition  contre  le 
Maroc.  Pair  de  France,  il  lut  en  1871  représentant  à  l'Assemblée 
Nationale. 

16 


242  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

vie  commune,  coUtos,  rires,  vives  réparties,  misères, 
élégance,  plaisirs,  et  pleurs  !  En  vous  perdant  le 
cœur  se  gonfle  et  se  brise  :  Pensez  à  nous,  entrez  à 
la  Madelaine  et  priez  entre  10  et  11  heures.  Dites-le 
à  la  petite  M...  aussi,  si  elle  n'a  pas  le  cœur,  la  vilaine 
de  faire  une  pointe  ici. 

11  novembre  1844,  de  la  Madelaine. 

Cher  ami,  il  faut  se  résigner.  Venez  ici  pour  voir 
comme  on  souffre  avec  courage  (pas  toujours  pour- 
tant). Acceptez  avec  la  résolution  d'être  encore  plus 
sage  qu'à  Arras  et  fuyez  ce  sexe  détestable  qui  partout 
vous  fait  faire  des  sottises  et  surtout  vous  donne  des 
ennemis  dont  l'acharnement  m'étonne  et  m'indigne, 
car,  n'en  doutez  pas,  tous  vos  chagrins,  les  mauvais 
vouloirs  viennent  de  ces  haines-là.  Vous  redevien- 
drez Lauzuti  lorsque  vous  serez  préfet  vers  quarante- 
cinq  ans.  D'ici  là,  laissez  les  belles  aux  puissants. 

Oui,  il  faut  se  calmer  avec  l'eau  de  la  Madelaine, 
elle  n'est  pas  Jouvence,  mais  elle  est  éthérée.  La  tem- 
pête des  nuits  fait  dormir  agréablement,  excepté  les 
moments  où  l'on  croirait  que  la  maison  va  glisser 
dans  la  rivière.  Quel  autonme  !  Mais  que  dis-je  !  le 
soleil  éclate  devant  nos  fenêtres  et  la  rivière  étincelle  ! 
C'est  une  résurrection,  une  descente  de  l'arche  ! 
Serait-ce  tout  simplement  cet  été  de  vieille  femme 
qu'on  appelle  la  Saint-Martin  ?  Je  le  croirais. 

Faites-moi  le  plaisir  que  voici.  Sachez-moi  l'adresse 
de  M"""  Bayle,  sœur  de  M'"^  Faudoas.  Je  ne  veux  pas 
que  vous  envoyiez  chez  les  Rovigo.  Il  y  a  du  fort 
temps.    Moi   je    ne   boude  pas   contre  des  pauvres 


FORTUNÉE  HAMELIN  243 

enfants,  des  orphelins  d'un  si  clier,  si  inforluné  ami. 
J'attendais  la  marquise.  Jo  erains  qu'elle  n'aura  pas 
eu  ma  lettre  à  temps.  Je  voutlrais  vite  lui  écrire  chez 
cette  sœur  où  elle  va  descendre.  M.  Adam,  quoique 
brouillé,  donnera  ça  et  vous  me  l'enverrez  vite  si  vous 
ne  venez  tout  de  suite. 

Vers  le  23  on  parle  de  fêtes,  de  chasses.  La  chasse 
amuse  tout  le  monde,  c'est  de  la  vraie  royauté.  Notre 
rivage  est  sauvé  et  je  trouve  aussi  qu'il  est  hien  royal 
de  proléger  de  si  beaux  paysages.  J'espère  donc  et 
vais  me  mieux  établir  pour  l'été  prochain. 

Faites  demander  mes  lettres.  Le  mieux  est  de  venir 
par  le  bateau  neuf  les  jours  impairs,  ainsi  vendredi, 
dimanche.  Si  vous  ne  voulez  pas  vous  lever  avec  le 
jour,  allez  par  le  chemin  de  fer  jusqu'à  Gorbeil,  Là  on 
prend  le  bateau  qui  attend  à  dix  heures  et  il  amène  à 
deux  heures.  Il  est  propre  et  rapide.  Je  suis  venue 
ainsi. 

Il  faut  entrer  dans  une  réforme  pour  Tony.  Elle 
préfère  mille  fois  aux  beaux  et  chers  bonbons  du 
boulevard  le  simple  pain  d'épice  aux  amandes.  Elle  en 
radote  et  c'est  très  bon  pour  ses  petites  entrailles. 
Son  instruction  va  doucement.  Elle  avait  ici  un 
excellent  maître  et  ce  brave  homme  est  très  malade. 


J 


ANNÉE   1845 


Victor  Hugo  reçoit  Saintc-B<*uvc  à  lAcadômie.  —  M™»  Hamelin  con- 
teste une  assertion  de  Victor  Hu^iO-  —  M-"  Ancelot.  —  Rœderer. 
—  Edouard  llameiin.  —  M.  Biard.  —  Un  regret  sur  le  passé. 


(Février  1845),  s.  d. 

Clier  ami.  vous  me  Iraitez  trop  «n  iriutilit*!-  t.t  1  dmilic 
sincère  est  justement  applic^ljlv  aux  monit.'nt-;  il"aii- 
goisse  où  \'0u>  ^."ou-  frou\'t'Z.  h:  pt,Ti-(j  à  \"0u-;  lii*;u 
souvent  en  déplorant  mes  misères.  Hélas  '. 

Hier  j'étais  donc  à  l'Académie'.  Victor  Hugo  a  été 
adorable  d--  langag-e  tant  qu'il  n'a  pas  touch'  aux 
meuhlpi-.  niais  il  a  étrangement  abusé  d»^  ma  passion 
lorsqu'il  a  dit  en  parlant  de  Port-Royal  :  «  ces  soli- 


'  La  réception  de  Sainte-Beuve  à  l'Académie  française  où  il  lut 
élu  en  1814  au  fauteuil  de  Camisir  Delavigne  eut  lieu  le  17  février  1845. 
Victor  Hugo  re':ut  le  critique  de  l'ort-Royal.  Voici  les  divers  passages 
auxquels  M<**  Hamelin  fait  allusion  :  «  Un  Jour  arriva  où  une  injuste 
et  politique  défaveur  vint  frapper  ce  poète  (Casimir  Delavigne)  dont 
le  nom  européen  faisait  tant  d'honneur  à  la  France  ;  il  fut  alors 
noblement  recueilli  et  soutenu  par  le  prince  dont  Napoléon  a  dit  : 
le  duc  d'Orléans  est  toujours  resté  national  ;  grand  et  juste  esprit  qui 
comprenait  dès  Ior  comme  prince  et  qui  depuis  a  reconnu  comme 
roi  que  la  pensée  est  une  puissance  et  <jue  le  (aient  est  une  liberté.  » 
Victor  Hugo  ajoutait  plus  loin  :  n  Le  véritable  but  de  ces  penseurs 
attristés  et  rigides  (MM.  de  Porl-Royal)  était  purement  religieux. 
Resserrer  le  lien  de  l'Kglise  au  dedans  et  à  l'extérieur  par  plus  de 
discipline  chez  le  prêtre  et  de  croyance  chez  le  fidèle  :  réformer  Rome 
en  lui  obéissant  ;  faire  â  l'intérieur  et  avec  amour  ce  que  Luther  avait 
tenté  an  dehors  et  avec  colère...  )> 


246  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

taires,  ces  sages  voulaient  faire  avec  la  douceur  ce  que 
Lullier  faisait  avec  colère.  » 

Ah  !  vous  le  dites  enfin  !  Ils  voulaient  réformer  la 
F'rance,  vous  le  voulez  encore  de  plus  belle,  cliers  doc- 
trinaires, vous  le  voulez^  Hugo  aussi  avec  la  ferveur 
du  novice.  Ceci  est  clair  du  moins,  Port-Royal  voulait 
ce  que  faisait  Calvin  et  Louis  XIV  a  eu  cent  mille  et 
mille  fois  raison.  Mais  ce  n'était  pas  tout;  il  nous  a 
assuré  avec  un  aplomb  inouï  que  Napoléon  avait  dit 
(jue  «  le  duc  d'Orléans  était  un  prince  national  ».  Or, 
c'est  le  contraire  qu'il  a  dit  et  écrit,  témoin  sa  fameuse 
coLiversation  avec  Montrond.  Je  suis  revenue  moitié 
contente,  moitié  fâchée,  puis  très  chagrine  de  ne  vous 
avoir  pas  vu. 

M"*^  Ancelot  était  là  à  dévorer  son  amant.  Quelle 
femme  !  Quel  mainlien  !  Il  est  digne  du  temps. 

Merci  du  livre  de  Hœderer^  Il  y  a  des  choses  char- 
mantes et  tout  est  dans  les  belles  doctrines. 

Venez  donc  dîner?  Vovons?  Lundi  par  exemple. 

H. 

La  Madelainc,  6  seplembro  1843. 

Mais  venez,  venez  vite!  avec  votre  sanlé,  votre 
humeur  fanlassine,  vous  ne  me  gênez  pas  plus  qu'un 
nid  d'hirondelle  sous  la  corniche.  Allez  trouver  Treciii 
et  enlevez  ce  papillon  léger,  volage.  On  dit  qu'il  a  une 
cargaison  de  robes  pour  la  Madelaine  et  la  Madelaine 
vit  sur  le  vieux. 

'  11  s'agit  ici  du  fils  de  l'économisle  Rœdcrcr.  Le  baron  Antoine 
Rœdorer  cultiva  les  BcllosLetlros  et  cciivit  des  comédies  sous  la 
Restauration.  Citons  son  ouvrage  Intrigues  poUfiques  et  galanles  de 
la  cour  de  France  depuis  Charles  IX. 


FORTUNÉE  HAMELIN  247 

Heureusement,  je  lisais  votre  lettre  quand  celle 
d'Edouard  est  arrivée.  Son  système  avec  moi  est  de 
me  glacer  le  sang',  en  se  faisant  malade,  fiévreux, 
hypocondriaque,  etc.  Trechi  aussi  a  des  fièvres 
typhoïdes  après  tous  les  bons  dîners.  Ils  se  moquent 
de  mon  cœur  crédule,  et  je  suis  décidée  à  rire  des 
maladies  avec  lesquelles  on  boit  du  bon  vin,  on  court 
les  théâtres,  on  fait  l'amour  et  l'on  oublie  les  choses 
sérieuses  et  même  un  peu  l'amitié.  Au  diable  les 
malades  qui  sont  si  bons  vivants  ! 

J'ai  un  plaisir  malin  lorsque  je  vois  des  gcnlils- 
liommes  surpasser  les  artistes  très  plébéiens.  Tous 
ceux-ci  sont  envieux,  mal  élevés,  sols,  vaniteux.  Par 
le  fait  Chateaubriand,  Saint-Simon,  Montaig'ue,  Mon- 
tesquieu, Sévig'né,  Maintenon  n'écrivent  pas  mal,  à  la 
vérité,  c'est  dans  une  autre  langue  que  M.  Eug;ène 
Sue,  mais  enfin  ça  se  lit.  En  parlant  de  ces  artistes 
qui  ont  deux  vanités,  celle  de  l'art,  celle  du  parvenu, 
l'autre  jour  je  voulais  arraclier  à  Biard'  une  main- 
levée pour  commuer  Saint-Lazare  en  Sacré-Cœur.  Il 
bondissait  de  rage,  ses  cornes  se  dressaient  sur  sa 
tète;  je  lui  dis  gaiement  :  «  Mon  voisin,  il  n'y  a  que 
les  rois  et  les  cocus  qui  aient  le  droit  de  faire  grâce. 

'M""  Biard,  la  femme  du  peintro.  fut  priso  en  flagrant  délit  avec 
Victor  Hugo.  Le  mari  blesse  dans  son  honneur  ne  retira  sa  plainte 
contre  le  poète  qui  était  pair  de  France  que  sur  les  instances  réité- 
rées de  M'"*  Victor  Hugo.  C'est  elle  qui  alla  délivrer  M"*  Biard  à  la 
prison  de  Saint-Lazare  où  elle  attendait  sa  mise  en  jugement 
(v.  Léon  Séclié,  Sainte-Beuve).  Le  critique  des  Débats,  à  l'alFilt  de 
tous  les  potins  et  indiscrétions  plus  ou  moins  scandaleuses,  écrivait 
à  ce  propos  à  M"»"  Juste  Olivier  :  «  On  ne  parle  que  de  cela,  vous, 
n'en  dites  rien.  Jugez,  chère  madame,  de  mon  chagrin  et  de  mon 
trouble  en  tout  ceci  avec  tout  ce  tjue  vous  savez.  »  Dans  une  lettre 
à  sa  sœur  (i*0  juillet  1845),  Choi)in  relate  également  le  scandale. 
(Souvenirs  inédits  de  Frédéric  C/topin). 


i48  UNE  ANClENNIi  MU8CADINE 

Prenez  le  beau  côté  de  la  chose,  »  Ma  foi,  il  éclata 
de  rire  et  envoya  le  pouvoir  à  maître  Fayol  son  avocat. 

On  dit  que  M,  de  Niewerke^  est  aussi  un  immense 
artiste  dans  un  art  peu  cultivé  de  nos  jours,  ses 
modèles  s'en  louent  infiniment.  Les  places  vous  pieu- 
vent,  cher  ami.  Soyez  donc  le  déguignonné.  J'aime  de 
La  Rue  de  toujours  penser  aux  absents.  11  n'y  a  que 
mon  tapis  qu'il  oublie  depuis  dix  ans.  Hélas  !  j'ai 
peur  qu'il  ne  se  défie  de  mon  exactitude.  J'ai  tout 
fait  pourtant  afin  de  lui  faire  entendre  poliment  que 
l'insistance  voulait  dire  la  note,  les  frais.  Rien.  Je  ne 
demanderai  plus,  car  quelle  plus  grande  circonstance 
pour  se  souvenir  ! 

0  vieillesse!  Au  retour  d'Eg-yple-,  ma  maison  était 
(rop  petite  pour  contenir  les  dépouilles  opimes.  Au- 
jourd'hui je  n'obtiens  pas  un  tapis  pour  mon  argent. 

A  lundi  donc. 

Tony  rend  le  pain  bénit  demain.  Jugez  si  elle  saute 
aux  prunes  ! 

'  DeNiewerkcrko.  Directeur  fjénéral  des  musOes  nationaux  (en  1849). 
Sénateur  du  second  Empire. 

*  Si  Von  CQ  cvoityi'"'  yidry  Summar  i  Les  Belles  Amies  de  Tulleyrandi, 
M""  Hanielin,  ijui  jouissait  alors  d'un  l'orl  crédit  et  ijui  avait  quelque 
autorité  sur  Donaparle,  aurait  rei;u  la  visite  de  ce  dernier  au  retour 
d'Egypte,  lorsiiu'il  avait  des  inquiétuiles  au  sujet  de  Joséphine.  C'est 
l'époque  oii  notre  ancienne  Merveilleuse  qui  avait  contribué,  après 
le  Directoire,  à  la  renaissance  du  monde  parisien,  tenait  un  salon 
très  fréquenté  par  les  puissants  du  jour.  «  Sa  maison  était  devenue 
une  contrefaçon  de  ministère,  on  venait  s'y  faire  inscrire,  on  postu- 
lait, on  intriguait  :  c'était  la  cour  au  petit  pied  »  (comtesse  Bassan- 
ville,  Les  Salons  d'autrefois.) 


ANNÉE  1846 


Anatole  Dcraidolï  et  M'""  de  Dino.  —  Carlotta  Grisi  dans  Paquifa.  — 
M<"°  Odilon  Barrot.  —  Mm»  Uaiiielin  cherche  un  logement.  —  De 
La  Rue.  —  L'héritage  de  M-"»  Des  Bassyns.  —  L'alFaire  Lai'arge.  — 
Edouard  Hamelln  et  la  succession  Des  Bassyns.  —  Cancans  et 
grosses  nouvelles.  —  L'Empereur  ?>'ico]as  marie  sa  fille.  —  Le  cou- 
vent des  Auguslincs.  —  M"»"  Biard.  —  La  marquise  de  La  Grange. 
—  Le  procès  Le  lion.  —  Morny. 

Paris,  16  mai  1846. 

Voire  lellro  m'a  fait  bien  plaisir.  Merci.  Ecrivez 
encore.  Je  viens  d'avoir  la  fièvre  durant  vingt-trois 
jours.  C'est  horriblement  long.  Il  paraît  que  tous  ces 
dérangements  tiennent  à  un  désordre  grave  vers  le 
cœur.  Je  suis  mieux  avec  beaucoup  de  sang  de  moins, 
lequel  entraîne  aussi  les  idées  et  la  vie. 

Votre  ami  Edouard  le  Candide  est  très  bien,  ti'ès 
bien.  La  grand'mère^ patriarche  est  morte.  Elle  hùs-'^f  o-ij'l-ijo 
serait  une   fortune   colossale    si   les    noirs    n'étaient  ùiAi^-SMU/vi/^"*^ 
tombés  de  moitié  par  Felfet  des  dernières  lois.  Ce  qui  ^ 

prouve  les  mérites  de  ma  belle-HlIe,  c'est  qu'on  lui 
laisse  hors  part  une  propriété  qui  vaut,  dit-on, 
2u0  000  francs.  Que  de  papillotes  et  de  cocottes  pour 
ce  bon  Edouard  ! 

Les  bains  de  liarèges  me  retiennent  ici.  Après  le  18 
je  partirai  pour  la  Madelaine  qui  est  à  tourner  la 
tète.  Cette  fraîcheur  vous  plaira  fort  après  rAfri(|ue 


250  UNE  ANCIENNE  ML'SCADINE 

et  sa  poussière.  Vous  y  viendrez  vite  et  tôt,  n'est-ce 
pas  ? 

Les  DemidofT  sont  ici  pour  un  an,  vu  la  passion 
d'Anatole  pour  M""-  de  Dino.  La  Matliilde  sait  tout. 
Elle  n'a  plus  d'illusion  possible.  Ça  pourrait  bien  lui 
faire  faire  un  enfant.  D'ailleurs,  elle  est  inséparable 
de  ces  commères  de  petites  dindes  dont  M""'  Gay  est 
la  Sévigné. 

Je  n'ai  pas  revu  la  petite  Morel  ni  Moraski.  Mon 
vieux  cœur  malade  soulfre  de  rompre  des  amitiés  de 
vingt  ans.  Tout  cela  pour  des  bêtises  inouïes  de  tous, 
dont  elle  et  Edouard  ont  surpassé  les  enfantillages 
des  Tuileries.  Je  la  crois  toujours  faisant  des  nids  avec 
le  petit  cousin. 

M*""  Kisselert",  dont  les  coups  de  tète  ont  de  la  géné- 
rosité et  une  grandeur  orientale,  sort  vainqueur  [sic) 
de  sa  lutte  avec  TEmpereur.  Il  l'a  traitée  en  folle  de 
cœur,  l'a  sermonnée,  a  fait  régulariser  sa  fortune.  Elle 
reste  avec  120  000  francs  de  rente.  Félix  ajusté  béri- 
lant  de  moitié.  Tous  les  Nariskin  reviennent.  J'ai  vu 
M"®  Hubert  dans  son  ménage.  A  vrai  dire,  je  l'y  ai 
trouvée  importante  et  affectée. 

0  Fortune  !  Tu  démolis  l'esprit  et  le  naturel. 

Hier  je  voulais  enlever  M"^  de  La  Rue  pour  la  con- 
duire à  l'Opéra,  elle  voulait,  elle,  que  j'allasse  prendre 
des  glaces  cbcz  elle  pour  la  Saint-Isidor.  Ça  n'a  pu 
s'ai'ranger.  Vous  savez  ma  passion  inlerminal)le 
pour  la  danse,  Grisi  est  à  croquer  dans  Paquetta',  et 
l'acte    se   termine   par  un   bal  de  l'empire,  avec  la 

'  Paquila,  ballet-pantomime  par  Paul  EoucIicretMazilier,  musique 
de  Ueldevez.  fut  représenté  à  l'Opéra  en  avril  1846.  Carlotta  Grisi 
joua  le  T'ilo  de  Paiiuita  cl  y  remporta  un  succès  considérable  avec 
M""  l'iunkett  et  l'etitpa. 


FORTUNÉE  HAMELIN  fol 

gavoltc,  nos  contredanses  et  nos  costumes.  Et  lorsque 
jerenlrc,  je  suis  très  surprise  de  ne  plus  me  trouver 
jeune  et  jolie  comme  lorsque  je  sautais  sur  ces  airs- 
là.  M""  Kegnault  a  recruté  le  vieux  marquis  d'Aligre' 
qui  nous  donne  très  souvent  des  places  dans  son  beau 
salon  de  l'Opéra.  Il  est  content  aussi  de  revoir  des 
figures  qu'il  trouvait  si  charmantes  à  son  retour  de 
l'émigration.  Excusez  quarante-huit  ans! 

Tony  est  jolie  et  ardente.  Son  plus  grand  malheur 
est  sa  sotte  de  mère  qui  lui  donne  ses  vanités  préten- 
tieuses, la  gale  et  la  bat.  Cette  mère  extravagante 
s'est  fait  faire  encore  un  enfant  par  ce  boucher  de 
boulanger.  Je  ne  sais  quel  parti  prendre  devant  ce 
délire  qui  redouble,  que  l'âge,  la  pauvreté,  Fallection 
pour  Tony  ne  peut  calmer.  Elle  peut  faire  encore 
quatre  ou  cinq  petits  mitrons.  Je  n'en  prendrai  plus 
certes  ni  n'abandonnerai  la  pauvre  Tony,  bien  mal- 
heureuse de  tels  entourages. 

On  marie  ce  bon  M.  de  Longpré.  Il  a  14  000  francs 
de  rente.  C'est  31""^  Odilon  Barrot  qui  fait  ce  trait-là. 
On  lui  donne  une  veuve,  avec  un  fils,  ayant  peu  de 
ciiose,  trente-cinq  ans,  s'appelant  de  Riancour.  Je  le 
crois  attrapé.  Il  me  l'a  présentée.  C'est  une  provinciale 
stylée  par  l'opposition  Barrot.  Lui  si  légitimiste  !  p]nfin 


'  Le  iuar<|uis  <l"Aligre  avait  été  chambellan  df  l'Emporeur.  Ce  der- 
nier «  lui  lit  demander  sa  lillc  pour  ^l.  de  Caulaincourt;  il  l'oignit 
d'accepter  avec  joie  ;  mais  peu  de  jours  aprùs  il  vint  dire,  avec  l'air 
de  l'ainiction,  que  M"°  avait  une  répugnance  invincible  à  la  personne 
du  duc  de  Vicence.  L'Empereur  n'insista  pas.  M.  d'Aligrc  se  crut 
sauvé,  mais  apprenant  peu  de  temps  aiirùs  (jue  ^L  de  Kaudoas.  le 
frère  de  la  duchesse  de  Rovigo,  allait  lui  être  proposé  pour  gendre, 
il  bâcla  en  huit  jours  do  temps  le  mariage  desa  lille  avec  M.  de  l'om- 
mereu.  »  {Coinlessc  de  Bovjnc,  I,  289),  (duchesse  d'Abrantès, 
Mémoires.) 


i'o2  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

rien  n'est  traccord  et  sa  vieille  mère  à  lui  s'en  désole. 

J'ai  vu  Berryer  pour  mon  procès.  Il  est  lumineux, 
foudroyant  au  milieu  de  ces  tristes  gens  d'affaires.  11 
dit  que  les  considérants  de  son  jugement  sont  si  con- 
tradictoires, si  stupides  que  leur  lecture  suffira  en 
Cour  royale.  Espérons. 

Je  n'ai  pas  de  logement,  on  s'arrache  tout.  Des  cin- 
(juiènies  valent  o  000  francs.  Enfin  j'hésite  entre  la 
rue  d'Anjou  et  la  rue  de  La  Tour-d'x\.uvcrgne.  Qu'en 
(h"s-tu  ?  Je  trouve  là  du  Midi,  du  calme,  de  hcUes 
pièces,  et  la  proportion  avec  ma  pauvreté. 

Je  voudrais  hien  apprendre  ce  mariage  (juc  vous 
espériez  pour  votre  ami.  Va-t-il?  Je  crois  qu'en 
Algérie  il  faut  plus  craindre  les  coups  de  pied  de  Vénus 
que  ceux  des  chevaux.  N'allez  pas  avoir  l'un  et 
l'autre.  Attendez  les  Belles  de  Paris  pour  ce  dernier 
présent. 

Soyez  sage,  très  doux,  et  l'on  vous  aimera  beau- 
coup. 

Paris,  3  juillet  1846. 

Vous  savez  hien  (jue  mon  silence  signifie  la  maladie  ? 
31ais  vous!  Jti  m'incjuiètc  de  vous  pourtant.  Une 
seule  fois  j'ai  eu  de  vos  nouvelles.  C'est  trop  peu, 
c'est  mal  traiter  mon  fidèle  et  sincère  attachement. 
Vous  me  faites  faute  de  toutes  façons,  vous  auriez  hien 
une  occasion  de  me  prendre  en  attendrissement. 
Hélas  !  près  de  trois  mois  de  fièvre  tierce  qu'on  ne 
parvenait  à  couper  que  durant  trois,  cin(j,  six  jours. 
Je  reviens  de  la  Madelaine  pour  des  tracas  à  donner 
la  fièvre  à  qui  ne  l'aurait  pas.  Je  ne  puis  être  logée 
qu'en  novembre  et  j'ai  cédé  mon  appartement,  auquel 


FORTUNÉE  HAMELIN  233 

on  attribue  net  ma  fièvre  opiniâtre.  Quatre  personnes 
sont  mortes  dans  cette  maison  depuis  que  j'y  suis. 
Je  vais  faire  porter  mes  meubles  dans  un  taudis  et 
me  sauver  à  la  Madelaine. 

Les  Didier  m'ont  dit  que  M.  de  Broé  avait  de  vos 
lettres.  Je  regrette  bien  de  ne  le  pas  connaître.  On 
m'avait  inspiré  de  la  malveillance  pour  lui  et  je 
vois  avec  combien  de  prudence  il  faut  épouser  les 
petites  querelles  de  ses  amis.  Je  n'ai  pu  voir  M"''  La 
Rue,  engloutie  dans  l'ameublement  fraternel,  songeant 
peu  aux  malades,  alors  qu'elle  engraisse  à  crever 
d'embonpoint  et  d'importance,  non  pour  elle,  mais 
pour  ce  frère  dont  elle  fait  le  sauveur  de  l'Algérie.  Je 
ne  conteste  rien  à  cette  immense  capacité*,  à  cette 
grâce  qui  a  tant  de  succès  en  France,  mais  l'expres- 
sion de  mes  yeux  lui  laisse  du  doute  et  alors  elle 
s'agite,  se  plaint  ou  admire  avec  une  exaltation  que 
j'étais  loin  de  lui  connaître.  Du  reste,  elle  descend 
comme  son  frère  aux  bons  dîners  des  Nicolle,  et  je 
ne  la  trouve  pas  assez  renchérie  sur  le  cboix  de  bien 
des  nouvelles  connaissances.  Tout  ceci  pour  vous 
seul,  car  dans  l'âme  de  Zoé  elle  se  croit  très  cbarmante 
pour  moi. 

L'autre  Zoé  Barrière  est  heureuse,  modeste,  d'une 
élégante  propreté.  J'ai  fait  un  excellent  petit  dîner 
chez  elle  dans  un  intérieur  soigné,  recherché  et 
docte  par  de  beaux  livres.  Ah  !  que  j'aimerais  une 
telle  bibliothèque,  que  j'en  aurais  besoin,  quelle 
misère  de  n'avoir  pu  racheter  celle  de  Montrond  ! 

Vous  aurez  lu  que  Sully  est  renommé  délégué  dv 

'  Assez  contestée  cependant  (Roussot.  Hls/oire  de  la  Conquête  de 
l'Algérie). 


234  UNE  ANCrENNE  MUSCADINE 

Bourbon.  Ce  rointMle  ne  guérira  pas  la  maladie  colo- 
niale, mais  il  le  guérit,  lui,  car  il  va  hion  et  engraisse. 
La  succession  de  la  vieille  des  Bassins  '  eut  été  double 
si  elle  eût  été  recueillie  il  y  a  trois  ans,  alors  qu'elle 
n'avait  que  quatre-vingt-dix  ans.  Les  noirs  de 
4  000  francs  sont  tombés  à  1  500  2  000  francs,  les 
terres  aussi.  Edouard,  avec  son  inconcevable  fanfa- 
ronnade, avait  annoncé  que  sa  femme  était  avantagée. 
C'est  le  contraire  de  la  vérité.  M""^  des  Bassins,  en 
femme  de  qualité  n'a  avantagé  que  ses  fils,  car  étant 
déjà  tous  millionnaires,  il  fait  bon  tondre  des  femmes, 
des  orplielins  pour  augmenter  leur  éclat.  Ce  testament 
paraît  du  reste  si  inique  qu'il  va  être  attaqué  non  par 
Edouard  dont  le  sol  orgueil  préférera  tout  à  l'honneur 


'  De  la  famille  Desbassynsle  plus  connu  est  Desbassyns  Je  Riche- 
mont  (Philippe  Panon,  comte),  né  à  Saint-Denis  (Réunion),  3  février 
1774,  mort  à  Paris  7  novembre  1840.  Député  de  1824  à  1830.  11  avait 
épousé  la  soiur  de  M.  de  Villèle,'*'dont  la  nièce  était  la  femme 
d'Edouard  Hamelin.  Son  fils  Paul  Desbassyns  (baron)  lut  député 
(Tlndre-et-Loire  au  Corps  Législatif  (1832).  Nous  trouvons  dans  la 
Villéliude  ou  la  Prise  du  ckàleau  de  Rivoli  de  Bartliéloniy  et  Méry 
(i'3  juillet  1823)  ((uelques  renseignements  pi([uants  mais  contradic- 
toires sur  Villèie  et  Desbassyns.  «  M.  de  Yillèle  épousa  dans  sa  jeu- 
nesse à  l'île  Bourbon  la  lille  de  M.  Panon  dont  il  était  le  régisseur. 
M.  Panon  s'ennoblit  ensuite.  Il  prit  le  nom  de  Desbassyns  parce 
([u"il  avait  trois  bassins  dans  ses  terres,  ce  qui  est  fort  ingénieux. 
M.  de  Villèie  a  été  dans  l'île  Bourbon  ministre  de  la  Justice  du  riche 
colon  M.  Desbassyns.  Dans  ce  pays,  la  justice  est  toute  paternelle  ; 
elle  consiste  à  fouetter  chaque  soir  tous  les  nègres  afin  que  les  cou- 
pables ne  puissent  pas  le  lendemain  se  vanter  de  l'impunité.  C'est 
sous  ces  auspices  que  M.  de  Villèie  a  fait  son  noviciat.  »  Et  dans  le 
poème  héroicomique  où  Barthélémy  et  Méry  critiquent  les  hommes 
au  pouvoir  : 

«  Auprès  d'eu.x  sont  rangés  les  amis  du  pouvoir... 
Ces  députés  ventrus  à  la  faim  indomptable. 
Qui  votent  des  budgets  et  les  mangent  à  table... 


Desbassyns,  orgueilleu.x  de  sa  fraternité. 


FORTUNÉE  HAMELIN  255 

(le  dîner  chez  mon  oncle  Villèle,  comte,  baron 
Ricliemond.  Il  laissera  les  pauvres  se  démêler  et  se 
range  parmi  les  gros  bonnets  qui  le  conduisent  aux 
inaugurations  de  chemins  de  fer,  à  la  table  des  princes. 
La  santé  de  ce  pauvre  idiot  est  très  bonne.  Il  dévore 
depuis  six  heures  jusqu'à  neuf  et  boit  ferme  du  plus 
glacé.  De  là  il  va  chercher  une  M""  du  quartier 
Lorette,  bien  entendu,  et  passe  le  reste  de  sa  vie  en 
tiers  avec  elle  et  sa  mère.  Lorsqu'il  arrive  chez  moi 
vers  cinq  heures,  il  est  épuisé,  ses  yeux  sont  troubles 
et  à  la  première  parole  sérieuse  il  dort  profondément. 
Je  n'y  mets  point  de  désespoir  ni  d'exagération,  il  est 
dans  un  hébétement  complet  et  Sully  dit  :  «  S'il  était 
mon  fils  et  père  de  famille,  je  n'hésiterais  pas  à  le 
faire  interdire.  » 

Que  de  chagrins,  d'humiliations,  de  misères  ! 
Gomment  n'être  pas  dévorée  de  fièvres  môme  dans 
ce  paradis  de  la  Madelaine  ? 

Revenez-y  donc  à  cette  pauvre  Madelaine,  sûr,  cher 
ami,  d'être  accueilli  en  fils,  en  ami,  ce  qui  vaut  mieux. 
Trechi  est  superbe  et  vous  fait  amitié.  Il  dit  que 
M.  Lamoricière'  épouse  M"^  Dosne.  Ce  serait  la  pre- 
mière faute  de  M.  Lamoricière,  mais  elle  serait  bien 


grande  ! 


Paris,  18  juillet  I84f). 


Vite,  vite,  que  je  vous  saisisse  au  passage.  Cher 
ami,  j'ai  été  toute  préoccupée  de  votre  silence.  Puis, 
quelle  banale  excuse,  la  paresse!  C'est  beau  et  neuf. 


*  Le  général  Lamoricière  fut  quelques  années  après  ambassadeur 
à  Saint-Pétersbourg. 


256  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Moi  j'écrivais  entre  deux  accès  de  fièvre  tierce  qui 
a  duré  plus  de  trois  mois.  C'est  long  et  triste,  n'est-ce 
pas?  La  Madelaine  même  y  a  perdu  ses  grâces,  et 
préférant  mes  deux  médecins  de  Paris  qui  causaient 
bien,  je  suis  revenue  frissonner  à  Paris.  Un  beau 
matin  on  m'a  fait  déménager  parce  que  ce  n"  43  inac- 
cessible au  soleil  qui  est  le  bonheur  dites-vous,  ou 
qui  console  de  n'avoir  pas  de  bonheur,  ce  numéro 
maudit  de  notre  astre  adoré  donnait  la  fièvre  à  tous 
ses  habitants.  Dessous,  dessus  moi  nous  étions  tous 
pris  comme  sur  les  bords  de  l'Allier.  Je  suis  dans  un 
vieux  château  qui  porte  un  beau  nom;  j'ai  sa  toundlo 
et  je  n'ai  plus  la  fièvre  grâce  au  soleil  plein  midi,  à 
l'horizon  immense  et  au  calme  des  nuits.  C'est  donc 
rue  de  la  Tour  d'Auvergne,  n"  37,  qu'il  faut  m'écrire 
et  plus  souvent,  entendez-vous  ?  Il  y  a  deux  lettres 
de  moi  qui  courent  votre  Arabie  empêtrée.  Je  n'en 
fais  mention  que  pour  mettre  mon  amitié  et  l'exacti- 
titude  '  qui  en  fait  preuve,  très  au-dessus  de  vos  sen- 
timents fantasques. 

Ce  grand  voyage"  que  vous  faites  est  beau,  et  me 
fait  plaisir  pour  vous.  Vous  êtes  homme  à  bien 
regarder  et  à  vous  souvenir.  Ce  que  vous  dites  de 
votre  nid  m'a  bien  fait  penser  à  ce  que  j'éprouve  pour 
le    mien.  J'ai  toujours  rêvé  à  mon  pauvre  Saint-Do- 

*  M'"»  Hamelin  écrivait  en  1838  à  son  amie  M'""  Boursault  :  «  En 
vérité  je  ne  crois  pas  avoir  besoin  de  vous  dire  que  l'exacLitude  à 
s'acquitter  est  un  devoir  surtout  envers  ses  amis.  »  On  voit,  qu'en 
vieillissant,  ce  sentiment  lui  tenait  toujours  au  cœur. 

*  Le  correspondant  de  M"»  Hamelin,  après  un  voyage  en  Algérie, 
habita  quelque  temps  Perpignan  et  Montpellier  où  il  remplissait 
les  fonctions  d'inspecteur  général  des  Prisons,  qui  lui  permirent  de 
rencontrer  M™'^  Lafarge  et,  comme  on  le  verra  plus  bas.  de  s'enthou- 
.siasmer  pour  la  célèbre  prisonnière. 


FORTUNEE  HAMELIN  257 

mingue  et  les  palmiers  rabougris  de  Naples  me  faisaient 
impression.  A  Paris,  toutes  les  demeures  que  j'ai 
habitées  dans  ma  jeunesse  n'existent  plus  ;  la  rue 
Cbauchat^  où  j'avais  un  petit  hôtel  tout  coquet  est 
devenue  une  maison  de  location  à  six  étages.  Ainsi 
de  tout.  Courage,  le  terme  avance;  pour  vous  la  vie 
s'arrange  si  vous  voulez.  Vous  n'avez  pas  à  con- 
quérir mais  à  réformer. 

Vous  êtes  en  démence  ou  en  tempérament  (ce  qui 
a  du  rapport)  pour  M™^  Lafarge  ".  Jamais  preuves  ne 
furent  plus  éclatantes,  plus   nettes.  Elle  a  été    com- 


'  Pendant  le  Directoire  et  le  Consulat  M"''  Hamelin  recevait  beau- 
coup dans  son  salon  de  la  rue  Cliauchat.  La  maison  en  rotonde  fai- 
sait le  coin  de  la  rue  Ghauchat  et  de  la  rue  de  Provence. 

'  Marie-Fortunée  Gappelle,  femme  Lafarge,  née  le  13  janvier  1816 
à  Villers-Uellon  (Picardie),  morte  à  Ussat  en  1832,  pelite-iiile  do 
Philippe-Egalité  et  petite-cousine  germaine  de  Louis-Philippe,  accusée 
d'avoir  empoisonné  son  mari  (mort  le  14  janvier  1840).  Ses  tantes 
maternelles  avaient  épousé  l'une  M.  de  Martens,  diplomate  prussien, 
l'autre  M.  Garât,  secrétaire  général  de  la  Banque  de  France.  Le  procès 
de  Marie  Gappelle  donna  lieu  à  de  vives  polémiques  entre  Lafargistes 
et  Anli-Lafargistes.  L'accord  était  complet  entre  tous  les  journaux 
pour  proclamer  son  innocence.  M»  Paillet  assisté  de  MM"  Lachaud 
et  Bac,  défendit  l'accusée  le  2  septembre  1840  à  Tulle.  Il  y  eut  expertise 
et  contre-expertise.  OrfilactRaspail  se  prirent  de  querelle.  M™»  Lafarge 
fut  condamnée  mais  Napoléon  III  la  gracia  plus  tard.  Elle  avait  été 
accusée  (lorsqu'elle  fut  arrêtée  pour  l'empoisonnement)  d'avoir  volé 
des  diamants  en  juin  1839  chez  M""  de  Nicolaï,  qui  avait  épousé 
M.  de  Léolaud,  et  condamnée  à  deux  ans  de  prison.  «  Intellectuelle  » 
et  romanesque,  M^-o  Lafarge  a  laissé  des  Mémoires  (1841-1842,  4  vol. 
in-8"),  Heures  de  Prison  (18.53-a4,  3  vol.  in-S»)  et  des  Lettres.  Le  cor- 
respondant de  M'""  Hamelin,  qui  était  en  1846  inspecteur  général  des 
Prisons  à  Perpignan,  se  montra  un  partisan  irréductible  do  la  célèbre 
empoisonneuse  ;  elle  lui  écrivit  de  iMontpellicr  où  elle  subissait  sa 
peine  une  lettre  fort  curieuse  dont  nous  avons  donné  un  fragment 
(Supplément  du  Firjaro,  11  janvier  in08).  Fut-elle  coupable?  Doit-on 
la  considérer  comme  «  l'Eloadc  l'arsenic  »  (L.  Tailhade)  '/Aujourd'hui 
encore  quelques  esprits  se  sont  passionnés  pour  cette  alfaire. 
(Paul  Muller,  GH  Blas,  1009.  R.  de  Glnry,  Grande  lie i'ue,2'6  novembre 
1909)  (v.  Appendice,  Le /Ire  de  M'"'-  La/'arç/e). 

17 


258  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

blée  de  faveurs,  car  des  mains  puissantes  en  eurent 
pitié  et  la  soutinrent.  C'est  une  fate,  enivrée  des 
sottises  bourgeoises  de  ses  tantes  ;  elle  rêvait  un 
second  mariag-e  et  lorsqu'elle-même  a  voulu  refaire 
son  procès  en  publiant  des  Mémoires,  elle  s'est  em- 
brouillée au  point  d'apporter  de  nouvelles  preuves  et 
n'a  pu  repousser  une  seule  accusation.  Puis,  songez-y 
l)ien,  bon  Dieu  !  L'empoisonnement  est  son  plus  beau 
trait,  le  vol  des  diamants,  le  vol  partout  oii  elle  était 
accueillie  1  Ali  !  fi  !  fi  !  Du  reste,  ayez  pitié,  faites-la  prier, 
elle  sera  jolie  sous  tous  les  babits.  Ne  vous  a-t-elle 
pas  demandé  si  vous  comptiez  entrer  dans  les  ordres  ? 
Je  vous  écrivais  que  le  pauvre  Edouard  était  fort 
déçu,  les  fils  seuls  de  M"""  des  Bassins  sont  avantagés. 
C'est  la  justice  daujourd'bui.  Elle  donne  à  des  mil- 
lionnaires en  retranclmnt  sur  des  filles  pauvres  et  des 
orplielines  dont  l'aînée  a  dix  ans.  La  succession,  du 
reste,  perd  énormément  par  le  fait  de  la  dépréciation 
des  noirs.  Il  y  en  a  4G0  qui  eussent  été  vendus 
4000  francs  en  commun  il  y  a  trois  ans  et  qui  valent 
à  peine  2400  francs  aujourd'bui.  Depuis  son  retour  à 
une  parfaite  santé,  cet  extravagant  a  redoublé  ses 
extravagances.  11  est  la  joie  du  boulevard  Italien  pour 
son  appétit  et  ses  appétits.  Tous  les  buit  jours  il  leur 
présente  une  nouvelle  cocotte  des  plus  lorettes;  il  a 
monté,  dit-on,  jusqu'à  celte  madame  fille  de  Catalani, 
qui  accepte  quelques  louis  le  plus  simplement  du 
monde.  Jugez  la  gloire  !  3Iais  elle  a  jugé  le  creux  et 
l'a  remplacé  par  un  banquier.  Lorsque  je  m'afflige 
sur  cette  nature  si  désbéritée,  je  pense  modestement 
à  Napoléon...  Du  moins  Edouard  est  très  bonnêle 
liomme,  et  son  cœur  est  bon. 


FORTUNÉE  HAMELIN  259 

Walewski  '  et  sa  femme  sont  ici.  Elle  est  jolie, 
usagée,  résolue  et  son  grappin  est  déjà  fort  bien 
établi.  On  lui  fait  fête  espérant  qu'elle  enlèvera  son 
mari  à  ses  tristes  et  sales  habitudes. 

ïrechi  me  charge  de  souvenirs  pour  vous.  Il  avait 
eu  la  bonté  d'aller  à  votre  recherche  chez  M.  de  Cercey 
lorsque  j'étais  vraiment  inquiète  de  vous,  et  lorsque 
j'ai  reçu  votre  lettre  de  Perpig'nan,  je  savais  de  la 
veille  que  vous  y  étiez.  J'étais  rassurée.  Le  petit 
Trechi  a  été  bien  bon,  bien  soigneux  pour  moi  durant 
cette  triste  fièvre.  M""®  Barrière,  plus  belle  que  jamais, 
venait  souvent  m  inspecter  ;  elle  s'y  trouvait  avec  la 
très  bonne  M"^  Durand,  je  n'étais  point  trop  à  plaindre. 
Ces  dames  sont  moins  impérieuses  que  mes  grandes 
dames  de  ma  typhoïde.  Elles  me  laissaient  respirer 
et  faire  quelquefois  ma  fantaisie.  Lebreton  qu'on 
n'avait  pas  blessé  m'a  soigné  en  frère,  puis  mon 
voisin  Daguerre  qui  a  beaucoup  de  science  et  d'esprit 
venait,  disait-il,  passer  ses  soirées  avec  moi.  Ainsi 
Dieu  m'aidait  un  peu.  Mais  dites-moi,  comment  fai- 
sait Bayard  qui  a  eu  vingt  ans  la  fièvre  ?  C'étaient 
d'autres  natures  en  vérité.  Faire  la  guerre  avec  les 
cuirasses  et  la  fièvre  tierce  !  Juste  ciel  ! 

M.  Lamoricière  n'épouse  point  M"^  Dosne.  C'eût  été 
une  faute  irréparable  pour  lui  qui  a  un  avenir  plus 
grand  que  cette  pétaudière  politique. 

jyjme  Regnault  est  depuis  trois  mois  dans  une  terre 
près  de  Bordeaux.  M""®  Chai  est  établie  conjuga- 
lement à  lo  kilomètres  de  Paris.  M™°Nariskin  regarde 


'  Quelques  années  après  le  comte  Walewski  devenait  ministre  des 
Affaires  étrangères  (1855). 


260  U^^E  ANCIENNE  MUSCADINE 

mourir  son  mari  àNaples.  M"'' Kisseleff^  est  à  Odessa 
jusqu'à  l'hiver  prochain.  Elle  me  conte  les  folies 
orientales  que  fait  l'empereur  Nicolas  pour  les  noces 
sa  fille.  L'univers  y  apporte  des  tributs  de  magnifi- 
cence. On  a  fait  venir  entre  autres  de  Sicile  trois 
mille  orangers  en  fleurs  pour  garnir  les  palais.  Une 
escadre  portant  des  fleurs,  c'est  assez  joli  tout  de 
môme.  Que  dira  cette  belle  princesse  alors  qu'elle 
sera  dans  cet  intérieur  luthérien,  ordonné,  modeste 
jusqu'à  l'avarice  ?  Votre  Tony  devient  trbs  grande  et 
reste  très  jolie  :  le  reste  vient  tout  doucement.  Sa 
mère  est  son  fléau.  Déjà  l'enfant  la  juge,  mais  l'imi- 
tation est  si  naturelle  qu'elle  prend  les  défauts  qu'elle 
blâme.  M"'''  Biard  me  dit  un  bien  inouï  de  l'éducation 
des  Augustines  (ce  couvent  où  elle  a  été  six  mois). 
Elles  sont  jésuites  et  pour  preuve,  elles  venaient 
passer  des  soirées  avec  elle,  et  choisissaient  sous  sa 
dictée  les  vers  de  M.  Hugo  qu'on  pouvait  enseigner 
aux  filles  de  quinze  ans.  Si  j'étais  plus  riche,  j'y  met- 
trais Tony. 

La  Mailolainc,  20  iiovciubro  1846. 

J'ai  envoyé  à  l'instant  à  Fonlainebleau,  mais  étant 
chanceuse  comme  vous,  il  se  trouve  que  le  colonel  est 
absent  pour  quinze  jours.  Je  lui  ai  tout  expliqué  avec 


'  Dans  un  posl-.scriptum.  M"»  llamclin  ajoutait,  le  4  octobre  1846  : 
«  Je  ne  crois  pas  à  la  condamnation  de  Micislas.  Les  dernières 
lettres  de  M™»  K...  sont  de  Belgrade  ot  assez  récentes.  M""  Nariskin 
n'était  pas  avec  elle  et  marchait  droit  sur  Kieff.  Il  faut  être  insensé 
et  justement  déteste  pour  qu'il  se  trouve  des  honnêtes  gens  qui 
croyent  au  poison  sur  des  enfants  qu'il  adore,  qui  ne  quittent  ses 
bras  que  pour  dormir  à  ses  côtés.  Pour  elle,  elle  a  demandé  neuf  mil- 
lions pour  divorcer,  laisser  les  enfants  et  partir.  Il  en  a  offert  deux, 
voilà  le  procès.  Taisez  vous  là-dessus.  »  (Lettre  inédite.) 


FORTUNÉE  HAMELIN  261 

mon  adresse  à  Paris,  carie  procès  que  je  perdrai,  bien 
entendu,  me  force  à  revenir.  Mais  dites-moi  :  N'est-ce 
pas  des  hussards  qu'Amable  commande  à  Melun?  Je 
suis  en  position  de  lui  demander  cette  courtoisie, 
sûre  qu'il  y  mettra  de  l'empressement.  Si  vous  y 
eussiez  pensé  lors  de  votre  courte  visite,  ce  serait 
peut-être  fait.  La  baronne  qui  connaît  sa  garnison 
profondément  dit  qu'ils  feront  leur  devoir,  mais  qu'on 
a  peu  d'empressement  pour  l'Afrique. 

J'avais  vu  l'enlèvement  dans  la  Gazette.  J'étais  loin 
de  me  douter  que  le  séducteur  fût  votre  ami.  Quel 
guignon  !  mais  tout  n'est  pas  perdu,  on  reculera 
devant  ce  scandale.  Espérez  encore. 

M"'''  Biard  amis  ce  couvent'  à  la  mode.  Il  ne  suffit 
plus  aux  femmes  maliieureuses,  amoureuses  ou  battues. 
Ce  qui  est  bien  triste,  c'est  l'état  de  lajeuneLagrange^ 
et  de  sa  charmante  petite  mère.  Pauvre  roseau  !  Mais 
avec  cette  jeunesse,  un  mot,  une  journée  sauve.  Pour 
ses  rlmmatismes  aigus,  l'opium  à  grande  dose  est 
sublime  ;  on  le  prend  en  abondantes  frictions.  Si  elle 
ne  peut  souffrir  les  frictions,  les  cataplasmes  brûlants. 

'  Le  couvent  des  Auguslines  (rue  Neuve-de-Berry). 

'  La  fille  de  Caroline  Jaubert,  née  d'Allon-Sliée,  était  mariée  au 
marquis  de  La  Grange.  La  a  marraine  »  d'Alfred  do  Musset  écrivait, 
vers  la  même  époque,  au  correspondant  de  M"»  Uamelin,  qu'elle 
rencontrait  à  Augcrville,  chez  Berryer  :  «  Votre  tour  d'esprit,  mon- 
sieur l'inspecteur  général,  égaie  ma  malade,  votre  son  de  voix  s'ac- 
corde avec  ses  nerl's  et  votre  visite  manque  à  la  mère,  à  la  fille,  et 
pourquoi  n'ajoutorai-je  pas,  à  la  cousine?  Il  n'y  a  plus  de  fièvre, 
c'est  un  grand  point,  un  peu  d'appétit,  de  sommeil  et  plus  de  force.  ■ 
Mais  la  coquine  de  douleur  ne  bouge  pas  do  la  jambe  et  la  pauvre 
marquise  est  toujours  sur  ce  même  lit  où  vous  l'avez  laissée 
gisante,  pas  moyen  de  la  transporter,  la  dernière  potion  a  rendu  le 
mouvement  au  col,  mais  la  jambe.  —  Enfin,  patience,  dit  Pétroz, 
et  quoique  ce  soit  la  vertu  des  âmes,  à  ce  que  dit  Mirabeau,  je  ne 
sais  trop  comment  faire  pour  m'en  passer.  »  (Lettre  inédite). 


262  UNE  ANCIENNE  MUSCÂDINE 

J'ai  sauvé  M""^  Regnault  ainsi,  en  dépit  de  Bourdoie 
et  do  sa  mère.  3Iais  elle  allait  mourir,  nous  nous 
enfermions  et  je  la  frottais.  Bourdoie  n'a  rien  su  qu'à 
la  parfaite  guérison.  Dites  cela  à  M"""  J...  ^  et  aussi  les 
prières  que  je  fais  pour  cette  résurrection  qui  se  fera. 
J'en  ai  le  pressentiment. 

Edouard -n'était  pas  malade,  il  me  boude.  Il  m'écrit 
de  telles  absurdités  vaniteuses  que  je  l'ai  appelé  fan- 
faron. Alors,  susceptible  comme  un  provincial,  il  g-arde 
le  silence.  Un  autre  tort  de  ma  lettre,  c'est  que  je  lui 
disais  que  vous  étiez  venu,  que  vous  aviez  été  fort 
doux,  partantfort  aimable  et  comme  il  n'y  a  plus  qu'un 
beau,  qu'un  aimable  à  Paris,  il  me  prend  en  pitié.  Il 
est  fou  absolument. 

M.  de  Morny^  a  si  bien  conduit  le  procès  Lelion 
qu'il  sortira  vainqueur  de  tous  les  embarras.  De  la 
débâcle  des  deux  frères  il  a  tiré  audacieusement  en  son 
nom  un  portefeuille  qui  contenait  1  300  actions  qui 

'  M»»  Jaubert. 

-  Son  fils,  voir  les  Lettres  précédentes. 

■'  Le  duc  de  Morny,  né  en  1811,  mort  en  1865,  avait  été  élevé  sous 
la  direction  du  comte  de  Flahaut  et  de  la  comtesse  de  Souza,  mère 
de  ce  dernier,  n  II  rimait  près  de  la  comtesse  des  pièces  de  vers, 
poussant  la  littérature  jusqu'au  vaudeville,  en  attendant  que  comme 
l'a  ditV.  Hugo,  il  poussât  la  politique  jusqu'à  la  tragédie.  »  (G. 
Guyho,  Portraits  du  second  Empire.)  Armand  jSlarrast  l'appela  dans 
son  journal,  «  le  plus  jeune  et  le  plus  chauve  des  satisfaits,  »  au 
lendemain  de  son  élection  comme  député  du  Puy-de-Dôme,  en  1842. 
Il  prépara  et  accomplit  le  Coup  d'Etat.  Il  fut  après  1852  de  toutes  les 
entreprises,  a  les  bonnes,  les  douteuses  et...  les  autres.  »  Son  bio- 
graphe nous  dit  que  sa  force  était  faite  surtout  de  son  mépris  pro- 
fond des  hommes  et  des  femmes.  Morny  fut  ambassadeur  en  Russie 
de  1836  à  1857.  Sous  le  pseudonyme  de  Saint-Rémy,  il  écrivit  : 
«  M.  Choufleury  restera  citez  lui  le...  » 

Octave  Feuillet  l'a  peint  dans  M.  de  Camors.  et  Alphonse  Daudet 
dans  le  Nabab  a  dit  de  lui  qu'il  «  fut  l'incarnation  la  plus  séduisante 
du  second  Empire  ».  (F.  Loliée.  Le  duc  de  Morny.  Emile-Paul). 


FORTUNÉE  HAMELIN  263 

étaient  alors  à  1  000  francs.  Voilà  sa  fortune  et  celle 
de  sa  maîtresse.  Il  arrangera  tout  encore,  il  est  habile, 
plein  d'imagination,  gracieux  et  bon  garçon.  Il  fait 
mentir  Rubichon,  il  vaut  mieux  que  son  père.  Mais 
quel  vieux  fat  et  sot  parfait  que  ce  Flabaut  ! 

Il  y  a  dix-huit  mois  que  M"^  de  Fauveau  me  parlait 
de  ce  mariag'e  du  duc  de  Bordeaux  comme  certain.  Lui 
seul  à  Vienne  l'ig-norait.  M.  de  iMetternich  n'a  pas  fait 
attendre  la  riposte  de  Madrid.  La  France  n'a  que  des 
idiots  pour  ambassadeurs,  j'en  excepte  Christine  et 
Louis-Philippe  lorsqu'ils  négocient  seuls.  Il  faut  atteler 
Bulwer  avec  Flahaut,  ils  sont  de  même  force. 

Le  temps  est  radieux  par  i(-i.  Vous  viendrez  bientôt 
me  voir  dans  mon  château  de  Paris.  Vous  savez  ?  37. 
Je  dîne  là  dans  une  tourelle. 


ANNÉE  1847 


Un  assassinat.  —  La  ducliesso  de  Ghoiseul-Piaslin.  —  Conseils.  — 
Cléopâtre  de  Delphine  Gay.  —  tiachel.  —  M»»  Kisseleff.  —  M™»  lla- 
nielin  se  compare  à  M"»  de  Ghanlal.  —  Une  lettre  du  l'oi  Jérôme. 


La  Madelaine.  17  septembre  1847. 

Vous  vous  souvenez  donc  (}ue  je  respire  encore 
quel(}ue  part  dans  un  bois"?  Merci.  Moi  je  ne  vous  croyais 
guère  admirateur  de  ce  tombeau  des  vivants  que  vous 
observez  sans  doute  comme  pénitentiaire  volontaire. 
Non,  non,  la  MeiHeraie  n'est  plus  en  Bretagne,  elle  est 
aux  antipodes.  Jésus-Christ  n'a  jamais  demandé  ni 
donné  l'exemple  de  ces  affreuses  austérités.  Il  était 
sociable,  grand  promeneur,  vivait  en  famille,  causait 
avec  les  savants  quil  enchantait,  faisait  de  belles 
pêches,  donnait  à  dîner  à  ses  amis,  ressuscitait  les 
jeunes  filles  et  regardait  Madeleine  sans  frémir.  Cette 
belle  vie,  ces  grands  miracles,  il  les  fait  recommencer 
par  son  digne  vicaire  Pie  IX.  Je  ne  vois  rien  de  si 
beau  que  ces  événements  de  Paris  sous  de  tels  éten- 
dards. Cet  archange  inspiré  ne  dépassera  pas  le  but, 
ne  fera  pas  une  faute. 

L'Italie  est  sauvée,  libre,  et  le  calholicisme  immortel. 
Qu'on  regarde  ici  ce  que  font  les  protestants,  les  philo- 
sophes !  Tout  est  dans  cette  comparaison.  Pour  des- 
cendre à  la   petite  pièce,  Trechi  le  libéral,  Tanglo- 


266  UNE  ANCIliNiXE  MUSCADINE 

mane  est  parti  en  croupe  de  deuxFerretti,  a  visité  toutes 
les  villes  romagnoles,  donnant  des  poignées  de  mains 
comme  en  1830,  mais  évitantles  ovations,  puis,  revenu 
à  Rome  a  vu  Pie  IX  cm  familiarité,  a  gagné  un  coup 
de  soleil  effroyable,  puis  le  choléra  toscan.  On  l'a 
ramené  à  moitié  mort  dans  ses  liumides  prairies  où 
il  attend  le  7noment.  Enfia  il  a  fait  de  son  mieux,  et 
pour  lui  rendre  justice,  il  a  toujours  été  bon  Italien, 
détestant  l'Autriche  de  tout  son  cœur. 

Hier,  nousavonseuici  notre  assassinat.  Le  boulang(M' 
d'Avon,  brave  homme  très  riche,  a  été  égorgé  au  lit 
avec  sa  femme.  Les  choses  se  passent  en  famille  par 
le  temps  qui  court,  et  les  soupçons  tombant  sur  le  fils 
et  le  beau-frère,  ils  sont  arrêtés  et  Avon  dans  la  cons- 
ternation. Quoique  ce  soit  mal  de  tuer  son  père  et  sa 
mère,  je  défie  cette  petite  bourgeoisie  de  s'élever  à  la 
hauteur  de  Praslin.  Celui-là  est  une  variété  nouvelle 
dans  l'espèce  des  tigres.  Mais  quelle  brave  petite 
femme  que  celte  Fannie  '.  Contre  le  fer,  le  feu,  la 
massue,  la  corde,  elle  n'avait,  la  martyre,  que  sa  peau 
blanche  et  fine,  ses  petites  mains  et  ses  jolies  dents,  elle 
a  accepté  le  combat,  elle  a  marché  au  salut  en  cher- 
chant les  portes,  les  fenêtres,  elle  a  trouvé  les  son- 

'  La  duchesse  de  Choiseul-Praslin,  fille  unique  du  maréchal  Scbas- 
liani,  fut  assassinée  le  17  août  1847  par  son  mari  —  que  l'on  arrêta, 
mais  qui  se  tua  avant  d'être  jugé  (v.  Thureau-Dangin,  op.  cit.  t.  VII). 
En  1841  était  entrée  dans  la  maison  comme  gouvernante,  une 
demoiselle  Deluzy,  habile,  dominatrice,  intrigante,  qui  prit  de 
suite  un  très  grand  empire  sur  le  duc  de  Praslin.  La  duchesse  a 
laissé  des  Lettres  où  Ton  peut  lire  le  récit  de  ses  malhcui's.  Au 
sujet  de  cette  publication,  j\I™«  Caroline  Jaubert  écrivait  (4  sep- 
tembre 1847)  au  correspondant  de  M""  Hamelin  une  lettre  intéres- 
sante, lettre  que  l'on  trouvera  à  l'Appendice.  —  D'après  la  comtessse 
de  Boigne  (IV)  la  duchesse  de  Praslin  était  une  «  bonne  et  aimable 
femme  ». 


FORTUNÉE  IIAMELIN  267 

nettes  et  s'en  est  servie,  et  lorsqu'elle  s'est  vue  aban- 
donnée, elle  a  pris  le  rôle  de  la  Providence  en 
stig-malisant  son  bourreau  qu'elle  a  couvert  des  preuves 
de  son  crime.  0  sang- Corse  !  Que  vous  êtes  énergique  ! 
Savez-vous  que  si  sa  femme  de  chambre  n'eût  pas  été 
si  lâche,  elle  eût  sauvé  sa  maîtresse?  Pas  une  plaie 
n'était  mortelle,  l'hémorrag-ie  seule  l'a  tuée. 

Vous  êtes  en  terre  promise  dans  cette  Touraine  aux 
bons  fruits.  Vous  ne  voudrez  plus  du  raisin  de  Fon- 
tainebleau. Quelle  abondance  aussi  dans  notre  petit 
canton.  La  Madelaine  ploie  sous  ses  prospérités,  seu- 
lement la  caisse  n"a  pas  beaucoup  de  récoltes.  Elle 
ressemble,  hélas!  à  beaucoup  d'autres.  Il  me  semble 
que  le  ministre  des  Finances  n'a  rien  duColbertni  du 
Villèle,  il  arrange  drôlement  la  France. 

La  Pomaré  de  Madrid  s'en  donne  à  cœur-joie.  Hor- 
tense  étouffe  d'orgueil  des  prouesses  de  Bulwer'. 
Pour  dire  la  vérité,  il  n'a  pas  été  maladroit,  soyons 
juste.  Edouard  est  en  mer  du  12  août,  il  a  beaucoup 
pleuré  son  Anglaise  et  moi  aussi.  Le  cœur  est  bon,  mais 
le  cœur  tout  seul  est  bien  bête. 

Ne  vous  mettez  pas  les  austérités  en  tète.  C'est  vers 
la  douceur,  l'égalité  d'humeur,  le  respect  des  petites 
convenances  qu'il  faut  amener  votre  caractère  âpre, 
tranchant,  absolu.  Les  femmes,  les  vieilles  surtout, 
observent  et  jugent  bien.  Elles  sont  amicales  alors  et 
saventcombien  les  nobles  amitiés  demandent  d'é"ards, 
et  que  les  conserver  est  une  consolation,  un  honneur. 

Soyez  ici  pourles  vendanges.  Nous  ferons  deux  feuil- 
lettes pour  faire  sauter  les  chèvres.  Tonv  est  ici  en 

'  Sans  iloulc  dans  TalTairc  des  mariages  espagnols. 


268  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

vacances.  Elle  est  toujours  jolie,  très  grande,  très 
paresseuse  et  enragée  de  ce  que  vous  ne  parlez  pas 
d'elle. 

Sans  date,  1847. 

J'ai  su  par  Théophile  le  succès  eïïréné  de  Clé opàti^e  '. 
C'est  évidemment  un  billet  donné.  La  chasteté  de  la 
Madelaine  a  été  cabrée  de  l'arrivée  de  l'esclave...  C'est 
dégoûtant  et  la  barbarie  n'ennoblit  pas  la  débauche. 
Il  faut  voir  Rachel,  elle  divinise  tout. 

J'ai  su  par  la  Sainte-Croix  bien  des  nouveautés  sur 
le  procès.  Elle  adore  cette  mémoire  et  méprise  le  maré- 
chal presque  autant  que  Luzy.  11  court  après  tout  ce 
qui  est  Praslin,  craint  de  perdre  leurs  bontés,  leur 
familiarité,  il  est  iml)écile  enfin,  mais  toujours  cour- 
tisan de  la  vanité. 

Certes  la  pirouette  de  Xumala  ne  m'étonne  pas  du 
tout.  Je  l'ai  vu  à  l'œuvre  et  jugé;  j'en  ai  parlé  vive- 
mont  à  ma  KisselefTqui  en  a  été  dupe  enfin.  L'argent 
(juillui  aescobarbéestpeu  de  chose,  mais  pour  n'avoir 
pas  à  le  lui  rendre,  il  l'a  dissuadée  d'acheter  mon 
pavillon  S.'iO  000  francs  contrat  en  main.  Elle  avait 
six  ans  pour  payer.  Jugez  !  Elle  a  éparpillé  ses  capi- 
taux à  Hombourg,  Sicile,  Dieu  sait  !  Mais  elle  est  heu- 
reuse comme  une  bohémienne,  et  se  retrouve  toujours 
bonne,  riante,  fidèle,  établie  sur  ses  deux  grands 
pieds, 

Tony  fait  des  progrès  dans  la  douceur.  Les  larmes 
abondent  toujours  aux  séparations,  mais  j'aime  les 

'  Cléopâlre  du  Delphine  Gay.  Raclicl  joua  ce  l'ùlc  le  13  no- 
vembre 1847.  En  juillet  1849  elle  jouait  dans  le  Midi  de  la  France, 
à  ïarbes  et  à  Bagnères-de-Bigorre  et  elle  écrivait  à  Véron  :  «  Quelle 
route!  Quelle  fatigue!  Mais  quelle  dot!  » 


FORTUNEE  HAMELIN  26'J 

femmes  qui  pleurent,  vous  savez  pourquoi.  Lorsqu'on 
est  élevée  par  une  vraie  ^  M"""  de  Chantai,  comment 
n'être  pas  sag-e  et  instruite  ? 

Je  suis  touchée  des  larmes  polonaises.  J'écrivais  en 
Sicile  :  «  Que  n'êtes-vous  tombée  à  la  Madelaine  un 
soir  où  tout  le  salon  était  rempli  des  proscrites  de 
Posen  !  »  La  Kisseleff  les  eût  étoufTées  de  caresses. 
J'ai  envoyé  à  Palerme  un  très  touchant  autographe  de 
M"'*dePraslindonnéparLéontine-.  Je  trouve  l'Anglais 
fort  noble  puisqu'il  n'était  pas  amoureux.  Depuis  la 
mort  de  leur  mère,  ces  filles-là  ont  mérité  tous  les 
refus.  Si  vous  ne  vous  en  fâchiez  pas,  je  vous  dirais  que 
la  Luzy^  est  l'attelage  parfait  de  M'"''  Lafarge.  Mais 
Luzy  est  bien  plus  adroite,  on  le  dit,  l'enseignement 
apprend. 

Je  n'ose  parler  de  moi,  car  les  larmes  me  gagnent. 
Hélas  !  j'y  vois  si  mal  que  c'est  ne  plus  voir.  Je  fais 
des  remèdes  violents  qui  m'ôtent  toute  énergie.  Je 
me  consolerais  de  la  loucherie  extérieure,  mais  je 
louche  en  dedans  et  vois  tout  double  de  loin,  et  brouillé 
de  près.  C'est  bien  cruel,  bon  Dieu,  et  mes  épreuves 
sont  trop  dures. 

Vous  devez  avoir  une  lettre  de  moi  dont  M.  de  Cor- 
réard  '*  s'est  chargé.  J'avais  besoin  de  vous  dire  que 


'  C'est  d"clle-iiirnic  quo  parle  ici  M""!  Ilaiiiclin.  Nuus  somme.-^  loin 
(lu  Directoire. 

-  Sa  fille,  iiiarii'c  à  M.  de  Varamhon.  Le  iiiaréclial  de  CastcUanc 
en  parle  ainsi  dans  son  journal  (2i)  mai  d8i8,  II,  245)  :  «  Il  y  avait 
aussi  à  ce  dîner  (chez  eux)  la  inari|ui.se  do  Varainljon,  fille  de  la 
célèbre  M"""  Ilanieiin,  plul'H  jolie  (jui-  laide,  et  avant  tout  feninie 
de  beaucoup  d'e.spiit.  » 

•  C'est  Deluzy  que  se  nommait  l'institutrice  des  enfants  Praslin. 

'  Gorréard  (1788-1857)  s'embarqua  en  1810  comme  ingénieur  liydro- 


270  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

VOUS  aviez  été  si  bon  garçon  l'autre  soir  que  je  me 
consolerais  de  mes  maux  avec  des  amis  si  aima- 
bles. 

J'ai  reçu  une  aimable  petite  lettre  de  Jérôme*,  (signée 
Jérôme  tout  bonnement^.  Ce  mot  est  joliment  tourné 

graphe  à  bord  de  la  Méduse,  fut  sauvé  du  naufrage.  En  1818  il 
fonda  au  Palais-Royal  une  librairie  très  fréquentée.  On  y  publiait 
les  pamplilets  contre  la  Restauration.  La  librairie  fut  fermée  en  1822. 
Corréard  habitait  au  Prieuré  des  Basses-Loges,  dans  la  forêt  de  Fon- 
tainebleau. 

'  Jérôme  Napoléon.  La  pension  dont  parle  M"""  Uauielin  fut  accor- 
dée (100  000  francs)  au  prince  Jérôme  au  lendemain  de  la  Révolution 
de  1848,  avec  le  litre  de  pair  de  France.  Le  20  janvier  1841  il  écri- 
vait à  celle  qui  était  demeurée  fidèle  à  l'Empereur  :  «  Quelle  atroce 
et  inconséquente  conduite  que  celle  que  l'on  tient  à  l'égard  des 
frères  de  TEmpereur  !  On  les  tient  en  exil  et  on  lem'  retient  leurs 
biens,  afin  qu'ils  soient  obligés  de  vivre  des  secom-s  étrangers  !  Mais 
brisons  sur  ce  sujet,  la  conduite  du  Gouvernement  est  réellement 
par  trop  anti-française;  aux  Bourbons  leurs  biens  sont  conservés,  et 
à  nous  il  y  a  prescription.  »  Thiers,  Odilon  Barrot,  Passy  s'étaient 
occupés  de  lui.  Le  22  septembre  1847,  Duchàtel  écrivit  au  roi  Jérôme 
qui  fut  autorisé  à  résider  quelques  mois  en  France,  où  il  se  fit  pré- 
céder par  son  fils  le  prince  Napoléon. 

N.  B.  Il  y  a  une  lacune  dans  la  Correspondance  de  .V""  Hamelinà 
M.  C...  Il  eût  été  intéressant  de  connaître  son  avis  sur  la  Révolution 
de  1848  adressé  à  un  bonapartiste  convaincu.  On  trouvera  à  ce  sujet 
des  pages  curieuses  dans  le  livre  de  M.  Marquisel  qui  cite  quelques 
lettres  de  l'ancienne  Merveilleuse  à  son  fils  (22,  23.  24  juin  1848). 
Reproduisons  ces  lignes  :  «  Chacun  se  bat  pour  mie  idée  dilférente. 
Cependant  la  république  rouge  est  le  fond  de  toute  chose  pour  le 
peuple  :  il  est  acculé  et  ne  se  bat  qu'en  tombant  sur  le  canon.  Les 
femmes  sont  terribles,  depuis  M""=  Sandjus(iu'auxchilTonnières,  elles 
animent  les  hommes  le  drapeau  à  la  main.  Cavaignac  est  vigou- 
reux et  de  la  grande  école,  les  prétendants  se  croisent  les  bras  :  s'il 
s'en  montrait  un,  tout  s'expliquerait  à  l'instant  :  ceci  pourrait  bien 
donner  la  présidence  à  Cavaignac  qui  la  désire  fort.  »  Et  ailleurs  : 
«  Tu  peux  dire  à  tous  que  le  prince  Louis,  sans  être  très  beau,  est 
agréatjle,  gracieux  même,  sans  une  apparence  d'impertinence  ou 
d'importance  princière,  qu'il  est  instruit,  parle  quatre  langues  et 
connaît  la  littérature,  (ju'il  n'a  pas  oublié  un  nom,  est  bon.  généreux, 
fidèle  à  ses  amis,  et  que  nous  touchons  enfin  aune  époque  de  gloire 
et  de  paix.  Tout  se  rallie  à  lui.  » 

U"'"  Hamelin  mourut  avant  le  coup  d'État.  Qu'en  eût-elle  dit? 


FORTUiNÉE  IIAMELIN  271 

(à  sa  manière  qu'il  ferait  bien  de  communiquer  à  son 
Allemande).  Il  me  dit  de  rev^enir,  qu'il  est  content,  que 
la  Franceest  belle  et  bonne.  Ça  vaut  IGO,  200  000  francs 
de  rente.  Quelqu'un  disait  :  «  Il  n'est  pas  beau  comme 
l'Empereur,  mais  c'est  un  joli  Bonaparte.  » 


ANNÉES  1849-1850 


La  réponse  de  M™'  Hamelin  ■diix.  Mémoires  d'oulve-lombe  de  Chateau- 
briand. —  Les  Cont-Jours.  —  Dévouement  de  M"°  ilaniclin  à  Napo- 
léon. —  L'Italie,  Niobée  des  nations.  —  M.  de  Falloux.  —  Manin. 
—  La  sœur  d(?  Manara.  Ingratitude  des  anciens  amis  de  M"'  Hame- 
lin. —  Elle  juge  le  Second  Empire.  —  Sa  tristesse. 


La  Madelaine,  11  août  1849. 

L'opinion  des  autres  fait  trop  souvent  la  nôtre. 
Vous  avez  reçu  de  moi  vingt  lettres  qui  valaient  mieux 
que  ma  réponse.  Vous  n'y  faisiez  guère  attention. 
C'étaient  des  chefs-d'œuvre,  disent-ils.  Badinage  à 
part,  j'ai  été  dressée  par  3Iontrond  à  riiorreui*  de  la 
publication,  justement  parce  qu'il  trouvait  mes  lettres 
jolies  et  disait  que  M"""  de  Se  vigne  était  ma  grand'- 
mère,  mais  que  personne  n'avait  assez  d'esprit  pour 
en  rien  ôter  à  la  conversation.  Hélas  !  il  l'a  dit  même 
à  son  confesseur...  De  son  vivant  donc  je  n'eusse 
jamais  osé  !  D'ailleurs,  je  me  sentais  ignorante  et 
manquant  de  souffle.  Jugez  de  ma  modestie  à  soixante- 
dix  ans  !  Je  ne  puis  écrire  que  par  un  élan  et  cet  élan 
n'est  (ju'un  orage.   Ma  réponse  ^  a  été  faite  en  une 


'  Le  1"  août  1849,  le  ConslUulionnel  publiait  un  article  de  M"'»  Ha- 
melin née  de  La  Grave  (que  nous  reproduisons  à  l'.Vppendice), 
adressé  à  M""  la  comtesse  K...  (KisseleiT)  à  llorabourg.  Il  constituait 
une  réponse  aux  Mémoires  d'Outre-Tombe  de  Chateaubriand,  où, 
d'après  elle  (et  nous  croyons  bien  qu'elle  avait  raison),  «  une  belle 

18 


274  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

matinée,  ma  tète  était  brisée  et  j'eus  trois  jours  la 
fièvre. 

Vous  vous  trompez  sur  le  vaste  ciiamp  des  Ceiil- 
Jours.  Les  hommes  usés  y  prennent  une  physionomie 
superbe  à  broyer.  Est-ce  que  Ney  \  apostat,  ingrat, 
tuant  l'Empire  mourant,  peut,  malgré  son  supplice, 
rester  debout  et  monumental?  Est-ce  que  LaBédoyère- 
n'est  pas  un  héros  nouveau  et  digne  du  Tasse? 
Est-ce  que  moi-même  enGn  si  méconnue,  si  insultée 
par  son  neveu,  je  ne  suis  pas  la  seule  femme  mêlée 
courageusement  à  l'histoire  de  l'Empereur?  Dans  mes 
idées,  les  Gent-Jours  commencent  sur  le  perron  du 
Bramante  à  Fontainebleau.  Rentré  dans  un  salon, 
l'Empereur  lit  des  adieux  particuliers  à  plusieurs  offi- 
ciers. Il  connaissait  peu  La  Bédoyère  et  ne  voyait  en 
lui  qu'un  brillant  officier.  Ainsi  il  dit  :  «  Vous  avez 
un  bel  avenir...  Adieu.  »  «  ]\on,  non,  Sire,  à  revoir.  » 
Est-ce  beau  cet  à  recoir? 

Ce  sont  les  Gent-Jours,  car  vous  saurez  après  qu'il 
a  tout  déterminé.  Nous  traversons  en  raillant  la  pre- 
mière Restauration.  La  Bédoyère  refuse  toutes  les 
offres.  Un  jour  il  accepte...  Les  bêtes  trouvent  naturel 


petite  menotte,  celle  de  Juliette,  hélas  !  avait  fait  des  corrections  à 
l'usage  de  ses  propres  rancunes.  »  Juliette  Récamicr rancunière,  qui 
l'aurait  cru  !  M"»»  Hamelin  n  était  pas  nommée  dans  les  Mémoires. 
Pour  sa  vengeance  elle  publia  la  letU'e  que  René  lui  avait  adi-essèe 
le  y  février  18:23  et  que  nous  citons  dans  notre  Introduction  (p.  16). 
L'Enchanteur  ne  paya  pas  la  dette  de  la  reconnaissance.  Regrettons- 
le.  pour  la  vérité,  et  môme  pour  l'auréole  dont  se  pare  le  front  de 
Juliette  qui  ne  sut  pas  rester  «  divine  »,  toujours. 

*  Ney,  on  le  sait,  n'exécuta  pas  les  ordres  de  Napoléon  à  Waterloo 
(Henry  floussaye,  1814-l81o.) 

-  La  Bédoyère,  qui  avait  épousé  ii"^  de  Gliastellux,  mourut  fusillé 
en  tSlb. 


FORTUNEE  HAMELIN  275 

qu'on  se  rallie  et  qu'on  pense  au  solide.  Ma  scène 
avec  lui  en  apprenant  sa  défection.  Pour  me  calmer 
et  sûr  de  moi,  il  me  découvre  tout  et  me  fait  lire  sur 
une  petite  carte  (que  j'ai  encore  barbouillée  de  sa 
brave  main)  les  ports,  les  routes  (l'Empereur  voulait 
la  Spezzia)  puis  tous  enfin  aboutissant  à...  à...?  à  mon 
nouveau  régiment.  Puis  l'aigle  arrive,  la  proclamation  ' 
dans  ses  serres.  Cette  proclamation,  seule,  seule  j'ai 
pu  la  recevoir,  la  faire  imprimer,  afficlier,  quoique 
surveillée  et  menacée.  Puis,  puis,  je  dis  au  contraire 
que  c'est  nouveau  et  qu'aucune  odyssée  ne  contient 
rien  d'aussi  vit  ni  d'aussi  beau.  Me  voilà  déjà  fati- 
guée. 

Je  vous  félicite  de  revoir  l'Italie,  la  Niobée  des 
nations,  comme  disait  Byron.  Cette  Niobée  est  plus 
noble,  plus  digne  de  tendresse  depuis  qu'elle  a  brave- 
ment défendu  ses  enfants.  L'Empereur  de  Sainte- 
Hélène  était  plus  noble  que  celui  de  Marengo.  Mon 
cœur  s'attache  passionnément  aux  vaincus  et  quel- 

'  Le  rôle  Irès  actif  jouû  par  M""  Jlamelin  dans  le  retour  de  l'ilc 
d'Elbe  est  signalé  par  les  mémorialistes  et  les  historiens.  Son  salon 
était  le  quartier  général  des  Impérialistes.  Napoléon,  avant  d'entre- 
prendre cette  audacieuse  équipée  qu'on  appela  le  «  Vol  de  l'Aigle  », 
avait  rédigé  dans  son  palais  de  l'île  d'Elbe  trois  proclamations,  les 
deux  premières  adressées  par  lui  au  peuple  français  et  à  l'armée,  la 
troisième  prétenduement  adressée  par  la  Garde  Impériale  aux  géné- 
raux, officiers  et  soldats  de  l'armée.  Imprimées  secrètement,  les  pro- 
clamations furent  envoyées  à  des  partisans  irréductibles  de  la  cause 
napoléonienne  au  premier  rang  desquels  se  trouvait  M™»  llamclin. 
Et  lorsque  le  :2û  mars  1813  Paris  s'éveilla  sans  gouvernement,  lorsque 
Lavalctte  qui  avait  pris  de  sa  propre  autorité  la  direction  des  postes 
dépêcha  un  courrier  à  Napoléon  à  Fontainebleau  pour  lui  annonce!" 
la  fuite  de  Louis  XVIII,  presque  en  même  temps  l'iCmpcreur  reçut 
deux  lettres  de  M""*  llamclin  et  du  vieux  comte  de  Ségur  i|ui  annon- 
çaient aussi  la  fuite  de  Louis  XVIII.  (Henry  Iloussayo  {.es  Cent- 
Jours.  Fleury  de  Gliaboulon,  Mémoires.  Lavalette,  Mémoires.  Napo- 
léon, Correspoadance.  Archives  Nadonales,  F'3168-F"3200-'.) 


276  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

quefois  si  bêtement  que  je  ne  surprends  à  plaindre  et 
regretter  ce  lâche  Philippe  '  ! 

Pour  l'Italie,  je  l'adore  et  vous  envie.  Votre  vie  est 
remplie.  Quelle  retraite  !  Ce  climat,  ce  langage,  ces 
aimables  gens,  cette  aisance  qui  devient  splendide 
pour  vous  par  la  nouveauté  et  par  le  bon  marché.  Vos 
peines,  vos  changements,  vos  colères,  tout  est  indem- 
nisé. Mes  Cent-Jours  ne  m'ont  pas  si  bien  réussi, 
convenons-en. 

Je  n'aime  plus  les  légitimistes  depuis  qu'ils  ont 
adopté  le  drapeau  de  la  perfidie.  C'était  celui  de 
l'honneur  qu'ils  arboraient  jadis.  Celui-là  seul  pour- 
rait nous  sauver.  On  devait  répondre  à  M.  de  Falloux  : 
c(  Mais  si  la  pression  des  monarchies  devait  renverser 
la  République  romaine,  lorsque  la  Russie,  l'Autriche 
auront  tout  balayé,  la  pression  des  monarchies  de 
l'Europe  renversera  la  République  française  pour  v 
replacer  dans  son  spirituel  et  temporel  le  pape 
Henri  V.  »  C'est  à  ce  but  qu'ils  marclient,  mais  quel 
honteux  chemin  ! 

La  Madelaine  est  sur  la  route  d'Italie.  Venez  m'y 
dire  adieu.  Vous  y  trouverez  un  pauvre  cœur  profon- 
dément ulcéré,  mais  toujours  heureux  du  bonheur  de 
ceux  qui  furent  ses  amis. 

H. 

La  Madelaine,  3  septembre  1849. 

Les  disgraciés'  ne  cherchent  point  à  compromettre. . . 
Je  ne  vous  engage  point  à  venir  nous  dire  adieu,  quoi- 

*  Philippe  d'Orléans. 

-  Elle  écrivait  à  son  fils  le  9  décembre  1849  :  «  Je  te  parle  peu  de 
m  oi.  Ma  vie  a  été  une  déception  cruelle  depuis  février.  Ne-  te  tour- 


FORTUNEE  HAMELIN  277 

qu'une  journée  suffirait,  au  plus  une  nuit  avec  : 
Venise  !  Venise  !  Plaignez-vous  donc  !  Les  plus  nobles 
doges  sont  surpassés  par  Manin^  Ainsi  gloire  ancienne 
et  grandeur  nouvelle.  Nous  nous  en  tenons  à  l'an- 
cienne pour  chez  nous.  Je  connaissais  beaucoup  la 
sœur  de  Manara  tué  à  côté  de  Dandolo  ^  à  Rome.  Ce 
dernier  brigand  disait  en  expirant  :  «  Questa  palla 
doveva  ci  difendere  e  no  mi  uccidere  !  m 

Une  nuée  de  favorites  sont  à  Héricy.  Elles  ont 
chassé  un  Polonais  de  soixante-treize  ans,  on  lui  a 
offert  50  francs  et  un  passeport. 

M.  de  Meneval  m'a  écrit  une  lettre  touchante,  fort 
noble  même.  Je  ferais  une  jolie  collection  de  cent 
charmantes  lettres  dont  Besplas  a  le  pompon.  Sophie 
fait  un  peu  la  grimace  à  cette  pluie.  Tony  est  plus 
grande  que  moi  et  plus  méchante.  Je  reviens  le  20  à 
Paris  pour  huit  jours.  Ma  chère  princesse  est  bien 
mal.  Son  mari  est  dans  une  exaltation  religieuse  qui 
lient  de  la  démence.  J'espère  que  la  chasse  le  va 
calmer.  Je  vous  envie.  Je  pleure  sur  le  même  sou- 
venir. Quelle  différence  avec  sa  race  ! 

//  reste  deux  lettres  de  M"'^  Hamelin  à  M.  C... 
L'une  datée  du  8  novembre  1830  et  l'autre  du  14 /e- 

mentc  pas  de  ma  position,  elle  a  été  aiïreuse  et  l'ingratitude  en  a 
augmenté  l'amertume.  J'ai  trouvé  des  affections  très  dévouées  ;  jo 
suis  recherchée  et  ma  santé  et  ma  pauvreté  me  font  décliner  abso- 
lument toutes  les  avances  comme  chères  et  fatigantes.  Je  me  plais 
à  la  Madelaine  doublement,  car  le  voisinage  de  la  famille  Trou- 
betzkoï  est  une  providence  consolatrice.  »  (Marquiset,  op.  cit.) 

'  Le  patriote  italien. 

*  11  y  eut  plusieurs  Dandolo.  Les  deux  plus  connus  sont  Vincent 
Dandolo  (17.t8-181!}),  écononiiste  et  son  petil-(ils  Emile  Dandolo  (1830- 
1859)  qui  fit  partie  de  la  légion  des  volontaires  lombards  organisée 
en  1848  par  Manara  qui  l'ut  tué  avec  Henri  Dandolo  et  Morosini. 


278  UNE  ANCIEiNiXE  MUSCADINE 

vricr  I80I.  Elles  ont  tirait  à  la  mort  d'une  amie  intime, 
«  nouvelle  Cendrillon  »,  qui  voulait  refjip lacer  sa  fille 
Léontine,  et  qui  mourut  sans  même  nommer  Fortunée 
Hamelin  dans  son  testament.  Cette  inrjratitude ,  ajoutée 
à  tant  d'autrc!^^  arrache  à  ranciennc  i\fcrveillcuse  des 
termes  povjnants  : 

«  A  moi,  sa  nv'rc.  disait-elle,  sa  mère  adorée,  com- 
i:)ensation  de  sa  famille,  rien,  rien,  pas  une  bague, 
pas  un  nom  prononcé,  un  adieu!  Rien,  rien.  C'est 
étrange,  c'est  affreux!  Quelle  affreuse  résolution  se 
fait  au  moment  de  la  mort  ou  devant?  On  m'aime 
pour  vivre,  ou  m'oublie  pour  mourir,  moi  si  fidèle  au 
culte  des  morts  ! . . . 

f<  0  cœur  humain!  0  cœur  polonais!  L'expliquera 
qui  pourra  !  Moi  dont  le  cœur  est  très  bete,  je  souffre 
sans  comprendre...  Depuis  cette  mort  si  saisissante 
pour  moi,  ma  santé  est  déplorable.  Je  sens  toujours 
cette  petite  main  frémir  dans  la  mienne,  sous  les  til- 
leuls de  la  Madelaine.  Là  aussi  j'avais  quitté  Montrond 
et  tous  me  demandaient  d'y  venir  finir  leur  vie  près 
de  moi.  La  Madelaine  aussi  va  me  quitter  et  son  sou- 
venir divin  se  mêlera  le  reste  de  ma  vie  à  celui  de 
ces  charmants  amis.  Courage,  vieille  femme  !  Le 
temps  te  presse,  tu  n'es  point  panthéiste,  ces  amis  tu 
les  retrouveras. 

«  Vous  parler  de  notre  bas  Empire  c'est  voler  les 
journaux.  Ils  sont  plus  rouges  et  plus  blancs  que 
jamais.  La  dignité,  la  grâce  sont  bannies.  Les  sei- 
gneurs par  excellence  s'appellent  La  Moskowa  ',  Tou- 
longeon,  Fleury  et  Belmontet. 

*  Napoléon-Henri-Edgar  Ney,  prince  de  la  Moskowa,  fils  du  maré- 
chal  Nev,  fut  attaché  comme    officier  d'ordonnance   à  la    maison 


FORTUNÉE  IIAMELIN  279 

«  Quel  dommage  que  dans  votre  malaria  on  ne 
cause  pas,  on  ne  lise  rien  et  qu'on  ne  parle  ({u'un 
espagnol  arabe.  Que  j'aimerais  vos  oranges,  vos 
vins,  vos  raisins  et  que  j'aurais  besoin  de  votre  bon 
marché  !  J'espère  que  votre  santé  s'arrange  avec  la 
malaria  et  que  v'os  amis  ne  vous  oublieront  pas,  car 
enfin  petit  bonbomme  vit  encore.  Il  y  en  a  qui  disent 
que  cet  éciiec  va  beaucoup  le  populariser.  Attendons. 
Je  n'espère  en  personne.  Pardon  de  ma  tristesse  ^  » 

militaire  de  L.  Napoléon.  Il  fut  représentant  en  ISoO,  et  sénateur 
du  second  Empire. 

Toulongeoii  (Hippolyte-Alexandre-Paul-Léonel,  comte  de),  député 
au  Corps  Législatif  de  1857  à  1868,  né  à  Eclans  (Jura)  le  31  dé- 
cembre 1820,  mort  le  21  mai  1868,  fit  de  l'opposition  au  gouverne- 
ment de  Louis-Philippe  et  se  rallia  ensuite  à  la  politique  de  Louis- 
Napoléon. 

Plusieurs  hommes  politiques  du  nom  de  Fleury  vécurent  à  celte 
époque.  Il  s'agit  sans  doute  ici  du  général  Fleury  (Emile-Félix),  né 
en  181o,  mort  en  1884,  qui  devint  officier  d'ordonnance  de  L.-N.  Bo- 
naparte, et  son  conseiller  intime.  Il  contribua,  lors  du  Coup  d'Etat 
de  décembre,  à  la  répression  des  tentatives  de  résistance. 

Belmonlet  (Louis),  né  à  Montauban  (2*5  mars  1799),  mort  à  Paris 
(13  octobre  1879).  député  au  Corps  Législatif  de  18.n2  à  1870.  Il 
publia  un  grand  nombre  de  brochures  politiques  et  de  volumes  de 
vers  (Les  Mânes  de  Waterloo,  la  Mission,  l'Apologie,  une  Fête  de 
Néron  (1S29).  Belmontet  avait  collaboré  à  la  Muse  Française,  à  la 
Tribune,  au  Tribun  du  Peuple,  au  Capitole  (dont  parle  souvent 
M°">  Ilamelin).  Il  fut  décoré  en  1846  après  la  publication  des  Nombres 
d'Or,  recueil  de  vers.  II  avait  été  en  relations  avec  M»»»  Hamelin 
qui  le  raillait  quelquefois. 

*  M""  Hamelin  mourut  le  29  avril  1831  (v.  Le  Pays,  4  mai  1851, 
et  dans  le  Constitutionnel,  9  mai  1831,  un  article  de  Sophie  Gay). 

Cette  lettre  est  donc  une  des  dernières  de  l'ancienne  Muscadine 
qui  méritait  l'hommage  ([ue  nous  lui  avons  rendu. 


APPENDICE 


APPENDICE 


Lettre  a  Lucas  de  .Mo.ntigxy  ^ 

Sans  date. 

Monsieur  Lucas, 
Mon  sort  est  entre  vos  mains.  Il  est  impossible  que 
vous  n'ayez  pas  dans  votre  sang  de  cet  art  qui  entraîne 
les  assemblées.  Vous  ferez  pour  vos  amis  ce  que  d'autres 
font  pour  la  gloire  ou  des  intérêts  personnels  ;  ici  la 
reconnaissance  ne  sera  point  éparpillée,  combattue, 
elle  sera  sentie  et  bien  vivement. 

F.  Hamelin. 

Lettre  de  Chateaubriand  a  M™'^  Hamelix^. 

Paris,  le  11  décembre  1844. 

Grand  merci  de  votre  billet  de  la  rue  Blanclie  ;  ne 
vous  mettez  plus  en  peine  de  moi,  excepté  de  mon 
amitié  pour  vous.  Ces  nouvelles  indignités  de  la  Presse^ 

'  Bibliothèque  nationale,  Manuscrits.  Fn.  a.  2765.  C'est  la  seule 
lettre  de  M""»  Hamelin  qui  soit  à  la  Bibliotliéque  nationale. 

-  Souvelle  Revue  ?-élrospective,  octobre  1898. 

^  Criblé  de  dettes.  Chateaubriand  avait  cédé  la  propriété  des  Mé- 
moires  à  une  société  composée  d'amis  et  d'admirateurs.  En  1844, 


284  UiNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

ne  me  font  rien.  Je  laisse  passer  et  je  ne  m'embarrasse 
pas  de  gens  qui  veulent  voler  jusqu'à  mon  cercueil. 
Ne  riez  pas  de  moi  ;  je  suis  sincère.  Je  n'ai  jamais  rien 
affecté.  J'ai  eu  de  jeunes  faiblesses  ;  elles  sont  main- 
tenant passées.  Je  suis  en  face  de  mes  vieux  ans  qui 
me  regardent  ;  cela  n'est  pas  très  amusant.  J'aimerais 
mieux  vous  revoir,  mais  quand  je  vous  reverrais,  que 
vous  dirais-je  ?  Savez-vous  que  votre  ancien  ami  * 
m'a  cberché  avant  de  mourir?  Voulait-il  s'appuyer 
sur  moi  ou  voulait-il  me  donner  le  bras  pour  faire  la 
dernière  enjambée  ?  Hélas  !  je  suis  réduit,  maintenant, 
à  prier,  en  attendant  les  dernières  prières  que  l'on 
voudra  bien  m'octroyer  ! 

Vous  voyez  que  je  ne  puis  plus  écrire  et  que  je  suis 
obligé  d'employer  une  main  étrangère  '.  Nous  avons  vu 
de  meilleurs  jours,  de  plus  grands  jours.  Je  suis, 
maintenant,  tout  ratatiné.  Si  vous  me  voyiez,  par 
liasard,  vous  ne  me  reconnaîtriez  pas. 

Adieu  ou  bonjour,  comme  vous  voudrez.  Si  vous 
avez  eu  des  inimitiés  dans  votre  vie,  oubliez-les.  Que 
votre  colère  surtout  ne  tombe  jamais  sur  moi.  Res- 
pectez un  bomme  qui  vous  est  si  dévoué.  C'est  quelque 
chose  que  le  dévouement.  Dans  une  âme  bien  née,  il 


Â'mile  de  Girardin  obtint  pour  SO  000  francs  le  droit  de  publier  les 
Mémoires  dans  la  Presse  à  la  mort  de  l'auteur. 

'  Le  comte  de  Montrond.  On  a  lu  plus  haut  le  récit  que  M"»»  Ha- 
melio  a  fait  de  ses  derniers  moments. 

-  Ciiateaubriand  ressentait  déjà  dès  4840  celte  difficulté  à  écrire  : 
«  Vous  ne  m'écrirez  pas.  Moi,  je  vous  écrirai,  quoique  pouvant  à 
peine  former  une  lettre.  Le  vieux  chat  ne  peut  plus  jeter  sa  griffe 
qui  se  retire.  Je  rentre  en  moi.  Mon  écriture  diminue,  mes  idées 
s'effacent;  il  ne  m'en  reste  plus  qu'une,  c'est  vous.  »  Lettre  de  Cha- 
teaubriand à  Juliette  liécamier,  19  juillet  1840  (Edmond  Biré.  1-es 
Dernières  années  de  Chateaubriand .) 


APPENDICE  285 

survit  à  tout.  Il  remplace  les  jeunes  années  et  l'on  peut 
se  faire  des  illusions. 

Aimez-moi  toujours  comme  quand  vous  veniez  me 
chercher  aux  Affaires  élrangères.  Je  suis  au  moment 
d'aller  retrouver,  dans  quel  coin  isolé,  la  grande  affaire 
de  tous  les  hommes. 

Tout  à  vous  et  à  toujours, 

Chateaubriand. 

Lettre  de  Madame  Lafarge  {Marie-Fortlxée  Cappelle) 
A  M.  C...1. 

1846. 

Merci,  monsieur  merci  !  Votre  lettre  c'est  vous  !  C'est 
votre  chère  brutalité,  votre  loyale  franchise,  votre  es- 
prit, votre  tête...  Votre  lettre,  c'est  l'ombre  de  vous- 
même,  et  voilà  pourquoi  elle  m'a  fait  rêver,  pleurer, 
sourire,  voilà  pourquoi  je  veux  avoir  le  courage  d'y 
répondre  de  la  seule  manière  digne  de  vous  et  de  moi. 
Si  j'étais  une  femme  heureuse,  j'userais  de  mes  préro- 
gatives de  fille  d'Eve,  je  vous  laisserais  apprendre  au 
jour  le  jour,  par  cœur,  lentement,  capricieusement  mon 
secret.  Ici  je  ne  \q  imis.  Je  ne  le  dois.  Ecoutez-moi  et 
que  votre  honneur  protège  maconfiance.  Je  vous  aime; 
mais  de  toute  ma  volonté,  de  toute  ma  conscience,  de 
toutes  mes  forces,  de  tout  mon  courage,  je  suisdécidée 
à  ne  pas  vous  aimer.  Je  ne  vous  demande  pas  de  res- 
pecter cet  aveu...  Je  ne  vous  le  demande  pas,  car  en 
me  lisant  vous  me  sentez  souffrir.  Dieu  ne  donne  jamais 
à  un  seul  cœur  le  baptême  de  ses  saintes  amours.  Dans 

'  Voir  Année  1846  (Lettres  de  Fortunée  llamelin)  ce  que  M'»»  lia- 
nielin  pensait  de  M""»  Lafarge. 


286  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

un  inonde  selon  ses  lois,  nous  pouvions  être  bien  heu- 
reux, —  dans  celte  société  je  ferais  peser  sur  vous  la 
moitié  de  cette  malédiction  injuste  qui  m'a  atteinte... 
Ne  revenez  pas  à  Montpellier.  Oubliez-moi.  Cela  vous 
sera  facile,  à  vous  pour  lequel  mon  amitié  eût  été, 
tout  au  [)lus,  l'étoile  qui  brille  la  nuit  en  l'absence  du 
soleil,  —  mais  qui  s'éteint  à  son  retour.  Dans  l'esprit 
de  notre  code  civilisé  ce  que  je  vous  dis  est  une 
faute. 

Selon  ma  conscience,  c'est  un  devoir  pénible  que 
j'accomplis.  Vous  êtes  plus  fort  que  moi.  Pour  la  pre- 
mière fois  de  ma  vie  je  subis  le  charme  d'une  attrac- 
tion indéfinissable,  mais  je  le  subis  en  me  révoltant. 
Je  veux  pouvoir  parler  de  votre  souvenir  avec  Dieu 
sans  rougir.  Je  veux  sans  rougir  mériter  l'estime  de 
mes  amis.  Surtout  je  ne  veux  plus  m'exposer  aux 
coups  de  soleil.  On  dit  qu'il  en  est  d'assez  puissants 
pour  rendre  folle.  Je  le  crois... 

Ne  vous  irritez  pas...  3c  souffre.  Souffrons  ensemble. 
La  souffrance  à  deux  est  quasi  du  bonheur.  Par-dessus 
toutcomprenez  le  sentiment  qui  dicte  cette  lettre.  Jeune 
fille,  j'ai  beaucoup  rcvé  d'adorables  rêves.  J'ai  été 
trompée  plus  tard  dans  la  première  affection  sérieuse 
de  ma  vie,  avant  que  cette  affection  soit  devenue  pas- 
sion ;  ramenée  alors  par  mes  tantes  au  sens  commun 
de  la  vie,  voyant  autour  de  moi  ma  sœur,  mes  cou- 
sines, mes  amies  épouser  le  premier  mari  d'apparat 
A'enuetsemontrer  satisfaites,  j'ai  cru  qu'il  m'en  arrive- 
rait comme  à  elles,  je  me  suis  laissée  marier  en  m'étour- 
dissant  le  plus  possible.  Mais  en  face  du  monde  qui 
me  lierait,  mon  cœur  s'est  révolté.  J'abandonnais  ma 
dot,  ma  volonté,  ma  vie  à  celui  qui  m'avait  épousé 


APPENDICE  287 

pour  relever  ses  affaires  avec  ma  fortune,  meubler  son 
salon  avec  ma  personne,  compléter  sa  vie  avec  ma 
pauvre  vie.  Mais  je  déclarai  ne  donner  mon  amour  que 
contre  de  l'amour  et  vous  savez  quelle  fut  la  récom- 
pense de  ma  franchise.  La  mort  —  le  déshonneur  — 
une  agonie  à  perpétuité.  En  prison,  de  nobles  dévoue- 
ments se  pressèrent  autour  de  moi.  Ils  adoraient  la 
Martyre.  La  femme  resta  calme.  Un  seul  paraissait 
m'aimer  un  peu  pour  moi  ;  il  éprouvait  la  vanité  de 
l'amour  et  non  sa  sainte  religion.  Il  m'oublia  et  comme 
c'était  moins  lui  qui  m'avait  trompée  que  moi  qui  avais 
voulu  mo  tromper,  je  lui  avais  pardonné.  Je  me  con- 
solais en  étant  orgueilleuse  de  mes  forces,  je  me  sen- 
tais invulnérable,  invincible.  J'ai  eu  tort.  Dieu  m'a 
punie.  J'ai  peur  aujourd'hui. 

Ecoutez-moi  encore...  Si  vous  aimez  une  noble 
femme  qui  vous  aime,  je  le  crois,  me  rappelant  l'/mi- 
tation  que  vous  lisez  chaque  soir,  ne  l'oubliez  pas, 
môme  un  jour. 

Ecoutez-moi.  Je  n'ai  gardé  en  ce  monde  que  la  con- 
solation de  pouvoir  vivre  face  à  face  avec  moi-même, 
sans  avoir  jamais  à  rougir  d'un  souvenir.  Ne  m'enviez 
pas  cette  consolation. 

Ce  n'est  pas  que  je  croie  l'amour  un  déshonneur 
devant  Dieu.  Femme  heureuse  et  libre,  j'oserais  aimer 
de  tout  l'abandon  de  mon  âme,  de  mon  cœur,  de  mon 
être,  —  dans  ma  position,  c'est  impossible  !  dans  ma 
position  vis-à-vis  de  vous,  c'estplus  impossible  encore. 
Un  Inspecteur  Général  !...  Ah  !  pourquoi  m'avez-vous 
regardée  comme  jamais  on  ne  m'avait  regardée,  pour- 
quoi m'avez-vous  pris  la  main  comme  jamais  on  ne 
me   l'avait    prise,    pourquoi    m'avez-vous  comprise) 


288  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

devinée,  dominée,  commejamais  on  ne  m'avait  devinée, 
dominée,  comprise  ? 

Adieu,  monsieur,  à  Bien.  Si  votre  cœur  lit  dans  le 
mien,  il  comprendra  que  c'est  irrévocablement  que  je 
préfère  le  respect  de  votre  cher,  de  votre  aimé  sou- 
venir au  bonheur  de  vous  dire  :  au  revoir  en  m'expo- 
sant  peut-être  à  mériter  votre  mépris. 

Je  souffre  —  soyez  heureux  —  et  dans  la  solitude 
de  votre  foyer  vide,  de  votre  foyer  éteint  par  la  mort, 
ne  vous  croyez  pas  seul.  On  ne  l'est  jamais  alors  qu'on 
est  aimé. 

On  m'a  remis  votre  lettre  fermée.  La  sachant  par 
cœur,  je  l'ai  brûlée.  Brûlez  la  mienne. 

Depuis  huit  jours  j'ai  la  lièvre;  la  réaction  de  mon 
courage  qui  se  fait  sentir  sur  ma  santé;  ce  ne  sera 
rien,  malheureusement.  Le  fjênie  de  mon  activité  ne 
s'exerce  que  trois  heures  par  soirée. 

Je  suis  encore  sous  le  régime  à.ç,\ engouement.  Vous 
croyez  que  cela  ne  continuera  pas,  c'est  peu  flatteur, 
mais  c'est  vrai,  je  le  crains. 

Ma  pauvre  demi-morte  est  tout  à  fait  ressuscitée. 
Je  me  suis  donnée  pour  tâche  de  porter  tous  les  malades 
dans  mon  cœur  pour  écraser  mes  instincts  de  révolte. 
G'estlourd, mais moinslourd  qu'uneidée fixe. M.  de V. . . 
met  une  délicatesse  charmante  à  me  faire  faire  du 
bien.  J'ai  vu  la  Corse  à  laquelle  vous  vous  intéressez. 
Nous  parlons  italien  ensemble.  Je  regarde  souvent 
avec  plaisir  le  joli  visage  de  saint  Jean,  parce  que  je 
sais  qu'avec  plaisir  aussi  vous  le  regardiez  et  le  trou- 
viez joli.  Adieu,  et  si  vous  aviez  jamais  besoin  de 
l'affection  d'une  sœur,  appelez  Marie,  elle  répondra. 
Je  suis  bravement  entrée  en  fonctions  malgré  la 


APPENDICE  289 

toux  et  la  fièvre.  Voici  ce  qui  a  été  arrangé.  J'irai  à 
quatre  heures  et  demie  surveiller  les  pansements,  faire 
la  visite  du  soir  dans  les  infirmeries  et  faire  les  obser- 
vations de  la  clinique  pour  guider  M.  Pourcliet  le  len- 
demain sur  l'état  des  malades.  De  plus,  le  bon  M. . .  (illi- 
sible) ((ue  j'ai  vu,  me  donne  la  charge  de  tout  surveiller 
a(in  que  je  puisse  aller  partout  un  peu  consoler  les 
prisonnières  les  plus  intéressantes  et  leur  être  utile 
en  me  chargeantde  leurs  réclamations  vis-à-vis  de  ses 
commis.  M.  l'inspecteur  m'a  guidée  au  milieu  des  ate- 
liers et  de  l'hôpital.  Son  étonnement  était  prodigieux 
en  voyant  que  je  connaissais  le  tiers  des  détenues  par 
leurs  noms  en  dépit  des  barrières  et  de  la  surveillance. 
Cette  visite  que  je  craignais  a  été  une  véritable  ova- 
tion. Il  y  a  surtout  une  jeune  malade  à  l'agonie,  qui, 
ayant  une  maladie  contagieuse,  était  enfermée  à  part 
et  dans  son  délire  avait  le  désespoir  fixe  de  ne  pas  me 
voir  comme  ses  compagnes.  Lorsque  j'y  entrai,  que 
la  sœur  lui  dit  mon  nom,  elle  leva  ses  grands  yeux 
mornes  vers  moi  et  dit  :  «  Non,  ce  n'est  pas  Elle. 
Cela  se  gagne  mon  mal.  Il  faut  que  je  meure  seule.  » 

Je  lui  parlai,  je  lui  pris  la  main.  «  Ah!  s'écria-t-elle, 
je  reconnais  sa  voix.  »  Et  je  ne  la  connaissais  pas,  — 
et  l'eftet  de  ma  longue  visite  fut  si  bi)n  que  ce  soir  elle 
est  mieux  —  que  peut-être  je  la  sauverai.  Vous  m'avez 
donné  le  conseil,  je  vous  offre  la  moitié  de  la  première 
joie  qu'il  me  procure.  Aimez-moi  donc  un  peu,  vous 
voyez  que  je  vais  être  forcée  de  vous  aimer  beaucoup. 

31.  Morcau  et  le  préfet  veulent  me  faire  venir  de 
Paris  un  piano-orgue  et,  je  l'espère,  nous  vous  chan- 
terons une  belle  inosse  quand  l'iieurc  de  votre  retour 
sonnera.  Cependant,  si  vous  priez  pour  moi,  (jue  ce 

l'j 


290  UNE  ANCIENNt;  MUSCADLNË 

soit  pour  que  Dieu  me  rappelle  dans  ses  autres  mondes. 
Je  souffre.  Des  années  sont  si  longues  qu'en  voyant 
votre  retour  à  travers  leur  ombre,  je  ne  le  désire  pas. 
Un  mot  de  reproche  pour  finir.  Pourquoi  m'avez-vous 
demandé  des  conseils  sur  les  plus  difficiles  pratiques 
de  nos  religions,  quand  vous  auriez  pu  me  donner  des 
leçons  !  Moi,  pauvre  femme,  je  n'ai  jamais  atteint  les 
iiauteurs  de  la  confession  en  parties  doubles.  Depuis 
votre  départ,  quand  je  passe  près  de  ma  table,  j'ai  la 
réminiscence  d'un  petit  coup  de  soleil  sur  la  joue. 
N'allez  pas,  je  vous  en  supplie,  vous  en  souvenir  dans 
un  de  ces  moments  où  vous  gagnez  des  indulgences 
plénières  en  dénonçant  les  poutres  qui  se  trouvent 
dans  le  cœur  de  votre  prochain...  Il  est  vrai  qu'un 
coup  de  soleil  sur  la  joue  n'est  pas  une  poutre  dans 
le  cœur!  Mais  enfin,  oubliez.  Je  m'en  souviendrai  pour 
deux.  Quel  grand  saint  vous  ferez  !  Avouez  que  vous 
me  deviez  un  compliment  quand  je  vous  ai  dit  qu'avec 
votre  caractère  vous  trouveriez  dans  un  grand  mal- 
heur ou  dans  une  immense  joie  la  force  d'aller  vous 
jeter  dans  un  confessionnal.  C'était  faire  de  la  pro- 
phétie les  yeux  tournés  en  arrière.  » 

Marie  Lafarge. 

Lettrh;  de  Caroline  Jaubekt  au  .mè.me 
{Fragment  inédit). 

Marly,  4  septembre  1847. 

Je  ne  suis  point  assassinée  et  je  prends  mes  mesures 
pour  ne  pas  être  doublement  victime  comme  cette 
pauvre  duchesse.  N'avez-vous  pas  trouvé  cette  publi- 


API'ENDICt:  291 

cation  très  bizarre  ?  L'avez-vous  dans  les  Débats  ?  Les 
autres  journaux  ont  tronqué  ce  que  vraiment  on 
n'aurait  pas  dû  mettre. 

Elle  ne  pensait  pas  que  le  célibat  forcé  lui  fût  salu- 
taire et  regardait  cet  état  comme  celui  de  vos  forçats. 
Il  paraît  que  la  famille  Sebastiani  a  trouvé  encore 
assez  de  vanité  à  travers  cet  événement  pour  penser 
illustrer  M""'  de  Praslin  par  la  publication  de  ses  écrits. 
Il  y  a  erreur  s'ils  ont  pensé  la  grimper  au  rang  des 
Sévigné  ou  des  Maintenon.  Cependant  vu  le  très  bas 
de  la  moyenne  chez  les  femmes  (en  ce  siècle),  on  peut 
dire  qu'elle  est  au-dessus.  Paris,  vous  le  savez, 
adore  les  commotions  et  émotions.  La  mort  du  duc 
a  coupé  les  vivres.  Mais  tous  les  esprits  sont  en  l'air 
et  demandent  pâture.  Alors  on  forge  incessamment  des 
nouvelles,  et  nous  nous  les  jetterions  à  la  tête,  mon 
cher  gobe-mouches,  si  vous  veniez  nous  voir  en  ce 
temps-là...  » 

Cahollm:;  Jaubert. 

Feuilleton  du  Conslilutionnel  t/i<  1'''  août  18^9. 

On  nous  communique,  avec  prière  de  l'insérer,  la 
lettre  suivante  qui  se  rattache  à  l'un  des  récents  para- 
graphes des  Mémoires  d Outre-Tombe  de  M.  de 
Chateaubriand. 

A   M"**'   LK   COMTESSE    K...  ',    A    IIOMBOURG 

Sophie,  vous  avez  donc  lu  ces  terribles  feuilletons 


'  La  comtesse  KisselefT  (M"»"   Ilanielin  écrit  Kisselolï)  doni  il  est 
souvent  question  dans  la  Correspondance  que  nous  publions. 


292  UNI-:  ANCIENNE  MUSCADINE 

sur  le  duc  d'Eng-hicn*  ;  vous  êtes  choquée,  moi  je  suis 
navrée.  0  mon  illustre,  mon  adorable  Chateaubriand 
qu'avez-vous  fait  ?  Ces  savans  confesseurs  i)0ur  qui 
vous  écriviez  Bancé  ne  vous  ont  donc  pas  appris  le 
Génie  du  Chrisiianistne?  Ce  mécréant  de  Voltaire  le 
savait  mieux  que  vous  lorsque  dans  l'Alzirc  il  dit  : 
«  Notre  Dieu,  c'est  le  pardon.  »  Si  grand  par  le  génie 
dans  la  tombe  même  vous  n'avez  pu  supporter  la 
supériorité  de  cet  autre  génie-  qui  touchait  aux  nues. 
L'envie  fut  donc  bien  forte,  si,  dans  votre  noble  cœur 
elle  a  produit  ranalhème  !  Hélas  I  moi,  vieille  femme, 
j'ai  vu,  au  commencement  de  ce  siècle  si  tapageur,  un 
jeune  croisé  breton  promener  un  (lambeau  dont  la 
clarté  mystérieuse  laissait  lire  ces  mots  charmans  : 
«  Atala,  Amélie,  René,  Chateaubriand.  »  Ce  jour-là  % 


'  La  Presse  commença  de  publier  les  Mémoires  dOulre-Tombc  le 
21  octobre  1848.  Le  feuilleton  consaci-o  à  la  mort  du  duc  d'Engliicn 
parut  dans  le  numéro  du  18  juin  1849.  Chateaubriand,  qui  occupait 
un  poste  dans  la  diplomatie,  avait  donné  sa  déuîission  au  lendemain 
de  cette  mort  (1804)  qu'il  imputait  à  Napoléon,  appelé  par  lui  «  le 
glorieux  assassin  ».  Le  Mercure  imprima  l'article  en  1807.  Cliateau- 
briand  dit  qu'il  remua  le  monde  et  que  l'Empereur  se  serait  écrié  : 
«  Chateaubriand  prétend  que  je  suis  un  imbécile,  que  je  ne  le  com- 
prends pas!  Je  le  ferai  sabrer  sur  les  marches  des  Tuileries.  »  Ordre 
fut  donné  de  supprimer  le  Mercure  et  d'arrêter  Cliatcaubriand  ; 
mais  René  ne  l'ut  pas  iniuiété.  Néanmoins  la  menace  pesait  sur  sa 
tète.  En  1807  il  achetait  la  Vallée  aux  L.oups. 

-  Napoléon. 

^  Le  Génie  du  Christianisme  fut  imprimé  en  1802.  Six  éditions  se 
vendirent  en  une  anné  ).  «  Alors,  dit  Chateaubriand,  vinrent  se  presser 
autour  de  moi,  avec  les  jeunes  femmes  qui  pleurent  aux  romans, 
la  foule  des  chrétiennes  et  ces  autres  enthousiastes  dont  une  action 
d'honneur  fait  palpiter  le  sein.  »  L'Empereur  partageait  l'admiration 
de  tous  pour  la  nouvelle  oîuvre  de  Chateaubriand,  car  en  1811  il  fit 
demander  à  l'Académie,  où  Ciiateaubriand  vt-nait  d'être  élu,  pour- 
quoi, lorsqu'elle  s'occupait  de  distribuer  ses  prix,  elle  n'avait  pas 
mis  sur  les  rangs  le  Génie  du  Christianisme  ?  «  Espèce  de  coquetterie 
impériale,  ajoute  Sophie  Gay  (LaPresje,  Il  août  l54'.))  à  laquelle  l'au- 


APPENDICE  293 

dans  Paris,  pas  une  femme  n'a  dormi.  On  s'arrachait, 
on  se  volait  un  exemplaire.  Puis  quel  réveil,  quel  babil, 
quelles  palpitations  !  Quoi  !  c'est  là  le  christianisme, 
disions-nous  toutes,  mais  il  est  délicieux,  qui  donc 
l'explique  ainsi  ?  —  C'est  un  preux  de  l'armée  de 
Condé,  répondait  la  duchesse  de  Châtillon  (un  peu 
pédante,  femme  d'esprit  d'ailleurs).  Dans  mon  âme 
je  pensais  que  notre  armée  d'Italie  aurait  le  dernier 
mot  en  toutes  choses,  et  ne  me  doutais  guère  qu'elle 
portait  dans  son  sein  César  et  ses  commentaires  ; 
ainsi  je  pris  l'avant-garde  des  jeunes  enthousiastes, 
et  lorsque  nous  rencontrions  un  académicien,  même 
un  très  bel  esprit,  Fescarmouche  commençait  :  il  se 
défendait  vivement  en  relevant  des  fautes  légères. 
L'envie,  hélas  !  est  le  choléra  parisien. 

Le  temps  marchait,  le  canon  grondait,  les  rois 
captifs  dansaient  avec  nous  ;  le  monde  nous  appar- 
tenait et  Chateaubriand,  plus  spirituel  que  le  baron 
Dunois,  partait  pour  la  Syrie.  Un  soir  d'octobre  1811, 
M.  de  Mézi,  aimable  et  bonhomme,  aimé  de  tous,  vint 
me  voir.  C'était  un  parfait  royaliste,  ami  intime  de 
M.  de  Chateaubriand  et  de  plusieurs  jolies  pèlerines 
qui  s'étaient  croisées  avec  lui.  —  Eh  bien!  que  dit 
le  faubourg  rebelle  ?  —  Ne  badinez  plus,  madame, 
nous  sommes  très  menacés  par  la  police  de  votre 
Empereur  ([ui  parle  tout  hautement  de  faire  arrêter 
René  et  de  le  traiter,  ma  foi  !...  comme  le  duc  d'Enshien. 
—  Vraiment,  et  vous  croyez  cela?  —  Oui,  oui,  on 
ne  lui  pardonnera  jamais  sa  démission  qu'il  donne- 
rait encore.  —  Non,  car  TEmpereur  ne  ferait  plus  ce 

leur  fut  très  sensible  et  qu'il  crut  devoir  à  la  sollicitude  de  mes 
amis.  » 


294  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

qu'il  a  fait;  il  n'avance  pas  sans  réfléchir;  il  s'est 
formé  seul;  quelle  école  pouvait  lui  enseigner  sa 
gloire  ?  Pourquoi  ne  s'apprendrait-il  pas  la  perfection  ? 
Je  le  crois  bien  meilleur  que  sous  son  Consulat,  il 
laisse  tout  arriver  jusqu'à  lui,  il  supporte  la  contra- 
diction, il  n'exile  plus  les  femmes  d'esprit,  il  les  écoute 
souvent,  lit  leurs  lettres,  et  toujours  la  générosité 
pénètre  avec  la  voix  des  femmes  de  cœur.  Allons, 
Mézi,  vous  êtes  en  démence.  —  Eh  bien  !  acceptez  de 
causer  avec  René.  —  J'en  serai  ravie.  —  Il  vint  ce 
preux,  ce  croisé,  ce  ti'oubadour,  ce  grand  écrivain. 
D'abord,  il  fut  un  peu  gourmé,  mais  son  beau  et  fier 
visage  s'égayait  vivement  par  des  éclats  de  rire  qui 
laissaient  voir  beaucoup  les  plus  belles  dents  de  l'Aca- 
démie, car  déjà  il  était  de  l'Académie,  et  c'était  l'a- 
choppement. L'Empereur  détestait  les  atermoiements  ; 
Cbénier  ^  mort,  il  veut  le  remplacer  par  son  antipode. 
En  vain,  le  comte  Regnault,  conciliateur-né,  demande, 
supplie,  pour  qu'on  attende  la  mort  de  M.  de  Saint- 
Ange  qui  ne  tenait  la  vie  que  pour  quelques  journées. 
Tous  les  obstacles  alors  s'aplanissaient,  car  il  voulait 
(ce  suppôt  de  Néron)  que  la  nomination,  pour  être 
digne  de  l'écrivain,  fut  faite  à  l'unanimité.  Savary, 
chargé  seul  de  faire  presser  la  réception,  avait  délégué 
M.  Esmenard,  homme  de  lettres  distingué,  tout  dévoué 
à  M.  de  Chateaubriand;  Savary  disait  à  l'opposition 
de  l'Académie  :  —  Mais,  messieurs,  ce  Cliénier  est 
autre  chose  qu'un  régicide;  il  a  fait  de  jolis  vers  à 
Voltaire,  il  a  fait  une  tragédie,  un  Charles  IX,  une 
religieuse  de...  je  ne  sais  où...  Louez  tout  cela  et  lui 

'  Cliûnier  (Man(,'-Jost^})li)  mourut  le  dû  janvier  1811 . 


APPENDICE  295 

nous  parlez  pas  de  la  Convention,  nous  n'en  voulons 
plus  '. 

Ainsi,  ma  chère,  les  deux  amis  me  trouvaient  trop 
rassurée  pour  être  une  caution  bien  solide.  Je 
demandai  s'ils  voulaient  voir  le  duc  terrible  ?  —  Pas 
chez  lui,  s'écria  M.  de  Cliateaubriand.  —  Voulez-vous 
le  rencontrer  dans  les  serres  de  M.  Boursault  (dont 
j'occupais  le  rez-de-chaussée),  c'est  un  terrain  neutre 
et  parfumé.  Vous  y  trouverez  les  magnolias  d'Atala  ; 
Rovigo  y  achètera  des  plantes  pour  sa  femme  ;  vous, 
vous  y  rencontrerez  par  hasard...  Tout  fut  accepté, 
exécuté  sans  un  obstacle,  et  sans  autres  spectateurs 
que  des  jardiniers  et  M""'  Boursault,  qu'on  pouvait 
prendre  alors  pour  une  de  ses  fleurs.  Ils  causèrent  à 
peu  près  trente  minutes  et  rentrèrent  chez  moi  par 
une  porte-fenêtre.  —  Eh  bien,  dit  Rovigo,  de  cet  air 
railleur  et  cavalier  qui  était  son  maintien,  la  paix  est 
faite  !  —  M.  de  Chateaubriand,  pâle  et  contraint, 
répondit  :  —  Monsieur  le  duc,  que  ce  ne  soit  pas 
seulement  une  trêve!  —  Rovigo  tendit  vivement  la 
main  et  dit  très  haut  :  —  Non,  certes  !  —  Chateau- 
briand, sans  ajouter  un  mot,  plaça  sa  main  dans  celle 
de  Savary  -. 

Deux  jours  après,  je  revis  M.  de  Chateaubriand.  Il 
me  fit  d'assez  secs  remerciements.  Dans  son  âme,  il 
jugeait  la  frivolité  de  ses  terreurs  ;  je  l'en  raillais  sans 


'  Le  discours  que  Chateaubriand  devait  prononcer  en  succédant 
à  Chénior  avait  été  soumis  à  l'Empereur  qui  en  ratura  plusieurs  pas- 
sages. A  côté  d'un  éloge  de  Napoléon,  Chateaubriand  avait  placé  un 
éloge  encore  plus  vif  de  la  liberté.  (Mémoires  d'Oulve-To)nhe.  Presse, 
30  juin  1849). 

-  Véron  [Mémoires  d'un  Bourgeois  de  Paris,  I,  37)  relate  cet  inci- 
dent historique.  D'après  Véron,  la  paix  ne  fut  qu'une  trêve. 


296  UNE  ANCIENNE  MUSGADINE 

façon.  «  L'empereur  Auguste'  fusiller  Virgile  !  Ce 
serait  beau.  »  Il  riait.  —  Mais  ne  voyez-vous  donc  pas 
que  l'Empereur  vous  adore  ?  Vous  lui  devenez  si 
utile  !  —  Par  mes  flatteries,  n'est-ce  pas?  —  Non, 
mais  les  routes  que  vous  tracez  avec  tant  de  grandeur 
et  de  charme  sont  celles  (ju'il  veut  suivre  évidemment. 
Vous  faites  diversion,  et  l'on  s'occupe  plus  de  vous 
que  de  la  guerre.  Pourtjuoi  ne  me  diriez-vous  pas  vos 
rêves?  car  tout  poMe  rêve  beaucoup.  —  Mon  plus 
beau  rêve  serait  d'obtenir  de  votre  enchanteur  cinq 
architectes,  cin(j  millions  pour  aller  en  son  nom 
rebâtir  le  temple  de  Jérusalem  qui  vient  d'être  brûlé. 
Ce  beau  grand  rêve  fut  communiqué  à  l'Empereur 
qui  répondit  :  —  A  la  lil)erté  des  mers,  à  la  paix.  — 
Cotait  fort  éloigner  le  rêve.  Aussi  dis-je  un  jour  à 
M.  de  Chateaubriand.  N'avez-vous  rien  de  plus 
humain,  de  plus  raisonnable  à  vouloir?  —  Vraiment 
si  :  j'eusse  voulu  connne  récompense  de  longs  travaux 
dans  ces  climats  meurtriers,  qu'on  me  créât  un  pai- 
sible ministère  des  bibliothèques  de  l' Empire,  le  repos, 
la  solitude  éloignée  de  toute  politifjue,  la  certitude 
de  porter  l'instruction  vers  des  hauteurs  inconnues, 
voilà  l'idée. — Je  vois  dans  ce  projclbien  des  vanités, 
bien  des  intérêts  blessés.  —  Nullenient,  tout  est  com- 
biné, prévu,  et  satisfaisant  pour  tous.  Il  m'envoya  un 
mémoire  pour  l'Empereur,  mais  caclieté.  Je  le  remis 


*  Nous  lisons  dans  les  Me  moires  d'Oiilre-Tombc  (II.  'ti'i)  :  «  LaFrani'C 
aurait  pu  gagner  à  uîa  réunion  avcr  l'Em;)i.'reur;  moi  j'y  aurais  pcidu. 
Peut-cti'c  serais-jc  parvenu  à  maintenir  (juelques  idées  de  liberté  et 
de  modération  dans  la  tête  du  grand  liommc  ;  mais  ma  vie,  rangée 
parmi  celles  qu'on  appelle  heureuses,  eût  été  privée  de  ce  qui  en  a 
l'ait  le  caractèic  et  l'iiouncur  :  la  pauvreté,  le  combat  et  l'indépen- 
dance. » 


APPENDICE  297 

à  ce  beau  Lavalette^  souvent  mon  intermédiaire  près 
de  notre  dieu.  Je  sus  qu'on  en  avait  causé  favora- 
blement, avec  MM.  de  Fontanes  et  Esmenard.  Mais 
l'heure  fatale  avait  sonné,  les  apprêts  de  la  campagne 
de  Russie  absorbaient  tout.  Je  ne  revis  plus  M.  de 
Gbateaubriand  :  des  cartes,  des  compliments  seuls, 
car  déjà  l'espérance  en  habit  blanc  éclairait  l'horizon. 
Hélas  !  chère  amie,  au  moment  de  sombrer,  je  faisais 
mes  rêves  aussi  :  ce  ministère  des  bibliothèques 
aurait  fait  tomber  un  petit  rellet  de  leur  gloire  sur 
l'iiumjjle  négociatrice.  Voyez  comme  les  beaux  esprits 
se  rencontrent.  C'était  ce  même  directeur  général  que 
veut  aujourd'iuii  M.  Emile  de  Girardin  sous  mille 
formes  diverses.  C'eût  été,  en  1812,  Chateaubriand; 
ce  serait,  en  1849,  Victor  Hugo.  Mais  ma  pensée  la 
plus  intime  était  le  bonheur  de  ridolomio.  Je  voulais 
que  deux  si  grands  hommes  pussent  s'aimer.  Que 
peut  souhaiter  Napoléon,  me  disais-je,  que  le  trône 
ne  jette  à  ses  pieds?  Dieu,  pour  le  complétci',  lui  a 
donné  la  passion  des  beaux  entretiens;  ce  goût  vous 
rend  égaux?  Qui  peut  se  comparer,  ô  René,  à  voire 
éclat,  à  votre  grâce,  lorsque  par  caprice. ..  vous  êtes  de 
bonne  iiumeur!  Vous  connaîtriez  aussi  ce  qu'on  ne 
connaît  guère,  un  Napoléon  charmant  qui  vous  écou- 
terait dans  un  silence  où  l'intelligence  éclate,  (jui  vous 
interromprait  quelquefois  par  ces  mots  :  Pardon  ! 
vraiment,  —  puis,  (|ui,  d'une  voix  très  douce,  acccn- 

'  Lavali'ttc!  avait  pris  di;  sa  prupri!  autorilc  la  dirociion  générale 
des  l'ostes  au  moment  du  retour  de  1  ilc  d'Elbe.  Le  courrier  qu'il 
dépêcha  à  l'Empereur  sur  la  route  d'Auxerre  pour  lui  annoncer  le 
départ  de  Louis  XVIII  arriva  à  l''ontaineijl(>au  vers  midi  (20  murs 
4 SI .5).  Presque  en  même  temps  l'Empereur  reçut  deux  lettres  de 
M"'"  Hamelin  et  du  vieux  comte  de  Ségur  (Henry  Iloussaye,  181b). 


298  UNK  ANCIENNE  MUSCADINE 

tuée  d'un  reflet  italien,  vous  parlerait  avec  la  noblesse 
de  Berryer  et  la  concision  de  Tacite  ;  les  récits  de 
cet  esprit  qui  a  tout  résumé  vous  enchanteraient.  Je 
croyais  cela  possible  sous  TEmpire  et  je  le  rêve  encore 
comme  si  j'étais  à  Bagdad,  causant  avec  la  belle 
sultane  endormeuse,  qui  ajoutait  à  ses  récits  mes 
souvenirs  de  l'Empire. 

Mon  réveil,  chère  Sophie,  fut  l'invasion,  les  cosa- 
ques. Après  ces  hontes,  une  aventure  sublime  vint 
nous  tourner  la  tête.  Ces  Cent  Jours  S  racontés, 
écrits  par  tout  le  monde,  sont  encore  à  raconter  et  à 
écrire.  Exilée  donc  en  novembre  I8I0,  je  traversais, 
en  sanglotant,  le  champ  de  bataille  de  Waterloo. 
J'allais  à  Bruxelles  rejoindre  force  compagnons  d'in- 
fortune, presque  tous  conventionnels,  que  je  n'avais 
pas  l'honneur  de  connaître'.  Les  officiers  généraux, 
les  gens  de  lettres  arrivèrent  ;  je  me  trouvai  alors 
comme  chez  moi,  rue  Blanche,  à  Paris.  Un  jour,  je 
dînais  seule  avec  M.  Benjamin  Constant,  et  lui  racon- 
tant mes  négociations  pour  M.  de  Chateaubriand,  je 
lui  dis  :  —  Je  n'ose  prendre  un  logement  au  Parc  qui 
me  plaît  beaucoup,  car  certainement  M.  de  Chateau- 
briand va  me  faire  rappeler.  — Prenez  vite  ce  logement^ 
dit-il.  Il  eut  raison.  Comme  nous  devisions,  il  entra  un 
monsieur  recommandé  par...  je  ne  sais  plus  qui.  Son 
ajustement  était  le  plus  négligé,  le  plus  singulier  qu'on 
pût  imaginer.  M.  Constant,  brave,  mais  poltron  poli- 
tique, ne  put  dès  lors   ni  manger   ni    dire  un  mot. 


'  Voir  lettre  de  M°">  Ilamolin  publiée  plus  haut. 

*  M™»  Ilamelin,  qu()i<iu'elle  en  dise  ici,  connaissait  à  Bruxelles  cer- 
tains compagnons  d'inforlunc,  entre  autres  Morisel  qui  fut  un  do 
ses  intimes. 


APPENDICE  299 

(l'auLaiit  que  l'étranger  me  parut  avoir  beaucoup 
d'esprit.  C'étaitM  Teste.  Quelle  peur  il  fit  à  M.  Cons- 
tant'qu'il  a  beaucoup  rassuré  depuis  !  De  Cbateaubriand 
rien,  bêlas!  rien.  Enfin,  un  jour,  j'étais  àSpa;je 
descendais  de  cheval,  on  me  remit  une  grosse  lettre 
qui  contenait  un  passeport  que  m'envoyait  mon  spi- 
rituel et  affectionné  ami,  le  comte  de  Montrond.  Celui- 
là  n'oubliait  pas  les  absens  !  Arrêtée  par  des  affaires 
et  par  un  gros  loyer  que  je  ne  voulais  pas  céder,  je 
ne  revins  à  Paris  qu'en  janvier  1818  ^  J'attendais 
toujours  l'infidèle  qui  devint  ministre,  on  sait  quand 
et  pourquoi. 

Une  amie  à  moi,  31"°  la  comtesse  d'Arcambal, 
attendait  tout  pour  son  neveu,  31.  Sourdau,  d'une 
bienveillance  du  ministre;  et  le  général  Pire,  revenu 
d'exil,  réclamait  une  indemnité  qui  dépendait  aussi  de 
lui.  On  me  pressa  tant  et  tant  que  poussée  aussi  par 
la  colère,  je  lui  écrivis  que  je  le  priais  de  me  venir 
voir,  que  j'étais  toujours  logée  devant  les  serres  de 
^I"""  Boursault...  Il  répondit  l'étonnante  lettre  dont  je 
vous  joins  ici  la  copie,  et  dont  j'ai  l'original  tout  daté, 
signé  de  sa  grosse  écriture,  conservant  depuis  douze 
ans  son  califourcbon  de  Yincennes  et  de  la  fusillade. 
Je  fus  chez  lui,  il  fut  très  prometteur  pour  le  jeune 


'  La  inômoire  semble  ici  faire  défaut  à  Mi^"  llamelin.  En  effet,  la 
Quolidieane  du  5  décembre  ISIT  publiait  Tinformation  suivante  : 
«  M.  de  ilaurisel  et  M™*  Elamelin  ont  reçu  l'ordre  de  quitter 
Bruxelles  .»  D'autre  part,  le  comte  Angles,  préfet  de  police,  écrivait 
au  ministre  de  l'Intérieur,  le  27  janvier  1818  :  «  Il  résulte  des  infor- 
mations que  j'ai  fait  prendre  que  la  dame  llamelin  et  le  sieur  do  Mori- 
zelle  sont  elfectivement  à  Paris  depuis  le  3  du  mois  dernier,  que 
M'"»  llamelin  demeure  depuis  son  arrivée  rue  Blanche,  n»  20,  et  le  sieur 
de  Morizelle.  rue  Pigalic,  n"  2  ».  [Archives  nationales,  F'  6790. 
Doss.  612.) 


300  UNE  AiNCIENNE  MUSCADIiNE 

Sourilau,  implacable  pour  le  général  *  Pire,  parce 
qu'ils  étaient  Bretons  bleu  et  blanc.  Durant  cette 
guerre  d'Espagne,  il  était  ravi  de  taquiner  mon  bona- 
partisme, qui  ne  voulait  croire  au  succès  de  Tarmée 
royale  là  où  l'armée  impériale  avait  perdu  ses  pres- 
tiges... Il  m'envoyait  un  valet  à  cheval  pourm'an- 
noncer  le  passage  de  la  Bidassoa,  puis  la  prise  de  la 
Corogne  ;  pour  celle  de  Cadix,  il  m'écrivit  :  «  Illu- 
minez ce  soir.  » 

Juillet  1830  advint  pour  ces  superbes.  Beaucoup 
trouvèrent  que  nous  perdions  au  change.  Chateau- 
briand redevint  juste,  modéré  et  Français.  Dès  lors, 
nous  fûmes  d'accord.  Dieu  sait  si  nous  glosions  à 
rintirmerie  de  ^Marie-Thérèse  oi^i  il  accueillit  avec 
courtoisie  plusieurs  étrangers  d'esprit  que  j'eus  l'hon- 
neur de  lui  présenter,  notre  cher  comte  Arthur  Po- 
tocki,  entre  autres,  sur  lequel  il  m'a  écrit  une  si 
charmante  lettre  dont  je  vous  ai  bien  souvent  parlé, 
que  vous  connaissez  peut-être,  et  qui  est  aujourd'hui 
entre  les  mains  de  sa  femme.  J'eus  l'honneur  aussi 
d'être  présentée  par  lui  à  madame  de  Chateaubriand, 
petite  femme  délicate,  aux  traits  un  peu  pointus,  vive, 
arrêtée,  et  qui  était  en  ce  moment  absorbée  par  la 
vente  de  son  chocolat,  un  des  moyens  ingénieux 
qu'elle  avait  imaginés  afin  do  pourvoir  à  ses  immenses 
charités. 

Rien  ne  troublait  donc  notre  amitié  ;  la  lière  Bre- 
tonne me  supportait  de  très  bonne  grâce;  son  mari 
relisait,  étudiait  Napoléon;  il  le  comprenait,  l'admi- 

'  Chalcaubrianrl  fut  foii  occupe  pcnciaul  celle  année  de  la  guerre 
«l'Espagne.  Voir  ce  qu'en  dit  André  Beaunier  (Trois  Amies  de  Cha- 

Icauhriand,  page  179). 


APPENDICE  301 

rait;  je  le  rattachais  à  cette  mémoire,  lorsque  des 
influences  que  je  ne  veux  pas  indiquer  firent  de  sa 
vie  '  un  supplice,  même  une  hypocrisie,  car  il  n'avait 
jamais  conçu  une  religion  implacable.  Quelle  nouvelle 
domination cliangeaitcccœurmobile!  II  n'adorait  donc 
pas  ses  adorations  ;  ilne  haïssait  donc  passes  haines... 
il  avait  donné  la  main  à  Rovigo  !  Lous  XIV,  veuf, 
épousa  M"'"  de  Maintcnon  ;  Chateaubriand',  veuf,  ne 
couronna  pas  Juliette.  L'apothéose,  pourtant,  lui  était 
due,  à  cette  femme  inexplicable  ;  il  ne  l'offrit  pas, 
laissez-les  dire,  car  il  n'était  pas  de  ces  hommes  dont 
on  refuse  le  nom  glorieux. 

Un  petit  paragraphe  qui  ne  peut  être  de  M.  de  Cha- 
teaubriand, vous  l'avez  bien  soupçonné  déjà,  ma  chère 
Sophie,  car  il  est  ridicule  et  fait  pour  des  bonbons, 
nous  dit  dans  ses  iV/e;?«o«Ve5  ^  :  «  Des  femmes  spirituelles 

'  Il  n'apparaît  point  quo  riunuouce  de  Juliette  Récamier  qui,  dès 
18i.3,  «  consacra  les  ressources  de  son  esprit  fertile  à  réaliser  le  tran- 
quille bonheur  de  ramitié  continuelle  »  (Ucaunier,  op.  cit.),  fut  un 
supplice  pour  René.  Cette  influence  —  car  c'est  bien  à  Juliette  que 
Fortunée  Hamelin  fait  allusion  —  contraignit  Chateaubriand  à 
quelque  «  hypocrisie  »  et  à  quelques  mensonges  —  il  est  vrai.  Il  avait 
encore  plusieurs  aventures  à  mener  de  front  et  il  suivait  d'autres 
chemins  que  celui  de  l'Abbaye  au  Bois.  D'autre  part,  et  c'est  un  des 
traits  do  son  caractère  que  M.  André  Beaunier  a  fort  bien  mis  on 
relief,  «  l'ànie  sensible  de  René  eut  toujours  une  vive  aptitude  à  se 
teindre  des  couleurs  environnantes.  »  Cette  «  mobilité  »  n'était  pas 
une  excuse  à  certains  actes  aux  yeux  de  M'""  Ilamelin,  qui  n'aimait 
pas  Juliette  Récamier,  laquelle,  ne  l'oublions  pas  ici,  n'aimait  pas 
non  plus  Napoléon,  1"  «  idole  »  de  l'ancienne  Merveilleuse. 

-  M"!»  de  Chateaubriand  mourut  le  9  février  ISiT.  Quelques  mois 
après,  Chateaubriand  olfrit  à  Juliette  de  l'épouser.  Mais  elle  refusa 
en  invoquant  «  leurs  âges  »  et  la  cécité  complète  dont  elle  t-lait 
frappée.  Un  mariage  dans  de  semblables  conditions  n'eût  pas  été 
une  apothéose.  M™»  Hamelin  ne  le  comprenait-elle  pas  ?  (V.  llerriot. 
op.  cit.) 

^  Voici  le  passage  des  Miimoives  tel  qu'on  le  retrouve  dans  la 
Presse  du  30  juin  1849  :  «  Des  personnes  pleines  de  grâces,  de  gêné- 


302  U-xl:  ancienne  musgadine 

et  courageuses  curent  l'héroïsme  de  s'occuper  de  mes 
dangers.  Ainsi  M"*"  Lainzai  parla  à  M""^  Gay,  M'^'^Gay 
parla  à  M™*  la  comtesse  Rcgnault  de  Saint-Jean-d'An- 
gély,  laquelle  parvint  à  obtenir  que  Rovigo  laissât 
M.  de  Gliateaubriand  à  l'écart.  »  J'étais  liée  avec  ces 
aimables  et  belles  personnes  ;  et  la  comtesse  Regnault 
est  l'amie  de  cœur  de  toute  ma  vie.  Or,  file  ne  parla 
pas  à  son  mari,  parce  qu'elle  savait  que  l'illustre  écri- 
vain n'était  nullement  menacé.  Dire  comment  le  nom 
de  M°'^  Gay  '  a  remplacé  le  mien,  je  l'ignore,  et  ne 


rosiléet  de  courage,  que  je  ne  connaissais  pas,  s'inU-rcssaient  à  moi. 
M°»  Lindsay  (jui,  lors  de  ma  rentrée  en  France  en  1800.  m'avait 
ramené  de  Calais  à  Paris,  en  parla  à  M™»  Gay:  celle-ci  s'adressa  à 
M"»»  Rcgnault  de  Saint-Jcan-d'Angély,  laquelle  invita  le  duc  de 
Rovigo  à  me  laisser  à  l'écart.  Les  femmes  de  ce  leinps-là  interpo- 
saient leur  beauté  entre  la  puissance  etl'infortune.  » 

'  Sophie  Gay  (article  cité)  protesta  quelques  jours  après  et  son 
témoignage  est  intéressant  à  recueillir,  car  il  prouve  qu'elle  inter- 
vint en  laveur  de  Chateaubriand  parallèlement  à  M""=  Ilamelin.  a  Une 
femme  d'esprit  vient  d'imprimer  que  mon  nom  avait  été  substitué 
au  sien,  dans  les  Mémoires  d'Oalre-Tombe,  à  propos  d'un  service 
rendu  à  l'auteur  û'Alala,  ce  qui  doit  naturellement  faire  croire  que 
j"ai  usurpé  la  reconnaissance  qu'il  m'en  témoigne  et  que  j'ai  été 
lâchement  complice  d'un  acte  d'ingratitude.  Je  ne  doute  pas  des 
preuves  d'intérêt  qui  ont  été  prodiguées  à  M.  de  Chateaubriand  à 
l'époque  où  l'on  a  cru  sa  liberté  menacée  et  je  le  blâme  d'en  avoir 
oublié  quelques-unes  ».  Sophie  Gay  raconte  alors  les  dénoarches 
qu'elle  fit  en  faveur  de  René,  et  un  entretien  qu'elle  eut  avec  lui. 
Laissons  la  parole  à  Sopliic  Gay,  le  passage  vaut  la  peine  d'être  cité  : 
«  Vous  exagérez,  dit-elle  à  Chateaubriand,  votre  indignation  contre 
Bonaparte  et  vous  n'en  parlez  avec  tant  de  colère  et  de  mépris  que 
pour  le  porter  à  quelque  méchante  action  qui  justifie  votre  haine. 
Vous  vous  Ironipez,  répondit  M.  de  Chateaubriand  ;  avant  d'avoir  vu 
cetempereur.  moitié  César,  moitié  Néron,  devenir  tout  à  coup  traître 
et  assassin,  j'étais  comme  le  monde  entier  ébloui  de  sa  gloire,  et  c'est 
parce  que  je  lui  prêtais  toutes  les  vertus  que  le  succès  rend  faciles, 
que  je  ne  lui  pardonne  pas  d'avoir  rougi  son  épée  du  sang  d'un 
Bourbon  ;  lui,  lionapirte,  le  vainqueur  de  tant  d'armées,  de  conspi- 
rations que  nous  croyions  envoyé  par  Dieu  même  pour  nous  déli- 
vrer de  la  tyrannie  des  Danton,  des  Robespierre  ;  lui  qui  avait 
abattu  la  guillotine  à  coups  de  sabre  et  détrôné  l'anarchie  à  coups 


APPENDlCt:  303 

relèverais  pas  celle  subslitulion,  si  elle  ne  prouvai l 
jusqu'à  révidence  qu'une  belle  petite  menotte,  celle 
de  Juliette,  hélas  !  a  fait  des  corrections  à  l'usage  de 
ses  propres  rancunes. 

Voici  la  lettre  que  M.  de  Chateaubriand  m'écrivit 
en  1823  et  qui  anéantit  tout  cet  échafaudage  de  rubans 
roses  *  : 

de  victoires  ;  lui,  se  rabaisser  au  rôle  d'usurpateur,  se  faire  le  tyran, 
le  Cromwell  dune  famille  proscrite,  que  le  ciel  semblait  avoir  mise 
sous  la  protection  de  son  génie  ;  lui,  se  faire  l'égal  de  ce  Cliénier 
dont  il  veut  que  je  vante  le  vote  impie,  inique  et  sanguinaire  !  » 
Sophie  Gay  assure  qu'elle  fit  intervenir  M'""  Rognault  de  Saint-Jean- 
d'Angély.  M"»"  llamelin  le  nie.  Qui  croire?  Elles  sont  toutes  deux 
de  bonne  foi  et  Sophie  Gay  nous  découvre  la  clef  de  l'énigme,  après 
avoir  mentionné  une  visite  qu'elle  fit  au  comte  Daru,  à  propos  du 
discours  de  réception  à  l'Académie,  auquel  Chateaubriand  ne  voulut 
pas  retrancher  un  mot  :  «  Je  ne  cite  cette  lettre  (la  lettre  par  laquelle 
Chateaubriand  la  remerciait  et  qu'on  lira  plus  loin)  que  pour  répondre 
à  l'accusation  d'avoir  laissé  substituer  mon  nom  à  celui  de 
M"»  llamelin,  dans  la  relation  d'une  affaire  oîi  sans  nous  entendre, 
nous  avions  toutes  deux  fait  preuve  de  zèle  pour  servir  M.  de  Cha- 
teaubriand ;  il  a  eu  tort  de  garder  le  silence  sur  l'intérêt  que  lui 
avait  montré  M">°  llamelin  à  une  époque  où  il  y  avait  autant  de  géné- 
rosité que  décourage  à  prendre  son  parti  ;  mais  ce  silence  s'explique 
naturellement  par  la  rivalité  de  deux  femmes  également  célèbres, 
l'une  par  sa  beauté,  l'autre  par  son  esprit  et  qui  se  disputaient  les 
hommages  des  hommes  les  plus  distingués  de  la  société...  La  belle 
Juliette  supportait  les  bons  mots  de  M"»  llamelin  avec  toute  la 
patience  que  donne  le  succès  ;  mais  ses  amis  avaient  plus  de  ran- 
cune ;  ils  s'offensaient  de  la  moindre  épigramme  sur  l'objet  de  leur 
culte,  et  c'est  à  une  susceptibilité  d'amitié  qu'il  faut  attribuer  le 
mutisme  de  M.  de  Chateaubriand.  II  se  serait  cru  coupable  de 
vanter  l'ennemie  de  son  amie.  »  Ce  scrupule,  certes,  honoi'erait  Cha- 
teaubriand, mais  on  ne  peut  que  se  livrer  à  des  conjectures.  Juliette, 
vieillie,  aveugle,  garda-t-elle  rancune  à  son  ancienne  «  rivale  «  ?  Le 
geste  dont  l'accuse  M°">  llamelin  la  gâterait  à  nos  yeux.  N'est-il  pas 
trop  humain  ? 

'  Sophie  Gay  avait  rei;u,  beaucoup  plus  tùt,  une  lettre  à  peu  près 
identique.  Chateaubriand  exprime  sa  gratitude  et  son  regret  de  n'aller 
pas  remercier  immédiatement  sa  bienfaitrice  :  «  Vous  êtes,  madame, 
si  bonne  et  si  douce  pour  moi  que  je  ne  sais  comment  vous  remercier. 
J'irais  à  l'instant  même  mettre  ma  reconnaissance  à  vos  pieds,  si  des 
atfaires  de   toutes  sortes    ne   s'opposaient  à  l'extrême  plaisir  que 


304  UNE  ANCIENNE  MUSCADINE 

Paris,  le  9  février  18:23. 

«  Je  n'oublie  jamais,  madame,  les  services  qu'on 
m'a  rendus.  C'est  à  l'intérêt  que  vous  avez  bien  voulu 
me  témoigner  que  je  dois  de  n  avoir  pas  été  fusillé  ou 
enfermé  à  Vincennes par  Buonaparte .  Aussi,  madame, 
si  je  puis  vous  être  utile,  je  suis  prêt  à  payer  la  dette 
de  la  reconnaissance.  Je  voudrais  pouvoir  me  rendre 
à  vos  ordres;  mais  la  multitude  de  mes  affaires  me 
laisse  à  peine  le  temps  de  sortir  pour  d'autres  affaires. 
Si  je  ne  craignais  d'abuser  de  vos  bontés,  je  vous 
prierais  de  fixer  le  jour  et  l'heure  où  je  pourrais  avoir 
l'honneur  de  vous  recevoir  chez  moi  ;  je  serai  bien 
heureux  de  pouvoir  vous  offrir  à  la  fois  mes  remer- 
ciemens  et  mes  hommages.  » 

Chateaubriand. 

Aussi,  mo  direz-vous,  Sophie,  pourquoi  garder  des 
lettres  ?  J'en  ai  bien  d'autres,  ma  i)elle  ;  et  si  je  cher- 
chais bien,  elles  pourraient  être  plus  neuves,  plus 
variées,  plus  belles,  disons  le  mot,  que  celles  de  Ben- 
jamin Constant  '  publiées  par  la  Presse.  Je  crois  môme 

j'aurais  à  vous  voir.  Je  no  pourrai  luènic  aller  vou.s  préscnler  tous 
mes  liouimages  que  jeudi  prochain  calre  midi  et  une  îieure,  si  vous 
étiez  assez  bonne  pour  me  recevoir.  Je  suis  obligé  (faller  à  la  cam- 
pagne. Pardonnez,  madame,  à  cette  écriture  arabe.  Songez  que  c'est 
une  espèce  de  sauvage  ([ui  vous  écrit,  mais  un  sauvage  qui  n'oublie 
jamais  les  services  qu'on  lui  a  rendus  et  la  bienveillance  qu'on  lui 
témoigne.  »  La  lettre  adressée  à  M""*  Ilamelin  est  plus  formelle  et 
le  service  rendu  à  Ciiiteaubriand  plus  caractérisé.  Sans  l'inlervcntion 
de  l'ancienne  Morveilb^use,  Ileué  était  «  fusillé  ou  enfermé  à  Vin- 
cennes pai'  Buonaparlc  ». 

'  Louise  Colet  publia  dans  la  Presse  du  3  juillet  184'J  les  Lettres 
de  Dcnjamin  Constant  à  .Juliette  Récamier  et  fut  citée  devant  les  tri- 
bunaux pouicelic  publicalion  par  M^^  Lenormant. 


APPENDICE  305 

que  si  Emile  de  Girardin  en  avait  le  temps,  il  en  écri- 
rait d'infiniment  plus  jolies,  et  qu'on  ne  vendrait  pas. 
Pleurons,  ma  chère,  sur  les  incohérences  des  grands 
esprits,  regrettons  qu'eux-mêmes  n'aient  jamais  eu  la 
candeur  de  sonder  leur  propre  cœur.  Napoléon,  Cha- 
teaubriand eussent  trouvé  qu'ils  étaient  nécessaires  ^ 
l'un  à  l'autre,  qu'ils  se  préoccupaient  incessamment 
de  leurs  pensées  ;  mais  Napoléon,  jusque  dans  sa 
tombe,  a  conservé  son  incommensurable  supériorité  ; 
car  il  a  respecté  le  génie,  et  ce  cercueil  immortel  n'a 
maudit  personne.  Qui  donc  est  le  chrétien-? 

Hamelin  née  de  Lagrave. 


'  C'est  l'opinion  de  Sopliie  Gay  :  «  Les  génies  de  Chateaubriand 
et  de  Napoléon  s'entendaient  en  dépit  de  leurs  caractères.  » 

*  Cet  article  an  Constilulionnel  eninn  énorme  saccès.M'^^  Hamelin 
le  signale  cUe-mêiae  dans  une  lettre  à  son  fils  du  30  août  1849 
(citée  par  Alfred  Marquiset)  :  o  Le  temps  de  l'uLilité,  de  l'espérance 
est  maintenant  passé  pour  moi  et  pour  tous.  Les  cœurs  si  enivrés 
des  grands  souvenirs  ont  vu  leur  espoir  déçu.  M.  Thiers  seul  règne 
en  France  et  conduit  ceci  comme  la  monarchie  de  Juillet  à  sa  perte. 
Jamais,  non  jamais  une  si  sublinie  circonstance  ne  s'était  présentée 
à  un  jeune  mortel  ;  il  pouvait  monter  à  l'instant  sur  le  trône,  donner 
la  main  à  l'Italie,  paralyser  l'Autriche  et  la  Russie,  et  sans  guerre, 
et  par  un  geste,  reconstruire  une  France  forte  et  respectée.  Mais 
lorsqu'il  faut  agir  courageusement  et  non  plus  babiller,  Thiers  n'est 
plus  qu'une  marionnette...  Jamais  tu  ne  pourras  fimaginer  le  succès 
fou  de  ma  réponse  au.x  Mémoires  d'Outre-Tombe  :  Hugo,  Didier, 
Mazères,  tout  le  grand  monde,  tous  les  journalistes  sont  enchantés 
et  me  font  des  offres  ;  le  temps  n'est  pas  venu,  mais  enfin,  si  tout 
nous  manquait,  ce  serait  du  pain.  »  Voir  plus  haut  (année  1849)  ce 
que  M"»  Hamelin  dit  à  son  correspondant  sur  sa  réponse  aux 
Mémoires  d'Outre-  Tombe . 


20 


INDEX  ALPHABETIQUE 

DES  NOMS  PROPRES   CITÉS   PAR   M-"»  HAMELIN 


Achille,  Irîo. 

Adam,  215,  217,243. 

Agoult  (Marie  de  Flavigny,  corn' 

tcsse  d'),  4G,  109,  222. 
Agrippa,  127. 
Ale.\andre-Ie-Grand,  125. 
Aligre  (marquis  d"),  224,  2.51. 
Allart  (Hortonse),  33,  34,  35,  45 

54,  58,  59,  72,  82.  94,  109,  16:; 

1G7,  222,  232,  267. 
Allart  (Marcus),  34,  35,  43. 
Alvanley  (lord),  111. 
Amable,  261. 
Ainct,  78. 
Ancelot  (M">«),  85,  150,  154.  179, 

202,  203,  246. 
Angoulémo,  (duc  d'),  230. 
Arago,  79,  161. 
Arcambal  (comtesse  d'),  299. 
Argenson  (d'),  203,  208. 
Arnal,  202. 
Astorg    (Eugène,   comte   d"),  53, 

135,  151,  180,  237,  238. 
Astorg  (M"»  d")  133. 
Auguste  (l'empereur),  296. 


Balalier,  81. 

Balzac  (Honoré  de),  80,  )06,  132, 
134,  180,  187.  ^AVJii  i^^h-^l 


Barrière  (M-»),  253,  259. 

Bartholini  (le  sculpteur),  214 

Bayard  (le  chevalier),  239. 

Bayle  (M™»),  242. 

Bazaucour,  142. 

Beauharnais   (Hortonse  de), 

Beauvau, 172. 

Beignèrc,  183. 

Belgiojoso  (prince),  165,  166. 

Belgiojoso  (princesse),  70. 

Belmontet,  232,  233,  278. 

Béranger,  184. 

Bernheim,  103. 

Berryer,    65,   60,   66,  67,  73, 
75,    79,    86,  97,    101,  103,' 
106,    108,   113,    118,    119, 
122,  131,    132,    133,    1.56, 
181,    205,   208,    215,    218, 
252,  298. 

Berryer  (M"»),  118.  181. 

Berthier  (Mn>e  Paul),  216. 

Berthoud  (Henry),  135. 

Bertrand  (général),  95. 

Besplas  (de),  112,  117,    134, 

Besplas  (M"»  de),  180,  182,' 
223,  238. 

Biard,  146,  247. 

Biard   {M">»),  147,   152.  209, 
260,  261. 

Bijou,  145,  23). 

Bi'Uault,  214. 

Bingham  (M"")  120.  l'M. 

Bisson-bey,  88. 


203. 


74, 
105, 
121, 
157, 
219. 


277. 
194, 


233, 


308 


INDEX  ALPHABETIQUE 


Blanche  (M-"»),  147. 

Blanche  (de  Castille),  84. 

Bûisgelin  (M"-»  de),  167. 

Bonaparte  (rtMnpereuf  Napo- 
léon), 62,  79,  98,  99,  102,  104, 
113,  140,  169,  172,  177,  184. 
186,  187,  202,  203,  208,  246, 
258,    271,    274,    275.    292,    293, 

294,  296,  297,  300.  303. 
Bonaparte  (le  roi  Joseph,  comte 

de  Survilliers),  39,  40,  41,  45, 
48,  50.  53,  57,  60,  71,  74,  82, 
84,  83,  89,  93. 

Bonaparte  (Jérômei,  39,  72,  89, 
122,  270,  271. 

Bonaparte  (Lucien),  30. 

Bonaparte  (Joséphine  de  Beau- 
harnais),  176. 

Bonaparte  (Louis),  63. 

Bonaparte  (Louis-Napoléon-Napo- 
léon III).  42,  52,  57,  61,  96,  97. 
107,  131,  153. 

Bonaparte  (Caroline),  voir  Murât. 

Bondy  (de),  112. 

Bordeaux  (duc  de),  119,  137,  181, 
206,  263. 

Borsoult  (M-»«).221. 

Boufïlers  (chevalier  de),  33. 

Bourbevellc,  69. 

Bourdoie,  262. 

Bourges  (M""«  de),  125. 

Boursault-Malherbe,  293. 

Boursault-Malherbe   (iM"»»),    120, 

295,  299. 
Brambilla  (La),  206. 
Broé  (de).  217,  233. 
Broglie  (duc  de),  199. 
Broglie  (duchesse  de),  203,  208. 
Bronkins,  43.  02,  66,  112. 
Brunet  (Sully),  74,  139,  145,  150, 

175,  241,  253,233. 
Brunetière  (M'"),  230. 
Brutus,  208. 
Buckingam,  129. 
Buiïault,  237. 
Bugeaud,  183. 
Buloz,  140. 


Dulwer,  45,  54,  181,  263,  267. 
Byron,  194,  225,  275. 


Cailleux.  61. 

Calvin,  246. 

Capponi  (Gino),  64,  81,  82. 

Carrachiolo.  129. 

Carrel  (Armand),  37,  42. 

Cass,  36. 

Castellane  (M"»  de),  166,  1G7. 

Catalani,  238. 

Caton,  139, 184. 

Caulaincourt,  204. 

Caumont  (de),  141. 

Caumont  (M""=  de),  141. 

Cavaignac  (général),  270  (note). 

Chales  (M-»"),  234,  233,  259. 

Chamois  (de),  52,  53,  134,  138. 
139. 

Champagne  (comte  de),  129. 

Champollion,  117. 

Chantai  (M"^»  de).  269. 

Charles  VII,  131. 

Charles  X,  226. 

Charles-Quint,  66. 

Charles  le  Téméraire.  225. 

Chateaubriand  (  François -René, 
vicomte  de),  103,  108,  118,  147, 
161,  180,  223,  229,  232,  247.  292, 
293,  294,  293,  296,  297,  298, 
299,  300,  301,  303. 

Chateaubriand  (>!■"»  de),  147,  300. 

Chàtillon  (duchesse  de),  293. 

Chénier  (Marie-Joseph),  294. 

Chevalier  (Michel),  146,  234. 

Child  (M"»»),  238. 

Christine  (la  reine),  129,  130, 
137,  263. 

Clerc  (Claude),  60,  66. 

Colbert,  267. 

Combes,  117. 

Constant  (Benjamin).  298,  304. 

Contades  (.M'"  de),  166. 

Conte,  109. 

Corréard,  269. 

Custe,  92. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 


30I9 


Courtois,  i69.  174. 
Créqui  (marquise  de),  123. 
Cruquenbourg,  89,  lo3. 
Cubières.  53,  78,  101. 
Cubières  (M"»»  de),  237. 
Guvillier-Fleury,  79. 
Czartoriska  (princesse),  21:2. 


Daguerre,  2b'.). 
Dandolo,  277. 
Dandré  (général),  177. 
Daure,  51,  240. 
Decazes  (duc),  111. 
Déjazet  (M""),  175. 
Delessert  (Gabriel),  51. 
Delessert  (B.),  146. 
Deluzy  (M"»),  268,269. 
Dcmidolï  (Anatole),   79,    83,    89, 
98,  122,  137,  216,  250. 

(M^o    princesse 
98,   118,  122,  128 


Ma- 
131, 


n 


DemidofT 

thilde), 

136. 
Desbassyns  (M»»),  254,  258.^-  ' 
Desclignac  (duchesse),  94,  121. 
Despagnac,  162. 
Despréaux  (M"»),  123. 
D'Estourmol  (M"»»),  182. 
Devaux,  187. 
Didier  (Charles).   109,   112,    116, 

139,  169,  174,  178,  179,  253. 
Didier  (M"»),  179. 
Dino    (duchesse    de)    (mariée    à 

Edmond    de    Talleyrand-Péri- 

gord),  103. 
Diao  (duc  de),  79. 
Dino  (née  de   8ainte-Aldegonde, 

duchesse  de),  250. 
Dorsay  (M-"),  93. 
Dosne  (M"»),  128,  136. 
Dosne  (Mn»),  255,  259. 
Doumerc  (M"»),  147. 
Ducliàtel,  211. 
Dunois  (baron),  293. 
Dupetit-Thouars,  220. 
Dupont,   44,    69,    72.    75,  76.    78, 

83,  84,  241. 


Durand  (Charles),  37,  41,  42.  45, 

51,  57,  61,  73.  79,  80. 
Durand  (M-"),  259. 
Duroc,  141. 
Durosnel,  233. 

E 

Enfantin,  225. 

Enghien  (duc  d'j,  292,  293. 

Esmenard,  294.  297. 

Espartero  (Bahloiiiero),  128,  129, 

137.  217. 
Esterhazy  (prince),  116. 
Exelmans  (général),  51. 


Falloux  (de),  276. 

Fauchet,  38. 

Faudoas   (général))    53,  126.   134, 

168,  178,213,  215,  217,229,  237, 

240. 
Faudoas  (M'""),  242. 
Fauveau  (M"»  de),  81,  263. 
Fayol.  248. 

Félix  (>!■"«  et  U.),  169. 
Félix  (Rachel),  voir  Rachel. 
Félix  (Sarah),  194. 
Fénelon.  191. 
Ferrelti  (comte),  101,  266. 
Férus,  200,  212. 
Figeac  (M""),  120,  122. 
Fleury  (général  comte),  278. 
Flahaut    (général    de)    203,   208, 

263. 
Fûdor  (M'""),  103. 
Fontanes,  297. 
Forge t  (M"»»),  54. 
Fornarina  (La),  88. 
Foscolo,  175. 
Fournier  (de),  216. 
François  l",  121. 
Franconi,  96. 
Frey,  225. 
Froissard  (M""»),  221. 


310 


INDEX  ALPHABETIQUE 


G 


Gamaux,  240. 

Gay  (Sophie),  136,  302. 

Gay  (Delphine),  74,  222,  2d0. 

Genoude,  117,  161. 

Ghirlandajo,  43,  61,  66.  72,  8'J. 

Girardin  (Emile  de),  73,  222,  230, 

297,  305. 
Giroux  (Alphonse),  81,  Sa. 
GobinauY,  187. 
Gonfalonieri.  64,  82. 
Gourville,  127. 
Grignan  (M™»  de),  208. 
Grisi  (CarloUa),  221,  2o0. 
Grouchy,  147. 
Gudin  (colonel),  180. 
Guiccioli  (La).  224. 
Guiche  (duc  de),  221. 
Guitart,  69. 

Guizot  (Fr.),  91,  167,239. 
Guyon  (M-»),  191. 

H 

Ilabeneek,  220. 

Hamelin  (Edouard],  193,  213,  227. 

247,    249,    250,    235,    2o8,    262, 

267. 
Hamelin  (Léontine),  269. 
Henri  V,  276. 
Herbault  (M™"),  203. 
Hersilic,  160. 
His,  36. 

Hubert  {^["•'),  164,  205,  221,  230. 
Hugo  (Victor),  110.  132,  24.-),  260, 

297. 
Ilutchinson,  136. 


Ibrahim,  38,  42. 
lelski,  119,  174,  194. 


Jacqucminot,  134. 
Janin  (.Iules),  128,  132,  137,  223. 
Jaubert  (M°>°  Caroline) ,  262. 
J<5sus-Christ,  131,  263. 


Joinville  (duc  de),  241. 
Joubert,  225. 
Juba  Branca,  221. 
.Iulie  (la  reine),  40,  60. 
Julien  (l'empereur),   114.  125. 

K 

Kameroski,  101,  172,  227. 

Kisseleff  (M°">).  63,  81,  100,  102, 
130,  136,  168,171,172,182,  194, 
203,  209,  227,  228,  230,  â60, 
268.  269.  291.  ' 


La  Dédoyère  (général),  274. 

Labiche,  100.  iû7. 

Labiche  (.M"»),  104,  105,  107. 

La  Bletteric.  114. 

Lacordaire,  206,  207. 

Lafarge  (Marie  Gappelle,  femme), 

237,  238,  269. 
Lafayette  (général),  139,  191. 
Lagrange  (M""  de),  221.  229.  261. 
Lainzai  ou  Lindsay,  238,  3u2. 
Lamartine,  161. 
Lamennais,  100. 

Lamoricière   (général),  253,   259. 
Lamorliùrc  (M">»),  152,  169,   182, 

233. 
La  Neuville,  60. 
La  Rochcloucauld  (famille),  90. 
La  Rochefoucauld(  duc  de),    228. 
La  Hue  (colonel),  32,  36,  43,  89, 

90,  92,  96,   130,    155,   164,   168, 

174,  217,  221,  227,  228,  248. 
La  Rue  (M'ie),  155,  183,  227,  230, 

233. 
Lauriston,  194. 
Lauzun,  32,  242. 
Lavalette,  297. 
Lcbreton,  168,  259. 
Leduvoski,  238. 
Leduwoski  (M"''>),  22i. 
Lefèvre,  83. 
Le  Hou,  153,  262. 
Le  lion  (M">°),  153. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 


311 


Léon  X,  180. 

Leroux  (Pierre),  109. 

Lescuyer,  157. 

Leuchtenberg  (duc  de),  42. 

Libri,  59,  123. 

Ligne  (prince  de),  153. 

Lille  (de),  47,  56,  144. 

Liszt,  46,  54,  100,  222. 

Longpré  (de),  251. 

Louis  XIV,  129.  191.  202,  224,  246, 

301. 
Louise  (princesse),  38,  56,  68,  71, 

84. 
Louis-Philippe,  45,  138,  2G3. 
Lovday  (M""),  16'J. 
Loyola  208,  225. 
Lucas  (de  Montigny),  283. 
Lucchesini  (comte),  81. 
Lullier,  2i6. 

M 

iMacdonald  (M'"<=),  235. 
Maiunoud  (sultan),  42. 
Maintenon  (M""»),  97,  191,201,  207. 

223,  247,  301. 
Maistrc  (X.  de),  114,  M  S. 
Manara,  277. 
Manin,  277. 
Manuel,  107. 
Marion  (colonel),  38. 
Marliani,  217. 
Marmont   (duc    de  Raguso),   92, 

99. 
Maroto,  58,  61. 
Martin  (M"'"),  230. 
IMartinez  de  la  Roza,  230. 
Mathieu  (M»"»),  221. 
Mcneval  (de),  277. 
Meneval  (M--»  de),  65.  221. 
Mercey  (baron),  51,  136. 
Meritens  (de),  222. 
Méritons     (Ilortense    Allart   de), 

voir  Ilortense  Allart. 
Metternich  (de).  203,  263. 
Michelski  (comte).  44. 
Mikali,  43. 
Mirabeau,  187. 


Mistrali,  75. 

Montaigne,  247. 

Montalembcrt,  223. 

Montalivet  (de),  183,236. 

Montant  (M'"»  de),  90. 

Montesquieu.  247. 

Montholon,  97 

Montrond  (comte  Casimir  de). 
57,  58,  93,  95,  101,  111,  138, 
140,  144,  145,  147,  148, 152,  162, 
174,  188,189,  193,  194,  195,  190, 
197,  198,  199,  200,  201,  204, 
200,  208,  211,  212,  216,  218, 
224,  239,  241,  246,  253,  273,  299. 

Montrond  (Hippolyte),  236,  238, 
239.  240,  241. 

Moraski,  145,  147,  149,  109,  174, 
181,  207,  250. 

Morel  (M'""),  116,  147,  169,  194. 
217,  227.  229,235,237,  250. 

Mornay,  208. 

Mornv'  (duc    do),  133,    153,   226, 

Moskowa  l'prince  de  la).  212,  213, 

220,  278. 
Mugnos,  130. 
Murât  (Achille),   46,    47.    48,  50, 

55,  56,  57,  59,  68,  71,  8i,  89. 
Murât  (Joachiin),  84. 
Murât  (Lucien),  50,  61. 
Murât  (Caroline),  48,  55,   57,    59, 

84,  89. 
Murât  (M-e),  183,  220,  221. 
iSIusset  (Alfred  et  Paul  de).  100. 
IMusset  (Alfred  de),  226. 

N 

Nadaillan,  123. 
Napoléon  I",  voir  Bonaparte. 
Nariskin  (général),  168. 
Nariskin  (M»"^),  151,  168,  205. 
Nemours  («lue  de),  90. 
Néron,  294. 
Ney  (maréchal),  274. 
Ney  (Edgar),  221. 
Nicolas  (empereur),  122,  123,  225' 
260. 


312 


INDEX  ALl'IlABÉTIQUE 


Nicollc,  241. 

Nicole  (M'"»),  83,  216,  235,  2b3. 
Niewerkerke,  248. 
Niewcrkerke  (M"°),  120. 
Ninon  (de  Lcnclos),  232. 
Noaiilcs  (Antonin  de),  'J3. 
Noaillcs  (Paul  de),  190,  l'Jl,  207. 
Normandie  (do),  184. 
Nyon  (de),  35,  81,  223. 


OConnell,  20G. 

O'Donnell  (M-^),  123. 

Odilon  Barrot  (M™»)  251. 

OlJeli  (comte),  88. 

Oliuski,  174,  194. 

Orléans   (duc  d').  144,  145,  246, 

276. 
Orléans  (duchesse  d"),  228. 
Ouvrard,  113,  116. 


Paccini,  63. 
Paipoise  (de  la),  183. 
Pajol,  lui,  133. 
Paimerston  (lord),  107. 
Palmicri,  46. 
Pascalis,  69. 
Passy,  33,  58,  106. 
Persiani  (M«-«),  103,  169. 
Persigny  (duc  de),  46. 
Pérugin  (Le),  66,  88. 
Petilot  (abbé),  199,  209. 
Pétrar([ue,  180. 
Pio  IX,  223,  265,  266. 
Pierlot  (baron),  215. 
Pire  (général),  299. 
Plaisance  (comtesse  de),  163. 
Platon.  200. 

Pompadour  (M'"»  de),  216. 
Porlalis,  66,  88. 
Potocki  (Arthur),  174,  300. 
Potocki  (Bernard),  43,  44,  93. 
Potocka  (comtesse),  138,221,229. 
Praslin  (duc  de),  266,  268. 
Praslin  (duchesse  de),  266.  267, 
269. 


Q 


Quiliard,  19i! 


Raciiel,  100,  109,   176,    177,  194, 

268. 
Racine  (Jean),  73,  183,  191. 
Radcliiïc  (Anne),  123. 
Raguse  (duchesse  de),  227. 
Rancé,  232. 
Raphaël,  62,  88,  139. 
Rapponi  (M""),  40,  41. 
Ravignan  (le  Pure  de),  164. 
Récamier  (Juliette),  301,  303. 
Regnault    de    Saint-Jean -d'An- 

gély,  294,  302. 
Regnault    de    Saint-Jean-d'An- 

gély   (M-"»),    38,   122,  123,  153, 

182,  213,  224,  234,  237,  238,  240, 

241,  251,  259,  262,  302. 
Reichstadt  (duc  de),  53,  97,  143. 
Riancour  (de),  231. 
Rochejacquelein  (La),  237. 
Rœderer,  246. 

Rondeau  (M""),  93,  123,147. 
Rostchild  (Antoni),  66,  83. 
Rovigo  (Tristan  de),  228,  230. 
Rovigo  (duc  de),  63,  68,  240. 
Rovigo  (duc  de),  voir  Savary. 
Royer-Gollard,  134. 


Sailly  (M-«  de),  97,  100,  139,  223, 

232,  233. 
Sainte-Aldegondc  (M""  de),  80. 
Saint-Ange  (de).  294. 
Saint-Aubin  (M™"),  156. 
Saint-.Vulaire  (de),  111. 
Saint-Bérin  (de),  69. 
Sainte-Croix   (marquis   de),    167, 

168. 
Sainte-Croiv  (marquise  de),  182, 

208. 
Saint-Preux,  216. 
Saint-Salvy,  120. 
Saint-Simon  (duc  de),  228,  247. 


INDEX  ALPHABliTlQUC 


313 


Saint-Simon    (marquis  de),   138, 

151,  153,  194. 
Salvage  (M»<'),  54,  12. 
Salvandy  (de),  217. 
Salvator,  117,  128. 
Samaïloff  (comtesse),  6j,  81,  215. 
Sampayo,  33,  109. 
Sampayo  (M""»),  237. 
Sand  (George),  203,  223,  270. 
Sarget,  228,  236,  237. 
Savary    (duc    de   Rovigo),    116, 

238,  294,  295,  301. 
Scribe,  86,  205. 

Sébastiani  (général  Horace),  91. 
Ségur  (comte  de),  143,  li'6,  156. 
Ségur  (M'""  de),  221. 
Sercey    (ou   de    Cercey),  68,  69, 

144,  147,228,239. 
Sévigné  (M"»»  de).  127,  207,  208, 

223,  228,  239,  247,  273. 
Sigaud  (Mlle),  65,  70.  72.  73. 
Simon  (M""»),  119,  147,  230,  231. 
Somariva  (M-°  de),  205. 
Sommer,  106. 
Sor  (Charlotte  de),  133. 
Soubiran,  123. 
Soulié,  107. 
Soult  (maréclial),  31. 
Sourdau,  299,  300. 
Stilting,  72. 
Sue  (Eugène),  80,  196,  247. 


Tacite,  298. 

Taglioni,  123,  140,  232. 

Talleyrand    (princesse  de    Béné- 

vent),  99,  116. 
Talleyrand-Përigord     (E  d  m  o  nd 

de),  32,  38,    41,  47,  49.  60,  68, 

09.  71,   72,   80,   82.   93,  94,  98, 

104,  121,233. 
Talleyrand  (duc  de),  38,  175. 
Talleyrand  (Mn»  de),  114. 
Talmont  (princesse  de),  237. 
Tasse  (Le),  274. 
Taylor,  58,  61,  62,  06. 


Teste,  58,  133,  299. 

Texier,  117. 

Thérauld  (Léontine  de),  167,  168, 
178. 

Thibaudeau,  40,  47,  51,  35,  56. 

Thiers.  58,  74,  94,  101.  102,  106, 
107,  108,  128,  137,  U6,  214. 

Thornc  (>!■"•),  221. 

Toulongeon,  278. 

Trechi,  57,  59,  63,  66,  67,  81,  83, 
88,  94,  98,  99,  101,  103,  106, 
107,  108,113.  116,  119,123,  123, 
126,  127,  128,  130,  131,  133,  133, 
237,  246,  247,  239,  265. 


Valençay  (M™»  de),  96. 

Valence  (M"»  de),  107. 

Vassari,  114,  128. 

Vatout.  86. 

Vatry  (.M""  de),  228. 

Véron,  223. 

Yestris,  175. 

Vicencc  (M""  Caulaincourt,  du- 
chesse de),  171,  172,  173,  181, 
183,  194,  203,  220. 

Victoria  (la  reine),  91. 

Villèle,  157,  255,267. 

Vitrolles,  172. 

Voisins  (des),  140,  193,  198. 

Voltaire,  114,  292,  294. 

Voluski,  163. 

W 

Walewski  (comte),  92,   169,  177, 

259. 
Walcwska  (comtesse),  239. 
Weiss,  174. 
Wuith  (général),  100. 


Xumala.  170,   171,  190,  192,  194. 
268. 


Zamoïski,  117.  131,  200,  215. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface 


INTRODUCTION 

Coup  il'œil  sur  sa  vio.  Sa  Corrcsponilance I 

ANNÉE  1839 

Le  colonnel  La  Rue. —  Eduiond  de  Talieyrand-Périgord.  —  Hor- 
tense  Allait.  —  Le }ournaille  Capitale  cl  Charles  Durand.  —  Le 
roi  Joseph  Bonaparte.  —  Une  lettre  de  Jérôme  Bonaparte.  — 
jM">°  liapponi.  —  Ghirlandajo.  —  Les  ennemis  de  M^-^  Hame- 
lin.  —  Les  dames  de  la  Halle.  —  Liszt  et  M^"  d'Agoult.  — 
Le  prince  Achille  Murât.  —  M'"»  Hamclin  regrette  son  exil  à 
Bruxelles.  —  Négociations  avec  la  famille  Bonaparte. —  Con- 
seils. —  Platitudes  du  prince  Louis-Bonaparte  à  Eglington. 

—  L'Ermitage  de  laMadciaine.  —  Faudoas,  d'Astorg,  Gubières 
et  le  camp  de  Fontainebleau.  —  Le  roi  Joseph  aux  Etats- 
Unis.  —   Pauvreté  de  Berryer.  —  Le  prince  Achille  à  Paris. 

—  Ch.  Durand  auprès  du  prince  Louis  Bonaparte. —  Thiers  et 
JMontrond.  —  Le  traître  Maroto.  —  Une  succession.  —  Gh. 
Durand  a  donné  un  «  galop  »  au  prince  Louis.  —  Goût  pour 
les  tableaux.  —  Comment  on  doit  écrire  à  une  sœur  de  Napo- 
léon. —  M°">  KisselefT  et  M'"»  Hamelin.  —  Le  duc  de  Rovigo. 

—  Capponi.  —  Gonfalonieri.  —  Un  legs.  —  Berryer,  candi- 
dat à  l'Académie  française.  —  Cynisme  du  prince  Achille.  — 
Les  douanes  toscanes.  —  Emile  de  Girardin  et  Berryer.  — Del- 
phineGay.  — BerryeràlaMadelaine. —  Laguerre  d'Algérie.  — 
Mariage  du  duc  de  Dino.  —  Anatole    Demidoff.  —  Souhaits. 

—  Les  régies  à  Naples.  —  Le  «  delphinisme  »  de  M""=  Ance- 

lot.  —  Vatout  et  l'Académie 31 

ANNEES    I840-I8AI 

La  folie  parisienne.  —  Bals  des  Ambassades.  —  L'hùlid  Porta- 
lis.  —  Une  lettre  du  roi  Joseph.  —  Anatole  DemîdotV  et  M™»  de 


3)6  TABLE  DES  MATIÈRES 

-Montaut.  Question  d'Orient.  —  Dotation  du  duc  de  Nemours. 

—  La  reine  Victoria.  — Sebastiani.  —  Guizot.  —  Fluctuations 
du  Capilole.  —  Walewski  et  le  Messager.  —  Les  Belles  à  la 
Mode.  —  Antonin  de  Noailles.  —  Tliiers.  —  Hortense  Allart 
est-elle  malade?  —  Edmond  de  Talleyrand  et  sa  cousine.  — 
Le  bivouac  de  la  Madelaine.  —  Montrond.  —  Procès  du 
prince  Louis.  —  Montholon.  —  Anatole  Demidolï  et  sa 
femme.  —  Le  dernier  champ  de  bataille  de  Napoléon.  —  Les 
futaies  de  Fontainebleau.  —  M""  llamclin  à  Augerville.  — 
Accueil  de  Berryer.  —  Son  esprit.  —  Un  plan  de  Berryer.  — 
M.deCbateaubriand.  — La.  Revue  Parisienne. —  La  liste  civile. 

—  Lord  .Alvanley.  —  Ch.  Didier.  —  M"«  de  Talleyrand.  — 
M"»»  Hamelin  réclame  des  livres.  —  Le  Siècle  l'a  mise  en 
cause  au  sujet  de  larrcstation  dOuvrard.  —  Genoude  à 
l'index.  —  Faudoas.  —  M°"  Berryer.  —  Le  duc  de  Bordeaux. 

—  Le  comte  Iclski.  —  Les  treilles  de  Thomery.  —  Ladre- 
rie M^c  de  S....  amie  de  Berryer.  —  Jérôme  Bonaparte 
et  Anatole  Demidoff.  —  M°>«  DcmidolT.  —  L'empereur  Nicolas. 

—  Les  vieux  livres.  —  M»"»  O'Donnell.  —  M""  de  Bourges.  — 
L'empereur  Julien.  —  Les  Mémoires  de  Gourville.  —  M""»  de 
Sévigné.  —  Jules  Janin.  —  M°">  Dosne  et  Tliiers.  —  La  reine 
Cliristine.  —  Un  Souvenir  au  Fossé  de  Yincennes.  —  Une 
défense  de  Berryer.  —  Le  journal  La  Presse.    —  Espartero. 

—  Sur  un  travail  de  son  correspondant.  —  M.  de  Montrond. 

—  Desvoisins. —  La  Taglioni.  —  La  maisoncivile  de  l'Empe- 
reur en  1804 87 

ANNÉE  (842 

Allusion  à  l'accident  mortel  duc  d'Orléans.  —  Mort  de  M.  de 
Lille.  —  Moraski.  —  Le  duc  d'Orléans.  — Sa  mort.  —  Michel 
Chevalier.  —  Tliiers  lâche  Pasquin.  —  M.  Biard.  —  Des 
visites.  —  M.  de  Chateaubriand.  —  Mauvaises  nouvelles  de 
Montrond.  —  Confidences.  —  M"»  .\ncelot.  —  Un  cousin  du 
pays.  —  M"">  Biard.  —  Le  Hon  et  le  Prince  de  Ligne.  —  Une 
brochure  du  prince  Louis  sur  la  betterave.  —  Le  marquis  de 
Saint-Simon.  —  Pajol  et  Jacqueminot.  —  La  baronne 
Regnault  de  Saint-Jean-d'Angély.  —  Berryer  et  le  duc  de 
Bordeaux 143 

ANNÉE   1843 

Un  nouveau  journal,  La  Xalion.  —  Kameroski.  —  L'ordre  de 
Malte.  — Hortense  Allart  se  marie. —  M»"» Hamelin  et  l'inéga- 
lité. —  Les  enlèvements.  —  La  comtesse  de  Plaisance  et  le 
prince  de  Belgiojoso.  —  M"»  de  Contades.  —  M"»  de  Bois- 
gelin  et  M.  Manuel.  —  Hortense  Allart  de  Meritens.  —  Le 
général   Nariskin.  —  Walewski  et    Rachel.    —   Le  sang  de 


TABLE  DES  MATIÈRES  317 

Napoléon.  —  Diflicultés  de  M°">  Hamelin.  —  M"»  Kisseleff  et 
Xumala.  —  La  duchesse  de  Vicence.  —  Souvenirs  de  l'Empire. 

—  Faut-il  convertir  Montrond?  —  La  Fille  de  Figaro  au 
Palais-Royal.  —  On  y  parle  de  M"»  Ilanielin.  —  Cli.  Didier 
et  son  journal.  —  Les  dames  Bas-Bleus.  —  M-"»  Ancelot.  — 
M.  de  Chateaubriand.  —  La  liste  civile.  —  Encore  des 
enlèvements.  —  Confidences  attristées.  —  Montrond  est  à  la 
Madelaine. —  M.  de  Noailles  et  M""»  deMaintenon.  —  L'agonie 
de  Montrond.  —  M""=  Kisseleff  àllombourg.  —  Mort  de  lelski. 

—  La  moit  de  Montrond.  —  Le  duc  de  Broglie  et  l'abbé  Pe- 
titot.  —  Une  prière  pour  l'ami  disparu.  —  M""»  Angelot  et 
Arnal.  —  Les  correspondants  de  Montrond.  —  Berryer  et 
M""  de  Somariva.  —  Lacordaire.  —  Le  mariage  de  Berryer. 

—  Déménagements 159 

ANNÉE  1844 

La  princesse  Czartoriska  et  l'hôtel  Lambert.  —  Le  prince  de 
la  Moskowa.  —  Un  article  du  National.  — Edouard  Hamelin. 

—  Discussion  de  la  Chambre.  —  Thiers  et  Billaut.  —  Un 
échec  de  Berryer.  — Le  baron  Pierlot.  —  Potins.  — Un  mot  de 
Montrond.  —  Amour  et  politique.  —  M.  Adam.  —  Démission 
de  Salvandy.  —  Marliani.  —  Les  raouts.  —  Impressions  de 
Berryer  sur  l'Angleterre.  —  Un  concert  chez  le  prince  de  la 
Moskowa.  —  Le  pow/f  d'Hortense  Allart  à  son  mari.  —  Liszt 
et  M°«  d'Agûult.  —  Le  Père  Enfantin.  —  Quelques  nouvelles. 

—  Mort  de  Tristan  de  Rovigo.  —  Un  mot  de  M.  de  Chateau- 
briand. —  La  Sylphide.  —  Le  duc  d'Angoulème.  —  La  Vie 
de  Raiicé  de  Chateaubriand.  —  M°"=  Hamelin  a  suggéré  des 
corrections.  —  Alala.  —  M™»  Regnault  à  la  Made'.aine.  — 
Hippolyte  Montrond.  —  M.  de  Montalivet.  —  La  succession 
de  M.  Buffault. —  Mort  de  Faudoas.  —  Le  duc  de  Joinville.  — 
Anniversaire  de  Montrond.  —  L'automne  à  la  Madelaine  .    .     211 

ANNÉE   1845 

Victor  Hugo  reçoit  Sainte-Beuve  à  l'Académie.  —  M""»  Hamelin 
conteste  une  assertion  de  Victor  Hugo.  —  M"»  Ancelot.  —  Roi- 
derer.  —  Edouard  Hamelin.  —  M.  Biard.  —  Un  regret  sur 
le  passé 245 

ANNÉE  1846 

Anatole  Demidoff  et  M"»  de  Dino.  —  Carlotta  Grisi  dans  Pa- 
quita.  —  M°">  Odiion  Barrot.  —  M'"^  Hamelin  clierche  un  loge- 
ment. —  De  La  Rue.  —  L'héritage  de  M""  Des  Bassyns.  — 
L'affaire  Lafarge.  —  Edouard  Hamelin  et  la  succession  Des 
Bassyns.    —  Cancans  et   grosses  nouvelles.  —  L'empereur 


318  TABLIC  DES  MATIERES 

?sieolas    marie    sa    lillo.  —   Le    couvent    dos   Augustines. 

—  M"»»  Biard.  —  La  marquise  do  La  Grange.  —  Le  procès 

Le  lion.  —  Morny 249 

ANNÉE  1847 

Un  assassinat.  —  La  duchesse  de  Giioiseui-I'raslin.  —  Conseils. 

—  Cléopâlre  de  Delphine  Gay.  —  Rachol.  —  Jl"»  Kisseleff.  — 
M""»  Hamelin  se   compare  à  M"»  Chantai.   —  Une  lettre  du 

roi   Jérr^mc 263 

ANNÉES   1849   1850 

La  réponse  de  M°">  Hamelin  aux  Mémoires  d'oulre-lomhe  de 
Chaleaubriand.  —  Les  Cent  Jours.  —  Dévouement  de M°">  Ha- 
melin à  Napoléon.  —  L'Italie,  IS'iobée  des  nations.  —  M.  de 
Falloux. —  ^Manin. —  La  sœur  de  Manara. —  Ingratitude  des 
anciens  amis  de  M""  Hamelin.  —  Elle  juge  le  Second  Em- 
pire. —  Sa  tristesse 273 

APPENDICE 

Lettre  à  Lucas  de  Monligny 283 

Lettre  de  Chateaubriand  à -M""' Hamelin 283 

Lettre  de  M""=  Lafargc  (Marie-Fortunée  Cappelle)  à  M.  G 28,ï 

Lettre  de  Caroline  Jaubcrt  au   même  (fragment  inédit)  .    .   .  290 

A  M'""  la  comtesse  K...,  à  llonibourg 291 


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