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Full text of "Une maison de poupée: drame en trois actes"

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HENRIK IBSEN 



Une Maison 
de Poupée 

DRAME EN TROIS ACTES 
Traduction nouvelle et étude inédite par ALBERT SAVINE 



PARIS. - V' 

P.-V. STOCK, ÉDITEUR 

(Ancienne Librairie TRESSE & STOCK) 

i55, RUE SAINT-HONORÉ, (près la Civette) 
Devant le Théâtre-Français 

I 906 

Tous droits de traduction, de reproduction et de représentation réservés pour tous 
les pays, y compris la Suède, la Norvège. 



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Une 



Maison de Poupée 



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A LA MÊME LIBRAIRIE 



' LITTÉRATURE SCANDINAVE 

Henrik IBSEN 

I. — Les revenants. 

II. — I^ Canard, Sauvage. — Rosmcrsholm. 
ni.- Hedda Gabier. 

IV. — La Dame de la Mer. — VEnnemi du Peuple. 
V. — Solness lé constructeur. 

VI. — Les Prétendants à la Couronne. — Les Guerriers à 
Helgeland. 
VII. — Les Soutiens de la Société. — L'Union des Jeunes. 
VI II. — Empereur et Galiléen. 
IX. — La Comédie de r Amour. 
• X. — Une Maison de Poupée. 

R, BJORNSON 

]. — Un ,Gant. — Le nouveau système. 
II. — Léonarda, — Une Faillite. 

III. — Amour et Géographie. — Les Nouveaux mariés. 

IV. — Au-delà des forces, F* et 2« parties. 
V. — Le roi. — Le journaliste. 

Monogamie et Polygamie. Une brochure. 

Auguste STRINDBERG 

Mademoiselle Julie^ précédée d'une étude sur l'œuvre de Strind- 
berg. 

Herman BANG 

Tine, roman danois, traduction de M. Prozor. 

JONAS LIE 
Les Filles du Commandant, roman norvégien, traduit par Aline 

TOPPELIUS. 



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HENRIK IBSEN 



Une 

Maison de Poupée 

DRAME EN TROIS ACTES ' 

Traduction nouvelle et étude inédite par ALBERT SAVINE 



PARIS. — P^ 
P.-V. STOCK, ÉDITEUR 

(Ancienne Librairie TRESSE & STOCK) 

i55, RUE SAIMT-HONORÉ, (près la Civette) 
Devant le Théâtre-Français 

1906 

Tous droits de traduction, de reproduction et de représentation réservés 

pour tous les pays, y compris la Suède et la Norvège. 



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A PROPOS 
D'UNE MAISON DE POUPÉE 



« SeroDS-nous de la fête, Madame ? Oui, qui sait 
quand la colombe messagère nous apportera l'invita- 
tion? Nous verrons. Jusque-là, je me tiendrai dans 
ma chambre avec des gants glacés ; jusque-là, je cher- 
cherai la retraite et j'écrirai des vers distingués sur 
le velin. Cela fâchera la vile multitude ; on me trai- 
tera sans doute de païen I mais la foule m'épouvante ; 
je ne veux pas me laisser éclabousser par laiiange; 
je veux en habits d'hyménée sans taches attendre que 
les temps approchent ». ' 

Les temps sont venus. La victoire de son art, qui 
s'est fait si longtemps désirer, a été complète, et, 
quand Ibseaest mort, ceux-là mêmes qui avaient été 
les plus ardents à protester contre son « génie nébu- 
leux » et ses « obscurités » pour eux impénétrables, 
n'ont pas eu assez d'encens à brûler pour célébrer sa 
gloire. A ceci, rien d'étonnant ! Les hommes d'avant- 
garde ne peuvent être suivis que de loin par la masse, 
mais quand celle-ci arrive en troupeau serré, rien ne 
prévaut contre l'enthousiasme de son débordement. 



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6 UNE A*AISON DE POUPÉE 

Ibsen, longtemps considéré comipe un auteur obscur, 
dont la pensée s'enveloppait des brouillards du Nord, 
est ainsi devenu, du jour au lendemain, le plus clair 
des écrivains pouf les gens dont le jugement n'est que 
le reflet de la pensée de la masse. Qu'y avait-il de 
changé } 

Rien en fait que le point auquel ils se plaçaient pour 
jugjer. Mais ce rién-là, c'est tout. Bien pcU, en effet, 
sont capables de se préoccuper de rechercher pourquoi, 
lors de sa première présentation au public, le grand 
écrivain norvégien leur paraissait si difficile à com- 
prendre et je ne suis pas sûr, je l'avoue, que, même 
une minorité de ceux qui prétendent le compréiidre au- 
jourd'hui, soient en état, sans initiation préalable, 
d'aborder la lecture de ses œuvres. 

Il en est ainsi, d'ailleurs, pour tous les écrivains 
étrangers. Comme ils nous apportent Técho d'une 
pensée qui n'est point la pensée française, qu'ils sont 
la résultante d'an milieu différent du nôtre, quelques 
données ne sont jamais un vain bagage pour s'intro- 
duire dans la communion d'œuvrps exotiques et il y 
à toujours lieu de jeter, au préalable, un coup d'œil, 
d'une part sur le passé de l'homme qui les créée, de 
l'autre sur le milieu ambiant qui les engendre et les 
eotfve. 

^ C'est ce que fit en 1889 le comte Prozor dans une 
étude qui était, pour le temps et les dispositions du 
public, ce que l'on pouvait rêver de* plus complet. Au- 
jourd'hui, des explications complémentaires, une ana- 
lyse plus minutieuse des caractères créés par le maî- 
tre, ne seront ni superflues ni inutiles. 

Le public est mûr pour les lire. 

A l'époque où Ibsen écrivit Une Maison de Poupée^ 
^- c'était en 1879, — il vivait en Italie, 



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UNE MAISON DE POUPÉE 7 

Après une existence de travail ininterrompu, après 
des années de labeur littéraire, il avait, par deux fois, 
soulevé de véritables tempêtes parmi ses compatriotes. 
Comme il le disait lui-même, on l'avait jugé un 
(( païen )). Ne semblait-il pas prendre à tâche de heur- 
' ter les idées courantes de ses contemporains ? Le pré- 
texte de ces bourrasques avait été en 1862 la Comé- 
die de V Amour et en 1869 V Union de la Jeunesse. 

Après avoir, pendant la premièrp partie de sa car- 
rière, chanté ce qui était l'idéal, en quelque sorte his- 
torique et légendaire, de la Norvège, Ibsen en avait, 
tout d'un coup, secoué le joug et, comme le fier Si- 
cambre, il s'était mis à adorer ce qu'il avait brûlé et 
à brûler ce qu'il avait adoré. 

Le problème de l'amour, le problème de la vie con- 
jugale, qu'il avait maintes fois rencontré sur sa route 
dans ses pièces historiques, le poussait à aborder la 
comédie moderne. Il y arrivait ayec un arsenal d'iro- 
nies, de paradoxes, de rancunes, une sorte de manie 
iconoclaste. 

Comme le dit un des personnages de la Comédie de 
V Amour y « il avait cru que l'amour était la poésie et 
le mariage la prose, il avait cru que l'amour était sain 
et te mariage grotesque, il s'était trompé : tout en 
amour n'est que comédie ». 

Tel avait été le premier aspect de la question à 
ses yeux, celui qui le frappait en 1862. Mais combien 
il avait fait de chemin depuis lors I 

C'en était fini en 1879 de la tendance à la carica- 
ture. Ibsen en était arrivé à penser qu'il faut montrer 
la vie telle qu'elle est, avec ses cruautés et ses tris- 
tesses, et que le théâtre doit. avoir des bases non seu- 
lement vraies mais encore si faire se peut scientifiques. 

It ne devait pas tarder à aller plus loin ; mais 



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8 UNB MAISON DE POUPÉE 

en 1879 il franchissait à peipe sa première étape. 

Il s'était écoulé seulement quelques années depuis 
que, résolu à peindre des scènes de son temps, il 
avait déclaré à M. Edmond Gosse qu'il renonçait « au 
langage des dieux » pour employer la simple prose. 
(( Nous ne vivons plus au temps de Shakespeare, ajou- ' 
tait-il, et parmi les sculpteurs on commence à discuter 
si les statues ne doivent pas être peintes des couleurs 
de la vie. On pourrait beaucoup dire sur la matière. 
Moi-même je n'aimerai pas à avoir la Vénus de Milo 
peinte, mais j'aimerai mieux une tète de nègre taillée 
dans le marbre noir que dans le marbre blanc. Après' 
tout, mon sentiment est que la forme littéraire doit 
être adéquate à la somme d'idéalisme qui s'exhale de 
Tœuvre ». 

Ibsen abordait donc le public avec toute l'intransi- 
geance d'un nouveau converti et de l'apôtre d'idées 
nouvelles, et il allait se trouver aux prises avec un es- 
prit non moins intransigeant, non moins ferme dans ses 
idées et intolérant à l'égard de toutes contradictions. 

Nous autres Latins, nous sommes habitués à plus de 
tolérance réelle qu'il n'y en a dans l'esprit des peu- 
ples du Nord. 11 y a au fond du catholicisme quelque 
chose de ce génie de la vieille Rome qui s'accomîno- 
dait de tous les cultes et de toutes les religions et les 
admettait môme dans ses temples à côté des divinités 
nationales à la seule condition que César se voie ren- 
dre les honneurs qui sont dus à César. 

Le Norvégien est d'esprit moins pacifique. Il s'est 
créé à lui-même son credo et, par cela môme qu'il l'a 
adopté, il ne peut concevoir qu'un autre lui- demeure 
sourd et aveugle. 

(( Dans l'esprit de tout Norvégien, d'Ibsen comme 
du dernier pâtre des Valders, a remarqué Maurice 



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UNE MAISON DE POUPÉE Q 

Bigeon * veille, obscure ou brillante» cette idée évan- 
gélique, allumée au flambeau biblique, qu'on ne peut 
se conduire au hasard et sans guide» et que les élus 
sont rares qui, ayant marché dans une nuit profonde 
et pendant longtemps, trouvent enfin par grâce spé- 
ciale, la vraie lumière qu'ils jie cherchaient pas. 

« Et c'est pourquoi les uns et les autres ont le respect 
de la gravité de la loi morale qu'ils s'imposent ; pour- 
quoi les écrivains, bons ou mauvais, qu'ils lisent et les 
pasteurs qu'ils écoutent leur parlent en un langage si 
fort des redoutables problèmes de la vie. Le génie lu- 
thérien les a pénétrés ; la doctrine luthérienne a pétri 
leur âme, — ce peuple est un peuple austère et mé- 
thodique, sectaire. Aussi, vivre, ce n'est rien autre 
chose « qu'avoir une vocation ». 

(( Connaître quelle est sa vocation, la bien remplir, et 
sans faiblesse, — telle doit être la substance cachée des 
pensées et des actes d'un èirç humain, quel qu'il soit. 

(( Or, pour qui veut connaître sa vocation, il faut ré- 
fléchir, et, pour réfléchir, beaucoup discuter. On ne 
doit se décider qu'à bon escient, et l'esprit calme. Et, 
pour mieux assujettir en son âme l'idée à qui désormais 
sera suspendue toute la vie morale, il la faut dépouil- 
ler des draperies illusoires dont la couvre un art raffiné. 

(( Etonnez-vous, après cela, qu'une jeune Norvé- 
gienne de classe moyenne puisse avoir comme presque 
toujours il arrive, la même liberté dans la parole et 
dans la pensée que dans ses mœurs journalières; 
qu'elle marche seule, ignorant peu de chose et ne 
craignant rien, sans qu'on songe à l'arrêter et sans 
qu'on s'en étonne; qu'elle parle chastement, sans 

I. Les Révoltés Scandinaves de Maurice Bigeon sont, je crois, 
ce qu*on a écrit de plus compréhensif sur les écrivains du Nord. 

I. 



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10 UNE MAISON DE POUPÉE 

môme qu'une lueur douteuse vienne troubler ses yeux 
purs, des choses les moins chastes, et qu'elle échappe 
à cette poésie' charnelle des idées qui, bien souvent 
ailleurs, détraque les volonté^ en troublant les esprits? 

« Comment encore s'étonner,que la controversé soit 
l'aliment nécessaire à l'intelligence de ces hommes du 
Nord comme le pain à leur corps? Que les arts plasti- 
ques, les arts de la chair, joie des yeux, émoi dange- 
reux du cioeur, ne soient guère en ce pays appréciés 
que par des snobs ? Que les maîtres Scandinaves, dé- 
vots de beauté et de formes impeccables^ se plaignent 
de la démocratie grossière qui fait loi dans leur patrie 
et parfois les en chasse, et qui préfère une vérité toute 
nue à uiae demi-certitude enveloppée et gracieuse ? 
Qu'enfin, et pour cette raison, les personnages imagi- 
nés par Ibsen, par Bjornson, par Lie même, ne soient 
guère que des abstractions vivantes, douées de cons- 
cience, pour un moment réalisées, et qui craquent de 
tous côtés sous la poussée des symboles qu'elles por- 
tent dans leurs flancs ? » 

Jugez alors du scandale soulevé à Christiana, ville 
assommante et mesquine, sans style et sans vie, où l'on 
a dans les moelles le culte du décorum et des titres 
honorifiques, par l'incartade de cette Nora, femme de 
M. l'avocat, directeur de la banque, s'en allant en 
faisant claquer les portes et prenant sop vol vers l'idéal 
de liberté et de rêve, à peu près comme ces petites 
nihilistes qui vers le même temps, à Saint-Pétersbourg 
et à Moscou, rompaient net avec le joug doré dç la vie 
de famille pour s'en aller dans le peuple aux jours du 
« printemps fou » ! * 

I. Voir les pages consacrées par Léon Tikhomirov au « prin- 
temps fou » dans Conspirateurs et policiers. ^ 



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UNE MAISON DE POUPÉE II 

La Stupeur fut si considérable que les coatemporaias 
ont conservé de curieux .souvenirs de ce temps. « Je 
me souviens, a écrit M. Prozor, d'une saison où l'on 
voyait circuler à Stockholm des partes d'invitation avec 
cette note au bas : « On est prié de ne pas s'entretenir 
de Maison de Poupée ». * 

C'était la question palpitante, c'était l'Affaire pour 
les esprits échauffés du Nord. 

Un autre rapporte l'histgire de cinq fillettes, dont la 
plus âgée avait douze ans, qui prenaient alors le thé 
dans une nursery et déclaraiçpt gravement que si elles 
étaient Nora, elles n'auraient pas agi autrement. 

Et au lendemain d' Une Maison de Poupée ^ Bjornson, 
faisant écho à Ibsen, écrivait Un Gant où l'on enten- 
dait sa Svava proclamer nettement les principes mécon- 
nus de Tégalité absolue entre l'homme et la femme et 
poser dans la plus superbe et la plus naïve intransi- 
geance le problème de la virginité réciproque que les 
futurs époux se doivent l'un à l'autre. 

Derrière eux venait le flot des écrivains féministes, 
madame Leffler la future duchesse de Cajanello, ma- 
dame Benediksen et tant d'autres amazones s'unissant 
pour lever le drapeau de l'indépendance féminine et 
revendiquer haut et ferme les droits de la prétendue ' 
opprimée. 

Chez nous, l'émancipation de la femme n'a jamais 
correspondu qu'à la revendication de la liberté sexuelle. 
Quand George Sand créait Lélia et toutes ses sœurs, 
c'était au nom de la ruine des privilèges du mari qui 

I . Une Maison de Poupée est la vraie traduction. M, Ernest 
Tiàsoî a proposé Intérieur de Poupée, ce qui serait un contre 
sens, car Ibsen n'a jamais pensé qu'on ouvrit sa poupée pour 
voir ce qu'il y avait dedans. 



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12 UNE MAISON DK POUPÉE 

avait cessé de plaire, au profit de Famant dont le. rè- 
gne commençait. 

En Norvège, il n'en était pas ainsi. 

Les doctrines nouvelles, ces doctrines qui embra- 
saient tant de prosélytes n'avaient rien que de céré- 
bral. Le fanatisme puritain connut à leur abri un re- 
gain de triomphe. Ibsen, qui avait combattu l'hypocrisie 
de la loi, vit se dresser derrière son œuvre Thypocrisie 
de l'austérité. Dans les rues des cités, à la porte des 
cafés et des maisons îsuspectes, la vertu se faisait déla- 
trice et, farouche policière^, s'immisçait dans l'intimité 
des citoyens avec un zèle inquisitorial. Un jour môme 
vint, où la tyrannie fut si forte que les écrivains du 
Nord sentirent la nécessité d'en secouer le joug. Ce 
jour-là', Ibsen avait à son insu frayé la route à Strind- 
berg, à Bang et aux hommes de la jeune génération. 

Cette brève esquisse nous ramène à préciser ce qu'é- 
taient les doctrines d'Ibsen à l'époque où il donna Une 
Maison de Poupée. Elles se précisaient dès lors sous 
leur forme à peu près définitive. 

(( Nora, a écrit M. Ehrhard, est l'interprète exacte 
des théories matrimoniales d'Ibsen. Elle résume et 
condense les idées que le poète émettait déjà dans la 
Comédie de V Amour ^ qu'il émettra encore dans ses 
œuvres les plus récentes ». 

Ces idées peuvent s'énoncer ainsi : L'union conjugale 
qui n'eôt point fondée sur le choix responsable et libre 
de deux êtres qui s'aiment, parce qu'ils se connais- 
sent, est le fruit d'un mensonge initial qui corrompt 
les vies des deux époux et arrive à briser leur bon- 
heur. 

Poussant le tableau au summum de sa logique dra- 
matique, Ibsen devait être amené à jeter Nora datis la' 
révolte suprême. Il fallait au développement conniplet 



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UNE MAISON DE POUPÉE l3 

de sa thèse l'aboutissement à une cassure flagrante et 
violente, sinon irrémédiable. 

Il y a môme en germe dans certaines répliques de 
Nora, les principes de la revendication du droit à la 
recherche de l'âme sœur. « // n'est pas juste que tu 
sois enchaîné quand je ns le suis pas. Pleine liberté 
pour tous les deux .. tiens, voici ton anneau, rends- 
moi le mien,., j* ignore ce qu'il en sera de moi... 
maintenant, tout est fini ». 

Bref, Nora n'hésitait pas à briser avec la famille, 
un vain simulacre ne méritant aucun respect à ses 
yeux. 

On a beaucoup discuté en Suède-Norvège, en Alle- 
magne et chez nous sur le départ de Nora. 

Dans un très brillant article qu'il consacrait en 1889 
à Maison de Poupée M. Jules Lemaître a admirable- 
ment résumé toutes les objections, en même temps 
qu'il indiquait ce qui distingue la « Léiia du pôle Nord » 
comme il appelle Nora, des Lélias de George Sand. 
Tous les arguments de morale ont été merveilleuse- 
ment développés par lui. Il n'a certes pas oublié le 
plus fort, l'existence de ce lien que rien ne peut rom- 
pre, l'existence de ces trois bébés aux joues empour- 
prées par la froide bise que le spectateur d'Une Maison 
de Poupée a vu jouer à cache cache avec l'alouette 
sans cervelle, au cours du premier acte. 

Sur'le terrain de la morale, la question de latitude 
n'existe pas. Ni l'âme norvégienne, ni l'âme latine ne 
pensent essentiellement de laçon différente et s'il y a 
deux opinions en' conflit, c'est que l'une représente la 
morale de conservation, celle qui estime que mieux 
vaut le simulacre que rien du tout, et Tautre, la morale 
libertaire, qui préfère rien du tout ou, plus exactement, 
la loi que chacun se crée à la loi que chacun subit. 



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14 UNE MAISON DE POUPÉE 

Cependant, il faut bien le reconnaître, Ibsen, qui 
^ est un auteur dramatique encore plus qu'un moraliste, 
s'est préoccupé par dessus tout de poser le problème 
de façon à le résoudre 'en faveur de sa thèse. .C'était 
son droit, un auteur dramatique n'étant pas tenu à la 
sérénité d'appréciation qui doit être le fait du critique 
et du philosophe. 

11 a donc jeté tout l'intérêt du côté de Nora, donnant 
fort peu d'attrait à l'âme sèche, 'égoïste et bourgeoise 
de Tocvald, qui ne doit ses qualités apparentes qu'à 
ralTection enfantine et respectueuse que Nora déploie 
à les dépeindre. 

La balance n'est donc pas égale entre les deux anta- 
gonistes. 

La faute de Totvald, l'égotisme et l'égoïsme, qui le 
dominent pendant tout le troisième acte, empêchent le 
spectateur de peser à leur prix des arguments que, 
d'ailleurs, il esquisse à peine. Son émoi en présence 
des révélations qui lui sont faites nous paraît forcé 
ment exagéré. Si Nora était jugée par des magistrats, 
en qui professionnellement le jurisconsulte a atrophié 
le sens exact de la culpabilité morale, elle n'échappe- 
rait pas à une condamnation, bien qu'aujourd'hui, dit- 
on, il se rencontre de bons juges. Jugée par le jury, 
elle ne saurait éviter les affres de l'incarcération pré- 
ventive et les hontes de la comparution devant une 
cour d'assises, mais un seul d'entre nous, même des 
fanatiques les plus asservis à l'aveugle religion du 
code, oserait-il prendre sur lui de la^ frapper d'un ver- 
dict défavorable? 

Le faux qu'a commis Nora, tel qu'elle l'a commis, 
ne peut tomber sous le coup d'aucune de ces pénalités 
que des citoyens délégués par le sort au soin de juger 
leurs semblables peuvent appliquer. C'est une de ces 



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UNE MAISON DE POUPÉE l5 

audaces par lesquelles l'être faible et ignorant, poussé 
à bout par la nécessité, sort de la légalité pour rentrer 
dans le droit, le droit à la vie pour celui que Nora aime 
{Slus qu'elle-même, pour celui à qui elle voudrait se 
dévouer toute entière. 

Aussi sommes-nous dans l'impossibilité de com- 
prendre que Torvald Helmer, si dominé qu'il soit par 
la pensée des conséquences que peut avoir la folle im- 
prudence de Nora, n'ait pas une seconde la force de la 
consoler et de la rassurer et que sa colère le porte à un 
verdict qu'aucun spectateur ne pourrait ratifier. 

Rien ne peut lui faire pardonner la brutalité avec 
laquelle il prétend interdire à Nora d'élever ses en- 
fants, l'autoritarisme féroce avec laquelle il lui signifie 
qu'il faut « que tout soit comme si rien n'était changé ». 
Et pour nos âmes françaises, qui vont ici, il me sem- 
ble, plus droit au but que les âmes norvégiennes, Té- 
tonnement est grand que rien dans le cri de révolte de 
Nora ne vise cette intempestive sévérité à l'heure de la 
suprême bourrasque pour la fragile poupée. 

11 est vrai, d'autre part, et ceci est une faute de 
l'auteur dramatique, que Nora n'a pas un mot pour 
expliquer les mobiles qui sont l'excuse de son infrac- 
tion aux lois. Je sais bien que Krogstad, en lui disant 
qu'il écrivait à son, mari, l'a prévenue qu'il lui « di- 
sait tout avec les plus grandes atténuations possi- * 
blés ». Mais que signifie cette parole dans la bouche 
de Krogstad > 

Doit-elle suffire à Nora pour qu'en présence du cour- 
roux de Torvald elle n'ait point le désir, en protes- 
tant contre son injustice, de remettre les choses au 
point ? 

Sans doute Ibsen a préféré nous la montrer comme 
médusée, anéantie par la colère à laquelle elle assiste, 



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l6 UNE MAISON DE POUPÉE 

mais cette colère, très bien préparée par le caractère 
donné à Torvald, est un amoindrissement de la valeur 
psychologique du cas choisi par le dramaturge. Elle 
s'explique parfaitement par tout ce que nous savons de 
Torvald au moment où elle éclate, mais si en face de 
l'avocat, type qui n'a rien d'essentiellement norvégien, 
un auteur dramatique de chez nous avait placé une 
Parisienne, les griefs, qui s'expriment plus tard par la 
bouche de Nora, auraient certainement revêtu, dans 
une forme passionnelle autrement intense, une acuité 
de personnaUsme qui s'épancherait en reproches em- 
preints du froissement que subissent à Ijà fois le cœur 
et Tamour propre de Nora. 

Qu'importerait en effet à une Parisienne les griefs 
d'éducation conjugale, cette sorte de mépris de sa per- 
sonnalité qui l'a fait contenir dans un rôle futile de 
petit animal apprivoisé? Que serait tout cela au prix 
de ce fait, primant tous les autres, que celui qu'elle 
aime ne sait pas l'aimer, qu'il n*est pas l'ami et le pro- 
tecteur des heures mauvaises et, révélation plus atroce 
encore que les autres, qu'il a été lâche à l'heure du 
danger. 

Mais, ces défauts loyalement signalés, il faut recon- 
naître qu'ils sont volontaires de la part d'Ibsen, peut- 
être parce que la femme qu'il met en scène n'est pas 
une Parisienne mais une Norvégienne, une femme de 
pays froid, de pays où sous la neige bouillonne le feu, 
une cérébrale plutôt qu'une passionnée. 

De même, on a remarqua que dans le duo Krogstad 
— madame Linde, qui fait la contre partie du 'duo 
Torvald Nora, il a pu y avoir de la part d'Ibsen le dé- 
sir, qui s'est marqué dans beaucoup d'autres de ses 
drames, d'opposer, à Thomme correct ou régulier, sui- 
vant les idées reçues, le bjhème et l'outlaw en don- 



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UNB MAISON DE POUPÉE I7 

nant la préférence à Ijrrégulier sur rhonnôte homme 
de façade. 

Madame Linde va à Krogstad par un sentiment de 
pitié. Fait-elle un sacrifice ou, comme elle le dit, se 
sent-elle attirée vers lui par une inclination à laquelle 
elle ne veut point résister, parce qu'elle a foi en ce 
qu'il y a au fond de lui, parce qu'avec lui rien ne lui 
fera peur? A-t-elle la certitude de relever cet homme 
à la mer, ce naufragé qui n'a même plus la planche de 
salut à laquelle il se cramponnait > 

Qu'elle y croie ou qu'elle n'y croie pas, qu'elle se 
sacrifie ou qu'elle cède à un irrésistible penchant, peu 
importe! Ibsen, d'ailleurs, nous a renseigné par un 
mot d'elle, un mot amer : n Quand on s'est vendue une 
fois pour sauver quelqu'un, on ne recommence p^s ». 

En tout cas, pour Krogstad, le retour de madame 
Linde, c'est la récompense tandis que pour Torvald 
le départ de Nora c'est le châtiment. 

La silhouette, étrange et burinée comme à l'eau 
forte, en traits inoubliables, du docteur Rank, est une 
de celles qui ont suscité le plus d'indignation, aussi 
bien en Norvège qu'en Angleterre. 

Pour certains critiques de l'autre côté de la Manche 
ou de la mer du Nord, la scène où le docteur Rank 
déclare ses sentiments à Nora, a été un scandale aussi 
grand que les scènes les plus hardies et les plus vio- 
lentes de notre théâtre naturaliste. 

Je sais, cependant, peu de choses aussi exquises, 
aussi délicates, que les quelques mots de tendresse 
contenue qui échappent à Rank et la réserve si pudi- 
que, si honnête femme, le regret si sincère, avec les- 
quels les accueille Nora. 

Au début de la scène, elle a flirté avec une mutine- 
rie d'enfant libre et capricieuse ; mais alors elle se re- 



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1 8 UNB MAISON DE POUPÉE 

vtx de dignité grave, elle est sérjeuse parce qu'il s'agit 
d'une chose sérieuse et qu'elle, aussi bien que Rank, 
prend sérieusement. 

Tout ce caractère de Rank, tout son rôle sont d'une 
composition merveilleuse. 

Selon le mot très égoïste de Torvald, il fait bien le 
foûd sombre du tableau ensoleillé du bonheur des 
Helmer ; son apparition au troisième acte est une in<- 
tervention des plus heureuses. 

Je ne sais si, comme le voulait Francisque Sarcey, 
Ibsen ne possédait à fond le métier dramatique que 
parce qu'il avait beaucoup pratiqué Scribe. Comme 
tous les hommes de ma génération, fe n'ai jamais 
éprouvé le culte de ce maître des ficelles. Même, pour 
être franc, je crois que nous avons toujours professé 
pour lui un dédain qui confine au mépris. Ce senti- 
ment était peut-être injuste, mais il était. Ce qui ne 
nous empêchait pas, nous autres lecteurs de la pre- 
mière heure, d'admirer Ibsen, non point en snobs, 
mais avec beaucoup plus de sens critique que ne le 
pensèrent ceux qui haussaient les épaules quand on 
leur parlait alors du génie du Nord. 

11 est vrai que nous étions fort peu nombreux * ; le 
nombre n'est venu qu'un peu plus tard lors des répré- 
sentations d'Antoine et de Lugné*Poé. 

C'était, je ràvoué, un curieux pubUc que celui qui se 
pressait aux premières représentations d'Ibsen, 11 a 
été décrit plusieurs fois ; mais je crois fort que lîul 

I. Francisque Sarcey, en 1896, quand le succès s'accentua 
croyait que 5oo lecteurs avaient la première année répondu à 
l'appel du préfacier Edouard Rod. Il se trompait. Eu dehors de 
la distribution à la presse, il ne s'était vendu un an après la 
mise en vente que 89 exemplaires, plus de la moitié hors fron- 
tières. 



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UNE MAISON DE POUPÉE I9 

croquis ne vaut celui qu'a tracé le plus résolu des in- 
compréhensifs d'alors, j'ai nommé F'rancisque Sarcey. 
Il est de bonne guerre de reproduire cette page : 
(( Je me rappelle, comme si c'était hier, cette inou- 
bliable soirée du Jo mars 1890, où nous fut donné au 
théâtre Montparnasse la première représentation des 
Revenants *... Le bataillon sacré des Ibséniens était 
à son poste, l'air menaçant et les yeux agressifs. C'é- 
tait dans toute la salle un frémissement d'attente I 
Deus. ecce deus. On sentait que si quelque iconoclaste 
se fut permis l'horrible inconvenance de laisser échap- 
per un geste de doute, il eut été roulé sous le mépris 
et l'injure I Ceci n'était pas à vrai dire une pièce qu'on 
jouait sur un théâtre; c'était un office religieux que 
l'on célébrait dans un temple, il était coupé de temps 
à autre par des cris furieux d'enthousiasme, mais le 
reste du temps c'était une ardeur d'attention, une fer- 
veur de respect que personne ne se serait avisé de 
troubler. Combien y avait-il de profanes dans l'assem- 
blée? Je l'ignore. 11 s'en trouvait pourtant. Je le sen- 
tais à des regards éperdus et navrés que me lançaient 
des impies forcés au silence par la gravité de ces mys- 
tères... Les Ibséniens avaient adopté une tenue et une 
coiffure particulière auxquelles ils se reconnaissaient. 
Hommes et femmes étaient arrangés à la Botticelli I 



I. Ce n'est ni le comte Prozor ni M. Jules Lemaître qui 
mirent Antoine sur la voie d'Ibsen. A l'une des répétitions 
d'Esther Brandes, rue Blanche, il me souvient qu'Emile Zola 
recommanda chaleureusement la pièce au directeur du Théâtre 
Libre. Antoine se plaignait de la mauvaise traduction qui lui 
avait été communiquée. C'était une version de M. de Hessem 
faite d'après Tallemand. Les répétitions d*Esther Brandes sont 
de 1S87. Trois ans après, Rodolphe Darzens fournissait à An- 
toine la traduction rêvée par lui. 



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20 UNE MAISON DE POUPÉE- 

Ils emplissaient toute une partie de la s^Ile et jamais 
on ne vit sectaires plus intransigeants et plus farou- 
ches Quand on faisait mine de ne pas applaudir et si 
l'on avait le malheur de bâiller', c'était des cris féro- 
ces : A la porte les mufles » ! 

Le croquis est spirituel et rappelle, autant que du 
Francisque Sarcey peut y être comparé, la page que 
Théophile Gautier dans son Histoire du Romantisme a 
consacrée à la première représentation d^Hermni. 

L'enthousiasme delà jeunesse de 1890, — que ces 
temps sont loin de nous — est' du même aloi que celui 
de la jeunesse de i83o. Alors aussi, ceux mêmes qui 
avaient entendu vieil as de pique au lieu de vieillard 
stupide étaient prêts à verser leur sang pour la beauté 
de cette épithète. 

Parmi eux, on se faisait une fête de voir Une Mai- 
son de Poupée au théâtre. 

La pièce fut jouée d'abord dans un salon, chez ma- 
dame Aubernon de Nerville : puis, un jour, on apprit 
que la Nora désirée, comme l'appelait Maurice Bi- 
geon, était enfin découverte. 

Après miss Janet Achurch, Marie Fraser, madame 
Niemann-Raabe, Réjane était séduite par les côtés on- 
doyants et divers du rôle de Nora et, en avril 1894, elle 
interprétait ce que la grande presse qualifiait a cette 
œuvre étrange et superbe ». 

« Je ne saurais trop vous engager à aller voir de 
quelle façon madame Réjane joue le rôle de Nora, 
écrivait le critique du Journal, Artiste acclamée de- 
puis longtemps à chacune de ses créations, je ne crois 
pas que madame Réjane se soit jamais élevée aussi 
haut que dans la composition de ce personnage. Tout 
ce que l'art du comédien servi par une intelligence 
subtile peut réaUser dans l'expression d'une œuvre 



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UNE MAISON DB POUPÉE 31 

d'art, elle l'a rendue avec une intensité remarquable ». 

Le critique des Débats n'était pas moins élogieux : 

« Ce rôle de Nora complexe et périlleux, fait d'un 
mélange de grâce, d'étourderie, et de dévouement tra- 
gique, a été admirablement composé par madame Ré- 
jane. Il faut la voir jouant à cache-cache avec ses en* 
fants, animée, joyeuse, semant une gaîté saine autour 
d'elle, puis changeant brusquement d'expression quand 
on lui annonce Krogstad. Et elle est extraordinaire 
surtout au second acte, quand elle répète sa tarentelle 
et que, folle d'angoisse et, les cheveux dénoués, elle 
continue sa danse pour que son mari n'aperçoive pas la 
lettre révélatrice. Après cette scène le public a réclamé 
trois fois l'émouvante comédienne ». 

Au Gil Blas, Bernard Dérosne trouvait aussi l'oc- 
casion d'écrire une belle page. 

« La transformation de l'âme d'oiseau de l'héroïne 
en une âme d'être conscient et pensant qui, sous les 
coups de l'adversité, en arrive à mesurer l'étendue de 
la crise morale où elle succombe, cette transformation 
est rendue d'une façon admirable. C'est effrayant d'au- 
dace et de gaîté et le spectateur est lui-même comme 
emporté par le vertige fou dont Nora devient peu à 
peu la proie lamentable. Il y a dans les angoisses de 
la malheureuse enfant une progression si foudroyante 
et en même temps si normale que nous y sentons 
comme l'accomplissement terrible de la fatalité. Il faut 
le reconnaître, il estf difficile d'imaginer une interpré- 
tation plus parfaite que celle dont les artistes du Vau- 
deville nous ont durant cette répétition de Maison de 
Poupée présenté l'imposant exemple. Cela aussi est 
admirable. 

(( Je ne sais si le mot de talent suffit pour caracté- 
riser le jeu de madame Réjane qui, cette fois semble 



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22 UNE MAISON DE POUPÉE 

s'être élargi encore. C'est simplement meryeilleux et 
d'une vérité supérieure et exquise. Elle a su traduire^ 
l'insouciance puérile, la gaîté écervelée et aussi les 
terreurs effarantes, les atroces tortures de Nora, avec 
autant de charme câlin que de puissance dramatiques., 
C'est à se demander si cette grande comédienne n'a 
pas en elle lès ressources et le ressort d'une grande 
tragédienne ». 

Cependant quelques Ibsénistes intransigeants. M. AI- 
canter de Brahra par exemple, clamèrent que si la 
pièce, interprêtée par madame Réjane, transportait 
d*aise quelques féministes avancés, elle ne laissait pas 
découvrir le sésame de son véritable sens et que la 
profondeur des pensées y demeurait lettre close. 

Cela était vrai, hélas ! pour quelques-uns. 

Ne voyait-on pas M. Paul Perret déclarer qu'il ne 
pouvait faire aux Ibséniens le plaisir de considérer 
Maison dé Poupée comme une œuvre bien conduite, 
forte et logique, et n'a-t-on pas entendu plus d'une 
spectatrice résumer ainsi son impression sur la pièce I 

— Si Nora était partie avec Un amant, ce serait na- 
turel... Avec Rank par exemple, il y aurait là un cer- 
tain ragoût de vice... mais partir seule c'est idiot » ! 

La spectatrice, qui tenait ces propos notés au vol, 
n'avait évidemment pas compris grand chose à la pièce 
d'Ibsen, mais il est douteux qu'elle lise cette préface... 

Albert Savine. 



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■ UNE 

MAISON DETOUPÉE 

DRAME EN TROIS ACTES 



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PERSONNAGES 



L'AVOCAT HELMER. 

NORA, sa femme. 

LE pOCTEUR RANK. 

MADAME LINDE. 

L'HOMME D'AFFAIRES KROGSTAD. 

LES TROIS PETITS ENFANTS DE HELMER. 

ANNE MARIE, bonne d'enfant des Helmer. 

LA FEMME DE CHAMBRE DES HELMER. 

UN conImïssionnaïre. 



Chez les Helmer. 



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ACTE PREMIER 

Une pièce meublée aveQ goût et confort, mais sans luxe. Au fond, à droite, 
la porte de l'antichambre. Au fond, à gauche, la porte du cabinet de Helme% 
Entre les deux portes, un piano. A gauche de la ^cène, une |.orte et» au pre- 
mier plan, une fenêtre. Près de la fenêtre, une table ronde, un fauteuil et un 
petit sofa. A droite de la scène, vers le fond, une porte et, au premier plan, 
une cheminée. Devant la cheminée, quelques fauteuils et une balancine. En- 
tre la cheminée et la porte, une petite table. Au mur des gravures, une éta- 
gère garnie de porcelaine et de bibelots artistiques, une bibliothèque pleine 
de livres luxueusement reliéi. Un tapis sur le parquet, du feu dans la che- 
minée. 

Une journée d'hiver. 



SCÈNE PREMIÈRE 

NORA, LE COMMISSIONNAIRE et La Femme de 

Chambre^ à la cantonade. 

Un coup de sonnette dans l'antichambre. Un moment après, la porte b'ou- 
vre. Nora fait son entrée en fredonnant gaiment, son chapeau sur la tête, 
son manteau sur les épaules. Elle pose plusieurs paquets sur la table de 
droite. Par la porte de l'antichambre restée ouverte, on aperçoit un com- 
missionnaire chargé d'un arbre de Noël et d'un panier, il remet le tout à 
la femme de chambre qui l'a introduit. 

NORA. 
Cachei bien l'arbre de Noël,' Hélène. Il ne faut pas 
que les enfants le voient avant ce soir quand il sera paré. 
(Elle sort son porte monnaie. — Au commissionnaire.) Combien VOUS 
dois- je? 

LE COMMISSIONNAIRE. 

Cinquante ores. 

2 



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aÔ UNE MAISON DE PGUPÛm 

NORA. 

Voici une couronne. Le reste est pour vous. 
Le commissionnaire salue et s'en va, Nora ferme la porte. Elle continue 
à sourire gaîment en enlevant son chapeau et son manteau. 

NORA) elle tire de sa poche un sac de pralines et en mange deux ou trois, 
pais elle va sur la pointe du pied à la porte du cabinet de son mari et 
écoute. 

Aht il est dans son cabinet. 

H EL MER, du deliors. 
Est-ce l'alouette qui gazouille? 

NORA. 

Oui, c'est elle. 

HELMER. 

Est-ce récureuil qui frétille? 

' NORA. 

C'est l'écureuil I 

HELMER. 

Quand est rentré l'écureuil? 

NORA. 
A la minute. (Elle cache le sac de pralines dans sa poche et s'essuie 
la bouche.) Viens, Torvald, viens voir ce que j'ai acheté. 

HELMER. 

Ne m'interromps pas. 

SCÈNE II 

NORA, HELMER. 

Un instant après, Hclmcr ouvre la porte, il entre la plume à la main et 
jette un coup d'oeil sur la pièce. 

HELMER. 

Acheté tout ça- dls-tu? La petite joueuse a encore 
trouvé un moyen de gaspiller un tas d'argent. 



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ACTE PREMIER 27 

:NOjRAé 

VoyoBS, Torvald. Cette aanée nous poruvQns bm Re- 
penser un peu plus. C'est le premier Noël qù jl nous est 
permis de qq pas lésiner. ^ 

HELMER. ' 

Oui, mais nous ne devons pas être prodigués. 

NORA. 

Un peu, Torvald, un petit peu n'est-ce pas? Mainte- 
nant que tu vas toucher de gros appointements et <jue ' 
tu gagneras beaucoup, beaucoup d'argent. 

HELMER. 

Oui, à partir du i*' janvier, et encore il s'écoulera tout 
un trimestre sans que je touche rien. 

NORA. 

Et qu'importe I D'ici-là on empruntera. 

HELMER. 
Nora ! (Il «'approche d'elleet lui tii:e l'oreille pçir pl«isant«rie.) Tou- 
jours cette légèreté. Suppos^ que .j*empruu.tç aujour- 
d'hui mille couronnes. Tu lès dépenses pendaat les fêtes 
de Noël, la veille du nouvel an une tuile me tombe sur 
la tête et... 

NORA, lui fermant la bouche avec la main. 
Tais-toi, ne dis pas des choses pareilles. 

HELMER. 

Mais figurc^-toi qu'elles arrivent. Et bien alors ? 

NOilA. 

3i çe|9 aa*riyait«.. il me serait bien égal d'avoir d^s 
dettes ou de ae p^s en avoir. 

HELMER. 

Et les gens qui m'auraient prêté l'argent. 

NORA. 

Ces g(sns-1^9 qui pe^se à ^ux? Ce sont des étrangers. 



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28 UNE MAISON DE POUPÉE 

HBLMER. 

Nora, Nora, tu es bien femme... Sérieusement, Nora, 
tu connais mes idées là-dessus. Pas de dettes, pas d'em- 
prunts. Dans toute maison qui repose sur les dettes et 
les emprunts s'introduit une sorte d'esclavage, je ne 
sais quelle laideur. Jusqu'ici tous deux nous avons résisté 
et nous résisterons encore pendant le peu de temps que 
répreuv<e doit continuer à durer. 

NORA^ s'approchant de la cheminée* 
Bien, comme tu voudras. 

HELMER, qui la suit.- 

ÂlloQs, allons, il ne faut pas que l'alouette en soit 
abattue. Quoi? Voilà l'écureuil qui- fait la moue. (Il ouvre 
son porte monnaie.) Nora, voyons, que penses-tu que j'ai là. 

NORA, qui se tourne Tivément. 
De l'argent! 

HELMER. 
Vois. (Il lui donne quelques billets de banque.) Mon Dieu, je sais 
bien qu*il y a beaucoup de dépenses dans une maison à 
, l'approche de Noël. 

NORA, qui comptent les billets. 
Dix, vingt, trente, quarante! Merci Torvald, merci. 
Avec ça je puis aller loin. 

HELMER. 

Hé I il le faudra bien. 

NORA. 

Ohl on s'arrangera pour cela, sois tranquille. Mais 
viens ici. Je vais te montrer tout ce que j'ai acheté, et si 
bon marché. Tiens, un vêtement neuf et un sabre pour 
Ivar, un cheval et une trompette pour Bob et une pou- 
pée avec son lit pour Emmy. Un article tout à fait ordi- 
naire. Elle la cassera tout de suite. Puis voici des ta- 
bliers et des coupons d'étoffes pour les bonnes. Cette 
excellente Anne-Marie mériterait bien mieux que cela. 



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ACTE PREMIER 29 

HELMBR. 

Et dans ce paquet quY a-t-il? 

NORA9 poussant un petit cri. 
Non, Torvald, non. Tu ne dois pas le voir avant ce 
soir. 

HELMER. 

Bon^ boni Mais dis-moi, petite main percée, de quoi 
as-tu envie, toi? 

NORA. 

Bahl est-ce que j'ai des caprices? 

HELMER< 

Je le croirai si tu le désires. Allons, dis-moi quelque^ 
chose qui te tentes, quelque chose de sensé. 

NORA. 

Vrai, je ne sais pas... ou plutôt écoute, Torvald. 

HELMER' 

Voyons. 

NORA, elle joue avec les boutons du veston de son mari sans le regarder. 
Si tu es décidé à me donner quelque chose, tu pour- 
rais, tu pourrais... 

HELMER. 

Allons, srchève. 

NORA, d'un trait. 
Tu pourrais me donner de Targent, Torvald. Ohl peu 
de chose, ce que tu aurais de disponible. Avec cela je 
m'achèterai quelque chose un de ces jours. 

HELMER. 

Mais Nora... 

NORA. 

Allons* dis que oui. Tu vas le faire, mon petit Tor- 
vald. Je t'en prie, je suspendrai à l'arbre l'argent enve- 
loppé dans une papillotte de joli papier doré. N'est-ce 
pas que ce sera original ? 



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30 UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER. 

Comment appelle-t-on l'oiseau qui gaspille toujoiifç. 

NORA. 

Oui, oui, rétourneau, je sais bien. Mais fais ce que je 
te dis Torvald. De la sorte j'aurai le temps de penser à 
quelque chose d!utile. Cela n*est-il pas très raisonnable, 

dis ? 

HELMER, qui sourit. 

Si tu savais employer l'argent que je te donne et réel- 
lement acheter quelque chose, oui, mais cet argent fond 
dans la maison et s'évapore en mille riens, et bientôt il 
faut que je te regarnisse la bourse. 

NORA. 

Pourtant, Torvald. 

HELMER. 

C'est la pure vérité, ma petite Nora chérie, (il la prend 
par la taille.) L'étourneau est un animal très gentil, mais 
que d'argent il lui faut. C'est incroyable ce qu'il en coûte 
à un homme de posséder un étourneau. 

NORA. 

Fi! Comment peux-tu dire cela? J'économise tout ce 
que je puis, vrai comme il fait jour! 

HELMER. 

A cela rien à répliquer. Tout ce que tu peux.,. Seule- 
ment tu ne peux rien. 

NORA, qui fredonne et sourit gaîment. 

Si tu savais quelles dépenses nous avons, nous autres 
alouettes et écureuils ? 

HELMER. 

Tu es une créature étrange. Tout à fait ton père. Tu 
as mille ressources pour trouver de l'argent, mais sitôt 
que tu en as il t'échappe des mains et tu ne sais jamais 



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ACTE PREMIER 3l 

OÙ il passe. Enfin, il faut te prendre telle que tu es. Oui^ 
Nora, tout cela est ëe l'hérédité. 

' NORA. 

Je voudrais bien avoir hérité des grandes qualités de 
pap«: 

HEL.MER* 

Et je t'aime telle que tu es de toute mon âme, mon 
alouette chérie, mais vois-tu... je te trouve un air aujour- 
d'hui.... je ne sais comment dire... un air un peu sus- 
pect... 

NORA, le regardant dans les yeux. 
Moi! 

HELMER^ la menaçant du doigt. 
Oui, toi. Regarde-moi bien dans les yeux... La gour- 
mande n'ai-t»eile pas fait quelque escapade en ville au- 
jourd'hui. 

NORA. 

Non, pourquoi dis-tu cela ? 

HELMER. 

Vrai, tu n'as pas fourré ton nez de gourmande à la 
confiserie. 

NORA. 

Non, je t'assure, Torvald. 

HELMER. 

Tu n'as même pas mouillé tes lèvres dans un pot de 
confitures } 

NORA. 

Non, absolument pas. 

HELMER. 

Tu n'as pas grignoté une ou deux pralines ? 

NORA. 

Non, non, Torvald, jeta dis que non. 



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32 ^UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER. 

Bien! bien, c'est pure plaisanterie. 

NORA) qui s'approche de la table adroite. 

Même en rêve, je ne songerai pas à faire quelque chose 
qui te déplaise. Tu peux en être bien sûr. 

HELMER. 

Non, je le sais, ne m'as tu pas donné ta parole? 
(Il s'approche de Nora.) Allons, garde pour toi tes secrets de 
Noël, des secrets que tout le monde connaîtra quand on 
allumera l'arbre. 

NORA. 

As tu pensé à inviter à dîner le docteur Rank. 

HELMER. 

Non, à quoi bon, n'est-ce pas tout entendu. Et d'ail- 
leurs je rinviterài tout à l'heure quand il va arriver. 
J'ai commandé du bon vin. Nora, tu ixe peux t'imaginer 
quelle fête pour moi cette soirée de Noël. 

NORA. 

Pour moi aussi. Et comme les enfants vont être heu- 
reux, Torvaldl 

HELMER. 

Ah î c'est une joie de penser qu'on est parvenu à 
une situation stable, assurée, qu'on a abondamment le 
nécessaire, n'est-il pas vrai? C'est un bonheur intense 
que d'y penser. 

NORA. 

Oh I c'est merveilleux. 

HELMER. 

Oh! te souviens- tu de Noël de l'an dernier? Trois se- 
maines avant, tu t'enfermais toutes les nuits jusqu'à plus 
de minuit afin de faire les fleurs de Tarbre de Noël et 
de nous préparer je ne sais combien de surprises. Ouf! 
c'est l'époque la plus ennuyeuse dont j'ai le souvenir. 



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ACTE PREMIER 33 

NORA. 

Moi je ne m'ennuyais pas. 

HELMER, qui sourit. 
Mais le résultat, Nora^ fut-il assez lamentable ! 

NORA. 

Bon, tu vas encore me faire enrager à ce sujet! Est- 
ce ma faute si le chat est entré et a tout mis en pièce. 

HELMER. 

Il est clair que non, Nora. Comment cela pourrait-il 
être ta faute I Tu avais le plus grand désir que nous 
nous amusions tous, et c'est l'essentiel. Mais il est bon 
que ces mauvais temps soient passés. 

NORA. 

Oui, j'ai encore peine à y croire. 

HELMER. 

Maintenant, je ne m'ennuierai plus, enferjmé, solitaire. 
Tu n'auras plus à torturer tes chers yeux et tes jolies 
mains. 

NORA, qui bat des mains. 

Non, vrai non, Torvald! Quel plaisir, mon Dieul 
(Elle prend le bias de son mari.) Maintenant je vais t'expliquer 
comment j'ai pensé à nous arranger après Noël. (On en- 
tend sonner.) On sonne (Elle range les fauteuils en place.) Voilà 
quelqu'un qui arrive ! Comme c'est ennuyeux I 

HELMER. 

Si c'est une visite, souviens-toi que je n'y suis pour 
personne. 

SCÈNE III 
NORA, HELMER, LA FEMME DE CHAMBRE. 

LA FEMME DE CHAMBRE, de la porte à droite. 

Madame, une dame qui vous demande. 



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Î4 UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

elle entre I 

LA FEMME DE CHAMBRE, à Helmer. 

nsieur le docteur est arrivé en même temps. 

HELMER. 

■il entré dans mon cabinet ? 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

, monsieur. 

Imer rentre dans son cabinet. La bonne introduit madame Linde en 

Dstume de voyage. Ensuite elle ferme la porte. 

SCÈ^E IV 

NORA, MADAME LINDE. 

MADAME LINDE, timidement, un peu hésitante, 
ijour, Nora, 

NORA, indécise. 
ijour. 

MADAME LINDE. 

ne me reconnais pas. 

NORA. 

effet... je ne sais... Eh si, il me semble. (Poussant une 
ition.) Christine, c'est toi. 

MADAME LINDE. 

i-même. 

NORA. 

istine I Et moi qui ne te reconnaissais pas, mais 
lent aurais-je ?... (Plus bas.) Comme tu es changée. 

MADAME LINDE. 

st vrai, depuis neuf., dix longues années. 



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ACTE PREMIER 35 

NORA. 

Vrai, il y a tant de temps que nous ne nous sommes 
vues?... oui, c'est cela. Oh! ces dernières huit années, 
quelle heureuse époque! Si tu savais I... Et te voilà icil 
Tu as fait ce long voyage en plein hiver. Tu es coura- 
geuse. 

MADAME LINDE. 

Je suis arrivée par le vapeur ce matin. 

NORA. 

Pour passer les fêtes naturellement. Quel bonheur! 
Nous allons bien nous amuser. Mais enlèves toji man- 
teau. Tu n'auras pas froid, n'est ce pas? (Elfe faide.) Voilà! 
maintenant nous nous assolerons à notre aise près de 
la cheminée. Non, mets toi dans ce fauteuil : je prends 
la balancine; c'est ma place. (Elle lui prend les mains.) Oh ! je 
te revois avec ta figure d'autrefois... C'était le premier 
coup d'œil; voilà tout. Cependant, tu as un peu pâli, 
Christine... et maigri aussi. 

MADAME LINDE. 

Et j'ai vieilli beaucoup, beaucoup, Nora. 

NORA. 

' Oui, un peu, un petit peu peut- être... mais pas beau- 
coup. (Elle s'arrête tout à coup, puis d'an ton grave reprend.) Oh! 
folle que je suis, je bavarde là, ma chère et bonne Chris- 
tine, tu me pardonnes? 

MADAME LINDE. 

Que veux-tu dire, Nora ? 

NORA, avec douceur. 

Pauvre Christine, tu es demeurée veuve* 

MADAME LINDE. 

Oui, il y a trois ans. 

NORA. 

Je le savais, je l'avais lu dans les journaux. Ohl Chri-S- 



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36 ^ UNE MAISON DE POUPÉE 

tine, le croiras-tu? A cette époque j'ai pensé bien des 
fois à l'écrire... mais de jour en jour je retardais la let- 
tre et puis quelque empêchement survenait. 

MADAME LIN DE. 

Cela ne me surprend nullement. 

' NORA. 

Non, Christine, c'était très mal de ma part. Pauvre 
amie, par quelles angoisses tu as du passer ! Il ne t'est 
pas resté de quoi vivre? 

MADAME LINDE. 

Non. 

NORA 

Et pas d'enfants? 

MADAME LINDE. 

Pas d'enfants non plus. 

NORA. 

Alors rien? 

MADAME LINDE. 

Pas même un deuil dans le cœur, un de ces chagrins 
qui absorbent. 

NORA, avec un sourire incrédule. 
Voyons, Christine, voyons, est-ce possible? 

MADAME LINDE, avec un sourire amer et en lui passant la main sur les 
cheveux. 

Cela arrive parfois. Nora. 

NORA. 

Seule au monde. Quel chagrin ce doit être pour toi !... 
J'ai trois superbes enfants, . en ce moment tu ne peux 
pas les voir. Ils sont sortis avec leur gouvernante. Tu 
vas tout me raconter maintenant. 

MADAME LINDE. 

Tout à l'heure. Parlej la première. 



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ACTE PREMIER TJ 

t ■ 

NORA. 

Non, c'est à toi de parler. Aujourd'hui je ne veux 
pas être égoïste. .;i je ne veux penser qu'à toi. Cepen- 
dant il faut que je te dise quelque chose. Sais-tu la bonne 
fortune que nous avons eue ces jours-ci? 

MADAME LINDE. 

Non, qu'est-ce i* 

MORA. 

Songea mon mari a été nommé directeur de la ban« 
que. ' 

MADAME LINDE. 

Ton mari ! ah 1 quelle chance ! 

NORA. 

N'est-ce pas? C'est une situation si précaire que 
celle d'un avocat, surtout quand il ne veut se charger 
que des bonnes causes et naturellement c'est ce que 
faisait Torvald, chose que j'approuve pleinement. Tu . 
penses si nous sommes contents. Il doit prendre pos- 
session de sa place à partir du premier janvier et alors 
il aura de beaux appointements et toute espèce d'avan- 
tages. Aussi vivrons-nous autrement qu'aujourd'hui, 
tout à fait selon nos goûts. Oh ! Christine, quel bon- 
heur, quel plaisir! Crois-tu que ce soit agréable d'avoir 
beaucoup d'argent et d'être débarrassé de toutes préoc- ' 
cupations ? N'est-ce pas ton avis ? 

• MADAME LINDE. 

En peut-on douter? Au moins ce doit être chose 
excellente d'avoir le nécessaire. 

NORA. 

Non pas seulement le nécessaire. Beaucoup, beau- 
coup d'argent! ' ■ ' 

MADAME LINDE, qui sourit. 

Nora, Nora, tu n'as pas encore pris du bon sens. Au 
collège tu étais une prodigue. 

3 



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38 UNE MAISON DE POU."ȃE 

NORA'j qui sourit doucement. 
Torvald suppose que je le suis encore. Mais (Elle la me- 
nace du doigt.) « Nora — Nora » n'est pas si folle que tu 
crois. Ah! la vérité c'est que jusqu'ici je n'ai pas eu 
grand chose à gaspiller: il a fallu que nous travaillions 
tous les deux. 

MADAME LIN DE. 

Toi aussi? 

NORA. 

Oui, des bagatelles» des travaux à la main, du cro- 
chet, des broderies. (Elle change de ton.) Et encore autre 
chose. Tu sais que Torvald a quitté le ministère quand 
nous nous sommes mariés. Au bureau il n'y avait pas 
pour lui espoir d'avancement et il lui fallait gagner plus 
d'argent qu'avant. Mais la première année il fut. sur- 
mené d'une manière terrible. Figurejf-toi, il lui fallait 
chercher tout espèce de travaux supplémentaires et être 
à la besogne du matin au soir. 11 abusa de ses forces 
et tomba gravement malade, alors les médecins dirent 
qu'il fallait qu'il partit pour le Midi. 

MADAME LINDE. 

C'est vrai, vous avez passé tia an en Italie. 

NORA. 

Oui, comme tu le devines, il n'était pas facile de se 
mettre en route. Ivar venait de naître. Mais il le fallait. 
Ohl le voyage fut merveilleusement beau ! et il sauva 
la vie à Torvald ! Mais que d'argent cela nous a coûté ! 

MADAME LINDE4 

Je m'en doute. 

NORA, 

Douze cents écus, quatre mille huit cents couronnes î 
c'est une somme, 

MADAME LINDE. 

Ouù et on est heureux de l'avoir en pareille occasion. 



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ACTE PR«MieR 39 

NORA. 

Je vais te dire ; c*est papa qui nous l'a donnée. 

MADAME LINDE. 

Ah t bon ! si je ne me trompe, ce fut précisément alors 
que mourut ton père. 

NORA. 

Ouï, Cbristise, ittstement alors et, penses, je ne pus 
aller le soigner. J'attendais d'un jour à l'autre la nais- 
sance d'Ivar. Le pauvre Torvald était moribond et 
avait besoin de mes soins. Mon bon cher père... Je ne 
l'ai pas revu. Oh ! c'est la peine la plus cruelle que j'ai 
eu à souffrir depuis mon mariage. 

MADAME LINDE. 

Je le sais, tu l'aimais beaucoup... De sorte que vous 
êtes allés en Italie. 

NORA. 

Oui; nous avions l'argent, et les médecins étaient 
pressants. Nous sommes partis un mois après. 

MADAME LINDE. 

Et ton mari en est revenu entièrement guéri ? 

NORA. 

Il se portait comme un charme. 

MADAME LINDE. 

Et... ce médecin. 

NORA. 

Que veux-tu dire ? 

MADAME LINDE. 

Je me souviens que la femme de chambre a salué du 
nom de docteur un monsieur qu'elle a fait entrer en 
même temps que moi. 

NORA. 

Oui, le docteur Rank... Ce n'est pas comme médecin 



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40 UNE MAISON DE POUPÉE 

qu'il vient ici. C'est notre meilleur ami. Il nous visite 
au moins une fois par jour. Non, Torvald n'a pas eu de- 
puis lors la plus légère indisposition ; les enfants aussi 
sont sains et frais et moi de même. (Elle se lève d'un bond et 
tape des mains.) Mon Dieu! Christine, quel délice, de vivre 
et d'être contents!... Ah! mais c'est honteux!... Je ne 
parle que de moi. (Elle s'assied sur un tabouret à côté de Christine 
et s'appuie sur les genopx de son amie.) Tu ne m'en voudras pas ? 
Dis-moi, c'est bien vrai que tu n'aimais pas ton mari ? 
Alors pourquoi l'as-tu épousé ? 

MADAME LINDE. 

Ma mère vivait encore. Elle était infirme et sans nul 
soutien. Puis j'avais à ma charge mes deux petits frè- 
res. Je ne me suis pas cru le droit de repousser sa de- 
mande. 

NORA. 

Non, non, tu as eu raison sûrement... Alors il était 
riche? 

MADAME LINDE. 

Je crois qu'il était très à son aise, mais c'était une for- 
tune peu solide et, à sa mort, tout croula sans qu'il en 
soit rien resté. 

NORA. 

Et alors ? 

MADAME LINDE. 

Il me fallut me tirer d'affaire à l'aide d'un petit com- 
merce... J'ai été directrice d'une école, que sais-je? Les 
trois dernières années n'ont été pour moi qu'une longue 
journée de travail sans repos. Maintenant tout est fini, 
Nora. Ma pauvre mère n'a plus besoin de moi : je l'ai 
perdue ; les garçons non plus : ils peuvent à présent' 
subvenir à leurs besoins. 

NORA. 

Quel soulagement ce doit être pour toi ! 



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ACTE PREMIER 4t 

MADAME LIN DE. 

Non, Nora, il ne me reste plus qu'une vie insuppor- 
table. Personne à qui consacrer son existence! (Elle se 
lève inquiète.) Aussi je n'ai pas pu demeurer là-bas dans ce 
recoin perdu. Ici il doit être plus facile de ^'absorber 
dans uni^ occupation, de se distraire de ses pensées. Si 
j'étais as$ez heureuse pour trouver une place, un triavail 
de bureau... 

NORA. 

Tu penses à cela? C^est si fatigant, toi qui a besoin 
de te reposer I Tu ferais mieux d'aller prendre une sai- 
son de b^ins. 

MADAME LINDE, en s'approcbant de la fenêtre. 

Je n'ajj pasi un papa qui riie paie le voyage. 

NORA, se levant. 
Allons t tu es de mauvaise humeur. 

MADAME LINDE. 

C'est à toi à ne pas m'^p vouloir, ma chère Nora. Le 
pire dans, une situation conime la mienne c'est qu'on 
s'aigrit un peu... On n'a personne pour qui travailler et 
malgré tout il faut regarder de tous côtés pour gagner 
son pain I Ne faut-il pas vivre ? De la sorte on devient 
égoïste. Que veux-tu que je te dise ? Quand tu m'as an- 
noncé il y a un moment votre heureux changement de 
fortune, je m'en suis réjouie pour moi plus que pour toi. 

. NORA. 

Et comment?... Ahl bon !,.. J'y suis, tu te seras dit 
que Torvald pourra t'étre utile ? 

MADAME LINDE. 

Oui, je l'ai pensé. 

NORA. 

Et ce seray Christine. Je préparerai le terrain avec 
beaucoup de délicatesse, j'imaginerai quelque chose de 



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42 UNE MAISON DE POUPÉE 

gentil qui dispose bien Torvald. Oh ! j'ai tant de désir 
de t'étre utile. 

MADAME LIN DE. 

Gomme je dois te remercier de tant de sollicitude, 
Nora! Je* dois t'en remercier doublement, toi qui con- 
nais si peu les misères et les soucis de la vie 

NORA. 

Moi... tu crois cela. 

MADAME LIN DE, en souriant. 

Mon Dieu ! Des travaux à Taiguille et d'autres babio-. 
les de ce genre! Tu e5ixnc«nfant, Nora. 

NORA, secouant la tcte et tniiuiwtia sc^e* 

N'en parles pas si légèrement. 

MADAME LIN DE. 

Oui. 

NORA. 

Tu es comme les autres. Tous vous croyez que je ne 
suis capable de rien de sérieux... 

MADAME LINDE. 

Allons 1 allons... ' 

NORA. 

Que je n'ai aucune idée des difficultés de la vie^ 

MADAME LINDE. 
I 

Mais, ma chère Nora, tu viens de me raconter tous 
tes embarras. 

NORA. 

Bahf... Ces bagatelles!... (Avoixbat.se.) Je né t'ai pas 
conte le principal. 

MADAME LINDE. 

Que dis-tu ? 

NORA. 

Tu me regardes du haut de ta grandeur, Christine, 



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ACTE PREMIER. 4Î 

et tu ne devrais pas le faire. Tu es orgueilleuse d'avoir 
tant travaillé pour ta mère. 

MADAME LINDE. 

^ Je ne regarde personne du haut de ma grandeur. 
Pourtant je suis satisfaite. Je m'enorgueillis de penser 
que grâce à moi ma mère a passé tranquillement ses . 
derniers jours. 

NORA. 

Et tu t'enorgueillis aussi de'ce que tu as fait pour 
tes frères. 

MADAME LINDE. 

Il me semble que j'en ai le droit. 

\ 

NORA. 

Je le crois aussi. Maintenant je vaistiedire une chose, 
Christine. Moi aussi j'ai un motif de joie et d'orgueil. 

MADAME LINDE. 

Je ne le mets pas en doute. Voyons, explique-toi ? 

NORA, 

Parle plus bas, que Torvald ne nous entende pas! 
Pour rien au monde je ne voudrais qu'il sache... Per- 
sonne ne doit le savoir que loi, Christine, rien que toi. 

MADAME LINDE. 

Mais qu'est-ce? ^ 

NORA. 
Approche-toi davantage. {Elle rauire près d'elle sur le sofa.) 
Oui, écoute, moi aussi je puis être orgueilleuse et satis- 
faite ! C'est moi qui ai sauvé la vie de Torvald. 

MADAME LINDE. 

Sauvé ! Comment sauvé ? 

NORA. 

Je t'ai parlé du voyage en Italie, n'est-ce pas? Tor- 



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44 UNE MAISON DE POUPÉE 

vald ne vivrait pas à cette heure s'il n'avait pu aller dans 
le; Midi, 

MADAME LIN DE., 

Eh bieni mais c'est ton père qui vous a donné l'ar- 
gent ne'cessaire. 

NORA. 

* Oui, c'est ce que croit Torvald, c'est ce que croit tout 
le monde; mais... 

MADAME LINDE. 

^ Mais... 

NORA. 

Papa ne nous a pas donné un centime. C'est moi qui 
me suis procuré l'argent. 

MADAME LINDE. 

Toil Une somme pareille? 

NORÀ. 

Douze cents écus, quatre mille huit cents couronnes, 
qu'en dis-tu? 

MADAME LINDE. 

Mais, Nora, comment as-tu fait? Tu as gagné à la lo- 
terie ? 

NORA, d'un ton dédaigneux. 

La loterie ! {Avec un geste de mépris.) Qnel mérite y aurait- 
il là? 

MADAME LINDE. 

Mais en ce cas où Tas-tu pris ? 

NORAj souriant d'un air de mystère et fredonnant. 
Tralala la la! 

MADAME LINDE. 

Il n'était pas facile qu'on te le prête. 

NORA. 

Pourquoi pas ? 



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ACTE PREMIER 



MADAME LINDE. 



Parce qu'une femme mariée ne peut pas emprunter 
sans Tautorisation de son mari. 

NORA> en secouant' la tête. 

Oh! quand il s'agit d'une femme un peu pratique... 
d'une femme qui sait se retourner adroitement. 

MADAME LINDE. 

. Nora, j'ai beau me creuser la tête, je ne devine pas. 

NORA. 

Tu- n'as pas besoin de te creuser la tête. Je n'ai pas 
dit que j'ai emprunté cet argent. J'ai pu l'avoir autre- 
ment. (Elle se laisse tomber sur le sofa.) J'ai pu le recevoir d'un 
adorateur. Bah I... avec cette frimousse-là! 

MADAME LINDE. 

Quelle folle tu fais I 

NORA. 

Avoue que tu es terriblement intriguée. 

MADAME LINDE. 

Dis-moi, ma chère Nora, tu n'as pas agi à la légère? 

N0RA> se redressant. 

Est-ce une légèreté de la part d'une femme de sauver 
la vie de son mari? 

MADAME LINDE. 

. Ce qui me paraît une légèreté, c'e^t qu'à son insu... 

NORA. 

Et si justement il fallait qu'il ignorât tout, Mon Dieu I 
Ne comprends-tu pas? II. fallait qu'il ignore la gravité 
de son état. C'est à moi que les docteurs ont dit que sa 
vie était en danger et qu'il ne pouvait être sauvé qu'à 
la condition, de passer un hiver dans le Midi. Crois-tu 
que je n'allais pas mûndustrier de toutes les manières? 
Je lui disais sans cesse le plaisir que j'aurais de voyager 

3. 



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/|6 UNE MAISON DE POOPÉE 

à l'étranger comme les autres femmes. Je pleurais^ je . 
suppliais et je lui disais quMl fallait qu'il se rendit compte 
de mon état et qu'il cédât à mon désir. Bref, je lui don* 
nai à entendre qu'il pourrait bien emprunter de l'ar- 
gent à intérêt, mais alors, Christine, il s'en fallut de peu 
qu'il ne se mit en colère. Il me répondit que j'étaïç une 
étourdie et que son devoir de mari était de ne pas se 
plier à mes caprices. « Bon! bon! dis-je à part moi, on 
le sauvera coûte que coûte ». Ce fut alors que je trou- 
vai l'expédient. 

MADAME LINDE. 

Et ton mari ne sut pas par ton père que l'argent ne 
venait pas de lui. 

NORA. 

Jamais il ne l'a su. Papa mourut peu de jours après. 
J'avais pensé à tout lui avouer en lui demandant de ne 
pas me trahir^ mais il était si malade! hélas! je ne pus 
pas lui en parler. 

MADAME LINDE. 

Et depuis tu ne t'en es pas confessée à ton mari. 

NORA. 

Jamais, bon Dieu! Y penses tu? lui qui est si sévère 
là-dessus! Puis son amour-propre masculin en serait si 
froissé. Quelle humiliation savoir qu'il me doit quelque 
chose. Cette pensée serait venu bouleverser tous nos rap- 
ports; notre vie domestique si heureuse ne serait plus 
ce qu'elle est. 

MADAME LINDE. 

Tu ne lui en parleras jamais. 

NORA, réti Jchissant et souriant à demi. 
Il se peut qu'avec ^le temps, quand bien des années 
auront passé, quand je ne serai plus aussi jolie qu'au- 
jourd'hui... Ne ris pas... je veux dire quand Torvald ne 
m'aimera plus autant, quand il n'aura plus de plaisir à 



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ACTE PREMIER 47 

me voir danser, me travestir et déclamer pour le diver- 
tir, il sera bon peut-être que j'aie alors quelque chose à 
qu6i m'accrocher... (Elle s'arrête.) Bahl ce temps-là ne 
viendra jamais... Eh bien! Christine, que penses-tu de 
mon grand secret ? Moi aussi, je suis bonne à quelque 
chose. Tu peux penser que cette affaire m'a causé beau- 
coup de soucis. Certes il ne m'était pas facile de payer à 
des échéances fixes, parce que dans les* affaires il y a 
d'une part eè qu'on appelle les trois mois et ce qu'on 
appelle l'amortissement, et tout cela est diablement dif- 
ficile à arranger. 11 m'a fallu rogner de tous les côtés sur 
les dépenses de la maison. Je ne pouvais pas économiser 
grand chose. 11 fallait que Torvald ait une vie facile ; les 
enfants non plus ne devaient pas être mal vêtus. Tout ce 
que je recevais pour eux, c'était leur chose, mes chers 
petits anges t 

MADAME LINDE. 

De sorte, ma pauvre Noca, qu'il t'a fallu tout prélever 
sur tes dépenses personnelles. 

NORA. 

Naturellement. Après tout ce n'était que juste. Toutes 
les fois que Torvald me donnait de l'argent pour moi, 
je n'en dépensais que la moitié. J'achetais toujours les 
articles bon 'marché. Par bonheur, tout m'allait bien. 
Aussi Torvald n'a jamais rien remarqué. Mais parfois 
cela m'était dur, Christine, il est si agréable d*être élé- 
gante, N'e^t-il pas vrai? 

MADAME LINDE. 

Je crois bien. 

NORA. 

J'ai eu aussi d'autres recettes. L'hiver dernier j'eus le 
bonheur de trouver beaucoup de copies. Alors je m'en- 
fermais et j'écrivais jusqu'à une heure avancée de la 
nuit. Oh ! souvent je me trouvais fatiguée, très fatiguée. 
Mais c'était bien amusant de travailler pour gagner de 
l'argent. Il me semblait presque que j'étais un homme. 



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48 UNE MAISON DE POUPÉE 

MADAME LINDE. 

Combien as-tu pu payer de la sorte ? 

nOra. 

Il me serait difficile de te le dire exactement. Ma pe- 
tite, il n'est pas aisé de débrouiller de genre d'affaire. 
La seule chose que je sache c'est que j*ai payé tout ce 
que j'ai pu. Bien souvent je ne savais où donner de la 
tête... (Elle sourit.) Alors je pensais qu'un vieux monsieur 
très riche s'était épris de moi. 

MADAME LINDE. 

Quoi ! Quel vieux monsieur ? 

NORA. 

-vPur enfantillage... Il mourait et on ouvrait son testa- 
ment. On y trouvait en gros caractères cette clause : 
« Toute ma fortune appartient à la délicieuse, madame 
Nora Helmer, et lui sera remise sur le champ ». 

MADAME LINDE. 

Mais, chère Nora, quel est ce vieux ijibnsieur? 

NORA. 

Mon Dieu I tu ne comprends rien, ma chère. Ce Vieux 
monsieur n'existe pas. C'est une idée qui naissait dans 
mon cerveau quand je ne voyais pas le moyen de me 
procurer de l'argent. Enfin tout ceci est maintenant tout 
à fait sans intérêt. Le vieux monsieur peut être ou bon 
lui semble; ni lui, ni son testament ne m'ii^quiètent 
parce qu'à présent je suis tranquille. (Elle se lève d'un trait.) 
Mon Dieu I Quelle joie que d'y penser : tranquille, pou- 
voir être tranquille, tout à fait tranquille! Jouer avec les 
enfants, bien arranger la maison, avec goût, comme 
Torvald peut le désirer. Puis viendra le printemps, le 
beau ciel bleu. Peut-être alors pourrons-nous un peu 
voyager. Retourner voir la merl Ohl quelle chose ado- 
rable de vivre et d'être heureuse! 

On sonne. 



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ACTE PREMIER 4Ç 

"» MADAME LINDE. 

On sonne, dois- je me retirer? 

NORA. 

Non, reste; il ne viendra personne. C'pst probable - 
meni pour Torvald. 

SCÈNE V 

NORA, MADAME LINDE, LA FEMME DE 
CHAMBRE. 

^ LA FEMME DE CHAMBRE. 

Pardon, madame... Voici un monsieur qui demande à 
parler à Tavocat. 

NORA. 

Tu veux dire au directeur. 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Oui, madame, au directeur. Mais comme le docteur est 
dans son cabinet... je ne savais pas. 

SCÈNE VI . 
NORA, MADAME LINDE, KROGSTAD. 

KROGSTAD, qui entre. 

C'est moi, madame. 

Christine frémit, se trouble et se tourne du côté de la fenêtre. 

NORA, faisant un pas vers Krogstad, troublée et à demi voix. 

Vous ? Qu'y a t-ilr* Que voulez vous dire à mon mari? 

KROGSTAD. 

C'est à propos de la banque. J'y ai un petit emploi et 
j'ai entendu dire que votre mari va devenir notre chef.. 



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3o UNB MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

C'est vrai. 

KROGSTAD. 

D'ennuyeuses atfaires, madame, rien que cela. 

^ NORA. 

Alors prenez la peine d'entrer dans son cabinet. 

ElU le salue d'un air indiffèrent. 

^ SCÈNE VII 
NORA. MADAME LINDE. 

Nora ferme la porte de l'antichanibre et va ensuite à la cheminée. 
MADAME LINDE. 

Nora... quel est cet homme? 

NORA. 

G*est rhomme d'affaires Krogstad. 

MADAME LINDE. 

Ah I c'est bien lui. 

NORA. 

Tu le connais ? 

MADAME LINDE. 

Je l'ai connu il y a bien des années ; il fut quelque 
temps clerc d'avoué chez nous. 

NORÀ. 

Précisément. 

MADAME LINDE. 

Comme il a changé! 

NORA. 

Je crois qu'il a été très malheureux en ménage. 

MADAME LINDE. 

Il est Veuf maintenant, n'est-ce pas? 



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ACTE 'premier 5 I 

NORA. 

Oui, avec un tas d'enfants... Oh I voilà que je me brûle. 

I Elle recule la balancine. 

MADAME tINDE. V 

On dit qu'il s'occupe de, toutes sortes d'affaires? 

NORA. . . ; ^ 

Oh! c'est possible : Je ne sais... Mais ne parlons paa 
affaire ! c'est si ennuyeux... 

' Le docteur Rank sort du cabinet de Helmer. 



SCENE VIII 
NORA, MADAME LINDE, LE DOCTEUR RANK. 

RANK^ tenant la porte ent'rouverte. 
Non/ non, je ne veux pas le gêner. Je vais voir un 
moment ta femme, (ll ferme la porte et se rend compte de la pfésencc 
de madame Linde.) Ah ! pardon ! Ici aussi je dérange. 

NORA. 

Nullement! (Faisant les présentations.) Le docteur Rank...; 
Madame veuve Linde. 

RANK, 

Un nom qu'on entend souvent prononcer dans cette 
maison... Je crois vous avoir devancée dans Tescalier. 

MADAME LINDE. 

Oui, j'ai de la difficulté à monter les étages. 

RANK. 

Ah 1 un peu usée, à ce que je vois. 

MADAME LINDE. 

Non, plutôt surmenée. -r > 

RANK. 

Rien de plus ? Alors vous venez vous reposer ici, pro- 
bablement en courant de fête en fête. 



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52 UNE MAISON DE POUPÉE 

MADAME LINDE. 

Je suis venu en ville chercher du travail. 

RANK. 

Sera-ce un remède efficace contre Texcès de fatigue ? 

MADAME LINDÊ. 

Il faut bien vivre, docteur. 

RANK. 

Oui, c'est l'opinion générale. On croit que c'est une 
chose nécessaire. 

NORA. 

Oh! docteur, je suis sûre que même vous vous êtes 
attaché à ht vie. 

RANK. 

Pour sûr j'y tiens. Misérable comme 'je le suis, je 
m'obstine à vouloir souffrir aussi longtemps que possi- 
ble. Tous mes malades ont le même désir et tous ceux 
qui ont le moral entamé pensent de même. Te viens jus- 
tement d'en laisser un dans le cabinet d'Helmer. Un 
homme en traitement ; car il y a des hôpitaux pour ce 
genre de malades. -. 

MADAME LINDE, d'une voix sourde. 

Ah! 

NORA. 

Que voulez-vous dire ? 

RANK. 

Oh! je parle de Pagent d'affaires Krogstad, un homme 
que vous ne connaissez pas. Il est pourri jusqu'aux os, 
Eh bien ! lui aussi affirme qu'il est de la plus haute im- 
portance qu'il vive. 

NORA. 

De quoi parlait-il à Helmer ? 



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ACTE PREMIER 53 

RANK. 

Je n'en sais trop rien. La seule chose que j'ai entendue » 
c'est qu'il était question de la banque. 

NORA. 

Je ne savais pas que Krog .. Que ce monsieur Krogstad 
eut rien de commun avec la banque. 

RANK. 

Si f$^t on lut a donné une espèce d'emploi. (S'adressant 
à madame Unde.) Je ne sais si ^ bas aussi^ chez vous, il 
existe des gens qui s'évertue à déterrer les pourritures 
morales et qui lorsqu'ils trouvent un individu contaminé 
le mettent en observation en lui attribuant une bonne 
place; les gens sains n'ont qu'à rester dehors. 

MADAME LINDE. 

f II faut bien avouer que ce sont les malades qui ont le 
plus besoin de soins. 

RANK) haussant les épaules. 

' Voilà, c'est une façon de voir qui transforme la société 
en hôpital. 

Nora qai est demeurée absorbée dans ces pensées, se met à rire et bat 
des mains. 

RANK. 

Pourquoi riez-vous? Savez-vous seulement ce que 
c'est que la société ? 

NORA. 

Est-ce que je m'occupe de votre insupportable société ? 
Je riais d'autre chose, une chose si drôle... Dites-moi, 
docteur... Tous les employés de la banque à l'avenir dé- 
pendront-ils de mon mari ? 

RANK. 

C'est ce qui vous amuse. 

NORA^ souriant et fredonnant. 
». 
N'y faites pas attention. (Elle rode par la pièce.) Oui, c'est 



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54 tJNB MAISON DE POUPÉB 

si amusant, si incroyable... que nous... que Torvald ait 
maintenant tant d*tnf!uence et sur tant de gens. (Elle tire 
de sa poche le sac de pralines.) Voulez-VOUS des pralines, doc- 
teur? 

RAMR. 

Holal des pralines, je croyais qu'ici c'était de la con- 
trebande. 

NORA. 

Oui, mais celles-^là, c'esc Christine qui me les a don* ' 
nées. 

MADAME LINDE. 

Motl 

NORA. 

Allons, allons! Ne te troublef pax^ Pouvais-tu savoir 
que Torvald me Ta défeodai. 6>a(i1 pour une fois, n'est-il 
pas vrai, doctCMr/. « Tenez! (Elle lui met une [praline dans la 
boudK.) Et toi aussi, Christine. . J'en mangerai une, une 

petite, , deux au plus. (Elle commence à rôder autour 4e 1a pièce.) 
Donc je suis immensément heureuse. Il n'y a plus qu'un^ 
chose de laquelle j'ai une. envie féroce. 

RANK. 

Dites. De quoi s'agit- il? 

NORA. 

Une chose q|xe j'ai une envie irrésistible de dire de- 
vant Torvald. 

RANK. 

Et qui vous empêche de la dire ? 

NORA. 

Je n'ose pas, c'est trop laid. 

MADAME Lf NDE. 

Laid! 

RANK. 

En effet, alors il vaut mieux vous, taire, mais devant 



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ACTE PREMIER 55 

nous... Qu'est-ce donc que vous avez tant envie de dire 
devant Torvald? 

NORA. 

J'ai une envie folle de dire Credieu ! 

RANK. 

- Quelle toquée vous êtesl 

MADAME LINDE. 

Voyons, Nora. 

RANK. 

Vous pouvez le lui dire, le voilà. 

NORAj en cachant les pralines. 
Chut... chut... 

SCÈNE IX 

NORA, MADAME Lmi^, 1.E BOOnEim BJMK^ 

HELMER. 

Helmer sort de soin cabinet, son paletot sur le bras, son chapeai» à la main. 

NORA, s'a vançant vers lui. 
Eh bieni Torvald! tu as enfin réussi à Ven débarrasser. 

HELMER. 

Oui, il vient de partir. 

NORA. 

Permets ^moi de te préserttôf ? C'est Christine qui vient 
d'arriver. 

HELMER. 

/Christine?,.. Pardonne$, mais je ne sais. 

NÔRA. 

Madame Linde, mon chéri. 



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56 UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER. 

Ahl très bien... Une amie d'enfance de ma femme, 
sans doute? 

MADAME LINDE. 

Oui, monsieur, nous nous sommes connues jadis. 

NORA. 

Et tu vois, elle a fait ce long voyage pour me parler. 

HELMER. 

Comment ? 

MADAME LINDE. - . ' 

Pas pour cela seulement... 

NORA. - < 

Christine, il 'faut 'que tu le saches, est Jrès experte 
dans les travaux de bureau... Elle a en outre le plus 
grand désir d'être sous les ordres d'un homme supérieur 
et d'acquérir encore plus d'expérience. 

HELMER. 

Excellente idée, madame. 

NORA. 

Aussi ; quand elle a vu qu'on t'avait nommé directeur 
de la banque, — un télégramme Ta annoncé. — Elle 
s'est aussitôt mise en route... N'est-ce pas, Torvaid, tu 
feras quelque chose en faveur de Christine pour l'amour 
de nitoi? Dis? 

HELMER. 

Ce n'est pas absolument impossible. Madame est pro- 
bablement veuve? 

MADAME LINDE. 

Oui. 

HELMER. 

Et vous êtes habituée au travail de bureau ? ^ 

MADAME LINDE. 

Oui, assez habituée. 



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ACTE PREMIER 57 

HELMER. 

Alors il est probable que je pourrai vous avoir une 
place. 

NORA9 frappant des mains. 
Tu vois! 

HELMER. 

Vous êtes arrivée au bon moment, madame. 

MADAME LINDE. 

Comment vous remercier? 

HELMER* 

Oh! ne parlons pas de cela, (il met son manteau.) Mais au- 
jourd'hui vous voudrez bien m* excuser. 

11 va prendre son col de fourrure dans l'antichambre et revient le chauf- 
fer à la cheminée. 

NORA. 

Ne tarde^ pas trop, Torvald. 

HELMER. . 

Je ne resterai qu'une heure. 

NORA. 

Tu t'en vas aussi, Christine? 

MADAME LINDE, en mettant son manteau. 

Il faut que j'aille chercher un logement. 

HELMER. 

Nous pourrons faire ensemble une partie du chemin. 

NORA, aidant madame Linde. 
Quel ennui que nous soyons si a l'étroit !,.. Il nous est 
tout à fait impossible. 

MADAME' LINDE. 

Y penses-tu ma chère? Au revoir, Nora, et merci. 

NORA. 

A tout à l'heure, car tu reviendras ce soir, n'est-ce pas ? 



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58 UNE MAISON DB POUPÉE 

Et VOUS aussi, docteur?... Comment? Si vous êtes assez 
bien... Que venez-vous me dire-là? Couvrez- vous, cou- 
vrez-vous. 

En caaiant ils sortent par la porte d'entrée, on entend des voix d'^Ctnts 
dans l'escalier. 

NORA. 

Les voici! les voici ! 

Elle court ouvrir, Anoe-Marie entre avec les leafiiiils. 

NORA. 

Entrez, entrez ! (Elle se baisse pour les embrasser.) Oh ! mes 

astres! Vois, Christine, ne sont-ils pas jolis. ' 

RANK. 

Ne restez pas ici au courant d'air. 

Le docteur Rank, Helmer et madame Unde descendent l'escalier. Anne- 
Marie entre avec les en&nts. Nora entre detYiére eux en fermant la 
porte. 

SCÈNE X 

NORA, ANNE-MARIE, LES ENFANTS 
DE HELMER. 

NORA. 

Comme vos petites figures sont animées et fraîches! 
Quels visages empourprés! On dirait des pommes et des 
roses. (Tous les enfants lui parlent à la fols jusqu'à la fitk de la scène.) 
Vous vous êtes tant amusés! Très bieni Allons! C'est 
toi qui a traîné le traineau, Emmy et Bob étaient de- 
dans! Est-ce possible! Tous les deux! Ah! Ah! C'est 
vrail Tu es le plus courageux, Ivarl... Oh! laisse-la moi 
un instant, Anne-Marie I... Ma petite poupée! (Elle prend 
sa petite fille et danse avec elle.) Oui, maman va danser aussi 
avec Bob... Comment? Vous avez fait des boules de 
neige?... Oh! ce que j'aurais donné pour être avec vous! 
Non, laisse-moi, Anne-Marie, je vais les déshabiller moi> 
même. Laisse-moi, ma bonne, c'est si amusant. Entre 



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ACTE PREMIER >9 

ici en attendant. Tu as la figure d'une femme gelée. A 
la cuisine il y a du café bouillant pour toi. 

Anne-Marie sort par la port« de gauche. Nora enlèTc aux enfants leurs 

manteaux et leurs chapeaux et elle les déshabille. Les enfants conti 

nuent leur bavardage. 



SCENE XI 
NORA, LES ENFANTS DE HELMER. 

NORA. 

Ce n'est pas possible? Un gros chien a couru après 
vous... Il ne mordait pas?... Non, les chiens ne mordent 
pas de gentilles poupées comme vous. Eh I Ivar, atten- 
tion à ne pas regarder les paquets. Non. Non, il y a de- 
dans quelque chose de méchant... Quoi?... Vous voulez 
jouer?... à quoi?... à cache cache? Oui, nous allons 
jouer à caché cache. C'est Bohqui se cache d'abord?.. 
Non?... Fort bien... c'est moi! 

Nora et les etifant^ se mettent à jouer. Ils courent en criant et rian t 
sur la scène et par la pièce attenante. Enfin Nora se cacbe sous la 
table. Les enfants arrivent en courant de toutes leurs jambes et la 
cherchent sans pouvoir la trouver. Ils entendent son rire étoulTé. Ils se 
précipitent vers le guéridon, soulèvent le tapis et la découvrent. Cris 
de joie. Nora sort à quatre pattes comme pour leur faire peur. Nou- 
velle explosion de rire. Pendant ce temps on a sonné sans que per- 
sonne aille ouvrir. La porte s'entr'ottvre et Krogstad paraît. 11 attend 
un instant. Le jeu continue. 

SCÈNE XII 
NORA, LES ENFANTS DE HELMER, KROGSTAD. 

KROGSTAD. 

Pardonnez, madame. 

NORA, elle pousse un cri et se lève à demi . 
Que venez-vous faire ici ? 



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6o UNE MAISON DE POUPÉE 

KROGSTAD. 

La porte était entr'ouverte. On avait oublié de la fer- 
mer. 

NORA, se levant. 

Mon mari n'est pas à la maison, monsieur Krogstad. 

KROGSTAD. 

Je le sais. 

NORA. 

Alors... Que voulez'Vous? 

KROGSTAD. 

Vous dire un mot. 

NORA. 

A moi? (Bas aux enfants.) Allez trouver Anne-Marie... 
Quoi?... Non, le monsieur ne fera pas de mal à maman. 
Quand il sera parti» nous reprendrons le jeu. 

Ella accompagne les enfants jusqu'à la porte à gauche et la fe'ine. 

SCÈNE XIII 
NORA, KROGSTAD. 

NORA^ inquiète et agitée. 

Vous voulez me parler ? 

KROGSTAD. 

Oui, je le désire. 

NORA. 

Aujourd'hui?.;. Mais nous ne sommes pas encore au 
premier du mois. 

KROGSTAD. 

Non, nous sommes à la veille de Noël.. Il dépendra de 
vous que pour moi ce Noël apporte de la joie ou du 
chagrin. 



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ACTE PREMIER 6l 

NORA. 

Que désirez- vous? Il m'est réellement impossible au- 
jourd'hui. 

KROGSTAD. 

Jusqu'à nouvel ordre, nous ne parlerons pas de cela. 
Il s*agit de quelque chose de tout différent. Pouvez-vous 
m'accorder un instant ! 

NORA. 

Oui, oui... quoique... 

KROGSTAD. 

Bien... J'étais assis au restaurant Olsen... J'ai vu pas- 
ser par là votre mari. 

NORA. 

Ah! 

KROGSTAD. 

Avec une dame. 

NORA. 

Bien... Et? \ 

KROGSTAD. 

Puis-je vous poser une question? Cette dame est ma- 
dame veuve Linde? 

NORA. 

Oui. 

KROGSTAD. 

Elle vient d'arriver de province? 

NORA. 

Aujourd'hui même. 

KROGSTAD. 

C'est votre amie. 

NORA. 

Oui, mais je ne comprends pas... 

KROGSTAD. 

Je l'ai aussi connue autrefois. 

4 



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62 UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

ie le sais. 

KROGSTAD. 

Alors, vous êtes au courant. Je me le figurais bien. Al- 
lons, permettez-moi de vous demander si madame Linde 
va avoir une place- à îa banque? 

^ NORA. 

Comment osez-vous me demander cela? Vous qui êtes 
un des subordonnés de mon mari .. Mais^ puisque vous 
me le demandez, je vous le dirai... Oui, madame Linde 
aura une place à la banque et elle Taura grâce à moi, 
monsieur Krogstad. Maintenant vous voilà renseigné. 

KROGSTAD. 

J'ai deviné juste. 

NORA) se promenant. 

Mon Dieut On a sa petite influence. Quoi qu*on ne 
soit qu'une femme, cela ne veut pas dire que... Quand 
on occupe une situation subalterne, monsieur Krogstad, 
il faut faire attention de ne pas blesser une personne 
qui... hum f... 

KROGSTAD. 

Qui a de l'influence... 

NORA. 

Une assez grande. 

KROGSTAD, changeant de ton. 
Madame, auriez vous la bonté d'employer votre in- 
fluence en ma faveur ? 

NORA. 

Comment? Que veut dire? 

KROGSTAD. 

Voudriez vous avoir la bonté d'agir pour que je con- 
serve mon poste modeste à la banque ? 



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ACTE PREMIER 63 

NORA. 

Que voulez-vous dire? Qui pense à vous Tenlever? 

KROGSTAb. 

Ohl il est inutile de dissimuler. Je comprends fort bien 
que votre amie n'aime pas se rencontrer avec moi, et 
maintenant je sais à qui je dois ma mise à pied. 

NORA. 

Mais je vous assure. 

KROGSTAD. 

Bref en deux mots; il est encore temps et je vous con- 
seille d'user de votre influence pour Tempêcher. 

NORA. 

Mais je n'ai pas d'influence, monsieur Krogstad. 

KROGSTAD. 

Comment? Il y à un moment vous me disiez... 

NORA. 

• Evidemment pas dans ce sens. Comment pouvez-vous 
croire que j'ai un pareil pouvoir sur mon mari? 

KROGSTAD. 

Ohl je connais votre mari, depuis que nous avons été 
étudiants ensemble. Et je ne^crois pas que M. le directeur 
de la banque soit plus ferme que les autres gens mariés. 

NORA. 

Si vous parlez avec dédain de mon mari. Je vous mets 
à la porte. 

>■ KROGSTAD. 

Madame est belliqueuse. 

NORA. 

' Je ne vous crains pas. Après le Nouvel An, il ne s'é- 
coulera pas longtemps que je ne sois affranchie. 

KROGSTAD, il se domine. 

Ecoutez-moi bien, madame S'il le faut, je combattrai 



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04 UNE MAISON DE POUPÉE 

pour conserver mon pauvre emploi comme s'il s'agissait 
d'une question de vie ou de mort. 

NORA. 

Cela en a tout Tair. ' 

KROGSTAD. 

Ce n'est pas seulement à cause des appointements;- ce 
n^est pas là le plus important: Il y a autre chose... Je 
vais tout vous dire. Vous savez naturellement, comme 
tout le monde, que j'ai commis une imprudence, voici 
bon nombre d'années. 

NORA. 

fe crois en avoir entendu parler. 

KROGSTAD. 

L'affaire n'est pas allée jusqu'aux Tribunaux, mais sur 
le moment tous les chemins me furent fermés, c'est alors 
que j'entrepris le genre d'affaires que vous savez. Il fallait 
bien que je cherchasse à m'occuper. Et j'ose dire que je 
n'ai pas été pire que les autres. Maintenant je veux sor- 
tir de là Mes fils grandissent. Pour eux il faut que je 
reconquière le plus de considérations possible. La porte 
de la banque était pour moi le premier échelon, et voici 
maintenant que votre mari m'en a précipité pour m'en- 
foncer de nouveau dans la boue. 

NORA. 

Mais, mon Dieu, monsieur Krogstad, il n'est pas en 
mon pouvoir de vous aider. 

KROGSTAD. 

Ce qui vous manque, c'est la volonté de le faire, mais 
j'ai des moyens de vous y obliger. 

NORA. 

Vous n'irez pas dire à mon mari que je vous dois de 
l'argent. 

KROGSTAD. 

Huml Et si je le faisais? 



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ACTE PREMIER 65 

NORA. 

Ce serait honteux. (Des larmes dans la voix.) Ce secret qui 
est ma joie et mon orgueil... qu'il le sache d'une façon 
si vilaine, par vous... Vous m'exposeriez aux plus grands 
ennuis. 

KROGSTAD. 

Rien qu'aux plus grands ennuis? 
N0RA> d'an trait. 

Ou plutôt faites-le. C'est vous qui y perdrez le plus. 
Mon mari verra alors quel genre d'hommes vous êtes; et 
vous pourrez être bien assuré de perdre votre place. 

KROGSTAD. 

Je viens de vous demander si vous ne craignez pas 
autre chose que des ennuis domestiques. 

' NORA. 

Si mon mari le sait, il voudra naturellement payer de 
suite et alors nous serons débarrassés de vous... 

KROGSTAD, faisant un pas vers elle. 
Ecoutez, madame... ou vous n*avez pas de mémoire, 
ou vous ne savez rien de$ affaires. Il faut que je vous 
mette un peu au courant. 

NORA. 

C'est-à-dire? 

KROGSTAD. 

Au moment de la maladie de votre mari, vous êtes venue 
solliciter de moi un emprunt de douze cents écus. 

NORA. 

Je ne connaissais que vous. 

KROGSTAD. 

Je vous ai promis de vous procurer cet argent. 

NORA. 

Et vous mef l'avez prêté. 

4. 



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66 UNE MAISON DE POUPÉE 

KROGSTAD. 

Je VOUS ai promis de vous le procurer sous certaines 
conditions. Mais alors pous ^tiez si préocupée de la ma- 
ladie de votre mari, ex si impatiente d'avoir Targent du 
voyage que vous n'avez pas fait grande attention aux 
détails. Vous ne serez donc pas étonnée que je vous les, 
rappelle. Or donc, je vous ai promis de vous procurer 
cet argent, contre un reçu que j'ai rédigé. 

NORA. 

Oui, et que j'ai signé. 

KROGSTAD. 

Parfaitement, mais -au bas du reçu j'ajoutai quelques 
lignes par lesquelles votre père donnait sa, garantie. Ces 
lignes, votre père devait les signer. 

NORA. 

Il devait, dites-vous? Il les a signées. 

KROGSTAD. 

Je laissais la date en blanc, ce qui voulait dire que votre 
père devait dater en signant, vous en souvenez-vous? 

m 

NORA. 

Oui, je crois en effet... 

KROGSTAD. . 

Puis je vous ai remis le reçu, pour que vous l'envoyez 
à votre p^re par la poste. N'est-ce pas exact? 

^ NORA. 

C'est exact. 

KROGSTAD. 

Et sans doute vous l'avez fait immédiatement, car cinq 
ou six jours s'étaient à peine écoulés, vous m'avez ap- 
porté la garantie signée par votre père, et alors je vous 
ai remis la somme. 

NORA. 

Parfaitement! N'ai-je pas payé ponctuellement?'^ 



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ACTE PREMIER 67 

^ KROGSTAD. 

A peu de chose près. Mais revenons à ce que nous di- 
sions .. C'était vraiment une e'poque bien triste pour vous, 
madatoe. 

NORA. 

Oui^ c'est vrai. 

KROGSTAD. 

Je crois que votre père était très malade? 

NORA. 

Moribond. 

KROGSTAD. 

Il mourut peu après. 

. NORA. 

Oui. 

^ KROGSTAD. 

Dites-moi, madame, vous souvenez-vous par hasard 
de la date de la mort de votre père, c'est-à-dire du quan- 
tième du mois. 

NORA. 

Papa est mort le 27 septembre. 

KROGSTAD. 

Exact. Je m'en suis enquêté, et voilà pourquoi je ne 
m'explique pas, (U tire un papier de son portefeuille.) certaine par- 
ticularité. 

* NORA. 

Quelle particularité?... Je ne sais... 

KROGSTAD. 

Eh bien! la particularité, madame, c'est que votre père 
à signé son reçu trois jours après sa mort. (Nota se lait.) 
Pouvez-VOUS m'expliquer cela? (Nora continue à se taire.) 11 est^ 
aussi évident que les mots deux octobre et l'année ne 
sont pas de l'écriture de votre père, mais d'une écriture 
que je crois connaître. Enfin cela peut s'expliquer. Votre 
père aura oublié de dater, et quelqu'un l'aura fait au ha- 



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68 UNE MAISON DE POUPÉE 

sard avant ^e connaître la nouvelle de sa mort. Cela 
n'est! pas grave. L*essentiel c'est la signature elle-même. 
Est-elle vraiment, réellement authentique madame? 
Est-ce bien votre père qui à écrit là son nom? 

NORA, après un court silence, elle relève la tète et le regarde d'ttn air de 
défi. 

Non, ce n'est pas lui. C'est moi qui ai écrit le nom de 
papa. 

KROGSTAD. 

Vous avez bien conscience de toute la gravité de cet 
aveu I 

NORA. 

Pourquoi ? Sous peu de jours vous aurez votre argent. 

KROGSTAD. 

Permettez-moi une question. Pourquoi n'avez-vous 
pas envoyé le reçu à votre père. 

NORA. 

C'était impossible : Il était si malade: Pour lui deman- 
der sa signature, il aurait fallu que je lui indiquasse la 
destination de l'argent, et dans l'état où il se trouvait, je 
ne pouvais lui dire que la vie de mon mari était en dan- 
ger. Ça n'était pas possible. 

KROGSTAD. 

En ce cas, il aurait mieux valu renoncer au voyage. 

NORA. 

Impossible. Ce voyage, c'était le salut de mon mari; je 
ne pouvais y renoncer. 

KROGSTAD. 

Mais vous n'avez pas songé à la supercherie que vous 
commettiez vis-à-vis de moi. 

NORA. 

Je ne pouvais m'arréter à cela. Ohl vous m'étiez bien 
indifférent. La froideur de vos raisonnements quand vous 



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ACTE PREMIER 69 

saviez que mon mari était en danger m'étai; insuppor- 
table. 

KBOGSTAD. 

Madame, évidemment vous n'avez pas une idée nette 
de la responsabilité que vous avez encourue. Je vous di- 
rai seulement que l'acte qui a entraîné la perte* de tout 
mon avenir était moins criminel que celui-là. 

NORA. 

Vous? Vous voulez me faire croire que vous avez ja- 
mais été capable d'un élan pour sauver la vie de votre 
femme. 

KROGSTAD. 

Les lois ne tiennent pas compte des mobiles. 

NORA. 

Mais alors les lois "sont mauvaises. 

KROGSTAD. 

Mauvaises ou non... si je porte ce papier à la justice 
c'est d'après elles que vous serez jugée. 

NORA, 

J'en doute fort. Une fille n'avait-elle pas le droit d'é- 
pargner à son vieux père moribond des inquiétudes et 
des soucis I* Une femme n'avait-elle pas le droit de sau- 
ver la vie de son mari? Il se peut que je ne connaisse pas 
le fond des lois^ mais je suis certaine que quelque part 
on a dû y inscrire que cela est permis. Et vous qui êtes 
homme de lois, vous savez bien cela? Vous me semblez 
bien peu malin pour un avocat, monsieur Krogstad. 

KROGSTAD. 

C'est possible. Mais les affaires comme celles que 
nous traitons tous deux, vous conviendrez que je les 
connais ? Maintenant faites ce qu'il vous plaira. La seule 
chose que^ je vous dis c'est que si je trinque une se- 
conde fois, vous me tiendrez compagnie. 

Il salue et sort. 



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70 . UNE MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE XIV 

NORA, d'abo'd seule, puis LES ENFANTS. 

Nora réfléchit un instant, puis elle secoue la tète. 

NORA. 
Bahî II voudrait me faire peur î Mais je ne suis pas si 
sotte. (Elle ràsseml^le les vêtements de ses enfants, mais au bout d'un 
instant elle s'arrête.) Pourtant... Mais ce n'est pas possible.,. 
C'est par amour que j'ai agi... 

LES ENFANTS, à la porte de gauche. . . 

Maman, le monsieur est parti. . 

NORA. 

Bien, bien je le sais. Vous ne parlerez à personne de . 
ce monsieur. Vous entendez, pas même à papa ! 

LES ENFANTS. 

Non, maman. Veux-tu jouer maintenant ? 

NORA. 

Non, non, pas maintenant. 

LES ENFANTS. 

Mais tu nous l'avais promis, maman. 

NORA. 

Je ne puis pas. Allez-vous en ! J'ai bcaucouf) à faire 
Allez, mes trésors ! 

Elle les congédie tendrement tt ferme la porte. 

SCÈNE XV 

NORA, seule. 

NORA, elle s'assied sur le sofa» prend une brodetie et fait quelques points, 
miiiè aussitôt elle s'arrête. 
Non. (Elle jette la broderie, se live va à la porte et appelle.) Hélène^ 



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ACTE PREMIER 7I 

apporte-moi l^arbre. ( Elle s'approche de la table à gauche et ouvre 
le panier.) Non, c'est tout à fait impossible. 



SCENE XVI 
NORA, LA FEMME DE CHAMBRE. 

LA FEMME DE CHAMBRE, apportant l'arbre de Noôle. 
Où dois- je le mettre, Madame? 

NORA. 

Ici au milieu. 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Faut-il apporter autre chose ? 

NORA. 

Non, merci, j'ai ce qu'il me faut. 

LaTemme de chambre s'en va en laissant l'arbre sur la table. 

SCÈNE XVII 

NORA, arrangeant l'arbre. 

Ici il faut des bougies et là des fleurs... L'infâme ! 
folies I... Tout cela ne signifie rien... L'arbre de Noël 
sera joli. Je veux faire tout ce que tu voudras, Torvald. 
Je danserai pour te faire plaisir, je chanterai... 

SCÈNE XVIII 

NORA, HELMER. 

Helmer parait un rouleau de papier nous le bras* 

NORA* 

Tiens, tu es là. 

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72 UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER. 

Oui, quelqu'un est-il venu ? 

NORA. 

Non, non. 

HELMER. 

C'est étrange. J'ai vu Krogstad sortir de la maison. 

NORA. 

Ah! oui, Krogstad est venu un instant. 

HELMER. 

Je le vois à ta figure. Il est venu te supplier de me 
parler pour lui. 

NORA. 

Oui. 

HELMER. 

Et tu devais le faire comme si cela venait de toi-même, 
en me cachant sa visite. Ne t'a-t-il pas demandé cela? 

NORA. 

Oui, Torvald, mais... 

HELMER. 

Nora ! Nora I Et tu as pu agir ainsi I Engager une 
conversation avec un pareil homme et lui faire une pro- 
messe et pour comble me mentir. 

NORA 

Te mentir ? 

HELMER. 

Ne m'as-tu pas dit que personne n'était venu ? (Il la 
menace du doigt.) Il ne faut pas que mon oiseau chanteur y 
revienne. Les oiseaux aux chants mélodieux, doivent 
avoir le bec pur et propre pour bien gazouiller sans ja- 
mais détonner... (il la prend par la îaille.) N'est-ce pas vrai I... 
Oui, je le savais bien, (il la lâche.) Plus un mot là-dessus I 
(tl s'assied devant la cheminée.) Comme on est bien ici l 

Il feuillette ses papiers. Nora continue à parer l'arbre. Silence. 



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ACTE PREMIER 7^ 

\ NORA, 

Torvald! 

HELMER. 

Dis? 

NORA. 

Je suis si gaie à la pensée d'aller après^demain au bal 
costumé des Stenborg. 

HELMER. 

Et moi je meurs de curiosité de savoir quelle surprise 
tu nous prépares. 

NORA. 

Oh ! que c'est ennuyeux I 

HELMER. 

Qtt* est-ce qui est ennuyeux ? 

NORA. 

Je ne trouve pas un costume qui vaille I Tout est in-i 
signifiant, idiot. 

HELMER f 

Nous y voilà I La petite Nora a mainteiwnt cette lu- 
bie en tête. 

NORA, derrière le fauteuil les coudes appuyés sur le dossier. 

Tu es très pressé, Torvald ? 

HELMER. 

Ohl... 

NORA. 

Quels sont- ces papiers. ' 

HELMER. 

Des affaires de la banque. 

NORA. 

Ahî 

HELMER. 

Je me suis fait donné plein pouvoir par les directeurs 

5 



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74 UNE MAISON DE POUPÉE 

sortants pour effectuer tous les changements nécessaires 
dans le personnel et l'organisation des bureaux. Je vais 
passer la semaine de Noël à la préparation de ce tra- 
vail. Je veux que le pren'iier janvier tout soit en ordre. 

NORA. 

Alors c'est» pour cela que le pauvre Krogstad ? 

IIELMER. 

Hein! Hein! 

NORA. lui passant la main dans les cheveux. 
Si tu n'étais pas si occupé, je te demanderais une 
grande faveur. 

IIELMER. 

Voyons, qu'est-ce? 

NORA. 

Personne n'a autant de goût que toi. J'ai un si grand 
désir d'être à mon avantage à ce bal. Torvald,*ne pour- 
rais-tu t'(tccupér 'de fnoi et décider le costumé que je 
porterai ? 

iïELMEk. 

Hdla ! Holà I l^a têtue ne se donne pas pour battue. 

NORA. 

Oui, Torvald, jè ne puis rien décider sans toi. 

HELMER. 

Bon, bon! On y pensera et on trouvera quelque idée. 

NORA. 
Ah ! que tu es aimable ? (Elle revient à l'arbre de Noël. Silence.) 
Mais dis, ce qu'a fait Krogstad est-il vraiment si terri- 
ble ? 

HELMER. 

Il a commis des faux. Sais-tu ce que cela veut dire I 

NORA. 

N'a-t-il pas pu être poussé par la misère ? 



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ACTE PREMIER 75. 

HELMER. 

Oui, on agit bien des fois par légèreté. Je ne suis pas 
assez cruel pour condamner sans pitié un homme pour 
un seul acte de ce genre. 

NORA. 

Non, n'est-ce pas, Toryald ? 

HELMER. 

Plus d'un peut se relever moralement, à la condition 
de confesser sa faute et de subir sa peine. 

NORA. 

Sa peine? 

HELMER. 

Mais Krogstad n*a pas suivi cette voie. Il a voulu sor- 
tir d'affaires par Tintrigue et les artifices. Cest là ce qui 
l'a perdu moralement. 

NORA. 

Crois-tu que...? 

HELMER. 

Penses-y. Un homme pareil, qui a conscience de son, 
crime, doit mentir et dissimuler toutes les heures. Il 
dort porter un masque même au milieu des siens. Oui, 
devant sa femme et ses enfants. Et cela, quand on pense 
aux enfants, c'est affreux. 

NORA. 

, Pourquoi? 

HELMER. 

Parce que pareille atmosphère de mensonges doit in- 
fecter de principes malsains toute une famille I Chaque, 
fois que ces enfants respirent, ils absorbent des germes 
de mal. 

NORA, s'approchant de loi. 

En es-tu sûr ? 



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76 UNE iMAlSON DE POUPÉE 

HELMER. 

Et comment en douter, chérie ? J'ai eu mille occasions * 
d'^n faire l'expérience comme avocat : presque toutes les' 
personnes dépravées de bonne heure ont eii des mères 
menteuses. 

NORA. 

Pourquoi précisément des mères ? 

HELMER. 

Le plus souvent c'est la mère dont l'hérédité agit.' 
Cependant souvent celle du père, comme il est naturel, 
se fait sentir. Tous les avocats savent parfaitement cela. 
Et pourtant Krogstad a empoisonné ses propres enfants 
de soa atmosphère de mensonge et de dissimulation. 
Voilà pourquoi je l'appelle un homme perdu morale- 
ment. (Il lui tend les mains.) Et voilà pourquoi il faut que ma 
gracieuse petite Nora me promette de ne plus me par- 
ler en sa faveur? Donne-moi ta parole? Allons 1 Qu'est- 
ce là I La mainl Comme ça! C'est convenu ! Je. t'assure 
qu'il me serait impossible de travailler avec lui. A la 
lettre j'éprouve un malaise physique près de gens pa- 
reils. 

NORA9 elle retire sa main et va se placer du côté opposé de l'arbre* . . 
Quel atmosphère lourd il y a ici I Et moi qui ai tant* 
à faire ! 

HELMER, se levant et rassemblant ses papiers. 

Avant le dîner il faut que je relise une partie de ceci ; 
puis je penserai à ton costume... Il est possible aussi 
que j'ai quelque chose à attacher à Tarbre de Noël en- 
veloppé dans du papier doré. (11 lui pose la main sur la tête.) 
Ohî mon cher oiseau chanteur ! 

11 sort parla porte de son cabinet. 



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ACTE PREMIER 77 

SCÈNE XIX 

NORA, seule à Toix basse, après un silence. 

Non, non,- c'est' impossible, o^est impossible... Cela 
doit être impossible. 

SCÈNE XX 

NORA, ANNE-MARIE. 

âNNE-MARIE) à la porte à gauche. 

Les enfants veulent absolument venir avec leur mère. 

NORA. 

Non, non, ne les laisse pas venir avec moi. 

AN NE -MARIE. 

Bien, bien„ madame ! 

SCÈNE XXI 

NORA, seule. 

NORA, pâle de terreur. 
Dépraver mes enfants... empoisonner la maison. 
(Elle lève la tète.) Ce n'est pas vrai. C'est faux, vrai comme 
j'existe. . i 



Rideau. 



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ACTE DEUXIÈME 



Même décor. 

Dans un coin près du piano, l'arbre de Noël dépouillé de tous les objets 
dont il était chargé. Epars sur le sofa le chapeau et le manteau de Nora. 
Nora seule trottine d'ici, de là, avec a)(itation. Elle finit par s'arrêter près 
du sofa et prend le manteau.. 



SCÈNE PREMIÈRE 

NORA, reposant le manteau. 

Quelqu'un. (Elle gagne la porte et écoute.) Non... non, per- 
sonne. .. Ce n'est ni pour aujourd'hui jour de Noël, ni pour 
demain. Mais il se peut que.. • (Hiile ouvre la porte et regaide 
au dehors.) Non, dans la boite, il n'y a rien ! Elle est vide. 
Quelle folie! Cette menace n'était pas sérieuse. Pareillç 
chose ne peut arriver. J'ai trois enfants. 

SCÈNE II 

. NORA, ANNE-MARIE. . 

ANNE-MARIE, entre par la porte de gauche, avec nne grande boîte de 
carton. 

J'ai enfin trouvé la boîte du costume. 

NORA. 

C'est bien, laisse-la sur la table. 



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ACTE DEUXIÈME 79 

ANNE-MARIE, obéissant. 

H se peut que le costume nepuUse être porté tel qu'il 
est. 

NORA. 

Oh I je le mettrai bien volontiers en morceaux t 

ANNE-MARIE. 

Ah! cela non I On peut l'arranger facilement. Il ne faut 
qu'un peu de patience. 

NORA. 

Oui, j'irai demander à madame ï.inde de m'aidcr. 

ANNE-MARIE. 

Sortir de nouveau avec un si mauvais temps!... Vous 
allez prendre froid et tomber malade. 

NORA. 

Ce ne serait pas le pire qui pourrait m'arriver. 

ANNE-MARIE. 

Les pauvrets jouent avec les cadeaux de Noél, mais... 

NORA. 

Ils pc^rlei^t beaucoup de moi... 

ANNE-MARIE. 

Ils sont si habitués à la société de leur maman. 

NORA. 

Oui, Anne-Marie, mais vois-tu, dans Tavenir, je ne 
pourrai pas être autant avec eux. 

ANNE-MARIE. 

Les enfants s'habituent à tout. 

NORA. 

Tu le crois. Penses-tu que si leur maman partait pour 
toujours, ils l'oublieraient. 

ANNE-MARIE. 

Oh ! mon Dieu! Pour toujours? 



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8o UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

Dis-moi, Anne-Marie... Je me suis toujours demandé 
quélqtie chose. Comiiient as-tu eu le courage de confier 
ton enfant à des mains étrangères? 

ANNE-MARIE. 

Et que faire, puisqu'il me fallait élever la petite Noraî 

NORA. 

'Oui, maïs comment as-tu pu te décider ? 

ANNE-MARIE. 

Il sp présentait pour moi une si bonne place. C'était 
une chance rare pour une fille qui avait eu un malheur... 
car le gredin ne voulait rien faire pour moi. 

NORA. 

Ta fille t'aura oubliée sans doute. 

ANNE-MARIE. 

Ah 1 non, bien sûr, elle m'a écrit quand elle tf fait sa 
première communion,* et puis une autre fois, quand elle 
s*est mariée. 

NORA, lui jetant les bras autour da cou. 

Ma vieille nounou, tu as été une bonne mère pour moi, 
quand j'étais petite. 

ANNE- MARIE. 

La pauvre petite Nora n'avait d'autre mère que moi. 

NORA. 

Et si mes enfants venaient à n'en plus avoir, je sais 
bien que tu... Tout cela est parler pour ne rien dire. (Elle 
ouvre la boîte.) Allons I vas les retrouver, il faut que... Tu 
verras comme je serai jolie demain. 

ANNE-MARIE. 

Dans tout le bal, il n'y aura personne d'aussi joli que 
madame. Voilà mon avis. 

Elle sort par la porte à gauche. 



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ACTE DEUXIÈME, 8l 

: SCÈNE III 

NORA, seule. 

NORA9 ouvrant la boîte, puis la repoussant. 
Si j'osais sortir... Si j'étais sûre que personne ne vien- 
dra... si je savais qu'il ne se passera rien à la maison 
pendant ce temps. Quelle folie î Personne ne viendra. 
Plus de folles inquiétudes... Brossons le manchon. Les 
jolis gants! les jolis gants... Ah! chassons les idées. Un, 
deux, trois, quatre, cinq, six ! (Elle pousse un cri.) Ah ! les 
voici. 

Elle veut gagner la porte, mais elle reste indécise. 

SCÈNE IV 

NORA, MADAME LINDE. 

/ 

MADAME LINDE) entre après s'être débarrassée de son manteau ôt de 
son chapeau dans l'antichambre. 

Ah! 

NORA. 

C'est toi, Christine. Il n'y a personne avec toi, n'est-ce 
pas ^ Comme tu arrives à propos ! 

MADAME LINDE. 

J'ai su que tu étais venu me chercher. 

NORA. 

Oui, je passais justement devant chez toi. Je voulais te 
demander de m'aider. Asseyons-nous sur le sofa. Tu 
verras ce dont il s'agit. Demain il y a un bal costumé, 
à l'étage au-dessus, chez le consul Stenborg. Torvald 
veut que je me déguise en pêcheuse napolitaine et que 
je danse la tarentelle que j'ai apprise à Capri. 

5. 



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82 UNE MAISON DE POUPÉE 

MADAME LINDE. 

Ah l ah I tu vas donner une vraie représentation ? 

NORA. 

Oui, c'est le désir de Torvald. Voici le costume. Tor« 
vald me Ta fait faire là-bas, mais il est si ahimé que je 
ne sais vraiment pas... 

MADAME L[NDE. 

Il sera vite arrangé. La garniture seule est décousue 
par endroit. Dépéchons. Du fil! des aiguilles! Ah! voilà 
tout ce qu'il faut? 

NORA. 

Que tu es bonne! 

MADAME LINDE, causant. 

De sorte que tu te déguises demain. Ecoute, je vien- 
drai un moment te voir, moi aussi. Je ne t'ai pas remer- 
ciée pour la bonne soirée d'hier. 

NORA, se levant, et traYersant la scène. 

Il me semble qu'hier on -n'était pas bien ici comcg^p^ 
d'habitude. Tu aurais dû arriver un peu. plus tôt, Chris- 
tine. Il est vrai que Torvald a au plus haut point l'art 
de rendre la maison agréable. 

MADAME LINDE. 

Et toi aussi .. Ne niesfe pas. Tu es bien la fille de ton 
père. Mais, dis-moi, le docteur Rank est-il toujours aussi 
affaissé qu'hier ? 

NORA. 

Non, hier, il l'était plus que d'habitude. Le malheureux 
souffre d'une terrible affection de la moelle épiriière. 
Vois-tu, son père était un être répugnant! 11 entretenait 
des maîtresses et... on pourrait même dire pis. Aussi' 
son fils a-t-il été maladif depuis son enfance. > 

MADAME LINDE, laissant tomber son travail. 

Mais qui t'a conié dépareilles choses, ma chère Nora? 



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ACTE DEUXIÈME 83 

NORA. 

Bah 1 quand on a eu trois enfants, quand on reçoit la 
visite de certaines dames qui sont à moitié me'decins^ et 
qui vous racontent bien des choses... 

MADAME LINDEy elle se remet à coudre. Silence, 

Le docteur Rank vient ici tous les jours ? 

NORA. 

Tous les jours. C'est le meilleur ami de Torvald et 
aussi le mien. Le docteur Rank est pour ainsi dire de 
la maison. 

MADAME LIN DE. 

Mais, dis-moi, cet homme est-il çompièten?ent sigcère, 
je veux dire, aime-t-il à faire des compliments ! 

NORA. 

Au contraire. Pourquoi cçttç question ? 

MADAME LINDE. 

Hier, quand tu me Tas présenité, il m'a assuré qu'il 
avait souvent entendu prononcer mon non;i et, poyrtant, 
j'ai vu plus tard que ton mari n'avait pas de moi la plus 
légère idée. Comment se fait-il alors que le docteur 
Rank aie pu?.;. 

NORA. 

Tu as raison Christine. Torvald a une grande ado- 
ration pour moi. Il veut que je ne sois que pour lui, 
comme il dit. Les premiers temps, il était jaloux rien 
que m'entendre parler des personnes aimées qui m'en- 
touraient auparavant. Naturellement, je me suis abste- 
nue d'en parler dès lors, mais avec le docteur Rank, 
j'en parle souvent. Cela l'amuse de m'entendre. 

MADAME LINDE. 

Ecoute-moi bien, Nora. Tu es une enfant en plus d'ua 
sens. Je suis ton aînée. J'ai un peu plus d'expérience. Ja 
vais te donner un conseil à propos du docteur Rank. Il 
faudrait tâcher dé mettre fin à tout cela. 



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84 UNE. MAISON PB POUPÉE 

NORA. 

Mettre fin à quoi ? 

! MADAME LINDE. 

A bien des choses... Hier, tu me parlais d'un adorateur 
riche qui devait te procurer de l'argent. 

NORA. 

C'est vrai. Mais cet adorateur n'existe pas malheureu- 
sement. Qu'y a-t-il encore ? 

.MADAME LINDE. 

Le docteur Rank est-il riche ? 

NORA. 

' Oui, il a de la fortune. 

MADAME LINDE. 

,Et pas de famille? 

NORA. 

Aucune, mais. 

MADAME LINDE. 

' Et il vient ici tous les jours ? 

NORA. 

Tu le sais bien. 

MADAME LINDE. 

Comment un homme chevaleresque pourrait-il ainsi 
manquer de délicatesse? 

NORA. 

Je ne te comprends pas. 

MADAME LINDE. 

Ne joue^ pas là comédie, Nora. Je crois que je devine 
à qui tu as emprunté les douze cents écus. 

NORA. 

Tu as tout à fait perdu la tête ! Peux-tu croire sem- 
blable chose ? Un ami qui vient ici tous les jours I Eh I 
tien l La situation ne serait pas si terrible. 



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ACTE DEUXIÈME 85 

MADAME LIN DE. 

Alors, ce n'est vraiment pas à lui? 

NORA. 

Sûrement non. Il ne m'en est pas venue un seul instant 
là pense'e. D'abord, il ne pouvait pas nous prêter d'ar- 
gent à cette époque. Il n*a fait son héritage qu'ensuite. 

MADAME LINDE. 

Je crois que ça a été un bonheur pour toi, ma chère Nora. 

NORA. 

Non, jamais, je n'aurai eu Tidée de demander au doc- 
teur... et pourtant je suis certaine que si je lui deman- 
dais... 

MADAME LINDE. 

Mais naturellement, tu né le feras pas... 

NORA. 

Bien entendu I Je ne crois pas que ce soit nécessaire, 
mais je suis sûre que si je parlais au docteur Rank... 

MADAME LINDE. 

A l'insu de ton mari... 

NORA. 

Il faut bien que j'en sorte. Je me suis engagée là-dedans 
sans qu'il le sache. Maintenant il faut que cela finisse. 

MADAME LINDE. 

Je te le disais bien hier, mais... 

NORA, allant et venant. 
Un homme peut se débrouiller plus facilement de ce 
genre d'affaires qu'une femme. 

MADAME LIND^. 

Si tu parles du mari, oui. 

NORA. 

Niaiserie. (Elle s'arrête.) Quand tout a été payé, on rend 
le reçu, n'est-ce pas ? 



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86 UNE MAISON DE POUPÉE 

MADAME LINDE. 

Naturellement. 

NORA. 

Et on peut le déchirer en n»ille morceaux et... le brû-; 
1er, cet infâme papier! 

MADAME LINDE} e>le -regarde fixement Nora, abandonne son travail 
et se lève lentement. 

Nora, tu me caches quelque chose. 

NORA. 

C'est à ma figure que tu le reconnais? 

MADAME LINDE. 

Depuis hier, il s*est passé quelque chose. Nora, dis- 
moi ce que c'est? 

NOKA^ se tournant de son côté. 

Christine ! (Ecoutant.) Chut ! Torvald est là. Passe^ dans 
la chambre des enfants. Torvald ne peut supporter de 
voir coudre. Dis à Anne-Marie de t'aider. 

MADAME LINDE, ramassant une partie du travail. 

Bon I Mais je ne m'en irai pas que tu ne m'aies tout 
dit franchement. 

Elle sort par la porte à gauche. 



SCENE V 
NORA, HELMER. 

En même temps que madame IJnde sort par la gauche, Helmer entre 
par la porte de l'antichambre. 

NORA, allant à sa rencontre. 

Avec quelle impatience je t'attendais, mon cher Tor- 
vald. 



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ACTE DEUXIÈME 87 

HELMER. 

C'était la couturière ? 

NÔRA. 

Non, c'était Christine qui m'aidait à arranger mon 
costume. Tu verras quel effet je vais faire. 

HELMER. 

Oui, j'ai eu une belle idée. 

NORA. 

Une idée superbe, mais aussi je suis gentille de vouloir 
te complaire. 

HELMER) lui caressant le menton. 

Gentille?. . De complaire à ton mari? Allons, toquée! 
Je sais que ce n^est pas là ce que tu voulais dire. Mais 
je ne veux pas t'interrompre. Tu dois avoir à essayer, je 
suppose. 

NORA. 

Et toi tu vas travailler? 

HELMER. 
Oui, (Lui montrant des papiers.) Tu Vois, je Suis allé à la 
banque. 

Il va entrer dans son cabinet. 

NORA. 

Torvald ? 

HELMER, s'arrêtant. 

Tu dis? 

NORA. 

Si l'écureuil le demandait instamment quelque 
chose?... 

HELMER. 

Quoi ? 

NORA. 

Tu le ferais, dis ? 



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88 UNE MAISON DE POUPÉE ^ 

HELMER. 

Avant tout je voudrais savoir de quoi il s'agit. 

NORA. 

Si tu voulais être complaisant et aimable, l'écureuil 
gambaderait et ferait toutes espèces de grimaces. 

HELMER. 

Parle^ vite. 

' NORA. 

L'alouette gazouillerait sur tous les tons. 

HELMER. 

L'alouette ne fait pas autre chose. 

NORA. 

Je danserais pour t'amuser comme les sylphides au 
clair de la lune. 

HELMER. . 

Nora, est-ce que ce ne serait pas ce dont tu m'as 
parlé ce matin? 

NORA, s'approchant. 
Oui, Torvald... fais-moi ce plaisir. 

HELMER. 

Et tû as le courage de m'en reparler? 

P^ORA. 

Oui, oui, il faut que tu consentes, il faut que Krog- 
stad conserve son poste à la banque. 

HELMER. 

Ma chère Nora, j'ai destiné ce poste à madame Linde, 

NORA. 

Je t'en suis très reconnaissante, mais ne peux-tu con- 
gédier quelqu'autre employé et pas Krosgstad ? 

HELMER. 

C'est une obstination que passe les bornes, parce que 



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ACTE DEUXIÈME 89 

hier tu as fait une promesse irréfléchie^ tu voudrais 



que... 

NORA. 



Ce n'est pas pour cela^ Torvald. C'est pour toi, toi- 
même» tu as dit qu'il écrivait dans les mauvais journaux^ 
il pourrait te faire tant de mal, j'en ai une peur épou- 
vantable. 

HÈÎ-MER. 

Oh! je comprends ..Tu te seras souvenue de ce qui 
s'est passé autrefois et tu t'es épouvantée. 

NORA. 

De quoi parles-tu ? 

. HELMER. 

Evidemment tu penses à ton père. 

NORA. 

Oui, souviens-toi de tout ce qu'ont écrit dans les jour- 
naux sur papa de vilaines gens. . et de toutes les ca- 
lomnies qu'ils ont lancées contre lui. Je crois qu'on 
l'aurait destitué si le ministère ne t'avait pas envoyé 
ifaire l'enquête et si tu ne t'étais pas montré si bienveil- 
lant pour lui. 

HELMER. 

Ma petite Nora, il y a une grande différence entre 
ton père et moi,. Ton père n'était pas un fonctionnaire 
inattaquable ; moi j'en suis un. et j'espère continuera 
l'être tant que je conserverai ma position. 

NORA. 

Oh f qui sait ce que les mauvaises langues sont capa- 
bles d'inventer. Nous pourrons étte si bien, si tranquil- 
les, si contents dans notre nid paisible, toi, les enfants 
et moi! Voilà pourquoi je te supplie avec tant d'insis- 
tance. 

HELMER. ^ 

Mais c'est précicément parce que tu me parles en sa 



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QO UNE MAISON DE POUPÉE 

faveur (|u'il ne m'est pas possible de le conserver. L'on 
sait déjà à la banque qu'il doit être révoqué. SI mainte- 
nant on savait que la femme du nouveau directeur Ta 
fait chaiiger de décision... 

NORA. 

Eh bienf 

HELMER. 

Non, peu importe naturellement pourvu que tu fasses 
triompher ta volonté I Peux-tu vraiment croire que 
j'irai me rendre ridicule aux yeux de tout le personnel, 
faire savoir que je dépends de toute espèce d'influences 
extérieures. Tu peux être certaine que les conséquences 
ne tarderaient pas à se faire sentir, et d'ailleurs, il y a 
une autre raison qui rend la présence de Krogstad im- 
possible à la banque tant que j'en serai le directeur. 

NORA. 

Laquelle? 

HELMER. 

En ce qui concerne sa tache morale... à la rigueur je 
pourrais être indulgent... 

NORA. 

Oui, n'est-ce pas, Torvald? - 

HELMER 

Surtout quand on me dit que c'est un bon employé. 
Mais je le connais de vieille date. C'est une de ces ami- 
tiés de jeunesse contractées à la légère et qui, ensuite, 
dans la vie, sont souvent une gêne. Pour tout te dire, 
nous nous tutoyons et cet homme a si peu de tact qu'il 
ne fait pas le moindre effort pour dissimuler en pré- 
sence d'étrangers. Au contraire, il croit que cela lui 
donne le' droit de prendre avec moi un ton familier et à 
chaque instant c'est un tu par ci, un tu par là. Je te 
jure que cela m'est on ne peut plus désagréable. Cela 
rendrait impossible ma situation à la banque. 



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Goosle 



ACTE DEUXIÈME QI 

NORA. 

Torvald, tu ne penses pas un mot de ce que tu dis. 

HELMER. 

Si fait et pourquoi pas? 

NORA. 

Parce que ce serait un mobile mesquin. 



Que dis-tu, meiquîn? Tu me juges mesquin ? 

NORA. 

Nullement, mon cher Torvald, tout au contraire et 
c'est pour cela... 

HELMER. 

Cela revient au même. Tu dis que mes mobiles sont 
niesquins, par conséquent je dois l'être, mesquin. Vrai- 
ment? Il est temps que cela finisse. 

11 appelle Hélène. 
NORA. 

Que vas-tû faire? 

HELMER. 

Prendre une résolution. 

La femme de chambre entre. 



SCENE VI 
NORA, HELMER, LA FEMME DE CHAMBRE. 

HELMER. 

Prenez cette lettre. Allez tout de suite chercher un 
commissionnaire pour la porter immédiatement, l'a- 
dresse est sur l'enveloppe. Voilà de l'argent; 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Bien, monsieur. 

Elle sort emportant la lettre. 



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92 UNE MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE VII 

NORA, HËLMER. 

Helmer replie ses papiers. 

HELMER. 

Eh bien! madame la têtue!' 

NORA) d'une voix étouffée; 

Qu'y a-il dans cette enveloppe ? 

HELMER. 

La révocation de Krogstad. 

NORA. 

Arrête > Torvald, il est encore ifemps. Oh ! Torvald, 
arrête cette lettre. Fais-le pour moi, pour toi, pour les 
enfants I Ecouteâ-moi, Torvald... Fais-le, "tu ne sais pas 
ce qu'il peut nous en coûter à tous. 

HELMER. ^ , 

Il est trop tard. 

NORA.. 

Oui, trop tard. 

HELMER. 

Ma chère Nora, je te pardonne cette angoisse bien 
qu'au fond elle soit injurieuse pour moi. Oui, elle Test. 
N'est-ce pas une injure que de croire que je pourrai 
avoir à craindre la vengeance d'un misérable chlcaneau ? 
Mais de toutes façons je te la pardonne, parce que cela 
prouve la grande affection que tu as pour moi. (Il la serre 
dans fees bras.) Il le faut, ma Nora adorée. Quoi qu'il arrive, 
il le faut. Dans les heures graves tu verraisj:iue j'ai de 
la force et du courage et que je prends tout sur moi. 

NORA, effrayôe. 
Que veux-tu dire? *- '' 



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AàTE DBUXiéMB 9$ 

HELMER. 

Tout, te dis-je. 

NORA^ d'une voix ferme. 

Jamais tune feras pas cela. 

HELMER* 

Bien î alors nous partagerons, Nora, comme mari et 
femme. Cela doit être ainsi. (La caressant.) Es-tu-cohtente 
maintenant? Allons! Allons 1 pas de ces regards de co- 
lombe effarouchée I Tout cela est pure imagination; A 
présent ce que tu devrais faire, c'est jouer la tarentelle et 
t'exercer au tambourin. Je vais m'enfermer dans mon 
cabinet. De là-bas je n'entendrai rien ! Tu pourras faire 
tout le bruit que tu voudras et quand Rank viendra tu 
lui diras où je suis. 

Il lui 6iit un signe de tête, entre dans son cabinet en emportant ses pa- 
piers et ferme la porte. 

SCÈNE VIII 

NORA, seule. 
Nora accablée par Tangoisse demeure clouée sur son siège et dit à mi-voix. 

NORA. 

Il serait capable de le faire. Il le ferait malgré tout... 
Jamais, oh t jamais... Tout plutôt que cela, au secours I... 
Un moyen... On sonne... Le docteur Rank... Tout, tout 
plutôt que cela. 

Elle passe la main «ur son front comme pour se calmer et va ouvrir la 
porte d'entrée. On aperçoit le docteur Rank qui suspend son manteau 
dans l'antichambre* Pendant la scène suivante, la nuit vient peu à peu. 



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94 UNB MAISON PB POUPÉE 

SCÈNE IX 
NORA, LE DOCTEUR RANK. 

NORA. 

Bonsoir, docteur^ je vous ai reconnu à votre manière 
de sonner... N'entrez pas maintenant dans le cabinet de 
Torvald, Je crois qu'il est occupé. 

RANK. 

Et vous? 

NORAj pendant que le docteur entre et qu'elle ferme la porte. 
Oh! vous savez, pour vous j'ai toujours un montent. 

RANK. 

Merci. Je mettrai à profit tout le temps que je pourrai. 

NORA. 

Comment ? Tout le temps que vous pourrez? 

RANK. 

Oui, ne vous alarmez pas. 

NORA. 

L'expression est un peu étrange. Va-t-il se passer 
quelque chose? 

RANK. 

Ce que je prévois depuis longtemps, mais je ne croyais 
pas que ce fut si tôt. 

NORA, le prenant par un bras. 
Qu*y a-t-il ? Que vous a-t-on dit? Docteur, dites-le moi. 

RANK, s'asseyant près de la cheminée. 
J'ai descendu la côte jusqu'en bas. Il n'y a plus rien à 
faire. 

NORA, soolagée. 

Il s'agit de vous? 



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ACTE DEUXIÈME QS 

RANK. 

Et de qui donc peut-il s'agir ? A quoi bon me tromper 
moi-même? Je suis le plus misérable de mes malades... 
Ces jours-ci j*ai fait un examen général de mon état. 
C'est la banqueroute. Avant un mois sans doute je pour- 
rirai dans le cimetière. 

NORA. 

Taisez-vous ? Quelle affreuse façon de parler. 

RANK. 

C'est la chose même qui est laide. Le pire, cependant 
ce sont les horreurs qui doivent précéder. Il ne me reste 
plus à procéder qu'à un $eul examen ; quand je Taurai 
fait, je saurai à peu de chose près pour quand sera le 
dénouement. Je désire vous dire une chose. Helmer, 
avec son tempérament délicat, a une aversion profonde 
pour tout ce qui est laid, je ne veux pas le voir à mon 
chevet. 

NORA. 

Mais docteur... 

RANK. 

Je ne le veux sous aucun prétexte. Je lui fermerai ma 
porte. Sitôt que j'aurai la certitude de la catastrophe, je 
vous enverrai une carte de visite marquée d'une croix 
noire. Vous saurez alors que l'abomination de la déso- 
lation est comrtiencée. 

NORA, 

Non, aujourd'hui vous êtes trop extravagant, et moi 
qui désirais tant que vous fussiez de bonne humeur. 

RANK. 

Avec la mort devant les yeu^x, et en payant pour un 
autre... Est-ce là de la justice? Et dite i\vte*dAns chaque 
famille il existe d'une façoBou; d'une autre une liquida- 
tion de ce genre..* . r . . . ,. 



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ÇÔ UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA^ se bouchant les oreilles. 
Chutl soyons gais, soyons gais! 

RANK. 

En vérité c'est r^sible! Mon épine dorsale, la pauvre 
innocente, doit souffrir encore à cause de la vie joyeuse 
que mon père a menée quand il était lieutenant. 

NORA, à gauche près du guéridon. 

II aimait trop les asperges et le foie gras, n'est-ce pas ? 

RANK. 

Et les truffes ? 

NORA. 

» 

Ah ! oui, les truffes et les huitres. 

RANK. 

Et les huitres, bien entendu. 

NORA. 

Et par là-dessus des rasades de Porto et de Champa- 
gne... Il est regrettable que toutes ces choses si bonnes 
attaquent Tépine dorsale. 

RANK. 

Surtout quand elles attaquent une malheureuse épine 
dorsale qui n'en a jamais joui. 

NORA. . 

Oh I oui, c'est ce qu'il y a de plus triste dans l'affaire I 

RANK, qui la regarde attentivement. 
Hum! 

JIORA, après une pause. 
Pourquoi souriez-vous? 

KANK, 

Mais c'est ,vou5 qui»avez souri. 

NORA. * 

Non, docteur, je vous jure que c'était vous. ^ 



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ACTE DEUXIÈME 97 

. RANK, se levant. 
Vous êtes plus moqueuse que je ne pensais. 

NORA. 

C'est qu'aujourd'hui je suis si en disposition de dire 
des bêtises. 

RANK. 

Cela se voit 

HORA, mettant les mains sur les épaules du docteur. 

Cher, cher docteur, il ne faut pas mourir et nous 
abandonner, Torvald et moi. 

RANK. 

Ce sera un chagrin dont vous serez bien vite conso- 
lés. On oublie si vite ceux qui meurent. 

NORA, le regardant avec inquiétude. 

Croyez^vous ? 

RANK. 

On se crée de nouvelles relations et ensuite... 

NORA. 

On se crée de nouvelles relations ? 

RANK. 

Vous et Helmer, vous le. ferez sitôt que j'aurai dis- 
paru. Pour vous, il me semble que vous avez déjà com- 
mencé. Que venait faire ici cette madame Linde ? 

NORA. 

Ah l vous n'allez pas être jaloux de cette pauvre Chris- 
tine. 

RANK. 

Mais si, je le suis! Elle me succédera dans la maison. 
Quand mon heure aura sonné, cette dame... 

NORA. 

Chut, pas si haut, elle est là à côté. 

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98 UNB MAISON DE POUPÉE 

RANK. 

Aujourd'hui encore ? Vous voyez bien. 

NORA. 

Elle est là pour m'aider à arranger mon costume. Mon 
Dieu, que vous êtes incompréhensible. (Elle s'assied sur le 
sofa.) Maintenant il faut être sensés. Demain vous verrez 
avec quelle grâce je danse et vous pourrez dire que je 
ne danse ainsi que pour vous, et pour Torvald bien en- 
tendu. (Elle tire différentes choses de la boîte.) Docteur, venez VOUS 
asseoir pour que je vous montre quelque chose ? 
RANK, 8'asseyant. 

Quoi? 

NORA. 

Vous n'avez qu'à regarder... Voyez ? 

RANK. 

Des bas de soie. 

NORA. 

De couleur chair, n'est-ce pas joli ? Maintenant il fait 
trop sombre, mais demain... Non, non, vous ne verrez 
que les pieds. Cependant si par hasard vous voyez un 
peu plus haut... 

RANK. 

Hum, huml... 

NORA. 

Pourquoi faites-vous ce geste de doute? Ne croyez- 
vous pas qu'ils m'iront bien ? 

RANK. 

Sur quel échantillon dois-je en juger? 
NORA, le regardant un moment. 
Fil Etes-vous vilain? (Elle loi secoue légèrement une oreille avec 
les bas.) Voilà tout ce que vous méritez. 

Elle les remet dans la boite. 



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ACTE DEUXIÈME 99 

RANK. 

Y a-t-il d'autres merveilles à admirer ? 

NORA. 

Aucune, vous ne verrez rien parce que vous n'êtes pas 
sage. 

Elle fouille dans la boîte tout en fredonnant. 

RANK, après un court silence. 

Quand je suis avec vous ici familièrement, je n'arrive 
pas à comprendre... je ne comprends pas ce qu'il serait 
advenu de moi si je n'étais jamais venu dans cette 
maison. 

NORA, souriant. 
Vraiment, oui, je crois qu'en fin de compte vous êtes 
joliment bien ici. 

RANK, baissant la voix et regardant fixement dans le vide. 
Et il faut abandonner tout cela. 

NORA. 

Quelle niaiserie! Pourquoi devez-vous nous aban- 
donner ? 

RANK, toujours à voix baisse et regardant dans le vague devant lui. . 

Et ne laisser derrière soi le moindre motif de recon- 
naissance... Ne laisser tout au plus qu'une peine passa- 
gère... Ne laisser qu'une place vide que viendra occuper 
le premier venu. 

NORA. 

Et si je vous demandais... ? Non. 

RANK. 

Si vous me demandiez quoi? 

NORA. 

Une grande preuve d'affection. 

RANK. 

Oui, quoi? 



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lOO UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

C*est-à-dire un immense service, 

RANK. 

Voudrez-vous me donner une fois cette grande joie ? 

NORA. 

Oui> mais vous ne savez pas de quoi il s*agit. 

RANK. 

Nous allons voir. Parlez. 

NORA. 

Non, non, ce n'est pas possible, docteur. C'est une 
chose si énorme : un conseil, une aide et un service tout 
à la fois. 

RANK. 

Tant mieux I Je ne me doute pas de ce que ce peut 
être, mais parlez donc. N*avez-vous pas confiance en 
moi? 

NORA. 

Comme en personne. Je sais que vous êtes mon meil- 
leur, mon plus loyal ami. Aussi je vais tout vous dire. 
Eh bien ! Docteur, il faut que vous m'aidiez à éviter quel- 
que chose. Vous savez combien Torvald m'aime, il n'hé- 
siterait pas à donner sa vie pour moi. 

RANK, se penchant vers elle. 
Nora, croyez-vous qu'il soit le seul ? . 

NORA, faisant un léger mouvement. 
Comment? 

RANK. 

Le seul qui donnerait volontiers sa vie pour vous ? 

NORA, tristement. 
Mais vraiment ? 

RANK. 

J'ai juré que vous le sauriez avant que je meure. Ja- 



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^kki£. 



ACTE DEUXIÈME 10 1 

mais il ne s*est rencontré circonstance plus favorable. 
Oui, Nora, maintenant vous le savez et c'est autant dire 
que vous pouvez vous confier à moi comme à personne 

NORÂ, se levant tranquillçment, très naturelle. 
Laissez-moi passer. 

RANK, lui livrant passage, mais sans se lever. 
Noral 

NORA, sur la porte d'entrée. 

Hélène, apporte la lampe. (Allant vers la cheminée.) Oh I 
cher docteur I Comme vous avez mal fait 1 

RANK. 

Est-ce un mal de vous avoir aimée aussi profondé- 
ment qu'il se peut. 

NORA. 

Non, mais de me l'avoir dit... C'était assez... 

RANK. 

Que voulez-vous dire ? Que vous le saviez ? 

La femme de chambre apporte la lampe. 
RANK. 

Nora.. Madame... Je vous demande si vous le sa- 
viez... 

NORA. 

Est-ce que je le sais? Je ne puis réellement pas vous 
le dire... Comment avez- vous pu être si maladroit, 
docteur ? Tout allait si bien. 

RANK. 

Enfin maintenant vous avez la certitude que .je suis à 
votre disposition corps et âme, voulez-vous parler? 

NORA, le regardant. 
Après ce que vous venez de me dire i 

RANK. 

Je vous en prie, dites-moi ce que c'est ? 

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102 UxNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

C'est fini, vous ne saurez rien. 

RANK, 

Si, si, ne mè châtiez pas de cette façon. Laissez-moi 
vous aider autant qu'il est possible humainement. 

NORA. 

Maintenant il ne vous est pas loisible de rien faire 
pour moi... D'ailleurs je n'ai besoin de personne. Vous 
le devinez bien ce n'était qu'un caprice, pas autre chose. 
C'est évident. (Elle s assied dans la bal'ancine et le regarde en soariant.) 
Ah I vous êtes tout à fait ce. qu'on appelle un homme 
chic ! N'avez-vous pas honte, raaintepant que la lampe 
est allumée ? 

RANK. 

A dire vrai, non; mais faut-il que je m'en aille... pour 
toujours ? 

NORA. 

Allons doncl Naturellement vous viendrez comme 
avant. Vous savez bien que Torvald ne peut pas se 
passer de vous. 

RANK. 

Oui, mais vous ? 

NORA. 

Moi, tout est si agréable à mes yeux quand vous 
êtes là I ' 

RANK. 

C'est ce qui m'a induit en erreur. Vous êtes une 
énigme. 11* m'a semblé parfois que vous aviez autant de 
plaisir à être avec moi qu'avec Helmer ! 

^ORA. 

Parfaitement... Il y a les gens qu'on aime. Et les gens 
avec qui on se plaît. 

RANK. 

C'est vrai. 



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ACTE DEUXIÈME 103 

NORA. 

Quand j'étais à la maison, j'aimais papa par dessus 
tout- naturellement, mais je n'avais pas de plus grand 
plaibir que de descendre en cachette à Toffice. Les do- 
mestiques ne me grondaient jamais et étaient toujours 
en train de se raconter les histoires les plus divertissan- 
tes... 

RANK. 

Ah parfait!... De sorte que ce sont les servantes que 
je remplace. 

NORA, se levant d'un trait et courant à lui. 

Non, mon Dieu 1 cher docteur, non, ce n'est pas ce 
que j'ai voulu dire. Mais vous pouvez bien comprendre 
que maintenant ce qui m'arrivait avec papa, m'arrive 
avec Torvald. , 



SCENE X 
NORA, RANK, LA FEMME DE CHAMBRE. 

LA FEMME DE CHAMBRE, sortant de ranlichantibre. 

Madame... 

Elle lui parle à l'oreille et lui donne une carte. 

NORA. 
Ah!... 

Elle met la carte dans sa poche. 

RANK. 

Quelque ennui ? 

NORA. 

Non, rien de semblable. C'est... mon nouveau co 
tume. 

RANK. 

Comment ? Mais il est là. 



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104 ^^E MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

Oui, celui-là, mais il y en a un autre. C'est moi qui 
Tai commandé... Torvald n'en doit rien savoir... 

RANK. 

Ahl voilà donc ce grand secret. 

NORA. 

Le voilà t Allez donc vite le trouver. Il est daiis la 
la pièce du fond... Empéchez-le de venir... 

RANK. 

Vous pouvez être tranquille, il ne m'échappera pas. 
Il passe dans le cabinet d'Helmer. 

SCÈNE XI 

NORA, LA FEMME DE CHAMBRE. 

NORA, à la femme de chambre. 
On attend dans la cuisine ? 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Oui, il est monté par l'escalier de service... 

NORA. 

On ne lui a*pas dit qu'il y avait du monde ? 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Oui, mais cela n*a servi de rien. 

NORA. 

Il n'a pas voulu partir ? 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Non, il dit qu'il ne s'en ira que quand il aura parlé à 
Madame. 

NORA. 

Bien, fais-le entrer, mais sans faire de bruit. N'en 



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ACTE DEUXIÈME I05 

parles à personne, Hélène. C'est une surprise pour Mon» 
sieur. 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Oui, oui, je comprends. 

Elle sort. 

SCÈNE XII 

NORA, seule. 
NORA. 

Voici Hnstant terrible... Le voici qui vient... Non, 
non, cela est impossible. Cela ne peut pas arriver. 
La femme de chambre introduit Krogstad et ferme la porte. 

SCÈNE XIII 
NORA, KROGSTAD. 

Krogstad est en costume de voyage avec des bottes fortes et un bonnet 
fourré. 

NORA, s'approchant de fui. 
Parlez bas, mon mari est là. 

KROGSTAD. 

Peu importe! 

NORA. 

Que voulez-vous ? 

KROGSTAD. 

Vous dire quelque chose. 

NORA. 

. Parlez vite, qu'est-ce? 

KROGSTAD, 

Vous savez que j'ai reçu mon congé ? 



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I06 UNE MAISON DE POUPÉE 

• NORA. 

Je n'ai pas pu Tempêcher, monsieur Krogstad J'ai 
plaidé votre cause jusqu'au bout, mais tout a été inutile. 

KROGSTAD. 

Votre mari a-t-il si peu d'affection pour vous ? Il sait 
ce qui peut arriver et malgré cela il ose. 

NORA. 

Pourquoi vous imaginez-vous qu'il le sait. 

KROGSTAD. 

Réellement, je ne Tai jamais ctu. Mon bon Torvald 
'Helmer ne serait pas homme à faire preuve de tant de 
courage. 

NORA. 

Monsieur Krogstad, j'exige que vous respectiez mon 
mari. 

KROGSTAD. 

Bien entendu, je le respecte autant que je le dois, 
mais vous mettez tant de soin à lui cacher cette affaire... 
Je me permets de supposer que vous êtes mieux infor- 
mée qu'hier sur la gravité de ce que vous avez fait. 

NORA. 

Mieux informée que ce que j'aurais pu l'être par vous! 

KROGSTAD. 

En effet, un juriste aussi détestable. 

NORA. 

Que me voulez-vous ? 

KROGSTAD. 

Rien. Uniquement voir comment vous allez, Madame, 
J'ai pensé à vous toute la journée, quoique je ne sois 
qu'un méchant chicaneau, un avocat peu malin, un..*, 
enfin ce que je suis, malgré tout j'ai encore un peu de 
ce qu'on appelle du cœur. 



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ACTE DEUXIÈME IO7 

NORA. 

Prouvez-le I Pensez à mes enfants. 

KRÔGSTAD. 

Votre mari a-t-il pensé aux miens? Mais peu importe, 
je voulais vous dire de ne pas prendre la chose si au tragi- 
que. D'abord je ne déposerai pas de plainte contre vous.. 

NORA. 

Vraiment non. J'en étais certaine. 

KROGSTAD. 

Il vaut bien mieux terminer cette affaire à l'amiable. 
Il est inutile que des tiers s'en mêlent! Cela peut rester 
entre nous trois. 

NORA. 

Mon mari ne doit jamais savoir... 

KROGSTAD. 

Comment pouvez-vous l'empêcher ? Peut-être pouvez- 
vous payer ce qui reste dû ? 

NORA. 

Immédiatement, non. 

KROGSTAD. 

Vous avez peut-être trouvé un moyen de vous procu- 
rer de l'argent ces jours-ci ? 

NORA. 

Non, je n'ai pas trouvé de moyens que je puisse em- 
ployer. 

KROGSTAD. 

D'ailleurs, cela ne vous servirait à rien. Vous m'of- 
fririez n'importe quelle somme que je ne vous rendrais 
pas le reçu. 

NORA. 

Expliquez-moi alors comment vous voulez vous en 
servir. 



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Ï08 UNE MAISON DE POUPÉE 

KROGSTAD. 

Je veux simplement le conserver, l'avoir en ma pos- 
session. Nul étranger ne doit le savoir. De sorte que si 
vous avez pensé à quelque résolution désespérée... 

NORA. 

J'y ai pensé. 

KROGSTAD. 

A tout abandonner et à fuir. 

NORA. 

J'y ai pensé, oui. 

KROGSTAD. 

Ou a quelque chose de pire encore... 

NORA. 

Gomment pouvez-vous savoir? 

KROGSTAD. 

Renoncez à ces idées. 

NORA. 

Mais comment savez-vous que je les ai ? 

KROGSTAD. 

Presque tous, nous les avons d'abord. Je les ai eues 
comme les autres, mais j'avoue que le courage m'a man- 
qué. 

NORA, d'une voix sourde. 

Moi aussi I 

KROGSTAD, tranquillisé. 

N'est-il pas vrai ? Vous aussi le courage vous a man- 
qué ?... 

NORA. 

Oui. 

KROGSTAD. 

Ce serait d'ailleurs une bêtise colossale... Une fois le 
premier orage conjugal passé... j'ai là dans mon porte- 
feuille une lettre pour votre mari... 



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ACTE DEUXIÈME lOQ 

NORA. 

Vous lui dites tout ? 

KROGSTAD. 

Avec les plus grandes atténuations possibles. 

NORA9 d'une voix haletante. 
Il ne faut pas qu'il voie cette lettre. Déchirez-la, je 
trouverai de l'argent. 

KROGSTAD. 

Pardon, madame ; mais je crois vous avoir dit, il y a 
un moment... 

NORA. 

Ohl je ne parle pas de l'argent que je vous dois. Di- 
tes-moi la somme que vous demandez à mon mari et je 
vous la donnerai. 

KROGSTAD. 

Je ne demande pas d'argent à votre mari. 

NORA. 

Alors, que voulez- vous? 

KROGSTAD. 

Je vais vous dire : Je veux réussir, madame, je veux 
faire fortune et votre mari doit m'y aider. Depuis un an 
et demi, je n'ai commis aucun acte indélicat. Pendant 
tout ce temps j'ai lutté avec les plus dures difficultés. 
J'étais satisfait de recommencer à gravir les échelons un 
à un. Maintenant on me congédie. Il ne me suffit pas 
qu'on me réintègre par suite d'une faveur. Je veux en- 
trer à la banque dansdes conditions meilleures qu'avant... 
Il faut que votre mari crée une place pour moi... 

NORA. 

Cela, il ne le fera jamais. 

KROGSTAD. 

Il le fera. Je le connais. Il n'osera pas sourciller, et 
une fois cela obtenu, vous verrez. Avant un an, je serai 

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no UNE MAISON DE POUPÉE ' 

le bras droit du directeur. Ce sera Nils Krogstad et 
non Torvald Helmer qui dirigera la banque. 

NORA. 

Jamais! 

KROGSTAD.. 

Voudriez-vous plutôt ?... 

NÛRA. î 

Maintenant j'ai du courage. 

KROGSTAD. 

Oh I oh ! Vous ne m'effrayez pas. Une dame distinguée, 
délicate comme vous... 

NORA. 

Vous verrez,., vous verrez... 

KROGSTAD. 

Sous la glace peut-être? Dans l'abîme humide, froid et 
sombre? Et au printemps on revient à la surface défigu- 
rée, méconnaissable, sans un cheveu. 

NORA. 

Vous ne me faites pas peur. 

KROGSTAD. 

Et vous non plus. On ne fait pas ces choses-là, madame, 
à quoi bon d'ailleurs ? De toutes façons, le papier est là, 
dans mon portefeuille. 

NORA. 

Quand je n'existerai plus. 

KROGSTAD. 

Oubliez-vous qu'alors votre mémoire sers^ dans mes 

mains? 

Nora perplexe le regarde. 

KROGSTAD. 

Vous voilà avertie I Pas de bêtises! Quand Helmer re- 
cevra ma lettre, j'attends sa réponse, et souvenez-vous 



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ACTB DEUXIÈME 1 1 I 

bien que c^est votre mari qui m*oblige à cette démarche. 
Voilà ce que je ne lui pardonnerai jamais... Adieu, ma- 
dame. 

Il sort. 

SCÈNE XIII 

NORA, seoïc* 

NORA9 entr*ouvrant avec précaution la porte du vestibule, et écoutant. 

Il est parti.. . Il n'enverra pas sa lettre, non, non, c'est 
impossible. (Elle ouvre de nouveau la porte.) Qu'est-ce ? Il s'est 
arrêté, il réfléchit... Va-t-il aller?... 

On entend tomber une lettre dans la boite à lettre. Puis les pas de 
Krogstad doqt le bruit s'éteint peu à peu à mesure qu'il descend 
l'escalier. Nora réprime un cri et court au guéridon. Un moment de 
silence. 

NORA. 

La voici dans la boîte ! (Elle revient en silence à la porte de l'an- 
tichambre.) Ça y estlTorvald, Torvald, nous sommes per- 
dus 1 ' 

SCÈNE XJV 
NORA, MADAME LIN DE. 

MADAME LIN DE, elle entre, portant le costume, par la gauche. 
Je n'ai pu faire mieux ! Veux-tu l'essayer ? 

NORA, bas, d'une voix étouffée. 
Christine, viens ici. 

MADAME LINDE, jetant le vêtement sur le sofa. 
Qu'as- tu? Tu semblés tout à fait bouleversée? 

NORA. 

Viens ici. Vois-tu cette lettre là, à travers l'ouverture 
delà boîte? 



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112 UNE MAISON DE POUPÉE 

MADAME LINDE. 

Oui, je la vois parfaitement. 

NORA. 

C'est une lettre de Krogstad. 

MADAME LINDE. 

Nora... C'est Krogstad qui t'a prêté cet argent ? 

• NORA. 

Oui, et maintenant Torvaîd saura tout. 

MADAME LINDE. 

Crois-moi, Nora, cela vaut mieux pour vous deux. 

NORA. 

C'est que tu ne sais pas tout, j'ai employé une fausse 
signature. 

MADAME'LINDE. 

Grands dieux I Que dis-tu ? 

NORA. 

Maintenant, écoute quelque chose, Christine. Ecoute 
ce que je vais te dire, il faut que tu me serves de témoin . 

MADAME LINDEi 

De témoin de quoi, dis? 

NORA. 

Si je devenais folle... et cela peut bien arriver. 

MADAME LINDE. 

Nora ! 

NORA. 

Ou s'il m'arrivait quelqu'autre chose, et que je ne fusse 
pas là pour... 

MADAME LINDE. 

Nora, Nora, tu perds la tête. 

NORA. 

S'il y avait alors quelqu'un qui voulut endosser la res- 
ponsabilité... tu comprends? 



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ACTE, DEUXIÈME I ï 3 

MADAME LINDE. 

Oui, comment peux-tu croire ? 

NORA. * 

Alors, tu dois déclarer que c'est faux, Christine. Je 
n*ai pas perdu la tête, j'ai le jugement sain, et je te le 
dis, personne ne Ta su. J'ai agi seule, absolument seule, 
souviens-toi bien de cela... 

MADAME LINDÉ. 

Bien ! je m'en souviendrai, mais- je ne comprends pas. 

NORA, 

Ah I comment comprendrais-tu ? Ce qui va arriver est 
un prodige. 

MADAME LINDE. 

Un prodige! 

NORA. 

Oui, un prodige, mais c'est si terrible... Christine, il 
ne faut pas que cela arrive, je ne le veux pas. Il ne le 
faut à aucun prix. 

MADAME LINDE. 

Je vais parler sur-le-champ à Krogstad. 

NORA. 

Ne vas pas le voir; tu serais mal reçue. 

MADAME LINDE. 

Il y eut un temps où il eut fait tout au monde pour 
me plaire. 

NORA. 

Lui? 

MADAME LINDE. 

OÙ habite-t-il? 

NORA. 

Et le. sais-je? (Elle fouille sa poche.) Voici sa carte. Mais 
la lettre, la lettrel 



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114 UNB MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE XV 

» 

NORA, MADAME LINDE, HELMER dans soq cabinet. 

HELMER, de son cabinet, heurtant à la porte de communication. 
Nora. 

NORA, avec un cri d'angoisse. 
Qu'arrive-t-il r* que me. veux-tu? 

HELMER. 

Allons! allons 1 n*aie pas peur. Nous ne pouvons pas 
entrer. Tu as fermé la porte. Sans doute tu essayes ton 
costume? 

NORA. 

Oui, oui, je Tessaye... Que je vais être belle, Torvald I 
MADAME LINDE, après avoir regardé la carte. 

Il habite tout près d'ici, là, au coiri de la rue. 

NORA. 

Oui. Mais à quoi bon? Nous sommes perdus. La lettre 
est dans la boite. 

MADAME LINDE. 

Et c'est ton mari qui a la clef. 

NORA. 

Il Ta toujours. 

MADAME LINDE. 

Krogstad peut réclamer sa lettre avant qu'elle ne soit 
lue. Il peut inventer un prétexte quelconque. 

NORA. 

Mais c'est justement l'heure où Torvald a l'habitude... 

MADAME LINDE. 

En attendant, va le retrouver chez lui. Je reviens aussi 
vite que je le pourrai. 

I£lle s'en va en hâte par la porte du vestibule. 



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ACTE DEUXIÈME Il5 

'SCÈNE XVI 

NORA, puu HELMER, puis RANK. 

Nora s'approche de la porte d'Helmer, l'ouvrs et regarde. 

NORA. 
Torvald. 

HELMER, en dedans. 

Bont on ]>eut enfin entrer... Viens, Rank. Nous allons 
voir. (Il entre.) Mais où en sommes-nous? 

NORA. 

Quoi, cher Torvald? 

HELMER. 

Rank m*a préparé à assister à une grande exhibition 
de costume. 

RANK, qui entre à son tour. 

C'est ce que j'avais compris, mais il parait que je me 
suis trompé. 

NORA. 

Absolument. Avant demain personne ne me verra dans 
tous mes atours. 

HELMER. 

Mais, ma chère Nora, comme tu es pâle I T'es tu fati- 
guée en répétant la tarentelle ? 

NORA. 

Non, je ne l'ai pas même répétée une fois. 

HELMER. 

Alors, il faut que je m'en mcle. 

NORA. 

Oui, Torvald, c'est indispensable. Je ne puis rien faire 
sans toi, j'ai tout oublié! 



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Il6 UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER. 

Bienî nous nous y Vemettrons. 

NORA. 

Oui, n'est-ce pas? Tu vas enfin t*occuper def moi? Tu 
me le promets. Je suis si inquiète... de cette soirée... Pas 
d'affaires, pas de lettres, tu veux bien. 

HELMER. 

Je te le promets. Ce soir je suis entièrement à tadispo- 
sitipn... ma petite alouette... Ah! vraiment, auparavant 
il faut que je voie quelque chose. 

11 se dirige vers la porte da vestibule. 

NORA. 

Que vas-tu faire? ' \ 

HELMER. 

Voir seulement s'il y a des lettres. 

NORA. . 

Non, Torvald, n'y vas pas. 

HELMER. 

Pourquoi? 

NORA. 

Je t'en supplie, Torvald. Il n'y en a pas. 

HELMER. 

Laisse-moi voir. 
11 fait un pas vers la porte, Nora se met au piano et commence à fouer 
"la tarentelle. 

HELMER. 

Ah! 

NORA. 

Je ne pourrai danser demain, si je ne répète pas au* 
jourd'hui avec toi. 

HELMER, s'approchant d'elle. 

Tu as vraiment si grand peur, ma petite Nora. 



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ACTE DEUXIÈME 117 

NORA. 

Ahl oui, une peur terrible ! Nous allons répéter tout 
de suite. Nous avons encore le temps avant de nous met- 
tre à table. Assieds-toi là, mon cher Torvald, et joue. Re- 
prends-moi, donne-moi des conseils comme d'habitude. 

HELMER. 

Puisque tu le désires, allons-y! 
11 s'assied au piano. Nora ouvre un carton, en tire un tambourin et 
un chàle multicolore. Elle se drape en un clin d'œil. D'un bond elle 
se campe au milieu de la piice. 

NORA, criant. 

Allons, joue, je vais danser. 
Helmer joue, Nora danse, Rank demeure immobile à côté d'Helmer, 
la suivant des yeux. 

HELMER y qui joue. 

Plus lentement, plus lentement ! 

NORA. 

Je ne puis pas. 

HELMER. 

Moins vite, moins vite î 

NORA. 

Mais je ne puis pas. 

HELMER. 

Non, non, ce n'est pas ça du tout. 

NORA, en riant, et en agitant le tambourin. 
Que te disais-je ? 

RANK. 

Laissez-moi me mettre au piano. 

HELMER, se leyanl. 

De tout cœur, comme cela je pourrai mieux la guider. 

Rank s'assied au piano et joue. Nora danse d'une façon de plus en 
plus distraite, Helmer, placé près de la cheminée, lui adresse de 

* temps en temps une observation qu'elle paraît ne pas entendre. Ses 
cheveux s'éparpillent sur ses épaules. Elle n'y prend garde et con- 
tinue à danser. 

7- 



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I 1 8 UNE MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE XVII 

NORA, HELMER, RANK, MADAME LINDE, entre. 

MADAME LINDE9 s'arrêtant embarassée. 
Ahl 

NORA. 

Tu me surprends en pleine folie. 

HELMER. V 

Mais, Nora, ma chérie, tu danses comme si ta vie était 
en jeu. 

NORA. 

Elle Test. 

HELMER. 

Arréte-toi, Rank. C'est une faveur, arrête-toi, te dis-je. 
Le piano se tait, et Nora s'arrête soudain. 

HELMER. 

Nora, je ne l'aurais jamais cru, tu as oublié tout ce 
que je t*avais appris. 

NORA, jetant loin d'elle le tambourin. 

Tu le vois. 

HELMER. 

Allons 1 Tu as besoin de beaucoup travailler. 

«k NORA. 

Tu vois si j'en ai besoin. Tu me guideras jusqu'au bout, 
Torvald. 

HELMER. 

Tu peux y compter. 

NORA. 

Aujourd'hui et demain tu ne dois penser qu'à «moi. Tu 
ne dois pas ouvrir de lettres, pas même la boîte aui; 
lettres. 



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ACTE DEUXIÈME IIQ 

HELMER. 

Bon! Encore la terreur de cet homme. 

NORA. 

Eh ben oui, il y a un peu de cela. 

HELMER. \ 

Nora, je le lis sur ta figure. Sûrement il y a là une 
lettre de lui. 

NORA. 

le ne le sais pas. Mais à cette heure il ne faut pas lire 
ces choses-là. Que nulle ombre ne viennent s'interposer 
entre nous avant que ce soit fini. 

RANK, à part à Helmer. 

Il ne faut pas la contrarier. 

HELMER, lui passant le bras autour de la taille. 

Allons, ma petite, on fera ce que tu veux, mais demain 
quand tu auras dansé... 

NORA. 

Tu seras libre. 



SCENE XVIII 

NORA, HELMER, RANK, MADAME LINDE, 
LA FEMME DE CHAMBRE. 

LA FEMME DE CHAMBRE, de la porte à droite. 

Madame est servie. 

NORA. 

Apporte du Champagne, Hélène. 

LA FEMME DE CHAMBRE. 

Oui, madame. 

Elle sort. 



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120 UNE MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE XIX 
NORA, HELMER, RANK, MADAME LINDE. 

» HELMER. 

Ohl là, oh là! Il va y avoir un festin, paraît-il. 

NORA. 

Fête et festin jusqu'à demain. (Elle crie à la femme de chambre.) 
Et quelques pralines, Hélène, ou plutôt beaucoup de 
pralines. Une fois n'est pas coutume. . , 

HELMER, lui prenant les mains. 

Allons! JeVaime ainsi. Il ne faut pas se rendre folle de 
peur. 11 faut redevenir comme toujours une alouette mé- 
lodieuse. 

NORA. 

Oui, Torvald, oui, mais précède-nous. Et vous aussi 
docteur. Toi, Christine tu m'aideras à m'arranger les che- 
veux. 

RANK, à part à Helmer, en se dirigeant vers la porte delà salle à manger. 

Qu'y a-t*il?... Tout cela?... Présage-t-il... quelque chose 
de particulier?... 

HELMER. 

Nullement, amL Ce n'est que cette angoisse puérile 
dont je t'ai parlé. ' 

Ils sortent par la droite. 

SCÈNE XX 
NORA, MADAME LINDE. 

NORA. 

Eh bien ? 



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ACTE DEUXIÈME 121 

MADAME LINDE. 

Il est parti pour ta campagne. 

NORA. 

Je l'ai vu à ta figure. 

MADAME LINDB. 

Il revient demain au soir. Je l^i ai laissé quatre lignes. 

NORA. 

Tu n'aurais pas du le faire. Il ne faut essayer de rien 
empêcher. Au fond, c'est un plaisir d'attendre la terreur. 

MADAME LINDE. 

Qu'attends-tu? 

NORA. 

Ohl tu ne comprendrais pas. Suis-les. Je viens tout de 

suite. 

Madame Linde sort. 

SCÈNE XXI 

NORA, seule, demeure immobile an flioment comme pour se ressaisir. 

V 

NORA. •- 

Cinq heures ! D'ici à minuit sept heures, puis vingt qua- 
tre heures jusqu'à minuit de demain. Alors j'aurais dansé 
la tarentelle. Vingt-quatre heures I J'ai vingt-quatre heu- 
res à vivre. 

SCÈNE XXII 
NORA, HELMER. 

HELMER, à la porte de droite. 
Mais où est l'alouette? 

NORA, bondissant dans ses bras. 
La voici! 

Rideau. 



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ACTE TROISIÈME 

. Même décor. Les meubles, tables, sièges et sofas ont été transportés au 
milieu de la pièce. La porte de Paiitichambre est ouverte. On entend à l'é- 
tage au dessus une musique de danse. 



SCÈNE PREMIÈRE 
MADAME LINDE, 

Madame Linde assise près de la table, feuillette un livre d'an air distrait. 
Elle essaye de lire, mais elle ne paraît pas pouvoir fixer sa pensée. Par 
moment elle regarde vers la porte et écoute attentivement. 

MADAME LINDE, regardant sa montre. 
Il ne vient pas. L'heure est passée cependant. (Elle se 
reprend à écouter.) Ah! c'est lui! 

Elle va à l'anticbambre, et ouvre doucement la porte de l'appartement. 
On entend monter l'escalier. 

SCÈNE II 

MADAME LINDE, KROGSTAD. 

MADAME LINDE, à voix basse. 
Entrez, je suis seule. 

KROGSTAD, à la porte. 

J'ai reçu une lettre <le vous. Qu'est-ce que cela veut 
dire? 

MADAME LINDE. 

J'ai absolument besoin de vous parler. 



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ACTE TROISIÈME 123 

KROGSTAD. 

Oui. Et l'entrevue doit nécessairement avoir lieu ici. 

MADAME LINDE. 

Je ne pouvais vous recevoir chez moi. Je n*ai pas 
d*entrée particulière.... Venez, nous serons seuls. Les 
Helmer sont au bal au second. 

KROGSTAD, entrant. 

Bah! bah! Les Helmer dansent cette nuit! Mais est-ce 
bien vrai? 

MADAME LINDE. 

Qu'y a-t-il d'étonnant? 

KROGSTAD. 

Rien. 

MADAME LINDE. 

Voyons, Krogstad. Nous avons à causer 

KROGSTAD. 

Nous deux? Que pourrions-nous nous dire encore? 

MADAME LINDE. 

Bien des choses. 

KROGSTAD. 

Je ne Tauraisi pas cru. 

MADAME LINDE. 

C'est que vous ne m'avez jamais bien comprise. 

KROGSTAD. 

La chose n'était pas difficile à comprendre. Une femme 
sans cœur éconduit un homme quand un parti plus avan- 
tageux se présente. 

MADAME LINDE. 

Me croyez-vous donc loutrà fait dépourvue de cœur. 
Croyez-vous aussi que la rupture ne m'a rien coûté? 

KROGSTAD. 

Sans doute. 



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124 ^^^ MAISON DB POUPÉE 

MADAME LINDE. 

Avez-vous cru réellement cela, Krogstad? 

KROGSTAD. 

Si ce n'était ainsi, pourquoi m'avez-vous écrit comme 
vous Tavez fait ? 

' MADAME LINDE. 

Je ne pouvais agir autrement. Décidée à rompre, je de- 
vais arracher de votre cœur tout ce qu'il éprouvait pour 
moi. 

KROGSTAD) se frottant les mains. 

Ahl c'est cela. Et tout ça pour 'une question d'argent î 

MADAME LINDE. 

Vous ne devez pas oublier que j'avais alors à soutenir 
une mère et deux petits frères. Nous ne pouvions vous 
attendre. Vous n'aviez alors que des espérances si loin- 
taines. 

KROGSTAD. 

A supposer même qu'il en fut ainsi, vous n'aviez pas le 
droit de me repousser pour un autre. 

MADAME LINDE. , 

^ Je ne sais... Je me le suis demandé bien des fois. 
KROGSTAD, baissant la voir. 
Quand vou« fûtes perdue pour moi, ce fut comme si 
la terre avait manqué sous mes pieds. Regardez-moi, je 
suis un naufragé cramponné à une planche. 

MADAME LINDE. 

Peut-être le salut n'est-il pas loin? 

KROGSTAD. 

Il était là, et vous êtes venu me l'arracher. 

MADAME LINDE. 

Je n'ai été mêlée en rien à ce qui s*est passé.^ Aujour- 
d'hui seulement, j'ai su que celui que j'allais remplacer 
à la banque c'était vous. 



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ACTE TROISIÈME 125 

KRÔGSTAD. 

Je le crois puisque vous me le dites. Mais maintenant 
que vous le savez, n'allez-vous pas refuser cette place ? 

MADAME LINDE. 

Non, cela ne vous servirait à rien. 

KROGSTAD. 

Ah bah l Moi, à votre place, je le feraiade toutes façons 

MADAME LINDE. 

J'ai appris à agir judicieusement. La vie et la dure 
nécessité me l'ont enseigné. 

KROGSTAD. 

Eh bien ! à moi la vie m'a appris à ne pas me fier aux 
paroles. ' 

MADAME LINDE. 

En cela elle vous a dontié ^une sage leçon. Mais aux 
actes vous avez foi sans doute ? ' 

KROGSTAD. 

Que voulez-vous dire? 

MADAME LINDE. 

Vous êtes, dites-vous, un naufragé cramponné à une 
. planche. 

KROGSTAD 

J'ai de bonnes raisons pour parler ainsi. 

MADAME LINDE. 

Moi aussi, je suis un naufragé»cramponné à une plan- 
che. Je n'ai personne à qui consacrer ma vie, personne 
qui ait besoin de moi. 

KROGSTAD. 

Vous l'avez voulu. 

MADAME LINDE. 

Je n'ai pas eu le choix. 



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126 UNE MAISON DE POUPÉE 

KROGSTAD. 

OÙ voulez-vous. en venir? 

MADAME LIN DE. 

Qu'en dites-vous, Krogstad, si ces deux naufragés se 
tendaient la main i 

KROGSTAD. 

Que dites-vous? 

MADAME LINDE. 

Ne vaut-il pas mieux se cramponner ensemble sur la 
même planche? 

KROGSTAD. 

Christine! 

MADAME LINDE. 

Quel est, croyez-vous, le motif qui m'a attiré dans 
cette ville ? 

KROGSTAD. 

Vous auriez pensé à moi I 

MADAME LINDE. 

Il faut que je travaille pour supporter l'existence. 
Tous les joiajs de ma vie, si loin que je reporte mes 
souvenirs, je les ai passés à travailler. C'était ma plus 
gmnde, mon unique joie. Maintenant que je me vois 
seule au monde, je me sens abandonnée. J'éprouve un 
vide horrible. Quand on ne pense qu'à soi, cela détruit 
tout l'attrait du travail. Voyons, Krogstad, trouvez-moi 
pour qui et pour quoi travailler? 

KROGSTAD. 

Je ne vous crois pas ? Ce n*est là qu*orgueil de femme 
qui s'exalte et veut se sacrifier. 

MADAME LINDE. 

M'avez-vous jamais connu exaltée? 

KROGSTAD. 

Seriez-vous vraiment capable de faire ce que vous 
dites ? Connaissez-vous tout mon passé ? 



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ACTE TROISIÈME 127 

MADAME LINDE. 

Oui. 

KROGSTAD. 

Connaissez-vous ma réputation, ce que Ton dit de moi? 

MADAME LINDE. 

Si je vous ai bien compris tout à l'heure, vaus croyez 
que j'aurais pu vous sauver. 

KROGSTAD. 

J'en suis sûr. 

MADAME LINDE. 

Tout n'est-il pas à refaire ? 

KROGSTAD. 

Christine I Avez-vous bien pensé à ce que vous dites? 
Oui, je le vois sur votre visage. De sorte que vous au- 
riez le courage... 

MADAME LINDE. 

J'ai besoin d'un être à qui je serve de mère et vos 
enfants ont besoin d'une mère. Nous aussi, nous éprou- 
vons une inclination l'un vers l'autre. J'ai foi en ce qu'il 
y a au fond de vous, Krogstad. Avec vous, rien ne me 
fera peur. 

KR00S,TAD, lui prenant les mains. 

Merci, Christine, merci I Maintenant il faut que je me 
relève aux yeux du monde et je saurai le faire. .Ah! 
mais j'oubliais... 

MADAME LINDÉ, qui écoute. 

Chut! la tarentelle! Partez, partez, partez tout de 
suite t 

KROGSTAD. 

Pourquoi ? 

MADAME LINDE. 

Vous entendez cette musique ! C'est la fin du bal. Ils 
vont revenir. 



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128 UNE MAISON DE POUPÉE 

KROGSTAD. 

Bien! je m'en vais... D'autant plus que cela est inu« 
tile... Vous ne savez pas, je suppose, ce que j'ai fait 
contre les Helmer? 

MADAME LINDE. 

Vous VOUS trompez, Krogstad, je le sais. . 

KROGSTAD. 

Et vousavez le courage de... ? 

MADAME LINDE/ 

Je sais à quoi le désespoir peut conduire un homme 
tel que vous. 

KROGSTAD. 

Ah ! si je pouvais détruire mon œuvre. 

MADAME LINDE. 

Vous le pouvez, votre lettre est encore là dans la boîte. 

KROGSTAD. ^ 

En etes-vous sûre ? 

MADAME LINDE. 

Je le sais, m)ais... 

KROGSTAD, il la dévisage. 

C'est là l'explication .. Vous vouliez sauver votre amie 
à tout prix ? Vous feriez mieux de me l'avouer franche- 
ment ? C'est bien cela ? 

MADA^lE LINDE. 

Quand on s'est vendue une fois pour sauver quelqu'un, 
on ne recommence pas. 

KROGSTAD. 

Je vais redemander ma lettre. 

MADAME LINDE. 

Pas du toutl 



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ACTE TROISIÈME 129 

KROGSTAD. 

Allons, cela va de soi 1 J'attends l'arrivée de Helmer 
et je lui dis que je veux reprendre ma lettre, qu'il ne 
s'agit là dedans que de ma révocation et qu'il est inutile 
qu'il la lise. 

MADAME LINDE. 

Non, Krogstad. Il ne faut pas que vous redemandiez 
votre lettre. 

KROGSTAD. 

Cependant, n'est-ce vraiment pas pour cela que vous 
m'avez fait venir ici? 

MADAME LINDE. 

Au premier moment d'alarme, oui. Mais il s'est écoulé 
vingt-quatre heures et pendant ce temps j*ai vu se pas- 
ser ici des choses incroyables. Il faut qu'Helmer sache 
tout. Ce mystère fatal doit se dissiper. Il faut qu'ils 
s'expliquent. Assez de mystères et de faux-fuyants. 

KROGSTAD. 

Bien! si vous en prenez la responsabilité... Mais il y 
a une chose que je puis faire en tout cas et qu'il faut 
que je fasse tout de suite. 

MADAME LINDE écoute. 

Dépêchez- VOUS... Partez, le bal est fini... Nous ne som- 
mes plus en sûreté. 

KROGSTAD. 

Je vous attends en bas. 

MADAME LINDE. 

Bien I Vous m'accompagnerez jusqu'à ma porte. 

KROGSTAD. 

Jamais je n'ai été aussi heureux. 
Il sort par l'antichambre dont la porte demeurera ouverte jusqu'à la fin. 



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l30 UNE MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE III 

MADAME LINDE, seulcpuU NORA et HELMER. 

Madame Linde met un peu d'ordre dans la pièce et prépare son manteau et 
son ehapeay. 

MADAME LINDE. 

Quel avenir ! Quelles nouvelles perspectives I J'ai quel- 
qu'un pour qui travailler. Je vivrai pour quelqu'un, j'au- 
rai un foyer à entretenir. Ah ! je vais m'y mettre. (Elle 
écoute.) Les voici ! Vite mon manteau I 

Elle prend son chapeau et son manteau. On entend la voix de Helmer 
et de Nora. Cette dernière entre amenée presque de force par son 
mari. Nora en costume italien est drapée dans un chàle. Helmer 
porte le frac et le domino. 

NORA) à la porte faisant résistance. 

Non, non, je ne veux pas rentrer Je vais remonter. 
Je ne veux pas rentrer si tôt. 

HELMER. 

Voyons, ma Nora chérie. 

NORA. 

Ah ! de grâce, Torvald ! Je t'en supplie rien qu'une 
heure. 

HELMER. 

Pas une minute, ma petite Nora. Tu sais ce qui est 
convenu. Allons, entre, tu prends froid,dans ce vestibule. 
11 l'oblige à entrer malgré sa résistance. 

MADAME LINDE. 

Bonsoir.. 

NORA. 

Christine. 

HELMER. 

Quoi ! c'est madame Linde ! Vous ici si tard I 



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ACTE TROISIÈME l3l 

MADAME LINDE. 

Excusçz-moï, /'avais tant envie de voir Nora habillée. 

NORA. 

Tu m*as^ attendue ici tout le temps. 

MADAME LINDE. 

Oui, malheureusement je suis arrivée trop tard. Tu 
étais déjà montée et je n'ai pas voul^ m'en aller sans te 
voir. 

HELMER, enlevant le châle de Nora. 

Alors, fegardez-la bien. Il me semble qu'elle en vaut 
la peine. Est-elle jolie, n'est-il pas vrai, madame Linde ? 

MADAME LINDE. 

Vraiment jolie. 

HELMER. 

Merveilleusement. N'est-il pas vrai? C'était aussi l'o- 
pinion de tout le monde là-haut. Mais ique ce cher petit 
être est têtu. Vous ne pourriez pas croire qu'il m'a fallu 
presque employer la force pour l'emmener du bal. 

NORA. 

Ah ! Torvald. Tu regretteras de nem'avoir pas accordé 
une heure de plus. 

HELMER. 

Figurez- vous, madame, elle danse la tarentelle. Elle a 
un succès fou et bien mérité, quoique peut-être elle y 
ait mis trop de naturel, je veux dire un peu plus que 
ne le voulait strictement les exigences de l'art. Mais 
enfin le principal, c'est qu'elle a eu du succès, un suc- 
cès colossal. Devais-je la laisser là-haut ensuite. C'était 
diminuer l'effet. C'est à cela que je pensais. J'ai pris par 
le bras ma belle fille de Capri, ma fillette capricieuse, 
pourrais-je dire. Vite un tour de salon, salut à droite 
et à gauche et comme dans les romans la belle appari- 
tion disparut. Dans les dénouements, il faut toujours 



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l32 UNB MAISON DE POUPÉE 

ménager l'effet, madame, et c'est ce que je ne^puis faire 
entendre à Nora. Ouf! quelle chaleur il fait ici! (H jette un 
domino tur ane chaise et ouvre ia porte de sa chambre.) Comment. Il 
n'y a pas de lumière. Ah t c'est vrai, vous excusez? 
11 entre dans la pièce voisine et allume deux bougies. 



SCENE IV 
NORA, MADAME LINDE. 

NORA, très bas. 
Qu'ya-t-il? 

MADAME LINDE. 

Je lui ai parlé. 

NORA. 

Et? 

MADAME LINDE. 

Nora, il faut tout dire à ton mari, 

NORA, d'une voix défaillante. 

Je le savais. 

MADAME LINDE. 

Tu n'as rien à craindre de Krogstad, mais il faut que 
tu parles. 

NORA. 

Je parlerai. 

MADAME LINDE. 

La lettre parlera pour toi. 

NORA. 

Merci, Christine. Je sais maintenant ce que j'ai à faire... 
Chut! 



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ACTE TROISIÈME I 3"^ 

SCÈNE V 
NORA, MADAME LINDE, HELMER. 

HELMER, entrant. 

Eh bien ! L'avezvous bien admirée, madame. 

MADAME LINDE. 

Oui, et maintenant je vais prendre congé de vous. 

HELMER. 

Déjà... Ce petit ouvrage est-il à vous ? 

MADAME LINDE, prenant un bout de tricot que lui tend Heimer. 

Merci, j'allais l'oublier. 

HELMER. 

Vous tricotez donc. 

MADAME LINDE. 

Mais oui. 

HELMER 

Vous devriez plutôt broder. 

MADAME LINDE. 

Et pourquoi? 

HELMER. 

C'est plus joli. Voyez-vous, on tient la broderie de la 
main gauche... comme ceci, et l'on lève l'aiguille de la 
main droite comme cela. Vous voyez cette courbe qui se 
creuse prolongée et légère, n*est-il pas vrai ? 

MADAME LINDE. 

C'est bien possible I 

HELMER. 

Tandis que tricoter, cela n'est jamais que laid. Voyez, 
les bras collés au corps, les aiguilles qui vont de bas en 
haut, et de haut en bas. Cela semble une besogne chî- 

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l34 UNE MAISON DE POUPÉE 

noise... Ah ! quel excitant Champagne on^nous-a~&£tyi t 

MADAME LINDE. 

Bonne nuit, Nora, et ne sois plus têtue.' 

HELMER. 

Excellent conseil, madame. 

MADAME LINDE. 

Bonsoir, monsieur le directeur. 

HELMER) qui l'accompagne jusqu'à la porte. 
Bonne nuit! bonne nuit l'Vous savez le chemin, je sup- 
pose. Je vous aurais accompagnée bien volontiers, mais 
c'est si près. Bonne nuit! Bonne nuit! 

Madame Linde son. 



SCENE VI 
NORA, HELMER. 

Helmer ferme la porte et revient au premier plan.. 
HELMER. 

Grâce au ciel, la voilà partie. Cette femme est réelle- 
ment assommante I 

NORA. 

N'es-tu pas trop fatigué? 

HELMER. 

Non, je n*ai pas Tombre de fatigue 

NORA. 

Tu n'as pas sommeil non plus? 

HELMER. 

Non plus. Tout au contraire je me sens très émous- 
tillé, mais toi, on dirait que tu es épuisée et que tu tom- 
bes de sommeil. 



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ACTE TROISIÈME l35 

NORA. 

Oui, je suis très fatigu^ée. Je suis même certaine que 
je m'endormirai tout de suite. 

HELMER. 

Tu vois comme j'avais raison de ne pas vouloir que 
nous restions plus longtemps. 

NORA. 

Tu as toujours raison dans tout ce que tu fais. 
HELMER) qui l'embrasse sur le front. 

Allons, Talouette commence à parler comme un livre, 
mais dis-moi si tu as remarqué comme Rank était gai 
ce soir. 

NORA. , 

Ah I je n'ai pas eu l'occasion de lui parler. 

HELMER. 

Moi aussi, je n'ai presque pas causé avec lui, mais 
voici longtemps que je ne l'avais vu de si bonne humeur. 
(11 la regarde un instant et s'approche d'elle.) Mais qu'il est bo^ de 
se retrouver dans sa maison, d'être seul avec toi ! Oh î 
la jolie femme, Tenchanteresse que tu es. 

NORA. 

Ne me regarde pas ainsi, Torvald. 

HELMER. 

Et comment ne regarderai-je pas mon cher trésor, 
cette splendeur qui m'appartient, rien qu'à moi, entiè- 
rement à moi ! 

NORA) allant se placer de l'autre côté de la table. 
Ne me parle^ pas ainsi ce soir. 

HELMER, la suivant. 
Tu as encore de la tarentelle dans le sang, vois tu, et 
tu en es encore plus séduisante. Ecoute, voici les invités 
qui s'en vont! (Baissant la voix.) Nora, tout à l'heure la 
maison sera ensevelie dans le silence. 



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l36 UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

Oui, je l'espère bien. 

HELMER. 

Vraiment, ma Nora adorée. Oh î quand nous sommés 
dans le monde comme! ce soir, sais -tu pourquoi je te 
parle si peu, pourquoi je demeure loin de toi me con- 
tentant de te lancer quelques doups d'œil à la dérobée, 
sais-tu pourquoi, c'est parce que j'aime me figurer que 
tu es mon amour secret, ma jeune, ma mystérieuse fian- 
cée et que tout le monde ignore nos liens. 

NORA. 

Oui, oui, oui, je sais que toutes tes pensées sont pour 
moi. 

HELMER. 

Et quand nous sortons, que je pose le châle sur tes 
épaules délicates et jeunes, quand je cache cette nuque 
merveilleuse, il me semble que tu es ma jeune épousée, 
que nous revenons de la noce, que je t'emmène pour la 
première fois à là maison et que nous allons enfin être 
seuls. . Je vais être seul avec toi, avec ma tendre beauté 
tremblante. Toute cette soirée je n*ai fait que soupirer 
après toi. Quand je t'ai vu feindre une poursuite, quand 
j'ai vu tes mouvements provocants en dansant la taren- 
telle, mon sang a commencé à bouillir, je n'ai pu résis- 
ter et voilà pourquoi je t'ai enlevée si vite. 

NORA. 

Va-t'en, Torvald. Laisse-moi, cela ne me dit rien. 

HELMER. 

Qu'as tu ? Tu té moques de moi, petite Nora ? Tu ne 
veux pas, dis-tu? Ne suis-jepas ton mari? 

On sonne à la porte du dehors. 

NORA, tressaillant. 
Tu as entendu? 

HELMER, passant dans l'antichambre. 
Qui est là? 



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ACTE TROISIÈME l'i^ 

I 

SCÈNE VII 

NORA, HELMER, lb DOCTEUR RANK. 

RÂNK, du vestibule. 
C'est moi. Puis-je entrer un instant? 

HELMER> de mauvaise humeur. 
Qu'est-ce qu'il lui prend à celui-là maintenant? (Haut.) 
Attends un peu. (Il va ouvrir.) plions ! c'est gentil à toi de 
ne pas passer devant notre porte sans frapper 

RANK. 

Il m'a semblé entendre ta voix et j'ai voulu entrer un 
instant. (Il embrasse d'un regard toute la pièce autour de lui.) Voici 
ce cher foyer de famille ! Vous jouissez dans votre mai- 
son de la paix et du bien-être ! Que vous êtes heureux ! 

HELMER. 

Mais toi aussi, là-haut, tu paraissais tout à fait content. 

RANK. 

Je m'amusais beaucoup. Et pourquoi pas? Pourquoi 
ne pas jouir de tout ici bas, du moins tant et aussi 
longtemps qu'on le peut... Le vin était exquis. 

HELMER. 

Surtout le Champagne. 

RANK. 

Toi aussi tu t*en es aperçu. C'est incroyable ce que 
j'en ai sablé. 

NORA. 

Torvald a aussi beaucoup bu de Champagne ce soir. 

RANK. 

Vraiment ? 

NORA. 

Oui^ et cela le rend toujours si drôle. 



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l38 UNE MAISON DE POUPÉE 

RANK. 

Eh bien! sapristi, pourquoi ne passerait-on pas une 
bonne nuit après une journée bien employée. 

HELMER. 

Bien employée? Aujourd'hui je ne puis m'en vanter! 

RANK, lui frappant sur l'épaule. 
Oh ! moi si, je Taffirme. 

NORA. 

Docteur Rank vous avez dû étudier aujourd'hui quel- 
que cas intéressant. 

RANK. 

Très intéressant. 

HELMER. 

Vois-tu bien Nora, ma petite Nora qui parle science. 

NORA. 

Et peut-on vous féliciter du résultat ? 

RANK. 

Certes, oui, 

NORA. 

C'est une victoire? 

RANK. 

Le meilleure, pour le médecin, comme pour le ma- 
lade! La certitude. 

NORA, vivement dirigeant sur lui un regard investigateur. 
La certitude? 

RANK. 

Une certitude complète. Après cela n'avais-je pas le 
droit de passer une soirée gaie ? 

NORA. 

Sans doute, docteur ! 

HELMER. 

C'est aussi mon avis pourvu que tu ne la payes pas de- 
main. 



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ACTE TROISIÈME I 39 

RANK. 

Tout se paie dans la vie. 

NORA. 

Docteur, vous devez aimer beaucoup les mascarades. 

RANK. 

Oui, quand on y voit beaucoup de costumes grotes- 
ques. 

NORA. 

Dites donc, quel costume mettrons-nous, vous et moi," 
la prochaîne fois ? 

HELMER. 

La petite folle ! Elle pense déjà à son prochain bal. 

RANK. 

Vous et moi ! Ecoutez, vous serez en mascotte. 

HELMER. 

Bien, mais trouve-moi un joli costume de mascotte. 

RANK. 

Que ta femme soit comme nous la voyons tous les 
jours ! 

HELMER. 

Bien dit I Et toi, as-tu songé à ton déguisement? 

RANK. 

Cela, mon ami, c'est déjà décidé. 

HELMER. 

Voyons. 

RANK. 

•Au premier bal masqué je serai en invisible. 

HELMER. 

La bonne plaisanterie ! 

RANK. 

Il y a un grand chapeau. Tu as entendu parler de ce 



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140 UN? MAISON DE POUPÉE 

grand chapeau qui rend invisible qui le porte. On se le 
met sur la tête et personne ne vous voit. 

HELMER> réprimant un sourire. 

Bien, bien, tu as raisoil. 

RANK. 

Mais j'oubliais tout à fait le but de ma visite. Helmer, 
donne-moi un de tes cigares, un de tes havanes foncés. 

HELMER. 

Très volontiers. 

Il lui tend la boite de cigares. 

IIANK9 il prend un cigare et en Cuupe la pointe. 

Merci. 

NORA, frottant une allumette. 

Permettez-moi de vous donner du feu. 

RANK. 
Merci. (Nora approche l'allumette et allume le cigare.) Et main- 
tenant adieu. 

HELMER. 

Adieu, adieu, cher ami. 

NORA. 

Dormez bien, docteur Rank. 

RANK. 

Merci de votre bon souhait! 

NORA. 

Vous ne m'en souhaitez pas autant. 

RANK. 

A vous! oh! Si vous le de'sirez!.. Dormez bien, vous 
aussi, et merci pour la lumière que vous m'avez fourâie. 
il le< salue d'un geste de tête et sort. 



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ACTE TROISIÈME 14! 

SCÈNE IX 

NORA, HELMER. 

HELMER, contenant sa voix « 
Il avait bu son comptant. 

NORA^ distraite. 
Peut-être bien. 

Heltner tire ses clefs de sa poche et passe dans Tantichambre. 

. SCÈNE X 

NORA, HELMER, à la cantonade. 
NORA. 

Que vas-tu faire, Torvald? 

HELMER. 

Vider la boîte aux lettres. Elle est pleine et il n'y au- 
rait pas de place pour les journaux demain matin. 

NORA. 

Tu vas travailler cette nuit? 

HELMER. 

Tu sais bien que non. Qu'est-ce ? On a touché la ser- 
rure. 

NORA. 

A la serrure. 

HELMER. 

Il n'y a pas de doute. Qu'est-ce que cela veut direi*..^ 
Je ne puis croire que les servantes... Voici un morceau 
d'épingle à cheveux! Nora, c'est une des tiennes. 

NORA^ vivement. 

Ce sont peut-être les enfants. 



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f42 UNB MAISON DB POUPÉE 

HELMER. 

Il faut que tu leur fasses passer cette habitude, hum, 
hum... Allons! Elle s'est ouverte quand même! (il retire 
le contenu de la boite et appelle.) Hélène, Hélène, éteignez la lu- 
mière de l'antichambre. 

11 entre et ferme la porte de l'antichambre. 



SCÈNE XI 
NORA, HELMER. 

HELMER, les lettres à la maiin. 
Vois comme il y en a! (il regarde les adresses.) Qu'èst 
cela? 

NORA, à la fenêtre. 

Cette lettre... Non, non, Torvald. 

HELMER. 

Deux cartes de visite de Rank. 

NORA. 

Du docteur? 

HELMER. 

Rank, docteur en médecine. Elles sont pardessus les 
lettres; il les a jetées dans la boîte en sortant. 

NORA. 

Y a-t-il quelque chose d'écrit ? 

HELMER, qui les regarde. 

Il y a une grande croix au-dessus du nom, vois? 
Quelle vilaine plaisanterie! On dirait qu'il fait part de 
sa propre mort. 

NORA. 

C'est ce qu'il fait en réalité ! 

HELMER. ' 

Quoi!... Que sais-tu? T'a-t-il dit quelque chose? 



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ACTE TROISIÈME I4I 

NORA, 

Oui, îçs cartes signifient qu'il à à jamais pris cong^ 
de nous. Il veut s'enfermer pour mourir, 

HELMER. 

Mon pauvre ami, je savais que je ne le conserverai 
pas longtemps, mais si vitel Et il va se cacher comme 
un animal blessé. 

NORA. 

Si cela doit arriver, mieux vaut que ce soit sans un 
mot, n'est-ce pas Torvald? 

HELMER, se promenant. 

Il était devenu dé la famille. Je ne puis me faire à ri- 
dée de le perdre. Ses souffrances, son caractère ren- 
fermé faisait comme un fond sombre au tableau enso- 
leillé de notre bonheur... Enfin, peut-être cela vaut-il 
mieux au moins pour lui. (lUarrète.) Et peut-être aussi 
pour nous, Nora. Maintenant nous voici exclusivement 
voués l'un à l'autre. (11 la prend dans ses bras.) Ah ! ma petite 
femme adorée, jamais je ne te serrerai assez étroite- 
ment. Vois-tu, Nora, bien des fois j'ai voulu te voir me- 
nacée de quelque danger pour pouvoir exposer ma vie, 
donner mon sang, tout risquer, tout pour te protéger... 

NORA, s'arrachant de ses bras, d'une voix ferme et résolue. 

Maintenant lis les lettres, Torvald. 

HELMER. 

Non, non, pas ce [soir. Je veux demeurer avec toi, 
avec ma petite femme idolâtrée. 

NORA. 

Avec cette idée de la mort de ton ami... 

/ 

HELMER. 

Tu as raison. Gela nous a affecté tous jles deux. Une 
chose qui répugne s'est mise entre nous, l'idée de la 
mort et de la dissolution. Il faut lutter pour nous en aï* 



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' ^ 



144 UNE MAISON DE POUPÉE 

franchir, jusque-là... nous resterons chacun dans notre 
chambre. ^ 

NORA, se jetant à ^on coo. 
Bonne nuit, Torvald, bonne nuit. 

HELMER, la baisant sur son front. 
Bonne nuit, mon oiseau chanteur, dors en paix. Je vais 
parcourir les lettres. 

11 passe dans sa chambre emportant les lettres et ferme la porte. 



SCÈNE XII 

NORA seule. 

Nora tâtonne autour d'elle les yeux égarés, elle prend le domino d'Helmer 
ei s'en couvre. 

NORA, d'une voix brève, pleine de râles et secouée de sanglots. 
Ne plus le revoir^ jamais î jamais! et les enfants!., ne 
les revoir jamais eux non plus! Oh! cette eau glacée, 
noire... Cet abîme sans fond! Ah! si du moins c'était 
déjà fait!... Maintenant il la prend... il la lit... Non non, 
pas encore! Adieu, Torvald... adieu, mes enfants. 

Elle se précipite vers la porte. Au même instant Helmer ouvre brus- 
quement la porte [de sa chambre et entre une lettre pliée à la main . 



SCENE XIII 
NORA, HELMER. 

HELMER. 
NORA, jetant un cri pénétrant. 



Nora! 
Ah! 

HELMER. 

Que veut dire ceci?... Sais-tu ce que signifie cette lettre ? 



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ACTE TROISIÈME 14$ 

NORA. 

Oui, je le sais. Laisse-moi sortir, laisse-moi sortir. 

HELMER, la retenant. 
Où vas-tu? 

NORA, esssayant de le repousser. 
Tu ne dois pas me sauver, Torvald. 

HELMER, reculant. 

Aloçs c'est vrai. Cette lettre dit vrai. C'est horrible. 
Non, non, non, c'est impossible... Cela ne peut pas être. 

NORA. 

C'est vrai. Je t'ai aimé plus que tout au monde.^ 

HELMER. 

Eh! Laissons-là les enfantillages. 

NORA, faisant un pas en arrière. 
Torvald! 

HELMER. 

' Malheureuse. Qu'as*tu eu le courage de faire? 

NORA. 

Laisse-moi aller, tu ne porteras pas le poids de ma 
faute, tu ne répondras pas pour moi. 

HELMER. 
As^ez de comédies I (il ferme la porte de l'fntichambre.) Tu 
vas rester là et me rendre compte de tes actes. Com- 
prends-tu ce que tu as fait, dis, le comprends-tu. 

NORA^ le regarde avec une expression croissante de rigidité et dit d'une 
voix atone. 

Oui, maintenant je commence à comprendre le fond 
des choses. 

HELMER, se promenant avec agitation. 
Oh I terrible réveil. Pendant huit ans, elle fut ma 
joie et mon orgueil, une hypocrite, une trompeuse... 

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146 UNE MAISON DE POUPÉE 

encore pire une criminelle! Quel abîme de laideur, 
quelle horreur! 

Nora muette le suit d'un regard fixe. 

HELMER, s'arrètant devant elle. 

J'aurais dû pressentir qu'il arriverait quelque chose de 
ce genre. J'aurais dû le prévoir avec la légèreté de prin- 
cipes de ton père... Et tu as hérité de ces principes... 
pas de religion^ pas de morale, pas de sentiment du de- 
voir... Oh! je suis bien puni d'avoir jeté un voile sur 
ta conduite. Je l'ai fait pour toi et voilà comment tu me 
récompenses. 

NOkA. 

Oui, voilà,' 

HELMER. 

Tu viens de détruire mon bonheur, de briser tout 
mon avenir. Je n'y puis penser sans frémir. Me voici 
dans les mains d'un homme sans scrupules, il peut faire 
de moi ce qui lui plaît, me demander ce qu'il veut, com- 
mander, ordonner à sa guise, sans que j'ose même souf- 
fler mot. Ainsi je puis me voir réduit à l'impuissance, 
coulé à pic par la légèreté d'une femme. 

NORA. 

Quand je ne serai plus de ce monde, tu seras libre. 

HELAJER. 

Ah ! Laisse-là les mots creux. Ton père en avait aussi 
toute une provision. A quoi m'avancerait que tu aban- 
donnes ce monde, comme tu dis? A rien. Malgré cela la 
chose pourrait transpirer, et ,peut-être serais-je soup- 
çonné d'avoir été ton complice, le complice de ton acte 
criminel! On pourrait croire que j'ai été son instigateur, 
celui qui t'a poussée à le commettre. Et c'est à toi que 
je dois cela, à toi que j'ai portée dans mes bras à travers 
toute notre vie conjugale. Comprends-tu maintenant ce 
que tu as fait ? 



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ACTE TROISIÈME I47 

NORA) calme et froide. 
Oui. 

HELMER. 

Tout cela est si incroyable que je n'en reviees pas. 
Mais il faut prendre un parti.. Enlève ce domhio, en- 
lève, te dis-je,.. Il faut que je le contente d'une façon ou 
d'une autre. Il faut étouffer la chose à tout prix. Pour 
nous, que ce soit comme si rien n'était changé, bien en- 
tendu je ne parle que des apparences. En conséquence, 
tu continueras à vivre ici, cela va sans dire, mais il te 
sera interdit d'élever tes enfants. Je n'ose pas te les con- 
fier. Ah ! être obligé de parler ainsi à celle que j*ai tant 
aimée et qui encOre... Enfin c'est du passé, c'est sans 
remède ; à l'avenir il ne faut plus penser au bonheur, mais 
uniquement à sauver des débris, des ruines,, des appa- 
rences... 

On sonne à la porte au dehors. 

HELMER, tressaillant. 
Qu'est-ce?... Si tard.... Malédiction! Serait-ce déjà?... 
Cet homme aurait-il?... Cache-toi, Nora... Dis que tu 
es malade. 

Nora ne bouge pas, Helmer va ouvrir la porte. 



SCENE XV 
NORA, HELMER, LA FEMME t)E CHAMBRE. 

LA FEMME DE CHAMBRE, à demi vêtue, sur la porte de l'antichambre. 
Une lettre pour Madame. 

HELMER. 

Donnez-la moi. 

Il prend la lettre et ferme la porter 



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148 UNB MAISON DE POUPÉE 

SCÈNE XVI 
NORA, HELMER. 

HELMER. 

C'est de lui. Mais tu ne l'auras pas, je la lirai moi- 
même. 

NORA. 

Lis. 

HELMER, s'approchant de la table. 
Je n'en ai pas le courage. Peut-être sommes-nous 
pris l'un et l'autre... Non, il faut que je le sache. 

Il ouvre rapidement la lettre, parcourt quelques lignes, examine un pa- 
pier qui y est joint et pousse un cri de joie. Nora l'interroge du regard. 

HELMER. 

Nora!... Non, je relis... Oui, c'est cela, je suis sauvé... 
Nora, je suis sauvé. 

NORA. 

Et moi? 

HELMER. 

Toi aussi naturellement. Nous sommes sauvés tous les 
deux. Vois, il te rend le reçu. Il dit qu'il regrette, qu'il 
se repent. Un heureux événement qui a changé son exis- 
tence... Oh ! ce qu'il écrit n'a pas d'importance. Nous» 
sommes sauvés, Nora î Maintenant personne ne peut te 
nuire... Ah! Nora, Nora. Non, détruirons d'abord ces 
abominations... Laisse-moi voir... (il jette un regard sur le reçu.) 
Non, non, je ne veux rien voir. Je me figurerai que j'ai 
eu un cauchemar et qu'il est passé, (il déchire les deux lettres 
et le reçu, les jette dans la cheminée et en regarde brûler les fragments.) 
Voilà ! tout a disparu... Il t'écrivait que depuis la veille 
de Noël tu... Oh! quelle épreuve ont dû être pour toi 
ces trois jours, Noral 



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I 



ACTE TROISIÈME 149 

NORA. 

Durant ces trois jours j*ai soutenu une lutte violente. 

HELMER. 

Et tu t'es désespérée. Tu ne voyais pas d'autre issue 
que... Non, non, nous ne conserverons aucun souvenir 
de tous ces ennuis. Allons célébrer notre délivrance en 
répétant sans cesse : « C'est passé! c'est passé! » Mais 
écoute-moi, Nora, il semble que tu ne comprends pas. 
C'est passé I Allons, que signifie ce sérieux ? Oh ! ma pau- 
vre petite Nora, j'y suiçî Tu ne peux .croire que je te 
pardonnes, mais crois-le, Nora, je te le jure, tout est 
pardonné. Je sais bien que tout ce que tu as fait tu Tas 
fait pour amour de moi. 

NORA. 

C'est vrai. 

HELMER. 

Tu m'as aimé comme une femme doit aimer son mari. 
Seulement tu te trompais dans l*emploi des moyens. 
Mais crois-tu que je t'aime moins parce que tu n'es pas 
capable de te guider toi-même. Non, non, repose-toi sur 
moi. Ni aide, ni direction ne te manqueront. Je ne serais 
pas homme si ton incapacité ne te rendait doublement 
séduisante à mes yeux. Oublie les paroles dures que je 
t'ai dites dans les premiers moments de terreur quand je 
croyais que tout allait crouler sur moi. Je t'ai pardonné, 
Nora. Je te jure que je t'ai pardonné. 

NORA. 

Merci de ton pardon. 

Elle sort par la porte de droite. 

HELMER. 

Non, reste ici... (il la suit des yeux.) Pourquoi vas-tu dans 
l'alcove? 

NORA, de sa chambre. 
Pour enlever ce déguisement. 



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l50 UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER, près de la porte qui est restée ouverte. 

Bien^ repose-toi, tache de calmer ton esprit. Petit oi- 
seau effarouché, repose en paix. J'ai des ailes assez lar- 
ges pour t'abriter. (il mar:he sans s'éloigner de la porte.) Ohl 
quel foyer paisible et enchanteur que le notre, Noral 
Tu es ici en sûreté. Je te garderai comme si tu étais une 
colombe recueillie par moi, après que je l*ai tirée saine 
et sauve des serres du vautour. Je saurai calmer ^ton 
pauvre cœur palpitant. J'y réussirai peu à peu. Crois- 
moi, Nora, demain tu verras tout avec d'autres yeux. 
Tout continuera comme auparavant. Je n*aurai pas be- 
soin de te dire à tout instant que je t'ai pardonné, parce 
que toi-même tu le comprendras sans aucun doute. 
Gomment peux-tu croire, que je veuille te repousser, ni 
te faire aucun reproche ? Ah I tu ne sais pas ce que c'est 
qu'un vrai cœur d'homme ! Il est si doux, si agréable 
pour la conscience d*un homme de pardonner sincère- 
ment du fond du cœur. Ce n'est pas seulement sa femme 
qu'il voit dans l'être pardonné, c'est aussi sa fille. Ainsi 
tu me paraîtras dans Tavenir, petit être effaré, sans bous- 
sole. Ne te préoccupe^de rien, Nora. Sois franche avec 
moi, pas davantage, et je serai à la fois ta volonté et ta 
conscience... Tu te tais... Tu ne t*es pas couchée... tu 
t'es rhabillée? 

NORA, avec ces vêtements de la journée. 
Oui, Torvald, je me suis rhabillée. 

HELMER. 

A cette heure pourquoi ? 

NORA. 

Je ne dormirai pas cette nuit. 

HELMER. 

Mais, ma chère Nora... 

NORA, regardant sa montre. 
Il n'est pas tard encore. Assieds-toi, Torvald, il faut 
que nous causions. 



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ACTE TROISIÈME I 5 I 

HELMER. 

Nora, que veut dire cet air grave? 

NORA. 

Assieds-toi, la conversation sera longue. Nous avons 
beaucoup à causer. 

Helmer 6'assied en face d'elle. 

HELMER. 

Tu m'inquiètes, Nora, je ne te comprends pas. 

NORA. 

Tu dis bien, tu ne me comprends pas, et moi non 
plus, je ne t'ai pas compris jusqu'à cette nuit. Ne m'in- 
terromps pas, écoute ce que je te dis. Il s'agit de régler 
nos comptes. 

HELMER. 

Dans quel sens? 

NORA, après un silence. 

Nous voici l'un en face de l'autre. Quelque chose 
n'éveille-t-il pas ton attention ? 

HELMER. 

Que veux-tu dire ? 

NORA. 

Voilà huit ans que nous sommes mariés. Réfléchis un 
moment. N'est-ce pas la première fois que nous deux, 
mari et femme, nous causons sérieusement? 

HELMER. 

Sérieusement, oui... mais quoi?^ 

NORA. 

Huit ans ont passé et plus encore depuis que nous 
nous connaissons. Et jamais il ne s'est échangé entre 
nous un mot sérieux sur un sujet grave. 

HELMER. 

Pourquoi t'aurais-je fait part de mes préoccupations, 
quand je savais que tu ne pouvais me les enlever. 



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I$2 UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

Je ne parle pas de préoccupations. Ce que je veux dire 
c'est que jamais en rien nous n'avons regardé ensemble 
le fond des choses. 

HELMER. 

Mais voyons, ma chère Nora, est-ce là une occupa- 
tion pour toi. 

NORA. 

Voilà bien le fait, tu ne m'as jamais comprise. Vous 
avez toujours été très injustes envers moi, papa d'abord 
et toi ensuite. 

HELMER. 

Quoi ! tous les deux ! Mais il n'y a personne qui t'ait 
aimée autant que nous. 

NORAy secouant la tète. 

Jamais vous ne m'avez aimée. Il vous a paru agréable 
d'être en admiration devant moi ni plus ni moins. 

HELMER. 

Voyons, Nora, que veut dire ce langage? 

NORA. 

Je te le dis, Torvald. Quand j'étais avec papa, il m'ex- 
posait ses idées et je les suivais. Si j'en avais d'autres 
qui me fussent personnelles, je les cachais, parce que 
cela ne lui aurait pas plu. Il m'appelait sa poupée et 
jouait avec moi comme je jouais avec les miennes... En- 
suite je suis venue chez toi. 

HELMER. 

Tu emploies des expressions singulières pour parler 
de notre mariage. 

NORA, sans changer de ton. 

Je veux dire que des mains de papa je suis passée 
dans les tiennes. Tu as tout arrangé à ton goût, et je par- 
tageais ton goût ou je le laissais croire, je ne puis le dire 



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ACTE TROISIÈME lS3 

au juste. Peut-être l'un et Tautre. Maintenant quand je 
regarde en arrière, il me semble que j'ai vécu comme 
les pauvres au jour le jour. J'ai vécu les pirouettes que 
je faisais pour t'amuser, Torvald, mais cela allait à ton 
but. Toi et papa, vous avez été bien coupables envers 
moi. C'est vous qui êtes responsables que je ne sois 
bonne à rien. 

HELMER. 

Tu es incompréhensible, Nora, et ingrate. N'as^^u pas 
été heureuse ici ? 

NORA. . 

Jamais, je croyais l'être, mais je ne l'ai jamais été. 

HELMER. 

Gomment, tu n'as jamais été heureuse ? 

NORA. 

Non^ j'étais gaie, cela oui. Tu étais si gentil pour moi. 
Mais notre maison n'était qu'un salon de fête. J'ai été 
grande poupée chez toi, comme j'avais été petite poupée 
chez papa et nos enfants à leur tour ont été mes pou- 
pées. J'aimais à te voir jouer avec moi, comme les en- 
fants s'amusaient à me voir jouer avec eux. Voilà ce 
qu'a été notre union, Torvald. 

HELMER. 

Il y a quelques vérités dans ce que tu dis... Bien que 
tu exagères et que tu grossisses beaucoup les faits. Mais 
dorénavant tout changera. Le temps du plaisir est passé ; 
celui de l'éducation commence. 

NORA. 

L'éducation de qui? La mienne ou celle des enfants? 

HELMER. 

Les deux, Nora. 

NORA. 

Ah! Torvald, tu n'es pas homme à m'élever pour faire 
de moi là véritable épouse qu'il te faut. 

9- 



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l54 UNE MAISON DB POUPÉE 

HBLMER. 

Et c'est toi qui dif cela ? 

NORA. 

, Quant à moi, quelle préparation ai-je pour élever des 
enfants ? 

HELMER. 

Nora! 

NORA. 

Ne le disais-tu pas tout à l'heure, ne disais-tu pas qu'il 
y a une tâche que tu n'osais pas me confier ? 

HELMER. 

Je Tai dit dans un moment d'irritation. Maintenant tu 
vas t'en servir comme de tremplin ? 

NORA. 

Mon Dieu^ tu Tas très bien dit. C'est une tâche supé- 
rieure à mes forces. Il y en a une autre à laquelle je 
dois m'appliquer auparavant. Je veux penser d'abord à 
m'élever moi-même. Tu n'es pas homme à me faciliter 
ce travail. Il faut que je l'entreprenne seule. Voilà pour- 
quoi je vais te quitter. 

HELMER9 se levant d'an bond. 

Quoi! que dis-tu? 

NORA. 

J'ai besoin d'être seule pour me rendre compte de 
moi-même et de tout ce qui m'entoure. Voilà pourquoi 
je ne puis demeurer avec toi. 

HELMER. 

Nora! Noral 

NORA. 

Je veux partir tout de suite. Cette nuit je trouverai 
asile chez Christine 

HELMER. 

Tu divagues. Tu n'as pas le droit de partir, je te" le dé- 
fends. 

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ACTE TROISIÈME l55 

NORA. 

Dorénavant tu ne peux rien me défendre... J'emporte 
tout ce qui est à moi. Je ne veux rien recevoir de toi ni 
maintenant ni jamais. 

HELMER. 

Mais que veut dire cette folie. 

NORA. 

Demain je pars pour mon pays. Là je pourrai vivre 
plus facilement. 

HELMER. 

Aveugle que tu es, pauvre créature sans expérience ! 

NORA. 

Je tacherai d'acquérir de l'expérience, Torvald. 

HELMER. 

Abandonner ton foyer, ton mari, tes enfants Tu ne 
penses pas à ce que Ton va dire. 

NORA. 

Je n'y puis penser. Je ne sais que ce qui m'est indis- 
pensable. 

HELMER. 

Aht c'est irritant. De sorte que tu manqueras à tes 
devoirs les plus sacrés. 

NORA. 

Qu'appelles-tu mes devoirs les plus sacrés? 

HELMER. 

Tu as besoin que je te le dises ? Est-ce que ce ne sont 
pas tes devoirs envers ton mari et tes enfants i 

NORA. 

J'en ai d'autres non moins sacrés. 

HELMER. 

Tu n'en a pas. Quels sont ces devoirs ? 



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l56 UNE MAISON DE POUPÉE 

NORA. 

Mes devoirs envers moi-même. 

HELMER. 

Avant tout tu es épouse et mère. 

NORA. 

Je n'y crois plus. Je crois que je suis avant tout un 
être humain, avec les mêmes droits que toi, ou que du 
moins je dois tâcher de Têtre. Je sais que la majorité des 
hommes te donnera raison et, que ces idées sont impri- 
mées dans les livres, mais maintenant je ne puis penser à 
ce que disent les hommes et à ce qu'ils impriment dans 
les livres. Je ne sais rien, mais je vais tout tirer de moi- 
même. Il faut que je forme moi-même mes idées là-des- 
sus, ^et que j'essaye de m'en rendre compte. 

HELMER. 

Quoi ! Tu ne te rends pas compte que ton poste est 
au foyer. N'as-tu pas un guide infaillible sur ces ques- 
tions? N'as-tu pas la religion? 

NORA. 

Hélas I Torvald, je ne sais pas exactement ce que c'est 
que la religion. 

HELMER. 

Tu ne sais ce que c'est. 

NORA. 

Je ne sais que ce que m'a dit le pasteur Hausen en me 
préparant à la confirmation « La religion c'est ceci, cela 
et le reste. » Quand je me trouverai seule et affranchie, 
j'examinerai cette question comme tant d'autres. Je 
verrai si le pasteur disait vrai, ou du moins si ce qu'il 
m'a dit était vrai par rapport à moi. 

HELMER. 

Oh! voilà qui est inouï d'une femme si jeune!... Mais 
si la religion ne peut te servir de gui^le, laisse-moi au 



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à 



ACTE TROISIÈME l57 

moins sonder ta conscience, car je suppose que tu as du 
moins du sens moral, ou est-ce que cela te manque aussi, 
réponds? 

' NORA. 

Que veux-tu, Torvald? 11 m'est difficile de te répon- 
dre. Je ne sais, je ne vois pas clair là-dedans, je ne sais 
qu'une chose, c'est que mes idées sont complètement dis- 
tinctes des tiennes. Je vois aussi que les^lpis ne sont pas 
cç que je croyais, mais que ces lois soit justes, cela je 
ne puis l'admettre. Qu'une femme n'ait pas le droit d'é- 
viter un souci à son vieux père moribond, et de sauver 
la vie à son mari^ cela n'est pas possible. 

HELMER. 

Tu parles comme une enfant. Tu ne comprends rien 
à la société à laquelle tu appartiens. 

NORA. 

Non, non, je n'y comprends rien, mais je puis m'en- 
quérir et me rendre compte de qui a raison de la société 
ou moi. )(^ 

HELMER. 

Tu es malade, Nora. Tu as la fièvre, et je crois même 
que tu n'as pas ton bon sens. 

NORA. 

Cette nuit je me trouve plus alerte d'esprit, plus sûre 
de moi que jamais. 

HELMER. 

Et c'est avec cette sûreté, cette lucidité que tu a 
donnais ton mari et tes enfants? 

NORA. 

Oui. 

HELMER. 

Cela ne peut avoir qu'une explication. 

NORA. 

Laquelle? 



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l58 UNE MAISON DE POUPÉE 

HELMER. 

Tii ne m'aimais pas. 

NORA. 

C'est vrai. C'est en efifet le nœud de tout. 

HELMER. 

Nora I Et c'est ainsi que tu me le dis? 

NORA. 

Je le regrette, Torvald, parce que tu as été bon pour 
moi. Mais qu'y faire ? Je ne t'aime pas. 

HELMER, Caisant des efforts pour demeurer calme. 

De cela, je suppose, tu es aussi parfaitement convain- 
cue. 

NORA. 

Absolument. Et c'est pour cela que je ne veux pas res- 
ter ici davantage. 

HELMER. 

Et comment peux-tu m'expliquer comment j'ai perdu 
ton amour? 

NORA. 

C'est très simple. C*est Tœuvre de cette nuit, quand 
j'ai vu que le prodige attendu ne se produisait pas, alors 
j*ai compris que tu n'étais pas l'homme que je croyais. 

HELMER. 

Explique-toi, je ne te comprends pas. 

NORA. 

Pendant huit ans j'ai attendu tranquillement. Je savais 
parfaitement que les prodiges ne s'accomplissent pas 
tous les jours. Enfin, ce moment d'angoisse est arrivé. 
« Maintenant le prodige va s'accomplir » me disais-je. 
Tant que la lettre de Krogstad a été dans la boîte aux 
lettres, je n'ai pas pensé une minute que tu serais obligé 
de subir les exigences de cet homme. Je croyais ferme- 



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ACTE TROISIEME OQ 

ment que tu lui dirais : a Allez et publiez tout. » Et 
quand cela serait arrivé 1... 

HELMER. 

Ahl oui... quand j'aurais livré ma femme à la honte, 
au mépris.., 

NORA. 

Quand cela serait arrivé, j'étais tout à fait sûre que tu 
allais te présenter pour répoodre de tout, en disant : 
« C'est moi le coupable ! » 

HELMER. 

Noral 

4 NORA. ' 

Tu vas dire que je n'aurais pas accepté un pareil sa- 
crifice. C'est vrai. Mais à quoi aurait servi mon affirma- 
tion à côté de la tienne. Eh bien ! c'était là le prodige 
que j'espérais avec terreur et pour l'éviter, je voulais 
mourir. 

HELMER. 

Nora, j'aurais travaillé avec plaisir pour toi jour et 
nuit, et j'aurais subi toutes espèces de privations et de 
peines, mais il n'y a (personne qui offre son honneur 
pour l'être qu'il aime. 

NORA. 

Des milliers de femmes l'ont fait. 

HELMER. 

Oh ! Tu penses comme une enfant, et tu parles de même. 

NORA. 

SoitI Mais tu ne penses pas, tu ne parles pas comme 
un homme que je puisse suivre. Une fois rassuré, non 
sur le danger qui me menaçait, sur celui que tu crai- 
gnais, toi tu as tout oublié. Je suis redevenue ton oiseau 
chanteur, la poupée que tu étais disposé à porter dans 
tes bras comme avant et avec plus de précautions, puis- 



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l60 UNB MAISON DE POUPÉE 

que tu avais découvert que j'étais plus fragile. (Elle se lève.) 
Ecoute, Torvald. A ce moment il m'a paru que j'avais 
vécu huit ans dans cette maison avec un étranger, et que 
j'avais eu de lui trois enfants. Ah I je n*y veux pas pen- 
ser. Cela me donne envie de me déchirer moi-même. 

HELMER9 sourdement. 
Je le vois hélas! je le vois. Il s'est ouvert entre nous 
un abîme, mais dis, Nora, ne peut-il se combler ? 

NORA, 

Telle que je suis maintenant, je ne puis pas être ta 
femme. 

HELMER. 

Je puis me transformer. 

NORA. 

Peut-être, si on t'enlève ta poupée. 

HELMERi 

Me séparer de toi ! de toi, non, non, Nora. Je ne puis 
me résigner à cette idée. 

NORA, se dirigeant Ters la porte de droite. 

Raison de plus pour en finir. 
Elle sort et revient avec son manteau, son chapeau et un petit sac de 
voyage qu'elle pose sur une chaise près du guéridon. 

HELMER. 

Nora, pas encore, pas encore. Attends demain. 
NORA, mettant le manteau. 

Je ne puis passer la nuit sous le toit d'un étranger. 

HELMER. 

Mais nous pouvons vivre par la suite comme des fr.è- 
res. 

NORA, mettant son chapeau 
Tu sais bien que cela ne durerait pas longtemps. 
(Jetant le châle sur sesdpaulcs.) Adieu, Torvald, je ne veux 



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ACTE TROISIÈME l6i 

^ pas voir les enfants. Je sais qu'ils sont dans des mains 
meilleures que les miennes. Dans ma situation actuelle 
je ne puis pas être une mère pour eux. 

HELMER. 

Mais un jour, Nora, un jour? 

NORA. 

Que te répondre^ J'ignore ce qu'il en sera de moi. 

HELMER. 

Mais, quoiqu'il en soit de toi, tu es ma femme. 

NORA. 

Ecoute, Torvald, quand une femme abandonne le do- 
micile conjugal comme je le fais maintenant^ les lois, 
dit-on, affranchissent le mari de toute obligation envers 
elle. En tout cas, je t'en tiens quitte, il n'est pas j uste 
que tu sois enchaîné quand je ne le suis pas. Pleine li- 
berté pour tous les deux ! Tiens, voici ton anneau. Rends- 
moi le mien. 



Cela aussi ? 

Oui. 

Le voici. 



HELMER* 



NORA. 



HELMER. 



NORA. 

Merci. Maintenant tout est fini. Je te laisse les clefs. 
La femme de chambre est au courant de tout, mieux 
que moi. Demain, après mon départ, Christine viendra 
emballer tout ce que j'ai apporté ici. Je veux qu'on me 
l'envoie. 

HELMER. 

Tout est-il fini I Tu ne veux donc plus penser à moi, 
jamais» Nora! 



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103 UNE MAISON DE POUPEE 

NORA. 

Bien sûr, je penserai souvent à toi, et aux enfants, et 
à la maison. 

HELMER. 

Puis-je t'écrire ? 

NORA. 

Non, jamais, je te le défends. 

HELMER. 

Ohl... mais je puis t'envoyer... 

NORA. 

Rien, rien. 

HELMER. 

T'aider si tu en as besoin. 

NORA. 

Je te dis que non... Je n'accepte rien d'un étranger. 

HELMER. 

Nora, ne serai-je jamais plus pour toi qu'un étranger? 

NORA, prenant le sac de voyage. 
Ah ! Torvalds il faudrait pour cela le plus grand des 
prodiges. 

HELMER. 

Lequel ? 

NORA. 

Il faudrait nous transformer tous deux au poiilt... 
hélas I Torvald, je ne crois plus aux prodiges. 

HELMER. 

's moi je veux y croire I Dis, quel est ce prodige?... 
devons nous transformer tous deux au point que... 

NORA. 

point que notre union devienne un véritable ma- 
Adieu ! 

Elle sort. On entend se fermer la porte de la rue. 



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ACTE TROISIÈME l63 



SCÈNE XVII 

HELMER^ seul, se laissant tomber sur une chaise près de la porte> et 
cachant son visage dans ses mains. 

Noral Noraf (Il relève la tête, et regarde autour de lui.) Elle 
est partie... elle est partie. (Avec un éclair d'espoir.) Le plus 
grand des prodiges ! 

11 sort à son tour, on entend se refermer derrière lui la porte de la 
maison. 



Rideau. 



FIN 



Imprimerie Générale de ChâtillouTSur-Seine •— A Pschat. 



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3\le 



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fr. 

P. D*AIGREMOHT 
A J. DORHAT 

A/ère et Martyre, 5 a.. 1 50 
M. BEAUBOURG 

La Vie muette^ 4 actes. 2 • 
FR. BEAUVALLET 

Le Forgeron de Chà- 

leaudun, 5 actes. . . 2 > 
Le Porturdu ?»• 15,5 a. 2 » 

B. BJORNSON 

l'ne faillite, 4 a. {adap- 

Intton Schurmann et 

J. Leinaire) 2 » 

H. BLONDEAU & 

L. JONATHAH 

Carnoty 5 actes. ... 2 » 

ERNEST BLUM 
L'Espion du Eoi, 5 act. 2 » 
liose Michel, 5 actes . 2 » 
G. DE BOMPAR & 
H. DUCHEZ 
L'Espionne, 5 actes , • 2 » 
Sacrifice! ft actes. . . 2 » 

BOHIS-CHARANCLE 

L'Outrage, 1 acte. . . 1 » 

R. BRIHGER d: 

G. RENNES 

Le Bâtard Bouge, 3 a. 2 > 

G. CHABiPAGNE 
Les Martyrs de Stras- 
bourg, 5 actes. ... 2 » 
PAUL CHARTON 
Devant l'Ennemi! h &. . 2 » 

JULES CLARETIB 
Les Mirabeau, 5 actes. 2 » 
Le Bégiment de Cham- 
pagne, 5 actes. ... 2 >» 
HENRI CRISAFULLI 
La Fat aise de Pen- 

marck, 5 actes ... 2 > 
Les Postillons de Fou- 
gerolles, 5 actes. . . 2 » 
P. DECOURCELLE 
Les Deux Gosses,^ Isihl. 2 » 

HENRI DEMESSE 
Le Drame de Charmet- 

tes, 6 tableaux ... 2 » 

Les Mères rivales, 5 a. 2 » 

A. D'ENNERY & 

J. BRÉSIL 

Diana, 5 actes .... 2 » 

A. D'ENNERT A 

E. CORMON 

Une Cause célèbre, G t. 2 » 

Les Ueuc Orphelines, 

5 actes 2 » 

A. D'ENNERY & 
E. TARBE 
Martyre! 5 actes ... 2 « 
' DESCAVES 
-, 1 acte. ... 1 f>0 
1ESCAVES A 
. DARIEN 
ons, 1 acte. , 1 50 
RICE DRACK 



DRAMES (Format grand in-18 jésu8)W^ 



fr. c, 
ECHEGARRAY 

Le Grand Galéoto, 3 a. 
(Adaptation Soliur- 
mann etJ. Lemaire). 2 » 
FONTANES 
Le Porteur aux Halles, 

5 actes 2 » 

FONTANES d: DECORI 

La Fille du garde - 

chasse, 5 actes. ... 2 >» 

PHILIPPE GILLE A 

W. BESNACH 

Bobert Maxiaire, 4 a.. 2 » 

GRANGENEUVE 

AmAra/ 4 a. (in-S»} . . 4 » 

E. GUGENHEIM 

& G. LE FAURE 

Jean la Cocarde, 5 act . 2 » 

GASTON HIRSOH 
En Grève. 5 actes. , . :i » 

HENRIK IBSEN 
Les BeaenantSy 3 actes, 

(Irad. K. Darzeas . . 2 » 

FERNAND ICRES 

Les Bouchers, 1 acte. . 1 ."SO 

G. DELABRUYÈRE 
Le Betour de l'Aigle, 

1 acte 1 r>0 

I H. LAFONTAINE & 

G. RICHARD 

Pierre Gendron, 3 a.. 2 » 

I CAMILLE LE MONNIER 

A. BAHIER 

A J. DUBOIS 

Un Mâle, 4 actes ... 2 > 

P. MAHALIN 

d: L. PÉRICAUD 

La Belle Limonadière, 

5 actes 2 » 

GASTON MAROT 
Aw^tfr-'au, 5 actes. • . 2 » 
La Casquette au père 

Bugeaud, 5 .-ictes . . 2 « 
Casse- Museau, 5 actes. 2 » 
Klëber, 5 actes .... 2 » 
La Petite Mionne, 5 a. 2 » 
GASTON MAROT 
A L. PERICAUD 
Les Français au Ton- 

kin, 5 actes 2 » I 

Jack l'Évcntreur, 5a. 2 » 

LaMère la Victoirf,'-) R. 9, »| 

Le Père Chassela<:, 5 a. 2 « ' 

J. DE MARTHOLD 

Caïn, 5 actes 2 

Le Juge dJnstruction, 

5 actes 2 

Pascal Fargeau, 1 act. 1 

JULES MARY 
Fée Printemps, o act . 2 
La Pocharde, 5 actes . 2 
Sabre au Clair, 5 a.. 2 
JULES MARY A 
G. GRISIER 
Maître d'armes, 5 a.. 2 
Le Bégiment, 3 actes . 2 
finninr.l/j-Ffnntp.. 5 act.. 2 



JULES MARY 
A E. ROCHARD 

Z,e5 Dernières Cartou- 
ches, 5 actes 2 » 

A. MAUJAN 
Jacques Bonhomme, ù B. 2 * 

EMILE MAX 

Z,«« Cambrioleurs, 5 a.. i • 

Carmagnol, 5 actes . . 2 > 

Jacques Foyan, 1 acte . 1 » 

j Serment tf'ivroyne, la. 1 » 

I O. MÉTENIER 

, Lfi (a serole, 1 acte. . 1 50 

, Fn Famille, 1 acte . . 1 50 

X. DE MONTEPIN 

La Femme de Paillasse, 

I 6 actes 2 < 

I La Maison du Mari,b a. S » 

I X. DE MONTEPIN A 
J. DORNAY 

I La Marchande de 
! Fleurs ,ô actes . . 2 » 
^ LaPolicièi^e,^\.Kh\.. . 2 » 
La Porteuse de Pain,}i a.. 2 » 

L. MULLEM 

/>an« Z« Béve, 1 acte. . 1 50 

\ Une Nouvelle École,in. 150 

I OSTROVSKY 

L'Orage, 5 a. (Iraduct. 

I l'avlovsky et Mété- 

I nier) 2 » 

I GEORGES PETIT 
L'Affaire Fauconnier^ 

I 4 actes 2 > 

I Le Grand-Père, 1 acte. 1 • 
EDOUARD PHILIPPE 
Casque en fer, 5 actes. 2 ■ 
La Petite Duchesse, 5 a. 2 » 

CH. RAYMOND 
La Faim, 1 acte. ... 1 50 
G. RENNES db L. VIDAL 
Victime ! 5 actes. ... 2 » 
GEORGES RICHARD 
Les Enfants, 3 actes. . 2 > 

A. ROUQUÈS 

' La Première salve, la. 1 » 

I JEAN SIGAUX 

Le Paysan, 1 acte. . . 1 ■ 

A. SYLVESTRE A 

G. MAILLARD 

La Téfi, 4 actes. . , . 2 • 

TOLSTOÏ 
La Puissance des Ténè- 
bres, 5 a. trad. (Pav- 
lovsky et Méténier) . 2 » 
ALFRED TOUROUDE 

Jane, 3 actes 2 • 

Uji Lâche, 5 actes. . . 2 » 
L'Oubliée, 4 actes. . . 2 » 
Le Secret de Bocbrune, 
5 actes 2 « 

L. TRÉZÉNIK 

La Françoise, 1 acte. . 1 » 
V. DE L'ISLE-ADAM 

L'fèn/isinn. i ai»** . 1 JSO 



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