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Full text of "Une nuit d'amour; piece en un acte par Maurice Hennequin & Serge Basset"

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Une  nuit  d'amour 


PIEGE    EN   UN   ACTE 


Représentée  pour  la  première  fois,  à  Paris 
sur  le  Théâtre  dd  Grand  Guignol,  le  24  mars  1912. 


P.'V.  ISTOCK,   EDITEUR,   PARIS 

DES  MÊMES  AUTEURS  : 

Une  aventure  impériale,  pièce  en  un  acte. 

DE  M.   MAURICE  HENNEQUIN  : 

Yelie,  comédie  en  un  acte. 

Crime  passionnel,  pièce  en  un  acte. 

Tais-toi,  mon  cœur'.,  pièce  en  trois  actes. 

Une  grosse  affaire,  pièce  en  trois  actes. 

Noblesse  obliç/e!  pièce  en  trois  actes. 

Vingt  jours  a  Vombre,  pièce  «n  trois  actes. 

Vous  n'avez  rien  à  déclarer?,  pièce  en  trois  actes. 

Floretle  et  Patapon,  pièce  en  trois  actes. 

Le  Gant,  pièce  en  un  acte. 

La  Gueule  du  loup,  comédie  en  trois  actes. 

Les  Dragées  d'Hercule,  pièce  en  trois  actes. 

Heureuse!  comédie  en  trois  actes. 

M' amour,  comédie  en  trois  actes. 

Nelly  Rozier,  comédie  en  trois  actes. 

La  famille  Boléro,  pièce  en  trois  actes. 

Le  Paradis,  pièce  en  trois  actes. 

Monsieur  Irma,  comédie  en  un  acte. 

La  Guerre  joyeuse,  opéra-comique  en  trois  actes. 

Le  Marquis  de  Kersalec,  comédie  en  un  acte. 

Les  Vacances  du  mariage,  comédie  en  trois  actes. 

Les  Oiseaux  de  passage,  comédie  en  un  acte. 

Un  Mariage  au  téléphone,  comédie  en  un  acte. 

Un  Prix  Montyon,  comédie  en  trois  actes. 

La  Petite  Poucette,  opérette  en  cinq  actes. 

Le  Systè7?ie  Ribadier,  comédie  en  trois  actes. 

La  Femme  du  commissaire,  vaudeville  en  trois  actes. 

Les  Joies  du  foyer,  comédie  en  trois  actes. 

Le  S""  Hussards,  opéra-comique  en  trois  actes. 

Les  Ricochets  de  l'amour,  comédie  en  trois  actes. 

Inviolable!  comédie  en  trois  actes. 

Sa  Majesté  l'Amour,  opérette  en  trois  actes. 

La  Terre-Neuve,  comédie  en  trois  actes. 

Les  Fêtards,  opérette  en  trois  actes. 

Place  aux  Femmes!,  comédie  en  quatre  actes. 

La  Poule  Blanche,  opérette  en  quatre  actes. 

Coralie  et  C'S  pièce  en  trois  actes. 

Le  Remplaçant,  comédie  en  trois  actes. 

Le  Coup  de  Fouet,  comédie-vaudeville  en  trois  actes. 

Le  Voyage  autour  du  Code,  pièce  en  quatre  actes. 

Toiote  et  Boby,  comédie  en  un  acte. 

La  meilleure  des  femmes,  comédie  en  trois  actes. 

Aimé  des  Femmes!  comédie  en  trois  actes. 

Une  heure  après  je  le  jure!  comédie  en  un  acte. 


MAURICE  HENNEQUIN  &  SERGE  BASSET 


Une  nuit 

d'amour 


PIÈGE  EN  LN  ACTE 


PARIS.   —   I" 

P.-V.   STOCK,   ÉDITEUR 

155,    RUE    SAlNT-HONORÉj     l55 

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Tous  droits  de  reproduction,  de  traduction  et  d'analyse  réservés  pour  tous 

les  pays,  y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 

Eotered  according  to  act  of  Congress,  io  the   year  191  i,  by  .M.  Henuequin 

et  S.  Basset,  in  the  office  of  the  Librariau  of  Congress  at  Wasbingtou. 


PERSONNAGES 


G0DIN0I3 MM.  Grêhan. 

JULOT. Defresne. 

LETRINQUIER Lagrange. 

POLYTE Nicole. 

VIRGINIE M""^  Suzanne  Gallet, 


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UNE 

NUIT    D'AMOUR 


Le  théâtre  représente  une  chambre  à  coucher.  Face  au  public,  un 
lit  de  milieu.  Porte  à  droite  et  à  gauche  au  premier  plan  toutes  les 
deux.  A  gauche,  entre  la  porte  et  le  pied  du  lit,  un  guéridon.  A 
droite  un  meuble  quelconque  ou  une  fenêtre.  Une  chaise  de  chaque 
côté  du  guéridon.  Contre  la  commode,  au  fond,  une  canne  à  pêche. 
Sur  la  commode,  deux  chapeaux,  celui  de  Godinois  et  celui  de  Le- 
Irinquier.  Sur  la  dite  commode  également  un  buvard,  une  boîte  à 
asticots,  un  filet  de  pêcheur. 


SCENE   PREMIERE 
GODINOIS,  LETRINQUIER,  VIRGINIE. 

Au  lever  du  rideau,  Godinois  et  Letrinquier  jouent  aux  dominos  sur 
le  guéridon.  Virginie  est  couchée,  complètement  dissimulée  sous 
les  couvertures.  Il  est  neuf  heures  et  demie   du  soir.    Electricité. 

LETRINQUIER,   à  gauche  du  guéridon. 

Là...  je  pose  mon  double  six  et  je  t'attends  au 
coin  du  bois  ! 


6  UNE   NUIT   D  AMOUa 

GODIXOIS. 

Six  partout  ?...  Je  n'en  ai  pas. 

LETRINQUIER,  montrant  les  dominos. 

Alors,  touille,  mon  vieux,  touille! 

GODIXOIS. 

Je  ne  fais  que  ça  f 

LETRINQUIER,  déclarant. 

Quand  on  n'est  pas  une  fripouille, 
Ça  fait  plaisir  de  voir  un  vieil  ami  qui  touille  ! 

GODINOIS,   tout  en  touillant. 

C'est  de  toi  ces  deux- vers  là? 

LETRINQUIER. 

Si  je    te    répondais  que   c'est  d'André    Chénier, 
qu'est-ce  que  tu  dirais  ? 

GODINOIS. 

Qu'il  a  bien  fait  de  mourir  jeune  !  Il  n'y  a  plus 
de  six  ? 

LETRINQUIER. 

Non,  mon  vieux,  vu  que  voici  le  dernier...  je  le 
pose!...  As-tu  de  l'as? 

GODINOIS,  remuant  bruyamment  les  dominos. 

De  l'as  ?...  de  l'as  ?... 

VIRGINIE,  furieuse,  se  mettant  à  genoux  sur  le  lit. 

Ah  !  ça.  dites  donc,  vous  n'avez  pas  bientôt  fini  ? 

LETRINQUIER. 

Gomment,  ma  jolie,  tu  ne  dors  pas  encore  ? 

VIRGINIE. 

Dormir  ?  Avec  le  potin  que  vous  faites? 

LETRINQUIER. 

Le  potin  ? 


UNE  NUIT  D'AMOUR  7 

VIRGINIE. 

Non,  mais  je  vous  retiens,  vous  savez!  Venir  jouer 
jusque  dans  ma  chambre  ! 

LETRINQUIER. 

Ça  sent  encore  la  peinture  dans  le  salon  et  dans 
la  salle  à  manger... 

VIRGINIE. 

C'est  vrai,  ça,  j'ai  la  migraine,  je  monte  me  cou- 
cher à  huit  heures  et  demie... 

LETRINQUIER,  l'interrompant. 

Allons,  ne  te  fâche  pas. 

VIRGINIE. 

Je  ne  sais  pas  ce  qui  me  retient  de  les  jeter  par 
la  renêtre,  vos  sacrés  dominos  ! 

LETRINQUIER,  à   Godinois. 

C'est  à  toi  de  jouer,  tu  sais. 

GODINOIS. 

J'attendais  que  ta  femme  ait  fini  de  parler. 

VIRGINIE,  agressive. 

Hein  ?  Quoi?  Qu'est-ce  qu'il  dit,  celui-là? 

GODINOIS. 

Je  dis,  chère  madame... 

VIRGINIE,  rinterroinpant. 

Chère  madame  !  D'abord,  je  vous  prie  d'enlever 
cet  adjectif  et  de  m'appeler  madame  tout  court. 

LETRINQUIER,  voulant  les  faire  taire,  se  levant. 

Virginie!... 

VIRGINIE. 

Il  veut  m'imposer  silence,  ici,   dans  ma  cham- 
bre! 


8  UNE   NUIT   d'amour 

GODINOIS. 

Pardon,  madame,  je  n'ai  pas  dit... 

VIRGINIE,  continuant. 

Un  pique-assiettes  pareil  ! 

GODINOIS,  vexé,  se  levant. 

Madame  Letrinquier  ! 

LETRINQUIER,  passant  derrière  le  guéridon  et  tout  en  faisant 
rasseoir  de  force  Godinois.  i: 

Virginie!.,.  Je  te  prierai  une  fois  pour  toutes 
d'être  polie  avec  Victor  Godinois  ! 

VIRGINIE,  ironique. 

Ton  ami  d'enfance  ! 

LETRINQUIER,  allant  se  rasseoir  à  sa  place. 

Parfaitement...  mon  ami  d'enfance  que  j'ai  été 
heureux  de  retrouver,  il  y  a  un  mois,  au  café,  en 
face  de  la  gare  Saint-Lazare. 

VIRGINIE,  toujours  ironique. 

Et  qui,  depuis,  s'amène  tous  les  jours  ici,  à  Go- 
lombes... 

LETRINQUIER. 

Faire  ma  partie  de  dominos. 

VIRGINIE. 

Aux  heures  de  repas...  comme  par  hasard! 

LETRINQUIER. 

Virginie!...  (a  Godinois.)  Ne  l'écoute  pas,  mon 
vieux,  elle  est  un  peu  nerveuse. 

GODINOIS,  se  levant. 

On  a  beau  ne  pas  écouter,  c'est  dur  de  s'entendre 
traiter  comme  ca! 


UNE  NUIT  D'AMOUR  9 

LETRINQUIER,  à  Virginie, 

Là,  tu  vois,  tu  l'as  vexé. 

VIRGINIE,  s'asseyant  sur  son  séant. 

Non?  Passe-moi  mes  pantoufles  que  j'aille  me 
jeter  dans  la  Seine  I 

GODINOIS,  à  Letrinquier. 

Aussi,  il  fera  chaud,  quand  je  m'assiérai  encore 
à  ta  table. 

LETRINQUIER,    faisant  rasseoir  Godinois  de  force. 

Par  exemple,  je  voudrais  bien  voir  ça! 

VIRGINIE. 

Laisse  donc,  tu  ne  verras  rien  du  tout! 

GODINOIS. 

Pique- assiettes!! 

LETRINQUIER. 

Je  te  le  répète,  ne  fais  pas  attention  à  ce  qu'elle 
dit,  elle  a  un  grain  comme  sa  mère  ? 

VIRGINIE,  bondissant. 

Un  grain  ?  Gomme  ma  mère! 

LETRINQUIER,  éclatant,  allant  vers  le  lit. 

Ah  !  zut  à  la  fin  !  La  barbe  et  les  cheveux  I  Ren- 
tre sous  tes  draps  et  laisse-nous  jouer! 

VIRGINIE. 

Oh!  les  hommes!  Quels  mufles!...    Quels  sales 
mufles  ! 

Elle  se  refourre  sous  ses  draps. 
LETRINQUIER. 

Oui,  oui,  c'est  entendu...  (a  Godinois.)  Tu  viendras 
déjeuner  et  dîner  tous  les  jours,  je  le  veux! 

1. 


10  UNE    NUIT   D"AM0UR 

GODINOIS. 

Mais... 

LETRINQUIER. 

Il  n'y  a  pas  de  maisl...  Je  ne  suis  peut-être  pas 
le  maitre  chez  moi?...  Ce  n'est  pas  une  raison  parce 
que  ma  femme  t'a  dans  le  nez... 

GODINOIS. 

Oh  !  ça  !  Pour  ce  qui  est  de  m'avoir  dans  le  nez  ! . . . 
(Jouant.)  As,  quatre. 

LETRINQUIER,  posant  un  domino. 

Domino!...  J'ai  gagné! 

GODINOIS. 

Ce  n'est  pas  pour  dire,  tu  sais,  mais  tu  as  une 
vraie  veine  de... 

VIRGINIE,  bondissant  et  se  mettant  à  genoux  sur  le  lit. 

De  quoi?...  Une  veine  de  quoi?...  Non,  mais  di- 
tes le  mot  pour  voir  ? 

LETRINQUIER,  furieux. 

Virginie  !  !  ! 

VIRGINIE. 

Alors,  tu  vas  te  laisser  traiter  de  cocu  par  mon- 
sieur ? 

GODINOIS. 

C'est  une  façon  de  parler... 

VIRGINIE. 

Une  façon  de  parler?!! 

LETRINQUIER. 

Mais  oui...  ça  se  dit  dans  les  meilleures  familles  ! 
Tu  ne  vas  pas  recommencer,  hein? 


UNE   NUIT   d'amour  11 

VIRGINIE,  à  Godinois. 

Alors,  non  seulement  vous  débauchez  mon  mari, 
vous  lui  donnez  le  goût  du  jeu  au  point  qu'il  vient 
jouer  jusque  dans  ma  chambre,  mais  vous  osez  en- 
core insinuer  des  choses...  Mais  s'il  y  a  un  cocu, 
ici,  c'est  vous!  (Godinois  se  lève.)  Je  ne  vous  l'envoie 
pas  dire,  espèce  de  mal  cuit  !  propre  à  rien  !  séna- 
teur ! 

GODINOIS,  très  digne,  passant  à  droite. 

Mal  cuit  !  Sénateur  !  Je  ne  vous  répondrai  pas, 
madame,  parce  que  je  suis  un  homme  du  monde. 

VIRGINIE,  se  rasseyant  sur  son  séant  et  se  tordant. 

Un  homme  du  monde!!  Non  I  la  maison  va  s'é- 
crouler ! 

LETRINQUIER,  qui  s'est  levé  également. 

Virginie  !  Virginie  ! 

GODINOIS. 

Je  préfère  m'en  aller!  (a  Letrinquier.)  Au  revoir, 
vieux, 

LETRINQUIER,  allant  à  Godinois. 

Toi,  ne  fais  pas  la  tête  et  attends-moi,  nous  par- 
tirons ensemble. 

GODINOIS. 

Non,  mon  vieux,  non  ! 

LETRINQUIER. 

Ghamoulard  vient  me  prendre  en  auto  dans  dix 
minutes...  Nous  allons  coucher  à  Vernon...  c'est 
demain  l'ouverture  de  la  pêche...  Je  te  déposerai  ù 
la  gare,  en  passant. 

GODINOIS. 

Non,  non. ..  Je  ne  vais  pas  en  auto  avec  un  homme 
qui  me  laisse  insulter  par  sa  femme. 


12  UNE  NUIT  D'amour 

LETRINQUIER, 

Je  te  laisse  insulter,  moi? 

GODINOIS. 

Depuis  que  je  viens  ici,  il  n'j'  a  pas  une  avanie 
que  madame  ne  me  fasse,.,  même  devant  la  bonne. 

LETRINQUIER, 

Godinois  ! 

GODINOIS. 

Je  suis  bon  garçon,  certes,  j'aide  la  patience, 
mais  cette  fois  la  mesure  est  comble,  et  j'en  ai  as- 
sez! 

Il  va  chercher  son  chapeau  sur  la  commode. 
LETRINQUIER. 

Ecoute,  mon  vieux  Godinois... 

GODINOIS. 

Non,  non,  je  n'écoute  pas  et  je  te  déclare  tout  net 
que  je  ne  remettrai  les  pieds  chez  toi  que  lorsque 
ta  femme  m'aura  fait  des  excuses. 

Il  repasse  à  droite. 
VIRGINIE,  se  tordant. 

Des  excuses  ?...  Ah!  maman  !! 

LETRINQUIER. 

Virginie,  tu  entends  ? 

GODINOIS. 

J'ai  dit!...  Bonsoir  !  (sortant  par  la  droite.)  Sénateur  ! 
Mal  cuit! 


UNE  NUIT  d'amour  13 

SCÈNE   II 

VIRGINIE,    LETRINQUIER. 

VIRGINIE. 

Bon  voyage! 

LETRINQUIER,  exaspéré,  allant  vers  le  lit  à  droite. 

Oh!  toi!  toi! 

VIRGINIE. 

Quoi,  moi  ? 

LETRINQUIER. 

Tu  lui  feras  des  excuses,  tu  entends,  tu  lui  feras 
des  excuses  ou  tu  diras  pourquoi  ! 

VIRGINIE. 

Eh  bien,  je  vais'te  le  dire,  pourquoi  :  je  le  trouve 
commun,  ton  Godinois,  laid,  bête,  prétentieux, 
mal  élevé! 

LETRINQUIER. 

Alors,  parce  que  j'ai  un  ami  qui  déplait  à  ma- 
dame, il  m'est  interdit  de  le  voir? 

VIRGINIE. 

Tu  n'as  qu'à  lui  donner  rendez-vous  au  café! 

LETRINQUIER. 

Vraiment  ? 

VIRGINIE. 

Sans  compter  qu'on  commence  à  jaser. 

LETRINQUIER. 

A  jaser? 


14  UNE   NUIT    d'amour 

VIRGINIE. 

Dame  !  il  est  toujours  fourré  ici  ! 

LETRINQUIER. 

Et  qu'est-ce  qu'on  dit? 

VIRGINIE. 

Qu'il  est  mon  amant! 

LETRINQUIER,  se  tordant. 

Non?  Godinois?  Ton  amant?!!  Celle-là  est  im- 
mense! 

VIRGINIE. 

AlorS;,  tu  te  moques  de  ma  réputation  ? 

LETRINQUIER. 

S'il  fallait  faire  attention  à  tout  ce  qu'on  dit,  la 
vie  ne  serait  plus  possible  !  Et  pour  prouver  à  quel 
point  je  méprise  le  qu'en  dira-t-on,  Godinois  vien- 
dra s'installer  là-haut! 

VIRGINIE,  bondissant. 

Hein?... 

LETRINQUIER. 

Il  y  aune  chambre  d'amis... 

VIRGINIE,  exaspérée. 

Tu  ferais  ça  ?  Tu  oserais  faire  ça? 

LETRINQUIER. 

Pas  plus  tard  que  demain. 

VIRGINIE. 

Eh  bien,  essaie,  entends-tu,  essaie,  et  je  fiche  le 
feu  à  la  maison! 

LETRINQUIER. 

Je  m'en  fous,  elle  est  assurée  I 


I 


UNE    NUIT    D'AMOUR  15 

VIRGINIE,  furieuse. 

L'installer  ici!  Chez  moi!...  Lui!... 

On  entend  à  la  cantonade  la  corne    d'une   auto  qui  approche 
et  s'arrête. 

LETRINQUIER,  allant  vivement  prendre  son  chapeau,  sa  canne 
à  pêche  et  autres  ustensiles. 

Ghamoulard!...    C'est  Chamoulard  qui  vient  me 
chercher!...    Voyons,   ma  canne  à  pêche!...    mon 

filet!...   ma  boîte  à  asticots!,..    (ll   repasse   à    droite,  puis 

s'adressant  à  Virginie.)  Ah  I  dis  donc,  tu  sais  ce  que  j'ai 
mis  dans  la  commode  sous  tes  pantalons...  fais 
attention,  hein  ? 

VIRGINIE. 

Flûte! 

Elle   se  renfonce  sous  ses  couvertures. 
LETRINQUIER,   fermant  l'armoire  à  clef  et  mettant  la  clef  dans 
sa  poche. 

Tu  rages  toujours?  Bon,  bon...    mais  je   saurai 
bien  te  prouver  que  je  suis  le  maître  chez  moi! 

Il  sort  par  la  droite. 


SCENE   III 
VIRGINIE,   puis   GODINOIS. 

A  peine  est-il  parti  que  Virginie  sort  la  tête  de  dessous  les  couver- 
tures, s'assied  sur  son  séant  et  écoute.  —  On  entend  à  la  canto- 
nade l'automobile  qui  corne  et  s'éloigne.  Virginie  se  lève  vivement, 
se  regarde  dans  la  glace  qui  est  au-dessus  de  la  commode,  arrange 
un  peu  ses  cheveux,  puis  va  ouvrir  la  porte  de  gauche. 

VIRGINIE,  s'adressant  à  la  cantonade. 

Tu  peux  venir,  mon  coco! 

Elle  va  se  remettre  au  lit. 


16  UNE   NUIT    d'amour 

GODINOIS,  paraissant,  la  figure  épanouie. 

Parti  ? 

VIRGINIE. 

Jusqu'à  demain  I 

Godinois  se   dirige  vivement   vers  le  lit,  Virginie  lui  tend  les 
bras. 

GODINOIS. 

Ma  Ninie! 

VIRGINIE. 

Mon  Toto  adoré  I 

Ils  tombent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre. 
GODINOIS,  l'embrassant. 

Ah  I  c'est  bon  !  Gristi,  que  c'est  bon  ! 

VIRGINIE. 

Ce  sera  encore  bien  meilleur  quand  on  sera  dans 
le  dodo  !  Toute  une  nuit  d'amour  à  nous  ! 

GODINOIS,  commençant  à  se  déshabiller. 

Toute  une  nuit  ! 

VIRGINIE. 

Non!   mais    crois-tu   que  je  t'en  ai  dit,  tout   à 
l'heure  ? 

GODINOIS,  tout  en  se  déshabillant. 

Le  fait  est  que  tu  n'y  as  pas  été  avec  le  dos  de 
la  cuiller! 

Il  pose  ses  vêtements  sur  la  chaise,  à  gauche  du  guéridon. 
VIRGINIE. 

Pauvre  chéri,  val...  Quand  je  pense  que  je  t'ai 
appelé  sénateur! 

GODINOIS. 

Et  mal  cuit  I 


UNE  NUIT  D'amour  17 

VIRGINIE. 

C'est  pas  vrai,  tu  sais,  t'est  bien  cuit,  t'est  cuit 
à  point! 

GODINOIS. 

Et  moi/quand  je  me  suis  écrié  :  je  ne  reviendrai 
ici  que  lorsque  ta  femme  m'aura  fait  des  excuses  ! 

VIRGINIE, 

Tais-toi  !  J'avais  envie  de  me  tordre  ! 

GODINOIS. 

Et  moi  donc! 

VIRGINIE. 

Avoue  tout  de  même  que  j'ai  trouvé  un  truc  épa- 
tant ! 

GODINOIS. 

Oh!  ça! 

VIRGINIE. 

Et  ce  qu'il  a  coupé  dans  le  pont  ! 

GODINOIS. 

Il  est  persuadé  que  tu  m'as  en  horreur  ! 

VIRGINIE,   qui  se  recouche. 

Et  tu  ne  sais  pas  ce  que  je  lui  ai  raconté?  qu'on 
commençait  à  jaser  ? 

GODINOIS. 

Non? 

VIRGINIE. 

Qu'on  disait  que  tu  étais  mon  amant  ! 

GODINOIS. 

"  Et  qu'est-ce  qu'il  a  répondu? 

VIRGINIE. 

Il  s'est  gondolé  ! 


18  UNE  NUIT  D'AMOUR 

GODINOIS. 

Je  me  demande  souvent  ce  qu'il  faut  le  plus 
admirer,  de  la  rouerie  des  femmes  ou  de  la  bêtise 
des  hommes  ! 

VIRGINIE. 

Les  deux  se  valent,  mon  chéri. 

GODINOIS. 

Merci! 

VIR9INIE. 

Ahl  on  peut  bien  lui  envoyer  une  lettre  anonyme 
maintenant...  elle  est  parée  ! 

GODINOIS. 

Décidément,  tu  songes  à  tout  ! 

VIRGINIE. 

Il  le  faut  bien,  quand  on  ne  veut  pas  être  pincé  I 
Et  le  plus  joli,  non,  je  te  le  donne  en  mille,  devine 
un  peu  ce  qu'il  a  décidé? 

GODINOIS. 

Quelque  chose  d'énorme? 

VIRGINIE. 

Que  tu  vienilrais  habiter  là-haut  dans  la  cham- 
bre d'amis! 

GODINOIS. 

Non,  tu  blagues? 

VIRGINIE. 

Parole  d'honnête  femme! 

GODINOIS. 

Ça,  c'est  plus  fort  que  tout! 

VIRGINIE 

Tu  penses  si  j'ai  crié! 


UNE  NUIT  D'amour  19 

GODINOIS. 

Comme  un  putois  ! 

VIRGINIE. 

Putois?  Dis  donc,  tâche  d'être  poli,  hein? 

GODINOIS. 

Un  joli  putois!  un  putois  d'amour! 

VIRGINIE. 

A  la  bonne  heure!...  Gomme  ce  sera  commode  : 
dés  qu'il  sera  parti,  j'irai  te  rejoindre  là-haut,  ou 
tu  descendras  ici. 

GODINOIS. 

Et  il  sera  cocu  à  tous  les  étages! 

VIRGINIE. 

Eh  bien,  tu  n'es  pas  encore  déshabillé? 

GODINOIS. 
Voilà!  voilà!    (n   est  ea    caleçon    et  prenant    une  enveloppe 
dans  la  poche  du  veston   qu'il  pose    sur   la  chaise.)   DevineS-tu 

ce  qu'il  y  a  là-dedans? 

VIRGINIE. 

Comment  veux-tu  que  je  sache? 

GODINOIS,  passant  à  droite  du  lit. 

Dix  milles  balles!...  J'ai  un  billet  à  payer  de- 
main! 

VIRGINIE. 

Tous  les  hommes  ont  donc  dix  mille  francs  sur 
eux,  aujourd'hui  ? 

GODINOIS. 

Ah  !  oui,  ton  mari  aussi  a  touché  dix  mille  francs. 

VIRGINIE. 

Il  te  l'a  dit? 


20  UNE   NUIT   d'amour 

GODINOIS. 

Est-ce  qu'il  a  quelque  chose  de  caché  pour  moi  ? 
D'abord  il  a  la  manie  de  raconter  ses  affaires  devant 
tout  le  monde  ! 

VIRGINIE. 

Oh  !  ça  ! 

GODINOIS. 

Ce  n'est  pas  comme  moi! 

VIRGINIE. 

Tu  as  bien  raison,  va,  mon  coco! 

GODINOIS. 

Et  je  sais  même  où  il  les  a  mis,  ses  dix  mille  : 
dans  la  commode,  sous  tes  pantalons. 

VIRGINIE,  riant. 

C'est  sa  cachette  !  On  n'est  pas  plus  imprudent  ! 

GODINOIS. 

Moi,  avant  de  me  pagnoter,  je  mets  toujours  ma 
galette  sous  mon  matelas,  comme  ça,  je  dors  dessus 

et  je   suis  plus  tranquille!...    (U  place  l'enveloppe   sous    le 

matelas.)  Là!  Et  maintenant,  une  petite  place   pour 
le  monsieur  s'il  vous  plaît. 

VIRGINIE,  se  reculant. 

Tiens,  mon  chéri,  en  voilà  une  toute  chaude! 

Godinois  saute  dans  le  lit. 
GODINOIS. 

Oh!  ma  Ninie! 

VIRGINIE. 

Mon  Totor  ! 

Ils  s'embrassent. 


UNE    NUIT   d'amour  21 

GODINOIS. 

Et  dire  que  cet  excellent  Letrinquier  est  en  ce 
moment  sur  la  route  de  Ver  non! 

VIRGINIE. 

Et  sur  quelle  route  es-tu,  toi,  grande  canaille  ? 

GODINOIS. 

Sur  celle  de  l'amour  ! 

VIRGINIE,  prêtant  l'oreille. 
Chut!...  Tais- toi  I 

GODINOIS. 

Hein?... 

VIRGINIE. 

On  dirait  qu'on  a  marché  dans  le  jardin? 

GODINOIS. 

C'est  sans  doute  la  bonne  qui  rentre  ? 

VIRGINIE. 

Non,  je  lui  ai  donné  campo  jusqu'à  demain.  (Prê- 
taQt  l'oreille.)  Je  n'entends  plus  rien  ! 

GODINOIS. 

Bah!  tu  as  rêvé  ! 

VIRGINIE,  rassurée. 

C'est  égal,  j'aurais  bien  cru... 

GODINOIS,  la  prenant  dans  ses  iras. 

Ma  Ninie  ! 

VIRGINIE. 
Mon  Totor  !...  (On  entend  à  la  cantonade  un  bruit  de  vitre 

brisée.)  Cette  fois,  je  n'ai  pas  rêvé...  On  a  cassé  un 
carreau...  (Poussant  un  cri.)  Dbs  cambrioleurs! 

GODINOIS. 

Plus  bas  donc  I 


33  UNE    NUIT    d'amour 

VIRGINIE,   à   voix  basse. 

Si  c'était  des  cambrioleurs? 

GODINOIS. 

Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  ce  ne  sont  pas  des 
encaisseurs  de  la  Banque  de  France. 

VIRGINIE,  frappée  d'une  idée  et  se  levant,  côté  gauche  du  lit. 

Ah!  mon  Dieu...  ils  auront  appris  que  mon  mari 
a  touché  dix  mille  francs  et  qu'ils  sont  dans  la 
commode. 

GODIXOIS,  se  levant  côté  droit. 

Parbleu!...  Voyons,  ne  nous  affolons  pas..-.  Ton 
mari  a  un  revolver  ? 

VIRGINIE. 

Oui..,  oui! 

GODINOIS. 

Où  est-il  son  revolver? 

VIRGINIE. 

Chez  l'armurier  ! 

GODINOIS. 

Hein? 

VIRGINIE. 

Il  était  rouillé. 

GODINOIS. 

Charmant!  Et  il  n'y  a  pas  un  fusil  ici,  une  arme 
quelconque? 

VIRGINIE. 

En  fait  d'armes,  il  n'y  a  que  des  cannes  à  pê- 
che ! 

GODINOIS. 

Des  cannes  à  pêches!  Eh  bien,  nous  voilà  gentils! 

Il  passe  à  gauche. 


UNE   NUIT   d'amour  33 

VIRGINIE,  prêtant  l'oreille  vers  la  porte  de  droite. 

Ah!  mon  Dieu!  J'entends  monter!... 

GODINOIS. 
Mets  le   verrou!...  (Virginie  met  te    verrou  à   la   porte  de 

droite.)  Nous  descendrons  tout  doucement  par  l'es- 
calier de  service.  (U  indique  la  porte  de  gauche.)  Et  une 
fois  dans  le  jardin... 

VIRGINIE,  gagnant  la  gauche. 

Ah!  je  ne  me  tiens  plus! 

GODINOISj  qui  est  allé  vers  la  porte  de  gauche  et  s  apprêtait  à 
l'ouvrir. 

Nom  de  nom! 

VIRGINIE. 

Hein? 

GODINOIS. 

On  vient  de  ce  côté  aussi! 

VIRGINIE,  défaillant. 

Nous  sommes  perdus  ! 

GODINOIS. 
Sapristi!  (Frappé  d'une  idée.)  Ah  !... 
VIRGINIE. 

Quoi  ? 

GODINOIS. 

Tant  pis,  ça  lui  coûtera   dix   mille   francs,  à  ton 
mari. 

Il  va  doucement  vers  la  porte  de  droite  et  ouvre  le  verrou. 
VIRGINIE. 

Que  fais-tu? 

GODINOIS. 

J'ouvre  le  verrou  ! 


24  UNE    NUIT    d'amour 

VIRGINIE,   allant  à  droite. 

Malheureux! 

GODIN'OIS. 

Chut!...  Je  vais  éteindre...  Ils  croiront  la  mai- 
son vide  et  nous  les  laisserons  opérer  tranquille- 
ment... Cache-toi  sous  le  lit  !... 

Il  éteint  la  lumière    Virginie  se  cache  sous  le  Ut,  à  droite,   et 
Godinois  à  gauche. 


SCENE   IV 
VIRGINIE  et  GODINOIS,  cachés,  JULOT,  POLYTE. 

Un  temps,  puis  la  porte  de  droite  s'ouvre  tout  doucement  et  Julot 
paraît.  Il  tient  d'une  main  une  lanterne  électrique  de  poche  et 
de  l'autre  un  revolver...  Il  entre  avec  précaution  et  regarde  au- 
tour de  lui. 

JULOT. 

Personne  ici  non  plus!...  c'est  bien  la  chambre 
à  coucher...  et  v'ià  la  commode.  Pas  d'erreur, 
les  proprios  sont  partis  dans  l'auto!...  (n  va  vers  la 

porte  de  gauche  et  se   met  à  siffler,  puis  remettant  son    revolver  en 

poche.)  On  peut  remiser  Joséphine  et  y  aller  de  la 

lumière.   Ousqu'est    le   truc?...     (Apercevant    un    bouton 
électrique  près  de  la  porte  de  droite.)  Ail  !   le  vlà  ! 

Il  tourne  le  bouton  lumière.  On  aperçoit  sous  le  lit  lee  pieds 
de  Godinois  et  de  Virginie. 

POLYTE,  passant  la  tête  par  la  porte  de  gauche. 

Psst! 


UNE   NUIT   d'amour  25 

JULOT. 

Ben  quoi?  Faut-il  t'envoyer  l'autobus  pour   que 
tu  t'amènes? 

POLYTE. 

Y  a  pas  de  danger  ? 

JULOT,  avec  pitié. 

Non,  écoutez-moi  ça  ! 

POLYTE,  entraut. 

Bien  sûr,  hein  ? 

JULOT. 

Veux-tu  bien  t'amener  ?  La  cambuse  est  vide! 

POLYTE,  rassuré. 

Ah!  j'aime  mieux  ça!  J'ai  pas  un  poil  de  sec! 

JULOT. 

Ahl  malheur!  (Montrant  Poiyte.)  Et  ça  a  vingt  ans! 
Et  c'est  mon  neveu,  le  fils  de  feu  ma  sœur,  la 
grosse  Adèle  qu'a  laissé  un  nom  sur  les  fortifsl... 
Tiens,  t'es  la  honte  de  la  famille  ! 

POLYTE. 

Mon  oncle  I 

JULOT. 

Ferme  çat...  T'es  la  honte  que  j'te  dis!...  Mon- 
sieur voudrait  travailler  dans  les  endroits  de  tout 
repos,  ous  qu'on  n'risque  rien  :  le  musée  du  Lou- 
vre! 

POLYTE. 

Dame!  L'gouvernement  y  met  des  gardiens  pour 
protéger  les  cambrioleurs  quand  y  travaillent! 

Il  a  tiré  de  sa  poche  un   flacon  d'eau  de   mélisse  et  boit  une 
gorgée. 

3 


36  UNE   NUIT    D'AMOUR 

JULOT. 
Eh  ben,  qnéqu'tu  bois? 

POLYTE. 

D'  Teau  de   mélisse!...  J'ai  fait  un  llacon  c'ma- 
tin  chez:  un  pharmacien  d'Asnières. 

JULOT,  avec  pitié. 

D'  l'eau  de  mélisse!...  Tenez,  la  v'ià  la  jeunesse 
d'aujourd'hui!  Pauvr'  France,  va! 

POLYTE. 

Mon  oncle,  faut  être  juste,  j'débute,  et  toi  v'ià 
28  ans  que  tu  travailles! 

JULOT,   rectifiant. 

29!...  Dans  un  an  j'aurai  droit  à  la  médaille! 

POLYTE. 

T'es  secrétaire  du  syndicat  des  cambrioleurs  de 
la  Seine.  Et  quand  j'aurai  ton  âge... 

JULOT,  rinterrompant. 

Allons,  assez  jaspiné,  v'jà  la  commode  ou  s  qu"est 
r  magot. 

POLYTE. 

Combien  qu'y  a? 

JULOT,  tirant  de  sa  poche  uq  trousseau  de  fausses  clefs. 

Dix  mille  balles  sous  les  falsars  de  la  damel 

POLYTE. 

Non  ? 

JULOT, 

Hein!  Tu  renifles  ! 

POLYTE. 

Dix  mille  !  ! 


UNE  NUIT  D'amour  27 

JULOT. 

Moins  cinq  pour  cent  pour  la  caisse  des  retrai- 
tes!... Faut  pas  oublier  ceux  qui  n'peuvent  plus 
travailler  ! 

POLYTE. 

J'pourrai  payer  une  chouette  robe  à  la  grande 
Irma  I 

JULOT. 

Les  femmes!...  V'ià  à  quoi  qu'ça pense! 

POLYTE. 

Elle  est  gironde! 

JULOT. 

Mon  p'tit,  écoute-moi:  méfie-toi  du  sesque!... 
Sans  les  femmes,  tel  que  tu  m'vois,  j's'rais  peut- 
être  au  jour  d'aujourd'hui  ministre  des  finances. 

(Tendant  le  trousseau  de  fausses  clefs  à  Polyte  tout  en  montrant  la 

commode.)  Ouvre-moi  ça  que  je  voie  si  t'as  fait  des 
progrès! 

POLYTE. 

Oui^  mon  oncle  ! 

JULOT. 

Ah!  si  je  n'avais  pas  juré  à  sa  pauv'  mère  d'veil- 
1er  sur  lui  et  d'iui  faire  un'  situation  !  (a  Poiyte  qui 

essaie    vainement    d'ouvrir.)     Eh     heU,    qué    qu'tu    fùis?... 

Que  qu'tu  fais?... 

POLYTE. 

C'est  un  peu  dur  ! 

JULOT. 

Ah!  malheur!  T'es  donc  maladroit  comme  un 
architec?  Tiens,  passe-moi  ça...  que  j'te  montre! 

POLY'TEj  lui  passant  le  trousseau. 

Oui,  mon  oncle  ! 


28  UNE  NUIT  D'amour 

JULOT. 
Et   regarde  bien,  c'te  fois!...    (il   entre  une    fausse  clef 

dans  la  serrure.)  T'appuie  pas...  tu  glisses...  comme 
ça...  joliment...  bellement.,,  que  ça  entre  comme 
dans  une  motte  de  beurre...  puis  tu  tournes  à  la 
douce...  sans  rien  brusquer...  làl...  Et  ça  s'ouvre 
tout  seul...  qu'on  dirait  l'sourire  de  la  Joconde  ! 

11  ouvre  le  premier  tiroir  de  la  commode. 
PO  L  Y  TE,  émerveillé. 

T'es  épatant,  tu  sais  ! 

.IULOT. 

On  en  a  décoré  qui   ne  travaillaient  pas' comme 
ça! 

POLYTE. 

Pour  sûr!  Y  a  pas  de  justice! 

JULOT. 

Si,  hélas,  sans  ça  l'métier  serait  trop  beau  !  T'as 
bien  compris,  c'tte  fois  ? 

POLYTE. 

Oui,  mon  oncle. 

Julot  jette  le  trousseau  de  clefs  à  Polyle  ;  mais  celui-ci  le  laisse 
tomber. 

JULOT. 
Gourde,    va!    (Se    disposant    à    fouiller  dans   la    commode.) 

Voyons  sous  les  falsars! 

Mais  Polyte  s'est  penché  pour  ramasser  le  trousseau  de  clefs, 
en  se  penchant,  il  aperçoit  les  pieds  de  Virginie  et  de  Go- 
dinois;  il  se  relève  en  poussant  un  cri  qui  s'étrangle  dans 
sa  gorge  et  se  met  à  trembler  de  tous  ses  membres. 

POLYTE,  à  voix  basse. 

Mon  oncle  !  mon  oncle  ! 


UNE    NUIT   d'amour  29 

JULOT. 
Eh  ben  quoi  ?  Que  qu'tas  ? 

PO  L  Y  TE,   à  voix  basse. 

Là...  sous  le  lit! 

JULOT. 
Sous  le  lit  !...    (il  regarde  et  gaiement.)  DeUX  paires  de 

zépiedsf...  Ah!  Elle  est  bonne!  (a  Poiyte  qui  veut  se 
sauver.)  Eh  ben  !  où  qu'tu  vas  ?  Veux-tu  bien  rester  I 

POLYTE,  à  part,  tremblant. 

Ah!  que  métier!  que  fichu  métier! 

JULOT,  qui  a  tiré   son   revolver  et  à  haute    voix,   clans  la  direc- 
tion du  lit. 

Alors,  on  s'a  caché  sous  1'  plumard? 

VIRGINIE,    sous  le  lit. 

Il  nous  a  vus! 

JULOT,  passant  à  droite. 
Allons,    houst,   sortez  !    (Les  quatre  pieds  s'agitent  frénéti- 
quement.) Mais  minute!  Pas  ensemble!  Deux  zépieds 
d'abord...  ceusses  de  droite,  ou  je  tire! 

VIPiGINIE,  sortant  de  dessous  le  lit. 

Non!  Ne  tirez  pas!  ne  tirez  pas  ! 

JULOT. 

La  dame  est  en  liquettel 

VIRGINIE. 

Messieurs  les  cambrioleurs  vous  pouvez  empor- 
ter tout  ce  que  vous  voudrez,  mais  ne  nous  faites 
pas  de  mal! 

JULOT. 

Rassurez-vons;,     Marquise,     du    moment    qu'on 

2. 


30  UNE  NUIT  D'amour 

n'   rouspète  pas,  j'  suis  doux    comme   un    gigolo 
d'agneau  ! 

POLYTE,  à  part. 

Gironde,  elle  aussi! 

JULOT,   montrant  les  pieds  de  Godinois. 

Aux   deux   autres   zépieds   maintenant...    Allez, 
houst  1 

Godinois  sort  de  dessous  le  lit,  côté  gauche. 
VIRGINIE,  à  part. 

J'en  ferai  une  maladie! 

GODINOIS,   les  cheveus  ébouriffés. 

Ah!  vous  avez  de  la  chance,  que  je  ne  sois  pas 
armé! 

JULOT,  le  menaçant  de  son  revolver. 

Sage,  hein?  Ou  j'  donne  la  parole  à  Joséphine. 

VIRGINIE,  vivement. 

Non!  Non!  laissez  Joséphine  tranquille! 

JULOT,  à  Godinois. 

Les  bras  le  long  du  corps...  Bon!...  Et  mainte- 
tenant  contre  le  plumard... 

Il  indique  la  tête  du  lit. 
GODINOIS. 

Hein? 

JULOT. 
Allez,  allez!    (Godinois    se   met  contre  le   lit,  au  fond.)  Et 

toi,  Polyte,  attache-le  solidement. 

POLYTE,  qui  a  tiré  une  corde  de  sa  poche. 

Oui,  mon  oncle. 

Il  va  à  Godinois  et  l'attache  aux  barreaux  du  lit. 
GODINOIS. 

Quoi!  vous  voulez? 


UNE  NUIT   d'amour  31 

VIRGINIE. 

Laissez-vous  faire,  mon  ami. 

JULOT. 

J'entends  ton  épouse  ?  A  parle  d'or?  Ça  y  est  Po- 
lyte? 

POLYTE. 

Oui,  mon  oncle. 

JULOT. 

A  votre  tour,  marquise. 

Il  lui  indique  l'autre  côté  du  Ut. 
VIRGINIE. 

Qaoil  VOUS  voulez  aussi? 

JULOT. 

Je  vous  en  prie...  Et  de  la  douceur  avec  le  ses- 
que,  pas  Polyte  ? 

POLYTE. 

Oui,  mon  oncle. 

Il  va  attacher  Virginie. 
JULOT. 

Gomme  dit  la  chanson  : 

Ctiantant. 

Avec  les  femm's  faut  toujours  être  galant  ! 

POLYTE. 

Ça  y  est,  mon  oncle. 

JULOT. 

Pardon,  marquise,  dans  quel  tiroir  les  10.000  bal- 
les ? 

VIRGINIE, 

Le  premier  tiroir...  sous  mes  pantalons. 


32  UNE    NUIT   d'amour 

JULOT. 

Dans  le  premier  tiroir,  sous  les  pantalons,  les  ren- 
seignements étaient  exacts,  (a  Poij-te.)  T'as  entendu, 
Polyte?...  (Poiyte  va  vers  la  commode.)  Va  chercher  les 
faflots...  Et  proprement,  hein?  N'  salis  pas  1'  linge 
de  madame...  que  garde  un  bon  souvenir  de  nous! 

Il  gagne  la  gauche. 
POLYTE. 

Les  v'ià,  mon  oncle,  dans  une  enveloppe. 

11  passe  l'enveloppe  à  Julot. 
JULOT,  lisant  la  suscription. 

M.  Letrinquier   à  Colombes...   (ouvrant  l'enveloppe). 

Voyons  si  le   compte  y    est.  (Comptant  les  bUlets  qu'il  tire 

de  l'enveloppe.)  Un,...  deux,...  trois,...  quatre,  cinq,  six, 
sept,  huit,  neuf,  dix!...  Il  y  est!..,  on  est  chez  des 

honnêtes  gens!...   (Mettant  l'argent   dans  sa  poche.)  Sur  Ce 

à  l'honneur  de  vous  revoir. 

VIRGINIE. 

Vous  n'allez  pas  nous  laisser  ainsi  ! 

GODINOIS. 

Maintenant  que  vous  avez  l'argent,  détachez- 
nous. 

JULOT. 

Penses-tu!  Pour  donner  l'éveil,  dès  qu'on  aura 
l'dos  tourné?  Quand  on  travaille,  faut  toujours  as- 
surer ses  derrières,  t'entends,  Polyte  ? 

POLYTE. 

Oui,  mon  oncle. 

VIRGINIE. 

Monsieur  le  cambrioleur,  je  vous  en  supplie! 


UNE    NUIT   d'amour  33 

GODINOIS. 

Je  vous  donne  ma  parole  que  nous  vous  laisse- 
rons partir  tranquillement. 

JULOT. 

Oui  !  Oui  ! . . .  Connu  ! . . .  La  boniche  vous  détachera 
demain  matin. 

VIRGINIE. 

Ecoutez,  monsieur  le  cambrioleur,  j'aime  mieux 
tout  vous  dire  :  Monsieur  n'est  pas  mon  mari,  il 
est  mon  amant! 

JULOT. 

Non? 

P  CL  Y  TE,  scandalisé. 

Oh! 

JULOT,  gagnant  la  droite. 

Alors  on  faisait  un  cocu  ?  Et  monsieur  est  l'ami 
du  mari? 

GODINOIS. 

Qu'est-ce  que  ça  peut  vous  faire  ? 

JULOT. 

Ce  que  ça  peut  me  faire?  (sévèrement.)  Ça  m'  fait 
que  ça  m'  dégoûte!...  J'  suis  pour  la  morale  et  la 
famille,  moi!  pas  Polyte? 

POLYTE. 

Oui,  mon  oncle. 

JULOT 5   avec  reproche,  à  Virginie. 

Et  sous  son  toit,  encore!  Dans  son  propre  plu- 
mard!... Un  joli  exemple  que  vous  donnez  à  c'  t' 
enfant  ! 

Il  montre  Polyte. 


34  UNE  NUIT   d'amour 

GODINOIS. 

Ah!  je  vous  conseille  de  parler  d'exemple!...  Un 
cambrioleur  I 

JULOT. 

Ben,  et  toi,  l'enflé,  tu  ne  l'es  donc  pas,  cambrio- 
leur? 

GODINOIS. 

Moi  ? 

JULOT. 

Et  un  p-îu!  Si  je  lui  ai  pris  sa  galette,  toi,  tu  lui 
as  pris  sa  femme  !...  Seulement,  moi,  je  ne  suis  pas 
son  ami,  je  ne  lui  serre  pas  la  main,  je  ne  m'assieds 
pas  à  sa  table...  et  le  plus  salaud  de  nous  deux, 
c'est  encore  toi!...  Aussi  tant  mieux  si  t'es  pincé! 
Sur  ce,  bonne  nuit.  (Gagnant  la  gauche)...  Passe  devant 
Polyte. 

Il  indique  la  gauche. 
POLYTE. 

Oui.  mon  oncle!... 

Fausse  sortie. 

JULOT. 

Un  instant!  (.v  part.)  Faut  que  je  le  prévienne!... 

Il  va  vers  la  commode,  ouvre  le  buvard  dans  lequel  est  une 
grande  feuille  de  papier  toute  préparée  et  sur  laquelle  est 
écrit  en  gros  caractère  bien  visibles  :  «  Letrinquier,  t'es 
cocu  )).  Le  dos  au  public,  il  fait  semblant  d'écrire. 

VIRGIN IK,  à  Godinois. 

Qu'est-ce  qu'il  écrit? 

GODINOIS. 

Je  ne  sais  pas! 

Julot  saute  sur  le  lit,  la  feuille  de  papier  à  la  main  et,  à 
l'aide  de  deux  épingles  la  fait  tenir  sur  le  mur. 


UNE    NUIT    D"AM0UR  35 

JULOT,  à  Polyte,  sautant  du  lit. 

J'ai  pas  raison? 

POLYTE, 

Oui,  mon  oncle! 

JULOT. 

.1'  suis  pour  la  morale  et  la  famille  !  (a  Poiyie.)  File 
clampin. 

POLYTE. 

Oui,  mon  oncle! 

Il  sort  par  la  gauche. 
JULOT,  apercevant  le  costume  de  Godinois  sur  la  chaise. 
Tiens,   1'   complet    du   gigolot!...   (ll  prend  le   costume, 
les  chaussures  et  le  chapeau  de  Godinois.)    Il  me  servira  pour 

aller  au  Grand  Prix! 

GODINOIS. 

Il  emporte  mes  vêtements! 

JULOT,  sur  le  seuil  de  la  porte  à  Godinois  et  à  Virginie. 

Dites-donc,  n'  faites  pas  d'enfant! 

Il  disparaît  par  la  gauche. 


SCENE   V 

GODINOIS,  VIRGINIE,  puis  LETRINQUIER. 

GODINOIS. 

Et  il  se  paie  notre  tête,  encore  ! 

VIRGINIE. 

Eh  bien,  nous  voilà  gentils! 


36  UNE    NUIT    D'AMOUR 

GODINOIS. 

Attendez,  je  vais  tâcher  de  défaire  la  corde...  si  je 
pouvais  au  moins  avoir  une  main  de  libre...  Non! 
impossible  ! 

VIRGINIE. 

Vous  n'avez  donc  aucune  force,  aucune  énergie? 

GODINOIS. 

Je  fais  des  efforts  surhumains! 

VIRGINIE. 

Allons  donc!...  Vous  n'êtes  qu'une  poule  mouil- 
lée! 

GODINOIS. 

Moi? 

VIRGINIE. 

Si  vous  aviez  pour  deux  sous  de  courage,  au  lieu 
de  vous  cacher  dans  le  lit,  vous  vous  seriez  jeté  à 
la  tête  de  ces  misérables! 

GODINOIS. 

Sans  armes,  sans  rien?  Pour  me  faire  tuer? 

VIRGINIE. 

Au  moins  pendant  ce  temps  là  j'aurais  pu  me 
sauver  1 

GODINOIS. 

Charmant! 

VIRGINIE. 

Mais  non,  monsieur  ne  pensait  qu'à  sa  peau!... 
Et  me  voilà  à  la  merci  d'une  bonne!...  Et  demain 
je  serai  la  fable  de  tout  le  pays!...  Quelle  leçon! 

GODINOIS. 

Vous  pouvez  le  dire! 


UNE   NUIT    d'amour  37 

VIRGINIE. 

Et  si  j'avais  su  ! 

GODINOIS. 

Et  moi  donc  ! 

VIRGINIE. 

Toute  une  nuit  à  passer  ainsi  ! 

GODINOIS. 

Et  j*ai  une  soif  avec  ça  ! 

On  entend  à  la  cantonade  une  corne,  une  automobile  qui  corne 
et  s'approche. 

VIRGINIE,   poussant  un  cri 

Ah  î  mon  Dieu  ! 

GODINOIS. 

Quoi? 

VIRGINIE. 

On  dirait  l'automobile  de  Ghamoulard! 

GODINOIS. 

Hein  ! 

On  entend  l'automobile  s'arrêter. 
VIRGINIE. 

Oui!...   Elle  s'arrête  à   la  porte!...    C'est   mon 
mari  qui  revient  ! 

GODINOIS. 

Nom  de  Dieu  ! 

VIRGINIE. 

Allez-vous  en  !  Allez-vous  en  vite  ! 

GODINOIS. 

M'en  aller?  Mais  je  ne  peux  pas!...  Plus  je  fais 
d'efforts  pour  me  détacher,  plus  la  corde  se  serre  ! 

3 


38  UNE    NUIT    d'amour 

VIRGINIE. 

Coupez  là  avec  vos  dents  ! 

GODINOIS. 

Mais  je  ne  peux  pas  non  plus  ! 

VIRGINIE. 

Il  ne  peut  rien!...  Et  dire  que  j'ai  aimé  un 
homme  comme  ça! 

LETRINQUIER,   à  la  cantonade. 

N'aie  pas  peur,  c'est  moi! 

VIRGINIE. 

Qu'est-ce  que  nous  allons  lui  dire?  Trouvez  donc 
quelque  chose  I 

GODINOIS. 

Eh!  que  voulez-vous  que  je  trouve?  Nous  som- 
mes foutus  ! 

VIRGINIE;  frappée  d'une  idée. 

Ah! 

GODINOIS. 

Vous  avez  trouvé  ? 

VIRGINIE. 

Evanouissons-nous  ! 

Godinois  et  Virginie  font  semblant  d'être  évanouis. 
LETRINQUIER,  entrant  par  la  droite. 

Figure-toi  que  Ghamoulard  s'est  trouvé  indis- 
posé tout  à  coup,  alors...  (Mais  apercevant  Godinois  et  Vir- 
ginie, il  pousse  un  cri.)  Ah!...  qu'est-cB  que  c'est  que 
ça?...   Ma  femme!  Godinois  en  caleçon!  Attachés 

et  évanouis    tous    les  deux  !   (Voyant  le  papier  sur  le  mur.) 

Tiens  on  dirait  qu'il  y  a  quelque  chose  d'écrit  là- 
haut,  (u  met  son  lorgnon  et  lit  :)  «  Letrinquier,  tu  es 
cocu  ».  (Parlé.)  Hein! 


UNE   NUIT   D'AMOUR  39 

GODINOIS,  à  part. 

La  rosse  ! 

LETRIKQUIER. 

Cocul!  Ah!  nom  de  nom!...  Mais  alors,  les  misé- 
rables me  jouaient  donc  la  comédie?  (Secouant  Virginie.) 

Virginie!  Virginie!!  Virginie!!! 

VIRGINIE,  feignant  de  revenir  à  elle  et  d'une  voix  faible. 

Toi?  C'est  toi? 

LETRIXQUIER. 

Madame,  voulez-vous  m'expliquer  ! 

VIRGINIE,  d'une  voix  mourante. 

Détache-moi  d'abord  ! 

LETRINQUIER. 

Pas  avant  que  vous  ne  m'ayez  expliqué... 

VIRGINIE,  feignant  de  s'évanouir. 

Ah! 

LETRINQUIER. 

Hein  ?  Elle  s'évanouit  de  nouveau!...  (La  secouant.) 
Virginie!  Virginie!...  (Enlevant  la  corde.)  Ah!  je  te 
forcerai  bien  à  parler.. .  et  tu  ne  perdras  rien  pour 
attendre. 

Il  la  détache. 
VIRGINIE. 

Enfin! 

LETRINQUIER. 

M'expliquerez-vous,  maintenant  ? 

VIRGINIE,  éclatant. 

Imbécile  !  Idiot  !  Crétin  !  Ane  bâté  I  Triple  buse! 

LETRINQUIER,  ahuri. 

Hein? 


40  UNE   NUIT   d'amour 

VIRGINIE. 

Non,  regardez-moi  monsieur  qui  va  raconter  de- 
vant tout  le  monde  qu'il  a  touché  dix  mille  francs 
et  qu'il  cache  son  argent  dans  la  commode,  sous 
mes  pantalons  ! 

LETRINQUIER,   se  précipitant  vers  la   commode  dont  le  tiroir 
est  resté  ouvert. 

Ah!  mon  Dieu  !  Des  cambrioleurs? 

VIRGINIE. 

Oui,  des  cambrioleurs  ! 

LETRINQUIER,  qui  a  regardé  sous  les  pantalons. 

Plus  rien!  Volé!  Je  suis  volé  et  cocu  par  dessus 
le  marché  ! 

VIRGINIE,  indignée. 

Qu'est-ce  que  c'est? 

LETRINQUIER. 

Oui,  oui,  je  comprends  tout!...  Ils  vous  ont  sur- 
pris au  lit,  tous  les  deux... 

VIRGINIE. 

Ah  !  tenez,  je  l'aurais  parié  ! 

LETRINQUIER. 

Vous  dites  ? 

VIRGINIE. 

Je  dis  que  votre  ami  Godinois  en  allant  à  la  gare 
a  vu  deux  apaches  qui  se  dirigeaient  vers  la  mai- 
son et  qu'il  a  voulu  sauver  notre  argent! 

GODINOIS,   à  part. 


Pas  bête  ! 
Vraiment? 


LETRINQUIER,  incrédule. 


UNE    NUIT   d'amour  41 

VIRGINIE. 
Et  après  avoir  déshabillé  monsieur,  ils  nous  ont 
attachés  tous  les  deux... 

LETRINQUIER,  toujours  incrédule. 

Et  ils  ont  écrit  :  «  Letrinquier,  tu  es  cocu!  » 

VIRGINIE. 

Pour  se  venger  de  n'avoir  rien  trouvé. 

LETRINQUIER,  même  jeu. 

Comment!  puisque  l'argent  n'y  est  plus! 

VIRGINIE. 

Il  n'est  plus  dans  la  commode,  mais  il  est  sous  le 
matelas  ! 

GODINOIS,  à  part,  furieux. 

Hein? 

LETRINQUIER,  ahuri. 

Sous  le  matelas  ? 

VIRGINIE,  aUanl  chercher  les  dix  mille  francs  de  Godinois 
et  tirant  les  billets  de  l'enveloppe. 

Où  j'avais  eu  le  temps  de  les  cacher.  (Lui  donnant 
les  billets.)  Tiens. 

LETRINQUIER,   ravi. 

Mes  dix  mille  francs!! 

GODINOIS,  à  part. 

Ah  !  elle  est  raide  ! 

VIRGINIE,  à  part. 

Tant  pis,  c'est  lui  qui  paiera! 

LETRINQUIER,  allant  tout  joyeux  à  Godinois. 

Godinois!  Mon  vieux  Godinois! 

11  défait  les  cordes. 


42  UNE   NUIT  d'amour 

GODINOIS,  comme  s'il  revenait  à  lui. 

Letrinquier  ! 

LETRINQUIER. 

Oui,  ton  vieil  ami  Letrinquier  qui  n'oubliera  ja- 
mais ce  que  tu  as  fait  pour  lui.  (Redesceadant  ainsi  que 
Godinois  qui  se  trouve  au  milieu,  entre  Virginie  et  Letrinquier.)  Et 

si  un  jour   tu   as  besoin  de  quelque  chose,  ne  te 
gêne  pas,  tu  sais!.., 

GODINOIS. 

Eh  bien,  ce  jour  est  arrivé  :  j'ai  justement  besoin 
de  dix  mille  francs...  un  billet  à  payer  demain. 

LETRINQUIER. 

Te  prêter  dix  mille  francs  ? 

GODINOIS. 


Oui. 
Mais. 


LETRINQUIER,  hésitant. 


VIRGINIE,  à  Letrinquier. 

Je  ne  veux  pas  t'influencer,  mais  quand  on  prête 
de  l'argent  à  un  ami  on  se  brouille  toujours  avec 
lui. 

LETRINQUIER,  vivement. 

Elle  a  raison  ! 

GODINOIS 

Tu  refuses...  après  ce  que  jai  fait  pour  toi? 

LETRINQUIER. 

Justement...  tu  m'as  rendu  un  trop  grand  service 
pour  que  je  me  brouille  jamais  avec  toi  ! 

GODINOIS. 

Hein? 


UNE  NUIT  d'amour  43 

VIRGINIE. 

Il  a  raison  I 

LETRINQUIER. 

Tu  entends  ? 

GODINOIS. 

Si  tu  écoutes  madame,  maintenant! 

LETRINQUIER,  sévèrement. 

Ah  !  je  te  prierai  de  prendre  un  autre  ton  en  par- 
lant de  ma  femme  ! 

GODINOIS,    interloqué. 

Mais... 

LETRINQUIER,  lui  coupant  la  parole. 

Il  n'y  a  pas  de  mais.  Et  si  mon  observation  le 
déplaît  je  ne  te  retiens  pas. 

GODINOIS,   furieux. 

Ah  !  c'est  ainsi?  Eh  bien,  je  m'en  vais... 

VIRGINIE,  qui  ressaute  sur  le  lit. 

Bon  voyage  ! 

LETRINQUIER. 

Oui.  Foutez  le  camp  !  Bon  voyage  ! 

GODINOIS. 

Seulement  je  ne  peux  pas  m'en  aller  comme  ça... 
Ils  ont  emporté  mes  vêtements...  Prête-moi  quel- 
que chose. 

LETRINQUIER. 

Quel  tapeur  !  (Lui  donnant  son  chapeau.)  Tenez,  voilà 
mon  chapeau,  c'est  tout  ce  que  je  peux  faire  pour 
vous  I 


44  UNE   NUIT    d'amour 

GODIXOIS. 

Merci!...  Ahf  oui  elle   est  raide   celle-là!  Des 
mufles,  vous  entendez,  des  raufles!  I 

Il  sort  furieux  par  la  droite. 
VIRGINIE. 

Il  ne  t'aurait  jamais  rendu  un  sou,  tu  sais? 

LETRINQUIER. 

C'est  un  sale  individu  ! 

Lelrinquier   commence  à   se  déshabiller,    tandis  que  le  rideau 
tombe. 


Rideau. 


Imprimerie  Générale  de  Châtillon-sur-Seuc.  —  .A..  Pichaï. 


PQ  Henneqiiin,  Maurice 

2615  Une  nuit  d'amour 


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