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Une nuit d'amour
PIEGE EN UN ACTE
Représentée pour la première fois, à Paris
sur le Théâtre dd Grand Guignol, le 24 mars 1912.
P.'V. ISTOCK, EDITEUR, PARIS
DES MÊMES AUTEURS :
Une aventure impériale, pièce en un acte.
DE M. MAURICE HENNEQUIN :
Yelie, comédie en un acte.
Crime passionnel, pièce en un acte.
Tais-toi, mon cœur'., pièce en trois actes.
Une grosse affaire, pièce en trois actes.
Noblesse obliç/e! pièce en trois actes.
Vingt jours a Vombre, pièce «n trois actes.
Vous n'avez rien à déclarer?, pièce en trois actes.
Floretle et Patapon, pièce en trois actes.
Le Gant, pièce en un acte.
La Gueule du loup, comédie en trois actes.
Les Dragées d'Hercule, pièce en trois actes.
Heureuse! comédie en trois actes.
M' amour, comédie en trois actes.
Nelly Rozier, comédie en trois actes.
La famille Boléro, pièce en trois actes.
Le Paradis, pièce en trois actes.
Monsieur Irma, comédie en un acte.
La Guerre joyeuse, opéra-comique en trois actes.
Le Marquis de Kersalec, comédie en un acte.
Les Vacances du mariage, comédie en trois actes.
Les Oiseaux de passage, comédie en un acte.
Un Mariage au téléphone, comédie en un acte.
Un Prix Montyon, comédie en trois actes.
La Petite Poucette, opérette en cinq actes.
Le Systè7?ie Ribadier, comédie en trois actes.
La Femme du commissaire, vaudeville en trois actes.
Les Joies du foyer, comédie en trois actes.
Le S"" Hussards, opéra-comique en trois actes.
Les Ricochets de l'amour, comédie en trois actes.
Inviolable! comédie en trois actes.
Sa Majesté l'Amour, opérette en trois actes.
La Terre-Neuve, comédie en trois actes.
Les Fêtards, opérette en trois actes.
Place aux Femmes!, comédie en quatre actes.
La Poule Blanche, opérette en quatre actes.
Coralie et C'S pièce en trois actes.
Le Remplaçant, comédie en trois actes.
Le Coup de Fouet, comédie-vaudeville en trois actes.
Le Voyage autour du Code, pièce en quatre actes.
Toiote et Boby, comédie en un acte.
La meilleure des femmes, comédie en trois actes.
Aimé des Femmes! comédie en trois actes.
Une heure après je le jure! comédie en un acte.
MAURICE HENNEQUIN & SERGE BASSET
Une nuit
d'amour
PIÈGE EN LN ACTE
PARIS. — I"
P.-V. STOCK, ÉDITEUR
155, RUE SAlNT-HONORÉj l55
igi2
Tous droits de reproduction, de traduction et d'analyse réservés pour tous
les pays, y compris la Suède et la Norvège.
Eotered according to act of Congress, io the year 191 i, by .M. Henuequin
et S. Basset, in the office of the Librariau of Congress at Wasbingtou.
PERSONNAGES
G0DIN0I3 MM. Grêhan.
JULOT. Defresne.
LETRINQUIER Lagrange.
POLYTE Nicole.
VIRGINIE M""^ Suzanne Gallet,
/ - ,
t4A/'E
UNE
NUIT D'AMOUR
Le théâtre représente une chambre à coucher. Face au public, un
lit de milieu. Porte à droite et à gauche au premier plan toutes les
deux. A gauche, entre la porte et le pied du lit, un guéridon. A
droite un meuble quelconque ou une fenêtre. Une chaise de chaque
côté du guéridon. Contre la commode, au fond, une canne à pêche.
Sur la commode, deux chapeaux, celui de Godinois et celui de Le-
Irinquier. Sur la dite commode également un buvard, une boîte à
asticots, un filet de pêcheur.
SCENE PREMIERE
GODINOIS, LETRINQUIER, VIRGINIE.
Au lever du rideau, Godinois et Letrinquier jouent aux dominos sur
le guéridon. Virginie est couchée, complètement dissimulée sous
les couvertures. Il est neuf heures et demie du soir. Electricité.
LETRINQUIER, à gauche du guéridon.
Là... je pose mon double six et je t'attends au
coin du bois !
6 UNE NUIT D AMOUa
GODIXOIS.
Six partout ?... Je n'en ai pas.
LETRINQUIER, montrant les dominos.
Alors, touille, mon vieux, touille!
GODIXOIS.
Je ne fais que ça f
LETRINQUIER, déclarant.
Quand on n'est pas une fripouille,
Ça fait plaisir de voir un vieil ami qui touille !
GODINOIS, tout en touillant.
C'est de toi ces deux- vers là?
LETRINQUIER.
Si je te répondais que c'est d'André Chénier,
qu'est-ce que tu dirais ?
GODINOIS.
Qu'il a bien fait de mourir jeune ! Il n'y a plus
de six ?
LETRINQUIER.
Non, mon vieux, vu que voici le dernier... je le
pose!... As-tu de l'as?
GODINOIS, remuant bruyamment les dominos.
De l'as ?... de l'as ?...
VIRGINIE, furieuse, se mettant à genoux sur le lit.
Ah ! ça. dites donc, vous n'avez pas bientôt fini ?
LETRINQUIER.
Gomment, ma jolie, tu ne dors pas encore ?
VIRGINIE.
Dormir ? Avec le potin que vous faites?
LETRINQUIER.
Le potin ?
UNE NUIT D'AMOUR 7
VIRGINIE.
Non, mais je vous retiens, vous savez! Venir jouer
jusque dans ma chambre !
LETRINQUIER.
Ça sent encore la peinture dans le salon et dans
la salle à manger...
VIRGINIE.
C'est vrai, ça, j'ai la migraine, je monte me cou-
cher à huit heures et demie...
LETRINQUIER, l'interrompant.
Allons, ne te fâche pas.
VIRGINIE.
Je ne sais pas ce qui me retient de les jeter par
la renêtre, vos sacrés dominos !
LETRINQUIER, à Godinois.
C'est à toi de jouer, tu sais.
GODINOIS.
J'attendais que ta femme ait fini de parler.
VIRGINIE, agressive.
Hein ? Quoi? Qu'est-ce qu'il dit, celui-là?
GODINOIS.
Je dis, chère madame...
VIRGINIE, rinterroinpant.
Chère madame ! D'abord, je vous prie d'enlever
cet adjectif et de m'appeler madame tout court.
LETRINQUIER, voulant les faire taire, se levant.
Virginie!...
VIRGINIE.
Il veut m'imposer silence, ici, dans ma cham-
bre!
8 UNE NUIT d'amour
GODINOIS.
Pardon, madame, je n'ai pas dit...
VIRGINIE, continuant.
Un pique-assiettes pareil !
GODINOIS, vexé, se levant.
Madame Letrinquier !
LETRINQUIER, passant derrière le guéridon et tout en faisant
rasseoir de force Godinois. i:
Virginie!.,. Je te prierai une fois pour toutes
d'être polie avec Victor Godinois !
VIRGINIE, ironique.
Ton ami d'enfance !
LETRINQUIER, allant se rasseoir à sa place.
Parfaitement... mon ami d'enfance que j'ai été
heureux de retrouver, il y a un mois, au café, en
face de la gare Saint-Lazare.
VIRGINIE, toujours ironique.
Et qui, depuis, s'amène tous les jours ici, à Go-
lombes...
LETRINQUIER.
Faire ma partie de dominos.
VIRGINIE.
Aux heures de repas... comme par hasard!
LETRINQUIER.
Virginie!... (a Godinois.) Ne l'écoute pas, mon
vieux, elle est un peu nerveuse.
GODINOIS, se levant.
On a beau ne pas écouter, c'est dur de s'entendre
traiter comme ca!
UNE NUIT D'AMOUR 9
LETRINQUIER, à Virginie,
Là, tu vois, tu l'as vexé.
VIRGINIE, s'asseyant sur son séant.
Non? Passe-moi mes pantoufles que j'aille me
jeter dans la Seine I
GODINOIS, à Letrinquier.
Aussi, il fera chaud, quand je m'assiérai encore
à ta table.
LETRINQUIER, faisant rasseoir Godinois de force.
Par exemple, je voudrais bien voir ça!
VIRGINIE.
Laisse donc, tu ne verras rien du tout!
GODINOIS.
Pique- assiettes!!
LETRINQUIER.
Je te le répète, ne fais pas attention à ce qu'elle
dit, elle a un grain comme sa mère ?
VIRGINIE, bondissant.
Un grain ? Gomme ma mère!
LETRINQUIER, éclatant, allant vers le lit.
Ah ! zut à la fin ! La barbe et les cheveux I Ren-
tre sous tes draps et laisse-nous jouer!
VIRGINIE.
Oh! les hommes! Quels mufles!... Quels sales
mufles !
Elle se refourre sous ses draps.
LETRINQUIER.
Oui, oui, c'est entendu... (a Godinois.) Tu viendras
déjeuner et dîner tous les jours, je le veux!
1.
10 UNE NUIT D"AM0UR
GODINOIS.
Mais...
LETRINQUIER.
Il n'y a pas de maisl... Je ne suis peut-être pas
le maitre chez moi?... Ce n'est pas une raison parce
que ma femme t'a dans le nez...
GODINOIS.
Oh ! ça ! Pour ce qui est de m'avoir dans le nez ! . . .
(Jouant.) As, quatre.
LETRINQUIER, posant un domino.
Domino!... J'ai gagné!
GODINOIS.
Ce n'est pas pour dire, tu sais, mais tu as une
vraie veine de...
VIRGINIE, bondissant et se mettant à genoux sur le lit.
De quoi?... Une veine de quoi?... Non, mais di-
tes le mot pour voir ?
LETRINQUIER, furieux.
Virginie ! ! !
VIRGINIE.
Alors, tu vas te laisser traiter de cocu par mon-
sieur ?
GODINOIS.
C'est une façon de parler...
VIRGINIE.
Une façon de parler?!!
LETRINQUIER.
Mais oui... ça se dit dans les meilleures familles !
Tu ne vas pas recommencer, hein?
UNE NUIT d'amour 11
VIRGINIE, à Godinois.
Alors, non seulement vous débauchez mon mari,
vous lui donnez le goût du jeu au point qu'il vient
jouer jusque dans ma chambre, mais vous osez en-
core insinuer des choses... Mais s'il y a un cocu,
ici, c'est vous! (Godinois se lève.) Je ne vous l'envoie
pas dire, espèce de mal cuit ! propre à rien ! séna-
teur !
GODINOIS, très digne, passant à droite.
Mal cuit ! Sénateur ! Je ne vous répondrai pas,
madame, parce que je suis un homme du monde.
VIRGINIE, se rasseyant sur son séant et se tordant.
Un homme du monde!! Non I la maison va s'é-
crouler !
LETRINQUIER, qui s'est levé également.
Virginie ! Virginie !
GODINOIS.
Je préfère m'en aller! (a Letrinquier.) Au revoir,
vieux,
LETRINQUIER, allant à Godinois.
Toi, ne fais pas la tête et attends-moi, nous par-
tirons ensemble.
GODINOIS.
Non, mon vieux, non !
LETRINQUIER.
Ghamoulard vient me prendre en auto dans dix
minutes... Nous allons coucher à Vernon... c'est
demain l'ouverture de la pêche... Je te déposerai ù
la gare, en passant.
GODINOIS.
Non, non. .. Je ne vais pas en auto avec un homme
qui me laisse insulter par sa femme.
12 UNE NUIT D'amour
LETRINQUIER,
Je te laisse insulter, moi?
GODINOIS.
Depuis que je viens ici, il n'j' a pas une avanie
que madame ne me fasse,., même devant la bonne.
LETRINQUIER,
Godinois !
GODINOIS.
Je suis bon garçon, certes, j'aide la patience,
mais cette fois la mesure est comble, et j'en ai as-
sez!
Il va chercher son chapeau sur la commode.
LETRINQUIER.
Ecoute, mon vieux Godinois...
GODINOIS.
Non, non, je n'écoute pas et je te déclare tout net
que je ne remettrai les pieds chez toi que lorsque
ta femme m'aura fait des excuses.
Il repasse à droite.
VIRGINIE, se tordant.
Des excuses ?... Ah! maman !!
LETRINQUIER.
Virginie, tu entends ?
GODINOIS.
J'ai dit!... Bonsoir ! (sortant par la droite.) Sénateur !
Mal cuit!
UNE NUIT d'amour 13
SCÈNE II
VIRGINIE, LETRINQUIER.
VIRGINIE.
Bon voyage!
LETRINQUIER, exaspéré, allant vers le lit à droite.
Oh! toi! toi!
VIRGINIE.
Quoi, moi ?
LETRINQUIER.
Tu lui feras des excuses, tu entends, tu lui feras
des excuses ou tu diras pourquoi !
VIRGINIE.
Eh bien, je vais'te le dire, pourquoi : je le trouve
commun, ton Godinois, laid, bête, prétentieux,
mal élevé!
LETRINQUIER.
Alors, parce que j'ai un ami qui déplait à ma-
dame, il m'est interdit de le voir?
VIRGINIE.
Tu n'as qu'à lui donner rendez-vous au café!
LETRINQUIER.
Vraiment ?
VIRGINIE.
Sans compter qu'on commence à jaser.
LETRINQUIER.
A jaser?
14 UNE NUIT d'amour
VIRGINIE.
Dame ! il est toujours fourré ici !
LETRINQUIER.
Et qu'est-ce qu'on dit?
VIRGINIE.
Qu'il est mon amant!
LETRINQUIER, se tordant.
Non? Godinois? Ton amant?!! Celle-là est im-
mense!
VIRGINIE.
AlorS;, tu te moques de ma réputation ?
LETRINQUIER.
S'il fallait faire attention à tout ce qu'on dit, la
vie ne serait plus possible ! Et pour prouver à quel
point je méprise le qu'en dira-t-on, Godinois vien-
dra s'installer là-haut!
VIRGINIE, bondissant.
Hein?...
LETRINQUIER.
Il y aune chambre d'amis...
VIRGINIE, exaspérée.
Tu ferais ça ? Tu oserais faire ça?
LETRINQUIER.
Pas plus tard que demain.
VIRGINIE.
Eh bien, essaie, entends-tu, essaie, et je fiche le
feu à la maison!
LETRINQUIER.
Je m'en fous, elle est assurée I
I
UNE NUIT D'AMOUR 15
VIRGINIE, furieuse.
L'installer ici! Chez moi!... Lui!...
On entend à la cantonade la corne d'une auto qui approche
et s'arrête.
LETRINQUIER, allant vivement prendre son chapeau, sa canne
à pêche et autres ustensiles.
Ghamoulard!... C'est Chamoulard qui vient me
chercher!... Voyons, ma canne à pêche!... mon
filet!... ma boîte à asticots!,.. (ll repasse à droite, puis
s'adressant à Virginie.) Ah I dis donc, tu sais ce que j'ai
mis dans la commode sous tes pantalons... fais
attention, hein ?
VIRGINIE.
Flûte!
Elle se renfonce sous ses couvertures.
LETRINQUIER, fermant l'armoire à clef et mettant la clef dans
sa poche.
Tu rages toujours? Bon, bon... mais je saurai
bien te prouver que je suis le maître chez moi!
Il sort par la droite.
SCENE III
VIRGINIE, puis GODINOIS.
A peine est-il parti que Virginie sort la tête de dessous les couver-
tures, s'assied sur son séant et écoute. — On entend à la canto-
nade l'automobile qui corne et s'éloigne. Virginie se lève vivement,
se regarde dans la glace qui est au-dessus de la commode, arrange
un peu ses cheveux, puis va ouvrir la porte de gauche.
VIRGINIE, s'adressant à la cantonade.
Tu peux venir, mon coco!
Elle va se remettre au lit.
16 UNE NUIT d'amour
GODINOIS, paraissant, la figure épanouie.
Parti ?
VIRGINIE.
Jusqu'à demain I
Godinois se dirige vivement vers le lit, Virginie lui tend les
bras.
GODINOIS.
Ma Ninie!
VIRGINIE.
Mon Toto adoré I
Ils tombent dans les bras l'un de l'autre.
GODINOIS, l'embrassant.
Ah I c'est bon ! Gristi, que c'est bon !
VIRGINIE.
Ce sera encore bien meilleur quand on sera dans
le dodo ! Toute une nuit d'amour à nous !
GODINOIS, commençant à se déshabiller.
Toute une nuit !
VIRGINIE.
Non! mais crois-tu que je t'en ai dit, tout à
l'heure ?
GODINOIS, tout en se déshabillant.
Le fait est que tu n'y as pas été avec le dos de
la cuiller!
Il pose ses vêtements sur la chaise, à gauche du guéridon.
VIRGINIE.
Pauvre chéri, val... Quand je pense que je t'ai
appelé sénateur!
GODINOIS.
Et mal cuit I
UNE NUIT D'amour 17
VIRGINIE.
C'est pas vrai, tu sais, t'est bien cuit, t'est cuit
à point!
GODINOIS.
Et moi/quand je me suis écrié : je ne reviendrai
ici que lorsque ta femme m'aura fait des excuses !
VIRGINIE,
Tais-toi ! J'avais envie de me tordre !
GODINOIS.
Et moi donc!
VIRGINIE.
Avoue tout de même que j'ai trouvé un truc épa-
tant !
GODINOIS.
Oh! ça!
VIRGINIE.
Et ce qu'il a coupé dans le pont !
GODINOIS.
Il est persuadé que tu m'as en horreur !
VIRGINIE, qui se recouche.
Et tu ne sais pas ce que je lui ai raconté? qu'on
commençait à jaser ?
GODINOIS.
Non?
VIRGINIE.
Qu'on disait que tu étais mon amant !
GODINOIS.
" Et qu'est-ce qu'il a répondu?
VIRGINIE.
Il s'est gondolé !
18 UNE NUIT D'AMOUR
GODINOIS.
Je me demande souvent ce qu'il faut le plus
admirer, de la rouerie des femmes ou de la bêtise
des hommes !
VIRGINIE.
Les deux se valent, mon chéri.
GODINOIS.
Merci!
VIR9INIE.
Ahl on peut bien lui envoyer une lettre anonyme
maintenant... elle est parée !
GODINOIS.
Décidément, tu songes à tout !
VIRGINIE.
Il le faut bien, quand on ne veut pas être pincé I
Et le plus joli, non, je te le donne en mille, devine
un peu ce qu'il a décidé?
GODINOIS.
Quelque chose d'énorme?
VIRGINIE.
Que tu vienilrais habiter là-haut dans la cham-
bre d'amis!
GODINOIS.
Non, tu blagues?
VIRGINIE.
Parole d'honnête femme!
GODINOIS.
Ça, c'est plus fort que tout!
VIRGINIE
Tu penses si j'ai crié!
UNE NUIT D'amour 19
GODINOIS.
Comme un putois !
VIRGINIE.
Putois? Dis donc, tâche d'être poli, hein?
GODINOIS.
Un joli putois! un putois d'amour!
VIRGINIE.
A la bonne heure!... Gomme ce sera commode :
dés qu'il sera parti, j'irai te rejoindre là-haut, ou
tu descendras ici.
GODINOIS.
Et il sera cocu à tous les étages!
VIRGINIE.
Eh bien, tu n'es pas encore déshabillé?
GODINOIS.
Voilà! voilà! (n est ea caleçon et prenant une enveloppe
dans la poche du veston qu'il pose sur la chaise.) DevineS-tu
ce qu'il y a là-dedans?
VIRGINIE.
Comment veux-tu que je sache?
GODINOIS, passant à droite du lit.
Dix milles balles!... J'ai un billet à payer de-
main!
VIRGINIE.
Tous les hommes ont donc dix mille francs sur
eux, aujourd'hui ?
GODINOIS.
Ah ! oui, ton mari aussi a touché dix mille francs.
VIRGINIE.
Il te l'a dit?
20 UNE NUIT d'amour
GODINOIS.
Est-ce qu'il a quelque chose de caché pour moi ?
D'abord il a la manie de raconter ses affaires devant
tout le monde !
VIRGINIE.
Oh ! ça !
GODINOIS.
Ce n'est pas comme moi!
VIRGINIE.
Tu as bien raison, va, mon coco!
GODINOIS.
Et je sais même où il les a mis, ses dix mille :
dans la commode, sous tes pantalons.
VIRGINIE, riant.
C'est sa cachette ! On n'est pas plus imprudent !
GODINOIS.
Moi, avant de me pagnoter, je mets toujours ma
galette sous mon matelas, comme ça, je dors dessus
et je suis plus tranquille!... (U place l'enveloppe sous le
matelas.) Là! Et maintenant, une petite place pour
le monsieur s'il vous plaît.
VIRGINIE, se reculant.
Tiens, mon chéri, en voilà une toute chaude!
Godinois saute dans le lit.
GODINOIS.
Oh! ma Ninie!
VIRGINIE.
Mon Totor !
Ils s'embrassent.
UNE NUIT d'amour 21
GODINOIS.
Et dire que cet excellent Letrinquier est en ce
moment sur la route de Ver non!
VIRGINIE.
Et sur quelle route es-tu, toi, grande canaille ?
GODINOIS.
Sur celle de l'amour !
VIRGINIE, prêtant l'oreille.
Chut!... Tais- toi I
GODINOIS.
Hein?...
VIRGINIE.
On dirait qu'on a marché dans le jardin?
GODINOIS.
C'est sans doute la bonne qui rentre ?
VIRGINIE.
Non, je lui ai donné campo jusqu'à demain. (Prê-
taQt l'oreille.) Je n'entends plus rien !
GODINOIS.
Bah! tu as rêvé !
VIRGINIE, rassurée.
C'est égal, j'aurais bien cru...
GODINOIS, la prenant dans ses iras.
Ma Ninie !
VIRGINIE.
Mon Totor !... (On entend à la cantonade un bruit de vitre
brisée.) Cette fois, je n'ai pas rêvé... On a cassé un
carreau... (Poussant un cri.) Dbs cambrioleurs!
GODINOIS.
Plus bas donc I
33 UNE NUIT d'amour
VIRGINIE, à voix basse.
Si c'était des cambrioleurs?
GODINOIS.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que ce ne sont pas des
encaisseurs de la Banque de France.
VIRGINIE, frappée d'une idée et se levant, côté gauche du lit.
Ah! mon Dieu... ils auront appris que mon mari
a touché dix mille francs et qu'ils sont dans la
commode.
GODIXOIS, se levant côté droit.
Parbleu!... Voyons, ne nous affolons pas..-. Ton
mari a un revolver ?
VIRGINIE.
Oui.., oui!
GODINOIS.
Où est-il son revolver?
VIRGINIE.
Chez l'armurier !
GODINOIS.
Hein?
VIRGINIE.
Il était rouillé.
GODINOIS.
Charmant! Et il n'y a pas un fusil ici, une arme
quelconque?
VIRGINIE.
En fait d'armes, il n'y a que des cannes à pê-
che !
GODINOIS.
Des cannes à pêches! Eh bien, nous voilà gentils!
Il passe à gauche.
UNE NUIT d'amour 33
VIRGINIE, prêtant l'oreille vers la porte de droite.
Ah! mon Dieu! J'entends monter!...
GODINOIS.
Mets le verrou!... (Virginie met te verrou à la porte de
droite.) Nous descendrons tout doucement par l'es-
calier de service. (U indique la porte de gauche.) Et une
fois dans le jardin...
VIRGINIE, gagnant la gauche.
Ah! je ne me tiens plus!
GODINOISj qui est allé vers la porte de gauche et s apprêtait à
l'ouvrir.
Nom de nom!
VIRGINIE.
Hein?
GODINOIS.
On vient de ce côté aussi!
VIRGINIE, défaillant.
Nous sommes perdus !
GODINOIS.
Sapristi! (Frappé d'une idée.) Ah !...
VIRGINIE.
Quoi ?
GODINOIS.
Tant pis, ça lui coûtera dix mille francs, à ton
mari.
Il va doucement vers la porte de droite et ouvre le verrou.
VIRGINIE.
Que fais-tu?
GODINOIS.
J'ouvre le verrou !
24 UNE NUIT d'amour
VIRGINIE, allant à droite.
Malheureux!
GODIN'OIS.
Chut!... Je vais éteindre... Ils croiront la mai-
son vide et nous les laisserons opérer tranquille-
ment... Cache-toi sous le lit !...
Il éteint la lumière Virginie se cache sous le Ut, à droite, et
Godinois à gauche.
SCENE IV
VIRGINIE et GODINOIS, cachés, JULOT, POLYTE.
Un temps, puis la porte de droite s'ouvre tout doucement et Julot
paraît. Il tient d'une main une lanterne électrique de poche et
de l'autre un revolver... Il entre avec précaution et regarde au-
tour de lui.
JULOT.
Personne ici non plus!... c'est bien la chambre
à coucher... et v'ià la commode. Pas d'erreur,
les proprios sont partis dans l'auto!... (n va vers la
porte de gauche et se met à siffler, puis remettant son revolver en
poche.) On peut remiser Joséphine et y aller de la
lumière. Ousqu'est le truc?... (Apercevant un bouton
électrique près de la porte de droite.) Ail ! le vlà !
Il tourne le bouton lumière. On aperçoit sous le lit lee pieds
de Godinois et de Virginie.
POLYTE, passant la tête par la porte de gauche.
Psst!
UNE NUIT d'amour 25
JULOT.
Ben quoi? Faut-il t'envoyer l'autobus pour que
tu t'amènes?
POLYTE.
Y a pas de danger ?
JULOT, avec pitié.
Non, écoutez-moi ça !
POLYTE, entraut.
Bien sûr, hein ?
JULOT.
Veux-tu bien t'amener ? La cambuse est vide!
POLYTE, rassuré.
Ah! j'aime mieux ça! J'ai pas un poil de sec!
JULOT.
Ahl malheur! (Montrant Poiyte.) Et ça a vingt ans!
Et c'est mon neveu, le fils de feu ma sœur, la
grosse Adèle qu'a laissé un nom sur les fortifsl...
Tiens, t'es la honte de la famille !
POLYTE.
Mon oncle I
JULOT.
Ferme çat... T'es la honte que j'te dis!... Mon-
sieur voudrait travailler dans les endroits de tout
repos, ous qu'on n'risque rien : le musée du Lou-
vre!
POLYTE.
Dame! L'gouvernement y met des gardiens pour
protéger les cambrioleurs quand y travaillent!
Il a tiré de sa poche un flacon d'eau de mélisse et boit une
gorgée.
3
36 UNE NUIT D'AMOUR
JULOT.
Eh ben, qnéqu'tu bois?
POLYTE.
D' Teau de mélisse!... J'ai fait un llacon c'ma-
tin chez: un pharmacien d'Asnières.
JULOT, avec pitié.
D' l'eau de mélisse!... Tenez, la v'ià la jeunesse
d'aujourd'hui! Pauvr' France, va!
POLYTE.
Mon oncle, faut être juste, j'débute, et toi v'ià
28 ans que tu travailles!
JULOT, rectifiant.
29!... Dans un an j'aurai droit à la médaille!
POLYTE.
T'es secrétaire du syndicat des cambrioleurs de
la Seine. Et quand j'aurai ton âge...
JULOT, rinterrompant.
Allons, assez jaspiné, v'jà la commode ou s qu"est
r magot.
POLYTE.
Combien qu'y a?
JULOT, tirant de sa poche uq trousseau de fausses clefs.
Dix mille balles sous les falsars de la damel
POLYTE.
Non ?
JULOT,
Hein! Tu renifles !
POLYTE.
Dix mille ! !
UNE NUIT D'amour 27
JULOT.
Moins cinq pour cent pour la caisse des retrai-
tes!... Faut pas oublier ceux qui n'peuvent plus
travailler !
POLYTE.
J'pourrai payer une chouette robe à la grande
Irma I
JULOT.
Les femmes!... V'ià à quoi qu'ça pense!
POLYTE.
Elle est gironde!
JULOT.
Mon p'tit, écoute-moi: méfie-toi du sesque!...
Sans les femmes, tel que tu m'vois, j's'rais peut-
être au jour d'aujourd'hui ministre des finances.
(Tendant le trousseau de fausses clefs à Polyte tout en montrant la
commode.) Ouvre-moi ça que je voie si t'as fait des
progrès!
POLYTE.
Oui^ mon oncle !
JULOT.
Ah! si je n'avais pas juré à sa pauv' mère d'veil-
1er sur lui et d'iui faire un' situation ! (a Poiyte qui
essaie vainement d'ouvrir.) Eh heU, qué qu'tu fùis?...
Que qu'tu fais?...
POLYTE.
C'est un peu dur !
JULOT.
Ah! malheur! T'es donc maladroit comme un
architec? Tiens, passe-moi ça... que j'te montre!
POLY'TEj lui passant le trousseau.
Oui, mon oncle !
28 UNE NUIT D'amour
JULOT.
Et regarde bien, c'te fois!... (il entre une fausse clef
dans la serrure.) T'appuie pas... tu glisses... comme
ça... joliment... bellement.,, que ça entre comme
dans une motte de beurre... puis tu tournes à la
douce... sans rien brusquer... làl... Et ça s'ouvre
tout seul... qu'on dirait l'sourire de la Joconde !
11 ouvre le premier tiroir de la commode.
PO L Y TE, émerveillé.
T'es épatant, tu sais !
.IULOT.
On en a décoré qui ne travaillaient pas' comme
ça!
POLYTE.
Pour sûr! Y a pas de justice!
JULOT.
Si, hélas, sans ça l'métier serait trop beau ! T'as
bien compris, c'tte fois ?
POLYTE.
Oui, mon oncle.
Julot jette le trousseau de clefs à Polyle ; mais celui-ci le laisse
tomber.
JULOT.
Gourde, va! (Se disposant à fouiller dans la commode.)
Voyons sous les falsars!
Mais Polyte s'est penché pour ramasser le trousseau de clefs,
en se penchant, il aperçoit les pieds de Virginie et de Go-
dinois; il se relève en poussant un cri qui s'étrangle dans
sa gorge et se met à trembler de tous ses membres.
POLYTE, à voix basse.
Mon oncle ! mon oncle !
UNE NUIT d'amour 29
JULOT.
Eh ben quoi ? Que qu'tas ?
PO L Y TE, à voix basse.
Là... sous le lit!
JULOT.
Sous le lit !... (il regarde et gaiement.) DeUX paires de
zépiedsf... Ah! Elle est bonne! (a Poiyte qui veut se
sauver.) Eh ben ! où qu'tu vas ? Veux-tu bien rester I
POLYTE, à part, tremblant.
Ah! que métier! que fichu métier!
JULOT, qui a tiré son revolver et à haute voix, clans la direc-
tion du lit.
Alors, on s'a caché sous 1' plumard?
VIRGINIE, sous le lit.
Il nous a vus!
JULOT, passant à droite.
Allons, houst, sortez ! (Les quatre pieds s'agitent frénéti-
quement.) Mais minute! Pas ensemble! Deux zépieds
d'abord... ceusses de droite, ou je tire!
VIPiGINIE, sortant de dessous le lit.
Non! Ne tirez pas! ne tirez pas !
JULOT.
La dame est en liquettel
VIRGINIE.
Messieurs les cambrioleurs vous pouvez empor-
ter tout ce que vous voudrez, mais ne nous faites
pas de mal!
JULOT.
Rassurez-vons;, Marquise, du moment qu'on
2.
30 UNE NUIT D'amour
n' rouspète pas, j' suis doux comme un gigolo
d'agneau !
POLYTE, à part.
Gironde, elle aussi!
JULOT, montrant les pieds de Godinois.
Aux deux autres zépieds maintenant... Allez,
houst 1
Godinois sort de dessous le lit, côté gauche.
VIRGINIE, à part.
J'en ferai une maladie!
GODINOIS, les cheveus ébouriffés.
Ah! vous avez de la chance, que je ne sois pas
armé!
JULOT, le menaçant de son revolver.
Sage, hein? Ou j' donne la parole à Joséphine.
VIRGINIE, vivement.
Non! Non! laissez Joséphine tranquille!
JULOT, à Godinois.
Les bras le long du corps... Bon!... Et mainte-
tenant contre le plumard...
Il indique la tête du lit.
GODINOIS.
Hein?
JULOT.
Allez, allez! (Godinois se met contre le lit, au fond.) Et
toi, Polyte, attache-le solidement.
POLYTE, qui a tiré une corde de sa poche.
Oui, mon oncle.
Il va à Godinois et l'attache aux barreaux du lit.
GODINOIS.
Quoi! vous voulez?
UNE NUIT d'amour 31
VIRGINIE.
Laissez-vous faire, mon ami.
JULOT.
J'entends ton épouse ? A parle d'or? Ça y est Po-
lyte?
POLYTE.
Oui, mon oncle.
JULOT.
A votre tour, marquise.
Il lui indique l'autre côté du Ut.
VIRGINIE.
Qaoil VOUS voulez aussi?
JULOT.
Je vous en prie... Et de la douceur avec le ses-
que, pas Polyte ?
POLYTE.
Oui, mon oncle.
Il va attacher Virginie.
JULOT.
Gomme dit la chanson :
Ctiantant.
Avec les femm's faut toujours être galant !
POLYTE.
Ça y est, mon oncle.
JULOT.
Pardon, marquise, dans quel tiroir les 10.000 bal-
les ?
VIRGINIE,
Le premier tiroir... sous mes pantalons.
32 UNE NUIT d'amour
JULOT.
Dans le premier tiroir, sous les pantalons, les ren-
seignements étaient exacts, (a Poij-te.) T'as entendu,
Polyte?... (Poiyte va vers la commode.) Va chercher les
faflots... Et proprement, hein? N' salis pas 1' linge
de madame... que garde un bon souvenir de nous!
Il gagne la gauche.
POLYTE.
Les v'ià, mon oncle, dans une enveloppe.
11 passe l'enveloppe à Julot.
JULOT, lisant la suscription.
M. Letrinquier à Colombes... (ouvrant l'enveloppe).
Voyons si le compte y est. (Comptant les bUlets qu'il tire
de l'enveloppe.) Un,... deux,... trois,... quatre, cinq, six,
sept, huit, neuf, dix!... Il y est!.., on est chez des
honnêtes gens!... (Mettant l'argent dans sa poche.) Sur Ce
à l'honneur de vous revoir.
VIRGINIE.
Vous n'allez pas nous laisser ainsi !
GODINOIS.
Maintenant que vous avez l'argent, détachez-
nous.
JULOT.
Penses-tu! Pour donner l'éveil, dès qu'on aura
l'dos tourné? Quand on travaille, faut toujours as-
surer ses derrières, t'entends, Polyte ?
POLYTE.
Oui, mon oncle.
VIRGINIE.
Monsieur le cambrioleur, je vous en supplie!
UNE NUIT d'amour 33
GODINOIS.
Je vous donne ma parole que nous vous laisse-
rons partir tranquillement.
JULOT.
Oui ! Oui ! . . . Connu ! . . . La boniche vous détachera
demain matin.
VIRGINIE.
Ecoutez, monsieur le cambrioleur, j'aime mieux
tout vous dire : Monsieur n'est pas mon mari, il
est mon amant!
JULOT.
Non?
P CL Y TE, scandalisé.
Oh!
JULOT, gagnant la droite.
Alors on faisait un cocu ? Et monsieur est l'ami
du mari?
GODINOIS.
Qu'est-ce que ça peut vous faire ?
JULOT.
Ce que ça peut me faire? (sévèrement.) Ça m' fait
que ça m' dégoûte!... J' suis pour la morale et la
famille, moi! pas Polyte?
POLYTE.
Oui, mon oncle.
JULOT 5 avec reproche, à Virginie.
Et sous son toit, encore! Dans son propre plu-
mard!... Un joli exemple que vous donnez à c' t'
enfant !
Il montre Polyte.
34 UNE NUIT d'amour
GODINOIS.
Ah! je vous conseille de parler d'exemple!... Un
cambrioleur I
JULOT.
Ben, et toi, l'enflé, tu ne l'es donc pas, cambrio-
leur?
GODINOIS.
Moi ?
JULOT.
Et un p-îu! Si je lui ai pris sa galette, toi, tu lui
as pris sa femme !... Seulement, moi, je ne suis pas
son ami, je ne lui serre pas la main, je ne m'assieds
pas à sa table... et le plus salaud de nous deux,
c'est encore toi!... Aussi tant mieux si t'es pincé!
Sur ce, bonne nuit. (Gagnant la gauche)... Passe devant
Polyte.
Il indique la gauche.
POLYTE.
Oui. mon oncle!...
Fausse sortie.
JULOT.
Un instant! (.v part.) Faut que je le prévienne!...
Il va vers la commode, ouvre le buvard dans lequel est une
grande feuille de papier toute préparée et sur laquelle est
écrit en gros caractère bien visibles : « Letrinquier, t'es
cocu )). Le dos au public, il fait semblant d'écrire.
VIRGIN IK, à Godinois.
Qu'est-ce qu'il écrit?
GODINOIS.
Je ne sais pas!
Julot saute sur le lit, la feuille de papier à la main et, à
l'aide de deux épingles la fait tenir sur le mur.
UNE NUIT D"AM0UR 35
JULOT, à Polyte, sautant du lit.
J'ai pas raison?
POLYTE,
Oui, mon oncle!
JULOT.
.1' suis pour la morale et la famille ! (a Poiyie.) File
clampin.
POLYTE.
Oui, mon oncle!
Il sort par la gauche.
JULOT, apercevant le costume de Godinois sur la chaise.
Tiens, 1' complet du gigolot!... (ll prend le costume,
les chaussures et le chapeau de Godinois.) Il me servira pour
aller au Grand Prix!
GODINOIS.
Il emporte mes vêtements!
JULOT, sur le seuil de la porte à Godinois et à Virginie.
Dites-donc, n' faites pas d'enfant!
Il disparaît par la gauche.
SCENE V
GODINOIS, VIRGINIE, puis LETRINQUIER.
GODINOIS.
Et il se paie notre tête, encore !
VIRGINIE.
Eh bien, nous voilà gentils!
36 UNE NUIT D'AMOUR
GODINOIS.
Attendez, je vais tâcher de défaire la corde... si je
pouvais au moins avoir une main de libre... Non!
impossible !
VIRGINIE.
Vous n'avez donc aucune force, aucune énergie?
GODINOIS.
Je fais des efforts surhumains!
VIRGINIE.
Allons donc!... Vous n'êtes qu'une poule mouil-
lée!
GODINOIS.
Moi?
VIRGINIE.
Si vous aviez pour deux sous de courage, au lieu
de vous cacher dans le lit, vous vous seriez jeté à
la tête de ces misérables!
GODINOIS.
Sans armes, sans rien? Pour me faire tuer?
VIRGINIE.
Au moins pendant ce temps là j'aurais pu me
sauver 1
GODINOIS.
Charmant!
VIRGINIE.
Mais non, monsieur ne pensait qu'à sa peau!...
Et me voilà à la merci d'une bonne!... Et demain
je serai la fable de tout le pays!... Quelle leçon!
GODINOIS.
Vous pouvez le dire!
UNE NUIT d'amour 37
VIRGINIE.
Et si j'avais su !
GODINOIS.
Et moi donc !
VIRGINIE.
Toute une nuit à passer ainsi !
GODINOIS.
Et j*ai une soif avec ça !
On entend à la cantonade une corne, une automobile qui corne
et s'approche.
VIRGINIE, poussant un cri
Ah î mon Dieu !
GODINOIS.
Quoi?
VIRGINIE.
On dirait l'automobile de Ghamoulard!
GODINOIS.
Hein !
On entend l'automobile s'arrêter.
VIRGINIE.
Oui!... Elle s'arrête à la porte!... C'est mon
mari qui revient !
GODINOIS.
Nom de Dieu !
VIRGINIE.
Allez-vous en ! Allez-vous en vite !
GODINOIS.
M'en aller? Mais je ne peux pas!... Plus je fais
d'efforts pour me détacher, plus la corde se serre !
3
38 UNE NUIT d'amour
VIRGINIE.
Coupez là avec vos dents !
GODINOIS.
Mais je ne peux pas non plus !
VIRGINIE.
Il ne peut rien!... Et dire que j'ai aimé un
homme comme ça!
LETRINQUIER, à la cantonade.
N'aie pas peur, c'est moi!
VIRGINIE.
Qu'est-ce que nous allons lui dire? Trouvez donc
quelque chose I
GODINOIS.
Eh! que voulez-vous que je trouve? Nous som-
mes foutus !
VIRGINIE; frappée d'une idée.
Ah!
GODINOIS.
Vous avez trouvé ?
VIRGINIE.
Evanouissons-nous !
Godinois et Virginie font semblant d'être évanouis.
LETRINQUIER, entrant par la droite.
Figure-toi que Ghamoulard s'est trouvé indis-
posé tout à coup, alors... (Mais apercevant Godinois et Vir-
ginie, il pousse un cri.) Ah!... qu'est-cB que c'est que
ça?... Ma femme! Godinois en caleçon! Attachés
et évanouis tous les deux ! (Voyant le papier sur le mur.)
Tiens on dirait qu'il y a quelque chose d'écrit là-
haut, (u met son lorgnon et lit :) « Letrinquier, tu es
cocu ». (Parlé.) Hein!
UNE NUIT D'AMOUR 39
GODINOIS, à part.
La rosse !
LETRIKQUIER.
Cocul! Ah! nom de nom!... Mais alors, les misé-
rables me jouaient donc la comédie? (Secouant Virginie.)
Virginie! Virginie!! Virginie!!!
VIRGINIE, feignant de revenir à elle et d'une voix faible.
Toi? C'est toi?
LETRIXQUIER.
Madame, voulez-vous m'expliquer !
VIRGINIE, d'une voix mourante.
Détache-moi d'abord !
LETRINQUIER.
Pas avant que vous ne m'ayez expliqué...
VIRGINIE, feignant de s'évanouir.
Ah!
LETRINQUIER.
Hein ? Elle s'évanouit de nouveau!... (La secouant.)
Virginie! Virginie!... (Enlevant la corde.) Ah! je te
forcerai bien à parler.. . et tu ne perdras rien pour
attendre.
Il la détache.
VIRGINIE.
Enfin!
LETRINQUIER.
M'expliquerez-vous, maintenant ?
VIRGINIE, éclatant.
Imbécile ! Idiot ! Crétin ! Ane bâté I Triple buse!
LETRINQUIER, ahuri.
Hein?
40 UNE NUIT d'amour
VIRGINIE.
Non, regardez-moi monsieur qui va raconter de-
vant tout le monde qu'il a touché dix mille francs
et qu'il cache son argent dans la commode, sous
mes pantalons !
LETRINQUIER, se précipitant vers la commode dont le tiroir
est resté ouvert.
Ah! mon Dieu ! Des cambrioleurs?
VIRGINIE.
Oui, des cambrioleurs !
LETRINQUIER, qui a regardé sous les pantalons.
Plus rien! Volé! Je suis volé et cocu par dessus
le marché !
VIRGINIE, indignée.
Qu'est-ce que c'est?
LETRINQUIER.
Oui, oui, je comprends tout!... Ils vous ont sur-
pris au lit, tous les deux...
VIRGINIE.
Ah ! tenez, je l'aurais parié !
LETRINQUIER.
Vous dites ?
VIRGINIE.
Je dis que votre ami Godinois en allant à la gare
a vu deux apaches qui se dirigeaient vers la mai-
son et qu'il a voulu sauver notre argent!
GODINOIS, à part.
Pas bête !
Vraiment?
LETRINQUIER, incrédule.
UNE NUIT d'amour 41
VIRGINIE.
Et après avoir déshabillé monsieur, ils nous ont
attachés tous les deux...
LETRINQUIER, toujours incrédule.
Et ils ont écrit : « Letrinquier, tu es cocu! »
VIRGINIE.
Pour se venger de n'avoir rien trouvé.
LETRINQUIER, même jeu.
Comment! puisque l'argent n'y est plus!
VIRGINIE.
Il n'est plus dans la commode, mais il est sous le
matelas !
GODINOIS, à part, furieux.
Hein?
LETRINQUIER, ahuri.
Sous le matelas ?
VIRGINIE, aUanl chercher les dix mille francs de Godinois
et tirant les billets de l'enveloppe.
Où j'avais eu le temps de les cacher. (Lui donnant
les billets.) Tiens.
LETRINQUIER, ravi.
Mes dix mille francs!!
GODINOIS, à part.
Ah ! elle est raide !
VIRGINIE, à part.
Tant pis, c'est lui qui paiera!
LETRINQUIER, allant tout joyeux à Godinois.
Godinois! Mon vieux Godinois!
11 défait les cordes.
42 UNE NUIT d'amour
GODINOIS, comme s'il revenait à lui.
Letrinquier !
LETRINQUIER.
Oui, ton vieil ami Letrinquier qui n'oubliera ja-
mais ce que tu as fait pour lui. (Redesceadant ainsi que
Godinois qui se trouve au milieu, entre Virginie et Letrinquier.) Et
si un jour tu as besoin de quelque chose, ne te
gêne pas, tu sais!..,
GODINOIS.
Eh bien, ce jour est arrivé : j'ai justement besoin
de dix mille francs... un billet à payer demain.
LETRINQUIER.
Te prêter dix mille francs ?
GODINOIS.
Oui.
Mais.
LETRINQUIER, hésitant.
VIRGINIE, à Letrinquier.
Je ne veux pas t'influencer, mais quand on prête
de l'argent à un ami on se brouille toujours avec
lui.
LETRINQUIER, vivement.
Elle a raison !
GODINOIS
Tu refuses... après ce que jai fait pour toi?
LETRINQUIER.
Justement... tu m'as rendu un trop grand service
pour que je me brouille jamais avec toi !
GODINOIS.
Hein?
UNE NUIT d'amour 43
VIRGINIE.
Il a raison I
LETRINQUIER.
Tu entends ?
GODINOIS.
Si tu écoutes madame, maintenant!
LETRINQUIER, sévèrement.
Ah ! je te prierai de prendre un autre ton en par-
lant de ma femme !
GODINOIS, interloqué.
Mais...
LETRINQUIER, lui coupant la parole.
Il n'y a pas de mais. Et si mon observation le
déplaît je ne te retiens pas.
GODINOIS, furieux.
Ah ! c'est ainsi? Eh bien, je m'en vais...
VIRGINIE, qui ressaute sur le lit.
Bon voyage !
LETRINQUIER.
Oui. Foutez le camp ! Bon voyage !
GODINOIS.
Seulement je ne peux pas m'en aller comme ça...
Ils ont emporté mes vêtements... Prête-moi quel-
que chose.
LETRINQUIER.
Quel tapeur ! (Lui donnant son chapeau.) Tenez, voilà
mon chapeau, c'est tout ce que je peux faire pour
vous I
44 UNE NUIT d'amour
GODIXOIS.
Merci!... Ahf oui elle est raide celle-là! Des
mufles, vous entendez, des raufles! I
Il sort furieux par la droite.
VIRGINIE.
Il ne t'aurait jamais rendu un sou, tu sais?
LETRINQUIER.
C'est un sale individu !
Lelrinquier commence à se déshabiller, tandis que le rideau
tombe.
Rideau.
Imprimerie Générale de Châtillon-sur-Seuc. — .A.. Pichaï.
PQ Henneqiiin, Maurice
2615 Une nuit d'amour
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