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statue de Pasteur, h Arbois.
PASTEUR
f*
V. FRAITOT
Une pcujc dllistoirc du XIX" siècle
PASTEUR
(L'Œ.llVTi'E - L'HOMME - LE SAYAJVT
2" édition.
PARIS
\V1M
VUIBERT et NONY EDITEURS
03. Boulevard Saint-Germain, 63
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73
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ELEa*;:^^ :îc version
80.
AYAILABLE .
PRÉFACE
Pasteur fui un g-dnie bienfaisant.
Ace titre, il n'a peut-être pas encore, dans
l'esprit public, la place qui lui revient.
Ce petit livre, destiné aux jeunes, a pour but
de répandre son nom, en faisant un peu plus
connaître du grand nombre l'œuvre, l'homme,
le savant.
D^autres ont déjà consacre à Pasteur des
publications d'un ordre plus relevé. Vallery-
Radot, dans un beau livre, La Vie de Pasteur^
lui a élevé un monument, qu'il avait déjà
ébauché d'ailleurs dans un premier volume :
M, Pasteur : Histoire d'un savant par un igno-
rant ^ .
Duclaux, qui fut le disciple, l'ami et le suc-
cesseur du Maître à l'Institut Pasteur, a publié
de son côté un livre d'une belle allure scienti-
fique : Pasteur : Histoire dhin Esprit \
1. Paris, Hachette et G'% 1900.
a. Paris, Hetzel et G". i883.
3, Sceaux, Ciiaraire et C», 189
VIII PREFACE
Ce sont des ouvrages que devra lire qui-
conque aura le désir de connaître tout Pasteur.
L'auteur de cette étude doit beaucoup à ces
deux ouvrages, en particulier au livre si docu-
menté et si complet de Vallery-Radot. A ces
sources, il convient d'ajouter les comptes rendus
des Académies des Sciences et de Médecine, les
Annales de Physique et de Chimie, les Bulletins
des Sociétés de Médecine vétérinaire, de la
Société nationale d'Agriculture de France, des
Sociétés d^Agriculture de Melun, de Char-
tres, l'Institut Pasteur*, etc..
Une grande leçon morale se dégage de toute
étude sur Pasteur : c'est la puissance de l'effort,
de la continuité dans l'effort.
Nul mieux que Pasteur n'a justifié le mot si
connu de Buffon : u Le génie est une longue
patience ».
C'est pourquoi l'auteur dédie plus particu-
lièrement le présent livre à la jeunesse.
i. Paris, Narcisse Faucon, h"], rue S'-Andrc des Arts.
PASTEUR
PREMIÈRE PARTIE
Son origine.
Louis Pasteur est né en Franche-Comte, à Dole, lo
27 décembre 1822.
Son père, Jean-Joseph Pasteur, ancien sous-offi-
cier dans les armées de Napoléon P', exerçait la
profession de tanneur. Trois ans après la naissance
de son fils, il acheta tine petite tannerie à iVrbois et
vint se fixer dans cette ville.
Les ascendants de Pasteur appartenaient à cette
classe de serfs qui s'est perpétuée dans le Jura jus-
qu'à la Révolution. Le grand-père de Pasteur,
Claude-Etienne, était serf d'un comte d'Udres-
sier. Il acheta son affranchissement en 17G3, par
devant notaire, à Salins.
« Le père de Pasteur, dit Vallery-Radot, était peu
communicatif, d'un esprit lent et réfléchi, d'un ca-
ractère mélancolique, semblant toujours vivre d'une
vie intérieure... Sa mère, en môme temps que très
Pasteur 1
2 PASTEUR
laborieuse, était femme d'imagination et prompte à
l'enthousiasme. »
Ces détails ne sont pas sans intérêt. Nous sommes
en effet, dans l'ordre moral comme dans l'ordre
physique, les héritiers de nos parents. Quelque
chose d'eux persiste en nous : leurs idées, leurs
sentiments, leur caractère ont leur répercussion dans
notre propre nature. Nous les reproduisons dans
une certaine mesure, avec les modifications résul-
tant des circonstances au milieu desquelles se dé-
roule notre propre vie.
Pasteur n'oubliera jamais l'héritage moral que lui
avaient légué ses parents. Le 14 juillet 1883, dans
une cérémonie au cours de laquelle, à Dole, on pla-
çait une plaque commémorative sur la maison où il
était né, il adressait aux siens, à leur souvenir, cette
touchante invocation :
« Oh ! mon père et ma mère ! Oli ! mes chers
disparus, qui avez si modestement vécu dans cette
petite maison, c'est à vous que je dois tout! Tes
enthousiasmes, ma vaillante mère, tu les as fait
passer en moi. Si j'ai toujours associé la grandeur
de la science à la grandeur de la patrie, c'est que
j'étais imprégné des sentiments que tu m'avais ins-
pirés. Et toi, mon cher père, dont la vie fut aussi
rude que ton rude métier, tu m'as montré ce que
peut faire la patience dans les longs efforts. C'est à
toi que je dois la ténacité dans le travail quotidien.
Non seulement tu avais les qualités persévérantes
SON ORIGINE
qui font les vies utiles, mais tu avais aussi l'admi-
ratiou des grands hommes et des grandes choses.
Regarder en haut, apprendre au delà, chercher à
s'élever toujours, voilà ce que tu m'as enseigné. Je
te vois encore, après ta journée de labeur, lisant le
soir quelque récit de bataille d'un de ces livres
Maison de Pasteur, à Arbois.
d'histoire contcMuporaine qui te rappelaient l'époque
glorieuse dont lu avais été témoin. En m'apprenant
à lire, tu avais le souci de m'apprendre la grandeur
de la France. Soyez bénis l'un et l'autre, mes chers
parents, pour ce que vous avez été, et laissez-moi
4 PASTEUR
VOUS reporter aujourd'liui l'hommage fait à cette
maison. »
Cette éloquente apostrophe, d'un accent si ému,
d'une foi si sincère, n'est-elle pas en même temps
une formelle reconnaissance de la loi de l'atavisme?
Sa jeunesse.
Lorsque l'âge de l'élude fut arrivé, Pasteur fré-
quenta le collège d'Arbois. Il ne fut tout d'abord
qu'un élève moyeu, sans ardeur bien marquée au
travail, n'ayant de goût bien prononcé que pour le
dessin. Pendant le cours de ses études, il fit, par
passe-temps, le portrait de beaucoup de gens, pa-
rents ou amis, et il était arrivé à manier le crayon
avec une certaine habileté.
Son application à l'étude ne se manifesta qu'à
dater du moment où il aborda les sciences. Dès
lors le principal du collège devina que ce laborieux
arriverait. Il lui indiqua comme but l'École Nor-
male supérieure.
Plus tard Pasteur devait avoir pour collègue à
FAcadémie un mathématicien de grand renom,
Bertrand, qui, au contraire de Pasteur, avait été
d'une précocité véritablement prodigieuse. A seize
ans il était docteur es sciences. Sans rabaisser ce
dernier, qui fut un mathématicien éminent doublé
d'un écrivain distingué, on peut du moins faire
remarquer combien plus féconde devait être la
carrière de Pasteur.
6 PASTEUR
Il y a là matière à réflexion. « La culture hâtive,
en effet, dit Herbert Spencer, a lieu au détriment du
développement futur. De là celte anomalie assez
commune qui nous montre des enfants qui ont été
des modèles dès le premierâge subissant, à mesure
qu'ils grandissent, un changement en apparence
inexplicable et finissant par tomber au-dessous de
la moyenne intellectuelle et morale, tandis que les
hommes relativement distingués sont souvent le
résultat d'une enfance peu riche en espérances.»
En vue de sa préparation à l'École Normale su-
périeure, Pasteur se résigna à partir pour Paris. Il
devint interne à la pension Barbet et suivit les
cours du collège Saint-Louis. Mais ce Jurassien, si
fortement imprégné de l'arôme du pays natal et
transplanté un peu à contre-cœur dans un milieu si
différent du sien, se laissa gagner par la nostalgie.
« Si je respirais seulement l'odeur de la tannerie,
disait-il, je sens que je serais guéri. » Averti, son
père vint le chercher.
Pasteur fit sa rhétorique à Arbois et alla ensuite
au collège royal de Besançon en qualité d'élève de
philosophie. Il passa son baccalauréat es lettres
sans éclat et demeura, l'année suivante, comme
maître d'études au même collège, avec un modeste
traitement de vingt-quatre francs par mois. Pour
Pasteur cela représentait déjà une [)etite aisance;
mais il ne s'y enlisa pas et se remit à songer à l'École
Normale supérieure.
SA JEUNESSE
Il se trouvait dans les meilleures dispositions
d'esprit, et celte énergie de la volonté, celle con-
stance dans l'effort qui devaient être lacaractéristi-
Pasteur à 21 ans.
que de son génie s'affirmaient dès celle époque. Il
enlretcnail avec sa famille une correspondance
suivie et ne manquait pas d'encourager au travail
8 PASTEUR
ses deux sœurs, moins studieuses que lui. Onsent^
que les conseils qu'il leur donne découlent de la
règle même qu'il s'est déjà tracée. « C'est beaucoup,
mes chères sœurs, que de vouloir, car l'action, le
travail, suit toujours la volonté, et presque toujours
aussi le travail a pour compagnon le succès. »
Il fut reçu au baccalauréat es sciences, à Dijon, à
la suite d'un examen plutôt terne, et c'est peut-
être un des griefs les plus fondés qu'on puisse faire
aux examens en général, que de très bons esprits
y échouent parfois ou n'y réussissent que pénible-
ment, alors que des médiocres, pourvus de quelque
facilité, s'en tirent avec honneur.
Pasteur prit part ensuite au concours d'entrée à
l'Ecole Normale et fut classé quatorzième. Mécon-
tent de ce rang, il renonce, bien que reçu, au béné-
fice de son examen, revient à Paris, accompagné de
son ami Chappuis* pour refaire sa préparation, re-
prend sa place à la pension Barbet et suit de nou-
veau les cours du collège Saint-Louis. 11 assiste en
même temps aux leçons du chimiste J.-B. Dumas à
la Sorbonne, et entre enfin le quatrième à l'École
Normale dans la section des sciences (1843).
Ce succès fut une cause de joie et de légitime
orgueil pour la famille. Mais le père restait préoc-
cupé de la santé de son fils pour lequel il redou-
1. Plus tard professeur de philosopliie à la Faculté des Lettres de
Besançon, puis recteur des Académies de Grenoble et de Dijon.
SA JEUNKSSE
tait l'excès du travail. « Dites bien à Louis de ne
pas tant travailler, écrivait-il à Chappuis. Il n'est
pas bon d'avoir toujours l'esprit tendu. Ce n'est pas
Balard.
lo moyen de réussir, c'est le moyen de compromet-
tre sa santé. » Cette préoccupation allait, chez le
père, jusqu'à admettre éventuellement le renonce-
ment de son fils à ses espéi-ances d'avenir. « Vous
Pasteur 2
10 PASTEUR
êtes, croyez-moi, de pauvres philosophes, écrivait-
il une autre fois à Ghappuis, si vous ne savez pas
que l'on peut è(re heureux dans une situation mo-
deste de professeur au collège d'Arhois. »
Louis Pasteur, heureusement, avait des visées
plus hautes. A TÉcole Normale, il s'adonna à la
chimie. 11 eut pour professeurs Balard à TEcole et
J.-B. Dumas à la Sorhonne. Ce fut un travailleur,
il avait déjà la passion des recherches. Il devint
agrégé et, grâce à Balard, réussit à rester à l'École
comme préparateur (1846). Il devait y trouver plus
de facilités pour ses expériences et la préparation
de ses thèses de doctorat.
L'œuvre.
Exposé historique.
Cristallographie.
Pendant son séjour à l'École, Pasteur avait élé
frappé d'une noie de Mitscherlich, minéralogiste
allemand. Celui-ci annonçait que le tartrate et le
paralartrate de soude et d'ammoniaque, avec la
même composition chimique, la môme forme cris-
talline et moléculaire, n'agissaient pas de la môme
manière sur la lumière polarisée.
Cette note allait ôtre pour Pasteur le point de
départ d'une série d'études qui devaient le conduire
à ses admirables découvertes scientifiques.
Un exposé complet de la question ne saurait trou-
ver place ici, mais il est indispensable d'en donner
un aperçu.
La lumière polarisée est la lumière rélléchiedans
certaines conditions. L'acide (artrique dévie la lu-
mière polarisée, qui reste au contraire indifférente
en face de l'acide paratartrique. Dès le début, Pas-
teur avait été préoccupé de l'anomalie particulière
à ces deux acides.
w
12
PASTEUR
La note de Mitscherlich déconcertait d'autant
plus les savants qu'on ne savait pas produire l'acide
paratartrique (appelé aussi acide racémique), que
l'industrie allemande tirait en grande partie de
Trieste.
Pasteur voulut en avoir le cœur net. « J'irai jus-
qu'à Trieste, disait-il, j'irai jusqu'au bout du
monde : il faut que je découvre la source de l'acide
racémique. » Il se mit donc à l'œuvre et remarqua
Cristaux d'acides tai tiiques droit et gauche.
que les cristaux de l'acide tartrique sont hémièdres
adroite, ce qui rendait les tartrates dissymétri-
ques, tandis que, dans le paralartrate, les cristaux
sont hémièdres les uns à droite et les autres à gau-
che, d'où la neutralité du paratarlrate dans l'ap-
pareil de polarisation. Ce fut pour Pasteur unedé-
couverte capitale. « Une grande route neuve et im-
prévue était ouverte à la science », dit-il lui-même.
La suite fera mieux comprendre la portée de ces
paroles.
Après une pareille découverte, qui témoignait de
la fécondité de son espi'it, Pasteur eût dû rester à
L'OEUVQE n
Paris. iMais l'admitiislration universitaire ne voulut
pas transgresser en sa faveur les règles établi'^s, et
Pasteur dut accepter la chaire de physique du lycée
de Dijon. Le vieux ciiiniisle Diot, qui était devenu
comme le parrain scienlifique de Pasteur depuis
celte découverte, ne cacha pas son indignation :
« Ils n'ont pas l'air de se douter, disait-il en par-
lant des bureaux, que des travaux pareils domi-
nent tout. !>
Pasteur ne fit d'ailleurs que passer au lycée de
Dijon : le professorat, surtout dans l'enseignement
secondaire, est trop absorbanl. Le jeune savant
avait hâte de se livrer de nouveau à ses études de
cristallographie. Il fut nommé professeur suppléant
de chimie à la Faculté des Sciences de Strasbourg.
C'est là qu'il épousa, à l'âge de vingt-six ans,
M''^ Marie Laurent, fille du recteur de l'Académie.
La découverte de Pasteur avait établi que, con-
Iratrement à l'affirmation de Milscherlich, il ne
pouvait y avoir dissemblance de caractère optique
s'il y avait identité de forme cristalline.
En 1852, après avoir vu iMitscherlichà Paris et en
avoir reçu des indications sur la possibilité de trou-
ver l'introuvable acide racémique, il partit pour
Leipzig et y travailla dix ou quinze jours dans un
laboratoire de l'Université. Dans ses lettres à ma-
dame Pasteur, il n'était question, on le suppose
bien, que de tartrate et de paratartrate. Il s'adres-
sait d'ailleurs à qui savait le comprendre.
U PASTEUR
Il revint en France par Prague, sans avoir été à
Trieste, et. à force tle persévérance, il parvint à réa-
liser cette chose qu'il croyait impossible : faire de
l'acide racémique avec de l'acide tartrique. « Cette
découverte a des conséquences incalculables », écri-
vait-il à son père, toujours confident de ses travaux
(l<"-juin 1833).
La fermentation.
La première grande découverte de Pasteur avait
été celle des deux acides tartriques nouveaux. Il
montra les relations qui existent entre eux et les
deux autres acides tartriques déjà coniuis, ceux du
vin. 11 établit ainsi que les quatre acides tartriques
ont la même composition, mais sont bien distincts
par leur symétrie cristalline, la forme de leurs cris-
taux et leur action sur la lumière polarisée; que,
de plus, ils sont transformables les uns dans les
autres.
Cette découverte fut féconde entre toutes, car
elle a décidé du sens dans lequel Pasteur dirigera
désormais ses recherches. Elle introduisit dans la
science cette idée nouvelle que les molécules chi-
miques qui agissent sur la lumière polarisée sont
dissymétriques, alors que dans l'ordre minéral, les
produits sont à plan symétrique.
Pasteur était arrivé à cette conviction que les
L'ŒUVRE 15
êtres organisés pruduisent seuls des subslances
ayant une action sur la lumière polarisée.
Or dans la fermentation lactique, il se forme une
petite quantité d'alcool amylique qui tourne à gau-
che la lumière polarisée. Il y a donc dissymétrie,
par conséquent cellules vivantes. Cette conslalation
ne s'accordait nullement avec les théories en vogue,
suivant lesquelles les fermentations étaient dues
soit à des matières albuminoïdesen voie de décom-
position, soit à des actions de contact. C'est ainsi
que Pasteur fut amené à s'occuper des fermenta-
tions.
On n'avait aucune idée de ce que pouvait être
scientifiquement la fermentation, phénomène resté
étrange et obscur. La fermentation était-elle l'effet
de la décomposition des matières organiques sous
l'action de l'oxygène de l'air? Telle était du moins
la théorie du chimiste allemand Liebig, générale-
ment adoptée. Elle rejetait l'idée que la fermenta-
tion pouvait être produite par un ferment doué de
vie.
En 1851, Pasteur était devenu doyen de la Fa-
culté des Sciences de Lille. Sur la demande d'un
industriel, il fut amené à s'occuper de fermentation
alcoolique. Picvenu à TÉcole Normale comme admi-
nistrateur en 1857, il put, quoique dans de mau-
vaises conditions matérielles, se livrer à des recher-
ches et aborder enfin le problème.
D'où viennent les ferments ?
16
PASTEUR
Dans une communicalion de décembre 1858 à
l'Académie des Sciences, le directeur du musée
d'histoire naturelle de Rouen, Pouchet, déclarait
qu'il pouvait faire naître des animalcules dans un
milieu privé d'air. C'était l'affirmation de la géné-
ration spontanée.
Pasteur dirigea ses recherches dans cette voie.
Il commença par constater, au moyen d'expériences
de laboratoire, qu'il y a dans l'air des corpuscules
Ballons Pasteur pour conserver les liquides h l'abri de l'air.
organisés. Un liquide putrescible placé à l'abri de
Tair reste pur. La mise en contact de ce même
liquide avec l'air ou avec des germes provenant de
l'air, détermine au contraire la contamination et,
par suite, la fermentation.
Pour éviter les objections on substitua au coton
qui avait servi à filtrer l'air et qui est matière or-
ganique de la bourre d'amiante On prit de l'air
dans les caves, sur le mont Pou pet (près de Salins),
sur la Mer de Glace dans les Alpes: partout l'expé-
rience fut concluante, c'est-à-dire que l'air des
couches inférieures est toujours chargé de germes
L'ŒUVRE
17
en aboiulance, tandis que l'air dos régions calmes
et des grandes altitudes peut êlre et est souvent
dépourvu de corpuscules.
/\
v^
...Bourre
d'amiante
\J)
Tube à bourre d'amiante pour arrêter les microbes.
Pasteur rechercha alors si le germe n'était pas
de nature animée. Il reconnut précisément la pré-
sence du forment doué de vie dans la fennenlation
lactique, ainsi qu'on l'a vu plus haut.
Ces animalcules, ces cellules, avaient déjà été re-
marqués auparavant; mais ce qui avait été jugé
purement accidentel et indifférent jusque-là devint
pour Pasteur la cause même du phénomène. Pour-
suivant ses recherches, il découvrit que ces êtres
organisés vivantS;, qui constituent les ferments, peu-
vent dans certains cas — dans l'acide butyrique,
par exemple — vivre et se développer sans air, sans
oxygène par conséquent. Il distingua dès lors ces
deux catégories différentes de cellules par deux
mots d'origine grecque (jue lui fournit Glachant, pro-
fesseur à rÉcole Normale'. Les aérobies furent les
1. Ou Chassangl?).
Pasteur
PASTEUR
cellules qui ne peuvent vivre sans oxygène, sans
air, et les anaérobies, celles qui, au contraire, vivent
sans air.
Poussant plus loin sa découverte, Pasteur recon-
nut que les aérobies n'avaient pas la même action
ou capacité fermentescible que les autres. Les vrais
agents de fermentation sont les anaérobies.
Pasteur ne fut pas sans rencontrer des contradic-
teurs. Si on l'avait chicané à propos de Fhémiédrie,
la question des ferments ne pouvait pas ne pas sou-
lever une opposition beaucoup plus acerbe. Les
adversaires furent nombreux. En première ligne
il faut rappeler le docteur Bouilland et Liebig'.
Le docteur Bouilland demanda ce que deviennent
les ferments lorsque leur œuvre de décomposition
est achevée : « Quels sont les ferments des fer-
ments ? » A quoi Pasteur répondit, multipliant les
expériences, que les ferments deviennent à leur
tour amas de matière organique, donnant lieu
aux phénomènes déjà décrits: Dans la masse repa-
raissent les anaérobies et, à la surface, les aérobies.
C'est le mouvement indéfini de la matière organi-
que, dont la décomposition renferme le germe de
vie.
C'est la preuve que, même au plus bas de l'é-
1. Les démêlés de Pasteur avec les savants forment la trame même
de Thistoire de sa vie scientifique. On les retrouvera dans le cours de
cet ouvrage.
L'ŒUVRE 19
clielle des êtres vivants, la vie ne dérive jamais que
de la vie.
La génération spontanée.
Si nulle décomposition, nulle fermentation de
matière organique n'a lieu que par l'action de ger-
mes vivants, que devient la doctrine de la généra-
tion spontanée ?
Jusque-là on avait cru que la matière organique
en décomposition était susceptible d'ongendrer des
êtres vivants. Mais la vie, d'après cette théorie, se
créait elle-même sans germe. C'était, suivant la dé-
finition donnée dans sa thèse par C. Musset, élève
de Joly, professeur de physiologie à Toulouse,
« c'était non pas une création faite de rien, mais
bien la production d'un être organisé nouveau, dé-
nué de parents et dont les éléments primordiaux
sont tirés de la matière organique ambiante. »
Pasteur, par ses précédentes études, se trouvait
placé en face du problème. 11 s'était déjà demandé
d'où vient le germe qui provoque la fermentation.
En 1858 Pouchet, on l'a vu précédemment, s'était
déclaré partisan de la génération spontanée. Il fon-
dait sa conviction sur ses observations personnelles.
Pasteur, au contraire, était amené à nier la géné-
ration spontanée, qui élait une doctrine en quelque
sorte officielle, un dogme scientifique.
20 PASTEUR
Entreprendre de détruire ce dogme n'était pas
facile et il ne manqua pas de gens pour dissuader
Pasteur d'aborder cette élude. Biot et Dumas eux-
mêmes essayèrent de l'en détourner.
Pasteur, entraîné par sa foi dans sa méthode, par
son irrésistible besoin de ne pas laisser sans solu-
tion une question aussi importante, attaqua réso-
lument le problème. Pour lui la théorie de la géné-
ration spontanée n'avait que la valeur d'un vieux
préjugé: elle n'en serait que plus difficile à déraci-
ner, mais celte considération n'était pas pour le
faire reculer.
Il avait proposé à Pouchet de faire une expé-
rience en commun devant l'Académie, qui suivait le
débat avec un vif intérêt. Pouchet se déroba.
Alors Pasteur fit à la Sorbonne, devant une salle
comble et un auditoire d'élite, une conférence qui de-
vait avoir un retentissement énorme (1864). 11 fit voir
l'inanité de l'expérience par laquelle Pouchet croyait
avoir démontré victorieusement la génération spon-
tanée. Il refit l'expérience dans d'autres con-
ditions, éliminant les causes d'erreur auxquelles
Pouchet n'avait pas pris garde. Il arriva ainsi à
établir que l'air est bien le véhicule du microorga-
nisme indispensable à toute fermentation, et que la
génération spontanée est une chimère, selon sa
propre expression. Les expériences de Pasteur ]
furent si décisives et si irréfutables, il triompha '
d'une façon si éclatante qu'il finit, comme l'a dit
L'ŒUVRE 21
Paul Hert, par « enclouer tous les canons de ses
adversaires ».
L'Académie des Sciences décerna à Pasteur le
prixqu'elle avait établi, en 1860, en faveur de ce-
lui qui jetterait un jour nouveau sur la question
des générations spontanées.
Pouchet n'avait d'ailleurs pas abandonné la lutte
pour cela. 11 proposa une contre-expérience, que
Pasteur s'empressa d'accepter; mais après avoir
soulevé maintes difficultés, Pouchet finit par se dé-
rober encore une fois, comme l'avait fait Liebig
auparavant, comme le feront encore bien d'autres
dans la suite.
La résistance.
Les discussions sur la génération spontanée
avaient franchi l'enceinte du laboratoire et des
Académies. La question était agitée dans la presse,
elle animait les conversations dans les salons, elle
avait pris un caractère philosophique et religieux.
Edmond About n'avait-il pas écrit, après la confé'
rence de la Sorbonne : « M. Pasteur a prêché en
Sorbonne au milieu d'un concert d'applaudisse-
ments qui a dû faire plaisir aux anges ».
Pasteur proclamait que la fermentation est un
acte vital, que « la vie est le germe, et le germe, la
vie», c'est-à-dire, pouremprunler le langagescien-
22 PASTEUR
tifique, que la vie seule est capable de créer de
toutes pièces des dissymélries nouvelles. Cette doc-
trine, qui « parlait dans le môme sens que la
Bible », remarque Duclaux, contrariait certaines
opinions philosophiques fort on vogue. C'était, pour
le dire en un mot, une doctrine anli-libérale.
Car enfin si le germe est la vie et si la vie est le
germe, d'oi^i vient la première vie? qui a créé le
premier germe?
Pour Pasteur, la question était du ressort de la
religion et la science n'avait pas à s'en préoccuper,
11 voulait bien rechercher les causes secondes,
mais non la cause première. Quand on est arrivé
aux bornes extrêmes de la science, au seuil de Fin-
connaissable, la raison doit faire place au senti-
ment, car « le cœur a des raisons que la raison ne
connaît point ».
Pasteur fut encore obligé, quelques années plus
tard, de reprendre la question, mais scientifique-
ment cette fois. Claude Bernard, auprès duquel il
avait toujours trouvé la plus sincère sympathie, qui
l'avait encouragé et applaudi, avait, avant de mou-
rir, laissé des notes dans lesquelles il prétendait
que la fermentation alcoolique pouvait se produire
sans cellule, qu'il n'y avait pas de vie sans air, que
l'alcool se formait au moyen d'un ferment soluble,
en dehors de la vie. Ces notes n'étaient à la vérité
que des notes d'expérimentation et non des résul-
tats en état d'être publiés.
L'ŒUVRE
23
Pasteur se montra très ému de cette manifesta-
tion posthume, non imputable à Claude Bernard
d'ailleurs: celui-ci n'avait jamais fait d'objection <à
Pasteur, qui avait toujours eu de la vénération pour
Cliuuie Bernaid.
son ancien maître. Par respect pour la mémoire du
grand savant, il institua de nouvelles expériences,
afin de détruire encore une fois l'erreur qui se dres-
sait devant lui et, comme toujours, il prit pour
juge l'Académie. 11 se servit du raisin de ses vignes
d'Arbois pour obtenir la fermentation alcoolique,
2i PASTEUR
et il prouva une fois de plus que les résultats aux-
quels il était arrivé précédemment étaient sans
appel.
Ces résultats étaient que, non seulement toute
fermentation est corrélative de vie, mais aussi, con-
séquence nécessaire et capitale, que chaque ferment
Qsi spécifique, c'est-à-dire qu'il ne produit, dans les
mêmes conditions, que des réactions toujours les
mêmes : le ferment lactique fabriquant de Tacide
lactique; le ferment butyrique, de l'acide butyri-
que; le ferment alcoolique, de l'alcool; etc..
C'étaient autant de voies nouvelles qui s'ouvraient.
Applications des théories de Pasteur.
LE VINAIGRE
Pasteur ne formulait pas seulement des théories
nouvelles; il s'efforçait aussi de tirer de ses expé-
riences des conséquences pratiques. Il porta son
attention sur le vinaigre, dont la fabrication était
restée routinière et empirique. Il en était de même
du reste de la bière et du vin, ainsi qu'on le verra
plus loin.
Pour Liebig, la fermentation d'où provenait le vi-
naigre tenait à la présence dans le vin de matières
de naturealbuminoïde ou azotée. Pasteur détruisit
L'OEUVRE 25
cette erreur en montrant que l'acétification résulte
du contact de l'air, les aérobies fixant l'oxygène sur
l'alcool et le transformant en acide acétique.
Celte démonstration intéressait au plus haut
point l'industrie orléanaise. Invité par le maire de
la ville à venir faire une conférence (1867) sur les
résultats de ses études touchant cette industrie.
Pasteur apprit aux intéressés à fabriquer rapide-
ment le vinaigre. Il suffit pour cela de mélanger,
dans la proportion de 1 partie pour 3 ou 4, du
vinaigre au vin, et d'introduire dans ce mélange une
petite quantité de la matière cryptogamique qui se
manifeste à la surface du vinaigre en voie de for-
mation. La matière cryptogamique, le mycoderme,
est donc le ferment du vinaigre.
Pasteur réalisa une autre amélioration. Il sup-
prima le tonneau-mère servant à la fabrication et
dont la mise en train et l'entretien exigeaient du
temps et des soins minutieux «. A la place fut ins-
tallée une cuve où se fait le mélange du vin et du
vinaigre, auquel on ajoute le mycoderme. La pro-
duction se trouve augmentée de 85 à 90 pour cent.
Liebig s'éleva contre la théorie pastorienne de
l'acétification, comme il s'était élevé antérieurement
1 . Tonneau rempli aux deux tiers d'un mélange de vinaigre déjà fabri-
qué et de vin à acélifler. A la surface du liquide se formait une pel-
licule mince et fragile, qu'il fallait maintenir intacte : c'est le
mycoderme du vinaigre. On ne l'obtenait qu'au prix de grandes difll-
cuUés .
Pasteur 4
26 PASTEUR
contre la théorie générale de la fermentation. Pas-
teur offrit de refaire ses expériences devant lui avec
les substances qu'il aurait lui-même fournies.
Liebig se déroba.
LE VIN
A Arbois, Pasteur s'était occupé de chercher un
remède préventif aux diverses maladies du vin: la
tourne, l'amer, la graisse. On n'était pas fixé sur la
nature de ces maladies. Le savant en attribua la
cause à un micro-organisme spécial, à des ferments
particuliers à chaque maladie. Pour les détruire, il
eut recours au chauffage au bain-marie à 55 ou
GO degrés. Le résultat fut conforme aux prévi-
sions.
Une commission de dégustation fut appelée, en
4865, à se prononcer sur divers échantillons : l'opé-
ration fut concluante. Le chauffage, sans altérer le
vin, anéantit les organismes microscopiques qui
causent la maladie. L'industrie vinicole devait
profiter de cette découverte, de même que le com-
merce d'exportation par mer.
LA BIÈRE
Pasteur fit sur la bière les mêmes études que sur
le vin et donna le moyen de préserver la bière des
maladies qui, la corrompant rapidement, empê-
chent sa conservation.
L'ŒUVRE 27
Venu en Auvergne après la guerre pour passer
une saison à Royat, Pasteur eut là une excellente
occasion de s'occuper de cette boisson fermentée :
une brasserie existait près de là, à Chamalières.
Pour la bière comme pour le vin, les procédés
de fabrication ne relevaient que de la routine et
beaucoup de détails ne se traitaient que par tâton-
nements. Pasteur, qui avait réduit à néant la part
du hasard dans les fermentations, appliqua sa
méthode à la bière, et le résultat fut tel qu'on
pouvait l'attendre.
Dès le commencement d'août il faisait envoyer
de Chamalières à J.-B. Dumas douze bouteilles de
bière traitée selon ses indications : « J'espère,
disait-il, que même en la comparant aux bonnes
bières des cafés de Paris, vous la trouverez très
agréable ».
Cette même année Pasteur alla continuer ses
expériences dans une grande brasserie de Londres.
Ses constatations, en ce qui concernait les vices de
fabrication, eurent un résultat immédiat. La levure
fut observée au microscope et l'on fut à même d'en
reconnaître la qualité. Dans la brasserie le micro-
scope devint un instrument indispensable. Huit
jours après l'intervention de Pasteur, il n'entrait
plus dans la fabrication londonnienne que de la
levure exempte de micro-organismes nuisibles.
Bertin, sous-directeur à l'École Normale, ami et
compatriote de Pasteur, mettait une note de gaîté
28 PASTEUR
dans la vie du grand savant. C'était un amateur de
bière. Il trouvait et disait, moitié sérieux moitié
riant, que la bière du quartier Latin avait encoie
meilleur goût que la bière traitée scientifiquement.
Pasteur essayait de raisonner. « Donne-moi d'abord
un bock, disait Berlin, tu m'instruiras ensuite. »
Pasteur mettait à profit l'expérience de Bertin
en dégustation pour chercher des perfectionne-
ments. Il analysait des échantillons des bières les
plus réputées de Paris et trouvait toutes ces bières
détestables sinon pour le goût, du moins comme
fabrication. Il alla jusqu'à Tantonville pour con-
firmer ses observations et il put bientôt poser en
principe absolu que toute bière qui ne contient
aucun germe doit rester inaltérable.
Pour atteindre ce but il faut, au moyen du
microscope, reconnaître la levure et, d'autre part,
recourir au chauffage. Ce sont là les procédés de
pasteurisation qui sont devenus d'usage courant.
Grâce à Pasteur, les bonnes bières françaises
sont aujourd'hui au niveau des meilleures bières
allemandes et autrichiennes. Mais Pasteur voyait
déjà plus loin, et c'est en cela que se révèle son
génie: « Ces nouvelles études sur la bière, écri-
vait-il deux ans après, reposent sur les mômes
principes qui ont servi de guide à mes recherches
sur le vin, le vinaigre et la maladie des vers à soie,
principes dont la fécondité et les applications sont,
à mon avis, sans limites. L'étiologie des maladies
L'ŒUVRE 29
contagieuses est peut-être à la veille d'en recevoir
une lumière inattendue. « Peut-être », écrivait-il
en 1876. « C'est fait », disait-il en 1881 *.
LE VER A SOIE
Pendant un séjour à Arbois au cours duquel Pas-
teur s'appliquait à trouver un remède préventif
aux diverses maladies du vin, J.-B. Dumas lui écri-
vit de vouloir bien se mettre à la recherche des cau-
ses, et par suite, du remède à la maladie des vers
à soie.
Dans un rapport au Sénat, Dumas écrivait :
« CEufs, vers, chrysalides, papillons, la maladie
peut se manifester dans tous les organes. D'où
vient-elle? on l'ignore. Gomment s'inocule-t-elle?
on ne le sait. » Qui donc pourrait la reconnaître et
la guérir? Pasteur, se dit-il, en est seul capable, et
Dumas lui ouvrit son cœur : « 11 faut sauver le pays
d'Alais ! » C'était le moment où les résultats déjà
acquis de ses recherches sur les ferments offraient
à Pasteur une carrière inespérée de succès. C'était
le moment où, après les avoir fait sortir de la nuit
obscure où ils coexistaient, les infiniment petits lui
apparaissaient infiniment grands et redoutables.
Pasteur n'hésite pas. 11 écrit à Dumas : « Vos bon-
tés pour moi me laisseraient des regrets amers,
1. M. Louis Passy.à la Société nalionaîe (V Agriculture de France, 190i.
30
PASTEUR
si je refusais votre pressante invitation. Disposez
de moi. »
Depuis une vingtaine d'années la pébrine éten-
dait ses ravages à l'étranger comme en France. Pas-
Le ver à soie. En haut : papillon et chenille. En bas : cocon
et nymphe extraite de celui-ci.
teur se rendit à Alais, ou mieux à Pont-Gisquet, et
se mit à l'œuvre aussitôt. Il observa les taches et
les corpuscules qu'il voyait dans les cocons, les pa-
pillons et les vers ; il fit des expériences compara-
tives, sans trop se soucier des résistances ou des ini-
L'ŒUYRE 31
patiences qui se manifestaient autour de lui. 11 arriva
à cette conclusion que les papillons atteints de la
pcbrine produisent des œufs, de la graine ou se-
mence d'où sortent infailliblement des vers ma-
lades.
Il fit mettre de côté un lot de semence saine sur
laquelle devaient porter ses observations au prin-
temps suivant. Lorsqu'il revint, il fut à même de
se former cette conviction qu'il n'y avait « pas de
maladie actuelle du ver à soie, mais seulement
une exagération d'un état de choses qui a tou-
jours existé. »
Comme conclusion, il déclara qu'il ne fallait re-
cueillir que des graines saines, c'est-à-dire issues
de papillons non corpusculeux. Cette sélection, faite
au moyen du microscope, était à la portée de tous,
d'une femme ou môme d'un enfant.
Les travaux de Pasteur sur la maladie du ver à
soie durèrent cinq ans. Chaque année il revenait à
Pont-Gisquet pour se rendre compte des résultats
obtenus. Il ne tarda pas à se prononcer d'une façon
définitive sur la pébrine. Cette maladie est bien duc
à des corpuscules; il suffisait, pour y parer, d'éli-
miner les mauvaises graines.
Toutefois, au cours des dernières expériences,
une nouvelle maladie apparut qui causa une vive
déception à Pasteur. Il constata, en ce qui concerne
la pébrine, que ses conclusions étaient d'une exac-
titude inattaquable. Mais il fallut se livrer à de
32 PASTEUR
nouvelles observations sur la seconde maladie, la
flacherie ou mort-flat.
Pasteur finit cependant par en découvrir le mi-
cro-organisme dans l'estomac du papillon, après la
ponte. Lorsque ce germe existe, il faut sacrifier les
œufs.
La pébrine est une maladie endémique qui
devait disparaître par la mise en pratique des
sages prescriptions de Pasteur. La flacherie est une
maladie héréditaire, dont la cause première tient à
la présence de germes sur les feuilles de mûrier
données en nourriture aux vers.
Pasteur avait rencontré, au cours de sa longue
campagne dans le Gard, une opposition qui s'était
traduite parfois d'une façon très vive. On alla jus-
qu'à dire une fois à Lyon qu'il avait dû quitter
Alais précipitamment pour ne pas être lapidé. Le
fait n'était heureusement pas vrai, mais le bruit
qui en avait couru n'en laisse pas moins deviner de
quelles hostilités Pasteur se trouvait entouré.
C'est d'ailleurs un sort commun à tous les bien-
faiteurs de l'humanité que de voir la malveillance
répondre à leurs efforts pour le bien. Pasteur res-
sentait vivement l'injustice des critiques violentes
dont il était l'objet. Peut-être faut-il voir là une
des causes de l'attaque de paralysie dont il fut
frappé en 1868 et dont par bonheur il se releva
au bout de quelques mois, tout en gardant une
légère claudication. Mais enfin ses adversaires les
L'ŒUVRE 33
plus déclarés dans le Midi, les marchands de graine,
durent déposer les armes et la science enregistra
une victoire de plus (1869).
Sur la demande du maréchal Vaillant, Pasteur
fut invité par l'empereur à se rendre à la Villa
Vicentina, en lllyrie, domaine du prince impérial,
où l'industrie du ver à soie tenait une place pré-
pondérante. Pasteur emporta trois cents grammes
de bonne graine prise à Alais en passant, et, dès la
première année, le résultat fut merveilleux. De zéro,
le rendement passa à plus de vingt-cinq mille
francs. C'était une nouvelle preuve à l'appui de sa
découverte, s'il en eût été besoin.
En 1872 la Société nationale d'Agriculture le
reçut conmie membre et le plaça dans In section
des Cultures spéciales, où siège presque toujours un
représentant de la sériciculture.
La médecine vétérinaire.
Le moment était venu pour Pasteur de pénétrer
dans un nouveau domaine, celui de la médecine. La
liaison entre ces nouvelles études et . les travaux
antérieurs du savant n'apparaît peut-être pas de
prime abord. Mais si l'on réfléchit que les maladies
infectieuses peuvent être dues à l'action d'un mi-
cro-organisme, absolument comme les fermenta-
Pasteui" 5
34 PASTEUR
lions, que, clans un cas comme dans l'autre, la
décomposition résulte d'un ferment, on saisit aus-
sitôt le rapport entre la fermentation et certaines
maladies.
C'est en chimiste que Pasteur va aborder la
partie médicale de son œuvre et cette circonstance
sera une des raisons de l'opposition qu'il rencon-
trera auprès des spécialistes de l'art de guérir.
On a vu déjà que tous les pas faits par Pasteur
dans le chemin où il s'était engagé avaient été mar-
qués par un obstacle; chaque progrès réalisé avait
pour ainsi dire été emporté de haute lutte.
Quand il s'agira pour lui d'aborder la médecine,
il se heurtera à des susceptibilités et à des partis-
pris plus irréductibles encore, et la lutte, tout en
se tenant dans des sphères plus élevées, ne perdra
rien pour cela de son acuité.
LE CHARBON
A l'époque oi^i ce récit nous reporte, le charbon
ou sang de rate causait de terribles ravages parmi
les troupeaux, les troupeaux de moutons en parti-
culier, qui perdaient aunuellement jusqu'à vingt
pour cent de leur effectif.
Dans certaines provinces, il y avait des pacages
particulièrement redoutés ; on les appelait « mon-
tagnes maudites, champs maudits». Beaucoup de
moutons y contractaient la terrible maladie. 11 en
L'ŒUVRE 35
coûtait des centaines de mille francs aux pays
éprouvés.
Un médecin, le docteur Davaine, avait découvert
depuis longtemps (1850), dans le sang des animaux
morts du charbon, de petits corps filiformes, des
bâtonnets, qu'il appelait /'fzc/mf/zV^. Il se demanda
Sporos et bacilles du charbon.
si ces corpuscules n'agissaient pas comme ferments
et n'étaient pas la cause de la maladie.
Deux professeurs du Yal-de-Gràce, Jaillard et
Leplat, s'élevaient contre cetle théorie. L'inocula-
tion du sang d'un animal mort du charbon à un
lapin faisait bien mourir ce dernier, mais dans le
sang du lapin ne se retrouvaient pas les bactéritlies.
Paul Bert lui-même crut pouvoir déclarer, après
expériences, que la bactéridie ne donnait pas le
charbon.
C'est à ce moment que Pasleur intervint. Il eut
recours aux bouillons de culture (liquides appro-
priés dans lesquels les micro-organismes se conser-
36 PASTEUR
vent et se multiplient), et il put constater que les
bâtonnets d'une goutte de sang de rate se repro-
duisaient indéfiniment dans les cultures successives.
Cette même bactéridio, tout en se reproduisant,
donne aussi des spores ou germes. Cette dernière
constatation esta retenir, la spore jouant un rôle
considérable, ainsi qu'on le verra.
Le microbe.
Au milieu des conflits ardents auxquels donnait
lieu la question du charbon, le docteur Sédillot,
grand partisan de Pasteur, proposa le nom de mi-
crobe (équivalent d'animalcule) pour désigner les
infiniment petits d'ordre pathogénique. Pasteur
l'adopta, comme il avait déjà adopté aérobie et
anaérobie.
Il est bon de se faire une idée exacte de ces ani-
malcules ou micro-organismes, êtres infiniment pe-
tits, si petits qu'il faut les grossir plusieurs centai-
nes de fois avec le microscope pour les apercevoir,
et si rapidement féconds que souvent on n'arrive
pas à mesurer l'étendue de leur multiplication.
Pasteur était dès lors maître de son sujet. Il était
fixé sur la nature du charbon et sur le rôle du mi-
crobe dans l'étiologie de cette maladie. Cependant
certain phénomène avait échappé un moment à sa
sagacité et l'avait déconcerté. C'était l'absence de
L'ŒUVRE 37
bactéritlies dans le sang des animaux morts du
charbon qui avaient servi aux opérations de Jail-
lard et de Leplat.
Il avait en dernier ressort triomphé de cette dif-
ficulté et, avec son esprit de généralisation, il se
trouva en état de donner la théorie de la contagion
par le microbe. Ce fut l'objet d'une note qu'il rédi-
gea en collaboration avec MM. Joubert et Chamber-
land et qu'il lut à l'Académie le 30 avril 1878.
Cette note était un véritable manifeslequi rap-
pelait, par son importance scientifique et son éclat,
la célèbre conférence de la Sorbonne.
Pasteur y dévoilait le mystère de la contagion.
La contagion est due à Tanaérobie, au corpus-
cule-germe, qui forme à l'abri de l'air un amas de
poussière septique. Cette poussière, devenue libre,
est transportée soit par l'air, soit plutôt par les
objets auxquels elle s'attache, et redevient, quand
le milieu est favorable, ferment, c'est-à-dire agent
de putréfaction. Ce corpuscule-germe est le vi-
brion septique, celui que, dans les expériences de
PouilIy-le-Fort', le ver de terre ramènera du sous-
sol à la surface^ celui qui enfin produisait les
(( champs maudits ».
Un certain nombre de praticiens, stimulés par
les travaux de Pasteur, expérimentaient pour leur
propre compte, mais comme ils n'avaient pas lasû-
1 . Voir page 42.
38 PASTEUR
reté de main du maître, ni sa foi dans sa méthode,
les résultats auxquels ils aboutissaient ne concor-
daient pas toujours avec ce que Pasteur avait dit.
Un professeur de l'École vétérinaire d'Alfort^
Colin, homme de grand mérite, affirma un jour que
les poules pouvaient contracter le charbon, con-
trairement à une assertion antérieure de Pasteur.
Celui-ci mit son contradicteur au défi de lui pré-
senter une poule charbonneuse. Colin releva le
défi.
Pendant plusieurs mois, chaque fois qu'il ren-
contrait Pasteur, celui-ci mettait une malicieuse
insistance à lui réclamer la poule promise. Colin
différait toujours. Enfin il finit par avouer qu'il
n'avait pas réussi à inoculer le charbon aux poules.
« Eh bien, dit Pasteur, c'est moi qui vous porterai
un jour à Alfort une poule charbonneuse. »
Quelque temps après Pasteur faisait à l'Académie
la démonstration promise. 11 expliqua que les oi-
seaux ne pouvaient contracter le charbon en raison
de leur température, supérieure de quelques de-
grés à la température du corps de toutes les es-
pèces animales que le charbon peut décimer. Pour
réussir. Pasteur avait plongé la partie inférieure
du corps de la poule dans un bain froid, de manière
à ramener la température de 42 à 37 degrés.
L'ŒUVUE 39
GIIOLKRA DES POULES
En 1880 Pasteur fut amené à s'occuper du cho-
léra des poules. C'est une maladie commune et fa-
cile à reconnaître. Pasteur a observé lui-mêmeque
(( l'animal en proie à cette affection est sans force?
chancelant, les ailes tombantes. Les plumes du
corps soulevé lui donnent la forme d'une boule;
une somnolence invincible l'accable. »
Le ferment decctte maladie est un microbe parti-
culier appelé microcoque ; il est aérobie. Pasteur
trouva le bouillon de culture qui lui est propre, en
fit une curieuse expérience et, finalement, se rendit
maître de ce virus.
Vaccination.
On avait déjà remarqué que, dans les maladies
virulentes, l'immunité résultait ordinairementd'une
première atteinte du mal, c'est-à-dire qu'on
n'a pas deux fois la variole, la scarlatine ou la
diphtérie. N'est-ce point que la maladie préserve
elle-même contre une rechute? Et ne pouvait-on
pas conférer la même immunité en ayant recours à
un virus atténué, c'est-à-dire non susceptible de
donner la mort? 11 y avait déjà, il est vrai, la vac-
cination contre la variole ; mais on ne s'était jamais
40 PASTEUR
rendu scientifiqueiiientcomptedela façon dont agis-
sait le vaccin.
En s'occupant du choléra des poules. Pasteur
avait remarqué^ au moyen d'une vieille culture ou-
bliée, mais bonne encore pour l'ensemencement,
qu'on pouvait inoculer des poules sans leur donner
la mort, ce qui n'arrivait pas avec des cultures
fraîches.
11 avait remarqué aussi que, dans les inoculations
expérimentales, la mortalité était en proportion in-
verse de l'âge de la culture, c'est-à-dire de l'atté-
nuation obtenue. En d'autres termes, plus la cul-
ture vieillissait, moins son action était énergique.
On était sur la voie de la vaccination, des virus-
vaccins. L'atténuation ainsi obtenue est artificielle:
c'est le virus modifié par l'oxygène de l'air, qui
affaiblit et éteint la virulence, tandis que la même
culture, mise en tube fermé, reste virulente. Ce qui
revient à dire que les aérobies eux-mêmes sont tués
par l'oxygène en excès. Cet oxygène, qui va les
brûler partiellement, si on le donne en doses mé-
nagées et pendant un temps suffisant, affaiblira peu
à peu, c'est-à-dire atténuera le virus, qui devien-
dra ainsi un vaccin. Telle est la genèse du vaccin
du choléra des poules.
Mais il n'en allait pas de même pour la bactéri-
die, le virus charbonneux, que l'air atmosphérique
n'influence pas. Pasteur arriva néanmoins à l'atté-
nuation par un réglage de température: à 45 de-
L'ŒUVRE
41
grés plus de cultures, à 42 ou 43, cultures pos-
sibles, mais sans formation de spores.
Globule blanc dévorant une bactéridie du charbon
(d'après Melclinikoff).
Cette découverte, pressentie par Toussaint et
Chauveau, causa une vive émotion à Pasteur. 11 fit
Metchnikoff.
une communication à l'Académie de Médecine au
sujet du vaccin du charbon, il montrait qu'au
Pasteur 6
42 PASTEl R
moyen des procédés d'atténuation on pouvait obte-
nir toute une gamme de vaccins appropriés aux
différentes espèces, du cobaye au cheval [)ar exemple.
Quelle est donc la théorie de l'immunisation? Le
docteur russe Melchnikoff l'a expliquée plus tard,
en révélant le rôle des globules blancs du sang appe-
lés leucocytes. Le leucocyte englobe parfois le mi-
crobe et le digère; il annihile le germe pathogène,
il devient ainsi phagocyte.
Parfois aussi le leucocyte succombe dans la lutte :
alors l'organisme est envahi. Mais quand le leuco-
cyte triomphe, l'organisme est en quelque sorte ha-
bitué aux toxines du microbe: de là, pour l'ani-
mal, la force de résistance, c'est-à-dire l'immunité.
Expériences de Pouilly-le-Fort.
Un vétérinaire de Melun, Rossignol, rédacteur à
(( la Presse Vétérinaire », s'était montré quelque
peu sceptique jusque-là au sujet delà nouvelle doc-
trine des microbes, que, comme beaucoup d'autres,
il appelait la microbiâtrie. Mais Rossignol, d'ori-
gine bourguignonne, avait du Bourguignon l'esprit
attentif et le sens pratique; il était capable de
s'aviser et aussi de se raviser. Aussi, quand il
avait adopté une idée, son adhésion pouvait aller
jusqu'à l'enthousiasme.
En parlant de microbiâtrie. Rossignol avait sans
L'ŒUVRE
43
doute sacrifié à la mode. Il avait aussi obéi à ce
premier mouvement de résistance qu'il faut
attendre de tout professionnel, quand on le place
Rossignol.
en face d'une idée nouvelle qui dérange toute sa
technique.
Mais à peine Pasteur eut-il fait sa communica-
tion à l'Académie, que Rossignol eut l'idée d'insti-
tuer des expériences en grand pour vérifier la nou-
velle théorie de la vaccination charbonneuse. La
Société d'Agriculture de Melun couvrit cette initia-
tive de son patronage. La Brie, en effet, de même
41 PASTEUR
que la Beauce, payait un large tribut à la terrible
maladie.
Le président de la Société d'Agriculture, le baron
de la Rochette, alla faire une proposition d'expé-
riences au grand savant, qui accepta et traça lui-
même le programme: — lot de GO moutons; —
î" .
; . ,]fe^} .•;, i^'^'^r'4*
i^âu
Ferme de PouilIy-le-Fort
(ancien manoir d'isitbeau de Bavière).
25 subiront à intervalle deux inoculations de virus
atténué (devant conférer l'immunité) ; — 25 reste-
ront intacts. — Ensuite: inoculation virulente aux
50 moutons (les 25 vaccinés préventivement, c'est-
à-dire immunisés devaient rester indemnes; les 25
non immunisés devaient périr). 10 moutons étaient
L'ORUVRR 45
réservés comme témoins. Venait enfin la question
de l'enfouissement: enclos palissade dans lequel
seront enfouis les moutons morts et où seront par-
qués, l'année suivanle, des moutons immunisés et
des moutons neufs: ceux-ci devaient mourir du
charbon en raison du contage par le sol, tandis quo
les immunisés résisteraient. Dans un enclos voisin
où il n'y aurait pas eu d'enfouissement, d'autres
moutons, neufs également, resteraient indemnes.
Le baron de la Rochette fit adjoindre 10 vaches à
l'expérience.
Le 5 mai 1881, il y avait grande affluence à la
ferme de Pouilly-le-Fort, propriété de Rossignol,
près de Melun. Les expériences eurent lieu confor-
mément au programme arrêté. La première inocu-
lation faite, Pasteur fut prié de prendre la parole
séance tenante. Devant un auditoire attentif et
intéressé, il improvisa, sur l'objet même de la
réunion, une causerie qui frappa vivement les
esprits.
Le 17 mai eut lieu la deuxième inoculation de
virus atténué. Pasteur était plein de confiance. Si
le succès est tel que je l'attends, écrivait-il à son
gendre, « ce sera un des plus beaux faits de science
et d'application de ce siècle, consacrant une des
plus grandes et des plus fécondes découvertes ».
Le 31 mai, vingt-six jours après la première
inoculation, on pratiqua l'injection virulente, au
milieu d'une assistance nombreuse. Beaucoup
46 PASTEUR
demeuraient encore incrédules, défiants, même
hostiles. Dans un groupe, le matin, à Melun, on était
allé jusqu'à « boire au fiasco de Pasteur ». On se
demande qui pouvait avoir intérêt à ce « fiasco ». .4
voir cette violence de passion aveugle et stupide
dans le domaine de la science, on ne doit pas être
surpris des animosités et des haines qui se déchaî-
nent sur d'autres terrains.
Le 1" juin fut une journée d'observation et
d'attente. Toutefois, le soir. Rossignol avait télé-
graphié qu'une des brebis qui avaient été préven-
tivement vaccinées paraissait malade. Ce fut une
nuit de vive anxiété pour Pasteur. Mais le lende-
main arrivait la dépêche triomphante : tous les
animaux qui n'avaient pas été immunisés devaient
succomber dans la journée. Les autres restaient
sains et saufs. « Succès épatant ! » ajoutait Rossignol
en terminant sa dépêche. « La joie était au labo-
ratoire », disait Pasteur lui-même. Celui-ci arriva
à 2 heures à Pouilly-le-Fort ; il fut accueilli par des
ovations chaleureuses : c'était un enthousiasme
indescriptible.
Après le succès.
Cependant le gouvernement ne restait pas indif-
férent : il offrit à Pasteur le grand cordon de la
Légion d'honneur. Pasteur accepta, mais à la con-
L'OEUVJîE
47
dition que ses deux collaborateurs, RouxetGham-
berland, seraient décorés. M'"^ Pasteur pouvait
Rossignol vaccinant un mouton.
bientôt écrire : « Grandeau vient d'annoncer au
laboratoire que Roux et Ghamberland sont décorés
et que Pasteur est grand-cordon. On s'est embrassé
cordialement au milieu des cochons d'Inde et des
lapins. »
48 PASTEUR
La Société d'Agriculture de Melun, qui avait
fourni à Pasteur le moyen de remporter cette belle
victoire, qui avait par conséquent été à la peine,
voulut être aussi à l'honneur. Cet honneur pourelle
consista dans la remise solennelle d'une médaille
d'or au grand savant. La cérémonie eut lieu dans
la grande salle du Musée de Melun. Le baron de la
Rochette célébra comme il convenait les travaux
de Pasteur. Celui-ci répondit en se félicitant de la
distinction dont il était l'objet : « Cette médaille,
je la transmettrai à mes enfants comme un témoi-
gnage toujours présent de ce que peuvent le tra-
vail et la persévérance dans l'elfoit. La persévé-
rance dans l'effort vers un noble but, voilà le secret
du succès, parce qu'en demeurant longtemps dans
les choses, on acquiert une sorte d'instinct du
vrai. • 11 continua en remerciant de son généreux
concours Rossignol, « un des vétérinaires de France
les plus distingués », et en présentant un tableau
des résultats déjà obtenus dans la région par les
vaccinations de juillet, août et septembre. Dans ces
trois mois, la vaccination avait préservé quatre
cents moutons.
Cette séance fut suivie d'un banquet où les toasts
furent nombreux, il n'est pas besoin de le dire.
Bouley, membre de l'Institut et Inspecteur général
des Écoles vétérinaires", qui savait être spirituel à
1. Bouley a été pour Pasteur ua partisan et un auxiliaire si plein de
L'ŒUVRE
49
l'occasion, commença ainsi : « Messieurs, je suis
tenté de m'écrier, comme au troisième acte de Lu-
crèce Borgia : — Vous êtes tous empoisonnés!.....
Bouley.
Ah! fait-on autour de lui. — En effet, reprend-il
foi et d'enthousiasme qu'on ne saurait séparer son sou\enir de celui
du Maître. « Bouley était ardent et st-duisant, a dit de lui M. Louis
Passy (Bîilletin des séances de la Société nationale d'Agriculture de
France, no H, 1904) ; il était orateur, il était écrivain. L'un était égal
à l'autre. Quand il parlait, il faisait briller la vivacité de son esprit ;
mais quand il professait, il faisait peser sur ses auditeurs le poids de
ses convictions. Pendant quarante ans il fut un des maîtres de la
presse scientifique : il devint le serviteur des doctrines pastoriennes. »
Paiteur
50 PASTEUR
si VOUS voulez bien jeter les yeux sur ce menu,
vous y remarquerez ce plat redoutable : selle de
mouton inoculé, à la Montmorency. »
Pasteur, toujours grave, toujours préoccupé de
ses travaux, avait dit : « L'initiative que vous avez
prise l'an dernier pour combattre le charbon a la
fécondité de tout ce qui est vrai. Qui sait si nous-
mêmes nous ne viendrons pas, encouragés par votre
bienveillance, solliciter un jour votre jugement
pour la prophylaxie de la rage ou d'autres maladies!
Résoudre ces questions est peut-être au-dessus des
forces dans l'état actuel de la science. Qu'importe !
Aux grandes difficultés il faut opposer les longs
espoirs. Si la joie est dans le succès, la vertu est
dans l'effort. »
Pasteur devait encore s'associer aux tentatives
faites par Rossignol, avec le concours de la Société
d'Agriculture, pour arriver à la vaccination de la
péripneumonie chez les animaux, et pour rechercher
si l'immunité du vaccin chai'bonneux est (ransmis-
sible de la mère au fœtus.
Quant aux moutons parqués l'année suivante dans
l'enclos dont le sous-sol avait reçu les cadavres des
moutons morts du charbon à la suite des expé-
riences de 1881, ils se comportèrent exactement
comme Pasteur l'avait prévu. Les moulons immu-
nisés furent indemnes, les moulons neufs mouru-
rent du charbon, et les moutons témoins, dans un
enclos voisin non souillé, restèrent bien portants.
L'ŒUVRE
En trois mois, après les expériences de Pouilly-
le-Fort dénommé désormais le Clos-Pasteur, on
avait vacciné 32550 moutons et un grand nombre
de hœufs, de vaches et de chevaux: 25100 avaient
été laissés comme témoins. Les résultats obtenus
à Pouilly-le-Fort furent confirmésdans la pratique.
Enfin il faut ajouter que la vaccination charbon-
neuse a, la première, répandu dans le public la foi
dans la science des microbes.
Les expériences de Pouilly-le-Fort avaient eu en
France un retentissement bien compréhensible ;
elles avaient provoqué une explosion d'enthou-
siasme. Dès le lendemain on venait proposera Pas-
teur de partir pour Le Cap, afin d'y étudier une
maladie contagieuse qui sévissait sur les chèvres.
Pasteur se montrait disposé à y aller. Il avait l'in-
tention de recueillir en passant, au Sénégal, quel-
ques germes de fièvre pernicieuse. Mais il fut
retenu par sa famille, qui trouvait que le grand
savant avait de quoi s'occuper en France.
Cependant les adversaires ne se rendaient pas
encore. On admettait le succès de Pouilly-le-Fort à
titre d'expérience de laboratoire, c'est-à-dire à titre
d'expérience faite avec un virus préparé. Mais
qu'arriverait-il si l'on inoculait du sang pris sur
l'animal charbonneux après sa mort?
Ce qui arriverait?
Pasteur le fît voir dans des expériences qui eu-
rent lieu près de Chartres. Le succès fut le même
52 PASTEUR
qu'à Melun. « C'est un hosanna poussé par tout
le monde en votre honneur », lui écrivait Bouley.
LE DOCTEUR KOCH
Les théories de Pasteur sur le virus et son atté-
nuation trouvaient des contradicteurs au dehors,
notamment à Berlin. A la tête de ces derniers était
le docteur Koch. Pasteur, qui recherchait la lutte
quand il s'agissait de défendre ses découvertes, de
faire éclater la vérité, proposa à l'École vétérinaire de
Berlin défaire des expériences devant une commis-
sion nommée par le gouvernement allemand. Cette
commission fut en effet constituée avec Virchow
comme président, et Thuillier, muni de tubes, se
rendit à Berlin.
Sur ces entrefaites la ville de Genève invita Pas-
teur à assister à un congrès scientifique; une séance
devait lui être réservée pour faire une communica-
tion sur ses travaux. Pasteur accepta.
Au congrès il s'efforça de faire surgir des contra-
dicteurs. « Permettez-moi, dit-il, dechoisir parmi eux
celui dont le mérite personnel a le plus de droits à
votre attention : je veux parler du docteur Koch,
de Berlin » (5 septembre 1882).
Koch déclina toute discussion, disant qu'il se ré-
servait de répondre plus tard par écrit. Koch ré-
pondit en effet plus tard ; il acceptait l'atténuation
du virus, mais il doutait toujours des résultats pra-
tiques de la vaccination préventive.
L'CEUVUE 53
Pasteur répondit par des faits, en s'appuyant
notamment sur un rapport de Boutet à la Société
agricole et vétérinaire de Cliartres, d'après lequel
les résultats de la vaccination ne pouvaient plus
laisser aucun doute. Quant aux autres objections de
Koch, Pasteur y réponditaussi, non sans âpreté, en
exprimant son entière confiance dans le succès.
INGIDEiNT DE TURIN
Ea 188:2 s'était produit un incident à Turin.
Des professeurs de l'École vétérinaire de cette
ville avaient inoculé des moutons en se servant du
sang d'un animal mort du charbon depuis plus de
vingt-quatre heures. Tous les moutons inoculés
étaient morts, bien qu'ils eussent été préalablement
immunisés. Les Turinois firent grand bruit de l'in-
cident.
Pasteur, dans une lettre qu'il communiqua à
l'Académie, essaya de faire comprendre aux Turi-
nois la faute scientifique qu'ils avaient commise : il
leur proposa même d'aller à Turin pour la leur faire
toucher du doigt. Les Turinois se dérobèrent.
Pasteur expliqua leur échec dans une séance de
la Société d'Agriculture de Melun, le 23 juin de la
même année.
« Si l'expérimentateur ne s'entoure pas de toutes
les précautions, dit-il, il s'expose à des mécomptes.
Je n'en veux pour preuve que ce qui vient de se
gj PASTEUR
passer à l'École de Turin. Tout dernièrement plu-
sieurs professeurs de cette École ont voulu procéder
à des expériences sur la vaccination charbonneuse et
celles-ci n'ont pas réussi. La première et la deuxième
vaccinations se sont faites sans le moindre accident ;
mais à l'inoculation de contrôle qui se pratique avec
du virus très virulent, des vaccinés et des non vac-
Microbe de la septicémie.
cinés sont morts des suites de cette inoculation. Ce
casa fait grand bruit. . . Les professeurs de l'École
de Turin ignoraient un point capital qui est celui-ci :
— Quand un animal meurt du charbon, son sang est
plein de bacléiidies, uniquement de bactéridies.
Vient-on à inoculer ce sang 1 heure, 2, 3, 4, 5 heures
et même 15 heures après la mort, il est toujours
charbonneux, il ne donne asile à aucun autre élé-
ment morbide. On l'inocule : on a le charbon. Mais 20
heures après la mort, ce sang se modifie, il devient
septique et charbonneux, renferme par conséquent
les germes de deux maladies bien distinctes. En
L'ŒUVRE
inoculant ce sang on donne donc simiiltanémerit
deux maladies: la septicémie et le charbon; mais
comme la seplicémie agit encore d'une façon plus
foudroyante que le charbon, l'animal meurt de sep-
ticémie.
A Turin, l'animal destiné à fournir la matièi^e vi-
Les bicnfiuts rendus par Pasteur à rAgriciiUure.
(bas-relief du monument de Pasteur, à Arbois.)
rulente meuit le 22 mars au matin et il n'est ou-
vert que le 23 dans l'après-midi, par conséquent
plus de 24 heures après la mort. Il n'y a donc pas
lieu de s'étonner si les vaccinés n'ont pas été plus
préservés que les témoins, »
On peut, en conséquence, distinguer deux espè-
ces de charbon, le charbon symptomatique et la
fièvre charbonneuse. C'est le vibrion septique
qui avait fait mourir les moutons de Turin, comme
ceux de Jaillard et Leplat, et aussi de Paul Bert. Il
56 PASTEUR
s'agit ici du vibrion de la septicémie ou bactérie
septique. Cette bactérie habite perpétuellement
l'intestin des herbivores; elle pullule sur les cada-
vres, se développe, et les lésions qu'elle détermi-
ne ressemblent à celles de la fièvre charbonneuse.
Pasteur, comme on l'a vu, avait achevé sa vic-
toire par les expériences de Pouilly-le-Fort et de
Chartres. Mais ce qu'on pourrait appeler la science
officielle ne se rendait pas encore complètement.
A l'Académie de Médecine, Peter et Fauvel avaient
recommencé la lutte. Bouley défendit Pasteur avec
vigueur: « Quand je vois la science faire de pareil-
les conquêtes, s'écria-t-il, je m'incline plein de res-
pect et d'admiration devant l'homme à qui la
science en est redevable, et si c'est là du fétichisme,
de l'idolâtrie, je ne crains pas de dire que je suis
idolâtre. »
Pendant que l'Académie discutait toujours la mé-
thode pastorienne, les villes de France, dans les ré-
gions agricoles, témoignaient leur reconnaissance
au grand savant. Telle est, entre autres, la ville
d'Aurillac, où les médecins tinrent à honneur d'ac-
cueillir et de fêter Pasteur, qu'ils appelèrent « le
bienfaiteur de l'humanité. » i
LE ROUGET DU PORC
De retour à Paris après le congrès de Genève,
Pasteur avait été invité à s'occuper du rouget,
L'OEUVRK 57
maladie du porc, qui désolait alors la région de
Bollène, dans le Vaucluse.
Pasteur s'y transporta avec son jeune collabo-
l'ateur Thuillier. Il multiplia les études et les expé-
riences : « Envoie-moi, disuit-il, dans une lettre à
M™" Pasteur, envoie-moi mille francs. Il ne me reste
plus que trois cents francs des seize cents que j'ai
apportés. Les porcs coûtent cher et nous en tuons
beaucoup ».
Dans une note qu'il envoyait en même temps à
J.-B. Dumas pour l'Académie, il annonçait qu'il
pourrait vacciner à coup sûr contre le rouget dès
le printemps suivant.
Pasteur et la médecino.
« Je ne suis, disait souvent Pasteur, non sans
une pointe de regret, ni médecin ni vétérinaire. »
Aussi ressenlit-il quelque défiance de lui-même et
éprouva-t-il quelque hésitation quand il s'agit pour
lui de venir aux chosesde la médecine. Néanmoins,
le mouvement qu'il avait provoqué l'entraîna,
malgré qu'il en eût, entraînement d'autant plus
facile d'ailleurs qu'il se sentait attiré.
Traube en Allemagne, Lister en Angleterre,
s'inspiraient déjà des théories pastoriennes sur le
microbe.
Pasteur S
58 PASTEUR
Mais la médecine, clans son ensemble, était restée
empirique, c'est-à-dire qu'elle s'en rapportait à la
routine ou au hasard. Elle reconnaissait au besoin
son impuissance et consentait parfois à la déplorer.
Elle était toutefois bien persuadée que nul n'était
en état de lui en remontrer. Elle dédaignait la
science et n'était pas d'humeur à permettre à un
homme de science de lui faire la leçon. Elle traitait
de haut les savants, les chimistes en particulier, et
même les physiologistes.
On en était toujours à la diathèse, c'est-à-dire
que l'on croyait en tout et pour tout à la disposi-
tion de l'individu à être affecté de telle ou telle
maladie. On n'admettait pas la spécificité, qui rat-
tache la maladie à son microbe, le microbe, comme
le ferment étant spécifique'. A chaque maladie
infectieuse correspond un virus spécial. La maladie
virulente n'est pas spontanée : elle vient du dehors
et, par conséquent, la contagion peut être évitée.
C'est là un fait capital, mais qui ne fut pas
admis sans résistance.
Pidoux, un des porte-parole du corps médical,
un de ceux qui en personnifiait le mieux l'esprit,
se montrait scandalisé des idées nouvelles : « Est-ce
qu'on allait, avec la spécificité, enrayer le progrès
de la médecine! Est-ce que les médecins allaient
être condamnés à découvrir des vaccins, au lieu de
i. Voir page 24.
L'ŒUVRE 59
rechercher les causes de la dégénérescence de l'or-
ganisme suivant l'étiologie commune ! »
Découvrir des vaccins, quelle déchéance !
A répo(|ue où Davaine, mis en éveil par les tra-
vaux de Pasteur, cherchait à faire un rapproche-
ment entre les ferments et les bactéridies, la lutte
s'aviva. La médecine se montra hautaine à l'égard
du laboratoire.
Pasteur venait d'entrer à l'Académie de Méde-
cine en 1873. Harcelé, comme on peut le penser, il
se défendait avec une vigueur extrême. « La meilleure
preuve qu'un observateur est dans la vérité, disait-
il, c'est la fécondité ininterrompue de ses travaux .»
Et Pasteur pouvait en effet rattacher les études
nouvelles auxquelles il allait se livrer sur la méde-
cine à ses travaux antérieurs. « Que d'enseigne-
ments pour la médecine humaine, a écrit le docteur
Roux, dans l'étude sur la maladie des vers à
soie ! »
La chirurgie.
Les opérations chirurgicales pratiquées à cette
époque, effectuées même dans les meilleures condi-
tions, étaient redoutables par leurs suites. On en
était arrivé à dire que la laparotomie, par exemple,
devait être rangée dans les attributions de l'exécu-
teur des hautes œuvres. L'anesthésie, déjà prati-
60 PASTEUR
quée, n'y faisait rien. Les conséquences d'un coup
de bistouri dans un abcès pouvaient être si graves
que les médecins reculaient souvent. « L'infection
purulente, disait le docteur Reclus, était devenue
pour nous une maladie fatale, nécessaire, attachée
par un décret divin à tout acte chirurgical impor-
tant T>. Les médecins en étaient venus à se
demander s'ils ne portaient pas la mort avec eux.
Le spectacle qu'offraient les salles d'hôpital était
lamentable. La mortalité à la suite d'amputation
dépassait 60 pour 100. Le docteur Scdillot, ancien
directeur du service de santé militaire à Strasbourg,
retraité, chirurgien volontaire à l'ambulance de
Haguenau pendant la guerre, avait été effrayé de
la mortalité énorme parmi les blessés, et, dans une
lettre à l'Académie de Médecine, dont il était
membre, il appelait la sollicitude de ses confrères
sur le problème de la pourriture d'hôpital. « Celui
qui triompherait de l'infection purulente, décla-
rait Nélaton, mériterait une statue d'or. »
On disait couramment qu'on ne meurt pas de
l'opération, mais des suites. « Plus d'indications
précises, faisait Verneuil à son tour, plus de prévi-
sions rationnelles : abstention, conservation, muti-
lation restreinte ou radicale, débridement préventif
ou consécutif, extraction précoce ou retardée des
projectiles ou des esquilles, pansements rares ou
fréquents, émollients ou excitants, secs ou humides,
avec ou sans drainage : rien ne réussissait. » Le
L'OEUVRE 61
docteur Denonvilliers en était venu à dire à ses
élèves: « Quand vous aurez à faire une opération,
regardez-y à dix fois, car si nous décidons d'une
opération, trop souvent nous signons un arrêt de
mort. »
Adolphe Guérin, s'inspirant de la théorie pasto-
rienne des germes en suspension dans l'air, imagina
le pansement à la ouate pour filtrer l'air. Invité par
Guérin, Pasteur alla se rendre compte des résultats
à l'hôpital Saint-Louis. En même temps Lister lui
écrivait d'Edimbourg pour le mettre au courant des
résultats obtenus par la méthode antiseptique qu'il
pratiquait. Ces résultats étaient de tout point satis-
faisants.
A l'Académie.
A l'Académie de Médecine on discutait. Un jour
qu'un médecin exposait ce qui lui paraissait être
l'étiologie de la fièvre puerpérale et qu'il énumérait
les causes de cette maladie, Pasteur s'écria : « Ce
qui cause l'épidémie, ce n'est rien de tout cela :
c'est la médecine et son personnel qui transportent
le microbe d'une femme malade à une femme
saine ! » L'attaque était brutale et le coup droit. Le
préopinant prétendit qu'on ne trouverait jamais ce
microbe. Pasteur bondit alors au tableau noir et
dessina le ferment en disant : « Tenez, voici sa
f2 PASTEUR
figure! ï) Là encore le remède devait consister à
combattre le vibrion sepliqne en pratiquant l'an-
tisepsie.
Les médecins, les chirurgiens, embusqués dans
leurs habitudes, subissant malgré tout la tyrannie
de l'éducation médicale qu'ils avaient reçue, résis-
taient toujours. « Je les ferai bien marcher, disait
Pasteur. [1 faudra coûte que coûte qu'ils y vien-
nent. »
L'Académie fut encore, en 1883, le théâtre d'un
grand débat de même nature. 11 s'agissait de la
fièvre typhoïde traitée par les bains froids, suivant
une méthode employée en Allemagne. La discussion
s'élargit bientôt et ce fut encore la chimiâtrie qui
en fit les frais. Le docteur Peter se signala par un
ton ironique qui dissimulait mal sa véhémence or-
dinaire. M. Vallery-Radot a fait de cette séance un
récit intéressant qu'on retrouvera en partie dans
les lignes qui suivent: «Je ne crois guère, disait
Peler, à cette invasion de parasites qui nous menace
comme une onzième plaie d'Egypte. » Prenant alors
à partie les savants teintés de médecine, les chi-
miâtres, comme il les appelait : « Ils en sontairivés,
disait-il, à ne voir dans les fièvres typhoïdes que la
fièvre typhoïde, dans la fièvie typhoïde que la
fièvre, dans la fièvre que la chaleur, ils en sont
venus ainsi à cette idée lumineuse de combattre le
chaud par le froid. Cet organisme est en feu, il n'y
a qu'à jeter de l'eau dessus : c'est une doctrine de
L'ŒUVRE 63
pompier !» Il y a assurément beaucoup de verve
dans cette diatribe; mais ce n'était là après tout
qu'une phrase à effet, comme on en entendait quel-
quefois dans la docte Académie. Mais l'homme qui
contribuait le plus alors à répandre les théories
nouvelles, Bouley, trouva qu'il était temps d'intro-
duire dans le débat certaines idées sur les grands
problèmes poursuivis en médecine depuis la décou-
verte de ce qui peut être appelé, disait-il, un nou-
veau règne de la nature, le règne de la microbie.
Dans son exposé, il résumait à grands traits le
rôle des infiniment petits, leur activité pour pro-
duire les phénomènes de fermentation et de mala-
die. Il montrait, par les travaux parallèles de
Pasteur et de Davaine d'une part, de Chauveau de
l'autre, que la contagion est fonction d'un élément
vivant,
« C'est surtout à l'endroit de la prophylaxie des
maladies virulentes, disait-il, que la doctrine mi-
crobienne a donné les résultats les plus merveilleux.
S'emparer des virus les plus mortels, les soumettre
à une culture méthodique, faire agir sur eux des
agents modificateurs dans une mesure calculée, et
réussir ainsi à les atténuer à des degrés divers, de
manière à faire servir leur force réduite, mais en-
core efficace, à transmettre une maladie bientai-
sante à la suite de laquelle l'immunité est acquise
contre la maladie mortelle, quel rêve ! Et ce rêve,
M. Pasteur en a fait une réalité. »
64 PASTEUR
La rage.
A partir de 1880 Pasteur s'était mis à Tétude de
la rage, maladie qui impressionnait vivement les
imaginations. La rage peut se communiquer des
animaux à l'homme, chez qui elle se manifeste
avec un caractère particulier qui lui a fait donner
le nom d'hydrophobie (horreur de l'eau).
Au laboratoire, les études de Pasteur portèrent
sur la salive ou bave des chiens atteints. On y
découvrit un microbe qui, inoculé à des lapins, les
faisait périr en trente-six heures. Mais était-ce bien
le microbe de la rage? Pasleur eut des raisons d'en
douter.
D'après les recherches de Thuillier, c'était un
microbe associé. « On se serait bien passé de la
découverte d'une nouvelle maladie ! » ne manquè-
rent pas de dire les gens qui se figurent qu'une
certaine désinvolture tient lieu de tout. Cette espèce
est fort commune en France.
Pasteur, ne trouvant aucune indication suffisante
du côté de la bave, se mit à rechercher le virus
rabique dans le sang. Les résultats furent négatifs.
Il se retourna alors vers les centres nerveux. Au
cerveau mis à nu d'un chien enragé, on prit un
peu de substance bulbaire. Cette substance ino-
culée provoquait la rage comme la salive.
On voulut faire mieux encore : pour abréger la
L'ŒUVRE 65
période d'incubation, qui était assez longue, et
produire la rage à coup sûr, on inocula le virus au
cerveau môme par trépanation. Le résultat ne laissa
plus de doute : c'était bien dans la substance ner-
veuse qu'il fallait aller trouver le microbe.
Pasteur chercha alors à alténuer le virus, de
La trépanation d'un lapin.
manière à pouvoir conférer l'immunité par vacci-
nation. 11 y parvint: des expériences officielles con-
firmèrent les conclusions auxquelles il était arrivé.
Dans un congrès à Copenhague, Pasteur exposa
le résultat de ses travaux sur la rage. La rage n'est
jamais spontanée. Pour qu'elle se produise, il faut
qu'il y ait eu contact par morsure ou lècliement.
Nouvelle preuve à l'appui de la théorie de l'antério-
rité des germes et de la spécificité de la maladie.
Cette communication, dans laquelle Pasteur avait
Pasteur. 9
66 PASTEUR
fait passer ses auditeurs par toutes les phases de
sa découverte, fut accueillie avec enthousiasme par
les congressistes (août 1884),
Guérison de la rago.
Restait à trouver le moyen de vacciner les cliiens
préventivement. Mais, à la réflexion, cette entre-
prise fut considérée comme pratiquement irréali-
sable : il y a trop de chiens et il eût fallu organiser
un service trop considérable.
Du moins on pouvait songer à l'application d'un
traitement à Thomme mordu par un chien enragé :
c'élait la prophylaxie de la rage après morsure.
i( 11 me semble que la main me tremblera, écrivait
Pasteur à l'empereur du Brésil, un souverain qui
était en même temps un savant, quand il faudra
passer à l'espèce humaine ». Pasteur proposait en
même temps à dom Pedro de lui laisser faire des
expériences sur des condamnés à mort qui con-
sentiraient à en courir le risque. Après tout c'était
une chance qu'on leur offrait, et Pasteur serait allé
volontiers à Rio-de-Janeiro pour tenter l'épreuve.
Mais la législation moderne ne permettait pas de
donner sur ce point satisfaction au savant.
Enfin le hasard s'en mêla. Un enfant de neuf ans,
le jeune Meister, des environs de Schlestadt, avait
Monument de Jupille.
(Sculpture de M. Athanase Fossé.)
Le jeune berger Jupille, voyaul un chitn enragé se précipiter sur un groupe
d'enfants, s'élait élancé au-devant de l'animal. Le chien lui ayant saisi la main
gauche, il eut le courage d'ouvrir la gueule du chien avec la main restée
libre, de museler l'animal avec la lanière de son fouet et de lui briser la lôte
à coupa de sabot.
68 PASTEUR
reçu quatorze morsures d'un chien enragé. Il fut
amené à Pasteur. Celui-ci était bien embarrassé.
Il consulta les docteurs Vulpian, Grancher, Strauss,
qui se montrèrent favorables à l'inoculation, et il
se décida. Les injections furent graduées : on partit
de la moelle la plus atténuée pour arriver à la plus
virulente. Pasteur, pendant toute la durée du trai-
tement, était en proie à de mortelles angoisses. La
science l'emporta encore une fois : le jeune Meister
s'en alla guéri (juillet 1885).
Un second cas se présenta. Un jeune berger juras-
sien, du nom de Jupille, avait été mordu par un
chien enragé avec lequel il avait lutté et qu'il avait
tué. Il avait les mains déchirées. Pasteur, informé
par le maire de la commune, lit venir la victime.
Mais, circonstance défavorable, la première inocu-
lation n'eut lieu que six jours après les morsures,
alors que, dans le cas précédent, il n'y avait eu que
deux jours d'intervalle. La réussite n'en fut pas
moins absolue.
Lorsque l'Académie des Sciences reçut la com-
munication de Pasteur sur ces premiers cas, Vulpian
se leva spontanément : « L'Académie ne s'étonnera
pas, dit-il, si comme membre de la section de
médecine et de chirurgie, je demande la parole
pour exprimer les sentiments d'admiration que
m'inspire la communication de M. Pasteur. Ces
sentiments seront partagés, je l'espère, par le corps
médical tout entier. » (26 oct. 1885.)
L'ŒUVRE
69
El Bouley, président, ajoutait : « A partir d'au-
jourd'hui, l'humanité est armée d'un moyen de
lutter contre la fatalité de la rage et de prévenir
ses sévices. Cela, nous le devons à Pasteur, et nous
ne saurions avoir trop d'admiration et de recon-
Les inoculations antirabiques
(bas-relief du monument de Pasteur, à Arbois).
naissance pour des efforts qui ont abouti à un si
beau résultat. »
Quant à la note même de Pasteur, quelques
médecins en accueillirent chaleureusement la lec-
ture; d'autres se réservèrent et quelques-uns se
promirent bien de reprendre les hostilités au pre
mier jour.
Le service antirabique avait été aussitôt organisé
au laboratoire de Pasteur et les malades affluèrent.
Quelques jeunes Américains furent amenés par la
mère de l'un d'eux et un médecin, ils repartirent
guéris.
70 PASTEUR
Puis ce furent dix-neuf moujicks de Smolensk.
Malheureusement les morsures remontaient à
quinze jours et, pour quelques-uns, étaient atroces.
Trois succombèrent et seize s'en retournèrent
indemnes.
Beaucoup d'autres Russes avaient été également
guéris. Le tsar décora Pasteur de la grand'croixde
Sainte-Anne de Russie en brillants et versa cent
mille francs à la souscription ouverte pour la
création d'un Institut Pasteur. L'Alsace, par l'inter-
médiaire de ses journaux, envoya quarante-trois
mille francs pour le même objet (1886).
Diphtérie et sérothérapie.
Le croup ou diphtérie résulte d'une intoxication
causée par un poison très actif que fabrique un mi-
crobe spécial. Ce microbe a été découvert en Alle-
magne en 1883. Il s'agissait de trouver le vaccin.
Rossignol et Gassend, ce dernier professeur
d'agriculture à Melun, furent très vraisemblable-
ment les précurseurs de la sérothérapie. Le pre-
mier. Rossignol, eut l'idée, en 1882, de puiser
directement dans la veine jugulaire d'un mouton
qui avait été soumis à des inoculations très viru-
lentes après sa vaccination, pour convertir en vaccin
le sang ainsi obtenu. Les expériences, faute de res-
^1
Le docteur Roux.
72
PASTEUR
sources, n'avaient pu être poussées jusqu'à des ré-
sultats définitifs.
Plus tard, deux autres savants, Richet et Héri-
Inoculation du sérum antidiphtérique.
court, ont poursuivi des recherches dans le même
sens et ont été considérés comme les inventeurs de la
méthode sérothérapique.
Enfin, le sérum antidiphtérique, découvert à la
fois par le docteur allemand Behring et par le doc-
teur japonais Kitasato (1894), devait consacrer dé-
L'ŒUVRE 73
finitivement la méthode sérothérapique, c'esL-à-
clire la vaccination par le sang transformé en vaccin.
En inoculant au cheval des doses variées de
toxines diphtériques, le sérum du sang de cheval
devenait antidiphtérique et constituait le vaccin
cherché. Le docteur Roux, qui s'attacha particuliè-
rement à cette découverte, fit au congrès de Buda-
Pesth, en 1894, une communication sur le traitement
de ladiphtérie, quieutun très grand retentissement,
et dont la conséquence fut de provoquer une sou-
scription qui devait permettre de fonder à Garches
une annexe de l'Institut Pasteur.
Autres études.
Pasteur n'avait jamais cessé d'élargir sa voie. En
1883 une mission composée de jeunes collahorateurs
de Pasteur, Roux et Thuillier, auxquels s'étaient
adjoints le docteur Strauss et le professeur Nocard,
fut envoyée en Egypte pour étudier le choléra. Thuil-
lier fut enlevé, à vingt-six ans, d'une attaque du
mal, à Alexandrie, quand on croyait l'épidémie dis-
parue depuis quinze jours.
La mission ne put d'ailleurs découvrir le microbe
cholérique. C'est le docteur Koch, venu à Alexan-
drie à la même époque que la mission française,
qui devait le découvrir plus tard.
Pasteur. 10
74
PASTEUR
Celle découverle de Koch monlre que, à l'étranger,
on s'efforçait d'appliquer et de développer la mé-
thode de Pasteur. Au Japon même, le docteur
Kitasalo avait trouvé, on l'a vu, l'anliloxine de la
Nocanl.
diphtérie et rechercliait, en môme temps que le
docteur Yersin, qui le découvrit, le bacille de la
peste dans la pulpe des bubons. C'est vers cetle
époque que le docteur russe Metchnikoff vint se
fixer à Paris pour travailler à côté de Pasteur.
« Il y a dix ans, avait écrit Duclaux en 1880,
L'ŒUVRE 75
malgré les travaux de Davaine sur le charbon, mal-
gré les belles études de Tasteur sur le ver à soie, on
pouvait se demander s'il y a des maladies dues h
l'intoxication des microbes. Voilà qu'on est en droit
de se demander s'il y a vraiment des maladies où
les microbes n'interviennent pns. »
C'est toute une science, toute une doctrine nou-
velle que Pasteur avait élaborée, la microbiologie.
« On se laisse emporter par l'enthousiasme et on
s'incline plein d'admiration et de respect devant le
chimiste qui, pour n'être pas médecin, illumine la
médecine et dissipe, à la clarté des expériences, des
obscurités qui étaient demeurées impénétrables. »
Les dernières années.
Dans les dernières années de sa vie, Pasteur eut
la satisfaction d'assister à son propre triomphe.
Déjà en 1874 il avait reçu une dotation de douze
mille francs par an que lui avait volée le Parlement
sur le rapportde Paul Bert. Plus tard cette dotation
fut portée à vingt-cinq mille francs. Le gouverne-
ment de la République s'honora par cette mesure
(1883).
En 1886 un grand festival eut lieu au Trocadéro
au profit de l'Institut Pasteur. Le Maître y fut ac-
clamé.
Le 18 novembre 1888 fut inauguré l'Institut
Pasteur. Cette inauguration donna lieu à une so-
lennité oIj le génie de Pasteur fut célébré comme il
convenait.
Enfin en 1892, dans le grand amphithéâtre de la
Sorbonne, une nouvelle fête fut organisée à l'oc-
casion du soixante-dixième anniversaire de Pas-
teur. La médaille que nous représentons ci-contre
lui fut offerte à cette occasion.
Dans toutes ces cérémonies, oij assistaient les
sommités littéraires et scientifiques, les membres
LES DERNIERES ANNEES
77
et le chef du gouvernement, on prononçait des ha-
rangues en l'honneur du grand savant et de son
œuvre.
Le ministre M. Charles Dupuy, parlant au nom
Médaille d'or offerte à Pasteur, à l'occasion de son Jubilé,
par rAcadcmie française.
du gouvernement, à la Sorbonne, s'était exprimé
en ces termes : «... Vous avez justifié les auda-
cieuses espérances que la religion du progrès avait
mises au cœur de nos pères; vous avez traduit en
réalités incontestables les imaginations de Descartes
19 PASTEUR
et les rêves de Condorcet. Qui pourrait dire, à cette
heure, ce que la vie humaine vous doit et ce qu'elle
vous devra dans la suite des temps ! »
De son côté son collègue Bertrand, de l'Académie
des Sciences, avait prononcé un discours admira-
blement résumé dans cette phrase : « Vous n'êtes
pas seulement un savant, vous êtes un grand
homme. « Ce sera aussi le jugement de la pos-
térité.
Pasteur, toujours modeste, toujours sous l'im-
pression de cette bonté du cœur qui était le fond
même de sa nature, semblait s'excuser de son
triomphe auprès de ses collègues : « Si parfois,
disait-il, j'ai troublé le calme de vos Académies,
c'est que je défendais passionnément la vérité. »
Pasteur s'est éteint le 28 septembre 1895, à
Garches. Le gouvernement lui fit de pompeuses
funérailles : sa mort était en effet un deuil national.
DBUXIÊME PARTIE
L'Homme.
On ne ferait pas connaître suffisamment Pasteur
si l'on se bornait à retracer son œuvre. D'autre
part, à ne s'en tenir qu'aux apparences, on risque-
rait, à cause de son air absorbé et froid, déjuger
l'homme défavorablement. Vue de près, au con-
traire, sa personnalité devient excessivement atta-
chante.
Pasteur était de taille moyenne. Son aspect don-
nait une impression de solidité et même de rudesse.
Le visage était encadré d'une barbe un peu courte,
qui laissait à découvert une grande partie de la
face. Le front était haut, large, éclairé, sous une
chevelure séparée à gauche par une raie. La pensée
s'y reflétait, non pas mélancolique, mais plutôt mé-
ditative et soucieuse, comme l'indiquaient du reste
les contractions qui se remarquaient à la naissance
du nez. Le regard était droit; il empruntait à l'en-
semble de la physionomie quehpie chose do
grave.
De ce mélange de gravité et de froideur se déga-
geait, pour un observateur, une impression de
Pasteur 1 I
82
PASTEUR
bonté, non pas celte bonté banale qui semble s'of-
frir à tout venant, mais bien celle bonté supé-
rieure et contenue qui est la marque des natures
d'élite.
La démarche était en rapport avec la physiono-
rasteur.
mie : c'était celle d'un homme sérieux et réfléchi.
Depuis 1868, époque où il fut frappé d'hémiplégie,
il s'appuyait sur une canne en marchant.
En somme, rien dans son extérieur n'était fait
pour frapper l'attenliou, comme cela eût pu arriver.
L'110>rME 83
Descendant de serfs, fils d'un modeste artisan,
Pasteur était voué au hibeur. Il ne fut et ne songea
jamais à être qu'un travailleur. L'atavisme lui en
faisait une loi : à celle loi il conforma sa vie.
« Travaillons » était sa devise, (ju'il répétait sou-
vent. Il possédait d'ailleurs pleinement le plus mer-
veilleux des instruments de travail, c'est-à-dire la
volonté, et il en connaissait toute la valeur. Il sa-
vait le prix de l'effort, de l'effoit persistant, inlas-
sable, du vouloir ininterrompu.
Ce fut le secret de son génie, et ce secret il ne
manciuait jamais une occasion de le divulguer.
A ses sœurs, quand il était encore jeune, à ses
collaborateurs, dans toutes les occasions oiî il pre-
nait la parole, il vantait la puissance de l'effort
soutenu. La double caractéristique du tempérament
de Pasteur était donc l'énergie et la ténacité. Sous
ce rapport c'était un Jurassien accompli, dans le
fond et dans la forme. 11 était dur surtout à lui-
même ; il ne s'accordait jamais de répit : même en
villégiature il continuait à travailler et il lui arri-
vait parfois de trouver que les nuits étaient trop
longues.
Toujours occupé et toujours préoccupé. Pasteur
était peu communicatif, il parlait peu. Ses collabo-
rateurs eux-mêmes ignoraient souvent le but que
poursuivait le Maître au moyen des expériences
dont ils étaient chargés.
Lorsqu'il parlait, il cherchait moins à plaire qu'à
84 PASTEUR
faire réfléchir : il parlait toujours avec gravité parce
qu'il ne parlait que de choses graves.
Il appréciait cependant la verve et la gaîté chez
les autres. Sainte-Glaire-Deville lui plaisait avec
(L son entrain à faire reculer un Méridional, »
comme dit Yallery-Radot. « Moi je n'ai pas d'es-
prit », faisait simplement Pasteur. En effet, pou-
vait riposter l'ami Berlin, Pasteur ne sait pas com-
ment prendre la vie, « il n'est bon qu'à avoir du
génie ».
Duclaux a dit justement : « Pendant les belles
années de sa vie cet homme a vécu en avant de son
temps, en pionnier perdu dans la solitude, absorbé
dans la contemplation des perspectives qu'il décou-
vrait et que son œil était seul à scruter et à par-
courir. Quoi de moins indifférent que son indiffé-
rence aux choses de l'existence ! Il vivait dans sa
pensée sans être un rêveur, car un rêve qui aboutit
et qui est fécond n'est plus un rêve. »
On se doute déjà, d'après ce qui précède, que Pas-
teur n'était pas un mondain et qu'il ne faisait pas
partie du Jockey-Club. A la vérité, il parut une fois
à Compiègne, mais il y resta dans son rôle de sa-
vant, faisant un soir, devant la brillante société au
milieu de laquelle il se trouvait, une expérience
sur le vin. Il est vrai que l'impératrice lui servait
d'aide de laboratoire-
A consacrer sa vie à la recherche de la vérité
scientifique, à vaincre les difficultés multiples qui
L'HOMME 85
arrêtaient chacun de ses pas, l'asteur avait acquis
un tempérament de lutteur que sa rudesse native
n'était pas faite pour atténuer. Il avait pris l'habi-
tude de se ruer sur l'obstacle et, au besoin, de fon-
cer sur Fadvcrsaire. Les voix discordantes l'irri-
taient. Son aspect concentré recouvrait un carac-
tère bouilliint dont il avait pleine conscience. 11
avait beau jurer de rester calme, toule discussion
l'entraînait. Il devenait agressif, amer.
J.-B. Dumas s'efforçait de lui prêcher le calme et
de lui inspirer le dédain de ses adversaires, « Je
vous demande d'avoir à l'égard des hommes cette
patience dont vous êtes si bien doué à l'égard des
choses de la nature. » Pasteur promettait, mais à
la première occasion il oubliait sa promesse.
Un jour qu'il avait contredit vivement Jules Gué-
rin, à l'Académie, celui-ci, malgré ses quatre-vingts
ans, Youlutse précipiter sur Pasteur. Le baron Lar-
rey n'eut que le temps de l'arrêter au passage. Le len-
demain Pasleur recevait les témoins de Guéi'in. On
n'alla pas jusqu'à la rencontre. Pasteur fournit, par
rintermédiaire du bureau de l'Académie, des expli-
cations très nettes, déclarant qu'il n'avait pas eu
l'intention d'offenser son collègue; il n'avait fait
que défendre ses travaux.
Pasteur et Licl)ig, quiétîiient deux grands es[)rits
faits pour s'entendre, qui, l'un et l'autre, aimaient
la science par dessus tout, sont restés divisés parce
qu'ils ne pensaient pas de même sur le rôle de la
86 PASTEUR
levure dans la fermentation alcoolique. Ne se dc-
gage-t-il pas de là, dit Duclaux, une grande leçon
pour lessavanls, et aussi pour ceux qui ne le sont
pas?
Comme il arrive fréquemment, ce rude homme
était en même temps un homme de sentiment. 11
avait le cœur sensible et tendre, l'àme affectueuse.
Le sentiment de la famille était profondément en-
raciné en lui. On connaît l'hommage qu'il rendit à
ses « chers disparus », à Dôle, le jour où l'on posa
une j)laque commémoralivesur la maison oi^i il était
né. Après ses parents il perdit deux enfants el en
éprouva un cruel chagrin. 11 vivait entouré de l'af-
fection des siens, qui lui rendaient un véritable
culte.
Sa nature affectueuse se révéla en mille circons-
tances. Il gardait un sentiment de profonde grati-
tude à ses anciens maîtres : Balard, J.-B. Dumas,
Sainte-Claire-Deville, Claude Bernard.
En 1882, un jour qu'un groupe de savants et
d'amis offrait à Pasteur une médaille commémora-
live, Dumas, dans son discours, avait dit: « La
science, l'agriculture, l'industrie, l'humanité vous
conserveront une gratitude éternelle et votre nom
vivra dans les annales parmi les plus illustres et les
plus vénéi'és. » \ quoi Pasteur répondit: « Mon
cher Maître, il y a quarante ans, en effet, que j'ai
le bonheur de vous connaître et que vous m'avez
appris à aimer la science et la gloire...
L'HOMME
87
« Après chacune de vos leçons je sorlais de la
Sorbonne transporté et souvent ému jusqu'aux
larmes. Dès ce moment votre talenl de professeur,
J.-B. UiiiUiis.
vos immortels travaux, votre noble caractère, m'ont
inspiré une admiration qui n'a fait que grandir avec
la maturité de mon esprit.
« Vous avez dû devijier mes sentiments, mon
cher Maître ; il n'est pas une seule circonstance
M PASTEUR
importanlede ma vie ou de celle de ma famille, cir-
constance heureuse ou pénible, qui vous ait trouvé
absent, et que vous n'ayez en quelque soite bénie. »
Chargé quelque temps après de recevoir ie
mathématicien Bertrand à l'Académie française,
dont il faisait lui-môme partie depuis le 27 aviil
1882, il fit avec d'autant plus de plaisir l'éloge du
prédécesseur, que ce prédécesseur était précisément
J.-B. Dumas. 11 montra le fond de son cœur,quand
il parla de ces maîtres à qui le jeune savant doit
ses premiers enthousiasmes et dont le nom n'a cessé
de lui apparaître dans un rayonnement de gloire.
« Voir enfin ces allumeurs d'àmes,les entendre, leur
parler, leur vouer de près, à côté d'eux, le culte
secret que nous avions si longtemps gardé dans le
silence de notre jeunesse obscure, nous dire leur
disciple, ne pas nous sentir trop indigne de l'être !
Ah ! quel est donc le moment, quelle que soit la for-
tune de notre carrière, qui vaille ce moment-là, qui
nous laisse des émotions si profondes ! »
Sa reconnaissance ne s'arrêtait pas là. A Londres,
dans un congrès, il proposa d'adopter, pour les
inoculations de vii-us atténué, le nom de « vaccina-
tion », afin de rendre hommage à Jenner. H y avait
pourtant une différence entre la découverte pure-
ment accidenlelledu médecin anglais et la méthode
féconde créée par Pasteur.
Non seulement Pasteur eut « l'obsession de la
LHOMME 89
suuffiancL' hiiiiiaiiie », mais il se sentait aussi pris
de pitié à la pensée des opérations auxquelles ses
expériences soumettaient les animaux. 11 avait une
vérital)le répugnance pour la vivisection, témoin le
fait suivant :
C'était au moment des études sur la rage. « La
pensée qu'on allait perforer le crâne d'un chien,
raconte le docteur lloux, lui était désagréable. 11
souhaitait vivement que l'expérience fût réalisée et
il craignait de la voir entreprendre. Je la fis un jour
qu'il était absent. Le lendemain, comme je lui ren-
dais compte que l'inoculation intracranienne ne pré-
sentait aucune difficulté, il s'apitoya sur le chien :
« Pauvre bête! son cerveau est sans doute lésé, il
doit être paralysé! » Pour touie réponse je descen-
dis au sous-sol chercher l'animal et je le fis entrer
au laboratoire. Pasteur n'aimait pas les chiens;
mais quand il vit celui-ci, plein de vivacité, fureter
partout en curieux, il témoigna la satisfaction la
plus vive et se mit à lui prodiguer les mots les plus
aimables. H savait un gré infini à ce chien de si bien
supporter la trépanation et de faire ainsi tomber
tous ses scrupules pour les ti'épanations futures. »
Sa sympathie pour ses malades, c'est-à-dire pour
ceux qui avaient subi en sa présence un traitement
dû à sa luétliude, les suivait plus tard. 11 aimait à
en recevoir des nouvelles, il s'intéressait à ce qui
pouvait leur ai'river. Curiosité de savant, sans
doute, mais aussi intérêt véritable. Il correspondait
Pasleur 12
90 PASTEUR
parfois avec eux et les engageait à lui écrire. Sa
bonté allait jusqu'à leur venir en aide: c'est ainsi
qu'il envoyait de l'argent au petit jjerger jurassien
qu'il avait guéri de la rage, afin qu'il pût s'ins-
truire, comme il le lui avait recommandé.
N'y a-t-il pas, dans ce fonds de sympathie qu'on
découvre dans l'âme de Pasteur, une des raisons
déterminantes de l'orientation imprimée à ses tra-
vaux, qui tous tendaient au soulagement de l'être?
Quel réconfort n'a-t-il pas dû éprouver chemin fai-
sant, pendant sa vie laborieuse, à la pensée du
bien qu'il faisait !
Mais il ne travaillait pas seulement pour la
science, c'est-à-dire pour l'humanité ; il travaillait
aussi pour son pays auquel il ne cessait de penser.
Sa première émotion patriotique remonte vraisem-
blablement à 1848. 11 assista à la Révolution de
février et vibra à l'unisson de ses contemporains.
« S'il fallait, écrivait-il à son père, je me battrais
avec courage pour la sainte cause de la Répu-
blique. »
Il fut patriote, mais il ne fut jfimais un homme
politique. 11 brigua bien, en 1870, un siège de séna-
teur dans le Jura. Les électeurs, J. Grévy aidant,
eurent le bon esprit de ne pas le nommer. Pasteur,
du reste, n'aurait désiré être au Sénat que dans
Fintérôt de l'enseignement supérieur et de la
science, dont il se serait fait le défenseur auprès du
I/llOMME 91
gouvernement. C'était là sa seule préoccupation.
La guerre laissa à Pasteur une ineffaçable impres-
sion. «Ceux qui n'ont pas vu la guérie ne savent
pas la valeur de ces mots : amour sacré de la Pa-
trie », disait-il. Après la guerre il traduisit en
maintes circonstances l'amertume de ses senti-
ments. « Oh! que nous avions raison, nous autres
savants, de regretter la misère du Département de
l'instruction publicjue ! La cause vraie de tous nos
malheurs actuels est là. Ce n'est pas impunément,
on le reconnaîtra peut-être, qu'on laisse une grande
nation déchoir intellectuelleinent. »
Le dernier coup de canon de la guerre venait à
peine d'être tiré qu'il écrivait à Duclaux, le 29
mars 1871 : u J'ai la tête pleine des plus beaux pro-
jets. La guerre a mis mon cerveau en jachère, je
suis prêt pour de nouvelles productions. Hélas ! Je
me fais peut-être illusion. Dans tous lescas j'essaie-
rai. Ah! que ne suis-je riche, millionnaire! Je vous
dirais à vous, à Raulin, à Cernez, à Van Tieghem...
Venez : nous allons transformer le monde par nos
découvertes! Que vous êtes heureux d'être jeune et
bien portant! Oh ! que n'ai-je à recommencer une
nouvelle vie d'étude et de travail! Pauvre France !
chère patrie! que ne puis-je contribuer à te rele-
ver de tes désastres! »
Il ne pardonna jamais à l'Allemagne la guerre
impie et le démembrement de la France. Il ren-
voya au recteur de l'Université de Bonn le diplôme
92 PASTEUR
de docteur qui lui avait été conféré, à titre honori-
fique, avant la guerre. L'année de sa mort encore
il refusa de figurer sur la liste des savants aux-
quels l'empereur d'Allemagne se proposait de con-
férer Tordre du Mérite de Prusse.
Si Pasteur laissa voir souvent ses sentiments pa-
triotiques, il eut rarement Foccasion d'exprimer
ses opinions philosophiques ou religieuses. En cette
matière, il estimait que chacun doit rester maître
de la direction de sa pensée, de ses inclinations, et
il avait à cœur, pour les autres comme pour lui, de
maintenir séparés les deux domaines, celui de l'idée
et celui du sentiment, de la croyance.
Lorsque s'éleva la grande querelle au sujet de la
génération spontanée, Pasteur en montra quehiue
surprise. Il n'entrait pas dans sa pensée de se faire
le serviteur d'une cause quelle qu'elle fût, hors la
cause de la science. Mais ici il allait jusqu'au bout,
c'est-à-dire aussi loin que l'entraînaient ses recher-
ches, sans se soucier de la répercussion que pour-
raient avoir les résultats une fois acquis.
Avant les travaux de Pasteur, la théorie de la
génération spontanée ne rencontrait guère de con-
tradicteurs. Elle venait à l'appui de doctrines fort à
la mode en ce temps-là, le matérialisme et le dar-
winisme. Avec la génération spontanée il était
inutile de pâlir sur la queslion de l'origine de
l'homme. L'être était né spontanément et, par le
LIIOMME 93
transformisme, d'espèce en espèce, l'homme était
en dernier lieu issu du singe.
Pasteur, sans le vouloir, sans y avoir songé, sans
arrière-pensée et sans parti-pris, fit sortir de ses
cornues un argument péremptoire contre celte
théorie: c'était l'atlirmation scientifique qu'il n'y a
pas de génération spontanée, il fallut bien, en dépit
qu'il en eût, qu'il dît un mot à ce sujet.
11 réclama l'indépendance absolue pour le savant,
son droit de rechercheretde dévoiler la vérité quelle
qu'elle soit. A Nisard, qui ne laissait pas de se
montrer perplexe, il disait : « Les recherches sur
la cause première ne sont pas du domaine de la
science. Elle ne connaît que ce qu'elle peut démon-
trer, des faits, des causes secondes, des phéno-
mènes. »
Mais l'affirmation de celte indépendance du
savant qui suit aveuglément ses découvertes ne
nous fournit qu'un renseignement très incomplet
sur les tendances philosophiques de Pasteur. Plus
tard, en 1875, devant l'Académie des Sciences, où
la lutte se renouvelait souvent, il fut amené à s'ex-
pliquer d'une façon catégorique et à faire une
véritable profession de foi:
« La Science, dit-il, ne doit s'inquiéler en quoi
que ce soit des conséquences philosophiques de ses
travaux. Si, par le développement de mes études expé-
rimentales, j'arrivais à démonirer que la matière
peut s'organiser d'elle-même en une cellule ou en
Pi PASTEUR
un être vivant, je viendrais le proclamer dans cette
enceinte avec la légitime fierté d'un inventeur qui
a la conscience d'avoir fait une découverte capitale,
et j'ajouterais, si l'on m'y provoquait: — tant pis
pour ceux dont les doctrines et les systèmes ne sont
pas d'accord avec la vérité des faits naturels. C'est
avec la même fierté que je vous ai dite tout à l'heure.,
en mettant mes adversaires au défi de me contre-
dire : dans l'état actuel de la Science, la doctrine des
générations spontanées est une chimère. El j'ajoute
avec la même indépendance: tant pis pour ceux
dont les idées philosophiques ou politiques sont
gênées par mes études!
« Est-ce à dire que dans mon for intérieur et dans
la conduite de ma vie je ne tienne compte que de
la science acquise ? Je le voudrais que je ne le pour-
rais pas, car il faudrait me dépouiller d'une partie
de moi-même.
<ï En chacun de nous il y a deux hommes: le
savant, celui qui a fait table rase, qui, par l'obser-
vation, l'expérimentation et le raisonnement, veut
s'élever à la connaissance de la nature, et puis
l'homme sensible, l'homme de tradition, de foi ou
de doute, l'homme de sentiment, l'homme qui
pleure ses enfants qui ne sont plus, qui ne peut,
hélas ! prouver qu'il les reverra, mais qui le croit
et l'espère, qui ne veut pas mourir comme meurt
un vibrion, qui se dit que la force qui est en lui se
transformera. Les deux donniines sont distincts,
L HOMME QK
et niallieiii' à celui qui veut les taire empiéter l'un
sur l'autre, dans l'état si imparfait des connaissances
humaines ! »
Pasteur s'est livré tout entier dans cette confes-
sion qui se passe de tout commentaire. De quelque
opinion philosophique ou religieuse qu'on se ré-
clame, on ne peut que s'incliner devant celte fran-
chise, celte élévation et cette noblesse de pensée.
Le savant.
Lorsque Pasteur, après son séjour relativement
court à Strasbourg et à Lille (où on lui a élevé un
monument), revint comme administrateur* à l'École
Normale supérieure (1857), n'étant pas professeur,
il n'avait pas de laboratoire. Mais Pasteur sans la-
boratoire ce n'était pas Pasteur. Faute de mieux il
s'installa dans un grenier de l'École pour ses tra-
vaux. Il n'avait ni matériel, ni crédit, ni prépara-
teur. Il s'en consola : « Nos découvertes n'en auront
que plus de mérite, » écrivait-il à Chappuis. Dix ans
plus tard, on lui édifia un laboratoire à l'École
même.
Nul plus que Pasteur ne sentait le prix du labora-
toire : aussi, soit dans des brochures, soit dans des
articles de Revue, il revenait souvent et avec insis-
tance sur la nécessité pour le pays de fournir des
laboratoires aux savants, s'attachant à montrer
1. On avait créé ce poste en faveur de Pasteur pour lui rouvrir rÉcolc
Normale, mais il n'y avait pas d'illusion à se faire sur ce point : « Ils
l'ont nommé administrateur, disait malicieusem nt Biot, laissons-ler.r
croire qu'il aJininistrera ! »
Pasteur dans son laboratoire. (Tableau de Edelfelt )
Pasteur 13
98 PASTEUR
combien, sous ce rapport, la France était distancée
par les autres pays : « Supprimez les laboratoires,
disait-il, les sciences physiques deviendront l'inicige
de la stérilité et de la mort. »
On a vu que Pasteur n'avait pas conservé long-
temps les fonctions de professeur, qui ne lui allaient
guère. Il était plus à Taise dans un laboratoire que
dans une chaire magistrale; on peut même dire
qu'il y passa effectivement sa vie. 11 s'en arrachait
à regret, même lorsque les plus doux devoirs lui
en faisaient une obligation. A l'époque oi^i il de-
vait épouser M^"^ Laurent, il dut prendre sur ses
heures de travail pour remplir son rôle de fiancé.
Qu'il ail pu se détacher ainsi de son laboratoire, cela
ne laissait pas de l'étonner lui-même : « Et moi qui
aimais tant mes cristaux! » disait-il dans une lettre.
L'expérience faite dans le silence et le calme du
laboratoire lui allait mieux que la conférence. Ses
leçons, (juand il était professeur, lui demandaient
une minutieuse préparation, et, même à ce prix, il
n'arrivait pas à se satisfaire.
Ses deux premières leçons à Strasbourg ne lui
plurent pas ; il les trouvait mauvaises précisément
parce qu'elles étaient trop préparées. Il aurait pu
diie comme le littérateur Rigault, dont il suivait
parfois les brillantes leçons à la Surbonne: « Quand
je suis dans ma chaire, j'ai le corps serré dans un
corset d'acier, d A trop préparer la forme, on en
LE SAVANT 99
reste le prisonnier, on n'est plus soi-même : c'est
le corset d'acier. Pasteur n'était pas fait pour le
corset ; il se passait d'ailleurs volontiers d'une apti-
tude qu'il n'avait pas. Il se résigna à ne pasêlre un
brillant improvisateur, et il vaut mieux sans doute
qu'il en ait été ainsi.
Pasteur fut donc avant tout un expérimentateur,
un savant de laboratoire ; les notes qu'il rédigeait
étaient destinées à son usage personnel ou à ses
communications à l'Académie. H ne publiait que ce
qui avait un intérêt pratique, comme les « Études
sur les Vins ».
Lorsqu'il avait à prendre la parole à l'Académie
des Sciences, dont il était membre depuis le mois
de décembre 186:2, ou en public, il lisait d'habitude
ce qu'il avait à dire. Les mots d'orateur, de tribune,
de discours lui paraissaient déplacés à l'Académie
de Médecine. Cela le froissait et le gênait que, pour
parler le langage de la science, on eût recours à des
procédés et à des formes qui convenaient à d'autres
milieux; il aurait voulu qu'on y renonçât.
On peut donc dire que Pasteur manquait des qua-
lités un peu superficielles qui font briller; mais il
avait les qualités du chercheur, du pionnier, celles
que le public ne voit ni n'apprécie. Le public en effet
ignore les heures pénibles par lesquelles le savant,
l'artiste ou l'écrivain ont d'avance payé la joie de
leur succès. « Allez donc parler à la foule, disait
lîiot, d'études antérieures, de théories physiques et
100 PASTEUR
chimiques longtemps élaborées dans le silence du
cabinet. Elle ne s'arrête pas à vous écouter, elle
ignore les antécédents et les dédaigne. »
Pasteur les connaissait bien les heures pénibles,
anxieuses et fiévreuses, qui sécoulent sans témoins,
qui amènent parfois de vives déceptions, mais qui
causent aussi de secrètes et profondes jouissances,
lorsque les patients efforts sont enfin couronnés par
le succès.
« Comme savant, Pasteur n'a pas eu de précur-
seur, remarque Duclaux, c'est à-dire qu'il n'a déve-
loppé et étendu les idées de personne. Il reste Fégal
de beaucoup lorsqu'il montre l'origine microbienne
du charbon ou d'autres maladies. Là où il sort de
pair, c'est lorsqu'il découvre l'atténuation du virus,
et qu'il introduit dans la science cette notion féconde
qui permet d'agir sur la maladie en agissant non
plus sur le malade, comme on l'avait fait jusque-là,
mais sui' le microbe pathogène. »
En vérité, d'autres ont pu avoir l'intuition des
faits pathologiques sur lesquels ont porté les études
de Pasteur.
L'Allemand Ilenle avait, avant Pasteur, attribué
la maladie à la « matière morbide », c'est-à-dire à
quelque chose d'autre que la dialhèse.
Mais de là à la théorie microbienne il y a une
distance qu'il n'avait pas franchie.
On en peut dire autant de ce qui avait été tenté
LE SWANT 101
pour rinoculation préventive comme pour la séro-
thérapie. Ue pareilles idées restent en quelque sorte
à Télat sporadique tant que le génie qui féconde
ne s'en est pas emparé pour les soumettre à une
méthode, les généraliser et en tirer toutes les con-
séquences utiles.
On a pu avoir, avant Christophe Colomb, l'idée
de la sphéricité de la terre; d'autres avant lui ont
pu, accidentellement, aborder au continent améri-
cain. Christophe Colomb seul s'est embarqué avec
l'idée que la terre est ronde et que, en naviguant
vers l'ouest, on devait arriver à des régions con-
nues. Chemin faisant, il a découvert le nouveau
continent. Il a eu de plus que les autres l'idée
géniale et directrice, avec la volonté.
Dès ses premiers travaux. Pasteur a eu devant lui
un problème de vie ; il a trouvé la route pour l'a-
border et, depuis, il a toujours marché dans la
même voie. 11 a déployé des qualités de premier
ordre, à la fois audacieux et prudent, se trompant
parfois et longuement, mais constamment ramené
dans le vrai chemin par cette sévère méthode expé-
rimentale dont il a souvent parlé avec reconnais-
sance.
Pasteur, on le sait, était réservé; il ne devenait
affirmatif que lorsque son affirmation s'appuyait
sur une expérience. On se rappelle l'incident de la
poule charbonneuse de Colin, dAlfort.
Un autre fait éclairera encore mieux ce côté du
102 PASTEUn
caractère de Pasteur. A Nancy, dans le sang d'une
femme qu'il croyait morte de fièvre puerpérale, le
docteur Feltz prétendait avoir trouvé un certain mi-
crobe que Pasteur n'y avait jamais vu. Celui-ci se fit
envoyer quelques gouttes du sang. Apres examen,
il écrivit à Feltz que la femme était morte du
charbon.
Ce diagnostic posthume à distance ne fait-il pas
penser à Leverrier, découvrant une planète par le
calcul, sans quitter son cabinet ?
Feltz n'en voulait rien croire. Pasteur lui envoya
trois cobayes vivants qu'il avait inoculés : le pre-
mier avec le sang de la femme morte, le second
avec la bactérie! ie d'un sang charbonneux venant
de Chartres, le troisième avec du sang charbon-
neux d'une vache du Jura.
A l'autopsie, Feltz ne put faire aucune différence
entre les trois cas. Avec une sincérité parfaite, il
confessa son erreur à l'Académie. On fit une enquête
et on finit par découvrir que la femme avait occupé
une pelite chambre contiguë à l'écurie d'un maqui-
gnon. Dès lors la contagion s'expliquait d'elle-même,
La démonstration que Pasteur venait de faire
ainsi de la sûreté de sa méthode valait assurément
mieux que le plus beau discours. « 11 éclaire toutce
qu'il touche », avait dit Biot. On aurait pu ajouter :
« et même ce qu'il ne touche pas ».
Pasteur se montrait très catégorique quand il
était en possession de la vérité : le débat avec
LE SAVA^■T
103
Feltz en est, une preuve de pins, il allait parfois
jusqu'à kl dureté à l'égard de son contiadicteur,
parce que tonte contradiction lui était insuppor-
table. Ses adversaires étaient sans doute des savants
Le monuiuent de Pasteur, à Paris.
comme lui ; mais cela prouve, comme l'a observé
Duclaux, que les savants, même les plus patentés,
n'ont pas toujours l'esprit juste ni préparé à tout
comprendre.
Pasteur a rendu d'inappréciables services. Les
104 PASTEUR
industries de la sériciculture, duvinaipjre, du vin,
de la bière^ lui doivent beaucoup. 11 en est de même
de l'agriculture, grâce aux progrès de la médecine
vétérinaire.
Ce sont ces inappréciables services que Falguière
a voulu immortaliser dans sa conception du mo-
nument de Pasteur, élevé sur la place de Breteuil,
à Paris. Au-dessous de la statue de Pasteur se déta-
chent en haut-relief des figures d'un symbolisme à
la fois très artistique et facilement intelligible ; à
la face antérieure : THumanité implorant le secours
du grand savant; sur les trois autres faces, les
Travailleurs des champs, goûtant la paix et la
sécurité.
En toute occasion, le savant laissait voir le grand
intérêt qu'il prenait à l'art de guérir les animaux.
Il aurait voulu pouvoir devenir élève de l'École
d'Alfort. En 1879 les vétérinaires praticiens, juste-
ment pénétrés des progrès que la médecine des ani-
maux devait à Pasteur, avaient émis le vœu qu'un
diplôme vétérinaire, portant les signatures des direc-
teurs des trois Écoles de France, fût décerné à
Pasteur. Ce projet ne put se réaliser, parce qu'il
était en opposition avec le statut fondamental des
Écoles vétérinaires.
La médecine de l'homme se trouva complète-
ment renouvelée : la chimie l'emportait sur la cli-
nique, la science sur l'empirisme. Pasteur avait
conscience de la révolution qu'il opérait et qui lui
LE SWANT lOo
avait valu tant de luttes, de peine et d'amertume.
Le génie de Pasteur rayonnait du plus pur éclat.
Pasteur était entré vivant dans la gloire. La fin
avait tenu, et au delà, les promesses du commen-
cement, celles qu'il formulait, vagues encore, quand
il fit ses premières découvertes en cristallographie.
« La grande route neuve et imprévue » qu'il avait
entrevue l'avait en effet conduit à des « consé-
quences incalculables. »
Pendant son séjour à Pont-Gisquet, il s'inquié-
tait de ne pas être à son poste à l'École Normale.
Le directeur, Nisard, lui écrivait pour le rassurer :
« Prenez tous les jours qui vousseront nécessaires;
vous êtes absent pour le service de la science et,
si j'en crois mes pressentiments, pour le service de
l'humanité. »
C'est bien en effet au service de l'humanité que
Pasteur a consacré sa vie. Les peuples étrangers ne
furent pas les derniers à adopter ce génie bienfai-
sant et à mettre à profit ses découvertes et sa mé-
thode.
Du monde entier lui parvenaient des lettres, des
appels, des demandes de consultation. On le pre-
nait pour un médecin, lui qui regrettait tant de ne
pas l'être. « Il ne soigne pas les individus, répondit
un jour Edmond About à un étranger qui commet-
tait cette méprise, il s'efforce de guérir l'huma-
nité. »
Tel fut réellement le rôle de Pasteur. Mais en
Pasteur 1 4
400 PASTEUR
servant rhiimanité et la science, il servait surtout
son pays, dont il ne se détachait jamais, auquel,
au contraire, il rapportait toutes ses joies, tous ses
succès. On se rappelle la lettre qu'il écrivait à Du-
claux après la guerre : « Pauvre France, chère Pa-
trie, que ne puis-je contribuer à te relever de tes
désastres ! »
Son vœu fut pourtant exaucé en partie. Huxley,
dans une leçon à la Société Royale de Londres, di-
sait : « Les découvertes de Pasteur suffiraient à
elles seules pour couvrir la rançon de guerre de
cinq milliards payés par la France à l'Allemagne
en 1870. » Et qui pourra, d'autre part, faire jamais
le compte des vies humaines sauvées par la mé-
thode antiseptique!
TROISIÈME PARTIE
Pasteur et la Science.
Les pages qui précèdent sont consacrées à l'ex-
posé historique de l'œuvre de Pasteur, à l'étude de
l'homme lui-même, de son caractère et de son es-
prit.
Les travaux de ce savant, le rôle qu'il a joué,
l'aclion qu'il a exercée, demandent peut-être quel-
que chose de plus, pour être bien compris, que le
récit qui en a été fait jusqu'ici.
L'œuvre de Pasteur n'est pas d'une assimilation
facile pour qui n'y est pas quelque peu préparé. Il
arrivait môme, lorsque Pasteur lisait à l'Académie
une note sur quelque point de ses travaux, que
Claude Bernard et J.-B. Dumas eux-mêmes ne com-
prenaient pas toujours du premier coup.
C'est pourquoi il a paru utile à l'essai de vulgari-
sation qui fait l'objet même de ce livre, de revenir
sur ^out ce qu'il y a d'essentiel dans l'a'uvre de
Pasteur, pour permettre de mieux mesurer l'effort
accompli, de mieux pénétrer l'idée directrice, de
mieux apprécier le progrès réalisé, qui fut capital.
108 PASTEUR
En subsliluant, dans les pages qui suivent, le
point de vue scientifique au point de vue historique,
les mômes choses, vues sous un nouvel aspect et
éclairées d'une autre lumière, ne pourront qu'y
gagner en netteté.
On reviendra donc, dans celte dernière partie,
sur la cristallographie, qui a ouvert à Pasteur une
voie neuve et inespéiée.
On s'efforcera de mieux faire voir la liaison qui
rattache la dissymétrie moléculaire au phénomène
delà fermentation, qui n'élaitpas connu scientifi-
quement, en dépit d'ingénieuses définitions.
En troisième lieu, en suivant toujours la marche,
le processus même des travaux du savant, on es-
saiera de mettre plus de précision dans les détails
déjà donnés sur l'application que Pasteur a faite de
sa théorie microbienne aux maladies de l'homme et
des animaux.
Enfin Pasteur a jeté des semences qui ont conti-
nué à germer et à lever après lui : quelques indi-
cations à ce sujet ne seront pas inutiles.
Pasteur a fondé une doctrine, celle des micro-
bes, et une méthode, la méthode expérimentale
appliquée aux infiniment petits. 11 ajouta, au mer-
veilleux instrument qu'était son esprit d'investiga-
tion et de généralisation, le microscope et la cor-
nue, qui le conduisaient à une certitude absolue.
Mais le succès n'aurait peut-être pas été aussi
complet, si Pasteur n'avait pas été doué de cette
PASTEUR ET L\ SCIENCE 109
ténacité, de celte âprcté dans la lutte, de ce besoin
de vaincre, de faire triompher la vérité, qui sont la
caractéristique de son tempérament.
On peut dire que la pierre d'angle de tout son
système est le ferment. Grâce à Pasteur on sait au-
jourd'hui ce qu'est la fermentation, comme on est
û\é sur l'éliologie des maladies infectieuses, sur le
mystère de la contagion et de l'immunisation.
Non seulement il a expliqué la genèse de mala-
dies redoutables comme le charbon et la rage, mais
il a donné aussi les moyens de les prévenir, de les
dominer, de les guérir.
Comme tout novateur. Pasteur devait être con-
testé et combattu. La résistance fut longue, opiniâ-
tre. Elle fut marquée par des discussions, des po-
lémiques, des luttes ardentes dont on a déjà eu un
aperçu précédemment et sur lesquelles il ne sera
pas indifférent de revenir encore.
L'hostilité à laquelle se heurta Pasteur, et que lui
montra en particulier le corps médical, n'est pas un
fait isolé et dont il convienne de faire grief aux
médecins du siècle dernier. On pourrait plutôt le
considérer comme une fatalité psychologique main-
tes fois relevée par les esprits observateurs. Tous
les pouvoirs sociaux sont naturellement voués à la
coutume, remarque Renouvier : Thomme collectif ne
se modifie volontairement que le moins qu'il peut,
à son corps défendant pour ainsi dire.
Cette vérité s'est vérifiée une fois de plus le jour
110 PASTEUR
OÙ Pasteur est venu, lui, profane, toucher à « la cou-
tume » médicale.
Il n'y a rien de plus dans le conflit, sur lequel
nous aurons à revenir en raison môme de Tintérôt
qu'il présente pour la science.
« Quand on a rendu hommage à la mémoire de
Pasteur en lisant son histoire, remarque M. Louis
Passy*, on reste sous cette impression d'une épo-
pée dont le héros, par sa ténacité et la profondeur
de ses vues, transforme un roman d'aventures en
une conquête scientifique. Chaque découverte de
Pasteur est une action dramatique. La scène va-
rie sans cesse: elle est dans le laboratoire, dans les
Académies, dans les conférences, dans les voyages,
dans les ateliers ou dans les champs. Les acteurs se
renouvellent avec la scène. Parfois, à propos de
certains contradicteurs, des incidents se déroulent
et soulèvent des passions violentes; mais l'action
se termine toujours par une victoire, préparée par
la stratégie des expériences, et assurée par le coup
final d'une découverte qui écrase à la fois tous les
adversaires. »
C'est ce drame, ce sont les péripéties de cette ba-
taille qu'on retrouvera en raccourci dans les lignes
suivantes.
1. Bulletin des Séances de la Société nationale d'Agriculture de
France, année 1901, n^ 11.
PASTEUR ET L\ SCIENCE 111
La doctrine microbienne.
La note de Mitscherlich sur le paratartrate joue
un rôle important dans la carrière scientifique de
Pasteur: elle a déterminé son orientation. On a vu
que Pasieur s'élait refusé à admettre l'anomalie
signalée par le savant allemand. Ses observations
le conduisirent à reconnaître que la demi-facetle
des cristaux ou, pour revenir au terme propre,
l'hémiédrie, exerçait un pouvoir rotatoire sur la
lumière polarisée; il avait reconnu encore, fait
important, que cette dissymétrie moléculaire est
corrélative de vie, c'est-à-dire que la molécule
est vivante quand il s'agit de la matière orga-
nique.
« Le végétal, ditDuclaux, qui est le grand créa-
teur de matière organique à la surface du globe,
est un être en travail continu de synthèse. M'aide de
matériaux parvenus au dernier degré de simplifica-
tion chimique, gaz carbonique, eau, ammoniaque,
il fabrique des substances de plus en plus com-
plexes, qu'il emmagasine dans les tissus nouveaux
qu'il se crée suivant ses besoins. Dès que ces sub-
stances atteignent un certain degré de complexité,
on voit apparaître chez elles le pouvoir rotatoire
moléculaire, absent jusque-là. »
Mais pouvait-on, sans chicaner, laisser dire à
un Français que l'hémiédrie était d'un côté, quand
112 PASTEUn
un minéralogiste allemand venait d'affirmer qu'elle
était de l'autre?
Pasteur marcha à l'ennemi armé d'énormes cris-
taux en bois qu'il avait fait tailler par un menui-
sier. Dans une leçon à la Société Philomathique, à
Paris, il n'alla pas jusqu'à jeter ses morceaux de bois
à la tête de ses contradicteurs, mais il les flagella
d'une phrase cinglante : « Si vous étiez au courant
de la question, que faites-vous de votre conscience?
Et si vous n'étiez pas au courant, de quoi vous
mêlez-vous? » En réalité, sur le point de savoir si
l'hémiédrie était à droite ou à gauche, tout dépen-
dait de la manière de tenir les cristaux. Ce n'était
donc qu'une querelle d'Allemand qu'on avait cher-
chée à Pasteur. Il devait en voir d'autres.
Pasteur avait l'esprit rempli de sa découverte
relative à la dissymétrie moléculaire, lorsque son
attention fut appelée sur la question de la fermen-
tation.
La théorie de Liebig était partout adoptée. Selon
le chimiste allemand;, la fermentation était l'effet
de la décomposition des matières organiques sous
l'action de l'oxygène de l'air : toutes les matières
animales et végétales en putréfaction reportent sur
d'autres corps l'état de décomposition dans lequel
elles se trouvent elles-mêmes. Liebig n'attribuait
aucun rôle dans la fermentation au globule de
levure, c'est-à-dire à la cellule vivante.
PASTEUll KT LA SCIENCE 113
Cette doctrine n'avait pu satisfaire Pasteur. Le
globule de la levure présent dans lu fermentation
est hémiédrique à gauche, il a le pouvoir rotatoire,
c'est donc un être organisé.
Mais d'où vient cette levure? Vient-elle de la
matière en décomposition? Est-ce l'effet de la géné-
ration sponlanée? Certainement, répondaient les
partisans de la génération spontanée, les hétéro-
génistes.
« L'hétérogénie, avait dit Trécul, est une opéra-
tion naturelle par laquelle la vie, sur le point
d'abandonner un corps organisé, concentre son
action sur quelques-unes des particules de ce
corps et en forme des êtres tout différents de celui
dont la substance a été empruntée. « On peut rap-
procher cette définition de celle de Musset, qui a
été donnée dans la première partie. Ces définitions
n'étaient que des explications qui n'expliquaient
pas grantl 'chose : dire que « la vie sur le point
d'abandonner un corps concentre son action sur des
particules » est une phrase jetée sur un mystère,
mais non la révélation même du mystère.
On sait quelle forme scientifique et quelle force
irréfragable Pasteur avait données à sa théorie.
Mais des objections nombreuses, embarrassantes,
se produisirent fatalement, d'autant que Pasteur
n'avait pas du premier coup pourvu à tout.
Les germes de l'air, débris des matières orga-
niques décomposées, poussières volantes, doivent
Pasteur 15
114 PASTEUR
se trouver, se trouvent effectivement dans les
couches inférieures de l'atmosphère. Au sommet
des montagnes on ne rencontre pas ou presque pas
de germes. Pasteur en avait acquis la certitude
grâce à des expériences répétées.
Pouchet et Joly allèrent faire des observations
sur la Maladetta, et voilà que leurs matras, à moi-
tié remplis de décoction de foin stérilisée, se mirent
à fermenter, une fois ouverts au sommet de la mon-
tagne.
Frémy, de son côté, vint soutenir que le moût de
raisin fermente non par l'effet de l'air, mais parce
que le suc du grain de raisin donne naissance aux
graines de levure par la transformation de la ma-
tière albumineuse. Frémy et Trécul étaient donc
d'accord : le ferment ne vient pas du dehors, il est
créé par la matière organique.
Enfin le docteur anglais Bastian arrive à son tour
avec un ballon d'urine, liquide essentiellement
fermentescible. L'urine avait été stérilisée par
l'ébullition et pourtant, au contact d'un peu de po-
tasse bouillie et stérilisée, le liquide s'était peuplé
sans que l'air y fût pour quelque chose.
Tout cela se passait après la conférence mémo-
rable de la Sorbonne, dans laquelle Pasteur avait
ruiné la doctrine de la génération spontanée'. Tout
1 . Voir page 20.
PASTEUR ET LA SCIENCE 115
n'était pas faux cependant dans les assertions de
Pouchet, de Frémy et de Bastian. Mais Pasteur ne
pouvait admettre ni l'interprétation ni les conclu-
sions de ses contradicteurs.
Il y avait une particularité dont Pasteur avait été
frappé dans ses études sur le mycoderme du vin :
c'est que la levure ne périssait pas à l'intérieur du
liquide, à l'abri de l'air. 11 refit les expériences de
ses contradicteurs et trouva de quoi répondre à
chacun d'eux. Comme il l'a dit lui-même, ce qui
manquait à ses adversaires, c'était l'habitude du
microscope et du laboratoire.
Grâce à son esprit de finesse et de discernement,
il démontra à Frémy que le bois de ses grappes, la
surface des grains avaient conservé des poussières
qui fournissaient au moût le ferment. Il démontra
à Pouchet et à Bastian que l'ébuUition n'avait pas
suffi à tuer, non pas l'infusoire même, mais l'œuf
de i'infusoire, la spore, plus résistante aux hautes
températures. D'autre part, comme c'était le cas
pour Bastian, la réaction du liquide peut aussi
provoquer la reviviscence du germe, ainsi que le
fait, dans d'autres cas, le contact de l'air.
Enfin, il répondait à Trécul que sa théorie trans-
formiste était fausse. Il s'opère bien en réalité une
transformation de l'aérobie eu anaérobie, de l'in-
fusoire à la spore, mais ce n'est pas un changement
d'espèce, ce n'est qu'un changement de fonction du
116 PASTEUR
même individu : c'est le ver à soie devenant chry-
salide.
Les adversaires de Pasteur ignoraient tout cela,
comme Pasteur l'avait ignoré tout d'abord, car il
n'était pas arrivé du premier coup à ces notions,
qui ne se précisaient et ne s'affirmaient que succes-
sivement, à la longue, sous la poussée de ses con-
tradicteurs.
Ainsi, en faisant passer la question de la géné-
ration spontanée par ses tubes et ses cornues, Pas-
teur put proclamer que la génération spontanée
est une erreur absolue. 11 n'y a ni fermentation ni
décomposition tant que l'air n'a pas fourni, direc-
tement ou indirectement à la matière organique,
la cellule, le micro-organisme dont elle a besoin pour
fermenter.
Cette donnée s'est élargie et modifiée dans la
suite. Poussé toujours plus avant par les objections.
Pasteur avait fini par se rendre complètement
maître de la vie anaérobienne. C'est ainsi que, son
esprit mis en éveil par l'anaérobie de l'acide buty-
rique, par l'anomalie qu'il avait remarquée à l'occa-
sion du mycoderme du vin, il arriva à découvrir le
germe, la spore, qui garde une vie latente au fond
du liquide ^
Il reconnut ainsi (jue ce n'est pas, à proprement
1. Voir plus loin, page 121.
PASTEUR ET L\ SCIENCE 117
parler, l'air atmosphérique qui entretient la vie des
infiniment petits, mais l'oxygène. Ainsi l'infusoire
privé d'air peut trouver à emprunter de l'oxygène
à la matière ambiante; la matière alors se désor-
ganise et fermente.
Voilà donc le myslère de la fermentation expliqué.
La cellule devient ferment pour les matières sus-
ceptibles de lui fournir l'oxygène : seules par consé-
quent peuvent fermenter les substances qui ont de
l'oxygène à donner à leur ferment. De là découle
encore une idée nouvelle, celle de la spécificité ^ du
ferment. Cette idée, transportée plus lard en méde-
cine, produira la théorie de la spécificité des
microbes pathogènes et, conséquemment, des mala-
dies.
Les collègues, les amis de Pasteur ne compre-
naient pas toujours sa fougue, sa combativité. On
lui prêchait le calme. « Mou cher Pasteur, lui disait
Bulard, permettez à ma vieille amitié de vous dire
publiquement que je crains que vous n'entriez dans
une voie nuisible à vos propres recherches et à
votre propre repos, en répondant par vos expé-
riences personnelles aux questions spéciales, nom-
breuses, qui peuvent vous être adressées. Que vos
adversaires expérimentent d'abord eux-mêmes, et
quand ils vous apporteront des résultats qui vous
1. Voir page 24.
118 rASTl^lUR
paraîtront inexacts, appliquez, à les discuter et à
trouver le point faible, s'il y en a, cette logique
scientifique sévère dont vous avez le secret... Il
faut que rien ne vienne troubler la paix du labo-
ratoire qu'on a construit pour la science nouvelle
que vous avez créée ».
Duclaux lui écrivait de son côté : « .Je vois bien
ce que vous pouvez perdre dans ces luttes stériles,
votre repos, votre temps, votre santé ; je cherche
vainement ce que vous pouvez y gagner ».
Mais, aurait pu répondre Pasteur, j'ai tout à y
gagner. Mes contradicteurs, en me forçante rectifier
leurs erreurs, m'obligent en même temps à appro-
fondir mes propres études, à serrer de plus près la
vérité, à faire éclater la pure lumière en dissipant
toutes les obscurités. Leurs attaques sont pour moi
un stimulant nécessaire, puisqu'elles me font aller
toujours plus avant; elles servent la cause de la
science et du progrès en me mettant dans l'obli-
gation de triompher deux fois, dans mon labora-
toire d'abord, devant l'opinion publique ensuite.
Sans eux je serais moins sûr de mon succès et,
après moi, la lutte serait pent-ôtre à recommencer.
Dix ans après la conférence de la Sorbonne, Pas-
teur eut à rompre une dernière lance à propos de
la génération spontanée. Cette fois c'était à l'Aca-
démie de Médecine, oià Pasteur était entré depuis
deux ans.
Poggiale, ancien pharmacien du Val-de-Grâce,
PASTEUR ET LA SCIENCE 119
avait dit à l'Acadéinie : « M. Pasteur nous a dit
qu'il cherchait depuis vingt ans la génération spon-
tanée sans l'avoir trouvée. Je doute qu'il la trouve...
cette question est presque insoluble... Cependant
ceux qui, comme moi, n'ont pas d'opinion arrêtée
sur la génération spontanée, conservent le droit de
vérifier, de contrôler, de discuter et d'interroger les
faits au fur et à mesure qu'ils se produisent, de
quelque part qu'ils viennent... »
Pasteur bondit comme sous un outrage. «Quoi !
s'écria-t-il, je suis engagé depuis vingt années dans
un sujet et je ne dois pas avoir d'opinion ! Et le droit
de vérifier, de contrôler, de discuter et d'interroger
appartiendra surtout à celui qui ne fait rien pour
s'éclairer, à celui qui vient de lire plus ou moins at-
tentivement nos travaux, les pieds sur les chenets
de la cheminée de son cabinet!... Vous n'avez pas
d'opinion sur la génération spontanée, je le crois
sans peine... Eh bien, j'en ai une, moi, par vingt
années de travaux assidus !... Quel jugement portez-
vous donc sur mes expériences ?... En résumé, où
voulez-vous en venir, partisans déclarés de l'hété-
rogénie ou soutiens complaisants et inconscients de
cette doctrine? Attaquez-vous donc à mes expé-
riences ! ... »
Pasteur n'argumentait pas, il démontrait. Le la-
boratoire faisait sa force et c'est dans ce champ clos
qu'il cherchait toujours à ramener ses adversaires.
420 PASTRUU
La révolution en médecine.
On sait déjà que le microbe ne rencontra pas une
moins vive opposition à l'Académie de Médecine
qu'à l'Académie des Sciences.
Jusque-là la médecine avait été considérée non
comme une science, mais comme un art. Elle était
fondée uniquement sur l'observation clinique. Le
médecin possédait plus ou moins le tact divinatoire,
qui n'avait rien de commun avec la science. Dans
ces conditions le traitement était en quelque sorte
affaire de doigté; il restait subordonné à la façon
dont réagissait la spontanéité du malade. Trousseau
n'avait donc pas absolument tort de dire que la mé-
decine, vue sous ce jour, était un don du ciel.
Rien d'étonnant à ce que le médecin eût alors,
sur lui-même et sur son rôle, une opinion un peu
hiératique. Il semblait exercer un sacerdoce et le
marquait dans son costume, au moins par la cra-
vate blanche, qui rappelait l'antique rabat, comme
le hausse-coi l'ancienne armure.
La médecine se regardait si peu comme une
science qu'elle se montrait défiante et hostile à l'en-
droit de la science. La physiologie même ne trouvait
pas grâce devant le médecin. On disait qu'elle n'était
d'aucune utilité et que la médecine pouvait très bien
s'en passer.
Afin de mieux marquer ce dédain, on choisissait.
PASTEUR ET LA SCIENCE 121
pour le manifester, le moment même où Claude
Bernard inaugurait ses magistrales leçons. On peut
préjuger, d'après cela, l'accueil réservé au chimiste
Pasteur.
La première fois qu'un modeste médecin du Val-
. Crachat de
phtisique
N^ Ç^^ N '^r^ -yZ^ J-ulture dons un
^v,,^^^^ l'^^^j/ milieu convenable
Microbe de la tuberculose dans différents milieux.
de-Grâce, Villemin, parla de la tuberculose comme
d'une maladie spécifique inoculable, qui se repro-
duit et ne peut se reproduire que d elle-même, ce
fut un beau tapage dans le monde médical.
Pidoux, qui personnifiait quelque peu la méde-
cine du temps, s'écriait : « 11 ne reste plus aux mé-
decins qu'à tendre des filets aux sporules de la tu-
berculose ou à trouver le vaccin ! »
D'autre part et dans le même esprit Davaine était
vivement pris à partie au sujet des bactéridiesdont
il avait constaté la présence dans le sang charbon-
neux. La théorie des germes, des virus-ferments,
était attaquée comme si elle était le renversement
de toutes les notions acqnises.
Pasteur 16
122 PASTEUR
Le docteur Chassaigne parlait devant l'Académie
de Médecine de ce qu'il nommait a: une chirurgie
de laboratoire qui fait périr beaucoup d'animaux et
sauve très peu d'hommes. » Il ajoutait non sans
ironie : « Fièvre typhoïde, bactérisation ! miasmes
des hôpitaux, bactérisation ! » Chirurgiens et mé-
decins s'entendaient parfaitement pour renvoyer le
chimiste à ses cornues et à ses microbes dont ils
n'avaient que faire.
Cependant les maladies purulentes, infectieuses,
contagieuses, continuaient à sévir. La croyance
qu'il pouvait y avoir, dans les tissus, des êtres mi-
croscopiques venus de l'extérieur, qu'ils s'y déve-
loppaient en y occasionnant des modifications
spécifiques, c'est-à-dire en provoquant suivant leur
nature telle affection morbide plutôt que telle autre,
cette croyance-là pouvait avoir effleuré quelques
esprits, mais elle heurtait toutes les idées reçues.
On n'acceptait pas que l'infection putride vînt d'un
ferment organisé, les organismes inférieurs n'ayant
par eux-mêmes aucune action toxique, disait-on :
ils étaient non une cause, mais un résultat, un
épiphénomène.
La contagion.
Telle était sur ce point la doctrine toute négative
de l'Académie de Médecine, quand Pasteur y entra.
PASTEUR ET LA SCIENCE 123
Au cours d'une discussion, on lui demanda son
avis : l'avis d'un chimiste en effet, sur une matière
pathologique, ne devait pas manquer de piquant.
Pasteur commença par rappeler ses travaux an-
térieurs, notamment ses études sur la hière, et dit
en terminant: « La corrélation est certaine, indis-
cutahle, entre la maladie et la présence des organis-
mes. » Jamais l'Académie n'avait entendu pareille
hérésie. Plus tard, dans la note qu'il devait lire à
l'Académie de Médecine le 30 avril 1878, Pasteur
donnera la théorie de la contagion par le mi-
crohe... u Des germes d'organismes microscopiques
abondent à la surface de tous les objets, dans l'at-
mosphère et dans les eaux. » Ce premier point étant
établi, il n'y avait plus à y revenir. Pasteur passait
ensuite aux anaérobies : il exposait la difficulté
qui l'avait arrêté pendant quelque temps et dont,
comme on l'a vu précédemment pour la fermenta-
tion, il avait fini par triompher.
Le problème était ardu en effet ; Pasteur le for-
mule avec une netteté parfaite : « Si l'oxygène
détruit les vibrions, continuait la note, comment la
septicémie peut-elle exister, puisque l'air atmos-
phérique est partout présent? Gomment accorder
ces faits avec la théorie des germes? Comment du
sang exposé au contact de l'air peut-il devenir sep-
tique par les poussières que l'air renferme ? »
Pasteur rappelait alors les expériences dans les-
quelles il avait vu les anaérobies mourir à la sur-
124 PASTEUR
face du liquide, y former une pellicule, un voile
protecteur. Mais, au fond du liquide, « les vibrions,
protégés contre l'action de l'oxygène par leurs frères
qui périssent au-dessus d'eux, continuent à se mul-
tiplier par scission'; puis, peu à peu, ils passent
à l'état de corpuscules-germes, avec résorption du
restant du corps du vibrion-filiforme. Alors, à la
place des fils mouvants de toutes dimensions linéai-
res, dont la longueur dépasse souvent le champ du
microscope, on ne voit qu'une poussière de points
brillants, isolés, ou enveloppés d'une gangue amor-
phe, à peine visible. Et voilà formée, vivante de
la vie latente des germes, ne craignant plus l'action
destructive de l'oxygène, voilà, dis-je, formée la
poussière septique, et nous sommes armés pour
l'intelligence de ce qui tout à l'heure nous parais-
sait si obscur; nous pouvons comprendre l'ense-
mencement des liquides putrescibles par les pous-
sières de l'atmosphère, nous pouvons comprendre
la permanence des maladies putrides à la surface
de la terre... C'est la preuve que, pour un certain
nombre de maladies, il faut abandonner à tout
jamais les idées de virulence spontanée, les idées
de contage et d'éléments infectieux naissant tout
à coup dans le corps de l'homme et des animaux, et
propres à donner origine à des maladies qui vont
1. Les bâtonnets filiformes se divisent en fragments vivants : c'est la
reproduction par scissiparité.
PASTEUR ET LA SCIENCE 123
se propager ensuite, sous des formes cependant
identiques à ellcs-mènies... »
Pasteur expliquait après cela comment, en fait,
la contagion se propage : « ....cette eau, cette
éponge, celte charpie avec lesquelles vous lavez ou
vous recouvrez une plaie y déposent des germes
qui, vous le voyez, ont une facilité extrême de pro-
pagation dans les tissus, et qui entraîneraient in-
failliblement la mort des opérés dans un temps très
court, si la vie, dans ces membres, ne s'opposait à
la multiplication de ces germes... »
Suivaient des conseils sur la manière de procéder
et qui constituent proprement la méthode antisep-
tique.
L'antisepsie.
Alphonse Guérin, chirurgien de THôtel-Dieu,
éclaii'é par les travaux de Pasteur, avait peut-être
eu, le premier, l'intuition d'une relation entre l'in-
fection purulente et les poussières de l'air.
Dans cette hypothèse, il imagina de filtrer l'air
au moyen du pànsementouaté. A près avoir désinfecté
la plaie soigneusement, il appliquait des couches
de ouate de plus en plus épaisses et comprimait avec
des bandes de toile neuve. C'était un véritable empa-
quetage qui pouvait durer vingt jours au besoin.
Plus de cataplasmes, plus de pots de cérat, plus
d'épongés et de paquets de charpie faite avec de
vieux draps d'hôpitaux.
iU PASTEUR
A vrai dire, la septicémie ne venait pas tant de
l'air atmosphérique que des mains, des instru-
ments, des éponges des chirurgiens. L'air est en
effet moins peuplé que ne le supposait Pasteur et on
s'en préoccupe moins aujourd'hui. La chirurgie
actuelle porte surtout son attention sur les liquides
et les solides, sur les personnes et sur les choses
qui interviennent dans l'opération.
Lister, médecin d'Edimbourg, fut, avec Alphonse
Guérin, un des premiers à reconnaître et à prati-
quer la méthode antiseptique. 11 écrivait à Pasteur
à ce sujet en février 1874: « ...Permettez-moi de
saisir cette occasion de vous adresser mes plus cor-
diaux remerciements pour m'avoir, par vos brillan-
tes recherches, démontré la vérité de la théorie des
germes de putréfaction et m'avoir donné ainsi le
seul principe qui pût mener à bonne fin le système
antiseptique. »
Si rinfatuation n'avait pas été un mal français, à
cette époque^ nos médecins auraient suivi l'exemple
de Lister et rendu ainsi plus de services à leur pays
en 1870.
« On tourna en ridicule, a écrit Auguste Rever-
din, professeur à la Faculté de Genève, les minu-
tieuses précautions du pansement de Lister, et ceux
qui perdaient presque tous leurs opérés en les en-
farinant dans des cataplasmes n'avaient pas assez
de sarcasmes à lancer contre celui qui leur était si
supérieur. »
PASTEUR ET LA SCIENCE 127
Ces minutieuses précautions de Lister dont parle
Reverdin, c'est le pansement antiseptique, c'est-à-
dire la lutte contre rinvasion du microbe, qui, en
b'introduisant dans le sang, dispute l'oxygène aux
globules rouges, d'où résultent l'empoisonnement
du sang, qui devient noir, et l'asphyxie.
Pasteur avait déjà indiqué le moyen de tuer les
microbes, lorsqu'il employait un poêle b gaz pour
stériliser les vases, tubes, pipettes, dont il se ser-
vait pour ses expériences. En appliquant aux opé-
rations chirurgicales des procédés analogues, on
fit de l'antisepsie: instruments, éponges, objets né-
cessaires, tout est stérilisé, purifié, soit au moyen
d'une solution d'acide phénique, soit au moyen de
l'étuve, soit par le flambage. <•< Nous avons assisté,
disait Sédillot à l'Académie de Médecine, à la con-
ception, à la naissance d'une chirurgie nouvelle,
fille de la science et de l'art, qui ne sera pas une
des moindres merveilles de notre siècle, et à la-
quelle les noms de Pasteur et de Lister resteront
glorieusement attaches. »
Discussions.
On conçoit combien Pasteur, qui sentait tout le
prix de ses découvertes et des bienfaits qui en
découlaient, devait se montrer sensible auxattaques
128 PASTEUR
OU même aux simples contradictions de ses adver-
saires.
II n'admettait pas la résistance du corps médi-
cal, qui s'obstinait dans les vieux errements malgré
l'éclatante évidence des résultats auxquels il était
arrivé.
Mais rien n'est plus difficile que de renoncer à
une éducation, à des idées reçues, à des habitudes.
L'ancienne médecine était fondée sur des principes
opposés à la doctrine pastorienne: pouvait-on
admettre qu'un chimiste vînt faire litière de ces
principes, enseigner une thérapeutique nouvelle
et bouleverser tout un ordre de choses établi?
Les idées de Pasteur, ses découvertes successives,
son espoir de vaincre le microbe et les maladies
contagieuses furent longtemps considérés comme
des utopies par les médecins du temps. On en
revenait toujours à la diathèse : « Ce n'est pas la
maladie, être abstrait, disait Piorry, qu'il s'agit de
traiter, c'est le malade qu'il faut étudier avec le
plus grand soin, par tous les moyens physiques,
chimiques et cliniques que la science comporte. »
Ceci était dit en 1877, c'est-à-dire à une époque
où Pasteur était toujours ardemment discuté.
A propos de la fièvre typhoïde il y eut encore, en
1883, un nouveau débat dont les microbes, comme
toujours, firent tous les frais. Que de sorties vigou-
reuses contre le microbe pressenti dans la fièvre
typhoïde! a. On vise le microbe et on abatte patient,
PASTEUR ET LA SCIENCE 129
disait un académicien. 11 faut opposer une bar-
rière infranchissable à des témérités aventureuses,
et soustraire ainsi les malades aux dangers impré-
vus de cette bourrasque thérapeutique. »
De la fièvre typhoïde le débat en arriva bientôt
Microbe de la fièvre tjphoide.
au microbe, au rôle pathogénique des infiniment
petits, et la querelle reprit de plus belle dans les
séances suivantes. Peter conduisait l'attaque. Selon
lui la découverte des microbes n'était pas faite
pour apporter une grande clarté dans l'étiologie
des maladies. C'étaient curiosités d'histoire natu-
relle, intéressantes peut-être, mais de nul profit
pour la médecine. Elles ne valaient ni le temps
qu'on y passe ni le bruit qu'on en fait. 11 n'y aura
rien de changé en médecine, il n'y aura que quelques
microbes de plus. « L'excuse de M. Pasteur, ajou-
tait-il, c'est d'être un chimiste qui a voulu, ins-
piré par le désir d'être utile, réformer la méde-
cine à laquelle il est étranger La victoire
Pasteur 17
130 PASTEL' R
restera aux gros bataillons, c'est-à-dire à la vieille
médecine. »
La découverte du microbe n'aidera pas à la pro-
phylaxie de la maladie, avait dit Peter. Pasteur
pensait autrement. Malgré toutes les résistances, il
marchait droit à son but. « Savez-vous pourquoi,
écrivait-il à Bastian au moment de la querelle rap-
portée plus haut, savez-vous pourquoi j'attache
un si grand prixà vous vaincre? C'est que vous êtes
un des principaux adeptes d'une doctrine médicale
suivant moi funeste au progrès de l'art de guérir,
la doctrine de la spontanéité de toutes les mala-
dies. Vous êtes de cette école qui inscrirait volon-
tiers au frontispice de son temple, comme le vou-
lait naguère un des membres de TiVcadémie de
Médecine de Paris : — La maladie est en nous, de
nous et par nous. — Tout serait donc spontané en
pathologie. Yoilà l'erreur préjudiciable, je le
répète, au progrès médical ».
Pasteur aurait voulu, comme il le disait lui-même,
avoir la santé et les connaissances spéciales néces-
saires pour se jeter à corps perdu dans l'étude
expérimentale de quelqu'une de nos maladies con-
tagieuses.
Ce vœu, il ne le réalisa pas en médecin, puisqu'il
ne l'était pas. 11 n'avait pas qualité pour ausculter
un malade, pour faire œuvre de clinicien. Mais il
possédait, dans son laboratoire, des moyens d'in-
vestigation qui valaient mieux, d'autant plus
PASTEUR ET LA SCIENCE 131
que son esprit n'avait pas reçu le pli professionnel
du médecin. Il n'avait pasd'œillères.
On lui devait déjà l'antisepsie, c'est-à-dire une
méthode pour éviter la gangrène et la pourriture
consécutives aux plaies. Il y yjouta bientôt la vacci-
nation contre les maladies virulentes et transmis-
sibles, uniquement dues à des micro-organismes.
La lutte contre les maladies contagieuses devint
bientôt pour Pasteur la question capitale. Quel
service rendu à la médecine, à l'humanité, si l'on
arrivait à découvrir le vaccin des maladies micro-
biennes!
Pasteur avait commencé par les animaux.
Avec la bactérie charbonneuse, il avait obtenu
des cultures variées, qui constituaient autant de
virus atténués, de vaccins à des degrés divers. Le
succès répondit complètement à son attente et à
ses prévisions *. Mais que de luttes encore !
Toussaint, professeur à Toulouse, Jules Guérin,
qui, à l'Académie, ne demandait qu'à « tomber
Pasteur », élevèrent des chicanes sur la vacci-
nation.
Malgré tous les efforts de ses amis, de Bouley en
particulier, qui s'efforçait de le calmer, Pasteur, de
plus en plus belliqueux, repoussait toutes les atta-
ques avec sa rudesse ordinaire. «Nous serons deux
i . Voir page 46.
132 PASTEUR
désormais en présence, faisait-il au sujet de Guérin,
et nous verrons lequel des deux sortira éclopé et
meurtri de cette lutle! » Guérin fut si nnaltraité
que, nous le savons, malgré ses quatre-vingts ans,
il envoya ses témoins à Pasteur.
La vivacité de Pasteur, harcelé de tous côtés,
s'expliquait et s'excusait facilement. Lucas-Cham-
pionnicre, dans le Journal de Médecine et de Chi-
rurgie, avait pu écrire avec raison : « Pour notre
part, nous admirons la mansuétude de Pasteur,
que l'on représente toujours comme violent et prêt
à partir en guerre. Voilà un savant qui fait de temps
à autre des communications courtes, substantielles,
extrêmement intéressantes. Il n'est pas médecin et,
guidé par son génie, il trace des voies nouvelles au
milieu des études les plus ardues de la science
médicale. Au lieu de rencontrer le tribut d'at-
tention et d'admiration qu'il mérite, il rencontre
une opposition forcenée et quelques individualités
de naturel querelleur, toujours disposées à démolir
après avoir écouté le moins possible. S'il use d'une
expression scientifique que tout le monde ne com-
prend pas, ou qu'il emploie quelque expression
médicale un peu incorrectement, alors se dresse
devant lui le spectre de discours infinis, destinés à
lui démontrer que tout était pour le mieux dans la
science médicale, avant qu'on lui eût ajouté les
études précises et apporté les ressources de la
chimie et de l'expérimentation... »
PASTEUR ET LA SCIENCE 133
La découverte du microbe de la rage et le traite-
ment antirabique qui en fut la conséquence soule-
vèrent encore d'âpies discussions au sein de l'Aca-
démie de Médecine. C'est encore Peter qui se chargea
de dire son fait à Pasteur. Selon lui, la médication
antirabique était ineflicace et môme dangereuse.
(Janvier 1887.)
Pasteur, malade, n'était pas là pour répondre,
mais d'autres le firent pour lui, et ses champions
s'appelaient Dujardin-Beaumetz, Ghauveau, Ver-
neuil, Grancher, Brouardelet Vulpian, pour neciter
que ceux-là. « La série des recherches, dit ce der-
nier, qui ont conduit Pasteur à cette découverte est
en tout point admirable... Ce nouveau service vient
s'ajouter à tous ceux que notre illustre Pasteur a
déjà rendus à l'humanité. L'éclat que ses travaux
ont jeté sur notre pays est incomparable et main-
tient la science française au premier rang... Nos
travaux et nos noms seront depuis longtemps ense-
velis sous la marée montante de l'oubli ; le nom et
les travaux de Pasteur resplendiront encore et sur
des hauteurs si élevées qu'elles ne seront jamais
atteintes par ce triste flot. »
A l'inauguralion du monument que la Brie recon-
naissante a élevé à Pasteur dans la ville de Melun,
en 1897, Nocard, a, dans un raccourci saisissant,
admirablement mis en lumière l'œuvre de Pasleur:
« L'intervention de Pasteur dans leschosesde la
médecine, dit-il, remonte à 187G, il y a vingt ans à
!3i PASTEUR
peine: elle y a provoqué un tel bouleversement
que rien de comparable ne s'y était produit depuis
vingt siècles, et ce bouleversement a été si bienfai-
sant et si fécond que, en ces vingt ans, la médecine
a fait plus de progrès qu'elle n'en avait peut-être
jamais fait.
« L'étiologie, l'hygiène, la police sanitaire entiè-
rement renouvelées; — la pourriture d'hôpital, la
septicémie gangreneuse, l'infection purulente, la
fièvre puerpérale bannies des hôpitaux dont elles
étaient la terreur et la honte ; — la chirurgie dotée
d'une telle sécurité qu'elle peut désormais se per-
mettre toutes les audaces ; — la prophylaxie des
maladies infectieuses fondée sur la merveilleuse dé-
couverte de l'atténuation du virus et de la vaccina-
tion par les virus atténués ; — le troublant mystère
de l'immunité presque entièrement dévoilé; — le
sérum des animaux immunisés appliqué, avec quel
succès ! au traitement des maladies les plus redou-
tables. Tout cet incomparable mouvement scienti-
fique procède de Pasteur, et nous ne sommes qu'à
l'aurore de l'ère nouvelle à laquelle Ihistoire con-
1. Moins de dix ans après Pasteur, on pouvait estimer que l'emploi
des vaccins avait abaissé la mortalité, pour le charbon des bovidés: de
5 »/o à 1 Vs "'o ; pour celui des moutons : de 10 »/» à 1 <>/o ; pour le
rouget des porcs de 20 "/„ à 1 ''2»/o. Les bénéûces pour l'agriculture
française atteignent certainement, à l'heure actuelle, une vingtaine de
millions. {Inslilut Pasleiir et ses annexes. Paris, chez Narcisse Faucon,
47, rue Saint-André-des-Arts.)
PASTEUR ET LA SCIENCE 135
Un des derniers vœux de Pasleur, quand il sentit
ses forces l'abandonner, avait été de laisser des
élèves pour suivre sa méthode et continuer son
œuvre. Son vœu fut exaucé.
La médecine vétérinaire n'a pas cessé, pour sa
part, de creuser le sillon tracé par Pasleur. Des
expériences comparatives faites à Pouilly-le-Fort, à
l'instigation de Ghauveau, ont démontré que le virus
charbonneux soumis à Faction de l'oxygène com-
primé .se transforme en vaccin.
Des expériences répétées ont eu lieu également
sur la péripneumonie, dont Nocard a finalement
découvert le bacille ; celui-ci. est employé comme
vaccin. La péripneumonie est d'ailleurs devenue
très rare. Le professeur Galtier, de l'École vétéri-
naire de Lyon, hyperimmunise des moutons contre
le double charbon symptomatique et bacléridien, et
le sérum prélevé sur ces moutons vaccine contre les
deux charbons, bien que les deux maladies soient
différentes, comme Pasteur l'a fait voir.
Galtier et Leclanche emploient avec succès la sé-
rothérapie pour immuniser les animaux notam-
ment contre la clavelée et le rouget.
Enfin on s'efforce de vérifier les méthodes d'im-
munisation préconisées d'une part par Behring et
d'autre part par Lignères contre la tuberculose bo-
vine.
A Melun, en novembre 1905, le docteur Vallé,
professeur à l'École d'Alfort, aucours d'une confé-
136 PASTEUR
rence, a parlé des expériences qu'il a tentées en
inoculant le bovovaccin de Behring à des bœufs. Sur
40 bœufs, une partie avaient été vaccinés, puis sou-
mis à l'injection tuberculeuse. Tous ces bœufs autop-
siés ont été reconnus sans aucune lésion tubercu-
leuse. Au contraire des bœufs non vaccinés et sou-
mis à l'injection tuberculeuse, les uns sont morts
tuberculeux, les autres, autopsiéSj ont révélé des
lésions tuberculeuses très profondes.
Le bovovaccin de Behring protège donc les bœufs
contre la tuberculose. La première des affirmations
de Behring se trouve vérifiée en France : !a tuber-
culose des bovidés est vaincue. Ce résultat est fé-
cond en conséquences : si l'on vaccine désormais
les vaches, le danger de contagion par le lait n'exis-
tera plus. C'est un grand pas de fait vers la gué-
rison de la tuberculose humaine.
En médecine on continue, à l'Institut Pasteur et
ailleurs, à marcher sur les traces du Maître. Après
Duclaux, mort aujourd'hui. Roux, Metchnikoff
poursuivent l'application de la méthode pasto-
rienne et multiplient les recherches. La doctrine
microbienne règne maintenant dans toutes les cli-
niques, elle inspire les études et les travaux de tous
les chercheurs, elle augmente de jour en jour les
moyens de défense contre la maladie.
On s'ingénie à trouver un remède contre le can-
cer, la tuberculose et, en général, contre les affec-
tions les plus graves parmi celles qui affligent l'es-
PASTEUR ET LA SCIENCE
137
pèce humaine. On fait de la médecine préventive
en développant les principes de l'hygiène et en
propageant les procédés de prophylaxie. Des pro-
grès nombreux et incontestables ont été accomplis
dans ce sens.
Le rôle du médecin, contrairement à ce que
Lit hygiénique. Lit antihygiénique.
Hygiène de la chambre à coucher.
pouvait penser Pidoux il y a un demi-siècle, s'est
étendu et élevé tout à la fois ; il est devenu plustu-
lélaire : le médecin ne guérit pas seulement le
mal, il le prévient, grâce à des mesures prophylac-
tiques qui se généralisent de plus en plus.
Aujourd'hui la pratique de l'antisepsie est géné-
rale. Autant les médecins, il y a trente-cinq ans, se
montraient sceptiques ou réfractaires à l'égard des
nouvelles théories, autant ceux du temps présent
sont de fervents adeptes de la méthode paslorionnc.
Pasleur 18
138 PASTEUR
On pourrait dire des médecins actuels ce que Duruy
disait du clergé catholique à la fin du second Em-
pire : « Sous Louis XIV, il n'y avait pas un seul
prêtre ultramonlain ; aujourd'hui on ne trouverait
pas un seul prêtre gallican. »
Un médecin qui, à notre époque, traiterait à la
légère la spécificité des maladies infectieuses, l'in-
toxication microbienne, l'antisepsie, l'inoculation,
paraîtrait appartenir à un autre âge. Cette remar-
que est tout à l'honneur du corps médical actuel. Il
convient de lui rendre ce témoignage qui est sans
réserves.
D'autre parties villes se préoccupent de réaliser
des améliorations matérielles qui intéressent au
plus haut point la santé publique. Partout on fait
la chasse au microbe, soit en procurant aux agglo-
mérations des eaux protégées contre la contamina-
tion, soit en prenant, pour les voies publiques, les
usines, les habitations, des mesures d'assainisse-
ment.
L'aménagement de nos appartements, l'ameu-
blement se transforment comme tout le reste. L'im-
pulsion donnée par le Ton ring Club de France
commence à être suivie aussi bien dans les de-
meures privées que dans les hôtels de voyageurs.
On cherche à réaliser la chambre hygiénique. On
.a pu voir, dans diverses expositions, l'aménagement
nouveau, conforme aux règles de l'hygiène, à côté
PASTEUR ET LA SCIENCE 139
de l'ancienne chambre à coucher, aux tentures
lourdes et nonnbreuses, réceptacles à microbes et
perpétuelle menace pour la santé.
Mais il est de toute nécessité que, de leur côté,
les populations se laissent gagner et convaincre ;
que l'on cesse de plaisanter avec les règles de l'hy-
giène; que l'on renonce à certains préjugés, à cer-
taines phrases toutes faites qui faussent l'esprit pu-
blic et entreliennent la défiance chez les simpleset
les ignorants, dans les campagnes et aussi parmi
les populations urbaines, à l'égard des médecins, de
la chirurgie et de l'hygiène.
M""® Bucholz, de Berlin, au dire de Cherbuliez, a
bien traduit cette résistance des masses aux pres-
criptions de plus en plus pressantes des hygiénistes.
« Les médecins ayant décidé que l'air était un objet
de première nécessité, la bonne chambre devrait,
pour des raisons d'hygiène, servir de chambre à
coucher, au lieu d'être une chambre à beaux
meubles où l'on ne va jamais. » Et M™® Bucholz de
s'écrier à ce propos : a. Encore un changement
déraisonnable ! Autrefois on se portait bien sans
hygiène ! ï)
M"* Bucholz a toutefois un peu raison : si le mi-
crobe est un fléau, la peur du microbe en est un
autre, et il serait triste de passer sa vie à la défen-
dre contre un danger qui n'est visible qu'au micro-
scope.
Il faut donc prendre garde de tomber dun excès
140 PASTEUR
dans l'autre et se contenter d'être raisonnable.
Mais l'état d'esprit traduit par la remarque de
M"* Bucholz n'en est pas moins fâcheux : il favorise
encore, dans les masses urbaines, à l'égard de la
médecine, de la chirurgie et de l'hygiène, trop de
négligences, trop de défaillances chez ceux pour
qui le soin de veiller sur la santé publique devrait
être le premier des soucis et des devoirs. Beaucoup
de progrès restent à réaliser, même là où l'on a pris
l'avance. L'ignorance, la routine, l'indifférence, des
préoccupations mesquines parfois font passer sou-
vent au dernier plan des intérêts de premier ordre,
ce qui est infiniment regrettable.
C'est un devoir pour ceux qui comprennent, qui
savent, d'éveiller l'attention des autres, de faire
entrer dans les esprits des notions simples, pré-
cises et nécessaires d'hygiène et de salubrité. Les
médecins ne suffisent pas à tout et le progrès ne
viendra que d'un pas boiteux, tant que la lumière
projetée par Pasteur sur les choses de la médecine
ne brillera pas pour tous les yeux.
QUATRIÈME PARTIE
L'Institut Pasteur
Fondaiion. — On a vu dans quelles conditions
matérielles défectueuses Pasteur avait dû com-
mencer ses travaux. Un espace étroitement mesuré,
dans un grenier de l'École Normale, constitua le
premier laboratoire du savant qui devait être une
des gloires de son siècle. II semblerait que, comme
l'épopée, de pareilles carrières doivent débuter
modestement.
Après la découverte du vaccin contre la rage, les
malades affluèrent au laboratoire de Pasteur — ce
n'était plus le grenier — et l'on fut bien obligé de
s'apercevoir que l'on manquait de place. L'Académie
des Sciences, par une initiative qui l'honore et
qui est la rançon des luttes passées, provoqua
une souscription publique destinée à la fon-
dation d'un établissement qui, par ses dimensions
et l'installation de ses services, pourrait répondre
à tous les besoins. La souscription bénéficia de l'ad-
miration que les travaux de Pasteur avaient sus-
citée partout, à l'étranger comme en France : les
142 PASTEUR
sommes recueillies s'élevèrent rapidement au chiffre
de deux millions et demi. On consacra un million
et demi à l'achat des terrains', aux construc-
tions et aux installations maté'*ielles. Le million
restant était réservé pour la dotation des différents
services.
L'inauguration eut lieu le 18 novembre 1888.
Bientôt Tlnstitut se trouva insuffisant. L'applica-
tion de la sérothérapie à la diphtérie augmenta le
travail tant par l'affluence des malades que par la
fabrication de plus en plus considérable du sérum.
Il fallut se préoccuper d'agrandir l'établissement
au moyen d'une nouvelle souscription qui produisit
environ un million. Cette somme permit d'installer
à Garches, avec le concours de l'Etat., des écuries
pour les chevaux destinés à fournir le sérum an-
tidiphtérique.
L'établissement de Garches a multiplié ses ins-
tallations pour le logement des animaux nécessaires
aux besoins de l'Institut, tant pour les diverses
expériences que pour la production du sérum anti-
diphtérique, et le modeste et insouciant cobaye
voisine avec le cheval, qui n'a jamais mieux mérité
que dans cette nouvelle fonction d'être appelé « la
plus noble conquête que l'homme ait jamais faite. »
Outre la souscription, des dons affluèrent, dont
un, dû à une généreuse anonyme, devait per-
1. Quartier de Vaugirard, à Paris.
o s
S -=
U4 PASTEUR
mettre de fonder un hôpital en face de l'Institut
même, et de bâtir sur le reste du terrain, grâce à
une autre donatrice, un Institut de ciiimie physiolo-
gique. Cette dernière création, en même temps
qu'elle dégageait l'ancien Institut, permettait
d'affecter exclusivement ce dernier à la physiologie
et à la pathologie, qui correspondent plus parti-
culièrement pour la masse, peu propre à pénétrer
et à juger le travail du laboratoire, à ce qui est
l'œuvre de Pasteur. Si les recherches de Pasteur en
chimie ont eu en effet le don ' d'agiter les Aca-
démies, le public est resté surtout frappé des résul-
tats obtenus dans les applications sensationnelles
des découvertes pastoriennes aux maladies de
l'homme.
Bâtiments. — On peut donc se faire dès mainte-
nant une idée exacte des divers organes de l'Ins-
titut Pasteur.
C'est d'abord l'Institut lui-même, consacré
aujourd'hui aux études physiologiques et patholo-
giques ; c'est ensuite le bâtiment affecté à la chimie
et à la biologie; puis l'établissement de Garches
qui fournit le sérum antidiphtérique; enfin l'hôpilal
où se fait l'application à la thérapeutique de toutes
les découvertes sorties des laboratoires précé-
dents.
L'Institut Pasteur proprement dit se compose de
deux bâtiments parallèles à la rue Dutot, réunis
Pasteur.
146 PASTEUR
par un troisième, placé perpendiculairement dans
l'axe des deux premiers. Dans le bâtiment qui fait
face à la rue se voient l'ancien logement de Pasteur
et une vaste bibliothèque, dont le fonds a été
fourni par la bibliothèque même de Pasteur, à la-
quelle est venue s'ajouter celle d'un membre de
rinstitut, M. Pieiset.
Dans le second bâtiment, auquel on accède par
une large galerie, on trouve, dans l'aile droite, le
service de la rage. Là les malades sont reçus, exa-
minés, inscrits, avec tous les détails relatifs à leurs
morsures. Ils passent de là dans la salle des inocu-
lations. Les femmes et les enfants sont traités
dans une salle à part. Tout à côté est la salle de
préparation des moelles ; la température y est
maintenue constamment à 23 degrés et l'obscurité
est à peu près complète. Sur des étagères sont con-
servées des moelles de lapin qui servent à la pré-
paration des vaccins antirabiques. Dans l'aile gauche
sont aménagés: une salle de conférence, un labora-
toire pour la préparation des bouillons de culture,
unesalle pour la photographiedes micro-organismes,
une salle pour la dissection des grands animaux,
enfin deux salles affectées à la microbiologie
agricole.
Le premier étage est entièrement consacré aux
travaux pratiques et aux cours de microbie tech-
nique, avec une vaste salle de travail à grandes
baies très ingénieusement aménagée. Ce premier
L'INSTnUT PASTEUR
147
étage est le domaine du docteur Roux.cjuien est le
directeur. Le second élage est divisé en un grand
nombre de petits laboratoires, avec un grand labo-
ratoire commun. Des travailleurs étrangers à la
maison peuvent y être agréés temporairement par
les chefs de service. Le docteur Metohnikoff règne
Cobayes en traitement.
sur l'aile droite ; Faile ganche est placée sous le
condominium des trois maîtres : MM. Roux, Cham-
berland et Metchnikoft".
Derrière ce groupe de bâtiments sont des an-
nexes, parmi lesquelles on remarque, avec son
campanile, l'hôpital des animaux d'expériences,
comme les lapins et les cobayes, destinés à la vivi-
section. Ces animaux sont placés dans des cages de
fer élevées sur des tiélcaux et d'un nettoyage
facile.
A l'étage a été installé le service des virus et de
148 PASTEUR
la toxine de la peste. Le contrôle en est exercé par
le docteur Roux.
D'autres annexes sont affectées aux grands ani-
maux, aux chiens, aux poules, oies et pigeons, qui
partagent le sort des lapins et des cochons d'Inde.
H n'est pas nécessaire d'ajouter que toutes les pré-
cautions sont prises et que les opérations et expé-
riences s'effectuent sans danger pour les travail-
leurs. Quant à la vivisection, qui a ému tant d'à-
mes sensibles à l'époque de Paul Bert notamment,
il faut en prendre sou parti dans l'intérêt de la
science et de l'humanité. D'ailleurs les opérations
ne sont pas ordinairement bien terribles, même en
cas de trépanation *.
Laboratoires. — Toute l'œuvre de Pasteur est
sortie du laboratoire : le laboratoire devait donc
tenir une grande place dans l'institut Pasteur, qui
a précisément pour mission de poursuivre l'œuvre
commencée par le Maître, en appliquant sa mé-
thode. L'Institut possède en effet un laboratoire de
chimie physiologique, un laboratoire de chimie bio-
logique (c'est le laboratoire Duclaux), un labora-
toire pour les hautes études, un laboratoire pour
les fermentations, enfin un laboratoire pour la chi-
mie agricole.
Le laboratoire de chimie physiologique a pour
objet d'arriver à séparer des sérums, des toxines
1. Voir page 89.
L'INSTITUT PASTEUR 149
etaîili toxines, les autres substances qui peuvent
en contrarier l'action, en gêner reiiie.icité. C'est
une tâche difficile et qui exige une manipulation
considérable, à cause des quantités infinitésimales
de substances actives fournies par les microbes.
Au laboratoire de Duclaux on se livre à l'analyse
des produits physiologiques et pathologiques (tels
que crachats, urines). Mais on y fait surtout de l'en-
seignement au profit déjeunes pharmaciens ou de
candidats au certificat d'études de chimie biologique.
Le laboratoire des hautes études s'adresse à des
gens de goûts et d'aptitudes variées, qui trouvent à
l'Institut une direction précieuse. Le personnel de
ce laboratoire est disséminé dans les divers services.
Le laboratoire des fermentations vise les indus-
tries spéciales qui reposent sur la fermentation :
(brasserie, levure, vinification, distillerie, etc..) Il
sert à l'enseignement et à la pratique industrielle.
On y apprend à faire l'analyse des matières pre-
mières ; le microscope y joue un rôle capital. « Les
élèves du laboratoire des fermentations apprennent
à connaître non seulement la théorie des opérations
industrielles, mais encore leur pratique elle-même,
car au laboratoire sont adjointes de véritables pe-
tites usines en miniature, munies des appareils les
plus perfectionnés et permettant de répéter en pe-
tit le travail qui se fait en grand dans l'industrie*.»
1. Institut Pasteur, chez Narcisse Faucon, déjà cité.
150 PASTEUR
Enfin le laboratoire de chimie agricole joue, dans
l'ordre végétal, le rôle des laboratoires précédents
dans l'ordre animal: il étudie la cellule végétale.
Organisation des services.
Les vaccins. — Le service des vaccins est dirigé
par M. Chamberland. Ce service comprend la pré-
paration des vaccins contre le charbon des rumi-
nants, le rouget des porcs, et aussi de la malléine
et de la tuberculine.
Les vaccins contre le charbon et le rouget s'ob-
tiennent au moyen de bouillons de culture.
La malléine est extraite des cultures du microbe
delà morve; elle donne le moyen de reconnaître
la morve chez les animaux qui en sont atteints,
La tuberculine, extraite des cultures tubercu-
leuses, décèle la tuberculose de Fespèce bovine. La
tuberculine ne guérit pas le mal ; seulement, en le
révélant, elle permet de supprimer les animaux
malades et, avec eux, le danger de contamination
pour les animaux sains.
Grâce à ces deux substances on pourra, quand
une réglementation précise aura été édictée, voir
disparaître ces deux maladies si redoutables, la
tuberculose' et la morve.
1. On a vu ci-dessus qu'un nouveiiu progrès était réalisé, grâce à
Behring.
L'INSTITUT PASTEUR
lui
Traitement de la rage. — Ce traitement n'est pas
préventif, il est ciiratif et ne s'applique qu'aux per-
sonnes mordues. Sa durée est de quinze à vingt et
Chnmberland.
un jours suivant les cas. Le vaccin est une émulsion
de moelle de lapin. Le nombre des inoculés à l'Ins-
titut Pasteur a été d'environ quinze cents par an.
La mortalité parmi les personnes mordues s'est
abaissée de 15 pour cent à 5 pour mille.
432 PASTEUR
Microbie technique. — Le service de la microbie
technique consii^te en un cours de deux séries an-
nuelles qui s'adresse surtout aux professionnels de
la médecine, français ou étrangers. Ce cours est
appuyé sur des exercices pratiques. Le directeur
de ce service est le docteur Roux.
Phagocytose. — Le chef de ce service est le doc-
teur Metchnikoff. On ne saurait mieux le caractéri-
ser que ne le fait la notice sur l'Institut Pasteur
déjà citée plus haut. « C'est là qu'on étudie, dit la
notice, la doctrine de la phagocytose % que Metch-
nikoff et ses élèves ont étendue jusqu'à lui deman-
der l'explication des phénomènes de vaccination et
d'immunité , non seulement contre les microbes,
mais encore contre leurs toxines ou poisons. Ces
leucocytes ou phagocytes se sont révélés, dans
l'étude de plus en plus précise dont ils ont été
l'objet, comme des agents merveilleux de défense,
toujours prêts à tout et à toutes les besognes, sus-
ceptibles d'éducation, pouvant prendre des habi-
tudes nouvelles et aussi les perdre, se fortifier ou
s'affaiblir, devenir agiles ou inertes sous l'influence
des médicaments : bref, constituer une armée de
défense qu'on peut discipliner et dont le médecin
prendra le commandement quand il en connaîtra
mieux le mécanisme. C'est ce mécanisme, dont la
1. Voir ci dessus page 42.
Pasteur.
iU PASTEUR
délicatesse est infinie, que Metchnikoff et son école
étudient à l'Instilut Pasteur. »
11 convient d'ajouter que le docteur Metchnikoff
voit arrivera son laboratoire un grand nombre de
travailleurs, se livrant à des recherches originales
et trouvant tous auprès du chef un utile appui et
une direction éclairée.
Service des sénims. — Ce service comprend d'a-
bord l'établissement de Garches, dont les chevaux
fournissent le sérum antidiphtérique. Mais d'autres
sérums ont été réalisés et sont devenus d'un usage
courant en thérapeutique. Tels sont les sérums
antitétanique, antistreptococcique, antipesteux et
anticholérique. Le sérum antitétanique est employé
surtout dans le cas de blessure ou de plaie qui
aurait pu être souillée par de la terre ou des
matières provenant du cheval. Le sérum antistrep-
tococcique est utilisé dans la fièvre puerpérale en
particulier. Les deux derniers sont relatifs à la
peste et au choléra. Les sérums s'administrent en
injections sous la peau ou dans la veine au moyen
de la seringue Pravaz.
L'hôpital. — L'hôpital a été fondé, dans les
conditions que l'on connaît, pour le traitement des
maladies contagieuses, et en partie pour la séro-
thérapie de la diphtérie. On y reçoit aussi, quand
c'est utile, ceux qui viennent se faire soigner pour
L'INSTITUT PASTEUR 153
la rage. Les précautions les plus minutieuses sont
prises, notamment en ce qui concerne les mala-
des qu'il faut isoler : l'architecte a d'ailleurs
pourvu à tout dans raménagement général. On a eu
recours aux cloisons vitrées, qui laisseni pénétrer
la lumière, celle-ci étant considérée comme un
agent de désinfection, et, d'une manière générale,
on a adopté toutes les dispositions qui pouvaient
rendre facile et effective la désinfection et écarter
le risque de contagion.
Filiales. — L'Institut Pasteur ne dépend pas de
l'État, c'est-à-dire qu'il n'est pas une institution
d'État : fondé par l'initiative privée, il garde son
indépendance et il s'en trouve bien.
Des établissements similaires, mais d'importance
moindre, se sont déjà établis dans plusieurs
régions, surtout pour le traitement antirabique.
L'Institut Pasteur qui, dans ses cours, forme des
spécialistes, a fourni le personnel à ces filiales. Il
y a des Instituts Pasteur à l'étranger comme en
France. On peut citer, en s'en tenant aux établisse-
ments français, Lille, Montpellier, Constantinople,
Tunis, Saint-Louis (Sénégal), Tananarive, Saigon,
Nha-Trang (Annam) que dirige le docteur Yersin.
Le Maître. — L'Institut Pasteur est né des tra-
vaux de Pasteur et, en particulier, de la découverte
du remède contre la rage ; mais il est né aussi et
156 PASTEUR
plus directement de la pensée de Pasteur, qui en
avait conçu l'organisation et qui a même assigné les
rôles à ses collaborateurs.
Le jour de l'inauguration le Maître prononça un
mc.noraljle discours, dit M. Louis Passy, « dans
lequel il jeta un regard mélancolique sur les amis
de la première heure et rappela le nom de ses com-
pagnons disparus : Dumas, Bouley^ Paul Bert, Vul-
pian, puis, comme un général, il reprit la parole et
distribua un ordre du jour à ses lieutenants. A
Duclaux, que le Ministre avait autorisé à professer
la chimie biologique à l'institut Pasteur, il donna le
laboratoire de microbiologie générale ; à P»oux l'or-
ganisation des cours et des recherches microbiennes
dans leur application à la médecine ; à Chamber-
land la direction du service des vaccins ; au profes-
seur Grancher le service du traitement de la
rage, et il termine par ces mots : « La science fran-
çaise se sera efforcée, pour servir l'humanité, de
reculer les frontières de la vie ».
L'Institut Pasteur, tout imprégné de la person-
nalité du xMaître, a fait plus que conserver sa
mémoire en continuant sa méthode et en dévelop-
pant son œuvre. 11 garde aussi religieusement ses
restes dans une crypte aménagée dans le sous-sol,
où Pasteur repose sous une dalle de granité de
Suède.
En outre un buste de Pasteur, d'une facture
magistrale, dû au ciseau de Paul Dubois, orne la
'■^''^^.y^ ^.^^T-^— :^
458 PASTEUR
grande bibliothèque du rez-de-chaussée, entouré
des bustes des principaux donateurs de l'Institut.
Dans une pieuse pensée encore, on a voulu que
^[rae Pasteur continuât à occuper, en face de la
■*
bibliothèque, le logement de son mari, où elle
demeure comme la gardienne de son nom, de son
œuvre et de sa tombe.
Enfin Jupille, le Jurassien qui, avec le jeune
Alsacien Meister, avait le premier subi le traitement
contre la rage, vit également à l'Institut en qualité
de concierge. Devant sa loge, un groupe de bronze
le représente lui-même luttant contre un chien
enragé. On ne pouvait mieux ni avec plus d'à-propos
symboliser le grand fait scientifique d'oij est sorti
rinstitut Pasteur.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Préface ^'
PREMIÈRE PARTIE
Son origine ^
Sa jeunesse ^
L'œuvre : exposé historique H
: Cristallographie 11
La fcrnienlation 1*
La génération spontanée 19
La résistance 21
Applications des théories de Pasteur 24
Le vinaigre 24
Le vin 26
La bière 26
Le ver à soie 29
La médecine vétérinaire 33
Le charbon 34
Le microbe • • 36
Choléra des poules 39
Vaccination 39
Expériences de Poullly-le-Fort 42
Après le succès 46
Le docteur Kocli 52
Incident de Turin 53
Le rouget du porc 56
Pasteur et la médecine 57
160 TABLE DES MATIERES
Page»
La chirurgie 5^
A l'Académie 61
La rage 64
Giiérison de la rage 66
Diphtérie et sérothérapie 70
Autres études 75
Dernières aminées 7&
DEUXIEME PARTIE
L'homme 81
Le savant 9Qf
TROISIÈME PARTIE
Pasteur et la science 107
1/ La doctrine microbienne Hl
La révolution en médecine 120
La contagion 122
L'antisepsie 125
Discussions 127
QUATRIÈME PARTIE
L'Institut Pasteur 141
Organisation des services 150
Bar-le-Duc. — Imprimerie Comte-Jacquet. Facdoubl, Dir.
^o
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Q ii^aitot, Victor
pS?-^ YTy"''^^^^^ d'histoire du
P^-f/J XIXe siècle
1909
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