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Full text of "Une page d'histoire du 19e siècle: Pasteur, l'oeuvre, l'homme, le savant"

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Gsrstdft  Sdence  rnfbrmatf OIT  Oentre 


statue  de  Pasteur,  h  Arbois. 


PASTEUR 


f* 


V.    FRAITOT 


Une  pcujc  dllistoirc  du  XIX"  siècle 


PASTEUR 


(L'Œ.llVTi'E  -  L'HOMME  -  LE  SAYAJVT 


2"  édition. 


PARIS 


\V1M 


VUIBERT    et    NONY    EDITEURS 

03.  Boulevard  Saint-Germain,  63 


H 


LIBRARY         ( 


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73 


O'^ 


ELEa*;:^^  :îc  version 


80. 


AYAILABLE  . 


PRÉFACE 


Pasteur  fui  un  g-dnie  bienfaisant. 

Ace  titre,  il  n'a  peut-être  pas  encore,  dans 
l'esprit  public,  la  place  qui  lui  revient. 

Ce  petit  livre,  destiné  aux  jeunes,  a  pour  but 
de  répandre  son  nom,  en  faisant  un  peu  plus 
connaître  du  grand  nombre  l'œuvre,  l'homme, 
le  savant. 

D^autres  ont  déjà  consacre  à  Pasteur  des 
publications  d'un  ordre  plus  relevé.  Vallery- 
Radot,  dans  un  beau  livre,  La  Vie  de  Pasteur^ 
lui  a  élevé  un  monument,  qu'il  avait  déjà 
ébauché  d'ailleurs  dans  un  premier  volume  : 
M,  Pasteur  :  Histoire  d'un  savant  par  un  igno- 
rant ^ . 

Duclaux,  qui  fut  le  disciple,  l'ami  et  le  suc- 
cesseur du  Maître  à  l'Institut  Pasteur,  a  publié 
de  son  côté  un  livre  d'une  belle  allure  scienti- 
fique :  Pasteur  :  Histoire  dhin  Esprit  \ 


1.  Paris,  Hachette  et  G'%  1900. 
a.  Paris,  Hetzel  et  G".  i883. 
3,  Sceaux,  Ciiaraire  et  C»,  189 


VIII  PREFACE 


Ce  sont  des  ouvrages  que  devra  lire  qui- 
conque aura  le  désir  de  connaître  tout  Pasteur. 

L'auteur  de  cette  étude  doit  beaucoup  à  ces 
deux  ouvrages,  en  particulier  au  livre  si  docu- 
menté et  si  complet  de  Vallery-Radot.  A  ces 
sources,  il  convient  d'ajouter  les  comptes  rendus 
des  Académies  des  Sciences  et  de  Médecine,  les 
Annales  de  Physique  et  de  Chimie,  les  Bulletins 
des  Sociétés  de  Médecine  vétérinaire,  de  la 
Société  nationale  d'Agriculture  de  France,  des 
Sociétés  d^Agriculture  de  Melun,  de  Char- 
tres, l'Institut  Pasteur*, etc.. 

Une  grande  leçon  morale  se  dégage  de  toute 
étude  sur  Pasteur  :  c'est  la  puissance  de  l'effort, 
de  la  continuité  dans  l'effort. 

Nul  mieux  que  Pasteur  n'a  justifié  le  mot  si 
connu  de  Buffon  :  u  Le  génie  est  une  longue 
patience  ». 

C'est  pourquoi  l'auteur  dédie  plus  particu- 
lièrement le  présent  livre  à  la  jeunesse. 


i.  Paris,  Narcisse  Faucon,  h"],  rue  S'-Andrc  des  Arts. 


PASTEUR 


PREMIÈRE     PARTIE 

Son  origine. 


Louis  Pasteur  est  né  en  Franche-Comte,  à  Dole,  lo 
27  décembre  1822. 

Son  père,  Jean-Joseph  Pasteur,  ancien  sous-offi- 
cier  dans  les  armées  de  Napoléon  P',  exerçait  la 
profession  de  tanneur.  Trois  ans  après  la  naissance 
de  son  fils,  il  acheta  tine  petite  tannerie  à  iVrbois  et 
vint  se  fixer  dans  cette  ville. 

Les  ascendants  de  Pasteur  appartenaient  à  cette 
classe  de  serfs  qui  s'est  perpétuée  dans  le  Jura  jus- 
qu'à la  Révolution.  Le  grand-père  de  Pasteur, 
Claude-Etienne,  était  serf  d'un  comte  d'Udres- 
sier.  Il  acheta  son  affranchissement  en  17G3,  par 
devant  notaire,  à  Salins. 

«  Le  père  de  Pasteur,  dit  Vallery-Radot,  était  peu 
communicatif,  d'un  esprit  lent  et  réfléchi,  d'un  ca- 
ractère mélancolique,  semblant  toujours  vivre  d'une 
vie  intérieure...  Sa  mère,  en  môme  temps  que  très 

Pasteur  1 


2  PASTEUR 

laborieuse,  était  femme  d'imagination  et  prompte  à 
l'enthousiasme.  » 

Ces  détails  ne  sont  pas  sans  intérêt.  Nous  sommes 
en  effet,  dans  l'ordre  moral  comme  dans  l'ordre 
physique,  les  héritiers  de  nos  parents.  Quelque 
chose  d'eux  persiste  en  nous  :  leurs  idées,  leurs 
sentiments,  leur  caractère  ont  leur  répercussion  dans 
notre  propre  nature.  Nous  les  reproduisons  dans 
une  certaine  mesure,  avec  les  modifications  résul- 
tant des  circonstances  au  milieu  desquelles  se  dé- 
roule notre  propre  vie. 

Pasteur  n'oubliera  jamais  l'héritage  moral  que  lui 
avaient  légué  ses  parents.  Le  14  juillet  1883,  dans 
une  cérémonie  au  cours  de  laquelle,  à  Dole,  on  pla- 
çait une  plaque  commémorative  sur  la  maison  où  il 
était  né,  il  adressait  aux  siens,  à  leur  souvenir,  cette 
touchante  invocation  : 

«  Oh  !  mon  père  et  ma  mère  !  Oli  !  mes  chers 
disparus,  qui  avez  si  modestement  vécu  dans  cette 
petite  maison,  c'est  à  vous  que  je  dois  tout!  Tes 
enthousiasmes,  ma  vaillante  mère,  tu  les  as  fait 
passer  en  moi.  Si  j'ai  toujours  associé  la  grandeur 
de  la  science  à  la  grandeur  de  la  patrie,  c'est  que 
j'étais  imprégné  des  sentiments  que  tu  m'avais  ins- 
pirés. Et  toi,  mon  cher  père,  dont  la  vie  fut  aussi 
rude  que  ton  rude  métier,  tu  m'as  montré  ce  que 
peut  faire  la  patience  dans  les  longs  efforts.  C'est  à 
toi  que  je  dois  la  ténacité  dans  le  travail  quotidien. 
Non  seulement  tu  avais  les  qualités  persévérantes 


SON  ORIGINE 


qui  font  les  vies  utiles,  mais  tu  avais  aussi  l'admi- 
ratiou  des  grands  hommes  et  des  grandes  choses. 
Regarder  en  haut,  apprendre  au  delà,  chercher  à 
s'élever  toujours,  voilà  ce  que  tu  m'as  enseigné.  Je 
te  vois  encore,  après  ta  journée  de  labeur,  lisant  le 
soir  quelque  récit  de  bataille  d'un  de   ces  livres 


Maison  de  Pasteur,  à  Arbois. 


d'histoire  contcMuporaine  qui  te  rappelaient  l'époque 
glorieuse  dont  lu  avais  été  témoin.  En  m'apprenant 
à  lire,  tu  avais  le  souci  de  m'apprendre  la  grandeur 
de  la  France.  Soyez  bénis  l'un  et  l'autre,  mes  chers 
parents,  pour  ce  que  vous  avez  été,  et  laissez-moi 


4  PASTEUR 

VOUS  reporter  aujourd'liui   l'hommage  fait  à  cette 
maison.  » 

Cette  éloquente  apostrophe,  d'un  accent  si  ému, 
d'une  foi  si  sincère,  n'est-elle  pas  en  même  temps 
une  formelle  reconnaissance  de  la  loi  de  l'atavisme? 


Sa  jeunesse. 


Lorsque  l'âge  de  l'élude  fut  arrivé,  Pasteur  fré- 
quenta le  collège  d'Arbois.  Il  ne  fut  tout  d'abord 
qu'un  élève  moyeu,  sans  ardeur  bien  marquée  au 
travail,  n'ayant  de  goût  bien  prononcé  que  pour  le 
dessin.  Pendant  le  cours  de  ses  études,  il  fit,  par 
passe-temps,  le  portrait  de  beaucoup  de  gens,  pa- 
rents ou  amis,  et  il  était  arrivé  à  manier  le  crayon 
avec  une  certaine  habileté. 

Son  application  à  l'étude  ne  se  manifesta  qu'à 
dater  du  moment  où  il  aborda  les  sciences.  Dès 
lors  le  principal  du  collège  devina  que  ce  laborieux 
arriverait.  Il  lui  indiqua  comme  but  l'École  Nor- 
male supérieure. 

Plus  tard  Pasteur  devait  avoir  pour  collègue  à 
FAcadémie  un  mathématicien  de  grand  renom, 
Bertrand,  qui,  au  contraire  de  Pasteur,  avait  été 
d'une  précocité  véritablement  prodigieuse.  A  seize 
ans  il  était  docteur  es  sciences.  Sans  rabaisser  ce 
dernier,  qui  fut  un  mathématicien  éminent  doublé 
d'un  écrivain  distingué,  on  peut  du  moins  faire 
remarquer  combien  plus  féconde  devait  être  la 
carrière  de  Pasteur. 


6  PASTEUR 

Il  y  a  là  matière  à  réflexion.  «  La  culture  hâtive, 
en  effet,  dit  Herbert  Spencer,  a  lieu  au  détriment  du 
développement  futur.  De  là  celte  anomalie  assez 
commune  qui  nous  montre  des  enfants  qui  ont  été 
des  modèles  dès  le  premierâge  subissant,  à  mesure 
qu'ils  grandissent,  un  changement  en  apparence 
inexplicable  et  finissant  par  tomber  au-dessous  de 
la  moyenne  intellectuelle  et  morale,  tandis  que  les 
hommes  relativement  distingués  sont  souvent  le 
résultat  d'une  enfance  peu  riche  en  espérances.» 

En  vue  de  sa  préparation  à  l'École  Normale  su- 
périeure, Pasteur  se  résigna  à  partir  pour  Paris.  Il 
devint  interne  à  la  pension  Barbet  et  suivit  les 
cours  du  collège  Saint-Louis.  Mais  ce  Jurassien,  si 
fortement  imprégné  de  l'arôme  du  pays  natal  et 
transplanté  un  peu  à  contre-cœur  dans  un  milieu  si 
différent  du  sien,  se  laissa  gagner  par  la  nostalgie. 
«  Si  je  respirais  seulement  l'odeur  de  la  tannerie, 
disait-il,  je  sens  que  je  serais  guéri.  »  Averti,  son 
père  vint  le  chercher. 

Pasteur  fit  sa  rhétorique  à  Arbois  et  alla  ensuite 
au  collège  royal  de  Besançon  en  qualité  d'élève  de 
philosophie.  Il  passa  son  baccalauréat  es  lettres 
sans  éclat  et  demeura,  l'année  suivante,  comme 
maître  d'études  au  même  collège,  avec  un  modeste 
traitement  de  vingt-quatre  francs  par  mois.  Pour 
Pasteur  cela  représentait  déjà  une  [)etite  aisance; 
mais  il  ne  s'y  enlisa  pas  et  se  remit  à  songer  à  l'École 
Normale  supérieure. 


SA  JEUNESSE 


Il  se  trouvait  dans  les  meilleures  dispositions 
d'esprit,  et  celte  énergie  de  la  volonté,  celle  con- 
stance dans  l'effort  qui  devaient  être  lacaractéristi- 


Pasteur  à  21  ans. 


que  de  son  génie  s'affirmaient  dès  celle  époque.  Il 
enlretcnail  avec  sa  famille  une  correspondance 
suivie  et  ne  manquait  pas  d'encourager  au  travail 


8  PASTEUR 

ses  deux  sœurs,  moins  studieuses  que  lui.  Onsent^ 
que  les  conseils  qu'il  leur  donne  découlent  de  la 
règle  même  qu'il  s'est  déjà  tracée.  «  C'est  beaucoup, 
mes  chères  sœurs,  que  de  vouloir,  car  l'action,  le 
travail,  suit  toujours  la  volonté,  et  presque  toujours 
aussi  le  travail  a  pour  compagnon   le  succès.  » 

Il  fut  reçu  au  baccalauréat  es  sciences,  à  Dijon,  à 
la  suite  d'un  examen  plutôt  terne,  et  c'est  peut- 
être  un  des  griefs  les  plus  fondés  qu'on  puisse  faire 
aux  examens  en  général,  que  de  très  bons  esprits 
y  échouent  parfois  ou  n'y  réussissent  que  pénible- 
ment, alors  que  des  médiocres,  pourvus  de  quelque 
facilité,  s'en  tirent  avec  honneur. 

Pasteur  prit  part  ensuite  au  concours  d'entrée  à 
l'Ecole  Normale  et  fut  classé  quatorzième.  Mécon- 
tent de  ce  rang,  il  renonce,  bien  que  reçu,  au  béné- 
fice de  son  examen,  revient  à  Paris,  accompagné  de 
son  ami  Chappuis*  pour  refaire  sa  préparation,  re- 
prend sa  place  à  la  pension  Barbet  et  suit  de  nou- 
veau les  cours  du  collège  Saint-Louis.  11  assiste  en 
même  temps  aux  leçons  du  chimiste  J.-B.  Dumas  à 
la  Sorbonne,  et  entre  enfin  le  quatrième  à  l'École 
Normale  dans  la  section  des  sciences  (1843). 

Ce  succès  fut  une  cause  de  joie  et  de  légitime 
orgueil  pour  la  famille.  Mais  le  père  restait  préoc- 
cupé de  la  santé  de  son  fils  pour  lequel  il  redou- 


1.  Plus  tard  professeur  de   philosopliie  à  la  Faculté  des  Lettres  de 
Besançon,  puis  recteur  des  Académies  de  Grenoble  et  de  Dijon. 


SA  JEUNKSSE 


tait  l'excès  du  travail.  «  Dites  bien  à  Louis  de  ne 
pas  tant  travailler,  écrivait-il  à  Chappuis.  Il  n'est 
pas  bon  d'avoir  toujours  l'esprit  tendu.  Ce  n'est  pas 


Balard. 


lo  moyen  de  réussir,  c'est  le  moyen  de  compromet- 
tre sa  santé.  »  Cette  préoccupation  allait,  chez  le 
père,  jusqu'à  admettre  éventuellement  le  renonce- 
ment de  son  fils  à  ses  espéi-ances  d'avenir.  «  Vous 

Pasteur  2 


10  PASTEUR 

êtes,  croyez-moi,  de  pauvres  philosophes,  écrivait- 
il  une  autre  fois  à  Ghappuis,  si  vous  ne  savez  pas 
que  l'on  peut  è(re  heureux  dans  une  situation  mo- 
deste de  professeur  au  collège  d'Arhois.  » 

Louis  Pasteur,  heureusement,  avait  des  visées 
plus  hautes.  A  TÉcole  Normale,  il  s'adonna  à  la 
chimie.  11  eut  pour  professeurs  Balard  à  TEcole  et 
J.-B.  Dumas  à  la  Sorhonne.  Ce  fut  un  travailleur, 
il  avait  déjà  la  passion  des  recherches.  Il  devint 
agrégé  et,  grâce  à  Balard,  réussit  à  rester  à  l'École 
comme  préparateur  (1846).  Il  devait  y  trouver  plus 
de  facilités  pour  ses  expériences  et  la  préparation 
de  ses  thèses  de  doctorat. 


L'œuvre. 
Exposé  historique. 


Cristallographie. 

Pendant  son  séjour  à  l'École,  Pasteur  avait  élé 
frappé  d'une  noie  de  Mitscherlich,  minéralogiste 
allemand.  Celui-ci  annonçait  que  le  tartrate  et  le 
paralartrate  de  soude  et  d'ammoniaque,  avec  la 
même  composition  chimique,  la  môme  forme  cris- 
talline et  moléculaire,  n'agissaient  pas  de  la  môme 
manière  sur  la  lumière  polarisée. 

Cette  note  allait  ôtre  pour  Pasteur  le  point  de 
départ  d'une  série  d'études  qui  devaient  le  conduire 
à  ses  admirables  découvertes  scientifiques. 

Un  exposé  complet  de  la  question  ne  saurait  trou- 
ver place  ici,  mais  il  est  indispensable  d'en  donner 
un  aperçu. 

La  lumière  polarisée  est  la  lumière  rélléchiedans 
certaines  conditions.  L'acide  (artrique  dévie  la  lu- 
mière polarisée,  qui  reste  au  contraire  indifférente 
en  face  de  l'acide  paratartrique.  Dès  le  début,  Pas- 
teur avait  été  préoccupé  de  l'anomalie  particulière 
à  ces  deux  acides. 


w 


12 


PASTEUR 


La  note  de  Mitscherlich  déconcertait  d'autant 
plus  les  savants  qu'on  ne  savait  pas  produire  l'acide 
paratartrique  (appelé  aussi  acide  racémique),  que 
l'industrie  allemande  tirait  en  grande  partie  de 
Trieste. 

Pasteur  voulut  en  avoir  le  cœur  net.  «  J'irai  jus- 
qu'à Trieste,  disait-il,  j'irai  jusqu'au  bout  du 
monde  :  il  faut  que  je  découvre  la  source  de  l'acide 
racémique.  »  Il  se  mit  donc  à  l'œuvre  et  remarqua 


Cristaux  d'acides  tai tiiques  droit  et  gauche. 


que  les  cristaux  de  l'acide  tartrique  sont  hémièdres 
adroite,  ce  qui  rendait  les  tartrates  dissymétri- 
ques, tandis  que,  dans  le  paralartrate,  les  cristaux 
sont  hémièdres  les  uns  à  droite  et  les  autres  à  gau- 
che, d'où  la  neutralité  du  paratarlrate  dans  l'ap- 
pareil de  polarisation.  Ce  fut  pour  Pasteur  unedé- 
couverte  capitale.  «  Une  grande  route  neuve  et  im- 
prévue était  ouverte  à  la  science  »,  dit-il  lui-même. 
La  suite  fera  mieux  comprendre  la  portée  de  ces 
paroles. 

Après  une  pareille  découverte,  qui  témoignait  de 
la  fécondité  de  son  espi'it,  Pasteur  eût  dû  rester  à 


L'OEUVQE  n 


Paris.  iMais  l'admitiislration  universitaire  ne  voulut 
pas  transgresser  en  sa  faveur  les  règles  établi'^s,  et 
Pasteur  dut  accepter  la  chaire  de  physique  du  lycée 
de  Dijon.  Le  vieux  ciiiniisle  Diot,  qui  était  devenu 
comme  le  parrain  scienlifique  de  Pasteur  depuis 
celte  découverte,  ne  cacha  pas  son  indignation  : 
«  Ils  n'ont  pas  l'air  de  se  douter,  disait-il  en  par- 
lant des  bureaux,  que  des  travaux  pareils  domi- 
nent tout.  !> 

Pasteur  ne  fit  d'ailleurs  que  passer  au  lycée  de 
Dijon  :  le  professorat,  surtout  dans  l'enseignement 
secondaire,  est  trop  absorbanl.  Le  jeune  savant 
avait  hâte  de  se  livrer  de  nouveau  à  ses  études  de 
cristallographie.  Il  fut  nommé  professeur  suppléant 
de  chimie  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Strasbourg. 
C'est  là  qu'il  épousa,  à  l'âge  de  vingt-six  ans, 
M''^  Marie  Laurent,  fille  du  recteur  de  l'Académie. 

La  découverte  de  Pasteur  avait  établi  que,  con- 
Iratrement  à  l'affirmation  de  Milscherlich,  il  ne 
pouvait  y  avoir  dissemblance  de  caractère  optique 
s'il  y  avait  identité  de  forme  cristalline. 

En  1852,  après  avoir  vu  iMitscherlichà  Paris  et  en 
avoir  reçu  des  indications  sur  la  possibilité  de  trou- 
ver l'introuvable  acide  racémique,  il  partit  pour 
Leipzig  et  y  travailla  dix  ou  quinze  jours  dans  un 
laboratoire  de  l'Université.  Dans  ses  lettres  à  ma- 
dame Pasteur,  il  n'était  question,  on  le  suppose 
bien,  que  de  tartrate  et  de  paratartrate.  Il  s'adres- 
sait d'ailleurs  à  qui  savait  le  comprendre. 


U  PASTEUR 

Il  revint  en  France  par  Prague,  sans  avoir  été  à 
Trieste,  et.  à  force  tle  persévérance,  il  parvint  à  réa- 
liser cette  chose  qu'il  croyait  impossible  :  faire  de 
l'acide  racémique  avec  de  l'acide  tartrique.  «  Cette 
découverte  a  des  conséquences  incalculables  »,  écri- 
vait-il à  son  père,  toujours  confident  de  ses  travaux 
(l<"-juin  1833). 

La  fermentation. 

La  première  grande  découverte  de  Pasteur  avait 
été  celle  des  deux  acides  tartriques  nouveaux.  Il 
montra  les  relations  qui  existent  entre  eux  et  les 
deux  autres  acides  tartriques  déjà  coniuis,  ceux  du 
vin.  11  établit  ainsi  que  les  quatre  acides  tartriques 
ont  la  même  composition,  mais  sont  bien  distincts 
par  leur  symétrie  cristalline,  la  forme  de  leurs  cris- 
taux et  leur  action  sur  la  lumière  polarisée;  que, 
de  plus,  ils  sont  transformables  les  uns  dans  les 
autres. 

Cette  découverte  fut  féconde  entre  toutes,  car 
elle  a  décidé  du  sens  dans  lequel  Pasteur  dirigera 
désormais  ses  recherches.  Elle  introduisit  dans  la 
science  cette  idée  nouvelle  que  les  molécules  chi- 
miques qui  agissent  sur  la  lumière  polarisée  sont 
dissymétriques,  alors  que  dans  l'ordre  minéral,  les 
produits  sont  à  plan  symétrique. 

Pasteur  était  arrivé   à  cette  conviction  que  les 


L'ŒUVRE  15 


êtres  organisés  pruduisent  seuls  des  subslances 
ayant  une  action  sur  la  lumière  polarisée. 

Or  dans  la  fermentation  lactique,  il  se  forme  une 
petite  quantité  d'alcool  amylique  qui  tourne  à  gau- 
che la  lumière  polarisée.  Il  y  a  donc  dissymétrie, 
par  conséquent  cellules  vivantes.  Cette  conslalation 
ne  s'accordait  nullement  avec  les  théories  en  vogue, 
suivant  lesquelles  les  fermentations  étaient  dues 
soit  à  des  matières  albuminoïdesen  voie  de  décom- 
position, soit  à  des  actions  de  contact.  C'est  ainsi 
que  Pasteur  fut  amené  à  s'occuper  des  fermenta- 
tions. 

On  n'avait  aucune  idée  de  ce  que  pouvait  être 
scientifiquement  la  fermentation,  phénomène  resté 
étrange  et  obscur.  La  fermentation  était-elle  l'effet 
de  la  décomposition  des  matières  organiques  sous 
l'action  de  l'oxygène  de  l'air?  Telle  était  du  moins 
la  théorie  du  chimiste  allemand  Liebig,  générale- 
ment adoptée.  Elle  rejetait  l'idée  que  la  fermenta- 
tion pouvait  être  produite  par  un  ferment  doué  de 
vie. 

En  1851,  Pasteur  était  devenu  doyen  de  la  Fa- 
culté des  Sciences  de  Lille.  Sur  la  demande  d'un 
industriel,  il  fut  amené  à  s'occuper  de  fermentation 
alcoolique.  Picvenu  à  TÉcole  Normale  comme  admi- 
nistrateur en  1857,  il  put,  quoique  dans  de  mau- 
vaises conditions  matérielles,  se  livrer  à  des  recher- 
ches et  aborder  enfin  le  problème. 

D'où  viennent  les  ferments  ? 


16 


PASTEUR 


Dans  une  communicalion  de  décembre  1858  à 
l'Académie  des  Sciences,  le  directeur  du  musée 
d'histoire  naturelle  de  Rouen,  Pouchet,  déclarait 
qu'il  pouvait  faire  naître  des  animalcules  dans  un 
milieu  privé  d'air.  C'était  l'affirmation  de  la  géné- 
ration spontanée. 

Pasteur  dirigea  ses  recherches  dans  cette  voie. 
Il  commença  par  constater,  au  moyen  d'expériences 
de  laboratoire,  qu'il  y  a  dans  l'air  des  corpuscules 


Ballons  Pasteur  pour  conserver  les  liquides  h  l'abri  de  l'air. 


organisés.  Un  liquide  putrescible  placé  à  l'abri  de 
Tair  reste  pur.  La  mise  en  contact  de  ce  même 
liquide  avec  l'air  ou  avec  des  germes  provenant  de 
l'air,  détermine  au  contraire  la  contamination  et, 
par  suite,  la  fermentation. 

Pour  éviter  les  objections  on  substitua  au  coton 
qui  avait  servi  à  filtrer  l'air  et  qui  est  matière  or- 
ganique de  la  bourre  d'amiante  On  prit  de  l'air 
dans  les  caves,  sur  le  mont  Pou  pet  (près  de  Salins), 
sur  la  Mer  de  Glace  dans  les  Alpes:  partout  l'expé- 
rience fut  concluante,  c'est-à-dire  que  l'air  des 
couches  inférieures  est  toujours  chargé  de  germes 


L'ŒUVRE 


17 


en  aboiulance,  tandis  que  l'air  dos  régions  calmes 
et  des  grandes  altitudes  peut  êlre  et  est  souvent 
dépourvu  de  corpuscules. 


/\ 


v^ 


...Bourre 
d'amiante 


\J) 


Tube  à  bourre  d'amiante  pour  arrêter  les  microbes. 

Pasteur  rechercha  alors  si  le  germe  n'était  pas 
de  nature  animée.  Il  reconnut  précisément  la  pré- 
sence du  forment  doué  de  vie  dans  la  fennenlation 
lactique,  ainsi  qu'on  l'a  vu  plus  haut. 

Ces  animalcules,  ces  cellules,  avaient  déjà  été  re- 
marqués auparavant;  mais  ce  qui  avait  été  jugé 
purement  accidentel  et  indifférent  jusque-là  devint 
pour  Pasteur  la  cause  même  du  phénomène.  Pour- 
suivant ses  recherches,  il  découvrit  que  ces  êtres 
organisés  vivantS;,  qui  constituent  les  ferments,  peu- 
vent dans  certains  cas  —  dans  l'acide  butyrique, 
par  exemple  —  vivre  et  se  développer  sans  air,  sans 
oxygène  par  conséquent.  Il  distingua  dès  lors  ces 
deux  catégories  différentes  de  cellules  par  deux 
mots  d'origine  grecque  (jue  lui  fournit  Glachant,  pro- 
fesseur à  rÉcole  Normale'.  Les  aérobies  furent  les 


1.  Ou  Chassangl?). 
Pasteur 


PASTEUR 


cellules  qui  ne  peuvent  vivre  sans  oxygène,  sans 
air,  et  les  anaérobies,  celles  qui,  au  contraire,  vivent 
sans  air. 

Poussant  plus  loin  sa  découverte,  Pasteur  recon- 
nut que  les  aérobies  n'avaient  pas  la  même  action 
ou  capacité  fermentescible  que  les  autres.  Les  vrais 
agents  de  fermentation  sont  les  anaérobies. 

Pasteur  ne  fut  pas  sans  rencontrer  des  contradic- 
teurs. Si  on  l'avait  chicané  à  propos  de  Fhémiédrie, 
la  question  des  ferments  ne  pouvait  pas  ne  pas  sou- 
lever une  opposition  beaucoup  plus  acerbe.  Les 
adversaires  furent  nombreux.  En  première  ligne 
il  faut  rappeler  le  docteur  Bouilland  et  Liebig'. 

Le  docteur  Bouilland  demanda  ce  que  deviennent 
les  ferments  lorsque  leur  œuvre  de  décomposition 
est  achevée  :  «  Quels  sont  les  ferments  des  fer- 
ments ?  »  A  quoi  Pasteur  répondit,  multipliant  les 
expériences,  que  les  ferments  deviennent  à  leur 
tour  amas  de  matière  organique,  donnant  lieu 
aux  phénomènes  déjà  décrits:  Dans  la  masse  repa- 
raissent les  anaérobies  et,  à  la  surface,  les  aérobies. 
C'est  le  mouvement  indéfini  de  la  matière  organi- 
que, dont  la  décomposition  renferme  le  germe  de 
vie. 

C'est  la  preuve  que,  même  au   plus  bas  de  l'é- 


1.  Les  démêlés  de  Pasteur  avec  les  savants  forment  la  trame  même 
de  Thistoire  de  sa  vie  scientifique.  On  les  retrouvera  dans  le  cours  de 
cet  ouvrage. 


L'ŒUVRE  19 

clielle  des  êtres  vivants,  la  vie  ne  dérive  jamais  que 
de  la  vie. 

La  génération  spontanée. 

Si  nulle  décomposition,  nulle  fermentation  de 
matière  organique  n'a  lieu  que  par  l'action  de  ger- 
mes vivants,  que  devient  la  doctrine  de  la  généra- 
tion spontanée  ? 

Jusque-là  on  avait  cru  que  la  matière  organique 
en  décomposition  était  susceptible  d'ongendrer  des 
êtres  vivants.  Mais  la  vie,  d'après  cette  théorie,  se 
créait  elle-même  sans  germe.  C'était,  suivant  la  dé- 
finition donnée  dans  sa  thèse  par  C.  Musset,  élève 
de  Joly,  professeur  de  physiologie  à  Toulouse, 
«  c'était  non  pas  une  création  faite  de  rien,  mais 
bien  la  production  d'un  être  organisé  nouveau,  dé- 
nué de  parents  et  dont  les  éléments  primordiaux 
sont  tirés  de  la  matière  organique  ambiante.  » 

Pasteur,  par  ses  précédentes  études,  se  trouvait 
placé  en  face  du  problème.  11  s'était  déjà  demandé 
d'où  vient  le  germe  qui  provoque  la  fermentation. 
En  1858  Pouchet,  on  l'a  vu  précédemment,  s'était 
déclaré  partisan  de  la  génération  spontanée.  Il  fon- 
dait sa  conviction  sur  ses  observations  personnelles. 
Pasteur,  au  contraire,  était  amené  à  nier  la  géné- 
ration spontanée,  qui  élait  une  doctrine  en  quelque 
sorte  officielle,  un  dogme  scientifique. 


20  PASTEUR 

Entreprendre  de  détruire  ce  dogme  n'était  pas 
facile  et  il  ne  manqua  pas  de  gens  pour  dissuader 
Pasteur  d'aborder  cette  élude.  Biot  et  Dumas  eux- 
mêmes  essayèrent  de  l'en  détourner. 

Pasteur,  entraîné  par  sa  foi  dans  sa  méthode,  par 
son  irrésistible  besoin  de  ne  pas  laisser  sans  solu- 
tion une  question  aussi  importante,  attaqua  réso- 
lument le  problème.  Pour  lui  la  théorie  de  la  géné- 
ration spontanée  n'avait  que  la  valeur  d'un  vieux 
préjugé:  elle  n'en  serait  que  plus  difficile  à  déraci- 
ner, mais  celte  considération  n'était  pas  pour  le 
faire  reculer. 

Il  avait  proposé  à  Pouchet  de  faire  une  expé- 
rience en  commun  devant  l'Académie,  qui  suivait  le 
débat  avec  un  vif  intérêt.  Pouchet  se  déroba. 

Alors  Pasteur  fit  à  la  Sorbonne,  devant  une  salle 
comble  et  un  auditoire  d'élite,  une  conférence  qui  de- 
vait avoir  un  retentissement  énorme  (1864).  11  fit  voir 
l'inanité  de  l'expérience  par  laquelle  Pouchet  croyait 
avoir  démontré  victorieusement  la  génération  spon- 
tanée. Il  refit  l'expérience  dans  d'autres  con- 
ditions, éliminant  les  causes  d'erreur  auxquelles 
Pouchet  n'avait  pas  pris  garde.  Il  arriva  ainsi  à 
établir  que  l'air  est  bien  le  véhicule  du  microorga- 
nisme indispensable  à  toute  fermentation,  et  que  la 
génération  spontanée  est  une  chimère,  selon  sa 
propre  expression.  Les  expériences  de  Pasteur  ] 
furent  si  décisives  et  si  irréfutables,  il  triompha  ' 
d'une  façon  si  éclatante  qu'il  finit,  comme  l'a  dit 


L'ŒUVRE  21 


Paul  Hert,  par  «  enclouer  tous  les  canons  de  ses 
adversaires  ». 

L'Académie  des  Sciences  décerna  à  Pasteur  le 
prixqu'elle  avait  établi,  en  1860,  en  faveur  de  ce- 
lui qui  jetterait  un  jour  nouveau  sur  la  question 
des  générations  spontanées. 

Pouchet  n'avait  d'ailleurs  pas  abandonné  la  lutte 
pour  cela.  11  proposa  une  contre-expérience,  que 
Pasteur  s'empressa  d'accepter;  mais  après  avoir 
soulevé  maintes  difficultés,  Pouchet  finit  par  se  dé- 
rober encore  une  fois,  comme  l'avait  fait  Liebig 
auparavant,  comme  le  feront  encore  bien  d'autres 
dans  la  suite. 


La  résistance. 

Les  discussions  sur  la  génération  spontanée 
avaient  franchi  l'enceinte  du  laboratoire  et  des 
Académies.  La  question  était  agitée  dans  la  presse, 
elle  animait  les  conversations  dans  les  salons,  elle 
avait  pris  un  caractère  philosophique  et  religieux. 
Edmond  About  n'avait-il  pas  écrit,  après  la  confé' 
rence  de  la  Sorbonne  :  «  M.  Pasteur  a  prêché  en 
Sorbonne  au  milieu  d'un  concert  d'applaudisse- 
ments qui  a  dû  faire  plaisir  aux  anges  ». 

Pasteur  proclamait  que  la  fermentation  est  un 
acte  vital,  que  «  la  vie  est  le  germe,  et  le  germe,  la 
vie»,  c'est-à-dire, pouremprunler  le  langagescien- 


22  PASTEUR 

tifique,  que  la  vie  seule  est  capable  de  créer  de 
toutes  pièces  des  dissymélries  nouvelles.  Cette  doc- 
trine, qui  «  parlait  dans  le  môme  sens  que  la 
Bible  »,  remarque  Duclaux,  contrariait  certaines 
opinions  philosophiques  fort  on  vogue.  C'était,  pour 
le  dire  en  un  mot,  une  doctrine  anli-libérale. 

Car  enfin  si  le  germe  est  la  vie  et  si  la  vie  est  le 
germe,  d'oi^i  vient  la  première  vie?  qui  a  créé  le 
premier  germe? 

Pour  Pasteur,  la  question  était  du  ressort  de  la 
religion  et  la  science  n'avait  pas  à  s'en  préoccuper, 
11  voulait  bien  rechercher  les  causes  secondes, 
mais  non  la  cause  première.  Quand  on  est  arrivé 
aux  bornes  extrêmes  de  la  science,  au  seuil  de  Fin- 
connaissable,  la  raison  doit  faire  place  au  senti- 
ment, car  «  le  cœur  a  des  raisons  que  la  raison  ne 
connaît  point  ». 

Pasteur  fut  encore  obligé,  quelques  années  plus 
tard,  de  reprendre  la  question,  mais  scientifique- 
ment cette  fois.  Claude  Bernard,  auprès  duquel  il 
avait  toujours  trouvé  la  plus  sincère  sympathie,  qui 
l'avait  encouragé  et  applaudi,  avait,  avant  de  mou- 
rir, laissé  des  notes  dans  lesquelles  il  prétendait 
que  la  fermentation  alcoolique  pouvait  se  produire 
sans  cellule,  qu'il  n'y  avait  pas  de  vie  sans  air,  que 
l'alcool  se  formait  au  moyen  d'un  ferment  soluble, 
en  dehors  de  la  vie.  Ces  notes  n'étaient  à  la  vérité 
que  des  notes  d'expérimentation  et  non  des  résul- 
tats en  état  d'être  publiés. 


L'ŒUVRE 


23 


Pasteur  se  montra  très  ému  de  cette  manifesta- 
tion posthume,  non  imputable  à  Claude  Bernard 
d'ailleurs:  celui-ci  n'avait  jamais  fait  d'objection  <à 
Pasteur,  qui  avait  toujours  eu  de  la  vénération  pour 


Cliuuie  Bernaid. 


son  ancien  maître.  Par  respect  pour  la  mémoire  du 
grand  savant,  il  institua  de  nouvelles  expériences, 
afin  de  détruire  encore  une  fois  l'erreur  qui  se  dres- 
sait devant  lui  et,  comme  toujours,  il  prit  pour 
juge  l'Académie.  11  se  servit  du  raisin  de  ses  vignes 
d'Arbois  pour  obtenir  la   fermentation  alcoolique, 


2i  PASTEUR 


et  il  prouva  une  fois  de  plus  que  les  résultats  aux- 
quels il  était  arrivé  précédemment  étaient  sans 
appel. 

Ces  résultats  étaient  que,  non  seulement  toute 
fermentation  est  corrélative  de  vie,  mais  aussi,  con- 
séquence nécessaire  et  capitale,  que  chaque  ferment 
Qsi  spécifique,  c'est-à-dire  qu'il  ne  produit,  dans  les 
mêmes  conditions,  que  des  réactions  toujours  les 
mêmes  :  le  ferment  lactique  fabriquant  de  Tacide 
lactique;  le  ferment  butyrique,  de  l'acide  butyri- 
que; le  ferment  alcoolique,  de  l'alcool;  etc.. 
C'étaient  autant  de  voies  nouvelles  qui  s'ouvraient. 


Applications  des  théories  de  Pasteur. 

LE  VINAIGRE 

Pasteur  ne  formulait  pas  seulement  des  théories 
nouvelles;  il  s'efforçait  aussi  de  tirer  de  ses  expé- 
riences des  conséquences  pratiques.  Il  porta  son 
attention  sur  le  vinaigre,  dont  la  fabrication  était 
restée  routinière  et  empirique.  Il  en  était  de  même 
du  reste  de  la  bière  et  du  vin,  ainsi  qu'on  le  verra 
plus  loin. 

Pour  Liebig,  la  fermentation  d'où  provenait  le  vi- 
naigre tenait  à  la  présence  dans  le  vin  de  matières 
de  naturealbuminoïde  ou  azotée.  Pasteur  détruisit 


L'OEUVRE  25 


cette  erreur  en  montrant  que  l'acétification  résulte 
du  contact  de  l'air,  les  aérobies  fixant  l'oxygène  sur 
l'alcool  et  le  transformant  en  acide  acétique. 

Celte  démonstration  intéressait  au  plus  haut 
point  l'industrie  orléanaise.  Invité  par  le  maire  de 
la  ville  à  venir  faire  une  conférence  (1867)  sur  les 
résultats  de  ses  études  touchant  cette  industrie. 
Pasteur  apprit  aux  intéressés  à  fabriquer  rapide- 
ment le  vinaigre.  Il  suffit  pour  cela  de  mélanger, 
dans  la  proportion  de  1  partie  pour  3  ou  4,  du 
vinaigre  au  vin,  et  d'introduire  dans  ce  mélange  une 
petite  quantité  de  la  matière  cryptogamique  qui  se 
manifeste  à  la  surface  du  vinaigre  en  voie  de  for- 
mation. La  matière  cryptogamique,  le  mycoderme, 
est  donc  le  ferment  du  vinaigre. 

Pasteur  réalisa  une  autre  amélioration.  Il  sup- 
prima le  tonneau-mère  servant  à  la  fabrication  et 
dont  la  mise  en  train  et  l'entretien  exigeaient  du 
temps  et  des  soins  minutieux  «.  A  la  place  fut  ins- 
tallée une  cuve  où  se  fait  le  mélange  du  vin  et  du 
vinaigre,  auquel  on  ajoute  le  mycoderme.  La  pro- 
duction se  trouve  augmentée  de  85  à  90  pour  cent. 

Liebig  s'éleva  contre  la  théorie  pastorienne  de 
l'acétification,  comme  il  s'était  élevé  antérieurement 


1 .  Tonneau  rempli  aux  deux  tiers  d'un  mélange  de  vinaigre  déjà  fabri- 
qué et  de  vin  à  acélifler.  A  la  surface  du  liquide  se  formait  une  pel- 
licule mince  et  fragile,  qu'il  fallait  maintenir  intacte  :  c'est  le 
mycoderme  du  vinaigre.  On  ne  l'obtenait  qu'au  prix  de  grandes  difll- 
cuUés . 

Pasteur  4 


26  PASTEUR 

contre  la  théorie  générale  de  la  fermentation.  Pas- 
teur offrit  de  refaire  ses  expériences  devant  lui  avec 
les  substances  qu'il  aurait  lui-même  fournies. 
Liebig  se  déroba. 

LE    VIN 

A  Arbois,  Pasteur  s'était  occupé  de  chercher  un 
remède  préventif  aux  diverses  maladies  du  vin:  la 
tourne,  l'amer,  la  graisse.  On  n'était  pas  fixé  sur  la 
nature  de  ces  maladies.  Le  savant  en  attribua  la 
cause  à  un  micro-organisme  spécial,  à  des  ferments 
particuliers  à  chaque  maladie.  Pour  les  détruire,  il 
eut  recours  au  chauffage  au  bain-marie  à  55  ou 
GO  degrés.  Le  résultat  fut  conforme  aux  prévi- 
sions. 

Une  commission  de  dégustation  fut  appelée,  en 
4865,  à  se  prononcer  sur  divers  échantillons  :  l'opé- 
ration fut  concluante.  Le  chauffage,  sans  altérer  le 
vin,  anéantit  les  organismes  microscopiques  qui 
causent  la  maladie.  L'industrie  vinicole  devait 
profiter  de  cette  découverte,  de  même  que  le  com- 
merce d'exportation  par  mer. 

LA   BIÈRE 

Pasteur  fit  sur  la  bière  les  mêmes  études  que  sur 
le  vin  et  donna  le  moyen  de  préserver  la  bière  des 
maladies  qui,  la  corrompant  rapidement,  empê- 
chent sa  conservation. 


L'ŒUVRE  27 

Venu  en  Auvergne  après  la  guerre  pour  passer 
une  saison  à  Royat,  Pasteur  eut  là  une  excellente 
occasion  de  s'occuper  de  cette  boisson  fermentée  : 
une  brasserie  existait  près  de  là,  à  Chamalières. 

Pour  la  bière  comme  pour  le  vin,  les  procédés 
de  fabrication  ne  relevaient  que  de  la  routine  et 
beaucoup  de  détails  ne  se  traitaient  que  par  tâton- 
nements. Pasteur,  qui  avait  réduit  à  néant  la  part 
du  hasard  dans  les  fermentations,  appliqua  sa 
méthode  à  la  bière,  et  le  résultat  fut  tel  qu'on 
pouvait  l'attendre. 

Dès  le  commencement  d'août  il  faisait  envoyer 
de  Chamalières  à  J.-B.  Dumas  douze  bouteilles  de 
bière  traitée  selon  ses  indications  :  «  J'espère, 
disait-il,  que  même  en  la  comparant  aux  bonnes 
bières  des  cafés  de  Paris,  vous  la  trouverez  très 
agréable  ». 

Cette  même  année  Pasteur  alla  continuer  ses 
expériences  dans  une  grande  brasserie  de  Londres. 
Ses  constatations,  en  ce  qui  concernait  les  vices  de 
fabrication,  eurent  un  résultat  immédiat.  La  levure 
fut  observée  au  microscope  et  l'on  fut  à  même  d'en 
reconnaître  la  qualité.  Dans  la  brasserie  le  micro- 
scope devint  un  instrument  indispensable.  Huit 
jours  après  l'intervention  de  Pasteur,  il  n'entrait 
plus  dans  la  fabrication  londonnienne  que  de  la 
levure  exempte  de  micro-organismes  nuisibles. 

Bertin,  sous-directeur  à  l'École  Normale,  ami  et 
compatriote  de  Pasteur,  mettait  une  note  de  gaîté 


28  PASTEUR 

dans  la  vie  du  grand  savant.  C'était  un  amateur  de 
bière.  Il  trouvait  et  disait,  moitié  sérieux  moitié 
riant,  que  la  bière  du  quartier  Latin  avait  encoie 
meilleur  goût  que  la  bière  traitée  scientifiquement. 
Pasteur  essayait  de  raisonner.  «  Donne-moi  d'abord 
un  bock,  disait  Berlin,  tu  m'instruiras  ensuite.  » 

Pasteur  mettait  à  profit  l'expérience  de  Bertin 
en  dégustation  pour  chercher  des  perfectionne- 
ments. Il  analysait  des  échantillons  des  bières  les 
plus  réputées  de  Paris  et  trouvait  toutes  ces  bières 
détestables  sinon  pour  le  goût,  du  moins  comme 
fabrication.  Il  alla  jusqu'à  Tantonville  pour  con- 
firmer ses  observations  et  il  put  bientôt  poser  en 
principe  absolu  que  toute  bière  qui  ne  contient 
aucun  germe  doit  rester  inaltérable. 

Pour  atteindre  ce  but  il  faut,  au  moyen  du 
microscope,  reconnaître  la  levure  et,  d'autre  part, 
recourir  au  chauffage.  Ce  sont  là  les  procédés  de 
pasteurisation  qui  sont  devenus  d'usage   courant. 

Grâce  à  Pasteur,  les  bonnes  bières  françaises 
sont  aujourd'hui  au  niveau  des  meilleures  bières 
allemandes  et  autrichiennes.  Mais  Pasteur  voyait 
déjà  plus  loin,  et  c'est  en  cela  que  se  révèle  son 
génie:  «  Ces  nouvelles  études  sur  la  bière,  écri- 
vait-il deux  ans  après,  reposent  sur  les  mômes 
principes  qui  ont  servi  de  guide  à  mes  recherches 
sur  le  vin,  le  vinaigre  et  la  maladie  des  vers  à  soie, 
principes  dont  la  fécondité  et  les  applications  sont, 
à  mon  avis,  sans  limites.  L'étiologie  des  maladies 


L'ŒUVRE  29 

contagieuses  est  peut-être  à  la  veille  d'en  recevoir 
une  lumière  inattendue.  «  Peut-être  »,  écrivait-il 
en  1876.  «  C'est  fait  »,  disait-il  en  1881  *. 

LE  VER  A  SOIE 

Pendant  un  séjour  à  Arbois  au  cours  duquel  Pas- 
teur s'appliquait  à  trouver  un  remède  préventif 
aux  diverses  maladies  du  vin,  J.-B.  Dumas  lui  écri- 
vit de  vouloir  bien  se  mettre  à  la  recherche  des  cau- 
ses, et  par  suite,  du  remède  à  la  maladie  des  vers 
à  soie. 

Dans  un  rapport  au  Sénat,  Dumas  écrivait  : 
«  CEufs,  vers,  chrysalides,  papillons,  la  maladie 
peut  se  manifester  dans  tous  les  organes.  D'où 
vient-elle?  on  l'ignore.  Gomment  s'inocule-t-elle? 
on  ne  le  sait.  »  Qui  donc  pourrait  la  reconnaître  et 
la  guérir?  Pasteur,  se  dit-il,  en  est  seul  capable,  et 
Dumas  lui  ouvrit  son  cœur  :  «  11  faut  sauver  le  pays 
d'Alais  !  »  C'était  le  moment  où  les  résultats  déjà 
acquis  de  ses  recherches  sur  les  ferments  offraient 
à  Pasteur  une  carrière  inespérée  de  succès.  C'était 
le  moment  où,  après  les  avoir  fait  sortir  de  la  nuit 
obscure  où  ils  coexistaient,  les  infiniment  petits  lui 
apparaissaient  infiniment  grands  et  redoutables. 
Pasteur  n'hésite  pas.  11  écrit  à  Dumas  :  «  Vos  bon- 
tés pour  moi  me  laisseraient  des  regrets  amers, 

1.  M.  Louis  Passy.à  la  Société  nalionaîe  (V Agriculture  de  France,  190i. 


30 


PASTEUR 


si  je  refusais  votre  pressante  invitation.    Disposez 

de  moi.  » 

Depuis  une  vingtaine  d'années  la  pébrine  éten- 
dait ses  ravages  à  l'étranger  comme  en  France.  Pas- 


Le  ver  à  soie.  En  haut  :  papillon  et  chenille.  En  bas  :  cocon 
et  nymphe  extraite  de  celui-ci. 


teur  se  rendit  à  Alais,  ou  mieux  à  Pont-Gisquet,  et 
se  mit  à  l'œuvre  aussitôt.  Il  observa  les  taches  et 
les  corpuscules  qu'il  voyait  dans  les  cocons,  les  pa- 
pillons et  les  vers  ;  il  fit  des  expériences  compara- 
tives, sans  trop  se  soucier  des  résistances  ou  des  ini- 


L'ŒUYRE  31 

patiences  qui  se  manifestaient  autour  de  lui.  11  arriva 
à  cette  conclusion  que  les  papillons  atteints  de  la 
pcbrine  produisent  des  œufs,  de  la  graine  ou  se- 
mence d'où  sortent  infailliblement  des  vers  ma- 
lades. 

Il  fit  mettre  de  côté  un  lot  de  semence  saine  sur 
laquelle  devaient  porter  ses  observations  au  prin- 
temps suivant.  Lorsqu'il  revint,  il  fut  à  même  de 
se  former  cette  conviction  qu'il  n'y  avait  «  pas  de 
maladie  actuelle  du  ver  à  soie,  mais  seulement 
une  exagération  d'un  état  de  choses  qui  a  tou- 
jours existé.  » 

Comme  conclusion,  il  déclara  qu'il  ne  fallait  re- 
cueillir que  des  graines  saines,  c'est-à-dire  issues 
de  papillons  non  corpusculeux.  Cette  sélection,  faite 
au  moyen  du  microscope,  était  à  la  portée  de  tous, 
d'une  femme  ou  môme  d'un  enfant. 

Les  travaux  de  Pasteur  sur  la  maladie  du  ver  à 
soie  durèrent  cinq  ans.  Chaque  année  il  revenait  à 
Pont-Gisquet  pour  se  rendre  compte  des  résultats 
obtenus.  Il  ne  tarda  pas  à  se  prononcer  d'une  façon 
définitive  sur  la  pébrine.  Cette  maladie  est  bien  duc 
à  des  corpuscules;  il  suffisait,  pour  y  parer,  d'éli- 
miner les  mauvaises  graines. 

Toutefois,  au  cours  des  dernières  expériences, 
une  nouvelle  maladie  apparut  qui  causa  une  vive 
déception  à  Pasteur.  Il  constata,  en  ce  qui  concerne 
la  pébrine,  que  ses  conclusions  étaient  d'une  exac- 
titude inattaquable.  Mais  il    fallut  se  livrer  à  de 


32  PASTEUR 


nouvelles  observations  sur  la  seconde  maladie,  la 
flacherie  ou  mort-flat. 

Pasteur  finit  cependant  par  en  découvrir  le  mi- 
cro-organisme dans  l'estomac  du  papillon,  après  la 
ponte.  Lorsque  ce  germe  existe,  il  faut  sacrifier  les 
œufs. 

La  pébrine  est  une  maladie  endémique  qui 
devait  disparaître  par  la  mise  en  pratique  des 
sages  prescriptions  de  Pasteur.  La  flacherie  est  une 
maladie  héréditaire,  dont  la  cause  première  tient  à 
la  présence  de  germes  sur  les  feuilles  de  mûrier 
données  en  nourriture  aux  vers. 

Pasteur  avait  rencontré,  au  cours  de  sa  longue 
campagne  dans  le  Gard,  une  opposition  qui  s'était 
traduite  parfois  d'une  façon  très  vive.  On  alla  jus- 
qu'à dire  une  fois  à  Lyon  qu'il  avait  dû  quitter 
Alais  précipitamment  pour  ne  pas  être  lapidé.  Le 
fait  n'était  heureusement  pas  vrai,  mais  le  bruit 
qui  en  avait  couru  n'en  laisse  pas  moins  deviner  de 
quelles  hostilités  Pasteur  se  trouvait  entouré. 

C'est  d'ailleurs  un  sort  commun  à  tous  les  bien- 
faiteurs de  l'humanité  que  de  voir  la  malveillance 
répondre  à  leurs  efforts  pour  le  bien.  Pasteur  res- 
sentait vivement  l'injustice  des  critiques  violentes 
dont  il  était  l'objet.  Peut-être  faut-il  voir  là  une 
des  causes  de  l'attaque  de  paralysie  dont  il  fut 
frappé  en  1868  et  dont  par  bonheur  il  se  releva 
au  bout  de  quelques  mois,  tout  en  gardant  une 
légère  claudication.  Mais  enfin  ses  adversaires  les 


L'ŒUVRE  33 


plus  déclarés  dans  le  Midi,  les  marchands  de  graine, 
durent  déposer  les  armes  et  la  science  enregistra 
une  victoire  de  plus  (1869). 

Sur  la  demande  du  maréchal  Vaillant,  Pasteur 
fut  invité  par  l'empereur  à  se  rendre  à  la  Villa 
Vicentina,  en  lllyrie,  domaine  du  prince  impérial, 
où  l'industrie  du  ver  à  soie  tenait  une  place  pré- 
pondérante. Pasteur  emporta  trois  cents  grammes 
de  bonne  graine  prise  à  Alais  en  passant,  et,  dès  la 
première  année,  le  résultat  fut  merveilleux.  De  zéro, 
le  rendement  passa  à  plus  de  vingt-cinq  mille 
francs.  C'était  une  nouvelle  preuve  à  l'appui  de  sa 
découverte,  s'il  en  eût  été  besoin. 

En  1872  la  Société  nationale  d'Agriculture  le 
reçut  conmie  membre  et  le  plaça  dans  In  section 
des  Cultures  spéciales,  où  siège  presque  toujours  un 
représentant  de  la  sériciculture. 


La  médecine  vétérinaire. 


Le  moment  était  venu  pour  Pasteur  de  pénétrer 
dans  un  nouveau  domaine,  celui  de  la  médecine.  La 
liaison  entre  ces  nouvelles  études  et .  les  travaux 
antérieurs  du  savant  n'apparaît  peut-être  pas  de 
prime  abord.  Mais  si  l'on  réfléchit  que  les  maladies 
infectieuses  peuvent  être  dues  à  l'action  d'un  mi- 
cro-organisme, absolument   comme   les   fermenta- 

Pasteui"  5 


34  PASTEUR 


lions,  que,  clans  un  cas  comme  dans  l'autre,  la 
décomposition  résulte  d'un  ferment,  on  saisit  aus- 
sitôt le  rapport  entre  la  fermentation  et  certaines 
maladies. 

C'est  en  chimiste  que  Pasteur  va  aborder  la 
partie  médicale  de  son  œuvre  et  cette  circonstance 
sera  une  des  raisons  de  l'opposition  qu'il  rencon- 
trera auprès  des  spécialistes  de  l'art  de  guérir. 

On  a  vu  déjà  que  tous  les  pas  faits  par  Pasteur 
dans  le  chemin  où  il  s'était  engagé  avaient  été  mar- 
qués par  un  obstacle;  chaque  progrès  réalisé  avait 
pour  ainsi  dire  été  emporté  de  haute  lutte. 

Quand  il  s'agira  pour  lui  d'aborder  la  médecine, 
il  se  heurtera  à  des  susceptibilités  et  à  des  partis- 
pris  plus  irréductibles  encore,  et  la  lutte,  tout  en 
se  tenant  dans  des  sphères  plus  élevées,  ne  perdra 
rien  pour  cela  de  son  acuité. 

LE  CHARBON 

A  l'époque  oi^i  ce  récit  nous  reporte,  le  charbon 
ou  sang  de  rate  causait  de  terribles  ravages  parmi 
les  troupeaux,  les  troupeaux  de  moutons  en  parti- 
culier, qui  perdaient  aunuellement  jusqu'à  vingt 
pour  cent  de  leur  effectif. 

Dans  certaines  provinces,  il  y  avait  des  pacages 
particulièrement  redoutés  ;  on  les  appelait  «  mon- 
tagnes maudites,  champs  maudits».  Beaucoup  de 
moutons  y  contractaient  la   terrible   maladie.  11  en 


L'ŒUVRE  35 

coûtait  des    centaines  de  mille  francs  aux   pays 
éprouvés. 

Un  médecin,  le  docteur  Davaine,  avait  découvert 
depuis  longtemps  (1850),  dans  le  sang  des  animaux 
morts  du  charbon,  de  petits  corps  filiformes,  des 
bâtonnets,  qu'il  appelait /'fzc/mf/zV^.  Il  se  demanda 


Sporos  et  bacilles  du  charbon. 


si  ces  corpuscules  n'agissaient  pas  comme  ferments 
et  n'étaient  pas  la  cause   de  la  maladie. 

Deux  professeurs  du  Yal-de-Gràce,  Jaillard  et 
Leplat,  s'élevaient  contre  cetle  théorie.  L'inocula- 
tion du  sang  d'un  animal  mort  du  charbon  à  un 
lapin  faisait  bien  mourir  ce  dernier,  mais  dans  le 
sang  du  lapin  ne  se  retrouvaient  pas  les  bactéritlies. 
Paul  Bert  lui-même  crut  pouvoir  déclarer,  après 
expériences,  que  la  bactéridie  ne  donnait  pas  le 
charbon. 

C'est  à  ce  moment  que  Pasleur  intervint.  Il  eut 
recours  aux  bouillons  de  culture  (liquides  appro- 
priés dans  lesquels  les  micro-organismes  se  conser- 


36  PASTEUR 

vent  et  se  multiplient),  et  il  put  constater  que  les 
bâtonnets  d'une  goutte  de  sang  de  rate  se  repro- 
duisaient indéfiniment  dans  les  cultures  successives. 
Cette  même  bactéridio,  tout  en  se  reproduisant, 
donne  aussi  des  spores  ou  germes.  Cette  dernière 
constatation  esta  retenir,  la  spore  jouant  un  rôle 
considérable,  ainsi  qu'on  le  verra. 

Le  microbe. 

Au  milieu  des  conflits  ardents  auxquels  donnait 
lieu  la  question  du  charbon,  le  docteur  Sédillot, 
grand  partisan  de  Pasteur,  proposa  le  nom  de  mi- 
crobe (équivalent  d'animalcule)  pour  désigner  les 
infiniment  petits  d'ordre  pathogénique.  Pasteur 
l'adopta,  comme  il  avait  déjà  adopté  aérobie  et 
anaérobie. 

Il  est  bon  de  se  faire  une  idée  exacte  de  ces  ani- 
malcules ou  micro-organismes,  êtres  infiniment  pe- 
tits, si  petits  qu'il  faut  les  grossir  plusieurs  centai- 
nes de  fois  avec  le  microscope  pour  les  apercevoir, 
et  si  rapidement  féconds  que  souvent  on  n'arrive 
pas  à  mesurer  l'étendue  de  leur  multiplication. 

Pasteur  était  dès  lors  maître  de  son  sujet.  Il  était 
fixé  sur  la  nature  du  charbon  et  sur  le  rôle  du  mi- 
crobe dans  l'étiologie  de  cette  maladie.  Cependant 
certain  phénomène  avait  échappé  un  moment  à  sa 
sagacité  et  l'avait  déconcerté.  C'était  l'absence  de 


L'ŒUVRE  37 


bactéritlies  dans  le  sang  des  animaux  morts  du 
charbon  qui  avaient  servi  aux  opérations  de  Jail- 
lard  et  de  Leplat. 

Il  avait  en  dernier  ressort  triomphé  de  cette  dif- 
ficulté et,  avec  son  esprit  de  généralisation,  il  se 
trouva  en  état  de  donner  la  théorie  de  la  contagion 
par  le  microbe.  Ce  fut  l'objet  d'une  note  qu'il  rédi- 
gea en  collaboration  avec  MM.  Joubert  et  Chamber- 
land  et  qu'il  lut  à  l'Académie  le  30  avril  1878. 

Cette  note  était  un  véritable  manifeslequi  rap- 
pelait, par  son  importance  scientifique  et  son  éclat, 
la  célèbre  conférence  de  la  Sorbonne. 

Pasteur  y  dévoilait  le  mystère  de  la  contagion. 

La  contagion  est  due  à  Tanaérobie,  au  corpus- 
cule-germe, qui  forme  à  l'abri  de  l'air  un  amas  de 
poussière  septique.  Cette  poussière,  devenue  libre, 
est  transportée  soit  par  l'air,  soit  plutôt  par  les 
objets  auxquels  elle  s'attache,  et  redevient,  quand 
le  milieu  est  favorable,  ferment,  c'est-à-dire  agent 
de  putréfaction.  Ce  corpuscule-germe  est  le  vi- 
brion septique,  celui  que,  dans  les  expériences  de 
PouilIy-le-Fort',  le  ver  de  terre  ramènera  du  sous- 
sol  à  la  surface^  celui  qui  enfin  produisait  les 
((  champs  maudits  ». 

Un  certain  nombre  de  praticiens,  stimulés  par 
les  travaux  de  Pasteur,  expérimentaient  pour  leur 
propre  compte,  mais  comme  ils  n'avaient  pas  lasû- 

1 .  Voir  page  42. 


38  PASTEUR 

reté  de  main  du  maître,  ni  sa  foi  dans  sa  méthode, 
les  résultats  auxquels  ils  aboutissaient  ne  concor- 
daient pas  toujours  avec  ce  que  Pasteur  avait  dit. 

Un  professeur  de  l'École  vétérinaire  d'Alfort^ 
Colin,  homme  de  grand  mérite,  affirma  un  jour  que 
les  poules  pouvaient  contracter  le  charbon,  con- 
trairement à  une  assertion  antérieure  de  Pasteur. 
Celui-ci  mit  son  contradicteur  au  défi  de  lui  pré- 
senter une  poule  charbonneuse.  Colin  releva  le 
défi. 

Pendant  plusieurs  mois,  chaque  fois  qu'il  ren- 
contrait Pasteur,  celui-ci  mettait  une  malicieuse 
insistance  à  lui  réclamer  la  poule  promise.  Colin 
différait  toujours.  Enfin  il  finit  par  avouer  qu'il 
n'avait  pas  réussi  à  inoculer  le  charbon  aux  poules. 
«  Eh  bien,  dit  Pasteur,  c'est  moi  qui  vous  porterai 
un  jour  à  Alfort  une  poule  charbonneuse.  » 

Quelque  temps  après  Pasteur  faisait  à  l'Académie 
la  démonstration  promise.  11  expliqua  que  les  oi- 
seaux ne  pouvaient  contracter  le  charbon  en  raison 
de  leur  température,  supérieure  de  quelques  de- 
grés à  la  température  du  corps  de  toutes  les  es- 
pèces animales  que  le  charbon  peut  décimer.  Pour 
réussir.  Pasteur  avait  plongé  la  partie  inférieure 
du  corps  de  la  poule  dans  un  bain  froid,  de  manière 
à  ramener  la  température  de  42  à  37  degrés. 


L'ŒUVUE  39 


GIIOLKRA  DES  POULES 

En  1880  Pasteur  fut  amené  à  s'occuper  du  cho- 
léra des  poules.  C'est  une  maladie  commune  et  fa- 
cile à  reconnaître.  Pasteur  a  observé  lui-mêmeque 
((  l'animal  en  proie  à  cette  affection  est  sans  force? 
chancelant,  les  ailes  tombantes.  Les  plumes  du 
corps  soulevé  lui  donnent  la  forme  d'une  boule; 
une  somnolence  invincible  l'accable.  » 

Le  ferment  decctte  maladie  est  un  microbe  parti- 
culier appelé  microcoque  ;  il  est  aérobie.  Pasteur 
trouva  le  bouillon  de  culture  qui  lui  est  propre,  en 
fit  une  curieuse  expérience  et,  finalement,  se  rendit 
maître  de  ce  virus. 


Vaccination. 

On  avait  déjà  remarqué  que,  dans  les  maladies 
virulentes,  l'immunité  résultait  ordinairementd'une 
première  atteinte  du  mal,  c'est-à-dire  qu'on 
n'a  pas  deux  fois  la  variole,  la  scarlatine  ou  la 
diphtérie.  N'est-ce  point  que  la  maladie  préserve 
elle-même  contre  une  rechute?  Et  ne  pouvait-on 
pas  conférer  la  même  immunité  en  ayant  recours  à 
un  virus  atténué,  c'est-à-dire  non  susceptible  de 
donner  la  mort?  11  y  avait  déjà,  il  est  vrai,  la  vac- 
cination contre  la  variole  ;  mais  on  ne  s'était  jamais 


40  PASTEUR 


rendu  scientifiqueiiientcomptedela  façon  dont  agis- 
sait le  vaccin. 

En  s'occupant  du  choléra  des  poules.  Pasteur 
avait  remarqué^  au  moyen  d'une  vieille  culture  ou- 
bliée, mais  bonne  encore  pour  l'ensemencement, 
qu'on  pouvait  inoculer  des  poules  sans  leur  donner 
la  mort,  ce  qui  n'arrivait  pas  avec  des  cultures 
fraîches. 

11  avait  remarqué  aussi  que,  dans  les  inoculations 
expérimentales,  la  mortalité  était  en  proportion  in- 
verse de  l'âge  de  la  culture,  c'est-à-dire  de  l'atté- 
nuation obtenue.  En  d'autres  termes,  plus  la  cul- 
ture vieillissait,  moins  son  action  était  énergique. 

On  était  sur  la  voie  de  la  vaccination,  des  virus- 
vaccins.  L'atténuation  ainsi  obtenue  est  artificielle: 
c'est  le  virus  modifié  par  l'oxygène  de  l'air,  qui 
affaiblit  et  éteint  la  virulence,  tandis  que  la  même 
culture,  mise  en  tube  fermé,  reste  virulente.  Ce  qui 
revient  à  dire  que  les  aérobies  eux-mêmes  sont  tués 
par  l'oxygène  en  excès.  Cet  oxygène,  qui  va  les 
brûler  partiellement,  si  on  le  donne  en  doses  mé- 
nagées et  pendant  un  temps  suffisant,  affaiblira  peu 
à  peu,  c'est-à-dire  atténuera  le  virus,  qui  devien- 
dra ainsi  un  vaccin.  Telle  est  la  genèse  du  vaccin 
du  choléra  des  poules. 

Mais  il  n'en  allait  pas  de  même  pour  la  bactéri- 
die,  le  virus  charbonneux,  que  l'air  atmosphérique 
n'influence  pas.  Pasteur  arriva  néanmoins  à  l'atté- 
nuation par  un  réglage  de  température:  à  45  de- 


L'ŒUVRE 


41 


grés  plus  de  cultures,  à  42  ou  43,  cultures  pos- 
sibles, mais  sans  formation  de  spores. 


Globule  blanc  dévorant  une  bactéridie  du  charbon 
(d'après  Melclinikoff). 


Cette  découverte,    pressentie  par    Toussaint  et 
Chauveau,  causa  une  vive  émotion  à  Pasteur.  11  fit 


Metchnikoff. 


une  communication  à  l'Académie  de  Médecine  au 
sujet    du   vaccin    du  charbon,    il  montrait   qu'au 

Pasteur  6 


42  PASTEl R 

moyen  des  procédés  d'atténuation  on  pouvait  obte- 
nir toute  une  gamme  de  vaccins  appropriés  aux 
différentes  espèces,  du  cobaye  au  cheval  [)ar  exemple. 

Quelle  est  donc  la  théorie  de  l'immunisation?  Le 
docteur  russe  Melchnikoff  l'a  expliquée  plus  tard, 
en  révélant  le  rôle  des  globules  blancs  du  sang  appe- 
lés leucocytes.  Le  leucocyte  englobe  parfois  le  mi- 
crobe et  le  digère;  il  annihile  le  germe  pathogène, 
il  devient  ainsi  phagocyte. 

Parfois  aussi  le  leucocyte  succombe  dans  la  lutte  : 
alors  l'organisme  est  envahi.  Mais  quand  le  leuco- 
cyte triomphe,  l'organisme  est  en  quelque  sorte  ha- 
bitué aux  toxines  du  microbe:  de  là,  pour  l'ani- 
mal, la  force  de  résistance,  c'est-à-dire  l'immunité. 

Expériences  de  Pouilly-le-Fort. 

Un  vétérinaire  de  Melun,  Rossignol,  rédacteur  à 
((  la  Presse  Vétérinaire  »,  s'était  montré  quelque 
peu  sceptique  jusque-là  au  sujet  delà  nouvelle  doc- 
trine des  microbes,  que,  comme  beaucoup  d'autres, 
il  appelait  la  microbiâtrie.  Mais  Rossignol,  d'ori- 
gine bourguignonne,  avait  du  Bourguignon  l'esprit 
attentif  et  le  sens  pratique;  il  était  capable  de 
s'aviser  et  aussi  de  se  raviser.  Aussi,  quand  il 
avait  adopté  une  idée,  son  adhésion  pouvait  aller 
jusqu'à  l'enthousiasme. 

En  parlant  de  microbiâtrie.  Rossignol  avait  sans 


L'ŒUVRE 


43 


doute  sacrifié  à  la  mode.  Il  avait  aussi  obéi  à  ce 
premier  mouvement  de  résistance  qu'il  faut 
attendre  de  tout  professionnel,  quand  on  le  place 


Rossignol. 


en  face  d'une  idée  nouvelle  qui  dérange  toute  sa 
technique. 

Mais  à  peine  Pasteur  eut-il  fait  sa  communica- 
tion à  l'Académie,  que  Rossignol  eut  l'idée  d'insti- 
tuer des  expériences  en  grand  pour  vérifier  la  nou- 
velle théorie  de  la  vaccination  charbonneuse.  La 
Société  d'Agriculture  de  Melun  couvrit  cette  initia- 
tive de  son  patronage.  La  Brie,  en  effet,  de  même 


41  PASTEUR 

que  la  Beauce,  payait  un  large  tribut  à  la  terrible 
maladie. 

Le  président  de  la  Société  d'Agriculture,  le  baron 
de  la  Rochette,  alla  faire  une  proposition  d'expé- 
riences au  grand  savant,  qui  accepta  et  traça  lui- 
même  le  programme:  —  lot  de  GO  moutons;  — 


î"     . 


; .  ,]fe^}  .•;,  i^'^'^r'4* 


i^âu 


Ferme  de  PouilIy-le-Fort 
(ancien  manoir  d'isitbeau  de  Bavière). 


25  subiront  à  intervalle  deux  inoculations  de  virus 
atténué  (devant  conférer  l'immunité)  ;  —  25  reste- 
ront intacts.  — Ensuite:  inoculation  virulente  aux 
50  moutons  (les  25  vaccinés  préventivement,  c'est- 
à-dire  immunisés  devaient  rester  indemnes;  les  25 
non  immunisés  devaient  périr).  10  moutons  étaient 


L'ORUVRR  45 

réservés  comme  témoins.  Venait  enfin  la  question 
de  l'enfouissement:  enclos  palissade  dans  lequel 
seront  enfouis  les  moutons  morts  et  où  seront  par- 
qués, l'année  suivanle,  des  moutons  immunisés  et 
des  moutons  neufs:  ceux-ci  devaient  mourir  du 
charbon  en  raison  du  contage  par  le  sol,  tandis  quo 
les  immunisés  résisteraient.  Dans  un  enclos  voisin 
où  il  n'y  aurait  pas  eu  d'enfouissement,  d'autres 
moutons,  neufs  également,  resteraient  indemnes. 
Le  baron  de  la  Rochette  fit  adjoindre  10  vaches  à 
l'expérience. 

Le  5  mai  1881,  il  y  avait  grande  affluence  à  la 
ferme  de  Pouilly-le-Fort,  propriété  de  Rossignol, 
près  de  Melun.  Les  expériences  eurent  lieu  confor- 
mément au  programme  arrêté.  La  première  inocu- 
lation faite,  Pasteur  fut  prié  de  prendre  la  parole 
séance  tenante.  Devant  un  auditoire  attentif  et 
intéressé,  il  improvisa,  sur  l'objet  même  de  la 
réunion,  une  causerie  qui  frappa  vivement  les 
esprits. 

Le  17  mai  eut  lieu  la  deuxième  inoculation  de 
virus  atténué.  Pasteur  était  plein  de  confiance.  Si 
le  succès  est  tel  que  je  l'attends,  écrivait-il  à  son 
gendre,  «  ce  sera  un  des  plus  beaux  faits  de  science 
et  d'application  de  ce  siècle,  consacrant  une  des 
plus  grandes  et  des  plus  fécondes  découvertes  ». 

Le  31  mai,  vingt-six  jours  après  la  première 
inoculation,  on  pratiqua  l'injection  virulente,  au 
milieu    d'une    assistance    nombreuse.    Beaucoup 


46  PASTEUR 


demeuraient  encore  incrédules,  défiants,  même 
hostiles.  Dans  un  groupe,  le  matin,  à  Melun,  on  était 
allé  jusqu'à  «  boire  au  fiasco  de  Pasteur  ».  On  se 
demande  qui  pouvait  avoir  intérêt  à  ce  «  fiasco  ».  .4 
voir  cette  violence  de  passion  aveugle  et  stupide 
dans  le  domaine  de  la  science,  on  ne  doit  pas  être 
surpris  des  animosités  et  des  haines  qui  se  déchaî- 
nent sur  d'autres  terrains. 

Le  1"  juin  fut  une  journée  d'observation  et 
d'attente.  Toutefois,  le  soir.  Rossignol  avait  télé- 
graphié qu'une  des  brebis  qui  avaient  été  préven- 
tivement vaccinées  paraissait  malade.  Ce  fut  une 
nuit  de  vive  anxiété  pour  Pasteur.  Mais  le  lende- 
main arrivait  la  dépêche  triomphante  :  tous  les 
animaux  qui  n'avaient  pas  été  immunisés  devaient 
succomber  dans  la  journée.  Les  autres  restaient 
sains  et  saufs.  «  Succès  épatant  !  »  ajoutait  Rossignol 
en  terminant  sa  dépêche.  «  La  joie  était  au  labo- 
ratoire »,  disait  Pasteur  lui-même.  Celui-ci  arriva 
à  2  heures  à  Pouilly-le-Fort  ;  il  fut  accueilli  par  des 
ovations  chaleureuses  :  c'était  un  enthousiasme 
indescriptible. 

Après  le  succès. 

Cependant  le  gouvernement  ne  restait  pas  indif- 
férent :  il  offrit  à  Pasteur  le  grand  cordon  de  la 
Légion  d'honneur.  Pasteur  accepta,  mais  à  la  con- 


L'OEUVJîE 


47 


dition  que  ses  deux  collaborateurs,  RouxetGham- 
berland,    seraient    décorés.   M'"^  Pasteur    pouvait 


Rossignol  vaccinant  un  mouton. 

bientôt  écrire  :  «  Grandeau  vient  d'annoncer  au 
laboratoire  que  Roux  et  Ghamberland  sont  décorés 
et  que  Pasteur  est  grand-cordon.  On  s'est  embrassé 
cordialement  au  milieu  des  cochons  d'Inde  et  des 
lapins.  » 


48  PASTEUR 

La  Société  d'Agriculture  de  Melun,  qui  avait 
fourni  à  Pasteur  le  moyen  de  remporter  cette  belle 
victoire,  qui  avait  par  conséquent  été  à  la  peine, 
voulut  être  aussi  à  l'honneur.  Cet  honneur  pourelle 
consista  dans  la  remise  solennelle  d'une  médaille 
d'or  au  grand  savant.  La  cérémonie  eut  lieu  dans 
la  grande  salle  du  Musée  de  Melun.  Le  baron  de  la 
Rochette  célébra  comme  il  convenait  les  travaux 
de  Pasteur.  Celui-ci  répondit  en  se  félicitant  de  la 
distinction  dont  il  était  l'objet  :  «  Cette  médaille, 
je  la  transmettrai  à  mes  enfants  comme  un  témoi- 
gnage toujours  présent  de  ce  que  peuvent  le  tra- 
vail et  la  persévérance  dans  l'elfoit.  La  persévé- 
rance dans  l'effort  vers  un  noble  but,  voilà  le  secret 
du  succès,  parce  qu'en  demeurant  longtemps  dans 
les  choses,  on  acquiert  une  sorte  d'instinct  du 
vrai.  •  11  continua  en  remerciant  de  son  généreux 
concours  Rossignol,  «  un  des  vétérinaires  de  France 
les  plus  distingués  »,  et  en  présentant  un  tableau 
des  résultats  déjà  obtenus  dans  la  région  par  les 
vaccinations  de  juillet,  août  et  septembre.  Dans  ces 
trois  mois,  la  vaccination  avait  préservé  quatre 
cents  moutons. 

Cette  séance  fut  suivie  d'un  banquet  où  les  toasts 
furent  nombreux,  il  n'est  pas  besoin  de  le  dire. 
Bouley,  membre  de  l'Institut  et  Inspecteur  général 
des  Écoles  vétérinaires",  qui  savait  être  spirituel  à 

1.  Bouley  a  été  pour  Pasteur  ua  partisan  et  un  auxiliaire  si  plein  de 


L'ŒUVRE 


49 


l'occasion,  commença  ainsi  :  «  Messieurs,  je  suis 
tenté  de  m'écrier,  comme  au  troisième  acte  de  Lu- 
crèce Borgia  :  —  Vous  êtes  tous  empoisonnés!..... 


Bouley. 


Ah!  fait-on  autour  de  lui.  —  En  effet,  reprend-il 


foi  et  d'enthousiasme  qu'on  ne  saurait  séparer  son  sou\enir  de  celui 
du  Maître.  «  Bouley  était  ardent  et  st-duisant,  a  dit  de  lui  M.  Louis 
Passy  (Bîilletin  des  séances  de  la  Société  nationale  d'Agriculture  de 
France,  no  H,  1904)  ;  il  était  orateur,  il  était  écrivain.  L'un  était  égal 
à  l'autre.  Quand  il  parlait,  il  faisait  briller  la  vivacité  de  son  esprit  ; 
mais  quand  il  professait,  il  faisait  peser  sur  ses  auditeurs  le  poids  de 
ses  convictions.  Pendant  quarante  ans  il  fut  un  des  maîtres  de  la 
presse  scientifique  :  il  devint  le  serviteur  des  doctrines  pastoriennes.  » 


Paiteur 


50  PASTEUR 

si  VOUS  voulez  bien  jeter  les  yeux  sur  ce  menu, 
vous  y  remarquerez  ce  plat  redoutable  :  selle  de 
mouton  inoculé,  à  la  Montmorency.  » 

Pasteur,  toujours  grave,  toujours  préoccupé  de 
ses  travaux,  avait  dit  :  «  L'initiative  que  vous  avez 
prise  l'an  dernier  pour  combattre  le  charbon  a  la 
fécondité  de  tout  ce  qui  est  vrai.  Qui  sait  si  nous- 
mêmes  nous  ne  viendrons  pas,  encouragés  par  votre 
bienveillance,  solliciter  un  jour  votre  jugement 
pour  la  prophylaxie  de  la  rage  ou  d'autres  maladies! 
Résoudre  ces  questions  est  peut-être  au-dessus  des 
forces  dans  l'état  actuel  de  la  science.  Qu'importe  ! 
Aux  grandes  difficultés  il  faut  opposer  les  longs 
espoirs.  Si  la  joie  est  dans  le  succès,  la  vertu  est 
dans  l'effort.  » 

Pasteur  devait  encore  s'associer  aux  tentatives 
faites  par  Rossignol,  avec  le  concours  de  la  Société 
d'Agriculture,  pour  arriver  à  la  vaccination  de  la 
péripneumonie  chez  les  animaux,  et  pour  rechercher 
si  l'immunité  du  vaccin  chai'bonneux  est  (ransmis- 
sible  de  la  mère  au  fœtus. 

Quant  aux  moutons  parqués  l'année  suivante  dans 
l'enclos  dont  le  sous-sol  avait  reçu  les  cadavres  des 
moutons  morts  du  charbon  à  la  suite  des  expé- 
riences de  1881,  ils  se  comportèrent  exactement 
comme  Pasteur  l'avait  prévu.  Les  moulons  immu- 
nisés furent  indemnes,  les  moulons  neufs  mouru- 
rent du  charbon,  et  les  moutons  témoins,  dans  un 
enclos  voisin  non  souillé,  restèrent  bien  portants. 


L'ŒUVRE 


En  trois  mois,  après  les  expériences  de  Pouilly- 
le-Fort  dénommé  désormais  le  Clos-Pasteur,  on 
avait  vacciné  32550  moutons  et  un  grand  nombre 
de  hœufs,  de  vaches  et  de  chevaux:  25100  avaient 
été  laissés  comme  témoins.  Les  résultats  obtenus 
à  Pouilly-le-Fort  furent  confirmésdans  la  pratique. 

Enfin  il  faut  ajouter  que  la  vaccination  charbon- 
neuse a,  la  première,  répandu  dans  le  public  la  foi 
dans  la  science  des  microbes. 

Les  expériences  de  Pouilly-le-Fort  avaient  eu  en 
France  un  retentissement  bien  compréhensible  ; 
elles  avaient  provoqué  une  explosion  d'enthou- 
siasme. Dès  le  lendemain  on  venait  proposera  Pas- 
teur de  partir  pour  Le  Cap,  afin  d'y  étudier  une 
maladie  contagieuse  qui  sévissait  sur  les  chèvres. 
Pasteur  se  montrait  disposé  à  y  aller.  Il  avait  l'in- 
tention de  recueillir  en  passant,  au  Sénégal,  quel- 
ques germes  de  fièvre  pernicieuse.  Mais  il  fut 
retenu  par  sa  famille,  qui  trouvait  que  le  grand 
savant  avait  de  quoi  s'occuper  en  France. 

Cependant  les  adversaires  ne  se  rendaient  pas 
encore.  On  admettait  le  succès  de  Pouilly-le-Fort  à 
titre  d'expérience  de  laboratoire,  c'est-à-dire  à  titre 
d'expérience  faite  avec  un  virus  préparé.  Mais 
qu'arriverait-il  si  l'on  inoculait  du  sang  pris  sur 
l'animal  charbonneux  après  sa  mort? 

Ce  qui  arriverait? 

Pasteur  le  fît  voir  dans  des  expériences  qui  eu- 
rent lieu  près  de  Chartres.   Le  succès  fut  le  même 


52  PASTEUR 

qu'à  Melun.   «  C'est  un  hosanna  poussé  par    tout 
le  monde  en  votre  honneur  »,  lui  écrivait  Bouley. 

LE   DOCTEUR    KOCH 

Les  théories  de  Pasteur  sur  le  virus  et  son  atté- 
nuation trouvaient  des  contradicteurs  au  dehors, 
notamment  à  Berlin.  A  la  tête  de  ces  derniers  était 
le  docteur  Koch.  Pasteur,  qui  recherchait  la  lutte 
quand  il  s'agissait  de  défendre  ses  découvertes,  de 
faire  éclater  la  vérité,  proposa  à  l'École  vétérinaire  de 
Berlin  défaire  des  expériences  devant  une  commis- 
sion nommée  par  le  gouvernement  allemand.  Cette 
commission  fut  en  effet  constituée  avec  Virchow 
comme  président,  et  Thuillier,  muni  de  tubes,  se 
rendit  à  Berlin. 

Sur  ces  entrefaites  la  ville  de  Genève  invita  Pas- 
teur à  assister  à  un  congrès  scientifique;  une  séance 
devait  lui  être  réservée  pour  faire  une  communica- 
tion sur  ses  travaux.  Pasteur  accepta. 

Au  congrès  il  s'efforça  de  faire  surgir  des  contra- 
dicteurs. «  Permettez-moi,  dit-il,  dechoisir  parmi  eux 
celui  dont  le  mérite  personnel  a  le  plus  de  droits  à 
votre  attention  :  je  veux  parler  du  docteur  Koch, 
de  Berlin  »  (5  septembre  1882). 

Koch  déclina  toute  discussion,  disant  qu'il  se  ré- 
servait de  répondre  plus  tard  par  écrit.  Koch  ré- 
pondit en  effet  plus  tard  ;  il  acceptait  l'atténuation 
du  virus,  mais  il  doutait  toujours  des  résultats  pra- 
tiques de  la  vaccination  préventive. 


L'CEUVUE  53 

Pasteur  répondit  par  des  faits,  en  s'appuyant 
notamment  sur  un  rapport  de  Boutet  à  la  Société 
agricole  et  vétérinaire  de  Cliartres,  d'après  lequel 
les  résultats  de  la  vaccination  ne  pouvaient  plus 
laisser  aucun  doute.  Quant  aux  autres  objections  de 
Koch,  Pasteur  y  réponditaussi,  non  sans  âpreté,  en 
exprimant  son  entière  confiance  dans  le  succès. 

INGIDEiNT    DE   TURIN 

Ea  188:2  s'était  produit  un  incident  à  Turin. 

Des  professeurs  de  l'École  vétérinaire  de  cette 
ville  avaient  inoculé  des  moutons  en  se  servant  du 
sang  d'un  animal  mort  du  charbon  depuis  plus  de 
vingt-quatre  heures.  Tous  les  moutons  inoculés 
étaient  morts,  bien  qu'ils  eussent  été  préalablement 
immunisés.  Les  Turinois  firent  grand  bruit  de  l'in- 
cident. 

Pasteur,  dans  une  lettre  qu'il  communiqua  à 
l'Académie,  essaya  de  faire  comprendre  aux  Turi- 
nois la  faute  scientifique  qu'ils  avaient  commise  :  il 
leur  proposa  même  d'aller  à  Turin  pour  la  leur  faire 
toucher  du  doigt.  Les  Turinois  se  dérobèrent. 

Pasteur  expliqua  leur  échec  dans  une  séance  de 
la  Société  d'Agriculture  de  Melun,  le  23  juin  de  la 
même  année. 

«  Si  l'expérimentateur  ne  s'entoure  pas  de  toutes 
les  précautions,  dit-il,  il  s'expose  à  des  mécomptes. 
Je  n'en  veux  pour  preuve  que  ce  qui  vient  de  se 


gj  PASTEUR 


passer  à  l'École  de  Turin.  Tout  dernièrement  plu- 
sieurs professeurs  de  cette  École  ont  voulu  procéder 
à  des  expériences  sur  la  vaccination  charbonneuse  et 
celles-ci  n'ont  pas  réussi.  La  première  et  la  deuxième 
vaccinations  se  sont  faites  sans  le  moindre  accident  ; 
mais  à  l'inoculation  de  contrôle  qui  se  pratique  avec 
du  virus  très  virulent,  des  vaccinés  et  des  non  vac- 


Microbe  de  la  septicémie. 

cinés  sont  morts  des  suites  de  cette  inoculation.  Ce 
casa  fait  grand  bruit. . .  Les  professeurs  de  l'École 
de  Turin  ignoraient  un  point  capital  qui  est  celui-ci  : 
—  Quand  un  animal  meurt  du  charbon,  son  sang  est 
plein  de  bacléiidies,  uniquement  de  bactéridies. 
Vient-on  à  inoculer  ce  sang  1  heure,  2,  3, 4, 5  heures 
et  même  15  heures  après  la  mort,  il  est  toujours 
charbonneux,  il  ne  donne  asile  à  aucun  autre  élé- 
ment morbide.  On  l'inocule  :  on  a  le  charbon.  Mais  20 
heures  après  la  mort,  ce  sang  se  modifie,  il  devient 
septique  et  charbonneux,  renferme  par  conséquent 
les  germes  de  deux  maladies  bien  distinctes.  En 


L'ŒUVRE 


inoculant  ce  sang  on  donne  donc  simiiltanémerit 
deux  maladies:  la  septicémie  et  le  charbon;  mais 
comme  la  seplicémie  agit  encore  d'une  façon  plus 
foudroyante  que  le  charbon,  l'animal  meurt  de  sep- 
ticémie. 

A  Turin,  l'animal  destiné  à  fournir  la  matièi^e  vi- 


Les   bicnfiuts   rendus   par   Pasteur  à    rAgriciiUure. 
(bas-relief  du  monument  de  Pasteur,  à  Arbois.) 

rulente  meuit  le  22  mars  au  matin  et  il  n'est  ou- 
vert que  le  23  dans  l'après-midi,  par  conséquent 
plus  de  24  heures  après  la  mort.  Il  n'y  a  donc  pas 
lieu  de  s'étonner  si  les  vaccinés  n'ont  pas  été  plus 
préservés  que  les  témoins,  » 

On  peut,  en  conséquence,  distinguer  deux  espè- 
ces de  charbon,  le  charbon  symptomatique  et  la 
fièvre  charbonneuse.  C'est  le  vibrion  septique 
qui  avait  fait  mourir  les  moutons  de  Turin,  comme 
ceux  de  Jaillard  et  Leplat,  et  aussi  de  Paul  Bert.  Il 


56  PASTEUR 

s'agit  ici  du  vibrion  de  la  septicémie  ou  bactérie 
septique.  Cette  bactérie  habite  perpétuellement 
l'intestin  des  herbivores;  elle  pullule  sur  les  cada- 
vres, se  développe,  et  les  lésions  qu'elle  détermi- 
ne ressemblent  à  celles  de  la  fièvre  charbonneuse. 

Pasteur,  comme  on  l'a  vu,  avait  achevé  sa  vic- 
toire par  les  expériences  de  Pouilly-le-Fort  et  de 
Chartres.  Mais  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  science 
officielle  ne  se  rendait  pas  encore  complètement. 

A  l'Académie  de  Médecine,  Peter  et  Fauvel  avaient 
recommencé  la  lutte.  Bouley  défendit  Pasteur  avec 
vigueur:  «  Quand  je  vois  la  science  faire  de  pareil- 
les conquêtes,  s'écria-t-il,  je  m'incline  plein  de  res- 
pect et  d'admiration  devant  l'homme  à  qui  la 
science  en  est  redevable,  et  si  c'est  là  du  fétichisme, 
de  l'idolâtrie,  je  ne  crains  pas  de  dire  que  je  suis 
idolâtre.  » 

Pendant  que  l'Académie  discutait  toujours  la  mé- 
thode pastorienne,  les  villes  de  France,  dans  les  ré- 
gions agricoles,  témoignaient  leur  reconnaissance 
au  grand  savant.  Telle  est,  entre  autres,  la  ville 
d'Aurillac,  où  les  médecins  tinrent  à  honneur  d'ac- 
cueillir et  de  fêter  Pasteur,  qu'ils  appelèrent  «  le 
bienfaiteur  de  l'humanité.  »  i 

LE  ROUGET  DU  PORC 

De  retour  à  Paris  après  le  congrès  de  Genève, 
Pasteur  avait  été    invité  à  s'occuper   du  rouget, 


L'OEUVRK  57 

maladie  du  porc,  qui  désolait  alors  la  région  de 
Bollène,  dans  le  Vaucluse. 

Pasteur  s'y  transporta  avec  son  jeune  collabo- 
l'ateur  Thuillier.  Il  multiplia  les  études  et  les  expé- 
riences :  «  Envoie-moi,  disuit-il,  dans  une  lettre  à 
M™"  Pasteur,  envoie-moi  mille  francs.  Il  ne  me  reste 
plus  que  trois  cents  francs  des  seize  cents  que  j'ai 
apportés.  Les  porcs  coûtent  cher  et  nous  en  tuons 
beaucoup  ». 

Dans  une  note  qu'il  envoyait  en  même  temps  à 
J.-B.  Dumas  pour  l'Académie,  il  annonçait  qu'il 
pourrait  vacciner  à  coup  sûr  contre  le  rouget  dès 
le  printemps  suivant. 


Pasteur  et  la  médecino. 

«  Je  ne  suis,  disait  souvent  Pasteur,  non  sans 
une  pointe  de  regret,  ni  médecin  ni  vétérinaire.  » 
Aussi  ressenlit-il  quelque  défiance  de  lui-même  et 
éprouva-t-il  quelque  hésitation  quand  il  s'agit  pour 
lui  de  venir  aux  chosesde  la  médecine.  Néanmoins, 
le  mouvement  qu'il  avait  provoqué  l'entraîna, 
malgré  qu'il  en  eût,  entraînement  d'autant  plus 
facile  d'ailleurs  qu'il  se  sentait  attiré. 

Traube  en  Allemagne,  Lister  en  Angleterre, 
s'inspiraient  déjà  des  théories  pastoriennes  sur  le 
microbe. 

Pasteur  S 


58  PASTEUR 


Mais  la  médecine,  clans  son  ensemble,  était  restée 
empirique,  c'est-à-dire  qu'elle  s'en  rapportait  à  la 
routine  ou  au  hasard.  Elle  reconnaissait  au  besoin 
son  impuissance  et  consentait  parfois  à  la  déplorer. 
Elle  était  toutefois  bien  persuadée  que  nul  n'était 
en  état  de  lui  en  remontrer.  Elle  dédaignait  la 
science  et  n'était  pas  d'humeur  à  permettre  à  un 
homme  de  science  de  lui  faire  la  leçon.  Elle  traitait 
de  haut  les  savants,  les  chimistes  en  particulier,  et 
même  les  physiologistes. 

On  en  était  toujours  à  la  diathèse,  c'est-à-dire 
que  l'on  croyait  en  tout  et  pour  tout  à  la  disposi- 
tion de  l'individu  à  être  affecté  de  telle  ou  telle 
maladie.  On  n'admettait  pas  la  spécificité,  qui  rat- 
tache la  maladie  à  son  microbe,  le  microbe,  comme 
le  ferment  étant  spécifique'.  A  chaque  maladie 
infectieuse  correspond  un  virus  spécial.  La  maladie 
virulente  n'est  pas  spontanée  :  elle  vient  du  dehors 
et,  par  conséquent,  la  contagion  peut  être  évitée. 
C'est  là  un  fait  capital,  mais  qui  ne  fut  pas 
admis  sans  résistance. 

Pidoux,  un  des  porte-parole  du  corps  médical, 
un  de  ceux  qui  en  personnifiait  le  mieux  l'esprit, 
se  montrait  scandalisé  des  idées  nouvelles  :  «  Est-ce 
qu'on  allait,  avec  la  spécificité,  enrayer  le  progrès 
de  la  médecine!  Est-ce  que  les  médecins  allaient 
être  condamnés  à  découvrir  des  vaccins,  au  lieu  de 

i.  Voir  page  24. 


L'ŒUVRE  59 


rechercher  les  causes  de  la  dégénérescence  de  l'or- 
ganisme suivant  l'étiologie  commune  !  » 

Découvrir  des  vaccins,  quelle  déchéance  ! 

A  répo(|ue  où  Davaine,  mis  en  éveil  par  les  tra- 
vaux de  Pasteur,  cherchait  à  faire  un  rapproche- 
ment entre  les  ferments  et  les  bactéridies,  la  lutte 
s'aviva.  La  médecine  se  montra  hautaine  à  l'égard 
du  laboratoire. 

Pasteur  venait  d'entrer  à  l'Académie  de  Méde- 
cine en  1873.  Harcelé,  comme  on  peut  le  penser,  il 
se  défendait  avec  une  vigueur  extrême.  «  La  meilleure 
preuve  qu'un  observateur  est  dans  la  vérité,  disait- 
il,  c'est  la  fécondité  ininterrompue  de  ses  travaux  .» 
Et  Pasteur  pouvait  en  effet  rattacher  les  études 
nouvelles  auxquelles  il  allait  se  livrer  sur  la  méde- 
cine à  ses  travaux  antérieurs.  «  Que  d'enseigne- 
ments pour  la  médecine  humaine,  a  écrit  le  docteur 
Roux,  dans  l'étude  sur  la  maladie  des  vers  à 
soie  !  » 


La  chirurgie. 

Les  opérations  chirurgicales  pratiquées  à  cette 
époque,  effectuées  même  dans  les  meilleures  condi- 
tions, étaient  redoutables  par  leurs  suites.  On  en 
était  arrivé  à  dire  que  la  laparotomie,  par  exemple, 
devait  être  rangée  dans  les  attributions  de  l'exécu- 
teur des  hautes  œuvres.  L'anesthésie,  déjà  prati- 


60  PASTEUR 


quée,  n'y  faisait  rien.  Les  conséquences  d'un  coup 
de  bistouri  dans  un  abcès  pouvaient  être  si  graves 
que  les  médecins  reculaient  souvent.  «  L'infection 
purulente,  disait  le  docteur  Reclus,  était  devenue 
pour  nous  une  maladie  fatale,  nécessaire,  attachée 
par  un  décret  divin  à  tout  acte  chirurgical  impor- 
tant T>.  Les  médecins  en  étaient  venus  à  se 
demander  s'ils  ne  portaient  pas  la  mort  avec  eux. 

Le  spectacle  qu'offraient  les  salles  d'hôpital  était 
lamentable.  La  mortalité  à  la  suite  d'amputation 
dépassait  60  pour  100.  Le  docteur  Scdillot,  ancien 
directeur  du  service  de  santé  militaire  à  Strasbourg, 
retraité,  chirurgien  volontaire  à  l'ambulance  de 
Haguenau  pendant  la  guerre,  avait  été  effrayé  de 
la  mortalité  énorme  parmi  les  blessés,  et,  dans  une 
lettre  à  l'Académie  de  Médecine,  dont  il  était 
membre,  il  appelait  la  sollicitude  de  ses  confrères 
sur  le  problème  de  la  pourriture  d'hôpital.  «  Celui 
qui  triompherait  de  l'infection  purulente,  décla- 
rait Nélaton,  mériterait  une  statue  d'or.  » 

On  disait  couramment  qu'on  ne  meurt  pas  de 
l'opération,  mais  des  suites.  «  Plus  d'indications 
précises,  faisait  Verneuil  à  son  tour,  plus  de  prévi- 
sions rationnelles  :  abstention,  conservation,  muti- 
lation restreinte  ou  radicale,  débridement  préventif 
ou  consécutif,  extraction  précoce  ou  retardée  des 
projectiles  ou  des  esquilles,  pansements  rares  ou 
fréquents,  émollients  ou  excitants,  secs  ou  humides, 
avec  ou  sans  drainage  :  rien  ne  réussissait.  »  Le 


L'OEUVRE  61 


docteur  Denonvilliers  en  était  venu  à  dire  à  ses 
élèves:  «  Quand  vous  aurez  à  faire  une  opération, 
regardez-y  à  dix  fois,  car  si  nous  décidons  d'une 
opération,  trop  souvent  nous  signons  un  arrêt  de 
mort.  » 

Adolphe  Guérin,  s'inspirant  de  la  théorie  pasto- 
rienne  des  germes  en  suspension  dans  l'air,  imagina 
le  pansement  à  la  ouate  pour  filtrer  l'air.  Invité  par 
Guérin,  Pasteur  alla  se  rendre  compte  des  résultats 
à  l'hôpital  Saint-Louis.  En  même  temps  Lister  lui 
écrivait  d'Edimbourg  pour  le  mettre  au  courant  des 
résultats  obtenus  par  la  méthode  antiseptique  qu'il 
pratiquait.  Ces  résultats  étaient  de  tout  point  satis- 
faisants. 


A  l'Académie. 

A  l'Académie  de  Médecine  on  discutait.  Un  jour 
qu'un  médecin  exposait  ce  qui  lui  paraissait  être 
l'étiologie  de  la  fièvre  puerpérale  et  qu'il  énumérait 
les  causes  de  cette  maladie,  Pasteur  s'écria  :  «  Ce 
qui  cause  l'épidémie,  ce  n'est  rien  de  tout  cela  : 
c'est  la  médecine  et  son  personnel  qui  transportent 
le  microbe  d'une  femme  malade  à  une  femme 
saine  !  »  L'attaque  était  brutale  et  le  coup  droit.  Le 
préopinant  prétendit  qu'on  ne  trouverait  jamais  ce 
microbe.  Pasteur  bondit  alors  au  tableau  noir  et 
dessina  le  ferment  en  disant  :  «  Tenez,   voici   sa 


f2  PASTEUR 

figure!  ï)  Là  encore  le  remède  devait  consister  à 
combattre  le  vibrion  sepliqne  en  pratiquant  l'an- 
tisepsie. 

Les  médecins,  les  chirurgiens,  embusqués  dans 
leurs  habitudes,  subissant  malgré  tout  la  tyrannie 
de  l'éducation  médicale  qu'ils  avaient  reçue,  résis- 
taient toujours.  «  Je  les  ferai  bien  marcher,  disait 
Pasteur.  [1  faudra  coûte  que  coûte  qu'ils  y  vien- 
nent. » 

L'Académie  fut  encore,  en  1883,  le  théâtre  d'un 
grand  débat  de  même  nature.  11  s'agissait  de  la 
fièvre  typhoïde  traitée  par  les  bains  froids,  suivant 
une  méthode  employée  en  Allemagne.  La  discussion 
s'élargit  bientôt  et  ce  fut  encore  la  chimiâtrie  qui 
en  fit  les  frais.  Le  docteur  Peter  se  signala  par  un 
ton  ironique  qui  dissimulait  mal  sa  véhémence  or- 
dinaire. M.  Vallery-Radot  a  fait  de  cette  séance  un 
récit  intéressant  qu'on  retrouvera  en  partie  dans 
les  lignes  qui  suivent:  «Je  ne  crois  guère,  disait 
Peler,  à  cette  invasion  de  parasites  qui  nous  menace 
comme  une  onzième  plaie  d'Egypte.  »  Prenant  alors 
à  partie  les  savants  teintés  de  médecine,  les  chi- 
miâtres,  comme  il  les  appelait  :  «  Ils  en  sontairivés, 
disait-il,  à  ne  voir  dans  les  fièvres  typhoïdes  que  la 
fièvre  typhoïde,  dans  la  fièvie  typhoïde  que  la 
fièvre,  dans  la  fièvre  que  la  chaleur,  ils  en  sont 
venus  ainsi  à  cette  idée  lumineuse  de  combattre  le 
chaud  par  le  froid.  Cet  organisme  est  en  feu,  il  n'y 
a  qu'à  jeter  de  l'eau  dessus  :  c'est  une  doctrine  de 


L'ŒUVRE  63 


pompier  !»  Il  y  a  assurément  beaucoup  de  verve 
dans  cette  diatribe;  mais  ce  n'était  là  après  tout 
qu'une  phrase  à  effet,  comme  on  en  entendait  quel- 
quefois dans  la  docte  Académie.  Mais  l'homme  qui 
contribuait  le  plus  alors  à  répandre  les  théories 
nouvelles,  Bouley,  trouva  qu'il  était  temps  d'intro- 
duire dans  le  débat  certaines  idées  sur  les  grands 
problèmes  poursuivis  en  médecine  depuis  la  décou- 
verte de  ce  qui  peut  être  appelé,  disait-il,  un  nou- 
veau règne  de  la  nature,  le  règne  de  la  microbie. 

Dans  son  exposé,  il  résumait  à  grands  traits  le 
rôle  des  infiniment  petits,  leur  activité  pour  pro- 
duire les  phénomènes  de  fermentation  et  de  mala- 
die. Il  montrait,  par  les  travaux  parallèles  de 
Pasteur  et  de  Davaine  d'une  part,  de  Chauveau  de 
l'autre,  que  la  contagion  est  fonction  d'un  élément 
vivant, 

«  C'est  surtout  à  l'endroit  de  la  prophylaxie  des 
maladies  virulentes,  disait-il,  que  la  doctrine  mi- 
crobienne a  donné  les  résultats  les  plus  merveilleux. 
S'emparer  des  virus  les  plus  mortels,  les  soumettre 
à  une  culture  méthodique,  faire  agir  sur  eux  des 
agents  modificateurs  dans  une  mesure  calculée,  et 
réussir  ainsi  à  les  atténuer  à  des  degrés  divers,  de 
manière  à  faire  servir  leur  force  réduite,  mais  en- 
core efficace,  à  transmettre  une  maladie  bientai- 
sante  à  la  suite  de  laquelle  l'immunité  est  acquise 
contre  la  maladie  mortelle,  quel  rêve  !  Et  ce  rêve, 
M.  Pasteur  en  a  fait  une  réalité.  » 


64  PASTEUR 


La  rage. 

A  partir  de  1880  Pasteur  s'était  mis  à  Tétude  de 
la  rage,  maladie  qui  impressionnait  vivement  les 
imaginations.  La  rage  peut  se  communiquer  des 
animaux  à  l'homme,  chez  qui  elle  se  manifeste 
avec  un  caractère  particulier  qui  lui  a  fait  donner 
le  nom  d'hydrophobie  (horreur  de  l'eau). 

Au  laboratoire,  les  études  de  Pasteur  portèrent 
sur  la  salive  ou  bave  des  chiens  atteints.  On  y 
découvrit  un  microbe  qui,  inoculé  à  des  lapins,  les 
faisait  périr  en  trente-six  heures.  Mais  était-ce  bien 
le  microbe  de  la  rage?  Pasleur  eut  des  raisons  d'en 
douter. 

D'après  les  recherches  de  Thuillier,  c'était  un 
microbe  associé.  «  On  se  serait  bien  passé  de  la 
découverte  d'une  nouvelle  maladie  !  »  ne  manquè- 
rent pas  de  dire  les  gens  qui  se  figurent  qu'une 
certaine  désinvolture  tient  lieu  de  tout.  Cette  espèce 
est  fort  commune  en  France. 

Pasteur,  ne  trouvant  aucune  indication  suffisante 
du  côté  de  la  bave,  se  mit  à  rechercher  le  virus 
rabique  dans  le  sang.  Les  résultats  furent  négatifs. 
Il  se  retourna  alors  vers  les  centres  nerveux.  Au 
cerveau  mis  à  nu  d'un  chien  enragé,  on  prit  un 
peu  de  substance  bulbaire.  Cette  substance  ino- 
culée provoquait  la  rage  comme  la  salive. 

On  voulut  faire  mieux  encore  :   pour  abréger  la 


L'ŒUVRE  65 

période  d'incubation,  qui  était  assez  longue,  et 
produire  la  rage  à  coup  sûr,  on  inocula  le  virus  au 
cerveau  môme  par  trépanation.  Le  résultat  ne  laissa 
plus  de  doute  :  c'était  bien  dans  la  substance  ner- 
veuse qu'il  fallait  aller  trouver  le  microbe. 
Pasteur  chercha   alors   à  alténuer  le  virus,   de 


La  trépanation  d'un  lapin. 

manière  à  pouvoir  conférer  l'immunité  par  vacci- 
nation. 11  y  parvint:  des  expériences  officielles  con- 
firmèrent les  conclusions  auxquelles  il  était  arrivé. 

Dans  un  congrès  à  Copenhague,  Pasteur  exposa 
le  résultat  de  ses  travaux  sur  la  rage.  La  rage  n'est 
jamais  spontanée.  Pour  qu'elle  se  produise,  il  faut 
qu'il  y  ait  eu  contact  par  morsure  ou  lècliement. 
Nouvelle  preuve  à  l'appui  de  la  théorie  de  l'antério- 
rité des  germes  et  de  la  spécificité  de  la  maladie. 

Cette  communication,  dans  laquelle  Pasteur  avait 

Pasteur.  9 


66  PASTEUR 


fait  passer  ses  auditeurs  par  toutes  les  phases  de 
sa  découverte,  fut  accueillie  avec  enthousiasme  par 
les  congressistes  (août  1884), 


Guérison  de  la  rago. 

Restait  à  trouver  le  moyen  de  vacciner  les  cliiens 
préventivement.  Mais,  à  la  réflexion,  cette  entre- 
prise fut  considérée  comme  pratiquement  irréali- 
sable :  il  y  a  trop  de  chiens  et  il  eût  fallu  organiser 
un  service  trop  considérable. 

Du  moins  on  pouvait  songer  à  l'application  d'un 
traitement  à  Thomme  mordu  par  un  chien  enragé  : 
c'élait  la  prophylaxie  de  la  rage  après  morsure. 
i(  11  me  semble  que  la  main  me  tremblera,  écrivait 
Pasteur  à  l'empereur  du  Brésil,  un  souverain  qui 
était  en  même  temps  un  savant,  quand  il  faudra 
passer  à  l'espèce  humaine  ».  Pasteur  proposait  en 
même  temps  à  dom  Pedro  de  lui  laisser  faire  des 
expériences  sur  des  condamnés  à  mort  qui  con- 
sentiraient à  en  courir  le  risque.  Après  tout  c'était 
une  chance  qu'on  leur  offrait,  et  Pasteur  serait  allé 
volontiers  à  Rio-de-Janeiro  pour  tenter  l'épreuve. 
Mais  la  législation  moderne  ne  permettait  pas  de 
donner  sur  ce  point  satisfaction  au  savant. 

Enfin  le  hasard  s'en  mêla.  Un  enfant  de  neuf  ans, 
le  jeune  Meister,  des  environs  de  Schlestadt,  avait 


Monument  de  Jupille. 
(Sculpture  de  M.  Athanase  Fossé.) 

Le  jeune  berger  Jupille,  voyaul  un  chitn  enragé  se  précipiter  sur  un  groupe 
d'enfants,  s'élait  élancé  au-devant  de  l'animal. Le  chien  lui  ayant  saisi  la  main 
gauche,  il  eut  le  courage  d'ouvrir  la  gueule  du  chien  avec  la  main  restée 
libre,  de  museler  l'animal  avec  la  lanière  de  son  fouet  et  de  lui  briser  la  lôte 
à  coupa  de  sabot. 


68  PASTEUR 

reçu  quatorze  morsures  d'un  chien  enragé.  Il  fut 
amené  à  Pasteur.  Celui-ci  était  bien  embarrassé. 
Il  consulta  les  docteurs  Vulpian,  Grancher,  Strauss, 
qui  se  montrèrent  favorables  à  l'inoculation,  et  il 
se  décida.  Les  injections  furent  graduées  :  on  partit 
de  la  moelle  la  plus  atténuée  pour  arriver  à  la  plus 
virulente.  Pasteur,  pendant  toute  la  durée  du  trai- 
tement, était  en  proie  à  de  mortelles  angoisses.  La 
science  l'emporta  encore  une  fois  :  le  jeune  Meister 
s'en  alla  guéri  (juillet  1885). 

Un  second  cas  se  présenta.  Un  jeune  berger  juras- 
sien, du  nom  de  Jupille,  avait  été  mordu  par  un 
chien  enragé  avec  lequel  il  avait  lutté  et  qu'il  avait 
tué.  Il  avait  les  mains  déchirées.  Pasteur,  informé 
par  le  maire  de  la  commune,  lit  venir  la  victime. 
Mais,  circonstance  défavorable,  la  première  inocu- 
lation n'eut  lieu  que  six  jours  après  les  morsures, 
alors  que,  dans  le  cas  précédent,  il  n'y  avait  eu  que 
deux  jours  d'intervalle.  La  réussite  n'en  fut  pas 
moins  absolue. 

Lorsque  l'Académie  des  Sciences  reçut  la  com- 
munication de  Pasteur  sur  ces  premiers  cas,  Vulpian 
se  leva  spontanément  :  «  L'Académie  ne  s'étonnera 
pas,  dit-il,  si  comme  membre  de  la  section  de 
médecine  et  de  chirurgie,  je  demande  la  parole 
pour  exprimer  les  sentiments  d'admiration  que 
m'inspire  la  communication  de  M.  Pasteur.  Ces 
sentiments  seront  partagés,  je  l'espère,  par  le  corps 
médical  tout  entier.  »  (26  oct.  1885.) 


L'ŒUVRE 


69 


El  Bouley,  président,  ajoutait  :  «  A  partir  d'au- 
jourd'hui, l'humanité  est  armée  d'un  moyen  de 
lutter  contre  la  fatalité  de  la  rage  et  de  prévenir 
ses  sévices.  Cela,  nous  le  devons  à  Pasteur,  et  nous 
ne  saurions  avoir  trop   d'admiration  et  de  recon- 


Les  inoculations  antirabiques 
(bas-relief  du  monument  de  Pasteur,  à  Arbois). 


naissance  pour  des   efforts  qui  ont  abouti  à  un  si 
beau  résultat.  » 

Quant  à  la  note    même    de   Pasteur,    quelques 
médecins  en  accueillirent  chaleureusement  la  lec- 
ture;  d'autres  se  réservèrent   et  quelques-uns  se 
promirent  bien  de  reprendre  les  hostilités  au  pre 
mier  jour. 

Le  service  antirabique  avait  été  aussitôt  organisé 
au  laboratoire  de  Pasteur  et  les  malades  affluèrent. 
Quelques  jeunes  Américains  furent  amenés  par  la 
mère  de  l'un  d'eux  et  un  médecin,  ils  repartirent 
guéris. 


70  PASTEUR 


Puis  ce  furent  dix-neuf  moujicks  de  Smolensk. 
Malheureusement  les  morsures  remontaient  à 
quinze  jours  et,  pour  quelques-uns,  étaient  atroces. 
Trois  succombèrent  et  seize  s'en  retournèrent 
indemnes. 

Beaucoup  d'autres  Russes  avaient  été  également 
guéris.  Le  tsar  décora  Pasteur  de  la  grand'croixde 
Sainte-Anne  de  Russie  en  brillants  et  versa  cent 
mille  francs  à  la  souscription  ouverte  pour  la 
création  d'un  Institut  Pasteur.  L'Alsace,  par  l'inter- 
médiaire de  ses  journaux,  envoya  quarante-trois 
mille  francs  pour  le  même  objet  (1886). 


Diphtérie   et   sérothérapie. 

Le  croup  ou  diphtérie  résulte  d'une  intoxication 
causée  par  un  poison  très  actif  que  fabrique  un  mi- 
crobe spécial.  Ce  microbe  a  été  découvert  en  Alle- 
magne en  1883.  Il  s'agissait  de  trouver  le  vaccin. 

Rossignol  et  Gassend,  ce  dernier  professeur 
d'agriculture  à  Melun,  furent  très  vraisemblable- 
ment les  précurseurs  de  la  sérothérapie.  Le  pre- 
mier. Rossignol,  eut  l'idée,  en  1882,  de  puiser 
directement  dans  la  veine  jugulaire  d'un  mouton 
qui  avait  été  soumis  à  des  inoculations  très  viru- 
lentes après  sa  vaccination,  pour  convertir  en  vaccin 
le  sang  ainsi  obtenu.  Les  expériences,  faute  de  res- 


^1 


Le  docteur  Roux. 


72 


PASTEUR 


sources,  n'avaient  pu  être  poussées  jusqu'à  des  ré- 
sultats définitifs. 

Plus  tard,  deux  autres  savants,  Richet  et  Héri- 


Inoculation  du  sérum  antidiphtérique. 


court,  ont  poursuivi  des  recherches  dans  le  même 
sens  et  ont  été  considérés  comme  les  inventeurs  de  la 
méthode  sérothérapique. 

Enfin,  le  sérum  antidiphtérique,  découvert  à  la 
fois  par  le  docteur  allemand  Behring  et  par  le  doc- 
teur japonais  Kitasato  (1894),  devait  consacrer  dé- 


L'ŒUVRE  73 


finitivement  la  méthode  sérothérapique,  c'esL-à- 
clire  la  vaccination  par  le  sang  transformé  en  vaccin. 
En  inoculant  au  cheval  des  doses  variées  de 
toxines  diphtériques,  le  sérum  du  sang  de  cheval 
devenait  antidiphtérique  et  constituait  le  vaccin 
cherché.  Le  docteur  Roux,  qui  s'attacha  particuliè- 
rement à  cette  découverte,  fit  au  congrès  de  Buda- 
Pesth,  en  1894,  une  communication  sur  le  traitement 
de  ladiphtérie,  quieutun  très  grand  retentissement, 
et  dont  la  conséquence  fut  de  provoquer  une  sou- 
scription qui  devait  permettre  de  fonder  à  Garches 
une  annexe  de  l'Institut  Pasteur. 


Autres   études. 

Pasteur  n'avait  jamais  cessé  d'élargir  sa  voie.  En 
1883  une  mission  composée  de  jeunes  collahorateurs 
de  Pasteur,  Roux  et  Thuillier,  auxquels  s'étaient 
adjoints  le  docteur  Strauss  et  le  professeur  Nocard, 
fut  envoyée  en  Egypte  pour  étudier  le  choléra.  Thuil- 
lier fut  enlevé,  à  vingt-six  ans,  d'une  attaque  du 
mal,  à  Alexandrie,  quand  on  croyait  l'épidémie  dis- 
parue depuis  quinze  jours. 

La  mission  ne  put  d'ailleurs  découvrir  le  microbe 
cholérique.  C'est  le  docteur  Koch,  venu  à  Alexan- 
drie à  la  même  époque  que  la  mission  française, 
qui  devait  le  découvrir  plus  tard. 

Pasteur.  10 


74 


PASTEUR 


Celle  découverle  de  Koch  monlre  que,  à  l'étranger, 
on  s'efforçait  d'appliquer  et  de  développer  la  mé- 
thode de  Pasteur.  Au  Japon  même,  le  docteur 
Kitasalo  avait  trouvé,  on  l'a  vu,  l'anliloxine  de  la 


Nocanl. 


diphtérie  et  rechercliait,  en  môme  temps  que  le 
docteur  Yersin,  qui  le  découvrit,  le  bacille  de  la 
peste  dans  la  pulpe  des  bubons.  C'est  vers  cetle 
époque  que  le  docteur  russe  Metchnikoff  vint  se 
fixer  à  Paris  pour  travailler  à  côté  de  Pasteur. 
«  Il  y  a  dix  ans,   avait  écrit  Duclaux  en   1880, 


L'ŒUVRE  75 


malgré  les  travaux  de  Davaine  sur  le  charbon,  mal- 
gré les  belles  études  de  Tasteur  sur  le  ver  à  soie,  on 
pouvait  se  demander  s'il  y  a  des  maladies  dues  h 
l'intoxication  des  microbes.  Voilà  qu'on  est  en  droit 
de  se  demander  s'il  y  a  vraiment  des  maladies  où 
les  microbes  n'interviennent  pns.  » 

C'est  toute  une  science,  toute  une  doctrine  nou- 
velle que  Pasteur  avait  élaborée,  la  microbiologie. 
«  On  se  laisse  emporter  par  l'enthousiasme  et  on 
s'incline  plein  d'admiration  et  de  respect  devant  le 
chimiste  qui,  pour  n'être  pas  médecin,  illumine  la 
médecine  et  dissipe,  à  la  clarté  des  expériences,  des 
obscurités  qui  étaient  demeurées  impénétrables.  » 


Les   dernières  années. 


Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  Pasteur  eut 
la  satisfaction  d'assister  à  son  propre  triomphe. 
Déjà  en  1874  il  avait  reçu  une  dotation  de  douze 
mille  francs  par  an  que  lui  avait  volée  le  Parlement 
sur  le  rapportde  Paul  Bert.  Plus  tard  cette  dotation 
fut  portée  à  vingt-cinq  mille  francs.  Le  gouverne- 
ment de  la  République  s'honora  par  cette  mesure 
(1883). 

En  1886  un  grand  festival  eut  lieu  au  Trocadéro 
au  profit  de  l'Institut  Pasteur.  Le  Maître  y  fut  ac- 
clamé. 

Le  18  novembre  1888  fut  inauguré  l'Institut 
Pasteur.  Cette  inauguration  donna  lieu  à  une  so- 
lennité oIj  le  génie  de  Pasteur  fut  célébré  comme  il 
convenait. 

Enfin  en  1892,  dans  le  grand  amphithéâtre  de  la 
Sorbonne,  une  nouvelle  fête  fut  organisée  à  l'oc- 
casion du  soixante-dixième  anniversaire  de  Pas- 
teur. La  médaille  que  nous  représentons  ci-contre 
lui  fut  offerte  à  cette  occasion. 

Dans  toutes  ces  cérémonies,  oij  assistaient  les 
sommités  littéraires  et  scientifiques,  les  membres 


LES  DERNIERES  ANNEES 


77 


et  le  chef  du  gouvernement,  on  prononçait  des  ha- 
rangues en  l'honneur  du  grand  savant  et  de  son 
œuvre. 

Le  ministre  M.   Charles  Dupuy,  parlant  au  nom 


Médaille  d'or  offerte  à  Pasteur,  à  l'occasion  de  son  Jubilé, 
par  rAcadcmie  française. 


du  gouvernement,  à  la  Sorbonne,  s'était  exprimé 
en  ces  termes  :  «...  Vous  avez  justifié  les  auda- 
cieuses espérances  que  la  religion  du  progrès  avait 
mises  au  cœur  de  nos  pères;  vous  avez  traduit  en 
réalités  incontestables  les  imaginations  de  Descartes 


19  PASTEUR 


et  les  rêves  de  Condorcet.  Qui  pourrait  dire,  à  cette 
heure,  ce  que  la  vie  humaine  vous  doit  et  ce  qu'elle 
vous  devra  dans  la  suite  des  temps  !  » 

De  son  côté  son  collègue  Bertrand,  de  l'Académie 
des  Sciences,  avait  prononcé  un  discours  admira- 
blement résumé  dans  cette  phrase  :  «  Vous  n'êtes 
pas  seulement  un  savant,  vous  êtes  un  grand 
homme.  «  Ce  sera  aussi  le  jugement  de  la  pos- 
térité. 

Pasteur,  toujours  modeste,  toujours  sous  l'im- 
pression de  cette  bonté  du  cœur  qui  était  le  fond 
même  de  sa  nature,  semblait  s'excuser  de  son 
triomphe  auprès  de  ses  collègues  :  «  Si  parfois, 
disait-il,  j'ai  troublé  le  calme  de  vos  Académies, 
c'est  que  je  défendais  passionnément  la  vérité.  » 

Pasteur  s'est  éteint  le  28  septembre  1895,  à 
Garches.  Le  gouvernement  lui  fit  de  pompeuses 
funérailles  :  sa  mort  était  en  effet  un  deuil  national. 


DBUXIÊME     PARTIE 

L'Homme. 


On  ne  ferait  pas  connaître  suffisamment  Pasteur 
si  l'on  se  bornait  à  retracer  son  œuvre.  D'autre 
part,  à  ne  s'en  tenir  qu'aux  apparences,  on  risque- 
rait, à  cause  de  son  air  absorbé  et  froid,  déjuger 
l'homme  défavorablement.  Vue  de  près,  au  con- 
traire, sa  personnalité  devient  excessivement  atta- 
chante. 

Pasteur  était  de  taille  moyenne.  Son  aspect  don- 
nait une  impression  de  solidité  et  même  de  rudesse. 
Le  visage  était  encadré  d'une  barbe  un  peu  courte, 
qui  laissait  à  découvert  une  grande  partie  de  la 
face.  Le  front  était  haut,  large,  éclairé,  sous  une 
chevelure  séparée  à  gauche  par  une  raie.  La  pensée 
s'y  reflétait,  non  pas  mélancolique,  mais  plutôt  mé- 
ditative et  soucieuse,  comme  l'indiquaient  du  reste 
les  contractions  qui  se  remarquaient  à  la  naissance 
du  nez.  Le  regard  était  droit;  il  empruntait  à  l'en- 
semble de  la  physionomie  quehpie  chose  do 
grave. 

De  ce  mélange  de  gravité  et  de  froideur  se  déga- 
geait,   pour    un    observateur,  une    impression    de 

Pasteur  1  I 


82 


PASTEUR 


bonté,  non  pas  celte  bonté  banale  qui  semble  s'of- 
frir à  tout  venant,  mais  bien  celle  bonté  supé- 
rieure et  contenue  qui  est  la  marque  des  natures 
d'élite. 

La  démarche  était  en  rapport  avec  la  physiono- 


rasteur. 


mie  :  c'était  celle  d'un  homme  sérieux  et  réfléchi. 
Depuis  1868,  époque  où  il  fut  frappé  d'hémiplégie, 
il  s'appuyait  sur  une  canne  en  marchant. 

En  somme,  rien  dans  son   extérieur  n'était  fait 
pour  frapper  l'attenliou,  comme  cela  eût  pu  arriver. 


L'110>rME  83 

Descendant  de  serfs,  fils  d'un  modeste  artisan, 
Pasteur  était  voué  au  hibeur.  Il  ne  fut  et  ne  songea 
jamais  à  être  qu'un  travailleur.  L'atavisme  lui  en 
faisait  une  loi  :  à  celle  loi  il  conforma  sa  vie. 

«  Travaillons  »  était  sa  devise,  (ju'il  répétait  sou- 
vent. Il  possédait  d'ailleurs  pleinement  le  plus  mer- 
veilleux des  instruments  de  travail,  c'est-à-dire  la 
volonté,  et  il  en  connaissait  toute  la  valeur.  Il  sa- 
vait le  prix  de  l'effort,  de  l'effoit  persistant,  inlas- 
sable, du  vouloir  ininterrompu. 

Ce  fut  le  secret  de  son  génie,  et  ce  secret  il  ne 
manciuait  jamais  une  occasion  de  le  divulguer. 

A  ses  sœurs,  quand  il  était  encore  jeune,  à  ses 
collaborateurs,  dans  toutes  les  occasions  oiî  il  pre- 
nait la  parole,  il  vantait  la  puissance  de  l'effort 
soutenu.  La  double  caractéristique  du  tempérament 
de  Pasteur  était  donc  l'énergie  et  la  ténacité.  Sous 
ce  rapport  c'était  un  Jurassien  accompli,  dans  le 
fond  et  dans  la  forme.  11  était  dur  surtout  à  lui- 
même  ;  il  ne  s'accordait  jamais  de  répit  :  même  en 
villégiature  il  continuait  à  travailler  et  il  lui  arri- 
vait parfois  de  trouver  que  les  nuits  étaient  trop 
longues. 

Toujours  occupé  et  toujours  préoccupé.  Pasteur 
était  peu  communicatif,  il  parlait  peu.  Ses  collabo- 
rateurs eux-mêmes  ignoraient  souvent  le  but  que 
poursuivait  le  Maître  au  moyen  des  expériences 
dont  ils  étaient  chargés. 

Lorsqu'il  parlait,  il  cherchait  moins  à  plaire  qu'à 


84  PASTEUR 

faire  réfléchir  :  il  parlait  toujours  avec  gravité  parce 
qu'il  ne  parlait  que  de  choses  graves. 

Il  appréciait  cependant  la  verve  et  la  gaîté  chez 
les  autres.  Sainte-Glaire-Deville  lui  plaisait  avec 
(L  son  entrain  à  faire  reculer  un  Méridional,  » 
comme  dit  Yallery-Radot.  «  Moi  je  n'ai  pas  d'es- 
prit »,  faisait  simplement  Pasteur.  En  effet,  pou- 
vait riposter  l'ami  Berlin,  Pasteur  ne  sait  pas  com- 
ment prendre  la  vie,  «  il  n'est  bon  qu'à  avoir  du 
génie  ». 

Duclaux  a  dit  justement  :  «  Pendant  les  belles 
années  de  sa  vie  cet  homme  a  vécu  en  avant  de  son 
temps,  en  pionnier  perdu  dans  la  solitude,  absorbé 
dans  la  contemplation  des  perspectives  qu'il  décou- 
vrait et  que  son  œil  était  seul  à  scruter  et  à  par- 
courir. Quoi  de  moins  indifférent  que  son  indiffé- 
rence aux  choses  de  l'existence  !  Il  vivait  dans  sa 
pensée  sans  être  un  rêveur,  car  un  rêve  qui  aboutit 
et  qui  est  fécond  n'est  plus  un  rêve.  » 

On  se  doute  déjà,  d'après  ce  qui  précède,  que  Pas- 
teur n'était  pas  un  mondain  et  qu'il  ne  faisait  pas 
partie  du  Jockey-Club.  A  la  vérité,  il  parut  une  fois 
à  Compiègne,  mais  il  y  resta  dans  son  rôle  de  sa- 
vant, faisant  un  soir,  devant  la  brillante  société  au 
milieu  de  laquelle  il  se  trouvait,  une  expérience 
sur  le  vin.  Il  est  vrai  que  l'impératrice  lui  servait 
d'aide  de  laboratoire- 

A  consacrer  sa  vie  à  la  recherche  de  la  vérité 
scientifique,  à  vaincre  les  difficultés  multiples  qui 


L'HOMME  85 


arrêtaient  chacun  de  ses  pas,  l'asteur  avait  acquis 
un  tempérament  de  lutteur  que  sa  rudesse  native 
n'était  pas  faite  pour  atténuer.  Il  avait  pris  l'habi- 
tude de  se  ruer  sur  l'obstacle  et,  au  besoin,  de  fon- 
cer sur  Fadvcrsaire.  Les  voix  discordantes  l'irri- 
taient. Son  aspect  concentré  recouvrait  un  carac- 
tère bouilliint  dont  il  avait  pleine  conscience.  11 
avait  beau  jurer  de  rester  calme,  toule  discussion 
l'entraînait.  Il  devenait  agressif,  amer. 

J.-B.  Dumas  s'efforçait  de  lui  prêcher  le  calme  et 
de  lui  inspirer  le  dédain  de  ses  adversaires,  «  Je 
vous  demande  d'avoir  à  l'égard  des  hommes  cette 
patience  dont  vous  êtes  si  bien  doué  à  l'égard  des 
choses  de  la  nature.  »  Pasteur  promettait,  mais  à 
la  première  occasion  il  oubliait  sa  promesse. 

Un  jour  qu'il  avait  contredit  vivement  Jules  Gué- 
rin,  à  l'Académie,  celui-ci,  malgré  ses  quatre-vingts 
ans,  Youlutse  précipiter  sur  Pasteur.  Le  baron  Lar- 
rey  n'eut  que  le  temps  de  l'arrêter  au  passage.  Le  len- 
demain Pasleur  recevait  les  témoins  de  Guéi'in.  On 
n'alla  pas  jusqu'à  la  rencontre.  Pasteur  fournit,  par 
rintermédiaire  du  bureau  de  l'Académie,  des  expli- 
cations très  nettes,  déclarant  qu'il  n'avait  pas  eu 
l'intention  d'offenser  son  collègue;  il  n'avait  fait 
que  défendre  ses  travaux. 

Pasteur  et  Licl)ig,  quiétîiient  deux  grands  es[)rits 
faits  pour  s'entendre,  qui,  l'un  et  l'autre,  aimaient 
la  science  par  dessus  tout,  sont  restés  divisés  parce 
qu'ils  ne  pensaient  pas  de  même  sur  le  rôle  de  la 


86  PASTEUR 

levure  dans  la  fermentation  alcoolique.  Ne  se  dc- 
gage-t-il  pas  de  là,  dit  Duclaux,  une  grande  leçon 
pour  lessavanls,  et  aussi  pour  ceux  qui  ne  le  sont 
pas? 

Comme  il  arrive  fréquemment,  ce  rude  homme 
était  en  même  temps  un  homme  de  sentiment.  11 
avait  le  cœur  sensible  et  tendre,  l'àme  affectueuse. 
Le  sentiment  de  la  famille  était  profondément  en- 
raciné en  lui.  On  connaît  l'hommage  qu'il  rendit  à 
ses  «  chers  disparus  »,  à  Dôle,  le  jour  où  l'on  posa 
une  j)laque  commémoralivesur  la  maison  oi^i  il  était 
né.  Après  ses  parents  il  perdit  deux  enfants  el  en 
éprouva  un  cruel  chagrin.  11  vivait  entouré  de  l'af- 
fection des  siens,  qui  lui  rendaient  un  véritable 
culte. 

Sa  nature  affectueuse  se  révéla  en  mille  circons- 
tances. Il  gardait  un  sentiment  de  profonde  grati- 
tude à  ses  anciens  maîtres  :  Balard,  J.-B.  Dumas, 
Sainte-Claire-Deville,  Claude  Bernard. 

En  1882,  un  jour  qu'un  groupe  de  savants  et 
d'amis  offrait  à  Pasteur  une  médaille  commémora- 
live,  Dumas,  dans  son  discours,  avait  dit:  «  La 
science,  l'agriculture,  l'industrie,  l'humanité  vous 
conserveront  une  gratitude  éternelle  et  votre  nom 
vivra  dans  les  annales  parmi  les  plus  illustres  et  les 
plus  vénéi'és.  »  \  quoi  Pasteur  répondit:  «  Mon 
cher  Maître,  il  y  a  quarante  ans,  en  effet,  que  j'ai 
le  bonheur  de  vous  connaître  et  que  vous  m'avez 
appris  à  aimer  la  science  et  la  gloire... 


L'HOMME 


87 


«  Après  chacune  de  vos  leçons  je  sorlais  de  la 
Sorbonne  transporté  et  souvent  ému  jusqu'aux 
larmes.  Dès  ce  moment  votre  talenl  de  professeur, 


J.-B.  UiiiUiis. 


vos  immortels  travaux,  votre  noble  caractère,  m'ont 
inspiré  une  admiration  qui  n'a  fait  que  grandir  avec 
la  maturité  de  mon  esprit. 

«    Vous  avez  dû  devijier  mes  sentiments,  mon 
cher  Maître  ;   il  n'est   pas   une   seule  circonstance 


M  PASTEUR 

importanlede  ma  vie  ou  de  celle  de  ma  famille,  cir- 
constance heureuse  ou  pénible,  qui  vous  ait  trouvé 
absent,  et  que  vous  n'ayez  en  quelque  soite  bénie.  » 

Chargé  quelque  temps  après  de  recevoir  ie 
mathématicien  Bertrand  à  l'Académie  française, 
dont  il  faisait  lui-môme  partie  depuis  le  27  aviil 
1882,  il  fit  avec  d'autant  plus  de  plaisir  l'éloge  du 
prédécesseur,  que  ce  prédécesseur  était  précisément 
J.-B.  Dumas.  11  montra  le  fond  de  son  cœur,quand 
il  parla  de  ces  maîtres  à  qui  le  jeune  savant  doit 
ses  premiers  enthousiasmes  et  dont  le  nom  n'a  cessé 
de  lui  apparaître  dans  un  rayonnement  de  gloire. 
«  Voir  enfin  ces  allumeurs  d'àmes,les  entendre,  leur 
parler,  leur  vouer  de  près,  à  côté  d'eux,  le  culte 
secret  que  nous  avions  si  longtemps  gardé  dans  le 
silence  de  notre  jeunesse  obscure,  nous  dire  leur 
disciple,  ne  pas  nous  sentir  trop  indigne  de  l'être  ! 
Ah  !  quel  est  donc  le  moment,  quelle  que  soit  la  for- 
tune de  notre  carrière,  qui  vaille  ce  moment-là,  qui 
nous  laisse  des  émotions  si  profondes  !  » 

Sa  reconnaissance  ne  s'arrêtait  pas  là.  A  Londres, 
dans  un  congrès,  il  proposa  d'adopter,  pour  les 
inoculations  de  vii-us  atténué,  le  nom  de  «  vaccina- 
tion »,  afin  de  rendre  hommage  à  Jenner.  H  y  avait 
pourtant  une  différence  entre  la  découverte  pure- 
ment accidenlelledu  médecin  anglais  et  la  méthode 
féconde  créée  par  Pasteur. 

Non  seulement  Pasteur  eut  «  l'obsession  de  la 


LHOMME  89 


suuffiancL'  hiiiiiaiiie  »,  mais  il  se  sentait  aussi  pris 
de  pitié  à  la  pensée  des  opérations  auxquelles  ses 
expériences  soumettaient  les  animaux.  11  avait  une 
vérital)le  répugnance  pour  la  vivisection,  témoin  le 
fait  suivant  : 

C'était  au  moment  des  études  sur  la  rage.  «  La 
pensée  qu'on  allait  perforer  le  crâne  d'un  chien, 
raconte  le  docteur  lloux,  lui  était  désagréable.  11 
souhaitait  vivement  que  l'expérience  fût  réalisée  et 
il  craignait  de  la  voir  entreprendre.  Je  la  fis  un  jour 
qu'il  était  absent.  Le  lendemain,  comme  je  lui  ren- 
dais compte  que  l'inoculation  intracranienne  ne  pré- 
sentait aucune  difficulté,  il  s'apitoya  sur  le  chien  : 
«  Pauvre  bête!  son  cerveau  est  sans  doute  lésé,  il 
doit  être  paralysé!  »  Pour  touie  réponse  je  descen- 
dis au  sous-sol  chercher  l'animal  et  je  le  fis  entrer 
au  laboratoire.  Pasteur  n'aimait  pas  les  chiens; 
mais  quand  il  vit  celui-ci,  plein  de  vivacité,  fureter 
partout  en  curieux,  il  témoigna  la  satisfaction  la 
plus  vive  et  se  mit  à  lui  prodiguer  les  mots  les  plus 
aimables.  H  savait  un  gré  infini  à  ce  chien  de  si  bien 
supporter  la  trépanation  et  de  faire  ainsi  tomber 
tous  ses  scrupules  pour  les  ti'épanations  futures.  » 

Sa  sympathie  pour  ses  malades,  c'est-à-dire  pour 
ceux  qui  avaient  subi  en  sa  présence  un  traitement 
dû  à  sa  luétliude,  les  suivait  plus  tard.  11  aimait  à 
en  recevoir  des  nouvelles,  il  s'intéressait  à  ce  qui 
pouvait  leur  ai'river.  Curiosité  de  savant,  sans 
doute,  mais  aussi  intérêt  véritable.  Il  correspondait 

Pasleur  12 


90  PASTEUR 


parfois  avec  eux  et  les  engageait  à  lui  écrire.  Sa 
bonté  allait  jusqu'à  leur  venir  en  aide:  c'est  ainsi 
qu'il  envoyait  de  l'argent  au  petit  jjerger  jurassien 
qu'il  avait  guéri  de  la  rage,  afin  qu'il  pût  s'ins- 
truire, comme  il  le  lui  avait  recommandé. 

N'y  a-t-il  pas,  dans  ce  fonds  de  sympathie  qu'on 
découvre  dans  l'âme  de  Pasteur,  une  des  raisons 
déterminantes  de  l'orientation  imprimée  à  ses  tra- 
vaux, qui  tous  tendaient  au  soulagement  de  l'être? 
Quel  réconfort  n'a-t-il  pas  dû  éprouver  chemin  fai- 
sant, pendant  sa  vie  laborieuse,  à  la  pensée  du 
bien  qu'il  faisait  ! 

Mais  il  ne  travaillait  pas  seulement  pour  la 
science,  c'est-à-dire  pour  l'humanité  ;  il  travaillait 
aussi  pour  son  pays  auquel  il  ne  cessait  de  penser. 
Sa  première  émotion  patriotique  remonte  vraisem- 
blablement à  1848.  11  assista  à  la  Révolution  de 
février  et  vibra  à  l'unisson  de  ses  contemporains. 
«  S'il  fallait,  écrivait-il  à  son  père,  je  me  battrais 
avec  courage  pour  la  sainte  cause  de  la  Répu- 
blique. » 

Il  fut  patriote,  mais  il  ne  fut  jfimais  un  homme 
politique.  11  brigua  bien,  en  1870,  un  siège  de  séna- 
teur dans  le  Jura.  Les  électeurs,  J.  Grévy  aidant, 
eurent  le  bon  esprit  de  ne  pas  le  nommer.  Pasteur, 
du  reste,  n'aurait  désiré  être  au  Sénat  que  dans 
Fintérôt  de  l'enseignement  supérieur  et  de  la 
science,  dont  il  se  serait  fait  le  défenseur  auprès  du 


I/llOMME  91 


gouvernement.  C'était  là  sa   seule  préoccupation. 

La  guerre  laissa  à  Pasteur  une  ineffaçable  impres- 
sion. «Ceux  qui  n'ont  pas  vu  la  guérie  ne  savent 
pas  la  valeur  de  ces  mots  :  amour  sacré  de  la  Pa- 
trie »,  disait-il.  Après  la  guerre  il  traduisit  en 
maintes  circonstances  l'amertume  de  ses  senti- 
ments. «  Oh!  que  nous  avions  raison,  nous  autres 
savants,  de  regretter  la  misère  du  Département  de 
l'instruction  publicjue  !  La  cause  vraie  de  tous  nos 
malheurs  actuels  est  là.  Ce  n'est  pas  impunément, 
on  le  reconnaîtra  peut-être,  qu'on  laisse  une  grande 
nation  déchoir  intellectuelleinent.  » 

Le  dernier  coup  de  canon  de  la  guerre  venait  à 
peine  d'être  tiré  qu'il  écrivait  à  Duclaux,  le  29 
mars  1871  :  u  J'ai  la  tête  pleine  des  plus  beaux  pro- 
jets. La  guerre  a  mis  mon  cerveau  en  jachère,  je 
suis  prêt  pour  de  nouvelles  productions.  Hélas  !  Je 
me  fais  peut-être  illusion.  Dans  tous  lescas  j'essaie- 
rai. Ah!  que  ne  suis-je  riche,  millionnaire!  Je  vous 
dirais  à  vous,  à  Raulin,  à  Cernez,  à  Van  Tieghem... 
Venez  :  nous  allons  transformer  le  monde  par  nos 
découvertes!  Que  vous  êtes  heureux  d'être  jeune  et 
bien  portant!  Oh  !  que  n'ai-je  à  recommencer  une 
nouvelle  vie  d'étude  et  de  travail!  Pauvre  France  ! 
chère  patrie!  que  ne  puis-je  contribuer  à  te  rele- 
ver de  tes  désastres!  » 

Il  ne  pardonna  jamais  à  l'Allemagne  la  guerre 
impie  et  le  démembrement  de  la  France.  Il  ren- 
voya au  recteur  de  l'Université  de  Bonn  le  diplôme 


92  PASTEUR 

de  docteur  qui  lui  avait  été  conféré,  à  titre  honori- 
fique, avant  la  guerre.  L'année  de  sa  mort  encore 
il  refusa  de  figurer  sur  la  liste  des  savants  aux- 
quels l'empereur  d'Allemagne  se  proposait  de  con- 
férer Tordre  du  Mérite  de  Prusse. 

Si  Pasteur  laissa  voir  souvent  ses  sentiments  pa- 
triotiques, il  eut  rarement  Foccasion  d'exprimer 
ses  opinions  philosophiques  ou  religieuses.  En  cette 
matière,  il  estimait  que  chacun  doit  rester  maître 
de  la  direction  de  sa  pensée,  de  ses  inclinations,  et 
il  avait  à  cœur,  pour  les  autres  comme  pour  lui,  de 
maintenir  séparés  les  deux  domaines,  celui  de  l'idée 
et  celui  du  sentiment,  de  la  croyance. 

Lorsque  s'éleva  la  grande  querelle  au  sujet  de  la 
génération  spontanée,  Pasteur  en  montra  quehiue 
surprise.  Il  n'entrait  pas  dans  sa  pensée  de  se  faire 
le  serviteur  d'une  cause  quelle  qu'elle  fût,  hors  la 
cause  de  la  science.  Mais  ici  il  allait  jusqu'au  bout, 
c'est-à-dire  aussi  loin  que  l'entraînaient  ses  recher- 
ches, sans  se  soucier  de  la  répercussion  que  pour- 
raient avoir  les  résultats  une  fois  acquis. 

Avant  les  travaux  de  Pasteur,  la  théorie  de  la 
génération  spontanée  ne  rencontrait  guère  de  con- 
tradicteurs. Elle  venait  à  l'appui  de  doctrines  fort  à 
la  mode  en  ce  temps-là,  le  matérialisme  et  le  dar- 
winisme. Avec  la  génération  spontanée  il  était 
inutile  de  pâlir  sur  la  queslion  de  l'origine  de 
l'homme.  L'être  était  né  spontanément  et,  par  le 


LIIOMME  93 

transformisme,  d'espèce  en  espèce,  l'homme  était 
en  dernier  lieu  issu  du  singe. 

Pasteur,  sans  le  vouloir,  sans  y  avoir  songé,  sans 
arrière-pensée  et  sans  parti-pris,  fit  sortir  de  ses 
cornues  un  argument  péremptoire  contre  celte 
théorie:  c'était  l'atlirmation  scientifique  qu'il  n'y  a 
pas  de  génération  spontanée,  il  fallut  bien,  en  dépit 
qu'il  en  eût,  qu'il  dît  un  mot  à  ce  sujet. 

11  réclama  l'indépendance  absolue  pour  le  savant, 
son  droit  de  rechercheretde  dévoiler  la  vérité  quelle 
qu'elle  soit.  A  Nisard,  qui  ne  laissait  pas  de  se 
montrer  perplexe,  il  disait  :  «  Les  recherches  sur 
la  cause  première  ne  sont  pas  du  domaine  de  la 
science.  Elle  ne  connaît  que  ce  qu'elle  peut  démon- 
trer, des  faits,  des  causes  secondes,  des  phéno- 
mènes.  » 

Mais  l'affirmation  de  celte  indépendance  du 
savant  qui  suit  aveuglément  ses  découvertes  ne 
nous  fournit  qu'un  renseignement  très  incomplet 
sur  les  tendances  philosophiques  de  Pasteur.  Plus 
tard,  en  1875,  devant  l'Académie  des  Sciences,  où 
la  lutte  se  renouvelait  souvent,  il  fut  amené  à  s'ex- 
pliquer d'une  façon  catégorique  et  à  faire  une 
véritable  profession  de  foi: 

«  La  Science,  dit-il,  ne  doit  s'inquiéler  en  quoi 
que  ce  soit  des  conséquences  philosophiques  de  ses 
travaux.  Si,  par  le  développement  de  mes  études  expé- 
rimentales, j'arrivais  à  démonirer  que  la  matière 
peut  s'organiser  d'elle-même  en  une  cellule  ou  en 


Pi  PASTEUR 

un  être  vivant,  je  viendrais  le  proclamer  dans  cette 
enceinte  avec  la  légitime  fierté  d'un  inventeur  qui 
a  la  conscience  d'avoir  fait  une  découverte  capitale, 
et  j'ajouterais,  si  l'on  m'y  provoquait:  — tant  pis 
pour  ceux  dont  les  doctrines  et  les  systèmes  ne  sont 
pas  d'accord  avec  la  vérité  des  faits  naturels.  C'est 
avec  la  même  fierté  que  je  vous  ai  dite  tout  à  l'heure., 
en  mettant  mes  adversaires  au  défi  de  me  contre- 
dire :  dans  l'état  actuel  de  la  Science,  la  doctrine  des 
générations  spontanées  est  une  chimère.  El  j'ajoute 
avec  la  même  indépendance:  tant  pis  pour  ceux 
dont  les  idées  philosophiques  ou  politiques  sont 
gênées  par  mes  études! 

«  Est-ce  à  dire  que  dans  mon  for  intérieur  et  dans 
la  conduite  de  ma  vie  je  ne  tienne  compte  que  de 
la  science  acquise  ?  Je  le  voudrais  que  je  ne  le  pour- 
rais pas,  car  il  faudrait  me  dépouiller  d'une  partie 
de  moi-même. 

<ï  En  chacun  de  nous  il  y  a  deux  hommes:  le 
savant,  celui  qui  a  fait  table  rase,  qui,  par  l'obser- 
vation, l'expérimentation  et  le  raisonnement,  veut 
s'élever  à  la  connaissance  de  la  nature,  et  puis 
l'homme  sensible,  l'homme  de  tradition,  de  foi  ou 
de  doute,  l'homme  de  sentiment,  l'homme  qui 
pleure  ses  enfants  qui  ne  sont  plus,  qui  ne  peut, 
hélas  !  prouver  qu'il  les  reverra,  mais  qui  le  croit 
et  l'espère,  qui  ne  veut  pas  mourir  comme  meurt 
un  vibrion,  qui  se  dit  que  la  force  qui  est  en  lui  se 
transformera.    Les  deux  donniines   sont  distincts, 


L  HOMME  QK 


et  niallieiii'  à  celui  qui  veut  les  taire  empiéter  l'un 
sur  l'autre,  dans  l'état  si  imparfait  des  connaissances 
humaines  !  » 

Pasteur  s'est  livré  tout  entier  dans  cette  confes- 
sion qui  se  passe  de  tout  commentaire.  De  quelque 
opinion  philosophique  ou  religieuse  qu'on  se  ré- 
clame, on  ne  peut  que  s'incliner  devant  celte  fran- 
chise, celte  élévation  et  cette  noblesse  de  pensée. 


Le  savant. 


Lorsque  Pasteur,  après  son  séjour  relativement 
court  à  Strasbourg  et  à  Lille  (où  on  lui  a  élevé  un 
monument),  revint  comme  administrateur*  à  l'École 
Normale  supérieure  (1857),  n'étant  pas  professeur, 
il  n'avait  pas  de  laboratoire.  Mais  Pasteur  sans  la- 
boratoire ce  n'était  pas  Pasteur.  Faute  de  mieux  il 
s'installa  dans  un  grenier  de  l'École  pour  ses  tra- 
vaux. Il  n'avait  ni  matériel,  ni  crédit,  ni  prépara- 
teur. Il  s'en  consola  :  «  Nos  découvertes  n'en  auront 
que  plus  de  mérite,  »  écrivait-il  à  Chappuis.  Dix  ans 
plus  tard,  on  lui  édifia  un  laboratoire  à  l'École 
même. 

Nul  plus  que  Pasteur  ne  sentait  le  prix  du  labora- 
toire :  aussi,  soit  dans  des  brochures,  soit  dans  des 
articles  de  Revue,  il  revenait  souvent  et  avec  insis- 
tance sur  la  nécessité  pour  le  pays  de  fournir  des 
laboratoires    aux  savants,   s'attachant  à    montrer 


1.  On  avait  créé  ce  poste  en  faveur  de  Pasteur  pour  lui  rouvrir  rÉcolc 
Normale,  mais  il  n'y  avait  pas  d'illusion  à  se  faire  sur  ce  point  :  «  Ils 
l'ont  nommé  administrateur,  disait  malicieusem  nt  Biot,  laissons-ler.r 
croire  qu'il  aJininistrera  !  » 


Pasteur  dans  son  laboratoire.  (Tableau  de  Edelfelt  ) 
Pasteur  13 


98  PASTEUR 

combien,  sous  ce  rapport,  la  France  était  distancée 
par  les  autres  pays  :  «  Supprimez  les  laboratoires, 
disait-il,  les  sciences  physiques  deviendront  l'inicige 
de  la  stérilité  et  de  la  mort.  » 

On  a  vu  que  Pasteur  n'avait  pas  conservé  long- 
temps les  fonctions  de  professeur,  qui  ne  lui  allaient 
guère.  Il  était  plus  à  Taise  dans  un  laboratoire  que 
dans  une  chaire  magistrale;  on  peut  même  dire 
qu'il  y  passa  effectivement  sa  vie.  11  s'en  arrachait 
à  regret,  même  lorsque  les  plus  doux  devoirs  lui 
en  faisaient  une  obligation.  A  l'époque  oi^i  il  de- 
vait épouser  M^"^  Laurent,  il  dut  prendre  sur  ses 
heures  de  travail  pour  remplir  son  rôle  de  fiancé. 
Qu'il  ail  pu  se  détacher  ainsi  de  son  laboratoire,  cela 
ne  laissait  pas  de  l'étonner  lui-même  :  «  Et  moi  qui 
aimais  tant  mes  cristaux!  »  disait-il  dans  une  lettre. 

L'expérience  faite  dans  le  silence  et  le  calme  du 
laboratoire  lui  allait  mieux  que  la  conférence.  Ses 
leçons,  (juand  il  était  professeur,  lui  demandaient 
une  minutieuse  préparation,  et,  même  à  ce  prix,  il 
n'arrivait  pas  à  se  satisfaire. 

Ses  deux  premières  leçons  à  Strasbourg  ne  lui 
plurent  pas  ;  il  les  trouvait  mauvaises  précisément 
parce  qu'elles  étaient  trop  préparées.  Il  aurait  pu 
diie  comme  le  littérateur  Rigault,  dont  il  suivait 
parfois  les  brillantes  leçons  à  la  Surbonne:  «  Quand 
je  suis  dans  ma  chaire,  j'ai  le  corps  serré  dans  un 
corset  d'acier,  d  A  trop  préparer  la  forme,   on  en 


LE  SAVANT  99 

reste  le  prisonnier,  on  n'est  plus  soi-même  :  c'est 
le  corset  d'acier.  Pasteur  n'était  pas  fait  pour  le 
corset  ;  il  se  passait  d'ailleurs  volontiers  d'une  apti- 
tude qu'il  n'avait  pas.  Il  se  résigna  à  ne  pasêlre  un 
brillant  improvisateur,  et  il  vaut  mieux  sans  doute 
qu'il  en  ait  été  ainsi. 

Pasteur  fut  donc  avant  tout  un  expérimentateur, 
un  savant  de  laboratoire  ;  les  notes  qu'il  rédigeait 
étaient  destinées  à  son  usage  personnel  ou  à  ses 
communications  à  l'Académie.  H  ne  publiait  que  ce 
qui  avait  un  intérêt  pratique,  comme  les  «  Études 
sur  les  Vins  ». 

Lorsqu'il  avait  à  prendre  la  parole  à  l'Académie 
des  Sciences,  dont  il  était  membre  depuis  le  mois 
de  décembre  186:2,  ou  en  public,  il  lisait  d'habitude 
ce  qu'il  avait  à  dire.  Les  mots  d'orateur,  de  tribune, 
de  discours  lui  paraissaient  déplacés  à  l'Académie 
de  Médecine.  Cela  le  froissait  et  le  gênait  que,  pour 
parler  le  langage  de  la  science,  on  eût  recours  à  des 
procédés  et  à  des  formes  qui  convenaient  à  d'autres 
milieux;  il  aurait  voulu  qu'on  y  renonçât. 

On  peut  donc  dire  que  Pasteur  manquait  des  qua- 
lités un  peu  superficielles  qui  font  briller;  mais  il 
avait  les  qualités  du  chercheur,  du  pionnier,  celles 
que  le  public  ne  voit  ni  n'apprécie.  Le  public  en  effet 
ignore  les  heures  pénibles  par  lesquelles  le  savant, 
l'artiste  ou  l'écrivain  ont  d'avance  payé  la  joie  de 
leur  succès.  «  Allez  donc  parler  à  la  foule,  disait 
lîiot,  d'études  antérieures,  de  théories  physiques  et 


100  PASTEUR 

chimiques  longtemps  élaborées  dans  le  silence  du 
cabinet.  Elle  ne  s'arrête  pas  à  vous  écouter,  elle 
ignore  les  antécédents  et  les  dédaigne.  » 

Pasteur  les  connaissait  bien  les  heures  pénibles, 
anxieuses  et  fiévreuses,  qui  sécoulent  sans  témoins, 
qui  amènent  parfois  de  vives  déceptions,  mais  qui 
causent  aussi  de  secrètes  et  profondes  jouissances, 
lorsque  les  patients  efforts  sont  enfin  couronnés  par 
le  succès. 

«  Comme  savant,  Pasteur  n'a  pas  eu  de  précur- 
seur, remarque  Duclaux,  c'est  à-dire  qu'il  n'a  déve- 
loppé et  étendu  les  idées  de  personne.  Il  reste  Fégal 
de  beaucoup  lorsqu'il  montre  l'origine  microbienne 
du  charbon  ou  d'autres  maladies.  Là  où  il  sort  de 
pair,  c'est  lorsqu'il  découvre  l'atténuation  du  virus, 
et  qu'il  introduit  dans  la  science  cette  notion  féconde 
qui  permet  d'agir  sur  la  maladie  en  agissant  non 
plus  sur  le  malade,  comme  on  l'avait  fait  jusque-là, 
mais  sui'  le  microbe  pathogène.  » 

En  vérité,  d'autres  ont  pu  avoir  l'intuition  des 
faits  pathologiques  sur  lesquels  ont  porté  les  études 
de  Pasteur. 

L'Allemand  Ilenle  avait,  avant  Pasteur,  attribué 
la  maladie  à  la  «  matière  morbide  »,  c'est-à-dire  à 
quelque  chose  d'autre  que  la  dialhèse. 

Mais  de  là  à  la  théorie  microbienne  il  y  a  une 
distance  qu'il  n'avait  pas  franchie. 

On  en  peut  dire  autant  de  ce  qui  avait  été  tenté 


LE  SWANT  101 


pour  rinoculation  préventive  comme  pour  la  séro- 
thérapie. Ue  pareilles  idées  restent  en  quelque  sorte 
à  Télat  sporadique  tant  que  le  génie  qui  féconde 
ne  s'en  est  pas  emparé  pour  les  soumettre  à  une 
méthode,  les  généraliser  et  en  tirer  toutes  les  con- 
séquences utiles. 

On  a  pu  avoir,  avant  Christophe  Colomb,  l'idée 
de  la  sphéricité  de  la  terre;  d'autres  avant  lui  ont 
pu,  accidentellement,  aborder  au  continent  améri- 
cain. Christophe  Colomb  seul  s'est  embarqué  avec 
l'idée  que  la  terre  est  ronde  et  que,  en  naviguant 
vers  l'ouest,  on  devait  arriver  à  des  régions  con- 
nues. Chemin  faisant,  il  a  découvert  le  nouveau 
continent.  Il  a  eu  de  plus  que  les  autres  l'idée 
géniale  et  directrice,  avec  la  volonté. 

Dès  ses  premiers  travaux.  Pasteur  a  eu  devant  lui 
un  problème  de  vie  ;  il  a  trouvé  la  route  pour  l'a- 
border et,  depuis,  il  a  toujours  marché  dans  la 
même  voie.  11  a  déployé  des  qualités  de  premier 
ordre,  à  la  fois  audacieux  et  prudent,  se  trompant 
parfois  et  longuement,  mais  constamment  ramené 
dans  le  vrai  chemin  par  cette  sévère  méthode  expé- 
rimentale dont  il  a  souvent  parlé  avec  reconnais- 
sance. 

Pasteur,  on  le  sait,  était  réservé;  il  ne  devenait 
affirmatif  que  lorsque  son  affirmation  s'appuyait 
sur  une  expérience.  On  se  rappelle  l'incident  de  la 
poule  charbonneuse  de  Colin,  dAlfort. 

Un  autre  fait  éclairera  encore  mieux  ce  côté  du 


102  PASTEUn 

caractère  de  Pasteur.  A  Nancy,  dans  le  sang  d'une 
femme  qu'il  croyait  morte  de  fièvre  puerpérale,  le 
docteur  Feltz  prétendait  avoir  trouvé  un  certain  mi- 
crobe que  Pasteur  n'y  avait  jamais  vu.  Celui-ci  se  fit 
envoyer  quelques  gouttes  du  sang.  Apres  examen, 
il  écrivit  à  Feltz  que  la  femme  était  morte  du 
charbon. 

Ce  diagnostic  posthume  à  distance  ne  fait-il  pas 
penser  à  Leverrier,  découvrant  une  planète  par  le 
calcul,  sans  quitter  son  cabinet  ? 

Feltz  n'en  voulait  rien  croire.  Pasteur  lui  envoya 
trois  cobayes  vivants  qu'il  avait  inoculés  :  le  pre- 
mier avec  le  sang  de  la  femme  morte,  le  second 
avec  la  bactérie! ie  d'un  sang  charbonneux  venant 
de  Chartres,  le  troisième  avec  du  sang  charbon- 
neux d'une  vache  du  Jura. 

A  l'autopsie,  Feltz  ne  put  faire  aucune  différence 
entre  les  trois  cas.  Avec  une  sincérité  parfaite,  il 
confessa  son  erreur  à  l'Académie.  On  fit  une  enquête 
et  on  finit  par  découvrir  que  la  femme  avait  occupé 
une  pelite  chambre  contiguë  à  l'écurie  d'un  maqui- 
gnon. Dès  lors  la  contagion  s'expliquait  d'elle-même, 

La  démonstration  que  Pasteur  venait  de  faire 
ainsi  de  la  sûreté  de  sa  méthode  valait  assurément 
mieux  que  le  plus  beau  discours.  «  11  éclaire  toutce 
qu'il  touche  »,  avait  dit  Biot.  On  aurait  pu  ajouter  : 
«  et  même  ce  qu'il  ne  touche  pas  ». 

Pasteur  se  montrait  très  catégorique  quand  il 
était  en  possession  de  la   vérité  :  le  débat  avec 


LE  SAVA^■T 


103 


Feltz  en  est,  une  preuve  de  pins,  il  allait  parfois 
jusqu'à  kl  dureté  à  l'égard  de  son  contiadicteur, 
parce  que  tonte  contradiction  lui  était  insuppor- 
table. Ses  adversaires  étaient  sans  doute  des  savants 


Le  monuiuent  de  Pasteur,  à  Paris. 


comme  lui  ;  mais  cela  prouve,  comme  l'a  observé 
Duclaux,  que  les  savants,  même  les  plus  patentés, 
n'ont  pas  toujours  l'esprit  juste  ni  préparé  à  tout 
comprendre. 

Pasteur  a  rendu  d'inappréciables  services.  Les 


104  PASTEUR 

industries  de  la  sériciculture,  duvinaipjre,  du  vin, 
de  la  bière^  lui  doivent  beaucoup.  11  en  est  de  même 
de  l'agriculture,  grâce  aux  progrès  de  la  médecine 
vétérinaire. 

Ce  sont  ces  inappréciables  services  que  Falguière 
a  voulu  immortaliser  dans  sa  conception  du  mo- 
nument de  Pasteur,  élevé  sur  la  place  de  Breteuil, 
à  Paris.  Au-dessous  de  la  statue  de  Pasteur  se  déta- 
chent en  haut-relief  des  figures  d'un  symbolisme  à 
la  fois  très  artistique  et  facilement  intelligible  ;  à 
la  face  antérieure  :  THumanité  implorant  le  secours 
du  grand  savant;  sur  les  trois  autres  faces,  les 
Travailleurs  des  champs,  goûtant  la  paix  et  la 
sécurité. 

En  toute  occasion,  le  savant  laissait  voir  le  grand 
intérêt  qu'il  prenait  à  l'art  de  guérir  les  animaux. 
Il  aurait  voulu  pouvoir  devenir  élève  de  l'École 
d'Alfort.  En  1879  les  vétérinaires  praticiens,  juste- 
ment pénétrés  des  progrès  que  la  médecine  des  ani- 
maux devait  à  Pasteur,  avaient  émis  le  vœu  qu'un 
diplôme  vétérinaire,  portant  les  signatures  des  direc- 
teurs des  trois  Écoles  de  France,  fût  décerné  à 
Pasteur.  Ce  projet  ne  put  se  réaliser,  parce  qu'il 
était  en  opposition  avec  le  statut  fondamental  des 
Écoles  vétérinaires. 

La  médecine  de  l'homme  se  trouva  complète- 
ment renouvelée  :  la  chimie  l'emportait  sur  la  cli- 
nique, la  science  sur  l'empirisme.  Pasteur  avait 
conscience  de  la  révolution   qu'il  opérait  et  qui  lui 


LE  SWANT  lOo 

avait  valu  tant  de   luttes,  de  peine  et  d'amertume. 

Le  génie  de  Pasteur  rayonnait  du  plus  pur  éclat. 
Pasteur  était  entré  vivant  dans  la  gloire.  La  fin 
avait  tenu,  et  au  delà,  les  promesses  du  commen- 
cement, celles  qu'il  formulait,  vagues  encore,  quand 
il  fit  ses  premières  découvertes  en  cristallographie. 
«  La  grande  route  neuve  et  imprévue  »  qu'il  avait 
entrevue  l'avait  en  effet  conduit  à  des  «  consé- 
quences incalculables.  » 

Pendant  son  séjour  à  Pont-Gisquet,  il  s'inquié- 
tait de  ne  pas  être  à  son  poste  à  l'École  Normale. 
Le  directeur,  Nisard,  lui  écrivait  pour  le  rassurer  : 
«  Prenez  tous  les  jours  qui  vousseront  nécessaires; 
vous  êtes  absent  pour  le  service  de  la  science  et, 
si  j'en  crois  mes  pressentiments,  pour  le  service  de 
l'humanité.  » 

C'est  bien  en  effet  au  service  de  l'humanité  que 
Pasteur  a  consacré  sa  vie.  Les  peuples  étrangers  ne 
furent  pas  les  derniers  à  adopter  ce  génie  bienfai- 
sant et  à  mettre  à  profit  ses  découvertes  et  sa  mé- 
thode. 

Du  monde  entier  lui  parvenaient  des  lettres,  des 
appels,  des  demandes  de  consultation.  On  le  pre- 
nait pour  un  médecin,  lui  qui  regrettait  tant  de  ne 
pas  l'être.  «  Il  ne  soigne  pas  les  individus,  répondit 
un  jour  Edmond  About  à  un  étranger  qui  commet- 
tait cette  méprise,  il  s'efforce  de  guérir  l'huma- 
nité. » 

Tel  fut  réellement  le  rôle  de  Pasteur.  Mais  en 

Pasteur  1 4 


400  PASTEUR 

servant  rhiimanité  et  la  science,  il  servait  surtout 
son  pays,  dont  il  ne  se  détachait  jamais,  auquel, 
au  contraire,  il  rapportait  toutes  ses  joies,  tous  ses 
succès.  On  se  rappelle  la  lettre  qu'il  écrivait  à  Du- 
claux  après  la  guerre  :  «  Pauvre  France,  chère  Pa- 
trie, que  ne  puis-je  contribuer  à  te  relever  de  tes 
désastres  !  » 

Son  vœu  fut  pourtant  exaucé  en  partie.  Huxley, 
dans  une  leçon  à  la  Société  Royale  de  Londres,  di- 
sait :  «  Les  découvertes  de  Pasteur  suffiraient  à 
elles  seules  pour  couvrir  la  rançon  de  guerre  de 
cinq  milliards  payés  par  la  France  à  l'Allemagne 
en  1870.  »  Et  qui  pourra,  d'autre  part,  faire  jamais 
le  compte  des  vies  humaines  sauvées  par  la  mé- 
thode antiseptique! 


TROISIÈME   PARTIE 


Pasteur  et  la  Science. 


Les  pages  qui  précèdent  sont  consacrées  à  l'ex- 
posé historique  de  l'œuvre  de  Pasteur,  à  l'étude  de 
l'homme  lui-même,  de  son  caractère  et  de  son  es- 
prit. 

Les  travaux  de  ce  savant,  le  rôle  qu'il  a  joué, 
l'aclion  qu'il  a  exercée,  demandent  peut-être  quel- 
que chose  de  plus,  pour  être  bien  compris,  que  le 
récit  qui  en  a  été  fait  jusqu'ici. 

L'œuvre  de  Pasteur  n'est  pas  d'une  assimilation 
facile  pour  qui  n'y  est  pas  quelque  peu  préparé.  Il 
arrivait  môme,  lorsque  Pasteur  lisait  à  l'Académie 
une  note  sur  quelque  point  de  ses  travaux,  que 
Claude  Bernard  et  J.-B.  Dumas  eux-mêmes  ne  com- 
prenaient pas  toujours  du  premier  coup. 

C'est  pourquoi  il  a  paru  utile  à  l'essai  de  vulgari- 
sation qui  fait  l'objet  même  de  ce  livre,  de  revenir 
sur  ^out  ce  qu'il  y  a  d'essentiel  dans  l'a'uvre  de 
Pasteur,  pour  permettre  de  mieux  mesurer  l'effort 
accompli,  de  mieux  pénétrer  l'idée  directrice,  de 
mieux  apprécier  le  progrès  réalisé,  qui  fut  capital. 


108  PASTEUR 

En  subsliluant,  dans  les  pages  qui  suivent,  le 
point  de  vue  scientifique  au  point  de  vue  historique, 
les  mômes  choses,  vues  sous  un  nouvel  aspect  et 
éclairées  d'une  autre  lumière,  ne  pourront  qu'y 
gagner  en  netteté. 

On  reviendra  donc,  dans  celte  dernière  partie, 
sur  la  cristallographie,  qui  a  ouvert  à  Pasteur  une 
voie   neuve  et   inespéiée. 

On  s'efforcera  de  mieux  faire  voir  la  liaison  qui 
rattache  la  dissymétrie  moléculaire  au  phénomène 
delà  fermentation,  qui  n'élaitpas  connu  scientifi- 
quement, en  dépit  d'ingénieuses  définitions. 

En  troisième  lieu,  en  suivant  toujours  la  marche, 
le  processus  même  des  travaux  du  savant,  on  es- 
saiera de  mettre  plus  de  précision  dans  les  détails 
déjà  donnés  sur  l'application  que  Pasteur  a  faite  de 
sa  théorie  microbienne  aux  maladies  de  l'homme  et 
des  animaux. 

Enfin  Pasteur  a  jeté  des  semences  qui  ont  conti- 
nué à  germer  et  à  lever  après  lui  :  quelques  indi- 
cations à  ce  sujet  ne  seront  pas  inutiles. 

Pasteur  a  fondé  une  doctrine,  celle  des  micro- 
bes, et  une  méthode,  la  méthode  expérimentale 
appliquée  aux  infiniment  petits.  11  ajouta,  au  mer- 
veilleux instrument  qu'était  son  esprit  d'investiga- 
tion et  de  généralisation,  le  microscope  et  la  cor- 
nue, qui  le  conduisaient  à  une  certitude  absolue. 

Mais  le  succès  n'aurait  peut-être  pas  été  aussi 
complet,  si  Pasteur  n'avait  pas  été  doué  de  cette 


PASTEUR  ET  L\  SCIENCE  109 

ténacité,  de  celte  âprcté  dans  la  lutte,  de  ce  besoin 
de  vaincre,  de  faire  triompher  la  vérité,  qui  sont  la 
caractéristique  de  son  tempérament. 

On  peut  dire  que  la  pierre  d'angle  de  tout  son 
système  est  le  ferment.  Grâce  à  Pasteur  on  sait  au- 
jourd'hui ce  qu'est  la  fermentation,  comme  on  est 
û\é  sur  l'éliologie  des  maladies  infectieuses,  sur  le 
mystère  de  la  contagion  et  de  l'immunisation. 

Non  seulement  il  a  expliqué  la  genèse  de  mala- 
dies redoutables  comme  le  charbon  et  la  rage,  mais 
il  a  donné  aussi  les  moyens  de  les  prévenir,  de  les 
dominer,  de  les  guérir. 

Comme  tout  novateur.  Pasteur  devait  être  con- 
testé et  combattu.  La  résistance  fut  longue,  opiniâ- 
tre. Elle  fut  marquée  par  des  discussions,  des  po- 
lémiques, des  luttes  ardentes  dont  on  a  déjà  eu  un 
aperçu  précédemment  et  sur  lesquelles  il  ne  sera 
pas  indifférent  de  revenir  encore. 

L'hostilité  à  laquelle  se  heurta  Pasteur,  et  que  lui 
montra  en  particulier  le  corps  médical,  n'est  pas  un 
fait  isolé  et  dont  il  convienne  de  faire  grief  aux 
médecins  du  siècle  dernier.  On  pourrait  plutôt  le 
considérer  comme  une  fatalité  psychologique  main- 
tes fois  relevée  par  les  esprits  observateurs.  Tous 
les  pouvoirs  sociaux  sont  naturellement  voués  à  la 
coutume,  remarque  Renouvier  :  Thomme  collectif  ne 
se  modifie  volontairement  que  le  moins  qu'il  peut, 
à  son  corps  défendant  pour  ainsi  dire. 

Cette  vérité  s'est  vérifiée  une  fois  de  plus  le  jour 


110  PASTEUR 

OÙ  Pasteur  est  venu,  lui,  profane,  toucher  à  «  la  cou- 
tume »  médicale. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  dans  le  conflit,  sur  lequel 
nous  aurons  à  revenir  en  raison  môme  de  Tintérôt 
qu'il  présente  pour  la  science. 

«  Quand  on  a  rendu  hommage  à  la  mémoire  de 
Pasteur  en  lisant  son  histoire,  remarque  M.  Louis 
Passy*,  on  reste  sous  cette  impression  d'une  épo- 
pée dont  le  héros,  par  sa  ténacité  et  la  profondeur 
de  ses  vues,  transforme  un  roman  d'aventures  en 
une  conquête  scientifique.  Chaque  découverte  de 
Pasteur  est  une  action  dramatique.  La  scène  va- 
rie sans  cesse:  elle  est  dans  le  laboratoire,  dans  les 
Académies,  dans  les  conférences,  dans  les  voyages, 
dans  les  ateliers  ou  dans  les  champs.  Les  acteurs  se 
renouvellent  avec  la  scène.  Parfois,  à  propos  de 
certains  contradicteurs,  des  incidents  se  déroulent 
et  soulèvent  des  passions  violentes;  mais  l'action 
se  termine  toujours  par  une  victoire,  préparée  par 
la  stratégie  des  expériences,  et  assurée  par  le  coup 
final  d'une  découverte  qui  écrase  à  la  fois  tous  les 
adversaires.  » 

C'est  ce  drame,  ce  sont  les  péripéties  de  cette  ba- 
taille qu'on  retrouvera  en  raccourci  dans  les  lignes 
suivantes. 


1.  Bulletin  des   Séances   de  la  Société  nationale  d'Agriculture   de 
France,  année  1901,  n^  11. 


PASTEUR  ET  L\  SCIENCE  111 


La  doctrine  microbienne. 

La  note  de  Mitscherlich  sur  le  paratartrate  joue 
un  rôle  important  dans  la  carrière  scientifique  de 
Pasteur:  elle  a  déterminé  son  orientation.  On  a  vu 
que  Pasieur  s'élait  refusé  à  admettre  l'anomalie 
signalée  par  le  savant  allemand.  Ses  observations 
le  conduisirent  à  reconnaître  que  la  demi-facetle 
des  cristaux  ou,  pour  revenir  au  terme  propre, 
l'hémiédrie,  exerçait  un  pouvoir  rotatoire  sur  la 
lumière  polarisée;  il  avait  reconnu  encore,  fait 
important,  que  cette  dissymétrie  moléculaire  est 
corrélative  de  vie,  c'est-à-dire  que  la  molécule 
est  vivante  quand  il  s'agit  de  la  matière  orga- 
nique. 

«  Le  végétal,  ditDuclaux,  qui  est  le  grand  créa- 
teur de  matière  organique  à  la  surface  du  globe, 
est  un  être  en  travail  continu  de  synthèse.  M'aide  de 
matériaux  parvenus  au  dernier  degré  de  simplifica- 
tion chimique,  gaz  carbonique,  eau,  ammoniaque, 
il  fabrique  des  substances  de  plus  en  plus  com- 
plexes, qu'il  emmagasine  dans  les  tissus  nouveaux 
qu'il  se  crée  suivant  ses  besoins.  Dès  que  ces  sub- 
stances atteignent  un  certain  degré  de  complexité, 
on  voit  apparaître  chez  elles  le  pouvoir  rotatoire 
moléculaire,  absent  jusque-là.  » 

Mais  pouvait-on,  sans  chicaner,  laisser  dire  à 
un  Français  que  l'hémiédrie  était  d'un  côté,  quand 


112  PASTEUn 


un  minéralogiste  allemand  venait  d'affirmer  qu'elle 
était  de  l'autre? 

Pasteur  marcha  à  l'ennemi  armé  d'énormes  cris- 
taux en  bois  qu'il  avait  fait  tailler  par  un  menui- 
sier. Dans  une  leçon  à  la  Société  Philomathique,  à 
Paris,  il  n'alla  pas  jusqu'à  jeter  ses  morceaux  de  bois 
à  la  tête  de  ses  contradicteurs,  mais  il  les  flagella 
d'une  phrase  cinglante  :  «  Si  vous  étiez  au  courant 
de  la  question,  que  faites-vous  de  votre  conscience? 
Et  si  vous  n'étiez  pas  au  courant,  de  quoi  vous 
mêlez-vous?  »  En  réalité,  sur  le  point  de  savoir  si 
l'hémiédrie  était  à  droite  ou  à  gauche,  tout  dépen- 
dait de  la  manière  de  tenir  les  cristaux.  Ce  n'était 
donc  qu'une  querelle  d'Allemand  qu'on  avait  cher- 
chée à  Pasteur.  Il  devait  en  voir  d'autres. 

Pasteur  avait  l'esprit  rempli  de  sa  découverte 
relative  à  la  dissymétrie  moléculaire,  lorsque  son 
attention  fut  appelée  sur  la  question  de  la  fermen- 
tation. 

La  théorie  de  Liebig  était  partout  adoptée.  Selon 
le  chimiste  allemand;,  la  fermentation  était  l'effet 
de  la  décomposition  des  matières  organiques  sous 
l'action  de  l'oxygène  de  l'air  :  toutes  les  matières 
animales  et  végétales  en  putréfaction  reportent  sur 
d'autres  corps  l'état  de  décomposition  dans  lequel 
elles  se  trouvent  elles-mêmes.  Liebig  n'attribuait 
aucun  rôle  dans  la  fermentation  au  globule  de 
levure,  c'est-à-dire  à  la  cellule  vivante. 


PASTEUll  KT  LA  SCIENCE  113 

Cette  doctrine  n'avait  pu  satisfaire  Pasteur.  Le 
globule  de  la  levure  présent  dans  lu  fermentation 
est  hémiédrique  à  gauche,  il  a  le  pouvoir  rotatoire, 
c'est  donc  un  être  organisé. 

Mais  d'où  vient  cette  levure?  Vient-elle  de  la 
matière  en  décomposition?  Est-ce  l'effet  de  la  géné- 
ration sponlanée?  Certainement,  répondaient  les 
partisans  de  la  génération  spontanée,  les  hétéro- 
génistes. 

«  L'hétérogénie,  avait  dit  Trécul,  est  une  opéra- 
tion naturelle  par  laquelle  la  vie,  sur  le  point 
d'abandonner  un  corps  organisé,  concentre  son 
action  sur  quelques-unes  des  particules  de  ce 
corps  et  en  forme  des  êtres  tout  différents  de  celui 
dont  la  substance  a  été  empruntée.  «  On  peut  rap- 
procher cette  définition  de  celle  de  Musset,  qui  a 
été  donnée  dans  la  première  partie.  Ces  définitions 
n'étaient  que  des  explications  qui  n'expliquaient 
pas  grantl 'chose  :  dire  que  «  la  vie  sur  le  point 
d'abandonner  un  corps  concentre  son  action  sur  des 
particules  »  est  une  phrase  jetée  sur  un  mystère, 
mais  non  la  révélation  même  du  mystère. 

On  sait  quelle  forme  scientifique  et  quelle  force 
irréfragable  Pasteur  avait  données  à  sa  théorie. 
Mais  des  objections  nombreuses,  embarrassantes, 
se  produisirent  fatalement,  d'autant  que  Pasteur 
n'avait  pas  du  premier  coup  pourvu  à  tout. 

Les  germes  de  l'air,  débris  des  matières  orga- 
niques décomposées,  poussières  volantes,  doivent 

Pasteur  15 


114  PASTEUR 


se  trouver,  se  trouvent  effectivement  dans  les 
couches  inférieures  de  l'atmosphère.  Au  sommet 
des  montagnes  on  ne  rencontre  pas  ou  presque  pas 
de  germes.  Pasteur  en  avait  acquis  la  certitude 
grâce  à  des  expériences  répétées. 

Pouchet  et  Joly  allèrent  faire  des  observations 
sur  la  Maladetta,  et  voilà  que  leurs  matras,  à  moi- 
tié remplis  de  décoction  de  foin  stérilisée,  se  mirent 
à  fermenter,  une  fois  ouverts  au  sommet  de  la  mon- 
tagne. 

Frémy,  de  son  côté,  vint  soutenir  que  le  moût  de 
raisin  fermente  non  par  l'effet  de  l'air,  mais  parce 
que  le  suc  du  grain  de  raisin  donne  naissance  aux 
graines  de  levure  par  la  transformation  de  la  ma- 
tière albumineuse.  Frémy  et  Trécul  étaient  donc 
d'accord  :  le  ferment  ne  vient  pas  du  dehors,  il  est 
créé  par  la  matière  organique. 

Enfin  le  docteur  anglais  Bastian  arrive  à  son  tour 
avec  un  ballon  d'urine,  liquide  essentiellement 
fermentescible.  L'urine  avait  été  stérilisée  par 
l'ébullition  et  pourtant,  au  contact  d'un  peu  de  po- 
tasse bouillie  et  stérilisée,  le  liquide  s'était  peuplé 
sans  que  l'air  y  fût  pour  quelque  chose. 

Tout  cela  se  passait  après  la  conférence  mémo- 
rable de  la  Sorbonne,  dans  laquelle  Pasteur  avait 
ruiné  la  doctrine  de  la  génération  spontanée'.  Tout 

1 .  Voir  page  20. 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  115 

n'était  pas  faux  cependant  dans  les  assertions  de 
Pouchet,  de  Frémy  et  de  Bastian.  Mais  Pasteur  ne 
pouvait  admettre  ni  l'interprétation  ni  les  conclu- 
sions de  ses  contradicteurs. 

Il  y  avait  une  particularité  dont  Pasteur  avait  été 
frappé  dans  ses  études  sur  le  mycoderme  du  vin  : 
c'est  que  la  levure  ne  périssait  pas  à  l'intérieur  du 
liquide,  à  l'abri  de  l'air.  11  refit  les  expériences  de 
ses  contradicteurs  et  trouva  de  quoi  répondre  à 
chacun  d'eux.  Comme  il  l'a  dit  lui-même,  ce  qui 
manquait  à  ses  adversaires,  c'était  l'habitude  du 
microscope  et  du  laboratoire. 

Grâce  à  son  esprit  de  finesse  et  de  discernement, 
il  démontra  à  Frémy  que  le  bois  de  ses  grappes,  la 
surface  des  grains  avaient  conservé  des  poussières 
qui  fournissaient  au  moût  le  ferment.  Il  démontra 
à  Pouchet  et  à  Bastian  que  l'ébuUition  n'avait  pas 
suffi  à  tuer,  non  pas  l'infusoire  même,  mais  l'œuf 
de  i'infusoire,  la  spore,  plus  résistante  aux  hautes 
températures.  D'autre  part,  comme  c'était  le  cas 
pour  Bastian,  la  réaction  du  liquide  peut  aussi 
provoquer  la  reviviscence  du  germe,  ainsi  que  le 
fait,  dans  d'autres  cas,  le  contact  de  l'air. 

Enfin,  il  répondait  à  Trécul  que  sa  théorie  trans- 
formiste était  fausse.  Il  s'opère  bien  en  réalité  une 
transformation  de  l'aérobie  eu  anaérobie,  de  l'in- 
fusoire à  la  spore,  mais  ce  n'est  pas  un  changement 
d'espèce,  ce  n'est  qu'un  changement  de  fonction  du 


116  PASTEUR 

même  individu  :  c'est  le  ver  à  soie  devenant  chry- 
salide. 

Les  adversaires  de  Pasteur  ignoraient  tout  cela, 
comme  Pasteur  l'avait  ignoré  tout  d'abord,  car  il 
n'était  pas  arrivé  du  premier  coup  à  ces  notions, 
qui  ne  se  précisaient  et  ne  s'affirmaient  que  succes- 
sivement, à  la  longue,  sous  la  poussée  de  ses  con- 
tradicteurs. 

Ainsi,  en  faisant  passer  la  question  de  la  géné- 
ration spontanée  par  ses  tubes  et  ses  cornues,  Pas- 
teur put  proclamer  que  la  génération  spontanée 
est  une  erreur  absolue.  11  n'y  a  ni  fermentation  ni 
décomposition  tant  que  l'air  n'a  pas  fourni,  direc- 
tement ou  indirectement  à  la  matière  organique, 
la  cellule,  le  micro-organisme  dont  elle  a  besoin  pour 
fermenter. 

Cette  donnée  s'est  élargie  et  modifiée  dans  la 
suite.  Poussé  toujours  plus  avant  par  les  objections. 
Pasteur  avait  fini  par  se  rendre  complètement 
maître  de  la  vie  anaérobienne.  C'est  ainsi  que,  son 
esprit  mis  en  éveil  par  l'anaérobie  de  l'acide  buty- 
rique, par  l'anomalie  qu'il  avait  remarquée  à  l'occa- 
sion du  mycoderme  du  vin,  il  arriva  à  découvrir  le 
germe,  la  spore,  qui  garde  une  vie  latente  au  fond 
du  liquide  ^ 

Il  reconnut  ainsi  (jue  ce  n'est  pas,  à  proprement 

1.  Voir  plus  loin,  page  121. 


PASTEUR  ET  L\  SCIENCE  117 

parler,  l'air  atmosphérique  qui  entretient  la  vie  des 
infiniment  petits,  mais  l'oxygène.  Ainsi  l'infusoire 
privé  d'air  peut  trouver  à  emprunter  de  l'oxygène 
à  la  matière  ambiante;  la  matière  alors  se  désor- 
ganise et  fermente. 

Voilà  donc  le  myslère  de  la  fermentation  expliqué. 
La  cellule  devient  ferment  pour  les  matières  sus- 
ceptibles de  lui  fournir  l'oxygène  :  seules  par  consé- 
quent peuvent  fermenter  les  substances  qui  ont  de 
l'oxygène  à  donner  à  leur  ferment.  De  là  découle 
encore  une  idée  nouvelle,  celle  de  la  spécificité  ^  du 
ferment.  Cette  idée,  transportée  plus  lard  en  méde- 
cine, produira  la  théorie  de  la  spécificité  des 
microbes  pathogènes  et,  conséquemment,  des  mala- 
dies. 

Les  collègues,  les  amis  de  Pasteur  ne  compre- 
naient pas  toujours  sa  fougue,  sa  combativité.  On 
lui  prêchait  le  calme.  «  Mou  cher  Pasteur,  lui  disait 
Bulard,  permettez  à  ma  vieille  amitié  de  vous  dire 
publiquement  que  je  crains  que  vous  n'entriez  dans 
une  voie  nuisible  à  vos  propres  recherches  et  à 
votre  propre  repos,  en  répondant  par  vos  expé- 
riences personnelles  aux  questions  spéciales,  nom- 
breuses, qui  peuvent  vous  être  adressées.  Que  vos 
adversaires  expérimentent  d'abord  eux-mêmes,  et 
quand  ils  vous  apporteront  des  résultats  qui  vous 

1.  Voir  page  24. 


118  rASTl^lUR 

paraîtront  inexacts,  appliquez,  à  les  discuter  et  à 
trouver  le  point  faible,  s'il  y  en  a,  cette  logique 
scientifique  sévère  dont  vous  avez  le  secret...  Il 
faut  que  rien  ne  vienne  troubler  la  paix  du  labo- 
ratoire qu'on  a  construit  pour  la  science  nouvelle 
que  vous  avez  créée  ». 

Duclaux  lui  écrivait  de  son  côté  :  «  .Je  vois  bien 
ce  que  vous  pouvez  perdre  dans  ces  luttes  stériles, 
votre  repos,  votre  temps,  votre  santé  ;  je  cherche 
vainement  ce  que  vous  pouvez  y  gagner  ». 

Mais,  aurait  pu  répondre  Pasteur,  j'ai  tout  à  y 
gagner.  Mes  contradicteurs,  en  me  forçante  rectifier 
leurs  erreurs,  m'obligent  en  même  temps  à  appro- 
fondir mes  propres  études,  à  serrer  de  plus  près  la 
vérité,  à  faire  éclater  la  pure  lumière  en  dissipant 
toutes  les  obscurités.  Leurs  attaques  sont  pour  moi 
un  stimulant  nécessaire,  puisqu'elles  me  font  aller 
toujours  plus  avant;  elles  servent  la  cause  de  la 
science  et  du  progrès  en  me  mettant  dans  l'obli- 
gation de  triompher  deux  fois,  dans  mon  labora- 
toire d'abord,  devant  l'opinion  publique  ensuite. 
Sans  eux  je  serais  moins  sûr  de  mon  succès  et, 
après  moi,  la  lutte  serait  pent-ôtre  à  recommencer. 

Dix  ans  après  la  conférence  de  la  Sorbonne,  Pas- 
teur eut  à  rompre  une  dernière  lance  à  propos  de 
la  génération  spontanée.  Cette  fois  c'était  à  l'Aca- 
démie de  Médecine,  oià  Pasteur  était  entré  depuis 
deux  ans. 

Poggiale,  ancien   pharmacien  du    Val-de-Grâce, 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  119 

avait  dit  à  l'Acadéinie  :  «  M.  Pasteur  nous  a  dit 
qu'il  cherchait  depuis  vingt  ans  la  génération  spon- 
tanée sans  l'avoir  trouvée.  Je  doute  qu'il  la  trouve... 
cette  question  est  presque  insoluble...  Cependant 
ceux  qui,  comme  moi,  n'ont  pas  d'opinion  arrêtée 
sur  la  génération  spontanée,  conservent  le  droit  de 
vérifier,  de  contrôler,  de  discuter  et  d'interroger  les 
faits  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  se  produisent,  de 
quelque  part  qu'ils  viennent...  » 

Pasteur  bondit  comme  sous  un  outrage.  «Quoi  ! 
s'écria-t-il,  je  suis  engagé  depuis  vingt  années  dans 
un  sujet  et  je  ne  dois  pas  avoir  d'opinion  !  Et  le  droit 
de  vérifier,  de  contrôler,  de  discuter  et  d'interroger 
appartiendra  surtout  à  celui  qui  ne  fait  rien  pour 
s'éclairer,  à  celui  qui  vient  de  lire  plus  ou  moins  at- 
tentivement nos  travaux,  les  pieds  sur  les  chenets 
de  la  cheminée  de  son  cabinet!...  Vous  n'avez  pas 
d'opinion  sur  la  génération  spontanée,  je  le  crois 
sans  peine...  Eh  bien,  j'en  ai  une,  moi,  par  vingt 
années  de  travaux  assidus  !...  Quel  jugement  portez- 
vous  donc  sur  mes  expériences  ?...  En  résumé,  où 
voulez-vous  en  venir,  partisans  déclarés  de  l'hété- 
rogénie  ou  soutiens  complaisants  et  inconscients  de 
cette  doctrine?  Attaquez-vous  donc  à  mes  expé- 
riences ! ...  » 

Pasteur  n'argumentait  pas,  il  démontrait.  Le  la- 
boratoire faisait  sa  force  et  c'est  dans  ce  champ  clos 
qu'il  cherchait  toujours  à  ramener  ses  adversaires. 


420  PASTRUU 


La  révolution  en  médecine. 

On  sait  déjà  que  le  microbe  ne  rencontra  pas  une 
moins  vive  opposition  à  l'Académie  de  Médecine 
qu'à  l'Académie  des  Sciences. 

Jusque-là  la  médecine  avait  été  considérée  non 
comme  une  science,  mais  comme  un  art.  Elle  était 
fondée  uniquement  sur  l'observation  clinique.  Le 
médecin  possédait  plus  ou  moins  le  tact  divinatoire, 
qui  n'avait  rien  de  commun  avec  la  science.  Dans 
ces  conditions  le  traitement  était  en  quelque  sorte 
affaire  de  doigté;  il  restait  subordonné  à  la  façon 
dont  réagissait  la  spontanéité  du  malade.  Trousseau 
n'avait  donc  pas  absolument  tort  de  dire  que  la  mé- 
decine, vue  sous  ce  jour,  était  un  don  du  ciel. 

Rien  d'étonnant  à  ce  que  le  médecin  eût  alors, 
sur  lui-même  et  sur  son  rôle,  une  opinion  un  peu 
hiératique.  Il  semblait  exercer  un  sacerdoce  et  le 
marquait  dans  son  costume,  au  moins  par  la  cra- 
vate blanche,  qui  rappelait  l'antique  rabat,  comme 
le  hausse-coi  l'ancienne  armure. 

La  médecine  se  regardait  si  peu  comme  une 
science  qu'elle  se  montrait  défiante  et  hostile  à  l'en- 
droit de  la  science.  La  physiologie  même  ne  trouvait 
pas  grâce  devant  le  médecin.  On  disait  qu'elle  n'était 
d'aucune  utilité  et  que  la  médecine  pouvait  très  bien 
s'en  passer. 

Afin  de  mieux  marquer  ce  dédain,  on  choisissait. 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  121 

pour  le  manifester,  le  moment  même   où   Claude 
Bernard  inaugurait  ses  magistrales  leçons.  On  peut 
préjuger,  d'après  cela,  l'accueil  réservé  au  chimiste 
Pasteur. 
La  première  fois  qu'un  modeste  médecin  du  Val- 


.  Crachat  de 
phtisique 


N^        Ç^^  N     '^r^ -yZ^  J-ulture  dons  un 
^v,,^^^^    l'^^^j/      milieu  convenable 

Microbe  de  la  tuberculose  dans  différents  milieux. 


de-Grâce,  Villemin,  parla  de  la  tuberculose  comme 
d'une  maladie  spécifique  inoculable,  qui  se  repro- 
duit et  ne  peut  se  reproduire  que  d  elle-même,  ce 
fut  un  beau  tapage  dans  le  monde  médical. 

Pidoux,  qui  personnifiait  quelque  peu  la  méde- 
cine du  temps,  s'écriait  :  «  11  ne  reste  plus  aux  mé- 
decins qu'à  tendre  des  filets  aux  sporules  de  la  tu- 
berculose ou  à  trouver  le  vaccin  !  » 

D'autre  part  et  dans  le  même  esprit  Davaine était 
vivement  pris  à  partie  au  sujet  des  bactéridiesdont 
il  avait  constaté  la  présence  dans  le  sang  charbon- 
neux. La  théorie  des  germes,  des  virus-ferments, 
était  attaquée  comme  si  elle  était  le  renversement 
de  toutes  les  notions  acqnises. 

Pasteur  16 


122  PASTEUR 

Le  docteur  Chassaigne  parlait  devant  l'Académie 
de  Médecine  de  ce  qu'il  nommait  a:  une  chirurgie 
de  laboratoire  qui  fait  périr  beaucoup  d'animaux  et 
sauve  très  peu  d'hommes.  »  Il  ajoutait  non  sans 
ironie  :  «  Fièvre  typhoïde,  bactérisation  !  miasmes 
des  hôpitaux,  bactérisation  !  »  Chirurgiens  et  mé- 
decins s'entendaient  parfaitement  pour  renvoyer  le 
chimiste  à  ses  cornues  et  à  ses  microbes  dont  ils 
n'avaient  que  faire. 

Cependant  les  maladies  purulentes,  infectieuses, 
contagieuses,  continuaient  à  sévir.  La  croyance 
qu'il  pouvait  y  avoir,  dans  les  tissus,  des  êtres  mi- 
croscopiques venus  de  l'extérieur,  qu'ils  s'y  déve- 
loppaient en  y  occasionnant  des  modifications 
spécifiques,  c'est-à-dire  en  provoquant  suivant  leur 
nature  telle  affection  morbide  plutôt  que  telle  autre, 
cette  croyance-là  pouvait  avoir  effleuré  quelques 
esprits,  mais  elle  heurtait  toutes  les  idées  reçues. 
On  n'acceptait  pas  que  l'infection  putride  vînt  d'un 
ferment  organisé,  les  organismes  inférieurs  n'ayant 
par  eux-mêmes  aucune  action  toxique,  disait-on  : 
ils  étaient  non  une  cause,  mais  un  résultat,  un 
épiphénomène. 

La  contagion. 

Telle  était  sur  ce  point  la  doctrine  toute  négative 
de  l'Académie  de  Médecine,  quand  Pasteur  y  entra. 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  123 

Au  cours  d'une  discussion,  on  lui  demanda  son 
avis  :  l'avis  d'un  chimiste  en  effet,  sur  une  matière 
pathologique,  ne  devait  pas  manquer  de  piquant. 

Pasteur  commença  par  rappeler  ses  travaux  an- 
térieurs, notamment  ses  études  sur  la  hière,  et  dit 
en  terminant:  «  La  corrélation  est  certaine,  indis- 
cutahle,  entre  la  maladie  et  la  présence  des  organis- 
mes. »  Jamais  l'Académie  n'avait  entendu  pareille 
hérésie.  Plus  tard,  dans  la  note  qu'il  devait  lire  à 
l'Académie  de  Médecine  le  30  avril  1878,  Pasteur 
donnera  la  théorie  de  la  contagion  par  le  mi- 
crohe...  u  Des  germes  d'organismes  microscopiques 
abondent  à  la  surface  de  tous  les  objets,  dans  l'at- 
mosphère et  dans  les  eaux.  »  Ce  premier  point  étant 
établi,  il  n'y  avait  plus  à  y  revenir.  Pasteur  passait 
ensuite  aux  anaérobies  :  il  exposait  la  difficulté 
qui  l'avait  arrêté  pendant  quelque  temps  et  dont, 
comme  on  l'a  vu  précédemment  pour  la  fermenta- 
tion, il  avait  fini  par  triompher. 

Le  problème  était  ardu  en  effet  ;  Pasteur  le  for- 
mule avec  une  netteté  parfaite  :  «  Si  l'oxygène 
détruit  les  vibrions,  continuait  la  note,  comment  la 
septicémie  peut-elle  exister,  puisque  l'air  atmos- 
phérique est  partout  présent?  Gomment  accorder 
ces  faits  avec  la  théorie  des  germes?  Comment  du 
sang  exposé  au  contact  de  l'air  peut-il  devenir  sep- 
tique  par  les  poussières  que  l'air  renferme  ?  » 

Pasteur  rappelait  alors  les  expériences  dans  les- 
quelles il  avait  vu  les  anaérobies  mourir  à  la  sur- 


124  PASTEUR 

face  du  liquide,  y  former  une  pellicule,  un  voile 
protecteur.  Mais,  au  fond  du  liquide,  «  les  vibrions, 
protégés  contre  l'action  de  l'oxygène  par  leurs  frères 
qui  périssent  au-dessus  d'eux,  continuent  à  se  mul- 
tiplier par  scission';  puis,  peu  à  peu,  ils  passent 
à  l'état  de  corpuscules-germes,  avec  résorption  du 
restant  du  corps  du  vibrion-filiforme.  Alors,  à  la 
place  des  fils  mouvants  de  toutes  dimensions  linéai- 
res, dont  la  longueur  dépasse  souvent  le  champ  du 
microscope,  on  ne  voit  qu'une  poussière  de  points 
brillants,  isolés,  ou  enveloppés  d'une  gangue  amor- 
phe, à  peine  visible.  Et  voilà  formée,  vivante  de 
la  vie  latente  des  germes,  ne  craignant  plus  l'action 
destructive  de  l'oxygène,  voilà,  dis-je,  formée  la 
poussière  septique,  et  nous  sommes  armés  pour 
l'intelligence  de  ce  qui  tout  à  l'heure  nous  parais- 
sait si  obscur;  nous  pouvons  comprendre  l'ense- 
mencement des  liquides  putrescibles  par  les  pous- 
sières de  l'atmosphère,  nous  pouvons  comprendre 
la  permanence  des  maladies  putrides  à  la  surface 
de  la  terre...  C'est  la  preuve  que,  pour  un  certain 
nombre  de  maladies,  il  faut  abandonner  à  tout 
jamais  les  idées  de  virulence  spontanée,  les  idées 
de  contage  et  d'éléments  infectieux  naissant  tout 
à  coup  dans  le  corps  de  l'homme  et  des  animaux,  et 
propres  à  donner  origine  à  des  maladies  qui  vont 


1.  Les  bâtonnets  filiformes  se  divisent  en  fragments  vivants  :   c'est  la 
reproduction  par  scissiparité. 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  123 

se  propager  ensuite,  sous  des  formes  cependant 
identiques  à  ellcs-mènies...  » 

Pasteur  expliquait  après  cela  comment,  en  fait, 
la  contagion  se  propage  :  «  ....cette  eau,  cette 
éponge,  celte  charpie  avec  lesquelles  vous  lavez  ou 
vous  recouvrez  une  plaie  y  déposent  des  germes 
qui,  vous  le  voyez,  ont  une  facilité  extrême  de  pro- 
pagation dans  les  tissus,  et  qui  entraîneraient  in- 
failliblement la  mort  des  opérés  dans  un  temps  très 
court,  si  la  vie,  dans  ces  membres,  ne  s'opposait  à 
la  multiplication  de  ces  germes...  » 

Suivaient  des  conseils  sur  la  manière  de  procéder 
et  qui  constituent  proprement  la  méthode  antisep- 
tique. 

L'antisepsie. 

Alphonse  Guérin,  chirurgien  de  THôtel-Dieu, 
éclaii'é  par  les  travaux  de  Pasteur,  avait  peut-être 
eu,  le  premier,  l'intuition  d'une  relation  entre  l'in- 
fection purulente  et  les  poussières  de  l'air. 

Dans  cette  hypothèse,  il  imagina  de  filtrer  l'air 
au  moyen  du  pànsementouaté.  A  près  avoir  désinfecté 
la  plaie  soigneusement,  il  appliquait  des  couches 
de  ouate  de  plus  en  plus  épaisses  et  comprimait  avec 
des  bandes  de  toile  neuve.  C'était  un  véritable  empa- 
quetage qui  pouvait  durer  vingt  jours  au  besoin. 
Plus  de  cataplasmes,  plus  de  pots  de  cérat,  plus 
d'épongés  et  de  paquets  de  charpie  faite  avec  de 
vieux  draps  d'hôpitaux. 


iU  PASTEUR 

A  vrai  dire,  la  septicémie  ne  venait  pas  tant  de 
l'air  atmosphérique  que  des  mains,  des  instru- 
ments, des  éponges  des  chirurgiens.  L'air  est  en 
effet  moins  peuplé  que  ne  le  supposait  Pasteur  et  on 
s'en  préoccupe  moins  aujourd'hui.  La  chirurgie 
actuelle  porte  surtout  son  attention  sur  les  liquides 
et  les  solides,  sur  les  personnes  et  sur  les  choses 
qui  interviennent  dans  l'opération. 

Lister,  médecin  d'Edimbourg,  fut,  avec  Alphonse 
Guérin,  un  des  premiers  à  reconnaître  et  à  prati- 
quer la  méthode  antiseptique.  11  écrivait  à  Pasteur 
à  ce  sujet  en  février  1874:  «  ...Permettez-moi  de 
saisir  cette  occasion  de  vous  adresser  mes  plus  cor- 
diaux remerciements  pour  m'avoir,  par  vos  brillan- 
tes recherches,  démontré  la  vérité  de  la  théorie  des 
germes  de  putréfaction  et  m'avoir  donné  ainsi  le 
seul  principe  qui  pût  mener  à  bonne  fin  le  système 
antiseptique.  » 

Si  rinfatuation  n'avait  pas  été  un  mal  français,  à 
cette  époque^  nos  médecins  auraient  suivi  l'exemple 
de  Lister  et  rendu  ainsi  plus  de  services  à  leur  pays 
en  1870. 

«  On  tourna  en  ridicule,  a  écrit  Auguste  Rever- 
din,  professeur  à  la  Faculté  de  Genève,  les  minu- 
tieuses précautions  du  pansement  de  Lister,  et  ceux 
qui  perdaient  presque  tous  leurs  opérés  en  les  en- 
farinant  dans  des  cataplasmes  n'avaient  pas  assez 
de  sarcasmes  à  lancer  contre  celui  qui  leur  était  si 
supérieur.  » 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  127 

Ces  minutieuses  précautions  de  Lister  dont  parle 
Reverdin,  c'est  le  pansement  antiseptique,  c'est-à- 
dire  la  lutte  contre  rinvasion  du  microbe,  qui,  en 
b'introduisant  dans  le  sang,  dispute  l'oxygène  aux 
globules  rouges,  d'où  résultent  l'empoisonnement 
du  sang,  qui  devient  noir,  et  l'asphyxie. 

Pasteur  avait  déjà  indiqué  le  moyen  de  tuer  les 
microbes,  lorsqu'il  employait  un  poêle  b  gaz  pour 
stériliser  les  vases,  tubes,  pipettes,  dont  il  se  ser- 
vait pour  ses  expériences.  En  appliquant  aux  opé- 
rations chirurgicales  des  procédés  analogues,  on 
fit  de  l'antisepsie: instruments,  éponges,  objets  né- 
cessaires, tout  est  stérilisé,  purifié,  soit  au  moyen 
d'une  solution  d'acide  phénique,  soit  au  moyen  de 
l'étuve,  soit  par  le  flambage.  <•<  Nous  avons  assisté, 
disait  Sédillot  à  l'Académie  de  Médecine,  à  la  con- 
ception, à  la  naissance  d'une  chirurgie  nouvelle, 
fille  de  la  science  et  de  l'art,  qui  ne  sera  pas  une 
des  moindres  merveilles  de  notre  siècle,  et  à  la- 
quelle les  noms  de  Pasteur  et  de  Lister  resteront 
glorieusement  attaches.  » 


Discussions. 

On  conçoit  combien  Pasteur,  qui  sentait  tout  le 
prix  de  ses  découvertes  et  des  bienfaits  qui  en 
découlaient,  devait  se  montrer  sensible  auxattaques 


128  PASTEUR 

OU  même  aux  simples  contradictions  de  ses  adver- 
saires. 

II  n'admettait  pas  la  résistance  du  corps  médi- 
cal, qui  s'obstinait  dans  les  vieux  errements  malgré 
l'éclatante  évidence  des  résultats  auxquels  il  était 
arrivé. 

Mais  rien  n'est  plus  difficile  que  de  renoncer  à 
une  éducation,  à  des  idées  reçues,  à  des  habitudes. 
L'ancienne  médecine  était  fondée  sur  des  principes 
opposés  à  la  doctrine  pastorienne:  pouvait-on 
admettre  qu'un  chimiste  vînt  faire  litière  de  ces 
principes,  enseigner  une  thérapeutique  nouvelle 
et  bouleverser  tout  un  ordre  de  choses  établi? 

Les  idées  de  Pasteur,  ses  découvertes  successives, 
son  espoir  de  vaincre  le  microbe  et  les  maladies 
contagieuses  furent  longtemps  considérés  comme 
des  utopies  par  les  médecins  du  temps.  On  en 
revenait  toujours  à  la  diathèse  :  «  Ce  n'est  pas  la 
maladie,  être  abstrait,  disait  Piorry,  qu'il  s'agit  de 
traiter,  c'est  le  malade  qu'il  faut  étudier  avec  le 
plus  grand  soin,  par  tous  les  moyens  physiques, 
chimiques  et  cliniques  que  la  science  comporte.  » 
Ceci  était  dit  en  1877,  c'est-à-dire  à  une  époque 
où  Pasteur  était  toujours  ardemment  discuté. 

A  propos  de  la  fièvre  typhoïde  il  y  eut  encore,  en 
1883,  un  nouveau  débat  dont  les  microbes,  comme 
toujours,  firent  tous  les  frais.  Que  de  sorties  vigou- 
reuses contre  le  microbe  pressenti  dans  la  fièvre 
typhoïde!  a.  On  vise  le  microbe  et  on  abatte  patient, 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  129 

disait   un   académicien.   11   faut  opposer  une  bar- 
rière infranchissable  à  des  témérités  aventureuses, 
et  soustraire  ainsi  les  malades  aux  dangers  impré- 
vus de  cette  bourrasque  thérapeutique.  » 
De  la  fièvre  typhoïde  le  débat  en  arriva  bientôt 


Microbe  de  la  fièvre  tjphoide. 

au  microbe,  au  rôle  pathogénique  des  infiniment 
petits,  et  la  querelle  reprit  de  plus  belle  dans  les 
séances  suivantes.  Peter  conduisait  l'attaque.  Selon 
lui  la  découverte  des  microbes  n'était  pas  faite 
pour  apporter  une  grande  clarté  dans  l'étiologie 
des  maladies.  C'étaient  curiosités  d'histoire  natu- 
relle, intéressantes  peut-être,  mais  de  nul  profit 
pour  la  médecine.  Elles  ne  valaient  ni  le  temps 
qu'on  y  passe  ni  le  bruit  qu'on  en  fait.  11  n'y  aura 
rien  de  changé  en  médecine,  il  n'y  aura  que  quelques 
microbes  de  plus.  «  L'excuse  de  M.  Pasteur,  ajou- 
tait-il, c'est  d'être  un  chimiste  qui  a  voulu,  ins- 
piré par  le  désir  d'être  utile,  réformer  la  méde- 
cine   à    laquelle    il   est    étranger La   victoire 

Pasteur  17 


130  PASTEL' R 

restera  aux  gros  bataillons,  c'est-à-dire  à  la  vieille 
médecine.  » 

La  découverte  du  microbe  n'aidera  pas  à  la  pro- 
phylaxie de  la  maladie,  avait  dit  Peter.  Pasteur 
pensait  autrement.  Malgré  toutes  les  résistances,  il 
marchait  droit  à  son  but.  «  Savez-vous  pourquoi, 
écrivait-il  à  Bastian  au  moment  de  la  querelle  rap- 
portée plus  haut,  savez-vous  pourquoi  j'attache 
un  si  grand  prixà  vous  vaincre?  C'est  que  vous  êtes 
un  des  principaux  adeptes  d'une  doctrine  médicale 
suivant  moi  funeste  au  progrès  de  l'art  de  guérir, 
la  doctrine  de  la  spontanéité  de  toutes  les  mala- 
dies. Vous  êtes  de  cette  école  qui  inscrirait  volon- 
tiers au  frontispice  de  son  temple,  comme  le  vou- 
lait naguère  un  des  membres  de  TiVcadémie  de 
Médecine  de  Paris  :  —  La  maladie  est  en  nous,  de 
nous  et  par  nous.  —  Tout  serait  donc  spontané  en 
pathologie.  Yoilà  l'erreur  préjudiciable,  je  le 
répète,  au  progrès  médical  ». 

Pasteur  aurait  voulu,  comme  il  le  disait  lui-même, 
avoir  la  santé  et  les  connaissances  spéciales  néces- 
saires pour  se  jeter  à  corps  perdu  dans  l'étude 
expérimentale  de  quelqu'une  de  nos  maladies  con- 
tagieuses. 

Ce  vœu,  il  ne  le  réalisa  pas  en  médecin,  puisqu'il 
ne  l'était  pas.  11  n'avait  pas  qualité  pour  ausculter 
un  malade,  pour  faire  œuvre  de  clinicien.  Mais  il 
possédait,  dans  son  laboratoire,  des  moyens  d'in- 
vestigation   qui     valaient    mieux,    d'autant    plus 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  131 

que  son  esprit  n'avait  pas  reçu  le  pli  professionnel 
du  médecin.  Il  n'avait  pasd'œillères. 

On  lui  devait  déjà  l'antisepsie,  c'est-à-dire  une 
méthode  pour  éviter  la  gangrène  et  la  pourriture 
consécutives  aux  plaies. Il  y  yjouta  bientôt  la  vacci- 
nation contre  les  maladies  virulentes  et  transmis- 
sibles,  uniquement  dues  à  des  micro-organismes. 

La  lutte  contre  les  maladies  contagieuses  devint 
bientôt  pour  Pasteur  la  question  capitale.  Quel 
service  rendu  à  la  médecine,  à  l'humanité,  si  l'on 
arrivait  à  découvrir  le  vaccin  des  maladies  micro- 
biennes! 

Pasteur  avait  commencé  par  les  animaux. 

Avec  la  bactérie  charbonneuse,  il  avait  obtenu 
des  cultures  variées,  qui  constituaient  autant  de 
virus  atténués,  de  vaccins  à  des  degrés  divers.  Le 
succès  répondit  complètement  à  son  attente  et  à 
ses  prévisions  *.  Mais  que  de  luttes  encore  ! 

Toussaint,  professeur  à  Toulouse,  Jules  Guérin, 
qui,  à  l'Académie,  ne  demandait  qu'à  «  tomber 
Pasteur  »,  élevèrent  des  chicanes  sur  la  vacci- 
nation. 

Malgré  tous  les  efforts  de  ses  amis,  de  Bouley  en 
particulier,  qui  s'efforçait  de  le  calmer,  Pasteur,  de 
plus  en  plus  belliqueux,  repoussait  toutes  les  atta- 
ques avec  sa  rudesse  ordinaire.  «Nous  serons  deux 

i .  Voir  page  46. 


132  PASTEUR 

désormais  en  présence,  faisait-il  au  sujet  de  Guérin, 
et  nous  verrons  lequel  des  deux  sortira  éclopé  et 
meurtri  de  cette  lutle!  »  Guérin  fut  si  nnaltraité 
que,  nous  le  savons,  malgré  ses  quatre-vingts  ans, 
il  envoya  ses  témoins  à  Pasteur. 

La  vivacité  de  Pasteur,   harcelé   de   tous  côtés, 
s'expliquait  et  s'excusait  facilement.  Lucas-Cham- 
pionnicre,  dans  le  Journal  de  Médecine  et  de  Chi- 
rurgie, avait  pu  écrire  avec  raison  :  «  Pour  notre 
part,  nous  admirons  la   mansuétude  de  Pasteur, 
que  l'on  représente  toujours  comme  violent  et  prêt 
à  partir  en  guerre.  Voilà  un  savant  qui  fait  de  temps 
à  autre  des  communications  courtes,  substantielles, 
extrêmement  intéressantes.  Il  n'est  pas  médecin  et, 
guidé  par  son  génie,  il  trace  des  voies  nouvelles  au 
milieu    des   études  les  plus  ardues  de  la  science 
médicale.    Au    lieu  de  rencontrer  le  tribut   d'at- 
tention et  d'admiration  qu'il  mérite,  il  rencontre 
une  opposition  forcenée  et  quelques  individualités 
de  naturel  querelleur,  toujours  disposées  à  démolir 
après  avoir  écouté  le  moins  possible.  S'il  use  d'une 
expression  scientifique  que  tout  le  monde  ne  com- 
prend  pas,   ou   qu'il  emploie   quelque  expression 
médicale  un  peu  incorrectement,  alors  se  dresse 
devant  lui  le  spectre  de  discours  infinis,  destinés  à 
lui  démontrer  que  tout  était  pour  le  mieux  dans  la 
science   médicale,  avant   qu'on  lui  eût  ajouté  les 
études   précises    et  apporté   les   ressources  de  la 
chimie  et  de  l'expérimentation...  » 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  133 

La  découverte  du  microbe  de  la  rage  et  le  traite- 
ment antirabique  qui  en  fut  la  conséquence  soule- 
vèrent encore  d'âpies  discussions  au  sein  de  l'Aca- 
démie de  Médecine.  C'est  encore  Peter  qui  se  chargea 
de  dire  son  fait  à  Pasteur.  Selon  lui,  la  médication 
antirabique  était  ineflicace  et  môme  dangereuse. 
(Janvier  1887.) 

Pasteur,  malade,  n'était  pas  là  pour  répondre, 
mais  d'autres  le  firent  pour  lui,  et  ses  champions 
s'appelaient  Dujardin-Beaumetz,  Ghauveau,  Ver- 
neuil,  Grancher,  Brouardelet  Vulpian,  pour  neciter 
que  ceux-là.  «  La  série  des  recherches,  dit  ce  der- 
nier, qui  ont  conduit  Pasteur  à  cette  découverte  est 
en  tout  point  admirable...  Ce  nouveau  service  vient 
s'ajouter  à  tous  ceux  que  notre  illustre  Pasteur  a 
déjà  rendus  à  l'humanité.  L'éclat  que  ses  travaux 
ont  jeté  sur  notre  pays  est  incomparable  et  main- 
tient la  science  française  au  premier  rang...  Nos 
travaux  et  nos  noms  seront  depuis  longtemps  ense- 
velis sous  la  marée  montante  de  l'oubli  ;  le  nom  et 
les  travaux  de  Pasteur  resplendiront  encore  et  sur 
des  hauteurs  si  élevées  qu'elles  ne  seront  jamais 
atteintes  par  ce  triste  flot.  » 

A  l'inauguralion  du  monument  que  la  Brie  recon- 
naissante a  élevé  à  Pasteur  dans  la  ville  de  Melun, 
en  1897,  Nocard,  a,  dans  un  raccourci  saisissant, 
admirablement  mis  en  lumière  l'œuvre  de  Pasleur: 

«  L'intervention  de  Pasteur  dans  leschosesde  la 
médecine,  dit-il,  remonte  à  187G,  il  y  a  vingt  ans  à 


!3i  PASTEUR 

peine:  elle  y  a  provoqué  un  tel  bouleversement 
que  rien  de  comparable  ne  s'y  était  produit  depuis 
vingt  siècles,  et  ce  bouleversement  a  été  si  bienfai- 
sant et  si  fécond  que,  en  ces  vingt  ans,  la  médecine 
a  fait  plus  de  progrès  qu'elle  n'en  avait  peut-être 
jamais  fait. 

«  L'étiologie,  l'hygiène,  la  police  sanitaire  entiè- 
rement renouvelées;  —  la  pourriture  d'hôpital,  la 
septicémie  gangreneuse,  l'infection  purulente,  la 
fièvre  puerpérale  bannies  des  hôpitaux  dont  elles 
étaient  la  terreur  et  la  honte  ;  —  la  chirurgie  dotée 
d'une  telle  sécurité  qu'elle  peut  désormais  se  per- 
mettre toutes  les  audaces  ;  —  la  prophylaxie  des 
maladies  infectieuses  fondée  sur  la  merveilleuse  dé- 
couverte de  l'atténuation  du  virus  et  de  la  vaccina- 
tion par  les  virus  atténués  ;  —  le  troublant  mystère 
de  l'immunité  presque  entièrement  dévoilé;  —  le 
sérum  des  animaux  immunisés  appliqué,  avec  quel 
succès  !  au  traitement  des  maladies  les  plus  redou- 
tables. Tout  cet  incomparable  mouvement  scienti- 
fique procède  de  Pasteur,  et  nous  ne  sommes  qu'à 
l'aurore  de  l'ère  nouvelle  à  laquelle  Ihistoire  con- 


1.  Moins  de  dix  ans  après  Pasteur,  on  pouvait  estimer  que  l'emploi 
des  vaccins  avait  abaissé  la  mortalité,  pour  le  charbon  des  bovidés:  de 
5  »/o  à  1  Vs  "'o  ;  pour  celui  des  moutons  :  de  10  »/»  à  1  <>/o  ;  pour  le 
rouget  des  porcs  de  20  "/„  à  1  ''2»/o.  Les  bénéûces  pour  l'agriculture 
française  atteignent  certainement,  à  l'heure  actuelle,  une  vingtaine  de 
millions.  {Inslilut  Pasleiir  et  ses  annexes.  Paris,  chez  Narcisse  Faucon, 
47,  rue  Saint-André-des-Arts.) 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  135 

Un  des  derniers  vœux  de  Pasleur,  quand  il  sentit 
ses  forces  l'abandonner,  avait  été  de  laisser  des 
élèves  pour  suivre  sa  méthode  et  continuer  son 
œuvre.  Son  vœu  fut  exaucé. 

La  médecine  vétérinaire  n'a  pas  cessé,  pour  sa 
part,  de  creuser  le  sillon  tracé  par  Pasleur.  Des 
expériences  comparatives  faites  à  Pouilly-le-Fort,  à 
l'instigation  de  Ghauveau,  ont  démontré  que  le  virus 
charbonneux  soumis  à  Faction  de  l'oxygène  com- 
primé .se  transforme  en  vaccin. 

Des  expériences  répétées  ont  eu  lieu  également 
sur  la  péripneumonie,  dont  Nocard  a  finalement 
découvert  le  bacille  ;  celui-ci.  est  employé  comme 
vaccin.  La  péripneumonie  est  d'ailleurs  devenue 
très  rare.  Le  professeur  Galtier,  de  l'École  vétéri- 
naire de  Lyon,  hyperimmunise  des  moutons  contre 
le  double  charbon  symptomatique  et  bacléridien,  et 
le  sérum  prélevé  sur  ces  moutons  vaccine  contre  les 
deux  charbons,  bien  que  les  deux  maladies  soient 
différentes,  comme  Pasteur  l'a  fait  voir. 

Galtier  et  Leclanche  emploient  avec  succès  la  sé- 
rothérapie pour  immuniser  les  animaux  notam- 
ment contre  la  clavelée  et  le  rouget. 

Enfin  on  s'efforce  de  vérifier  les  méthodes  d'im- 
munisation préconisées  d'une  part  par  Behring  et 
d'autre  part  par  Lignères  contre  la  tuberculose  bo- 
vine. 

A  Melun,  en   novembre   1905,  le  docteur   Vallé, 
professeur  à  l'École  d'Alfort,  aucours  d'une  confé- 


136  PASTEUR 

rence,  a  parlé  des  expériences  qu'il  a  tentées  en 
inoculant  le  bovovaccin  de  Behring  à  des  bœufs.  Sur 
40  bœufs,  une  partie  avaient  été  vaccinés,  puis  sou- 
mis à  l'injection  tuberculeuse.  Tous  ces  bœufs  autop- 
siés ont  été  reconnus  sans  aucune  lésion  tubercu- 
leuse. Au  contraire  des  bœufs  non  vaccinés  et  sou- 
mis à  l'injection  tuberculeuse,  les  uns  sont  morts 
tuberculeux,  les  autres,  autopsiéSj  ont  révélé  des 
lésions  tuberculeuses  très  profondes. 

Le  bovovaccin  de  Behring  protège  donc  les  bœufs 
contre  la  tuberculose.  La  première  des  affirmations 
de  Behring  se  trouve  vérifiée  en  France  :  !a  tuber- 
culose des  bovidés  est  vaincue.  Ce  résultat  est  fé- 
cond en  conséquences  :  si  l'on  vaccine  désormais 
les  vaches,  le  danger  de  contagion  par  le  lait  n'exis- 
tera plus.  C'est  un  grand  pas  de  fait  vers  la  gué- 
rison  de  la  tuberculose  humaine. 

En  médecine  on  continue,  à  l'Institut  Pasteur  et 
ailleurs,  à  marcher  sur  les  traces  du  Maître.  Après 
Duclaux,  mort  aujourd'hui.  Roux,  Metchnikoff 
poursuivent  l'application  de  la  méthode  pasto- 
rienne  et  multiplient  les  recherches.  La  doctrine 
microbienne  règne  maintenant  dans  toutes  les  cli- 
niques, elle  inspire  les  études  et  les  travaux  de  tous 
les  chercheurs,  elle  augmente  de  jour  en  jour  les 
moyens  de  défense  contre  la  maladie. 

On  s'ingénie  à  trouver  un  remède  contre  le  can- 
cer, la  tuberculose  et,  en  général,  contre  les  affec- 
tions les  plus  graves  parmi  celles  qui  affligent  l'es- 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE 


137 


pèce  humaine.  On  fait  de  la  médecine  préventive 
en  développant  les  principes  de  l'hygiène  et  en 
propageant  les  procédés  de  prophylaxie.  Des  pro- 
grès nombreux  et  incontestables  ont  été  accomplis 
dans  ce  sens. 
Le    rôle  du    médecin,  contrairement  à    ce  que 


Lit  hygiénique.  Lit  antihygiénique. 

Hygiène  de  la  chambre  à  coucher. 


pouvait  penser  Pidoux  il  y  a  un  demi-siècle,  s'est 
étendu  et  élevé  tout  à  la  fois  ;  il  est  devenu  plustu- 
lélaire  :  le  médecin  ne  guérit  pas  seulement  le 
mal,  il  le  prévient,  grâce  à  des  mesures  prophylac- 
tiques qui  se  généralisent  de  plus  en  plus. 

Aujourd'hui  la  pratique  de  l'antisepsie  est  géné- 
rale. Autant  les  médecins,  il  y  a  trente-cinq  ans,  se 
montraient  sceptiques  ou  réfractaires  à  l'égard  des 
nouvelles  théories,  autant  ceux  du  temps  présent 
sont  de  fervents  adeptes  de  la  méthode  paslorionnc. 

Pasleur  18 


138  PASTEUR 

On  pourrait  dire  des  médecins  actuels  ce  que  Duruy 
disait  du  clergé  catholique  à  la  fin  du  second  Em- 
pire :  «  Sous  Louis  XIV,  il  n'y  avait  pas  un  seul 
prêtre  ultramonlain  ;  aujourd'hui  on  ne  trouverait 
pas  un  seul  prêtre  gallican.  » 

Un  médecin  qui,  à  notre  époque,  traiterait  à  la 
légère  la  spécificité  des  maladies  infectieuses,  l'in- 
toxication microbienne,  l'antisepsie,  l'inoculation, 
paraîtrait  appartenir  à  un  autre  âge.  Cette  remar- 
que est  tout  à  l'honneur  du  corps  médical  actuel.  Il 
convient  de  lui  rendre  ce  témoignage  qui  est  sans 
réserves. 

D'autre  parties  villes  se  préoccupent  de  réaliser 
des  améliorations  matérielles  qui  intéressent  au 
plus  haut  point  la  santé  publique.  Partout  on  fait 
la  chasse  au  microbe,  soit  en  procurant  aux  agglo- 
mérations des  eaux  protégées  contre  la  contamina- 
tion, soit  en  prenant,  pour  les  voies  publiques,  les 
usines,  les  habitations,  des  mesures  d'assainisse- 
ment. 

L'aménagement  de  nos  appartements,  l'ameu- 
blement se  transforment  comme  tout  le  reste.  L'im- 
pulsion donnée  par  le  Ton  ring  Club  de  France 
commence  à  être  suivie  aussi  bien  dans  les  de- 
meures privées  que  dans  les  hôtels  de  voyageurs. 
On  cherche  à  réaliser  la  chambre  hygiénique.  On 
.a  pu  voir,  dans  diverses  expositions,  l'aménagement 
nouveau,  conforme  aux  règles  de  l'hygiène,  à  côté 


PASTEUR  ET  LA  SCIENCE  139 

de  l'ancienne  chambre  à  coucher,  aux  tentures 
lourdes  et  nonnbreuses,  réceptacles  à  microbes  et 
perpétuelle  menace  pour  la  santé. 

Mais  il  est  de  toute  nécessité  que,  de  leur  côté, 
les  populations  se  laissent  gagner  et  convaincre  ; 
que  l'on  cesse  de  plaisanter  avec  les  règles  de  l'hy- 
giène; que  l'on  renonce  à  certains  préjugés,  à  cer- 
taines phrases  toutes  faites  qui  faussent  l'esprit  pu- 
blic et  entreliennent  la  défiance  chez  les  simpleset 
les  ignorants,  dans  les  campagnes  et  aussi  parmi 
les  populations  urbaines,  à  l'égard  des  médecins,  de 
la  chirurgie  et  de  l'hygiène. 

M""®  Bucholz,  de  Berlin,  au  dire  de  Cherbuliez,  a 
bien  traduit  cette  résistance  des  masses  aux  pres- 
criptions de  plus  en  plus  pressantes  des  hygiénistes. 
«  Les  médecins  ayant  décidé  que  l'air  était  un  objet 
de  première  nécessité,  la  bonne  chambre  devrait, 
pour  des  raisons  d'hygiène,  servir  de  chambre  à 
coucher,  au  lieu  d'être  une  chambre  à  beaux 
meubles  où  l'on  ne  va  jamais.  »  Et  M™®  Bucholz  de 
s'écrier  à  ce  propos  :  a.  Encore  un  changement 
déraisonnable  !  Autrefois  on  se  portait  bien  sans 
hygiène  !  ï) 

M"*  Bucholz  a  toutefois  un  peu  raison  :  si  le  mi- 
crobe est  un  fléau,  la  peur  du  microbe  en  est  un 
autre,  et  il  serait  triste  de  passer  sa  vie  à  la  défen- 
dre contre  un  danger  qui  n'est  visible  qu'au  micro- 
scope. 

Il  faut  donc  prendre  garde  de  tomber  dun  excès 


140  PASTEUR 

dans  l'autre  et  se  contenter  d'être   raisonnable. 

Mais  l'état  d'esprit  traduit  par  la  remarque  de 
M"*  Bucholz  n'en  est  pas  moins  fâcheux  :  il  favorise 
encore,  dans  les  masses  urbaines,  à  l'égard  de  la 
médecine,  de  la  chirurgie  et  de  l'hygiène,  trop  de 
négligences,  trop  de  défaillances  chez  ceux  pour 
qui  le  soin  de  veiller  sur  la  santé  publique  devrait 
être  le  premier  des  soucis  et  des  devoirs.  Beaucoup 
de  progrès  restent  à  réaliser,  même  là  où  l'on  a  pris 
l'avance.  L'ignorance,  la  routine,  l'indifférence,  des 
préoccupations  mesquines  parfois  font  passer  sou- 
vent au  dernier  plan  des  intérêts  de  premier  ordre, 
ce  qui  est  infiniment  regrettable. 

C'est  un  devoir  pour  ceux  qui  comprennent,  qui 
savent,  d'éveiller  l'attention  des  autres,  de  faire 
entrer  dans  les  esprits  des  notions  simples,  pré- 
cises et  nécessaires  d'hygiène  et  de  salubrité.  Les 
médecins  ne  suffisent  pas  à  tout  et  le  progrès  ne 
viendra  que  d'un  pas  boiteux,  tant  que  la  lumière 
projetée  par  Pasteur  sur  les  choses  de  la  médecine 
ne  brillera  pas  pour  tous  les  yeux. 


QUATRIÈME     PARTIE 

L'Institut    Pasteur 


Fondaiion.  —  On  a  vu  dans  quelles  conditions 
matérielles  défectueuses  Pasteur  avait  dû  com- 
mencer ses  travaux.  Un  espace  étroitement  mesuré, 
dans  un  grenier  de  l'École  Normale,  constitua  le 
premier  laboratoire  du  savant  qui  devait  être  une 
des  gloires  de  son  siècle.  II  semblerait  que,  comme 
l'épopée,  de  pareilles  carrières  doivent  débuter 
modestement. 

Après  la  découverte  du  vaccin  contre  la  rage,  les 
malades  affluèrent  au  laboratoire  de  Pasteur  —  ce 
n'était  plus  le  grenier  —  et  l'on  fut  bien  obligé  de 
s'apercevoir  que  l'on  manquait  de  place.  L'Académie 
des  Sciences,  par  une  initiative  qui  l'honore  et 
qui  est  la  rançon  des  luttes  passées,  provoqua 
une  souscription  publique  destinée  à  la  fon- 
dation d'un  établissement  qui,  par  ses  dimensions 
et  l'installation  de  ses  services,  pourrait  répondre 
à  tous  les  besoins.  La  souscription  bénéficia  de  l'ad- 
miration que  les  travaux  de  Pasteur  avaient  sus- 
citée partout,  à  l'étranger  comme  en  France  :   les 


142  PASTEUR 

sommes  recueillies  s'élevèrent  rapidement  au  chiffre 
de  deux  millions  et  demi.  On  consacra  un  million 
et  demi  à  l'achat  des  terrains',  aux  construc- 
tions et  aux  installations  maté'*ielles.  Le  million 
restant  était  réservé  pour  la  dotation  des  différents 
services. 

L'inauguration  eut  lieu  le  18  novembre  1888. 

Bientôt  Tlnstitut  se  trouva  insuffisant.  L'applica- 
tion de  la  sérothérapie  à  la  diphtérie  augmenta  le 
travail  tant  par  l'affluence  des  malades  que  par  la 
fabrication  de  plus  en  plus  considérable  du  sérum. 
Il  fallut  se  préoccuper  d'agrandir  l'établissement 
au  moyen  d'une  nouvelle  souscription  qui  produisit 
environ  un  million.  Cette  somme  permit  d'installer 
à  Garches,  avec  le  concours  de  l'Etat.,  des  écuries 
pour  les  chevaux  destinés  à  fournir  le  sérum  an- 
tidiphtérique. 

L'établissement  de  Garches  a  multiplié  ses  ins- 
tallations pour  le  logement  des  animaux  nécessaires 
aux  besoins  de  l'Institut,  tant  pour  les  diverses 
expériences  que  pour  la  production  du  sérum  anti- 
diphtérique, et  le  modeste  et  insouciant  cobaye 
voisine  avec  le  cheval,  qui  n'a  jamais  mieux  mérité 
que  dans  cette  nouvelle  fonction  d'être  appelé  «  la 
plus  noble  conquête  que  l'homme  ait  jamais  faite.  » 

Outre  la  souscription,  des  dons  affluèrent,  dont 
un,    dû   à    une    généreuse   anonyme,     devait  per- 

1.  Quartier  de  Vaugirard,  à  Paris. 


o   s 


S  -= 


U4  PASTEUR 

mettre  de  fonder  un  hôpital  en  face  de  l'Institut 
même,  et  de  bâtir  sur  le  reste  du  terrain,  grâce  à 
une  autre  donatrice,  un  Institut  de  ciiimie  physiolo- 
gique. Cette  dernière  création,  en  même  temps 
qu'elle  dégageait  l'ancien  Institut,  permettait 
d'affecter  exclusivement  ce  dernier  à  la  physiologie 
et  à  la  pathologie,  qui  correspondent  plus  parti- 
culièrement pour  la  masse,  peu  propre  à  pénétrer 
et  à  juger  le  travail  du  laboratoire,  à  ce  qui  est 
l'œuvre  de  Pasteur.  Si  les  recherches  de  Pasteur  en 
chimie  ont  eu  en  effet  le  don  '  d'agiter  les  Aca- 
démies, le  public  est  resté  surtout  frappé  des  résul- 
tats obtenus  dans  les  applications  sensationnelles 
des  découvertes  pastoriennes  aux  maladies  de 
l'homme. 

Bâtiments.  —  On  peut  donc  se  faire  dès  mainte- 
nant une  idée  exacte  des  divers  organes  de  l'Ins- 
titut Pasteur. 

C'est  d'abord  l'Institut  lui-même,  consacré 
aujourd'hui  aux  études  physiologiques  et  patholo- 
giques ;  c'est  ensuite  le  bâtiment  affecté  à  la  chimie 
et  à  la  biologie;  puis  l'établissement  de  Garches 
qui  fournit  le  sérum  antidiphtérique;  enfin  l'hôpilal 
où  se  fait  l'application  à  la  thérapeutique  de  toutes 
les  découvertes  sorties  des  laboratoires  précé- 
dents. 

L'Institut  Pasteur  proprement  dit  se  compose  de 
deux  bâtiments  parallèles  à  la    rue  Dutot,  réunis 


Pasteur. 


146  PASTEUR 

par  un  troisième,  placé  perpendiculairement  dans 
l'axe  des  deux  premiers.  Dans  le  bâtiment  qui  fait 
face  à  la  rue  se  voient  l'ancien  logement  de  Pasteur 
et  une  vaste  bibliothèque,  dont  le  fonds  a  été 
fourni  par  la  bibliothèque  même  de  Pasteur,  à  la- 
quelle est  venue  s'ajouter  celle  d'un  membre  de 
rinstitut,  M.  Pieiset. 

Dans  le  second  bâtiment,  auquel  on  accède  par 
une  large  galerie,  on  trouve,  dans  l'aile  droite,  le 
service  de  la  rage.  Là  les  malades  sont  reçus,  exa- 
minés, inscrits,  avec  tous  les  détails  relatifs  à  leurs 
morsures.  Ils  passent  de  là  dans  la  salle  des  inocu- 
lations. Les  femmes  et  les  enfants  sont  traités 
dans  une  salle  à  part.  Tout  à  côté  est  la  salle  de 
préparation  des  moelles  ;  la  température  y  est 
maintenue  constamment  à  23  degrés  et  l'obscurité 
est  à  peu  près  complète.  Sur  des  étagères  sont  con- 
servées des  moelles  de  lapin  qui  servent  à  la  pré- 
paration des  vaccins  antirabiques.  Dans  l'aile  gauche 
sont  aménagés:  une  salle  de  conférence,  un  labora- 
toire pour  la  préparation  des  bouillons  de  culture, 
unesalle  pour  la  photographiedes  micro-organismes, 
une  salle  pour  la  dissection  des  grands  animaux, 
enfin  deux  salles  affectées  à  la  microbiologie 
agricole. 

Le  premier  étage  est  entièrement  consacré  aux 
travaux  pratiques  et  aux  cours  de  microbie  tech- 
nique, avec  une  vaste  salle  de  travail  à  grandes 
baies  très  ingénieusement  aménagée.  Ce  premier 


L'INSTnUT  PASTEUR 


147 


étage  est  le  domaine  du  docteur  Roux.cjuien  est  le 
directeur.  Le  second  élage  est  divisé  en  un  grand 
nombre  de  petits  laboratoires,  avec  un  grand  labo- 
ratoire commun.  Des  travailleurs  étrangers  à  la 
maison  peuvent  y  être  agréés  temporairement  par 
les  chefs  de  service.  Le  docteur  Metohnikoff  règne 


Cobayes  en  traitement. 


sur  l'aile  droite  ;  Faile  ganche  est  placée  sous  le 
condominium  des  trois  maîtres  :  MM.  Roux,  Cham- 
berland  et  Metchnikoft". 

Derrière  ce  groupe  de  bâtiments  sont  des  an- 
nexes, parmi  lesquelles  on  remarque,  avec  son 
campanile,  l'hôpital  des  animaux  d'expériences, 
comme  les  lapins  et  les  cobayes,  destinés  à  la  vivi- 
section. Ces  animaux  sont  placés  dans  des  cages  de 
fer  élevées  sur  des  tiélcaux  et  d'un  nettoyage 
facile. 

A  l'étage  a  été  installé  le  service  des  virus  et  de 


148  PASTEUR 

la  toxine  de  la  peste.  Le  contrôle  en  est  exercé  par 
le  docteur  Roux. 

D'autres  annexes  sont  affectées  aux  grands  ani- 
maux, aux  chiens,  aux  poules,  oies  et  pigeons,  qui 
partagent  le  sort  des  lapins  et  des  cochons  d'Inde. 
H  n'est  pas  nécessaire  d'ajouter  que  toutes  les  pré- 
cautions sont  prises  et  que  les  opérations  et  expé- 
riences s'effectuent  sans  danger  pour  les  travail- 
leurs. Quant  à  la  vivisection,  qui  a  ému  tant  d'à- 
mes  sensibles  à  l'époque  de  Paul  Bert  notamment, 
il  faut  en  prendre  sou  parti  dans  l'intérêt  de  la 
science  et  de  l'humanité.  D'ailleurs  les  opérations 
ne  sont  pas  ordinairement  bien  terribles,  même  en 
cas  de  trépanation  *. 

Laboratoires.  —  Toute  l'œuvre  de  Pasteur  est 
sortie  du  laboratoire  :  le  laboratoire  devait  donc 
tenir  une  grande  place  dans  l'institut  Pasteur,  qui 
a  précisément  pour  mission  de  poursuivre  l'œuvre 
commencée  par  le  Maître,  en  appliquant  sa  mé- 
thode. L'Institut  possède  en  effet  un  laboratoire  de 
chimie  physiologique,  un  laboratoire  de  chimie  bio- 
logique (c'est  le  laboratoire  Duclaux),  un  labora- 
toire pour  les  hautes  études,  un  laboratoire  pour 
les  fermentations,  enfin  un  laboratoire  pour  la  chi- 
mie agricole. 

Le  laboratoire  de  chimie  physiologique  a  pour 
objet  d'arriver  à  séparer  des  sérums,  des  toxines 

1.  Voir  page  89. 


L'INSTITUT  PASTEUR  149 

etaîili  toxines,  les  autres  substances  qui  peuvent 
en  contrarier  l'action,  en  gêner  reiiie.icité.  C'est 
une  tâche  difficile  et  qui  exige  une  manipulation 
considérable,  à  cause  des  quantités  infinitésimales 
de  substances  actives  fournies  par  les  microbes. 

Au  laboratoire  de  Duclaux  on  se  livre  à  l'analyse 
des  produits  physiologiques  et  pathologiques  (tels 
que  crachats,  urines).  Mais  on  y  fait  surtout  de  l'en- 
seignement au  profit  déjeunes  pharmaciens  ou  de 
candidats  au  certificat  d'études  de  chimie  biologique. 

Le  laboratoire  des  hautes  études  s'adresse  à  des 
gens  de  goûts  et  d'aptitudes  variées,  qui  trouvent  à 
l'Institut  une  direction  précieuse.  Le  personnel  de 
ce  laboratoire  est  disséminé  dans  les  divers  services. 

Le  laboratoire  des  fermentations  vise  les  indus- 
tries spéciales  qui  reposent  sur  la  fermentation  : 
(brasserie,  levure,  vinification,  distillerie,  etc..)  Il 
sert  à  l'enseignement  et  à  la  pratique  industrielle. 
On  y  apprend  à  faire  l'analyse  des  matières  pre- 
mières ;  le  microscope  y  joue  un  rôle  capital.  «  Les 
élèves  du  laboratoire  des  fermentations  apprennent 
à  connaître  non  seulement  la  théorie  des  opérations 
industrielles,  mais  encore  leur  pratique  elle-même, 
car  au  laboratoire  sont  adjointes  de  véritables  pe- 
tites usines  en  miniature,  munies  des  appareils  les 
plus  perfectionnés  et  permettant  de  répéter  en  pe- 
tit le  travail  qui  se  fait  en  grand  dans  l'industrie*.» 

1.  Institut  Pasteur,  chez   Narcisse  Faucon,  déjà  cité. 


150  PASTEUR 

Enfin  le  laboratoire  de  chimie  agricole  joue,  dans 
l'ordre  végétal,  le  rôle  des  laboratoires  précédents 
dans  l'ordre  animal:  il  étudie  la  cellule  végétale. 

Organisation  des  services. 

Les  vaccins.  —  Le  service  des  vaccins  est  dirigé 
par  M.  Chamberland.  Ce  service  comprend  la  pré- 
paration des  vaccins  contre  le  charbon  des  rumi- 
nants, le  rouget  des  porcs,  et  aussi  de  la  malléine 
et  de  la  tuberculine. 

Les  vaccins  contre  le  charbon  et  le  rouget  s'ob- 
tiennent au  moyen  de  bouillons  de  culture. 

La  malléine  est  extraite  des  cultures  du  microbe 
delà  morve;  elle  donne  le  moyen  de  reconnaître 
la  morve  chez  les  animaux  qui  en  sont  atteints, 

La  tuberculine,  extraite  des  cultures  tubercu- 
leuses, décèle  la  tuberculose  de  Fespèce  bovine.  La 
tuberculine  ne  guérit  pas  le  mal  ;  seulement,  en  le 
révélant,  elle  permet  de  supprimer  les  animaux 
malades  et,  avec  eux,  le  danger  de  contamination 
pour  les  animaux  sains. 

Grâce  à  ces  deux  substances  on  pourra,  quand 
une  réglementation  précise  aura  été  édictée,  voir 
disparaître  ces  deux  maladies  si  redoutables,  la 
tuberculose'  et  la  morve. 


1.  On  a  vu  ci-dessus  qu'un   nouveiiu  progrès  était  réalisé,   grâce  à 
Behring. 


L'INSTITUT  PASTEUR 


lui 


Traitement  de  la  rage.  —  Ce  traitement  n'est  pas 
préventif,  il  est  ciiratif  et  ne  s'applique  qu'aux  per- 
sonnes mordues.  Sa  durée  est  de  quinze  à  vingt  et 


Chnmberland. 


un  jours  suivant  les  cas.  Le  vaccin  est  une  émulsion 
de  moelle  de  lapin.  Le  nombre  des  inoculés  à  l'Ins- 
titut Pasteur  a  été  d'environ  quinze  cents  par  an. 
La  mortalité  parmi  les  personnes  mordues  s'est 
abaissée  de  15  pour  cent  à  5  pour  mille. 


432  PASTEUR 

Microbie  technique.  —  Le  service  de  la  microbie 
technique  consii^te  en  un  cours  de  deux  séries  an- 
nuelles qui  s'adresse  surtout  aux  professionnels  de 
la  médecine,  français  ou  étrangers.  Ce  cours  est 
appuyé  sur  des  exercices  pratiques.  Le  directeur 
de  ce  service  est  le  docteur  Roux. 

Phagocytose.  —  Le  chef  de  ce  service  est  le  doc- 
teur Metchnikoff.  On  ne  saurait  mieux  le  caractéri- 
ser que  ne  le  fait  la  notice  sur  l'Institut  Pasteur 
déjà  citée  plus  haut.  «  C'est  là  qu'on  étudie,  dit  la 
notice,  la  doctrine  de  la  phagocytose  %  que  Metch- 
nikoff et  ses  élèves  ont  étendue  jusqu'à  lui  deman- 
der l'explication  des  phénomènes  de  vaccination  et 
d'immunité ,  non  seulement  contre  les  microbes, 
mais  encore  contre  leurs  toxines  ou  poisons.  Ces 
leucocytes  ou  phagocytes  se  sont  révélés,  dans 
l'étude  de  plus  en  plus  précise  dont  ils  ont  été 
l'objet,  comme  des  agents  merveilleux  de  défense, 
toujours  prêts  à  tout  et  à  toutes  les  besognes,  sus- 
ceptibles d'éducation,  pouvant  prendre  des  habi- 
tudes nouvelles  et  aussi  les  perdre,  se  fortifier  ou 
s'affaiblir,  devenir  agiles  ou  inertes  sous  l'influence 
des  médicaments  :  bref,  constituer  une  armée  de 
défense  qu'on  peut  discipliner  et  dont  le  médecin 
prendra  le  commandement  quand  il  en  connaîtra 
mieux  le  mécanisme.  C'est  ce  mécanisme,  dont  la 

1.  Voir  ci  dessus  page  42. 


Pasteur. 


iU  PASTEUR 


délicatesse  est  infinie,  que  Metchnikoff  et  son  école 
étudient  à  l'Instilut  Pasteur.   » 

11  convient  d'ajouter  que  le  docteur  Metchnikoff 
voit  arrivera  son  laboratoire  un  grand  nombre  de 
travailleurs,  se  livrant  à  des  recherches  originales 
et  trouvant  tous  auprès  du  chef  un  utile  appui  et 
une  direction  éclairée. 

Service  des  sénims.  —  Ce  service  comprend  d'a- 
bord l'établissement  de  Garches,  dont  les  chevaux 
fournissent  le  sérum  antidiphtérique.  Mais  d'autres 
sérums  ont  été  réalisés  et  sont  devenus  d'un  usage 
courant  en  thérapeutique.  Tels  sont  les  sérums 
antitétanique,  antistreptococcique,  antipesteux  et 
anticholérique.  Le  sérum  antitétanique  est  employé 
surtout  dans  le  cas  de  blessure  ou  de  plaie  qui 
aurait  pu  être  souillée  par  de  la  terre  ou  des 
matières  provenant  du  cheval.  Le  sérum  antistrep- 
tococcique est  utilisé  dans  la  fièvre  puerpérale  en 
particulier.  Les  deux  derniers  sont  relatifs  à  la 
peste  et  au  choléra.  Les  sérums  s'administrent  en 
injections  sous  la  peau  ou  dans  la  veine  au  moyen 
de  la  seringue  Pravaz. 

L'hôpital.  —  L'hôpital  a  été  fondé,  dans  les 
conditions  que  l'on  connaît,  pour  le  traitement  des 
maladies  contagieuses,  et  en  partie  pour  la  séro- 
thérapie de  la  diphtérie.  On  y  reçoit  aussi,  quand 
c'est  utile,  ceux  qui  viennent  se  faire  soigner  pour 


L'INSTITUT  PASTEUR  153 

la  rage.  Les  précautions  les  plus  minutieuses  sont 
prises,  notamment  en  ce  qui  concerne  les  mala- 
des qu'il  faut  isoler  :  l'architecte  a  d'ailleurs 
pourvu  à  tout  dans  raménagement  général.  On  a  eu 
recours  aux  cloisons  vitrées,  qui  laisseni  pénétrer 
la  lumière,  celle-ci  étant  considérée  comme  un 
agent  de  désinfection,  et,  d'une  manière  générale, 
on  a  adopté  toutes  les  dispositions  qui  pouvaient 
rendre  facile  et  effective  la  désinfection  et  écarter 
le  risque  de  contagion. 

Filiales.  —  L'Institut  Pasteur  ne  dépend  pas  de 
l'État,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  pas  une  institution 
d'État  :  fondé  par  l'initiative  privée,  il  garde  son 
indépendance  et  il  s'en  trouve  bien. 

Des  établissements  similaires,  mais  d'importance 
moindre,  se  sont  déjà  établis  dans  plusieurs 
régions,  surtout  pour  le  traitement  antirabique. 
L'Institut  Pasteur  qui,  dans  ses  cours,  forme  des 
spécialistes,  a  fourni  le  personnel  à  ces  filiales.  Il 
y  a  des  Instituts  Pasteur  à  l'étranger  comme  en 
France.  On  peut  citer,  en  s'en  tenant  aux  établisse- 
ments français,  Lille,  Montpellier,  Constantinople, 
Tunis,  Saint-Louis  (Sénégal),  Tananarive,  Saigon, 
Nha-Trang  (Annam)  que  dirige  le  docteur  Yersin. 

Le  Maître.  —  L'Institut  Pasteur  est  né  des  tra- 
vaux de  Pasteur  et,  en  particulier,  de  la  découverte 
du  remède  contre  la  rage  ;  mais  il  est  né  aussi  et 


156  PASTEUR 

plus  directement  de  la  pensée  de  Pasteur,  qui  en 
avait  conçu  l'organisation  et  qui  a  même  assigné  les 
rôles  à  ses  collaborateurs. 

Le  jour  de  l'inauguration  le  Maître  prononça  un 
mc.noraljle  discours,  dit  M.  Louis  Passy,  «  dans 
lequel  il  jeta  un  regard  mélancolique  sur  les  amis 
de  la  première  heure  et  rappela  le  nom  de  ses  com- 
pagnons disparus  :  Dumas,  Bouley^  Paul  Bert,  Vul- 
pian,  puis,  comme  un  général,  il  reprit  la  parole  et 
distribua  un  ordre  du  jour  à  ses  lieutenants.  A 
Duclaux,  que  le  Ministre  avait  autorisé  à  professer 
la  chimie  biologique  à  l'institut  Pasteur,  il  donna  le 
laboratoire  de  microbiologie  générale  ;  à  P»oux  l'or- 
ganisation des  cours  et  des  recherches  microbiennes 
dans  leur  application  à  la  médecine  ;  à  Chamber- 
land  la  direction  du  service  des  vaccins  ;  au  profes- 
seur Grancher  le  service  du  traitement  de  la 
rage,  et  il  termine  par  ces  mots  :  «  La  science  fran- 
çaise se  sera  efforcée,  pour  servir  l'humanité,  de 
reculer  les  frontières  de  la  vie  ». 

L'Institut  Pasteur,  tout  imprégné  de  la  person- 
nalité du  xMaître,  a  fait  plus  que  conserver  sa 
mémoire  en  continuant  sa  méthode  et  en  dévelop- 
pant son  œuvre.  11  garde  aussi  religieusement  ses 
restes  dans  une  crypte  aménagée  dans  le  sous-sol, 
où  Pasteur  repose  sous  une  dalle  de  granité  de 
Suède. 

En  outre  un  buste  de  Pasteur,  d'une  facture 
magistrale,  dû  au  ciseau  de  Paul  Dubois,    orne  la 


'■^''^^.y^    ^.^^T-^— :^ 


458  PASTEUR 

grande  bibliothèque   du  rez-de-chaussée,  entouré 

des  bustes  des  principaux  donateurs  de  l'Institut. 

Dans  une  pieuse  pensée  encore,  on  a  voulu  que 

^[rae  Pasteur  continuât   à  occuper,   en  face  de  la 

■* 
bibliothèque,   le   logement  de   son  mari,   où  elle 

demeure  comme  la  gardienne  de  son  nom,  de  son 

œuvre  et  de  sa  tombe. 

Enfin   Jupille,    le   Jurassien  qui,   avec  le  jeune 

Alsacien  Meister,  avait  le  premier  subi  le  traitement 

contre  la  rage,  vit  également  à  l'Institut  en  qualité 

de  concierge.  Devant  sa  loge,  un  groupe  de  bronze 

le   représente   lui-même  luttant  contre   un   chien 

enragé.  On  ne  pouvait  mieux  ni  avec  plus  d'à-propos 

symboliser  le  grand  fait  scientifique  d'oij  est  sorti 

rinstitut  Pasteur. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 
Préface ^' 


PREMIÈRE  PARTIE 

Son  origine ^ 

Sa  jeunesse ^ 

L'œuvre  :  exposé  historique H 

:  Cristallographie 11 

La  fcrnienlation 1* 

La  génération  spontanée 19 

La  résistance 21 

Applications  des  théories  de  Pasteur 24 

Le  vinaigre 24 

Le  vin 26 

La  bière 26 

Le  ver  à  soie 29 

La  médecine  vétérinaire 33 

Le  charbon       34 

Le  microbe •   •  36 

Choléra  des  poules 39 

Vaccination 39 

Expériences  de  Poullly-le-Fort 42 

Après  le  succès 46 

Le  docteur  Kocli 52 

Incident  de  Turin 53 

Le  rouget  du  porc 56 

Pasteur  et  la  médecine 57 


160  TABLE  DES  MATIERES 

Page» 

La  chirurgie 5^ 

A  l'Académie 61 

La  rage 64 

Giiérison  de  la  rage 66 

Diphtérie  et  sérothérapie 70 

Autres  études 75 

Dernières  aminées 7& 


DEUXIEME  PARTIE 

L'homme 81 

Le  savant 9Qf 


TROISIÈME  PARTIE 

Pasteur  et  la  science 107 

1/ La  doctrine  microbienne Hl 

La  révolution  en  médecine 120 

La  contagion 122 

L'antisepsie 125 

Discussions 127 


QUATRIÈME  PARTIE 

L'Institut  Pasteur 141 

Organisation  des  services 150 


Bar-le-Duc.  —  Imprimerie  Comte-Jacquet.  Facdoubl,  Dir. 


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Q  ii^aitot,  Victor 

pS?-^  YTy"''^^^^^  d'histoire  du 

P^-f/J  XIXe  siècle 

1909 


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