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ŒUVRES
COMPLÈTES
DE J, J. ROUSSEAU
TOME XXII.
ON SOUSCRIT A PARIS,
CHEZ P. DUPONT, LIBRAIRE,
Éditeur des oeuvres complètes de voltaire et de racike,
RUE DU BOULOY, UOTEL DES FERMES, COUR DES MESSAGERIES.
ET CHEZ BOSSANGE PÈRE,
libraire de s. a. r. monseigneur le duc d'orléans,
HUE DJi RICHELIEU , H° 6o.
i
I
ŒUVRES
COMPLÈTES
DE J.J.ROUSSEAU,
MISB6 n VNS UN NOUVEL ORDRE ,
AVEC DES NOTES HISTORIQUES ET DES ECLAIRCISSEMENTS ;
Par V. D. MUSSET-PATH AY.
CORRESPONDANCE.
TOME V.
PARIS,
CHEZ P. DUPONT, LIBRAIRE-EDITEUR.
1824.
fs
CORRESPONDANCE.
TOME CINQUIEME.
R. XXII.
CORRESPONDANCE.
CINQUIEME PARTIE,
nu 20 JUIN 1768 jusqu'en 1778.
Depuis sa sortie de Trye - le - Château jusqu'à sa mort.
LETTRE DCCCXXXI.
A M. DU PEYROU.
Lyon, le 20 juin 1768.
Je ne me pardonnerais pas , mon cher hôte , de
vous laisser ignorer mes marches , ou les apprendre
par d'autres avant moi. Je suis à Lyon depuis deux
jours, rendu des fatigues de la diligence, ayant ^rand
besoin d'un peu de repos, et très-empressé d'y rece-
voir de vos nouvelles, d'autant plus que le trouble
qui règne dans le pays où vous vivez me tient en
peine , et pour vous , et pour nombre d'honnêtes
gens auxquels je prends intérêt. J'attends de vos
nouvelles avec l'impatience de l'amitié. Donnez-
m'en, je vous prie, le plus tôt que vous pourrez.
Le désir de faire diversion à tant d'attris-
tants souvenirs , qui , à force d'affecter mon cœur,
altéraient ma tête , m'a fait prendre le parti de
chercher , dans un peu de voyages et d'herborisa-
I.
4 CORRESPONDANCE.
lions, les amusements et distractions dont j'avais
besoin; et le patron de la case ayant approuvé
cette idée, je l'ai suivie: j'apporte avec moi mou
herbier et quelques livres avec lesquels je me pro-
pose de faire quelques pèlerinages de botanique.
Je souhaiterais , mon cher hôte , que la relation de
mes trouvailles pût contribuera vous amuser; j'en
aurais encore plus de plaisir à les faire. Je vous
dirai , par exemple , qu'étant allé hier voir madame
Boy de La Tour à sa campagne, j'ai trouvé dans
sa vigne beaucoup d'aristoloche , que je n'avais ja-
mais vue, et qu'au premier coup d'œil j'ai recon-
nue avec transport.
Adieu, mon cher hôte, je vous embrasse , et j'at-
tends dans votre première lettre de bonnes nou-
velles de vos yeux.
LETTRE DCCCXXXIL
AU MÊME.
Lyon, le 6 juillet 1768.
Je comptais , mon cher hôte , vous accuser la
réception de votre réponse , par ma bonne amie
madame Boy de T^a Tour; mais je n'ai pu trouver
un moment pour vous écrire avant son départ ; et
même à présent, prêt à partir pour aller herboriser
à la grande Chartreuse , avec belle et bonne com-
pagnie botaniste, que j'ai trouvée et recrutée en
ANNÉE 1768. 5
ce pays, je n'ai que le temps de vous envoyer un
petit bonjour à la hâte.
Mademoiselle Renou a reçu à Trye beaucoup de
lettres pour moi , parmi lesquelles je ne doute point
que celle que vous m'écriviez ne se trouve ; mais
comme le paquet est im peu gros, et que j'attends
l'occasion de le faire venir , s'il y a dans ce que
vous me marquiez quelque chose qui presse, vous
ferez bien de me le répéter ici. Si, comme je le
désirais, et comme je le désire encore, vous avez
pris le parti de brûler tous mes livres et papiers ,
j'en suis , je vous jure , dans la joie de mon cœur :
mais si vous les avez conservés , il y en a quel-
ques-uns, je l'avoue, que je ne serais pas fâché de
revoir, pour remplir, par un peu de distraction ,
les mauvais jours d'hiver, où mon état et la sai-
son m'empêchent d'herboriser; celui surtout qui
m'intéresserait le plus serait le commencement du
roman intitulé , Emile et Sophie, ou les Solitaires . Je
conserve pour cette entreprise un faible que je ne
combats pas, parce que j'y trouverais au con-
traire un spécifique utile pour occuper mes mo-
ments perdus , sans rien mêler à cette occupation
qui me rappelât les souvenirs de mes malheurs, ni
de rien qui s'y rapporte. Si ce fragment vous tom-
bait sous la main, et que vous pussiez me l'en-
voyer , soit le brouillon , soit la copie, par le retour
de madame Boy de La Tour , cet envoi, je l'avoue ,
me ferait un vrai plaisir.
Comment va la goutte? comment va l'œil gauche?
S'il n'empire pas, il guérira; et je vois avec grand
6 CORRESPONDANCE.
plaisir, par vos lettres, qu'il va sensiblement mieux.
Mon cher hôte , que n'avez- vous en goût modéré
le quart de ma passion pour les plantes ! Votre
plus grand mal est ce goût solitaire et casanier,
qui vous fait croire être hors d'état de faire de
l'exercice. Je vous promets que si vous vous met-
tiez tout de bon à vouloir faire un herbier , la fan-
taisie de faire un testament ne vous occuperait
plus guère. Que n'étes-vous des nôtres! vous trou-
veriez dans notre guide et chef, M. de La Tou-
rette, un botaniste aussi savant qu'aimable, qui
vous ferait aimer les sciences qu'il cultive. J'en dis
autant de M. l'abbé Rosier; et vous trouveriez
dans M. l'abbé de Grange-Blanche , et dans votre
hôte, deux condisciples plus zélés qu'instruits,
dont l'ignorance auprès de leurs maîtres mettrait
souvent à l'aise votre amour-propre.
Adieu, mon cher hôte : nous partons demain
dans le même carrosse tous les quatre, et nous
n'avons pas plus de temps qu'il ne nous en faut le
reste de la journée, pour rassembler assez de porte-
feuilles et de papiers pour l'immense collection
que nous allons faire. Nous ne laisserons rien à
moissonner après nous. Je vous rendrai compte
de nos travaux. Je vous embrasse. Vous pouvez
continuer à m'écrire chez M. Boy de La Tour.
ANNÉE 1-768.
LETTRE DCCCXXXIIL
A MADEMOISELLE LEVASSEUR,
sous LE NOM UK MADliMOISELLE RENDU.
Grenoble, ce 2 5 juillet, à trois heures du matin, 1768.
Dans une heure d'ici, cher amie, je partirai
pour Chambéry, muni de bons passe-ports et de
la protection des puissances , mais non pas du
sauf-conduit des philosophes que vous savez. Si
mon voyage se fait heureusement, je compte être
ici de retour avant la fin de la semaine, et je vous
écrirai sur-le-champ. Si vous ne recevez pas dans
huit jours de mes nouvelles , n'en attendez plus ,
et disposez de vous , à l'aide des protections en
qui vous savez que j'ai toute confiance , et qui ne
vous abandonneront pas. Vous savez où sont les
effets en quoi consistaient nos dernières ressources ;
tout est à vous. Je suis certain que les gens d'hon-
neur qui en sont dépositaires ne tromperont point
mes intentions ni mes espérances. Pesez bien toute
chose avant de prendre un parti. Consultez ma-
dame rid3besse*; elle est bienfaisante, éclairée;
(îlle nous aime; elle vous conseillera bien; mais je
doute qu'elle vous conseille de rester auprès d'elle.
Ce n'est pas dans une communauté qu'on trouve
la liberté ni la paix : vous êtes accoutumée à l'une.
Madame de Nadaillac , abbesse de Gomer - Fontaine , abbaye
située à peu de distance du cbàteau de Trye.
8 CORRESPONDANCE.
VOUS avez besoin de l'autre. Pour être libre et
tranquille , soyez chez vous , et ne vous laissez sub-
juguer par personne. Si j'avais vin conseil à vous
donner , ce serait de venir à Lyon. Voyez l'aimaljle
Madelon; demeurez, non chez elle, mais auprès
d'elle. Cette excellente fille a rempli de tout point
mon pronostic: elle n'avait pas quinze ans, que
j'ai hautement annoncé quelle femme et quelle
mère elle serait un jour. Elle l'est maintenant ,
et, grâces au ciel, si solidement et avec si peu d'é-
clat , que sa mère , son mari , ses frères , ses sœurs,
tous ses proches , ne se doutent pas eux-mêmes
du profond respect qu'ils lui portent, et croient ne
faire que l'aimer de tout leur cœur. Aimez-la comme
ils font , chère amie ; elle en est digne , et vous le
rendra bien. Tout ce qu'il restait de vertu sur la
terre semble s'être réfugié, dans vos deux cœurs.
Souvenez-vous de votre ami l'une et l'autre ; par-
lez-en quelquefois entre vous. Puisse ma mémoire
vous être toujours chère, et mourir parmi les hom-
mes avec la dernière des deux !
Depuis mon départ de Trye j'ai des preuves de
jour en jour plus certaines que l'œil vigilant de la
malveillance ne me quitte pas d'un pas , et m'at-
tend principalement sur la frontière: selon le parti
qu'ils pourront prendre, ils me feront peut-être du
bien sans le vouloir. Mon principal objet est bien,
dans ce petit voyage , d'aller sur la tombe de cette
tendre mère que vous avez connue , pleurer le
malheur que j'ai eu de lui survivre ; mais il y
entre aussi , je l'avoue , du désir de donner si beau
ANNEE I7G8. 9
jeu à mes ennemis , qu'ils jouent enfin de leur reste ;
car vivre sans cesse entouré de leurs satellites fla-
gorneurs et fourbes est un état pour moi pire que
la mort. Si toutefois mon attente et mes conjec-
tures me trompent, et que je revienne comme je
suis allé, vous savez, chère sœur, chère amie,
qu'ennuyé, dégoûté de la vie, je n'y cherchais et
n'y trouvais plus d'autre plaisir que de chercher
à vous la rendre agréable et douce : dans ce qui
peut m'en rester encore, je ne changerai ni d'oc-
cupation ni de goût. Adieu, chère sœur; je vous
embrasse en frère et en ami.
LETTRE DCCCXXXIV.
A M. LE COMTE DE TONNERRE.
Bourgoin , le 16 août 1768.
Monsieur.
J'espère que la lettre que j'eus l'honneur de vous
écrire à mon départ de Grenoble vous aura été re-
mise , et je vous demande la permission de vous re-
nouveler d'ici les assurances de ma reconnaissance
et de mon respect. Un voyage presque aussitôt sus-
pendu que commencé ne me laisse pas espérer de
le pousser bien loin, et la certitude que les ma-
nœuvres que je voudrais fuir me préviendront par-
tout m'en ôterait le courage, quand mes forces me
le donneraient. De toutes les habitations qu'on
ÏO CORRESPONDANCE.
m'a fait voir, la maison de M. Faiire , qui a l'iioii-
neur d'être connu de vous, m'a paru celle où l'on
m'aurait voulu par préférence , et c'est aussi celle
de toutes les retraites ( pour me servir d'un mot
doux ) où je pouvais être confiné , celle où j'au-
rais préféré vivre. Quelques inconvénients m'ont
alarmé ; s'ils pouvaient se lever ou s'adoucir , que le
maître de la maison, qui me paraît galant homme ,
conservât la même bonne volonté, et que vous
ne dédaignassiez pas, monsieur, d'être notre mé-
diateur , je penserais que puisqu'il faut bien céder
à la destinée , le meilleur parti qui me resterait à
prendre serait de vivre dans sa maison.
J'ose vous supplier , monsieur , si vous relevez
pour moi quelques lettres , de vouloir bien me les
faire parvenir ici, où je suis logé cl la Fontaine d'or.
J'ai l'honneur d'être avec respect , etc.
LETTRE DCCCXXXV.
AU MÊME.
Bourgoin, le 2 i août 1768.
Monsieur,
Je prends la liberté de vous adresser mes obser-
vations sur la note de M. Faure que vous avez eu
la bonté de m'envoyer. J'attends sa réponse pour
prendre ma résolution, ne pouvant m'aller confi-
ner-dans cette solitude sans savoir à quoi je m'en-
gage en y entrant.
ANNÉE 1 768. 1 I
Permetez, monsieur le comte, que je vous réi-
tère ici mes remerciements très-humbles, en vous
suppliant d'agréer mon respect.
LETTRE DCCCXXXVI.
AU MÊME.
Bourgoin, le 2 3 août 1768.
Monsieur ,
Permettez que je prenne la liberté de vous en-
voyer une lettre que je viens de recevoir de M. Bo-
vier , et copie de ma réponse. Si vous daigniez
mander le malheureux dont il s'agit , et tirer au
clair cette affaire, vous feriez, monsieur le comte,
une œuvre digne de votre générosité.
J'ai l'honneur, etc.
LETTRE DCCCXXXVIL
AU MÊME.
Bourgoin, le 26 août 1768.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous adresser une lettre en ré-
ponse à celle de M. Faure que vous avez bien voulu
me faire passer. Ses propositions sont si honnêtes ,
12 C01lRESP0iVD\KCi£.
f}u'il lie l'est presque pas de les accepter. Cepen-
dant, forcé par ma situation d'être indiscret, je ré-
duis ces propositions sous une forme qui, je pense,
lèvera toute difficulté entre lui et moi.
Mais il en existe une , monsieur le comte , qu'il
dépend de vous seul de lever, dans l'imposture
qui a donné lieu aux deux lettres que j'ai pris la li-
berté de vous envoyer dernièrement. Car si, vivant
sous votre protection , je ne puis obtenir aucune
satisfaction d'une fourberie aussi impudente et
aussi clairement démontrée, à quoi dois -je m'at-
tendre au milieu de ceux qui l'ont fabriquée, si ce
n'est à me voir harceler sans cesse par de nouveaux
imposteurs soufflés par les mêmes gens , et enhar-
dis par l'impunité du premier? Il faudrait assuré-
ment que je fusse le plus insensé des hommes pour
aller me fourrer volontairement dans un tel enfer.
Je comprends bien qu'on m'attend partout avec
les mêmes armes, mais encore n'irai-je pas choi-
sir par préférence les lieux où l'on a commencé
d'en user.
J'attends vos ordres , monsieur le comte ; je
compte sur votre équité, et j'ai l'honneur d'être
avec autant de confiance que de respect , etc.
ANNÉE 1768. l3
LETTRE DCCCXXXVIII.
A M. LALLIAUD.
BourgoIn,lc 3i août 1768.
Nous VOUS devons et nous vous faisons , mon-
sieur, mademoiselle Renou et moi, les plus vifs
remerciements de toutes vos bontés pour tous les
deux; mais nous ne vous en ferons ni l'un ni
l'autre pour la compagne de voyage que vous lui
avez donnée. J'ai le plaisir d'avoir ici, depuis quel-
ques jours, celle de mes infortunes; voyant qu'à
tout prix elle voulait suivre ma destinée, j'ai fait
en sorte au moins qu'elle pût la suivre avec lion-
nein\ J'ai cru ne rien risquer de rendre indisso-
luble un attachement de vingt-cinq ans , que l'es-
time mutuelle , sans laquelle il n'est point d'amitié
durable, n'a fait qu'augmenter incessamment. La
tendre et pure fraternité dans laquelle nous vivons
depuis treize ans n'a point changé de nature par
le nœud conjugal ; elle est , et sera jusqu'à la mort ,
ma femme par la force de nos liens , et ma sœur
par leur pureté. Cet honnête et saint engagement
a été contracté dans toute la simplicité , mais aussi
dans toute la vérité de la nature, en présence de
deux hommes de mérite et d'honneur , officiers
d'artillerie, et l'un fils d'un de mes anciens amis du
bon temps , c'est-à-dire avant que j'eusse aucun nom
dans le monde; et l'autre, maire de cette ville, et
l4 CORRESPONDANCE.
proche parent du premier *. Durant cet acte si
court et si simple , j'ai vu fondre en larmes ces
deux dignes hommes, et je ne puis vous dire com-
bien cette marque de la bonté de leurs cœurs m'a
attaché à l'un et à l'autre.
Je ne suis pas plus avancé sur le choix de ma
demeure que quand j'eus l'honneur de vous voir
à Lyon , et tant de cabarets et de courses ne facili-
tent pas un bon établissement. Les nouveaux
voyages à faire me font peur , surtout à l'entrée de
la saison où nous touchons ; et je prendrai le parti
de m' arrêter volontairement ici, si je puis, avant
que je me trouve, par ma situation, dans l'impos-
sibilité d'y rester et dans celle d'aller plus loin.
Ainsi, monsieur, je me vois forcé de renoncer,
pour cette année , à l'espoir' de me rapprocher
de vous, sauf à voir dans la suite ce que je pour-
rai faire pour contenter mon désir à cet égard.
Recevez les salutations de ma femme, et celles,
monsieur, d'un homme qui vous aime de tout son
cœur.
* Ils sont nommés l'un et l'autre clans la lettre au comte de Ton-
nerre ci-après, en date du i8 septembre. Le premier s'appelait de
Rozière; le second, cousin du premier, et maire de Bourgoin, était
M. de Champagneux.
ANNÉK J yGS. I .)
lettre: dcccxxxix.
A M. LE COMTE DE TONNERRE.
Bouigoin , le i" septembre 1768.
Monsieur,
Je suis Irès-sensible à la bonté que vous avez eue
de mander et interroger le sieur The venin sur le
prêt qu'il dit avoir fait, il y a environ dix ans à
moi , ou à un homme de même nom que moi , et
dont il m'a fait demander la restitution par M. Bo-
vier. Mais je prendrai la liberté , monsieur le comte,
de n'être pas de votre avis sur la bonne foi dudit
Thevenin, puisqu'il est impossible de concilier cette
bonne foi avec les circonstances qu'il rapporte de
son prétendu prêt, et avec les lettres de recom-
mandation qu'il dit que l'emprunteur lui donna
pour MM. de Faugnes et Aldiman. Cet homme vous
paraît borné, cela peut être; im imposteur peu!
très -bien n'être qu'un sot, et cela me confirme
seulement dans la persuasion qu'il a été dirigé
aussi-bien qu'encouragé dans l'invention de sa pe-
tite histoire , dont les contradictions sont un incon-
vénient difficile à éviter dans les fictions les mieux
concertées. Il y a même une autre contradiction
bien positive entre lui, qui vous a dit, monsieur,
n'avoir parlé de cette affaire à qui que ce soit qu'à
M. Bovier, son voisin, et le même M. Bovier, qui
1,6 CORRF.SPOiVDANCE.
m'écrit que ledit Thevenin lui en a fait parler par
le vicaire de sa paroisse. Je persiste donc dans la
résolution de ne point retourner dans les lieux où
cette histoire a été fabriquée , jusqu'à ce qu'elle
soit assez bien éclaircie pour ôter aux fabricateurs ,
quels qu'ils soient, la fantaisie d'en forger dere-
chef de semblables. Je trouve ici un logement trop
cher pour pouvoir le garder long-temps , mais où
j'aurai le temps d'en chercher plus à ma poTtée ,
où je puisse me croire à l'abri des imposteurs. Je
n'y suis pas moins sous votre protection qu'à Gre-
noble ; et , si le mensonge et la calomnie m'y pour-
suivent , j'éviterai du moins le désavantage d'être
précisément à leur foyer.
Daignez , monsieur , agréer derechef mes excuses
des importunités que je vous cause , et mes actions
de grâces de la bonté avec laquelle vous voulez
bien les endurer. Si Ton ne me harcelait jamais ,
je demeurerais tranquille et ne serais point indis-
cret ; mais ce n'est pas l'intention de ceux qui dis-
posent de moi.
Recevez avec bonté, je vous supplie, monsieur
le comte, les assurances de mon respect.
Renou.
Permettez, monsieur, que je joigne ici une lettre
pour M. Faure.
ANNÉE 1768. 17
LETTRE DCCCXL.
A UNE DAME DE LYON.*
Bourgoin , Je 3 septembre 1768.
Vous trouverez ci -joint un papier dont voici
l'occasion : Ayant été malade ici et détenu dans
une chambre pendant quelques jours , dans le fort
de mes chagrins, je m'amusai à tracer, derrière
une porte , quelques lignes au rapide trait du
crayon , qu'ensuite j'oubliai d'effacer en quittant
ma chambre, poiu- en occuper une plus grande à
deux lits avec ma femme. Des passants malinten-
tionnés, à ce qu'il m'a paru, ont trouvé ce bar-
bouillage dans la chambre que j'avais quittée , y
ont effacé des mots, en ont ajouté d'autres , et l'ont
transcrit pour en faire je ne sais quel usage. Je
vous envoie une copie exacte de ces lignes , afin
que messieurs vos frères puissent et veuillent bien
constater les falsifications qu'on y peut faire , en
cas qu'elles se répandent. J'ai transcrit même les
fautes et les redites , afin de ne rien changer.
Cette lettre a été imprimée pour la première fois dans la Cor-
responi.ance littéraire àe Grimm (deuxième partie, toni. v, p. 55).
Nous aurions à nous défier d'une source aussi susjDecte, si l'écrit
qui fait suite à cette lettre ne se trouvait également dans l'édition
de Poincot, tome xxviii, page 282. Les éditeurs annoncent le tenir
de M. de Champagneux , maire de Bourgoin, qui, disent -ils, ta
transcrit lui-même avec la plus exacte fidélité ; et comme ce même écrit,
dans l'édition de Poincot, offre avec celui qui est rapporté par
Grimm des différences assez notables, c'est d'après cette édition que
nous le donnerons ici.
R. xxir. 2
l8 CORRESPOIVDAIVCE.
SENTIMENT DU PUBLIC SUR MON COMPTE, DANS LES DIVERS lÎTATS
QUI LE COMPOSENT.
Les rois et les grands ne disent pas ce qu'ils
pensent ; mais ils me traiteront toujours honora-
blement.
La vraie noblesse , qui aime la gloire et qui sait
que je m'y connais, m'honore et se tait.
Les magistrats me haïssent à cause du mal qu'ils
m'ont fait.
Les philosophes, que j'ai démasqués, veulent à
tout prix me perdre ; ils y réussiront.
Les évéques , fiers de leur naissance et de leur
état, m'estiment sans me craindre, et s'honorent
en me marquant des égards.
Les prêtres , vendus aux philosophes, aboient
après moi pour faire leur cour.
Les beaux esprits se vengent, en m'insultant, de
ma supériorité qu'ils sentent.
Le peuple , qui fut mon idole , ne voit en moi
qu'une perruque mal peignée et un homme dé-
crépit.
Des femmes, dupes de deux p froid, qui les
méprisent, trahissent l'homme qui mérita le mieux
d'elles '.
Les magistrats * ne me pardonneront jamais le
mal qu'ils m'ont fait.
Le magistrat de Genève sent ses torts , sait que
je les lui pardonne, et les réparerait s'il l'osait.
' Les deux p dont il est question sont d'Alembert et Grimm.
* Dans la Correspondance de Grimm , au lieu de, les magistrats ,
on lit, les Suisses.
ANNÉE 1-768. 19
Les chefs du peuple , élevés sur'mes épaules , vou-
draient me cacher si bien que l'on ne vît qu'eux.
Les auteurs me pillent et me blâment; les fri-
pons me maudissent , et la canaille me hue.
Les gens de bien , s'il en existe encore , gémis-
sent tout bas sur mon sort; et moi je le bénis s'il
peut instruire un jour les mortels.
Voltaire , que j'empêche de dormir , parodiera
ces lignes. Ses grossières injures sont un hommage
qu'il est forcé de me rendre malgré lui *.
Observation Il ne faut pas oublier que cet écrit fut tracé,
comme le dit Rousseau , derrière une porte, au rapide trait du
crayon, et que les copies qu'on en fit furent inexactes. En sup-
posant la lettre âuthentiqvie , on y voit que l'auteur n'avait cer-
tainement pas le projet de conserver ces phrases détachées et
qu'elles n'ont été transmises que parce qu'on les avait altérées
en les transcrivant.
LETTRE DCCCXLI.
A M. LE COMTE DE TONNERRE.
Bourgoin, le 6 septembre 1768.
Il y a peu de résolutions et il n'y a point de ré-
pugnance par-dessus lesquelles le désir d'approfon-
dir l'affaire du sieur Thevenin ne me fasse passer ;
et, si ma confrontation, sous vos yeux, avec cet
* La maladie dont parle J. J. et pendant laquelle il est censé avoir
écrit derrière une porte , doit faire excuser cette lettre si réellement
il en est l'auteur ; pour le croire il faut le témoignage de M. de Cham-
pagneux rapporté par Yédifear de l'édition de Poinçot.
2.
20 CORRESPONDANCE.
homme peut vous engager , monsieur , à la suivre
jusqu'au bout, je suis prêt à partir. Permettez seu-
lement que j'ose vous demander auparavant l'as^
surance que ce voyage ne sera point inutile ; que
vous ne dédaignerez aucune des précautions con-
venables pour constater la vérité , tant à vos yeux
qu'à ceux du public , et que le motif d'éviter l'é-
clat, que je ne crains point', n'arrêtera aucune des
démarches nécessaires à cet effet. Il ne serait assu-
rément pas digne de votre générosité , ni de la
protection dont vous m'honorez , que des impos-
teurs pussent à leur gré me promener de ville en
ville, m'attirer au milieu d'eux, et m'y rendre im-
punément le jouet de leurs suppôts.
J'attends vos ordres, M. le comte, et, quelque
parti qu'il vous plaise de prendre sur cette affaire ,
dont je vous cause à regret la longue importunité,
je vous supplie de vouloir bien me renvoyer la
lettre de M. Bovier , et la copie de ma réponse ,
que j'eus l'honneur de vous envoyer.
Je vous supplie , M. le comte , d'agréer avec bonté
ma reconnaissance et mon respect.
LETTRE DCCCXLII.
A M. DU PEYROU.
Bourgoin, le 9 septembre 1768.
Après diverses courses, mon cher hôte , qui ont
achevé de me convaincre qu'on était bien déter-
ANNÉE 1768. 21
miné à ne me laisser nulle part la tranquillité que
j'étais venu chercher dans ces provinces, j'ai pris
le parti , rendu de fatigue et voyant la saison s'a-
vancer, de m'arréter dans cette petite ville pour y
passer l'hiver. A peine y ai-je été, qu'on s'est pressé
de m'y harceler avec la petite histoire que vous al--
lez lire dans l'extrait d'une lettre qu^m certain
avocat Bovier m'écrivit de Grenoble le 22 du mois
dernier.
« Le sieur Thevcnin , chamoiseur de son métier ,
« se trouva logé, il y a environ dix ans, chez le
« sieur Janin , hôte du bourg des Verdières - de-
« Joue, près de Neuchâtel , avec M. Rousseau, qui
« se trouva lui-même dans le cas d'avoir besoin de
« quelque argent, et qui s'adressa au sieur Janin ,
« son hôte , pour obtenir cet argent du sieur The-
« venin : ce dernier, n'osant pas présenter à M: Rous-
'<■ seau la modique somme qu'il demandait, attendit
« son départ , et l'accompagna effectivement des
« Verdières-de-Jouc jusqu'à Saint-Sulpice avec ledit
('Janin; et, après avoir dîné ensemble dans une
« aubeige qui a un soleil pour enseigne , il lui lit
« remettre neuf livres de France par ledit Janin.
« M. Rousseau , pénétré de reconnaissance, donna
« audit Thevenin quelques lettres de recomman-
cc dation , entre autres une pour M. de Faugnes,
« directeur des sels à Yverdun , et une pour M. Al-
« diman , de la même ville, dans laquelle M. Rous-
« seau signa son nom , et signa /<? Voyageur perpé-
« liiel dans une autre pour quelqu'un à Paris, dont
« le sieur Thevenin ne se rappelle pas le nom. »
22 - CORRESPONDANCE.
Voici maintenant, mon cher hôte, copie de ma
réponse , en date du 2 3.
« Je n'ai pas pu , monsieur , loger il y a environ
« dix ans où que ce fut , près de Neuchâtel , parce
«qu'il y en a dix, et neuf, et huit, et sept, que
« j'en étais fort loin , sans en avoir approché du-
« rant tout ce temps plus. près de cent lieues.
« Je n'ai jamais logé au bourg des Verdières, et
« n'en ai même jamais entendu parler : c'est peut-
« être le village des Verrières qu'on a voulu dire;
<f j'ai passé dans ce village une seule fois , il n'y a
« pas cinq ans , allant à Pontarlier; j'y repassai en
« revenant ; je n'y logeai point ; j'étais avec un ami
«(qui n'était pas le sieur Thevenin); personne
« autre ne revint avec nous ; et, depuis lors , je ne
« suis pas retourné aux Verrières.
« Je n'ai jamais vu, que je sache, le sieur The-
« venin, chamoiseur;jamaisje n'ai ouï parler de lui,
« non plus que du sieur Janin , mon prétendu hôte.
« Je ne connais qu'un seul M. Jeannin, mais il ne
« demeure point aux Verrières, il demeure à Neu-
« clîâtel , et il n'est point cabaretier ; il est secré-
« taire d'un de mes amis.
« Je n'ai jamais écrit , autant qu'il m'en souvient ,
« à M. de Faugnes , et je suis sur au moins de ne lui
« avoir jamais écrit de lettres de recommandation ,
« n'étant pas assez lié avec lui pour cela : encore
u moins ai-je pu écrire à M. Aldiman, d'Yverdun ,
« que je n'ai vu de ma vie, et avec lequel je n'eus
« jamais nulle espèce de liaison.
« Je n'ai jamais signé avec mon nom k Voyageur
ANNÉE J/jGS. 2.3
a perpétuel, premièrement parce que cela n'est pas
« vrai et surtout ne l'était pas alors , quoiqu'il le soit
« devenu depuis quelques années ; en second lieu ,
« parce que je ne tourne pas mes malheiu's en plai-
« sauteries, et qu'enfin, si cela m'arrivait, je tâ-
« cherais qu'elles fussent moins plates.
« J'ai quelquefois prêté de l'argent à Neucliâlel ,
« mais je n'y en empruntai jamais , par la raison très-
ce simple qu'il ne m'a jamais manqué dans ce pays-là ;
«et vous m'avouerez, monsieur, qu'ayant pour
« amis tous ceux qui y tenaient le premier rang,
« il eût été du moins fort bizarre que j'allasse em-
« prunter neuf francs d'un chamoiseur que je ne
« connaissais pas , et cela à un quart de lieue de
« chez moi; car c'est à peu près la distance de
« Saint-Sulpice, où l'on dit que cet argent m'a été
a prêté , à Motiers, où je demeurais. »
Vous croiriez, mon cher hôte, sur cette lettre
et sur ma réponse que j'ai envoyée au comman-
dant de la province, que tout a été fini, et que,
l'imposture étant si clairement prouvée, l'impos-
teur a été châtié ou bien censuré : point du tout ;
l'affaire est encore là , et ledit Thevenin , conseillé
par ceux qui l'ont aposté, se retranche à dire qu'il a
peut-être pris un autre M. Rousseau pour J. J.Rous-
seau, et persiste à soutenir avoir prêté la somme à
vm homme de ce nom, se tirant d'affaire, je ne sais
comment, au sujet des lettres de recommandation:
de sorte qu'il ne me reste d'autre moyen pour le
confondre que d'aller moi-même à Grenoble me
confronter avec lui; encore ma mémoire trompeuse
ti4 CURRESPOJVDAJVCE.
et vacillante peut -elle souvent m'abuser sur les
faits. Les seuls ici qui me sont certains est de n'a-
voir jamais connu ni Thevenin ni Janin ; de n'a-
voir jamais voyagé ni mangé avec eux ; de n'a-
voir jamais écrit à M. Aldiman ; de n'avoir jamais
emprunté de l'argent , ni peu ni beaucoup, de per-
sonne durant mon séjour à Neuchâtel; je ne crois
pas non plus avoir jamais écrit à M. de Faugnes,
surtout pour lui recommander quelqu'un ; ni ja-
mais avoir signé le Fojageur perpétuel; ni jamais
avoir couché aux Verrières , quoiqu'il ne me soit
pas possible de me rappeler où nous couchâmes
en revenant de Pontarlier avec Sauttersheim , dit le
Baron ; car en allant je me souviens parfaitement
que nous n'y couchâmes pas. Je vous fais tous ces
détails , mon cher hôte , afin que si, par vos amis,
vous pouvez avoir quelque éclaircissement sur tous
ces faits, vous me rendiez le bon office de m'en
faire part le plus tôt qu'il sera possible. J'écris
par ce même courrier à M. du Terreau , maire des
Verrières, à M. Breguet,à M. Guyenet, lieutenant
du Val -de -Travers , mais sans leur faire aucun
détail; vous aurez la bonté d'y suppléer, s'il est
nécessaire, par ceux de cette lettre. Vous pouvez
m'écrire ici en droiture ; mais si vous avez des
éclaircissements intéressants à me donner , vous
ferez bien de me les envoyer par duplicata , sous
enveloppe, à l'adresse de M. le comte de Tonnerre^
lieiiteaant-génêrdl des armées du roi ^ commandant
pour sa majesté en Dauphmé a Grenoble. Vous
pourrez même m'écrire à l'ordinaire sous son cou-
A.WNÉE l'j6S. 25
vert: mes lettres me parviendront jdIus lentement,
mais plus sûrement qu'en droiture.
J'espère qu'on est tranquille à présent dans votre
pays. Puisse le ciel accorder à tous les hommes la
paix qu'ils ne veulent pas me laisser ! Adieu , mon
cher hôte; je vous embrasse.
LETTRE DCCCXLIII.
A M. LE COMTE DE TONNERRE.
Bourgoin, le i3 septembre 1768.
Monsieur ,
Comme je ne puis douter que vous ne sachiez
parfaitement à quoi vous en tenir sur le compte
du sieur Thevenin , je crois voir par la dernière
lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire,
qu on vous trompe comme on ti'ompe M. le prince
de Conti, et que mon futur voyage de Grenoble
est une affaire concertée dont la fable de ce mal-
heureux n'est que le prétexte. Vous aviez la bonté
de désirer que ce motif m'attirât aux environs de
cette capitale. J'ignore , M. le comte , d'où naît ce
désir, et si je dois vous en rendre grâces ; tout ce
que je sais est que les moyens employés à cet effet
ne sont pas extrêmement attirants. Malgré les em-
barras où je suis , je pars demain pour me rendre à
vos ordres ; jeudi j'aurai l'honneur de me présenter
à votre audience, et j'espère qu'il vous plaira d'y
Q.6 CORRESPONDANCE.
mander ledit Thevenin. Je repartirai vendredi ma
tin, quoi qu'il arrive, si l'on m'en laisse la liberté.
J'ai l'honneur d'être avec respect,
Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,
Renou.
LETTRE DCCCXLIV.
AU MÊME.
Bourgoln, le i8 septembre 1768.
Monsieur,
Le contre -temps de votre absence à mon arri-
vée à Grenoble m'affligea d'autant plus que , sen-
tant combien il m'importait que, selon votre dé-
sir, mon entrevue avec le sieur Thevenin se passât
sous vos yeux , et ne pouvant le trouver qu'à l'aide
de M. Bovier, que j'aurais voulu ne pas voir, je
me voyais forcé d'attendre à Grenoble votre re-
tour, à quoi je ne pouvais me résoudre, ou de re-
venir l'attendre ici , ce qui m'exposait à un second
voyage. J'aurais pris , monsieur, ce dernier parti,
sans la lettre que vous me fîtes l'honneur de m'é-
crire le 1 5 , et qui me fut envoyée à la nuit par
M. Bovier. Je compris par cette lettre , qu'afin
que mon voyage ne fut pas inutile vous pensiez
ANNÉE I7G8. 27
que je pouvais voir ledit Thevenin, quoique en
votre absence ; et c'est ce que je fis par l'entre-
mise de M. Bovier , auquel il fallut bien recourir
pour cela.
Je le vis tard , à la hâte , en deux reprises : j'é-
tais en proie à mille idées cruelles , indigné , navré
de me voir après soixante ans d'honneur, com-
promis, seul, loin de vous, sans appui, sans ami,
vis-à-vis d'un pareil misérable, et surtout de lire
dans les cœurs des assistants, et de ceux mêmes à
qui je m'étais confié, leur mauvaise volonté secrète.
Mais quelque courte qu'ait été cette conférence ,
elle a suffi pour l'objet que je m'y proposais. Avant
d'y venir, permettez-moi, M. le comte, une petite
observation qui s'y rapporte : M. Bovier m'avait
induit en erreur, en me marquant que c'était per-
sonnellement à moi que ledit Thevenin avait prêté
neuf francs; au lieu que Thevenin lui-même dit
seulement les avoir fait passer par la main d'autrui,
en prêt ou en don ( car il ne s'explique pas clai-
rement là-dessus), à un homme appelé Rousseau,
duquel au reste il ne donne pas le moindre ren-
seignement, ni de son nom, ni de son âge, ni de
son état, ni de sa demeure, ni de sa figure, ni de
son habit, excepté la couleur, et qu'il s'était signé
dans une lettre : le Voyageur perpétuel. JM. Bovier ,
sur le simple rapport d'un quidam, qu'il dit ne
pas connaître ^ part de ces seuls indices , et de celui
du lieu où se sont vus ces deux hommes , pour
m'écrire en ces termes : « Je crois vous faire plai-
« sir de vous rappeler un homme qui vous a rendu
!28 CORRESPONDANCE.
« un service, il y a près de dix années, et qui se
(f trouve aujourd'hui dans le cas que vous vous en
« souveniez. » Ce même M. Bovier , dans sa lettre
précédente , me parlait ainsi. « Je vous ai vu ;
« j'ai été émerveillé de trouver une ame aussi
« belle que la vôtre , jointe à un génie aussi su-
ce blime. » Voilà, ce me semble, cette belle ame
transformée un peu légèrement en celle d'un vil
emprunteur ; et d'un plus vil banqueroutier : il
faut que les belles âmes soient bien communes à
Grenoble , car assurément on ne les y met pas à
haut prix.
Voici la substance de la déclaration dudit The-
venin , tant en présence de M. Bovier et de sa fa-
mille , que de M. de Champagneux , maire et châ-
telain de Bourgoin , de son cousin , M. de Rozière,
officier d'artillerie, et d'un autre officier du même
corps, leur ami, dont j'ignore le nom, laquelle
déclaration a été faite en plusieurs fois , avec des
variations, en hésitant, en se reprenant, quoique
assurément il dût avoir la mémoire bien fraîche
de ce qu'il avait dit tant de fois , et à vous , M. le
comte, et avant vous à M. Bovier.
Que de la Charité -sur -Loire, qui est son pays,
venant en Suisse , et passant aux Verrières-de-Jouc,
dans un cabaret dont l'hôte s'appelle Janin , un
homme nommé Rousseau, le voyant mettre à ge-
noux , lui demanda s'il était catholique ; que là-
dessus s'étant pris de conversation , cet homme lui
donna une lettre de recommandation pour Yver-
dun ; qu'ayant continué de demeurer ensemble
ANNÉE I7G8. 29
dans ledit cabaret, ledit Rousseau le pria de lui
prêter quelque argent, et lui donna, deux jours
après , deux autres lettres de recommandation ;
savoir , une seconde pourYverdun, et l'autre pour
Paris , où ledit Rousseau lui dit qu'il avait mis pour
signature , /é' Voyageur perpétuel ; qu'en reconnais-
sance de ce service , lui Thevenin lui fit remettre
neuf francs par Janin , leur hôte , après un voyage
qu'ils firent tous trois des Verrières à Saint-Sulpice,
où ils dînèrent encore ensemble; qu'ensuite ils se
séparèrent; que lui Thevenin se rendit de là à
Yverdun , et porta les deux lettres de recomman-
dation à leurs adresses, l'une pour M. de Faugnes ,
l'autre pour M. Aldiman; que, ne les ayant trou-
vés ni l'un ni l'autre , il remit ses lettres à leurs
gens, sans que, pendant deux ans qu'il resta sur
les lieux , la fantaisie lui ait pris de retourner chez
ces messieurs , voir , du moins par curiosité , l'effet
de ces mêmes lettres qu'il avait si bien payées. A
l'égard de la lettre de recommandation pour Paris,
signée le Voyageur perpétuel , il l'envoya à la Cha-
rité-sur-Loire , à sa femme , qui la fit passer par le
curé à son adresse, dont il ne se souvient point.
Quant à la personne dudit Rousseau , j'ai déjà
(lit qu'il ne s'en rappelait rien , ni rien de ce qui
s'y rapporte : interrogé si ledit Piousseau portait
son chapeau sur la tête ou sous le bras, il a dit
ne s'en pas souvenir ; s'il portait perruque ou s'il
avait ses cheveux, a dit qu'il ne s'en souvenait
pas non plus , et que cela ne faisait pas une diffé-
rence bien sensible : interrogé sur l'habillement ,
3o CORRESPONDANCE.
il a dit que tout ce qu'il s'en rappelait était qu'il
portait un habit gris , doublé de bleu ou dé vert :
interrogé s'il savait la demeure dudit Rousseau , a
dit qu'il n'en savait rien ; s'il n'avait plus eu de ses
nouvelles, a dit que, durant tout son séjour à
Yverdun et à Estavayé , où il alla travailler en sor-
tant de là , il n'a jamais plus ouï parler dudit Rous-
seau, et n'a su ce qu'il était devenu, jusqu'à ce
qu'apprenant qu'il y avait un M. Rousseau à Gre-
noble, il s'est adressé , par le vicaire de la paroisse,
à son voisin , M. Bovier , pour savoir si ledit sieur
Rousseau ne serait point son homme des Ver-
rières; chose qu'il n'a pourtant jamais affirmée,
ni dite, ni crue, mais dont il voulait simplement
s'informer.
Comme sa déclaration laissait assez indéterminé
le temps de l'époque , j'ai parcouru , pour le fixer ,
ceux de ses papiers qu'il a bien voulu me mon-
trer ; et j'y ai trouvé un certificat daté du 3o juil-
let 1763, par lequel le sieur Cuche , chamoiseur
d'Yverdun , atteste que ledit Thevenin a demeuré
chez lui pendant environ deux ans, etc.
Supposant donc que Thevenin soit entré chez
le sieur Cuche , immédiatement à son arrivée à
Yverdun, et qu'il se soit rendu immédiatement à
Yverdun , en quittant ledit Rousseau à Saint-Sul-
pice, cela détermine le temps de leur entrevue à
la fin de l'été 1761 au plus tard. Il est possible que
cette époque remonte plus haut; mais il ne l'est
pas qu'elle soit plus récente, puisqu'il faudrait alors
que cette rencontre se fût faite du temps que le-
ANNÉE 1768. 3l
dit Thevenin était déjà à Yverdun , au lieu qu'elle
se fit avant qu'il y fût arrivé.
J'aidemaiidé à cet homme le nom du maître chez
lequel il travaille à Grenoble: il me l'a dit; je l'ai
oublié. Je lui ai demandé pour qui ce maître tra-
vaillait, quelles étaient ses pratiques; il m'a dit
qu'il n'en savait rien , et qu'il n'en connaissait au-
cune. Je lui ai demandé s'il ne travaillait point
pour son voisin , M. Bovier le père , qui est gantier ;
il m'a dit qu'il n'en savait rien; et M. Bovier fils,
prenant la parole , a dit que non ; et il fallait bien
en effet qu'ils ne se connussent point, puisque,
pour parvenir à lui parler, ledit Thevenin a eu re-
cours au vicaire de la paroisse.
Voilà, dans ce qu'a dit cet homme , tout ce qui
me paraît avoir trait à la question.
Cette question en peut offrir deux distinctes,
premièrement, si ledit Thevenin dit vrai ou s'il
ment.
Supposant qu'il dit vrai, seconde question : quel
est l'homme nommé Rousseau, auquel il a prêté
son argent, sans connaître de lui que le nom? car
enfin l'identité des noms ne fait pas celle des per-
sonnes ; et il ne suffit pas, n'en déplaise à M. Bo-
vier, de porter le nom de Rousseau, pour être,
par cela seul , le débiteur ou l'obligé du sieur The-
venin.
Il n'y a, selon le récit du dernier, que trois
personnes en état d'en attester la vérité; savoir, le
Rousseau dont il ne connaît que le nom, Thevenin
lui-même, et l'hôte Janin , qui est absent : d'ail-
32 CORRESPONDANCE.
leurs, le témoignage des deux premiers , comme
parties, est nul , à moins qu'ils ne soient d^accord ;
et celui du dernier serait suspect , s'il favorisait
Thevenin ; car il peut être son complice ; il peut
même être le seul fripon, comme vous l'avez,
monsieur, soupçonné vous-même; il peut encore
être gagné par ceux qui ont aposté l'autre. Il n'est
décisif qu'au cas qu'il condamne Thevenin. En
tout état de cause, je ne vois pas à tout cela de
quoi faire preuve sans d'autres informations. Il est
vrai que les circonstances du récit de Thevenin ne
seraient pas un préjugé qui lui fût bien favorable,
quand même il aurait affaire au dernier des mal-
heureux, qui aurait tous les autres préjugés contre
lui; mais enfin tout cela ne sont pas des preuves.
Qu'un garçon chamoiseur, qui court le pays pour
chercher de l'ouvrage , s'aille mettre à genoux en
parade , dans un cabaret protestant ; qu'un autre
homme qui le voit conclue de là qu'il est catho-
lique , lui en fasse compliment , lui offre des
lettres de recommandation , et lui demande de
l'argent sans le connaître et sans en être connu
d'aucune façon ; qu'au lieu de présumer de là que
l'emprunteur est un escroc, et que ses recomman-
dations sont des torche-culs, l'autre, transporté
du bonheur de les obtenir , tire aussitôt neuf francs
de sa bourse cossue; qu'il ait même la complai-
sante délicatesse de n'oser les donner lui-même à
celui qui ose bien les lui demander ; qu'il attende
pour cela d'être en un autre lieu, et de les lui faire
modestement présenter par un autre homme: tout
ANNEE l^GB. 3?)
cela , tout inepte et risible qu'il est, n'est pas ab-
solument impossible.
Que le préteur ou donneur passe trois jours
avec l'emprunteur; qu'il i^iange avec lui; qu'il
voyage avec lui sans savoir comment il est fait, s'il
porte perruque ou non, s'il est grand ou petit,
noir ou blond, sans retenir la moindre chose de
sa figure : cela paraît si singulier, que je lui en fis
l'objection. A cela il me répondit qu'en marchant ,
lui, Thevenin , était derrière l'autre et ne le voyait
que par le dos , et qu'à table il ne le voyait pas
bien non plus, parce que ledit Rousseau ne se te-
nait pas assis, mais se promenait par la chambre
en mangeant. Il faut convenir , en riant de plus
fort, que cela n'est pas encore impossible.
. Il ne l'est pas enfin que , desdites lettres de re-
commandation si précieuses , aucune ne soit par-
venue, attendu que ledit Thevenin , modeste pour
les lettres comme pour l'argenL , ne voulut pas les
rendre lui-même , ni s'informer au moins de leur
effet, quoiqu'il demeurât dans le même lieu qu'ha-
bitaient ceux à qui elles étaient adressées, qu'il
les vît peut-être dix fois par jour , et que ce fût au
moins une curiosité fort naturelle , de savoir si un
coureur de cabarets, à l'affût des écus des passants ,
pouvait être réellement en liaison avec ces mes-
siem^s-là. Si , comme il est à craindre , aucune des-
dites lettres n'est parvenue , ce seront ces coquins
de valets , à qui l'honnête Thevenin les a remises,
qui lui auront joué le tour de les garder. Je ne
dis rien de la lettre pour Paris ; il est si clair
R. XXII. 3
34 CORRESPONDA.NCE.
qu'une recommandation pour Paris est extrême-
ment utile à un garçon chamoiseur qui va travail-
ler à Yverdun !
Pardon, monsieur ;^ je ris de ma simplicité, et
j'admire votre patience ; mais enfin , si Theve-
nin n'est pas un imposteur, il faut, de nécessité
absolue, que toutes ces folies soient autant de
vérités.
Supposons-les telles , et passons outre : voilà le
généreux The venin, créancier ou bienfaiteur d'un
nommé Rousseau, lequel, comme le dit très-bien
M. Bovier, doit être pénétré de reconnaissance.
Quel est ce Rousseau? lui, Thevenin , n'en sait
rien , mais M. Bovier le sait pour lui , et présume ,
avec beaucoup de vraisemblance, que ce Rousseau
est l'infortuné Jean-Jacques Rousseau,- si connu
par ses malheurs passés, et qui le sera bien plus
encore par ceux que l'on lui prépare. Je ne sache
pas cependant que, parmi ces multitudes de char-
ges atroces et ridicules que ses ennemis inventent
journellement contre lui , ils l'aient jamais accusé
d'être un coureur de cabarets , un crocheteiu- de
bourses, qui va pochetant quelques écus cà et là,
chez le premier va-nu-pieds qu'il rencontre. Si le
Jean-Jacques Rousseau qu'on connaît pouvait s'a-
baisser à pareille infamie, il faudrait qu'on l'eût
vu , pour le pouvoir croire ; et encore , après l'a-
voir vu, n'en croirait-on rien. M. Bovier est moins
incrédule ; le simple doute d'un misérable qu'il ne
connaît point se transforme , à ses yeux , en certi-
tude, et lui prouve qu'une belle ame qu'il connaît
\NNiiE i-yGS. 35
est celle du plus vil des mendiants ou du plus
lâche des fripons.
Si le Jean -Jacques Rousseau dont il s'agit n'est
qu'un infâme , ce n'est pas tout ; il faut encore qu'il
soit un sot , car s'il accepte les neuf francs , que
ledit Thevenin ne lui donne pas de la main à la
main , mais qu'il lui fait donner par un autre
homme , habitant du pays , il doit s'attendre qu'ils
lui seront reprochés mille fois le jour : il doit comp-
ter qu'à chaque fois qu'on citera , dans le pays ,
quelque trait de sa facilité à répandre , et de sa ré-
pugnance à recevoir , le sieiu^ Janin ne manquera
pas de dire : « Eh! par Dieu , cet homme n'est pas
« toujours si fier ; il a demandé et reçu neuf francs
« d'un faquin d'ouvrier qui logeait dans mon au-
« berge; et j'en suis bien sûr, car c'est moi qui les
« ai livrés. » Quand on commença d'ameuter le
peuple contre ce pauvre Jean -Jacques , et qu'on
le faisait lapider jusque dans son lit, Janin aurait
fait sa fortune avec cette histoire ; son cabaret n'au-
rait pas désempli. Thevenin fait bien de la conter
à Grenoble; mais s'il l'osait conter à Saint-Sulpice
ou aux Verrières, et dans tout le pays où ce même
Jean-Jacques a pourtant reçu tant d'outrages, et
qu'il dît qu'elle le regarde, je suis sûr que les ha-
bitants lui cracheraient au nez.
Préjugés vrais ou faux à part, passons aux preuves,
et permettez, monsieur le comte, que nous exami-
nions un peu le rapport de notre homme , et que
nous voyions s'il se peut rapporter à moi.
lue sieur Thevenin fit connaissance avec ledit
3.
36 CORRESPONDANCE.
Rousseau aux Verrières , et ils y demeurèrent en-
semble deux ou trois jours , logés chez Janin. J'ai
demeuré long-temps à Motiers sans aller aux Ver-
rières, et je n'y ai jamais été qu'une seule fois, al-
lant à Pontarlier avec M. de Sauttersheim , dit,
dans le pays , le baron Sauttern. Je n'y couchai
point en allant, j'en suis très-sûr; je suis très-per-
suadé que je n'y couchai point en revenant, quoi-
que je n'en sois pas sûr de même ; mais si j'y cou-
chai , ce fut sans y séjourner , et sans quitter le
baron. Thevenin dit cependant que son homme
était seul. Ma mémoire affaiblie me sert mal sur
les faits récents; mais il en est sur lesquels elle ne
peut me tromper ; et je suis aussi siir de n'avoir
jamais séjourné, ni peu ni beaucoup, aux Verrières,
que je suis sûr de n'avoir jamais été à Pékin
Je ne suis donc pas l'homme qui resta deux ou
trois jours aux Verrières, à contempler les génu-
fluxions du dévot Thevenin.
Je ne peux guère être non plus celui qui lui
demanda de l'argent à emprunter aux mêmes Ver-
rières , parce que , outre M. du Terreau , maire
du lieu, j'y connaissais beaucoup un M. Breguet,
très-galant homme,, qui m'aïu'ait fourni tout l'ar-
gent dont j'aurais eu besoin, et avec lequel j'ai eu
bien des querelles, pour n'avoir pu tenir la pro-
messe que je lui avais faite de l'y aller voir. Si j'a-
vais logé là seul , c'eût été chez lui , selon toute ap-
parence, et non pas chez le sieur Janin, sintout
quand j'aurais été sans argent.
Je ne suis point l'homme à l'habit gris doublé
ANNÉE [7G8. 37
de bleu ou de vt-rt , parce que je n'en ai jamais
porté de pareil durant tout mon séjour en Suisse :
je n'y ai jamais voyagé qu'en habit d'Arménien ,
qui sûrement n'était doublé ni de vert ni de bleu.
Thevenin ne se souvient pas si son homme avait
ses cheveux ou la perruque , s'il portait son cha-
peau sur la tète ou sous le bras; un Arménien ne
porte point de chapeau du tout, et son équipage
est trop remarquable pour (|u'on en perde totale-
ment le souvenir , après avoir demeuré trois jours
avec lui, et après l'avoir vu dans la chambie et en
voyage, jjar-devant, par-derrière, et de toutes les
laçons.
Je ne suis point l'homme qui adonné au sieur The"
venin ime lettre de recommandation pour M. de
Faugnes, que je ne connaissais pas même encore ,
quand ledit Thevenin alla à Yverdun ; et je ne suis
point l'homme qui lui a donné une lettre de re-
commandation pour M. Aldiman, que je n'ai connu
de ma vie, et que je ne crois pas même avoir été
de retour d'Italie à Yverdun, sous la même date«.
Je ne suis point l'homme qui a donné au sieur
Thevenin une lettre de recommandation pour Pa-
ris , signée le Vojagcur perpétuel. Je ne crois pas
avoir jamais employé cette plate signature; et je
suis parfaitement sûr de n'avoir pu l'employer à
l'époque de ma prétendue rencontre avec Theve-
nin ; car cette lettre devant être antérieure à l'ar-
rivée dudit Thevenin à Yverdun, dut l'être, à plus
" J'ai appris seulemciit depuis i[nelques jours que le secrétaire
baillival d'Yverdun s'appelait aussi M. Aldiman.
38 CORRESPOADANCK.
forte raison , à son départ de la même ville. Or ,
même en ce temps-là, je ne pouvais signer le Voya-
geur perpétuel , avec aucune apparence de vérité
d'aucune espèce; car durant l'espace de dix -huit
ans , depuis mon retour d'Italie à Paris , jusqu'à
mon départ pour la Suisse , je n'avais fait qu'un
seul voyaoe ; et il est absurde de donner le nom
de Vojageur perpétuel à un homme qui ne fait
qu'un voyage en dix -huit ans. Depuis la date de
mon arrivée à Motiers, jusqu'à celle du départ de
Thevenin d'Yverdun , je n'avais fait encore aucune
promenade dans le pays , qui pût porter le nom
de voyage. Ainsi cette signature , au moment que
Thevenin la suppose , eût été non-seulement plate
et sotte , mais fausse en tous sens , et de toute faus-
seté.
Il n'est pas non plus fort aisé de croire que je
sois le même Rousseau dont Thevenin n'a plus
ouï parler, durant tout son séjour en Suisse, puis-
qu'on n'y parlait que de cet homme infernal , qui
osait croire en Dieu sans croire aux miracles ,
contre lequel les prédicants prêchaient avec le
plus saint zèle , et qu'ils nommaient hautement
\ Antéchrist. Je suis sûr qu'il n'y avait pas, dans
toute la Suisse , un honnête chamoiseur qui n'é-
difiât son quartier en m'y maudissant saintement
mille fois le jour ; et je crois que le bénin Thevenin
n'était pas des derniers à s'acquitter de cette bonne
oeuvre. Mais, sans rien conclure de tout cela, je finis
par ma preuve péremptoire.
Je dis que je ne suis point l'homme qui a pu se
ANNEE 1-768. 3C)
trouver aux Verrières et à Saiut-Sulpice avec le
sieur Thevenin , quand , venant de la Charité-sur-
Loire , il allait à Yverdun ; car il n'a pu passer aux
Verrières plus tard que l'été de 1761 , puisque le
3o juillet 1763 il y avait environ deux ans qu'il
demeurait chez le sieur Cuche , et probablement
davantage qu'il demeurait à Yverdun. Or , au vu
et au su de toute la France , j'ai passé l'année en-
tière de 1761 , et la moitié de la suivante, tran-
quille à Montmorency; je ne pouvais donc pas,
dès l'année précédente , avoir couru les cabarets
aux Verrières et à Saint-Sulpice. Ajoutez, je vous
supplie , qu'arrivant en Suisse je n'allai pas tout
de suite à Motiers ; ajoutez encore qu'arrivé à
Motiers, et tout occupé jusqu'à l'hiver de mon
établissement , je ne fis aucun voyage du reste de
l'année, ni bien avant dans la suivante. Selon The-
venin, notre rencontre a du se faire avant qu'il
allât à Yverdun; et, selon la vérité, il était déjà
parti de cette ville quand je fis mon premier et
unique voyage aux Verrières: je n'étais donc pas
l'homme portant le nom de Rousseau qu'il y ren-
contra; c'est ce que j'avais à prouver.
Quel était donc cet homme? je l'ignore: ce que
je sais, c'est que, pour que ledit Thevenin ne soit
pas lui imposteur, il faut que cet autre homme se
trouve, c'est-à-dire que son existence soit connue
sur les lieux; il faut qu'il s'y soit trouvé dans l'an-
née 1761 , qu'il s'appelât Rousseau , qu'il eût un
habit gris doublé de vert ou de bleu , qu'il ait écrit
des lettres à MM. de Faugnes et Aldiman, qui par
/JO C O n 11 K s P O iV D A n f, L .
conséquent étaient de sa connaissance; qu'il ait
écrit une autre lettre à Paris, signée le Voyageur
perpétuel; qu'après avoir passé deux jours avec
Thevenin aux Verrières , ils aient encore été de
compagnie à Saint-Sulpice avec Janin leur hôte, et
qu'après y avoir diné tous trois ensemble, ledit
Thevenin ait fait donner audit Rousseau neufs
francs par ledit Janin. La vérification de tous ces
faits gît en informations, que je ne suis point en état
de faire, et qui ne m'intéressent en aucune sorte ,
si ce n'est pour prouver ce que je sais bien sans
cela, savoir, que ledit Thevenin est un imposteur
aposté. J'ai pourtant écrit dans le pays pour avoir
là-dessus des éclaircissements, dont j'aurai l'hon-
neur , monsieur, de vous faire part, s'ils me par-
viennent : mais comment pourrai-je espérer que
des lettres de cette espèce échapperont à l'inter-
ception, puisque celles même que j'adresse à M. le
prince de Conti n'y échappent pas, et que la der-
nière que j'eus l'honneur de lui écrire, et que je
mis moi-même à la poste , en partant de Grenoble ,
ne lui est pas parvenue ? Mais ils auront beau
faire, je me ris des machines qu'ils entassent sans
cesse autour de moi; elles s'écrouleront par leur
propre masse , et le cri de la vérité percera le ciel
tôt ou tard.
Agréez, monsieur le comte, les assurances de
mon respect ' .
" Apostille de l'auteur,
N. B. Cette lettre est restée sans réponse, de même qu'une autre
écrite encore l'ordinaire suivant à M. le comte de Tonnerre , en lui
ANNÉE I7G8. 4l
LETTRE DCCCXLV.
, AU MÊME. •
Bourgoin, le 30 septembre 1768.
Monsieur,
A compte des éclaircissements que j'ai demandés
sur l'histoire du sieur Thevenin, voici toujours
une lettre de M. Roguin d'Yverdun , respectable
vieillard, mon ami de trente ans, et celui de feu
M. de Rozière , père de M. de Rozière, officier d'ar-
tillerie , par qui cette lettre m'est parvenue. Vous y
verrez , monsieur , que le bénin Thevenin n'en est
pas à son coup d'essai d'impostures, et qu'il a été
ci-devant condamné , par arrêt du parlement de
Paris , à être fouetté , marqué , et envoyé aux ga-
lères pour fabrication de faux actes. Vous y ver-
rez lui mensonge bien manifeste dans sa dernière
déclaration, puisqu'il m'a dit, à moi, n'avoir pu
joindre M. de Faugnes poiu- lui remettre la lettre
de recommandation de R. , ni pour en apprendre
l'effet; et vous voyez, par la lettre de M. Roguin,
qu'il sait bien le joindre pour lui remettre la lettre
du curé de Tovency-les-Filles, et pour le circon-
en envoyant une dans laquelle M. Roguin me doiniait des informa-
tions sur le sieur Thevenin , et qui ne m'a point été renvoyée. De-
puis lors, je n'ai reçu ni de M. de Tonnerre, ni d'aucune ame vi-
vante , ancun avis de rien de ce qui s'est passé à Grenoble au sujet
de cette aiïuiie , ni de ce qu'est devenu ledit Thevenin.
/|2 CORRESPONDANCi:.
venir de ses mensonges au sujet de M. Thevenin
de Tanley , conseiller au parlement de Paris. Si mes
lettres et leurs réponses parviennent fidèlement,
j'aurai dans peu réponse directe de M. de Faugnes,
et la déclaration de Janin, que je lui ai fait de-
mander par le premier magistrat du lieu.
Veuillez , monsieur le comte, agréer avec bonté
mon respect.
Rendu.
Rien ne presse pour le renvoi de la lettre ci-
jointe. Je vous supplie seulement , monsieur ,
d'ordonner qu'elle ne soit pas égarée, et qu'on me
la renvoie quand elle ne servira plus à rien.
LETTRE DC(:CXL\ I.
A M. LALLIAUD.
A Bourgoln, le ai septembre 1768.
Je ne puis résister, monsieur, au désir de vous
donner, par la copie ci-jointe, une idée de la ma-
nière dont je suis traité dans ce pays. Sitôt que je
fus parti de Grenoble pour venir ici, l'on y dé-
terra un garçon chamoiseur nommé Thevenin ,
qui me redemandait neuf francs, qu'il prétendait
m'avoir prêtés en Suisse, et qu'il prétend à pré-
sent m'avoir donnés , parce que ceux qui l'instrui-
sent ont senti le ridicule de faire prêter de l'ar-
gent par un passant à quelqu'un qui demeure dans
AJNNÉE 1768, 43
le pays. Cette extravagante histoire qui , partout
ailleurs, eût attiré audit Thevenin le traitement
qu'il mérite , lui attire ici la faveur publique ; et il
n'y a personne à Grenoble, et parmi les gens qui
m'entourent, qui ne donnât tout au monde pour
que Thevenin se trouvât l'honnête homme et moi
le fripon : malheureusement pour eux, j'apprends
à l'instant, par une lettre de Suisse qui m'est ar-
rivée sous couvert étranger , que ledit Thevenin
a eu ci-devant l'honneur d'être condamné, par un
arrêt du parlement de Paris, à être marqué et en-
voyé aux galères, pour fabrication de faux actes,
dans un procès qu'il eut l'impudence d'intenter à
M. Thevenin deTanley , conseiller honoraire actuel
au parlement , rue des Enfants-Rouges , au Marais".
J'ai écrit en Suisse, pour avoir des informations
sur le compte de ce misérable : je n'ai eu encore
que cette seule réponse, qui heureusement n'est
pas venue directement à mon adresse . J'ai écrit à
M. de Faugnes, receveur général des finances à
Paris , lequel a connu , à ce qu'on me marque , le-
dit Thevenin ; je n'en ai aucune réponse : je crains
bien que mes lettres ne soient interceptées à la
])oste. M. de Faugnes demeure rue Feydeau. Si,
sans vous incommoder , vous pouviez , monsieur ,
passer chez lui et chez M. Thevenin de Tanley,
" L'arrêt est du 10 mars 1761. Il fut permis à Jean Thevenin de
Tanley et consorts de le faire imprimer, publier, et afficher. On y
voit nif-me que ledit Nicolas-Eloi Thevenin, de la Charité-sur-Loire,
est condamné au carcan, en place de Grève, pour y demeurer de-
puis midi jusqu'à deux heures , ayant écriteau devant et derrière ,
portant ces mots, Calomniateur et imposteur insigne.
44 CORRESPONDANCE.
VOUS lireriez peut-être tic ces messieurs des infor-
mations qui me seraient utiles poiu^ confondre mon
coquin , malgré la faveur de ses honnêtes protec-
teurs.
Je vois que ma diffamation est jurée, et qu'on
veut l'opérer à tout prix : mon intention n'est pas
de daigner me défendre, quoique en cette occa-
sion je n'aie pu résister .au désir de démasquer
l'imposteur; mais j'avoue qu'enfin dégoûté de la
France je n'aspire plus qu'à m'en éloigner, et du
foyer des complots dont je suis la victime. Je n'es-
père pas échapper à mes ennemis, en quelque lieu
que je me réfugie; mais, en les forçant de multi-
plier leurs complices , je rends leur secret plus dif-
ficile à garder, et je le crois déjà au point de ne
pouvoir me survivre : c'est tout ce qui me reste à
désirer désormais. Bonjour, monsieur. Votre der-
nière lettre m'est bien parvenue ; cela me fait es-
pérer le même bonheur pour celle-ci , et peut-être
pour votre réponse : faites-la un peu promptement,
je vous supplie, si vous voulez que je la reçoive;
car, dans une quinzaine de jours, je pourais bien
n'être plus ici. Ma femme vous prie d'agréer ses
«>béissances: recevez mes très-humbles salutations
ANNÉE I7G8. 45
LETTRE DCCCXLVIL
A M. DU PEYROU.
Bourgoin, le af) septembre 1768.
Je reçois en ce moment, mon cher hôte, votre
lettre du ao, et j'y apprends les progrès ^le votre
rétablissement avec une satisfaction à laquelle il
ne manque , pour être entière, que d'aussi bonnes
nouvelles de la santé de la bonne maman. Il n'y
a rien à faire à sa sciatique que d'attendre les trêves ,
et prendre patience : vous êtes dans le même cas
pour votre goutte; et, après la leçon terrible pour
vous et pour d'autres que vous avez reçue , j'espère
que vous renoncerez une bonne fois à la fantaisie
de guérir de la goutte , de tourmenter votre esto-
mac et vos oreilles, et de vouloir changer votre
constitution avec du petit lait , des purgatifs , et
des drogues ; et que vous prendrez une bonne
fois le parti de suivre et d'aider , s'il se peut , la na-
ture, mais non de la contrarier.
Je ne sais pourquoi vous vous imaginez qu'il a
fallu , pour me marier , quitter le nom que je
porte * ; ce ne sont pas les noms qui se marient ,
ce sont les personnes ; et quand, dans cette simple
et sainte cérémonie, les noms entreraient comme
partie constituante , celui que je porte aurait suffi ,
Celui de Ronou, qu'il avait pris en allant habiter le château de
Trye.
46 CORRESPONDANCE.
puisque je n'en reconnais plus d'autre. S'il s'a-
gissait de fortune et de biens qu'il fallût assurer,
ce serait autre chose; mais vous savez très -bien
que nous ne sommes ni elle ni moi dans ce cas-là;
chacun des deux est à l'autre avec tout son être
et son avoir, voilà tout.
Pour vous mettre au fait de l'histoire de l'hon-
nête Thevenin, je prends le parti de vous faire
passer, par M. Boy de La Tour, copie d'une lettre
que j'écrivis, il y a huit jours, au commandant de
notre province, et qui contient la relation d'une
entrevue que j'ai eue avec ce malheureux qui ne
m'a point connu, mais qui s'était précautionné là-
dessus d'avance, en disant qu'il ne reconnaîtrait
point ledit Rousseau, s'il le voyait. A l'égard du
temps, Thevenin disait d'abord dix ans, mais ensuite
il a rapproché l'époque, et il l'a laissée assez vague
pour qu'elle puisse cadrer à tout. Les anachro-
nismes et les contradictions ne lui font rien du
tout, attendu qu'à toutes les objections qu'on peut
lui faire, il a cette réponse péremptoire qu'il est
trop honnête homme et trop bon chrétien pour
vouloir tromper; ce qui n'a pourtant pas empêché
cet honnête homme et ce bon chrétien d'être ci-
devant condamné aux galères, comme je l'ai appris
de M. Roguin. Au reste, je n'ai aucune réponse ni
de M. Guyenet, ni d'aucun de ceux à qui j'ai éciit
au Val-de-Travers ; ce qui peut venir de l'adresse
que je leur ai donnée , savoir celle de M. le comte
de Tonnerre, commandant duDauphiné, qui yicr-
mettait que pour plus de sûreté je lui fisse adresser
mes lettres, et jusqu'ici il me les avait fait passer
très-fidèlement; mais depuis une quinzaine de jours
il est en campagne , et je n'ai plus de lui ni lettres
ni réponses.
Pouviez-vous espérer , mon cher hôte que la li-
berté se maintiendrait chez vous, vous qui devez
savoir qu'il ne reste plus nulle part de liberté sur
la terre, si ce n'est dans le cœur de l'homme juste,
d'où rien ne la peut chasser? Il me semble aussi ,
je l'avoue, que vos peuples n'usaient pas de la leur
en hommes libres, mais en gens effrénés. Ils igno-
raient trop, ce me semble, que la liberté, de quel-
que manière qu'on en jouisse , ne se maintient qu'a-
vec de grandes vertus. Ce qui me fâche d'eux est
qu'ils avaient d'abord les vices de la licence, et
qu'ils vont tomber maintenant dans ceux de la ser-
vitude. Partout excès : la vertu seule , tlont on ne
s'avise jamais , ferait le milieu.
Recevez mes remerciements des papiers que vous
avez remis à notre amie, et qui pourront me don-
ner quelque distraction dont j'ai grand besoin. Je
vous remercie aussi des plantes que vous aviez
chargé Gagnebin de recueillir , quoiqu'il n'ait pas
rempli votre intention. C'est de cette bonne inten-
tion que je vous remercie; elle me flatte plus que
toutes les plantes du monde. Les tracas éternels
qu'on me fait souffrir me dégoûtent un peu de la
botanique , qui ne me paraît un amusement déli-
cieux qu'autant qu'on peut s'y livrer tout entier.
Je sens que poiu" peu que l'on rne tourmente en-
core je m'en détacherai tout-à-fait. Je n'ai pas laissé
48 CORRESPONDA.NCE.
]:>oiirtaiit do trouver en ce pays quelques plantes,
sinon jolies, au moins nouvelles pour moi; entre
autres, près de Grenoble, VOsjris et le Térébintlie ^
ici le Ccnchrus racemosus qui m'a beaucoup surpris,
parce que c'est un gramen maritime; rZ(;/;o^/^/j-,
plante parasite qui tient de l'orobanche ; le Crépis
foetida qui sent l'amande amère à pleine gorge, et
quelques autres que je ne me rappelle pas en ce
moment. Voilà, mon cher hôte, plus de botanique
qu'il n'en faut à votre stoïque indifférence. Vous
pouvez m'écrire en droiture ici sous le non de
Renou. J'ai grand peur , s'il ne sui'vient quelque
amélioration dans mon état et dans mes affaires,
d'être réduit à passer avec ma femme tout l'hiver
dans ce cabaret, puisque je ne trouve pas sur la
terre luie pierre pour y poser ma tète.
LETTRE DCCCXLI.
AU MÊME.
Bourgoin, le a octobre 17 68.
Quelle affreuse nouvelle vous m'apprenez, mon
cher ho te, et que mon cœur en est affecté! Je res-
sens le cruel accident de votre pauvre maman
comme elle, ou plutôt comme vous, et c'est tout
dire. Une jambe cassée est un malhein- que mon
père eut étant déjà vieux , et qui lui arriva de même
en se promenant, tandis que dans ses terribles fa-
tigues de chasse, qu'il aimait à la passion, jamais
il n'avait eu le moindre accident. Sa jambe guérit
très-facilement et très-bien , malgré son âge; et j'es-
pérerais la même chose de madame la comman-
dante, si la fracture n'était dans une place où le
traitement est incomparablement plus difficile et
plus douloureux. Toutefois, avec beaucoup de rési-
gnation , de patience , de temps , et les soins d'un
homme habile , la cure est également possible , et
il n'est pas déraisonnable de l'espérer. C'est tout
ce qu'il m'est permis de dire , dans cette fatale cir-
constance , pour notre commune consolation. Ce
malheur fait aux miens , dans mon cœur, une di-
version bien fimeste , mais réelle pourtant, en ce
qu'au sentiment des maux de ceux qui nous sont
chers , se joint l'impression tendre de notre atta-
chement pour eux, qui n'est jamais sans quelque
douceur ; au lieu que le sentiment de nos propres
maux, quand ils sont grands et sans remède, n'est
que sec et sombre ; il rie porte aucun adoucisse-
ment avec soi. Yous n'attendez pas de moi, mon
cher hôte , les froides et vaines sentences des gens
qui ne sentent rien ; on ne trouve guère pour ses
amis les consolations qu'on ne peut trouver pour
soi-même. Mais cependant je ne puis m'empêcher
de remarquer que votre affliction ne raisonne pas
juste quand elle s'irrite par l'idée que ce triste
événement n'est pas dans l'ordre des choses atta-
chées à la condition humaine. Rien , mon cher hôte,
n'est plus dans cet ordre que les accidents impré-
vus qui troublent, altèrent , et abrègent la vie. C'est
avec cette dépendance que nous sommes nés; elle
Vx. xxn, 4
5o CORRESPONDi^CE.
est attachée à notre nature et à notre constitution.
S'il y a des coups qu'on doive endurer avec patience,
ce sont ceux qui nous viennent de l'inflexible né-
cessité, et auxquels aucune volonté humaine n'a
concouru. Ceux qui nous sont portés par les mains
des méchants sont, à mon gré, beaucoup plus in-
supportables , parce que la nature ne nous fit pas
pour les souffrir. Mais c'est déjà trop moraliser.
Donnez-moi fréquemment, mon cher hôte, des nou-
velles de la malade; dites-lui souvent aussi combien
mon cœur est navré de ses souffrances, et com-
bien de vœux je joins aux vôtres pour sa guérison.
J'ai reçu par M. le comte de Tonnerre une lettre
du lieutenant Guyenet , laquelle m'en promet une
autre que j'attends pour lui faire des remercie-
ments. A présent ledit Thevenin est bien convaincu
d'être un imposteur. M. de Tonnerre , qui m'avait
positivement promis toute protection dans cette
affaire , me marque qu'il lui imposera silence. Que
dites-vous de cette manière de rendre justice ? c'est
comme si, après qu'un homme aurait pris ma
bourse , au lieu de me la faire rendre , on lui or-
donnait de ne me plus voler. En toute chose voilà
comme je suis traité.
Je vous ai déjà marqué que vous pouvez m'é-
crire ici en droiture sous le nom de Renou ; vous
pouvez continuer aussi d'employer la même adresse
dont vous vous servez; cela me paraît absolument
égal.
ANNÉE 1768. 5l
LETTRE DCCCXLTX.
A M. LALLIAUD.
Bourgoin, le 5 octobre 1768.
Votre lettre, monsieur, du 29 septembre, m'est
parvenue en son temps , mais sans le duplicata ; et
je suis d'avis que vous ne vous donniez plus la peine
d'en faire par cette voie , espérant que vos lettres
continueront à me parvenir en droiture, ayant
peut-être été ouvertes ; mais n'importe pas , pourvu
qu'elles parviennent. Si j'aperçois une interrup-
tion , je chercherai une adresse intermédiaire ici ,
si je puis, ou à Lyon,
Je suis bien touché de vos soins et de la peine
qu'ils vous donnent, à laquelle je suis très-sûr que
vous n'avez pas regret ; mais il est superflu que
vous continuiez d'en prendre au sujet de ce coquin
de Thevenin , dont l'imposture est maintenant dans
un degré d'évidence auquel M. de Tonnerre lui-
même ne peut se refuser. Savez-vous là-dessus
quelle justice il se propose de me rendre , après
m'avoir promis la protection la plus authentique
pour tirer cette affaire au clair? c'est d'imposer
silence à cet homme ; et moi toute la peine que je
me suis donnée était dans l'espoir qu'il le force-
rait de parler. Ne parlons plus de ce misérable ni
de ceux qui l'ont mis en jeu. Je sais que l'impunité
de celui-ci va les mettre à leur aise pour en sus-
4.
52 CORRESPONDAIYCE.
citer mille autres; et c'était pour cela qu'il m'im-
portait de démasquer le premier. Je l'ai fait, cela
me suffit : il en viendrait maintenant cent par jour
que je ne daignerais pas leur répondre.
Quoique ma situation devienne plus cruelle de
jour en jour, que je me voie réduit à passer dans
im cabaret l'hiver dont je sens déjà les atteintes,
et qu'il ne me reste pas une pierre pour y poser
ma tête, il n'y a point d'extrémité que je n'endure
plutôt que de retourner à Trye ; et vous ne me
proposeriez sûrement pas ce retour si vous saviez
ce qu'on m'y a fait souffrir, et entre les mains de
quelles gens j'étais tombé là. Je frémis seulement
à y songer : n'en reparlons jamais, je vous prie.
Plus je réfléchis aux traitements que j'éprouve,
moins je puis comprendre ce qu'on me veut. Ega-
lement tourmenté , quelque parti que je prenne ,
je n'ai la liberté ni de rester où je suis, ni d'aller
où je veux ; je ne puis pas même obtenir de savoir
où l'on veut que je sois , ni ce qu'on veut faire de
moi. J'ai vainement désiré qu'on disposât ouverte-
ment de ma personne; ce serait me mettre en re-
pos , et voilà ce qu'on ne veut pas. Tout ce que je
sens est qu'on est importuné de mon existence,
et qu'on veut faire en sorte que je le sois moi-
même ; il est impossible de s'y prendre mieux pour
cela. Il m'est cent fois venu dans l'esprit de pro-
poser mon transport en Amérique , espérant qu'on
voudrait bien m'y laisser tranquille , en quoi je crois
bien que je me flattais trop; mais enfin j'en aurais
fait de bon cœur la tentative si nous étions plus en
ANNÉE 1768. 53
état , ma femme et moi , d'en supporter le voyage
et l'air. Il me vient une autre idée dont je veux vous
parler, et que ma passion pour la botanique m'a
fait naître ; car , voyant qu'on ne voulait pas me
laisser herboriser en repos, j'ai voulu quitter les
plantes; mais j'ai vu que je ne pouvais plus m'en
passer : c'est une distraction qui m'est nécessaire
absolument; c'est un engouement d'enfant, mais
qui me durera toute ma vie.
Je voudrais, monsieur, trouver quelque moyen
d'aller la finir dans les îles de l'Archipel , dans celle
de Chypre , ou dans quelque autre coin de la Grèce ;
il ne m'importe où, pourvu que je trouve un beau
climat fertile en végétaux, et que la charité chré-
tienne ne dispose plus de moi. J'ai dans l'esprit
que la barbarie turque me sera moins cruelle. Mal-
heureusement , pour y aller , pour y vivre avec ma
femme, j'ai besoin d'aide et de protection. Je ne
saurais subsister là-bas sans ressource ; et sans
quelque faveur de la Porte , ou quelque recom-
mandation du moins pour quelqu'un des consuls
qui résident dans le pays, mon établissement y
serait totalement impossible. Comme je ne serais
pas sans espoir d'y rendre mon séjour de quelque
utilité au progrès de l'histoire naturelle et de la
botanique, je croirais pouvoir à ce titre obtenir
quelque assistance des souverains qui se font hon-
neur de le favoriser. Je ne suis pas un Tournefort,
ni un Jussieu ; mais aussi je ne ferais pas ce tra-
vail en passant , plein d'autres vues et par tâche :
je m'y livrerais tout entier, uniquement par plai-
54 CORRESPONDANCE.
sir, et jusqu'à la mort. Le goût, l'assiduité , la con-
stance , peuvent suppléer à beaucoup de connais-
sances, et même les donner à la fin. Si j'avais
encore ma pension du roi d'Angleterre, elle me
suffirait, et je ne demanderais rien, sinon qu'on
favorisât mon passage , et qu'on m'accordât quel-
que recommandation. Mais, sans y avoir renoncé
formellement, je me suis mis dans le cas de ne
pouvoir demander , ni désirer même honnêtement
qu'elle me soit continuée ; et d'ailleurs , avant d'al-
ler m'exiler là pour le reste de mes jours, il me
faudrait quelque assurance raisonnable de n'y pas
être oublié et laissé mourir de faim. J'avoue qu'en
faisant usage de mes propres ressources , j'en trou-
verais dans le fruit de mes travaux passés de suf-
fisantes pour subsister où que ce fût ; mais cela
demanderait d'autres arrangements que ceux qui
subsistent, et des soins que je ne suis plus en état
d'y donner. Pardon, monsieur : je vous expose
bien confusément l'idée qui m'est venue , et les
obstacles que je vois à son exécution. Cependant,
comme ces obstacles ne sont pas insurmontables ,
et que cette idée m'offre le seul espoir de repos
qui me reste, j'ai cru devoir vous en parler, afin
que, sondant le terrain, si l'occasion s'en présente,
soit auprès de quelqu'un qui ait du crédit à la
cour , et des protecteurs que vous me connaissez ,
soit pour tâcher de savoir en quelle disposition
l'on serait à celle de Londres pour protéger mes
herborisations dans l'Archipel, vous puissiez me
marquer si l'exil dans ce pays-là que je désire peut
ANNÉE 1768. 55
être favorisé d'un des deux souverains. Au reste ,
il n'y a que ce moyen de le rendre praticable , et
je ne nie résoudrai jamais, avec quelque ardeur
que je le désire , à recourir pour cela à aucun par-
ticulier, quel qu'il soit. La voie la plus courte et la
plus sûre de savoir là-dessus ce qui se peut faire
serait, à mon avis , de consulter madame la maré-
chale de Luxembourg. J'ai même une si pleine
confiance , et dans sa bonté pour moi , et dans ses
lumières, que je voudrais que vous ne parlassiez
d'abord de ce projet qu'à elle seule , que vous
ne fissiez là -dessus que ce qu'elle approuvera, et
que vous n'y pensiez plus si elle le juge imprati-
cable. Vous m'avez écrit, monsieur, de compter
sur vous. Voilà ma réponse. Je mets mon sort dans
vos mains , autant qu'il peut dépendre de moi.
Adieu, monsieur; je vous embrasse de tout mon
cœur.
LETTRE DCCCL.
A M. MOULTOU.
Bourgoin, le 10 octobre 1768.
Vos lettres, monsieur, me sont parvenues. Je
ne répondis point à la première , parce que vous
m'annonciez votre prochain départ de Genève;
mais j'y crus voir de votre part la continuation
d'une amitié à laquelle je serai toujours sensible ,
et j'y trouvai la clef de bien des mystères auxquels
56 COKKESPOJVDANCE.
depuis longtemps je ne comprenais rien. Cela m'a
fait rompre, im peu imprudemment peut-être,
avec des ingrats dont j'ai plus à craindre qu'à es-
pérer, après m'étre perdu pour leur service; mais
mon horreur pour toute espèce de déguisement
augmente avec l'effet de ceux dont je suis la vic-
time. Aussi -bien, dans l'état où l'on m'a réduit,
je puis désormais être franc impunément ; je n'en
deviendrai pas plus misérable.
J'ignore absolument ce que c'est que le château
de Lavagnac, à qui il appartient, sur quel pied
j'y pourrais loger , s'il est habitable pour moi , c'est-
à-dire à ma manière, et meublé; en un mot, tout
ce qui s'y rapporte, hors le peu que vous m'en
dites dans votre dernière lettre , et qui me paraît
très-attrayant. Coindet ne m'en a jamais parlé , et
cela ne m'étonne guère. Votre courte description
du local est charmante. Vous m'offrez de m'en dire
davantage , et même d'aller prendre des éclaircis-
sements sur les lieux. Je suis bien tenté de vous
prendre au mot : car aller habiter un si beau lieu ,
moi qui n'ai d'asile qu'au cabaret; vous voir en
passant; être voisin de M. Venel, pour lequel j'ai
la plus véritable estime : tout cela m'attire assez
fortement pour me déterminer probablement tout-
à-fait, pour peu que les convenances dont j'ai be-
soin s'y rencontrent. A l'égard du profond secret que
vous me promettez , vous n'en êtes plus le maître ;
ne laissez pourtant pas de le garder autant qu'il
vous sera possible; je vous en prie instamment,
puisque votre lettre a été ouverte , quoique celle
ANNÉE 1768. 57
qui lui servait d'enveloppe ne l'ait pas été. Avis
au lecteur.
J'apprends avec le plus vrai plaisir que votre
voyage a été salutaire à la santé de madame Moul-
tou : mon empressement de vous voir est encore
augmenté par le désir d'être connu d'elle , et de
lui agréer. Si je n'obtiens pas qu'elle approuve
votre amitié pour moi , et qu'elle en suive l'exem-
ple , je réponds au moins que ce ne sera pas ma
faute; mais, comme je désire m'arréter un peu à
Montpellier pour voir M. Gouan et le Jaiidin des
Plantes , je ne logerai pas chez vous. Je vous prie-
rai seulement de me chercher deux chambres dans
votre voisinage, et qui n'empêcheront pas, si je ne
vous importune point, que vous ne me voyiez chez
vous presque autant que si j'y logeais, à condition
que vous ne fermerez pour cela votre porte à per-
sonne : les sociétés bonnes pour vous seront sûre-
ment très-bonnes pour moi; et si je ne suis pas
bon pour elles , ce ne sera pas la faute de ma vo-
lonté.
Vous savez sûrement que ma gouvernante, et
mon amie, et ma sœur, et mon tout, est enfin
devenue ma femme. Puisqu'elle a voulu suivre
mon sort et partager toutes les misères de ma vie ,
j'ai dû faire au moins que ce fût avec honneur.
Vingt-cinq ans d'union des cœurs ont produit en-
fin celle des personnes. L'estime et la confiance
ont formé ce lien. S'il s'en formait plus souvent
sous les mêmes auspices , il y en aurait moins de
malheureux. Madame Renou ne sera point l'orne-
58 CORRESPONDANCE.
ment d'un cercle , et les belles dames riront d'elle
sans que cela la fâche ; mais elle sera, jusqu'à la fin
de mes jours , la plus douce consolation , peut-être
l'unique d'un homme qui en a le plus grand besoin.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Vous pouvez m'écrire en droiture à M. Renou ,
à Bourgoin en Dauphiné.
LETTRE DCCCLI.
A M. LAI^LIAUD.
Bourgoin, le 2 3 octobre 1768.
J'ai, monsieur, votre lettre du i3 et les autres.
Je ne vous ferai point d'autres remerciements des
peines que je vous donne que d'en profiter ; il en est
pourtant que je voudrais vous éviter, comme celle
des duplicata de vos lettres" que vous prenez inu-
tilement, puisqu'il est de la dernière évidence que,
si l'on prenait le parti de supprimer vos lettres , on
supprimerait encore plus certainement les dupli-
cata.
Je sens l'impossibilité d'exécuter mon projet:
vos raisons sont sans réplique ; mais je ne conviens
pas qu'en supposant cette exécution possible , ce
seiait donner plus beau jeu à mes ennemis ; je suis
certain de ne pouvoir pas plus éviter en France
qu'en Angleterre de tomber dans les mains de
leurs satellites ; au lieu que les pachas ne se piquant
pas de philosophie , et n'étant que médiocrement
ANNÉE 1768. 59
galants , les Machiavels et leurs amies ne dispose-
raient pas tout-à-fait aussi aisément d'eux que de
ceux d'ici. Le projet que vous substituez au mien,
savoir, celui de ma retraite dans les Cévennes, a-
été le premier des miens en songeant à quitter
Trye ; je le proposai à M. le prince de Conti , qui
s'y opposa et me força de l'abandonner. Ce projet
eût été fort de mon goût , et le serait encore ;
mais je vous avoue qu'une habitation tout-à-fait
isolée m'effraie un peu depuis que je vois dans
ceux qui disposent de moi tant d'ardeur à m'y con-
finer. Je ne sais ce qu'ils veulent faire de moi dans
un désert; mais ils m'y veulent entraîner à toute
force, et je ne doute pas que ce ne soit l'une des
raisons qui les a portés à me chasser de Trye , dont
l'habitation ne leur paraissait pas encore assez so-
litaire pour leur objet, quoique le vœu commun
de son altesse , de madame la maréchale , et le
mien , fût que j'y finisse mes jours. S'ils n'avaient
voulu que s'assurer de moi , me diffamer à leur
aise , sans que jamais je pusse dévoiler leurs trames
aux yeux du public, ni même les pénétrer , c'était
là qu'ils devaient me tenir , puisque , maîtres ab-
solus dans la maison du prince où il n'a lui-même
aucun pouvoir, ils y disposaient de moi tout à
leur gré. Cependant , après avoir tâché de me dis-
suader d'y rentrer et de me persuader d'en sortir,
trouvant ma volonté inébranlable, ils ont fini par
m'en chasser de vive force par les mains du sacri-
pan que le maître avait chargé de me protéger,
mais qui se sentait trop bien protégé ici , même
6o CORRESPONDANCE.
par d'autres, pour avoir peur de désobéir. Que me
veulent-ils maintenant qu'ils me tiennent tout-à-
fait? Je l'ignore ; je sais seulement qu'ils ne me veu-
lent ni à Trye, ni dans une ville, ni au voisinage
d'aucun ami , ni même au voisinage de personne ,
et qu'ils ne veulent autre chose encore que simple-
ment de s'assurer de moi. Convenez que voilà de
quoi donner à penser. Comment le prince me pro-
tégera-t-il ailleurs s'il n'a pu me protéger dans sa
maison même? Que deviendrai -je dans ces mon-
tagnes si je vais m'y fourrer sans préliminaire,
sans connaissance, et sûr d'être, comme partout,
la dupe et la victime du premier fourbe qui vien-
dra me circonvenir ? Si nous prenons des arrange-
ments d'avance, il arrivera ce qui est toujours ar-
rivé , c'est que M. le prince de Conti et madame
la maréchale ne pouvant les cacher aux machia-
vélistes qui les entourent, et qui se gardent bien
de laisser voir leurs desseins secrets , leur donne-
ront le plus beau jeu du monde pour dresser d'a-
vance leurs batteries dans le lieu que je dois habi-
ter. Je serai attendu là , comme je l'étais à Grenoble ,
et comme je le suis partout où l'on sait que je veux
aller. Si c'est une maison isolée , la chose leur sera
cent fois plus commode : ils n'auront à corrompre
que les gens dont je dépendrai pour tout et en
tout. Si ce n'était que pour m'espionner , à la
bonne heure, et très -peu m'importe. Mais c'est
pour autre chose , comme je vous l'ai prouvé ; et
pourquoi? Je l'ignore, et je m'y perds; mais con-^
venez que le doute n'est pas attirant.
ANNKF. 1768. 61
Voilà , monsieur , des considérations que je vous
prie de bien peser, à quoi j'ajoute les incommo-
dités infinies d'une habitation isolée pour un étran-
ger, à mon âge et dans mon état, la dépense au
moins triple, les idées terribles auxquelles je dois
être en proie , ainsi séquestré du genre humain ,
non volontairement et par goût, mais par force
et pour assouvir la rage de mes oppresseurs : car
d'ailleurs je vous jure que mon même goût pour
la solitude est plutôt augmenté que diminué par
mes infortunes; et que, si j'étais pleinement libre
et maître de mon sort, je choisirais la plus pro-
fonde retraite pour y finir mes jours. Bien plus,
une captivité déclarée n'aurait rien de pénible et
de triste pour moi. Qu'on me traite comme on
voudra, pourvu que ce soit ouvertement, je puis
tout souffrir sans murmure; mais mon cœur ne
peut tenir aux flagorneries d'un sot fourbe qui se
croit fin parce qu'il est faux. J'étais tranquille aux
cailloux des assassins de Motiers , et ne puis l'être
aux phrases des admirateurs de Grenoble.
Il faut vous dire encore que ma situation pré-
sente est trop désagréable et violente pour que je
ne saisisse pas la première occasion d'en sortir;
ainsi des arrangements d'une exécution éloignée
ne peuvent jamais être pour moi des engagements
absolus qui m'obligent à renoncer aux ressources
qui peuvent se présenter dans l'intervalle. J'ai dû,
monsieur , entrer avec vous dans ces détails aux-
quels je dois ajouter que l'espèce de liberté de dis-
poser de moi, que mes ressources me laissent.
62 CORRESPONDANCE.
n'est pas illimitée; que ma situation la restreint
tous les joiu's; que je ne puis former des projets
que pour deux ou trois années , passé lesquelles
d'autres lois ordonneront de mon sort et de celui de
ma compagne; mais l'avenir éloigné ne m'a jamais
effrayé. Je sens qu'en général , vivant ou mort , le
temps est pour moi ; mes ennemis le sentent aussi ,
et c'est ce qui les désole : ils se pressent de jouer
de leur reste ; dès maintenant ils en ont trop fait
pour que leurs manœuvres puissent rester long-
temps cachées ; et le moment" qui doit les mettre
en évidence sera précisément celui où ils voudront
les étendre sur l'avenir. Vous êtes jeune , mon-
sieur ; souvenez-vous de la prédiction que je vous
fais, et soyez sûr que vous la verrez accomplie.
Il me reste maintenant à vous dire que , prévenu
de tout cela , vous pouvez agir comme votre cœur
vous inspirera , et comme votre raison vous éclai-
rera : plein de confiance en vos sentiments et en
vos lumières , certain que vous n'êtes pas homme
à servir mes intérêts aux dépens de mon honneur ,
je vous donne toute ma confiance. Voyez madame
la maréchale ; la mienne en elle est toujours la
même. Je compte également et sur ses bontés , et
sur celles de M. le prince de Conti; mais l'un est
subjugué , l'autre ne l'est pas , et je ratifie d'avance
tout ce que vous résoudrez avec elle, comme fait
pour mon plus grand bien. A l'égard du titre dont
vous me parlez, je tiendrai toujours à très-grand
honneur d'appartenir à S. A. S., et il ne tiendra
pas à moi de le mériter; mais ce sont de ces choses
A.N1VÉE 1-768. 63
qui s'acceptent, et qui ne se demandent pas. Je ne
suis pas encore à la fin de mon bavardage , mais
je suis à la fin de mon papier; j'ai pourtant en-
core à vous dire que l'aventure de Thevenin a
pix)duit sur moi l'effet que vous désiriez. Je me
trouve moi-même fort ridicule d'avoir pris à cœur
une pareille affaire, ce que je n'aurais pourtant
pas fait, je vous jure, si je n'eusse été sûr que
c'était un drôle aposté. Je désirais, non par ven-
geance assurément, mais pour ma sûreté , qu'on dé-
voilât ses instigateurs : on ne l'a pas voulu , soit ; il en
viendrait mille autres que je ne daignerais pas même
répondre à ceux qui m'en parleraient. Bonjour,
monsieur; je vous embrasse de tout mon cœur.
P. S. J'oubliais de vous dire que mon chamoi-
seur est bien le cordonnier de M. de Tanley; il
apprit le métier de chamoiseur à Yverdun après
sa retraite. J'ai fait faire en Suisse des informa-
tions, avec la déposition juridique et légalisée du
cabaretier Janin.
LETTRE DCCCLII.
A M. DU PEYROU.
Bourgoin, le 3o octobre 1768.
Voici, j'espère, la dernière fois que j'aurai à
vous parler du sieur Thevenin , dont je n'entends
plus parler moi-même. Après les preuves péremp-
G4 CORRESPONDANCE.
toires que j'ai données à M, de Tonnerre de la
fourberie de cet imposteur , il en a bien fallu con-
venir à la fin , et il m'a offert de le punir par quel-
ques jours de prison , comme si le but de tous les
soins que j'ai pris et que j'ai donnés à ce sujet,
était le châtiment de ce misérable. Vous croyez
bien que je n'ai pas accepté. L'imposteur étant
convaincu, rien n'était plus aisé que de le faire
parler et de remonter peut-être à la source de
ce complot profondément ténébreux dont je suis
la victime depuis plusieurs années, et dont je dois
l'être jusqu'à ma mort. Je mie le tiens pour dit;
et prenant enfin mon parti sur les manœuvres
:des hom^mes , je les laisserai désormais ourdir et
tramer leurs iniquités , certain , quoi qu'ils puissent
faire, que le temps et la vérité seront plus forts
qu'eux. Ce qu'il me reste de toute cette affaire est
un tendre souvenir des. soins que mes amis ont
bien voulu se donner en cette occasion, pour
confondre l'imposture , et je suis en particulier
très-sensible à l'activité de M. Guyenet, dont je
n'avais pas le même droit d'en attendre , et avec
qui je n'étais plus en relation. J'apprends qu'il
commence à se ranger, et je m'en réjouis de tout
mon cœur , pour le bonheur de son excellente pe-
tite femme et le sien. Je finis, mon cher hôte, un
peu à la hâte, en vous embrassant au nom de ma
femme et au mien. J'embrasse M. Jeannin,
ANNEE in
68. 65
LETTRE DCCCLIIL
A M. LALLIAUD.
Bourgoln, le 2 novembre 1768.
Depuis la dernière lettre , monsieur, que je vous
ai écrite, et dont je n'ai pas encore la réponse,
j'ai reçu de M. le duc de Choiseul un passe-port
que je lui avais demandé pour sortir du royaume,
il y a près de six semaines , et auquel je ne son-
geais plus. Me sentant de plus en plus dans l'abso-
lue nécessité de me servir de ce passe-port, j'ai
délibéré , dans la cruelle extrémité où je me trouve,
et dans la saison où nous sommes, sur l'usage que
j'en ferais, ne voulant ni ne pouvant le laisser écou-
ler comme l'autre. Vous serez étonné du résultat de
ma délibération , faite pourtant avec tout le poids,
tout le sang froid, toute la réflexion dont je suis
capable ; c'est de retourner en Angleterre, et d'y
aller finir mes jours dans ma solitude de Wootton.
Je crois cette résolution la plus sage que j'aie prise
en ma vie, et j'ai, pour un des garants de sa soli-
dité , l'horreur qu'il m'a fallu surmonter pour la
prendre, et telle qu'en cet instant même je n'y
puis penser sans frémir. Je ne puis , monsieur,
vous en dire davantage dans une lettre ; mais mon
parti est pris, et je m'y sens inébranlable, à pro-
portion de ce qu'il m'en a coûté pour le prendre.
Voici une lettre qui s'y rapporte , et à laquelle je
K. XXII. 5
G6 CORRESPONDANCE.
VOUS prie de vouloir bien donner cours. J'écris
à M. l'ambassadeur d'Angleterre ; mais je ne sais
s'il est à Paris. Vous m'obligeriez de vouloir bien
vous en informer ; et , si vous pouviez même
parvenir à savoir s'il a reçu ma lettre , vous feriez
une bonne œuvre de m'en donner avis; car, tan-
dis que j'attends ici sa réponse, mon passe-port
s'écoule et le temps est précieux. Vous êtes trop
clairvoyant pour ne pas setitir combien il m'im-
porte que la résolution que je vous communique
demeure secrète, et secrète sans exception: tou-
tefois je n'exige rien de vous que ce que la pru-
dence et votre amitié en exigeront. Si M. l'ambassa-
deur d'Angleterre ébruite ce dessein , c'est tout
autre chose, et d'ailleurs je ne l'en puis empêcher.
En prenant mon parti sur ce point, vous sentez
que je l'ai pris siu- tout le reste. Je quitterai ce
continent , comme je quitterais le séjour de la
lune. L'autre fois, ce n'était pas la même chose;
j'y laissais des attachements , j'y croyais laisser
des amis. Pardon, monsieur; mais je parle des
anciens. Vous sentez que les nouveaux, quelque
vrais qu'ils soient, ne laissent pas ces déchirements
de cœur qui le font saigner durant toute la vie ,
par la rupture de la plus douce habitude qu'il
puisse contracter. Toutes mes blessures saigne-
ront, j'en conviens, le reste de mes jours; mais
mes erreurs , du moins , sont bien guéries ; la cica-
trice est faite de ce côté-là. Je vous embrasse.
ANNÉE 1768. 6*7
LETTRE DCCCLÏV.
A M. MOULTOU.
Bourgoin, le 5 novembre 1768.
Vous avez fait , cher Moultou , une perte que
tous vos amis et tous les honnêtes gens doivent
pleurer avec vous, et j'en ai fait une particulière
dans votre digne père par les sentiments dont il
m'honorait, et dont tant de faux amis, dont je
suis la victime , m'ont bien fait connaître le prix.
C'est ainsi, cher IMoultou , que je meurs en détail
dans tous ceux qui m'aiment, tandis que ceux qui
me haïssent et me trahissent semblent trouver
dans l'âge et dans les années une nouvelle vigueur
pour me tourmenter. Je vous entretiens de ma
perte au lieu de parler de la vôtre ; mais la véri-
table douleur, qui n'a point de consolation, ne
sait guère en trouver pour autrui ; on console les
indifférents, mais on s'afflige avec ses amis. Il me
semble que si j'étais près de vous, que nous nous
embrassassions, que nous pleurassions tous deux,
sans nous rien dire , nos cœurs se seraient beau-
coup dit.
Cruel ami , que de regrets vous me préparez
dans votre description de Lavagnac ! Hélas ! ce beau
séjour était l'asile qu'il me fallait; j'y aurais oublié,
dans un doux repos , les ennuis de ma vie; je pou-
vais espérer d'y trouver enfin de paisibles jours,
5.
63 CORRESPONDANCE.
et d'y attendre sans impatience la mort, qu'ailleurs
je désirerai sans cesse. Il est trop tard. La fatale
destinée qui m'entraîne ordonne autrement de
mon sort. Si j'en avais été le maître , si le prince
lui-même eût été le maître chez lui, je ne serais
jamais sorti de Trye , dont il n'avait rien épargné
pour me rendre le séjour agréable. Jamais prince
n'en a tant fait pour aucun particulier qu'il en a
daigné faire pour moi. « Je le mets ici à ma place ,
« disait-il à son officier; je veux qu'il ait la même
« autorité que moi, et je n'entends pas qu'on lui
« offre rien , parce que je le fais le maître de tout. »
Il a même daigné me venir voir plusieurs fois ,
souper avec moi tête à tête, me dire, en présence
de toute sa suite, qu'il venait exprès pour cela,
et , ce qui m'a plus touché que tout le reste ,
s'abstenir même de chasser , de peur que le motif
de son voyage ne fût équivoque. Eh bien! cher
Moultou, malgré ses soins, ses ordres les plus ab-
solus, malgré le désir, la passion, j'ose dire, qu'il
avait de me rendre heureux dans la retraite qu'il
m'avait donnée, on est parvenu à m'en chasser,
et cela par des moyens tels que l'horrible récit
n'en sortira jamais de. ma bouche ni de ma plume.
Son altesse a tout su, et n'a pu désapprouver ma
retraite; les bontés, la protection, l'amitié de ce
grand homme , m'ont suivi dans cette province , et
n'ont pu me garantir des indignités que j'y ai souf-
fertes. Voyant qu'on ne me laisserait jamais en
repos dans le royaume, j'ai résolu d'en sortir; j'ai
demandé un passe -port à M. de Ghoiseul, qui.
ANNÉE 1768. 69
après m'avoir laissé long-temps sans réponse , vient
enfin de m'envoyer ce passe -port. Sa lettre est
très-polie, mais n'est que cela; il m'en avait écrit
auparavant d'obligeantes. Ne point m'inviter à ne
pas faire usage de ce passe-port, c'est m'inviter
en quelque sorte à en faire usage. Il ne convient
pas d'importuner les ministres pour rien. Cepen-
dant depuis le moment où j'ai demandé ce passe-
port Jusqu'à celui où je l'ai obtenu, la saison s'est
avancée, les Alpes se sont couvertes de glace et
de neige ; il n'y a plus moyen de songer à les pas-
ser dans mon état. Mille considérations impossibles
à détailler dans une lettre m'ont forcé à prendre
le parti le plus violent, le plus terrible auquel
mon cœur pût jamais se résoudre ; mais le seul
qui m'ait paru me rester , c'est de repasser en An-
gleterre, et d'aller finir mes malheureux jours
dans ma triste solitude de Wootton , où , depuis
mon départ , le propriétaire m'a souvent rappelé
par force cajoleries. Je viens de lui écrire en con-
séquence de cette résolution ; j'ai même écrit aussi
à l'ambassadeur d'Angleterre. Si ma proposition
est acceptée, comme elle le sera infailliblement,
je ne puis plus m'en dédire , et il faut partir. Rien
ne peut égaler l'horreur que m'inspire ce voyage ;
mais je ne vois plus de moyen de m'en tirer sans
mériter des reproches ; et à tout âge , surtout au
mien, il vaut mieux être malheureux que cou-
pable.
J'aurais doublement tort d'acheter par rien de
répréhensible le repos du peu de jours qui me
^d CORtlESPON13A]5rCE.
restent à passer ; mais je vous avoue que ce beau
séjour de Lavagnac, le voisinage de M. Venel^ l'a-
vantage d'être auprès de son ami , par conséquent
d'un honnête homme, au lieu qu'à Trye j'étais
entre les mains du dernier des malheureux, tout
cela me suivra en idée dans ma sombre retraite ,
et y augmentera ma misère pour n'avoir pu faire
mon bonheur. Ce qui me tourmente encore plus
en ce moment est une lueur de vaine espérance
dont je vois l'illusion, mais qui m'inquiète malgré
que j'en aie. Quand mon sort sera parfaitement
décidé j et qu'il ne me restera qu'à m'y soumettre ,
j'aurai plus de tranquillité. C'est, en attendant,
un grand soulagement pour mon cœur d'avoir
épanché dans le vôtre tout ce détail de ma situa-'
tion. Au reste , je suis attendri d'imaginer vos
dames, vous, et M. Venel, faisant ensemble ce
pèlerinage bienfaisant , qui mérite mieux que ceux
de Lorette d'être mis au nombre des œuvres de
miséricorde. Recevez tous mes plus tendres re-
merciements et ceux de ma femme ; faites agréer
ses respects et les miens à vos dames. Nous vous
saluons et vous embrassons l'un et l'autre de tout
notre cœur.
P. S. J'ai proposé l'alternative de l'Angleterre, et
de Minorque que j'aimerais mieux à cause du cli-
mat. Si ce dernier parti est préféré, ne pourrions-»
nous pas nous voir avant mon départ, soit à JNîont-'
pellier, soit à Marseille.
Autre P. S. Si j'avais reçu voti'e lettre avant le dé-
part des miennes, je doute qu'elles fussent parties.
ANJNIÉE 1768. 71
LETTRE DCCCLV.
A M. LALLIAUD.
Boargoin , le 7 novembre 1768.
Depuis ma dernière lettre, monsieur, j'ai reçu
d'un ami l'incluse , qui a fort augmenté mon regret
d'avoir pris mon partis! brusquement; la situation
charmante de ce château de Lavagnac, le martre
auquel il appartient , l'honnête homme qu'il a pour
agent, la beauté, la douceur du climat, si conve-
nable à mon pauvre corps délabré, le lieu assez
solitaire pour être tranquille, et pas assez pour être
un désert; tout cela, je vous l'avoue, si je passe
en Angleterre ou même à Mahon , car j'ai proposé
l'alternative, tout cela, dis -je, me fera souvent
tourner les yeux et soupirer vers cet agréable asile ,
si bien fait pour me rendre heureux, si l'on m'y
laissait en paix. Mais j'ai écrit : si l'ambassadeur me
répond honnêtement , me voilà engagé ; j'aurais
l'air de me moquer de lui si je changeais de réso-
lution ; et d'ailleurs ce serait , en quelque sorte ,
marquer peu d'égard pour le passe-port que M. de
Choiseul a eu la bonté de m'envoyer à ma prière.
Les ministres sont trop occupés , et d'affaires trop
importantes , pour qu'il soit permis de les impor-
tuner inutilement : d'ailleurs, plus je regarda au-
tour de moi , plus je vois avec certitude qu'il se
rji CORRr^SPONDANCE.
brasse quelque chose, sans que je puisse deviner
quoi. Thevenin n'a pas été aposté pour rien : il y
avait dans cette farce ridicule quelque vue qu'il
m'est impossible de pénétrer; et, dans la profonde
obscurité qui m'environne , j'ai peur au moindre
mouvement de faire un faux pas. Tout ce qui m'est
arrivé depuis mon retour en France , et depuis
mon départ de Trye, me montre évidemment qu'il
ny a que M. le prince de Gonti, parmi ceux qui
m'aiment, qui sache au vrai le secret de ma situa-
tion , et qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour la ren-
dre tranquille sans pouvoir y réussir. Cette per-
suasion m'arrache des élans de reconnaissance et
d'attendrissement vers ce grand prince , et je me
reproche vivement mon impatience au sujet du
silence qu'il a gardé sur mes deux dernières lettres ;
car il y a peu de temps que j'en ai écrit à son al-
tesse une seconde , qu'elle n'a peut-être pas plus re-
çue que la première : c'est de quoi je désirerais ex-
trêmement d'être instruit. Je n'ose en ajouter une
pour elle dans ce paquet , de peur de le grossir au
point de donner dans la vue; mais si , dans ce mo-
ment critique , vous aviez pour moi la charité de
vous présenter à son audience , vous me rendriez
un office bien signalé de l'informer de ce qui se
passe , et de me faire parvenir son avis , c'est-à-dire
ses ordres ' car, dans tout ce que j'ai fait de mon
chef, je n'ai fait que des sottises , qui me serviront
au moins de leçons à l'avenir , s'il daigne encore
se mêler de moi. Demandez -lui aussi de ma part,
je vous supplie , la permission de lui écrire désor-
ANNÉE ï'jGS. 73
mais sous votre couvert , puisque sous le sien mes
lettres ne passent pas.
La tracasserie du sieur Thevenin est enfin ter-
minée : après les preuves sans réplique que j'ai
données à M. de Tonnerre de l'imposture de ce co-
quin, il m'a offert de le punir par quelques jours
de prison. Vous sentez bien que c'est ce que je n'ai
pas accepté, et que ce n'est pas de quoi il était ques-
tion. Vous ne sauriez imaginer les angoisses que
m'a données cette sotte affaire, non pour ce mi-
sérable à qui je n'aurais pas daigné répondre, mais
pour ceux qui l'ont aposté , et que rien n'était plus
aisé que de démasquer, si on l'eût voulu : rien ne
m'a mieux fait sentir combien je suis inepte et bète
en pareil cas, le seul, à la vérité, de cette espèce
où je me sois jamais trouvé. J'étais navré , cons-
terné, presque tremblant; je ne savais ce que je
disais en questionnant l'imposteur ; et lui , tran-
quille et calme dans ses absurdes mensonges , por-
tait dans l'audace du crime toute l'apparence de
la sécurité des innocents. Au reste, j'ai fait passer
à M. de Tonnerre l'arrêt imprimé concernant ce
misérable, qu'un ami m'a envoyé, et par lequel
M. de Tonnerre a pu voir que ceux qui avaient
rais cet homme en jeu avaient su choisir un sujet
expérimenté dans ces sortes d'affaires.
Je ne me trouvai jamais dans des embarras pa-
reils à ceux où je suis, et jamais je ne me sentis
pkis tranquille. Je ne vois d'aucun côté nul espoir
de repos ; et loin de me désespérer , mon cœur me
dit que mes maux touchent à leur fin. Il en serait
•^4 CORRÈSPOJ!fDANCE.
bien temps , je vous assure. Vous voyez, monsieur,
comment je vous écris, comment je vous charge
de mille soins, comment je remets mon sort en
vos mains et à vous seul. Si vous n'appelez pas cela
de la confiance et de l'amitié, aussi -bien que de
l'importunité et de l'indiscrétion peut-être, vous
avez tort. Je vous embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DCCCLVI.
A M. DE SAINT-GERMAIN*.
9 novembre 1768.
Je n'ai pas, monsieur, l'honneur d'être connu
de vous, et je sais que vous n'aimez pas mes opi-
* M. de Saint-Germain a fait une Notice sur sa correspondance
avec Jean-Jacques. En voici quelques passages.
« Les personnes clairvoyantes qui ont suivi et vu de près
M. Rousseau, en le blâmant dans ses écarts envers ceux qu'il re-
gardait comme ses persécuteurs, découvraient en lui un amour
pour ses semblables dont on trouverait peu d'exemples Son ame
bienfaisante lui enlevait le nécessaire pour soulager les mallieureux ,
et le faisait malade pour les maux d'autrui. En voici quelques traits
dont M. de Saint-Germain (c'est lui qui parle ainsi en' tierce per-
sonne ) a été témoin.
« M. Rousseau, présent à la cbute d'un écbafaud sur lequel était
un maçon qni fut blessé grièvement , courut à lui , le lit porter dans
son auberge , et lui fit donner tous les secours possibles, S'aperce-
vant quelque temps après que, malgré ses soins et nue grosse dé-
pense, cet liomnie n'était ni pansé ni soigné comme il aurait dû
l'être, il écrivit à M. rie Saint-Germain pour le prier de s'employer
auprès du directeur de l'iiôpital de Bourgoin , afin qu'il y fût reçu
et recommandé, offrant de payer à cette maison , fondée seulement
pour les pauvres malades du lieu, tout ce qu'il en pourrait coûter
pour guérir cet étranger. Le directeur de l'bôpital l'y fit entrer^ et
Année 17C8. 7^
nions ; mais je sais que vous êtes un brave militaire,
un gentilhomme plein d'honneur et de droiture ,
qui a dans son cœur la véritable religion , celle qui
iait les gens de bien ; voilà tout ce que je cherche.
On ne séduit pas M. de Saint -Germain , on l'inti-
mide encore moins; passez-moi, monsieur, la fa-
miliarité du terme : vous êtes précisément l'homme
({u'il me faut.
J'aurais, monsieur, à mettre en dépôt dans le
cœur d'un honnête homme des confidences qui
n'en sont pas indignes, et qui soulageraient le mien.
Si vous voulez bien être ce généreux dépositaire^
ayez la bonté de m'assigner chez vous l'heure et le
jour d'une audience paisible, et je m'y rendrai. Je
vous préviens que ma confiance ne sera mêlée d'au-
cune indiscrétion ; que je n'ai à vous demander ni
nprès que ce maçon fut parfaitement gu^ri, il alla remercier son
])ienfaiteur. M. Rousseau sortit de suite pour payer le directeur, qui
lui dit être satisfait. Persuadé que M. de Saint-Germain avait payé ,
il vint le trouver, et se plaindre de ce qu'il lui eût enlevé un l)ien
.T lui qu'il réclamait. M. de Saint-Germain eut beau dire, M. fious^
seau voulut absolument payer la moitié de ce qu'avait reçu l'hôpital.
« Un incendie consuma la maison d'un paysan où l'on ne put rien
sauver. M. Rousseau en fut malade; il envoya chercher l'incendié,
lui donna im louis , et lui dit de prendre chez son boulanger le j>ain
dont il aurait besoin pour lai et sa famille jusqu'à la récolte pro-
chaine. Le paysan lui répondit : Monsieur^- il vous en coûtera moins
de nous faire donner quelques mesures de seigle ; M. Rousseau fit
fournir pendant six mois tout le seigle dont cette famille eut besoin.
a Sa bourse ne fut jamais fermée aux malheureux ; on ne peut
comprendre qu'avec une aussi médiocre fortune , cet homme, désin-
téressé jusqu'au blâme, pût donner autant. Personne à la vérité ne
fut plus sobre que lui et n'eut moins de besoins , ne fut plus propre
et n'usa moins.
« M. de Saint-Germain, accompagné d'une autre personne, fut
visiter M. Rousseau qui s'était retiré à la campagne. Peu après leur
^6 CORRESPONDANCE.
soins , ni conseils , ni rien qui puisse vous donner
la moindre peine ou vous compromettre en aucune
façon : vous n'aurez d'autre usage à faire de ma
confidence que d'en honorer un jour ma mémoire,
arrivée un homme vint frapper à la porte. M. Rousseau se lève ,
lui ouvre , et lui dit de revenir. L'homme insista en disant qu'il ve-
nait de loin, et qu'il avait besoin de son argent. Alors il le fît en-
trer , et ces deux messieurs virent sept à huit vêtements de diffé-
lente taille que cet homme apportait. M. Rousseau lui demanda ce
qu'il lui fallait, il répondit, dix-huit francs; ils lui furent payés.
Voyant que ces messieurs s'étaient aperçus de ce qu'il voulait leur
caclier , M. Rousseau leur dit: C'est une famille qui n'est pas vêtue;
il ne faut pas croire que de donner vingt-quatre sous ou un petit écu
à l'importunité d'un pauvre, ce soit remplir les obligations de la
charité. Il faut chercher le besoin où il est , etc.
« Pourrait-on croire que M. Rousseau , avec des sentiments pa-
reils, soutenus par une pratique habituelle, ait pu être un empoi-
sonneur, un fripon? Il est cependant vrai qu'au sujet de son goût
pour la recherche des plantes il a été taxé d'y chercher du poison ,
et qu'on a cité un homme sur lequel on prétendait qu'il en avait
fait l'essai , parce qu'il mourut dans les douleurs d'une colique né-
phrétique , malgré tous les secours que lui procura M. Rousseau.
Obligé de subir une confrontation avec un ouvrier, il confondit cet
imposteur, qui disait lui avoir prêté, à Neuchâtel, neuf francs que
M. Rousseau n'avait jamais voulu lui rendre
« Un fermier qui avait fourni pendant quinze mois h M. Rous-
eau des œufs, du beurre, du fromage, qui toujours en avait été payé
beaucoup au-delà de ce que la chose valait , et qui en outre avait
reçu de lui, ainsi que sa famille, mille bienfaits, eut l'ingratitude
et la mauvaise foi de lui envoyer un mémoire que ce fermier affir-
mait lui être dû, et ne lui avoir pas été payé par M. Rousseau avant
son départ. Cette demande, vérifiée par M. de Saint-Germain, fut
prouvée fausse.
« Une femme de chambre, prétendant à l'esprit, fatiguait M. Rous-
seau par des visites continuelles : furieuse de ce qu'il l'avait chassée
de chez lui, elle dit qu'il l'avait voulu violer , et ce bruit se répan-
dit partout.
« Tous ces événements, quoique fâcheux, n'auraient pas dû af-
fecter M. Rousseau au point où il l'était, encore moins lui persuader
que ces calomnies grossières étaient l'ouvrage de ses ennemis ; au-
tant à plaindre qu'à blâmer , il était, par sa sensibilité et sa méfiance,
son plus cruel ennemi à lui-même...., etc. »
ANNÉE 1768. 77
quand il n'y aura plus de risque à parler. Je ne
vous dis rien de mes sentiments pour vous, mais
je vous en donne la preuve.
LETTRE DCCCLYII.
A M. LE COMTE DE TONNERRE,
En lui envoyant l'écrit suivant.
Bourgoin, le 9 novembre 1768.
Monsieur.
J'ai l'honneur de vous envoyer ci-jointe la décla-
ration juridique du sieur Jeannet *, cabaretier des
Verrières , relative à celle du sieur Thevenin. De
peur d'abuser de votre patience, je m'abstiens de
joindre à cette pièce celles que j'ai reçues en même
temps , puisqu'elle suffit seule à la suite des preuves
que vous avez déjà pour démontrer pleinement,
non l'erreur, mais l'imposture de ce dernier. Je
n'aurais assurément pas eu l'indiscrétion de vous
importuner de cette ridicule affaire , si le ton dé-
cidé sur lequel M. Bovier se faisait le porteur de
parole de ce misérable n'eût excité ma juste indi-
gnation. Vous m'avez fait l'honneur de me marquer
qu'après ce qui s'est passé mon prétendu créancier
se tiendra pour dit qu'il ne saurait se flatter de
Ce Jeannet est nommé Jan'in dans les lettres précédentes; c'est
sans doute une erreur de Rousseau , qui avait été mal inforuié.
^8 CORRESPONDANCE.
trouver en moi son débiteur. Voilà , monsieur le
comte , de quoi jamais il ne s'est flatté , je vous as-
sure; mais il s'est flatté, premièrement, de mentir
et m'avilir à son aise ; puis , après avoir dit tout ce
qu'il voulait dire, et n'ayant plus qu'à se taire, de
se taire ensuite tranquillement; et , s'il était enfin
convaincu d'être un imposteur , de sortir néan-
moins de cette affaire, confondu, très-peu lui im-
porte , mais impuni , mais triomphant. Pour un
homme qui paraît si bète, je trouve qu'il n'a pas
trop mal calculé.
Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien or-
donner, à votre commodité, que les deux pièces
ci -jointes me soient renvoyées avec la lettre de
M. Roguin. Je sens que j'ai fort abusé , dans cette
occasion , de la permission que vous m'avez don-
née de faire venir mes lettres sous votre pli. Je
serai plus discret à l'avenir ; et si l'impunité du pre-
mier fourbe en suscite d'autres , elle me servira de
leçon pour ne m'en plus tourmenter.
J'ai l'honneur , monsieur le comte , de vous as-»
surer de tout mon respect.
DÉCLARATION JURIDIQUK DU 3IKUR JEANNET.
L'an 1768, et le dix-neuvième jour du mois de
septembre, par-devant noble et prudent Cliarles-
Auguste du Terraux, bourgeois de Neuchâtel et de
Romain -Mo tiers, maire pour sa majesté le roi de
Prusse, notre souverain prince et seigneur, en la
juridiction des Verrières, administrant justice par
jour extraordinaire, mais aux lieu et heure accou-
ATfNÉE 1768. 79
tnmés,et en la présence des sieurs jurés en icelle
après nommés :
Personnellement est comparu M. Guyenet, re-
ceveur pour sa majesté, et lieutenant en l'hono-
rable cour de justice du Val-de-Travers , qui a re-
présenté qu'ayant reçu depuis peu une lettre de
M. J. J. Rousseau , datée de Bourgoin , du 8 du cou-
rant , par laquelle il lui marque que le nommé
Tlievenin , cliamoiseur de sa profession , lui ayant
fait demander neuf livres argent de F'rance , qu'il
prétend lui avoir fait remettre en prêt, au logis du
Soleil , à Saint-Sulpice , il y a à peu près dix ans ;
et comme cet article est trop intéressant à l'hon-
neur de mondit sieiu' Ptousscau pour ne pas l'é-
claircir, vu et d'autant qu'il n'a jamais été dans le
cas d'emprunter cette somme dudit Tlievenin, et
que cet article est con trouvé ; c'est pourquoi mon-
dit sieur le lieutenant Guyenet se ])résente aujour-
d'hui par-devant cette honorable justice , pour re^
quérir que, par reconnaissance, il puisse justifier
authentiquement ce qu'il vient d'avancer, ayant
pour cet effet fait citer en témoignage le sieur Jean-
Henri Jeannet , cabaretier de ce lieu , présent , \e->
quel et par qui l'argent que répète ledit Thevenin
à mondit sieur Rousseau, doit, suivant lui, avoir
été remis; requérant qu'avant de faire déposer
ledit sieur Jeannet, il y soit appointé, ce qui a été
connu.
Et pour y satisfaire ledit sieur Jeannet étant
comparu, a, après serment intime sur les interro-
gats circonstanciés à lui adressés , tendants à dire
8o CORRESPONDANCE.
tout ce qu'il peut savoir de cette affaire, déposé
comme suit :
Qu'il n'a aucune connaissance que le nommé
Thevenin , chamoiseur , ait jamais prêté chez lui ,
déposant , ni ailleurs , aucun argent à M. Jean-
Jacques Rousseau pendant tout le laps de temps
qu'il a demeuré dans ce pays, n'ayant jamais eu
l'honneur de voir dans son logis mondit sieur Rous-
seau; bien est-il vrai qu'il y a à peu près cinq ans
qu'il le vit s'en revenant du côté de Pontarlier ,
sans lui avoir parlé ni l'avoir revu dès-lors.
Il se rappelle aussi très -bien qu'en 1762 , pen-
dant le courant du mois de mai, arriva chez lui un
nommé Thevenin , qui se disait être de la Charité-
sur-I^oire , réfugié dans ce pays pour éviter l'effet
d'une lettre de cachet obtenue contre lui , lequel
était accompagné du nommé Guillobel, marchand
horloger du même lieu; ledit Thevenin n'ayant
séjourné chez lui que huit à dix jours , pendant
lequel temps arriva encore dans son logis un
nommé Decustreau, qu'il connaissait depuis près
de vingt ans, pour avoir logé chez lui à différentes
fois , et duquel il peut produire des lettres.
Ledit Decustreau partit aubout de quelques jours
pour Neuchâtel; Thevenin avec lui Jeannet l'ac-
compagnèrent jusqu'à Saint-Sulpice , au logis du
Soleil, où ils dinèrent. Après le départ dudit De-
custreau , ledit Thevenin demanda au déposant s'il
connaissait ledit Decustreau ; il lui répondit qu'il
le^ connaissait pour avoir logé chez lui. Cette de-
mande dudit Thevenin ayant excité au déposant la
ANNÉE 1768. 8[
curiosité d'apprendre de lui pourquoi il lui formait
cette question , ledit Thevenin lui répondit que
c'était à cause d'un écu de trois livres qu'il avait
prêté audit Decustreau sur la demande qu'il lui en
avait faite. Et enfin ledit sieur Jeannet ajoute que
pendant tout le temps que ledit Thevenin a resté
chez lui, il ne lui a point parlé de M. Rousseau,
ni dit qu'il eût la moindre chose à faire avec lui;
que ledit Thevenin , lorsqu'il arriva dans ce pays ,
n'avait point de profession, ayant dès-lors appris
celle de chamoiseur à Estavayé-le-Lac,
C'est tout ce que ledit sieur Jeannet a déclaré sa-
voir sur cette affaire.
Enfin mondit sieur le lieutenant a continué à
dire qu'étant nécessaire à M. Rousseau d'avoir le
tout par écrit , pour lui servir en cas de besoin ,
il demandait que par connaissance il lui fût adjugé;
ce qui lui a été.
Connu et jugé par les sieurs Jacques Lambelet,
doyen , et Jacob Perroud , tous deux justiciers du-
dit lieu ; et par mondit sieur le maire ordonné au
notaire soussigné, greffier des Verrières, de lui en
faire l'expédition en cette forme. Le jour prédit,
19 septembre 1768.
Par ordonnance. Signé Jeanjaquet.
R. xxu.
S% CORRESPONDANCR.
LETTRE DCCCLVIIL
A M. DE SAINT-GERMAIN.
A Bourgoin, le i3 novembre 1768.
Mardi, monsieur, vous n'êtes pas libre, ni moi
mercredi; le jeudi même est douteux : reste donc
demain, lundi, pour ne pas aller trop loin. Il me
serait moins incommode, il faut l'avouer, que
vous me fissiez l'honneur de venir manger mon
potage ; mais comme une soupe de cabaret n'est
pas trop présentable , et que j'y perdrais l'honneur
de dîner avec madame de Saint-Germain, je pré-
fère, monsieur , de profiter de votre invitation , en
la priant de permettre que j'aille demain lui de-
mander à diner. S'il faisait beau demain , sur les
dix heures, j'irais vous proposer une promenade
jusqu'à midi , à moins que vous ne la préférassiez
de nos côtés, où il y a d'assez belles prairies.
Ne craignez pas, monsieur, d'entendre de ma
part rien qui vous puisse déplaire : je respecte trop
pour cela et vous et vos sentiments ; et les miens,
que je vois bien qui ne vous sont pas connus, en
sont moins éloignés que vous ne pensez. Mais ce
n'est pas de cela qu'il s'agira.
Je suis bien sensible, monsieur, à votre com-
plaisance ; vous ne tarderez pas d'en connaître le
prix. Si j'avais trouvé plus tôt un cœur auquel le
mien osât s'ouvrir, j'aurais souffert de moins vives
ANNÉE 1768. 83
angoisses , et ma raison s'en trouverait mieux. A
demain donc, monsieur, puisque vous le voulez
bien. Permettez que je présente mon respect très-
humble à madame de Saint-Germain.
Renou.
LETTRE DCCCLIX.
A M. LE COMTE DE TONNERRE.
Bourgoin, le 16 novembre 1768.
Monsieur.
Pardon de mes importunités réitérées; mais je
ne puis me dispenser de vous envoyer encore l'im-
primé ci-joint qu'on n'a pu recouvrer plus tôt*. Vous
y verrez, M. le comte, que ceux qui ont aposté
le sieur Thevenin ont su choisir un sujet déjà ex-
périmenté dans le métier qu'ils lui faisaient faire.
Je ne puis penser , monsieur , que vous m'ayez pu
croire dans l'ame assez de bassesse pour vouloir
me venger d'un tel malheureux. Moi qui jamais n'ai
fait, ni rendu, ni voulu le moindre mal à personne,
commencerais-je si tard et sur un pareil person-
nage? Non , monsieur, je n'ai point désiré sa pu-
nition, mais sa confession, et c'est ce que sa convic-
tion devait naturellement produire , si l'on en eût
* C était l'arrêt du parlement de Paris, du 10 mars 1761 , qui
condamnait Thevenin au carcan , à être marqué , et aux galères pour
trois ans , pour impostures et calomnies.
84 CORRESPONDANCE.
profité pour remonter à la source de ces menées.
Mais c'est ce qui commence à devenir superflu ;
et sans que l'autorité ni moi nous en mêlions en
aucune manière , je prévois que le public ne tar-
dera pas à savoir à quoi s'en tenir.
Permettez que je vous réitère ici mes actions de
grâce des bontés dont vous m'avez honoré , et mes
excuses de l'abus que j'en ai pu faire ; et daignez,
monsieur, agréer, je vous supplie, les assurances
de mon respect.
P. S. Je prends la liberté d'exiger, monsieur,
que vous ne fassiez aucun usage de cet imprimé.
Il est pour vous seul , et pour être brûlé après l'a-
voir lu , à moins que vous n'aimiez mieux le gar-
der, mais de façon qu'il ne puisse nuire à celui
qu'il concerne.
LETTRE DCCCLX.
A M. MOULTOU.
Boiirgoin, le 2 1 novembre 17(18.
J'ai , mon ami , votre lettre du 1 4- Je ne puis me
détacher de l'idée d'aller vous embrasser et délibé-
rer avec vous de ma destination ultérieiu-e. .Te n'ai
point encore de réponse de l'ambassadeur d'An-
gleterre : il n'était pas à Paris quand je lui ai écrit ;
et j'ai appris dans l'intervalle qu'il avait l'honnête
Walpole pour secrétaire d'ambassade: cette non-
ANNÉE 1768. 85
veile a achevé de me déterminer. Je n'irai point
en Angleterre : on me traitera comme on voudra
en France , mais je suis déterminé à y rester. Je ne
puis renoncer à l'espérance qu'au moins, pour
l'honneur de l'hospitalité française, il s'y trouvera
quelque coin où l'on voudra bien me laisser mou-
rir en repos. Si ce coin , cher Moultou , en pou-
vait être un du château de Lavagnac , il me semble
que sous les auspices de l'amitié l'habitation m'en
serait délicieuse. Malheureusement j'écris inutile-
ment à M. le prince de Conti ; mes lettres ne lui
parviennent point. Il me répondait fort exactement
au commencement; il ne me répond plus: il m'a
fait dire qu'il ne recevait point de mes nouvelles.
Les négociations intermédiaires ont leurs incon-
vénients. La générosité de ce grand prince m'a ac-
coutumé à accepter, et non pas à demander: je
ne puis me résoudre à changer de méthode. Si
l'ami de M. Venel , cpii commande dans le château ,
veut écrire, à la bonne heure, je lui en serai
obligé; pour moi je n'écrirai pas. Mais dites-moi,
n'y a-t-il dans le pays aucune habitation qui pût
me convenir que ce château ? Le bon M. Venel ne
pourrait-il pas me trouver un terrier à Pézénas
même, ou aux environs? Pourvu que je sois son
voisin, que m'importe en quel lieu j'habite? Si
nous étions dans une meilleure saison , si le voyage
était moins pénible, si j'avais plus de facilités pour
le faire , je volerais près de vous ; mais mon trans-
port et celui de tout mon attirail de botanique est
embarrassant. Je ne suis point à portée ici d'avoir
86 CORRESPONDANCE.
des voitures. Il me faudrait un bon carrossin qui
put charger avec nous cinq ou six malles , ou cais-
ses ; il me faudrait un bon voiturier , qui nous
conduisît bien et qui fût honnête homme : j'ai
pensé que cela se pourrait trouver où vous êtes ,
et que* vous pourriez être à portée de faire pour
moi ce marché, et de m'envoyer la voiture au
temps convenu. Voyez. Ah ! si vous pouviez faire
plus! Mais madame Moultou , votre santé, vos af-
faires! et quand tout vous le permettrait, je ne
devrais pas le souffrir. Quoi qu'il en soit, j'ai le
plus grand désir de me rendre auprès de vous , et
cela d'autant ]:)lus que j'ai quelque lieu de croire
qu'on m'y verrait avec plus de plaisir qu'ici.
J'ai reçu depuis peu , avec le reste de mes plantes
et bouquins , une lettre que M. de Gouan m'écri-
vait à Trye : elle est de si vieille date, que je ne
sais plus comment y répondre. Il m'accusera de
malhonnêteté envers lui , moi qui voudrais tout
faire pour obtenir ses instructions et sa corres-
pondance , et que ce désir anime encore à me ren-
dre à Montpellier. Si vous le connaissez , si vous le
voyez , obtenez-moi , je vous prie , ses bonnes grâ-
ces, en attendant que je sois à portée de les culti-
ver. Quel trésor vous m'annoncez dans l'herbier des
plantes marines ! Que je suis touché de la géné-
rosité de votre digne parent! Elle me fera, avec
celle du brave Dombey , une collection com-
plète , surtout si M. Gouan veut bien y ajouter
quelques fragments de ses dernières dépouilles des
Pyrénées. Que je vais être riche ! Je suis si avare et
AJVNIÎE l'jÔS. 87
si enfant que le cœur me bat de joie. Gardez-moi
bien précieusement ce beau présent, je vous prie,
jusqu'à ce qu'il soit décidé qui de lui ou de moi
ira joindre l'autre.
J'ai été très -malade, très -agité de peine et de
fièvre ces temps derniers ; maintenant je suis tran-
quille, mais très-faible. J'aime mieux cet état que
l'autre; et j'aurai peu de regret aux forces qui me
manquent s'il m'en reste assez pour vous aller voir.
Adieu , cher Moultou ; faites agréer à madame les
hommages et respects de votre vieux ami et de sa
femme. Nous vous embrassons l'un et l'autre de
de tout notre cœur.
LETTRE DCCCLXI.
A M. DU PEYROU.
Bourgoin, le 21 novembre 1768.
Je vous remercie , mon cher hôte , de l'arrêt de
Thevenin; je l'ai envoyé à M. de Tonnerre, avec
condition expresse , qui du reste n'était pas fort
nécessaire à stipuler, de n'en faire aucun usage qui
pût nuire à ce malheureux. Votre supposition qu'il
a été la dupe d'un autre imposteur est absolument
incompatible avec ses propres déclarations , avec
celle du cabaretier Jeannet, et avec tout ce qui
s'est passé ; cependant si vous voulez absolument
vous y tenir, soit. Vous dites que mes ennemis ont
trop d'esprit poiu' choisir une calomnie aussi ab-
88 CORRESPOJXDA.NCE.
siirde : prenez garde qu'en leur accordant tant d'es-
prit vous ne leur en accordiez pas encore assez ;
car leur objet n'étant que de voir quelle conte-
nance je tenais vis-à-vis d'un faux témoin , il est
clair que plus l'accusation était absurde et ridicule,
plus elle allait à leur but : si ce but eût été de
persuader le public , vous auriez raison , mais il
était autre. On savait très-bien que je me tirerais de
cette affaire ; mais on voulait voir comment je m'en
tirerais ; voilà tout. On sait que Tlievenin ne m'a
pas prêté neuf francs , peu importe ; mais on sait
qu'un imposteur peut m'embarrasser ; c'est quel-
que chose.
Vos maximes , mon très-cher hôte, sont très-stoï-
ques et très-belles , quoique un peu outrées, comme
sont celles de Sénèque , et généralement celles de
tous ceux qui philosophent tranquillement dans
leur cabinet sur les malheurs dont ils sont loin , et
sur l'opinion des hommes qui les honore. J'ai appris
assurément à n'estimer l'opinion d'autrui que ce
qu'elle vaut , et je crois savoir , du moins aussi bien
que vous , de combien de choses la paix de l'ame
dédommage; mais que seule elle tienne lieu de tout
et rende seule heureux les infortunés, voilà ce que
j'avoue ne pouvoir admettre; nç pouvant, tant
que je suis homme , compter totalement pour rien
la voix de la nature pâtissante et le cri, de l'inno-
cence avilie. Toutefois, comme il nous importe tou-
jours, et surtout dans l'adversité, de tendre à cette
impassibilité sublime à laquelle vous dites être par-
venu , je tâçb,eraji de profiter de vos sentences, et
AJNNÉE 1-768. 89
d'y faire la réponse que fit l'architecte athénien à
la harangue de l'autre : Ce qu'il a dit , je lejerai.
Certaines découvertes , amplifiées peut-être par
mon imagination , m'ont jeté durant plusieurs jours
dans ime agitation fiévreuse qui m.'a fait beaucoup
de mal , et qui , tant qu'elle a duré , m'a empêché
de vous écrire. Tout est calmé; je suis content de
moi ; et j'espère ne plus cesser de l'être, puisqu'il
ne peut plus rien m'arriver de la part des hommes
à quoi je n'aie appris à m'attendre et à quoi je ne
sois préparé. Bonjour, mon cher hôte; je vous
embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DCCCLXII.
A M. LALLIAUD.
Bourgoin , le 28 novembre 1768.
Je ne puis pas mieux vous détromper, monsieur,
sur la réserve dont vous me soupçonnez envers
vous, qu'en suivant en tout vos idées, et vous en
confiant l'exécution ; et c'est ce que je fais, je vous
jure, avec une confiance dont mon cœiu' est con-
tent, et dont le vôtre doit l'être. Voici une lettre
])our M. le prince de Conti où je parle comme vous
le désirez et comme je pense. Je n'ai jamais ni dé-
siré ni cru que ma lettre à M. l'ambassadeiu- d'An-
gleterre dût ni put être un secret pour son altesse ,
ni pour les gens en place, mais seulement pour le
public; et je vous préviens luie fois pour toutes
go CORRESPOINDANCE.
que , quelque secret que je puisse vous demander
sur quoi que ce puisse être , il ne regardera jamais
M. le prince de Conti, en qui j'ai autant et plus
de confiance qu'en moi-même. Vous m'avez pro-
mis que ma lettre lui serait remise en main pro-
pre; je suppose que ce sera par vous; j'y compte,
et je vous le demande.
Vous aurez pu voir que' lé projet de passer en
Angleterre, qui me vint en recevant le passe-port,
a été presque aussitôt révoqué que formé : de nou-
velles lumières sur ma situation m'ont appris que
je me devais de rester en France, et j'y resterai.
M. Davenport m'a fait une réponse très-engageante
et très-honnéte. L'ambassadeur ne m'a point répon-
du : si j'avais su que le sieur Walpole était auprès
de lui, vous jugez bien que je n'aurais pas écrit.
Je m'imaginais bonnement que toute l'Angleterre
avait conçu pour ce misérable et pour son cama-
rade tout le mépris dont ils sont dignes. J'ai tou-
jours agi d'après la supposition des sentiments de
droiture et d'honneur innés dans les cœurs des
hommes. Ma foi pour le coup je me tiens coi, et
je ne suppose plus rien ; me voilà de jour en jour
plus déplacé parmi eux et plus embarrassé de ma
figure : si c'est leur tort ou le mien , c'est ce que
je les laisse décider à leur mode : ils peuvent con-
tinuer à ballotter ma pauvre machine à leur gré,
mais ils ne m'ôteront pas ma place ; elle n'est pas
au milieu d'eux.
J'ai été très-bien pendant une dizaine île jours;
j'étais gai; j'avais bon appétit; j'ai fait à mon lier-
A.NNÉE lyGS. 91
hier de bonnes augmentations : depuis deux jours
je suis moins bien , j'ai de la fièvre , un grand mal
de tète, que les échecs où j'ai joué hier ont aug-
menté ; je les aime , et il faut que je les quitte ;
mes plantes ne m'amusent plus : je ne fais que chan-
ter des strophes du Tasse ; il est étonnant quel
charme je trouve dans ce chant avec ma pauvre
voix cassée et déjà tremblotante. Je me mis hier
tout en larmes , sans presque m'en apercevoir , en
chantant l'histoire d'Olinde et de Sophronie ; si j'a-
vais une pauvre petite épinette pour soutenir un
peu ma voix faiblissante, je chanterais du matin jus-
qu'au soir. Il est impossible à ma mauvaise tète de
renoncer aux châteaux en Espagne. Le foin de la
cour du château de Lavagnac, une épinette , et mon
Tasse, voilà celui qui m'occupe aujourd'hui mal-
gré moi. Bonjour, monsieur : ma femme vous sa-
lue de tout son cœur; j'en fais de même; nous
vous aimons tous deux bien sincèrement.
LETTRE DCCCLXIII.
A. MADAME LA PRÉSIDENTE DE VERNA.
Bourgoin , le 2 décembre 1768.
Laissons à part, madame, je vous supplie, les
livres et leurs auteurs. Je suis si sensible à votre
obligeante invitation , que si ma santé me permet-
tait de faire en cette saison des voyages de plai-
sir, j'en ferais un bien volontiers pour aller vous
Q2 CORKJiSPOJN DANCK.
remercier, Ca que vous avez la bonté de me dire ,
madame, des étangs et des montagnes de votre
contrée, ajouterait à mon empressement, mais
n'en serait pas la première cause. On dit que la
grotte de la Balme est de vos côtés; c'est en-
core un objet de promenade et même d'habita-
tion, si je pouvais m'en pratiquer luie dont les
fourbes et les chauves-souris n'approchassent pas.
A^ l'égard de l'étude des plantes, permettez, ma-
dame , que je la fasse en naturaliste, et non pas en
apothicaire : car, outre que je n'ai qu'une foi très-
médiocre à la médecine, je connais l'organisation
des plantes sur la foi de la nature, qui ne ment
point, et je ne connais leurs vertus médicinales
que sur la foi des hommes , qui sont menteurs. Je
ne suis pas d'humeur à les croire sur leur parole ,
ni à portée de la vérifier. Ainsi , quanta moi, j'aime
cent fois mieux voir dans l'émail des prés des guir-
landes pour les bergères que des herbes pour les
lavements. Puisse -je, madame, aussitôt que le
printemps ramènera la verdure , aller faire dans
vos cantons des herborisations qui ne pourront
qu'être abondantes et brillantes , si je juge par les
fleurs que répand votre plitme,de celles«qui doi-
vent naître autour de vous. Agréez, madame, et
faites agréer à M. le président, je vous supplie,
les assurances de tout mon respect.
Rf.no II.
ANNÉE 1768. 93
LETTRE DCCCLXIV.
A M. LALLIAUD.
Bourgoin, ce 7 décembre 1768.
Voici , monsieur , une lettre à laquelle je vous
prie de vouloii' bien donner cours ! elle est pour
M. Davenport, qui m'a écrit trop honnêtement
pour que je puisse me dispenser de lui donner avis
que j'ai changé de résolution. J'espère que ma pré
cédente avec l'incluse vous sera bien parvenue,
et j'en attends la réponse au premier jour. Je suis
assez content de mon état présent; je passe entre
mon Tasse et mon herbier des heures assez ra-
pides pour me faire sentir combien il est ridicule
de donner tant d'importance à une existence aussi
fugitive : j'attends sans impatience que la mienne
soit fixée ; elle l'est par tout ce qui dépendait de
moi; le reste , qui devient tous les jours moindre ,
est à la merci de la nature et des hommes ; ce n'est
plus la peine de le leur disputer. J'aimerais assez
à passer ce reste dans la grotte de la Balme , si les
chauves-souris ne l'empuantissaient pas : il faudra
que nous l'allions voir ensemble quand vous pas-
serez par ici. Je vous embrasse de tout mon cœur.
94 CORRESPONDANCE.
LETTRE DCCCLXV.
A M. MOULTOU.
Bourgoin,le la décembre 1768.
Quoi! monsieur, c'est à M. Q t qu'on s'est
adressé; c'est à lui qu'ont .été envoyés les extraits
des lettres que je vous avais écrites dans la confi-
dence de l'amitié; et ce serait sous les auspices de
l'homme qui m'a chassé du château de Trye , mal-
gré son maître, que j'irais habiter celui de Lava-
gnac? Vraiment, mon ami, vous avez opéré là de
belles choses ! Mais n'en parlons plus ; ce n'est
pas votre faute : vous ne saviez ni ce qu'était
M. Q t, ni ce que faisait M. M x; mais vous
ne deviez pas, me semble, être si facile à donner
les extraits des lettres de votre ami. Le plus grand
mal de tout ceci est que j'ai trouvé de mon coté
le moyen d'écrire au prince et de lui faire passer
ma lettre. Si son altesse agrée que j'aille à Lava-
gnac, comment ferai-je pour m'en dédire, après
le lui avoir demandé ? ou à quelle destinée dois-je
m'attendre si j'ose aller me livrer à des gens sur
qui Q t a de l'influence? Ce qu'il y a de sûr
est qu'il n'y a rien à quoi je ne m'expose plutôt
qu'à la disgrâce du prince, et surtout à la mériter :
ainsi s'il approuve que j'aille à Lavagnac, je suis
déterminé à m'y rendre à tout risque, quoique
assurément le destin qu'on m'y prépare ne puisse
ANNÉE 1768. 95
être pire que celui auquel je m'atteuds. Mais que
j'écrive à M. Q t, moi! non, mon ami, le riche
Dauphinais et le célèbre Génei>ois ne sont point faits
pour s'écrire l'un à l'autre , et ne s'écriront jamais ,
je vous en réponds.
Je suis vivement touché du zèle et des bontés
de M. Venel : je ne lui écris pas, parce qu'il m'est
très-pénible d'écrire , mais j'ai le cœur plein de lui :
si j'allais à Lavagnac, l'avantage d'être auprès de
lui me pourrait consoler et dédommager de beau-
coup de choses; mais je vous avoue que l'idée
d'être au pouvoir du sieur Q t me foit frémir.
Ce qu'il y a de bizarre est que je ne connais point
du tout cet homme-là, que je n'ai jamais eu nulle
affaire avec lui , nulle sorte de liaison , que je ne
l'ai même jamais vu que je sache. Il me hait, comme
tous mes autres ennemis, sans avoir à se plaindre
de moi en aucune sorte , et uniquement parce qu'ils
ont tous des cœurs faits pour goûter un plaisir
sensible à haïr et tourmenter les infortunés. Au
reste , vous vous doutez bien qu'un courtisan aussi
délié que M. Q tse garde bien d'avouer sa haine :
il suit encore en cela les mêmes errements des
autres; et, pour mieux servir sa haine, il a grand
soin de la cacher.
Je vous renvoie ci-jointe la lettre de votre ami ,
j'en suis pénétré: si je dépendais de moi, je ne
tarderais guère à aller lui demander ses directions
et profiter de ses soins généreux : il ne dépendra
même pas de moi que cela n'arrive; mais ceux
qui disposent de moi règlent ma marche comme
g6 CORRESPONDANCE.
Dieu celle de la mer, Procèdes hue, et non ibis
ampUlis. Adieu, cher* Moultou : je ne sais ce qu'il
arrivera de moi. Je vois que je soupire en vain
après le repos qu'on ne veut pas m 'accorder ; mais
ce qu'on ne m'ùtera pas du moins, quoi qu'il ar-
rive, c'est le plaisir de vous aimer jusqu'à mon
dernier soupir.
Je vois , par ce que monsieur votre ami vous
dit de son herbier, et de ce qu'il se propose d'y
joindre , qlie ce n'est pas tout-à-fait ce que j'avais
imaginé sur votre expression. Vous m'aviez an-
noncé des plantes marines : les plantes marines
sont àe9,Jucus qui viennent dans la mer; et je pré-
sume par sa lettre que ce sont seulement des plantes
maritimes qui viennent sur les rivages ; c'est autre
chose : mais n'importe , l'un ou l'autre présent me
sera toujours très-précieux.
Je vois que madame Moultou a été malade : Vous
ne m'en aviez rien dit ; vous aviez tort : Famitié est
un sentiment si doux qu'elle donne même ime
sorte de plaisir à partager les peines de nos amis ,
et vous m'avez ravi ce plaisir-là. Il est vrai que je
lui préfère celui de partager maintenant votre joie.
Mille respects de ma part et de celle de ma femme
à votre chère convalescente, et prenez -en votre
part.
ANNÉE 1768. 97
LETTRE DCCCLXVL
A M. DU PEYROU.
Bourgoin , le 19 décembre 1768.
Ce que vous me marquez de la fin de vos brouil-
îeries avec la cour me fait grand plaisir; et j'en
augure que vous pourrez encore vivre agréable-
ment où vous êtes , et où vous êtes retenu par des
liens d'attachement qu'il n'est pas dans votre cœur
de rompre aisément. Il me semble que le roi se
conduit réellement en très-grand roi , lorsqu'il veut
premièrement être le maître, et puis être juste.
Vous penserez qu'il serait plus grand et plus beau
de vouloir transposer cet ordre : cela peut être ;
mais cela est au-dessus de l'humanité, et c'est bien
assez , pour honorer le génie et l'ame du plus grand
prince , que le premier article ne lui fasse pas né-
gliger l'autre. Si Frédéric ratifie le rétablissement
de tous vos privilèges , comme je l'espère , il aura
mérité de vous le plus bel éloge que puisse méri-
ter un souverain, et qui l'approche de Dieu même,
celui qu'Armide faisait de Godefroi de Bouillon :
Tu , cui concasse il cielo e diel' ti il fato ,
Voler il giusto , e poter ciô che vuoi.
Je m'imagine que si les députés , qu'en pareil cas
vous lui enverrez probablement pour le remercier,
lui récitaient ces deux vers pour toute harangue ,
ils ne seraient pas mal reçus.
R. xxn. 7
q8 CORRESPONDANCE.
Je suis bien touché de la commission que vous
avez donnée à Gagnebin : voilà vraiment un soin
d'amitié , un soin de ceux auxquels je serai tou-
jours sensible, parce qu'ils sont choisis selon mon
cœur et selon mon goût. Je dois certainement la
vie aux plantes : ce n'est pas ce que je leur dois
de bon , mais je leur dois d'en couler encore avec
agrément quelques intervalles au milieu des amer-
tumes dont elle est inondée : tant que j'herborise
je ne suis pas malheureux; et je vous réponds que,
si l'on me laissait faire, je ne cesserais tout le reste
de ma vie d'herboriser du matin au soir. Au reste,
j'aime mieux que le recueil de M. Gagnebin soit
très-petit, et qu'il ne soit pas composé de plantes
communes qu'on trouve partout : je ne vous dis-
simulerai même pas que j'ai déjà beaucoup de
plantes alpines et des plus rares ; cependant ,.
comme il y en a encore un très -grand nombre
qui me manquent , je ne doute pas qu'il ne s'en
trouve dans votre envoi qui me feront grand plai-
sir par elles-mêmes , outre celui de les recevoir de
vous. Par exemple , quoique je sois assez riche en
gentianes, il y en a une que je n'ai pu trouver en-
core , et que je convoite beaucoup , c'est la grande
gentiane pourprée ^ la seconde en rang du species de
Linnœus. J'ai le tozzia alpina , Linn. ; mais il y
manque la racine , qui est la partie la plus curieuse
de cette plante, d'ailleurs difficile à sécher et con-
server. J'ai Xavaursi en fruits, mais je ne l'ai pas en
fleurs. J'ai V azaica procumbens ; mais il me manque
d'autres beaux chamœrhododendros des Alpes. Je
ANNÉE I^GS. 99
n'ai qu'un misérable petit Androsace. Je n'ai pas
le cortusa Matthioli^ etc. La liste de ce que j'ai se-
rait longue, celle de ce qui me manque plus longue
encore; mais si vous vouliez m'envoyer celle de ce
que vous enverra Gagnebih,j'y pourrais noter ce
qui me manque, afin que le reste, étant superflu
dans mon herbier , pût demeurer dans le vôtre. Je
me suis ruiné en livres de botanique, et j'avais bien
résolu de n'en plus acheter; cependant je sens que
m'affectionnant aux plantes des Alpes, je ne puis
me passer de celui de Haller. Vous m'obligerez de
vouloir bien me marquer exactement son titre ,
son prix, et le lieu où vous l'avez trouvé; car la
France est si barbare encore en botanique , qu'on
n'y trouve presque aucun livre de cette science ;
et j'ai été obligé de faire venir à grands frais de
Hollande et d'Angleterre le peu que j'en ai; encore
ai -je cherché partout ceux de Clusius sans pou-
voir les trouver.
Voilà bien du bavardage sur la botanique, dont
je vois, avec grand regret, que vous avez tout-à-
fait perdu le goût. Cependant, puisque vous avez
un peu fêté mon apocytiy j'ai grande envie de vous
envoyer quelques graines de l'arbre de soie et de
la pomme de cannelle, qu'on m'a dernièrement ap-
portées des îles. Quand vous commencerez à meu-
bler votre jardin , je suis jaloux d'y contribuer.
Bonjour , mon cher hôte ; nous vous embrassons
et vous saluons l'un et l'autre de tout notre cœur.
lOO CORRESPONDANCE.
LETTRE DCCCLXVII.
A M. LALLIAUD.
Bourgom,le 19 décembre 1768.
Pauvre garçon , pauvre Sauttersheim ! Trop oc-
cupé de moi durant ma détresse, je l'avais un peu
perdu de vue ; mais il n'était point sorti de mon
Cœur, et j'y avais nourri le désir secret de me rap-
procher de lui, si jamais je trouvais quelque inter-
valle de repos entre les malheurs et la mort. C'é-
tait l'homme qu'il me fallait pour me fermer les
yeux ; son caractère était doux , sa société était
simple , rien de la pretintaille française ; encore
plus de sens que d'esprit ; un goût sain , formé par
la bonté de son cœur ; des talents assez pour parer
une solitude , et un naturel fait pour l'aimer avec
un ami : c'était mon homme ; la Providence me l'a
ôté ; les hommes m'ont oté la jouissance de tout
ce qui dépendait d'eux; ils me vendent jusqu'à la
petite mesure d'air qu'ils permettent que je res-
pire : il ne me restait qu'une espérance illusoire ,
il ne m'en reste plus du tout. Sans doute le ciel me
trouve digne de tirer de moi seul toutes mes res-
sources, puisqu'il ne m'en reste plus aucune autre.
Je sens que la perte de ce pauvre garçon m'affecte
plus à proportion qu'aucun de mes autres malheurs.
Il fallait qu'il y eût une sympathie bien forte entre
lui et moi, puisque, ayant déjà appris à me mettre
/
ANNÉE l-yGS. lOI
en garde contre les empressés, je le reçus à bras
ouverts sitôt qu'il se présenta , et dès les premiers
jours de notre liaison , elle fut intime. Je me sou-
viens que, dans ce même temps, on m'écrivit de
Genève que c'était un espion aposté pour tâcher
de m'attirer en France, où l'on voulait, disait la
lettre, me faire un mauvais parti. Là-dessus je pro-
posai à Sauttersheim un voyage à Pontarlier , sans
lui parkr de ma lettre : il y consent ; nous partons.
En arrivant à Pontarlier, je l'embrasse avec trans-
port, et puis je lui montre la lettre : il la lit sans
s'émouvoir ; nous nous embrassons derechef, et nos
larmes coulent. J'en verse derechef en me rappe-
lant ce délicieux moment. J'ai, fait avec lui plu-
sieurs petits voyages pédestres ; j^e commençais
d'herboriser , il prenait le même goût; nous allions
voir Milord Maréchal , qui , sachant que je l'aimais ,
le recevait bien , et le prit bientôt en amitié lui-
même. Il avait raison. Sauttersheim était aimable;
mais son mérite ne pouvait être senti que des gens
bien nés; il glissait sur tous les autres. La généra-
tion dans laquelle il a vécu n'était pas faitç pour
le connaître : aussi n'a-t-il rien pu faire à Paris ni
ailleurs. Le ciel l'a retiré du milieu des hommes où
il était étranger ; mais pourquoi m'y a-t-il laissé?
Pardon , monsieur ; mais vous aimiez ce pauvre
garçon, et je sais que l'effusion de mon attacher
ment et de mon regret ne peut vous déplaire. Je
suis sensible à la peine que vous avez bien voulu
prendre en ma faveur auprès de M. le prince de
Conti; mais vous en avez été bien payé par le plaisir
I02 CORRESPONDAlyCE.
de converser avec le plus aimable et le plus géné-
reux des hommes , qui sûrement eût aimé et favo-
risé notre pauvre Sauttersheim s'il l'avait connu. Je
vois , par ce que vous me marquez de ses nouvelles
bontés pour moi, qu'elles sont inépuisables comme
la générosité de son cœur. Ah! pourquoi faut -il
que tant d'intermédiaires qui nous séparent dé-
tournent et anéantissent tout l'effet de ses soins?
J'apprends que son trésorier , qui m'a fait chasser
du château de Trye à force d'intrigues , est en liai-
son avec l'agent du prince à celui de Lavagnac , et
qu'il a déjà été question de moi entre eux deux. Il
ne m'en faut pas davantage pour juger d'avance
du sort qu'on m'y prépare ; mais n'importe , me
voilà prêt, et il n'y a rien que je n'endure plutôt
que de mériter la disgrâce du prince en me rétrac-
tant sur ce que j'ai demandé moi-même, et en lais-
sant inutile , par ma faute, les démarches qu'il veut
bien faire en ma faveur. De tous les malheurs dont
on a résolu de m'accabler jusqu'à ma dernière
heure, il y en a un du moins dont je saurai me
garantir quoi qu'on fasse, c'est celui de perdre sa
bienveillance et sa protection par ma faute.
Vous avez la bonté , monsieur , de me chercher
une épinette. Voilà un soin dont je vous suis très-
obligé , mais dont le succès m'embarrasserait beau-
coup; car avant d'avoir ladite épinette, il faudrait
premièrement me pourvoir d'un lieu pour la pla-
cer , et..,, d'une pierre pour y poser ma tête. Mon
herbier et mes livres de botanique me coûtent déjà
beaucoup de peine et d'argent à transporter de gîte
AJVNKE 1768. ro3
en gite, et de cabaret en cabaret. Si nous ajoutions
de surcroît une épinette , il faudrait donc y atta-
cher des courroies , afin que je pusse la porter sur
mon dos , comme les Savoyardes portent leurs
vielles : tout cet attirail me ferait un équipage as-
sez digne du Roman comique, mais aussi peu ri-
sible qu'utile pour moi. Dans les douces rêveries
dont je suis encore assez fou pour me bercer quel-
quefois, j'ai pu fairs entrer le désir d'une épinette ;
mais nous serons assez à temps de songer à cet
article quand tous les autres seront réalisés; et il
me semble que de tous les services que vous pour-
riez me rendre , celui de me pourvoir d'une épi-
nette doit être laissé pour le dernier. Il est vrai
que vous iTie voyez déjà tranquille au château de
Lavagnac. Ah ! mon cher monsieur Lalliaud , cela
me prouve que vous avez la vue plus longue que
moi. Bonjour, monsieur; nous vous saluons tous
deux de tout notre cœur. Je vous donne l'exemple
de finir sans compliments ; vous ferez bien de le
suivre.
LETTRE DCCCLXVIIÏ.
A M. MOULTOU.
Bourgoin, le 3o décembre 1768.
J'attendais , cher Moultou , pour répondre à
votre dernière lettre, d'avoir reçu les ordres que
M. le prince de Conti m'avait fait annoncer en-
Io4 CORRESPONDANCE.
suite de l'approbation qu'il a donnée au projet de
ma retraite à Lavagnac; mais ces ordres ne sont
point encore venus , et je crains qu'ils ne viennent
pas sitôt ; car son altesse m'a fait prévenir qu'il fal-
lait, avant de m'écrire, qu'elle prît pour ce projet
des arrangements semblables à ceux qu'elle a cru
à propos de prendre pour mon voyage en Dau-
phiné : ces arrangements dépendent de l'accord de
personnes qui ne se rencontrent pas souvent; et
quelle que soit la générosité de cœur de ce grand
prince , de quelque extrême bonté qu'il m'honore,
vous sentez qu'il n'est pas ni ne saurait être oc-
cupé de moi seul ; et la chose du monde qui fait le
mieux son éloge est qu'il ne se soit pas encore en-
nuyé de tous les soins que je lui ai coûtés. J'attends
donc sans impatience ; mais en attendant , ma si-
tuation devient, à tous égards, plus critique de
jour en jour ; et l'air marécageux et l'eau de Bour-
gouin m'ont fait contracter depuis quelques temps
une maladie singulière dont, de manière ou d'autre,
il faut tâcher de me délivrer : c'est un gonflement
d'estomac très-considérable et sensible même au-
dehors , qui m'oppresse , m'étouffe , et me gêne, au
point de ne pouvoir plus rne baisser , et il faut que
ma pauvre femme ait la peine de me mettre mes
souliers , etc. Je croyais d'abord d'engraisser, mais
la graisse n'étouffe pas; je n'engraisse que de l'es-
tomac , et le reste est tout aussi maigre qu'à l'or-
dinaire. Cette incommodité , qui croît à vue d'œil ,
me détermine à tacher de sortir de ce mauvais
pays le plus tôt qu'il me sera possible. En atten-
AJVNÉE I^GS. Io5
dant que le prince ait jugé à propos de disposer
de moi, il y a dans ce pays, à demi-lieue de la ville,
une maison à mi-côte, agréable, bien située, où
l'eau et l'air sont très-bons, et où le propriétaire
veut bien me céder un petit logement que j'ai des-
sein d'occuper. La maison est seule , loin de tout
village , et inhabitée dans cette saison. J'y serai seul
avec ma femme et une servante qu'on y tient :
voilà une belle occasion, pour ceux qui disposent
de moi , de se délivrer du soin de ma garde , et de
me délivrer , moi , des misères de cette vie. Cette
idée ne me détourne , ni ne me détermine : je
compte aller là dans quelques jours, à la merci des
hommes et à la garde de la Providence. En atten-
dant que je sache s'il m'est permis d'aller vous
joindre, ou si je dois rester dans ce pays (car je
suis déterminé à ne prendre aucun parti sans l'a-
veu du prince , parce que ma confiance est égale
à ma reconnaissance , et c'est tout dire), cher Moul-
tou, adieu : je ne sais ni dans quel temps ni à
quelle occasion je cesserai de vous écrire ; mais ,
tant que je vivrai, je ne cesserai de vous aimer.
LETTRE DCCCLXIX.
A MADAME LATOUR.
A Bourgoin, le 3 janvier 1769,
Ceux qui ont besoin qu'un homme dans mon
état leur rappelle son existence sont indignes qu'il
lo6 CORRESPONDANCE.
les en lasse souvenir. Je savais, chère Marianne,
que vous n'éliez pas de ce nombre; j'attendais de
vos nouvelles, et j'étais sur d'en recevoir, mais
ma situation ne me permettait pas de vous en de-
mander. Mon cœur ne peut cesser d'être plein de
vous; je vous chérissais par toutes les qualités ai-
mables que vous m'avez montrées; mais un seul
service de véritable amitié m'imprimera toujours
un sentiment plus fort que" tout autre attachement,
un sentiment que l'absence ni le temps ne peuvent
prescrire ; et , soit qu'il me reste peu ou beaucoup
de temps à vivre, vous me serez aussi respectable
que chère jusqu'à mon dernier soupir.
Depuis quelques jours je ne puis plus écrire sans
beaucoup souffrir, et bientôt, si mon état empire,
je ne le pourrai plus du tout. Un mal d'estomac ,
accompagné d'enflure et d'étouffement , ne me per-
met plus de me baisser: toute autre attitude que
celle de me tenir droit me suffoque , et il y a déjà
long-temps que je ne puis mettre moi-même mes
souliers. Je veux attribuer ce mal extraordinaire
à l'air et à l'eau du pays marécageux que j'habite;
si je m'en tire, je vous l'écrirai; si j'y succombe,
Marianne , honorez la mémoire de votre ami , et
soyez sûre qu'il a vécu et qu'il mourra digne des
sentiments que vous lui avez témoignés.
ANNÉE 1769. 107
LETTRE DCCCLXX.
A M. BEAUCHATEAU.
Bourgoin, le 9 janvier 1769.
Hier, monsieur , je reçus, par le canal du sieur
Guy, libraire à Paris, avec des Etrennes mignonnes,
votre lettre du 7 septembre 1768.
Mes ennemis ont toujours parlé; mes amis, si
j'en ai, se sont toujours tus : les uns et les autres
peuvent continuer de même. Je ne désire point
qu'on me loue, encore moins qu'on me justifie. J'ap-
proche d'un séjour où les injustices des hommes
ne pénètrent pas. La seule chose que je désire,
en les quittant, est de les laisser tous heureux et en
paix. Adieu, monsieur.
LETTRE DCGCLXXL
A M. DU PEYROU.
Bourgoin, le i 2 janvier 1769.
Permettez, mon cher hôte, que, dans l'impossi-
bilité où me met un grand mal d'estomac , accom-
pagné d'enflure, d'étouffement , et de fièvre, d'é-
crire moi-même, j'emprunte le secoursd'une autre
main pour vous marquer combien je suis touché
de la continuation de vos alarmes sur le triste état
Io8 CORRESPONDANCE.
de madame la commandante. Je vous avoue que
depuis que j'eus l'honneiu- de la voir un peu de
suite à Cressier, je jugeai sur plusieurs sigiies que
son sang, très-sain d'ailleurs, tenait d'une hu-
meur scorbutique , et vous savez que c'est un des
effets du scorbut de rendre les os très-fragiles ;
mais en même temps, cette humeur surabondante
rend les calus très -faciles à former. Ainsi le re-
mède, à quelque égard, suit le mal; il n'y a que
des mouvements bien liants , bien doux , tels qu'elle
sera forcée de les faire, qui puissent prévenir pa-
reils accidents à l'avenir. Son état forcé sera pres-
que celui où elle serait obligée de se tenir volontai-
rement à l'avenir pour prévenir d'autres fractures,
quand même elle n'en aurait point eu jusqu'ici. Le
mien, mon cher hôte, me dispense de tant de pré-
voyance, et je crois que la nature ou les hommes
me laissent voir de plus près le repos auquel j'a-
vais inutilement aspiré jusqu'ici. Accoutumé à l'air
subtil des montagnes, je puis juger que l'air ma-
récageux du pays que j'habite, et les mauvaises
eaux que l'on est forcé d'y boire , ont contribué
à me mettre dans cet état. Si j'avais eu plus de
force et de moyens, que ma santé fût moins déses-
pérée , je tâcherais d'aller travailler à la rétablir
dans quelque habitation plus convenable à mon
tempérament. Mais le mal me paraît sans remède;
je suis très-faible , c'est une grande fatigue pour
moi de me transplanter; ainsi j'ignore encore si
j'en aurai l'occasion , le courage, et si j'y serai à
temps. S'il arrivait que je fusse privé du plaisir de
ANNÉE 1769. 109
VOUS écrire davantage , vous pourrez toujours
avoir des nouvelles de ma femme, et lui donner
des vôtres, comme j'espère que vous voudrez bien
faire par la voie de Lyon.
Quant à ce qui est entre vos mains , et qui peut
être complété par ce qui est dans celles de la dame
à la marmelade de fleur d'orange, je vous laisse
absolument le maître d'en disposer après moi de
la manière qui vous paraîtra la plus favorable aux
intérêts de ma veuve, à ceux de ma filleule, et à
l'honneur de ma mémoire.
Il n'y a pas d'apparence, mon cher hôte, qu'il
soit désormais beaucoup question de botanique;
ainsi vos plantes des Alpes et le livre que vous y
vouliez joindre ne seront probablement plus de sai-
son quand même je resterais comme je suis, ce qui
me paraît impossible, puisque je ne saurais ac-
tuellement me baisser , ni mettre mes souliers moi-
même; ce qui n'est pas une bonne disposition pour
herboriser. D'ailleurs la fièvre , et même assez
forte, me rend si faible, qu'il faut dans peu qu'elle
s'en aille ou que je m'en aille. Je ne puis pas vous
dire encore lequel sera des deux.
Depuis cette lettre écrite , mon cher hôte , je
me sens mieux, et assez bieii pour pouvoir, sans
beaucoup d'incommodité, y joindre un mot de ma
main ; mais ma pauvre femme à son tour est tom-
bée malade, et ma chambre est un hôpital. Comme
je suis persuadé que réellement l'air de ce lieu
nous est pernicieux à l'un et à l'autre, je suis dé-
terminé , sitôt qu'elle sera en état de souffrir le
IIO CORRESPONDAIVCE.
transport, d'aller nous établira une lieue d'ici, sur
la hauteur, en très-bon air, dans une maison aban-
donnée, mais où le gentilhomme à qui elle appar-
tient veut bien me faire accommoder un petit loge-
ment. Adieu , mon cher hôte; nous vous embrassons
l'un et l'autre de tout notre cœur: offrez nos res-
pects et nos vœux à la maman , et nos amitiés à
M. Jeannin.
LETTRE DCGCLXXII.
A M. LALLIAUD.
Bourgoin, le i6 janvier 1769,
Je commence, monsieur, d'entrevoir le repos
que vous m'annoncez , et que j'ai pressenti même
avant vous ; un grand mal d'estomac, accompagné
d'enflure , d'étouffement , et de fièvre , m'en montre
la route autre que celle que vous avez prévue ,
mais la seule par laquelle j'y puis parvenir. Cette
bizarre maladie a des relâches , que je paie par
des retours plus cruels; et hier même je me croyais
guéri : j'ai changé cette nuit d'opinion; je com-
prends que j'en ai pour le reste de la route , mais
j'ignore si le trajet qui me reste à faire sera court
ou long. La seule chose que je sens, c'est qu'il
sera rude , d'autant plus que l'impossibilité de me
baisser, de me chausser, d'herboriser par consé-
quent, et l'extrême difficulté d'écrire, me con-
damnent à la plus insupportable inaction , ne pou-
ANNÉE 1769. î I I
vaut supporter aucune lecture, ni feuilleter que
des livres de plantes, qui vont ne me servir plus
de rien. Je crois que l'attitude d'être continuelle-
ment occupé à coller des plantes, et courbé sur
la caisse de mon herbier , a beaucoup contribué
à détruire mon estomac; et lorsque je reprends
dans des moments la même attitude, la douleur
et l'oppression, qui redoublent, me forcent bien
vite à la quitter : mais je crois que l'air et l'eau
de ce pays marécageux m'ont fait plus de mal en-
core. Je ne m'en suis pas senti tout seul; et ma
femme , qui vient d'être aussi malade , en a éprouvé
sa part. Cela m'a déterminé , me voyant totalement
oublié , ou du moins abandonné , à accepter un
petit logement qui m'a été offert sur la hauteur,
à une lieue d'ici , dans une maison inhabitée , mais
en très-bon air, et je compte m'y transplanter
aussitôt qu'il sera prêt, et que nous en aurons la
force; trop heureux si l'on m'y laisse au moins
finir mes jours dans la langueur d'une oisiveté
totale, ou mêlée uniquement de mes maux, plus
supportables pour moi qu'elle.
Voici , monsieur , une lettre de change de dix
livres sterling sur l'Angleterre, que je vous prie
de tâcher de négocier, ou d'envoyer à Londres;
elle sera payée sur-le-champ : c'est une petite rente
viagère que j'ai reçue en paiement de mes livres,
que je vendis à Londres pour n'avoir plus à les
traîner après moi depuis qu'ils m'étaient devenus
inutiles.
Mon cher monsieur Lalliaud , plaignez-moi et
112 CORRESPONDANCE.
pardonnez-inoi. Je ne puis plus écrire sans souf-
frir beaucoup et sans aggraver mon mal; et, pour
surcroît, je n'ai affaire qu'à des gens exigeants,
qui s'embarrassent très-peu de mon état, et me
comptent leurs lignes sur les pages qu'ils exigent
de moi. Vous n'êtes pas de même ; aussi toute
mon attente est en vous. Je ne vous écrirai que
pour choses nécessaires et très en bref. Ne comp-
tez pas rigoureusement avec votre serviteur, je
vous en conjure, et donnez-moi la consolation
d'apprendre de temps en temps que vous ne m'ou-
bliez pas. Je vous embrasse de tout mon cœur,
et ma femme vous salue.
LETTRE DCCCLXXIII.
A M. DU PEYROU.
ABourgoin, le 1 8 janvier 1769.
J'apprends, mon cher hôte, par le plus singu-
lier hasard , qu'on a imprimé à Lausanne un des
chiffons qui sont entre vos mains , sur cette ques-
tion : Quelle est la première vertu du héros ? Vous
croyez bien que je comprends qu'il s'agit d'un vol;
mais comment ce vol a-t-il été fait, et par qui?...
Vous qui êtes si soigneux, et surtout des dépôts
d'autrui ! J'ai des engagements qui rendent de pa-
reils larcins de très-grande conséquence pour moi.
Comment donc ne m'avez-vous point du moins
averti de cette impression ? De grâce , mon cher
Ar»rNÉE 1769. 1 I 3
hôte, tâchez de remonter à la source, de savoir
comment et par qui ce torche-cul a été imprimé. Je
vis dans la sécurité la plus profonde sur les papiers
qui sont entre vos mains ; si vous souffrez que je
perde cette sécurité, que deviendrai-je? Mettez-
vous à ma place, et pardonnez l'importunité.
J'ai cru mourir cette nuit; le jour je suis moins
mal. Ce qui me console est que de semblables nuits
ne sauraient se multiplier beaucoup. Ma femme,
qui a été fort. mal aussi, se trouve mieux. Je me
prépare à déloger pour aller , dans le séjour élevé
qui m'est destiné, chercher un air plus pur que
celui qu'on respire dans ces vallées.
Je suis très-inquiet de l'état de madame la com-
mandante , et par conséquent du vôtre. Mon cher
hôte, donnez-moi, je vous prie, des nouvelles de
tous deux le plus tôt que vous pourrez. Je vous
embrasse.
LETTRE DCCCLXXÏV.
A M. LALLIAUD.
Monquin, le 4 février 1769.
J'ai reçu , monsieur , vos deux dernières lettres ,
et, avec la première, la rescription que vous avez
eu la bonté de m'envoyer, et dont je vous remercie.
Quoi ! monsieur , le barbouillage académique
imprimé à Lausanne l'avait aussi été à Paris!.... et
R. xxn. 8
m4 COURESPOJN DAJN'CE.
c'est M. Fréroii qui en est l'éditeur*!.... Le temps
de l'impression , le choix de la pièce , la moindre
et la plus plate de tout ce que j'ai laissé en ma-
nuscrit, tout m'apprend par quelles espèces de
mains et à quelle intention cet écrit a été publié,
l^édition de Lausanne, si elle existe, aura proba-
blement été faite sur'celle de Paris; mais le silence
de M. du Peyrou me fait douter de cette seconde
édition, dont la nouvelle m'a été donnée d'assez
loin pour qu'on ait pu confondre; et de pareils
chiffons ne sont guère de ceux qu'on imprime
deux fois. Vous avez pris le vrai moyen d'aller , s'il
est possible, à la source du vol par l'examen du
manuscrit : cela vaut mieux qu'une lettre im-
primée, qui ne ferait que faire souvenir de moi le
public et mes ennemis , dont je cherche à être ou-
blié , et sur laquelle les coupables n'iront sûre-
ment pas se déclarer. Vous m'apprenez aussi qu'on
a imprimé un nouveau volume de mes écrits vrais
ou faux. C'est ainsi qu'on me dissèque de mon vi-
vant, ou plutôt qu'on dissèque un autre corps
sous mon nom. Car quelle part ai-je au recueil
dont vous me parlez , si ce n'est deux ou trois
lettres de moi qui y sont insérées , et sur lesquelles,
pour faire croire que le recueil entier en était,
on a eu l'impudence de le faire imprimer à Londres
sous mon nom, tandis que j'étais en Angleterre,
en supprimant la première édition de Lausanne
* En effet , Fréron avait publié le discours dont il s'agit dans son
Année littéraire , tome VII, 1768. Il y est précédé d'une lettre d'en-
-voi que lui adresse un anonyme, et le journaliste n'y a ajouté au-
cune l'éflexion.
ANNJÎi: 1769. I l5
faite sons les yeux de l'auteur? J'entrevois que
l'impression du chiffon académique tient encore à
quelque autre manœuvre souterraine de même
acabit. Vous m'avez écrit quelquefois que je fai-
sais du noir; l'expression n'est pas juste; ce n'est
pas moi, monsieur, qui fais du noir, mais c'est
moi qu'on en barbouille. Patience ; ils ont beau
vouloir écarter le vivier d'eau claire , il se trouvera
quand je ne serai plus en leur pouvoir, et au mo-
ment qu'ils y penseront le moins. Aussi qu'ils
fassent désormais à leiu* aise, je les mets au pis.
J'attends sans alarmes l'explosion qu'ils comptent
faire après ma mort sur ma mémoire, semblables
aux vils corbeaux qui s'acharnent sur les cadavres.
C'est alors qu'ils croiront n'avoir plus à craindre
le trait de lumière qui , de mon vivant , ne cesse
de les faire trembler , et c'est alors que l'on con-
naîtra peut-être le prix de ma patience et de mon
silence. Quoi qu'il en soit, en quittant Bourgoin
j'ai quitté tous les soucis qui m'en ont rendu le sé-
jour aussi déplaisant que nuisible. L'état où je suis
a plus fait pour ma tranquillité que les leçons de la
philosophie et de la raison. J'ai vécu, monsieur;
je suis content de l'emploi de ma vie; et du même
œil que j'en vois les restes, je vois aussi les événe-
ments qui les peuvent remplir. Je renonce donc à
savoir désormais rien de ce qui se dit , de ce qui se
fait , de ce qui se passe par rapport à moi : vous
avez eu la discrétion de ne m'en jamais rien dire. Je
vous conjure de continuer. Je ne me refuse pas
aux soins que votre amitié, votre équité, peuvent
8.
1 l6 CORRESPONDANCE.
VOUS inspirer pour la vérité , pour moi dans l'oc-
casion, parce que, après les sentiments que vous
professez envers moi, ce serait vous manquer à
vous-même. Mais dans l'état où sont les choses , et
dans le train que je leur vois prendre, je ne veux
plus m'occuper de rien qui me rappelle hors de
moi, de rien qui puisse ôter à mon esprit la même
tranquillité dont jouit ma conscience.
Je vous écris, sans y penser, de longues lettres
qui font grand bien à mon cœur, et grand mal à
mon estomac. Je remets à une autre fois le détail
de mon habitation. Madame Renou vous remercie
et vous salue; et moi , mon cher monsieur, je vous
embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DCCCLXXV.
A M. MOULTOU.
Monquin, le 14 février 1769.
Je suis délogé, cher Moultou; j'ai quitté l'air
marécageux de Bourgoin pour venir occuper sur
la hauteur une maison vide et solitaire que la
dame à qui elle appartient m'a offerte depuis long-
temps , et où j'ai été reçu avec une hospitalité très-
noble, mais trop bien pour me faire oublier que
je ne suis pas chez moi. Ayant pris ce parti, l'état
où je suis ne me laisse plus penser à une autre
habitation; l'honnêteté même ne me permettrait
pas de quitter si promptement celle-ci après avoir
AWWÉE 1769. 1 17
consenti qu'on l'arrangeât pour moi. Ma situation ,
la nécessité, mon goût, tout me porte à borner mes
désirs et mes soins à finir dans cette solitude des
jours dont , grâce au ciel , et quoi que vous en puis-
siez dire, je ne crois pas le terme bien éloigné.
Accablé des maux de la vie et de l'injustice des
hommes , j'approche avec joie d'un séjour où tout
cela ne pénètre point; et en attendant je ne veux
plus m'occuper, si je puis, qu'âme rapprocher de
moi-même , et à goûter ici entre la compagne de
mes infortunes , et mon cœur , et Dieu qui le voit,
quelques heures de douceur et de paix en atten-
dant la dernière. Ainsi, mon bon ami, parlez-moi
de votre amitié pour moi , elle me sera toujours
chère; mais ne me parlez plus de projets. Il n'en
est plus pour moi d'autre en ce monde que celui
d'en sortir avec la même innocence que j'y ai vécu.
J'ai vu, mon ami, dans quelques-unes de vos
lettres, notamment dans la dernière, que le tor-
rent de la mode vous gagne, et que vous commen-
cez à vaciller dans des sentiments où je vous croyais
inébranlable. Ah! cher ami , comment avez-vous
fait? Vous en qui j'ai toujours cru voir un cœur
si sain , une ame si forte , cessez-vous donc d'être
content de vous-même ? et le témoin secret de vos
sentiments commencerait-il à vous devenir impor-
tun? Je sais que la foi n'est pas indispensable,
que l'incrédulité sincère n'est point un crime, et
qu'on sera jugé sur ce qu'on aura fait, et non
sur ce qu'on aura cru; mais prenez garde, je vous
conjure , d'être bien de bonne foi avec vous-même ,
Il8 CORRESPONDAJVCE.
car il est très -différent de n'avoir pas cru ou de
n'avoir pas voulu croire ; et je puis concevoir com-
ment celui qui n'a jamais cru ne croira jamais ,
mais non comment celui qui a cru peut cesser de
croire. Encore un coup, ce que je vous demande
n'est pas tant la foi que la bonne foi. Voulez-vous
rejeter l'intelligence universelle ? les causes finales
vous crèvent les yeux. Voulez-vous étouffer l'iiis-
tinct moral ? la voix interne s'élève dans votre
cœur, y foudroie les petits arguments à la mode,
et vous crie qu'il n'est pas vrai que l'honnête
homme et le scélérat , le vice et la vertu , ne soient
rien; car vous êtes trop bon raisonneur pour ne
pas voir à l'instant qu'en rejetant la cause pre-
mière et le mouvement, on ôte toute moralité de
la vie humaine. Eh quoi, mon Dieu! le juste in-
fortuné en proie à tous les maux de cette vie , sans
en excepter même l'opprobre et le déshonneur,
n'aurait nul dédommagement à attendre après elle ,
et mourrait en bête après avoir vécu en Dieu?
Non , non , Moultou ; Jésus , que ce siècle a mé-
connu, parce qu'il est indigne de le connaître ; Jé-
sus qui mourut pour avoir voulu faire un peuple
illustre et vertueux de ses vils compatriotes , le su-
blime Jésus ne mourut point tout entier sur la
croix; et moi qui ne suis qu'un chétif homme plein
de faiblesses , mais qui me sens un cœur dont un
sentiment coupalDle n'approcha jamais, c'en est
assez pour qu'en sentant approcher la dissolution
de mon corps, je sente en même temps la certi-
tude de vivre. La nature entière m'en est garante.
/VNWÉF. 1769. 1 19
Elle n'est pas contradictoire avec elle-même; j'y
vois régner un ordre physique admirable et qui
ne se dément jamais. L'ordre moral y doit corres-
pondre. Il fut pourtant renversé pour moi durant
ma vie; il va donc commencer à ma mort. Pardon,
mon ami , je sens que je rabâche ; mais mon cœur ,
plein pour moi d'espoir et de confiance , et pour
vous d'intérêt et d'attachement, ne pouvait se re-
fuser à ce court épanchement.
P. S. Je ne songe plus à Lavagnac, et proba-
blement mes voyages sont finis. J'ai pourtant reçu
dernièrement une lettre 6ji patron de la case,
aussi pleine de bonté et d'amitié qu'il m'en ait ja-
mais écrit , et qui donne son approba4;ion à une
autre proposition qui m'avait été faite; mais tou-
jours projeter ne me convient plus. Je veux jouir
entre la nature et moi du peu de jours qui me
restent , sans plus me laisser promener , si je puis ,
parmi les hommes qui m'ont si mal traité et plus
mal connu. Quoique je ne puisse plus me baisser
pour herboriser, je ne puis renoncer aux plantes;
je les observe avec plus de plaisir que jamais. Je
ne vous dis point de m'envoyer les vôtres, parce
que j'espère que vous les apporterez : ce moment,
cher Moultou , me sera bien doux. Adieu, je vous
embrasse ; partagez tous les sentiments de mon
cœur avec votre digne moitié , et recevez l'un et
l'autre les respects de la mienne. Elle va rester à
plaindre. C'est bien malgré elle , c'est bien malgré
nous qu'elle et moi n'avons pu remplir de grands
I20 CORIlESPONI)A.IVCE.
devoirs ; mais elle en a rempli de bien respectables.
Que de choses qui devraient être sues vont être en-
sevelies avec moi ! et combien mes cruels ennemis
tireront d'avantages de l'impossibilité où ils m'ont
mis de parler!
LETTRE DCCCLXXVL
A M. LALLIAUD.
A Monquin , le 28 février 1769.
Je ne connais point M. de La Sale; je sais seu-
lement que c'est un fabricant de Lyon. Il accom-
pagna cet automne le fils de madame Boy de La
Toiu^, mon amie , qui vint me voir ici. Me voyant
logé si tristement et dans lui si mauvais air , il me
proposa une habitation en Bombes ; je ne dis ni
oui ni non. Cet hiver, me voyant dépérir, il est
revenu à la charge; j'ai refusé; il m'a pressé. Faute
d'autres bonnes raisons à lui dire, je lui ai déclaré
qtie je ne pouvais sortir de cette province sans
l'agrément de M. le prince de Conti. Il m'a pressé
de lui permettre de demander cet agrément; je ne
m'y suis pas opposé : voilà tout.
J'apprends, par le plus grand hasard du monde,
qu'on vient d'imprimer à Lausanne un ancien chif-
fon de ma façon. C'est un discours sur une ques-
tion proposée, en lySi , par M. de Curzay, tandis
qu'il était en Corse. Quand il fut fait, je le trouvai
si mauvais que je ne voulus ni l'envoyer ni le faire
A.1NNEE 17^9- ^^'
imprimer. Je le remis, avec tout ce que j'avais en
manuscrit, à M. du Peyrou avant mon départ pour
l'ingleterre. Je ne l'ai pas revu depuis, et je n'y
ai pas même pensé. Je ne puis me rappeler avec
certitude si ce barbouillage est ou n'est point un
des manuscrits inlisibles que M. du Peyrou m'en-
voya à Wootton pour les transcrire, et que je lui
renvoyai, copie et brouillon, par son ami M. de
Cerjat, chez lequel , ou durant le transport , le vol
aura pu se faire; ce qu'il y a de sûr, c'est que je
n'ai aucune part à cette impression , et que si j'eusse
été assez insensé pour vouloir mettre encore quel-
que chose sous la presse , ce n'est pas un pareil
torche -cul que j'aurais choisi. J'ignore comment
il est passé sous la presse ; mais je crois M. du Pey-
rou parfaitement incapable d'une pareille infidé-
lité. En ce qui me regarde, voilà la vérité, et il m'im-
porte que cette vérité soit connue. Je vous embrasse
et vous salue , mon cher monsieur , de tout mon
cœur.
LETTRE DCCCLXXVII.
A M. DU PEYROU.
Monquin, le i8 février 1769.
Je suis sur nia montagne , mon cher hôte , où
mon nouvel établissement et mon estomac me
rendent pénible d'écrire, sans quoi je n'aurais pas
attendu si long-temps à vous demander de fré-
I2a CORRESPONDANCE.
quentes nouvelles de madame la commandante ^
jusqu'à l'entière guérison dont, sur votre pénul-
tième lettre, l'espoir sejoint au désir. Pour moi,mon
état n'est pas empiré depuis que je suis ici ; mais je
souffre toujours beaucoup. J'ai eu tort de ne vous
pas marquer le rétablissement de madame Renou ,
qui n'a tenu le lit que peu de jours; mais imaginez
ce que c'était que d'être tous deux en même temps
presque à l'extrémité dans- un mauvais cabaret.
Il n'y a pas eu moyen de tirer de Fréron le ma-
nuscrit sur lequel le discours en question a été
imprimé; mais je vois, par ce que vous me mar-
quez, que la copie furtive en a été faite avant les
corrections, qui cependant sont assez anciennes;
elles n'empêchent pas que l'ouvrage, ainsi corrigé,
ne soit un misérable torche-cul; jugez de ce qu'il
doit être dans l'état où ils l'ont imprimé. Ce qu'il
y a de pis est que Rey et les autres ne manqueront
pas de l'insérer en cet état dans le recueil de mes
écrits. Qu'y puis-je faire? il n'y a point de ma faute.
Dans l'état où je suis, tout ce qu'il reste à faire,
quand tous les maux sont sans remède , est de res-
ter tranquille et de ne plus se tourmenter de rien.
M. Séguier, célèbre par le Plantœ Feronenses
que vous avez peut-être ou que vous devriez avoir,
vient de m'envoyer des plantes qui m'ont remis
sur mon herbier et sur mes bouquins. Je suis
maintenant trop riche pour ne pas sentir la pri-
vation de ce qui me manque. Si parmi celles que
vous promet le Paroher, pouvaient se trouver la
grande Gentiane pourprée ^ le Thora valdensium ,
AJNJNÉl 1769. 123
V Epimedium , et quelques autres , le tout bien con-
servé et en fleurs, je vous avoue que ce cadeau
me ferait le plus grand plaisir, car je sens que,
malgré tout , la botanique me domine. J'herbori-
serai, mon cher hôte , jusqu'à la mort et au-delà;
car, s'il y a des fleurs aux champs élysées, j'en
formerai des couronnes pour les hommes vrais,
francs, droits, et tels qu'assurément j'avais mérité
d'en trouver sur la terre. Bonjour, mon très-cher
hôte; mon estomac m'avertit de finir avant que la
morale me gagne ; car cela me mènerait loin. Mon
cœur vous suit au pied du lit de la bonne maman.
J'embrasse le bon Jeannin.
LETTRE DCCCLXXVIIL
A M. DE****.
Monquin, le 26 mars 1769.
Le voilà, monsieur, ce misérable radotage que
mon amour -propre hmnilié vous a fait si long-
temps attendre , faute de sentir qu'un amour-
propre beaucoup plus noble devait m'apprendre
à surmonter celui-là. Qu'importe que mon verbiage
vous paraisse misérable, pourvu que je sois con-
tent du sentiment qui me l'a dicté. Sitôt que mon
meilleur état m'a rendu quelques forces , j'en ai
profité pour le relire et vous l'envoyer. Si vous
Cette lettre sert d'envoi à celle qui suit , écrite plus de deux
mois auparavant , comme on le voit par sa date.
\'ll\ CORRESPOINDAJVCE.
avez le courage d'aller jusqu'au bout, je vous prie
après cela de vouloir bien me le renvoyer , sans
me rien dire de ce que vous en aurez pensé , et
que je comprends de reste. Je vous salue , mon-
sieur , et vous embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DCCCLXXIX.
A M. DE ***.
Bourgoin, le i5 janvier 1769,
Je sens, monsieur, l'inutilité du devoir que je
remplis en répondant à votre dernière lettre ; mais
c'est un devoir enfin que vous m'imposez et que
je remplis de bon cœur quoique mal, vu les dis-
tractions de l'état où je suis.
Mon dessein, en vous disant ici mon opinion sur
les principaux points de votre lettre , est de vous
la dire avec simplicité et sans chercher à vous la
faire adopter. Cela serait contre mes principes et
même contre mon goût. Car je suis juste ; et comme
je n'aime point qu'on cherche à me subjuguer, je
ne cherche non plus à subjuguer personne. Je sais
que la raison commune est très-bornée; qu'aussi-
tôt qu'on sort de ses étroites limites , chacun a la
sienne cpii n'est propre qu'à lui ; que les opinions
se propagent par les opinions, non par la raison, et
que quiconque cède au raisonnement d'un autre ,
chose déjà très -rare, cède par préjugé , par auto-
ANNÉF 1769. 125
rite, par affection , par paresse, rarement, jamais
peut-être , par son propre jugement.
Vous me marquez, monsieur, que le résultat de
vos recherches sur l'auteur des choses est im état
de doute. Je ne puis juger de cet état, parce qu'il
n'a jamais été le mien. J'ai cru dans mon enfance
par autorité , dans ma jeunesse par sentiment , dans
mon âge mûr par raison; maintenant je crois parce
que j'ai toujours cru. Tandis que ma mémoire
.éteinte ne me remet plus sur la trace de mes rai-
sonnements , tandis que ma judiciaire affaiblie ne
me permet plus de les recommencer , les opinions
qui en ont résulté me restent dans toute leur force;
et sans que j'aie la volonté ni le courage de les
mettre derechef en délibération, je m'y tiens en
confiance et en conscience, certain d'avoir apporté
dans la vigueur de mon jugement à leurs discus-
sions toute l'attention et la bonne foi dont j'étais
capable. Si je me suis trompé , ce n'est pas ma
faute , c'est celle de la nature , qui n'a pas donné
à ma tête une plus grande mesure d'intelligence et
de raison. Je n'ai rien de plus aujourd'hui; j'ai
beaucoup de moins. Sur quel fondement recom-
mencerais-je donc à délibérer? Le moment presse;
le départ approche. Je n'aurais jamais le temps ni
la force d'achever le grand travail d'une refonte.
Permettez qu'à tout événement j'emporte avec
moi la consistance et la fermeté d'un homme , non
les doutes décourageants et timides d'un vieux ra-
doteur.
A ce que je puis me rappeler fie mes anciennes
I aG c: o ii ii k s p o r-r d a iv c e.
idées, à ce que j'aperçois de la marche des vôtres,
je vois que, n'ayant pas suivi dans nos recherches
la même route , il est peu étonnant que nous ne
soyons pas arrivés à la même conclusion. Balan-
çant les preuves de l'existence de Dieu avec les
difficultés , vous n'avez trouvé aucun des côtés as-
sez prépondérant pour vous décider, et vous êtes
resté dans le doute. Ce n'est pas comme cela que
je fis : j'examinai tous les systèmes sur la forma-
tion de l'univers que j'avais pu connaître ; je mé-
ditai sur ceux que je pouvais imaginer ; je les com-
parai tous de mon mieux; et je me décidai, non
pour celui qui ne m'offrait point de difficultés, car
ils m'en offraient tous, mais pour celui qui me
paraissait en avoir le moins : je me dis que ces
difficultés étaient dans la nature de la chose , que
la contemplation de l'infini passerait toujours les
bornes de mon entendement; que, ne devant ja-
mais espérer de concevoir pleinement le système
de la nature , tout ce que je pouvais faire était de
le considérer par les côtés que je pouvais saisir ;
qu'il fallait savoir ignorer en paix tout le reste ; et
j'avoue que, dans ces recherches, je pensai comme
les gens dont vous parlez, qui ne rejettent pas une
vérité claire ou suffisamment prouvée pour les dif-
ficultés qui l'accompagnent , et qu'on ne saurait
lever. J'avais alors, je l'a voue, une confiance si té-
méraire, ou du moins une si forte persuasion , que
j'aurais défié tout philosophe de proposer aucun
autre système intelligible sur la nature, auquel je
n'eusse opposé des objections plus fortes , plus in-
vincihles que celles qu'il pouvait m'opposer sur le
mien ; et alors il fallait me résoudre à rester sans
rien croire, comme vous faites, ce qui ne dépen-
dait pas de moi, ou mal raisonner, ou croire comme
j'ai fait.
Une idée qui me vint il y a trente ans a peut-
être plus contribué qu'aucune autre à me rendre
inébranlable : supposons, me disais-je , le genre hu-
main vieilli jusqu'à ce jour dans le plus complet
matérialisme , sans que jamais idée de divinité ni
d'ame soit entrée dans aucun esprit humain ; sup-
posons que l'athéisme philosophique ait épuisé
tous ses systèmes pour expliquer la formation et
la marche de l'univers par le seul jeu de la matière
et du mouvement nécessaire, mot auquel, du reste ,
je n'ai jamais rien conçu : dans cet état, monsieur,
excusez ma franchise, je supposais encore ce que
j'ai toujours vu, et ce que je sentais devoir être,
([u'au lieu de se reposer tranquillement dans ces
systèmes , comme dans le sein de la vérité , leurs
inquiets partisans cherchaient sans cesse à parler
de leur doctrine , à l'éclaircir , à l'étendre , à l'ex-
pliquer , la pallier , la corriger, et, comme celui qui
sent trembler sous ses pieds la maison qu'il ha-
bite , à Fétayer de nouveaux arguments. Terminons
enfin ces suppositions par celle d'un Platon , d'un
Glarke , qui , se levant tout d'un coup au milieu
d'eux , leur eût dit : Mes amis , si vous eussiez com-
mencé l'analyse de cet univers par celle de vous-
même , vous eussiez trouvé dans la nature de votre
être la clef de la constitution de ce même univers,
laS CORRESPONDA.NCE.
que vous cherchez en vain sans cela; qu'ensuite,
leur expliquant la distinction des deux substances,
il leur eût prouvé par les propriétés mêmes de la
matière que , quoi qu'en dise Locke , la supposition
de la matière pensante est une véritable absurdité ;
qu'il leur eût fait voir quelle est la nature de l'être
vraiment actif et pensant , et que , de l'établisse-
ment de cet être qui juge , il fût enfin remonté
aux notions confuses mais sûres de l'Etre suprême :
qui peut douter que, frappés de l'éclat, de la sim-
plicité , de la vérité , de la beauté de cette ravis-
sante idée, les mortels , jusqu'alors aveugles, éclai-
rés des premiers rayons de la Divinité , ne lui
eussent offert par acclamation leurs premiers hom-
mages , et que les penseurs surtout et les philoso-
phes n'eussent rougi d'avoir contemplé si long-
temps les dehors de cette machine immense , sans
trouver , sans soupçonner même la clef de sa con-
stitution ; et , toujours grossièrement bornés par
leurs sens , de n'avoir jamais su voir que matière
où tout leur montrait qu'une autre substance don-
nait la vie à l'univers et l'intelligence à l'homme ?
C'est alors, monsieur, que la mode eût été pour
cette nouvelle philosophie ; que les jeunes gens et
les sages se fussent trouvés d'accord; qu'une doc-
trine si belle, si sublime, si douce et si consolante
pour tout homme juste, eût réellement excité tous
les hommes à la vertu ; et que ce beau mot àliu-
manité , rebattu maintenant jusqu'à la fadeur , jus-
qu'au ridicule , par les gens du monde les moins
humains , eût été plus empreint dans les cœiu'S
ANNÉE 1769. Ï29
que dans les livres. Il eût donc suffi d'une simple
transposition de temps pour faire prendre tout le
contre-pied à la mode philosophique, avec cette
différence que celle d'aujourd'hui, malgré son clin-
quant de paroles , ne nous promet pas une géné-
ration bien estimable, ni des philosophes bien ver-
tueux.
Vous objectez , monsieur , que si Dieu eût voulu
obliger les hommes à le connaître , il eût mis son
existence en évidence à tous les yeux. C'est à ceux
qui font de la foi en Dieu un dogme nécessaire au
salut de répondre à cette objection , et ils y répon-
dent par la révélation. Quant à moi , qui crois en
Dieu sans croire cette foi nécessaire, je ne vois pas
pourquoi Dieu se serait obligé de nous la donner.
Je pense que chacun sera jugé non sur ce qu'il a
cru, mais sur ce qu'il a fait, et je ne crois point
qu'un système de doctrine soit nécessaire aux
oeuvres , parce que la conscience en tient lieu.
Je crois bien, il est vrai , qu'il faut être de bonne
foi dans sa croyance , et ne pas s'en faire un sys-
tème favorable à nos passions. Comme nous ne
sommes pas tout inteUigence, nous ne saurions
philosopher avec tant de désintéressement que
notre volonté n'influe un peu sur nos opinions 1
l'on peut souvent juger des secrètes inclinations
d'un homme par ses sentiments purement spécu-;
latifs ; et, cela posé , je pense qu'il se pourrait bien
que celui qui n'a pas voulu croire fût puni pour
n'avoir pas cru.
Cependant je crois que Dieu s'est suffisamment
R. xxir. Q
l3o CORRESPONDANCE.
révélé aux hommes et par ses œuvres et dans leurs
coeurs; et s'il y en a qui ne le connaissent pas,
c'est, selon moi, parce qu'ils ne veulent pas le
connaître, ou parce qu'ils n'en ont pas besoin.
Dans ce dernier cas est l'homme sauvage et sans
culture qui n'a fait encore aucun usage de sa rai-
son; qui, gouverné seulement par ses appétits,
n'a pas besoin d'autre guide , et qui , ne suivant
que l'instinct de la nature, marche par des mou-
vements toujours droits. Cet homme ne connaît
pas Dieu, mais il ne l'offense pas. Dans l'autre
cas, au contraire, est le philosophe qui, à force
de vouloir exalter son intelligence, de raffiner, de
subtiliser sur ce qu'on pensa jusqu'à lui , ébranle
enfin tous les axiomes de la raison simple et pri-
mitive, et, pour vouloir toujours savoir plus et
mieux que les autres, parvient à ne rien savoir du
tout. L'homme à la fois raisonnable et modeste ,
dont l'entendement exercé, mais borné, sent ses
limites et s'y renferme, trouve dans ces limites la
notion de son ame et celle de l'auteur de son être,
sans pouvoir passer au-delà pour rendre ces no-
tions claires, et contempler d'aussi près l'une et
l'autre que s'il était lui-même un pur esprit. Alors ,
saisi de respect, il s'arrête, et ne touche point au
voile, content de savoir que l'Etre immense est
dessous. Voilà jusqu'où la philosophie est utile à
la pratique ; le reste n'est plus qu'une spéculation
oiseuse pour laquelle l'homme n'a point été fait,
dont le raisonneur modéré s'abstient, et dans la-
quelle n'entre point l'homme vulgaire. Cet homme,
ANNÉE 1769. l3ï
qui n'est ni une brute ni un prodige, est l'homme
proprement dit, moyen entre les deux extrêmes,
et qui compose les dix-neuf vingtièmes du genre
humain ; c'est à cette classe nombreuse de chanter
le psaume Cœli enarrant , et c'est elle en effet
qui le chante. Tous les peuples de la terre connais-
sent et adorent Dieu ; et , quoique chacun l'ha-
bille à sa mode , sous tous ces vêtements divers
on trouve pourtant toujours Dieu. Le petit nombre
d'élite qui a de plus hautes prétentions de doc-
trine , et dont le génie ne se borne pas au sens
commun, en veut un plus transcendant, ce n'est
pas de quoi je le blâme ; mais qu'il parte de là pour
se mettre à la place du genre humain , et dire que
Dieu s'est caché aux hommes parce que lui , petit
nombre, ne le voit plus, je trouve en cela qu'il a
tort. Il peut arriver , j'en conviens, que le torrent
de la mode et le jeu de l'intrigue étendent la secte
philosophique, et persuadent un moment à la mul-
titude qu'elle ne croit plus en Dieu ; mais cette
mode passagère ne peut durer; et, comme qu'on
s'y prenne , il faudra toujours à la longue un Dieu
à l'homme : enfin quand , forçant la nature des
choses , la Divinité augmenterait pour nous d'évi-r
dence, je ne doute pas que dans le nouveau lycée
on n'augmentât en même raison de subtilité pour
la nier. La raison prend à la longue le pli que le
cœur lui donne ; et , quand on veut penser en tout
autrement que le peuple, on en vient à bout tôt
ou tard.
Tout ceci , monsieur , ne vous paraît guère phi-
9-
l32 CORRESPONDANCE.
losophique , ni à moi non plus ; mais , toujours de
bonne foi avec moi-même, je sens se joindre à
mes raisonnements, quoique simples , le poids de
l'assentiment intérieur. Vous voulez qu'on s'en
défie ; je ne saurais penser comme vous sur ce
point , et je trouve , au contraire , dans ce jugement
interne une sauvegarde naturelle contre les so-
phismes de ma raison. Je crains même qu'en cette
occasion vous ne confondiez les penchants secrets
de notre cœur qui nous égarent, avec ce dicta-
men plus secret , plus interne encore , qui réclame
et murmure contre ces décisions intéressées, et
nous ramène en dépit de nous sur la route de la
vérité. Ce sentiment intérieur est celui de la na-
ture elle-même , c'est un appel de sa part contre
lessophismes de la raison; et ce qui le prouve est
qu'il ne parle jamais plus fort que quand notre
volonté cède avec le plus de complaisance aux ju-
gements qu'il s'obstine à rejeter. Loin de croire
que qui juge d'après lui soit sujet à se tromper,
je crois que jamais il ne nous trompe, et qu'il est
la lumière de notre faible entendement lorsque
nous voulons aller plus loin que ce que nous pou-
vons concevoir.
Et après tout, combien de fois la philosophie
elle-même , avec toute sa fierté , n'est-elle pas for-
cée de recourir à ce jugement interne qu'elle af-
fecte de mépriser ? N'était-ce pas lui seul qui fai-
sait marcher Diogène pour toute réponse devant
Zenon qui niait le mouvement? n'était-ce pas par
kii que toute l'antiquité philosophique répondait
aux pyrrhoniens? N'allons pas si loin; tandis que
toute la philosophie moderne rejette les esprits,
tout d'un coup l'évèque Berldey s'élève et soutient
qu'il n'y a point de corps. Comment est-on venu
à bout de répondre à ce terrible logicien ? Otez le
sentiment intérieur , et je défie tous les philosophes
modernes ensemble de prouver à Berkley qu'il y a
des corps. Bon jeune homme, qui me paraissez si
bien né, de la bonne foi, je vous en conjure, et
permettez que je vous cite ici un auteur qui ne
vous sera pas suspect, celui des Pensées philoso-
phiques *. Qu'un homme vienne vous dire que,
projetant au hasard une multitude de caractères
d'imprimerie, il a vu l'Enéide tout arrangée résulter
de ce jet : convenez qu'au lieu d'aller vérifier cette
merveille vous lui répondrez froidement : Mon-
sieur, cela n'est pas impossible, mais vous men-
tez. En vertu de quoi , je vous prie, lui répondrez-
vous ainsi?
Eh! qui ne sait que, sans le sentiment interne ,
il ne resterait bientôt plus de traces de vérité sur
la terre , que nous serions tous successivement le
jouet des opinions les plus monstrueuses , à me-
sure que ceux qui les soutiendraient auraient plus
de génie , d'adresse et d'esprit ; et qu'enfin , réduits
à rougir de notre raison même , nous ne saurions
bientôt plus que croire ni que penser ?
Mais les objections Sans doute il y en a d'in-
solubles pour nous, et beaucoup, je le sais; mais
encore un coup , donnez-moi un système où il n'y
Diderot.
l2i4 COKRESPONDANCl .
en ait pas, ou dites-moi comment je dois me tléter-
miner. Bien plus , par la nature de mon système ,
pourvu que mes preuves directes soient bien éta-
blies, les difficultés ne doivent pas m'arréter, vu
l'impossibilité où je suis , moi être mixte, de rai-
sonner exactement sur les esprits purs et d'en ob-
server suffisamment la nature. Mais vous, maté-
rialiste , qui me parlez d'une substance unique ,
palpable , et soumise par sa nature à l'inspection des
sens , vous êtes obligé non-seulement de ne me rien
dire que de clair , de bien prouvé , mais de résou-
dre toutes mes difficultés d'une façon pleinement
satisfaisante , parce que nous possédons vous et moi
tous les instruments nécessaires à cette solution.
Et, par exemple , quand vous faites naître la pen-
sée des combinaisons de la matière , vous devez me
montrer sensiblement ces combmaisons et leur ré-
sultat par les seules lois de la physique et de la
mécanique , puisque vous n'en admettez point d'au-
tres. Vous , épicurien , vous composez l'ame d'ato-
mes subtils. Mais qu'appelez - vous .vw^^/Zi', je vous
prie? vous savez que nous ne connaissons point
de dimensions absolues , et que rien n'est petit où
grand que relativement à l'œil qui le regarde. Je
prends par supposition un microscope suffisant ,
et je regarde im de vos atomes : je vois un grand
quartier de rocher crochu ; de la danse et de l'ac-
crochement de pareils quartiers j'attends de voir
résulter la pensée. Vous , moderniste, vous me mon-
trez une molécule organique : je prends mon mi-
croscope, et je vois un dragon grand comme la
ANNÉE 1769. l35
moitié de ma chambre ; j'attends de voir se mouler
et s'entortiller de pareils dragons jusqu'à ce que
je voie résulter du tout un être non-seulement or-
ganisé , mais intelligent, c'est-à-dire un être non
agrégatif et qui soit rigoureusement un, etc. Yous
me marquiez , monsieur , que le monde s'était for-
tuitement arrangé comme la république romaine :
pour que la parité fût juste , il faudrait que la ré-
publique romaine n'eût pas été composée avec des
hommes , mais avec des morceaux de bois. Mon-
trez-moi clairement et sensiblement la génération
purement matérielle du premier être intelligent ,
je ne vous demande rien de plus.
Mais si tout est l'œuvre d'un être intelligent ,
puissant , bienfaisant , d'où vient le mal sur la terre ?
Je vous avoué que cette difficulté si terrible ne m'a
jamais beaucoup frappé , soit que je ne l'aie pas
bien conçue, soit qu'en effet elle n'aie pas toute la
solidité qu'elle paraît avoir. Nos philosophes se sont
élevés contre les entités métaphysiques, et je ne
connais personne qui en fasse tant. Qu'entendent-
ils par le mal ? qu'est-ce que le mal en lui-même ?
où est le mal relativement à la nature et à son au-
teur ? L'univers subsiste ; l'ordre y règne et s'y con-
serve; tout y périt successivement, parce que telle
est la loi des êtres matériels et mus ; mais tout s'y
renouvelle , et rien n'y dégénère , parce que tel
est l'ordre de son auteur, et cet ordre ne se dé-
ment point. Je ne vois aucun mal à tout cela ; mais
quand je souffre, n'est-ce pas un mal? quand je
meurs , n'est-ce pas un mal ? Doucement ; je suis
l36 COKKESPONDANCE.
sujet à la mort, parce que j'ai reçu la vie; il n'y
avait pour moi qu'un moyen de ne point mourir ,
c'était de ne jamais naître. La vie est un bien po-
sitif, mais fini , dont le terme s'appelle mort. Le
terme du positif n'est pas le négatif, il est zéro.
La mort nous est terrible , et nous appelons cette
terreur un mal. La douleur est encore un mal pour
celui qui souffre, j'en conviens; mais la douleur
et le plaisir étaient les seuls moyens d'attacher un
être sensible et périssable à sa propre conserva-
tion , et ces moyens sont ménagés avec une bonté
digne de l'Etre suprême. Au moment même que
J'écris ceci , je viens encore d'éprouver combien la
cessation subite d'une douleur aiguë est un plai-
sir vif et délicieux. M'oserait -on dire que la ces-
sation du plaisir le plus vif soit une douleur aiguë ?
La douce jouissance de la vie est permanente ; il
suffit, pour la goûter", de ne pas souffrir, La dou-
leur n'est qu'un avertissement importun , mais né-
cessaire, que ce bien qui nous est si cher est en
péril. Quand je regardai de près à tout cela , je
trouvai , je prouvai peut-être que le sentiment de
la mort et celui de la douleur est presque nul dans
l'ordre de la nature. Ce sont les hommes qui l'ont
aiguisé ; sans leurs raffinements insensés , sans leurs
institutions barbares , les maux physiques ne nous
atteindraient , ne nous affecteraient guère , et nous
ne sentirions point la mort.
Mais le mal moral ! autre ouvrage de l'homme ,
auquel Dieu n'a d'autre part que de l'avoir fait li-
bre , et en cela semblable à lui. Faudra-t-il donc s'en
AJNJNÉli I76y. 187
prendre à Dieu des crimes des hommes et des maux
(ju'ils leur attirent? faudra-t-il , en voyant un champ
de bataille , lui reprocher d'avoir créé tant de jam-
bes et de bras cassés?
Pourquoi, direz-vous, avoir fait l'homme libre,
puisqu'il devait abuser de sa liberté? Ah! M, de ***,
s'il exista jamais un mortel qui n'en ait pas abusé ,
ce mortel seul honore plus l'humanité que tous
les scélérats qui couvrent la terre ne la dégradent.
Mon Dieu! donne-moi des vertus, et me place un
jour auprès des Fénélori, des Caton , des Socrate.
Que m'importera le reste du genre humain ? je ne
rougirai point d'avoir été homme.
Je vous l'ai dit, monsieur, il s'agit ici de mon
sentiment , non de mes preuves , et vous ne le voyez
que trop. Je me souviens d'avoir jadis rencontré
sur mon chemin cette question de l'origine du mal,
et de l'avoir effleurée ; mais vous n'avez point lu
ces rabàcheries, et moi je les ai oubliées : nous
avons très-bien fait tous deux. Tout ce que je sais
est que la facilité que je trouvais à les résoudre
venait de l'opinion que j'ai toujours eue de la co-
existence éternelle de deux principes : l'un actif,
qui est Dieu; l'autre passif, qui est la matière, que
l'être actif combine et modifie avec une pleine puis-
sance , mais pourtant sans l'avoir créée et sans la
pouvoir anéantir. Cette opinion m'a fait huer des
philosophes à qui je l'ai dite; ils l'ont décitlée ab-
surde et contradictoire. Cela peut-être, mais elle
ne m'a pas paru telle, et j'y ai trouvé l'avantage
d'expliquer sans peine et clairement à mon gré tan l
i38 CORRESPONDiNri:.
de questions dans lesquelles ils s'embrouillent, en^
tre autres celle que vous m'avez proposée ici comme
insoluble.
Au reste, j'ose croire que mon sentiment , peu
pondérant sur toute autre matière , doit l'être un
peu sur celle-ci; et, quand vous connaîtrez mieux
ma destinée, quelque jour vous direz peut-être en
pensant à moi : Quel autre a droit d'agrandir la
mesure qu'il a trouvée aux maux que l'homme souf
fre iqi-bas ?
Vous attribuez à la difficulté de cette même ques-
tion, dont le fanatisme et la superstition ont abusé,
les maux que les religions ont causés sur la terre.
Cela peut-être, et je vous avoue même que tou-
tes les formules en matière de foi ne me paraissent
qu'autant de chaînes d'iniquité, de fausseté, d'hy-
pocrisie, et de tyrannie. Mais ne soyons jamais in-
justes ; et pour aggraver le mal , n'ôtons pas le bien.
Ari'acher toute croyance en Dieu du cœur des hom-
mes , c'est y détruire toute vertu. C'est mon opi-
nion, monsieur : peut-être elle est fausse; mais,
tant que c'est la mienne , je ne serai point assez
lâche pour vous la dissimuler.
Faire le bien est l'occupation la plus douce d'un
homme bien né : sa probité , sa bienfaisance , ne
sont point l'ouvrage de ses principes, mais celui
de son bon naturel; il cède à ses penchants en pra-
tiquant la justice , comme le méchant cède aux siens
en pratiquant l'iniquité. Contenter le goût qui nous
porte à bien faire est bonté, mais non pas vertu.
Ce^mot de vertu signifie /o/re. Il n'y a point de
ANNl^E 1769. 1^9
vertu sans combat; il n'y en a point sans victoire,
La vertu ne consiste pas seulement à être juste ,
mais à l'être en triomphant de ses passions , en
régnant sur son propre cœur. Titus, rendant heu-
reux le peuple romain, versant partout les grâces
et les bienfaits , pouvait ne pas perdre un seul jour
et n'être pas vertueux; il le fut certainement en
renvoyant Bérénice. Brutus faisant mourir ses en-
fants pouvait n'être que juste. Mais Brutus était un
tendre père ; pour faire son devoir il déchira ses
entrailles, et Brutus fut vertueux.
Vous voyez ici d'avance la question remise à son
point. Ce divin simulacre dont vous me parlez s'of-
fre à moi sous une image qui n'est pas ignoble, et
je crois sentir à l'impression que cette image fait
dans mon cœur la chaleur qu'elle est capable de pro-
duire. Mais ce simulacre enfin n'est encore qu'une
de ces antités métaphysiques dont vous ne voulez
pas que les hommes se fassent des dieux; c'est un
pur objet de contemplation. Jusqu'où portez-vous
l'effet de cette contemplation sublime? Si vous ne
voulez qu'en tirer un nouvel encouragement pour
bien faire , je suis d'accord avec vous ; mais ce n'est
])as de cela qu'il s'agit. Supposons votre cœur hon-
î'.ete en proie aux passions les plus terribles, dont
vous n'êtes pas à l'abri , puisque enfin vous êtes
homme. Cette image, qui dans le calme s'y peint
si ravissante, n'y perdra-t-elle rien de ses charmes ,
et ne s'y ternira- t-elle point au milieu des flots ?
Ecartons la supposition décourageante et terrible
des périls qui peuvent tenter la vertu mise au de-
j4o corkespoNdance.
sespoir ; supposons seulement qu'un cœur trop sen-
sible brûle d'un amour involontaire pour la fille
ou la femme de son ami; qu'il soit maître de jouir
d'elle entre le ciel qui n'en voit rien, et lui qui
n'en veut rien dire à personne ; que sa figure char-
mante l'attire ornée de tous les attraits de la beauté
et de la volupté : au moment où ses sens enivrés
sont prêts à se livrer à leurs délices , cette image
abstraite de la vertu viendra-t-elle disputer son
cœur à l'objet réel qui le frappe? lui paraîtra-t-elle
en cet instant la plus belle ? l'arrachera-t-elle des
bras de celle qu'il aime pour se livrer à la vaine
contemplation d'un fantôme qu'il sait être sans réa-
lité? finira-t-il comme Joseph , et laissera- t-il son
manteau? Non, monsieur; il fermera les yeux et
succombera. Le croyant, direz-vous, succombera
de même. Oui, l'homme faible; celui, par exem-
ple, qui vous écrit; mais donnez-leur à tous deux
le même degré de force, et voyez la différence du
point d'appui.
Le moyen, monsieur , de résister à des tentations
violentes quand on peut leur céder sans crainte
en se disant: A quoi bon résister? pour être ver-
tueux, le philosophe a besoin de l'être aux yeux
des hommes , mais sous les yeux de Dieu le juste
est bien fort; il compte cette vie, et ses biens, et
ses maux , et toute sa gloriole pour si peu de chose!
il aperçoit tant au-delà! Force invincible de la
vertu, nul ne te connaît que celui c[ui sent tout
son être, et c[uisait qu'il n'est pas au pouvoir des
hommes d'en disposer! Lisez -vous quelquefois
A.J\NÉE 1769. l4l
la République de Platon? voyez dans le second dia-
logue avec quelle énergie l'ami de Socrate, dont
j'ai oublié le nom , lui peint le juste accablé des ou-
trages cle la fortune et des injustices des hommes ,
diffamé, persécuté, tourmenté, en proie à tout
l'opprobre du crime, et méritant tous les prix de
la vertu, voyant déjà la mort qui s'approche, et
sûr que la haine des méchants n'épargnera pas sa
mémoire , quand ils ne pourront plus rien sur sa
personne. Quel tableau décourageant, si rien pou-
vait décourager la vertu ! Socrate lui - même ef-
frayé s'écrie , et croit devoir invoquer les dieux
avant de répondre ; mais sans l'espoir d'ime autre
vie il aurait mal répondu pour celle-ci. Toute-
fois dût-il finir pour nous à la mort, ce qui ne
peut être si Dieu est juste, et par conséquent s'il
existe , l'idée seule de cette existence serait encore
pour l'homme un encouragement à la vertu, et
une consolation dans ses misères, dont manque
celui qui, se croyant isolé dans cet univers, ne sent
au fond de son cœur aucun confident de ses pen-
sées. C'est toujours luie douceur dans l'adversité
d'avoir un témoin qu'on ne l'a pas méritée; c'est
un orgueil vraiment digne de la vertu de pouvoir
dire à Dieu : Toi qui lis dans mon cœur, tu vois
que j'use en ame forte et en homme juste de la
liberté que tu m'as donnée. Le vrai croyant , qui
se sent partout sous l'œil éternel, aime à s'honorer
à la face du ciel d'avoir rempli ses devoirs sur la
terre.
Vous voyez que je ne vous ai point disputé ce
l/\l CORRESPOWUAIVCE.
simulacre que vous m'avez présenté pour unique
objet des vertus du sage. Mais , mon cher monsieur,
revenez maintenant à vous, et voyez combien cet
objet est inalliable, incompatible avec vos principes.
Comment ne sentez-vous pas que cette même loi de
la nécessité qui seule règle, selon vous, la marche
du monde et tous les événements , règle aussi toutes
les actions des hommes , toutes les pensées de leurs,
têtes , tous les sentiments de leurs cœurs ; que rien
n'est libre, que tout est forcé, nécessaire, inévi-
table; que tous les mouvements de l'homme, di-
rigés par la matière aveugle , ne dépend-ent de sa
volonté que parce que sa volonté même dépend
de la nécessité ; qu'il n'y a par conséquent ni ver-
tus, ni vices, ni mérite, ni démérite, ni moralité
dans les actions humaines; et que ces mots d'hon-
nête homme ou de scélérat doivent être pour vous
totalement vides de sens ? Ils ne le sont pas toute-
fois, j'en suis très-siir; votre bonne».: cœur en dé-
pit de vos arguments réclame contre votre triste
philosophie; le sentiment de la liberté , le charme
de la vertu , se font sentir à vous malgré vous. Et
voilà comment de toutes parts cette forte et sakitaire
voix du sentiment intérieur rappelle au sein de la
vérité et de la vertu tout homme que sa raison
mal conduite égare. Bénissez, monsieur, cette
sainte et bienfaisante voix qui vous ramène aux
devoirs de l'homme , que la philosophie à la mode
finirait par vous faire oublier. Ne vous livrez
à vos arguments que quand vous les sentez d'ac-
cord avec le dictamen de votre conscience ; et ,
ANNÉE 1769. 143
toutes les fois que vous y sentirez de la contradîc-
tipn, soyez sûr que ce sont eux qui vous trompent.
Quoique je ne veuille pas ergoter avec vous ni
suivre pied à pied vos deux lettres, je ne puis ce-
pendant me refuser un mot à dire sur le parallèle
du sae^e hébreu et du sage grec. Comme admira-
teur de l'un et de l'autre, je ne puis guère être
suspect de préjugés en parlant d'eux. Je ne vous
crois pas dans le même cas : je suis peu surpris
que vous donniez au second tout l'avantage; vous
n'avez pas assez fait connaissance avec l'autre, et
vous n'avez pas pris assez de soin pour dégager
ce qui est vraiment à lui de ce qui lui est étranger
et qui le défigure à vos yeux, comme à ceux de
bien d'autres gens qui, selon moi, n'y ont pas re-
gardé de plus près que vous. Si Jésus fût né à
Athènes, et Socrate à Jérusalem, que Platon et
Xénophon eussent écrit la vie du premier, Luc et
Matthieu celle de l'autre, vous changeriez beaucoup
de langage; et ce qui lui fait tort dans votre esprit
est précisément ce qui rend son élévation d'ame
plus étonnante et plus admirable, savoir, sa nais-
sance en Judée, chez le plus vil peuple qui peut-
être existât alors; au lieu que Socrate, né chez le
plus instruit et le plus aimable , trouva tous les se-
cours dont il avait besoin pour s'élever aisément
au ton qu'il prit. Il s'éleva contre les sophistes ,
comme Jésus contre les prêtres; avec cette diffé-
rence que Socrate imita souvent ses antagonistes,
et que , si sa belle et douce mort n'eût honoré sa
vie il eût passé pour un sophiste comme eux. Pour
l44 CORRESPONDANCE.
Jésus , le vol sublime que prit sa grande ame l'éleva
toujours au-dessus de tous les mortels; et depuis
l'âge de douze ans jusqu'au moment qu'il expira
dans la plus cruelle ainsi que dans la plus infâme
de toutes les morts , il ne se démentit pas un mo-
ment. Son noble projet étaitde relever son peuple,
d'en faire derechef un peuple libre et digne de
l'être; car c'était par là qu'il fallait commencer. L'é-
tude profonde qu'il fit de la loi de Moïse, ses ef-
forts pour en réveiller l'enthousiasme et l'amour
dans les coeurs , montrèrent son but , autant qu'il
était possible , pour ne pas effaroucher les Romains.
Mais ses vils et lâches compatriotes , au lieu de l'é-
couter, le prirent en haine précisément à cause de
son génie et de sa vertu qui leur reprochaient leur
indignité. Enfin ce ne fut qu'après avoir vu l'im-
possibilité d'exécuter son projet qu'il l'étendit dans
sa tête, et que, ne pouvant faire par lui-même une
révolution chez son peuple, il voulut en faire une
par ses disciples dans l'univers. Ce qui l'empêcha
de réussir dans son premier plan , outre la bassesse
de son peuple, incapable de toute vertu, fut la
trop grande douceur de son propre caractère;
douceur qui tient plus de l'ange et du dieu que de
l'homme, qui ne l'abandonna pas un instant, même
sur la croix, et qui fait verser des torrents de larmes
à qui sait lire sa vie comme il faut à travers les
fatras dont ces pauvres gens l'ont défigurée. Heu-
reusement ils ont respecté et transcrit fidèlement
ses discours qu'ils n'entendaient pas : ôtez quelques
tours orientaux ou mal rendus, on n'y voit pas un
ANNÉE 1769. 145
mot (jiii ne soit digne de lui; et c'est là qu'on re-
connaît riîomme divin , qui, de si piètres disciples,
a fait pourtant, dans leur grossier mais fier en-
thousiasme, des hommes éloquents et courageux.
Vous m'objectez qu'il a fait des miracles. Cette
objection serait terrible, si elle était juste; mais
vous savez , monsieur , ou du moins vous pourriez
savoir que , selon moi , loin que Jésus ait fait des
miracles , il a déclaré très-positivement qu'il n'en
ferait point, et a marqué un très -grand mépris
pour ceux qui en demandaient.
Que de choses me resteraient à dire ! Mais cette
lettre est énorme; il faut finir : voici la dernière
fois que je reviendrai sur ces matières. J'ai voulu
vous complaire , monsieur ; je ne m'en repens
point : au contraire, je vous remercie de m'avoir
fait reprendre un fil d'idées presque effacées , mais
dont les restes peuvent avoir pour moi leur usage
dans l'état où je suis.
Adieu, monsieur; souvenez -vous quelquefois
d'un homme que vous auriez aimé, je m'en flatte,
quand vous l'auriez mieux connu, et qui s'est oc-
cupé de vous dans des moments où l'on ne s'oc-
cupe guère que de soi-même.
Observation — On ignore le nom de celui quiavaitconiiniini-
qué à Rousseau ses doutes sur l'exislence de Dieu. Jean-Jacques
lui répondit par cette longue lettre que la force des raisonne-
ments, le style, la bonne foi d'un homme qui cherche sincère-
ment la vérité, rendent également remarquable. « Il a cru dans
» son enfance par autorité; dans sa jeunesse par sentiment; dans
« son âge mûr par raison : et maintenant il croit parce qu'il a
" toujours cru ». Cette lettre fut écrite à Bnurgom, dans un ca-
p.. XXII. 10
l46 CORRESPONDANCE.
baret où Jean-Jacques était logé d'une manière incommode, et
à l'une dos époques de sa vie où il fut le plus tourmenté. C'était
au sujet de l'affaire Thevenin, qui l'affecta, beaucoup trop,
comme on l'a vu. Toutes les fois que dans ses malheurs on in-
terrogeait Rousseau sur de grandes questions, il sortait de son
léthargique accablement et reprenait toute son énergie. On l'a
vu dans sa réponse au marquis de Mirabeau , qui le consul-
tait sur l'absurde système du despotisme légal. V. lettre du a6
juillet Î7G7.
LETTRE DCCCLXXX.
A M. LALLIAUD.
Monquin, le 17 mars 1769.
J'ai reçu, monsieur , avec votre dernière lettre,
votre seconde rescription, dont je vous remercie,
et dont je n'ai pas encore fait usage, faute d'oc-
casion.
Je me trouve beaucoup mieux depuis que je
suis ici ; je respire et j'agis beaucoup plus libre-
ment , quoique l'estomac ne soit pas désenflé :
outre l'effet de l'air et de l'eau marécageuse, je
crois devoir attribuer en grande partie mon in-
commodité au vin du cabaret, dont j'ai apporté
avec moi une vingtaine de bouteilles, et dont j'ai
senti le mauvais effet toutes les fois que j'en ai bu.
Tous les cabaretiers falsifient et frelatent ici leurs
vins avec de l'alun; et rien n'est plus pernicieux,
surtout pour moi.
J'ai appris pai- M du Peyrou que le discours en
question avait été absolument défiguré et mutilé à
l'impression , et que non-seulement on n'avait pas
suivi les corrections que j'y ai faites, mais qu'on
avait même retranché des morceaux de la première
composition. Cela me console en quelque sorte de
ce larcin où personne de bon sens ne peut recon-
naître mon ouvrage.
Permettez que je vous prie de donner cours à
la lettre ci-jointe.
J'oubliais de vous répondre au sujet des livres
dont vous offrez de me défaire. S'ils sont tolérés ,
j'y consens ; s'ils sont défendus, je m'y oppose.
Mais une chose qui me tient beaucoup plus au
cœur, et dont vous ne me parlez point, est le
portrait du roi d'Angleterre. Il est singulier que ,
de quelque façon que je m'y prenne, il me soit
impossible d'avoir ce portrait. Il est pourtant bien
à moi, ce me semble, et je ne suis d'humeur à le
céder à qui que ce soit, pas même à vous, à moins
qu'il ne vous fit autant de plaisir qu'à moi.
Donnez -nous, monsieur, de vos nouvelles à
vos moments de loisir. Madame Renou vous sou-
haite, ainsi que moi, bonheur et santé, et nous
vous faisons l'un et l'autre bien des salutations.
10.
l48 CORRESPONDANCE.
LETTRE DCCCLXXXI.
A MADAME LATOUR.
A Monquin, le 2 3 mars 1769.
Le changement cVairm'a fait du bien, chère Ma-
rianne , et je me trouve beaucoup mieux , quant
à la santé, que quand j'ai quitté Bourgoin.
Cependant mon estomac n'est pas assez rétabli^
pour que je puisse écrire sans peine, ce qui m'o-
blige à ne faire que de courtes lettres autant que
je puis, et seulement pour le besoin. C'en sera
toujours un pour moi, mon aimable amie, d'entre-
tenir avec vous les liens d'une amitié maintenant
aussi chère à mon cœur qu'elle parut jadis l'être
au vôtre.
" LETTRE DCCGLXXXIL
A M. DU PEYROU.
A Monquin, le 3r mars 176g.
Votre dernière lettre sans date , mon cher hôte ,
a bien vivement irrité les inquiétudes où j'étais
déjà sur l'état tant de madame la commandante
que sur le vôtre. Je vois que vous en êtes au point
de ne pas même craindre le retour de la goutte ,
comme une diversion de la douleur du corps pour
celle de l'ame. Gela m'apprend ou me confirme
bien combien fous les systèmes philosophiques
sont faibles contre la douleur tant de 1 un que de
l'autre, et combien la nature est toujours la plus
forte aussitôt qu'elle fait sentir son aiguillon. Il
n'y a pas six mois que, pour m'armer contre ma
faiblesse , vous me souteniez que , hors les remords
inconnus aux gens de votre espèce , les peines
morales n'étaient rien , qu'il n'y avait tle réel que
le mal physique ; et vous voilà , faible mortel ainsi
que moi, appelant, pour ainsi dire, ce même mal
physique à votre aide contre celui que vous sou-
teniez ne pas exister. Mon cher hôte , revenons-
en donc pour toujours , vous et moi , à cette
maxime naturelle et simple, de commencer par
être toujours bien avec soi, puis, au surplus, de
crier tout bonnement et bien fort quand on souffre,
et de se taire quand on ne souffre plus ; car tel est
l'instinct de la nature et le lot de l'être sensible.
Faisons comme les enfants et les ivrognes , qui
ne se cassent jamais ni jambes ni bras quand ils
tombent , parce qu'ils ne se roidissent point pour
ne pas tomber, et revenons à ma grande maxime
de laisser aller le cours des choses tant qu'il n'y a
point de notre faute, et de ne jamais regimber
contre la nécessité.
100 correspondance:.
LETTRE BCCCLXXXIII.
A M. BEAUCHATEAU.
Bourgoin, le 4 avril 1769.
Vous VOUS moquez de moi , monsieur, avec votrti
médaille. Allez j je ne veux point d'autre médaille
que celle qui restera dans les cœurs des honnêtes
gens qui me survivront , et qui connaîtront mes
sentiments et ma destinée. Je vous salue, mon-
sieur, très-humblement.
LETTRE DCCCLXXXIV.
A M. DU PEYROU.
Monquin, 21 avril 1769.
Que votre situation , mon cher hôte , me navre !
Que je vous trouve à plaindre, et que je vous
plains ainsi que votre digne et infortunée mère !
Mais vous êtes sans contredit le plus à plaindre
des deux; tant qu'elle voit son fils tendre et bien
portant auprès d'elle, elle a dans ses terribles
maux des consolations bien douces ; mais vous ,
vous n'en avez point. Elle peut encore aimer sa
vie, et vous , vous devez soigner la vôtre parce
qu'elle lui est nécessaire. Ce n'est pas ime consola-
ANNÉE 1769. l5l
tion pour vous , mais c'est un dtivoH' qui doit vous
rendre bien sacré le soin de vous-même.
Vous me demandez conseil sur ce que vous de-
vez lui dire au sujet du choix que vous vous êtes
fait. Personne ne peut vous donner ce conseil que
vous-même, parce que personne ne peut prévoir,
comme vous , l'effet que cette déclaration peut faire
sur son esprit; car, sans contredit , vous ne devez
rien lui dire dans son triste état que vous ne sa-
chiez devoir lui être agréable et consolant. Vous
êtes convaincu, me dites-vous, que ce choix lui
fera plaisir ; cela étant , je ne vois pas pourquoi
vous balanceriez. Mais vous n'avez pas le couriige ,
ajoutez-vous, de lui en parler de but en blanc
dans son état? Eh bien! parlez-lui-en par forme
de consultation plutôt que de déclaration. Cette
déférence ne peut que lui plaire et la toucher ; et,
dût-elle ne pas approuver votre choix , vous n'en
restez pas moins le maître de passer outre sans la
contrister , lorsque le ciel aura disposé d'elle. Voilà
tout ce que la raison et le tendre intérêt que je
prends à l'un et à l'autre me prescrit de vous dire
à ce sujet.
J'ai le cœur si plein de vous et de votre cruelle
situation, que je n'ai pas le courage de vous par-
ler de moi ; et tout ce que j'ai de bon à vous en
dire est que ma santé continue d'aller assez bien.
Faites parler mon cœur avec le vôtre auprès de
votre bonne maman. Mille amitiés au bon Jeannin.
Nous vous embrassons , madame Renoiii et moi, de
tout notre cœiir.
iSa CORRESPONDANCE.
LETTRE DCGCLXXXV.
AU MÊME.
Ce 19 mai 1769.
J'apprends votre perte, mon cher hôte, et je la
sens bien ; mais ce n'est pas une perte récente à
laquelle vous ne fussiez pas préparé. Je ne voudrais,
pour vous en consoler, que le détail que vous me
faites de l'état de la défunte. Il y avait long-temps
qu'elle avait cessé de vivre ^ elle n'a fait que cesser
de souffrir, et vous de partager ses souffrances.
Il n'y a pas là de quoi s'affliger. Mais votre perte,
pour être ancienne en quelque sorte , n'en est pas
moins réelle et pas moins irréparable ; et voilà sur
quoi doivent tomber vos regrets; vous avez un
véritable ami de moins, et un ami qui ne se rem-
place pas. Puissiez-vous n'avoir jamais plus à le
pleurer dans la suite que vous ne le pleurez au-
jourd'hui! Mais telle est la loi de la nature, il faut
baisser la tété et se résigner.
La nature qui se ranime me ranime aussi. Je re-
prends des forces et j'herborise. Le pays où je suis
serait très-agréable s'il avait d'autres habitants ;
j'avais semé quelques plantes dans le jardin, on les
a détruites. Cela m'a déterminé à n'avoir pltis
d'autre jardin que les prés et les bois. Tant que
j'aurai la force de m'y J3romener, je trouverai du
ANNliE 17(39. l53
jîiaisir à vivre ; c'est lui plaisir que les hommes ne
m'ôteront pas, parce qu'il a sa source cn-cledans
(le moi.
LETTRE DCCCLXXXVI.
A M. LE PRINCE DE CONTI.
Boiirgoin, le 3i mai 1769.
Monseigneur,
Puisque votre altesse sérénissime n'approuve
pas que je dispose de moi sans ses ordres, et puis-
que je ne veux en rien lui déplaire , il faut qu'elle
daigne endin-er les importunités que ma situation
rend indispensables.
Je ne puis rester volontairement ici , ni choisir
mon habitation dans le lieu qu'il vous a plu , mon-
seigneur, de me désigner. Mes raisons ne peuvent'
s'écrire. J'ai cent fois été tenté de partir à tout
risque pour porter à vos pieds les éclaircissements
qu'il m'importe qui soient connus de vous et de
vous seul. Avant de céder à cette tentation qui
devient plus forte de jour en jour , je crois devoir
vous en instruire. Daignez l'approuver , et n'avoir
pas plus d'égard à mes périls que je n'en veux
avoir moi-même , parce qu'il n'est pas de la ma-
gnanimité dé votre ame de vouloir rua sûreté aux
dépens de mon honneur.
Jl54 COKRESPONDANCE.
Si je suis assez malheureux pour qiie votre al-
tesse sérénissime se refuse à cette audience , je la
supplie au moins d'approuver que je choisisse
moi-même , dans le royaume , le lieu de mon ha-
bitation; que je le choisisse en toute liberté, sans
être obligé d'indiquer ce lieu d'avance , parce que
je ne puis juger de celui qui me conviendra qu'a-
près en avoir fait l'essai.
Si nul de ces deux partis n'obtient l'agrément
de votre altesse sérénissime, je le lui demande au
moins pour sortir du royaume à la faveur d'un
passe-port pareil au précédent que m'accorda M. de
Choiseul, et dont je n'ai pu ni dû faire usage.
Enfin, monseigneur, si vous n'approuvez au-
cune de ces propositions, ou que vous ne m'ho-
noriez d'aucune réponse, je prends le ciel à té-
moin de mon profond respect pour vos ordres et
de l'ardent désir que j'ai de mériter toujours vos
bontés ; mais comme rien ne peut me dispenser de
ce que je me dois à moi-même , dans l'extrémité
où je suis, je disposerai de moi comme mon cœur
me l'inspirera.
Veuillez , monseigneur ^ agréer avec bonté mon
profond respect.
ANNEE
l'yGg. l55
LETTRE DCCCLXXXVII.
A M. DU PEYROU.
Ce 12 juin 1769.
Recevez, mon cher hôte, mes félicitations et
celles de madame Renou, sur votre mariage; nous
faisons l'un et l'autre les vœux les plus sincères
pour que vous y trouviez et que vous y rendiez à
votre épouse ce rare et précieux bonheur qui en
fait un lien céleste et sans lequel il n'est qu'une
chaîne de misère ; car il n'y a point de milieu. Elle
nous a paru fort aimable à l'un et à l'autre , et d'un
fort bon caractère, autant que nous en avons pu
juger sur une connaissance aussi superficielle.
Nous apprendrons avec joie que le jugement avan-
tageux que nous en avons porté est confirmé par
votre expérience. Vous avez, mon cher hôte, une
grande et belle tâche à remplir. La sienne est plus
grande et plus belle encore. Si elle la remplit,
comme le choix d'un homme sensé nous le fait es-
pérer , elle méritera l'estime et le respect de toute
la terre , et c'est un tribut que nos cœurs lui paie-
ront avec plaisir.
Le ressentiment de goutte dont vous paraissez
menacé nous tient en peine sur l'état présent de
Votre santé. Donnez-m'en des nouvelles , je vous
prie. Ménagez-la , c'est un soin que votre état rend
l56 CORRESPONDAIVCE.
très - nécessaire. Nous vous embrassons l'un et
l'autre , et vous prions de faire agréer nos saluta-
tions à madame du Peyrou.
LETTRE DCGCLXXXVIII.
A MADAME LATOUR.
A Monquiu, le 19 juin 1769.
Connaître mon cœur et lui rendre justice , c'est
en montrer un bien digne de son attachement. Il
y a trois lignes dans votre dernière lettre , chère
Marianne , qui m'ont encore plus touché que tout
ce que vous m'avez écrit jusqu'ici. Vous comptez
sur mes sentiments ; vous avez d'autant plus rai-
son, que vous m'avez appris à compter sur les
vôtres, et que toute personne dont je serai sûr d'être
aimé , fût-elle bien moins aimable que vous , aura
toujours de ma part plus que du retour. Je sens
plus que vous , croyez-moi , notre éloignement ;
mais quand vous pourriez me venir voir ici, je
n'y consentirais pas ; plus vous m'aimez , plus vous
seriez affligée. Nous étions amis sans nous être
jamais vus , nous le serons , et , s'il le faut , sans
nous revoir. J'étais négligent à écrire ; à présent
que vous m'imitez un peu , je ne serai pas plus
exact; mais dussé-je ne vous plus voir et ne vous
plus écrire , le besoin de vous aimer et la douceur
de le satisfaire feront partie de mon être aussi
long-temps qu'il sera ce qu'il est.
AiVNlil^ 1769. t57
LETTRE DCCCLXXXIX.
A LA MÊME.
A Monquiii, le 4 juillet 17^9.
Rassurez -VOUS, belle Marianne, j'ai regret aux
inquiétudes que je vous ai données. J'ai voulu
mettre à l'épreuve votre sensibilité ; le succès a
passé mon attente; je vous promets de ne plus faire
avec vous de pareils essais. Adieu , belle Marianne ;
puissiez-vous ne voir jamais autour de vous que
bonheur et prospérité ! Quand on s'affecte ainsi
des peines de ses amis , on n'en doit avoir que
d'heureux.
LETTRE DCCGXC,
A M. DU PEYROU.
A Nevers, le 21 juillet 1769-
Je n'aurais pas tardé si long -temps, mon cher
bote, à vous remercier du livre de M. Haller, et à
vous en accuser la réception , sans mon départ un
peu précipité , pour venir rendre mes devoirs à
mon ancien hôte de Trye , tandis qu'il se trouvait
rapproché de moi. Après huit jours de séjour en
cette ville , je compte en repartir demain pour
Lyon , et de là pour Monquin , où j'ai laissé ma-
î58 CORRESPONDANCE.
dame Renou, et où j'espère trouver de vos nou-
velles, n'en ayant pas eu depuis votre mariage, au
bonheur duquel vous ne doutez pas , je m'en flatte ,
de l'intérêt vif et vrai que prend votre concitoyen.
Je ne doute pas que l'habitation de la campagne
ne tire en ce moment un nouveau charme de celle
avec qui vous la partagez , et que vous n'y repre-
niez même le goût de l'herborisation, ne fût-ce
que pour lui offrir des guirlandes mieux assorties.
J'aurais bien voulu pouvoir y joindre de très-jolies
fleurs que j'ai trouvées sur ma route ; ce beau pays ,
peii connu des botanistes , est abondant en belles
plantes, dont j'aurais enrichi mon herbier si j'a-
vais eu l'esprit de porter avec moi un portefeuille.
Je ne puis vous parler encore du catalogue de
M. Gagnebin , à qui j'en fais , ainsi qu'à vous ,
bien des remerciements, non plus que du Haller,
n'ayant fait que parcourir bien rapidement l'un et
l'autre. J'ai déjà dans mon herbier une grande par-
tie des plantes que contient le premier; et quant à
l'autre, je le trouve imprimé avec une extrême né-
gligence et plein de fautes impardonnables, j'en-
tends fautes d'impression. Il ne laissera pas pour
cela de m'être toujours précieux par lui-même et
par la main dont il me vient. Adieu , mon cher hôte ;
mes hommages , je vous supplie , à votre chère
épouse , et mes amitiés à M. Jeannin. Je vous em-^
brasse de tout mon coeur.
ANNÉE 1769.
LETTRE DCCCXCL
AU MÊME.
Monquin, le la août 1769.
De retour ici , mon cher hôte , de Nevers , d'où
je vous ai écrit une lettre qui , j'espère , vous sera
parvenue, j'y ai trouvé la vôtre du 9 juillet, où je
vois et sens en la lisant les douloureuses incisions
que vous avez souffertes , et qui ont abouti à vous
tirer du tuf du bout des doigts. Voilà , je l'avoue ,
une manière d'escamoter dont je n'avais pas l'idée.
Comment peut -on avoir du tuf daps le bout des
doigts? Cela me passe, et j'aimerais autant, pour
la vraisemblance , l'histoire de cet homme qui vo^
missait des canifs et des écritoires. Mais enfin , là
où le vrai parle , la vraisemblance doit se taire , et
puisqu'il faut convenir qu'il peut y avoir du tuf Jà
où il s'en trouve, je suis toujours fort aise que vous
soyez délivré de celui-là, et que vos douleurs de
goutte en soient soulagées.
Vous voulez que je vous parle à mon tour de
ma santé ; j'ai peu de chose à vous en dire. Mon
voyage m'a extrêmement fatigué par la chaleur,
la poussière, et la voiture ; mais , chemin faisant,
j'ai vu des plantes nouvelles qui m'ont amusé, et
après quelques jours de repos me voilà prêt à re-
partir demain pour aller herboriser sur le mont
Pila avec M. le gouverneur de Boiirgoin , et quel-
l6o CORRESPOIVDAIVCE.
ques autres messieurs à qui je tâche de persuader
qu'ils aiment la botanique , et qui en effet y ont
fait quelques progrès. Notre pèlerinage doit être
de sept ou huit jours, et toujours pédestre, comme
celui que nous fîmes ensemble à Bienne. La pre-
mière journée d'ici à Vienne est très - forte pour
moi, qui d'ailleurs ne me sens pas extrêmement
bien, et il faut que je compte beaucoup sur le bien
que me font ordinairement les voyages pédestres,
pour ne pas renoncer à celui-là. Mais , après avgir
mis la partie en train , la rompre serait à moi de
mauvaise grâce, et j'aime mieux courir quelques
risques que paraître trop inconstant. Je compte à
mon retour trouver ici de vos nouvelles , et ap-
prendre que votre singulière opération vous a en
effet délivré d'une attaque de goutte, comme vous
l'avez espéré.
Votre Haller me fait toujours grand plaisir , mais
je le trouve toujours plus rempli de fautes d'im-
pression. La moitié des phrases de Linnœus qu'il
cite sont estropiées, et un très - grand nombre de
chiffres des tables et citations sont faux, de sorte
qu'on ne sait presque où aller chercher tout ce
qu'il indique ; j'ai vu peu de livres aussi considé-
raljles imprimés si négligemment. Le catalogue de
M. Gagnebin est exact , net , mais sans ordre , de
sorte qu'on ne sait comment y chercher la plante
dont on a besoin. Au reste, l'un et l'autre de ces
deux ouvrages peut donner des instructions utiles,
dont je profite de mon mieux en pensant à voiis.
Quand je serai revenu de Pila (si j'en reviens }ieu-
ANNÉE 1769. 161
reusement) , je vous marquerai ce que j'y aurai
trouvé de plus ou de moins que dans le catalogue
de M. Gagnebin.
LETTRE DCCCXGII.
A MADAME ROUSSEAU.
Monquin, ce samedi 12 août 1769.
Depuis vingt-six ans, ma chère amie, que notre
union dure , je n'ai cherché mon bonheur que
dans le vôtre, je ne me suis occupé qu'à tâcher de
vous rendre heureuse ; et vous avez vu par ce que
j'ai fait en dernier lieu , sans m'y être engagé ja-
mais , que votre honneur et votre bonheur ne
m'étaient pas moins chers l'un que l'autre. Je m'a-
perçois avec douleur que le succès ne répond pas
à mes soins, et qu'ils ne vous sont pas aussi doux
à recevoir qu'il me l'est de vous les rendre. Je sais
que les sentiments de droiture et d'honneur avec
lesquels vous êtes née ne s'altéreront jamais en
vous ; mais quant à ceux de tendresse et d'atta-
chement , qui jadis étaient réciproques , je sens
qu'ils n'existent plus que de mon côté. Ma chère
amie , non-seulement vous avez cessé de vous plaire
avec moi , mais il faut que vous preniez beaucoup
sur vous pour y rester quelques moments par
complaisance. Vous êtes à votre aise avec tout le
monde hors avec moi ; tous ceux qui vous entou-
rent sont dans vos secrets excepté moi, et votre
E. XXH. I I
iGj. CORUKSPONDAiVCK.
seul véritable ami est le seul exclus de votre con-
fidence. Je ne vous parle point de beaucoup d'au-
ties choses. Il faut prendre nos amis avec leurs
défauts , et je dois vous passer les vôtres comme
vous me passez les miens. Si vous étiez heureuse
avec moi , je serais content ; mais je vois claire-
ment que vous ne l'êtes pas, et voilà ce qui me dé-
chire. Si je pouvais faire mieux pour y contribuer,
je le ferais et je me tairais; mais cela n'est pas pos-
sible. Je n'ai rien omis de ce que j'ai cru pouvoir
contribuer à votre félicité ; je ne saurais faire da-
vantage , quelque ardent désir que j'en aie. En
nous unissant, j'ai fait mes conditions ; vous y avez
consenti , je les ai remplies. Il n'y avait qu'un
tendre attachement de votre part qui pût m'enga-
ger à les passer et à n'écouter que notre amour au
péril de ma vie et de ma santé. Convenez , ma
chère amie , que vous éloigner de moi n'est pas le
moyen de me rapprocher de vous ; c'était pourtant
mon intention, je vous le jure; mais votre refroi-
dissement m'a retenu , et des agaceries ne suffisent
pas pour m'attirer lorsque le cœur me repousse.
En ce moment même où je vous écris , navré de
détresse et d'affliction , je n'ai pas de désir plus vif
et plus vrai que celui de finir mes jours avec vous
dans l'union la plus parfaite , et de n'avoir plus
qu'un lit lorsque nous n'aurons plus qu'une ame.
Rien ne plaît, rien n'agrée de la part de quel-
qu'un qu'on n'aime pas. Yoilà pourquoi, de quel-
que façon que je m'y prenne, tous mes soins, tous
mes efforts auprès de vous sont insuffisants. Le
ANlNliE 1769. l63
cœur, ma chère amie, ne se commande pas, et ce
mal est sans remède. Cependant, quelque passion
que j'aie de vous voir heureuse à quelque prix que
ce soit, je n'aurais jamais songé à m'éloigner de
vous pour cela , si vous n'eussiez été la première
à m'en faire la proposition. Je sais bien qu'il ne
faut pas donner trop de poids à ce qui se dit dans
la chaleur d'une querelle ; mais vous êtes revenue
trop souvent à cette idée pour qu'elle n'ait pas fait
sur vous quelque impression. Vous connaissez mon
sort, il est tel qu'on n'oserait pas même le décrire ,
parce qu'on n'y saurait ajouter foi. Je n'avais , chère
amie , qu'une seule consolation , mais bien douce ,
c'était d'épancher mon cœur dans le tien ; quand
j'avais parlé de mes peines avec toi elles étaient
soulagées; et quand tu m'avais plaint, je' ne me
trouvais plus à plaindre. Il est sûr que , ne trou-
vant plus que des cœurs fermés ou faux , toute ma
ressource , toute ma confiance est en toi seule ; le
mien ne peut vivre sans s'épancher , et ne peut
s'épancher qu'avec toi. II est sûr que, si tu me
manques et que je sois réduit à vivre absolument
seul, cela m'est impossible, et je suis un homme
mort. Mais je mourrais cent fois plus cruellement
encore, si nous continuions de vivre ensemble en
mésintelligence , et que la confiance et l'amitié
s'éteignissent entre nous. Ah ! mon enfant, à Dieu
ne plaise que je sois réservé à ce comble de mi-
sère ! Il vaut mieux cent fois cesser de se voir, s'ai- -
mer encore , et se regretter quelquefois. Quelque
sacrifice qu'il faille de ma part pour te rendre heu-
1 1.
l64 C011RESP0NJ)A.NCE.
relise, sois-le à quelque prix que ce soit, et je suis
content.
Je te conjure donc , ma chère femme , de bien
rentrer en toi-même , de bien sonder ton cœur , et de
bien examiner s'il ne serait pas mieux pour l'un et
pour l'autre que tu suivisses ton projet de te mettre
en pension dans une communauté pour t'épargner
les désagréments de mon humeur, et à moi ceux
de ta froideur; car , dans l'état présent des choses ,
il est impossible que nous trouvions notre bon-
heur l'iiii avec l'autre : je ne puis rien changer en
moi , et j'ai peur que tu ne puisses rien changer en
toi non plus. Je te laisse parfaitement libre de
choisir ton asile et d'en changer sitôt que cela te
conviendra. Tu n'y manqueras de rien , j'aurai
soin dé toi plus que de moi-même ; et sitôt que
nos cœurs nous feront mieux sentir combien nous
étions nés l'un pour l'autre , et le vrai besoin de
nous réunir , nous le ferons pour vivre en paix et
nous rendre heureux mutuellement jusqu'au tom-
beau. Je n'endurerais pas l'idée d'une séparation
éternelle ; je n'en veux qu'une qui nous serve à tous
deux de leçon ; je ne l'exige point même , je ne
l'impose point; je crains seulement qu'elle ne soit
devenue nécessaire. Je t'en laisse le juge et je m'en
rapporte à ta décision. I^a seule chose que j'exige ,
si nous en venons là , c'est que le parti que tu ju-
geras à propos de prendre se prenne de concert
entre nous : je te promets de me prêter là-dessus
en tout à ta volonté , autant qu'elle sera raisonna-
ble et juste , sans humeur de ma part et sans chi-
ANNÉE 1769. iGj
cane. Mais quant au parti que tu voulais prendre
dans ta colère de me quitter et de t'éclipser sans
que je m'en mélasse et sans que je susse même ou
tu voudrais aller, je n'y consentirai de ma vie,
parce qu'il serait honteux et déshonorant pour
l'un et pour l'autre , et contraire à tous nos en-
gagements.
Je vous laisse le temps de hien peser toutes
choses. Réfléchissez pendant mon absence au su-
jet de cette lettre. Pensez à ce que vous vous de-
vez, à ce que vous me devez, à ce que nous sommes
depuis long-temps l'un à l'autre, et à ce que nous
devons être jusqu'à la fin de nos jours, dont la
plus grande et la plus belle partie est passée, et
dont il ne. nous reste que ce qu'il faut pour couron-
ner une vie infortunée, mais innocente, honnête,
et vertueuse, par une fin qui l'honore et nous as-
sure un bonheur durable. Nous avons des fautes à
pleurer et à expier; mais, grâces au ciel, nous
n'avons à nous reprocher ni noirceurs ni crimes :
n'effaçons pas par l'imprudence de nos derniers
jours la douceur et la pureté de ceux que nous
ayons passés ensemble.
Je ne vais pas faire un voyage bien long ni bien
périlleux; cependant la nature dispose de nous au
moment que nous y pensons le moins. Vous con-
naissez trop mes vrais sentiments pour craindre
qu'à quelque degré que mes malheurs puissent al-
ler, je sois homme à disposer jamais de ma vie
avant le temps que la nature ou les hommes au-
ront marqué. Si quelque accident doit terminer ma
l66 CORRESPONDANCE.
carrière, soyez bien sûre, quoi qu'on puisse dire,
que ma volonté n'y aura pas eu la moindre part.
J'espère me retrouver en bonne santé dans vos
bras , d'ici à quinze jours au plus tard ; niais s'il
en était autrement, et que nous n'eussions pas
le bonheur de nous revoir, souvenez -vous en
pareil cas de l'homme dont vous êtes la veuve,
et d'honorer sa mémoire en vous honorant. Ti-
rez-vous d'ici le plus tôt que vous pourrez. Qu'au-
cun moine ne se mêle de vous ni de vos affaires
en quelque façon que ce soit. Je ne vous dis point
ceci par jalousie , et je suis bien convaincu qu'ils
n'en veulent point à votre personne; mais n'im-
porte, profitez de cet avis, ou soyez sûre de n'at-
tirer que déshonneur et calamité sur le reste de
votre vie. Adressez-vous à M. de Saint- Germain
pour sortir d'ici ; tâchez d'endurer l'air méprisant
de sa femme par la certitude que vous ne l'avez
pas mérité. Cherchez à Paris, à Orléans , ou à Blois,
une communauté qui vous convienne ^ et tâchez
d'y vivre plutôt que seule dans une chambre. Ne
comptez sur aucun ami ; vous n'en avez point ni
moi non plus , soyez-en sûre ; mais comptez sur
les honnêtes gens , et soyez sûre que la bonté de
cœur et l'équité d'un honnête homme vaut cent
fois mieux que l'amitié d'un coquin. C'est à ce
titre d'honnête homme que vous pouvez donner
votre confiance au seul homme de lettres cpie vous
savez que je tiens pour tel*. Ce n'est pas un ami
Duclos, mort en 177^.
ANNÉE 1769. 167
chaud, mais c'est un homme droit qui ue vous
tromj3era pas, et qui n'insultera pas ma mémoire,
])arce qu'il m'a bien connu et qu'il est juste ; mais il
ne se compromettra pas, et je ne désire pas qu'il se
compromette. Laissez tranquillement exécuter les
complots faits contre votre mari ; ne vous tourmen-
tez point à justifier sa mémoire outragée; conten-
tez-vous de rendre honneur à la vérité dans l'oc-
casion , et laissez la Providence et le temps faire
leur œuvre ; cette œuvre se fera tôt ou tard. Ne vous
lapprochez plus des grands ; n'acceptez aucune de
hnu's offres , encore moins de celles des gens de
lettres. J'exclus nommément toutes les femmes
qui se sont dites mes amies. J'excepte madame
Dupin et madame de Chenonceaux ; l'une et l'au-
tre sont sûres à mon égard et incapables de trahi-
son. Parlez-leur quelquefois de mes sentiments
pour elles ; ils vous sont connus. Vous aurez assez
de quoi vivre indépendante avec les secours que
M. du Peyrou a dessein de vous donner, et qu'il
vous doit , puisqu'il en a reçu l'argent. Si vous ai-
mez mieux vivre seule chez vous que chez des re-
ligieuses , vous le pouvez ; mais ne vous laissez pas
subjui^uer , ne vous livrez pas à vos voisines , et
ne vous fiez pas aux gens avant de les connaître.
Je finis ma lettre si à la hâte que je ne sais plus ce
que je dis. Adieu chère amie de mon cœur : à vous
revoir; et, si nous ne nous revoyons pas, souve-
nez-vous toujours du seul ami véritable que vous
ayez eu et que vous aurez jamais. Je ne me signe-
rai pas Reiioii^ puisque ce nom fut fatal à votre
l68 CORRESPONDANCE.
tendresse; mais, pour ce moment, j'en veux re-
prendre un que votre cœur ne saurait oublier.
J. J. Rousseau.
Observation. — C'est sur cette lettre que nous appuyons
l'opinion que nous avons exprimée plusieurs fois relativement à
Thérèse. C'est un monument incontestable du caractère de cette
indigne femme. Elle avait menacé J. J. de le quitter furtivement,;
il est fâcheux qu'elle ne l'ait pas fait vingt ans plus tôt. C'est elle
qui fît naître en lui cette méfiance dont il était tourmenté, et
qu'elle avait soin d'alimenter : c'est elle qui, par son commérage
et ses propos, le dégoûta successivement de toutes les retraites
qu'il s'était choisies; c'est elle qui, en acceptant clandestine-
ment des .cadeaux, en les provoquant même, autoiisait la ca-
lomnie et compromettait l'honneur de celui à qui elle devait
tout et dont on ne peut expliquer l'aveviglement; c'est elle qui
empoisonna son existence... Malgi^é les justes sujets de plainte
qu'il expose dans cette lettre, il exprime ime tendre sollicitude
sur sa destinée si elle lui survit, lui donne des conseils, et lui fait
les adieux les plus touchants. Elle lui a survécu en effet, s'est
avilie , est morte dans l'opprobre et la misère.
LETTRE DCCCXCIII.
A M. LALLIAUD.
Monquin, le 27 août 1769.
Un voyage de botanique, rnonsieur, que j'ai fait
au mont Pila presque en arrivant ici , m'a privé
du plaisir de vous répondre aussitôt que je l'au-
rais dû. Ce voyage a été désastreux, toujours de
la pluie; j'ai trouvé peu de plantes, et j'ai perdu
mon chien, blessé par un autre et fugitif: je le
ANNÉE 1769. 1G9
croyais mort dans les bois de sa blessure, quand à
mon retour je l'ai trouvé ici bien portant, sans
que je puisse imaginer comment il a pu faire douze
lieues et repasser le Rhône dans l'état où il était.
Vous avez, monsieur, la douceur de revoir vos
pénates et de vivre au milieu de vos amis. Je pren-
drais part à ce bonheur en vous en voyant jouir,
mais je doute que le ciel me destine à ce partage.
J'ai trouvé madame Renou en assez bonne santé :
elle vous remercie de votre souvenir, et vous sa-
lue de tout son cœur. J'en fais de même, étant
forcé d'être bref à cause du soin que demandent
quelques plantes que j'ai rapportées, et quelques
graines que je destinais à madame de Portiand , le
tout étant arrivé ici à demi pourri par la pluie. Je
voudrais du moins en sauver quelque chose, pour
n'avoir pas perdu tout-à-fait mon voyage, et la
peine que j'ai prise à les recueillir. Adieu, mon
cher M. LalHaud; conservez-vous, et vivez content.
LETTRE DCCCXGIV.
A M. MOULTOU.
Monquin, le 8 septembre 176g.
Sans une foulure à la main , cher Moultou, qui
me fait souffrir depuis plusieurs jours, je me livre-
rais H mon aise au plaisir de causer avec vous;
mais je ne désespère pas d'en retrouver une occa-
sion plus commode: en attendant, recevez mon
170 CORRESPONDAiVCE.
remerciement de votre bon souvenir, et de celui
de madame Moultou, dont je me consolerai diffi-
cilement d'avoir été si près sans la voir. Je veux
croire qu'elle a quelque part au plaisir que vous
m'avez fait de m'amener votre fils, et cela m'a
rendu plus touchante la vue de cet aimable en-
fant. Je suis fort aise qu'il soit un peu jaloux, dans
ce qu'il fait, de mon approbation : il lui est tou-
jours aisé de s'en assurer par la votre; car sur ce
point, comme sur beaucoup d'autres, nous ne
saurions penser différemment vous et moi.
Je ne suis point surpris de ce que vous me mar-
quez des dispositions secrètes des gens qui vous
entourent : il y a long-temps qu'ils ont changé le
patriotisme en égoïsme, et l'amour prétendu du
bien public n'est plus dans leurs cœurs que la haine
des partis. Garantissez le votre, o cher Moultou,
de ce sentiment pénible qui donne toujours plus
de tourment que de jouissance , et qui , lors même
qu'il l'assouvit , venge dans le cœur de celui qui
l'éprouve le mal qu'il fait à son ennemi. Paradis
aux bienfaisants, disait sans cesse le bon abbé de
Saint-Pierre : voilà un paradis que les méchants
ne peuvent ôter à personne , et qu'ils se donne-
raient , s'ils en connaissaient le prix.
Adieu, cher Moultou; je vous embrasse.
AWJN KE 176g. 17 I
LETTRE DCCCXCV.
A M. DU PEYROU.
Monquin, le i fi septembre 1769.
Je n'aurais pas attendu, mon cher hôte, votre
lettre du 5 septembre pour répondre à celle du
6 août, si à mon retour du mont Pila je ne me
fusse foulé la main droite par une chute qui m'en
a pendant quelque temps gêné l'usage. Je suis bien
charmé de n'apprendre votre accès de goutte qu'à
votre convalescence ; c'est une grande consolation,
quand on souffre , d'attendre ensuite de longs in-
tervalles, durant lesquels on ne souffrira plus; et
je ne suis pas surpris que les tendres soins de votre
aimable Henriette fassent une assez grande diver-
sion à vos souffrances pour vous les laisser beau-
coup moins sentir. Vous devez vous trouver trop
heureux de gagner à son service des accès de goutte
dans lesquels vous êtes servi par ses mains. Vous
êtes assurément bien faits, l'un pour donner, l'autre
pour sentir tout le prix des soins du plus pur zèle
et de la plus tendre amitié; mais cependant, aux
charmes près qu'elle seule y peut ajouter , des
soins de cette espèce ne doivent pas être absolu-
ment nouveaux pour vous. Je suis plus que flatté,
je suis touché qu'elle se souvienne avec plaisir de
notre ancienne connaissance. J'aurais été trop heu-
reux de pouvoir la cultiver ; mais les attachements
l'j'2 CORRESPOIVD.VNCE.
fondés sur l'estime, tels que celui que j'ai conçu
pour elle, n'ont pas besoin de l'habitude de se
voir pour s'entretenir et se renfoncer. Fût -elle
beaucoup moins aimable , les respectables devoirs
qu'elle remplit si bien près de vous la rendent
trop estimable à tout le monde pour ne la pas
rendre chère aux honnêtes gens , et surtout à vos
amis. A l'égard des échecs, malgré tout ce que
vous me dites de son habileté, vous me permet-
trez de douter que ce soit lé jeu auquel elle joue
le mieux; et, si jamais j'ai le plaisir de faire une
partie avec elle , je lui dirai, et de bien bon cœur ,
ce que je disais jadis à un grand prince * ; « Je vous
« honore trop pour ne pas gagner toujours. »
Vous aviez grande raison, mon cher hôte, d'at-
tendre la relation de mon herborisation de Pila ;
car, parmi les plaisirs de la faire, je comptais beau-
coup sur celui de vous la décrire. Mais les pre-
miers ayant manqué me laissent peu de quoi four-
nir à l'autre. Je partis à pied avec trois messieurs,
dont un médecin, qui faisaient semblant d'aimer la
botanique, et qui, désirant me cajoler, je ne sais
pourquoi , s'imaginèrent qu'il n'y avait rien de
mieux pour cela que de me faire bien des façons.
Juoez comment cela s'assortit, non-seulement avec
mon humeur , mais avec l'aisance et la gaieté des
voyages pédestres. Ils m'ont trouvé très-maussade,
je le crois bien ; ils ne disent pas que c'est eux
qui m'ont rendu tel. Il me semble , que malgré la
pluie , nous n'étions point maussades à Brot ni les
Le prince de Conti.
ANNÉE 1769. 1^3
uns ni les autres. Premier article. Le second est
que nous avons eu mauvais temps presque' durant
toute la route; ce qui n'amuse pas quand on ne
veut qu'herboriser , et que , faute d'une certaine
intimité , l'on n'a que cela pour point de ral-
liement et pour ressource. Le troisième est que
nous avons trouvé sur la montagne un très-mau-
vais gîte ; pour lit, du foin ressuant et tout mouillé,
hors un seul matelas rembourré de puces , dont ,
comme étant le Sancho de la troupe, j'ai été pom-
peusement gratifié. Le quatrième , des accidents
de toute espèce : un de nos messieurs a été mordu
d'un chien sur la montagne. Sultan a été deini-
massacré d'un autre chien; il a disparu, je l'ai cru
mort de ses blessures ou mangé du loup; et ce
qui me confond est qu'à mon retour ici je l'ai
trouvé tranquille et parfaitement guéri, sans que
je puisse imaginer comment, dans l'état où il était,
il a pu faire douze grandes lieues et surtout re-
passer le Rhône , qui n'est pas un petit ruisseau ,
comme disait du Rhin M. Chazeron. Le cinquième
article , et le pire , est que nous n'avons presque
rien trouvé, étant allés trop tard pour les fleurs,
trop tôt pour les graines , et n'ayant eu nul guide
pour trouver les bons endroits. Ajoutez que la
montagne est fort triste, inculte, déserte, et n'a
rien de l'admirable variété des montagnes de Suisse.
Si vous n'étiez pas devenu un profane, je vous fe-
rais ici rénumération de notre maigre collection ;
je vous parlerais du méum , de \ oreille d'ours^ du
doronic, de la historié y du napcl, du tlijmelœa, etc.
\'jl\ CORRESPONDANCE.
Mais j'espère que quand M. d'Escherny , qui a ap-
pris la t)otanique en trois jours , sera près de vous ,
il vous expliquera tout cela. Parmi toutes les plantes
alpines très-communes, j'en ai trouvé trois plus
curieuses qui m'ont fait grand plaisir. L'une est
Yonagra ( œiiothera biennis)^ que j'ai trouvée aux
bords du Rhône , et que j'avais déjà trouvée à mon
voyage de Nevers au bord de la Loire. La seconde
est le laiteron bleu des Alpes, sonchus Alpinus ^ qui
m'a fait d'autant plus de plaisir que j'ai eu peine à
le déterminer, m'obstinant à le prendre pour une
laitue ; la troisième est le lichen Islandicus , que j'ai •
d'abord reconnu aux poils courts qui bordent les
feuilles. Je vous ennuie avec mon pédant étalage;
mais si votre Henriette prenait du goût pour les
plantes, comme mon foin se transformerait bien
vite en fleurs ! Il faudrait bien alors , malgré vous
et vos dents, que vous devinssiez botaniste.
LETTRE DCCCXCVI.
A M. L. C. D. L.
Monquin, le lo octobre 1769.
Me voici, monsieur, en vous répondant, dans
une situation bien bizarre, sachant bien à qui,
mais non pas à cpioi : non que tout ce que vous
écrivez ne mérite bien qu'on s'en souvienne , mais
parce que je ne me souviens plus de rien. J'avais
mis à part votre lettre pour y répondre, et, après
ANNÉK I7G9. 173
avoir vin«t lois renversé ma chambre et tous les
fatras qui la remplissent, je n'ai pu parvenir à re-
trouver cette lettre : toutefois je n'en veux pas
avoir le démenti , ni que mon étourderie me prive
du plaisir de vous écrire. Ce ne sera pas, si vous
voulez, une réponse; ce sera un bavardage de
rencontre, pour avoir, aux dépens de votre pa-
tience, l'avantage de causer un moment avec vous.
Vous me parliez, monsieur, du nouveau -né,
dont je vous fais mes bien cordiales félicitations :
voilà vos pertes réparées; que vous êtes heureux
de voir les plaisirs paternels se multiplier autour
de vous! Je vous le dis, et bien du fond de mon
cœur, quiconque a le bonheur de pouvoir remplir
des soins si chers trouve chez lui des plaisirs plus
vrais que tous ceux du monde, et les plus douces
consolations dans l'adversité. Heureux qui peut
élever ses enfants sous ses yeux! Je plains un père
de famille obligé d'aller cherclier au loin la for-
tune; car pour le vrai bonheur de la vie, il en a
la source auprès de lui.
Vous me parliez du logement auquel vous aviez
eu la bonté de songer pour moi. Vous avez bien ,
monsieur, tout ce qu'il faut pour ne pas me laisser
renoncer sans regret à l'espoir d'être votre voisin:
et pourquoi y renoncer ? qu'est-ce qui empêche-
rait que , dans une saison plus douce, je n'allasse
vous voir, et voir avec vous les habitations qui
pourraient me convenir? S'il s'en trouvait une as-
sez voisine de la vôtre pour me procurer l'agrément
de votre société, il y aurait là de quoi racheter bien
176 CORRESPONDANCE,
des inconvénients, et, pourvu que je trouvas seà
peu près le plus nécessaire , de quoi me consoler
de n'avoir pas ce' qui le serait moins.
Vous me parliez de littérature; et précisément
cet article, le plus plein de choses et le plus digne
d'être retenu , est celui que j'ai totalemet oublié.
Ce sujet qui ne me rappelle que des idées tristes ,
et que l'instinct éloigne de ma mémoire , a fait tort
à l'esprit avec lequel vous l'avez traité : je me suis
souvenu seulement que vous étiez très - aimable ,
même en traitant un sujet que je n'aimais plus.
Vous me parliez de botanique et d'herborisa-
tions. C'est un objet sur lequel il me reste un
peu plus de mémoire , encore ai-je grand'peur que
bientôt elle ne s'en aille de même avec le goût de
la chose , et qu'on ne parvienne à me rendre dé-
sagréable jusqu'à cet innocent amusement. Quel-
que ignorant que je sois en botanique , je ne le
suis pas au point d'aller, comme on vous l'a dit,
chercher en Europe une plante qui empoisonne
par son odeur; et je pense, au contraire, qu'il y a
beaucoup à rabattre des qualités prodigieuses ,
tant en bien qu'en mal , que l'ignorance , la charla-
tanerie, la crédulité, et quelque fois la méchan-
ceté, prêtent aux plantes, et qui, bien examinées,
se réduisent pour l'ordinaire à très-peu de chose ,
souvent tout-à-fait à rien. J'allais à Pila faire avec
trois messieurs , qui fesaient semblant d'aimer la
botanique , une herborisation dont le principal
objet était un commencement d'herbier pour l'un
des trois, à qui j'avais tâché d'inspirer le goût de
AjyjV'ÉE 1769. 17-
cette douce et aimable étude. Tout en marchant ,
M. le médecin M *** m'appela pour me montrer,
disait-il, une très-belle ancolie. Comment, mon-
sieur, une ancolie! lui dis-je en voyant sa plante;
c'est le napel. Là-dessus je leur racontai les fables
que le peuple débite en Suisse sur le napel; et j'a-
voue qu'en avançant et nous trouvant comme en-
sevelis dans une foret de napels, je crus un moment
sentir un peu de mal de tète , dont je reconnus la
chimère et ris avec ces messieurs presque au même
instant.
Mais au lieu d'une plante à laquelle je n'avais
pas songé, j'ai vraiment et vainement cherché à Pila
une fontaine glaçante, qui tuait, à ce qu'on nous
dit, quiconque en buvait. Je déclarai que j'en vou-
lais faire l'essai sur moi-même, non pas pour me
tuer, je vous jure, mais pour désabuser ces pau-
vres gens sur la foi de ceux qui se plaisent à calom-
nier la nature, craignant jusqu'au lait de leur mère,
et ne voyant partout que les périls et la mort. J'au-
rais bu de l'eau de cette fontaine comme M. Storck
a mangé du napel. JMais au lieu de cette fontaine
homicide qui ne s'est point trouvée, nous trou-
vâmes une fontaine très-bonne, très-fraîche, dont
nous bûmes tous avec grand plaisir, et qui ne tua
personne.
Au reste , mes voyages pédestres ayant été jus-
qu'ici tous très-gais, faits avec des camarades d'aussi
bonne humeur que moi, j'avais espéré que ce se-
rait ici la même chose. Je voulus d'abord bannir
toutes les petites façons de ville : pour mettre
R. xxji. 12
l'yS CORRESPONDANCE.
en train ces messieurs , je leur dis des canons , je
voulus leur en apprendre; je m'imaginais que nous
allions chanter, criailler, folâtrer toute la journée;
je leur fis même une chanson (l'air s'entend) que
je notai, tout en marchant par la pluie, avec des
chiffres de mon invention. Mais quand ma chanson
fut faite , il n'en fut plus question , ni d'amusements,
ni de gaieté, ni de familiarité; voulant être badin
tout seul , je ne me trouvais que grossier; toujours
le grand cérémonial , et toujoiu\s monsieur don
Japhet. A la fin je me le tins pour dit; et, m'amu-
sant avec mes plantes, je laissai ces messieurs s'a-
muser à me faire des façons. Je ne sais pas trop si
mes longues rabâcheries vous amusent ; je sais seu-
lement que, si je les prolongeais encore, elles vous
ennuieraient certainement à la fin. Voilà monsieur,
l'histoire exacte de ce tant célèbre pèlerinage , qui
court déjà les quati-e coins de la France, et qui
remplira bientôt l'Europe entière de son risible
fracas. Je vous salue, monsieur, et vous embrasse
de tout mon cœur.
LETTRE DCCCXCVII.
A MADAME B.
Monquin, le 28 octobre 1769.
Si je n'avais été gartle-malade , madame, et si je
ne l'étais encore , j'aurais été moins lent et je serais
moins bref à vous remercier du plaisir que m'a fait
ANNÉE 1769. 179
votre lettre, et du désir que j'ai de mériter et cul-
tiver la correspondance que vous daignez m'offrir.
Votre caractère aimable et vos bons sentiments
m'étaient déjà assez connus pour me donner du
regret de n'avoir pu leur rendre mon hommage
en personne lorsque je fus un instant votre voisin.
Maintenant vous m'offrez, madame, dans la dou-
ceur de m'entretenir quelquefois avec vous, un dé-
dommagement dont je sens déjà le prix, mais qui
ne peut pourtant qu'à l'aide d'une imagination qui
vous cherche suppléer au charme de voir animer
vos yeux et vos traits par ces sentiments vivifiants
et honnêtes dont votre cœur me paraît pénétré.
Ne craignez point que le mien repousse la con-
fiance dont vous voulez bien m'honorer, et dont
je ne suis pas indigne.
Adieu , madame ; soyez sûre, je vous supplie, que
mon cœur répond très-bien au vôtre , et que c'est
pour cela que ma plume n'ajoute rien.
LETTRE DCCCXCVIII.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
A Monquin, le mardi 3r octobre 1769.
Il me reste , monsieur , un seul plaisir dans la
vie , et qui m'est aussi doux que rare , celui de voir
la face d'un honnête homme. Jugez de fempres-
sement avec lequel vous serez reçu quand vous
voudrez bien faire l'obligeante course que vous me
1 1.
l8o CORRESPONDANCE.
promettez. Les cadeaux que veut me faire M
ont l'air d'une plaisanterie. Je vous prie de vouloir
lui faire bien des salutations de ma part, quand
vous lui écrirez.
Permettez , monsieur , que j'assure ici madame
de Saint-Germain de mon respect; que je vous sa-
lue et vous embrasse de tout mon cœur.
Renou.
LETTRE DCCCXCIX.
A M. DU PEYROU.
Monquin, le 1 5 novembre 176p.
Yous voilà, mon cber hôte , grâce à la rechute
dont vous êtes délivré, dans un de ces intervalles
heureux durant lesquels, n'entrevoyant que de loin
le retour des atteintes dégoutte, vous pouvez jouir
de la santé, et même la prolonger; et je suis bien
sûr que le plus doux emploi que vous en pourrez
faire sera de rendre la vie heureuse à cette aimable
Henriette qui verse tant de douceurs et de conso-
lations dans la vôtre. Les détails que. vous me faites
de la manière dont vous cultivez le fonds de sen-
timent et de raison que vous avez trouvé en elle ,
me font juger dé l'agrément que vous devez trou-
ver dans une occupation si chérie , et me font dé-
sirer bien des fois dans la journée d'avoir la douceur
d'en être le témoin : mais , appelé par de grands et
tristes devoirs à des soins plus nécessaires , je ne
ANNÉE 1769. 181
vois aucune apparence à me flatter de finir mes
jours auprès de vous. J'en sens le désir, je l'exé-
cuterais même s'il ne tenait qu'à ma volonté; la
chose n'est peut-être pas absolument impossible :
mais je suis si accoutumé de voir tous mes vœux
éconduits en toute chose, que j'ai tout-à-fait cessé
d'en faire , et me borne à tâcher de supporter le
reste de mon sort en homme , tel qu'il plaise au
ciel de me l'envoyer.
Ne parlons plus de botanique, mon cher hôte;
quoicpie la passion que j'avais pour elle n'ait fait
c[u'augmenter jusqu'ici ; quoique cette innocente
et aimable distraction me fût bien nécessaire dans
mon état, je la quitte ,il le faut; n'en parlons plus.
Depuis que j'ai commencé de m'en occuper, j'ai
fait une assez considérable collection de livres de
botanique , parmi lesquels il y en a de rares et de
recherchés par les botanophiles , qui peuvent don-
ner quelque prix à cette collection.^ Outre 'cela ,
j'ai fait sur la plupart de ces livres lui grand tra-
vail par rapport à la synonymie, en ajoutant à la
plupart des descriptions et des figures le nom de
Linn?eus. Tl faut s'être essayé sur ces sortes de con-
cordances pour comprendre la peine qu'elles coû-
tent, et combien celle que j'ai prise peut en éviter
à ceux à qui passeront ces mêmes livres , s'ils en
veulent faire usage. Je cherche à me défaire de
cette collection , qui me devient inutile et difficile
à transporter. Je voudrais qu'elle pût vous conve-
nir; et je ne désespère pas , quand vous aurez un
jardin de plantes , que vous ne repreniez le goût
l8a CORRESPONDANCE.
de la botanique qui , selon moi , vous serait très-
avantageux. En ce cas, vous auriez une collection
toute faite , qui pourrait vous suffire , et que vous
formeriez difficilement aussi complète en détail;
ainsi j'ai cru devoir vous la proposer avant que
d'en parler à personne : j'en fais faire le catalogue;
voulez-vous que je vous le fasse passer?
Je ne suis point surpris des soins, des longueurs,
des frais inattendus , des embarras de toute espèce
que vous cause votre bâtiment : vous avez dû vous
y attendre , et vous pouvez vous rappeler ce que
je vous ai écrit et dit à ce sujet quand vous en avez
formé l'entreprise. Cependant vous devez être à la
fin de la grosse besogne , et ce qui vous reste à
faire n!est qu'un amusement en comparaison de
ce qui est fait : à moins pourtant que vous ne don-
niez dans la manie de défaire et refaire ; car , en
ce cas , vous en avez pour la vie , et vous ne jouirez
jamais. Refusez -vous totalement à cette tentation
dangereuse, ou je vous prédis que vous vous en
trouverez très-mal.
LETTRE CM.
A M. LALLIAUD.
Monquiu,le 3o novembre 1769.
J'apprends avec plaisir , monsieur , que vous
jouissez , en bonne santé et avec agrément , du
beau climat que vous habitez, et que vous êtes
AJVjvÉE 1769. l83
Loiiteiil à la fois de votre séjour et de votre récolte.
Vous avez deviné bien juste que, tandis que l'ar-
deur du soleil vous forçait encore quelquefois à
chercher l'ombre, j'étais réduit à garder mes tisons;
et nous avions eu déjà de fortes gelées et des neiges
durables long -temps avant la réception de votre
lettre. Cela , monsieur , me chagrine en une chose,
c'est de ne pouvoir plus, pour cette année, exé-
cuter votre petite commission des rosiers à feuilles
odorantes , puisque ayant depuis long-temps perdu
toutes leurs feuilles, ils seraient à présent impossi-
bles à distinguer , et difficiles même à trouver. Je
suis donc forcé de remettre cette recherche à l'an-
née prochaine ; et je vous assure que vous me four-
nissez l'occasion d'une petite herborisation très-
agréable , en songeant que je la fais pour votre
jardin.
Je vous dois et vous fais , monsieur , bien des re-
merciements des lauriers que vous avez la bonne
intention de m'envoyer pour mon herbier, quoi-
que je ne me rappelle point du tout qu'il en ait
été question entre nous : ils ne laisseront pas de
trouver leur place , et de me rappeler votre obli-
geant souvenir aussi long-temps que je resterai
|)ossesseur de mon herbier ; car il pourrait dans peu
changer de maître , ainsi que mes livres de plantes ,
dont je cherche à me défaire, étant sur le point
de quitter totalement la botanique.
J'ai fait votre commission auprès de madame de
Lessert, et je ne doute pas que, dans sa première
lettre, elle ne me charge de ses remerciements et
l84 CORRESPOIVDANCE.
salutations pour vous. Elle a eu la bonté de me
pourvoir d'une bonne épinette pour cet hiver; cet
instrument me fait plaisir encore, et me donne quel-
ques moments d'amusement ; mais il ne me four-
nit plus de nouvelles idées de musique , et je me
suis vainement efforcé d'en jeter quelques-unes
sur le papier; rien n'est venu , et je sens qu'il faut
renoncer désormais à la composition comme à tout
le reste : cela n'est pas surprenant.
Bonjour, monsieur; le beau soleil qu'il fait ici
dans ce moment me fait imaginer des promenades
délicieuses en cette saison dans le pays où vous
êtes ; et, si j'y étais aussi , j'aimerais bien à les faire
avec vous.
Bonjour derechef; portez -vous bien, amusez-
vous , et donnez-moi quelquefois de vos nouvelles.
LETTRE CMI.
A MADAME B.
Monguin, le 7 décembre 1769.
Je présume , madame , que vous voilà heureu-
sement arrivée à Paris, et peut-être déjà dans le
tourbillon de ces plaisirs bruyants dont vous pres-
sentiez le vide, en vous proposant de les chercher.
Je ne crains pas que vous les trouviez , à l'épreuve ,
plus substantiels pour un cœur tel que le vôtre me
paraît être , que vous ne les avez estimés ; mais il
pourrait résulter de leur habitude une chose bien
ANNÉE 1769. l8a
cruelle, c'est qu'ils deviiisîien t pour vous des be-
soins, sans être des aliments; et vous voyez dans
quel état cruel cela jette quand on est forcé de
chercher son existence là où l'on sent bien qu'on
ne trouvera jamais le bonheur. Pour prévenir un
])areil malheur , quand on est dans le train d'en
courir le risque, je ne vois guère qu'une chose à
taire, c'est de veiller sévèrement sur soi-même, et
de rompre cette habitude, ou du moins de l'inter-
rompre avant de s'en laisser subjuguer. Le mal est
que , dans ce cas comme dans un autre plus grave ,
on ne commence guère à craindre le joug que
quand on le porte et qu'il n'est plus temps de le
secouer ; mais j'avoue aussi que quiconque a pu
faire cet acte de vigueur dans le cas le plus diffi-
cile, peut bien compter sur soi-même aussi dans
l'autre; il suffit de prévoir qu'on en aura besoin.
La conclusion de ma morale sera donc moins aus-
tère que le début. Je ne blâme assurément pas que
vous vous livriez, avec la modération que vous y
voulez mettre, aux amusements du grand monde
où vous vous trouvez : votre âge, madame, vos
sentiments , vos résolutions , vous donnent tout le
droit d'en goûter les innocents plaisirs sans.alarmes;
et tout ce que je vois de plus à craindre dans les
sociétés où vous allez briller, est que vous ne ren-
diez beaucoup plus difficile à suivre pour -d'autres
l'avis que je prends la liberté de vous donner.
Je crains bien , madame , que l'intérêt peut-êtie
un peu trop vif que vous m'inspirez ne m'ait fait
vous prendre un peu trop légèrement au mot sur
l86 CORKKSPOJNDANCii.
ce ton de pédagogue que vous m'invitez en quel-
que façon de prendre avec vous. Si vous trouvez
mon radotage impertinent ou maussade, ce sera
ma vengeance de la petite malice avec laquelle vous
êtes venue agacer un pauvre barbon qui se dé-
pèche d'être sermonneur, pour éviter la tentation
d'être encore plus ridicule. Je suis même un peu
tenté, je vous l'avoue, de m'en tenir là : l'état où
vous m'apprenez que vous êtes actuellement , et
le vide du cœur, accompagné d'une tristesse ha-
bituelle que laisse dans le vôtre ce tumulte qu'on
appelle société, me donnent, madame, im vif désir
de rechercher avec vous s'il n'y aurait pas moyen
de faire servir une de ces deux choses de remède
à l'autre ; mais cela me mènerait à des discussions
si déplacées dans le train d'amusements où je vous
suppose, et que le carnaval dont nous approchons
va probablement rendre plus vifs, qu'il me faudrait
de votre part plus qu'une permission pour oser en-
tamer cette matière dans un moment aussi désa-
vantageux. Si vous m'entendez d'avance, comme je
puis l'esjjérer ou le craindre, dites-moi, de grâce,
si je dois parler ou me taire; et soyez sûre, ma-
dame , que dans l'un ou l'autre cas jç vous obéi-
rai, non pas avec le même plaisir peut-être, mais
avec la même fidélité.
A.NJNÉE 177^' *^7
LETTRE CMIÏ.
A M. DU PEYROU.
A Monquin, 7 janvier 1770.
Excusez , mon cher hôte , le retard de ma ré-
ponse. Je ne vous ai jamais promis de l'exactitude ,
encore moins de la diligence ; et j'ai maintenant
une inertie plus grande qu'à l'ordinaire par la ri-
gueur de la saison et par le froid excessif de ma
chambre , où , le nez sur un feu presque aussi ar-
dent que ceux que vous faisiez faire à ïrye , je ne
puis garantir mes doigts de l'onglée.
J'ai prévu et je vous ai prédit tout ce qui vous
arrive au sujet de votre bâtiment, et dans le fond
autant vaut qu'il vous occupe qu'autre chose; si
c'est un tracas , c'est aussi un amusement. C'est
d'aillein-s la charge de votre état : il faut opter
dans la vie entre être pauvre ou être affairé ; trop
heureux d'éviter un troisième état que je connais
bien , c'est d'être à la fois l'un et l'autre.
Grand merci, mon cher hôte, de la subite vel-
léité qui vous prend de m'avoir auprès de vous.
J'ai vu le temps que l'exécution de ce projet eut
fait le bonheur de ma vie ; et si ce temps n'est plus,
ce n'est assurément pas ma faute. Vous m'exhor-
tez à vous traiter tout-à-fait en étranger ou tout-à-
fait en ami ; l'alternative me paraît dure, car votre
exemple ne m'a pas laissé le choix, et votre ca-
l88 CORRESPONDANCE.
cliet m'avertit sans cesse que nos 4piix âmes ne
sauraient jamais se monter au même ton. Vous
voulez que nous fassions un saut en arrière de trois
ou quatre ans; vous voilà bien leste avec votre
goutte : pour moi, je ne me sens pas aussi dispos
que cela; et quand je pourrais me résoudre à faire
ce saut une fois , je voudrais du moins être sûr de
n'en avoir pas dans trois ou quatre ans un second
à faire. Je vous avoue naturellement que si ce saut
était en mon pouvoir, je ne le ferais pas seulement
de trois , mais de liidt.
Tout cela dit, je ne vous dissimulerai point que
j'effacerai difficilement de mes souvenirs la douce
idée que je m'étais faite d'achever paisiblement mes
jours près de vous. J'avoue même que l'aimable hô-
tesse que vous m'avez- donnée me rend cette idée
infiniment plus riante. Si je pouvais lui faire ma
cour, au point de vous rendre jaloux du pauvre
barbon , cela me paraîtrait fort plaisant et surtout .
fort agréable; et croyez-moi, mon cher hôte, vous
vRurez beau vous vanter d'en vouloir courir les ris-
ques, je vous connais, votre mine stoïque est ad-
mirable, mais seulement tant que vous êtes loin
du danger.
Votre conseil de ne point renoncer subitement
et absolument à la botanique me paraît de fort bon
sens , et je prends le parti de le suivre. Il est contre
la nature de la chose de se prescrire ou de s'in-
terdire d'avance un choix dans ses amusements.
Quand le dégoût viendra, je cesserai d'herboriser;
quand le goût reviendra , je recommencerai jus-
ANNÉE 1770. 189
qu'à ce qu'il me quitte derechef". Il est déjà revenu.
Des plantes qu'on m'a envoyées et des correspon-
dances de botanique me l'ont rendu, et je doute
qu'il s'éteigne jamais tout-à-fait. Cela n'empêchera
pourtant pas que je ne me défasse de mes livres
et même de mon herbier; et, si vous voulez tout
de bon vous accommoder de l'un et de l'autre , je
serai charmé qu'ils tombent entre vos mains, qui ,
quoique vous en disiez, ne seront jamais pour moi
des mains tout-à-fait étrangères. Le désir que j'avais
de vous envoyer le catalogue est une des causes
qui ont retardé cette lettre. Le grand froid ne me
permet pas, quant à présent, ce bouquinage; et,
puisque vous ne voulez pas encore avoir ces li-
vres , rien ne presse. Mais vous ne serez pas oublié ,
et vous aurez la préférence que vous avez l'hon-
nêteté de me demander, et qui en devient réel-
lement une, car depuis ma dernière lettre on m'a
demandé cette collection.
LETTRE CMIIL
A M. MOULTOU.
Monquin , le 9 janvier 1770.
Je comprends , mon cher Moultou , qu'une caisse
de confitures que j'ai reçue de Montpellier est le
cadeau que vous m'aviez annoncé cet été , et au-
quel je ne songeais plus quand il est venu me sur-
prendre en guet-appens. Que voulez-vous que je
igO CORRESPaNDANCE.
fasse d'un si grand magasin ? voulez - vous que je
me mette marchand de sucre? il me semble que
je n'étais pas trop appelé à ce métier ; voulez-vous
que je le mange? il en faudrait beaucoup , je l'a-
voue , pour adoucir les fleuves d'amertume qu'on
me fait avaler depuis tant d'années; mais c'est une
amertume mielleuse et traîtresse , qui ne saurait
s'allier avec la franche douceur du sucre. Votre
envoi , cher Moultou , n'est raisonnable qu'au cas
que vous vouliez venir m'aider à le consommer ;
j'en goûterais alors la douceur dans toute sa pu-
reté. Il faudrait attendre , il est vrai , que la saison
fût plus douce elle-même; car, quant à présent ,
la campagne n'est pas tenable; il y fait presque
aussi froid que dans ma chambre , où , près d'un
grand feu, je gèle en me rôtissant, et l'onglée me
fait tomber la plume des doigts.
Adieu , cher Moultou : mes deux moitiés embras-
sent les deux vôtres, et tout ce qui vous est cher.
LETTRE CMIV.
A MADAME B.
Monquin, le 17 janvier 1770.
Votre lettre, madame, exigerait une longue ré-
ponse ; mais je crains que le trouble passager où je
suis ne me permette pas de la faire comme il fau-
drait. Il m'est difficile de m'accoutumer assez aux
outrages et à l'imposture , même la plus comique,
annét: 1770, 191
pour ne pas sentir, à chaque fois qu'on les re-
nouvelle , les bouillonnements d'un cœur fier qui
s'indigne précéder le ris moqueur qui doit être
ma seule réponse à tout cela. Je crois pourtant
avoir gagné beaucoup : j'espère gagner davantage;
et je crois voir le moment assez proche où je me
ferai un amusement de suivre dans leurs manœu-
vres souterraines ces ti'oupes de noires taupes qui
se fatiguent à me jeter de la terre sur les pieds. En
attendant, nature pâtit encore un peu , je l'avoue :
mais le mal est court^ bientôt il sera nul. Je viens
à vous.
J'eus toujours le cœur un peu romanesque, et
j'ai peur d'être encore mal guéri de ce penchant
en vous écrivant. Excusez donc , madame , s'il se
mêle un peu de visions à mes idées ; et , s'il s'y mêle
aussi un peu de raison , ne la dédaignez pas sous
quelque forme et avec quelque cortège qu'elle se
présente. Votre correspondance a commencé d'une
manière à me la rendre à jamais intéressante, un
acte de vertu dont je connais bien tout le prix,
un besoin de nourriture à votre ame qui me fait
présumer de la vigueur pour la digérer , et la santé
qui en est la source. Ce vide interne dont vous
vous plaignez ne se fait sentir qu'aux cœurs faits
pour être remplis : les cœurs étroits ne sentent
jamais de vide, parce qu'ils sont toujours pleins
de rien; il en est, au contraire, dont la capacité
vorace est si grande , que les chétifs êtres qui nous
entourent ne la peuvent remplir. Si la nature vous
a fait le rare et funeste présent d'un cœur trop sen-
ig2 CORRESPONDANCE.
sible au besoin d'être heureux, ne cherchez rie.n
au -dehors qui lui puisse suffire : ce n'est que de
sa propre substance qu'il doit se nourrir. Madame ,
tout le bonheur que nous voulons tirer de ce qui
nous est étranger est un bonheur faux : les gens
qui ne sont susceptibles d'aucun autre font bien
de s'en contenter : mais si vous êtes celle que je
suppose , vous ne serez jamais heureuse que par
vous-même ; n'attendez rien pour cela que de vous.
Ce sens moral , si rare parmi les hommes , ce sen-
timent exquis du beau, du vrai, du juste, qui ré-
fléchit toujours sur nous-mêmes, tient l'ame de
quiconque en est doué dans un ravissement con-
tinuel qui est la plus délicieuse des jouissances : là
rigueur du sort, la méchanceté des hommes, les
maux imprévus , les calamités de toute espèce peu-
vent l'engourdir pour quelques moments , mais ja-
itiais l'éteindre ; et , presque étouffé sous le faix des
noirceurs humaines , quelquefois une explosion
subite peut lui rendre son premier éclat. On croit
que ce n'est pas à une femme de votre âge qu'il
faut dire ces choses -là; et moi je crois, au con-
traire, que ce n'est qu'à votre âge qu'elles sont
utiles, et (jue le cœur s'3 peut ouvrir : plus tôt, il
ne saurait les entendre ; plus tard , son habitude
est déjà prise , il ne saurait les goûter.
Comment s'y prendre ? me direz-vous ; que faire
pour cultiver et développer ce sens moral? Voilà,
madame, à quoi j'en voulais venir : le goût de la
vertu ne se prend point par des préceptes, il est
l'effet d'une vie simple et saine : on parvient bien-
19^
tôt à aimer ce qu'on fait , quand on ne fait que ce
qui est bien. Mais pour prendre cette habitude,
qu'on ne commence à goûter qu'après l'avoir
prise , il faut un motif : je vous en offre un que
votre état me suggère ; nourrissez votre enfant.
J'entends les clameurs, les objections; tout haut,
les embarras , point de lait, un mari qu'on impor-
tune.... tout bas, une femme qui se gène, l'ennui
de la vie domestique, les soins ignobles, l'absti-
nence des plaisirs.... Des plaisirs? Je vous en pro-
mets, et qui rempliront vraiment votre ame. Ce
n'est point par des plaisirs entassés qu'on est îieu-
reiîx, mais par un état permanent qui n'est point
composé d'actes distincts : si le bonheur n'entre,
pour ainsi dire , en dissolution dans notre aine, s'il
ne fait que la toucher, l'effleurer par quelques
points, il n'est qu'apparent, il n'est rien pour elle.
L'haljitude la plus douce qui puisse exister est
celle de la vie domestique qui nous tient plus
près de nous qu'aucune autre : rien ne s'identifie
plus fortement, plus constamment avec nous que
notre famille et nos enfants ; les sentiments que nous
acquérons ou que nous renforçons dans ce corn-
merce intime sont les plus vrais , les plus durables ,
les plus solides , qui puissent nous attacher aux
êtres périssables , puisque la mort seule peut les
éteindre; au lieu que l'amour et l'amitié vivent
rarement autant que nous : ils sont aussi les plus
purs, puisqu'ils tiennent de plus près à la nature,
à l'ordre , et, par leur seule force, nous éloignent
du vice et (]es goûts dépravés. J'ai beau chercher
R. xxu. i3
ig4 C.ORRKSPONDA^NCE.
OÙ l'on peut troviver le vrai bonheur, s'il eu est
sur la terre, ma raison ne me le montre que là....
Les comtesses ne vont pas d'ordinaire l'y chercher ,
je le sais ; elles ne se font pas nourrices et gou-
vernantes; mais il faut aussi qu'elles sachent se
passer d'être heureuses ; il faut que , substituant
leurs bruyants plaisirs au vrai bonheur , elles usent
leur vie dans un travail de forçat pour échapper
à l'ennui qui les étouffe aussitôt qu'elles respirent ;
et il faut que celles que la^riature doua de ce divin
sens moral qui charme quand on s'y livre , et qui
pèse quand on l'élude, se résolvent à sentir in-
cessamment gémir et soupirer leur cœur, tandis
que leurs sens s'amusent.
Mais moi qui parle de famille, d'enfants.... Ma-
dame , plaignez ceux qu'un sort de fer prive d'un
pareil bonheur ; plaignez-les s'ils ne sont que mal-
heureux; plaignez -les beaucoup plus s'ils sont
coupables. Pour moi , jamais on ne me verra, pré-
varicateur de la vérité, plier dans mes égarements
mes maximes à ma conduite ; jamais on ne me
verra falsifier les saintes lois de la nature et du de-
voir pour exténuer mes fautes. J'aime mieux les
expier que les excuser : quand ma raison me dit
que j'ai fait dans ma situation ce que j'ai dû faire,
je l'en crois moins que mon cœur qui gémit et qui
la dément. Condamnez-moi donc, madame, mais
écoutez-moi : vous trouverez un homme ami de
la vérité jusque. dans ses fautes, et qui ne craint
point d'en rappeler kii-même le souvenir lorsqu'il
en peut résulter quelque bien. Néanmoins je rends
ANlVIiK 1770. 19)
grâces au ciel de n'avoir abreuvé que moi des"
amertumes de ma vie, et d'en avoir garanti mes
enfants : j'aime mieux qu'ils vivent dans un état
obscur sans me connaître, que de les voir, dans
mes malheurs , bassement nourris par la traîtresse
générosité de mes ennemis, ardents à les instruire
à haïr, et peut-être à trahir leur père; et j'aime
mieux cent fois être ce père infortuné qui négli-
gea son devoir par faiblesse, et qui pleure sa faute ,
que d'être l'ami perfide qui trahit la confiance de
son ami, et divulgue, pour le diffamer, le secret
qu'il a versé dans son sein.
Jeune femme , voulez - vous travailler à vous
rendre heureuse ? commencez d'abord par nourrir
votre enfant : ne mettez pas votre fille dans un
couvent, élevez -là vous-même; votre mari est
jeune, il est d'un bon naturel ; voilà ce qu'il nous
faut. Vous ne me dites point comment il vit avec
vous; n'importe : fùt-il livré à tous les goûts de
son âge et de son temps , vous l'en arracherez par
les vôtres sans lui rien dire; vos enfants vous aide-
ront à le retenir par des liens aussi forts et plus
constants que ceux de l'amour : vous passerez la
vie la plus simple , il est vrai , mais aussi la plus
douce et la plus heureuse dont j'aie l'idée. Mais
encore une fois, si celle d'un ménage bourgeois
vous dégoûte , et si l'opinion vous subjugue , gué-
rissez-vous de la soif du bonheur qui vous toi^r^
mente , car vous ne l'étancherez jamais.
Voilà mes idées : si elles sont fausses ou ridi-
cules , pardonnez l'erreur à l'intention ; je me
i3.
ig6 CORRESPOJVDANCE.
♦trompe peut-être , mais il est sûr que je ne veux
pas vous tromper. Bonjour , madame ; l'intérêt
que vous prenez à moi me touche , et je vous jure
que je vous le rends bien.
Toutes vos letti'es sont ouvertes ; la dernière Ta
été , celle-ci le sera ; rien n'est plus certain. Je vous
en dirais bien la raison, mais ma lettre ne vous
parviendrait pas ; comme ce n'est pas à vous qu'on
en veut, et que ce ne sont pas vos secrets qu'on
y cherche , je ne crois pas que ce que vous pour-
riez avoir à me dire fût exposé à beaucoup d'indis-
crétion ; mais encore faut-il que vous soyez avertie.
LETTRE CMV,
A LA MÊME.
Monquin, le 2 février 1770.
Si votre dessein, madame, lorsque vous com-
mençâtes de m'écrire, était de me circonvenir et
de m'abuser par des cajoleries, vous avez parfai-
tement réussi. Touché de vos avances, je prêtais
à votre ame la candeur de votre âge; dans l'atten-
drissement de mon cœur, je vous regardais déjà
comme l'aimable consolatrice de mes malheurs et
de ma vieillesse, et l'idée charmante que je me
faisais de vous effaçait l'idée horrible des auteurs
des trames dont je suis enlacé. Me voilà désabusé;
c'est l'ouvrage de votre dernière lettre : son tortil-
lage ne peut être ni la réponse que la mienne a dû
A1VNÉE ï'jnO. 197
naturellement vous suggérer, ni le langage ouvert
et franc de la droiture. Pour moi , ce langage ne ces-
sera jamais d'être le mien : je vois que vous avez res-
piré l'air de votre voisinage. Eh ! mon Dieu, madame,
vous voilà, bien jeune , initiée à des mystères bien
noirs! J'en suis fâché pour moi, j'en suis affligé
pour vous... à vingt-deux ans!... Adieu, madame.
Rousseau.
P. S. En reprenant avec plus de sang froid votre
lettre, je trouve la mienne dure et même injuste;
car je vois que ce qui rend vos phrases embarras-
sées est qu'une involontaire sincérité s'y mêle à la
dissimulation que vous voulez avoir. En blâmant
mon premier mouvement je ne veux pourtant pas
vous le cacher ; non , madame , vous ne voulez pas
me tromper, je le sens; c'est vous qu'on trompe ,
et bien cruellement. Mais, cela posé, il me reste
une question à vous faire : Dans le jugement que
vous portez de moi , pourquoi m'écrire ? pourquoi
me rechercher? que me voulez-vous? recherche-
t-on quelqu'un qu'on n'estime pas? Eh! je fuirais
jusqu'au bout du monde un homme que je verrais
comme vous paraissez me voir. Je suis environné ,
je le sais, d'espions empressés et d'ardents satel-
lites qui me flattent pour me poignarder ; mais ce
sont des traîtres, ils font leur métier. Mais vous,
madame, que je veux honorer autant que je mé-
prise ces misérables, de grâce que me voulez- vous ?
je vous demande sur ce point une réponse précise ,
et, pour Dieu , suivez on la faisant le mouvement
iqS CORRESPOWUANCi:.
de votre cœur et non pas l'impulsion d'autrui. Je
veux répondre en détail à votre lettre , et j'espère
avoir long-temps la douceur de vous parler de vous :
mais, pour ce moment, commençons par moi;
commençons par nous mettre en règle sur ce que
nous devons penser l'un de l'autre. Quand nous
saurons bien à qui nous parions , nous en saurons
mieux ce que nous aurons à nous dire.
Je vous prie , madame , de ne plus m'écrire sous
un autre nom que celui que je signe , et que je
n'aurais jamais dû quitter.
LETTRE CMVI.
A M. L'ABBÉ M.
Monquin , par Bourgoin ^ le 17^70 *.
Pauvres aveugles que nous sommes !
Ciel , démasque les imposteurs ,
Et force leurs barbares cœurs
A s'ouvrir aux regards des hommes.
En vérité , monsieur , votre lettre n'est point
d'un jeune homme qui a besoin de conseil, elle
est d'un sage très-capable d'en donner. Je ne puis
vous dire à quel point cette lettre m'a frappé : si
vous avez en effet l'étoffe qu'elle annonce , il est à
' Le chiffre supérieur de la fraction indique le quantième du mois,
et l'inférieur , le mois dans l'ordre numérique. Ainsi cette lettre est
du 9 février 1770. C'est la première fois qu'il date de cette manière,
et qu'on voit les vers par lesquels , depuis cette époque , il a com-
mencé la plupart de ses lettres. Le choix des vers fait naître un sen-
ti ment pénible.
ANNEE 1770. 199
désiier pour le bien de votre élève que ses parents
sentent le prix de l'homme qu'ils ont mis auprès
de lui.
Je suis , et depuis si long-temps , si loin des idées
sur lesquelles vous me remettez , qu'elles me sont
devenues absolument étrangères: toutefois je rem-
plirai , selon. ma portée, le devoir que vous m'impo-
sez ; mais je suis bien persuadé que vous ferez mieux
de vous en rapporter à vous qu'à moi sur la meil-
leure manière de vous conduire dans le cas diffi-
cile où vous vous trouvez.
Sitôt qu'on s'est dévoyé de la droite route de la
nature, rien n'est plus difficile que d'y rentrer.
Votre enfant a pris lui pli d'autant moins facile à
corriger que nécessairement tout ce qui l'envi-
ronne doit empêcher l'effet de vos soins pour y
parvenir : c'est ordinairement le premier pli que
les enfants de qualité contractent , et c'est le der-
nier qu'on peut leur faire perdre , parce qu'il faut
pour cela le concours de la raison qui leur vient
plus tard qu'à tous les autres enfants. Ne vous ef-
frayez donc pas trop que l'effet de vos soins ne
réponde pas d'abord à la chaleur de votre zèle ",
vous devez vous attendre à peu de succès jusqu'à
ce que vous ayez la prise qui peut l'amener ; mais
ce n'est pas une raison pour vous relâcher en at-
tendant. Vous voilà dans un bateau qu'un courant
irès-rapide entraîne en arrière, il faut beaucoup
de travail pour ne pas reculer.
La voie que vous avez prise , et que vous crai-
gnez n'être pas la meilleure , ne le sera pas toujours
aoo coPlResponuajnce.
sans doute ; mais elle me paraît la meilleure en at-*
tendant. Il n'y a que trois instruments pour agir
sur les âmes humaines, la raison , le sentiment , et
la nécessité. Vous avez inutilement employé le
premier; il n'est pas vraisemblable que le second
eiit plus d'effet: reste le troisième ; et mon avis est
que , pour quelque temps , vous devez vous y te-
nir, d'autant plus que la première et la plus im-
portante philosophie de l'homme de tout état et
de tout âge est d'apprendre à fléchir sous le dur
joug de la nécessité: Clavos trabales et cuneos manu
gestcnis ahenâ.
Il est clair que l'opinion , ce monstre qui dévore
le genre humain , a déjà farci de ses préjugés la
tête du petit bon-homme : il vous regarde comme
un homme à ses gages , une espèce de domestique
fait pour lui obéir, pour complaire à ses caprices;
et, dans son petit jugement, il lui paraît fort
étrange que ce soit vous qui prétendiez l'asservir
aux vôtres; car c'est ainsi qu'il voit tout ce que
vous lui prescrivez : toute sa conduite avec vous
n'est qu'une conséquence de cette maxime , qui
n'est pas injuste , mais qu'il applique mal , que cest
a celui qui paie de commander. D'après cela qu'im-
porte qu'il ait tort ou raison? c'est lui qui paie.
Essayez, chemin faisant, d'effacer cette opinion
par des opinions plus justes, de redresser ses er-
reurs par des jugements plus sensés; tâchez de
lui faire comprendre qu'il y a des choses plus esti-
mables que la naissance et que les richesses ; et
pour le lui faire comprendre il ne faut pas le lui
dire, il faut le lui faire sentir. Forcez sa petite
ame vaine à respecter la justice et le courage, à
se mettre à genoux devant la vertu, et n'allez pas
pour cela lui chercher des livres , les hommes des
livres ne seront jamais pour lui que des hommes
d'un autre monde. Je ne sache qu'un seul modèle
qui puisse avoir à ses yeux de la réalité ; et ce mo-
dèle, c'est vous, monsieur; le poste que vous rem-
plissez est à mes yeux le plus nohle et le plus
grand qui soit sur la terre. Que le vil peuple en
pense ce qu'il voudra, pour moi je vous vois à la
place de Dieu, vous faites un homme. Si vous vous
voyez du même œil que moi, que cette idée doit
vous élever en dedans de vous-même! qu'elle peut
vous rendre grand en effet ! et c'est ce qu'il faut ;
car, si vous ne l'étiez qu'en apparence, et que
vous ne fissiez que jouer la vertu , le petit bon-
homme vous pénétrerait infailliblement, et tout
serait perdu. Mais si cette image sublime du grand
et du beau le frappe une fois en vous ; si votre
désintéressement lui apprend que la richesse ne
peut pas tout ; s'il voit en vous combien il est plus
grand de commander à soi-même qu'à des valets ;
si vous le forcez , en un mot , à vous respecter ,
dès cet instant vous l'aurez subjugué , et je vous
réponds que , quelque seniblant qu'il fasse , il ne
trouvera plus égal que Vous soyez d'accord avec
lui ou non, surtout si, en le forçant de vous ho-
norer dans le fond de son petit cœur, vous lui
marquez en même temps faire peu de cas de ce
qu'il pense lui-même , et ne vouloir plus vous fati-
202 CORRESPONDANCE.
giier à le faire convenir de ses torts. Il me semble
qu'avec une certaine façon grave et soutenue d'exer-
cer sur lui votre autorité, vous parviendrez à la
fin à demander froidement à votre tour: Qa est-ce
que cela fait que nous soyons d'accord ou non? et
qu'il trouvera, lui, que cela fait quelque chose.
Il faudra seulement éviter de joindre à ce sang
iroid la dureté qui vous rendrait haïssable. Sans
entrer en explication avec lui vous pourrez dire
à d'autres en sa présence : « J'aurais fait mes délices
« de rendre son enfance heureuse , mais il ne l'a pas
« voulu, et j'aime encore mieux qu'il soit malheu-
« reux étant enfant que méprisable étant homme. »
A l'égard des punitions , je pense comme vous
qu'il n'en faut jamais venir aux coups que dans
le seul cas où il aurait commencé lui-même : ses
châtiments ne doivent jamais être que des absti-
nences , et tirées , autant qu'il se peut , de la na-
ture du délit; je voudrais même que vous vous y
soimiissiez toujours avec lui quand cela serait pos-
sible, et cela sans affectation, sans que cela parût
vous coûter , et de façon qu'il pût en quelque
sorte lire dans votre cœin^ , sans que vous le lui
dissiez , cpie vous sentez si bien la privation que
vous lui imposez, que c'est sans y songer que vous
vous y soumettez vous-même. En un mot, pour
réussir il faudrait vous rendre presque impassible ,
et ne sentir que par votre élève ou pour lui. Voilà ^
je l'avoue , une terrible tâche ; mais je ne vois nul
autre moyen de succès: et ce succès me paraît as-
suré de part ou d'autre ; car , quand avec tant de
ANNEE 1770. '20>
soins VOUS n'auriez pas le bonheur d'avoir fait un
homme, n'est-ce rien que de l'être devenu?
Tout ceci suppose que la dédaigneuse hauteur
de l'enfant n'est que la petite vanité de la petite
ofrandeur dont ses bonnes auront boursouflé sa pe-
tite ame;mais il pourrait arriver aussi que ce fût
l'effet de l'âpreté d'un caractère indomptable et fier
qui ne veut céder qu'à lui-même. Cette dureté ,
propre aux seuls naturels qui ont beaucoup d'é-
toffe , et qui ne se trouve guère au pays où vous
vivez, n'est pas probablement celle de votre élève :
si cependant cela se trouvait (et c'est un discer-
nement facile à faire), alors il faudrait bien vous
garder de suivre avec lui la méthode dont je viens
de parler , et de heurter la rudesse avec la rudesse.
Les ouvriers en bois n'emploient jamais fer sur fer ;
ainsi faut-il faire avec les esprits roides qui résis-
tent toujours à la force; il n'y a sur eux qu'une
prise, mais aimable et sûre , c'est rattachement
et la bienveillance : il faut les apprivoiser comme
les lions par les caresses. On risque peu de gâter
de pareils enfants; tout consiste à s'en faire aimer
une fois, après cela vous les feriez marcher sur
des» fers rouges.
Pardonnez , monsieur , tout ce radotage à ma
pauvre tête qui diverge, bat la campagne, et se
perd à la suite de la moindre idée: je n'ai pas le
courage de relire ma lettre , de peur d'être forcé
de la recommencer. J'ai voulu vous montrer le vrai
désir que j'aurais de vous complaire et d'applaudir
à vos respectables soins; mais je suis très-persuadé
2o4 CORRESPOND Ai\CK.
qu'avec les talents que vous me paraissez avoir et
le zèle qui les anime, vous n'avez besoin que de
vous-même pour conduire , aussi sagement qu'il
est possible, le sujet que la Providence a mis entre
vos mains. Je vous honore, monsieur, et vous
salue de tout mon coeur. •
LETTRE CMVIl.
A M. MOULTÔU.
Monquin, le 17270.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Cher Moultou , (Quoique vous paraissiez m'ou-
blier , je vous aime toujours , et je n'ai pas voulu
m'éloigner de ce pays sans vous en donner avis et
vous dire encore un adieu. Je compte y rester
quinze jours ou trois semaines avant de me rendre
à Lyon : ces trois semaines me seraient bien pré-
cieuses pour l'herborisation des mousses et des li-
chens, si la neige n'y portait obstacle; car proba-
blement l'occasion n'en reviendra plus pour moi.
Le temps , qui paraît vouloir se remettre , peut per-
mettre un essai; et, après avoir été long -temps
bien malingre, je compte tenter aujourd'hui l'a-
nalyse de quelques troncs d'arbres. Faites comme
moi. Adieu; je vous embrasse tendrement, et je
vous exhorte à m'aimer , car je le mérite.
J. J. Rousseau.
A.NNÉE 177^- ^^^
Je reprends un nom que je n'aurais jamais dû
quitter ; n'en employez plus d'autre pour m'é-
crire.
LETTRE CMYIII.
A MADAME GONCERU,
NÉE ROUSSEAU.
Monquin, le ly-^yo.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Ma bonne, ma chère , ma respectable tante, né
mourant, je vous pardonne de m'avoir fait vivre,
et je m'afflige de ne pouvoir vous rendre à la fin
de vos jours les tendres soins que vous m'avez pro-
digués au commencement des miens. A la première
lueur d'une meilleure fortune je songeai à vous faire
une petite part de ma subsistance qui pût rendre
la votre un peu plus commode: je vous en fis aus-
sitôt donner avis , et votre petite pension com-
mença de courir en même temps , savoir à la fin
de mars 1 767 *. 11 n'y a pas encore de cela trois ans
révolus , et ces trois ans vous ont été payés d'a-
vance, année par année : ainsi, quand vous ne rece-
vriez rien d'un an d'ici , tout serait encore en règle ,
et il n'y aurait encore rien d'arriéré. Mon intention
est bien pourtant de continuer à vous payer d'a-
vance et l'année qui commencera bientôt de courir
Voyez la lettre à d'Ivernois, du 29 janviei- i"6S.
auiJ CORRESPONDANCE.
et les suivantes , autant que mes moyens me le per-
mettront; mais, ma chère tante, je ne puis pas vous
dissimuler que la dureté présente et future de ma
situation me met dans la nécessité de compter avec
moi-même, sans quoi je ne me résoudrais jamais
à compter avec vous. Veuillez donc prendre un
peu de patience dans la certitude de n'être pas
oubliée ; et s'il arrivait dans la suite que votre pen-
sion tardât à venir, ce qui ne sera pas, autant qu'il
me sera possible, dites-vous alors à vous-même :
« Je connais le cœur de mon neveu ; et , sûre qu'il
a ne m'oublie pas, je le plains de n'être pas en état
a de mieux faire. » Adieu, ma bonne et respectable
tante : je vous recommande à la Providence; faites
la même chose pour moi , car j'en ai grand besoin,
et recevez avec bonté mes plus tendres et respec-
tueuses salutations.
LETTRE CMIX.
AU MARQUIS DE CONDORCET.
Monquin,Ie 17V70-
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Je suis pénétré, monsieur, de l'honneur que
vous me faites de m'envoyer vos Essais cVanaljse %
' Il est probable que l'auteur nonagénaire de la rapsodie publiée
en 1824 sous le titre de Mémoires de Condoirel, ne connaissait ni
l'hommage des Essais d'unaljae , ni celte lettre de Rousseau.
AiVJVLE «770. '207
et je nren sens digne par ina sensibilité , quoi-
que je le sois si pey par mon intelligence, trop
bornée pour me mettre en état de lire cet ou-
vrage que ma tète affaiblie ne me permettrait même
plus de suivre , quand j'aurais les connaissances
nécessaires pour cela. Que je vous envie de cul-
tiver de profondes études qui mènent à des véri-
tés cju'un homme isolé peut dire impunément à
ses semblables , sans avoir besoin de tenir à des
partis et de se donner des appuis ! Si j'avais à re-
naître , je tâcherais d'être votre disciple pour mé-
riter l'honneur d'être un joiu- votre émule et votre
ami; mais ne pouvant , dans mon ignorance, être
que votre stupide admirateur, je vous remercie
au moins du moment de véritable douceur que vo-
tre obligeante attention jette sur ma triste exis-
tence. Je vous salue , monsieur, et vous honore de
tout mon cœur.
LETTRE CMX.
A M. DE BELLOY.
Moiiquin, par Bourgoiuj le 17-^70.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
J'honorais vos talents, monsieur, encore plus
le digne usage que vous en faites , et j'admirais
comment le même esprit patriotique nous avait
conduits par la même route, à des destins si cou-
'ÀOS CORRESPONDANCE.
traires, vous à l'acquisition d'une nouvelle patrie
et à des honneurs distingués,. moi à la perte de la
mienne et à des opprobres inouïs.
Vous m'avez ressemblé , dites-vous, par le mal-
heur; vous me feriez pleurer sur vous , si je pou-
vais vous en croire. Étes-vous seul en terre étran-
gère , isolé , séquestré, trompé, trahi, diffamé par
tout ce qui vous environne , enlacé de trames hor-
ribles dont (VOUS sentiez l'effet , sans pouvoir par-
venir à les connaître, à les démêler? Etes-vous à
la merci de la puissance , de la ruse, de l'iniquité,
réunies poui- vous traîner dans la fange, pour éle-
ver autour de vous une impénétrable œuvre de
ténèbres, pour vous enfermer tout vivant dans un
cercueil ? Si tel est ou fut votre sort , venez , gé-
missons ensemble ; mais , en tout autre cas , ne vous
vantez point de faire avec moi société de malheurs.
Je lisais votre Bavard , fier que vous eussiez
trouvé fnon Edouard digne de lui servir de mo-
dèle en quelque chose ; et vous me faisiez vénérer
ces antiques Finançais auxquels ceux d'aujourd'hui
ressemblent si peu, mais que vous faites trop bien
agir et parler pour ne pas leur ressembler vous-
même. A ma seconde lecture je suis tombé sur
un vers qui m'avait échappé dans la première , et
qui par réflexion m'a déchiré *. J'y ai reconnu, non ,
grâces au ciel , le cœur de Jean-Jacques , mais les
gens à qui j'ai affaire , et que, pour mon malheur.
Il est probable que ce vers était le second <\e ces deux-ci .
Que de vertu brillait daus son faux repentir I
Peiit-on si l)icu la peiudrc, et iip la pas sentir ^
ANNÉE 1770. 209
je connais trop bien. J'ai compris, j'ai pensé du
moins qu'on vous avait suggéré ce vers-là : Misère
humaine! me suis-je dit. Que les méchants diffa-
ment les bons , ils font leur oeuvre ; mais comment
les trompent-ils les uns à l'égard des autres? leurs
âmes n'ont-elles pas pour se reconnaître des mar-
ques plus sûres que tous les prestiges des impos-
teurs? J'ai pu douter quelques instants, je l'avoue,
si vous n'étiez point séduit plutôt que trompé par
mes ennemis.
Dans ce même temps j'ai reçu votre lettre et
votre Gabrielle , que j'ai lue et relue aussi , mais avec
un plaisir bien plus doux que celui que m'avait
donné le guerrier Bayard ; car l'héroïsme de la va-
leur m'a toujours moins touché que le charme du
sentiment dans les âmes bien nées. I-j'attachement
que cette pièce m'inspire pour son auteur est un
de ces mouvements, peut-être aveugles, mais aux-
quels mon cœiu' n'a jamais résisté. Ceci me mène à
l'aveu d'une autre folie à laquelle il ne résiste pas
mieux , c'est de faire de mon Héloïse le critérium
sur lequel je juge du rapport des autres cœurs
avec le mien. Je conviens volontiers qu'on peut
être plein d'honnêteté , de vertu ^ de sens , de rai-
son , de goût , et trouver ce roman détestable :
quiconque ne l'aimera pas peut bien avoir part à
mon estime, mais jamais à mon amitié; quicon-
que n'idolâtre pas ma Julie , ne sent pas ce qu'il
faut aimer; quiconque n'est pas l'ami de Saint-
Preux, ne saurait être le mien : d'après cet entê-
tement, jugez du plaisir que j'ai pris en lisant
R. XXII. i4
•2 ta CORnrSPOiN DANCE.
votre Gabrielle, d'y retrouver ma Julie un peu plus
héroïquement requinquée , mais gardant son même
naturel , animée peut-être d'un peu plus de chaleur ,
plus énergique dans les situations tragiques, mais
moins enivrante aussi, selon moi, dans le calme.
Frappé de voir dans des multitudes de vers à quel
point il faut que vous ayez contemplé cette image
si tendre dont je suis le Pygmalion , j'ai cru , sur
ma règle ou sur ma manie , que la nature nous
avait faits amis; et, revenant avec plus d'incerti-
tude aux vers de votre Bayard , j'ai résolu d'en
parler avec ma franchise ordinaire, sauf à vous de
me répondre ce qu'il vous plaira.
Monsieur de Belloy , je ne pense pas de l'hon-
neur , comme vous de la vertu , qu'il soit possible
d'en bien parler , d'y revenir souvent par goût ,
par choix, et d'en parler toujours d'un ton qui
touche et remue ceux qui en ont, sans l'aimer et
sans en avoir soi-même : ainsi , sans vous connaî-
tre autrement que par vos pièces, je vous crois
dans le cœur l'honneur d'un ancien chevalier, et
je vous demande de vouloir me dire sans détours
s'il y a quelque vers dans votre Bayard dont en
l'écrivant vous m'ayez voulu faire l'application;
dites-moi simplement oui ou non , et je vous crois.
Quant au projet de réchauffer les cœurs de vos
compatriotes par l'image des antiques vertus de
leurs pères , il est beau , mais il est vain : l'on peut
tenter de guérir des malades , mais non pas de res-
susciter des morts. Vous venez soixante -dix ans
trop tard. Contemporain du grand Catinat, du
j ,^. 21 t
brillant Villars , du vertueux Fénélon , vous auriez
pu dire : Voilà encore des Français dont je vous
parle; leur race n'est pas éteinte; mais aujour-
d'hui vous n'êtes plus que dox damans in deserto.
Vous ne mettez pas seulement sur la scène des
gens d'un autre siècle, mais d'un autre monde ;
ils n'ont plus rien de commun avec celui-ci. Il ne
reste à votre nation , pour se consoler de n'avoir
plus de vertu , que de n'y plus croire et de la dif-
famer dans les autres. Oh! s'il était encore des
Bayards en France , avec quelle noble colère , avec
quelle vive indignation !..i. Croyez-moi, de Belloy,
ne faites plus de ces beaux vers à la gloire des an-
ciens Français, de peur qu'on ne soit tenté, par
la justesse de la parodie , de l'appliquer à ceux
d'aujourd'hui.
Adieu, monsieur, si cette lettre vous parvient,
je vous prie de m'en donner avis, afin que je ne
sois pas injuste : je vous salue de tout mon cœur.
LETTRE CMXI.
A M. DE SAINT-GERMAIN*.
A Monquin, le 17^76^
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Vous verrez, monsieur, que la lettre ci -jointe
était commencée avant votre retour de Grenoble,
* Cette lettre était incluse dans celle qui suit.
2 12 CORRESPONDANCE.
et que, par conséquent, j'ai bien eu le temps de
la mettre en meilleur état; mais je vous avoue que
l'angoisse et les serrements de cœur que j'éprou-
vais en l'écrivant ne m'ont pas permis d'en faire
une autre copie plus au net. L'indignation qui m'ar-
rêtait à chaque ligne m'a trop fait sentir que le
rôle d'accusé n'était pas fait pour moi. Malgré le
désordre qui règne dans cette lettre , elle contient
des éclaircissements dont j'ai cru que vous ne dé-
daigneriez pas d'être le dépositaire , et qui peu-
vent importer un jour au triomphe de la vérité.
Je ne vous demande point , monsieur , de secret
sur cette lettre; j'ose prévoir qu'un jour elle sera
dans votre famille un monument non méprisable
de vos bontés pour celui qui l'a écrite et de l'hon-
neur qu'il sut rendre à vos vertus.
Mon état ne me permet point de tenter le voyage
de Bourgoin par le temps qu'il fait, et je m'oppose
absolument à tout désir que vous pourriez avoir
de renouveler pour moi cette œuvre de miséri-
corde; au lieu du plaisir que me donne toujours
votre présence , vous ne m'apporteriez que des
alarmes pour votre santé et pour votre retour.
Cependant , avant de nous séparer vraisemblable-
ment pour toujours , que j'aie au moins , s'il m'est
possible , la douceur d'embrasser encore une fois
mon consolateur. Je compte , monsieur , sur ce
que vous me dîtes dernièrement , que vous aviez
encore au moins huit à dix jours à rester à Bour-
goin, et je tâcherai d'en prendre un, s'il m'est
possible, pour me rendre auprès de vous. Si mal-
ANNÉE 1770. 2l3
heureusement votre départ était accéléré , je vous
prierais de vouloir bien me le faire dire, afin que
je ne fisse pas un voyage inutile.
Monsieur , veuille le ciel vous payer en prospé-
rités tant sur vous que sur madame de Saint-Ger-
main et sur votre aimable et florissante famille , le
prix des bontés dont vous m'avez comblé ! Souve-
nez-vous quelquefois d'un infortuné qui ne mérite
point ses malheurs , qui vous prouva sa vénéra-
tion pour vous par sa confiance, et qui, par le
droit qu'il se sent à votre estime , se glorifiera tou-
jours d'y avoir part.
LETTRE CMXII.
AU MÊME.
Monquin, le 171^70.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
OÙ êtes - vous , brave Saint - Germain ? Quand
pourrai-je vous embrasser , et réchauffer au feu de
votre courage celui dont j'ai besoin pour suppor-
ter les rigueurs de ma destinée ? Qu'il est cruel ,
qu'il est déchirant pour le plus aimant des hommes
de se voir devenir l'horreur de ses semblables en
retour de son tendre attachement pour eux, et sans
pouvoir imaginer la cause de cette frénésie , ni par
conséquent la guérir! Quoi ! l'implacable animosité
des méchants peut-elle donc ainsi renverser les têtes
2l4 CORRESPOWDAjyO:.
et changer les cœurs de toute une nation , de toute
une génération ? lui montrer noir ce qui est blanc ;
lui rendre odieux ce qu'elle doit aimer ; lui faire
estimer l'iniquité , justice ; la trahison , générosité ?
Ah ! c'est aussi trop accorder à la puissance que
de lui soumettre ainsi le jugement, le sentiment,
la raison, et de se dépouiller pour elle de tout ce
qui nous fait hommes. *
Quels sont mes torts envers M. de Choiseul? Un
seul, mais grand, celui d'avoir pu l'estimer. Dans
ma retraite je ne connaissais' de lui que son minis-
tère : son pacte de famille me prévint en faveur de
ses talents. Il avait paru bien disposé pour moi :
cette bienveillance m'en avait inspiré. Je ne savais
rien de son naturel , de ses goûts , de ses inclina-
tions, de son caractère; et, dans les ténèbres où je
suis plongé depuis tant d'années, j'ai long-temps
ignoré tout cela. Jugeant du reste par ce qui m'é-
tait connu, je lui donnai des louanges qu'il méri-
tait trop peu pour les prendre au pied de la lettre.
Il se crut insulté : de là sa haine et tous mes mal-
heurs. En me punissant de mon tort il m'en a
corrigé. S'il me punit maintenant de lui rendi-e jus-
tice , il ne peut être trop sévère ; car assurément
je la lui rends bien.
Pour mieux assouvir sa vengeance , il n'a voulu
ni ma mort qui finissait mes, malheurs , ni ma cap-
tivité qui m'eût du moins donné le repos. Il a conçu
que le plus grand supplice d'une ame fière et brû-
lante d'amour pour la gloire, était le mépris et
l'opprobre , et qu'il n'y avait point pour moi de
pire tourment que celui d'être haï ; c'est sur ce
double objet qu'il a dirigé son plan. Il s'est appli-
qué à me travestir en monstre effroyable; il a con-
certé dans le secret Toeuvre de ma diffamation ; il
m'a fait enlacer de toutes parts par ses satellites ;
il m'a fait traîner par eux dans la fange ; il m'a
rendu la fable du peuple et le jouet de la canaille.
Pour m'accabler encore mieux de la haine publique,
il a pris soin de la faire sortir par les moqueuses ca-
resses des fourbes dont il me faisait entourer; et,
pour dernier raffinement, il a fait en sorte que par-
tout les égards et les attentions parussent me suivre,
afin que , quand , trop sensible aux outrages , j'exha-
lerais quelques plaintes , j'eusse l'air d'un homme
qui n'est pas à son aise avec lui-même , et qui se
plaint des autres parce qu'il est mécontent de lui.
Pour m'isoler et m'ôter tout appui , les moyens
étaient simples. Tout cède à la puissance, et pres-
que tout à l'intrigue. On connaissait mes amis, on
a travaillé sur eux ; aucun n'a résisté. On a éventé
par la poste toutes les correspondances que je pou-
vais avoir. On m'a détaché de temps en temps de
petits chercheurs de places, de petits imploreurs
de recommandations , pour savoir, par eux s'il ne
restait personne qui eût pour moi de la bienveil-
lance, et travailler aussitôt à me l'ôter. Je connais
si bien ce manège, et j'en ai si bien senti le suc-
cès, que je ne serais pas sans crainte pour M. de
Saint-Germain lui-même , si je le savais moins clair-
voyant, et que je connusse moins sa sagesse et sa
fermeté. Parmi les objets dç tant de vigilance, mes
•2l6 COllRESPONDAKCE. '''^ "^
papiers n'ont pas été oubliés. J'ai confié tous ceux
que j'avais en des mains amies, ou que je crus
telles : tous sont à la merci de mes ennemis. En-
fin , on m'a lié moi-même par des engagements,
dont j'ai cru vainement acheter mon repos , et qui
n'ont servi qu'à me livrer pieds et poings liés au
sort qu'on voulait me faire. On ne m'a laissé pour
défense que le ciel , dont on ne s'embarrasse guère ,
et mon innocence, qu'on n'a pu m'oter.
Parvenu une fois à ce point , tout le reste va de
lui-même et sans la moindre difficulté. Les gens
chargés de disposer de moi ne trouvent plus d'obs-
tacles. Les essaims d'espions malveillants et vigi-
lants , dont je suis entouré , savelit comment ils ont
à faire leur cour. S'il y a du bien , ils se garderont
de le dire , ou prendront grand soin de le traves-
tir ; s'il y a du mal , ils l'aggraveront ; s'il n'y en a
pas , ils l'inventeront. Ils peuvent me charger tout
à leur aise ; ils n'ont pas peur de me trouver là
pour les démentir. Chacun veut prendre part à la
fête , et présenter le plus beau bouquet. Dès qu'il
est convenu que je suis un homme noir , c'est à
qui me controuvera le plus de crimes. Quiconque
en a fait un, peut en faire cent , et vous verrez que
bientôt j'irai violant, brûlant, empoisonnant, as-
sassinant à droite et à gauche pour mes menus plai-
sirs , sans m'embarrasser des foules de surveillants
qui me guettent , sans songer que les planchers
sous lesquels je suis ont des yeux , que les murs
qui m'entourent ont des oreilles , que je ne fais pas
un pas qui ne soit compté , pas un mouvement de
ANNÉE 1770. >i 217
doigt qui ne soit noté, et sans que , durant tout ce
temps-lk, personne ait la charité de pourvoir à la
sûreté publique en m'empèchant de continuer
toutes ces horreurs , dont ils se contentent de te-
nir tranquillement le registre, tandis que je les fais
tout aussi tranquillement sous leurs yeux , tant la
haine est aveugle et bête dans sa méchanceté! Mais
n'importe , dès qu'il s'agira de m'imputer des for-
faits , je vous réponds que le bon M. de Choiseul
sera coulant sur les preuves, et qu'après ma mort
toutes ces inepties deviendront autant de faits in-
contestables, parce que monsieur l'un, et monsieur
l'autre , et madame celle-ci, et mademoiselle celle-là ,
tous gens de la plus haute probité , les auront attes-
tés , et que je ne ressusciterai pas pour y répondre.
Encore une fois, tout devient facile, et désor-
mais on va faire de moi tout ce qu'on voudra de
mauvais. Si je reste en repos, c'est que je médite
* des crimes , et peut-être le pire de tous , celui de
dire la vérité. Si , pour me distraire de mes maux,
je m'amuse à l'étude des plantes, c'est pour y cher-
cher des poisons. Mon Dieu! quand quelque jour
ceux qui sauront quel fut mon caractère, et qui
liront mes écrits, apprendront qu'on a fait de Jean-
Jacques Rousseau un empoisonneur , ils deman-
deront quelle sorte d'êtres existaient de son temps,
et ne pourront croire que ce fussent des hommes.
Mais comment en est-on venu là? quel fut le pre-
mier forfait qui rendit les autres croyables ? Voilà
ce qui me passe , voilà l'étonnante énigme. C'est ce
premier pas qu'il faut expliquer, et qui n'offre à
.2l8 CORRESPONi)A.]VCE.
mes yeux qu'un abîme impénétrable. M. de Samt-
Germain , dans ce que vous connaissez de moi par
vous-même , trouvez-vous de l'étoffe pour faire un
scélérat? Tel je parais à vos yeux depuis plus d'un
an , tel je fus pendant près de soixante. Je n'eus
jamais que des goûts honnêtes, que des passions
douces; je m'élevai, pour ainsi dire, moi-même;
je me livrai par choix aux meilleures études ; je ne
cultivai que des talents aimables. J'aimai toujours
la retraite , la vie paisible et solitaire. J'ai passé la
jeunesse et l'âge mûr, chéri' de mes amis, bien
voulu de mes connaissances, tranquille , heureux ,
content de mon sort, et sans avoir eu jamais qu'une
seule querelle avec un extravagant*, laquelle tourna
tout à ma gloire. Malheureusement ayant déjà passé
l'âge mûr, je me laissai tenter afin de communiquer
au public, dans des livres qui ne respirent que la
vertu, des maximes que je crus utiles à mes sem-
blables , ou de nouvelles idées pour le progrès des
beaux-arts. Me voilà devenu depuis lors un homme
noir; de quelle façon? je l'ignore. Eh! quels sont
ces malheureux dont les âmes sombres et concen-
trées couvent le crime ? Sont - ce des auteurs , des
gens de lettres dévoués à la paisible occupation
d'écrire des livres , des romans , de la musique , des
opéra? Ont -ils des cœurs ouverts, confiants, fa-
ciles à s'épancher ? Et où de pareils secrets se ca-
cheraient-ils un moment dans le mien, transparent
comme le cristal , et qui porte à l'instant dans mes
yeux et sur mon visage chaque mouvement dont
* Le comte de Montaigu, ambassadeur à Venise.
AJSNÉE 177*^- ^19
il est affecté ? Seul , étranger , sans parti , livré dans
ma retraite à de pareils goûts , quel avantage , quel
moyen, quelle tentation pouvais -je avoir de mal
faire ? Quoi ! lorsque l'amour , la raison , la vertu ,
prenaient sous ma plume leurs plus doux, leurs
plus énergiques accents; lorsque je m'enivrais à
torrents des plus délicieux sentiments qui jamais
soient entrés dans un cœur d'homme , lorsque je
planais dans l'empirée au milieu des objets char-
mants et presque angéliques dont je m'étais en-
touré, c'était précisément alors, et pour la première
fois , que ma noire et farouche ame méditait , di-
gérait, commettait les forfaits atroces dont on ne
me voila l'imputation que pour m'ôter les moyens
de m'en défendre, et cela sans motif, sans raison,
sans sujet, sans autre intérêt que celui de satis-
faire la plus infernale férocité! Et l'on peut.... Si ja-
mais pareille contradiction , pareille extravagance ,
pareille absurdité pouvaient réellement trouver foi
dans l'esprit d'un homme , oui , j'ose le dire sans
crainte, il faudrait étouffer cet homme-là.
Les passions qui portent au crime sont analogues
à leurs noirs effets. Où furent les miennes? Je n'ai
connu jamais les passions haineuses ; jamais l'en-
vie, la méchanceté , la vengeance n'entrèrent dans
mon cœur. Je suis bouillant, emporté, quelque-
fois colère, jamais fourbe ni rancunier; et quand
je cesse d'aimer quelqu'un, cela s'aperçoit bien
vite. Je hais l'ennemi qui veut me nuire ; mais , si-
tôt que je ne le crains plus, je ne le hais plus.
Que Diderot, que Grimm surtout, le premier, le
1'20 r.OKRESPOiVDANCE.
plus caché , le plus ardent , le plus implacable , ce-
lui qui m'attira tous les auti-^s , dise pourquoi il
me hait. Est-ce pour le mal qu'il a reçu de moi ?
Non, c'est pour celui qu'il m'a fait, car souvent
l'offensé pardonne , mais l'offenseur ne pardonne
jamais. Dirai-je mes torts envers lui? j'en sais deux :
le premier , je l'ai trop aimé ; le second , son cœur
fat décJiwé par la louange qui n'était pas pour lui'^.
Si lui , si Diderot , ont quelque autre grief, qu'ils
le disent. Ils ont découvert, dira-t-on , que j'étais,
un monstre. Ah! c'est une auti^e affaire; mais tou-
jours est-il sûr que ce monstre ne leur fit jamais
de mal.
Madame la comtesse de Boufflers me hait, et
en femme; c'est tout dire. Quels sont ses griefs?
Les voici.
Le premier. J'ai dit dans XHeloïse que la femme
d'un charbonnier était plus respectable que la maî-
tresse d'un prince : mais, quand j'écrivis ce pas-
sage, je ne songeais ni à elle ni à aucune femme
en particulier; je ne savais pas même alors qu'il
existât une comtesse de Boufflers, encore moins
qu'elle pîit s'offenser de ce trait , et je n'ai fait que
long-temps après connaissance avec elle.
Le second. Madame de Boufflers me consulta
sur une tragédie en prose de sa façon , c'est-à-dire
qu'elle me demanda des éloges. Je lui donnai ceux
que je crus lui être dus; mais je l'avertis que sa
pièce ressemblait beaucoup à une pièce anglaise
" Passage remarquable du Petit Prophite , ouvrage de M. Grimm,
et dans lequel il s'est peint sans y songer.
ANNÉE 1770. 221
que je lui nommai : j'eus le sort de Gil Blas au-
près de l'évéque prédicateur.
Le troisième. Madame de Boufflers était aimable
alors , et jeune encore. Les amitiés dont elle m'ho-
nora me touchèrent plus qu'il n'eût fallu peut-être :
elle s'en aperçut. Quelque temps après j'appris ses
liaisons , que dans ma bêtise je ne savais pas en-
core. Je ne crus pas qu'il convînt à Jean-Jacques
Rousseau d'aller sur les brisées d'un prince du
sang, et je me retirai. Je ne sais, monsieur, ce que
vbus penserez de ce crime ; mais il'serait singulier
que tous les malheurs de ma vie fussent venus de
trop de prudence , dans un homme qui en eut
toujours si peu.
Madame la maréchale de Luxembourg me hait;
elle a raison. J'ai commis envers elle des balour-
dises , bien innocentes assurément dans mon cœur ,
bien involontaires, mais que jamais femme ne par-
donne , quoiqu'on n'ait pas eu l'intention de l'of-
fenser. Cependant je ne puis la croire essentielle-
ment méchante, ni perdre le souvenir des jours
heureux que j'ai passés près d'elle et de M. de
Luxembourg. De tous mes ennemis elle est la seule
que je croie capable de retour, mais non pas de
mon vivant. Je désire ardemment qu'elle me sur-
vive, sûr d'être regretté, peut-être pleuré d'elle
après ma mort.
Ajoutez à cette courte liste M. de Choiseul ,
dont j'ai déjà parlé, et qui malheureusement à lui
seul en vaut mille; le docteur Tronchin, avec qui
je n'eus d'autre tort que d'être Genevois comme
0.11 CORRESPOND A x\CE.
lui , et d'avoir autant de célébrité, quoique j'eusse
gagné moins d'argent; enfin le baron d'Holbach,
aux avances duquel j'ai résisté long-temps, par ïa
seule raison qu'il était trop riche : raison que je
lui dis pour réponse à ses instances, et qui mal-'
heureusement ne se trouva que trop juste dans la
suite. Sur mes premiers écrits, et sur le bruit qu'ils
firent, il se prit pour moi d'une telle haine, et,
comme je crois, par l'impulsion de Grimm, qu'il
me traita, dans sa propre maison, et sans le moindre
sujet, avec une brutalité sans exemple. Diderot,
et M. de Mai^gency, gentilhomme ordinaire du roi ,
furent témoins de la querelle ; et le dernier m'a
souvent dit depuis lors qu'il avait admiré ma pa-
tience et ma modération. ^^„ '^
Ces détails, monsieur , sont dans la plus exacte
vérité. Trouvez-vous là quelque méchanceté dans
le pauvre Jean-Jacques? Voilà pourtant les seuls en-
nemis personnels que j'aie eus jamais. Tous les
autres ne le sont que par jalousie, comme d'A-
lembert, avec lequel j'ai eu très-peu de liaison,
ou sur parole, comme la foule; ou parce qu'en
général les lâches aiment à faire leurrour aux puis-
sants , en achevant d'accabler ceux qu'ils oppri-
ment. Que puis-je faire à cela?
Les naturels haineux, jaloux, méchants, ne Se
déguisent guère; leurs propos, leurs écrits décè-
lent bientôt leurs penchants; ils vont toujours se
mêlant des affaires des autres ; les pointes de la sa-
tire lardent leurs discours et leurs ouvrages; les
mots couverts, les allusions malignes leur échap-
AMNKE 1770. 9.2 3
pent malgré eux. Mes écrits sont dans les mains
de tout le monde, et vous connaissez mon ton.
Veuillez, monsieur, juger par vous-même, et
voyez s'il y a de la malignité dans mon cœur.
Le jeu : je ne puis le souffrir. Je n'ai vraiment*
joué qu'une fois en ma vie au Redoute à Venise :
je gagnai beaucoup , m'ennuyai, et ne jouai plus.
Les échecs, où l'on ne joue rien, sont le seul jeu
qui m'amuse. Je n'ai pas peur d'être un Béverley.
L'ambition, l'avidité, l'avarice: je suis trop pa-
resseux, je déteste trop la gène, j'aime trop mon
indépendance pour avoir des goûts qui demandent
un homme laborieux , vigilant, courtisan, souple,
intrigant, les choses du monde les plus contraires
à mon humeur. M'a-t-on vu souvent aux toilettes
des femmes, ou dans les antichambres des grands?
ce sont pourtant là les portes de la fortune. J'ai
lefusé beaucoup de places , et n'en recherchai ja-
mais. Cest par paresse que je suis attaché à l'argent
que j'ai, crainte de la peine d'en chercher quand
je n'en ai plus : mais je ne crois pas qu'il me soit
arrivé de la vie, ayant le nécessaire du moment,
de rien convoiter au-delà; et, après avoir vécu
dans une honnête aisance, je me vois prêt à man-
quer de pain sur mes vieux jours, sans en avoir
grand souci. Combien j'ai laissé échapper de choses
par ma nonchalance à les retenir ou à les saisir! Ci-
tons un seul fait. Un receveur-général des finances
auquel j'étais attaché depuis long -temps m'offre
sa caisse; je l'accepte : au bout de quinze jours
l'embarras , l'assujettissement , l'inquiétude surtout
1l[\ CORRESPONDANCE.
(le cette maudite caisse me font tomber malade.
Je finis par quitter la caisse, et me faire copiste
de musique à six sous la page. M. de Francueil , à
qui je marque ma résolution , me croit encore dans
le transport de la fièvre, vient me voir, me parle,
m'e?^'orte , ne m'ébranle pas : il attend inutile-
ment; et, voyant ma résolution bien prise et bien
confirmée, il dispose enfin de sa caisse, et me
donne un successeur. Ce fait seul prouve , ce me
semble, que l'avidité de l'argent n'est pas mon
défaut : et j'en pourrais donner des preuves ré-
centes plus fortes que celle-là. Et de quoi me ser-
virait l'opulence? Je déteste le luxe, j'aime la re-
traite', je n'ai que les goûts de la simplicité, je ne
saurais souffrir autour de moi des domestiques;
et quand j'aurais cent mille livres de rentes, je ne
voudrais être ni mieux vêtu, ni mieux logé, ni
miéu^ nourri que je jie le suis. Je ne voudrais étrç
riche que pour faire du bien , et l'on ne cherche
pas à satisfaire un pareil goût par des crimes.
Les femmes!... Oh! voici le grand article; car
assurément le violateur de la chaste Vertier doit
être un terrible homme auprès d'elles, et le plus
difficile des travaux d'Hercule doit peu lui coûter
après celui-là. Il y a quinze ans qu'on eût été
étonné de m'entendre accuser de pareille infamie :
mais laissez faire M. de Choiseul et madame de
Boufflers ; ils ont bien opéré d'autres métamor-
phoses , et je les vois en train de ne s'arrêter plus
guère que par l'impossibilité d'en imaginer. Je
doute qu'aucun homme ait eu une jeunesse plus
ANNÉE 1770. 225
chaste que la mienne. J'avais trente ans passés
sans avoir eu qu'un seul attachement, ni fait à
son objet qu'une seule infidélité*; c'était là tout.
Le reste de ma vie a doublé cette licence**, je n'ai
pas été plus loin. Je ne fais point honneur de cette
réserve à ma sagesse, elle est bien plus due à ma
timidité; et j'avoue avoir manqué par elle bien des
bonnes fortunes que j'ai convoitées, et qui , si j'en
avais tenté l'aventure, ne m'auraient peut-être pas
réduit au même crime auquel, selon la Verticr,
m'ont entraîné ses attraits.
Pour contenter les besoins de mon cœur encore
plus que ceux de mes sens , je me donnai une com-
pagne honnête et fidèle, dont, après vingt -cinq
ans d'épreuve et d'estime, j'ai fait ma femme. Si
c'est là ce qu'on appelle de la débauche, je m'en
honore , et ce n'est pas du moins celle-là qui mène
dans les lieux publics. L'exemple, la nécessité,
l'honneur de celle, qui m'était chère , d'autres puis-
santes raisons me firent confier mes enfants à l'é-
tablissement fait pour cela , et m'empêchèrent de
remplir moi-même le premier, le plus saint des de-
voirs de la nature. En cela, loin de ra'excuser, je
m'accuse ; et quand ma raison me dit que j'ai fait
dans ma situation ce que j'ai dû faire , je l'en crois
moins que mon cœur qui gémit et qui la dément.
Je ne fis point un secret de ma conduite à mes
amis, ne voulant pas passer à leurs yeux pour
* Son aventure avec madame de Lainage.
Le souper fait avec Grimm chez Klupffell, et ce qui en a été
la suite.
R. XXII. l5
2'l6 CORRESPONDANCE.
meilleur que je n'étais. Quel parti les barbares en
ont tiré! Avec quel art ils l'ont mise dans le jour le
plus odieux! Comme ils se sont plu à me peindre
en père dénaturé, parce que j'étais à plaindre!
comme ils ont cherché à tirer du fond de mon ca-
ractère une faute qui fut l'ouvrage de mon mal-
heur? Comme si pécher n'était pas de l'homme , et
même de l'homme juste ! Elle fut grave, sans doute,
elle fut impardonnable ; mais aussi ce fut la seule,
et je l'ai bien expiée. A cela près, et des vices qui
n'ont jamais fait de mal qu'à moi, je puis exposer
à tous les yeux une vie irréprochable dans tout le
secret de mon cœur. Ah! que ces hommes si sé-
vères aux fautes d'autrui rentrent dans le fond de
leur conscience, et que chacun d'eux se félicite
s'il sent qu'au jour où tout sans exception sera
manifesté, lui-même en sera quitte à meilleur
compte !
La Providence a veillé sur mes enfants par le
péché même de leur père. Eh Dieu ! quelle eiit
été leur destinée s'ils avaient eu la mienne à parta-
ger? que seraient-ils devenus dans mes désastres?
Ils seront ouvriers ou paysans; ils passeront dans
l'obscurité des jours paisibles; que n'ai-je eu le
même bonheur! Je rends au moins grâce au ciel
de n'avoir abreuvé que moi des amertumes de ma
vie, et de les en avoir préservés. J'aime mieux
qu'ils vivent du travail de leurs mains sans me
connaître, que de les voir avilis et nourris par la
traîtresse générosité de mes ennemis, qui les ins-
truiraient à haïr, peut-être à trahir leur père; et
ANNÉE 1770. 2^7
j'aime mieux cent fois être ce père infortuné qui
commit la faute et qui la pleure, que d'être le mé-
chant qui la révèle, l'étend , l'amplifie, l'aggrave
avec la plus maligne joie , que d'être l'ami perfide
qui trahit la confiance de son ami , et divulgue ,
pour le diffamer , le secret qu'il a versé dans son
sein.
Mais des fautes, quelque grandes qu'elles soient,
n'en supposent pas de contradictoires. Les débau-
chés sont peu dans le cas d'en commettre de pa-
reilles, comme ceux qui s'occupent dans le port à
charger des vaisseaux , que bientôt ils perdent de
vue , ne songent guère à les assurer. Mes attache-
ments me préservèrent du désordre; et toujours,
je le répète, je fus réglé dans mes mœurs. Je ne
doute pas même que celles de ma jeunesse n'aient
contribué dans la suite à répandre dans mes écrits
cette vive chaleur que les gens qui ne sentent rien
prennent pour de l'art, mais que l'art ne peut
contrefaire , et que ne saurait fournir un sang
appauvri par la débauche. Pour répondre à ces
hommes vils qui m'osent accuser d'avoir gagné ,
dans des lieux que je ne connais point, des maux
que je connais encore moins, je ne voudrais que
la Nouvelle Héloïse. Est-ce ainsi qii'on apprend à
parler dans la crapule? Qu'on prenne autant de
débauchés qu'on voudra , tous doués d'autant d'es-
prit qu'il est possible, et je les défie entre eux
tous de faire une seule page à mettre à côté d'une
des lettres brûlantes dont ce roman n'abonde que
trop. Non, non; il est pour l'ame un prix aux
i5.
228 CORRESPOND A.NCE.
bonnes mœurs, c'est de la vivifier. L'amour et la
débauche ne sauraient aller ensemble; il faut choi-
sir. Ceux qui les confondent ne connaissent que
la dernière; c'est sur leur propre état qu'ils jugent
du mien : mais ils se trompent ; adorer les femmes
et les posséder sont deux choses très-différentes :
ils ont fait l'une , et j'ai fait l'autre. J'ai connu
quelquefois leurs ]flaisirs, mais ils n'ont jamais
connu les miens.
L'amour que je conçois, celui que j'ai pu sen-
tir ^ s'enflamme à l'image illusoire de la perfection
de l'objet aimé; et cette illusion même le porte à
l'enthousiasme de la vertu, car cette idée entre
toujours dans celle d'une femme parfaite. Si quel-
quefois l'amour peut porter au crime , c'est dans
l'erreur d'un mauvais choix qui nous égare, ou
dans les transports de la jalousie : mais ces deux
états , dont aucun n'a jamais été le mien , sont mo-
mentanés et ne transforment point un coeur noble
en une ame noire. Si l'amour m'eût fait faire un
crime, il faudrait m'en punir et m'en plaindre;
mais il ne me rendrait pas l'horreur des honnêtes
gens.
Voilà tout, ce me semble, à moins qu'on ne
veuille ajouter l'amour de la solitude ; car cet
amour fut la première marque à laquelle Diderot
parut juger que j'étais un scélérat. Ses mystérieuses
trames avec Grimm étaient commencées quand
j'allai vivre à l'Hermitage. Il publia quelque temps
après le Fils naturel y dans lequel il inséra cette
sentence : // nj a que le méchant qui soit seul. Je
ANNÉE 1770. 229
lui écrivis avec tendresse pour me plaindre qu'il
n'eût mis à ce passage aucun adoucissement; il me
répondit durement et sans aucune explication.
Pour moi, quoique cette sentence ait quelque
chose qui papillote à l'oreille , je n'y trouve qu'une
absurdité ; et il est si faux qu'il n'y ait que le mé-
chant qui soit seul, qu'au contraire il est impossible
qu'un homme qui sait vivre seul soit méchant, et
qu'un méchant veuille vivre seul ; car à qui ferait-
il du mal, et avec qui formerait- il ses intrigues?
La sentence en elle-même exigeait donc tout au
moins une explication : elle l'exigeait bien plus
encore , ce me semble , de la part d'un auteur qui ,
lorsqu'il parlait de la sorte au public, avait un
ami retiré depuis six mois dans une solitude; et il
était également choquant et malhonnête de refu-
ser, du moins en maxime générale , l'honorable
et juste exception qu'il devait non-seulement à cet
ami , mais à tant de sages respectés , qui dans tous
les temps ont cherché le calme et la paix dans la
retraite, et dont, pour la première fois depuis
que le monde existe, un écrivain s'avise, avec un
trait de plume , de faire autant de scélérats : mais
Diderot avait ses vues , et ne s'embarrassait pas
de déraisonner , pourvu qu'il préparât de loin les
coups qu'il m'a portés dans la suite.
Je vais faire une remarque qui peut paraître lé-
gère , mais qui me paraît à moi des plus sûres pour
juger de l'état interne et vrai d'un auteur. On sent,
dans les ouvrages que j'écrivais à Paris, la bile
d'un homme importuné du tracas de cette grande
23o CORRESPONDANCE.
ville, et aigri par le spectacle continuel de ses
vices a. Ceux que j'écrivis depuis ma retraite à
l'Hermitage respirent une tendresse de cœur , une
douceur d'ame, qu'on ne trouve que dans les bo-
cages, et qui prouvent l'effet que faisait sur moi
la retraite et la campagne, et qu'elles feront tou-
jours sur quiconque en saura sentir le charme et
y vivra aussi volontiers que moi. Les pensées mâles
de la vertu , dit le nerveux l^oung , les nobles élans
du génie, les brillants transports d'un cœur sensible,
sont perdus pour r homme qui croit qu'être seul est une
solitude : le malheureux s'est condamné à ne les ja-
mais sentir. Dieu et la raison] quelle immense société!
que leurs entretiens sont sublimes! que leur commerce
est plein de douceur! Voilà IMINI. Young et Diderot
d'avis un peu différents , sans ajouter celui de Vir-
gile. Pour moi , je me fais honneur d'avoir imité le
scélérat Descartes, quand il s'en alla méchamment
philosopher dans sa solitude de Nord-Hollande.
Je viens de faire , ce me semble , une revue
exacte , et je n'y vois rien encore qui m'ait pu don-
ner des penchants pervers. Que reste-t-il donc en-
fin? l'amour de la gloire. Quoi! ce noble senti-
ment qui élève lame auX sublimes contemplations,
qui l'élancé dans les régions éthérées, qui l'étend
pour ainsi dire sur toute la postérité , pourrait lui
" Ajoutez les impulsions continuelles de Diderot, qui, soit qu'il
ne pût oublier le donjon de Vincennes , soit avec le projet déj^
formé de me rendre odieux , m'allait sans cesse excitant et stimulant
aux sarcasmes. Sitôt que je fus à la campagne , et que ces impulsions
cessèrent , le caractère et le ton de mes écrits changèrent, et je ren-
trai dans mon naturel.
ANNÉE 1770. 23r
dicter des forfaits! Il prendrait, pour s'honorer, la
route de l'infamie! Eh! qui ne sait que rien n'a-
vilit, ne resserre et ne concentre l'ame comme le
crime ; que rien de grand et de généreux ne peut
partir d'un intérieur corrompu ? Non , non ; cher-
chez des passions viles pour cause à des actions
viles. On peut être un malhonnête homme et faire
un bon livre; mais jamais les divins élans du génie
n'honorèrent l'ame d'un malfaiteur ; et si les soup-
çons de quelqu'un que j'estimerais pouvaient à ce
point ravaler la mienne, je lui présenterais mon
Discours sur U Inégalité '^ pour toute réponse , et je
lui dirais: Lis, et rougis'^.
Vous me citerez Erostrate. A cela voici ma ré-
ponse. L'histoire d'Erostrate est une fable : mais
supposons-la vraie ; Erostrate , sans génie et sans
talent, eut un moment la fantaisie de la célébrité,
à laquelle il n'avait aucun droit ; il prit la seule et
courte voie que son mauvais cœur et son esprit
étroit put lui suggérer: mais comptez que, s'il se
fut senti capable de faire V Emile , il n'eût point
brûlé le temple d'Éphèse. Non , monsieur , on n'as-
pire point par le crime au prix qu'on peut obtenir
" En retranchant quelques morceaux de la façon de Diderot ,
qu'il m'y Ut insérer presque malgré moi. Il en avait ajouté de plus
durs encore; mais je ne pus me résoudre à les employer.
Que serait-ce si je lui présentais ma Lettre à d' Alemhert sur les
Spectacles , ouvrage où le plus tendre délire perce à travers la force
du raisonnement, et rend cette lecture ravissante? Il n'y a point
d'absurdité qu'on ne rende imaginable en supposant que des scélé-
rats peuvent traiter ainsi de pareils sujets. Démocrite prouva aux
Abdéritains qu'il n'était pas fou en leur lisant une de ses pièces ; et
moi , je défie tout homme sensé qui lira cette lettre de pouvoir
croire que l'auteur soit un coquin.
232 CORRESPONDANCi:.
par la vertu; et voilà ce qui rend plus ridicule
l'imposture dont je suis l'objet. Qu'avais-je besoin
de gloire et de célébrité ? je l'avais déjà tout ac-
quise, non par îles noirceurs et des actes abomi-
nables, mais par des moyens vertueux, honnêtes ,
par des talents distingués, par des livres utiles,
par une conduite estimable , par tout le bien que
j'avais pu faire selon mon pouvoir : elle était belle,
elle était sans tache ; qu'y pouvais-je ajouter désor-
mais , si ce n'est la persévérance dans l'honorable
carrière dont je voyais déjà d'assez près le terme ?
Que dis-je? je l'avais atteint: je n'avais plus qu'à
me reposer, et jouir. Peut-on concevoir que, de
gaieté de cœur et par des forfaits, j'aie cherché
moi-même à ternir ma gloire , à la détruire , à lais-
ser échapper de mes mains , ou plutôt à jeter , dans
un transport de furie, le prix inestimable que j'a-
vais légitimement acquis ? Quoi ! le sage , le brave
Saint-Germain retournerait-il exprès à la guerre
pour y flétrir par des lâchetés infâmes les lauriers
sous lesquels il a blanchi? Ne sait-on pas qu'une
belle réputation est la plus noble et la plus douce
récompense de la vertu sur la terre ? Et l'on veut
qu'un homme qui se l'est dignement procurée s'aille
exprès plonger dans le crime pour la souiller! Non,
cela n'est pas , parce que cela ne peut pas être ; et
il n'y a que des gens sans honneur qui puissent
ne pas sentir cette impossil3ilité.
Mais quels sont enfin ces forfaits dont je me suis
avisé si tard de souiller une réputation déjà tout
acquise par mieux que des livres, par quarante
ANNÉE 1770. ^33
ans d'honneur et d'intégrité ? Oh ! c'est ici le mys-
tère profond qu'il ne faut jamais que je sache, et
qui ne doit être ouvertement publié qu'après ma
mort, quoiqu'on fasse en sorte, pendant ma vie,
que tout le monde en soit instruit, hors moi seul.
Pour me forcer , en attendant , de boire la coupe
amère de l'ignominie , on aura soin de la faire cir-
culer sans cesse autour de moi dans l'obscurité ,
de la faire dégoutter , ruisseler sur ma tête , afin
qu'elle m'abreuve , m'inonde , me suffoque , mais
sans qu'aucun trait de lumière l'offre jamais à ma
vue, et me laisse discerner ce qu'elle contient. On
me séquestrera du commerce des hommes, même
en vivant avec eux ; tout sera pour moi secret ,
mystère et mensonge ; on me rendra étranger à la
société , sans paraître m'en chasser ; on élèvera
autour de moi un impénétrable édifice de ténèbres ,
on m'ensevelira tout vivant dans un cercueil. C'est
exactement ainsi que, sans prétexte et sans droit,
on traite en France un homme libre, un étranger,
qui n'est point sujet du roi , qui ne doit compte
à personne de sa conduite , en continuant d'y res-
pecter, comme il a toujours fait, le roi, les lois ,
les magistrats, et la nation. Que s'il est coupable,
qu'on l'accuse , qu'on le juge , et qu'on le punisse ;
s'il ne l'est pas , qu'on le laisse libre , non pas en
apparence, mais réellement. Voilà, monsieur, ce
qui est juste; tout ce qui est hors de là, de quel-
que prétexte qu'on l'habille , est trahison , fourbe-
rie , iniquité. «
Non , je ne serai point accusé , point arrêté ,
2'34 CORRESPONDA.NCE.
point jugé , point puni , en apparence ; mais on
s'attachera , sans qu'il y paraisse , à me rendre la
vie odieuse , insupportable , pire cent fois que la
mort : on me fera garder à vue; je ne ferai pas un pas
sans être suivi; on m'ôtera tous moyens de rien sa-
voir et de ce qui me regarde et de ce qui ne me re-
garde pas ; les nouvelles publiques les plus indiffé-
rentes, les gazettes même me seront interdites; on
pe laissera courir mes lettres et paquets que pour
ceux qui me trahissent, on coupera ma correspon-
dance avec tout autre; la réponse universelle à tou-
tes mes questions sera toujours qu'on ne sait pas ;
tout se taira dans toute assemblée à mon arrivée ; les
femmes n'auront plus de langue, les barbiers se-
ront discrets et silencieux; je vivrai dans le sein
de la nation la plus loquace comme chez un peu-
ple de muets. Si je voyage , on préparera tout d'a-
vance pour disposer de moi partout où je veux
aller ; on me consignera aux passagers , aux co-
chers , aux cabaretiers; à peine trouverai-je à man-
ger avec quelqu'un dans les auberges , à peine
trouverai-je un logement qui ne soit pas isolé ; en-
fin l'on aura soin de répandre une telle horreur de
moi sur ma route, qu'à chaque pas que je ferai,
à chaque objet que je verrai, mon ame soit dé-
chirée : ce qui n'empêchera pas que , traité comme
Sancho, je ne reçoive partout cent courbettes mo-
queuses, avec autant de compliments de respect
et d'admiration : ce sont de ces politesses de tigres
qui semblent vous sourire au moment qu'ils vont
vous déchirer.
ANNÉE 1770. 235
Imaginez, monsieur, s'il est possible, un trai-
tement plus insultant, plus cruel, plus barbare,
et dont le concert incroyablement unanime laisse ,
au sein d'une nation tout entière, un infortuné
rigoureusement seul et sans consolation. Tel est le
talent supérieur de M. de Choiseul pour les dé-
tails; tels sont les soins avec lesquels il est servi
quand il est question de nuire : mais s'il s'agissait
d'une œuvre de bonté , de générosité , de justice ,
trouverait-il la même fidélité dans ses créatures?
j'en doute; aurait-il lui-même la même activité?
j'en doute encore plus.
J'ai beau chercher des cas où il soit permis d'ac-
cuser, de juger, de diffamer un homme à son insu,
sans voidoir l'entendre ; sans souffrir qu'il réponde,
et même qu'il parle ; je ne trouve rien. Je veux
supposer toutes les preuves possibles : mais quand,
en plein midi , toute la ville verrait un homme en
assassiner un autre sur la place publique, encore ,
en jugeant l'accusé, ne l'empêclierait-on pas de
répondre ; encore ne le jugerait-on pas sans l'avoir
interrogé. A l'inquisition l'on cache à l'accusé son
délateur, je l'avoue ; mais au moins lui dit-on qu'il
est accusa, au moins ne le condamne-t-on pas sans
l'entendre, au moins ne l'empêche-t-on pas de
parler. Un délateur secret accuse, il ne prouve
pas ; il ne peut prouver dans aucun cas possible :
car comment prouverait-il? Par des témoins? mais
l'accusé peut avoir contre ces témoins des moyens
de récusation que les juges ignorent. Par des écri-
tures ? mais l'accusé peut y faire apercevoir des
236 CORRESPONDANCK.
marques de fausseté que d'autres n'ont pu con-
naître. Un délateur qui se cache est toujours un
lâche : s'il prend des mesures pour que l'accusé ne
puisse répondre à l'accusation , ni même en être
instruit, il est un fourbe: s'il prenait en même
temps avec l'accusé le masque de l'amitié, il serait
un traître. Or un traître qui prouve ne prouve
jamais assez , ou ne prouve que contre lui-même ;
et quiconque est un traître peut bien être encore
un imposteur. Eh! quel serait , grand Dieu! le sort
des particuliers s'il était permis de leur faire à leur
insu leur procès , et puis de les aller prendre chez
eux pour les mener tout de suite au supplice ,
sous prétexte que les preuves sont si claires qu'il
leur est inutile d'être entendus ?
Remarquez, monsieur, je vous supplie, combien
cette première accusation dut paraître extraordi-
naire , vu la réputation sans reproche dont je jouis-
sais, et que soutenaient ma conduite et mes écrits.
Assurément ceux qui vinrent apprendre pour la
première fois aux chefs de la nation que j'étais un
scélérat durent les étonner beaucoup , et rien ne
devait manquer à la preuve d'une pareille accu-
sation pour être admise. Il y manqua pourtant au
moins une petite circonstance, savoir l'audition
de l'accusé ; on se cacha de lui très-soigneusement,
et il fut jugé. Messieurs ! messieurs ! quand il serait
généralement permis déjuger un accusé sans l'ouïr,
il y a du moins des hommes qui méi'iteraient d'être
exceptés, et Jean-Jacques pouvait espérer, ce me
semble , d'être mis au nombre de ces hommes-là.
ANNÉE 1770. 287
On ne vous a pas jugé, diront-ils. Et qu'avez-vous
donc fait, misérables? En feignant d'épargner ma
personne, vous m'otez l'honneur, vous m'accablez
d'opprobres ; vous me laissez la vie , mais vous me
la rendez odieuse en y joignant la diffamation. Vous
me traitez plus cruellement mille fois que si vous
m'aviez fait mourir ; et vous appelez cela ne m'a-
voir pas jugé! Les fourbes! il ne manquait plus à
leur barbarie que le vernis de la générosité.
Non , jamais on ne vit des gens aussi fiers d'être
des traîtres : prudemment enfoncés dans leurs ta-
nières , ils s'applaudissent de leurs lâchetés^^ et in-
sultent à ma franchise en la redoutant. Pour m'é-
touffer sans que je crie , ils m'ont auparavant
attaché un bâillon. A voir enfin leur bénigne con-
tenance, on les prendrait pour les bourreaux de
l'infortuné don Carlos , qui prétendaient qu'il leur
fût encore redevable de Ij'peine qu'ils prenaient
de l'étrangler.
En vérité, monsieur, plus je médite sur cette
étrange conduite, plus j'y trouve une complication
de lâcheté , d'iniquité de fourberie, qui la rend
inimaginable. Ce qui me passe encore plus est que
. tout cela paraît se faire de l'aveu de la nation en-
tière ; que non -seulement mes prétendus amis,
mais d'honnêtes gens réellement estimables , y pa-
raissent acquiescer; et que M. de Saint-Germain
lui-même ne m'en paraît pas encore assez scanda-
lisé. Cependant , fussé-je coupable, fussé-je en ef-
fet tout ce qu'on m'accuse d'être , tant qu'on ne
m'aura pas convaincu , cette conduite envers moi
238 CORRESPONDANCE,
serait encore injuste , fausse , inexcusable. Que
doit -elle me paraître à moi qui me sens inno-
cent?
Soyons équitables toujours. Je ne crois pas que
M. de Choiseul soit l'auteur de l'imposture ; mais
je ne doute point qu'il n'ait très -bien vu que
c'en était une , et que ce ne soit pour cela qu'il
prend tant de mesures pour m'empêcher d'en être
instruit: car autrement , avec la haine envenimée
que tout décèle en lui contre moi , jamais il ne se
refuserait le plaisir de me convaincre et de me
confondre, dût-il s'ôter par là celui de me voir
souffrir plus long-temps.
Quoique ma pénétration , naturellement très-
mousse , mais aiguisée à force de s'exercer dans les
ténèbres, me fasse deviner assez juste des multitudes
de choses qu'on s'applique à me cacher, ce noir
mystère est encore enveloppé pour moi d'un voile
impénétrable ; mais à force d'indices combinés ,
comparés ; à force de derni-mots échappés, et saisis
à la volée; à force de souvenirs effacés, qui par
hasard me reviennent, je présume Grimm et Di-
derot les premiers auteurs de toute la trame. Je
leur ai vu commencer , il y a plus de dix-huit ans ,
des menées auxquelles je ne comprenais rien, mais
que je voyais certainement couvrir quelque mys-
tère dont je ne m'inquiétais pas beaucoup, parce-
que, les aimant de tout mon cœur, je comptais
qu'ils m'aimaient de même. A quoi ont abouti ces
menées? autre énigme nt)n moins obscure. Tout
ce que je puis supposer le plus raisonnablement
ANNÉE 1770. l3c)
est qu'ils auront fabriqué quelques écrits abo-
minables qu'ils m'auront attribués. Cependant ,
comme il est peu naturel qu'on les en ait crus sur
leur parole, il aura fallu qu'ils aient accumulé des
vraisemblances, sans oublier d'imiter le style et
la main. Quant au style, un homme qui possède
supérieurement le talent * d'écrire imite aisément
jusqu'à certain point le style d'un autre , quoique
bien marqué : c'est ainsi que Boileau imita le style
de Voiture et celui de Balzac à s'y tromper ; et
cette imitation du mien peut être surtout facile à
Diderot, dont j'étudiais particulièrement la diction
quand je commençai d'écrire, et qui même a mis
dans mes premiers ouvrages plusieurs morceaux
qui ne tranchent point avec le reste, et qu'on ne
saurait distinguer , du moins quant au style". Il est
certain que sa tournure et la mienne, surtout dans
mes premiers ouvrages , dont la diction est, comme
la siemie , un peu sautante et sentencieuse , sont ,
parmi celles de nos comtemporains , les deux qui
se ressemblent le plus. D'ailleurs , il y a si peu de
juges en état de prononcer sur la différence ou l'i-
dentité des styles, et ceux même qui le sontpeu-
* Variante : Vart d'écrire.
Quant aux pensées , celles qu'il a eu la bonté de me prêter, et
que j'ai eu la hétise d'adopter, sont bien faciles à distinguer des
miennes, comme on peut le voir dans celle du philosophe qui s'ar-
gnmente en enfonçant son bonnet sur ses oreilles (Discours sur i Iné-
galité) ; car ce morceau est de lui tout entier. Il est certain que
M. Diderot abusa toujours de ma confiance et de ma facilité pour
donner à mes écrits un ton dur et un air noir , qu'ils n'eurent plus
sitôt qu'il cessa de me diriger et que je fus livré tout-à-fait à moi-
même.
24o CORRESPONDAKCf:.
vent si aisément s'y tromper, que chacim peut déci-
der là-dessus comme il lui plaît, sans craindre d'être
convaincu d'erreur.
La main est plus difficile à contrefaire; je crois
même cela presque impossible dans un ouvrage de
longue haleine : c'est pourquoi je présume qu'on
aura préféré des lettres, qui n'ont pas la même
difficulté, et qui remplissent le même objet. Quant à
l'écrivain chargé de cette contrefaction , il aura été
plus facile à trouver à Diderot qu'à tout autre, parce
que, étant chargé de la partie des arts dans X Encyclo-
pédie ^ il avait de grandes relations avec les artistes
dans tous les genres. Au reste , quand la puissance
s'en mêle, beaucoup de difficultés s'aplanissent;
et quand il s'agirait, par exemple, de décider si une
écriture est ou n'est pas contrefaite, je ne crois pas
qu'on eût beaucoup de peine à trouver des experts
prêts à être de l'avis qu'il plairait à M. de Clioiseul.
Si ce n'est pas cela, ou de faux témoins , je n'i-
magine rien. Je pencherais même un peu pour cette
dernière opinion , parce que assurément le bénin
Thevenin , quoi qu'on en dise , ne fut pas aposté
pour rien ; et je ne puis imaginer d'autre objet à
la fable de ce manant, et à l'adroite façon dont
ceux qui l'avaient aposté l'ont accréditée", que de
" Enfin , tant ont opéré les gens qui disposent de moi , qu'il reste
clair comme le jour , à Grenoble et ailleurs, que le galérien Theve-
nin m'a prêté neuf francs aux Verrières , tandis que j'étais à Mont-
morency ; qu'il me les a prêtés par les mains du cabaretier Jeannet ,
notre commun hôte , chez qui je n'ai jamais logé, et à qui je ne par-
lai de ma vie; et que je lui donnai, en reconnaissance, des lettres
de recommandation pour MM. de Faugnes et Aldiman , que je ne
connaissais pas.
ANNÉE 1770. ^4'
vouloir tâter d'avance comme je soutiendrais la
confrontation d'un faux témoin.
Lesholbachiens, qui croyaient m'avoir déjà coulé
à fond , furieux de me voir bien au château de
Montmorency et chez M. le prince de Conti , firent
jouer leurs machines par d'Alembert, et, profitant
des piques secrètes dont j'ai parlé, firent passer,
par le Temple , leur complot à l'hôtel de Luxem-
bourg. Il est aisé d'imaginer comment M. de Choi-
seul s'associa pour cette affaire particulière avec la .
ligue , et s'en fit le chef ; ce qui rendit dès-lors le
succès immanquable, au moyen des manœuvres sou-
terraines dont Grimm avait probablement fourni
le plan. Ce complot a pu se tramer de toute autre
manière; mais voilà celle où les indices, dans ce
que j'ai vu, se rapportent le mieux. Il-fallait, avant
de rien tenter du côté du pubUc , m'éloigner au
préalable, sans quoi le complot risquait à chaque
instant d'être découvert, et^on auteur confondu.
IJ Emile en fournit les moyens , et l'on disposa tout
pour m'effrayer par un décret comminatoire , au-
quel on n'en voulait cependant venir que quand
j'aurais pris le parti de fuir. Mais voyant que, mal-
gré tout le fracas dont on accompagnait la menace
de ce décret, je restais tranquille et ne voulais pas
démarrer, on s'avisa d'un expédient tout puissant
sur mon cœur. Madame de Boufflers , avec ime
grande éloquence, me fit voir l'alternative inévi-
table de comprometti-e madame de Luxemboiu'ii ,
si j'étais interrogé, ou de^ mentir, ce que j'étais
bien résolu de ne pas faire. Sur ce motif, auquel
R. xxu. 16
24îi CORRESPONDANCE.
je ne pus résister, je partis enfin , et l'on ne lâcha
le décret que quand ma résolution fut bien prise
et qu'on put le savoir. Il paraît que dès-lors le pro-
jet était arrangé entre madame de Boufflers et
M. Hume pour disposer de moi. Elle n'épargna
rien pour m'envoyer en Angleterre. Je tins bon ,
et voulus passer en Suisse. Ce n'était pas là le
compte de la ligue , qui, par ses manœuvres , par-
vint avec peine à m'en chasser. Nouvelles sollicita-
tions plus vive^ pour l'Angleterre, nouvelle résis-
tance de ma part. Je pars pour aller joindre Milord
Maréchal à Berlin. La ligue vit l'instant où j'allais
lui échapper. Son complot s'en allait peut-être en
fumée, si l'on ne m'eût tendu tant de pièges à
Strasbourg, qu'enfin j'y tombai, me laissai livrer
à Hume, et partis avec lui pour l'Angleterre, oùrf
j'étais attendu depuis si long-temps. Dès ce mo-"^
ment ils m'ont tenu; je ne leur échapperai plus.
Que je regrettai la t>anceî avec quelle ardeur,
avec quelle constance je surmontai tous les obsta-
cles, tous les dangers même qu'on eut soin d'op-
poser à mon retour ; et cela , pour venir essuyer
dans ce pays si désiré des traitements qui m'ont
fait regretter l'Angleterre! Cependant les seize mois
que j'y passai ne furent pas perdus pour la ligue :
à mon retour, je trouvai la France et l'Europe to-
talement changées à mon égard; et ma prévention ,
ma stupidité , furent telles , que , trop frappé des
manoeuvres de David Hume- et de ses associés, je
m'obstinais à chercher; à Londres la cause des in-
dignités que j'essuyais .à Trye. fie voilà bien désa-
ANNÉE 1770. t^4^
busé depuis que je n'y suis plus, et je rends aux
Anglais la justice qu'ils me refusent. Néanmoins ,
s'ils étaient ce qu'on les suppose, ils auraient dit :
N'imitons pas la légèreté française; défions -nous
des preuves d'accusation qu'on cache si soigneu-
sement à l'accusé , et gardons-nous de juger, sans
l'entendre, un homme qu'on cajole avec tant de
fausseté , et qu'on charge avec tant d'animosité.
Enfin ce complot , conduit avec tant d'art et de
mystère, est en pleine exécution. Que dis-je? il" est
déjà consommé : me voilà devenu le mépris, la dé-
rision , l'horreur de cette même nation dont j'avais,
il y a dix ans, l'estime, la .bienveillance, j'oserais
dire la considération ; et ce changement prodi-
gieux, quoique opéré sur un homme du peuple,
sera pourtant la plus grande œuvre du ministère
de M, de Choiseul , celle qu'il a eue le plus à cœur ,
celle à laquelle il a consacré le plus de temps et
de soin. Elle prouvera , par un exemple flétrissant
pour l'espèce humaine, combien est forte l'union
des méchants pour malfaire , tandis que celle des
bons, quand elle existe, est si lâche, si faible, et
toujours si facile à rompre.
Rien n'a été omis pour l'exécution de cette noble
entreprise : toute la puissance d'un grand royaume,
tous les talents d'un ministre intrigant, toutes les
ruses de ses satellites , toute la vigilance de ses es-
pions, la plume des auteurs , la langue des clabau-
deurs, la séduction de mes amis, l'encouragement
de mes enaemis, les malignes recherches sur ma
vie pour la souiller, sur mes "propos pour les em-
16.
Îl44 CORRESPONDANCE.
poisonner, sur mes écrits pour les falsifier ; l'art de
dénaturer , si facile à la puissance , celui de me
rendre odieux à tous les ordres , de me diffamer
dans tous les pays. Les détails de tous ces faits se-
raient presque incroyables , s'il m'était possible
d'exposer ici seulement ceux qui me sont connus.
On m'a lâché des espions de toutes les espèces,
aventuriers , gens de lettres , abbés , militaires ,
courtisans; on a envoyé des émissaires en divers
pays pour m'y peindre sous les traits qu'on leur
a marqués. J'avais en Savoie un témoin de ma jeu-
nesse, un ami que j'estimais , et sur lequel je comp-
tais ; je vais le voir ; je .vois qu'il me trompe; je le
trouve en correspondance avec M. de Choiseul.
J'avais à Paris un vieux compatriote , un ami , très-
bon homme; on le met à la Bastille, j'ignore pour-
quoi , c'est-à-dire sous quel prétexte. Le long temps
qu'il y a resté lui fait honneur ; on l'aura trouvé
moins docile qu'on n'avait cru; je veux espérer
qu'on n'aura pas lassé sa patience , et qu'au bout
de seize mois il sera sorti de la Bastille aussi hon-
nête homme qu'il y est entré. Je désire la même
chose du libraire Guy , qu'on y a mis de même ,
et détenu presque aussi long-temps. On disait avoir
trouvé dans les papiers du premier un projet de
moi pour l'établissement d'une pure démocratie à
Genève; et j'ai toujours blâmé la pure démocratie
à Genève et partout ailleurs ; on disait y avoir
trouvé des lettres par lesquelles j'excitais les brouil-
leries de Genève; et non -seulement j«ii toujours
blâmé les brouilleries de Genève , mais je n'ai rien
ANNJÉE I-^^O. 245
épargné pour porter les représentants à la paix.
Mais qu'importe qu'on en impose et qu'on mente ?
un mensonge dit en l'air fait toujours son effet ,
surtout quand il vient des bureaux d'un ministre ,
et quand il tire sur moi.
En songeant au libraire de Paris , avec lequel
j'eus si peu d'affaires, M. de Clioiseul, qui n'ou-
blia rien , a-t-il oublié mon libraire de Hollande ?
je ne sais ; mais dans un livre que celui - ci s'est
obstiné à vouloir me dédier , quoique j'y sois mal-
traité, et dont il n'a pas voulu me communiquer
d'avance l'épître dédicatoire, j'ai trouvé la tournure
de cette épître si singulière et si peu naturelle , qu'il
est difficile de n'y pas supposer un but caché qui
tient à quelque fil de la grande trame.
Enfin nulle attention n'a été omise pour m'y dé-
figurer de tout point , jusqu'à celle , qu'on n'ima-
ginerait pas, de faire disparaître les portraits de
moi qui me ressemblent, et d'en répandre un à
très-grand bruit qui me donne un air farouche et
une mine de cyclope. A ce gracieux portrait on a
mis pour pendant celui de David HuiTie " , qui réel-
lement a la tète d'un cyclope , et à qui l'on donne
un air charmant. Comme ils peignent nos figures ,
ainsi peignent-ils nos âmes avec la même fidélité.
En un mot , les détails qu'embrasse l'exécution dû
plan qui me regarde sont immenses , inconceva-
bles. Oh! si je savais tous ceux que j'ignore, si je
"^ Quand il s'avisa de me faire peiudre à Londres, je ne pus ima-
giner quel était son but ; car j'entrevoyais déjà de reste que ce n'é-
tait pas par amitié pour moi. Je Tois maintenant très-bien ce but ;
mais je ne me pardonnerais pas de l'avoir deviné.
^46 CORflKSPONDANCE.
voyais mieux ceux que je ne faisais que conjectu-
rer , si je pouvais embrasser d'un coup d'oeil tous
ceux dont je suis l'objet depuis dix années , ils
pourraient me donner quelque orgueil , si mon
cœur en était moins déchiré. Si M. de Choiseul
eût employé à bien gouverner l'état la moitié du
temps, des talents, de l'argent et des soins qu'il a
mis à satisfaire sa haine , il eut été l'un des plus
grands ministres qu'ait eus la France.
Ajoutez à tout cela l'expédition de la Corse , cette
inique et ridicule expédition , qui choque toute
justice , toiite humanité , toute politique , toute
raison ; expédition que son succès rend encore
plus ignominieuse , en ce que , n'ayant pu conqué-
rir ce peuple infortuné par le fer , il l'a fallu con-
quérir par l'or. lia France peut bien dire de cette
inutile et coûteuse conquête ce que disait Pyrrhus
de ses victoires : Encore une , et nous sommes
perdus. Mais, hélas î l'Europe n'offrira plus à
M. de Choiseul d'autre peviple naissant à détruire,
ni d'aussi grand homme à noircir que son illusjSbe
et vertueux chef.
C'est ainsi que l'homme le plus tin se décèle en
écoutant trop son animosité. M. de Choiseul con-
naissait bien la plaie la plus cruelle par laquelle
il pût déchirer mon cœur , et il ne me l'a pas épar-
gnée : mais il n'a pas vu combien cette barbare
vengeance le démasquait et devait éventer son
complot. Je le défie de pallier jamais cette expédi-
tion d'aucune raison ni d'aucun prétexte qui puisse
contenter un homme sensé. On saura que je sus
ANWÉE 1770- ^47
voir le premier un peuple disciplinable et libre où
toute l'Europe ne voyait encore qu'un tas de re-
belles et de bandits; que je vis germer les palmes
de cette nation naissante; qu'elle me choisit pour
les arroser , que ce choix fit son inibrtune et la
mienne ; que ses premiers combats furent des vic-
toires; que, n'ayant pu la yaincré , il fallut l'ache-
ter. Quant à la conclusion qui me regarde, on
présumera quelque jour, je l'espère, malgré tous
les artifices de M. de Choiseul , qu'il n'y avait
qu'un homme estimable qu'il pût haïr avec tant de
fureur.
Voilà, monsieur, ce qui me fait prendre mon
parti avec plus de courage que n'en semblait an-
noncer l'accablement où vous m'avez vu ; mais je
découvrais alors pour la première fois des horreurs
dont je n'avais pas la moindre idée, et auxquelles il
n'est pas même permis à im honnête homme d'être
préparé. Epouvanté des infernales trames dont je
me sentais enlacé, je donnais trop de pouvoir à
l'imposture, j'en prolongeais trop loin l'effet sur
l'avenir: je voyais mon nom, qui doit me survivre,
couvert par elle d'un opprobre éternel , au lieu de
la gloire et des honneurs que je sens dans mon
cœur m'être dus; je frémissais de douleur et d'in-
dignation à cette cruelle image. Aujourd'hui que
j'ai eu le temps dem'apprivoiser avec des idées qui
m'étaient si nouvelles , de les peser, de les compa-
rer , de mettre par ma raison les iniques œuvres
des hommes à la coupelle du temps et de la vérité ,
je ne crains plus que le vil alliage y résiste : le
^48 CORRESPONDANCE.
soufre et le plomb s'en iront en fumée, et l'or
pur demeurera tôt ou tard , quand mes ennemis ,
morts ainsi que moi , ne l'altéreront plus. Il est
impossible que, (Je tant de trames ténébreuses,
quelqu'une »u moins ne soit pas enfin dévoilée au
grand jour ; et c'en est assez pour juger des autres.
Les bons ont horreur des méchants et les fuient,
mais ils ne brassent pas des complots contre eux.
Il est impossible que, revenus de la haine aveugle
qu'on leur inspire , mes semblables ne reconnais-
sent pas un jour dans mes ouvrages un homme
qui parla d'après son cœur. Il est impossible qu'en
blâmant et plaignant lès erreurs où j'ai pu tom-
ber, ils ne louent pas mes intentions, qu'ils ne
bénissent pas ma mémoire , qu'ils ne s'attendris-
sent pas sur mes malheurs. Une seule considération
suffit pour me rendre la tranquillité que m'ôtait
l'effroi d'une ignominie éternelle ; c'est celle de la
route qu'ont prise ceux qui m'oppriment pour
égarer à leur suite la génération présente, mais
qui n'égarera sûrement pas la postérité, sur la-
quelle ils n'auront plus l'ascendant dont ils abu-
sent. Ses ennemis , dira-t-on , se sont attachés ,
comme de vils corbeaux , sur son cadavre ; mais
jamais, de son vivant, aucun d'eux l'osa- t-il atta-
quer en face? Ils le prirent en traîtres: ils s'enfon-
cèrent dans des souterrains pour creuser des gouf-
fres sous ses pas , tandis qu'il marchait à la lu-
mière du soleil, et qu'il défiait le reproche du
crime de soutenir ses regards. Quoi! la justice et
la vérité rampent-elles ainsi dans les ténèbres ? les
ANNÉE 1770. 2/(9
hommes droits et vertueux se font-ils ainsi fourbes
et traîtres, tandis que le coupable appelle à grands
cris ses accusateurs? Si cette considération leur
fait reprendre le même examen avec plus d'impar-
tialité , je n'en veux pas davantage. Tranquillisé
pour l'avenir sur la terre, j'aspire au séjour du
repos, où les œuvres de l'iniquité ne pénètrent
pas : en attendant , je me dois d'approfondir cet
abominable complot , s'il m'est possible ; c'est tout
ce qui me reste à faire ici bas, et je n'épargnerai
pour cela rien de ce qui est en ma faible puissance.
Je sais que mon naturel craintif, honteux, timide,
ne me promet ni sang froid, ni présence d'esprit,
ni mémoire, quand il faudra payel- de ma personne
et confondre les imposteurs ; j'avoue même que
l'indigne rôle auquel je me vois ravalé , et pour
lequel la nature m'avait si peu fait , me donne un
frémissement et des serrements de cœur que je ne
puis vaincre, et dont j'avirais été moins subju-
gué dans de plus heureux temps. Il y a dix ans
que l'imputation d'im forfait m'eût fait rire , et
rien de plus; mais depuis que les cruels m'ont ainsi
défiguré, sans me laisser même aucun moven de
me défendre , tout injurieux soupçon que je lis
dans les cœurs plonge le mien dans un trouble
inexprimable. Les scélérats endurcis au crime ont
d^s fronts d'airain , mais l'innocence rougit et
pleure en se voyant couvrir de fange. Une ame
noble et fière a beau se roidir et s'élever , un tem-
pérament timide ne peut se refondre Dans toutes
les situations de ma vie le mien me subjugue tour
25o CORRESPONDANCE.
jours: soit forcé de parler au milieu d'un cercle,
soit tète à tête agacé par une femme railleuse, soit
avili dans la confrontation d'un impudent, mon
trouble est toujours le même, et le courage que
je sens au fond de mon coeur refuse de se montrer
sur ma contenance. Je ne sais ni parler ni répondre ;
je n'ai jamais su trouver qu'après coup la chose
que j'avais à dire ou le mot qu'il fallait employer.
Urbain Grandier , dans le même cas que moi , avait
l'assurance et la facilité qui me manquent, et il
périt: j'aurais tort d'espérer une meilleure desti-
née. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit : que je
sache à tout prix de quoi je suis coupable; que
j'apprenne enfin' quel est mon crime ; qu'on m'en
montre le témoignage et les preuves, ces invin-
cibles preuves qui, bien qu'administrées si secrète-
ment et par des mains si suspectes , n'ont laissé le
moindre doute à personne , et sur lesquelles ame
vivante n'a même imaginé qu'il fut pourtant bon
de savoir si je n'avais rien à dire ; enfin qu'on
daigne , je ne dis pas me convaincre , mais m'ac-
cuser moi présent" , et je meurs content.
Eh! que reste-t-il ici-bas pour me faire aimer à
vivre ? Déjà vieux , souffrant , sans ami , sans appui ,
" Je suis persuadé qu'il y a sous tout cela quelque équivoque,
quelque malentendu, quelque adroit mensonge, sur lequel un mot
peut-être serait un tiait de lumière qui frapperait tout le monde , et
démasquerait les imposteurs. Ils le sentent et le craignent sans doute;
aussi paraît-il qu'ils ont mis toute l'adresse , toute la ruse , toute la
sagacité de leur esprit à chercher des raisons plausibles et spécieuses
pour prévenir toute explication. Cependant comment ont-ils pu cou-
vrir l'iniquité de cette conduite jusqu'à tromper les gens de bon sens?
Voilà ce qui me passe.
ANNÉE 1770. 25l
sans consolation , sans ressource , voilà la pauvreté
prête à me talonner; et quand on m'aurait laissé
même la liberté d'employer mes talents à gagner
mon pain, de quoi jouirais -je en le mangeant?
Quoi! voir toujoiu-s des hommes faux, haineux,
malveillants! toujours des masqués, toujours des
traîtres ! et loin de vous, pas un seul visage d'homme !
pius d'épanchements dans le sein d'un ami, plus
de ceë doux sentiments qu'une longue habitude
rend délicieux! Ah! la vie à ce prix m'est insup-
portable; et, quand sa fin ne serait que celle de
mes peines, je désirerais d'en sortir :mais elle sera
le commencement de cette félicité pour laquelle
je me sentais né, et que je cherchai vainement
STU' la terre. Que j'aspire à cette heureuse époque,
et que j'aimerai quiconque m'y fera parvenir! J'é-
tais homme , et j'ai péché ; j'ai fait de grandes fautes
que j'ai bien expiées, mais le crime jamais n'ap-
procha de mon cœur. Je me sèïis juste , bon , ver-
tueux , autant qu'homme qui soit sur la terre :
voilà le motif de mon espérance et de ma sécurité.
Quoique je paraisse absolument oublié de la Pro-
vidence, je n'en désespérerai jamais. Que ses ré-
compenses pour les bons doivent être belles, puis-
qu'elle les néglige à ce point ici -bas! J'avoue
pourtant qu'en la voyant dormir si long-temps, il
me prend des moments d'abattement : ils sont
rares, ils ne durent guère, et ne changent rien à
ma disposition. J'espère que la mort ne viendra
pas dans un de ces tristes moments ; mais quand
elle y viendrait , elle me serait moins consolante ,
2t5a CORRESPONDANCE.
sans m'ètre plus redoutable. Je me dirais : Je ne
serai rien , ou je serai bien ; cela vaut toujours
mieux pour moi que cette vie.
La mort est douce aux malheureux ; la souf-
france est toujours cruelle : par là je reste ici-bas
à la merci des méchants. Mais enfin que me peu-
vent-ils faire? Ils ne me feront pas plus souffrir
que ne fit la néphrétique; et j'ai fait là-dessus
l'essai de mes forces. Si mes maux sont longs, ils
exerceront mon ame à la patience , à la constance,
au courage; ils lui feront mériter le prix destiné
à la vertu; et au jour de ma mort, qu'il faudra
bien enfin qui vienne , mes persécuteurs m'auront
rendu service en dépit d'eux. Pour quiconque
en est là, les hommes ne sont plus guère à craindre.
Aussi M. de Choiseul peut jouer de son reste avec
toute sa puissance. Tant qu'il ne changera pas la na-
ture des choses, tant qu'il n'ôtera pas de ma poitrine
le cœur de Jean-Jacques Rousseau pour y mettre
celui d'un malhonnête homme, je le mets au pis.
Monsieur, j'ai vécu : je ne vois plus rien , même
dans l'ordre des possibles, qui pût me donner en-
core sur la terre un moment de vrai plaisir. On
m'offrirait ici bas le choix de ce que j'y veux
être, que je répondrais, mort. Rien de ce qui flat-
tait mon cœur ne peut plus exister pour moi. S'il
me reste un intervalle encore jusqu'à ce moment
si lent à venir, je le dois à l'honneur de ma mé-
moire. Je veux tâcher que la fin de ma vie honore
son cours et y réponde. Jusqu'ici j'ai supporté le
malheur; il me reste à savoir supporter la capti-
ANNÉE 1770. 253
vite, la douleur, la mort : ce n'est pas le plus dif-
ficile ; mais la dérision , le mépris , l'opprobre ,
apanage ordinaire de la vertu parmi les méchants,
dans tous les points par où l'on pourra me les faire
sentir. J'espère qu'un jour on jugera de ce que je
fus par ce que j'ai su souffrir. Tout ce que vous
m'avez dit pour me détourner, quoique plein de
sens, de vérité, d'éloquence, n'a fait qu'enflammer
mon courage : c'est un effet qu'il est naturel d'é-
prouver près de vous; et je n'ai pas peur que
d'autres m'ébranlent quand vous ne m'avez pas
ébranlé. Non, je ne trouve rien de si grand, de si
beau , que de souffrir pour la vérité. J'envie la
gloire des martyrs. Si je n'ai pas en tout la même
foi qu'eux, j'ai la même innocence et le même
zèle, et mon cœur se sent digne du même prix.
Adieu, monsieur. Ce n'est pas sans un vrai re-
gret que je me vois à la veille de m'éloigner devons.
Avant de vous quitter j'ai voulu du moins goûter
la douceur d'épancher mon cœur dans celui d'un
homme vertueux. C'est, selon toute apparence,
un avantage que je ne retrouverai de longr temps.
Rousseau.*
NOTE OUBLIÉE DANS MA LETTRE A M. DE SAINT-GERMAITf.
Je nie souviens d'avoir, étant jeune, employé le vers
suivant dans une comédie :
C'est en le trahissant qu'il faut punir un traître.
Mais , outre que c'était dans un cas très-excusable , et où
il ne s'agissait point d'une véritable trahison, ce vers,
échappé dans la rapidité de la composition, dans vme
a54 CORRESPONDANCE.
pièce non publique et non corrigée , ne prouve point que
l'auteur pense ce qu'il fait dire à une femme jalouse , et
ne fait autorité pour personne. S'il est permis de trahir
les traîtres, -ce n'est qu'aux gens qui leur ressemblent;
mais jamais les armes des méchants ne souillèrent les
mains d'un honnête homme. Comme il n'est pas permis
de mentir <à un menteur , il est encore moins permis de
trahir un traître : sans cela , toute la morale serait sub-
vertie, et la vertu ne serait plus qu'un vain nom; car le
nombre des malhonnêtes gens étant malheureusement
le plus grand sur la terre , si l'on se permettait d'adopter
vis-à-vis d'eux leurs propres maximes , on serait le plus
souvent malhonnête homme soi-même, et l'on en vien-
drait bientôt à supposer toujours que l'on a affaire à des
coquins, afin de s'autoriser à l'être.
Observation. — Cette longue lettre dans laquelle Roussea-u
donne des détails sur sa conduite antérieure, sur ses goûts et
ses ouvrages, est un complément des confessions. Il en parut
quelques fragments, en 1798, dans le Consc7-\'ateur ou Biblio-
thèque choisie de littérature. Ou supprime les noms et l'on dé-
nature plusieurs passages. Comme les personnages dont parle
Jean-.Tacqucs étaient tous morts à cette époque, on ne devine
pas le motif de cette discrétion ou de cette infidélité.
LETTRE CMXIÏl. .
A M. L'ABBÉ M.
Monquin , 17-2-70.
PauvTes aveugles que nous sommes! etc.
Votre précédente lettre,, monsieur, m'en pro-
mettait si bien une seconde, et j'étais si sur qu'elle
viendrait, que, quoique je me crusse obligé de
A.NNÉE 177*^- ^^^
VOUS tirei«^de l'erreur où je vous voyais, j'aimai
mieux tarder de remplir ce devoir que de vous ôter
ce plaisir si doux aux cœurs honnêtes de réparer
leur tort de leur propre mouvement *.
La bizarre manière de dater qui vous a scanda-
lisé est uiie formule générale dont depuis quelque
temps j'use indifféremment avec tout le monde ,
qui n'a ni ne peut avoir aucun trait aux personnes à
qui j'écris j puisque ceux qu'elle regarde ne sont
pas faits pour être honorés de mes lettres, et ne le
seront sûrement jamais. Comment m'avez-vous pu
croire assez brutal , assez féroce , pour vouloir in-
sulter ainsi de gaieté de cœur quelqu'un que je ne
connaissais que par une lettre pleine de témoi-
gnages d'estmie pour moi , et si propre à m'en in-
spirer pour lui? Cette erreur est là-dessus' tout ce
dont je peux me plaindre ; car, si ce n'en eût pas
été une, votre ressentiment devenait très-légitime ,
et votre quatrain trèsi-mérité : si même j'avais quel-
que autre reproche à vous faire , ce serait sur le
ton de votre lettre qui cadrait si mal avec celui de
votre quatrain. Quoique dans votre opinion je vous
en eusse donné l'exemple, deviez-vous jamais l'imi-
ter? ne deviez-vous pas, au contraire, être encore
plus indigné de l'ironie et de la fausseté détes-
table que cette contradiction mettait dans ma
lettre? et la vertu (doit-elle jamais souiller ses mains
Pour l'intelligence de cette phrase et de celles qui la suivent, il
faut savoir que la personne à qui cette seconde lettre était adreftée
avait mis en tête de sa réponse à la première un quatrain qui sem-
blait annoncer qu'elle avait pris en mauvaise part celui de M. Rous-
seau, ce qui cependant n'était pas. {Note de.i éditeurs de Genève.)
256 CORRESPONDANCE.
innocentes avec les armes des méchaiïts, même
pour repousser leurs atteintes ? Je vous avoue
franchement que je vous ai bien plus aisément par-
donné le quatrain que le corps de la lettre; je passe
les injures dans la colère , mais j'ai peine à passer
les cajoleries. Pardon , monsieur , à mon tour : j'use
peut-être un peu durement des droits de mon âge,
mais je vous dois la vérité depuis que vous m'avez
inspiré de l'estime ; c'est un bien dont je fais trop
de cas pour laisser passer en silence rien de ce
qui peut l'altérer. A présent oublions pour ja-
mais ce petit démêlé , je vous en prie , et ne nous
souvenons que de ce qui peut nous rendre plus in-
téressants l'un à l'autre par la manière dont il a fini.
Revenons à votre emploi. S'il est vrai que vous
ayez adopté le plan que j'ai tâché de tracer dans
V É mile, ]Rdmire votre courage; car vous avez trop
de lumières pour ne pas voir que, dans un pareil
système , il faut tout ou rien , jet qu'il vaudrait cent
fois mieux reprendre le train des éducations ordi-
naires, et faire un petit talon rouge, que de suivre
à demi celle-là pour ne faire qu'uii homme manqué.
Ce que j'appelle tout, n'est pas de suivre servile-
ment mes idées ; au contraire , c'est souvent de les
corriger , mais de s'attacher* aux principes , et d'en
suivre exactement les conséquences avec les modi-
fications qu'exige nécessairement toute application
particulière. Vous ne pouvez ignorer quelle tâche
immense vous vous donnez : aous voilà pendant
dix ans au moins nul pour vous-même, et li-
vré tout entier avec toutes vos facultés à votre
ANNliE 1770- 2.57
élève ; vigilance , patience, fermeté, voilà surtout
trois qualités sur lesquelles vous ne sauriez vous
relâcher un seul instant sans risquer de tout
perdre; oui, de tout perdre, entièrement tout :
un moment d'impatience, de négligence ou d'ou-
bli , peut vous ôter le fruit de six ans de travaux ,
sans qu'il vous en reste rien du tout, pas même
la possibilité de le recouvrer par le travail de dix
autres. Certainement s'il y a quelque chose qui mé-
rite le nom d'héroïque et de grand parmi les
hommes, c'est le succès des entreprises pareilles à
la vôtre ; car le succès est toujours proportionné
à la dépense de talents et de vertus dont on l'a
acheté : mais aussi quel don vous aurez fait à vos
semblables, et quel prix pour vous-même de vos
grands et pénibles travaux! Vous vous serez fait
un ami , car c'est là le terme nécessaire du respect ,
de l'estime , et de la reconnaissance dont vous l'au-
rez pénétré. Voyez , monsieur.... dix ans de travaux
immenses , et toutes les plus douces jouissances
de la vie pour le reste de vos jours et au-delà :
voilà les avances que vous avez faites, et voilà le
prix qui doit les payer. Si vous avez besoin d'en-
couragement dans cette entreprise , vous me trou-
verez toujours prêt ; si vous avez besoin de con-
seils, ils sont désormais au-dessus de mes forces.
Je ne puis vous promettre que de la bonne volonté;
mais vous la trouverez toujours pleine et sincère :
soit dit une fois pour toutes , et lorsque vous me
croirez bon à quelque chose , ne craignez pas de
m'importuner. Je vous salue de tout mon cœur»
R. xxii. ly
•258 CORRESPONDANCE.
LETTRE CMXIV.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
Monquin , le 17-^70.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Votre lettre, monsieur, m'attendrit et me touche;
je croyais n'être plus susceptible de plaisir, et vous
venez de m'en donner un -moment bien pur. Il
n'est troublé que par le regret de ne pas pouvoir
me rendre à vos généreuses et obligeantes sollici-
tations; mais mon parti est pris. Je connais trop
les gens à qui j'ai affaire pour croire qu'ils me
laisseront exécuter mon projet; je m'attends d'a-
vance à ce qui doit m'arriver : je ne me dois pas
le succès, il est dans les mains de la Providence;
mais je me dois la tentative et l'emploi de mes
forces : rien ne m'empêchera de remplir ce devoir.
Je ne suis point encore dans la situation que vos
offres généreuses vous font prévenir , ni même
près d'y tomber; je prévois seulement que si j'a-
vançais dans la vieillesse , elle me deviendrait dure
à plus d'un égard , et c'est moins là pour moi un
sujet d'alarme qu'une consolation de n'y pas par-
venir. Je crois si bien connaître votre ame noble,
que , dans la situation supposée , je vous aurais de
moi-même prouvé la vérité de mes sentiments
pour vous en vous mettant dans le cas d'exercer
les vôtres.
ANNÉE 1770. '^59
Si la crainte de contrister votre bon cœur m'em-^
pêche, monsieur, de suivre les mouvements du
mien dans les adieux que je désirais vous aller
faire, je sens ce que me coûtera cette déférence;
mais je sens aussi , dans la résolution que j'ai prise,
le danger de l'exposer à des attaques d'autant
plus redoutables , que mon penchant ne seconde-
rait que trop bien vos efforts. Adieu donc , homme
respectable; je partirai sans vous voir, puisqu'il
le faut, mais vous laissant la meilleure partie de
moi-même dans les sentiments d'un cœur toujours
plein de vous.
LETTRE CMXV.
A M. DU PEYROU.
A Monquin, le 17^70.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Vous me marquez , mon cher hôte , que votre
rôle est passif vis-à-vis de moi , que l'habitude a
dû vous le rendre familier, et que ma réponse
vous prouve cette vérité affligeante pour l'huma-
nité, que les battus paient encore l'amende ; ce
qui veut dire que c'est vous qui êtes le battu , et
que c'est vous qui payez l'amende.
Qu'entre nous votre rôle soit passif et le mien
actif, voilà, je vous avoue, ce qui me passe. Je
ne vous propose jamais rien , je ne vous demande
^7-
^6o CORRESPOND A NCE.
jamais rien , je ne fais jamais que vous répondie,
je ne me mêle en aucune sorte de vos affaires, je
n'ai avec personne aucune relation , ni secrète ni
publique, qui vous regarde, je ne dispose de rien
qui vous appartienne ; enfin , excepté un sentiment
d'affection qui ne peut s'éteindre, je suis pour
vous comme n'existant pas. En quel sens donc
puis-je être actif vis-à-vis de vous? Je le fus une
fois, et bien vous en prit. Depuis lors je résolus
de ne plus l'être. Je crois avoir tenu jusqu'ici
cette résolution , et ne la tieiidrai pas moins dans
la suite. Expliquez-moi donc, je vous prie, com-
ment vous êtes passif vis-à-vis de moi; car cela me
parait curieux à savoir.
Dans votre précédente lettre, vous m'exhortez
à un épanchement de cœur, en me disant de vous
traiter tout-à-fait en ami ou tout-à-fait en étranger.
Votre devise sur le cachet de cette même lettre
m'avertissait que vous vous faisiez gloire de n'a-
voir vous-même aucun de ces épanchements de
cœur auxquels vous m'exhortiez. Or il me parais-
sait injuste d'exiger dans l'amitié des conditions
qu'on n'y veut pas mettre soi-même ; et me dire
que c'est traiter un homme en étranger que de ne
pas s'ouvrir avec lui, c'était me dire assez claire-
ment, ce me semble, en quel rang j'étais auprès
de vous. Votre exemple a fait la règle de ma ré-
ponse. Si vous êtes le battu dans cette affaire,
convenez au moins que je n'ai fait que vous rendre
les coups que vous m'aviez donnés le premier.
Je n'avais pas besoin, mon cher hôte, de la
ANNÉE 1770. 261
note que vous m'avez envoyée pour être convaincu
de votre exactitude dans les comptes. Cette note
me fait plaisir, en ce que j'y vois approcher le
temps où nous serons tout-à-fait quittes, et vous
me faites désirer de vivre au moins jusque-là, 11
n'est pas temps encore de parler des arrangements
ultérieurs, et tant de prévoyance n'entre pas dans
mon tour d'esprit. Mais, en attendant, je suis
sensible à vos offres, et il entre bien dans mon
cœur, je vous assure, d'en être reconnaissant.
Comme je me propose de déloger d'ici dans
peu , mon dessein n'est pas d'y laisser après moi
mon herbier et mes livres de botanique ; je compte
prendre une charrette pour faire conduire le tout
à Lyon, chez madame Boy de La Tour, où tout
cela sera plus à portée de vous parvenir sans em-
barras. En emballant lesdits livres , j'en ferai le
catalogue, et vous l'enverrai. Que ne puis-je les
suivre auprès de vous! Je vous jure qu'il n'y a
point de jour où l'idée d'aller être l'intendant de
votre jardin de plantes et l'hôte de mon hôtesse ,
ne vienne encore chatouiller mon cœur. Mais je
suis pourtant un peu scandalisé de ne point voir
venir de petits hôtes qui lui aident un jour à me
faire ses honneurs. Adieu, mon cher hôte, ma
femme et moi vous saluons , et embrassons l'un
et l'autre. Elle est presque percluse de rhuma-
tismes. Notre demeure est ouverte à tous les vents ,
nous sommes presque ensevelis dans la neige, et
nous ne savons plus comment ni quand cela finira.
Adieu, derechef.
262 CORRESPONDANCE.
Je signe , afin que vous sachiez désormais sous
quel nom vous avez à m'écrire. Je n'ai pas besoin
de vous avertir que le quatrain joint à la date est
une formule générale qui n'a nul trait aux per-
sonnes à qui j'écris.
LETTRE CMXVI.
A M. DE BELLOY.
Monquin; le 17-^70.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Il faut , monsieur , vous résoudre à bien de
l'ennui, car j'ai grand'peur de vous écrire une
longue lettre.
Que vous m'avez rafraîchi le sang , et que j'aime
votre colère! J'y vois bien le sceau de la vérité
dans une ame fière, que le patelinage des gens
qui m'entourent marque encore plus fortement à
mes yeux. Vous avez daigné me faire sentir mon
tort; c'est une indulgence dont je sens le prix, et
que je n'aurais peut-être pas eue à votre place : il
ne m'en reste que le désir de vous le faire oublier.
Je fus quarante ans le plus confiant des hommes ,
sans que durant tout ce temps jamais une seule
fois cette confiance ait été trompée. Sitôt que j'eus
pris la plume, je me trouvai dans un autre uni-
vers, parmi de tout autres êtres, auxquels je con-
ANNÉE 1770. '26'i
tiiiuai de donner la même confiance , et qui m'en
ont si terriblement corrigé qu'ils m'iont jeté dans
l'autre extrémité. Rien ne m'épouvanta jamais au
grand jour, mais tout m'effarouche dans les té-
nèbres qui m'environnent, et je ne vois que du
noir dans l'obscurité. Jamais l'objet le plus hideux
ne me fit peur dans mon enfance, mais une figure
cachée sous un drap blanc me donnait des con-
vulsions : sur ce point , comme sur beaucoup
d'autres, je resterai enfant jusqu'à la mort. Ma dé-
fiance est d'autant plus déplorable que, presque
toujours fondée (et je u ajoute presque qu'à cause
de vous ), elle est toujours sans bornes , parce que
tout ce qui est hors de la nature n'en connaît plus.
Voilà, monsieur, non l'excuse, mais la cause de
ma faute, que d'autres circonstances ont amenée,
et même aggravée , et qu'il faut bien que je vous dé-
clare pour ne pas vous tromper. Persuadé qu'un
homme puissant vous avait fait entrer dans ses
vues à mon égard, je répondis selon cette idée à
quelqu'un qui m'avait parlé de vous, et je répon-
dis avec tant d'imprudence que je nommai même
l'homme en question. Né avec un caractère bouil-
lant dont rien n'a pu calmer l'effervescence, mes
premiers mouvements sont toujours marqués par
une étourderie audacieuse , que je prends alors
pour de l'intrépidité, et que j'ai tout le temps de
pleurer dans la suite, surtout quand elle est in-
juste , comme dans cette occasion. Fiez -vous à
mes ennemis du soin de m'en punir. Mon repentir
anticipa même sur leurs soins à la réception de
264 COllllESPONDANCi;.
votre lettre; un jour plus tôt elle m'eût épargné
beaucoup desottises; mais puisqu'elles sont faites,
il ne me reste qu'à les expier et à tâcher d'en ob-
tenir le pardon, que je vous demande par la com-
misération due à mon état.
Ce que vous me dites des imputations dont vous
m'avez entendu charger , et du peu d'effet qu'elles
ont fait sur vous , ne m'étonne que par l'imbécil-
lité de ceux qui pensaient vous surprendre par
cette voie. Ce n'est pas sur des hommes tels que
vous que des discours en l'air ont quelque prise ,
mais les frivoles clameurs de la calomnie , qui n'ex-
citent guère d'attention , sont bien différentes dans
leurs effets , des complots tramés et concertés du-
rant longues années dans un profond silence , et
dont les développements successifs se font lente-
ment, sourdement, et avec méthode. Vous parlez
d'évidence : quand vous la verrez contre moi, ju-
gez-moi, c'est votre droit; mais n'oubliez pas de
juger aussi mes accusateurs ; examinez quel motif
leur inspire tant de zèle. J'ai toujours vu que les
méchants inspiraient de l'horreur , mais point d'a-
nimosité. On les punit, ou on les fuit : mais on ne
se tourmente pas d'eux sans cesse; on ne s'occupe
pas sans cesse à les circonvenir, à les tromper, à
îes trahir ; ce n'est point à eux que l'on fait ces
choses-là , ce sont eux qui les font aux autres. Dites
donc à ces honnêtes gens si zélés , si vertueux , si
fiers surtout d'être des traîtres, et qui se masquent
avec tant de soin pour me démasquer : « Messieurs,
«j'admire votre zèle, et vos preuves me paraissent
A.WJNÉE l']']0. 265
« sans réplique ; mais pourquoi clone craindre si
« fort que l'accusé ne les sache et n'y réponde ?
« Permettez que je l'en instruise et que je vous
« nomme. Il n'est pas géitéreux, il n'est pas même
«juste de diffamer un homme, quel qu'il soit, en
«se cachant de lui. C'est, dites-vous par ménage-
« ment pour lui que vous ne voulez pas le con-
« fondre ; mais il serait moins cruel , ce me semble ,
« de le confondre que de le diffamer, et de lui oter
« la vie que de la lui rendre insupportable. Tout
« hypocrite de vertu doit être publiquement con-
« fondu ; c'est là son vrai châtiment ; et l'évidence
« elle-même est suspecte quand elle élude la cou-
rt viction de l'accusé. » En leur parlant de la sorte
examinez leur contenance , pesez leur réponse ;
suivez , en la jugeant , les mouvements de votre
cœur et les lumières de votre raison : voilà, mon-
sieur, tout ce que je vous demande , et je me tiens
alors pour bien jugé.
Vous me tancez , avec grande raison , sur la ma-
nière dont je vous parais juger votre nation : ce
n'est pas ainsi que je la juge de sang froid, et je
suis bien éloigné, je vous jure, de lui rendre l'in-
justice dont elle use envers moi. Ce jugement trop
dur était l'ouvrage d'un moment de dépit et de
colère , qui même ne se rapportait pas à moi , mais
au grand homme qu'on vient de chasser de sa
naissante patrie , qu'il illustrait déjà dans son ber-
ceau, et dont on ose encore souiller les vertus
avec tant d'artifice et d'injustice. S'il restait, me di-
sais-je, de ces Français célébrés par de Belloy, pour-
ii66 CORRESPONDANCE.
«
quoi leur indignation ne réclamerait - elle point
contre ces manœuvres si peu dignes d'eux?
C'est à cette occasion que Bayard me revint en
mémoire, bien sûr de c« qu'il dirait ou ferait s'il
vivait aujourd'hui. Je ne sentais pas assez que tous
les hommes , même vertueux , ne sont pas des
Bayards ; qu'on peut être timide sans cesser d'être
juste; et qu'en pensant à ceux qui machinent et
crient, j'avais tort d'oublier ceux qui gémissent et
se taisent. J'ai toujours aimé votre nation, elle est
même celle de l'Europe que j'honore le plus ; non
que j'y croie apercevoir plus de vertus que dans
les autres , mais par un précieux reste de leur
amour qui s'y est conservé , et que vous réveillez
quand il était prêt à s'éteindre. Il ne faut jamais
désespérer d'un peuple qui aime encore ce qui est
juste et honnête, quoiqu'il ne le pratique plus. Les
Français auront beau applaudir aux traits héroï-
ques que vous leur présentez , je doute qu'ils les
imitent; mais ils s'en transporteront dans vos pièces,
et les aimeront dans les autres hommes , quand on
ne les empêchera pas de les y voir. On est encore
forcé de les tromper pour les rendre injustes ; pré-
caution dont je n'ai pas vu qu'on eût grand besoin
pour d'autres peuples. Voilà, monsieur, comment
je pense constamment à l'égard des Français, quoi-
que je n'attende plus de leur part qu'injustice,
outrages , et persécution ; mais ce n'est pas à la na-
tion que je les impute, et tout cela n'empêche pas
que plusieurs de ses membres n'aient toute mon
estime et ne la méritent , même dans l'erreur où
ANNÉE 177^). '-^^7
oii les tient. D'ailleurs, mon cœur s'enflamme bien
plus aux injustices dont je suis témoin qu'à celles
dont je suis la victime : il lui manque, pour ces
dernières , l'énergie et la vigueur d'un généreux
désintéressement. Il me semble que ce n'est pas la
peine de m'échauffer pour une cause qui n'inté-
resse que moi. Je regarde mes malheurs comme
liés à mon état d'homme et d'ami de la vérité. Je
vois le méchant qui me persécute et me diffame
comme je verrais un rocher se détacher d'une mon-
tagne et venir m'écraser ; je le repousserais , si j'en
avais la force , mais sans colère , et puis je le lais-
serais là sans y plus songer. J'avoue pourtant que
ces mêmes malheurs m'ont d'abord pris au dé-
pourvu , parce qu'il en est auxquels il n'est pas
même permis à un honnête homme d'être pré-
paré : j'en ai été cependant plus abattu qu'irrité ;
et, maintenant que me voilà prêt, j'espère me lais-
ser un peu moins accabler , mais pas plus émouvoir
de ceux qui m'attendent. A mon âge et dans mon
état ce n'est plus la peine de s'en tourmenter , et
j'en vois le terme de trop près pour m'inquiéter
beaucoup de l'espace qui reste. Mais je n'entends
rien à ce que vous me dites de ceux que vous avez
essuyés : assurément je suis fait pour les plaindre;
mais que peuvent -ils avoir de commun avec les
miens ? Ma situation est unique , elle est inouïe de-
puis que le monde existe , et je ne puis présumer
qu'il s'en retrouve jamais de pareille. Je ne com-
prends donc point quel rapport il peut y avoir
dans nos destinées , et j'aime à croire que vous
^6S CORRESPONDANCE.
VOUS abusez sur ce point. Adieu, monsieur : vivez
heureux, jouissez en paix de votre gloire, et sou-
venez-vous quelquefois d'un homme qui vous ho-
norera toujours.
LETTRE CMXVII.
A M. L'ABBÉ M.
' Monquin, le 17^70.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Je voudrais, monsieur , pour l'amour de vous^
que l'application qu'il vous plaît de faire de votre
quatrain fût assez naturelle pour être croyable :
mais puisque vous aimez mieux vous excuser que
vous accuser d'une promptitude que j'aurais pu
moi-même avoir à votre place , soit; je n'épilogue-
rai pas là-dessus.
Depuis l'impression de YÉmile je ne l'ai relu
qu'une fois , il y a six ans , pour corriger un exem-
plaire; et le trouble continuel où l'on aime à me
faire vivre a tellement gagné ma pauvre tête , que
j'ai perdu le peu de mémoire qui me restait , et
que je garde à peine une idée générale du contenu
de mes écrits. Je me rappelle pourtant fort bien
qu'il doit y avoir dans \ Emile un passage relatif à
celui que vous me citez; mais je suis parfaitement
sûr qu'il n'est pas le même , parce qu'il présente ,
ainsi défiguré , un sens trop différent de celui dont
ANNÉE 1770. 269
j'étais plein en l'écrivant*. J'ai bien pu ne pas son-
ger à éviter dans ce passage le sens qu'on eût pu
lui donner s'il eût été écrit par Cartouche ou par
Kaffia; mais je n'ai jamais pu m'exprimer aussi in-
correctement dans le sens que je lui donnais moi-
même. Vous serez peut-être bien aise d'apprendre
l'anecdote qui me conduisit à celte idée.
Le feu roi de Prusse , déjà grand amateur de la
discipline militaire, passant en revue un de ses
régiments , fut si mécontent de la manœuvre ,
qu'au lieu d'imiter le noble usage que liOuis XIV
en colère avait fait de sa canne, il s'oublia jusqu'à
frapper de la sienne le major qui commandait.
L'officier outragé recule deux pas , porte la main
à l'un de ses pistolets, le tire aux pieds du cheval
du roi , et de l'autre se casse la tête. Ce trait , au-
quel je ne pense jamais sans tressaillir d'admiration,
me revint fortement en écrivant \ Emile , et j'en fis
l'application de moi-même au cas d'un particulier
qui en déshonore un autre, mais en modifiant
l'acte par la différence des personnages. Vous sen-
tez, monsieur, qu'autant le major bâtonné est
grand et sublime quand, prêt à s'ôter la vie , maître
par conséquent de celle de l'offenseur, et le lui
prouvant , il la respecte pourtant en sujet vertueux ,
s'élève par là même au-dessus de son souverain,
et meurt en lui faisant grâce, autant la même clé-
mence vis-à-vis un brutal obscur serait inepte : le ma-
jor employant son premier coup de pistolet n'eût
* Voyez Emile , Livre iv.
270 CORRESPONDANCE.
été qu'un forcené ; le particulier perdant le sien ne
serait qu'un sot.
Mais un homme vertueux, un croyant, peut
avoir le scrupule de disposer de sa propre vie sans
cependant pouvoir se résoudre à survivre à son
déshonneur, dont la perte , même injuste , entraîne
des malheurs civils pires cent fois que la mort. Sur
ce chapitre de l'honneur l'insuffisance des lois
nous laisse toujours dans l'état de nature: je crois
cela prouvé dans ma Lettre a M. d' Alembert sur les
■■* Spectacles. I/honneur d'un' homme ne peut avoir
de vrai défenseur ni de vrai vengeur que lui-même.
Loin qu'ici la clémence, qu'en tout autre cas pre-
scrit la vertu, soit permise, elle est défendue; et
laisser impuni son déshonneur, c'est y consentir :
on lui doit sa vengeance, on se la doit à soi-même;
on la doit même à la société et aux autres gens
d'honneur qui la composent : et c'est ici l'une des
fortes raisons qui rendent le duel extravagant ,
moins parce qu'il expose l'innocent à périr , que
parce qu'il l'expose à périr sans vengeance et à
laisser le coupable triomphant. Et vous remarque-
rez que ce qui rend le trait du major vraiment
héroïque , est moins la mort qu'il se donne que la
fière et noble vengeance qu'il sait tirer de son roi.
C'est son premier coup de pistolet qui fait valoir
le second: quel sujet il lui ôte , et quels remords il
lui laisse! Encore une fois, le cas entre particuliers
est tout différent. Cependant si l'honneur prescrit
la vengeance , il la prescrit courageuse : celui qui
se venge en lâche , au lieu d'effacer son infamie ,
ANNÉE 1770. 271
y met le comble ; mais celui qui se venge et meurt
est bien réhabilité. Si donc un homme indigne-
ment, injustement flétri par im autre , va le cher-
cher un pistolet à la main dans l'amphithéâtre de
l'Opéra, lui casse la tête devant tout le monde; et
puis se laissant tranquillement mener devant les
juges, leur dit : « Je viens de faire un acte de justice
« que je me devais, et qui n'appartenait qu'à moi ;
« faites-moi pendre , si vous l'osez »; il se pourra
bien qu'ils le fassent pendre en effet , parce qu'en-
fin quiconque a donné la mort la mérite , qu'il a
du même y compter ; mais je réponds qu'il ira au
supplice avec l'estime de tout homme équitable
et sensé, comme avec la mienne ; et si cet exemple
intimide un peu les tâteurs d'hommes, et fait mar-
cher les gens d'honneur, qui ne ferraillent pas, la
tète un peu plus levée, je dis que la mort de cet
homme de courage ne sera pas inutile à la société.
La conclusion tant de ce détail que de ce que j'ai
dit à ce sujet dans V Emile., et que je répétai sou-
vent, quand ce livre parut, à ceux qui me parlè-
rent de cet article, est quon ne déshonore point un
homme qui sait mourir. Je né dirai point ici si j'ai
tort; cela pourra se discuter à loisir dans la suite :
mais, tort ou non, si cette doctrine me trompe,
vous permettrez néanmoins , n'en déplaise à votre
illustre prôneur d'oracles, que je ne me tienne pas
pour déshonoré.
Je viens , monsieur , à la question que vous me
proposez sur votre élève. Mon sentiment est qu'on
ne doit forcer un enfant à manger de rien. H y a
l'-j'i. CORRESPOIVDANCK.
des répugnances qui ont leur cause dans la con-
stitution particulière de l'individu, et celles-là sont
invincibles ; les autres , qui ne sont que des fantai-
sies , ne sont pas durables , à moins qu'on ne les
rende telles à force d'y faire attention. Il pourrait
y avoir quelque chose de vrai dans le cas de pré-
voyance qu'on vous allègue, si ( chose presque
inouïe ) il s'agissait d'aliments de première néces^
site , comme le pain , le lait , les fruits. Il faudrait
du moins tâcher de vaincre cette répugnance sans
que l'enfant s'en aperçût et sans le contrarier , ce
qui, par exemple, pourrait se faire en l'exposant
à avoir grand'faim, et à ne trouver comme par
hasard que l'aliment auquel il répugne. Mais si cet
essai ne réussit pas , je ne serais pas d'avis de s'y
obstiner. Que s'il s'agit de mets composés tels
qu'on en sert sur les tables des grands , la précau-
tion parait d'abord assez superflue; car il est peu
apparent que le petit bon-homme se trouve un
jour réduit, dans les bois ou ailleurs, à des ragoûts
de truffes ou à des profiteroles au chocolat pour
toute nourriture. Mais peut-être a-t-on un autre
objet qu'on ne vous dit pas , et qui n'est pas sans
fondement. Votre élève est fait pour avoir un jour
place aux petits soupers des rois et des princes;
il doit aimer tout ce qu'ils aimeront ; il doit préfé-
rer tout ce qu'ils préféreront ; il doit en toute chose
avoir les goûts qu'ils auront ; et il n'est pas d'un
bon courtisan d'en avoir d'exclusifs. Vous devez
comprendre par là et par beaucoup d'autres cho-
ses que ce n'est pas un Emile que vous avez à
^NNEF. 1770. 27 J
élever : ainsi gardez-vous bien d'être un Jean-Jac-
ques: car, comme vous voyez, cela ne réussit pas
pour le bonheur de cette vie.
Prêt à quitter cette demeure, jo n'ai pins d'a-
dresse assez fixe à vous donner pour y recevoir de
vos lettres. Adieu, monsieur.
Observation. — Dans cette k-ttre Rousseau donne une ex-
plication importante sur un passage d'Emile , relatif au point
d'honneur, la vengeance. Il appuie son opinion sur l'exemple
du major de Frédéric. Voyez, dans la présente édition, tome ni,
page 466, livre iv d'Emile, et le passage en question, et les
deux notes qui y ont rapport.
LETTRE CMXVÎII.
A MADAME B.
Monquin, le 16 mars 1770.
Rose, je vous crois , et je vous croirais avec plus
de plaisir encore si vous eussiez moins insisté. La
vérité ne s'exprime pas toujours avec simplicité,
mais quand cela lui arrive , elle brille alors de tout
son éclat. Je vais quitter cette hî^bitation : je sais
ce que je veux et dois faire ; j'ignore encore ce
que je ferai: je suis entre les mains des hommes;
ces hommes ont leurs raisons pour craindre la vé-
rité , et ils n'ignorent pas que jp me dois de la
mettre en évidence, ou du moins ^e faire tous mes
efforts pour cela. Seul et à leur merci, je ne puis
rien, ils peuvent tout, hors de changer la nature
des choses et de faire que la poitrine de J. J. Rous-
R. xxu. 18
l'jli CORRESPONDANCE.
seau vivant, cesse de renfermer le cœur d'un homme
de bien. Ignorant dans cette situation en quel lieu
je trouverai , soit une pierre pour y poser ma léte,
soit une terre pour y poser mon corps, je ne puis
vous donner aucune adresse assurée : mais si ja-
mais je retrouve un moment tranquille , c'est un
soin que je n'oublierai pas. Rose , ne m'oubliez pas
non plus. Vous m'avez accordé de l'estime sur
mes écrits; vous m'en accorderiez encore plus sur
ma vie si elle vous était connue ; et davantage en-
core sur mon cœur , s'il était ouvert à vos yeux :
il n'en fut jamais un plus tendre, un meilleur, un
plus juste; la méchanceté ni la haine n'en appro-
chèrent jamais. J'ai de grands vices, sans doute,
mais qui n'ont jamais fait de mal qu'à moi ; et tous
mes malheurs ne me viennent que de mes vertus.
Je n'ai pu, malgré tous mes efforts, percer le mys-
tère affreux des trames dont je suis enlacé; elles
sont si ténébreuses , on me les cache avec tant de
soin, que je n'en aperçois que la noirceur. Mais
les maximes communes que vous m'alléguez sur
la calomnie et l'imposture ne sauraient convenir à
celle-là; et les frivoles clameurs de la calomnie
sont bien différentes dans leurs effets , des complots
tramés et concertés durant longues années dans im
profond silence , et dont les développements suc-
cessifs, dirigés par la ruse , opérés par la puissaiice,
se font lentement, sourdement, et avec méthode.
Ma situation est unique ; mon cas est inouï depuis
que le monde existe. Selon toutes les règles de la
prévoyance InuTiaine, je dois succomber; et toutes
ANNEE 1770. 271
les mesures sont tellement prises, qu'il n'y a qu'un
miracle de la Providence qui puisse confondre les
mposteurs. Pourtant une certaine confiance sou-
tient encore mon courage. Jeune femme , écoutez-
moi: quoi qu'il arrive, et quelque sort qu'on me
prépare, quand on vous aura fait l'énumération
de mes crimes, quand on vous en aura montré les
frappants témoignages, les preuves sans réplique ,
la démonstration , l'évidence , souvenez-vous des
trois mots par lesquels ont fini mes adieux: je suis
INNOCENT. Rousseau.
Vous approchez d'un terme intéressant pour
mon cœur : je désire d'en savoir l'heureux événe-
ment aussitôt qu'il sera possible. Pour cela , si vou s
n'avez pas avant ce temps-là de mes nouvelles,
préparez d'avance un petit billet, que vous ferez
mettre à la poste aussitôt que vous serez délivrée ,
sous ime enveloppe à l'adresse suivante :
A madame Boj de La Tour y née Roguin^ a Lyon.
LETTRE CMXIX.
A M. MOULTOU.
Mouquin, le 28 mars 1770,
Je tardais , cher Mouîtou , pour répondre à votre
dernière lettre, de pouvoir vous donner quelque
avis certain de ma marche; mais les neiges qui
t8.
O.'jG CORRESPONDANCE.
sont revenues m'assiéfirci' rendent les chemins de
cette montagne tellement impraticables, que je
ne sais plus quand j'en pourrai partir. Ce sera,
dans mon projet, pour me rendre à Lyon, d'où
je sais bien ce que je veux faire, mais j'ignore ce
que je ferai.
J'avais eu le projet que vous me suggérez d'al-
ler m'établir en Savoie ; je demandai et obtins , du-
rant mon séjour à Bourgoin, im passe-port pour
cela , dont , sur des lumières qui me vinrent en
même temps, je ne voulus point faire usage : j'ai
résolu d'achever mes jours dans ce royaume, et
d'y laisser à ceux qui disposent de moi le plai-
sir d'assouvir leur fantaisie jusqu'à mon dernier
soupir.
Je ne siùs point dans le cas d'avoir besoin de la
bourse d'autrui, du moins pour le présent, et dans
la position où je suis, je ne dépense guère moins
en place qu'en voyage; mais je suis fâché que
l'offre de votre bourse m'ait ôté la ressource d'v
recourir au besoin : ma maxime la plus chérie est
de ne jamais rien demander à ceux qui m'offrent;
je les punis de m'avoir ôté un plaisir en les pri-
vant d'un autre; et quand je me ferai des amis à
mon goût, je ne les irai pas choisir au Monomo'
tapa, quoi qu'en dise La Fontaine. Cela tient à
mon tour d'esprit particulier, dont je n'excuse
pas la bizarrerie , mais que je dois consulter quand
il s'agit d'être obligé. Car autant je suis touché de
tout ce qu'on m'accorde , autant je le suis peu de
Ci) qu'on me fait accepter : aussi je n'accepte ja-
AWNÉi: 1770. 277
mais rien qu'en rechignant et vaincu par la tyran-
nie des importunités ; mais l'ami qui veut bien m'o-
bliger à ma mode , et non pas à la sienne, sera
toujours content de mon cœur. J'avoue pourtant
que l'à-propos de votre offre mérite une excep-
tion; et je la fais en tâchant de l'oublier, afin
de ne pas ôter à notre amitié l'un des droits que
l'inégalité de fortune y doit mettre.
Il faut assurément que vous soyez peu difficile
en ressemblance pour trouver la mienne dans cette
figure de cyclope qu'on débite à si grand bruit
sous mon nom. Quand il plut à l'honnête M. Hume
de me faire peindre en Angleterre, je ne pus ja-
mais deviner son motif, quoique dès-lors je visse
assez que ce n'était pas l'amitié. Je ne l'ai com-
pris qu'en voyant l'estampe , et surtout en appre-
nant qu'on lui en donnait pour pendant une
autre représentant ledit M. Hume, qui réellement
a la figure d'iui cyclope , et à qui l'on donne un
air charmant. Comme ils peignent nos visages,
ainsi peignent-ils nos âmes avec la même fidélité.
Je comprends que les bruyants éloges qu'on vous
a faits de ce portrait vous ont subjugué ; mais re-
gardez-y mieux, et otez-moi de votre chambre
cette mine farouche qui n'est pas la mienne assu-
rément. Les gravures faites sur le portrait peint
par La Tour me font plus jeune , à la vérité, mais
beaucoup plus ressemblant : remarquez qu'on les
a fait disparaître ou contrefaire hideusement. Com-
ment ne sentez vous pas d'où tout cela vient, et ce
que tout cela signifie?
278 CORRtSPOJN DANCK.
Voioi deux actes d'honnêteté, de justice et d'a-
mitié à faire : c'est à vous que j'en donne la com-
mission.
i» Rey vient de faire une édition de mes écrits,
à laquelle , et à d'autres marques, j'ai reconnu que
mon homme était enrôlé. J'aurais dû prévoir,
et que des gens si attentifs ne l'oublieraient pas ,
et qu'il ne serait pas à l'épreuve. Entre autres re-
marques que j'ai faites sur cette édition, j'y ai
trouvé, avec autant d'indignation que de surprise,
trois ou quatre lettres de M., le comte de Tressan,
avec les réponses qui furent écrites il y a une
quinzaine d'années au sujet d'irne tracasserie de
Palissot. Je n'ai jamais communiqué ces lettres
qu'au seul Vernes, auquel j'avais alors, et bien
malheureusement, la même confiance que celle
que j'ai maintenant en vous : depuis lors je ne les
ai montrées à qui que ce soit , et ne me rappelle
pas même en avoir parlé; voilà pourtant Rey qui
les imprime : d'où les a-t-il eues? ce n'est certai-
nement pas de moi; et il ne m'a pas dit un mot
de ces lettres , en me parlant de cette édition. Je
comprends aisément qu'il n'a pas mieux rempli le
devoir d'obtenir l'agrément de M. de Tressan, qui
probablement ne l'aurait pas do-nné non plus que
moi. Du cercueil où l'on me tient enfermé tout
vivant, je ne puis pas écrire à M. de Tressan,
dont je ne sais pas l'adresse, et à qui ma lettre ne
parviendrait certainement pas. Je vous prie de
remplir ce devoir pour moi. Dites-lui que ce ne
serait pas envers lui, que j'honore, que j'aurais
ANNÉE 1770. 279
enfreint un devoir dont j'ai porté l'observation
jusqu'à un scrupule peut-être inouï envers Vol-
taire, que j'ai laissé falsier et défigurer mes lettres
et taire les siennes, sans que j'aie voulu jusqu'ici
montrer ni les unes ni les autres à personne. Ce
n'est sûrement pas pour me faire honneur que ces
lettres ont été imprimées; c'est uniquement pour
m'attirer l'inimitié de JVI. de Tressan.
2» J'ai fait , il y a quelques mois, à madame la du-
chesse douairièie de Portland un envoi de plantes
que j'avais été herboriser pour elle au mont Pila ,
et que j'avais préparées avec beaucoup de som , de
même qu'un assortiment de graines que j'y avais
joint. Je n'ai aucune nouvelle de madame de Port-
land ni de cet envoi , quoique j'aie écrit et à elle
et à son commissionnaire : mes lettres sont restées
sans réponse ; et je comprends qu'elles ont été
supprimées , ainsi que l'envoi , par des motifs qui
ne vous seront pas difficiles à pénétrer. Les ma-
nœuvres qu'on emploie sont très-assorties à l'objet
qu'on se propose. Ayez , cher Moultou , la com-
plaisance d'écrire à madame de Portland ce que
j'ai fait, et combien j'ai de regret qu'on ne me
laisse pas remplir les fonctions du titre qu'elle m'a-
vait permis de prendre auprès d'elle , et que je me
faisais un honneur de mériter. Vous sentez que je
ne peux pas entretenir des correspondances mal-
gré ceux qui les interceptent. Ainsi là -dessus,
comme sur toute chose où la nécessité commande,
je me soumets. Je voudrais seulement que mes
anciens correspondants sussent qu'il n'y a pas
^8ô COHRi;SPOi\ D.ViVC;i .
de ma faute, et que je ne les ai pas négligés. La
même chose m'est arrivée avec M. Guan, de Mont^
pellier , à qui j'ai fait un envoi sous l'adresse de
M. de Saint-Priest. La même chose m'arrivera peut-
être avec vous. Accusez -moi du moins, je vous
prie, la réception de cette lettre, si elle vous par^-
vient encore : la vôtre , si vous l'écrivez à la ré-
ception de la mienne , pourra me parvenir encore
ici. Le papier me manque. Mes respects et ceux de
ma femme à madame Moultou. Nous vous embras-
sons conjointement de tout notre cœur. Adieu, cher
Moultou.
LETTRE CMXX.
A M. LALLIAUD.
Monquin, le 4 avril 1770.
C'est par oubli , monsieur, que je n'avais pas ré^
pondu à votre précédente lettre; car, quoique je
ne promette de l'exactitude à personne, je me fe-
rais un plaisir d'en avoir avec vous. La descrip-
tion de votre vie tranquille et champêtre me fait
grand plaisir, ainsi que celle du climat que vous
habitez, aux vents près qui ne sont point de mon
goût. Cette douce vie, pour laquelle j'étais né, eût
été celle dans laquelle j'aurais achevé mes jours ^
si on m'avait laissé faire ; mais quand l'honneur , le
devoir et la nécessité commandent , il faut obéir.
Ne m'écrivez plus ici, monsieur; votre lettre ne
ÀjyjvÉE 1770. 2181
m'y trouverait vraisemblablement plus ^ et je ne
puis vous donner d'adresse assurée , parce que ,
quoique je saclie très -bien ce que je veux faire,
j'ignore absolument ce que je ferai. Je suis fâché
de quitter ce pays sans vous envoyer des rosiers ;
mais la nature , tardive en ces cantons , n'est pas
encore éveillée; à peine avons-nous déjà quelques
violettes , et je ne dois plus espérer de recuedlir
des roses. Adieu, mon cher monsieur Lalliaud; sou-
venez-vous de moi quelquefois : je vous salue et
vous embrasse de tout mon cœur.
LETTRE CMXXI.
A M. MOULTOU.
Monquin, le 17-370.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Votre lettre , cher Moultou , m'afflige sur votre
>»anté. Vous m'aviez parlé dans la précédente de
Votre mal de ^rge comme d'une chose passée, et
je le regardais comme un de ceux auxquels j'ai
moi-même été si sujet, qui sont vifs, courts, et ne
laissent aucune trace ; mais si c'est une humeur de
goutte j il sera difficile que vous ne vous en res-
sentiez pas de temps en temps : mais surtout n'al^
lez pas vous mettre dans la tête d'en vouloir gué^
rir ; car ce serait vouloir guérir de la vie , mal que
les bons doivent supporter tant qu'il leur reste
282 CORRESPONDANCE.
quelque bien à faire. Du Peyrou , pour avoir voulu
droguer la sienne, l'effaroucha, la fit remonter,
et ce ne fut pas sans beaucoup de peines que nous
parvînmes à la rappeler aux extrémités. Vous sa-
vez sans doute ce qu'il faut faire pour cela : j'ai vu
l'effet grand et prompt de la moutarde à la plante
des pieds; je vous la recommande en pareille oc-
currence , dont veuille le ciel vous préserver. Si
jeune, déjà la goutte! que je vous plains! Si vous
eussiez toujours suivi le régime que je vous faisais
faire à Motiers, surtout quanta l'exercice, vous ne
seriez point atteint de cette cruelle maladie. Point
de soupers , peu de cabinet , et beaucoup de marche
dans vos relâches ; voilà ce qu'il me reste à vous
recommander.
Ce que vous m'apprenez qui s'est passé derniè-
rement dans votre ville me fâche encore , mais ne
me surprend plus. Comment ! votre Conseil sou-
verain se met à rendre des jugements criminels !
Les rois, plus sages que lui, n'en rendent point.
Voilà ces pauvres gens prenant à grands pas le
train des Athéniens, et courant chercher la même
destinée , qu'ils trouveront , hélas * assez tôt sans
tant courir. Mais,
« Quos vult perdere Jupiter dementat. »
Je ne doute point que les natifs ne missent à
leurs prétentions l'insolence de gens qui se sentent
soufflés et qui se croient soutenus; mais je doute
encore moins que , si ces pauvres citoyens ne se
laissaient aveugler par la prospérité , et séduire par
ANNÉE 1770. 283
un vil intérêt, ils n'eussent été les premiers à leur
offrir le partage, dans le fond très-juste, très -rai-
sonnable , et très-avantageux à tous, que les autres
leur demandaient. Les voilà aussi durs aristocrates
avec les habitants que les magistrats furent jadis
avec eux. De ces deux aristocraties j'aimerais en-
core mieux la première.
Je suis sensible à la bonté que vous avez de vou-
loir bien écrire à madame de Portland et à M. de
Tressan : l'équité , l'amitié , dicteront vos lettres ;
je ne suis pas en peine de ce que vous direz. Ce
que vous me dites de l'antérieure impression des
lettres du dernier disculpe absolument Rey sur cet
article , mais n'infirme point , au reste , les fortes rai-
sons que j'ai de le tenir tout au moins pour suspect ;
et je connais trop bien les gens à qui j'ai affaire ,
pour pouvoir croire que, songeant à tant de monde
et à tant de choses , ils aient oublié cet homme-là.
Ce que vous a dit M. Garcin du bruit qu'il fait de
son amitié pour moi n'est pas propre à m'y don-
ner plus de confiance. Cette affectation est singu-
lièrement dans le plan de ceux qui disposent de
moi. Coindet y brillait par excellence, et jamais il
ne parlait de moi sans verser des larmes de ten-
dresse. Ceux qui m'aiment véritablement se gar-
dent bien, dans les circonstances présentes, de se
mettre en avant avec tant d'emphase ; ils gémissent
tout bas, au contraire, observent, et se taisent jus-
qu'à ce que le temps soit venu de parler.
Voilà, cher ?*Ioultou, ce que je vous prie et vous
conseille de faire. Vous compromettre ne serait
284 COKRESPOND/VIVCE.
pas mC servir. Il y a quinze ans qu'on travaille sous
terre ; les mains qui se prêtent à cette œuvr^ de
ténèbres la rendent trop redoutable pour qu'il soit
permis à nul honnête homme d'en approcher pour
l'examiner. Il faut, pour monter sur la mine, at-
tendre qu'elle ait fait son explosion; et ce n'est
plus ma personne qu'il faut songer à défendre,
c'est ma mémoire, Yoilà , cher Moultou , ce que
j'ai toujours attendu de vous. Ne croyez pas que
j'ignore vos liaisons; ma confiance n'est pas celle
d'un sot, mais celle, au contraire, de quelqu'un
qui se connaît en hommes , en diversité d'étoffes
d'ames, qui n'attend rien des Coindet, qui attend
tout des Moultou. Je ne puis douter qu'on n'ait
voulu vous séduire; je suis persuadé qu'on n'a fait
tout au plus que vous tromper; mais , avec votre
pénétration , vous avez vu trop de choses, et vous
en verrez trop encore pour pouvoir être trompé
long-temps. Quand vous verrez la vérité, il ne sera
pas pour cela temps de la dire ; il faut attendre les
révolutions qui lui seront favorables , et qui vien-
dront tôt ou tard. C'est alors que le nom de mon
ami, dont il faut maintenant se cacher, honorera
ceux qui l'auront porté , et qui rempliront les de-
voirs qu'il leur impose. Voilà ta tâche , ô Moultou •
elle est grande, elle est belle, elle est digne de toi,
et depuis bien des années mon coeur t'a choisi
pour la remplir.
^oici peut-être la dernière fois que je vous écri-
rai. Vous devez comprendre combien il me serait
intéressant de vous voir : mais ne parlons plus de
ANNÉF 1770. 28'^
Chambéry ; ce n'est pas là où je suis appelé. L'hon-
neur et le devoir crient; je n'entends plus que leur
voix ^ Adieu : recevez l'embrassement que mon
cœur vovis envoie. Toutes mes lettres sont ou-
vertes ; ce n'est pas là ce qui me fâche , mais plu-
sieurs ne parviennent pas. Faites en sorte que je
sache si celle-ci aura été plus heureuse. Vous n'i-
gnorerez pas où je serai, mais je dois vous prévenir
qu'après avoir été ouvertes à la poste, mes lettres
le seront encore dans la maison où je vais loger.
Adieu de rechef. Nous vous embrassons l'un et
l'autre avec toute la tendresse de notre cœur. Nos
hommages et respects les plus tendres à madame.
Il est vrai que j'ai cherché à me défaire de mes
livres de botanique, et même de mon herbier. Ce-
pendant, comme l'herbier est un présent, quoique
non tout-à-fait gratuit, je ne m'en déferai qu'à la
dernière extrémité , et mon intention est de le lais-
ser, si je puis, à celui qui me l'a donné, augmenté
de plus de trois cents plantes que j'y ai ajoutées,
' Comme il se rendit peu de temps après à Paris, il est présii-
mable qu'il croyait de son devoir d'aller dans cette capitale, et qu'il
y croyait son honneur intéressé: supposition qui en amène une autre:
c'est que, las d'errer et de se cacher il voulait paraître au grand jour
et lire ses Confessions , afin que ceux qu'il accusait pussent répondre
ou se justifier. Voyez l'Examen des Confessions , tome xiv , page vm
de cette édition.
^86 CORRESPONDANCE.
LETTRE CMXXIÏ.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
A Lyon, 19 avril 1770,
J'ai reçu, monsieur, avec la lettre dont vous
m'avez honoré le i6 du mois dernier, celle que
vous avez eu la bonté de me faire jDarvenir d'envoi
de M. de T , à qui, selon- vos intentions, j'en
accuse la réception. C'est une réponse de madame
de Portland , qui me donne avis de la réception des
plantes que je lui ai envoyées il y a près de six
mois. Après un voyage assez désagréable , je suis
arrivé ici en assez bonne santé de même que ma
femme , qui , pénétrée de vos bontés, me charge de
vous en marquer sa très -humble reconnaissance.
Je vous prie aussi , monsieur , de vouloir ténioigner
la mienne à madame de Saint-Germain , en lui fai-
sant agréer mon respect; Vous connaissez, mon-
sieur, toute ma confiance en votre bienveillance ,
et je me flatte que vous connaissez aussi combien
j'y suis sensible et disposé à m'en prévaloir en
toute occasion , sans crainte de vous déplaire. Des
inconvénients, que j'aurais dû prévoir, retardent
ma marche , sans rien changer à mes résolutions.
Je prends la liberté de me recommander à votre
souvenir, et de vous assurer que rien n'affaiblira
jamais les sentiments immortels que vous m'avez
inspirés.
ANNÉE 1770. ''.87
LETTRE CMXXIII.
A M. DE GESARGES.
Monquin , fin d'avril 1770.
Je VOUS avoue, monsieur, que , vous connaissant
pour un gentilhomme plein d'honneur et de pro-
hité , je n'apprends pas sans surprise la tranquillité
avec laquelle vous avez souffert en mon absence
les outrages atroces que ma femme a reçus du
bandit en cotillon auquel madame de Cesarges a
jugé à propos de nous livrer, après nous avoir ôté
les gens qu'elle nous avait tant vantés elle-même,
et avec qui nous vivions en paix.
Je sais bien, monsieur, qu'on vous taxe d'avoir
peu d'autorité chéz-vous, et que le capitaine Ver-
tier vous a subjugué, dit-on, comme les autres;
mais je ne vous aurais jamais cru dénué de crédit
dans votre propre maison , au point de n'y pouvoir
procurer la sûreté aux hôtes que vous y avez pla-
cés vous-même. Puisqu'en cela toutefois je me suis
trompé, puisque vous ne pouvez vous délivrer des
mains des susdits bandits en cotillon , et puisque
madame de Cesarges elle-même ne voit d'autre re-
mède aux mauvais traitements que je puis recevoir
des gens qui dépendent d'elle que d'en être désolée,
ne trouvez pas mauvais, jusqu'à ce que je puisse me
procurer un autre demeure , que , réduit à moi seul
pour toute ressource, je tâche de me faire la jus-
288 CORRESPONDANCE.
tice que je ne puis obtenir , en pourvoyant de
mon mieux à ma propre défense et à la protection
que je dois à ma femme. Que s'il en arrive du
scandale dans votre maison, je vous prends vous-'
même à témoin qu'il n'y aura pas de ma faute,
puisque , ne pouvant , sans manquer à moi-même
et à ma femme, éviter d'en venir là, je ne l'ai fait*
cependant qu'à la dernière extrémité , et après
x'ous en avoir prévenu.
LETTRE CMXXIV.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
Quoique je me sois résigné, monsieur, à la pri-?
vation que vous m'avez imposée pour épargner à
votre bon cœur l'émotion d'un dernier adieu, je
sens pourtant que si vous fussiez resté quelques
jours de plus, je n'aurais pu résister au désir de
vous revoir encore une fois , et de vous com-
muniquer beaucoup de nouvelles idées qui m'é-
taient venues à force de rêver au triste sujet dont
vous m'avez permis de vous parler, et qui toutes
confirment mes conjectures sur les causes de
mes malheurs. Puisque la consolation de vous re-
voir ne m'est pas donnée, je ne vous ennuierai
pas de nouveau de mes longues écritures, et je me
ilatte que ce qui vous en est déjà connu suffira
* Je ne L'aï j ait. Texte conforme à relui de l'édition originale (re-
fueii de du Peyrou , T790).
ANNÉE 1770. 289
pour mettre un jour, avec votre généreuse assis-
tance, les amis de la justice sur la voie de la vérité.
Mon libraire de Hollande vient de faire une
édition générale de tous mes écrits imprimés, dont
il m'a envoyé deux exemplaires , qui malheureuse-
ment sont encore en feuilles : j'ai pris la liberté
de faire porter le paquet chez vous. L'un de ces
exemplaires vous est destiné , et je me flatte, mon-
sieur , que vous ne dédaignerez pas cet hommage de
mon attachement et de ma reconnaissance. L'autre
est pour moi , et mon intention est de ne vous of-
frir le vôtre qu'après les avoir fait relier tous les
deux. Comme les embarras où je me trouve ne
me permettent pas, quant à présent, de m'occu-
per de ce soin , je vous prie , en attendant que je
le remplisse , de vouloir bien permettre que le pa-
quet reste chez vous en dépôt. Si les événements
m'empêchent, dans la suite, d'exécuter là-dessus
mes intentions, je vous prie d'y suppléer en dispo-
sant des deux exemplaires , de façon que le mien
serve à payer la reliure du vôtre *.
J'ai eu la curiosité de chercher dans les feuilles
de ce paquet , un barbouillage dont M. Fréron a
été le premier éditeur, et qui m'a été volé parmi
mes papiers, je ne sais comment, ni par qui, et
d'où. Sur cette édition furtive, Rey a jugé à pro-
pos d'augmenter la sienne. C'est un discours sur
im sujet proposé par M. de Cursay , dans le temps
* Le lecteur doit bien croire que M. de Saint-Germain , dans sa
réponse , en acceptant un exemplaire , n'a pas adhéré à une telle
proposition.
R. XXII. 19
!290 CORRESPONDANCE.
<[u'il pacifiait la Corse , et qu'il y faisait refleurir
les lettres. Le dépositaire de mes papiers, qui ne
m'avait rien dit de ce larcin , voyant que j'en étais
instruit, m'apprit que ce discours avait été mutilé
à l'impression, et qu'on en avait retranché im ar-
ticle tout entier, supposant que c'était une omis-
sion d'inadvertance par la hâte où le voleur avait
transcrit le discours; mais il ne voulut point me
dire quel était cet article oublié ou retranché. J'ai
donc vérifié la chose dans l'édition de Rey, et j'ai
trouvé que cet article omis était un très-bel éloge
du peuple de Corse , et un éloge encore plus beau
des troupes françaises et de leur général. Il ne
m'en a pas fallu davantage pour comprendre tout
le reste. Si jamais vous prenez la peine de parcou-
rir ce recueil , vous connaîtrez à plus d'une en-
seigne en quelles mains l'auteur est tombé.
En ce moment, monsieur, il me revient sur les
matières dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir
un petit fait bien minutieux en apparence, mais
que je ne puis m'empécher de vous dire à cause
de ses conséquences et de la facilité que vous avez
de le vérifier. Depuis notre dernière entrevue , je
parlai par hasard une fois de V Emile avec un offi-
cier de votre connaissance. Il me dit que, causant
un jour avec M. Diderot, lorsqu'on parlait de ce
livre long-temps avant sa publication, M. Diderot
lui avait dit qu'il le connaissait, que je le lui avais
montré , que c'était un projet pour élever chaque
homme pour l'état dans lequel il devait vivre.
«Par exemple, ajoutait-il, s'il devait vivre dans
ANNÉK 1770. 291
« une monarchie , on lui apprendra de bonne
« heure à être un fripon, etc.... n Pourquoi M. Di-
derot mentait-il avec tant d'impudence ? Je ne lui
avais certainement pas montré ce livre , puisqu'il
n'était pas encore commencé quand je rompis avec
lui , et que le plan qu'il me prétait est exactement
contraire au mien, comme il est aisé de le voir
dans l'ouvrage.
Je suis, monsieur, dans un cas embarrassant
vis-à-vis de M. de Tonnerre. Je voudrais , et de
tout mon coeur, lui témoigner combien je suis pé-
nétré des bontés dont il m'a comblé durant mon
séjour dans cette province, mais c'est ce que je ne
saurais faire sans laisser parler en même temps
mon indignation de l'astuce avec laquelle on l'a
fait agir, sans qu'il s'en aperçût lui-même , dans la
ridicule affaire du galérien Thevenin, digne ins-
trument des gens qui l'ont employé. Je connais
et j'honore la droiture de M. de Tonnerre ; j'ai au-
tant de respect pour sa personne que pour son
illustre naissance : je le plains d'être cjuelquefois
surpris par des fourbes; mais quand cette surprise
tombe sur moi, je me manquerais à moi-même
en la passant sous silence, et je trouve trop diffi-
cile, en lui écrivant, de me faire entendre sans
l'offenser, ce qu'assurément je serais au désespoir
de faire. S'il n'y avait pas trop d'indiscrétion,
monsieur , à vous supplier de vouloir être auprès
de lui l'organe de mes sentiments , vous les feriez
si bien valoir, et vous me tireriez d'un si grand
embarras , que ce serait une oeuvre digne de votre
19-
ag2. CORRESPONDANCE.
bienfaisance. Je ne compte partir que dans quel-
ques jours; ainsi je puis recevoir encore ici de
vos nouvelles, si vous voulez bien m'en donner.
Je ne désire qu'un mot. Adieu, monsieur, je ne
vous parlerai plus de mes sentiments pour vous ;
vous les voyez dans ma confiance qui en est le
fruit; mais je finirai ce dernier adieu par un mot
que je vous prie de graver dans votre ame ver-
tueuse : Je suis innocent.
Observation. — Cette lettre, écrite peu de jours avant son
départ du Daupliiné, doit être de la' fin de mai 1770. On voit
dans la correspondance de Grimm que celui-ci tenait snr
Emile le même langage que Diderot. Tous deux , et particuliè-
rement Grimm, ont touraé cet ouvrage en ridicule; mais il a
triomphé de leurs efforts.
LETTRE CMXXV.
A M. DE LA TOURETTE.
Lyon, le 2 juin 1770.
J'apprends, monsieur, qu'on a formé le projet
d'élever une statue à M. de Voltaire , et qu'on per-
met à tous ceux qui sont connus par quelque ou-
vrage imprimé de concourir à cette entreprise. J'ai
payé assez cher le droit d'être admis à cet honneur
pour oser y prétendre, et je vous supplie de vou-
loir bien interposer vos bons offices pour me faire
inscrire au nombre des souscrivants. J'espère, mon-
sieur, que les bontés dont vous m'honorez, et l'oc-
casion pour laquelle je m'en prévaux ici , vous fe-
ANNÉE 1770. 293
ront aisément pardonner la liberté que je prends.
Je vous salue, monsieur, très -humblement et de
tout mon cœur.
LETTRE CMXXVI.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
A Lyon, 17^70.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Après avoir prolongé mon séjour dans Lyon
plus que je ne m'y étais attendu, je n'en veux
point partir sans vous réitérer mes adieux et me
recommander à votre souvenir. Je prends aussi la
liberté de vous envoyer une lettre et un vieux mé-
moire que m'a envoyé par la poste M. Granger,
de Monquin, par lequel il prétend que je suis parti
de là sans lui payer les dernières fournitures que
sa femme m'a faites en œufs , beurre et fromages :
comme je ne me sens pas le bras assez> bon pour
lui payer ce mémoire dans la monnaie qu'il mé-
rite , je veux au moins que vous connaissiez la
manière dont on a dressé et styté cet homme par
rapport à moi ; et pour cet effet , j'ai joint à ce
mémoire une feuille contenant des observations
sur chaque article, par lesquelles vous pourrez jut
ger de sa bonne foi et de ceux qui le mettent en
œuvre. Vous êtes à portée , monsieur , de vérifier
tous ces faits. J'ai cru , sur votie amour pour l'é-
294 COKRESPONDANCE.
quité , que vous ne dédaigneriez pas d'en prendre
la peine. Je comprends qu'on a voulu renouveler
la scène de Mais il n'est plus temps, et j'ai trop
bien pris mon parti sur tout le reste pour m'affec-
ter encore de ces choses -là. Ainsi je mets désor-
mais au pis les fourbes, les fripons , les méchants,
et tous les gens qui , pour me décrier , les em-
ploient. J'espère, avant de partir d'ici, y recevoir
encore des nouvelles de votre santé et de celle de
madame de Saint-Germain, à qui je vous supplie
de faire agréer mon respect. Ma femme vous prie,
monsieur , d'agréer le sien , et nous emportons l'un
et l'autre le plus tendre et le plus durable souve-
nir des bontés dont vous nous avez honorés.
LETTRE CMXXVII.
AU MÊME.
A Lyon, 19 avril 1770.
J'ai reçu , monsieur , avec la lettre dont vous
m'avez honoré le i6 du mois dernier, celle que
vous avez eu la bonté de me faire parvenir d'envoi
de M. de T , à qui , selon vos intentions, j'en ac-
cuse la réception. C'est une réponse de madame de
Portland , qui me donne avis de la réception des
plantes que je lui ai envoyées , il y a près de six
mois. Après un voyage assez désagréable, je suis
arrivé ici en assez bonne santé , de même que ma
femme , qui , pénétrée de vos bontés, me charge de
ANNEE 1770. 295
VOUS en marquer sa très -humble reconnaissance.
Je vous prie aussi , monsieur , de vouloir témoigner
la mienne à madame de Saint-Germain., en lui fai-
sant agréer mon respect. Vous connaissez , mon-
sieur, toute ma confiance en votre bienveillance,
et je me flatte que vous connaissez aussi combien
j'y suis sensible et disposé à m'en prévaloir en toute
occasion, sans crainte de vous déplaire. Des incon-
vénients que j'aurais dû prévoir retardent ma
marche , sans rien changer à mes résolutions. Je
prends la liberté de me recommander à votre sou-
venir, et de vous assurer que rien n'affaiblira ja-
mais les sentiments immortels que vous m'avez
inspirés.
Observation. — H y a probablement erreur de date. Au lieu
du 19 avril, cette lettre doit être du 19 juin. Au mois d'avril
Rousseau n'avait point fait de voyage; il passa ce mois tout en-
tier à Monquiu. En la supposant du 19 juin, les circonstances
dont il parle se trouvent expliquées.
LETTRE CMXXVIII.
A MADAME B.
Paris, le 7 juillet 1770.
Deux raisons, madame, outre le tracas d'im dé-
barquement, m'ont empêché d'aller vous voir à
mon arrivée : la première , que vous m'avez écrit
vous-même que , quand même nous serions raj)-
proches, nous ne pourrions pas nous voir; l'autre,
296 CORRESPOIVDANCE.
que je suis déterminé à n'avoir aucune relation
avec quiconque en a avec madame de***. C'est à
vous , madame , à m'instruire si ces deux obstacles
existent ou non : s'ils n'existent pas , j'irai avec le
plus vif empressement contenter le besoin de vous
voir , que me donna la première lettre que vous
me fîtes l'honneur de m'écrire , et qu'ont aug-
menté toutes les autres. Un rendez-vous au spec-
tacle ne saurait me convenir, parce que, bien éloi-
gné de vouloir me cacher , je ne veux pas non plus
me donner en spectacle moi-même ; mais s'il arri-
vait que le hasard nous y conduisît en même jour,
et que je le susse , ne doutez pas que je ne profi-
tasse avec transport du plaisir de vous y voir , et
même que je ne me présentasse à votre loge , si
j'étais sur que cela ne vous déplût pas. Je suis af-
fligé d'apprendre votre prochain départ. Est-ce
pour augmenter mon regret que vous me propo-
sez de vous suivre en Nivernois ? Bonjour , ma-
dame , donnez-moi de vos nouvelles et vos ordreis
durant le séjour qui vous reste à faire à Paris; don-
nez-moi votre adresse en province , et souvenez-
yous de moi quelquefois.
Pas un mot du prétendu opéra qu'on dit que je
vais donner. J'espère que de sa vie J. J. Rousseau
n'aura plus rien à démêler avec le public. Quand
quelque bruit court de moi, croyez toujours exac-
tement le contraire , vous vous tromperez rare-
ment.
AIVIVDE 1770. 297
LETTRE CMXXIX.
A LA MÊME.
Paris, le i3 juiUet 1770.
Je ne puis , madame , vous aller voir que la se-
maine prochaine, puisque nous sommes à la fin de
celle-ci : je tâcherai que ce soit mardi, mais je ne
m'y engage pas , encore moins pour le dîner ; il
faut que tout cela se prenne impromptu : car tous
les engagements pris d'avance m'ôtent tout le plai-
sir de les remplir. Je déjeûne toujours en me le-
vant; mais cela ne m'empêchera pas , si vous pre-
nez du café ou du chocolat, d'en prendre encore
avec vous. Ne m'envoyez point de voiture, j'aime
mieux aller à pied ; et, si je ne suis pas chez vous
à dix heures , ne m'attendez plus.
Je vous sais gré de me reprocher mon air gauche
et embarrassé ; mais si vous voulez que je m'en
défasse , il faut que ce soit votre ouvrage. Avec
une ame assez peu craintive , un naturel d'une in-
supportable timidité , surtout auprès des femmes ,
me rend toujours d'autant plus maussade que je
voudrais me rendre plus agréable : de plus, je n'ai
jamais su parler, surtout quand j'aurais voulu bien
dire ; et si vous avez la préférence de tous mes em-
barras , vous n'avez pas trop à vous en plaindre.
Bonjour, madame : voilà votre laquais; à mardi.
298 CORRESPONDANCE.
s'il fait beau, mais sans promesse. Je sens qu'ayant
à vous perdre si vite , il ne faut pas me faire un
besoin de vous voir.
LETTRE CMXXX.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
14
i7ir7o-
Me voici à Paris, monsieur. Depuis trois se-
maines j'y ai repris mon ancienne habitation, j'y
revois mes anciennes connaissances, j'y suis mon
ancienne manière de vivre, j'y exerce mon ancien
métier de copiste , et jusqu'à présent je m'y retrouve
à peu près dans la même situation où j'étais avant
de partir. Si on m'y laisse tranquille , j'y resterai;
si l'on m'y tracasse, je l'endurerai : ma volonté
n'est soumise qu'à la loi du devoir, mais ma per-
sonne l'est au joug de la nécessité, que j'ai appris
à porter sans murmure. Les hommes peuvent sur
ce point se satisfaire, je les mets bien à la portée
de s'en donner le plaisir. Je n'ai pu, monsieur,
vous écrire à mon arrivée, quelque désir que j'en
eusse, à cause de l'affluence des oisifs et des em-
barras du débarquement. J'ai eu plusieurs fois ce
plaisir à Lyon , d'où l'on me mande qu'il m'est venu
plusieurs lettres depuis mon départ. J'espère trou-
ver dans quelqu'une de ces lettres des marques de
votre souvenir , et de bonnes nouvelles de votre
santé et de celle de madame de Saint-Germain.
AKJVEE 17'yO. 2g(J
J'ai eu le plaisir de parler ici de vous avec des
personnes de votre connaissance et qui partagent
les sentiments que vous m'avez inspirés. Je mets à
leur tête M. Tarchevéque avec lequel j'ai eu
l'honneur de dîner il y a deux jours. Nous par-
lâmes aussi , mais différemment , d'une personne
dont vous savez les procédés à mon égard et qu'il
connaît bien. Vous avez fait la conquête de trois
voyageurs très-aimables qui vous demandèrent de
mes. nouvelles à Bourgoin et qui m'ont ici beau-
coup demandé des vôtres. Je me propose , aussitôt
qu'on me laissera respirer, d'aller rappeler à BI.D....
une connaissance faite sous vos auspices et lui de-
mander de vos nouvelles, en attendant le plaisir
d'en recevoir directement. Donnez- m'en, mon-
sieur, aussi promptement qu'il se pourra, je les
recevrai avec la joie que me donnent toujours tous
les témoignages de vos bontés pour moi. Je vous
supplie de faire agréer mon respect à madame de
Saint-Germain : ma femme vous prie d'agréer les
siens.
LETTRE CMXXXI.
A MADAME LATOUR.
Paris , 17570,
je n'accepte point, madame, l'honneur que
vous voulez me faire. Je ne suis pas logé de ma-
nière à pouvoir recevoir des visites de dames, et
3oO CORRESPONDANCE.
les vôtres ne pourraient manquer d'être aussi gê-
nantes pour ma femme et pour moi, qu'ennuyeuses
pour vous.
L'inconvénient que vous trouvez vous-même à
recevoir les miennes suffirait pour m'engager à
m'en abstenir , et tout autre détail serait superflu.
Agréez, madame, je vous supplie, mes salutations
et mon respect.
LETTRE CMXXXII.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
Paris, 17-9-70.
J'ai bien reçu, monsieur , et votre dernière lettre
du 5 septembre, et la précédente réponse dont
vous m'avez honoré , de même depuis quelque
temps celle que vx)us aviez eu la bonté de m'é-
crire à Lyon au sujet du fermier de Monquin, et
où j'ai vu avec bien de la reconnaissance les soins
que vous avez bien voulu prendre pour confondre
ce misérable : je suis pénétré, monsieur, je vous
assure , de retrouver toujours en vous les mêmes
bontés; et l'assurance qu'elles sont à l'épreuve
du temps et de l'éloignement et de l'astuce des
hommes , me rendra toujours cher le séjour de
Bourgoin qui m'a valu un bonheur dont je sens
bien le prix, et que je cultiverai autant qu'il dé-
pendra de moi. Il est vrai, monsieur, que je tâche
insensiblement de reprendre la vie retirée et soli-
ANNÉE 1770. 3oi
taire qui convient à mon humeur. Mais je n'ai pas
été jusqu'ici assez heureux pour pouvoir souvent
satisfaire au jardin du roi l'ardeur qui ne s'est ja-
mais attiédie en moi d'en connaître les richesses :
je n'ai pu encore y aller que deux fois , tant à cause
du grand éloignement, que de mes occupations
qui me retiennent chez moi les matinées , à quoi
se joint depuis quelque temps une fluxion assez
douloureuse qui m'empêche absolument de sortir:
ma femme en a eu dans le même temps une toute
semblable , et nous nous sommes gardés mutuelle-
ment. Elle est mieux àprésent , et nous réunissons
nos actions de grâces pour l'obligeant souvenir de
madame de Saint-Germain , à qui nous vous sup-
plions l'un et l'autre de faire agréer nos respects.
Vous connaissez, monsieur, les sentiments que
nous vous avons voués , ils sont inaltérables comme
vos vertus , et je voudrais bien que vous me prou-
vassiez combien vous y comptez , en me donnant
ici quelque commission par laquelle je pusse vous
prouver à mon tour mon zèle à vous obéir et vous
complaire.
3o2 CORRESPONDANCE.
LETTRE CMXXXIII.
A MADAME DE CRÉQUI.
Ce dimanche matin (septembre 1770) '.
Vous m'affligez, madame, en désirant de moi
une chose qui m'est devenue impossible. Elle peut
un jour cesser de l'être. Tous les obscurs complots
des hommes, leurs longs succès, leurs ténébreux
triomphes , ne me feront jamais désespérer de la
Providence; et, si son œuvre se fait de mon vivant,
je n'oublierai pas votre demande , ni le plaisir que
j'aurai d'y acquiescer. Jusque-là, permettez, ma-
dame, que je vous conjure de ne m'en plus re-
parler.
Ma femme est comblée de l'honneur que vous
lui faites de penser à elle, et de votre obligeante
invitation. Si elle était un peu plus allante , elle
en profiterait bien vite , moins pour voir le jardin
que pour faire sa révérence à la maîtresse ; mais
elle est d'une paresse incroyable à sortir de sa
chambre, et j'ai toutes les peines du monde à ob-
tenir , cinq ou six fois l'année , qu'elle veuille bien
venir promener avec moi: au reste, elle partage
tous mes sentiments , madame , et surtout ceux
' J. J. Rousseau parlant clans cette lettre de complots , appelant
Thérèse sa femme, nom qu'il ne lui donne qu'en 1768 ; enfin n'é-
tant de retour à Paris qu'en 1770 , cette lettre doit être de ce temps,
et non de 1766 , date qu'on lui a donnée jusqu'à présent, oubliant
qu'il passe cette année en Angleterre.
ANNÉE 1770. 3o3
(le respect et d'attachement dont mon cœur est et
sera pénétré pour vous jusqu'à mon dernier soupir.
Je me proposais de vous porter ma réponse moi-
même, mais des contrariétés me font prendre le
parti d^envoyer toujours ce mot devant.
LETTRE CMXXXIV.
A LA MÊME.
Paris, 1770 '.
, Je reçois votre lettre, madame, en arrivant
d'une course, et j'y réponds à la hâte en repartant
pour une autre. L'air malsain pour moi de mon
habitation , et l'importunité des désœuvrés de tous
les coins du monde , me forcent à chercher le sou-
lagement et la solitude dans des pèlerinages con-
tinuels.
LETTRE CMXXXV,
A LA MÊME.
Ce vendredi matin (Paris 1770).
Vous ne m'imposez pas , madame , une tâche
aisée en m'ordonnant de vous montrer Emile dans
cette île où l'on est vertueux sans témoins, et cou-
rageux sans ostentation. Tout ce que j'ai pu sa-
' Ces lettres étaient dans la plupart des éditions datée du Temple,
3o4 CORRESPONDANCE.
voir de cette île étrangère, est qu'avant d'y abor-
der on n'y voit jamais jDersonne ; qu'en y arrivant
on est encore fort sujet à s'y trouver seul; mais
qu'alors on se console aussi sans peine du petit
malheur de n'y être vu de qui que ce soit. En vé-
rité, madame, je crois que, pour voir les habi-
tantes de cette île il faut les chercher soi-même,
et ne s'en rapporter jamais qu'à soi. Je vous ai
montré mon Emile en chemin pour y arriver ; le
reste de la route vous sera bien moins difficile à
faire seule qu'à moi de vous y guider.
Je vous remercie, madame, de la chanson que
vous avez eu la bonté de m'envoyer , et je vous
demande pardon de ne l'avoir pas trouvée , à ma
propre lecture , aussi jolie que quand vous nous la
lisiez: la versification m'en paraît contrainte; je
n'y trouve ni douceur ni chaleur: le pénultième
couplet est le seul où je trouve du naturel et du
sentiment ; dans le premier couplet , le premier
vers est gâté par le second ; les deux premiers vers
du quatrième couplet sont tout-à-fait louches; il
fallait dire : Si l'on ne parle délie a tout moment,
on parle une langue qui m'est étrangère. S'il faut
être clair quand on parle , il faut être lumineux
quand on chante. La lenteur du chant efface les
liaisons du sens , à moins qu'elles ne soient très-
marquées. Je ne renonce pourtant pas à faire l'air
le 3 janvier 1 766. Or il partait ce jour même pour l'Angleterre avec
David Hume. Une autre circonstance démontre l'erreur de la date.
Il parle de l'insalubrité de son habitation , tandis qu'il était logé par
le prince de Conti à l'hôtel Saint-Simon, dans l'enclos du Temple,
et meublé somptueusement.
/VNNÉF 1770. 3o5
que vous désirez ; mais, madanie, je voudrais que
vous eussiez la bonté de faire faire quelques cor-
rections aux paroles , car pour moi cela m'est im-
possible ; et même, si vous ne trouvez pas mes ob-
servations justes, je les abandonne, et ferai l'air
sur la chanson telle qu'elle est. Ordonnez , j'obéirai.
LETTRE CMXXXVI.
A M. DUSAULX.
Paris (Post tenebras lux) , 17-7770.
Toutes vos bontés pour moi , monsieur, me trou-
veront toujours sensible et reconnaissant, parce
que je suis sûr de leur principe. Quelque tentant
que fût pour moi à bien des égards l'appartement
auquel vous avez bien voulu songer , je ne prévois
pas qu'il puisse me convenir, parce qu'il me faut
chambre garnie, et même d'un prix modique, et
que personne ne prendra le bon marché dans sa
poche dans toute affaire qui me regardera, et dont
voudra bien se mêler M. Dusaulx : d'ailleurs je suis
en quelque sorte arrangé ici pour cet hiver, et il
n'est pas agréable de déloger dans cette saison.
J'irais avec empressement manger votre soupe et
ce que vous appelez votre rogaton^ si je n'allais
dîner chez madame de Chenonceaux , qui est ma-
lade et qui m'a errliê depuis deux jours *. Le mau-
* On dit arrher , et non errlier. Dusaulx, qui le premier a publié
cette lettre , a souligné , comme nous le faisons ici , le mot errhé ,
que Rousseau n'a pu employer que par inadvertance.
R. XXII. 9.0
^o6 CORRESPONDANCE.
vais temps m'empêcha hier de sortir et d'aller
rendre mes devoirs à madame Diisaulx, comme je
l'avais résolu. Mille très-humbles salutations.
LETTRE CMXXXVII.
A M. DUTENS.
Paris, le 8 novembre 1770.
Post tenebras lux.
Je suis aussi touché, monsieur, de vos soins
obligeants que surpris du singulier procédé de
M. le colonel Roguin. Comme il m'avait mis plu-
sieurs fois sur le chapitre de la pension dont m'ho-
nora le roi d'Angleterre , je lui racontai historique-
ment les raisons qui m'avaient fait renoncera cette
pension. Il me parut disposé à agir pour faire
cesser ces raisons, je m'y opposai; il insista, je le
refusai plus fortement , et je lui déclarai que , s'il
faisait là-dessus la moindre démarche , soit en mon
nom , soit au sien , il pouvait être sur d'être désa-
voué, comme le sera toujours quiconque voudra
se mêler d'une affaire sur laquelle j'ai depuis long-
temps pris mon parti. Soyez persuadé, monsieur,
, qu'il a pris sous son bonnet la prière qu'il vous a
faite d'engager le comte de Rochford à me faire
réponse , de même que celle de prendre des me-
sures pour le paiement de la pension. Je me soucie
fort peu, je vous assure, que le comte de Roch-
ANNÉE 1770. 3o7
ford me réponde ou non ; et quant à la pension ,
j'y ai renoncé, je vous proteste, avec autant d'in-
différence que je l'avais acceptée avec reconnais-
sance. Je trouve très-bizarre qu'on s'inquiète si
fort de ma situation, dont je ne me plains point,
et que je trouverais très-heureuse si l'on ne se
mêlait pas plus de mes affaires que je ne me mêle
de celles d'autrui. Je suis , monsieur , très-sensible
aux soins que vous voulez bien prendre en ma
faveur, et à la bienveillance dont ils sont le gage;
et je m'en prévaudrais avec confiance en toute
autre occasion , mais dans celle-ci je ne puis les
accepter ; je vous prie de ne vous en donner au-
cuns pour cette affaire, et de faire en sorte que ce
que vous avez déjà fait soit comme non avenu.
A.gréez, je vous supplie, mes actions de grâces,
et soyez persuadé, monsieur, de toute ma recon-
naissance et de tout mon attachement.
LETTRE CMXXXVIII.
A M. DU PEYROU.
Paris {Post tenebras lux.) , 177770
Vous avez raison, mon cher hôte, j'ai été bien
négligent ; mais je n'imaginais pas , je l'avoue , que
vous ignorassiez si parfaitement mon séjour et
mon adresse, qu'il vous fallût un voyage de Lyon
pour vous en informer. Je ne savais pas non plus
que vous fussiez malade ; je voyais ici des gens
uo.
3o8 CORRESPONDANCE.
de ma connaissance et de vos amis , qui me don-
naient assez souvent de vos nouvelles , et m'assu-
raient toujours que vous vous portiez bien. Il n'y
a qu'un guignon pareil au niien qui, tenant tou-
jours sur ma piste mes ennemis , les inconnus,
et tout le public , laisse mes amis seuls dans une
si profonde ignorance sur cet article. Enfin , grâce
à votre voyage et à vos perquisitions, vous êtes ins-
truit et vous me donnez signe de vie ; je vous en
remercie, et je m'en réjouis, ainsi qiie de votre
rétablissement.
J'ai apporté mes livres et mon herbier par votre
conseil même , et parce qu'en effet ils m'ont fait
tant de bien dans mes malheurs, que j'ai résolu
de ne m'en détacher qu'à la dernière extrémité ;
votre intention, en les achetant, était de m'en
laisser l'usage; c'est un procédé très-noble, mais
dont il n'était pas dans mon tour d'esprit de me
prévaloir. Du reste, leur destination n'est point
changée ; et , puisque vous m'avez demandé la pré-
férence, selon toute apparence, ils ne tarderont
pas beaucoup à vous revenir.
Si vous vous plaignez de mon peu d'exactitude ,
j'ai à me plaindre de l'excès de la vôtre. Pourquoi
voulez-vous prendre des arrangements positifs sur
des suppositions, et m'envoyer un mandat sur vos
banquiers sans savoir si je suis équitablement dans
le cas de m'en prévaloir? Attendez du moins que,
de retour chez vous, vous puissiez vérifier par
vous-même l'état des choses, et ne m'exposiez pas
à recevoir des paiements avant l'échéance , à rede-
AJVNÉE 1770, 309
venir votre débiteur sans en rien savoir, li me
semble aussi qu'il y aurait une sorte de bienséance
à énoncer dans l'ordre à vos banquiers d'où me vient
la rente dont il m'assigne le paiement, et qu'il ne
suffit pas qu'on sache de moi quel est le donateur,
si l'on ne le sait aussi de vous-même. J'espère, mon
cher hôte, que vous ne verrez dans mes objec-
tions rien que de raisonnable, et que vous ne
m'accuserez pas de chercher de mauvaises diffi-
cultés en vous renvoyant votre billet. Ainsi, je le
joins ici sans scrupule.
Je suis plus fâché que vous de n'être pas à portée
de profiter de la bienveillance et des bontés de ma
chère hôtesse; mon éloignement de vos contrées
n'est pas, comme vous le savez, une affaire de
choix, mais de nécessité; et je ne la crois pas assez
injuste pour me faire, ainsi que vous, un crime
de mon malheur. Mais vous qui parlez, pourquoi,
venant à Lyon, n-e l'y avez-vous pas amenée? vous
me mettez loin de mon compte, moi qu'on flattait
de vous voir tous deux cet hiver à Paris. Avec quel
plaisir j'aurais renouvelé ma connaissance avec
elle, et peut-être mon amitié avec vous! car, quoi
que vous en disiez, elle n'est point si bien éteinte
qu'elle n'eût pu renaître encore, et votre Hen-
riette, sage et bonne, comme je me la représente,
eût été bien digne d'être le médium junctionis. Ma
femme vous remercie , vous salue et vous embrasse.
Comme votre souvenir la rend contente d'elle , et
que je suis dans le même cas, nous ne cesserons ja-
mais Tun et l'autre de penser à vous avec plaisir,
3lO CORRESPONDANCE.
LETTRE CMXXXIX,
A jM. L. D. m.
Paris, le 2 3 novembre 1770.
Oui , le cruel moment où cette lettre fut
écrite fut celui où, pour la première et l'unique
fois , je crus percer le sombre voile du complot
inouï dont je suis enveloppé ; complot dont, malgré
mes efforts pour en pénétrer le mystère , il ne
m'était venu jusqu'alors la moindre idée , et dont
la trace s'effaça bientôt dans mon esprit au milieu
des absurdités sans nombre dont je le vis environné.
La violence de mes idées , et le trouble où elles me
plongèrent à cette découverte , m'ont plutôt laissé
le souvenir de leur impression que celui de leur
tissu. Pour en bien juger , il faudrait avoir présents
à l'esprit tous les détails de la situation où j'étais
pour lors , et toutes les circonstances qui la ren-
daient accablante: seul, sans appui, sans conseil,
sans guide , à la merci des gens chargés de dis-
poser de moi, livré par leur soin à la haine pu-
blique que je voyais, que je sentais en frémissant,
sans qu'il me fût possible d'en apercevoir, d'en
conjecturer au moins la cause , pas même, ce qui
parait incroyable , de savoir les nouvelles pid)li-
ques et de lire les gazettes; environné des plus
noires ténèbres, à travers lesquelles je n'aperce-
vais que de sinistres objets ; confiné pour tout
ANN^E 1770. 3l I
asile , aux approches de l'hiver , dans un méchant
cabaret; et d'autant plus effrayé de ce qui venait
de m'arriver à Trye, que j'en voyais la suite et
l'effet à Grenoble.
L'aventure de Thevenin , que j'attribuais aux in-
trigues des Anglais et des gens de lettres , m'ap-
prit que ces intrigues venaient de plus près et de
plus haut. J'avais cru ce Thevenin aposté seule-
ment par le sieur Bovier; j'appris par hasard que
Bovier n'agissait dans cette affaire que par l'ordre
de M. l'intendant ; ce qui ne me donna pas peu à
penser. M. de Tonnerre , après m'avoir hautement
promis toute la protection dont j'avais besoin pour
approfondir cette affaire , me pressa de la suivre ,
et me proposa le voyage de Grenoble pour m'a-
boucher avec ledit Thevenin. La proposition me
parut bizarre après les preuves péremptoires que
j'avais données. J'y consentis néanmoins. Quand
j'eus fait ce voyage, et que, malgré mon ineptie,
son imposture fut parvenue au plus haut degré
d'évidence, M. de Tonnerre, oubliant l'assurance
qu'il m'avait donnée , m'offrit de punir ce malheu-
reux par quelques jours de prison , ajoutant qu'il
ne pouvait rien de plus. Je n'acceptai point cette
offre, et l'affaire en demeura-là. Mais il resta clair,
par l'expérience , qu'un imposteur adroit pourrait
m'embarrasser , et que je manquais souvent du
sang froid et de la présence d'esprit nécessaires
pour me démêler de ses ruses. Je crus aussi m'aper-
cevoir que c'était là ce qu'on avait voulu savoir
et que cette connaissance influait sur les intrigues
3ia CORRESPOND A.N Ci;.
dont j'étais l'objet. Cette idée m'en rappela d'autres
auxquelles jusqu'alors j'avais fait peu d'attention ,
et des multitudes d'observations que j'avais reje-
tées comme les vaines inquiétudes d'une imagina-
tion effarouchée par mes malheurs.
Pour remonter à un événement qui n'est pas
sans mystère, l'époque du décret contre ma per-
sonne me parut avoir été celle d'une sourde trame
contre ma réputation , qui, d'année en année, éten-
dit doucement ses menées, jusqu'à ce que mon dé-
part pour l'Angleterre, les manœuvres de M. Hume,
et la lettre de M. Walpole, les mirent plus à dé-
couvert ; jusqu'à ce qu'ayant écarté de moi tout le
monde, hors les fauteurs du complot, on put me
traîner dans la fange ouvertement et impunément.
C'est ainsi que peu à peu tout changeait autour
de moi. Le langage même de mes connaissances
changeait très-sensiblement : il régnait jusque dans
leurs éloges une affectation de réserve , d'équi-
voque et d'obscurité, qu'rls n'avaient jamais eue
auparavant; et M. de Mirabeau, m'ayant écrit à
Wootton pour m'offrir un asile en France, prit
un ton si bizarre , et se servait de tournures si sin-
gulières , qu'il me fallait toute la sécurité de l'in-
nocence et toute ma confiance en ses avances d'a-
mitié pour n'être pas choqué d'un pareil langage.
J'y fis pour lors si peu d'attention que je n'en vins
pas moins en France à son invitation; mais j'y
trouvai un tel changement par rapport à moi , et
ime telle impossibilité d'en découvrir la cause, que
ma tête déjà altérée par l'air sombre de l'Angle-
akjvée 1770. 3l3
terre, s'affectait davantage de plus en plus. Je m'a-
perçus qu'on cherchait à m'oter la connaissance
de tout ce qui se passait autour de moi. Il n'y avait
pas là de quoi me tranquilliser ; encore moins dans
les traitements dont , à l'insu de M. le prince de
Conti (du moins je le croyais ainsi), l'on m'acca-
blait au château de Trye. Le bruit en étant par-
venu jusqu'à S. A. S. , elle n'épargna rien pour y
mettre ordre , quoique toujours sans succès, sans
tloute parce que l'im.pulsion secrète en venait à la
fois du dedans et du dehors. Enfin, poussé à bout,
je pris le parti de m'adressera madame de Luxem-
bourg, qui, pour toute assistance, me fit faire de
bouche une réponse assez sèche, très-peu conso-
lante, et qui ne répondait guère aux bontés dont
ce prince paraissait m'accabler.
Depuis très-long -temps, et long -temps même
avant le décret, j'avais remarqué dans cette dame
un grand changement de ton et de manières envers
moi. J'en attribuais la cause à un refroidissement
assez naturel de la part d'une grande dame , qui ,
d'abord s'étant trop engouée de moi sur mes écrits ,
s'en était ensuite ennuyée par ma bêtise dans la
conversation , et par ma gaucherie dans la société.
Mais il y avait plus , et j'avais trop d'indices de sa
secrète haine pour pouvoir raisonnablement en
douter. Je jugeais même que cette haine était fon-
dée sur des balourdises de ma part , bien inno-
centes assurément dans mon cœur , bien involon-
taires , mais que jamais les femmes ne pardonnent ,
quoiqu'on n'ait eu nulle intention de les offenser.
3l4 C011RESP0JVDA.NCE.
Je flottais pourtant toujours dans cette opinion ,
ne pouvant me persuader qu'une femme de ce rang,
qui m'avait si bien connu , qui m'avait marqué
tant de bienveillance et même d'empressement, la
veuve d'un seigneur qui m'honorait d'une amitié
particulière, pût jamais se résoudre à me haïr as-
sez cruellement pour vouloir travailler à ma perte.
Une seule chose m'avait paru toujours inexpli-
cable. En partant de Montmorency , j'avais laissé à
M. de Luxembourg tous mes papiers , les uns déjà
triés , les autres qu'il se chargea de trier lui-même
pour me les envoyer avec les premiers , et brûler
ce qui m'était inutile. En recevant cet envoi, je
trouvai qu'il manquait dans le triage plusieurs ma-
nuscrits que j'y avais mis, et nombre de lettres ,
indifférentes en elles-mêmes , mais qui faisaient la-
cune dans la suite que j'avais voulu conserver ,
ayant déjà formé le projet d'écrire un jour mes mé-
moires. Cette infidéltté me frappa. Je ne pouvais
l'attribuer à M. le maréchal, dont je connaissais la
droiture invariable et la vérité de son amitié pour
moi : je n'osais non plus en soupçonner madame
la maréchale, sachant surtout qu'on ne pouvait,
tirer de ces papiers aucun usage qui pût me nuire ,
à moins de les falsifier. Je présumai que M. d'A-
lembert, qui depuis quelque temps s'était intro-
duit auprès d'elle , avait trouvé le moyen de fure-
ter ces papiers et d'en enlever ce qu'il lui avait plu,
soit pour tirer de ces papiers ce qui lui pouvait
convenir, soit pour tâcher de me susciter quelque
tracasserie. Comme j'étais déjà déterminé à quitter
A.]\«£E 1770. OI3
lout-à-fait la littérature , je m'inquiétai peu de ces
larcins , qui n'étaient pas les premiers de la même
main que j'avais endurés sans m'en plaindre ''.
Par trait de temps , et malgré quelques démon-
strations affectées et toujours plus rares, les sen-
timents secrets de madame de Luxembourg se ma-
nifestaient davantage de jour en jour : cependant,
craignant toujours d'être injuste, je ne cessai point
de me confier à elle dans mes malheurs, quoique
toujours sans réponse et sans succès. Enfin, en der-
nier lieu , ayant écrit à M. de Clioiseul pour lui de-
mander, dans l'extrémité où j'étais, un passe-port
pour sortir du royaume , et n'ayant point de ré-
ponse, j'écrivis encore à madame de Luxembourg,
qui ne me fit aucune réponse non plus. Ce silence ,
dans la circonstance, me parut décisif, et j'en con-
clus que si cette dame n'entrait pas directement
dans le complot, du moins elle en était instruite,
et ne voulait m'aider ni à le connaître ni à m'en
tirer. Je reçus le passe-port lorsque j'avais cessé de
l'attendre. M. de Choiseul l'accompagna d'une lettre
'l'un style obscur, ambigu, choquant même , et as-
sez semblable à celui des lettres de M. de Mirabeau.
Je jugeai qu'on ne m'avait fait attendre ainsi le
passe-port que pour se donner le temps de machi-
ner à son aise dans les lieux où l'on savait que j'avais
dessein d'aller. Cette idée me fit changer sur-le-
" Sans parler ici de ses Eléments de Musique , je venais de parcou-
lir un Dictionnaire des Beaux-Arts portant le nom d'un M. Lacombe,
dans lequel je trouvai beaucoup d'articles tout entiers de ceux que
j'avais faits en 1749 ^ourV Encyclopédie, et qui, depuis nombre d'an-
nées, étaient dans les mains de M. d'Alembert.
3l6 CORRESPONDANCE.
champ toutes mes résolutions , et prendre celle de
retourner en Angleterre, où, pour le coup , j'avais
tout lieu de croire que je n'étais pas attendu. J'é-
crivis à l'ambassadeur , j'écrivis à M. Davenport ;
mais , tandis que j'attendais mes réponses , j'aper-
çus autour de moi une agitation si marquée , j'en-
tendis rebattre à mes oreilles des propos si mysté-
rieux ; Bovier m'écrivait de Grenoble des lettres si
inquiétantes , qu'il fut clair qu'on cherchait à m'a-
larmer et me troubler tout-à-fait; et l'on réussit.
Ma tète s'affecta de tant d'effrayants mystères, dont
on s'efforçait d'augmenter l'horreur par l'obscurité.
Précisément dans le même temps, on arrêta, dit-
on , sur la frontière du Dauphiné, un homme qu'on
disait complice d'un attentat exécrable : on m'as-
sura que cet homme passait par Bourgoin *". La ru-
meur fut grande , les propos mystérieux allèrent
leur train , avec l'affectation la plus marquée. En-
fin , quand on aurait formé le projet d'achever de
me rendre tout-à-fait frénétique , on n'aurait pas
pu mieux s'y prendre ; et si la plus noire fureur ne
s'empara pas alors de mon ame , c'est que les mou-
vements de cette espèce ne sont pas dans sa na-
ture. Vous sentez du moins que, dans l'émotion
successive qu'on m'avait donnée , il n'y avait pas
là de quoi me tranquilliser , et que tant de noires
idées , qu'on avait soin de renouveler et d'entre-
tenir sans cesse , n'étaient pas propres à rendre
" Comme on n'a plus entendu parler, que je sache, de ce prétendu
prisonnier , je ne doute point que tout cela ne fût un jeu barbare et
digne de mes persécuteurs.
ANNÉE 1770. 317
aux miennes leur sérénité. Continuant cependant
à me disposer au prochain départ pour l'Angle-
terre, je visitais à loisir les papiers qui m'étaient
restés, et que j'avais dessein de brûler , comme un
embarras inutile que je traînais après moi. Je com-
mençais cette opération sur un recueil transcrit de
lettres, cpie j'avais discontinué depuis long-temps,
et j'en feuilletais machinalement le premier vo-
lume , quand je tombai par hasard sur la lacune
dont j'ai parlé, et qui m'avait toujours paru diffi-
cile à comprendre. Que devins -je en remarquant
que cette lacune tombait précisément sur le temps
de l'époque dont le prisonnier qui venait de pas-
ser m'avait rappelé l'idée , et à laquelle , sans cet
événement , je n'aurais pas plus songé qu'aupara-
vant! Cette découverte me bouleversa; j'y trouvai
la clef de tous les mystères qui m'environnaient.
Je compris que cet enlèvement de lettres avait cer-
tainement rapport au temps où elles avaient été
écrites, et que quelque innocentes que fussent ces
lettres , ce n'était pas pour rien qu'on s'en était em-
paré. Je conclus de là que depuis plus de six ans
ma perte était jurée , et que ces lettres, inutiles à
tout autre usage , servaient à fournir les points
fixes des temps et des lieux pour bâtir le sys-
tème d'impostures dont on voulait me rendre la
victime.
Dès l'instant même je renonçai au projet d'aller
en Angleterre , et , sans balancer un moment , je
résolus de m'exposer, armé de ma seule innocence,
à tous les complots que la puissance, la ruse, et
3l8 CORRKSPONDAIVCE.
l'injustice pouvaient tramer contre elle«. La nuit
même où je fis cette affreuse découverte, je son-
geais , sachant bien que toutes mes lettres étaient
ouvertes à la poste, à profiter du retour de M. Pé-
pin de Belleisle^, qui, m'étant venu voir la veille,
m'accablait des plus pressantes offres de service ;
et je lui remis le matin une lettre pour madame
de Brionne, qui en contenait une autre pour M. le
prince deConti, l'une et l'autre écrites si à la hâte,
qu'ayant été contraint d'en transcrire une , j'en-
voyai le brouillon au lieu de la copie.
Tels sont, autant que je puis me le rappeler, le
sujet et l'occasion desdites lettres : car, encore une
ibis , l'agitation où j'étais en les écrivant ne m'a pas
permis de garder un souvenir bien distinct de tout
ce qui s'y rapporte.
Observation. — Rousseau donne dans cette lettie des dé-
tails importants sur les motifs qu'il a de se croire l'objet d'un
complot général. Cette idée lui vint dans le cabaret qu'il habi-
tait à Bourgoin , à propos de l'enlèvement d'une partie de sa
correspondance qui avait rapport à vm événement qu'il né dé-
signe pas avec assez de précision pour qu'on puisse se permettre
des conjectures. La récapitulation qu'il fait et les nouvelles ex-
plications qu'il donne aux événements antérieurs, font voir
que cette lettre est celle d'un homme affecté d'une maladie mo-
rale, qui, par le compte qu'il rend de cette maladie, en dé-
montre l'existence; d'un malade qui a le sentiment de son mal :
" Ce fut par une suite de cette même résolution que je conservai
mon recueil de lettres , dont heureusement je n'avais encore dé-
rhiré et brûlé que quelques feuillets.
'' Il venait d'accompagner en Piémont madame la princesse de
Carignan.
3i9
situation d'autant plus pénible que ce sentiment l'aggrave en-
core, quand son effet devrait être de le faire cesser... On ignore
à qui cette lettre fut adressée.
LETTRE CMXL.
A M
Paris, le 24 novembre 1770.
Soyez content, monsieur, vous et ceux qui vous
dirigent. Il vous" fallait absolument une lettre de
moi : vous m'avez voulu forcer à l'écrire , et vous
avez réussi : car on sait bien que quand quelqu'un
nous dit qu'il veut se tuer , on est obligé , en cons-
cience , à l'exhorter de n'en rien faire.
Je ne vous connais point, monsieur, et n'ai nul
désir de vous connaître ; mais je vous trouve très
à plaindre, et bien plus encore que vous ne pen-
sez : néanmoins , dans tout le détail de vos mal-
heurs, je ne vois pas de quoi fonder la terrible
résolution que vous m'assurez avoir prise. Je con-
nais l'indigence et son poids aussi bien que vous ,
tout au moins; mais jamais elle n'a .suffi seule pour
déterminer un homme de bon sens à s'ôter la vie.
Car enfin le pis qu'il puisse arriver est de mourir
de faim , et l'on ne gagne pas grand' chose à se tuer
pour éviter la mort. Il est pourtant des cas où la
misère est terrible , insupportable ; mais il en est
où elle est moins dure à souffrir : c'est le vôtre.
Comment, monsieur, à vingt ans, seul, sans fa-
39.0 f.onp.F.si'DX n\NCF:.
mille, avec de la santé, de l'esprit, des bras et un
bon ami , vous ne voyez d'autre asile contre la mi-
sère que le tombeau ? sûrement vous n'y avez pas
bien regardé.
Mais l'opprobre.... La mort est à préférer, j'en
conviens ; mais encore faut-il commencer par s'as-
surer que cet opprobre est bien réel. Un homme
injuste et dur vous persécute ; il menace d'attenter
à votre liberté : eh bien ! monsieur , je suppose qu'il
exécute sa barbare menace , serez-vous déshonoré
pour cela? Des fers déshonorent-ils l'innocent qui
les porte? Socrate mourut-il dans l'ignominie? Et
où est donc, monsieur, cette superbe morale que
vous étalez si pompeusement dans vos lettres? et
comment, avec des maximes si sublimes, se rend-
on ainsi l'esclave de l'opinion ? Ce n'est pas tout :
on dirait, à vous entendre, que vous n'avez d'autre
alternative que de mourir ou de vivre en captivité.
Et point du tout, vous avez l'expédient tout simple
de sortir de Paris : cela vaut encore mieux que de
sortir de la vie. Plus je relis notre lettre, plus j'y
trouve de colère et d'animosité. Vous vous com-
plaisez à l'image de votre sang jaillissant sur votre
cruel parent, vous vous tuez plutôt par vengeance
que par désespoir , et vous songez moins à vous
tirer d'affaire qu'à punir votre ennemi. Quand je
lis les réprimandes plus que sévères dont il vous
plaît d'accabler fièrement le pauvre Saint-Preux,
je ne puis m'empécher de croire que, s'il était là
pour vous répondre , il pourrait , avec un peu plus
de justice, vous en rendre quelques-unes à son tour.
ANNÉE 1770. 32 1
Je conviens pourtant, monsieur, que votre
lettre est très-bien faite, et je vous trouve fort
disert pour un désespéré. Je voudrais vous pouvoir
féliciter sur votre bonne foicomme sur votre élo^
quence; mais la manière dont vous narrez notre
entrevue ne me le permet pas trop. Il est certain
que je me serais , il y a dix ans , jeté à votre tète,
que j'aurais ])ris votre affaire avec chaleur ; et il
est probal^le que, comme dans tant d'affaires
semblables dont j'ai eu le malheur de me mêler,
la pétulance de mon zèle m'eût plus nui qu'elle
ne vous aurait servi. Les plus terribles expériences
m'ont rendu plus réservé; j'ai appris à n'accueillir
qu'avec circonspection les nouveaux visages , et ,
dans rim])ossibilité de remplir à la fois tous les nom-
breux devoirs qu'on m'impose, à ne me mêler que
des gens que je connais. Je ne vous ai pourtant
point refiisé le conseil que vous m'avez demandé.
Je n'ai point approuvé le ton de votre lettre à
M. de r>i.,...; je vous ai dit ce que j'y trouvais à
reprendre; et la preuve que vous entendîtes bien
ceque je vous disais, est que vous y répondîtes piiiv
sieurs fois. Cependant vous venez me dire au.-
jourd'hui que le chagrin que je vous montrai ne
vous permit pas d'entendre ce que je vous dis, el:
vous ajoutez qu'après de mûres délibérations il
vous sembla d'apercevoir que je vous blâmais de
vous être un peu trop abandonné à votre haine» :
mais vraiment il ne fallait pas de bien mûres d/'ii-
bérations poui- apercevoir cela, car je vouii l'a-
vais bien articulé, et je m'étais assuré f\uv vous
p. xxîi. 2 (
322 CORRESPOIVDANCE.
m'entendiez fort bien. Vous m'avez demandé con-
seil, je ne vous l'ai point refusé, j'ai fait plus : je
vous ai offert, je vous offre encore d'alléger, en
ce qui dépend de moi, la dureté de votre situa-
tion. Je ne vois pas, je vous l'avoue, en quoi vous
pouvez vous plaindre de mon accueil ; et si je ne
vous ai point accordé de confiance, c'est que vous
ne m'en avez point inspiré.
Vous ne voulez point, monsieur, faire part de
l'état de votre ame et de votre dernière résolu-
tion à votre bienfaiteur , à votre consolateur , dans
la crainte que, voulant prendre votre défense, il
ne se compromît inutilement avec un ennemi puis-
sant qui ne lui pardonnerait jamais ; c'est à moi
que vous vous adressez pour cela , sans doute à
cause de mon grand crédit et des moyens que j'ai
de vous servir , et qu'im ennemi de plus ne vous
paraît pas une grande affaire pour quelqu'un dans
ma situation. Je vous suis obligé de la préférence,
j'en userais si j'étais sur de pouvoir vous servir;
mais , certain que l'intérêt qu'on me verrait prendre
à vous ne ferait que vous nuire, je me tiens dans
les bornes que vous m'avez demandées.
A l'égard du jugement que je porterai de la ré-
solution que vous me marquez avoir prise, quand
j'en apprendrai l'exécution, ce ne sera sûrement
pas de penser que celait la le but ., la Jiii^ V objet
moral de la vie; mais au contraire que c était ic
comble de V égarement^ du délire^ et de la fureur.
S'il était quelque cas où l'homme eût le droit de
se délivrer de sa propre vie, ce se)\ait poiu- des
maux intolérables et sans remède, mais non pas
pour une situation dore, mais passagère, ni pour
des maux qu'une meilleure fortune peut finir dès
demain. La misère n'est jamais un état sans res-
sources, surtout à votre âge; elle laisse toujours
l'espoir bien fondé de la voir finir quand on y
travaille avec courage , et qu'on a des moyens pour
cela. Si vous craignez que votre ennemi n'exécute
sa menace, et que vous ne vous sentiez pas la con-
stance de supporter ce malheur, cédez à l'orage
et quittez Paris : qui vous en empêche? Si vous
aimez mieux le braver, vous le pouvez, non sans
danger, mais sans opprobre. Croyez -vous être le
seul qui ait des ennemis puissants, qui soit en
péril dans Paris , et qui ne laisse pas d'y vivre
tranquille , en mettant les hommes au pis , content
de se dire à lui-même : Je reste au pouvoir de mes
ennemis dont je connais la ruse et la puissance ,
mais j'ai fait en sorte qu'ils ne puissent jamais me
faire de mal justement? Monsieur, celui qui se
parle ainsi peut vivre tranquille au milieu d'eux ,
et n'est point tenté de se tuer.
OnsEE.VATiON. — Cette lettre, pleine de sens et de raison, est
bien différente de la précédente. Elle ue détruit point l'opinion
que nous avons énoncée sur la mort de Ptousseau, puisqu'il
pense qu'il \ a des eas où l'homme a le droit de se délivrer de
ia vie.
V. î.
3*4 CORRESPONDANCE.
LETTRE CMXLÎ.
A M. DUSAULX.
Paris, in-^yt.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Si M. Dusaiilx faisait quelquefois collation sur
le bout du banc, pour être au lit à dix- heures,
je lui proposerais aujourd'hui un petit souper,
non d'Apicius, mais d'Épicure, et tel qu'on n'en
fait guère à Paris. Ce souper, j'y ai pourvu, serait
animé d'une bouteille de son vin d'Espagne *, sur-
tout de sa présence et de son entretien. S'il con-
sent, je lui demande un petit oui, afin que le plai-
sir de le voir soit précédé de celui de l'attendre,
à moins qu il n'aime mieux croire que ce soit pour
faire d'avance les préparatifs du festin.
Les respects de ma femme et les miens à ma-
dame Dusaulx.
* H avait envoyé demander cette bouteille chez Dusaulx; mais
au lieu d'une on en apporta douze , générosité au moins fort mal-
adroite , et qui dut paraître à Rousseau d'autant plus offensante ,
que son procédé était franc et aimable. Rousseau donc s'en fâcha ,
et certainement il avait raison; cependant la querelle n'eut pas de
suite.
AJNNJiE 1771. 3-^5
LETTRE CMXLll.
AU MÊME.
nh^'
Pauvics aveugles que nous souitucb! etc.
Monsieur,
Je suis toujours frappé de l'idée que vous avez
<5ue de me mettre, dans le livre que vous faites,
en pendant avec un scélérat abominable qui fait du
masque de la vertu l'iusti-ument du crime, et qui ,
selon vous , la rend aussi touchante dans ses dis-
cours qu'elle l'est dans mes écrits. J'ai toujours cru ,
je crois encore qu'il faut sincèrement aimer la vertu
poiu- savoir la rendre aimable aux autres , et que
quiconque y croit de bonne foi distingue aisément
dans son cœur le langage de l'bypocrisie d'avec
celui que le cœur a dicté. Vous me dites pour ex-
cuse que vous portiez ce jugement à l'âge de
dix-sept ans; mais, monsieur, vous n'aviez pas lu
mes écrits: c'est à l'âge où vous êtes, c'est au mo-
ment que vous écrivez que vous identifiez l'im-
pression que vous fait leur lecture avec celle des
discours du fourbe dont il s'agit. Si c'est là la seule
ou la plus honorable mention que vous faites dans
votre ouvrage d'un homme à qui vous marquez^
entre vous cl lui , tant d'estime et d'empressement,
3lB COKRKSPONi>A]>fC£.
le tour, si c'est un éloge, est neuf et bizarre; si
c'est un art employé pour appuyer couvertement
l'imposture , il est infernal. Vous paraissez disposé
à changer dans le passage ce qui peut m'y déplaire :
je vous l'ai déjà dit, monsieur, n'y chanoez rien;
s'il a pu vous plaire un moment, il ne me déplaira
jamais. Je suis bien aise que tout le monde sache
quelle place vous donnez dans vos écrits à un
homme qu'en même temps vous recherchez avec
tant de zèle, et à qui vous paraissez, du moins en
parlant à lui , en donner une si belle dans votre
estime et dans votre cœur. Cette remarque m'en
rappelle d'autres trop petites pour être citées, mais
sur l'effet desquelles je veux vous ouvrir le mien.
Après m'avoir dit si souvent en si beaux termes
que vous me connaissiez, m'aimiez, m'estimiez^
m'honoriez parfaitement, il est constant, et je le
dis de tout mon cœur , que les prévenances et les
honnêtetés dont vous m'avez comblé , adressées ,
dans votre intention comme dans la vérité , à un
homme de bien et d'honneur , ont à ma reconnais-
sance et à mon attachement un droit que je serai
toujours empressé d'acquitter.
Mais, s'il était possible, au contraire, que, m'ayant
pris pour un hypocrite et lin scélérat, vous m'eus-
siez cependant prodigué tant d'avances, de caresses ;
et de cajoleries de toute espèce , pour capter ma
confiance et moh amitié, soit parce que mon ca-
ractère supposé conviendrait au vôtre , soit poiu'
aller par astuce à des l^ns que vous me cacheriez
avec soin; dans ce cas, il n'en est pas moins sûr
I
ÂNN LE 177 • • 327
qu'en tout état de choses possibles vous ne seriez
vous-même qu'un vil fourbe et un malhonnête
homme , digne de tout le mépris que vous auriez
eu pour moi.
J'aurais bien quelque chose encore à vous dire;
mais je m'en tiens là quant à présent. Voilà , mon-
sieur, un doute que j'ai senti naître avec douleur ,
et qui s'augmente au point d'être intolérable. Je
vous le déclare avec ma franchise ordinaire , dont ,
quelque mal qu'elle nj'ait fait et qu'elle me fasse ,
je ne me départirai jamais. Je vous montre bien
mes sentiments : montrez-moi si bien les vôtres ,
que je sache avec certitude ce que vous pensez de
moi. Je me souviens de vous avoir dit que si ja-
mais je me défiais de vous, ce serait votre faute.
Vous voilà dans le cas ; c'est à vous d'y pourvoir,
au moins si vous donnez quelque prix à mon es-
time. En y pourvoyant, n'en faites pas à deux fois ,
car je vous avertis qu'à la seconde vous n'y seriez
plus à temps.
Je me suis confié à vous , monsieur , et à d'autres
que je ne connaissais pas plus que vous. Le témoi-
gnage intérieur de l'innocence et de la vérité m»'a
fait croire qu'il suffisait d'épancher mon cœur dans
des cœurs d'hommes pour y verser le sentiment
dont il était plein." J'espère ne m'étre pas trompé
dans mon choix ; mais quand cet espoir m'abuse-
rait, je n'en serais point abattu. La vérité, le temps,
triompheront enfin de l'imposture, et de mon vi-
vant même elle n'osera soutenir mes negards. Son
plus grand soin , son plus grand art est de s'y dé-
3u8 CORRESPONDANCE.
rober ; mais cet art même la décèle. Jamais on n'a
vu , jamais on ne verra le mensonge marcher fiè-
rement à la face du soleil en interpellant à grands
cris la vérité, et celle-ci devenir cauteleuse^ crain-
tive, et traîtresse, se masquer devant lui, fuir sa
j)résencé , n'oser l'accuser qu'en secret , et se cacher
dans les ténèbres.
Je vous fais , monsieur , mes très-humbles salu-
tations.
LETTRE CMXLIII.
AU MÊME,
Pauvres aveiigle* que rioiiS sofùmes! etc.
En lisant, monsieur, et relisant votre lettre, je
sens qu'il me faut du tempç pour y penser^ Permet-
tez que j'attende le retour du sang froid. Un homme
comme vous mérite bien qu'on délibère quand il
s'agit de s'en détacher. Je vous salue très-humble-
ment^
Rousseau i
ANNEE 1771. 329
LETTRE CMXLIV.
AU MÊME.
< 6
î^auvres aveugles qtie nobs soltitnes ! etc.
J'ai voulu , monsieur , mettre un intervalle entre
Votre dernière lettre et celle-ci pour laisser calmer
mes premiers mouvements et agir ma raison seule.
Votre lettre est bien plus employée à me dire ce
que je dois penser de vous que ce que vous pen-
sez de moi , quoique je vous eusse prévenu que de
ce dernier jugement dépendait absolument l'autre.
Il faut pourtant que je me décide et que je vous
juge en ce qui me regarde, quoique j'aie renoncé ,
comme vous me le conseillez , à juger des hommes,
bien convaincu que l'obscur labyrinthe de leurs
cœurs m'est impénétrable , à moi dont le cœur
transparent comme le crystal ne peut cacher aucun
de ses mouvement , et qui , jugeant si long-temps
des autres par moi, n'ai cessé depuis vingt ans
d'être leur jouet et leur victime.
A force de m'environner de ténèbres, on m'a
cependant rendu quelquefois plus clairvoyant, et
l'expérience et la nécessité me font apercevoir bien
des choses par le soin même qu'on prend pour me
les cacher. J'ai vu dans votre conduite avec moi
ies honnêtetés les plus marquées, les attentions
les plus obligeantes, et des fins secrètes à tout
33o CORIlESPO]Vt)AKCf:.
ceîa: j'y ai même démêlé des signes de peu d'es-
time eu bien des points , et surtout dans les fré-
quents petits cadeaux auxquels vous m'avez appa-
lemment cru très-sensible , au lieu qu'ils me sont
indifférents ou suspects : Timeo Danaos , et doua
Jhrentes. C'est précisément par le peu de cas que
j'en fais que je ne les refuse plus, lassé des tra-
casseries et des ridicules que m'attirèrent long-
temps ces refus, par la malignité des donneurs
qui avaient leurs vues, et bien sûr, en recevant
tout et oubliant tout, d'écarter enfin plus sûre-
ment toutes ces petites amorces. Je cberchais un
logement; vous avez voulu m'avoir pour voisin et
presque pour hôte : cela était bon et amical ; mais
j'ai vu qiie vous vouliez trop, et que vous cher-
chiez à m'attirer : vous avez fait tout le contraire.
Vous avez cru que j'aimais les dîners ; vous avez
cru que j'aimais les louanges. Tout, à travers la
pompe de vos paroles, m'a prouvé que j'étais mal
connu de vous. Les je ne sais quoi, trop longs à
dire, mais frappants à remarquer, m'ont averti
qu'il y avait quelque mystère oaclié sous vos ca-
resses, et tout a confirmé mes premières obser-
vations.
L'article que vous m'avez lu a achevé de m'é-
clairer. Plus j'y ai réfléchi, moins je l'ai trouvé na-
tiu-el, dans ma situation présente, de la part d'un
bienveillant. Vous me faites .trop valoir le soin
que vous avez pris de me lire cet article. Vous
avez prévu (jue je le verrais un jour , et vous sen-
tiez ce que j'en aurais pu penser et dire, si vous
ANNÉE 177!. 3^1
me l'eussiez tu jusqu'à la publication. Vous avez
ci'u me leurrer par ce mot d'illustre. Ah! vous
êtes trop loin de voir combien la réputation
d'homme bon, juste, et vrai, que je gardai qua-
rante ans, et que je n'ai jamais mérité de perdre,
m'est plus chère que vos glorioles littéraires, dont
j'ai si bien senti le néant. Ne changeons point,
monsieur, l'état de la question. Il ne s'agit pas de
savoir comment vous vous y êtes pris pour faire
passer un article aussi captieux, mais comment il
vous est venu dans l'esprit de l'écrire, de me mettre
gracieusement en parallèle avec un exécrable scé-
lérat, et cela précisément au moment où l'impos-
ture n'épargne aucune ruse pour me noircir. Mes
écrits respirent l'amour de la vertu dont le cœur
de l'auteur était embrasé. Quoi que mes ennemis
puissent faire, «ela se setit et les désole. Dites-moi
si, pour énerver ce sentiment honorable et juste,
aucun d'eux s'y prit plus adroitement que vous.
Et maintenant, au lieii de me dire nettemetit
quel jugement vous portez de moi , de nies senti-
ments, de mes mœurs, de mon caractère, comme
vous le deviez dans la circonstance, et comme je
vous en avais conjuré, vous me parlez de larnies
d'attendrissement et d'un intérêt de commiséra-
tion ; comme si c'était assez pour moi d'exciter
votre pitié , sans prétendre à des selïitiments plus
honorables! Je vous estime encore, me dites-vout' ,
mais je vous plains. Moi, je vous i^éponds : Qui-
conque ne m'estimera que par grâce trouveia dïf-
iicilement en moi la même générosité.
33i CORllESPOJN'DAWCE.
Je voudrais, monsieur, entendre un peu plus
clairement quel est ce grand intérêt que vous dites
]:)rendre en moi. Le premier, le plus grand intérêt
d'un homme est son honneur. Vous auriez, dites-
vous, donné un bras pour m'en sauver un! C'est
beaucoup , et c'est même trop : je n'aurais pas
donné mon bras pour sauver le vôtre; mais je
l'aurais donné, je le jure, pxDur là défense de votre
honneur. Entouré de tous ces preneurs d'intérêt
qui ne cherchent qu'à me donner, comme faisait
aux passants ce Romain , un écu et un soufflet à
chaque rencontre, je ne prends pas le change sur
cet intérêt prétendu: je sais qu'ils n'ont d'autre
but dans leur fausse bienveillance que d'ajouter à
leurs noirceurs , quand je m'en plains , le reproche
d'ingratitude.
« Le généreux , le vertueux Jeanr Jacques Rous-
« seau inquiet et méfiant comme un lâche crimi-
« nel ! » Monsieur Dusaulx , si , vous sentant poi-
gnarder par-derrière par des assassins masqués,
vous poussiez, en vous retournant, les cris de la
douleur et de l'indignation , que diriez-vous de
celui qui pour cela vous reprocherait froidement
d'être inquiet et méfiant comme un lâche criiTfinel ?
Il n'y aura jamais que des cœius capables du
crime qui puissent en soupçonner le mien ; et
quant à la lâcheté, malgré tout l'effroi qu'on a
voidu me donner , me voici dans Paris , seul ,
étranger , sans appui , sans amis , sans parents ,
sans conseil, armé de ma seule innocence et de
mon courage, à la merci des adroits et puissants
ANNEE I77I. ^yy
persécuteurs qui me diffament en se cachant, les
provoquant, et leur criant : Parlez haut, me voilà.
Ma foi, monsieur, si quelqu'un fait lâchement le
plongeon clans cette affaire , il me semble que ce
n'est pas moi.
Je veux être juste toujours. S'il n'y a contre
moi nulle œuvre de ténèbres, votre reproche est
fondé, j'en conviens ; mais s'il existe une pareille
oeuvre, et que vous le sachiez très-bien, convenez
aussi cpie ce même reproche est bien barbare. Je
prends là-dessns votre conscience pour juge entre
vous et moi.
Vous me trompez, monsieur: j'ignore à quelle
fin ; mais vous me trompez. C'est assurément trom-
per un homme à qui l'on marque la plus tendre
affection , cpie de lui cacher les choses qui le re-
gardent et qu'il lui importe le plus de savoir. En-
core ime fois, j'ignore vos motifs; mais je sais
qu'on ne trompe personne poiu' son bien. Je n'at-
taque à tout autre égard ni votre droiture, ni vos
vertus ; je n'explique point cette inconséquence.
Je ne sais qu'une seule chose, mais je la sais très-
bien, c'est que vous me trompez.
Je yeux que tout le monde lise dans mon cœur ,
et que ceux avec qui je vis sachent comme moi-
méme ce que je pense d'eux, quoiqu'une malheu-
reuse honte, que je ne puis vaincre, m'empêche
de le leiu' dire en face. C'est afin que vous n'igno-
riez pas mes sentiments que je vous écris. Du reste,
mon intention n'est de rompre avec vous qu'au-
tant ijîK> cela vous c<)n^'ielldra : je vous laisse le
334 CORRESPONDANCE.
choix. Si je connaissais un soiil homme à ma poF-
tée dont le cœur fût ouvert comme îe mien, qui
eût autant en horreur la dissimulation , le men-
songe, qui dédaignât, qui refusât de hanter ceux
auxquels il n'oserait dire ce qu'il pense d'eux,
j'irais à cet homme, et, très-sûr d'en faire mon
ami , je renoncerais à tous les autres ; il serait pour
moi le genre humain : mais , après dix ans de re-
cherches inutiles, je me lasse, et j'éteins ma lan-
terne. Environné de gens qui, sous un air d'inté-
rêt grossièrement affecté, ïne flattent pour me
surprendre, je les laisse faire, jiarce qu'il faut
hien vivre avec quelqu'un , et qu'en quittant ceux-
là pour d'autres, je ne trouverais pas mieux. Du
reste, s'ils ne voient pas ce que je pense d'eux,
c'est assurément leur faute. Je suis toujours sur-
pris, je l'avoue, de les voir m'étaler pompeuse-
ment et leurs vertus et leur amitié pour moi; je
cherche inutilement comment on peut être ver-
tueux et faux tout à la fois, comment on peut se
faire un honneur de tromper les gens qu'on aime.
Non , je n'aurais jamais cru qu'on pût être aussi
fiers d'être des traîtres.
Livré depuis long -temps à ces gens-îà, j'aurais
tort assurément d'être difficile.en liaisons , et bien
plus de me refuser à la vôtre , puisque votre sor
ciété me paraît très -agréable, et que, sans vous
confondre avec tous les empressés qui m'entou-
rent, je vous compte parmi ceux que f estime le
plus. Ainsi je vous laisse le maître de me voir ou
de ne rae pas voir, comme il vous convieiulra. Pour
/iNNÉE 1771. -^■>J
de rintimité, je n'en veux plus avec personne, à
moins cpie, contre tonte apparence, je ne trouve
fortuitement Fhomme juste et vrai que j'ai cessé
de chercher. Quiconque aspire à ma confiance
doit commencer par me donner ia sienne; et du
reste, malade ou non, pauvre ou riche, je trou-
verai toujours très-mauvais que, sous prétexte d'un
zèle que je n'accepte point, qui que ce soit veuille
malgré moi se mêler de mes affaires.
Je viens de vous ouvrir mon cœur sans réserve ;
c'est à vous maintenant de consulter le vôtre, et
de prendre le parii qui vous conviendra*.
* Dusnulx fit à cette lettre une réponse à laquelle Rousseau ne ré-
pliqua pas. « Je ne sache pas, dit Dusaulx à ce sujet, que depuis
« notre éternelle séparation, il soit sorti de sa houoiie un seul mot
K capal)le de m'offenser: au contraire, j'ai appris avec reconnais-
« sance qu'il s'était expliqué sur mors compte d'iuie manière trop
n honorable pour le répéter Je ne l'ai depuis rencontré qu'une
« fois par hasard aux travaux de l'Etoile voisine des cham].>s élysées.
« Son premier mouvement et le mien fuient réciproquement de tom-
« ber dans les bras l'un de l'autre ; mais il s'arrêta au milieu de son
« élan. Qui l'a donc retenu ? la méfiance dont un accès jdus violent
« qu'à l'ordinaire le saisit tout-à-coUp. Situé sur le bord d'une tran-
« chée profonde, et me voyant à ses cotés, il craignit apparemment
« que je no l'y précipitasse; tout, du moins , m'autorisait à le croire,
« Il tremblait de tous ses membres. Tantôt il élevait des liras sup-
K pliants vers le ciel ; tantôt, comme s'il eût invoqué ma pitié, il me
« montrait l'abîme ouvert sous ses pas. Je ne compris que trop ce
« langage muet. M'éloignant de lui , je tâchai de le rassurer par les
f plus tendres démonstrations; quoiqu'il en parût touché, il passa
« son chemin. .> De mes rapports m-cc J. J. Rousseau, ])age rSg.
S36 CORRESPOND \WCE.
LETTRE CMXLV
A M. DU PEYROU,
A Paris, ty^ji.
Jamais, mon cher hôte, un homme sage et ami
de la justice , quelque preuve qu'il croie avoir , ne
condamne an autre homme sans l'entendre, ou
sans le mettre à portée d'être entendu. Sans cette
loi, la première et la plus sacrée de tout le droit,
naturel, la société, sapée par ses fondements, ne
serait qu'un brigandage affreux, où l'innocence et
la vérité sans défense , seraient en proie à l'erreur
et à l'imposture. Quoiqu'en cette occasion le su-
jet soit un peu moins grave, j'ai cependant à me
plaindre que pour quelqu'un qui dit tant croire à
la vertu , vous me jugiez si légèrement à votre or.-
dinaire.
i°Il n'y a que peu de jours que j'ai reçu votre
lettre du i 5 novembre , avec le billet sur vos ban-
quiers qu'elle contenait. Par une fraude des facteius
qui s'entendaient avec je ne sais qui , mes lettres
ont resté plusieurs mois sans cours à la poste; et
ce n'est qu'après un entretien avec un de ces mes-
sieurs qui me vint voir, que l'affoire fut éclah'cie,
que le grief fut redressé , et qu'on me promit que
pareille chose n'arriverait plus à l'avenir. En con-
séquence de ce redressement, on m'apporta toutes
mes lettres, dont, vu l'énormité des ports, je ne
ANNÉE 1771. 337
retirai que la votre seule que je reconnus à l'écri-
ture et au cachet. Il eût été malhonnête de faire
usage de votre ordre sur vos banquiers avant de
vous en accuser la réception , et mes occupations
ne m'ayant pas laissé, depuis huit jours, le temps
de vous écrire , avant d'avoir répondu à cette pre-
mière lettre, j'ai reçu la seconde du 19 mars avec
le duplicata de votre billet, et cela m'a fait prendre
le parti , toute chose cessante , de répondre sur-
le-champ à l'une et à l'autre.
2° La lettre que vous marquez m'avoir écrite par
madame Boy de La Tour , ni par conséquent l'autre
duplicata de votre ordre à vos banquiers , ne me
sont point parvenus , ni aucune nouvelle de cette
dame depuis très-long-temps, .l'ignore la raison de
ce silence, car elle savait qu'il ne fallait pas m'écrire
par la poste , et les voies sûres ne lui manquaient
assurément pas.
3** J'en pensais autant de vous , et je jugeai
qu'ayant bien su me faire parvenir une lettre de
M. Junet, sans un seul mot de votre part, ni ver-
bal , ni par écrit , vous sauriez bien , quand vous
le voudriez, employer, comme vous avez fait, la
même voie pour vous-même. Voyant que vous n'en
faisiez rien, je jugeais que vous n'aviez pas là-des-
sus beaucoup d'empressement, et un galant homme
comme vous sentira bien qu'en cette occasion ce
n'était pas à moi d'en avoir davantage.
L\^ Je parlai toutefois de votre silence à M. d'Es-
cherny , et de l'obstacle de la poste qui pouvait
être cause que je ne recevais point de vos lettres.
R. xxn. 22
338 CORRESPONDANCE.
J'ajoutai que la seule voie sûre et simple que vous
aviez pour m'écrire , était d'adresser votre lettre
sous enveloppe à quelqu'un résidant à Paris, pour
me la faire tenir ; mais je ne parlai de lui en au-
cune manière ; et , s'il s'est mis en avant , comme
vous le marquez , il a pris le surplus sous son
bonnet.
Voilà , mon cher hôte , l'exacte vérité ; si vous
trouvez en tout cela quelque tort à me reprocher ,
vous m'obligerez de vouloir bien me l'indiquer.
Pour moi, je ne vous en reproche ici d'autre que
celui auquel je suis tout accoutumé, savoir la pré-
cipitation de vos jugements avant d'avoir pris les
mesures nécessaires pour savoir la vérité. Voilà
cependant comment il faut que toutes mes lettres
s'emploient en apologies, attendu que toutes les
vôtres s'emploient en injustes griefs. C'est l'his-
toire abrégée de nos liaisons depuis plusieurs an-
nées. Je suis le lésé , et vous êtes le plaignant.
Votre compte, que vous m'avez envoyé tant de
fois , me paraît très et trop en règle ; le mandat
sur vos banquiers est aussi fort bien, et j'en ferai
usage.
Je vous embrasse cordialement. Vous me pro-
posez l'oubli de ce que vous appelez nos enfantil-
lages. Je ne demande pas mieux , mais ce n'est pas
de moi que la chose dépend : le souvenir fut votre
ouvrage, il faut que l'oubli le soit aussi ; mais jus-
qu'ici vous ne vous y êtes assurément pas bien
pris pour opérer cet effet.
AivNKE ryyi. 339
LETTRE CMXLVI.
A M. DE SAINT-GERMATN.
A Paris, 17*71.
C'est avec bien du regret, monsieur, que j'ai
demeuré si long-temps privé de vos nouvelles ; une
tracasserie qu'on m'avait faite à la poste m'avait
fait renoncer à recevoir ni écrire aucune lettre
par cette voie. Ce n'est que depuis quelques jours
qu'une visite d'un de ces messieurs m'a donné l'é-
claircissement de ce malentendu : et après la pro-
messe qui m'a été faite que rien de pareil n'arri-
verait à l'avenir , je reprends la même voie poin-
donner de mes nouvelles , et en demander aux per-
sonnes qui m'intéressent, parmi lesquelles vous sa-
vez bien , monsieur , que vous tenez et tiendrez
toujours le premier rang. Veuillez, monsieur, m'in-
former de l'état présent de votre santé et de celle
de madame de Saint-Germain , et de toute votre
brillante famille. Je vous connais trop invariable
dans vos sentiments pour douter que je ne re-
trouve toujours en vous les bontés et la bienveil-
lance dont vous pfi'avpz honoré ci-devant; comme
je ne cesserai jamais , non plus , d'avoir le cœur
plein de l'attachement et de Ja reconnaissance que
je vous ai voués.
Je n'ai rien à vous dire de nouveau sur ma si-
tuation , elle est la même que ci-devant : mes in-
22.
340 CORRESPONDANCE.
commodités ordinaires m'ont retenu chez moi une
partie de l'hiver, sans pourtant m'a voir trop mal-
traité. Ma femme a eu des rhumes et des rhuma-
tismes , et le froid qui continue avec heaucoup de
rigueur ne nous a pas encore rendu à l'un et l'autre
notre santé d'été. Nous avons passé d'agréables soi-
rées au coin de nos tisons à parler des avantages
que nous a procurés l'honneur de vous connaître ,
et des heures si douces que vous nous avez don-
nées : nous vous prions de vous rappeler quelque-
fois d'anciens voisins qui sentiront toute leur vie
le regret d'avoir été forcés de s'éloio^ner de vous.
Veuillez, monsieur, faire agréer nos respects à
madame de Saint-Germain , et recevoir avec votre
bonté accoutumée nos plus humbles salutations.
LETTRE CMXLVIL
A MADAME DE T.
Le 6 avril 177 1.
Un violent rhume , madame , qui me met hors
d'état de parler sans fatiguer extrêmement, me fait
prendre le parti de vous écrire mon sentiment sur
votre enfant , pour ne pas le laisser plus long-temps
dans l'état de suspension où je sens bien que vous
le tenez avec peine, quoiqu'il n'y ait point, selon
moi, d'inconvénient. Je vous avouerai d'abord que
plus je pense à l'exposition lumineuse que vous
m'avez faite , moins je puis me persuader que cette
ANNÉE 1771- 341
roideur de caractère qu'il manifeste dans un âge si
tendre soit l'ouvrage de la nature. Cette mutiner
rie , ou , si vous voulez , madame , cette fermeté ,
n'est pas si rare que vous croyez parmi les enfants
élevés comme lui dans l'opulence; et j['en sais dans
ce moment même à Paris un autre exemple tout
semblable dont la conformité m'a beaucoup frappé ,
tandis que parmi les autres enfants élevés avec
moins de sollicitude apparente, et à qui l'on a moins
fait sentir par là leur importance , je n'ai vu de ma
vie un exemple pareil. Mais laissons , quant à pré-
sent , cette observation qui nous mènerait trop
loin , et, quoi qu'il en soit de la cause du mal,
parlons du remède.
Vous voilà, madame , à mon avis, dans ime cir-
constance favorable dont vous pouvez tirer grand
parti : l'enfant commence à s'impatienter dans sa
pension , il désire ardemment de revenir ; mais sa
fierté , qui ne lui permet jamais de s'abaisser aux
prières, l'empêche de vous manifester pleinengient
son désir. Suivez cette indication pour prendre sur
lui un ascendant dont il ne lui soit pas aisé dans
la suite d'éluder l'effet. S'il n'y avait pas un peu de
cruauté d'augmenter ses larmes, je voudrais qu'on
commençât par lui faire \i\ peur tout entière, et
que, sans que personne lui dît précisément qu'il
restera, ni qu'il reviendra, il vît quelque espèce
de préparatifs , comme pour lui faire quitter tout-
à-fait la maison paternelle , et qu'on évitât de s'ex-
pliquer avec lui sur cps préparatifs. Quand vous
l'en verriez le plus inquiet, vous prendriez alors
342 CORRESPONDANCi-:.
votre moment pour lui parler, et cela d'un air si
sérieux et si ferme, qu'il fût bien persuadé que c'est
tout de bon.
« Mon fils , il m'en coûte tant de vous tenir
éloigné de moi , que , si je n'écoutais que mon pen-
chant , je vous retiendrais ici dès ce moment ; mais
c'est ma trop grande tendresse pour vous qui
m'empêche de m'y livrer : tandis que vous avez été
ici j'ai vu avec la plus vive douleur qu'au lieu de
répondre à l'attachement de votre mère et de lui
rendre en toute chose la complaisance qu'elle ai-
mait avoir pour vous, vous ne vous appliquiez
qu'à lui faire éprouver des contradictions, qui la
déchirent trop de votre part poiu- qu'elle les puisse
endurer davantage , etc.
'c J'ai donc pris la résolution de vous placer loin
de moi pour m'épargner l'affliction d'être à tout
moment l'objet et le témoin de votre désobéis-
sance. Puisque vous ne voulez pas répondre aux
tendres soins que j'ai voulu prendre de votre édu-
cation , j'aime mieux que vous alliez devenir un
mauvais sujet loin de mes yeux, que de voir mon
fils chéri manquer à chaque instant à ce qu'il doit
à sa mère; et d'ailleurs je ne désespère pas que
des gens fermes et sensés , qui n'auront pas pour
vous le même faible que moi, ne viennent à bout
de dompter vos mutineries par des traitements né-
cessaires que votre mère n'aurait jamais le courage
de vous faire endurer , etc.
« Voilà, mon fils, les raisons du parti que j'ai
pris à votre égard , et le seul que vous me laissiez
ANNÉE 177 I. 343
à prendre pour ne pas vous livrer à tous vos dé-
fauts et me rendre tout-à-fait malheureuse. Je
ne vous laisse point à Paris, pour ne pas avoir à
combattre sans cesse , en vous voyant trop souvent,
le désir de vous rapprocher de moi; mais je ne
vous tiendrai pas non plus si éloigné que, si l'on
est content de vous, je ne puisse vous faire venir
ici quelquefois , etc. »
Je suis fort trompé, madame, si toute sa hau-
teur tient à ce coup inattendu , dont il sentira toute
la conséquence, vu surtout le tendre attachement
que vous lui connaissez pour vous , et qui , dans ce
moment, fera taire tout autre penchant. Il pleu-
rera, il gémira, il poussera des cris, auxquels
vous ne serez ni ne paraîtrez insensible ; mais , lui
parlant toujours de son départ comme d'une chose
arrangée, vous lui montrerez du regret qu'il ait
laissé venir cet arrangement au point de ne pou-
voir plus être révoqué. Voilà , selon moi , la route
par laquelle vous l'amènerez sans peine à une ca-
pitulation , qu'il acceptera avec des tiansports de
joie , et dont vous réglerez tous les articles sans
qu'il regimbe contre aucun : encore avec tout cela
ne paraîtrez-vous pas compter extrêmement sur
la solidité de ce traité ; vous le recevrez plutôt
dans votre maison comme par essai que par une
réunion constante , et son voyage paraîtra plutôt
différé que rompu, l'assurant cependant que, s'il
tient réellement ses engagements, il fera le bon-
heur de votre vie en vous dispensant de l'éloigner
de vous.
344 CORRESPONDANCE.
Il me semble que voilà le moyen de faire avec
lui l'accord le plus solide qu'il soit possible de
faire avec un enfant; et il aura des raisons de tenir
cet accord si puissantes et tellement à sa portée,
que, selon toute apparence, il reviendra souple
et docile pour long-temps.
Voilà , madame , ce qui m'a paru le mieux à faire
dans la circonstance. Il y a une continuité de ré-
gime à observer qu'on ne peut détailler dans une
lettre , et qui ne peut se déterminer que par l'exa-
men du sujet ; et d'ailleurs ce n'est pas une mère
aussi tendre que vous , ce n'est pas un esprit aussi
clairvoyant que le vôtre qu'il faut guider dans tous
ces détails. Je vous l'ai dit, madame , je m'en suis
pénétré dans notre unique conversation ; vous
n'avez besoin des conseils de personne dans la
grande et respectable tâche dont vous êtes chargée,
et que vous remplissez si bien. J'ai dû cependant
m'acquitter de celle que votre modestie m'a im-
posée; je l'ai fait par obéissance et par devoir, mais
bien persuadé que pour savoir ce qu'il y a de
mieux à faire, il suffisait d'observer ce que vous
ferez,
ANNÉE 1771- %45
LETTRE CMXLVIII.
A MADAME DE CRÉQUI.
Ce mardi 7. (1771.)
Rousseau peut assurer madame la marquise de
Créqui que , tant qu'il croira trouver chez elle les
sentiments qu'il y porte , et dont le retour lui est
dii, loin de compter et regretter ses pas pour avoir
l'honneur de la voir , il se croira bien dédommagé
de cent courses inutiles par le succès d'une seule.
Mais , en tout autre cas , il déclare qu'il regarde-
rait un seul pas comme indignement perdu, et
ses visites reçues comme une fraude et un vol,
puisque l'estime réciproque est la condition sacrée
et indispensable sans laquelle , hors la nécessité des
affaires, il est bien déterminé à n'en jamais hono-
rer volontairement qui que ce soit.
Je reçois chez moi, j'en conviens, des gens pour
qui je n'ai nulle estime ; mais je les reçois par force :
je ne leur cache point mon dédain ; et comme ils
sont accommodants , ils le supportent pour aller
H leurs fins. Pour moi , qui ne veux tromper ni
trahir personne , quand je fais tant que d'aller chez
([uelqu'un , c'est pour l'honorer et en être honoré.
Je lui témoigne mon estime en y allant; il me té-
moigne la sienne en me recevant : s'il a le malheur
tle me la refuser , et qu'il ait de la droiture , il sera
bientôt désabusé, ou bieatôt délivré de moi. Voilà
34^ CORRESPOJNUANCE.
mes sentiments : s'ils s'accordent avec ceux de ma-
dame la marquise de Créqui, j'en serai comblé de
joie; s'ils en diffèrent, j'espère qu'elle voudra bien
me dire en quoi. Si elle aime mieux ne me rien
dire, ce sera me parler très-clairement. Je la sup-
plie d'agréer ici mes sentiments et mon respect.
Rousseau.
JV. B. Ce billet fut écrit à la réception de celui
que madame la marquise de Créqui m'a fait écrire;
mais ne voulant pas le confier à la petite poste ,
j'ai attendu que je fusse en état de le porter moi-
même.
LETTRE CMXLIX.
A MADAME LATOUR.
A Paris , 17-^71.
Je n'ai eu l'honneur de vous voir, madame,
qu'une seule fois en ma vie, j'ai eu souvent celui
de vous répondre; et, sans prévoir que mes lettres
seraient un jour exposées à être imprimées, je me
suis livré pleinement aux diverses impressions que
me fesaient les vôtres. Vous avez pris ma défense
contre les trames de mes persécuteurs durant mon
séjour en Angleterre : cette générosité m'a tran-
sporté, vous avez dû voir combien j'y étais sen-
sible. Depuis lors, ma situation se dévoilant da-
vantage à mes yeux, j'ai trouvé qu'avec autant de
ANNÉE I77Ï. 347
franchise et même d'étourderie , il ne me conve-
nait de rester en commerce avec personne dont
je ne connusse bien le caractère et les liaisons; j'ai
vu que l'ostentation des services qu'on s'empres-
sait de me rendre, n'était souvent qu'un piège plus
ou moins adroit pour me circonvenir, ou pour
m'exposer au blâme, si je l'évitais. De toutes mes
correspondances vous étiez en même temps la
])lus exigeante, celle que je connaissais le moins,
et celle qui m'éclairait le moins sur les choses qu'il
m'importait de savoir et que 'vous n'ignoriez pas.
Cela m'a déterminé à cesser un commerce qui me
devenait onéreux , et dont le vrai motif de votre
part pouvait m'échapper. J'ai toujours cru que
rien n'était plus libre que les liaisons d'amitié, sur-
tout des liaisons purement épistolaires , et cju'il
était toujours permis de les rompre, quand elles
cessaient de nous convenir , pourvu que cela se
fît franchement, sans tracasserie, sans malice, et
sans éclat , tant que cet éclat n'était pas indispen-
sable. J'ai voulu, madame, user avec vous de ce
droit, livec tous ces ménagements. Vous m'en avez
fait un crime exécrable, et, dans votre dernière
lettre , vous appelez cela enfoncer cUane main sûre
iinjer empoisonné dans le sein de l'amitié. Sans vous
dire, madame, ce que je pense de cette phrase,
je vous dirai seulement que je suis déterminé à
n'avoir de mes jours de liaison d'aucune espèce
avec quiconque a pu l'employer en pareille oc-
casion .
Observation. — Mad. Latour faisait dans sa lettre l'énu-
348 CORRESPONDANCE.
nictation de celles qu'ils s'étaient écrites; il y en avait quatre-
vingt quatorze d'elle et cinquante-cinq de Rousseau. « De ces
« cinquante cinq, il y en a trente-quatre, lui dit-elle, où vous
« êtes à mes pieds; six où vous me mettez sous les vôtres; neuf
« où vous me traitez en simple connaissance, et six où vous vous
« livrez aux épanchements de la plus intime amitié. » Ce calcul
piquant n'était propre qu'à donner de l'humeur à Jean-Jacques.
LETTRE CML.
A M. DU PEYROU.
A Paris, a juillet 1771.
J'ai été hier, mon cher hôte , chez vos hanquiers
recevoir l'année échue de ma pension de Miiord
Maréchal : ce n'est pourtant pas uniquement pour
vous donner cet avis que je vous écris aujourd'hui,
mais pour vous dire qu'il y a long-temps que je
n'ai reçu directement de vos nouvelles; heureuse-
ment le libraire Rey qui vous a vu à Neuchâtel ,
m'en a donné de vous et de madame du Peyrou ,
d'assez bonnes pour m'ôter toute autre inquié-
tude que celle de votre oubh. Etes-vous enfin dans
votre maison ? est elle entièrement achevée , et y
étes-vous bien arrangé? Si, comme je le désire,
son habitation vous donne autant d'agrément que
son bâtiment vous a causé d'embarras , vous y de-
vez niener une vie bien douce. Je me suis logé
aussi l'automne dernier , moins au large et à un
cinquième, mais assez agréablement selon mon
goût , et en grand et bon air ; ce qui n'est pas trop
A]\NÉE 1771. 349
facile dans le cœur de Paris. Si vous me donnez
quelque signe de vie, je serais bien aise que vous
me donnassiez des nouvelles de M. Roguin , mon
bon et ancien ami , dont je sais que les incommo-
dités sont fort augmentées depuis un an ou deux ,
et dont je n'ai aucunes nouvelles depuis long-
temps. Nous vous prions , ma femme et moi , de
nous rappeler au souvenir de madame du Peyrou ,
qui ne perdra jamais la place qu'elle s'est acquise
dans le nôtre , ni les sentiments qui en sont insé-
parables. Le silence qu'en me parlant d'elle Rey a
gardé sur sa santé , me fait espérer qu'elle est bien
raffermie, ainsi que la vôtre. Pour moi, j'ai eu de
grands maux de reins qui m'ont fait prendre le
parti de travailler debout. Ma femme a eu de
très-grands rhumes successifs; aux queues près de
tout cela, nous nous portons maintenant assez bien
l'un et l'autre , et nous vous saluons , mon cher
hôte , de tout notre cœur.
LETTRE CMLI.
A MADAME LATOUR.
Le 7 juillet 177 1.
Voici le manuscrit dont madame de L*** a paru
en peine, et que je ne tardais à lui renvoyer que
parce qu'elle m'avait écrit de le garder. Je l'ai
trouvé digne de sa plume et d'un cœur ami de
la justice. J'ai pourtant été plus touché, je l'avoue,
35o CORRESPONDANCE.
de récrit qui a été lu de tout le monde , que de
celui qui n'a été vu que de moi.
Madame, je ne reçois pas votre adieu pour ja-
mais, je n'ai point songé à vous en faire un sem-
blable ; les temps peuvent changer , et quoi que fas-
sent les hommes , je ne désespérerai jamais de la
Providence. Mais en attendant , je crois porter
bien plus de respect à nos anciennes liaisons en
les interrompant jusqu'à de plus grandes lumières,
que de les entretenir avec une confiance altérée
et des réserves indignes de vous et de moi.
LETTRE CMLII.
A M. LE CHEVALIER DE COSSÉ.
^ Paris, le 2$ juillet 1771.
Je suis , monsieur le chevalier , touché de vos
bontés et des soins qu'elles vous suggèrent en ma
faveur. Très-persuadé que ces soins de votre part
sont des fruits de votre bon naturel et de votre
bienveillance envers moi ; après vous en avoir
remercié de tout mon cœur, je prendrai la liberté
d'y correspondre par un conseil qui part de la
même source, et que la différence de nos âges au-
torise de ma part; c'est, monsieur, de ne vous
mêler d'aucune affaire que vous n'en soyez préa-
lablement bien instruit.
La pension que vous dites m'avoir été retirée ,
et que vous offrez de me faire rendre , pi'a été ap-
AxXNÉE I77I. 35 I
])ortée avec les arrérages , ici , dans ma chambre ,
il n'y a pas quatre mois, en une lettre de change
de six mille francs , qu'on offrait de me payer
comptant sur le champ : et je vous assure que les
plus vives sollicitations ne furent pas épargnées
pour me faire recevoir cet argent *. En voilà , ce
tne semble , assez pour vous faire comprendre que
ceux qui ont prétendu vous mettre au fait de cette
affaire ne vous ont pas fait un rapport fidèle , et
que la difficulté n'est pas où vous la croyez voir.
Je vous réitère , monsieur mes actions de grâces
de l'intérêt que vous voulez bien prendre à moi,
et qui m'est plus précieux que toutes les pensions
du monde; mais comme j'ai pris mon parti sur
celle-là, je vous prie de ne m'en reparler jamais.
Agréez mes humbles salutations.
LETTRE CMLÎII.
A M. LINNÉ**.
Paris, le 2 I septembre 1771.
Recevez avec bonté , monsieur, l'hommage d'un
très-ignare , mais très-zélé disciple de vos disciples ;
M. Corancez raconte ce fait avec quelque détail dans son écrit
intitulé , De J. J. Rousseau, page 8 et suiv. C'était lui qui avait été
chargé d'offrir à Rousseau la lettre de change montant à 6,336 liv.
Cette lettre fut communiquée <t M. Broussonet par M. Smith ,
de la Société royale de Londres, qui a acquis la collection et les nia-
nusofits de Linné; il l'a fait imprimer dans le Journal de Paris,
le 9 mai 1786.
3^2 CORRESPONDANCE,
qui doit, en grande partie, à la méditation de vos
écrits , la tranquillité dont il jouit, au milieu d'une
persécution d'autant plus cruelle, qu'elle est plus
cachée, et qu'elle couvre du masque de la bien-
veillance et de l'amitié la plus terrible haine que
l'enfer excita jamais. Seul, avec la nature et vous ,
je passe dans mes promenades champêtres des
heures délicieuses, et je tire un profit plus réel
de xoXre philosophie botanique c^ae, de tous les livres
de morale. J'apprends avec joie que je ne vous
suis pas tout-à-fait inconnu , et que vous voulez
bien me destiner quelques-unes de vos productions.
Soyez persuadé , monsieur , qu'elles feront ma lec-
ture chérie , et que ce plaisir deviendra plus vif
encore par celui de le tenir de vous. J'amuse une
vieille enfance à faire une petite collection de fruits
et de graines : si parmi vos trésors en ce genre il se
trouvait quelques rebuts dont vous voulussiez faire
un heureux , daignez songer à moi. Je les recevrais
même avec reconnaissance , seul retour que je
puisse vous offrir , mais que le cœur dont elle part
ne rend pas indigne de vous.
Adieu , monsieur ; continuez d'ouvrir et d'in-
terpréter aux hommes le livre de la nature. Pour
moi, content d'en déchiffrer quelques mots à votre
suite , dans le feuillet du règne végétal , je vous lis ,
je vous étudie, je vous médite, je vous honore ,
et je vous aime de tout mon cœur.
ANNÉE 177'J!. 353
LETTRE CMLIV.
A M. DE SAINT-GERMAIN.
7 janvier 1772.
Moi , vous oublier , monsieur ! pourriez -vous
penser ainsi de vous et de moi! non, les senti-
ments que vous m'avez inspirés ne peuvent non
plus s'altérer que vos vertus , et dureront autant
que ma vie. Mes occupations , mon goût , ma pa-
resse , m'onl forcé de renoncer à toute correspon-
dance. Je m'étais pourtant proposé de vous faire
passer un petit signe de vie par M. le marquis
de ***, qui m'a promis de me revenir voir avant
son départ , et de vouloir bien s'en charger. Je
suis touché que votre bonté m'ait forcé, pour
ainsi dire , à prévenir cet arrangement.
Je ne puis, monsieur, vous promettre, en fait
de lettres , une exactitude qui passe mes forces ;
mais je vous promets, avec toute la confiance d'un
cœur qui vous est dévoué , un attachement inal-
térable et digne de vous. Ainsi , quand je ne vous
écrirai point , daignez interpréter mon. silence par
tous les sentiments que je vous ai fait connaître ,
et vous ne vous tromperez jamais.
Ma femme, pénétrée des attentions dont vous
l'honorez , me charge de vous témoigner con»bien
elle y est sensible , et c'est conjointement que nous
réunissons les vœux de nos cœurs pour vous , mon-
R. xxir. ^3
354 CORRESPONDANCE.
sieur , pour madame de Saint-Germain , à qui nous
vous prions de faire agréer nos respects, et pour
tous vos aimables enfants, dont la brillante espé-
rance annoncé de quel prix le ciel veut payer les
vertus de ceux qui leur ont donné l'être. .
LETTRE CMLV.
A M. dp: sartine.
Paris, ]e l'y jauvier 1772.
Monsieur ,
Je sais de quel prix sont vos moments, je sais
qu'on les doit respecter.; mais je sais aussi que les
plus précieux sont ceux que vous consacrez à pro-
téger les opprimés, et si j'ose en réclamer quelques-
uns , ce n'est pas sans titre pour cela.
Après tant de vains efforts pour faire percer
quelque rayon de lumière à travers les ténèbres
dont on m'environne depuis dix ans , j'y renonce.
J'ai de grands vices, mais qui n'ont jamais fait de
mal qu'à moi ; j'ai commis de grandes fautes , mais
que je n'ai point tues à mes amis , et ce n'est que
par moi qu'elles sont connues, quoiqu'elles aient
été publiées par d'autres qui sont quelquefois plus
discrets. A cela près , si quelqu'un m'impute quel-
que sentiment vicieux , quelque discours blâma-
* M. Lenoir ne succéda à M. de Sartine qu'en 1774- C'est donc
par erreur qu'on a , dans les éditions précédentes , mis le nom du
premier.
ANNÉE I77'->.. 355
ble, ou quelque acte injuste, qu'il se montre et
qu'il parle; je l'attends et ne me cache pas; mais
tant qu'il se cachera , lui , de moi , pour me diffa-
mer , il n'aura diffamé que lui-même aux yeux de
tout homme équitable et sensé. L'évidence et les
ténèbres sont incompatibles : les preuves adminis-
trées par de malhonnêtes gens sont toujours sus-
pectes, et celui. qui, commençant par fouler aux
pieds la plus inviolable loi du droit naturel et de
la justice , se déclare par là déjà lâche et méchant,
peut bien étie encore imposteur et fourbe. Et
comment donnerait-il à son témoignage, et, si l'on
veut , à ses preuves , la force que l'équité n'ac-
corde même à nulle évidence , de disposer de l'hon-
neur d'un homme , plus précieux que la vie , sans
l'avoir mis préalablement en état de se défendre
et d'être entendu? Que celui donc qui s'obstine à
me juger ainsi reste dans le stupide aveuglement
qu'il aime; son erreur est de son propre fait; c'est
lui seul qu'elle déshonore : après m'être offert pour
l'en tirer, je l'y laisse, puisqu'il le veut, et qu'il
m'est impossible de l'en guérir malgré lui. Grâces
au ciel tout l'art humain ne changera pas la na-
ture des choses ; il ne fera pas quç le mensonge de-
vienne la vérité, ni que de mon vivant la poitrine
de Jean-Jacques Rousseau renferme le cœur d'un
malhonnête homme: cela me suffit, et je vis en
paix, en attendant que mon moment et celui de la
vérité vienne ; car il viendra, j'en suis très-sûr , et je
l'attends avec un témoignage qui me dédommage
de celui d'autriii.
2:1
356 CORRESPONDANCE.
Tranquille donc sur tout ce qu'on me cache
avec tant de soin, et même sur ce qui me parvient
par hasard , j'ai laissé débiter , parmi cent autres
bruits non moins ineptes, quej'avais cessé de voir
madame de Luxembourg après lui avoir emporté
trois cents louis , que je ne copiais de la musique que
par grimace , que j'avais de quoi vivre fort à mon
aise , que j'avais six bonnes mille livres de rente ,
que la veuve Duchesne faisait une pension de six
cents livres à ma femme , qu'elle m'en faisait une
autre à moi de mille écus pour une édition nouvelle
de mes écrits que j'avais dirigée. J'ai laissé débiter
tous ces mensonges; je n'ai fait qu'en rire quand
ils me sont revenus , et je n'ai pas même été tenté
de vous importuner , monsieur , de mes plaintes à
ce sujet, quoique je sentisse parfaitement le coup
que cette opinion de mon opulence devait porter
aux ressources que mon travail me procure pour
suppléer à l'insuffisance de mon revenu. Une pe-
tite circonstance de plus a passé la mesure , et m'a
causé quelque émotion, parce que l'imposture,
marchant toujours sous le masque de la trahison ,
a pris jusqu'ici grand soin de faire le plongeon
devant moi, et ne m'avait pas encore accoutumé
à l'effronterie. Mais en voici une qui m'a, je l'a-
voue, affecté.
Tavais prié un de ceux qui m'ont averti des
bruits dont je viens de parler, de tâcher d'appren-
dre si madame Duchesne et le' sieur Guy y avaient
quelque part. De chez eux , où il n'a trouvé que
des garçons , il est allé chez Simon , qu'on lui di-
ANNÉE 1772. 357
sait avoir imprimé la nouvelle édition qui m'avait
été si bien payée. Simon lui a dit qu'en effet il ve-
nait d'imprimer quelques-uns de mes écrits sous
mes yeux, que j'en avais revu les épreuves, et que
j'étais même allé chez lui il n'y avait pas long-
temps. Quoique je sois par moi-même le moins
important des hommes, je le suis assez devenu par
ma singulière position pour être assuré que rien
de ce que je fais et de ce que je ne fais pas ne
vous échappe : c'est une de mes plus douces con-
solations ; et je vous avoue , monsieur , que l'avan-
tage de vivre sous les yeux d'un magistrat intègre
et vigilant , auquel on n'en impose pas aisément ,
est un des motifs qui m'ont arraché des campagnes,
où , livré sans ressource aux manœuvres des gens
qui disposent de moi , je me voyais en proie à leurs
satellites et à toutes les illusions par lesquelles les
gens puissants et intrigants abusent si aisément le
public sur le compte d'un étranger isolé à qui l'on
est venu à bout de faire un inviolable secret de
tout ce qui le regarde , et qui par conséquent n'a
pas la moindre défense contre les mensonges les
plus extravagants.
J'ai donc peu besoin, monsieur, de vous dire
que cette opulence dont on me gratifie si libérale-
ment dans les cercles, que toutes ces pensions si
fièrement spécifiées ''j cette édition qu'on me prête,
" Celles en particulier de madame Duchesne se réduisent toutes à
une rente de trois cents francs, stipulée dans le marché de mon
Dictionnaire de Musique. J'en ai une de six cents francs, de Milord
Maréchal, dont je jouis par l'attention de celui qu'il en a chargé à
ma prière , mais sans autre sûreté que son bon plaisir , n'ayant aucun
358 CORKESPOIND^NCE.
sont autant de fictions; niais je n'ai pu m'empè-
clier de mettre sous vos yeux l'impudence incroya-
ble dudit Simon , que je ne ^^s de mes jours , que
je sache, chez qui je n'ai jamais mis le pied, dont
je ne skis pas la demeure, et que j'ignorais même,
avant ces bruits , avoir imprimé aucun de mes
écrits. Comme je n'attends plus aucune justice de
la part des hommes, je m'épargne désormais la
peine inutile de la demander, et je ne vous de-
mande à vous-même que la patience de me lire,
quoique je fasse l'exception qui est due à votre
intégrité et à la générosité qui vous intéresse aux
infortunés. Mais ne voyant plus rien qui puisse
me flatter dans cette vie, les restes m'en sont de-
venus indifférents. La seule douceur qui peut
m'y toucher encore est que l'œil clairvoyant d'un
homme juste pénètre au vrai ma situation , qu'il la
connaisse, et me plaigne en lui-même, sans se
commettre pour ma défense avec mes dangereux
ennemis. Je vous aurais choisi pour cela, monsieur,
quand vous ne rempliriez point la place où vous
êtes ; mais j'y vois , je l'avoue , un avantage de plus ,
puisque, par cette place même, vous avez été à
portée de vérifier assez d'impostures pour en pré-
sumer beaucoup d'autres que vous pouvez vérifier
acte valable pour la réclamer de mon chef. J'ai une rente de dix
livres sterling , pour mes livres que j'ai vendus en Angleterre ,
sur la tète de l'aclieteur et sur la mienne, en sorte que cette rente
doit s'éteindre au premier mourant. Tout cela fait ensemble onze
cents francs de viager , dont il n'y a que trois cents de solides. Ajou-
tez à cela quelque argent comptant, dernier reste du petit capital
que j'ai consumé dans mes voyages, et que je m'étais réservé pour
avoir quelque avance en faisant ici mon établissement.
de même un jour. Peut-être vous écrirai-je quel-
quefois encore, mais je ne vous demanderai ja-
mais rien ; et si ma confiance devient importune
à l'homme occupé , je réponds du moins qu'elle ne
sera jamais à charge au magistrat. Veuillez ne la
pas dédaigner; veuillez, monsieur, vous rappeler
qu'elle ne tient pas seulement au respect que vous
m'avez inspiré, mais encore aux témoignages de
bonté dont vous m'avez honoré quelquefois, et
que je veux -mériter toute ma vie.
A la suite de cette lettre l'auteur a ajouté , soit comme apos-
tille, soit comme simple observation, l'article qu'on va lire.
Il n'est peut-être pas inutile d'observer que le
sieur Guy vient très- fréquemment chez moi sans
avoir rien à me dire , et sans que je puisse trou-
ver aucun motif à ses visites, vu que. toutes Içs
affaires que nous avons ensemble n'exigent qu'une
entrevue de deux minutes par an, et qu'il n'y a
point de liaison d'amitié entre lui et moi. Tl m'a
prié de lui faire un triage de chansons dans les an-
ciens recueils pour en faire un nouveau. Je l'ai prié,
de mon côté , de me prêter quelques romans pour
amuser ma femme durant les soirées d'hiver. Il
est parti de là pour me faire apporter en pompe
d'immenses paquets de brochures , qui , avec ses
allées et venues, lui' donnent l'air d'avoir avec
moi beaucoup d'affaires. Tout cela, joint aux
bruits dont j'ai parlé , commence à me faire soup-
çonner que ces fréquentes visites, que je ne pre-
nais que pour un petit espionnage assez commun
36o CORRESPONDANCE.
aux gens qui m'entourent, et très-indifférent pour
moi, pourraient bien avoir un objet plus métho-
dique et dirigé de plus loin. Il y a dans tout cela
de petites manœuvres adroites , dont le but me pa-
raîtrait pourtant facile à découvrir dans toute
autre position que la mienne, pour peu qu'on
y mît de soin.
LETTRE CMLVI.
A MILORD HARCOURT.
Paris, le i6 juin 1772.
J'ai reçu, milord, avec plaisir et reconnaissance,
des témoignages de la continuation de votre sou-
venir et de vos bontés par madame la duchesse
de Portland, et je suis encore plus sensible à la
peine que vous prenez de m'en donner par vous-
même. J'avais espéré que l'ambassade de milord
Harcourt pourrait vous attirer dans ce pays , et
c'eût été pour moi une véritable douceur de vous
y voir. Je me dédommage autant qu'il se peut de
cette attente frustrée, en nourrissant dans mon
cœur et dans ma mémoire les sentiments que vous
m'avez inspirés, et qui sont par leur nature à l'é-
preuve du temps, de l'éloignement , et de l'inter-
ruption du commerce. Je n'entretiens plus de cor-
respondance , je n'écris plus que pour l'absolue
nécessité; mais je n'oublie point tout ce qui m'a
paru mériter mon estime et mon attachement; et
ANNÉE 1772. 36l
c'est dans cet asile de difficile accès , mais par là
plus digne de vous, et où rien n'entre sans le
passe-port de la vertu, que vous occuperez tou-
jours une place distinguée.
Je suis sensible , milord , à vos offres obli-
geantes; et si j'étais dans le cas de m'en prévaloir,
je le ferais avec confiance, et même avec joie,
"pour vous montrer combien je compte sur vos
bontés : mais, grâces au ciel, je n'ai nulle affaire,
et tout sur la terre m'est devenu si indifférent, que
je ne me donnerais pas même la peine de former
un désir pour cette vie, quand cet acte seul suf-
firait pour l'accomplir. Ma femme vous prie d'a-
gréer ses remerciements très -humbles de l'hon-
neur de votre souvenir, et nous vous offrons,
milord, de tout notre cœur, l'un et l'autre, nos
salutations et nos i-espects.
LETTRE CMLVII.
A MADAME LATOUR.
Ce mercredi 24 juin 1772.
Voici , madame , votre partition; je vous de-
mande pardon de mon étourderie et du quiproquo.
N'ayant pas en ce moment le temps d'examiner la
Reine fantasque ^ et ne voulant pas abuser de la
complaisance que vous avez de me la laisser , je vous
la renvoie, avec mes remerciements. Je vous en
dois de plus grands pour l'offre que vous m'avez
'56'2 CORIIESPOÎSUANCE.
bien voulu faire de comparer avec les bonnes édi-
tions les éditions que l'on fait ici de mes écrits,
et que je dois croire frauduleuses, puisqu'on me
les cache avec tant de soin. Je sens le prix de cette
offre, et j'y suis sensible; mais la dépense et la
peine que vous coûterait son exécution ne me
permettent pas d'y consentir.
J'ai eu l'honneur, madame, de vous voir hier
pour la troisième fois de ma vie; j'ai réfléchi
sur l'entretien où vous m'avez, engagé et sur les
choses que vous m'y avez dites ; le résultat de ces
réflexions est de me confirmer pleinement dans la
résolution dont je vous ai fait part ci-devant, et à
laquelle vous vous devez , selon moi , de ne plus
porter d'obstacle , à moins que vous n'ayez pour
cela des raisons particulières que je ne sais pas ,
et auxquelles, par cette raison, je suis dispensé
de céder.
LETTRE CMLVIII.
A MADAME LA MARQUISE DE MESME.
Paris, 29 juillet 1772.
Je suis affligé , madame ,que vous vous y preniez
un peu trop tard, car en vérité, je vous aurais
demandé "de tout mon cœur l'entrevue que vous
avez la bonté de m'offrir ; mais je ne vais plus chez
personne , ni à la ville ni à la campagne : la réso-
lution en est prise, et il faut bien qu'elle soit sans
ANNÉE 177'Jt. 363
exception , puisque je ne la fais pas pour vous. J'ai
même tant de confiance aux sentiments que j'ai
su vous connaitre , que je ne refuserais pas , ma-
dame, de discuter avec vous mes raisons , si j'étais
à portée, quoique je sache bien que ce serait me
préparer de nouveaux regrets.
Adieu donc , madame ; daignez penser quelque-
fois à un homme dont vous ne seriez jamais ou-
bliée, et qui se consolerait difficilement d'être si
mal connu de ses contemporains, si leurs senti-
ments sur son compte l'intéressaient autant que
feront toujours ceux de madame la marquise de
Mesme.
LETTRE CMLIX.
A MADAME
Paris, le. 14 août 1772.
Il e&t, madame, des situations auxquelles il n'est
pas permis à un honnête homme d'être préparé, et
celle où je me trouve depuis dix ans est la plus in-
concevable et la plus étrange dont on puisse avoir
l'idée. J'en ai, senti l'horreur sans en pouvoir per-
cer les ténèbres. J'ai provoqué les imposteurs et
les traîtres par tous les moyens permis et justes
qui pouvaient avoir prise sur des coeurs humains :
tout a été inutile; ils ont fait le plongeon ; et, con-
tinuant leurs manœuvres souterraines, ils se sont
cachés de moi* avec le plus grand soin. Cela était
364 CORRESPONDANCE.
naturel , et j'aurais dû m'y attendre. Mais ce qui
l'est moins est qu'ils ont rendu le public entier
complice de leurs trames et de leur fausseté ; qu'a-
vec un succès qui tient du prodige on m'a ôté toute
connaissance des complots dont je. suis la victime,
en m'en faisant seulement bien sentir l'effet , et que
tous ont marqué le même empressement à me faire
boire la coupe de l'ignominie , et à me cacher la
bénigne main qui prit soin de la préparer. La co-
lère et l'indignation m'ont jeté d'abord dans des
transports qui m'ont fait faire beaucoup de sottises ,
sur lesquelles on avait compté. Comme je trouvais
injuste d'envelopper tout mon siècle dans le mé-
pris qu'on doit à quiconque se cache d'un homme
pour le diffamer, j'ai cherché quelqu'un qui eût
assez de droiture et de justice pour m'éclairer sur
ma situation , ou pour se refuser au moins aux in-
trigues des fourbes : j'ai porté partout ma lanterne
inutilement, je n'ai point trouvé d'homme , ni d'ame
humaine. J'ai vu avec dédain la grossière fausseté
de ceux qui voulaient m'abuser par des caresses,
si maladroites et si peu dictées par la bienveillance
et l'estime , qu'elles cachaient même , et assez mal ,
une secrète animosité. Je pardonne l'erreur, mais
non la trahison. A peine, dans ce délire universel,
ai-je trouvé dans tout Paris quelqu'un qui ne s'a-
vilît pas à cajoler fadement un homme qu'ils vou-
laient tromper , comme on cajole un oiseau niais
qu'on veut prendre. S'ils m'eussent fui, s'ils m'eus-
sent ouvertement maltraité , j'aurais pu , les plai-
gnant et me plaignant, du moins les estimer encore :
ANNÉE 1772. 365
ils n'ont pas voulu me laisser cette consolation. Ce-
pendant il est parmi eux des personnes d'ailleurs
si dignes d'estime , qu'il paraît injuste de les mé-
priser. Comment expliquer ces contradictions? J'ai
fait mille efforts pour y parvenir; j'ai fait toutes les
suppositions possibles; j'ai supposé l'imposture ar-
mée de tous les flambeaux de l'évidence : je me
suis dit : Ils sont trompés , leur erreur est invin-
cible. Mais, me suis -je répondu, non -seulement
ils sont trompés , mais , loin de déplorer leur er-
reur , ils l'aiment , ils la chérissent. Tout leur plai-
sir est de me croire vil , hypocrite et coupable ; ils
craindraient eomme un malheur affreux de me re-
trouver innocent et digne d'estime. Coupable ou
non , tous leurs soins sont de m'ôter l'exercice
de ce droit si naturel, si sacré de la défense de
soi-même. Hélas! toute leur peur est d'être forcés
de voir leur injustice , tout leur désir est de l'ag-
graver. Ils sont trompés ! hé bien ! supposons ; mais,
trompés , doivent-ils se conduire comme ils font ?
d'honnêtes gens peuvent-ils se conduire ainsi ? me
conduirais-je ainsi moi-même à leur place? Jamais,
jamais : je fuirais le scélérat ou confondrais l'hy-
pocrite; mais le flatter pour le circonvenir serait
me mettre au-dessous de lui. Non , si j'abordais ja-
mais un coquin que je croirais tel, ce ne serait que
pour le confondre et lui cracher au visage.
Après mille vains efforts inutiles pour expliîjuer
ce qui m'arrive dans toutes les suppositions , j'ai
donc cessé mes recherches, et je me suis dit : Je
vis dans une génération qui m'est inexplicable. La
'^66 CORRESPOIVDANCF.
conduite de mes contemporains à mon égard ne
permet à ma raison de leur accorder aucune es-
time. La haine n'entra jamais dans mon cœur. Le
mépris est encore un sentiment trop tourmentant.
Je ne les estime donc, ni ne les hais, ni ne les mé-
prise; ils sont nuls à mes yeux; ce sont pour moi
des habitants de la lune : je n^ai pas la moindre
idée de leur être moral ; la seule chose que je sais
est qu'il n'a point de rapport au mien , et que nous
ne sommes pas de la même espèce. J'ai donc re-
noncé avec eux à cette seule société qui pouvait
m'ètre douce, et que j'ai si vainement cherchée,
savoir à celle des cœurs. Je ne les cherche ni ne
les fuis. A moins d'affaires , je n'irai plus chez per-
sonne : mes visites sont un honneur que je ne dois
plus à qui que ce soit désornaais ; un pareil témoi-
gnage d'estime serait trompeur de ma part, et je
ne suis pas homme à imiter ceux dont je me dé-
tache. A l'égard des gens qui pleuvent chez moi,
je ferme autant que je puis ma porte aux quidams
et aux brutaux ; mais ceiix dont au moins le nom
m'est connu , et qui peuvent s'abstenir de m'insul-
ter chez moi, je les reçois avec indifférence , mais
sans dédain. Comme je n'ai plus ni humeur ni dé-
pit contre les pagodes au milieu desquelles je vis,
je ne refuse pas même , quand l'occasion s'en pré-
sente , de m'amuser d'elles et avec elles autant que
cela» leur convient et a moi aussi. Je laisserai aller
les choses comme elles .s'arrangeront d'elles-mêmes,
mais je n'irai pas au-delà ; et , à moins que je ne re-
trouve enfin, contre toute attente, ce que j'ai cessé
ANNÉE Î772. 367
de chercher , je ne ferai de ma vie phis un seul
|3as sans nécessité ponr rechercher qui que ce soit.
J'ai du regret, madame , à ne pouvoir faire excep-
tion pour vous , car vous m'avez paru bien aiiTiable ;
mais cela n'empêche pas que vous ne soyez de votre
siècle ,.et qu'à ce titre je ne puisse vous excepter.
Je sens bien ma perte en cette occasion , je sens
même aussi la vôtre , du moins si, comme je dois
le croire , vous recherchez dans la société des
choses d'un plus grand prix que l'élégance des ma-
nières et l'agrément de la conversation.
Voilà mes résolutions, madame, et en voilà les
motifs. Je vous supplie d'agréer mon re-spect.
LETTRE CMLX.
A M. DE MALESHERBES.
Paris, II novembre 177. . . .
Je serais , jnonsieur , bien mortifié que vous me
privassiez du plaisir dont vous m'aviez flatté de
m'occuper d'un soin qui pût vous être agréable ,
et de préparer des plantes pour compléter vos her-
biers. Ne pouvant subsister sans l'aide de mon
travail , je n'ai jamais pensé , malgré le plaisir que
celui - là pouvait me faire , à vous offrir gratuite-
ment l'emploi de mon temps. Je vous avoue même
que j'aurais fort désiré d'entremêler le travail sé-
dentaire et ennuyeux de ma copie d'une occupa-
tion plus de mon goût , et meilleure à ma santé ,
3G8 CORRESPONDANCE.
en travaillant à clés herbiers pour tant de cabinets
d'histoire naturelle qu'on fait à Paris, et où , selon
moi , ce troisième règne , qu'on y compte pour rien ,
n'est pas moins nécessaire que les autres. Plusieurs
herbiers à faire à la fois m'auraient été plus lucra-
tifs, et m'auraient mieux dédommagé des. menus
frais qu'exigent quelquefois les courses éloignées
et l'entrée des jardins curieux. Mais les Français ,
en général , ont de si fausses idées de la botanique
et si peu de goût pour l'étude de la nature, qu'il
ne faut pas espérer que cette charmante partie
leur donne jamais la tentation de faire des collec-
tions en ce genre : ainsi je renonce à cette res-
source. Pour vous , monsieur , qui joignez aux
connaissances de tous les genres la passion de les
augmenter sans cesse , ne m'ôtez pas le plaisir de
contribuer à vos amusements. Envoyez-moi la note
de ce que vous désirez; j'en rassemblerai tout ce
qui me sera possible, et je recevrai, sans aucune
difficulté , le paiement de ce que je vous aurai
fourni. A l'égard du petit échantilloi) que je vous
ai envoyé , c'est tout autre chose ; c'étaient des
plantes qui vous appartenaient. Ce que j'ai sub-
stitué à celles qui se sont gâtées n'a point été ra-
massé pour vous ; je n'ai eu d'autre peine que de
le tirer de ce que j'avais rassemblé pour moi-même ;
et comme je n'ai point offert d'entrer dans la dé-
pense que vous a coûté l'herborisation que j'ai
faite à votre suite , il me semble , monsieur , que
vous ne devez pas non plus m'offrir le paiement de
ce que nous avons ramassé ensemble , ni du petit
ANNÉE 177*.. 369
arrangement que je me suis amusé à y mettre
pour vous l'envoyer.
Malgré le bien que vous m'avez dit de votre
santé actuelle , on m'assure qu'elle n'est pas en-
core parfaitement rétablie ; et malheureusem'ent la
saison où nous entrons n'est pas favorable à l'exer-
cice pédestre , que je crois aussi bon pour vous
que pour moi. L'hiver a aussi, comme vous savez,
monsieur , ses herborisations qui lui sont propres ,
savoir , les mousses et les lichens. Il doit y avoir
dans vos parcs des choses curieuses en ce genre ,
et je vous exhorte fort , quand le temps vous le
permettra , d'aller examiner cette partie sur les
lieux et dans la saison.
Vos résolutions, monsieur, étant telles que vous
me le marquez, je ne suis assurément pas homme
à les désapprouver; c'est s'être procuré bien ho-
norablement des loisirs bien agréables. Remplir de
grands devoirs dans de grandes places, c'est la
tâche des hommes de votre état et doués de vos
talents : mais quand , après avoir offert à son pays
le tribut de son zèle , on le voit inutile, il est bien
permis alors de vivre pour soi-même et de se con-
tenter d'être heureux.
R. xxTi. 24
>70 CORRESPONDANCE,
LETTRE CMLXI.
A M. DE SAHTINE.
Juin 1774-
Je crois remplir un devoir indispensable en vous
envoyant la lettre ci-jointe, qui m'a été adressée
vraisemblablement par quiproquo , puisqu'elle ré-
pond à une lettre que je n'ai point eu l'honneur
de vous écrire ; non que je n'acquiesce aux félici-
tations que vous recevez , mais parce que ce n'est
pas mon usage d'écrire en pareil cas. Je vous sup-
plie , monsieur , d'agréer mon respect.
Observation. — La lettre que Jean-Jacques renvoyait était
une réponse de M. de SartÏAe à un Rousseau qui le félicitait de
son passage de la police au ministère de la marine. M. de Sar-
tine s'exprime ainsi :
'< Je suis sensible à la part que vous prenez- à la grâce dont
'< le Roi vient de m'honorer. Recevez , je vous prie , lés assu-
< rances de ma reconnaissance , et tous les remerciements que
< je vous dois. »
La lettre de Jean- Jacques n'a point de date; mais, à l'aide
de l'événement à l'occasion duquel elle fut écrite, et qui eut lieu
en mai 1774, on peut lui en donner une.
ANNEE 1
775. ■ 37
LETTRE CMLXII.
A M. LE PRINCE DE BELOSELSKI.
Paris, 27 mai ijyS-
Je suis vraiment bien aise, monsieur le prince,
d'avoir votre estime et votre confiance. Les cœurs
droits se sentent et se répondent; et j'ai dit en re-
lisant votre lettre de Genève, Peu d'hommes m'en
inspireront autant.
Vous plaignez mes anciens compatriotes de n'a-
voir pas pris ma défense , quand leurs ministres as-
sassinaient, pour ainsi dire, mon ame. Les lâches!
je leur pardonne les injustices, c'est à la postérité
peut-être à m'en venger.
A l'heure qu'il est, je suis plus à plaindre qu'eux :
ils ont perdu, dites-vous, un citoyen qui faisait
leur gloire ; mais qu'est-ce que la perte de ce bril-
lant fantôme, en comparaison de celle qu'ils m'ont
forcé de faire? Je pleure quand je pense que je
n'ai plus ni parents, ni amis, ni patrie libre et flo-
rissante.
O lac sur les bords duquel j'ai passé les douces
heures de mon enfance! Charmant paysage où j'ai
vu pour ta première fois le majestueux et touchant
lever du soleil; où j'ai senti les premières émo-
tions du cœur , les premiers élans du génie devenu
depuis trop impérieux et trop célèbre, hélas! je
ne vous verrai plus! Ces clochers qui s'élèvent au
37a CORRESPONDANCE.
milieu des chênes et des sapins , ces troupeaux bê-
lants, ces ateliers, ces fabriques, bizarrement épars
sur des torrents, dans des précipices, au haut des
rochers; ces arbres vénérables, ces sources, ces
prairies , ces montagnes qui m'ont vu naître , elles
ne me reverront plus.
Brûlez cette lettre, je vous supplie : on pour-
rait encore mal interpréter mes sentiments.
Vous me demandez si je copie encore de la mu-
sique. Et pourquoi non? Serait-il honteux de gagner
sa vie en travaillant? Vous voulez que j'écrive en-
core; non, je ne le ferai plus. J'ai dit des vérités
aux hommes; ils les ont mal prises, je ne dirai
plus rien.
Vous voulez rire en me demandant des nou-
velles de Paris. Je ne sors que pour me promener ,
et toujours du même côté. Quelques beaux esprits
me font trop d'honneur en m'envoyant leurs livres :
je ne lis plus. On m'a apporté ces jours-ci un nou-
vel opéra-comique: la musique est de Grétry, que
vous aimez tant, et les paroles sont assurément
d'un homme d'esprit ; mais c'est encore des grands
iîeigneurs qu'on vient de mettre sur la scène lyri-
que. Je vous demande pardon , monsieur le prince ;
mais ces gens-là n'ont pas d'accent , et ce sont de
bons paysans qu'il faut.
Ma femme est bien sensible à votre souvenir.
Mes disgrâces ne lui affectent pas moins le coeur
qu'à moi, mais ma tête s'affaiblit davantage. Il
ne me reste de vie que pour souffrir, et je n'en ai
j)as même assez pour sentir vos bontés comme
ANNÉE 1770. O'JÔ
je le dois. Ne m'écrivez donc plus, monsieur le
prince , il me serait impossible de vous répondre
une seconde fois. Quand vous serez de retour à
Paris , venez me voir , et nous parlerons.
Agréez , monsieur le prince , je vous prie , les
assurances de mon respect'.
LETTRE CMLXIIl.
A MADAME LA COMTESSE DE SAINT***.
Je suis fâché de ne pouvoir complaire à madame
la comtesse; mais je ne fais point les honneurs de
l'homme qu'elle est curieuse de voir, et jamais il
n'a logé chez moi : le seul moyen d'y être admis
de mon aveu , pour quiconque m'est inconnu ,
c'est une réponse catégorique à ce billet *.
' Cette lettre parut pour la première fois en 1789 , dans les Poé-
sies françaises d'un prince étranger. Rousseau l'écrivit à une époque où
il ne correspondait plus avec personne. Nous ignorons de quel opéra
il veut parler. Ceux dont Grétry fît la musique en iyy6 , sont la
Fausse magie et Céphale et Procris ; encore cette dernière pièce avait-
elle été précédemment jouée à Versailles. Toutes deux sont de Mar-
montel.
Par la lettre à laquelle celle-ci sert de réponse , madame de
Saint*** annonçait à. Rousseau qu'elle lui envoyait de la musique
à copier , en lui avouant en même temps que ce n'était qu'un pré-
texte pour le voir. Quant au billet dont Rousseau parle, c'était le
billet circulaire portant pour adresse , A tout Français aimant en~
core la justice et la i'érité.
^74 COIIKESPOWDAWCE.
LETTRE CMLXIV.
A LA MÊME.
Jeudi, 23 mai 1776.
J'ai eu d'autant plus de tort , madame , d'em-
ployer un mot qui vous était inconnu, que je vois,
par la réponse dont vous m'avez honoré , que ,
même à l'aide d'un dictionnaire , vous n'avez pas
ente'ndu ce mot. Il faut tâcher de m'expliquer.
La phrase du billet à laquelle il s'agit de répondre
est celle-ci : « Mais ce que je .veux , et ce qui m'est
(c dû tout au moins après une condamnation si
« cruelle et si infamante , c'est qu'on m'apprenne
« enfin quels sont mes crimes , et comment et par
« qui j'ai été jugé. »
Tout ce que je désire ici est une réponse à cet
article. C'est mal à propos que je la demandais ca-
tégorique^ car telle qu'elle soit, elle le sera toujours
pour moi; ma demeure et mon cœur sont ouverts
pour le reste de ma vie à quiconque me dévoilera
ce mystère abominable. S'il m'impose le secret, je
promets, je jure de le lui garder inviolablement
jusqu'à la mort, et* je me conduirai exactement,
s'il l'exige , comme s'il ne m^eùt rien appris. Voilà
la réponse que j'attends, ou plutôt que je désire,
car depuis long-temps j'ai cessé de l'espérer.
Celle que j'aurai vraisemblablement sera la feinte
d'ignorer un secret qui , par le plus étonnant pro-
AWJVÉE 1776. 375
dige , n'en est un que pour moi seul dans l'Eu-
rope entière. Cette réponse sera moins franche as-
surément, mais non moins claire que la première :
enfin le refus même de répondre n'aura pas pour
moi plus d'obscurité. De grâce , madame , ne vous
offensez pas de trouver ici quelques traces de dé-
fiance : c'est bien à tort que le public m'en accuse;
car la défiance suppose du doute, et il ne m'en
reste plus à son égard. Vous voyez ; par les expli-
cations dans lesqyielles j'ose entrer ici , que je
procède au vôtre avec plus de réserve , et cette dif-
férence n'est pas désobligeante pour vous. Cepen-
dant vous avez commencé avec moi comme tout
le monde, et les louanges hyperboliques'^ et outrées
dont vos deux lettres sont remplies , semblent être
le cachet particulier de mes plus ardents persé-
cuteurs : mais , loin de sentir en les lisant ces mou-
vements de mépris et d'indignation que les leurs
me causent, je n'ai pu me défendre d'un vif désir
que vous ne leiu^ ressemblassiez pas; et, malgré
tant d'expériences cruelles, un désir aussi vif en-
traîne toujours un peu d'espérance. Au reste, ce
que vous me dites, madame, du prix que je mets
au bonheur de me voir , ne me fera pas prendre
le change : je serais touché de l'honneur de votre
visite, faite avec les sentiments dont je me sens
digne ; mais quiconque ne veut voir que le rhinocé-
ros doit aller , s'il veut , à la Foire , et non pas chez
Voici encore un mot pour le dictionnaire. Hélas ! pour parler
de ma destinée, il faudrait un vocabulaire tout nouveau qui n'eût
été composé que pour moi.
'5']6 COHKESPONDAINCi;.
moi ; et tout le persiflage dont on assaisonne cette
insultante curiosité n'est qu'un outrage de plus
qui n'exige pas de ma part une grande déférence.
Voulez-vous donc, madame, être distinguée de la
foule : c'est à vous de faire ce qu'il faut pour cela.
Il est vrai que je copie de la musique: je ne re-
fuse point de copier la vôtre , si c'est tout de bon
que vous le dites ; mais cette vieille musique a
tout l'air d'un prétexte, et je ne m'y prête pas
volontiers là-dessus. Néanmoins votre volonté soit
faite. Je vous supplie, madame la comtesse, d'a-
gréer mon respect.
LETTRE CMLXV.
A M. LE COMTE DUPRAT.
Paris, le 3i décembre 1777
J'accepte, monsieur, avec empressement et re-
connaissance l'asile paisible et solitaire que vous
avez la bonté de m'offrir, clans la supposition que
vous voudrez bien vous prêter aux arrangements
que la raison demande et que peut permettre ma
situation , qui vous est connue. L'aménité du sol
et les agréments du paysage ne sont plus pour
moi des objets à mettre en balance avec un séjour
tranquille et la bienveillante hospitalité. Je suis
touché des soins de M. le commandeur de Menon,
sans en être surpris ; j'ai le plus grand regret de n'en
pouvoir profiter; mais on a pris tant de peine à
A-JVJNÉli 1777. 377
me rendre le séjour des villes insupportable , qu'on
a pleinement réussi. J'étais trop fait pour aimer
les hommes pour pouvoir supporter le spectacle
de leur haine. Ce douloureux aspect me déchire
ici le cœur tous les jours; je ne dois pas aller
chercher à Lyon de nouvelles plaies. Ils m'ont ré-
duit à la triste alternative de les fuir ou de les
haïr. Je m'en tiens au premier parti pour éviter
l'autre. Quand je ne les verrai plus, j'oublierai
bientôt leur haine , et cet oubli m'est nécessaire
pour vivre et mourir en paix.
Je ne vois qu'un obstacle à l'exécution de votre
obligeant projet ; c'est l'infirmité de ma femme et
la longueur du voyage , qu'il est douteux qu'elle
puisse supporter. Cette idée me fait trembler. Il
n'y faut pas songer durant la saison où nous som-
mes. L'hiver, jusqu'ici, ne l'a pas affectée autant
que je l'aurais craint. Peut-être aux approches
d'un temps plus doux sera- 1- elle en état de faire
cette entreprise sans risque. Hélas î pourquoi faut-il
que j'aille si loin chercher la paix, moi qui ne trou:
blai jamais celle de personne! Si ma femme pou-
vait obtenir ici, du moins à prix d'argent, le ser-
vice et les soins qu'on ne refuse à personne parmi
les humains, et que je suis hors d'état de lui rendre,
nous ne songerions point à nous transplanter ; mais
dans l'universel abandon où l'on se concerte pour
la réduire, il faut bien qu'elle risque sa vie pour
tâcher d'en conserver les restes à l'aide des soins
secourables que vous avez la charité de lui pro-
curer. Ah! monsieur le comte , en ne vous rebutant
'i']ii COKRESPONDAJVCE.
pas de mes misères et n'abandonnant pas notre
vieillesse, j'ose vous prédire que vous vous mé-
nagez de loin, pour la vôtre, des souvenirs dont
vous ne prévoyez pas encore toute la douceur.
Je souhaite ardemment que, sans nuire à vos
affaires , vous puissiez en voir assez promptement
la fin, pour arriver ici avant celle de l'hiver. Si
vous aviez pour compagnon de voyage le digne
ami qui partage vos bontés pour moi f rien ne
manquerait à ma joie en vous voyant arriver. Ma
femme, qui partage ma reconnaissance, est très-
sensible à l'honneur de votre souvenir,, et nous
vous supphons , l'un et l'autre, monsieur le comte,
d'agréer nos très-humbles salutations.
LETTRE CMLXVI.
A MADAME DE C.
Paris, le 9 janvier 1778.
J'ai iu, madame, dans le numéro 5 des feuilles
que vous avez la bonté de m'envoyer, que l'un
de messieurs vos correspondants , qui se nomme
le Jardinier iVAuteuil, avait élevé des hirondelles,
je désirerais fort de savoir comment il s'y est pris ,
et quelle contenance ces hirondelles , qu'il a éle-
vées , ont faite chez lui pendant l'hiver. Après des
peines infinies , j'étais parvenu , à Monquin , à en
faire nicher dans ma chambre. J'ai même eu sou-
vent le plaisir de les voir s'y tenir, les fenêtres fer-
AWNÊE 1778. 379
mées, assez tranquilles pour gazouiller, jouer et
folâtrer ensemble à leur aise, en attendant qu'il
me plût de leur ouvrir , bien sûres ^ que cela ne
tarderait pas d'arriver. En effet , je me levais même ,
pour cela, tous les jours avant quatre heures;
mais il ne m'est jamais venu dans l'esprit, je l'a-
voue , de tenter d'élever aucun de leurs petits ,
persuadé que la chose était non-seulement inutile ,
mais impossible. Je suis charmé d'apprendre qu'elle
ne l'est pas, et je serai très-obligé, pour ma part,
au jardinier d'Auteuil s'il veut bien communiquer
son secret au public. Agréez, madame, je vous
supplie, mes remerciements et mon respect.
LETTRE CMLXVII.
A M. LE COMTE DU P RAT.
Paris, le 3 février 1778.
Vous rallumez, monsieur, un lumignon pres-
que éteint; mais il n'y a plus d'huile à la lampe,
et le moindre air de vent peut l'éteindre sans
retour. Autant que je puis désirer quelque chose
" L'hirofldelJe est naturellement familière et confiante ; mais c'est
une sottise dont on la punit trop bien pour ne l'en pas corriger.
Avec de la patience , on l'accoutume encore <i vivre dans des appar-
tements fermés , tant qu'elle n'aperçoit pas l'intention de l'y tenir
captive: mais sitôt qu'on abuse de cette confiance (à quoi l'on ne
manque jamais), elle la perd pour toujours. Dès-lors elle ne mange
plus , elle ne cesse de se débattre et finit par se tuer. \Note de Jean-
Jacques.)
38o COllKESPOJVDAMCt.
encore dans ce monde , je désire d'aller finir
mes jours dans l'asile aimable que vous voulez
bien me destiner; tous les vœux de mon coeur
sont pour y être ; le mal est qu'il faut s'y trans-
porter. En ce moment je suis demi -perclus de
rhumatismes ; ma femme n'est pas en meilleur
état que moi; vieux, infirme, je sens à chaque
instant le découragement qui me gagne; tout soin ,
toute peine à prendre, toute fatigue à soutenir,
effarouche mon indolence; il faudrait que toutes
les choses dont j'ai besoin se rapprochassent; car
je ne me sens plus assez de vigueur pour les aller
chercher; et c'est précisément dans cet état d'a-
néantissement que, privé de tout service et de
toute assistance dans tout ce qui m'entoure, je
n'ai plus rien à espérer que de moi. Vous, mon-
sieur le comte , le seul qui ne m'ayez pas délaissé
dans ma misère , voyez , de grâce , ce que votre
générosité pourra faire pour me rendre l'activité
dont j'ai besoin. Vous m'offrez quelqu'un de votre
choix * pour veiller à mes effets et prendre des soins
dont je suis incapable; oh! je l'accepte, et il n'en
faut pas moins pour m'évertuer un peu; car si,
par moi-même, je puis rassembler deux bonnets
de nuit et cinq ou six chemises , ce sera beauoouj).
Il n'y a plus que ma femme et mon herbier dans
le monde qui puissent me rendre un peu d'acti-
Ce quelqu'un était M. de Neuvillô; et comme il affecte de ne
m'en point parler, je crains qu'il n'y ait du froid, de sorte que je
suis très-embarrassé qui lui donner à sa place.
{Note du comte Du/» ut.)
ANNÉE 1778. 38l
vite. Si nous nous embarquons seuls sous notre
propre conduite , au premier embarras, au moindre
obstacle, je suis arrêté tout court, je n'arriverai
jamais. J'aime à me bercer , dans mes châteaux en
Espagne, de l'idée que vous seriez ici, monsieur,
avec M. le commandeur; que vous daigneriez ai-
guillonner un peu ma paresse; que mes petits ar-
rangements s'en feraient plus vite et mieux sous
vos yeux; que si vous poussiez l'œuvre de misé-
ricorde jusqu'à permettre ensuite que nous fis-
sions route à la suite de l'un ou de l'autre, et
peut-être de tous les deux; alors, comme tout se-
rait aplani ! comme tout irait bien ! Mais c'est un
château en Espagne, et de tous ceux que j'ai faits
en ma vie, je n'en vis jamais réaliser aucun. Dieu
veuille qu'il n'en soit pas ainsi de l'espoir d'arri-
ver au vôtre!
Au reste, je n'ai nul éloignement pour les pré-
cautions qui vous paraissent convenables pour
éviter trop de sensation. Je n'ai nulle répugnance
à aller à la messe ; au contraire , dans quelque re-
ligion que ce soit, je me croirai toujours avec mes
frères, parmi ceux qui s'assemblent pour servir
Dieu. Mais ce n'est pas non plus un devoir que je
veuille m'imposer , encore moins de laisser croire
dans le pays que je suis catholique. Je désire assu-
rément fort de ne pas scandaliser les hommes,
mais je désire encore plus de ne jamais les trom-
per. Quant au changement de nom, après avoir
repris hautement le mien , malgré tout le monde ,
pour revenir à Paris, et l'v avoir porté huit ans.
38^ CORRESPONDANCE.
je puis bien maintenant le quitter pour en sortir,
et je ne m'y refuse pas ; mais l'expérience du passé
m'apprend que c'est une précaution très-inutile,
et même nuisible , par l'air du mystère qiii s'v
joint, et que le peuple interprète toujours en mal.
Vous déciderez de cela , connaissant le pays comme
vous faites; là-dessus comme sur tout le reste, je
m'en remets à votre prudence et à votre amitié.
Agréez , monsieur le comte , mes très-humbles sa-
lutations.
LETTRE CMLXVIII.
AU MÊME.
Paris, le i5 mars 1778.
Je vois, monsieur, que malgré toutes vos bon-
tés, qui me sont chères et dont je voudrais profi-
ter, le seul vrai remède à mes maux, qui reste à
ma portée , est la patience. L'état de ma femme ,
empiré depuis quelque temps , et qui rend le mien
de jour en jour plus embarrassant et plus triste,
m ôte presque l'espoir d'achever et le courage de
tenter le long voyage qu'il faudrait faire pour
atteindre l'asile que vous nous avez bien voulu
destiner. Ce qu'il y a du moins déjà de bien sûr,
est qu'il nous est impossible de le faire seuls ; ma
femme, abattue par son mal, se souvient, pour
surcroît, des gîtes où l'on nous a fourrés, et des
traitements qu'on nous y a faits dans nos autres
ANNÉE 1778. 383
voyages, lorsque, plus jeunes et mieux portants,
nous avions plus de courage et de force pour sup-
porter la fatigue et les angoisses. Elle aime mieux
mourir ici que de s'exposer de nouveau à toutes
ces indignités; et nous croyons l'un et l'autre que
la présence d'un tiers , ne fût-ce qu'un domestique,
nous en sauverait assez pour que nous pussions ,
armés de douceur et de résignation , supporter
le reste. Cette délibération , monsieur, sur laquelle
nous n'avons encore eu que des explications très-
vagues, est la première et la plus importante, sans
quoi toutes les autres sont inutiles. Je sais que
votre généreuse bienveillance prodiguera ses soins
pour nous faciliter ce transport ; mais il s'agit en-
core de savoir ce qu'elle pourra faire pour nous le
rendre praticable, et cela consiste essentiellement
à trouver quelqu'un de connaissance, qui, ayant
le même voyage à faire, veuille bien nous souffrir
à sa suite, nous procurer des gîtes supportables,
et nous garantir , autant que cela se pourra , des
obstacles et des outrages qui , sous un faux air
d'attentions et de soins , nous attendront dans la
route. Si cette occasion ne se trouve pas , comme
j'ai lieu de le craindre , le seul parti qui me reste
à prendre est d'attendre ici votre arrivée ou celle
de M. le commandeur , et de prendre patience , en
attendant, comme j'espère faire jusqu'à la fin, à
moins qu'il ne se présente quelque ressource im-
prévue , sur laquelle j'aurais grand tort de compter.
Quant aux soins qui regardent ici les guenilles
que j'v puis laisser, c'est un article trop peu im-
384 CORRESPONDANCE.
portant pour que vous daigniez vous en occuper
ainsi d'avance; nous ne manquerons pas de gens
empressés à recevoir ce petit dépôt. Mon silence
au sujet de M. de Neuville me paraissait une ré-
ponse très-claire ; mais vous en voulez une ex-
presse, il faut obéir. De l'humeur dont je me
connais, il lui faudrait toujours bien moins de
peine pour me faire oublier ses dispositions à mon
égard, qu'il n'en a pris à me les faire connaître;
mais, en attendant, prêt à lui rendre avec le plus
vrai zèle tous les services qui pourraient dépendre
de moi, je me sens peu porté à lui en demander.
Tl semblait, au tour de votre précédente lettre,
que vous aviez quelqu'un en vue pour cet effet:
et je puis vous assurer, à cet égard , d'une confiance
entière en quiconque viendra à moi de votre part.
A l'égard de la messe et de l'incognito, vous
connaissez là -dessus mes principes et mes senti-
ments; ils seront toujours les mêmes. L'expérience
m'a fait connaître l'inutilité et les inconvénients
de ces petits mystères, qui ne sont qu'un jeu mal
joué. Vous dites, monsieur, qu'on ne m'interro-
gera pas ; on saura donc qu'il ne faut pas m'inter-
roger : car d'ailleurs c'est un droit qu'avec peu
d'égard pour mon âge , s'arrogent avec moi sans
façon petits et grands. Je mettrai , je vous le pro-
teste , une grande partie de mon bonheur à vous
complaire en toute chose convenable et raison-
nable; mais je ne veux point là-dessus contracter
d'obligation. Adieu, monsieur; quel que soit le
succès des soins que vous daignez prendre pour
A.NNÉE 177^- 385
moi, j'en suis touché comme je dois l'être , et leur
souvenir. ne s'effacera jamais de mon cœur. Ma
femme partage ma reconnaissance, et nous vous
supplions l'un et rauj:re d'agréer nos très-humbles
salutations *.
Les choses n'ont pu s'arranger pour qu'il fît le voyage projeté.
Bien peu de temps après il s'est décidé en faveur d'Ermenonville ,
où il est mort dans la même année.
{Note du comte Duprat.)
FIN DE LA CORRESPONDANCE,
R. XXII. l'j
TABLE ANALYTIQUE
DES
LETTRES CONTENUES DANS CE VOLUME.
Lettre DCCCXXXI , à M. du Peyrou. — Il lui fait part de son
arrivée à Lyon ; il herborise pour se distraire de ses chagrins.
Page 3
Lettre DCCCXXXII, au même. — Projet d'une grande herborisa-
tion à la grande Chartreuse. Il réclame ses papiers , entre autres
Emile et Sophie , ou les Solitaires. 4
liETTRE DGCCXXXIII, à mademoiselle Le Vasseur. — Annonce de
son départ pour Chambéry. Conseils. j
Lettre DCCCXXXIV , à M. le comte de Tonnerre. — Il le prie
d'être son médiateur entre M. Faure et lui pour le loyer d'une
maison. c)
Lettre DCCCXXXV, au même. — Sur le même sujet. lo
Lettre DCCCXXXVI , au même. — Envol d'une lettre de M. Bo-
vier. 1 1
Lettre DCCCXXXVII, au même. — Il le prie d'éclaircir une ca-
lomnieuse imputation dont il est l'objet. Ibid.
Lettre DCCCXXXVIII, à M. Lalliaud. — Manière dont Rousseau
reconnaît Thérèse pour sa femme. 1 3
Lettre DCCCXXXIX , à M. le comte de Tonnerre. — Il le remer-
cie d'avoir interrogé Thevenin. Il ne veut point aller loger dans
une ville où l'on répand des impostures sur son compte. i5
Lettre DCCCXL, à une dame de Lyon. — Explication sur des co-
pies intidèles , faites de plusieurs phrases, écrites au crayon par
lui. 1 7
Note sur cette lettre singulière. Ibid.
Observation et doutes. 19
Lettre DCCCXLI , à M. le comte de Tonnerre. — Il offre d'être
confronté avec Thevenin , à condition que cette affaire sera suivie
sans interruption. ibid.
Lettre DCCCXLIl , à M. du Peyrou. — Détails sur l'affairé The-
venin. 2 o
388 TARLF. A.NALYTIQIJ1..
Lettre DCCCXLIIl, à M. le comte de Tonnerif. — Il jjart pour
se rendre à son audience. Page a 5
Lettre DCCC7vLIY , au même. — Détails sur son entrevue avec
Thevenin. 26
Lettre DCCCXL\ , au même. — Il lui envoie une lettre qui fait
voir que Thevenin a jadis été condamné aux galères. 4 i
Lettre DCCCXLVI, à M. Lalliaud. — Détails sur la même affaire ;
dégoûts qu'elle lui cause. 4 2
Lettre DCCCXLVII, à M. du Peyrou. — Sur son mariage avec Thé-
rèse ; sur l'affaire Thevenin; sur la botanique et la liberté. 45
Lettre DCCCXLVIII, au même. — Condoléances sur un accident
arrivé à son ami. Réflexions philosophiques. 48
Lettre DCCCXLIX , à M. Lalliaud. —Nouveaux éclaircissements
sur Thevenin. Inquiétudes sur le choix' d'une retraite. 5i
Lettre DCCCL, à M. Moultou. — Sur le clioix d'une retraite.
Eloge exagéré de Thérèse, et fait pour justifier son mariage. 55
Lettre DCCCLI, à M. Lalliaud. — Détails sur ses projets , sa si-
tuation. Il s'aperçoit qu'il a donné beaucoup trop d'importance
à Thevenin. 58
Lettre DCCCLII, à M. du Peyrou. — Encore sur le même homme;
il refuse l'offre de le faire punir. 63
Lettre DCCCLIII , à ?ti. Lalliaud. — Il a reçu un passe-port; il
v^eut retourner en Angleterre. 65
Lettre DCCCLIV, à ?iL Moultou. — Condoléances sur la mort de
son père. Détails sur les bontés du prince de Conti. Projet d'al-
ler à V/ootton. 67
Lettre DCCCLV, à 31. Lalliaud. — Regrets sur le parti qu'il a pris.
11 se croit obligé de faire usage du passe-port. 71
Lettre DCCCL\I, à M. de Saint-Germain. — Il a besoin d'un dé-
positaire de ses secrets, et lui demande s'il veut l'être. 74
Notice de M. de Saint-Germain sur ses rapports avec Rousseau. Ibid.
Lettre DCCCLVII , à M. le comte de Tonnerre. — Sur l'affaire
Thevenin. Déclaration juridique. 77
Lettre DCCCLVIII , à M. de Saint-Germain. — Il accepte son in-
vitation. 82
Lettre DCCCLIX , à M. le comte de Tonnerre. — Il lui envoie
l'arrêt du parlement , qui condamne Thevenin à la marque et
aux galères, mais à condition qu'il n'en fera aucun usage. 83
Lettre DCCCLX , à M. Moultou. — .11 renonce à l'Angleterre et
se résout à rester en France. 84
Lettre ECCCLXI, à M. du Peyrou. — Remerciements deson zèle. 87
Lettre DCCCLXII, à M. Lalliaud. — Il n'a point de réserve avec
lui. Il s'occupe du Tasse ; il chante OUnde et Sophrvnie. 89
TABLE ANALYTIQUE. SSq
Lettre DCCCLXIII , à niaclame la présidente de Verna. — Il ne
refuse pas d'aller herboriser de son côté. Page 91
Lettre DCCCLXIV, à M. Lalliaud. — Il lui envoie une lettre pour
M. Davenport.il partage son temps entre le Tasse et son herbier. 9 3
Lettre DCCCLXV, à M. Moultou. — Plaintes contre celui qui
l'avait forcé de sortir de Trye. 94
Lettre DCCCLXVI , à M. du Peyrou. — Sur les différents de Neu-
châtel avec la cour de Berlin. Il doit la vie à la botanique. 97
Lettre DCCCLXVII , à M. Lalliaud. — Regrets sur la mort de
Sauttersheim. 100
Lettre DCCCLXVIII, à M. Moultou Il va aller habiter une
maison de campagne près de Bourgoin. io3
Lettre DCCCLXIX , à madame La Tour. — Mauvais état de sa
santé. io5
Lettre DCCCLXX, à M. Beauchâteau. — Il ne veut être ni loué ni
justifié. 107
Lettre DCCCLXXI, à M. du Peyrou. — Sa maladie le force à se
servir d'une main étrangère. Thérèse est malade de son côté. Ibid.
Lettre DCCCLXXII, à M. Lalliaud. — Encore sur sa santé. Il le
prie de négocier un effet sur l'Angleterre. 1 10
Lettre DCCCLXXIII, à M. du Peyrou. — Il apprend avec cha-
grin qu'on imprime à son insu un discours de lui. Inquiétudes
sur cette infidélité. 112
Lettre DCCCLXXIV , à M. Lalliaud. — Sur le même sujet. 1 1 3.
Lettre DCCCLXXV, à M. Moultou. — Il est à Monquin. Il réfute
une doctrine désolante. 116
Lettre DCCCLXXVI , à M. Lalliaud. — Sur de nouvelles offres
d'une retraite. lao
Lettre DCCCLXXVII , à M. du Peyrou. — Sur le discours qu'on
lui a volé. Sur la botanique. 121
Lettre DCCCLXXVIII, à M. de ***. — Lettre d'envoi de la sui-
vante. 123
Lettre DCCCLXXIX, à M. de '*** — Réfutation éloquente des
doutes sur l'existence de Dieu. Nature de la croyance de Rous-
seau. 124
Observation siu- cette lettre importante. i45
Lettre DCCCLXXX , à M. Lalliaud. — Il accepte son offre de lui
. faire vendre ses livres , mais seulement ceux qui sont tolérés, ne
voulant pas mettre dans le commerce des ouvrages défendus. 14'i
Lettre DCCCLXXXI, à madame La Tour. — Il lui fait part de sa
nouvelle demeure et du rétablissement de sa santé. 148
Lettre DCCCLXXXII , à M. du Peyrou. — Contradiction de du
Peyrou. Maximes philosophiques Ibid.
390 TABLE AN A.LYTIQU1;.
Lettbe DCCCLXXXUI , à M. Beauchâteau. — 11 refuse la médaille
qu'il veut faire frapper en son honneur. P^g^ i5o
Letthb DCCCLXXXIV , à M. du Peyrou. — II partage ses cha-
grins. Conseils. i5o
Lettre DCCCLXXXV, au même. — Condoléances sur la mort de
sa mère. iSa
Lettre DCCCLXXXVI , à M. le prince de Conti. — Il a des con-
fidences à lui faire. i53
Lettre DCGCLXXXVIl , à M. du Peyrou. — Compliments sur
son mariage. 1 5 5
Lettre DCCCLXXXVIII, à madame Latour. — Il lui rend amitié
pour amitié. i56
Lettre DCCCLXXXIX , à la même. — 'Il est touché de ses inquié-
tudes sur son compte. ' i5y
Lettre DCCCXC , à M. du Peyrou. — Entrevue avec le prince de
Conti. Ibid.
Lettre DCCCXCl , au même. — Plaisanteries sur sa goutte. Her-
borisation. i59
Lettre DCCCXCII, à madame Rousseau. — Détails sur leur com-
merce; sur la conduite de Thérèse. Mélanges de reproches et
de tendresse. 161
Observation sur l'importance de cette lettre. 168
Lettre DCCCXCIII, à M. Lalliaud. — Particularités sur un voyage
de botanique. Ibid.
Lettre DCCCXCIV , à M. Moultou. — Remerciements et con-
seils. i6f)
Lettre DCCCXCV, à M. du Peyrou. — Compliments sur son bon-
heur. Description de sa course au mont Pila. 171
Lettre DCCCXCVI , à M. L. C. D. L. — Heureux qui peut élever
ses enfants. Herborisations. 174
IjEttre DCCCXCVII, à madame B. — Il accepte la correspondance
qu'elle lui offre. 178
Lettre DCCCXCVIII, à M. de Saint-Germain. — Il accepte avec
empressement un rendez-vous. 179
Lettre DCCCXCIX , à M. du Peyrou. — Sur le bonheur dont il
jouit et qu'il désire de partager. H veut se défaire de ses livres
de botanique. i8o
Lettre CM, à M. Lalliaud — Remerciements. i8a
Lettre CMI, à madame B. — Conseils et réflexions. 184
Lettre CMII, à M. du Peyrou. — ^Réflexions. 1S7
Lettre CMIII, à M. Moultou. — Il le gronde sur un cadeau qu'il
lui a fait. 189
Lettre CMIV , à madame B, — Conseils sur le bonheur : on ne
TàBLE ANALYTIQUE. , 39 1
doit pas le chercher au-dehors. Il l'exhorte à nourrir ses enfants.
Plaintes et remords sur l'abandon qu'il a fait des siens. Page 190
Lettrk CMV, à la même. — Il la gronde sur ses réticences. 196
Lettre CMVI , à M. l'abbé M. — Conseils sur son métier d'insti-
tuteur , sur la manière d'élever un enfant. Réflexions sur l'opi-
nion. 198
Explication sur la nouvelle manière de dater qu'il a adoptée. Ibid.
Lettre CMVII, à M. Moultou. — Annonce du projet de quitter le
pays. 204
Lettre CMVIII ■, à madame Gonceru. — Il lui continuera toujours
sa pension. ao5
Lettre CMIX , au marquis de Condorcet. — Remerciements pour
l'envoi de ses Essai d'analfse. ao6
Lettre CMX, à M. de Belloy. — Il le loue d'avoir choisi des su-
jets patriotiques. 207
Lettre CMXI, à M. de Saint-Germain.^ — Remerciements ; il annonce
des détails sur lui. a 1 1
Lettre CMXII , au même — Détails intéressants sur sa conduite ,
ses goûts, ses ouvrages : véritable supplément aux Confessions. 2 1 3
Observation sur cette lettre. 284
Lettre CMXIII, à M. l'abbé M. — Objections sur l'intention qu'il
a de suivre le plan tracé dans Emile. Ibid.
Lettre CMXIV , à M. de Saint -Germain. — Il est touché de son
intérêt. Il est décidé à quitter le pays. 258
Lettre CMXV, à M. du Peyrou. — Explications amicales. aSg
Lettre CMXVI , à M. de Belloy. — Il est content de ses explica-
tions. Son opinion sur les Français, qu'on ne peut rendre injustes
qu'en les trompant. 262
Lettre CMXVII, à M. l'abbé M. — Explication importante sur un
passage d'Emile relatif à la vengeance. a 68
Observation sur cette lettre intéressante. 278
Lettre CMXVIII, à madame B. — Il lui annonce son prochain dé-
part. Explications. 278
Lettre CMXIX , à M. Moultou. — L'incertitude dans ses projets
sur le choix d'une retraite n'a plus lieu. Il veut rester en France.
Plainte contre Rey. 276
Lettre CMXX, à M. Lalliaud. — Il le prie de ne plus lui écrire
jusqu'à ce qu'il lui ait donné son adresse. 280
Lettre CMXXI , à M. Moultou. — Ce n'est plus sa personne qu'il
faut défendre , mais sa mémoire. 281
Lettre CMXXII , à M. de Saint - Germain. — Remerciements et
expressions de sa reconnaissance. 286
392 TABLK ANALYÏIQUi:.
Lettre CMXXIII , à M. de Cesarges. — Plainte sur la conduite de
ses gens envers Thérèse. Page 287
Lf.TTRE CMXXIV , à M. de Saint-Germain. — Explications et dé-
tails intéressants. a88
Lettre CMXXV, à M. de Latourette. ■ — Il le prie de l'inscrire au
nombre de ceux qni souscrivent pour faire élever une statue à
Voltaire. 292
Lettre CMXXVI , à M. de Saint -Germain. — Il lui réitère ses
adieux et lui fait passer le mémoire de Granger,de Monquin. 293
LettreCMXXVII, au même. — Remerciements et compliments. 294
Observa.tio>" sur la date de cette lettre. 293
Lettre CMXXVIII, à madame B. — Désir de la voir : obstacles. Ihid.
Lettre CMXXIX, à la même. — Il l'instruit du jour où il pourra
lui faire visite. 297
Lettre CMXXX, à M. de Saint-Germain. — Son arrivée à Paris.
Détails et compliments. 298
Lettre CMXXXI , à madame Latour. — Il ne peut la recevoir
chez lui, comme elle le lui propose. 399
Lettre CilXXXII, à M. de Saint -Germain. — Compliments et
expressions de reconnaissance. 3 00
Lettre CMXXXIII , à madame de Créqui. — Protestations d'at-
tachement. Obstacles qui s'opposent à ses visites. 3o2
Lettre CM XX XIV , à la même. — Même sujet. 3o3
Lettre CMXXXV, à la même. — Sur la continuation d'Emile-
Critique d'une chanson. liic/.
Lettre CiMXXXVI, à M. Dusaulx. — Il le remercie de ses soins :
Il a pris tous ses arrangements. 3o5
Lettre C.MXXXVII, à M. Dutens. — Il a renoncé à la pension
du roi d'Angleterre, et blâme les démarches qu'on a faites pour
qu'elle soit payée. 3o6
Lettre CMXXXVIII , à M. du Peyrou. — Mélange de reproches
et d'amitié. Soy
Lettre CMXXXIX , à M. L. D. M. — Détails curieux sur les mo-
tifs qu'il a de se croire l'objet d'un complot général. 3 10
Observation sur cette lettre. 3 1 8
Lettre CMXL , à M -: — Sur le suicide : cas où il le croit
permis. 3 i 9
OBSERViTioiv sur cette lettre. 323
Leitre CMXLIjà M. Dusaulx. — Il lui propose un petit souper,
non (T y/picitfs , mais d'Epicuie. 32 4
Lettre CMXLII, au même. — Il lui demande des explications. 32 5
Lettre CMXLIII , au même. — Il le prie de lui permettre de mé-
diter la réponse qu'il doit lui faire. 328
TABLE ANALYTIQUE. SqS
Lettre CMXLIV , au même. — Il passe en revue tous les rapports
qu'ils ont eus ensemble, et lui déclare q 'il ne veut plus d'intimité
avec personne. Page 829
Lettre CMXLV , à M. du Peyrou. — Il lui reproche la précipi-
tation de ses jugements, et lui donne des explications. 33rt
Lettre CMXLVI , à M. de Saint - Germain. — ■ Sur rinterruj)tion
de sa correspondance. 33 9
Lettre CMXLVII, à madame de T. — Sages conseils sur la ma-
nière dout elle doit s'y prendre pour former le caractère de son
fils. 340
Lettre CMXLVIII , à madame de Créqui. — Explications. 3/(5
Lettre CMXLIX, à madame Latour. — Il repasse en revue leurs
rapports et leur correspondance. 34^
Observat/on sur un calcul piquant de madame Latour. 347
Lettre CML , à M. du Peyrou. — Inquiétudes que lui cause son
silence. 3 4 8
Lettre CMLI , à madame Latour. — Renvoi d'un manuscrit. 349
Lettre CMLII , à M. le chevalier de Cossé. — Refus et remercie-
ments de ses services. 35o
Lettre CMLllI , à M. Linné. — Expressions d'admiration et de
reconnaissance. 35 1
Lettre CMLIV. à M- de Saint-Germain. — Il ne l'oubliera jamais,
mais il ne peut lui promettre de l'exactitude dans sa correspon-
dance. 353
Lettre CMLV , à M. de Sartine. — Il lui rend compte de sa con-
duite. 354
Lettre CMLVI, à Milord Harcourt. — Il le remercie de ses offres
qu'il n'accepte pas. 3 60
Lettre CMLV II, à madame Latour. — Il lui renvoie une partition.
Remerciements , etc. 36 1
Lettre CMLVIII , à madame la majquise de Mesme Raisons
pour lesquelles il ne peut accepter de rendez-vous. 362
Lettre CMLIX, à m.adame — Explications. 3()3
Lettre CMLX, à M. de Malesherbes Il veut lui compléter son
herbier. 367
Lettre^ CMLXI, à M. de Sartine. — Sur un quiproquo de ce mi-
nistre ou de ses bureaux. 370
Lettre CMLXII , à M. le prince de Reioselski. — Explications:
regrets touchants sur son pavs. 371
Note sur cette lettre. . 373
Lettre CMLXIII, à madame la comtesse de Saint-***. — Refus de
la recevoir. Ibid.
394 TABLE ANALYTIQUE.
Lettre CMLXIV, à madame la comtesse de Saint- . — Explica-
tions bizarres. Cette lettre et la précédente prouvent l'absence de
son esprit. P^ge 874
Lettre CMLXV, à M. le comte Duprat. — Il est disposé à accepter
l'asile qu'il lui offre. 3y6
Lettre CMLXVI , à madame de C. — Recherches sur les mœurs
des hirondelles. 878
Lettre CMLXVII , à M. le comte Duprat. — Tous ses vœux sont
pour aller habiter la retraite qu'il lui donne. Explications et dé-
clarations à ce sujet. 879
Lettre CMLXVIIl,au même. — Obstacles que mettent à un voyage
de long cours sa vieillesse et ses infirmités. 882
FIN DE LA TADLE ANALYTIQUE
DES LETTRES CONTENUES DANS CE VOLUME.
TABLE ALPHABETIQUE
DES CORRESPONDANTS DE ROUSSEAU.
A.
AuAUziT (à M.) , t. m, page a45.
Académie de Dijon , t. i , p. 1 4o.
Alembert (d')> t. I , p. i85 , 2 38. — T. ii, p. Sa , 177.
Altun.v (à m.), t. 1 , p. 129.
Amberier ( à M. le curé d' ) , t. 11, p. 426. — T. m , p. 5o.
Amelot du Chaillou (h M.), vojez Du Theic.
Argeksoiv ( d' ) , 1. 1 , p. 182.
Ajvoivysies.— à M., t. r, p. 34- — A M., p. 53. — A M., p. 81.
- — A M., p. 91. — A M., p. i35. — A un Anonyme, par la
voie du Mercure, p. 234- — A un jeune homme , t. 11, p. lo. —
A M., p. 128. — A M. ***, p. i38. — A madame d'Az**,p. 178.
— A madame C***., p. 175. — A M.***, p. 176. — A M. de***.,
p. 180.— A M. R. p. 220. — A M. ***, p. 336.— AM. ***,
p. 420. — A M. D. L. C, p. 43o. — A M. ***, p. 496. — A M.
de***, p. 5o4. — AMadame de ***, p. 5i5. — A M. A. A. , t. m,
p. 16. — A M. ***, p. 53. — A M. G., p. 54. — A M. l'abbé de
***, p. 80. — A madame de B*, p. 81. — A M.***, p. 83. — A
M.*, p. 87. — A M. M ***, p. 92.— A M. l'abbé de ***, p. 100,
II 5. — A M. A. , p. 133. — A mademoiselle D. M. , p. 142. —
AM. D. P.,p. i55.AM. **, p. 162.— AM. H. D. P., p. 174.
— A madame?., p. 21 5. — A mademoiselle D. M., p. 219. —
A M. D***, p. 223.— A M. l'abbé de ***, p. 225. —A M.,
p. 260. — A M. Le C. de B. , p. 283. — A madame La C. de B. ,
p. 285. — A M. D. P., p. 3o2.— A M. D. P., p. 329. — A M.
deC. P. A. A.,p. 33o.— AMilord. **, t. iv, p. 5i. — ALord**,
p. 61. — A M. * , p. 64. — A madame * , p. 190. — A M.** ,
p. 216,217. — AM. E. J., p. 298. — A une dame de Lyon. T. v,
p. 17. — A M. de***, p. 123, 124. — AM. L. C. D., p. 174.—^
A madame B. , p. 178,184, 190, 196. — A M. l'abbé M. , p.
198, 254, 268. — A madame B. , p. 278 , 295 , 297. — A M.
L. D. M. , p. 3 10. A M. * *, p. 319. —A madame de T. p. 3 40. —
A madame , p. 363. — A madame La C. de Saint ***. , p. 373.
— A la même. , p. 874. — A madame de C. , p. 378,
'^C)6 TABLE ALPHABÉTIQUE
B.
Ballière ( à m. )> t. m , p. 289.
Bastide ( à M. ) t. ii , p. i 00 , i i 8.
Be.\uchatevu ( à M. ), t. 11, p. 494.— T. v , p. 107 , i5o.
Beaudbvillk ( à m. ),t. iv, p. 24.
Bkcket et De Homdt ( M. M. ), t. iv, p. 58.
Bfxloy ( à M. de ) , t. V , p. 207 , 262.
Beloselsky ( à M. de ), t. v, p. 871.
BoissY ( à M. de ), t. i, p. 280 , 246.
BoKDFXY ( à mademoiselle ), t. m; p. 108.
BouFFLEKS ( i) madame de ) , t. II, p. i33,323, 348,358,379,
389, 423. — T. III, p. 97, 187. — T. IV, p. 7, i5, 47, 53,
175,388,410.
BouRETPE ( à madame ), 1. 11, p. 182.
BfjuNAND (à M. ) , t. II , p. 5i4 , 5i9 , 525.
c.
Cartier ( à M. ), t. 11, p. 88.
Cf.sarges ( à m. de ) , t. v , p. 287.
Cha3ipfout (à M. de), t. m, p. 173, 198.
Chappuis ( à M. Marc ),t. m, p. 7 , 8 , 294.
Charmettes ( à M. le Comte des), t. i, p. 89.
Chauvel ( à M. ), t. IV, p. 220.
Chenokceaux ( à Madame de ) ,t. m, p. 3oo.
Choiseul ( le Duc de ) , t. iv, p. 4 1 1-
Clairatilt ( à m. ) , t. ni, p. 33 2.
CoiNDET (à m. ) , t. II , p. 19,258. -^T. iîi,p. 37 I. — T. IV, p, 37,
Condorcet ( le marquis de ) , t. v , p. 206.
Consistoire de Motiers ( Au ) ,t. ni, p. 349-
CoMTiCM. le Prince de), t. 11, p. 3o8. — T. iv, p. 43(i.— T. v,
p. i53.
CoMwAY ( le général ), t. iv , p. 86 , 276 , 290.
CoNziÉ ( à M. de ), t. i, p. 61. T. m, p. 86.
CossÉ ( M. le Chevalier de ), t. v, p. 35o.
Cramer DE Lon ( à madame), t. 11, p. 323.
Créqui ( à madame de),t. i,p. i52,i53,i55,i56,i57, i58,
159,160, 161,162, i63, 216. — T. Il, p. 43, Sq) 170,
171, 181, 295, 3o3. — T. III, p. 177. — T. IV, p. 6 , 75. —
T. v, p. 3o2 , 3o3, 345.
D.
Danet ( Jacqueline ) , t. 11 , p. 196.
Dasxier ( à M. ), t. III , p. 320.
DES CORRESPONDANTS DE ROUSSEA.U. 897
Davenport ( à 31. )> t- IV, p. 109 , i5i , 186 , ai3 , 24^^ ) 2/(7 j
Delalive ( à M. ) , t. II , p. i3 2.
Ueleyre ( à M. ), t. II, p. 38 , 93. — T. m, p. 164 , 209 , 3i6.
Deluc ( à m. )» t- "> P- 49I-- — l- I" 1 P- 26, 338.
D'EoîT ( à M. le chevaliei- ) , t. iv, p. 4 1 •
Dewes ( à mademoiselle), t. iv,p. 108, 209, 364-
Diderot ( à M. ) , t. i, p. 3 18, 32 2. — T. 11 , p. i5.
DucHESNË ( à M. ), t. II , p. 117. — T. iTi, p. 257.
DucHESNE ( à mademoiselle ) , t. ir, p. 438.
DucLos (à M. ) , t. II, p. i55. — T. m ,p. 38, 42 , 237,273.
DuaiouLiN ( à M. ), t. 11, p. 436.
Du Peyeou (à m.), t. III, p. 193, 194» 196» 201, 235, 242,
346, 255, 281 , 290, 3i8, 333, 343, 352 , 362, 365, 367,
368, 374, 376, 379, 38o, 386, 387, 389, 391, 392,
398, 432, 434» 435, 437, 438, 439, 440, 443, 4)9, 45o,
45i, 453, 4^4) 4^8, 461, 466, 471- — T. iv, p. 3, 10,
17, 26, 28, 34, 7 2, 88, 95, 97, 142, 171, 194, 201, 206,
224, 257, 272, 279, 282, 3oi, 3o2, 3o6, 3o8, 3ri , 3i8,
33o, 336, 339, 340, 342, 343, 347, 348, 35i, 355, 383,
390, 4o3, 423, 43o. — T. v,p. 3, 4> 20, 45, 48, 63, 87,
97, 107, 112, 121, 148, i5o, i52, i55,i57, ï^9> ^7^ ■>
180, 187, 259, 3o7, 336, 348.
Dupont ( à M. ) , t. i , p. 86.
DupRAT ( à M. le comte ) , t. v, p. 376 , 379 , 382.
DusAULx (àM. ),t. V, p. 3o5,324, 325,328, 329.
DuTEKs ( à M. ) , t. IV, p. 2 38 , 259, 266 , 273 , 35o. — T. v,
p. 3o6.
E.
Epikay (à madame d'),t. i,p. 2o5, 209, 211, 227, 229,247,
248, 25i,252, 253, 254, 256,258, 259, 262, 263, 267,
295, 297, 299, 3oo, 3oi , 3o3 , 3o4, 3o8 , 309, 3ii , 3i2,
3 16, 326, 334,335, 336, 337, 338, 342, 343, 356, 357,
359, 3 60, 362, 363, 364, 381,392. — T. 11, p. 12.
EscHERNY ( à M. d' ) , t. iri , p. 1 10 , 358 , 386.
Eybens ( à m. d' ), t. I , p. 68.
F.
Favre( à m.), t. II, p. 533.
FÉiJCE ( à M. de ) , t. III, p. 343.
FoTJLQUIER ( à M. ) , t. Itl , p. 2 I O.
Framcueil ( à M. Dupin de ) , t. i, p. 164,
398 TABLE ALPHABÉTIQUE
Fh.vncueil ( à madame de ) , t. i , p. i43.
Fréro?( ( à m. ) t. I , p. 168.
G.
Gai.ley ( à mademoiselle), t. m, p. iSa.
G-vuFFECoxTRT ( à M. ) , t. III , p. 3o . 372.
GiNGiîfS DE MoiRY ( à M. de ) , t. II , p. 3 20 , 3 3 4-
GoircERU ( à madame ) , t. i , p. 17 , 191. — T. v, p. 2o5.
Graffenried (à M. de ), t. m, p. 444 > 44^, 448, 449.
Graffeivried (à mademoiselle de ), t. 11, p. 7.
Graffxon ( à M. le duc de ), t. iv, p. 241.
Grax ville ( à m. ) , t. it, p. io5 , 106, 107 , ig8, 253 , 263 , 7.6 S,
32 1, 3f)2.
Grimm ( à m.) » t. i, p. 370 , 389.
Guérin ( à m. ) , t. Il , p. 162.
Guy ( à m. ) , t. III , p. 1 4 1 ■ — T. iv, p. i 5 2 , 242,322.
GuYENET ( à madame), t. m, p. 299.
H.
Harcout ( à milord comte de), t. iv, p. 244, aoS, 268, 277,
288, 3io, 357. — T. V, p. 36o.
IIiRZEL ( à M. ), t- III, P- 229.
HouDETOT ( à madame d' ) , 1. 1, p. 344 > 384 , Sgo , 391. — T, 11,
p. 3, 22, 109.
HuBER ( à M. ) j t- II > p- 36 1 .
Hume (à M. David), 1. 11, p. 485. — T. m , p. 464. — T.iv, p. 3i ,
32, loi , 109.
I.
Inséparables ( aux ) , c'étaient madame Latour et son amie. T. 11 ,
p. 218.
IvERNois (à M. d'), t. III, p. 49 , 94, 139, 173, 195 , 234 ,
2 5o, 253, 256, 368, 275, 326, 348, 3 60, 369, 383, 393,
396, 427, 43i , 433, 457, 462, 468, 4^9, 475. — T. iv,
p. i4, 20,43,92,103, 169, 179, 212, 235, 25o, 285,327,
368, 372 , 373 , 385, 397, 406 , 421 , 422.
IvERKois ( à madame d' ) ,
IvERNOis ( à mademoiselle d' ) , t. 11 , p. 422. — T. m , p. 362,
397-
J.
JoDELH ( à M. l'abbé de ) , t. 11 , p. 2 35.
Julie. Voyez madame Latour.
DES COIIRESPOIYOAIVTS DE ROUSSEAU. 3(J9
K.
Keith ( à George ) , ou Milord Man'-clial. — T. ii, p. 33o, 36i ,
4oo , /(o4 ,5ii. — T. m, p. ia4, 129, i3i, i85, 217, a/Jo,
287, 3 1 3, 355. — T. IV, p. 148 , 1 56, 1 85, 188, 210, 2 Sa,
270.
KiRCHBERGEK (à M. ). NoTA. Dans les précédentes éditions ce nom
est remplacé par celui de Keit. — T. 11, ]). 5o5.
Klupfel ( à M. ) , t. m , p. 384-
LAiAKDE ( à M. de ) , t. iv, p. 4oi.
LviUAUD. T. III, p. 2o3 , 243, 359. T. IV, p. 207. — T. V,
p. i3, 42, 5i, 58, fi5,7i, 89,93,100,110, ii3,i2o,
146, 168, i8a, 280.
Laperte ( à M. l'abbé de ), t. ir, p. 523.
Lastic ( à m. le comte de ), t. 1 , p. 204.
LaTOUR , PEINTRE ( à M. ).
Latour-Franqueville ( à madame ), t. ii , p. 2o3 , 2i5, 325 ,
228, 234 I 236, 240, 250,264» 276, 288, agi ,296, 297,
3o4,363, 375,378, 411, 427,435, 459,487, 526. —
T. m, p. 3, 20, 47, 56, 58, 60 , 95, III , 119 , 140 , 192 ,
2o5,ai3,249 ,312,343, 426, 47«- — T. IV, p. 6, 242, 353,
36o , 368. — T. V, p. io5, 148 , i56, 157 , 299, 346, 349 ,
36i.
La Tourette ( à M. de ), t. v, p. 292.
Le Nieps. — T. 11, p. 66. — T. m, p. 206 , 3o8.
LeRoy. — T. II, 48.
Le Sage ( à M. ), t. i, p. 187.
Le Vasseur ( à mademoiselle Thérèse ) , t. ii , p. 3 1 4. — ■ T. v, p. 7.
Linné (à M. )> t. v, p. 35i.
Loiseau de MaulÉon ( à m. ) , t. II , p. 42 i.
Lorenzy (à M. le chevalier de), t. 11, p. 81, i36, 140.
Luxembourg ( à M. le maréchal duc de ), t. n, p. 78 , 83 , 93 ,
loi, 107, i3i, 327, a38, 3o8, 3ii, 332, 4 4o, 462, 53o.
—T. III, p. i38.
Luxembourg ( à madame la maréchale de ), t. 11 , p. 81 , 86, 90
91, 97, 102, ii3, 114, 123, 124, 125, 127, r3o, 160,
178,185,188, 199, 2 00, 202, ai3, 219, 223, 289, 2 4g
263, 271, 273, 274, 286, 290, 309 , 338 , 357. — T. iir
p. 167, 168 — T. IV, p. 324.
LuzE ( à M. de), t. m, p. 451,459, 465, 470, 474 T. ly
p. 70.
4oo TABLi: alphabétiquî:
LuzE ( à madame de ), t. m, p. î 12 , ?, i6. T. iv, p. 65.
LuzE Wakney ( à madame de ), t. m, p. 63.
M.
Mably ( à M. l'abbé de ) , t. m, p. 3oi.
MAiESHRRBEs ( à M. de ) , t. Il , p. 1 15 , iifi , 143 , r5i , i53 ,
169, 174» 260, 266, 285, 386, 4oi. — T. III, p. 23o. —
T. IV, p. 75. — T. V, p. 367.
Marcet (à m.), t. II, p. 343 , 498.
Marteau (à M. ), t. m, p. 202.
Martinet ( à M. ) » t. m , p. 44-
MÉNARs (à madame la marquise de), t. i , p. 2o3.
Mesmes (à madame la marquise de), t. iv, p. 347-. — T.v. p. 362.
Meuron ( à M.), t. m, p. 329, 34o, 3'46, 363.
MicouD (M.), t. I, p. 52.
MiLoRi) Maréchal. V. Keith.
MiRABEAH (à M. le marquis de), t. iv , p. 2 3o, 286 , 3oo , 3oi ,
3o3 , 3o4 , 307 , 309 ,3i2, 322,325, 354, 359, 365, 399.
Mollet (à M. ), t. xi , p. igS.
MoNiER (à M.), t. I, p. 294.
MoNTAiGu (à madame de ), t. i , p. gS.
MoKTMOLLiN ( à M. de ) , t. Il , p. 364, 416 , 5 20. — T. m , p- 2 52 ,
341.
Montmorency (à madame la duchesse de), t. 11 , p. 181.
MoNTPÉRoux (à M. de) , t. III , p. 2 45.
MouLHON (à M.), t. II, p. 387.
MouLTon. t. II, p. 55 , xo3 , i65 , i83 , 186 , 197, 241 ? 25i ,
268, 277, 292, 3oi,3o6, 3i8, 321, 326, 329, 332, 34i,
352, 354, 368, 382, 384, 407, 410, 4 13, 439, 478, 483,
489 , 5i2,52o, 528, 532. — T. III, p. 12, 23, 24, 45, 208,
266, 3o5, 333, 338, 429. — T. iv, p. 393. — T. v, p. 55,
67, 84, 94, io3, 116, 169, 189, 304, 275, 281.
N.
NÎÎAULME (à M), t. II, p. 299. ^
NuNCHAM (à lord vicomte de), t. iv, p. 21 5.
o.
Offerville (à m. d') , t. II, p. 206.
Orloff (à M. le comte) t. rv, p. 25.
PANCKpucRE(à m.), f. it, p. 178. — T. iii,p. ii2,i58, 25i,38r.
J3KS CORRESPONDANTS DK ROUSSEAU. 4<>I
Perdriau ( à m. ) , t. I , p. 1 9 4 , 2 4 1 .
Petit (à M.), t. i, p. 148.
Petit-Piekre (à m. )? t- it, p. 48î.
PicTET (à M.), t. II, p. 373. — T. m, p. ii3, 27g.
PoMP.vuouR (à madame la marquise de), t. i, p. 168.
PoPELiNiÈRE ( à M. de la), t. 11 , p. 3o5.
Port (à madame), v. mademoiselle Dewes.
PoRTLAND (à madame la duchesse def), t. iv, p. 181.
PuRY (à M. de).
R.
Raynal (à M. l'ahbé), t. i, p. i4ï, 148, 176.
ReGN ATILT ( à M. ) , t. III , p. 6 1 .
Rey ( à M. Marc-Michel), t. iv , p. 1(14.
RoGuiN ( à M. Daniel ) , t. i , p. 11 4 » 5o8 — T. m , p. 197.
RoGuiN (à madame), t. m, p. 127.
Roi DE Prusse (au), t. 11, p. 33i, 898. — T. iv,p. 40.
RoMILLY ( à M. ) , t. II , p. 3 1 .
Rousseau, père de Jèan-Jacques (à M.), t. i, p. 3, i3, i5, 22.
Rousseau (à M. Théodore), t. 11, p. 371. — T. m, p. 18, 218.
Rousseau (à M. F. H.), t. m , p. 36. — T. iv, p. 69.
Rousseau (à madame), t. v, p. 161.
RousTAM ( à M. ), t- II » P- 255- ■■ — T. IV, p. 182.
Saint-Bourgeois (à M.), t. m, p. 293.
Saint-Florentin (à M. Le comte de) t. 11 , p. 61.
Saint-Germain (à M. Anglancier de), t. v, p. 74, 82, 179, 211,
2i3, 258, 286, 288, 293, 294, 298, 3oo, 339, 353.
Saint-James Chronicle (à l'auteur du), t. iv , p. Sa.
Saint-Lambsrt (à M. de), t. I, p. 365 , 384-
Sandoz (à madame la générale ), t. m, p. 33 1.
Sartine (à M. de) , 1. 11, p. 290. — T. iv , p. 335. T. v, p. 354.
Sauttershèim (à M. de), t. m, p. i54, 169.
ScHEYB (à M.), t. I, p. 263.
Seguier de saint-Brisson (à M.), t. m, p. nS, 263.
Serre (à mademoiselle), t. i, p. 3o.
Société économique de Berne (à MM. les membres de la), 1. 11 ,
p. 281.
Sophie (à), ou madame d'Houdetot, t. i, p. 344. — T. 11, p. 36.
SouRGEL (à madame de), t. i, p. 73.
Strafford ( à milord ) , t. iv , p. 46.
R. XXIf, 26
402 TABLE ALPHABÉTIQUE, CtC.
T.
Tanxe ( à sa) , V. Gonceru.
Theil ( à m. du ), t. I , p. 98 , io3 , io5 , 107.
Théodore (à mademoiselle), t. rv, p. 26a.
Tonnerre (à M. le comte de), t. v, p. 9, 10,11, i5, 19, aS^
a6 , 41 , 77, 82.
Tressan (à m. le comte de), t. i , p. 286 , 289 , 246.
Tronchin (à m. le docteur), t. 11, p. Sa.
TuRPiN (à M. le comte), t. i, p. 18 3.
u.
UsTERi. (à M. )» t- III . P- 3a.
V.
Verdelin (à madame la marquise de), t. m, p. lofi, i5o, 296.
— T. IV, p. 157.
Verna ( à madame la présidente de ) , t. v , p. 9 1 .
Vernes, ( à m. ), t. r, p. 192 , 207 ,214,232, 249, BSg. — T. ri ,
p. 6, 26, 28,33,4^» 5o, 56, 86,98, io8, 193.
Vebhet ( à M. Jacob ) , t. 11, p. 40 > i56 , 366.
Voltaire (à M. de) , t. i, p. 117, i38 , 221, 226 , 269. — T. 11,
p. 119. — T. III, p. 385.
Warens ( à madame la baronne Je), t. 11, p. 11, 20 , 38, 40 , 4^ ,
58, i3, 66, 71, 94, III, 118, 126, 123, 126, i3r, i33,
166.
Wattei,et (à M. ), t. II, p. 026.
WiRTEMBERG ( à M. le princc Louis-Eugène de) , t. m , p. 55 , 59,
64, 89, io3, 120, i35, i(io, 191, 204, 233, 324-
ZiNZEwnoRF ( à M. le comte Charles de ), t. m, p. 212.
FIN DF. I,A TABLE ALPHABETIQUE
DES CORRESPONDANTS DE ROUSSEAU;
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
DES ÉCRITS DE J. J. ROUSSEAU,
RANGÉS DANS 1,'ORDRE OU ILS FURENT COMPOSÉS.
Nota. Nous avons rejeté à la fin les pièces dont la <late est, malgré nos recherches,
restée inconntie.
N'i*. ANNÉES.
I Narcisse, OU l'Amant de lui-même. 1734
La Préface. 1763
1 Mémoire à S. Ex. monseigneur le gouverneur de
Savoie. 1786
3 Le Verger des Charmettes. 1737
4 Traduction de l'Ode de J. Puthod, pour les noces du
roi de Sardaigne. 1737
5 Virelai à madame de Warens. 1737
6 Fragments d'Iphis. 1737
7 Réponse au mémoire anonyme ( sur la sphéricité de
la terre ). 1738
8 Fragment d'une épître à M. Bordes. 1740
9 La découverte du Nouveau-Monde, tragédie. 1740
10 Épître à M. Bordes. 1741
11 Épître à M. Parisot. • 1742
12 Mémoire pour la béatification de l'évèque d'Annecy. 1-142
i3 Dissertation sur la musique moderne. 1742
1 4 Projet concernant de nouveaux signes pour la mu-
sique. 1742
i5 Les Prisonniers de guerre. 1743
16 Les Muses galantes. 1743
17 Le Persifleur. 1746
18 li' Allée de Sylvie. i747
19 L'Engagement téméraire , comédie. 1747
26.
4o4 TABLEAU CHRONOLOGIQUE
MO*. ANNÉE*.
ao Discours qui a l'emporté le prix à l'académie de Di-
jon. 1750
21 Lettre à M. l'abbé Raynal sur la réfutation du dis-
cours. 1751
î2 Lettre à M. Grimm ( réplique à M. Gautier ). 17 5 1
23 Réponse de J. J. Rousseau au roi de Pologne. 1751
24 Dernière réponse à M^Bordes. I75i
aS Lettre de J. J. Rousseau sur une nouvelle réfutation
à son discours. 17 5 1
26 Lettre à M Grimm, au sujet des remarques ajoutées
à la lettre sur Omphale. 1751
27 Épître au vicaire de Marcoussis. 17 Si
28 Oraison funèbre de S. A. S. monseigneur le duc d'Or-
léans. 175 1
29 Discours sur cette question , Quelle est la vertu la
plus nécessaire aux héros. i75i
30 Le Devin du village. 1752
3i Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
parmi les hommes. 17 53
Dédicace de ce discours. 1765
32 Lettre sur la musique française. i753
33 Courts fragments de Lucrèce. 1754
34 Discours sur l'économie politique. 1755
35 Examen de deux principes avancés par M. Rameau. 1755
36 La Reine fantasque. i755
37 Examen des ouvrages de l'abbé de St-Pierre, de
1756 à 1761
38 Nouvelle Héloïse, de 1757 à 1759
Les aventures de milord Edouard Bomston. 17^9
39 Lettres à Sara, 1757 ou 1762
40 Lettre à M. d'Alembert. 1758
41 De l'imitation théâtrale. 1758
42 Réfutation du livre de l'Esprit, écrite en marge de
l'exemplaire donné par Helvétius. 1758
43 Lettre à M. Le Nieps, sur le Devm du village. 1759
44 Traduction du premier livre de Tacite. 1759
DES ÉCRITS DE J. J. ROUSSEAU. ^OD
N"*- AirnÉEs.
45 Tirfduclion de l'Apocolokintosis de Sénèque. i/^g
46 Contrat Social, de 1756 à 1760, publié en 1762
47 Énaile, composé de 1757 à 1761 , publié en mai 1762
48 Quatre lettres à M. de MalesherbeSjjauTier 1762
49 Le Lévite d'Éphraïra. i 762
50 J. J. Rousseau, citoyen de Genève, à Christophe de
Beaumont, archevêque de Paris. 1762
5i Pygmalion, scène lyrique, de 1762 a ijr65
52 Fragment pour un dictionnaire de botanique, de
1763 à 1765
53 Lettres écrites de la montagne. 1764
54 Vision de Pierre de la montagne, dit le Voyant. 17^4
55 Lettres sur la législation des Corses. 1764
56 Déclaration relative à M. Vernes. 1765
67 Lettre à M. le docteur Bumey. 1766
58 Confessions ( les six premiers livres), de 1766 à Ï767
59 Quinze lettres adressées à madame la duchesse de
Portland , de 1766 à 1776
60 Dictionnaire de musique ( recueil de morceaux com-
posés à différentes époques, de 1740 à 1767 ),
imprimé en 1767
61 Confessions ( les six derniers lii'res ) , de 1768 à 1770
6a Lettre à madame la présidente de Vcrna, sur la bo-
tanique. 1768
Lettre à M. Liotard neveu , sur la botanique. 1 768
63 Neuf lettres adressées à M. de la Tourette, sur la
botanique, de 1769 à 177^
64 Épitaphe de deux amants qui se sont tués. 1771
65 Deux lettres à M. de Malesherbes, sur la botanique. 1771
66 Lettres sur la botanique. 1771
67 Considérations sur le gouvernement de Pologne,
avril 1772
68 Déclaration relative aux contrefaçons de ses ou-
vrages. 1774
69 Extrait d'une réponse sur lui morceau de l'Orphée
de M. Gluck. 1774
4o6 TABLEAU CHRONOLOGIQUE, etC.
nos. KVTXKRi.
70 Olynde et Sophronie, vers ^774
71 Dialogue,. 177 5 à 1776
72 Fragment. I777
73 Les rêveries du promeneur solitaire, dernier ouvrage
de Jean- Jacques , 1777 à 1778
DATES INCONNUES.
74 Vers pour madame de Fleurieu.
75 Vers à mademoiselle Théodore.
76 Enigme sur le portrait.
77 Chanson traduite de Métastase.
78 Strophes ajoutées à celles de Gresset.
79 Bouquet d'un enfant à sa mère.
80 Inscription mise au bas du portrait de Frédéric.
81 Vers sur la femme.
82 Sur la musique militaire.
83 Fragment sur l'Alceste de M. Gluck.
84 Essai sur l'origine des langues.
NOTICE
DES PRINCIPAUX ÉCRITS
RELATIFS A LA PERSONNE ET AUX OUVRAGES
DE J. J. ROUSSEAU.
NOTICE
DES PRINCIPAUX ÉCRITS
RELATIFS A LA PERSONNE ET AEX OUVRAGES
DE J. J. ROUSSEAU.
I. ECRITS
RELATIFS A LA PERSONNE DE J. J. ROUSSEAU'.
Lettre de J. J. Rousseau , de Genève , qui con-
tient sa renonciation à la société et ses derniers
adieux aux hommes , adressée au seul ami qui lui
reste dans le monde. 1762 , in 12.
Cette brochure, de quelques pages, est de Pierre-Firmin De
Lacroix, avocat de Toulouse, qui imitait assex bien le style de
Jean-Jacques. Plusieurs lecteurs y furent trompés et la crurent
réellement de Jean-Jacques.
Profession de foi philosophique ( par Borde ).
Amsterdam, Marc- Mie hel Rej. ( Lyon^ 17^3, in- 12
de 35 pages, et in-8°, dans les OEuvres de l'auteur.
Satire contre J. J. Rousseau , réiitiprimée en 1 788, à la suite
des Réflexions de M. Servan sur les Confessions de J. J. Rous-
seau.
Lettre à M. J. J. Rousseau ( par mademoiselle
Mazarelli, depuis marquise de Saint-Chamond) ,
1763, in-i2 , et dans X Année littéraire de Fréron ,
1763 ,.tome VI, page 19.
' Extrait de la notice du savant Barbier.
4lO NOTICE DES ÉCRITS
Exposé succinct de la contestation qui s'est éle-
vée entre M. Hume et M. Rousseau , avec les pièces
justificatives (traduit de l'anglais par M. Suard,
avec une préface du traducteur). Londres et Paris ,
1766, in-12.
Réimprimé , ainsi que les trois pièces suivantes , dans' le
tome XXVII du Rousseau de Poinçot. Paris, 1 788-1 798, 89 vo-
lumes in-S".
Lettre de Frédéric II , roi de Prusse (ou plutôt
d'Horace Walpole), à J. J. Rousseau, in-80 de 2
pages, et in- 12 dans le recueil précédent , page 2 5.
Justification de J. J. Rousseau dans la contesta-
tion qui lui est survenue avec M. Hume. Londres^
Î766 , in-i2.
Lettre de M. de Voltaire à M. Hume , 1 766 , in-S».
Cette lettre se trouve dans la Correspondance générale de
Foliaire.
Voyez d'autres lettres de Voltaire sur le même sujet, dans la
Correspondance de Grimin, première partie, tome v, pag^. 876
et suivantes.
Les Lettres de Grimm, sur cette brouillerie , méritent d'être
lues. Voyez le volume cité, pages 33 et suivantes.
Notes sur la Lettre de M. de Voltaire à M. Hume ;
par M. L***, sans date ^ in- 12 de 32 pages.
Voltaire dit , dans la Correspondance de Grimm , première
partie, tome v, page 411? que l'auteur de ces notes était un in-
time ami du docteur Tronchiu: aurait-il voulu parler de M. Lul-
îin de Châteauvieux, membre du Conseil de Genève? On le croit
lui-même auteur de ces notes.
Plaidoyer pour et contre J. J. Rousseau et le
docteur D. Hume , l'historien anglais, avec des
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 4^ ^
anecdotes intéressantes relatives au sujet; ouvrage
moral et critique , pour servir de suite aux OEuvres
de ces deux grands hommes (par M. Bergerat).
Londres et Lyon , Cellier , i 768 , in-i 2 de 298 pages.
Cet ouvrage a été réimprimé , i** dans le tome xxvii des
OEuvres de Rousseau, Genève , 1782, in-S" ; 2° dans le t. xxvii
du Rousseau de Poinçot ; 3" dans le xviii^ volume du Rous-
seau de Defer de Maisonneuve , in-4''.
J'ai vu au Dépôt bibliographique de la rue de Choiseul, un
exemplaire relié en maroquin rouge , avec un frontispice por-
tant le nom de l'auteur.
Réflexions posthumes sur le grand procès de
Jean-Jacques avec David. Paris , sans date, in- 12.
Le rapporteur de bonne foi , ou Examen sans
partialité et sans prétention , du différent survenu
entre M. Hume et M. Rousseau de Genève ( par
T. Verax ). 1766, in-12.
Le docteur Pansophe , ou Lettres de M. de Vol-
taire ( et de M. Borde). Londres , 1766, in- 12.
La lettre du docteur Pansophe est de M. Borde. Voltaire avait
d'abord attribué cette' pièce satirique à l'abbé Coyer, qui l'a
désavouée par une lettre insérée dans les OEuvres diverses de
J. J. Rousseau J édition de Neuchdtel (Paris) , tome vu.
Précis pour M. Rousseau en réponse à l'exposé
succinct de M. Hume, suivi d'une Lettre de ma-
dame *** ( La tour de FranquevilleJ, à l'auteur de
la Justification de M. Rousseau. Paris, 1767, in- 12.
Réimprimé sous le titre â^ Observations dans le xxvii*^ vo-
lume du Rousseau de Poinçot.
J. J. Rousseau a écrit de Woolton, le 7 lévrier 1 767 :
« Je viens de recevoir, dans la môme brochure, deucs pièces
4ia NOTICE DES ÉCRITS
« dont on ne m'a point voulu nommer les auteairs; la lecture de
« a première m'a fait chérir le sien sans me le faire connaître.
« Pour la seconde, en la lisant, le cœur m'a battu, et j'ai reconnu
« ma chère Marianne; j'espère qu'elle me connaît aussi.
« Signé , J. J. Rousseau. »
IMarianne était le nom sous lequel J. J. Rousseau désignait
madame Latour de Franqueville. Voyez la Correspondance ori-
ginale et inédite de J. J. Rousseau avec madame Latour de
Franqueville. Paris, i8o3, in-8", tom. ii,pag. 38 et suivantes.
( C'est à tort que les Mémoires secrets de Bachaumont attri-
buent cette lettre à madame d'Épinày. Voyez le tome m ,
page i68. )
Lettre à M. ***, relative à J. J. Rousseau ( par
M. du Peyrou), à Goa, 1765, avec la réfutation
de ce libelle ; par le professeur de Montmollin ,
1765, in-80.
Cette lettre a été suivie de deux autres.
Recueil de I^ettres de J. J. Rousseau et autres
pièces relatives à sa persécution et à sa défense ;
le tout transcrit d'après les originaux. Londres et
Paris ^ 1766 , in- 12
Ce recueil contient trois lettres de M. du Peyrou, relatives à
J..1. Rousseau; la l'éfutation de la première lettre par le pasteur
Montmollin, etc. Plusieurs de ces morceaux avaient été impi'i-
més séparément l'année précédente. M. du Peyrou a reproduit
ses trois lettres dans le tome xxvii des OEuvres de Rousseau ,
édition de 1782.
Articles 2,3 et 4 des Extraits des journaux dans
le Journal des Savants., avril 1766, édition de Hol-
lande , relatifs à la persécution suscitée à Motiers-
Travers, contre J. J. Rousseau.
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 4l3
Les articles 2 et 3 sont traduits du journal anglais Monthly
Rei>iea>, par Alétophile ( Vincent Gaudio, ancien professeur de
droit à Naples , mort en Hollande vers 1767). Le quatrième
article contient des notes générales d'Alétophile sur les deux
articles précédents ; ces articles furent dénoncés au magistrat ;
le libraire Marc- Michel Rey eut défense de vendre le journal
qui les contenait. Vincent Gaudio fit paraître sa justification
dans le mois de mai suivant. Dans le mois d'août , du même
journal , se trouve une lettre fort vive , signée CLéanthe , en
réponse aux assertions d'Alétophile contre les prêtres, et aux
louanges qu'il prodigue à J. J. Rousseau. On doit au professeur
Gaudio différents ouvrages de littérature et de jurisprudence.
Voyez mon Examen critique des Dictionnaires historiques. Pa-
ris, 1820, in-8°.
Extrait des papiers anglais , contenant , Lettre
d'un Anglais à J. J. Rousseau. — Lettre d'un Qua-
ker à J. J. Rousseau. — Fragment d'un ancien ma-
nuscrit grec, dans Vannée littéraire de Fréron, 1 768,
tome n, pages 187 et suiv.
Sentiments d'un Anglais impartial sur la que-»
relie de MM. Hume et Rousseau; extrait des papiers
anglais, in- 12 dans V Année littéraire, 1766, tome
VII, page 3 14.
J. J. Rousseau justifié envers sa patrie (par Ré-
ranger). Londres ^ i775,in-8°, réimprimé dans le
28^ vol. du Rousseau de Poinçot,
Relation des derniers jours de M. J. J. Rousseau,
circonstances de sa mort , et quels sont les ouvrages
posthumes qu'on peut attendre de lui; parLeRègue
de Presle,avec une addition relative à ce sujet, par
J. H. de Magellan. Londres et Paris ^ 1778,111-8'*.
Lettre sur J. J. Rousseau, adressée à M. d'Es... ,
4l4 NOTICE DES ÉCRITS
par M. *** (le chevalier de Briiny ). Genève et Paris ^
Brunet, 1780, in-8°, réimprimé dans le tome xxix
des Œuvres de Rousseau^ 1782.
Lettre sur J. J. Rousseau, adressée à un prince
d'Allemagne. ( Voyez la Correspondance de Grimm ,
3^ partie , tome i , page a68. )
J. J. Rousseau vengé par son amie , ou morale
pratico-philosophico-encyclopédique des Coryphées
de la Secte (par madame Latour de Franqueville ) ,
au Temple de la Vérité [Hollande) , 1779, in -8° de
72 pages.
On trouve dans ce volume, 1° Lettre d'un anonyme h un
anonyme , ou Procès de f esprit et du cœur de M. cV Alernhert ;
1° Lettre à M. Fréron, par madame de La Motte ; 3" Lettre de
madame de Saint-G*** à M. Fréron. Madame de Latour s'est
cachée sous ces différents masques.
La Vertu vengée par l'Amitié, ou recueil de
Lettres sur J. J. Rousseau, par madame de** (La-
tour de Franqueville), in 8'^, ou 3o® vol. des OEu-
vres de Rousseau ^Ç:ài\.\\QYi de Genève , 1782.
Ce volume contient les trois lettres de madame de Franque-
ville, citées dans l'article précédent, celle qu'elle avait publiée
en 1766, et plusieurs autres qui avaient été insérées dans X An-
née littéraire , tantôt sous le nom de madame de La Motte, et
tantôt sous celui de madame du Riez-Genest. On y remarque
ensuite XErrata de t Essai ^ur la musique ancienne et mo-
derne de M. de La Borde , et la réplique de madame de Fran-
queville à la réponse faite par M. de La Borde à X Errata, in-
sérée dans son supplément à X Essai sur la musique. On assure
que le célèbre violon Pierre Gaviniès a fourni à madame de
Franqueville le fonds de ces deux critiques contre M. de La
Borde.
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. ^l5
Le libraire Poinçot n'a reproduit qu'une partie de ces lettres
dans le tome xxviii* de son édition de Rousseau ; une autre
partie se trouve dans le xxx*. Il avait donné, dans le xxvii*^, la
lettre de 1766. Il a donc omis celle qui porte la date de 1772,
et qui, comme les autres, est annoncée dans la préface de son
XXVIII* volume.
Le réveil de J. J. Rousseau , ou particularités
sur sa mort et sur son tombeau ; par M. B. de V**
(M. Brard , médecin) , Genève et Paris ^ 1 7^3, in-8''.
Vie de J. J. Rousseau , précédée de quelques
lettres relatives au même sujet; par M. le comte de
Barruel-Bauvert. Londres et Paris ^ ^7^9^ in-8°.
Portrait de J. J. Rousseau , en dix -huit lettres,
qui présentent une courte analyse de ses princi-
paux ouvrages; par de Longueville, écrivain pu-
blic. Amsterdam et Paris ^ ^11^ 1 ii^'^".
Abrégé de la Vie de J. J. Rousseau , citoyen de
Genève , tiré de ses Confessions et de ses autres ou-
vrages; par Jean -Bruno Forest, ancien militaire,
élève de Marmontel , et membre de plusieurs so-
ciétés savantes , etc. Paris ^ chez les libraires asso-
ciés. 1808, in-8°.
M. Forest a joint à cette vie de Rousseau , la Nouvelle Hé-
loïse , mise en scènes ., pour former un drame en cinq actes ;
et il annonce à la fin que X Emile , ou Traité d'éducation en
abrégé, est sous presse. Ce nouvel ouvrage n'a point paru.
J. J. Rousseau peint par lui-même: ses Confes-
sions , avec des notes nouvelles ; ses Dialogues , les
Rêveries du promeneur solitaire, etc.; augmenté'
de l'Éloge de Jean -Jacques, de l'Examen de sa phi-
losophie , de ses opinions , de ses ouvrages ; par
4l6 NOTICE DES ÉCRITS
M. le comte d'Escherny , etc. ; avec un beau por-
trait de Jean-Jacques , wwjric-simile de son écriture ,
et cinq jolies gravures. Paris ^ 1819 •> 4 vol in- 12 '.
Essai sur J. J. Rousseau, par Bernardin de Saint-
Pierre , dans le 1 2" volume de l'édition in - 8° , et
dans le 10^ de l'édition in- 18 de ses OEuvres com-
plètes, Paris, 1820.
Cet Essai mériterait d'être réimprime séparément.
Motion relative à J. J. Rousseau ; par Ange-Ma-
rie d'Eymar, député de Forcalquier à l'Assemblée
nationale. Paris, 1790, in-8''.
Prosopopée de J. J. Rousseau, ou Sentiments de
reconnaissance des amis de l'instituteur d'Emile à
l'Assemblée nationale de France, etc. Paris , 179^7
in-8«.
Rapport sur J. J. Rousseau, fait au nom du co-
mité d'instruction publique , par Lakanal , dans la
séance du 29 fructidor, imprimé par ordre de la
Convention nationale, et envoyé aux départements,
aux armées, et à la république de Genève, in- 8°.
— Le même rapport , suivi des détails sur la trans-
lation des cendres de J. J. Rousseau au Panthéon
français, in-8°.
Des honneurs rendus à la mémoire de l'auteur
di Emile (par l'abbé Brizard), in-8*', dans le i4^ vol.
du Rousseau de Poinçot.
Pétition à l'Assemblée nationale, contenant de-
' Ces quatre volumes sont les quatre premiers de l'édition de
madame Perronneau, auxquels M. Eymery a mis un titre particulier
pour les vendre à part. C'était une spéculation facile à reconnaître
par les renvois aux autres volumes. M. P.
RELATIFS A J. J. ROUSSEA.U. l{\']
mande de la translation des cendres de J. J. Rous-
seau au Panthéon français, onzième séance du 27
août 1791 (rédigée par M. Ginguené) ; avec la ré-
ponse de M. Victor Broglie, président. De Vimpri-
merie nationale , in-8° de 1 5 pages.
Grande dispute au Panthéon, entre Marat et
Jean-Jacques Rousseau (signé Dubrail). Paris , de
V imprimerie des Sans-Culottes^ in-S" de i5 pages.
Procès-verbal du conseil général de la commune
de Lyon, pour la fête de J. J- Rousseau (rédigé par
feu M. Sobry, secrétaire-greffier), in-4° de quatre
pages.
Cette fête a été célébrée le 2 5 vendémiaireran m f 16 oc-
». *
tobre 1794)- '- .*
De mes Rapports avec J. J. Rousseau et de
notre Correspondance, suivie d'une notice très-
importante; par J. Dusaulx. Paris, 1798, in-8**.
Lettre au citoyen D*** sur l'ouvrage intitidé , De
mes Rapports avec J. J. Rousseau , par M. Granié ,
jurisconsulte. Paris ^ 179^ ■> iii-8°.
Sur l'ouvrage intitulé , De mes Rapports avec Jeanr
Jacques Rousseau (par A. Jourdan), in-8'' de i3
pages, extrait du Moniteur , 11 messidor an vi
( 1798), n« 281.
De J. J. Rousseau; extrait du Journal de Paris ^
des n°* aSi ,252 , 253, 259, 260 , et 261 de l'an vi
( 1 798 ) ; ( par M. Corancez ) , in-8**. *
Sur J. J. Rousseau, par M. de La Harpe, dans
le Cours de littérature , tome xvi , page 333 et sui^
vantes , première édition , in-S".
R. XXII. 27
4l8 aOTICE DES ÉCRITS
Réflexions sur .1, J. Rousseau et ses ouvrages,
par M. de La Harpe, dans le Mercure de France^
5 octobre 1778, et dans le Cours de littérature^
tome XVI, page 352.
A M. /le La Harpe, sur son article concernant
J. J.Rousseau; par INL Corancez, dans le Journal de
Paris an 3o octobre 1778,61 à la fin de la brochure
du même auteur, intitulée , De J. J. Rousseau , etc.
Conversation entre J. J. Rousseau et Goldoni ,
dans les Mémoires de ce dernier, pour servir à
l'histoire de sa vie. Paris ^ ^7^7 •> ^ volumes in-S» ,
et dans les Révélations indiscrètes du dix-huitiéme
siècle. Paris , 1814, petit in- 1 2 , page l\ 1 6.
INIes conversations avec Jean - Jacques ( par le
prince de Ligne), 8 pages et demie, à la fin du
tome X de ses OEuvrcs. A mon Refuge, 1796 et
années suivantes.
Le pi'ince de Ligne a adressé à .T. J. Rousseau, en 1770, une
lettre sérieuse pour l'engager à accepter une retraite dans ses
terres. On la trouve dans plusieurs gazettes du temps, ainsi que
d^ns la Correspondance 'de jGrimm, seconde partie, tome i,
page 228. ~. 4.
• •«•:. ,
Anecdotes sur 3. J. Rousseau, tirées du voyage
de M. Williams Coxe en Suisse; dans X Esprit des
Journaux , juin 1 790 , et dans la traduction française
de ce voyage, par M. Lebas. Paris, 1 790, 3 vol. in-S".
Histoire de mes Relations avec J. J. Rousseau ,
p[fr madame dé Geiilis , dans les Souvenirs de Fé-
licie L*** ^ troisième édition. Paris, 181 1, in-12,
pages 292-310.
Lettre du profess^tir Erévost, de Genève,*nembre
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 4l9
de l'académie royale des sciences et des belles-lettres
de Prusse, snr J. J. Rousseau , in-S", dans le i^ vol.
des Archives littéraires. Paris y i8o4, et in-12, dans
\ Esprit des Journaux.
De Rousseau et des philosophes du xviir siècle ;
par feu M. d'Escherny. Paris , 181 1 , in-12 , dans
le 3^ volume de ses Mélanges de littérature^ d'his-
toire .,ç:\.c.
Jugement philosophique sur J. J. Rousseau et
sur Voltaire; par H. Àzaïs. Paris ., Plancher , 181 7,
in-S" de X et 72 pages.
Histoire de la Vie et des ouvrages de J. J. Rous-
seau, composée de documents authentiques, et
dont une partie est restée inconnue jusqu'à ce
jour ; d'une biographie de ses contemporains , con-
sidérés dans leur rapports avec cet homme célèbre
(parM. V. D. Musset-Pathay). Paris, Briére, 1821,
2 volumes in-8'' ; et 2 vol. in-12 ^
Addition à l'Histoire de J. J. Rousseau (conte-
nant une longue lettre de Rousseau à madame
d'Houdetot), avec des notes; par M. Kératry, etc.
Paris., Briére, 1822, in-8".
Cette addition forme les pages 545 à 56o du tome 11 de l'ou-
vrage de M. Musset-Pathay, et la cxlii^ lettre du xviii^ vol.
de cette édition , p. 344-
Lettre à M. Fréron , sur un monument élevé à
la mémoire de J. J. Rousseau; par M. Argant, Ge-
nevois, dans V Année littéraire., ^119i ^^ dans l'Es-
prit des Journaux, 1779.
' Un troisième volume formé en grande partie de pièces inédites
est sous presse, et paraîtra chez Dupont.
420 NOTICE DES ÉCRITS
Réflexions sur les concours en générai, et sur
celui de la statue de J. J. Rousseau en particulier;
par Houdon , sculpteur du roi , etc. ; in 8° de 1 3
pages , sans date.
Sur le monument consacré à la mémoire de
J. J. Rousseau, d'après un arrêté du conseil des
anciens, et dont le citoyen Masson vient de termi-
ner le modèle.
Voyez un article signé L. Lefèvre (de Vaucluse) , dans le
Journal de Paris du lo prairial an viii ( i8oo).
Du respect et des honneurs accordés partout
aux: grands hommes.
Voyez le Journal du Commerce du 8 février i8i8. On y ap-
prend , dans un article très-bien fait, que les chefs des puis-
sances alliées , par respect pour la mémoire de J. J. Rousseau ,
ont défendu, en i8i5, à leurs soldats, d'imposer aucune taxe
extraordinaire au village d'Ermenonville.
Le Serin de J. J. Rousseau, anecdocte inédite,
par madame Isabelle de Montolieu, dans le Mercure
de France^ du 5 octobre 1 8 1 1 , et dans les Dix Non-
i^elles de l'auteur. Genève et Paris^ i8i5 , 3 volumes
II. PRINCIPALES ÉDITIONS
DES OEUVRES DEJ. J. ROUSSEAU ^
I. OEuvres de M. Rousseau, de Genève, nou-
velle édition , revue , corrigée , et augmentée de
plusieurs morceaux qui n'avaient point encore
' Les remarques faites aux deux premières éditions sont de M. Bar-
bier, et les suivantes, de l'éditeur-
RELATIFS A .1. J. ROUSSEAU. /|2T
paru. Neu/chdteli Paris, Duchesne) , 1764, 1^65,
1767, 1768, 1779, 10 vol. m-i2. a
»Za Nouvelle Héloïse avait paru, chez le même libraire, en
1 761, 4 vol. ; etYÉmile en 1762, 4 vol. Rousseau nous apprend
lui-même, dans une lettre à M". Panckoucke, en date du 2 5 mai
1 764, que cette édition de Paris a été dirigée par le fameux abbé
de La Porte, ex-jésùite, qui s'est bien gardé de la comprendre
dans la liste de ses travaux. Foyez son article dans la France
littéraire, de 1769, dont il est l'auteur.
« Il y a eu deux éditions du second volume de cette collection,
et elles ne contiennent pas les mêmes pièces. On trouve dans
l'une d'elles le Petit Prophète, de Grimm, et l'analyse de diffé-
rentes brochures relatives à la Lettre sur la musique française .
Au lieu de ces morceaux, l'autre renferme Prgmalion , scène
lyrique: une lettre écrite, en i75o, à l'auteur du Mercure; l'Al-
lée de SyU'ie, et quelques autres petites pièces.
«La lettre de Rousseau à l'abbé de La Porte, en date du 4
avril 1763, explique les changements faits par cet abbé dans la
composition de ce second volume ; Rousseau l'avait exhorté à
retrancher de ses OEuvies le Petit Prophète, de Grimm, s'il en
était encore temps. Puisque notre philosophe convient, dans sa
letdre à Panckoucke, avoir fomni quelques pièces à l'abbé de La
Poine, ce fut lui, sans doute, qui envoya à cet éditeur, par
extrait seulement , sa Lettre à Grimm , relative aux remarques
ajoutées à la Lettre sur Omphale. »
IL Œuvres de J. J. Rousseau, de Genève, nou-
velle édition, revue , corrigée, et augmentée de mor-
ceaux qui n'avaient point encore paru. Amslerdam y
Marc-Michel Rcf, 1769, n vol. in-8« et in-i-^.
« Cette édition a été réimprimée dans les mêmes formats en
I 772. Les OEuvres diverses seulement l'ont été en 1776 , 4 vol.
in-i2. Il y a un supplément de 6 volumes pour l'édition in-8",
ce qui porte cette édition à 17 volumes.
« Dès 1765, Marc-Michel Rcy, célèbre impiimeur d Amster-
4^2 NOTICE DES ÉCRITS
dam, voulant réimprimer les OEuvres de J. J. Rousseau, con-
s.ulta l'auteur lui - même , qui lui répondit qu'il fallait prendre
pour modèle l'édition faite à Paris, chez Duchesne, en 14 vo-
lumes, non compris les Lettres de la montagne, la Lettre à M. de
Beaumont, le Contrat social, et le Dictionnaire de Musique.
Dans ce calcul , Rousseau ne comprenait que 6 volumes des
OEuvres diverses , imprimées par Duchesne. Rey lui répliqua
qu'il y avait dans cette édition nombre de pièces qui lui parais-
saient n'y avoir été mises que pour en augmenter les volumes.
Rousseau lui répondit le 18 octobre 1765 :
'< Quand je vous ai parlé de prendie l'édition de Duchesne,
« c'est parce qu'elle contient des pièces de moi qui ne sont pas
« ailleurs; mais je n'ignorais pas qu'elle était fautive, et je n'ai
« jamais pensé que vous y prendriez ni la Prophétie, ni aucune
" pièce qui ne soit pas de moi. Ne cherchez pas à grossir votre
n recueil ; n'imprimez que ce que j'ai fait, et c'est par là que
" votre édition sera recherchée. »
« En conséquence , Rey n'ajouta à son édition que les pièces
auxquelles Rousseau avait l'épondu, et quelques lettres qui n'a-
vaient pas été recueillies. » '
III. OEuvres choisies de J. J. Rousseau. Londr-es,
sans date , 1 5 vol. petit in-8*'.
IV. Leâ OEuvres de J. J. Rousseau. Londres ( Pa-
ris, Casin^^ 1781 , 38 vol. in-id) , Jigures d'après
Moreau.
V. Collection complète des OEuvres de J. J. Rous-
seau ( publiées par Du Pëyrou ) Genève^ 1782 et
ann. suiv. 17 vol. '\\\-[^ ^figures.
M. Du Peyrou a donné les mêmes soins à l'édition de Genève,
1 782-1790, 35 volumes in-8".
VI. Collection complète des OEuvres de J. J. Rous-
seau ( Kehl ) , de V imprimerie de la Société littéraire
et typographique ^ 1783-89, 34 vol. grand in- 18.
UELATifS A T. T. KO II SSli AU , l^'l'^
Vil. Colleclion complète des OEiivres de Jean-
Jacques Rousseau, Paris, VoUaiid. 1790, 16 vol.
'^rand in-4*'-
Le i6e volume parut en 1791 \ il est d'un format plus petit,
et contient les vi derniers livres des Confessions.
VIII. Les OEuvres complètes de J. J. Rousseau ,
classées pai' ordre de matières ( avec des noies
par Merciei^ , l'abbé Rrizard, et M. de Launaye ).
Paris ^ Poinçoty 1788-9!=^, 39 tomes en 38 vol. in-8",
figures.
Il y a des exemplaires in V-
IX. Les OEuvres de J. J. Rousseau. Paris ^- li-
braires associés, 1793, 37 vol. grand in-iS^jj- .
X. Les OEuvres de J. J. Rou.sseau. Paris ^ de l'éfii-
p rimerie de Didot le jeune , chez De/er de Maison-
neuve , 1793- 1800, i8 volumes très-grand in-4",
figures , papier vélin.
XI. OEuvres de J. J. Rousseau. Paris , Bozérifi.n
{de rifnprimerie de Didot Vaîné^j, 1796- 180 ï, a.5
volumes grand in- 1^, papier vélin.
XII. OEuvres de J. J. Rousseau. Paris ., imprime-
rie de Didot l'aîné^ 1801,20 vol. in-S» , papier vélin .
XIII. Œuvres complètes de J. J. Rousseau , ci-
toyen de Genève (nouvelle édition, rédigée par
MM. Villenave et Depping ). Paris, A. Belin, 1817,
8 vol. in-80.
XIV. OEuvres de J . J. Rousseau , nouvelle édi-
tion. Paris , de V imprimerie de Didot aîné, chez Le-
févre et Déterville , 1817-1818, 18 vol. in-8^.
XV. OEuvres de J. J. Rousseau, nouvelle édi-
V
4^4 NOTICE DES ÉCRITS
tion. Paris y Ledoux et Teiiré, 1818-1819, 20 voL
in-i8.
XVI. Œuvres de J. J. Rousseau, nouvelle édi-
tion, avec des suppléments et des notes. Paris y
veuve P^rronneau, 1819-1820, 20 vol. in-12.
C'est la première édition ;\ laquelle nous ayons donné des
soins.
XVII. Œuvres de J. J. Rousseau , avec des notes
historiques ( un vocabulaire et une table des ma-
tières, par G. Petitain). Paris, Lejevre, 1820, 22
vol. in-8«.
j'ai connu l'éditeur, homme instruit, estimable, conscien-
cieux, exact, mais d'une crédulité que ses connaissances ren-
daient inexplicable. Bon mari , bon père, bon ami, homme de
lettres distingué, M. Petitain est mort peu de temps après avoir
achevé l'édition des OEuvres de Rousseau pour M. Lefèvre.
Il ne m'appartient point de faire la critique de cette édition ;
l'auteur de l'article Pcdtaln , àaxis la Biographie universelle
( tome XXXIII ) , s'est chargé de ce soin ; mais il a oublié de
dire que l'éditeur apportait, à la confrontation des textes des
divei'ses éditions, une patience, une attention dignes d'éloge :
c'est une justice à lui rendre. Quant à son travail (c'est-à-dire
ses Commentaii'cs , ses Observations , et son Supplément aux
Confessions), il offre Un phénomène lemai-quable ; c'est que
souvent il aggrave plutôt les reproches qu'on fait à Rousseau,
qu'il ne les discute ou ne le justifie ; ce qui a fait dire plaisam-
ment à M. deKe , que c était le premier éditeur qu'on eût
sn prendre en grippe l'auteur choisi de prédilection jîour ré-
imprimer ses ouvrages, et arriver à la fin de son édition avec
lin sentiment tout-à-fait opposé à celui qui la lui avait fait en-
treprendre. Ce résultat singulier s'explique par le caractère de
Petitain , naturellement indécis et crédule. Il commençait par
croire ce qu'il lisait ou ce qu'il entendait dire ; puis , à l'exa-
RELATIFS A J. i. ROUSSEAU. 4^5
nieu , restait dans une indécision comique. Ce qu'il y avait de
bizarre , c'était son attachement opiniâtre à l'idée qu'il avait
une fois admise , à l'impression une fois reçue. Il était inex-
|)ugnal)le. Comme il avait fini son travail par la lecture des
écrits faits contre Jean- Jacques , il en subissait V'mûnence i
étant un peu du nombre des juges qui donnent gain de cause
à celui qui parlé le dernier. Ces réflexions n'ôtent rien aux qua-
lités estimables de M. Petitain, et je me plais à reconnaître qu'il
en avait un grand nombre.
XVIII. OEuvres complètes de J. J. Rousseau,
édition fort jolie et accompagnée de gravures. Pa-
ris, chez Tontine et Fortic ^ 1822-23, i[\ volumes
grand in- 18.
XIX. QEuvres de J. J. Rousseau , dirigées par
M. Aignan. Paris ^ chez Desoër^ 1823-24, 20 vol.
in-i8.
XX. OEuvres de J. J. Rousseau. Paris, chez
E. A. Lequien, 1822-23, 21 vol. in-8°.
Cette édition soignée, et que nous avons choisie pour faire là
nôtre, est la même que celle de M. Petitain, dont la plupart des
notes ont été conservées. Dans l'avis mis en tète du cinquième
volume de notre édition, et à la page 6 du même volume, nous
faisons quelques remarques critiques sur celle-ci, à laquelle
nous avons concouru pour \esCo///essio/is et la Coirespo?idance,
ainsi que nous le disons avec plus de détails pages xxx et xxxi
(le X Examen des Confessions, tome xiv dt; l'édition Dupont.
XXI. OEuvres complètes de J. J. Rousseau, clas-
sées dans Un nouvel ordre , avec des notes histo-
riques et des éclaircissements, par Y. D. Miisset-
Pathay. Paris , chez P. Dupont^ 1824, 22 vol. in-8°.
C'est l'édition à laquelle nous avons donné tous nos soins.
Les notes conservées des éditions précédentes sont distinguées
4'26 NOTICE DES ÉCRITS
des nôtres par un astérisque. Nous avons, en l'augmentant-, re-
produit le Précis que nous avions fait pour M. Lequien ; enfin ,
nous terminons par une revue dans laquelle, en mettant sous
les yeux du lecteur les observations critiques qti'on nous a
faites, nous réparons nos erreius ou nos omissions.
XXIT. OEuvres complètes de J. J. Rousseau ,
classées dans un nouvel ordre, avec des éclaircisse-
ments et des notes historiques. Paris , M. P. R. Aii-
s^uis ^ 2 5 vol. in-8o, chez M. Dalibon.
Cinq volumes ont été publiés au moment où nous éci'ivons.
( Novembre 1824. )
La première livraison, composée du i*"'' volume de \ Emile,
est précédée d'un Jvant-propos ^ÏQjaê, Auguis. Cet Avant-pro-
pos offre uu mélanire de lambeaux mal cousus. Ce sont des ex-
traits du Cours de littérature de La Harpe , et de l'Histoire de
J. J. Rousseau; extraits copiés littéralement et tressésXe?, uns
dans les autres, de manière que la série des idées est interrom-
pue à chaque instant. ■ ^ '^ ■
Les cinq volumes qui ont paru, contiennent plusi^tirs notes
de nous, pas une seule dvi nouvel éditeur. La partie principale
de notre travail n'y est point insérée ; et s'il est vrai que quel-
ques personnes aient compté sur ce travail en souscrivant à
l'édition de M. Dalibon, elles auront été trompées.
III. ECRITS ^^* '^*'' ^
RELATIFS. AUX OUVRAGES PARTICULIERS
UE .T. .T. ROUSSEAU.
DISCOURS QUI A REMPORTÉ LE PRIX A i/aCADÉMIE DE DIJON ,
EN 1750.
Réponse au Discours qui a remporté le prix , etc.
(par Stanislas, roi de Pologne , et le P. de Menoux ,
jésuite), 175 1 , in-8°.
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 4*^7
Voyez, dans le tome xv, p. 147 de cette édition, les observa-
tions de J. J. Rousseau sur cette réponse.
Réfutation d'un Discours qui a remporté le
prix, etc., par M. Gautier, professeur de mathé-
matiques et d'histoire , dans le Mercure d'oc-
tohre 1751, et dans les anciennes éditions des
OEuvres diverses de J. J. Rousseau.
Voyez, dans le tome i de cette édition, la lettie de J . J. Rous-
seau à M. Grimm, sur cette réfutation.
Discours qui a remporté le prix à l'académie de
Dijon, en 1750, accompagné de la Réfutation de
ce Discours , par un académicien de Dijon qui lui a
refusé son suffrage , 1 7-5 1 , in-8*' de 1 3^ pages à deux
colonnes, et dans le tome i^"" du Supplément à la
collection des Œuvres de J. J. Rousseau. Ge-
/zèp-e, 1782.
Dans Tune de ces colonnes est le discours de M. Rousseau :
dans l'autre est une réfutation de ce discours. On y a joint des
apostilles critiques , et une critique de la réponse faite par
M. Rousseau à M. Gautier. Cet académicien de Uijon supposé,
su trouva être M. Lecat , secrétaire perpétuel de l'académie de
Rouen ; et c'est ce qui occasiona le désaveu de l'académie, por-
tant que la réfutation était un ouvrage pseudonyme. Dans les
(observations sur le désaveu de l'académie de Dijon , imprimées
sous le titre de Londres, chez Kilmornek, M. Lecat s'est avoué
l'auteur de la Réfutation. Ces observations se trouvent aussi
dans le premier volume du Supplément aux OEuvres de Rous-
si!au, 1782. Voyez ^ dans le tome 1 de cette édition, la Lettre
tic J. J. Rousseau sur la Réfutation de son Discours, par le pré-
tendu académicien de Dijon.
Discours sur les avantages des sciences et îles
4^8 ISOTICE DES ÉCRITS
arts, prononcé dans l'assemblée publique de l'a-
cadémie des sciences et belles-lettres de Lyon , le
12 juin 1761, (par M. Borde), avec la réponse
de J. J. Rousseau. Genève^ l'j^i^ïn-^^.
Second Discours sur les avantages des sciences
et des arts, par M. B*** (Borde). Avignon, Girard,
et Lyon, Aimé de la Pioche, lySS, in-S".
Discours de M. Le Roi, professeur de rhéto-
rique au collège du cardinal Lemoine , prononcé
le 12 août 1761, dans les écoles de Sorbonne, en
présence de MM. du parlement , à l'occasion de la
distribution des prix fondés dans l'Université ; tra-
duit en français par M. B*** (Boudet), chanoine
réguUer, procureur général de l'ordre de Saint-
Antoine ; Des avantages que les lettres procurent a la
vertu, dans \e Journal économique de novembre l'jSi ,
et dans le i*^*^ volume du Supplément aux Œuvres
de Rousseau, 1782.
Recueil de toutes les pièces qui ont été publiées
à l'occasion du discours de J. J. Rousseau sur la
question proposée par l'académie de Dijon. Gotha ,
chez F. Paul Mévier , 1763, 2 vol. in-8°.
Lettre d'un ermite à J. J.Rousseau (par de Bon-
neval) , 1753, in-8^. J'ojez dans la Correspondance ,
la Lettre à ]\L Fréron.
Examen philosopliique de la liaison réelle qu'il
y a entre les sciences et les mœurs , dans lequel on
trouvera la solution de la dispute de M. J. J. Rous-
seau avec ses adversaires (par Formey). Avignon
et Paris , i']55, in- 12 de 74 pages.
Jean-Jacques Rousseau dévoilé, ou Réfutation
RELATIFS A J- J. ROUSSEAU. ^1C)
de son discours contre les sciences et les lettres,
par M. Tabbé Aillaud. Montaiéan^ 1817, in-S"*.
LETTRE SUR LA MUSIQUE FRANÇAISE, 1753.
Le Petit Prophète de Boehmischbroda (par
Grimm) , i753. in-8" et in-12; dans le tome ti
des OEiivres de M. Rousseau, recueillies par
l'abbé de La Porte, en 1764.
On le trouve aussi dans le Supplément à la Correspondance
de Grimm, publié en 181 4, i vol. in-S".
Apologie de la Musique française , contre
J. J. Rousseau, par l'abbé Laugier. 1764, in-8"
et in-12 , dans le tome 11 des Œuvres de M. Rous-
seau.
Lettre sur la Musique française, en réponse à
celle de J. J, Rousseau (par M. Yso). 1754, in-8**,
Examen de la Lettre de M. Rousseau, par M. R***
(Raton). Pr/m, 1753, in-S".
Justification de la Musique française ( par M. de
Morand, avocat). Paris ^ ^754? in-8^.
Notice de quinze autres Écrits contre la Lettre
sur la Musique française ^ par l'abbé de La Porte,
dans le tome 11 des Œuvres de M. Rousseau.
DISCOURS SUR l'inégalité, etc. 1754-
Lettre de M. D. B"** ( de Béthisy ) , à madame*** ,
sup l'ouvrage de J. J. Rousseau, intitulé, Dis^
cours sur l'origine^ etc. Amsterdam^ i755,m-8°.
Lettre à M. J. J. Rousseau, citoyen de Genève,
à l'occasion de son ouvrasse intitulé , Discours sur Vo-
43o NOTICE DES ÉCRITS
rigine^ .etc., ( par l'abbé Pilé, prêtre du diocèse de
Paris, vicaire de Saint-Germain-le-Vieux). West-
minster et Paris, 17^5, in- 12 de 76 pages.
Lettre pour servir de réponse au Discours de
M. Rousseau, etc.; par M. J. N. T. J. Genèt^e, 1766,
in-80.
Lettre de Philopolis, citoyen de Genève (Charles
Bonnet), au sujet du Discours de J. J. Rousseau
sur l'origine, etc., dans le Mercure de France du
mois d'octobre 1756; dans les OEuVres de l'au-
teur, t. XXII de l'édition in-8**, 1819-20.
Voyez, dans le tome i de cette édition, la lettre de Rous-
seau à M. Philopolis.
L'Homme moral opposé à l'Homme physique
de M. Rousseau (par le P. Castel , jésuite). Tou-
louse, I756,in-i2, et dans le 29* volume des Œu-
vres de Rousseau, édition de 1782.
Réflexion.» d'une Provinciale (madame Belot,
depuis, madame la présidente de Menières), sur
le Discours de M. Rousseau, touchant l'origine de
l'Inégalité, etc. Londres , 1766, in-S**. r^
Discours sur l'origine des Inégalités parmi les
hommes , pour servir de réponse au Discours de
M. Rousseau, citoyen de Genève; par M. Jean de
C?iS\S[\on. Amsterdam , 1756,111-80.
Lettre à M . Rousseau , citoyen de Genève ; par
M. M*''*, citoyen de Paris. Paris, 1756, in-12.
Réflexions sur l'homme, ou Examen raisonné
du Discours de M. Rousseau , de Genève , sur l'o-
rigine, etc.; par M. Jean-Henri Le Rous (Ourse!),
RF.LA.TIFS A T. J, ROUSSEAU. 43»
conseiller du roi de France. Genève (^ Rouen, Firet),
1758, in-i2.
M. Oursel était procureur du roi à Dieppe; il est mort le 12
septembre 1814, âgé de 89 ans.
Histoire généalogique du philosophe Ourseau
(Rousseau), ou Critique du Z>/jcowrj- .f^^r/'on^/«e, efc.,
(par dom Aubry. bénédictin). Genève (Nancj),
1768, in-8".
Discours philosophiques sur l'Homme, consi-
déré relativement à l'état de nature et à l'état (le
société , par le P. G... B... (le P. Gerdil , barnabite ,
depuis cardinal). Turin, frère Reycends , 1769,
in-8°.
Ces discours sont au nombre de treize. Quelques-uns sont
dirigés contre Hobbes , contre Hume , et contre Voltaire.
Etudes contenant un appel au public lui-même
du jugement du public sur J. J. Rousseau (par le
marquis de Brie vSerrant). Paris, Guerbart^ an xi,
in-80.
Cette brochure, assez volumineuse, contient la réfutation de-
là première partie du Discours sur l'Inégalité.
CONTRAT SOCIAL, 1754-
O^rande aux autels et à la patrie, contenant la
défense du christianisme, ou Réfutation du Contrat
social, etc. ; par Ant.-Jacques Roustan. Amsterdam^
1764, in-8«.
Anti- Contrat social, par P. L. de Bauclair, ci-
toyen du monde. La Haie , 1765, in-12 ; et par ex-
43^ NOTICE DES ÉCRITS
trait dans le 8" volume des OEuvres.de Rousseau,
édition de l'abbé de La Porte.
Lettre d'un anonyme (M. Élie Luzac), à M, Jean-
Jacques Rousseau (sur le Contrat social). Paris ^
Desaintet Saillant {^Hollande^, 1766, in-8° de aSo
pages.
Observations sur le Contrat social de J. J. Rous-
seau , par le P. Berthier, jésuite (terminées et pu-
bliées par l'abbé Bourdier-Delpuits, ex -jésuite).
Paris ^ Mèrigot le jeune ^ 1789, in- 12. ,
De la Religion publique , ou Réflexions sur un
chapitre du Contrat social de J. J. Rousseau ; par
M. Daunou , dans le Journal Encyclopédique de fé-
vrier 1790, tome i^"", pag. 4^6, et tome 11, pag. 98.
Réimprimées dans X Esprit des Journaux, avril 1790.
Adresse d'un citoyen très-actif (par M. Ferrand,
aujourd'hui pair de France). 1790, in-8°.
L'auteur a voulu prouver, par trente et un passages extraits
du Contr-at social, que ce code de la liberté condamnait litté-
ralement tous les décrets de l'Assemblée nationale.
Supplément au Contrat social , par Gudin. Paris ,
1792, in-8° et in-12.
Principes du droit politique mis en opposition
avec ceux de Jean -Jacques sur le Contrat social
(par M. Landes). 1794? in- 12; nouvelle édition ,
Paiis , 1 80 1 , in-8°.
Sur le sort d'un manuscrit de 82 pages, entière'-
ment écrit de la main de J. J. Rousseau, et qu'il
destinait à éclaircir quelques chapitres du Contrat
social.
RELATIFS A J. .1. ROUSSEAU. 433
J. J. Rousseau avait remis ce manuscrit à M. le comte d'En-
traigues, en l'autorisant à en faire l'usage qu'il croirait utile. Le
comte d'Entraigues paraît avoir détruit ce manuscrit, après l'a-
voir communiqué à l'un des plus vénérables amis de J. J. Rous-
seau. Voyez la note du comte d'Entraigues à la fin de sa brochure
intitulée , Quelle est la situation de l'Assemblée nationale ?
1790, in- 8° de 60 pages. Note rapportée textuellement dans
cette édition.
NOUVELLE HÉLOÏSE, 1766-1758.
Des Écrits publiés à l'occasion de la Nouvelle
Héloïse ; par Mercier , à la fin du 4^ vol. de l'édi-
tion de Poinçot.
Lettre d'un curé à M. Rousseau. Nancj ^ 1761.
Lettre d'un militaire à l'auteur de la Nouvelle
Héloïse. Bruxelles^ 1761.
La Nouvelle Héloïse au tombeau. Cologne^ 1761.
Les Amours suisses du Pont-aux-Choux. Genève ,
1762.
Parallèle du Devin du village et de la Nouvelle
Héloïse, 1762.
Lettre de madame de Wolmar à l'auteur de la
Nouvelle Héloïse, 1762.
Parallèle de Clarisse et de la Nouvelle Héloïse.
1763.
Le Jardin de Julie. Lyon^ 1763.
Réclamations de Richardson. Paris, 1765, bro-
chure de 20 pages.
Prédiction tirée d'un vieux manuscrit (par
M. "Borde); i^<2/2J- û'ff/'e ( 1761), in-12 de 21 pages;
et in-8° dans les OEuvres de l'auteur.
C'est à tort que Mercier attribue à Voltaire cette pièce sati-
R, XXTI. 28
/}34 NOTICE DES lîCRITS
rique. M. Servan la fit réimprimer en 1783, à la suite de ses
Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau.
Contre -prédiction au sujet de la Nouvelle Hé-
loïse (par Charles - Joseph Panckoucke), dans le
Journal Encyclopédique du mois de juin 1761.
La prédiction avait été insérée dans le mois de mai, première
partie du même journal. La Contre-prédiction a reparu sous le
titre suivant :
Prédiction faite sur l'auteur de la Nouvelle Hé-
loïse , par un anonyme (C. Panckouke) , à la fin de
la Nouvelle Héloïse , édition de Paris , chez Duchesne^
1 764 , 4 volumes in- 1 2 .
Voyez la France littéraire de 1 76g.
Tja Nouvelle Héloïse de M. J. J. Rousseau mise
en couplets. Paris ^ 1765 , in-12 de i[\ pages.
Lettres sur la Nouvelle Héloïse de J. J. Rousseau
( par le marquis de Ximenès , revues par Voltaire).
1761 , in -8°. Réimprimées en 1762 et en 1777 , à
la fin de la Nouvelle Héloïse.
Lettre de M. L. à M. D. sur la Nouvelle Héloïse
de J. J. Rousseau, de Genève, Desinit in piscem mu-
lierformosa superne. Genève, 1762 , in-8''.
Correspondance originale et inédite de J. J. Rous-
seau avec madame Latour de Franqueville et M. Du
Peyrou. Paris , Gi^uet et Michaud, 1 8o3 , 2 volumes
in-S'', et trois volumes in- 18.
L'Esprit de Julie, ou Extrait de la Nouvelle Hé-
loïse, ouvrage utile à la société, et particulièrement
à la jeunesse ; par Pormey. Berlin, 1760 , in-8'*.
Lettre de JuHe d'Étange à son amant, à l'instant
RELATIFS .\ ,f. J. ROIISSEA.U. 435
où elle va épouser Wolmar ; par de Vauvert. Paris ^
1772, in-80.
Saint-Preux à Wolmar après la mort de Julie,
ou dernière Lettre du roman de la Nouvelle Hé-
loise ; par Mercier. 1 764 , in- 1 2 , dans le Journal des
Dames ; réimprimée à la fin de la Nouvelle Héloïse ,
de l'édition de Poinrot.
La Nouvelle Héloïse dévoilée. Bruxelles et Paris ^
1775, in-i2.
Jugement sur la Nouvelle Héloïse ; par d'Alem-
bert.
Voyez ses Œuvres posthumes. Paris, 1800, tom. i, pag. 121.
Henriette de Wolmar, ou la Mère jalouse de sa
fille, pour servir de suite à la Nouvelle Héloïse ( par
M. Brument). Paris , Delalain , 1 768 , in-i 2. (Nou-
velle édition) Amsterdam, ^111 ■> in-8°.
Les Aventures d'Edouard Bomston , pour servir
de suite à la Nouvelle Héloïse ( traduites de l'alle-
mand de Fréd.-Aug.-Clément Werthes). Lausanne
et Paris , La Fillette, 1789, in-8'* de 240 pages.
M. Ersch , dans sa France lUtéraire , tome 111 , attribue cette
traduction à madame de Polier.
LETTRE A i/aLEMBERT SUR LES SPECTACLES, 1758.
Article Genève de l'Encyclopédie ; Profession de
foi des ministres genevois, avec des notes d'un
théologien ; Réponse (de M. d'Alembert ) à la Lettre
de M. Rousseau, citoyen de Genève. Amsterdam,
1769, in-8°.
28.
436 NOTTCF. DES ÉCRITS
Lettre à M. Rousseau sur l'effet moral des théâ-
tres (par le marquis de Ximenès). 17 58, in-8".
P. A. Laval, comédien, à M. J. J. Rousseau, ci-
toyen de Genève, etc. La Haie^ i758,in-8".
Dancourt, arlequin de Berlin , à M. J. J. Rous-
seau, citoyen de Genève. Berlin et Amsterdam,
1759, in-8°.
Lettre à M. Rousseau au sujet de sa lettre à
M. d'ilembert; par M. de Bastide. Paris , 1758,
in- 12 de l\i pages.
Cette lettre fut, suivant M. de Bastide lui-même, l'effet du
sentiment et de la justice que l'auteur rendait aux femmes ou-
tragées par Rousseau dans la sienne.
Apologie du Théâtre, par Marmontel. Paris,
1761 , in-i2, à la fin du second volume de ses
Contes moraux.
Considérations sur l'Art du théâtre. D*** ( Dé-
diées à M. J. J. Rousseau , citoyen de Genève , par
Villaret). Genèi^e, 1769, in-T8°.
Cette brochure a aussi paru sous ce titre : Lettre d'un Eco-
lier de philosophie à M. J. J. Rousseau, citoyen de Genève et
habitant de Montmorenci, en réponse à sa Lettre à M. d'A-
lembert sur les spectacles. Genève ( sans date ), avec permis-
sion.
Critique d'un livre contre les Spectacles, inti-
tulé , J. J. Rousseau , citoyen de Genève , à M. d'A-
lembert ( par le marquis de Mezières ). Amsterdam
et Paris, 1760, in-8°.
Lettre d'un curé du diocèse de *^ ( M. Secousse ,
curé de Saint-Eustache à Paris), à M. M. ( Mar-
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 4^7
moiitel ) , sur son Extrait critique de la lettre de
J. J. Rousseau à d'Alembert. En France ( Paris ) ,
1760 , in- 12.
On trouve la notice de quatre des écrits précédents , dans le
iv*^ volume des Œuvres de M. Rousseau, édition de l'abbé de
La Porte , qui a placé dans le v® volume la notice de la bro-
chure de Marmontel.
EMILE, ou DE l'éducation, 1750-1769.
Jugement qu'ont porté du livre di Emile les au-
teurs du Journal de Trévoux^ et ceux du Journal En-
cyclopédique , dans le sixième volume des OEuvres
de J. J. Rousseau, édition de l'abbé de La Porte.
Des Écrits publiés à l'occasion à' Emile ^ par
l'abbé Brizard; 1792 , in-S'*, dans le i4^ volume de
la collection des OEuvres de Rousseau, publiées
par le libraire Poinçot.
Je fais connaître ici plusieurs auteurs que l'abbé Brizard a
laissés sous le voile de l'anonyme.
Mandement portant condamnation d'un livre
qui a pour titre, Emile, ou de V Education^ par
j. J. Rousseau, citoyen de Genève. Paris , 1762,
in-4''.
J'ai entendu , dans ma jeunesse , des lazaristes attribuer la
rédaction de ce Mandement à M. Brocquevielle, leiu- confrère,
ancien directeur du séminaire de Toul , depuis curé à Ver-
sailles.
Censure de la Faculté de théologie de Paris (ré-
digée par l'abbé Le Grand) édition latine et fran-
çaise. P«m , 1762. — La même, toute française,
in-8°. — La même, i vol. in-12.
4'i8 JNOTICE DES ÉCRITS
Observations ( des abbés Gervaise et Le Grand )
sur quelques articles de la censure de la Faculté de
théologie de Paris contre le livre intitulé Éinile^ etc.,
( à l'occasion de la critique du gazetier ecclésias-
tique ). 1763, in-4<*.
Le même ouvrage, sous le titre de Lettres intéressantes aux
amis de la -vérité, 1768 , in-12.
Il paraît qu'il y a dans cet ouvrage deux lettres de l'abbé
Gervaise , et six de l'abbé Le Grand.
Arrêt de la Cour du parlement qui condamne
un imprimé ayant pour titre, Emile, etc. Paris ^
i'jGq. , in-4°-
Lettre à M. D***, sur le livre intitulé, Emile ^ ou
de r Education , par J. J. Rousseau, citoyen de Ge-
nève (attribuée au P. Griffet j. Amsterdam et Pa-
ris, Grange^ 1762, in-B*^ de 84 pages.
Réfutation du nouvel ouvrage de J. J. Rousseau,
intitulé, Emile ^ etc., (pardom Déforis, bénédic-
tin ). Paris ^ 1762 , in-8*^.
La Divinité de la religion chrétienne, vengée
des sophismes de J. J. Rousseau , seconde partie
de la réfutation d'Emile. Paris ^ 1763, in-12, deux
parties : la première est de M. André , bibliothé-
caire de M. d'Aguesseau ; la deuxième est de D. Dé-
foris.
Analyse des principes de J. J. Rousseau ( dans
son Emile, brochure attribuée à ]M-. Puget de Saint-
Pierre). La Haie , 1 763 , in-i 2.
Réponse aux difficultés proposées contre la Re-
ligion chrétienne, par J. J. Rousseau, dans TÉ-
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 4^9
mile et le Contrat social ; par l'abbé François. Pa-
ris, 1765, in-i2.
Examen approfondi des difficultés de J. J. Rous-
seau contre la Religion chrétienne (par l'abbé
Malleville ), Paris, 1769, in-12.
Examen de la Confession de foi du vicaire sa-
voyard, contenue dans Emile, par Ritaubé. Berlin ,
i763,in-8°.
Examen critique de la seconde partie de la Con-
fession de foi du vicaire savoyard, par M. R. ( Rous-
tan). Londres, 1776, in-8°.
Profession de foi du vicaire chrétien , et Tableau
abrégé du Contrat social , rédigés l'un et l'autre
par Formey. Berlin, 1764, in-8°.
Recueil d'opuscules, concernant les ouvrages et
les sentiments de M. J. J. Rousseau sur la religion
et l'éducation. A La Haie , 1 760 , in-i 2 , deux par-
ties.
On trouve dans ce recueil des lettres de M. Vernes sur le
christianisme de J. J. Rousseau, d'autres lettres de M. Vernes,
avec les réponses de Rousseau, etc.
Seconde Lettre d'un anonyme ( M. Luzac ) , à
J. J. Rousseau (sur l'Emile). Paris , Desaint et Sail-
lant, 1767, in-8°.
Plagiats de M. J. J. Rousseau , de Genève, sur
l'éducation , par D. C. (Dom Cajot ). La Haie et
Paris , 1766, in-8° et in-12.
Réflexions sur la théorie et la pratique de l'é-
ducation contre les principes de M. Rousseau, par
le P. G. R. ( le P. Gerdil , barbanite, depuis cardi-
44<^> I*fOTICE DES ÉCRITS
nal). Turin, 1763, in-8"; et dans la collection des
OEuvres de l'auteur , imprimées a Bologne et a Rome.
Lettre à J. J. Rousseau, citoyen de Genève; par
J. A. Comparet. Genèç'e , 1762, in-12 de 82 pages,
contre la Profession du vicaire savoyard.
Lettre à M. J, J. Rousseau , C. de Genève ; par
M. M*** (Marcel), sous -directeur des plaisirs et
maître de danse de ,1a cour de S. A. S. monsei-
gneur L. D. de S. G. (le duc de Saxe-Gotha) 1763,
in S° de 20 pages.
L'auteur de cette Lettre venge la mémoire de son parent
Marcel contre les inculpations de l'auteur d'Emile , dans son
premier volume.
Voyez dans la Correspondance une lettre de J. J. Rousseau
à cet auteur, datée de Motiers le i*^"^ mars 1763.
Le Miroir fidèle, ou Entretiens d'Ariste et de
Philindre , avec un plan abrégé d'éducation op-
posé aux principes du citoyen de Genève; par
M. le chevalier de C. de La B. (de Chiniac de La
BaisXide). Paris y 1766, in- 12.
Sentiments de reconnaissance d'une mère, adres-
sés à l'ombre de Rousseau , citoyen de Genève
(par madame Panckoucke). Dans les OEuvfes de
Rousseau , supplément formant le tome x des
OEuvres diverses, Neufchâtel ( Paris),, ^119i hi- 12;
et à la suite du Discours sur l'amitié , par M. Cou-
ret de Villeneuve. Orléans ,, 1783, in-18.
Jugement sur Emile , par d'Alembert. Voyez ses
OEuvres posthumes ,, tome i,page 127.
Sur l'Emile de J. J. Rousseau, 20 pages in-8° ;
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 44'
par M. Fiévée , dans le troisième volume du Spec-
Uiteiir Français.
Quelques Réflexions philosophiques etmédicales
sur l'Emile , communiquées à l'une des séances
littéraires du Ljcée républicain; par J. L. Moreau,
de la Sarthe, médecin et professeur d'hygiène au
Lycée. 1800, in-S" , dans \di Décade pliilosopliique ^
tome XXV , page 449-
Le même opuscule sous ce titre :
Sur quelques Erreurs de J. J. Rousseau , touchant
l'éducation physique; par J. L. Moreau, de la
Sarthe ; in 8**, dans le Spectateur du Nord., du mois
de septembre 1800.
Réfutation d'une opinion de J. J. Rousseau sur
les Fables de La Fontaine (par M. Petitain), dans
\^ Décade philosophique., diunée, i8o3, tom. xxxvui,
page 526; et dans le 11^ volume de l'édition in-8°
1819-20, de M. Petitain.
Anti-Emile, par Formey. Berlin., 1763, in- 12.
Emile chrétien, consacré à l'utilité publique;
par Formey et un anonyme. Berlin (Amsterdam).,
J. Nêaulme., 17645 4 volumes in-8°.
Principes de J. J. Rousseau sur l'éducation des
enfants. Paris, Auhrj, an 1 1 de la république fran-
çaise ( 1793), in-i8.
Traités sur l'Education , pour servir de supplé-
ment à l'Emile de J. J. Rousseau. Neufchdtel, 1770,
2 V. in-12.
C'est un recueil de plusieurs morceaux sur l éducation, tiré
de ï Encyclopédie , in-folio.
44^ NOTICE DES ECRITS
Emile chrétien , ou de l'Education ; par M. C***
de Leveson, Paris, 1764, '^ vol in- 12.
Théorie de J. J. Rousseau sur l'Education , cor-
rigée et réduite en pratique, par Philippe Sérane,
Toulouse, Robert^ i y 74^ in-i 2 ; ou avec un nouveau
frontispice , Toulouse, 1775, deux parties in- 12.
— Nouvelle édition, revue. P«r/.f, I787,in-i2, sous
ce titre : Théorie de V Éducation ^ etc.
L'Emile réalisé , ou Plan d'éducation générale ;
par le citoyen Fèvre du Grand- Vaux. Paris ^ Îyvlq.-
tidor an III (1795), in-S^». ,
Réimprimé à Corfou le 1*^' nivôse an vu (1799), grand in-8°
de 3i pages, troisième édition , dans les Mélanges de l'auleur.
Paris, an x ( 1802 ) , in-S".
Nouvel Emile , ou Conseils donnés à une mère
sur l'éducation de ses enfants ; par P. Cavaye, d'Ar-
fons, département du Tarn. Castres , Rodier , an v
de la république ( 1797) , in-12.
L'auteur cite deux passages de V Emile de Jean-Jacques ,
sans nommer l'ouvrage ni l'auteur.
Le Nouvel Emile, ou l'Histoire véritable de l'é-
ducation d'un jeune seigneur français, expatrié
par la révolution française ; par un ancien profes-
seur à l'université de Paris (M. de La Noue ). Be-
sançon, i8i4, 4 ^^^- petit in-12.
De l'Éducation , ou Emile corrigé , par M. Biret.
Paris , 1817,2 vol. in-12.
Emile, ou de l'Éducation, par J. J. Rousseau, nou-
velle édition , à l'usage de la jeunesse , avec des re-
tranchements , des notes , et une préface , par ma-
RELATIFS A J. J. ROUSSEAU. 44^
dame la comtesse de Genlïs, Paris, 1820, 3 vol.
LETTRE A M. DE BEAUMONT , I762.
Analyse de la lettre de J. J. Rousseau à M. l'ar-
chevêque de Paris , par le P. Didier , récollet.
Avignon, 1764, in- 12.
Lettre de l'Homme civil à l'Homme sauvage
(par M. Marin ). Paris, 1763, in- 12.
Lettres ( de l'abbé Yvôn ) à M. Rousseau , pour
servir de réponse à sa lettre contre le Mandement
de M. l'archevêque de Paris. Jmsterdam, Marc-
Michel Rej , [ 763, in 8° de 370 pages.
L'auteur devait publier quinze lettres ; il n'en a donné que
deux.
J. J. Rousseau , citoyen de Genève ( ou plutôt
M. de La Croix, de Toulouse) , à Jean-François de
Montillet, archevêque et seigneur d'Auch.... Neuf-
chdtel , 1 764 , in- 1 2 .
Préservatif pour les Fidèles contre les sophismes
et les impiétés des incrédules, avec unp réponse
à la lettre de J. J. Rousseau à M. de Reaumont
(par D. Déforis, bénédictin). Paris, 1764, in- 12.
LETTRES DE LA MONTAGNE, I764.
Représentations des citoyens et bourgeois de
Genève au premier syndic de cette république,
avec les réponses du Conseil à ces représentations.
1763, in-80.
Sentiments des citoyens (par Voltaire); sans date y
8 pages in-80.
444 NOTICE DES ÉCRITS
Réimpiùmés sous le titre de Réponse aux Lettres écrites de
la montagne. Genève et Paiis, 1763, in-8°.
J. J. Rousseau avait d'abord attribué ce morceau à son ami
Vernes, qui a protesté n'en être pas l'auteur. D'ailleurs, M. Du
Peyrou, ami de J. J. Rousseau, et M. Wagnière, secrétaire de
Voltaire, ont certifié que Voltaire était le véritable auteur des
Sentiments des citoyens.
Lettres écrites de la campagne (par J, R. Tron-
chin), proche Genève, 1765, in-8° et in-12.
Réponse aux Lettres écrites de la campagne ,
avec une addition (par d'Ivernois); sans indication
de lieu, 17 64 7 in-80.
Lettres populaires, où l'on examine la Réponse
aux Lettres écrites de la campagne (par Tronchin) ;
sans indication de lieu , in-S*'.
Réponse aux Lettres populaires, 1765 et 1766;
deux parties in-8° , avec une suite.
Lettres écrites de la plaine (par l'abbé Sigorgne),
Paris ^ 1765, in-12.
Remarques d'un ministre de l'Evangile, sur la
troisième des Lettres écrites de la montagne par
M. J. J. Ç-Ousseau; sans indication de lieu^ 1766,
in-80 de 160 pages.
Considérations sur les Miracles de l'Evangile ,
pour servir de réponse aux difficultés de J. J. Rous-
seau dans sa troisième Lettre écrite de la montagne;
par D. Claparède. Genèi^e , 1766, in-8°.
Examen de ce qui concerne le Christianisme , la
Réformation évangélique, et les Ministres de Ge-
nève, dans les deux premières lettres de J. J. Rous-
seau , écrites de la montagne ; par Vernes. Genhç'ey
1765, in-S".
RELA.TIFS A T, J. ROUSSEAU. l\f\^)
LES CONFESSIONS, I766-I767.
Discours sur les Confessions de J. J. Rousseau ,
par M. Delon. Nîmes, 1783, in-8°.
Observations et Anecdotes relatives à la vie , aux
ouvrages , et particulièrement aux Confessions de
J. J. Rousseau; par M. de Servan. La Haie ^ 1783,
in- 1 2 .
Réimprimées sous le titre suivant :
Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau.
Lausanne ^ 1783, in-12. On trouve à la suite de ces
Réflexions la Profession de foi philosophique et la
Prédiction tirée d'un vieux manuscrit de M. Rorde.
J. J. à M. S''** (Servan) , sur des réflexions contre
ses derniers écrits. Lettre pseudonyme (par la mar-
quise de Saint -Chamond). Genève, 1784, in-12
de 75 pages.
J. J. Rousseau justifié, ou Réponse à M. Servan ,
par François Chas , avocat. Neufchâtel, 1784, in-12.
Mémoires de madame de Warens et de Claude
Anet , pour servir de suite aux Confessions de
J. J. Rousseau (composés , les premiers , par M. Dop-
pet , alors médecin , depuis général , mort en 1 800 ;
et les seconds, par son frère l'avocat). Chamhérj
et Paris ^ 1786, in-8'' (publiés à Paris par Hugou de
Rasville).
Réflexions philosophiques et impartiales sur
J. J. Rousseau et madame de Warens (par M. Chas).
Genève^ 1786, in-8°, et dans le 28"^ vol. du Rous-
seau de Poinçot.
Ce n'esl, pour ainsi dire, qu'une nouvelle édition de la Ré-
446 ROTICF DES ÉCRITS
ponse à M. Servan. Elles ont été reproduites en 1787 sous le
titre de Réflexions , etc., nouvelle édition, augmentée de quel-
ques Lettres sur les protestants , et des maximes quon trouva
inscrites sur sa porte ( pendant son séjour à Bourgoin en Dau-
phiné ).
Vintzenried, ou les Mémoires du chevalier de
Courtille , pour servir de suite aux Mémoires de
madame de Warens, à ceux de Claude Anet, et
aux Confessions de J. J. Rousseau ; ( par Doppet ).
Paris ^ 1789, in-ros.
Lettre sur quelques passages des Confessions de
J. J. Rousseau; par Cérutti; in-4°, dans le Journal
de Paris , supplément au 1 décembre 1 789 , et dans
V Esprit des Journaux^ janvier J790.
On trouve une partie de cette lettre dans la Correspondance
de Grimm, troisième partie, tome v, page 336. Cérutti prend la
défense du baron d'Holbach, et raconte, d'après M. d'Holbach,
les mystifications que sa société fit essuyer à im M. Petit, curé
de Mont-Chauvet , en Basse-Normandie.
On lit dans la Correspondance de Grimm , première partie ,
tome I, pages 4o4 et suivantes, de plus grands détails sur le
curé Petit.
Lettres sur les Confessions de J. J. Rousseau ;
par M. Ginguené. Paris ^ Barrois aîné , 1791 -. in-8**.
On en ti'ouve un long extrait dans le tome xxii de l'édition
in-S" 1819 — 20.
Réfutation des Lettres précédentes ; par M. de
La Harpe , dans le Mercure de France , 1 79-:) ; dans
le nouveau Supplément au Cours de Littérature.
Paris, chez Barrois rainé y et chez Pelicier^ 18 18,
RELATIFS A. J. J. ROUSSEAU. 447
in-8*^ ; et en e^rande partie dans le tome xxii de
Tédition in-8° 1819 — 10.
Notice sur la Vie et les ouvrasses de madame
d'Épinay, par le baron de Grimm. Voyez sa Cor-
respondance, troisième partie, tome 11, page 291.
Mémoires et Correspondance de madame d'Épi-
nay. Paris, Brunet, 1818, 3 vol. in-8". — 1^ édition,
augmentée de quatre lettres. Paris, Volland, 18 18,
3 vol. in-S**. — 3® édition , semblable à la seconde.
Paris, 18 19.
Anecdotes inédites, pour faire suite aux Mé-
moires de madame d'Épinay, précédées de l'Examen
de ces Mémoires (par M. Musset-Pathay). Paris^
Baudouin frères ^ i8i8,in-8°de ti5 pages.
FIN DE LA NOTICE
REVUE
ANALYTIQUE ET CRITIQUE
DE CETTE ÉDITION.
R. XXII.
^9
REVUE
ANALYTIQUE ET CRITIQUE
DE CETTE ÉDITION.
"Notre travail, comme éditeur, se compose de la méthode
adoptée pour classer les OEuvres de Rousseau, de notices sur
chacun des principaux ouvrages, dénotes, de rapprochements,
et d'observations ; enfin d'un précis des circonstances de la vie
de Jean- Jacques, depuis le moment où se terminent ses Con-
fessions jusqu'à sa mort. Tout, dans ce travail , est relatif à sa
personne ou à ses ouvrages. H n'ost aucune des principales
productions de Rousseau qui n'ait, dès sa naissance, fait époque,
et causé dans la société une impi'ession vive et profonde. Son
jjremier Discours souleva contre lui la république des lettres ;
le second fixa l'attention des gouvernements; le troisième (lettre
à d'Aleuibert) le sépara des philosophes; le quatrième ouvrage,
fruit d'une imagination exaltée, attendu avec impatience, fut lu
avec avidité; le cinquième arma l'autorité civile et religieuse,
et fit proscrire l'auteur; le sixième le força de s'expatrier en-
core. Il était donc utile de rappeler les circonstances qui ac-
compagnèrent ou suivirent la publication de chacun de ces ou-
viages ; mais il fallait classer ces productions immortelles, et
il n'était rien moins que facile de le faire, parce qu'en prenant
la plume l'auteur ne s'est point proposé d'écrire dans l'un des
genres déterminés ou indiqués dans les cours de littérature.
Aussi la plus célèbre de ses pioductions , Emile , n'est pas
susceptible d'être placée dans une des divisions admises ou
prescrites par nos maîtres. Dans ses principaux écrits , Rous-
29.
452 REVUli ANALYTIQUE
seau s'est toujours proposé un but moral et philosophique; et
la Irgislation littéraire, s'il m'est permis de m'exprimcr ainsi,
en faisant remarquer que c'est la seule dont il ait secoué le
joug, ne fut qu'un instrument docile, un moyen d'arriver à ce
but.
L'ordre que nous avions adopté, soit dans l'édition in- 12
( 20 volumes, 1820 ), soit dans la partie de V Histoire de J. J.
Rousseau coviStdiCX^^ à celle de ses ouvrages (tom. 11, pag. BSa) ,
avait des inconvénients que nous ne dissimulâmes point. Ne
songeant qu'aux classifications littéraires, et nous croyant obli-
gés de ne pas nous en écarter, nous nous en rapprochâmes le
plus possible, en faisant sentir qu'aucune ne pouvait être suivie
avec précision. Depuis, eu y réfléchissant, nous avons vu que
si nous faisions plus d'attention à l'objet que se proposait Rous-
seau, (ju'à la fomie sous laquelle il le présentait, nous pour-
rions adopter et proposer une classification exacte et rigoureuse,
simple, et facile à retenir, au moyen de laquelle on pourrait
trouver en im instant la production qu'on cherchait. De là les
quatre divisions iiidiquées, Philosophie, Littérature, Beaux-
Arts , et Histoire. Cette distribution n'a point été critiquée
dans les observations que nous avons reçues, et que nous al-
lons reproduire à mesure que l'occasion s'en présentera.
La première est relative à la préface, et plus particulière-
ment aux devoirs d'éditeur, et à la note sur Erasme.
'< Je n'aime pas les notes, nous dit le critique \ Celle que
vous avez mise au bas de la page v pouvait passer avec avan-
tage dans le texte. Érasme, passablement ennemi des moines,
a été en effet un grand éditeur , parce qu'il a comparé avec
soin le texte des différents manuscrits du même ouvrage; parce
qu'il a fait preuve de beaucoup de discernement et d'une sage
critique dans le choix des leçons du même passage ; parce qu'en-
fin, ayant étudié les lois, les mœurs, les usages et l'histoire
avec une constance admirable , il a donné , sur des points im-
portants, des éclaircissements fort utiles aux éditeurs qu'il a
I Ses observations sont signées des lettres initiales L. A. M. D, M. Il est l'au-
teur du fragment (jue nous citons p. xii de la préface du premier vohime.
iST CRITlQrTIE. 4^^
précédés , et qui sont accoutumés depuis Iong-teni{js à profiter
de son travail sans lui témoigner aucune reconnaissance.
« Lorsque les monopoleurs de science , d'érudition , de bel
esprit et de religion, ad praxim societatls, publiaient le Diction
naire de Trévoux, il y avait encore bien peu d'ouvrages mo-
dernes dignes d'être imprimés avec commentaires, notes, éclau--
cissements, et toutes les précautions d'une critique bienveillante.
Les auteurs de nos bons ouvrages allemands, italiens, anglais
ou français vivaient encore; ils étaient en butte aux persécu-
tions ouvertes ou cachées de ces hommes qui, descendant de
leurs tristes cellules pour régenter, prêcher, diriger, intriguer,
ad majorem gloriani, se servaient des imprimeurs qu'ils entre-
tenaient à Trévoux, pour bien établir que nul n'aura d'esprit
que nous et nos amis. Il n'est point question dans leur diction-
naire des éditeurs modernes ; mais examinez ce qui a été fait
sous leur direction pour les Mémoires de Sully, pour un des
discours de l'abbé Fleuri , pour un petit livre du professeur
L'Homond , etc.
« Érasme a été éditeur distingué , mais ce n'est pas le seul
qui, en publiant les ouvrages des anciens, fait preuve d'érudi-
tion, de goût, de discernement, d'amour du vrai; et entre les
savants qui ont donné des éditions des auteurs modernes, vous
auriez pu citer avec avantage les éditeurs des ouvrages de
Descartes; ceux de l'Histoire du président de Thou; celui des
Lettres du cardinal d'Ossat ( Ameîot de La Houssaye ) ; celui
de l'Histoire bizantine, etc'.
« L'Angleterre a ett des éditeurs qui savaient /»/«^ que lire,
tels que Guillaume Warburton, qui a donné tous ses soins à la
réimpression des oeuvres de Shakespeare.
« En Italie, les académies ont attentivement surveillé les ré-
impressions des poèmes du Tasse, de ceux de l'Arioste, et des
poésies de Pétrarque. Le docte Muratori a été un éditeur très-
distingué de pièces utiles à l'histoire moderne. L'vUlemagnc,
» Si le critique avait poursuivi cette énumération , il serait arrivé aux temps
où nous vivons, et n'aurait pas oublié le nouvel éditeur de Descartes et de Pla-
ton, le savant Cousin; ni l'éditeur de Bayle, Beuchot, dont le travail complète
le dictionnaire du plus célèbre des critiques, ni.....;
454 llKVLlli ANALYTIQUE
enfin doit à plusieurs de ses plus illustres savants des collec-
tions non moins précieuses que celles dont la France est rede-
vable à Mabillon , Martenne , et autres.
« Si, au lieu de surcharger votre préface d'une note assez
peu utile', vous aviez voulu déduire les devoirs d'un éditeur,
il vous eût été facile de le faire , d'après le peu que je viens
d'écrire ; et vous réparei^ez sans doute cette omission dans la
revue que vous promettez. ■^> Nous ne pouvions mieux le faire
qu'en rapportant textuellement les observations du critique. Il
blâme encore plus la note de la page xiv ( toujours de la pré-
face ) , sur Voltaire, que celle dont Érasme était l'objet. « Poui-
quoi, me dit-il, évoquer dans cette maudite note les harpies
que Grimm, d'Hoibach, Diderot et d'Alembert avaient cachées
dans la robe de chambre du vieux malade de Ferney? elles
sont si hideuses ! Il faut que votre observation soit plus déve-
loppée dans le texte, à la page xxix, après le paragraphe com-
mençant par ces mots : Arrêtons - nous un moment sur l'in-
fluence, etc.
« Un magistrat , plein de candeur et de probité , s'entretient
avec Voltaire, bien jeune encore, des maux que, sous prétexte
de religion, des princes ambitieux, des pi'étres, et des associa-
tions soi-disant religieuses, ont faits à la France. Ce magistrat,
instruit des intrigues de la Ligue et de celles de la Fronde , a
vu les malheurs produits par la politique astucieuse qui pro-
nonça la révocation de l'édit promulgué à Nantes par la recon-
naissance d'un roi généreux et magnanime. Ses récits inspirent
au jeune poète mie profonde indignation contre l'hypoci'isie. Il
emploie son admirable talent à la combattre, à faire connaître
combien elle est odieuse, redoutable, surtout lorsque obsédant
les rois, les magistrats, elle les contraint de venger les injures
qu'elle suppose faites au ciel dont elle se joue. Mais ce fut avec
l'arme du ridicule que Voltaire attaqua les persécuteurs et les
hypocrites. Il abusa de cette arme, qu'il maniait avec tant d'a-
vantage. Plus tard , aigri par des critiques de mauvaise foi ,
» Ma pauvre uote u"a qus quatre ligues ; mais le critique veut qu'on soit très-
sobre de uotes. l'eut-ùtre a-t-il raisou !
ET CRITIQUE. 4^5
fuyant de perfides ennemis, il accueillit avec trop de complai-
sance les rapports indiscrets et souvent calomnieux de flatteurs
qui le proclamèrent leur patriarche. Le respect dû à sa vieil-
lesse en fut atténué ; mais nous relisons toujours avec recon-
naissance les beaux ouvrages que lui dictèrent le noble amour
de la gloire, le mépris des fanatiques, et la haine des persécu-
teurs. Par ces écrits, il exerça sur les esprits un grand pouvoir.
Remarquons cependant qu'il s'attache moins à instruire qu'à
plaire ; il frappe avec force plutôt qu'avec justesse ; il séduit
plus qu'il ne persuade, et blesse plus qu'il ne corrige. »
L'auteur de ces réflexions aurait désiré que nous les eussions
faites. Nous n'en contestons point la justesse ; nous ajouterons
même que Voltaire mérite encore d'autres éloges, et Rousseau
n'en est point avare envers lui. Mais nous ne pouvions nous
dispenser, nous, de les considérer dans les rapports qu'ils eu-
rent entre eux , et c'est avec peine que nous a oyons d'un côté
le respect , l'admiration, les égards, et de l'autre du persiflage,
des injures et de la grossièreté.
Passons aux ouvrages de Rousseau. Il en est sur lesquels il
a donné, dans sa Correspondance, quelques explications, soit
parce qu'on les lui demandait , soit parce qu'il s'aperçut qu'il
avait été ou mal compris ou mal interprété. Nous avons cru
que l'indication de ces lettres pourrait être utile.
§ I. PHILOSOPHIE.
Les ouvrages qui appartiennent à cette division sont con-
tenus dans les sept premiers volumes. En voici l'énumération.
Tome L — DISCOURS, I. — Sur cette question, si le rétablisse-
ment des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs ! Page i
Notice sur ce discours , où l'on fait voir que Rousseau n'écouta
que sa propre impulsion dans le parti qu'il prit. 3
Lettre de l'abbé Raynal. 47
Dans cette lettre, Rousseau répond à de premières observa-
lions faites sur son Discours.
Lettre à M. Grimm sur la réfutation de M. Gautier. Sa
456 REVUE ANALYTIQUE
RÉPONSE du roi de Pologne au discours de Rousseau. Page 6g
. Motifs pour lesquels cette Réponse est insérée. 70
RÉPONSE au roi de Pologne. 88
RÉPONSE à M. Bordes. ia4
Lettre de J. J. Rousseau sur une nouvelle réfutation de son
Discours. 16 3^
RÉstJMÉ de la querelle. 171
Avis de l'éditeur. 173
Discours ii. Sur cette question proposée par l'académie de Dijon ;
Quelle est l'origine de V inégalité parmi les hommes , et si elle est
autorisée par la loi naturelle ? 197
Notice sur ce Discours et sur la cause présumée qui fit adjuger
la couronne à un autre. . 199
Dédicace à la république de Genève. 20 1
Il faut lire dans la lettre lxxv'' de la Correspondance , les
motifs pour lesquels Rousseau dédia ce Discours au gouver-
nement de sa patrie.
Préface. a i 5
Notes. 819
Lettre de J. J. Rousseau à M. Philopolis. 867
C'est-à-dire à Charles BoiiSet, qui avait pris ce nom pour
critiquer Rousseau.
Discours III. Sur celte question proposée en 1751 par l'académie
de Corse : Quelle est la vertu la plus nécessaire aux héros, et quels
sont les héros à qui cette i^ertu a manqué? 3(J9
Renseignements sur ce discours. 871
Oraison funèbre de S. A. S. monseigneur le duc d'Orléans ,
premier prince du sang de France. 3g i
Circonstance singulière à l'occasion de laquelle ce Discours fut
composé. ibid.
Il était difficile de classer cette Oraison funèbre. Le premier
volume contenant les Discours à la îo\s académiques et philo-
sophiques, nous l'avons placée ù leur suite, parce que c'est la
forme académique dont elle se rapproche le plus.
toME II. — DISCOURS PHILOSOPHIQUES, II. — Motifs pour
lesquels lès pièces conten!!'='S dnns ce volhrrie doivent être consj-
Jîï' CRITIQUÉ. 4^7
dérées comme de véritables discours philosophi(jues , quoiqu'elles
aient reçu de l'auteur un autre titre. l^^gs i
J. J. Rousseau, citoyen de Genève, à M. d'Alembert membre de
l'académie. ibid.
RÉPossE à une lettre anonyme. 194
Lettre de d'Alembert à M. J. J. Rousseau. 198
Apologie du théâtre (par Marniontel). 247
Du GouvERKEMEMT de GenèVe. 35 7
Extrait des registres de la vénérable compagnie des pasteurs et
professeurs de l'Église et de l'académie de Genève. 877
Pour connaître la discussion, il fallait rapporter, 1° les ré-
ponses qne firent d'Alembert et Marniontel à J. J. Rousseau,
qui tie répliqua point parce qu'il n'avait point été réfuté ; 2° l'ar-
ticle qui faisait l'objet de la discussion ; 3'' enfin, la déclaration
juridique du seul tribunal compétent.
De l'imitation tliéàtrale ; essai. 385
Essai sur l'origine des langues. /^iS
Tomes IIl et IV. — EMILE , ou DE L'ÉDUCATION, I et II,
Dans Yaiis qui précède ce bel ouvrage, nous rappelons le
but que se proposa l'auteur, l'effet qu'il produisit, les diverses
condamnations des autorités civiles et religieuses , en un mot ,
toutes les circonstances relatives à l'histoire de Y Emile.
La lecture de cet ouvrage devrait toujours être suivie ou ac-
compagnée de celle des lettres dans lesquelles Rousseau mo-
difie ses principes, ou leur donne un développement qui le
justifie des reproches qu'on lui a faits, et montre l'application
que ces principes devaient recevoir an lieu de celle qu'on leur
a donnée. Voici l'indication de quelques-unes :
Les lettres au prince de Wirtemberg, des 10 novembre 1763 ,
tome XX, page 64 ; i5 décembre suivant, page 89; 21 janvier
1764, page io3 ; i5 avril suivant, page i35.
Celles à M. l'abbé de***, tomexx, pages 80, 100; à M. àc
Saint-Brisson , page 178.
Celles des 9, 27 février et 1 4 mars i 770, adressées à un ano-
nyme; du 17 janvier 1770, à madame B... , etc;
458 REVUE ANALYTIQUE
Deiix observations nous ont été adressées : la première est
relative à la note smr Du Bellay, sieur de Langey, page 164 du
11^ volume A' Emile. «Il y a eu, dit le critique, plusieurs Du
Bellay qui ont possédé la terre de Langey : j'aurais voulu trou-
ver à la note le prénom de celui dont il est fait mention. » Il
est facile de réparer cette omission. Ce Du Bellay, plus connu
sous le nom de Langey, s'appelait Guillaume. Il est dit dans la
note qu'il fut mauvais courtisan ; on en jugera par ce passage
d'un auteur contemporain : « Il ne sait, dit- il, ni quand le roi
« se lève, ni quand il se couche; mais il sait bien où sont les
" ennemis. « On est bien obligé de convenir que Langey n'ét.\it
pas un homme de cour, et qu'il en ignorait les premiers élé-
ments. Heureusement François I" ne faisait pas consister le
mérite dans cette science.
La seconde observation a pour objet la suite de X Emile et la
lettre du professeur Prévost ^ page 543)- « Je ue sais, dit le
critique, si la Sophie telle que M. Prévost croit l'avoir connue,
aurait obtenu du vivant de J. J. Rousseau un grand succès ;
mais les deux lettres qui précèdent celle du professeur de Ge-
nève prouvent que cette admirable faculté dont 3Iallebranche
se défiait et dont il était si bien servi, l'imagination, ne s'affai-
blissait point par les profondes méditations chez l'auteur du
Contrat social. Ces deux lettres et le précis de la troisième at-
testent encore l'impression qu'avaient faite sur Rousseau les
romans du marquis d'Urfé, ceux de mademoiselle de Scudéii ,
de La Calprenède , de Gomberville , et autres. Dans tous ces
écrits, à présent oubliés, vous trouverez les fontaines où les
amants vont , dans les tourments de la jalousie , faire des
épreuves; les temples où ils se réconcilient; les corsaires qui
les réduisent en esclavage; les illustres princes qui les délivrent ;
les druides , les derviches, les vieillai'ds qui les consolent , et
l'hymen qui les endort. «
Les combinaisons romanesques étant toutes épuisées depuis
long-temps, il devenait impossible de placer les personnages
mis en action dans des situations nouvelles; aussi le mérite a-
t-il été dans l'expression des sentiments, dans le langage, dans
ET CRITIQUE. 4^9
les maximes, dans les principes, dans la morale enfin des ac-
teurs , et non dans la nouveauté des positions. Une grande ca-
tastrophe pouvait seule en inventer d'inconnues. Elle a sur-
passé par ses affreuses réalités toutes les fictions de l'imagina-
tion la plus déréglée ; mais en même temps elle a rendu à notre
curiosité, tenue si long-temps éveillée, une insatiable avidité.
T( ME V.— POLITIQUE.
Ce volume contient tous les écrits de Rousseau sur Vart de
goui'crner. Nous commençons par celui qui expose les Eléments
de l'économie politique. Dans l'avis qui le piécède, nous ren-
dons compte de l'ordre que nous avons suivi et des motifs que
nous avons eus.
Discours sur l'cconomie politique. Page i
Contrat SOCIAL. 64
Il serait nécessaire, pour bien connaître et les intentions et
l'opinion de l'auteur, de lire avec cet ouvrage les lettres où
Rousseau explique ou modifie sa doctrine. Ce sont plus spécia-
lement celle à M. Usteri, en date du 1 5 juillet 1 763 ( tome xx ,
page Ba ) , et les i*^^ et vi* des Lettres éciites de la montagne ,
dans le vi^ volume.
A la suite du Contrat socicd est une note de M. d'Antragues. a4i
Cet ancien député , possesseur d'un manuscrit que lui avait
remis Rousseau, qui s'était proposé Séclaircir quelques cha-
pitres du Contrat social, a détruit ce manuscrit, poussé par un
zèle mal entendu , et d'après des motifs dont nous faisons voir
( page 24 T , note) le peu de fondement.
CoNSinÉRATiOKS sur le gouvernement de Pologne, et sur sa réfor-
mation projetée en avril 1772. 243
Notice préliminaire. a 45
Lettres à M. Butta-Fuoco sur la législation de la Corse. Z^-j
Origine de ces lettres , note. ibid.
Extrait du Projet de paix perpétuel!'^ de M. l'ahbé de Saint-
Pierre. 4o3
46o REVUE ANALYTIQUE
Pbojet de paix perpétuelle. Page 4aB
Jugement sur la paix perpétuelle. 445
PoLYSYNODiE de l'abbé de Saint-Pierre. 460
Jugement sur la Polj'^synodie. 485
Rousseau entre dans des détails intéi'essants sur lesouvraj^cs
de l'abbé de Saint-Pierre, sur le but qu'on se proposait par
ces extraits; enfin sur les considérations qui l'empêchèrent d'a-
chever cette entreprise. Voyez tome xv, page 21 3.
Tome VI. — LETTRES ÉCRITES DE LA MONTAGNE. — D<-
fense des ouvrages philosophiques condamnés par les autorités
civiles et religieuses; c'est-à-dire cV Emile et du Contrat suciul.
Notice sur la lettre à Christophe de Beauinont. t
Mandement de monseigneur l'archevêque de Paris. 3
J. J. Rousseau à Christophe de Beaumont. uS
Lettkes écrites de La Montagne. j'\(i
Histoire de ces lettres. i/jy
Constitution de Genève. i5f)
Tome VI. — BOTANIQUE.
Ce volume contient tous les écrits de Rousseau sur la bota
nique. Nous en possédons un qui n'a jamais été imprimé : il
fera partie des pièces inédites que nous publiei'ons incessam-
ment.
Les Lettres de Rousseau sur la botanique, adressées ;\ ma-
dame Delessert, laissaient, par leur petit nombre et leur peu
d'étendue, des regrets d'autant plus vifs qu'ils étaient en raison
du plaisir que causait la lecture de ces lettres. Rousseau, pas^
sionné pour Linnée, avait eu l'intention de les continuer, et d'y
adapter le système du célèbre botaniste. Un professeur anglais
a eu l'heureuse idée d'exécuter ce projet : son travail a élc
traduit dans notre langue. Nous l'insérons à la suite de celui
de Jean- Jacques, qui, grâce à ce supplément, présente un
ensemble complet sur le plus ingénievix des systèmes de bi>-
tanique.
Voici l'indication des pièces contenues dans ce voltune.
AvESTrSSEMEBT. 7
ET ClilTIQlii:. 4'h
Lettbes Éi.ÉMEKT\iuKssur la botanique , adressées à madame De-
lessert. Page 9
Lettre sur le format desheibiers, à M. de Maleslierbes. 72
Lettre sur les mousses, au même. 80
Lettres à madame la duchesse de Portland. 85
Lettre à M. Du Peyrou. 120
Lettre à M. Liotard. laa
Lettres adressées à M. de La Tourette. 12$
Lettre à M. l'abbé de Pramont. i53
Fragmeat pour un dictionnaire des termes d'usage en bota-
nique. 167
Introduction. i58
Dictionnaire. ifiy
Lettres élémentaires sur la botanique, par M. Marlyn. 227
§ II. LITTÉRATURE.
Tome VIIL — JULIE , ou LA NOUVELLE HÉLOISE , L — No,
TicE sur cet ouvrage. i
Julie, ou L\ Nouvelle Héloïse, ou Lettres de deux amants,
habitauts d'une petite ville aux pieds des Alpes. i
Ire Préface de Rousseau. 3
IF Préface. 8
Julie. V^ Partie, 27
IF Partie. 267
UF Partie, 448
Tome IX. — JULIE , ou LA NOUVELLE HÉLOîSE , IL
Il faut lire, page 2^7 et suivantes du xv^ volume de cette
édition , et page 3 et suivantes du xvi^, des détails sur cet ou-
vrage ; Jean-Jacques en parle souvent dans sa Correspondance,
notamment dans les lettres du tome xix, pages i38, i53, i55,
iGo, 175, 176, 178, i85, etc.
Au nombre des pièces inédites dont nous formons un vo-
lume, est une correspondance de Rousseau sur la Nouvelle Hé-
loïxe avec M. de Maleslierbes, qui, par intérêt pour l'auteur,
voulait lui faire retrancher ou modifier plusieurs passages de
46^ REVUE ANALYTIQUE
ce roman. L'énergie avec laquelle Rousseau les défend tous,
plaisait à rillustrc magistrat, et fait son éloge.
Tome X. — MÉLANGES.
Dans ce volume sont réunis tous les écrits qui n'appartien-
nent à aucun genre, ou qui sont en trop petit nombre pour en
former un. Il est divisé en trois parties, consacrées, la pre-
mière à la prose, la seconde aux essais de comédie, et la troi-
sième ZlWH. poésies diverses.
Avis dans lequel nous rendons compte des motifs de cette divi-
sion. . Page I
L MÉLANGES EN PROSE.
MÉMOIRE à S. E. monseigneur le gouverneur de Savoie. 3
Note sur ce gouverneur, que Rousseau ne désigne pas. ibid.
Traduction de l'Ode de Jean Puthad. 8
NOTE historique. ibid.
RÉPONSE au Mémoire anonyme. i4
Projet pour l'éducation de M. de Sainte-Marie. 26
Notes et rapprochements. 26 et 34
MÉMOIRE à M. Boudet. 5 2
Le Persiflehr. 58
Note sur ce journal. ibid.
Traduction du premier livre de l'histoire de Tacite. 69
Avertissement de Rousseau. 70
Note. 7 1
Traduction de l'Apocolokintosis de Sénèque. 146
La Reine fantasque, conte. 16S
Origine et date de ce conte , ( note ). ibid.
Réfutation du livre de Y Esprit. 187
Eclaircissement, ( note ). ibid.
Le Lévite d'Ephraïm. 200
Lettres a Sara. 3a5
Avertissement. 226
Note sur la date de ces lettres. 227
Vision de Pierre de la montagne. a 38
Note sur cette plaisanterie. ibid.
Olxnde et Sophronie, 248
ET CRITIQUF.. 4^^
II. PIÈCFS PE THÉÂTRE.
Narcisse, comédie en prose. Page 263
Préface. a 65
Les Prisonniers de guerre , «omédie en prose. 3 23
Note sur l'époque où cette pièce fut composée. BaS
L'Engagement téméraire. 353
Avertissement de Rousseau. 354
Note sur cette comédie. 355
Courts Fragments de Lucrèce. 4o5
Note sur ces Fragments. 4^7
III. POÉSIE.S DIVERSES.
Le Verger des Charmettes- 4^3
Avertissement. 4^1
Note. 4 '-3
Virelai. 4^0
Fragment d'une Épître à M. Bordes. 43 1
Vers pour madame de Fleurieu. 433
Épître à M Bordes. ^ 434
Épîtbe à M. Parisot. ^ 438
L'allée de Sylvie. 448
Epître à M. de L'Etang. 4^3
Imitation libre d'une chanSon de Métastase. 4^7
Énigme. 460
Vers à mademoiselle Théodore. ibid.
Epitaphe- 462
Strophes ajoutées à une Idylle de Gresset. ibid.
Vers sur la femme. 4^4
Bouquet d'un enfant h sa mère. ibid-
Inscription mise au bas du portrait de Frédéric. 465
Quatrain à madame Dupin. ibid.
Quatrain pour son portrait. 466
§ III. BEAUX-ARTS.
Tome XI. — ÉCRITS SUR LA MUSIQUE.
Tous les éditeurs qui nous ont précédés ont classé les com-
positions do Rousseau, faites pour être accompagnées de mu-
sique, telles que le Dewi du village, Pygmalion, etc., soit dans
4<34 hp:vue analytique
une division à laquelle ils ont donné le nom de Théâtre, soit
dans les Mélanges ; nous avons ci u qu'elles devaient faire par-
tie des Ecrits sur la musique. Jean- Jacques avait fait un pi'ojet
de nouveaux signes pour la musique. Trouvant quelque ana-
logie entre ce système et la méthode de M. Galin, inventeur du
méloplaste, nous vîmes ce dernier à ce sujet. Nous rendons
compte des éclaircissements que nous avons obtenus de M. de
Geslin , et nous publions la notice intéressante qu'il a faite à
notre prière.
Cette notice, les motifs de notre nouvelle classification des
Ecrits sur Lu musique., l'énumération des OEuvres musicales de
Rousseau , sont compris sous le titre à'Aicrtissement, pages i
à XVI.
Projet concernant de nouveaux signes pour la musique. Page 3
Dissertation sur la musique modei-iie. 1 8
Préface. 2 1
Lettre sur la musique française. i45
Lettre d'un syniplioniste. 2o5
ExAMEK de deux pri^Ajpes avancés par M. Rameau. 219
Lettre à M. Buriiey sur la musique. ' 246
Fragments d'observations sur l'Alceste de Gluck. 260
Extrait d'une réponse du petit faiseur. 286
Sun la musique militaire. 292
Airs. ayS
Airs de clocîics. 296
Lettre à M. Grimm. 298
Fragments d'Iphis , tragédie lyrique. 3a i
La Découverte du Nouveau-Monde, tragédie lyrique. 333
Les Muses Galantes, ballet. 36 1
Le Devin du village, pastorale. 397
Pygmalion , scène lyrique. 418
Romances et airs détachés. 43i
Le Rosier. ibid.
Air de trois notes. 4^3
Rondeau. 4^4
Romance de Roger. 4^6
Romance d'Alexis. 4^7
Tomes XII et XIII. — DICTIONNAIRE DE MUSIQUE, I et U.
ET CRITIQUE. 4^5
§ TV. HISTOIRE.
Tome XIV. — CONFESSIONS, I.
Cette dernière division contient tous les écrits de Rousseau
relatifs soit à sa pi'opre histoire, soit à celle de ses ouvrages.
Elle occupe les neuf derniers volumes, et se sous-divise en Mé-
moires et Correspondance. Quatre sont consacrés aux Mémoires ^
et cinq à la Correspondance .
Sous le titre de Mémoires nous comprenons, i" les Confes-
sions, et 2° les Dialogues, ou Rousseau juge de Jean-Jacques;
production singulière d'une imagination malade , mais dont le
mal a sa source dans un motif louable en lui-même, et qui n'est
blâmable que par son excès , l'amour de l'estime des hommes ;
d'où l'amertume des regrets quand on croit ne pas la posséder,
quoiqu'on ait tout fait pour la mériter. Rousseau crut que ses
ennemis la lui avaient fait perdre, et ce fut son erreur. Il en fut
affecté au point d'en avoir la raison troublée.
Ce volume se compose des six pi'emiers livres des Confes-
sions, qui renferment les événements de la vie de Rousseau
depuis 17 12, époque de sa naissance, jusqu'à l'année 1741 »
qu'il vint à Paris avec le projet de se fixer dans cette capitale.
Cet ouvrage est précédé de \ Examen des Confessions et des
critiques qu'on en a faites.
Tome XV. — CONFESSIONS, II.
Contient lesvii, VIII, IX et x*' livres, depuis 1 741 jusqu'eni76o.
Tome XVI. — CONFESSIONS , III.
Contenant les xi et xii*^ livres , depuis 1761 jusqu'en 1 765 ;
les trois derniers paragraphes fuient faits en 1 770 pour la com-
tesse d'Egmont, le prince de Pignatelli, la marquise de Mesmes,
et le marquis de Juigné, rassemblés tous les quatre pour en-
tendre la lecture des Confessions,
Les Confessions sont immédiatement suivies,
1° De la DÉCLARATION de J. J. Rousseau relative à M. le pasteur
Vernes. Page 18 3.
R. XXII. 3o
466 REVUE ANALYTIQUE
a° Des Quatre lettres à M. de Malesherbes, contenant le vrai
tableau de mon caractère , et les vrais motifs de toute ma con-
duite. Page a33
3° Des RÊVERIES du promeneur solitaire. 26,1
Nous les faisons précéder d'une discussion sur le reproche
fait à Rousseau par l'avocat général Servan , relativement à
M. Bovier. Le fait est raconté dans la vii^ promenade. Nous
avons laissé, page 388, une note d'une des éditions antérieures
à celle-ci.
4° Ecrits en forme de circulaire : ce sont,
DÉcx\RATioif sur l'impression de ses ouvrages. 43i
A Tout Français aimant encore la justice et la vérité. 4^3
MÉMOIRE écrit en février 1777. 436
Les Confessions n'étant point achevées, il était naturel de
désirer de connaître les événements dont Rousseau ne parle
point dans cet ouvrage. C'est pour satisfaire à ce désir que nous
avons fait un Précis des circonstances de sa vie, omises dans ses
Confessions , page 4 4 3.
Tome XVIL— DL^LOGUES.— ROUSSEAU JUGE DE JEAN-
JACQUES.
Du sujet et de la forme de cet écrit. 3
Dialogues. 9
Histoire du précédent écrit. 453
Tome XVIIL — CORRESPONDANCE, I. De 1732 à 1768,
époque de sa sortie de l'Hennitage.
Les lettres de Rousseau ont été long-temps réimprimées sans
aucun ordre, parce qu'un grand nombre était ou sans date, ou
sans indication du millésime '. Il fallait, pour y suppléer et réta-
blir avec certitude l'ordre chronologique, examiner le contenu
de chaque lettre, et, d'après les faits ou les circonstances qui y
sont contenus, chercher une date. C'est une partie du travail
auquel nous nous sommes livrés.
Ce désordre qui existait, avant l'édition de M. Belin, dans la
j L'éditeur de M. Belin (édition compacte, 8 vol. in-8B 1817)^1 le premier
qui ait présenté les lettres de Rousseau , dans un ordre chronologique. Il a, dans
son travail très-estimable , commis quelques erreurs qu'on ne pouvait éviter que
par une étude spéciale de la vie de Jean-Jacques.
ET CRITIQUE, 4^7
correspondance de Jean-Jacques, en rendait la lecture moins
instructive, et l'on peut dire qu'à l'exception de quelques lettres
elle était peu connue.
Pour leur rendre l'intérêt qu'elles ont, ou plutôt pour le faire
sentir, il était nécessaire de les lier à l'histoire ou de la per-
sonne, ou des ouvrages de l'auteur. De là notre division en cinq
grandes époques, prises dans le changement arrivé, soit à la des-
tinée , soit à la position do Rousseau.
Il nous a paru nécessaire de faire des recherches dans les
correspondances les plus connues, pour connaître les conditions
exigées pour leur publication, afin de savoir si les lettres de
Jean-Jacques remplissaient toutes ces conditions. C'est l'objet
de nos Observations sur les correspondances en général, qui
précèdent celles de Rousseau. Mais en parcourant les plus con-
nues et les plus dignes de l'être, nous avons fait une omission,
ou plutôt un oubli d'autant plus inconcevable que la corres-
pondance dont il est question est souvent consultée ou lue par
nous. C'est celle du caustique Guy-Patin. Cette faute n'a point
échappé à notre critique, et pour la réparer, nous allons le
laisser parler.
« Assurément, nous dit -il dans une lettre du i6 octobre
1824, je ne vous reproche point de n'avoir pas fait une énu-
mération plus étendue de ceux de nos auteurs anciens et mo-
dernes dont les correspondances ont été conservées ou impri-
mées. Fallait-il donc, après avoir parlé de Geoffroy de Vendôme,
rappeler le sotivenir d'Abailard et d'Héloïse ? On vous eût dit :
Qui de nous a oublié l'abbesse du Paraclet, le chanoine Ful-
bert, etledialecticien dont saint Bernard fit condamner quelques
opinions? Vous savez, monsieur, qu'on trouve des anecdotes
intéressantes dans les Lettres d'Ildebert ou Hildebert, mort
archevêque de Tours en ii34 ; mais où vous conduirait la re-
cherche exacte de toutes les correspondances des écrivains des
xi% xii^ et xiii^ siècles? Elles sont insérées dans les volumi-
neuses collections de Martenne et Durand, Mabillon, et autres.
Je ne demanderai point qu'après nous avoir entretenus du car-
dinal d'Ossat , vous fassiez mention des lettres de Jacques Bon-
gars, ou de celles de Conrad et de Coftar à la suite de ce que
468 REVUE ANALYTIQUE
VOUS avea rapporté de Balzac et de Voiture. Il est des auteurs ,
tels que Fléchier et Moutesquieu , à la gloire desquels on n'a
rien ajouté en publiant leurs lettres familières ; qu'il n'en soit
pas question, j'y consens; mais pourquoi n'avez-vous pas mis
dans vos observations un seul mot pour nous rappeler un mé-
decin docte et sage , plaisant et caustique, Guy-Patin , né en
1601 et mort en 1672. Nous avons un recueil de ses lettres. Ne
vous plairiez-vous pas, monsieur, à suivre cet original lorsqu'il
visite sa belle maison de Cormeilles, ou lorsqu'il se rend auprès
de M. le premier président de Lamoignon pour passer la soi-
rée avec cet illustre magistrat? Vous n'êtes sans doute pas de
ceux qu'un style négligé et des citations latines multipliées em-
pêchent de lire un ouvrage rempli d'anecdotes ciuieuses et de
passages instructifs? N'es-ce pas un temps bien employé que
celui qu'on passe à vérifier des faits allégués par un auteur qui
a et mérite quelque crédit? Expliquez-nous donc par quelle fa-
talité vous avez, dans vos Observations sur les correspondances ,
entièrement oublié Guy-Patin, docteur en médecine de la fa-
culté de Paris, et professeur au collège royal.
« Quant à moi, monsieur, j'ai toujours beaucoup d'affection
pour l'étemel ennemi de Mazarin, de l'antimoine et des charla-
tans in utroque j'uie , sacré et profane. Je me transporte, par la
pensée, dans cette première chambre ou salle fort grande et fort
claire de sa belle maison ; je le trouve là au milieu de ses neuf
mille volumes ; il me fait connaître les honnêtes gens ({xi il tenait
pour le certain, reliqui^ aurei s.eculi. Il se moque, et à bon
droit, de l'huguenot, du janséniste, des jésuites , de tous les
cafards , de tous les intrigants ; il maudit de grand cœur ces
politiques empourprés , mitres, encornés, vel encapuchonnés,
qui, par leurs artifices, corrompent ce qui nous restait de notre
iancienne simplicité gauloise. J'assiste au festin qu'il donne h
cause de son décanat , et je porte avec complaisance mes re-
gards sur la tapisserie de sa chambre , « où se voyoient curieu-
« sèment les tableaux d'Érasme, des deux Scaliger père et fils,
«de Casaubon, Muret, Montaigne, Charon, Grotius , Hein-
« sius, Saumaise, Fernel, feu M. de Thon, et notre bon ami
« M. Naudé, bibliothécaire du Mazarin , qiii n'est que sa qua-
ET CRITrnUF. 4^9
c> lité externe, car, pour les internes, il les a autant qu'on les peut
« avoir; il est très-savant, bon, sage, déniaisé, et guéri de la
« sottise du siècle; fidèle et confiant ami depuis trente-trois ans;
« il y avait encore trois autres portraits d'excellents hommes ,
« de feu 31. de Sales, évèque de Genève, M. l'évèque Du Bel-
« lay, mon bon ami Justus Lipsus, et enfin de François Rabe-
« lais. »
« C'est encore dans cette salle que je me crois transporté ,
lorsque Guy-Patin, revenant de ses courses, me raconte que le
neveu de M. Sanguin a été sacré évéque de Senlis dans l'église
des jésuites , en présence de vingt-cinq évèques. « Le dîner, me
« dit- il, fut fait dans la même maison ; ils étaient six vingts à
« table; ils furent traités à la religieuse, chacun à part; ils eu-
w rent chacun quinze plats, si bien qu'en ce dîner il y a eu près
« de deux mille plats. » Et Guy-Patin, avec l'air cicéronien et le
sourire de Rabelais qui le caractérise , ajoute : « jM'admirez-
« vous point cette frugalité apostolique, ou plutôt ne détestez-
« vous pas ce luxe épiscopal , tandis que tant de pauvres gens
« meurent de faim ? »
« Dans une autre occasion, il me dit : « On nous promet ici
« un jidjilé pour le commencement du carême : c'est une con-
« solation spirituelle que le pape nous veut donner en l'écom-
« pense des malheurs que le cardinal Mazarin nous fait souf-
« frir. Si pourtant l'on ne l'envoie pas, on tâchera le mieux
n qu'on pourra de s'en passer; mais les médecins y perdraient
« le plus, car il leur vient toujours en partage quelque malade
'< qui s'est morfondu courant d'église en église. »
«J'aime surtout notre docteur lorsqu'aux approches du jour
où Louis XIV va déclarer sa majorité, il ouvre son cœur vrai-
ment français à l'espérance de la paix avec l'étranger, et du
retour de l'ordre dans l'intérieur. « Le roi, écrit-il en i658,
« est entré dans Paris , eu carrosse, le lundi 12 août, à 6 heures
'< du soir, par la porte Saint-Denis; je l'ai vu moi-même, et
« j'ai crié Vive le Roi ! »
Ce volume finit à la sortie de Rousseau de l'Hermitage. Ce
fut peut-être l'époque la plus douloureuse de sa vie , puisque
c'est celle où les illusions qu'il chérissait le plus se dissipèrent.
470 REVUE ANALYTIQUE
Le plus ancien de ses amis , poussé par un intrigant adroit ,
s'étant conduit avec injustice et dureté envers Rousseau, celui-
ci rompit ouvertement avec lui.
Les Lettres comprises dans ce premier volume sont suivies
d'un résumé d'après lequel le lecteur peut juger la conduite
de Jean-Jacques , soit avec madame d'Épinay, soit avec ceux
qu'il appela depuis ses soi-disant amis.
Tome XIX. — CORRESPONDANCE, II. Du premier janvier
1758 au la mai 1763; depuis sa sortie de l'Hermitage jusqu'à
son abdication du droit de bourgeosie.
Il y a bien dans cet intervalle un événement d'une grande
importance; c'est son départ précipité de Montmorenci , pour
se mettre à l'abri de l'arrct du parlement. Mais la nécessité de
faire des volumes égaux nous a forcés de choisir une autre
époque. Du reste, l'abdication fut un sacrifice pénible qu'il crut
devoir faire pour contribuer, autant qu'il dépendait de lui, au
rétablissement de la tranquillité dans sa patrie. Pour connaître
toute l'étendue de ce sacrilice, il faut se rappeler le langage
qu'il tient dans sa dédicace du Discours sur l'Inégalité des
conditimis. Quand on éprouve un tel enthousiasme pour son
pays , quand on parle avec autant de feu de son gouverne-
ment, que ne doit - il pas en coûter pour rompre tous les liens
qui attachent à lui? Il voulait, en les brisant, ôter tout prétexte
à ses amis, à ses parents, qui , malgré ses prières instantes ,
s'obstinaient à le défendre : l'abdication rendait cette défense
illusoire et sans motif. Accusé par ses ennemis de fomenter les
troubles, et conséquemment d'avoir un parti , de le diriger, de
l'exciter contre le gouvernement , il devenait étranger à ce
parti. L'abdication l'indisposait contre lui , si ce parti eût existé,
on démontrait qu'il n'existait que dans l'accusation, et, dans
tous les cas, détruisait celle-ci. Mais il était de la destinée de
Rousseau de ne rien faire qui fut blâmé. On lui reproche cette
abdication : on lui contesta le droit de la faire; on lui en fit un
crime. Un de ses amis les plus sincères écrivit même , sur ce
sujet, une discussion que nous reproduirons dans le volume
consacré aux tn pièces inédites de Rousseau.
ET CRITIQUE. 47 '
ToMB XX. — CORRESPONDANCE, III. Du la mai 1763 au
premier janvîer 1766. Depuis son abdicatiou du droit de bour-
geoisie jusqu'à son départ pour l'Angleterre.
En renonçant au titre de citoyen de Genève, Rousseau crut
que son nom ne serait plus mêlé aux troubles qui agitaient cette
république, et que ses amis garderaient le silence. Mais quand on
vit qu'il continuait de demeurer dans le voisinage , on crut qu'il
prenait toujours quelque intérêt aux discussions orageuses qui
l'affligeaient. Alors il forma le projet d'aller au loin chercher
une retraite. Une persécution directe du clergé protestant ac-
céléra l'exécution de ce projet. Il partit pour l'Angleterre.
Dans ce volume, page 3i3, lettre à madame Latour, il y a
une lacune indiquée par des points. J'ai consulté le manuscrit,
que je n'ai pu me procurer que depuis l'impression du vo-
lume. Voici ce que j'y trouve , après ces mots, mais vous l'avez
toujours : « dans les lettres faites pour être montrées, je me
« soutiens mieux; mais je ne cache point ma faiblesse en vous
« écrivant. » J'imagine que le motif de cette suppression était
de ne pas faii'e voir que Rousseau manquait quelquefois de
courage, et que, dans certaines circonstances, il écrivait des
lettres pour être montrées. Mais il est aisé de s'en convaincre
en les lisant toutes , et de distinguer celles où son cœur s'épan-
chait sans réserve, du petit nombre de lettres qu'il savait devoir
courir le monde. On peut en voir la preuve dans celle adressée
à Du Peyrou, le 8 août 1765 (t. xx, page 3cj8). Du reste, des
suppressions de ce genre me paraissent blâmables. Riçn ne dis-
pense de dire la vérité sur celui dont la maxime était de sacri-
fier sa vie à la vérité : on peut éclairer de son flambeau toutes
les actions de Jean-Jacques, sa morale, ses sentiments, depuis
qu'il a pris la plume. On trouvera quelquefois de la faiblesse ,
du découragement, mais jamais de bassesse ; et quand on n'ar^
riverait pas au résultat qu'on a la satisfaction d'obtenir , il n'eo
faudrait pas moins dire la vérité.
472 REVUE AN ALYTIQUF. ET CRITIQUE,
Tome XXI. — CORRESPONDANCE, IV. Du premier janvîei
iy66au premier juin lyfiS. Depuis son départ pour l'Angleterre,
jusqu'à sa sortie de Trie-le-Chàteau.
Cet espace compi'end le séjour de Jean-Jacques à Wootton,
et chez le prince de Conti.
Tome XXII. — CORRESPONDANCE, V. Du premier juin 1768
jusqu'au 5 mars 1778, date de la dernière lettre que Rousseau
ait écrite , ou du moins qui ait été conservée.
Son séjour dans le Dauphiné , le procès de Thévenin , qui
affecta Jean-Jacques beaucoup trop, quelque désagréable qu'il
fût; le mariage de Thérèse; les rapports entre l'auteur d'Emile
et M. de Saint-Germain; le retour du premier dans la capitale,
et les relations qu'il y conserva jusqu'à son départ pour Erme-
nonville , où bientôt il mourut , tels sont les événements ren-
fermés dans cette cinquième et deinière partie.
La marche que nous avons suivie dans la Correspondance
n'a été l'objet d'aucune observation critique. Quelques suffrages
nous ont récompensés. Nous les méritions, si le désir de bien
faire était toujours suivi de la certitude d'avoir bien fait.
D'autres éditeurs des Œuvres de J. J. Rousseau ont eu la
bonté de citer notre travail dans le leur ; tel est un académi-
cien, enlevé trop tôt à sa famille, à la société, et aux lettres,
qui s'honoraient de ses talents; et M. Aignan en avait trop
pour avoir besoin de s'approprier le travail d'autrui. Il n'en
est pas de même d'un plagiaire qui a publié beaucoup d'ou-
vrages , dans lesquels il n'a eu que la peine de substituer son
nom à celui de l'auteur, et qui se trouve suffisamment désigné,
sans qu'il soit nécessaire de le nommer'.
' Il ne l'est pas non plus de qualifier le sentiment qu'il nous inspire, et dont
nous lui laissouscetémoignage,autantpour que justice se fasse, que pour qu'il ne
copie pas toutes nos notes.
FIN DU TOME XXIi ET DERNIER.
PARIS, IMPRIMERIE DE GAULTIER-LAGUIONIE,
RDE DE GRENELLE SAINT-HONORB , S° 55.
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La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
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Date due
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