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Full text of "uvres complètes de J. J.Rousseau : mises dans un nouvel ordre"

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ŒUVRES 

COMPLÈTES 

DE  J,  J.  ROUSSEAU 


TOME  XXII. 


ON   SOUSCRIT  A  PARIS, 

CHEZ  P.  DUPONT,  LIBRAIRE, 

Éditeur  des  oeuvres  complètes  de  voltaire  et  de  racike, 

RUE  DU   BOULOY,  UOTEL  DES  FERMES,  COUR  DES   MESSAGERIES. 

ET  CHEZ  BOSSANGE  PÈRE, 

libraire  de  s.  a.  r.  monseigneur  le  duc  d'orléans, 

HUE    DJi    RICHELIEU  ,    H°     6o. 


i 

I 


ŒUVRES 


COMPLÈTES 


DE  J.J.ROUSSEAU, 

MISB6   n  VNS  UN   NOUVEL  ORDRE  , 
AVEC  DES   NOTES  HISTORIQUES  ET  DES  ECLAIRCISSEMENTS  ; 

Par   V.  D.  MUSSET-PATH AY. 


CORRESPONDANCE. 

TOME  V. 


PARIS, 


CHEZ  P.  DUPONT,  LIBRAIRE-EDITEUR. 


1824. 


fs 


CORRESPONDANCE. 


TOME  CINQUIEME. 


R.  XXII. 


CORRESPONDANCE. 


CINQUIEME  PARTIE, 

nu  20  JUIN  1768  jusqu'en  1778. 
Depuis  sa  sortie  de  Trye  -  le  -  Château  jusqu'à  sa  mort. 

LETTRE   DCCCXXXI. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Lyon,  le  20  juin  1768. 

Je  ne  me  pardonnerais  pas ,  mon  cher  hôte ,  de 
vous  laisser  ignorer  mes  marches ,  ou  les  apprendre 
par  d'autres  avant  moi.  Je  suis  à  Lyon  depuis  deux 
jours,  rendu  des  fatigues  de  la  diligence,  ayant  ^rand 
besoin  d'un  peu  de  repos,  et  très-empressé  d'y  rece- 
voir de  vos  nouvelles,  d'autant  plus  que  le  trouble 
qui  règne  dans  le  pays  où  vous  vivez  me  tient  en 
peine ,  et  pour  vous ,  et  pour  nombre  d'honnêtes 
gens  auxquels  je  prends  intérêt.  J'attends  de  vos 
nouvelles  avec  l'impatience  de  l'amitié.  Donnez- 
m'en,  je  vous  prie,  le  plus  tôt  que  vous  pourrez. 
Le  désir  de  faire  diversion  à  tant  d'attris- 
tants souvenirs ,  qui ,  à  force  d'affecter  mon  cœur, 
altéraient  ma  tête ,  m'a  fait  prendre  le  parti  de 
chercher ,  dans  un  peu  de  voyages  et  d'herborisa- 

I. 


4  CORRESPONDANCE. 

lions,  les  amusements  et  distractions  dont  j'avais 
besoin;  et  le  patron  de  la  case  ayant  approuvé 
cette  idée,  je  l'ai  suivie:  j'apporte  avec  moi  mou 
herbier  et  quelques  livres  avec  lesquels  je  me  pro- 
pose de  faire  quelques  pèlerinages  de  botanique. 
Je  souhaiterais ,  mon  cher  hôte ,  que  la  relation  de 
mes  trouvailles  pût  contribuera  vous  amuser;  j'en 
aurais  encore  plus  de  plaisir  à  les  faire.  Je  vous 
dirai ,  par  exemple  ,  qu'étant  allé  hier  voir  madame 
Boy  de  La  Tour  à  sa  campagne,  j'ai  trouvé  dans 
sa  vigne  beaucoup  d'aristoloche  ,  que  je  n'avais  ja- 
mais vue,  et  qu'au  premier  coup  d'œil  j'ai  recon- 
nue avec  transport. 

Adieu,  mon  cher  hôte,  je  vous  embrasse ,  et  j'at- 
tends dans  votre  première  lettre  de  bonnes  nou- 
velles de  vos  yeux. 


LETTRE  DCCCXXXIL 

AU  MÊME. 

Lyon,  le  6  juillet  1768. 

Je  comptais ,  mon  cher  hôte ,  vous  accuser  la 
réception  de  votre  réponse ,  par  ma  bonne  amie 
madame  Boy  de  T^a  Tour;  mais  je  n'ai  pu  trouver 
un  moment  pour  vous  écrire  avant  son  départ  ;  et 
même  à  présent,  prêt  à  partir  pour  aller  herboriser 
à  la  grande  Chartreuse ,  avec  belle  et  bonne  com- 
pagnie botaniste,  que  j'ai  trouvée  et  recrutée  en 


ANNÉE    1768.  5 

ce  pays,  je  n'ai  que  le  temps  de  vous  envoyer  un 
petit  bonjour  à  la  hâte. 

Mademoiselle  Renou  a  reçu  à  Trye  beaucoup  de 
lettres  pour  moi ,  parmi  lesquelles  je  ne  doute  point 
que  celle  que  vous  m'écriviez  ne  se  trouve  ;  mais 
comme  le  paquet  est  im  peu  gros,  et  que  j'attends 
l'occasion  de  le  faire  venir ,  s'il  y  a  dans  ce  que 
vous  me  marquiez  quelque  chose  qui  presse,  vous 
ferez  bien  de  me  le  répéter  ici.  Si,  comme  je  le 
désirais,  et  comme  je  le  désire  encore,  vous  avez 
pris  le  parti  de  brûler  tous  mes  livres  et  papiers , 
j'en  suis ,  je  vous  jure ,  dans  la  joie  de  mon  cœur  : 
mais  si  vous  les  avez  conservés ,  il  y  en  a  quel- 
ques-uns, je  l'avoue,  que  je  ne  serais  pas  fâché  de 
revoir,  pour  remplir,  par  un  peu  de  distraction  , 
les  mauvais  jours  d'hiver,  où  mon  état  et  la  sai- 
son m'empêchent  d'herboriser;  celui  surtout  qui 
m'intéresserait  le  plus  serait  le  commencement  du 
roman  intitulé  ,  Emile  et  Sophie,  ou  les  Solitaires .  Je 
conserve  pour  cette  entreprise  un  faible  que  je  ne 
combats  pas,  parce  que  j'y  trouverais  au  con- 
traire un  spécifique  utile  pour  occuper  mes  mo- 
ments perdus  ,  sans  rien  mêler  à  cette  occupation 
qui  me  rappelât  les  souvenirs  de  mes  malheurs,  ni 
de  rien  qui  s'y  rapporte.  Si  ce  fragment  vous  tom- 
bait sous  la  main,  et  que  vous  pussiez  me  l'en- 
voyer ,  soit  le  brouillon ,  soit  la  copie,  par  le  retour 
de  madame  Boy  de  La  Tour ,  cet  envoi,  je  l'avoue , 
me  ferait  un  vrai  plaisir. 

Comment  va  la  goutte?  comment  va  l'œil  gauche? 
S'il  n'empire  pas,  il  guérira;  et  je  vois  avec  grand 


6  CORRESPONDANCE. 

plaisir,  par  vos  lettres,  qu'il  va  sensiblement  mieux. 
Mon  cher  hôte ,  que  n'avez- vous  en  goût  modéré 
le  quart  de  ma  passion  pour  les  plantes  !  Votre 
plus  grand  mal  est  ce  goût  solitaire  et  casanier, 
qui  vous  fait  croire  être  hors  d'état  de  faire  de 
l'exercice.  Je  vous  promets  que  si  vous  vous  met- 
tiez tout  de  bon  à  vouloir  faire  un  herbier ,  la  fan- 
taisie de  faire  un  testament  ne  vous  occuperait 
plus  guère.  Que  n'étes-vous  des  nôtres!  vous  trou- 
veriez dans  notre  guide  et  chef,  M.  de  La  Tou- 
rette,  un  botaniste  aussi  savant  qu'aimable,  qui 
vous  ferait  aimer  les  sciences  qu'il  cultive.  J'en  dis 
autant  de  M.  l'abbé  Rosier;  et  vous  trouveriez 
dans  M.  l'abbé  de  Grange-Blanche  ,  et  dans  votre 
hôte,  deux  condisciples  plus  zélés  qu'instruits, 
dont  l'ignorance  auprès  de  leurs  maîtres  mettrait 
souvent  à  l'aise  votre  amour-propre. 

Adieu,  mon  cher  hôte  :  nous  partons  demain 
dans  le  même  carrosse  tous  les  quatre,  et  nous 
n'avons  pas  plus  de  temps  qu'il  ne  nous  en  faut  le 
reste  de  la  journée,  pour  rassembler  assez  de  porte- 
feuilles et  de  papiers  pour  l'immense  collection 
que  nous  allons  faire.  Nous  ne  laisserons  rien  à 
moissonner  après  nous.  Je  vous  rendrai  compte 
de  nos  travaux.  Je  vous  embrasse.  Vous  pouvez 
continuer  à  m'écrire  chez  M.  Boy  de  La  Tour. 


ANNÉE    1-768. 


LETTRE  DCCCXXXIIL 

A  MADEMOISELLE  LEVASSEUR, 

sous    LE   NOM    UK    MADliMOISELLE   RENDU. 

Grenoble,  ce  2 5  juillet,  à  trois  heures  du  matin,  1768. 

Dans  une  heure  d'ici,  cher  amie,  je  partirai 
pour  Chambéry,  muni  de  bons  passe-ports  et  de 
la  protection  des  puissances ,  mais  non  pas  du 
sauf-conduit  des  philosophes  que  vous  savez.  Si 
mon  voyage  se  fait  heureusement,  je  compte  être 
ici  de  retour  avant  la  fin  de  la  semaine,  et  je  vous 
écrirai  sur-le-champ.  Si  vous  ne  recevez  pas  dans 
huit  jours  de  mes  nouvelles  ,  n'en  attendez  plus  , 
et  disposez  de  vous  ,  à  l'aide  des  protections  en 
qui  vous  savez  que  j'ai  toute  confiance ,  et  qui  ne 
vous  abandonneront  pas.  Vous  savez  où  sont  les 
effets  en  quoi  consistaient  nos  dernières  ressources  ; 
tout  est  à  vous.  Je  suis  certain  que  les  gens  d'hon- 
neur qui  en  sont  dépositaires  ne  tromperont  point 
mes  intentions  ni  mes  espérances.  Pesez  bien  toute 
chose  avant  de  prendre  un  parti.  Consultez  ma- 
dame rid3besse*;  elle  est  bienfaisante,  éclairée; 
(îlle  nous  aime;  elle  vous  conseillera  bien;  mais  je 
doute  qu'elle  vous  conseille  de  rester  auprès  d'elle. 
Ce  n'est  pas  dans  une  communauté  qu'on  trouve 
la  liberté  ni  la  paix  :  vous  êtes  accoutumée  à  l'une. 

Madame  de  Nadaillac  ,   abbesse   de  Gomer  -  Fontaine  ,  abbaye 
située  à  peu  de  distance  du  cbàteau  de  Trye. 


8  CORRESPONDANCE. 

VOUS  avez  besoin  de  l'autre.  Pour  être  libre  et 
tranquille ,  soyez  chez  vous ,  et  ne  vous  laissez  sub- 
juguer par  personne.  Si  j'avais  vin  conseil  à  vous 
donner  ,  ce  serait  de  venir  à  Lyon.  Voyez  l'aimaljle 
Madelon;  demeurez,  non  chez  elle,  mais  auprès 
d'elle.  Cette  excellente  fille  a  rempli  de  tout  point 
mon  pronostic:  elle  n'avait  pas  quinze  ans,  que 
j'ai  hautement  annoncé  quelle  femme  et  quelle 
mère  elle  serait  un  jour.  Elle  l'est  maintenant , 
et,  grâces  au  ciel,  si  solidement  et  avec  si  peu  d'é- 
clat ,  que  sa  mère ,  son  mari ,  ses  frères ,  ses  sœurs, 
tous  ses  proches ,  ne  se  doutent  pas  eux-mêmes 
du  profond  respect  qu'ils  lui  portent,  et  croient  ne 
faire  que  l'aimer  de  tout  leur  cœur.  Aimez-la  comme 
ils  font ,  chère  amie  ;  elle  en  est  digne ,  et  vous  le 
rendra  bien.  Tout  ce  qu'il  restait  de  vertu  sur  la 
terre  semble  s'être  réfugié,  dans  vos  deux  cœurs. 
Souvenez-vous  de  votre  ami  l'une  et  l'autre  ;  par- 
lez-en quelquefois  entre  vous.  Puisse  ma  mémoire 
vous  être  toujours  chère,  et  mourir  parmi  les  hom- 
mes avec  la  dernière  des  deux  ! 

Depuis  mon  départ  de  Trye  j'ai  des  preuves  de 
jour  en  jour  plus  certaines  que  l'œil  vigilant  de  la 
malveillance  ne  me  quitte  pas  d'un  pas ,  et  m'at- 
tend principalement  sur  la  frontière:  selon  le  parti 
qu'ils  pourront  prendre,  ils  me  feront  peut-être  du 
bien  sans  le  vouloir.  Mon  principal  objet  est  bien, 
dans  ce  petit  voyage ,  d'aller  sur  la  tombe  de  cette 
tendre  mère  que  vous  avez  connue ,  pleurer  le 
malheur  que  j'ai  eu  de  lui  survivre  ;  mais  il  y 
entre  aussi ,  je  l'avoue ,  du  désir  de  donner  si  beau 


ANNEE    I7G8.  9 

jeu  à  mes  ennemis ,  qu'ils  jouent  enfin  de  leur  reste  ; 
car  vivre  sans  cesse  entouré  de  leurs  satellites  fla- 
gorneurs et  fourbes  est  un  état  pour  moi  pire  que 
la  mort.  Si  toutefois  mon  attente  et  mes  conjec- 
tures me  trompent,  et  que  je  revienne  comme  je 
suis  allé,  vous  savez,  chère  sœur,  chère  amie, 
qu'ennuyé,  dégoûté  de  la  vie,  je  n'y  cherchais  et 
n'y  trouvais  plus  d'autre  plaisir  que  de  chercher 
à  vous  la  rendre  agréable  et  douce  :  dans  ce  qui 
peut  m'en  rester  encore,  je  ne  changerai  ni  d'oc- 
cupation ni  de  goût.  Adieu,  chère  sœur;  je  vous 
embrasse  en  frère  et  en  ami. 


LETTRE  DCCCXXXIV. 

A  M.  LE  COMTE  DE  TONNERRE. 

Bourgoin  ,  le  16  août  1768. 

Monsieur. 

J'espère  que  la  lettre  que  j'eus  l'honneur  de  vous 
écrire  à  mon  départ  de  Grenoble  vous  aura  été  re- 
mise ,  et  je  vous  demande  la  permission  de  vous  re- 
nouveler d'ici  les  assurances  de  ma  reconnaissance 
et  de  mon  respect.  Un  voyage  presque  aussitôt  sus- 
pendu que  commencé  ne  me  laisse  pas  espérer  de 
le  pousser  bien  loin,  et  la  certitude  que  les  ma- 
nœuvres que  je  voudrais  fuir  me  préviendront  par- 
tout m'en  ôterait  le  courage,  quand  mes  forces  me 
le  donneraient.  De  toutes  les  habitations  qu'on 


ÏO  CORRESPONDANCE. 

m'a  fait  voir,  la  maison  de  M.  Faiire ,  qui  a  l'iioii- 
neur  d'être  connu  de  vous,  m'a  paru  celle  où  l'on 
m'aurait  voulu  par  préférence ,  et  c'est  aussi  celle 
de  toutes  les  retraites  (  pour  me  servir  d'un  mot 
doux  )  où  je  pouvais  être  confiné ,  celle  où  j'au- 
rais préféré  vivre.  Quelques  inconvénients  m'ont 
alarmé  ;  s'ils  pouvaient  se  lever  ou  s'adoucir ,  que  le 
maître  de  la  maison,  qui  me  paraît  galant  homme , 
conservât  la  même  bonne  volonté,  et  que  vous 
ne  dédaignassiez  pas,  monsieur,  d'être  notre  mé- 
diateur ,  je  penserais  que  puisqu'il  faut  bien  céder 
à  la  destinée ,  le  meilleur  parti  qui  me  resterait  à 
prendre  serait  de  vivre  dans  sa  maison. 

J'ose  vous  supplier ,  monsieur ,  si  vous  relevez 
pour  moi  quelques  lettres ,  de  vouloir  bien  me  les 
faire  parvenir  ici,  où  je  suis  logé  cl  la  Fontaine  d'or. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect ,  etc. 


LETTRE  DCCCXXXV. 

AU  MÊME. 

Bourgoin,  le  2  i  août  1768. 

Monsieur, 

Je  prends  la  liberté  de  vous  adresser  mes  obser- 
vations sur  la  note  de  M.  Faure  que  vous  avez  eu 
la  bonté  de  m'envoyer.  J'attends  sa  réponse  pour 
prendre  ma  résolution,  ne  pouvant  m'aller  confi- 
ner-dans cette  solitude  sans  savoir  à  quoi  je  m'en- 
gage en  y  entrant. 


ANNÉE    1  768.  1  I 

Permetez,  monsieur  le  comte,  que  je  vous  réi- 
tère ici  mes  remerciements  très-humbles,  en  vous 
suppliant  d'agréer  mon  respect. 


LETTRE  DCCCXXXVI. 

AU  MÊME. 

Bourgoin,  le  2  3  août  1768. 

Monsieur  , 

Permettez  que  je  prenne  la  liberté  de  vous  en- 
voyer une  lettre  que  je  viens  de  recevoir  de  M.  Bo- 
vier ,  et  copie  de  ma  réponse.  Si  vous  daigniez 
mander  le  malheureux  dont  il  s'agit ,  et  tirer  au 
clair  cette  affaire,  vous  feriez,  monsieur  le  comte, 
une  œuvre  digne  de  votre  générosité. 

J'ai  l'honneur,  etc. 


LETTRE  DCCCXXXVIL 

AU  MÊME. 

Bourgoin,  le  26  août  1768. 

Monsieur, 

J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  une  lettre  en  ré- 
ponse à  celle  de  M.  Faure  que  vous  avez  bien  voulu 
me  faire  passer.  Ses  propositions  sont  si  honnêtes  , 


12  C01lRESP0iVD\KCi£. 

f}u'il  lie  l'est  presque  pas  de  les  accepter.  Cepen- 
dant, forcé  par  ma  situation  d'être  indiscret,  je  ré- 
duis ces  propositions  sous  une  forme  qui,  je  pense, 
lèvera  toute  difficulté  entre  lui  et  moi. 

Mais  il  en  existe  une ,  monsieur  le  comte ,  qu'il 
dépend  de  vous  seul  de  lever,  dans  l'imposture 
qui  a  donné  lieu  aux  deux  lettres  que  j'ai  pris  la  li- 
berté de  vous  envoyer  dernièrement.  Car  si,  vivant 
sous  votre  protection  ,  je  ne  puis  obtenir  aucune 
satisfaction  d'une  fourberie  aussi  impudente  et 
aussi  clairement  démontrée,  à  quoi  dois -je  m'at- 
tendre  au  milieu  de  ceux  qui  l'ont  fabriquée,  si  ce 
n'est  à  me  voir  harceler  sans  cesse  par  de  nouveaux 
imposteurs  soufflés  par  les  mêmes  gens  ,  et  enhar- 
dis par  l'impunité  du  premier?  Il  faudrait  assuré- 
ment que  je  fusse  le  plus  insensé  des  hommes  pour 
aller  me  fourrer  volontairement  dans  un  tel  enfer. 
Je  comprends  bien  qu'on  m'attend  partout  avec 
les  mêmes  armes,  mais  encore  n'irai-je  pas  choi- 
sir par  préférence  les  lieux  où  l'on  a  commencé 
d'en  user. 

J'attends  vos  ordres  ,  monsieur  le  comte  ;  je 
compte  sur  votre  équité,  et  j'ai  l'honneur  d'être 
avec  autant  de  confiance  que  de  respect ,  etc. 


ANNÉE    1768.  l3 

LETTRE  DCCCXXXVIII. 

A  M.  LALLIAUD. 

BourgoIn,lc  3i  août  1768. 

Nous  VOUS  devons  et  nous  vous  faisons  ,  mon- 
sieur, mademoiselle  Renou  et  moi,  les  plus  vifs 
remerciements  de  toutes  vos  bontés  pour  tous  les 
deux;  mais  nous  ne  vous  en  ferons  ni  l'un  ni 
l'autre  pour  la  compagne  de  voyage  que  vous  lui 
avez  donnée.  J'ai  le  plaisir  d'avoir  ici,  depuis  quel- 
ques jours,  celle  de  mes  infortunes;  voyant  qu'à 
tout  prix  elle  voulait  suivre  ma  destinée,  j'ai  fait 
en  sorte  au  moins  qu'elle  pût  la  suivre  avec  lion- 
nein\  J'ai  cru  ne  rien  risquer  de  rendre  indisso- 
luble un  attachement  de  vingt-cinq  ans ,  que  l'es- 
time mutuelle  ,  sans  laquelle  il  n'est  point  d'amitié 
durable,  n'a  fait  qu'augmenter  incessamment.  La 
tendre  et  pure  fraternité  dans  laquelle  nous  vivons 
depuis  treize  ans  n'a  point  changé  de  nature  par 
le  nœud  conjugal  ;  elle  est ,  et  sera  jusqu'à  la  mort , 
ma  femme  par  la  force  de  nos  liens ,  et  ma  sœur 
par  leur  pureté.  Cet  honnête  et  saint  engagement 
a  été  contracté  dans  toute  la  simplicité ,  mais  aussi 
dans  toute  la  vérité  de  la  nature,  en  présence  de 
deux  hommes  de  mérite  et  d'honneur  ,  officiers 
d'artillerie,  et  l'un  fils  d'un  de  mes  anciens  amis  du 
bon  temps ,  c'est-à-dire  avant  que  j'eusse  aucun  nom 
dans  le  monde;  et  l'autre,  maire  de  cette  ville,  et 


l4  CORRESPONDANCE. 

proche  parent  du  premier  *.  Durant  cet  acte  si 
court  et  si  simple ,  j'ai  vu  fondre  en  larmes  ces 
deux  dignes  hommes,  et  je  ne  puis  vous  dire  com- 
bien cette  marque  de  la  bonté  de  leurs  cœurs  m'a 
attaché  à  l'un  et  à  l'autre. 

Je  ne  suis  pas  plus  avancé  sur  le  choix  de  ma 
demeure  que  quand  j'eus  l'honneur  de  vous  voir 
à  Lyon ,  et  tant  de  cabarets  et  de  courses  ne  facili- 
tent pas  un  bon  établissement.  Les  nouveaux 
voyages  à  faire  me  font  peur ,  surtout  à  l'entrée  de 
la  saison  où  nous  touchons  ;  et  je  prendrai  le  parti 
de  m' arrêter  volontairement  ici,  si  je  puis,  avant 
que  je  me  trouve,  par  ma  situation,  dans  l'impos- 
sibilité d'y  rester  et  dans  celle  d'aller  plus  loin. 
Ainsi,  monsieur,  je  me  vois  forcé  de  renoncer, 
pour  cette  année  ,  à  l'espoir'  de  me  rapprocher 
de  vous,  sauf  à  voir  dans  la  suite  ce  que  je  pour- 
rai  faire  pour  contenter  mon  désir  à  cet  égard. 

Recevez  les  salutations  de  ma  femme,  et  celles, 
monsieur,  d'un  homme  qui  vous  aime  de  tout  son 
cœur. 

*  Ils  sont  nommés  l'un  et  l'autre  clans  la  lettre  au  comte  de  Ton- 
nerre ci-après,  en  date  du  i8  septembre.  Le  premier  s'appelait  de 
Rozière;  le  second,  cousin  du  premier,  et  maire  de  Bourgoin,  était 
M.  de  Champagneux. 


ANNÉK    J  yGS.  I  .) 


lettre:  dcccxxxix. 

A  M.  LE  COMTE  DE  TONNERRE. 

Bouigoin  ,  le  i"  septembre  1768. 

Monsieur, 

Je  suis  Irès-sensible  à  la  bonté  que  vous  avez  eue 
de  mander  et  interroger  le  sieur  The  venin  sur  le 
prêt  qu'il  dit  avoir  fait,  il  y  a  environ  dix  ans  à 
moi ,  ou  à  un  homme  de  même  nom  que  moi ,  et 
dont  il  m'a  fait  demander  la  restitution  par  M.  Bo- 
vier.  Mais  je  prendrai  la  liberté ,  monsieur  le  comte, 
de  n'être  pas  de  votre  avis  sur  la  bonne  foi  dudit 
Thevenin,  puisqu'il  est  impossible  de  concilier  cette 
bonne  foi  avec  les  circonstances  qu'il  rapporte  de 
son  prétendu  prêt,  et  avec  les  lettres  de  recom- 
mandation qu'il  dit  que  l'emprunteur  lui  donna 
pour  MM.  de  Faugnes  et  Aldiman.  Cet  homme  vous 
paraît  borné,  cela  peut  être;  im  imposteur  peu! 
très -bien  n'être  qu'un  sot,  et  cela  me  confirme 
seulement  dans  la  persuasion  qu'il  a  été  dirigé 
aussi-bien  qu'encouragé  dans  l'invention  de  sa  pe- 
tite histoire ,  dont  les  contradictions  sont  un  incon- 
vénient difficile  à  éviter  dans  les  fictions  les  mieux 
concertées.  Il  y  a  même  une  autre  contradiction 
bien  positive  entre  lui,  qui  vous  a  dit,  monsieur, 
n'avoir  parlé  de  cette  affaire  à  qui  que  ce  soit  qu'à 
M.  Bovier,  son  voisin,  et  le  même  M.  Bovier,  qui 


1,6  CORRF.SPOiVDANCE. 

m'écrit  que  ledit  Thevenin  lui  en  a  fait  parler  par 
le  vicaire  de  sa  paroisse.  Je  persiste  donc  dans  la 
résolution  de  ne  point  retourner  dans  les  lieux  où 
cette  histoire  a  été  fabriquée  ,  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  assez  bien  éclaircie  pour  ôter  aux  fabricateurs , 
quels  qu'ils  soient,  la  fantaisie  d'en  forger  dere- 
chef de  semblables.  Je  trouve  ici  un  logement  trop 
cher  pour  pouvoir  le  garder  long-temps ,  mais  où 
j'aurai  le  temps  d'en  chercher  plus  à  ma  poTtée , 
où  je  puisse  me  croire  à  l'abri  des  imposteurs.  Je 
n'y  suis  pas  moins  sous  votre  protection  qu'à  Gre- 
noble ;  et ,  si  le  mensonge  et  la  calomnie  m'y  pour- 
suivent ,  j'éviterai  du  moins  le  désavantage  d'être 
précisément  à  leur  foyer. 

Daignez ,  monsieur ,  agréer  derechef  mes  excuses 
des  importunités  que  je  vous  cause ,  et  mes  actions 
de  grâces  de  la  bonté  avec  laquelle  vous  voulez 
bien  les  endurer.  Si  Ton  ne  me  harcelait  jamais , 
je  demeurerais  tranquille  et  ne  serais  point  indis- 
cret ;  mais  ce  n'est  pas  l'intention  de  ceux  qui  dis- 
posent de  moi. 

Recevez  avec  bonté,  je  vous  supplie,  monsieur 
le  comte,  les  assurances  de  mon  respect. 

Renou. 

Permettez,  monsieur,  que  je  joigne  ici  une  lettre 
pour  M.  Faure. 


ANNÉE    1768.  17 

LETTRE  DCCCXL. 

A  UNE  DAME  DE  LYON.* 

Bourgoin ,  Je  3  septembre  1768. 

Vous  trouverez  ci -joint  un  papier  dont  voici 
l'occasion  :  Ayant  été  malade  ici  et  détenu  dans 
une  chambre  pendant  quelques  jours ,  dans  le  fort 
de  mes  chagrins,  je  m'amusai  à  tracer,  derrière 
une  porte  ,  quelques  lignes  au  rapide  trait  du 
crayon ,  qu'ensuite  j'oubliai  d'effacer  en  quittant 
ma  chambre,  poiu-  en  occuper  une  plus  grande  à 
deux  lits  avec  ma  femme.  Des  passants  malinten- 
tionnés, à  ce  qu'il  m'a  paru,  ont  trouvé  ce  bar- 
bouillage dans  la  chambre  que  j'avais  quittée ,  y 
ont  effacé  des  mots,  en  ont  ajouté  d'autres ,  et  l'ont 
transcrit  pour  en  faire  je  ne  sais  quel  usage.  Je 
vous  envoie  une  copie  exacte  de  ces  lignes ,  afin 
que  messieurs  vos  frères  puissent  et  veuillent  bien 
constater  les  falsifications  qu'on  y  peut  faire ,  en 
cas  qu'elles  se  répandent.  J'ai  transcrit  même  les 
fautes  et  les  redites ,  afin  de  ne  rien  changer. 

Cette  lettre  a  été  imprimée  pour  la  première  fois  dans  la  Cor- 
responi.ance  littéraire  àe  Grimm  (deuxième  partie,  toni.  v,  p.  55). 
Nous  aurions  à  nous  défier  d'une  source  aussi  susjDecte,  si  l'écrit 
qui  fait  suite  à  cette  lettre  ne  se  trouvait  également  dans  l'édition 
de  Poincot,  tome  xxviii,  page  282.  Les  éditeurs  annoncent  le  tenir 
de  M.  de  Champagneux ,  maire  de  Bourgoin,  qui,  disent -ils,  ta 
transcrit  lui-même  avec  la  plus  exacte  fidélité  ;  et  comme  ce  même  écrit, 
dans  l'édition  de  Poincot,  offre  avec  celui  qui  est  rapporté  par 
Grimm  des  différences  assez  notables,  c'est  d'après  cette  édition  que 
nous  le  donnerons  ici. 

R.  xxir.  2 


l8  CORRESPOIVDAIVCE. 

SENTIMENT  DU  PUBLIC  SUR  MON  COMPTE,  DANS  LES    DIVERS  lÎTATS 
QUI  LE  COMPOSENT. 

Les  rois  et  les  grands  ne  disent  pas  ce  qu'ils 
pensent  ;  mais  ils  me  traiteront  toujours  honora- 
blement. 

La  vraie  noblesse ,  qui  aime  la  gloire  et  qui  sait 
que  je  m'y  connais,  m'honore  et  se  tait. 

Les  magistrats  me  haïssent  à  cause  du  mal  qu'ils 
m'ont  fait. 

Les  philosophes,  que  j'ai  démasqués,  veulent  à 
tout  prix  me  perdre  ;  ils  y  réussiront. 

Les  évéques ,  fiers  de  leur  naissance  et  de  leur 
état,  m'estiment  sans  me  craindre,  et  s'honorent 
en  me  marquant  des  égards. 

Les  prêtres  ,  vendus  aux  philosophes,  aboient 
après  moi  pour  faire  leur  cour. 

Les  beaux  esprits  se  vengent,  en  m'insultant,  de 
ma  supériorité  qu'ils  sentent. 

Le  peuple ,  qui  fut  mon  idole ,  ne  voit  en  moi 
qu'une  perruque  mal  peignée  et  un  homme  dé- 
crépit. 

Des  femmes,  dupes  de  deux  p froid,  qui  les 

méprisent,  trahissent  l'homme  qui  mérita  le  mieux 
d'elles  '. 

Les  magistrats  *  ne  me  pardonneront  jamais  le 
mal  qu'ils  m'ont  fait. 

Le  magistrat  de  Genève  sent  ses  torts ,  sait  que 
je  les  lui  pardonne,  et  les  réparerait  s'il  l'osait. 

'  Les  deux  p dont  il  est  question  sont  d'Alembert  et  Grimm. 

*  Dans  la  Correspondance  de  Grimm  ,  au  lieu  de,  les  magistrats , 
on  lit,  les  Suisses. 


ANNÉE    1-768.  19 

Les  chefs  du  peuple ,  élevés  sur'mes  épaules ,  vou- 
draient me  cacher  si  bien  que  l'on  ne  vît  qu'eux. 

Les  auteurs  me  pillent  et  me  blâment;  les  fri- 
pons me  maudissent ,  et  la  canaille  me  hue. 

Les  gens  de  bien ,  s'il  en  existe  encore ,  gémis- 
sent tout  bas  sur  mon  sort;  et  moi  je  le  bénis  s'il 
peut  instruire  un  jour  les  mortels. 

Voltaire ,  que  j'empêche  de  dormir  ,  parodiera 
ces  lignes.  Ses  grossières  injures  sont  un  hommage 
qu'il  est  forcé  de  me  rendre  malgré  lui  *. 

Observation Il  ne  faut  pas  oublier  que  cet  écrit  fut  tracé, 

comme  le  dit  Rousseau ,  derrière  une  porte,  au  rapide  trait  du 
crayon,  et  que  les  copies  qu'on  en  fit  furent  inexactes.  En  sup- 
posant la  lettre  âuthentiqvie  ,  on  y  voit  que  l'auteur  n'avait  cer- 
tainement pas  le  projet  de  conserver  ces  phrases  détachées  et 
qu'elles  n'ont  été  transmises  que  parce  qu'on  les  avait  altérées 
en  les  transcrivant. 


LETTRE  DCCCXLI. 

A  M.  LE  COMTE  DE  TONNERRE. 

Bourgoin,  le  6  septembre  1768. 

Il  y  a  peu  de  résolutions  et  il  n'y  a  point  de  ré- 
pugnance par-dessus  lesquelles  le  désir  d'approfon- 
dir l'affaire  du  sieur  Thevenin  ne  me  fasse  passer  ; 
et,  si  ma  confrontation,  sous  vos  yeux,  avec  cet 

*  La  maladie  dont  parle  J.  J.  et  pendant  laquelle  il  est  censé  avoir 
écrit  derrière  une  porte ,  doit  faire  excuser  cette  lettre  si  réellement 
il  en  est  l'auteur  ;  pour  le  croire  il  faut  le  témoignage  de  M.  de  Cham- 
pagneux  rapporté  par  Yédifear  de  l'édition  de  Poinçot. 

2. 


20  CORRESPONDANCE. 

homme  peut  vous  engager ,  monsieur ,  à  la  suivre 
jusqu'au  bout,  je  suis  prêt  à  partir.  Permettez  seu- 
lement que  j'ose  vous  demander  auparavant  l'as^ 
surance  que  ce  voyage  ne  sera  point  inutile  ;  que 
vous  ne  dédaignerez  aucune  des  précautions  con- 
venables pour  constater  la  vérité ,  tant  à  vos  yeux 
qu'à  ceux  du  public ,  et  que  le  motif  d'éviter  l'é- 
clat, que  je  ne  crains  point',  n'arrêtera  aucune  des 
démarches  nécessaires  à  cet  effet.  Il  ne  serait  assu- 
rément pas  digne  de  votre  générosité  ,  ni  de  la 
protection  dont  vous  m'honorez ,  que  des  impos- 
teurs pussent  à  leur  gré  me  promener  de  ville  en 
ville,  m'attirer  au  milieu  d'eux,  et  m'y  rendre  im- 
punément le  jouet  de  leurs  suppôts. 

J'attends  vos  ordres,  M.  le  comte,  et,  quelque 
parti  qu'il  vous  plaise  de  prendre  sur  cette  affaire , 
dont  je  vous  cause  à  regret  la  longue  importunité, 
je  vous  supplie  de  vouloir  bien  me  renvoyer  la 
lettre  de  M.  Bovier ,  et  la  copie  de  ma  réponse , 
que  j'eus  l'honneur  de  vous  envoyer. 

Je  vous  supplie ,  M.  le  comte ,  d'agréer  avec  bonté 
ma  reconnaissance  et  mon  respect. 


LETTRE  DCCCXLII. 

A  M.   DU  PEYROU. 

Bourgoin,  le  9  septembre  1768. 

Après  diverses  courses,  mon  cher  hôte ,  qui  ont 
achevé  de  me  convaincre  qu'on  était  bien  déter- 


ANNÉE    1768.  21 

miné  à  ne  me  laisser  nulle  part  la  tranquillité  que 
j'étais  venu  chercher  dans  ces  provinces,  j'ai  pris 
le  parti ,  rendu  de  fatigue  et  voyant  la  saison  s'a- 
vancer, de  m'arréter  dans  cette  petite  ville  pour  y 
passer  l'hiver.  A  peine  y  ai-je  été,  qu'on  s'est  pressé 
de  m'y  harceler  avec  la  petite  histoire  que  vous  al-- 
lez  lire  dans  l'extrait  d'une  lettre  qu^m  certain 
avocat  Bovier  m'écrivit  de  Grenoble  le  22  du  mois 
dernier. 

«  Le  sieur  Thevcnin ,  chamoiseur  de  son  métier , 
«  se  trouva  logé,  il  y  a  environ  dix  ans,  chez  le 
«  sieur  Janin ,  hôte  du  bourg  des  Verdières  -  de- 
«  Joue,  près  de  Neuchâtel ,  avec  M.  Rousseau,  qui 
«  se  trouva  lui-même  dans  le  cas  d'avoir  besoin  de 
«  quelque  argent,  et  qui  s'adressa  au  sieur  Janin  , 
«  son  hôte ,  pour  obtenir  cet  argent  du  sieur  The- 
«  venin  :  ce  dernier,  n'osant  pas  présenter  à  M:  Rous- 
'<■  seau  la  modique  somme  qu'il  demandait,  attendit 
«  son  départ ,  et  l'accompagna  effectivement  des 
«  Verdières-de-Jouc  jusqu'à  Saint-Sulpice  avec  ledit 
('Janin;  et,  après  avoir  dîné  ensemble  dans  une 
«  aubeige  qui  a  un  soleil  pour  enseigne ,  il  lui  lit 
«  remettre  neuf  livres  de  France  par  ledit  Janin. 
«  M.  Rousseau  ,  pénétré  de  reconnaissance,  donna 
«  audit  Thevenin  quelques  lettres  de  recomman- 
cc  dation ,  entre  autres  une  pour  M.  de  Faugnes, 
«  directeur  des  sels  à  Yverdun ,  et  une  pour  M.  Al- 
«  diman  ,  de  la  même  ville,  dans  laquelle  M.  Rous- 
«  seau  signa  son  nom ,  et  signa  /<?  Voyageur  perpé- 
«  liiel  dans  une  autre  pour  quelqu'un  à  Paris,  dont 
«  le  sieur  Thevenin  ne  se  rappelle  pas  le  nom.  » 


22  -         CORRESPONDANCE. 

Voici  maintenant,  mon  cher  hôte,  copie  de  ma 
réponse ,  en  date  du  2  3. 

«  Je  n'ai  pas  pu ,  monsieur ,  loger  il  y  a  environ 
«  dix  ans  où  que  ce  fut ,  près  de  Neuchâtel ,  parce 
«qu'il  y  en  a  dix,  et  neuf,  et  huit,  et  sept,  que 
«  j'en  étais  fort  loin ,  sans  en  avoir  approché  du- 
«  rant  tout  ce  temps  plus. près  de  cent  lieues. 

«  Je  n'ai  jamais  logé  au  bourg  des  Verdières,  et 
«  n'en  ai  même  jamais  entendu  parler  :  c'est  peut- 
«  être  le  village  des  Verrières  qu'on  a  voulu  dire; 
<f  j'ai  passé  dans  ce  village  une  seule  fois ,  il  n'y  a 
«  pas  cinq  ans ,  allant  à  Pontarlier;  j'y  repassai  en 
«  revenant  ;  je  n'y  logeai  point  ;  j'étais  avec  un  ami 
«(qui  n'était  pas  le  sieur  Thevenin);  personne 
«  autre  ne  revint  avec  nous  ;  et,  depuis  lors  ,  je  ne 
«  suis  pas  retourné  aux  Verrières. 

«  Je  n'ai  jamais  vu,  que  je  sache,  le  sieur  The- 
«  venin,  chamoiseur;jamaisje  n'ai  ouï  parler  de  lui, 
«  non  plus  que  du  sieur  Janin ,  mon  prétendu  hôte. 
«  Je  ne  connais  qu'un  seul  M.  Jeannin,  mais  il  ne 
«  demeure  point  aux  Verrières,  il  demeure  à  Neu- 
«  clîâtel ,  et  il  n'est  point  cabaretier  ;  il  est  secré- 
«  taire  d'un  de  mes  amis. 

«  Je  n'ai  jamais  écrit ,  autant  qu'il  m'en  souvient , 
«  à  M.  de  Faugnes ,  et  je  suis  sur  au  moins  de  ne  lui 
«  avoir  jamais  écrit  de  lettres  de  recommandation , 
«  n'étant  pas  assez  lié  avec  lui  pour  cela  :  encore 
u  moins  ai-je  pu  écrire  à  M.  Aldiman,  d'Yverdun  , 
«  que  je  n'ai  vu  de  ma  vie,  et  avec  lequel  je  n'eus 
«  jamais  nulle  espèce  de  liaison. 

«  Je  n'ai  jamais  signé  avec  mon  nom  k  Voyageur 


ANNÉE    J/jGS.  2.3 

a  perpétuel,  premièrement  parce  que  cela  n'est  pas 
«  vrai  et  surtout  ne  l'était  pas  alors ,  quoiqu'il  le  soit 
«  devenu  depuis  quelques  années  ;  en  second  lieu  , 
«  parce  que  je  ne  tourne  pas  mes  malheiu's  en  plai- 
«  sauteries,  et  qu'enfin,  si  cela  m'arrivait,  je  tâ- 
«  cherais  qu'elles  fussent  moins  plates. 

«  J'ai  quelquefois  prêté  de  l'argent  à  Neucliâlel , 
«  mais  je  n'y  en  empruntai  jamais ,  par  la  raison  très- 
ce  simple  qu'il  ne  m'a  jamais  manqué  dans  ce  pays-là  ; 
«et  vous  m'avouerez,  monsieur,  qu'ayant  pour 
«  amis  tous  ceux  qui  y  tenaient  le  premier  rang, 
«  il  eût  été  du  moins  fort  bizarre  que  j'allasse  em- 
«  prunter  neuf  francs  d'un  chamoiseur  que  je  ne 
«  connaissais  pas ,  et  cela  à  un  quart  de  lieue  de 
«  chez  moi;  car  c'est  à  peu  près  la  distance  de 
«  Saint-Sulpice,  où  l'on  dit  que  cet  argent  m'a  été 
a  prêté ,  à  Motiers,  où  je  demeurais.  » 

Vous  croiriez,  mon  cher  hôte,  sur  cette  lettre 
et  sur  ma  réponse  que  j'ai  envoyée  au  comman- 
dant de  la  province,  que  tout  a  été  fini,  et  que, 
l'imposture  étant  si  clairement  prouvée,  l'impos- 
teur a  été  châtié  ou  bien  censuré  :  point  du  tout  ; 
l'affaire  est  encore  là  ,  et  ledit  Thevenin ,  conseillé 
par  ceux  qui  l'ont  aposté,  se  retranche  à  dire  qu'il  a 
peut-être  pris  un  autre  M.  Rousseau  pour  J.  J.Rous- 
seau, et  persiste  à  soutenir  avoir  prêté  la  somme  à 
vm  homme  de  ce  nom,  se  tirant  d'affaire,  je  ne  sais 
comment,  au  sujet  des  lettres  de  recommandation: 
de  sorte  qu'il  ne  me  reste  d'autre  moyen  pour  le 
confondre  que  d'aller  moi-même  à  Grenoble  me 
confronter  avec  lui;  encore  ma  mémoire  trompeuse 


ti4  CURRESPOJVDAJVCE. 

et  vacillante  peut -elle  souvent  m'abuser  sur  les 
faits.  Les  seuls  ici  qui  me  sont  certains  est  de  n'a- 
voir jamais  connu  ni  Thevenin  ni  Janin  ;  de  n'a- 
voir jamais  voyagé  ni  mangé  avec  eux  ;  de  n'a- 
voir jamais  écrit  à  M.  Aldiman  ;  de  n'avoir  jamais 
emprunté  de  l'argent ,  ni  peu  ni  beaucoup,  de  per- 
sonne durant  mon  séjour  à  Neuchâtel;  je  ne  crois 
pas  non  plus  avoir  jamais  écrit  à  M.  de  Faugnes, 
surtout  pour  lui  recommander  quelqu'un  ;  ni  ja- 
mais avoir  signé  le  Fojageur  perpétuel;  ni  jamais 
avoir  couché  aux  Verrières ,  quoiqu'il  ne  me  soit 
pas  possible  de  me  rappeler  où  nous  couchâmes 
en  revenant  de  Pontarlier  avec  Sauttersheim ,  dit  le 
Baron  ;  car  en  allant  je  me  souviens  parfaitement 
que  nous  n'y  couchâmes  pas.  Je  vous  fais  tous  ces 
détails ,  mon  cher  hôte  ,  afin  que  si,  par  vos  amis, 
vous  pouvez  avoir  quelque  éclaircissement  sur  tous 
ces  faits,  vous  me  rendiez  le  bon  office  de  m'en 
faire  part  le  plus  tôt  qu'il  sera  possible.  J'écris 
par  ce  même  courrier  à  M.  du  Terreau ,  maire  des 
Verrières,  à  M.  Breguet,à  M.  Guyenet,  lieutenant 
du  Val -de -Travers  ,  mais  sans  leur  faire  aucun 
détail;  vous  aurez  la  bonté  d'y  suppléer,  s'il  est 
nécessaire,  par  ceux  de  cette  lettre.  Vous  pouvez 
m'écrire  ici  en  droiture  ;  mais  si  vous  avez  des 
éclaircissements  intéressants  à  me  donner  ,  vous 
ferez  bien  de  me  les  envoyer  par  duplicata ,  sous 
enveloppe,  à  l'adresse  de  M.  le  comte  de  Tonnerre^ 
lieiiteaant-génêrdl  des  armées  du  roi  ^  commandant 
pour  sa  majesté  en  Dauphmé  a  Grenoble.  Vous 
pourrez  même  m'écrire  à  l'ordinaire  sous  son  cou- 


A.WNÉE    l'j6S.  25 

vert:  mes  lettres  me  parviendront  jdIus  lentement, 
mais  plus  sûrement  qu'en  droiture. 

J'espère  qu'on  est  tranquille  à  présent  dans  votre 
pays.  Puisse  le  ciel  accorder  à  tous  les  hommes  la 
paix  qu'ils  ne  veulent  pas  me  laisser  !  Adieu ,  mon 
cher  hôte;  je  vous  embrasse. 


LETTRE  DCCCXLIII. 

A  M.  LE  COMTE  DE  TONNERRE. 

Bourgoin,  le  i3  septembre  1768. 

Monsieur  , 

Comme  je  ne  puis  douter  que  vous  ne  sachiez 
parfaitement  à  quoi  vous  en  tenir  sur  le  compte 
du  sieur  Thevenin ,  je  crois  voir  par  la  dernière 
lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire, 
qu  on  vous  trompe  comme  on  ti'ompe  M.  le  prince 
de  Conti,  et  que  mon  futur  voyage  de  Grenoble 
est  une  affaire  concertée  dont  la  fable  de  ce  mal- 
heureux n'est  que  le  prétexte.  Vous  aviez  la  bonté 
de  désirer  que  ce  motif  m'attirât  aux  environs  de 
cette  capitale.  J'ignore ,  M.  le  comte ,  d'où  naît  ce 
désir,  et  si  je  dois  vous  en  rendre  grâces  ;  tout  ce 
que  je  sais  est  que  les  moyens  employés  à  cet  effet 
ne  sont  pas  extrêmement  attirants.  Malgré  les  em- 
barras où  je  suis ,  je  pars  demain  pour  me  rendre  à 
vos  ordres  ;  jeudi  j'aurai  l'honneur  de  me  présenter 
à  votre  audience,  et  j'espère  qu'il  vous  plaira  d'y 


Q.6  CORRESPONDANCE. 

mander  ledit  Thevenin.  Je  repartirai  vendredi  ma 
tin,  quoi  qu'il  arrive,  si  l'on  m'en  laisse  la  liberté. 
J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect, 

Monsieur, 

Votre  très-humble  et  très-obéissant 
serviteur, 

Renou. 


LETTRE  DCCCXLIV. 

AU  MÊME. 

Bourgoln,  le  i8  septembre  1768. 

Monsieur, 

Le  contre -temps  de  votre  absence  à  mon  arri- 
vée à  Grenoble  m'affligea  d'autant  plus  que ,  sen- 
tant combien  il  m'importait  que,  selon  votre  dé- 
sir, mon  entrevue  avec  le  sieur  Thevenin  se  passât 
sous  vos  yeux ,  et  ne  pouvant  le  trouver  qu'à  l'aide 
de  M.  Bovier,  que  j'aurais  voulu  ne  pas  voir,  je 
me  voyais  forcé  d'attendre  à  Grenoble  votre  re- 
tour, à  quoi  je  ne  pouvais  me  résoudre,  ou  de  re- 
venir l'attendre  ici ,  ce  qui  m'exposait  à  un  second 
voyage.  J'aurais  pris  ,  monsieur,  ce  dernier  parti, 
sans  la  lettre  que  vous  me  fîtes  l'honneur  de  m'é- 
crire  le  1 5 ,  et  qui  me  fut  envoyée  à  la  nuit  par 
M.  Bovier.  Je  compris  par  cette  lettre  ,  qu'afin 
que  mon  voyage  ne  fut  pas  inutile  vous  pensiez 


ANNÉE    I7G8.  27 

que  je  pouvais  voir  ledit  Thevenin,  quoique  en 
votre  absence  ;  et  c'est  ce  que  je  fis  par  l'entre- 
mise de  M.  Bovier ,  auquel  il  fallut  bien  recourir 
pour  cela. 

Je  le  vis  tard ,  à  la  hâte ,  en  deux  reprises  :  j'é- 
tais en  proie  à  mille  idées  cruelles ,  indigné ,  navré 
de  me  voir  après  soixante  ans  d'honneur,  com- 
promis, seul,  loin  de  vous,  sans  appui,  sans  ami, 
vis-à-vis  d'un  pareil  misérable,  et  surtout  de  lire 
dans  les  cœurs  des  assistants,  et  de  ceux  mêmes  à 
qui  je  m'étais  confié,  leur  mauvaise  volonté  secrète. 

Mais  quelque  courte  qu'ait  été  cette  conférence , 
elle  a  suffi  pour  l'objet  que  je  m'y  proposais.  Avant 
d'y  venir,  permettez-moi,  M.  le  comte,  une  petite 
observation  qui  s'y  rapporte  :  M.  Bovier  m'avait 
induit  en  erreur,  en  me  marquant  que  c'était  per- 
sonnellement à  moi  que  ledit  Thevenin  avait  prêté 
neuf  francs;  au  lieu  que  Thevenin  lui-même  dit 
seulement  les  avoir  fait  passer  par  la  main  d'autrui, 
en  prêt  ou  en  don  (  car  il  ne  s'explique  pas  clai- 
rement là-dessus),  à  un  homme  appelé  Rousseau, 
duquel  au  reste  il  ne  donne  pas  le  moindre  ren- 
seignement, ni  de  son  nom,  ni  de  son  âge,  ni  de 
son  état,  ni  de  sa  demeure,  ni  de  sa  figure,  ni  de 
son  habit,  excepté  la  couleur,  et  qu'il  s'était  signé 
dans  une  lettre  :  le  Voyageur  perpétuel.  JM.  Bovier , 
sur  le  simple  rapport  d'un  quidam,  qu'il  dit  ne 
pas  connaître  ^  part  de  ces  seuls  indices ,  et  de  celui 
du  lieu  où  se  sont  vus  ces  deux  hommes ,  pour 
m'écrire  en  ces  termes  :  «  Je  crois  vous  faire  plai- 
«  sir  de  vous  rappeler  un  homme  qui  vous  a  rendu 


!28  CORRESPONDANCE. 

«  un  service,  il  y  a  près  de  dix  années,  et  qui  se 
(f  trouve  aujourd'hui  dans  le  cas  que  vous  vous  en 
«  souveniez.  »  Ce  même  M.  Bovier ,  dans  sa  lettre 
précédente  ,  me  parlait  ainsi.  «  Je  vous  ai  vu  ; 
«  j'ai  été  émerveillé  de  trouver  une  ame  aussi 
«  belle  que  la  vôtre ,  jointe  à  un  génie  aussi  su- 
ce blime.  »  Voilà,  ce  me  semble,  cette  belle  ame 
transformée  un  peu  légèrement  en  celle  d'un  vil 
emprunteur  ;  et  d'un  plus  vil  banqueroutier  :  il 
faut  que  les  belles  âmes  soient  bien  communes  à 
Grenoble ,  car  assurément  on  ne  les  y  met  pas  à 
haut  prix. 

Voici  la  substance  de  la  déclaration  dudit  The- 
venin ,  tant  en  présence  de  M.  Bovier  et  de  sa  fa- 
mille ,  que  de  M.  de  Champagneux ,  maire  et  châ- 
telain de  Bourgoin ,  de  son  cousin  ,  M.  de  Rozière, 
officier  d'artillerie,  et  d'un  autre  officier  du  même 
corps,  leur  ami,  dont  j'ignore  le  nom,  laquelle 
déclaration  a  été  faite  en  plusieurs  fois ,  avec  des 
variations,  en  hésitant,  en  se  reprenant,  quoique 
assurément  il  dût  avoir  la  mémoire  bien  fraîche 
de  ce  qu'il  avait  dit  tant  de  fois ,  et  à  vous ,  M.  le 
comte,  et  avant  vous  à  M.  Bovier. 

Que  de  la  Charité -sur -Loire,  qui  est  son  pays, 
venant  en  Suisse  ,  et  passant  aux  Verrières-de-Jouc, 
dans  un  cabaret  dont  l'hôte  s'appelle  Janin ,  un 
homme  nommé  Rousseau,  le  voyant  mettre  à  ge- 
noux ,  lui  demanda  s'il  était  catholique  ;  que  là- 
dessus  s'étant  pris  de  conversation  ,  cet  homme  lui 
donna  une  lettre  de  recommandation  pour  Yver- 
dun  ;  qu'ayant   continué  de  demeurer  ensemble 


ANNÉE    I7G8.  29 

dans  ledit  cabaret,  ledit  Rousseau  le  pria  de  lui 
prêter  quelque  argent,  et  lui  donna,  deux  jours 
après  ,  deux  autres  lettres  de  recommandation  ; 
savoir ,  une  seconde  pourYverdun,  et  l'autre  pour 
Paris ,  où  ledit  Rousseau  lui  dit  qu'il  avait  mis  pour 
signature , /é'  Voyageur  perpétuel  ;  qu'en  reconnais- 
sance de  ce  service ,  lui  Thevenin  lui  fit  remettre 
neuf  francs  par  Janin  ,  leur  hôte  ,  après  un  voyage 
qu'ils  firent  tous  trois  des  Verrières  à  Saint-Sulpice, 
où  ils  dînèrent  encore  ensemble;  qu'ensuite  ils  se 
séparèrent;  que  lui  Thevenin  se  rendit  de  là  à 
Yverdun ,  et  porta  les  deux  lettres  de  recomman- 
dation à  leurs  adresses,  l'une  pour  M.  de  Faugnes , 
l'autre  pour  M.  Aldiman;  que,  ne  les  ayant  trou- 
vés ni  l'un  ni  l'autre ,  il  remit  ses  lettres  à  leurs 
gens,  sans  que,  pendant  deux  ans  qu'il  resta  sur 
les  lieux ,  la  fantaisie  lui  ait  pris  de  retourner  chez 
ces  messieurs ,  voir ,  du  moins  par  curiosité ,  l'effet 
de  ces  mêmes  lettres  qu'il  avait  si  bien  payées.  A 
l'égard  de  la  lettre  de  recommandation  pour  Paris, 
signée  le  Voyageur  perpétuel ,  il  l'envoya  à  la  Cha- 
rité-sur-Loire ,  à  sa  femme ,  qui  la  fit  passer  par  le 
curé  à  son  adresse,  dont  il  ne  se  souvient  point. 

Quant  à  la  personne  dudit  Rousseau ,  j'ai  déjà 
(lit  qu'il  ne  s'en  rappelait  rien ,  ni  rien  de  ce  qui 
s'y  rapporte  :  interrogé  si  ledit  Piousseau  portait 
son  chapeau  sur  la  tête  ou  sous  le  bras,  il  a  dit 
ne  s'en  pas  souvenir  ;  s'il  portait  perruque  ou  s'il 
avait  ses  cheveux,  a  dit  qu'il  ne  s'en  souvenait 
pas  non  plus ,  et  que  cela  ne  faisait  pas  une  diffé- 
rence bien  sensible  :  interrogé  sur  l'habillement , 


3o  CORRESPONDANCE. 

il  a  dit  que  tout  ce  qu'il  s'en  rappelait  était  qu'il 
portait  un  habit  gris ,  doublé  de  bleu  ou  dé  vert  : 
interrogé  s'il  savait  la  demeure  dudit  Rousseau  ,  a 
dit  qu'il  n'en  savait  rien  ;  s'il  n'avait  plus  eu  de  ses 
nouvelles,  a  dit  que,  durant  tout  son  séjour  à 
Yverdun  et  à  Estavayé ,  où  il  alla  travailler  en  sor- 
tant de  là ,  il  n'a  jamais  plus  ouï  parler  dudit  Rous- 
seau, et  n'a  su  ce  qu'il  était  devenu,  jusqu'à  ce 
qu'apprenant  qu'il  y  avait  un  M.  Rousseau  à  Gre- 
noble, il  s'est  adressé ,  par  le  vicaire  de  la  paroisse, 
à  son  voisin  ,  M.  Bovier ,  pour  savoir  si  ledit  sieur 
Rousseau  ne  serait  point  son  homme  des  Ver- 
rières; chose  qu'il  n'a  pourtant  jamais  affirmée, 
ni  dite,  ni  crue,  mais  dont  il  voulait  simplement 
s'informer. 

Comme  sa  déclaration  laissait  assez  indéterminé 
le  temps  de  l'époque  ,  j'ai  parcouru ,  pour  le  fixer , 
ceux  de  ses  papiers  qu'il  a  bien  voulu  me  mon- 
trer ;  et  j'y  ai  trouvé  un  certificat  daté  du  3o  juil- 
let 1763,  par  lequel  le  sieur  Cuche  ,  chamoiseur 
d'Yverdun ,  atteste  que  ledit  Thevenin  a  demeuré 
chez  lui  pendant  environ  deux  ans,  etc. 

Supposant  donc  que  Thevenin  soit  entré  chez 
le  sieur  Cuche ,  immédiatement  à  son  arrivée  à 
Yverdun,  et  qu'il  se  soit  rendu  immédiatement  à 
Yverdun ,  en  quittant  ledit  Rousseau  à  Saint-Sul- 
pice,  cela  détermine  le  temps  de  leur  entrevue  à 
la  fin  de  l'été  1761  au  plus  tard.  Il  est  possible  que 
cette  époque  remonte  plus  haut;  mais  il  ne  l'est 
pas  qu'elle  soit  plus  récente,  puisqu'il  faudrait  alors 
que  cette  rencontre  se  fût  faite  du  temps  que  le- 


ANNÉE    1768.  3l 

dit  Thevenin  était  déjà  à  Yverdun ,  au  lieu  qu'elle 
se  fit  avant  qu'il  y  fût  arrivé. 

J'aidemaiidé  à  cet  homme  le  nom  du  maître  chez 
lequel  il  travaille  à  Grenoble:  il  me  l'a  dit;  je  l'ai 
oublié.  Je  lui  ai  demandé  pour  qui  ce  maître  tra- 
vaillait, quelles  étaient  ses  pratiques;  il  m'a  dit 
qu'il  n'en  savait  rien  ,  et  qu'il  n'en  connaissait  au- 
cune. Je  lui  ai  demandé  s'il  ne  travaillait  point 
pour  son  voisin ,  M.  Bovier  le  père ,  qui  est  gantier  ; 
il  m'a  dit  qu'il  n'en  savait  rien;  et  M.  Bovier  fils, 
prenant  la  parole  ,  a  dit  que  non  ;  et  il  fallait  bien 
en  effet  qu'ils  ne  se  connussent  point,  puisque, 
pour  parvenir  à  lui  parler,  ledit  Thevenin  a  eu  re- 
cours au  vicaire  de  la  paroisse. 

Voilà,  dans  ce  qu'a  dit  cet  homme ,  tout  ce  qui 
me  paraît  avoir  trait  à  la  question. 

Cette  question  en  peut  offrir  deux  distinctes, 
premièrement,  si  ledit  Thevenin  dit  vrai  ou  s'il 
ment. 

Supposant  qu'il  dit  vrai,  seconde  question  :  quel 
est  l'homme  nommé  Rousseau,  auquel  il  a  prêté 
son  argent,  sans  connaître  de  lui  que  le  nom?  car 
enfin  l'identité  des  noms  ne  fait  pas  celle  des  per- 
sonnes ;  et  il  ne  suffit  pas,  n'en  déplaise  à  M.  Bo- 
vier, de  porter  le  nom  de  Rousseau,  pour  être, 
par  cela  seul ,  le  débiteur  ou  l'obligé  du  sieur  The- 
venin. 

Il  n'y  a,  selon  le  récit  du  dernier,  que  trois 
personnes  en  état  d'en  attester  la  vérité;  savoir,  le 
Rousseau  dont  il  ne  connaît  que  le  nom,  Thevenin 
lui-même,  et  l'hôte  Janin  ,  qui  est  absent  :  d'ail- 


32  CORRESPONDANCE. 

leurs,  le  témoignage  des  deux  premiers ,  comme 
parties,  est  nul ,  à  moins  qu'ils  ne  soient  d^accord  ; 
et  celui  du  dernier  serait  suspect ,  s'il  favorisait 
Thevenin  ;  car  il  peut  être  son  complice  ;  il  peut 
même  être  le  seul  fripon,  comme  vous  l'avez, 
monsieur,  soupçonné  vous-même;  il  peut  encore 
être  gagné  par  ceux  qui  ont  aposté  l'autre.  Il  n'est 
décisif  qu'au  cas  qu'il  condamne  Thevenin.  En 
tout  état  de  cause,  je  ne  vois  pas  à  tout  cela  de 
quoi  faire  preuve  sans  d'autres  informations.  Il  est 
vrai  que  les  circonstances  du  récit  de  Thevenin  ne 
seraient  pas  un  préjugé  qui  lui  fût  bien  favorable, 
quand  même  il  aurait  affaire  au  dernier  des  mal- 
heureux, qui  aurait  tous  les  autres  préjugés  contre 
lui;  mais  enfin  tout  cela  ne  sont  pas  des  preuves. 
Qu'un  garçon  chamoiseur,  qui  court  le  pays  pour 
chercher  de  l'ouvrage ,  s'aille  mettre  à  genoux  en 
parade ,  dans  un  cabaret  protestant  ;  qu'un  autre 
homme  qui  le  voit  conclue  de  là  qu'il  est  catho- 
lique ,  lui  en  fasse  compliment  ,  lui  offre  des 
lettres  de  recommandation  ,  et  lui  demande  de 
l'argent  sans  le  connaître  et  sans  en  être  connu 
d'aucune  façon  ;  qu'au  lieu  de  présumer  de  là  que 
l'emprunteur  est  un  escroc,  et  que  ses  recomman- 
dations sont  des  torche-culs,  l'autre,  transporté 
du  bonheur  de  les  obtenir ,  tire  aussitôt  neuf  francs 
de  sa  bourse  cossue;  qu'il  ait  même  la  complai- 
sante délicatesse  de  n'oser  les  donner  lui-même  à 
celui  qui  ose  bien  les  lui  demander  ;  qu'il  attende 
pour  cela  d'être  en  un  autre  lieu,  et  de  les  lui  faire 
modestement  présenter  par  un  autre  homme:  tout 


ANNEE    l^GB.  3?) 

cela ,  tout  inepte  et  risible  qu'il  est,  n'est  pas  ab- 
solument impossible. 

Que  le  préteur  ou  donneur  passe  trois  jours 
avec  l'emprunteur;  qu'il  i^iange  avec  lui;  qu'il 
voyage  avec  lui  sans  savoir  comment  il  est  fait,  s'il 
porte  perruque  ou  non,  s'il  est  grand  ou  petit, 
noir  ou  blond,  sans  retenir  la  moindre  chose  de 
sa  figure  :  cela  paraît  si  singulier,  que  je  lui  en  fis 
l'objection.  A  cela  il  me  répondit  qu'en  marchant , 
lui,  Thevenin  ,  était  derrière  l'autre  et  ne  le  voyait 
que  par  le  dos ,  et  qu'à  table  il  ne  le  voyait  pas 
bien  non  plus,  parce  que  ledit  Rousseau  ne  se  te- 
nait pas  assis,  mais  se  promenait  par  la  chambre 
en  mangeant.  Il  faut  convenir ,  en  riant  de  plus 
fort,  que  cela  n'est  pas  encore  impossible. 

.  Il  ne  l'est  pas  enfin  que ,  desdites  lettres  de  re- 
commandation si  précieuses ,  aucune  ne  soit  par- 
venue, attendu  que  ledit  Thevenin  ,  modeste  pour 
les  lettres  comme  pour  l'argenL ,  ne  voulut  pas  les 
rendre  lui-même ,  ni  s'informer  au  moins  de  leur 
effet,  quoiqu'il  demeurât  dans  le  même  lieu  qu'ha- 
bitaient ceux  à  qui  elles  étaient  adressées,  qu'il 
les  vît  peut-être  dix  fois  par  jour ,  et  que  ce  fût  au 
moins  une  curiosité  fort  naturelle  ,  de  savoir  si  un 
coureur  de  cabarets,  à  l'affût  des  écus  des  passants , 
pouvait  être  réellement  en  liaison  avec  ces  mes- 
siem^s-là.  Si ,  comme  il  est  à  craindre ,  aucune  des- 
dites lettres  n'est  parvenue  ,  ce  seront  ces  coquins 
de  valets  ,  à  qui  l'honnête  Thevenin  les  a  remises, 
qui  lui  auront  joué  le  tour  de  les  garder.  Je  ne 
dis   rien   de   la  lettre   pour  Paris  ;  il  est  si  clair 

R.    XXII.  3 


34  CORRESPONDA.NCE. 

qu'une  recommandation  pour  Paris  est  extrême- 
ment utile  à  un  garçon  chamoiseur  qui  va  travail- 
ler à  Yverdun  ! 

Pardon,  monsieur  ;^  je  ris  de  ma  simplicité,  et 
j'admire  votre  patience  ;  mais  enfin ,  si  Theve- 
nin  n'est  pas  un  imposteur,  il  faut,  de  nécessité 
absolue,  que  toutes  ces  folies  soient  autant  de 
vérités. 

Supposons-les  telles ,  et  passons  outre  :  voilà  le 
généreux  The  venin,  créancier  ou  bienfaiteur  d'un 
nommé  Rousseau,  lequel,  comme  le  dit  très-bien 
M.  Bovier,  doit  être  pénétré  de  reconnaissance. 
Quel  est  ce  Rousseau?  lui,  Thevenin ,  n'en  sait 
rien ,  mais  M.  Bovier  le  sait  pour  lui ,  et  présume , 
avec  beaucoup  de  vraisemblance,  que  ce  Rousseau 
est  l'infortuné  Jean-Jacques  Rousseau,- si  connu 
par  ses  malheurs  passés,  et  qui  le  sera  bien  plus 
encore  par  ceux  que  l'on  lui  prépare.  Je  ne  sache 
pas  cependant  que,  parmi  ces  multitudes  de  char- 
ges atroces  et  ridicules  que  ses  ennemis  inventent 
journellement  contre  lui ,  ils  l'aient  jamais  accusé 
d'être  un  coureur  de  cabarets ,  un  crocheteiu-  de 
bourses,  qui  va  pochetant  quelques  écus  cà  et  là, 
chez  le  premier  va-nu-pieds  qu'il  rencontre.  Si  le 
Jean-Jacques  Rousseau  qu'on  connaît  pouvait  s'a- 
baisser à  pareille  infamie,  il  faudrait  qu'on  l'eût 
vu ,  pour  le  pouvoir  croire  ;  et  encore ,  après  l'a- 
voir vu,  n'en  croirait-on  rien.  M.  Bovier  est  moins 
incrédule  ;  le  simple  doute  d'un  misérable  qu'il  ne 
connaît  point  se  transforme  ,  à  ses  yeux ,  en  certi- 
tude, et  lui  prouve  qu'une  belle  ame  qu'il  connaît 


\NNiiE  i-yGS.  35 

est  celle  du  plus   vil  des  mendiants  ou  du  plus 
lâche  des  fripons. 

Si  le  Jean -Jacques  Rousseau  dont  il  s'agit  n'est 
qu'un  infâme ,  ce  n'est  pas  tout  ;  il  faut  encore  qu'il 
soit  un  sot ,  car  s'il  accepte  les  neuf  francs ,  que 
ledit  Thevenin  ne  lui  donne  pas  de  la  main  à  la 
main  ,  mais  qu'il  lui  fait  donner  par  un  autre 
homme ,  habitant  du  pays ,  il  doit  s'attendre  qu'ils 
lui  seront  reprochés  mille  fois  le  jour  :  il  doit  comp- 
ter qu'à  chaque  fois  qu'on  citera ,  dans  le  pays , 
quelque  trait  de  sa  facilité  à  répandre ,  et  de  sa  ré- 
pugnance à  recevoir ,  le  sieiu^  Janin  ne  manquera 
pas  de  dire  :  «  Eh!  par  Dieu ,  cet  homme  n'est  pas 
«  toujours  si  fier  ;  il  a  demandé  et  reçu  neuf  francs 
«  d'un  faquin  d'ouvrier  qui  logeait  dans  mon  au- 
«  berge;  et  j'en  suis  bien  sûr,  car  c'est  moi  qui  les 
«  ai  livrés.  »  Quand  on  commença  d'ameuter  le 
peuple  contre  ce  pauvre  Jean -Jacques ,  et  qu'on 
le  faisait  lapider  jusque  dans  son  lit,  Janin  aurait 
fait  sa  fortune  avec  cette  histoire  ;  son  cabaret  n'au- 
rait pas  désempli.  Thevenin  fait  bien  de  la  conter 
à  Grenoble;  mais  s'il  l'osait  conter  à  Saint-Sulpice 
ou  aux  Verrières,  et  dans  tout  le  pays  où  ce  même 
Jean-Jacques  a  pourtant  reçu  tant  d'outrages,  et 
qu'il  dît  qu'elle  le  regarde,  je  suis  sûr  que  les  ha- 
bitants lui  cracheraient  au  nez. 

Préjugés  vrais  ou  faux  à  part,  passons  aux  preuves, 
et  permettez,  monsieur  le  comte,  que  nous  exami- 
nions un  peu  le  rapport  de  notre  homme ,  et  que 
nous  voyions  s'il  se  peut  rapporter  à  moi. 

lue  sieur  Thevenin  fit  connaissance  avec  ledit 

3. 


36  CORRESPONDANCE. 

Rousseau  aux  Verrières ,  et  ils  y  demeurèrent  en- 
semble deux  ou  trois  jours  ,  logés  chez  Janin.  J'ai 
demeuré  long-temps  à  Motiers  sans  aller  aux  Ver- 
rières, et  je  n'y  ai  jamais  été  qu'une  seule  fois,  al- 
lant à  Pontarlier  avec  M.  de  Sauttersheim ,  dit, 
dans  le  pays ,  le  baron  Sauttern.  Je  n'y  couchai 
point  en  allant,  j'en  suis  très-sûr;  je  suis  très-per- 
suadé  que  je  n'y  couchai  point  en  revenant,  quoi- 
que je  n'en  sois  pas  sûr  de  même  ;  mais  si  j'y  cou- 
chai ,  ce  fut  sans  y  séjourner ,  et  sans  quitter  le 
baron.  Thevenin  dit  cependant  que  son  homme 
était  seul.  Ma  mémoire  affaiblie  me  sert  mal  sur 
les  faits  récents;  mais  il  en  est  sur  lesquels  elle  ne 
peut  me  tromper  ;  et  je  suis  aussi  siir  de  n'avoir 
jamais  séjourné,  ni  peu  ni  beaucoup,  aux  Verrières, 
que  je  suis  sûr  de  n'avoir  jamais  été  à  Pékin 

Je  ne  suis  donc  pas  l'homme  qui  resta  deux  ou 
trois  jours  aux  Verrières,  à  contempler  les  génu- 
fluxions  du  dévot  Thevenin. 

Je  ne  peux  guère  être  non  plus  celui  qui  lui 
demanda  de  l'argent  à  emprunter  aux  mêmes  Ver- 
rières ,  parce  que  ,  outre  M.  du  Terreau ,  maire 
du  lieu,  j'y  connaissais  beaucoup  un  M.  Breguet, 
très-galant  homme,,  qui  m'aïu'ait  fourni  tout  l'ar- 
gent dont  j'aurais  eu  besoin,  et  avec  lequel  j'ai  eu 
bien  des  querelles,  pour  n'avoir  pu  tenir  la  pro- 
messe que  je  lui  avais  faite  de  l'y  aller  voir.  Si  j'a- 
vais logé  là  seul ,  c'eût  été  chez  lui ,  selon  toute  ap- 
parence, et  non  pas  chez  le  sieur  Janin,  sintout 
quand  j'aurais  été  sans  argent. 

Je  ne  suis  point  l'homme  à  l'habit  gris  doublé 


ANNÉE    [7G8.  37 

de  bleu  ou  de  vt-rt ,  parce  que  je  n'en  ai  jamais 
porté  de  pareil  durant  tout  mon  séjour  en  Suisse  : 
je  n'y  ai  jamais  voyagé  qu'en  habit  d'Arménien  , 
qui  sûrement  n'était  doublé  ni  de  vert  ni  de  bleu. 
Thevenin  ne  se  souvient  pas  si  son  homme  avait 
ses  cheveux  ou  la  perruque ,  s'il  portait  son  cha- 
peau sur  la  tète  ou  sous  le  bras;  un  Arménien  ne 
porte  point  de  chapeau  du  tout,  et  son  équipage 
est  trop  remarquable  pour  (|u'on  en  perde  totale- 
ment le  souvenir ,  après  avoir  demeuré  trois  jours 
avec  lui,  et  après  l'avoir  vu  dans  la  chambie  et  en 
voyage,  jjar-devant,  par-derrière,  et  de  toutes  les 
laçons. 

Je  ne  suis  point  l'homme  qui  adonné  au  sieur  The" 
venin  ime  lettre  de  recommandation  pour  M.  de 
Faugnes,  que  je  ne  connaissais  pas  même  encore  , 
quand  ledit  Thevenin  alla  à  Yverdun  ;  et  je  ne  suis 
point  l'homme  qui  lui  a  donné  une  lettre  de  re- 
commandation pour  M.  Aldiman,  que  je  n'ai  connu 
de  ma  vie,  et  que  je  ne  crois  pas  même  avoir  été 
de  retour  d'Italie  à  Yverdun,  sous  la  même  date«. 

Je  ne  suis  point  l'homme  qui  a  donné  au  sieur 
Thevenin  une  lettre  de  recommandation  pour  Pa- 
ris ,  signée  le  Vojagcur  perpétuel.  Je  ne  crois  pas 
avoir  jamais  employé  cette  plate  signature;  et  je 
suis  parfaitement  sûr  de  n'avoir  pu  l'employer  à 
l'époque  de  ma  prétendue  rencontre  avec  Theve- 
nin ;  car  cette  lettre  devant  être  antérieure  à  l'ar- 
rivée dudit  Thevenin  à  Yverdun,  dut  l'être,  à  plus 

"  J'ai  appris  seulemciit  depuis  i[nelques  jours  que  le  secrétaire 
baillival  d'Yverdun  s'appelait  aussi  M.  Aldiman. 


38  CORRESPOADANCK. 

forte  raison ,  à  son  départ  de  la  même  ville.  Or , 
même  en  ce  temps-là,  je  ne  pouvais  signer  le  Voya- 
geur perpétuel ,  avec  aucune  apparence  de  vérité 
d'aucune  espèce;  car  durant  l'espace  de  dix -huit 
ans ,  depuis  mon  retour  d'Italie  à  Paris ,  jusqu'à 
mon  départ  pour  la  Suisse ,  je  n'avais  fait  qu'un 
seul  voyaoe  ;  et  il  est  absurde  de  donner  le  nom 
de  Vojageur  perpétuel  à  un  homme  qui  ne  fait 
qu'un  voyage  en  dix -huit  ans.  Depuis  la  date  de 
mon  arrivée  à  Motiers,  jusqu'à  celle  du  départ  de 
Thevenin  d'Yverdun ,  je  n'avais  fait  encore  aucune 
promenade  dans  le  pays ,  qui  pût  porter  le  nom 
de  voyage.  Ainsi  cette  signature ,  au  moment  que 
Thevenin  la  suppose ,  eût  été  non-seulement  plate 
et  sotte ,  mais  fausse  en  tous  sens ,  et  de  toute  faus- 
seté. 

Il  n'est  pas  non  plus  fort  aisé  de  croire  que  je 
sois  le  même  Rousseau  dont  Thevenin  n'a  plus 
ouï  parler,  durant  tout  son  séjour  en  Suisse,  puis- 
qu'on n'y  parlait  que  de  cet  homme  infernal ,  qui 
osait  croire  en  Dieu  sans  croire  aux  miracles , 
contre  lequel  les  prédicants  prêchaient  avec  le 
plus  saint  zèle ,  et  qu'ils  nommaient  hautement 
\ Antéchrist.  Je  suis  sûr  qu'il  n'y  avait  pas,  dans 
toute  la  Suisse  ,  un  honnête  chamoiseur  qui  n'é- 
difiât son  quartier  en  m'y  maudissant  saintement 
mille  fois  le  jour  ;  et  je  crois  que  le  bénin  Thevenin 
n'était  pas  des  derniers  à  s'acquitter  de  cette  bonne 
oeuvre.  Mais,  sans  rien  conclure  de  tout  cela,  je  finis 
par  ma  preuve  péremptoire. 

Je  dis  que  je  ne  suis  point  l'homme  qui  a  pu  se 


ANNEE    1-768.  3C) 

trouver  aux  Verrières  et  à  Saiut-Sulpice  avec  le 
sieur  Thevenin ,  quand ,  venant  de  la  Charité-sur- 
Loire  ,  il  allait  à  Yverdun  ;  car  il  n'a  pu  passer  aux 
Verrières  plus  tard  que  l'été  de  1761  ,  puisque  le 
3o  juillet  1763  il  y  avait  environ  deux  ans  qu'il 
demeurait  chez  le  sieur  Cuche ,  et  probablement 
davantage  qu'il  demeurait  à  Yverdun.  Or ,  au  vu 
et  au  su  de  toute  la  France  ,  j'ai  passé  l'année  en- 
tière de  1761  ,  et  la  moitié  de  la  suivante,  tran- 
quille à  Montmorency;  je  ne  pouvais  donc  pas, 
dès  l'année  précédente ,  avoir  couru  les  cabarets 
aux  Verrières  et  à  Saint-Sulpice.  Ajoutez,  je  vous 
supplie ,  qu'arrivant  en  Suisse  je  n'allai  pas  tout 
de  suite  à  Motiers  ;  ajoutez  encore  qu'arrivé  à 
Motiers,  et  tout  occupé  jusqu'à  l'hiver  de  mon 
établissement ,  je  ne  fis  aucun  voyage  du  reste  de 
l'année,  ni  bien  avant  dans  la  suivante.  Selon  The- 
venin, notre  rencontre  a  du  se  faire  avant  qu'il 
allât  à  Yverdun;  et,  selon  la  vérité,  il  était  déjà 
parti  de  cette  ville  quand  je  fis  mon  premier  et 
unique  voyage  aux  Verrières:  je  n'étais  donc  pas 
l'homme  portant  le  nom  de  Rousseau  qu'il  y  ren- 
contra; c'est  ce  que  j'avais  à  prouver. 

Quel  était  donc  cet  homme?  je  l'ignore:  ce  que 
je  sais,  c'est  que,  pour  que  ledit  Thevenin  ne  soit 
pas  lui  imposteur,  il  faut  que  cet  autre  homme  se 
trouve,  c'est-à-dire  que  son  existence  soit  connue 
sur  les  lieux;  il  faut  qu'il  s'y  soit  trouvé  dans  l'an- 
née 1761  ,  qu'il  s'appelât  Rousseau  ,  qu'il  eût  un 
habit  gris  doublé  de  vert  ou  de  bleu  ,  qu'il  ait  écrit 
des  lettres  à  MM.  de  Faugnes  et  Aldiman,  qui  par 


/JO  C  O  n  11  K  s  P  O  iV  D  A  n  f,  L . 

conséquent  étaient  de  sa  connaissance;  qu'il  ait 
écrit  une  autre  lettre  à  Paris,  signée  le  Voyageur 
perpétuel;  qu'après  avoir  passé  deux  jours  avec 
Thevenin  aux  Verrières ,  ils  aient  encore  été  de 
compagnie  à  Saint-Sulpice  avec  Janin  leur  hôte,  et 
qu'après  y  avoir  diné  tous  trois  ensemble,  ledit 
Thevenin  ait  fait  donner  audit  Rousseau  neufs 
francs  par  ledit  Janin.  La  vérification  de  tous  ces 
faits  gît  en  informations,  que  je  ne  suis  point  en  état 
de  faire,  et  qui  ne  m'intéressent  en  aucune  sorte  , 
si  ce  n'est  pour  prouver  ce  que  je  sais  bien  sans 
cela,  savoir,  que  ledit  Thevenin  est  un  imposteur 
aposté.  J'ai  pourtant  écrit  dans  le  pays  pour  avoir 
là-dessus  des  éclaircissements,  dont  j'aurai  l'hon- 
neur ,  monsieur,  de  vous  faire  part,  s'ils  me  par- 
viennent :  mais  comment  pourrai-je  espérer  que 
des  lettres  de  cette  espèce  échapperont  à  l'inter- 
ception, puisque  celles  même  que  j'adresse  à  M.  le 
prince  de  Conti  n'y  échappent  pas,  et  que  la  der- 
nière que  j'eus  l'honneur  de  lui  écrire,  et  que  je 
mis  moi-même  à  la  poste ,  en  partant  de  Grenoble  , 
ne  lui  est  pas  parvenue  ?  Mais  ils  auront  beau 
faire,  je  me  ris  des  machines  qu'ils  entassent  sans 
cesse  autour  de  moi;  elles  s'écrouleront  par  leur 
propre  masse  ,  et  le  cri  de  la  vérité  percera  le  ciel 
tôt  ou  tard. 

Agréez,  monsieur  le  comte,  les  assurances  de 
mon  respect  ' . 

"  Apostille  de  l'auteur, 

N.  B.  Cette  lettre  est  restée  sans  réponse,  de  même  qu'une  autre 
écrite  encore  l'ordinaire  suivant  à  M.  le  comte  de  Tonnerre ,  en  lui 


ANNÉE    I7G8.  4l 


LETTRE  DCCCXLV. 

,  AU  MÊME.  • 

Bourgoin,  le  30  septembre  1768. 

Monsieur, 

A  compte  des  éclaircissements  que  j'ai  demandés 
sur  l'histoire  du  sieur  Thevenin,  voici  toujours 
une  lettre  de  M.  Roguin  d'Yverdun ,  respectable 
vieillard,  mon  ami  de  trente  ans,  et  celui  de  feu 
M.  de  Rozière ,  père  de  M.  de  Rozière,  officier  d'ar- 
tillerie ,  par  qui  cette  lettre  m'est  parvenue.  Vous  y 
verrez  ,  monsieur ,  que  le  bénin  Thevenin  n'en  est 
pas  à  son  coup  d'essai  d'impostures,  et  qu'il  a  été 
ci-devant  condamné ,  par  arrêt  du  parlement  de 
Paris ,  à  être  fouetté  ,  marqué ,  et  envoyé  aux  ga- 
lères pour  fabrication  de  faux  actes.  Vous  y  ver- 
rez lui  mensonge  bien  manifeste  dans  sa  dernière 
déclaration,  puisqu'il  m'a  dit,  à  moi,  n'avoir  pu 
joindre  M.  de  Faugnes  poiu-  lui  remettre  la  lettre 
de  recommandation  de  R. ,  ni  pour  en  apprendre 
l'effet;  et  vous  voyez,  par  la  lettre  de  M.  Roguin, 
qu'il  sait  bien  le  joindre  pour  lui  remettre  la  lettre 
du  curé  de  Tovency-les-Filles,  et  pour  le  circon- 

en  envoyant  une  dans  laquelle  M.  Roguin  me  doiniait  des  informa- 
tions sur  le  sieur  Thevenin  ,  et  qui  ne  m'a  point  été  renvoyée.  De- 
puis lors,  je  n'ai  reçu  ni  de  M.  de  Tonnerre,  ni  d'aucune  ame  vi- 
vante ,  ancun  avis  de  rien  de  ce  qui  s'est  passé  à  Grenoble  au  sujet 
de  cette  aiïuiie ,  ni  de  ce  qu'est  devenu  ledit  Thevenin. 


/|2  CORRESPONDANCi:. 

venir  de  ses  mensonges  au  sujet  de  M.  Thevenin 
de  Tanley ,  conseiller  au  parlement  de  Paris.  Si  mes 
lettres  et  leurs  réponses  parviennent  fidèlement, 
j'aurai  dans  peu  réponse  directe  de  M.  de  Faugnes, 
et  la  déclaration  de  Janin,  que  je  lui  ai  fait  de- 
mander par  le  premier  magistrat  du  lieu. 

Veuillez ,  monsieur  le  comte,  agréer  avec  bonté 
mon  respect. 

Rendu. 

Rien  ne  presse  pour  le  renvoi  de  la  lettre  ci- 
jointe.  Je  vous  supplie  seulement ,  monsieur , 
d'ordonner  qu'elle  ne  soit  pas  égarée,  et  qu'on  me 
la  renvoie  quand  elle  ne  servira  plus  à  rien. 


LETTRE  DC(:CXL\  I. 

A  M.  LALLIAUD. 
A  Bourgoln,  le  ai  septembre  1768. 

Je  ne  puis  résister,  monsieur,  au  désir  de  vous 
donner,  par  la  copie  ci-jointe,  une  idée  de  la  ma- 
nière dont  je  suis  traité  dans  ce  pays.  Sitôt  que  je 
fus  parti  de  Grenoble  pour  venir  ici,  l'on  y  dé- 
terra un  garçon  chamoiseur  nommé  Thevenin  , 
qui  me  redemandait  neuf  francs,  qu'il  prétendait 
m'avoir  prêtés  en  Suisse,  et  qu'il  prétend  à  pré- 
sent m'avoir  donnés  ,  parce  que  ceux  qui  l'instrui- 
sent ont  senti  le  ridicule  de  faire  prêter  de  l'ar- 
gent par  un  passant  à  quelqu'un  qui  demeure  dans 


AJNNÉE    1768,  43 

le  pays.  Cette  extravagante  histoire  qui ,  partout 
ailleurs,  eût  attiré  audit  Thevenin  le  traitement 
qu'il  mérite ,  lui  attire  ici  la  faveur  publique  ;  et  il 
n'y  a  personne  à  Grenoble,  et  parmi  les  gens  qui 
m'entourent,  qui  ne  donnât  tout  au  monde  pour 
que  Thevenin  se  trouvât  l'honnête  homme  et  moi 
le  fripon  :  malheureusement  pour  eux,  j'apprends 
à  l'instant,  par  une  lettre  de  Suisse  qui  m'est  ar- 
rivée sous  couvert  étranger ,  que  ledit  Thevenin 
a  eu  ci-devant  l'honneur  d'être  condamné,  par  un 
arrêt  du  parlement  de  Paris,  à  être  marqué  et  en- 
voyé aux  galères,  pour  fabrication  de  faux  actes, 
dans  un  procès  qu'il  eut  l'impudence  d'intenter  à 
M.  Thevenin  deTanley ,  conseiller  honoraire  actuel 
au  parlement ,  rue  des  Enfants-Rouges , au  Marais". 
J'ai  écrit  en  Suisse,  pour  avoir  des  informations 
sur  le  compte  de  ce  misérable  :  je  n'ai  eu  encore 
que  cette  seule  réponse,  qui  heureusement  n'est 
pas  venue  directement  à  mon  adresse .  J'ai  écrit  à 
M.  de  Faugnes,  receveur  général  des  finances  à 
Paris ,  lequel  a  connu  ,  à  ce  qu'on  me  marque ,  le- 
dit Thevenin  ;  je  n'en  ai  aucune  réponse  :  je  crains 
bien  que  mes  lettres  ne  soient  interceptées  à  la 
])oste.  M.  de  Faugnes  demeure  rue  Feydeau.  Si, 
sans  vous  incommoder ,  vous  pouviez ,  monsieur  , 
passer  chez  lui  et  chez  M.  Thevenin  de  Tanley, 

"  L'arrêt  est  du  10  mars  1761.  Il  fut  permis  à  Jean  Thevenin  de 
Tanley  et  consorts  de  le  faire  imprimer,  publier,  et  afficher.  On  y 
voit  nif-me  que  ledit  Nicolas-Eloi  Thevenin,  de  la  Charité-sur-Loire, 
est  condamné  au  carcan,  en  place  de  Grève,  pour  y  demeurer  de- 
puis midi  jusqu'à  deux  heures ,  ayant  écriteau  devant  et  derrière , 
portant  ces  mots,  Calomniateur  et  imposteur  insigne. 


44  CORRESPONDANCE. 

VOUS  lireriez  peut-être  tic  ces  messieurs  des  infor- 
mations qui  me  seraient  utiles  poiu^  confondre  mon 
coquin ,  malgré  la  faveur  de  ses  honnêtes  protec- 
teurs. 

Je  vois  que  ma  diffamation  est  jurée,  et  qu'on 
veut  l'opérer  à  tout  prix  :  mon  intention  n'est  pas 
de  daigner  me  défendre,  quoique  en  cette  occa- 
sion je  n'aie  pu  résister  .au  désir  de  démasquer 
l'imposteur;  mais  j'avoue  qu'enfin  dégoûté  de  la 
France  je  n'aspire  plus  qu'à  m'en  éloigner,  et  du 
foyer  des  complots  dont  je  suis  la  victime.  Je  n'es- 
père pas  échapper  à  mes  ennemis,  en  quelque  lieu 
que  je  me  réfugie;  mais,  en  les  forçant  de  multi- 
plier leurs  complices ,  je  rends  leur  secret  plus  dif- 
ficile à  garder,  et  je  le  crois  déjà  au  point  de  ne 
pouvoir  me  survivre  :  c'est  tout  ce  qui  me  reste  à 
désirer  désormais.  Bonjour,  monsieur.  Votre  der- 
nière lettre  m'est  bien  parvenue  ;  cela  me  fait  es- 
pérer le  même  bonheur  pour  celle-ci ,  et  peut-être 
pour  votre  réponse  :  faites-la  un  peu  promptement, 
je  vous  supplie,  si  vous  voulez  que  je  la  reçoive; 
car,  dans  une  quinzaine  de  jours,  je  pourais  bien 
n'être  plus  ici.  Ma  femme  vous  prie  d'agréer  ses 
«>béissances:  recevez  mes  très-humbles  salutations 


ANNÉE    I7G8.  45 

LETTRE  DCCCXLVIL 

A  M.  DU  PEYROU. 

Bourgoin,  le  af)  septembre  1768. 

Je  reçois  en  ce  moment,  mon  cher  hôte,  votre 
lettre  du  ao,  et  j'y  apprends  les  progrès  ^le  votre 
rétablissement  avec  une  satisfaction  à  laquelle  il 
ne  manque  ,  pour  être  entière,  que  d'aussi  bonnes 
nouvelles  de  la  santé  de  la  bonne  maman.  Il  n'y 
a  rien  à  faire  à  sa  sciatique  que  d'attendre  les  trêves , 
et  prendre  patience  :  vous  êtes  dans  le  même  cas 
pour  votre  goutte;  et,  après  la  leçon  terrible  pour 
vous  et  pour  d'autres  que  vous  avez  reçue ,  j'espère 
que  vous  renoncerez  une  bonne  fois  à  la  fantaisie 
de  guérir  de  la  goutte ,  de  tourmenter  votre  esto- 
mac et  vos  oreilles,  et  de  vouloir  changer  votre 
constitution  avec  du  petit  lait ,  des  purgatifs ,  et 
des  drogues  ;  et  que  vous  prendrez  une  bonne 
fois  le  parti  de  suivre  et  d'aider ,  s'il  se  peut ,  la  na- 
ture, mais  non  de  la  contrarier. 

Je  ne  sais  pourquoi  vous  vous  imaginez  qu'il  a 
fallu ,  pour  me  marier  ,  quitter  le  nom  que  je 
porte  *  ;  ce  ne  sont  pas  les  noms  qui  se  marient , 
ce  sont  les  personnes  ;  et  quand,  dans  cette  simple 
et  sainte  cérémonie,  les  noms  entreraient  comme 
partie  constituante ,  celui  que  je  porte  aurait  suffi , 

Celui  de  Ronou,  qu'il  avait  pris  en  allant  habiter  le  château  de 
Trye. 


46  CORRESPONDANCE. 

puisque  je  n'en  reconnais  plus  d'autre.  S'il  s'a- 
gissait de  fortune  et  de  biens  qu'il  fallût  assurer, 
ce  serait  autre  chose;  mais  vous  savez  très -bien 
que  nous  ne  sommes  ni  elle  ni  moi  dans  ce  cas-là; 
chacun  des  deux  est  à  l'autre  avec  tout  son  être 
et  son  avoir,  voilà  tout. 

Pour  vous  mettre  au  fait  de  l'histoire  de  l'hon- 
nête Thevenin,  je  prends  le  parti  de  vous  faire 
passer,  par  M.  Boy  de  La  Tour,  copie  d'une  lettre 
que  j'écrivis,  il  y  a  huit  jours,  au  commandant  de 
notre  province,  et  qui  contient  la  relation  d'une 
entrevue  que  j'ai  eue  avec  ce  malheureux  qui  ne 
m'a  point  connu,  mais  qui  s'était  précautionné  là- 
dessus  d'avance,  en  disant  qu'il  ne  reconnaîtrait 
point  ledit  Rousseau,  s'il  le  voyait.  A  l'égard  du 
temps,  Thevenin  disait  d'abord  dix  ans,  mais  ensuite 
il  a  rapproché  l'époque,  et  il  l'a  laissée  assez  vague 
pour  qu'elle  puisse  cadrer  à  tout.  Les  anachro- 
nismes  et  les  contradictions  ne  lui  font  rien  du 
tout,  attendu  qu'à  toutes  les  objections  qu'on  peut 
lui  faire,  il  a  cette  réponse  péremptoire  qu'il  est 
trop  honnête  homme  et  trop  bon  chrétien  pour 
vouloir  tromper;  ce  qui  n'a  pourtant  pas  empêché 
cet  honnête  homme  et  ce  bon  chrétien  d'être  ci- 
devant  condamné  aux  galères,  comme  je  l'ai  appris 
de  M.  Roguin.  Au  reste,  je  n'ai  aucune  réponse  ni 
de  M.  Guyenet,  ni  d'aucun  de  ceux  à  qui  j'ai  éciit 
au  Val-de-Travers  ;  ce  qui  peut  venir  de  l'adresse 
que  je  leur  ai  donnée ,  savoir  celle  de  M.  le  comte 
de  Tonnerre,  commandant  duDauphiné,  qui  yicr- 
mettait  que  pour  plus  de  sûreté  je  lui  fisse  adresser 


mes  lettres,  et  jusqu'ici  il  me  les  avait  fait  passer 
très-fidèlement;  mais  depuis  une  quinzaine  de  jours 
il  est  en  campagne  ,  et  je  n'ai  plus  de  lui  ni  lettres 
ni  réponses. 

Pouviez-vous  espérer ,  mon  cher  hôte  que  la  li- 
berté se  maintiendrait  chez  vous,  vous  qui  devez 
savoir  qu'il  ne  reste  plus  nulle  part  de  liberté  sur 
la  terre,  si  ce  n'est  dans  le  cœur  de  l'homme  juste, 
d'où  rien  ne  la  peut  chasser?  Il  me  semble  aussi , 
je  l'avoue,  que  vos  peuples  n'usaient  pas  de  la  leur 
en  hommes  libres,  mais  en  gens  effrénés.  Ils  igno- 
raient trop,  ce  me  semble,  que  la  liberté,  de  quel- 
que manière  qu'on  en  jouisse ,  ne  se  maintient  qu'a- 
vec de  grandes  vertus.  Ce  qui  me  fâche  d'eux  est 
qu'ils  avaient  d'abord  les  vices  de  la  licence,  et 
qu'ils  vont  tomber  maintenant  dans  ceux  de  la  ser- 
vitude. Partout  excès  :  la  vertu  seule ,  tlont  on  ne 
s'avise  jamais ,  ferait  le  milieu. 

Recevez  mes  remerciements  des  papiers  que  vous 
avez  remis  à  notre  amie, et  qui  pourront  me  don- 
ner quelque  distraction  dont  j'ai  grand  besoin.  Je 
vous  remercie  aussi  des  plantes  que  vous  aviez 
chargé  Gagnebin  de  recueillir ,  quoiqu'il  n'ait  pas 
rempli  votre  intention.  C'est  de  cette  bonne  inten- 
tion que  je  vous  remercie;  elle  me  flatte  plus  que 
toutes  les  plantes  du  monde.  Les  tracas  éternels 
qu'on  me  fait  souffrir  me  dégoûtent  un  peu  de  la 
botanique ,  qui  ne  me  paraît  un  amusement  déli- 
cieux qu'autant  qu'on  peut  s'y  livrer  tout  entier. 
Je  sens  que  poiu"  peu  que  l'on  rne  tourmente  en- 
core je  m'en  détacherai  tout-à-fait.  Je  n'ai  pas  laissé 


48  CORRESPONDA.NCE. 

]:>oiirtaiit  do  trouver  en  ce  pays  quelques  plantes, 
sinon  jolies,  au  moins  nouvelles  pour  moi;  entre 
autres,  près  de  Grenoble,  VOsjris  et  le  Térébintlie ^ 
ici  le  Ccnchrus  racemosus  qui  m'a  beaucoup  surpris, 
parce  que  c'est  un  gramen  maritime;  rZ(;/;o^/^/j-, 
plante  parasite  qui  tient  de  l'orobanche  ;  le  Crépis 
foetida  qui  sent  l'amande  amère  à  pleine  gorge,  et 
quelques  autres  que  je  ne  me  rappelle  pas  en  ce 
moment.  Voilà,  mon  cher  hôte,  plus  de  botanique 
qu'il  n'en  faut  à  votre  stoïque  indifférence.  Vous 
pouvez  m'écrire  en  droiture  ici  sous  le  non  de 
Renou.  J'ai  grand  peur ,  s'il  ne  sui'vient  quelque 
amélioration  dans  mon  état  et  dans  mes  affaires, 
d'être  réduit  à  passer  avec  ma  femme  tout  l'hiver 
dans  ce  cabaret,  puisque  je  ne  trouve  pas  sur  la 
terre  luie  pierre  pour  y  poser  ma  tète. 


LETTRE  DCCCXLI. 

AU  MÊME. 

Bourgoin,  le  a  octobre  17 68. 

Quelle  affreuse  nouvelle  vous  m'apprenez,  mon 
cher  ho  te,  et  que  mon  cœur  en  est  affecté!  Je  res- 
sens le  cruel  accident  de  votre  pauvre  maman 
comme  elle,  ou  plutôt  comme  vous,  et  c'est  tout 
dire.  Une  jambe  cassée  est  un  malhein-  que  mon 
père  eut  étant  déjà  vieux ,  et  qui  lui  arriva  de  même 
en  se  promenant,  tandis  que  dans  ses  terribles  fa- 
tigues de  chasse,  qu'il  aimait  à  la  passion,  jamais 


il  n'avait  eu  le  moindre  accident.  Sa  jambe  guérit 
très-facilement  et  très-bien ,  malgré  son  âge;  et  j'es- 
pérerais la  même  chose  de  madame  la  comman- 
dante, si  la  fracture  n'était  dans  une  place  où  le 
traitement  est  incomparablement  plus  difficile  et 
plus  douloureux.  Toutefois,  avec  beaucoup  de  rési- 
gnation ,  de  patience  ,  de  temps  ,  et  les  soins  d'un 
homme  habile ,  la  cure  est  également  possible ,  et 
il  n'est  pas  déraisonnable  de  l'espérer.  C'est  tout 
ce  qu'il  m'est  permis  de  dire ,  dans  cette  fatale  cir- 
constance ,  pour  notre  commune  consolation.  Ce 
malheur  fait  aux  miens  ,  dans  mon  cœur,  une  di- 
version bien  fimeste ,  mais  réelle  pourtant,  en  ce 
qu'au  sentiment  des  maux  de  ceux  qui  nous  sont 
chers  ,  se  joint  l'impression  tendre  de  notre  atta- 
chement pour  eux,  qui  n'est  jamais  sans  quelque 
douceur  ;  au  lieu  que  le  sentiment  de  nos  propres 
maux,  quand  ils  sont  grands  et  sans  remède,  n'est 
que  sec  et  sombre  ;  il  rie  porte  aucun  adoucisse- 
ment avec  soi.  Yous  n'attendez  pas  de  moi,  mon 
cher  hôte  ,  les  froides  et  vaines  sentences  des  gens 
qui  ne  sentent  rien  ;  on  ne  trouve  guère  pour  ses 
amis  les  consolations  qu'on  ne  peut  trouver  pour 
soi-même.  Mais  cependant  je  ne  puis  m'empêcher 
de  remarquer  que  votre  affliction  ne  raisonne  pas 
juste  quand  elle  s'irrite  par  l'idée  que  ce  triste 
événement  n'est  pas  dans  l'ordre  des  choses  atta- 
chées à  la  condition  humaine.  Rien ,  mon  cher  hôte, 
n'est  plus  dans  cet  ordre  que  les  accidents  impré- 
vus qui  troublent,  altèrent ,  et  abrègent  la  vie.  C'est 
avec  cette  dépendance  que  nous  sommes  nés;  elle 
Vx.  xxn,  4 


5o  CORRESPONDi^CE. 

est  attachée  à  notre  nature  et  à  notre  constitution. 
S'il  y  a  des  coups  qu'on  doive  endurer  avec  patience, 
ce  sont  ceux  qui  nous  viennent  de  l'inflexible  né- 
cessité, et  auxquels  aucune  volonté  humaine  n'a 
concouru.  Ceux  qui  nous  sont  portés  par  les  mains 
des  méchants  sont,  à  mon  gré,  beaucoup  plus  in- 
supportables ,  parce  que  la  nature  ne  nous  fit  pas 
pour  les  souffrir.  Mais  c'est  déjà  trop  moraliser. 
Donnez-moi  fréquemment,  mon  cher  hôte,  des  nou- 
velles de  la  malade;  dites-lui  souvent  aussi  combien 
mon  cœur  est  navré  de  ses  souffrances,  et  com- 
bien de  vœux  je  joins  aux  vôtres  pour  sa  guérison. 

J'ai  reçu  par  M.  le  comte  de  Tonnerre  une  lettre 
du  lieutenant  Guyenet ,  laquelle  m'en  promet  une 
autre  que  j'attends  pour  lui  faire  des  remercie- 
ments. A  présent  ledit  Thevenin  est  bien  convaincu 
d'être  un  imposteur.  M.  de  Tonnerre ,  qui  m'avait 
positivement  promis  toute  protection  dans  cette 
affaire ,  me  marque  qu'il  lui  imposera  silence.  Que 
dites-vous  de  cette  manière  de  rendre  justice  ?  c'est 
comme  si,  après  qu'un  homme  aurait  pris  ma 
bourse ,  au  lieu  de  me  la  faire  rendre ,  on  lui  or- 
donnait de  ne  me  plus  voler.  En  toute  chose  voilà 
comme  je  suis  traité. 

Je  vous  ai  déjà  marqué  que  vous  pouvez  m'é- 
crire  ici  en  droiture  sous  le  nom  de  Renou  ;  vous 
pouvez  continuer  aussi  d'employer  la  même  adresse 
dont  vous  vous  servez;  cela  me  paraît  absolument 
égal. 


ANNÉE    1768.  5l 

LETTRE  DCCCXLTX. 

A  M.  LALLIAUD. 

Bourgoin,  le  5  octobre  1768. 

Votre  lettre,  monsieur,  du  29  septembre,  m'est 
parvenue  en  son  temps ,  mais  sans  le  duplicata  ;  et 
je  suis  d'avis  que  vous  ne  vous  donniez  plus  la  peine 
d'en  faire  par  cette  voie ,  espérant  que  vos  lettres 
continueront  à  me  parvenir  en  droiture,  ayant 
peut-être  été  ouvertes  ;  mais  n'importe  pas ,  pourvu 
qu'elles  parviennent.  Si  j'aperçois  une  interrup- 
tion ,  je  chercherai  une  adresse  intermédiaire  ici , 
si  je  puis,  ou  à  Lyon, 

Je  suis  bien  touché  de  vos  soins  et  de  la  peine 
qu'ils  vous  donnent,  à  laquelle  je  suis  très-sûr  que 
vous  n'avez  pas  regret  ;  mais  il  est  superflu  que 
vous  continuiez  d'en  prendre  au  sujet  de  ce  coquin 
de  Thevenin ,  dont  l'imposture  est  maintenant  dans 
un  degré  d'évidence  auquel  M.  de  Tonnerre  lui- 
même  ne  peut  se  refuser.  Savez-vous  là-dessus 
quelle  justice  il  se  propose  de  me  rendre ,  après 
m'avoir  promis  la  protection  la  plus  authentique 
pour  tirer  cette  affaire  au  clair?  c'est  d'imposer 
silence  à  cet  homme  ;  et  moi  toute  la  peine  que  je 
me  suis  donnée  était  dans  l'espoir  qu'il  le  force- 
rait de  parler.  Ne  parlons  plus  de  ce  misérable  ni 
de  ceux  qui  l'ont  mis  en  jeu.  Je  sais  que  l'impunité 
de  celui-ci  va  les  mettre  à  leur  aise  pour  en  sus- 

4. 


52  CORRESPONDAIYCE. 

citer  mille  autres;  et  c'était  pour  cela  qu'il  m'im- 
portait de  démasquer  le  premier.  Je  l'ai  fait,  cela 
me  suffit  :  il  en  viendrait  maintenant  cent  par  jour 
que  je  ne  daignerais  pas  leur  répondre. 

Quoique  ma  situation  devienne  plus  cruelle  de 
jour  en  jour,  que  je  me  voie  réduit  à  passer  dans 
im  cabaret  l'hiver  dont  je  sens  déjà  les  atteintes, 
et  qu'il  ne  me  reste  pas  une  pierre  pour  y  poser 
ma  tête,  il  n'y  a  point  d'extrémité  que  je  n'endure 
plutôt  que  de  retourner  à  Trye  ;  et  vous  ne  me 
proposeriez  sûrement  pas  ce  retour  si  vous  saviez 
ce  qu'on  m'y  a  fait  souffrir,  et  entre  les  mains  de 
quelles  gens  j'étais  tombé  là.  Je  frémis  seulement 
à  y  songer  :  n'en  reparlons  jamais,  je  vous  prie. 

Plus  je  réfléchis  aux  traitements  que  j'éprouve, 
moins  je  puis  comprendre  ce  qu'on  me  veut.  Ega- 
lement tourmenté ,  quelque  parti  que  je  prenne , 
je  n'ai  la  liberté  ni  de  rester  où  je  suis,  ni  d'aller 
où  je  veux  ;  je  ne  puis  pas  même  obtenir  de  savoir 
où  l'on  veut  que  je  sois ,  ni  ce  qu'on  veut  faire  de 
moi.  J'ai  vainement  désiré  qu'on  disposât  ouverte- 
ment de  ma  personne;  ce  serait  me  mettre  en  re- 
pos ,  et  voilà  ce  qu'on  ne  veut  pas.  Tout  ce  que  je 
sens  est  qu'on  est  importuné  de  mon  existence, 
et  qu'on  veut  faire  en  sorte  que  je  le  sois  moi- 
même  ;  il  est  impossible  de  s'y  prendre  mieux  pour 
cela.  Il  m'est  cent  fois  venu  dans  l'esprit  de  pro- 
poser mon  transport  en  Amérique ,  espérant  qu'on 
voudrait  bien  m'y  laisser  tranquille ,  en  quoi  je  crois 
bien  que  je  me  flattais  trop;  mais  enfin  j'en  aurais 
fait  de  bon  cœur  la  tentative  si  nous  étions  plus  en 


ANNÉE    1768.  53 

état ,  ma  femme  et  moi ,  d'en  supporter  le  voyage 
et  l'air.  Il  me  vient  une  autre  idée  dont  je  veux  vous 
parler,  et  que  ma  passion  pour  la  botanique  m'a 
fait  naître  ;  car ,  voyant  qu'on  ne  voulait  pas  me 
laisser  herboriser  en  repos,  j'ai  voulu  quitter  les 
plantes;  mais  j'ai  vu  que  je  ne  pouvais  plus  m'en 
passer  :  c'est  une  distraction  qui  m'est  nécessaire 
absolument;  c'est  un  engouement  d'enfant,  mais 
qui  me  durera  toute  ma  vie. 

Je  voudrais,  monsieur,  trouver  quelque  moyen 
d'aller  la  finir  dans  les  îles  de  l'Archipel ,  dans  celle 
de  Chypre ,  ou  dans  quelque  autre  coin  de  la  Grèce  ; 
il  ne  m'importe  où,  pourvu  que  je  trouve  un  beau 
climat  fertile  en  végétaux,  et  que  la  charité  chré- 
tienne ne  dispose  plus  de  moi.  J'ai  dans  l'esprit 
que  la  barbarie  turque  me  sera  moins  cruelle.  Mal- 
heureusement ,  pour  y  aller ,  pour  y  vivre  avec  ma 
femme,  j'ai  besoin  d'aide  et  de  protection.  Je  ne 
saurais  subsister  là-bas  sans  ressource  ;  et  sans 
quelque  faveur  de  la  Porte ,  ou  quelque  recom- 
mandation du  moins  pour  quelqu'un  des  consuls 
qui  résident  dans  le  pays,  mon  établissement  y 
serait  totalement  impossible.  Comme  je  ne  serais 
pas  sans  espoir  d'y  rendre  mon  séjour  de  quelque 
utilité  au  progrès  de  l'histoire  naturelle  et  de  la 
botanique,  je  croirais  pouvoir  à  ce  titre  obtenir 
quelque  assistance  des  souverains  qui  se  font  hon- 
neur de  le  favoriser.  Je  ne  suis  pas  un  Tournefort, 
ni  un  Jussieu  ;  mais  aussi  je  ne  ferais  pas  ce  tra- 
vail en  passant ,  plein  d'autres  vues  et  par  tâche  : 
je  m'y  livrerais  tout  entier,  uniquement  par  plai- 


54  CORRESPONDANCE. 

sir,  et  jusqu'à  la  mort.  Le  goût,  l'assiduité ,  la  con- 
stance ,  peuvent  suppléer  à  beaucoup  de  connais- 
sances, et  même  les  donner  à  la  fin.  Si  j'avais 
encore  ma  pension  du  roi  d'Angleterre,  elle  me 
suffirait,  et  je  ne  demanderais  rien,  sinon  qu'on 
favorisât  mon  passage ,  et  qu'on  m'accordât  quel- 
que recommandation.  Mais,  sans  y  avoir  renoncé 
formellement,  je  me  suis  mis  dans  le  cas  de  ne 
pouvoir  demander ,  ni  désirer  même  honnêtement 
qu'elle  me  soit  continuée  ;  et  d'ailleurs ,  avant  d'al- 
ler m'exiler  là  pour  le  reste  de  mes  jours,  il  me 
faudrait  quelque  assurance  raisonnable  de  n'y  pas 
être  oublié  et  laissé  mourir  de  faim.  J'avoue  qu'en 
faisant  usage  de  mes  propres  ressources ,  j'en  trou- 
verais dans  le  fruit  de  mes  travaux  passés  de  suf- 
fisantes pour  subsister  où  que  ce  fût  ;  mais  cela 
demanderait  d'autres  arrangements  que  ceux  qui 
subsistent,  et  des  soins  que  je  ne  suis  plus  en  état 
d'y  donner.  Pardon,  monsieur  :  je  vous  expose 
bien  confusément  l'idée  qui  m'est  venue ,  et  les 
obstacles  que  je  vois  à  son  exécution.  Cependant, 
comme  ces  obstacles  ne  sont  pas  insurmontables , 
et  que  cette  idée  m'offre  le  seul  espoir  de  repos 
qui  me  reste,  j'ai  cru  devoir  vous  en  parler,  afin 
que,  sondant  le  terrain,  si  l'occasion  s'en  présente, 
soit  auprès  de  quelqu'un  qui  ait  du  crédit  à  la 
cour ,  et  des  protecteurs  que  vous  me  connaissez , 
soit  pour  tâcher  de  savoir  en  quelle  disposition 
l'on  serait  à  celle  de  Londres  pour  protéger  mes 
herborisations  dans  l'Archipel,  vous  puissiez  me 
marquer  si  l'exil  dans  ce  pays-là  que  je  désire  peut 


ANNÉE    1768.  55 

être  favorisé  d'un  des  deux  souverains.  Au  reste , 
il  n'y  a  que  ce  moyen  de  le  rendre  praticable ,  et 
je  ne  nie  résoudrai  jamais,  avec  quelque  ardeur 
que  je  le  désire ,  à  recourir  pour  cela  à  aucun  par- 
ticulier, quel  qu'il  soit.  La  voie  la  plus  courte  et  la 
plus  sûre  de  savoir  là-dessus  ce  qui  se  peut  faire 
serait,  à  mon  avis ,  de  consulter  madame  la  maré- 
chale de  Luxembourg.  J'ai  même  une  si  pleine 
confiance ,  et  dans  sa  bonté  pour  moi ,  et  dans  ses 
lumières,  que  je  voudrais  que  vous  ne  parlassiez 
d'abord  de  ce  projet  qu'à  elle  seule ,  que  vous 
ne  fissiez  là -dessus  que  ce  qu'elle  approuvera,  et 
que  vous  n'y  pensiez  plus  si  elle  le  juge  imprati- 
cable. Vous  m'avez  écrit,  monsieur,  de  compter 
sur  vous.  Voilà  ma  réponse.  Je  mets  mon  sort  dans 
vos  mains  ,  autant  qu'il  peut  dépendre  de  moi. 
Adieu,  monsieur;  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 


LETTRE  DCCCL. 

A  M.  MOULTOU. 

Bourgoin,  le  10  octobre  1768. 

Vos  lettres,  monsieur,  me  sont  parvenues.  Je 
ne  répondis  point  à  la  première ,  parce  que  vous 
m'annonciez  votre  prochain  départ  de  Genève; 
mais  j'y  crus  voir  de  votre  part  la  continuation 
d'une  amitié  à  laquelle  je  serai  toujours  sensible  , 
et  j'y  trouvai  la  clef  de  bien  des  mystères  auxquels 


56  COKKESPOJVDANCE. 

depuis  longtemps  je  ne  comprenais  rien.  Cela  m'a 
fait  rompre,  im  peu  imprudemment  peut-être, 
avec  des  ingrats  dont  j'ai  plus  à  craindre  qu'à  es- 
pérer, après  m'étre  perdu  pour  leur  service;  mais 
mon  horreur  pour  toute  espèce  de  déguisement 
augmente  avec  l'effet  de  ceux  dont  je  suis  la  vic- 
time. Aussi -bien,  dans  l'état  où  l'on  m'a  réduit, 
je  puis  désormais  être  franc  impunément  ;  je  n'en 
deviendrai  pas  plus  misérable. 

J'ignore  absolument  ce  que  c'est  que  le  château 
de  Lavagnac,  à  qui  il  appartient,  sur  quel  pied 
j'y  pourrais  loger ,  s'il  est  habitable  pour  moi ,  c'est- 
à-dire  à  ma  manière,  et  meublé;  en  un  mot,  tout 
ce  qui  s'y  rapporte,  hors  le  peu  que  vous  m'en 
dites  dans  votre  dernière  lettre ,  et  qui  me  paraît 
très-attrayant.  Coindet  ne  m'en  a  jamais  parlé  ,  et 
cela  ne  m'étonne  guère.  Votre  courte  description 
du  local  est  charmante.  Vous  m'offrez  de  m'en  dire 
davantage ,  et  même  d'aller  prendre  des  éclaircis- 
sements sur  les  lieux.  Je  suis  bien  tenté  de  vous 
prendre  au  mot  :  car  aller  habiter  un  si  beau  lieu , 
moi  qui  n'ai  d'asile  qu'au  cabaret;  vous  voir  en 
passant;  être  voisin  de  M.  Venel,  pour  lequel  j'ai 
la  plus  véritable  estime  :  tout  cela  m'attire  assez 
fortement  pour  me  déterminer  probablement  tout- 
à-fait,  pour  peu  que  les  convenances  dont  j'ai  be- 
soin s'y  rencontrent.  A  l'égard  du  profond  secret  que 
vous  me  promettez ,  vous  n'en  êtes  plus  le  maître  ; 
ne  laissez  pourtant  pas  de  le  garder  autant  qu'il 
vous  sera  possible;  je  vous  en  prie  instamment, 
puisque  votre  lettre  a  été  ouverte  ,  quoique  celle 


ANNÉE    1768.  57 

qui  lui  servait  d'enveloppe  ne  l'ait  pas  été.  Avis 
au  lecteur. 

J'apprends  avec  le  plus  vrai  plaisir  que  votre 
voyage  a  été  salutaire  à  la  santé  de  madame  Moul- 
tou  :  mon  empressement  de  vous  voir  est  encore 
augmenté  par  le  désir  d'être  connu  d'elle ,  et  de 
lui  agréer.  Si  je  n'obtiens  pas  qu'elle  approuve 
votre  amitié  pour  moi ,  et  qu'elle  en  suive  l'exem- 
ple ,  je  réponds  au  moins  que  ce  ne  sera  pas  ma 
faute;  mais,  comme  je  désire  m'arréter  un  peu  à 
Montpellier  pour  voir  M.  Gouan  et  le  Jaiidin  des 
Plantes ,  je  ne  logerai  pas  chez  vous.  Je  vous  prie- 
rai seulement  de  me  chercher  deux  chambres  dans 
votre  voisinage,  et  qui  n'empêcheront  pas,  si  je  ne 
vous  importune  point,  que  vous  ne  me  voyiez  chez 
vous  presque  autant  que  si  j'y  logeais,  à  condition 
que  vous  ne  fermerez  pour  cela  votre  porte  à  per- 
sonne :  les  sociétés  bonnes  pour  vous  seront  sûre- 
ment très-bonnes  pour  moi;  et  si  je  ne  suis  pas 
bon  pour  elles ,  ce  ne  sera  pas  la  faute  de  ma  vo- 
lonté. 

Vous  savez  sûrement  que  ma  gouvernante,  et 
mon  amie,  et  ma  sœur,  et  mon  tout,  est  enfin 
devenue  ma  femme.  Puisqu'elle  a  voulu  suivre 
mon  sort  et  partager  toutes  les  misères  de  ma  vie , 
j'ai  dû  faire  au  moins  que  ce  fût  avec  honneur. 
Vingt-cinq  ans  d'union  des  cœurs  ont  produit  en- 
fin celle  des  personnes.  L'estime  et  la  confiance 
ont  formé  ce  lien.  S'il  s'en  formait  plus  souvent 
sous  les  mêmes  auspices ,  il  y  en  aurait  moins  de 
malheureux.  Madame  Renou  ne  sera  point  l'orne- 


58  CORRESPONDANCE. 

ment  d'un  cercle  ,  et  les  belles  dames  riront  d'elle 
sans  que  cela  la  fâche  ;  mais  elle  sera,  jusqu'à  la  fin 
de  mes  jours ,  la  plus  douce  consolation ,  peut-être 
l'unique  d'un  homme  qui  en  a  le  plus  grand  besoin. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Vous  pouvez  m'écrire  en  droiture  à  M.  Renou , 
à  Bourgoin  en  Dauphiné. 


LETTRE   DCCCLI. 

A  M.  LAI^LIAUD. 

Bourgoin,  le  2 3  octobre  1768. 

J'ai,  monsieur,  votre  lettre  du  i3  et  les  autres. 
Je  ne  vous  ferai  point  d'autres  remerciements  des 
peines  que  je  vous  donne  que  d'en  profiter  ;  il  en  est 
pourtant  que  je  voudrais  vous  éviter,  comme  celle 
des  duplicata  de  vos  lettres"  que  vous  prenez  inu- 
tilement, puisqu'il  est  de  la  dernière  évidence  que, 
si  l'on  prenait  le  parti  de  supprimer  vos  lettres ,  on 
supprimerait  encore  plus  certainement  les  dupli- 
cata. 

Je  sens  l'impossibilité  d'exécuter  mon  projet: 
vos  raisons  sont  sans  réplique  ;  mais  je  ne  conviens 
pas  qu'en  supposant  cette  exécution  possible ,  ce 
seiait  donner  plus  beau  jeu  à  mes  ennemis  ;  je  suis 
certain  de  ne  pouvoir  pas  plus  éviter  en  France 
qu'en  Angleterre  de  tomber  dans  les  mains  de 
leurs  satellites  ;  au  lieu  que  les  pachas  ne  se  piquant 
pas  de  philosophie ,  et  n'étant  que  médiocrement 


ANNÉE    1768.  59 

galants ,  les  Machiavels  et  leurs  amies  ne  dispose- 
raient pas  tout-à-fait  aussi  aisément  d'eux  que  de 
ceux  d'ici.  Le  projet  que  vous  substituez  au  mien, 
savoir,  celui  de  ma  retraite  dans  les  Cévennes,  a- 
été  le  premier  des  miens  en  songeant  à  quitter 
Trye  ;  je  le  proposai  à  M.  le  prince  de  Conti ,  qui 
s'y  opposa  et  me  força  de  l'abandonner.  Ce  projet 
eût  été  fort  de  mon  goût ,  et  le  serait  encore  ; 
mais  je  vous  avoue  qu'une  habitation  tout-à-fait 
isolée  m'effraie  un  peu  depuis  que  je  vois  dans 
ceux  qui  disposent  de  moi  tant  d'ardeur  à  m'y  con- 
finer. Je  ne  sais  ce  qu'ils  veulent  faire  de  moi  dans 
un  désert;  mais  ils  m'y  veulent  entraîner  à  toute 
force,  et  je  ne  doute  pas  que  ce  ne  soit  l'une  des 
raisons  qui  les  a  portés  à  me  chasser  de  Trye ,  dont 
l'habitation  ne  leur  paraissait  pas  encore  assez  so- 
litaire pour  leur  objet,  quoique  le  vœu  commun 
de  son  altesse  ,  de  madame  la  maréchale ,  et  le 
mien  ,  fût  que  j'y  finisse  mes  jours.  S'ils  n'avaient 
voulu  que  s'assurer  de  moi ,  me  diffamer  à  leur 
aise ,  sans  que  jamais  je  pusse  dévoiler  leurs  trames 
aux  yeux  du  public,  ni  même  les  pénétrer  ,  c'était 
là  qu'ils  devaient  me  tenir ,  puisque ,  maîtres  ab- 
solus dans  la  maison  du  prince  où  il  n'a  lui-même 
aucun  pouvoir,  ils  y  disposaient  de  moi  tout  à 
leur  gré.  Cependant ,  après  avoir  tâché  de  me  dis- 
suader d'y  rentrer  et  de  me  persuader  d'en  sortir, 
trouvant  ma  volonté  inébranlable,  ils  ont  fini  par 
m'en  chasser  de  vive  force  par  les  mains  du  sacri- 
pan  que  le  maître  avait  chargé  de  me  protéger, 
mais  qui  se  sentait  trop  bien  protégé  ici ,  même 


6o  CORRESPONDANCE. 

par  d'autres,  pour  avoir  peur  de  désobéir.  Que  me 
veulent-ils  maintenant  qu'ils  me  tiennent  tout-à- 
fait?  Je  l'ignore  ;  je  sais  seulement  qu'ils  ne  me  veu- 
lent ni  à  Trye,  ni  dans  une  ville,  ni  au  voisinage 
d'aucun  ami ,  ni  même  au  voisinage  de  personne , 
et  qu'ils  ne  veulent  autre  chose  encore  que  simple- 
ment de  s'assurer  de  moi.  Convenez  que  voilà  de 
quoi  donner  à  penser.  Comment  le  prince  me  pro- 
tégera-t-il  ailleurs  s'il  n'a  pu  me  protéger  dans  sa 
maison  même?  Que  deviendrai -je  dans  ces  mon- 
tagnes si  je  vais  m'y  fourrer  sans  préliminaire, 
sans  connaissance,  et  sûr  d'être,  comme  partout, 
la  dupe  et  la  victime  du  premier  fourbe  qui  vien- 
dra me  circonvenir  ?  Si  nous  prenons  des  arrange- 
ments d'avance,  il  arrivera  ce  qui  est  toujours  ar- 
rivé ,  c'est  que  M.  le  prince  de  Conti  et  madame 
la  maréchale  ne  pouvant  les  cacher  aux  machia- 
vélistes  qui  les  entourent,  et  qui  se  gardent  bien 
de  laisser  voir  leurs  desseins  secrets ,  leur  donne- 
ront le  plus  beau  jeu  du  monde  pour  dresser  d'a- 
vance leurs  batteries  dans  le  lieu  que  je  dois  habi- 
ter. Je  serai  attendu  là ,  comme  je  l'étais  à  Grenoble , 
et  comme  je  le  suis  partout  où  l'on  sait  que  je  veux 
aller.  Si  c'est  une  maison  isolée  ,  la  chose  leur  sera 
cent  fois  plus  commode  :  ils  n'auront  à  corrompre 
que  les  gens  dont  je  dépendrai  pour  tout  et  en 
tout.  Si  ce  n'était  que  pour  m'espionner ,  à  la 
bonne  heure,  et  très -peu  m'importe.  Mais  c'est 
pour  autre  chose ,  comme  je  vous  l'ai  prouvé  ;  et 
pourquoi?  Je  l'ignore,  et  je  m'y  perds;  mais  con-^ 
venez  que  le  doute  n'est  pas  attirant. 


ANNKF.    1768.  61 

Voilà ,  monsieur ,  des  considérations  que  je  vous 
prie  de  bien  peser,  à  quoi  j'ajoute  les  incommo- 
dités infinies  d'une  habitation  isolée  pour  un  étran- 
ger, à  mon  âge  et  dans  mon  état,  la  dépense  au 
moins  triple,  les  idées  terribles  auxquelles  je  dois 
être  en  proie ,  ainsi  séquestré  du  genre  humain , 
non  volontairement  et  par  goût,  mais  par  force 
et  pour  assouvir  la  rage  de  mes  oppresseurs  :  car 
d'ailleurs  je  vous  jure  que  mon  même  goût  pour 
la  solitude  est  plutôt  augmenté  que  diminué  par 
mes  infortunes;  et  que,  si  j'étais  pleinement  libre 
et  maître  de  mon  sort,  je  choisirais  la  plus  pro- 
fonde retraite  pour  y  finir  mes  jours.  Bien  plus, 
une  captivité  déclarée  n'aurait  rien  de  pénible  et 
de  triste  pour  moi.  Qu'on  me  traite  comme  on 
voudra,  pourvu  que  ce  soit  ouvertement,  je  puis 
tout  souffrir  sans  murmure;  mais  mon  cœur  ne 
peut  tenir  aux  flagorneries  d'un  sot  fourbe  qui  se 
croit  fin  parce  qu'il  est  faux.  J'étais  tranquille  aux 
cailloux  des  assassins  de  Motiers ,  et  ne  puis  l'être 
aux  phrases  des  admirateurs  de  Grenoble. 

Il  faut  vous  dire  encore  que  ma  situation  pré- 
sente est  trop  désagréable  et  violente  pour  que  je 
ne  saisisse  pas  la  première  occasion  d'en  sortir; 
ainsi  des  arrangements  d'une  exécution  éloignée 
ne  peuvent  jamais  être  pour  moi  des  engagements 
absolus  qui  m'obligent  à  renoncer  aux  ressources 
qui  peuvent  se  présenter  dans  l'intervalle.  J'ai  dû, 
monsieur  ,  entrer  avec  vous  dans  ces  détails  aux- 
quels je  dois  ajouter  que  l'espèce  de  liberté  de  dis- 
poser de  moi,  que  mes  ressources  me  laissent. 


62  CORRESPONDANCE. 

n'est  pas  illimitée;  que  ma  situation  la  restreint 
tous  les  joiu's;  que  je  ne  puis  former  des  projets 
que  pour  deux  ou  trois  années ,  passé  lesquelles 
d'autres  lois  ordonneront  de  mon  sort  et  de  celui  de 
ma  compagne;  mais  l'avenir  éloigné  ne  m'a  jamais 
effrayé.  Je  sens  qu'en  général ,  vivant  ou  mort ,  le 
temps  est  pour  moi  ;  mes  ennemis  le  sentent  aussi , 
et  c'est  ce  qui  les  désole  :  ils  se  pressent  de  jouer 
de  leur  reste  ;  dès  maintenant  ils  en  ont  trop  fait 
pour  que  leurs  manœuvres  puissent  rester  long- 
temps cachées  ;  et  le  moment"  qui  doit  les  mettre 
en  évidence  sera  précisément  celui  où  ils  voudront 
les  étendre  sur  l'avenir.  Vous  êtes  jeune ,  mon- 
sieur ;  souvenez-vous  de  la  prédiction  que  je  vous 
fais,  et  soyez  sûr  que  vous  la  verrez  accomplie. 
Il  me  reste  maintenant  à  vous  dire  que ,  prévenu 
de  tout  cela  ,  vous  pouvez  agir  comme  votre  cœur 
vous  inspirera ,  et  comme  votre  raison  vous  éclai- 
rera :  plein  de  confiance  en  vos  sentiments  et  en 
vos  lumières ,  certain  que  vous  n'êtes  pas  homme 
à  servir  mes  intérêts  aux  dépens  de  mon  honneur , 
je  vous  donne  toute  ma  confiance.  Voyez  madame 
la  maréchale  ;  la  mienne  en  elle  est  toujours  la 
même.  Je  compte  également  et  sur  ses  bontés ,  et 
sur  celles  de  M.  le  prince  de  Conti;  mais  l'un  est 
subjugué ,  l'autre  ne  l'est  pas ,  et  je  ratifie  d'avance 
tout  ce  que  vous  résoudrez  avec  elle,  comme  fait 
pour  mon  plus  grand  bien.  A  l'égard  du  titre  dont 
vous  me  parlez,  je  tiendrai  toujours  à  très-grand 
honneur  d'appartenir  à  S.  A.  S.,  et  il  ne  tiendra 
pas  à  moi  de  le  mériter;  mais  ce  sont  de  ces  choses 


A.N1VÉE    1-768.  63 

qui  s'acceptent,  et  qui  ne  se  demandent  pas.  Je  ne 
suis  pas  encore  à  la  fin  de  mon  bavardage ,  mais 
je  suis  à  la  fin  de  mon  papier;  j'ai  pourtant  en- 
core à  vous  dire  que  l'aventure  de  Thevenin  a 
pix)duit  sur  moi  l'effet  que  vous  désiriez.  Je  me 
trouve  moi-même  fort  ridicule  d'avoir  pris  à  cœur 
une  pareille  affaire,  ce  que  je  n'aurais  pourtant 
pas  fait,  je  vous  jure,  si  je  n'eusse  été  sûr  que 
c'était  un  drôle  aposté.  Je  désirais,  non  par  ven- 
geance assurément,  mais  pour  ma  sûreté ,  qu'on  dé- 
voilât ses  instigateurs  :  on  ne  l'a  pas  voulu ,  soit  ;  il  en 
viendrait  mille  autres  que  je  ne  daignerais  pas  même 
répondre  à  ceux  qui  m'en  parleraient.  Bonjour, 
monsieur;  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

P.  S.  J'oubliais  de  vous  dire  que  mon  chamoi- 
seur  est  bien  le  cordonnier  de  M.  de  Tanley;  il 
apprit  le  métier  de  chamoiseur  à  Yverdun  après 
sa  retraite.  J'ai  fait  faire  en  Suisse  des  informa- 
tions, avec  la  déposition  juridique  et  légalisée  du 
cabaretier  Janin. 


LETTRE  DCCCLII. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Bourgoin,  le  3o  octobre  1768. 

Voici,  j'espère,  la  dernière  fois  que  j'aurai  à 
vous  parler  du  sieur  Thevenin ,  dont  je  n'entends 
plus  parler  moi-même.  Après  les  preuves  péremp- 


G4  CORRESPONDANCE. 

toires  que  j'ai  données  à  M,  de  Tonnerre  de  la 
fourberie  de  cet  imposteur ,  il  en  a  bien  fallu  con- 
venir à  la  fin ,  et  il  m'a  offert  de  le  punir  par  quel- 
ques jours  de  prison ,  comme  si  le  but  de  tous  les 
soins  que  j'ai  pris  et  que  j'ai  donnés  à  ce  sujet, 
était  le  châtiment  de  ce  misérable.  Vous  croyez 
bien  que  je  n'ai  pas  accepté.  L'imposteur  étant 
convaincu,  rien  n'était  plus  aisé  que  de  le  faire 
parler  et  de  remonter  peut-être  à  la  source  de 
ce  complot  profondément  ténébreux  dont  je  suis 
la  victime  depuis  plusieurs  années,  et  dont  je  dois 
l'être  jusqu'à  ma  mort.  Je  mie  le  tiens  pour  dit; 
et  prenant  enfin  mon  parti  sur  les  manœuvres 
:des  hom^mes ,  je  les  laisserai  désormais  ourdir  et 
tramer  leurs  iniquités ,  certain ,  quoi  qu'ils  puissent 
faire,  que  le  temps  et  la  vérité  seront  plus  forts 
qu'eux.  Ce  qu'il  me  reste  de  toute  cette  affaire  est 
un  tendre  souvenir  des. soins  que  mes  amis  ont 
bien  voulu  se  donner  en  cette  occasion,  pour 
confondre  l'imposture  ,  et  je  suis  en  particulier 
très-sensible  à  l'activité  de  M.  Guyenet,  dont  je 
n'avais  pas  le  même  droit  d'en  attendre ,  et  avec 
qui  je  n'étais  plus  en  relation.  J'apprends  qu'il 
commence  à  se  ranger,  et  je  m'en  réjouis  de  tout 
mon  cœur ,  pour  le  bonheur  de  son  excellente  pe- 
tite femme  et  le  sien.  Je  finis,  mon  cher  hôte,  un 
peu  à  la  hâte,  en  vous  embrassant  au  nom  de  ma 
femme  et  au  mien.  J'embrasse  M.  Jeannin, 


ANNEE    in 


68.  65 


LETTRE  DCCCLIIL 

A  M.  LALLIAUD. 

Bourgoln,  le  2  novembre  1768. 

Depuis  la  dernière  lettre ,  monsieur,  que  je  vous 
ai  écrite,  et  dont  je  n'ai  pas  encore  la  réponse, 
j'ai  reçu  de  M.  le  duc  de  Choiseul  un  passe-port 
que  je  lui  avais  demandé  pour  sortir  du  royaume, 
il  y  a  près  de  six  semaines ,  et  auquel  je  ne  son- 
geais plus.  Me  sentant  de  plus  en  plus  dans  l'abso- 
lue nécessité  de  me  servir  de  ce  passe-port,  j'ai 
délibéré ,  dans  la  cruelle  extrémité  où  je  me  trouve, 
et  dans  la  saison  où  nous  sommes,  sur  l'usage  que 
j'en  ferais,  ne  voulant  ni  ne  pouvant  le  laisser  écou- 
ler comme  l'autre.  Vous  serez  étonné  du  résultat  de 
ma  délibération ,  faite  pourtant  avec  tout  le  poids, 
tout  le  sang  froid,  toute  la  réflexion  dont  je  suis 
capable  ;  c'est  de  retourner  en  Angleterre,  et  d'y 
aller  finir  mes  jours  dans  ma  solitude  de  Wootton. 
Je  crois  cette  résolution  la  plus  sage  que  j'aie  prise 
en  ma  vie,  et  j'ai,  pour  un  des  garants  de  sa  soli- 
dité ,  l'horreur  qu'il  m'a  fallu  surmonter  pour  la 
prendre,  et  telle  qu'en  cet  instant  même  je  n'y 
puis  penser  sans  frémir.  Je  ne  puis  ,  monsieur, 
vous  en  dire  davantage  dans  une  lettre  ;  mais  mon 
parti  est  pris,  et  je  m'y  sens  inébranlable,  à  pro- 
portion de  ce  qu'il  m'en  a  coûté  pour  le  prendre. 
Voici  une  lettre  qui  s'y  rapporte ,  et  à  laquelle  je 

K.    XXII.  5 


G6  CORRESPONDANCE. 

VOUS  prie  de  vouloir  bien  donner  cours.  J'écris 
à  M.  l'ambassadeur  d'Angleterre  ;  mais  je  ne  sais 
s'il  est  à  Paris.  Vous  m'obligeriez  de  vouloir  bien 
vous  en  informer  ;  et ,  si  vous  pouviez  même 
parvenir  à  savoir  s'il  a  reçu  ma  lettre  ,  vous  feriez 
une  bonne  œuvre  de  m'en  donner  avis;  car,  tan- 
dis que  j'attends  ici  sa  réponse,  mon  passe-port 
s'écoule  et  le  temps  est  précieux.  Vous  êtes  trop 
clairvoyant  pour  ne  pas  setitir  combien  il  m'im- 
porte que  la  résolution  que  je  vous  communique 
demeure  secrète,  et  secrète  sans  exception:  tou- 
tefois je  n'exige  rien  de  vous  que  ce  que  la  pru- 
dence et  votre  amitié  en  exigeront.  Si  M.  l'ambassa- 
deur d'Angleterre  ébruite  ce  dessein  ,  c'est  tout 
autre  chose,  et  d'ailleurs  je  ne  l'en  puis  empêcher. 
En  prenant  mon  parti  sur  ce  point,  vous  sentez 
que  je  l'ai  pris  siu-  tout  le  reste.  Je  quitterai  ce 
continent ,  comme  je  quitterais  le  séjour  de  la 
lune.  L'autre  fois,  ce  n'était  pas  la  même  chose; 
j'y  laissais  des  attachements  ,  j'y  croyais  laisser 
des  amis.  Pardon,  monsieur;  mais  je  parle  des 
anciens.  Vous  sentez  que  les  nouveaux,  quelque 
vrais  qu'ils  soient,  ne  laissent  pas  ces  déchirements 
de  cœur  qui  le  font  saigner  durant  toute  la  vie , 
par  la  rupture  de  la  plus  douce  habitude  qu'il 
puisse  contracter.  Toutes  mes  blessures  saigne- 
ront, j'en  conviens,  le  reste  de  mes  jours;  mais 
mes  erreurs ,  du  moins ,  sont  bien  guéries  ;  la  cica- 
trice est  faite  de  ce  côté-là.  Je  vous  embrasse. 


ANNÉE    1768.  6*7 

LETTRE  DCCCLÏV. 

A  M.  MOULTOU. 

Bourgoin,  le  5  novembre  1768. 

Vous  avez  fait ,  cher  Moultou ,  une  perte  que 
tous  vos  amis  et  tous  les  honnêtes  gens  doivent 
pleurer  avec  vous,  et  j'en  ai  fait  une  particulière 
dans  votre  digne  père  par  les  sentiments  dont  il 
m'honorait,  et  dont  tant  de  faux  amis,  dont  je 
suis  la  victime ,  m'ont  bien  fait  connaître  le  prix. 
C'est  ainsi,  cher  IMoultou ,  que  je  meurs  en  détail 
dans  tous  ceux  qui  m'aiment,  tandis  que  ceux  qui 
me  haïssent  et  me  trahissent  semblent  trouver 
dans  l'âge  et  dans  les  années  une  nouvelle  vigueur 
pour  me  tourmenter.  Je  vous  entretiens  de  ma 
perte  au  lieu  de  parler  de  la  vôtre  ;  mais  la  véri- 
table douleur,  qui  n'a  point  de  consolation,  ne 
sait  guère  en  trouver  pour  autrui  ;  on  console  les 
indifférents,  mais  on  s'afflige  avec  ses  amis.  Il  me 
semble  que  si  j'étais  près  de  vous,  que  nous  nous 
embrassassions,  que  nous  pleurassions  tous  deux, 
sans  nous  rien  dire ,  nos  cœurs  se  seraient  beau- 
coup dit. 

Cruel  ami ,  que  de  regrets  vous  me  préparez 
dans  votre  description  de  Lavagnac  !  Hélas  !  ce  beau 
séjour  était  l'asile  qu'il  me  fallait;  j'y  aurais  oublié, 
dans  un  doux  repos ,  les  ennuis  de  ma  vie;  je  pou- 
vais espérer  d'y  trouver  enfin  de  paisibles  jours, 

5. 


63  CORRESPONDANCE. 

et  d'y  attendre  sans  impatience  la  mort,  qu'ailleurs 
je  désirerai  sans  cesse.  Il  est  trop  tard.  La  fatale 
destinée   qui   m'entraîne  ordonne  autrement  de 
mon  sort.  Si  j'en  avais  été  le  maître ,  si  le  prince 
lui-même  eût  été  le  maître  chez  lui,  je  ne  serais 
jamais  sorti  de  Trye ,  dont  il  n'avait  rien  épargné 
pour  me  rendre  le  séjour  agréable.  Jamais  prince 
n'en  a  tant  fait  pour  aucun  particulier  qu'il  en  a 
daigné  faire  pour  moi.  «  Je  le  mets  ici  à  ma  place , 
«  disait-il  à  son  officier;  je  veux  qu'il  ait  la  même 
«  autorité  que  moi,  et  je  n'entends  pas  qu'on  lui 
«  offre  rien ,  parce  que  je  le  fais  le  maître  de  tout.  » 
Il  a  même  daigné  me  venir  voir  plusieurs  fois , 
souper  avec  moi  tête  à  tête,  me  dire,  en  présence 
de  toute  sa  suite,  qu'il  venait  exprès  pour  cela, 
et ,  ce  qui  m'a  plus  touché  que  tout  le   reste , 
s'abstenir  même  de  chasser ,  de  peur  que  le  motif 
de  son  voyage  ne  fût  équivoque.  Eh  bien!  cher 
Moultou,  malgré  ses  soins,  ses  ordres  les  plus  ab- 
solus, malgré  le  désir,  la  passion,  j'ose  dire,  qu'il 
avait  de  me  rendre  heureux  dans  la  retraite  qu'il 
m'avait  donnée,  on  est  parvenu  à  m'en  chasser, 
et  cela  par  des  moyens  tels  que  l'horrible  récit 
n'en  sortira  jamais  de. ma  bouche  ni  de  ma  plume. 
Son  altesse  a  tout  su,  et  n'a  pu  désapprouver  ma 
retraite;  les  bontés,  la  protection,  l'amitié  de  ce 
grand  homme ,  m'ont  suivi  dans  cette  province ,  et 
n'ont  pu  me  garantir  des  indignités  que  j'y  ai  souf- 
fertes. Voyant  qu'on  ne  me  laisserait  jamais  en 
repos  dans  le  royaume,  j'ai  résolu  d'en  sortir;  j'ai 
demandé  un  passe -port  à  M.  de  Ghoiseul,  qui. 


ANNÉE    1768.  69 

après  m'avoir  laissé  long-temps  sans  réponse  ,  vient 
enfin  de  m'envoyer  ce  passe -port.  Sa  lettre  est 
très-polie,  mais  n'est  que  cela;  il  m'en  avait  écrit 
auparavant  d'obligeantes.  Ne  point  m'inviter  à  ne 
pas  faire  usage  de  ce  passe-port,  c'est  m'inviter 
en  quelque  sorte  à  en  faire  usage.  Il  ne  convient 
pas  d'importuner  les  ministres  pour  rien.  Cepen- 
dant depuis  le  moment  où  j'ai  demandé  ce  passe- 
port Jusqu'à  celui  où  je  l'ai  obtenu,  la  saison  s'est 
avancée,  les  Alpes  se  sont  couvertes  de  glace  et 
de  neige  ;  il  n'y  a  plus  moyen  de  songer  à  les  pas- 
ser dans  mon  état.  Mille  considérations  impossibles 
à  détailler  dans  une  lettre  m'ont  forcé  à  prendre 
le  parti  le  plus  violent,  le  plus  terrible  auquel 
mon  cœur  pût  jamais  se  résoudre  ;  mais  le  seul 
qui  m'ait  paru  me  rester ,  c'est  de  repasser  en  An- 
gleterre,  et  d'aller  finir  mes  malheureux  jours 
dans  ma  triste  solitude  de  Wootton ,  où ,  depuis 
mon  départ ,  le  propriétaire  m'a  souvent  rappelé 
par  force  cajoleries.  Je  viens  de  lui  écrire  en  con- 
séquence de  cette  résolution  ;  j'ai  même  écrit  aussi 
à  l'ambassadeur  d'Angleterre.  Si  ma  proposition 
est  acceptée,  comme  elle  le  sera  infailliblement, 
je  ne  puis  plus  m'en  dédire ,  et  il  faut  partir.  Rien 
ne  peut  égaler  l'horreur  que  m'inspire  ce  voyage  ; 
mais  je  ne  vois  plus  de  moyen  de  m'en  tirer  sans 
mériter  des  reproches  ;  et  à  tout  âge ,  surtout  au 
mien,  il  vaut  mieux  être  malheureux  que  cou- 
pable. 

J'aurais  doublement  tort  d'acheter  par  rien  de 
répréhensible  le  repos  du  peu  de  jours  qui  me 


^d  CORtlESPON13A]5rCE. 

restent  à  passer  ;  mais  je  vous  avoue  que  ce  beau 
séjour  de  Lavagnac,  le  voisinage  de  M.  Venel^  l'a- 
vantage d'être  auprès  de  son  ami ,  par  conséquent 
d'un  honnête  homme,  au  lieu  qu'à  Trye  j'étais 
entre  les  mains  du  dernier  des  malheureux,  tout 
cela  me  suivra  en  idée  dans  ma  sombre  retraite , 
et  y  augmentera  ma  misère  pour  n'avoir  pu  faire 
mon  bonheur.  Ce  qui  me  tourmente  encore  plus 
en  ce  moment  est  une  lueur  de  vaine  espérance 
dont  je  vois  l'illusion,  mais  qui  m'inquiète  malgré 
que  j'en  aie.  Quand  mon  sort  sera  parfaitement 
décidé  j  et  qu'il  ne  me  restera  qu'à  m'y  soumettre , 
j'aurai  plus  de  tranquillité.  C'est,  en  attendant, 
un  grand  soulagement  pour  mon  cœur  d'avoir 
épanché  dans  le  vôtre  tout  ce  détail  de  ma  situa-' 
tion.  Au  reste  ,  je  suis  attendri  d'imaginer  vos 
dames,  vous,  et  M.  Venel,  faisant  ensemble  ce 
pèlerinage  bienfaisant ,  qui  mérite  mieux  que  ceux 
de  Lorette  d'être  mis  au  nombre  des  œuvres  de 
miséricorde.  Recevez  tous  mes  plus  tendres  re- 
merciements et  ceux  de  ma  femme  ;  faites  agréer 
ses  respects  et  les  miens  à  vos  dames.  Nous  vous 
saluons  et  vous  embrassons  l'un  et  l'autre  de  tout 
notre  cœur. 

P.  S.  J'ai  proposé  l'alternative  de  l'Angleterre,  et 
de  Minorque  que  j'aimerais  mieux  à  cause  du  cli- 
mat. Si  ce  dernier  parti  est  préféré,  ne  pourrions-» 
nous  pas  nous  voir  avant  mon  départ,  soit  à  JNîont-' 
pellier,  soit  à  Marseille. 

Autre  P.  S.  Si  j'avais  reçu  voti'e  lettre  avant  le  dé- 
part des  miennes,  je  doute  qu'elles  fussent  parties. 


ANJNIÉE    1768.  71 


LETTRE  DCCCLV. 

A  M.  LALLIAUD. 

Boargoin  ,  le  7  novembre  1768. 

Depuis  ma  dernière  lettre,  monsieur,  j'ai  reçu 
d'un  ami  l'incluse ,  qui  a  fort  augmenté  mon  regret 
d'avoir  pris  mon  partis!  brusquement;  la  situation 
charmante  de  ce  château  de  Lavagnac,  le  martre 
auquel  il  appartient ,  l'honnête  homme  qu'il  a  pour 
agent,  la  beauté,  la  douceur  du  climat,  si  conve- 
nable à  mon  pauvre  corps  délabré,  le  lieu  assez 
solitaire  pour  être  tranquille,  et  pas  assez  pour  être 
un  désert;  tout  cela,  je  vous  l'avoue,  si  je  passe 
en  Angleterre  ou  même  à  Mahon ,  car  j'ai  proposé 
l'alternative,  tout  cela,  dis -je,  me  fera  souvent 
tourner  les  yeux  et  soupirer  vers  cet  agréable  asile , 
si  bien  fait  pour  me  rendre  heureux,  si  l'on  m'y 
laissait  en  paix.  Mais  j'ai  écrit  :  si  l'ambassadeur  me 
répond  honnêtement ,  me  voilà  engagé  ;  j'aurais 
l'air  de  me  moquer  de  lui  si  je  changeais  de  réso- 
lution ;  et  d'ailleurs  ce  serait ,  en  quelque  sorte , 
marquer  peu  d'égard  pour  le  passe-port  que  M.  de 
Choiseul  a  eu  la  bonté  de  m'envoyer  à  ma  prière. 
Les  ministres  sont  trop  occupés ,  et  d'affaires  trop 
importantes  ,  pour  qu'il  soit  permis  de  les  impor- 
tuner inutilement  :  d'ailleurs,  plus  je  regarda  au- 
tour de  moi ,  plus  je  vois  avec  certitude  qu'il  se 


rji  CORRr^SPONDANCE. 

brasse  quelque  chose,  sans  que  je  puisse  deviner 
quoi.  Thevenin  n'a  pas  été  aposté  pour  rien  :  il  y 
avait  dans  cette  farce  ridicule  quelque  vue  qu'il 
m'est  impossible  de  pénétrer;  et,  dans  la  profonde 
obscurité  qui  m'environne ,  j'ai  peur  au  moindre 
mouvement  de  faire  un  faux  pas.  Tout  ce  qui  m'est 
arrivé  depuis  mon  retour  en  France ,  et  depuis 
mon  départ  de  Trye,  me  montre  évidemment  qu'il 
ny  a  que  M.  le  prince  de  Gonti,  parmi  ceux  qui 
m'aiment,  qui  sache  au  vrai  le  secret  de  ma  situa- 
tion ,  et  qu'il  a  fait  tout  ce  qu'il  a  pu  pour  la  ren- 
dre tranquille  sans  pouvoir  y  réussir.  Cette  per- 
suasion m'arrache  des  élans  de  reconnaissance  et 
d'attendrissement  vers  ce  grand  prince ,  et  je  me 
reproche  vivement  mon  impatience  au  sujet  du 
silence  qu'il  a  gardé  sur  mes  deux  dernières  lettres  ; 
car  il  y  a  peu  de  temps  que  j'en  ai  écrit  à  son  al- 
tesse une  seconde ,  qu'elle  n'a  peut-être  pas  plus  re- 
çue que  la  première  :  c'est  de  quoi  je  désirerais  ex- 
trêmement d'être  instruit.  Je  n'ose  en  ajouter  une 
pour  elle  dans  ce  paquet ,  de  peur  de  le  grossir  au 
point  de  donner  dans  la  vue;  mais  si ,  dans  ce  mo- 
ment critique ,  vous  aviez  pour  moi  la  charité  de 
vous  présenter  à  son  audience ,  vous  me  rendriez 
un  office  bien  signalé  de  l'informer  de  ce  qui  se 
passe ,  et  de  me  faire  parvenir  son  avis ,  c'est-à-dire 
ses  ordres  '  car,  dans  tout  ce  que  j'ai  fait  de  mon 
chef,  je  n'ai  fait  que  des  sottises ,  qui  me  serviront 
au  moins  de  leçons  à  l'avenir ,  s'il  daigne  encore 
se  mêler  de  moi.  Demandez -lui  aussi  de  ma  part, 
je  vous  supplie ,  la  permission  de  lui  écrire  désor- 


ANNÉE    ï'jGS.  73 

mais  sous  votre  couvert ,  puisque  sous  le  sien  mes 
lettres  ne  passent  pas. 

La  tracasserie  du  sieur  Thevenin  est  enfin  ter- 
minée :  après  les  preuves  sans  réplique  que  j'ai 
données  à  M.  de  Tonnerre  de  l'imposture  de  ce  co- 
quin, il  m'a  offert  de  le  punir  par  quelques  jours 
de  prison.  Vous  sentez  bien  que  c'est  ce  que  je  n'ai 
pas  accepté,  et  que  ce  n'est  pas  de  quoi  il  était  ques- 
tion. Vous  ne  sauriez  imaginer  les  angoisses  que 
m'a  données  cette  sotte  affaire,  non  pour  ce  mi- 
sérable à  qui  je  n'aurais  pas  daigné  répondre,  mais 
pour  ceux  qui  l'ont  aposté  ,  et  que  rien  n'était  plus 
aisé  que  de  démasquer,  si  on  l'eût  voulu  :  rien  ne 
m'a  mieux  fait  sentir  combien  je  suis  inepte  et  bète 
en  pareil  cas,  le  seul,  à  la  vérité,  de  cette  espèce 
où  je  me  sois  jamais  trouvé.  J'étais  navré ,  cons- 
terné,  presque  tremblant;  je  ne  savais  ce  que  je 
disais  en  questionnant  l'imposteur  ;  et  lui ,  tran- 
quille et  calme  dans  ses  absurdes  mensonges ,  por- 
tait dans  l'audace  du  crime  toute  l'apparence  de 
la  sécurité  des  innocents.  Au  reste,  j'ai  fait  passer 
à  M.  de  Tonnerre  l'arrêt  imprimé  concernant  ce 
misérable,  qu'un  ami  m'a  envoyé,  et  par  lequel 
M.  de  Tonnerre  a  pu  voir  que  ceux  qui  avaient 
rais  cet  homme  en  jeu  avaient  su  choisir  un  sujet 
expérimenté  dans  ces  sortes  d'affaires. 

Je  ne  me  trouvai  jamais  dans  des  embarras  pa- 
reils à  ceux  où  je  suis,  et  jamais  je  ne  me  sentis 
pkis  tranquille.  Je  ne  vois  d'aucun  côté  nul  espoir 
de  repos  ;  et  loin  de  me  désespérer  ,  mon  cœur  me 
dit  que  mes  maux  touchent  à  leur  fin.  Il  en  serait 


•^4  CORRÈSPOJ!fDANCE. 

bien  temps ,  je  vous  assure.  Vous  voyez,  monsieur, 
comment  je  vous  écris,  comment  je  vous  charge 
de  mille  soins,  comment  je  remets  mon  sort  en 
vos  mains  et  à  vous  seul.  Si  vous  n'appelez  pas  cela 
de  la  confiance  et  de  l'amitié,  aussi -bien  que  de 
l'importunité  et  de  l'indiscrétion  peut-être,  vous 
avez  tort.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


LETTRE  DCCCLVI. 

A  M.   DE   SAINT-GERMAIN*. 

9  novembre  1768. 

Je  n'ai  pas,  monsieur,  l'honneur  d'être  connu 
de  vous,  et  je  sais  que  vous  n'aimez  pas  mes  opi- 

*  M.  de  Saint-Germain  a  fait  une  Notice  sur  sa  correspondance 
avec  Jean-Jacques.  En  voici  quelques  passages. 

« Les  personnes  clairvoyantes  qui  ont  suivi  et  vu  de  près 

M.  Rousseau,  en  le  blâmant  dans  ses  écarts  envers  ceux  qu'il  re- 
gardait comme   ses  persécuteurs,  découvraient  en    lui  un    amour 

pour  ses  semblables  dont  on  trouverait  peu  d'exemples Son  ame 

bienfaisante  lui  enlevait  le  nécessaire  pour  soulager  les  mallieureux , 
et  le  faisait  malade  pour  les  maux  d'autrui.  En  voici  quelques  traits 
dont  M.  de  Saint-Germain  (c'est  lui  qui  parle  ainsi  en'  tierce  per- 
sonne )  a  été  témoin. 

«  M.  Rousseau,  présent  à  la  cbute  d'un  écbafaud  sur  lequel  était 
un  maçon  qni  fut  blessé  grièvement ,  courut  à  lui ,  le  lit  porter  dans 
son  auberge ,  et  lui  fit  donner  tous  les  secours  possibles,  S'aperce- 
vant  quelque  temps  après  que,  malgré  ses  soins  et  nue  grosse  dé- 
pense, cet  liomnie  n'était  ni  pansé  ni  soigné  comme  il  aurait  dû 
l'être,  il  écrivit  à  M.  rie  Saint-Germain  pour  le  prier  de  s'employer 
auprès  du  directeur  de  l'iiôpital  de  Bourgoin ,  afin  qu'il  y  fût  reçu 
et  recommandé,  offrant  de  payer  à  cette  maison  ,  fondée  seulement 
pour  les  pauvres  malades  du  lieu,  tout  ce  qu'il  en  pourrait  coûter 
pour  guérir  cet  étranger.  Le  directeur  de  l'bôpital  l'y  fit  entrer^  et 


Année  17C8.  7^ 

nions  ;  mais  je  sais  que  vous  êtes  un  brave  militaire, 
un  gentilhomme  plein  d'honneur  et  de  droiture , 
qui  a  dans  son  cœur  la  véritable  religion ,  celle  qui 
iait  les  gens  de  bien  ;  voilà  tout  ce  que  je  cherche. 
On  ne  séduit  pas  M.  de  Saint -Germain  ,  on  l'inti- 
mide encore  moins;  passez-moi,  monsieur,  la  fa- 
miliarité du  terme  :  vous  êtes  précisément  l'homme 
({u'il  me  faut. 

J'aurais,  monsieur,  à  mettre  en  dépôt  dans  le 
cœur  d'un  honnête  homme  des  confidences  qui 
n'en  sont  pas  indignes,  et  qui  soulageraient  le  mien. 
Si  vous  voulez  bien  être  ce  généreux  dépositaire^ 
ayez  la  bonté  de  m'assigner  chez  vous  l'heure  et  le 
jour  d'une  audience  paisible,  et  je  m'y  rendrai.  Je 
vous  préviens  que  ma  confiance  ne  sera  mêlée  d'au- 
cune indiscrétion  ;  que  je  n'ai  à  vous  demander  ni 

nprès  que  ce  maçon  fut  parfaitement  gu^ri,  il  alla  remercier  son 
])ienfaiteur.  M.  Rousseau  sortit  de  suite  pour  payer  le  directeur,  qui 
lui  dit  être  satisfait.  Persuadé  que  M.  de  Saint-Germain  avait  payé  , 
il  vint  le  trouver,  et  se  plaindre  de  ce  qu'il  lui  eût  enlevé  un  l)ien 
.T  lui  qu'il  réclamait.  M.  de  Saint-Germain  eut  beau  dire,  M.  fious^ 
seau  voulut  absolument  payer  la  moitié  de  ce  qu'avait  reçu  l'hôpital. 

«  Un  incendie  consuma  la  maison  d'un  paysan  où  l'on  ne  put  rien 
sauver.  M.  Rousseau  en  fut  malade;  il  envoya  chercher  l'incendié, 
lui  donna  im  louis ,  et  lui  dit  de  prendre  chez  son  boulanger  le  j>ain 
dont  il  aurait  besoin  pour  lai  et  sa  famille  jusqu'à  la  récolte  pro- 
chaine. Le  paysan  lui  répondit  :  Monsieur^- il  vous  en  coûtera  moins 
de  nous  faire  donner  quelques  mesures  de  seigle  ;  M.  Rousseau  fit 
fournir  pendant  six  mois  tout  le  seigle  dont  cette  famille  eut  besoin. 

a  Sa  bourse  ne  fut  jamais  fermée  aux  malheureux  ;  on  ne  peut 
comprendre  qu'avec  une  aussi  médiocre  fortune  ,  cet  homme,  désin- 
téressé jusqu'au  blâme,  pût  donner  autant.  Personne  à  la  vérité  ne 
fut  plus  sobre  que  lui  et  n'eut  moins  de  besoins ,  ne  fut  plus  propre 
et  n'usa  moins. 

«  M.  de  Saint-Germain,  accompagné  d'une  autre  personne,  fut 
visiter  M.  Rousseau  qui  s'était  retiré  à  la  campagne.  Peu  après  leur 


^6  CORRESPONDANCE. 

soins ,  ni  conseils ,  ni  rien  qui  puisse  vous  donner 
la  moindre  peine  ou  vous  compromettre  en  aucune 
façon  :  vous  n'aurez  d'autre  usage  à  faire  de  ma 
confidence  que  d'en  honorer  un  jour  ma  mémoire, 

arrivée  un  homme  vint  frapper  à  la  porte.  M.  Rousseau  se  lève , 
lui  ouvre ,  et  lui  dit  de  revenir.  L'homme  insista  en  disant  qu'il  ve- 
nait de  loin,  et  qu'il  avait  besoin  de  son  argent.  Alors  il  le  fît  en- 
trer ,  et  ces  deux  messieurs  virent  sept  à  huit  vêtements  de  diffé- 
lente  taille  que  cet  homme  apportait.  M.  Rousseau  lui  demanda  ce 
qu'il  lui  fallait,  il  répondit,  dix-huit  francs;  ils  lui  furent  payés. 
Voyant  que  ces  messieurs  s'étaient  aperçus  de  ce  qu'il  voulait  leur 
caclier ,  M.  Rousseau  leur  dit:  C'est  une  famille  qui  n'est  pas  vêtue; 
il  ne  faut  pas  croire  que  de  donner  vingt-quatre  sous  ou  un  petit  écu 
à  l'importunité  d'un  pauvre,  ce  soit  remplir  les  obligations  de  la 
charité.  Il  faut  chercher  le  besoin  où  il  est ,  etc. 

«  Pourrait-on  croire  que  M.  Rousseau ,  avec  des  sentiments  pa- 
reils,  soutenus  par  une  pratique  habituelle,  ait  pu  être  un  empoi- 
sonneur, un  fripon?  Il  est  cependant  vrai  qu'au  sujet  de  son  goût 
pour  la  recherche  des  plantes  il  a  été  taxé  d'y  chercher  du  poison , 
et  qu'on  a  cité  un  homme  sur  lequel  on  prétendait  qu'il  en  avait 
fait  l'essai ,  parce  qu'il  mourut  dans  les  douleurs  d'une  colique  né- 
phrétique ,  malgré  tous  les  secours  que  lui  procura  M.  Rousseau. 
Obligé  de  subir  une  confrontation  avec  un  ouvrier,  il  confondit  cet 
imposteur,  qui  disait  lui  avoir  prêté,  à  Neuchâtel,  neuf  francs  que 
M.  Rousseau  n'avait  jamais  voulu  lui  rendre 

«  Un  fermier  qui  avait  fourni  pendant  quinze  mois  h  M.  Rous- 
eau  des  œufs,  du  beurre,  du  fromage,  qui  toujours  en  avait  été  payé 
beaucoup  au-delà  de  ce  que  la  chose  valait ,  et  qui  en  outre  avait 
reçu  de  lui,  ainsi  que  sa  famille,  mille  bienfaits,  eut  l'ingratitude 
et  la  mauvaise  foi  de  lui  envoyer  un  mémoire  que  ce  fermier  affir- 
mait lui  être  dû,  et  ne  lui  avoir  pas  été  payé  par  M.  Rousseau  avant 
son  départ.  Cette  demande,  vérifiée  par  M.  de  Saint-Germain,  fut 
prouvée  fausse. 

«  Une  femme  de  chambre,  prétendant  à  l'esprit,  fatiguait  M.  Rous- 
seau par  des  visites  continuelles  :  furieuse  de  ce  qu'il  l'avait  chassée 
de  chez  lui,  elle  dit  qu'il  l'avait  voulu  violer ,  et  ce  bruit  se  répan- 
dit partout. 

«  Tous  ces  événements,  quoique  fâcheux,  n'auraient  pas  dû  af- 
fecter M.  Rousseau  au  point  où  il  l'était,  encore  moins  lui  persuader 
que  ces  calomnies  grossières  étaient  l'ouvrage  de  ses  ennemis  ;  au- 
tant à  plaindre  qu'à  blâmer ,  il  était,  par  sa  sensibilité  et  sa  méfiance, 
son  plus  cruel  ennemi  à  lui-même....,  etc.  » 


ANNÉE    1768.  77 

quand  il  n'y  aura  plus  de  risque  à  parler.  Je  ne 
vous  dis  rien  de  mes  sentiments  pour  vous,  mais 
je  vous  en  donne  la  preuve. 


LETTRE  DCCCLYII. 

A  M.   LE  COMTE  DE  TONNERRE, 
En  lui  envoyant  l'écrit  suivant. 

Bourgoin,  le  9  novembre  1768. 

Monsieur. 

J'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  ci-jointe  la  décla- 
ration juridique  du  sieur  Jeannet  *,  cabaretier  des 
Verrières ,  relative  à  celle  du  sieur  Thevenin.  De 
peur  d'abuser  de  votre  patience,  je  m'abstiens  de 
joindre  à  cette  pièce  celles  que  j'ai  reçues  en  même 
temps ,  puisqu'elle  suffit  seule  à  la  suite  des  preuves 
que  vous  avez  déjà  pour  démontrer  pleinement, 
non  l'erreur,  mais  l'imposture  de  ce  dernier.  Je 
n'aurais  assurément  pas  eu  l'indiscrétion  de  vous 
importuner  de  cette  ridicule  affaire ,  si  le  ton  dé- 
cidé sur  lequel  M.  Bovier  se  faisait  le  porteur  de 
parole  de  ce  misérable  n'eût  excité  ma  juste  indi- 
gnation. Vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me  marquer 
qu'après  ce  qui  s'est  passé  mon  prétendu  créancier 
se  tiendra  pour  dit  qu'il  ne  saurait  se  flatter  de 

Ce  Jeannet  est  nommé  Jan'in  dans  les  lettres  précédentes;  c'est 
sans  doute  une  erreur  de  Rousseau ,  qui  avait  été  mal  inforuié. 


^8  CORRESPONDANCE. 

trouver  en  moi  son  débiteur.  Voilà ,  monsieur  le 
comte ,  de  quoi  jamais  il  ne  s'est  flatté ,  je  vous  as- 
sure; mais  il  s'est  flatté,  premièrement,  de  mentir 
et  m'avilir  à  son  aise  ;  puis ,  après  avoir  dit  tout  ce 
qu'il  voulait  dire,  et  n'ayant  plus  qu'à  se  taire,  de 
se  taire  ensuite  tranquillement;  et ,  s'il  était  enfin 
convaincu  d'être  un  imposteur  ,  de  sortir  néan- 
moins de  cette  affaire,  confondu,  très-peu  lui  im- 
porte ,  mais  impuni ,  mais  triomphant.  Pour  un 
homme  qui  paraît  si  bète,  je  trouve  qu'il  n'a  pas 
trop  mal  calculé. 

Je  vous  supplie,  monsieur,  de  vouloir  bien  or- 
donner, à  votre  commodité,  que  les  deux  pièces 
ci -jointes  me  soient  renvoyées  avec  la  lettre  de 
M.  Roguin.  Je  sens  que  j'ai  fort  abusé ,  dans  cette 
occasion ,  de  la  permission  que  vous  m'avez  don- 
née de  faire  venir  mes  lettres  sous  votre  pli.  Je 
serai  plus  discret  à  l'avenir  ;  et  si  l'impunité  du  pre- 
mier fourbe  en  suscite  d'autres ,  elle  me  servira  de 
leçon  pour  ne  m'en  plus  tourmenter. 

J'ai  l'honneur ,  monsieur  le  comte ,  de  vous  as-» 
surer  de  tout  mon  respect. 

DÉCLARATION  JURIDIQUK   DU   3IKUR  JEANNET. 

L'an  1768,  et  le  dix-neuvième  jour  du  mois  de 
septembre,  par-devant  noble  et  prudent  Cliarles- 
Auguste  du  Terraux,  bourgeois  de  Neuchâtel  et  de 
Romain -Mo tiers,  maire  pour  sa  majesté  le  roi  de 
Prusse,  notre  souverain  prince  et  seigneur,  en  la 
juridiction  des  Verrières,  administrant  justice  par 
jour  extraordinaire,  mais  aux  lieu  et  heure  accou- 


ATfNÉE    1768.  79 

tnmés,et  en  la  présence  des  sieurs  jurés  en  icelle 
après  nommés  : 

Personnellement  est  comparu  M.  Guyenet,  re- 
ceveur pour  sa  majesté,  et  lieutenant  en  l'hono- 
rable cour  de  justice  du  Val-de-Travers ,  qui  a  re- 
présenté qu'ayant  reçu  depuis  peu  une  lettre  de 
M.  J.  J.  Rousseau ,  datée  de  Bourgoin ,  du  8  du  cou- 
rant ,  par  laquelle  il  lui  marque  que  le  nommé 
Tlievenin ,  cliamoiseur  de  sa  profession  ,  lui  ayant 
fait  demander  neuf  livres  argent  de  F'rance ,  qu'il 
prétend  lui  avoir  fait  remettre  en  prêt,  au  logis  du 
Soleil ,  à  Saint-Sulpice  ,  il  y  a  à  peu  près  dix  ans  ; 
et  comme  cet  article  est  trop  intéressant  à  l'hon- 
neur de  mondit  sieiu'  Ptousscau  pour  ne  pas  l'é- 
claircir,  vu  et  d'autant  qu'il  n'a  jamais  été  dans  le 
cas  d'emprunter  cette  somme  dudit  Tlievenin,  et 
que  cet  article  est  con trouvé  ;  c'est  pourquoi  mon- 
dit sieur  le  lieutenant  Guyenet  se  ])résente  aujour- 
d'hui par-devant  cette  honorable  justice ,  pour  re^ 
quérir  que,  par  reconnaissance,  il  puisse  justifier 
authentiquement  ce  qu'il  vient  d'avancer,  ayant 
pour  cet  effet  fait  citer  en  témoignage  le  sieur  Jean- 
Henri  Jeannet ,  cabaretier  de  ce  lieu ,  présent ,  \e-> 
quel  et  par  qui  l'argent  que  répète  ledit  Thevenin 
à  mondit  sieur  Rousseau,  doit,  suivant  lui,  avoir 
été  remis;  requérant  qu'avant  de  faire  déposer 
ledit  sieur  Jeannet,  il  y  soit  appointé,  ce  qui  a  été 
connu. 

Et  pour  y  satisfaire  ledit  sieur  Jeannet  étant 
comparu,  a,  après  serment  intime  sur  les  interro- 
gats  circonstanciés  à  lui  adressés ,  tendants  à  dire 


8o  CORRESPONDANCE. 

tout  ce  qu'il  peut  savoir  de  cette  affaire,  déposé 
comme  suit  : 

Qu'il  n'a  aucune  connaissance  que  le  nommé 
Thevenin  ,  chamoiseur ,  ait  jamais  prêté  chez  lui , 
déposant ,  ni  ailleurs ,  aucun  argent  à  M.  Jean- 
Jacques  Rousseau  pendant  tout  le  laps  de  temps 
qu'il  a  demeuré  dans  ce  pays,  n'ayant  jamais  eu 
l'honneur  de  voir  dans  son  logis  mondit  sieur  Rous- 
seau; bien  est-il  vrai  qu'il  y  a  à  peu  près  cinq  ans 
qu'il  le  vit  s'en  revenant  du  côté  de  Pontarlier , 
sans  lui  avoir  parlé  ni  l'avoir  revu  dès-lors. 

Il  se  rappelle  aussi  très -bien  qu'en  1762  ,  pen- 
dant le  courant  du  mois  de  mai,  arriva  chez  lui  un 
nommé  Thevenin ,  qui  se  disait  être  de  la  Charité- 
sur-I^oire ,  réfugié  dans  ce  pays  pour  éviter  l'effet 
d'une  lettre  de  cachet  obtenue  contre  lui ,  lequel 
était  accompagné  du  nommé  Guillobel,  marchand 
horloger  du  même  lieu;  ledit  Thevenin  n'ayant 
séjourné  chez  lui  que  huit  à  dix  jours ,  pendant 
lequel  temps  arriva  encore  dans  son  logis  un 
nommé  Decustreau,  qu'il  connaissait  depuis  près 
de  vingt  ans,  pour  avoir  logé  chez  lui  à  différentes 
fois ,  et  duquel  il  peut  produire  des  lettres. 

Ledit  Decustreau  partit  aubout  de  quelques  jours 
pour  Neuchâtel;  Thevenin  avec  lui  Jeannet  l'ac- 
compagnèrent jusqu'à  Saint-Sulpice ,  au  logis  du 
Soleil,  où  ils  dinèrent.  Après  le  départ  dudit  De- 
custreau ,  ledit  Thevenin  demanda  au  déposant  s'il 
connaissait  ledit  Decustreau  ;  il  lui  répondit  qu'il 
le^  connaissait  pour  avoir  logé  chez  lui.  Cette  de- 
mande dudit  Thevenin  ayant  excité  au  déposant  la 


ANNÉE    1768.  8[ 

curiosité  d'apprendre  de  lui  pourquoi  il  lui  formait 
cette  question  ,  ledit  Thevenin  lui  répondit  que 
c'était  à  cause  d'un  écu  de  trois  livres  qu'il  avait 
prêté  audit  Decustreau  sur  la  demande  qu'il  lui  en 
avait  faite.  Et  enfin  ledit  sieur  Jeannet  ajoute  que 
pendant  tout  le  temps  que  ledit  Thevenin  a  resté 
chez  lui,  il  ne  lui  a  point  parlé  de  M.  Rousseau, 
ni  dit  qu'il  eût  la  moindre  chose  à  faire  avec  lui; 
que  ledit  Thevenin  ,  lorsqu'il  arriva  dans  ce  pays , 
n'avait  point  de  profession,  ayant  dès-lors  appris 
celle  de  chamoiseur  à  Estavayé-le-Lac, 

C'est  tout  ce  que  ledit  sieur  Jeannet  a  déclaré  sa- 
voir sur  cette  affaire. 

Enfin  mondit  sieur  le  lieutenant  a  continué  à 
dire  qu'étant  nécessaire  à  M.  Rousseau  d'avoir  le 
tout  par  écrit ,  pour  lui  servir  en  cas  de  besoin , 
il  demandait  que  par  connaissance  il  lui  fût  adjugé; 
ce  qui  lui  a  été. 

Connu  et  jugé  par  les  sieurs  Jacques  Lambelet, 
doyen ,  et  Jacob  Perroud  ,  tous  deux  justiciers  du- 
dit  lieu  ;  et  par  mondit  sieur  le  maire  ordonné  au 
notaire  soussigné,  greffier  des  Verrières,  de  lui  en 
faire  l'expédition  en  cette  forme.  Le  jour  prédit, 
19  septembre  1768. 

Par  ordonnance.  Signé  Jeanjaquet. 


R.  xxu. 


S%  CORRESPONDANCR. 

LETTRE   DCCCLVIIL 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 

A  Bourgoin,  le  i3  novembre  1768. 

Mardi,  monsieur,  vous  n'êtes  pas  libre,  ni  moi 
mercredi;  le  jeudi  même  est  douteux  :  reste  donc 
demain,  lundi,  pour  ne  pas  aller  trop  loin.  Il  me 
serait  moins  incommode,  il  faut  l'avouer,  que 
vous  me  fissiez  l'honneur  de  venir  manger  mon 
potage  ;  mais  comme  une  soupe  de  cabaret  n'est 
pas  trop  présentable ,  et  que  j'y  perdrais  l'honneur 
de  dîner  avec  madame  de  Saint-Germain,  je  pré- 
fère, monsieur ,  de  profiter  de  votre  invitation ,  en 
la  priant  de  permettre  que  j'aille  demain  lui  de- 
mander à  diner.  S'il  faisait  beau  demain ,  sur  les 
dix  heures,  j'irais  vous  proposer  une  promenade 
jusqu'à  midi ,  à  moins  que  vous  ne  la  préférassiez 
de  nos  côtés,  où  il  y  a  d'assez  belles  prairies. 

Ne  craignez  pas,  monsieur,  d'entendre  de  ma 
part  rien  qui  vous  puisse  déplaire  :  je  respecte  trop 
pour  cela  et  vous  et  vos  sentiments  ;  et  les  miens, 
que  je  vois  bien  qui  ne  vous  sont  pas  connus,  en 
sont  moins  éloignés  que  vous  ne  pensez.  Mais  ce 
n'est  pas  de  cela  qu'il  s'agira. 

Je  suis  bien  sensible,  monsieur,  à  votre  com- 
plaisance ;  vous  ne  tarderez  pas  d'en  connaître  le 
prix.  Si  j'avais  trouvé  plus  tôt  un  cœur  auquel  le 
mien  osât  s'ouvrir,  j'aurais  souffert  de  moins  vives 


ANNÉE    1768.  83 

angoisses ,  et  ma  raison  s'en  trouverait  mieux.  A 
demain  donc,  monsieur,  puisque  vous  le  voulez 
bien.  Permettez  que  je  présente  mon  respect  très- 
humble  à  madame  de  Saint-Germain. 

Renou. 


LETTRE  DCCCLIX. 

A  M.  LE  COMTE  DE  TONNERRE. 

Bourgoin,  le  16  novembre  1768. 

Monsieur. 

Pardon  de  mes  importunités  réitérées;  mais  je 
ne  puis  me  dispenser  de  vous  envoyer  encore  l'im- 
primé ci-joint  qu'on  n'a  pu  recouvrer  plus  tôt*.  Vous 
y  verrez,  M.  le  comte,  que  ceux  qui  ont  aposté 
le  sieur  Thevenin  ont  su  choisir  un  sujet  déjà  ex- 
périmenté dans  le  métier  qu'ils  lui  faisaient  faire. 

Je  ne  puis  penser ,  monsieur ,  que  vous  m'ayez  pu 
croire  dans  l'ame  assez  de  bassesse  pour  vouloir 
me  venger  d'un  tel  malheureux.  Moi  qui  jamais  n'ai 
fait,  ni  rendu,  ni  voulu  le  moindre  mal  à  personne, 
commencerais-je  si  tard  et  sur  un  pareil  person- 
nage? Non  ,  monsieur,  je  n'ai  point  désiré  sa  pu- 
nition, mais  sa  confession,  et  c'est  ce  que  sa  convic- 
tion devait  naturellement  produire ,  si  l'on  en  eût 

*  C  était  l'arrêt  du  parlement  de  Paris,  du  10  mars  1761  ,  qui 
condamnait  Thevenin  au  carcan  ,  à  être  marqué ,  et  aux  galères  pour 
trois  ans ,  pour  impostures  et  calomnies. 


84  CORRESPONDANCE. 

profité  pour  remonter  à  la  source  de  ces  menées. 
Mais  c'est  ce  qui  commence  à  devenir  superflu  ; 
et  sans  que  l'autorité  ni  moi  nous  en  mêlions  en 
aucune  manière ,  je  prévois  que  le  public  ne  tar- 
dera pas  à  savoir  à  quoi  s'en  tenir. 

Permettez  que  je  vous  réitère  ici  mes  actions  de 
grâce  des  bontés  dont  vous  m'avez  honoré  ,  et  mes 
excuses  de  l'abus  que  j'en  ai  pu  faire  ;  et  daignez, 
monsieur,  agréer,  je  vous  supplie,  les  assurances 
de  mon  respect. 

P.  S.  Je  prends  la  liberté  d'exiger,  monsieur, 
que  vous  ne  fassiez  aucun  usage  de  cet  imprimé. 
Il  est  pour  vous  seul ,  et  pour  être  brûlé  après  l'a- 
voir lu ,  à  moins  que  vous  n'aimiez  mieux  le  gar- 
der, mais  de  façon  qu'il  ne  puisse  nuire  à  celui 
qu'il  concerne. 


LETTRE  DCCCLX. 

A  M.  MOULTOU. 

Boiirgoin,  le  2 1  novembre  17(18. 

J'ai ,  mon  ami ,  votre  lettre  du  1 4-  Je  ne  puis  me 
détacher  de  l'idée  d'aller  vous  embrasser  et  délibé- 
rer avec  vous  de  ma  destination  ultérieiu-e.  .Te  n'ai 
point  encore  de  réponse  de  l'ambassadeur  d'An- 
gleterre :  il  n'était  pas  à  Paris  quand  je  lui  ai  écrit  ; 
et  j'ai  appris  dans  l'intervalle  qu'il  avait  l'honnête 
Walpole  pour  secrétaire  d'ambassade:  cette  non- 


ANNÉE    1768.  85 

veile  a  achevé  de  me  déterminer.  Je  n'irai  point 
en  Angleterre  :  on  me  traitera  comme  on  voudra 
en  France ,  mais  je  suis  déterminé  à  y  rester.  Je  ne 
puis  renoncer  à  l'espérance  qu'au  moins,  pour 
l'honneur  de  l'hospitalité  française,  il  s'y  trouvera 
quelque  coin  où  l'on  voudra  bien  me  laisser  mou- 
rir en  repos.  Si  ce  coin  ,  cher  Moultou ,  en  pou- 
vait être  un  du  château  de  Lavagnac  ,  il  me  semble 
que  sous  les  auspices  de  l'amitié  l'habitation  m'en 
serait  délicieuse.  Malheureusement  j'écris  inutile- 
ment à  M.  le  prince  de  Conti  ;  mes  lettres  ne  lui 
parviennent  point.  Il  me  répondait  fort  exactement 
au  commencement;  il  ne  me  répond  plus:  il  m'a 
fait  dire  qu'il  ne  recevait  point  de  mes  nouvelles. 
Les  négociations  intermédiaires  ont  leurs  incon- 
vénients. La  générosité  de  ce  grand  prince  m'a  ac- 
coutumé à  accepter,  et  non  pas  à  demander:  je 
ne  puis  me  résoudre  à  changer  de  méthode.  Si 
l'ami  de  M.  Venel ,  cpii  commande  dans  le  château , 
veut  écrire,  à  la  bonne  heure,  je  lui  en  serai 
obligé;  pour  moi  je  n'écrirai  pas.  Mais  dites-moi, 
n'y  a-t-il  dans  le  pays  aucune  habitation  qui  pût 
me  convenir  que  ce  château  ?  Le  bon  M.  Venel  ne 
pourrait-il  pas  me  trouver  un  terrier  à  Pézénas 
même,  ou  aux  environs?  Pourvu  que  je  sois  son 
voisin,  que  m'importe  en  quel  lieu  j'habite?  Si 
nous  étions  dans  une  meilleure  saison  ,  si  le  voyage 
était  moins  pénible,  si  j'avais  plus  de  facilités  pour 
le  faire  ,  je  volerais  près  de  vous  ;  mais  mon  trans- 
port et  celui  de  tout  mon  attirail  de  botanique  est 
embarrassant.  Je  ne  suis  point  à  portée  ici  d'avoir 


86  CORRESPONDANCE. 

des  voitures.  Il  me  faudrait  un  bon  carrossin  qui 
put  charger  avec  nous  cinq  ou  six  malles ,  ou  cais- 
ses ;  il  me  faudrait  un  bon  voiturier ,  qui  nous 
conduisît  bien  et  qui  fût  honnête  homme  :  j'ai 
pensé  que  cela  se  pourrait  trouver  où  vous  êtes , 
et  que* vous  pourriez  être  à  portée  de  faire  pour 
moi  ce  marché,  et  de  m'envoyer  la  voiture  au 
temps  convenu.  Voyez.  Ah  !  si  vous  pouviez  faire 
plus!  Mais  madame  Moultou ,  votre  santé,  vos  af- 
faires! et  quand  tout  vous  le  permettrait,  je  ne 
devrais  pas  le  souffrir.  Quoi  qu'il  en  soit,  j'ai  le 
plus  grand  désir  de  me  rendre  auprès  de  vous ,  et 
cela  d'autant  ]:)lus  que  j'ai  quelque  lieu  de  croire 
qu'on  m'y  verrait  avec  plus  de  plaisir  qu'ici. 

J'ai  reçu  depuis  peu ,  avec  le  reste  de  mes  plantes 
et  bouquins ,  une  lettre  que  M.  de  Gouan  m'écri- 
vait à  Trye  :  elle  est  de  si  vieille  date,  que  je  ne 
sais  plus  comment  y  répondre.  Il  m'accusera  de 
malhonnêteté  envers  lui ,  moi  qui  voudrais  tout 
faire  pour  obtenir  ses  instructions  et  sa  corres- 
pondance ,  et  que  ce  désir  anime  encore  à  me  ren- 
dre à  Montpellier.  Si  vous  le  connaissez ,  si  vous  le 
voyez ,  obtenez-moi ,  je  vous  prie ,  ses  bonnes  grâ- 
ces, en  attendant  que  je  sois  à  portée  de  les  culti- 
ver. Quel  trésor  vous  m'annoncez  dans  l'herbier  des 
plantes  marines  !  Que  je  suis  touché  de  la  géné- 
rosité de  votre  digne  parent!  Elle  me  fera,  avec 
celle  du  brave  Dombey  ,  une  collection  com- 
plète ,  surtout  si  M.  Gouan  veut  bien  y  ajouter 
quelques  fragments  de  ses  dernières  dépouilles  des 
Pyrénées.  Que  je  vais  être  riche  !  Je  suis  si  avare  et 


AJVNIÎE    l'jÔS.  87 

si  enfant  que  le  cœur  me  bat  de  joie.  Gardez-moi 
bien  précieusement  ce  beau  présent,  je  vous  prie, 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  décidé  qui  de  lui  ou  de  moi 
ira  joindre  l'autre. 

J'ai  été  très -malade,  très -agité  de  peine  et  de 
fièvre  ces  temps  derniers  ;  maintenant  je  suis  tran- 
quille, mais  très-faible.  J'aime  mieux  cet  état  que 
l'autre;  et  j'aurai  peu  de  regret  aux  forces  qui  me 
manquent  s'il  m'en  reste  assez  pour  vous  aller  voir. 
Adieu ,  cher  Moultou  ;  faites  agréer  à  madame  les 
hommages  et  respects  de  votre  vieux  ami  et  de  sa 
femme.  Nous  vous  embrassons  l'un  et  l'autre  de 
de  tout  notre  cœur. 


LETTRE  DCCCLXI. 

A  M.  DU   PEYROU. 

Bourgoin,  le  21  novembre  1768. 

Je  vous  remercie  ,  mon  cher  hôte  ,  de  l'arrêt  de 
Thevenin;  je  l'ai  envoyé  à  M.  de  Tonnerre,  avec 
condition  expresse ,  qui  du  reste  n'était  pas  fort 
nécessaire  à  stipuler,  de  n'en  faire  aucun  usage  qui 
pût  nuire  à  ce  malheureux.  Votre  supposition  qu'il 
a  été  la  dupe  d'un  autre  imposteur  est  absolument 
incompatible  avec  ses  propres  déclarations ,  avec 
celle  du  cabaretier  Jeannet,  et  avec  tout  ce  qui 
s'est  passé  ;  cependant  si  vous  voulez  absolument 
vous  y  tenir,  soit.  Vous  dites  que  mes  ennemis  ont 
trop  d'esprit  poiu'  choisir  une  calomnie  aussi  ab- 


88  CORRESPOJXDA.NCE. 

siirde  :  prenez  garde  qu'en  leur  accordant  tant  d'es- 
prit vous  ne  leur  en  accordiez  pas  encore  assez  ; 
car  leur  objet  n'étant  que  de  voir  quelle  conte- 
nance je  tenais  vis-à-vis  d'un  faux  témoin  ,  il  est 
clair  que  plus  l'accusation  était  absurde  et  ridicule, 
plus  elle  allait  à  leur  but  :  si  ce  but  eût  été  de 
persuader  le  public ,  vous  auriez  raison ,  mais  il 
était  autre.  On  savait  très-bien  que  je  me  tirerais  de 
cette  affaire  ;  mais  on  voulait  voir  comment  je  m'en 
tirerais  ;  voilà  tout.  On  sait  que  Tlievenin  ne  m'a 
pas  prêté  neuf  francs ,  peu  importe  ;  mais  on  sait 
qu'un  imposteur  peut  m'embarrasser  ;  c'est  quel- 
que chose. 

Vos  maximes ,  mon  très-cher  hôte,  sont  très-stoï- 
ques  et  très-belles ,  quoique  un  peu  outrées,  comme 
sont  celles  de  Sénèque ,  et  généralement  celles  de 
tous  ceux  qui  philosophent  tranquillement  dans 
leur  cabinet  sur  les  malheurs  dont  ils  sont  loin ,  et 
sur  l'opinion  des  hommes  qui  les  honore.  J'ai  appris 
assurément  à  n'estimer  l'opinion  d'autrui  que  ce 
qu'elle  vaut ,  et  je  crois  savoir ,  du  moins  aussi  bien 
que  vous ,  de  combien  de  choses  la  paix  de  l'ame 
dédommage;  mais  que  seule  elle  tienne  lieu  de  tout 
et  rende  seule  heureux  les  infortunés,  voilà  ce  que 
j'avoue  ne  pouvoir  admettre;  nç  pouvant,  tant 
que  je  suis  homme ,  compter  totalement  pour  rien 
la  voix  de  la  nature  pâtissante  et  le  cri,  de  l'inno- 
cence avilie.  Toutefois,  comme  il  nous  importe  tou- 
jours, et  surtout  dans  l'adversité,  de  tendre  à  cette 
impassibilité  sublime  à  laquelle  vous  dites  être  par- 
venu ,  je  tâçb,eraji  de  profiter  de  vos  sentences,  et 


AJNNÉE    1-768.  89 

d'y  faire  la  réponse  que  fit  l'architecte  athénien  à 
la  harangue  de  l'autre  :  Ce  qu'il  a  dit ,  je  lejerai. 

Certaines  découvertes ,  amplifiées  peut-être  par 
mon  imagination ,  m'ont  jeté  durant  plusieurs  jours 
dans  ime  agitation  fiévreuse  qui  m.'a  fait  beaucoup 
de  mal ,  et  qui ,  tant  qu'elle  a  duré ,  m'a  empêché 
de  vous  écrire.  Tout  est  calmé;  je  suis  content  de 
moi  ;  et  j'espère  ne  plus  cesser  de  l'être,  puisqu'il 
ne  peut  plus  rien  m'arriver  de  la  part  des  hommes 
à  quoi  je  n'aie  appris  à  m'attendre  et  à  quoi  je  ne 
sois  préparé.  Bonjour,  mon  cher  hôte;  je  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur. 


LETTRE  DCCCLXII. 

A  M.  LALLIAUD. 

Bourgoin  ,  le  28  novembre   1768. 

Je  ne  puis  pas  mieux  vous  détromper,  monsieur, 
sur  la  réserve  dont  vous  me  soupçonnez  envers 
vous,  qu'en  suivant  en  tout  vos  idées,  et  vous  en 
confiant  l'exécution  ;  et  c'est  ce  que  je  fais,  je  vous 
jure,  avec  une  confiance  dont  mon  cœiu'  est  con- 
tent, et  dont  le  vôtre  doit  l'être.  Voici  une  lettre 
])our  M.  le  prince  de  Conti  où  je  parle  comme  vous 
le  désirez  et  comme  je  pense.  Je  n'ai  jamais  ni  dé- 
siré ni  cru  que  ma  lettre  à  M.  l'ambassadeiu-  d'An- 
gleterre dût  ni  put  être  un  secret  pour  son  altesse , 
ni  pour  les  gens  en  place,  mais  seulement  pour  le 
public;  et  je  vous  préviens  luie  fois  pour  toutes 


go  CORRESPOINDANCE. 

que ,  quelque  secret  que  je  puisse  vous  demander 
sur  quoi  que  ce  puisse  être ,  il  ne  regardera  jamais 
M.  le  prince  de  Conti,  en  qui  j'ai  autant  et  plus 
de  confiance  qu'en  moi-même.  Vous  m'avez  pro- 
mis que  ma  lettre  lui  serait  remise  en  main  pro- 
pre; je  suppose  que  ce  sera  par  vous;  j'y  compte, 
et  je  vous  le  demande. 

Vous  aurez  pu  voir  que'  lé  projet  de  passer  en 
Angleterre,  qui  me  vint  en  recevant  le  passe-port, 
a  été  presque  aussitôt  révoqué  que  formé  :  de  nou- 
velles lumières  sur  ma  situation  m'ont  appris  que 
je  me  devais  de  rester  en  France,  et  j'y  resterai. 
M.  Davenport  m'a  fait  une  réponse  très-engageante 
et  très-honnéte.  L'ambassadeur  ne  m'a  point  répon- 
du :  si  j'avais  su  que  le  sieur  Walpole  était  auprès 
de  lui,  vous  jugez  bien  que  je  n'aurais  pas  écrit. 
Je  m'imaginais  bonnement  que  toute  l'Angleterre 
avait  conçu  pour  ce  misérable  et  pour  son  cama- 
rade tout  le  mépris  dont  ils  sont  dignes.  J'ai  tou- 
jours agi  d'après  la  supposition  des  sentiments  de 
droiture  et  d'honneur  innés  dans  les  cœurs  des 
hommes.  Ma  foi  pour  le  coup  je  me  tiens  coi,  et 
je  ne  suppose  plus  rien  ;  me  voilà  de  jour  en  jour 
plus  déplacé  parmi  eux  et  plus  embarrassé  de  ma 
figure  :  si  c'est  leur  tort  ou  le  mien ,  c'est  ce  que 
je  les  laisse  décider  à  leur  mode  :  ils  peuvent  con- 
tinuer à  ballotter  ma  pauvre  machine  à  leur  gré, 
mais  ils  ne  m'ôteront  pas  ma  place  ;  elle  n'est  pas 
au  milieu  d'eux. 

J'ai  été  très-bien  pendant  une  dizaine  île  jours; 
j'étais  gai;  j'avais  bon  appétit;  j'ai  fait  à  mon  lier- 


A.NNÉE    lyGS.  91 

hier  de  bonnes  augmentations  :  depuis  deux  jours 
je  suis  moins  bien ,  j'ai  de  la  fièvre ,  un  grand  mal 
de  tète,  que  les  échecs  où  j'ai  joué  hier  ont  aug- 
menté ;  je  les  aime  ,  et  il  faut  que  je  les  quitte  ; 
mes  plantes  ne  m'amusent  plus  :  je  ne  fais  que  chan- 
ter des  strophes  du  Tasse  ;  il  est  étonnant  quel 
charme  je  trouve  dans  ce  chant  avec  ma  pauvre 
voix  cassée  et  déjà  tremblotante.  Je  me  mis  hier 
tout  en  larmes ,  sans  presque  m'en  apercevoir ,  en 
chantant  l'histoire  d'Olinde  et  de  Sophronie  ;  si  j'a- 
vais une  pauvre  petite  épinette  pour  soutenir  un 
peu  ma  voix  faiblissante,  je  chanterais  du  matin  jus- 
qu'au soir.  Il  est  impossible  à  ma  mauvaise  tète  de 
renoncer  aux  châteaux  en  Espagne.  Le  foin  de  la 
cour  du  château  de  Lavagnac,  une  épinette ,  et  mon 
Tasse,  voilà  celui  qui  m'occupe  aujourd'hui  mal- 
gré moi.  Bonjour,  monsieur  :  ma  femme  vous  sa- 
lue de  tout  son  cœur;  j'en  fais  de  même;  nous 
vous  aimons  tous  deux  bien  sincèrement. 


LETTRE  DCCCLXIII. 

A.  MADAME  LA  PRÉSIDENTE  DE  VERNA. 

Bourgoin ,  le  2  décembre  1768. 

Laissons  à  part,  madame,  je  vous  supplie,  les 
livres  et  leurs  auteurs.  Je  suis  si  sensible  à  votre 
obligeante  invitation ,  que  si  ma  santé  me  permet- 
tait de  faire  en  cette  saison  des  voyages  de  plai- 
sir, j'en  ferais  un  bien  volontiers  pour  aller  vous 


Q2  CORKJiSPOJN  DANCK. 

remercier,  Ca  que  vous  avez  la  bonté  de  me  dire , 
madame,  des  étangs  et  des  montagnes  de  votre 
contrée,  ajouterait  à  mon  empressement,  mais 
n'en  serait  pas  la  première  cause.  On  dit  que  la 
grotte  de  la  Balme  est  de  vos  côtés;  c'est  en- 
core un  objet  de  promenade  et  même  d'habita- 
tion, si  je  pouvais  m'en  pratiquer  luie  dont  les 
fourbes  et  les  chauves-souris  n'approchassent  pas. 
A^  l'égard  de  l'étude  des  plantes,  permettez,  ma- 
dame ,  que  je  la  fasse  en  naturaliste,  et  non  pas  en 
apothicaire  :  car,  outre  que  je  n'ai  qu'une  foi  très- 
médiocre  à  la  médecine,  je  connais  l'organisation 
des  plantes  sur  la  foi  de  la  nature,  qui  ne  ment 
point,  et  je  ne  connais  leurs  vertus  médicinales 
que  sur  la  foi  des  hommes ,  qui  sont  menteurs.  Je 
ne  suis  pas  d'humeur  à  les  croire  sur  leur  parole , 
ni  à  portée  de  la  vérifier.  Ainsi ,  quanta  moi,  j'aime 
cent  fois  mieux  voir  dans  l'émail  des  prés  des  guir- 
landes pour  les  bergères  que  des  herbes  pour  les 
lavements.  Puisse -je,  madame,  aussitôt  que  le 
printemps  ramènera  la  verdure ,  aller  faire  dans 
vos  cantons  des  herborisations  qui  ne  pourront 
qu'être  abondantes  et  brillantes ,  si  je  juge  par  les 
fleurs  que  répand  votre  plitme,de  celles«qui  doi- 
vent naître  autour  de  vous.  Agréez,  madame,  et 
faites  agréer  à  M.  le  président,  je  vous  supplie, 
les  assurances  de  tout  mon  respect. 

Rf.no  II. 


ANNÉE    1768.  93 


LETTRE  DCCCLXIV. 

A  M.   LALLIAUD. 

Bourgoin,  ce  7  décembre  1768. 

Voici  ,  monsieur ,  une  lettre  à  laquelle  je  vous 
prie  de  vouloii'  bien  donner  cours  !  elle  est  pour 
M.  Davenport,  qui  m'a  écrit  trop  honnêtement 
pour  que  je  puisse  me  dispenser  de  lui  donner  avis 
que  j'ai  changé  de  résolution.  J'espère  que  ma  pré 
cédente  avec  l'incluse  vous  sera  bien  parvenue, 
et  j'en  attends  la  réponse  au  premier  jour.  Je  suis 
assez  content  de  mon  état  présent;  je  passe  entre 
mon  Tasse  et  mon  herbier  des  heures  assez  ra- 
pides pour  me  faire  sentir  combien  il  est  ridicule 
de  donner  tant  d'importance  à  une  existence  aussi 
fugitive  :  j'attends  sans  impatience  que  la  mienne 
soit  fixée  ;  elle  l'est  par  tout  ce  qui  dépendait  de 
moi;  le  reste  ,  qui  devient  tous  les  jours  moindre  , 
est  à  la  merci  de  la  nature  et  des  hommes  ;  ce  n'est 
plus  la  peine  de  le  leur  disputer.  J'aimerais  assez 
à  passer  ce  reste  dans  la  grotte  de  la  Balme ,  si  les 
chauves-souris  ne  l'empuantissaient  pas  :  il  faudra 
que  nous  l'allions  voir  ensemble  quand  vous  pas- 
serez par  ici.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


94  CORRESPONDANCE. 

LETTRE  DCCCLXV. 

A  M.  MOULTOU. 

Bourgoin,le  la  décembre  1768. 

Quoi!  monsieur,  c'est  à  M.   Q t  qu'on   s'est 

adressé;  c'est  à  lui  qu'ont  .été  envoyés  les  extraits 
des  lettres  que  je  vous  avais  écrites  dans  la  confi- 
dence de  l'amitié;  et  ce  serait  sous  les  auspices  de 
l'homme  qui  m'a  chassé  du  château  de  Trye ,  mal- 
gré son  maître,  que  j'irais  habiter  celui  de  Lava- 
gnac?  Vraiment,  mon  ami,  vous  avez  opéré  là  de 
belles  choses  !  Mais  n'en  parlons  plus  ;  ce  n'est 
pas  votre  faute  :  vous  ne  saviez  ni  ce  qu'était 

M.  Q t,  ni  ce  que  faisait  M.  M x;  mais  vous 

ne  deviez  pas,  me  semble,  être  si  facile  à  donner 
les  extraits  des  lettres  de  votre  ami.  Le  plus  grand 
mal  de  tout  ceci  est  que  j'ai  trouvé  de  mon  coté 
le  moyen  d'écrire  au  prince  et  de  lui  faire  passer 
ma  lettre.  Si  son  altesse  agrée  que  j'aille  à  Lava- 
gnac,  comment  ferai-je  pour  m'en  dédire,  après 
le  lui  avoir  demandé  ?  ou  à  quelle  destinée  dois-je 
m'attendre  si  j'ose  aller  me  livrer  à  des  gens  sur 

qui  Q t  a  de  l'influence?  Ce  qu'il  y  a  de  sûr 

est  qu'il  n'y  a  rien  à  quoi  je  ne  m'expose  plutôt 
qu'à  la  disgrâce  du  prince,  et  surtout  à  la  mériter  : 
ainsi  s'il  approuve  que  j'aille  à  Lavagnac,  je  suis 
déterminé  à  m'y  rendre  à  tout  risque,  quoique 
assurément  le  destin  qu'on  m'y  prépare  ne  puisse 


ANNÉE    1768.  95 

être  pire  que  celui  auquel  je  m'atteuds.  Mais  que 

j'écrive  à  M.  Q t,  moi!  non,  mon  ami,  le  riche 

Dauphinais  et  le  célèbre  Génei>ois  ne  sont  point  faits 
pour  s'écrire  l'un  à  l'autre ,  et  ne  s'écriront  jamais , 
je  vous  en  réponds. 

Je  suis  vivement  touché  du  zèle  et  des  bontés 
de  M.  Venel  :  je  ne  lui  écris  pas,  parce  qu'il  m'est 
très-pénible  d'écrire  ,  mais  j'ai  le  cœur  plein  de  lui  : 
si  j'allais  à  Lavagnac,  l'avantage  d'être  auprès  de 
lui  me  pourrait  consoler  et  dédommager  de  beau- 
coup  de  choses;  mais  je  vous  avoue  que  l'idée 

d'être  au  pouvoir  du  sieur  Q t  me  foit  frémir. 

Ce  qu'il  y  a  de  bizarre  est  que  je  ne  connais  point 
du  tout  cet  homme-là,  que  je  n'ai  jamais  eu  nulle 
affaire  avec  lui ,  nulle  sorte  de  liaison ,  que  je  ne 
l'ai  même  jamais  vu  que  je  sache.  Il  me  hait,  comme 
tous  mes  autres  ennemis,  sans  avoir  à  se  plaindre 
de  moi  en  aucune  sorte ,  et  uniquement  parce  qu'ils 
ont  tous  des  cœurs  faits  pour  goûter  un  plaisir 
sensible  à  haïr  et  tourmenter  les  infortunés.  Au 
reste  ,  vous  vous  doutez  bien  qu'un  courtisan  aussi 

délié  que  M.  Q tse  garde  bien  d'avouer  sa  haine  : 

il  suit  encore  en  cela  les  mêmes  errements  des 
autres;  et,  pour  mieux  servir  sa  haine,  il  a  grand 
soin  de  la  cacher. 

Je  vous  renvoie  ci-jointe  la  lettre  de  votre  ami , 
j'en  suis  pénétré:  si  je  dépendais  de  moi,  je  ne 
tarderais  guère  à  aller  lui  demander  ses  directions 
et  profiter  de  ses  soins  généreux  :  il  ne  dépendra 
même  pas  de  moi  que  cela  n'arrive;  mais  ceux 
qui  disposent  de  moi  règlent  ma  marche  comme 


g6  CORRESPONDANCE. 

Dieu  celle  de  la  mer,  Procèdes  hue,  et  non  ibis 
ampUlis.  Adieu,  cher*  Moultou  :  je  ne  sais  ce  qu'il 
arrivera  de  moi.  Je  vois  que  je  soupire  en  vain 
après  le  repos  qu'on  ne  veut  pas  m 'accorder  ;  mais 
ce  qu'on  ne  m'ùtera  pas  du  moins,  quoi  qu'il  ar- 
rive, c'est  le  plaisir  de  vous  aimer  jusqu'à  mon 
dernier  soupir. 

Je  vois ,  par  ce  que  monsieur  votre  ami  vous 
dit  de  son  herbier,  et  de  ce  qu'il  se  propose  d'y 
joindre ,  qlie  ce  n'est  pas  tout-à-fait  ce  que  j'avais 
imaginé  sur  votre  expression.  Vous  m'aviez  an- 
noncé des  plantes  marines  :  les  plantes  marines 
sont  àe9,Jucus  qui  viennent  dans  la  mer;  et  je  pré- 
sume par  sa  lettre  que  ce  sont  seulement  des  plantes 
maritimes  qui  viennent  sur  les  rivages  ;  c'est  autre 
chose  :  mais  n'importe  ,  l'un  ou  l'autre  présent  me 
sera  toujours  très-précieux. 

Je  vois  que  madame  Moultou  a  été  malade  :  Vous 
ne  m'en  aviez  rien  dit  ;  vous  aviez  tort  :  Famitié  est 
un  sentiment  si  doux  qu'elle  donne  même  ime 
sorte  de  plaisir  à  partager  les  peines  de  nos  amis , 
et  vous  m'avez  ravi  ce  plaisir-là.  Il  est  vrai  que  je 
lui  préfère  celui  de  partager  maintenant  votre  joie. 
Mille  respects  de  ma  part  et  de  celle  de  ma  femme 
à  votre  chère  convalescente,  et  prenez -en  votre 
part. 


ANNÉE    1768.  97 

LETTRE  DCCCLXVL 

A  M.  DU  PEYROU. 

Bourgoin  ,  le  19  décembre  1768. 

Ce  que  vous  me  marquez  de  la  fin  de  vos  brouil- 
îeries  avec  la  cour  me  fait  grand  plaisir;  et  j'en 
augure  que  vous  pourrez  encore  vivre  agréable- 
ment où  vous  êtes ,  et  où  vous  êtes  retenu  par  des 
liens  d'attachement  qu'il  n'est  pas  dans  votre  cœur 
de  rompre  aisément.  Il  me  semble  que  le  roi  se 
conduit  réellement  en  très-grand  roi ,  lorsqu'il  veut 
premièrement  être  le  maître,  et  puis  être  juste. 
Vous  penserez  qu'il  serait  plus  grand  et  plus  beau 
de  vouloir  transposer  cet  ordre  :  cela  peut  être  ; 
mais  cela  est  au-dessus  de  l'humanité,  et  c'est  bien 
assez ,  pour  honorer  le  génie  et  l'ame  du  plus  grand 
prince ,  que  le  premier  article  ne  lui  fasse  pas  né- 
gliger l'autre.  Si  Frédéric  ratifie  le  rétablissement 
de  tous  vos  privilèges ,  comme  je  l'espère ,  il  aura 
mérité  de  vous  le  plus  bel  éloge  que  puisse  méri- 
ter un  souverain,  et  qui  l'approche  de  Dieu  même, 
celui  qu'Armide  faisait  de  Godefroi  de  Bouillon  : 

Tu ,  cui  concasse  il  cielo  e  diel'  ti  il  fato , 
Voler  il  giusto ,  e  poter  ciô  che  vuoi. 

Je  m'imagine  que  si  les  députés ,  qu'en  pareil  cas 
vous  lui  enverrez  probablement  pour  le  remercier, 
lui  récitaient  ces  deux  vers  pour  toute  harangue , 
ils  ne  seraient  pas  mal  reçus. 

R.  xxn.  7 


q8  CORRESPONDANCE. 

Je  suis  bien  touché  de  la  commission  que  vous 
avez  donnée  à  Gagnebin  :  voilà  vraiment  un  soin 
d'amitié ,  un  soin  de  ceux  auxquels  je  serai  tou- 
jours sensible,  parce  qu'ils  sont  choisis  selon  mon 
cœur  et  selon  mon  goût.  Je  dois  certainement  la 
vie  aux  plantes  :  ce  n'est  pas  ce  que  je  leur  dois 
de  bon  ,  mais  je  leur  dois  d'en  couler  encore  avec 
agrément  quelques  intervalles  au  milieu  des  amer- 
tumes dont  elle  est  inondée  :  tant  que  j'herborise 
je  ne  suis  pas  malheureux;  et  je  vous  réponds  que, 
si  l'on  me  laissait  faire,  je  ne  cesserais  tout  le  reste 
de  ma  vie  d'herboriser  du  matin  au  soir.  Au  reste, 
j'aime  mieux  que  le  recueil  de  M.  Gagnebin  soit 
très-petit,  et  qu'il  ne  soit  pas  composé  de  plantes 
communes  qu'on  trouve  partout  :  je  ne  vous  dis- 
simulerai même  pas  que  j'ai  déjà  beaucoup  de 
plantes  alpines  et  des  plus  rares  ;  cependant  ,. 
comme  il  y  en  a  encore  un  très -grand  nombre 
qui  me  manquent ,  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  s'en 
trouve  dans  votre  envoi  qui  me  feront  grand  plai- 
sir par  elles-mêmes ,  outre  celui  de  les  recevoir  de 
vous.  Par  exemple ,  quoique  je  sois  assez  riche  en 
gentianes,  il  y  en  a  une  que  je  n'ai  pu  trouver  en- 
core ,  et  que  je  convoite  beaucoup ,  c'est  la  grande 
gentiane  pourprée  ^  la  seconde  en  rang  du  species  de 
Linnœus.  J'ai  le  tozzia  alpina ,  Linn.  ;  mais  il  y 
manque  la  racine ,  qui  est  la  partie  la  plus  curieuse 
de  cette  plante,  d'ailleurs  difficile  à  sécher  et  con- 
server. J'ai  Xavaursi  en  fruits,  mais  je  ne  l'ai  pas  en 
fleurs.  J'ai  V azaica procumbens  ;  mais  il  me  manque 
d'autres  beaux  chamœrhododendros  des  Alpes.  Je 


ANNÉE    I^GS.  99 

n'ai  qu'un  misérable  petit  Androsace.  Je  n'ai  pas 
le  cortusa  Matthioli^  etc.  La  liste  de  ce  que  j'ai  se- 
rait longue,  celle  de  ce  qui  me  manque  plus  longue 
encore;  mais  si  vous  vouliez  m'envoyer  celle  de  ce 
que  vous  enverra  Gagnebih,j'y  pourrais  noter  ce 
qui  me  manque,  afin  que  le  reste,  étant  superflu 
dans  mon  herbier ,  pût  demeurer  dans  le  vôtre.  Je 
me  suis  ruiné  en  livres  de  botanique,  et  j'avais  bien 
résolu  de  n'en  plus  acheter;  cependant  je  sens  que 
m'affectionnant  aux  plantes  des  Alpes,  je  ne  puis 
me  passer  de  celui  de  Haller.  Vous  m'obligerez  de 
vouloir  bien  me  marquer  exactement  son  titre , 
son  prix,  et  le  lieu  où  vous  l'avez  trouvé;  car  la 
France  est  si  barbare  encore  en  botanique ,  qu'on 
n'y  trouve  presque  aucun  livre  de  cette  science  ; 
et  j'ai  été  obligé  de  faire  venir  à  grands  frais  de 
Hollande  et  d'Angleterre  le  peu  que  j'en  ai;  encore 
ai -je  cherché  partout  ceux  de  Clusius  sans  pou- 
voir les  trouver. 

Voilà  bien  du  bavardage  sur  la  botanique,  dont 
je  vois,  avec  grand  regret,  que  vous  avez  tout-à- 
fait  perdu  le  goût.  Cependant,  puisque  vous  avez 
un  peu  fêté  mon  apocytiy  j'ai  grande  envie  de  vous 
envoyer  quelques  graines  de  l'arbre  de  soie  et  de 
la  pomme  de  cannelle,  qu'on  m'a  dernièrement  ap- 
portées des  îles.  Quand  vous  commencerez  à  meu- 
bler votre  jardin ,  je  suis  jaloux  d'y  contribuer. 
Bonjour ,  mon  cher  hôte  ;  nous  vous  embrassons 
et  vous  saluons  l'un  et  l'autre  de  tout  notre  cœur. 


lOO  CORRESPONDANCE. 


LETTRE  DCCCLXVII. 

A  M.  LALLIAUD. 

Bourgom,le  19  décembre  1768. 

Pauvre  garçon ,  pauvre  Sauttersheim  !  Trop  oc- 
cupé de  moi  durant  ma  détresse,  je  l'avais  un  peu 
perdu  de  vue  ;  mais  il  n'était  point  sorti  de  mon 
Cœur,  et  j'y  avais  nourri  le  désir  secret  de  me  rap- 
procher de  lui,  si  jamais  je  trouvais  quelque  inter- 
valle de  repos  entre  les  malheurs  et  la  mort.  C'é- 
tait l'homme  qu'il  me  fallait  pour  me  fermer  les 
yeux  ;  son  caractère  était  doux  ,  sa  société  était 
simple ,  rien  de  la  pretintaille  française  ;  encore 
plus  de  sens  que  d'esprit  ;  un  goût  sain ,  formé  par 
la  bonté  de  son  cœur  ;  des  talents  assez  pour  parer 
une  solitude ,  et  un  naturel  fait  pour  l'aimer  avec 
un  ami  :  c'était  mon  homme  ;  la  Providence  me  l'a 
ôté  ;  les  hommes  m'ont  oté  la  jouissance  de  tout 
ce  qui  dépendait  d'eux;  ils  me  vendent  jusqu'à  la 
petite  mesure  d'air  qu'ils  permettent  que  je  res- 
pire :  il  ne  me  restait  qu'une  espérance  illusoire , 
il  ne  m'en  reste  plus  du  tout.  Sans  doute  le  ciel  me 
trouve  digne  de  tirer  de  moi  seul  toutes  mes  res- 
sources, puisqu'il  ne  m'en  reste  plus  aucune  autre. 
Je  sens  que  la  perte  de  ce  pauvre  garçon  m'affecte 
plus  à  proportion  qu'aucun  de  mes  autres  malheurs. 
Il  fallait  qu'il  y  eût  une  sympathie  bien  forte  entre 
lui  et  moi,  puisque,  ayant  déjà  appris  à  me  mettre 


/ 


ANNÉE    l-yGS.  lOI 

en  garde  contre  les  empressés,  je  le  reçus  à  bras 
ouverts  sitôt  qu'il  se  présenta ,  et  dès  les  premiers 
jours  de  notre  liaison  ,  elle  fut  intime.  Je  me  sou- 
viens que,  dans  ce  même  temps,  on  m'écrivit  de 
Genève  que  c'était  un  espion  aposté  pour  tâcher 
de  m'attirer  en  France,  où  l'on  voulait,  disait  la 
lettre,  me  faire  un  mauvais  parti.  Là-dessus  je  pro- 
posai à  Sauttersheim  un  voyage  à  Pontarlier ,  sans 
lui  parkr  de  ma  lettre  :  il  y  consent  ;  nous  partons. 
En  arrivant  à  Pontarlier,  je  l'embrasse  avec  trans- 
port, et  puis  je  lui  montre  la  lettre  :  il  la  lit  sans 
s'émouvoir  ;  nous  nous  embrassons  derechef,  et  nos 
larmes  coulent.  J'en  verse  derechef  en  me  rappe- 
lant ce  délicieux  moment.  J'ai,  fait  avec  lui  plu- 
sieurs petits  voyages  pédestres  ;  j^e  commençais 
d'herboriser ,  il  prenait  le  même  goût;  nous  allions 
voir  Milord  Maréchal ,  qui ,  sachant  que  je  l'aimais , 
le  recevait  bien ,  et  le  prit  bientôt  en  amitié  lui- 
même.  Il  avait  raison.  Sauttersheim  était  aimable; 
mais  son  mérite  ne  pouvait  être  senti  que  des  gens 
bien  nés;  il  glissait  sur  tous  les  autres.  La  généra- 
tion dans  laquelle  il  a  vécu  n'était  pas  faitç  pour 
le  connaître  :  aussi  n'a-t-il  rien  pu  faire  à  Paris  ni 
ailleurs.  Le  ciel  l'a  retiré  du  milieu  des  hommes  où 
il  était  étranger  ;  mais  pourquoi  m'y  a-t-il  laissé? 

Pardon  ,  monsieur  ;  mais  vous  aimiez  ce  pauvre 
garçon,  et  je  sais  que  l'effusion  de  mon  attacher 
ment  et  de  mon  regret  ne  peut  vous  déplaire.  Je 
suis  sensible  à  la  peine  que  vous  avez  bien  voulu 
prendre  en  ma  faveur  auprès  de  M.  le  prince  de 
Conti;  mais  vous  en  avez  été  bien  payé  par  le  plaisir 


I02  CORRESPONDAlyCE. 

de  converser  avec  le  plus  aimable  et  le  plus  géné- 
reux des  hommes ,  qui  sûrement  eût  aimé  et  favo- 
risé notre  pauvre  Sauttersheim  s'il  l'avait  connu.  Je 
vois ,  par  ce  que  vous  me  marquez  de  ses  nouvelles 
bontés  pour  moi,  qu'elles  sont  inépuisables  comme 
la  générosité  de  son  cœur.  Ah!  pourquoi  faut -il 
que  tant  d'intermédiaires  qui  nous  séparent  dé- 
tournent et  anéantissent  tout  l'effet  de  ses  soins? 
J'apprends  que  son  trésorier ,  qui  m'a  fait  chasser 
du  château  de  Trye  à  force  d'intrigues ,  est  en  liai- 
son avec  l'agent  du  prince  à  celui  de  Lavagnac ,  et 
qu'il  a  déjà  été  question  de  moi  entre  eux  deux.  Il 
ne  m'en  faut  pas  davantage  pour  juger  d'avance 
du  sort  qu'on  m'y  prépare  ;  mais  n'importe ,  me 
voilà  prêt,  et  il  n'y  a  rien  que  je  n'endure  plutôt 
que  de  mériter  la  disgrâce  du  prince  en  me  rétrac- 
tant sur  ce  que  j'ai  demandé  moi-même,  et  en  lais- 
sant inutile  ,  par  ma  faute,  les  démarches  qu'il  veut 
bien  faire  en  ma  faveur.  De  tous  les  malheurs  dont 
on  a  résolu  de  m'accabler  jusqu'à  ma  dernière 
heure,  il  y  en  a  un  du  moins  dont  je  saurai  me 
garantir  quoi  qu'on  fasse,  c'est  celui  de  perdre  sa 
bienveillance  et  sa  protection  par  ma  faute. 

Vous  avez  la  bonté ,  monsieur ,  de  me  chercher 
une  épinette.  Voilà  un  soin  dont  je  vous  suis  très- 
obligé  ,  mais  dont  le  succès  m'embarrasserait  beau- 
coup; car  avant  d'avoir  ladite  épinette,  il  faudrait 
premièrement  me  pourvoir  d'un  lieu  pour  la  pla- 
cer ,  et..,,  d'une  pierre  pour  y  poser  ma  tête.  Mon 
herbier  et  mes  livres  de  botanique  me  coûtent  déjà 
beaucoup  de  peine  et  d'argent  à  transporter  de  gîte 


AJVNKE  1768.  ro3 

en  gite,  et  de  cabaret  en  cabaret.  Si  nous  ajoutions 
de  surcroît  une  épinette ,  il  faudrait  donc  y  atta- 
cher des  courroies  ,  afin  que  je  pusse  la  porter  sur 
mon  dos ,  comme  les  Savoyardes  portent  leurs 
vielles  :  tout  cet  attirail  me  ferait  un  équipage  as- 
sez digne  du  Roman  comique,  mais  aussi  peu  ri- 
sible  qu'utile  pour  moi.  Dans  les  douces  rêveries 
dont  je  suis  encore  assez  fou  pour  me  bercer  quel- 
quefois, j'ai  pu  fairs  entrer  le  désir  d'une  épinette  ; 
mais  nous  serons  assez  à  temps  de  songer  à  cet 
article  quand  tous  les  autres  seront  réalisés;  et  il 
me  semble  que  de  tous  les  services  que  vous  pour- 
riez me  rendre ,  celui  de  me  pourvoir  d'une  épi- 
nette doit  être  laissé  pour  le  dernier.  Il  est  vrai 
que  vous  iTie  voyez  déjà  tranquille  au  château  de 
Lavagnac.  Ah  !  mon  cher  monsieur  Lalliaud ,  cela 
me  prouve  que  vous  avez  la  vue  plus  longue  que 
moi.  Bonjour,  monsieur;  nous  vous  saluons  tous 
deux  de  tout  notre  cœur.  Je  vous  donne  l'exemple 
de  finir  sans  compliments  ;  vous  ferez  bien  de  le 
suivre. 


LETTRE  DCCCLXVIIÏ. 

A  M.  MOULTOU. 

Bourgoin,  le  3o  décembre  1768. 

J'attendais  ,  cher  Moultou ,  pour  répondre  à 
votre  dernière  lettre,  d'avoir  reçu  les  ordres  que 
M.  le  prince  de  Conti  m'avait  fait  annoncer  en- 


Io4  CORRESPONDANCE. 

suite  de  l'approbation  qu'il  a  donnée  au  projet  de 
ma  retraite  à  Lavagnac;  mais  ces  ordres  ne  sont 
point  encore  venus ,  et  je  crains  qu'ils  ne  viennent 
pas  sitôt  ;  car  son  altesse  m'a  fait  prévenir  qu'il  fal- 
lait, avant  de  m'écrire,  qu'elle  prît  pour  ce  projet 
des  arrangements  semblables  à  ceux  qu'elle  a  cru 
à  propos  de  prendre  pour  mon  voyage  en  Dau- 
phiné  :  ces  arrangements  dépendent  de  l'accord  de 
personnes  qui  ne  se  rencontrent  pas  souvent;  et 
quelle  que  soit  la  générosité  de  cœur  de  ce  grand 
prince ,  de  quelque  extrême  bonté  qu'il  m'honore, 
vous  sentez  qu'il  n'est  pas  ni  ne  saurait  être  oc- 
cupé de  moi  seul  ;  et  la  chose  du  monde  qui  fait  le 
mieux  son  éloge  est  qu'il  ne  se  soit  pas  encore  en- 
nuyé de  tous  les  soins  que  je  lui  ai  coûtés.  J'attends 
donc  sans  impatience  ;  mais  en  attendant ,  ma  si- 
tuation devient,  à  tous  égards,  plus  critique  de 
jour  en  jour  ;  et  l'air  marécageux  et  l'eau  de  Bour- 
gouin  m'ont  fait  contracter  depuis  quelques  temps 
une  maladie  singulière  dont,  de  manière  ou  d'autre, 
il  faut  tâcher  de  me  délivrer  :  c'est  un  gonflement 
d'estomac  très-considérable  et  sensible  même  au- 
dehors ,  qui  m'oppresse  ,  m'étouffe ,  et  me  gêne, au 
point  de  ne  pouvoir  plus  rne  baisser ,  et  il  faut  que 
ma  pauvre  femme  ait  la  peine  de  me  mettre  mes 
souliers  ,  etc.  Je  croyais  d'abord  d'engraisser,  mais 
la  graisse  n'étouffe  pas; je  n'engraisse  que  de  l'es- 
tomac ,  et  le  reste  est  tout  aussi  maigre  qu'à  l'or- 
dinaire. Cette  incommodité ,  qui  croît  à  vue  d'œil , 
me  détermine  à  tacher  de  sortir  de  ce  mauvais 
pays  le  plus  tôt  qu'il  me  sera  possible.  En  atten- 


AJVNÉE    I^GS.  Io5 

dant  que  le  prince  ait  jugé  à  propos  de  disposer 
de  moi,  il  y  a  dans  ce  pays,  à  demi-lieue  de  la  ville, 
une  maison  à  mi-côte,  agréable,  bien  située,  où 
l'eau  et  l'air  sont  très-bons,  et  où  le  propriétaire 
veut  bien  me  céder  un  petit  logement  que  j'ai  des- 
sein d'occuper.  La  maison  est  seule ,  loin  de  tout 
village ,  et  inhabitée  dans  cette  saison.  J'y  serai  seul 
avec  ma  femme  et  une  servante  qu'on  y  tient  : 
voilà  une  belle  occasion,  pour  ceux  qui  disposent 
de  moi ,  de  se  délivrer  du  soin  de  ma  garde ,  et  de 
me  délivrer ,  moi ,  des  misères  de  cette  vie.  Cette 
idée  ne  me  détourne ,  ni  ne  me  détermine  :  je 
compte  aller  là  dans  quelques  jours,  à  la  merci  des 
hommes  et  à  la  garde  de  la  Providence.  En  atten- 
dant que  je  sache  s'il  m'est  permis  d'aller  vous 
joindre,  ou  si  je  dois  rester  dans  ce  pays  (car  je 
suis  déterminé  à  ne  prendre  aucun  parti  sans  l'a- 
veu du  prince ,  parce  que  ma  confiance  est  égale 
à  ma  reconnaissance  ,  et  c'est  tout  dire),  cher  Moul- 
tou,  adieu  :  je  ne  sais  ni  dans  quel  temps  ni  à 
quelle  occasion  je  cesserai  de  vous  écrire  ;  mais , 
tant  que  je  vivrai,  je  ne  cesserai  de  vous  aimer. 


LETTRE  DCCCLXIX. 

A  MADAME  LATOUR. 

A  Bourgoin,  le  3  janvier  1769, 

Ceux  qui  ont  besoin  qu'un  homme  dans  mon 
état  leur  rappelle  son  existence  sont  indignes  qu'il 


lo6  CORRESPONDANCE. 

les  en  lasse  souvenir.  Je  savais,  chère  Marianne, 
que  vous  n'éliez  pas  de  ce  nombre;  j'attendais  de 
vos  nouvelles,  et  j'étais  sur  d'en  recevoir,  mais 
ma  situation  ne  me  permettait  pas  de  vous  en  de- 
mander. Mon  cœur  ne  peut  cesser  d'être  plein  de 
vous;  je  vous  chérissais  par  toutes  les  qualités  ai- 
mables que  vous  m'avez  montrées;  mais  un  seul 
service  de  véritable  amitié  m'imprimera  toujours 
un  sentiment  plus  fort  que" tout  autre  attachement, 
un  sentiment  que  l'absence  ni  le  temps  ne  peuvent 
prescrire  ;  et ,  soit  qu'il  me  reste  peu  ou  beaucoup 
de  temps  à  vivre,  vous  me  serez  aussi  respectable 
que  chère  jusqu'à  mon  dernier  soupir. 

Depuis  quelques  jours  je  ne  puis  plus  écrire  sans 
beaucoup  souffrir,  et  bientôt,  si  mon  état  empire, 
je  ne  le  pourrai  plus  du  tout.  Un  mal  d'estomac , 
accompagné  d'enflure  et  d'étouffement ,  ne  me  per- 
met plus  de  me  baisser:  toute  autre  attitude  que 
celle  de  me  tenir  droit  me  suffoque  ,  et  il  y  a  déjà 
long-temps  que  je  ne  puis  mettre  moi-même  mes 
souliers.  Je  veux  attribuer  ce  mal  extraordinaire 
à  l'air  et  à  l'eau  du  pays  marécageux  que  j'habite; 
si  je  m'en  tire,  je  vous  l'écrirai;  si  j'y  succombe, 
Marianne ,  honorez  la  mémoire  de  votre  ami ,  et 
soyez  sûre  qu'il  a  vécu  et  qu'il  mourra  digne  des 
sentiments  que  vous  lui  avez  témoignés. 


ANNÉE    1769.  107 

LETTRE  DCCCLXX. 

A  M.  BEAUCHATEAU. 

Bourgoin,  le  9  janvier  1769. 

Hier,  monsieur ,  je  reçus,  par  le  canal  du  sieur 
Guy,  libraire  à  Paris,  avec  des  Etrennes  mignonnes, 
votre  lettre  du  7  septembre  1768. 

Mes  ennemis  ont  toujours  parlé;  mes  amis,  si 
j'en  ai,  se  sont  toujours  tus  :  les  uns  et  les  autres 
peuvent  continuer  de  même.  Je  ne  désire  point 
qu'on  me  loue,  encore  moins  qu'on  me  justifie.  J'ap- 
proche d'un  séjour  où  les  injustices  des  hommes 
ne  pénètrent  pas.  La  seule  chose  que  je  désire, 
en  les  quittant,  est  de  les  laisser  tous  heureux  et  en 
paix.  Adieu,  monsieur. 


LETTRE  DCGCLXXL 

A  M.  DU  PEYROU. 

Bourgoin,  le  i  2  janvier  1769. 

Permettez, mon  cher  hôte,  que,  dans  l'impossi- 
bilité où  me  met  un  grand  mal  d'estomac ,  accom- 
pagné d'enflure,  d'étouffement ,  et  de  fièvre,  d'é- 
crire moi-même,  j'emprunte  le  secoursd'une  autre 
main  pour  vous  marquer  combien  je  suis  touché 
de  la  continuation  de  vos  alarmes  sur  le  triste  état 


Io8  CORRESPONDANCE. 

de  madame  la  commandante.  Je  vous  avoue  que 
depuis  que  j'eus  l'honneiu-  de  la  voir  un  peu  de 
suite  à  Cressier,  je  jugeai  sur  plusieurs  sigiies  que 
son  sang,  très-sain  d'ailleurs,  tenait  d'une  hu- 
meur scorbutique ,  et  vous  savez  que  c'est  un  des 
effets  du  scorbut  de  rendre  les  os  très-fragiles  ; 
mais  en  même  temps,  cette  humeur  surabondante 
rend  les  calus  très -faciles  à  former.  Ainsi  le  re- 
mède, à  quelque  égard,  suit  le  mal;  il  n'y  a  que 
des  mouvements  bien  liants ,  bien  doux ,  tels  qu'elle 
sera  forcée  de  les  faire,  qui  puissent  prévenir  pa- 
reils accidents  à  l'avenir.  Son  état  forcé  sera  pres- 
que celui  où  elle  serait  obligée  de  se  tenir  volontai- 
rement à  l'avenir  pour  prévenir  d'autres  fractures, 
quand  même  elle  n'en  aurait  point  eu  jusqu'ici.  Le 
mien,  mon  cher  hôte,  me  dispense  de  tant  de  pré- 
voyance, et  je  crois  que  la  nature  ou  les  hommes 
me  laissent  voir  de  plus  près  le  repos  auquel  j'a- 
vais inutilement  aspiré  jusqu'ici.  Accoutumé  à  l'air 
subtil  des  montagnes,  je  puis  juger  que  l'air  ma- 
récageux du  pays  que  j'habite,  et  les  mauvaises 
eaux  que  l'on  est  forcé  d'y  boire ,  ont  contribué 
à  me  mettre  dans  cet  état.  Si  j'avais  eu  plus  de 
force  et  de  moyens,  que  ma  santé  fût  moins  déses- 
pérée ,  je  tâcherais  d'aller  travailler  à  la  rétablir 
dans  quelque  habitation  plus  convenable  à  mon 
tempérament.  Mais  le  mal  me  paraît  sans  remède; 
je  suis  très-faible ,  c'est  une  grande  fatigue  pour 
moi  de  me  transplanter;  ainsi  j'ignore  encore  si 
j'en  aurai  l'occasion  ,  le  courage,  et  si  j'y  serai  à 
temps.  S'il  arrivait  que  je  fusse  privé  du  plaisir  de 


ANNÉE    1769.  109 

VOUS  écrire  davantage  ,  vous  pourrez  toujours 
avoir  des  nouvelles  de  ma  femme,  et  lui  donner 
des  vôtres,  comme  j'espère  que  vous  voudrez  bien 
faire  par  la  voie  de  Lyon. 

Quant  à  ce  qui  est  entre  vos  mains ,  et  qui  peut 
être  complété  par  ce  qui  est  dans  celles  de  la  dame 
à  la  marmelade  de  fleur  d'orange,  je  vous  laisse 
absolument  le  maître  d'en  disposer  après  moi  de 
la  manière  qui  vous  paraîtra  la  plus  favorable  aux 
intérêts  de  ma  veuve,  à  ceux  de  ma  filleule,  et  à 
l'honneur  de  ma  mémoire. 

Il  n'y  a  pas  d'apparence,  mon  cher  hôte,  qu'il 
soit  désormais  beaucoup  question  de  botanique; 
ainsi  vos  plantes  des  Alpes  et  le  livre  que  vous  y 
vouliez  joindre  ne  seront  probablement  plus  de  sai- 
son quand  même  je  resterais  comme  je  suis,  ce  qui 
me  paraît  impossible,  puisque  je  ne  saurais  ac- 
tuellement me  baisser ,  ni  mettre  mes  souliers  moi- 
même;  ce  qui  n'est  pas  une  bonne  disposition  pour 
herboriser.  D'ailleurs  la  fièvre  ,  et  même  assez 
forte,  me  rend  si  faible,  qu'il  faut  dans  peu  qu'elle 
s'en  aille  ou  que  je  m'en  aille.  Je  ne  puis  pas  vous 
dire  encore  lequel  sera  des  deux. 

Depuis  cette  lettre  écrite ,  mon  cher  hôte ,  je 
me  sens  mieux,  et  assez  bieii  pour  pouvoir,  sans 
beaucoup  d'incommodité,  y  joindre  un  mot  de  ma 
main  ;  mais  ma  pauvre  femme  à  son  tour  est  tom- 
bée malade,  et  ma  chambre  est  un  hôpital.  Comme 
je  suis  persuadé  que  réellement  l'air  de  ce  lieu 
nous  est  pernicieux  à  l'un  et  à  l'autre,  je  suis  dé- 
terminé ,  sitôt  qu'elle  sera  en  état  de  souffrir  le 


IIO  CORRESPONDAIVCE. 

transport,  d'aller  nous  établira  une  lieue  d'ici,  sur 
la  hauteur,  en  très-bon  air,  dans  une  maison  aban- 
donnée, mais  où  le  gentilhomme  à  qui  elle  appar- 
tient veut  bien  me  faire  accommoder  un  petit  loge- 
ment. Adieu ,  mon  cher  hôte;  nous  vous  embrassons 
l'un  et  l'autre  de  tout  notre  cœur:  offrez  nos  res- 
pects et  nos  vœux  à  la  maman ,  et  nos  amitiés  à 
M.  Jeannin. 


LETTRE   DCGCLXXII. 

A  M.  LALLIAUD. 

Bourgoin,  le  i6  janvier  1769, 

Je  commence,  monsieur,  d'entrevoir  le  repos 
que  vous  m'annoncez ,  et  que  j'ai  pressenti  même 
avant  vous  ;  un  grand  mal  d'estomac,  accompagné 
d'enflure ,  d'étouffement ,  et  de  fièvre ,  m'en  montre 
la  route  autre  que  celle  que  vous  avez  prévue , 
mais  la  seule  par  laquelle  j'y  puis  parvenir.  Cette 
bizarre  maladie  a  des  relâches ,  que  je  paie  par 
des  retours  plus  cruels;  et  hier  même  je  me  croyais 
guéri  :  j'ai  changé  cette  nuit  d'opinion;  je  com- 
prends que  j'en  ai  pour  le  reste  de  la  route ,  mais 
j'ignore  si  le  trajet  qui  me  reste  à  faire  sera  court 
ou  long.  La  seule  chose  que  je  sens,  c'est  qu'il 
sera  rude ,  d'autant  plus  que  l'impossibilité  de  me 
baisser,  de  me  chausser,  d'herboriser  par  consé- 
quent,  et  l'extrême  difficulté  d'écrire,  me  con- 
damnent à  la  plus  insupportable  inaction ,  ne  pou- 


ANNÉE    1769.  î  I  I 

vaut  supporter  aucune  lecture,  ni  feuilleter  que 
des  livres  de  plantes,  qui  vont  ne  me  servir  plus 
de  rien.  Je  crois  que  l'attitude  d'être  continuelle- 
ment occupé  à  coller  des  plantes,  et  courbé  sur 
la  caisse  de  mon  herbier ,  a  beaucoup  contribué 
à  détruire  mon  estomac;  et  lorsque  je  reprends 
dans  des  moments  la  même  attitude,  la  douleur 
et  l'oppression,  qui  redoublent,  me  forcent  bien 
vite  à  la  quitter  :  mais  je  crois  que  l'air  et  l'eau 
de  ce  pays  marécageux  m'ont  fait  plus  de  mal  en- 
core. Je  ne  m'en  suis  pas  senti  tout  seul;  et  ma 
femme ,  qui  vient  d'être  aussi  malade ,  en  a  éprouvé 
sa  part.  Cela  m'a  déterminé ,  me  voyant  totalement 
oublié ,  ou  du  moins  abandonné ,  à  accepter  un 
petit  logement  qui  m'a  été  offert  sur  la  hauteur, 
à  une  lieue  d'ici ,  dans  une  maison  inhabitée ,  mais 
en  très-bon  air,  et  je  compte  m'y  transplanter 
aussitôt  qu'il  sera  prêt,  et  que  nous  en  aurons  la 
force;  trop  heureux  si  l'on  m'y  laisse  au  moins 
finir  mes  jours  dans  la  langueur  d'une  oisiveté 
totale,  ou  mêlée  uniquement  de  mes  maux,  plus 
supportables  pour  moi  qu'elle. 

Voici ,  monsieur ,  une  lettre  de  change  de  dix 
livres  sterling  sur  l'Angleterre,  que  je  vous  prie 
de  tâcher  de  négocier,  ou  d'envoyer  à  Londres; 
elle  sera  payée  sur-le-champ  :  c'est  une  petite  rente 
viagère  que  j'ai  reçue  en  paiement  de  mes  livres, 
que  je  vendis  à  Londres  pour  n'avoir  plus  à  les 
traîner  après  moi  depuis  qu'ils  m'étaient  devenus 
inutiles. 

Mon  cher  monsieur  Lalliaud ,  plaignez-moi  et 


112  CORRESPONDANCE. 

pardonnez-inoi.  Je  ne  puis  plus  écrire  sans  souf- 
frir beaucoup  et  sans  aggraver  mon  mal;  et,  pour 
surcroît,  je  n'ai  affaire  qu'à  des  gens  exigeants, 
qui  s'embarrassent  très-peu  de  mon  état,  et  me 
comptent  leurs  lignes  sur  les  pages  qu'ils  exigent 
de  moi.  Vous  n'êtes  pas  de  même  ;  aussi  toute 
mon  attente  est  en  vous.  Je  ne  vous  écrirai  que 
pour  choses  nécessaires  et  très  en  bref.  Ne  comp- 
tez pas  rigoureusement  avec  votre  serviteur,  je 
vous  en  conjure,  et  donnez-moi  la  consolation 
d'apprendre  de  temps  en  temps  que  vous  ne  m'ou- 
bliez pas.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur, 
et  ma  femme  vous  salue. 


LETTRE  DCCCLXXIII. 

A  M.  DU  PEYROU. 

ABourgoin,  le  1 8  janvier  1769. 

J'apprends,  mon  cher  hôte,  par  le  plus  singu- 
lier hasard ,  qu'on  a  imprimé  à  Lausanne  un  des 
chiffons  qui  sont  entre  vos  mains ,  sur  cette  ques- 
tion :  Quelle  est  la  première  vertu  du  héros  ?  Vous 
croyez  bien  que  je  comprends  qu'il  s'agit  d'un  vol; 
mais  comment  ce  vol  a-t-il  été  fait,  et  par  qui?... 
Vous  qui  êtes  si  soigneux,  et  surtout  des  dépôts 
d'autrui  !  J'ai  des  engagements  qui  rendent  de  pa- 
reils larcins  de  très-grande  conséquence  pour  moi. 
Comment  donc  ne  m'avez-vous  point  du  moins 
averti  de  cette  impression  ?  De  grâce ,  mon  cher 


Ar»rNÉE  1769.  1  I  3 

hôte,  tâchez  de  remonter  à  la  source,  de  savoir 
comment  et  par  qui  ce  torche-cul  a  été  imprimé.  Je 
vis  dans  la  sécurité  la  plus  profonde  sur  les  papiers 
qui  sont  entre  vos  mains  ;  si  vous  souffrez  que  je 
perde  cette  sécurité,  que  deviendrai-je?  Mettez- 
vous  à  ma  place,  et  pardonnez  l'importunité. 

J'ai  cru  mourir  cette  nuit;  le  jour  je  suis  moins 
mal.  Ce  qui  me  console  est  que  de  semblables  nuits 
ne  sauraient  se  multiplier  beaucoup.  Ma  femme, 
qui  a  été  fort. mal  aussi,  se  trouve  mieux.  Je  me 
prépare  à  déloger  pour  aller ,  dans  le  séjour  élevé 
qui  m'est  destiné,  chercher  un  air  plus  pur  que 
celui  qu'on  respire  dans  ces  vallées. 

Je  suis  très-inquiet  de  l'état  de  madame  la  com- 
mandante ,  et  par  conséquent  du  vôtre.  Mon  cher 
hôte,  donnez-moi,  je  vous  prie,  des  nouvelles  de 
tous  deux  le  plus  tôt  que  vous  pourrez.  Je  vous 
embrasse. 


LETTRE   DCCCLXXÏV. 

A  M.  LALLIAUD. 

Monquin,  le  4  février  1769. 

J'ai  reçu ,  monsieur ,  vos  deux  dernières  lettres , 
et,  avec  la  première,  la  rescription  que  vous  avez 
eu  la  bonté  de  m'envoyer,  et  dont  je  vous  remercie. 

Quoi  !  monsieur ,  le  barbouillage  académique 
imprimé  à  Lausanne  l'avait  aussi  été  à  Paris!....  et 
R.  xxn.  8 


m4  COURESPOJN  DAJN'CE. 

c'est  M.  Fréroii  qui  en  est  l'éditeur*!....  Le  temps 
de  l'impression ,  le  choix  de  la  pièce ,  la  moindre 
et  la  plus  plate  de  tout  ce  que  j'ai  laissé  en  ma- 
nuscrit, tout  m'apprend  par  quelles  espèces  de 
mains  et  à  quelle  intention  cet  écrit  a  été  publié, 
l^édition  de  Lausanne,  si  elle  existe,  aura  proba- 
blement été  faite  sur'celle  de  Paris;  mais  le  silence 
de  M.  du  Peyrou  me  fait  douter  de  cette  seconde 
édition,  dont  la  nouvelle  m'a  été  donnée  d'assez 
loin  pour  qu'on  ait  pu  confondre;  et  de  pareils 
chiffons  ne  sont  guère  de  ceux  qu'on  imprime 
deux  fois.  Vous  avez  pris  le  vrai  moyen  d'aller ,  s'il 
est  possible,  à  la  source  du  vol  par  l'examen  du 
manuscrit  :  cela  vaut  mieux  qu'une  lettre  im- 
primée, qui  ne  ferait  que  faire  souvenir  de  moi  le 
public  et  mes  ennemis  ,  dont  je  cherche  à  être  ou- 
blié ,  et  sur  laquelle  les  coupables  n'iront  sûre- 
ment pas  se  déclarer.  Vous  m'apprenez  aussi  qu'on 
a  imprimé  un  nouveau  volume  de  mes  écrits  vrais 
ou  faux.  C'est  ainsi  qu'on  me  dissèque  de  mon  vi- 
vant, ou  plutôt  qu'on  dissèque  un  autre  corps 
sous  mon  nom.  Car  quelle  part  ai-je  au  recueil 
dont  vous  me  parlez ,  si  ce  n'est  deux  ou  trois 
lettres  de  moi  qui  y  sont  insérées ,  et  sur  lesquelles, 
pour  faire  croire  que  le  recueil  entier  en  était, 
on  a  eu  l'impudence  de  le  faire  imprimer  à  Londres 
sous  mon  nom,  tandis  que  j'étais  en  Angleterre, 
en  supprimant  la  première  édition  de  Lausanne 

*  En  effet ,  Fréron  avait  publié  le  discours  dont  il  s'agit  dans  son 
Année  littéraire ,  tome  VII,  1768.  Il  y  est  précédé  d'une  lettre  d'en- 
-voi  que  lui  adresse  un  anonyme,  et  le  journaliste  n'y  a  ajouté  au- 
cune l'éflexion. 


ANNJÎi:   1769.  I  l5 

faite  sons  les  yeux  de  l'auteur?  J'entrevois  que 
l'impression  du  chiffon  académique  tient  encore  à 
quelque  autre  manœuvre  souterraine  de  même 
acabit.  Vous  m'avez  écrit  quelquefois  que  je  fai- 
sais du  noir;  l'expression  n'est  pas  juste;  ce  n'est 
pas  moi,  monsieur,  qui  fais  du  noir,  mais  c'est 
moi  qu'on  en  barbouille.  Patience  ;  ils  ont  beau 
vouloir  écarter  le  vivier  d'eau  claire ,  il  se  trouvera 
quand  je  ne  serai  plus  en  leur  pouvoir,  et  au  mo- 
ment qu'ils  y  penseront  le  moins.  Aussi  qu'ils 
fassent  désormais  à  leiu*  aise,  je  les  mets  au  pis. 
J'attends  sans  alarmes  l'explosion  qu'ils  comptent 
faire  après  ma  mort  sur  ma  mémoire,  semblables 
aux  vils  corbeaux  qui  s'acharnent  sur  les  cadavres. 
C'est  alors  qu'ils  croiront  n'avoir  plus  à  craindre 
le  trait  de  lumière  qui ,  de  mon  vivant ,  ne  cesse 
de  les  faire  trembler ,  et  c'est  alors  que  l'on  con- 
naîtra peut-être  le  prix  de  ma  patience  et  de  mon 
silence.  Quoi  qu'il  en  soit,  en  quittant  Bourgoin 
j'ai  quitté  tous  les  soucis  qui  m'en  ont  rendu  le  sé- 
jour aussi  déplaisant  que  nuisible.  L'état  où  je  suis 
a  plus  fait  pour  ma  tranquillité  que  les  leçons  de  la 
philosophie  et  de  la  raison.  J'ai  vécu,  monsieur; 
je  suis  content  de  l'emploi  de  ma  vie;  et  du  même 
œil  que  j'en  vois  les  restes,  je  vois  aussi  les  événe- 
ments qui  les  peuvent  remplir.  Je  renonce  donc  à 
savoir  désormais  rien  de  ce  qui  se  dit ,  de  ce  qui  se 
fait ,  de  ce  qui  se  passe  par  rapport  à  moi  :  vous 
avez  eu  la  discrétion  de  ne  m'en  jamais  rien  dire.  Je 
vous  conjure  de  continuer.  Je  ne  me  refuse  pas 
aux  soins  que  votre  amitié,  votre  équité,  peuvent 

8. 


1  l6  CORRESPONDANCE. 

VOUS  inspirer  pour  la  vérité ,  pour  moi  dans  l'oc- 
casion, parce  que,  après  les  sentiments  que  vous 
professez  envers  moi,  ce  serait  vous  manquer  à 
vous-même.  Mais  dans  l'état  où  sont  les  choses ,  et 
dans  le  train  que  je  leur  vois  prendre,  je  ne  veux 
plus  m'occuper  de  rien  qui  me  rappelle  hors  de 
moi,  de  rien  qui  puisse  ôter  à  mon  esprit  la  même 
tranquillité  dont  jouit  ma  conscience. 

Je  vous  écris,  sans  y  penser,  de  longues  lettres 
qui  font  grand  bien  à  mon  cœur,  et  grand  mal  à 
mon  estomac.  Je  remets  à  une  autre  fois  le  détail 
de  mon  habitation.  Madame  Renou  vous  remercie 
et  vous  salue;  et  moi ,  mon  cher  monsieur,  je  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur. 


LETTRE  DCCCLXXV. 

A  M.  MOULTOU. 

Monquin,  le  14  février  1769. 

Je  suis  délogé,  cher  Moultou;  j'ai  quitté  l'air 
marécageux  de  Bourgoin  pour  venir  occuper  sur 
la  hauteur  une  maison  vide  et  solitaire  que  la 
dame  à  qui  elle  appartient  m'a  offerte  depuis  long- 
temps ,  et  où  j'ai  été  reçu  avec  une  hospitalité  très- 
noble,  mais  trop  bien  pour  me  faire  oublier  que 
je  ne  suis  pas  chez  moi.  Ayant  pris  ce  parti,  l'état 
où  je  suis  ne  me  laisse  plus  penser  à  une  autre 
habitation;  l'honnêteté  même  ne  me  permettrait 
pas  de  quitter  si  promptement  celle-ci  après  avoir 


AWWÉE    1769.  1  17 

consenti  qu'on  l'arrangeât  pour  moi.  Ma  situation , 
la  nécessité,  mon  goût,  tout  me  porte  à  borner  mes 
désirs  et  mes  soins  à  finir  dans  cette  solitude  des 
jours  dont ,  grâce  au  ciel ,  et  quoi  que  vous  en  puis- 
siez dire,  je  ne  crois  pas  le  terme  bien  éloigné. 
Accablé  des  maux  de  la  vie  et  de  l'injustice  des 
hommes  ,  j'approche  avec  joie  d'un  séjour  où  tout 
cela  ne  pénètre  point;  et  en  attendant  je  ne  veux 
plus  m'occuper,  si  je  puis,  qu'âme  rapprocher  de 
moi-même ,  et  à  goûter  ici  entre  la  compagne  de 
mes  infortunes ,  et  mon  cœur ,  et  Dieu  qui  le  voit, 
quelques  heures  de  douceur  et  de  paix  en  atten- 
dant la  dernière.  Ainsi,  mon  bon  ami,  parlez-moi 
de  votre  amitié  pour  moi ,   elle  me  sera  toujours 
chère;  mais  ne  me  parlez  plus  de  projets.  Il  n'en 
est  plus  pour  moi  d'autre  en  ce  monde  que  celui 
d'en  sortir  avec  la  même  innocence  que  j'y  ai  vécu. 
J'ai  vu,  mon  ami,  dans  quelques-unes  de  vos 
lettres,  notamment  dans  la  dernière,  que  le  tor- 
rent de  la  mode  vous  gagne,  et  que  vous  commen- 
cez à  vaciller  dans  des  sentiments  où  je  vous  croyais 
inébranlable.  Ah!  cher  ami ,  comment  avez-vous 
fait?  Vous  en  qui  j'ai  toujours  cru  voir  un  cœur 
si  sain ,  une  ame  si  forte ,  cessez-vous  donc  d'être 
content  de  vous-même  ?  et  le  témoin  secret  de  vos 
sentiments  commencerait-il  à  vous  devenir  impor- 
tun? Je  sais  que  la  foi  n'est  pas  indispensable, 
que  l'incrédulité  sincère  n'est  point  un  crime,  et 
qu'on   sera  jugé  sur  ce  qu'on  aura  fait,  et  non 
sur  ce  qu'on  aura  cru;  mais  prenez  garde,  je  vous 
conjure ,  d'être  bien  de  bonne  foi  avec  vous-même , 


Il8  CORRESPONDAJVCE. 

car  il  est  très -différent  de  n'avoir  pas  cru  ou  de 
n'avoir  pas  voulu  croire  ;  et  je  puis  concevoir  com- 
ment celui  qui  n'a  jamais  cru  ne  croira  jamais , 
mais  non  comment  celui  qui  a  cru  peut  cesser  de 
croire.  Encore  un  coup,  ce  que  je  vous  demande 
n'est  pas  tant  la  foi  que  la  bonne  foi.  Voulez-vous 
rejeter  l'intelligence  universelle  ?  les  causes  finales 
vous  crèvent  les  yeux.  Voulez-vous  étouffer  l'iiis- 
tinct  moral  ?  la  voix  interne  s'élève  dans  votre 
cœur,  y  foudroie  les  petits  arguments  à  la  mode, 
et  vous  crie  qu'il  n'est  pas  vrai  que  l'honnête 
homme  et  le  scélérat ,  le  vice  et  la  vertu ,  ne  soient 
rien;  car  vous  êtes  trop  bon  raisonneur  pour  ne 
pas  voir  à  l'instant  qu'en  rejetant  la  cause  pre- 
mière et  le  mouvement,  on  ôte  toute  moralité  de 
la  vie  humaine.  Eh  quoi,  mon  Dieu!  le  juste  in- 
fortuné en  proie  à  tous  les  maux  de  cette  vie  ,  sans 
en  excepter  même  l'opprobre  et  le  déshonneur, 
n'aurait  nul  dédommagement  à  attendre  après  elle , 
et  mourrait  en  bête  après  avoir  vécu  en  Dieu? 
Non ,  non ,  Moultou  ;  Jésus ,  que  ce  siècle  a  mé- 
connu, parce  qu'il  est  indigne  de  le  connaître  ;  Jé- 
sus qui  mourut  pour  avoir  voulu  faire  un  peuple 
illustre  et  vertueux  de  ses  vils  compatriotes  ,  le  su- 
blime Jésus  ne  mourut  point  tout  entier  sur  la 
croix;  et  moi  qui  ne  suis  qu'un  chétif  homme  plein 
de  faiblesses ,  mais  qui  me  sens  un  cœur  dont  un 
sentiment  coupalDle  n'approcha  jamais,  c'en  est 
assez  pour  qu'en  sentant  approcher  la  dissolution 
de  mon  corps,  je  sente  en  même  temps  la  certi- 
tude de  vivre.  La  nature  entière  m'en  est  garante. 


/VNWÉF.    1769.  1  19 

Elle  n'est  pas  contradictoire  avec  elle-même;  j'y 
vois  régner  un  ordre  physique  admirable  et  qui 
ne  se  dément  jamais.  L'ordre  moral  y  doit  corres- 
pondre. Il  fut  pourtant  renversé  pour  moi  durant 
ma  vie;  il  va  donc  commencer  à  ma  mort.  Pardon, 
mon  ami ,  je  sens  que  je  rabâche  ;  mais  mon  cœur , 
plein  pour  moi  d'espoir  et  de  confiance ,  et  pour 
vous  d'intérêt  et  d'attachement,  ne  pouvait  se  re- 
fuser à  ce  court  épanchement. 

P.  S.  Je  ne  songe  plus  à  Lavagnac,  et  proba- 
blement mes  voyages  sont  finis.  J'ai  pourtant  reçu 
dernièrement  une  lettre  6ji  patron  de  la  case, 
aussi  pleine  de  bonté  et  d'amitié  qu'il  m'en  ait  ja- 
mais écrit ,  et  qui  donne  son  approba4;ion  à  une 
autre  proposition  qui  m'avait  été  faite;  mais  tou- 
jours projeter  ne  me  convient  plus.  Je  veux  jouir 
entre  la  nature  et  moi  du  peu  de  jours  qui  me 
restent ,  sans  plus  me  laisser  promener ,  si  je  puis , 
parmi  les  hommes  qui  m'ont  si  mal  traité  et  plus 
mal  connu.  Quoique  je  ne  puisse  plus  me  baisser 
pour  herboriser,  je  ne  puis  renoncer  aux  plantes; 
je  les  observe  avec  plus  de  plaisir  que  jamais.  Je 
ne  vous  dis  point  de  m'envoyer  les  vôtres,  parce 
que  j'espère  que  vous  les  apporterez  :  ce  moment, 
cher  Moultou ,  me  sera  bien  doux.  Adieu,  je  vous 
embrasse  ;  partagez  tous  les  sentiments  de  mon 
cœur  avec  votre  digne  moitié ,  et  recevez  l'un  et 
l'autre  les  respects  de  la  mienne.  Elle  va  rester  à 
plaindre.  C'est  bien  malgré  elle  ,  c'est  bien  malgré 
nous  qu'elle  et  moi  n'avons  pu  remplir  de  grands 


I20  CORIlESPONI)A.IVCE. 

devoirs  ;  mais  elle  en  a  rempli  de  bien  respectables. 
Que  de  choses  qui  devraient  être  sues  vont  être  en- 
sevelies avec  moi  !  et  combien  mes  cruels  ennemis 
tireront  d'avantages  de  l'impossibilité  où  ils  m'ont 
mis  de  parler! 


LETTRE  DCCCLXXVL 

A  M.  LALLIAUD. 

A  Monquin ,  le  28  février  1769. 

Je  ne  connais  point  M.  de  La  Sale;  je  sais  seu- 
lement que  c'est  un  fabricant  de  Lyon.  Il  accom- 
pagna cet  automne  le  fils  de  madame  Boy  de  La 
Toiu^,  mon  amie  ,  qui  vint  me  voir  ici.  Me  voyant 
logé  si  tristement  et  dans  lui  si  mauvais  air ,  il  me 
proposa  une  habitation  en  Bombes  ;  je  ne  dis  ni 
oui  ni  non.  Cet  hiver,  me  voyant  dépérir,  il  est 
revenu  à  la  charge;  j'ai  refusé;  il  m'a  pressé.  Faute 
d'autres  bonnes  raisons  à  lui  dire,  je  lui  ai  déclaré 
qtie  je  ne  pouvais  sortir  de  cette  province  sans 
l'agrément  de  M.  le  prince  de  Conti.  Il  m'a  pressé 
de  lui  permettre  de  demander  cet  agrément;  je  ne 
m'y  suis  pas  opposé  :  voilà  tout. 

J'apprends,  par  le  plus  grand  hasard  du  monde, 
qu'on  vient  d'imprimer  à  Lausanne  un  ancien  chif- 
fon de  ma  façon.  C'est  un  discours  sur  une  ques- 
tion proposée,  en  lySi  ,  par  M.  de  Curzay,  tandis 
qu'il  était  en  Corse.  Quand  il  fut  fait,  je  le  trouvai 
si  mauvais  que  je  ne  voulus  ni  l'envoyer  ni  le  faire 


A.1NNEE    17^9-  ^^' 

imprimer.  Je  le  remis,  avec  tout  ce  que  j'avais  en 
manuscrit,  à  M.  du  Peyrou  avant  mon  départ  pour 
l'ingleterre.  Je  ne  l'ai  pas  revu  depuis,  et  je  n'y 
ai  pas  même  pensé.  Je  ne  puis  me  rappeler  avec 
certitude  si  ce  barbouillage  est  ou  n'est  point  un 
des  manuscrits  inlisibles  que  M.  du  Peyrou  m'en- 
voya à  Wootton  pour  les  transcrire,  et  que  je  lui 
renvoyai,  copie  et  brouillon,  par  son  ami  M.  de 
Cerjat,  chez  lequel ,  ou  durant  le  transport ,  le  vol 
aura  pu  se  faire;  ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  je 
n'ai  aucune  part  à  cette  impression ,  et  que  si  j'eusse 
été  assez  insensé  pour  vouloir  mettre  encore  quel- 
que chose  sous  la  presse ,  ce  n'est  pas  un  pareil 
torche -cul  que  j'aurais  choisi.  J'ignore  comment 
il  est  passé  sous  la  presse  ;  mais  je  crois  M.  du  Pey- 
rou parfaitement  incapable  d'une  pareille  infidé- 
lité. En  ce  qui  me  regarde,  voilà  la  vérité,  et  il  m'im- 
porte que  cette  vérité  soit  connue.  Je  vous  embrasse 
et  vous  salue  ,  mon  cher  monsieur ,  de  tout  mon 
cœur. 


LETTRE  DCCCLXXVII. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Monquin,  le  i8  février  1769. 

Je  suis  sur  nia  montagne ,  mon  cher  hôte ,  où 
mon  nouvel  établissement  et  mon  estomac  me 
rendent  pénible  d'écrire,  sans  quoi  je  n'aurais  pas 
attendu  si  long-temps  à  vous  demander  de  fré- 


I2a  CORRESPONDANCE. 

quentes  nouvelles  de  madame  la  commandante  ^ 
jusqu'à  l'entière  guérison  dont,  sur  votre  pénul- 
tième lettre,  l'espoir  sejoint  au  désir.  Pour  moi,mon 
état  n'est  pas  empiré  depuis  que  je  suis  ici  ;  mais  je 
souffre  toujours  beaucoup.  J'ai  eu  tort  de  ne  vous 
pas  marquer  le  rétablissement  de  madame  Renou  , 
qui  n'a  tenu  le  lit  que  peu  de  jours;  mais  imaginez 
ce  que  c'était  que  d'être  tous  deux  en  même  temps 
presque  à  l'extrémité  dans-  un  mauvais  cabaret. 

Il  n'y  a  pas  eu  moyen  de  tirer  de  Fréron  le  ma- 
nuscrit sur  lequel  le  discours  en  question  a  été 
imprimé;  mais  je  vois,  par  ce  que  vous  me  mar- 
quez, que  la  copie  furtive  en  a  été  faite  avant  les 
corrections,  qui  cependant  sont  assez  anciennes; 
elles  n'empêchent  pas  que  l'ouvrage,  ainsi  corrigé, 
ne  soit  un  misérable  torche-cul;  jugez  de  ce  qu'il 
doit  être  dans  l'état  où  ils  l'ont  imprimé.  Ce  qu'il 
y  a  de  pis  est  que  Rey  et  les  autres  ne  manqueront 
pas  de  l'insérer  en  cet  état  dans  le  recueil  de  mes 
écrits.  Qu'y  puis-je  faire?  il  n'y  a  point  de  ma  faute. 
Dans  l'état  où  je  suis,  tout  ce  qu'il  reste  à  faire, 
quand  tous  les  maux  sont  sans  remède ,  est  de  res- 
ter tranquille  et  de  ne  plus  se  tourmenter  de  rien. 

M.  Séguier,  célèbre  par  le  Plantœ  Feronenses 
que  vous  avez  peut-être  ou  que  vous  devriez  avoir, 
vient  de  m'envoyer  des  plantes  qui  m'ont  remis 
sur  mon  herbier  et  sur  mes  bouquins.  Je  suis 
maintenant  trop  riche  pour  ne  pas  sentir  la  pri- 
vation de  ce  qui  me  manque.  Si  parmi  celles  que 
vous  promet  le  Paroher,  pouvaient  se  trouver  la 
grande  Gentiane  pourprée  ^   le  Thora  valdensium  , 


AJNJNÉl    1769.  123 

V Epimedium ,  et  quelques  autres  ,  le  tout  bien  con- 
servé et  en  fleurs,  je  vous  avoue  que  ce  cadeau 
me  ferait  le  plus  grand  plaisir,  car  je  sens  que, 
malgré  tout ,  la  botanique  me  domine.  J'herbori- 
serai, mon  cher  hôte  ,  jusqu'à  la  mort  et  au-delà; 
car,  s'il  y  a  des  fleurs  aux  champs  élysées,  j'en 
formerai  des  couronnes  pour  les  hommes  vrais, 
francs,  droits,  et  tels  qu'assurément  j'avais  mérité 
d'en  trouver  sur  la  terre.  Bonjour,  mon  très-cher 
hôte;  mon  estomac  m'avertit  de  finir  avant  que  la 
morale  me  gagne  ;  car  cela  me  mènerait  loin.  Mon 
cœur  vous  suit  au  pied  du  lit  de  la  bonne  maman. 
J'embrasse  le  bon  Jeannin. 


LETTRE   DCCCLXXVIIL 

A  M.  DE****. 

Monquin,  le  26  mars  1769. 

Le  voilà,  monsieur,  ce  misérable  radotage  que 
mon  amour -propre  hmnilié  vous  a  fait  si  long- 
temps attendre ,  faute  de  sentir  qu'un  amour- 
propre  beaucoup  plus  noble  devait  m'apprendre 
à  surmonter  celui-là.  Qu'importe  que  mon  verbiage 
vous  paraisse  misérable,  pourvu  que  je  sois  con- 
tent du  sentiment  qui  me  l'a  dicté.  Sitôt  que  mon 
meilleur  état  m'a  rendu  quelques  forces  ,  j'en  ai 
profité  pour  le  relire  et  vous  l'envoyer.  Si  vous 

Cette  lettre  sert  d'envoi  à  celle  qui  suit ,  écrite  plus  de  deux 
mois  auparavant ,  comme  on  le  voit  par  sa  date. 


\'ll\  CORRESPOINDAJVCE. 

avez  le  courage  d'aller  jusqu'au  bout,  je  vous  prie 
après  cela  de  vouloir  bien  me  le  renvoyer ,  sans 
me  rien  dire  de  ce  que  vous  en  aurez  pensé ,  et 
que  je  comprends  de  reste.  Je  vous  salue ,  mon- 
sieur ,  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


LETTRE  DCCCLXXIX. 

A  M.   DE  ***. 

Bourgoin,  le  i5  janvier  1769, 

Je  sens,  monsieur,  l'inutilité  du  devoir  que  je 
remplis  en  répondant  à  votre  dernière  lettre  ;  mais 
c'est  un  devoir  enfin  que  vous  m'imposez  et  que 
je  remplis  de  bon  cœur  quoique  mal,  vu  les  dis- 
tractions de  l'état  où  je  suis. 

Mon  dessein,  en  vous  disant  ici  mon  opinion  sur 
les  principaux  points  de  votre  lettre  ,  est  de  vous 
la  dire  avec  simplicité  et  sans  chercher  à  vous  la 
faire  adopter.  Cela  serait  contre  mes  principes  et 
même  contre  mon  goût.  Car  je  suis  juste  ;  et  comme 
je  n'aime  point  qu'on  cherche  à  me  subjuguer,  je 
ne  cherche  non  plus  à  subjuguer  personne.  Je  sais 
que  la  raison  commune  est  très-bornée;  qu'aussi- 
tôt qu'on  sort  de  ses  étroites  limites ,  chacun  a  la 
sienne  cpii  n'est  propre  qu'à  lui  ;  que  les  opinions 
se  propagent  par  les  opinions,  non  par  la  raison,  et 
que  quiconque  cède  au  raisonnement  d'un  autre , 
chose  déjà  très -rare,  cède  par  préjugé  ,  par  auto- 


ANNÉF    1769.  125 

rite,  par  affection  ,  par  paresse,  rarement,  jamais 
peut-être ,  par  son  propre  jugement. 

Vous  me  marquez,  monsieur,  que  le  résultat  de 
vos  recherches  sur  l'auteur  des  choses  est  im  état 
de  doute.  Je  ne  puis  juger  de  cet  état,  parce  qu'il 
n'a  jamais  été  le  mien.  J'ai  cru  dans  mon  enfance 
par  autorité ,  dans  ma  jeunesse  par  sentiment ,  dans 
mon  âge  mûr  par  raison;  maintenant  je  crois  parce 
que  j'ai  toujours  cru.  Tandis  que  ma  mémoire 
.éteinte  ne  me  remet  plus  sur  la  trace  de  mes  rai- 
sonnements ,  tandis  que  ma  judiciaire  affaiblie  ne 
me  permet  plus  de  les  recommencer  ,  les  opinions 
qui  en  ont  résulté  me  restent  dans  toute  leur  force; 
et  sans  que  j'aie  la  volonté  ni  le  courage  de  les 
mettre  derechef  en  délibération,  je  m'y  tiens  en 
confiance  et  en  conscience,  certain  d'avoir  apporté 
dans  la  vigueur  de  mon  jugement  à  leurs  discus- 
sions toute  l'attention  et  la  bonne  foi  dont  j'étais 
capable.  Si  je  me  suis  trompé ,  ce  n'est  pas  ma 
faute ,  c'est  celle  de  la  nature ,  qui  n'a  pas  donné 
à  ma  tête  une  plus  grande  mesure  d'intelligence  et 
de  raison.  Je  n'ai  rien  de  plus  aujourd'hui;  j'ai 
beaucoup  de  moins.  Sur  quel  fondement  recom- 
mencerais-je  donc  à  délibérer?  Le  moment  presse; 
le  départ  approche.  Je  n'aurais  jamais  le  temps  ni 
la  force  d'achever  le  grand  travail  d'une  refonte. 
Permettez  qu'à  tout  événement  j'emporte  avec 
moi  la  consistance  et  la  fermeté  d'un  homme  ,  non 
les  doutes  décourageants  et  timides  d'un  vieux  ra- 
doteur. 

A  ce  que  je  puis  me  rappeler  fie  mes  anciennes 


I  aG  c:  o  ii  ii  k  s  p  o  r-r  d  a  iv  c  e. 

idées,  à  ce  que  j'aperçois  de  la  marche  des  vôtres, 
je  vois  que,  n'ayant  pas  suivi  dans  nos  recherches 
la  même  route ,  il  est  peu  étonnant  que  nous  ne 
soyons  pas  arrivés  à  la  même  conclusion.  Balan- 
çant les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  avec  les 
difficultés ,  vous  n'avez  trouvé  aucun  des  côtés  as- 
sez prépondérant  pour  vous  décider,  et  vous  êtes 
resté  dans  le  doute.  Ce  n'est  pas  comme  cela  que 
je  fis  :  j'examinai  tous  les  systèmes  sur  la  forma- 
tion de  l'univers  que  j'avais  pu  connaître  ;  je  mé- 
ditai sur  ceux  que  je  pouvais  imaginer  ;  je  les  com- 
parai tous  de  mon  mieux;  et  je  me  décidai,  non 
pour  celui  qui  ne  m'offrait  point  de  difficultés,  car 
ils  m'en  offraient  tous,  mais  pour  celui  qui  me 
paraissait  en  avoir  le  moins  :  je  me  dis  que  ces 
difficultés  étaient  dans  la  nature  de  la  chose ,  que 
la  contemplation  de  l'infini  passerait  toujours  les 
bornes  de  mon  entendement;  que,  ne  devant  ja- 
mais espérer  de  concevoir  pleinement  le  système 
de  la  nature ,  tout  ce  que  je  pouvais  faire  était  de 
le  considérer  par  les  côtés  que  je  pouvais  saisir  ; 
qu'il  fallait  savoir  ignorer  en  paix  tout  le  reste  ;  et 
j'avoue  que,  dans  ces  recherches,  je  pensai  comme 
les  gens  dont  vous  parlez,  qui  ne  rejettent  pas  une 
vérité  claire  ou  suffisamment  prouvée  pour  les  dif- 
ficultés qui  l'accompagnent ,  et  qu'on  ne  saurait 
lever.  J'avais  alors,  je  l'a  voue,  une  confiance  si  té- 
méraire, ou  du  moins  une  si  forte  persuasion ,  que 
j'aurais  défié  tout  philosophe  de  proposer  aucun 
autre  système  intelligible  sur  la  nature,  auquel  je 
n'eusse  opposé  des  objections  plus  fortes  ,  plus  in- 


vincihles  que  celles  qu'il  pouvait  m'opposer  sur  le 
mien  ;  et  alors  il  fallait  me  résoudre  à  rester  sans 
rien  croire,  comme  vous  faites,  ce  qui  ne  dépen- 
dait pas  de  moi,  ou  mal  raisonner,  ou  croire  comme 
j'ai  fait. 

Une  idée  qui  me  vint  il  y  a  trente  ans  a  peut- 
être  plus  contribué  qu'aucune  autre  à  me  rendre 
inébranlable  :  supposons,  me  disais-je ,  le  genre  hu- 
main vieilli  jusqu'à  ce  jour  dans  le  plus  complet 
matérialisme ,  sans  que  jamais  idée  de  divinité  ni 
d'ame  soit  entrée  dans  aucun  esprit  humain  ;  sup- 
posons que  l'athéisme  philosophique  ait  épuisé 
tous  ses  systèmes  pour  expliquer  la  formation  et 
la  marche  de  l'univers  par  le  seul  jeu  de  la  matière 
et  du  mouvement  nécessaire,  mot  auquel,  du  reste , 
je  n'ai  jamais  rien  conçu  :  dans  cet  état,  monsieur, 
excusez  ma  franchise,  je  supposais  encore  ce  que 
j'ai  toujours  vu,  et  ce  que  je  sentais  devoir  être, 
([u'au  lieu  de  se  reposer  tranquillement  dans  ces 
systèmes ,  comme  dans  le  sein  de  la  vérité ,  leurs 
inquiets  partisans  cherchaient  sans  cesse  à  parler 
de  leur  doctrine ,  à  l'éclaircir ,  à  l'étendre ,  à  l'ex- 
pliquer ,  la  pallier ,  la  corriger,  et,  comme  celui  qui 
sent  trembler  sous  ses  pieds  la  maison  qu'il  ha- 
bite ,  à  Fétayer  de  nouveaux  arguments.  Terminons 
enfin  ces  suppositions  par  celle  d'un  Platon ,  d'un 
Glarke ,  qui ,  se  levant  tout  d'un  coup  au  milieu 
d'eux ,  leur  eût  dit  :  Mes  amis ,  si  vous  eussiez  com- 
mencé l'analyse  de  cet  univers  par  celle  de  vous- 
même  ,  vous  eussiez  trouvé  dans  la  nature  de  votre 
être  la  clef  de  la  constitution  de  ce  même  univers, 


laS  CORRESPONDA.NCE. 

que  vous  cherchez  en  vain  sans  cela;  qu'ensuite, 
leur  expliquant  la  distinction  des  deux  substances, 
il  leur  eût  prouvé  par  les  propriétés  mêmes  de  la 
matière  que ,  quoi  qu'en  dise  Locke ,  la  supposition 
de  la  matière  pensante  est  une  véritable  absurdité  ; 
qu'il  leur  eût  fait  voir  quelle  est  la  nature  de  l'être 
vraiment  actif  et  pensant ,  et  que ,  de  l'établisse- 
ment de  cet  être  qui  juge ,  il  fût  enfin  remonté 
aux  notions  confuses  mais  sûres  de  l'Etre  suprême  : 
qui  peut  douter  que,  frappés  de  l'éclat,  de  la  sim- 
plicité ,  de  la  vérité ,  de  la  beauté  de  cette  ravis- 
sante idée, les  mortels  ,  jusqu'alors  aveugles,  éclai- 
rés des  premiers  rayons  de  la  Divinité  ,  ne  lui 
eussent  offert  par  acclamation  leurs  premiers  hom- 
mages ,  et  que  les  penseurs  surtout  et  les  philoso- 
phes n'eussent  rougi  d'avoir  contemplé  si  long- 
temps les  dehors  de  cette  machine  immense ,  sans 
trouver ,  sans  soupçonner  même  la  clef  de  sa  con- 
stitution ;  et ,  toujours  grossièrement  bornés  par 
leurs  sens ,  de  n'avoir  jamais  su  voir  que  matière 
où  tout  leur  montrait  qu'une  autre  substance  don- 
nait la  vie  à  l'univers  et  l'intelligence  à  l'homme  ? 
C'est  alors,  monsieur,  que  la  mode  eût  été  pour 
cette  nouvelle  philosophie  ;  que  les  jeunes  gens  et 
les  sages  se  fussent  trouvés  d'accord;  qu'une  doc- 
trine si  belle,  si  sublime,  si  douce  et  si  consolante 
pour  tout  homme  juste,  eût  réellement  excité  tous 
les  hommes  à  la  vertu  ;  et  que  ce  beau  mot  àliu- 
manité ,  rebattu  maintenant  jusqu'à  la  fadeur ,  jus- 
qu'au ridicule  ,  par  les  gens  du  monde  les  moins 
humains  ,  eût  été  plus  empreint  dans  les  cœiu'S 


ANNÉE    1769.  Ï29 

que  dans  les  livres.  Il  eût  donc  suffi  d'une  simple 
transposition  de  temps  pour  faire  prendre  tout  le 
contre-pied  à  la  mode  philosophique,  avec  cette 
différence  que  celle  d'aujourd'hui,  malgré  son  clin- 
quant de  paroles ,  ne  nous  promet  pas  une  géné- 
ration bien  estimable,  ni  des  philosophes  bien  ver- 
tueux. 

Vous  objectez  ,  monsieur ,  que  si  Dieu  eût  voulu 
obliger  les  hommes  à  le  connaître ,  il  eût  mis  son 
existence  en  évidence  à  tous  les  yeux.  C'est  à  ceux 
qui  font  de  la  foi  en  Dieu  un  dogme  nécessaire  au 
salut  de  répondre  à  cette  objection ,  et  ils  y  répon- 
dent par  la  révélation.  Quant  à  moi ,  qui  crois  en 
Dieu  sans  croire  cette  foi  nécessaire,  je  ne  vois  pas 
pourquoi  Dieu  se  serait  obligé  de  nous  la  donner. 
Je  pense  que  chacun  sera  jugé  non  sur  ce  qu'il  a 
cru,  mais  sur  ce  qu'il  a  fait,  et  je  ne  crois  point 
qu'un  système  de  doctrine  soit  nécessaire  aux 
oeuvres ,  parce  que  la  conscience  en  tient  lieu. 

Je  crois  bien,  il  est  vrai ,  qu'il  faut  être  de  bonne 
foi  dans  sa  croyance ,  et  ne  pas  s'en  faire  un  sys- 
tème favorable  à  nos  passions.  Comme  nous  ne 
sommes  pas  tout  inteUigence,  nous  ne  saurions 
philosopher  avec  tant  de  désintéressement  que 
notre  volonté  n'influe  un  peu  sur  nos  opinions  1 
l'on  peut  souvent  juger  des  secrètes  inclinations 
d'un  homme  par  ses  sentiments  purement  spécu-; 
latifs  ;  et,  cela  posé ,  je  pense  qu'il  se  pourrait  bien 
que  celui  qui  n'a  pas  voulu  croire  fût  puni  pour 
n'avoir  pas  cru. 

Cependant  je  crois  que  Dieu  s'est  suffisamment 
R.  xxir.  Q 


l3o  CORRESPONDANCE. 

révélé  aux  hommes  et  par  ses  œuvres  et  dans  leurs 
coeurs;  et  s'il  y  en  a  qui  ne  le  connaissent  pas, 
c'est,  selon  moi,  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  le 
connaître,  ou  parce  qu'ils  n'en  ont  pas  besoin. 

Dans  ce  dernier  cas  est  l'homme  sauvage  et  sans 
culture  qui  n'a  fait  encore  aucun  usage  de  sa  rai- 
son; qui,  gouverné  seulement  par  ses  appétits, 
n'a  pas  besoin  d'autre  guide ,  et  qui ,  ne  suivant 
que  l'instinct  de  la  nature,  marche  par  des  mou- 
vements toujours  droits.  Cet  homme  ne  connaît 
pas  Dieu,  mais  il  ne  l'offense  pas.  Dans  l'autre 
cas,  au  contraire,  est  le  philosophe  qui,  à  force 
de  vouloir  exalter  son  intelligence,  de  raffiner,  de 
subtiliser  sur  ce  qu'on  pensa  jusqu'à  lui ,  ébranle 
enfin  tous  les  axiomes  de  la  raison  simple  et  pri- 
mitive, et,  pour  vouloir  toujours  savoir  plus  et 
mieux  que  les  autres,  parvient  à  ne  rien  savoir  du 
tout.  L'homme  à  la  fois  raisonnable  et  modeste , 
dont  l'entendement  exercé,  mais  borné,  sent  ses 
limites  et  s'y  renferme,  trouve  dans  ces  limites  la 
notion  de  son  ame  et  celle  de  l'auteur  de  son  être, 
sans  pouvoir  passer  au-delà  pour  rendre  ces  no- 
tions claires,  et  contempler  d'aussi  près  l'une  et 
l'autre  que  s'il  était  lui-même  un  pur  esprit.  Alors , 
saisi  de  respect,  il  s'arrête,  et  ne  touche  point  au 
voile,  content  de  savoir  que  l'Etre  immense  est 
dessous.  Voilà  jusqu'où  la  philosophie  est  utile  à 
la  pratique  ;  le  reste  n'est  plus  qu'une  spéculation 
oiseuse  pour  laquelle  l'homme  n'a  point  été  fait, 
dont  le  raisonneur  modéré  s'abstient,  et  dans  la- 
quelle n'entre  point  l'homme  vulgaire.  Cet  homme, 


ANNÉE    1769.  l3ï 

qui  n'est  ni  une  brute  ni  un  prodige,  est  l'homme 
proprement  dit,  moyen  entre  les  deux  extrêmes, 
et  qui  compose  les  dix-neuf  vingtièmes  du  genre 
humain  ;  c'est  à  cette  classe  nombreuse  de  chanter 
le  psaume  Cœli  enarrant ,   et  c'est  elle   en  effet 
qui  le  chante.  Tous  les  peuples  de  la  terre  connais- 
sent et  adorent  Dieu  ;  et ,  quoique  chacun  l'ha- 
bille à  sa  mode ,  sous  tous  ces  vêtements  divers 
on  trouve  pourtant  toujours  Dieu.  Le  petit  nombre 
d'élite  qui  a  de  plus  hautes  prétentions  de  doc- 
trine ,  et  dont  le  génie  ne  se  borne  pas  au  sens 
commun,  en  veut  un  plus  transcendant,  ce  n'est 
pas  de  quoi  je  le  blâme  ;  mais  qu'il  parte  de  là  pour 
se  mettre  à  la  place  du  genre  humain ,  et  dire  que 
Dieu  s'est  caché  aux  hommes  parce  que  lui ,  petit 
nombre,  ne  le  voit  plus,  je  trouve  en  cela  qu'il  a 
tort.  Il  peut  arriver ,  j'en  conviens,  que  le  torrent 
de  la  mode  et  le  jeu  de  l'intrigue  étendent  la  secte 
philosophique,  et  persuadent  un  moment  à  la  mul- 
titude qu'elle  ne  croit  plus  en  Dieu  ;  mais  cette 
mode  passagère  ne  peut  durer;  et,  comme  qu'on 
s'y  prenne ,  il  faudra  toujours  à  la  longue  un  Dieu 
à  l'homme  :  enfin  quand ,  forçant  la  nature  des 
choses ,  la  Divinité  augmenterait  pour  nous  d'évi-r 
dence,  je  ne  doute  pas  que  dans  le  nouveau  lycée 
on  n'augmentât  en  même  raison  de  subtilité  pour 
la  nier.  La  raison  prend  à  la  longue  le  pli  que  le 
cœur  lui  donne  ;  et ,  quand  on  veut  penser  en  tout 
autrement  que  le  peuple,  on  en  vient  à  bout  tôt 
ou  tard. 

Tout  ceci ,  monsieur ,  ne  vous  paraît  guère  phi- 

9- 


l32  CORRESPONDANCE. 

losophique  ,  ni  à  moi  non  plus  ;  mais ,  toujours  de 
bonne  foi  avec  moi-même,  je  sens  se  joindre  à 
mes  raisonnements,  quoique  simples  ,  le  poids  de 
l'assentiment  intérieur.  Vous  voulez  qu'on  s'en 
défie  ;  je  ne  saurais  penser  comme  vous  sur  ce 
point ,  et  je  trouve ,  au  contraire ,  dans  ce  jugement 
interne  une  sauvegarde  naturelle  contre  les  so- 
phismes  de  ma  raison.  Je  crains  même  qu'en  cette 
occasion  vous  ne  confondiez  les  penchants  secrets 
de  notre  cœur  qui  nous  égarent,  avec  ce  dicta- 
men  plus  secret ,  plus  interne  encore ,  qui  réclame 
et  murmure  contre  ces  décisions  intéressées,  et 
nous  ramène  en  dépit  de  nous  sur  la  route  de  la 
vérité.  Ce  sentiment  intérieur  est  celui  de  la  na- 
ture elle-même ,  c'est  un  appel  de  sa  part  contre 
lessophismes  de  la  raison;  et  ce  qui  le  prouve  est 
qu'il  ne  parle  jamais  plus  fort  que  quand  notre 
volonté  cède  avec  le  plus  de  complaisance  aux  ju- 
gements qu'il  s'obstine  à  rejeter.  Loin  de  croire 
que  qui  juge  d'après  lui  soit  sujet  à  se  tromper, 
je  crois  que  jamais  il  ne  nous  trompe,  et  qu'il  est 
la  lumière  de  notre  faible  entendement  lorsque 
nous  voulons  aller  plus  loin  que  ce  que  nous  pou- 
vons concevoir. 

Et  après  tout,  combien  de  fois  la  philosophie 
elle-même  ,  avec  toute  sa  fierté  ,  n'est-elle  pas  for- 
cée de  recourir  à  ce  jugement  interne  qu'elle  af- 
fecte de  mépriser  ?  N'était-ce  pas  lui  seul  qui  fai- 
sait marcher  Diogène  pour  toute  réponse  devant 
Zenon  qui  niait  le  mouvement?  n'était-ce  pas  par 
kii  que  toute  l'antiquité  philosophique  répondait 


aux  pyrrhoniens?  N'allons  pas  si  loin;  tandis  que 
toute  la  philosophie  moderne  rejette  les  esprits, 
tout  d'un  coup  l'évèque  Berldey  s'élève  et  soutient 
qu'il  n'y  a  point  de  corps.  Comment  est-on  venu 
à  bout  de  répondre  à  ce  terrible  logicien  ?  Otez  le 
sentiment  intérieur ,  et  je  défie  tous  les  philosophes 
modernes  ensemble  de  prouver  à  Berkley  qu'il  y  a 
des  corps.  Bon  jeune  homme,  qui  me  paraissez  si 
bien  né,  de  la  bonne  foi,  je  vous  en  conjure,  et 
permettez  que  je  vous  cite  ici  un  auteur  qui  ne 
vous  sera  pas  suspect,  celui  des  Pensées  philoso- 
phiques *.  Qu'un  homme  vienne  vous  dire  que, 
projetant  au  hasard  une  multitude  de  caractères 
d'imprimerie,  il  a  vu  l'Enéide  tout  arrangée  résulter 
de  ce  jet  :  convenez  qu'au  lieu  d'aller  vérifier  cette 
merveille  vous  lui  répondrez  froidement  :  Mon- 
sieur, cela  n'est  pas  impossible,  mais  vous  men- 
tez. En  vertu  de  quoi ,  je  vous  prie,  lui  répondrez- 
vous  ainsi? 

Eh!  qui  ne  sait  que,  sans  le  sentiment  interne  , 
il  ne  resterait  bientôt  plus  de  traces  de  vérité  sur 
la  terre  ,  que  nous  serions  tous  successivement  le 
jouet  des  opinions  les  plus  monstrueuses ,  à  me- 
sure que  ceux  qui  les  soutiendraient  auraient  plus 
de  génie  ,  d'adresse  et  d'esprit  ;  et  qu'enfin  ,  réduits 
à  rougir  de  notre  raison  même ,  nous  ne  saurions 
bientôt  plus  que  croire  ni  que  penser  ? 

Mais  les  objections Sans  doute  il  y  en  a  d'in- 
solubles pour  nous,  et  beaucoup,  je  le  sais;  mais 
encore  un  coup ,  donnez-moi  un  système  où  il  n'y 

Diderot. 


l2i4  COKRESPONDANCl  . 

en  ait  pas,  ou  dites-moi  comment  je  dois  me  tléter- 
miner.  Bien  plus ,  par  la  nature  de  mon  système , 
pourvu  que  mes  preuves  directes  soient  bien  éta- 
blies, les  difficultés  ne  doivent  pas  m'arréter,  vu 
l'impossibilité  où  je  suis ,  moi  être  mixte,  de  rai- 
sonner exactement  sur  les  esprits  purs  et  d'en  ob- 
server suffisamment  la  nature.  Mais  vous,  maté- 
rialiste ,  qui  me  parlez  d'une  substance  unique  , 
palpable ,  et  soumise  par  sa  nature  à  l'inspection  des 
sens ,  vous  êtes  obligé  non-seulement  de  ne  me  rien 
dire  que  de  clair ,  de  bien  prouvé ,  mais  de  résou- 
dre toutes  mes  difficultés  d'une  façon  pleinement 
satisfaisante ,  parce  que  nous  possédons  vous  et  moi 
tous  les  instruments  nécessaires  à  cette  solution. 
Et,  par  exemple  ,  quand  vous  faites  naître  la  pen- 
sée des  combinaisons  de  la  matière ,  vous  devez  me 
montrer  sensiblement  ces  combmaisons  et  leur  ré- 
sultat par  les  seules  lois  de  la  physique  et  de  la 
mécanique ,  puisque  vous  n'en  admettez  point  d'au- 
tres. Vous ,  épicurien ,  vous  composez  l'ame  d'ato- 
mes subtils.  Mais  qu'appelez  -  vous  .vw^^/Zi',  je  vous 
prie?  vous  savez  que  nous  ne  connaissons  point 
de  dimensions  absolues ,  et  que  rien  n'est  petit  où 
grand  que  relativement  à  l'œil  qui  le  regarde.  Je 
prends  par  supposition  un  microscope  suffisant , 
et  je  regarde  im  de  vos  atomes  :  je  vois  un  grand 
quartier  de  rocher  crochu  ;  de  la  danse  et  de  l'ac- 
crochement  de  pareils  quartiers  j'attends  de  voir 
résulter  la  pensée.  Vous ,  moderniste,  vous  me  mon- 
trez une  molécule  organique  :  je  prends  mon  mi- 
croscope, et  je  vois  un  dragon  grand  comme  la 


ANNÉE    1769.  l35 

moitié  de  ma  chambre  ;  j'attends  de  voir  se  mouler 
et  s'entortiller  de  pareils  dragons  jusqu'à  ce  que 
je  voie  résulter  du  tout  un  être  non-seulement  or- 
ganisé ,  mais  intelligent,  c'est-à-dire  un  être  non 
agrégatif  et  qui  soit  rigoureusement  un,  etc.  Yous 
me  marquiez  ,  monsieur ,  que  le  monde  s'était  for- 
tuitement arrangé  comme  la  république  romaine  : 
pour  que  la  parité  fût  juste ,  il  faudrait  que  la  ré- 
publique romaine  n'eût  pas  été  composée  avec  des 
hommes ,  mais  avec  des  morceaux  de  bois.  Mon- 
trez-moi clairement  et  sensiblement  la  génération 
purement  matérielle  du  premier  être  intelligent , 
je  ne  vous  demande  rien  de  plus. 

Mais  si  tout  est  l'œuvre  d'un  être  intelligent , 
puissant ,  bienfaisant ,  d'où  vient  le  mal  sur  la  terre  ? 
Je  vous  avoué  que  cette  difficulté  si  terrible  ne  m'a 
jamais  beaucoup  frappé ,  soit  que  je  ne  l'aie  pas 
bien  conçue,  soit  qu'en  effet  elle  n'aie  pas  toute  la 
solidité  qu'elle  paraît  avoir.  Nos  philosophes  se  sont 
élevés  contre  les  entités  métaphysiques,  et  je  ne 
connais  personne  qui  en  fasse  tant.  Qu'entendent- 
ils  par  le  mal  ?  qu'est-ce  que  le  mal  en  lui-même  ? 
où  est  le  mal  relativement  à  la  nature  et  à  son  au- 
teur ?  L'univers  subsiste  ;  l'ordre  y  règne  et  s'y  con- 
serve; tout  y  périt  successivement,  parce  que  telle 
est  la  loi  des  êtres  matériels  et  mus  ;  mais  tout  s'y 
renouvelle ,  et  rien  n'y  dégénère ,  parce  que  tel 
est  l'ordre  de  son  auteur,  et  cet  ordre  ne  se  dé- 
ment point.  Je  ne  vois  aucun  mal  à  tout  cela  ;  mais 
quand  je  souffre,  n'est-ce  pas  un  mal?  quand  je 
meurs ,  n'est-ce  pas  un  mal  ?  Doucement  ;  je  suis 


l36  COKKESPONDANCE. 

sujet  à  la  mort,  parce  que  j'ai  reçu  la  vie;  il  n'y 
avait  pour  moi  qu'un  moyen  de  ne  point  mourir , 
c'était  de  ne  jamais  naître.  La  vie  est  un  bien  po- 
sitif, mais  fini ,  dont  le  terme  s'appelle  mort.  Le 
terme  du  positif  n'est  pas  le  négatif,  il  est  zéro. 
La  mort  nous  est  terrible ,  et  nous  appelons  cette 
terreur  un  mal.  La  douleur  est  encore  un  mal  pour 
celui  qui  souffre,  j'en  conviens;  mais  la  douleur 
et  le  plaisir  étaient  les  seuls  moyens  d'attacher  un 
être  sensible  et  périssable  à  sa  propre  conserva- 
tion ,  et  ces  moyens  sont  ménagés  avec  une  bonté 
digne  de  l'Etre  suprême.  Au  moment  même  que 
J'écris  ceci ,  je  viens  encore  d'éprouver  combien  la 
cessation  subite  d'une  douleur  aiguë  est  un  plai- 
sir vif  et  délicieux.  M'oserait -on  dire  que  la  ces- 
sation du  plaisir  le  plus  vif  soit  une  douleur  aiguë  ? 
La  douce  jouissance  de  la  vie  est  permanente  ;  il 
suffit,  pour  la  goûter",  de  ne  pas  souffrir,  La  dou- 
leur n'est  qu'un  avertissement  importun ,  mais  né- 
cessaire, que  ce  bien  qui  nous  est  si  cher  est  en 
péril.  Quand  je  regardai  de  près  à  tout  cela ,  je 
trouvai ,  je  prouvai  peut-être  que  le  sentiment  de 
la  mort  et  celui  de  la  douleur  est  presque  nul  dans 
l'ordre  de  la  nature.  Ce  sont  les  hommes  qui  l'ont 
aiguisé  ;  sans  leurs  raffinements  insensés ,  sans  leurs 
institutions  barbares ,  les  maux  physiques  ne  nous 
atteindraient ,  ne  nous  affecteraient  guère ,  et  nous 
ne  sentirions  point  la  mort. 

Mais  le  mal  moral  !  autre  ouvrage  de  l'homme , 
auquel  Dieu  n'a  d'autre  part  que  de  l'avoir  fait  li- 
bre ,  et  en  cela  semblable  à  lui.  Faudra-t-il  donc  s'en 


AJNJNÉli    I76y.  187 

prendre  à  Dieu  des  crimes  des  hommes  et  des  maux 
(ju'ils  leur  attirent?  faudra-t-il ,  en  voyant  un  champ 
de  bataille ,  lui  reprocher  d'avoir  créé  tant  de  jam- 
bes et  de  bras  cassés? 

Pourquoi,  direz-vous,  avoir  fait  l'homme  libre, 
puisqu'il  devait  abuser  de  sa  liberté?  Ah!  M,  de  ***, 
s'il  exista  jamais  un  mortel  qui  n'en  ait  pas  abusé  , 
ce  mortel  seul  honore  plus  l'humanité  que  tous 
les  scélérats  qui  couvrent  la  terre  ne  la  dégradent. 
Mon  Dieu!  donne-moi  des  vertus,  et  me  place  un 
jour  auprès  des  Fénélori,  des  Caton  ,  des  Socrate. 
Que  m'importera  le  reste  du  genre  humain  ?  je  ne 
rougirai  point  d'avoir  été  homme. 

Je  vous  l'ai  dit,  monsieur,  il  s'agit  ici  de  mon 
sentiment ,  non  de  mes  preuves  ,  et  vous  ne  le  voyez 
que  trop.  Je  me  souviens  d'avoir  jadis  rencontré 
sur  mon  chemin  cette  question  de  l'origine  du  mal, 
et  de  l'avoir  effleurée  ;  mais  vous  n'avez  point  lu 
ces  rabàcheries,  et  moi  je  les  ai  oubliées  :  nous 
avons  très-bien  fait  tous  deux.  Tout  ce  que  je  sais 
est  que  la  facilité  que  je  trouvais  à  les  résoudre 
venait  de  l'opinion  que  j'ai  toujours  eue  de  la  co- 
existence éternelle  de  deux  principes  :  l'un  actif, 
qui  est  Dieu;  l'autre  passif,  qui  est  la  matière,  que 
l'être  actif  combine  et  modifie  avec  une  pleine  puis- 
sance ,  mais  pourtant  sans  l'avoir  créée  et  sans  la 
pouvoir  anéantir.  Cette  opinion  m'a  fait  huer  des 
philosophes  à  qui  je  l'ai  dite;  ils  l'ont  décitlée  ab- 
surde et  contradictoire.  Cela  peut-être,  mais  elle 
ne  m'a  pas  paru  telle,  et  j'y  ai  trouvé  l'avantage 
d'expliquer  sans  peine  et  clairement  à  mon  gré  tan  l 


i38  CORRESPONDiNri:. 

de  questions  dans  lesquelles  ils  s'embrouillent,  en^ 
tre  autres  celle  que  vous  m'avez  proposée  ici  comme 
insoluble. 

Au  reste,  j'ose  croire  que  mon  sentiment  ,  peu 
pondérant  sur  toute  autre  matière ,  doit  l'être  un 
peu  sur  celle-ci;  et,  quand  vous  connaîtrez  mieux 
ma  destinée,  quelque  jour  vous  direz  peut-être  en 
pensant  à  moi  :  Quel  autre  a  droit  d'agrandir  la 
mesure  qu'il  a  trouvée  aux  maux  que  l'homme  souf 
fre  iqi-bas  ? 

Vous  attribuez  à  la  difficulté  de  cette  même  ques- 
tion, dont  le  fanatisme  et  la  superstition  ont  abusé, 
les  maux  que  les  religions  ont  causés  sur  la  terre. 

Cela  peut-être,  et  je  vous  avoue  même  que  tou- 
tes les  formules  en  matière  de  foi  ne  me  paraissent 
qu'autant  de  chaînes  d'iniquité,  de  fausseté,  d'hy- 
pocrisie, et  de  tyrannie.  Mais  ne  soyons  jamais  in- 
justes ;  et  pour  aggraver  le  mal ,  n'ôtons  pas  le  bien. 
Ari'acher  toute  croyance  en  Dieu  du  cœur  des  hom- 
mes ,  c'est  y  détruire  toute  vertu.  C'est  mon  opi- 
nion, monsieur  :  peut-être  elle  est  fausse;  mais, 
tant  que  c'est  la  mienne ,  je  ne  serai  point  assez 
lâche  pour  vous  la  dissimuler. 

Faire  le  bien  est  l'occupation  la  plus  douce  d'un 
homme  bien  né  :  sa  probité ,  sa  bienfaisance ,  ne 
sont  point  l'ouvrage  de  ses  principes,  mais  celui 
de  son  bon  naturel;  il  cède  à  ses  penchants  en  pra- 
tiquant la  justice  ,  comme  le  méchant  cède  aux  siens 
en  pratiquant  l'iniquité.  Contenter  le  goût  qui  nous 
porte  à  bien  faire  est  bonté,  mais  non  pas  vertu. 

Ce^mot  de  vertu  signifie /o/re.  Il  n'y  a  point  de 


ANNl^E    1769.  1^9 

vertu  sans  combat;  il  n'y  en  a  point  sans  victoire, 
La  vertu  ne  consiste  pas  seulement  à  être  juste , 
mais  à  l'être  en  triomphant  de  ses  passions  ,  en 
régnant  sur  son  propre  cœur.  Titus,  rendant  heu- 
reux le  peuple  romain,  versant  partout  les  grâces 
et  les  bienfaits  ,  pouvait  ne  pas  perdre  un  seul  jour 
et  n'être  pas  vertueux;  il  le  fut  certainement  en 
renvoyant  Bérénice.  Brutus  faisant  mourir  ses  en- 
fants pouvait  n'être  que  juste.  Mais  Brutus  était  un 
tendre  père  ;  pour  faire  son  devoir  il  déchira  ses 
entrailles,  et  Brutus  fut  vertueux. 

Vous  voyez  ici  d'avance  la  question  remise  à  son 
point.  Ce  divin  simulacre  dont  vous  me  parlez  s'of- 
fre à  moi  sous  une  image  qui  n'est  pas  ignoble,  et 
je  crois  sentir  à  l'impression  que  cette  image  fait 
dans  mon  cœur  la  chaleur  qu'elle  est  capable  de  pro- 
duire. Mais  ce  simulacre  enfin  n'est  encore  qu'une 
de  ces  antités  métaphysiques  dont  vous  ne  voulez 
pas  que  les  hommes  se  fassent  des  dieux;  c'est  un 
pur  objet  de  contemplation.  Jusqu'où  portez-vous 
l'effet  de  cette  contemplation  sublime?  Si  vous  ne 
voulez  qu'en  tirer  un  nouvel  encouragement  pour 
bien  faire ,  je  suis  d'accord  avec  vous  ;  mais  ce  n'est 
])as  de  cela  qu'il  s'agit.  Supposons  votre  cœur  hon- 
î'.ete  en  proie  aux  passions  les  plus  terribles,  dont 
vous  n'êtes  pas  à  l'abri ,  puisque  enfin  vous  êtes 
homme.  Cette  image,  qui  dans  le  calme  s'y  peint 
si  ravissante,  n'y  perdra-t-elle  rien  de  ses  charmes , 
et  ne  s'y  ternira- t-elle  point  au  milieu  des  flots  ? 
Ecartons  la  supposition  décourageante  et  terrible 
des  périls  qui  peuvent  tenter  la  vertu  mise  au  de- 


j4o  corkespoNdance. 

sespoir  ;  supposons  seulement  qu'un  cœur  trop  sen- 
sible brûle  d'un  amour  involontaire  pour  la  fille 
ou  la  femme  de  son  ami;  qu'il  soit  maître  de  jouir 
d'elle  entre  le  ciel  qui  n'en  voit  rien,  et  lui  qui 
n'en  veut  rien  dire  à  personne  ;  que  sa  figure  char- 
mante l'attire  ornée  de  tous  les  attraits  de  la  beauté 
et  de  la  volupté  :  au  moment  où  ses  sens  enivrés 
sont  prêts  à  se  livrer  à  leurs  délices ,  cette  image 
abstraite  de  la  vertu  viendra-t-elle  disputer  son 
cœur  à  l'objet  réel  qui  le  frappe?  lui  paraîtra-t-elle 
en  cet  instant  la  plus  belle  ?  l'arrachera-t-elle  des 
bras  de  celle  qu'il  aime  pour  se  livrer  à  la  vaine 
contemplation  d'un  fantôme  qu'il  sait  être  sans  réa- 
lité? finira-t-il  comme  Joseph  ,  et  laissera- t-il  son 
manteau?  Non,  monsieur;  il  fermera  les  yeux  et 
succombera.  Le  croyant,  direz-vous, succombera 
de  même.  Oui,  l'homme  faible;  celui,  par  exem- 
ple, qui  vous  écrit;  mais  donnez-leur  à  tous  deux 
le  même  degré  de  force,  et  voyez  la  différence  du 
point  d'appui. 

Le  moyen,  monsieur ,  de  résister  à  des  tentations 
violentes  quand  on  peut  leur  céder  sans  crainte 
en  se  disant:  A  quoi  bon  résister?  pour  être  ver- 
tueux, le  philosophe  a  besoin  de  l'être  aux  yeux 
des  hommes  ,  mais  sous  les  yeux  de  Dieu  le  juste 
est  bien  fort;  il  compte  cette  vie,  et  ses  biens,  et 
ses  maux ,  et  toute  sa  gloriole  pour  si  peu  de  chose! 
il  aperçoit  tant  au-delà!  Force  invincible  de  la 
vertu,  nul  ne  te  connaît  que  celui  c[ui  sent  tout 
son  être,  et  c[uisait  qu'il  n'est  pas  au  pouvoir  des 
hommes  d'en   disposer!  Lisez -vous  quelquefois 


A.J\NÉE    1769.  l4l 

la  République  de  Platon?  voyez  dans  le  second  dia- 
logue avec  quelle  énergie  l'ami  de  Socrate,  dont 
j'ai  oublié  le  nom ,  lui  peint  le  juste  accablé  des  ou- 
trages cle  la  fortune  et  des  injustices  des  hommes , 
diffamé,  persécuté,  tourmenté,  en  proie  à  tout 
l'opprobre  du  crime,  et  méritant  tous  les  prix  de 
la  vertu,  voyant  déjà  la  mort  qui  s'approche,  et 
sûr  que  la  haine  des  méchants  n'épargnera  pas  sa 
mémoire ,  quand  ils  ne  pourront  plus  rien  sur  sa 
personne.  Quel  tableau  décourageant,  si  rien  pou- 
vait décourager  la  vertu  !  Socrate  lui  -  même  ef- 
frayé s'écrie  ,  et  croit  devoir  invoquer  les  dieux 
avant  de  répondre  ;  mais  sans  l'espoir  d'ime  autre 
vie  il  aurait  mal  répondu  pour  celle-ci.  Toute- 
fois dût-il  finir  pour  nous  à  la  mort,  ce  qui  ne 
peut  être  si  Dieu  est  juste,  et  par  conséquent  s'il 
existe ,  l'idée  seule  de  cette  existence  serait  encore 
pour  l'homme  un  encouragement  à  la  vertu,  et 
une  consolation  dans  ses  misères,  dont  manque 
celui  qui,  se  croyant  isolé  dans  cet  univers,  ne  sent 
au  fond  de  son  cœur  aucun  confident  de  ses  pen- 
sées. C'est  toujours  luie  douceur  dans  l'adversité 
d'avoir  un  témoin  qu'on  ne  l'a  pas  méritée;  c'est 
un  orgueil  vraiment  digne  de  la  vertu  de  pouvoir 
dire  à  Dieu  :  Toi  qui  lis  dans  mon  cœur,  tu  vois 
que  j'use  en  ame  forte  et  en  homme  juste  de  la 
liberté  que  tu  m'as  donnée.  Le  vrai  croyant ,  qui 
se  sent  partout  sous  l'œil  éternel,  aime  à  s'honorer 
à  la  face  du  ciel  d'avoir  rempli  ses  devoirs  sur  la 
terre. 

Vous  voyez  que  je  ne  vous  ai  point  disputé  ce 


l/\l  CORRESPOWUAIVCE. 

simulacre  que  vous  m'avez  présenté  pour  unique 
objet  des  vertus  du  sage.  Mais ,  mon  cher  monsieur, 
revenez  maintenant  à  vous,  et  voyez  combien  cet 
objet  est  inalliable,  incompatible  avec  vos  principes. 
Comment  ne  sentez-vous  pas  que  cette  même  loi  de 
la  nécessité  qui  seule  règle, selon  vous, la  marche 
du  monde  et  tous  les  événements ,  règle  aussi  toutes 
les  actions  des  hommes ,  toutes  les  pensées  de  leurs, 
têtes ,  tous  les  sentiments  de  leurs  cœurs  ;  que  rien 
n'est  libre,  que  tout  est  forcé,  nécessaire,  inévi- 
table; que  tous  les  mouvements  de  l'homme,  di- 
rigés par  la  matière  aveugle ,  ne  dépend-ent  de  sa 
volonté  que  parce  que  sa  volonté  même  dépend 
de  la  nécessité  ;  qu'il  n'y  a  par  conséquent  ni  ver- 
tus, ni  vices,  ni  mérite,  ni  démérite,  ni  moralité 
dans  les  actions  humaines;  et  que  ces  mots  d'hon- 
nête homme  ou  de  scélérat  doivent  être  pour  vous 
totalement  vides  de  sens  ?  Ils  ne  le  sont  pas  toute- 
fois, j'en  suis  très-siir;  votre  bonne».:  cœur  en  dé- 
pit de  vos  arguments  réclame  contre  votre  triste 
philosophie;  le  sentiment  de  la  liberté  ,  le  charme 
de  la  vertu ,  se  font  sentir  à  vous  malgré  vous.  Et 
voilà  comment  de  toutes  parts  cette  forte  et  sakitaire 
voix  du  sentiment  intérieur  rappelle  au  sein  de  la 
vérité  et  de  la  vertu  tout  homme  que  sa  raison 
mal    conduite  égare.    Bénissez,  monsieur,  cette 
sainte  et  bienfaisante  voix  qui  vous  ramène  aux 
devoirs  de  l'homme ,  que  la  philosophie  à  la  mode 
finirait   par   vous    faire    oublier.   Ne  vous  livrez 
à  vos  arguments  que  quand  vous  les  sentez  d'ac- 
cord avec  le  dictamen   de  votre  conscience  ;  et , 


ANNÉE    1769.  143 

toutes  les  fois  que  vous  y  sentirez  de  la  contradîc- 
tipn,  soyez  sûr  que  ce  sont  eux  qui  vous  trompent. 
Quoique  je  ne  veuille  pas  ergoter  avec  vous  ni 
suivre  pied  à  pied  vos  deux  lettres,  je  ne  puis  ce- 
pendant me  refuser  un  mot  à  dire  sur  le  parallèle 
du  sae^e  hébreu  et  du  sage  grec.  Comme  admira- 
teur de  l'un  et  de  l'autre,  je  ne  puis  guère  être 
suspect  de  préjugés  en  parlant  d'eux.  Je  ne  vous 
crois  pas  dans  le  même  cas  :  je  suis  peu  surpris 
que  vous  donniez  au  second  tout  l'avantage;  vous 
n'avez  pas  assez  fait  connaissance  avec  l'autre,  et 
vous  n'avez  pas  pris  assez  de  soin  pour  dégager 
ce  qui  est  vraiment  à  lui  de  ce  qui  lui  est  étranger 
et  qui  le  défigure  à  vos  yeux,  comme  à  ceux  de 
bien  d'autres  gens  qui,  selon  moi,  n'y  ont  pas  re- 
gardé de  plus  près  que  vous.  Si  Jésus  fût  né  à 
Athènes,  et  Socrate  à  Jérusalem,  que  Platon  et 
Xénophon  eussent  écrit  la  vie  du  premier,  Luc  et 
Matthieu  celle  de  l'autre,  vous  changeriez  beaucoup 
de  langage;  et  ce  qui  lui  fait  tort  dans  votre  esprit 
est  précisément  ce  qui  rend  son  élévation  d'ame 
plus  étonnante  et  plus  admirable,  savoir,  sa  nais- 
sance en  Judée,  chez  le  plus  vil  peuple  qui  peut- 
être  existât  alors;  au  lieu  que  Socrate,  né  chez  le 
plus  instruit  et  le  plus  aimable ,  trouva  tous  les  se- 
cours dont  il  avait  besoin  pour  s'élever  aisément 
au  ton  qu'il  prit.  Il  s'éleva  contre  les  sophistes  , 
comme  Jésus  contre  les  prêtres;  avec  cette  diffé- 
rence que  Socrate  imita  souvent  ses  antagonistes, 
et  que ,  si  sa  belle  et  douce  mort  n'eût  honoré  sa 
vie  il  eût  passé  pour  un  sophiste  comme  eux.  Pour 


l44  CORRESPONDANCE. 

Jésus ,  le  vol  sublime  que  prit  sa  grande  ame  l'éleva 
toujours  au-dessus  de  tous  les  mortels;  et  depuis 
l'âge  de  douze  ans  jusqu'au  moment  qu'il  expira 
dans  la  plus  cruelle  ainsi  que  dans  la  plus  infâme 
de  toutes  les  morts ,  il  ne  se  démentit  pas  un  mo- 
ment. Son  noble  projet  étaitde  relever  son  peuple, 
d'en  faire  derechef  un  peuple  libre  et  digne  de 
l'être;  car  c'était  par  là  qu'il  fallait  commencer.  L'é- 
tude profonde  qu'il  fit  de  la  loi  de  Moïse,  ses  ef- 
forts pour  en  réveiller  l'enthousiasme  et  l'amour 
dans  les  coeurs ,  montrèrent  son  but ,  autant  qu'il 
était  possible ,  pour  ne  pas  effaroucher  les  Romains. 
Mais  ses  vils  et  lâches  compatriotes ,  au  lieu  de  l'é- 
couter, le  prirent  en  haine  précisément  à  cause  de 
son  génie  et  de  sa  vertu  qui  leur  reprochaient  leur 
indignité.  Enfin  ce  ne  fut  qu'après  avoir  vu  l'im- 
possibilité d'exécuter  son  projet  qu'il  l'étendit  dans 
sa  tête,  et  que,  ne  pouvant  faire  par  lui-même  une 
révolution  chez  son  peuple,  il  voulut  en  faire  une 
par  ses  disciples  dans  l'univers.  Ce  qui  l'empêcha 
de  réussir  dans  son  premier  plan  ,  outre  la  bassesse 
de  son  peuple,  incapable  de  toute  vertu,  fut  la 
trop  grande  douceur  de  son  propre  caractère; 
douceur  qui  tient  plus  de  l'ange  et  du  dieu  que  de 
l'homme,  qui  ne  l'abandonna  pas  un  instant,  même 
sur  la  croix,  et  qui  fait  verser  des  torrents  de  larmes 
à  qui  sait  lire  sa  vie  comme  il  faut  à  travers  les 
fatras  dont  ces  pauvres  gens  l'ont  défigurée.  Heu- 
reusement ils  ont  respecté  et  transcrit  fidèlement 
ses  discours  qu'ils  n'entendaient  pas  :  ôtez  quelques 
tours  orientaux  ou  mal  rendus,  on  n'y  voit  pas  un 


ANNÉE    1769.  145 

mot  (jiii  ne  soit  digne  de  lui;  et  c'est  là  qu'on  re- 
connaît riîomme  divin  ,  qui,  de  si  piètres  disciples, 
a  fait  pourtant,  dans  leur  grossier  mais  fier  en- 
thousiasme, des  hommes  éloquents  et  courageux. 

Vous  m'objectez  qu'il  a  fait  des  miracles.  Cette 
objection  serait  terrible,  si  elle  était  juste;  mais 
vous  savez ,  monsieur ,  ou  du  moins  vous  pourriez 
savoir  que ,  selon  moi ,  loin  que  Jésus  ait  fait  des 
miracles ,  il  a  déclaré  très-positivement  qu'il  n'en 
ferait  point,  et  a  marqué  un  très -grand  mépris 
pour  ceux  qui  en  demandaient. 

Que  de  choses  me  resteraient  à  dire  !  Mais  cette 
lettre  est  énorme;  il  faut  finir  :  voici  la  dernière 
fois  que  je  reviendrai  sur  ces  matières.  J'ai  voulu 
vous  complaire  ,  monsieur  ;  je  ne  m'en  repens 
point  :  au  contraire,  je  vous  remercie  de  m'avoir 
fait  reprendre  un  fil  d'idées  presque  effacées ,  mais 
dont  les  restes  peuvent  avoir  pour  moi  leur  usage 
dans  l'état  où  je  suis. 

Adieu,  monsieur;  souvenez -vous  quelquefois 
d'un  homme  que  vous  auriez  aimé,  je  m'en  flatte, 
quand  vous  l'auriez  mieux  connu,  et  qui  s'est  oc- 
cupé de  vous  dans  des  moments  où  l'on  ne  s'oc- 
cupe guère  que  de  soi-même. 

Observation — On  ignore  le  nom  de  celui  quiavaitconiiniini- 
qué  à  Rousseau  ses  doutes  sur  l'exislence  de  Dieu.  Jean-Jacques 
lui  répondit  par  cette  longue  lettre  que  la  force  des  raisonne- 
ments, le  style,  la  bonne  foi  d'un  homme  qui  cherche  sincère- 
ment la  vérité,  rendent  également  remarquable.  «  Il  a  cru  dans 
»  son  enfance  par  autorité;  dans  sa  jeunesse  par  sentiment;  dans 
«  son  âge  mûr  par  raison  :  et  maintenant  il  croit  parce  qu'il  a 
"  toujours  cru  ».  Cette  lettre  fut  écrite  à  Bnurgom,  dans  un  ca- 
p..  XXII.  10 


l46  CORRESPONDANCE. 

baret  où  Jean-Jacques  était  logé  d'une  manière  incommode,  et 
à  l'une  dos  époques  de  sa  vie  où  il  fut  le  plus  tourmenté.  C'était 
au  sujet  de  l'affaire  Thevenin,  qui  l'affecta,  beaucoup  trop, 
comme  on  l'a  vu.  Toutes  les  fois  que  dans  ses  malheurs  on  in- 
terrogeait Rousseau  sur  de  grandes  questions,  il  sortait  de  son 
léthargique  accablement  et  reprenait  toute  son  énergie.  On  l'a 
vu  dans  sa  réponse  au  marquis  de  Mirabeau ,  qui  le  consul- 
tait sur  l'absurde  système  du  despotisme  légal.  V.  lettre  du  a6 
juillet  Î7G7. 


LETTRE  DCCCLXXX. 

A  M.  LALLIAUD. 

Monquin,  le  17  mars  1769. 

J'ai  reçu,  monsieur ,  avec  votre  dernière  lettre, 
votre  seconde  rescription,  dont  je  vous  remercie, 
et  dont  je  n'ai  pas  encore  fait  usage,  faute  d'oc- 
casion. 

Je  me  trouve  beaucoup  mieux  depuis  que  je 
suis  ici  ;  je  respire  et  j'agis  beaucoup  plus  libre- 
ment ,  quoique  l'estomac  ne  soit  pas  désenflé  : 
outre  l'effet  de  l'air  et  de  l'eau  marécageuse,  je 
crois  devoir  attribuer  en  grande  partie  mon  in- 
commodité au  vin  du  cabaret,  dont  j'ai  apporté 
avec  moi  une  vingtaine  de  bouteilles,  et  dont  j'ai 
senti  le  mauvais  effet  toutes  les  fois  que  j'en  ai  bu. 
Tous  les  cabaretiers  falsifient  et  frelatent  ici  leurs 
vins  avec  de  l'alun;  et  rien  n'est  plus  pernicieux, 
surtout  pour  moi. 

J'ai  appris  pai-  M  du  Peyrou  que  le  discours  en 


question  avait  été  absolument  défiguré  et  mutilé  à 
l'impression ,  et  que  non-seulement  on  n'avait  pas 
suivi  les  corrections  que  j'y  ai  faites,  mais  qu'on 
avait  même  retranché  des  morceaux  de  la  première 
composition.  Cela  me  console  en  quelque  sorte  de 
ce  larcin  où  personne  de  bon  sens  ne  peut  recon- 
naître mon  ouvrage. 

Permettez  que  je  vous  prie  de  donner  cours  à 
la  lettre  ci-jointe. 

J'oubliais  de  vous  répondre  au  sujet  des  livres 
dont  vous  offrez  de  me  défaire.  S'ils  sont  tolérés , 
j'y  consens  ;  s'ils  sont  défendus,  je  m'y  oppose. 
Mais  une  chose  qui  me  tient  beaucoup  plus  au 
cœur,  et  dont  vous  ne  me  parlez  point,  est  le 
portrait  du  roi  d'Angleterre.  Il  est  singulier  que , 
de  quelque  façon  que  je  m'y  prenne,  il  me  soit 
impossible  d'avoir  ce  portrait.  Il  est  pourtant  bien 
à  moi,  ce  me  semble,  et  je  ne  suis  d'humeur  à  le 
céder  à  qui  que  ce  soit,  pas  même  à  vous,  à  moins 
qu'il  ne  vous  fit  autant  de  plaisir  qu'à  moi. 

Donnez -nous,  monsieur,  de  vos  nouvelles  à 
vos  moments  de  loisir.  Madame  Renou  vous  sou- 
haite, ainsi  que  moi,  bonheur  et  santé,  et  nous 
vous  faisons  l'un  et  l'autre  bien  des  salutations. 


10. 


l48  CORRESPONDANCE. 


LETTRE  DCCCLXXXI. 

A  MADAME  LATOUR. 

A  Monquin,  le  2  3  mars  1769. 

Le  changement  cVairm'a  fait  du  bien,  chère  Ma- 
rianne ,  et  je  me  trouve  beaucoup  mieux ,  quant 
à  la  santé,  que  quand  j'ai  quitté  Bourgoin. 

Cependant  mon  estomac  n'est  pas  assez  rétabli^ 
pour  que  je  puisse  écrire  sans  peine,  ce  qui  m'o- 
blige à  ne  faire  que  de  courtes  lettres  autant  que 
je  puis,  et  seulement  pour  le  besoin.  C'en  sera 
toujours  un  pour  moi,  mon  aimable  amie,  d'entre- 
tenir avec  vous  les  liens  d'une  amitié  maintenant 
aussi  chère  à  mon  cœur  qu'elle  parut  jadis  l'être 
au  vôtre. 


"      LETTRE  DCCGLXXXIL 

A  M.  DU  PEYROU. 

A  Monquin,  le  3r  mars  176g. 

Votre  dernière  lettre  sans  date ,  mon  cher  hôte , 
a  bien  vivement  irrité  les  inquiétudes  où  j'étais 
déjà  sur  l'état  tant  de  madame  la  commandante 
que  sur  le  vôtre.  Je  vois  que  vous  en  êtes  au  point 
de  ne  pas  même  craindre  le  retour  de  la  goutte , 
comme  une  diversion  de  la  douleur  du  corps  pour 


celle  de  l'ame.  Gela  m'apprend  ou  me  confirme 
bien  combien  fous  les  systèmes  philosophiques 
sont  faibles  contre  la  douleur  tant  de  1  un  que  de 
l'autre,  et  combien  la  nature  est  toujours  la  plus 
forte  aussitôt  qu'elle  fait  sentir  son  aiguillon.  Il 
n'y  a  pas  six  mois  que,  pour  m'armer  contre  ma 
faiblesse ,  vous  me  souteniez  que ,  hors  les  remords 
inconnus  aux  gens  de  votre  espèce ,  les  peines 
morales  n'étaient  rien ,  qu'il  n'y  avait  tle  réel  que 
le  mal  physique  ;  et  vous  voilà ,  faible  mortel  ainsi 
que  moi,  appelant,  pour  ainsi  dire,  ce  même  mal 
physique  à  votre  aide  contre  celui  que  vous  sou- 
teniez ne  pas  exister.  Mon  cher  hôte ,  revenons- 
en  donc  pour  toujours  ,  vous  et  moi ,  à  cette 
maxime  naturelle  et  simple,  de  commencer  par 
être  toujours  bien  avec  soi,  puis,  au  surplus,  de 
crier  tout  bonnement  et  bien  fort  quand  on  souffre, 
et  de  se  taire  quand  on  ne  souffre  plus  ;  car  tel  est 
l'instinct  de  la  nature  et  le  lot  de  l'être  sensible. 
Faisons  comme  les  enfants  et  les  ivrognes ,  qui 
ne  se  cassent  jamais  ni  jambes  ni  bras  quand  ils 
tombent ,  parce  qu'ils  ne  se  roidissent  point  pour 
ne  pas  tomber,  et  revenons  à  ma  grande  maxime 
de  laisser  aller  le  cours  des  choses  tant  qu'il  n'y  a 
point  de  notre  faute,  et  de  ne  jamais  regimber 
contre  la  nécessité. 


100  correspondance:. 


LETTRE   BCCCLXXXIII. 

A  M.  BEAUCHATEAU. 

Bourgoin,  le  4  avril  1769. 

Vous  VOUS  moquez  de  moi ,  monsieur,  avec  votrti 
médaille.  Allez  j  je  ne  veux  point  d'autre  médaille 
que  celle  qui  restera  dans  les  cœurs  des  honnêtes 
gens  qui  me  survivront ,  et  qui  connaîtront  mes 
sentiments  et  ma  destinée.  Je  vous  salue,  mon- 
sieur, très-humblement. 

LETTRE  DCCCLXXXIV. 

A  M.   DU  PEYROU. 

Monquin,  21  avril  1769. 

Que  votre  situation ,  mon  cher  hôte ,  me  navre  ! 
Que  je  vous  trouve  à  plaindre,  et  que  je  vous 
plains  ainsi  que  votre  digne  et  infortunée  mère  ! 
Mais  vous  êtes  sans  contredit  le  plus  à  plaindre 
des  deux;  tant  qu'elle  voit  son  fils  tendre  et  bien 
portant  auprès  d'elle,  elle  a  dans  ses  terribles 
maux  des  consolations  bien  douces  ;  mais  vous , 
vous  n'en  avez  point.  Elle  peut  encore  aimer  sa 
vie,  et  vous  ,  vous  devez  soigner  la  vôtre  parce 
qu'elle  lui  est  nécessaire.  Ce  n'est  pas  ime  consola- 


ANNÉE    1769.  l5l 

tion  pour  vous ,  mais  c'est  un  dtivoH'  qui  doit  vous 
rendre  bien  sacré  le  soin  de  vous-même. 

Vous  me  demandez  conseil  sur  ce  que  vous  de- 
vez lui  dire  au  sujet  du  choix  que  vous  vous  êtes 
fait.  Personne  ne  peut  vous  donner  ce  conseil  que 
vous-même,  parce  que  personne  ne  peut  prévoir, 
comme  vous ,  l'effet  que  cette  déclaration  peut  faire 
sur  son  esprit;  car,  sans  contredit ,  vous  ne  devez 
rien  lui  dire  dans  son  triste  état  que  vous  ne  sa- 
chiez devoir  lui  être  agréable  et  consolant.  Vous 
êtes  convaincu,  me  dites-vous,  que  ce  choix  lui 
fera  plaisir  ;  cela  étant ,  je  ne  vois  pas  pourquoi 
vous  balanceriez.  Mais  vous  n'avez  pas  le  couriige  , 
ajoutez-vous,  de  lui  en  parler  de  but  en  blanc 
dans  son  état?  Eh  bien!  parlez-lui-en  par  forme 
de  consultation  plutôt  que  de  déclaration.  Cette 
déférence  ne  peut  que  lui  plaire  et  la  toucher  ;  et, 
dût-elle  ne  pas  approuver  votre  choix ,  vous  n'en 
restez  pas  moins  le  maître  de  passer  outre  sans  la 
contrister ,  lorsque  le  ciel  aura  disposé  d'elle.  Voilà 
tout  ce  que  la  raison  et  le  tendre  intérêt  que  je 
prends  à  l'un  et  à  l'autre  me  prescrit  de  vous  dire 
à  ce  sujet. 

J'ai  le  cœur  si  plein  de  vous  et  de  votre  cruelle 
situation,  que  je  n'ai  pas  le  courage  de  vous  par- 
ler de  moi  ;  et  tout  ce  que  j'ai  de  bon  à  vous  en 
dire  est  que  ma  santé  continue  d'aller  assez  bien. 
Faites  parler  mon  cœur  avec  le  vôtre  auprès  de 
votre  bonne  maman.  Mille  amitiés  au  bon  Jeannin. 
Nous  vous  embrassons , madame  Renoiii  et  moi,  de 
tout  notre  cœiir. 


iSa  CORRESPONDANCE. 


LETTRE  DCGCLXXXV. 

AU  MÊME. 

Ce  19  mai  1769. 

J'apprends  votre  perte,  mon  cher  hôte,  et  je  la 
sens  bien  ;  mais  ce  n'est  pas  une  perte  récente  à 
laquelle  vous  ne  fussiez  pas  préparé.  Je  ne  voudrais, 
pour  vous  en  consoler,  que  le  détail  que  vous  me 
faites  de  l'état  de  la  défunte.  Il  y  avait  long-temps 
qu'elle  avait  cessé  de  vivre  ^  elle  n'a  fait  que  cesser 
de  souffrir,  et  vous  de  partager  ses  souffrances. 
Il  n'y  a  pas  là  de  quoi  s'affliger. Mais  votre  perte, 
pour  être  ancienne  en  quelque  sorte ,  n'en  est  pas 
moins  réelle  et  pas  moins  irréparable  ;  et  voilà  sur 
quoi  doivent  tomber  vos  regrets;  vous  avez  un 
véritable  ami  de  moins,  et  un  ami  qui  ne  se  rem- 
place pas.  Puissiez-vous  n'avoir  jamais  plus  à  le 
pleurer  dans  la  suite  que  vous  ne  le  pleurez  au- 
jourd'hui! Mais  telle  est  la  loi  de  la  nature,  il  faut 
baisser  la  tété  et  se  résigner. 

La  nature  qui  se  ranime  me  ranime  aussi.  Je  re- 
prends des  forces  et  j'herborise.  Le  pays  où  je  suis 
serait  très-agréable  s'il  avait  d'autres  habitants  ; 
j'avais  semé  quelques  plantes  dans  le  jardin,  on  les 
a  détruites.  Cela  m'a  déterminé  à  n'avoir  pltis 
d'autre  jardin  que  les  prés  et  les  bois.  Tant  que 
j'aurai  la  force  de  m'y  J3romener,  je  trouverai  du 


ANNliE    17(39.  l53 

jîiaisir  à  vivre  ;  c'est  lui  plaisir  que  les  hommes  ne 
m'ôteront  pas,  parce  qu'il  a  sa  source  cn-cledans 
(le  moi. 


LETTRE  DCCCLXXXVI. 

A  M.  LE  PRINCE  DE  CONTI. 

Boiirgoin,  le  3i  mai  1769. 

Monseigneur, 

Puisque  votre  altesse  sérénissime  n'approuve 
pas  que  je  dispose  de  moi  sans  ses  ordres,  et  puis- 
que je  ne  veux  en  rien  lui  déplaire ,  il  faut  qu'elle 
daigne  endin-er  les  importunités  que  ma  situation 
rend  indispensables. 

Je  ne  puis  rester  volontairement  ici ,  ni  choisir 
mon  habitation  dans  le  lieu  qu'il  vous  a  plu ,  mon- 
seigneur, de  me  désigner.  Mes  raisons  ne  peuvent' 
s'écrire.  J'ai  cent  fois  été  tenté  de  partir  à  tout 
risque  pour  porter  à  vos  pieds  les  éclaircissements 
qu'il  m'importe  qui  soient  connus  de  vous  et  de 
vous  seul.  Avant  de  céder  à  cette  tentation  qui 
devient  plus  forte  de  jour  en  jour ,  je  crois  devoir 
vous  en  instruire.  Daignez  l'approuver ,  et  n'avoir 
pas  plus  d'égard  à  mes  périls  que  je  n'en  veux 
avoir  moi-même ,  parce  qu'il  n'est  pas  de  la  ma- 
gnanimité dé  votre  ame  de  vouloir  rua  sûreté  aux 
dépens  de  mon  honneur. 


Jl54  COKRESPONDANCE. 

Si  je  suis  assez  malheureux  pour  qiie  votre  al- 
tesse sérénissime  se  refuse  à  cette  audience ,  je  la 
supplie  au  moins  d'approuver  que  je  choisisse 
moi-même ,  dans  le  royaume ,  le  lieu  de  mon  ha- 
bitation; que  je  le  choisisse  en  toute  liberté,  sans 
être  obligé  d'indiquer  ce  lieu  d'avance  ,  parce  que 
je  ne  puis  juger  de  celui  qui  me  conviendra  qu'a- 
près en  avoir  fait  l'essai. 

Si  nul  de  ces  deux  partis  n'obtient  l'agrément 
de  votre  altesse  sérénissime,  je  le  lui  demande  au 
moins  pour  sortir  du  royaume  à  la  faveur  d'un 
passe-port  pareil  au  précédent  que  m'accorda  M.  de 
Choiseul,  et  dont  je  n'ai  pu  ni  dû  faire  usage. 

Enfin,  monseigneur,  si  vous  n'approuvez  au- 
cune de  ces  propositions,  ou  que  vous  ne  m'ho- 
noriez d'aucune  réponse,  je  prends  le  ciel  à  té- 
moin de  mon  profond  respect  pour  vos  ordres  et 
de  l'ardent  désir  que  j'ai  de  mériter  toujours  vos 
bontés  ;  mais  comme  rien  ne  peut  me  dispenser  de 
ce  que  je  me  dois  à  moi-même ,  dans  l'extrémité 
où  je  suis,  je  disposerai  de  moi  comme  mon  cœur 
me  l'inspirera. 

Veuillez  ,  monseigneur  ^  agréer  avec  bonté  mon 
profond  respect. 


ANNEE 


l'yGg.  l55 


LETTRE  DCCCLXXXVII. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Ce  12  juin  1769. 

Recevez,  mon  cher  hôte,  mes  félicitations  et 
celles  de  madame  Renou,  sur  votre  mariage;  nous 
faisons  l'un  et  l'autre  les  vœux  les  plus  sincères 
pour  que  vous  y  trouviez  et  que  vous  y  rendiez  à 
votre  épouse  ce  rare  et  précieux  bonheur  qui  en 
fait  un  lien  céleste  et  sans  lequel  il  n'est  qu'une 
chaîne  de  misère  ;  car  il  n'y  a  point  de  milieu.  Elle 
nous  a  paru  fort  aimable  à  l'un  et  à  l'autre ,  et  d'un 
fort  bon  caractère,  autant  que  nous  en  avons  pu 
juger  sur  une  connaissance  aussi  superficielle. 
Nous  apprendrons  avec  joie  que  le  jugement  avan- 
tageux que  nous  en  avons  porté  est  confirmé  par 
votre  expérience.  Vous  avez,  mon  cher  hôte,  une 
grande  et  belle  tâche  à  remplir.  La  sienne  est  plus 
grande  et  plus  belle  encore.  Si  elle  la  remplit, 
comme  le  choix  d'un  homme  sensé  nous  le  fait  es- 
pérer ,  elle  méritera  l'estime  et  le  respect  de  toute 
la  terre ,  et  c'est  un  tribut  que  nos  cœurs  lui  paie- 
ront avec  plaisir. 

Le  ressentiment  de  goutte  dont  vous  paraissez 
menacé  nous  tient  en  peine  sur  l'état  présent  de 
Votre  santé.  Donnez-m'en  des  nouvelles ,  je  vous 
prie.  Ménagez-la ,  c'est  un  soin  que  votre  état  rend 


l56  CORRESPONDAIVCE. 

très  -  nécessaire.  Nous  vous  embrassons  l'un  et 
l'autre ,  et  vous  prions  de  faire  agréer  nos  saluta- 
tions à  madame  du  Peyrou. 


LETTRE  DCGCLXXXVIII. 

A  MADAME  LATOUR. 

A  Monquiu,  le  19  juin  1769. 

Connaître  mon  cœur  et  lui  rendre  justice ,  c'est 
en  montrer  un  bien  digne  de  son  attachement.  Il 
y  a  trois  lignes  dans  votre  dernière  lettre ,  chère 
Marianne  ,  qui  m'ont  encore  plus  touché  que  tout 
ce  que  vous  m'avez  écrit  jusqu'ici.  Vous  comptez 
sur  mes  sentiments  ;  vous  avez  d'autant  plus  rai- 
son, que  vous  m'avez  appris  à  compter  sur  les 
vôtres,  et  que  toute  personne  dont  je  serai  sûr  d'être 
aimé ,  fût-elle  bien  moins  aimable  que  vous ,  aura 
toujours  de  ma  part  plus  que  du  retour.  Je  sens 
plus  que  vous ,  croyez-moi ,  notre  éloignement  ; 
mais  quand  vous  pourriez  me  venir  voir  ici,  je 
n'y  consentirais  pas  ;  plus  vous  m'aimez  ,  plus  vous 
seriez  affligée.  Nous  étions  amis  sans  nous  être 
jamais  vus  ,  nous  le  serons ,  et ,  s'il  le  faut ,  sans 
nous  revoir.  J'étais  négligent  à  écrire  ;  à  présent 
que  vous  m'imitez  un  peu ,  je  ne  serai  pas  plus 
exact;  mais  dussé-je  ne  vous  plus  voir  et  ne  vous 
plus  écrire ,  le  besoin  de  vous  aimer  et  la  douceur 
de  le  satisfaire  feront  partie  de  mon  être  aussi 
long-temps  qu'il  sera  ce  qu'il  est. 


AiVNlil^    1769.  t57 


LETTRE  DCCCLXXXIX. 

A  LA  MÊME. 

A  Monquiii,  le  4  juillet  17^9. 

Rassurez -VOUS,  belle  Marianne,  j'ai  regret  aux 
inquiétudes  que  je  vous  ai  données.  J'ai  voulu 
mettre  à  l'épreuve  votre  sensibilité  ;  le  succès  a 
passé  mon  attente;  je  vous  promets  de  ne  plus  faire 
avec  vous  de  pareils  essais.  Adieu ,  belle  Marianne  ; 
puissiez-vous  ne  voir  jamais  autour  de  vous  que 
bonheur  et  prospérité  !  Quand  on  s'affecte  ainsi 
des  peines  de  ses  amis ,  on  n'en  doit  avoir  que 
d'heureux. 


LETTRE  DCCGXC, 

A  M.   DU  PEYROU. 

A  Nevers,  le  21  juillet  1769- 

Je  n'aurais  pas  tardé  si  long -temps,  mon  cher 
bote,  à  vous  remercier  du  livre  de  M.  Haller,  et  à 
vous  en  accuser  la  réception ,  sans  mon  départ  un 
peu  précipité ,  pour  venir  rendre  mes  devoirs  à 
mon  ancien  hôte  de  Trye ,  tandis  qu'il  se  trouvait 
rapproché  de  moi.  Après  huit  jours  de  séjour  en 
cette  ville  ,  je  compte  en  repartir  demain  pour 
Lyon ,  et  de  là  pour  Monquin ,  où  j'ai  laissé  ma- 


î58  CORRESPONDANCE. 

dame  Renou,  et  où  j'espère  trouver  de  vos  nou- 
velles, n'en  ayant  pas  eu  depuis  votre  mariage, au 
bonheur  duquel  vous  ne  doutez  pas ,  je  m'en  flatte , 
de  l'intérêt  vif  et  vrai  que  prend  votre  concitoyen. 
Je  ne  doute  pas  que  l'habitation  de  la  campagne 
ne  tire  en  ce  moment  un  nouveau  charme  de  celle 
avec  qui  vous  la  partagez ,  et  que  vous  n'y  repre- 
niez même  le  goût  de  l'herborisation,  ne  fût-ce 
que  pour  lui  offrir  des  guirlandes  mieux  assorties. 
J'aurais  bien  voulu  pouvoir  y  joindre  de  très-jolies 
fleurs  que  j'ai  trouvées  sur  ma  route  ;  ce  beau  pays , 
peii  connu  des  botanistes ,  est  abondant  en  belles 
plantes,  dont  j'aurais  enrichi  mon  herbier  si  j'a- 
vais eu  l'esprit  de  porter  avec  moi  un  portefeuille. 
Je  ne  puis  vous  parler  encore  du  catalogue  de 
M.  Gagnebin  ,  à  qui  j'en  fais ,  ainsi  qu'à  vous  , 
bien  des  remerciements,  non  plus  que  du  Haller, 
n'ayant  fait  que  parcourir  bien  rapidement  l'un  et 
l'autre.  J'ai  déjà  dans  mon  herbier  une  grande  par- 
tie des  plantes  que  contient  le  premier;  et  quant  à 
l'autre,  je  le  trouve  imprimé  avec  une  extrême  né- 
gligence et  plein  de  fautes  impardonnables,  j'en- 
tends fautes  d'impression.  Il  ne  laissera  pas  pour 
cela  de  m'être  toujours  précieux  par  lui-même  et 
par  la  main  dont  il  me  vient.  Adieu ,  mon  cher  hôte  ; 
mes  hommages ,  je  vous  supplie ,  à  votre  chère 
épouse ,  et  mes  amitiés  à  M.  Jeannin.  Je  vous  em-^ 
brasse  de  tout  mon  coeur. 


ANNÉE    1769. 


LETTRE  DCCCXCL 

AU  MÊME. 

Monquin,  le  la  août  1769. 

De  retour  ici ,  mon  cher  hôte ,  de  Nevers ,  d'où 
je  vous  ai  écrit  une  lettre  qui ,  j'espère ,  vous  sera 
parvenue,  j'y  ai  trouvé  la  vôtre  du  9  juillet,  où  je 
vois  et  sens  en  la  lisant  les  douloureuses  incisions 
que  vous  avez  souffertes  ,  et  qui  ont  abouti  à  vous 
tirer  du  tuf  du  bout  des  doigts.  Voilà ,  je  l'avoue , 
une  manière  d'escamoter  dont  je  n'avais  pas  l'idée. 
Comment  peut -on  avoir  du  tuf  daps  le  bout  des 
doigts?  Cela  me  passe,  et  j'aimerais  autant,  pour 
la  vraisemblance ,  l'histoire  de  cet  homme  qui  vo^ 
missait  des  canifs  et  des  écritoires.  Mais  enfin ,  là 
où  le  vrai  parle  ,  la  vraisemblance  doit  se  taire ,  et 
puisqu'il  faut  convenir  qu'il  peut  y  avoir  du  tuf  Jà 
où  il  s'en  trouve,  je  suis  toujours  fort  aise  que  vous 
soyez  délivré  de  celui-là,  et  que  vos  douleurs  de 
goutte  en  soient  soulagées. 

Vous  voulez  que  je  vous  parle  à  mon  tour  de 
ma  santé  ;  j'ai  peu  de  chose  à  vous  en  dire.  Mon 
voyage  m'a  extrêmement  fatigué  par  la  chaleur, 
la  poussière,  et  la  voiture  ;  mais ,  chemin  faisant, 
j'ai  vu  des  plantes  nouvelles  qui  m'ont  amusé,  et 
après  quelques  jours  de  repos  me  voilà  prêt  à  re- 
partir demain  pour  aller  herboriser  sur  le  mont 
Pila  avec  M.  le  gouverneur  de  Boiirgoin ,  et  quel- 


l6o  CORRESPOIVDAIVCE. 

ques  autres  messieurs  à  qui  je  tâche  de  persuader 
qu'ils  aiment  la  botanique ,  et  qui  en  effet  y  ont 
fait  quelques  progrès.  Notre  pèlerinage  doit  être 
de  sept  ou  huit  jours,  et  toujours  pédestre,  comme 
celui  que  nous  fîmes  ensemble  à  Bienne.  La  pre- 
mière journée  d'ici  à  Vienne  est  très  -  forte  pour 
moi,  qui  d'ailleurs  ne  me  sens  pas  extrêmement 
bien,  et  il  faut  que  je  compte  beaucoup  sur  le  bien 
que  me  font  ordinairement  les  voyages  pédestres, 
pour  ne  pas  renoncer  à  celui-là.  Mais  ,  après  avgir 
mis  la  partie  en  train ,  la  rompre  serait  à  moi  de 
mauvaise  grâce,  et  j'aime  mieux  courir  quelques 
risques  que  paraître  trop  inconstant.  Je  compte  à 
mon  retour  trouver  ici  de  vos  nouvelles ,  et  ap- 
prendre que  votre  singulière  opération  vous  a  en 
effet  délivré  d'une  attaque  de  goutte,  comme  vous 
l'avez  espéré. 

Votre  Haller  me  fait  toujours  grand  plaisir ,  mais 
je  le  trouve  toujours  plus  rempli  de  fautes  d'im- 
pression. La  moitié  des  phrases  de  Linnœus  qu'il 
cite  sont  estropiées,  et  un  très  -  grand  nombre  de 
chiffres  des  tables  et  citations  sont  faux,  de  sorte 
qu'on  ne  sait  presque  où  aller  chercher  tout  ce 
qu'il  indique  ;  j'ai  vu  peu  de  livres  aussi  considé- 
raljles  imprimés  si  négligemment.  Le  catalogue  de 
M.  Gagnebin  est  exact ,  net ,  mais  sans  ordre  ,  de 
sorte  qu'on  ne  sait  comment  y  chercher  la  plante 
dont  on  a  besoin.  Au  reste,  l'un  et  l'autre  de  ces 
deux  ouvrages  peut  donner  des  instructions  utiles, 
dont  je  profite  de  mon  mieux  en  pensant  à  voiis. 
Quand  je  serai  revenu  de  Pila  (si  j'en  reviens  }ieu- 


ANNÉE    1769.  161 

reusement) ,  je  vous  marquerai  ce  que  j'y  aurai 
trouvé  de  plus  ou  de  moins  que  dans  le  catalogue 
de  M.  Gagnebin. 


LETTRE  DCCCXGII. 

A  MADAME  ROUSSEAU. 

Monquin,  ce  samedi  12  août  1769. 

Depuis  vingt-six  ans,  ma  chère  amie,  que  notre 
union  dure  ,  je  n'ai  cherché  mon  bonheur  que 
dans  le  vôtre,  je  ne  me  suis  occupé  qu'à  tâcher  de 
vous  rendre  heureuse  ;  et  vous  avez  vu  par  ce  que 
j'ai  fait  en  dernier  lieu ,  sans  m'y  être  engagé  ja- 
mais ,  que  votre  honneur  et  votre  bonheur  ne 
m'étaient  pas  moins  chers  l'un  que  l'autre.  Je  m'a- 
perçois avec  douleur  que  le  succès  ne  répond  pas 
à  mes  soins,  et  qu'ils  ne  vous  sont  pas  aussi  doux 
à  recevoir  qu'il  me  l'est  de  vous  les  rendre.  Je  sais 
que  les  sentiments  de  droiture  et  d'honneur  avec 
lesquels  vous  êtes  née  ne  s'altéreront  jamais  en 
vous  ;  mais  quant  à  ceux  de  tendresse  et  d'atta- 
chement ,  qui  jadis  étaient  réciproques ,  je  sens 
qu'ils  n'existent  plus  que  de  mon  côté.  Ma  chère 
amie ,  non-seulement  vous  avez  cessé  de  vous  plaire 
avec  moi ,  mais  il  faut  que  vous  preniez  beaucoup 
sur  vous  pour  y  rester  quelques  moments  par 
complaisance.  Vous  êtes  à  votre  aise  avec  tout  le 
monde  hors  avec  moi  ;  tous  ceux  qui  vous  entou- 
rent sont  dans  vos  secrets  excepté  moi,  et  votre 

E.    XXH.  I  I 


iGj.  CORUKSPONDAiVCK. 

seul  véritable  ami  est  le  seul  exclus  de  votre  con- 
fidence. Je  ne  vous  parle  point  de  beaucoup  d'au- 
ties  choses.  Il  faut  prendre  nos  amis  avec  leurs 
défauts ,  et  je  dois  vous  passer  les  vôtres  comme 
vous  me  passez  les  miens.  Si  vous  étiez  heureuse 
avec  moi ,  je  serais  content  ;  mais  je  vois  claire- 
ment que  vous  ne  l'êtes  pas,  et  voilà  ce  qui  me  dé- 
chire. Si  je  pouvais  faire  mieux  pour  y  contribuer, 
je  le  ferais  et  je  me  tairais;  mais  cela  n'est  pas  pos- 
sible. Je  n'ai  rien  omis  de  ce  que  j'ai  cru  pouvoir 
contribuer  à  votre  félicité  ;  je  ne  saurais  faire  da- 
vantage ,  quelque  ardent  désir  que  j'en  aie.  En 
nous  unissant,  j'ai  fait  mes  conditions  ;  vous  y  avez 
consenti  ,  je  les  ai  remplies.  Il  n'y  avait  qu'un 
tendre  attachement  de  votre  part  qui  pût  m'enga- 
ger  à  les  passer  et  à  n'écouter  que  notre  amour  au 
péril  de  ma  vie  et  de  ma  santé.  Convenez ,  ma 
chère  amie ,  que  vous  éloigner  de  moi  n'est  pas  le 
moyen  de  me  rapprocher  de  vous  ;  c'était  pourtant 
mon  intention,  je  vous  le  jure;  mais  votre  refroi- 
dissement m'a  retenu ,  et  des  agaceries  ne  suffisent 
pas  pour  m'attirer  lorsque  le  cœur  me  repousse. 
En  ce  moment  même  où  je  vous  écris ,  navré  de 
détresse  et  d'affliction  ,  je  n'ai  pas  de  désir  plus  vif 
et  plus  vrai  que  celui  de  finir  mes  jours  avec  vous 
dans  l'union  la  plus  parfaite  ,  et  de  n'avoir  plus 
qu'un  lit  lorsque  nous  n'aurons  plus  qu'une  ame. 
Rien  ne  plaît,  rien  n'agrée  de  la  part  de  quel- 
qu'un qu'on  n'aime  pas.  Yoilà  pourquoi,  de  quel- 
que façon  que  je  m'y  prenne,  tous  mes  soins,  tous 
mes  efforts  auprès  de  vous  sont  insuffisants.  Le 


ANlNliE    1769.  l63 

cœur,  ma  chère  amie,  ne  se  commande  pas,  et  ce 
mal  est  sans  remède.  Cependant,  quelque  passion 
que  j'aie  de  vous  voir  heureuse  à  quelque  prix  que 
ce  soit,  je  n'aurais  jamais  songé  à  m'éloigner  de 
vous  pour  cela ,  si  vous  n'eussiez  été  la  première 
à  m'en  faire  la  proposition.  Je  sais  bien  qu'il  ne 
faut  pas  donner  trop  de  poids  à  ce  qui  se  dit  dans 
la  chaleur  d'une  querelle  ;  mais  vous  êtes  revenue 
trop  souvent  à  cette  idée  pour  qu'elle  n'ait  pas  fait 
sur  vous  quelque  impression.  Vous  connaissez  mon 
sort,  il  est  tel  qu'on  n'oserait  pas  même  le  décrire  , 
parce  qu'on  n'y  saurait  ajouter  foi.  Je  n'avais ,  chère 
amie ,  qu'une  seule  consolation ,  mais  bien  douce , 
c'était  d'épancher  mon  cœur  dans  le  tien  ;  quand 
j'avais  parlé  de  mes  peines  avec  toi  elles  étaient 
soulagées;  et  quand  tu  m'avais  plaint,  je' ne  me 
trouvais  plus  à  plaindre.  Il  est  sûr  que ,  ne  trou- 
vant plus  que  des  cœurs  fermés  ou  faux ,  toute  ma 
ressource ,  toute  ma  confiance  est  en  toi  seule  ;  le 
mien  ne  peut  vivre  sans  s'épancher  ,  et  ne  peut 
s'épancher  qu'avec  toi.  II  est  sûr  que,  si  tu  me 
manques  et  que  je  sois  réduit  à  vivre  absolument 
seul,  cela  m'est  impossible,  et  je  suis  un  homme 
mort.  Mais  je  mourrais  cent  fois  plus  cruellement 
encore,  si  nous  continuions  de  vivre  ensemble  en 
mésintelligence  ,  et  que  la  confiance  et  l'amitié 
s'éteignissent  entre  nous.  Ah  !  mon  enfant,  à  Dieu 
ne  plaise  que  je  sois  réservé  à  ce  comble  de  mi- 
sère !  Il  vaut  mieux  cent  fois  cesser  de  se  voir,  s'ai-  - 
mer  encore ,  et  se  regretter  quelquefois.  Quelque 
sacrifice  qu'il  faille  de  ma  part  pour  te  rendre  heu- 

1 1. 


l64  C011RESP0NJ)A.NCE. 

relise,  sois-le  à  quelque  prix  que  ce  soit,  et  je  suis 
content. 

Je  te  conjure  donc ,  ma  chère  femme ,  de  bien 
rentrer  en  toi-même  ,  de  bien  sonder  ton  cœur ,  et  de 
bien  examiner  s'il  ne  serait  pas  mieux  pour  l'un  et 
pour  l'autre  que  tu  suivisses  ton  projet  de  te  mettre 
en  pension  dans  une  communauté  pour  t'épargner 
les  désagréments  de  mon  humeur,  et  à  moi  ceux 
de  ta  froideur;  car ,  dans  l'état  présent  des  choses , 
il  est  impossible  que  nous  trouvions  notre  bon- 
heur l'iiii  avec  l'autre  :  je  ne  puis  rien  changer  en 
moi ,  et  j'ai  peur  que  tu  ne  puisses  rien  changer  en 
toi  non  plus.  Je  te  laisse  parfaitement  libre  de 
choisir  ton  asile  et  d'en  changer  sitôt  que  cela  te 
conviendra.  Tu  n'y  manqueras  de  rien  ,  j'aurai 
soin  dé  toi  plus  que  de  moi-même  ;  et  sitôt  que 
nos  cœurs  nous  feront  mieux  sentir  combien  nous 
étions  nés  l'un  pour  l'autre ,  et  le  vrai  besoin  de 
nous  réunir  ,  nous  le  ferons  pour  vivre  en  paix  et 
nous  rendre  heureux  mutuellement  jusqu'au  tom- 
beau. Je  n'endurerais  pas  l'idée  d'une  séparation 
éternelle  ;  je  n'en  veux  qu'une  qui  nous  serve  à  tous 
deux  de  leçon  ;  je  ne  l'exige  point  même ,  je  ne 
l'impose  point;  je  crains  seulement  qu'elle  ne  soit 
devenue  nécessaire.  Je  t'en  laisse  le  juge  et  je  m'en 
rapporte  à  ta  décision.  I^a  seule  chose  que  j'exige , 
si  nous  en  venons  là  ,  c'est  que  le  parti  que  tu  ju- 
geras à  propos  de  prendre  se  prenne  de  concert 
entre  nous  :  je  te  promets  de  me  prêter  là-dessus 
en  tout  à  ta  volonté ,  autant  qu'elle  sera  raisonna- 
ble et  juste ,  sans  humeur  de  ma  part  et  sans  chi- 


ANNÉE    1769.  iGj 

cane.  Mais  quant  au  parti  que  tu  voulais  prendre 
dans  ta  colère  de  me  quitter  et  de  t'éclipser  sans 
que  je  m'en  mélasse  et  sans  que  je  susse  même  ou 
tu  voudrais  aller,  je  n'y  consentirai  de  ma  vie, 
parce  qu'il  serait  honteux  et  déshonorant  pour 
l'un  et  pour  l'autre ,  et  contraire  à  tous  nos  en- 
gagements. 

Je  vous  laisse  le  temps  de  hien  peser  toutes 
choses.  Réfléchissez  pendant  mon  absence  au  su- 
jet de  cette  lettre.  Pensez  à  ce  que  vous  vous  de- 
vez, à  ce  que  vous  me  devez,  à  ce  que  nous  sommes 
depuis  long-temps  l'un  à  l'autre,  et  à  ce  que  nous 
devons  être  jusqu'à  la  fin  de  nos  jours,  dont  la 
plus  grande  et  la  plus  belle  partie  est  passée,  et 
dont  il  ne.  nous  reste  que  ce  qu'il  faut  pour  couron- 
ner une  vie  infortunée,  mais  innocente,  honnête, 
et  vertueuse,  par  une  fin  qui  l'honore  et  nous  as- 
sure un  bonheur  durable.  Nous  avons  des  fautes  à 
pleurer  et  à  expier;  mais,  grâces  au  ciel,  nous 
n'avons  à  nous  reprocher  ni  noirceurs  ni  crimes  : 
n'effaçons  pas  par  l'imprudence  de  nos  derniers 
jours  la  douceur  et  la  pureté  de  ceux  que  nous 
ayons  passés  ensemble. 

Je  ne  vais  pas  faire  un  voyage  bien  long  ni  bien 
périlleux;  cependant  la  nature  dispose  de  nous  au 
moment  que  nous  y  pensons  le  moins.  Vous  con- 
naissez trop  mes  vrais  sentiments  pour  craindre 
qu'à  quelque  degré  que  mes  malheurs  puissent  al- 
ler, je  sois  homme  à  disposer  jamais  de  ma  vie 
avant  le  temps  que  la  nature  ou  les  hommes  au- 
ront marqué.  Si  quelque  accident  doit  terminer  ma 


l66  CORRESPONDANCE. 

carrière,  soyez  bien  sûre,  quoi  qu'on  puisse  dire, 
que  ma  volonté  n'y  aura  pas  eu  la  moindre  part. 
J'espère  me  retrouver  en  bonne  santé  dans  vos 
bras ,  d'ici  à  quinze  jours  au  plus  tard  ;  niais  s'il 
en  était  autrement,  et  que  nous  n'eussions  pas 
le  bonheur  de  nous  revoir,  souvenez -vous  en 
pareil  cas  de  l'homme  dont  vous  êtes  la  veuve, 
et  d'honorer  sa  mémoire  en  vous  honorant.  Ti- 
rez-vous d'ici  le  plus  tôt  que  vous  pourrez.  Qu'au- 
cun moine  ne  se  mêle  de  vous  ni  de  vos  affaires 
en  quelque  façon  que  ce  soit.  Je  ne  vous  dis  point 
ceci  par  jalousie ,  et  je  suis  bien  convaincu  qu'ils 
n'en  veulent  point  à  votre  personne;  mais  n'im- 
porte, profitez  de  cet  avis,  ou  soyez  sûre  de  n'at- 
tirer que  déshonneur  et  calamité  sur  le  reste  de 
votre  vie.  Adressez-vous  à  M.  de  Saint-  Germain 
pour  sortir  d'ici  ;  tâchez  d'endurer  l'air  méprisant 
de  sa  femme  par  la  certitude  que  vous  ne  l'avez 
pas  mérité.  Cherchez  à  Paris,  à  Orléans ,  ou  à  Blois, 
une  communauté  qui  vous  convienne  ^  et  tâchez 
d'y  vivre  plutôt  que  seule  dans  une  chambre.  Ne 
comptez  sur  aucun  ami  ;  vous  n'en  avez  point  ni 
moi  non  plus ,  soyez-en  sûre  ;  mais  comptez  sur 
les  honnêtes  gens ,  et  soyez  sûre  que  la  bonté  de 
cœur  et  l'équité  d'un  honnête  homme  vaut  cent 
fois  mieux  que  l'amitié  d'un  coquin.  C'est  à  ce 
titre  d'honnête  homme  que  vous  pouvez  donner 
votre  confiance  au  seul  homme  de  lettres  cpie  vous 
savez  que  je  tiens  pour  tel*.  Ce  n'est  pas  un  ami 

Duclos,  mort  en  177^. 


ANNÉE    1769.  167 

chaud,  mais  c'est  un  homme  droit  qui  ue  vous 
tromj3era  pas,  et  qui  n'insultera  pas  ma  mémoire, 
])arce  qu'il  m'a  bien  connu  et  qu'il  est  juste  ;  mais  il 
ne  se  compromettra  pas,  et  je  ne  désire  pas  qu'il  se 
compromette.  Laissez  tranquillement  exécuter  les 
complots  faits  contre  votre  mari  ;  ne  vous  tourmen- 
tez point  à  justifier  sa  mémoire  outragée;  conten- 
tez-vous de  rendre  honneur  à  la  vérité  dans  l'oc- 
casion ,  et  laissez  la  Providence  et  le  temps  faire 
leur  œuvre  ;  cette  œuvre  se  fera  tôt  ou  tard.  Ne  vous 
lapprochez  plus  des  grands  ;  n'acceptez  aucune  de 
hnu's  offres ,  encore  moins  de  celles  des  gens  de 
lettres.  J'exclus  nommément  toutes  les  femmes 
qui  se  sont  dites  mes  amies.  J'excepte  madame 
Dupin  et  madame  de  Chenonceaux  ;  l'une  et  l'au- 
tre sont  sûres  à  mon  égard  et  incapables  de  trahi- 
son. Parlez-leur  quelquefois  de  mes  sentiments 
pour  elles  ;  ils  vous  sont  connus.  Vous  aurez  assez 
de  quoi  vivre  indépendante  avec  les  secours  que 
M.  du  Peyrou  a  dessein  de  vous  donner,  et  qu'il 
vous  doit ,  puisqu'il  en  a  reçu  l'argent.  Si  vous  ai- 
mez mieux  vivre  seule  chez  vous  que  chez  des  re- 
ligieuses ,  vous  le  pouvez  ;  mais  ne  vous  laissez  pas 
subjui^uer ,  ne  vous  livrez  pas  à  vos  voisines  ,  et 
ne  vous  fiez  pas  aux  gens  avant  de  les  connaître. 
Je  finis  ma  lettre  si  à  la  hâte  que  je  ne  sais  plus  ce 
que  je  dis.  Adieu  chère  amie  de  mon  cœur  :  à  vous 
revoir;  et,  si  nous  ne  nous  revoyons  pas,  souve- 
nez-vous toujours  du  seul  ami  véritable  que  vous 
ayez  eu  et  que  vous  aurez  jamais.  Je  ne  me  signe- 
rai pas  Reiioii^  puisque  ce  nom  fut  fatal  à  votre 


l68  CORRESPONDANCE. 

tendresse;  mais,  pour  ce  moment,  j'en  veux  re- 
prendre un  que  votre  cœur  ne  saurait  oublier. 

J.  J.  Rousseau. 

Observation.  —  C'est  sur  cette  lettre  que  nous  appuyons 
l'opinion  que  nous  avons  exprimée  plusieurs  fois  relativement  à 
Thérèse.  C'est  un  monument  incontestable  du  caractère  de  cette 
indigne  femme.  Elle  avait  menacé  J.  J.  de  le  quitter  furtivement,; 
il  est  fâcheux  qu'elle  ne  l'ait  pas  fait  vingt  ans  plus  tôt.  C'est  elle 
qui  fît  naître  en  lui  cette  méfiance  dont  il  était  tourmenté,  et 
qu'elle  avait  soin  d'alimenter  :  c'est  elle  qui,  par  son  commérage 
et  ses  propos,  le  dégoûta  successivement  de  toutes  les  retraites 
qu'il  s'était  choisies;  c'est  elle  qui,  en  acceptant  clandestine- 
ment des  .cadeaux,  en  les  provoquant  même,  autoiisait  la  ca- 
lomnie et  compromettait  l'honneur  de  celui  à  qui  elle  devait 
tout  et  dont  on  ne  peut  expliquer  l'aveviglement;  c'est  elle  qui 
empoisonna  son  existence...  Malgi^é  les  justes  sujets  de  plainte 
qu'il  expose  dans  cette  lettre,  il  exprime  ime  tendre  sollicitude 
sur  sa  destinée  si  elle  lui  survit,  lui  donne  des  conseils,  et  lui  fait 
les  adieux  les  plus  touchants.  Elle  lui  a  survécu  en  effet,  s'est 
avilie ,  est  morte  dans  l'opprobre  et  la  misère. 


LETTRE  DCCCXCIII. 

A  M.  LALLIAUD. 

Monquin,  le  27  août  1769. 

Un  voyage  de  botanique,  rnonsieur,  que  j'ai  fait 
au  mont  Pila  presque  en  arrivant  ici ,  m'a  privé 
du  plaisir  de  vous  répondre  aussitôt  que  je  l'au- 
rais dû.  Ce  voyage  a  été  désastreux,  toujours  de 
la  pluie;  j'ai  trouvé  peu  de  plantes,  et  j'ai  perdu 
mon  chien,  blessé  par  un  autre  et  fugitif:  je  le 


ANNÉE    1769.  1G9 

croyais  mort  dans  les  bois  de  sa  blessure,  quand  à 
mon  retour  je  l'ai  trouvé  ici  bien  portant,  sans 
que  je  puisse  imaginer  comment  il  a  pu  faire  douze 
lieues  et  repasser  le  Rhône  dans  l'état  où  il  était. 
Vous  avez,  monsieur,  la  douceur  de  revoir  vos 
pénates  et  de  vivre  au  milieu  de  vos  amis.  Je  pren- 
drais part  à  ce  bonheur  en  vous  en  voyant  jouir, 
mais  je  doute  que  le  ciel  me  destine  à  ce  partage. 
J'ai  trouvé  madame  Renou  en  assez  bonne  santé  : 
elle  vous  remercie  de  votre  souvenir,  et  vous  sa- 
lue de  tout  son  cœur.  J'en  fais  de  même,  étant 
forcé  d'être  bref  à  cause  du  soin  que  demandent 
quelques  plantes  que  j'ai  rapportées,  et  quelques 
graines  que  je  destinais  à  madame  de  Portiand ,  le 
tout  étant  arrivé  ici  à  demi  pourri  par  la  pluie.  Je 
voudrais  du  moins  en  sauver  quelque  chose,  pour 
n'avoir  pas  perdu  tout-à-fait  mon  voyage,  et  la 
peine  que  j'ai  prise  à  les  recueillir.  Adieu,  mon 
cher  M.  LalHaud;  conservez-vous,  et  vivez  content. 


LETTRE   DCCCXGIV. 

A  M.  MOULTOU. 

Monquin,  le  8  septembre  176g. 

Sans  une  foulure  à  la  main  ,  cher  Moultou,  qui 
me  fait  souffrir  depuis  plusieurs  jours,  je  me  livre- 
rais H  mon  aise  au  plaisir  de  causer  avec  vous; 
mais  je  ne  désespère  pas  d'en  retrouver  une  occa- 
sion plus  commode:  en  attendant,  recevez  mon 


170  CORRESPONDAiVCE. 


remerciement  de  votre  bon  souvenir,  et  de  celui 
de  madame  Moultou,  dont  je  me  consolerai  diffi- 
cilement d'avoir  été  si  près  sans  la  voir.  Je  veux 
croire  qu'elle  a  quelque  part  au  plaisir  que  vous 
m'avez  fait  de  m'amener  votre  fils,  et  cela  m'a 
rendu  plus  touchante  la  vue  de  cet  aimable  en- 
fant. Je  suis  fort  aise  qu'il  soit  un  peu  jaloux,  dans 
ce  qu'il  fait,  de  mon  approbation  :  il  lui  est  tou- 
jours aisé  de  s'en  assurer  par  la  votre;  car  sur  ce 
point,  comme  sur  beaucoup  d'autres,  nous  ne 
saurions  penser  différemment  vous  et  moi. 

Je  ne  suis  point  surpris  de  ce  que  vous  me  mar- 
quez des  dispositions  secrètes  des  gens  qui  vous 
entourent  :  il  y  a  long-temps  qu'ils  ont  changé  le 
patriotisme  en  égoïsme,  et  l'amour  prétendu  du 
bien  public  n'est  plus  dans  leurs  cœurs  que  la  haine 
des  partis.  Garantissez  le  votre,  o  cher  Moultou, 
de  ce  sentiment  pénible  qui  donne  toujours  plus 
de  tourment  que  de  jouissance ,  et  qui ,  lors  même 
qu'il  l'assouvit ,  venge  dans  le  cœur  de  celui  qui 
l'éprouve  le  mal  qu'il  fait  à  son  ennemi.  Paradis 
aux  bienfaisants,  disait  sans  cesse  le  bon  abbé  de 
Saint-Pierre  :  voilà  un  paradis  que  les  méchants 
ne  peuvent  ôter  à  personne ,  et  qu'ils  se  donne- 
raient ,  s'ils  en  connaissaient  le  prix. 

Adieu,  cher  Moultou;  je  vous  embrasse. 


AWJN  KE    176g.  17  I 

LETTRE    DCCCXCV. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Monquin,  le  i  fi  septembre  1769. 

Je  n'aurais  pas  attendu,  mon  cher  hôte,  votre 
lettre  du  5  septembre  pour  répondre  à  celle  du 
6  août,  si  à  mon  retour  du  mont  Pila  je  ne  me 
fusse  foulé  la  main  droite  par  une  chute  qui  m'en 
a  pendant  quelque  temps  gêné  l'usage.  Je  suis  bien 
charmé  de  n'apprendre  votre  accès  de  goutte  qu'à 
votre  convalescence  ;  c'est  une  grande  consolation, 
quand  on  souffre ,  d'attendre  ensuite  de  longs  in- 
tervalles, durant  lesquels  on  ne  souffrira  plus;  et 
je  ne  suis  pas  surpris  que  les  tendres  soins  de  votre 
aimable  Henriette  fassent  une  assez  grande  diver- 
sion à  vos  souffrances  pour  vous  les  laisser  beau- 
coup moins  sentir.  Vous  devez  vous  trouver  trop 
heureux  de  gagner  à  son  service  des  accès  de  goutte 
dans  lesquels  vous  êtes  servi  par  ses  mains.  Vous 
êtes  assurément  bien  faits,  l'un  pour  donner,  l'autre 
pour  sentir  tout  le  prix  des  soins  du  plus  pur  zèle 
et  de  la  plus  tendre  amitié;  mais  cependant,  aux 
charmes  près  qu'elle  seule  y  peut  ajouter  ,  des 
soins  de  cette  espèce  ne  doivent  pas  être  absolu- 
ment nouveaux  pour  vous.  Je  suis  plus  que  flatté, 
je  suis  touché  qu'elle  se  souvienne  avec  plaisir  de 
notre  ancienne  connaissance.  J'aurais  été  trop  heu- 
reux de  pouvoir  la  cultiver  ;  mais  les  attachements 


l'j'2  CORRESPOIVD.VNCE. 

fondés  sur  l'estime,  tels  que  celui  que  j'ai  conçu 
pour  elle,  n'ont  pas  besoin  de  l'habitude  de  se 
voir  pour  s'entretenir  et  se  renfoncer.  Fût -elle 
beaucoup  moins  aimable ,  les  respectables  devoirs 
qu'elle  remplit  si  bien  près  de  vous  la  rendent 
trop  estimable  à  tout  le  monde  pour  ne  la  pas 
rendre  chère  aux  honnêtes  gens ,  et  surtout  à  vos 
amis.  A  l'égard  des  échecs,  malgré  tout  ce  que 
vous  me  dites  de  son  habileté,  vous  me  permet- 
trez de  douter  que  ce  soit  lé  jeu  auquel  elle  joue 
le  mieux;  et,  si  jamais  j'ai  le  plaisir  de  faire  une 
partie  avec  elle ,  je  lui  dirai,  et  de  bien  bon  cœur , 
ce  que  je  disais  jadis  à  un  grand  prince  *  ;  «  Je  vous 
«  honore  trop  pour  ne  pas  gagner  toujours.  » 

Vous  aviez  grande  raison,  mon  cher  hôte,  d'at- 
tendre la  relation  de  mon  herborisation  de  Pila  ; 
car,  parmi  les  plaisirs  de  la  faire,  je  comptais  beau- 
coup sur  celui  de  vous  la  décrire.  Mais  les  pre- 
miers ayant  manqué  me  laissent  peu  de  quoi  four- 
nir à  l'autre.  Je  partis  à  pied  avec  trois  messieurs, 
dont  un  médecin,  qui  faisaient  semblant  d'aimer  la 
botanique,  et  qui,  désirant  me  cajoler,  je  ne  sais 
pourquoi ,  s'imaginèrent  qu'il  n'y  avait  rien  de 
mieux  pour  cela  que  de  me  faire  bien  des  façons. 
Juoez  comment  cela  s'assortit,  non-seulement  avec 
mon  humeur ,  mais  avec  l'aisance  et  la  gaieté  des 
voyages  pédestres.  Ils  m'ont  trouvé  très-maussade, 
je  le  crois  bien  ;  ils  ne  disent  pas  que  c'est  eux 
qui  m'ont  rendu  tel.  Il  me  semble ,  que  malgré  la 
pluie  ,  nous  n'étions  point  maussades  à  Brot  ni  les 

Le  prince  de  Conti. 


ANNÉE    1769.  1^3 

uns  ni  les  autres.  Premier  article.  Le  second  est 
que  nous  avons  eu  mauvais  temps  presque' durant 
toute  la  route;  ce  qui  n'amuse  pas  quand  on  ne 
veut  qu'herboriser ,  et  que ,  faute  d'une  certaine 
intimité  ,  l'on  n'a  que  cela  pour  point  de  ral- 
liement et  pour  ressource.  Le  troisième  est  que 
nous  avons  trouvé  sur  la  montagne  un  très-mau- 
vais gîte  ;  pour  lit,  du  foin  ressuant  et  tout  mouillé, 
hors  un  seul  matelas  rembourré  de  puces ,  dont , 
comme  étant  le  Sancho  de  la  troupe,  j'ai  été  pom- 
peusement gratifié.  Le  quatrième ,  des  accidents 
de  toute  espèce  :  un  de  nos  messieurs  a  été  mordu 
d'un  chien  sur  la  montagne.  Sultan  a  été  deini- 
massacré  d'un  autre  chien;  il  a  disparu,  je  l'ai  cru 
mort  de  ses  blessures  ou  mangé  du  loup;  et  ce 
qui  me  confond  est  qu'à  mon  retour  ici  je  l'ai 
trouvé  tranquille  et  parfaitement  guéri,  sans  que 
je  puisse  imaginer  comment,  dans  l'état  où  il  était, 
il  a  pu  faire  douze  grandes  lieues  et  surtout  re- 
passer le  Rhône ,  qui  n'est  pas  un  petit  ruisseau , 
comme  disait  du  Rhin  M.  Chazeron.  Le  cinquième 
article ,  et  le  pire ,  est  que  nous  n'avons  presque 
rien  trouvé,  étant  allés  trop  tard  pour  les  fleurs, 
trop  tôt  pour  les  graines ,  et  n'ayant  eu  nul  guide 
pour  trouver  les  bons  endroits.  Ajoutez  que  la 
montagne  est  fort  triste,  inculte,  déserte,  et  n'a 
rien  de  l'admirable  variété  des  montagnes  de  Suisse. 
Si  vous  n'étiez  pas  devenu  un  profane,  je  vous  fe- 
rais ici  rénumération  de  notre  maigre  collection  ; 
je  vous  parlerais  du  méum ,  de  \ oreille  d'ours^  du 
doronic,  de  la  historié  y  du  napcl,  du  tlijmelœa,  etc. 


\'jl\  CORRESPONDANCE. 

Mais  j'espère  que  quand  M.  d'Escherny ,  qui  a  ap- 
pris la  t)otanique  en  trois  jours ,  sera  près  de  vous , 
il  vous  expliquera  tout  cela.  Parmi  toutes  les  plantes 
alpines  très-communes,  j'en  ai  trouvé  trois  plus 
curieuses  qui  m'ont  fait  grand  plaisir.  L'une  est 
Yonagra  (  œiiothera  biennis)^  que  j'ai  trouvée  aux 
bords  du  Rhône ,  et  que  j'avais  déjà  trouvée  à  mon 
voyage  de  Nevers  au  bord  de  la  Loire.  La  seconde 
est  le  laiteron  bleu  des  Alpes,  sonchus  Alpinus ^  qui 
m'a  fait  d'autant  plus  de  plaisir  que  j'ai  eu  peine  à 
le  déterminer,  m'obstinant  à  le  prendre  pour  une 
laitue  ;  la  troisième  est  le  lichen  Islandicus ,  que  j'ai  • 
d'abord  reconnu  aux  poils  courts  qui  bordent  les 
feuilles.  Je  vous  ennuie  avec  mon  pédant  étalage; 
mais  si  votre  Henriette  prenait  du  goût  pour  les 
plantes,  comme  mon  foin  se  transformerait  bien 
vite  en  fleurs  !  Il  faudrait  bien  alors ,  malgré  vous 
et  vos  dents,  que  vous  devinssiez  botaniste. 


LETTRE  DCCCXCVI. 

A  M.  L.  C.  D.  L. 

Monquin,  le  lo  octobre  1769. 

Me  voici,  monsieur,  en  vous  répondant,  dans 
une  situation  bien  bizarre,  sachant  bien  à  qui, 
mais  non  pas  à  cpioi  :  non  que  tout  ce  que  vous 
écrivez  ne  mérite  bien  qu'on  s'en  souvienne ,  mais 
parce  que  je  ne  me  souviens  plus  de  rien.  J'avais 
mis  à  part  votre  lettre  pour  y  répondre,  et,  après 


ANNÉK    I7G9.  173 

avoir  vin«t  lois  renversé  ma  chambre  et  tous  les 
fatras  qui  la  remplissent,  je  n'ai  pu  parvenir  à  re- 
trouver cette  lettre  :  toutefois  je  n'en  veux  pas 
avoir  le  démenti ,  ni  que  mon  étourderie  me  prive 
du  plaisir  de  vous  écrire.  Ce  ne  sera  pas,  si  vous 
voulez,  une  réponse;  ce  sera  un  bavardage  de 
rencontre,  pour  avoir,  aux  dépens  de  votre  pa- 
tience, l'avantage  de  causer  un  moment  avec  vous. 

Vous  me  parliez,  monsieur,  du  nouveau -né, 
dont  je  vous  fais  mes  bien  cordiales  félicitations  : 
voilà  vos  pertes  réparées;  que  vous  êtes  heureux 
de  voir  les  plaisirs  paternels  se  multiplier  autour 
de  vous!  Je  vous  le  dis,  et  bien  du  fond  de  mon 
cœur,  quiconque  a  le  bonheur  de  pouvoir  remplir 
des  soins  si  chers  trouve  chez  lui  des  plaisirs  plus 
vrais  que  tous  ceux  du  monde,  et  les  plus  douces 
consolations  dans  l'adversité.  Heureux  qui  peut 
élever  ses  enfants  sous  ses  yeux!  Je  plains  un  père 
de  famille  obligé  d'aller  cherclier  au  loin  la  for- 
tune; car  pour  le  vrai  bonheur  de  la  vie,  il  en  a 
la  source  auprès  de  lui. 

Vous  me  parliez  du  logement  auquel  vous  aviez 
eu  la  bonté  de  songer  pour  moi.  Vous  avez  bien , 
monsieur,  tout  ce  qu'il  faut  pour  ne  pas  me  laisser 
renoncer  sans  regret  à  l'espoir  d'être  votre  voisin: 
et  pourquoi  y  renoncer  ?  qu'est-ce  qui  empêche- 
rait que  ,  dans  une  saison  plus  douce,  je  n'allasse 
vous  voir,  et  voir  avec  vous  les  habitations  qui 
pourraient  me  convenir?  S'il  s'en  trouvait  une  as- 
sez voisine  de  la  vôtre  pour  me  procurer  l'agrément 
de  votre  société,  il  y  aurait  là  de  quoi  racheter  bien 


176  CORRESPONDANCE, 

des  inconvénients,  et,  pourvu  que  je  trouvas seà 
peu  près  le  plus  nécessaire ,  de  quoi  me  consoler 
de  n'avoir  pas  ce' qui  le  serait  moins. 

Vous  me  parliez  de  littérature;  et  précisément 
cet  article,  le  plus  plein  de  choses  et  le  plus  digne 
d'être  retenu ,  est  celui  que  j'ai  totalemet  oublié. 
Ce  sujet  qui  ne  me  rappelle  que  des  idées  tristes , 
et  que  l'instinct  éloigne  de  ma  mémoire ,  a  fait  tort 
à  l'esprit  avec  lequel  vous  l'avez  traité  :  je  me  suis 
souvenu  seulement  que  vous  étiez  très  -  aimable , 
même  en  traitant  un  sujet  que  je  n'aimais  plus. 

Vous  me  parliez  de  botanique  et  d'herborisa- 
tions. C'est  un  objet  sur  lequel  il  me  reste  un 
peu  plus  de  mémoire ,  encore  ai-je  grand'peur  que 
bientôt  elle  ne  s'en  aille  de  même  avec  le  goût  de 
la  chose ,  et  qu'on  ne  parvienne  à  me  rendre  dé- 
sagréable jusqu'à  cet  innocent  amusement.  Quel- 
que ignorant  que  je  sois  en  botanique ,  je  ne  le 
suis  pas  au  point  d'aller,  comme  on  vous  l'a  dit, 
chercher  en  Europe  une  plante  qui  empoisonne 
par  son  odeur;  et  je  pense,  au  contraire,  qu'il  y  a 
beaucoup  à  rabattre  des  qualités  prodigieuses  , 
tant  en  bien  qu'en  mal ,  que  l'ignorance ,  la  charla- 
tanerie,  la  crédulité,  et  quelque  fois  la  méchan- 
ceté, prêtent  aux  plantes,  et  qui,  bien  examinées, 
se  réduisent  pour  l'ordinaire  à  très-peu  de  chose  , 
souvent  tout-à-fait  à  rien.  J'allais  à  Pila  faire  avec 
trois  messieurs ,  qui  fesaient  semblant  d'aimer  la 
botanique ,  une  herborisation  dont  le  principal 
objet  était  un  commencement  d'herbier  pour  l'un 
des  trois,  à  qui  j'avais  tâché  d'inspirer  le  goût  de 


AjyjV'ÉE  1769.  17- 

cette  douce  et  aimable  étude.  Tout  en  marchant , 
M.  le  médecin  M  ***  m'appela  pour  me  montrer, 
disait-il,  une  très-belle  ancolie.  Comment,  mon- 
sieur, une  ancolie!  lui  dis-je  en  voyant  sa  plante; 
c'est  le  napel.  Là-dessus  je  leur  racontai  les  fables 
que  le  peuple  débite  en  Suisse  sur  le  napel;  et  j'a- 
voue qu'en  avançant  et  nous  trouvant  comme  en- 
sevelis dans  une  foret  de  napels,  je  crus  un  moment 
sentir  un  peu  de  mal  de  tète  ,  dont  je  reconnus  la 
chimère  et  ris  avec  ces  messieurs  presque  au  même 
instant. 

Mais  au  lieu  d'une  plante  à  laquelle  je  n'avais 
pas  songé,  j'ai  vraiment  et  vainement  cherché  à  Pila 
une  fontaine  glaçante,  qui  tuait,  à  ce  qu'on  nous 
dit,  quiconque  en  buvait.  Je  déclarai  que  j'en  vou- 
lais faire  l'essai  sur  moi-même,  non  pas  pour  me 
tuer,  je  vous  jure,  mais  pour  désabuser  ces  pau- 
vres gens  sur  la  foi  de  ceux  qui  se  plaisent  à  calom- 
nier la  nature,  craignant  jusqu'au  lait  de  leur  mère, 
et  ne  voyant  partout  que  les  périls  et  la  mort.  J'au- 
rais bu  de  l'eau  de  cette  fontaine  comme  M.  Storck 
a  mangé  du  napel.  JMais  au  lieu  de  cette  fontaine 
homicide  qui  ne  s'est  point  trouvée,  nous  trou- 
vâmes une  fontaine  très-bonne,  très-fraîche,  dont 
nous  bûmes  tous  avec  grand  plaisir,  et  qui  ne  tua 
personne. 

Au  reste ,  mes  voyages  pédestres  ayant  été  jus- 
qu'ici tous  très-gais,  faits  avec  des  camarades  d'aussi 
bonne  humeur  que  moi,  j'avais  espéré  que  ce  se- 
rait ici  la  même  chose.  Je  voulus  d'abord  bannir 
toutes  les  petites  façons  de  ville  :  pour  mettre 
R.  xxji.  12 


l'yS  CORRESPONDANCE. 

en  train  ces  messieurs ,  je  leur  dis  des  canons ,  je 
voulus  leur  en  apprendre;  je  m'imaginais  que  nous 
allions  chanter,  criailler,  folâtrer  toute  la  journée; 
je  leur  fis  même  une  chanson  (l'air  s'entend)  que 
je  notai,  tout  en  marchant  par  la  pluie,  avec  des 
chiffres  de  mon  invention.  Mais  quand  ma  chanson 
fut  faite ,  il  n'en  fut  plus  question ,  ni  d'amusements, 
ni  de  gaieté,  ni  de  familiarité;  voulant  être  badin 
tout  seul ,  je  ne  me  trouvais  que  grossier;  toujours 
le  grand  cérémonial  ,  et  toujoiu\s  monsieur  don 
Japhet.  A  la  fin  je  me  le  tins  pour  dit;  et,  m'amu- 
sant  avec  mes  plantes,  je  laissai  ces  messieurs  s'a- 
muser à  me  faire  des  façons.  Je  ne  sais  pas  trop  si 
mes  longues  rabâcheries  vous  amusent  ;  je  sais  seu- 
lement que,  si  je  les  prolongeais  encore,  elles  vous 
ennuieraient  certainement  à  la  fin.  Voilà  monsieur, 
l'histoire  exacte  de  ce  tant  célèbre  pèlerinage ,  qui 
court  déjà  les  quati-e  coins  de  la  France,  et  qui 
remplira  bientôt  l'Europe  entière  de  son  risible 
fracas.  Je  vous  salue,  monsieur,  et  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur. 


LETTRE   DCCCXCVII. 

A  MADAME  B. 

Monquin,  le  28  octobre  1769. 

Si  je  n'avais  été  gartle-malade ,  madame,  et  si  je 
ne  l'étais  encore ,  j'aurais  été  moins  lent  et  je  serais 
moins  bref  à  vous  remercier  du  plaisir  que  m'a  fait 


ANNÉE    1769.  179 

votre  lettre,  et  du  désir  que  j'ai  de  mériter  et  cul- 
tiver la  correspondance  que  vous  daignez  m'offrir. 
Votre  caractère  aimable  et  vos  bons  sentiments 
m'étaient  déjà  assez  connus  pour  me  donner  du 
regret  de  n'avoir  pu  leur  rendre  mon  hommage 
en  personne  lorsque  je  fus  un  instant  votre  voisin. 
Maintenant  vous  m'offrez,  madame,  dans  la  dou- 
ceur de  m'entretenir  quelquefois  avec  vous,  un  dé- 
dommagement dont  je  sens  déjà  le  prix,  mais  qui 
ne  peut  pourtant  qu'à  l'aide  d'une  imagination  qui 
vous  cherche  suppléer  au  charme  de  voir  animer 
vos  yeux  et  vos  traits  par  ces  sentiments  vivifiants 
et  honnêtes  dont  votre  cœur  me  paraît  pénétré. 
Ne  craignez  point  que  le  mien  repousse  la  con- 
fiance dont  vous  voulez  bien  m'honorer,  et  dont 
je  ne  suis  pas  indigne. 

Adieu ,  madame  ;  soyez  sûre,  je  vous  supplie,  que 
mon  cœur  répond  très-bien  au  vôtre ,  et  que  c'est 
pour  cela  que  ma  plume  n'ajoute  rien. 


LETTRE  DCCCXCVIII. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 

A  Monquin,  le  mardi  3r  octobre  1769. 

Il  me  reste  ,  monsieur ,  un  seul  plaisir  dans  la 
vie ,  et  qui  m'est  aussi  doux  que  rare ,  celui  de  voir 
la  face  d'un  honnête  homme.  Jugez  de  fempres- 
sement  avec  lequel  vous  serez  reçu  quand  vous 
voudrez  bien  faire  l'obligeante  course  que  vous  me 

1 1. 


l8o  CORRESPONDANCE. 

promettez.  Les  cadeaux  que  veut  me  faire  M 

ont  l'air  d'une  plaisanterie.  Je  vous  prie  de  vouloir 
lui  faire  bien  des  salutations  de  ma  part,  quand 
vous  lui  écrirez. 

Permettez ,  monsieur ,  que  j'assure  ici  madame 
de  Saint-Germain  de  mon  respect;  que  je  vous  sa- 
lue et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Renou. 


LETTRE  DCCCXCIX. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Monquin,  le   1 5  novembre  176p. 

Yous  voilà,  mon  cber  hôte ,  grâce  à  la  rechute 
dont  vous  êtes  délivré,  dans  un  de  ces  intervalles 
heureux  durant  lesquels,  n'entrevoyant  que  de  loin 
le  retour  des  atteintes  dégoutte,  vous  pouvez  jouir 
de  la  santé,  et  même  la  prolonger;  et  je  suis  bien 
sûr  que  le  plus  doux  emploi  que  vous  en  pourrez 
faire  sera  de  rendre  la  vie  heureuse  à  cette  aimable 
Henriette  qui  verse  tant  de  douceurs  et  de  conso- 
lations dans  la  vôtre.  Les  détails  que. vous  me  faites 
de  la  manière  dont  vous  cultivez  le  fonds  de  sen- 
timent et  de  raison  que  vous  avez  trouvé  en  elle , 
me  font  juger  dé  l'agrément  que  vous  devez  trou- 
ver dans  une  occupation  si  chérie ,  et  me  font  dé- 
sirer bien  des  fois  dans  la  journée  d'avoir  la  douceur 
d'en  être  le  témoin  :  mais ,  appelé  par  de  grands  et 
tristes  devoirs  à  des  soins  plus  nécessaires ,  je  ne 


ANNÉE    1769.  181 

vois  aucune  apparence  à  me  flatter  de  finir  mes 
jours  auprès  de  vous.  J'en  sens  le  désir,  je  l'exé- 
cuterais même  s'il  ne  tenait  qu'à  ma  volonté;  la 
chose  n'est  peut-être  pas  absolument  impossible  : 
mais  je  suis  si  accoutumé  de  voir  tous  mes  vœux 
éconduits  en  toute  chose,  que  j'ai  tout-à-fait  cessé 
d'en  faire  ,  et  me  borne  à  tâcher  de  supporter  le 
reste  de  mon  sort  en  homme ,  tel  qu'il  plaise  au 
ciel  de  me  l'envoyer. 

Ne  parlons  plus  de  botanique,  mon  cher  hôte; 
quoicpie  la  passion  que  j'avais  pour  elle  n'ait  fait 
c[u'augmenter  jusqu'ici  ;  quoique  cette  innocente 
et  aimable  distraction  me  fût  bien  nécessaire  dans 
mon  état,  je  la  quitte  ,il  le  faut;  n'en  parlons  plus. 
Depuis  que  j'ai  commencé  de  m'en  occuper,  j'ai 
fait  une  assez  considérable  collection  de  livres  de 
botanique ,  parmi  lesquels  il  y  en  a  de  rares  et  de 
recherchés  par  les  botanophiles  ,  qui  peuvent  don- 
ner quelque  prix  à  cette  collection.^  Outre  'cela  , 
j'ai  fait  sur  la  plupart  de  ces  livres  lui  grand  tra- 
vail par  rapport  à  la  synonymie,  en  ajoutant  à  la 
plupart  des  descriptions  et  des  figures  le  nom  de 
Linn?eus.  Tl  faut  s'être  essayé  sur  ces  sortes  de  con- 
cordances pour  comprendre  la  peine  qu'elles  coû- 
tent, et  combien  celle  que  j'ai  prise  peut  en  éviter 
à  ceux  à  qui  passeront  ces  mêmes  livres ,  s'ils  en 
veulent  faire  usage.  Je  cherche  à  me  défaire  de 
cette  collection  ,  qui  me  devient  inutile  et  difficile 
à  transporter.  Je  voudrais  qu'elle  pût  vous  conve- 
nir; et  je  ne  désespère  pas ,  quand  vous  aurez  un 
jardin  de  plantes  ,  que  vous  ne  repreniez  le  goût 


l8a  CORRESPONDANCE. 

de  la  botanique  qui ,  selon  moi ,  vous  serait  très- 
avantageux.  En  ce  cas,  vous  auriez  une  collection 
toute  faite ,  qui  pourrait  vous  suffire ,  et  que  vous 
formeriez  difficilement  aussi  complète  en  détail; 
ainsi  j'ai  cru  devoir  vous  la  proposer  avant  que 
d'en  parler  à  personne  :  j'en  fais  faire  le  catalogue; 
voulez-vous  que  je  vous  le  fasse  passer? 

Je  ne  suis  point  surpris  des  soins,  des  longueurs, 
des  frais  inattendus  ,  des  embarras  de  toute  espèce 
que  vous  cause  votre  bâtiment  :  vous  avez  dû  vous 
y  attendre ,  et  vous  pouvez  vous  rappeler  ce  que 
je  vous  ai  écrit  et  dit  à  ce  sujet  quand  vous  en  avez 
formé  l'entreprise.  Cependant  vous  devez  être  à  la 
fin  de  la  grosse  besogne ,  et  ce  qui  vous  reste  à 
faire  n!est  qu'un  amusement  en  comparaison  de 
ce  qui  est  fait  :  à  moins  pourtant  que  vous  ne  don- 
niez dans  la  manie  de  défaire  et  refaire  ;  car ,  en 
ce  cas ,  vous  en  avez  pour  la  vie ,  et  vous  ne  jouirez 
jamais.  Refusez -vous  totalement  à  cette  tentation 
dangereuse,  ou  je  vous  prédis  que  vous  vous  en 
trouverez  très-mal. 


LETTRE   CM. 

A  M.  LALLIAUD. 

Monquiu,le  3o  novembre  1769. 

J'apprends  avec  plaisir ,  monsieur  ,  que  vous 
jouissez  ,  en  bonne  santé  et  avec  agrément ,  du 
beau  climat  que  vous  habitez,  et  que  vous  êtes 


AJVjvÉE  1769.  l83 

Loiiteiil  à  la  fois  de  votre  séjour  et  de  votre  récolte. 
Vous  avez  deviné  bien  juste  que,  tandis  que  l'ar- 
deur du  soleil  vous  forçait  encore  quelquefois  à 
chercher  l'ombre,  j'étais  réduit  à  garder  mes  tisons; 
et  nous  avions  eu  déjà  de  fortes  gelées  et  des  neiges 
durables  long -temps  avant  la  réception  de  votre 
lettre.  Cela ,  monsieur ,  me  chagrine  en  une  chose, 
c'est  de  ne  pouvoir  plus,  pour  cette  année,  exé- 
cuter votre  petite  commission  des  rosiers  à  feuilles 
odorantes ,  puisque  ayant  depuis  long-temps  perdu 
toutes  leurs  feuilles,  ils  seraient  à  présent  impossi- 
bles à  distinguer  ,  et  difficiles  même  à  trouver.  Je 
suis  donc  forcé  de  remettre  cette  recherche  à  l'an- 
née prochaine  ;  et  je  vous  assure  que  vous  me  four- 
nissez l'occasion  d'une  petite  herborisation  très- 
agréable  ,  en  songeant  que  je  la  fais  pour  votre 
jardin. 

Je  vous  dois  et  vous  fais ,  monsieur ,  bien  des  re- 
merciements des  lauriers  que  vous  avez  la  bonne 
intention  de  m'envoyer  pour  mon  herbier,  quoi- 
que je  ne  me  rappelle  point  du  tout  qu'il  en  ait 
été  question  entre  nous  :  ils  ne  laisseront  pas  de 
trouver  leur  place ,  et  de  me  rappeler  votre  obli- 
geant souvenir  aussi  long-temps  que  je  resterai 
|)ossesseur  de  mon  herbier  ;  car  il  pourrait  dans  peu 
changer  de  maître ,  ainsi  que  mes  livres  de  plantes , 
dont  je  cherche  à  me  défaire,  étant  sur  le  point 
de  quitter  totalement  la  botanique. 

J'ai  fait  votre  commission  auprès  de  madame  de 
Lessert,  et  je  ne  doute  pas  que,  dans  sa  première 
lettre, elle  ne  me  charge  de  ses  remerciements  et 


l84  CORRESPOIVDANCE. 

salutations  pour  vous.  Elle  a  eu  la  bonté  de  me 
pourvoir  d'une  bonne  épinette  pour  cet  hiver;  cet 
instrument  me  fait  plaisir  encore,  et  me  donne  quel- 
ques moments  d'amusement  ;  mais  il  ne  me  four- 
nit plus  de  nouvelles  idées  de  musique ,  et  je  me 
suis  vainement  efforcé  d'en  jeter  quelques-unes 
sur  le  papier;  rien  n'est  venu  ,  et  je  sens  qu'il  faut 
renoncer  désormais  à  la  composition  comme  à  tout 
le  reste  :  cela  n'est  pas  surprenant. 

Bonjour,  monsieur;  le  beau  soleil  qu'il  fait  ici 
dans  ce  moment  me  fait  imaginer  des  promenades 
délicieuses  en  cette  saison  dans  le  pays  où  vous 
êtes  ;  et,  si  j'y  étais  aussi ,  j'aimerais  bien  à  les  faire 
avec  vous. 

Bonjour  derechef;  portez -vous  bien,  amusez- 
vous  ,  et  donnez-moi  quelquefois  de  vos  nouvelles. 


LETTRE  CMI. 

A  MADAME  B. 

Monguin,  le  7  décembre  1769. 

Je  présume ,  madame ,  que  vous  voilà  heureu- 
sement arrivée  à  Paris,  et  peut-être  déjà  dans  le 
tourbillon  de  ces  plaisirs  bruyants  dont  vous  pres- 
sentiez le  vide,  en  vous  proposant  de  les  chercher. 
Je  ne  crains  pas  que  vous  les  trouviez ,  à  l'épreuve , 
plus  substantiels  pour  un  cœur  tel  que  le  vôtre  me 
paraît  être ,  que  vous  ne  les  avez  estimés  ;  mais  il 
pourrait  résulter  de  leur  habitude  une  chose  bien 


ANNÉE    1769.  l8a 

cruelle,  c'est  qu'ils  deviiisîien t  pour  vous  des  be- 
soins, sans  être  des  aliments;  et  vous  voyez  dans 
quel  état  cruel  cela  jette  quand  on  est  forcé  de 
chercher  son  existence  là  où  l'on  sent  bien  qu'on 
ne  trouvera  jamais  le  bonheur.  Pour  prévenir  un 
])areil  malheur ,  quand  on  est  dans  le  train  d'en 
courir  le  risque,  je  ne  vois  guère  qu'une  chose  à 
taire,  c'est  de  veiller  sévèrement  sur  soi-même,  et 
de  rompre  cette  habitude,  ou  du  moins  de  l'inter- 
rompre avant  de  s'en  laisser  subjuguer.  Le  mal  est 
que ,  dans  ce  cas  comme  dans  un  autre  plus  grave , 
on  ne  commence  guère  à  craindre  le  joug  que 
quand  on  le  porte  et  qu'il  n'est  plus  temps  de  le 
secouer  ;  mais  j'avoue  aussi  que  quiconque  a  pu 
faire  cet  acte  de  vigueur  dans  le  cas  le  plus  diffi- 
cile, peut  bien  compter  sur  soi-même  aussi  dans 
l'autre;  il  suffit  de  prévoir  qu'on  en  aura  besoin. 
La  conclusion  de  ma  morale  sera  donc  moins  aus- 
tère que  le  début.  Je  ne  blâme  assurément  pas  que 
vous  vous  livriez,  avec  la  modération  que  vous  y 
voulez  mettre,  aux  amusements  du  grand  monde 
où  vous  vous  trouvez  :  votre  âge,  madame,  vos 
sentiments ,  vos  résolutions ,  vous  donnent  tout  le 
droit  d'en  goûter  les  innocents  plaisirs  sans.alarmes; 
et  tout  ce  que  je  vois  de  plus  à  craindre  dans  les 
sociétés  où  vous  allez  briller,  est  que  vous  ne  ren- 
diez beaucoup  plus  difficile  à  suivre  pour -d'autres 
l'avis  que  je  prends  la  liberté  de  vous  donner. 

Je  crains  bien  ,  madame  ,  que  l'intérêt  peut-êtie 
un  peu  trop  vif  que  vous  m'inspirez  ne  m'ait  fait 
vous  prendre  un  peu  trop  légèrement  au  mot  sur 


l86  CORKKSPOJNDANCii. 

ce  ton  de  pédagogue  que  vous  m'invitez  en  quel- 
que façon  de  prendre  avec  vous.  Si  vous  trouvez 
mon  radotage  impertinent  ou  maussade,  ce  sera 
ma  vengeance  de  la  petite  malice  avec  laquelle  vous 
êtes  venue  agacer  un  pauvre  barbon  qui  se  dé- 
pèche d'être  sermonneur,  pour  éviter  la  tentation 
d'être  encore  plus  ridicule.  Je  suis  même  un  peu 
tenté,  je  vous  l'avoue,  de  m'en  tenir  là  :  l'état  où 
vous  m'apprenez  que  vous  êtes  actuellement ,  et 
le  vide  du  cœur,  accompagné  d'une  tristesse  ha- 
bituelle que  laisse  dans  le  vôtre  ce  tumulte  qu'on 
appelle  société,  me  donnent,  madame,  im  vif  désir 
de  rechercher  avec  vous  s'il  n'y  aurait  pas  moyen 
de  faire  servir  une  de  ces  deux  choses  de  remède 
à  l'autre  ;  mais  cela  me  mènerait  à  des  discussions 
si  déplacées  dans  le  train  d'amusements  où  je  vous 
suppose,  et  que  le  carnaval  dont  nous  approchons 
va  probablement  rendre  plus  vifs,  qu'il  me  faudrait 
de  votre  part  plus  qu'une  permission  pour  oser  en- 
tamer cette  matière  dans  un  moment  aussi  désa- 
vantageux. Si  vous  m'entendez  d'avance,  comme  je 
puis  l'esjjérer  ou  le  craindre,  dites-moi,  de  grâce, 
si  je  dois  parler  ou  me  taire;  et  soyez  sûre,  ma- 
dame ,  que  dans  l'un  ou  l'autre  cas  jç  vous  obéi- 
rai,  non  pas  avec  le  même  plaisir  peut-être,  mais 
avec  la  même  fidélité. 


A.NJNÉE    177^'  *^7 

LETTRE   CMIÏ. 

A  M.  DU  PEYROU. 

A  Monquin,  7  janvier  1770. 

Excusez ,  mon  cher  hôte ,  le  retard  de  ma  ré- 
ponse. Je  ne  vous  ai  jamais  promis  de  l'exactitude , 
encore  moins  de  la  diligence  ;  et  j'ai  maintenant 
une  inertie  plus  grande  qu'à  l'ordinaire  par  la  ri- 
gueur de  la  saison  et  par  le  froid  excessif  de  ma 
chambre ,  où  ,  le  nez  sur  un  feu  presque  aussi  ar- 
dent que  ceux  que  vous  faisiez  faire  à  ïrye  ,  je  ne 
puis  garantir  mes  doigts  de  l'onglée. 

J'ai  prévu  et  je  vous  ai  prédit  tout  ce  qui  vous 
arrive  au  sujet  de  votre  bâtiment,  et  dans  le  fond 
autant  vaut  qu'il  vous  occupe  qu'autre  chose;  si 
c'est  un  tracas ,  c'est  aussi  un  amusement.  C'est 
d'aillein-s  la  charge  de  votre  état  :  il  faut  opter 
dans  la  vie  entre  être  pauvre  ou  être  affairé  ;  trop 
heureux  d'éviter  un  troisième  état  que  je  connais 
bien ,  c'est  d'être  à  la  fois  l'un  et  l'autre. 

Grand  merci,  mon  cher  hôte,  de  la  subite  vel- 
léité qui  vous  prend  de  m'avoir  auprès  de  vous. 
J'ai  vu  le  temps  que  l'exécution  de  ce  projet  eut 
fait  le  bonheur  de  ma  vie  ;  et  si  ce  temps  n'est  plus, 
ce  n'est  assurément  pas  ma  faute.  Vous  m'exhor- 
tez à  vous  traiter  tout-à-fait  en  étranger  ou  tout-à- 
fait  en  ami  ;  l'alternative  me  paraît  dure,  car  votre 
exemple  ne  m'a  pas  laissé  le  choix,  et  votre  ca- 


l88  CORRESPONDANCE. 

cliet  m'avertit  sans  cesse  que  nos  4piix  âmes  ne 
sauraient  jamais  se  monter  au  même  ton.  Vous 
voulez  que  nous  fassions  un  saut  en  arrière  de  trois 
ou  quatre  ans;  vous  voilà  bien  leste  avec  votre 
goutte  :  pour  moi,  je  ne  me  sens  pas  aussi  dispos 
que  cela;  et  quand  je  pourrais  me  résoudre  à  faire 
ce  saut  une  fois  ,  je  voudrais  du  moins  être  sûr  de 
n'en  avoir  pas  dans  trois  ou  quatre  ans  un  second 
à  faire.  Je  vous  avoue  naturellement  que  si  ce  saut 
était  en  mon  pouvoir,  je  ne  le  ferais  pas  seulement 
de  trois ,  mais  de  liidt. 

Tout  cela  dit,  je  ne  vous  dissimulerai  point  que 
j'effacerai  difficilement  de  mes  souvenirs  la  douce 
idée  que  je  m'étais  faite  d'achever  paisiblement  mes 
jours  près  de  vous.  J'avoue  même  que  l'aimable  hô- 
tesse que  vous  m'avez- donnée  me  rend  cette  idée 
infiniment  plus  riante.  Si  je  pouvais  lui  faire  ma 
cour,  au  point  de  vous  rendre  jaloux  du  pauvre 
barbon  ,  cela  me  paraîtrait  fort  plaisant  et  surtout  . 
fort  agréable;  et  croyez-moi,  mon  cher  hôte,  vous 
vRurez  beau  vous  vanter  d'en  vouloir  courir  les  ris- 
ques, je  vous  connais,  votre  mine  stoïque  est  ad- 
mirable, mais  seulement  tant  que  vous  êtes  loin 
du  danger. 

Votre  conseil  de  ne  point  renoncer  subitement 
et  absolument  à  la  botanique  me  paraît  de  fort  bon 
sens ,  et  je  prends  le  parti  de  le  suivre.  Il  est  contre 
la  nature  de  la  chose  de  se  prescrire  ou  de  s'in- 
terdire d'avance  un  choix  dans  ses  amusements. 
Quand  le  dégoût  viendra,  je  cesserai  d'herboriser; 
quand  le  goût  reviendra ,  je  recommencerai  jus- 


ANNÉE    1770.  189 

qu'à  ce  qu'il  me  quitte  derechef".  Il  est  déjà  revenu. 
Des  plantes  qu'on  m'a  envoyées  et  des  correspon- 
dances de  botanique  me  l'ont  rendu,  et  je  doute 
qu'il  s'éteigne  jamais  tout-à-fait.  Cela  n'empêchera 
pourtant  pas  que  je  ne  me  défasse  de  mes  livres 
et  même  de  mon  herbier;  et,  si  vous  voulez  tout 
de  bon  vous  accommoder  de  l'un  et  de  l'autre ,  je 
serai  charmé  qu'ils  tombent  entre  vos  mains,  qui , 
quoique  vous  en  disiez,  ne  seront  jamais  pour  moi 
des  mains  tout-à-fait  étrangères.  Le  désir  que  j'avais 
de  vous  envoyer  le  catalogue  est  une  des  causes 
qui  ont  retardé  cette  lettre.  Le  grand  froid  ne  me 
permet  pas,  quant  à  présent,  ce  bouquinage;  et, 
puisque  vous  ne  voulez  pas  encore  avoir  ces  li- 
vres ,  rien  ne  presse.  Mais  vous  ne  serez  pas  oublié , 
et  vous  aurez  la  préférence  que  vous  avez  l'hon- 
nêteté de  me  demander,  et  qui  en  devient  réel- 
lement une,  car  depuis  ma  dernière  lettre  on  m'a 
demandé  cette  collection. 


LETTRE  CMIIL 

A  M.  MOULTOU. 

Monquin  ,  le  9  janvier  1770. 

Je  comprends ,  mon  cher  Moultou  ,  qu'une  caisse 
de  confitures  que  j'ai  reçue  de  Montpellier  est  le 
cadeau  que  vous  m'aviez  annoncé  cet  été ,  et  au- 
quel je  ne  songeais  plus  quand  il  est  venu  me  sur- 
prendre en  guet-appens.  Que  voulez-vous  que  je 


igO  CORRESPaNDANCE. 

fasse  d'un  si  grand  magasin  ?  voulez  -  vous  que  je 
me  mette  marchand  de  sucre?  il  me  semble  que 
je  n'étais  pas  trop  appelé  à  ce  métier  ;  voulez-vous 
que  je  le  mange?  il  en  faudrait  beaucoup ,  je  l'a- 
voue ,  pour  adoucir  les  fleuves  d'amertume  qu'on 
me  fait  avaler  depuis  tant  d'années;  mais  c'est  une 
amertume  mielleuse  et  traîtresse ,  qui  ne  saurait 
s'allier  avec  la  franche  douceur  du  sucre.  Votre 
envoi ,  cher  Moultou ,  n'est  raisonnable  qu'au  cas 
que  vous  vouliez  venir  m'aider  à  le  consommer  ; 
j'en  goûterais  alors  la  douceur  dans  toute  sa  pu- 
reté. Il  faudrait  attendre ,  il  est  vrai ,  que  la  saison 
fût  plus  douce  elle-même;  car,  quant  à  présent , 
la  campagne  n'est  pas  tenable;  il  y  fait  presque 
aussi  froid  que  dans  ma  chambre ,  où  ,  près  d'un 
grand  feu,  je  gèle  en  me  rôtissant,  et  l'onglée  me 
fait  tomber  la  plume  des  doigts. 

Adieu ,  cher  Moultou  :  mes  deux  moitiés  embras- 
sent les  deux  vôtres,  et  tout  ce  qui  vous  est  cher. 


LETTRE  CMIV. 

A  MADAME  B. 

Monquin,  le  17  janvier  1770. 

Votre  lettre,  madame,  exigerait  une  longue  ré- 
ponse ;  mais  je  crains  que  le  trouble  passager  où  je 
suis  ne  me  permette  pas  de  la  faire  comme  il  fau- 
drait. Il  m'est  difficile  de  m'accoutumer  assez  aux 
outrages  et  à  l'imposture ,  même  la  plus  comique, 


annét:  1770,  191 

pour  ne  pas  sentir,  à  chaque  fois  qu'on  les  re- 
nouvelle ,  les  bouillonnements  d'un  cœur  fier  qui 
s'indigne  précéder  le  ris  moqueur  qui  doit  être 
ma  seule  réponse  à  tout  cela.  Je  crois  pourtant 
avoir  gagné  beaucoup  :  j'espère  gagner  davantage; 
et  je  crois  voir  le  moment  assez  proche  où  je  me 
ferai  un  amusement  de  suivre  dans  leurs  manœu- 
vres souterraines  ces  ti'oupes  de  noires  taupes  qui 
se  fatiguent  à  me  jeter  de  la  terre  sur  les  pieds.  En 
attendant,  nature  pâtit  encore  un  peu  ,  je  l'avoue  : 
mais  le  mal  est  court^  bientôt  il  sera  nul.  Je  viens 
à  vous. 

J'eus  toujours  le  cœur  un  peu  romanesque,  et 
j'ai  peur  d'être  encore  mal  guéri  de  ce  penchant 
en  vous  écrivant.  Excusez  donc ,  madame ,  s'il  se 
mêle  un  peu  de  visions  à  mes  idées  ;  et ,  s'il  s'y  mêle 
aussi  un  peu  de  raison ,  ne  la  dédaignez  pas  sous 
quelque  forme  et  avec  quelque  cortège  qu'elle  se 
présente.  Votre  correspondance  a  commencé  d'une 
manière  à  me  la  rendre  à  jamais  intéressante,  un 
acte  de  vertu  dont  je  connais  bien  tout  le  prix, 
un  besoin  de  nourriture  à  votre  ame  qui  me  fait 
présumer  de  la  vigueur  pour  la  digérer ,  et  la  santé 
qui  en  est  la  source.  Ce  vide  interne  dont  vous 
vous  plaignez  ne  se  fait  sentir  qu'aux  cœurs  faits 
pour  être  remplis  :  les  cœurs  étroits  ne  sentent 
jamais  de  vide,  parce  qu'ils  sont  toujours  pleins 
de  rien;  il  en  est,  au  contraire,  dont  la  capacité 
vorace  est  si  grande ,  que  les  chétifs  êtres  qui  nous 
entourent  ne  la  peuvent  remplir.  Si  la  nature  vous 
a  fait  le  rare  et  funeste  présent  d'un  cœur  trop  sen- 


ig2  CORRESPONDANCE. 

sible  au  besoin  d'être  heureux,  ne  cherchez  rie.n 
au -dehors  qui  lui  puisse  suffire  :  ce  n'est  que  de 
sa  propre  substance  qu'il  doit  se  nourrir.  Madame , 
tout  le  bonheur  que  nous  voulons  tirer  de  ce  qui 
nous  est  étranger  est  un  bonheur  faux  :  les  gens 
qui  ne  sont  susceptibles  d'aucun  autre  font  bien 
de  s'en  contenter  :  mais  si  vous  êtes  celle  que  je 
suppose ,  vous  ne  serez  jamais  heureuse  que  par 
vous-même  ;  n'attendez  rien  pour  cela  que  de  vous. 
Ce  sens  moral ,  si  rare  parmi  les  hommes ,  ce  sen- 
timent exquis  du  beau,  du  vrai,  du  juste,  qui  ré- 
fléchit toujours  sur  nous-mêmes,  tient  l'ame  de 
quiconque  en  est  doué  dans  un  ravissement  con- 
tinuel qui  est  la  plus  délicieuse  des  jouissances  :  là 
rigueur  du  sort,  la  méchanceté  des  hommes,  les 
maux  imprévus ,  les  calamités  de  toute  espèce  peu- 
vent l'engourdir  pour  quelques  moments ,  mais  ja- 
itiais  l'éteindre  ;  et ,  presque  étouffé  sous  le  faix  des 
noirceurs  humaines  ,  quelquefois  une  explosion 
subite  peut  lui  rendre  son  premier  éclat.  On  croit 
que  ce  n'est  pas  à  une  femme  de  votre  âge  qu'il 
faut  dire  ces  choses -là;  et  moi  je  crois,  au  con- 
traire, que  ce  n'est  qu'à  votre  âge  qu'elles  sont 
utiles,  et  (jue  le  cœur  s'3  peut  ouvrir  :  plus  tôt,  il 
ne  saurait  les  entendre  ;  plus  tard  ,  son  habitude 
est  déjà  prise ,  il  ne  saurait  les  goûter. 

Comment  s'y  prendre  ?  me  direz-vous  ;  que  faire 
pour  cultiver  et  développer  ce  sens  moral?  Voilà, 
madame,  à  quoi  j'en  voulais  venir  :  le  goût  de  la 
vertu  ne  se  prend  point  par  des  préceptes,  il  est 
l'effet  d'une  vie  simple  et  saine  :  on  parvient  bien- 


19^ 

tôt  à  aimer  ce  qu'on  fait ,  quand  on  ne  fait  que  ce 
qui  est  bien.  Mais  pour  prendre  cette  habitude, 
qu'on    ne    commence    à    goûter    qu'après    l'avoir 
prise ,  il  faut  un  motif  :  je  vous  en  offre  un  que 
votre  état  me  suggère  ;  nourrissez  votre  enfant. 
J'entends  les  clameurs,  les  objections;  tout  haut, 
les  embarras  ,  point  de  lait,  un  mari  qu'on  impor- 
tune.... tout  bas,  une  femme  qui  se  gène,  l'ennui 
de  la  vie  domestique,  les  soins  ignobles,  l'absti- 
nence des  plaisirs....  Des  plaisirs?  Je  vous  en  pro- 
mets, et  qui   rempliront  vraiment  votre  ame.  Ce 
n'est  point  par  des  plaisirs  entassés  qu'on  est  îieu- 
reiîx,  mais  par  un  état  permanent  qui  n'est  point 
composé  d'actes  distincts  :  si  le  bonheur  n'entre, 
pour  ainsi  dire  ,  en  dissolution  dans  notre  aine,  s'il 
ne  fait  que  la  toucher,  l'effleurer  par  quelques 
points,  il  n'est  qu'apparent,  il  n'est  rien  pour  elle. 
L'haljitude  la  plus  douce  qui  puisse  exister  est 
celle   de  la  vie  domestique  qui   nous  tient  plus 
près  de  nous  qu'aucune  autre  :  rien  ne  s'identifie 
plus  fortement,  plus  constamment  avec  nous  que 
notre  famille  et  nos  enfants  ;  les  sentiments  que  nous 
acquérons  ou  que  nous  renforçons  dans  ce  corn- 
merce  intime  sont  les  plus  vrais ,  les  plus  durables  , 
les  plus  solides ,  qui  puissent  nous  attacher  aux 
êtres  périssables ,  puisque  la  mort  seule  peut  les 
éteindre;  au  lieu  que  l'amour  et  l'amitié  vivent 
rarement  autant  que  nous  :  ils  sont  aussi  les  plus 
purs,  puisqu'ils  tiennent  de  plus  près  à  la  nature, 
à  l'ordre ,  et,  par  leur  seule  force,  nous  éloignent 
du  vice  et  (]es  goûts  dépravés.  J'ai  beau  chercher 
R.  xxu.  i3 


ig4  C.ORRKSPONDA^NCE. 

OÙ  l'on  peut  troviver  le  vrai  bonheur,  s'il  eu  est 
sur  la  terre,  ma  raison  ne  me  le  montre  que  là.... 
Les  comtesses  ne  vont  pas  d'ordinaire  l'y  chercher , 
je  le  sais  ;  elles  ne  se  font  pas  nourrices  et  gou- 
vernantes; mais  il  faut  aussi  qu'elles  sachent  se 
passer  d'être  heureuses  ;  il  faut  que ,  substituant 
leurs  bruyants  plaisirs  au  vrai  bonheur ,  elles  usent 
leur  vie  dans  un  travail  de  forçat  pour  échapper 
à  l'ennui  qui  les  étouffe  aussitôt  qu'elles  respirent  ; 
et  il  faut  que  celles  que  la^riature  doua  de  ce  divin 
sens  moral  qui  charme  quand  on  s'y  livre ,  et  qui 
pèse  quand  on  l'élude,  se  résolvent  à  sentir  in- 
cessamment gémir  et  soupirer  leur  cœur,  tandis 
que  leurs  sens  s'amusent. 

Mais  moi  qui  parle  de  famille,  d'enfants....  Ma- 
dame ,  plaignez  ceux  qu'un  sort  de  fer  prive  d'un 
pareil  bonheur  ;  plaignez-les  s'ils  ne  sont  que  mal- 
heureux; plaignez -les  beaucoup  plus  s'ils  sont 
coupables.  Pour  moi ,  jamais  on  ne  me  verra,  pré- 
varicateur de  la  vérité,  plier  dans  mes  égarements 
mes  maximes  à  ma  conduite  ;  jamais  on  ne  me 
verra  falsifier  les  saintes  lois  de  la  nature  et  du  de- 
voir pour  exténuer  mes  fautes.  J'aime  mieux  les 
expier  que  les  excuser  :  quand  ma  raison  me  dit 
que  j'ai  fait  dans  ma  situation  ce  que  j'ai  dû  faire, 
je  l'en  crois  moins  que  mon  cœur  qui  gémit  et  qui 
la  dément.  Condamnez-moi  donc,  madame,  mais 
écoutez-moi  :  vous  trouverez  un  homme  ami  de 
la  vérité  jusque. dans  ses  fautes,  et  qui  ne  craint 
point  d'en  rappeler  kii-même  le  souvenir  lorsqu'il 
en  peut  résulter  quelque  bien.  Néanmoins  je  rends 


ANlVIiK    1770.  19) 

grâces  au  ciel  de  n'avoir  abreuvé  que  moi  des" 
amertumes  de  ma  vie,  et  d'en  avoir  garanti  mes 
enfants  :  j'aime  mieux  qu'ils  vivent  dans  un  état 
obscur  sans  me  connaître,  que  de  les  voir,  dans 
mes  malheurs ,  bassement  nourris  par  la  traîtresse 
générosité  de  mes  ennemis,  ardents  à  les  instruire 
à  haïr,  et  peut-être  à  trahir  leur  père;  et  j'aime 
mieux  cent  fois  être  ce  père  infortuné  qui  négli- 
gea son  devoir  par  faiblesse,  et  qui  pleure  sa  faute , 
que  d'être  l'ami  perfide  qui  trahit  la  confiance  de 
son  ami,  et  divulgue,  pour  le  diffamer,  le  secret 
qu'il  a  versé  dans  son  sein. 

Jeune  femme ,  voulez  -  vous  travailler  à  vous 
rendre  heureuse  ?  commencez  d'abord  par  nourrir 
votre  enfant  :  ne  mettez  pas  votre  fille  dans  un 
couvent,  élevez -là  vous-même;  votre  mari  est 
jeune,  il  est  d'un  bon  naturel  ;  voilà  ce  qu'il  nous 
faut.  Vous  ne  me  dites  point  comment  il  vit  avec 
vous;  n'importe  :  fùt-il  livré  à  tous  les  goûts  de 
son  âge  et  de  son  temps  ,  vous  l'en  arracherez  par 
les  vôtres  sans  lui  rien  dire;  vos  enfants  vous  aide- 
ront à  le  retenir  par  des  liens  aussi  forts  et  plus 
constants  que  ceux  de  l'amour  :  vous  passerez  la 
vie  la  plus  simple ,  il  est  vrai ,  mais  aussi  la  plus 
douce  et  la  plus  heureuse  dont  j'aie  l'idée.  Mais 
encore  une  fois,  si  celle  d'un  ménage  bourgeois 
vous  dégoûte ,  et  si  l'opinion  vous  subjugue ,  gué- 
rissez-vous de  la  soif  du  bonheur  qui  vous  toi^r^ 
mente ,  car  vous  ne  l'étancherez  jamais. 

Voilà  mes  idées  :  si  elles  sont  fausses  ou  ridi- 
cules ,   pardonnez   l'erreur   à   l'intention  ;  je  me 

i3. 


ig6  CORRESPOJVDANCE. 

♦trompe  peut-être ,  mais  il  est  sûr  que  je  ne  veux 
pas  vous  tromper.  Bonjour ,  madame  ;  l'intérêt 
que  vous  prenez  à  moi  me  touche ,  et  je  vous  jure 
que  je  vous  le  rends  bien. 

Toutes  vos  letti'es  sont  ouvertes  ;  la  dernière  Ta 
été ,  celle-ci  le  sera  ;  rien  n'est  plus  certain.  Je  vous 
en  dirais  bien  la  raison,  mais  ma  lettre  ne  vous 
parviendrait  pas  ;  comme  ce  n'est  pas  à  vous  qu'on 
en  veut,  et  que  ce  ne  sont  pas  vos  secrets  qu'on 
y  cherche ,  je  ne  crois  pas  que  ce  que  vous  pour- 
riez avoir  à  me  dire  fût  exposé  à  beaucoup  d'indis- 
crétion ;  mais  encore  faut-il  que  vous  soyez  avertie. 


LETTRE  CMV, 

A  LA  MÊME. 

Monquin,  le  2  février  1770. 

Si  votre  dessein,  madame,  lorsque  vous  com- 
mençâtes de  m'écrire,  était  de  me  circonvenir  et 
de  m'abuser  par  des  cajoleries,  vous  avez  parfai- 
tement réussi.  Touché  de  vos  avances,  je  prêtais 
à  votre  ame  la  candeur  de  votre  âge;  dans  l'atten- 
drissement de  mon  cœur,  je  vous  regardais  déjà 
comme  l'aimable  consolatrice  de  mes  malheurs  et 
de  ma  vieillesse,  et  l'idée  charmante  que  je  me 
faisais  de  vous  effaçait  l'idée  horrible  des  auteurs 
des  trames  dont  je  suis  enlacé.  Me  voilà  désabusé; 
c'est  l'ouvrage  de  votre  dernière  lettre  :  son  tortil- 
lage ne  peut  être  ni  la  réponse  que  la  mienne  a  dû 


A1VNÉE    ï'jnO.  197 

naturellement  vous  suggérer,  ni  le  langage  ouvert 
et  franc  de  la  droiture.  Pour  moi ,  ce  langage  ne  ces- 
sera jamais  d'être  le  mien  :  je  vois  que  vous  avez  res- 
piré l'air  de  votre  voisinage.  Eh  !  mon  Dieu,  madame, 
vous  voilà,  bien  jeune  ,  initiée  à  des  mystères  bien 
noirs!  J'en  suis  fâché  pour  moi,  j'en  suis  affligé 
pour  vous...  à  vingt-deux  ans!...  Adieu,  madame. 

Rousseau. 

P.  S.  En  reprenant  avec  plus  de  sang  froid  votre 
lettre, je  trouve  la  mienne  dure  et  même  injuste; 
car  je  vois  que  ce  qui  rend  vos  phrases  embarras- 
sées est  qu'une  involontaire  sincérité  s'y  mêle  à  la 
dissimulation  que  vous  voulez  avoir.  En  blâmant 
mon  premier  mouvement  je  ne  veux  pourtant  pas 
vous  le  cacher  ;  non ,  madame ,  vous  ne  voulez  pas 
me  tromper,  je  le  sens;  c'est  vous  qu'on  trompe , 
et  bien  cruellement.  Mais,  cela  posé,  il  me  reste 
une  question  à  vous  faire  :  Dans  le  jugement  que 
vous  portez  de  moi ,  pourquoi  m'écrire  ?  pourquoi 
me  rechercher?  que  me  voulez-vous?  recherche- 
t-on  quelqu'un  qu'on  n'estime  pas?  Eh!  je  fuirais 
jusqu'au  bout  du  monde  un  homme  que  je  verrais 
comme  vous  paraissez  me  voir.  Je  suis  environné , 
je  le  sais,  d'espions  empressés  et  d'ardents  satel- 
lites qui  me  flattent  pour  me  poignarder  ;  mais  ce 
sont  des  traîtres,  ils  font  leur  métier.  Mais  vous, 
madame,  que  je  veux  honorer  autant  que  je  mé- 
prise ces  misérables,  de  grâce  que  me  voulez- vous  ? 
je  vous  demande  sur  ce  point  une  réponse  précise  , 
et,  pour  Dieu  ,  suivez  on  la  faisant  le  mouvement 


iqS  CORRESPOWUANCi:. 

de  votre  cœur  et  non  pas  l'impulsion  d'autrui.  Je 
veux  répondre  en  détail  à  votre  lettre ,  et  j'espère 
avoir  long-temps  la  douceur  de  vous  parler  de  vous  : 
mais,  pour  ce  moment,  commençons  par  moi; 
commençons  par  nous  mettre  en  règle  sur  ce  que 
nous  devons  penser  l'un  de  l'autre.  Quand  nous 
saurons  bien  à  qui  nous  parions  ,  nous  en  saurons 
mieux  ce  que  nous  aurons  à  nous  dire. 

Je  vous  prie ,  madame ,  de  ne  plus  m'écrire  sous 
un  autre  nom  que  celui  que  je  signe ,  et  que  je 
n'aurais  jamais  dû  quitter. 


LETTRE   CMVI. 

A  M.  L'ABBÉ  M. 

Monquin  ,  par  Bourgoin  ^  le  17^70  *. 

Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  ! 
Ciel ,  démasque  les  imposteurs , 
Et  force  leurs  barbares  cœurs 
A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes. 

En  vérité ,  monsieur ,  votre  lettre  n'est  point 
d'un  jeune  homme  qui  a  besoin  de  conseil,  elle 
est  d'un  sage  très-capable  d'en  donner.  Je  ne  puis 
vous  dire  à  quel  point  cette  lettre  m'a  frappé  :  si 
vous  avez  en  effet  l'étoffe  qu'elle  annonce  ,  il  est  à 

'  Le  chiffre  supérieur  de  la  fraction  indique  le  quantième  du  mois, 
et  l'inférieur ,  le  mois  dans  l'ordre  numérique.  Ainsi  cette  lettre  est 
du  9  février  1770.  C'est  la  première  fois  qu'il  date  de  cette  manière, 
et  qu'on  voit  les  vers  par  lesquels ,  depuis  cette  époque ,  il  a  com- 
mencé la  plupart  de  ses  lettres.  Le  choix  des  vers  fait  naître  un  sen- 
ti ment  pénible. 


ANNEE    1770.  199 

désiier  pour  le  bien  de  votre  élève  que  ses  parents 
sentent  le  prix  de  l'homme  qu'ils  ont  mis  auprès 
de  lui. 

Je  suis ,  et  depuis  si  long-temps  ,  si  loin  des  idées 
sur  lesquelles  vous  me  remettez ,  qu'elles  me  sont 
devenues  absolument  étrangères:  toutefois  je  rem- 
plirai ,  selon. ma  portée,  le  devoir  que  vous  m'impo- 
sez ;  mais  je  suis  bien  persuadé  que  vous  ferez  mieux 
de  vous  en  rapporter  à  vous  qu'à  moi  sur  la  meil- 
leure manière  de  vous  conduire  dans  le  cas  diffi- 
cile où  vous  vous  trouvez. 

Sitôt  qu'on  s'est  dévoyé  de  la  droite  route  de  la 
nature,  rien  n'est  plus  difficile  que  d'y  rentrer. 
Votre  enfant  a  pris  lui  pli  d'autant  moins  facile  à 
corriger  que  nécessairement  tout  ce  qui  l'envi- 
ronne doit  empêcher  l'effet  de  vos  soins  pour  y 
parvenir  :  c'est  ordinairement  le  premier  pli  que 
les  enfants  de  qualité  contractent ,  et  c'est  le  der- 
nier qu'on  peut  leur  faire  perdre ,  parce  qu'il  faut 
pour  cela  le  concours  de  la  raison  qui  leur  vient 
plus  tard  qu'à  tous  les  autres  enfants.  Ne  vous  ef- 
frayez donc  pas  trop  que  l'effet  de  vos  soins  ne 
réponde  pas  d'abord  à  la  chaleur  de  votre  zèle  ", 
vous  devez  vous  attendre  à  peu  de  succès  jusqu'à 
ce  que  vous  ayez  la  prise  qui  peut  l'amener  ;  mais 
ce  n'est  pas  une  raison  pour  vous  relâcher  en  at- 
tendant. Vous  voilà  dans  un  bateau  qu'un  courant 
irès-rapide  entraîne  en  arrière,  il  faut  beaucoup 
de  travail  pour  ne  pas  reculer. 

La  voie  que  vous  avez  prise ,  et  que  vous  crai- 
gnez n'être  pas  la  meilleure ,  ne  le  sera  pas  toujours 


aoo  coPlResponuajnce. 

sans  doute  ;  mais  elle  me  paraît  la  meilleure  en  at-* 
tendant.  Il  n'y  a  que  trois  instruments  pour  agir 
sur  les  âmes  humaines,  la  raison  ,  le  sentiment ,  et 
la  nécessité.  Vous  avez  inutilement  employé  le 
premier;  il  n'est  pas  vraisemblable  que  le  second 
eiit  plus  d'effet:  reste  le  troisième  ;  et  mon  avis  est 
que ,  pour  quelque  temps ,  vous  devez  vous  y  te- 
nir, d'autant  plus  que  la  première  et  la  plus  im- 
portante philosophie  de  l'homme  de  tout  état  et 
de  tout  âge  est  d'apprendre  à  fléchir  sous  le  dur 
joug  de  la  nécessité:  Clavos  trabales  et  cuneos  manu 
gestcnis  ahenâ. 

Il  est  clair  que  l'opinion  ,  ce  monstre  qui  dévore 
le  genre  humain ,  a  déjà  farci  de  ses  préjugés  la 
tête  du  petit  bon-homme  :  il  vous  regarde  comme 
un  homme  à  ses  gages ,  une  espèce  de  domestique 
fait  pour  lui  obéir,  pour  complaire  à  ses  caprices; 
et,  dans  son  petit  jugement,  il  lui  paraît  fort 
étrange  que  ce  soit  vous  qui  prétendiez  l'asservir 
aux  vôtres;  car  c'est  ainsi  qu'il  voit  tout  ce  que 
vous  lui  prescrivez  :  toute  sa  conduite  avec  vous 
n'est  qu'une  conséquence  de  cette  maxime ,  qui 
n'est  pas  injuste ,  mais  qu'il  applique  mal ,  que  cest 
a  celui  qui  paie  de  commander.  D'après  cela  qu'im- 
porte qu'il  ait  tort  ou  raison?  c'est  lui  qui  paie. 

Essayez,  chemin  faisant,  d'effacer  cette  opinion 
par  des  opinions  plus  justes,  de  redresser  ses  er- 
reurs par  des  jugements  plus  sensés;  tâchez  de 
lui  faire  comprendre  qu'il  y  a  des  choses  plus  esti- 
mables que  la  naissance  et  que  les  richesses  ;  et 
pour  le  lui  faire  comprendre  il  ne  faut  pas  le  lui 


dire,  il  faut  le  lui  faire  sentir.  Forcez  sa  petite 
ame  vaine  à  respecter  la  justice  et  le  courage,  à 
se  mettre  à  genoux  devant  la  vertu,  et  n'allez  pas 
pour  cela  lui  chercher  des  livres ,  les  hommes  des 
livres  ne  seront  jamais  pour  lui  que  des  hommes 
d'un  autre  monde.  Je  ne  sache  qu'un  seul  modèle 
qui  puisse  avoir  à  ses  yeux  de  la  réalité  ;  et  ce  mo- 
dèle, c'est  vous,  monsieur;  le  poste  que  vous  rem- 
plissez est  à  mes  yeux  le  plus  nohle  et  le  plus 
grand  qui  soit  sur  la  terre.  Que  le  vil  peuple  en 
pense  ce  qu'il  voudra,  pour  moi  je  vous  vois  à  la 
place  de  Dieu,  vous  faites  un  homme.  Si  vous  vous 
voyez  du  même  œil  que  moi,  que  cette  idée  doit 
vous  élever  en  dedans  de  vous-même!  qu'elle  peut 
vous  rendre  grand  en  effet  !  et  c'est  ce  qu'il  faut  ; 
car,  si  vous  ne  l'étiez  qu'en  apparence,  et  que 
vous  ne  fissiez  que  jouer  la  vertu ,  le  petit  bon- 
homme vous  pénétrerait  infailliblement,  et  tout 
serait  perdu.  Mais  si  cette  image  sublime  du  grand 
et  du  beau  le  frappe  une  fois  en  vous  ;  si  votre 
désintéressement  lui  apprend  que  la  richesse  ne 
peut  pas  tout  ;  s'il  voit  en  vous  combien  il  est  plus 
grand  de  commander  à  soi-même  qu'à  des  valets  ; 
si  vous  le  forcez ,  en  un  mot ,  à  vous  respecter , 
dès  cet  instant  vous  l'aurez  subjugué ,  et  je  vous 
réponds  que ,  quelque  seniblant  qu'il  fasse  ,  il  ne 
trouvera  plus  égal  que  Vous  soyez  d'accord  avec 
lui  ou  non,  surtout  si,  en  le  forçant  de  vous  ho- 
norer dans  le  fond  de  son  petit  cœur,  vous  lui 
marquez  en  même  temps  faire  peu  de  cas  de  ce 
qu'il  pense  lui-même  ,  et  ne  vouloir  plus  vous  fati- 


202  CORRESPONDANCE. 

giier  à  le  faire  convenir  de  ses  torts.  Il  me  semble 
qu'avec  une  certaine  façon  grave  et  soutenue  d'exer- 
cer sur  lui  votre  autorité,  vous  parviendrez  à  la 
fin  à  demander  froidement  à  votre  tour:  Qa  est-ce 
que  cela  fait  que  nous  soyons  d'accord  ou  non?  et 
qu'il  trouvera,  lui,  que  cela  fait  quelque  chose. 
Il  faudra  seulement  éviter  de  joindre  à  ce  sang 
iroid  la  dureté  qui  vous  rendrait  haïssable.  Sans 
entrer  en  explication  avec  lui  vous  pourrez  dire 
à  d'autres  en  sa  présence  :  «  J'aurais  fait  mes  délices 
«  de  rendre  son  enfance  heureuse ,  mais  il  ne  l'a  pas 
«  voulu,  et  j'aime  encore  mieux  qu'il  soit  malheu- 
«  reux  étant  enfant  que  méprisable  étant  homme.  » 
A  l'égard  des  punitions ,  je  pense  comme  vous 
qu'il  n'en  faut  jamais  venir  aux  coups  que  dans 
le  seul  cas  où  il  aurait  commencé  lui-même  :  ses 
châtiments  ne  doivent  jamais  être  que  des  absti- 
nences ,  et  tirées ,  autant  qu'il  se  peut ,  de  la  na- 
ture du  délit;  je  voudrais  même  que  vous  vous  y 
soimiissiez  toujours  avec  lui  quand  cela  serait  pos- 
sible, et  cela  sans  affectation,  sans  que  cela  parût 
vous  coûter ,  et  de   façon  qu'il  pût  en  quelque 
sorte  lire  dans  votre  cœin^ ,  sans  que  vous  le  lui 
dissiez ,  cpie  vous  sentez  si  bien  la  privation  que 
vous  lui  imposez,  que  c'est  sans  y  songer  que  vous 
vous  y  soumettez  vous-même.  En  un  mot,  pour 
réussir  il  faudrait  vous  rendre  presque  impassible  , 
et  ne  sentir  que  par  votre  élève  ou  pour  lui.  Voilà ^ 
je  l'avoue ,  une  terrible  tâche  ;  mais  je  ne  vois  nul 
autre  moyen  de  succès:  et  ce  succès  me  paraît  as- 
suré de  part  ou  d'autre  ;  car ,  quand  avec  tant  de 


ANNEE    1770.  '20> 

soins  VOUS  n'auriez  pas  le  bonheur  d'avoir  fait  un 
homme,  n'est-ce  rien  que  de  l'être  devenu? 

Tout  ceci  suppose  que  la  dédaigneuse  hauteur 
de  l'enfant  n'est  que  la  petite  vanité  de  la  petite 
ofrandeur  dont  ses  bonnes  auront  boursouflé  sa  pe- 
tite ame;mais  il  pourrait  arriver  aussi  que  ce  fût 
l'effet  de  l'âpreté  d'un  caractère  indomptable  et  fier 
qui  ne  veut  céder  qu'à  lui-même.  Cette  dureté , 
propre  aux  seuls  naturels  qui  ont  beaucoup  d'é- 
toffe ,  et  qui  ne  se  trouve  guère  au  pays  où  vous 
vivez,  n'est  pas  probablement  celle  de  votre  élève  : 
si  cependant  cela  se  trouvait  (et  c'est  un  discer- 
nement facile  à  faire),  alors  il  faudrait  bien  vous 
garder  de  suivre  avec  lui  la  méthode  dont  je  viens 
de  parler ,  et  de  heurter  la  rudesse  avec  la  rudesse. 
Les  ouvriers  en  bois  n'emploient  jamais  fer  sur  fer  ; 
ainsi  faut-il  faire  avec  les  esprits  roides  qui  résis- 
tent toujours  à  la  force;  il  n'y  a  sur  eux  qu'une 
prise,  mais  aimable  et  sûre ,  c'est  rattachement 
et  la  bienveillance  :  il  faut  les  apprivoiser  comme 
les  lions  par  les  caresses.  On  risque  peu  de  gâter 
de  pareils  enfants;  tout  consiste  à  s'en  faire  aimer 
une  fois,  après  cela  vous  les  feriez  marcher  sur 
des»  fers  rouges. 

Pardonnez ,  monsieur ,  tout  ce  radotage  à  ma 
pauvre  tête  qui  diverge,  bat  la  campagne,  et  se 
perd  à  la  suite  de  la  moindre  idée:  je  n'ai  pas  le 
courage  de  relire  ma  lettre ,  de  peur  d'être  forcé 
de  la  recommencer.  J'ai  voulu  vous  montrer  le  vrai 
désir  que  j'aurais  de  vous  complaire  et  d'applaudir 
à  vos  respectables  soins;  mais  je  suis  très-persuadé 


2o4  CORRESPOND  Ai\CK. 

qu'avec  les  talents  que  vous  me  paraissez  avoir  et 
le  zèle  qui  les  anime,  vous  n'avez  besoin  que  de 
vous-même  pour  conduire  ,  aussi  sagement  qu'il 
est  possible,  le  sujet  que  la  Providence  a  mis  entre 
vos  mains.  Je  vous  honore,  monsieur,  et  vous 
salue  de  tout  mon  coeur.  • 


LETTRE  CMVIl. 

A  M.  MOULTÔU. 

Monquin,  le  17270. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Cher  Moultou ,  (Quoique  vous  paraissiez  m'ou- 
blier ,  je  vous  aime  toujours  ,  et  je  n'ai  pas  voulu 
m'éloigner  de  ce  pays  sans  vous  en  donner  avis  et 
vous  dire  encore  un  adieu.  Je  compte  y  rester 
quinze  jours  ou  trois  semaines  avant  de  me  rendre 
à  Lyon  :  ces  trois  semaines  me  seraient  bien  pré- 
cieuses pour  l'herborisation  des  mousses  et  des  li- 
chens, si  la  neige  n'y  portait  obstacle;  car  proba- 
blement l'occasion  n'en  reviendra  plus  pour  moi. 
Le  temps ,  qui  paraît  vouloir  se  remettre ,  peut  per- 
mettre un  essai;  et,  après  avoir  été  long -temps 
bien  malingre,  je  compte  tenter  aujourd'hui  l'a- 
nalyse de  quelques  troncs  d'arbres.  Faites  comme 
moi.  Adieu;  je  vous  embrasse  tendrement,  et  je 
vous  exhorte  à  m'aimer  ,  car  je  le  mérite. 

J.  J.  Rousseau. 


A.NNÉE    177^-  ^^^ 

Je  reprends  un  nom  que  je  n'aurais  jamais  dû 
quitter  ;  n'en  employez  plus   d'autre   pour  m'é- 


crire. 


LETTRE  CMYIII. 

A  MADAME  GONCERU, 

NÉE  ROUSSEAU. 

Monquin,  le  ly-^yo. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Ma  bonne,  ma  chère  ,  ma  respectable  tante,  né 
mourant,  je  vous  pardonne  de  m'avoir  fait  vivre, 
et  je  m'afflige  de  ne  pouvoir  vous  rendre  à  la  fin 
de  vos  jours  les  tendres  soins  que  vous  m'avez  pro- 
digués au  commencement  des  miens.  A  la  première 
lueur  d'une  meilleure  fortune  je  songeai  à  vous  faire 
une  petite  part  de  ma  subsistance  qui  pût  rendre 
la  votre  un  peu  plus  commode:  je  vous  en  fis  aus- 
sitôt donner  avis ,  et  votre  petite  pension  com- 
mença de  courir  en  même  temps ,  savoir  à  la  fin 
de  mars  1 767  *.  11  n'y  a  pas  encore  de  cela  trois  ans 
révolus ,  et  ces  trois  ans  vous  ont  été  payés  d'a- 
vance, année  par  année  :  ainsi,  quand  vous  ne  rece- 
vriez rien  d'un  an  d'ici ,  tout  serait  encore  en  règle , 
et  il  n'y  aurait  encore  rien  d'arriéré.  Mon  intention 
est  bien  pourtant  de  continuer  à  vous  payer  d'a- 
vance et  l'année  qui  commencera  bientôt  de  courir 

Voyez  la  lettre  à  d'Ivernois,  du  29  janviei-  i"6S. 


auiJ  CORRESPONDANCE. 

et  les  suivantes  ,  autant  que  mes  moyens  me  le  per- 
mettront; mais,  ma  chère  tante,  je  ne  puis  pas  vous 
dissimuler  que  la  dureté  présente  et  future  de  ma 
situation  me  met  dans  la  nécessité  de  compter  avec 
moi-même,  sans  quoi  je  ne  me  résoudrais  jamais 
à  compter  avec  vous.  Veuillez  donc  prendre  un 
peu  de  patience  dans  la  certitude  de  n'être  pas 
oubliée  ;  et  s'il  arrivait  dans  la  suite  que  votre  pen- 
sion tardât  à  venir,  ce  qui  ne  sera  pas,  autant  qu'il 
me  sera  possible,  dites-vous  alors  à  vous-même  : 
«  Je  connais  le  cœur  de  mon  neveu  ;  et ,  sûre  qu'il 
a  ne  m'oublie  pas,  je  le  plains  de  n'être  pas  en  état 
a  de  mieux  faire.  »  Adieu,  ma  bonne  et  respectable 
tante  :  je  vous  recommande  à  la  Providence;  faites 
la  même  chose  pour  moi ,  car  j'en  ai  grand  besoin, 
et  recevez  avec  bonté  mes  plus  tendres  et  respec- 
tueuses salutations. 


LETTRE  CMIX. 

AU  MARQUIS  DE  CONDORCET. 

Monquin,Ie  17V70- 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Je  suis  pénétré,  monsieur,  de  l'honneur  que 
vous  me  faites  de  m'envoyer  vos  Essais  cVanaljse  % 

'  Il  est  probable  que  l'auteur  nonagénaire  de  la  rapsodie  publiée 
en  1824  sous  le  titre  de  Mémoires  de  Condoirel,  ne  connaissait  ni 
l'hommage  des  Essais  d'unaljae ,  ni  celte  lettre  de  Rousseau. 


AiVJVLE    «770.  '207 

et  je  nren  sens  digne  par  ina  sensibilité  ,  quoi- 
que je  le  sois  si  pey  par  mon  intelligence,  trop 
bornée  pour  me  mettre  en  état  de  lire  cet  ou- 
vrage que  ma  tète  affaiblie  ne  me  permettrait  même 
plus  de  suivre  ,  quand  j'aurais  les  connaissances 
nécessaires  pour  cela.  Que  je  vous  envie  de  cul- 
tiver de  profondes  études  qui  mènent  à  des  véri- 
tés cju'un  homme  isolé  peut  dire  impunément  à 
ses  semblables ,  sans  avoir  besoin  de  tenir  à  des 
partis  et  de  se  donner  des  appuis  !  Si  j'avais  à  re- 
naître ,  je  tâcherais  d'être  votre  disciple  pour  mé- 
riter l'honneur  d'être  un  joiu-  votre  émule  et  votre 
ami;  mais  ne  pouvant ,  dans  mon  ignorance,  être 
que  votre  stupide  admirateur,  je  vous  remercie 
au  moins  du  moment  de  véritable  douceur  que  vo- 
tre obligeante  attention  jette  sur  ma  triste  exis- 
tence. Je  vous  salue  ,  monsieur,  et  vous  honore  de 
tout  mon  cœur. 


LETTRE  CMX. 

A  M.  DE  BELLOY. 

Moiiquin,  par  Bourgoiuj  le  17-^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

J'honorais  vos  talents,  monsieur,  encore  plus 
le  digne  usage  que  vous  en  faites  ,  et  j'admirais 
comment  le  même  esprit  patriotique  nous  avait 
conduits  par  la  même  route,  à  des  destins  si  cou- 


'ÀOS  CORRESPONDANCE. 

traires,  vous  à  l'acquisition  d'une  nouvelle  patrie 
et  à  des  honneurs  distingués,. moi  à  la  perte  de  la 
mienne  et  à  des  opprobres  inouïs. 

Vous  m'avez  ressemblé ,  dites-vous,  par  le  mal- 
heur; vous  me  feriez  pleurer  sur  vous ,  si  je  pou- 
vais vous  en  croire.  Étes-vous  seul  en  terre  étran- 
gère ,  isolé  ,  séquestré,  trompé,  trahi,  diffamé  par 
tout  ce  qui  vous  environne  ,  enlacé  de  trames  hor- 
ribles dont  (VOUS  sentiez  l'effet ,  sans  pouvoir  par- 
venir à  les  connaître,  à  les  démêler?  Etes-vous  à 
la  merci  de  la  puissance  ,  de  la  ruse,  de  l'iniquité, 
réunies  poui-  vous  traîner  dans  la  fange,  pour  éle- 
ver autour  de  vous  une  impénétrable  œuvre  de 
ténèbres,  pour  vous  enfermer  tout  vivant  dans  un 
cercueil  ?  Si  tel  est  ou  fut  votre  sort ,  venez ,  gé- 
missons ensemble  ;  mais ,  en  tout  autre  cas ,  ne  vous 
vantez  point  de  faire  avec  moi  société  de  malheurs. 

Je  lisais  votre  Bavard  ,  fier  que  vous  eussiez 
trouvé  fnon  Edouard  digne  de  lui  servir  de  mo- 
dèle en  quelque  chose  ;  et  vous  me  faisiez  vénérer 
ces  antiques  Finançais  auxquels  ceux  d'aujourd'hui 
ressemblent  si  peu,  mais  que  vous  faites  trop  bien 
agir  et  parler  pour  ne  pas  leur  ressembler  vous- 
même.  A  ma  seconde  lecture  je  suis  tombé  sur 
un  vers  qui  m'avait  échappé  dans  la  première ,  et 
qui  par  réflexion  m'a  déchiré  *.  J'y  ai  reconnu,  non , 
grâces  au  ciel ,  le  cœur  de  Jean-Jacques ,  mais  les 
gens  à  qui  j'ai  affaire  ,  et  que,  pour  mon  malheur. 

Il  est  probable  que  ce  vers  était  le  second  <\e  ces  deux-ci . 

Que  de  vertu  brillait  daus  son  faux  repentir  I 
Peiit-on  si  l)icu  la  peiudrc,  et  iip  la  pas  sentir  ^ 


ANNÉE    1770.  209 

je  connais  trop  bien.  J'ai  compris,  j'ai  pensé  du 
moins  qu'on  vous  avait  suggéré  ce  vers-là  :  Misère 
humaine!  me  suis-je  dit.  Que  les  méchants  diffa- 
ment les  bons  ,  ils  font  leur  oeuvre  ;  mais  comment 
les  trompent-ils  les  uns  à  l'égard  des  autres?  leurs 
âmes  n'ont-elles  pas  pour  se  reconnaître  des  mar- 
ques plus  sûres  que  tous  les  prestiges  des  impos- 
teurs? J'ai  pu  douter  quelques  instants,  je  l'avoue, 
si  vous  n'étiez  point  séduit  plutôt  que  trompé  par 
mes  ennemis. 

Dans  ce  même  temps  j'ai  reçu  votre  lettre  et 
votre  Gabrielle ,  que  j'ai  lue  et  relue  aussi ,  mais  avec 
un  plaisir  bien  plus  doux  que  celui  que  m'avait 
donné  le  guerrier  Bayard  ;  car  l'héroïsme  de  la  va- 
leur m'a  toujours  moins  touché  que  le  charme  du 
sentiment  dans  les  âmes  bien  nées.  I-j'attachement 
que  cette  pièce  m'inspire  pour  son  auteur  est  un 
de  ces  mouvements,  peut-être  aveugles,  mais  aux- 
quels mon  cœiu'  n'a  jamais  résisté.  Ceci  me  mène  à 
l'aveu  d'une  autre  folie  à  laquelle  il  ne  résiste  pas 
mieux ,  c'est  de  faire  de  mon  Héloïse  le  critérium 
sur  lequel  je  juge  du  rapport  des  autres  cœurs 
avec  le  mien.  Je  conviens  volontiers  qu'on  peut 
être  plein  d'honnêteté ,  de  vertu  ^  de  sens ,  de  rai- 
son ,  de  goût ,  et  trouver  ce  roman  détestable  : 
quiconque  ne  l'aimera  pas  peut  bien  avoir  part  à 
mon  estime,  mais  jamais  à  mon  amitié;  quicon- 
que n'idolâtre  pas  ma  Julie  ,  ne  sent  pas  ce  qu'il 
faut  aimer;  quiconque  n'est  pas  l'ami  de  Saint- 
Preux,  ne  saurait  être  le  mien  :  d'après  cet  entê- 
tement, jugez   du  plaisir  que  j'ai  pris  en  lisant 

R.    XXII.  i4 


•2  ta  CORnrSPOiN  DANCE. 

votre  Gabrielle,  d'y  retrouver  ma  Julie  un  peu  plus 
héroïquement  requinquée  ,  mais  gardant  son  même 
naturel ,  animée  peut-être  d'un  peu  plus  de  chaleur , 
plus  énergique  dans  les  situations  tragiques,  mais 
moins  enivrante  aussi,  selon  moi,  dans  le  calme. 
Frappé  de  voir  dans  des  multitudes  de  vers  à  quel 
point  il  faut  que  vous  ayez  contemplé  cette  image 
si  tendre  dont  je  suis  le  Pygmalion  ,  j'ai  cru ,  sur 
ma  règle  ou  sur  ma  manie ,  que  la  nature  nous 
avait  faits  amis;  et,  revenant  avec  plus  d'incerti- 
tude aux  vers  de  votre  Bayard ,  j'ai  résolu  d'en 
parler  avec  ma  franchise  ordinaire,  sauf  à  vous  de 
me  répondre  ce  qu'il  vous  plaira. 

Monsieur  de  Belloy ,  je  ne  pense  pas  de  l'hon- 
neur ,  comme  vous  de  la  vertu ,  qu'il  soit  possible 
d'en  bien  parler  ,  d'y  revenir  souvent  par  goût , 
par  choix,  et  d'en  parler  toujours  d'un  ton  qui 
touche  et  remue  ceux  qui  en  ont,  sans  l'aimer  et 
sans  en  avoir  soi-même  :  ainsi ,  sans  vous  connaî- 
tre autrement  que  par  vos  pièces,  je  vous  crois 
dans  le  cœur  l'honneur  d'un  ancien  chevalier,  et 
je  vous  demande  de  vouloir  me  dire  sans  détours 
s'il  y  a  quelque  vers  dans  votre  Bayard  dont  en 
l'écrivant  vous  m'ayez  voulu  faire  l'application; 
dites-moi  simplement  oui  ou  non ,  et  je  vous  crois. 

Quant  au  projet  de  réchauffer  les  cœurs  de  vos 
compatriotes  par  l'image  des  antiques  vertus  de 
leurs  pères ,  il  est  beau ,  mais  il  est  vain  :  l'on  peut 
tenter  de  guérir  des  malades ,  mais  non  pas  de  res- 
susciter des  morts.  Vous  venez  soixante -dix  ans 
trop   tard.   Contemporain  du  grand  Catinat,  du 


j   ,^.  21  t 


brillant  Villars ,  du  vertueux  Fénélon  ,  vous  auriez 
pu  dire  :  Voilà  encore  des  Français  dont  je  vous 
parle;  leur  race  n'est  pas  éteinte;  mais  aujour- 
d'hui vous  n'êtes  plus  que  dox  damans  in  deserto. 
Vous  ne  mettez  pas  seulement  sur  la  scène  des 
gens  d'un  autre  siècle,  mais  d'un  autre  monde  ; 
ils  n'ont  plus  rien  de  commun  avec  celui-ci.  Il  ne 
reste  à  votre  nation ,  pour  se  consoler  de  n'avoir 
plus  de  vertu ,  que  de  n'y  plus  croire  et  de  la  dif- 
famer dans  les  autres.  Oh!  s'il  était  encore  des 
Bayards  en  France ,  avec  quelle  noble  colère ,  avec 
quelle  vive  indignation  !..i.  Croyez-moi,  de  Belloy, 
ne  faites  plus  de  ces  beaux  vers  à  la  gloire  des  an- 
ciens Français,  de  peur  qu'on  ne  soit  tenté,  par 
la  justesse  de  la  parodie ,  de  l'appliquer  à  ceux 
d'aujourd'hui. 

Adieu,  monsieur,  si  cette  lettre  vous  parvient, 
je  vous  prie  de  m'en  donner  avis,  afin  que  je  ne 
sois  pas  injuste  :  je  vous  salue  de  tout  mon  cœur. 


LETTRE  CMXI. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN*. 

A  Monquin,  le  17^76^ 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Vous  verrez,  monsieur,  que  la  lettre  ci -jointe 
était  commencée  avant  votre  retour  de  Grenoble, 

*  Cette  lettre  était  incluse  dans  celle  qui  suit. 


2  12  CORRESPONDANCE. 

et  que,  par  conséquent,  j'ai  bien  eu  le  temps  de 
la  mettre  en  meilleur  état;  mais  je  vous  avoue  que 
l'angoisse  et  les  serrements  de  cœur  que  j'éprou- 
vais en  l'écrivant  ne  m'ont  pas  permis  d'en  faire 
une  autre  copie  plus  au  net.  L'indignation  qui  m'ar- 
rêtait à  chaque  ligne  m'a  trop  fait  sentir  que  le 
rôle  d'accusé  n'était  pas  fait  pour  moi.  Malgré  le 
désordre  qui  règne  dans  cette  lettre ,  elle  contient 
des  éclaircissements  dont  j'ai  cru  que  vous  ne  dé- 
daigneriez pas  d'être  le  dépositaire  ,  et  qui  peu- 
vent importer  un  jour  au  triomphe  de  la  vérité. 
Je  ne  vous  demande  point ,  monsieur ,  de  secret 
sur  cette  lettre;  j'ose  prévoir  qu'un  jour  elle  sera 
dans  votre  famille  un  monument  non  méprisable 
de  vos  bontés  pour  celui  qui  l'a  écrite  et  de  l'hon- 
neur qu'il  sut  rendre  à  vos  vertus. 

Mon  état  ne  me  permet  point  de  tenter  le  voyage 
de  Bourgoin  par  le  temps  qu'il  fait,  et  je  m'oppose 
absolument  à  tout  désir  que  vous  pourriez  avoir 
de  renouveler  pour  moi  cette  œuvre  de  miséri- 
corde; au  lieu  du  plaisir  que  me  donne  toujours 
votre  présence  ,  vous  ne  m'apporteriez  que  des 
alarmes  pour  votre  santé  et  pour  votre  retour. 
Cependant ,  avant  de  nous  séparer  vraisemblable- 
ment pour  toujours  ,  que  j'aie  au  moins ,  s'il  m'est 
possible ,  la  douceur  d'embrasser  encore  une  fois 
mon  consolateur.  Je  compte ,  monsieur  ,  sur  ce 
que  vous  me  dîtes  dernièrement ,  que  vous  aviez 
encore  au  moins  huit  à  dix  jours  à  rester  à  Bour- 
goin, et  je  tâcherai  d'en  prendre  un,  s'il  m'est 
possible,  pour  me  rendre  auprès  de  vous.  Si  mal- 


ANNÉE    1770.  2l3 

heureusement  votre  départ  était  accéléré  ,  je  vous 
prierais  de  vouloir  bien  me  le  faire  dire,  afin  que 
je  ne  fisse  pas  un  voyage  inutile. 

Monsieur ,  veuille  le  ciel  vous  payer  en  prospé- 
rités tant  sur  vous  que  sur  madame  de  Saint-Ger- 
main et  sur  votre  aimable  et  florissante  famille ,  le 
prix  des  bontés  dont  vous  m'avez  comblé  !  Souve- 
nez-vous quelquefois  d'un  infortuné  qui  ne  mérite 
point  ses  malheurs ,  qui  vous  prouva  sa  vénéra- 
tion pour  vous  par  sa  confiance,  et  qui,  par  le 
droit  qu'il  se  sent  à  votre  estime ,  se  glorifiera  tou- 
jours d'y  avoir  part. 


LETTRE  CMXII. 

AU  MÊME. 

Monquin,  le  171^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

OÙ  êtes  -  vous  ,  brave  Saint  -  Germain  ?  Quand 
pourrai-je  vous  embrasser  ,  et  réchauffer  au  feu  de 
votre  courage  celui  dont  j'ai  besoin  pour  suppor- 
ter les  rigueurs  de  ma  destinée  ?  Qu'il  est  cruel , 
qu'il  est  déchirant  pour  le  plus  aimant  des  hommes 
de  se  voir  devenir  l'horreur  de  ses  semblables  en 
retour  de  son  tendre  attachement  pour  eux,  et  sans 
pouvoir  imaginer  la  cause  de  cette  frénésie ,  ni  par 
conséquent  la  guérir!  Quoi  !  l'implacable  animosité 
des  méchants  peut-elle  donc  ainsi  renverser  les  têtes 


2l4  CORRESPOWDAjyO:. 

et  changer  les  cœurs  de  toute  une  nation ,  de  toute 
une  génération  ?  lui  montrer  noir  ce  qui  est  blanc  ; 
lui  rendre  odieux  ce  qu'elle  doit  aimer  ;  lui  faire 
estimer  l'iniquité ,  justice  ;  la  trahison ,  générosité  ? 
Ah  !  c'est  aussi  trop  accorder  à  la  puissance  que 
de  lui  soumettre  ainsi  le  jugement,  le  sentiment, 
la  raison,  et  de  se  dépouiller  pour  elle  de  tout  ce 
qui  nous  fait  hommes.  * 

Quels  sont  mes  torts  envers  M.  de  Choiseul?  Un 
seul, mais  grand,  celui  d'avoir  pu  l'estimer.  Dans 
ma  retraite  je  ne  connaissais' de  lui  que  son  minis- 
tère :  son  pacte  de  famille  me  prévint  en  faveur  de 
ses  talents.  Il  avait  paru  bien  disposé  pour  moi  : 
cette  bienveillance  m'en  avait  inspiré.  Je  ne  savais 
rien  de  son  naturel ,  de  ses  goûts ,  de  ses  inclina- 
tions, de  son  caractère;  et,  dans  les  ténèbres  où  je 
suis  plongé  depuis  tant  d'années,  j'ai  long-temps 
ignoré  tout  cela.  Jugeant  du  reste  par  ce  qui  m'é- 
tait connu,  je  lui  donnai  des  louanges  qu'il  méri- 
tait trop  peu  pour  les  prendre  au  pied  de  la  lettre. 
Il  se  crut  insulté  :  de  là  sa  haine  et  tous  mes  mal- 
heurs. En  me  punissant  de  mon  tort  il  m'en  a 
corrigé.  S'il  me  punit  maintenant  de  lui  rendi-e  jus- 
tice ,  il  ne  peut  être  trop  sévère  ;  car  assurément 
je  la  lui  rends  bien. 

Pour  mieux  assouvir  sa  vengeance ,  il  n'a  voulu 
ni  ma  mort  qui  finissait  mes,  malheurs ,  ni  ma  cap- 
tivité qui  m'eût  du  moins  donné  le  repos.  Il  a  conçu 
que  le  plus  grand  supplice  d'une  ame  fière  et  brû- 
lante d'amour  pour  la  gloire,  était  le  mépris  et 
l'opprobre  ,  et  qu'il  n'y  avait  point  pour  moi  de 


pire  tourment  que  celui  d'être  haï  ;  c'est  sur  ce 
double  objet  qu'il  a  dirigé  son  plan.  Il  s'est  appli- 
qué à  me  travestir  en  monstre  effroyable;  il  a  con- 
certé dans  le  secret  Toeuvre  de  ma  diffamation  ;  il 
m'a  fait  enlacer  de  toutes  parts  par  ses  satellites  ; 
il  m'a  fait  traîner  par  eux  dans  la  fange  ;  il  m'a 
rendu  la  fable  du  peuple  et  le  jouet  de  la  canaille. 
Pour  m'accabler  encore  mieux  de  la  haine  publique, 
il  a  pris  soin  de  la  faire  sortir  par  les  moqueuses  ca- 
resses des  fourbes  dont  il  me  faisait  entourer;  et, 
pour  dernier  raffinement,  il  a  fait  en  sorte  que  par- 
tout les  égards  et  les  attentions  parussent  me  suivre, 
afin  que ,  quand ,  trop  sensible  aux  outrages ,  j'exha- 
lerais quelques  plaintes ,  j'eusse  l'air  d'un  homme 
qui  n'est  pas  à  son  aise  avec  lui-même ,  et  qui  se 
plaint  des  autres  parce  qu'il  est  mécontent  de  lui. 
Pour  m'isoler  et  m'ôter  tout  appui ,  les  moyens 
étaient  simples.  Tout  cède  à  la  puissance,  et  pres- 
que tout  à  l'intrigue.  On  connaissait  mes  amis,  on 
a  travaillé  sur  eux  ;  aucun  n'a  résisté.  On  a  éventé 
par  la  poste  toutes  les  correspondances  que  je  pou- 
vais avoir.  On  m'a  détaché  de  temps  en  temps  de 
petits  chercheurs  de  places,  de  petits  imploreurs 
de  recommandations ,  pour  savoir,  par  eux  s'il  ne 
restait  personne  qui  eût  pour  moi  de  la  bienveil- 
lance, et  travailler  aussitôt  à  me  l'ôter.  Je  connais 
si  bien  ce  manège,  et  j'en  ai  si  bien  senti  le  suc- 
cès, que  je  ne  serais  pas  sans  crainte  pour  M.  de 
Saint-Germain  lui-même ,  si  je  le  savais  moins  clair- 
voyant, et  que  je  connusse  moins  sa  sagesse  et  sa 
fermeté.  Parmi  les  objets  dç  tant  de  vigilance,  mes 


•2l6  COllRESPONDAKCE.  '''^  "^ 

papiers  n'ont  pas  été  oubliés.  J'ai  confié  tous  ceux 
que  j'avais  en  des  mains  amies,  ou  que  je  crus 
telles  :  tous  sont  à  la  merci  de  mes  ennemis.  En- 
fin ,  on  m'a  lié  moi-même  par  des  engagements, 
dont  j'ai  cru  vainement  acheter  mon  repos ,  et  qui 
n'ont  servi  qu'à  me  livrer  pieds  et  poings  liés  au 
sort  qu'on  voulait  me  faire.  On  ne  m'a  laissé  pour 
défense  que  le  ciel ,  dont  on  ne  s'embarrasse  guère , 
et  mon  innocence,  qu'on  n'a  pu  m'oter. 

Parvenu  une  fois  à  ce  point ,  tout  le  reste  va  de 
lui-même  et  sans  la  moindre  difficulté.  Les  gens 
chargés  de  disposer  de  moi  ne  trouvent  plus  d'obs- 
tacles. Les  essaims  d'espions  malveillants  et  vigi- 
lants ,  dont  je  suis  entouré ,  savelit  comment  ils  ont 
à  faire  leur  cour.  S'il  y  a  du  bien ,  ils  se  garderont 
de  le  dire ,  ou  prendront  grand  soin  de  le  traves- 
tir ;  s'il  y  a  du  mal ,  ils  l'aggraveront  ;  s'il  n'y  en  a 
pas ,  ils  l'inventeront.  Ils  peuvent  me  charger  tout 
à  leur  aise  ;  ils  n'ont  pas  peur  de  me  trouver  là 
pour  les  démentir.  Chacun  veut  prendre  part  à  la 
fête ,  et  présenter  le  plus  beau  bouquet.  Dès  qu'il 
est  convenu  que  je  suis  un  homme  noir ,  c'est  à 
qui  me  controuvera  le  plus  de  crimes.  Quiconque 
en  a  fait  un,  peut  en  faire  cent ,  et  vous  verrez  que 
bientôt  j'irai  violant,  brûlant,  empoisonnant,  as- 
sassinant à  droite  et  à  gauche  pour  mes  menus  plai- 
sirs ,  sans  m'embarrasser  des  foules  de  surveillants 
qui  me  guettent ,  sans  songer  que  les  planchers 
sous  lesquels  je  suis  ont  des  yeux ,  que  les  murs 
qui  m'entourent  ont  des  oreilles ,  que  je  ne  fais  pas 
un  pas  qui  ne  soit  compté ,  pas  un  mouvement  de 


ANNÉE    1770.       >i  217 

doigt  qui  ne  soit  noté,  et  sans  que  ,  durant  tout  ce 
temps-lk,  personne  ait  la  charité  de  pourvoir  à  la 
sûreté  publique  en  m'empèchant  de  continuer 
toutes  ces  horreurs ,  dont  ils  se  contentent  de  te- 
nir tranquillement  le  registre,  tandis  que  je  les  fais 
tout  aussi  tranquillement  sous  leurs  yeux  ,  tant  la 
haine  est  aveugle  et  bête  dans  sa  méchanceté!  Mais 
n'importe ,  dès  qu'il  s'agira  de  m'imputer  des  for- 
faits ,  je  vous  réponds  que  le  bon  M.  de  Choiseul 
sera  coulant  sur  les  preuves,  et  qu'après  ma  mort 
toutes  ces  inepties  deviendront  autant  de  faits  in- 
contestables, parce  que  monsieur  l'un,  et  monsieur 
l'autre ,  et  madame  celle-ci,  et  mademoiselle  celle-là , 
tous  gens  de  la  plus  haute  probité ,  les  auront  attes- 
tés ,  et  que  je  ne  ressusciterai  pas  pour  y  répondre. 

Encore  une  fois,  tout  devient  facile,  et  désor- 
mais on  va  faire  de  moi  tout  ce  qu'on  voudra  de 
mauvais.  Si  je  reste  en  repos,  c'est  que  je  médite 
*  des  crimes ,  et  peut-être  le  pire  de  tous ,  celui  de 
dire  la  vérité.  Si ,  pour  me  distraire  de  mes  maux, 
je  m'amuse  à  l'étude  des  plantes,  c'est  pour  y  cher- 
cher des  poisons.  Mon  Dieu!  quand  quelque  jour 
ceux  qui  sauront  quel  fut  mon  caractère,  et  qui 
liront  mes  écrits,  apprendront  qu'on  a  fait  de  Jean- 
Jacques  Rousseau  un  empoisonneur ,  ils  deman- 
deront quelle  sorte  d'êtres  existaient  de  son  temps, 
et  ne  pourront  croire  que  ce  fussent  des  hommes. 

Mais  comment  en  est-on  venu  là?  quel  fut  le  pre- 
mier forfait  qui  rendit  les  autres  croyables  ?  Voilà 
ce  qui  me  passe ,  voilà  l'étonnante  énigme.  C'est  ce 
premier  pas  qu'il  faut  expliquer,  et  qui  n'offre  à 


.2l8  CORRESPONi)A.]VCE. 

mes  yeux  qu'un  abîme  impénétrable.  M.  de  Samt- 
Germain ,  dans  ce  que  vous  connaissez  de  moi  par 
vous-même ,  trouvez-vous  de  l'étoffe  pour  faire  un 
scélérat?  Tel  je  parais  à  vos  yeux  depuis  plus  d'un 
an ,  tel  je  fus  pendant  près  de  soixante.  Je  n'eus 
jamais  que  des  goûts  honnêtes,  que  des  passions 
douces;  je  m'élevai,  pour  ainsi  dire,  moi-même; 
je  me  livrai  par  choix  aux  meilleures  études  ;  je  ne 
cultivai  que  des  talents  aimables.  J'aimai  toujours 
la  retraite ,  la  vie  paisible  et  solitaire.  J'ai  passé  la 
jeunesse  et  l'âge  mûr,  chéri' de  mes  amis,  bien 
voulu  de  mes  connaissances,  tranquille ,  heureux , 
content  de  mon  sort,  et  sans  avoir  eu  jamais  qu'une 
seule  querelle  avec  un  extravagant*,  laquelle  tourna 
tout  à  ma  gloire.  Malheureusement  ayant  déjà  passé 
l'âge  mûr,  je  me  laissai  tenter  afin  de  communiquer 
au  public,  dans  des  livres  qui  ne  respirent  que  la 
vertu,  des  maximes  que  je  crus  utiles  à  mes  sem- 
blables ,  ou  de  nouvelles  idées  pour  le  progrès  des 
beaux-arts.  Me  voilà  devenu  depuis  lors  un  homme 
noir;  de  quelle  façon?  je  l'ignore.  Eh!  quels  sont 
ces  malheureux  dont  les  âmes  sombres  et  concen- 
trées couvent  le  crime  ?  Sont  -  ce  des  auteurs ,  des 
gens  de  lettres  dévoués  à  la  paisible  occupation 
d'écrire  des  livres ,  des  romans ,  de  la  musique ,  des 
opéra?  Ont -ils  des  cœurs  ouverts,  confiants,  fa- 
ciles à  s'épancher  ?  Et  où  de  pareils  secrets  se  ca- 
cheraient-ils un  moment  dans  le  mien,  transparent 
comme  le  cristal ,  et  qui  porte  à  l'instant  dans  mes 
yeux  et  sur  mon  visage  chaque  mouvement  dont 

*  Le  comte  de  Montaigu,  ambassadeur  à  Venise. 


AJSNÉE    177*^-  ^19 

il  est  affecté  ?  Seul ,  étranger ,  sans  parti ,  livré  dans 
ma  retraite  à  de  pareils  goûts ,  quel  avantage ,  quel 
moyen,  quelle  tentation  pouvais -je  avoir  de  mal 
faire  ?  Quoi  !  lorsque  l'amour  ,  la  raison ,  la  vertu  , 
prenaient  sous  ma  plume  leurs  plus  doux,  leurs 
plus  énergiques  accents;  lorsque  je  m'enivrais  à 
torrents  des  plus  délicieux  sentiments  qui  jamais 
soient  entrés  dans  un  cœur  d'homme ,  lorsque  je 
planais  dans  l'empirée  au  milieu  des  objets  char- 
mants et  presque  angéliques  dont  je  m'étais  en- 
touré, c'était  précisément  alors,  et  pour  la  première 
fois ,  que  ma  noire  et  farouche  ame  méditait ,  di- 
gérait, commettait  les  forfaits  atroces  dont  on  ne 
me  voila  l'imputation  que  pour  m'ôter  les  moyens 
de  m'en  défendre,  et  cela  sans  motif,  sans  raison, 
sans  sujet,  sans  autre  intérêt  que  celui  de  satis- 
faire la  plus  infernale  férocité!  Et  l'on  peut....  Si  ja- 
mais pareille  contradiction ,  pareille  extravagance , 
pareille  absurdité  pouvaient  réellement  trouver  foi 
dans  l'esprit  d'un  homme ,  oui ,  j'ose  le  dire  sans 
crainte,  il  faudrait  étouffer  cet  homme-là. 

Les  passions  qui  portent  au  crime  sont  analogues 
à  leurs  noirs  effets.  Où  furent  les  miennes?  Je  n'ai 
connu  jamais  les  passions  haineuses  ;  jamais  l'en- 
vie, la  méchanceté ,  la  vengeance  n'entrèrent  dans 
mon  cœur.  Je  suis  bouillant,  emporté,  quelque- 
fois colère,  jamais  fourbe  ni  rancunier;  et  quand 
je  cesse  d'aimer  quelqu'un,  cela  s'aperçoit  bien 
vite.  Je  hais  l'ennemi  qui  veut  me  nuire  ;  mais ,  si- 
tôt que  je  ne  le  crains  plus,  je  ne  le  hais  plus. 
Que  Diderot,  que  Grimm  surtout,  le  premier,  le 


1'20  r.OKRESPOiVDANCE. 

plus  caché  ,  le  plus  ardent ,  le  plus  implacable ,  ce- 
lui qui  m'attira  tous  les  auti-^s ,  dise  pourquoi  il 
me  hait.  Est-ce  pour  le  mal  qu'il  a  reçu  de  moi  ? 
Non,  c'est  pour  celui  qu'il  m'a  fait,  car  souvent 
l'offensé  pardonne ,  mais  l'offenseur  ne  pardonne 
jamais.  Dirai-je  mes  torts  envers  lui?  j'en  sais  deux  : 
le  premier ,  je  l'ai  trop  aimé  ;  le  second ,  son  cœur 
fat  décJiwé  par  la  louange  qui  n'était  pas  pour  lui'^. 
Si  lui ,  si  Diderot ,  ont  quelque  autre  grief,  qu'ils 
le  disent.  Ils  ont  découvert,  dira-t-on  ,  que  j'étais, 
un  monstre.  Ah!  c'est  une  auti^e  affaire;  mais  tou- 
jours est-il  sûr  que  ce  monstre  ne  leur  fit  jamais 
de  mal. 

Madame  la  comtesse  de  Boufflers  me  hait,  et 
en  femme;  c'est  tout  dire.  Quels  sont  ses  griefs? 
Les  voici. 

Le  premier.  J'ai  dit  dans  XHeloïse  que  la  femme 
d'un  charbonnier  était  plus  respectable  que  la  maî- 
tresse d'un  prince  :  mais,  quand  j'écrivis  ce  pas- 
sage, je  ne  songeais  ni  à  elle  ni  à  aucune  femme 
en  particulier;  je  ne  savais  pas  même  alors  qu'il 
existât  une  comtesse  de  Boufflers,  encore  moins 
qu'elle  pîit  s'offenser  de  ce  trait ,  et  je  n'ai  fait  que 
long-temps  après  connaissance  avec  elle. 

Le  second.  Madame  de  Boufflers  me  consulta 
sur  une  tragédie  en  prose  de  sa  façon ,  c'est-à-dire 
qu'elle  me  demanda  des  éloges.  Je  lui  donnai  ceux 
que  je  crus  lui  être  dus;  mais  je  l'avertis  que  sa 
pièce  ressemblait  beaucoup  à  une  pièce  anglaise 

"  Passage  remarquable  du  Petit  Prophite ,  ouvrage  de  M.  Grimm, 
et  dans  lequel  il  s'est  peint  sans  y  songer. 


ANNÉE    1770.  221 

que  je  lui  nommai  :  j'eus  le  sort  de  Gil  Blas  au- 
près de  l'évéque  prédicateur. 

Le  troisième.  Madame  de  Boufflers  était  aimable 
alors  ,  et  jeune  encore.  Les  amitiés  dont  elle  m'ho- 
nora me  touchèrent  plus  qu'il  n'eût  fallu  peut-être  : 
elle  s'en  aperçut.  Quelque  temps  après  j'appris  ses 
liaisons ,  que  dans  ma  bêtise  je  ne  savais  pas  en- 
core. Je  ne  crus  pas  qu'il  convînt  à  Jean-Jacques 
Rousseau  d'aller  sur  les  brisées  d'un  prince  du 
sang,  et  je  me  retirai.  Je  ne  sais,  monsieur,  ce  que 
vbus  penserez  de  ce  crime  ;  mais  il'serait  singulier 
que  tous  les  malheurs  de  ma  vie  fussent  venus  de 
trop  de  prudence ,  dans  un  homme  qui  en  eut 
toujours  si  peu. 

Madame  la  maréchale  de  Luxembourg  me  hait; 
elle  a  raison.  J'ai  commis  envers  elle  des  balour- 
dises ,  bien  innocentes  assurément  dans  mon  cœur , 
bien  involontaires,  mais  que  jamais  femme  ne  par- 
donne ,  quoiqu'on  n'ait  pas  eu  l'intention  de  l'of- 
fenser. Cependant  je  ne  puis  la  croire  essentielle- 
ment méchante,  ni  perdre  le  souvenir  des  jours 
heureux  que  j'ai  passés  près  d'elle  et  de  M.  de 
Luxembourg.  De  tous  mes  ennemis  elle  est  la  seule 
que  je  croie  capable  de  retour,  mais  non  pas  de 
mon  vivant.  Je  désire  ardemment  qu'elle  me  sur- 
vive,  sûr  d'être  regretté,  peut-être  pleuré  d'elle 
après  ma  mort. 

Ajoutez  à  cette  courte  liste  M.  de  Choiseul , 
dont  j'ai  déjà  parlé,  et  qui  malheureusement  à  lui 
seul  en  vaut  mille;  le  docteur  Tronchin,  avec  qui 
je  n'eus  d'autre  tort  que  d'être  Genevois  comme 


0.11  CORRESPOND  A  x\CE. 

lui ,  et  d'avoir  autant  de  célébrité,  quoique  j'eusse 
gagné  moins  d'argent;  enfin  le  baron  d'Holbach, 
aux  avances  duquel  j'ai  résisté  long-temps,  par  ïa 
seule  raison  qu'il  était  trop  riche  :  raison  que  je 
lui  dis  pour  réponse  à  ses  instances,  et  qui  mal-' 
heureusement  ne  se  trouva  que  trop  juste  dans  la 
suite.  Sur  mes  premiers  écrits,  et  sur  le  bruit  qu'ils 
firent,  il  se  prit  pour  moi  d'une  telle  haine,  et, 
comme  je  crois,  par  l'impulsion  de  Grimm,  qu'il 
me  traita,  dans  sa  propre  maison,  et  sans  le  moindre 
sujet,  avec  une  brutalité  sans  exemple.  Diderot, 
et  M.  de  Mai^gency,  gentilhomme  ordinaire  du  roi , 
furent  témoins  de  la  querelle  ;  et  le  dernier  m'a 
souvent  dit  depuis  lors  qu'il  avait  admiré  ma  pa- 
tience et  ma  modération.  ^^„  '^ 

Ces  détails,  monsieur  ,  sont  dans  la  plus  exacte 
vérité.  Trouvez-vous  là  quelque  méchanceté  dans 
le  pauvre  Jean-Jacques?  Voilà  pourtant  les  seuls  en- 
nemis personnels  que  j'aie  eus  jamais.  Tous  les 
autres  ne  le  sont  que  par  jalousie,  comme  d'A- 
lembert,  avec  lequel  j'ai  eu  très-peu  de  liaison, 
ou  sur  parole,  comme  la  foule;  ou  parce  qu'en 
général  les  lâches  aiment  à  faire  leurrour  aux  puis- 
sants ,  en  achevant  d'accabler  ceux  qu'ils  oppri- 
ment. Que  puis-je  faire  à  cela? 

Les  naturels  haineux,  jaloux,  méchants,  ne  Se 
déguisent  guère;  leurs  propos,  leurs  écrits  décè- 
lent bientôt  leurs  penchants;  ils  vont  toujours  se 
mêlant  des  affaires  des  autres  ;  les  pointes  de  la  sa- 
tire lardent  leurs  discours  et  leurs  ouvrages;  les 
mots  couverts,  les  allusions  malignes  leur  échap- 


AMNKE    1770.  9.2  3 

pent  malgré  eux.  Mes  écrits  sont  dans  les  mains 
de  tout  le  monde,  et  vous  connaissez  mon  ton. 
Veuillez,  monsieur,  juger  par  vous-même,  et 
voyez  s'il  y  a  de  la  malignité  dans  mon  cœur. 

Le  jeu  :  je  ne  puis  le  souffrir.  Je  n'ai  vraiment* 
joué  qu'une  fois  en  ma  vie  au  Redoute  à  Venise  : 
je  gagnai  beaucoup ,  m'ennuyai,  et  ne  jouai  plus. 
Les  échecs,  où  l'on  ne  joue  rien,  sont  le  seul  jeu 
qui  m'amuse.  Je  n'ai  pas  peur  d'être  un  Béverley. 

L'ambition,  l'avidité,  l'avarice:  je  suis  trop  pa- 
resseux, je  déteste  trop  la  gène,  j'aime  trop  mon 
indépendance  pour  avoir  des  goûts  qui  demandent 
un  homme  laborieux ,  vigilant,  courtisan,  souple, 
intrigant,  les  choses  du  monde  les  plus  contraires 
à  mon  humeur.  M'a-t-on  vu  souvent  aux  toilettes 
des  femmes,  ou  dans  les  antichambres  des  grands? 
ce  sont  pourtant  là  les  portes  de  la  fortune.  J'ai 
lefusé  beaucoup  de  places ,  et  n'en  recherchai  ja- 
mais. Cest  par  paresse  que  je  suis  attaché  à  l'argent 
que  j'ai,  crainte  de  la  peine  d'en  chercher  quand 
je  n'en  ai  plus  :  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  me  soit 
arrivé  de  la  vie,  ayant  le  nécessaire  du  moment, 
de  rien  convoiter  au-delà;  et,  après  avoir  vécu 
dans  une  honnête  aisance,  je  me  vois  prêt  à  man- 
quer de  pain  sur  mes  vieux  jours,  sans  en  avoir 
grand  souci.  Combien  j'ai  laissé  échapper  de  choses 
par  ma  nonchalance  à  les  retenir  ou  à  les  saisir!  Ci- 
tons un  seul  fait.  Un  receveur-général  des  finances 
auquel  j'étais  attaché  depuis  long -temps  m'offre 
sa  caisse;  je  l'accepte  :  au  bout  de  quinze  jours 
l'embarras ,  l'assujettissement ,  l'inquiétude  surtout 


1l[\  CORRESPONDANCE. 

(le  cette  maudite  caisse  me  font  tomber  malade. 
Je  finis  par  quitter  la  caisse,  et  me  faire  copiste 
de  musique  à  six  sous  la  page.  M.  de  Francueil ,  à 
qui  je  marque  ma  résolution ,  me  croit  encore  dans 
le  transport  de  la  fièvre,  vient  me  voir,  me  parle, 
m'e?^'orte  ,  ne  m'ébranle  pas  :  il  attend  inutile- 
ment; et,  voyant  ma  résolution  bien  prise  et  bien 
confirmée,  il  dispose  enfin  de  sa  caisse,  et  me 
donne  un  successeur.  Ce  fait  seul  prouve ,  ce  me 
semble,  que  l'avidité  de  l'argent  n'est  pas  mon 
défaut  :  et  j'en  pourrais  donner  des  preuves  ré- 
centes plus  fortes  que  celle-là.  Et  de  quoi  me  ser- 
virait l'opulence?  Je  déteste  le  luxe,  j'aime  la  re- 
traite', je  n'ai  que  les  goûts  de  la  simplicité,  je  ne 
saurais  souffrir  autour  de  moi  des  domestiques; 
et  quand  j'aurais  cent  mille  livres  de  rentes,  je  ne 
voudrais  être  ni  mieux  vêtu,  ni  mieux  logé,  ni 
miéu^  nourri  que  je  jie  le  suis.  Je  ne  voudrais  étrç 
riche  que  pour  faire  du  bien ,  et  l'on  ne  cherche 
pas  à  satisfaire  un  pareil  goût  par  des  crimes. 

Les  femmes!...  Oh!  voici  le  grand  article;  car 
assurément  le  violateur  de  la  chaste  Vertier  doit 
être  un  terrible  homme  auprès  d'elles,  et  le  plus 
difficile  des  travaux  d'Hercule  doit  peu  lui  coûter 
après  celui-là.  Il  y  a  quinze  ans  qu'on  eût  été 
étonné  de  m'entendre  accuser  de  pareille  infamie  : 
mais  laissez  faire  M.  de  Choiseul  et  madame  de 
Boufflers  ;  ils  ont  bien  opéré  d'autres  métamor- 
phoses ,  et  je  les  vois  en  train  de  ne  s'arrêter  plus 
guère  que  par  l'impossibilité  d'en  imaginer.  Je 
doute  qu'aucun  homme  ait  eu  une  jeunesse  plus 


ANNÉE    1770.  225 

chaste  que  la  mienne.  J'avais  trente  ans  passés 
sans  avoir  eu  qu'un  seul  attachement,  ni  fait  à 
son  objet  qu'une  seule  infidélité*;  c'était  là  tout. 
Le  reste  de  ma  vie  a  doublé  cette  licence**,  je  n'ai 
pas  été  plus  loin.  Je  ne  fais  point  honneur  de  cette 
réserve  à  ma  sagesse,  elle  est  bien  plus  due  à  ma 
timidité;  et  j'avoue  avoir  manqué  par  elle  bien  des 
bonnes  fortunes  que  j'ai  convoitées,  et  qui ,  si  j'en 
avais  tenté  l'aventure,  ne  m'auraient  peut-être  pas 
réduit  au  même  crime  auquel,  selon  la  Verticr, 
m'ont  entraîné  ses  attraits. 

Pour  contenter  les  besoins  de  mon  cœur  encore 
plus  que  ceux  de  mes  sens ,  je  me  donnai  une  com- 
pagne honnête  et  fidèle,  dont,  après  vingt -cinq 
ans  d'épreuve  et  d'estime,  j'ai  fait  ma  femme.  Si 
c'est  là  ce  qu'on  appelle  de  la  débauche,  je  m'en 
honore ,  et  ce  n'est  pas  du  moins  celle-là  qui  mène 
dans  les  lieux  publics.  L'exemple,  la  nécessité, 
l'honneur  de  celle,  qui  m'était  chère ,  d'autres  puis- 
santes raisons  me  firent  confier  mes  enfants  à  l'é- 
tablissement fait  pour  cela ,  et  m'empêchèrent  de 
remplir  moi-même  le  premier,  le  plus  saint  des  de- 
voirs de  la  nature.  En  cela,  loin  de  ra'excuser,  je 
m'accuse  ;  et  quand  ma  raison  me  dit  que  j'ai  fait 
dans  ma  situation  ce  que  j'ai  dû  faire ,  je  l'en  crois 
moins  que  mon  cœur  qui  gémit  et  qui  la  dément. 
Je  ne  fis  point  un  secret  de  ma  conduite  à  mes 
amis,  ne  voulant  pas  passer  à  leurs  yeux  pour 

*  Son  aventure  avec  madame  de  Lainage. 

Le  souper  fait  avec  Grimm  chez  Klupffell,  et  ce  qui  en  a  été 
la  suite. 

R.    XXII.  l5 


2'l6  CORRESPONDANCE. 

meilleur  que  je  n'étais.  Quel  parti  les  barbares  en 
ont  tiré!  Avec  quel  art  ils  l'ont  mise  dans  le  jour  le 
plus  odieux!  Comme  ils  se  sont  plu  à  me  peindre 
en  père  dénaturé,  parce  que  j'étais  à  plaindre! 
comme  ils  ont  cherché  à  tirer  du  fond  de  mon  ca- 
ractère une  faute  qui  fut  l'ouvrage  de  mon  mal- 
heur? Comme  si  pécher  n'était  pas  de  l'homme ,  et 
même  de  l'homme  juste  !  Elle  fut  grave,  sans  doute, 
elle  fut  impardonnable  ;  mais  aussi  ce  fut  la  seule, 
et  je  l'ai  bien  expiée.  A  cela  près,  et  des  vices  qui 
n'ont  jamais  fait  de  mal  qu'à  moi,  je  puis  exposer 
à  tous  les  yeux  une  vie  irréprochable  dans  tout  le 
secret  de  mon  cœur.  Ah!  que  ces  hommes  si  sé- 
vères aux  fautes  d'autrui  rentrent  dans  le  fond  de 
leur  conscience,  et  que  chacun  d'eux  se  félicite 
s'il  sent  qu'au  jour  où  tout  sans  exception  sera 
manifesté,  lui-même  en  sera  quitte  à  meilleur 
compte  ! 

La  Providence  a  veillé  sur  mes  enfants  par  le 
péché  même  de  leur  père.  Eh  Dieu  !  quelle  eiit 
été  leur  destinée  s'ils  avaient  eu  la  mienne  à  parta- 
ger? que  seraient-ils  devenus  dans  mes  désastres? 
Ils  seront  ouvriers  ou  paysans;  ils  passeront  dans 
l'obscurité  des  jours  paisibles;  que  n'ai-je  eu  le 
même  bonheur!  Je  rends  au  moins  grâce  au  ciel 
de  n'avoir  abreuvé  que  moi  des  amertumes  de  ma 
vie,  et  de  les  en  avoir  préservés.  J'aime  mieux 
qu'ils  vivent  du  travail  de  leurs  mains  sans  me 
connaître,  que  de  les  voir  avilis  et  nourris  par  la 
traîtresse  générosité  de  mes  ennemis,  qui  les  ins- 
truiraient à  haïr,  peut-être  à  trahir  leur  père;  et 


ANNÉE    1770.  2^7 

j'aime  mieux  cent  fois  être  ce  père  infortuné  qui 
commit  la  faute  et  qui  la  pleure,  que  d'être  le  mé- 
chant qui  la  révèle,  l'étend ,  l'amplifie,  l'aggrave 
avec  la  plus  maligne  joie ,  que  d'être  l'ami  perfide 
qui  trahit  la  confiance  de  son  ami ,  et  divulgue , 
pour  le  diffamer ,  le  secret  qu'il  a  versé  dans  son 
sein. 

Mais  des  fautes,  quelque  grandes  qu'elles  soient, 
n'en  supposent  pas  de  contradictoires.  Les  débau- 
chés sont  peu  dans  le  cas  d'en  commettre  de  pa- 
reilles, comme  ceux  qui  s'occupent  dans  le  port  à 
charger  des  vaisseaux ,  que  bientôt  ils  perdent  de 
vue ,  ne  songent  guère  à  les  assurer.  Mes  attache- 
ments me  préservèrent  du  désordre;  et  toujours, 
je  le  répète,  je  fus  réglé  dans  mes  mœurs.  Je  ne 
doute  pas  même  que  celles  de  ma  jeunesse  n'aient 
contribué  dans  la  suite  à  répandre  dans  mes  écrits 
cette  vive  chaleur  que  les  gens  qui  ne  sentent  rien 
prennent  pour  de  l'art,  mais  que  l'art  ne  peut 
contrefaire  ,  et  que  ne  saurait  fournir  un  sang 
appauvri  par  la  débauche.  Pour  répondre  à  ces 
hommes  vils  qui  m'osent  accuser  d'avoir  gagné , 
dans  des  lieux  que  je  ne  connais  point,  des  maux 
que  je  connais  encore  moins,  je  ne  voudrais  que 
la  Nouvelle  Héloïse.  Est-ce  ainsi  qii'on  apprend  à 
parler  dans  la  crapule?  Qu'on  prenne  autant  de 
débauchés  qu'on  voudra ,  tous  doués  d'autant  d'es- 
prit qu'il  est  possible,  et  je  les  défie  entre  eux 
tous  de  faire  une  seule  page  à  mettre  à  côté  d'une 
des  lettres  brûlantes  dont  ce  roman  n'abonde  que 
trop.  Non,  non;   il  est  pour  l'ame  un  prix  aux 

i5. 


228  CORRESPOND  A.NCE. 

bonnes  mœurs,  c'est  de  la  vivifier.  L'amour  et  la 
débauche  ne  sauraient  aller  ensemble;  il  faut  choi- 
sir. Ceux  qui  les  confondent  ne  connaissent  que 
la  dernière;  c'est  sur  leur  propre  état  qu'ils  jugent 
du  mien  :  mais  ils  se  trompent  ;  adorer  les  femmes 
et  les  posséder  sont  deux  choses  très-différentes  : 
ils  ont  fait  l'une  ,  et  j'ai  fait  l'autre.  J'ai  connu 
quelquefois  leurs  ]flaisirs,  mais  ils  n'ont  jamais 
connu  les  miens. 

L'amour  que  je  conçois,  celui  que  j'ai  pu  sen- 
tir ^  s'enflamme  à  l'image  illusoire  de  la  perfection 
de  l'objet  aimé;  et  cette  illusion  même  le  porte  à 
l'enthousiasme  de  la  vertu,  car  cette  idée  entre 
toujours  dans  celle  d'une  femme  parfaite.  Si  quel- 
quefois l'amour  peut  porter  au  crime ,  c'est  dans 
l'erreur  d'un  mauvais  choix  qui  nous  égare,  ou 
dans  les  transports  de  la  jalousie  :  mais  ces  deux 
états ,  dont  aucun  n'a  jamais  été  le  mien ,  sont  mo- 
mentanés et  ne  transforment  point  un  coeur  noble 
en  une  ame  noire.  Si  l'amour  m'eût  fait  faire  un 
crime,  il  faudrait  m'en  punir  et  m'en  plaindre; 
mais  il  ne  me  rendrait  pas  l'horreur  des  honnêtes 
gens. 

Voilà  tout,  ce  me  semble,  à  moins  qu'on  ne 
veuille  ajouter  l'amour  de  la  solitude  ;  car  cet 
amour  fut  la  première  marque  à  laquelle  Diderot 
parut  juger  que  j'étais  un  scélérat.  Ses  mystérieuses 
trames  avec  Grimm  étaient  commencées  quand 
j'allai  vivre  à  l'Hermitage.  Il  publia  quelque  temps 
après  le  Fils  naturel  y  dans  lequel  il  inséra  cette 
sentence  :  //  nj  a  que  le  méchant  qui  soit  seul.  Je 


ANNÉE    1770.  229 

lui  écrivis  avec  tendresse  pour  me  plaindre  qu'il 
n'eût  mis  à  ce  passage  aucun  adoucissement;  il  me 
répondit  durement  et  sans  aucune  explication. 
Pour  moi,  quoique  cette  sentence  ait  quelque 
chose  qui  papillote  à  l'oreille ,  je  n'y  trouve  qu'une 
absurdité  ;  et  il  est  si  faux  qu'il  n'y  ait  que  le  mé- 
chant qui  soit  seul,  qu'au  contraire  il  est  impossible 
qu'un  homme  qui  sait  vivre  seul  soit  méchant,  et 
qu'un  méchant  veuille  vivre  seul  ;  car  à  qui  ferait- 
il  du  mal,  et  avec  qui  formerait- il  ses  intrigues? 
La  sentence  en  elle-même  exigeait  donc  tout  au 
moins  une  explication  :  elle  l'exigeait  bien  plus 
encore ,  ce  me  semble ,  de  la  part  d'un  auteur  qui , 
lorsqu'il  parlait  de  la  sorte  au  public,  avait  un 
ami  retiré  depuis  six  mois  dans  une  solitude;  et  il 
était  également  choquant  et  malhonnête  de  refu- 
ser, du  moins  en  maxime  générale  ,  l'honorable 
et  juste  exception  qu'il  devait  non-seulement  à  cet 
ami ,  mais  à  tant  de  sages  respectés ,  qui  dans  tous 
les  temps  ont  cherché  le  calme  et  la  paix  dans  la 
retraite,  et  dont,  pour  la  première  fois  depuis 
que  le  monde  existe,  un  écrivain  s'avise,  avec  un 
trait  de  plume ,  de  faire  autant  de  scélérats  :  mais 
Diderot  avait  ses  vues ,  et  ne  s'embarrassait  pas 
de  déraisonner ,  pourvu  qu'il  préparât  de  loin  les 
coups  qu'il  m'a  portés  dans  la  suite. 

Je  vais  faire  une  remarque  qui  peut  paraître  lé- 
gère ,  mais  qui  me  paraît  à  moi  des  plus  sûres  pour 
juger  de  l'état  interne  et  vrai  d'un  auteur.  On  sent, 
dans  les  ouvrages  que  j'écrivais  à  Paris,  la  bile 
d'un  homme  importuné  du  tracas  de  cette  grande 


23o  CORRESPONDANCE. 

ville,  et  aigri  par  le  spectacle  continuel  de  ses 
vices  a.  Ceux  que  j'écrivis  depuis  ma  retraite  à 
l'Hermitage  respirent  une  tendresse  de  cœur ,  une 
douceur  d'ame,  qu'on  ne  trouve  que  dans  les  bo- 
cages, et  qui  prouvent  l'effet  que  faisait  sur  moi 
la  retraite  et  la  campagne,  et  qu'elles  feront  tou- 
jours sur  quiconque  en  saura  sentir  le  charme  et 
y  vivra  aussi  volontiers  que  moi.  Les  pensées  mâles 
de  la  vertu ,  dit  le  nerveux  l^oung ,  les  nobles  élans 
du  génie,  les  brillants  transports  d'un  cœur  sensible, 
sont  perdus  pour  r  homme  qui  croit  qu'être  seul  est  une 
solitude  :  le  malheureux  s'est  condamné  à  ne  les  ja- 
mais sentir.  Dieu  et  la  raison]  quelle  immense  société! 
que  leurs  entretiens  sont  sublimes!  que  leur  commerce 
est  plein  de  douceur!  Voilà  IMINI.  Young  et  Diderot 
d'avis  un  peu  différents ,  sans  ajouter  celui  de  Vir- 
gile. Pour  moi ,  je  me  fais  honneur  d'avoir  imité  le 
scélérat  Descartes,  quand  il  s'en  alla  méchamment 
philosopher  dans  sa  solitude  de  Nord-Hollande. 

Je  viens  de  faire  ,  ce  me  semble ,  une  revue 
exacte ,  et  je  n'y  vois  rien  encore  qui  m'ait  pu  don- 
ner des  penchants  pervers.  Que  reste-t-il  donc  en- 
fin? l'amour  de  la  gloire.  Quoi!  ce  noble  senti- 
ment qui  élève  lame  auX  sublimes  contemplations, 
qui  l'élancé  dans  les  régions  éthérées,  qui  l'étend 
pour  ainsi  dire  sur  toute  la  postérité ,  pourrait  lui 

"  Ajoutez  les  impulsions  continuelles  de  Diderot,  qui,  soit  qu'il 
ne  pût  oublier  le  donjon  de  Vincennes ,  soit  avec  le  projet  déj^ 
formé  de  me  rendre  odieux  ,  m'allait  sans  cesse  excitant  et  stimulant 
aux  sarcasmes.  Sitôt  que  je  fus  à  la  campagne ,  et  que  ces  impulsions 
cessèrent ,  le  caractère  et  le  ton  de  mes  écrits  changèrent,  et  je  ren- 
trai dans  mon  naturel. 


ANNÉE    1770.  23r 

dicter  des  forfaits!  Il  prendrait,  pour  s'honorer,  la 
route  de  l'infamie!  Eh!  qui  ne  sait  que  rien  n'a- 
vilit, ne  resserre  et  ne  concentre  l'ame  comme  le 
crime  ;  que  rien  de  grand  et  de  généreux  ne  peut 
partir  d'un  intérieur  corrompu  ?  Non ,  non  ;  cher- 
chez des  passions  viles  pour  cause  à  des  actions 
viles.  On  peut  être  un  malhonnête  homme  et  faire 
un  bon  livre;  mais  jamais  les  divins  élans  du  génie 
n'honorèrent  l'ame  d'un  malfaiteur  ;  et  si  les  soup- 
çons de  quelqu'un  que  j'estimerais  pouvaient  à  ce 
point  ravaler  la  mienne,  je  lui  présenterais  mon 
Discours  sur  U Inégalité  '^  pour  toute  réponse ,  et  je 
lui  dirais:  Lis,  et  rougis'^. 

Vous  me  citerez  Erostrate.  A  cela  voici  ma  ré- 
ponse. L'histoire  d'Erostrate  est  une  fable  :  mais 
supposons-la  vraie  ;  Erostrate ,  sans  génie  et  sans 
talent,  eut  un  moment  la  fantaisie  de  la  célébrité, 
à  laquelle  il  n'avait  aucun  droit  ;  il  prit  la  seule  et 
courte  voie  que  son  mauvais  cœur  et  son  esprit 
étroit  put  lui  suggérer:  mais  comptez  que,  s'il  se 
fut  senti  capable  de  faire  V Emile ,  il  n'eût  point 
brûlé  le  temple  d'Éphèse.  Non ,  monsieur ,  on  n'as- 
pire point  par  le  crime  au  prix  qu'on  peut  obtenir 

"  En  retranchant  quelques  morceaux  de  la  façon  de  Diderot , 
qu'il  m'y  Ut  insérer  presque  malgré  moi.  Il  en  avait  ajouté  de  plus 
durs  encore;  mais  je  ne  pus  me  résoudre  à  les  employer. 

Que  serait-ce  si  je  lui  présentais  ma  Lettre  à  d' Alemhert  sur  les 
Spectacles ,  ouvrage  où  le  plus  tendre  délire  perce  à  travers  la  force 
du  raisonnement,  et  rend  cette  lecture  ravissante?  Il  n'y  a  point 
d'absurdité  qu'on  ne  rende  imaginable  en  supposant  que  des  scélé- 
rats peuvent  traiter  ainsi  de  pareils  sujets.  Démocrite  prouva  aux 
Abdéritains  qu'il  n'était  pas  fou  en  leur  lisant  une  de  ses  pièces  ;  et 
moi  ,  je  défie  tout  homme  sensé  qui  lira  cette  lettre  de  pouvoir 
croire  que  l'auteur  soit  un  coquin. 


232  CORRESPONDANCi:. 

par  la  vertu;  et  voilà  ce  qui  rend  plus  ridicule 
l'imposture  dont  je  suis  l'objet.  Qu'avais-je  besoin 
de  gloire  et  de  célébrité  ?  je  l'avais  déjà  tout  ac- 
quise, non  par  îles  noirceurs  et  des  actes  abomi- 
nables, mais  par  des  moyens  vertueux,  honnêtes  , 
par  des  talents  distingués,  par  des  livres  utiles, 
par  une  conduite  estimable ,  par  tout  le  bien  que 
j'avais  pu  faire  selon  mon  pouvoir  :  elle  était  belle, 
elle  était  sans  tache  ;  qu'y  pouvais-je  ajouter  désor- 
mais ,  si  ce  n'est  la  persévérance  dans  l'honorable 
carrière  dont  je  voyais  déjà  d'assez  près  le  terme  ? 
Que  dis-je?  je  l'avais  atteint:  je  n'avais  plus  qu'à 
me  reposer,  et  jouir.  Peut-on  concevoir  que,  de 
gaieté  de  cœur  et  par  des  forfaits,  j'aie  cherché 
moi-même  à  ternir  ma  gloire ,  à  la  détruire ,  à  lais- 
ser échapper  de  mes  mains ,  ou  plutôt  à  jeter ,  dans 
un  transport  de  furie,  le  prix  inestimable  que  j'a- 
vais légitimement  acquis  ?  Quoi  !  le  sage ,  le  brave 
Saint-Germain  retournerait-il  exprès  à  la  guerre 
pour  y  flétrir  par  des  lâchetés  infâmes  les  lauriers 
sous  lesquels  il  a  blanchi?  Ne  sait-on  pas  qu'une 
belle  réputation  est  la  plus  noble  et  la  plus  douce 
récompense  de  la  vertu  sur  la  terre  ?  Et  l'on  veut 
qu'un  homme  qui  se  l'est  dignement  procurée  s'aille 
exprès  plonger  dans  le  crime  pour  la  souiller!  Non, 
cela  n'est  pas ,  parce  que  cela  ne  peut  pas  être  ;  et 
il  n'y  a  que  des  gens  sans  honneur  qui  puissent 
ne  pas  sentir  cette  impossil3ilité. 

Mais  quels  sont  enfin  ces  forfaits  dont  je  me  suis 
avisé  si  tard  de  souiller  une  réputation  déjà  tout 
acquise  par  mieux  que  des  livres,  par  quarante 


ANNÉE    1770.  ^33 

ans  d'honneur  et  d'intégrité  ?  Oh  !  c'est  ici  le  mys- 
tère profond  qu'il  ne  faut  jamais  que  je  sache,  et 
qui  ne  doit  être  ouvertement  publié  qu'après  ma 
mort,  quoiqu'on  fasse  en  sorte,  pendant  ma  vie, 
que  tout  le  monde  en  soit  instruit,  hors  moi  seul. 
Pour  me  forcer ,  en  attendant ,  de  boire  la  coupe 
amère  de  l'ignominie ,  on  aura  soin  de  la  faire  cir- 
culer sans  cesse  autour  de  moi  dans  l'obscurité , 
de  la  faire  dégoutter ,  ruisseler  sur  ma  tête ,  afin 
qu'elle  m'abreuve ,  m'inonde ,  me  suffoque  ,  mais 
sans  qu'aucun  trait  de  lumière  l'offre  jamais  à  ma 
vue,  et  me  laisse  discerner  ce  qu'elle  contient.  On 
me  séquestrera  du  commerce  des  hommes,  même 
en  vivant  avec  eux  ;  tout  sera  pour  moi  secret , 
mystère  et  mensonge  ;  on  me  rendra  étranger  à  la 
société ,  sans  paraître  m'en  chasser  ;  on  élèvera 
autour  de  moi  un  impénétrable  édifice  de  ténèbres , 
on  m'ensevelira  tout  vivant  dans  un  cercueil.  C'est 
exactement  ainsi  que,  sans  prétexte  et  sans  droit, 
on  traite  en  France  un  homme  libre,  un  étranger, 
qui  n'est  point  sujet  du  roi ,  qui  ne  doit  compte 
à  personne  de  sa  conduite ,  en  continuant  d'y  res- 
pecter,  comme  il  a  toujours  fait,  le  roi,  les  lois , 
les  magistrats,  et  la  nation.  Que  s'il  est  coupable, 
qu'on  l'accuse ,  qu'on  le  juge ,  et  qu'on  le  punisse  ; 
s'il  ne  l'est  pas  ,  qu'on  le  laisse  libre ,  non  pas  en 
apparence,  mais  réellement.  Voilà,  monsieur,  ce 
qui  est  juste;  tout  ce  qui  est  hors  de  là,  de  quel- 
que prétexte  qu'on  l'habille ,  est  trahison  ,  fourbe- 
rie ,  iniquité.  « 

Non ,  je  ne  serai  point  accusé ,  point  arrêté , 


2'34  CORRESPONDA.NCE. 

point  jugé  ,  point  puni ,  en  apparence  ;  mais  on 
s'attachera ,  sans  qu'il  y  paraisse ,  à  me  rendre  la 
vie  odieuse ,  insupportable  ,  pire  cent  fois  que  la 
mort  :  on  me  fera  garder  à  vue;  je  ne  ferai  pas  un  pas 
sans  être  suivi;  on  m'ôtera  tous  moyens  de  rien  sa- 
voir et  de  ce  qui  me  regarde  et  de  ce  qui  ne  me  re- 
garde pas  ;  les  nouvelles  publiques  les  plus  indiffé- 
rentes, les  gazettes  même  me  seront  interdites;  on 
pe  laissera  courir  mes  lettres  et  paquets  que  pour 
ceux  qui  me  trahissent,  on  coupera  ma  correspon- 
dance avec  tout  autre;  la  réponse  universelle  à  tou- 
tes mes  questions  sera  toujours  qu'on  ne  sait  pas  ; 
tout  se  taira  dans  toute  assemblée  à  mon  arrivée  ;  les 
femmes  n'auront  plus  de  langue,  les  barbiers  se- 
ront discrets  et  silencieux;  je  vivrai  dans  le  sein 
de  la  nation  la  plus  loquace  comme  chez  un  peu- 
ple de  muets.  Si  je  voyage  ,  on  préparera  tout  d'a- 
vance pour  disposer  de  moi  partout  où  je  veux 
aller  ;  on  me  consignera  aux  passagers ,  aux  co- 
chers ,  aux  cabaretiers;  à  peine  trouverai-je  à  man- 
ger avec  quelqu'un  dans  les  auberges  ,  à  peine 
trouverai-je  un  logement  qui  ne  soit  pas  isolé  ;  en- 
fin l'on  aura  soin  de  répandre  une  telle  horreur  de 
moi  sur  ma  route,  qu'à  chaque  pas  que  je  ferai, 
à  chaque  objet  que  je  verrai,  mon  ame  soit  dé- 
chirée :  ce  qui  n'empêchera  pas  que ,  traité  comme 
Sancho,  je  ne  reçoive  partout  cent  courbettes  mo- 
queuses, avec  autant  de  compliments  de  respect 
et  d'admiration  :  ce  sont  de  ces  politesses  de  tigres 
qui  semblent  vous  sourire  au  moment  qu'ils  vont 
vous  déchirer. 


ANNÉE    1770.  235 

Imaginez,  monsieur,  s'il  est  possible,  un  trai- 
tement plus  insultant,  plus  cruel,  plus  barbare, 
et  dont  le  concert  incroyablement  unanime  laisse , 
au  sein  d'une  nation  tout  entière,  un  infortuné 
rigoureusement  seul  et  sans  consolation.  Tel  est  le 
talent  supérieur  de  M.  de  Choiseul  pour  les  dé- 
tails; tels  sont  les  soins  avec  lesquels  il  est  servi 
quand  il  est  question  de  nuire  :  mais  s'il  s'agissait 
d'une  œuvre  de  bonté ,  de  générosité  ,  de  justice , 
trouverait-il  la  même  fidélité  dans  ses  créatures? 
j'en  doute;  aurait-il  lui-même  la  même  activité? 
j'en  doute  encore  plus. 

J'ai  beau  chercher  des  cas  où  il  soit  permis  d'ac- 
cuser, de  juger,  de  diffamer  un  homme  à  son  insu, 
sans  voidoir  l'entendre  ;  sans  souffrir  qu'il  réponde, 
et  même  qu'il  parle  ;  je  ne  trouve  rien.  Je  veux 
supposer  toutes  les  preuves  possibles  :  mais  quand, 
en  plein  midi ,  toute  la  ville  verrait  un  homme  en 
assassiner  un  autre  sur  la  place  publique,  encore  , 
en  jugeant  l'accusé,  ne  l'empêclierait-on  pas  de 
répondre  ;  encore  ne  le  jugerait-on  pas  sans  l'avoir 
interrogé.  A  l'inquisition  l'on  cache  à  l'accusé  son 
délateur,  je  l'avoue  ;  mais  au  moins  lui  dit-on  qu'il 
est  accusa,  au  moins  ne  le  condamne-t-on  pas  sans 
l'entendre,  au  moins  ne  l'empêche-t-on  pas  de 
parler.  Un  délateur  secret  accuse,  il  ne  prouve 
pas  ;  il  ne  peut  prouver  dans  aucun  cas  possible  : 
car  comment  prouverait-il?  Par  des  témoins?  mais 
l'accusé  peut  avoir  contre  ces  témoins  des  moyens 
de  récusation  que  les  juges  ignorent.  Par  des  écri- 
tures ?  mais  l'accusé  peut  y  faire  apercevoir  des 


236  CORRESPONDANCK. 

marques  de  fausseté  que  d'autres  n'ont  pu  con- 
naître. Un  délateur  qui  se  cache  est  toujours  un 
lâche  :  s'il  prend  des  mesures  pour  que  l'accusé  ne 
puisse  répondre  à  l'accusation ,  ni  même  en  être 
instruit,  il  est  un  fourbe:  s'il  prenait  en  même 
temps  avec  l'accusé  le  masque  de  l'amitié,  il  serait 
un  traître.  Or  un  traître  qui  prouve  ne  prouve 
jamais  assez ,  ou  ne  prouve  que  contre  lui-même  ; 
et  quiconque  est  un  traître  peut  bien  être  encore 
un  imposteur.  Eh!  quel  serait ,  grand  Dieu!  le  sort 
des  particuliers  s'il  était  permis  de  leur  faire  à  leur 
insu  leur  procès ,  et  puis  de  les  aller  prendre  chez 
eux  pour  les  mener  tout  de  suite  au  supplice , 
sous  prétexte  que  les  preuves  sont  si  claires  qu'il 
leur  est  inutile  d'être  entendus  ? 

Remarquez,  monsieur, je  vous  supplie,  combien 
cette  première  accusation  dut  paraître  extraordi- 
naire ,  vu  la  réputation  sans  reproche  dont  je  jouis- 
sais, et  que  soutenaient  ma  conduite  et  mes  écrits. 
Assurément  ceux  qui  vinrent  apprendre  pour  la 
première  fois  aux  chefs  de  la  nation  que  j'étais  un 
scélérat  durent  les  étonner  beaucoup ,  et  rien  ne 
devait  manquer  à  la  preuve  d'une  pareille  accu- 
sation pour  être  admise.  Il  y  manqua  pourtant  au 
moins  une  petite  circonstance,  savoir  l'audition 
de  l'accusé  ;  on  se  cacha  de  lui  très-soigneusement, 
et  il  fut  jugé.  Messieurs  !  messieurs  !  quand  il  serait 
généralement  permis  déjuger  un  accusé  sans  l'ouïr, 
il  y  a  du  moins  des  hommes  qui  méi'iteraient  d'être 
exceptés,  et  Jean-Jacques  pouvait  espérer,  ce  me 
semble ,  d'être  mis  au  nombre  de  ces  hommes-là. 


ANNÉE    1770.  287 

On  ne  vous  a  pas  jugé,  diront-ils.  Et  qu'avez-vous 
donc  fait,  misérables?  En  feignant  d'épargner  ma 
personne,  vous  m'otez  l'honneur,  vous  m'accablez 
d'opprobres  ;  vous  me  laissez  la  vie ,  mais  vous  me 
la  rendez  odieuse  en  y  joignant  la  diffamation.  Vous 
me  traitez  plus  cruellement  mille  fois  que  si  vous 
m'aviez  fait  mourir  ;  et  vous  appelez  cela  ne  m'a- 
voir  pas  jugé!  Les  fourbes!  il  ne  manquait  plus  à 
leur  barbarie  que  le  vernis  de  la  générosité. 

Non ,  jamais  on  ne  vit  des  gens  aussi  fiers  d'être 
des  traîtres  :  prudemment  enfoncés  dans  leurs  ta- 
nières ,  ils  s'applaudissent  de  leurs  lâchetés^^  et  in- 
sultent à  ma  franchise  en  la  redoutant.  Pour  m'é- 
touffer  sans  que  je  crie  ,  ils  m'ont  auparavant 
attaché  un  bâillon.  A  voir  enfin  leur  bénigne  con- 
tenance, on  les  prendrait  pour  les  bourreaux  de 
l'infortuné  don  Carlos ,  qui  prétendaient  qu'il  leur 
fût  encore  redevable  de  Ij'peine  qu'ils  prenaient 
de  l'étrangler. 

En  vérité,  monsieur,  plus  je  médite  sur  cette 
étrange  conduite,  plus  j'y  trouve  une  complication 
de  lâcheté ,  d'iniquité  de  fourberie,  qui  la  rend 
inimaginable.  Ce  qui  me  passe  encore  plus  est  que 
.  tout  cela  paraît  se  faire  de  l'aveu  de  la  nation  en- 
tière ;  que  non -seulement  mes  prétendus  amis, 
mais  d'honnêtes  gens  réellement  estimables ,  y  pa- 
raissent acquiescer;  et  que  M.  de  Saint-Germain 
lui-même  ne  m'en  paraît  pas  encore  assez  scanda- 
lisé. Cependant ,  fussé-je  coupable,  fussé-je  en  ef- 
fet tout  ce  qu'on  m'accuse  d'être ,  tant  qu'on  ne 
m'aura  pas  convaincu ,  cette  conduite  envers  moi 


238  CORRESPONDANCE, 

serait  encore  injuste  ,  fausse ,  inexcusable.  Que 
doit -elle  me  paraître  à  moi  qui  me  sens  inno- 
cent? 

Soyons  équitables  toujours.  Je  ne  crois  pas  que 
M.  de  Choiseul  soit  l'auteur  de  l'imposture  ;  mais 
je  ne  doute  point  qu'il  n'ait  très -bien  vu  que 
c'en  était  une ,  et  que  ce  ne  soit  pour  cela  qu'il 
prend  tant  de  mesures  pour  m'empêcher  d'en  être 
instruit:  car  autrement ,  avec  la  haine  envenimée 
que  tout  décèle  en  lui  contre  moi ,  jamais  il  ne  se 
refuserait  le  plaisir  de  me  convaincre  et  de  me 
confondre,  dût-il  s'ôter  par  là  celui  de  me  voir 
souffrir  plus  long-temps. 

Quoique  ma  pénétration  ,  naturellement  très- 
mousse  ,  mais  aiguisée  à  force  de  s'exercer  dans  les 
ténèbres,  me  fasse  deviner  assez  juste  des  multitudes 
de  choses  qu'on  s'applique  à  me  cacher,  ce  noir 
mystère  est  encore  enveloppé  pour  moi  d'un  voile 
impénétrable  ;  mais  à  force  d'indices  combinés , 
comparés  ;  à  force  de  derni-mots  échappés,  et  saisis 
à  la  volée;  à  force  de  souvenirs  effacés,  qui  par 
hasard  me  reviennent,  je  présume  Grimm  et  Di- 
derot les  premiers  auteurs  de  toute  la  trame.  Je 
leur  ai  vu  commencer ,  il  y  a  plus  de  dix-huit  ans , 
des  menées  auxquelles  je  ne  comprenais  rien,  mais 
que  je  voyais  certainement  couvrir  quelque  mys- 
tère dont  je  ne  m'inquiétais  pas  beaucoup,  parce- 
que,  les  aimant  de  tout  mon  cœur,  je  comptais 
qu'ils  m'aimaient  de  même.  A  quoi  ont  abouti  ces 
menées?  autre  énigme  nt)n  moins  obscure.  Tout 
ce  que  je  puis  supposer  le  plus  raisonnablement 


ANNÉE    1770.  l3c) 

est  qu'ils  auront  fabriqué  quelques  écrits  abo- 
minables qu'ils  m'auront  attribués.  Cependant  , 
comme  il  est  peu  naturel  qu'on  les  en  ait  crus  sur 
leur  parole,  il  aura  fallu  qu'ils  aient  accumulé  des 
vraisemblances,  sans  oublier  d'imiter  le  style  et 
la  main.  Quant  au  style,  un  homme  qui  possède 
supérieurement  le  talent  *  d'écrire  imite  aisément 
jusqu'à  certain  point  le  style  d'un  autre ,  quoique 
bien  marqué  :  c'est  ainsi  que  Boileau  imita  le  style 
de  Voiture  et  celui  de  Balzac  à  s'y  tromper  ;  et 
cette  imitation  du  mien  peut  être  surtout  facile  à 
Diderot,  dont  j'étudiais  particulièrement  la  diction 
quand  je  commençai  d'écrire,  et  qui  même  a  mis 
dans  mes  premiers  ouvrages  plusieurs  morceaux 
qui  ne  tranchent  point  avec  le  reste,  et  qu'on  ne 
saurait  distinguer ,  du  moins  quant  au  style".  Il  est 
certain  que  sa  tournure  et  la  mienne,  surtout  dans 
mes  premiers  ouvrages ,  dont  la  diction  est,  comme 
la  siemie  ,  un  peu  sautante  et  sentencieuse ,  sont , 
parmi  celles  de  nos  comtemporains ,  les  deux  qui 
se  ressemblent  le  plus.  D'ailleurs ,  il  y  a  si  peu  de 
juges  en  état  de  prononcer  sur  la  différence  ou  l'i- 
dentité des  styles,  et  ceux  même  qui  le  sontpeu- 

*  Variante  :  Vart  d'écrire. 

Quant  aux  pensées ,  celles  qu'il  a  eu  la  bonté  de  me  prêter,  et 
que  j'ai  eu  la  hétise  d'adopter,  sont  bien  faciles  à  distinguer  des 
miennes,  comme  on  peut  le  voir  dans  celle  du  philosophe  qui  s'ar- 
gnmente  en  enfonçant  son  bonnet  sur  ses  oreilles  (Discours  sur  i Iné- 
galité) ;  car  ce  morceau  est  de  lui  tout  entier.  Il  est  certain  que 
M.  Diderot  abusa  toujours  de  ma  confiance  et  de  ma  facilité  pour 
donner  à  mes  écrits  un  ton  dur  et  un  air  noir ,  qu'ils  n'eurent  plus 
sitôt  qu'il  cessa  de  me  diriger  et  que  je  fus  livré  tout-à-fait  à  moi- 
même. 


24o  CORRESPONDAKCf:. 

vent  si  aisément  s'y  tromper,  que  chacim  peut  déci- 
der là-dessus  comme  il  lui  plaît,  sans  craindre  d'être 
convaincu  d'erreur. 

La  main  est  plus  difficile  à  contrefaire;  je  crois 
même  cela  presque  impossible  dans  un  ouvrage  de 
longue  haleine  :  c'est  pourquoi  je  présume  qu'on 
aura  préféré  des  lettres,  qui  n'ont  pas  la  même 
difficulté,  et  qui  remplissent  le  même  objet.  Quant  à 
l'écrivain  chargé  de  cette  contrefaction ,  il  aura  été 
plus  facile  à  trouver  à  Diderot  qu'à  tout  autre,  parce 
que,  étant  chargé  de  la  partie  des  arts  dans  X Encyclo- 
pédie ^  il  avait  de  grandes  relations  avec  les  artistes 
dans  tous  les  genres.  Au  reste ,  quand  la  puissance 
s'en  mêle,  beaucoup  de  difficultés  s'aplanissent; 
et  quand  il  s'agirait,  par  exemple,  de  décider  si  une 
écriture  est  ou  n'est  pas  contrefaite,  je  ne  crois  pas 
qu'on  eût  beaucoup  de  peine  à  trouver  des  experts 
prêts  à  être  de  l'avis  qu'il  plairait  à  M.  de  Clioiseul. 

Si  ce  n'est  pas  cela,  ou  de  faux  témoins ,  je  n'i- 
magine rien.  Je  pencherais  même  un  peu  pour  cette 
dernière  opinion ,  parce  que  assurément  le  bénin 
Thevenin ,  quoi  qu'on  en  dise  ,  ne  fut  pas  aposté 
pour  rien  ;  et  je  ne  puis  imaginer  d'autre  objet  à 
la  fable  de  ce  manant,  et  à  l'adroite  façon  dont 
ceux  qui  l'avaient  aposté  l'ont  accréditée",  que  de 

"  Enfin ,  tant  ont  opéré  les  gens  qui  disposent  de  moi ,  qu'il  reste 
clair  comme  le  jour ,  à  Grenoble  et  ailleurs,  que  le  galérien  Theve- 
nin m'a  prêté  neuf  francs  aux  Verrières ,  tandis  que  j'étais  à  Mont- 
morency ;  qu'il  me  les  a  prêtés  par  les  mains  du  cabaretier  Jeannet , 
notre  commun  hôte  ,  chez  qui  je  n'ai  jamais  logé,  et  à  qui  je  ne  par- 
lai de  ma  vie;  et  que  je  lui  donnai,  en  reconnaissance,  des  lettres 
de  recommandation  pour  MM.  de  Faugnes  et  Aldiman ,  que  je  ne 
connaissais  pas. 


ANNÉE    1770.  ^4' 

vouloir  tâter  d'avance  comme  je  soutiendrais  la 
confrontation  d'un  faux  témoin. 

Lesholbachiens,  qui  croyaient  m'avoir  déjà  coulé 
à  fond ,  furieux  de  me  voir  bien  au  château  de 
Montmorency  et  chez  M.  le  prince  de  Conti ,  firent 
jouer  leurs  machines  par  d'Alembert,  et,  profitant 
des  piques  secrètes  dont  j'ai  parlé,  firent  passer, 
par  le  Temple ,  leur  complot  à  l'hôtel  de  Luxem- 
bourg. Il  est  aisé  d'imaginer  comment  M.  de  Choi- 
seul  s'associa  pour  cette  affaire  particulière  avec  la . 
ligue ,  et  s'en  fit  le  chef  ;  ce  qui  rendit  dès-lors  le 
succès  immanquable,  au  moyen  des  manœuvres  sou- 
terraines dont  Grimm  avait  probablement  fourni 
le  plan.  Ce  complot  a  pu  se  tramer  de  toute  autre 
manière;  mais  voilà  celle  où  les  indices,  dans  ce 
que  j'ai  vu,  se  rapportent  le  mieux. Il-fallait,  avant 
de  rien  tenter  du  côté  du  pubUc ,  m'éloigner  au 
préalable,  sans  quoi  le  complot  risquait  à  chaque 
instant  d'être  découvert,  et^on  auteur  confondu. 
IJ Emile  en  fournit  les  moyens ,  et  l'on  disposa  tout 
pour  m'effrayer  par  un  décret  comminatoire ,  au- 
quel on  n'en  voulait  cependant  venir  que  quand 
j'aurais  pris  le  parti  de  fuir.  Mais  voyant  que,  mal- 
gré tout  le  fracas  dont  on  accompagnait  la  menace 
de  ce  décret,  je  restais  tranquille  et  ne  voulais  pas 
démarrer,  on  s'avisa  d'un  expédient  tout  puissant 
sur  mon  cœur.  Madame  de  Boufflers  ,  avec  ime 
grande  éloquence,  me  fit  voir  l'alternative  inévi- 
table de  comprometti-e  madame  de  Luxemboiu'ii , 
si  j'étais  interrogé,  ou  de^  mentir,  ce  que  j'étais 
bien  résolu  de  ne  pas  faire.  Sur  ce  motif,  auquel 
R.  xxu.  16 


24îi  CORRESPONDANCE. 

je  ne  pus  résister,  je  partis  enfin ,  et  l'on  ne  lâcha 
le  décret  que  quand  ma  résolution  fut  bien  prise 
et  qu'on  put  le  savoir.  Il  paraît  que  dès-lors  le  pro- 
jet était  arrangé  entre  madame  de  Boufflers  et 
M.  Hume  pour  disposer  de  moi.  Elle  n'épargna 
rien  pour  m'envoyer  en  Angleterre.  Je  tins  bon  , 
et  voulus  passer  en  Suisse.  Ce  n'était  pas  là  le 
compte  de  la  ligue  ,  qui,  par  ses  manœuvres  ,  par- 
vint avec  peine  à  m'en  chasser.  Nouvelles  sollicita- 
tions plus  vive^  pour  l'Angleterre,  nouvelle  résis- 
tance de  ma  part.  Je  pars  pour  aller  joindre  Milord 
Maréchal  à  Berlin.  La  ligue  vit  l'instant  où  j'allais 
lui  échapper.  Son  complot  s'en  allait  peut-être  en 
fumée,  si  l'on  ne  m'eût  tendu  tant  de  pièges  à 
Strasbourg,  qu'enfin  j'y  tombai,  me  laissai  livrer 
à  Hume,  et  partis  avec  lui  pour  l'Angleterre,  oùrf 
j'étais  attendu  depuis  si  long-temps.  Dès  ce  mo-"^ 
ment  ils  m'ont  tenu;  je  ne  leur  échapperai  plus. 

Que  je  regrettai  la  t>anceî  avec  quelle  ardeur, 
avec  quelle  constance  je  surmontai  tous  les  obsta- 
cles, tous  les  dangers  même  qu'on  eut  soin  d'op- 
poser à  mon  retour  ;  et  cela ,  pour  venir  essuyer 
dans  ce  pays  si  désiré  des  traitements  qui  m'ont 
fait  regretter  l'Angleterre!  Cependant  les  seize  mois 
que  j'y  passai  ne  furent  pas  perdus  pour  la  ligue  : 
à  mon  retour,  je  trouvai  la  France  et  l'Europe  to- 
talement changées  à  mon  égard;  et  ma  prévention , 
ma  stupidité ,  furent  telles ,  que ,  trop  frappé  des 
manoeuvres  de  David  Hume- et  de  ses  associés,  je 
m'obstinais  à  chercher;  à  Londres  la  cause  des  in- 
dignités que  j'essuyais  .à  Trye.  fie  voilà  bien  désa- 


ANNÉE    1770.  t^4^ 

busé  depuis  que  je  n'y  suis  plus,  et  je  rends  aux 
Anglais  la  justice  qu'ils  me  refusent.  Néanmoins , 
s'ils  étaient  ce  qu'on  les  suppose,  ils  auraient  dit  : 
N'imitons  pas  la  légèreté  française;  défions -nous 
des  preuves  d'accusation  qu'on  cache  si  soigneu- 
sement à  l'accusé ,  et  gardons-nous  de  juger,  sans 
l'entendre,  un  homme  qu'on  cajole  avec  tant  de 
fausseté ,  et  qu'on  charge  avec  tant  d'animosité. 

Enfin  ce  complot ,  conduit  avec  tant  d'art  et  de 
mystère,  est  en  pleine  exécution.  Que  dis-je?  il" est 
déjà  consommé  :  me  voilà  devenu  le  mépris,  la  dé- 
rision ,  l'horreur  de  cette  même  nation  dont  j'avais, 
il  y  a  dix  ans,  l'estime,  la  .bienveillance,  j'oserais 
dire  la  considération  ;  et  ce  changement  prodi- 
gieux, quoique  opéré  sur  un  homme  du  peuple, 
sera  pourtant  la  plus  grande  œuvre  du  ministère 
de  M,  de  Choiseul ,  celle  qu'il  a  eue  le  plus  à  cœur , 
celle  à  laquelle  il  a  consacré  le  plus  de  temps  et 
de  soin.  Elle  prouvera ,  par  un  exemple  flétrissant 
pour  l'espèce  humaine,  combien  est  forte  l'union 
des  méchants  pour  malfaire ,  tandis  que  celle  des 
bons,  quand  elle  existe,  est  si  lâche,  si  faible,  et 
toujours  si  facile  à  rompre. 

Rien  n'a  été  omis  pour  l'exécution  de  cette  noble 
entreprise  :  toute  la  puissance  d'un  grand  royaume, 
tous  les  talents  d'un  ministre  intrigant,  toutes  les 
ruses  de  ses  satellites ,  toute  la  vigilance  de  ses  es- 
pions, la  plume  des  auteurs ,  la  langue  des  clabau- 
deurs,  la  séduction  de  mes  amis,  l'encouragement 
de  mes  enaemis,  les  malignes  recherches  sur  ma 
vie  pour  la  souiller,  sur  mes  "propos  pour  les  em- 

16. 


Îl44  CORRESPONDANCE. 

poisonner,  sur  mes  écrits  pour  les  falsifier  ;  l'art  de 
dénaturer ,  si  facile  à  la  puissance ,  celui  de  me 
rendre  odieux  à  tous  les  ordres ,  de  me  diffamer 
dans  tous  les  pays.  Les  détails  de  tous  ces  faits  se- 
raient presque  incroyables  ,  s'il  m'était  possible 
d'exposer  ici  seulement  ceux  qui  me  sont  connus. 
On  m'a  lâché  des  espions  de  toutes  les  espèces, 
aventuriers  ,  gens  de  lettres  ,  abbés  ,  militaires  , 
courtisans;  on  a  envoyé  des  émissaires  en  divers 
pays  pour  m'y  peindre  sous  les  traits  qu'on  leur 
a  marqués.  J'avais  en  Savoie  un  témoin  de  ma  jeu- 
nesse, un  ami  que  j'estimais ,  et  sur  lequel  je  comp- 
tais ;  je  vais  le  voir  ;  je  .vois  qu'il  me  trompe;  je  le 
trouve  en  correspondance  avec  M.  de  Choiseul. 
J'avais  à  Paris  un  vieux  compatriote ,  un  ami ,  très- 
bon  homme;  on  le  met  à  la  Bastille,  j'ignore  pour- 
quoi ,  c'est-à-dire  sous  quel  prétexte.  Le  long  temps 
qu'il  y  a  resté  lui  fait  honneur  ;  on  l'aura  trouvé 
moins  docile  qu'on  n'avait  cru;  je  veux  espérer 
qu'on  n'aura  pas  lassé  sa  patience ,  et  qu'au  bout 
de  seize  mois  il  sera  sorti  de  la  Bastille  aussi  hon- 
nête homme  qu'il  y  est  entré.  Je  désire  la  même 
chose  du  libraire  Guy ,  qu'on  y  a  mis  de  même , 
et  détenu  presque  aussi  long-temps.  On  disait  avoir 
trouvé  dans  les  papiers  du  premier  un  projet  de 
moi  pour  l'établissement  d'une  pure  démocratie  à 
Genève;  et  j'ai  toujours  blâmé  la  pure  démocratie 
à  Genève  et  partout  ailleurs  ;  on  disait  y  avoir 
trouvé  des  lettres  par  lesquelles  j'excitais  les  brouil- 
leries  de  Genève;  et  non -seulement  j«ii  toujours 
blâmé  les  brouilleries  de  Genève ,  mais  je  n'ai  rien 


ANNJÉE    I-^^O.  245 

épargné  pour  porter  les  représentants  à  la  paix. 
Mais  qu'importe  qu'on  en  impose  et  qu'on  mente  ? 
un  mensonge  dit  en  l'air  fait  toujours  son  effet , 
surtout  quand  il  vient  des  bureaux  d'un  ministre , 
et  quand  il  tire  sur  moi. 

En  songeant  au  libraire  de  Paris ,  avec  lequel 
j'eus  si  peu  d'affaires,  M.  de  Clioiseul,  qui  n'ou- 
blia rien ,  a-t-il  oublié  mon  libraire  de  Hollande  ? 
je  ne  sais  ;  mais  dans  un  livre  que  celui  -  ci  s'est 
obstiné  à  vouloir  me  dédier ,  quoique  j'y  sois  mal- 
traité, et  dont  il  n'a  pas  voulu  me  communiquer 
d'avance  l'épître  dédicatoire,  j'ai  trouvé  la  tournure 
de  cette  épître  si  singulière  et  si  peu  naturelle ,  qu'il 
est  difficile  de  n'y  pas  supposer  un  but  caché  qui 
tient  à  quelque  fil  de  la  grande  trame. 

Enfin  nulle  attention  n'a  été  omise  pour  m'y  dé- 
figurer de  tout  point ,  jusqu'à  celle  ,  qu'on  n'ima- 
ginerait pas,  de  faire  disparaître  les  portraits  de 
moi  qui  me  ressemblent,  et  d'en  répandre  un  à 
très-grand  bruit  qui  me  donne  un  air  farouche  et 
une  mine  de  cyclope.  A  ce  gracieux  portrait  on  a 
mis  pour  pendant  celui  de  David  HuiTie  " ,  qui  réel- 
lement a  la  tète  d'un  cyclope ,  et  à  qui  l'on  donne 
un  air  charmant.  Comme  ils  peignent  nos  figures  , 
ainsi  peignent-ils  nos  âmes  avec  la  même  fidélité. 
En  un  mot ,  les  détails  qu'embrasse  l'exécution  dû 
plan  qui  me  regarde  sont  immenses ,  inconceva- 
bles. Oh!  si  je  savais  tous  ceux  que  j'ignore,  si  je 

"^  Quand  il  s'avisa  de  me  faire  peiudre  à  Londres,  je  ne  pus  ima- 
giner quel  était  son  but  ;  car  j'entrevoyais  déjà  de  reste  que  ce  n'é- 
tait pas  par  amitié  pour  moi.  Je  Tois  maintenant  très-bien  ce  but  ; 
mais  je  ne  me  pardonnerais  pas  de  l'avoir  deviné. 


^46  CORflKSPONDANCE. 

voyais  mieux  ceux  que  je  ne  faisais  que  conjectu- 
rer ,  si  je  pouvais  embrasser  d'un  coup  d'oeil  tous 
ceux  dont  je  suis  l'objet  depuis  dix  années  ,  ils 
pourraient  me  donner  quelque  orgueil ,  si  mon 
cœur  en  était  moins  déchiré.  Si  M.  de  Choiseul 
eût  employé  à  bien  gouverner  l'état  la  moitié  du 
temps,  des  talents,  de  l'argent  et  des  soins  qu'il  a 
mis  à  satisfaire  sa  haine ,  il  eut  été  l'un  des  plus 
grands  ministres  qu'ait  eus  la  France. 

Ajoutez  à  tout  cela  l'expédition  de  la  Corse ,  cette 
inique  et  ridicule  expédition  ,  qui  choque  toute 
justice ,  toiite  humanité  ,  toute  politique ,  toute 
raison  ;  expédition  que  son  succès  rend  encore 
plus  ignominieuse  ,  en  ce  que  ,  n'ayant  pu  conqué- 
rir ce  peuple  infortuné  par  le  fer ,  il  l'a  fallu  con- 
quérir par  l'or.  lia  France  peut  bien  dire  de  cette 
inutile  et  coûteuse  conquête  ce  que  disait  Pyrrhus 
de  ses  victoires  :  Encore  une ,  et  nous  sommes 
perdus.  Mais,  hélas î  l'Europe  n'offrira  plus  à 
M.  de  Choiseul  d'autre  peviple  naissant  à  détruire, 
ni  d'aussi  grand  homme  à  noircir  que  son  illusjSbe 
et  vertueux  chef. 

C'est  ainsi  que  l'homme  le  plus  tin  se  décèle  en 
écoutant  trop  son  animosité.  M.  de  Choiseul  con- 
naissait bien  la  plaie  la  plus  cruelle  par  laquelle 
il  pût  déchirer  mon  cœur ,  et  il  ne  me  l'a  pas  épar- 
gnée :  mais  il  n'a  pas  vu  combien  cette  barbare 
vengeance  le  démasquait  et  devait  éventer  son 
complot.  Je  le  défie  de  pallier  jamais  cette  expédi- 
tion d'aucune  raison  ni  d'aucun  prétexte  qui  puisse 
contenter  un  homme  sensé.  On  saura  que  je  sus 


ANWÉE    1770-  ^47 

voir  le  premier  un  peuple  disciplinable  et  libre  où 
toute  l'Europe  ne  voyait  encore  qu'un  tas  de  re- 
belles et  de  bandits;  que  je  vis  germer  les  palmes 
de  cette  nation  naissante;  qu'elle  me  choisit  pour 
les  arroser ,  que  ce  choix  fit  son  inibrtune  et  la 
mienne  ;  que  ses  premiers  combats  furent  des  vic- 
toires; que,  n'ayant  pu  la  yaincré  ,  il  fallut  l'ache- 
ter. Quant  à  la  conclusion  qui  me  regarde,  on 
présumera  quelque  jour,  je  l'espère,  malgré  tous 
les  artifices  de  M.  de  Choiseul  ,  qu'il  n'y  avait 
qu'un  homme  estimable  qu'il  pût  haïr  avec  tant  de 
fureur. 

Voilà,  monsieur,  ce  qui  me  fait  prendre  mon 
parti  avec  plus  de  courage  que  n'en  semblait  an- 
noncer l'accablement  où  vous  m'avez  vu  ;  mais  je 
découvrais  alors  pour  la  première  fois  des  horreurs 
dont  je  n'avais  pas  la  moindre  idée,  et  auxquelles  il 
n'est  pas  même  permis  à  im  honnête  homme  d'être 
préparé.  Epouvanté  des  infernales  trames  dont  je 
me  sentais  enlacé,  je  donnais  trop  de  pouvoir  à 
l'imposture,  j'en  prolongeais  trop  loin  l'effet  sur 
l'avenir:  je  voyais  mon  nom,  qui  doit  me  survivre, 
couvert  par  elle  d'un  opprobre  éternel ,  au  lieu  de 
la  gloire  et  des  honneurs  que  je  sens  dans  mon 
cœur  m'être  dus;  je  frémissais  de  douleur  et  d'in- 
dignation à  cette  cruelle  image.  Aujourd'hui  que 
j'ai  eu  le  temps  dem'apprivoiser  avec  des  idées  qui 
m'étaient  si  nouvelles  ,  de  les  peser,  de  les  compa- 
rer ,  de  mettre  par  ma  raison  les  iniques  œuvres 
des  hommes  à  la  coupelle  du  temps  et  de  la  vérité , 
je  ne  crains  plus  que  le  vil  alliage  y  résiste  :  le 


^48  CORRESPONDANCE. 

soufre  et  le  plomb  s'en  iront  en  fumée,  et  l'or 
pur  demeurera  tôt  ou  tard  ,  quand  mes  ennemis , 
morts  ainsi  que  moi ,  ne  l'altéreront  plus.  Il  est 
impossible  que,  (Je  tant  de  trames  ténébreuses, 
quelqu'une  »u  moins  ne  soit  pas  enfin  dévoilée  au 
grand  jour  ;  et  c'en  est  assez  pour  juger  des  autres. 
Les  bons  ont  horreur  des  méchants  et  les  fuient, 
mais  ils  ne  brassent  pas  des  complots  contre  eux. 
Il  est  impossible  que,  revenus  de  la  haine  aveugle 
qu'on  leur  inspire ,  mes  semblables  ne  reconnais- 
sent pas  un  jour  dans  mes  ouvrages  un  homme 
qui  parla  d'après  son  cœur.  Il  est  impossible  qu'en 
blâmant  et  plaignant  lès  erreurs  où  j'ai  pu  tom- 
ber, ils  ne  louent  pas  mes  intentions,  qu'ils  ne 
bénissent  pas  ma  mémoire  ,  qu'ils  ne  s'attendris- 
sent pas  sur  mes  malheurs.  Une  seule  considération 
suffit  pour  me  rendre  la  tranquillité  que  m'ôtait 
l'effroi  d'une  ignominie  éternelle  ;  c'est  celle  de  la 
route  qu'ont  prise  ceux  qui  m'oppriment  pour 
égarer  à  leur  suite  la  génération  présente,  mais 
qui  n'égarera  sûrement  pas  la  postérité,  sur  la- 
quelle ils  n'auront  plus  l'ascendant  dont  ils  abu- 
sent. Ses  ennemis  ,  dira-t-on  ,  se  sont  attachés , 
comme  de  vils  corbeaux  ,  sur  son  cadavre  ;  mais 
jamais,  de  son  vivant,  aucun  d'eux  l'osa- t-il  atta- 
quer en  face?  Ils  le  prirent  en  traîtres:  ils  s'enfon- 
cèrent dans  des  souterrains  pour  creuser  des  gouf- 
fres sous  ses  pas ,  tandis  qu'il  marchait  à  la  lu- 
mière du  soleil,  et  qu'il  défiait  le  reproche  du 
crime  de  soutenir  ses  regards.  Quoi!  la  justice  et 
la  vérité  rampent-elles  ainsi  dans  les  ténèbres  ?  les 


ANNÉE    1770.  2/(9 

hommes  droits  et  vertueux  se  font-ils  ainsi  fourbes 
et  traîtres,  tandis  que  le  coupable  appelle  à  grands 
cris  ses  accusateurs?  Si  cette  considération  leur 
fait  reprendre  le  même  examen  avec  plus  d'impar- 
tialité ,  je  n'en  veux  pas  davantage.  Tranquillisé 
pour  l'avenir  sur  la  terre,  j'aspire  au  séjour  du 
repos,  où  les  œuvres  de  l'iniquité  ne  pénètrent 
pas  :  en  attendant ,  je  me  dois  d'approfondir  cet 
abominable  complot ,  s'il  m'est  possible  ;  c'est  tout 
ce  qui  me  reste  à  faire  ici  bas,  et  je  n'épargnerai 
pour  cela  rien  de  ce  qui  est  en  ma  faible  puissance. 
Je  sais  que  mon  naturel  craintif,  honteux,  timide, 
ne  me  promet  ni  sang  froid,  ni  présence  d'esprit, 
ni  mémoire,  quand  il  faudra  payel-  de  ma  personne 
et  confondre  les  imposteurs  ;  j'avoue  même  que 
l'indigne  rôle  auquel  je  me  vois  ravalé ,  et  pour 
lequel  la  nature  m'avait  si  peu  fait ,  me  donne  un 
frémissement  et  des  serrements  de  cœur  que  je  ne 
puis  vaincre,  et  dont  j'avirais  été  moins  subju- 
gué dans  de  plus  heureux  temps.  Il  y  a  dix  ans 
que  l'imputation  d'im  forfait  m'eût  fait  rire ,  et 
rien  de  plus;  mais  depuis  que  les  cruels  m'ont  ainsi 
défiguré,  sans  me  laisser  même  aucun  moven  de 
me  défendre ,  tout  injurieux  soupçon  que  je  lis 
dans  les  cœurs  plonge  le  mien  dans  un  trouble 
inexprimable.  Les  scélérats  endurcis  au  crime  ont 
d^s  fronts  d'airain  ,  mais  l'innocence  rougit  et 
pleure  en  se  voyant  couvrir  de  fange.  Une  ame 
noble  et  fière  a  beau  se  roidir  et  s'élever ,  un  tem- 
pérament timide  ne  peut  se  refondre  Dans  toutes 
les  situations  de  ma  vie  le  mien  me  subjugue  tour 


25o  CORRESPONDANCE. 

jours:  soit  forcé  de  parler  au  milieu  d'un  cercle, 
soit  tète  à  tête  agacé  par  une  femme  railleuse,  soit 
avili  dans  la  confrontation  d'un  impudent,  mon 
trouble  est  toujours  le  même,  et  le  courage  que 
je  sens  au  fond  de  mon  coeur  refuse  de  se  montrer 
sur  ma  contenance.  Je  ne  sais  ni  parler  ni  répondre  ; 
je  n'ai  jamais  su  trouver  qu'après  coup  la  chose 
que  j'avais  à  dire  ou  le  mot  qu'il  fallait  employer. 
Urbain  Grandier ,  dans  le  même  cas  que  moi ,  avait 
l'assurance  et  la  facilité  qui  me  manquent,  et  il 
périt:  j'aurais  tort  d'espérer  une  meilleure  desti- 
née. Mais  ce  n'est  pas  de  cela  qu'il  s'agit  :  que  je 
sache  à  tout  prix  de  quoi  je  suis  coupable;  que 
j'apprenne  enfin'  quel  est  mon  crime  ;  qu'on  m'en 
montre  le  témoignage  et  les  preuves,  ces  invin- 
cibles preuves  qui,  bien  qu'administrées  si  secrète- 
ment et  par  des  mains  si  suspectes ,  n'ont  laissé  le 
moindre  doute  à  personne ,  et  sur  lesquelles  ame 
vivante  n'a  même  imaginé  qu'il  fut  pourtant  bon 
de  savoir  si  je  n'avais  rien  à  dire  ;  enfin  qu'on 
daigne  ,  je  ne  dis  pas  me  convaincre  ,  mais  m'ac- 
cuser  moi  présent" ,  et  je  meurs  content. 

Eh!  que  reste-t-il  ici-bas  pour  me  faire  aimer  à 
vivre  ?  Déjà  vieux ,  souffrant ,  sans  ami ,  sans  appui , 

"  Je  suis  persuadé  qu'il  y  a  sous  tout  cela  quelque  équivoque, 
quelque  malentendu,  quelque  adroit  mensonge,  sur  lequel  un  mot 
peut-être  serait  un  tiait  de  lumière  qui  frapperait  tout  le  monde ,  et 
démasquerait  les  imposteurs.  Ils  le  sentent  et  le  craignent  sans  doute; 
aussi  paraît-il  qu'ils  ont  mis  toute  l'adresse ,  toute  la  ruse  ,  toute  la 
sagacité  de  leur  esprit  à  chercher  des  raisons  plausibles  et  spécieuses 
pour  prévenir  toute  explication.  Cependant  comment  ont-ils  pu  cou- 
vrir l'iniquité  de  cette  conduite  jusqu'à  tromper  les  gens  de  bon  sens? 
Voilà  ce  qui  me  passe. 


ANNÉE    1770.  25l 

sans  consolation  ,  sans  ressource ,  voilà  la  pauvreté 
prête  à  me  talonner;  et  quand  on  m'aurait  laissé 
même  la  liberté  d'employer  mes  talents  à  gagner 
mon  pain,  de  quoi  jouirais -je  en  le  mangeant? 
Quoi!  voir  toujoiu-s  des  hommes  faux,  haineux, 
malveillants!  toujours  des  masqués,  toujours  des 
traîtres  !  et  loin  de  vous,  pas  un  seul  visage  d'homme  ! 
pius  d'épanchements  dans  le  sein  d'un  ami,  plus 
de  ceë  doux  sentiments  qu'une  longue  habitude 
rend  délicieux!  Ah!  la  vie  à  ce  prix  m'est  insup- 
portable; et,  quand  sa  fin  ne  serait  que  celle  de 
mes  peines, je  désirerais  d'en  sortir  :mais  elle  sera 
le  commencement  de  cette  félicité  pour  laquelle 
je  me  sentais  né,  et  que  je  cherchai  vainement 
STU'  la  terre.  Que  j'aspire  à  cette  heureuse  époque, 
et  que  j'aimerai  quiconque  m'y  fera  parvenir!  J'é- 
tais homme ,  et  j'ai  péché  ;  j'ai  fait  de  grandes  fautes 
que  j'ai  bien  expiées,  mais  le  crime  jamais  n'ap- 
procha de  mon  cœur.  Je  me  sèïis  juste  ,  bon  ,  ver- 
tueux ,  autant  qu'homme  qui  soit  sur  la  terre  : 
voilà  le  motif  de  mon  espérance  et  de  ma  sécurité. 
Quoique  je  paraisse  absolument  oublié  de  la  Pro- 
vidence, je  n'en  désespérerai  jamais.  Que  ses  ré- 
compenses pour  les  bons  doivent  être  belles,  puis- 
qu'elle les  néglige  à  ce  point  ici -bas!  J'avoue 
pourtant  qu'en  la  voyant  dormir  si  long-temps,  il 
me  prend  des  moments  d'abattement  :  ils  sont 
rares,  ils  ne  durent  guère,  et  ne  changent  rien  à 
ma  disposition.  J'espère  que  la  mort  ne  viendra 
pas  dans  un  de  ces  tristes  moments  ;  mais  quand 
elle  y  viendrait ,  elle  me  serait  moins  consolante , 


2t5a  CORRESPONDANCE. 

sans  m'ètre  plus  redoutable.  Je  me  dirais  :  Je  ne 
serai  rien ,  ou  je  serai  bien  ;  cela  vaut  toujours 
mieux  pour  moi  que  cette  vie. 

La  mort  est  douce  aux  malheureux  ;  la  souf- 
france est  toujours  cruelle  :  par  là  je  reste  ici-bas 
à  la  merci  des  méchants.  Mais  enfin  que  me  peu- 
vent-ils faire?  Ils  ne  me  feront  pas  plus  souffrir 
que  ne  fit  la  néphrétique;  et  j'ai  fait  là-dessus 
l'essai  de  mes  forces.  Si  mes  maux  sont  longs,  ils 
exerceront  mon  ame  à  la  patience ,  à  la  constance, 
au  courage;  ils  lui  feront  mériter  le  prix  destiné 
à  la  vertu;  et  au  jour  de  ma  mort,  qu'il  faudra 
bien  enfin  qui  vienne ,  mes  persécuteurs  m'auront 
rendu  service  en  dépit  d'eux.  Pour  quiconque 
en  est  là,  les  hommes  ne  sont  plus  guère  à  craindre. 
Aussi  M.  de  Choiseul  peut  jouer  de  son  reste  avec 
toute  sa  puissance.  Tant  qu'il  ne  changera  pas  la  na- 
ture des  choses,  tant  qu'il  n'ôtera  pas  de  ma  poitrine 
le  cœur  de  Jean-Jacques  Rousseau  pour  y  mettre 
celui  d'un  malhonnête  homme,  je  le  mets  au  pis. 

Monsieur,  j'ai  vécu  :  je  ne  vois  plus  rien  ,  même 
dans  l'ordre  des  possibles,  qui  pût  me  donner  en- 
core sur  la  terre  un  moment  de  vrai  plaisir.  On 
m'offrirait  ici  bas  le  choix  de  ce  que  j'y  veux 
être,  que  je  répondrais,  mort.  Rien  de  ce  qui  flat- 
tait mon  cœur  ne  peut  plus  exister  pour  moi.  S'il 
me  reste  un  intervalle  encore  jusqu'à  ce  moment 
si  lent  à  venir,  je  le  dois  à  l'honneur  de  ma  mé- 
moire. Je  veux  tâcher  que  la  fin  de  ma  vie  honore 
son  cours  et  y  réponde.  Jusqu'ici  j'ai  supporté  le 
malheur;  il  me  reste  à  savoir  supporter  la  capti- 


ANNÉE    1770.  253 

vite,  la  douleur,  la  mort  :  ce  n'est  pas  le  plus  dif- 
ficile ;  mais  la  dérision ,  le  mépris  ,  l'opprobre , 
apanage  ordinaire  de  la  vertu  parmi  les  méchants, 
dans  tous  les  points  par  où  l'on  pourra  me  les  faire 
sentir.  J'espère  qu'un  jour  on  jugera  de  ce  que  je 
fus  par  ce  que  j'ai  su  souffrir.  Tout  ce  que  vous 
m'avez  dit  pour  me  détourner,  quoique  plein  de 
sens,  de  vérité,  d'éloquence,  n'a  fait  qu'enflammer 
mon  courage  :  c'est  un  effet  qu'il  est  naturel  d'é- 
prouver près  de  vous;  et  je  n'ai  pas  peur  que 
d'autres  m'ébranlent  quand  vous  ne  m'avez  pas 
ébranlé.  Non,  je  ne  trouve  rien  de  si  grand,  de  si 
beau ,  que  de  souffrir  pour  la  vérité.  J'envie  la 
gloire  des  martyrs.  Si  je  n'ai  pas  en  tout  la  même 
foi  qu'eux,  j'ai  la  même  innocence  et  le  même 
zèle,  et  mon  cœur  se  sent  digne  du  même  prix. 

Adieu,  monsieur.  Ce  n'est  pas  sans  un  vrai  re- 
gret que  je  me  vois  à  la  veille  de  m'éloigner  devons. 
Avant  de  vous  quitter  j'ai  voulu  du  moins  goûter 
la  douceur  d'épancher  mon  cœur  dans  celui  d'un 
homme  vertueux.  C'est,  selon  toute  apparence, 
un  avantage  que  je  ne  retrouverai  de  longr temps. 

Rousseau.* 

NOTE  OUBLIÉE  DANS  MA  LETTRE  A  M.    DE  SAINT-GERMAITf. 

Je  nie  souviens  d'avoir,  étant  jeune,  employé  le  vers 
suivant  dans  une  comédie  : 

C'est  en  le  trahissant  qu'il  faut  punir  un  traître. 

Mais ,  outre  que  c'était  dans  un  cas  très-excusable ,  et  où 
il  ne  s'agissait  point  d'une  véritable  trahison,  ce  vers, 
échappé  dans  la  rapidité  de  la  composition,  dans  vme 


a54  CORRESPONDANCE. 

pièce  non  publique  et  non  corrigée ,  ne  prouve  point  que 
l'auteur  pense  ce  qu'il  fait  dire  à  une  femme  jalouse ,  et 
ne  fait  autorité  pour  personne.  S'il  est  permis  de  trahir 
les  traîtres, -ce  n'est  qu'aux  gens  qui  leur  ressemblent; 
mais  jamais  les  armes  des  méchants  ne  souillèrent  les 
mains  d'un  honnête  homme.  Comme  il  n'est  pas  permis 
de  mentir  <à  un  menteur ,  il  est  encore  moins  permis  de 
trahir  un  traître  :  sans  cela ,  toute  la  morale  serait  sub- 
vertie,  et  la  vertu  ne  serait  plus  qu'un  vain  nom;  car  le 
nombre  des  malhonnêtes  gens  étant  malheureusement 
le  plus  grand  sur  la  terre ,  si  l'on  se  permettait  d'adopter 
vis-à-vis  d'eux  leurs  propres  maximes ,  on  serait  le  plus 
souvent  malhonnête  homme  soi-même,  et  l'on  en  vien- 
drait bientôt  à  supposer  toujours  que  l'on  a  affaire  à  des 
coquins,  afin  de  s'autoriser  à  l'être. 

Observation.  —  Cette  longue  lettre  dans  laquelle  Roussea-u 
donne  des  détails  sur  sa  conduite  antérieure,  sur  ses  goûts  et 
ses  ouvrages,  est  un  complément  des  confessions.  Il  en  parut 
quelques  fragments,  en  1798,  dans  le  Consc7-\'ateur  ou  Biblio- 
thèque choisie  de  littérature.  Ou  supprime  les  noms  et  l'on  dé- 
nature plusieurs  passages.  Comme  les  personnages  dont  parle 
Jean-.Tacqucs  étaient  tous  morts  à  cette  époque,  on  ne  devine 
pas  le  motif  de  cette  discrétion  ou  de  cette  infidélité. 


LETTRE   CMXIÏl.     . 

A  M.  L'ABBÉ  M. 

Monquin ,  17-2-70. 
PauvTes  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Votre  précédente  lettre,, monsieur,  m'en  pro- 
mettait si  bien  une  seconde,  et  j'étais  si  sur  qu'elle 
viendrait,  que,  quoique  je   me  crusse  obligé  de 


A.NNÉE    177*^-  ^^^ 

VOUS  tirei«^de  l'erreur  où  je  vous  voyais,  j'aimai 
mieux  tarder  de  remplir  ce  devoir  que  de  vous  ôter 
ce  plaisir  si  doux  aux  cœurs  honnêtes  de  réparer 
leur  tort  de  leur  propre  mouvement  *. 

La  bizarre  manière  de  dater  qui  vous  a  scanda- 
lisé est  uiie  formule  générale  dont  depuis  quelque 
temps  j'use  indifféremment  avec  tout  le  monde  , 
qui  n'a  ni  ne  peut  avoir  aucun  trait  aux  personnes  à 
qui  j'écris j  puisque  ceux  qu'elle  regarde  ne  sont 
pas  faits  pour  être  honorés  de  mes  lettres,  et  ne  le 
seront  sûrement  jamais.  Comment  m'avez-vous  pu 
croire  assez  brutal ,  assez  féroce ,  pour  vouloir  in- 
sulter ainsi  de  gaieté  de  cœur  quelqu'un  que  je  ne 
connaissais  que  par  une  lettre   pleine  de  témoi- 
gnages d'estmie  pour  moi ,  et  si  propre  à  m'en  in- 
spirer pour  lui?  Cette  erreur  est  là-dessus' tout  ce 
dont  je  peux  me  plaindre  ;  car,  si  ce  n'en  eût  pas 
été  une,  votre  ressentiment  devenait  très-légitime , 
et  votre  quatrain  trèsi-mérité  :  si  même  j'avais  quel- 
que autre  reproche  à  vous  faire ,  ce  serait  sur  le 
ton  de  votre  lettre  qui  cadrait  si  mal  avec  celui  de 
votre  quatrain.  Quoique  dans  votre  opinion  je  vous 
en  eusse  donné  l'exemple,  deviez-vous  jamais  l'imi- 
ter? ne  deviez-vous  pas,  au  contraire,  être  encore 
plus  indigné  de  l'ironie  et  de  la  fausseté   détes- 
table   que  cette  contradiction   mettait  dans   ma 
lettre?  et  la  vertu  (doit-elle  jamais  souiller  ses  mains 

Pour  l'intelligence  de  cette  phrase  et  de  celles  qui  la  suivent,  il 
faut  savoir  que  la  personne  à  qui  cette  seconde  lettre  était  adreftée 
avait  mis  en  tête  de  sa  réponse  à  la  première  un  quatrain  qui  sem- 
blait annoncer  qu'elle  avait  pris  en  mauvaise  part  celui  de  M.  Rous- 
seau, ce  qui  cependant  n'était  pas.  {Note  de.i  éditeurs  de  Genève.) 


256  CORRESPONDANCE. 

innocentes  avec  les  armes  des  méchaiïts,  même 
pour  repousser  leurs  atteintes  ?  Je  vous  avoue 
franchement  que  je  vous  ai  bien  plus  aisément  par- 
donné le  quatrain  que  le  corps  de  la  lettre;  je  passe 
les  injures  dans  la  colère ,  mais  j'ai  peine  à  passer 
les  cajoleries.  Pardon ,  monsieur ,  à  mon  tour  :  j'use 
peut-être  un  peu  durement  des  droits  de  mon  âge, 
mais  je  vous  dois  la  vérité  depuis  que  vous  m'avez 
inspiré  de  l'estime  ;  c'est  un  bien  dont  je  fais  trop 
de  cas  pour  laisser  passer  en  silence  rien  de  ce 
qui  peut  l'altérer.  A  présent  oublions  pour  ja- 
mais ce  petit  démêlé ,  je  vous  en  prie ,  et  ne  nous 
souvenons  que  de  ce  qui  peut  nous  rendre  plus  in- 
téressants l'un  à  l'autre  par  la  manière  dont  il  a  fini. 
Revenons  à  votre  emploi.  S'il  est  vrai  que  vous 
ayez  adopté  le  plan  que  j'ai  tâché  de  tracer  dans 
V É mile, ]Rdmire  votre  courage;  car  vous  avez  trop 
de  lumières  pour  ne  pas  voir  que,  dans  un  pareil 
système ,  il  faut  tout  ou  rien ,  jet  qu'il  vaudrait  cent 
fois  mieux  reprendre  le  train  des  éducations  ordi- 
naires, et  faire  un  petit  talon  rouge,  que  de  suivre 
à  demi  celle-là  pour  ne  faire  qu'uii  homme  manqué. 
Ce  que  j'appelle  tout,  n'est  pas  de  suivre  servile- 
ment mes  idées  ;  au  contraire ,  c'est  souvent  de  les 
corriger ,  mais  de  s'attacher*  aux  principes ,  et  d'en 
suivre  exactement  les  conséquences  avec  les  modi- 
fications qu'exige  nécessairement  toute  application 
particulière.  Vous  ne  pouvez  ignorer  quelle  tâche 
immense  vous  vous  donnez  :  aous  voilà  pendant 
dix  ans  au  moins  nul  pour  vous-même,  et  li- 
vré tout  entier  avec  toutes  vos  facultés  à  votre 


ANNliE    1770-  2.57 

élève  ;  vigilance ,  patience,  fermeté,  voilà  surtout 
trois  qualités  sur  lesquelles  vous  ne  sauriez  vous 
relâcher  un  seul  instant  sans  risquer  de  tout 
perdre;  oui,  de  tout  perdre,  entièrement  tout  : 
un  moment  d'impatience,  de  négligence  ou  d'ou- 
bli ,  peut  vous  ôter  le  fruit  de  six  ans  de  travaux , 
sans  qu'il  vous  en  reste  rien  du  tout,  pas  même 
la  possibilité  de  le  recouvrer  par  le  travail  de  dix 
autres.  Certainement  s'il  y  a  quelque  chose  qui  mé- 
rite le  nom  d'héroïque  et  de  grand  parmi  les 
hommes,  c'est  le  succès  des  entreprises  pareilles  à 
la  vôtre  ;  car  le  succès  est  toujours  proportionné 
à  la  dépense  de  talents  et  de  vertus  dont  on  l'a 
acheté  :  mais  aussi  quel  don  vous  aurez  fait  à  vos 
semblables,  et  quel  prix  pour  vous-même  de  vos 
grands  et  pénibles  travaux!  Vous  vous  serez  fait 
un  ami ,  car  c'est  là  le  terme  nécessaire  du  respect , 
de  l'estime  ,  et  de  la  reconnaissance  dont  vous  l'au- 
rez pénétré.  Voyez ,  monsieur....  dix  ans  de  travaux 
immenses ,  et  toutes  les  plus  douces  jouissances 
de  la  vie  pour  le  reste  de  vos  jours  et  au-delà  : 
voilà  les  avances  que  vous  avez  faites,  et  voilà  le 
prix  qui  doit  les  payer.  Si  vous  avez  besoin  d'en- 
couragement dans  cette  entreprise  ,  vous  me  trou- 
verez toujours  prêt  ;  si  vous  avez  besoin  de  con- 
seils, ils  sont  désormais  au-dessus  de  mes  forces. 
Je  ne  puis  vous  promettre  que  de  la  bonne  volonté; 
mais  vous  la  trouverez  toujours  pleine  et  sincère  : 
soit  dit  une  fois  pour  toutes ,  et  lorsque  vous  me 
croirez  bon  à  quelque  chose ,  ne  craignez  pas  de 
m'importuner.  Je  vous  salue  de  tout  mon  cœur» 
R.  xxii.  ly 


•258  CORRESPONDANCE. 

LETTRE   CMXIV. 

A   M.    DE    SAINT-GERMAIN. 

Monquin ,  le  17-^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Votre  lettre,  monsieur, m'attendrit  et  me  touche; 
je  croyais  n'être  plus  susceptible  de  plaisir,  et  vous 
venez  de  m'en  donner  un  -moment  bien  pur.  Il 
n'est  troublé  que  par  le  regret  de  ne  pas  pouvoir 
me  rendre  à  vos  généreuses  et  obligeantes  sollici- 
tations; mais  mon  parti  est  pris.  Je  connais  trop 
les  gens  à  qui  j'ai  affaire  pour  croire  qu'ils  me 
laisseront  exécuter  mon  projet;  je  m'attends  d'a- 
vance à  ce  qui  doit  m'arriver  :  je  ne  me  dois  pas 
le  succès,  il  est  dans  les  mains  de  la  Providence; 
mais  je  me  dois  la  tentative  et  l'emploi  de  mes 
forces  :  rien  ne  m'empêchera  de  remplir  ce  devoir. 

Je  ne  suis  point  encore  dans  la  situation  que  vos 
offres  généreuses  vous  font  prévenir ,  ni  même 
près  d'y  tomber;  je  prévois  seulement  que  si  j'a- 
vançais dans  la  vieillesse ,  elle  me  deviendrait  dure 
à  plus  d'un  égard ,  et  c'est  moins  là  pour  moi  un 
sujet  d'alarme  qu'une  consolation  de  n'y  pas  par- 
venir. Je  crois  si  bien  connaître  votre  ame  noble, 
que ,  dans  la  situation  supposée  ,  je  vous  aurais  de 
moi-même  prouvé  la  vérité  de  mes  sentiments 
pour  vous  en  vous  mettant  dans  le  cas  d'exercer 
les  vôtres. 


ANNÉE    1770.  '^59 

Si  la  crainte  de  contrister  votre  bon  cœur  m'em-^ 
pêche,  monsieur,  de  suivre  les  mouvements  du 
mien  dans  les  adieux  que  je  désirais  vous  aller 
faire,  je  sens  ce  que  me  coûtera  cette  déférence; 
mais  je  sens  aussi ,  dans  la  résolution  que  j'ai  prise, 
le  danger  de  l'exposer  à  des  attaques  d'autant 
plus  redoutables ,  que  mon  penchant  ne  seconde- 
rait que  trop  bien  vos  efforts.  Adieu  donc ,  homme 
respectable;  je  partirai  sans  vous  voir,  puisqu'il 
le  faut,  mais  vous  laissant  la  meilleure  partie  de 
moi-même  dans  les  sentiments  d'un  cœur  toujours 
plein  de  vous. 


LETTRE  CMXV. 

A  M.   DU  PEYROU. 

A  Monquin,  le  17^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Vous  me  marquez ,  mon  cher  hôte ,  que  votre 
rôle  est  passif  vis-à-vis  de  moi ,  que  l'habitude  a 
dû  vous  le  rendre  familier,  et  que  ma  réponse 
vous  prouve  cette  vérité  affligeante  pour  l'huma- 
nité, que  les  battus  paient  encore  l'amende  ;  ce 
qui  veut  dire  que  c'est  vous  qui  êtes  le  battu ,  et 
que  c'est  vous  qui  payez  l'amende. 

Qu'entre  nous  votre  rôle  soit  passif  et  le  mien 
actif,  voilà,  je  vous  avoue,  ce  qui  me  passe.  Je 
ne  vous  propose  jamais  rien ,  je  ne  vous  demande 

^7- 


^6o  CORRESPOND  A  NCE. 

jamais  rien  ,  je  ne  fais  jamais  que  vous  répondie, 
je  ne  me  mêle  en  aucune  sorte  de  vos  affaires,  je 
n'ai  avec  personne  aucune  relation ,  ni  secrète  ni 
publique,  qui  vous  regarde,  je  ne  dispose  de  rien 
qui  vous  appartienne  ;  enfin ,  excepté  un  sentiment 
d'affection  qui  ne  peut  s'éteindre,  je  suis  pour 
vous  comme  n'existant  pas.  En  quel  sens  donc 
puis-je  être  actif  vis-à-vis  de  vous?  Je  le  fus  une 
fois,  et  bien  vous  en  prit.  Depuis  lors  je  résolus 
de  ne  plus  l'être.  Je  crois  avoir  tenu  jusqu'ici 
cette  résolution ,  et  ne  la  tieiidrai  pas  moins  dans 
la  suite.  Expliquez-moi  donc,  je  vous  prie,  com- 
ment vous  êtes  passif  vis-à-vis  de  moi;  car  cela  me 
parait  curieux  à  savoir. 

Dans  votre  précédente  lettre,  vous  m'exhortez 
à  un  épanchement  de  cœur,  en  me  disant  de  vous 
traiter  tout-à-fait  en  ami  ou  tout-à-fait  en  étranger. 
Votre  devise  sur  le  cachet  de  cette  même  lettre 
m'avertissait  que  vous  vous  faisiez  gloire  de  n'a- 
voir vous-même  aucun  de  ces  épanchements  de 
cœur  auxquels  vous  m'exhortiez.  Or  il  me  parais- 
sait injuste  d'exiger  dans  l'amitié  des  conditions 
qu'on  n'y  veut  pas  mettre  soi-même  ;  et  me  dire 
que  c'est  traiter  un  homme  en  étranger  que  de  ne 
pas  s'ouvrir  avec  lui,  c'était  me  dire  assez  claire- 
ment, ce  me  semble,  en  quel  rang  j'étais  auprès 
de  vous.  Votre  exemple  a  fait  la  règle  de  ma  ré- 
ponse. Si  vous  êtes  le  battu  dans  cette  affaire, 
convenez  au  moins  que  je  n'ai  fait  que  vous  rendre 
les  coups  que  vous  m'aviez  donnés  le  premier. 

Je  n'avais  pas  besoin,  mon  cher  hôte,   de  la 


ANNÉE    1770.  261 

note  que  vous  m'avez  envoyée  pour  être  convaincu 
de  votre  exactitude  dans  les  comptes.  Cette  note 
me  fait  plaisir,  en  ce  que  j'y  vois  approcher  le 
temps  où  nous  serons  tout-à-fait  quittes,  et  vous 
me  faites  désirer  de  vivre  au  moins  jusque-là,  11 
n'est  pas  temps  encore  de  parler  des  arrangements 
ultérieurs,  et  tant  de  prévoyance  n'entre  pas  dans 
mon  tour  d'esprit.  Mais,  en  attendant,  je  suis 
sensible  à  vos  offres,  et  il  entre  bien  dans  mon 
cœur,  je  vous  assure,  d'en  être  reconnaissant. 

Comme  je  me  propose  de  déloger  d'ici  dans 
peu ,  mon  dessein  n'est  pas  d'y  laisser  après  moi 
mon  herbier  et  mes  livres  de  botanique  ;  je  compte 
prendre  une  charrette  pour  faire  conduire  le  tout 
à  Lyon,  chez  madame  Boy  de  La  Tour,  où  tout 
cela  sera  plus  à  portée  de  vous  parvenir  sans  em- 
barras. En  emballant  lesdits  livres ,  j'en  ferai  le 
catalogue,  et  vous  l'enverrai.  Que  ne  puis-je  les 
suivre  auprès  de  vous!  Je  vous  jure  qu'il  n'y  a 
point  de  jour  où  l'idée  d'aller  être  l'intendant  de 
votre  jardin  de  plantes  et  l'hôte  de  mon  hôtesse , 
ne  vienne  encore  chatouiller  mon  cœur.  Mais  je 
suis  pourtant  un  peu  scandalisé  de  ne  point  voir 
venir  de  petits  hôtes  qui  lui  aident  un  jour  à  me 
faire  ses  honneurs.  Adieu,  mon  cher  hôte,  ma 
femme  et  moi  vous  saluons ,  et  embrassons  l'un 
et  l'autre.  Elle  est  presque  percluse  de  rhuma- 
tismes. Notre  demeure  est  ouverte  à  tous  les  vents , 
nous  sommes  presque  ensevelis  dans  la  neige,  et 
nous  ne  savons  plus  comment  ni  quand  cela  finira. 
Adieu,  derechef. 


262  CORRESPONDANCE. 

Je  signe ,  afin  que  vous  sachiez  désormais  sous 
quel  nom  vous  avez  à  m'écrire.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  vous  avertir  que  le  quatrain  joint  à  la  date  est 
une  formule  générale  qui  n'a  nul  trait  aux  per- 
sonnes à  qui  j'écris. 


LETTRE   CMXVI. 

A  M.  DE  BELLOY. 


Monquin;  le  17-^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Il  faut ,  monsieur ,  vous  résoudre  à  bien  de 
l'ennui,  car  j'ai  grand'peur  de  vous  écrire  une 
longue  lettre. 

Que  vous  m'avez  rafraîchi  le  sang ,  et  que  j'aime 
votre  colère!  J'y  vois  bien  le  sceau  de  la  vérité 
dans  une  ame  fière,  que  le  patelinage  des  gens 
qui  m'entourent  marque  encore  plus  fortement  à 
mes  yeux.  Vous  avez  daigné  me  faire  sentir  mon 
tort;  c'est  une  indulgence  dont  je  sens  le  prix,  et 
que  je  n'aurais  peut-être  pas  eue  à  votre  place  :  il 
ne  m'en  reste  que  le  désir  de  vous  le  faire  oublier. 
Je  fus  quarante  ans  le  plus  confiant  des  hommes , 
sans  que  durant  tout  ce  temps  jamais  une  seule 
fois  cette  confiance  ait  été  trompée.  Sitôt  que  j'eus 
pris  la  plume,  je  me  trouvai  dans  un  autre  uni- 
vers, parmi  de  tout  autres  êtres,  auxquels  je  con- 


ANNÉE    1770.  '26'i 

tiiiuai  de  donner  la  même  confiance ,  et  qui  m'en 
ont  si  terriblement  corrigé  qu'ils  m'iont  jeté  dans 
l'autre  extrémité.  Rien  ne  m'épouvanta  jamais  au 
grand  jour,  mais  tout  m'effarouche  dans  les  té- 
nèbres qui  m'environnent,  et  je  ne  vois  que  du 
noir  dans  l'obscurité.  Jamais  l'objet  le  plus  hideux 
ne  me  fit  peur  dans  mon  enfance,  mais  une  figure 
cachée  sous  un  drap  blanc  me  donnait  des  con- 
vulsions :  sur  ce  point  ,  comme  sur  beaucoup 
d'autres,  je  resterai  enfant  jusqu'à  la  mort.  Ma  dé- 
fiance est  d'autant  plus  déplorable  que,  presque 
toujours  fondée  (et  je  u  ajoute  presque  qu'à  cause 
de  vous  ),  elle  est  toujours  sans  bornes ,  parce  que 
tout  ce  qui  est  hors  de  la  nature  n'en  connaît  plus. 
Voilà,  monsieur,  non  l'excuse,  mais  la  cause  de 
ma  faute,  que  d'autres  circonstances  ont  amenée, 
et  même  aggravée ,  et  qu'il  faut  bien  que  je  vous  dé- 
clare pour  ne  pas  vous  tromper.  Persuadé  qu'un 
homme  puissant  vous  avait  fait  entrer  dans  ses 
vues  à  mon  égard,  je  répondis  selon  cette  idée  à 
quelqu'un  qui  m'avait  parlé  de  vous,  et  je  répon- 
dis avec  tant  d'imprudence  que  je  nommai  même 
l'homme  en  question.  Né  avec  un  caractère  bouil- 
lant dont  rien  n'a  pu  calmer  l'effervescence,  mes 
premiers  mouvements  sont  toujours  marqués  par 
une  étourderie  audacieuse  ,  que  je  prends  alors 
pour  de  l'intrépidité,  et  que  j'ai  tout  le  temps  de 
pleurer  dans  la  suite,  surtout  quand  elle  est  in- 
juste ,  comme  dans  cette  occasion.  Fiez -vous  à 
mes  ennemis  du  soin  de  m'en  punir.  Mon  repentir 
anticipa  même  sur  leurs  soins  à  la  réception  de 


264  COllllESPONDANCi;. 

votre  lettre;  un  jour  plus  tôt  elle  m'eût  épargné 
beaucoup  desottises;  mais  puisqu'elles  sont  faites, 
il  ne  me  reste  qu'à  les  expier  et  à  tâcher  d'en  ob- 
tenir le  pardon,  que  je  vous  demande  par  la  com- 
misération due  à  mon  état. 

Ce  que  vous  me  dites  des  imputations  dont  vous 
m'avez  entendu  charger ,  et  du  peu  d'effet  qu'elles 
ont  fait  sur  vous ,  ne  m'étonne  que  par  l'imbécil- 
lité de  ceux  qui  pensaient  vous  surprendre  par 
cette  voie.  Ce  n'est  pas  sur  des  hommes  tels  que 
vous  que  des  discours  en  l'air  ont  quelque  prise , 
mais  les  frivoles  clameurs  de  la  calomnie ,  qui  n'ex- 
citent guère  d'attention ,  sont  bien  différentes  dans 
leurs  effets ,  des  complots  tramés  et  concertés  du- 
rant longues  années  dans  un  profond  silence ,  et 
dont  les  développements  successifs  se  font  lente- 
ment, sourdement,  et  avec  méthode.  Vous  parlez 
d'évidence  :  quand  vous  la  verrez  contre  moi,  ju- 
gez-moi, c'est  votre  droit;  mais  n'oubliez  pas  de 
juger  aussi  mes  accusateurs  ;  examinez  quel  motif 
leur  inspire  tant  de  zèle.  J'ai  toujours  vu  que  les 
méchants  inspiraient  de  l'horreur ,  mais  point  d'a- 
nimosité.  On  les  punit,  ou  on  les  fuit  :  mais  on  ne 
se  tourmente  pas  d'eux  sans  cesse;  on  ne  s'occupe 
pas  sans  cesse  à  les  circonvenir,  à  les  tromper,  à 
îes  trahir  ;  ce  n'est  point  à  eux  que  l'on  fait  ces 
choses-là ,  ce  sont  eux  qui  les  font  aux  autres.  Dites 
donc  à  ces  honnêtes  gens  si  zélés ,  si  vertueux ,  si 
fiers  surtout  d'être  des  traîtres,  et  qui  se  masquent 
avec  tant  de  soin  pour  me  démasquer  :  «  Messieurs, 
«j'admire  votre  zèle,  et  vos  preuves  me  paraissent 


A.WJNÉE    l']']0.  265 

«  sans  réplique  ;  mais  pourquoi  clone  craindre  si 
«  fort  que  l'accusé  ne  les  sache  et  n'y  réponde  ? 
«  Permettez  que  je  l'en  instruise  et  que  je  vous 
«  nomme.  Il  n'est  pas  géitéreux,  il  n'est  pas  même 
«juste  de  diffamer  un  homme,  quel  qu'il  soit,  en 
«se  cachant  de  lui.  C'est,  dites-vous  par  ménage- 
«  ment  pour  lui  que  vous  ne  voulez  pas  le  con- 
«  fondre  ;  mais  il  serait  moins  cruel ,  ce  me  semble , 
«  de  le  confondre  que  de  le  diffamer,  et  de  lui  oter 
«  la  vie  que  de  la  lui  rendre  insupportable.  Tout 
«  hypocrite  de  vertu  doit  être  publiquement  con- 
«  fondu  ;  c'est  là  son  vrai  châtiment  ;  et  l'évidence 
«  elle-même  est  suspecte  quand  elle  élude  la  cou- 
rt viction  de  l'accusé.  »  En  leur  parlant  de  la  sorte 
examinez  leur  contenance  ,  pesez  leur  réponse  ; 
suivez ,  en  la  jugeant ,  les  mouvements  de  votre 
cœur  et  les  lumières  de  votre  raison  :  voilà,  mon- 
sieur, tout  ce  que  je  vous  demande ,  et  je  me  tiens 
alors  pour  bien  jugé. 

Vous  me  tancez ,  avec  grande  raison  ,  sur  la  ma- 
nière dont  je  vous  parais  juger  votre  nation  :  ce 
n'est  pas  ainsi  que  je  la  juge  de  sang  froid,  et  je 
suis  bien  éloigné,  je  vous  jure,  de  lui  rendre  l'in- 
justice dont  elle  use  envers  moi.  Ce  jugement  trop 
dur  était  l'ouvrage  d'un  moment  de  dépit  et  de 
colère ,  qui  même  ne  se  rapportait  pas  à  moi ,  mais 
au  grand  homme  qu'on  vient  de  chasser  de  sa 
naissante  patrie ,  qu'il  illustrait  déjà  dans  son  ber- 
ceau, et  dont  on  ose  encore  souiller  les  vertus 
avec  tant  d'artifice  et  d'injustice.  S'il  restait,  me  di- 
sais-je,  de  ces  Français  célébrés  par  de  Belloy,  pour- 


ii66  CORRESPONDANCE. 

« 

quoi  leur  indignation  ne  réclamerait  -  elle  point 
contre  ces  manœuvres  si  peu  dignes  d'eux? 

C'est  à  cette  occasion  que  Bayard  me  revint  en 
mémoire,  bien  sûr  de  c«  qu'il  dirait  ou  ferait  s'il 
vivait  aujourd'hui.  Je  ne  sentais  pas  assez  que  tous 
les  hommes  ,  même  vertueux ,  ne  sont  pas  des 
Bayards  ;  qu'on  peut  être  timide  sans  cesser  d'être 
juste;  et  qu'en  pensant  à  ceux  qui  machinent  et 
crient,  j'avais  tort  d'oublier  ceux  qui  gémissent  et 
se  taisent.  J'ai  toujours  aimé  votre  nation,  elle  est 
même  celle  de  l'Europe  que  j'honore  le  plus  ;  non 
que  j'y  croie  apercevoir  plus  de  vertus  que  dans 
les  autres ,  mais  par  un  précieux  reste  de  leur 
amour  qui  s'y  est  conservé ,  et  que  vous  réveillez 
quand  il  était  prêt  à  s'éteindre.  Il  ne  faut  jamais 
désespérer  d'un  peuple  qui  aime  encore  ce  qui  est 
juste  et  honnête,  quoiqu'il  ne  le  pratique  plus.  Les 
Français  auront  beau  applaudir  aux  traits  héroï- 
ques que  vous  leur  présentez ,  je  doute  qu'ils  les 
imitent;  mais  ils  s'en  transporteront  dans  vos  pièces, 
et  les  aimeront  dans  les  autres  hommes ,  quand  on 
ne  les  empêchera  pas  de  les  y  voir.  On  est  encore 
forcé  de  les  tromper  pour  les  rendre  injustes  ;  pré- 
caution dont  je  n'ai  pas  vu  qu'on  eût  grand  besoin 
pour  d'autres  peuples.  Voilà,  monsieur,  comment 
je  pense  constamment  à  l'égard  des  Français,  quoi- 
que je  n'attende  plus  de  leur  part  qu'injustice, 
outrages ,  et  persécution  ;  mais  ce  n'est  pas  à  la  na- 
tion que  je  les  impute,  et  tout  cela  n'empêche  pas 
que  plusieurs  de  ses  membres  n'aient  toute  mon 
estime  et  ne  la  méritent ,  même  dans  l'erreur  où 


ANNÉE    177^).  '-^^7 

oii  les  tient.  D'ailleurs,  mon  cœur  s'enflamme  bien 
plus  aux  injustices  dont  je  suis  témoin  qu'à  celles 
dont  je  suis  la  victime  :  il  lui  manque,  pour  ces 
dernières ,  l'énergie  et  la  vigueur  d'un  généreux 
désintéressement.  Il  me  semble  que  ce  n'est  pas  la 
peine  de  m'échauffer  pour  une  cause  qui  n'inté- 
resse que  moi.  Je  regarde  mes  malheurs  comme 
liés  à  mon  état  d'homme  et  d'ami  de  la  vérité.  Je 
vois  le  méchant  qui  me  persécute  et  me  diffame 
comme  je  verrais  un  rocher  se  détacher  d'une  mon- 
tagne et  venir  m'écraser  ;  je  le  repousserais ,  si  j'en 
avais  la  force ,  mais  sans  colère ,  et  puis  je  le  lais- 
serais là  sans  y  plus  songer.  J'avoue  pourtant  que 
ces  mêmes  malheurs  m'ont  d'abord  pris  au  dé- 
pourvu ,  parce  qu'il  en  est  auxquels  il  n'est  pas 
même  permis  à  un  honnête  homme  d'être  pré- 
paré :  j'en  ai  été  cependant  plus  abattu  qu'irrité  ; 
et,  maintenant  que  me  voilà  prêt,  j'espère  me  lais- 
ser un  peu  moins  accabler ,  mais  pas  plus  émouvoir 
de  ceux  qui  m'attendent.  A  mon  âge  et  dans  mon 
état  ce  n'est  plus  la  peine  de  s'en  tourmenter ,  et 
j'en  vois  le  terme  de  trop  près  pour  m'inquiéter 
beaucoup  de  l'espace  qui  reste.  Mais  je  n'entends 
rien  à  ce  que  vous  me  dites  de  ceux  que  vous  avez 
essuyés  :  assurément  je  suis  fait  pour  les  plaindre; 
mais  que  peuvent -ils  avoir  de  commun  avec  les 
miens  ?  Ma  situation  est  unique ,  elle  est  inouïe  de- 
puis que  le  monde  existe ,  et  je  ne  puis  présumer 
qu'il  s'en  retrouve  jamais  de  pareille.  Je  ne  com- 
prends donc  point  quel  rapport  il  peut  y  avoir 
dans  nos  destinées ,  et  j'aime  à  croire  que  vous 


^6S  CORRESPONDANCE. 

VOUS  abusez  sur  ce  point.  Adieu,  monsieur  :  vivez 
heureux, jouissez  en  paix  de  votre  gloire,  et  sou- 
venez-vous quelquefois  d'un  homme  qui  vous  ho- 
norera toujours. 


LETTRE   CMXVII. 

A  M.  L'ABBÉ  M. 

'  Monquin,  le  17^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Je  voudrais,  monsieur ,  pour  l'amour  de  vous^ 
que  l'application  qu'il  vous  plaît  de  faire  de  votre 
quatrain  fût  assez  naturelle  pour  être  croyable  : 
mais  puisque  vous  aimez  mieux  vous  excuser  que 
vous  accuser  d'une  promptitude  que  j'aurais  pu 
moi-même  avoir  à  votre  place  ,  soit;  je  n'épilogue- 
rai  pas  là-dessus. 

Depuis  l'impression  de  YÉmile  je  ne  l'ai  relu 
qu'une  fois ,  il  y  a  six  ans ,  pour  corriger  un  exem- 
plaire; et  le  trouble  continuel  où  l'on  aime  à  me 
faire  vivre  a  tellement  gagné  ma  pauvre  tête ,  que 
j'ai  perdu  le  peu  de  mémoire  qui  me  restait ,  et 
que  je  garde  à  peine  une  idée  générale  du  contenu 
de  mes  écrits.  Je  me  rappelle  pourtant  fort  bien 
qu'il  doit  y  avoir  dans  \ Emile  un  passage  relatif  à 
celui  que  vous  me  citez;  mais  je  suis  parfaitement 
sûr  qu'il  n'est  pas  le  même ,  parce  qu'il  présente , 
ainsi  défiguré ,  un  sens  trop  différent  de  celui  dont 


ANNÉE    1770.  269 

j'étais  plein  en  l'écrivant*.  J'ai  bien  pu  ne  pas  son- 
ger à  éviter  dans  ce  passage  le  sens  qu'on  eût  pu 
lui  donner  s'il  eût  été  écrit  par  Cartouche  ou  par 
Kaffia;  mais  je  n'ai  jamais  pu  m'exprimer  aussi  in- 
correctement dans  le  sens  que  je  lui  donnais  moi- 
même.  Vous  serez  peut-être  bien  aise  d'apprendre 
l'anecdote  qui  me  conduisit  à  celte  idée. 

Le  feu  roi  de  Prusse  ,  déjà  grand  amateur  de  la 
discipline  militaire,  passant  en  revue  un  de  ses 
régiments  ,  fut  si  mécontent  de  la  manœuvre , 
qu'au  lieu  d'imiter  le  noble  usage  que  liOuis  XIV 
en  colère  avait  fait  de  sa  canne,  il  s'oublia  jusqu'à 
frapper  de  la  sienne  le  major  qui  commandait. 
L'officier  outragé  recule  deux  pas ,  porte  la  main 
à  l'un  de  ses  pistolets,  le  tire  aux  pieds  du  cheval 
du  roi ,  et  de  l'autre  se  casse  la  tête.  Ce  trait ,  au- 
quel je  ne  pense  jamais  sans  tressaillir  d'admiration, 
me  revint  fortement  en  écrivant  \ Emile ,  et  j'en  fis 
l'application  de  moi-même  au  cas  d'un  particulier 
qui  en  déshonore  un  autre,  mais  en  modifiant 
l'acte  par  la  différence  des  personnages.  Vous  sen- 
tez, monsieur,  qu'autant  le  major  bâtonné  est 
grand  et  sublime  quand,  prêt  à  s'ôter  la  vie ,  maître 
par  conséquent  de  celle  de  l'offenseur,  et  le  lui 
prouvant ,  il  la  respecte  pourtant  en  sujet  vertueux , 
s'élève  par  là  même  au-dessus  de  son  souverain, 
et  meurt  en  lui  faisant  grâce,  autant  la  même  clé- 
mence vis-à-vis  un  brutal  obscur  serait  inepte  :  le  ma- 
jor employant  son  premier  coup  de  pistolet  n'eût 

*  Voyez  Emile ,  Livre  iv. 


270  CORRESPONDANCE. 

été  qu'un  forcené  ;  le  particulier  perdant  le  sien  ne 
serait  qu'un  sot. 

Mais  un  homme  vertueux,  un  croyant,  peut 
avoir  le  scrupule  de  disposer  de  sa  propre  vie  sans 
cependant  pouvoir  se  résoudre  à  survivre  à  son 
déshonneur,  dont  la  perte  ,  même  injuste  ,  entraîne 
des  malheurs  civils  pires  cent  fois  que  la  mort.  Sur 
ce  chapitre  de  l'honneur  l'insuffisance  des  lois 
nous  laisse  toujours  dans  l'état  de  nature:  je  crois 
cela  prouvé  dans  ma  Lettre  a  M.  d' Alembert  sur  les 
■■*  Spectacles.  I/honneur  d'un'  homme  ne  peut  avoir 
de  vrai  défenseur  ni  de  vrai  vengeur  que  lui-même. 
Loin  qu'ici  la  clémence,  qu'en  tout  autre  cas  pre- 
scrit la  vertu,  soit  permise,  elle  est  défendue;  et 
laisser  impuni  son  déshonneur,  c'est  y  consentir  : 
on  lui  doit  sa  vengeance,  on  se  la  doit  à  soi-même; 
on  la  doit  même  à  la  société  et  aux  autres  gens 
d'honneur  qui  la  composent  :  et  c'est  ici  l'une  des 
fortes  raisons  qui  rendent  le  duel  extravagant , 
moins  parce  qu'il  expose  l'innocent  à  périr  ,  que 
parce  qu'il  l'expose  à  périr  sans  vengeance  et  à 
laisser  le  coupable  triomphant.  Et  vous  remarque- 
rez que  ce  qui  rend  le  trait  du  major  vraiment 
héroïque ,  est  moins  la  mort  qu'il  se  donne  que  la 
fière  et  noble  vengeance  qu'il  sait  tirer  de  son  roi. 
C'est  son  premier  coup  de  pistolet  qui  fait  valoir 
le  second:  quel  sujet  il  lui  ôte  ,  et  quels  remords  il 
lui  laisse!  Encore  une  fois,  le  cas  entre  particuliers 
est  tout  différent.  Cependant  si  l'honneur  prescrit 
la  vengeance  ,  il  la  prescrit  courageuse  :  celui  qui 
se  venge  en  lâche ,  au  lieu  d'effacer  son  infamie , 


ANNÉE    1770.  271 

y  met  le  comble  ;  mais  celui  qui  se  venge  et  meurt 
est  bien  réhabilité.  Si  donc  un  homme  indigne- 
ment, injustement  flétri  par  im  autre  ,  va  le  cher- 
cher un  pistolet  à  la  main  dans  l'amphithéâtre  de 
l'Opéra,  lui  casse  la  tête  devant  tout  le  monde;  et 
puis  se  laissant  tranquillement  mener  devant  les 
juges,  leur  dit  :  «  Je  viens  de  faire  un  acte  de  justice 
«  que  je  me  devais,  et  qui  n'appartenait  qu'à  moi  ; 
«  faites-moi  pendre  ,  si  vous  l'osez  »;  il  se  pourra 
bien  qu'ils  le  fassent  pendre  en  effet ,  parce  qu'en- 
fin quiconque  a  donné  la  mort  la  mérite ,  qu'il  a 
du  même  y  compter  ;  mais  je  réponds  qu'il  ira  au 
supplice  avec  l'estime  de  tout  homme  équitable 
et  sensé,  comme  avec  la  mienne  ;  et  si  cet  exemple 
intimide  un  peu  les  tâteurs  d'hommes,  et  fait  mar- 
cher les  gens  d'honneur,  qui  ne  ferraillent  pas,  la 
tète  un  peu  plus  levée,  je  dis  que  la  mort  de  cet 
homme  de  courage  ne  sera  pas  inutile  à  la  société. 
La  conclusion  tant  de  ce  détail  que  de  ce  que  j'ai 
dit  à  ce  sujet  dans  V Emile.,  et  que  je  répétai  sou- 
vent, quand  ce  livre  parut,  à  ceux  qui  me  parlè- 
rent de  cet  article,  est  quon  ne  déshonore  point  un 
homme  qui  sait  mourir.  Je  né  dirai  point  ici  si  j'ai 
tort;  cela  pourra  se  discuter  à  loisir  dans  la  suite  : 
mais,  tort  ou  non,  si  cette  doctrine  me  trompe, 
vous  permettrez  néanmoins  ,  n'en  déplaise  à  votre 
illustre  prôneur  d'oracles,  que  je  ne  me  tienne  pas 
pour  déshonoré. 

Je  viens ,  monsieur ,  à  la  question  que  vous  me 
proposez  sur  votre  élève.  Mon  sentiment  est  qu'on 
ne  doit  forcer  un  enfant  à  manger  de  rien.  H  y  a 


l'-j'i.  CORRESPOIVDANCK. 

des  répugnances  qui  ont  leur  cause  dans  la  con- 
stitution particulière  de  l'individu,  et  celles-là  sont 
invincibles  ;  les  autres  ,  qui  ne  sont  que  des  fantai- 
sies ,  ne  sont  pas  durables ,  à  moins  qu'on  ne  les 
rende  telles  à  force  d'y  faire  attention.  Il  pourrait 
y  avoir  quelque  chose  de  vrai  dans  le  cas  de  pré- 
voyance qu'on  vous  allègue,  si  (  chose  presque 
inouïe  )  il  s'agissait  d'aliments  de  première  néces^ 
site  ,  comme  le  pain ,  le  lait ,  les  fruits.  Il  faudrait 
du  moins  tâcher  de  vaincre  cette  répugnance  sans 
que  l'enfant  s'en  aperçût  et  sans  le  contrarier ,  ce 
qui,  par  exemple,  pourrait  se  faire  en  l'exposant 
à  avoir  grand'faim,  et  à  ne  trouver  comme  par 
hasard  que  l'aliment  auquel  il  répugne.  Mais  si  cet 
essai  ne  réussit  pas  ,  je  ne  serais  pas  d'avis  de  s'y 
obstiner.  Que  s'il  s'agit  de  mets  composés  tels 
qu'on  en  sert  sur  les  tables  des  grands ,  la  précau- 
tion parait  d'abord  assez  superflue;  car  il  est  peu 
apparent  que  le  petit  bon-homme  se  trouve  un 
jour  réduit,  dans  les  bois  ou  ailleurs,  à  des  ragoûts 
de  truffes  ou  à  des  profiteroles  au  chocolat  pour 
toute  nourriture.  Mais  peut-être  a-t-on  un  autre 
objet  qu'on  ne  vous  dit  pas ,  et  qui  n'est  pas  sans 
fondement.  Votre  élève  est  fait  pour  avoir  un  jour 
place  aux  petits  soupers  des  rois  et  des  princes; 
il  doit  aimer  tout  ce  qu'ils  aimeront  ;  il  doit  préfé- 
rer tout  ce  qu'ils  préféreront  ;  il  doit  en  toute  chose 
avoir  les  goûts  qu'ils  auront  ;  et  il  n'est  pas  d'un 
bon  courtisan  d'en  avoir  d'exclusifs.  Vous  devez 
comprendre  par  là  et  par  beaucoup  d'autres  cho- 
ses que  ce  n'est  pas  un  Emile  que  vous  avez  à 


^NNEF.    1770.  27  J 

élever  :  ainsi  gardez-vous  bien  d'être  un  Jean-Jac- 
ques: car,  comme  vous  voyez,  cela  ne  réussit  pas 
pour  le  bonheur  de  cette  vie. 

Prêt  à  quitter  cette  demeure,  jo  n'ai  pins  d'a- 
dresse assez  fixe  à  vous  donner  pour  y  recevoir  de 
vos  lettres.  Adieu,  monsieur. 

Observation.  —  Dans  cette  k-ttre  Rousseau  donne  une  ex- 
plication importante  sur  un  passage  d'Emile ,  relatif  au  point 
d'honneur,  la  vengeance.  Il  appuie  son  opinion  sur  l'exemple 
du  major  de  Frédéric.  Voyez,  dans  la  présente  édition,  tome  ni, 
page  466,  livre  iv  d'Emile,  et  le  passage  en  question,  et  les 
deux  notes  qui  y  ont  rapport. 


LETTRE   CMXVÎII. 

A  MADAME  B. 

Monquin,  le  16  mars  1770. 

Rose,  je  vous  crois  ,  et  je  vous  croirais  avec  plus 
de  plaisir  encore  si  vous  eussiez  moins  insisté.  La 
vérité  ne  s'exprime  pas  toujours  avec  simplicité, 
mais  quand  cela  lui  arrive ,  elle  brille  alors  de  tout 
son  éclat.  Je  vais  quitter  cette  hî^bitation  :  je  sais 
ce  que  je  veux  et  dois  faire  ;  j'ignore  encore  ce 
que  je  ferai:  je  suis  entre  les  mains  des  hommes; 
ces  hommes  ont  leurs  raisons  pour  craindre  la  vé- 
rité ,  et  ils  n'ignorent  pas  que  jp  me  dois  de  la 
mettre  en  évidence,  ou  du  moins ^e  faire  tous  mes 
efforts  pour  cela.  Seul  et  à  leur  merci,  je  ne  puis 
rien,  ils  peuvent  tout,  hors  de  changer  la  nature 
des  choses  et  de  faire  que  la  poitrine  de  J.  J.  Rous- 
R.  xxu.  18 


l'jli  CORRESPONDANCE. 

seau  vivant,  cesse  de  renfermer  le  cœur  d'un  homme 
de  bien.  Ignorant  dans  cette  situation  en  quel  lieu 
je  trouverai ,  soit  une  pierre  pour  y  poser  ma  léte, 
soit  une  terre  pour  y  poser  mon  corps,  je  ne  puis 
vous  donner  aucune  adresse  assurée  :  mais  si  ja- 
mais je  retrouve  un  moment  tranquille  ,  c'est  un 
soin  que  je  n'oublierai  pas.  Rose ,  ne  m'oubliez  pas 
non  plus.   Vous  m'avez  accordé   de  l'estime  sur 
mes  écrits;  vous  m'en  accorderiez  encore  plus  sur 
ma  vie  si  elle  vous  était  connue  ;  et  davantage  en- 
core sur  mon  cœur  ,  s'il  était  ouvert  à  vos  yeux  : 
il  n'en  fut  jamais  un  plus  tendre,  un  meilleur,  un 
plus  juste;  la  méchanceté  ni  la  haine  n'en  appro- 
chèrent jamais.  J'ai  de  grands  vices,  sans  doute, 
mais  qui  n'ont  jamais  fait  de  mal  qu'à  moi  ;  et  tous 
mes  malheurs  ne  me  viennent  que  de  mes  vertus. 
Je  n'ai  pu,  malgré  tous  mes  efforts,  percer  le  mys- 
tère affreux  des  trames  dont  je  suis  enlacé;  elles 
sont  si  ténébreuses ,  on  me  les  cache  avec  tant  de 
soin,  que  je  n'en  aperçois  que  la  noirceur.  Mais 
les  maximes  communes  que  vous  m'alléguez  sur 
la  calomnie  et  l'imposture  ne  sauraient  convenir  à 
celle-là;  et  les  frivoles  clameurs  de  la  calomnie 
sont  bien  différentes  dans  leurs  effets ,  des  complots 
tramés  et  concertés  durant  longues  années  dans  im 
profond  silence ,  et  dont  les  développements  suc- 
cessifs, dirigés  par  la  ruse ,  opérés  par  la  puissaiice, 
se  font  lentement,  sourdement,  et  avec  méthode. 
Ma  situation  est  unique  ;  mon  cas  est  inouï  depuis 
que  le  monde  existe.  Selon  toutes  les  règles  de  la 
prévoyance  InuTiaine,  je  dois  succomber;  et  toutes 


ANNEE    1770.  271 

les  mesures  sont  tellement  prises,  qu'il  n'y  a  qu'un 
miracle  de  la  Providence  qui  puisse  confondre  les 
mposteurs.  Pourtant  une  certaine  confiance  sou- 
tient encore  mon  courage.  Jeune  femme ,  écoutez- 
moi:  quoi  qu'il  arrive,  et  quelque  sort  qu'on  me 
prépare,  quand  on  vous  aura  fait  l'énumération 
de  mes  crimes,  quand  on  vous  en  aura  montré  les 
frappants  témoignages,  les  preuves  sans  réplique  , 
la  démonstration ,  l'évidence ,  souvenez-vous  des 
trois  mots  par  lesquels  ont  fini  mes  adieux:  je  suis 
INNOCENT.  Rousseau. 

Vous  approchez  d'un  terme  intéressant  pour 
mon  cœur  :  je  désire  d'en  savoir  l'heureux  événe- 
ment aussitôt  qu'il  sera  possible.  Pour  cela ,  si  vou  s 
n'avez  pas  avant  ce  temps-là  de  mes  nouvelles, 
préparez  d'avance  un  petit  billet,  que  vous  ferez 
mettre  à  la  poste  aussitôt  que  vous  serez  délivrée , 
sous  ime  enveloppe  à  l'adresse  suivante  : 

A  madame  Boj  de  La  Tour  y  née  Roguin^  a  Lyon. 


LETTRE  CMXIX. 

A  M.  MOULTOU. 

Mouquin,  le  28  mars  1770, 

Je  tardais  ,  cher  Mouîtou ,  pour  répondre  à  votre 
dernière  lettre,  de  pouvoir  vous  donner  quelque 
avis  certain   de  ma  marche;  mais  les  neiges  qui 

t8. 


O.'jG  CORRESPONDANCE. 

sont  revenues  m'assiéfirci'  rendent  les  chemins  de 
cette  montagne  tellement  impraticables,  que  je 
ne  sais  plus  quand  j'en  pourrai  partir.  Ce  sera, 
dans  mon  projet,  pour  me  rendre  à  Lyon,  d'où 
je  sais  bien  ce  que  je  veux  faire,  mais  j'ignore  ce 
que  je  ferai. 

J'avais  eu  le  projet  que  vous  me  suggérez  d'al- 
ler m'établir  en  Savoie  ;  je  demandai  et  obtins  ,  du- 
rant mon  séjour  à  Bourgoin,  im  passe-port  pour 
cela  ,  dont ,  sur  des  lumières  qui  me  vinrent  en 
même  temps,  je  ne  voulus  point  faire  usage  :  j'ai 
résolu  d'achever  mes  jours  dans  ce  royaume,  et 
d'y  laisser  à  ceux  qui  disposent  de  moi  le  plai- 
sir d'assouvir  leur  fantaisie  jusqu'à  mon  dernier 
soupir. 

Je  ne  siùs  point  dans  le  cas  d'avoir  besoin  de  la 
bourse  d'autrui,  du  moins  pour  le  présent,  et  dans 
la  position  où  je  suis,  je  ne  dépense  guère  moins 
en  place  qu'en  voyage;  mais  je  suis  fâché  que 
l'offre  de  votre  bourse  m'ait  ôté  la  ressource  d'v 
recourir  au  besoin  :  ma  maxime  la  plus  chérie  est 
de  ne  jamais  rien  demander  à  ceux  qui  m'offrent; 
je  les  punis  de  m'avoir  ôté  un  plaisir  en  les  pri- 
vant d'un  autre;  et  quand  je  me  ferai  des  amis  à 
mon  goût,  je  ne  les  irai  pas  choisir  au  Monomo' 
tapa,  quoi  qu'en  dise  La  Fontaine.  Cela  tient  à 
mon  tour  d'esprit  particulier,  dont  je  n'excuse 
pas  la  bizarrerie  ,  mais  que  je  dois  consulter  quand 
il  s'agit  d'être  obligé.  Car  autant  je  suis  touché  de 
tout  ce  qu'on  m'accorde ,  autant  je  le  suis  peu  de 
Ci)  qu'on  me  fait  accepter  :  aussi  je  n'accepte  ja- 


AWNÉi:   1770.  277 

mais  rien  qu'en  rechignant  et  vaincu  par  la  tyran- 
nie des  importunités  ;  mais  l'ami  qui  veut  bien  m'o- 
bliger  à  ma  mode  ,  et  non  pas  à  la  sienne,  sera 
toujours  content  de  mon  cœur.  J'avoue  pourtant 
que  l'à-propos  de  votre  offre  mérite  une  excep- 
tion; et  je  la  fais  en  tâchant  de  l'oublier,  afin 
de  ne  pas  ôter  à  notre  amitié  l'un  des  droits  que 
l'inégalité  de  fortune  y  doit  mettre. 

Il  faut  assurément  que  vous  soyez  peu  difficile 
en  ressemblance  pour  trouver  la  mienne  dans  cette 
figure  de  cyclope  qu'on  débite  à  si  grand  bruit 
sous  mon  nom.  Quand  il  plut  à  l'honnête  M.  Hume 
de  me  faire  peindre  en  Angleterre,  je  ne  pus  ja- 
mais deviner  son  motif,  quoique  dès-lors  je  visse 
assez  que  ce  n'était  pas  l'amitié.  Je  ne  l'ai  com- 
pris qu'en  voyant  l'estampe ,  et  surtout  en  appre- 
nant   qu'on  lui   en    donnait  pour  pendant    une 
autre  représentant  ledit  M.  Hume,  qui  réellement 
a  la  figure  d'iui  cyclope ,  et  à  qui  l'on  donne  un 
air  charmant.  Comme  ils  peignent  nos  visages, 
ainsi  peignent-ils  nos  âmes  avec  la  même  fidélité. 
Je  comprends  que  les  bruyants  éloges  qu'on  vous 
a  faits  de  ce  portrait  vous  ont  subjugué  ;  mais  re- 
gardez-y mieux,  et  otez-moi  de  votre  chambre 
cette  mine  farouche  qui  n'est  pas  la  mienne  assu- 
rément. Les  gravures  faites  sur  le  portrait  peint 
par  La  Tour  me  font  plus  jeune  ,  à  la  vérité,  mais 
beaucoup  plus  ressemblant  :  remarquez  qu'on  les 
a  fait  disparaître  ou  contrefaire  hideusement.  Com- 
ment ne  sentez  vous  pas  d'où  tout  cela  vient,  et  ce 
que  tout  cela  signifie? 


278  CORRtSPOJN  DANCK. 

Voioi  deux  actes  d'honnêteté,  de  justice  et  d'a- 
mitié à  faire  :  c'est  à  vous  que  j'en  donne  la  com- 
mission. 

i»  Rey  vient  de  faire  une  édition  de  mes  écrits, 
à  laquelle  ,  et  à  d'autres  marques,  j'ai  reconnu  que 
mon  homme  était  enrôlé.  J'aurais  dû  prévoir, 
et  que  des  gens  si  attentifs  ne  l'oublieraient  pas , 
et  qu'il  ne  serait  pas  à  l'épreuve.  Entre  autres  re- 
marques que  j'ai  faites  sur  cette  édition,  j'y  ai 
trouvé,  avec  autant  d'indignation  que  de  surprise, 
trois  ou  quatre  lettres  de  M.,  le  comte  de  Tressan, 
avec  les  réponses  qui  furent  écrites  il  y  a  une 
quinzaine  d'années  au  sujet  d'irne  tracasserie  de 
Palissot.  Je  n'ai  jamais  communiqué  ces  lettres 
qu'au  seul  Vernes,  auquel  j'avais  alors,  et  bien 
malheureusement,  la  même  confiance  que  celle 
que  j'ai  maintenant  en  vous  :  depuis  lors  je  ne  les 
ai  montrées  à  qui  que  ce  soit ,  et  ne  me  rappelle 
pas  même  en  avoir  parlé;  voilà  pourtant  Rey  qui 
les  imprime  :  d'où  les  a-t-il  eues?  ce  n'est  certai- 
nement pas  de  moi;  et  il  ne  m'a  pas  dit  un  mot 
de  ces  lettres ,  en  me  parlant  de  cette  édition.  Je 
comprends  aisément  qu'il  n'a  pas  mieux  rempli  le 
devoir  d'obtenir  l'agrément  de  M.  de  Tressan,  qui 
probablement  ne  l'aurait  pas  do-nné  non  plus  que 
moi.  Du  cercueil  où  l'on  me  tient  enfermé  tout 
vivant,  je  ne  puis  pas  écrire  à  M.  de  Tressan, 
dont  je  ne  sais  pas  l'adresse,  et  à  qui  ma  lettre  ne 
parviendrait  certainement  pas.  Je  vous  prie  de 
remplir  ce  devoir  pour  moi.  Dites-lui  que  ce  ne 
serait  pas  envers  lui,  que  j'honore,  que  j'aurais 


ANNÉE    1770.  279 

enfreint  un  devoir  dont  j'ai  porté  l'observation 
jusqu'à  un  scrupule  peut-être  inouï  envers  Vol- 
taire, que  j'ai  laissé  falsier  et  défigurer  mes  lettres 
et  taire  les  siennes,  sans  que  j'aie  voulu  jusqu'ici 
montrer  ni  les  unes  ni  les  autres  à  personne.  Ce 
n'est  sûrement  pas  pour  me  faire  honneur  que  ces 
lettres  ont  été  imprimées;  c'est  uniquement  pour 
m'attirer  l'inimitié  de  JVI.  de  Tressan. 

2»  J'ai  fait ,  il  y  a  quelques  mois,  à  madame  la  du- 
chesse douairièie  de  Portland  un  envoi  de  plantes 
que  j'avais  été  herboriser  pour  elle  au  mont  Pila , 
et  que  j'avais  préparées  avec  beaucoup  de  som ,  de 
même  qu'un  assortiment  de  graines  que  j'y  avais 
joint.  Je  n'ai  aucune  nouvelle  de  madame  de  Port- 
land ni  de  cet  envoi ,  quoique  j'aie  écrit  et  à  elle 
et  à  son  commissionnaire  :  mes  lettres  sont  restées 
sans  réponse  ;  et  je  comprends  qu'elles  ont  été 
supprimées ,  ainsi  que  l'envoi ,  par  des  motifs  qui 
ne  vous  seront  pas  difficiles  à  pénétrer.  Les  ma- 
nœuvres qu'on  emploie  sont  très-assorties  à  l'objet 
qu'on  se  propose.  Ayez  ,  cher  Moultou ,  la  com- 
plaisance d'écrire  à  madame  de  Portland  ce  que 
j'ai  fait,  et  combien  j'ai  de  regret  qu'on  ne  me 
laisse  pas  remplir  les  fonctions  du  titre  qu'elle  m'a- 
vait permis  de  prendre  auprès  d'elle ,  et  que  je  me 
faisais  un  honneur  de  mériter.  Vous  sentez  que  je 
ne  peux  pas  entretenir  des  correspondances  mal- 
gré ceux  qui  les  interceptent.  Ainsi  là -dessus, 
comme  sur  toute  chose  où  la  nécessité  commande, 
je  me  soumets.  Je  voudrais  seulement  que  mes 
anciens   correspondants    sussent   qu'il  n'y  a   pas 


^8ô  COHRi;SPOi\  D.ViVC;i  . 

de  ma  faute,  et  que  je  ne  les  ai  pas  négligés.  La 
même  chose  m'est  arrivée  avec  M.  Guan,  de  Mont^ 
pellier ,  à  qui  j'ai  fait  un  envoi  sous  l'adresse  de 
M.  de  Saint-Priest.  La  même  chose  m'arrivera  peut- 
être  avec  vous.  Accusez -moi  du  moins,  je  vous 
prie,  la  réception  de  cette  lettre,  si  elle  vous  par^- 
vient  encore  :  la  vôtre ,  si  vous  l'écrivez  à  la  ré- 
ception de  la  mienne ,  pourra  me  parvenir  encore 
ici.  Le  papier  me  manque.  Mes  respects  et  ceux  de 
ma  femme  à  madame  Moultou.  Nous  vous  embras- 
sons conjointement  de  tout  notre  cœur.  Adieu,  cher 
Moultou. 


LETTRE   CMXX. 

A  M.  LALLIAUD. 

Monquin,  le  4  avril  1770. 

C'est  par  oubli ,  monsieur,  que  je  n'avais  pas  ré^ 
pondu  à  votre  précédente  lettre;  car,  quoique  je 
ne  promette  de  l'exactitude  à  personne,  je  me  fe- 
rais un  plaisir  d'en  avoir  avec  vous.  La  descrip- 
tion de  votre  vie  tranquille  et  champêtre  me  fait 
grand  plaisir,  ainsi  que  celle  du  climat  que  vous 
habitez,  aux  vents  près  qui  ne  sont  point  de  mon 
goût.  Cette  douce  vie,  pour  laquelle  j'étais  né,  eût 
été  celle  dans  laquelle  j'aurais  achevé  mes  jours  ^ 
si  on  m'avait  laissé  faire  ;  mais  quand  l'honneur ,  le 
devoir  et  la  nécessité  commandent ,  il  faut  obéir. 
Ne  m'écrivez  plus  ici,  monsieur;  votre  lettre  ne 


ÀjyjvÉE  1770.  2181 

m'y  trouverait  vraisemblablement  plus  ^  et  je  ne 
puis  vous  donner  d'adresse  assurée  ,  parce  que , 
quoique  je  saclie  très -bien  ce  que  je  veux  faire, 
j'ignore  absolument  ce  que  je  ferai.  Je  suis  fâché 
de  quitter  ce  pays  sans  vous  envoyer  des  rosiers  ; 
mais  la  nature ,  tardive  en  ces  cantons ,  n'est  pas 
encore  éveillée;  à  peine  avons-nous  déjà  quelques 
violettes ,  et  je  ne  dois  plus  espérer  de  recuedlir 
des  roses.  Adieu,  mon  cher  monsieur  Lalliaud;  sou- 
venez-vous de  moi  quelquefois  :  je  vous  salue  et 
vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


LETTRE  CMXXI. 

A  M.  MOULTOU. 

Monquin,  le  17-370. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Votre  lettre ,  cher  Moultou ,  m'afflige  sur  votre 
>»anté.  Vous  m'aviez  parlé  dans  la  précédente  de 
Votre  mal  de  ^rge  comme  d'une  chose  passée,  et 
je  le  regardais  comme  un  de  ceux  auxquels  j'ai 
moi-même  été  si  sujet,  qui  sont  vifs,  courts,  et  ne 
laissent  aucune  trace  ;  mais  si  c'est  une  humeur  de 
goutte  j  il  sera  difficile  que  vous  ne  vous  en  res- 
sentiez pas  de  temps  en  temps  :  mais  surtout  n'al^ 
lez  pas  vous  mettre  dans  la  tête  d'en  vouloir  gué^ 
rir  ;  car  ce  serait  vouloir  guérir  de  la  vie ,  mal  que 
les  bons  doivent  supporter  tant  qu'il  leur  reste 


282  CORRESPONDANCE. 

quelque  bien  à  faire.  Du  Peyrou  ,  pour  avoir  voulu 
droguer  la  sienne,  l'effaroucha,  la  fit  remonter, 
et  ce  ne  fut  pas  sans  beaucoup  de  peines  que  nous 
parvînmes  à  la  rappeler  aux  extrémités.  Vous  sa- 
vez sans  doute  ce  qu'il  faut  faire  pour  cela  :  j'ai  vu 
l'effet  grand  et  prompt  de  la  moutarde  à  la  plante 
des  pieds;  je  vous  la  recommande  en  pareille  oc- 
currence ,  dont  veuille  le  ciel  vous  préserver.  Si 
jeune,  déjà  la  goutte!  que  je  vous  plains!  Si  vous 
eussiez  toujours  suivi  le  régime  que  je  vous  faisais 
faire  à  Motiers,  surtout  quanta  l'exercice,  vous  ne 
seriez  point  atteint  de  cette  cruelle  maladie.  Point 
de  soupers ,  peu  de  cabinet ,  et  beaucoup  de  marche 
dans  vos  relâches  ;  voilà  ce  qu'il  me  reste  à  vous 
recommander. 

Ce  que  vous  m'apprenez  qui  s'est  passé  derniè- 
rement dans  votre  ville  me  fâche  encore ,  mais  ne 
me  surprend  plus.  Comment  !  votre  Conseil  sou- 
verain se  met  à  rendre  des  jugements  criminels  ! 
Les  rois,  plus  sages  que  lui,  n'en  rendent  point. 
Voilà  ces  pauvres  gens  prenant  à  grands  pas  le 
train  des  Athéniens,  et  courant  chercher  la  même 
destinée ,  qu'ils  trouveront ,  hélas  *  assez  tôt  sans 
tant  courir.  Mais, 

«  Quos  vult  perdere  Jupiter  dementat.  » 

Je  ne  doute  point  que  les  natifs  ne  missent  à 
leurs  prétentions  l'insolence  de  gens  qui  se  sentent 
soufflés  et  qui  se  croient  soutenus;  mais  je  doute 
encore  moins  que ,  si  ces  pauvres  citoyens  ne  se 
laissaient  aveugler  par  la  prospérité ,  et  séduire  par 


ANNÉE    1770.  283 

un  vil  intérêt,  ils  n'eussent  été  les  premiers  à  leur 
offrir  le  partage,  dans  le  fond  très-juste,  très -rai- 
sonnable ,  et  très-avantageux  à  tous,  que  les  autres 
leur  demandaient.  Les  voilà  aussi  durs  aristocrates 
avec  les  habitants  que  les  magistrats  furent  jadis 
avec  eux.  De  ces  deux  aristocraties  j'aimerais  en- 
core mieux  la  première. 

Je  suis  sensible  à  la  bonté  que  vous  avez  de  vou- 
loir bien  écrire  à  madame  de  Portland  et  à  M.  de 
Tressan  :  l'équité  ,  l'amitié ,  dicteront  vos  lettres  ; 
je  ne  suis  pas  en  peine  de  ce  que  vous  direz.  Ce 
que  vous  me  dites  de  l'antérieure  impression  des 
lettres  du  dernier  disculpe  absolument  Rey  sur  cet 
article ,  mais  n'infirme  point ,  au  reste ,  les  fortes  rai- 
sons que  j'ai  de  le  tenir  tout  au  moins  pour  suspect  ; 
et  je  connais  trop  bien  les  gens  à  qui  j'ai  affaire , 
pour  pouvoir  croire  que,  songeant  à  tant  de  monde 
et  à  tant  de  choses ,  ils  aient  oublié  cet  homme-là. 
Ce  que  vous  a  dit  M.  Garcin  du  bruit  qu'il  fait  de 
son  amitié  pour  moi  n'est  pas  propre  à  m'y  don- 
ner plus  de  confiance.  Cette  affectation  est  singu- 
lièrement dans  le  plan  de  ceux  qui  disposent  de 
moi.  Coindet  y  brillait  par  excellence,  et  jamais  il 
ne  parlait  de  moi  sans  verser  des  larmes  de  ten- 
dresse. Ceux  qui  m'aiment  véritablement  se  gar- 
dent bien,  dans  les  circonstances  présentes,  de  se 
mettre  en  avant  avec  tant  d'emphase  ;  ils  gémissent 
tout  bas,  au  contraire,  observent,  et  se  taisent  jus- 
qu'à ce  que  le  temps  soit  venu  de  parler. 

Voilà,  cher  ?*Ioultou,  ce  que  je  vous  prie  et  vous 
conseille  de  faire.  Vous  compromettre  ne  serait 


284  COKRESPOND/VIVCE. 

pas  mC  servir.  Il  y  a  quinze  ans  qu'on  travaille  sous 
terre  ;  les  mains  qui  se  prêtent  à  cette  œuvr^  de 
ténèbres  la  rendent  trop  redoutable  pour  qu'il  soit 
permis  à  nul  honnête  homme  d'en  approcher  pour 
l'examiner.  Il  faut,  pour  monter  sur  la  mine,  at- 
tendre qu'elle  ait  fait  son  explosion;  et  ce  n'est 
plus  ma  personne  qu'il  faut  songer  à  défendre, 
c'est  ma  mémoire,  Yoilà ,  cher  Moultou ,  ce  que 
j'ai  toujours  attendu  de  vous.  Ne  croyez  pas  que 
j'ignore  vos  liaisons;  ma  confiance  n'est  pas  celle 
d'un  sot,  mais  celle,  au  contraire,  de  quelqu'un 
qui  se  connaît  en  hommes ,  en  diversité  d'étoffes 
d'ames,  qui  n'attend  rien  des  Coindet,  qui  attend 
tout  des  Moultou.  Je  ne  puis  douter  qu'on  n'ait 
voulu  vous  séduire;  je  suis  persuadé  qu'on  n'a  fait 
tout  au  plus  que  vous  tromper;  mais ,  avec  votre 
pénétration ,  vous  avez  vu  trop  de  choses,  et  vous 
en  verrez  trop  encore  pour  pouvoir  être  trompé 
long-temps.  Quand  vous  verrez  la  vérité,  il  ne  sera 
pas  pour  cela  temps  de  la  dire  ;  il  faut  attendre  les 
révolutions  qui  lui  seront  favorables ,  et  qui  vien- 
dront tôt  ou  tard.  C'est  alors  que  le  nom  de  mon 
ami,  dont  il  faut  maintenant  se  cacher,  honorera 
ceux  qui  l'auront  porté  ,  et  qui  rempliront  les  de- 
voirs qu'il  leur  impose.  Voilà  ta  tâche ,  ô  Moultou  • 
elle  est  grande,  elle  est  belle,  elle  est  digne  de  toi, 
et  depuis  bien  des  années  mon  coeur  t'a  choisi 
pour  la  remplir. 

^oici  peut-être  la  dernière  fois  que  je  vous  écri- 
rai. Vous  devez  comprendre  combien  il  me  serait 
intéressant  de  vous  voir  :  mais  ne  parlons  plus  de 


ANNÉF    1770.  28'^ 

Chambéry  ;  ce  n'est  pas  là  où  je  suis  appelé.  L'hon- 
neur et  le  devoir  crient;  je  n'entends  plus  que  leur 
voix  ^  Adieu  :  recevez  l'embrassement  que  mon 
cœur  vovis  envoie.  Toutes  mes  lettres  sont  ou- 
vertes ;  ce  n'est  pas  là  ce  qui  me  fâche ,  mais  plu- 
sieurs ne  parviennent  pas.  Faites  en  sorte  que  je 
sache  si  celle-ci  aura  été  plus  heureuse.  Vous  n'i- 
gnorerez pas  où  je  serai,  mais  je  dois  vous  prévenir 
qu'après  avoir  été  ouvertes  à  la  poste,  mes  lettres 
le  seront  encore  dans  la  maison  où  je  vais  loger. 
Adieu  de  rechef.  Nous  vous  embrassons  l'un  et 
l'autre  avec  toute  la  tendresse  de  notre  cœur.  Nos 
hommages  et  respects  les  plus  tendres  à  madame. 
Il  est  vrai  que  j'ai  cherché  à  me  défaire  de  mes 
livres  de  botanique,  et  même  de  mon  herbier.  Ce- 
pendant, comme  l'herbier  est  un  présent,  quoique 
non  tout-à-fait  gratuit,  je  ne  m'en  déferai  qu'à  la 
dernière  extrémité  ,  et  mon  intention  est  de  le  lais- 
ser, si  je  puis,  à  celui  qui  me  l'a  donné,  augmenté 
de  plus  de  trois  cents  plantes  que  j'y  ai  ajoutées, 

'  Comme  il  se  rendit  peu  de  temps  après  à  Paris,  il  est  présii- 
mable  qu'il  croyait  de  son  devoir  d'aller  dans  cette  capitale,  et  qu'il 
y  croyait  son  honneur  intéressé:  supposition  qui  en  amène  une  autre: 
c'est  que,  las  d'errer  et  de  se  cacher  il  voulait  paraître  au  grand  jour 
et  lire  ses  Confessions  ,  afin  que  ceux  qu'il  accusait  pussent  répondre 
ou  se  justifier.  Voyez  l'Examen  des  Confessions  ,  tome  xiv  ,  page  vm 
de  cette  édition. 


^86  CORRESPONDANCE. 


LETTRE  CMXXIÏ. 

A   M.    DE    SAINT-GERMAIN. 

A  Lyon,  19  avril  1770, 

J'ai  reçu,  monsieur,  avec  la  lettre  dont  vous 
m'avez  honoré  le  i6  du  mois  dernier,  celle  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  me  faire  jDarvenir  d'envoi 

de  M.  de  T ,  à  qui,  selon- vos  intentions,  j'en 

accuse  la  réception.  C'est  une  réponse  de  madame 
de  Portland ,  qui  me  donne  avis  de  la  réception  des 
plantes  que  je  lui  ai  envoyées  il  y  a  près  de  six 
mois.  Après  un  voyage  assez  désagréable  ,  je  suis 
arrivé  ici  en  assez  bonne  santé  de  même  que  ma 
femme ,  qui ,  pénétrée  de  vos  bontés,  me  charge  de 
vous  en  marquer  sa  très -humble  reconnaissance. 
Je  vous  prie  aussi ,  monsieur ,  de  vouloir  ténioigner 
la  mienne  à  madame  de  Saint-Germain ,  en  lui  fai- 
sant agréer  mon  respect;  Vous  connaissez,  mon- 
sieur, toute  ma  confiance  en  votre  bienveillance  , 
et  je  me  flatte  que  vous  connaissez  aussi  combien 
j'y  suis  sensible  et  disposé  à  m'en  prévaloir  en 
toute  occasion  ,  sans  crainte  de  vous  déplaire.  Des 
inconvénients,  que  j'aurais  dû  prévoir,  retardent 
ma  marche ,  sans  rien  changer  à  mes  résolutions. 
Je  prends  la  liberté  de  me  recommander  à  votre 
souvenir,  et  de  vous  assurer  que  rien  n'affaiblira 
jamais  les  sentiments  immortels  que  vous  m'avez 
inspirés. 


ANNÉE    1770.  ''.87 


LETTRE  CMXXIII. 

A  M.  DE  GESARGES. 

Monquin ,  fin  d'avril  1770. 

Je  VOUS  avoue,  monsieur,  que ,  vous  connaissant 
pour  un  gentilhomme  plein  d'honneur  et  de  pro- 
hité ,  je  n'apprends  pas  sans  surprise  la  tranquillité 
avec  laquelle  vous  avez  souffert  en  mon  absence 
les  outrages  atroces  que  ma  femme  a  reçus  du 
bandit  en  cotillon  auquel  madame  de  Cesarges  a 
jugé  à  propos  de  nous  livrer,  après  nous  avoir  ôté 
les  gens  qu'elle  nous  avait  tant  vantés  elle-même, 
et  avec  qui  nous  vivions  en  paix. 

Je  sais  bien,  monsieur,  qu'on  vous  taxe  d'avoir 
peu  d'autorité  chéz-vous,  et  que  le  capitaine  Ver- 
tier  vous  a  subjugué,  dit-on,  comme  les  autres; 
mais  je  ne  vous  aurais  jamais  cru  dénué  de  crédit 
dans  votre  propre  maison ,  au  point  de  n'y  pouvoir 
procurer  la  sûreté  aux  hôtes  que  vous  y  avez  pla- 
cés vous-même.  Puisqu'en  cela  toutefois  je  me  suis 
trompé,  puisque  vous  ne  pouvez  vous  délivrer  des 
mains  des  susdits  bandits  en  cotillon ,  et  puisque 
madame  de  Cesarges  elle-même  ne  voit  d'autre  re- 
mède aux  mauvais  traitements  que  je  puis  recevoir 
des  gens  qui  dépendent  d'elle  que  d'en  être  désolée, 
ne  trouvez  pas  mauvais,  jusqu'à  ce  que  je  puisse  me 
procurer  un  autre  demeure  ,  que  ,  réduit  à  moi  seul 
pour  toute  ressource,  je  tâche  de  me  faire  la  jus- 


288  CORRESPONDANCE. 

tice  que  je  ne  puis  obtenir ,  en  pourvoyant  de 
mon  mieux  à  ma  propre  défense  et  à  la  protection 
que  je  dois  à  ma  femme.  Que  s'il  en  arrive  du 
scandale  dans  votre  maison,  je  vous  prends  vous-' 
même  à  témoin  qu'il  n'y  aura  pas  de  ma  faute, 
puisque  ,  ne  pouvant ,  sans  manquer  à  moi-même 
et  à  ma  femme,  éviter  d'en  venir  là,  je  ne  l'ai  fait* 
cependant  qu'à  la  dernière  extrémité  ,  et  après 
x'ous  en  avoir  prévenu. 


LETTRE  CMXXIV. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 

Quoique  je  me  sois  résigné,  monsieur,  à  la  pri-? 
vation  que  vous  m'avez  imposée  pour  épargner  à 
votre  bon  cœur  l'émotion  d'un  dernier  adieu,  je 
sens  pourtant  que  si  vous  fussiez  resté  quelques 
jours  de  plus,  je  n'aurais  pu  résister  au  désir  de 
vous  revoir  encore  une  fois  ,  et  de  vous  com- 
muniquer beaucoup  de  nouvelles  idées  qui  m'é- 
taient venues  à  force  de  rêver  au  triste  sujet  dont 
vous  m'avez  permis  de  vous  parler,  et  qui  toutes 
confirment  mes  conjectures  sur  les  causes  de 
mes  malheurs.  Puisque  la  consolation  de  vous  re- 
voir ne  m'est  pas  donnée,  je  ne  vous  ennuierai 
pas  de  nouveau  de  mes  longues  écritures,  et  je  me 
ilatte  que  ce  qui  vous  en  est  déjà  connu  suffira 

*  Je  ne  L'aï  j ait.  Texte  conforme  à  relui  de  l'édition  originale  (re- 
fueii  de  du  Peyrou  ,  T790). 


ANNÉE    1770.  289 

pour  mettre  un  jour,  avec  votre  généreuse  assis- 
tance, les  amis  de  la  justice  sur  la  voie  de  la  vérité. 
Mon  libraire  de  Hollande  vient  de  faire  une 
édition  générale  de  tous  mes  écrits  imprimés,  dont 
il  m'a  envoyé  deux  exemplaires ,  qui  malheureuse- 
ment sont  encore  en  feuilles  :  j'ai  pris  la  liberté 
de  faire  porter  le  paquet  chez  vous.  L'un  de  ces 
exemplaires  vous  est  destiné ,  et  je  me  flatte,  mon- 
sieur ,  que  vous  ne  dédaignerez  pas  cet  hommage  de 
mon  attachement  et  de  ma  reconnaissance.  L'autre 
est  pour  moi ,  et  mon  intention  est  de  ne  vous  of- 
frir le  vôtre  qu'après  les  avoir  fait  relier  tous  les 
deux.  Comme  les  embarras  où  je  me  trouve  ne 
me  permettent  pas,  quant  à  présent,  de  m'occu- 
per  de  ce  soin ,  je  vous  prie ,  en  attendant  que  je 
le  remplisse ,  de  vouloir  bien  permettre  que  le  pa- 
quet reste  chez  vous  en  dépôt.  Si  les  événements 
m'empêchent,  dans  la  suite,  d'exécuter  là-dessus 
mes  intentions,  je  vous  prie  d'y  suppléer  en  dispo- 
sant des  deux  exemplaires ,  de  façon  que  le  mien 
serve  à  payer  la  reliure  du  vôtre  *. 

J'ai  eu  la  curiosité  de  chercher  dans  les  feuilles 
de  ce  paquet ,  un  barbouillage  dont  M.  Fréron  a 
été  le  premier  éditeur,  et  qui  m'a  été  volé  parmi 
mes  papiers,  je  ne  sais  comment,  ni  par  qui,  et 
d'où.  Sur  cette  édition  furtive,  Rey  a  jugé  à  pro- 
pos d'augmenter  la  sienne.  C'est  un  discours  sur 
im  sujet  proposé  par  M.  de  Cursay ,  dans  le  temps 

*  Le  lecteur  doit  bien  croire  que  M.  de  Saint-Germain ,  dans  sa 
réponse ,  en  acceptant  un  exemplaire ,  n'a  pas  adhéré  à  une  telle 
proposition. 

R.  XXII.  19 


!290  CORRESPONDANCE. 

<[u'il  pacifiait  la  Corse ,  et  qu'il  y  faisait  refleurir 
les  lettres.  Le  dépositaire  de  mes  papiers,  qui  ne 
m'avait  rien  dit  de  ce  larcin  ,  voyant  que  j'en  étais 
instruit,  m'apprit  que  ce  discours  avait  été  mutilé 
à  l'impression,  et  qu'on  en  avait  retranché  im  ar- 
ticle tout  entier,  supposant  que  c'était  une  omis- 
sion d'inadvertance  par  la  hâte  où  le  voleur  avait 
transcrit  le  discours;  mais  il  ne  voulut  point  me 
dire  quel  était  cet  article  oublié  ou  retranché.  J'ai 
donc  vérifié  la  chose  dans  l'édition  de  Rey,  et  j'ai 
trouvé  que  cet  article  omis  était  un  très-bel  éloge 
du  peuple  de  Corse  ,  et  un  éloge  encore  plus  beau 
des  troupes  françaises  et  de  leur  général.  Il  ne 
m'en  a  pas  fallu  davantage  pour  comprendre  tout 
le  reste.  Si  jamais  vous  prenez  la  peine  de  parcou- 
rir ce  recueil ,  vous  connaîtrez  à  plus  d'une  en- 
seigne en  quelles  mains  l'auteur  est  tombé. 

En  ce  moment,  monsieur,  il  me  revient  sur  les 
matières  dont  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  entretenir 
un  petit  fait  bien  minutieux  en  apparence,  mais 
que  je  ne  puis  m'empécher  de  vous  dire  à  cause 
de  ses  conséquences  et  de  la  facilité  que  vous  avez 
de  le  vérifier.  Depuis  notre  dernière  entrevue ,  je 
parlai  par  hasard  une  fois  de  V Emile  avec  un  offi- 
cier de  votre  connaissance.  Il  me  dit  que,  causant 
un  jour  avec  M.  Diderot,  lorsqu'on  parlait  de  ce 
livre  long-temps  avant  sa  publication,  M.  Diderot 
lui  avait  dit  qu'il  le  connaissait,  que  je  le  lui  avais 
montré ,  que  c'était  un  projet  pour  élever  chaque 
homme  pour  l'état  dans  lequel  il  devait  vivre. 
«Par  exemple,  ajoutait-il,  s'il  devait  vivre   dans 


ANNÉK    1770.  291 

«  une  monarchie  ,  on  lui  apprendra  de  bonne 
«  heure  à  être  un  fripon,  etc....  n  Pourquoi  M.  Di- 
derot mentait-il  avec  tant  d'impudence  ?  Je  ne  lui 
avais  certainement  pas  montré  ce  livre ,  puisqu'il 
n'était  pas  encore  commencé  quand  je  rompis  avec 
lui ,  et  que  le  plan  qu'il  me  prétait  est  exactement 
contraire  au  mien,  comme  il  est  aisé  de  le  voir 
dans  l'ouvrage. 

Je  suis,  monsieur,  dans  un  cas  embarrassant 
vis-à-vis  de  M.  de  Tonnerre.  Je  voudrais  ,  et  de 
tout  mon  coeur,  lui  témoigner  combien  je  suis  pé- 
nétré des  bontés  dont  il  m'a  comblé  durant  mon 
séjour  dans  cette  province,  mais  c'est  ce  que  je  ne 
saurais  faire  sans  laisser  parler  en  même  temps 
mon  indignation  de  l'astuce  avec  laquelle  on  l'a 
fait  agir,  sans  qu'il  s'en  aperçût  lui-même  ,  dans  la 
ridicule  affaire  du  galérien  Thevenin,  digne  ins- 
trument des  gens  qui  l'ont  employé.  Je  connais 
et  j'honore  la  droiture  de  M.  de  Tonnerre  ;  j'ai  au- 
tant de  respect  pour  sa  personne  que  pour  son 
illustre  naissance  :  je  le  plains  d'être  cjuelquefois 
surpris  par  des  fourbes;  mais  quand  cette  surprise 
tombe  sur  moi,  je  me  manquerais  à  moi-même 
en  la  passant  sous  silence,  et  je  trouve  trop  diffi- 
cile, en  lui  écrivant,  de  me  faire  entendre  sans 
l'offenser,  ce  qu'assurément  je  serais  au  désespoir 
de  faire.  S'il  n'y  avait  pas  trop  d'indiscrétion, 
monsieur ,  à  vous  supplier  de  vouloir  être  auprès 
de  lui  l'organe  de  mes  sentiments ,  vous  les  feriez 
si  bien  valoir,  et  vous  me  tireriez  d'un  si  grand 
embarras ,  que  ce  serait  une  oeuvre  digne  de  votre 

19- 


ag2.  CORRESPONDANCE. 

bienfaisance.  Je  ne  compte  partir  que  dans  quel- 
ques jours;  ainsi  je  puis  recevoir  encore  ici  de 
vos  nouvelles,  si  vous  voulez  bien  m'en  donner. 
Je  ne  désire  qu'un  mot.  Adieu,  monsieur,  je  ne 
vous  parlerai  plus  de  mes  sentiments  pour  vous  ; 
vous  les  voyez  dans  ma  confiance  qui  en  est  le 
fruit;  mais  je  finirai  ce  dernier  adieu  par  un  mot 
que  je  vous  prie  de  graver  dans  votre  ame  ver- 
tueuse :  Je  suis  innocent. 

Observation.  —  Cette  lettre,  écrite  peu  de  jours  avant  son 
départ  du  Daupliiné,  doit  être  de  la'  fin  de  mai  1770.  On  voit 
dans  la  correspondance  de  Grimm  que  celui-ci  tenait  snr 
Emile  le  même  langage  que  Diderot.  Tous  deux ,  et  particuliè- 
rement Grimm,  ont  touraé  cet  ouvrage  en  ridicule;  mais  il  a 
triomphé  de  leurs  efforts. 


LETTRE  CMXXV. 

A  M.  DE  LA  TOURETTE. 

Lyon,  le  2  juin  1770. 

J'apprends,  monsieur,  qu'on  a  formé  le  projet 
d'élever  une  statue  à  M.  de  Voltaire ,  et  qu'on  per- 
met à  tous  ceux  qui  sont  connus  par  quelque  ou- 
vrage imprimé  de  concourir  à  cette  entreprise.  J'ai 
payé  assez  cher  le  droit  d'être  admis  à  cet  honneur 
pour  oser  y  prétendre,  et  je  vous  supplie  de  vou- 
loir bien  interposer  vos  bons  offices  pour  me  faire 
inscrire  au  nombre  des  souscrivants.  J'espère,  mon- 
sieur, que  les  bontés  dont  vous  m'honorez,  et  l'oc- 
casion pour  laquelle  je  m'en  prévaux  ici ,  vous  fe- 


ANNÉE    1770.  293 

ront  aisément  pardonner  la  liberté  que  je  prends. 
Je  vous  salue,  monsieur,  très -humblement  et  de 
tout  mon  cœur. 


LETTRE  CMXXVI. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 

A  Lyon,  17^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Après  avoir  prolongé  mon  séjour  dans  Lyon 
plus  que  je  ne  m'y  étais  attendu,  je  n'en  veux 
point  partir  sans  vous  réitérer  mes  adieux  et  me 
recommander  à  votre  souvenir.  Je  prends  aussi  la 
liberté  de  vous  envoyer  une  lettre  et  un  vieux  mé- 
moire que  m'a  envoyé  par  la  poste  M.  Granger, 
de  Monquin,  par  lequel  il  prétend  que  je  suis  parti 
de  là  sans  lui  payer  les  dernières  fournitures  que 
sa  femme  m'a  faites  en  œufs ,  beurre  et  fromages  : 
comme  je  ne  me  sens  pas  le  bras  assez>  bon  pour 
lui  payer  ce  mémoire  dans  la  monnaie  qu'il  mé- 
rite ,  je  veux  au  moins  que  vous  connaissiez  la 
manière  dont  on  a  dressé  et  styté  cet  homme  par 
rapport  à  moi  ;  et  pour  cet  effet ,  j'ai  joint  à  ce 
mémoire  une  feuille  contenant  des  observations 
sur  chaque  article,  par  lesquelles  vous  pourrez  jut 
ger  de  sa  bonne  foi  et  de  ceux  qui  le  mettent  en 
œuvre.  Vous  êtes  à  portée ,  monsieur ,  de  vérifier 
tous  ces  faits.  J'ai  cru ,  sur  votie  amour  pour  l'é- 


294  COKRESPONDANCE. 

quité ,  que  vous  ne  dédaigneriez  pas  d'en  prendre 
la  peine.  Je  comprends  qu'on  a  voulu  renouveler 

la  scène  de Mais  il  n'est  plus  temps,  et  j'ai  trop 

bien  pris  mon  parti  sur  tout  le  reste  pour  m'affec- 
ter  encore  de  ces  choses -là.  Ainsi  je  mets  désor- 
mais au  pis  les  fourbes,  les  fripons ,  les  méchants, 
et  tous  les  gens  qui ,  pour  me  décrier ,  les  em- 
ploient. J'espère,  avant  de  partir  d'ici,  y  recevoir 
encore  des  nouvelles  de  votre  santé  et  de  celle  de 
madame  de  Saint-Germain,  à  qui  je  vous  supplie 
de  faire  agréer  mon  respect.  Ma  femme  vous  prie, 
monsieur ,  d'agréer  le  sien ,  et  nous  emportons  l'un 
et  l'autre  le  plus  tendre  et  le  plus  durable  souve- 
nir des  bontés  dont  vous  nous  avez  honorés. 


LETTRE  CMXXVII. 

AU  MÊME. 

A  Lyon,  19  avril  1770. 

J'ai  reçu ,  monsieur ,  avec  la  lettre  dont  vous 
m'avez  honoré  le  i6  du  mois  dernier,  celle  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  me  faire  parvenir  d'envoi 
de  M.  de  T ,  à  qui ,  selon  vos  intentions,  j'en  ac- 
cuse la  réception.  C'est  une  réponse  de  madame  de 
Portland ,  qui  me  donne  avis  de  la  réception  des 
plantes  que  je  lui  ai  envoyées ,  il  y  a  près  de  six 
mois.  Après  un  voyage  assez  désagréable,  je  suis 
arrivé  ici  en  assez  bonne  santé ,  de  même  que  ma 
femme ,  qui ,  pénétrée  de  vos  bontés,  me  charge  de 


ANNEE    1770.  295 

VOUS  en  marquer  sa  très -humble  reconnaissance. 
Je  vous  prie  aussi ,  monsieur ,  de  vouloir  témoigner 
la  mienne  à  madame  de  Saint-Germain.,  en  lui  fai- 
sant agréer  mon  respect.  Vous  connaissez ,  mon- 
sieur, toute  ma  confiance  en  votre  bienveillance, 
et  je  me  flatte  que  vous  connaissez  aussi  combien 
j'y  suis  sensible  et  disposé  à  m'en  prévaloir  en  toute 
occasion,  sans  crainte  de  vous  déplaire.  Des  incon- 
vénients que  j'aurais  dû  prévoir  retardent  ma 
marche  ,  sans  rien  changer  à  mes  résolutions.  Je 
prends  la  liberté  de  me  recommander  à  votre  sou- 
venir, et  de  vous  assurer  que  rien  n'affaiblira  ja- 
mais les  sentiments  immortels  que  vous  m'avez 
inspirés. 

Observation.  —  H  y  a  probablement  erreur  de  date.  Au  lieu 
du  19  avril,  cette  lettre  doit  être  du  19  juin.  Au  mois  d'avril 
Rousseau  n'avait  point  fait  de  voyage;  il  passa  ce  mois  tout  en- 
tier à  Monquiu.  En  la  supposant  du  19  juin,  les  circonstances 
dont  il  parle  se  trouvent  expliquées. 


LETTRE  CMXXVIII. 

A  MADAME  B. 

Paris,  le  7  juillet  1770. 

Deux  raisons,  madame,  outre  le  tracas  d'im  dé- 
barquement, m'ont  empêché  d'aller  vous  voir  à 
mon  arrivée  :  la  première ,  que  vous  m'avez  écrit 
vous-même  que ,  quand  même  nous  serions  raj)- 
proches,  nous  ne  pourrions  pas  nous  voir;  l'autre, 


296  CORRESPOIVDANCE. 

que  je  suis  déterminé  à  n'avoir  aucune  relation 
avec  quiconque  en  a  avec  madame  de***.  C'est  à 
vous ,  madame ,  à  m'instruire  si  ces  deux  obstacles 
existent  ou  non  :  s'ils  n'existent  pas ,  j'irai  avec  le 
plus  vif  empressement  contenter  le  besoin  de  vous 
voir ,  que  me  donna  la  première  lettre  que  vous 
me  fîtes  l'honneur  de  m'écrire  ,  et  qu'ont  aug- 
menté toutes  les  autres.  Un  rendez-vous  au  spec- 
tacle ne  saurait  me  convenir,  parce  que,  bien  éloi- 
gné de  vouloir  me  cacher ,  je  ne  veux  pas  non  plus 
me  donner  en  spectacle  moi-même  ;  mais  s'il  arri- 
vait que  le  hasard  nous  y  conduisît  en  même  jour, 
et  que  je  le  susse ,  ne  doutez  pas  que  je  ne  profi- 
tasse avec  transport  du  plaisir  de  vous  y  voir ,  et 
même  que  je  ne  me  présentasse  à  votre  loge ,  si 
j'étais  sur  que  cela  ne  vous  déplût  pas.  Je  suis  af- 
fligé d'apprendre  votre  prochain  départ.  Est-ce 
pour  augmenter  mon  regret  que  vous  me  propo- 
sez de  vous  suivre  en  Nivernois  ?  Bonjour ,  ma- 
dame ,  donnez-moi  de  vos  nouvelles  et  vos  ordreis 
durant  le  séjour  qui  vous  reste  à  faire  à  Paris;  don- 
nez-moi votre  adresse  en  province  ,  et  souvenez- 
yous  de  moi  quelquefois. 

Pas  un  mot  du  prétendu  opéra  qu'on  dit  que  je 
vais  donner.  J'espère  que  de  sa  vie  J.  J.  Rousseau 
n'aura  plus  rien  à  démêler  avec  le  public.  Quand 
quelque  bruit  court  de  moi,  croyez  toujours  exac- 
tement le  contraire ,  vous  vous  tromperez  rare- 
ment. 


AIVIVDE    1770.  297 

LETTRE  CMXXIX. 

A  LA  MÊME. 

Paris,  le  i3  juiUet  1770. 

Je  ne  puis ,  madame ,  vous  aller  voir  que  la  se- 
maine prochaine,  puisque  nous  sommes  à  la  fin  de 
celle-ci  :  je  tâcherai  que  ce  soit  mardi,  mais  je  ne 
m'y  engage  pas ,  encore  moins  pour  le  dîner  ;  il 
faut  que  tout  cela  se  prenne  impromptu  :  car  tous 
les  engagements  pris  d'avance  m'ôtent  tout  le  plai- 
sir de  les  remplir.  Je  déjeûne  toujours  en  me  le- 
vant; mais  cela  ne  m'empêchera  pas ,  si  vous  pre- 
nez du  café  ou  du  chocolat,  d'en  prendre  encore 
avec  vous.  Ne  m'envoyez  point  de  voiture,  j'aime 
mieux  aller  à  pied  ;  et,  si  je  ne  suis  pas  chez  vous 
à  dix  heures  ,  ne  m'attendez  plus. 

Je  vous  sais  gré  de  me  reprocher  mon  air  gauche 
et  embarrassé  ;  mais  si  vous  voulez  que  je  m'en 
défasse ,  il  faut  que  ce  soit  votre  ouvrage.  Avec 
une  ame  assez  peu  craintive ,  un  naturel  d'une  in- 
supportable timidité ,  surtout  auprès  des  femmes , 
me  rend  toujours  d'autant  plus  maussade  que  je 
voudrais  me  rendre  plus  agréable  :  de  plus,  je  n'ai 
jamais  su  parler,  surtout  quand  j'aurais  voulu  bien 
dire  ;  et  si  vous  avez  la  préférence  de  tous  mes  em- 
barras ,  vous  n'avez  pas  trop  à  vous  en  plaindre. 
Bonjour,  madame  :  voilà  votre  laquais;  à  mardi. 


298  CORRESPONDANCE. 

s'il  fait  beau,  mais  sans  promesse.  Je  sens  qu'ayant 
à  vous  perdre  si  vite ,  il  ne  faut  pas  me  faire  un 
besoin  de  vous  voir. 


LETTRE  CMXXX. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 


14 
i7ir7o- 


Me  voici  à  Paris,  monsieur.  Depuis  trois  se- 
maines j'y  ai  repris  mon  ancienne  habitation,  j'y 
revois  mes  anciennes  connaissances,  j'y  suis  mon 
ancienne  manière  de  vivre,  j'y  exerce  mon  ancien 
métier  de  copiste ,  et  jusqu'à  présent  je  m'y  retrouve 
à  peu  près  dans  la  même  situation  où  j'étais  avant 
de  partir.  Si  on  m'y  laisse  tranquille  ,  j'y  resterai; 
si  l'on  m'y  tracasse,  je  l'endurerai  :  ma  volonté 
n'est  soumise  qu'à  la  loi  du  devoir,  mais  ma  per- 
sonne l'est  au  joug  de  la  nécessité,  que  j'ai  appris 
à  porter  sans  murmure.  Les  hommes  peuvent  sur 
ce  point  se  satisfaire,  je  les  mets  bien  à  la  portée 
de  s'en  donner  le  plaisir.  Je  n'ai  pu,  monsieur, 
vous  écrire  à  mon  arrivée,  quelque  désir  que  j'en 
eusse,  à  cause  de  l'affluence  des  oisifs  et  des  em- 
barras du  débarquement.  J'ai  eu  plusieurs  fois  ce 
plaisir  à  Lyon ,  d'où  l'on  me  mande  qu'il  m'est  venu 
plusieurs  lettres  depuis  mon  départ.  J'espère  trou- 
ver dans  quelqu'une  de  ces  lettres  des  marques  de 
votre  souvenir ,  et  de  bonnes  nouvelles  de  votre 
santé  et  de  celle  de  madame  de  Saint-Germain. 


AKJVEE    17'yO.  2g(J 

J'ai  eu  le  plaisir  de  parler  ici  de  vous  avec  des 
personnes  de  votre  connaissance  et  qui  partagent 
les  sentiments  que  vous  m'avez  inspirés.  Je  mets  à 

leur  tête  M.  Tarchevéque avec  lequel  j'ai   eu 

l'honneur  de  dîner  il  y  a  deux  jours.  Nous  par- 
lâmes aussi ,  mais  différemment ,  d'une  personne 
dont  vous  savez  les  procédés  à  mon  égard  et  qu'il 
connaît  bien.  Vous  avez  fait  la  conquête  de  trois 
voyageurs  très-aimables  qui  vous  demandèrent  de 
mes. nouvelles  à  Bourgoin  et  qui  m'ont  ici  beau- 
coup demandé  des  vôtres.  Je  me  propose ,  aussitôt 
qu'on  me  laissera  respirer,  d'aller  rappeler  à  BI.D.... 
une  connaissance  faite  sous  vos  auspices  et  lui  de- 
mander de  vos  nouvelles,  en  attendant  le  plaisir 
d'en  recevoir  directement.  Donnez- m'en,  mon- 
sieur, aussi  promptement  qu'il  se  pourra,  je  les 
recevrai  avec  la  joie  que  me  donnent  toujours  tous 
les  témoignages  de  vos  bontés  pour  moi.  Je  vous 
supplie  de  faire  agréer  mon  respect  à  madame  de 
Saint-Germain  :  ma  femme  vous  prie  d'agréer  les 
siens. 


LETTRE  CMXXXI. 

A  MADAME  LATOUR. 

Paris ,  17570, 

je  n'accepte  point,  madame,  l'honneur  que 
vous  voulez  me  faire.  Je  ne  suis  pas  logé  de  ma- 
nière à  pouvoir  recevoir  des  visites  de  dames,  et 


3oO  CORRESPONDANCE. 

les  vôtres  ne  pourraient  manquer  d'être  aussi  gê- 
nantes pour  ma  femme  et  pour  moi,  qu'ennuyeuses 
pour  vous. 

L'inconvénient  que  vous  trouvez  vous-même  à 
recevoir  les  miennes  suffirait  pour  m'engager  à 
m'en  abstenir ,  et  tout  autre  détail  serait  superflu. 
Agréez,  madame,  je  vous  supplie,  mes  salutations 
et  mon  respect. 


LETTRE  CMXXXII. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 

Paris,  17-9-70. 

J'ai  bien  reçu, monsieur ,  et  votre  dernière  lettre 
du  5  septembre,  et  la  précédente  réponse  dont 
vous  m'avez  honoré ,  de  même  depuis  quelque 
temps  celle  que  vx)us  aviez  eu  la  bonté  de  m'é- 
crire  à  Lyon  au  sujet  du  fermier  de  Monquin,  et 
où  j'ai  vu  avec  bien  de  la  reconnaissance  les  soins 
que  vous  avez  bien  voulu  prendre  pour  confondre 
ce  misérable  :  je  suis  pénétré,  monsieur,  je  vous 
assure ,  de  retrouver  toujours  en  vous  les  mêmes 
bontés;  et  l'assurance  qu'elles  sont  à  l'épreuve 
du  temps  et  de  l'éloignement  et  de  l'astuce  des 
hommes ,  me  rendra  toujours  cher  le  séjour  de 
Bourgoin  qui  m'a  valu  un  bonheur  dont  je  sens 
bien  le  prix,  et  que  je  cultiverai  autant  qu'il  dé- 
pendra de  moi.  Il  est  vrai,  monsieur,  que  je  tâche 
insensiblement  de  reprendre  la  vie  retirée  et  soli- 


ANNÉE    1770.  3oi 

taire  qui  convient  à  mon  humeur.  Mais  je  n'ai  pas 
été  jusqu'ici  assez  heureux  pour  pouvoir  souvent 
satisfaire  au  jardin  du  roi  l'ardeur  qui  ne  s'est  ja- 
mais attiédie  en  moi  d'en  connaître  les  richesses  : 
je  n'ai  pu  encore  y  aller  que  deux  fois ,  tant  à  cause 
du  grand  éloignement,  que  de  mes  occupations 
qui  me  retiennent  chez  moi  les  matinées ,  à  quoi 
se  joint  depuis  quelque  temps  une  fluxion  assez 
douloureuse  qui  m'empêche  absolument  de  sortir: 
ma  femme  en  a  eu  dans  le  même  temps  une  toute 
semblable ,  et  nous  nous  sommes  gardés  mutuelle- 
ment. Elle  est  mieux  àprésent ,  et  nous  réunissons 
nos  actions  de  grâces  pour  l'obligeant  souvenir  de 
madame  de  Saint-Germain ,  à  qui  nous  vous  sup- 
plions l'un  et  l'autre  de  faire  agréer  nos  respects. 
Vous  connaissez,  monsieur,  les  sentiments  que 
nous  vous  avons  voués ,  ils  sont  inaltérables  comme 
vos  vertus  ,  et  je  voudrais  bien  que  vous  me  prou- 
vassiez combien  vous  y  comptez ,  en  me  donnant 
ici  quelque  commission  par  laquelle  je  pusse  vous 
prouver  à  mon  tour  mon  zèle  à  vous  obéir  et  vous 
complaire. 


3o2  CORRESPONDANCE. 

LETTRE  CMXXXIII. 

A  MADAME  DE  CRÉQUI. 

Ce  dimanche  matin  (septembre  1770)  '. 

Vous  m'affligez,  madame,  en  désirant  de  moi 
une  chose  qui  m'est  devenue  impossible.  Elle  peut 
un  jour  cesser  de  l'être.  Tous  les  obscurs  complots 
des  hommes,  leurs  longs  succès,  leurs  ténébreux 
triomphes ,  ne  me  feront  jamais  désespérer  de  la 
Providence;  et,  si  son  œuvre  se  fait  de  mon  vivant, 
je  n'oublierai  pas  votre  demande ,  ni  le  plaisir  que 
j'aurai  d'y  acquiescer.  Jusque-là,  permettez,  ma- 
dame, que  je  vous  conjure  de  ne  m'en  plus  re- 
parler. 

Ma  femme  est  comblée  de  l'honneur  que  vous 
lui  faites  de  penser  à  elle,  et  de  votre  obligeante 
invitation.  Si  elle  était  un  peu  plus  allante ,  elle 
en  profiterait  bien  vite ,  moins  pour  voir  le  jardin 
que  pour  faire  sa  révérence  à  la  maîtresse  ;  mais 
elle  est  d'une  paresse  incroyable  à  sortir  de  sa 
chambre,  et  j'ai  toutes  les  peines  du  monde  à  ob- 
tenir ,  cinq  ou  six  fois  l'année ,  qu'elle  veuille  bien 
venir  promener  avec  moi:  au  reste,  elle  partage 
tous  mes  sentiments ,  madame ,  et  surtout  ceux 

'  J.  J.  Rousseau  parlant  clans  cette  lettre  de  complots ,  appelant 
Thérèse  sa  femme,  nom  qu'il  ne  lui  donne  qu'en  1768  ;  enfin  n'é- 
tant de  retour  à  Paris  qu'en  1770  ,  cette  lettre  doit  être  de  ce  temps, 
et  non  de  1766  ,  date  qu'on  lui  a  donnée  jusqu'à  présent,  oubliant 
qu'il  passe  cette  année  en  Angleterre. 


ANNÉE    1770.  3o3 

(le  respect  et  d'attachement  dont  mon  cœur  est  et 
sera  pénétré  pour  vous  jusqu'à  mon  dernier  soupir. 
Je  me  proposais  de  vous  porter  ma  réponse  moi- 
même,  mais  des  contrariétés  me  font  prendre  le 
parti  d^envoyer  toujours  ce  mot  devant. 


LETTRE  CMXXXIV. 

A  LA  MÊME. 

Paris,  1770  '. 

,  Je  reçois  votre  lettre,  madame,  en  arrivant 
d'une  course,  et  j'y  réponds  à  la  hâte  en  repartant 
pour  une  autre.  L'air  malsain  pour  moi  de  mon 
habitation  ,  et  l'importunité  des  désœuvrés  de  tous 
les  coins  du  monde ,  me  forcent  à  chercher  le  sou- 
lagement et  la  solitude  dans  des  pèlerinages  con- 
tinuels. 


LETTRE  CMXXXV, 

A  LA  MÊME. 

Ce  vendredi  matin  (Paris  1770). 

Vous  ne  m'imposez  pas ,  madame ,  une  tâche 
aisée  en  m'ordonnant  de  vous  montrer  Emile  dans 
cette  île  où  l'on  est  vertueux  sans  témoins,  et  cou- 
rageux sans  ostentation.  Tout  ce  que  j'ai  pu  sa- 

'  Ces  lettres  étaient  dans  la  plupart  des  éditions  datée  du  Temple, 


3o4  CORRESPONDANCE. 

voir  de  cette  île  étrangère,  est  qu'avant  d'y  abor- 
der on  n'y  voit  jamais  jDersonne  ;  qu'en  y  arrivant 
on  est  encore  fort  sujet  à  s'y  trouver  seul;  mais 
qu'alors  on  se  console  aussi  sans  peine  du  petit 
malheur  de  n'y  être  vu  de  qui  que  ce  soit.  En  vé- 
rité, madame,  je  crois  que,  pour  voir  les  habi- 
tantes de  cette  île  il  faut  les  chercher  soi-même, 
et  ne  s'en  rapporter  jamais  qu'à  soi.  Je  vous  ai 
montré  mon  Emile  en  chemin  pour  y  arriver  ;  le 
reste  de  la  route  vous  sera  bien  moins  difficile  à 
faire  seule  qu'à  moi  de  vous  y  guider. 

Je  vous  remercie,  madame,  de  la  chanson  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer ,  et  je  vous 
demande  pardon  de  ne  l'avoir  pas  trouvée ,  à  ma 
propre  lecture ,  aussi  jolie  que  quand  vous  nous  la 
lisiez:  la  versification  m'en  paraît  contrainte;  je 
n'y  trouve  ni  douceur  ni  chaleur:  le  pénultième 
couplet  est  le  seul  où  je  trouve  du  naturel  et  du 
sentiment  ;  dans  le  premier  couplet ,  le  premier 
vers  est  gâté  par  le  second  ;  les  deux  premiers  vers 
du  quatrième  couplet  sont  tout-à-fait  louches;  il 
fallait  dire  :  Si  l'on  ne  parle  délie  a  tout  moment, 
on  parle  une  langue  qui  m'est  étrangère.  S'il  faut 
être  clair  quand  on  parle ,  il  faut  être  lumineux 
quand  on  chante.  La  lenteur  du  chant  efface  les 
liaisons  du  sens  ,  à  moins  qu'elles  ne  soient  très- 
marquées.  Je  ne  renonce  pourtant  pas  à  faire  l'air 

le  3  janvier  1 766.  Or  il  partait  ce  jour  même  pour  l'Angleterre  avec 
David  Hume.  Une  autre  circonstance  démontre  l'erreur  de  la  date. 
Il  parle  de  l'insalubrité  de  son  habitation ,  tandis  qu'il  était  logé  par 
le  prince  de  Conti  à  l'hôtel  Saint-Simon,  dans  l'enclos  du  Temple, 
et  meublé  somptueusement. 


/VNNÉF    1770.  3o5 

que  vous  désirez  ;  mais,  madanie,  je  voudrais  que 
vous  eussiez  la  bonté  de  faire  faire  quelques  cor- 
rections aux  paroles ,  car  pour  moi  cela  m'est  im- 
possible ;  et  même,  si  vous  ne  trouvez  pas  mes  ob- 
servations justes,  je  les  abandonne,  et  ferai  l'air 
sur  la  chanson  telle  qu'elle  est.  Ordonnez ,  j'obéirai. 


LETTRE  CMXXXVI. 

A  M.  DUSAULX. 

Paris  (Post  tenebras  lux)  ,  17-7770. 

Toutes  vos  bontés  pour  moi ,  monsieur,  me  trou- 
veront toujours  sensible  et  reconnaissant,  parce 
que  je  suis  sûr  de  leur  principe.  Quelque  tentant 
que  fût  pour  moi  à  bien  des  égards  l'appartement 
auquel  vous  avez  bien  voulu  songer ,  je  ne  prévois 
pas  qu'il  puisse  me  convenir,  parce  qu'il  me  faut 
chambre  garnie,  et  même  d'un  prix  modique,  et 
que  personne  ne  prendra  le  bon  marché  dans  sa 
poche  dans  toute  affaire  qui  me  regardera,  et  dont 
voudra  bien  se  mêler  M.  Dusaulx  :  d'ailleurs  je  suis 
en  quelque  sorte  arrangé  ici  pour  cet  hiver,  et  il 
n'est  pas  agréable  de  déloger  dans  cette  saison. 
J'irais  avec  empressement  manger  votre  soupe  et 
ce  que  vous  appelez  votre  rogaton^  si  je  n'allais 
dîner  chez  madame  de  Chenonceaux ,  qui  est  ma- 
lade et  qui  m'a  errliê  depuis  deux  jours  *.  Le  mau- 

*  On  dit  arrher ,  et  non  errlier.  Dusaulx,  qui  le  premier  a  publié 
cette  lettre ,  a  souligné  ,  comme  nous  le  faisons  ici ,  le  mot  errhé , 
que  Rousseau  n'a  pu  employer  que  par  inadvertance. 

R.    XXII.  9.0 


^o6  CORRESPONDANCE. 

vais  temps  m'empêcha  hier  de  sortir  et  d'aller 
rendre  mes  devoirs  à  madame  Diisaulx,  comme  je 
l'avais  résolu.  Mille  très-humbles  salutations. 


LETTRE   CMXXXVII. 

A  M.  DUTENS. 

Paris,  le  8  novembre  1770. 
Post  tenebras  lux. 

Je  suis  aussi  touché,  monsieur,  de  vos  soins 
obligeants  que  surpris  du  singulier  procédé  de 
M.  le  colonel  Roguin.  Comme  il  m'avait  mis  plu- 
sieurs fois  sur  le  chapitre  de  la  pension  dont  m'ho- 
nora le  roi  d'Angleterre ,  je  lui  racontai  historique- 
ment les  raisons  qui  m'avaient  fait  renoncera  cette 
pension.  Il  me  parut  disposé  à  agir  pour  faire 
cesser  ces  raisons,  je  m'y  opposai;  il  insista,  je  le 
refusai  plus  fortement ,  et  je  lui  déclarai  que ,  s'il 
faisait  là-dessus  la  moindre  démarche ,  soit  en  mon 
nom ,  soit  au  sien ,  il  pouvait  être  sur  d'être  désa- 
voué, comme  le  sera  toujours  quiconque  voudra 
se  mêler  d'une  affaire  sur  laquelle  j'ai  depuis  long- 
temps pris  mon  parti.  Soyez  persuadé,  monsieur, 
,  qu'il  a  pris  sous  son  bonnet  la  prière  qu'il  vous  a 
faite  d'engager  le  comte  de  Rochford  à  me  faire 
réponse ,  de  même  que  celle  de  prendre  des  me- 
sures pour  le  paiement  de  la  pension.  Je  me  soucie 
fort  peu,  je  vous  assure,  que  le  comte  de  Roch- 


ANNÉE    1770.  3o7 

ford  me  réponde  ou  non  ;  et  quant  à  la  pension , 
j'y  ai  renoncé,  je  vous  proteste,  avec  autant  d'in- 
différence que  je  l'avais  acceptée  avec  reconnais- 
sance. Je  trouve  très-bizarre  qu'on  s'inquiète  si 
fort  de  ma  situation,  dont  je  ne  me  plains  point, 
et  que  je  trouverais  très-heureuse  si  l'on  ne  se 
mêlait  pas  plus  de  mes  affaires  que  je  ne  me  mêle 
de  celles  d'autrui.  Je  suis ,  monsieur ,  très-sensible 
aux  soins  que  vous  voulez  bien  prendre  en  ma 
faveur,  et  à  la  bienveillance  dont  ils  sont  le  gage; 
et  je  m'en  prévaudrais  avec  confiance  en  toute 
autre  occasion ,  mais  dans  celle-ci  je  ne  puis  les 
accepter  ;  je  vous  prie  de  ne  vous  en  donner  au- 
cuns pour  cette  affaire,  et  de  faire  en  sorte  que  ce 
que  vous  avez  déjà  fait  soit  comme  non  avenu. 
A.gréez,  je  vous  supplie,  mes  actions  de  grâces, 
et  soyez  persuadé,  monsieur,  de  toute  ma  recon- 
naissance et  de  tout  mon  attachement. 


LETTRE  CMXXXVIII. 

A  M.  DU  PEYROU. 

Paris  {Post  tenebras  lux.)  ,  177770 

Vous  avez  raison,  mon  cher  hôte,  j'ai  été  bien 
négligent  ;  mais  je  n'imaginais  pas  ,  je  l'avoue ,  que 
vous  ignorassiez  si  parfaitement  mon  séjour  et 
mon  adresse,  qu'il  vous  fallût  un  voyage  de  Lyon 
pour  vous  en  informer.  Je  ne  savais  pas  non  plus 
que  vous  fussiez  malade  ;  je  voyais  ici  des  gens 

uo. 


3o8  CORRESPONDANCE. 

de  ma  connaissance  et  de  vos  amis ,  qui  me  don- 
naient assez  souvent  de  vos  nouvelles ,  et  m'assu- 
raient toujours  que  vous  vous  portiez  bien.  Il  n'y 
a  qu'un  guignon  pareil  au  niien  qui,  tenant  tou- 
jours sur  ma  piste  mes  ennemis  ,  les  inconnus, 
et  tout  le  public ,  laisse  mes  amis  seuls  dans  une 
si  profonde  ignorance  sur  cet  article.  Enfin ,  grâce 
à  votre  voyage  et  à  vos  perquisitions,  vous  êtes  ins- 
truit et  vous  me  donnez  signe  de  vie  ;  je  vous  en 
remercie,  et  je  m'en  réjouis,  ainsi  qiie  de  votre 
rétablissement. 

J'ai  apporté  mes  livres  et  mon  herbier  par  votre 
conseil  même ,  et  parce  qu'en  effet  ils  m'ont  fait 
tant  de  bien  dans  mes  malheurs,  que  j'ai  résolu 
de  ne  m'en  détacher  qu'à  la  dernière  extrémité  ; 
votre  intention,  en  les  achetant,  était  de  m'en 
laisser  l'usage;  c'est  un  procédé  très-noble,  mais 
dont  il  n'était  pas  dans  mon  tour  d'esprit  de  me 
prévaloir.  Du  reste,  leur  destination  n'est  point 
changée  ;  et ,  puisque  vous  m'avez  demandé  la  pré- 
férence, selon  toute  apparence,  ils  ne  tarderont 
pas  beaucoup  à  vous  revenir. 

Si  vous  vous  plaignez  de  mon  peu  d'exactitude , 
j'ai  à  me  plaindre  de  l'excès  de  la  vôtre.  Pourquoi 
voulez-vous  prendre  des  arrangements  positifs  sur 
des  suppositions,  et  m'envoyer  un  mandat  sur  vos 
banquiers  sans  savoir  si  je  suis  équitablement  dans 
le  cas  de  m'en  prévaloir?  Attendez  du  moins  que, 
de  retour  chez  vous,  vous  puissiez  vérifier  par 
vous-même  l'état  des  choses,  et  ne  m'exposiez  pas 
à  recevoir  des  paiements  avant  l'échéance ,  à  rede- 


AJVNÉE    1770,  309 

venir  votre  débiteur  sans  en  rien  savoir,  li  me 
semble  aussi  qu'il  y  aurait  une  sorte  de  bienséance 
à  énoncer  dans  l'ordre  à  vos  banquiers  d'où  me  vient 
la  rente  dont  il  m'assigne  le  paiement,  et  qu'il  ne 
suffit  pas  qu'on  sache  de  moi  quel  est  le  donateur, 
si  l'on  ne  le  sait  aussi  de  vous-même.  J'espère,  mon 
cher  hôte,  que  vous  ne  verrez  dans  mes  objec- 
tions rien  que  de  raisonnable,  et  que  vous  ne 
m'accuserez  pas  de  chercher  de  mauvaises  diffi- 
cultés en  vous  renvoyant  votre  billet.  Ainsi,  je  le 
joins  ici  sans  scrupule. 

Je  suis  plus  fâché  que  vous  de  n'être  pas  à  portée 
de  profiter  de  la  bienveillance  et  des  bontés  de  ma 
chère  hôtesse;  mon  éloignement  de  vos  contrées 
n'est  pas,  comme  vous  le  savez,  une  affaire  de 
choix,  mais  de  nécessité;  et  je  ne  la  crois  pas  assez 
injuste  pour  me  faire,  ainsi  que  vous,  un  crime 
de  mon  malheur.  Mais  vous  qui  parlez,  pourquoi, 
venant  à  Lyon,  n-e  l'y  avez-vous  pas  amenée?  vous 
me  mettez  loin  de  mon  compte,  moi  qu'on  flattait 
de  vous  voir  tous  deux  cet  hiver  à  Paris.  Avec  quel 
plaisir  j'aurais  renouvelé  ma  connaissance  avec 
elle,  et  peut-être  mon  amitié  avec  vous!  car,  quoi 
que  vous  en  disiez,  elle  n'est  point  si  bien  éteinte 
qu'elle  n'eût  pu  renaître  encore,  et  votre  Hen- 
riette, sage  et  bonne, comme  je  me  la  représente, 
eût  été  bien  digne  d'être  le  médium  junctionis.  Ma 
femme  vous  remercie ,  vous  salue  et  vous  embrasse. 
Comme  votre  souvenir  la  rend  contente  d'elle ,  et 
que  je  suis  dans  le  même  cas,  nous  ne  cesserons  ja- 
mais Tun  et  l'autre  de  penser  à  vous  avec  plaisir, 


3lO  CORRESPONDANCE. 

LETTRE  CMXXXIX, 

A  jM.  L.   D.  m. 

Paris,  le  2  3  novembre  1770. 

Oui ,  le  cruel  moment  où  cette  lettre  fut 

écrite  fut  celui  où,  pour  la  première  et  l'unique 
fois ,  je  crus  percer  le  sombre  voile  du  complot 
inouï  dont  je  suis  enveloppé  ;  complot  dont,  malgré 
mes  efforts  pour  en  pénétrer  le  mystère ,  il  ne 
m'était  venu  jusqu'alors  la  moindre  idée  ,  et  dont 
la  trace  s'effaça  bientôt  dans  mon  esprit  au  milieu 
des  absurdités  sans  nombre  dont  je  le  vis  environné. 
La  violence  de  mes  idées ,  et  le  trouble  où  elles  me 
plongèrent  à  cette  découverte ,  m'ont  plutôt  laissé 
le  souvenir  de  leur  impression  que  celui  de  leur 
tissu.  Pour  en  bien  juger  ,  il  faudrait  avoir  présents 
à  l'esprit  tous  les  détails  de  la  situation  où  j'étais 
pour  lors ,  et  toutes  les  circonstances  qui  la  ren- 
daient accablante:  seul,  sans  appui,  sans  conseil, 
sans  guide ,  à  la  merci  des  gens  chargés  de  dis- 
poser de  moi,  livré  par  leur  soin  à  la  haine  pu- 
blique que  je  voyais,  que  je  sentais  en  frémissant, 
sans  qu'il  me  fût  possible  d'en  apercevoir,  d'en 
conjecturer  au  moins  la  cause  ,  pas  même,  ce  qui 
parait  incroyable ,  de  savoir  les  nouvelles  pid)li- 
ques  et  de  lire  les  gazettes;  environné  des  plus 
noires  ténèbres,  à  travers  lesquelles  je  n'aperce- 
vais que  de   sinistres   objets  ;  confiné  pour  tout 


ANN^E    1770.  3l  I 

asile ,  aux  approches  de  l'hiver ,  dans  un  méchant 
cabaret;  et  d'autant  plus  effrayé  de  ce  qui  venait 
de  m'arriver  à  Trye,  que  j'en  voyais  la  suite  et 
l'effet  à  Grenoble. 

L'aventure  de  Thevenin ,  que  j'attribuais  aux  in- 
trigues des  Anglais  et  des  gens  de  lettres ,  m'ap- 
prit que  ces  intrigues  venaient  de  plus  près  et  de 
plus  haut.  J'avais  cru  ce  Thevenin  aposté  seule- 
ment par  le  sieur  Bovier;  j'appris  par  hasard  que 
Bovier  n'agissait  dans  cette  affaire  que  par  l'ordre 
de  M.  l'intendant  ;  ce  qui  ne  me  donna  pas  peu  à 
penser.  M.  de  Tonnerre ,  après  m'avoir  hautement 
promis  toute  la  protection  dont  j'avais  besoin  pour 
approfondir  cette  affaire ,  me  pressa  de  la  suivre , 
et  me  proposa  le  voyage  de  Grenoble  pour  m'a- 
boucher  avec  ledit  Thevenin.  La  proposition  me 
parut  bizarre  après  les  preuves  péremptoires  que 
j'avais  données.  J'y  consentis  néanmoins.  Quand 
j'eus  fait  ce  voyage,  et  que,  malgré  mon  ineptie, 
son  imposture  fut  parvenue  au  plus  haut  degré 
d'évidence,  M.  de  Tonnerre,  oubliant  l'assurance 
qu'il  m'avait  donnée ,  m'offrit  de  punir  ce  malheu- 
reux par  quelques  jours  de  prison ,  ajoutant  qu'il 
ne  pouvait  rien  de  plus.  Je  n'acceptai  point  cette 
offre,  et  l'affaire  en  demeura-là.  Mais  il  resta  clair, 
par  l'expérience  ,  qu'un  imposteur  adroit  pourrait 
m'embarrasser ,  et  que  je  manquais  souvent  du 
sang  froid  et  de  la  présence  d'esprit  nécessaires 
pour  me  démêler  de  ses  ruses.  Je  crus  aussi  m'aper- 
cevoir  que  c'était  là  ce  qu'on  avait  voulu  savoir 
et  que  cette  connaissance  influait  sur  les  intrigues 


3ia  CORRESPOND  A.N  Ci;. 

dont  j'étais  l'objet.  Cette  idée  m'en  rappela  d'autres 
auxquelles  jusqu'alors  j'avais  fait  peu  d'attention  , 
et  des  multitudes  d'observations  que  j'avais  reje- 
tées comme  les  vaines  inquiétudes  d'une  imagina- 
tion effarouchée  par  mes  malheurs. 

Pour  remonter  à  un  événement  qui  n'est  pas 
sans  mystère,  l'époque  du  décret  contre  ma  per- 
sonne me  parut  avoir  été  celle  d'une  sourde  trame 
contre  ma  réputation ,  qui,  d'année  en  année,  éten- 
dit doucement  ses  menées,  jusqu'à  ce  que  mon  dé- 
part pour  l'Angleterre,  les  manœuvres  de  M.  Hume, 
et  la  lettre  de  M.  Walpole,  les  mirent  plus  à  dé- 
couvert ;  jusqu'à  ce  qu'ayant  écarté  de  moi  tout  le 
monde,  hors  les  fauteurs  du  complot,  on  put  me 
traîner  dans  la  fange  ouvertement  et  impunément. 

C'est  ainsi  que  peu  à  peu  tout  changeait  autour 
de  moi.  Le  langage  même  de  mes  connaissances 
changeait  très-sensiblement  :  il  régnait  jusque  dans 
leurs  éloges  une  affectation  de  réserve  ,  d'équi- 
voque et  d'obscurité,  qu'rls  n'avaient  jamais  eue 
auparavant;  et  M.  de  Mirabeau,  m'ayant  écrit  à 
Wootton  pour  m'offrir  un  asile  en  France,  prit 
un  ton  si  bizarre ,  et  se  servait  de  tournures  si  sin- 
gulières ,  qu'il  me  fallait  toute  la  sécurité  de  l'in- 
nocence et  toute  ma  confiance  en  ses  avances  d'a- 
mitié pour  n'être  pas  choqué  d'un  pareil  langage. 
J'y  fis  pour  lors  si  peu  d'attention  que  je  n'en  vins 
pas  moins  en  France  à  son  invitation;  mais  j'y 
trouvai  un  tel  changement  par  rapport  à  moi ,  et 
ime  telle  impossibilité  d'en  découvrir  la  cause,  que 
ma  tête  déjà  altérée  par  l'air  sombre  de  l'Angle- 


akjvée  1770.  3l3 

terre,  s'affectait  davantage  de  plus  en  plus.  Je  m'a- 
perçus qu'on  cherchait  à  m'oter  la  connaissance 
de  tout  ce  qui  se  passait  autour  de  moi.  Il  n'y  avait 
pas  là  de  quoi  me  tranquilliser  ;  encore  moins  dans 
les  traitements  dont ,  à  l'insu  de  M.  le  prince  de 
Conti  (du  moins  je  le  croyais  ainsi),  l'on  m'acca- 
blait au  château  de  Trye.  Le  bruit  en  étant  par- 
venu jusqu'à  S.  A.  S. ,  elle  n'épargna  rien  pour  y 
mettre  ordre ,  quoique  toujours  sans  succès,  sans 
tloute  parce  que  l'im.pulsion  secrète  en  venait  à  la 
fois  du  dedans  et  du  dehors.  Enfin,  poussé  à  bout, 
je  pris  le  parti  de  m'adressera  madame  de  Luxem- 
bourg, qui,  pour  toute  assistance,  me  fit  faire  de 
bouche  une  réponse  assez  sèche,  très-peu  conso- 
lante, et  qui  ne  répondait  guère  aux  bontés  dont 
ce  prince  paraissait  m'accabler. 

Depuis  très-long -temps,  et  long -temps  même 
avant  le  décret,  j'avais  remarqué  dans  cette  dame 
un  grand  changement  de  ton  et  de  manières  envers 
moi.  J'en  attribuais  la  cause  à  un  refroidissement 
assez  naturel  de  la  part  d'une  grande  dame ,  qui , 
d'abord  s'étant  trop  engouée  de  moi  sur  mes  écrits , 
s'en  était  ensuite  ennuyée  par  ma  bêtise  dans  la 
conversation  ,  et  par  ma  gaucherie  dans  la  société. 
Mais  il  y  avait  plus ,  et  j'avais  trop  d'indices  de  sa 
secrète  haine  pour  pouvoir  raisonnablement  en 
douter.  Je  jugeais  même  que  cette  haine  était  fon- 
dée sur  des  balourdises  de  ma  part ,  bien  inno- 
centes assurément  dans  mon  cœur ,  bien  involon- 
taires ,  mais  que  jamais  les  femmes  ne  pardonnent , 
quoiqu'on  n'ait  eu  nulle  intention  de  les  offenser. 


3l4  C011RESP0JVDA.NCE. 

Je  flottais  pourtant  toujours  dans  cette  opinion  , 
ne  pouvant  me  persuader  qu'une  femme  de  ce  rang, 
qui  m'avait  si  bien  connu  ,  qui  m'avait  marqué 
tant  de  bienveillance  et  même  d'empressement, la 
veuve  d'un  seigneur  qui  m'honorait  d'une  amitié 
particulière,  pût  jamais  se  résoudre  à  me  haïr  as- 
sez cruellement  pour  vouloir  travailler  à  ma  perte. 
Une  seule  chose  m'avait  paru  toujours  inexpli- 
cable. En  partant  de  Montmorency ,  j'avais  laissé  à 
M.  de  Luxembourg  tous  mes  papiers ,  les  uns  déjà 
triés ,  les  autres  qu'il  se  chargea  de  trier  lui-même 
pour  me  les  envoyer  avec  les  premiers ,  et  brûler 
ce  qui  m'était  inutile.  En  recevant  cet  envoi,  je 
trouvai  qu'il  manquait  dans  le  triage  plusieurs  ma- 
nuscrits que  j'y  avais  mis,  et  nombre  de  lettres  , 
indifférentes  en  elles-mêmes ,  mais  qui  faisaient  la- 
cune dans  la  suite  que  j'avais  voulu  conserver , 
ayant  déjà  formé  le  projet  d'écrire  un  jour  mes  mé- 
moires. Cette  infidéltté  me  frappa.  Je  ne  pouvais 
l'attribuer  à  M.  le  maréchal,  dont  je  connaissais  la 
droiture  invariable  et  la  vérité  de  son  amitié  pour 
moi  :  je  n'osais  non  plus  en  soupçonner  madame 
la  maréchale,  sachant  surtout  qu'on  ne  pouvait, 
tirer  de  ces  papiers  aucun  usage  qui  pût  me  nuire , 
à  moins  de  les  falsifier.  Je  présumai  que  M.  d'A- 
lembert,  qui  depuis  quelque  temps  s'était  intro- 
duit auprès  d'elle ,  avait  trouvé  le  moyen  de  fure- 
ter ces  papiers  et  d'en  enlever  ce  qu'il  lui  avait  plu, 
soit  pour  tirer  de  ces  papiers  ce  qui  lui  pouvait 
convenir,  soit  pour  tâcher  de  me  susciter  quelque 
tracasserie.  Comme  j'étais  déjà  déterminé  à  quitter 


A.]\«£E    1770.  OI3 

lout-à-fait  la  littérature ,  je  m'inquiétai  peu  de  ces 
larcins ,  qui  n'étaient  pas  les  premiers  de  la  même 
main  que  j'avais  endurés  sans  m'en  plaindre ''. 

Par  trait  de  temps ,  et  malgré  quelques  démon- 
strations affectées  et  toujours  plus  rares,  les  sen- 
timents secrets  de  madame  de  Luxembourg  se  ma- 
nifestaient davantage  de  jour  en  jour  :  cependant, 
craignant  toujours  d'être  injuste,  je  ne  cessai  point 
de  me  confier  à  elle  dans  mes  malheurs,  quoique 
toujours  sans  réponse  et  sans  succès.  Enfin,  en  der- 
nier lieu ,  ayant  écrit  à  M.  de  Clioiseul  pour  lui  de- 
mander, dans  l'extrémité  où  j'étais,  un  passe-port 
pour  sortir  du  royaume ,  et  n'ayant  point  de  ré- 
ponse, j'écrivis  encore  à  madame  de  Luxembourg, 
qui  ne  me  fit  aucune  réponse  non  plus.  Ce  silence  , 
dans  la  circonstance,  me  parut  décisif,  et  j'en  con- 
clus que  si  cette  dame  n'entrait  pas  directement 
dans  le  complot,  du  moins  elle  en  était  instruite, 
et  ne  voulait  m'aider  ni  à  le  connaître  ni  à  m'en 
tirer.  Je  reçus  le  passe-port  lorsque  j'avais  cessé  de 
l'attendre.  M.  de  Choiseul  l'accompagna  d'une  lettre 
'l'un  style  obscur,  ambigu,  choquant  même  ,  et  as- 
sez semblable  à  celui  des  lettres  de  M.  de  Mirabeau. 
Je  jugeai  qu'on  ne  m'avait  fait  attendre  ainsi  le 
passe-port  que  pour  se  donner  le  temps  de  machi- 
ner à  son  aise  dans  les  lieux  où  l'on  savait  que  j'avais 
dessein  d'aller.  Cette  idée  me  fit  changer  sur-le- 

"  Sans  parler  ici  de  ses  Eléments  de  Musique ,  je  venais  de  parcou- 
lir  un  Dictionnaire  des  Beaux-Arts  portant  le  nom  d'un  M.  Lacombe, 
dans  lequel  je  trouvai  beaucoup  d'articles  tout  entiers  de  ceux  que 
j'avais  faits  en  1749  ^ourV Encyclopédie,  et  qui, depuis  nombre  d'an- 
nées, étaient  dans  les  mains  de  M.  d'Alembert. 


3l6  CORRESPONDANCE. 

champ  toutes  mes  résolutions ,  et  prendre  celle  de 
retourner  en  Angleterre,  où,  pour  le  coup  ,  j'avais 
tout  lieu  de  croire  que  je  n'étais  pas  attendu.  J'é- 
crivis à  l'ambassadeur ,  j'écrivis  à  M.  Davenport  ; 
mais ,  tandis  que  j'attendais  mes  réponses ,  j'aper- 
çus autour  de  moi  une  agitation  si  marquée ,  j'en- 
tendis rebattre  à  mes  oreilles  des  propos  si  mysté- 
rieux ;  Bovier  m'écrivait  de  Grenoble  des  lettres  si 
inquiétantes ,  qu'il  fut  clair  qu'on  cherchait  à  m'a- 
larmer  et  me  troubler  tout-à-fait;  et  l'on  réussit. 
Ma  tète  s'affecta  de  tant  d'effrayants  mystères,  dont 
on  s'efforçait  d'augmenter  l'horreur  par  l'obscurité. 
Précisément  dans  le  même  temps,  on  arrêta,  dit- 
on  ,  sur  la  frontière  du  Dauphiné,  un  homme  qu'on 
disait  complice  d'un  attentat  exécrable  :  on  m'as- 
sura que  cet  homme  passait  par  Bourgoin  *".  La  ru- 
meur fut  grande  ,  les  propos  mystérieux  allèrent 
leur  train ,  avec  l'affectation  la  plus  marquée.  En- 
fin ,  quand  on  aurait  formé  le  projet  d'achever  de 
me  rendre  tout-à-fait  frénétique ,  on  n'aurait  pas 
pu  mieux  s'y  prendre  ;  et  si  la  plus  noire  fureur  ne 
s'empara  pas  alors  de  mon  ame  ,  c'est  que  les  mou- 
vements de  cette  espèce  ne  sont  pas  dans  sa  na- 
ture. Vous  sentez  du  moins  que,  dans  l'émotion 
successive  qu'on  m'avait  donnée ,  il  n'y  avait  pas 
là  de  quoi  me  tranquilliser ,  et  que  tant  de  noires 
idées ,  qu'on  avait  soin  de  renouveler  et  d'entre- 
tenir sans  cesse ,  n'étaient  pas  propres  à  rendre 

"  Comme  on  n'a  plus  entendu  parler,  que  je  sache,  de  ce  prétendu 
prisonnier  ,  je  ne  doute  point  que  tout  cela  ne  fût  un  jeu  barbare  et 
digne  de  mes  persécuteurs. 


ANNÉE    1770.  317 

aux  miennes  leur  sérénité.  Continuant  cependant 
à  me  disposer  au  prochain  départ  pour  l'Angle- 
terre, je  visitais  à  loisir  les  papiers  qui  m'étaient 
restés,  et  que  j'avais  dessein  de  brûler ,  comme  un 
embarras  inutile  que  je  traînais  après  moi.  Je  com- 
mençais cette  opération  sur  un  recueil  transcrit  de 
lettres,  cpie  j'avais  discontinué  depuis  long-temps, 
et  j'en  feuilletais  machinalement  le  premier  vo- 
lume ,  quand  je  tombai  par  hasard  sur  la  lacune 
dont  j'ai  parlé,  et  qui  m'avait  toujours  paru  diffi- 
cile à  comprendre.  Que  devins -je  en  remarquant 
que  cette  lacune  tombait  précisément  sur  le  temps 
de  l'époque  dont  le  prisonnier  qui  venait  de  pas- 
ser m'avait  rappelé  l'idée ,  et  à  laquelle ,  sans  cet 
événement ,  je  n'aurais  pas  plus  songé  qu'aupara- 
vant! Cette  découverte  me  bouleversa;  j'y  trouvai 
la  clef  de  tous  les  mystères  qui  m'environnaient. 
Je  compris  que  cet  enlèvement  de  lettres  avait  cer- 
tainement rapport  au  temps  où  elles  avaient  été 
écrites,  et  que  quelque  innocentes  que  fussent  ces 
lettres ,  ce  n'était  pas  pour  rien  qu'on  s'en  était  em- 
paré. Je  conclus  de  là  que  depuis  plus  de  six  ans 
ma  perte  était  jurée ,  et  que  ces  lettres,  inutiles  à 
tout  autre  usage  ,  servaient  à  fournir  les  points 
fixes  des  temps  et  des  lieux  pour  bâtir  le  sys- 
tème d'impostures  dont  on  voulait  me  rendre  la 
victime. 

Dès  l'instant  même  je  renonçai  au  projet  d'aller 
en  Angleterre ,  et ,  sans  balancer  un  moment ,  je 
résolus  de  m'exposer,  armé  de  ma  seule  innocence, 
à  tous  les  complots  que  la  puissance,  la  ruse,  et 


3l8  CORRKSPONDAIVCE. 

l'injustice  pouvaient  tramer  contre  elle«.  La  nuit 
même  où  je  fis  cette  affreuse  découverte,  je  son- 
geais ,  sachant  bien  que  toutes  mes  lettres  étaient 
ouvertes  à  la  poste,  à  profiter  du  retour  de  M.  Pé- 
pin de  Belleisle^,  qui,  m'étant  venu  voir  la  veille, 
m'accablait  des  plus  pressantes  offres  de  service  ; 
et  je  lui  remis  le  matin  une  lettre  pour  madame 
de  Brionne,  qui  en  contenait  une  autre  pour  M.  le 
prince  deConti,  l'une  et  l'autre  écrites  si  à  la  hâte, 
qu'ayant  été  contraint  d'en  transcrire  une ,  j'en- 
voyai le  brouillon  au  lieu  de  la  copie. 

Tels  sont, autant  que  je  puis  me  le  rappeler,  le 
sujet  et  l'occasion  desdites  lettres  :  car, encore  une 
ibis ,  l'agitation  où  j'étais  en  les  écrivant  ne  m'a  pas 
permis  de  garder  un  souvenir  bien  distinct  de  tout 
ce  qui  s'y  rapporte. 

Observation.  —  Rousseau  donne  dans  cette  lettie  des  dé- 
tails importants  sur  les  motifs  qu'il  a  de  se  croire  l'objet  d'un 
complot  général.  Cette  idée  lui  vint  dans  le  cabaret  qu'il  habi- 
tait à  Bourgoin ,  à  propos  de  l'enlèvement  d'une  partie  de  sa 
correspondance  qui  avait  rapport  à  vm  événement  qu'il  né  dé- 
signe pas  avec  assez  de  précision  pour  qu'on  puisse  se  permettre 
des  conjectures.  La  récapitulation  qu'il  fait  et  les  nouvelles  ex- 
plications qu'il  donne  aux  événements  antérieurs,  font  voir 
que  cette  lettre  est  celle  d'un  homme  affecté  d'une  maladie  mo- 
rale, qui,  par  le  compte  qu'il  rend  de  cette  maladie,  en  dé- 
montre l'existence;  d'un  malade  qui  a  le  sentiment  de  son  mal  : 

"  Ce  fut  par  une  suite  de  cette  même  résolution  que  je  conservai 
mon  recueil  de  lettres  ,  dont  heureusement  je  n'avais  encore  dé- 
rhiré  et  brûlé  que  quelques  feuillets. 

''  Il  venait  d'accompagner  en  Piémont  madame  la  princesse  de 
Carignan. 


3i9 

situation  d'autant  plus  pénible  que  ce  sentiment  l'aggrave  en- 
core, quand  son  effet  devrait  être  de  le  faire  cesser...  On  ignore 
à  qui  cette  lettre  fut  adressée. 


LETTRE  CMXL. 

A  M 

Paris,  le  24  novembre  1770. 

Soyez  content,  monsieur,  vous  et  ceux  qui  vous 
dirigent.  Il  vous"  fallait  absolument  une  lettre  de 
moi  :  vous  m'avez  voulu  forcer  à  l'écrire ,  et  vous 
avez  réussi  :  car  on  sait  bien  que  quand  quelqu'un 
nous  dit  qu'il  veut  se  tuer ,  on  est  obligé ,  en  cons- 
cience ,  à  l'exhorter  de  n'en  rien  faire. 

Je  ne  vous  connais  point,  monsieur,  et  n'ai  nul 
désir  de  vous  connaître  ;  mais  je  vous  trouve  très 
à  plaindre,  et  bien  plus  encore  que  vous  ne  pen- 
sez :  néanmoins  ,  dans  tout  le  détail  de  vos  mal- 
heurs, je  ne  vois  pas  de  quoi  fonder  la  terrible 
résolution  que  vous  m'assurez  avoir  prise.  Je  con- 
nais l'indigence  et  son  poids  aussi  bien  que  vous , 
tout  au  moins;  mais  jamais  elle  n'a  .suffi  seule  pour 
déterminer  un  homme  de  bon  sens  à  s'ôter  la  vie. 
Car  enfin  le  pis  qu'il  puisse  arriver  est  de  mourir 
de  faim ,  et  l'on  ne  gagne  pas  grand' chose  à  se  tuer 
pour  éviter  la  mort.  Il  est  pourtant  des  cas  où  la 
misère  est  terrible  ,  insupportable  ;  mais  il  en  est 
où  elle  est  moins  dure  à  souffrir  :  c'est  le  vôtre. 
Comment,  monsieur,  à  vingt  ans,  seul,  sans  fa- 


39.0  f.onp.F.si'DX  n\NCF:. 

mille, avec  de  la  santé,  de  l'esprit,  des  bras  et  un 
bon  ami ,  vous  ne  voyez  d'autre  asile  contre  la  mi- 
sère que  le  tombeau  ?  sûrement  vous  n'y  avez  pas 
bien  regardé. 

Mais  l'opprobre....  La  mort  est  à  préférer,  j'en 
conviens  ;  mais  encore  faut-il  commencer  par  s'as- 
surer que  cet  opprobre  est  bien  réel.  Un  homme 
injuste  et  dur  vous  persécute  ;  il  menace  d'attenter 
à  votre  liberté  :  eh  bien  !  monsieur ,  je  suppose  qu'il 
exécute  sa  barbare  menace ,  serez-vous  déshonoré 
pour  cela?  Des  fers  déshonorent-ils  l'innocent  qui 
les  porte?  Socrate  mourut-il  dans  l'ignominie?  Et 
où  est  donc,  monsieur,  cette  superbe  morale  que 
vous  étalez  si  pompeusement  dans  vos  lettres?  et 
comment,  avec  des  maximes  si  sublimes,  se  rend- 
on  ainsi  l'esclave  de  l'opinion  ?  Ce  n'est  pas  tout  : 
on  dirait,  à  vous  entendre,  que  vous  n'avez  d'autre 
alternative  que  de  mourir  ou  de  vivre  en  captivité. 
Et  point  du  tout,  vous  avez  l'expédient  tout  simple 
de  sortir  de  Paris  :  cela  vaut  encore  mieux  que  de 
sortir  de  la  vie.  Plus  je  relis  notre  lettre,  plus  j'y 
trouve  de  colère  et  d'animosité.  Vous  vous  com- 
plaisez à  l'image  de  votre  sang  jaillissant  sur  votre 
cruel  parent,  vous  vous  tuez  plutôt  par  vengeance 
que  par  désespoir ,  et  vous  songez  moins  à  vous 
tirer  d'affaire  qu'à  punir  votre  ennemi.  Quand  je 
lis  les  réprimandes  plus  que  sévères  dont  il  vous 
plaît  d'accabler  fièrement  le  pauvre  Saint-Preux, 
je  ne  puis  m'empécher  de  croire  que,  s'il  était  là 
pour  vous  répondre  ,  il  pourrait ,  avec  un  peu  plus 
de  justice,  vous  en  rendre  quelques-unes  à  son  tour. 


ANNÉE    1770.  32  1 


Je  conviens  pourtant,  monsieur,  que  votre 
lettre  est  très-bien  faite,  et  je  vous  trouve  fort 
disert  pour  un  désespéré.  Je  voudrais  vous  pouvoir 
féliciter  sur  votre  bonne  foicomme  sur  votre  élo^ 
quence;  mais  la  manière  dont  vous  narrez  notre 
entrevue  ne  me  le  permet  pas  trop.  Il  est  certain 
que  je  me  serais  ,  il  y  a  dix  ans ,  jeté  à  votre  tète, 
que  j'aurais  ])ris  votre  affaire  avec  chaleur  ;  et  il 
est  probal^le  que,  comme  dans  tant  d'affaires 
semblables  dont  j'ai  eu  le  malheur  de  me  mêler, 
la  pétulance  de  mon  zèle  m'eût  plus  nui  qu'elle 
ne  vous  aurait  servi.  Les  plus  terribles  expériences 
m'ont  rendu  plus  réservé;  j'ai  appris  à  n'accueillir 
qu'avec  circonspection  les  nouveaux  visages  ,  et , 
dans  rim])ossibilité  de  remplir  à  la  fois  tous  les  nom- 
breux devoirs  qu'on  m'impose,  à  ne  me  mêler  que 
des  gens  que  je  connais.  Je  ne  vous  ai  pourtant 
point  refiisé  le  conseil  que  vous  m'avez  demandé. 
Je  n'ai  point  approuvé  le  ton  de  votre  lettre  à 
M.  de  r>i.,...;  je  vous  ai  dit  ce  que  j'y  trouvais  à 
reprendre;  et  la  preuve  que  vous  entendîtes  bien 
ceque  je  vous  disais,  est  que  vous  y  répondîtes  piiiv 
sieurs  fois.  Cependant  vous  venez  me  dire  au.- 
jourd'hui  que  le  chagrin  que  je  vous  montrai  ne 
vous  permit  pas  d'entendre  ce  que  je  vous  dis,  el: 
vous  ajoutez  qu'après  de  mûres  délibérations  il 
vous  sembla  d'apercevoir  que  je  vous  blâmais  de 
vous  être  un  peu  trop  abandonné  à  votre  haine»  : 
mais  vraiment  il  ne  fallait  pas  de  bien  mûres  d/'ii- 
bérations  poui-  apercevoir  cela,  car  je  vouii  l'a- 
vais bien  articulé,  et  je  m'étais  assuré  f\uv  vous 
p.    xxîi.  2  ( 


322  CORRESPOIVDANCE. 

m'entendiez  fort  bien.  Vous  m'avez  demandé  con- 
seil, je  ne  vous  l'ai  point  refusé,  j'ai  fait  plus  :  je 
vous  ai  offert,  je  vous  offre  encore  d'alléger,  en 
ce  qui  dépend  de  moi,  la  dureté  de  votre  situa- 
tion. Je  ne  vois  pas,  je  vous  l'avoue,  en  quoi  vous 
pouvez  vous  plaindre  de  mon  accueil  ;  et  si  je  ne 
vous  ai  point  accordé  de  confiance,  c'est  que  vous 
ne  m'en  avez  point  inspiré. 

Vous  ne  voulez  point,  monsieur,  faire  part  de 
l'état  de  votre  ame  et  de  votre  dernière  résolu- 
tion à  votre  bienfaiteur ,  à  votre  consolateur ,  dans 
la  crainte  que,  voulant  prendre  votre  défense,  il 
ne  se  compromît  inutilement  avec  un  ennemi  puis- 
sant qui  ne  lui  pardonnerait  jamais  ;  c'est  à  moi 
que  vous  vous  adressez  pour  cela ,  sans  doute  à 
cause  de  mon  grand  crédit  et  des  moyens  que  j'ai 
de  vous  servir ,  et  qu'im  ennemi  de  plus  ne  vous 
paraît  pas  une  grande  affaire  pour  quelqu'un  dans 
ma  situation.  Je  vous  suis  obligé  de  la  préférence, 
j'en  userais  si  j'étais  sur  de  pouvoir  vous  servir; 
mais ,  certain  que  l'intérêt  qu'on  me  verrait  prendre 
à  vous  ne  ferait  que  vous  nuire,  je  me  tiens  dans 
les  bornes  que  vous  m'avez  demandées. 

A  l'égard  du  jugement  que  je  porterai  de  la  ré- 
solution que  vous  me  marquez  avoir  prise,  quand 
j'en  apprendrai  l'exécution,  ce  ne  sera  sûrement 
pas  de  penser  que  celait  la  le  but .,  la  Jiii^  V objet 
moral  de  la  vie;  mais  au  contraire  que  c  était  ic 
comble  de  V égarement^  du  délire^  et  de  la  fureur. 
S'il  était  quelque  cas  où  l'homme  eût  le  droit  de 
se  délivrer  de   sa  propre  vie,  ce  se)\ait  poiu-  des 


maux  intolérables  et  sans  remède,  mais  non  pas 
pour  une  situation  dore,  mais  passagère,  ni  pour 
des  maux  qu'une  meilleure  fortune  peut  finir  dès 
demain.  La  misère  n'est  jamais  un  état  sans  res- 
sources, surtout  à  votre  âge;  elle  laisse  toujours 
l'espoir  bien  fondé  de  la  voir  finir  quand  on  y 
travaille  avec  courage ,  et  qu'on  a  des  moyens  pour 
cela.  Si  vous  craignez  que  votre  ennemi  n'exécute 
sa  menace,  et  que  vous  ne  vous  sentiez  pas  la  con- 
stance de  supporter  ce  malheur,  cédez  à  l'orage 
et  quittez  Paris  :  qui  vous  en  empêche?  Si  vous 
aimez  mieux  le  braver,  vous  le  pouvez,  non  sans 
danger,  mais  sans  opprobre.  Croyez -vous  être  le 
seul  qui  ait  des  ennemis  puissants,  qui  soit  en 
péril  dans  Paris ,  et  qui  ne  laisse  pas  d'y  vivre 
tranquille ,  en  mettant  les  hommes  au  pis ,  content 
de  se  dire  à  lui-même  :  Je  reste  au  pouvoir  de  mes 
ennemis  dont  je  connais  la  ruse  et  la  puissance , 
mais  j'ai  fait  en  sorte  qu'ils  ne  puissent  jamais  me 
faire  de  mal  justement?  Monsieur,  celui  qui  se 
parle  ainsi  peut  vivre  tranquille  au  milieu  d'eux , 
et  n'est  point  tenté  de  se  tuer. 

OnsEE.VATiON.  —  Cette  lettre,  pleine  de  sens  et  de  raison,  est 
bien  différente  de  la  précédente.  Elle  ue  détruit  point  l'opinion 
que  nous  avons  énoncée  sur  la  mort  de  Ptousseau,  puisqu'il 
pense  qu'il  \  a  des  eas  où  l'homme  a  le  droit  de  se  délivrer  de 
ia  vie. 


V.  î. 


3*4  CORRESPONDANCE. 

LETTRE  CMXLÎ. 

A  M.  DUSAULX. 

Paris,  in-^yt. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Si  M.  Dusaiilx  faisait  quelquefois  collation  sur 
le  bout  du  banc,  pour  être  au  lit  à  dix-  heures, 
je  lui  proposerais  aujourd'hui  un  petit  souper, 
non  d'Apicius,  mais  d'Épicure,  et  tel  qu'on  n'en 
fait  guère  à  Paris.  Ce  souper,  j'y  ai  pourvu,  serait 
animé  d'une  bouteille  de  son  vin  d'Espagne  *,  sur- 
tout de  sa  présence  et  de  son  entretien.  S'il  con- 
sent, je  lui  demande  un  petit  oui,  afin  que  le  plai- 
sir de  le  voir  soit  précédé  de  celui  de  l'attendre, 
à  moins  qu  il  n'aime  mieux  croire  que  ce  soit  pour 
faire  d'avance  les  préparatifs  du  festin. 

Les  respects  de  ma  femme  et  les  miens  à  ma- 
dame Dusaulx. 

*  H  avait  envoyé  demander  cette  bouteille  chez  Dusaulx;  mais 
au  lieu  d'une  on  en  apporta  douze ,  générosité  au  moins  fort  mal- 
adroite ,  et  qui  dut  paraître  à  Rousseau  d'autant  plus  offensante , 
que  son  procédé  était  franc  et  aimable.  Rousseau  donc  s'en  fâcha , 
et  certainement  il  avait  raison;  cependant  la  querelle  n'eut  pas  de 
suite. 


AJNNJiE    1771.  3-^5 

LETTRE  CMXLll. 

AU  MÊME. 


nh^' 


Pauvics  aveugles  que  nous  souitucb!  etc. 

Monsieur, 

Je  suis  toujours  frappé  de  l'idée  que  vous  avez 
<5ue  de  me  mettre,  dans  le  livre  que  vous  faites, 
en  pendant  avec  un  scélérat  abominable  qui  fait  du 
masque  de  la  vertu  l'iusti-ument  du  crime,  et  qui , 
selon  vous  ,  la  rend  aussi  touchante  dans  ses  dis- 
cours qu'elle  l'est  dans  mes  écrits.  J'ai  toujours  cru , 
je  crois  encore  qu'il  faut  sincèrement  aimer  la  vertu 
poiu-  savoir  la  rendre  aimable  aux  autres ,  et  que 
quiconque  y  croit  de  bonne  foi  distingue  aisément 
dans  son  cœur  le  langage  de  l'bypocrisie  d'avec 
celui  que  le  cœur  a  dicté.  Vous  me  dites  pour  ex- 
cuse que  vous  portiez  ce  jugement  à  l'âge  de 
dix-sept  ans;  mais,  monsieur,  vous  n'aviez  pas  lu 
mes  écrits:  c'est  à  l'âge  où  vous  êtes,  c'est  au  mo- 
ment que  vous  écrivez  que  vous  identifiez  l'im- 
pression que  vous  fait  leur  lecture  avec  celle  des 
discours  du  fourbe  dont  il  s'agit.  Si  c'est  là  la  seule 
ou  la  plus  honorable  mention  que  vous  faites  dans 
votre  ouvrage  d'un  homme  à  qui  vous  marquez^ 
entre  vous  cl  lui ,  tant  d'estime  et  d'empressement, 


3lB  COKRKSPONi>A]>fC£. 

le  tour,  si  c'est  un  éloge,  est  neuf  et  bizarre;  si 
c'est  un  art  employé  pour  appuyer  couvertement 
l'imposture  ,  il  est  infernal.  Vous  paraissez  disposé 
à  changer  dans  le  passage  ce  qui  peut  m'y  déplaire  : 
je  vous  l'ai  déjà  dit,  monsieur,  n'y  chanoez  rien; 
s'il  a  pu  vous  plaire  un  moment,  il  ne  me  déplaira 
jamais.  Je  suis  bien  aise  que  tout  le  monde  sache 
quelle  place  vous  donnez  dans  vos  écrits  à  un 
homme  qu'en  même  temps  vous  recherchez  avec 
tant  de  zèle,  et  à  qui  vous  paraissez,  du  moins  en 
parlant  à  lui ,  en  donner  une  si  belle  dans  votre 
estime  et  dans  votre  cœur.  Cette  remarque  m'en 
rappelle  d'autres  trop  petites  pour  être  citées, mais 
sur  l'effet  desquelles  je  veux  vous  ouvrir  le  mien. 

Après  m'avoir  dit  si  souvent  en  si  beaux  termes 
que  vous  me  connaissiez,  m'aimiez,  m'estimiez^ 
m'honoriez  parfaitement,  il  est  constant,  et  je  le 
dis  de  tout  mon  cœur ,  que  les  prévenances  et  les 
honnêtetés  dont  vous  m'avez  comblé ,  adressées  , 
dans  votre  intention  comme  dans  la  vérité ,  à  un 
homme  de  bien  et  d'honneur ,  ont  à  ma  reconnais- 
sance et  à  mon  attachement  un  droit  que  je  serai 
toujours  empressé  d'acquitter. 

Mais,  s'il  était  possible,  au  contraire,  que,  m'ayant 
pris  pour  un  hypocrite  et  lin  scélérat,  vous  m'eus- 
siez cependant  prodigué  tant  d'avances,  de  caresses  ; 
et  de  cajoleries  de  toute  espèce ,  pour  capter  ma 
confiance  et  moh  amitié,  soit  parce  que  mon  ca- 
ractère supposé  conviendrait  au  vôtre ,  soit  poiu' 
aller  par  astuce  à  des  l^ns  que  vous  me  cacheriez 
avec  soin;  dans  ce  cas,  il  n'en  est  pas  moins  sûr 


I 


ÂNN  LE    177  •  •  327 

qu'en  tout  état  de  choses  possibles  vous  ne  seriez 
vous-même  qu'un  vil  fourbe  et  un  malhonnête 
homme ,  digne  de  tout  le  mépris  que  vous  auriez 
eu  pour  moi. 

J'aurais  bien  quelque  chose  encore  à  vous  dire; 
mais  je  m'en  tiens  là  quant  à  présent.  Voilà  ,  mon- 
sieur,  un  doute  que  j'ai  senti  naître  avec  douleur , 
et  qui  s'augmente  au  point  d'être  intolérable.  Je 
vous  le  déclare  avec  ma  franchise  ordinaire  ,  dont , 
quelque  mal  qu'elle  nj'ait  fait  et  qu'elle  me  fasse  , 
je  ne  me  départirai  jamais.  Je  vous  montre  bien 
mes  sentiments  :  montrez-moi  si  bien  les  vôtres , 
que  je  sache  avec  certitude  ce  que  vous  pensez  de 
moi.  Je  me  souviens  de  vous  avoir  dit  que  si  ja- 
mais je  me  défiais  de  vous,  ce  serait  votre  faute. 
Vous  voilà  dans  le  cas  ;  c'est  à  vous  d'y  pourvoir, 
au  moins  si  vous  donnez  quelque  prix  à  mon  es- 
time. En  y  pourvoyant,  n'en  faites  pas  à  deux  fois , 
car  je  vous  avertis  qu'à  la  seconde  vous  n'y  seriez 
plus  à  temps. 

Je  me  suis  confié  à  vous ,  monsieur ,  et  à  d'autres 
que  je  ne  connaissais  pas  plus  que  vous.  Le  témoi- 
gnage intérieur  de  l'innocence  et  de  la  vérité  m»'a 
fait  croire  qu'il  suffisait  d'épancher  mon  cœur  dans 
des  cœurs  d'hommes  pour  y  verser  le  sentiment 
dont  il  était  plein."  J'espère  ne  m'étre  pas  trompé 
dans  mon  choix  ;  mais  quand  cet  espoir  m'abuse- 
rait, je  n'en  serais  point  abattu.  La  vérité,  le  temps, 
triompheront  enfin  de  l'imposture,  et  de  mon  vi- 
vant même  elle  n'osera  soutenir  mes  negards.  Son 
plus  grand  soin ,  son  plus  grand  art  est  de  s'y  dé- 


3u8  CORRESPONDANCE. 

rober  ;  mais  cet  art  même  la  décèle.  Jamais  on  n'a 
vu ,  jamais  on  ne  verra  le  mensonge  marcher  fiè- 
rement à  la  face  du  soleil  en  interpellant  à  grands 
cris  la  vérité,  et  celle-ci  devenir  cauteleuse^  crain- 
tive, et  traîtresse,  se  masquer  devant  lui,  fuir  sa 
j)résencé ,  n'oser  l'accuser  qu'en  secret ,  et  se  cacher 
dans  les  ténèbres. 

Je  vous  fais ,  monsieur ,  mes  très-humbles  salu- 
tations. 


LETTRE  CMXLIII. 

AU  MÊME, 

Pauvres  aveiigle*  que  rioiiS  sofùmes!  etc. 

En  lisant,  monsieur,  et  relisant  votre  lettre,  je 
sens  qu'il  me  faut  du  tempç  pour  y  penser^  Permet- 
tez que  j'attende  le  retour  du  sang  froid.  Un  homme 
comme  vous  mérite  bien  qu'on  délibère  quand  il 
s'agit  de  s'en  détacher.  Je  vous  salue  très-humble- 
ment^ 

Rousseau  i 


ANNEE    1771.  329 

LETTRE  CMXLIV. 

AU  MÊME. 


<  6 


î^auvres  aveugles  qtie  nobs  soltitnes  !  etc. 


J'ai  voulu ,  monsieur ,  mettre  un  intervalle  entre 
Votre  dernière  lettre  et  celle-ci  pour  laisser  calmer 
mes  premiers  mouvements  et  agir  ma  raison  seule. 
Votre  lettre  est  bien  plus  employée  à  me  dire  ce 
que  je  dois  penser  de  vous  que  ce  que  vous  pen- 
sez de  moi ,  quoique  je  vous  eusse  prévenu  que  de 
ce  dernier  jugement  dépendait  absolument  l'autre. 
Il  faut  pourtant  que  je  me  décide  et  que  je  vous 
juge  en  ce  qui  me  regarde,  quoique  j'aie  renoncé  , 
comme  vous  me  le  conseillez ,  à  juger  des  hommes, 
bien  convaincu  que  l'obscur  labyrinthe  de  leurs 
cœurs  m'est  impénétrable ,  à  moi  dont  le  cœur 
transparent  comme  le  crystal  ne  peut  cacher  aucun 
de  ses  mouvement ,  et  qui ,  jugeant  si  long-temps 
des  autres  par  moi,  n'ai  cessé  depuis  vingt  ans 
d'être  leur  jouet  et  leur  victime. 

A  force  de  m'environner  de  ténèbres,  on  m'a 
cependant  rendu  quelquefois  plus  clairvoyant,  et 
l'expérience  et  la  nécessité  me  font  apercevoir  bien 
des  choses  par  le  soin  même  qu'on  prend  pour  me 
les  cacher.  J'ai  vu  dans  votre  conduite  avec  moi 
ies  honnêtetés  les  plus  marquées,  les  attentions 
les  plus  obligeantes,  et  des  fins  secrètes  à  tout 


33o  CORIlESPO]Vt)AKCf:. 

ceîa:  j'y  ai  même  démêlé  des  signes  de  peu  d'es- 
time eu  bien  des  points ,  et  surtout  dans  les  fré- 
quents petits  cadeaux  auxquels  vous  m'avez  appa- 
lemment  cru  très-sensible  ,  au  lieu  qu'ils  me  sont 
indifférents  ou  suspects  :  Timeo  Danaos ,  et  doua 
Jhrentes.  C'est  précisément  par  le  peu  de  cas  que 
j'en  fais  que  je  ne  les  refuse  plus,  lassé  des  tra- 
casseries et  des  ridicules  que  m'attirèrent  long- 
temps ces  refus,  par  la  malignité  des  donneurs 
qui  avaient  leurs  vues,  et  bien  sûr,  en  recevant 
tout  et  oubliant  tout,  d'écarter  enfin  plus  sûre- 
ment toutes  ces  petites  amorces.  Je  cberchais  un 
logement;  vous  avez  voulu  m'avoir  pour  voisin  et 
presque  pour  hôte  :  cela  était  bon  et  amical  ;  mais 
j'ai  vu  qiie  vous  vouliez  trop,  et  que  vous  cher- 
chiez à  m'attirer  :  vous  avez  fait  tout  le  contraire. 
Vous  avez  cru  que  j'aimais  les  dîners  ;  vous  avez 
cru  que  j'aimais  les  louanges.  Tout,  à  travers  la 
pompe  de  vos  paroles,  m'a  prouvé  que  j'étais  mal 
connu  de  vous.  Les  je  ne  sais  quoi,  trop  longs  à 
dire,  mais  frappants  à  remarquer,  m'ont  averti 
qu'il  y  avait  quelque  mystère  oaclié  sous  vos  ca- 
resses, et  tout  a  confirmé  mes  premières  obser- 
vations. 

L'article  que  vous  m'avez  lu  a  achevé  de  m'é- 
clairer.  Plus  j'y  ai  réfléchi,  moins  je  l'ai  trouvé  na- 
tiu-el,  dans  ma  situation  présente,  de  la  part  d'un 
bienveillant.  Vous  me  faites  .trop  valoir  le  soin 
que  vous  avez  pris  de  me  lire  cet  article.  Vous 
avez  prévu  (jue  je  le  verrais  un  jour  ,  et  vous  sen- 
tiez ce  que  j'en  aurais  pu  penser  et  dire,  si  vous 


ANNÉE    177!.  3^1 

me  l'eussiez  tu  jusqu'à  la  publication.  Vous  avez 
ci'u  me  leurrer  par  ce  mot  d'illustre.  Ah!  vous 
êtes  trop  loin  de  voir  combien  la  réputation 
d'homme  bon,  juste,  et  vrai,  que  je  gardai  qua- 
rante ans,  et  que  je  n'ai  jamais  mérité  de  perdre, 
m'est  plus  chère  que  vos  glorioles  littéraires,  dont 
j'ai  si  bien  senti  le  néant.  Ne  changeons  point, 
monsieur,  l'état  de  la  question.  Il  ne  s'agit  pas  de 
savoir  comment  vous  vous  y  êtes  pris  pour  faire 
passer  un  article  aussi  captieux,  mais  comment  il 
vous  est  venu  dans  l'esprit  de  l'écrire,  de  me  mettre 
gracieusement  en  parallèle  avec  un  exécrable  scé- 
lérat, et  cela  précisément  au  moment  où  l'impos- 
ture n'épargne  aucune  ruse  pour  me  noircir.  Mes 
écrits  respirent  l'amour  de  la  vertu  dont  le  cœur 
de  l'auteur  était  embrasé.  Quoi  que  mes  ennemis 
puissent  faire,  «ela  se  setit  et  les  désole.  Dites-moi 
si,  pour  énerver  ce  sentiment  honorable  et  juste, 
aucun  d'eux  s'y  prit  plus  adroitement  que  vous. 

Et  maintenant,  au  lieii  de  me  dire  nettemetit 
quel  jugement  vous  portez  de  moi ,  de  nies  senti- 
ments, de  mes  mœurs,  de  mon  caractère,  comme 
vous  le  deviez  dans  la  circonstance,  et  comme  je 
vous  en  avais  conjuré,  vous  me  parlez  de  larnies 
d'attendrissement  et  d'un  intérêt  de  commiséra- 
tion ;  comme  si  c'était  assez  pour  moi  d'exciter 
votre  pitié ,  sans  prétendre  à  des  selïitiments  plus 
honorables!  Je  vous  estime  encore,  me dites-vout' , 
mais  je  vous  plains.  Moi,  je  vous  i^éponds  :  Qui- 
conque ne  m'estimera  que  par  grâce  trouveia  dïf- 
iicilement  en  moi  la  même  générosité. 


33i  CORllESPOJN'DAWCE. 

Je  voudrais,  monsieur,  entendre  un  peu  plus 
clairement  quel  est  ce  grand  intérêt  que  vous  dites 
]:)rendre  en  moi.  Le  premier,  le  plus  grand  intérêt 
d'un  homme  est  son  honneur.  Vous  auriez,  dites- 
vous,  donné  un  bras  pour  m'en  sauver  un!  C'est 
beaucoup ,  et  c'est  même  trop  :  je  n'aurais  pas 
donné  mon  bras  pour  sauver  le  vôtre;  mais  je 
l'aurais  donné,  je  le  jure,  pxDur  là  défense  de  votre 
honneur.  Entouré  de  tous  ces  preneurs  d'intérêt 
qui  ne  cherchent  qu'à  me  donner,  comme  faisait 
aux  passants  ce  Romain ,  un  écu  et  un  soufflet  à 
chaque  rencontre,  je  ne  prends  pas  le  change  sur 
cet  intérêt  prétendu:  je  sais  qu'ils  n'ont  d'autre 
but  dans  leur  fausse  bienveillance  que  d'ajouter  à 
leurs  noirceurs ,  quand  je  m'en  plains ,  le  reproche 
d'ingratitude. 

«  Le  généreux ,  le  vertueux  Jeanr Jacques  Rous- 
«  seau  inquiet  et  méfiant  comme  un  lâche  crimi- 
«  nel  !  »  Monsieur  Dusaulx ,  si ,  vous  sentant  poi- 
gnarder par-derrière  par  des  assassins  masqués, 
vous  poussiez,  en  vous  retournant,  les  cris  de  la 
douleur  et  de  l'indignation  ,  que  diriez-vous  de 
celui  qui  pour  cela  vous  reprocherait  froidement 
d'être  inquiet  et  méfiant  comme  un  lâche  criiTfinel  ? 
Il  n'y  aura  jamais  que  des  cœius  capables  du 
crime  qui  puissent  en  soupçonner  le  mien  ;  et 
quant  à  la  lâcheté,  malgré  tout  l'effroi  qu'on  a 
voidu  me  donner  ,  me  voici  dans  Paris  ,  seul , 
étranger ,  sans  appui ,  sans  amis  ,  sans  parents , 
sans  conseil,  armé  de  ma  seule  innocence  et  de 
mon  courage,  à  la  merci  des  adroits  et  puissants 


ANNEE    I77I.  ^yy 

persécuteurs  qui  me  diffament  en  se  cachant,  les 
provoquant,  et  leur  criant  :  Parlez  haut,  me  voilà. 
Ma  foi,  monsieur,  si  quelqu'un  fait  lâchement  le 
plongeon  clans  cette  affaire ,  il  me  semble  que  ce 
n'est  pas  moi. 

Je  veux  être  juste  toujours.  S'il  n'y  a  contre 
moi  nulle  œuvre  de  ténèbres,  votre  reproche  est 
fondé,  j'en  conviens  ;  mais  s'il  existe  une  pareille 
oeuvre,  et  que  vous  le  sachiez  très-bien,  convenez 
aussi  cpie  ce  même  reproche  est  bien  barbare.  Je 
prends  là-dessns  votre  conscience  pour  juge  entre 
vous  et  moi. 

Vous  me  trompez,  monsieur:  j'ignore  à  quelle 
fin  ;  mais  vous  me  trompez.  C'est  assurément  trom- 
per un  homme  à  qui  l'on  marque  la  plus  tendre 
affection ,  cpie  de  lui  cacher  les  choses  qui  le  re- 
gardent et  qu'il  lui  importe  le  plus  de  savoir.  En- 
core ime  fois,  j'ignore  vos  motifs;  mais  je  sais 
qu'on  ne  trompe  personne  poiu'  son  bien.  Je  n'at- 
taque à  tout  autre  égard  ni  votre  droiture,  ni  vos 
vertus  ;  je  n'explique  point  cette  inconséquence. 
Je  ne  sais  qu'une  seule  chose,  mais  je  la  sais  très- 
bien,  c'est  que  vous  me  trompez. 

Je  yeux  que  tout  le  monde  lise  dans  mon  cœur , 
et  que  ceux  avec  qui  je  vis  sachent  comme  moi- 
méme  ce  que  je  pense  d'eux,  quoiqu'une  malheu- 
reuse honte,  que  je  ne  puis  vaincre,  m'empêche 
de  le  leiu'  dire  en  face.  C'est  afin  que  vous  n'igno- 
riez pas  mes  sentiments  que  je  vous  écris.  Du  reste, 
mon  intention  n'est  de  rompre  avec  vous  qu'au- 
tant ijîK>  cela  vous  c<)n^'ielldra  :  je  vous  laisse   le 


334  CORRESPONDANCE. 

choix.  Si  je  connaissais  un  soiil  homme  à  ma  poF- 
tée  dont  le  cœur  fût  ouvert  comme  îe  mien,  qui 
eût  autant  en  horreur  la  dissimulation  ,  le  men- 
songe, qui  dédaignât,  qui  refusât  de  hanter  ceux 
auxquels  il  n'oserait  dire  ce  qu'il  pense  d'eux, 
j'irais  à  cet  homme,  et,  très-sûr  d'en  faire  mon 
ami ,  je  renoncerais  à  tous  les  autres  ;  il  serait  pour 
moi  le  genre  humain  :  mais ,  après  dix  ans  de  re- 
cherches inutiles,  je  me  lasse,  et  j'éteins  ma  lan- 
terne. Environné  de  gens  qui,  sous  un  air  d'inté- 
rêt grossièrement  affecté,  ïne  flattent  pour  me 
surprendre,  je  les  laisse  faire,  jiarce  qu'il  faut 
hien  vivre  avec  quelqu'un  ,  et  qu'en  quittant  ceux- 
là  pour  d'autres,  je  ne  trouverais  pas  mieux.  Du 
reste,  s'ils  ne  voient  pas  ce  que  je  pense  d'eux, 
c'est  assurément  leur  faute.  Je  suis  toujours  sur- 
pris, je  l'avoue,  de  les  voir  m'étaler  pompeuse- 
ment et  leurs  vertus  et  leur  amitié  pour  moi;  je 
cherche  inutilement  comment  on  peut  être  ver- 
tueux et  faux  tout  à  la  fois,  comment  on  peut  se 
faire  un  honneur  de  tromper  les  gens  qu'on  aime. 
Non ,  je  n'aurais  jamais  cru  qu'on  pût  être  aussi 
fiers  d'être  des  traîtres. 

Livré  depuis  long -temps  à  ces  gens-îà,  j'aurais 
tort  assurément  d'être  difficile.en  liaisons ,  et  bien 
plus  de  me  refuser  à  la  vôtre ,  puisque  votre  sor 
ciété  me  paraît  très -agréable,  et  que,  sans  vous 
confondre  avec  tous  les  empressés  qui  m'entou- 
rent, je  vous  compte  parmi  ceux  que  f  estime  le 
plus.  Ainsi  je  vous  laisse  le  maître  de  me  voir  ou 
de  ne  rae  pas  voir,  comme  il  vous  convieiulra.  Pour 


/iNNÉE    1771.  -^■>J 

de  rintimité,  je  n'en  veux  plus  avec  personne,  à 
moins  cpie,  contre  tonte  apparence,  je  ne  trouve 
fortuitement  Fhomme  juste  et  vrai  que  j'ai  cessé 
de  chercher.  Quiconque  aspire  à  ma  confiance 
doit  commencer  par  me  donner  ia  sienne;  et  du 
reste,  malade  ou  non,  pauvre  ou  riche,  je  trou- 
verai toujours  très-mauvais  que,  sous  prétexte  d'un 
zèle  que  je  n'accepte  point,  qui  que  ce  soit  veuille 
malgré  moi  se  mêler  de  mes  affaires. 

Je  viens  de  vous  ouvrir  mon  cœur  sans  réserve  ; 
c'est  à  vous  maintenant  de  consulter  le  vôtre,  et 
de  prendre  le  parii  qui  vous  conviendra*. 

*  Dusnulx  fit  à  cette  lettre  une  réponse  à  laquelle  Rousseau  ne  ré- 
pliqua pas.  «  Je  ne  sache  pas,  dit  Dusaulx  à  ce  sujet,  que  depuis 
«  notre  éternelle  séparation,  il  soit  sorti  de  sa  houoiie  un  seul  mot 
K  capal)le  de  m'offenser:  au  contraire,  j'ai  appris  avec  reconnais- 
«  sance  qu'il  s'était  expliqué  sur  mors  compte  d'iuie  manière  trop 

n  honorable  pour  le  répéter Je  ne  l'ai  depuis  rencontré  qu'une 

«  fois  par  hasard  aux  travaux  de  l'Etoile  voisine  des  cham].>s  élysées. 
«  Son  premier  mouvement  et  le  mien  fuient  réciproquement  de  tom- 
«  ber  dans  les  bras  l'un  de  l'autre  ;  mais  il  s'arrêta  au  milieu  de  son 
«  élan.  Qui  l'a  donc  retenu  ?  la  méfiance  dont  un  accès  jdus  violent 
«  qu'à  l'ordinaire  le  saisit  tout-à-coUp.  Situé  sur  le  bord  d'une  tran- 
«  chée  profonde,  et  me  voyant  à  ses  cotés,  il  craignit  apparemment 
«  que  je  no  l'y  précipitasse;  tout,  du  moins  ,  m'autorisait  à  le  croire, 
«  Il  tremblait  de  tous  ses  membres.  Tantôt  il  élevait  des  liras  sup- 
K  pliants  vers  le  ciel  ;  tantôt,  comme  s'il  eût  invoqué  ma  pitié,  il  me 
«  montrait  l'abîme  ouvert  sous  ses  pas.  Je  ne  compris  que  trop  ce 
«  langage  muet.  M'éloignant  de  lui ,  je  tâchai  de  le  rassurer  par  les 
f  plus  tendres  démonstrations;  quoiqu'il  en  parût  touché,  il  passa 
«  son  chemin.   .>   De  mes  rapports  m-cc  J.   J.  Rousseau,  ])age  rSg. 


S36  CORRESPOND  \WCE. 

LETTRE  CMXLV 

A  M.   DU  PEYROU, 


A  Paris,  ty^ji. 

Jamais,  mon  cher  hôte,  un  homme  sage  et  ami 
de  la  justice ,  quelque  preuve  qu'il  croie  avoir ,  ne 
condamne  an  autre  homme  sans  l'entendre,  ou 
sans  le  mettre  à  portée  d'être  entendu.  Sans  cette 
loi,  la  première  et  la  plus  sacrée  de  tout  le  droit, 
naturel,  la  société,  sapée  par  ses  fondements,  ne 
serait  qu'un  brigandage  affreux,  où  l'innocence  et 
la  vérité  sans  défense ,  seraient  en  proie  à  l'erreur 
et  à  l'imposture.  Quoiqu'en  cette  occasion  le  su- 
jet soit  un  peu  moins  grave,  j'ai  cependant  à  me 
plaindre  que  pour  quelqu'un  qui  dit  tant  croire  à 
la  vertu ,  vous  me  jugiez  si  légèrement  à  votre  or.- 
dinaire. 

i°Il  n'y  a  que  peu  de  jours  que  j'ai  reçu  votre 
lettre  du  i  5  novembre ,  avec  le  billet  sur  vos  ban- 
quiers qu'elle  contenait.  Par  une  fraude  des  facteius 
qui  s'entendaient  avec  je  ne  sais  qui ,  mes  lettres 
ont  resté  plusieurs  mois  sans  cours  à  la  poste;  et 
ce  n'est  qu'après  un  entretien  avec  un  de  ces  mes- 
sieurs qui  me  vint  voir,  que  l'affoire  fut  éclah'cie, 
que  le  grief  fut  redressé ,  et  qu'on  me  promit  que 
pareille  chose  n'arriverait  plus  à  l'avenir.  En  con- 
séquence de  ce  redressement,  on  m'apporta  toutes 
mes  lettres,  dont,  vu  l'énormité  des  ports,  je  ne 


ANNÉE    1771.  337 

retirai  que  la  votre  seule  que  je  reconnus  à  l'écri- 
ture et  au  cachet.  Il  eût  été  malhonnête  de  faire 
usage  de  votre  ordre  sur  vos  banquiers  avant  de 
vous  en  accuser  la  réception ,  et  mes  occupations 
ne  m'ayant  pas  laissé,  depuis  huit  jours,  le  temps 
de  vous  écrire ,  avant  d'avoir  répondu  à  cette  pre- 
mière lettre,  j'ai  reçu  la  seconde  du  19  mars  avec 
le  duplicata  de  votre  billet,  et  cela  m'a  fait  prendre 
le  parti ,  toute  chose  cessante ,  de  répondre  sur- 
le-champ  à  l'une  et  à  l'autre. 

2°  La  lettre  que  vous  marquez  m'avoir  écrite  par 
madame  Boy  de  La  Tour ,  ni  par  conséquent  l'autre 
duplicata  de  votre  ordre  à  vos  banquiers ,  ne  me 
sont  point  parvenus ,  ni  aucune  nouvelle  de  cette 
dame  depuis  très-long-temps,  .l'ignore  la  raison  de 
ce  silence,  car  elle  savait  qu'il  ne  fallait  pas  m'écrire 
par  la  poste ,  et  les  voies  sûres  ne  lui  manquaient 
assurément  pas. 

3**  J'en  pensais  autant  de  vous  ,  et  je  jugeai 
qu'ayant  bien  su  me  faire  parvenir  une  lettre  de 
M.  Junet,  sans  un  seul  mot  de  votre  part,  ni  ver- 
bal ,  ni  par  écrit ,  vous  sauriez  bien ,  quand  vous 
le  voudriez,  employer,  comme  vous  avez  fait,  la 
même  voie  pour  vous-même.  Voyant  que  vous  n'en 
faisiez  rien,  je  jugeais  que  vous  n'aviez  pas  là-des- 
sus beaucoup  d'empressement,  et  un  galant  homme 
comme  vous  sentira  bien  qu'en  cette  occasion  ce 
n'était  pas  à  moi  d'en  avoir  davantage. 

L\^  Je  parlai  toutefois  de  votre  silence  à  M.  d'Es- 
cherny ,  et  de  l'obstacle  de  la  poste  qui  pouvait 
être  cause  que  je  ne  recevais  point  de  vos  lettres. 

R.  xxn.  22 


338  CORRESPONDANCE. 

J'ajoutai  que  la  seule  voie  sûre  et  simple  que  vous 
aviez  pour  m'écrire ,  était  d'adresser  votre  lettre 
sous  enveloppe  à  quelqu'un  résidant  à  Paris,  pour 
me  la  faire  tenir  ;  mais  je  ne  parlai  de  lui  en  au- 
cune manière  ;  et ,  s'il  s'est  mis  en  avant ,  comme 
vous  le  marquez  ,  il  a  pris  le  surplus  sous  son 
bonnet. 

Voilà  ,  mon  cher  hôte ,  l'exacte  vérité  ;  si  vous 
trouvez  en  tout  cela  quelque  tort  à  me  reprocher , 
vous  m'obligerez  de  vouloir  bien  me  l'indiquer. 
Pour  moi,  je  ne  vous  en  reproche  ici  d'autre  que 
celui  auquel  je  suis  tout  accoutumé,  savoir  la  pré- 
cipitation de  vos  jugements  avant  d'avoir  pris  les 
mesures  nécessaires  pour  savoir  la  vérité.  Voilà 
cependant  comment  il  faut  que  toutes  mes  lettres 
s'emploient  en  apologies,  attendu  que  toutes  les 
vôtres  s'emploient  en  injustes  griefs.  C'est  l'his- 
toire abrégée  de  nos  liaisons  depuis  plusieurs  an- 
nées. Je  suis  le  lésé ,  et  vous  êtes  le  plaignant. 

Votre  compte,  que  vous  m'avez  envoyé  tant  de 
fois ,  me  paraît  très  et  trop  en  règle  ;  le  mandat 
sur  vos  banquiers  est  aussi  fort  bien,  et  j'en  ferai 
usage. 

Je  vous  embrasse  cordialement.  Vous  me  pro- 
posez l'oubli  de  ce  que  vous  appelez  nos  enfantil- 
lages. Je  ne  demande  pas  mieux ,  mais  ce  n'est  pas 
de  moi  que  la  chose  dépend  :  le  souvenir  fut  votre 
ouvrage,  il  faut  que  l'oubli  le  soit  aussi  ;  mais  jus- 
qu'ici vous  ne  vous  y  êtes  assurément  pas  bien 
pris  pour  opérer  cet  effet. 


AivNKE  ryyi.  339 

LETTRE   CMXLVI. 

A  M.  DE  SAINT-GERMATN. 

A  Paris,  17*71. 

C'est  avec  bien  du  regret,  monsieur,  que  j'ai 
demeuré  si  long-temps  privé  de  vos  nouvelles  ;  une 
tracasserie  qu'on  m'avait  faite  à  la  poste  m'avait 
fait  renoncer  à  recevoir  ni  écrire  aucune  lettre 
par  cette  voie.  Ce  n'est  que  depuis  quelques  jours 
qu'une  visite  d'un  de  ces  messieurs  m'a  donné  l'é- 
claircissement de  ce  malentendu  :  et  après  la  pro- 
messe qui  m'a  été  faite  que  rien  de  pareil  n'arri- 
verait à  l'avenir  ,  je  reprends  la  même  voie  poin- 
donner  de  mes  nouvelles ,  et  en  demander  aux  per- 
sonnes qui  m'intéressent,  parmi  lesquelles  vous  sa- 
vez bien  ,  monsieur  ,  que  vous  tenez  et  tiendrez 
toujours  le  premier  rang.  Veuillez,  monsieur,  m'in- 
former  de  l'état  présent  de  votre  santé  et  de  celle 
de  madame  de  Saint-Germain ,  et  de  toute  votre 
brillante  famille.  Je  vous  connais  trop  invariable 
dans  vos  sentiments  pour  douter  que  je  ne  re- 
trouve toujours  en  vous  les  bontés  et  la  bienveil- 
lance dont  vous  pfi'avpz  honoré  ci-devant;  comme 
je  ne  cesserai  jamais ,  non  plus ,  d'avoir  le  cœur 
plein  de  l'attachement  et  de  Ja  reconnaissance  que 
je  vous  ai  voués. 

Je  n'ai  rien  à  vous  dire  de  nouveau  sur  ma  si- 
tuation ,  elle  est  la  même  que  ci-devant  :  mes  in- 

22. 


340  CORRESPONDANCE. 

commodités  ordinaires  m'ont  retenu  chez  moi  une 
partie  de  l'hiver,  sans  pourtant  m'a  voir  trop  mal- 
traité. Ma  femme  a  eu  des  rhumes  et  des  rhuma- 
tismes ,  et  le  froid  qui  continue  avec  heaucoup  de 
rigueur  ne  nous  a  pas  encore  rendu  à  l'un  et  l'autre 
notre  santé  d'été.  Nous  avons  passé  d'agréables  soi- 
rées au  coin  de  nos  tisons  à  parler  des  avantages 
que  nous  a  procurés  l'honneur  de  vous  connaître , 
et  des  heures  si  douces  que  vous  nous  avez  don- 
nées :  nous  vous  prions  de  vous  rappeler  quelque- 
fois d'anciens  voisins  qui  sentiront  toute  leur  vie 
le  regret  d'avoir  été  forcés  de  s'éloio^ner  de  vous. 

Veuillez,  monsieur,  faire  agréer  nos  respects  à 
madame  de  Saint-Germain ,  et  recevoir  avec  votre 
bonté  accoutumée  nos  plus  humbles  salutations. 


LETTRE  CMXLVIL 

A  MADAME  DE  T. 

Le  6  avril  177 1. 

Un  violent  rhume ,  madame ,  qui  me  met  hors 
d'état  de  parler  sans  fatiguer  extrêmement,  me  fait 
prendre  le  parti  de  vous  écrire  mon  sentiment  sur 
votre  enfant ,  pour  ne  pas  le  laisser  plus  long-temps 
dans  l'état  de  suspension  où  je  sens  bien  que  vous 
le  tenez  avec  peine,  quoiqu'il  n'y  ait  point,  selon 
moi,  d'inconvénient.  Je  vous  avouerai  d'abord  que 
plus  je  pense  à  l'exposition  lumineuse  que  vous 
m'avez  faite ,  moins  je  puis  me  persuader  que  cette 


ANNÉE    1771-  341 

roideur  de  caractère  qu'il  manifeste  dans  un  âge  si 
tendre  soit  l'ouvrage  de  la  nature.  Cette  mutiner 
rie ,  ou ,  si  vous  voulez  ,  madame ,  cette  fermeté , 
n'est  pas  si  rare  que  vous  croyez  parmi  les  enfants 
élevés  comme  lui  dans  l'opulence;  et  j['en  sais  dans 
ce  moment  même  à  Paris  un  autre  exemple  tout 
semblable  dont  la  conformité  m'a  beaucoup  frappé , 
tandis  que  parmi  les  autres  enfants  élevés  avec 
moins  de  sollicitude  apparente,  et  à  qui  l'on  a  moins 
fait  sentir  par  là  leur  importance ,  je  n'ai  vu  de  ma 
vie  un  exemple  pareil.  Mais  laissons  ,  quant  à  pré- 
sent ,  cette  observation  qui  nous  mènerait  trop 
loin  ,  et,  quoi  qu'il  en  soit  de  la  cause  du  mal, 
parlons  du  remède. 

Vous  voilà,  madame  ,  à  mon  avis,  dans  ime  cir- 
constance favorable  dont  vous  pouvez  tirer  grand 
parti  :  l'enfant  commence  à  s'impatienter  dans  sa 
pension ,  il  désire  ardemment  de  revenir  ;  mais  sa 
fierté ,  qui  ne  lui  permet  jamais  de  s'abaisser  aux 
prières,  l'empêche  de  vous  manifester  pleinengient 
son  désir.  Suivez  cette  indication  pour  prendre  sur 
lui  un  ascendant  dont  il  ne  lui  soit  pas  aisé  dans 
la  suite  d'éluder  l'effet.  S'il  n'y  avait  pas  un  peu  de 
cruauté  d'augmenter  ses  larmes,  je  voudrais  qu'on 
commençât  par  lui  faire  \i\  peur  tout  entière,  et 
que,  sans  que  personne  lui  dît  précisément  qu'il 
restera,  ni  qu'il  reviendra,  il  vît  quelque  espèce 
de  préparatifs ,  comme  pour  lui  faire  quitter  tout- 
à-fait  la  maison  paternelle ,  et  qu'on  évitât  de  s'ex- 
pliquer avec  lui  sur  cps  préparatifs.  Quand  vous 
l'en  verriez  le  plus  inquiet,  vous  prendriez  alors 


342  CORRESPONDANCi-:. 

votre  moment  pour  lui  parler,  et  cela  d'un  air  si 
sérieux  et  si  ferme,  qu'il  fût  bien  persuadé  que  c'est 
tout  de  bon. 

«  Mon  fils ,  il  m'en  coûte  tant  de  vous  tenir 
éloigné  de  moi ,  que ,  si  je  n'écoutais  que  mon  pen- 
chant ,  je  vous  retiendrais  ici  dès  ce  moment  ;  mais 
c'est  ma  trop  grande  tendresse  pour  vous  qui 
m'empêche  de  m'y  livrer  :  tandis  que  vous  avez  été 
ici  j'ai  vu  avec  la  plus  vive  douleur  qu'au  lieu  de 
répondre  à  l'attachement  de  votre  mère  et  de  lui 
rendre  en  toute  chose  la  complaisance  qu'elle  ai- 
mait avoir  pour  vous,  vous  ne  vous  appliquiez 
qu'à  lui  faire  éprouver  des  contradictions,  qui  la 
déchirent  trop  de  votre  part  poiu-  qu'elle  les  puisse 
endurer  davantage ,  etc. 

'c  J'ai  donc  pris  la  résolution  de  vous  placer  loin 
de  moi  pour  m'épargner  l'affliction  d'être  à  tout 
moment  l'objet  et  le  témoin  de  votre  désobéis- 
sance. Puisque  vous  ne  voulez  pas  répondre  aux 
tendres  soins  que  j'ai  voulu  prendre  de  votre  édu- 
cation ,  j'aime  mieux  que  vous  alliez  devenir  un 
mauvais  sujet  loin  de  mes  yeux,  que  de  voir  mon 
fils  chéri  manquer  à  chaque  instant  à  ce  qu'il  doit 
à  sa  mère;  et  d'ailleurs  je  ne  désespère  pas  que 
des  gens  fermes  et  sensés  ,  qui  n'auront  pas  pour 
vous  le  même  faible  que  moi,  ne  viennent  à  bout 
de  dompter  vos  mutineries  par  des  traitements  né- 
cessaires que  votre  mère  n'aurait  jamais  le  courage 
de  vous  faire  endurer ,  etc. 

«  Voilà,  mon  fils,  les  raisons  du  parti  que  j'ai 
pris  à  votre  égard ,  et  le  seul  que  vous  me  laissiez 


ANNÉE    177  I.  343 

à  prendre  pour  ne  pas  vous  livrer  à  tous  vos  dé- 
fauts et  me  rendre  tout-à-fait  malheureuse.  Je 
ne  vous  laisse  point  à  Paris,  pour  ne  pas  avoir  à 
combattre  sans  cesse ,  en  vous  voyant  trop  souvent, 
le  désir  de  vous  rapprocher  de  moi;  mais  je  ne 
vous  tiendrai  pas  non  plus  si  éloigné  que,  si  l'on 
est  content  de  vous,  je  ne  puisse  vous  faire  venir 
ici  quelquefois ,  etc.  » 

Je  suis  fort  trompé,  madame,  si  toute  sa  hau- 
teur tient  à  ce  coup  inattendu ,  dont  il  sentira  toute 
la  conséquence,  vu  surtout  le  tendre  attachement 
que  vous  lui  connaissez  pour  vous ,  et  qui ,  dans  ce 
moment,  fera  taire  tout  autre  penchant.  Il  pleu- 
rera, il  gémira,  il  poussera  des  cris,  auxquels 
vous  ne  serez  ni  ne  paraîtrez  insensible  ;  mais ,  lui 
parlant  toujours  de  son  départ  comme  d'une  chose 
arrangée,  vous  lui  montrerez  du  regret  qu'il  ait 
laissé  venir  cet  arrangement  au  point  de  ne  pou- 
voir plus  être  révoqué.  Voilà ,  selon  moi ,  la  route 
par  laquelle  vous  l'amènerez  sans  peine  à  une  ca- 
pitulation ,  qu'il  acceptera  avec  des  tiansports  de 
joie ,  et  dont  vous  réglerez  tous  les  articles  sans 
qu'il  regimbe  contre  aucun  :  encore  avec  tout  cela 
ne  paraîtrez-vous  pas  compter  extrêmement  sur 
la  solidité  de  ce  traité  ;  vous  le  recevrez  plutôt 
dans  votre  maison  comme  par  essai  que  par  une 
réunion  constante ,  et  son  voyage  paraîtra  plutôt 
différé  que  rompu,  l'assurant  cependant  que,  s'il 
tient  réellement  ses  engagements,  il  fera  le  bon- 
heur de  votre  vie  en  vous  dispensant  de  l'éloigner 
de  vous. 


344  CORRESPONDANCE. 

Il  me  semble  que  voilà  le  moyen  de  faire  avec 
lui  l'accord  le  plus  solide  qu'il  soit  possible  de 
faire  avec  un  enfant;  et  il  aura  des  raisons  de  tenir 
cet  accord  si  puissantes  et  tellement  à  sa  portée, 
que,  selon  toute  apparence,  il  reviendra  souple 
et  docile  pour  long-temps. 

Voilà ,  madame ,  ce  qui  m'a  paru  le  mieux  à  faire 
dans  la  circonstance.  Il  y  a  une  continuité  de  ré- 
gime à  observer  qu'on  ne  peut  détailler  dans  une 
lettre ,  et  qui  ne  peut  se  déterminer  que  par  l'exa- 
men du  sujet  ;  et  d'ailleurs  ce  n'est  pas  une  mère 
aussi  tendre  que  vous ,  ce  n'est  pas  un  esprit  aussi 
clairvoyant  que  le  vôtre  qu'il  faut  guider  dans  tous 
ces  détails.  Je  vous  l'ai  dit,  madame ,  je  m'en  suis 
pénétré  dans  notre  unique  conversation  ;  vous 
n'avez  besoin  des  conseils  de  personne  dans  la 
grande  et  respectable  tâche  dont  vous  êtes  chargée, 
et  que  vous  remplissez  si  bien.  J'ai  dû  cependant 
m'acquitter  de  celle  que  votre  modestie  m'a  im- 
posée; je  l'ai  fait  par  obéissance  et  par  devoir,  mais 
bien  persuadé  que  pour  savoir  ce  qu'il  y  a  de 
mieux  à  faire,  il  suffisait  d'observer  ce  que  vous 
ferez, 


ANNÉE    1771-  %45 

LETTRE  CMXLVIII. 

A  MADAME  DE  CRÉQUI. 

Ce  mardi  7.  (1771.) 

Rousseau  peut  assurer  madame  la  marquise  de 
Créqui  que ,  tant  qu'il  croira  trouver  chez  elle  les 
sentiments  qu'il  y  porte ,  et  dont  le  retour  lui  est 
dii,  loin  de  compter  et  regretter  ses  pas  pour  avoir 
l'honneur  de  la  voir ,  il  se  croira  bien  dédommagé 
de  cent  courses  inutiles  par  le  succès  d'une  seule. 
Mais ,  en  tout  autre  cas ,  il  déclare  qu'il  regarde- 
rait un  seul  pas  comme  indignement  perdu,  et 
ses  visites  reçues  comme  une  fraude  et  un  vol, 
puisque  l'estime  réciproque  est  la  condition  sacrée 
et  indispensable  sans  laquelle ,  hors  la  nécessité  des 
affaires,  il  est  bien  déterminé  à  n'en  jamais  hono- 
rer volontairement  qui  que  ce  soit. 

Je  reçois  chez  moi,  j'en  conviens,  des  gens  pour 
qui  je  n'ai  nulle  estime  ;  mais  je  les  reçois  par  force  : 
je  ne  leur  cache  point  mon  dédain  ;  et  comme  ils 
sont  accommodants ,  ils  le  supportent  pour  aller 
H  leurs  fins.  Pour  moi ,  qui  ne  veux  tromper  ni 
trahir  personne ,  quand  je  fais  tant  que  d'aller  chez 
([uelqu'un ,  c'est  pour  l'honorer  et  en  être  honoré. 
Je  lui  témoigne  mon  estime  en  y  allant;  il  me  té- 
moigne la  sienne  en  me  recevant  :  s'il  a  le  malheur 
tle  me  la  refuser ,  et  qu'il  ait  de  la  droiture ,  il  sera 
bientôt  désabusé,  ou  bieatôt  délivré  de  moi.  Voilà 


34^  CORRESPOJNUANCE. 

mes  sentiments  :  s'ils  s'accordent  avec  ceux  de  ma- 
dame la  marquise  de  Créqui,  j'en  serai  comblé  de 
joie;  s'ils  en  diffèrent,  j'espère  qu'elle  voudra  bien 
me  dire  en  quoi.  Si  elle  aime  mieux  ne  me  rien 
dire,  ce  sera  me  parler  très-clairement.  Je  la  sup- 
plie d'agréer  ici  mes  sentiments  et  mon  respect. 

Rousseau. 

JV.  B.  Ce  billet  fut  écrit  à  la  réception  de  celui 
que  madame  la  marquise  de  Créqui  m'a  fait  écrire; 
mais  ne  voulant  pas  le  confier  à  la  petite  poste , 
j'ai  attendu  que  je  fusse  en  état  de  le  porter  moi- 
même. 


LETTRE  CMXLIX. 

A  MADAME  LATOUR. 

A  Paris ,  17-^71. 

Je  n'ai  eu  l'honneur  de  vous  voir,  madame, 
qu'une  seule  fois  en  ma  vie,  j'ai  eu  souvent  celui 
de  vous  répondre;  et,  sans  prévoir  que  mes  lettres 
seraient  un  jour  exposées  à  être  imprimées,  je  me 
suis  livré  pleinement  aux  diverses  impressions  que 
me  fesaient  les  vôtres.  Vous  avez  pris  ma  défense 
contre  les  trames  de  mes  persécuteurs  durant  mon 
séjour  en  Angleterre  :  cette  générosité  m'a  tran- 
sporté, vous  avez  dû  voir  combien  j'y  étais  sen- 
sible. Depuis  lors,  ma  situation  se  dévoilant  da- 
vantage à  mes  yeux,  j'ai  trouvé  qu'avec  autant  de 


ANNÉE    I77Ï.  347 

franchise  et  même  d'étourderie ,  il  ne  me  conve- 
nait de  rester  en  commerce  avec  personne  dont 
je  ne  connusse  bien  le  caractère  et  les  liaisons;  j'ai 
vu  que  l'ostentation  des  services  qu'on  s'empres- 
sait de  me  rendre,  n'était  souvent  qu'un  piège  plus 
ou  moins  adroit  pour  me  circonvenir,  ou  pour 
m'exposer  au  blâme,  si  je  l'évitais.  De  toutes  mes 
correspondances  vous  étiez  en  même  temps  la 
])lus  exigeante,  celle  que  je  connaissais  le  moins, 
et  celle  qui  m'éclairait  le  moins  sur  les  choses  qu'il 
m'importait  de  savoir  et  que  'vous  n'ignoriez  pas. 
Cela  m'a  déterminé  à  cesser  un  commerce  qui  me 
devenait  onéreux ,  et  dont  le  vrai  motif  de  votre 
part  pouvait  m'échapper.  J'ai  toujours  cru  que 
rien  n'était  plus  libre  que  les  liaisons  d'amitié,  sur- 
tout des  liaisons  purement  épistolaires ,  et  cju'il 
était  toujours  permis  de  les  rompre,  quand  elles 
cessaient  de  nous  convenir ,  pourvu  que  cela  se 
fît  franchement,  sans  tracasserie,  sans  malice,  et 
sans  éclat ,  tant  que  cet  éclat  n'était  pas  indispen- 
sable. J'ai  voulu,  madame,  user  avec  vous  de  ce 
droit, livec  tous  ces  ménagements.  Vous  m'en  avez 
fait  un  crime  exécrable,  et,  dans  votre  dernière 
lettre ,  vous  appelez  cela  enfoncer  cUane  main  sûre 
iinjer  empoisonné  dans  le  sein  de  l'amitié.  Sans  vous 
dire,  madame,  ce  que  je  pense  de  cette  phrase, 
je  vous  dirai  seulement  que  je  suis  déterminé  à 
n'avoir  de  mes  jours  de  liaison  d'aucune  espèce 
avec  quiconque  a  pu  l'employer  en  pareille  oc- 
casion . 

Observation. — Mad.  Latour  faisait  dans  sa  lettre  l'énu- 


348  CORRESPONDANCE. 

nictation  de  celles  qu'ils  s'étaient  écrites;  il  y  en  avait  quatre- 
vingt  quatorze  d'elle  et  cinquante-cinq  de  Rousseau.  «  De  ces 
«  cinquante  cinq,  il  y  en  a  trente-quatre,  lui  dit-elle,  où  vous 
«  êtes  à  mes  pieds;  six  où  vous  me  mettez  sous  les  vôtres;  neuf 
«  où  vous  me  traitez  en  simple  connaissance,  et  six  où  vous  vous 
«  livrez  aux  épanchements  de  la  plus  intime  amitié.  »  Ce  calcul 
piquant  n'était  propre  qu'à  donner  de  l'humeur  à  Jean-Jacques. 


LETTRE  CML. 

A  M.   DU  PEYROU. 

A  Paris,  a  juillet  1771. 

J'ai  été  hier,  mon  cher  hôte ,  chez  vos  hanquiers 
recevoir  l'année  échue  de  ma  pension  de  Miiord 
Maréchal  :  ce  n'est  pourtant  pas  uniquement  pour 
vous  donner  cet  avis  que  je  vous  écris  aujourd'hui, 
mais  pour  vous  dire  qu'il  y  a  long-temps  que  je 
n'ai  reçu  directement  de  vos  nouvelles;  heureuse- 
ment le  libraire  Rey  qui  vous  a  vu  à  Neuchâtel , 
m'en  a  donné  de  vous  et  de  madame  du  Peyrou , 
d'assez  bonnes  pour  m'ôter  toute  autre  inquié- 
tude que  celle  de  votre  oubh.  Etes-vous  enfin  dans 
votre  maison  ?  est  elle  entièrement  achevée ,  et  y 
étes-vous  bien  arrangé?  Si,  comme  je  le  désire, 
son  habitation  vous  donne  autant  d'agrément  que 
son  bâtiment  vous  a  causé  d'embarras ,  vous  y  de- 
vez niener  une  vie  bien  douce.  Je  me  suis  logé 
aussi  l'automne  dernier ,  moins  au  large  et  à  un 
cinquième,  mais  assez  agréablement  selon  mon 
goût ,  et  en  grand  et  bon  air  ;  ce  qui  n'est  pas  trop 


A]\NÉE    1771.  349 

facile  dans  le  cœur  de  Paris.  Si  vous  me  donnez 
quelque  signe  de  vie,  je  serais  bien  aise  que  vous 
me  donnassiez  des  nouvelles  de  M.  Roguin ,  mon 
bon  et  ancien  ami ,  dont  je  sais  que  les  incommo- 
dités sont  fort  augmentées  depuis  un  an  ou  deux , 
et  dont  je  n'ai  aucunes  nouvelles  depuis  long- 
temps. Nous  vous  prions ,  ma  femme  et  moi ,  de 
nous  rappeler  au  souvenir  de  madame  du  Peyrou , 
qui  ne  perdra  jamais  la  place  qu'elle  s'est  acquise 
dans  le  nôtre ,  ni  les  sentiments  qui  en  sont  insé- 
parables. Le  silence  qu'en  me  parlant  d'elle  Rey  a 
gardé  sur  sa  santé ,  me  fait  espérer  qu'elle  est  bien 
raffermie,  ainsi  que  la  vôtre.  Pour  moi,  j'ai  eu  de 
grands  maux  de  reins  qui  m'ont  fait  prendre  le 
parti  de  travailler  debout.  Ma  femme  a  eu  de 
très-grands  rhumes  successifs;  aux  queues  près  de 
tout  cela,  nous  nous  portons  maintenant  assez  bien 
l'un  et  l'autre ,  et  nous  vous  saluons ,  mon  cher 
hôte ,  de  tout  notre  cœur. 


LETTRE  CMLI. 

A  MADAME  LATOUR. 

Le  7  juillet  177 1. 

Voici  le  manuscrit  dont  madame  de  L***  a  paru 
en  peine,  et  que  je  ne  tardais  à  lui  renvoyer  que 
parce  qu'elle  m'avait  écrit  de  le  garder.  Je  l'ai 
trouvé  digne  de  sa  plume  et  d'un  cœur  ami  de 
la  justice.  J'ai  pourtant  été  plus  touché,  je  l'avoue, 


35o  CORRESPONDANCE. 

de  récrit  qui  a  été  lu  de  tout  le  monde  ,  que  de 
celui  qui  n'a  été  vu  que  de  moi. 

Madame,  je  ne  reçois  pas  votre  adieu  pour  ja- 
mais, je  n'ai  point  songé  à  vous  en  faire  un  sem- 
blable ;  les  temps  peuvent  changer ,  et  quoi  que  fas- 
sent les  hommes ,  je  ne  désespérerai  jamais  de  la 
Providence.  Mais  en  attendant ,  je  crois  porter 
bien  plus  de  respect  à  nos  anciennes  liaisons  en 
les  interrompant  jusqu'à  de  plus  grandes  lumières, 
que  de  les  entretenir  avec  une  confiance  altérée 
et  des  réserves  indignes  de  vous  et  de  moi. 


LETTRE  CMLII. 

A  M.  LE  CHEVALIER  DE  COSSÉ. 

^  Paris,  le  2$  juillet  1771. 

Je  suis ,  monsieur  le  chevalier ,  touché  de  vos 
bontés  et  des  soins  qu'elles  vous  suggèrent  en  ma 
faveur.  Très-persuadé  que  ces  soins  de  votre  part 
sont  des  fruits  de  votre  bon  naturel  et  de  votre 
bienveillance  envers  moi  ;  après  vous  en  avoir 
remercié  de  tout  mon  cœur,  je  prendrai  la  liberté 
d'y  correspondre  par  un  conseil  qui  part  de  la 
même  source,  et  que  la  différence  de  nos  âges  au- 
torise de  ma  part;  c'est,  monsieur,  de  ne  vous 
mêler  d'aucune  affaire  que  vous  n'en  soyez  préa- 
lablement bien  instruit. 

La  pension  que  vous  dites  m'avoir  été  retirée , 
et  que  vous  offrez  de  me  faire  rendre ,  pi'a  été  ap- 


AxXNÉE    I77I.  35  I 

])ortée  avec  les  arrérages  ,  ici ,  dans  ma  chambre , 
il  n'y  a  pas  quatre  mois,  en  une  lettre  de  change 
de  six  mille  francs ,  qu'on  offrait  de  me  payer 
comptant  sur  le  champ  :  et  je  vous  assure  que  les 
plus  vives  sollicitations  ne  furent  pas  épargnées 
pour  me  faire  recevoir  cet  argent  *.  En  voilà ,  ce 
tne  semble ,  assez  pour  vous  faire  comprendre  que 
ceux  qui  ont  prétendu  vous  mettre  au  fait  de  cette 
affaire  ne  vous  ont  pas  fait  un  rapport  fidèle ,  et 
que  la  difficulté  n'est  pas  où  vous  la  croyez  voir. 
Je  vous  réitère ,  monsieur  mes  actions  de  grâces 
de  l'intérêt  que  vous  voulez  bien  prendre  à  moi, 
et  qui  m'est  plus  précieux  que  toutes  les  pensions 
du  monde;  mais  comme  j'ai  pris  mon  parti  sur 
celle-là,  je  vous  prie  de  ne  m'en  reparler  jamais. 
Agréez  mes  humbles  salutations. 


LETTRE  CMLÎII. 

A  M.  LINNÉ**. 

Paris,  le  2  I  septembre  1771. 

Recevez  avec  bonté  ,  monsieur,  l'hommage  d'un 
très-ignare ,  mais  très-zélé  disciple  de  vos  disciples  ; 

M.  Corancez  raconte  ce  fait  avec  quelque  détail  dans  son  écrit 
intitulé  ,  De  J.  J.  Rousseau,  page  8  et  suiv.  C'était  lui  qui  avait  été 
chargé  d'offrir  à  Rousseau  la  lettre  de  change  montant  à  6,336  liv. 
Cette  lettre  fut  communiquée  <t  M.  Broussonet  par  M.  Smith , 
de  la  Société  royale  de  Londres,  qui  a  acquis  la  collection  et  les  nia- 
nusofits  de  Linné;  il  l'a  fait  imprimer  dans  le  Journal  de  Paris, 
le  9  mai  1786. 


3^2  CORRESPONDANCE, 

qui  doit,  en  grande  partie,  à  la  méditation  de  vos 
écrits  ,  la  tranquillité  dont  il  jouit,  au  milieu  d'une 
persécution  d'autant  plus  cruelle,  qu'elle  est  plus 
cachée,  et  qu'elle  couvre  du  masque  de  la  bien- 
veillance et  de  l'amitié  la  plus  terrible  haine  que 
l'enfer  excita  jamais.  Seul,  avec  la  nature  et  vous , 
je  passe  dans  mes  promenades  champêtres  des 
heures  délicieuses,  et  je  tire  un  profit  plus  réel 
de  xoXre philosophie  botanique  c^ae,  de  tous  les  livres 
de  morale.  J'apprends  avec  joie  que  je  ne  vous 
suis  pas  tout-à-fait  inconnu ,  et  que  vous  voulez 
bien  me  destiner  quelques-unes  de  vos  productions. 
Soyez  persuadé ,  monsieur ,  qu'elles  feront  ma  lec- 
ture chérie ,  et  que  ce  plaisir  deviendra  plus  vif 
encore  par  celui  de  le  tenir  de  vous.  J'amuse  une 
vieille  enfance  à  faire  une  petite  collection  de  fruits 
et  de  graines  :  si  parmi  vos  trésors  en  ce  genre  il  se 
trouvait  quelques  rebuts  dont  vous  voulussiez  faire 
un  heureux  ,  daignez  songer  à  moi.  Je  les  recevrais 
même  avec  reconnaissance ,  seul  retour  que  je 
puisse  vous  offrir ,  mais  que  le  cœur  dont  elle  part 
ne  rend  pas  indigne  de  vous. 

Adieu  ,  monsieur  ;  continuez  d'ouvrir  et  d'in- 
terpréter aux  hommes  le  livre  de  la  nature.  Pour 
moi,  content  d'en  déchiffrer  quelques  mots  à  votre 
suite ,  dans  le  feuillet  du  règne  végétal ,  je  vous  lis , 
je  vous  étudie,  je  vous  médite,  je  vous  honore  , 
et  je  vous  aime  de  tout  mon  cœur. 


ANNÉE    177'J!.  353 

LETTRE  CMLIV. 

A  M.  DE  SAINT-GERMAIN. 

7  janvier  1772. 

Moi  ,  vous  oublier  ,  monsieur  !  pourriez -vous 
penser  ainsi  de  vous  et  de  moi!  non,  les  senti- 
ments que  vous  m'avez  inspirés  ne  peuvent  non 
plus  s'altérer  que  vos  vertus ,  et  dureront  autant 
que  ma  vie.  Mes  occupations ,  mon  goût ,  ma  pa- 
resse ,  m'onl  forcé  de  renoncer  à  toute  correspon- 
dance. Je  m'étais  pourtant  proposé  de  vous  faire 
passer  un  petit  signe  de  vie  par  M.  le  marquis 
de  ***,  qui  m'a  promis  de  me  revenir  voir  avant 
son  départ ,  et  de  vouloir  bien  s'en  charger.  Je 
suis  touché  que  votre  bonté  m'ait  forcé,  pour 
ainsi  dire ,  à  prévenir  cet  arrangement. 

Je  ne  puis,  monsieur,  vous  promettre,  en  fait 
de  lettres ,  une  exactitude  qui  passe  mes  forces  ; 
mais  je  vous  promets,  avec  toute  la  confiance  d'un 
cœur  qui  vous  est  dévoué ,  un  attachement  inal- 
térable et  digne  de  vous.  Ainsi ,  quand  je  ne  vous 
écrirai  point ,  daignez  interpréter  mon.  silence  par 
tous  les  sentiments  que  je  vous  ai  fait  connaître , 
et  vous  ne  vous  tromperez  jamais. 

Ma  femme,  pénétrée  des  attentions  dont  vous 

l'honorez ,  me  charge  de  vous  témoigner  con»bien 

elle  y  est  sensible ,  et  c'est  conjointement  que  nous 

réunissons  les  vœux  de  nos  cœurs  pour  vous ,  mon- 

R.  xxir.  ^3 


354  CORRESPONDANCE. 

sieur ,  pour  madame  de  Saint-Germain  ,  à  qui  nous 
vous  prions  de  faire  agréer  nos  respects,  et  pour 
tous  vos  aimables  enfants,  dont  la  brillante  espé- 
rance annoncé  de  quel  prix  le  ciel  veut  payer  les 
vertus  de  ceux  qui  leur  ont  donné  l'être.     . 


LETTRE  CMLV. 


A  M.  dp:  sartine. 


Paris,  ]e  l'y  jauvier  1772. 


Monsieur  , 


Je  sais  de  quel  prix  sont  vos  moments,  je  sais 
qu'on  les  doit  respecter.;  mais  je  sais  aussi  que  les 
plus  précieux  sont  ceux  que  vous  consacrez  à  pro- 
téger les  opprimés,  et  si  j'ose  en  réclamer  quelques- 
uns  ,  ce  n'est  pas  sans  titre  pour  cela. 

Après  tant  de  vains  efforts  pour  faire  percer 
quelque  rayon  de  lumière  à  travers  les  ténèbres 
dont  on  m'environne  depuis  dix  ans  ,  j'y  renonce. 
J'ai  de  grands  vices,  mais  qui  n'ont  jamais  fait  de 
mal  qu'à  moi  ;  j'ai  commis  de  grandes  fautes  ,  mais 
que  je  n'ai  point  tues  à  mes  amis ,  et  ce  n'est  que 
par  moi  qu'elles  sont  connues,  quoiqu'elles  aient 
été  publiées  par  d'autres  qui  sont  quelquefois  plus 
discrets.  A  cela  près  ,  si  quelqu'un  m'impute  quel- 
que sentiment  vicieux  ,  quelque  discours  blâma- 

*  M.  Lenoir  ne  succéda  à  M.  de  Sartine  qu'en  1774-  C'est  donc 
par  erreur  qu'on  a  ,  dans  les  éditions  précédentes ,  mis  le  nom  du 
premier. 


ANNÉE    I77'->..  355 

ble,  ou  quelque  acte  injuste,  qu'il  se  montre  et 
qu'il  parle;  je  l'attends  et  ne  me  cache  pas;  mais 
tant  qu'il  se  cachera ,  lui ,  de  moi ,  pour  me  diffa- 
mer ,  il  n'aura  diffamé  que  lui-même  aux  yeux  de 
tout  homme  équitable  et  sensé.  L'évidence  et  les 
ténèbres  sont  incompatibles  :  les  preuves  adminis- 
trées par  de  malhonnêtes  gens  sont  toujours  sus- 
pectes, et  celui. qui,  commençant  par  fouler  aux 
pieds  la  plus  inviolable  loi  du  droit  naturel  et  de 
la  justice ,  se  déclare  par  là  déjà  lâche  et  méchant, 
peut  bien  étie  encore  imposteur  et  fourbe.  Et 
comment  donnerait-il  à  son  témoignage,  et,  si  l'on 
veut ,  à  ses  preuves ,  la  force  que  l'équité  n'ac- 
corde même  à  nulle  évidence ,  de  disposer  de  l'hon- 
neur d'un  homme ,  plus  précieux  que  la  vie ,  sans 
l'avoir  mis  préalablement  en  état  de  se  défendre 
et  d'être  entendu?  Que  celui  donc  qui  s'obstine  à 
me  juger  ainsi  reste  dans  le  stupide  aveuglement 
qu'il  aime;  son  erreur  est  de  son  propre  fait;  c'est 
lui  seul  qu'elle  déshonore  :  après  m'être  offert  pour 
l'en  tirer,  je  l'y  laisse,  puisqu'il  le  veut,  et  qu'il 
m'est  impossible  de  l'en  guérir  malgré  lui.  Grâces 
au  ciel  tout  l'art  humain  ne  changera  pas  la  na- 
ture des  choses  ;  il  ne  fera  pas  quç  le  mensonge  de- 
vienne la  vérité,  ni  que  de  mon  vivant  la  poitrine 
de  Jean-Jacques  Rousseau  renferme  le  cœur  d'un 
malhonnête  homme:  cela  me  suffit,  et  je  vis  en 
paix,  en  attendant  que  mon  moment  et  celui  de  la 
vérité  vienne  ;  car  il  viendra,  j'en  suis  très-sûr ,  et  je 
l'attends  avec  un  témoignage  qui  me  dédommage 
de  celui  d'autriii. 

2:1 


356  CORRESPONDANCE. 

Tranquille  donc  sur  tout  ce  qu'on  me  cache 
avec  tant  de  soin,  et  même  sur  ce  qui  me  parvient 
par  hasard ,  j'ai  laissé  débiter ,  parmi  cent  autres 
bruits  non  moins  ineptes,  quej'avais  cessé  de  voir 
madame  de  Luxembourg  après  lui  avoir  emporté 
trois  cents  louis ,  que  je  ne  copiais  de  la  musique  que 
par  grimace ,  que  j'avais  de  quoi  vivre  fort  à  mon 
aise ,  que  j'avais  six  bonnes  mille  livres  de  rente , 
que  la  veuve  Duchesne  faisait  une  pension  de  six 
cents  livres  à  ma  femme ,  qu'elle  m'en  faisait  une 
autre  à  moi  de  mille  écus  pour  une  édition  nouvelle 
de  mes  écrits  que  j'avais  dirigée.  J'ai  laissé  débiter 
tous  ces  mensonges;  je  n'ai  fait  qu'en  rire  quand 
ils  me  sont  revenus ,  et  je  n'ai  pas  même  été  tenté 
de  vous  importuner ,  monsieur ,  de  mes  plaintes  à 
ce  sujet,  quoique  je  sentisse  parfaitement  le  coup 
que  cette  opinion  de  mon  opulence  devait  porter 
aux  ressources  que  mon  travail  me  procure  pour 
suppléer  à  l'insuffisance  de  mon  revenu.  Une  pe- 
tite circonstance  de  plus  a  passé  la  mesure  ,  et  m'a 
causé  quelque  émotion,  parce  que  l'imposture, 
marchant  toujours  sous  le  masque  de  la  trahison , 
a  pris  jusqu'ici  grand  soin  de  faire  le  plongeon 
devant  moi,  et  ne  m'avait  pas  encore  accoutumé 
à  l'effronterie.  Mais  en  voici  une  qui  m'a,  je  l'a- 
voue, affecté. 

Tavais  prié  un  de  ceux  qui  m'ont  averti  des 
bruits  dont  je  viens  de  parler,  de  tâcher  d'appren- 
dre si  madame  Duchesne  et  le'  sieur  Guy  y  avaient 
quelque  part.  De  chez  eux ,  où  il  n'a  trouvé  que 
des  garçons ,  il  est  allé  chez  Simon ,  qu'on  lui  di- 


ANNÉE    1772.  357 

sait  avoir  imprimé  la  nouvelle  édition  qui  m'avait 
été  si  bien  payée.  Simon  lui  a  dit  qu'en  effet  il  ve- 
nait d'imprimer  quelques-uns  de  mes  écrits  sous 
mes  yeux,  que  j'en  avais  revu  les  épreuves,  et  que 
j'étais  même  allé  chez  lui  il  n'y  avait  pas  long- 
temps. Quoique  je  sois  par  moi-même  le  moins 
important  des  hommes, je  le  suis  assez  devenu  par 
ma  singulière  position  pour  être  assuré  que  rien 
de  ce  que  je  fais  et  de  ce  que  je  ne  fais  pas  ne 
vous  échappe  :  c'est  une  de  mes  plus  douces  con- 
solations ;  et  je  vous  avoue ,  monsieur ,  que  l'avan- 
tage de  vivre  sous  les  yeux  d'un  magistrat  intègre 
et  vigilant ,  auquel  on  n'en  impose  pas  aisément , 
est  un  des  motifs  qui  m'ont  arraché  des  campagnes, 
où ,  livré  sans  ressource  aux  manœuvres  des  gens 
qui  disposent  de  moi ,  je  me  voyais  en  proie  à  leurs 
satellites  et  à  toutes  les  illusions  par  lesquelles  les 
gens  puissants  et  intrigants  abusent  si  aisément  le 
public  sur  le  compte  d'un  étranger  isolé  à  qui  l'on 
est  venu  à  bout  de  faire  un  inviolable  secret  de 
tout  ce  qui  le  regarde  ,  et  qui  par  conséquent  n'a 
pas  la  moindre  défense  contre  les  mensonges  les 
plus  extravagants. 

J'ai  donc  peu  besoin,  monsieur,  de  vous  dire 
que  cette  opulence  dont  on  me  gratifie  si  libérale- 
ment dans  les  cercles,  que  toutes  ces  pensions  si 
fièrement  spécifiées ''j  cette  édition  qu'on  me  prête, 

"  Celles  en  particulier  de  madame  Duchesne  se  réduisent  toutes  à 
une  rente  de  trois  cents  francs,  stipulée  dans  le  marché  de  mon 
Dictionnaire  de  Musique.  J'en  ai  une  de  six  cents  francs,  de  Milord 
Maréchal,  dont  je  jouis  par  l'attention  de  celui  qu'il  en  a  chargé  à 
ma  prière ,  mais  sans  autre  sûreté  que  son  bon  plaisir ,  n'ayant  aucun 


358  CORKESPOIND^NCE. 

sont  autant  de  fictions;  niais  je  n'ai  pu  m'empè- 
clier  de  mettre  sous  vos  yeux  l'impudence  incroya- 
ble dudit  Simon ,  que  je  ne  ^^s  de  mes  jours ,  que 
je  sache,  chez  qui  je  n'ai  jamais  mis  le  pied,  dont 
je  ne  skis  pas  la  demeure,  et  que  j'ignorais  même, 
avant  ces  bruits  ,  avoir  imprimé  aucun  de  mes 
écrits.  Comme  je  n'attends  plus  aucune  justice  de 
la  part  des  hommes,  je  m'épargne  désormais  la 
peine  inutile  de  la  demander,  et  je  ne  vous  de- 
mande à  vous-même  que  la  patience  de  me  lire, 
quoique  je  fasse  l'exception  qui  est  due  à  votre 
intégrité  et  à  la  générosité  qui  vous  intéresse  aux 
infortunés.  Mais  ne  voyant  plus  rien  qui  puisse 
me  flatter  dans  cette  vie,  les  restes  m'en  sont  de- 
venus indifférents.  La  seule  douceur  qui  peut 
m'y  toucher  encore  est  que  l'œil  clairvoyant  d'un 
homme  juste  pénètre  au  vrai  ma  situation ,  qu'il  la 
connaisse,  et  me  plaigne  en  lui-même,  sans  se 
commettre  pour  ma  défense  avec  mes  dangereux 
ennemis.  Je  vous  aurais  choisi  pour  cela,  monsieur, 
quand  vous  ne  rempliriez  point  la  place  où  vous 
êtes  ;  mais  j'y  vois  ,  je  l'avoue ,  un  avantage  de  plus , 
puisque,  par  cette  place  même,  vous  avez  été  à 
portée  de  vérifier  assez  d'impostures  pour  en  pré- 
sumer beaucoup  d'autres  que  vous  pouvez  vérifier 

acte  valable  pour  la  réclamer  de  mon  chef.  J'ai  une  rente  de  dix 
livres  sterling ,  pour  mes  livres  que  j'ai  vendus  en  Angleterre  , 
sur  la  tète  de  l'aclieteur  et  sur  la  mienne,  en  sorte  que  cette  rente 
doit  s'éteindre  au  premier  mourant.  Tout  cela  fait  ensemble  onze 
cents  francs  de  viager ,  dont  il  n'y  a  que  trois  cents  de  solides.  Ajou- 
tez à  cela  quelque  argent  comptant,  dernier  reste  du  petit  capital 
que  j'ai  consumé  dans  mes  voyages,  et  que  je  m'étais  réservé  pour 
avoir  quelque  avance  en  faisant  ici  mon  établissement. 


de  même  un  jour.  Peut-être  vous  écrirai-je  quel- 
quefois encore,  mais  je  ne  vous  demanderai  ja- 
mais rien  ;  et  si  ma  confiance  devient  importune 
à  l'homme  occupé ,  je  réponds  du  moins  qu'elle  ne 
sera  jamais  à  charge  au  magistrat.  Veuillez  ne  la 
pas  dédaigner;  veuillez,  monsieur,  vous  rappeler 
qu'elle  ne  tient  pas  seulement  au  respect  que  vous 
m'avez  inspiré,  mais  encore  aux  témoignages  de 
bonté  dont  vous  m'avez  honoré  quelquefois,  et 
que  je  veux  -mériter  toute  ma  vie. 

A  la  suite  de  cette  lettre  l'auteur  a  ajouté ,  soit  comme  apos- 
tille, soit  comme  simple  observation,  l'article  qu'on  va  lire. 

Il  n'est  peut-être  pas  inutile  d'observer  que  le 
sieur  Guy  vient  très- fréquemment  chez  moi  sans 
avoir  rien  à  me  dire ,  et  sans  que  je  puisse  trou- 
ver aucun  motif  à  ses  visites,  vu  que.  toutes  Içs 
affaires  que  nous  avons  ensemble  n'exigent  qu'une 
entrevue  de  deux  minutes  par  an,  et  qu'il  n'y  a 
point  de  liaison  d'amitié  entre  lui  et  moi.  Tl  m'a 
prié  de  lui  faire  un  triage  de  chansons  dans  les  an- 
ciens recueils  pour  en  faire  un  nouveau.  Je  l'ai  prié, 
de  mon  côté ,  de  me  prêter  quelques  romans  pour 
amuser  ma  femme  durant  les  soirées  d'hiver.  Il 
est  parti  de  là  pour  me  faire  apporter  en  pompe 
d'immenses  paquets  de  brochures ,  qui ,  avec  ses 
allées  et  venues,  lui'  donnent  l'air  d'avoir  avec 
moi  beaucoup  d'affaires.  Tout  cela,  joint  aux 
bruits  dont  j'ai  parlé ,  commence  à  me  faire  soup- 
çonner que  ces  fréquentes  visites,  que  je  ne  pre- 
nais que  pour  un  petit  espionnage  assez  commun 


36o  CORRESPONDANCE. 

aux  gens  qui  m'entourent,  et  très-indifférent  pour 
moi,  pourraient  bien  avoir  un  objet  plus  métho- 
dique et  dirigé  de  plus  loin.  Il  y  a  dans  tout  cela 
de  petites  manœuvres  adroites ,  dont  le  but  me  pa- 
raîtrait pourtant  facile  à  découvrir  dans  toute 
autre  position  que  la  mienne,  pour  peu  qu'on 
y  mît  de  soin. 


LETTRE  CMLVI. 

A  MILORD  HARCOURT. 

Paris,  le  i6  juin  1772. 

J'ai  reçu,  milord,  avec  plaisir  et  reconnaissance, 
des  témoignages  de  la  continuation  de  votre  sou- 
venir et  de  vos  bontés  par  madame  la  duchesse 
de  Portland,  et  je  suis  encore  plus  sensible  à  la 
peine  que  vous  prenez  de  m'en  donner  par  vous- 
même.  J'avais  espéré  que  l'ambassade  de  milord 
Harcourt  pourrait  vous  attirer  dans  ce  pays ,  et 
c'eût  été  pour  moi  une  véritable  douceur  de  vous 
y  voir.  Je  me  dédommage  autant  qu'il  se  peut  de 
cette  attente  frustrée,  en  nourrissant  dans  mon 
cœur  et  dans  ma  mémoire  les  sentiments  que  vous 
m'avez  inspirés,  et  qui  sont  par  leur  nature  à  l'é- 
preuve du  temps,  de  l'éloignement ,  et  de  l'inter- 
ruption du  commerce.  Je  n'entretiens  plus  de  cor- 
respondance ,  je  n'écris  plus  que  pour  l'absolue 
nécessité;  mais  je  n'oublie  point  tout  ce  qui  m'a 
paru  mériter  mon  estime  et  mon  attachement;  et 


ANNÉE    1772.  36l 

c'est  dans  cet  asile  de  difficile  accès ,  mais  par  là 
plus  digne  de  vous,  et  où  rien  n'entre  sans  le 
passe-port  de  la  vertu,  que  vous  occuperez  tou- 
jours une  place  distinguée. 

Je  suis  sensible ,  milord ,  à  vos  offres  obli- 
geantes; et  si  j'étais  dans  le  cas  de  m'en  prévaloir, 
je  le  ferais  avec  confiance,  et  même  avec  joie, 
"pour  vous  montrer  combien  je  compte  sur  vos 
bontés  :  mais,  grâces  au  ciel,  je  n'ai  nulle  affaire, 
et  tout  sur  la  terre  m'est  devenu  si  indifférent,  que 
je  ne  me  donnerais  pas  même  la  peine  de  former 
un  désir  pour  cette  vie,  quand  cet  acte  seul  suf- 
firait pour  l'accomplir.  Ma  femme  vous  prie  d'a- 
gréer ses  remerciements  très -humbles  de  l'hon- 
neur de  votre  souvenir,  et  nous  vous  offrons, 
milord,  de  tout  notre  cœur,  l'un  et  l'autre,  nos 
salutations  et  nos  i-espects. 


LETTRE  CMLVII. 

A  MADAME  LATOUR. 

Ce  mercredi  24  juin  1772. 

Voici ,  madame ,  votre  partition;  je  vous  de- 
mande pardon  de  mon  étourderie  et  du  quiproquo. 
N'ayant  pas  en  ce  moment  le  temps  d'examiner  la 
Reine  fantasque  ^  et  ne  voulant  pas  abuser  de  la 
complaisance  que  vous  avez  de  me  la  laisser ,  je  vous 
la  renvoie,  avec  mes  remerciements.  Je  vous  en 
dois  de  plus  grands  pour  l'offre  que  vous  m'avez 


'56'2  CORIIESPOÎSUANCE. 

bien  voulu  faire  de  comparer  avec  les  bonnes  édi- 
tions les  éditions  que  l'on  fait  ici  de  mes  écrits, 
et  que  je  dois  croire  frauduleuses,  puisqu'on  me 
les  cache  avec  tant  de  soin.  Je  sens  le  prix  de  cette 
offre,  et  j'y  suis  sensible;  mais  la  dépense  et  la 
peine  que  vous  coûterait  son  exécution  ne  me 
permettent  pas  d'y  consentir. 

J'ai  eu  l'honneur,  madame,  de  vous  voir  hier 
pour  la  troisième  fois  de  ma  vie;  j'ai  réfléchi 
sur  l'entretien  où  vous  m'avez,  engagé  et  sur  les 
choses  que  vous  m'y  avez  dites  ;  le  résultat  de  ces 
réflexions  est  de  me  confirmer  pleinement  dans  la 
résolution  dont  je  vous  ai  fait  part  ci-devant,  et  à 
laquelle  vous  vous  devez ,  selon  moi ,  de  ne  plus 
porter  d'obstacle ,  à  moins  que  vous  n'ayez  pour 
cela  des  raisons  particulières  que  je  ne  sais  pas , 
et  auxquelles,  par  cette  raison,  je  suis  dispensé 
de  céder. 


LETTRE  CMLVIII. 

A  MADAME   LA  MARQUISE  DE  MESME. 

Paris,  29  juillet  1772. 

Je  suis  affligé ,  madame  ,que  vous  vous  y  preniez 
un  peu  trop  tard,  car  en  vérité,  je  vous  aurais 
demandé  "de  tout  mon  cœur  l'entrevue  que  vous 
avez  la  bonté  de  m'offrir  ;  mais  je  ne  vais  plus  chez 
personne ,  ni  à  la  ville  ni  à  la  campagne  :  la  réso- 
lution en  est  prise,  et  il  faut  bien  qu'elle  soit  sans 


ANNÉE    177'Jt.  363 

exception ,  puisque  je  ne  la  fais  pas  pour  vous.  J'ai 
même  tant  de  confiance  aux  sentiments  que  j'ai 
su  vous  connaitre ,  que  je  ne  refuserais  pas ,  ma- 
dame, de  discuter  avec  vous  mes  raisons ,  si  j'étais 
à  portée,  quoique  je  sache  bien  que  ce  serait  me 
préparer  de  nouveaux  regrets. 

Adieu  donc  ,  madame  ;  daignez  penser  quelque- 
fois à  un  homme  dont  vous  ne  seriez  jamais  ou- 
bliée, et  qui  se  consolerait  difficilement  d'être  si 
mal  connu  de  ses  contemporains,  si  leurs  senti- 
ments sur  son  compte  l'intéressaient  autant  que 
feront  toujours  ceux  de  madame  la  marquise  de 
Mesme. 


LETTRE   CMLIX. 

A  MADAME 

Paris,  le.  14  août  1772. 

Il  e&t,  madame,  des  situations  auxquelles  il  n'est 
pas  permis  à  un  honnête  homme  d'être  préparé,  et 
celle  où  je  me  trouve  depuis  dix  ans  est  la  plus  in- 
concevable et  la  plus  étrange  dont  on  puisse  avoir 
l'idée.  J'en  ai, senti  l'horreur  sans  en  pouvoir  per- 
cer les  ténèbres.  J'ai  provoqué  les  imposteurs  et 
les  traîtres  par  tous  les  moyens  permis  et  justes 
qui  pouvaient  avoir  prise  sur  des  coeurs  humains  : 
tout  a  été  inutile;  ils  ont  fait  le  plongeon  ;  et,  con- 
tinuant leurs  manœuvres  souterraines,  ils  se  sont 
cachés  de  moi* avec  le  plus  grand  soin.  Cela  était 


364  CORRESPONDANCE. 

naturel ,  et  j'aurais  dû  m'y  attendre.  Mais  ce  qui 
l'est  moins  est  qu'ils  ont  rendu  le  public  entier 
complice  de  leurs  trames  et  de  leur  fausseté  ;  qu'a- 
vec un  succès  qui  tient  du  prodige  on  m'a  ôté  toute 
connaissance  des  complots  dont  je.  suis  la  victime, 
en  m'en  faisant  seulement  bien  sentir  l'effet ,  et  que 
tous  ont  marqué  le  même  empressement  à  me  faire 
boire  la  coupe  de  l'ignominie ,  et  à  me  cacher  la 
bénigne  main  qui  prit  soin  de  la  préparer.  La  co- 
lère et  l'indignation  m'ont  jeté  d'abord  dans  des 
transports  qui  m'ont  fait  faire  beaucoup  de  sottises , 
sur  lesquelles  on  avait  compté.  Comme  je  trouvais 
injuste  d'envelopper  tout  mon  siècle  dans  le  mé- 
pris qu'on  doit  à  quiconque  se  cache  d'un  homme 
pour  le  diffamer,  j'ai  cherché  quelqu'un  qui  eût 
assez  de  droiture  et  de  justice  pour  m'éclairer  sur 
ma  situation ,  ou  pour  se  refuser  au  moins  aux  in- 
trigues des  fourbes  :  j'ai  porté  partout  ma  lanterne 
inutilement,  je  n'ai  point  trouvé  d'homme ,  ni  d'ame 
humaine.  J'ai  vu  avec  dédain  la  grossière  fausseté 
de  ceux  qui  voulaient  m'abuser  par  des  caresses, 
si  maladroites  et  si  peu  dictées  par  la  bienveillance 
et  l'estime ,  qu'elles  cachaient  même ,  et  assez  mal , 
une  secrète  animosité.  Je  pardonne  l'erreur,  mais 
non  la  trahison.  A  peine,  dans  ce  délire  universel, 
ai-je  trouvé  dans  tout  Paris  quelqu'un  qui  ne  s'a- 
vilît pas  à  cajoler  fadement  un  homme  qu'ils  vou- 
laient tromper ,  comme  on  cajole  un  oiseau  niais 
qu'on  veut  prendre.  S'ils  m'eussent  fui,  s'ils  m'eus- 
sent ouvertement  maltraité ,  j'aurais  pu ,  les  plai- 
gnant et  me  plaignant,  du  moins  les  estimer  encore  : 


ANNÉE  1772.  365 

ils  n'ont  pas  voulu  me  laisser  cette  consolation.  Ce- 
pendant il  est  parmi  eux  des  personnes  d'ailleurs 
si  dignes  d'estime ,  qu'il  paraît  injuste  de  les  mé- 
priser. Comment  expliquer  ces  contradictions?  J'ai 
fait  mille  efforts  pour  y  parvenir;  j'ai  fait  toutes  les 
suppositions  possibles;  j'ai  supposé  l'imposture  ar- 
mée de  tous  les  flambeaux  de  l'évidence  :  je  me 
suis  dit  :  Ils  sont  trompés ,  leur  erreur  est  invin- 
cible. Mais,  me  suis -je  répondu,  non -seulement 
ils  sont  trompés ,  mais  ,  loin  de  déplorer  leur  er- 
reur ,  ils  l'aiment ,  ils  la  chérissent.  Tout  leur  plai- 
sir est  de  me  croire  vil ,  hypocrite  et  coupable  ;  ils 
craindraient  eomme  un  malheur  affreux  de  me  re- 
trouver innocent  et  digne  d'estime.  Coupable  ou 
non  ,  tous  leurs  soins  sont  de  m'ôter  l'exercice 
de  ce  droit  si  naturel,  si  sacré  de  la  défense  de 
soi-même.  Hélas!  toute  leur  peur  est  d'être  forcés 
de  voir  leur  injustice ,  tout  leur  désir  est  de  l'ag- 
graver. Ils  sont  trompés  !  hé  bien  !  supposons  ;  mais, 
trompés ,  doivent-ils  se  conduire  comme  ils  font  ? 
d'honnêtes  gens  peuvent-ils  se  conduire  ainsi  ?  me 
conduirais-je  ainsi  moi-même  à  leur  place?  Jamais, 
jamais  :  je  fuirais  le  scélérat  ou  confondrais  l'hy- 
pocrite; mais  le  flatter  pour  le  circonvenir  serait 
me  mettre  au-dessous  de  lui.  Non ,  si  j'abordais  ja- 
mais un  coquin  que  je  croirais  tel,  ce  ne  serait  que 
pour  le  confondre  et  lui  cracher  au  visage. 

Après  mille  vains  efforts  inutiles  pour  expliîjuer 
ce  qui  m'arrive  dans  toutes  les  suppositions ,  j'ai 
donc  cessé  mes  recherches,  et  je  me  suis  dit  :  Je 
vis  dans  une  génération  qui  m'est  inexplicable.  La 


'^66  CORRESPOIVDANCF. 

conduite  de  mes  contemporains  à  mon  égard  ne 
permet  à  ma  raison  de  leur  accorder  aucune  es- 
time. La  haine  n'entra  jamais  dans  mon  cœur.  Le 
mépris  est  encore  un  sentiment  trop  tourmentant. 
Je  ne  les  estime  donc,  ni  ne  les  hais,  ni  ne  les  mé- 
prise; ils  sont  nuls  à  mes  yeux;  ce  sont  pour  moi 
des  habitants  de  la  lune  :  je  n^ai  pas  la  moindre 
idée  de  leur  être  moral  ;  la  seule  chose  que  je  sais 
est  qu'il  n'a  point  de  rapport  au  mien  ,  et  que  nous 
ne  sommes  pas  de  la  même  espèce.  J'ai  donc  re- 
noncé avec  eux  à  cette  seule  société  qui  pouvait 
m'ètre  douce,  et  que  j'ai  si  vainement  cherchée, 
savoir  à  celle  des  cœurs.  Je  ne  les  cherche  ni  ne 
les  fuis.  A  moins  d'affaires  ,  je  n'irai  plus  chez  per- 
sonne :  mes  visites  sont  un  honneur  que  je  ne  dois 
plus  à  qui  que  ce  soit  désornaais  ;  un  pareil  témoi- 
gnage d'estime  serait  trompeur  de  ma  part,  et  je 
ne  suis  pas  homme  à  imiter  ceux  dont  je  me  dé- 
tache. A  l'égard  des  gens  qui  pleuvent  chez  moi, 
je  ferme  autant  que  je  puis  ma  porte  aux  quidams 
et  aux  brutaux  ;  mais  ceiix  dont  au  moins  le  nom 
m'est  connu ,  et  qui  peuvent  s'abstenir  de  m'insul- 
ter  chez  moi,  je  les  reçois  avec  indifférence ,  mais 
sans  dédain.  Comme  je  n'ai  plus  ni  humeur  ni  dé- 
pit contre  les  pagodes  au  milieu  desquelles  je  vis, 
je  ne  refuse  pas  même ,  quand  l'occasion  s'en  pré- 
sente ,  de  m'amuser  d'elles  et  avec  elles  autant  que 
cela»  leur  convient  et  a  moi  aussi.  Je  laisserai  aller 
les  choses  comme  elles  .s'arrangeront  d'elles-mêmes, 
mais  je  n'irai  pas  au-delà  ;  et ,  à  moins  que  je  ne  re- 
trouve enfin,  contre  toute  attente,  ce  que  j'ai  cessé 


ANNÉE    Î772.  367 

de  chercher  ,  je  ne  ferai  de  ma  vie  phis  un  seul 
|3as  sans  nécessité  ponr  rechercher  qui  que  ce  soit. 
J'ai  du  regret,  madame ,  à  ne  pouvoir  faire  excep- 
tion pour  vous ,  car  vous  m'avez  paru  bien  aiiTiable  ; 
mais  cela  n'empêche  pas  que  vous  ne  soyez  de  votre 
siècle  ,.et  qu'à  ce  titre  je  ne  puisse  vous  excepter. 
Je  sens  bien  ma  perte  en  cette  occasion ,  je  sens 
même  aussi  la  vôtre  ,  du  moins  si,  comme  je  dois 
le  croire  ,  vous  recherchez  dans  la  société  des 
choses  d'un  plus  grand  prix  que  l'élégance  des  ma- 
nières et  l'agrément  de  la  conversation. 

Voilà  mes  résolutions,  madame,  et  en  voilà  les 
motifs.  Je  vous  supplie  d'agréer  mon  re-spect. 


LETTRE   CMLX. 

A  M.   DE  MALESHERBES. 

Paris,  II  novembre  177.   .   .   . 

Je  serais ,  jnonsieur ,  bien  mortifié  que  vous  me 
privassiez  du  plaisir  dont  vous  m'aviez  flatté  de 
m'occuper  d'un  soin  qui  pût  vous  être  agréable , 
et  de  préparer  des  plantes  pour  compléter  vos  her- 
biers. Ne  pouvant  subsister  sans  l'aide  de  mon 
travail ,  je  n'ai  jamais  pensé  ,  malgré  le  plaisir  que 
celui  -  là  pouvait  me  faire  ,  à  vous  offrir  gratuite- 
ment l'emploi  de  mon  temps.  Je  vous  avoue  même 
que  j'aurais  fort  désiré  d'entremêler  le  travail  sé- 
dentaire et  ennuyeux  de  ma  copie  d'une  occupa- 
tion plus  de  mon  goût ,  et  meilleure  à  ma  santé , 


3G8  CORRESPONDANCE. 

en  travaillant  à  clés  herbiers  pour  tant  de  cabinets 
d'histoire  naturelle  qu'on  fait  à  Paris,  et  où  ,  selon 
moi ,  ce  troisième  règne ,  qu'on  y  compte  pour  rien , 
n'est  pas  moins  nécessaire  que  les  autres.  Plusieurs 
herbiers  à  faire  à  la  fois  m'auraient  été  plus  lucra- 
tifs, et  m'auraient  mieux  dédommagé  des. menus 
frais  qu'exigent  quelquefois  les  courses  éloignées 
et  l'entrée  des  jardins  curieux.  Mais  les  Français , 
en  général ,  ont  de  si  fausses  idées  de  la  botanique 
et  si  peu  de  goût  pour  l'étude  de  la  nature,  qu'il 
ne  faut  pas  espérer  que  cette  charmante  partie 
leur  donne  jamais  la  tentation  de  faire  des  collec- 
tions en  ce  genre  :  ainsi  je  renonce  à  cette  res- 
source. Pour  vous ,  monsieur ,  qui  joignez  aux 
connaissances  de  tous  les  genres  la  passion  de  les 
augmenter  sans  cesse ,  ne  m'ôtez  pas  le  plaisir  de 
contribuer  à  vos  amusements.  Envoyez-moi  la  note 
de  ce  que  vous  désirez;  j'en  rassemblerai  tout  ce 
qui  me  sera  possible,  et  je  recevrai,  sans  aucune 
difficulté ,  le  paiement  de  ce  que  je  vous  aurai 
fourni.  A  l'égard  du  petit  échantilloi)  que  je  vous 
ai  envoyé  ,  c'est  tout  autre  chose  ;  c'étaient  des 
plantes  qui  vous  appartenaient.  Ce  que  j'ai  sub- 
stitué à  celles  qui  se  sont  gâtées  n'a  point  été  ra- 
massé pour  vous  ;  je  n'ai  eu  d'autre  peine  que  de 
le  tirer  de  ce  que  j'avais  rassemblé  pour  moi-même  ; 
et  comme  je  n'ai  point  offert  d'entrer  dans  la  dé- 
pense que  vous  a  coûté  l'herborisation  que  j'ai 
faite  à  votre  suite ,  il  me  semble ,  monsieur ,  que 
vous  ne  devez  pas  non  plus  m'offrir  le  paiement  de 
ce  que  nous  avons  ramassé  ensemble ,  ni  du  petit 


ANNÉE    177*..  369 

arrangement  que  je  me  suis  amusé  à  y  mettre 
pour  vous  l'envoyer. 

Malgré  le  bien  que  vous  m'avez  dit  de  votre 
santé  actuelle  ,  on  m'assure  qu'elle  n'est  pas  en- 
core parfaitement  rétablie  ;  et  malheureusem'ent  la 
saison  où  nous  entrons  n'est  pas  favorable  à  l'exer- 
cice pédestre  ,  que  je  crois  aussi  bon  pour  vous 
que  pour  moi.  L'hiver  a  aussi,  comme  vous  savez, 
monsieur ,  ses  herborisations  qui  lui  sont  propres , 
savoir  ,  les  mousses  et  les  lichens.  Il  doit  y  avoir 
dans  vos  parcs  des  choses  curieuses  en  ce  genre , 
et  je  vous  exhorte  fort ,  quand  le  temps  vous  le 
permettra  ,  d'aller  examiner  cette  partie  sur  les 
lieux  et  dans  la  saison. 

Vos  résolutions,  monsieur,  étant  telles  que  vous 
me  le  marquez,  je  ne  suis  assurément  pas  homme 
à  les  désapprouver;  c'est  s'être  procuré  bien  ho- 
norablement des  loisirs  bien  agréables.  Remplir  de 
grands  devoirs  dans  de  grandes  places,  c'est  la 
tâche  des  hommes  de  votre  état  et  doués  de  vos 
talents  :  mais  quand ,  après  avoir  offert  à  son  pays 
le  tribut  de  son  zèle  ,  on  le  voit  inutile,  il  est  bien 
permis  alors  de  vivre  pour  soi-même  et  de  se  con- 
tenter d'être  heureux. 


R.  xxTi.  24 


>70  CORRESPONDANCE, 

LETTRE  CMLXI. 

A  M.  DE  SAHTINE. 

Juin  1774- 

Je  crois  remplir  un  devoir  indispensable  en  vous 
envoyant  la  lettre  ci-jointe,  qui  m'a  été  adressée 
vraisemblablement  par  quiproquo  ,  puisqu'elle  ré- 
pond à  une  lettre  que  je  n'ai  point  eu  l'honneur 
de  vous  écrire  ;  non  que  je  n'acquiesce  aux  félici- 
tations que  vous  recevez ,  mais  parce  que  ce  n'est 
pas  mon  usage  d'écrire  en  pareil  cas.  Je  vous  sup- 
plie ,  monsieur ,  d'agréer  mon  respect. 

Observation.  —  La  lettre  que  Jean-Jacques  renvoyait  était 
une  réponse  de  M.  de  SartÏAe  à  un  Rousseau  qui  le  félicitait  de 
son  passage  de  la  police  au  ministère  de  la  marine.  M.  de  Sar- 
tine  s'exprime  ainsi  : 

'<  Je  suis  sensible  à  la  part  que  vous  prenez-  à  la  grâce  dont 
'<  le  Roi  vient  de  m'honorer.  Recevez  ,  je  vous  prie ,  lés  assu- 

<  rances  de  ma  reconnaissance ,  et  tous  les  remerciements  que 

<  je  vous  dois.  » 

La  lettre  de  Jean- Jacques  n'a  point  de  date;  mais,  à  l'aide 
de  l'événement  à  l'occasion  duquel  elle  fut  écrite,  et  qui  eut  lieu 
en  mai  1774,  on  peut  lui  en  donner  une. 


ANNEE    1 


775.        ■  37 


LETTRE  CMLXII. 

A  M.  LE  PRINCE  DE  BELOSELSKI. 

Paris,  27  mai  ijyS- 

Je  suis  vraiment  bien  aise,  monsieur  le  prince, 
d'avoir  votre  estime  et  votre  confiance.  Les  cœurs 
droits  se  sentent  et  se  répondent;  et  j'ai  dit  en  re- 
lisant votre  lettre  de  Genève,  Peu  d'hommes  m'en 
inspireront  autant. 

Vous  plaignez  mes  anciens  compatriotes  de  n'a- 
voir pas  pris  ma  défense ,  quand  leurs  ministres  as- 
sassinaient, pour  ainsi  dire,  mon  ame.  Les  lâches! 
je  leur  pardonne  les  injustices,  c'est  à  la  postérité 
peut-être  à  m'en  venger. 

A  l'heure  qu'il  est,  je  suis  plus  à  plaindre  qu'eux  : 
ils  ont  perdu,  dites-vous,  un  citoyen  qui  faisait 
leur  gloire  ;  mais  qu'est-ce  que  la  perte  de  ce  bril- 
lant fantôme,  en  comparaison  de  celle  qu'ils  m'ont 
forcé  de  faire?  Je  pleure  quand  je  pense  que  je 
n'ai  plus  ni  parents,  ni  amis,  ni  patrie  libre  et  flo- 
rissante. 

O  lac  sur  les  bords  duquel  j'ai  passé  les  douces 
heures  de  mon  enfance!  Charmant  paysage  où  j'ai 
vu  pour  ta  première  fois  le  majestueux  et  touchant 
lever  du  soleil;  où  j'ai  senti  les  premières  émo- 
tions du  cœur ,  les  premiers  élans  du  génie  devenu 
depuis  trop  impérieux  et  trop  célèbre,  hélas!  je 
ne  vous  verrai  plus!  Ces  clochers  qui  s'élèvent  au 


37a  CORRESPONDANCE. 

milieu  des  chênes  et  des  sapins ,  ces  troupeaux  bê- 
lants, ces  ateliers,  ces  fabriques,  bizarrement  épars 
sur  des  torrents,  dans  des  précipices,  au  haut  des 
rochers;  ces  arbres  vénérables,  ces  sources,  ces 
prairies ,  ces  montagnes  qui  m'ont  vu  naître ,  elles 
ne  me  reverront  plus. 

Brûlez  cette  lettre,  je  vous  supplie  :  on  pour- 
rait encore  mal  interpréter  mes  sentiments. 

Vous  me  demandez  si  je  copie  encore  de  la  mu- 
sique. Et  pourquoi  non?  Serait-il  honteux  de  gagner 
sa  vie  en  travaillant?  Vous  voulez  que  j'écrive  en- 
core; non,  je  ne  le  ferai  plus.  J'ai  dit  des  vérités 
aux  hommes;  ils  les  ont  mal  prises,  je  ne  dirai 
plus  rien. 

Vous  voulez  rire  en  me  demandant  des  nou- 
velles de  Paris.  Je  ne  sors  que  pour  me  promener , 
et  toujours  du  même  côté.  Quelques  beaux  esprits 
me  font  trop  d'honneur  en  m'envoyant  leurs  livres  : 
je  ne  lis  plus.  On  m'a  apporté  ces  jours-ci  un  nou- 
vel opéra-comique:  la  musique  est  de  Grétry,  que 
vous  aimez  tant,  et  les  paroles  sont  assurément 
d'un  homme  d'esprit  ;  mais  c'est  encore  des  grands 
iîeigneurs  qu'on  vient  de  mettre  sur  la  scène  lyri- 
que. Je  vous  demande  pardon ,  monsieur  le  prince  ; 
mais  ces  gens-là  n'ont  pas  d'accent ,  et  ce  sont  de 
bons  paysans  qu'il  faut. 

Ma  femme  est  bien  sensible  à  votre  souvenir. 
Mes  disgrâces  ne  lui  affectent  pas  moins  le  coeur 
qu'à  moi,  mais  ma  tête  s'affaiblit  davantage.  Il 
ne  me  reste  de  vie  que  pour  souffrir,  et  je  n'en  ai 
j)as  même  assez   pour  sentir  vos  bontés  comme 


ANNÉE    1770.  O'JÔ 

je  le  dois.  Ne  m'écrivez  donc  plus,  monsieur  le 
prince ,  il  me  serait  impossible  de  vous  répondre 
une  seconde  fois.  Quand  vous  serez  de  retour  à 
Paris ,  venez  me  voir ,  et  nous  parlerons. 

Agréez ,  monsieur  le  prince ,  je  vous  prie  ,  les 
assurances  de  mon  respect'. 


LETTRE  CMLXIIl. 

A  MADAME  LA  COMTESSE  DE  SAINT***. 

Je  suis  fâché  de  ne  pouvoir  complaire  à  madame 
la  comtesse;  mais  je  ne  fais  point  les  honneurs  de 
l'homme  qu'elle  est  curieuse  de  voir,  et  jamais  il 
n'a  logé  chez  moi  :  le  seul  moyen  d'y  être  admis 
de  mon  aveu  ,  pour  quiconque  m'est  inconnu , 
c'est  une  réponse  catégorique  à  ce  billet  *. 

'  Cette  lettre  parut  pour  la  première  fois  en  1789  ,  dans  les  Poé- 
sies françaises  d'un  prince  étranger.  Rousseau  l'écrivit  à  une  époque  où 
il  ne  correspondait  plus  avec  personne.  Nous  ignorons  de  quel  opéra 
il  veut  parler.  Ceux  dont  Grétry  fît  la  musique  en  iyy6 ,  sont  la 
Fausse  magie  et  Céphale  et  Procris  ;  encore  cette  dernière  pièce  avait- 
elle  été  précédemment  jouée  à  Versailles.  Toutes  deux  sont  de  Mar- 
montel. 

Par  la  lettre  à  laquelle  celle-ci  sert  de  réponse ,  madame  de 
Saint***  annonçait  à. Rousseau  qu'elle  lui  envoyait  de  la  musique 
à  copier ,  en  lui  avouant  en  même  temps  que  ce  n'était  qu'un  pré- 
texte pour  le  voir.  Quant  au  billet  dont  Rousseau  parle,  c'était  le 
billet  circulaire  portant  pour  adresse ,  A  tout  Français  aimant  en~ 
core  la  justice  et  la  i'érité. 


^74  COIIKESPOWDAWCE. 

LETTRE  CMLXIV. 

A  LA  MÊME. 

Jeudi,  23  mai  1776. 

J'ai  eu  d'autant  plus  de  tort ,  madame ,  d'em- 
ployer un  mot  qui  vous  était  inconnu,  que  je  vois, 
par  la  réponse  dont  vous  m'avez  honoré ,  que , 
même  à  l'aide  d'un  dictionnaire ,  vous  n'avez  pas 
ente'ndu  ce  mot.  Il  faut  tâcher  de  m'expliquer. 

La  phrase  du  billet  à  laquelle  il  s'agit  de  répondre 
est  celle-ci  :  «  Mais  ce  que  je  .veux ,  et  ce  qui  m'est 
(c  dû  tout  au  moins  après  une  condamnation  si 
«  cruelle  et  si  infamante ,  c'est  qu'on  m'apprenne 
«  enfin  quels  sont  mes  crimes ,  et  comment  et  par 
«  qui  j'ai  été  jugé.  » 

Tout  ce  que  je  désire  ici  est  une  réponse  à  cet 
article.  C'est  mal  à  propos  que  je  la  demandais  ca- 
tégorique^ car  telle  qu'elle  soit,  elle  le  sera  toujours 
pour  moi;  ma  demeure  et  mon  cœur  sont  ouverts 
pour  le  reste  de  ma  vie  à  quiconque  me  dévoilera 
ce  mystère  abominable.  S'il  m'impose  le  secret,  je 
promets,  je  jure  de  le  lui  garder  inviolablement 
jusqu'à  la  mort,  et* je  me  conduirai  exactement, 
s'il  l'exige ,  comme  s'il  ne  m^eùt  rien  appris.  Voilà 
la  réponse  que  j'attends,  ou  plutôt  que  je  désire, 
car  depuis  long-temps  j'ai  cessé  de  l'espérer. 

Celle  que  j'aurai  vraisemblablement  sera  la  feinte 
d'ignorer  un  secret  qui ,  par  le  plus  étonnant  pro- 


AWJVÉE    1776.  375 

dige ,  n'en  est  un  que  pour  moi  seul  dans  l'Eu- 
rope entière.  Cette  réponse  sera  moins  franche  as- 
surément, mais  non  moins  claire  que  la  première  : 
enfin  le  refus  même  de  répondre  n'aura  pas  pour 
moi  plus  d'obscurité.  De  grâce ,  madame ,  ne  vous 
offensez  pas  de  trouver  ici  quelques  traces  de  dé- 
fiance :  c'est  bien  à  tort  que  le  public  m'en  accuse; 
car  la  défiance  suppose  du  doute,  et  il  ne  m'en 
reste  plus  à  son  égard.  Vous  voyez  ;  par  les  expli- 
cations dans  lesqyielles  j'ose  entrer  ici  ,  que  je 
procède  au  vôtre  avec  plus  de  réserve ,  et  cette  dif- 
férence n'est  pas  désobligeante  pour  vous.  Cepen- 
dant vous  avez  commencé  avec  moi  comme  tout 
le  monde,  et  les  louanges  hyperboliques'^  et  outrées 
dont  vos  deux  lettres  sont  remplies ,  semblent  être 
le  cachet  particulier  de  mes  plus  ardents  persé- 
cuteurs :  mais ,  loin  de  sentir  en  les  lisant  ces  mou- 
vements de  mépris  et  d'indignation  que  les  leurs 
me  causent,  je  n'ai  pu  me  défendre  d'un  vif  désir 
que  vous  ne  leiu^  ressemblassiez  pas;  et,  malgré 
tant  d'expériences  cruelles,  un  désir  aussi  vif  en- 
traîne toujours  un  peu  d'espérance.  Au  reste,  ce 
que  vous  me  dites,  madame,  du  prix  que  je  mets 
au  bonheur  de  me  voir ,  ne  me  fera  pas  prendre 
le  change  :  je  serais  touché  de  l'honneur  de  votre 
visite,  faite  avec  les  sentiments  dont  je  me  sens 
digne  ;  mais  quiconque  ne  veut  voir  que  le  rhinocé- 
ros doit  aller ,  s'il  veut ,  à  la  Foire ,  et  non  pas  chez 

Voici  encore  un  mot  pour  le  dictionnaire.  Hélas  !  pour  parler 
de  ma  destinée,  il  faudrait  un  vocabulaire  tout  nouveau  qui  n'eût 
été  composé  que  pour  moi. 


'5']6  COHKESPONDAINCi;. 

moi  ;  et  tout  le  persiflage  dont  on  assaisonne  cette 
insultante  curiosité  n'est  qu'un  outrage  de  plus 
qui  n'exige  pas  de  ma  part  une  grande  déférence. 
Voulez-vous  donc,  madame,  être  distinguée  de  la 
foule  :  c'est  à  vous  de  faire  ce  qu'il  faut  pour  cela. 
Il  est  vrai  que  je  copie  de  la  musique:  je  ne  re- 
fuse point  de  copier  la  vôtre ,  si  c'est  tout  de  bon 
que  vous  le  dites  ;  mais  cette  vieille  musique  a 
tout  l'air  d'un  prétexte,  et  je  ne  m'y  prête  pas 
volontiers  là-dessus.  Néanmoins  votre  volonté  soit 
faite.  Je  vous  supplie,  madame  la  comtesse,  d'a- 
gréer mon  respect. 


LETTRE  CMLXV. 

A  M.  LE  COMTE  DUPRAT. 

Paris,  le  3i  décembre  1777 

J'accepte,  monsieur,  avec  empressement  et  re- 
connaissance l'asile  paisible  et  solitaire  que  vous 
avez  la  bonté  de  m'offrir,  clans  la  supposition  que 
vous  voudrez  bien  vous  prêter  aux  arrangements 
que  la  raison  demande  et  que  peut  permettre  ma 
situation  ,  qui  vous  est  connue.  L'aménité  du  sol 
et  les  agréments  du  paysage  ne  sont  plus  pour 
moi  des  objets  à  mettre  en  balance  avec  un  séjour 
tranquille  et  la  bienveillante  hospitalité.  Je  suis 
touché  des  soins  de  M.  le  commandeur  de  Menon, 
sans  en  être  surpris  ;  j'ai  le  plus  grand  regret  de  n'en 
pouvoir  profiter;  mais  on  a  pris  tant  de  peine  à 


A-JVJNÉli    1777.  377 

me  rendre  le  séjour  des  villes  insupportable ,  qu'on 
a  pleinement  réussi.  J'étais  trop  fait  pour  aimer 
les  hommes  pour  pouvoir  supporter  le  spectacle 
de  leur  haine.  Ce  douloureux  aspect  me  déchire 
ici  le  cœur  tous  les  jours;  je  ne  dois  pas  aller 
chercher  à  Lyon  de  nouvelles  plaies.  Ils  m'ont  ré- 
duit à  la  triste  alternative  de  les  fuir  ou  de  les 
haïr.  Je  m'en  tiens  au  premier  parti  pour  éviter 
l'autre.  Quand  je  ne  les  verrai  plus,  j'oublierai 
bientôt  leur  haine ,  et  cet  oubli  m'est  nécessaire 
pour  vivre  et  mourir  en  paix. 

Je  ne  vois  qu'un  obstacle  à  l'exécution  de  votre 
obligeant  projet  ;  c'est  l'infirmité  de  ma  femme  et 
la  longueur  du  voyage ,  qu'il  est  douteux  qu'elle 
puisse  supporter.  Cette  idée  me  fait  trembler.  Il 
n'y  faut  pas  songer  durant  la  saison  où  nous  som- 
mes. L'hiver,  jusqu'ici,  ne  l'a  pas  affectée  autant 
que  je  l'aurais  craint.  Peut-être  aux  approches 
d'un  temps  plus  doux  sera- 1- elle  en  état  de  faire 
cette  entreprise  sans  risque.  Hélas  î  pourquoi  faut-il 
que  j'aille  si  loin  chercher  la  paix, moi  qui  ne  trou: 
blai  jamais  celle  de  personne!  Si  ma  femme  pou- 
vait obtenir  ici,  du  moins  à  prix  d'argent,  le  ser- 
vice et  les  soins  qu'on  ne  refuse  à  personne  parmi 
les  humains,  et  que  je  suis  hors  d'état  de  lui  rendre, 
nous  ne  songerions  point  à  nous  transplanter  ;  mais 
dans  l'universel  abandon  où  l'on  se  concerte  pour 
la  réduire,  il  faut  bien  qu'elle  risque  sa  vie  pour 
tâcher  d'en  conserver  les  restes  à  l'aide  des  soins 
secourables  que  vous  avez  la  charité  de  lui  pro- 
curer. Ah!  monsieur  le  comte ,  en  ne  vous  rebutant 


'i']ii  COKRESPONDAJVCE. 

pas  de  mes  misères  et  n'abandonnant  pas  notre 
vieillesse,  j'ose  vous  prédire  que  vous  vous  mé- 
nagez de  loin,  pour  la  vôtre,  des  souvenirs  dont 
vous  ne  prévoyez  pas  encore  toute  la  douceur. 

Je  souhaite  ardemment  que,  sans  nuire  à  vos 
affaires ,  vous  puissiez  en  voir  assez  promptement 
la  fin,  pour  arriver  ici  avant  celle  de  l'hiver.  Si 
vous  aviez  pour  compagnon  de  voyage  le  digne 
ami  qui  partage  vos  bontés  pour  moi  f  rien  ne 
manquerait  à  ma  joie  en  vous  voyant  arriver.  Ma 
femme,  qui  partage  ma  reconnaissance,  est  très- 
sensible  à  l'honneur  de  votre  souvenir,,  et  nous 
vous  supphons ,  l'un  et  l'autre,  monsieur  le  comte, 
d'agréer  nos  très-humbles  salutations. 


LETTRE  CMLXVI. 

A   MADAME  DE  C. 

Paris,  le  9  janvier  1778. 

J'ai  iu,  madame,  dans  le  numéro  5  des  feuilles 
que  vous  avez  la  bonté  de  m'envoyer,  que  l'un 
de  messieurs  vos  correspondants ,  qui  se  nomme 
le  Jardinier  iVAuteuil,  avait  élevé  des  hirondelles, 
je  désirerais  fort  de  savoir  comment  il  s'y  est  pris , 
et  quelle  contenance  ces  hirondelles ,  qu'il  a  éle- 
vées ,  ont  faite  chez  lui  pendant  l'hiver.  Après  des 
peines  infinies ,  j'étais  parvenu ,  à  Monquin ,  à  en 
faire  nicher  dans  ma  chambre.  J'ai  même  eu  sou- 
vent le  plaisir  de  les  voir  s'y  tenir,  les  fenêtres  fer- 


AWNÊE    1778.  379 

mées,  assez  tranquilles  pour  gazouiller,  jouer  et 
folâtrer  ensemble  à  leur  aise,  en  attendant  qu'il 
me  plût  de  leur  ouvrir ,  bien  sûres  ^  que  cela  ne 
tarderait  pas  d'arriver.  En  effet ,  je  me  levais  même , 
pour  cela,  tous  les  jours  avant  quatre  heures; 
mais  il  ne  m'est  jamais  venu  dans  l'esprit,  je  l'a- 
voue ,  de  tenter  d'élever  aucun  de  leurs  petits , 
persuadé  que  la  chose  était  non-seulement  inutile  , 
mais  impossible.  Je  suis  charmé  d'apprendre  qu'elle 
ne  l'est  pas,  et  je  serai  très-obligé,  pour  ma  part, 
au  jardinier  d'Auteuil  s'il  veut  bien  communiquer 
son  secret  au  public.  Agréez,  madame,  je  vous 
supplie,  mes  remerciements  et  mon  respect. 


LETTRE  CMLXVII. 

A  M.  LE  COMTE  DU P RAT. 

Paris,  le  3  février  1778. 

Vous  rallumez,  monsieur,  un  lumignon  pres- 
que éteint;  mais  il  n'y  a  plus  d'huile  à  la  lampe, 
et  le  moindre  air  de  vent  peut  l'éteindre  sans 
retour.  Autant  que  je  puis  désirer  quelque  chose 

"  L'hirofldelJe  est  naturellement  familière  et  confiante  ;  mais  c'est 
une  sottise  dont  on  la  punit  trop  bien  pour  ne  l'en  pas  corriger. 
Avec  de  la  patience ,  on  l'accoutume  encore  <i  vivre  dans  des  appar- 
tements fermés ,  tant  qu'elle  n'aperçoit  pas  l'intention  de  l'y  tenir 
captive:  mais  sitôt  qu'on  abuse  de  cette  confiance  (à  quoi  l'on  ne 
manque  jamais),  elle  la  perd  pour  toujours.  Dès-lors  elle  ne  mange 
plus ,  elle  ne  cesse  de  se  débattre  et  finit  par  se  tuer.  \Note  de  Jean- 
Jacques.) 


38o  COllKESPOJVDAMCt. 

encore  dans  ce  monde  ,  je  désire  d'aller  finir 
mes  jours  dans  l'asile  aimable  que  vous  voulez 
bien  me  destiner;  tous  les  vœux  de  mon  coeur 
sont  pour  y  être  ;  le  mal  est  qu'il  faut  s'y  trans- 
porter. En  ce  moment  je  suis  demi -perclus  de 
rhumatismes  ;  ma  femme  n'est  pas  en  meilleur 
état  que  moi;  vieux,  infirme,  je  sens  à  chaque 
instant  le  découragement  qui  me  gagne;  tout  soin , 
toute  peine  à  prendre,  toute  fatigue  à  soutenir, 
effarouche  mon  indolence;  il  faudrait  que  toutes 
les  choses  dont  j'ai  besoin  se  rapprochassent;  car 
je  ne  me  sens  plus  assez  de  vigueur  pour  les  aller 
chercher;  et  c'est  précisément  dans  cet  état  d'a- 
néantissement que,  privé  de  tout  service  et  de 
toute  assistance  dans  tout  ce  qui  m'entoure,  je 
n'ai  plus  rien  à  espérer  que  de  moi.  Vous,  mon- 
sieur le  comte ,  le  seul  qui  ne  m'ayez  pas  délaissé 
dans  ma  misère ,  voyez ,  de  grâce ,  ce  que  votre 
générosité  pourra  faire  pour  me  rendre  l'activité 
dont  j'ai  besoin.  Vous  m'offrez  quelqu'un  de  votre 
choix  *  pour  veiller  à  mes  effets  et  prendre  des  soins 
dont  je  suis  incapable;  oh!  je  l'accepte,  et  il  n'en 
faut  pas  moins  pour  m'évertuer  un  peu;  car  si, 
par  moi-même,  je  puis  rassembler  deux  bonnets 
de  nuit  et  cinq  ou  six  chemises ,  ce  sera  beauoouj). 
Il  n'y  a  plus  que  ma  femme  et  mon  herbier  dans 
le  monde  qui  puissent  me  rendre  un  peu  d'acti- 

Ce  quelqu'un  était  M.  de  Neuvillô;  et  comme  il  affecte  de  ne 
m'en  point  parler,  je  crains  qu'il  n'y  ait  du  froid,  de  sorte  que  je 
suis  très-embarrassé  qui  lui  donner  à  sa  place. 

{Note  du  comte  Du/» ut.) 


ANNÉE    1778.  38l 

vite.  Si  nous  nous  embarquons  seuls  sous  notre 
propre  conduite ,  au  premier  embarras,  au  moindre 
obstacle,  je  suis  arrêté  tout  court,  je  n'arriverai 
jamais.  J'aime  à  me  bercer ,  dans  mes  châteaux  en 
Espagne,  de  l'idée  que  vous  seriez  ici,  monsieur, 
avec  M.  le  commandeur;  que  vous  daigneriez  ai- 
guillonner un  peu  ma  paresse;  que  mes  petits  ar- 
rangements s'en  feraient  plus  vite  et  mieux  sous 
vos  yeux;  que  si  vous  poussiez  l'œuvre  de  misé- 
ricorde jusqu'à  permettre  ensuite  que  nous  fis- 
sions route  à  la  suite  de  l'un  ou  de  l'autre,  et 
peut-être  de  tous  les  deux;  alors,  comme  tout  se- 
rait aplani  !  comme  tout  irait  bien  !  Mais  c'est  un 
château  en  Espagne,  et  de  tous  ceux  que  j'ai  faits 
en  ma  vie,  je  n'en  vis  jamais  réaliser  aucun.  Dieu 
veuille  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  de  l'espoir  d'arri- 
ver au  vôtre! 

Au  reste,  je  n'ai  nul  éloignement  pour  les  pré- 
cautions qui  vous  paraissent  convenables  pour 
éviter  trop  de  sensation.  Je  n'ai  nulle  répugnance 
à  aller  à  la  messe  ;  au  contraire ,  dans  quelque  re- 
ligion que  ce  soit,  je  me  croirai  toujours  avec  mes 
frères,  parmi  ceux  qui  s'assemblent  pour  servir 
Dieu.  Mais  ce  n'est  pas  non  plus  un  devoir  que  je 
veuille  m'imposer ,  encore  moins  de  laisser  croire 
dans  le  pays  que  je  suis  catholique.  Je  désire  assu- 
rément fort  de  ne  pas  scandaliser  les  hommes, 
mais  je  désire  encore  plus  de  ne  jamais  les  trom- 
per. Quant  au  changement  de  nom,  après  avoir 
repris  hautement  le  mien ,  malgré  tout  le  monde , 
pour  revenir  à  Paris,  et  l'v  avoir  porté  huit  ans. 


38^  CORRESPONDANCE. 

je  puis  bien  maintenant  le  quitter  pour  en  sortir, 
et  je  ne  m'y  refuse  pas  ;  mais  l'expérience  du  passé 
m'apprend  que  c'est  une  précaution  très-inutile, 
et  même  nuisible  ,  par  l'air  du  mystère  qiii  s'v 
joint,  et  que  le  peuple  interprète  toujours  en  mal. 
Vous  déciderez  de  cela ,  connaissant  le  pays  comme 
vous  faites;  là-dessus  comme  sur  tout  le  reste,  je 
m'en  remets  à  votre  prudence  et  à  votre  amitié. 
Agréez ,  monsieur  le  comte ,  mes  très-humbles  sa- 
lutations. 


LETTRE   CMLXVIII. 

AU  MÊME. 

Paris,  le  i5  mars  1778. 

Je  vois,  monsieur,  que  malgré  toutes  vos  bon- 
tés, qui  me  sont  chères  et  dont  je  voudrais  profi- 
ter, le  seul  vrai  remède  à  mes  maux,  qui  reste  à 
ma  portée ,  est  la  patience.  L'état  de  ma  femme , 
empiré  depuis  quelque  temps  ,  et  qui  rend  le  mien 
de  jour  en  jour  plus  embarrassant  et  plus  triste, 
m  ôte  presque  l'espoir  d'achever  et  le  courage  de 
tenter  le  long  voyage  qu'il  faudrait  faire  pour 
atteindre  l'asile  que  vous  nous  avez  bien  voulu 
destiner.  Ce  qu'il  y  a  du  moins  déjà  de  bien  sûr, 
est  qu'il  nous  est  impossible  de  le  faire  seuls  ;  ma 
femme,  abattue  par  son  mal,  se  souvient,  pour 
surcroît,  des  gîtes  où  l'on  nous  a  fourrés,  et  des 
traitements  qu'on  nous  y  a  faits  dans  nos  autres 


ANNÉE    1778.  383 

voyages,  lorsque,  plus  jeunes  et  mieux  portants, 
nous  avions  plus  de  courage  et  de  force  pour  sup- 
porter la  fatigue  et  les  angoisses.  Elle  aime  mieux 
mourir  ici  que  de  s'exposer  de  nouveau  à  toutes 
ces  indignités;  et  nous  croyons  l'un  et  l'autre  que 
la  présence  d'un  tiers ,  ne  fût-ce  qu'un  domestique, 
nous  en  sauverait  assez  pour  que  nous  pussions  , 
armés  de  douceur  et  de  résignation  ,  supporter 
le  reste.  Cette  délibération ,  monsieur,  sur  laquelle 
nous  n'avons  encore  eu  que  des  explications  très- 
vagues,  est  la  première  et  la  plus  importante,  sans 
quoi  toutes  les  autres  sont  inutiles.  Je  sais  que 
votre  généreuse  bienveillance  prodiguera  ses  soins 
pour  nous  faciliter  ce  transport  ;  mais  il  s'agit  en- 
core de  savoir  ce  qu'elle  pourra  faire  pour  nous  le 
rendre  praticable,  et  cela  consiste  essentiellement 
à  trouver  quelqu'un  de  connaissance,  qui,  ayant 
le  même  voyage  à  faire,  veuille  bien  nous  souffrir 
à  sa  suite,  nous  procurer  des  gîtes  supportables, 
et  nous  garantir ,  autant  que  cela  se  pourra ,  des 
obstacles  et  des  outrages  qui ,  sous  un  faux  air 
d'attentions  et  de  soins ,  nous  attendront  dans  la 
route.  Si  cette  occasion  ne  se  trouve  pas ,  comme 
j'ai  lieu  de  le  craindre ,  le  seul  parti  qui  me  reste 
à  prendre  est  d'attendre  ici  votre  arrivée  ou  celle 
de  M.  le  commandeur ,  et  de  prendre  patience ,  en 
attendant,  comme  j'espère  faire  jusqu'à  la  fin,  à 
moins  qu'il  ne  se  présente  quelque  ressource  im- 
prévue ,  sur  laquelle  j'aurais  grand  tort  de  compter. 
Quant  aux  soins  qui  regardent  ici  les  guenilles 
que  j'v  puis  laisser,  c'est  un  article  trop  peu  im- 


384  CORRESPONDANCE. 

portant  pour  que  vous  daigniez  vous  en  occuper 
ainsi  d'avance;  nous  ne  manquerons  pas  de  gens 
empressés  à  recevoir  ce  petit  dépôt.  Mon  silence 
au  sujet  de  M.  de  Neuville  me  paraissait  une  ré- 
ponse très-claire  ;  mais  vous  en  voulez  une  ex- 
presse, il  faut  obéir.  De  l'humeur  dont  je  me 
connais,  il  lui  faudrait  toujours  bien  moins  de 
peine  pour  me  faire  oublier  ses  dispositions  à  mon 
égard,  qu'il  n'en  a  pris  à  me  les  faire  connaître; 
mais,  en  attendant,  prêt  à  lui  rendre  avec  le  plus 
vrai  zèle  tous  les  services  qui  pourraient  dépendre 
de  moi,  je  me  sens  peu  porté  à  lui  en  demander. 
Tl  semblait,  au  tour  de  votre  précédente  lettre, 
que  vous  aviez  quelqu'un  en  vue  pour  cet  effet: 
et  je  puis  vous  assurer,  à  cet  égard ,  d'une  confiance 
entière  en  quiconque  viendra  à  moi  de  votre  part. 
A  l'égard  de  la  messe  et  de  l'incognito,  vous 
connaissez  là -dessus  mes  principes  et  mes  senti- 
ments; ils  seront  toujours  les  mêmes.  L'expérience 
m'a  fait  connaître  l'inutilité  et  les  inconvénients 
de  ces  petits  mystères,  qui  ne  sont  qu'un  jeu  mal 
joué.  Vous  dites,  monsieur,  qu'on  ne  m'interro- 
gera pas  ;  on  saura  donc  qu'il  ne  faut  pas  m'inter- 
roger  :  car  d'ailleurs  c'est  un  droit  qu'avec  peu 
d'égard  pour  mon  âge ,  s'arrogent  avec  moi  sans 
façon  petits  et  grands.  Je  mettrai ,  je  vous  le  pro- 
teste ,  une  grande  partie  de  mon  bonheur  à  vous 
complaire  en  toute  chose  convenable  et  raison- 
nable; mais  je  ne  veux  point  là-dessus  contracter 
d'obligation.  Adieu,  monsieur;  quel  que  soit  le 
succès  des  soins  que  vous  daignez  prendre  pour 


A.NNÉE  177^-  385 

moi,  j'en  suis  touché  comme  je  dois  l'être  ,  et  leur 
souvenir. ne  s'effacera  jamais  de  mon  cœur.  Ma 
femme  partage  ma  reconnaissance,  et  nous  vous 
supplions  l'un  et  rauj:re  d'agréer  nos  très-humbles 
salutations  *. 

Les  choses  n'ont  pu  s'arranger  pour  qu'il  fît  le  voyage  projeté. 
Bien  peu  de  temps  après  il  s'est  décidé  en  faveur  d'Ermenonville , 
où  il  est  mort  dans  la  même  année. 

{Note  du  comte  Duprat.) 


FIN    DE  LA   CORRESPONDANCE, 


R.    XXII.  l'j 


TABLE  ANALYTIQUE 


DES 


LETTRES  CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Lettre  DCCCXXXI  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Il  lui  fait  part  de  son 
arrivée  à  Lyon  ;  il  herborise  pour  se  distraire  de  ses  chagrins. 

Page   3 
Lettre  DCCCXXXII,  au  même.  —  Projet  d'une  grande  herborisa- 
tion à  la  grande  Chartreuse.  Il  réclame  ses  papiers ,  entre  autres 
Emile  et  Sophie ,  ou  les  Solitaires.  4 

liETTRE  DGCCXXXIII,  à  mademoiselle  Le  Vasseur.  —  Annonce  de 
son  départ  pour  Chambéry.  Conseils.  j 

Lettre  DCCCXXXIV  ,  à  M.  le  comte  de  Tonnerre. — Il  le  prie 
d'être  son  médiateur  entre  M.  Faure  et  lui  pour  le  loyer  d'une 
maison.  c) 

Lettre  DCCCXXXV,  au  même. — Sur  le  même  sujet.  lo 

Lettre  DCCCXXXVI  ,  au  même. — Envol  d'une  lettre  de  M.  Bo- 
vier.  1 1 

Lettre  DCCCXXXVII,  au  même. — Il  le  prie  d'éclaircir  une  ca- 
lomnieuse imputation  dont  il  est  l'objet.  Ibid. 

Lettre  DCCCXXXVIII,  à  M.  Lalliaud.  —  Manière  dont  Rousseau 
reconnaît  Thérèse  pour  sa  femme.  1 3 

Lettre  DCCCXXXIX  ,  à  M.  le  comte  de  Tonnerre.  —  Il  le  remer- 
cie d'avoir  interrogé  Thevenin.  Il  ne  veut  point  aller  loger  dans 
une  ville  où  l'on  répand  des  impostures  sur  son  compte.  i5 

Lettre  DCCCXL,  à  une  dame  de  Lyon. — Explication  sur  des  co- 
pies intidèles ,  faites  de  plusieurs  phrases,  écrites  au  crayon  par 
lui.  1 7 

Note  sur  cette  lettre  singulière.  Ibid. 

Observation  et  doutes.  19 

Lettre  DCCCXLI  ,  à  M.  le  comte  de  Tonnerre.  —  Il  offre  d'être 
confronté  avec  Thevenin ,  à  condition  que  cette  affaire  sera  suivie 
sans  interruption.  ibid. 

Lettre  DCCCXLIl ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Détails  sur  l'affairé  The- 
venin. 2  o 


388  TARLF.    A.NALYTIQIJ1.. 

Lettre  DCCCXLIIl,  à  M.  le  comte  de  Tonnerif.  —  Il  jjart  pour 
se  rendre  à  son  audience.  Page      a  5 

Lettre  DCCC7vLIY  ,  au  même.  —  Détails  sur  son  entrevue  avec 
Thevenin.  26 

Lettre  DCCCXL\  ,  au  même.  —  Il  lui  envoie  une  lettre  qui  fait 
voir  que  Thevenin  a  jadis  été  condamné  aux  galères.  4  i 

Lettre  DCCCXLVI,  à  M.  Lalliaud.  —  Détails  sur  la  même  affaire  ; 
dégoûts  qu'elle  lui  cause.  4  2 

Lettre  DCCCXLVII,  à  M.  du  Peyrou.  —  Sur  son  mariage  avec  Thé- 
rèse ;  sur  l'affaire  Thevenin;  sur  la  botanique  et  la  liberté.        45 

Lettre  DCCCXLVIII,  au  même. —  Condoléances  sur  un  accident 
arrivé  à  son  ami.  Réflexions  philosophiques.  48 

Lettre  DCCCXLIX  ,  à  M.  Lalliaud.  —Nouveaux  éclaircissements 
sur  Thevenin.  Inquiétudes  sur  le  choix' d'une  retraite.  5i 

Lettre  DCCCL,  à  M.  Moultou.  —  Sur  le  clioix  d'une  retraite. 
Eloge  exagéré  de  Thérèse,  et  fait  pour  justifier  son  mariage.    55 

Lettre  DCCCLI,  à  M.  Lalliaud.  —  Détails  sur  ses  projets  ,  sa  si- 
tuation. Il  s'aperçoit  qu'il  a  donné  beaucoup  trop  d'importance 
à  Thevenin.  58 

Lettre  DCCCLII,  à  M.  du  Peyrou.  — Encore  sur  le  même  homme; 
il  refuse  l'offre  de  le  faire  punir.  63 

Lettre  DCCCLIII  ,  à  ?ti.  Lalliaud.  —  Il  a  reçu  un  passe-port;  il 
v^eut  retourner  en  Angleterre.  65 

Lettre  DCCCLIV,  à  ?iL  Moultou.  —  Condoléances  sur  la  mort  de 
son  père.  Détails  sur  les  bontés  du  prince  de  Conti.  Projet  d'al- 
ler à  V/ootton.  67 

Lettre  DCCCLV,  à  31.  Lalliaud.  —  Regrets  sur  le  parti  qu'il  a  pris. 
11  se  croit  obligé  de  faire  usage  du  passe-port.  71 

Lettre  DCCCL\I,  à  M.  de  Saint-Germain.  — Il  a  besoin  d'un  dé- 
positaire de  ses  secrets,  et  lui  demande  s'il  veut  l'être.  74 

Notice  de  M.  de  Saint-Germain  sur  ses  rapports  avec  Rousseau.  Ibid. 

Lettre  DCCCLVII  ,  à  M.  le  comte  de  Tonnerre.  —  Sur  l'affaire 
Thevenin.  Déclaration  juridique.  77 

Lettre  DCCCLVIII  ,  à  M.  de  Saint-Germain.  —  Il  accepte  son  in- 
vitation. 82 

Lettre  DCCCLIX  ,  à  M.  le  comte  de  Tonnerre.  —  Il  lui  envoie 
l'arrêt  du  parlement ,  qui  condamne  Thevenin  à  la  marque  et 
aux  galères,  mais  à  condition  qu'il  n'en  fera  aucun  usage.      83 

Lettre  DCCCLX  ,  à  M.  Moultou. — .11  renonce  à  l'Angleterre  et 
se  résout  à  rester  en  France.  84 

Lettre  ECCCLXI,  à  M.  du  Peyrou.  —  Remerciements  deson  zèle.  87 

Lettre  DCCCLXII,  à  M.  Lalliaud.  —  Il  n'a  point  de  réserve  avec 
lui.  Il  s'occupe  du  Tasse  ;  il  chante  OUnde  et  Sophrvnie.  89 


TABLE    ANALYTIQUE.  SSq 

Lettre  DCCCLXIII  ,  à  niaclame  la  présidente  de  Verna.  —  Il  ne 
refuse  pas  d'aller  herboriser  de  son  côté.  Page      91 

Lettre  DCCCLXIV,  à  M.  Lalliaud.  —  Il  lui  envoie  une  lettre  pour 
M.  Davenport.il  partage  son  temps  entre  le  Tasse  et  son  herbier.  9  3 

Lettre  DCCCLXV,  à  M.  Moultou.  —  Plaintes  contre  celui  qui 
l'avait  forcé  de  sortir  de  Trye.  94 

Lettre  DCCCLXVI  ,  à  M.  du  Peyrou.  — Sur  les  différents  de  Neu- 
châtel  avec  la  cour  de  Berlin.  Il  doit  la  vie  à  la  botanique.      97 

Lettre  DCCCLXVII  ,  à  M.  Lalliaud.  —  Regrets  sur  la  mort  de 
Sauttersheim.  100 

Lettre  DCCCLXVIII,  à  M.  Moultou Il  va  aller  habiter  une 

maison  de  campagne  près  de  Bourgoin.  io3 

Lettre  DCCCLXIX  ,  à  madame  La  Tour.  —  Mauvais  état  de  sa 
santé.  io5 

Lettre  DCCCLXX,  à  M.  Beauchâteau.  —  Il  ne  veut  être  ni  loué  ni 
justifié.  107 

Lettre  DCCCLXXI,  à  M.  du  Peyrou.  —  Sa  maladie  le  force  à  se 
servir  d'une  main  étrangère.  Thérèse  est  malade  de  son  côté.  Ibid. 

Lettre  DCCCLXXII,  à  M.  Lalliaud.  —  Encore  sur  sa  santé.  Il  le 
prie  de  négocier  un  effet  sur  l'Angleterre.  1 10 

Lettre  DCCCLXXIII,  à  M.  du  Peyrou. — Il  apprend  avec  cha- 
grin qu'on  imprime  à  son  insu  un  discours  de  lui.  Inquiétudes 
sur  cette  infidélité.  112 

Lettre  DCCCLXXIV  ,  à  M.  Lalliaud.  —  Sur  le  même  sujet.    1 1 3. 

Lettre  DCCCLXXV,  à  M.  Moultou.  —  Il  est  à  Monquin.  Il  réfute 
une  doctrine  désolante.  116 

Lettre  DCCCLXXVI  ,  à  M.  Lalliaud.  —  Sur  de  nouvelles  offres 
d'une  retraite.  lao 

Lettre  DCCCLXXVII  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Sur  le  discours  qu'on 
lui  a  volé.  Sur  la  botanique.  121 

Lettre  DCCCLXXVIII,  à  M.  de  ***.  —  Lettre  d'envoi  de  la  sui- 
vante. 123 

Lettre  DCCCLXXIX,  à  M.  de  '***  —  Réfutation  éloquente  des 
doutes  sur  l'existence  de  Dieu.  Nature  de  la  croyance  de  Rous- 
seau. 124 

Observation  siu-  cette  lettre  importante.  i45 

Lettre  DCCCLXXX  ,  à  M.  Lalliaud.  —  Il  accepte  son  offre  de  lui 

.  faire  vendre  ses  livres  ,  mais  seulement  ceux  qui  sont  tolérés,  ne 

voulant  pas  mettre  dans  le  commerce  des  ouvrages  défendus.  14'i 

Lettre  DCCCLXXXI,  à  madame  La  Tour.  —  Il  lui  fait  part  de  sa 
nouvelle  demeure  et  du  rétablissement  de  sa  santé.  148 

Lettre  DCCCLXXXII  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Contradiction  de  du 
Peyrou.  Maximes  philosophiques  Ibid. 


390  TABLE   AN  A.LYTIQU1;. 

Lettbe  DCCCLXXXUI  ,  à  M.  Beauchâteau.  — 11  refuse  la  médaille 
qu'il  veut  faire  frapper  en  son  honneur.  P^g^   i5o 

Letthb  DCCCLXXXIV  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  II  partage  ses  cha- 
grins. Conseils.  i5o 

Lettre  DCCCLXXXV,  au  même. —  Condoléances  sur  la  mort  de 
sa  mère.  iSa 

Lettre  DCCCLXXXVI  ,  à  M.  le  prince  de  Conti. —  Il  a  des  con- 
fidences à  lui  faire.  i53 

Lettre  DCGCLXXXVIl ,  à  M.  du  Peyrou.  — Compliments  sur 
son  mariage.  1 5  5 

Lettre  DCCCLXXXVIII,  à  madame  Latour. —  Il  lui  rend  amitié 
pour  amitié.  i56 

Lettre  DCCCLXXXIX  ,  à  la  même. — 'Il  est  touché  de  ses  inquié- 
tudes sur  son  compte.  '  i5y 

Lettre  DCCCXC  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Entrevue  avec  le  prince  de 
Conti.  Ibid. 

Lettre  DCCCXCl ,  au  même. —  Plaisanteries  sur  sa  goutte.  Her- 
borisation. i59 

Lettre  DCCCXCII,  à  madame  Rousseau. —  Détails  sur  leur  com- 
merce; sur  la  conduite  de  Thérèse.  Mélanges  de  reproches  et 
de  tendresse.  161 

Observation  sur  l'importance  de  cette  lettre.  168 

Lettre  DCCCXCIII,  à  M.  Lalliaud.  —  Particularités  sur  un  voyage 
de  botanique.  Ibid. 

Lettre  DCCCXCIV  ,  à  M.  Moultou.  —  Remerciements  et  con- 
seils. i6f) 

Lettre  DCCCXCV,  à  M.  du  Peyrou.  — Compliments  sur  son  bon- 
heur. Description  de  sa  course  au  mont  Pila.  171 

Lettre  DCCCXCVI  ,  à  M.  L.  C.  D.  L.  —  Heureux  qui  peut  élever 
ses  enfants.  Herborisations.  174 

IjEttre  DCCCXCVII,  à  madame  B.  —  Il  accepte  la  correspondance 
qu'elle  lui  offre.  178 

Lettre  DCCCXCVIII,  à  M.  de  Saint-Germain.  —  Il  accepte  avec 
empressement  un  rendez-vous.  179 

Lettre  DCCCXCIX  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Sur  le  bonheur  dont  il 
jouit  et  qu'il  désire  de  partager.  H  veut  se  défaire  de  ses  livres 
de  botanique.  i8o 

Lettre  CM,  à  M.  Lalliaud — Remerciements.  i8a 

Lettre  CMI,  à  madame  B. —  Conseils  et  réflexions.  184 

Lettre  CMII,  à  M.  du  Peyrou. — ^Réflexions.  1S7 

Lettre  CMIII,  à  M.  Moultou.  —  Il  le  gronde  sur  un  cadeau  qu'il 
lui  a  fait.  189 

Lettre  CMIV  ,  à  madame  B,  —   Conseils   sur  le  bonheur  :  on  ne 


TàBLE    ANALYTIQUE.  ,  39 1 

doit  pas  le  chercher  au-dehors.  Il  l'exhorte  à  nourrir  ses  enfants. 
Plaintes  et  remords  sur  l'abandon  qu'il  a  fait  des  siens.  Page  190 

Lettrk  CMV,  à  la  même.  —  Il  la  gronde  sur  ses  réticences.      196 

Lettre  CMVI  ,  à  M.  l'abbé  M.  —  Conseils  sur  son  métier  d'insti- 
tuteur ,  sur  la  manière  d'élever  un  enfant.  Réflexions  sur  l'opi- 
nion. 198 

Explication  sur  la  nouvelle  manière  de  dater  qu'il  a  adoptée.  Ibid. 

Lettre  CMVII,  à  M.  Moultou.  —  Annonce  du  projet  de  quitter  le 
pays.  204 

Lettre  CMVIII  ■,  à  madame  Gonceru.  —  Il  lui  continuera  toujours 
sa  pension.  ao5 

Lettre  CMIX  ,  au  marquis  de  Condorcet.  —  Remerciements  pour 
l'envoi  de  ses  Essai  d'analfse.  ao6 

Lettre  CMX,  à  M.  de  Belloy.  —  Il  le  loue  d'avoir  choisi  des  su- 
jets patriotiques.  207 

Lettre  CMXI,  à  M.  de  Saint-Germain.^ — Remerciements  ;  il  annonce 
des  détails  sur  lui.  a  1 1 

Lettre  CMXII  ,  au  même  —  Détails  intéressants  sur  sa  conduite  , 
ses  goûts,  ses  ouvrages  :  véritable  supplément  aux  Confessions.  2 1 3 

Observation  sur  cette  lettre.  284 

Lettre  CMXIII,  à  M.  l'abbé  M.  —  Objections  sur  l'intention  qu'il 
a  de  suivre  le  plan  tracé  dans  Emile.  Ibid. 

Lettre  CMXIV  ,  à  M.  de  Saint -Germain.  —  Il  est  touché  de  son 
intérêt.  Il  est  décidé  à  quitter  le  pays.  258 

Lettre  CMXV,  à  M.  du  Peyrou.  —  Explications  amicales.         aSg 

Lettre  CMXVI  ,  à  M.  de  Belloy.  —  Il  est  content  de  ses  explica- 
tions. Son  opinion  sur  les  Français,  qu'on  ne  peut  rendre  injustes 
qu'en  les  trompant.  262 

Lettre  CMXVII,  à  M.  l'abbé  M.  — Explication  importante  sur  un 
passage  d'Emile  relatif  à  la  vengeance.  a 68 

Observation  sur  cette  lettre  intéressante.  278 

Lettre  CMXVIII,  à  madame  B.  —  Il  lui  annonce  son  prochain  dé- 
part. Explications.  278 

Lettre  CMXIX  ,  à  M.  Moultou.  —  L'incertitude  dans  ses  projets 

sur  le  choix  d'une  retraite  n'a  plus  lieu.  Il  veut  rester  en  France. 

Plainte  contre  Rey.  276 

Lettre  CMXX,  à  M.  Lalliaud.  —  Il  le  prie  de  ne  plus  lui  écrire 

jusqu'à  ce  qu'il  lui  ait  donné  son  adresse.  280 

Lettre  CMXXI  ,  à  M.  Moultou.  —  Ce  n'est  plus  sa  personne  qu'il 

faut  défendre  ,  mais  sa  mémoire.  281 

Lettre  CMXXII  ,  à  M.  de  Saint  -  Germain.  —  Remerciements  et 

expressions  de  sa  reconnaissance.  286 


392  TABLK  ANALYÏIQUi:. 

Lettre  CMXXIII ,  à  M.  de  Cesarges.  —  Plainte  sur  la  conduite  de 
ses  gens  envers  Thérèse.  Page    287 

Lf.TTRE  CMXXIV ,  à  M.  de  Saint-Germain.  —  Explications  et  dé- 
tails intéressants.  a88 
Lettre  CMXXV,  à  M.  de  Latourette.  ■ —  Il  le  prie  de  l'inscrire  au 
nombre  de  ceux  qni  souscrivent  pour   faire  élever  une  statue  à 
Voltaire.  292 
Lettre  CMXXVI  ,  à  M.  de  Saint -Germain.  —  Il  lui  réitère  ses 
adieux  et  lui  fait  passer  le  mémoire  de  Granger,de  Monquin.  293 
LettreCMXXVII,  au  même. — Remerciements  et  compliments.  294 
Observa.tio>"  sur  la  date  de  cette  lettre.  293 
Lettre  CMXXVIII,  à  madame  B. — Désir  de  la  voir  :  obstacles.  Ihid. 
Lettre  CMXXIX,  à  la  même.  — Il  l'instruit  du  jour  où  il  pourra 
lui  faire  visite.  297 
Lettre  CMXXX,  à  M.  de  Saint-Germain.  —  Son  arrivée  à  Paris. 
Détails  et  compliments.  298 
Lettre  CMXXXI  ,  à  madame  Latour.  —  Il  ne   peut  la  recevoir 
chez  lui,  comme  elle  le  lui  propose.  399 
Lettre  CilXXXII,  à  M.  de  Saint -Germain.  —   Compliments  et 
expressions  de  reconnaissance.                                                        3 00 
Lettre   CMXXXIII  ,  à  madame  de  Créqui.  —  Protestations  d'at- 
tachement. Obstacles  qui  s'opposent  à  ses  visites.  3o2 
Lettre  CM XX XIV  ,  à  la  même.  —  Même  sujet.  3o3 
Lettre  CMXXXV,  à  la  même.  — Sur  la  continuation   d'Emile- 
Critique  d'une  chanson.                                                                  liic/. 
Lettre  CiMXXXVI,  à  M.  Dusaulx.  —  Il  le  remercie  de  ses  soins  : 
Il  a  pris  tous  ses  arrangements.  3o5 
Lettre  C.MXXXVII,  à  M.  Dutens.  —  Il  a  renoncé  à  la  pension 
du  roi  d'Angleterre,  et  blâme  les  démarches  qu'on  a  faites  pour 
qu'elle  soit  payée.  3o6 
Lettre  CMXXXVIII  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Mélange   de  reproches 
et  d'amitié.  Soy 
Lettre   CMXXXIX  ,  à  M.  L.  D.  M.  —  Détails  curieux  sur  les  mo- 
tifs qu'il  a  de  se  croire  l'objet  d'un  complot  général.              3 10 
Observation  sur  cette  lettre.  3 1 8 

Lettre  CMXL  ,  à  M -: — Sur    le  suicide  :    cas   où  il   le   croit 

permis.  3  i  9 

OBSERViTioiv  sur  cette  lettre.  323 

Leitre   CMXLIjà  M.  Dusaulx.  —  Il  lui  propose  un  petit  souper, 
non  (T y/picitfs  ,  mais  d'Epicuie.  32  4 

Lettre  CMXLII,  au  même.  — Il  lui  demande  des  explications.  32  5 
Lettre  CMXLIII ,  au  même.  —  Il  le  prie  de  lui  permettre  de  mé- 
diter la  réponse  qu'il  doit  lui  faire.  328 


TABLE    ANALYTIQUE.  SqS 

Lettre  CMXLIV  ,  au  même.  —  Il  passe  en  revue  tous  les  rapports 
qu'ils  ont  eus  ensemble,  et  lui  déclare  q  'il  ne  veut  plus  d'intimité 
avec  personne.  Page   829 

Lettre  CMXLV  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Il  lui  reproche  la  précipi- 
tation de  ses  jugements,  et  lui  donne  des  explications.  33rt 

Lettre  CMXLVI  ,  à  M.  de  Saint  -  Germain.  — ■  Sur  rinterruj)tion 
de  sa  correspondance.  33 9 

Lettre  CMXLVII,  à  madame  de  T.  —  Sages  conseils  sur  la  ma- 
nière dout  elle  doit  s'y  prendre  pour  former  le  caractère  de  son 
fils.  340 

Lettre   CMXLVIII  ,  à  madame  de  Créqui.  —  Explications.     3/(5 

Lettre  CMXLIX,  à  madame  Latour.  —  Il  repasse  en  revue  leurs 
rapports  et  leur  correspondance.  34^ 

Observat/on  sur  un  calcul  piquant  de  madame  Latour.  347 

Lettre  CML  ,  à  M.  du  Peyrou.  —  Inquiétudes  que  lui  cause  son 
silence.  3  4  8 

Lettre  CMLI  ,  à  madame  Latour.  —  Renvoi  d'un  manuscrit.  349 

Lettre  CMLII ,  à  M.  le  chevalier  de  Cossé.  —  Refus  et  remercie- 
ments de  ses  services.  35o 

Lettre  CMLllI ,  à  M.  Linné.  —  Expressions  d'admiration  et  de 
reconnaissance.  35 1 

Lettre  CMLIV.  à  M-  de  Saint-Germain.  —  Il  ne  l'oubliera  jamais, 
mais  il  ne  peut  lui  promettre  de  l'exactitude  dans  sa  correspon- 
dance. 353 

Lettre  CMLV  ,  à  M.  de  Sartine.  —  Il  lui  rend  compte  de  sa  con- 
duite. 354 

Lettre  CMLVI,  à  Milord  Harcourt.  —  Il  le  remercie  de  ses  offres 
qu'il  n'accepte  pas.  3  60 

Lettre  CMLV II,  à  madame  Latour.  —  Il  lui  renvoie  une  partition. 
Remerciements  ,  etc.  36 1 

Lettre   CMLVIII  ,  à   madame  la  majquise  de   Mesme Raisons 

pour  lesquelles  il  ne  peut  accepter  de  rendez-vous.  362 

Lettre  CMLIX,  à  m.adame —  Explications.  3()3 

Lettre   CMLX,  à  M.  de  Malesherbes Il  veut  lui  compléter  son 

herbier.  367 

Lettre^  CMLXI,  à  M.  de  Sartine.  —  Sur  un  quiproquo  de  ce  mi- 
nistre ou  de  ses  bureaux.  370 

Lettre  CMLXII  ,  à  M.  le  prince  de  Reioselski. — Explications: 
regrets  touchants  sur  son  pavs.  371 

Note  sur  cette  lettre.  .  373 

Lettre  CMLXIII,  à  madame  la  comtesse  de  Saint-***.  —  Refus  de 
la  recevoir.  Ibid. 


394  TABLE   ANALYTIQUE. 

Lettre  CMLXIV,  à  madame  la  comtesse  de  Saint-  .  —  Explica- 
tions bizarres.  Cette  lettre  et  la  précédente  prouvent  l'absence  de 
son  esprit.  P^ge  874 

Lettre  CMLXV,  à  M.  le  comte  Duprat.  —  Il  est  disposé  à  accepter 
l'asile  qu'il  lui  offre.  3y6 

Lettre  CMLXVI  ,  à  madame  de  C. — Recherches  sur  les  mœurs 
des  hirondelles.  878 

Lettre  CMLXVII  ,  à  M.  le  comte  Duprat.  —  Tous  ses  vœux  sont 
pour  aller  habiter  la  retraite  qu'il  lui  donne.  Explications  et  dé- 
clarations à  ce  sujet.  879 

Lettre  CMLXVIIl,au  même.  — Obstacles  que  mettent  à  un  voyage 
de  long  cours  sa  vieillesse  et  ses  infirmités.  882 


FIN    DE   LA    TADLE   ANALYTIQUE 

DES   LETTRES  CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


TABLE  ALPHABETIQUE 

DES  CORRESPONDANTS  DE  ROUSSEAU. 


A. 

AuAUziT  (à  M.)  ,  t.  m,  page  a45. 

Académie  de  Dijon  ,  t.  i  ,  p.  1 4o. 

Alembert  (d')>  t.  I ,  p.  i85  ,  2  38. — T.  ii,  p.  Sa  ,  177. 

Altun.v  (à  m.),  t.  1 ,  p.    129. 

Amberier  (  à  M.  le  curé  d'  ) ,  t.  11,  p.  426.  —  T.  m ,  p.  5o. 

Amelot  du  Chaillou  (h  M.),  vojez  Du  Theic. 

Argeksoiv  (  d' )  ,  1. 1 ,  p.  182. 

Ajvoivysies.— à  M.,  t.  r,  p.  34- — A  M.,  p.  53.  —  A  M.,  p.  81. 
- — A  M.,  p.  91.  —  A  M.,  p.  i35. —  A  un  Anonyme,  par  la 
voie  du  Mercure,  p.  234-  —  A  un  jeune  homme  ,  t.  11,  p.  lo. — 
A  M.,  p.  128.  —  A  M.  ***,  p.  i38.  —  A  madame  d'Az**,p.  178. 

—  A  madame  C***.,  p.  175.  — A  M.***,  p.  176.  — A  M.  de***., 
p.  180.— A  M.  R.  p.  220.  — A  M.  ***,  p.  336.— AM.  ***, 
p.  420. —  A  M.  D.  L.  C,  p.  43o.  —  A  M.  ***,  p.  496.  —  A  M. 
de***,  p.  5o4. —  AMadame  de  ***,  p.  5i5. — A  M.  A.  A. ,  t.  m, 
p.  16.  —  A  M.  ***,  p.  53.  —  A  M.  G.,  p.  54.  —  A  M.  l'abbé  de 
***,  p.  80. — A  madame  de  B*,  p.  81.  —  A  M.***,  p.  83.  — A 
M.*,  p.  87.  — A  M.  M  ***,  p.  92.— A  M.  l'abbé  de  ***,  p.  100, 
II 5. — A  M.  A. ,  p.  133. — A  mademoiselle  D.  M.  ,  p.  142. — 
AM.  D.  P.,p.  i55.AM.  **,  p.  162.— AM.  H.  D.  P.,  p.  174. 
— A  madame?.,  p.  21 5.  —  A  mademoiselle  D.  M.,  p.  219. — 
A  M.  D***,  p.  223.—  A  M.  l'abbé  de  ***,  p.  225.  —A  M., 
p.  260.  —  A  M.  Le  C.  de  B. ,  p.  283.  —  A  madame  La  C.  de  B. , 
p.  285.  — A  M.  D.  P.,  p.  3o2.— A  M.  D.  P.,  p.  329.  — A  M. 
deC.  P.  A.  A.,p.  33o.— AMilord.  **,  t.  iv,  p.  5i.  — ALord**, 
p.  61. —  A  M.  *  ,  p.  64.  —  A  madame  *  ,  p.  190.  —  A  M.**  , 
p.  216,217.  —  AM.  E.  J.,  p.  298. — A  une  dame  de  Lyon. T.  v, 
p.  17. —  A  M.  de***,  p.  123,  124.  —  AM.  L.  C.  D.,  p.  174.—^ 
A  madame  B. ,  p.  178,184,  190,  196. — A  M.  l'abbé  M. ,  p. 
198,  254,  268.  —  A  madame  B. ,  p.  278  ,  295  ,  297. —  A  M. 
L.  D.  M. ,  p.  3 10.  A  M.  *  *,  p.  319.  —A  madame  de  T.  p.  3 40. — 
A  madame       ,  p.  363. — A  madame  La  C.  de  Saint  ***. ,  p.  373. 

—  A  la  même. ,  p.  874.  —  A  madame  de  C.  ,  p.  378, 


'^C)6  TABLE    ALPHABÉTIQUE 

B. 

Ballière  (  à  m.  )>  t.  m  ,  p.  289. 

Bastide  (  à  M.  )  t.  ii  ,  p.  i  00 ,  i  i  8. 

Be.\uchatevu  (  à  M.  ),  t.  11,  p.  494.— T.  v ,  p.  107  ,  i5o. 

Beaudbvillk  (  à  m.  ),t.  iv,  p.  24. 

Bkcket  et  De  Homdt  (  M.  M.  ),  t.  iv,  p.  58. 

Bfxloy  (  à  M.  de  ) ,  t.  V ,  p.  207  ,  262. 

Beloselsky  (  à  M.  de  ),  t.  v,  p.  871. 

BoissY  (  à  M.  de  ),  t.  i,  p.  280 ,  246. 

BoKDFXY  (  à  mademoiselle  ),  t.  m;  p.  108. 

BouFFLEKS  (  i)  madame  de  )  ,  t.  II,  p.   i33,323,   348,358,379, 

389,  423.  —  T.  III,  p.  97,  187. — T.  IV,  p.  7,  i5,  47,  53, 

175,388,410. 
BouRETPE  (  à  madame  ),  1. 11,  p.  182. 
BfjuNAND  (à  M. ) ,  t.  II ,  p.  5i4  ,  5i9 ,  525. 

c. 

Cartier  (  à  M.  ),  t.  11,  p.  88. 

Cf.sarges  (  à  m.  de  )  ,  t.  v  ,  p.  287. 

Cha3ipfout  (à  M.  de),  t.  m,  p.  173,  198. 

Chappuis  (  à  M.  Marc  ),t.  m,  p.  7 ,  8  ,  294. 

Charmettes  (  à  M.  le  Comte  des),  t.  i,  p.  89. 

Chauvel  (  à  M.  ),  t.  IV,  p.  220. 

Chenokceaux  (  à  Madame  de  )  ,t.  m,  p.  3oo. 

Choiseul  (  le  Duc  de  )  ,  t.  iv,  p.  4 1 1- 

Clairatilt  (  à  m.  )  ,  t.  ni,  p.  33  2. 

CoiNDET  (à  m.  ) ,  t.  II ,  p.  19,258.  -^T.  iîi,p.  37  I.  — T. IV, p,  37, 

Condorcet  (  le  marquis  de  )  ,  t.  v  ,  p.  206. 

Consistoire  de  Motiers  (  Au  )  ,t.  ni,  p.  349- 

CoMTiCM.  le  Prince  de),  t.  11,  p.  3o8.  — T.  iv,  p.   43(i.—  T.  v, 

p.  i53. 
CoMwAY  (  le  général  ),  t.  iv  ,  p.  86  ,  276  ,  290. 
CoNziÉ  (  à  M.  de  ),  t.  i,  p.  61. T.  m,  p.  86. 
CossÉ  (  M.  le  Chevalier  de  ),  t.  v,  p.  35o. 
Cramer  DE  Lon  (  à  madame),  t.  11,  p.  323. 
Créqui  (  à  madame  de),t.  i,p.  i52,i53,i55,i56,i57,  i58, 

159,160,    161,162,  i63,  216.  —  T.  Il,  p.   43,   Sq)   170, 

171,  181, 295,  3o3.  —  T.  III,  p.  177. — T.  IV,  p.  6  ,  75. — 

T.  v,  p.  3o2 ,  3o3,  345. 

D. 

Danet  (  Jacqueline  ) ,  t.  11 ,  p.  196. 
Dasxier  (  à  M.  ),  t.  III ,  p.  320. 


DES   CORRESPONDANTS   DE  ROUSSEA.U.       897 

Davenport  (  à  31.  )>  t-  IV,  p.   109  ,   i5i  ,   186 ,  ai3  ,  24^^  )  2/(7  j 

Delalive  (  à  M.  )  ,  t.  II ,  p.  i3  2. 

Ueleyre  (  à  M.  ),  t.  II,  p.  38  ,  93.  —  T.  m,  p.  164  ,  209  ,  3i6. 

Deluc  (  à  m.  )»  t-  ">  P-  49I-- — l-  I"  1  P-  26,  338. 

D'EoîT  (  à  M.  le  chevaliei-  ) ,  t.  iv,  p.  4 1  • 

Dewes  (  à  mademoiselle),  t.  iv,p.  108,  209,  364- 

Diderot  (  à  M.  ) ,  t.  i,  p.  3 18,  32  2.  —  T.  11 ,  p.  i5. 

DucHESNË  (  à  M.  ),  t.  II ,  p.  117.  — T.  iTi,  p.  257. 

DucHESNE  (  à  mademoiselle  )  ,  t.  ir,  p.  438. 

DucLos  (à  M.  ) ,  t.  II,  p.  i55. —  T.  m  ,p.  38,  42  ,  237,273. 

DuaiouLiN  (  à  M.  ),  t.  11,  p.  436. 

Du  Peyeou  (à  m.),  t.  III,  p.  193,  194»  196»  201,  235,  242, 
346, 255,  281  ,  290, 3i8,  333,  343, 352 ,  362, 365,  367, 
368,  374,  376,  379,  38o,  386,  387,  389,  391,  392, 
398,  432,  434»  435,  437,  438,  439,  440,  443,  4)9,  45o, 
45i,  453,  4^4)  4^8,  461,  466,  471- — T.  iv,  p.  3,  10, 
17,  26,  28,  34,  7 2, 88,  95, 97,  142,  171,  194,  201,  206, 
224,  257,  272,  279,  282,  3oi,  3o2,  3o6,  3o8,  3ri  ,  3i8, 
33o,  336,  339,  340,  342,  343,  347,  348,  35i,  355,  383, 
390,  4o3,  423,  43o.  —  T.  v,p.  3,  4>  20,  45,  48,  63,  87, 
97,  107,  112,  121,  148,  i5o,  i52,  i55,i57,  ï^9>  ^7^  ■> 
180, 187, 259, 3o7,  336, 348. 

Dupont  (  à  M.  ) ,  t.  i  ,  p.  86. 

DupRAT  (  à  M.  le  comte  ) ,  t.  v,  p.  376  ,  379  ,  382. 

DusAULx  (àM.  ),t.  V,  p.  3o5,324,  325,328,  329. 

DuTEKs  (  à  M.  ) ,  t.  IV,  p.  2  38  ,  259,  266  ,  273  ,  35o.  —  T.  v, 
p.  3o6. 

E. 

Epikay  (à  madame  d'),t.  i,p.  2o5,  209,  211,  227,  229,247, 
248,  25i,252,  253,  254,  256,258,  259, 262,  263, 267, 
295,  297,  299,  3oo,  3oi  ,  3o3  ,  3o4,  3o8  ,  309,  3ii ,  3i2, 
3 16,  326,  334,335,  336, 337, 338,  342,  343, 356,  357, 
359, 3 60,  362,  363,  364,  381,392.  —  T.  11,  p.  12. 

EscHERNY  (  à  M.  d'  ) ,  t.  iri ,  p.  1 10  ,  358  ,  386. 

Eybens  (  à  m.  d'  ),  t.  I ,  p.  68. 

F. 

Favre(  à  m.),  t.  II,  p.  533. 
FÉiJCE  (  à  M.  de  ) ,  t.  III,  p.  343. 

FoTJLQUIER  (  à  M.  )  ,  t.  Itl  ,  p.    2  I  O. 

Framcueil  (  à  M.  Dupin  de  ) ,  t.  i,  p.  164, 


398  TABLE    ALPHABÉTIQUE 

Fh.vncueil  (  à  madame  de  ) ,  t.  i ,  p.  i43. 
Fréro?(  (  à  m.  )  t.  I ,  p.  168. 

G. 

Gai.ley  (  à  mademoiselle),  t.  m, p.  iSa. 

G-vuFFECoxTRT  (  à  M.  ) ,  t.  III ,  p.  3o  .  372. 

GiNGiîfS  DE  MoiRY  (  à  M.  de  ) ,  t.  II ,  p.  3  20 ,  3 3  4- 

GoircERU  (  à  madame  ) ,  t.  i ,  p.  17 ,  191.  —  T.  v,  p.  2o5. 

Graffenried  (à  M.  de  ),  t.  m,  p.  444  >  44^,  448,  449. 

Graffeivried  (à  mademoiselle  de  ),  t.  11,  p.  7. 

Graffxon  (  à  M.  le  duc  de  ),  t.  iv,  p.  241. 

Grax ville  (  à  m. ) ,  t.  it,  p.  io5 ,  106,  107 ,  ig8,  253  ,  263  ,  7.6 S, 

32  1,   3f)2. 

Grimm  (  à  m.)  »  t.  i,  p.  370  ,  389. 

Guérin  (  à  m.  )  ,  t.  Il ,  p.  162. 

Guy  (  à  m.  ) ,  t.  III ,  p.  1 4 1  ■  —  T.  iv,  p.  i  5  2  ,  242,322. 

GuYENET  (  à  madame),  t.  m,  p.  299. 

H. 

Harcout  (  à  milord  comte  de),  t.  iv,  p.   244,  aoS,   268,   277, 

288,  3io,  357.  —  T.  V,  p.  36o. 
IIiRZEL  (  à  M.  ),  t-  III,  P-  229. 
HouDETOT  (  à  madame  d'  ) ,  1. 1,  p.  344  >  384  ,  Sgo  ,  391.  —  T,  11, 

p.  3,  22,  109. 
HuBER  (  à  M.  )  j  t-  II  >  p-  36 1 . 
Hume  (à  M.  David),  1. 11,  p.  485.  —  T.  m  ,  p.  464.  —  T.iv,  p.  3i , 

32,  loi  ,  109. 

I. 

Inséparables  (  aux  ) ,  c'étaient  madame  Latour  et  son  amie.  T.  11 , 
p.  218. 

IvERNois  (à  M.  d'),  t.  III,  p.  49  ,  94,  139,  173,  195  ,  234  , 
2  5o,  253,  256,  368,  275,  326,  348,  3 60,  369,  383,  393, 
396,  427,  43i  ,  433,  457,  462,  468,  4^9,  475.  — T.  iv, 
p.  i4,  20,43,92,103, 169,  179, 212, 235, 25o,  285,327, 
368,  372  ,  373  ,  385,  397,  406  ,  421 ,  422. 

IvERKois  (  à  madame  d'  ) , 

IvERNOis  (  à  mademoiselle  d' ) ,  t.  11  ,  p.   422. — T.  m  ,   p.    362, 

397- 

J. 

JoDELH  (  à  M.  l'abbé  de  )  ,  t.  11 ,  p.  2  35. 
Julie.  Voyez  madame  Latour. 


DES   COIIRESPOIYOAIVTS   DE   ROUSSEAU.       3(J9 

K. 

Keith  (  à  George  ) ,  ou  Milord  Man'-clial.  —  T.  ii,  p.  33o,  36i  , 
4oo  ,  /(o4  ,5ii.  —  T.  m,  p.  ia4,  129,  i3i,  i85,  217,  a/Jo, 
287,  3 1 3,  355.  —  T.  IV,  p.  148  ,  1 56,  1 85,  188,  210,  2 Sa, 
270. 

KiRCHBERGEK  (à  M.  ).  NoTA.  Dans  les  précédentes  éditions  ce  nom 
est  remplacé  par  celui  de  Keit.  —  T.  11,  ]).  5o5. 

Klupfel  (  à  M.  ) ,  t.  m  ,  p.  384- 


LAiAKDE  (  à  M.  de  )  ,  t.  iv,  p.  4oi. 

LviUAUD. T.  III,  p.   2o3  ,  243,    359. T.   IV,  p.    207.  —  T.   V, 

p.  i3,  42,  5i,  58,  fi5,7i,  89,93,100,110,   ii3,i2o, 

146,  168,  i8a,  280. 
Laperte  (  à  M.  l'abbé  de  ),  t.  ir,  p.  523. 
Lastic  (  à  m.  le  comte  de  ),  t.  1 ,  p.  204. 

LaTOUR  ,  PEINTRE  (  à  M.  ). 

Latour-Franqueville  (  à  madame  ),  t.  ii ,  p.  2o3  ,  2i5,  325  , 
228,  234  I  236, 240,  250,264»  276, 288,  agi  ,296,  297, 
3o4,363,  375,378,  411,  427,435,  459,487,  526. — 
T.  m,  p.  3,  20,  47,  56,  58,  60  ,  95,  III ,  119  ,  140  ,  192  , 
2o5,ai3,249  ,312,343,  426,  47«- — T.  IV,  p.  6,  242, 353, 
36o  ,  368.  —  T.  V,  p.  io5,  148  ,  i56,  157  ,  299,  346,  349  , 
36i. 

La  Tourette  (  à  M.  de  ),  t.  v,  p.  292. 

Le  Nieps. — T.  11,  p.  66. — T.  m,  p.  206  ,  3o8. 

LeRoy.  —  T.  II,  48. 

Le  Sage  (  à  M.  ),  t.  i,  p.  187. 

Le  Vasseur  (  à  mademoiselle  Thérèse  ) ,  t.  ii ,  p.  3 1 4.  — ■  T.  v,  p.  7. 

Linné  (à  M.  )>  t.  v,  p.  35i. 

Loiseau  de  MaulÉon  (  à  m.  ) ,  t.  II ,  p.  42  i. 

Lorenzy  (à  M.  le  chevalier  de),  t.  11,  p.  81,  i36,  140. 

Luxembourg  (  à  M.  le  maréchal  duc  de  ),  t.  n,  p.  78  ,  83  ,  93  , 
loi,  107,  i3i,  327,  a38,  3o8,  3ii,  332,  4  4o,  462,  53o. 
—T.  III,  p.  i38. 

Luxembourg  (  à  madame  la  maréchale  de  ),  t.  11 ,  p.  81 ,  86,  90 
91,  97,   102,  ii3,   114,    123,   124,  125,   127,  r3o,   160, 
178,185,188,  199, 2 00, 202, ai3, 219,  223,  289,  2 4g 
263,  271,  273,  274,  286,  290,   309 ,  338  ,   357.  —  T.   iir 
p.  167,  168  — T.  IV,  p.  324. 

LuzE  (  à  M.  de),  t.  m,  p.  451,459,   465,   470,   474 T.   ly 

p.  70. 


4oo  TABLi:  alphabétiquî: 

LuzE  (  à  madame  de  ),  t.  m,  p.  î  12  ,  ?, i6.       T.  iv,  p.  65. 
LuzE  Wakney  (  à  madame  de  ),  t.  m,  p.  63. 

M. 

Mably  (  à  M.  l'abbé  de  ) ,  t.  m,  p.  3oi. 

MAiESHRRBEs  (  à  M.  de  ) ,  t.  Il ,  p.  1 15  ,  iifi  ,  143  ,  r5i  ,  i53  , 
169,  174»  260,  266,  285,  386,  4oi.  —  T.  III,  p.  23o. — 
T.  IV,  p.  75.  —  T.  V,  p.  367. 

Marcet  (à  m.),  t.  II,  p.  343  ,  498. 

Marteau  (à  M.  ),  t.  m,  p.  202. 

Martinet  (  à  M.  )  »  t.  m  ,  p.  44- 

MÉNARs  (à  madame  la  marquise  de),  t.  i ,  p.  2o3. 

Mesmes  (à  madame  la  marquise  de),  t.  iv,  p.  347-. — T.v.  p.  362. 

Meuron  (  à  M.),  t.  m,  p.  329,  34o,  3'46,  363. 

MicouD  (M.),  t.  I,  p.  52. 

MiLoRi)  Maréchal.  V.  Keith. 

MiRABEAH  (à  M.  le  marquis  de),  t.  iv ,  p.  2  3o,  286  ,  3oo ,  3oi  , 
3o3  ,  3o4  ,  307 ,  309  ,3i2,  322,325,  354, 359, 365, 399. 

Mollet  (à  M.  ),  t.  xi ,  p.  igS. 

MoNiER  (à  M.),  t.  I,  p.  294. 

MoNTAiGu  (à  madame  de  ),  t.  i ,  p.  gS. 

MoKTMOLLiN  ( à  M.  de ) ,  t.  Il ,  p.  364,  416  ,  5 20. — T.  m  ,  p-  2  52  , 
341. 

Montmorency  (à  madame  la  duchesse  de),  t.  11 ,  p.  181. 

MoNTPÉRoux  (à  M.  de) ,  t.  III ,  p.  2  45. 

MouLHON  (à  M.),  t.  II,  p.  387. 

MouLTon.  t.  II,  p.  55  ,  xo3 ,  i65  ,  i83  ,  186  ,  197,  241  ?  25i  , 
268,  277,  292,  3oi,3o6,  3i8,  321,  326,  329,  332,  34i, 
352,  354,  368,  382,  384,  407,  410,  4 13,  439,  478,  483, 
489 ,  5i2,52o,  528,  532.  —  T.  III,  p.  12,  23,  24,  45,  208, 
266,  3o5,  333,  338,  429.  — T.  iv,  p.  393.  — T.  v,  p.  55, 
67,  84,  94,  io3,  116,  169,  189,  304,  275,  281. 

N. 

NÎÎAULME   (à  M),  t.  II,   p.    299.    ^ 

NuNCHAM  (à  lord  vicomte  de),  t.  iv,  p.  21  5. 

o. 

Offerville  (à  m.  d') ,  t.  II,  p.  206. 
Orloff  (à  M.  le  comte)  t.  rv,  p.  25. 


PANCKpucRE(à  m.),  f.  it,  p.  178.  — T.  iii,p.  ii2,i58,  25i,38r. 


J3KS  CORRESPONDANTS   DK   ROUSSEAU.      4<>I 

Perdriau  (  à  m.  ) ,  t.  I ,  p.  1 9  4 ,  2  4 1 . 

Petit  (à  M.),  t.  i,  p.  148. 

Petit-Piekre  (à  m.  )?  t-  it,  p.  48î. 

PicTET  (à  M.),  t.  II,  p.  373.  —  T.  m,  p.  ii3,  27g. 

PoMP.vuouR  (à  madame  la  marquise  de),  t.  i,  p.  168. 

PoPELiNiÈRE  (  à  M.  de  la),  t.  11 ,  p.  3o5. 

Port  (à  madame),  v.  mademoiselle  Dewes. 

PoRTLAND  (à  madame  la  duchesse  def),  t.  iv,  p.  181. 

PuRY  (à  M.  de). 

R. 

Raynal  (à  M.  l'ahbé),  t.  i,  p.  i4ï,  148,  176. 

ReGN  ATILT  (  à  M.  )  ,  t.  III  ,  p.  6 1 . 

Rey  (  à  M.  Marc-Michel),  t.  iv  ,  p.  1(14. 

RoGuiN  (  à  M.  Daniel  ) ,  t.  i ,  p.  11 4  »  5o8  —  T.  m ,  p.  197. 

RoGuiN  (à  madame),  t.  m,  p.  127. 

Roi  DE  Prusse  (au),  t.  11,  p.  33i,  898.  —  T.  iv,p.  40. 

RoMILLY  (  à  M.  ) ,  t.  II  ,  p.  3 1 . 

Rousseau,  père  de  Jèan-Jacques  (à  M.),  t.  i,  p.  3,  i3,  i5,  22. 

Rousseau  (à  M.  Théodore),  t.  11,  p.  371.  —  T.  m,  p.  18,  218. 

Rousseau  (à  M.  F.  H.),  t.  m ,  p.  36.  —  T.  iv,  p.  69. 

Rousseau  (à  madame),  t.  v,  p.  161. 

RousTAM  (  à  M.  ),  t-  II  »  P-  255-  ■■ —  T.  IV,  p.  182. 


Saint-Bourgeois  (à  M.),  t.  m,  p.  293. 
Saint-Florentin  (à  M.  Le  comte  de)  t.  11 ,  p.  61. 
Saint-Germain  (à  M.  Anglancier  de),  t.  v,  p.  74,  82,  179,  211, 

2i3,  258,  286,  288,  293,  294,  298,  3oo,  339,  353. 
Saint-James  Chronicle  (à  l'auteur  du),  t.  iv ,  p.  Sa. 
Saint-Lambsrt  (à  M.  de),  t.  I,  p.  365  ,  384- 
Sandoz  (à  madame  la  générale  ),  t.  m,  p.  33 1. 
Sartine  (à  M.  de) ,  1. 11,  p.  290.  —  T.  iv ,  p.  335.  T.  v,  p.  354. 
Sauttershèim  (à  M.  de),  t.  m,  p.  i54,  169. 
ScHEYB  (à  M.),  t.  I,  p.  263. 

Seguier  de  saint-Brisson  (à  M.),  t.  m,  p.  nS,  263. 
Serre  (à  mademoiselle),  t.  i,  p.  3o. 
Société  économique  de  Berne  (à  MM.  les  membres  de  la),  1. 11  , 

p.  281. 
Sophie  (à),  ou  madame  d'Houdetot,  t.  i,  p.  344.  —  T.  11,  p.  36. 
SouRGEL  (à  madame  de),  t.  i,  p.  73. 
Strafford  (  à  milord  ) ,  t.  iv ,  p.  46. 

R.    XXIf,  26 


402  TABLE   ALPHABÉTIQUE,  CtC. 

T. 

Tanxe  (  à  sa) ,  V.  Gonceru. 

Theil  (  à  m.  du  ),  t.  I ,  p.  98  ,  io3  ,  io5 ,  107. 

Théodore  (à  mademoiselle),  t.  rv,  p.  26a. 

Tonnerre  (à  M.  le  comte  de),  t.  v,  p.  9,   10,11,  i5,  19,  aS^ 

a6  ,  41  ,  77,  82. 
Tressan  (à  m.  le  comte  de),  t.  i ,  p.  286  ,  289  ,  246. 
Tronchin  (à  m.  le  docteur),  t.  11,  p.  Sa. 
TuRPiN  (à  M.  le  comte),  t.  i,  p.  18 3. 

u. 

UsTERi.  (à  M.  )»  t-  III .  P-  3a. 

V. 

Verdelin  (à  madame  la  marquise  de),  t.  m,  p.  lofi,  i5o,  296. 

—  T.  IV,  p.  157. 
Verna  (  à  madame  la  présidente  de  ) ,  t.  v ,  p.  9 1 . 
Vernes,  (  à  m.  ),  t.  r,  p.  192  ,  207  ,214,232,  249,  BSg. —  T.  ri , 

p.  6,  26,  28,33,4^»  5o,  56,  86,98,  io8,  193. 
Vebhet  (  à  M.  Jacob  ) ,  t.  11,  p.  40  >  i56  ,  366. 
Voltaire  (à  M.  de)  ,  t.  i,  p.  117,  i38  ,  221,  226  ,  269.  —  T.  11, 

p.  119.  —  T.  III,  p.  385. 
Warens  (  à  madame  la  baronne  Je),  t.  11,  p.  11,  20  ,  38,  40 ,  4^  , 

58,  i3,  66,  71,  94,  III,  118,  126,  123,  126,  i3r,  i33, 
166. 
Wattei,et  (à  M.  ),  t.  II,  p.  026. 
WiRTEMBERG  (  à  M.  le  princc  Louis-Eugène  de) ,  t.  m  ,  p.  55  ,  59, 

64,  89,  io3,  120,  i35,  i(io,  191,  204,  233,  324- 


ZiNZEwnoRF  (  à  M.  le  comte  Charles  de  ),  t.  m,  p.  212. 


FIN    DF.    I,A    TABLE    ALPHABETIQUE 

DES  CORRESPONDANTS  DE  ROUSSEAU; 


TABLEAU  CHRONOLOGIQUE 

DES  ÉCRITS  DE  J.  J.  ROUSSEAU, 

RANGÉS  DANS  1,'ORDRE  OU  ILS  FURENT  COMPOSÉS. 


Nota.  Nous  avons  rejeté  à  la  fin  les  pièces  dont  la  <late  est,  malgré  nos  recherches, 
restée  inconntie. 

N'i*.  ANNÉES. 

I  Narcisse,  OU  l'Amant  de  lui-même.  1734 

La  Préface.  1763 
1  Mémoire   à  S.   Ex.  monseigneur  le  gouverneur  de 

Savoie.  1786 

3  Le  Verger  des  Charmettes.  1737 

4  Traduction  de  l'Ode  de  J.  Puthod,  pour  les  noces  du 

roi  de  Sardaigne.  1737 

5  Virelai  à  madame  de  Warens.  1737 

6  Fragments  d'Iphis.  1737 

7  Réponse  au  mémoire  anonyme  (  sur  la  sphéricité  de 

la  terre  ).  1738 

8  Fragment  d'une  épître  à  M.  Bordes.  1740 

9  La  découverte  du  Nouveau-Monde,  tragédie.  1740 

10  Épître  à  M.  Bordes.  1741 

11  Épître  à  M.  Parisot.                                                     •  1742 

12  Mémoire  pour  la  béatification  de  l'évèque  d'Annecy.  1-142 
i3  Dissertation  sur  la  musique  moderne.  1742 
1 4  Projet  concernant  de  nouveaux  signes  pour  la  mu- 
sique. 1742 

i5  Les  Prisonniers  de  guerre.  1743 

16  Les  Muses  galantes.  1743 

17  Le  Persifleur.  1746 

18  li' Allée  de  Sylvie.  i747 

19  L'Engagement  téméraire ,  comédie.  1747 

26. 


4o4  TABLEAU  CHRONOLOGIQUE 

MO*.  ANNÉE*. 

ao  Discours  qui  a  l'emporté  le  prix  à  l'académie  de  Di- 
jon. 1750 

21  Lettre  à  M.  l'abbé  Raynal  sur  la  réfutation  du  dis- 
cours. 1751 

î2  Lettre  à  M.  Grimm  (  réplique  à  M.  Gautier  ).  17  5 1 

23  Réponse  de  J.  J.  Rousseau  au  roi  de  Pologne.  1751 

24  Dernière  réponse  à  M^Bordes.  I75i 
aS  Lettre  de  J.  J.  Rousseau  sur  une  nouvelle  réfutation 

à  son  discours.  17  5 1 

26  Lettre  à  M  Grimm,  au  sujet  des  remarques  ajoutées 

à  la  lettre  sur  Omphale.  1751 

27  Épître  au  vicaire  de  Marcoussis.  17 Si 

28  Oraison  funèbre  de  S.  A.  S.  monseigneur  le  duc  d'Or- 

léans. 175 1 

29  Discours  sur  cette  question ,  Quelle  est  la  vertu  la 

plus  nécessaire  aux  héros.  i75i 

30  Le  Devin  du  village.  1752 
3i  Discours  sur  l'origine  et  les  fondements  de  l'inégalité 

parmi  les  hommes.  17  53 

Dédicace  de  ce  discours.  1765 

32  Lettre  sur  la  musique  française.  i753 

33  Courts  fragments  de  Lucrèce.  1754 

34  Discours  sur  l'économie  politique.  1755 

35  Examen  de  deux  principes  avancés  par  M.  Rameau.  1755 

36  La  Reine  fantasque.  i755 

37  Examen  des   ouvrages  de  l'abbé  de  St-Pierre,    de 

1756  à  1761 

38  Nouvelle  Héloïse,  de  1757  à  1759 
Les  aventures  de  milord  Edouard  Bomston.  17^9 

39  Lettres  à  Sara,  1757  ou  1762 

40  Lettre  à  M.  d'Alembert.  1758 

41  De  l'imitation  théâtrale.  1758 

42  Réfutation  du  livre  de  l'Esprit,  écrite  en  marge  de 

l'exemplaire  donné  par  Helvétius.  1758 

43  Lettre  à  M.  Le  Nieps,  sur  le  Devm  du  village.  1759 

44  Traduction  du  premier  livre  de  Tacite.  1759 


DES   ÉCRITS  DE  J.    J.   ROUSSEAU.  ^OD 

N"*-  AirnÉEs. 

45  Tirfduclion  de  l'Apocolokintosis  de  Sénèque.  i/^g 

46  Contrat  Social,  de  1756  à  1760,  publié  en  1762 

47  Énaile,  composé  de  1757  à  1761 ,  publié  en  mai  1762 

48  Quatre  lettres  à  M.  de  MalesherbeSjjauTier  1762 

49  Le  Lévite  d'Éphraïra.  i  762 

50  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève,  à  Christophe  de 

Beaumont,  archevêque  de  Paris.  1762 

5i   Pygmalion,  scène  lyrique,  de  1762  a  ijr65 

52  Fragment  pour   un   dictionnaire  de  botanique,  de 

1763  à  1765 

53  Lettres  écrites  de  la  montagne.  1764 

54  Vision  de  Pierre  de  la  montagne,  dit  le  Voyant.  17^4 

55  Lettres  sur  la  législation  des  Corses.  1764 

56  Déclaration  relative  à  M.  Vernes.  1765 
67  Lettre  à  M.  le  docteur  Bumey.  1766 

58  Confessions  (  les  six  premiers  livres),  de  1766  à  Ï767 

59  Quinze   lettres  adressées  à  madame  la  duchesse  de 

Portland  ,   de  1766  à  1776 

60  Dictionnaire  de  musique  (  recueil  de  morceaux  com- 

posés à  différentes  époques,   de   1740  à   1767  ), 

imprimé  en  1767 

61  Confessions  (  les  six  derniers  lii'res  ) ,  de  1768  à  1770 
6a  Lettre  à  madame  la  présidente  de  Vcrna,  sur  la  bo- 
tanique. 1768 

Lettre  à  M.  Liotard  neveu ,  sur  la  botanique.  1 768 

63  Neuf  lettres  adressées  à  M.  de  la  Tourette,  sur  la 

botanique,  de  1769  à  177^ 

64  Épitaphe  de  deux  amants  qui  se  sont  tués.  1771 

65  Deux  lettres  à  M. de  Malesherbes,  sur  la  botanique.  1771 

66  Lettres  sur  la  botanique.  1771 

67  Considérations   sur   le    gouvernement  de   Pologne, 

avril  1772 

68  Déclaration  relative   aux  contrefaçons    de   ses  ou- 

vrages. 1774 

69  Extrait  d'une  réponse  sur  lui  morceau  de  l'Orphée 

de  M.  Gluck.  1774 


4o6  TABLEAU  CHRONOLOGIQUE,  etC. 

nos.  KVTXKRi. 

70  Olynde  et  Sophronie,  vers  ^774 

71  Dialogue,. 177 5  à  1776 

72  Fragment.  I777 

73  Les  rêveries  du  promeneur  solitaire,  dernier  ouvrage 

de  Jean- Jacques ,  1777  à  1778 

DATES    INCONNUES. 

74  Vers  pour  madame  de  Fleurieu. 

75  Vers  à  mademoiselle  Théodore. 

76  Enigme  sur  le  portrait. 

77  Chanson  traduite  de  Métastase. 

78  Strophes  ajoutées  à  celles  de  Gresset. 

79  Bouquet  d'un  enfant  à  sa  mère. 

80  Inscription  mise  au  bas  du  portrait  de  Frédéric. 

81  Vers  sur  la  femme. 

82  Sur  la  musique  militaire. 

83  Fragment  sur  l'Alceste  de  M.  Gluck. 

84  Essai  sur  l'origine  des  langues. 


NOTICE 

DES  PRINCIPAUX  ÉCRITS 

RELATIFS  A   LA  PERSONNE  ET  AUX  OUVRAGES 

DE  J.  J.  ROUSSEAU. 


NOTICE 

DES  PRINCIPAUX  ÉCRITS 

RELATIFS  A  LA   PERSONNE  ET   AEX  OUVRAGES 

DE  J.  J.  ROUSSEAU. 


I.  ECRITS 

RELATIFS  A    LA  PERSONNE  DE  J.  J.    ROUSSEAU'. 

Lettre  de  J.  J.  Rousseau ,  de  Genève ,  qui  con- 
tient sa  renonciation  à  la  société  et  ses  derniers 
adieux  aux  hommes ,  adressée  au  seul  ami  qui  lui 
reste  dans  le  monde.  1762  ,  in  12. 

Cette  brochure,  de  quelques  pages,  est  de  Pierre-Firmin  De 
Lacroix,  avocat  de  Toulouse,  qui  imitait  assex  bien  le  style  de 
Jean-Jacques.  Plusieurs  lecteurs  y  furent  trompés  et  la  crurent 
réellement  de  Jean-Jacques. 

Profession  de  foi  philosophique  (  par  Borde  ). 
Amsterdam,  Marc- Mie hel Rej.  (  Lyon^  17^3,  in- 12 
de  35  pages,  et  in-8°,  dans  les  OEuvres  de  l'auteur. 

Satire  contre  J.  J.  Rousseau ,  réiitiprimée  en  1 788,  à  la  suite 
des  Réflexions  de  M.  Servan  sur  les  Confessions  de  J.  J.  Rous- 
seau. 

Lettre  à  M.  J.  J.  Rousseau  (  par  mademoiselle 
Mazarelli,  depuis  marquise  de  Saint-Chamond) , 
1763,  in-i2  ,  et  dans  X Année  littéraire  de  Fréron  , 
1763  ,.tome  VI,  page  19. 

'  Extrait  de  la  notice  du  savant  Barbier. 


4lO  NOTICE  DES   ÉCRITS 

Exposé  succinct  de  la  contestation  qui  s'est  éle- 
vée entre  M.  Hume  et  M.  Rousseau ,  avec  les  pièces 
justificatives  (traduit  de  l'anglais  par  M.  Suard, 
avec  une  préface  du  traducteur).  Londres  et  Paris  , 
1766,  in-12. 

Réimprimé  ,  ainsi  que  les  trois  pièces  suivantes ,  dans'  le 
tome  XXVII  du  Rousseau  de  Poinçot.  Paris,  1 788-1 798,  89  vo- 
lumes in-S". 

Lettre  de  Frédéric  II ,  roi  de  Prusse  (ou  plutôt 
d'Horace  Walpole),  à  J.  J.  Rousseau,  in-80  de  2 
pages,  et  in- 12  dans  le  recueil  précédent ,  page  2  5. 

Justification  de  J.  J.  Rousseau  dans  la  contesta- 
tion qui  lui  est  survenue  avec  M.  Hume.  Londres^ 
Î766 ,  in-i2. 

Lettre  de  M.  de  Voltaire  à  M.  Hume ,  1 766 ,  in-S». 

Cette  lettre  se  trouve  dans  la  Correspondance  générale  de 
Foliaire. 

Voyez  d'autres  lettres  de  Voltaire  sur  le  même  sujet,  dans  la 
Correspondance  de  Grimin,  première  partie,  tome  v,  pag^.  876 
et  suivantes. 

Les  Lettres  de  Grimm,  sur  cette  brouillerie ,  méritent  d'être 
lues.  Voyez  le  volume  cité,  pages  33  et  suivantes. 

Notes  sur  la  Lettre  de  M.  de  Voltaire  à  M.  Hume  ; 
par  M.  L***,  sans  date  ^  in- 12  de  32  pages. 

Voltaire  dit ,  dans  la  Correspondance  de  Grimm ,  première 
partie,  tome  v,  page  411?  que  l'auteur  de  ces  notes  était  un  in- 
time ami  du  docteur  Tronchiu:  aurait-il  voulu  parler  de  M.  Lul- 
îin  de  Châteauvieux,  membre  du  Conseil  de  Genève?  On  le  croit 
lui-même  auteur  de  ces  notes. 

Plaidoyer  pour  et  contre  J.  J.  Rousseau  et  le 
docteur  D.  Hume  ,  l'historien   anglais,  avec  des 


RELATIFS  A   J.   J.   ROUSSEAU.  4^  ^ 

anecdotes  intéressantes  relatives  au  sujet;  ouvrage 
moral  et  critique ,  pour  servir  de  suite  aux  OEuvres 
de  ces  deux  grands  hommes  (par  M.  Bergerat). 
Londres  et  Lyon ,  Cellier ,  i  768 ,  in-i  2  de  298  pages. 

Cet  ouvrage  a  été  réimprimé ,  i**  dans  le  tome  xxvii  des 
OEuvres  de  Rousseau,  Genève ,  1782,  in-S"  ;  2°  dans  le  t.  xxvii 
du  Rousseau  de  Poinçot  ;  3"  dans  le  xviii^  volume  du  Rous- 
seau de  Defer  de  Maisonneuve ,  in-4''. 

J'ai  vu  au  Dépôt  bibliographique  de  la  rue  de  Choiseul,  un 
exemplaire  relié  en  maroquin  rouge ,  avec  un  frontispice  por- 
tant le  nom  de  l'auteur. 

Réflexions  posthumes  sur  le  grand  procès  de 
Jean-Jacques  avec  David.  Paris ,  sans  date,  in- 12. 

Le  rapporteur  de  bonne  foi ,  ou  Examen  sans 
partialité  et  sans  prétention ,  du  différent  survenu 
entre  M.  Hume  et  M.  Rousseau  de  Genève  (  par 
T.  Verax  ).  1766,  in-12. 

Le  docteur  Pansophe  ,  ou  Lettres  de  M.  de  Vol- 
taire (  et  de  M.  Borde).  Londres ,  1766,  in- 12. 

La  lettre  du  docteur  Pansophe  est  de  M.  Borde.  Voltaire  avait 
d'abord  attribué  cette'  pièce  satirique  à  l'abbé  Coyer,  qui  l'a 
désavouée  par  une  lettre  insérée  dans  les  OEuvres  diverses  de 
J.  J.  Rousseau  J  édition  de  Neuchdtel  (Paris) ,  tome  vu. 

Précis  pour  M.  Rousseau  en  réponse  à  l'exposé 
succinct  de  M.  Hume,  suivi  d'une  Lettre  de  ma- 
dame ***  (  La  tour  de  FranquevilleJ,  à  l'auteur  de 
la  Justification  de  M.  Rousseau.  Paris,  1767,  in- 12. 

Réimprimé  sous  le  titre  â^  Observations  dans  le  xxvii*^  vo- 
lume du  Rousseau  de  Poinçot. 

J.  J.  Rousseau  a  écrit  de  Woolton,  le  7  lévrier  1 767  : 

«  Je  viens  de  recevoir,  dans  la  môme  brochure,  deucs pièces 


4ia  NOTICE  DES  ÉCRITS 

«  dont  on  ne  m'a  point  voulu  nommer  les  auteairs;  la  lecture  de 
«  a  première  m'a  fait  chérir  le  sien  sans  me  le  faire  connaître. 
«  Pour  la  seconde,  en  la  lisant,  le  cœur  m'a  battu,  et  j'ai  reconnu 
«  ma  chère  Marianne;  j'espère  qu'elle  me  connaît  aussi. 

«  Signé ,  J.  J.  Rousseau.  » 

IMarianne  était  le  nom  sous  lequel  J.  J.  Rousseau  désignait 
madame  Latour  de  Franqueville.  Voyez  la  Correspondance  ori- 
ginale et  inédite  de  J.  J.  Rousseau  avec  madame  Latour  de 
Franqueville.  Paris,  i8o3,  in-8",  tom.  ii,pag.  38  et  suivantes. 
(  C'est  à  tort  que  les  Mémoires  secrets  de  Bachaumont  attri- 
buent cette  lettre  à  madame  d'Épinày.  Voyez  le  tome  m , 
page  i68. ) 

Lettre  à  M.  ***,  relative  à  J.  J.  Rousseau  (  par 
M.  du  Peyrou),  à  Goa,  1765,  avec  la  réfutation 
de  ce  libelle  ;  par  le  professeur  de  Montmollin , 
1765,  in-80. 

Cette  lettre  a  été  suivie  de  deux  autres. 

Recueil  de  I^ettres  de  J.  J.  Rousseau  et  autres 
pièces  relatives  à  sa  persécution  et  à  sa  défense  ; 
le  tout  transcrit  d'après  les  originaux.  Londres  et 
Paris  ^  1766  ,  in- 12 

Ce  recueil  contient  trois  lettres  de  M.  du  Peyrou,  relatives  à 
J..1.  Rousseau;  la  l'éfutation  de  la  première  lettre  par  le  pasteur 
Montmollin,  etc.  Plusieurs  de  ces  morceaux  avaient  été  impi'i- 
més  séparément  l'année  précédente.  M.  du  Peyrou  a  reproduit 
ses  trois  lettres  dans  le  tome  xxvii  des  OEuvres  de  Rousseau  , 
édition  de  1782. 

Articles  2,3  et  4  des  Extraits  des  journaux  dans 
le  Journal  des  Savants.,  avril  1766,  édition  de  Hol- 
lande ,  relatifs  à  la  persécution  suscitée  à  Motiers- 
Travers,  contre  J.  J.  Rousseau. 


RELATIFS   A  J.   J.    ROUSSEAU.  4l3 

Les  articles  2  et  3  sont  traduits  du  journal  anglais  Monthly 
Rei>iea>,  par  Alétophile  (  Vincent  Gaudio,  ancien  professeur  de 
droit  à  Naples ,  mort  en  Hollande  vers  1767).  Le  quatrième 
article  contient  des  notes  générales  d'Alétophile  sur  les  deux 
articles  précédents  ;  ces  articles  furent  dénoncés  au  magistrat  ; 
le  libraire  Marc- Michel  Rey  eut  défense  de  vendre  le  journal 
qui  les  contenait.  Vincent  Gaudio  fit  paraître  sa  justification 
dans  le  mois  de  mai  suivant.  Dans  le  mois  d'août ,  du  même 
journal ,  se  trouve  une  lettre  fort  vive ,  signée  CLéanthe ,  en 
réponse  aux  assertions  d'Alétophile  contre  les  prêtres,  et  aux 
louanges  qu'il  prodigue  à  J.  J.  Rousseau.  On  doit  au  professeur 
Gaudio  différents  ouvrages  de  littérature  et  de  jurisprudence. 
Voyez  mon  Examen  critique  des  Dictionnaires  historiques.  Pa- 
ris, 1820,  in-8°. 

Extrait  des  papiers  anglais ,  contenant ,  Lettre 
d'un  Anglais  à  J.  J.  Rousseau. — Lettre  d'un  Qua- 
ker à  J.  J.  Rousseau.  —  Fragment  d'un  ancien  ma- 
nuscrit grec,  dans  Vannée  littéraire  de  Fréron,  1 768, 
tome  n,  pages  187  et  suiv. 

Sentiments  d'un  Anglais  impartial  sur  la  que-» 
relie  de  MM.  Hume  et  Rousseau;  extrait  des  papiers 
anglais,  in- 12  dans  V Année  littéraire,  1766,  tome 
VII,  page  3 14. 

J.  J.  Rousseau  justifié  envers  sa  patrie  (par  Ré- 
ranger). Londres ^  i775,in-8°,  réimprimé  dans  le 
28^  vol.  du  Rousseau  de  Poinçot, 

Relation  des  derniers  jours  de  M.  J.  J.  Rousseau, 
circonstances  de  sa  mort ,  et  quels  sont  les  ouvrages 
posthumes  qu'on  peut  attendre  de  lui;  parLeRègue 
de  Presle,avec  une  addition  relative  à  ce  sujet,  par 
J.  H.  de  Magellan.  Londres  et  Paris ^  1778,111-8'*. 

Lettre  sur  J.  J.  Rousseau,  adressée  à  M.  d'Es... , 


4l4  NOTICE  DES  ÉCRITS 

par  M.  ***  (le  chevalier  de  Briiny  ).  Genève  et  Paris ^ 
Brunet,  1780,  in-8°,  réimprimé  dans  le  tome  xxix 
des  Œuvres  de  Rousseau^  1782. 

Lettre  sur  J.  J.  Rousseau,  adressée  à  un  prince 
d'Allemagne.  (  Voyez  la  Correspondance  de  Grimm , 
3^  partie ,  tome  i ,  page  a68.  ) 

J.  J.  Rousseau  vengé  par  son  amie ,  ou  morale 
pratico-philosophico-encyclopédique  des  Coryphées 
de  la  Secte  (par  madame  Latour  de  Franqueville ) , 
au  Temple  de  la  Vérité  [Hollande)  ,  1779,  in -8°  de 
72  pages. 

On  trouve  dans  ce  volume,  1°  Lettre  d'un  anonyme  h  un 
anonyme ,  ou  Procès  de  f  esprit  et  du  cœur  de  M.  cV Alernhert  ; 
1°  Lettre  à  M.  Fréron,  par  madame  de  La  Motte  ;  3"  Lettre  de 
madame  de  Saint-G***  à  M.  Fréron.  Madame  de  Latour  s'est 
cachée  sous  ces  différents  masques. 

La  Vertu  vengée  par  l'Amitié,  ou  recueil  de 
Lettres  sur  J.  J.  Rousseau,  par  madame  de**  (La- 
tour de  Franqueville),  in  8'^,  ou  3o®  vol.  des  OEu- 
vres  de  Rousseau  ^Ç:ài\.\\QYi  de  Genève ,  1782. 

Ce  volume  contient  les  trois  lettres  de  madame  de  Franque- 
ville, citées  dans  l'article  précédent,  celle  qu'elle  avait  publiée 
en  1766,  et  plusieurs  autres  qui  avaient  été  insérées  dans  X An- 
née littéraire ,  tantôt  sous  le  nom  de  madame  de  La  Motte,  et 
tantôt  sous  celui  de  madame  du  Riez-Genest.  On  y  remarque 
ensuite  XErrata  de  t Essai  ^ur  la  musique  ancienne  et  mo- 
derne de  M.  de  La  Borde ,  et  la  réplique  de  madame  de  Fran- 
queville à  la  réponse  faite  par  M.  de  La  Borde  à  X Errata,  in- 
sérée dans  son  supplément  à  X Essai  sur  la  musique.  On  assure 
que  le  célèbre  violon  Pierre  Gaviniès  a  fourni  à  madame  de 
Franqueville  le  fonds  de  ces  deux  critiques  contre  M.  de  La 
Borde. 


RELATIFS   A  J.   J.  ROUSSEAU.  ^l5 

Le  libraire  Poinçot  n'a  reproduit  qu'une  partie  de  ces  lettres 
dans  le  tome  xxviii*  de  son  édition  de  Rousseau  ;  une  autre 
partie  se  trouve  dans  le  xxx*.  Il  avait  donné,  dans  le  xxvii*^,  la 
lettre  de  1766.  Il  a  donc  omis  celle  qui  porte  la  date  de  1772, 
et  qui,  comme  les  autres,  est  annoncée  dans  la  préface  de  son 
XXVIII*  volume. 

Le  réveil  de  J.  J.  Rousseau  ,  ou  particularités 
sur  sa  mort  et  sur  son  tombeau  ;  par  M.  B.  de  V** 
(M.  Brard ,  médecin) ,  Genève  et  Paris ^  1 7^3,  in-8''. 

Vie  de  J.  J.  Rousseau ,  précédée  de  quelques 
lettres  relatives  au  même  sujet;  par  M.  le  comte  de 
Barruel-Bauvert.  Londres  et  Paris  ^  ^7^9^  in-8°. 

Portrait  de  J.  J.  Rousseau ,  en  dix -huit  lettres, 
qui  présentent  une  courte  analyse  de  ses  princi- 
paux ouvrages;  par  de  Longueville,  écrivain  pu- 
blic. Amsterdam  et  Paris  ^  ^11^  1  ii^'^". 

Abrégé  de  la  Vie  de  J.  J.  Rousseau ,  citoyen  de 
Genève ,  tiré  de  ses  Confessions  et  de  ses  autres  ou- 
vrages; par  Jean -Bruno  Forest,  ancien  militaire, 
élève  de  Marmontel ,  et  membre  de  plusieurs  so- 
ciétés savantes ,  etc.  Paris ^  chez  les  libraires  asso- 
ciés. 1808,  in-8°. 

M.  Forest  a  joint  à  cette  vie  de  Rousseau ,  la  Nouvelle  Hé- 
loïse ,  mise  en  scènes .,  pour  former  un  drame  en  cinq  actes  ; 
et  il  annonce  à  la  fin  que  X Emile ,  ou  Traité  d'éducation  en 
abrégé,  est  sous  presse.  Ce  nouvel  ouvrage  n'a  point  paru. 

J.  J.  Rousseau  peint  par  lui-même:  ses  Confes- 
sions ,  avec  des  notes  nouvelles  ;  ses  Dialogues ,  les 
Rêveries  du  promeneur  solitaire,  etc.;  augmenté' 
de  l'Éloge  de  Jean -Jacques,  de  l'Examen  de  sa  phi- 
losophie ,  de  ses  opinions ,  de  ses  ouvrages  ;  par 


4l6  NOTICE   DES  ÉCRITS 

M.  le  comte  d'Escherny ,  etc.  ;  avec  un  beau  por- 
trait de  Jean-Jacques ,  wwjric-simile  de  son  écriture , 
et  cinq  jolies  gravures.  Paris ^  1819  •>  4  vol  in- 12  '. 

Essai  sur  J.  J.  Rousseau,  par  Bernardin  de  Saint- 
Pierre  ,  dans  le  1 2"  volume  de  l'édition  in  -  8° ,  et 
dans  le  10^  de  l'édition  in- 18  de  ses  OEuvres  com- 
plètes, Paris,  1820. 

Cet  Essai  mériterait  d'être  réimprime  séparément. 

Motion  relative  à  J.  J.  Rousseau  ;  par  Ange-Ma- 
rie d'Eymar,  député  de  Forcalquier  à  l'Assemblée 
nationale.  Paris,  1790,  in-8''. 

Prosopopée  de  J.  J.  Rousseau,  ou  Sentiments  de 
reconnaissance  des  amis  de  l'instituteur  d'Emile  à 
l'Assemblée  nationale  de  France,  etc.  Paris ,  179^7 
in-8«. 

Rapport  sur  J.  J.  Rousseau,  fait  au  nom  du  co- 
mité d'instruction  publique  ,  par  Lakanal ,  dans  la 
séance  du  29  fructidor,  imprimé  par  ordre  de  la 
Convention  nationale,  et  envoyé  aux  départements, 
aux  armées,  et  à  la  république  de  Genève,  in- 8°. 
— Le  même  rapport ,  suivi  des  détails  sur  la  trans- 
lation des  cendres  de  J.  J.  Rousseau  au  Panthéon 
français,  in-8°. 

Des  honneurs  rendus  à  la  mémoire  de  l'auteur 
di  Emile  (par  l'abbé  Brizard),  in-8*',  dans  le  i4^  vol. 
du  Rousseau  de  Poinçot. 

Pétition  à  l'Assemblée  nationale,  contenant  de- 

'  Ces  quatre  volumes  sont  les  quatre  premiers  de  l'édition  de 
madame  Perronneau,  auxquels  M.  Eymery  a  mis  un  titre  particulier 
pour  les  vendre  à  part.  C'était  une  spéculation  facile  à  reconnaître 
par  les  renvois  aux  autres  volumes.  M.  P. 


RELATIFS   A   J.   J.    ROUSSEA.U.  l{\'] 

mande  de  la  translation  des  cendres  de  J.  J.  Rous- 
seau au  Panthéon  français,  onzième  séance  du  27 
août  1791  (rédigée  par  M.  Ginguené)  ;  avec  la  ré- 
ponse de  M.  Victor  Broglie,  président.  De  Vimpri- 
merie  nationale  ,  in-8°  de  1 5  pages. 

Grande  dispute  au  Panthéon,  entre  Marat  et 
Jean-Jacques  Rousseau  (signé  Dubrail).  Paris ,  de 
V imprimerie  des  Sans-Culottes^  in-S"  de  i5  pages. 

Procès-verbal  du  conseil  général  de  la  commune 
de  Lyon,  pour  la  fête  de  J.  J-  Rousseau  (rédigé  par 
feu  M.  Sobry,  secrétaire-greffier),  in-4°  de  quatre 
pages. 

Cette  fête  a  été  célébrée  le  2 5  vendémiaireran  m  f  16  oc- 

».  * 
tobre  1794)-  '-       .* 

De  mes  Rapports  avec  J.  J.  Rousseau  et  de 
notre  Correspondance,  suivie  d'une  notice  très- 
importante;  par  J.  Dusaulx.  Paris,  1798,  in-8**. 

Lettre  au  citoyen  D***  sur  l'ouvrage  intitidé  ,  De 
mes  Rapports  avec  J.  J.  Rousseau ,  par  M.  Granié , 
jurisconsulte.  Paris  ^  179^  ■>  iii-8°. 

Sur  l'ouvrage  intitulé ,  De  mes  Rapports  avec  Jeanr 
Jacques  Rousseau  (par  A.  Jourdan),  in-8''  de  i3 
pages,  extrait  du  Moniteur ,  11  messidor  an  vi 
(  1798),  n«  281. 

De  J.  J.  Rousseau;  extrait  du  Journal  de  Paris ^ 
des  n°*  aSi  ,252  ,  253,  259,  260  ,  et  261  de  l'an  vi 
(  1 798  )  ;  (  par  M.  Corancez  ) ,  in-8**.  * 

Sur  J.  J.  Rousseau,  par  M.  de  La  Harpe,  dans 
le  Cours  de  littérature ,  tome  xvi ,  page  333  et  sui^ 
vantes ,  première  édition ,  in-S". 

R.  XXII.  27 


4l8  aOTICE    DES  ÉCRITS 

Réflexions  sur  .1,  J.  Rousseau  et  ses  ouvrages, 
par  M.  de  La  Harpe,  dans  le  Mercure  de  France^ 
5  octobre  1778,  et  dans  le  Cours  de  littérature^ 
tome  XVI,  page  352. 

A  M. /le  La  Harpe,  sur  son  article  concernant 
J.  J.Rousseau; par  INL  Corancez,  dans  le  Journal  de 
Paris  an  3o  octobre  1778,61  à  la  fin  de  la  brochure 
du  même  auteur,  intitulée ,  De  J.  J.  Rousseau ,  etc. 

Conversation  entre  J.  J.  Rousseau  et  Goldoni , 
dans  les  Mémoires  de  ce  dernier,  pour  servir  à 
l'histoire  de  sa  vie.  Paris ^  ^7^7  •>  ^  volumes  in-S»  , 
et  dans  les  Révélations  indiscrètes  du  dix-huitiéme 
siècle.  Paris ,  1814,  petit  in- 1 2  ,  page  l\  1 6. 

INIes  conversations  avec  Jean  -  Jacques  (  par  le 
prince  de  Ligne),  8  pages  et  demie,  à  la  fin  du 
tome  X  de  ses  OEuvrcs.  A  mon  Refuge,  1796  et 
années  suivantes. 

Le  pi'ince  de  Ligne  a  adressé  à  .T.  J.  Rousseau,  en  1770,  une 
lettre  sérieuse  pour  l'engager  à  accepter  une  retraite  dans  ses 
terres.  On  la  trouve  dans  plusieurs  gazettes  du  temps,  ainsi  que 
d^ns  la  Correspondance 'de jGrimm,  seconde  partie,  tome  i, 
page  228.  ~.       4. 

•  •«•:.  , 

Anecdotes  sur  3.  J.  Rousseau,  tirées  du  voyage 

de  M.  Williams  Coxe  en  Suisse;  dans  X Esprit  des 

Journaux ,  juin  1 790 ,  et  dans  la  traduction  française 

de  ce  voyage,  par  M.  Lebas.  Paris,  1 790,  3  vol.  in-S". 

Histoire  de  mes  Relations  avec  J.  J.  Rousseau  , 
p[fr  madame  dé  Geiilis ,  dans  les  Souvenirs  de  Fé- 
licie  L*** ^  troisième  édition.  Paris,  181 1,  in-12, 
pages  292-310. 

Lettre  du  profess^tir  Erévost,  de  Genève,*nembre 


RELATIFS  A  J.  J.   ROUSSEAU.  4l9 

de  l'académie  royale  des  sciences  et  des  belles-lettres 
de  Prusse,  snr  J.  J.  Rousseau  ,  in-S",  dans  le  i^  vol. 
des  Archives  littéraires.  Paris  y  i8o4,  et  in-12,  dans 
\ Esprit  des  Journaux. 

De  Rousseau  et  des  philosophes  du  xviir  siècle  ; 
par  feu  M.  d'Escherny.  Paris  ,  181 1 ,  in-12  ,  dans 
le  3^  volume  de  ses  Mélanges  de  littérature^  d'his- 
toire .,ç:\.c. 

Jugement  philosophique  sur  J.  J.  Rousseau  et 
sur  Voltaire;  par  H.  Àzaïs.  Paris .,  Plancher ,  181 7, 
in-S"  de  X  et  72  pages. 

Histoire  de  la  Vie  et  des  ouvrages  de  J.  J.  Rous- 
seau, composée  de  documents  authentiques,  et 
dont  une  partie  est  restée  inconnue  jusqu'à  ce 
jour  ;  d'une  biographie  de  ses  contemporains ,  con- 
sidérés dans  leur  rapports  avec  cet  homme  célèbre 
(parM.  V.  D.  Musset-Pathay).  Paris,  Briére,  1821, 
2  volumes  in-8''  ;  et  2  vol.  in-12  ^ 

Addition  à  l'Histoire  de  J.  J.  Rousseau  (conte- 
nant une  longue  lettre  de  Rousseau  à  madame 
d'Houdetot),  avec  des  notes;  par  M.  Kératry,  etc. 
Paris.,  Briére,  1822,  in-8". 

Cette  addition  forme  les  pages  545  à  56o  du  tome  11  de  l'ou- 
vrage de  M.  Musset-Pathay,  et  la  cxlii^  lettre  du  xviii^  vol. 
de  cette  édition  ,  p.  344- 

Lettre  à  M.  Fréron ,  sur  un  monument  élevé  à 
la  mémoire  de  J.  J.  Rousseau;  par  M.  Argant,  Ge- 
nevois, dans  V Année  littéraire.,  ^119i  ^^  dans  l'Es- 
prit des  Journaux,  1779. 

'  Un  troisième  volume  formé  en  grande  partie  de  pièces  inédites 
est  sous  presse,  et  paraîtra  chez  Dupont. 


420  NOTICE  DES   ÉCRITS 

Réflexions  sur  les  concours  en  générai,  et  sur 
celui  de  la  statue  de  J.  J.  Rousseau  en  particulier; 
par  Houdon  ,  sculpteur  du  roi  ,  etc.  ;  in  8°  de  1 3 
pages ,  sans  date. 

Sur  le  monument  consacré  à  la  mémoire  de 
J.  J.  Rousseau,  d'après  un  arrêté  du  conseil  des 
anciens,  et  dont  le  citoyen  Masson  vient  de  termi- 
ner le  modèle. 

Voyez  un  article  signé  L.  Lefèvre  (de  Vaucluse) ,  dans  le 
Journal  de  Paris  du  lo  prairial  an  viii  (  i8oo). 

Du  respect  et  des  honneurs  accordés  partout 
aux:  grands  hommes. 

Voyez  le  Journal  du  Commerce  du  8  février  i8i8.  On  y  ap- 
prend ,  dans  un  article  très-bien  fait,  que  les  chefs  des  puis- 
sances alliées ,  par  respect  pour  la  mémoire  de  J.  J.  Rousseau  , 
ont  défendu,  en  i8i5,  à  leurs  soldats,  d'imposer  aucune  taxe 
extraordinaire  au  village  d'Ermenonville. 

Le  Serin  de  J.  J.  Rousseau,  anecdocte  inédite, 
par  madame  Isabelle  de  Montolieu,  dans  le  Mercure 
de  France^  du  5  octobre  1 8 1 1 ,  et  dans  les  Dix  Non- 
i^elles  de  l'auteur.  Genève  et  Paris^  i8i5  ,  3  volumes 

II.  PRINCIPALES  ÉDITIONS 

DES    OEUVRES    DEJ.   J.    ROUSSEAU  ^ 

I.  OEuvres  de  M.  Rousseau,  de  Genève,  nou- 
velle édition ,  revue ,  corrigée ,  et  augmentée  de 
plusieurs    morceaux  qui  n'avaient    point  encore 

'  Les  remarques  faites  aux  deux  premières  éditions  sont  de  M.  Bar- 
bier, et  les  suivantes,  de  l'éditeur- 


RELATIFS  A  .1.   J.    ROUSSEAU.  /|2T 

paru.  Neu/chdteli  Paris,  Duchesne) ,  1764,  1^65, 
1767,  1768,  1779,  10  vol.  m-i2.  a 

»Za  Nouvelle  Héloïse  avait  paru,  chez  le  même  libraire,  en 
1 761,  4  vol.  ;  etYÉmile  en  1762,  4  vol.  Rousseau  nous  apprend 
lui-même,  dans  une  lettre  à  M".  Panckoucke,  en  date  du  2  5  mai 
1 764,  que  cette  édition  de  Paris  a  été  dirigée  par  le  fameux  abbé 
de  La  Porte,  ex-jésùite,  qui  s'est  bien  gardé  de  la  comprendre 
dans  la  liste  de  ses  travaux.  Foyez  son  article  dans  la  France 
littéraire,  de  1769,  dont  il  est  l'auteur. 

«  Il  y  a  eu  deux  éditions  du  second  volume  de  cette  collection, 
et  elles  ne  contiennent  pas  les  mêmes  pièces.  On  trouve  dans 
l'une  d'elles  le  Petit  Prophète,  de  Grimm,  et  l'analyse  de  diffé- 
rentes brochures  relatives  à  la  Lettre  sur  la  musique  française . 
Au  lieu  de  ces  morceaux,  l'autre  renferme  Prgmalion ,  scène 
lyrique:  une  lettre  écrite,  en  i75o,  à  l'auteur  du  Mercure;  l'Al- 
lée de  SyU'ie,  et  quelques  autres  petites  pièces. 

«La  lettre  de  Rousseau  à  l'abbé  de  La  Porte,  en  date  du  4 
avril  1763,  explique  les  changements  faits  par  cet  abbé  dans  la 
composition  de  ce  second  volume  ;  Rousseau  l'avait  exhorté  à 
retrancher  de  ses  OEuvies  le  Petit  Prophète,  de  Grimm,  s'il  en 
était  encore  temps.  Puisque  notre  philosophe  convient,  dans  sa 
letdre  à  Panckoucke,  avoir  fomni  quelques  pièces  à  l'abbé  de  La 
Poine,  ce  fut  lui,  sans  doute,  qui  envoya  à  cet  éditeur,  par 
extrait  seulement ,  sa  Lettre  à  Grimm ,  relative  aux  remarques 
ajoutées  à  la  Lettre  sur  Omphale.  » 

IL  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau,  de  Genève,  nou- 
velle édition,  revue , corrigée, et  augmentée  de  mor- 
ceaux qui  n'avaient  point  encore  paru.  Amslerdam y 
Marc-Michel  Rcf,  1769,  n  vol.  in-8«  et  in-i-^. 

«  Cette  édition  a  été  réimprimée  dans  les  mêmes  formats  en 
I  772.  Les  OEuvres  diverses  seulement  l'ont  été  en  1776  ,  4  vol. 
in-i2.  Il  y  a  un  supplément  de  6  volumes  pour  l'édition  in-8", 
ce  qui  porte  cette  édition  à  17  volumes. 

«  Dès  1765,  Marc-Michel  Rcy,  célèbre  impiimeur  d  Amster- 


4^2  NOTICE   DES   ÉCRITS 

dam,  voulant  réimprimer  les  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau,  con- 
s.ulta  l'auteur  lui  -  même ,  qui  lui  répondit  qu'il  fallait  prendre 
pour  modèle  l'édition  faite  à  Paris,  chez  Duchesne,  en  14  vo- 
lumes, non  compris  les  Lettres  de  la  montagne,  la  Lettre  à  M.  de 
Beaumont,  le  Contrat  social,  et  le  Dictionnaire  de  Musique. 
Dans  ce  calcul ,  Rousseau  ne  comprenait  que  6  volumes  des 
OEuvres  diverses ,  imprimées  par  Duchesne.  Rey  lui  répliqua 
qu'il  y  avait  dans  cette  édition  nombre  de  pièces  qui  lui  parais- 
saient n'y  avoir  été  mises  que  pour  en  augmenter  les  volumes. 
Rousseau  lui  répondit  le  18  octobre  1765  : 

'<  Quand  je  vous  ai  parlé  de  prendie  l'édition  de  Duchesne, 
«  c'est  parce  qu'elle  contient  des  pièces  de  moi  qui  ne  sont  pas 
«  ailleurs;  mais  je  n'ignorais  pas  qu'elle  était  fautive,  et  je  n'ai 
«  jamais  pensé  que  vous  y  prendriez  ni  la  Prophétie,  ni  aucune 
"  pièce  qui  ne  soit  pas  de  moi.  Ne  cherchez  pas  à  grossir  votre 
n  recueil  ;  n'imprimez  que  ce  que  j'ai  fait,  et  c'est  par  là  que 
"  votre  édition  sera  recherchée.  » 

«  En  conséquence ,  Rey  n'ajouta  à  son  édition  que  les  pièces 
auxquelles  Rousseau  avait  l'épondu,  et  quelques  lettres  qui  n'a- 
vaient pas  été  recueillies.  »  ' 

III.  OEuvres  choisies  de  J.  J.  Rousseau.  Londr-es, 
sans  date ,  1 5  vol.  petit  in-8*'. 

IV.  Leâ  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau.  Londres  (  Pa- 
ris,  Casin^^  1781  ,  38  vol.  in-id) ,  Jigures  d'après 
Moreau. 

V.  Collection  complète  des  OEuvres  de  J.  J.  Rous- 
seau (  publiées  par  Du  Pëyrou  )  Genève^  1782  et 
ann.  suiv.  17  vol.  '\\\-[^ ^figures. 

M.  Du  Peyrou  a  donné  les  mêmes  soins  à  l'édition  de  Genève, 
1 782-1790,  35  volumes  in-8". 

VI.  Collection  complète  des  OEuvres  de  J.  J.  Rous- 
seau (  Kehl  ) ,  de  V imprimerie  de  la  Société  littéraire 
et  typographique  ^  1783-89,  34  vol.  grand  in- 18. 


UELATifS   A    T.    T.   KO  II  SSli  AU ,  l^'l'^ 

Vil.  Colleclion  complète  des  OEiivres  de  Jean- 
Jacques  Rousseau,  Paris,  VoUaiid.  1790,  16  vol. 
'^rand  in-4*'- 

Le  i6e  volume  parut  en  1791  \  il  est  d'un  format  plus  petit, 
et  contient  les  vi  derniers  livres  des  Confessions. 

VIII.  Les  OEuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau  , 
classées  pai'  ordre  de  matières  (  avec  des  noies 
par  Merciei^ ,  l'abbé  Rrizard,  et  M.  de  Launaye  ). 
Paris ^  Poinçoty  1788-9!=^,  39  tomes  en  38  vol.  in-8", 
figures. 

Il  y  a  des  exemplaires  in  V- 

IX.  Les  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau.  Paris ^-  li- 
braires associés,  1793,  37  vol.  grand  in-iS^jj-  . 

X.  Les  OEuvres  de  J.  J.  Rou.sseau.  Paris  ^  de  l'éfii- 
p  rimerie  de  Didot  le  jeune ,  chez  De/er  de  Maison- 
neuve ,  1793- 1800,  i8  volumes  très-grand  in-4", 
figures ,  papier  vélin. 

XI.  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau.  Paris ,  Bozérifi.n 
{de  rifnprimerie  de  Didot  Vaîné^j,  1796-  180 ï,  a.5 
volumes  grand  in- 1^, papier  vélin. 

XII.  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau.  Paris  .,  imprime- 
rie de  Didot  l'aîné^  1801,20  vol.  in-S» , papier  vélin . 

XIII.  Œuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau  ,  ci- 
toyen de  Genève  (nouvelle  édition,  rédigée  par 
MM.  Villenave  et  Depping ).  Paris,  A.  Belin,  1817, 
8  vol.  in-80. 

XIV.  OEuvres  de  J .  J.  Rousseau ,  nouvelle  édi- 
tion. Paris ,  de  V  imprimerie  de  Didot  aîné,  chez  Le- 

févre  et  Déterville ,  1817-1818,  18  vol.  in-8^. 

XV.  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau,  nouvelle  édi- 


V 


4^4  NOTICE  DES   ÉCRITS 

tion.  Paris  y  Ledoux  et  Teiiré,  1818-1819,  20  voL 
in-i8. 

XVI.  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau,  nouvelle  édi- 
tion, avec  des  suppléments  et  des  notes.  Paris  y 
veuve  P^rronneau,  1819-1820,  20  vol.  in-12. 

C'est  la  première  édition  ;\  laquelle  nous  ayons  donné  des 


soins. 


XVII.  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau ,  avec  des  notes 
historiques  (  un  vocabulaire  et  une  table  des  ma- 
tières, par  G.  Petitain).  Paris,  Lejevre,  1820,  22 
vol.  in-8«. 

j'ai  connu  l'éditeur,  homme  instruit,  estimable,  conscien- 
cieux, exact,  mais  d'une  crédulité  que  ses  connaissances  ren- 
daient inexplicable.  Bon  mari ,  bon  père,  bon  ami,  homme  de 
lettres  distingué,  M.  Petitain  est  mort  peu  de  temps  après  avoir 
achevé  l'édition  des  OEuvres  de  Rousseau  pour  M.  Lefèvre. 
Il  ne  m'appartient  point  de  faire  la  critique  de  cette  édition  ; 
l'auteur  de  l'article  Pcdtaln ,  àaxis  la  Biographie  universelle 
(  tome  XXXIII  ) ,  s'est  chargé  de  ce  soin  ;  mais  il  a  oublié  de 
dire  que  l'éditeur  apportait,  à  la  confrontation  des  textes  des 
divei'ses  éditions,  une  patience,  une  attention  dignes  d'éloge  : 
c'est  une  justice  à  lui  rendre.  Quant  à  son  travail  (c'est-à-dire 
ses  Commentaii'cs ,  ses  Observations ,  et  son  Supplément  aux 
Confessions),  il  offre  Un  phénomène  lemai-quable ;  c'est  que 
souvent  il  aggrave  plutôt  les  reproches  qu'on  fait  à  Rousseau, 
qu'il  ne  les  discute  ou  ne  le  justifie  ;  ce  qui  a  fait  dire  plaisam- 
ment à  M.  deKe ,  que  c  était  le  premier  éditeur  qu'on  eût 

sn prendre  en  grippe  l'auteur  choisi  de  prédilection  jîour  ré- 
imprimer ses  ouvrages,  et  arriver  à  la  fin  de  son  édition  avec 
lin  sentiment  tout-à-fait  opposé  à  celui  qui  la  lui  avait  fait  en- 
treprendre. Ce  résultat  singulier  s'explique  par  le  caractère  de 
Petitain ,  naturellement  indécis  et  crédule.  Il  commençait  par 
croire  ce  qu'il  lisait  ou  ce  qu'il  entendait  dire  ;  puis  ,  à  l'exa- 


RELATIFS   A  J.  i.   ROUSSEAU.  4^5 

nieu  ,  restait  dans  une  indécision  comique.  Ce  qu'il  y  avait  de 
bizarre ,  c'était  son  attachement  opiniâtre  à  l'idée  qu'il  avait 
une  fois  admise ,  à  l'impression  une  fois  reçue.  Il  était  inex- 
|)ugnal)le.  Comme  il  avait  fini  son  travail  par  la  lecture  des 
écrits  faits  contre  Jean- Jacques ,  il  en  subissait  V'mûnence  i 
étant  un  peu  du  nombre  des  juges  qui  donnent  gain  de  cause 
à  celui  qui  parlé  le  dernier.  Ces  réflexions  n'ôtent  rien  aux  qua- 
lités estimables  de  M.  Petitain,  et  je  me  plais  à  reconnaître  qu'il 
en  avait  un  grand  nombre. 

XVIII.  OEuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau, 
édition  fort  jolie  et  accompagnée  de  gravures.  Pa- 
ris,  chez  Tontine  et  Fortic ^  1822-23,  i[\  volumes 
grand  in- 18. 

XIX.  QEuvres  de  J.  J.  Rousseau ,  dirigées  par 
M.  Aignan.  Paris ^  chez  Desoër^  1823-24,  20  vol. 
in-i8. 

XX.  OEuvres  de  J.  J.  Rousseau.  Paris,  chez 
E.  A.  Lequien,  1822-23,  21  vol.  in-8°. 

Cette  édition  soignée,  et  que  nous  avons  choisie  pour  faire  là 
nôtre,  est  la  même  que  celle  de  M.  Petitain,  dont  la  plupart  des 
notes  ont  été  conservées.  Dans  l'avis  mis  en  tète  du  cinquième 
volume  de  notre  édition,  et  à  la  page  6  du  même  volume,  nous 
faisons  quelques  remarques  critiques  sur  celle-ci,  à  laquelle 
nous  avons  concouru  pour  \esCo///essio/is  et  la  Coirespo?idance, 
ainsi  que  nous  le  disons  avec  plus  de  détails  pages  xxx  et  xxxi 
(le  X Examen  des  Confessions,  tome  xiv  dt;  l'édition  Dupont. 

XXI.  OEuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau,  clas- 
sées dans  Un  nouvel  ordre ,  avec  des  notes  histo- 
riques et  des  éclaircissements,  par  Y.  D.  Miisset- 
Pathay.  Paris ,  chez  P.  Dupont^  1824,  22  vol.  in-8°. 

C'est  l'édition  à  laquelle  nous  avons  donné  tous  nos  soins. 
Les  notes  conservées  des  éditions  précédentes  sont  distinguées 


4'26  NOTICE   DES  ÉCRITS 

des  nôtres  par  un  astérisque.  Nous  avons,  en  l'augmentant-,  re- 
produit le  Précis  que  nous  avions  fait  pour  M.  Lequien  ;  enfin , 
nous  terminons  par  une  revue  dans  laquelle,  en  mettant  sous 
les  yeux  du  lecteur  les  observations  critiques  qti'on  nous  a 
faites,  nous  réparons  nos  erreius  ou  nos  omissions. 

XXIT.  OEuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau , 
classées  dans  un  nouvel  ordre,  avec  des  éclaircisse- 
ments et  des  notes  historiques.  Paris ,  M.  P.  R.  Aii- 
s^uis ^  2 5  vol.  in-8o,  chez  M.  Dalibon. 

Cinq  volumes  ont  été  publiés  au  moment  où  nous  éci'ivons. 
(  Novembre  1824.  ) 

La  première  livraison,  composée  du  i*"''  volume  de  \ Emile, 
est  précédée  d'un  Jvant-propos  ^ÏQjaê,  Auguis.  Cet  Avant-pro- 
pos offre  uu  mélanire  de  lambeaux  mal  cousus.  Ce  sont  des  ex- 
traits du  Cours  de  littérature  de  La  Harpe ,  et  de  l'Histoire  de 
J.  J.  Rousseau;  extraits  copiés  littéralement  et  tressésXe?,  uns 
dans  les  autres,  de  manière  que  la  série  des  idées  est  interrom- 
pue à  chaque  instant.  ■  ^    '^  ■ 

Les  cinq  volumes  qui  ont  paru,  contiennent  plusi^tirs  notes 
de  nous,  pas  une  seule  dvi  nouvel  éditeur.  La  partie  principale 
de  notre  travail  n'y  est  point  insérée  ;  et  s'il  est  vrai  que  quel- 
ques personnes  aient  compté  sur  ce  travail  en  souscrivant  à 
l'édition  de  M.  Dalibon,  elles  auront  été  trompées. 

III.  ECRITS      ^^*  '^*''  ^ 

RELATIFS. AUX  OUVRAGES  PARTICULIERS 
UE  .T.  .T.  ROUSSEAU. 

DISCOURS   QUI    A    REMPORTÉ    LE   PRIX  A    i/aCADÉMIE    DE    DIJON  , 
EN    1750. 

Réponse  au  Discours  qui  a  remporté  le  prix ,  etc. 
(par  Stanislas,  roi  de  Pologne ,  et  le  P.  de  Menoux , 
jésuite),  175 1  ,  in-8°. 


RELATIFS   A   J.  J.   ROUSSEAU.  4*^7 

Voyez,  dans  le  tome  xv,  p.  147  de  cette  édition,  les  observa- 
tions de  J.  J.  Rousseau  sur  cette  réponse. 

Réfutation  d'un  Discours  qui  a  remporté  le 
prix,  etc.,  par  M.  Gautier,  professeur  de  mathé- 
matiques et  d'histoire ,  dans  le  Mercure  d'oc- 
tohre  1751,  et  dans  les  anciennes  éditions  des 
OEuvres  diverses  de  J.  J.  Rousseau. 

Voyez,  dans  le  tome  i  de  cette  édition,  la  lettie  de  J .  J.  Rous- 
seau à  M.  Grimm,  sur  cette  réfutation. 

Discours  qui  a  remporté  le  prix  à  l'académie  de 
Dijon,  en  1750,  accompagné  de  la  Réfutation  de 
ce  Discours ,  par  un  académicien  de  Dijon  qui  lui  a 
refusé  son  suffrage ,  1 7-5 1  ,  in-8*'  de  1 3^  pages  à  deux 
colonnes,  et  dans  le  tome  i^""  du  Supplément  à  la 
collection  des  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau.  Ge- 
/zèp-e,  1782. 

Dans  Tune  de  ces  colonnes  est  le  discours  de  M.  Rousseau  : 
dans  l'autre  est  une  réfutation  de  ce  discours.  On  y  a  joint  des 
apostilles  critiques  ,  et  une  critique  de  la  réponse  faite  par 
M.  Rousseau  à  M.  Gautier.  Cet  académicien  de  Uijon  supposé, 
su  trouva  être  M.  Lecat ,  secrétaire  perpétuel  de  l'académie  de 
Rouen  ;  et  c'est  ce  qui  occasiona  le  désaveu  de  l'académie,  por- 
tant que  la  réfutation  était  un  ouvrage  pseudonyme.  Dans  les 
(observations  sur  le  désaveu  de  l'académie  de  Dijon ,  imprimées 
sous  le  titre  de  Londres,  chez  Kilmornek,  M.  Lecat  s'est  avoué 
l'auteur  de  la  Réfutation.  Ces  observations  se  trouvent  aussi 
dans  le  premier  volume  du  Supplément  aux  OEuvres  de  Rous- 
si!au,  1782.  Voyez ^  dans  le  tome  1  de  cette  édition,  la  Lettre 
tic  J.  J.  Rousseau  sur  la  Réfutation  de  son  Discours,  par  le  pré- 
tendu académicien  de  Dijon. 

Discours  sur  les  avantages  des  sciences  et  îles 


4^8  ISOTICE  DES   ÉCRITS 

arts,  prononcé  dans  l'assemblée  publique  de  l'a- 
cadémie des  sciences  et  belles-lettres  de  Lyon ,  le 
12  juin  1761,  (par  M.  Borde),  avec  la  réponse 
de  J.  J.  Rousseau.  Genève^  l'j^i^ïn-^^. 

Second  Discours  sur  les  avantages  des  sciences 
et  des  arts,  par  M.  B***  (Borde).  Avignon,  Girard, 
et  Lyon,  Aimé  de  la  Pioche,  lySS,  in-S". 

Discours  de  M.  Le  Roi,  professeur  de  rhéto- 
rique au  collège  du  cardinal  Lemoine ,  prononcé 
le  12  août  1761,  dans  les  écoles  de  Sorbonne,  en 
présence  de  MM.  du  parlement ,  à  l'occasion  de  la 
distribution  des  prix  fondés  dans  l'Université  ;  tra- 
duit en  français  par  M.  B***  (Boudet),  chanoine 
réguUer,  procureur  général  de  l'ordre  de  Saint- 
Antoine  ;  Des  avantages  que  les  lettres  procurent  a  la 
vertu,  dans  \e  Journal  économique  de  novembre  l'jSi  , 
et  dans  le  i*^*^  volume  du  Supplément  aux  Œuvres 
de  Rousseau,  1782. 

Recueil  de  toutes  les  pièces  qui  ont  été  publiées 
à  l'occasion  du  discours  de  J.  J.  Rousseau  sur  la 
question  proposée  par  l'académie  de  Dijon.  Gotha , 
chez  F.  Paul  Mévier ,  1763,  2  vol.  in-8°. 

Lettre  d'un  ermite  à  J.  J.Rousseau  (par  de  Bon- 
neval) ,  1753,  in-8^.  J'ojez  dans  la  Correspondance , 
la  Lettre  à  ]\L  Fréron. 

Examen  philosopliique  de  la  liaison  réelle  qu'il 
y  a  entre  les  sciences  et  les  mœurs ,  dans  lequel  on 
trouvera  la  solution  de  la  dispute  de  M.  J.  J.  Rous- 
seau avec  ses  adversaires  (par  Formey).  Avignon 
et  Paris ,  i']55,  in- 12  de  74  pages. 

Jean-Jacques  Rousseau  dévoilé,  ou  Réfutation 


RELATIFS  A  J-   J.   ROUSSEAU.  ^1C) 

de  son  discours  contre  les  sciences  et  les  lettres, 
par  M.  Tabbé  Aillaud.  Montaiéan^  1817,  in-S"*. 

LETTRE   SUR    LA    MUSIQUE   FRANÇAISE,    1753. 

Le  Petit  Prophète  de  Boehmischbroda  (par 
Grimm)  ,  i753.  in-8"  et  in-12;  dans  le  tome  ti 
des  OEiivres  de  M.  Rousseau,  recueillies  par 
l'abbé  de  La  Porte,  en  1764. 

On  le  trouve  aussi  dans  le  Supplément  à  la  Correspondance 
de  Grimm,  publié  en  181 4,  i  vol.  in-S". 

Apologie  de  la  Musique  française  ,  contre 
J.  J.  Rousseau,  par  l'abbé  Laugier.  1764,  in-8" 
et  in-12  ,  dans  le  tome  11  des  Œuvres  de  M.  Rous- 
seau. 

Lettre  sur  la  Musique  française,  en  réponse  à 
celle  de  J.  J,  Rousseau  (par  M.  Yso).  1754,  in-8**, 

Examen  de  la  Lettre  de  M.  Rousseau,  par  M.  R*** 
(Raton).  Pr/m,  1753,  in-S". 

Justification  de  la  Musique  française  (  par  M.  de 
Morand,  avocat).  Paris ^  ^754?  in-8^. 

Notice  de  quinze  autres  Écrits  contre  la  Lettre 
sur  la  Musique  française  ^  par  l'abbé  de  La  Porte, 
dans  le  tome  11  des  Œuvres  de  M.  Rousseau. 

DISCOURS  SUR  l'inégalité,  etc.  1754- 

Lettre  de  M.  D.  B"**  (  de  Béthisy  ) ,  à  madame*** , 
sup  l'ouvrage  de  J.  J.  Rousseau,  intitulé,  Dis^ 
cours  sur  l'origine^  etc.  Amsterdam^  i755,m-8°. 

Lettre  à  M.  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève, 
à  l'occasion  de  son  ouvrasse  intitulé ,  Discours  sur  Vo- 


43o  NOTICE  DES  ÉCRITS 

rigine^  .etc.,  (  par  l'abbé  Pilé,  prêtre  du  diocèse  de 
Paris,  vicaire  de  Saint-Germain-le-Vieux).  West- 
minster et  Paris,  17^5,  in- 12  de  76  pages. 

Lettre  pour  servir  de  réponse  au  Discours  de 
M.  Rousseau,  etc.;  par  M.  J.  N.  T.  J.  Genèt^e,  1766, 
in-80. 

Lettre  de  Philopolis,  citoyen  de  Genève  (Charles 
Bonnet),  au  sujet  du  Discours  de  J.  J.  Rousseau 
sur  l'origine,  etc.,  dans  le  Mercure  de  France  du 
mois  d'octobre  1756;  dans  les  OEuVres  de  l'au- 
teur,  t.  XXII  de  l'édition  in-8**,  1819-20. 

Voyez,  dans  le  tome  i  de  cette  édition,  la  lettre  de  Rous- 
seau à  M.  Philopolis. 

L'Homme  moral  opposé  à  l'Homme  physique 
de  M.  Rousseau  (par  le  P.  Castel ,  jésuite).  Tou- 
louse, I756,in-i2,  et  dans  le  29*  volume  des  Œu- 
vres de  Rousseau,  édition  de  1782. 

Réflexion.»  d'une  Provinciale  (madame  Belot, 
depuis,  madame  la  présidente  de  Menières),  sur 
le  Discours  de  M.  Rousseau,  touchant  l'origine  de 
l'Inégalité,  etc.  Londres ,  1766,  in-S**.  r^ 

Discours  sur  l'origine  des  Inégalités  parmi  les 
hommes ,  pour  servir  de  réponse  au  Discours  de 
M.  Rousseau,  citoyen  de  Genève;  par  M.  Jean  de 
C?iS\S[\on.  Amsterdam ,  1756,111-80. 

Lettre  à  M .  Rousseau ,  citoyen  de  Genève  ;  par 
M.  M*''*,  citoyen  de  Paris.  Paris,  1756,  in-12. 

Réflexions  sur  l'homme,  ou  Examen  raisonné 
du  Discours  de  M.  Rousseau ,  de  Genève ,  sur  l'o- 
rigine, etc.;  par  M.  Jean-Henri  Le  Rous  (Ourse!), 


RF.LA.TIFS  A   T.  J,  ROUSSEAU.  43» 

conseiller  du  roi  de  France.  Genève (^ Rouen,  Firet), 
1758,  in-i2. 

M.  Oursel  était  procureur  du  roi  à  Dieppe;  il  est  mort  le  12 
septembre  1814,  âgé  de  89  ans. 

Histoire  généalogique  du  philosophe  Ourseau 
(Rousseau),  ou  Critique  du  Z>/jcowrj- .f^^r/'on^/«e,  efc., 
(par  dom  Aubry.  bénédictin).  Genève  (Nancj), 
1768,  in-8". 

Discours  philosophiques  sur  l'Homme,  consi- 
déré relativement  à  l'état  de  nature  et  à  l'état  (le 
société  ,  par  le  P.  G...  B...  (le  P.  Gerdil ,  barnabite , 
depuis  cardinal).  Turin,  frère  Reycends ,  1769, 
in-8°. 

Ces  discours  sont  au  nombre  de  treize.  Quelques-uns  sont 
dirigés  contre  Hobbes ,  contre  Hume  ,  et  contre  Voltaire. 

Etudes  contenant  un  appel  au  public  lui-même 
du  jugement  du  public  sur  J.  J.  Rousseau  (par  le 
marquis  de  Brie  vSerrant).  Paris,  Guerbart^  an  xi, 
in-80. 

Cette  brochure,  assez  volumineuse,  contient  la  réfutation  de- 
là première  partie  du  Discours  sur  l'Inégalité. 

CONTRAT   SOCIAL,    1754- 

O^rande  aux  autels  et  à  la  patrie,  contenant  la 
défense  du  christianisme,  ou  Réfutation  du  Contrat 
social,  etc.  ;  par  Ant.-Jacques  Roustan.  Amsterdam^ 
1764,  in-8«. 

Anti- Contrat  social,  par  P.  L.  de  Bauclair,  ci- 
toyen du  monde.  La  Haie ,  1765,  in-12  ;  et  par  ex- 


43^  NOTICE  DES  ÉCRITS 

trait  dans  le  8"  volume  des  OEuvres.de  Rousseau, 
édition  de  l'abbé  de  La  Porte. 

Lettre  d'un  anonyme  (M.  Élie  Luzac),  à  M,  Jean- 
Jacques  Rousseau  (sur  le  Contrat  social).  Paris ^ 
Desaintet  Saillant  {^Hollande^,  1766,  in-8°  de  aSo 
pages. 

Observations  sur  le  Contrat  social  de  J.  J.  Rous- 
seau ,  par  le  P.  Berthier,  jésuite  (terminées  et  pu- 
bliées par  l'abbé  Bourdier-Delpuits,  ex -jésuite). 
Paris  ^  Mèrigot  le  jeune  ^  1789,  in- 12.  , 

De  la  Religion  publique  ,  ou  Réflexions  sur  un 
chapitre  du  Contrat  social  de  J.  J.  Rousseau  ;  par 
M.  Daunou ,  dans  le  Journal  Encyclopédique  de  fé- 
vrier 1790,  tome  i^"",  pag.  4^6,  et  tome  11,  pag.  98. 

Réimprimées  dans  X Esprit  des  Journaux,  avril  1790. 

Adresse  d'un  citoyen  très-actif  (par  M.  Ferrand, 
aujourd'hui  pair  de  France).  1790,  in-8°. 

L'auteur  a  voulu  prouver,  par  trente  et  un  passages  extraits 
du  Contr-at  social,  que  ce  code  de  la  liberté  condamnait  litté- 
ralement tous  les  décrets  de  l'Assemblée  nationale. 

Supplément  au  Contrat  social ,  par  Gudin.  Paris , 
1792,  in-8°  et  in-12. 

Principes  du  droit  politique  mis  en  opposition 
avec  ceux  de  Jean -Jacques  sur  le  Contrat  social 
(par  M.  Landes).  1794?  in- 12;  nouvelle  édition  , 
Paiis ,  1 80 1 ,  in-8°. 

Sur  le  sort  d'un  manuscrit  de  82  pages,  entière'- 
ment  écrit  de  la  main  de  J.  J.  Rousseau,  et  qu'il 
destinait  à  éclaircir  quelques  chapitres  du  Contrat 
social. 


RELATIFS   A  J.   .1.   ROUSSEAU.  433 

J.  J.  Rousseau  avait  remis  ce  manuscrit  à  M.  le  comte  d'En- 
traigues,  en  l'autorisant  à  en  faire  l'usage  qu'il  croirait  utile.  Le 
comte  d'Entraigues  paraît  avoir  détruit  ce  manuscrit,  après  l'a- 
voir communiqué  à  l'un  des  plus  vénérables  amis  de  J.  J.  Rous- 
seau. Voyez  la  note  du  comte  d'Entraigues  à  la  fin  de  sa  brochure 
intitulée ,  Quelle  est  la  situation  de  l'Assemblée  nationale  ? 
1790,  in- 8°  de  60  pages.  Note  rapportée  textuellement  dans 
cette  édition. 

NOUVELLE  HÉLOÏSE,    1766-1758. 

Des  Écrits  publiés  à  l'occasion  de  la  Nouvelle 
Héloïse  ;  par  Mercier ,  à  la  fin  du  4^  vol.  de  l'édi- 
tion de  Poinçot. 

Lettre  d'un  curé  à  M.  Rousseau.  Nancj  ^  1761. 
Lettre  d'un  militaire  à  l'auteur  de  la  Nouvelle 
Héloïse.  Bruxelles^  1761. 

La  Nouvelle  Héloïse  au  tombeau.  Cologne^  1761. 
Les  Amours  suisses  du  Pont-aux-Choux.  Genève , 
1762. 

Parallèle  du  Devin  du  village  et  de  la  Nouvelle 
Héloïse,  1762. 

Lettre  de  madame  de  Wolmar  à  l'auteur  de  la 
Nouvelle  Héloïse,  1762. 

Parallèle  de  Clarisse  et  de  la  Nouvelle  Héloïse. 
1763. 
Le  Jardin  de  Julie.  Lyon^  1763. 
Réclamations  de  Richardson.  Paris,  1765,  bro- 
chure de  20  pages. 

Prédiction  tirée  d'un  vieux  manuscrit  (par 
M.  "Borde);  i^<2/2J-  û'ff/'e  (  1761),  in-12  de  21  pages; 
et  in-8°  dans  les  OEuvres  de  l'auteur. 

C'est  à  tort  que  Mercier  attribue  à  Voltaire  cette  pièce  sati- 
R,  XXTI.  28 


/}34  NOTICE  DES   lîCRITS 

rique.  M.  Servan  la  fit  réimprimer  en  1783,  à  la  suite  de  ses 

Réflexions  sur  les  Confessions  de  J.  J.  Rousseau. 

Contre -prédiction  au  sujet  de  la  Nouvelle  Hé- 
loïse  (par  Charles  -  Joseph  Panckoucke),  dans  le 
Journal  Encyclopédique  du  mois  de  juin  1761. 

La  prédiction  avait  été  insérée  dans  le  mois  de  mai,  première 
partie  du  même  journal.  La  Contre-prédiction  a  reparu  sous  le 
titre  suivant  : 

Prédiction  faite  sur  l'auteur  de  la  Nouvelle  Hé- 
loïse  ,  par  un  anonyme  (C.  Panckouke) ,  à  la  fin  de 
la  Nouvelle  Héloïse ,  édition  de  Paris ,  chez  Duchesne^ 
1 764 ,  4  volumes  in- 1 2 . 

Voyez  la  France  littéraire  de  1 76g. 

Tja  Nouvelle  Héloïse  de  M.  J.  J.  Rousseau  mise 
en  couplets.  Paris  ^  1765 ,  in-12  de  i[\  pages. 

Lettres  sur  la  Nouvelle  Héloïse  de  J.  J.  Rousseau 
(  par  le  marquis  de  Ximenès ,  revues  par  Voltaire). 
1761  ,  in -8°.  Réimprimées  en  1762  et  en  1777  ,  à 
la  fin  de  la  Nouvelle  Héloïse. 

Lettre  de  M.  L.  à  M.  D.  sur  la  Nouvelle  Héloïse 
de  J.  J.  Rousseau,  de  Genève, Desinit  in piscem  mu- 
lierformosa  superne.  Genève,  1762  ,  in-8''. 

Correspondance  originale  et  inédite  de  J.  J.  Rous- 
seau avec  madame  Latour  de  Franqueville  et  M.  Du 
Peyrou.  Paris ,  Gi^uet  et  Michaud,  1 8o3 , 2  volumes 
in-S'',  et  trois  volumes  in- 18. 

L'Esprit  de  Julie,  ou  Extrait  de  la  Nouvelle  Hé- 
loïse, ouvrage  utile  à  la  société,  et  particulièrement 
à  la  jeunesse  ;  par  Pormey.  Berlin,  1760 ,  in-8'*. 

Lettre  de  JuHe  d'Étange  à  son  amant,  à  l'instant 


RELATIFS    .\  ,f.   J.  ROIISSEA.U.  435 

où  elle  va  épouser  Wolmar  ;  par  de  Vauvert.  Paris  ^ 
1772,  in-80. 

Saint-Preux  à  Wolmar  après  la  mort  de  Julie, 
ou  dernière  Lettre  du  roman  de  la  Nouvelle  Hé- 
loise  ;  par  Mercier.  1 764 ,  in- 1 2  ,  dans  le  Journal  des 
Dames  ;  réimprimée  à  la  fin  de  la  Nouvelle  Héloïse , 
de  l'édition  de  Poinrot. 

La  Nouvelle  Héloïse  dévoilée.  Bruxelles  et  Paris ^ 
1775,  in-i2. 

Jugement  sur  la  Nouvelle  Héloïse  ;  par  d'Alem- 
bert. 

Voyez  ses  Œuvres  posthumes.  Paris,  1800,  tom.  i,  pag.  121. 

Henriette  de  Wolmar,  ou  la  Mère  jalouse  de  sa 
fille,  pour  servir  de  suite  à  la  Nouvelle  Héloïse  (  par 
M.  Brument).  Paris ,  Delalain  ,  1 768  ,  in-i 2.  (Nou- 
velle édition)  Amsterdam,  ^111  ■>  in-8°. 

Les  Aventures  d'Edouard  Bomston ,  pour  servir 
de  suite  à  la  Nouvelle  Héloïse  (  traduites  de  l'alle- 
mand de  Fréd.-Aug.-Clément  Werthes).  Lausanne 
et  Paris ,  La  Fillette,  1789,  in-8'*  de  240  pages. 

M.  Ersch ,  dans  sa  France  lUtéraire ,  tome  111 ,  attribue  cette 
traduction  à  madame  de  Polier. 

LETTRE  A   i/aLEMBERT  SUR   LES   SPECTACLES,    1758. 

Article  Genève  de  l'Encyclopédie  ;  Profession  de 
foi  des  ministres  genevois,  avec  des  notes  d'un 
théologien  ;  Réponse  (de  M.  d'Alembert  )  à  la  Lettre 
de  M.  Rousseau,  citoyen  de  Genève.  Amsterdam, 
1769,  in-8°. 

28. 


436  NOTTCF.    DES  ÉCRITS 

Lettre  à  M.  Rousseau  sur  l'effet  moral  des  théâ- 
tres (par  le  marquis  de  Ximenès).  17 58,  in-8". 

P.  A.  Laval,  comédien,  à  M.  J.  J.  Rousseau,  ci- 
toyen de  Genève,  etc.  La  Haie^  i758,in-8". 

Dancourt,  arlequin  de  Berlin ,  à  M.  J.  J.  Rous- 
seau, citoyen  de  Genève.  Berlin  et  Amsterdam, 
1759,  in-8°. 

Lettre  à  M.  Rousseau  au  sujet  de  sa  lettre  à 
M.  d'ilembert;  par  M.  de  Bastide.  Paris ,  1758, 
in- 12  de  l\i  pages. 

Cette  lettre  fut,  suivant  M.  de  Bastide  lui-même,  l'effet  du 
sentiment  et  de  la  justice  que  l'auteur  rendait  aux  femmes  ou- 
tragées par  Rousseau  dans  la  sienne. 

Apologie  du  Théâtre,  par  Marmontel.  Paris, 
1761  ,  in-i2,  à  la  fin  du  second  volume  de  ses 
Contes  moraux. 

Considérations  sur  l'Art  du  théâtre.  D***  (  Dé- 
diées à  M.  J.  J.  Rousseau ,  citoyen  de  Genève ,  par 
Villaret).  Genèi^e,  1769,  in-T8°. 

Cette  brochure  a  aussi  paru  sous  ce  titre  :  Lettre  d'un  Eco- 
lier de  philosophie  à  M.  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève  et 
habitant  de  Montmorenci,  en  réponse  à  sa  Lettre  à  M.  d'A- 
lembert  sur  les  spectacles.  Genève  (  sans  date  ),  avec  permis- 
sion. 

Critique  d'un  livre  contre  les  Spectacles,  inti- 
tulé ,  J.  J.  Rousseau ,  citoyen  de  Genève ,  à  M.  d'A- 
lembert  (  par  le  marquis  de  Mezières  ).  Amsterdam 
et  Paris,  1760,  in-8°. 

Lettre  d'un  curé  du  diocèse  de  *^  (  M.  Secousse , 
curé  de  Saint-Eustache  à  Paris),  à  M.  M.  (  Mar- 


RELATIFS   A  J.  J.   ROUSSEAU.  4^7 

moiitel  ) ,  sur  son  Extrait  critique  de  la  lettre  de 
J.  J.  Rousseau  à  d'Alembert.  En  France  (  Paris  ) , 
1760  ,  in- 12. 

On  trouve  la  notice  de  quatre  des  écrits  précédents ,  dans  le 
iv*^  volume  des  Œuvres  de  M.  Rousseau,  édition  de  l'abbé  de 
La  Porte ,  qui  a  placé  dans  le  v®  volume  la  notice  de  la  bro- 
chure de  Marmontel. 

EMILE,    ou    DE   l'éducation,    1750-1769. 

Jugement  qu'ont  porté  du  livre  di  Emile  les  au- 
teurs du  Journal  de  Trévoux^  et  ceux  du  Journal  En- 
cyclopédique ,  dans  le  sixième  volume  des  OEuvres 
de  J.  J.  Rousseau,  édition  de  l'abbé  de  La  Porte. 

Des  Écrits  publiés  à  l'occasion  à' Emile  ^  par 
l'abbé  Brizard;  1792  ,  in-S'*,  dans  le  i4^  volume  de 
la  collection  des  OEuvres  de  Rousseau,  publiées 
par  le  libraire  Poinçot. 

Je  fais  connaître  ici  plusieurs  auteurs  que  l'abbé  Brizard  a 
laissés  sous  le  voile  de  l'anonyme. 

Mandement  portant  condamnation  d'un  livre 
qui  a  pour  titre,  Emile,  ou  de  V Education^  par 
j.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève.  Paris ,  1762, 
in-4''. 

J'ai  entendu ,  dans  ma  jeunesse ,  des  lazaristes  attribuer  la 
rédaction  de  ce  Mandement  à  M.  Brocquevielle,  leiu-  confrère, 
ancien  directeur  du  séminaire  de  Toul ,  depuis  curé  à  Ver- 
sailles. 

Censure  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  (ré- 
digée par  l'abbé  Le  Grand)  édition  latine  et  fran- 
çaise. P«m ,  1762.  —  La  même,  toute  française, 
in-8°.  —  La  même,  i  vol.  in-12. 


4'i8  JNOTICE    DES   ÉCRITS 

Observations  (  des  abbés  Gervaise  et  Le  Grand  ) 
sur  quelques  articles  de  la  censure  de  la  Faculté  de 
théologie  de  Paris  contre  le  livre  intitulé  Éinile^  etc., 
(  à  l'occasion  de  la  critique  du  gazetier  ecclésias- 
tique ).  1763,  in-4<*. 

Le  même  ouvrage,  sous  le  titre  de  Lettres  intéressantes  aux 
amis  de  la  -vérité,  1768  ,  in-12. 

Il  paraît  qu'il  y  a  dans  cet  ouvrage  deux  lettres  de  l'abbé 
Gervaise ,  et  six  de  l'abbé  Le  Grand. 

Arrêt  de  la  Cour  du  parlement  qui  condamne 
un  imprimé  ayant  pour  titre,  Emile,  etc.  Paris ^ 
i'jGq.  ,  in-4°- 

Lettre  à  M.  D***,  sur  le  livre  intitulé,  Emile ^  ou 
de  r Education  ,  par  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Ge- 
nève (attribuée  au  P.  Griffet j.  Amsterdam  et  Pa- 
ris,  Grange^  1762,  in-B*^  de  84  pages. 

Réfutation  du  nouvel  ouvrage  de  J.  J.  Rousseau, 
intitulé,  Emile ^  etc.,  (pardom  Déforis,  bénédic- 
tin ).  Paris ^  1762  ,  in-8*^. 

La  Divinité  de  la  religion  chrétienne,  vengée 
des  sophismes  de  J.  J.  Rousseau ,  seconde  partie 
de  la  réfutation  d'Emile.  Paris ^  1763,  in-12,  deux 
parties  :  la  première  est  de  M.  André  ,  bibliothé- 
caire de  M.  d'Aguesseau  ;  la  deuxième  est  de  D.  Dé- 
foris. 

Analyse  des  principes  de  J.  J.  Rousseau  (  dans 
son  Emile,  brochure  attribuée  à  ]M-.  Puget  de  Saint- 
Pierre).  La  Haie ,  1 763 ,  in-i  2. 

Réponse  aux  difficultés  proposées  contre  la  Re- 
ligion chrétienne,  par  J.  J.  Rousseau,  dans  TÉ- 


RELATIFS  A  J.   J.   ROUSSEAU.  4^9 

mile  et  le  Contrat  social  ;  par  l'abbé  François.  Pa- 
ris, 1765,  in-i2. 

Examen  approfondi  des  difficultés  de  J.  J.  Rous- 
seau contre  la  Religion  chrétienne  (par  l'abbé 
Malleville  ),  Paris,  1769,  in-12. 

Examen  de  la  Confession  de  foi  du  vicaire  sa- 
voyard, contenue  dans  Emile,  par  Ritaubé.  Berlin  , 
i763,in-8°. 

Examen  critique  de  la  seconde  partie  de  la  Con- 
fession de  foi  du  vicaire  savoyard,  par  M.  R.  (  Rous- 
tan).  Londres,  1776,  in-8°. 

Profession  de  foi  du  vicaire  chrétien ,  et  Tableau 
abrégé  du  Contrat  social ,  rédigés  l'un  et  l'autre 
par  Formey.  Berlin,  1764,  in-8°. 

Recueil  d'opuscules,  concernant  les  ouvrages  et 
les  sentiments  de  M.  J.  J.  Rousseau  sur  la  religion 
et  l'éducation.  A  La  Haie ,  1 760  ,  in-i  2  ,  deux  par- 
ties. 

On  trouve  dans  ce  recueil  des  lettres  de  M.  Vernes  sur  le 
christianisme  de  J.  J.  Rousseau,  d'autres  lettres  de  M.  Vernes, 
avec  les  réponses  de  Rousseau,  etc. 

Seconde  Lettre  d'un  anonyme  (  M.  Luzac  ) ,  à 
J.  J.  Rousseau  (sur  l'Emile).  Paris ,  Desaint  et  Sail- 
lant, 1767,  in-8°. 

Plagiats  de  M.  J.  J.  Rousseau  ,  de  Genève,  sur 
l'éducation ,  par  D.  C.  (Dom  Cajot  ).  La  Haie  et 
Paris ,  1766,  in-8°  et  in-12. 

Réflexions  sur  la  théorie  et  la  pratique  de  l'é- 
ducation contre  les  principes  de  M.  Rousseau,  par 
le  P.  G.  R.  (  le  P.  Gerdil ,  barbanite,  depuis  cardi- 


44<^>  I*fOTICE    DES  ÉCRITS 

nal).  Turin,  1763,  in-8";  et  dans  la  collection  des 
OEuvres  de  l'auteur ,  imprimées  a  Bologne  et  a  Rome. 

Lettre  à  J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève;  par 
J.  A.  Comparet.  Genèç'e ,  1762,  in-12  de  82  pages, 
contre  la  Profession  du  vicaire  savoyard. 

Lettre  à  M.  J,  J.  Rousseau ,  C.  de  Genève  ;  par 
M.  M***  (Marcel),  sous -directeur  des  plaisirs  et 
maître  de  danse  de  ,1a  cour  de  S.  A.  S.  monsei- 
gneur L.  D.  de  S.  G.  (le  duc  de  Saxe-Gotha)  1763, 
in  S°  de  20  pages. 

L'auteur  de  cette  Lettre  venge  la  mémoire  de  son  parent 
Marcel  contre  les  inculpations  de  l'auteur  d'Emile ,  dans  son 
premier  volume. 

Voyez  dans  la  Correspondance  une  lettre  de  J.  J.  Rousseau 
à  cet  auteur,  datée  de  Motiers  le  i*^"^  mars  1763. 

Le  Miroir  fidèle,  ou  Entretiens  d'Ariste  et  de 
Philindre ,  avec  un  plan  abrégé  d'éducation  op- 
posé aux  principes  du  citoyen  de  Genève;  par 
M.  le  chevalier  de  C.  de  La  B.  (de  Chiniac  de  La 
BaisXide).  Paris  y  1766,  in- 12. 

Sentiments  de  reconnaissance  d'une  mère,  adres- 
sés à  l'ombre  de  Rousseau ,  citoyen  de  Genève 
(par  madame  Panckoucke).  Dans  les  OEuvfes  de 
Rousseau  ,  supplément  formant  le  tome  x  des 
OEuvres  diverses,  Neufchâtel  (  Paris),,  ^119i  hi- 12; 
et  à  la  suite  du  Discours  sur  l'amitié ,  par  M.  Cou- 
ret  de  Villeneuve.  Orléans ,,  1783,  in-18. 

Jugement  sur  Emile ,  par  d'Alembert.  Voyez  ses 
OEuvres  posthumes ,,  tome  i,page  127. 

Sur  l'Emile  de  J.  J.  Rousseau,  20  pages  in-8°  ; 


RELATIFS  A  J.   J.   ROUSSEAU.  44' 

par  M.  Fiévée ,  dans  le  troisième  volume  du  Spec- 
Uiteiir  Français. 

Quelques  Réflexions  philosophiques  etmédicales 
sur  l'Emile ,  communiquées  à  l'une  des  séances 
littéraires  du  Ljcée  républicain;  par  J.  L.  Moreau, 
de  la  Sarthe,  médecin  et  professeur  d'hygiène  au 
Lycée.  1800,  in-S"  ,  dans  \di  Décade  pliilosopliique  ^ 
tome  XXV ,  page  449- 

Le  même  opuscule  sous  ce  titre  : 

Sur  quelques  Erreurs  de  J.  J.  Rousseau ,  touchant 
l'éducation  physique;  par  J.  L.  Moreau,  de  la 
Sarthe  ;  in  8**,  dans  le  Spectateur  du  Nord.,  du  mois 
de  septembre  1800. 

Réfutation  d'une  opinion  de  J.  J.  Rousseau  sur 
les  Fables  de  La  Fontaine  (par  M.  Petitain),  dans 
\^  Décade  philosophique.,  diunée,  i8o3,  tom.  xxxvui, 
page  526;  et  dans  le  11^  volume  de  l'édition  in-8° 
1819-20,  de  M.  Petitain. 

Anti-Emile,  par  Formey.  Berlin.,  1763,  in- 12. 

Emile  chrétien,  consacré  à  l'utilité  publique; 
par  Formey  et  un  anonyme.  Berlin  (Amsterdam)., 
J.  Nêaulme.,  17645  4  volumes  in-8°. 

Principes  de  J.  J.  Rousseau  sur  l'éducation  des 
enfants.  Paris,  Auhrj,  an  1 1  de  la  république  fran- 
çaise (  1793),  in-i8. 

Traités  sur  l'Education ,  pour  servir  de  supplé- 
ment à  l'Emile  de  J.  J.  Rousseau.  Neufchdtel,  1770, 
2  V.  in-12. 

C'est  un  recueil  de  plusieurs  morceaux  sur  l  éducation,  tiré 
de  ï Encyclopédie ,  in-folio. 


44^  NOTICE  DES  ECRITS 

Emile  chrétien ,  ou  de  l'Education  ;  par  M.  C*** 
de  Leveson,  Paris,  1764,  '^  vol  in- 12. 

Théorie  de  J.  J.  Rousseau  sur  l'Education ,  cor- 
rigée et  réduite  en  pratique,  par  Philippe  Sérane, 
Toulouse,  Robert^  i  y 74^  in-i  2  ;  ou  avec  un  nouveau 
frontispice  ,  Toulouse,  1775,  deux  parties  in- 12. 
—  Nouvelle  édition,  revue.  P«r/.f,  I787,in-i2,  sous 
ce  titre  :  Théorie  de  V Éducation  ^  etc. 

L'Emile  réalisé ,  ou  Plan  d'éducation  générale  ; 
par  le  citoyen  Fèvre  du  Grand- Vaux.  Paris  ^  Îyvlq.- 
tidor  an  III  (1795),  in-S^».  , 

Réimprimé  à  Corfou  le  1*^'  nivôse  an  vu  (1799),  grand  in-8° 
de  3i  pages,  troisième  édition  ,  dans  les  Mélanges  de  l'auleur. 
Paris,  an  x  (  1802  ) ,  in-S". 

Nouvel  Emile ,  ou  Conseils  donnés  à  une  mère 
sur  l'éducation  de  ses  enfants  ;  par  P.  Cavaye,  d'Ar- 
fons,  département  du  Tarn.  Castres ,  Rodier ,  an  v 
de  la  république  (  1797) ,  in-12. 

L'auteur  cite  deux  passages  de  V  Emile  de  Jean-Jacques , 
sans  nommer  l'ouvrage  ni  l'auteur. 

Le  Nouvel  Emile,  ou  l'Histoire  véritable  de  l'é- 
ducation d'un  jeune  seigneur  français,  expatrié 
par  la  révolution  française  ;  par  un  ancien  profes- 
seur à  l'université  de  Paris  (M.  de  La  Noue  ).  Be- 
sançon,  i8i4,  4  ^^^-  petit  in-12. 

De  l'Éducation  ,  ou  Emile  corrigé ,  par  M.  Biret. 
Paris ,  1817,2  vol.  in-12. 

Emile,  ou  de  l'Éducation,  par  J.  J.  Rousseau,  nou- 
velle édition ,  à  l'usage  de  la  jeunesse ,  avec  des  re- 
tranchements ,  des  notes  ,  et  une  préface ,  par  ma- 


RELATIFS   A   J.   J.    ROUSSEAU.  44^ 

dame  la  comtesse  de  Genlïs,  Paris,  1820,  3  vol. 

LETTRE  A  M.  DE  BEAUMONT ,  I762. 

Analyse  de  la  lettre  de  J.  J.  Rousseau  à  M.  l'ar- 
chevêque de  Paris ,  par  le  P.  Didier ,  récollet. 
Avignon,  1764,  in- 12. 

Lettre  de  l'Homme  civil  à  l'Homme  sauvage 
(par  M.  Marin  ).  Paris,  1763,  in- 12. 

Lettres  (  de  l'abbé  Yvôn  )  à  M.  Rousseau ,  pour 
servir  de  réponse  à  sa  lettre  contre  le  Mandement 
de  M.  l'archevêque  de  Paris.  Jmsterdam,  Marc- 
Michel  Rej ,  [  763,  in  8°  de  370  pages. 

L'auteur  devait  publier  quinze  lettres  ;  il  n'en  a  donné  que 
deux. 

J.  J.  Rousseau ,  citoyen  de  Genève  (  ou  plutôt 
M.  de  La  Croix,  de  Toulouse) ,  à  Jean-François  de 
Montillet,  archevêque  et  seigneur  d'Auch....  Neuf- 
chdtel ,  1 764 ,  in- 1 2 . 

Préservatif  pour  les  Fidèles  contre  les  sophismes 
et  les  impiétés  des  incrédules,  avec  unp  réponse 
à  la  lettre  de  J.  J.  Rousseau  à  M.  de  Reaumont 
(par  D.  Déforis,  bénédictin).  Paris,  1764,  in-  12. 

LETTRES    DE    LA   MONTAGNE,    I764. 

Représentations  des  citoyens  et  bourgeois  de 
Genève  au  premier  syndic  de  cette  république, 
avec  les  réponses  du  Conseil  à  ces  représentations. 
1763,  in-80. 

Sentiments  des  citoyens  (par  Voltaire);  sans  date  y 
8  pages  in-80. 


444  NOTICE  DES  ÉCRITS 

Réimpiùmés  sous  le  titre  de  Réponse  aux  Lettres  écrites  de 
la  montagne.  Genève  et  Paiis,  1763,  in-8°. 

J.  J.  Rousseau  avait  d'abord  attribué  ce  morceau  à  son  ami 
Vernes,  qui  a  protesté  n'en  être  pas  l'auteur.  D'ailleurs,  M.  Du 
Peyrou,  ami  de  J.  J.  Rousseau,  et  M.  Wagnière,  secrétaire  de 
Voltaire,  ont  certifié  que  Voltaire  était  le  véritable  auteur  des 
Sentiments  des  citoyens. 

Lettres  écrites  de  la  campagne  (par  J,  R.  Tron- 
chin),  proche  Genève,  1765,  in-8°  et  in-12. 

Réponse  aux  Lettres  écrites  de  la  campagne  , 
avec  une  addition  (par  d'Ivernois);  sans  indication 
de  lieu,  17 64 7  in-80. 

Lettres  populaires,  où  l'on  examine  la  Réponse 
aux  Lettres  écrites  de  la  campagne  (par  Tronchin)  ; 
sans  indication  de  lieu ,  in-S*'. 

Réponse  aux  Lettres  populaires,  1765  et  1766; 
deux  parties  in-8° ,  avec  une  suite. 

Lettres  écrites  de  la  plaine  (par  l'abbé  Sigorgne), 
Paris ^  1765,  in-12. 

Remarques  d'un  ministre  de  l'Evangile,  sur  la 
troisième  des  Lettres  écrites  de  la  montagne  par 
M.  J.  J.  Ç-Ousseau;  sans  indication  de  lieu^  1766, 
in-80  de  160  pages. 

Considérations  sur  les  Miracles  de  l'Evangile , 
pour  servir  de  réponse  aux  difficultés  de  J.  J.  Rous- 
seau dans  sa  troisième  Lettre  écrite  de  la  montagne; 
par  D.  Claparède.  Genèi^e  ,  1766,  in-8°. 

Examen  de  ce  qui  concerne  le  Christianisme ,  la 
Réformation  évangélique,  et  les  Ministres  de  Ge- 
nève, dans  les  deux  premières  lettres  de  J.  J.  Rous- 
seau ,  écrites  de  la  montagne  ;  par  Vernes.  Genhç'ey 
1765,  in-S". 


RELA.TIFS   A   T,   J.   ROUSSEAU.  l\f\^) 

LES   CONFESSIONS,    I766-I767. 

Discours  sur  les  Confessions  de  J.  J.  Rousseau , 
par  M.  Delon.  Nîmes,  1783,  in-8°. 

Observations  et  Anecdotes  relatives  à  la  vie ,  aux 
ouvrages ,  et  particulièrement  aux  Confessions  de 
J.  J.  Rousseau;  par  M.  de  Servan.  La  Haie ^  1783, 
in- 1 2 . 

Réimprimées  sous  le  titre  suivant  : 

Réflexions  sur  les  Confessions  de  J.  J.  Rousseau. 
Lausanne ^  1783,  in-12.  On  trouve  à  la  suite  de  ces 
Réflexions  la  Profession  de  foi  philosophique  et  la 
Prédiction  tirée  d'un  vieux  manuscrit  de  M.  Rorde. 

J.  J.  à  M.  S''**  (Servan) ,  sur  des  réflexions  contre 
ses  derniers  écrits.  Lettre  pseudonyme  (par  la  mar- 
quise de  Saint -Chamond).  Genève,  1784,  in-12 
de  75  pages. 

J.  J.  Rousseau  justifié,  ou  Réponse  à  M.  Servan  , 
par  François  Chas ,  avocat.  Neufchâtel,  1784,  in-12. 

Mémoires  de  madame  de  Warens  et  de  Claude 
Anet ,  pour  servir  de  suite  aux  Confessions  de 
J.  J.  Rousseau  (composés ,  les  premiers ,  par  M.  Dop- 
pet ,  alors  médecin ,  depuis  général ,  mort  en  1 800  ; 
et  les  seconds,  par  son  frère  l'avocat).  Chamhérj 
et  Paris  ^  1786,  in-8''  (publiés  à  Paris  par  Hugou  de 
Rasville). 

Réflexions  philosophiques  et  impartiales  sur 
J.  J.  Rousseau  et  madame  de  Warens  (par  M.  Chas). 
Genève^  1786,  in-8°,  et  dans  le  28"^  vol.  du  Rous- 
seau de  Poinçot. 

Ce  n'esl,  pour  ainsi  dire,  qu'une  nouvelle  édition  de  la  Ré- 


446  ROTICF   DES   ÉCRITS 

ponse  à  M.  Servan.  Elles  ont  été  reproduites  en  1787  sous  le 
titre  de  Réflexions ,  etc.,  nouvelle  édition,  augmentée  de  quel- 
ques Lettres  sur  les  protestants ,  et  des  maximes  quon  trouva 
inscrites  sur  sa  porte  (  pendant  son  séjour  à  Bourgoin  en  Dau- 
phiné  ). 

Vintzenried,  ou  les  Mémoires  du  chevalier  de 
Courtille ,  pour  servir  de  suite  aux  Mémoires  de 
madame  de  Warens,  à  ceux  de  Claude  Anet,  et 
aux  Confessions  de  J.  J.  Rousseau  ;  (  par  Doppet  ). 
Paris ^  1789,  in-ros. 

Lettre  sur  quelques  passages  des  Confessions  de 
J.  J.  Rousseau;  par  Cérutti;  in-4°,  dans  le  Journal 
de  Paris ,  supplément  au  1  décembre  1 789 ,  et  dans 
V Esprit  des  Journaux^  janvier  J790. 

On  trouve  une  partie  de  cette  lettre  dans  la  Correspondance 
de  Grimm,  troisième  partie,  tome  v,  page  336.  Cérutti  prend  la 
défense  du  baron  d'Holbach,  et  raconte,  d'après  M.  d'Holbach, 
les  mystifications  que  sa  société  fit  essuyer  à  im  M.  Petit,  curé 
de  Mont-Chauvet ,  en  Basse-Normandie. 

On  lit  dans  la  Correspondance  de  Grimm ,  première  partie , 
tome  I,  pages  4o4  et  suivantes,  de  plus  grands  détails  sur  le 
curé  Petit. 

Lettres  sur  les  Confessions  de  J.  J.  Rousseau  ; 
par  M.  Ginguené.  Paris  ^  Barrois  aîné ,  1791  -.  in-8**. 

On  en  ti'ouve  un  long  extrait  dans  le  tome  xxii  de  l'édition 
in-S"  1819  —  20. 

Réfutation  des  Lettres  précédentes  ;  par  M.  de 
La  Harpe  ,  dans  le  Mercure  de  France ,  1 79-:)  ;  dans 
le  nouveau  Supplément  au  Cours  de  Littérature. 
Paris,  chez  Barrois  rainé  y  et  chez  Pelicier^  18 18, 


RELATIFS   A.  J.    J.    ROUSSEAU.  447 

in-8*^  ;  et  en  e^rande  partie  dans  le  tome  xxii  de 
Tédition  in-8°  1819  — 10. 

Notice  sur  la  Vie  et  les  ouvrasses  de  madame 
d'Épinay,  par  le  baron  de  Grimm.  Voyez  sa  Cor- 
respondance, troisième  partie,  tome  11,  page  291. 

Mémoires  et  Correspondance  de  madame  d'Épi- 
nay. Paris,  Brunet,  1818,  3  vol.  in-8".  —  1^  édition, 
augmentée  de  quatre  lettres.  Paris,  Volland,  18 18, 
3  vol.  in-S**. — 3®  édition ,  semblable  à  la  seconde. 
Paris,  18 19. 

Anecdotes  inédites,  pour  faire  suite  aux  Mé- 
moires de  madame  d'Épinay,  précédées  de  l'Examen 
de  ces  Mémoires  (par  M.  Musset-Pathay).  Paris^ 
Baudouin  frères  ^  i8i8,in-8°de  ti5  pages. 


FIN   DE   LA    NOTICE 


REVUE 

ANALYTIQUE  ET  CRITIQUE 
DE  CETTE  ÉDITION. 


R.  XXII. 


^9 


REVUE 

ANALYTIQUE  ET  CRITIQUE 
DE  CETTE  ÉDITION. 


"Notre  travail,  comme  éditeur,  se  compose  de  la  méthode 
adoptée  pour  classer  les  OEuvres  de  Rousseau,  de  notices  sur 
chacun  des  principaux  ouvrages,  dénotes,  de  rapprochements, 
et  d'observations  ;  enfin  d'un  précis  des  circonstances  de  la  vie 
de  Jean- Jacques,  depuis  le  moment  où  se  terminent  ses  Con- 
fessions jusqu'à  sa  mort.  Tout,  dans  ce  travail ,  est  relatif  à  sa 
personne  ou  à  ses  ouvrages.  H  n'ost  aucune  des  principales 
productions  de  Rousseau  qui  n'ait,  dès  sa  naissance,  fait  époque, 
et  causé  dans  la  société  une  impi'ession  vive  et  profonde.  Son 
jjremier  Discours  souleva  contre  lui  la  république  des  lettres  ; 
le  second  fixa  l'attention  des  gouvernements;  le  troisième  (lettre 
à  d'Aleuibert)  le  sépara  des  philosophes;  le  quatrième  ouvrage, 
fruit  d'une  imagination  exaltée,  attendu  avec  impatience,  fut  lu 
avec  avidité;  le  cinquième  arma  l'autorité  civile  et  religieuse, 
et  fit  proscrire  l'auteur;  le  sixième  le  força  de  s'expatrier  en- 
core. Il  était  donc  utile  de  rappeler  les  circonstances  qui  ac- 
compagnèrent ou  suivirent  la  publication  de  chacun  de  ces  ou- 
viages  ;  mais  il  fallait  classer  ces  productions  immortelles,  et 
il  n'était  rien  moins  que  facile  de  le  faire,  parce  qu'en  prenant 
la  plume  l'auteur  ne  s'est  point  proposé  d'écrire  dans  l'un  des 
genres  déterminés  ou  indiqués  dans  les  cours  de  littérature. 
Aussi  la  plus  célèbre  de  ses  pioductions ,  Emile ,   n'est  pas 
susceptible  d'être  placée  dans  une   des  divisions  admises  ou 
prescrites  par  nos  maîtres.  Dans  ses  principaux  écrits ,  Rous- 

29. 


452  REVUli   ANALYTIQUE 

seau  s'est  toujours  proposé  un  but  moral  et  philosophique;  et 
la  Irgislation  littéraire,  s'il  m'est  permis  de  m'exprimcr  ainsi, 
en  faisant  remarquer  que  c'est  la  seule  dont  il  ait  secoué  le 
joug,  ne  fut  qu'un  instrument  docile,  un  moyen  d'arriver  à  ce 
but. 

L'ordre  que  nous  avions  adopté,  soit  dans  l'édition  in- 12 
(  20  volumes,  1820  ),  soit  dans  la  partie  de  V Histoire  de  J.  J. 
Rousseau  coviStdiCX^^  à  celle  de  ses  ouvrages  (tom.  11,  pag.  BSa) , 
avait  des  inconvénients  que  nous  ne  dissimulâmes  point.  Ne 
songeant  qu'aux  classifications  littéraires,  et  nous  croyant  obli- 
gés de  ne  pas  nous  en  écarter,  nous  nous  en  rapprochâmes  le 
plus  possible,  en  faisant  sentir  qu'aucune  ne  pouvait  être  suivie 
avec  précision.  Depuis,  eu  y  réfléchissant,  nous  avons  vu  que 
si  nous  faisions  plus  d'attention  à  l'objet  que  se  proposait  Rous- 
seau, (ju'à  la  fomie  sous  laquelle  il  le  présentait,  nous  pour- 
rions adopter  et  proposer  une  classification  exacte  et  rigoureuse, 
simple,  et  facile  à  retenir,  au  moyen  de  laquelle  on  pourrait 
trouver  en  im  instant  la  production  qu'on  cherchait.  De  là  les 
quatre  divisions  iiidiquées, Philosophie,  Littérature,  Beaux- 
Arts  ,  et  Histoire.  Cette  distribution  n'a  point  été  critiquée 
dans  les  observations  que  nous  avons  reçues,  et  que  nous  al- 
lons reproduire  à  mesure  que  l'occasion  s'en  présentera. 

La  première  est  relative  à  la  préface,  et  plus  particulière- 
ment aux  devoirs  d'éditeur,  et  à  la  note  sur  Erasme. 

'<  Je  n'aime  pas  les  notes,  nous  dit  le  critique  \  Celle  que 
vous  avez  mise  au  bas  de  la  page  v  pouvait  passer  avec  avan- 
tage dans  le  texte.  Érasme,  passablement  ennemi  des  moines, 
a  été  en  effet  un  grand  éditeur ,  parce  qu'il  a  comparé  avec 
soin  le  texte  des  différents  manuscrits  du  même  ouvrage;  parce 
qu'il  a  fait  preuve  de  beaucoup  de  discernement  et  d'une  sage 
critique  dans  le  choix  des  leçons  du  même  passage  ;  parce  qu'en- 
fin, ayant  étudié  les  lois,  les  mœurs,  les  usages  et  l'histoire 
avec  une  constance  admirable  ,  il  a  donné ,  sur  des  points  im- 
portants, des  éclaircissements  fort  utiles  aux  éditeurs  qu'il  a 

I  Ses  observations  sont  signées  des  lettres  initiales  L.  A.  M.  D,  M.  Il  est  l'au- 
teur du  fragment  (jue  nous  citons  p.  xii  de  la  préface  du  premier  vohime. 


iST  CRITlQrTIE.  4^^ 

précédés  ,  et  qui  sont  accoutumés  depuis  Iong-teni{js  à  profiter 
de  son  travail  sans  lui  témoigner  aucune  reconnaissance. 

«  Lorsque  les  monopoleurs  de  science ,  d'érudition ,  de  bel 
esprit  et  de  religion,  ad praxim  societatls,  publiaient  le  Diction 
naire  de  Trévoux,  il  y  avait  encore  bien  peu  d'ouvrages  mo- 
dernes dignes  d'être  imprimés  avec  commentaires,  notes,  éclau-- 
cissements,  et  toutes  les  précautions  d'une  critique  bienveillante. 
Les  auteurs  de  nos  bons  ouvrages  allemands,  italiens,  anglais 
ou  français  vivaient  encore;  ils  étaient  en  butte  aux  persécu- 
tions ouvertes  ou  cachées  de  ces  hommes  qui,  descendant  de 
leurs  tristes  cellules  pour  régenter,  prêcher,  diriger,  intriguer, 
ad  majorem  gloriani,  se  servaient  des  imprimeurs  qu'ils  entre- 
tenaient à  Trévoux,  pour  bien  établir  que  nul  n'aura  d'esprit 
que  nous  et  nos  amis.  Il  n'est  point  question  dans  leur  diction- 
naire des  éditeurs  modernes  ;  mais  examinez  ce  qui  a  été  fait 
sous  leur  direction  pour  les  Mémoires  de  Sully,  pour  un  des 
discours  de  l'abbé  Fleuri ,  pour  un  petit  livre  du  professeur 
L'Homond ,  etc. 

«  Érasme  a  été  éditeur  distingué ,  mais  ce  n'est  pas  le  seul 
qui,  en  publiant  les  ouvrages  des  anciens,  fait  preuve  d'érudi- 
tion, de  goût,  de  discernement,  d'amour  du  vrai;  et  entre  les 
savants  qui  ont  donné  des  éditions  des  auteurs  modernes,  vous 
auriez  pu  citer  avec  avantage  les  éditeurs  des  ouvrages  de 
Descartes;  ceux  de  l'Histoire  du  président  de  Thou;  celui  des 
Lettres  du  cardinal  d'Ossat  (  Ameîot  de  La  Houssaye  )  ;  celui 
de  l'Histoire  bizantine,  etc'. 

«  L'Angleterre  a  ett  des  éditeurs  qui  savaient /»/«^  que  lire, 
tels  que  Guillaume  Warburton,  qui  a  donné  tous  ses  soins  à  la 
réimpression  des  oeuvres  de  Shakespeare. 

«  En  Italie,  les  académies  ont  attentivement  surveillé  les  ré- 
impressions des  poèmes  du  Tasse,  de  ceux  de  l'Arioste,  et  des 
poésies  de  Pétrarque.  Le  docte  Muratori  a  été  un  éditeur  très- 
distingué  de  pièces  utiles  à  l'histoire  moderne.  L'vUlemagnc, 

»  Si  le  critique  avait  poursuivi  cette  énumération ,  il  serait  arrivé  aux  temps 
où  nous  vivons,  et  n'aurait  pas  oublié  le  nouvel  éditeur  de  Descartes  et  de  Pla- 
ton, le  savant  Cousin;  ni  l'éditeur  de  Bayle,  Beuchot,  dont  le  travail  complète 
le  dictionnaire  du  plus  célèbre  des  critiques,  ni.....; 


454  llKVLlli  ANALYTIQUE 

enfin  doit  à  plusieurs  de  ses  plus  illustres  savants  des  collec- 
tions non  moins  précieuses  que  celles  dont  la  France  est  rede- 
vable à  Mabillon ,  Martenne ,  et  autres. 

«  Si,  au  lieu  de  surcharger  votre  préface  d'une  note  assez 
peu  utile',  vous  aviez  voulu  déduire  les  devoirs  d'un  éditeur, 
il  vous  eût  été  facile  de  le  faire ,  d'après  le  peu  que  je  viens 
d'écrire  ;  et  vous  réparei^ez  sans  doute  cette  omission  dans  la 
revue  que  vous  promettez.  ■^>  Nous  ne  pouvions  mieux  le  faire 
qu'en  rapportant  textuellement  les  observations  du  critique.  Il 
blâme  encore  plus  la  note  de  la  page  xiv  (  toujours  de  la  pré- 
face ) ,  sur  Voltaire,  que  celle  dont  Érasme  était  l'objet.  «  Poui- 
quoi,  me  dit-il,  évoquer  dans  cette  maudite  note  les  harpies 
que  Grimm,  d'Hoibach,  Diderot  et  d'Alembert  avaient  cachées 
dans  la  robe  de  chambre  du  vieux  malade  de  Ferney?  elles 
sont  si  hideuses  !  Il  faut  que  votre  observation  soit  plus  déve- 
loppée dans  le  texte,  à  la  page  xxix,  après  le  paragraphe  com- 
mençant par  ces  mots  :  Arrêtons  -  nous  un  moment  sur  l'in- 
fluence, etc. 

«  Un  magistrat ,  plein  de  candeur  et  de  probité ,  s'entretient 
avec  Voltaire,  bien  jeune  encore,  des  maux  que,  sous  prétexte 
de  religion,  des  princes  ambitieux,  des  pi'étres,  et  des  associa- 
tions soi-disant  religieuses,  ont  faits  à  la  France.  Ce  magistrat, 
instruit  des  intrigues  de  la  Ligue  et  de  celles  de  la  Fronde ,  a 
vu  les  malheurs  produits  par  la  politique  astucieuse  qui  pro- 
nonça la  révocation  de  l'édit  promulgué  à  Nantes  par  la  recon- 
naissance d'un  roi  généreux  et  magnanime.  Ses  récits  inspirent 
au  jeune  poète  mie  profonde  indignation  contre  l'hypoci'isie.  Il 
emploie  son  admirable  talent  à  la  combattre,  à  faire  connaître 
combien  elle  est  odieuse,  redoutable,  surtout  lorsque  obsédant 
les  rois,  les  magistrats,  elle  les  contraint  de  venger  les  injures 
qu'elle  suppose  faites  au  ciel  dont  elle  se  joue.  Mais  ce  fut  avec 
l'arme  du  ridicule  que  Voltaire  attaqua  les  persécuteurs  et  les 
hypocrites.  Il  abusa  de  cette  arme,  qu'il  maniait  avec  tant  d'a- 
vantage. Plus  tard ,  aigri  par  des  critiques  de  mauvaise  foi , 

»  Ma  pauvre  uote  u"a  qus  quatre  ligues  ;  mais  le  critique  veut  qu'on  soit  très- 
sobre  de  uotes.  l'eut-ùtre  a-t-il  raisou  ! 


ET  CRITIQUE.  4^5 

fuyant  de  perfides  ennemis,  il  accueillit  avec  trop  de  complai- 
sance les  rapports  indiscrets  et  souvent  calomnieux  de  flatteurs 
qui  le  proclamèrent  leur  patriarche.  Le  respect  dû  à  sa  vieil- 
lesse en  fut  atténué  ;  mais  nous  relisons  toujours  avec  recon- 
naissance les  beaux  ouvrages  que  lui  dictèrent  le  noble  amour 
de  la  gloire,  le  mépris  des  fanatiques,  et  la  haine  des  persécu- 
teurs. Par  ces  écrits,  il  exerça  sur  les  esprits  un  grand  pouvoir. 
Remarquons  cependant  qu'il  s'attache  moins  à  instruire  qu'à 
plaire  ;  il  frappe  avec  force  plutôt  qu'avec  justesse  ;  il  séduit 
plus  qu'il  ne  persuade,  et  blesse  plus  qu'il  ne  corrige.  » 

L'auteur  de  ces  réflexions  aurait  désiré  que  nous  les  eussions 
faites.  Nous  n'en  contestons  point  la  justesse  ;  nous  ajouterons 
même  que  Voltaire  mérite  encore  d'autres  éloges,  et  Rousseau 
n'en  est  point  avare  envers  lui.  Mais  nous  ne  pouvions  nous 
dispenser,  nous,  de  les  considérer  dans  les  rapports  qu'ils  eu- 
rent entre  eux ,  et  c'est  avec  peine  que  nous  a  oyons  d'un  côté 
le  respect ,  l'admiration,  les  égards,  et  de  l'autre  du  persiflage, 
des  injures  et  de  la  grossièreté. 

Passons  aux  ouvrages  de  Rousseau.  Il  en  est  sur  lesquels  il 
a  donné,  dans  sa  Correspondance,  quelques  explications,  soit 
parce  qu'on  les  lui  demandait ,  soit  parce  qu'il  s'aperçut  qu'il 
avait  été  ou  mal  compris  ou  mal  interprété.  Nous  avons  cru 
que  l'indication  de  ces  lettres  pourrait  être  utile. 

§  I.  PHILOSOPHIE. 

Les  ouvrages  qui  appartiennent  à  cette  division  sont  con- 
tenus dans  les  sept  premiers  volumes.  En  voici  l'énumération. 

Tome  L  —  DISCOURS,  I.  —  Sur  cette  question,  si  le  rétablisse- 
ment des  sciences  et  des  arts  a  contribué  à  épurer  les  moeurs  !  Page  i 
Notice  sur  ce  discours ,  où  l'on  fait  voir  que  Rousseau  n'écouta 
que  sa  propre  impulsion  dans  le  parti  qu'il  prit.  3 

Lettre  de  l'abbé  Raynal.  47 

Dans  cette  lettre,  Rousseau  répond  à  de  premières  observa- 
lions  faites  sur  son  Discours. 

Lettre  à  M.  Grimm  sur  la  réfutation  de  M.  Gautier.  Sa 


456  REVUE  ANALYTIQUE 

RÉPONSE  du  roi  de  Pologne  au  discours  de  Rousseau.  Page  6g 
.    Motifs  pour  lesquels  cette  Réponse  est  insérée.  70 

RÉPONSE  au  roi  de  Pologne.  88 

RÉPONSE  à  M.  Bordes.  ia4 

Lettre  de  J.  J.  Rousseau  sur  une  nouvelle  réfutation  de  son 

Discours.  16  3^ 

RÉstJMÉ  de  la  querelle.  171 

Avis  de  l'éditeur.  173 

Discours  ii.  Sur  cette  question  proposée  par  l'académie  de  Dijon  ; 

Quelle  est  l'origine  de  V inégalité  parmi  les  hommes ,  et  si  elle  est 

autorisée  par  la  loi  naturelle  ?  197 

Notice  sur  ce  Discours  et  sur  la  cause  présumée  qui  fit  adjuger 

la  couronne  à  un  autre.  .  199 

Dédicace  à  la  république  de  Genève.  20 1 

Il  faut  lire  dans  la  lettre  lxxv''  de  la  Correspondance ,  les 
motifs  pour  lesquels  Rousseau  dédia  ce  Discours  au  gouver- 
nement de  sa  patrie. 

Préface.  a  i  5 

Notes.  819 

Lettre  de  J.  J.  Rousseau  à  M.  Philopolis.  867 

C'est-à-dire  à  Charles  BoiiSet,  qui  avait  pris  ce  nom  pour 
critiquer  Rousseau. 

Discours  III.  Sur  celte  question  proposée  en  1751  par  l'académie 
de  Corse  :  Quelle  est  la  vertu  la  plus  nécessaire  aux  héros,  et  quels 
sont  les  héros  à  qui  cette  i^ertu  a  manqué?  3(J9 

Renseignements  sur  ce  discours.  871 

Oraison  funèbre  de  S.  A.  S.  monseigneur  le  duc  d'Orléans , 
premier  prince  du  sang  de  France.  3g  i 

Circonstance  singulière  à  l'occasion  de  laquelle  ce  Discours  fut 
composé.  ibid. 

Il  était  difficile  de  classer  cette  Oraison  funèbre.  Le  premier 
volume  contenant  les  Discours  à  la  îo\s  académiques  et  philo- 
sophiques,  nous  l'avons  placée  ù  leur  suite,  parce  que  c'est  la 
forme  académique  dont  elle  se  rapproche  le  plus. 

toME  II.  —  DISCOURS  PHILOSOPHIQUES,  II.  —  Motifs  pour 
lesquels  lès  pièces  conten!!'='S  dnns  ce  volhrrie  doivent  être  consj- 


Jîï'  CRITIQUÉ.  4^7 

dérées  comme  de  véritables  discours  philosophi(jues ,  quoiqu'elles 
aient  reçu  de  l'auteur  un  autre  titre.  l^^gs  i 

J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève,  à  M.  d'Alembert  membre  de 

l'académie.  ibid. 

RÉPossE  à  une  lettre  anonyme.  194 

Lettre  de  d'Alembert  à  M.  J.  J.  Rousseau.  198 

Apologie  du  théâtre  (par  Marniontel).  247 

Du  GouvERKEMEMT  de  GenèVe.  35 7 

Extrait  des  registres  de  la  vénérable  compagnie  des  pasteurs  et 

professeurs  de  l'Église  et  de  l'académie  de  Genève.  877 

Pour  connaître  la  discussion,  il  fallait  rapporter,  1°  les  ré- 
ponses qne  firent  d'Alembert  et  Marniontel  à  J.  J.  Rousseau, 
qui  tie  répliqua  point  parce  qu'il  n'avait  point  été  réfuté  ;  2°  l'ar- 
ticle qui  faisait  l'objet  de  la  discussion  ;  3''  enfin,  la  déclaration 
juridique  du  seul  tribunal  compétent. 

De  l'imitation  tliéàtrale  ;  essai.  385 

Essai  sur  l'origine  des  langues.  /^iS 

Tomes  IIl  et  IV.  —  EMILE  ,  ou  DE  L'ÉDUCATION,  I  et  II, 

Dans  Yaiis  qui  précède  ce  bel  ouvrage,  nous  rappelons  le 
but  que  se  proposa  l'auteur,  l'effet  qu'il  produisit,  les  diverses 
condamnations  des  autorités  civiles  et  religieuses ,  en  un  mot , 
toutes  les  circonstances  relatives  à  l'histoire  de  Y  Emile. 

La  lecture  de  cet  ouvrage  devrait  toujours  être  suivie  ou  ac- 
compagnée de  celle  des  lettres  dans  lesquelles  Rousseau  mo- 
difie ses  principes,  ou  leur  donne  un  développement  qui  le 
justifie  des  reproches  qu'on  lui  a  faits,  et  montre  l'application 
que  ces  principes  devaient  recevoir  an  lieu  de  celle  qu'on  leur 
a  donnée.  Voici  l'indication  de  quelques-unes  : 

Les  lettres  au  prince  de  Wirtemberg,  des  10  novembre  1763 , 
tome  XX,  page  64  ;  i5  décembre  suivant,  page  89;  21  janvier 
1764,  page  io3  ;  i5  avril  suivant,  page  i35. 

Celles  à  M.  l'abbé  de***,  tomexx,  pages  80,  100;  à  M.  àc 
Saint-Brisson ,  page  178. 

Celles  des  9,  27  février  et  1 4  mars  i  770,  adressées  à  un  ano- 
nyme; du  17  janvier  1770,  à  madame  B... ,  etc; 


458  REVUE  ANALYTIQUE 

Deiix  observations  nous  ont  été  adressées  :  la  première  est 
relative  à  la  note  smr  Du  Bellay,  sieur  de  Langey,  page  164  du 
11^  volume  A' Emile.  «Il  y  a  eu,  dit  le  critique,  plusieurs  Du 
Bellay  qui  ont  possédé  la  terre  de  Langey  :  j'aurais  voulu  trou- 
ver à  la  note  le  prénom  de  celui  dont  il  est  fait  mention.  »  Il 
est  facile  de  réparer  cette  omission.  Ce  Du  Bellay,  plus  connu 
sous  le  nom  de  Langey,  s'appelait  Guillaume.  Il  est  dit  dans  la 
note  qu'il  fut  mauvais  courtisan  ;  on  en  jugera  par  ce  passage 
d'un  auteur  contemporain  :  «  Il  ne  sait,  dit- il,  ni  quand  le  roi 
«  se  lève,  ni  quand  il  se  couche;  mais  il  sait  bien  où  sont  les 
"  ennemis.  «  On  est  bien  obligé  de  convenir  que  Langey  n'ét.\it 
pas  un  homme  de  cour,  et  qu'il  en  ignorait  les  premiers  élé- 
ments. Heureusement  François  I"  ne  faisait  pas  consister  le 
mérite  dans  cette  science. 

La  seconde  observation  a  pour  objet  la  suite  de  X Emile  et  la 
lettre  du  professeur  Prévost  ^  page  543)-  «  Je  ue  sais,  dit  le 
critique,  si  la  Sophie  telle  que  M.  Prévost  croit  l'avoir  connue, 
aurait  obtenu  du  vivant  de  J.  J.  Rousseau  un  grand  succès  ; 
mais  les  deux  lettres  qui  précèdent  celle  du  professeur  de  Ge- 
nève prouvent  que  cette  admirable  faculté  dont  3Iallebranche 
se  défiait  et  dont  il  était  si  bien  servi,  l'imagination,  ne  s'affai- 
blissait point  par  les  profondes  méditations  chez  l'auteur  du 
Contrat  social.  Ces  deux  lettres  et  le  précis  de  la  troisième  at- 
testent encore  l'impression  qu'avaient  faite  sur  Rousseau  les 
romans  du  marquis  d'Urfé,  ceux  de  mademoiselle  de  Scudéii , 
de  La  Calprenède ,  de  Gomberville ,  et  autres.  Dans  tous  ces 
écrits,  à  présent  oubliés,  vous  trouverez  les  fontaines  où  les 
amants  vont ,  dans  les  tourments  de  la  jalousie  ,  faire  des 
épreuves;  les  temples  où  ils  se  réconcilient;  les  corsaires  qui 
les  réduisent  en  esclavage;  les  illustres  princes  qui  les  délivrent  ; 
les  druides ,  les  derviches,  les  vieillai'ds  qui  les  consolent ,  et 
l'hymen  qui  les  endort.  « 

Les  combinaisons  romanesques  étant  toutes  épuisées  depuis 
long-temps,  il  devenait  impossible  de  placer  les  personnages 
mis  en  action  dans  des  situations  nouvelles;  aussi  le  mérite  a- 
t-il  été  dans  l'expression  des  sentiments,  dans  le  langage,  dans 


ET  CRITIQUE.  4^9 

les  maximes,  dans  les  principes,  dans  la  morale  enfin  des  ac- 
teurs ,  et  non  dans  la  nouveauté  des  positions.  Une  grande  ca- 
tastrophe pouvait  seule  en  inventer  d'inconnues.  Elle  a  sur- 
passé par  ses  affreuses  réalités  toutes  les  fictions  de  l'imagina- 
tion la  plus  déréglée  ;  mais  en  même  temps  elle  a  rendu  à  notre 
curiosité,  tenue  si  long-temps  éveillée,  une  insatiable  avidité. 

T(  ME  V.—  POLITIQUE. 

Ce  volume  contient  tous  les  écrits  de  Rousseau  sur  Vart  de 
goui'crner.  Nous  commençons  par  celui  qui  expose  les  Eléments 
de  l'économie  politique.  Dans  l'avis  qui  le  piécède,  nous  ren- 
dons compte  de  l'ordre  que  nous  avons  suivi  et  des  motifs  que 
nous  avons  eus. 

Discours  sur  l'cconomie  politique.  Page  i 

Contrat  SOCIAL.  64 

Il  serait  nécessaire,  pour  bien  connaître  et  les  intentions  et 
l'opinion  de  l'auteur,  de  lire  avec  cet  ouvrage  les  lettres  où 
Rousseau  explique  ou  modifie  sa  doctrine.  Ce  sont  plus  spécia- 
lement celle  à  M.  Usteri,  en  date  du  1 5  juillet  1 763  (  tome  xx , 
page  Ba  ) ,  et  les  i*^^  et  vi*  des  Lettres  éciites  de  la  montagne , 
dans  le  vi^  volume. 

A  la  suite  du  Contrat  socicd  est  une  note  de  M.  d'Antragues.   a4i 

Cet  ancien  député ,  possesseur  d'un  manuscrit  que  lui  avait 
remis  Rousseau,  qui  s'était  proposé  Séclaircir  quelques  cha- 
pitres du  Contrat  social,  a  détruit  ce  manuscrit,  poussé  par  un 
zèle  mal  entendu  ,  et  d'après  des  motifs  dont  nous  faisons  voir 
(  page  24  T ,  note)  le  peu  de  fondement. 

CoNSinÉRATiOKS  sur  le  gouvernement  de  Pologne,  et  sur  sa  réfor- 
mation projetée  en  avril  1772.  243 
Notice  préliminaire.  a 45 
Lettres  à  M.  Butta-Fuoco  sur  la  législation  de  la  Corse.  Z^-j 
Origine  de  ces  lettres  ,  note.  ibid. 
Extrait  du  Projet  de  paix  perpétuel!'^  de  M.  l'ahbé  de  Saint- 
Pierre.  4o3 


46o  REVUE   ANALYTIQUE 

Pbojet  de  paix  perpétuelle.  Page  4aB 

Jugement  sur  la  paix  perpétuelle.  445 

PoLYSYNODiE  de  l'abbé  de  Saint-Pierre.  460 

Jugement  sur  la  Polj'^synodie.  485 

Rousseau  entre  dans  des  détails  intéi'essants  sur  lesouvraj^cs 
de  l'abbé  de  Saint-Pierre,  sur  le  but  qu'on  se  proposait  par 
ces  extraits;  enfin  sur  les  considérations  qui  l'empêchèrent  d'a- 
chever cette  entreprise.  Voyez  tome  xv,  page  21 3. 

Tome  VI.  —  LETTRES  ÉCRITES  DE  LA  MONTAGNE.  — D<- 

fense  des  ouvrages  philosophiques   condamnés  par  les  autorités 
civiles  et  religieuses;  c'est-à-dire  cV Emile  et  du  Contrat  suciul. 
Notice  sur  la  lettre  à  Christophe  de  Beauinont.  t 

Mandement  de  monseigneur  l'archevêque  de  Paris.  3 

J.  J.  Rousseau  à  Christophe  de  Beaumont.  uS 

Lettkes  écrites  de  La  Montagne.  j'\(i 

Histoire  de  ces  lettres.  i/jy 

Constitution  de  Genève.  i5f) 

Tome  VI.  —  BOTANIQUE. 

Ce  volume  contient  tous  les  écrits  de  Rousseau  sur  la  bota 
nique.  Nous  en  possédons  un  qui  n'a  jamais  été  imprimé  :  il 
fera  partie  des  pièces  inédites  que  nous  publiei'ons  incessam- 
ment. 

Les  Lettres  de  Rousseau  sur  la  botanique,  adressées  ;\  ma- 
dame Delessert,  laissaient,  par  leur  petit  nombre  et  leur  peu 
d'étendue,  des  regrets  d'autant  plus  vifs  qu'ils  étaient  en  raison 
du  plaisir  que  causait  la  lecture  de  ces  lettres.  Rousseau,  pas^ 
sionné  pour  Linnée,  avait  eu  l'intention  de  les  continuer,  et  d'y 
adapter  le  système  du  célèbre  botaniste.  Un  professeur  anglais 
a  eu  l'heureuse  idée  d'exécuter  ce  projet  :  son  travail  a  élc 
traduit  dans  notre  langue.  Nous  l'insérons  à  la  suite  de  celui 
de  Jean- Jacques,  qui,  grâce  à  ce  supplément,  présente  un 
ensemble  complet  sur  le  plus  ingénievix  des  systèmes  de  bi>- 
tanique. 

Voici  l'indication  des  pièces  contenues  dans  ce  voltune. 

AvESTrSSEMEBT.  7 


ET  ClilTIQlii:.  4'h 

Lettbes  Éi.ÉMEKT\iuKssur  la  botanique ,  adressées  à  madame  De- 
lessert.  Page  9 

Lettre  sur  le  format  desheibiers,  à  M.  de  Maleslierbes.  72 

Lettre  sur  les  mousses,  au  même.  80 

Lettres  à  madame  la  duchesse  de  Portland.  85 

Lettre  à  M.  Du  Peyrou.  120 

Lettre  à  M.  Liotard.  laa 

Lettres  adressées  à  M.  de  La  Tourette.  12$ 

Lettre  à  M.  l'abbé  de  Pramont.  i53 

Fragmeat  pour  un  dictionnaire  des  termes  d'usage  en  bota- 
nique. 167 
Introduction.  i58 
Dictionnaire.  ifiy 
Lettres  élémentaires  sur  la  botanique,  par  M.  Marlyn.      227 

§  II.  LITTÉRATURE. 

Tome  VIIL  — JULIE  ,  ou  LA  NOUVELLE  HÉLOISE ,  L  — No, 

TicE  sur  cet  ouvrage.  i 

Julie,  ou  L\  Nouvelle  Héloïse,  ou  Lettres  de  deux   amants, 

habitauts  d'une  petite  ville  aux  pieds  des  Alpes.  i 

Ire  Préface  de  Rousseau.  3 

IF  Préface.  8 

Julie.  V^  Partie,  27 

IF  Partie.  267 

UF  Partie,  448 

Tome  IX.  —  JULIE ,  ou  LA  NOUVELLE  HÉLOîSE ,  IL 

Il  faut  lire,  page  2^7  et  suivantes  du  xv^  volume  de  cette 
édition ,  et  page  3  et  suivantes  du  xvi^,  des  détails  sur  cet  ou- 
vrage ;  Jean-Jacques  en  parle  souvent  dans  sa  Correspondance, 
notamment  dans  les  lettres  du  tome  xix,  pages  i38,  i53,  i55, 
iGo,  175,  176,  178,  i85,  etc. 

Au  nombre  des  pièces  inédites  dont  nous  formons  un  vo- 
lume, est  une  correspondance  de  Rousseau  sur  la  Nouvelle  Hé- 
loïxe  avec  M.  de  Maleslierbes,  qui,  par  intérêt  pour  l'auteur, 
voulait  lui  faire  retrancher  ou  modifier  plusieurs  passages  de 


46^  REVUE   ANALYTIQUE 

ce  roman.  L'énergie  avec  laquelle  Rousseau  les  défend  tous, 
plaisait  à  rillustrc  magistrat,  et  fait  son  éloge. 

Tome  X.  —  MÉLANGES. 

Dans  ce  volume  sont  réunis  tous  les  écrits  qui  n'appartien- 
nent à  aucun  genre,  ou  qui  sont  en  trop  petit  nombre  pour  en 
former  un.  Il  est  divisé  en  trois  parties,  consacrées,  la  pre- 
mière à  la  prose,  la  seconde  aux  essais  de  comédie,  et  la  troi- 
sième ZlWH.  poésies  diverses. 

Avis  dans  lequel  nous  rendons   compte  des  motifs  de  cette  divi- 
sion. .  Page  I 

L    MÉLANGES    EN    PROSE. 

MÉMOIRE  à  S.  E.  monseigneur  le  gouverneur  de  Savoie.  3 

Note  sur  ce  gouverneur,  que  Rousseau  ne  désigne  pas.    ibid. 

Traduction  de  l'Ode  de  Jean  Puthad.  8 

NOTE  historique.  ibid. 

RÉPONSE  au  Mémoire  anonyme.  i4 

Projet  pour  l'éducation  de  M.  de  Sainte-Marie.  26 

Notes  et  rapprochements.  26  et  34 

MÉMOIRE  à  M.  Boudet.  5  2 

Le  Persiflehr.  58 

Note  sur  ce  journal.  ibid. 

Traduction  du  premier  livre  de  l'histoire  de  Tacite.  69 

Avertissement  de  Rousseau.  70 

Note.  7 1 

Traduction  de  l'Apocolokintosis  de  Sénèque.  146 

La  Reine  fantasque,  conte.  16S 

Origine  et  date  de  ce  conte ,  (  note  ).  ibid. 

Réfutation  du  livre  de  Y  Esprit.  187 

Eclaircissement,  (  note  ).  ibid. 

Le  Lévite  d'Ephraïm.  200 

Lettres  a  Sara.  3a5 

Avertissement.  226 

Note  sur  la  date  de  ces  lettres.  227 

Vision  de  Pierre  de  la  montagne.  a 38 

Note  sur  cette  plaisanterie.  ibid. 

Olxnde  et  Sophronie,  248 


ET  CRITIQUF..  4^^ 

II.     PIÈCFS     PE     THÉÂTRE. 

Narcisse,  comédie  en  prose.  Page  263 

Préface.  a  65 

Les  Prisonniers  de  guerre  ,  «omédie  en  prose.  3 23 

Note  sur  l'époque  où  cette  pièce  fut  composée.  BaS 

L'Engagement  téméraire.  353 

Avertissement  de  Rousseau.  354 

Note  sur  cette  comédie.  355 

Courts  Fragments  de  Lucrèce.  4o5 

Note  sur  ces  Fragments.  4^7 

III.    POÉSIE.S    DIVERSES. 

Le  Verger  des  Charmettes-  4^3 

Avertissement.  4^1 

Note.  4 '-3 

Virelai.  4^0 

Fragment  d'une  Épître  à  M.  Bordes.  43 1 

Vers  pour  madame  de  Fleurieu.  433 

Épître  à  M  Bordes.                                ^  434 

Épîtbe  à  M.  Parisot.                                ^  438 

L'allée  de  Sylvie.  448 

Epître  à  M.  de  L'Etang.  4^3 

Imitation  libre  d'une  chanSon  de  Métastase.  4^7 

Énigme.  460 

Vers  à  mademoiselle  Théodore.  ibid. 

Epitaphe-  462 

Strophes  ajoutées  à  une  Idylle  de  Gresset.  ibid. 

Vers  sur  la  femme.  4^4 

Bouquet  d'un  enfant  h  sa  mère.  ibid- 

Inscription  mise  au  bas  du  portrait  de  Frédéric.  465 

Quatrain  à  madame  Dupin.  ibid. 

Quatrain  pour  son  portrait.  466 

§  III.  BEAUX-ARTS. 

Tome  XI.  —  ÉCRITS  SUR  LA  MUSIQUE. 

Tous  les  éditeurs  qui  nous  ont  précédés  ont  classé  les  com- 
positions do  Rousseau,  faites  pour  être  accompagnées  de  mu- 
sique, telles  que  le  Dewi  du  village,  Pygmalion,  etc.,  soit  dans 


4<34  hp:vue  analytique 

une  division  à  laquelle  ils  ont  donné  le  nom  de  Théâtre,  soit 
dans  les  Mélanges  ;  nous  avons  ci  u  qu'elles  devaient  faire  par- 
tie des  Ecrits  sur  la  musique.  Jean- Jacques  avait  fait  un  pi'ojet 
de  nouveaux  signes  pour  la  musique.  Trouvant  quelque  ana- 
logie entre  ce  système  et  la  méthode  de  M.  Galin,  inventeur  du 
méloplaste,  nous  vîmes  ce  dernier  à  ce  sujet.  Nous  rendons 
compte  des  éclaircissements  que  nous  avons  obtenus  de  M.  de 
Geslin ,  et  nous  publions  la  notice  intéressante  qu'il  a  faite  à 
notre  prière. 

Cette  notice,  les  motifs  de  notre  nouvelle  classification  des 
Ecrits  sur  Lu  musique.,  l'énumération  des  OEuvres  musicales  de 
Rousseau ,  sont  compris  sous  le  titre  à'Aicrtissement,  pages  i 
à  XVI. 

Projet  concernant  de  nouveaux  signes  pour  la  musique.   Page  3 

Dissertation  sur  la  musique  modei-iie.  1 8 

Préface.  2 1 

Lettre  sur  la  musique  française.  i45 

Lettre  d'un  syniplioniste.  2o5 

ExAMEK  de  deux  pri^Ajpes  avancés  par  M.  Rameau.  219 

Lettre  à  M.  Buriiey  sur  la  musique.                        '  246 

Fragments  d'observations  sur  l'Alceste  de  Gluck.  260 

Extrait  d'une  réponse  du  petit  faiseur.  286 

Sun  la  musique  militaire.  292 

Airs.  ayS 

Airs  de  clocîics.  296 

Lettre  à  M.  Grimm.  298 

Fragments  d'Iphis  ,  tragédie  lyrique.  3a i 

La  Découverte  du  Nouveau-Monde,  tragédie  lyrique.  333 

Les  Muses  Galantes,  ballet.  36 1 

Le  Devin  du  village,  pastorale.  397 

Pygmalion  ,  scène  lyrique.  418 

Romances  et  airs  détachés.  43i 

Le  Rosier.  ibid. 

Air  de  trois  notes.  4^3 

Rondeau.  4^4 

Romance  de  Roger.  4^6 

Romance  d'Alexis.  4^7 

Tomes  XII  et  XIII.  —  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE,  I  et  U. 


ET  CRITIQUE.  4^5 

§  TV.  HISTOIRE. 

Tome  XIV.  —  CONFESSIONS,  I. 

Cette  dernière  division  contient  tous  les  écrits  de  Rousseau 
relatifs  soit  à  sa  pi'opre  histoire,  soit  à  celle  de  ses  ouvrages. 
Elle  occupe  les  neuf  derniers  volumes,  et  se  sous-divise  en  Mé- 
moires et  Correspondance.  Quatre  sont  consacrés  aux  Mémoires ^ 
et  cinq  à  la  Correspondance . 

Sous  le  titre  de  Mémoires  nous  comprenons,  i"  les  Confes- 
sions, et  2°  les  Dialogues,  ou  Rousseau  juge  de  Jean-Jacques; 
production  singulière  d'une  imagination  malade ,  mais  dont  le 
mal  a  sa  source  dans  un  motif  louable  en  lui-même,  et  qui  n'est 
blâmable  que  par  son  excès ,  l'amour  de  l'estime  des  hommes  ; 
d'où  l'amertume  des  regrets  quand  on  croit  ne  pas  la  posséder, 
quoiqu'on  ait  tout  fait  pour  la  mériter.  Rousseau  crut  que  ses 
ennemis  la  lui  avaient  fait  perdre,  et  ce  fut  son  erreur.  Il  en  fut 
affecté  au  point  d'en  avoir  la  raison  troublée. 

Ce  volume  se  compose  des  six  pi'emiers  livres  des  Confes- 
sions,  qui  renferment  les  événements  de  la  vie  de  Rousseau 
depuis  17 12,  époque  de  sa  naissance,  jusqu'à  l'année  1741  » 
qu'il  vint  à  Paris  avec  le  projet  de  se  fixer  dans  cette  capitale. 

Cet  ouvrage  est  précédé  de  \ Examen  des  Confessions  et  des 
critiques  qu'on  en  a  faites. 

Tome  XV.  —  CONFESSIONS,  II. 

Contient  lesvii,  VIII,  IX  et  x*' livres,  depuis  1 741  jusqu'eni76o. 

Tome  XVI.  —  CONFESSIONS ,  III. 

Contenant  les  xi  et  xii*^  livres ,  depuis  1761  jusqu'en  1 765  ; 
les  trois  derniers  paragraphes  fuient  faits  en  1 770  pour  la  com- 
tesse d'Egmont,  le  prince  de  Pignatelli,  la  marquise  de  Mesmes, 
et  le  marquis  de  Juigné,  rassemblés  tous  les  quatre  pour  en- 
tendre la  lecture  des  Confessions, 

Les  Confessions  sont  immédiatement  suivies, 

1°  De  la  DÉCLARATION  de  J.  J.  Rousseau  relative  à  M.  le  pasteur 
Vernes.  Page      18  3. 

R.    XXII.  3o 


466  REVUE   ANALYTIQUE 

a°  Des  Quatre  lettres  à  M.  de  Malesherbes,  contenant  le  vrai 
tableau  de  mon  caractère ,  et  les  vrais  motifs  de  toute  ma  con- 
duite. Page     a33 
3°  Des  RÊVERIES  du  promeneur  solitaire.  26,1 
Nous  les  faisons  précéder  d'une  discussion  sur  le  reproche 
fait  à  Rousseau  par  l'avocat  général  Servan ,  relativement  à 
M.  Bovier.  Le  fait  est  raconté  dans  la  vii^  promenade.  Nous 
avons  laissé,  page  388,  une  note  d'une  des  éditions  antérieures 
à  celle-ci. 

4°  Ecrits  en  forme  de  circulaire  :  ce  sont, 

DÉcx\RATioif  sur  l'impression  de  ses  ouvrages.  43i 

A  Tout  Français  aimant  encore  la  justice  et  la  vérité.       4^3 

MÉMOIRE  écrit  en  février  1777.  436 

Les  Confessions  n'étant  point  achevées,  il  était  naturel  de 

désirer  de  connaître  les  événements  dont  Rousseau  ne  parle 

point  dans  cet  ouvrage.  C'est  pour  satisfaire  à  ce  désir  que  nous 

avons  fait  un  Précis  des  circonstances  de  sa  vie,  omises  dans  ses 

Confessions ,  page  4 4 3. 

Tome  XVIL—  DL^LOGUES.—  ROUSSEAU  JUGE  DE  JEAN- 
JACQUES. 
Du  sujet  et  de  la  forme  de  cet  écrit.  3 

Dialogues.  9 

Histoire  du  précédent  écrit.  453 

Tome   XVIIL  —  CORRESPONDANCE,    I.  De    1732   à    1768, 

époque  de  sa  sortie  de  l'Hennitage. 

Les  lettres  de  Rousseau  ont  été  long-temps  réimprimées  sans 
aucun  ordre,  parce  qu'un  grand  nombre  était  ou  sans  date,  ou 
sans  indication  du  millésime  '.  Il  fallait,  pour  y  suppléer  et  réta- 
blir avec  certitude  l'ordre  chronologique,  examiner  le  contenu 
de  chaque  lettre,  et,  d'après  les  faits  ou  les  circonstances  qui  y 
sont  contenus,  chercher  une  date.  C'est  une  partie  du  travail 
auquel  nous  nous  sommes  livrés. 

Ce  désordre  qui  existait,  avant  l'édition  de  M.  Belin,  dans  la 

j  L'éditeur  de  M.  Belin  (édition  compacte,  8  vol.  in-8B  1817)^1  le  premier 
qui  ait  présenté  les  lettres  de  Rousseau ,  dans  un  ordre  chronologique.  Il  a,  dans 
son  travail  très-estimable ,  commis  quelques  erreurs  qu'on  ne  pouvait  éviter  que 
par  une  étude  spéciale  de  la  vie  de  Jean-Jacques. 


ET  CRITIQUE,  4^7 

correspondance  de  Jean-Jacques,  en  rendait  la  lecture  moins 
instructive,  et  l'on  peut  dire  qu'à  l'exception  de  quelques  lettres 
elle  était  peu  connue. 

Pour  leur  rendre  l'intérêt  qu'elles  ont,  ou  plutôt  pour  le  faire 
sentir,  il  était  nécessaire  de  les  lier  à  l'histoire  ou  de  la  per- 
sonne, ou  des  ouvrages  de  l'auteur.  De  là  notre  division  en  cinq 
grandes  époques,  prises  dans  le  changement  arrivé,  soit  à  la  des- 
tinée ,  soit  à  la  position  do  Rousseau. 

Il  nous  a  paru  nécessaire  de  faire  des  recherches  dans  les 
correspondances  les  plus  connues,  pour  connaître  les  conditions 
exigées  pour  leur  publication,  afin  de  savoir  si  les  lettres  de 
Jean-Jacques  remplissaient  toutes  ces  conditions.  C'est  l'objet 
de  nos  Observations  sur  les  correspondances  en  général,  qui 
précèdent  celles  de  Rousseau.  Mais  en  parcourant  les  plus  con- 
nues et  les  plus  dignes  de  l'être,  nous  avons  fait  une  omission, 
ou  plutôt  un  oubli  d'autant  plus  inconcevable  que  la  corres- 
pondance dont  il  est  question  est  souvent  consultée  ou  lue  par 
nous.  C'est  celle  du  caustique  Guy-Patin.  Cette  faute  n'a  point 
échappé  à  notre  critique,  et  pour  la  réparer,  nous  allons  le 
laisser  parler. 

«  Assurément,  nous  dit -il  dans  une  lettre  du  i6  octobre 
1824,  je  ne  vous  reproche  point  de  n'avoir  pas  fait  une  énu- 
mération  plus  étendue  de  ceux  de  nos  auteurs  anciens  et  mo- 
dernes dont  les  correspondances  ont  été  conservées  ou  impri- 
mées. Fallait-il  donc,  après  avoir  parlé  de  Geoffroy  de  Vendôme, 
rappeler  le  sotivenir  d'Abailard  et  d'Héloïse  ?  On  vous  eût  dit  : 
Qui  de  nous  a  oublié  l'abbesse  du  Paraclet,  le  chanoine  Ful- 
bert, etledialecticien  dont  saint  Bernard  fit  condamner  quelques 
opinions?  Vous  savez,  monsieur,  qu'on  trouve  des  anecdotes 
intéressantes  dans  les  Lettres  d'Ildebert  ou  Hildebert,  mort 
archevêque  de  Tours  en  ii34  ;  mais  où  vous  conduirait  la  re- 
cherche exacte  de  toutes  les  correspondances  des  écrivains  des 
xi%  xii^  et  xiii^  siècles?  Elles  sont  insérées  dans  les  volumi- 
neuses collections  de  Martenne  et  Durand,  Mabillon,  et  autres. 
Je  ne  demanderai  point  qu'après  nous  avoir  entretenus  du  car- 
dinal d'Ossat ,  vous  fassiez  mention  des  lettres  de  Jacques  Bon- 
gars,  ou  de  celles  de  Conrad  et  de  Coftar  à  la  suite  de  ce  que 


468  REVUE    ANALYTIQUE 

VOUS  avea  rapporté  de  Balzac  et  de  Voiture.  Il  est  des  auteurs  , 
tels  que  Fléchier  et  Moutesquieu ,  à  la  gloire  desquels  on  n'a 
rien  ajouté  en  publiant  leurs  lettres  familières  ;  qu'il  n'en  soit 
pas  question,  j'y  consens;  mais  pourquoi  n'avez-vous  pas  mis 
dans  vos  observations  un  seul  mot  pour  nous  rappeler  un  mé- 
decin docte  et  sage ,  plaisant  et  caustique,  Guy-Patin ,  né  en 
1601  et  mort  en  1672.  Nous  avons  un  recueil  de  ses  lettres.  Ne 
vous  plairiez-vous  pas,  monsieur,  à  suivre  cet  original  lorsqu'il 
visite  sa  belle  maison  de  Cormeilles,  ou  lorsqu'il  se  rend  auprès 
de  M.  le  premier  président  de  Lamoignon  pour  passer  la  soi- 
rée avec  cet  illustre  magistrat?  Vous  n'êtes  sans  doute  pas  de 
ceux  qu'un  style  négligé  et  des  citations  latines  multipliées  em- 
pêchent de  lire  un  ouvrage  rempli  d'anecdotes  ciuieuses  et  de 
passages  instructifs?  N'es-ce  pas  un  temps  bien  employé  que 
celui  qu'on  passe  à  vérifier  des  faits  allégués  par  un  auteur  qui 
a  et  mérite  quelque  crédit? Expliquez-nous  donc  par  quelle  fa- 
talité vous  avez,  dans  vos  Observations  sur  les  correspondances , 
entièrement  oublié  Guy-Patin,  docteur  en  médecine  de  la  fa- 
culté de  Paris,  et  professeur  au  collège  royal. 

«  Quant  à  moi,  monsieur,  j'ai  toujours  beaucoup  d'affection 
pour  l'étemel  ennemi  de  Mazarin,  de  l'antimoine  et  des  charla- 
tans in  utroque j'uie ,  sacré  et  profane.  Je  me  transporte,  par  la 
pensée,  dans  cette  première  chambre  ou  salle  fort  grande  et  fort 
claire  de  sa  belle  maison  ;  je  le  trouve  là  au  milieu  de  ses  neuf 
mille  volumes  ;  il  me  fait  connaître  les  honnêtes  gens  ({xi  il  tenait 
pour  le  certain,  reliqui^  aurei  s.eculi.  Il  se  moque,  et  à  bon 
droit,  de  l'huguenot,  du  janséniste,  des  jésuites ,  de  tous  les 
cafards ,  de  tous  les  intrigants  ;  il  maudit  de  grand  cœur  ces 
politiques  empourprés  ,  mitres,  encornés,  vel  encapuchonnés, 
qui,  par  leurs  artifices,  corrompent  ce  qui  nous  restait  de  notre 
iancienne  simplicité  gauloise.  J'assiste  au  festin  qu'il  donne  h 
cause  de  son  décanat ,  et  je  porte  avec  complaisance  mes  re- 
gards sur  la  tapisserie  de  sa  chambre ,  «  où  se  voyoient  curieu- 
«  sèment  les  tableaux  d'Érasme,  des  deux  Scaliger  père  et  fils, 
«de  Casaubon,  Muret,  Montaigne,  Charon,  Grotius ,  Hein- 
«  sius,  Saumaise,  Fernel,  feu  M.  de  Thon,  et  notre  bon  ami 
«  M.  Naudé,  bibliothécaire  du  Mazarin ,  qiii  n'est  que  sa  qua- 


ET  CRITrnUF.  4^9 

c>  lité  externe,  car,  pour  les  internes,  il  les  a  autant  qu'on  les  peut 
«  avoir;  il  est  très-savant,  bon,  sage,  déniaisé,  et  guéri  de  la 
«  sottise  du  siècle;  fidèle  et  confiant  ami  depuis  trente-trois  ans; 
«  il  y  avait  encore  trois  autres  portraits  d'excellents  hommes  , 
«  de  feu  31.  de  Sales,  évèque  de  Genève,  M.  l'évèque  Du  Bel- 
«  lay,  mon  bon  ami  Justus  Lipsus,  et  enfin  de  François  Rabe- 
«  lais.  » 

«  C'est  encore  dans  cette  salle  que  je  me  crois  transporté , 
lorsque  Guy-Patin,  revenant  de  ses  courses,  me  raconte  que  le 
neveu  de  M.  Sanguin  a  été  sacré  évéque  de  Senlis  dans  l'église 
des  jésuites  ,  en  présence  de  vingt-cinq  évèques.  «  Le  dîner,  me 
«  dit- il,  fut  fait  dans  la  même  maison  ;  ils  étaient  six  vingts  à 
«  table;  ils  furent  traités  à  la  religieuse,  chacun  à  part;  ils  eu- 
w  rent  chacun  quinze  plats,  si  bien  qu'en  ce  dîner  il  y  a  eu  près 
«  de  deux  mille  plats.  »  Et  Guy-Patin,  avec  l'air  cicéronien  et  le 
sourire  de  Rabelais  qui  le  caractérise ,  ajoute  :  «  jM'admirez- 
«  vous  point  cette  frugalité  apostolique,  ou  plutôt  ne  détestez- 
«  vous  pas  ce  luxe  épiscopal ,  tandis  que  tant  de  pauvres  gens 
«  meurent  de  faim  ?  » 

«  Dans  une  autre  occasion,  il  me  dit  :  «  On  nous  promet  ici 
«  un  jidjilé  pour  le  commencement  du  carême  :  c'est  une  con- 
«  solation  spirituelle  que  le  pape  nous  veut  donner  en  l'écom- 
«  pense  des  malheurs  que  le  cardinal  Mazarin  nous  fait  souf- 
«  frir.  Si  pourtant  l'on  ne  l'envoie  pas,  on  tâchera  le  mieux 
n  qu'on  pourra  de  s'en  passer;  mais  les  médecins  y  perdraient 
«  le  plus,  car  il  leur  vient  toujours  en  partage  quelque  malade 
'<  qui  s'est  morfondu  courant  d'église  en  église.  » 

«J'aime  surtout  notre  docteur  lorsqu'aux  approches  du  jour 
où  Louis  XIV  va  déclarer  sa  majorité,  il  ouvre  son  cœur  vrai- 
ment français  à  l'espérance  de  la  paix  avec  l'étranger,  et  du 
retour  de  l'ordre  dans  l'intérieur.  «  Le  roi,  écrit-il  en  i658, 
«  est  entré  dans  Paris ,  eu  carrosse,  le  lundi  12  août,  à  6  heures 
'<  du  soir,  par  la  porte  Saint-Denis;  je  l'ai  vu  moi-même,  et 
«  j'ai  crié  Vive  le  Roi  !  » 

Ce  volume  finit  à  la  sortie  de  Rousseau  de  l'Hermitage.  Ce 
fut  peut-être  l'époque  la  plus  douloureuse  de  sa  vie ,  puisque 
c'est  celle  où  les  illusions  qu'il  chérissait  le  plus  se  dissipèrent. 


470  REVUE   ANALYTIQUE 

Le  plus  ancien  de  ses  amis ,  poussé  par  un  intrigant  adroit , 
s'étant  conduit  avec  injustice  et  dureté  envers  Rousseau,  celui- 
ci  rompit  ouvertement  avec  lui. 

Les  Lettres  comprises  dans  ce  premier  volume  sont  suivies 
d'un  résumé  d'après  lequel  le  lecteur  peut  juger  la  conduite 
de  Jean-Jacques ,  soit  avec  madame  d'Épinay,  soit  avec  ceux 
qu'il  appela  depuis  ses  soi-disant  amis. 

Tome  XIX.  —  CORRESPONDANCE,  II.  Du  premier  janvier 
1758  au  la  mai  1763;  depuis  sa  sortie  de  l'Hermitage  jusqu'à 
son  abdication  du  droit  de  bourgeosie. 

Il  y  a  bien  dans  cet  intervalle  un  événement  d'une  grande 
importance;  c'est  son  départ  précipité  de  Montmorenci ,  pour 
se  mettre  à  l'abri  de  l'arrct  du  parlement.  Mais  la  nécessité  de 
faire  des  volumes  égaux  nous  a  forcés  de  choisir  une  autre 
époque.  Du  reste,  l'abdication  fut  un  sacrifice  pénible  qu'il  crut 
devoir  faire  pour  contribuer,  autant  qu'il  dépendait  de  lui,  au 
rétablissement  de  la  tranquillité  dans  sa  patrie.  Pour  connaître 
toute  l'étendue  de  ce  sacrilice,  il  faut  se  rappeler  le  langage 
qu'il  tient  dans  sa  dédicace  du  Discours  sur  l'Inégalité  des 
conditimis.  Quand  on  éprouve  un  tel  enthousiasme  pour  son 
pays ,  quand  on  parle  avec  autant  de  feu  de  son  gouverne- 
ment, que  ne  doit  -  il  pas  en  coûter  pour  rompre  tous  les  liens 
qui  attachent  à  lui?  Il  voulait,  en  les  brisant,  ôter  tout  prétexte 
à  ses  amis,  à  ses  parents,  qui  ,  malgré  ses  prières  instantes  , 
s'obstinaient  à  le  défendre  :  l'abdication  rendait  cette  défense 
illusoire  et  sans  motif.  Accusé  par  ses  ennemis  de  fomenter  les 
troubles,  et  conséquemment  d'avoir  un  parti ,  de  le  diriger,  de 
l'exciter  contre  le  gouvernement ,  il  devenait  étranger  à  ce 
parti.  L'abdication  l'indisposait  contre  lui ,  si  ce  parti  eût  existé, 
on  démontrait  qu'il  n'existait  que  dans  l'accusation,  et,  dans 
tous  les  cas,  détruisait  celle-ci.  Mais  il  était  de  la  destinée  de 
Rousseau  de  ne  rien  faire  qui  fut  blâmé.  On  lui  reproche  cette 
abdication  :  on  lui  contesta  le  droit  de  la  faire;  on  lui  en  fit  un 
crime.  Un  de  ses  amis  les  plus  sincères  écrivit  même  ,  sur  ce 
sujet,  une  discussion  que  nous  reproduirons  dans  le  volume 
consacré  aux  tn pièces  inédites  de  Rousseau. 


ET  CRITIQUE.  47  ' 

ToMB  XX.  —  CORRESPONDANCE,  III.  Du  la  mai  1763  au 
premier  janvîer  1766.  Depuis  son  abdicatiou  du  droit  de  bour- 
geoisie jusqu'à  son  départ  pour  l'Angleterre. 

En  renonçant  au  titre  de  citoyen  de  Genève,  Rousseau  crut 
que  son  nom  ne  serait  plus  mêlé  aux  troubles  qui  agitaient  cette 
république,  et  que  ses  amis  garderaient  le  silence.  Mais  quand  on 
vit  qu'il  continuait  de  demeurer  dans  le  voisinage  ,  on  crut  qu'il 
prenait  toujours  quelque  intérêt  aux  discussions  orageuses  qui 
l'affligeaient.  Alors  il  forma  le  projet  d'aller  au  loin  chercher 
une  retraite.  Une  persécution  directe  du  clergé  protestant  ac- 
céléra l'exécution  de  ce  projet.  Il  partit  pour  l'Angleterre. 

Dans  ce  volume,  page  3i3,  lettre  à  madame  Latour,  il  y  a 
une  lacune  indiquée  par  des  points.  J'ai  consulté  le  manuscrit, 
que  je  n'ai  pu  me  procurer  que  depuis  l'impression  du  vo- 
lume. Voici  ce  que  j'y  trouve ,  après  ces  mots,  mais  vous  l'avez 
toujours  :  «  dans  les  lettres  faites  pour  être  montrées,  je  me 
«  soutiens  mieux;  mais  je  ne  cache  point  ma  faiblesse  en  vous 
«  écrivant.  »  J'imagine  que  le  motif  de  cette  suppression  était 
de  ne  pas  faii'e  voir  que  Rousseau  manquait  quelquefois  de 
courage,  et  que,  dans  certaines  circonstances,  il  écrivait  des 
lettres  pour  être  montrées.  Mais  il  est  aisé  de  s'en  convaincre 
en  les  lisant  toutes  ,  et  de  distinguer  celles  où  son  cœur  s'épan- 
chait sans  réserve,  du  petit  nombre  de  lettres  qu'il  savait  devoir 
courir  le  monde.  On  peut  en  voir  la  preuve  dans  celle  adressée 
à  Du  Peyrou,  le  8  août  1765  (t.  xx,  page  3cj8).  Du  reste,  des 
suppressions  de  ce  genre  me  paraissent  blâmables.  Riçn  ne  dis- 
pense de  dire  la  vérité  sur  celui  dont  la  maxime  était  de  sacri- 
fier sa  vie  à  la  vérité  :  on  peut  éclairer  de  son  flambeau  toutes 
les  actions  de  Jean-Jacques,  sa  morale,  ses  sentiments,  depuis 
qu'il  a  pris  la  plume.  On  trouvera  quelquefois  de  la  faiblesse , 
du  découragement,  mais  jamais  de  bassesse  ;  et  quand  on  n'ar^ 
riverait  pas  au  résultat  qu'on  a  la  satisfaction  d'obtenir ,  il  n'eo 
faudrait  pas  moins  dire  la  vérité. 


472  REVUE   AN  ALYTIQUF.  ET  CRITIQUE, 

Tome  XXI.  —  CORRESPONDANCE,  IV.  Du  premier  janvîei 
iy66au  premier  juin  lyfiS.  Depuis  son  départ  pour  l'Angleterre, 
jusqu'à  sa  sortie  de  Trie-le-Chàteau. 

Cet  espace  compi'end  le  séjour  de  Jean-Jacques  à  Wootton, 
et  chez  le  prince  de  Conti. 

Tome  XXII.  —  CORRESPONDANCE,  V.  Du  premier  juin  1768 
jusqu'au  5  mars  1778,  date  de  la  dernière  lettre  que  Rousseau 
ait  écrite  ,  ou  du  moins  qui  ait  été  conservée. 

Son  séjour  dans  le  Dauphiné  ,  le  procès  de  Thévenin ,  qui 
affecta  Jean-Jacques  beaucoup  trop,  quelque  désagréable  qu'il 
fût;  le  mariage  de  Thérèse;  les  rapports  entre  l'auteur  d'Emile 
et  M.  de  Saint-Germain;  le  retour  du  premier  dans  la  capitale, 
et  les  relations  qu'il  y  conserva  jusqu'à  son  départ  pour  Erme- 
nonville ,  où  bientôt  il  mourut ,  tels  sont  les  événements  ren- 
fermés dans  cette  cinquième  et  deinière  partie. 

La  marche  que  nous  avons  suivie  dans  la  Correspondance 
n'a  été  l'objet  d'aucune  observation  critique.  Quelques  suffrages 
nous  ont  récompensés.  Nous  les  méritions,  si  le  désir  de  bien 
faire  était  toujours  suivi  de  la  certitude  d'avoir  bien  fait. 

D'autres  éditeurs  des  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau  ont  eu  la 
bonté  de  citer  notre  travail  dans  le  leur  ;  tel  est  un  académi- 
cien, enlevé  trop  tôt  à  sa  famille,  à  la  société,  et  aux  lettres, 
qui  s'honoraient  de  ses  talents;  et  M.  Aignan  en  avait  trop 
pour  avoir  besoin  de  s'approprier  le  travail  d'autrui.  Il  n'en 
est  pas  de  même  d'un  plagiaire  qui  a  publié  beaucoup  d'ou- 
vrages ,  dans  lesquels  il  n'a  eu  que  la  peine  de  substituer  son 
nom  à  celui  de  l'auteur,  et  qui  se  trouve  suffisamment  désigné, 
sans  qu'il  soit  nécessaire  de  le  nommer'. 

'  Il  ne  l'est  pas  non  plus  de  qualifier  le  sentiment  qu'il  nous  inspire,  et  dont 
nous  lui  laissouscetémoignage,autantpour  que  justice  se  fasse,  que  pour  qu'il  ne 
copie  pas  toutes  nos  notes. 

FIN  DU  TOME  XXIi   ET  DERNIER. 


PARIS,  IMPRIMERIE  DE  GAULTIER-LAGUIONIE, 

RDE   DE   GRENELLE  SAINT-HONORB ,   S°    55. 


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8^9003     002558&2i.b 


CE    PG      2030 
1623    VC22 

CCO       RCtSSÊAU,    JE    CEUVKES    rrMP  P 
ACC#    1217819  ^-tUVKES    CCMF  fe 


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