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HUGO PAUL THIEAVE '
t'KOF-BSSOR iTr FRKNCH
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THE UN!\r.K:ilTVOr.\\lCillG\N U
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OEUVRES COMPLÈTES
de Theridortr
Agrippa d'Aubigné
Attmmfafudtt
MM. i.va. REAUME & oir CaUSSADE
PARIS
ALPHONSK LEMERIE, ÉDITEUB
H DCCC. LXXIV
OEUVRES COMPLÈTES
de Théodore
Agrippa d'Aubigné
OEUVRES COMPLETES
Agrippa d'Aubigné
Accompagnét!
de Noficts biopaphipt , littérairt & tHiopaphique ,
dt Variantes, d'un Conutitatairt, d'une Table
des oona propres &■ d'un Ghjfaire
MM. Eve. REAUME & de CAUSSAJ>E
Tome troisième
PARIS
ALPHONSE LEHERRE, ÉDITEUR
[ DCCC. LXXIV
LE PRIMTEMS
DU
SIEUR D'AUBIGNÉ
POESIES INÉDITES
I Publiées d*après les mss. originaux de la colleâion Tronchin.]
III.
PREFACE.
Prens ton vol, mon petit livre,
Monjdi qui fera revivre
En tes vers & en tes jeu\,
En tes amours, tes feintiJeSy
Tes tourments^ tes mignardifes,
Ton père comme je veulx.
Atan^ je te veux aprendre
Quel chemin il te fault prendre.
Premier que de dejloger,
Je te veux compter tes peines,
Tes rencontres & tes haines, •
Ta fortune & ton danger.
C'efl ainji qu'un père fa ge
Donne à fon enfant courage,
Luy predifant V advenir.
Et le mal à Vimprovifle
L'eufl rendu beaucoup plus trifte
Que quant il l'a veu venir.
P&£FAC£.
Je ne te donne, mon livre ,
Un nom pour te faire vivre,
Je t'envoie feulement
A ceulx là, mon cher ouvrage,
Qui, aux treti de ton vifage.
Te congnoiftront aifement.
Je ne meti pour ta deffence
La vaine & brave aparence,
Ny le fecours mandié
Du nom d'un Prince propice
Qui monftre en ton frontifpice
A qui tu es dédié.
Livre, celuy qui te donne
N'eft efclave de perfonne ;
Tu feras donc libre ainji
Et dédié de ton père
A ceux à qui tu veux plaire
Et qui te plairont auffi.
Si on trouve que ta face
N'ait les beaux traiti & la grâce,
Ny l'air de tes compagnons
Quifentent le temps & Vaife,
La faveur y la feinte braire,
L'heur de leurs pères mignons.
Tu es du fons des orages,
Des guerres & des voiages
Avorté, avant les Jours,
D'une ame plaine d'angoiffe.
Né defoubi neuf ans de preffe
Ny de la patte de l'ours.
PREFACE. 5
Or je veux que tu endures '
Les blafmes & les injures
Dujot & du bien apris,
Que bien fouvent le pajfage
Qui fera loué du fage
Du vulgaire fait repris.
S'il fefl force de de/plaire
Au plus rude populaire
Pour n'eftre d^eux entendu,
Di leur qu^ili aillent aprendre
La raifon à le reprendre
Aux ignorant deffendu.
Garde que les chambrières
De tes rimes familières
Ne chantent par les marchei;
Soubi couleur d'eftre facile,
Ne fais pas riche tonflille
De proverbes emmanche^.
La nourrice qui devife,
Et la garce qui tamife,
Et Vyvrogne en fon repas
Chantent bien des chofes belles.
Mais quant ili les trouvent telles.
Elles ne me plaifent pas.
Je fuis aux mains en fune
Quant f entre en Voutellerie
Et j'oy' chanter les valet^
De bons vers ; une tempe fle
De fourches voile à la tefle
Et de manches de balais.
VREF^^*^'
. ma Vio^
^''TK V^^^ f'"^^
Paffe en if " ^m,
D^'^^Sfr /Vautre chofe
Pour facill^ Zlls^tlU'^'^
Car tu dois pJ«^ ^j. .^i,e,
C« P'/llles aux mjures,
Sont fu^)'^'' epUquer
Et onU^rfJJandxe ■■
£„ Us r'à^ffjfaire entendre,
Repre» W ru» 6 . . ^
PREFACE.
Qui en fa main feneante
Traîne une parolle lente.
Quant je prononce le vers
Qui vient d'une humeur gaillarde,
Ilfefourit, il fe regarde
Et n'entend que de travers.
Tantofl il branle la tefte
Et puis long-temps il s'arrefle
Sur le mot le plus aijé,
Il coule le difficile,
Il remarque & fait VabUle,
Le dous, le bien avifé.
Mon Jili^ je teferay preuve
De père, fi je te treuve
Captif cTun de ces vilains,
Et, fufl ilfuivy de quatre,
A la charge de me battre^
Je fhofteray de leurs mmns.
Que je fouffre qu'on te life
Comme une profe d'Eglife,
Sans me jet ter â travers!
Non y j'aime mieux qjàon m'affomme
Puis je croy qu'un vaillant homme
Ne fauroit mal lire un vers,
Cesfoti bronchent à toute heure
Sur la rime la meilleure
Et le vers le mieux polly ;
Enfin toute leur fentence
Ce fera que Monfieur pence
Que cela efl bien jolly.
8 PREFACE.
Tandis le moqueur admire
Le vers qu'il ne /aurait lire
Sans àpartfoy Veftimer,
Ce beau Hieur qui efface
Autant comme il peut la grâce
Du vers qu^il ne peut aymer,
Prens ton renvoy, ton refuge
A Ronfard ou un tel juge ^
Pour faire ton procès court ^
Ta caufe efl ajhiobfcure^
Et pour Juge elle n'endure
Tous les Jinges de la court,
Cefte Epitette ne bleffe
Ceux là de/quels lafagejfe
Fait les autres Jmgifer ^
Les courtifans que le refle
Seullement imite en gefte,
Et non point à mefprifer.
Tu verras l'outrecuidance
Des foldati de l'ignorance
QuifuperbeSy bien veftu{,
Qui ne fervent que P rince ffes.
Parent leurs cors de richeffes.
Non leur efprit de vertui.
Je voy* l'ignorant bravache
Qui refrifant fa mouftache
Et fronçant un hault sourcy
Dit aux Dames qui le fraifent
Que les poètes luy defplaifent.
Mais il leur defplaift auffi.
PREFACE.
On voit aujourduy qiien France
Cefte pefte d^ignorence
A l'air & le peuple efpris ;
Elle efl faite Epidémie,
Elle efl des Princes Pamie,
Rarement de leurs efpn's.
Si plus heureux tu te monflres
Enfentences, en rencontres,
Tu es boufon ou badin.
Et celui qui danfe agile
De grâce, efl par la vile
Recongneu pour baladin.
Celui qui en Italye
Ufa le tiers de fd vie
Aux armes efl efcrimeur ;
L*kyflorien vénérable
N'efl qu'un raconteur de fable,
Et le poète un rimeur.
Le vulgaire fajche & pique
Ceux qui aiment la mufique
Et pouffent le lut divin /
La philofophique vie
N'efl que souffler Valquemie,
Et Vaflronome efl devin,
L'Efcuyer n'efl qu'une fable
A celuy qui n'efl femblable.
Et a nom piqueurfl bien
Que tous ceulx là que l'on nomme
Digne, honnefle ou gallant homme ^
Sont ceux qui ne favent rien.
PB.EÏACE.
• , demeure a dehatre,
Ce pomt den^ i,«,re
E» -^^^^ '^r„. 1> P'"^'
?r/eïï?,-p--^^^-
Mourant l ^ ,^ port
fy^'^'''"llure fonde
Et toute vaU^l l r^rt.
Surleme/pr«««
W, de I« vieille Egh/"'
David ap'-« ^ ^^vïs
Furent P-'f . •« leur g^»'*
Et nous ont <»S' j, -jj^^e
Et du gr«»^ ^**
1
PREFACE. II
Nos braves & leurs bravades
Imitent leur Eftacades.
Mais helas ! Ui n^ ont pouvoir
D^acofler leur renommée
De la main doéle ou armée
De valeur ny de favoir,
J'amais r^a Jlory empire
Qui n'ait choifi au bien dire
Les Pères & Sénateurs :
De ceux là les Capitaines ^
Ceux là en Romme, en Athènes
Ont efié les Diélkteurs,
Le Conquérant Alexandre
J'amais ne fut las d'aprendre.
Non plus que de conquérir ;
Son chevet fut d'un Homère :
Auffi le temps n'a feu faire
Par la mort fon nom mourir.
Les Grecques antiques vies
Qui nous caufent tant d'envies
Et la plu/part des Cefars
Sont les fubgeti de noi larmes :
Des ars ili armaient leurs armes^
Par oient les armes des ars.
Nous mefprifons la fcience^
C'efl pourquoy en ce fie France
Pourrifl notre nom prejfé.
On nous trouve gallans hommes.
Mais on ne fait qui nous fommes
Quant le Danube efl paffé.
12 PREFACE.
— ■ I- ■ ■ ,11 II I ■■■ T ■ ■ ■ ■■ - ■ -
Du lion V outrecuidance
Efl la valleur fans fciejice ;
L'ours tr le tigre eft ranger
Sont bien plus vaillans que Vhomme
- Qui court là où on l'affomme,
Sans cognoiftre le danger.
Mon jUi, laiffe en Vignorence
Uignorente outrecuidence.
Ces brutaux entendemens,
Pour faire abaiffer leurs mynes^
Je les fais croire par ftgnes.
Et non pas par arguments.
De là tu viens aux Zoilles,
Plus ruiés & plus habilles
A efpier en tes vers
S'il fera en leur puiffànce,
De ta droite intelligence
Tourner le fens de travers.
Je veux que tu tiennes tefte
Par chafque refponce prefle
A cefl afamé troupeau.
Si bien que leur dent chenine
Ne pince y ronge & ne myne
Pour un double, de ta peau.
Les Dieux t^ont efleu, mon livre.
Pour un aftre qui fait vivre
Le nom de ton père aux deux :
Ta force n*eft pas fubgeéle
A cefle envieufe feéle,
Car tu es eflu des Dieux.
P&£FAC£.
!\
Ce n'eft la troupe première
Des aftres qui la lumière
Cfufque des furvenansy
Mais oui bien les vaines rages
Des inutûles nuages
Que les vens vont premenans.
Ce feront obfcurs poetaflresy
Non pas les clairs feui des aftres
Qui voudront te faire ennuy ;
Ceux qui desja ont acquife
La gloire & louange exquife
N'en cherchent plus fur autruy.
Donc plumes envenimées ,
Nuages plains de fumées,
Le vent vous, vient emporter ;
C'eft grand honneur à mon livre
Que ceux que l'envie enivre
Peuvent fes faut tes compter.
LE PRIMTEMS
SIEUR D'AUBIGNÉ
'HECATOMBE A DIANE.
I.
Accourei aa feeourt à ma mort vtohnttj
Amans ^ nochers experts en la peine oit je fuii^
Voiu qui avej fuivi la route que je fuis
Et d'amour efprouvé les fois & la tourmente-
Le pilote qui voit une nef périmante,
En Vamoureufe mer remarquant les ennuis
Qu'autrefois il rifqua, tremble & luy efi advis
Que d'une telle fin il ne pert que l'attente.
Ne vene^ point ici en efpoir de pillage;
Vous ne pouvej tirer profit de mon naufrage :
Je n'ay que des foufpirSj de l'efpoifj ir des pleurs.
Pour avoir mes foiïfpirs les vents lèvent les armes.
Pour l'air font mes efpoirs volagers & menteurs,
La mer méfait périr pour s'enfier de mes larmes.
l6 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE.
II.
En u^ petit efquif e/perdu^ malheureux.
Exposé à l'horreur de la mer enragée,
Je dijputoy' le fort de ma vie engagée
Avecq' les tourbillons des bifes outrageux.
Tout accourt à ma mort : Orion pluvieux
Crevé un déluge efpais, & ma barque chargée
De Jloti avecq' ma vie efioit my fubmergee.
N'ayant autre fecours que mon cry vers les deux.
AuJUtofi mon vaijfeau de peur & d'ondes vuide
Reçeut à mon fecours le couple Tindaride^
Secours en defefpoir, oportun en deftreffe ;
En la Mer de mes pleurs porté d'un fraile corps,
Au vent de mes foufpirs preffé de mille morts,
J'ay veu Faftre beçon des yeux de ma Deeffe,
III.
Mifericorde, ô Cieux^ ô Dieux impitoyables,
Efpouvantables Jlots, ô vous pâlies frayeurs
Qui mefme avant la mort faites mourir les cœurs,
En horreur, en pitié voyei ces mif érables !
Ce navire fe perd, defgarnyde fes cables,
Ces cables fes moyens, de fes efpoirs menteurs:
La voile efi mife à bas^ les plus fermes rigueurs
D'une fier e beauté font les rocs imployables;
Les mortels changements font les fables mouvant^.
Les fanglots font ef clair s, les foufpirs font les vents,
Les attentes fans fruiél font efcumeufes rives
Où aux bords de la mer les efplorés Amours
Vogans de petits bras, las & foible fecours,
Afpirent en nageant à faces demivives.
HECATOMBE A DIANE. I7
IV.
Combattu des vents & des fots^
Voyant tous les Jours ma mort prefte
Et abayé d'une tempefte
Vennemisy d'aguet^^ de comploti^
Me refveillant à tous propos^
Mes piftolles deffoubi ma tefle^
L'amour me fait faire le poète ^
Et les vers cerchent le repos.
Pardonne moy^ chère Maiflreffe^
Si mes vers f entent la defireje.
Le foldatf la peine & Vefmoy :
Car depuis qu'en aimant' je fouffre^
Il faut qu'ils f entent comme moy
La poudre y la mefche, & lefouffre.
V.
Ronfardy fi tu as fçeu par tout le monde efpandre
L'amitié^ la douceur ^ les grâces^ la fier té j
Les faveurs y les ennuys, l'aife & la cruauté^
Et les chafles amours de toy & ta Caffandre :
Je ne veux à l'envy, pour fa niepce entreprendre
D'en rechanter autant comme tu as chanté^
Mais je veux comparer à beauté la beauté^
Et mes feux à tes feux, & ma cendre à ta cendre,
Jefçay que je ne puis dire fi doélement^
Je quitte le fçavoir, je brave l'argument
Qui de l'efcript augmente ou affoiblit la grâce.
Je fers l'aube qui naity toi lefoir mutiné^
Lorfque de l'Océan l'adultère obftiné
Jamais ne veut tourner à l'Orient fa face.
III. 2
l8 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
VI.
J'entreprens hardiment de te rendre éternelle^
Targuant de mes efcripts ton nom contre la Mort,
Mais en t'eternifant je ne travaille fort ;
Ta perfeéiion n^eft en aucun poinû mortelle,
Rien n'ejl mortel en toy^ ta chafleté eft telle
Que le temps envieux ne luy peut faire tort.
Tes dons y threfors du Ciel y ton nom exempti du port
Et du Jleuve d'oubly ont la vie immortelle.
Mefmes ce livre heureux vivra infiniment
Pour ce que Vinfiny fera fon argument.
Qr je rend grâce aux Dieux de ce que j'ay fervie
Toute perfeéiion de grâce & de beauté^
Mais je me plein' à eux que ta feverité^
Comme font tes vertus ^ auffi eft infinie,
VII.
D'un outrageux combat la Fortune & l'Amour
Aie veulent ruiner & me veulent bien faire :
L'Amour me veut aider, & Fortune contraire
Le brouille en le trompant de quelque nouveau tour.
L'un fit dedans les yeux de Diane fejour^
Luy embrafa le cœur & l'ame débonnaire^
L'autre lui oppofa une troupe adverfaire
De malheurs pour fa mort & pour mon dernier jour.
Diane ajfifte moy^ notre perte eft commune ^
Faifons rompre le col à l'injufle Fortune
Inconftante, fafcheufe, & qui nous a trahis.
Combattant pour l'Amour^ c' eft pour nouSj ma Maiftr
Loge le dans mon cœur & au tien^ ma Deeffe^
Qi^il ait paffages forts, la langue & le pais.
HECATOMBE A DIANE. I9
VIII.
' Ouy^ mais ainfi qu'on voit en la guerre civile
Les débats les plus grands du faible & du vainqueur
De leur doubteux combat laiffer tout le malheur
Au corps mort du païs^ aux cendres d'une ville ^
Je fuis le champ fanglant oà la fureur hoflile
Vomit le meurtre rouge, & la fcy tique horreur
Quifaccage le fang^ richeffe de mon eaur^
Et en fe débattant font leur terre fterile.
Amour y For tune ^ helas! appaifei tant de traiûsj
Et touche^ dans la main d'une amiable paix :
Je fuis celuy pour qui vous faites tant la guerre^
Affificy Amour j tous jour s à mon cruel tourment!
Fortune, appaife toy d'un heureux changement ^
Ou vous n'aurej bientofl ny difpute, ny terre.
IX.
Ce qui a efgalé aux cheveulx de la terre
Les tours & les chafleaux qui tranfpercent les cieux.
Ce qui a renverfé les palais orgueilleux^
Les fceptres indomptej efleveipar la guerre^
Ce riefl pas l'ennemy qui un gros camp afferre.
Menace & vient de loin redouté^ furieux :
Ce font les citoyens ^ efmeu^^ armés contr'euXj
Le bourgeois mutiné qui foy mefme s'enferre.
Tous mes autres haineux m'attaquans n'avoyent peu
Confommer mon efpoir^ comme font peu à peu
Le débat de mes fens^ mon courage inutile ^
Mes foufpirs efchauffei^ mes defirs infolents,
Mes regrets impuiffants^ mes fanglots violents ^
Qui font de ma raifon une guerre civile.
20 I.E PRIMTEMS DU S1EU& d'aVBIGKÉ.
X.
Bien que la guerre fait afpre^fiere & cruelle
Et qu^un doubteux combat defrobbe la douceur ^
Que de deux camps mejlei l'une & l'autre fureur
Perde fan efperance^ & puis la renouvelle j
En fin hrfque le champ par les plombs d'une grelle
Fume d'ames en haut^ enfanglanté d'horreur ^
Le faldat defaonfit s'humilie au vainqueur ^
Forçant à jointes mains une rage mortelle.
Je fuis porté par terre ^ & ta douce beauté
Ne me peut faire croire en toy la cruauté
Que je f en' au frapper de ta force ennemie :
Quand je te cri^ mercy^ je me meti à raifon^
■ Tu ne veux [m^] tuer^ ne m'ofier de prifon^
Ny prendre ma rançon^ ny me donner la vie.
XI.
L'Amour pour me combattre a de vous emprunté
Voflre grâce celefte & voftre teint d'yvoire^
Vos yeux ardenti & doux & leur prunelle noire^
Vainqueur par voflre force & par voflre beauté
Des traiéls que vous avei à ce voleur preflé.
Non à vous y mais à luy il apprefle une gloire^
Si très douce au vaincu qu'il aime la viéloire
Et mourir par le fer dont il efl fur monté :
Madame ) j^ay me mieux qu'Amour vainqueur me tue.
Me raviffant par vous^ le fenSy l'orne & la veué
Que fi vous luy oftiei les armes Cr le cœur;
Mais fi vous me donnei un jour par la poignée
La beauté ennemie^ & la grâce efioignee^
Lors vous triompheriez par moy d'un Dieu vainquei
HECATOMBE A DIASTE. 21
XII.
SoMhaitte qm wernân U mm
D'uM pl!mb meanrUr & fn/Mpe mi km^àrd
D'un comidas ftoféfVr. ^ai imJit ^mthv%t
Crever fomâremx, famg^Mm^ mm ckmmp ^\
Souhaine qmi vamérm mme mtert emumrwee
De médecins^ de plfvx. ér a Uâ camÈfji
Dheritiers. de criards, pmis efre cxmteyé
De cent torches em fem à Im fofe ordommte:
Je ne veux pour la folde efire am ckmmp tmrrmféj
On efi aujouréPhmy trop mal m tmqwmj e :
Je trouve Faune mort longue, bigone tr fèOe;
Quoy donc? brufié £ amour que DioÊÊe em émiemi
Serre ma trifle cemdre ùrfmfe dams fes piemrs.
Puis amfeim d^Artemife wm tûmtbeam de JÊÊmmfcie.
XIIL
Diane, aucumesfois la raifom mm rifte
Et veut venir loger en fa place, am cerveau.
Mais elle efl eftramgere, tr un kofie mouxeau
Qui ne la cogmoifi poimt. la chaje & met em fuitte.
n gaigne mes defrs. les agace tr dépite.
Encontre ma raiJùUy (r bravant de plus beau
Mes penfers fubomei, H arme d^un monceau
De Jleches tr de feux qitili portent à fa fuitte.
Ha defiri efgarei! ah efdaves d'amour !
Ha! mes traifires penfers! vous maudirei le Jour
Que l'amour vous arma pour combattre le droiû.
La Royne naturelle eft tous jour s la plus forle :
« Point, ce dirent ces fols , le plus fort nous emporte.
U amour furmonte tout, qui luy refifteroit? »
M<
22 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
XIV.
Je vis un Jour un foldat terrafé^
Bleffé à mort de la main ennemie;
Avec^ le Jang Pâme rouge ravie
Se debaitoit dans lefein tranf percé.
De mille mortj ce periffant preffé
Grinçoit les dents en V, extrême agonie.
Nous priait tous de luy hafler la vie :
Mort & non mort^ vif non vif fut laijfé»
« Ha y di^'/e allors^ pareille efl ma Ueffeure^
Ainfi qu^â luy ma mort efl toute feure^
Et la beauté quy me contraint mourir
Voit bien comment je languy à fa veuë^
Ne voulant pas tuer ceux qy^elle tue^
Ny par la mort un mourant fecourir . »
XV.
Lorfque nous affaiïlons un fort bien défendu
Muny de gent^ de bien^ d'qfiîette difficile^
Le coeur ^ Venvye en croift^ tant plus inacceffible
Et dur à furmonter efl le bien prétendu.
Le butin ri efl plaijant qui efl fi tofl renduy
L'amitié qui nous efl trop prompte & trop facile
Rend l'or à bon marché & un grand threjfor vile.
Et le fort bien tofl pris avffi tofl efl perdu.
Il faut gaigner^ garder une place tenable :
La gentille malice en la dame efl louable^
Par l'opiniaflreté Pâmant efl embrafé.
Douce viéloire^ à peine ay^jefait preuve en fomme
Que c^eft le naturel de l'amitié de l'homme
D^affeder l'impqffible & mefprifér l'aifé.
HECATOMBE A DIAKE. 23
XVI.
Quand Je voy' ce ckafieam dedams Uqmel abemde
Le plaifir^ le repos y & le amtemié
Si fuperbey fi fort, commande fien
D'un marbre cannelé^ & de mainte tomr ramde.
Je vironne à Vensour^ & enfaifant la ronde
J'oppofe à mon plaifir^ le dangier^ le formant ^
Et contre tout cela V Amour fait waillamment
Vaincre par les defirs toutes les peurs dm monde:
U Amour commande là y qui d^un traiél rigoureux
Perce les conquérons y meurtrit les amoureux.
Le fier me refufa, quand de fa gamifon
Je demandoy un Jour la paye nW on morte y
Je veux à coiqf perdu me Jet ter dans la porte
Pour y avoir logis ^ pour le moins» en prifon,
XVII.
Somme t^efi un chafieau bafii de diamans.
Couvert de lames d^or richement apire^
Oit les trois Grâces Jbnt fièrement emmurées y
Se fervanti des hauts deux & des quatre elementi.
Nature y mit fon tout y fa riche ffe & fon fenSy
Pour prouver fes grandeurs efire demefureeSy
Elle enferma dehors les âmes enferrées.
L'ardeur & les defirs des malheureux amantj.
Que me fer t donc ceft or & ce fi ajur tant riche y
Cefle grandeur qui f^efl plus royale que chiche
De donner à fes coups le beaume de ma vie?
Threfor inacceffiblcy helaSy J'aimeroy^ mieux
Que moins foiblcy moins beaUy & moins proche des deux
Tu fuffes beaucoup moindre. & moins mon ennemye!
24 LF. PRIMTEMS DU SI£U& d'aUBIGNE.
XVIII.
Qui pourroit efperer en ayant affronté
Cefl oeil impérieux^ cefte celefte face?
Mais qui T^efpereroit voyant fa douce grâce,
Affriandé du miel d'une telle beauté?
Qui pourroit efperer rien que feverité
De ce vifage armé d'une agréable audace,
Et qui n'efperera de pouvoir trouver place
En un lieu que mérite un labeur indompté ?
Je ne puis efperer fâchant mon impuiffance^
J'efpere & fay^ chemin d'une folle efperance;
Si mon courage haut ne reujfit à point ^
Ny les fureurs du feuj ny les fers d'une Jleche
Ne m'empefcheront pas de voler à la brèche^
Car l'efpoir des vaincus efl de Ji^ efperer point.
XIX.
Je feri bannir ma peur & le mal que j'endure ^
Couché au doux abry d'un mirthe & d'un cyprès.
Qui de leurs verds rameaux s^accolans prés à prés
Encourtinent la Jleur qui mon chevet ajure^
Oyant virer au fil d^un mujijien murmure
Milles Nymphes d'argent^ qui de leurs Jlotj fecrets
Bebrouillent en riant les perles dans les prêts ^
Et font les diamans rouller à Vadventure
Ce bofquet de verbrun qui cefl' onde obfcurcifl^
D'Efchos armonieuXy & de chanti retentift,
fejour amiable I ô repos pretieux!
giron ^ doux fupport au chef qui fe tourmente!
mes yeux bien heureux efclairei de fes yeux.
Heureux qui meurt icy & mourant ne lamente !
HECATOMBE A DIANE. 2^
XX.
Nous ferons y ma Diane ^ un Jardin fruéiueux :
J'en feray laboureur^ vous dame & gardienne.
Vous donnerez le champ ^ Je fourniray de peine ,
Afin que fon honneur fait commun à nous deux.
Les Jleurs dont ce parterre esjouira nos yeux
Seront verds fiorijfants ^ leurs fubjeéls fant la graine,
Mes yeux Varroferont & feront fa fontaine y
n aura pour ^ephirs mes foufpirs amoureux;
Vous y verrei mellés mille beautej efclofes,
Soucis^ œillets & lys, fans efpines les rofes^
Encolie & penfee^ & pourrei y choifir
Fruiéli fuccrei de durée, après des Jleurs d^ attente y
Et puis nous partirons à vojlre choix la rente :
A moy toute la peine, & à vous le plaifir.
XXL
Vous qui avei efcrit qu^il n'y a plus en terre
De Nymphe porterfleche errante par les bois,
De Diane chaffante ainfi comme autres fois
Elle avoit fait aux cerfs une ordinaire guerre,
Voyei qui tient Vefpieu ou ef chauffe V enferre,
Mon aveugle fureur, voye^ qui font ces doigt j
D'alhajlre enfanglantés, marque^ bien le carquois^
L'arc & le dard meurtrier, & le coup qui m'aterre.
Ce maintien chafle & brave un cheminer accord :
Vous diriei à fon pas, à fa fuitte, à fon port,
A la face, à l'habit, au croiffant qu'elle porte,
A fon œil qui domptant efl toujours indompté,
A fa beauté fevere, à fa douce beauté
Que Diane me tuë, & qiielle n'efl pas morte.
26 LE PRIMTEMS DU SI£US. d'aUBIGNÉ.
XXII.
Le peinélre qui voudrait animer un tableau
D'un Printemps bien Jleuri ou y feindre une glace
De criftal reluifant^ ou Va^ur & la face
Du Cielp alors qy^il efl plus ferein & plus beau^
S'il vouloit faire naiftre au bout de fon pinceau
Le front de la Ciprine^ ou retirer fa grâce j
Ou l'aftre qui des deux tient la première place ^
Alors que fon plein rond il refait (le nouveau^
Qu^il imite y s'il peut ^ le front de ma Deeffe^
Mais qu'il fe garde bien que fon arc ne le bleffe.
S'il fait y Pycmalion^ la mère de Cynire^
Qu'il voye prendre vie à ce qu'il aura peint ^
n fera par les maulx qu'il en aura contraint
Le tableau parricide & le pinceau maudire.
XXIII.
Si Je pouvoy' porter dedans le fein. Madame.
Avec mon amitié celle que j'ayme aujfi^
Je ne me plongeroy^ au curieux foucy
Qui dévore mes fens d'une amour eufe Jlamme.
Doncques pour arrefler l'aiguillon qui m'entame^
Donnei moy ce pourtraiéè^ où je puiffe tranfy
Effacer voftre teint d'un defir endurci ,
Dévorant vos beautej de la faim de mon ame.
Mourir comme mourut Laodamie^ allors
Que de fon ami mort elle embraffa le corps ^
Defes ardenti regret^ rechauffant cette glace.
Mourir p vous contemplant y de joye & de langueur.
J'ay bien deffus mon' cœur portraiéle voftre face
De la main de l'amour, mais vous avei mon cœur.
HECATOMBE A DIANE. VJ
XXIV.
Foure peinâre aveuglé^ qv^efl'-ce que tu nacaffe
A ce petit pourtraid où tu perds ton latin^
EJfayottt d'efgaler de ton blanc argentin
Ou du vermeil^ le lys & l'œillet de fa face?
Ce fat eft amoureux j & veut gaigner ma place :
Il ny peint pour le front ^ la bouche & le tetin;
Sors de là^ mon amy^ Je fuis un peu mutin :
Madame^ excufei moy^ car fy ay bonne grâce.
Ces coqtàns n'ont crayon à vos couleurs pareil j
Ny blanc fi blanc que vous^ ny vermeùfi vermeil.
Tout ce qui eji mortel s'imite, mais au refie
Les peinélres n'ont de quoy repref enter les Dieux.
Mais j'ay desja choiji dans le threjbr des deux
Un celefte crayon pour peindre le celefle,
XXV.
Que Je foy donc le peinélre^ il rtCa quitté la place.
Rengainé fon pinceau : Je veux bien faire mieux
Qu'en un tableau mortel^ qui bien tojlfera vieux
Et qui en peu de temps fe pourrit & s'efface ;
Je pein' ce brave front ^ Empereur de ta face^
Tes lèvres de rubis, l'or de tes blonds cheveux.
L'incarnat de ta Joue & le feu de tes yeux y
Puis le fuccre du tout, le luftre de ta grâce,
Je peins l'orgueil mignard qui pouffe de ton fein
Les foufpirs enfer me\y l'yvoire de ta main.
Unpeinélre ne peut plus: i'enfçay bien plus que luy.
Je fay ouir ta voix, & fentir ton haleine
Et ta douceur, & fi on fçaura par ma peine
Que la lame, ou bien l'ame, eft digne de l'efluy.
38 LE PK.IMTEMS DU SIEUR o'aUBIGNÏ.
XXVI.
Autant de fois que voftre efprit de grâce
Fera mouvoir un efclat de vos yeux
Sur ce pourtraiéip en cela plus heureux
Que rie fi Vabfent duquel il peint la face^
Autant de fois il faudra que f efface
Par ce tableau vos me/pris oublieux.
Vous me verrei & ne verre^ mes feux
Qui n^ont laiffé exempte aucune place :
Autant de fois vous rêver re{ celuy
Qui Je hayanty vous aime & fon ennuy^
Mais on ne peut en ce tableau voir comme
De toutes parts Je brufle peu à peu^
Ou autrement ce ne Jeroit qjiun feu
Qui T^auroit rien que la forme d'un homme.
XXVII.
Qui void le Dieu aux blonds cheveux
En quittant la mer fon hofiejfe
Frifer en l'air l'or de fa treffe.
Voilé de fon chef pretieux^
Qui void l'œther proche des deux
Ou bien la forme mentereffe^
La pluie d'or & la fineffe
Du plus adultère des Dieux ^
Ceftuy là verra la peinture
De l'or & de la cheveleure
Qui efface, paffe & furmonte
Lefoleil & abbaiffe encor
En mefprifant la pluie d'or^
L'œther qui fe cache de honte.
HECATOMBE A DIANE. 29
XXVIII.
Non^ ce ne font point deux cowraux^
Œillets cramoifisy ny encore
Une bouche : ce que j'adore
Mérite bien des noms plus haut^j
C^eft Iris trêve de mes maux,
Uarc que le Ciel nous recolore
Fait la paix^ celuy que J'honore
Fend l'orage de mes travaux.
Sois propice à mes vœui > ^'^ ^^^^
Ne fois de ton arc defpourveuë^
Des Dieux la meffagere & fille
Par qui le nuage eft chaffé^
Quand l'humeur de mes yeux diflille
Du ciel de fop front courroucé.
XXIX.
Vertomne eftant bruflé d'un tel feu que le mien^
Pipé qu'il fufl des yeux de la nymphe Pomone.
Pour amolir le fein de fa dame félonne
Changea comme il voulut de forme & de maintien.
Mais helas mon pouvoir n'eft tel que fufl le fient
Il s'habilla en vieille à la tefte grifonne^
Et puis en Adonis ^ & lors jouit Vertomne
De ce qu'il adoroit pour fon fouverain bien.
Je fuis bien feur du poinél^ vous n'aime^ pas^ Deeffe,
Le front enfillonné d'une froide vieilleffe^
Un marcher tremblottant ^ deux yeux pafles^ ternis ;
Si j'etois en ma forme inconftant & muable^
Je formeroy^ mon corps pour le faire amiable .
Comme mon ame efl belle ^ il fer oit Adonis.
30 LK PRIMTEMS DU SIEUR D*AUB1GNÉ.
XXX.
Si toft que voflre coche a peu enfemble avoir
Un amour fi très ferme ^ & fi très precieufe^
Indigne de porter charge fi gratieufe^
Un defplaifir efgal il nous fit recevoir.
Il efl ver Je par terre ^ en cela je puis voir
Que fortune ne veut m'eftre fi rigoureufe
Que fi elle n'eftoit que pour vous malheur euje ;
Si f interprète mal^ Je me veux decepvoir :
Doux bien^ douce douleur qui nous Jera commune.
Je me deJdV du mal que j'ay dit de fortune
Si mon mal & mon bien font unis avecq'vous;
Je ne vous cerche pas compagne en ma triftejje^
Mais J'aimeroy fortune ^ & Jes coups Jeront doux
Si la playe d'amour nous unift, & nous blejfe,
XXXI.
Dans le parc de Thaly J'ay drejfé deux planfons
Sur qui le temps faucheur ny Vennuyeufe efiorje
Des filles de la Nuiâl Jamais r^aura de force ^
Et non plus que mes vers n'efleindra leurs renoms.
J'ay engravé dejfus deux chiffres nourrijfons
D'une ferme union qui avec leur ecorce
Prend croijfance & vigueur, & avecqu'eux s'efforce
D'acroiftre l'amitié comme croijjent les noms;
Croijfei^ arbres heureux^ arbres en qui fay mis
Ces noms & mon ferment ^ & mon amour promis.
Auprès de mon ferment je metj cejie prière :
u Vous Nymphes quimouillei leurs pieds fi doucement,
Accroiffei fes rameaux comme croijl ma mifere,
Faites croijhe fes noms ainfi que mon tourment, )>
HECATOMBE A DIANE. * 31
XXXII.
Je difpute pour vous contre cefle lignée ^
Tige de tant de Ducs^ de Princes & Seigneurs ^
Puis je debas V honneur de vos predeceffeurs
Contre vous qu'un tel fang a la terre donnée.
Je fuis en tel combat que mon ame eftonnee
Balance inconftamment à vos divins honneurs^
Ores pour vos vertus, ores pour vos grandeurs^
Pour l'honneur & pour l'heur auquel vous eftes née.
Ce nom^ Salviati ^ejleve jusqu'aux cieux^
Voftre perfeélion n'imite que les Dieux,
J'eflime la grandeur une celefte grâce, ^
Ce don v^eft rien, s'il r^efi d'autres dons décoré :
C'efl beaucoup d'eftre ainfi de fa race honoré,
Mais t^efl encores plus d'efire honneur de fa race.
XXXIII.
Je veux te louer, te chanter,
Dire ta beauté nonpareille.
Bénigne & gratieuie oreille
Qui prens plaifir à m' ef coûter ;
Mes cris ne t'ont peu def goût ter :
Si je fuis preft, tu t'appareille,
Ta douceur à mon mal pareille
Lamente en m'oyant lamenter,
Honnefle, douce & débonnaire
Tu ef coût es bien ma prière :
C^efl pourquoy ainfi je t'appelle.
Mais fi tu fais contre raifon
De la fourde à mon oraifon.
Tu feras mal faite & moins belle.
J
32 L£ PRIMT£MS DU SI£UR D AUBIGNE.
XXXIV.
Guerre ouverte^ & non point tant de fubtilitei :
C'efl aux faibles de cœur qu'il fyut un advantage.
Pourquoy me caches^tu le Ciel de ton vifage
De ce traiftre fatin^ larron de tes beautei?
Tu caches tout horfmis les deux vives clartei
Qui n^ont percé le caur^ efbhuy le courage ^
Tu caches tout horfmis ce qui me fait dommage.
Ces deux brigands ^ tyrans de tant de liberté^;
Belle y cache les rais de ta divine veuë.
Du reflefi tu veux, chemine toute nuë^
Que je voye ton front y & ta bouche & ta main.
Amour ! que de beaute^^ que de lys^ que de ro^es.
Mais pourquoy retiens^tu tes pommettes enc lofes!
Je fay monftré mon caur^ au moins monftre tonfein.
XXXV.
Je ne fçay^ s^il te fouviendroit
Qiien ta main blanche & grajfelette
Méfiait de liaifan bien faiéïe
Ton doigt mefcogneu de mon doigt ^
En ce las d^ amour fe perdait
Comme au cep mon ame fubjeâle^
Nous chantions d'une main muette
Le feu qui au fein fe fondait ;
Si tu es fine affei^ devine
Ce que fur nos doigts f imagine
Qui font entrelajfei ainfiy
Si tu devines nos penfees
Qui s'accorderant en ceci
Comme nos doigts font enlaffei.
HSCATOMBE A DIANE3 33
XXXVI.
Tu m'avois demandé^ mignonne y
De Paris quelque nouveauté :
Le nouveau plaifl à ta beauté^
C'eft la nouveauté qui nCeftonne,
Je rCay veu depuis ta perfonne
Rien qui doive eftre fouhaité^
Ainfi je n'ay rien apporté
Que ce criftal que je te donne.
Que di'je^ je ne pouvoy* mieux
Pour monftrer enfemble à tes y eux y
Mon feuy ta beauté merveilleufe,
C'eji nouveauté! tu n'en crois rien^
Tefpere que par ce moyen
De toy tu feras amoureufe,
XXXVII.
Yeux enchanteurs^ les pipeurs de ma veuë^
Veué engeolleuie^ haineuie de mes yeux^
Face riante à ma mort^ à mon mieux ,
Cefle beauté cache l'ame incogneué ;
Tu as furpris ma vie à Vimpourveuë^
Mais furprer^ moy^ comme du haut des deux
Diane fit qui furprit otieux
Endymion^ couverte d'une nue.
Car je fuis tien aujfî bien comme luy.
Son heur me fuit ^ j'empoigne f on ennuy^
A luy & moy ta puiffance efl commune^
Mais las! je veille & il fuft endormy^
Il fuft aimé y & je ne fuis qu'amy
Qui fans baifer me morfonds à la lune!
III. 3
34 LH PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGKE.
XXXVIÏI.
N*a doncques peu V amour cpunç ^gnarde rage^
D'un malheur biça heureux ^ d'un malheureux bonheur
Combatre vojire ennuy^ (r mejler la couleur
D'un oeillet fur le ly^ de vojire blanc vifage.
C'eft â cefte blancheur que V amour fait hommage ^
C'eft l'honneur de vos yeux^ c^eft encçr Vautre honneur
Qui rid en vojire front p mais c'eji plus toji malheur
Qu'un bon heur^ car un bien ne pçut faire dommage;
Diane y je fçay bien : vous ejies de bon or y
Mais il eji blemiffant^ pour ce qu^il r^a encor
'Prins couleur ai^x chal^ws d'une ardente fournaiie ;
Ayei pitié de vous y & comme peu à peu
Lajlamme roujjîji l'or^ V amour foit vojire feu
Et que je foy' l'orphevre^ & l'hymen foit la braire,
XXXIX.
Va^t-'en dans le fein de ma mye^
Sonnet plus mignon^ plus heureux
Que ton maijire^ & que l'amoureux
Qui aimant^ brujlanty ne s'ennuye.
Tu vas y je ne t'en porte envie ^
EJire dévoré defes yeux^
Avoir un accueil gracieux
Et je ne la voy^ qu'ennemie :
Elle t'ayme & elle eJi Ji belle !
Ne devieri pas amoureux delle^
Ce papier ne peut faire ennuy^
Mais pour le lieu où on le porte ^
Je voudroy' faire en quelque forte
Un change de moy & de luy.
HCCATOMBE A DIAN£. 35
XL.
Vos yeux ont honoré d'urne celefie veui
Mon labeur guerdonné dês peines de vos yeux^
Vous avei coloré d'un clin d'oeil gracieux
Mon papier blemiffant du Jour de voftre nui*
Le lahoureux trainant le foc de la charrue^
Importuné des venti & d'un temps pluvieux
Est ainfi foulage^ quand le foleil des deux
Luy rayonne le chef^ /aillant à Vimpourveuë»
J'ay plus voftre renom que mes peines chanté,
Et quoyque repouffé ^ ^ig^^ maltraù^é.
Si efirce que pourtant mon ftile ne Je change.
Ne mefprifei les vers qui vous ont en tel prix y
Et lije\ de bon cœur mes cris & mes ejcripts^
Et vous lirei mes maux avec voftre louange.
XLI.
VHyver à la (efte grifonne
Gagea que le ciel luy donnait
Une blancheur qu'il ojeroit
Monftrer pour braver ma mignonne :
Le ciel force neige luy donne;
Le vieillard qui par là penfoit
Avoir gaigné^ me demandait
Le prix que fa viéloire ordonne :
(( Nous allons guetter au matin
Ma belle qui y au blanc fatin^
Faifoit honte aux lySy ir auxjleurs. w
Le vieillard fe dédit & tremble
Voyant le luftre^ & les couleurs
De ma mie & la neige enfemble.
36 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
XLII.
Auprès de ce beau teinéhle lys en noir fe change y
Le laiéi efl bayiné auprès de ce beau teinât^
Du cygne la blancheur auprès de vous s'efleinét^
Et celle du papier où efl voftre louange.
Lefuccre efl blanc ^ & lorfqu'en la bouche on le range
Le goufl plaifl, comme fai^ le luflre qui le peinât y
Plus blanc efl Varcenic^ mais c^efl un luflre feinél^
Car c*efl mort^ c^efl poifon à celuy qui le mange.
Voflre blanc en plaifir taint ma rouge douleur,
Soyei douce du goufl ^ comme belle en couleur ^
Que mon efpoir ne/oit definenty par Ve/preuve^
Voflre blanc ne foit point d' aconit e noircy^
Car ce fera ma mort^ belle, fi Je vous trouve
Aujfi, blanche que neige & froide tout ainfi,
XLIII.
// te doit fouvenir^ Diane, en mon abfence
Des marques que ta gorge ^ & ton bras^ & ta main
Portent pour tefmoigner que le fort inhumain
A grand tort me priva du jour de ta prefence^
Car Nature avoit mis fort peu de différence
En ce que nous avons d^ apparent & d humain ^
En cinq marques encor que tu fçais, mais en vain
Eufl elle de nous deuxji chère fouvenance ;
Mon bras gauche efl marqué de mefme que le tien^
Ma main efl différente à la tiene de rien^
Si quey*hors la blancheur ^ quand elles font enfemble
Nous les mefcognoiffons : nous avons ^ toy & moy^
Encor trois feings pareil^ : Mais quel malheur pourquoy
A mon vouloir bruflant ton vouloir ne reffemble !
HECATOMBE A DIANE. 37
XLIV.
Que voy-je? une blancheur à qui la neige efl noire.
Des yeux ravis enfoy^ de foy mefme efblouis^
Des oilleti à l'envy des lys efpanouis^
Des doigts qui prennent luftre à ces marches d^hyvoire^
Mais qij^eft^ce qv^en oyant encor ne puis-je croire ,
Un cœlefte concert^ les orbes esjouisy
Qui me vole à moy mefme & pille efvanouis
Uame, le coeur ^ Vejprity les fens, & la mémoire.
Qui pourroit vous ouir^ fi belle vous voyant?
Et qui vous pourroit voir fi douce vous oyant?
O difficile choix de fi hautes merveilles!
Mon coeur s'envole à vous, tout Jlame & tout defir^
Certain de me quitter ^ incertain de choifir^
Le pajfage des yeux^ ou celuy des oreilles !
XLV.
Veux-tu plaider y Amour? ou ^ il faut que f endure
Les maux que tu me fais? non y fayme mieux plaider.
Je t^adjourncy j'informe y & veux te demander
Lafomme & Vintereft de tout ce que j'endure y
Tu me repareras Vinjujlice jb" Vinjure
Dont tu ufe envers moy; la Raifon veut m' aider y
Comptons y Amour, tous deux y commence à regarder
Mes fervices paffeiy & m'en paye l'ufure;
Ma Maijheffe fera pour moy à ce befoin :
Je la veux pour arbitre y ou juge y ou pour tefmoiny
Ouyy je veux qu'elle foit arbitre de ma vie y
Et ne puis recufery combien que je cognoys
Qu'elle n^a droiél efcript. ne couftumCy ne loix.
Et que. pour m' achever, elle e fi juge & partie.
' '"»
38 LE PRIMTEMS DO JIEUR d'aUBIGNE'.
XLVI.
Tremblant (Pune fiebvre bourrelle
Je pajfoy* la glace en froideur.
Puis une foumaife dP ardeur
Brufloit riionfang tr ma moelle.
L'amour premièrement me gelle^
APofte Vefperance de peur^
Puis fa violente chaleur
Vefpoir m'efchauffe la cervelle.
Je me pleignoy* amèrement
Des longueurs qui fi longuement
Faifbyent me defplaire ma vie :
U amour & mon rrutVheur fatal
De ma fiebvre quarte guérie
Me firent entrer en chaud mal,
XLVII.
En fendant l'eflomae de la Saulne argentine
Des avirons trenchant^^ qui en mille morceaux
F aifoyent jaillir en l'air mille bluettes d'eaux.
Je tuoy dedans l'eau une Jlamme divine^
Mais feftoy' bien deçeu : je fen' en ma poiélrine
Doubler mes feux efmeus^ mes playes & mes maulx.
Vivre y parmi les Jtots, les éternels Jlambeaux
Qui du ciel en mon fein efprirent leur racine.
Mille Nymphes des bois for tent leur chef d'argent
Sur les faulles feuilliei & fuivent en nageant
De l'oeil & de la voix^ & mes cris, & mes rames.
Où fuis-tu^ malheureux^ oit cerches~tu repos?
Penfes-'tu bien que l'eau noyé amour & les Jiammes?
Venus fu^ née en mer, & vit par my lesjlotj.
HECATOMBE A DIANE. « 39
XLVIII.
Tavoy^ juré ma mort & de mei tnfles fours
La defirable fin^ lorfyue de iàprefencé
Je me verroy^ batiny. Sus dôHc^ Aûbigné, pêHfé
A te priver du Jour ^ banny de tes amours!
Mais mourir c*efl trop peu^ je veux toHguir tousjoUrs,
Boire & fuccer le fiel ^ vivre (Timpatience^
M' endormir fur les pleurs de ta meurtrière abfence,
M'eflranger du remède & fuir mon fecours,
N'efl^ce pas bien mourir y me priver de ma vie?
Je ne vy' que de toy^ je n'ay donc pas envié
De vivre en te laiffant^ encores je me voué
A la plus rude mort quifepuiffe efprouver;
Qeft ainjt qi^on refuse un coup pour achever
Au condamné qui doibt languir fur une rôtie,
XLIX.
Si tofl que Vathour eujt empriffbnné moH ame
Soubj les eftroittes loix d'une grande beauté.
Le malheur qui jamais ne peut efire dompté
Acheva de tout point mon torment^ ^ fa Jlarhme :
L^un retint mon efprit à jamais prés ma dame^
L'autre arrache le corps ^ çà & là tormenté.
Iniquité cruelle^ inique cruauté
Qui deux poinéli tant unis en deux moitiei entame!
Voila comment je fay' d'un exil envieux
Mes fens nuds de vigueur^ fans leur regard mes yeux ,
Et chafque part de moy efl à part inutile.
Si le fan g & le coeur ne vivent plus dehors^
Si V efprit feparé ne fer t de rien au corps ^
Qui dira que Vexit n'ejl une mort civile?
40 LE PRIMTEMS DU SIEUR D*AUBIGNÉ.
L.
Quand du fort inhumain les tenailles fiambantes
Du milieu de mon corps tirent cruellement
Mon coeur qui bat encor & pouffe obftinement^
Abandonnant le corps ^ Jes pleintes impuiffantes^
Que je Jen' de douleurs^ de peines violentes !
Mon corps demeure Jec^ abbatu de torment
Et le coeur qu'on m'arrache efi de mon fentiment.
Ces parti meurent en moy^ l'une de l'autre abjentes.
Tous mes fens ejperdiq fouffrent de/es rigueurs^
Et tous ef gaiement portent de Jes malheurs
L'infiny qu'on ne peut pour départir efteindre^
Car l'amour efi un feu & le feu divisé
En mille & mille corps ne peut eftre efpuifé^
Et pour eftre party^ chafque part n'en eft moindre.
LI.
Pourquoyy fi vous voulie{ à Jamais me chaffer
Dufoleil de ma vie & hors de voftre grâce ^
N'avej-vous fait mon coeur changer aujji de place.
Puis quand il vous euft pieu fuir & defplacer^
Au moins avecq' l'efpoir vous deviei effacer
Le fouvenir de vous :fije perdoy^ la trace
De mes regret^ trenchanti^ comme de voftre face.
Je feroy^ par un mal un autre mal ceffer.
Vous n'eftes pitoyable & avej peur de V eftre ,
Vous fuyei ma raifon de peur de la cognoiftre.
Le juge eft impiteux qui bien loin déjà veuë
Fait mourir le captifs pour n'en avoir pitié ^
Et la playe que m'a faiâle voftre amitié
Eft plus forte que l'oeil de celle qui me tué.
HBCATOMBE A DIANE. 4I
LU.
Le fat qui efpiant mal à propos un aflre
D'une fauce aftralabe & d'un faux inflrument
Dit que je vous perdray dedans fix mois^ il ment.
Fortune ne niefi pas fi cruelle maraftre :
Je veuxfçavoir qui eft ce mignon^ ce folaftre^
Eftropié des yeux & de V entendement^
Luy arracher la barbe , & demander comment
Il eft fi libéral de prefeher mon defaftre,
Ouy, mais y ce dira il^ je le voy par le fort.
Regarde donc plus prés ^ tu y verras ma mort.
Voila un coup de pied^ aftrologue parjure ^
Par ton fort y maiftre fot^ voyois-tu ce malheur?
Defdy^ toy^ ou je veux^ monfieur le devineur^
Voir fi tu as preveu ta dernière adventure,
LUI.
Si ceft oeil foudroyant qui m'a tant defdaigné
N'a peu voir en mon f/ont la poltronne inconftance,
N'ay-je point mérité en jufle recompenfe
D'eftre aujjiprés admis que je fuis efloigné?
Penfe^ injufte beauté ^ fi tu m'avois donné
Seulement par effay un traiél de bienveillance ^
A quel effort d'amour croiftroit ma patience!
De quel brafier mon coeur feroit environné ^
Voyant luire aux beaux jours d'une face nouvelle
Un favorable ris pour un defpit rebelle;
Juge quelles feroyent mes ardentes fureurs ,
Si la main qui me pouffe apprenoit à m'attraire.
Si tes amers refus eftoyent douces faveurs ,
Comme on juge le bien à l'efgarddu contraire!
42 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
LIV.
Ceux qui n'ont à .compter que leUrs feinéies douleurs^
L'emmielle^ le venin du quel ili empoisonnent ^ •
Que le mal contrefaiél qu'eux me/mes Jlife dorment^
Pour chatouiller leurs fens de mignardes rigueurs^
Si ces adeloiiis eujfent fondé leurs pleurs
Sur les juftes courroux qui mon ame environnent^
Les foufpirs inconflans qui de leur fein frijfonnent
Neferoyent feinéli^ non plus que feinéles leurs douleurs.
Mais quoy! de mefmes pleurs leur tri fle face efl teinéle
Et mefmes fignes ont l'amour vray, tr la feinéîe.
Que ne puù^je arracher y monflrer mon coeur au jour?
Que ne fit Jupiter au fein une ouverture?
Las! faut-il que le temps prouve ce que j'endure.
Et que le pis d? aimer fait la preuve d'amour?
LV.
J'eftoy^ au grand chemin qui meine les amant{
Au jardin de Cipris cueillir la jouijfance
M^ Desfruiélj à demi meurs, d' aigreur , d'impatience y
L'^^^v Et ufoy^ en ce trac mon efpoir & me S ans,
ce chemin ejl fafcheux, plein de fables mouvantjj
VefpineSy de rochers, & la tendrette enfance.
D'un million de Jleurs qu'un pré mignard ageance
Montre à gauche un fentier qui pippe les pajfantj.
Je laiJe*pour l'aifé, le fafcheux & l'utile,
Je pren' le mal trompeur pour le bien difficile.
Mais plus je vay^ avant, je m^ engage tous jours
Emprifonné des eaux, des foffei & des hayes.
Là j'apprins pour l'efpoir à dévorer les playes
Et qu'en beuvant l'amer on mérite le doux.
HECATOMBE A DIANE. 43
LVI.
Celuy qui voit comment je me pais de regret^^
De deffeitts mal affis^ d^une efperance vaine ^
D'un trop tard repentir ^ éP une peur trop foudaiHe .
Lesfangloti eflouffei qtd fe /vivent de prés ,
Celuy qui voit comment y effaye tout exprès
A me noyer de pleurs au gré d^une inhumaine^
Des foufpirs de monjlanc revomiffant ma peine ^
N'ayant tant de cheveux deffus moy que de trebjf
Celuy là qui me voit^ ennemy de mon aife^
Brujler opiniaftre en cette mefine hra^Je
Qi£un amour trop confiant a voulu ati^er^
Me dit qu'il n'y a point de maifirejfe fi belle
Quipuiffe mériter qi£on pleure tant pour elle^
Ou bien qu'il 7^ y a point de vers pour la prifer,
LVII.
Chacun fouffre fon mal: tu nefenspas ma peine ^
Mon cœur fécond^ helas! tu ne fens pas mes maux.
Je me veux mal d'autant que fayme mes travaux.
Ainfi de mon amour je conçoy^ une haine.
Tu touches bien mon poulx hafié de mon haleine^
Tu fens bien ma chaleur^ ma^fiebvre^ mes travaux.
Tu vois mon oeil tourné, tu vois bien les ajfaulx
Qui font plus que ma vie eflre ma mort certaine;
Mais las! fi tupouvois fouffrir^ comme je fays^
Ce de quoy je me plein' ^ je te lairrois le fais
De porter feulement le fripon d'une oeillade :
Encor^ fefl-il advis que pour rien je me deus?
Mon mal efl ajfei grand pour en empefcher deux.
Mais le fain oublieux efi inique au malade.
>
44 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.
LVIII.
Mille baifers perdus ^ mille & mille faveurs^
Sont autant de bourreaux de ma trifle penfee^
Rien ne la rend malade & ne Va offenfee
Que le fuccre^ le rySy le miel^ & les douceurs :
Mon coeur efl donc contraire à tous les autres coeurs ^
Mon penfer efl bigarre ^ & mon ame infenfee
Qui fait prefente encor' une choie pajfee^
Crevant de defefpoir le fiel de mes douleurs.
Rien TÛefl le deflruéleur de ma pauvre efperance
Que le pajfé prefent : ô dure fouvenance
Qui méfait de moy mefme ennemy devenir!
Vivei^ amans heureux^ d'une douce mémoire^
Faites ma douce mort^ que tofl je puiffe boire
En Voubly dont fay Joif^ & non dufouvenir.
LIX.
Pour faire les tef moins de ma perte les bois
Et les lieux efgarejj pour contraindre les pleines
Et les roc'i endurcis & les claires fontaines
A donner les accent^ d'une féconde voix^
Pour faire les efchos refpondre par fept fois
A fes cris efclatans qui fortent de mes gennes^
En redoublant mes cris je redouble mes peines.
Je ralume le mal qi^amorty jepenfoys.
Mon malheur n'efl pas tel que je le puijfe feindre^
Ilfe monflre foy mefme ^ & ilfçait bien fe pleindre
Quand je le veux cacher foub^ la clef d'un bon cœur.
J'appelle lafcheté trop longue patience :
Vrayment taire fon mal efl figne de confiance.
Mais c'efl la marque auffi d'une foible douleur.
HECATOMBE A DIANE. 45
LX.
Je defpite à ce coup ton inique puijfance^
O nature cruelle à tes propres enfantin
Terre yvre de monfang^ ô aftres rougiffanti^
Bourreaux du ciel injujle^ avec(f leur influence
Je n^ay peur d^ef chauffer fur mon outrecuidance
Voflre. aveugle fureur^ vos courroux impuiffanti.
Ils font four ds y je le fçay^ car mes foufpirs cuifantj
If ont peu impetrer d^eux une povre audience;
Si en les diffamant je les puis faire ouyr^
J'auray en les faf chant de quoy me resjouir :
Ils entendront de moy tant d^ejîranges defafires
Contraires au defflin^ contraires à leurs cours ^
Q}iau lieu d'eflre ennemis^ j^auray à mon fecours
La nature^ la terre ^ & le ciel & les aflres,
LXI.
Si ceux là font damnej qui^ privej d'efperance^
Sur leur acier fanglant vaincus fe laiffent choi. ^
Sic^ejl damnation tomber en defefpoir^
Si s^ enferrer foy mefme eft une impatience y
N'eji^ce pas fe damner contre fa confcience^
Avoir foif de poifon^ fonder tout fon efpoir
Sur un fable mouvant ? hé ! où peut il avoir
Pire damnation^ ny plus aigre fentence ?
Un mefprifé peut il craindre fon dernier jour ?
Qui craint Minos pour juge après Vinjujîe amour ?
Defdaigné que je fuis^ comment pourroy^je craindre
Une roche^ un Caucafe^ un autour outrageux^
Au prix de mes tormenti? Je meurs pour avoir mieux.
Puifque de deux malheurs il faut choifir le moindre.
4/5" LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
LXII.
EJi'îl donc vray qv^û faut que ma veuë enchantée
Allume dans monfein ^homicide dejir
Qui fait haïr ma vie y & pour elle choijir
U aifi faccagement de ma force domptée?
Puù-je voir fans pleurer ma raifon fur montée
^Laiffhr monfens captif par la Jiamme périr ?
Puis^je voir la beauté qui me conflraint mourir
Se rire en fa blancheur de moy enfanglantee?
Je maudy^ lesjiertei^ les beautei & les cieux^
Je maudy mon vouloir ^ mon defir^ & mes yeux.
Je loueroy^ les beautei^ cieux & perfeverance ^
Si la beauté vouloit animer fa pitié ^
Si les cieux inclinoyent fur moy fon amitié.
La dure fermeté ^ fi elle efioit confiance.
LXIII.
Comment veux^je que Vame^ & foible & defolee.
Commande à mon defir & corrige mes yeux
Efchauffei du divin & des forces des cieux
Contre qui toute force en vain efl efbranlee ?
Comment peut l^ame humaine efchapper afolee
De la mefme rigueur qui fait cent fois les Dieux
Perdre leurs dignittei & mourir amoureux ?
O ame pour jamais deftruiâle^ enforcelee !
Je veux bénir les cieux ^ ma dame^ à' fa beauté^
Je beny mon defir ^ mes yeux^ ma volonté ^
Car ma perte me plaifi^ je me plais à ma Jiamme.
Les Cieux m'ont fait heureux d'aimer en fi haut lieu :
Ma dame & fa beauté^ d'homme me font un Dieu,
Bruflent le corps pour mettre au ciel d'amour fon ame.
HECATOMBE A DIANE. 47
LXIV.
Je ne fçay' fi je doy' ejhmer par rai/on
Le Jour ou lafaifon ou contraire^ ou heureux
Que je vy' de fes yeux la Jlamme gracîeufe
Empoifonner mes fens d'une douce poifon.
Ses deux Souleili me font heureux en la prijon
Où loge la douceur & la peine engoijfeufe^
Mais telle qu^elle foit^ ou douce ^ ou ennuyeuje^
De la four ce du mal fefpere guerifon.
Je n^en veux qi^à ces yeux^ non aux fiensy mais aux miens ^
Et quand tout efl bien diél^ (Taux miens & aux fiens ^
Car les traiflres ont eu entr'eux intelligence :
Les fiens plus cauteleux me prindrent endormy
Et les miens ne veilloyent que veillant^ à demy^
Ou bien Us veilloyent trop^ volanti ma patience.
LXV.
Fortune r^eufl jamais tant d'inconflance^
Tant de malheur^ de prompt événement
Que fay de peur^ de peine ^ de tourment^
En apprenant que c'efl quobeijfance ;
Je fuis fafcheux aimant vojire prefence^
Trop grand Seigneur la fuyant fagement^
Je ne fçeus oncq' une fois feulement
En vous fervant me donner patience^
Eftant hardy, je fuis fol^ hajardeux^
Si je fuis f âge ^ on m'appelle paour eux ^
Voyei comment il fer oit difficile
De donner loy â la fureur des venti :
J'ay fait naufrage aux rages d'une Scylle.
Fuyant Caribde & les fcyr thés mouvant^.
48 LE PRIMTEMS DU SIEUR D*AUBIGNÉ.
LXVI.
combien le repos devrait eftre plaifant
Après un long chemin^ fafcheux & difficile !
combien lafanté qui tire le débile
Hors du liél par la main^ le va favorifant^
Combien^ après la nuiàlj lefoleil reluifant
Fait paroiflre au matin fon jour doux & utile ^
Combien après Fhyver vault un printemps fertile ^
Et le lephir douillet après le froid cuifant !
Combien après la peur efl douce Fajfeurancej
Après le defefpoir efl chère Pefperance^
Après le fens perdu recouvrer la raifon !
combien à fouhaity combien delicieufe
Seroit ma liberté après cefle prifon^
Combien au condamné feroit la vie heureufe!
LXVII.
DoéleurSj qui annoncei que nos Efprit^ ont eu
Entrant dedans leur corps ^ de la main de leur père y
Le choix du bon^ pour voir & fuir le contraire ^
Et que V arbitre franc du Ciel ili ont reçeu^
Si vous avieiy cagoti^ fait preuve de ce feu
Quifçait de mon plaifir ma volonté diftraire^
Qui fait haïr mon bien & mon malheur me plaire ^
Et ne pouvoir vouloir ^ vouloir ce que je fuis^
Vousfçauriei que Vefprit fe fent de fon organe,
T en fis la preuve allors que les yeux de Diane
Changèrent mon vouloir à ne vouloir qi£ amour ;
Ma volonté r^efl plus volonté qi/à faux tiltre^
Je voudroy n^ aimer point ^ & fayme de ce jour
Ce qui m^ofle le choix ^ Vame & le franc arbitre.
HECATOMBE A DIANE. 49
LXVIII.
Ceft eflhomac de marbre efl^ pas fi^ffiiant
Pour monflrer que le cœur qui là dedans s^emmme
Comme luy efl de marbre & âefiojfe plus dure
Qjiun roc invariable^ endurcy & pefant !
Tayme bien la beauté du marbre reluifant^
Mais je n^y puis graver ny terme ^ ny peinélure ;
Tableau fainél où mon nomfervira de figure^
Sois dur à V effacer ainfi qiien Vincijantj
Car fi les diamantife gravent par les eaux.
Et fi Fon voit les roch^ fendui par les rwffeauX;
Si du borgne Affricain lefiyin^ les feux auffi
Parmy les roch^ brifés firent chemin aux armes ^
Je graveray mon nom fiir ce cœur *endurcy^
Le bruflant de mes feux y le mynant de mes larmes.
LXIX.
Un povre ferf bruflant d^un tel feu que le mien^
Longtemps humilié ^ dif courant à fa dame
Son amour y fa confiance & fa volante Jlamme
Eut pour refponfe enfin qi/elle v^en croyoit rien.
Un' autrefois louant fa grâce ^ fon maintien ^
Ses vertus y fa beauté qui le tue & Venfiamme^
Son corps digne des deux, la prifon de Jon ame^
Elle dit : (( Taifei-vous^ car je le cognoy bien, »
Ha ! dame y qui v^es moins fiupide qi^ or gueilleu\e ^
Deceué que trompant ^ fiere que defdaigneuie ^
Il faloitj pour refpondre au vray & fagementj
Mettre au premier difcours ta refponfe dernière^
Garder à tes bautei l'ignorance première^
Et tu euffes cogneu ta faute & mon torment.
III. 4
»
50 LE PRIMTEMS DU SI£Ua D AUBIGNE.
LXX.
Diane y des h Jour qup Vefclair de ta face
Ajfjrùmda mes yeux d^un apjpas enchanteur j
Je'n^ay peu advifer fi je dpy plus d^honnewr
A ta douce beauté^ ta fagejfe^ ou ta grâce :
Uune me brufle^ & l'autre a fait trqnfir de glace
Mon efpoir^ la trqifieme a mis dedans mon cœur
Un vif pourtrqiél non feinél d'une feinte douceur j
Fondement fablonneux oà J^affieds mon audace;
Ta beauté fit voler mon ardeur jufqi^ aux CieuXj
Tafagejfe Paffeure & fait efperer mieux ^
Tes gracieux accueils eflevent mon envie;
Ta beauté me fera fupporter ta^ rigueur^
Ta fo-geffe pourra excufer moj^ erreur ^
Ta grâce interinant la grâce de ma vie,
LXXI.
Les lys mefemblent noirs ^ le miel aigre à outrance.
Les ro\es fentir mal y les œillets fans couleur ^
Les mirthesy les lauriers ont perdu leur verdeur ^
Le dormir m^eft fafcheux Cr long en votre abfence^
Mais les lys fujfent blancs y le miel doux^ & je penfe
Que la roie & V œillet ne fujfent fans honneur ^
Les mirtheSj les lauriers fujfent verds du labeur.
J^eujfe aymé le dormir avecq' voftre prefence^
Que fi loin de vos yeux à regret m^abfentantj
Le corps enduroit feul, ejiant l'efprit content :
Laiffons le lys y le miely roieSy œilleti defplaire^
Les myrthesy les lauriers des le printemps Jletrir^
Me nuire le repos, me nuire h dormir y
Et que touty horfmis vouSy me puiffe eflre contraire.
UJECATOMBf A O^ANE. 5I
\
LXXIL
Après avoir hué vas beauief roM^mUêSj
Et ce çMe vos beaux yeux^ 4y ce qus. U Jiurar
Pour vous emûrguedlir vous ont peu faire' ivwr^
De nos oMUâiions les causes fi puàfantesj
Wabatardijfei pasr/es munortelles plantes :.
Tant de belles couleurs ne foyent pour decepoiry
Ne trompeipas les yeux y prenei plaifir éPavair
Et lefucre & le mielfoubi les Jleurs juumfftmUs^
U aigreur & Pamertume & fuc empoifonnewr '
Sont aux herbes des champs ^mux plantes fans^honeur
Qui parent des defens\ les Jblitaires plaines;*
Les arts y la nourriture ^ & Porigine en' vous
Ne vous, permettent pas autre frm'â que le- doux,
Ny de fjTAnches. couleurs cacher defauces graines,
LXXtII.
Nos defirs font d'Amour la- dévorante braife^
Sa boutiqjie nos corpsy fes Jiammes nos douleurs y.
Ses tenailles nos' yeux y & la trempe nos pleurs ^
Noi feufpirs fes fouffieti^ & nos feins fa fowrnai\e ;
De courroux y fes marteaux y il tourmente nqftre aije
Et fur la dureté il rabbat nos malheurs y
Elle luy fert d'enclume & d^efloffe nos cœurs
Qi/au feu trop violent de nos cœurs il appàifey
Afin que Vappaifant & mouillant peu à peu .
Il brufle d'avantage & rengrege fon feu.
Mais V abondance d'eau peut amortir la Jlamme :.
'Je tromperay Venfanty car penfant m'embrafery
Tant de pleurs fortiront fur le feu qui m'enfiame
Qi^H noyerafa fournaifç au lieu de Parrofer^
52 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNJ^.
LXXIV.
Ceux qui font à leur dos un innocent outrage,
Enhardis à leur perte (?* fur foy courageux,
. Bourrelei des pechei & des tours vicieux ,
Qui reviennent au rouge en Içur afpre courage^
Ont mi humeur pareille à V amour eufe rage.
Je fuis cruel fur moy, ils font cruel^fur eux^
Ilj penfent mériter ^ & je mefen' heureux^
Comme ilifont de leurs coups , de mon propre dommage;
D'un lele hypocritique ils perdent la pitié,
Je fuis impitoyable en ma folle amitié,
Ils pleignent fort leurs maux, moy Je ne puis me taire.
Mais ils font repentant d'un énorme forfait.
En ce poinâl feulement noflre mal ejî contraire,
Car fi je fuis martyr, c^efi pour n'avoir rien fait,
LXXV.
Que peut une galère ayant perdu la rame.
Le poijfon hors de l'eau, la terre fans humeur.
Un Roy fans f on confeil, un peuple fans Seigneur,
La falamandre froide ayant perdu lajiamme?
Que pourra faire un corps deflitué de l'ame.
Et le fan orphelin par le coup d'un chajfeur?
Beaucoup moins peut encor le trifte ferviteur
Efgaré de fan cœur, & des yeux de fa dame,
Helas ! que puis-je donc? je ne puis que fouffrir
Et ma force me nuit m^empefchant de mourir.
Je j^imagine rien qiiun defefpoir d^abfence.
Je puis cercher le fonds de ma fiere douleur,
Uejfence de tout mal, je puis tout pour malheur^
Mais c^ed à me guérir qiion voit mon impuiffance.
N.
HECATOMBE A DIAKE. 5}
LXXVI.
he jardinier curieux de Jes Meurs ^
De jour en jour béant leur accroiffance^
Ardent les voùj & les efpte, & penfe
Qv^elles ont trop encoffré leurs couleurs;
Mais lorjqiiau Uél il endort Jes labeurs y
Son jardin fait y cefemble^ en fan abfance
Plus de profit que quand par fa prefence
Il amufait des herbes les rigueurs;
J^en fais ainfi m^ejloignant de mon fau :
Je Pai trouvé en mon repos accreu.
Comme il eft né ^accroiffant de pareffe
Sans moy^fair moy il ràonftrefas effort^y
Il me pourfiàt lors que je le delaiffey
Oefl un malheur qui veille quand je dors,
LXXVII.
Je deploroy^ le fart éPune branche orpheline
D'un faulle my-mangé que la ruftique main
Faifait farvir d'appuy à un fap inhumain
Ingrat de ce qui Vha prefarvé de ruyne,
La mort proche Vaffechey & du fap la racine
Luy ofle lafiibflance encory il pouffe en vain
Les cyons malheureux qiiun trop chaud lendemain
Ou un bi^e trenchant en un coup extermine.
Las! je i^immortaliie y & te deffends du port
De Voubly ténébreux y tu me donnes la mort y
Faifant faner y mourir ma tendre tte efperance :
Quand fans efpoir j'efpere une fin à mes pleurs y
Tu me meurtris y ingratte y au jour de ma naiffancey
Des vent{ de mesfaufpirsy des faux de mes douleurs.
54 LE PRIMT^MS DU SIEUR. D AUBIGN'E.
Lxxvni.
Soubi un oeil langmjfant & pleurant à demy^
Soubi un humble mainnen^ foubi une douce face y
Tu cache %in faux regard^ un efclarr de menace ^
Un port enorgueUly^ un vifage ennemi;
Tu as de la âafuxur^ mais il y a parmy^
Lesfix parts de poifon^ dejoubj ta bonne grâce
Un dejdain outrageux à tous coups trouve place;
Tu aymes Padverfaire tr tu hais ton amy^
Tu fais de Vaffewree & tu vis éFinconftance ;
Ton risfent le defpit : fomme ta contenance
Efl femblable â la mer qui cache tout ainfi
Soubi un martre riant les efcueils^ le defaftre^
Les venti^ les fotjy les mort^ : ainfi fait la maraflre
Qui defgaife de mùl Paconite noircy.
LXXIX.
Je ne m'eftonne pas fi du ciel adultère
Uimpudique Venus conçeut furtivement
Le bourreau^ des humains l'ingénieux tourment.
Et des efpriti bien nej le venimeux cautère.
Amour ^ Je croys qu^allors que ton malheureux père
Fuft au liû de Vulcan. c^eftoit fignallement
Au jour que du déluge il fit cruellement
Eflrangler par Thetis Cybelle noflre mère;
Le Saturne ennemy qui dominoit le Jour
De ton enfantement tel afcendant amour
Fuft le figne des pleurs ^ dont la terre regorge;
Mais pourquoy Juftement ne permit le deftin
Que le déluge ait peu^ de ce fili de putain
CoÊqjper les coups, les Jours ^ la naijjance & la gorge Y
HECATOMBE ^ DIANE. 55
Lkxx.
I
.. . . ' •
On dit que la vapeur des inynès julpKurees
Repouffe contre mont une fecrette humeur
Des veines de la terre^ & de cefle liqueur
Sont comme eh Valerrdyic^ les fources engendrées^
Qui voudra voir en moy ces chojès comparées^
Qu^il regarde comment la fecrette chaleur
Qui rr^efchauffe lefang fait monter àe mon cœur
Aux fources de mes yeux les larmes defje'rées.
Cefle four ce fumante efl de fouffre & é^alun
Par qui mes pleurs ne font d^un ufage commun;
Les Bains de Bar^le^Duc nous portent médecine
Par ces deux mineraulx dont ils font eflojfeij
Mes pleurs font médecins des maux dé ma pSiÛrine^
Plus amers que F alun ^ plus que souffre efchauffej.
LXXXI.
Beau foleil qui exhale & chaffe lés vapeurs^
Qui meti la terre en poudré, & Vényv'res de Ponde ^
Caufe des changements 6* bel amé du mondé ^
A quoy les changements & maux, defquels je meurs,
Cette belle inconftance efl mère des faveur s ^
Du ciel ce beau changer pare la terre ronde :
Qi£il change aujfi, ma dame^ en forte qii elle fonde
En amours j en plaifîrs^ en peines & en pleurs.
Cefl aflre qui me luit des rayons defon oeil
Fait en moy ce que fait au monde le foleil ^
Exhale mes humeurs ^ & puis les fait dîffoudré^
Tousjours reduiél en cendre^ ou noyé de ruiffeaux^
AujouréPhuy affeché^ par le chault mis eh poudre.
Le lendemain ma vie efl un déluge (féaux.
56 LH PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE.
LXXXIL
Je voyoy que le ciel après tant de chaleurs
Prodigeoit mille Jleurs fur la terre endurcye :
Puis je voyoy^ comment fa rigueur amollie
Faifoit naifire de là le printemps & les Jleurs.
J'arrofe bien ainfi & trempe de mes pleurs
Lefein de ma Deeffe^ & ma force affoiblie^
Mes yeux fonduj en eau^ ces brèches de ma vie^
N^ont attendry ma dame & noyé mes ardeurs.
Des neiges y des frimati^ & mefrnes des orages
La terre efclofi fon fruiH ^ à' fes riches ouvrages
Qv^un doux air puis appris Jlatte de fes foufpirs :
Helas ! je fouffre bien les ennuieufes guerres
Des cieuXj des ventj^ les froids^ les pluyes & les tonnerres^
Mais je ne voy^ ni Jleurs^ ni printemps^ ny lephirs!
LXXXIII.
Ce doux hyver qui efgale fes jours
A un printemps j tant il eft amiable ^
Bien qurilfoit beau^ ne ntefl pas agréable^
J'en crain^ la queue ^ & le fuccei tous jour s;
J'ay bien apprins que les chaudes amours
Qui au premier vous fervent une table
Pleine de fuccre & de met^ deleélable
Gardent au fruid leur amer & leurs tours :
Je voy^ desja les arbres qui boutonnent
En mille neu^^ & ces beautei rr^eflonnent :
En une nuiél ce printemps eft glacé;
Ainfi V amour qui trop ferein s'advance
Nous rit y nous ouvre une belle apparence,
E(l né bien tofl & bien toft effacé.
H£CATOMB£ A DIAK£. 57
f
LXXXIV.
Ores qiton voit le del en cent milles bouchons
C racheter fur la terre une blanche dragée^
Et que du gris hyver la perruque chargée
Enfariné les champs de neige ir de glaçons^
Je veux garder la chambre^ & en mille façons
Meurtrir de coups plombei ma poiéirine outragée.
Rendre de moy fans tort ma Diane vengée^
Crier mercy fans faute enfes trifles chanfons,
La nue face effort de fe crever ^ fi ay~je
Beaucoup plus de torment\ qiielle de brins de neige.
Combien que quelquefois ma peine continué
Des yeux de ma beauté fente Fembraffement^
La neige aux chauds rayons du foleil diminue^
Aux feux de mes foleils f empire mon torment,
LXXXV.
Desja la terre avoit avorté la verdure
Par les filons courbej^ lorfqiiun fafcheux hyver
Dijfipe les beautej^ & à fon arriver
S'accorde en ^oppofant au vouloir de nature^
Car le froid envieux que le bled verd endure ^
Et la neige qui veut en fon fein le couver
S'oppofe à fon plaifir afin de lefauver^
Et pour y en lefauvant^ luy donner nourriture.
Les efpoirs de F amour font les bleds verdiffanti^
Le defdain^ les courroux font frimati blanchiffanti :
Comme du temps fafcheux s'efclot un plus beau jour^
Soubi l'ombre du refus la grâce fe referve^
La beauté du printemps foub^ le froid fe conferve^
L'ire des amoureux eft reprife d'amour.
58 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE'.
LXXXVI.
Par Jes yeux conquèrans fufl triflement ravie
Maferve liberté ^ en la propre faifon
Que le Joleil plus chault reprend fur Vorifon
Sa courfe ^ autre part qti^il ne Va pourfuhie^
Et au poinél proprement du Joltice^ ma vie
S^engàgeant par les yeux^ enchaîna fa raifon.
Et garda des ce jour la chaîne^ la prifon^
Les malrtyrs^ les feux^ les geenes & Fenvie,
Je me fen' en tout temps que c^eftoit au plus haut
Des Jlambeaux de Veftéj puis que ce jour fi chattd
Mille feux inhumains dans lefein rr^a planté:
Sur qui Fhyver glacé r^a point eu de puiffance :
Ma vie r^efi ainfi q\iun éternel efté^
Mais je ne cueille frm'éli^ efpicSy ne recompenfè.
Lxxxvn.
On ne voit rien au ael^ en la terre pe^ante^
Au feuj en FeaUj à Pair^ qu'en le conjiderant
Mon efprit affligé 7^ aille fe martirant^
Et mon amefurfoy cruellyie infolente^
Quand une ame celejîe^ une pareffe lente
A me donner la vie^ un brandon dévorant^
Une mer d' inconfiance ^ & un efprit courant
Poffedent la beauté qui feule me tourmente.
Elle a reçeu des deux fa celejh grandeur ^
Sa durté de la terre ^ & du feu la chaleur^
Uinconftance de VeaUy tr de Voir la colerre.
Si que^ belle endurcye^ elle peut s^efgaller
jy ardeur y fans fe brufler^ d'iHconftance légère
Au ciel & à la terre^ à Vonde^ à Veau, à l'air.
-1
M£CATOMB£ A D1AK£> 5J>
LXXXVIII.
Diane, en adorant tant 4e divînitèi
Dont le rond moftftre ^n ioy la pârfaiéh JUg^t^y
Je recherche la cauje au malheUr que f endure
Deffus ton naturel j & tes proprûte^ :
Tu es Vaftre du frùid ^ dêt himàdàei
Et les eaux de la mer te ftdvént de naturèy
De là fort ton defdain^ ta glace ^ ta frtfidurëy
Et les Jloti de mes pleurs Jmvtnt tes v6loHtè\
Dont je fuis efbahiy qui fait qW^ cefie jlàttufte
Qui r^a autre vigueur que des feux de mon a,tnè
Wa peu efhe amortie au milieu de tant d'eaux :
Noye^ grefU^ Deeffe^ une braife mortelle ^
Ou je blaphameray frenetùf de mes maux y
T'appellam en courroux trop fbible, trop cruelle.
LXXXIX.
Diane^ ta coujîume efl de tout dèfchirer^
Enjiammer^ dejbrifer^ ruiner^ mettre eri pièces ,
Entreprinfes^ dejfeins^ efperances ^ fineffes y
Changeant en defefpoir ce qia fuit ejperer.
Tu vois fuir mon heur^ mon ardeur empirer ^
Tu m'affeure du laiél^ du miel de tes carefjes^
Tu refondes les coups dont le cœur tu me bleffes
Et T^as autre plaifir qv^à me faire endurer ^
Tu fais brufler mes vers lorfque je t^idolaflre^
Tu leur fais avoir part à mon plus grand defajhe :
(( Va au feuy mon mignon^ & non pas à la mort.
Tu es efgal à moy^ & feras tel par elle, »
Diane reperd toy, penfe que tu as tort
Donner la mort à ceux qui te font immortelle.
62 LE PRIMTEMS BU SIEUK. b'aUBIGNE.
XCiV.
Si vous voyiei "^^ coeur ainfi que mon Mitfag^y
Vous le vernei fa^gl^iU., tranfp^rcé mille foisy.
Tout iruJUy çrevafféy vous feriei fans ma voix
Forcée à me pleurer ^ & brifer voftre rage.
Si ces maux n^appaifoyent encore voftre courage y
Vous ferie\^ ma Diane ^ ainfi comme nos Rois*
Voyant voftre pourtraiél ftyuffrir les mefmes loix
Que fait voftre fubjeél qui porte voftre image :
Vous ne jettei brandon^ ne dard^ ne coup^ ne t/ai(9j
Qui n^ ait ayant mpn. of^r percé voftre pourirai^^ ,
C'eft ainfi qiion a veu en la guerre civile
he Prince foudroyant d^un outrageux canon
La place qui portpitjes armes &fon nom^
Deftruire fon. honneur pour rainer fa ville^,
xcv.
Sort inique, & cruel! le trifte laboureur
Qui s^eft arcué le dos à fuivrefa charrue^
Qui fans regret femant la femence menue ^
Prodigua de fon temps Vinutile fueur ^
Car un hyver trop long eftouffa fon labeur^
Luy defrobbant le ciel par Vefpais d*une nue y
Mille corbeaux pûlarts faccagent à fa veué
Uefpic demy pourri^ demyfec^ demy meur :
Un efté pluvieux^ un automne de glace
Font lesjleursj & les fruiéli, joncher F humide place,
A fer vices perdus! A vousj promeffes vaines !
A efpoir avorté ^ inutiles fueurs !
A mon temps confommé en glaces & en pleurs.
Salaire de monfang^ & loyer de mes peines!
HECATOMBE A 1>IANJ(. 6^
Je brufle aveccf mon am^ & monjimg^ rougiffà/ft-
Cent amoureux fonneti dormei pour mon mariire^
Si peu de mes langueurs qu^il n^efl permis iejcriffi.
Soufpirant un hecate. & mon mal gemiffanfj
Pour ces juftes raifons foi obfervé les cent :
A moins de cent taureaux on ne fait cejfer Pir^
De Diane en courroux^ & Diane retire
Cent ans hors de P enfer les corps fans monument.
Mais quoy? pm's-Je cognoiflre au creux de mes hofties.
A leurs boyaux fumans ^ à leurs rouges^ parties
Ou Vire y ou la pitié de ma divinité?
Ala vie eft i fa vie^ & mon ame à^a fiene^
Mon coeur fovffre en fon coeur : la Taurofcytiene
Euft fon defir de fan g de mon fan g contenté.
XCVII.
Ouy^ je fuis proprement à ton nom immortel
Le temple confacréy tel qi£en Tawofcytie
Fuji celuy où le fang appaifoit ton envie ^
Mon ejlhomac pourpré ejl un pareil autel :
On t^ajfommoit V humain^ mon facrifice ejl tel^
Uholocojie ejl mon coeur ^ V amour lejacrifie^
Les encens mes foufpirs^ mes pleurs font pour Vhojlie
L'eau lujhalle^ 6* mon feu n'ejl borné ny mortel,
Conjerve^ Deité^ ton efclave & ton temple ^
Ton temple & ton honneur ^ 6* ne fuy pas V exemple
D'un pendart boute-feu qui^ brujlant de renom^
Brujla le marbre cher^ & Fivoyre d'Epheie,
Si tu m'embraffes plus^ n'atten' dernoy jinon
Un monceau d'os^ de fang ^ & de cendre, & de braije.
64 I-E PRIMTEMS DU SIEUR D^AUBIGNE'.
XCVIII.
Ce riefi pas un deffein formé à mon plaifir^
Je T^ay pris pour mon blanc de tirer à Futile ^
Le vif âge riant du doux & du facile
Wa incliné mon coeur ni mon ame à choifir.
Je riay point marchandé au gage du plaijtr;
Nature de fa main^ de fon art^ de fon flile
A efcript fur mon front l'amour du difficile .
Tire au ciel mes penfers contents du feul dejir^
Clair afire qui fi haut m'efleves & rr^incline^
Que je meure aux rayons de ta beauté divine^
Pareil au beau Clitye amoureux dufoleilj
Quifeche en le fm'vant^ & ne pouvant plus vivre ^
Ne regrette en mourant & en fermant fon oeil
Que de ne plus languir^ V adorer & lefuivre,
XCIX.
Soupirs efparSy fanglotj en Pair perdus^
Tefmoins piteux des douleurs de ma genne^
Regret^ trenchant^ avortej de ma peine ^
Et vous y mes yeux^ en mes larmes fondus.
Defirs tremblant^y mes penfers efperdus^
Plaifirs trompe^ d'une efperance vaine^
Tous les treffauli qu'à mxi mort inhumaine
Mes fens laffei à la fin ont rendais
Cieux quifonnei apprés moy mes compleintes^
Mille langueurs de mille morti efleinéles^
Faites fentir à Diane le tort
Qu^elle me tient ^ de fon heur ennemie ^
Quand elle cerche en ma perte fa vie
Et que Je trouve en fa beauté la mort !
HECATOMBE A DIAN£. 65
c.
Au tribunal d^ amour ^ appres mon dernier jour ^
Mon cœur fera porté diffamé de brujlwes^
Il fera expofé^ on verra fes bleffuresy
Pour congnoiflre qui fit un fi eflrange tour^
A la face & aux yeux de la celefte Cour
Où fe prennent les mains innocentes ou pures ;
Il feignera fur toy^ & compleignant d'injures
Il demandra juflice au juge aveugle Amour :
Tu diras : C'efl Venus qui l'a fait par fes rufes^
Ou bien Amour ^ fon fili : en vain telles excufes /
l^'accufe point Venus de fes mortels brandons^
Car tu les as fournis de mefches & fiammefches^
Et pour les coups de traiéi qiion donne aux Cupidons
Tes yeux en font les arcs^ & tes regards lesjiefches.
m. $
"DEUXIEmE LIVIDE'
STANCES.
I.
Tous ceulx qui ont goufté combien de morti on neuve
Couvertes foubj les fleurs d'une longue amitié ^
Ceulx qui en bien aimant ont bien feu faire preuve
De leurs cueurs & non pas d^un regard de pitié j
Ceux qui affriandoient comme moy leurs penfees
D'un poifon enfucré^ loyer de leur printemps ^
Qi/ils lifent mes regreti & mes larmes vercees^
Et mes fanglotj perdus aux pertes de mon temps.
Mais ceulx là qui auront d'une rude fagejfe
Refflé à V amour y les fauvages efprit^
Qui n'ont ploie le col au Joug d'une maitreffe^
Je leur deffends mes versj mes rages & mes cris.
1. Le manufcrit portant le titre de Primtems renferme :
!• V Hécatombe à Diane pi-éparée par d'Aubigné pour l'impref-
fion ; a*' des fiances t des odes qui, d'après une table de la
main de d'Aubigné, femblaient devoir compofer un deuxième
& un troifième livre; j*^ un grand nombre de pièces de tous
genres que nous avons placées à la fuite. Quelques-unes, plus
particulièrement fatiriques, ont été reportées au tome IV, à
la fuite des Tragique^ & des Éptgrammes,
68 LE PRTMTEMS DU SI£U& B'aUBIGNÉ.
•
Les uns goûteront bien Famé de mes complaintes
Par les effeti fanglans d'une avare beauté^
Les autres penferoient mes larmes eflre feintes ^
De l'aigreur de mes maulx doubtans la vérité.
Ha ! bien heureux efprit^j oej/e^^ Je me contente.
N'efpiés plus avant lefens de mes propos^
Fuiei au loin de moy^ & que je me tormente
Sans troubler importun de pleurs voflre repos !
Sus! triftes am^ureux^ recourons à nos armes
Pour r^en bleffer aucun que nos feins malheureux^
Faifons un dur combat & noions en nos larmes
Le refte de nos jours en ces fauvages lieux,
UJons icy le fiel de nos fafcheufes vies^
Horriblant de nos cris l^ umbres de ces bois :
Ces roches égarés ^ ces fontaines fuivies
Par l'echo des forefti refpondront à nos voix.
Les vens continuelle Vefpais de ces nuages ^
Ces eflans noirs remplis d^afpi\y non de poiffbnsj
Les cerfi craintifi^ les ours .6* leiardes fauvages
Trancheront leur repos pour ouir mes chanfons.
Comme le feu cruel qui a mis en ruine
Un palais y forcenant léger de lieu en lieu^
Le malheur me dévore^ & ainji m'extermine
Le brandon de F Amour ^ V impitoyable Dieu,
Helas! Pans forefliers & vous Faunes fauvages ,
Ne gueriffei vous point la plaie qui me nuit^
Ne favei vous remède aux amoureufes rages.
De tant de belles Heurs que la terre produit,
Aufecours de ma vie ou à ma mort prochaine
Acoïtreie Deités qui habités ces lieux,
Oufoiei médecins de ma fanglante peine .
Ou faites les tef moins de ma perte vos yeux.
Relégué par my vous ^ je veux qu'en ma demeure
Ne foit marqué le pied d'un délicat plaifir^
STANCES. 6^
Sinon lors qv^U faudra que confommé je meure ^
Satisfait du plus beau de mon trifte defir.
Le lieu de mon repos efl une chambre peinte
De mil os blanchijfans & de teftes de mortj
Où ma Joie eft plus tofl de fon objeél efteinte :
Un oubly gratieux ne la poulce dehors.
Sortent de là tous ceulx qui ont encore envie
De femer & chercher quelque contentement :
Viennent ceux qui vouldront me rejfembler de vie^
Pourveu que l'amour foit caufe de leur t or ment.
Je mire en adorant dans une anathomye
Le portrait de Diane entre les os^ afin
Que voiant fa beauté ma fortune ennemie
U environne partout de ma cruelle fin :
Dans le cors de la mort fay enfermé ma vie"
Et ma beauté paroijf horrible dans les os.
Voila commant ma joye eft de regret fuivie^
Gommant de mon travail la mortfeulle a repos.
Je veulx punir les yeux qui premier ont congneui
Celle qui confina mes regret^ en ces lieux :
Jamais voflre beauté n'approchera ma veué
Que ces champs ennemis du plaifir de mes yeux.
Jamais le pied qui fit les premières aproches
Dans le piège éP amour ne marchera aujp.
De carreau plus poly que ces hideufes roches
Où à mon gré trop tofl il s^efl reendurcy.
Tu ji^ auras plus de gans^ o malheureufe dextre
Qui promis mon départ & le tins conftemment
Ung efpieu raboteux te fera mefcongnoiftre
Si ma dame vouloit faire un autre ferment,
Ueftommac aveuglé en qui furent trahies
Mes vaines^ & par qui j'en gageay ma raifon.
Ira neû & ouvert aux chaleurs & aux pluies^
Ne changeant de l'abit comme de la faifon :
70 LE PRIMTEMS DU SIEUR D*AUBIGNÉ.
Mais un gris envieux^ un tané de trifteffe
Couvriront fans façon mon cors plain de fueurs :
Mon front batUj lavé des orages ne laiffe
Les trajfes & les pas du ruiffeau de mes pleurs,
Croiffei comme mes maulx^ hideufe chevelure^
Mes larmes y arojés leur racines ^ je veulx^
Puis que l'acier du temps fuit le mal que J'endure ^
Uacier me laiffe horrible & laiffe mes cheveulx,
^.^out cela quifent l'homme à mourir me convie ^
En ce qui efl hideux Je cherche mon confort :
Fm'ei de m^y^ plaifirsy heurs y efperence & vie,
Venei^ maul^ & malheurs & dé{fefpoir & mort !
Je cherche les deferti^ les roches egairees^
Les forefti fans chemin^ les chefnes periffans^
Mais Je hay les forejè^ de leurs feuilles parées^
Les fejours frequentei) les chemins blanchiffams.
Quel plaifir c^eji de voir les vieilles haridelles •
De qui les os mourons percent les vieilles peaux :
Je meurs des oifeaux gais volons à tire d'ailes,
Des cources des poulains & des faulx de chevreaux !
Heureux quant Je rencontre une tefle fechee.
Un maffacre de cerf, quant J'oy' les cris des fans;
Mais mon ame fe meurt de defpit affechee,
Voians la biche folle aux faulx de fes en fans.
J'ayme à voir de beautei la branche defchargee,
A fouller le feuillage eflendu par P effort
lyAutonne, fans efpoir leur couleur orangée
Me donne pour plaifir V y mage de la mort.
Un étemel horreur, une nuit étemelle
M'empefche de fuir & de for tir dehors :
Que de Vair courroucé une guerre cruelle,
AinJi comme Vefprit, ir^ emprifonne le cors!
Jamais le cler foleil ne raionne ma te fie.
Que le ciel impiteux me refufe fon œil.
STANCES. yi
S^il pleut y qu^avec la pluie il crevé de tempefte^
Avare du beau temps & jaloux du foleû.
Mon eflre foit hyver & les faijons troublées^
De me^ ofiéHons fe fente l'univers^
Et Vouhly ofte encor à mes pennes doublées
L'ufage de mon liél & celuy de mes vers.
Ainfi comme le temps friffbnnera fans ceffe
Un printemps de glaçons & tout Van orageux ^
Ainfi hors de faifon une froide vieille ffe
Dés Fefté de mes ans neige fur mes cheveux.
Si quelque fois poujfé d'une ame impatiente
Je vais précipitant mes fureurs dans les bois^
M' ef chauffant fur la mort d'une befte inocente^
Ou effraiant les eaux & les mont^ de ma voix^
Milles oifeaux de nuit^ mille chanfons mortelles
M'environnent^ vollans par ordre fur mon front :
Que Vair en contrepoix fafché de mes querelles
Soit noircy de hiboux & de corbeaux en ronf»
Les herbes fecheront foubj mes pas y à la veui
Des miferables yeux dont les triftes regars
Feront tomber les Jleurs & cacher dans la nue
La lune & le foleil & les aflres efpars.
Ma prefence fera defecher les fontaines
Et les oifeaux paffcuis tomber mortj à mes pieds ^
Eftouffei de l'odeur & du vent de mes peines :
Ma peine eflouffe moy^ comme ilifont eflouffei!
Quant vaincu de travail je finiray par crainte ^
Au repos ejlendu au pied des arbres verts ^
La terre autour de moy crèvera de fang teinte ^
Et les açbres feuillui feront toji defcouverti,
Desjà mon col laffé de fuporter ma tejîe
Se rendfoubi un tel faix & foubi tant de malheurs.
Chaque membre de moy fe defeche & s'aprefle
De chaffer mon efpritj hofte de mes douleurs.
72 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.
Je chancelle incertain & mon ame inhumaine
Pour ne vouloir faillir trompe mes voluntei :
Ainfi que vous voiej en la foreft un chefne
Eflant demy couppé branjler des deux coflei»
Il refle qiiun démon congnoiffant ma mijere
Me vienne un jour trouver aux plus fopibres farefii,
AVeffayant ^ me tantant pour que fe aefefperey
Que je fuive fes ars^ que je V adore après :
MoYy je rejifteray^ fidant la Jolitude
Et des bois & des rocks^ mais le cruel Juivant
Mes pas affiegera mon lit & mon eftude^
Comme un air^ comme unfeu^ & léger comme un vent.
Il rr^ offrira de l'or^ je n'ayme la richeffe^
Des eflat^j des faveurs^ je mefprife les courir
Puis me prometera le cors de ma maitrejfe :
A ce point Dieu viendra foudain à mon fecours.
Le menteur empruntant la mefme face belle ^
Uydee de mon ame (r de mon douM tourment.
Viendra entre mes bras aporter ma cruelle^
Mais je n^embrajferay pour elle que du vent,
Tantoft une fumée efpaife^ noire ou bleue
Pajfant devant mes yeux me fera trejfaillir;
En bouc & en barbet ^ en facynant ma veuë^
Au lit de Tru>n repos il viendra rr^affaillir.
Neuf goûtes de pur fang naiftront fur ma ferviette^
Ma coupe brifera fans coup entre nos mmns^
J'oyrai des coups en Vaer^ on verra des bluettes
De feux que poufferont les Démons inhumains.
Puis il viendra tantoft un courrier à la porte
En courtifan^ mais lors il v^y entrera pas;
Enfin me tourmentant , fuivant en toute forte ^
Mes os s'afecheront jufques à mon trefpas.
Et lors que mes rigeurs auront finy ma vie
Et que pour fe mourir finira mon fouffrir.
STANCES. 73
Quant de me tormenter la fortune ajfouvïe
Vouldra mes maulx^ ma vie & fon ire finur^
Nymphes qui ave^ veu la rage qui m^ajffble^
Satires que je fis contrifler à ma voix^
Baptijfei en pleurant quelque pauvre maufolle
Aux fondi plus ejgairei & plus /ombre des bois;
Plus heureux mort que vif fi mon ame éveillée
Des enfers y pour revoir monfepulchre une fois,
Trouvoit autour de moy la bande efchevelee
Des Driades compter mes pennes de leurs voix.
Que pour eternifer la fanguynere force
De mes amours ardenti & de mes maulx divers^
Le chefne plus prochain portafl en fon efcorce
Le fuccei de ma mort & ma vie en ces ver^.
Quant ^ cerf bruflant^ géhenne ^ trop fidelle^ Je penfe
Vaincre un cueur fans pitié ^ fourd^fans yeux ir fans loy.
Il a d'ire ^ de mort^ de rage & d'inconftance
Paie mon fang, mes feux^ mes peines & ma foy.
II.
A longs fileti de fang, ce lamentable cors
Tire du lieu qu'il fuit le lien de fon ame^
Et feparé du cuenr qi£il a laiffé dehors
Dedans les fors liens & aux mains de fa dame.
Il s'enfuit de fa veuë & cherche mille morti»
Plus les rouges deflins arrachent loin du cueur
Mon eftommac pillé ^ fefpanche mes entrailles
Par le chemin qui efl marqué de ma douleur :
La beauté de Diane^ o-infy que des tenailles.
Tire l'un d^un cofté^ l'autre fuit le malheur.
Qui me voudra trouver deftourne par mes pas.
Par les buiffons rougis, mon cors de place en place
74 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Comme un vaneur baifant la tefte contre bas
Suit lefangler bleffé aifement à la traffe
Et le pourfuù à l'ail Jufqt^au lieu du trefpas,
Diane ^ qui vouldra me pourfuivre en mourant,
Qi/on ef coûte les rocks refonner mes querelles j
Qtion furve pour mes pas de larmes un torrent,
Tant qiion^ trouve feché de mes peines cruelles
Un cojfre, ton portrait, & rien au demeurant.
Les chams font abreuvés après moy de douleurs,
Le foucy, Pencholie & les trifles penfees
Renaiffent de mon fang & vivent de mes pleurs.
Et des Cièux les rigeurs contre moy courroucées
Font fervir mes foupirs à ejventer [es fleurs.
Un bandeau, de fureur efpais preffe mes yeux
Qui ne differnent plus le dangier ny la voie,
Mais Ui vont effraiant de leur regard les lieux
Oit fe trame ma mort, & ma prefence effroye
Ce qiiembraffent la terre & la voulte des Cieux,
Les piteufes foret j pleurent de mes ennuys.
Les vignes, des ormeaux les chères efpoufees,
Gemiffent avectf moy & font pleurer leurs fruiti
t Mules larmes, au lieu des tendrettes rofees
Qui naiffbient de Faurore à la fuitte des nuit^.
Les grands arbres hautains au milieu des foreti
Oyons les arbriffeaux qui mes malheurs dégoûtent,
Mettent chef contre chef, & branches prés après.
Murmurent par entre eux & mes peines s^acoutent,
Et parmy eux frémit le fon de mes regret^.
Les rochers endurcis où Jamais n'avoient beu
Les troupeaux altérés, avortei de mes pennes
Sont fondui en ruiffeaux aujfitofl qu'ilj m'ont veu.
Les plus fterilles mons en ont ouvert leurs vaines
Et ont les durs rochers montré leur fang efmeu.
Les chefnes endurcis ont hors de leur faifon
STANCKS. 75
Sué, me reffemant aprocher, de choUre,
Et de couleur de miel pleurèrent À foifomy
Mais cefl humeur eftoit pareil â ma mifere,
Effence de mon mal aigre plus que poifon.
Les taureaux indomptei mugirent à ma voix
Et les Jerpens ejmeui de leurs grottes fiflereniy
Leurs tortillons grouûlans là Jentirent les hi^
De l'amour; les lions, tigres & ours pouffèrent,
Meui de pitié de moy, leurs cris dedans les bois.
Alors des cleres eaux teftoumac heriffé
Sentit jufques au fo^s l'horreur de ma pre/ence,
Eloignant contre basjiot contre Jlot preffé ;
Je fuis contre la fource & veulx par mon abjence
De moy mejme fuyr, de moy mefme laiffé.
Mon feu mefme embraffa le fein moite des eaux,
Les poiffons en fautoient, les Nymphes argentines
Tiraient dufons de Veau des violons Jlambeaux,
Et er^flant d'un doux chant contre Voir leurs poitrines ,
Par pitié gafouilhient le dif cours de mes maux.
O Saine! di^je alors, mais je ri y puis aller.
Tu vas, & fi pourtant je ne t'en porte envie,
Pouffer tes Jlotif acres, abbreuver & mouiller
Les mains, la bouche 6* Vœil de ma belle ennemie,
Et jufques à fon cœur tes ondes dévaler,
Prens pitié d'un mourant & pour le fecourir
Porte de mes ardeurs en tes ondes cachées.
Fais fes feux avec<f toy fUbtilement courir.
De fon cueur alumer toutes les pars touchées,
Luy donnant à goûter ce qui me fait mourir.
Mais quoy! desja les Cieux s'acordent à pleurer.
Le foleil s'obfcurcifi, une amere rofee
Vient de gouttes de fiel la terre ennamourer,
D'un crefpe noir la Loire en gemift defguifee.
Et tout pour mon amour veult ma mort honorer.
76 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE.
Au plus hault du midi^ des eftoUles les feu^
Voianf que le foleû m perdu fa lumière
JeBent fur mon îrefpas leurs pitoiables jeui
Et de triftes afpeéii foulagent ma mifere :
L'hymne de mon ne/pas ejl chanté par les deux.
Les anges ont fenty mes chaudes paffionsy
Quiûeni des deux aymés leur plaifir indiffible^
Ils fimgrenif ^M^g^ àe mes ajUidions^
Je les vois de mes yeux bien qiiilf oient invijibles.
Je ne fuisfadné de douces fiâtions.
Tout gemifty tout Je plaint ^ & mon mal eft fi fort
Qi^û efmeutfieursy cofleaux^ bds & roches eftranges.
Tigres y lions & ours & les eaux & leur port y
Nymphes y les vens^ les deux, les aftres & les anges.
Tu es loin de pitié & plus loin de ma mort^
Plus dure que les rocs^ les coftes & la mer^
Plus altiere que l'aer, que les deux & les anges.
Plus cruelle que tout ce que je puis nommer ^
Tigres y ours & lions ^ Jerpens, monflres eftr anges :
Tu vis en me tuant & je meurs pour aimer.
III.
Cejfei noires fureurs ^ OErynes inhumaines y
Efprits jamais lajej de nuire & de troubler.
Ingénieux ferveaux^ inventeurs de mes peines :
Si vous n'entreprenei rien que de m'acabler^
Nous avons bien toft fait, car ce que je machine
S^acorde à voi dejfeins & cherche ma ruine.
Les ordinaires fruit j d'un règne tirannique
Sont le meurtre y le fac & le banniffement .
La ruine des bons y le fupport de Finique.
UinjujHce. la force & le ravijfement :
STAKCES.
77
On juge fans n^ouir^ je pleure^ on me dejme
Et ForeiUe & les yeux y efl ce -pas tirannyef
Fïere qui as drejfé un orgueilleux empire
Sur un ferf abatu^ le courroux de ta main
Te ruine par moy ir ce mefme martire
Au Roy comme au fubjeéi eft dur & inhumain y
Car pour me ruiner y ta main aveugle 6* tainte
En monfang meft commune & la penne & la plainte.
Je voy^ qiiil r^eft plus temps d^ enfumer de querelles
Le ciel noircyy fafché de Vaigreur de mes pleurs y
Et moins fault il chercher des complaintes nouvelles y
Ny remèdes nouveaux à mes nouveaux malheurs.
Quoy donc? céder au fort & librement fe rendre y
Et ne prolonger pas fon mal pour fe deffendre !
On voit le cerf y fuiant une meut te obflinee
A fa pennible mort y eflancé pour courir y
S^eftre une fin plus longue 6* plus dure donnée
Que fi dedans fon lit il euft voulu mourir,
Honyje ne fuirai plus la mort y je la defirey
Et de deux grans malheurs je veux le moindre eflire.
Ores que la pitié de la Parque amiable
D'un éternel fommeil me vient Ji lier les yeux y
Quand la mort en pleurant de mon malheur m' acab le .
Uefprit fe plaint de toy, voilant dedans les deux.
Et dit : vis en regret y vis coupable ennemyey
Autre punijion tu n^ auras que ta vie.
Tu diras aux vivans que ta folle inconjiance
Te fit perdre celuy qui de Vor de fa foy
Paffa tous les humains y que tu pers Vefperance
En perdant ferviteur fi fidelle que moy y
DP à ceulx qui vivront que mon amitié fainte
De rien que de la mort jamais ne fut efleintéy
Di' encores à ceulx q\£une chaleur nouvelle
Embraie d'amitié y que fages en mes frais
78 LE PRIMTliMS DU SIHUR D*AUBIGNÉ.
Ils facent leur proffit des plumes de mon ejle^
D^ aux dames auffi qii elles jongent de pris
Au malheur qui les fiai & que leur oeû contemple
Ma fin & mes tormens pour leur fervir d'exemple.
Quant mon efprit jadis fub jet à ta colhere
Aux Champs EKiiens achèvera mes pleurs ^
Je verrai les amans qui de telle ndfere
Gêufterent teli repos après de telj malheurs^
1% femblables auffi que leur fentence mefme
Punit inceffemment en Enfer creux & blefme.
A qm'conques aura telle dame fervie
Avec(f tant de rigeur & de fidélité
J'efgalleray ma mort^ comme je fis ma vie,
Aîaudiffant à Venvy toute légèreté ^
Fuiant Peau de Voubly^ pour faire experiance
Combien des maux paffei douce efl la fouvenance.
O amans y efchappei des miferes du monde ^
Je feui le ferf d'un œil plus beau que nul autre ail^
Serf d'une tyrannie à nulle autre féconde^
Et mon amour confiant jamais n'eut fon pareil :
Il riefi amant confiant qui en foy me devance ^
Diane ri eut jamais pareille en inconftance.
Je verray aux Enfers les peines préparées
A celles là qui ont aymé légèrement y
Qui ont foullé au pied les promejfes jurées ^
Et pour chafque forfait ^ chafque propre torment :
Dieux frappei l'homicide ^ ou bien la juftice erre
Hors des haultj deux bannye ainfi que de la terre !
Aultre punition ne fault à l' inconfiante
Que de vivre cent ans à goutter les remort^
De fa légèreté inhumaine j fanglante.
Les mefmes aélions luy ferorit mille monj^
Ses traiti la fraperont & la plaie mortelle
Qîielle fit en mon fein refaignera fur elle.
STANCES. 79
Je briferay^ la nuii^ les rideaux de fa couche^
AffiegeofU des trois Seurs infernales fon lit y
Portant le feu, la plainte & lefang en ma bouche :
Le refveil ordinaire eft Feffroy de la nuit^
Mon cry contre le Ciel f râper a la vengeance
Du meurtre enfanglanté fait par fon inconftance,
Non^ Vair lia pas perdu ces foufpirs miferablesj
MocquéSy meurtris y payei par des traiflres fouris :
Ces foufpirs renaiftrontj viendront efpouvantables
T^ effrayer à mifnuiêï de leurs funeftes cris ;
Uair a ferré mes pleurs en noirs & gros nuages
Pour crever à mifnuiéè de grefles & d^ or âges.
Lors fon taint periffant &fes beautei perdues
Seront Fhorreur de ceux qui tranfis l'adoroient^
Ses yeux deshonorés des primelles fondues
Seront telj que les miens ^ alors qu^ili fe mouroient^
Et de fes blanches mains fa poitrine offencee
Souffrira les affaulx de fa jufte pencee.
Aux plus fubtils démons des régions hautaynes
Je prefterai mon cors pour leur faire veflir^
Pafle^ deffiguréy vray miroir de mes peines :
Enfonge^ en vijions ili lui feront fentir
Proche fon ennemy, dont la face meurtrie
Demande fang pour fan g ^ & vie pour fa vie.
Ha ! mif érable amant ^ miferable maitreffe^
Uun fouffre innocemment, Vautre aveuglant fon mal,
Bafiit en fe jouant de tous deux la trifîeffe,
Le couteau, le tumbeau & le fort inégal :
L'une laiffe volage à fes fureurs la bride,
U autre meurant à tort pleure fon homicide.
O Dieux ! riarrachei point la pitié de mon ame.
D'une oublieufe mort rî'ofie\ mon amitié :
Que Je brufle plus toft à Jamais en ma fiamme.
Sans efpoir de fecours, fans aide, fans pitié
8o LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Que fa perte me foit tant foit peu gratieufe ;
Faiûes moy malheureux & la laiffe\ heureufe!
Pardonne j Vinconftance & donnei à fortune
La caufe de mon mal^ ou laiffei à ma foy
La coulpe de la rage aux amoureux commune ;
Vengei tout le forfait de Diane fur moy!
J'aime mieux habiter un enfer & me taire ^
Brufler^ fouffirir^ changer^ ou vivre pour luy plaire.
IV.
O mes yeux abufe^j êfperance perdue^
Et vous^ regars tranchans qui efpiés ces lieux y
Comme je pers mes pleurs ^ vous perdei voflre veuë.
Les pennes de mon cueur & celles de mes yeux.
C'eft remarquer en vain l'affiette & la contrée
Et juger le pais où j'ay laiffé mon cueur :
Mon dejtr s'y en voile & mon ame altérée
Y court ainfi qiià Peau le cerf en fa chaleur.
Ha! cors voilé du cueur ^ tu brufle fans tajlamme.
Sans efprit je refpire & mon pis & mon mieux.
J'affeéle fans vouloir^ je n^anyme fans ame^
Je vis fans avoir fang, je regarde fans yeux.
Le vent emporte en Vaer cejh plainte pouffee^
Mes defirsy les regreti ir les pennes de Vœil.
Les pajfions du cueur ^ les maulx de la penfee.
Et le cors delaiffé ne veult que le fercueil.
J'ouvre mon eftommac^ une tumbe fanglante
De maux enfevelii : pour Dieu^ tourne tes yeux,
Diane y & voy^ aufons mon cueur party en deux
Et mes poumons grave^ d'une ardeur viollente^
Voy' mon fang efcumeux tout noircy par la Jlamme,
Mes os feci de langueur en pitoiable point
STANCliS. 8l
Maù confidere aujfi, ce que tu ne vois point ^
Les reftes des malheurs qui facagent mon ame.
Tu me brujle 6* au four de ma Jlame meurtrière
Tu chauffes ta froideur : tes délicates mains
Atiient mon brasier & tes yeux inhumains
Pleurent^ non de pitié ^ mais Jlambanti de cholere.
A ce feu dévorant de ton yre alumee
Ton oeil enfié gemifty tu pleures à ma mort^
Mais ce rCefi pas mon mxil qui te deplaifl fi fort :
Rien r^ attendrit tes yeux que mon aigre fumée.
Au moins après ma fin que ton ame apaifee
Bruflant le cueurj le cors^ hoftie à ton courroux.
Prenne fur mon efprit un fuplice plus doux^
Eftant d^yre en ma vie en un coup efpuifee.
V.
Puifque le cors bleffé^ mollement eflendu
Sur un lit quife courbe aux malheurs qiiilfuporte
Me fait venir au ronge & goufter mes douleurs ^
Mes membres y joiffei du repos prétendu^
Tandis Vefprit laffé d^une douleur plus forte
Ef galle au cors bruflant fes ardentes chaleurs.
Le cors vaincu fe rend^ & lajfé de foujfrir
Ouvre au dart de la mort fa tremblante poitrine y
Eftallant fur un lit fes miferables os^
Et Vefprit qui ne peult pour endurer mourir ^
Dont le feu viollant jamais ne fe termine ^
N^a moien de trouver un lit pour fon repos.
Les médecins fafcheux jugent diverfement
De la fin de ma vie & de Vardante Jlamme
Qui mefme fait le cors pour mon ame fouffrir^
Mais qui pourroit juger de V éternel torment
m. 6
fe LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ. .
Qui me prefs? draûleurs je fay bien que mon ame
N'a point de médecins qui la peinent guérir.
Mes yeux enjiei de pleurs regardent mes rideaux
Cramoifyr^ ejclatans du jour ttune fenefire
Qui ntojfufque la veué^ & fait cliner les yeux^
Et je me refownens des celejles ,fiambeaux^
Comme le lis vermeil de ma dame fait naiftre
Un vermeiUon pareil â V aurore des Cieulx.
Je voy mon li^ qui tremble ainji comme je fais^
Je foy trembler mon ciel^ le chafift & la frangj
Et lesfoupirs des vens paffer en tremblottant ;
Mon efprit tremble ainJi & g^f^ift foub\ le fais
D'un amour plain de vent qui muablefe change
Aux vouloirs d'un cerveau plus que Vaer inconftant.
Puis quant je ne voy' rien que mes yeux peujfent voir^
Sans baflir là deffus les loix de mon martire^
Je coulle dans le liai ma pencee & mes yeux ;
AinJi puifque mon ame ejfaie à concevoir
Ma fin par tous moiens^j'atten^ & je defire
Mon cors en un tumbeau^ 6* mon efprit es deux.
VL
Preffé de defefpoir^ mes yeux JlambanSy je drejfe
A ma beauté cruelle & baifant par trois fois
Monpougnard nud, je V offre aux mains de ma deeffe^
Et lafchant mes foupirs en ma tremblante voixj
Ces mots coupei je preffe :
Belle y pour ejlancher les flambeaux de ton yre^
Prens ce fer en tes mains pour m'en ouvrir le fein^
Puis mon cueur haletant hors de fon lieu retire^
Et le preffant tout chaultj eftouffe en Vautre main
Sa vie & fon martire.
STANCES. 83
Ha Dieu ! fi pour la fin de ton yre ennemye
Ta main Venfevelifl^ un fepulchre fi- beau
Sera le paradis de fon ame ravie ^
Le fera vivre heureux au milieu du tumbeau
D^une plus belle vie !
Mais elle fait fecher de fièvre continué
Ma vie en langmffant & ne veult toutefois ^
De peur d^ avoir pitié de celuy qu'elle tue,
Rougir de mon fang chault Pyvoire de fes doit^
Et en troubler fa veuë.
Aveugle! quelle mort eft plus doulce que celle
De fes regards morteli & durement gratieux
Qui dérobent mon ame en une aife immortelle;
J^ayme donc mieux la mortfortant de fes beaux yeux
Et plus longue & plus belle !
VII.
Liberté douce & gratieufe^
Des petis animaux le plus riche trefor^
Ha liberté^ combien es tu plus precieufe
Ni que les perles ni que l'or !
Suivant par les bois à la chaffe
Les efcureux fautons^ moy qui eftois captifs
Envieux de leur bien y leur malheur je prochajfe^
Et en pris un entier & vif
J'en fis prefent à ma mignonne
Qui luy treffa de foie un cordon pour prifon;
Mais les frians apas du fucre qiion luy donne
Luy font plus morteli que poifon.
Les mains de neige qui le lient ^
Les attraians regars qui le vont decepvant
Pluflçt obflinement à la mort le convient
Qu'eflre prifonnier & vivant.
84 LH PRIMTEMS DU S1EU& d'aUBIGNÉ.
Las! commant ne fuis je femblable
Au petit ejcurieu qui eftant arreflé
Meurt de regretj fans Jin& t^afl agréable
Sa vie que fa liberté.
O douce fin de trifte vie
De ce cueur qui choifift fa mort pour les malheurs.
Qui pour les furmonter facrifie fa vie
Au regret des champs & des Jleurs !
Ainfi après mille batailles^
Vengeons leur liberté on a veu les Romains
Planter leurs chauds poignards en leurs vives entrailles^
Se guérir pour eftre inhumains.
Mais tant si' en fault que je ruine
Ma vie & ma prifon qu^elle me plaift fi fortj
Qjien riant je gaiouille^ ainfi que fait le cigne^
Les douces chanfons de ma mort.
VIII.
Le miel fucré de voflre grâce ^
Le bel aflre de voflre face
Meurtrière de tant de joueurs
Ne forte de ma fouvenance ;
Mais oii prendray je Vefperance
De guerifon pour mes douleurs ?
Je feus bien mon ame infenfee
Se tranfir fur voflre pancee
Et fur le fouvenir de vous^
Mais je ne puis trouver les charmes
Qui me font friand de mes larmes
Et trouver mon malheur fi doux.
Deux yeux portent ili telle amorce ?
O Dieux! il y a tant de force
STANC£S. 85
Dedans les rais d^une beauté !
Je Vefpreuve & ne le puis croire.
Et le fiel que fay foif de boire
Desjà n^eft expérimenté,
O Deejfe pour qui f endure^
Comme voi beautés je mefure^
Mefurei ainfi mon torment^ '
Car la foufrance qui me tuë^
Pourveu qiielle vous /oit congneuè.
Ne me deplaift aucunement.
Non pas que je veille entreprendre
De mefurer ny de comprendre
Ny vos beautei ny mon foucy;
Ces chofes font ainfi unies :
Si vos grâces font infinies^
Mon offliéHon Pefl aujfi.
Mon martire & voftre piùffance^
Comme ayant pareille naijfance^
Ont auffi un effet pareil^
Hors mis que c^efl par voftre veuë
Que ma puijffance dyminuë^
Et la voftre croift par voftre oeil.
Si voftre oeil m'eft infurpor table ^
Si d^un feul regard il m'accable
D'ardeur^ de pennes & d'ennuy.
Pour Dieu^ empefchei le de luyre.
Mais nonj laiffei le plus toft nuire.
Car je ne puis vivre fans luy !
Voftre prefence me dévore^
Et voftre abfence m'eft encore
Cent fois plus fafcheufe à foufrir :
Un feul de vos regards me tuë.
Je ne vis point fans voftre veuë.
Je ne vis doncq' point fans mourir.
86 LE PRIMTEMS DU SIEUR D^AUBIGNÉ.
Ha Deeffcj que de martire
Jefovffire en def char géant mon yre
Dejfus moy pour V amour de vous!
Mais je ne puis trouver de penne ^
D^exquife torture y de geenne^
Ny torment qui ne foit trop doux.
Ce pécherait que trifte & bief me ^
De regrei f afflige "^y if^f"^^
Je me de/plais avec efmoy
De ma trop douce pénitence ^
Et je ne trouve en mon offence
Juge plus fevere que moy,
J'ay voullu tranfonner de rage
La langue qui me fit dommage,
P enfant feulement me joUer^
Je ne Vofay faire de crainte
Que la force ne feuft efteinte^
Ne Payant que pour vous louer.
Je rr^efbahis à part moy comme
Celuy qui du ventre de l'homme
Reprenait le plus grand des Dieux ,
Ne trouvait une chofe eflrange
Mettre Vinjure & la louange
En un membre fi précieux.
Car comme Vefpee ou la lorhce.
On a la langue pour deffence
Et pour Vennemy offencer^
Mais celuy la eft plein de folie (fie)
Qui forcenant en fon envie ^
De fon couteau fe vient bleffer,
D'Adonis la face divine
Ne fit tant pleurer la Ciprine
Comme a pleuré mon cueur marry,
Ny Enee pour fon Anchife^
STAKCES. 87
Ny Niobé^ ny Artemife
Sur les Cendres de fon mary.
Helas ! je congnois bien ma faute
Et la ferais encor' plus haulte
Qi^elle rtefly fi je le pouvoù :
Mon ame en parlant en eft folle
Et je foubfonne ma parolle
De pécher encor^ une fois.
Non. je ne puis couvrir ma honte.
Et quant mon forfait je raconte.
JJexcufcy Vefprit me defaulty
Combien que le vulgaire ejiime
Qu^il ne peult y avoir de crime
Ou Fimprudence feule fault.
Mais quand je voy' que voftre grâce
Et les foleils de voftre face
Pourtant ne m^ont abandonné,
LorSj mon ame plus criminelle
Son afiiélion renouvelle
Pour eftre fitoft pardonné.
Ainfi voftre pitié m' accable ,
Et voftre douceur agréable
Me condemne indigne de vous.
Car fi ma faute eftoit petite ^
Elle s'accroit quant elle irrite
Un efprit fi calme & fi doux.
Le pardon fuit la repentance^
Le repentir la congnoiffance
Et la honte de fon péché ;
Vous pardonnej donc bien^ maitreffe.
Car je doubleray ma vitejfe
Après avoir un coup brunché.
Pour une fimple pénitence^
Pardonner celuy qui offence^
M t£ r%iMrtM$ dv fi£t?& d'aubicsti.
C^eft U vray naturel des Dieux.
Comme vofire grâce eft celé fie
llfalhu aufil que le refie
Et la pitié feufi née aux Cieux.
Bienheureux efi ceUty qui âtmne^
Qui pardonne efi deux fois vaimcueur
Et le pardon efi dure peine ^
Encor plus heureux qui pardonne.
La grâce efi marque fowferayne
Quant elle atache un brave cueur.
IX.
Pleure'^ avec moy^ tendres Jieur s,
Aporte^f ormeaux f les rofees
De vos mignardes efpoufees^
Mefle\ vos pleurs avec les pleurs
De moy dejfolé qui ne puis
Pleurer autant que fay d? ennuis !
Pleure'^ auffi^ aube du jour :
Belle Aurore^ je vous convie
A méfier une doulce pluye
Parmi les pleurs de mon amour ^
D'un amour pour qui je ne puis
Trouver tant de pleurs que d'ennuis!
Cignes mourant ^ à cefle foys
Quittej la Touvre Engoumoifme
Et meflej la plainte divine
Et l'aer de vos divines voys,
Avec moy chetif qui ne puis
Pleurer autant que j'ay d'ennuis !
Oifeaux qui languijfej marris^
Et vouSf tourterelles fâchées^
Ne compte j aux branches fechees
STANCES. 89
Le veuvage de vos maris
Et pleurei pour moy qui ne puis
Pleurer autant que fay d'ennuis!
Pleurei^ ^ ''o^hef^^ ^^^ douleurs
De vos argentines fonteines
Pour moy quifouffre plus de peines
Que je ne puis trouver de pleurs ^
Pour moy douloureux qui ne puis
Plorer aultant que fay d'ennuis !
X.
Que je forte du creux
Du labirinte noir par le fil qui a prife
Ma chère liberté de l'or de fes cheveux.
Ouy fi, je pers la vie ainfi que la franchije,
Je perde tout par eux.
De ma douce prifon^
Des ameres douleurs de mes prenantes gennes^
Des doux liens de ma ferve raifon^
Je couppe de fanglot^^ parcelles de mes peines.
Ma funèbre oraifon.
Je ne meurs pas à tort^
Bien coupable du fait^ coupable du martire^
Du feu d'amour ir âun torment plus fort.
Mais las! donne ^ Deeffe^ à l'amant qui foufpire
Ou la grâce ou la mort.
Si j'ay grâce de toy^
Je recoy' ma raifon de qui me l'a ravye^
Si ton courroux vient foudroier fur moy^
Tu me feras injufle en m' arrachant la vye,
Martire de ma foy,
O bienheureux foufpirsj
Si de fes yeux fi doux vous tirei recompence^
5)0 LE PRIMTEMS DU SI£UR d'aÙBIGNÉ.
• ■ '
Si ma vie eft la fin de mes defirs^
Je triomphe en mourant & goigne par confiance
Le laurier des martirs.
Soit que ce foit^ je veux
De la doubteufe morty du cruel labirinthe
Sortir guidé du fil de fes cheveux.^
S'il fault que pour aymer mon ame foit efteinte,
Que Je forte par eux.
Pour Dieu^ mort ou fecours !
Bien heureux fi je meurs ^ bien heureux fi j'ay grâce.
Heureufe fin des malheurs & des jours !
Vivant y je foye aymé^ ou en mourant j^ efface
Ma vie & mes amours.
Si j'achève par feux
Mes ans & mes douleurs^ que ton bel ail m'enJlame,
Ou fy mon jour eft randu bienheureux
Par quelque beau foleil^ que ce foit par la fiame
Et les reti de tes yeux.
Si d'un coup inhumain
Ma poitrine fe fend^ ta main me foit mortelle;
Si du tombeau quelque fecours humain
Me vient tirer ^ je n'ay ayde qui me foit belle
Que de ta belle main.
Encore ay je foucy
Que ta bouche à ma mort prononce ma fentence.
Ou fi je vis y qi^elle me die auffy^
Comme le defefpoir^ ma nouvelle efperance^
La mort ou la mercy.
Pour te fuyvre obftiné je t'anime à la fuitte^
Par mon humilité j'efieve ton orgueil^
Je glace ton dedaing du feu de ma pourfuytte^
Tu te lave en mes pleurs ^
Et le feu de ton œil
S'accroift de mes chaleurs.
STANCES. 91
De ma trifte defpoùille & cPune orne ravie
Mon efprit triumphant couronne ta beauté
Vermeille de mon Jangy ma mort te donne vie^
Et les plus doux ^ephirs
Qui charment ton jEJIé
Sont mes tiède s foufpirs,
Àinfi quand Daphné fut en laurier convertie.
Le foleil Fefchauffa de rayons & d'amours
Et arroufafes pieds de larmes & de pluye,
O miferables pleurs
Quicroiffei tous les jours
U amour & les douleurs !
XI.
A Vejcler viollant de ta face divine^
N'eflant qi^homme mortel^ ta celefte beaulté
Me fift goutter la mort^ la mort & la ruyne
Pour de nouveau venir à Vimmortalité,
Ton feu divin brujla mon effence mortelle ^ .
Ton cellefle m^ efprit & me ravit aux Cieulx,
Ton ame eftoit divine & la mienne fut telle :
Deeffe^ tu me mis au ranc des aultres Dieux.
Ma bouche ofa toucher la bouche cramoyfie
Pour cœiller fans la mort l'immortelle beaulté ,
J'ay vefcu de neélar^ fay fucfé Vambroyfie^
Savourant le plus doux de la divinité.
Aux yeux des Dieux jalloux^ remplis de frenaijie^
Tay des autels fumants conu les aultres Dieux,
Et pour moy^ Dieu fegrety rougit la Jaloufye
Quant un aflre incognu ha deguiié les Cieux,
Mefme un Dieu contrefait ^ refu\é de la bouche ^
Venge à coups de mmteaux fon impuijfant courroux ^
p2 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Tandis que fay cueilli le baifer Ùr la couche
Et le JiHquiefme fruiél du neélar le plus doux.
Ces humains aveugle^ envieux me font guerre^
Dreffant contre le ciel Vefchelle^ ils ont monté.
Mais de mon Paradis je rnefprife leur terre
Et le ciel ne m'eft rien au pris de ta beaulté.
XII.
«
J^implore contre toy la vengeance des Dieux,
Inconftante parjure & ingratte adverjaire^
Las de noyer ton fiel aux pertes de mes yeux
Et à ta cruauté rendre tout le contraire^
D'enorgueillir ton front de mon humilité ^
De n'adorer en toy rien plus que la beauté.
D'où as'tu^ fanguynaire^ extrait ce naturel?
Efl^ce des creux rochers de tardante Libie
Où tu fouillois aux reins de quelq'afpid mortel
Le roux venin f lefuc de ta fanglante vie^
Pour donner la curée aux chaleurs de ton Jlanc
De te paiftre de morti & t' abreuver de fang ?
D'un courroux fans raifon tu as greflé les Jleurs.
Les fruiéli de ma jeuneffe^ & ta rouge arrogance
Trépigne foubj les pieds l'efpoir de m£s labeurs,
Les fueurs de mon front & ma tendre efperance.
En languiffanty je voi' que les oifeaux pajfans
Sacagent impunis mes travaux Jlorijfans.
Celluy qui a pillé en proie ta beauté
N'a lenguy comme moy^ les yeux dejfus ta face,
Mais en tirannifant ta folle volupté :
Il règne pour braver & pour ufer d'audace,
N'immolant comme moy en viéîoire fon cueur,
Sur toy qui vomiçois il s'efl rendu vainqueur.
**
STANCES. 93
Il aime inconflemment^ c^eft ta perfeéiion :
Jamais n'en de confiant ne tefuft agréable
Et je lis en cela ta folle affeélion.
Quant chafcun veult tousjours rechercher fon femblable,
J^aprens à te fuir comme contraire à moy^
Qui crains plus que la mort la perte de ma foy :
Or vis de Vinconftance^ enivre tes efprits
De la douce poifon dont ^a enforcelee
Celluy qui en t^ aimant r^aime que ton mefpris ;
Je n^aimeray jamais d'une amour aveuglée
Un efprit impuiffant^ un cueur degenereux^
Superbe à fes amis & humble à fes haineux.
XIII.
Citadines des mons de Phocide^ aportei
Uefpaule audacieufe à ma fiere entreprife^
Et Ji voflre fureur un coup me favorife^
Je brufleray ma plume à voi divinité^,
J'enjlamme ce labeur d'un œuvre ji fuperbe
Que dés le commancer je me trouve au milieu.
Fortune aide aux rameaux qui grimpent en hault lieu
Et trépigne à fes piedj P humidité de l'herbe.
Non j je n'efcriray point j il fuffid que mesyeulx^
Mes fens^ mes votunte\ & mon ame ravie
Ofent vous admirant^ ma bienheureufe vie^
Il vault mieux dire un peu & pencer beaucoup mieux.
C'ejî le riche fubjet qui me donne courage ^
Sur qui je n'entreprens rien témérairement^
Mais mon flile ne peut orner fon argument ^
Il fault que le fubjet f oit honneur du langage.
que Ji tant de vers tous les jours avortei
Qui portent peinte au front la mort de leur naijfance.
94 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Si ces petits efcrits^ baflardeaux de la France^
Euffent donné telle ame aux vers qj/ili ont chante^^
Uhonneur de ceux qu^on loue euft rendu par efchange
A ces poètes menteurs ce qiiil euft reçeu d'eux :
Quant à moy voftre gloire eft commune à nous deux^
Car en vous adorant je me donne louange.
Mais ceux qui^ efchauffans fur un rien leurs efcris;,
Barbouillent par acquit les beautés éPune face
D'une grandeur obfcure tr d'une fade grâce ^
D'un crefpe de louange habillent leur mefprisy
Outre plus â^ entamer ce qiion ne peut parfaire ^
Cacher ce qui doibt eftre eflevé au plus hault^
Ne louer la vertu de la forte qitil fault^
Il vaudroit beaucoup mieux l'admirer &fe taire.
Je me tais^ Je l'admire^ & en penfant beaucoup^
Je ne puis commencer ^ car tant de grâces fortent^
Se prejfant fans fortir^ qtien pouffant elle emportent
Mon efprit qui ne peult tout porter en un coup.
Vous avei ainfi veu un vaie de richeffe
Ne pouvoir regorger alors qi^ileft trop plain^
Et par un huis eftroit s'entrepouffer en vain
Un peuple qui ne peult reffortir pour la preffe.
Parainfi en craignant que voftre œil rtexcufant
Ce qui menque à mes vers^ veille nommer offence
L'erreur & appeller un crime l'impuiffance^
Je vous meti jufqji aux deux y je loue en me taifant.
Je tairay pour brifer les coups de la mort blefme.
Pour targuer voftre nom à l'injure des CieuXy
Pour fur monter l'oubly & le temps envieux ^
Voftre vertu qui eft fa louange elle mefme.
STANCES. 95
XIV.
Uaer ne "peut plus avoir de venSj
De nuages s^entrefuivans^
Il a verje tous les orages j
Comme fefpuife mes douleurs :
Mes yeux font ajfechei de pleurs ^
Monfein de Joufpirs & de rages,
Helas! mes foupirs & mes pleurs
Trempoient mes cuifantes chaleurs
Et faif oient ma mort plus tardive ^
Ores deftitué d'humeur ^
Je brujle entier en ma chaleur
Et en ma Jlamme tous jours vive,
Jejte brujle plus peu à peuy
Mais en voiant tuer mon feu
Je pers la vie après la veue^
Comme un criminel malheureux
A qui Von a bandé les yeux
Afin qv^il meure à Vimpourveuè,
Mes yeux y où voulei vous courir ?
Me laiffei vous avant mourir
Pour voir ma fin trop avancée ?
Pour Dieu! attendej mon trépas^
Ou bien ne vous enfuiei pas
Que vous nemmenie\ ma penfee !
Mes foleils en cejîe faif on
Ne luifent plus en ma prifon
Comme ils faifoient en la première.
Le feu qui me va confommant
Me luift un peu & feulement
Je me brufle de ma lumière.
<f6 LE PRIMTEMS DU SIliUR d'aUBIGN£.
XV.
Ores es tu contente^ o Nature meurtrière^
De fes plus chers enfans impitoyable mere^
Tigreffe fans pitié ^
As tu faoullé de fang ta foif afpre & fanglante^
Fmfantfinir ma vie en ma mort violente ^
Mais non mon amitié ?
Pourquoy prens tu plaijir à orner tes merveilles
De fes riches trefors & beautés non pareilles
Que puis après tu veux
Garnir de plus de maux & de pennes cruelles
Qu^Ethna ne fait fortir^ du creux de fes moelles^
De foujBfres & de feu^ ?
Si ceft œil raviffant qui me mit en fervage
N'euft fait naiftre Vefpoir au rais de fon vif âge ^
Raviffant mes efprits^
Ou qiiun fang plus efpais^ de maffe plus groffiere
A preuve de P amour r^eufl de cejie guerrière
Si tofl efîé furpris :
Helas! mon œil fut fec & mon ame contente^
Mon efprit ne fut mort par la crainte & Patente ^
Ma main pas ne feroit
Ny ce fer apreflé prefts à finir la vie
Qu'amour hait^ qu'il avoit à aymer affervie
En fi mortel endroit.
Je ne me plaindrois pas^ fi ma mort pouvoit faire
Au pris d'un facrifice efteindre fa cholere
Et un peu Vapaifer^
Tant qiien voiant la fin d'une amour non pareille
Par un funèbre adieu de fa bouche vermeille
Je fentiffe un baifer.
Mon efprit fatisfait errant par les brifees
STANCES. 97
Des Enfers efgairei & des Champs Elyfees
Rien ne regretteroit^
Que le mefme regret qv^ aurait fon ennemie
De la Jointe amitié qiiencor après la vie
Uefprit emporterait y
Mais en ne trouvant lieu pour mes larmes non feintes
Dans fon cueur endurcy aiix viollantes plaintes
D'un miferable amant :
Non plus que Von verrait engraver quelque trajfe
De Pinutille fer preffé dejfus la face
D'un ferme diamant,
Oeft faityje veux mourir & qiiun tel facrifice
Prefte ma trifte main pour un dernier office
A fon cors malheureux ^
Dehors duquel l'efprit ira^ comme Je cuide^
Sur les hors ombrageux dujleuve Acherontide
Soupirer amoureux^
Racontant aux Efpriti la fevere fentence
Qui fut Pamere fin d^une longue efperance^
D'une dure prifon^
De mes maux abregei & Viffue & l'entrée^
Qui força le defpit & la main forcenée
Surmonter ma raifon.
Frape doncc^ ^ il eft temps ^ ma dextre^ que tu face
Flotter mon fang fumeux ^ bouillonnant par la place
Soub\ le cors roiàiffant,
Hafte toy^ douce mort^ fin d'ùrH arrière vie y
Fay' ce meurtre^ Vefprit^ ma rage te convie
Aux umbres fremiffant.
ra. 7
98 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
XVI.
Mefurent des haulti deux tant de biiarres courfes
Ceux qui ont efpié kurfubtUs mouvements;
U autre cherche la caufe aux divers excremens
Des pluies^ des métaux^ des plantes & des Jour ce s;
Vante un brave foldat^ à la face de tous^
Son adreffe^fon heur^ fa force & fou courage^
Etfon efprit vanteur repeu defon dommage
Eftalle un eftomac gravé de mille coups:.
Je veulx parler d^amour^ doéie en telle fcience^
Si le f avoir eft feur né par V expérience.
Le chef d^euvre de Dieu fut P homme miferable
Fait des quatre elemens, un monde compofé
Du froid conuae dufecj humide & embrafé,
Et fut par le divin à Dieu mejme femblable,
Car f on ame n'efl moins que divine des CieuXj
Le plus beau que le Ciel peut donner en partage :
Si bien qu'e fiant unis d'unji beau mariage ^
On a fait pour Jaloux les Démons & les Dieux,
On a forgé de là Vaudacieuje guerre
Des Titans animei & desflli de la Terre.
Cefle perfeélion fut la mefme Androgeine
Quijurpaffa Vhumain par Jes divins efforti^
Quant le cors aveçq^ Pâme & Pâme avec<^ Jon cors
Vit Veffence divine unie avecq^ Vhumaine.
Le terreflre pejant n'engageait de Jon pois
Le feu defon efprit àja rude nature ^
Mais ces deux unions en mejme créature
Souffraient de Vur^ à Vautre & Vamour & les loix.
Le divin Je faijoit du naturel du reffle
I
STANCES. 99
Et le terrefire efpais r^efioit rUn que celefte.
Jaloux & prevoiant le grand Dieu du tonnerre
Ne voullut plusfouffrir l'homme eflre un demi dieuj
Nyfufpendre en hafardfon eflat & fon lieu,
Que la terre fufi ciel & que le cielfufi terre.
Il fit des natureli deux diverjes moitiés,
Couppa Phomme pour l'homme & la femme pour femme,
Le pefant du léger 6* le cors de fon ame.
Sépara d'unions, de cors & d'amitiés.
Tranchant par le milieu, cefie JumeÛe effence
A qui le feparer apporta l'impuiffance,
L'ame eft l'efprit uni avecq' le cors femelle
Dont Vhomme le premier efprouvant Vunion
Efioit horrtme plus qt^ homme & fa perfe^ion
Par l'accord de ces deux fut fupematurelle.
Perdant cefi heur premier la celefte raifon
Eut en horreur le cors & terrefire & prophane,
Vef prit fut gourmande par le cors, fon organe.
Et le cors de Vefprit ne fut que la prifon,
Inflrument f étalement d^une contrainte vie,
Miferable moitié d'Androgeine partie.
Quant par defumon la force fut efleinte.
Quant ces pauvres moitiés perdirent le pouvoir.
Les Dieux furent emeuf par pitié d'y pourvoir.
Quant par leur impuiffance ils perdirertt la crainte,
Affin que ces moitiés peujfent perpétuer
L'efpece en rejoignant cefie chofe égarée.
L'une & P autre nature en fon cors feparee
Apprindrent par l'amour à fe réhabituer.
Qui nafquit à ce point & de qui la naiffance
Refit cefie union avec^ moins de puiffance.
Un jour que des grans Dieux la bande efiant faifie
D'heur, de contentement, d'aife & de volupté,
Rempliffoient pour Venus &fa nativité
lOO LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Leurs cerveaux de neélar & de douce ambroifie^
Sur la fin d'un banquet^ Pore confeil des Dieux ^
Yvre de fes douceurs fe de/robe en cachette^
En fuiant au jardin de Jupiter Je jette
Sur les JleurSj recréant d^un doux fommeil fes yeux^
Livrant j di je^ aufàmmeilfon cors & Vambroifie
Qui des liqueurs du ciel troubloit fa fantafie.
Sur ce point arriva la pauvrette Penie^
Qui durant le banquet prés de l'huis mandioit
Des miettes du Ciel^ & pour néant avoit
Pour un chiche fecours tant mandiéfa vie.
Elle voit fur les Jieurs le beau Pore endormy^
Elle change fa faim en defir de fa race y
Elle approche^ fe couche tr le ferre & Vembraffe
Tant qu'il Peut pour amie & elle pour ami.
De là naquit V Amour ^ & la nature humaine
Du confeil des grands Dieux conceut Vautre Androgeine
Aujfttoft qu'à nos yeux un raion de beauté
Nous a fait favourer le miel de l'agréable ^
Uefprit conçoit la joie^ emeu du deleélable
Dont il reçoit le gouft par noftre œil prefenté.
Au naijlre de Venus ^ au naijlre des beaute^^
Nos efprits qui n'ont moins que Veffence divine
S^ejouiffent du beau & l'ame V imagine;
Les pencers font feflins pour les divinite^^
Noflre pauvre nature eft la mefme Penie
Qui n'e fiant dufejlin y va quejler fa vie.
Elle ne peut goufter ny les os^ ny les refies
Du neélar de Vefprit : fon eftomac n'a pas
De feu pour digérer ce précieux repas ^ '
Mais au lieu de jour des viandes celejies^
Vefprit fait tout divin eft emeu à pitié ^
Se couple avec le corsj & en ce mariage
Donne prévoir ^ juger ^ & fouvenir pour gage
STANCES. lOI
De V union du cors & de fonamini;
Le cors loge les. trois : au front la congnoiffance y
Le jugement plus hault^ plus bas la fouvenance,
Uefprit apprend au cors les ars & les fciences
De nature & et acquis j &fidelle amoureux
Preferve fa femelle & du fer & des feux ^
Par Vaigu jugement & les expériences.
Comment pourroit ainfi ce mari fans fon cors
Exercer fa vertu^ car fans fa bien aimée ^
Les effets ne feroient qu^une ombre ^ une fumée ^
Sans exécution y fans œuvres ^ fans efforts?
L'efprity paintre parfait ^ emprunte la painture^
Les tableaux y les pinceaux des cinq sens de nature.
Comme Platon a peint l'amitié mutuelle
Des efpriti & des cors l'un de l'autre chéris^
Moy je veux par l'amour des ars & des efprits
Repeindre une autrefois Ttoflre amour naturelle^
Et du grand au petit ^ je nombre par raifon
Que nous devons chercher les loix de la Nature
Au fecret des efpriti; l'amour des cors endure
Mefme caufe que l'autre & mefme liaifon :
Il brufle l'un & l'autre & de pareilles Jlammes
Unit l'amour des cors & celuy de no^ âmes.
Mais autant de fubjeti fur lefqueli il efpreuve
Le miel de fes douceurs oufes mortel^ courroux^
Autant de fois il ejl ou vigoureux ou doux^
Et tel que le fubjet fon accident fe treuve.
Comme lefoleil chaud rengrege les odeurs
D'une charogne infeéle & en forme la pejie^
Et de mefmes raions le mefme nous aprejie
En fa bonté le mufch & le baume & les Jleurs:
L'amour allume ainfi en nos efpriti ^^^ jlammes ^
Certains efchantillons & mirouers de nos âmes.
Tout ainfi que l'amour unifl la différence
102 LE PaiMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNA.
Du cors & de Vefprit^ c^efl lui toutfeul quipeult
Unir deux autres cors en unfeul^ quant il veult^
Lorfque des deux efpriti il tire fa naiffance.
Par V homme & fon efprit Pore eft reprefenté
Où, r amour a premier fa naiffance & fa vie^
Puis l'ame de la femme eft la pauvre Penié
Qui furprend noflre efprit yvre d'une beauté :
C'eft le troifieme fensy ir V amour corporelle
En cela fuit les loix de la fpirituelle,
Noflre ame ne f aurait au cors donner la vie «
Quant il eft colleric^ &fon fang efcumeux
Bouillonne y fe diffipe & deftourbe fumeux
U efprit doux & qui 7^ eft d^une telle armonie;
JJ efprit audacieux j entreprenant ir vif y
Travaillant fans repos f bouillant en toute forte ^
Rend bien toft Vunion^ le cors^ V amitié morte ^
Poffedant un organe inutille & chetif.
Par la diverfe humeur l'ame eft donc départie ^
Et les amours humains naiffent de fimpatye,
C'eft pourquoy chacun peut aymer pour fe complaire^
Mais c'eft diverfementj car les cors compofe^
Par les quatre elemens font auffi difpofei
A les recepvoir tous en leur forme ordinaire :
Mais fi les qualitej ne font pareillement
Parties dans les cors^ aujfi ne peuvent elles
Prendre en eux leurs vertus efgallement pareilles ^
Car Vun reçoit le feu ou V air plus aifementy
Et chafque cors meflé^ expofé au pillage^
Reçoit le mieux celuy dont il a daventage.
Comme aux troubles confus d'une guerre civille^
Un fort qui fera plain de quatre faélions^
Si deux tiers complotans ont mefmes pajfions
Ils livrent aifement à Veftranger la ville :
Aùifi la pierre aà moins le feu a de vigueur
STANCBS. 103
Eft plus tard à brujler, & le bois qui rêcelh
Plus dufimple enfim cors plus aifement appelle
A déceler fon feu un auire feu vaincueur^
Et des quatre elemens la ligue la plus forte
Aux pareils conquérons ouvre aifemeni la porte.
L'efprit efi plus parfait^ l'origine celé fie
Ne le réduit aux loix dP humeur ni d' elemens;
Hors le bon & mauvais tous autres fentimens
Sentons' V organe aymé s'acommodent au refte.
Pore avoit refufé les viandes des deux
A cefle mandiante & chetive perfonne :
Ilfe derobbe après (T luy me/me fe donne.
Quant le fommeil pefant lui eut fermé les yeux,
Ilfalut qu'il dormifi pour recebvoir Pœnie :
L'ame dedaygne ung cors quant elle efl endormie,
La femme de qui naift le propre éF entreprendre
Le régime du monde & d'entrer au confeilj
Endort l'efprit de l'homme aux raions de fon au.
Sa beauté font les ^ewrs qui le viennent furprendre ;
L'homme eft fait amoureux & par l'oyfiveté
Il s'acommode aux meurs de la femelle aymee.
Comme l'amefe voit par le cors transformée
Efpoufer fon humeur^ vouloir fa volonté^
Les efprits font heureux qui ont cors débonnaire^
Les amans malheureux qui ont l'ame contraire,
L'efprit qui a un cors vif^ fubtil & ignée j
Qui fent le moins la terre & qui eft moins pefant j
Sent ceft organe beauy agréable & plaifant^
Et Jamais de ces deux l'amour r^efl terminée.
Mais l'efprit qui fe loge en un cors froid & lent
N'aime qu'avec longtemps fa nature perverfe.
Il le prejfe au premier^ puis l'aime en la vieilleffe^
Et l'amour d'entr^eux deux r^efi jamais viollent
Que lorfqu'avec le temps cefle maffe enterrée
104 ^^ PRIMTEMS DU SI£UR d'aUBIGNÉ.
Se dépouillant defoy eft au ciel préparée.
L'amour brufle aifement & aijement poffede
Celle qui a le fang & le naturel chaud^
Pour ce qu'elle efl de feu & que le feu d'en hault
Cherche tous jour s le cors où la chaleur excède;
Mais le froid naturel efl malpropre à aimer :
S'il ayme^ cefl amour efl artificielle^
Car ilfault corriger la glace naturelle
Et l'effet naturel efl plus à eftimer :
L'unde n'efl pas fi tofl par la Jiamme alumee
Comme la Jiamme vive efl par l'eau confommee.
Les vigoureux efpriti en fumelles aymees
Et de pareil humeur monflrent bien leurs vigeurs.
Quand la couple impareille aporte des langeurs^
Leur vie efl lors flupide en prifon enfermée;
Comme un feu au bois vert^ pourtant né pour brufler^
Quant le mûlieu s'embrafe & Vefcorfe s'alume^
Ûumidité s'en fuit par les bouti en efcume^
Renvoiant l'eau en l'eau & pouffant l'air en l'air :
Il faut ainfi fouvent que l'efprit du feu face
Avant bien poffeder fon cors for tir là glace,
Ainfi l'homme amoureux^ vrai efprit de la femme ^
Ufe fouvent fon temps fur l'efpoir^ & fes jours
A corriger fon cors premier que les amours
Aient changé l'humeur & la fumée en Jiamme,
Il femble l'intellect qui vif & viollant
Habite un cors fans feu; l'efprit brufle de rage
Et ufe pour brufler fon ardeur & fon age^
Se confomme en dreffant fon organe trop grande
Mif érables amours qui par l'antipatye
Premier que vivre bien ont confomme leur vie,
J'ef galle ainfi l'amour & celefle & terreflre
Que le cors fans efprit^ la dame fans amy
N'ont ne plaifir ne vie ou vivent à demy.
STANCES. 105
Pas un d'eux Jeparé v^a ne forme ^ ne efire.
Comme f ornent les cors mefprifent les efpritij
Les hommes font ainfi reffujés par les dames. :
U amour plus neceffaire aux cors qu'il n'efl aux âmes
Les doit faire plus doux & les avoir apris
Que Vame vit encor quant le cors s'en delogne^
Et que le cors v^efi rien fans ame que charogne.
Sans la conjonéiion leur amour eft donc vaine ^
Leurs effeéls feparés font fonges impuiffans^
Mais eux unis^ de l'un & l'autre joiffans^
Font germer en s'aymant leur amour tr leur peine.
Sépare^ moy le chaud d'avecç^ l'humidité ^
A une autre liaifon autre amour naturelle ;
Le chaut fterille en foy^ P humide efl' toute telle ^
Et d'eux unis fe fait toute nativité;
Celluy donc(f qui desjoint les moitiei de nature
Sacrilège la tue & lui fait une injure.
Si nos efpriti qui ont prins au Ciel leur naijfance
Sont rien fans leur moitié y fait\ mort\ & impuijfansj
Que fera il des cors morteli & perijfans
Sans amour y qui ont prins de l'autre amour fubftance ^
Et quel efl cefl amour qui en l'affeélion
Naifl & s'evanouifly fe loge & s'imagine ^
Si fuivant fon autheur^ comme l'amour divine ^
Il Jleurifl fans le fruit de la conjonéiion?
Cefl l'avorton liant la mort avecq^ la vie^
D'un parricide cors la vipère ravie.
Belle à qui J'ay facré & mes vers & ma peine ^
Voy comme en apaifant ta curiofltéj
Uinutille regard d'une vaine beauté
N'efl qu'une pure mort ^ fans unir Vandrogeine.
Imitons les fecreti de Nature & fes loixj
Fuions l'ingratitude & l'ame dégénère^
Tout affeure\ commant d'une fi fainte mère
Io6 LE P&IMTEMS DU SIEU& d'aUBIGKÉ.
Les exmÊtpLeSy le amrs tr Us ëdiiiJàm drMif^
Car la â^mmam rji la mors da Pema,
Vacorà la refwâst & hd damm la m.
XVII.
O bien heareax ^fpriti qui primes mjhe wie
Des frefmes emdurcis ix des rocks de Libye ^
Atortei du Caacaje & de quelque aune momi
A qui V amour me bmfie & tormemte les âmes,
A qui la cruauté des ciprieimes Jlammes
Ne mariirife Poil, Peftoumac & le front I
Bien heureux font ceulx là qu'une tendrette enfance
Empefche heureufement d'avoir la congnoiffance
Des forces du malheur & de celles d'amour,
• Aîais ili feraient heureux, fi dés Page première
Dun fommeil éternel ilifermoient leur paupière :
Leur vie & leur bonheur n^auroient qu'un dernier jour!
J'ay tort, hors de Vamour efl toute joye efleinte.
Tout plaifir eft demi, toute volupté feinte.
Et nul ne vit content s'il nefouffre amoureux.
Sans aimer & fouffrir l'aife demeure vaine.
Et celuy qui f on heur ne compare à la peine
De quel contentement fera il bien heureux?
Le contraire efl congneu tous jour s par fon contraire :
Ainfi qu'après l'hyver le printemps on efpere.
Et comme après la nuit nous atendons le jour,
Ainfi le beau temps vient à la fin de l'orage,
Ainfi après le fiel d'un courroucé vifage
Nous gonflons la douceur de Vœil & de l'amour.
C'efl Vamour tout puiffant qui guerifl la triftejfe,
Qui fit le deuil amer de ma chère maitreffe
Finir en mon bonheur, naiflre en mefmefaifon.
STANCES. 107
On dit que le temps eft médecin de nature
Et de nos paffions^ mais c^efi coup d'aventure^
Car le mefme nous fert plusfouvent de poifon.
OlimpCj tu fais bien quelles furent les armes
Qui vainquirent ton deuil^ tu fais comment tes larmes
Et mon defaftre fier finirent en un jour :
Tu fais combien de temps dura ta maladie j
Tu fais que ton deuil fufl plus dure que ta vie
Et par là tu congnois la vertu de Vàmour.
Que diriei vous de voir un fiebvreux en la couche
Qui clorroit obftiné les lèvres & la bouche
Contre Peau qui Vauroit autrefois fait guérir ^
Sinon qu'il eft faifi d'une afpre frenaifie^
Ou qu'un rouge malheur boult en fa fantaifie
Qui le fait n'aiant Jbif avoir foif de mourir.
Si les fermons fafcheux des autres te travaillent ^
Si les peurs des craintifs honteufement t'affament^
S'un autre te menace & te donne confeil^
Eh! ne fais tu pas bien que lafiebvre amour eufe
Ne fe congnoift pour voir une face hideufe^
Ou le poux inégal j ou le trouble de Pœil?
Nous verrons quelquefois Jargonner une vieille
Qui lorfqu'elle brufloit en une âge pareille
D'un feu pareil au tien ne print en fon ennuy
Autre confeil quefoy & fajlanmie nouvelle;
Veux tuf avoir commant ce confeil là s'appelle?
Faire large courroie à la perte d'autruy.
Ne te laiffe tromper à Vaffeté langage
De plus jeune que toy^ mais excufe par l'âge
Le peu d'expérience & le peu de raifon.
Ceux là rûont effaié la geenne qui nous ferre :
C^efl comme qui oiroit devifer de la guerre
Tel qui n'auroit Jamais parti de la maifon.
Celles qui en fouffrant la mefme maladie
I08 LE P&IMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE.
Ei sm me/me fubjet defgmfent leur envie
D^wm ffofos contrefait tout autre que le cueur^
Cadumt pour ^afiner la caufe qui les meine
Em la mefme façon que la fine Climenne
Qtd du beau Francion difoit mal à fa fœur,
Tom Parfait ne vit plus : fi u/^ aife parfaite
Doibt durer à jamais ^ tout ce que je fouhaite
Eft défaire reçivre un ami trepaffé.
Si le fecret tranchant de Parfait fe prefente^
Penfe quel plaifir c^eft par la chofe prefente
Te pouvoir faire encor^ revoir le bien paffé.
Si tmg frère fendant ou ung parent menace^
Lûife les menacer & leur quittant la place y
Sans changer de vouloir change d'un autre lieu.
Mille autre empefchemens ejfaient de combattre
Les cueurs ne^ à V amour ^ mais qui pourroit abattre
L'entreprife & l'ouvrage & la force d'un Dieu?
Or le dernier objet qui le plus efpouvente
Les cueurs nei à V amour ^ c'efl quant lefein augmente
Et que les fruiti d'amour font trop gros devenui.
Jamais un heur parfait r^eflfans quelque aventure^
Et telle fut la loy de la fage Nature,
Que par les grands dangers les grans biens font cogneuj.
Tu as vaincu f es peurs & fes craintes frivolles,
Et r^ont peu les rigueurs ny les douces parolles
Combat re ton courage & forger ton ennuy;
Mais pourquoy, fi jadis pour me donner la vie
Tu as peufurmonter le malheur & V envie ,
Ne te puis tu encor furmonter aujourd'huy?
O jour plain de malheur, fi le gouji de mon aife
Mouilla tant feulement les fureurs de ma braife
Pour faire rengreger mes Jlammes peu à peu :
Jour pour jamais heureux, fi d'une tendre nué
La première ro{ee à jamais continue
STANCES. 109
De noier en pitié Us fages de mon feu!
Je fuis VEthna brujlam en ma Jlamme profonde^
Tu es le iV// 'heureux qui efpanche ton onde
Sur la terre qui meurt de la foif de tes eaux;
- Noie les feuij mignonne^ embrajeurs de mon ame^
Ou me laiffe brufler ton Nil dedans ma fiamme^
Que je noyé en tes pleurs^ oufeche en mes Jlamb eaux .
XVIII.
 qui ne fut point ravie
L'amitié qu'avec la vie^
De qui les chaftes amours
N^ont finy qu'avec les Jours.
Que de douceurs âlune douleur^
Que de vers rameaux d^une graine ^
Que de fallaires d'une peine ^
Que de Jlenrs naijfent d'une Jleur!
Qiiun oeil ha de raions ardents^
Que de morti fortent d'une vie.
Que de beaux printemps d'une pluie^
Que d'eftés chaults d'un doux printemps !
Amours qui par l'aer voletej.
Porte j fur vos aijles dorées
Le miel que vos langues fucrees
Ont fuccé de tant de beauté^.
Que tous ceux qui liront ces vers
Et les amours qui y jloriffent^
Du rhiel qu'il^ goufteront beniffent
Ces belles Jleurs^ ces rameaux vers.
Heureux de ta douleur^ Monteil^
Qui triomphes de ton martire^
Et autant de Jieurs en retire
IIO L£ P&IMTEMS DU SIBU& d'aUBIGNÏ.
Comme de larmes de ton œil!
Lefoleil duiu4 de tes ardeurs
N'a point moiJfomU Vefperance
Et la deleûable aparance
De ton printemps & de tes Jleurs.
Te/moins ces doux & riches vers
A qui la mort la mort ne donne^
De qui PyvcTj de qui Vautonne
Ne fecheront les rameaux vers.
Pour Jalaire de tes ennuis^
Pour la fin de tes douces rages j
Pour couronne de tes ouvrages
Dieu te donne encor^ d^àutres fruit^.
Ces fruiti feront qiien bien aymant
Ton doux chant flefchira ta dame;
Tes pleurs feront noier ta Mamme
Et les douleurs de ton tourment.
Tu cuâleras de ta beauté
Les efpiti après Vefperance :
Ta Chloris en Ceres ^advance.
Ton printemps fe fait un efté.
Ces fruii là feront que V amour
De cefle Jleur efpanouie
Ne verra la mort & la vie
Paroi fire & finir en un jour.
XIX.
Quiconque fur les os des tombeaux effroiables
Verra le trifle amant ^ les refles mijerables
D'un cueurfeché d'amour & l'immobile corps
Qui par fon ame morte efl mis entre les morts ^
Qju^il déplore le fort d'un ame à foy contraire^
STANCES. III
Qui pour ung autre corps à fan cote aépmfiin
Me laiffe exanimé fams vyo & fems mourir ,
Me faiéi aux noirs tombeuax après Ma courir.
Démons qui fréquentai dos fapuhkras la lama^
Aidei moy^ dites moy nouvelks de mon ame^
Ou montrai moy les os qvfelle fuit adorant
De la morte amytié qui n^efi morte an mourant.
Diane y où font les traiti de cefta belle face?
Pourquoy mon oeil ne voit comma il voyait ta grace^
Ou pourquoi foeil da l*ame^ & plus vif & plus fort ^
Te voit (t n^a voulu fe mourir an ta mort?
Elle n'efl plus icy^ o mon ama aveuglée^
Le corps vola au ciel quant Vame y eft allée :
Mon cueuTy mon fang^ mes yeux verroient entre les mors^
Son cueur^ fon fang^ fes yeux ^ fi c'eftoit là fon cors»
Si tu brûle à jamais d'une étemelle Mamme^
A jamais je faray un corps fana tay^ mon ame^
Les tombeaux me verront effrayés de mes cris y
Compagnon amoureux des amoureux efpriti.
XX.
Vous qui pillei Vemail de ces couleurs^
Friandes mains qui amaffés les fraiies^
Que de tormansfe quachent fouJbi ^^^ aijes^
Que de ferpans fe coullent fur les Meurs!
J'eftois plongée en Vocean d^ aimer ^
Je me neiois au fieuve Acherontide^
J'efpans aux bors ma robe toutte umide
Et facrifie au grand Dieu de la mer.
Fermés l'oreille aux mortelles douceurs^
Amans y nochers^ n^efcoutés les Serenes;
Ma paine fut cP avoir ouy leur paines
lia LE PRIMT£MS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Et 'ma doulleur (Tentandre leurs doulleurs.
C^eft/e hayr^ leur porter amitié^
C^eft /obéir que leur eftre rebelles^
C^efi la douceur que leur eflre cruelles
Et cruaulté que â!en avoir pitié.
Comme Veûil prent^ trahi par fort objeél^
L'impreffion de Peuil où il fe mire^
Ainfi le mien fut trahi par un pire^
Un mal trompeur d'un vray fut lefubget.
Leur faux foupirs meurent à foupirer
Preffans de veus ma poitrine entamée ^
Leur feint ardeur qui jtétoit que fumée y
Mieux un feu clair ^ nCaprindront à pleurer*
CONSOLATION
A MADEMOISELLE DE SAINT-GE&MAIN
POUI, L4 MOKT DE M4D4MB DE tAINT-ÀNOEL.
Ces efclairs obfcurcis d'un nuage de larmes
Qui coule de tes yeux y
Ces pleurs verfei en vain qui cachent tant de Jlammes
Qui couvent tant de feux :
Ces feux y ces deux foleils nous defrobent leur face
Pour voiler tes ennuis ^
Et au lieu du beau jour^ le Ciel en fa dif grâce
Nous donne mille nuis.
Ce ferain obfcurci fa clarté nous refufe^
CeJP aer fi gracieux
A MADAME DB SAINT-GERMAIN. II3
Qui mejlé de nos Jonsy de nos chan/ons amufe
L'oreille des Dieux»
Ta perte j ta pitié pour quelque temps excufe
Ta doideur & tes pleurs^
Mais craignons que quelcun je vengeant ne faccufe
De feindre ces douleurs.
Ils diront : Et â quoy fervent ces vaines plaintes
Qy^ enfin il faut finir?
Belle^ cejfant tes pleurs ^ de ces cendres efleintes
Efteins lefouvenir.
Ainfi rends de tes yeux la clarté defiree^
Def couvre tes beaux feux ^
Et de ce doux ferain la faveur efperee
Fais fentir à nos yeux^
Heureux de voyr encor après un long orage
Ce foleil defiré^
Plus heureux de trouver apre{ un long naufrage
Un rivage ajfeuré!
Tu te plains^ mais ce cœur que ta pajfion meine
Ne reçoit changement :
Changeons donc cett' humeur qui pour fembler humaine
Pleure inhumainement.
Car c'efi pleurer ainfi ^ puifque Vamour extrême
Que tu fens de plus fort
Te faiél plaindre îe bien d'une joye fupreme
Acquife par fa mort :
Ou tu es trop humain^ amour qui veux qu'on cède
A ce qiion ne doibt pas^
m. 8
114 ^^ PB.IMTEMS OU SIEUS. O AUBIGVE.
Et qmforcm usjmt et cketcktr ai rniiffr
CesUni^&€ms€wùmUjmMrtimfwnM^
EJtast monm icy bu^
Ny fêr mx tm m pmU rmirm nm cmm ddàme
Deji cruels deimts.
Tu les meeumes crmds, rwmemwelëmf U fUy€
SoMs la poBPffcr gmerity
Te Uifmu à temsjamts le feml plsifr pomr jMjnt
De dejlrer périr;
Et périr tu ne puisj cur la peiue plus fane
Efi clumgee em plaifa :
Tarn pl4djir eft pleurer & tom ame mi mone
N'a que ce Jeul déjà-.
Tu du que mul me pemfe amoimdrifuu P^fèmce
Amoindrir mon malheur^
CarJUûfamt^ tes cris^ de plaindre Jbm ab/ence
Je f^ aurais le bonheur :
Plainte qui cha/que fois à tes yeux la renvoyé
Efblouis de leur deuil^
Plaimte qui te fait voyr ton aimée & ta joye
Enfermée au cerceuiL
Mais fou ame efi au ciel qui rie fiant point humaine
Triumphe pour tousjours^
Triumphaate au bonheur d'une vie certaine
D*avoyr parfaiél fon cours.
Don^ que ton corps defcende en la mort tenebre^fe
Pour y voyr fa moitié^
A MAI>AM£ DE SAINT-GERMAIN. II5
Monte ton ame au Ciel plus belV & plus heureufe
Parfatre Vamùié,
I
Ainjiy Belle y reçois ta vie avec fa vie^
Ta mort avec fa mort^
Et non plus en vivant foubi la morteW envie
Ne plains f on heureux fort.
Ne préfère le bien d'une vie mortelle
A V éternel fejour y
Ne mefprife le bien d'une vie éternelle
Pour ne Vavoyr qu'un jour.
Elle vivoit là bas en une terre eftrange
Soubi le fort envieux ^
Elle changea fon nom tr fon ame en St, Ange^
Changeant la terre aux deux.
Fuyeip tiedês joufpirs^ & reprenei eesfiammês
Qui decoroiemt fes yeux;
Vos deux corps font ça bas^ & vos plus belles âmes
Sont au Ciel glorieux.
A MADAME DE B.
q,UADRAlN8.
Je voy' tant de beautejj Je fens tant de douceurs
Dont la clarté m'embraf & le doux m' empoifonne ^
Que tantofl à mes cris la liberté Je donne ^
Tantoji je les retrains preffé dans mes douleurs.
,■..4' ^ l^aiMTEMS ISfT SISrX. x!AX9aS3E^
^-f^U^^^^'defha rmr an Jmac la Satam,
^ V^iù efi de pba tmmi ^pka ffr^^^^^^tf
^^mefi dt phts pur Jnubç le -wmar Jbs GacÊT
^^fiilifumjmiik mcrnir ^hmt Immat ji jmm.
A^ qui €fi Joubi le Qml ûtphLs rmr ^pbis imam
^iewk foy tr hammo^ joar imaua^ gut jMÊam
Afi^^ Im-Jerns & cLairz^^fiJaLlptuj sLar mmsifi9^
K^acbe^ vtfire \wêu\. j^pranke^ -aumSaaibBaxJ
Viius étfes fîmfirwBÊaa ie ma, irnUe hmàerr^
f^m efdmrtr mm. aotmie ^ mm ctspims hus
EmfrimUm^uafirejÎBmdm^fBràtjmiju
JPremsMf vo^e rigmem- et jk ^moepmatàam^
M4U4 €€$ f(Êf0U éhms et wam. bdU dlvar
i^rems pr^ hum Ueferj WÊʧÊgers àe fim ànr;
Cef yeux éimx ér amds^ cmatfes de jmm
Cméemf/lmi^ Umr dameemr tnp àtfeNrùL
^e0 4mc^Me UMUf âamcemrs^ qmi feiâms fsr/î
9efeiU4 éftdfipei fmr vas damées ihukjmt
l^ M^iMiuff hsraft ran des jmaîtes fams,
ILsy veoéùm ^ pUufr émae femef, àme^
ÂtA^d^fe4 djmcomrei facomiu de oieL
/Hmfifécé djui U d^ucewr changei en vofire rage.
tM^êif^^U^ mainf fuuûlees du carnage
00 \/^é écf^fant fujocoM foubi le baume le fiel!
//vxair^. >c/*y/# </ friand' efi l'eau que le malade
/ir# V /aW// fétf^retteif douce la mortelV eau
Ql^ //o^/ Im j/i^ff an fange & le corps au tombeau
ft^ fr/K/^0/^^^ hgndn d'un boutefeu dipfade,
f^^è 4^^* /K^ /^ ff^ffmml qui nous meine à la mort :
tH'Hff^ ^(i t^ th; I0 Imél, & doux ce qui defguije
/'A ^//ç// /a/^m/ tfuii dndans nous efpuife
h'h-miif^ fét ^If44 Ju^fU par fonjuptil effort,
Hfi*mi^'i. 4 MM hmH an rian accomparables^
F^yf^l) ^W^M4 4m^^tmr4. d^uuprej de ma douceur^
A MADAME DB B. 1 17
Ne fuyei^ cruaultei^ caufes de mon malheur^
Approchei^ vrays te/moins de cruaultei femblahUs,
Le laiéi n'a plus de luftre en voyant voflre teint y
Auprei de vofhe taint le lis en noir Je change y
Prei de voflre douceur V ambre perd fa louange y
Du fommeil la douceur par la voflre s^eflaint.
Et combien de fois plus efl douce voflre grâce
Que la Serene douc^ & habile à charmer ^
Que le miel ni que Veau; combien peut animer
Cetf argentine voix cette celefle face!'
Helas! que de beauté^ qui ont pipé mes yeuXy
Helas! que de douceurs ^ que de douces merveilles
Ont furpris mes efprit^ efpris par les oreilles^
Saifeffans tous mes fens par fi divers milieux !
Mais mon efpoir trompé defmentipar Pefpreuve
A veu voflre beaufein d^aconite noir ci j
Cefeinplus blanc que neige efhe froid tout ainfl^
Et enfes chants divins rien que ma mort ne trouve.
Ces y eux y ces deux JlambeauXyfe font faiéls cruels feux ^
Cette voix v^efl qi^un ris de mafanglante paine^
Mais ces feux y inflrumens de ma perte certaine ^
S'alentiffent un peu par V effort de mes pleurs (fie).
Ce poifon enfucré de vos douces paroles
Qui rrUa faiâl avaler doucement mon malheur ^
Ce miel qui rend friand & fouefve ma douleur
Ne me peut plus tromper d'efperances frivoles :
Je vois & Ji je fens s' ef couler mon humeur ^
Ores fuis demi mort^ ores demi de vie^
Et mon ame enfouffrant efl deplaifer ravie
Et ce fouffrir luy efl fon fouverain bonheur;
Doux luy font les efaiâls d'une caufefi belle :
S ouf riant je me plains ^ n'appelant point torment
La peine que j'endure & mon vouloyr dément
La douleur qui me point pour t* aimer ^ ma rébelle.
Il8 LE PRIMTKMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Je mefprife atfuy qui f^eft point amoureux :
La joye fans aimer eft une chofe fainte^
Toute félicité y fi on rCaime^ eft eftainte.
Et ainfi pour foi^ffrir je fouffre bienheureux.
Amour ofte tout foin & un feul qui nous bleffe
Nous ravit à nous même & nous rend tout à luy^
Ilfaiéi, comme il luy plaiji, le plaifir & Vennuy
Qui me caufe cent mors abfent de ma maiftreffe.
Il faut donq^ obéir àfes eftroiéles loixy
Se laiffer furmonter au mal qui mefurmonte :
Puisjefçay que ma dame altiere ne fait conte
Des groMds plus eflevei^ des Princes ni des Roix,
Mes veux iront mourir ou meurent les celefles :
L'or y a pieu, cet( or n^[y] a point eu de prisj
Le fouldre à menacer f^a receu que mefpris,
Le cigne y a perdu f es chants doux & funeftes,
Voyei mon cmur en feu tout noyé defes pleurs,
Voyei vos cruaultei paintes en mon vif âge y
Voyei d^un qui n'eft plus la pitoyable image.
L'image de mes maux, celle de vos rigueurs.
Enfin dans un /Etna mon Amour confummee
' Me donne le tombeau du Grec ambitieux.
Mont quifeiche la mer, mont qui rend de fes feux
En braiie les Enfers & les Cieux enfumée.
'W
r%0'tSlEiME IIV%E.
ODfeS.
I.
L'horreur froide qui m'efpouvente,
Veffroy qui monfang a chaffé
Du lieu où il fut amaffé^
En ma rage plus violhnte
Prive de leur force mes yeux^
Et en tariffant ma parole
Efpend la glace qui m'affole
Aux pointes de tous mes cheveux»
Ma raifon à mon heur contraire
Courbe le colfoubi le fardeau
Et ne me cherche qu'un tumbeau
Et un couteau pour me deffaire.
Il eft temps de céder au fort :
Puifque le fort veult que je meure ^
Je veux eftancher à cefle heure
L'afpre foif qu'il a de ma mort,
J'ay trop effuié mon defaflre^
J'ay trop le malheur efprouvé
Puifque Je n'ay jamais trouvé
IJO LE PEIMTEMS DU SIEU& d'aVBIGNÏ.
La Fortune autre que maraftre^
Tay trop Umguy en mon malheur ^
Et ce fie main trop peu hardie
A trop nourry ma malladie
Pour la pauvreté de mon cueur.
Autant que d^ abeilles bourdonnent
En Hybla^ autant de JlambeauXy
De Jons^ de fpeéiacles nouveaux
Mon oreille & rribn oeil eftonnent^
Autant de forcer du deflin^
Autant (Thorreurs apareillees^
Et d^Erynnes dechevelees
Accourent pour eftre à ma fin.
Ce fie plainte mal ajfuree
Et les mal affeurei propos
Me font ilj craindre mon repos
Et Vheure & la fin defiree?
Ha! chetif où as^tu les yeux?
Pourquoy tardes-tu la vengeance
De toy contre toy qui fojfence^
Aimant lepis^fuiant le mieux?
Ma fin eft promptement fidvie
D'une longue félicité.
N^eflH:e pas une lafcheté
D'aimer mieux une amere vie
Pour crainte d'une douce mort^
Et pour la faute de courage^
Faire un perpétuel naufrage
Plus toft que d aborder le port?
Arrière de moy^ vaine crainte^
Ne m'empefche plus mon repos y
Laijfe moy rendre ce propos :
Ma vie & mon envie eftèinte^
Promptement il fault fecourir
ODES. 121
La vie longue & languiffante
Que le malheur fait Jf dolente
Par faute de f avoir mourir,
Celuy qui dit que ce fie rage
Qui' arme les fanglantes mains
Encontre fes membres germains
Eft une faute de courage^
Voulant mefprifer [en\ autruy
Ce qU^il ne fait ^ n^auferoit faire ^
Il defcouvre par le contraire
Ce qui T^a garde d^eflre en luy.
Or efl-il [pflj] temps que je face
Ma vie & mon mal confommer^
Qu'enfemble je face fumer
Ma peine & monfang par la place?
Un coup fera ternir mes yeux
Tarira ma fueur & parole y
Car c^eft ainfi^ ainji que vole
Uefprit de Diane aux bas-lieux.
II.
Autant de fois comme j'ejfaie
D'apaifer le fang de ma plaie ^
Mon fang bouillant de mille endroùi
Boult & s'efchauffe autant défais^
Mais auJjH lors que j'ay enviè^
Sans languir d'efleindre ma vie y
Lafauver desfeui des amours y
Mon fangfe rapaife tous jours,
Volunté dure & impuijfante
Soubi le pouvoir qui me tormente^
Trahijfànty mutinant mon cueur^
\^i Mt f^RlMTEMS PU SIEU^ d'aUBIGN'É.
Luy faijant jurer fon malheur
Qui me tué & conferve l'orne^
Qui efleint (r nourrifl ma Jlammé^
Fais mon malheur^ ce que Je veux,
Et change mes efprit^ en feuii
Mon ame ji^èfi plus raifonnable^
La folle & aveugle m^ accable
Et je me meurs Jans eflre e/prij
D'autres feui que de mes efpriti :
Les fiers à ma mifere jurent^
Les foli ma riane, conjurent,
J'ay perdu la vie & la voix
Par ceux là par qui je vivoisi
Ma conception s'efl bandée .
A ma mort qu^elle a demandée
Et aveccf elle a fait venir
Le Jugement f lefouvenir,
vous, parties divifees.
Las! vous courei malavifees,
Serves ou vous fervans d'un cueur
Soudoie de voftre vaincueur!
Divine beauté que J'adore,
Vous avei plus fervy encore
À rendre Vamour mon vaincueur
Que mes efpriti ny que mon cueur.
Us n'ont eu plus rien que des larmes
En voiant jùunboier pour armes
Es mains de V Amour indompté
Vos grâces & voftre beauté.
Comme d^une tranchante lame,
De vos regards il m^ofta Vame
Et en fa place il a remis
Mille (y mille feux ennemis;
Mon amê n^eftplus que de braije
OD£S. 123
Qid proche de la mort ^apoife
Et vûfamt recroift peu àpêu^
Car je n^ay vie que de feu.
L'Amour ne doit donques pas craindre
Que f on ardeur fe puiffe efleindre^
Seullement il t^a pas permis
Que le voulloir en moy fufi mis.
Ma rage & ma force m' entraine ^
Je T^ay fouverdr que ma peine ^ ^
Mon mal agréable & cuifant^
Et rien autre ne rr^efl plaifant.
Gommant penfiei vous donc^ Maitreffe.
Que le miferable qui laiffe
Son cueur^ fes efprit{ enchante^
Tousjours aux pieds de vos bèautei.
Puifque la mémoire eft partie
De l'ame & l'ame de la vie^
Sans de Pamefe de/unir ^
Perdift de vous lefouvenir?
Mon martire & voflre puiffance
Ne fortent de ma fouvenance :
Je ne fuis fans fentir & voir
A mes defpens voflre pouvoir.
Pour Dieu^ aiei pitié de Pâme
Qui pour vous efl changée en Jlame,
Pleignei (t fecoure^ le cueur
Qui pour vous n'eft plus que rigueur!
Voilà comment en voflre abfence^
De l'immortelle fouvenance
De mes maux'& de vos beautei
Mes fens font bruflej^ enchante^^
Et contraint^j privei de la veuëj
D'efcrire cela qui me tué
Et donner vie à mes efpris
1^ tt r&IMTSMS DU SIEUR d'aUBIGNÏ.
Pér gtidques efors de mes cris.
Car hors de tous quand fay emie
Sams languir d'efteindre ma vie^
Lajauver des feux des amours ^
Mon fangfe rapaife tous jours ^
Ataif autant de fois que J'ejfaie
D'apaifer lefang de ma plaie ^
Mon fan g verfe de mille endroits^
Verfe ma vie autant dé fois.
III.
Uaftre qui reçoit fa lumière
Et tfa tous jours la force entière.
Qui prend des javelot^ ferrej
Et de la chaffefes délices^
Et qui reçoit pour facrifices
Cent & cent taureaux maffacrei,
Ce fie granéP lumière féconde
S'apelle l'autre ame du monde ^
Tefmoigne au front fa pureté :
Sa face délicate & franche
Ne reçoit couleur que la blanche
Pour tefmoing de fa chafteté.
Je voy^ fa blancheur qui efface
Les lis cuUlés en voftre face
Et lepafie teint argentin
Qtdfe peult comparer encore
Au ciel blanc, premier que V Aurore
Ait fait incarnat le matin,
Cefie blancheur là efl la preuve
De la pureté quife treuve
En voftre feinj en voftre fang^
ODES. 125
Et que le defir de vofire ame
A fentyjans toucher la Somme ^
Sans tache y P amour pur & blanc»
La Lune en fa blancheur efl belle^
La face du Ciel, qui efl telle
JJeft auffiy mais huiffei voftre oeû
A choifir le plus deleâtable^
Car V Aurore efl plus agréable^
Et plus que Faubej le Soleil,
L^ Aurore a voullu eftre amie^
Le Soleil cent fois en fa vie
A fenty les treti amoureux y
Sa clarté i^efl caufe première ^
jy Amour il reçoit fa lumière^
Comme i7 la dorme aux autres deux.
Le Soleil à la lune ronde ^
U Amour au Soleil & au monde
Donnent la vie & la clarté :'
Il efl beau qu^aie^^ ce me femble^
Et lefoleil & vous enfemble
Mefme caufe à voftre beauté»
Vous aimei ^^^^^y comme je penfe^
La pure que V impure effence
Et Vacomply que l'imparfait :
La couleur blanche n'efl pareille
A la dorée y à la vermeille^
Ny en luflrCy ny en Veffet.
Je ne dis pas que la Nature
Vous créant fl belle ir fi pure
N'efloffa d^or voftre beauté.
Mais elV ed en lingot encore y
Et fi le feu ne la redore ^
Son vray luftre luy eft oflé.
Il r^y a point Vautre fournaiie^
IJ6 le r&IMTJ£MS DU SIEUR d'aUBIGKÉ.
iyautr0 CfTjhgvrty ny et autre hrtd\€
Que la Jlamme de F amitié
Pour mettre en luftre la mature
Et la faire Ji chère & pure
Que fort pris croiftra de moitié.
Laiffei travailler en vous me/me
Ceft ouvrier qui de pajle (r blefate
Poindra voflre Us de couleurs
Qui feront de honte V Aurore
Se cacher (t cacher encùre
Le Soleûy les aftres^ lesJLeurs.
Non^ vous verrei fener la roie
Quant voftre autre beauté dedoje
Bravera lefein de Claris :
Les Jietprs vermeilles periffarUes^
Mortes jaloufeSy languiffantes^
De defpit perdront les efpriti.
Le ferf qui foubi voftre viâloire
Eft enchainépour voftre gloire^
Vous vm'ant furmonter ainfi
Tant de captif\ de mefmes armes j
En plaijir changera fes larmes y
En miel le fiel de foucy.
Je voy^ voflre premier efclave
Qui de fa perte fe fait brave
Aiant pour compagnon les deux;
Ainfi au vaincu miferaile
* La vidoire eft faite agréable
Par le nom du viélorieux.
Alors f on amoureufe braife
Ne fera que plaijir & qu'aife^
Quant aiant pouffé tant de vents
Pour mettre le feu en voftre ame^
Il en verra voiler la Jlamme
ODES. 127
f
Au gré é$fêsJoupirs maumni^»
Il n'avoit drûjfijon attente
Que fur Pamour afpre & confiante
Dont Jonjeus efioit anymé^
Jugeant que Jon ardeur divine
Sacageroit voflre poitrine
Quant fan cueur feroit confomé^
Et qt^alors vos âmes pareilles
Vous feront fentir les merveilles
De deux cueurs unis en dejir^
Mais vous feulement pourei rendre^
Quand vous vouâtei^ vos feu\ en cendre
Et vos attentes en plaifir.
IV.
La preuve durf amour non feinte
Efl lors qu^on cherifl fon ennuy^
Et quant pour trop^ aimer autruy
L'amour de foy mefme efi efteinte.
Comment veux^tu^ Jiere Maiflreffe^
Pour le comble de mes travaux
Faifant deux contraires efgaux^
Qi^en V amour fufa defageffe?
Comment puis^je eftre amant (^ fage^
Me plaifant à me faire tortj
Baifant le glaive de ma mort^
Fuiant le bien pour le dommage^
Trouvant le miel amer & rude^
Changeant en rage ma raifon^
Ma liberté en la prifon
D^une cruelle ingratitude?
Ainfi tufemble la maraftre
128 LE PRIMTEMS DU SIEUR D*AUBIGN£.
VAlcide le brave & le fort y
Ne voullanty en le voulant mort y
Rougir Jes mains de/on defaftrej
Mais à chafque monflre terrible
Qui mille hommes f ai/oit mourir j
Elle Venvoioit conquérir
La mort (y Phonnew impoffible.
Tu me veulx contraindre ^ inhumaine ^
Mettre la glace aveaf V ardeur y
T aùner Jans folie ir fureur
Pour m'acabler de cefte peine.
Fay^ fi tu veux de la marrie
Que fayme furieufement :
Je ne puis y Diane^ en f aimant
Guérir de rage (r de furie.
V.
Heureux qui meurt par voflre veuëy
Bien heureux qui ce bel oeil tué :
douce mort y o doux ennuy!
Mais bien heureux celui qui tire
Sa vie d'un fi doux martircy
Qui aimant ceft oeil vit par luy!
Car vous portei Vire (r la joye
Quand un de vos regars foudroyé
Celuy qui s*afronte à voi yeux :
Ainfi que luy voflre œil m'acable
Et bien que Je fois agréable y
Je n'en emporte rien de mieux.
Mais voulei vousy beauté divincy
Que l'ail qui guerifl & ruine
Me luyfe fans m' exterminer
ODES. 129
Et que vouspuijfiei au contraire^
Sans re^jouir vofire adverfaire^
Le choijir pour le ruiner?
Departei ceft effeéi contraire
De voi yeux y de bien & mal faire ^
En deux prefens de voi couleurs :
Donnei à un amant volage
Celles qid porteront dommage^
Et à moy les autres faveurs ,
Ce prefent portera voftre ire :
Vous ferei comms Desjanire^
Au lieu de chemife en couleurs
Et ces faveurs feront encore
Tels que la. boifte de Pandore
Qui regorgea tant de malheurs.
Alors vous aurei la puijfance
Du fallaire de la vengeance.
' Celle qui de mefm£ tourment
Paie lefidelle & le traiflre
Fait que l'on ayme autant à eftre
Defloial quefidelle amant :
Car ces mignons font que f enrage
Quant j indignes d'avoir un gage,
Sinon celuy là que j'ay dit.
Ils parent leur lance legiere^
Comm£ leurs cueurs fur la carrière ^
D'un prefent qui n'eft pas maudit.
Trempe la, ma Deeffe humaine ^
Dedans la rive Stigienne
Et dedans le fan g dun corbeau.
Afin quil ruine & qu'il tuë
Celui qui portera en veuë
Pour une faveur un cordeau.
Madame j que voftre[ail délivre
111. 9
130 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
U autre vertu qui me fait vivre
Aux gages de voftre amitié^
Et que ma main en eflant ceinte
Ne tremble plus deffoubi la crainte
De voftre imploiable pitié,
Ainfi quant la terre enyvree
De pleurs remarque fa livrée
Au bras du ciel plus gratieux^
A trois couleurs a fouvenance
Que c*efl Vefcharpe d'alliance
Et de la promeffe des Dieux,
Appaifei les pleurs & la pluie
Et les déluges de ma vie^
Et nouei à trois neui fur moy
Une marque fi bien pliee
Que jamais ne fait defnouee
Q'avecques le neud de ma foy.
Alors fans varier ^ ma lance
Puijfante de voftre pmffance
Sur tous emportera V honneur;
Sa mire fera voftre veuêy
Ses chiffres le nom qui me tuë^
Et fin arreft voftre faveur.
VI.
Ainfi l'Amour & la Fortune^
Tous deux caufes de mes douleurs.
Donnent à mes nouveaux malheurs
Leur force contraire (r commune^
Ainfi la Fortune & V Amour
D'une force unie & contraire
Veullent advancer & diftraire
ODES. 131
Mes rages (t mon dernier jour.
Tous deux pour voiler ont des aelles^
Aveugles des yeux^ des dejirSy
De tous deux les jeux ^ les plaifirs
Sont paines & rages cruelles : .
Ill ne s'abreuvent que de pleurs ^
N'aiment que les fers & les Jlammes.
N'affligent que les belles âmes.
Ne bleffent que les braves cueurs,
La Fortune efl femme ploiable^
L'Amour un. de/piteux enfant ^
L'une s'abaiffe en triumphant^
L'autre efl vaincueur infuportable^
L'une de fa légèreté
Change au plaifir le grand defaflre^
Et Poutre n'a opiniaflre
Plus grand mal que la fermeté.
VII.
Soubs la tremblante courtine
De ces beffons arbriffeaux^
Au murmure qui chemine
Dans ces gaiouillans ruijfeaux^
Sur un chevet touffu efmaillé des couleurs
D'un million de Jleurs^
A ces babillars ramages
D'ojillons d'amour efpris^
Au flair des rofes fauvages
Et des aiibepins Jloris^
Portei^ Zephirs pillarsfur mille fleu>s trot tans j
• L'haleine du Printemps,
O doux repos de mes paines ^
13^ LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGKÉ.
Bras d^yvoire pottelei^
beaux yeulx^ claires fontaines
Qui de plaifir ruiffelei^
girony doux fuporr^ beau chevet efmaillé
A mon chef travaillé!
Vos doulceurs au ciel choifies^
Belle bouche qui parlei^
Sous vos lèvres cramoyjtes
Ouvrent deux ris emperlei;
Quel beaulme précieux Motte par les lephirs
De vos tiedes foufpirs !
Si je vis y jamais ravie
Ne f oit cefle vie icy^
Mais fi c'efl mort y que la vie
Jamais r^ait de moyfoucy :
Si je vis y fi je meurs ^ ô bien heureux ce jour
En paradis d^ amour!
Eh bien! je fuis content de vivre
Et ma peine eft lors plus cruelle
Quand plus d'elle je fuis délivre ^
Pourtant je vis de tout mon heur^
Oefl que ma joye eft lors plus belle
Plus je fais vivre ma douleur ^
Plus ma peine accroift ma penfee^
Me JtattCy me plaifl & m'atire ;
Mais lors mon ame eft courroucée
Quand mon cœur s'eftonne pour eux.
Et quand je fens plus de martire
Que je r^ay le cueur amoureux.
Voftre œily voftre beaulté^ Madame ^
A vaincu mes forces ^ de forte
Qu'au feu de Vamoureufe Jlamme
Ma perte s'allume & s'eftaint :
En moy la mort fe trouve morte
ODES. 133
Et mon ameplus nq la craint.
Ainfi éPune caufe fi bonne
Ma peine n^efl plus inhumaine^
Sinon quand moins votre œil m'en donne ^
Et pour la fin de mes ennuys
Uame efi friande de ma peine y
Le corps lajfé diéi : Je ne puis^.
VIII.
En voyant voftre beau pourquoy rray je pas veu^
Pourquoy en vous craignant mon ame fi craintive
N'a cogneu que Vefi^lair d'une blancheur fi vive
N'eftoit rien que neige ^ que feu?
Que mon cueur perdit bien par les yeux la raifon^
Prenant la vie efclave & delaiffant la franche^
Car il vit voftre gorge & fi belle & fi blanche
Qu^il en fit fa belle prif on!
La neige vousfiet bien^ & non pas la froideur :
Neige qui as couvert le fein de ma divine^
Poffede le deffus de fa blanche poitrine ^
Mais ne touche point Jufqu' au cœur!
N'abandonne ce cœur y belle & vive clairté
Qui rend de ce beau feu la blancheur vive & claire.
Enclos ce qui me brufle & non ce qui m'efclaire,
La Jlamme & non pas la beaulté.
Gorge de laiél^ mon œil de ta neige efl f riant.
I. Ces quatre dernières ftrophes font marquées à la marge
du manufcrit d'un iigne, d'une forte d'accolade. L'auteur
veut-il dire : à fupprimer? On voudrait le croire, mais ce
n'eft là qu'une conjeâure. Ce figne fe retrouve encore devant
quelques pages ou quelques ftrophes.
fti ^* ^*^;*^TiJttS 2>r Sl^rs. 3>^AXJS3«S£.
0^ge>r^ qmpcmr mm ptm ésS^mDt
Af^i le cmemr f u^ ckam^e^
A qmi amra pims d^ÔÊamjhmx
Vûu.$ ûreij ce craf je. g*fft.
Uu» léger ér Famtre légère.
À qui plus ffolage fera :
Le berger comme la bergère
De changer Je repentira,
IJun dit qiten pleurs il Je comjume.
U autre pence tout autrement.
Tous deux rt aiment que par coutume.
N^ aimant que leur contentement^
Tous deux, comme la girouette^
Tournent pouffei au gré du vent,
Kt leur amour rien nefouhaitte
Qu* à jouir ùr changer /auvent.
Dff tout deux ht carejfes feintes
Pttfctmvrent leur cueur inconliant.
tlj varfant un millier de plaintes
Kl h V0nl en emporte autant;
l^ nisniaur ùr la menfongere
lia Infini à (jui mieux trompera!
he hurger comme la bergère
Pfi changer Je repentira,
II* Jii juivem comme à la trace
4 changer faut /avoir pourquoy;
l*ak un def dtfux l'autre ne paffe
ÔDÏS. tJÇ
ry amour ^ de confiance & de foy.
Tous les jours une amitié neufve
Ces volages contentera^
Auffi, vous verrei ^ l'ef preuve
Que chacun s'en repentira.
De tous deus les promejfes vaines
Et les pleurs verfei en partant
N'ont plus duré que les haleines
Qui de la bouche vont fortant :
Chaquun garde fon avantage
A faujfer tout ce qu'il dira^
Et chaquun de ce faux langage
A fon tour fe repentira.
X.
Trifles amans ^ venei ouyr
Un^cueur prifonnier fe jouyr
Livré en fa chefne cruelle
Par les yeux trop prompt^ & hardis.
Mais fa prifon n'eft criminelle ^
[Car] il en faiélfon paradis.
Bien que foubi les loix d'un vainqueur
Il fouffre aux pieds d'un autre cueur,
Qu'efclave & que ferf on l'apelle^
Il eft fi doucement traité
Et fa fervitude efifi belle
Qu'il meprife la liberté.
Bien qu'il endure là dedans
Mille & mille Jlambeaux ardans
Qi£on voit à l'enjleure jumelle
Qui s'enfle de fes doux foupirs ^
Sajlamme & fa mort efifi belle
136 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÏ.
Qjiilje met au rang des martirs,
lyunfein (Talbaftrefi polly
Il voulut eftre enfevelly^
Et en fa prifon éternelle
Heureux il confine fes Jours ^
Chantant que fa prifon efl belle
Puifqu^il a de belles amours,
A. D.
XI.
Voilà une heure quifonne !
Debout^ laquais^ qu'on me donne
Mon papier pour y vomir
Une odelette lirique
Qui me chatouille & me pique
Et m'empefche de dormir.
Chenu hault^ Chenu en place^
Debout j marault^ qiion me face
Merveilles de cefl outil :
Defrobe une Jlamme claire
Et un vulcan qui m'efclaire
Du ventre de ce fup'l,
Voi' tu la trongne de l'homme
Voluffien^ voi' tu comme
Il a un des ieux petit?
U amour chault qui me confomme
N'empefche à ce gentil homme
Le dormir ny Vapetit,
Meti là deffoubi ce gros livre :
Cefili de putain efl yvre!
Hail au pied recouche toy.
Qu^ilfe donne de malaife!
ODES. 137
Va^ que tu puiffe à ton aife
Dormir pour toy & pour moy.
Cependant que tu nugnarde
Une corde babillarde
Du pouce & d'un autre doit^
Je veus f avoir de ma Mufe
Que jamais je ne refufe
Que c^efl qv^elle demandait,
Fay^ que mes efpriti frétillent
Autant de coups que babillent
Les tremblemens amoureux
Qui folaftrent fur ta chorde :
Mon fécond, ainji mon ode ^
Sera fille de nous deux.
Nicollas endort fa paine
Et pouffe avecif fon halaine
Ses affaires & Vennuy
De fa tefie enfommeillee^
Tandis ma Mufe éveillée
Se refouvenoit de luy.
Nicollas^ j'aime & j'adore
Quiconque ayme & qui honore
Et les vers (r les efcrit^
Et les fciences aymees
Qui feront leurs renommées
Vivre autant que les efpriti»
Je ne fuis pas de la troupe
Qui peu! t faire à plaine coupe
Carroux du Neélar des cieuXy
Mais je contrefais leurs gejles
Et pour ivrogner leurs refles
Je porte un livre après eux.
Je congnois ma petite ffe y
Ce qui fait que je m^abaiffe
136 LB PR.IUTEHS DV SIEUB. d'aQBIGNJ.
Qti'Û/e met au raitg des martùs.
D'Hit Jem ^albafirefi paUy
Il votdut eftre enjevelly.
Et en fa prifon étemelle
Heureux il confine fis Jours,
Chantant que fa prifon ejl belle
Piufqi^a a de bellei amours.
XI.
Voilà une heure qiu'fonnt
Debout, laquaisj qu'on
Mon papier pour y von
Une odelette lirique
Qui me chatouille & n
Et n^empefche de dormir\
Chenu hault. Chenu en plaé
Debout) marault, q,
Merveilles de cefi o,
Defrobe une Somme
Et un vulcatt qui m'efclaire 1
Du ventre de ce fu\il. 1
Voi' tu la trongne de l'homme
Volujfien, voi' tu comme
lia un des ieux petit?
L'amour chault qui me confom
N'empefche à ce gentil homme
Le dormir ny l'apeiit.
Metj là dejfoubi ce gros livre :
Cejllj de putain ejl yvre!
Hai! au pied recouche toy.
Qu'il fe donne de malaifel
™ '" troupe
"/'•"g'j',:
•'le,
136 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGKE^
Qjiil Je met au rang des martirs.
jyunjein éPalbaftrefi polly
Il voulut eftre enfevelly^
Et en fa prifon éternelle
Heureux il confine fes jours ^
Chantant que fa prifon efl belle
Puifqu^il a de belles amours,
A. D.
XI.
Voilà une heure quifonne !
Debout^ laquais^ qu^on me donne
Mon papier pour y vomir
Une odelette lirique
Qui me chatouille & me pique
Et m^empefche de dormir.
Chenu haultj Chenu en place^
Debout, marault, qiion me face
Merveilles de ceft outil :
Defrobe unejlamme claire
Et un vulcan qui m^efclaire
Du ventre de ce faiiL
Voi^ tu la trongne de l'homme
Volujfien, voi' tu comme
Il a un des ieux petit?
U amour chault qui me confomme
N^empefche à ce gentil homme
Le dormir ny Vapetit.
Meti là deffoubi ce gros livre :
Cejili de putain efl yvre!
Hai! au pied recouche toy»
Qu^ilfe donne de malaife!
I
fa, que lu ptàffe à ton aife
Dormir pour toy Ù- pour moy.
Cependant que tu mi'gnarde
Une corde babiîlarde
Du pouce & ifun autre doit,
Je veus /avoir de ma Mufe
Que jamais je ne refuje
Que c'eji qtielte de/nandoit.
Fay' quK met 'fprifx fret'H'n*
Autant de coups que habillent
Les tremblemeni amoureux
Qui folajirent fur la chorde :
Mon fécond, alnji iT:
Sera fille de nous deux.
Nicollas endort fa paine
Et pouffe avec<f fan haln
Ses offai, - " . '
De fa tejle enfommeili
Tandis ma Mufe t
Se refouvenoit d
Nicolias, j'aim
Quiconque a
El les V,
El h
Qui/en
P'ivré
Je nefttù
Qui
138 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE'.
Sans trop avoir entrepris
Si très penault de mes fautes
Que jamais les chofes hautes
Ne tranfporterent mes efcriti.
Pendant que Ronfard le père
Renouvelle noftre mère
Et que maint cher nourrijfon
Des filles de la Mémoire
Sur le temps dreffe fa gloire ^
Je barbouille à ma façon^
Et n'ayant rien que te dire^
Je m'efveille pour efcrire
Sans autre difpoftion
Que les premières penfees
Que la nuit m'a tracaffees
En l'imagination.
Il efl vraij comme je pence ^
Si j'avois la patience
D'eftudier une heure au jour,
Une heure feulement lire^
J'acorderois bien ma lire
A la guerre & à l'amour.
Jà dix ans & davantage^
Dont je ne fuis pas plus fage.
Ne m'ont proffité de rien.
Se font efcoulei à rire^
C'ejl pourquoy Von me peut dire
Qu^il y paroifl affei bien.
Encores Ji ma folie
Entroit en melancholie
Et, pour fe faire prifer,
Vouloit devenir plus grave :
Je fais bien faire le brave
Pour rr^en immûrtali\er ,
ODES. 139
Pour faire bruire une guerre
Qf^ eurent lesfili de la Terre
Contre les fouldres des Dieux.
En mes termes de folie
Je dirois qu^en Théjfalie
Ils efcaladoient les deux,
\PYun alexandrin plein d' erres ,
De guerres & de tonnerres ^
Et d'un difcours enragé
Je peindrois bien une noife^
Car je fay qiten vault la toife^
Je r^en ay que trop mangé!
J'ay aidé y quoy que je die^
A jouer la tragédie
Des François par eux deffaitj;
Page y foldaty homme d'armes
J'ay tousjours porté les armes
Jufqu^à lafeptiefme paix,
A Dreux y bataille rangée,
En Orléans ajfiegee,
Laijfant le dangier à part,
Dans le camp & dans la ville
J'apprins du foldat leflille
Et les vocables de l'art.
Mais depuis avecq' mon aage
M'ejlant acreu le courage,
Venu plus grand & plus fol,
Jeune d'aage & de fens jeune,
J'ay brufqué cinq ans fortune,
L'arquebuse fur le col.
Puis j'en pajfay mon envie
Et quiéiay l'infanterie
Pour ejlre homme de cheval,
Et, jamais las d'entreprendre.
140 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE'.
Encor^ me falut aprendre
Que c'eft du combat naval.
Ma nature y fut mal faite ^
Ma gorge y fut tousjours nette ^
Encores vis je la mer
Brufler trois fois en ma vie^
Branfler de coups eflourdie
Et les canons Fentamer,
Uamefervit la pratique
Et Fart & la théorique^
Et des fixes & du Nord
Tenquerois mon aftralabe
Et le bafton de V Arabe
De Vun & de Vautre bord.
Cela me donne courage
De prendre un plus hault ouvrage
Et (£ effarer mes efpris :
Comme de trop entreprendre^
On me peult auJjH reprendre
D'avoir trop peu entrepris.
J'ay encores eu umbrage,
Tout ainfi qiiun vain nuage^
Et des langues & des artj^
Sans que Je me veille rendre
Ou imposable à reprendre^
Ou parfait de toutes parti.
Celuy n'eft parfait poète
Qui T^a une ame parfaite^
Et tous les ars tous entiers^
Et qui pourroit en fa vie /
Gaigner V enciclopedie
Ou efprouver tous meftiers.
Bafte ! fefcris pour me plaire :
Si je ne puis fatisfaire
ODKS. 141
A un plus exaéï defir^
Amufant pour entreprendre
Quelque Jbt à me reprendre j
Je me donne du plaifir,
Tayme les badùieries
Et les folles railleries^
Mais je ne veux pas avoir
Pour veiller à la chandelle ^
La renommée immortelle
D'un pédante/que /avoir,
NicollaSj tes ferpelettes^
Tes vendangeurs^ tes /omettes,
Re/onnent à mon gré mieux
Que ces rimes deux fois nées
Et ces fraies fubornees
D'un Pétrarque ingénieux.
Car de quelle ame peut eflre
Ce que Von fait deux fois naijire
Par le faux père aprouvé :
Comme la poule pourmeine^
Non le poulet qu'elle ameine.
Mais celluy qu'elle a couvé.
C'efl beaucoup de bien traduire.
Mais c^eft larcin de rûefcrire
Au dejfus : traduéîion^
Et puis on ne fait pas croire
Qu'aux femmes & au vulgaire
Que ce/oit invention.
Ce n'eft pour toucher perfonne.
Mais ma Mufe ne bordonne
Ce que nous dijions hier;
Si îifant tu t'efmerveille
Que c'efl tout cecy^ je veille
Et j'ay peur de m' ennuyer.
142 LE P&IMTEMS DU SIEU& d'aUBIGKE.
Le dormir revenu preffe
Mes yeux pefans de parejfej
Les pique & ferme à demy.
Et la main efvamnde
Du coufin efi endormie
Dejfus fon luth endormy.
XII.
Au temps que la feille blefme
Pourrifl languijfante à bas,
J'allois ef garant mes pas
Venfiff honteux de moy mefme,
Preffant du pois de mon chef
Mon menton fur ma poitrine,
Comme abatu de ruine
Ou d'un horrible mefchef.
Après ^ je hauffois ma veuëy
Votant^ ce qui me deplaifl,
G émir la trifte forefl
Qui languiffoit toute nue.
Veufve de tant de beauté^
Que les venteufes tempeftes
briferent depuis les fefles
Jufqttaux piedi acraventej.
Où font ces chef nés fuperbes^
Ces grands cèdres hault montej
Quy pourriffent leurs beautei
Parmy les petites herbes?
Ou eft ce riche ornement,
Ou font ces efpais ombrages
Qui f^ont fçeu porter les rages
D'un automne feulement?
m
ODES. 143
Ce Ttejl pas la rud^ efcorce
Qui tient les trons verdiffans :
Les meilleurs^ non plus puiffans.
Ont plus de vie & de force.
Tefmoin le chafte laurier
Qui feul en ce temps verdoie
Et n'a pas eflé la proie
D'un yver fafcheux & fier.
Quant aujfi je confidere
Un jardin veuf de fes Jleurs,
Où font fes belles couleurs
Qui y Jloriffoient naguère^
Où fi bien eftoient choifis
Les bouquets de Jleurs my efclofes.
Où font fes vermeilles roies
Et fes oillets cramoifis?
J^ai bien veu qu'aux Jleurs nouvelles.
Quant la rofe ouvre f on fein^
Le barbot le plus villain
Ne ronge que les plus belles :
N^ay je pas veu fes teins vers,
La Jleur de meilleure eflitte^ •
Le lys & la margueritte^
Se ronger de mille vers?
Mais du myrthe verd la feuille
Vit tousjours & ne luy chault
De ventj de froit, ny de chault^
De ver barbot^ ny abeille :
Tousjours on le peut cuillir
Au printemps de fa jeuneffe^
Ou quant l'yver qui le laiffe
Fait les autres envieillir.
Entre un milion de perles
Dont les carquansfont bornej
144 L£ PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGN'E.
Et dont les chefi font ornei
De nos nymphes les plus belles^
Une feulle fay trouvé
Qui n'a tache^ne jauniffe^
Ne obfcurité^ ne vice y
Ni un gendarme engravé,
J'ay veu parmi noftre France
Mille fontaines d' argent ^
Cù les Nymphes vont nageant
Et y font leur demourance;
Mule chatouilleux Zephirs
De mille plis les^ont rire :
Là on trompe f on martire
D^un milion de plaijirs.
Mais up afpit y barbouille^
Ou le boire y eflfiebvreux^
Ou le crapault venimeux
Y vit avecq' la grenoille,
O mal affije beauté l
Beauté comme mife en vente ^
Quand chafcun qui Je prejente
Y peut eftre contenté!
J'ay veu la claire fontaine
Où ces vices ne font pas^
Et qui en riant en bas'^
Les clairs diamens fontaine (fie) :
Le moucheron feulement
Jamais n'a peu boire en elle,
Aujffifa gloire immortelle
Florift immort ellement ,
J'ay veu tant de fortes villes
Dont les clochers orguilleux
Percent la nué & les deux
De piramides fubtilesj
ODES. I4J
La terreur de Funivers^
Braves de gendarmerie^
Superbes d^artillene^
Furieuses en boulevers (fie) :
Mais deux ou trois fois la fouldre
Du canon des ennemis
A fes forterejfes mis
Les piedi contremont en pouldre :
Trois fois le foldat vengeant
Uyre des Dieux alumee^
Horrible enfang^ en fumée ^
La foulla^ la facageant.
Là n'a Jlory la jufiice^
Là le meurtre enfanglanté
Et la rouge cruauté
Ont heu le nom dejufiice,
Là on a brifé les droit^^
Et la rage envenimée
De la populace armée
A mis foubi les pieds les loix.
Mais tOYy cité bien heureufe
Dont le palais favory
* A la juftice chéri ^
Tu règne viâlorieufe :
Par toy ceux là font domte^
Qui en l'impudique guerre
Ont tant profterné à terre
De renoms & de beauté^.
Tu vains la gloire de gloire^
Les plus grandes de pouvoir^
Les plus doâles de f avoir ^
Et les vaincueurs de viéioire^
Les plus belles de beauté^
La liberté par la crainte^
m. 10
146 LE PRIMTBMS DU SIEUR d'aUBIGNE.
U amour par Vamitiéjainte^
Par ton nom l'éternité.
XIII.
BPITALAM^.
Debout filles j qu'on /appr^fle^
U Aurore fevê la teflê
Pour efpanouir le jour j
Pour facrer u^ê Journée
A V amour ^ à Vhymenee,
A Fhimenee^ à l'amoi^r!
Yo! du jour Vaventuri^jfe
Saulte^ folajlre, legçre^
Sur/on char doçifUt^ vermeil^
J^ay ainfiy Nimphe^ ordonnée
A V amour j à fhym^nneê
Auffl bellf^ un fault pareil.
Tu n'as plus fçfl delaifee
La place où la puit paffee
Ton cors douillet a dormy^
Au mxiins dormy^ fi cefte ame^
Qui d'un bien prefent Je pafme^
Ne Vefveilloit à demy.
Du ciel afire de ta grâce
Et du vermeil de ta fiice
Le ciel mefine rougira^
De tes beautei demy nuéi
Jufqiiaux plus efpaijes nuis
Un fécond jour reluira.
Ce taint qui ton frmnt décore
Nous fervira bien d'aurore.
ODES. 147
Et la clarté de ton mil
Et tes temples enchenes
De feui & de pierreries
Feront cacher le foleil,
Car deux foleili^ ce mefemble^
Ne fauroient régner enfemble.
Si â!un accord gratieux
Tu ne prens icy ta place
Pour laijfer luire de grâce
Le blond Apollon es deux.
J'entens f râper à la porte
Ton bien aimé qui ^aporte
Le mot^ Veffait d^un bon jour :
Avec(f ce bon jour ^ mignonne y
Il ne ment point y il te donne
Les fruiti d^himen & ^amour,
loi telle vermeille honte
Ton beau vifage furmonte
Que les clairs nuages ont
Quand^ill meuvent de leur place,
Pour avoir feu face à face
DufoleU Vor & le front.
Dieux! que de beauté^ doublées.
Que de vertuf acouplees.
Amant y cent fois bien heureux ^
Poffedant telle maitr effet
O bien heureufe Deeffe
Poffedant tel amoureux!
Cependant que la journée
Efl au combat deflinee.
Aux tournois, au bal, aux jeuj
Et à tout bel exercice
Ennemy mortel du vice,
Fi du repos pareffeux!
14^ LE P&IMTEMS DU SISUH d'aUBIONÉ<
Pendaxi que la fiere adreji
D^ua, gemdarme par la prejfe
Met <iPatUres armes à bas^
Cependani qt^um autre eucùre
De belles cources hamore
Les lices & les combatif
Dames y donei quelque gage^
Pour redoubler le courage
Et les forces & les cueurs
D'une autre muette bande
Qui fans parler ^ vous demande
Vos grâces & vos faveurs.
Ce pendant qiià capriolles
Voltigent les jambes folles
Des amoureux fans repos ^
Et qvlon voit naiftre en la place
Ceux qui ont meilleure grâce
Et ceux qui font plus difpos.
Tandis que mille careffes
Mille ferfiy mille maitreffes
Ne font naufrage du temps ^
Les uns triftes fe defolent^
D'autres contens Je confolent^
Et aucuns ne perdent tems :
Des champions d'ymennee
Uame efl ailleurs adonnée.
Leurs deux yeux rompent le boys.
Leurs efpriti font en carrière y
Leur ame dance légère ^
III difcourent fans la voix.
Or quelque bal quife trace ^
Quelque lice qui fè face,
La viéloire de ce jour
Efl à celuy là donnée
ODES. 149
Qui es cendres d'hùnennee
Confomm^ au Jourdhuy P amour.
C'efl affei prouvé Vadrejfe^
ha vertu & gentilleffe
Et des cors & des efpris :
Au coucher j que la journée
Trop longue efl bien ordonnée
A d^ autres coups entrepris!
Uefloille du ciel plus claire
Qui Je couche la première
Donne le plus de clarté ^
Et me femble^ à voir fa face ^
Qi^une undelette fe trace
Sur le lis de fa beauté.
Je voy^ tremblotter fa bouche :
Ha! <^efl qu'elle craint la touche
De ce brave combatant :
Si fault il les laiffer faire ^
Crains tu un doux adverfaire
Qui te craint & t'aime tant?
Tu te trompes j car tes larmes
Ne font pas mourir fes armes ^
Ce beau vermeil & ce blanc
Croiffent fon cueur (y fa gloire
Et il n'efl belle viéloire
Que par la perte de f^ng.
Va t^en^ Nimphe bienheuree^
Souffrir confiante^ affeuree^
Par tel la plaie du jour
Et la plaie d'himenee^
A qui tu avois donnée
U autre plaie de Vamour.
I^O LH PRIMTEMS DV SIEUR d'aUBIGNÉ.
XIV.
Non^ non^ je veux nvre autant
Comme vivra ta rigeur^
Mourir vaincueur & contant
De ton yre & mon malheur.
Je ne crains pas que Peffort
lyun dort me face mourir.
Mais fay bieitt peur que la mort
M^empefche de plus fouffrir :
Car Paigreur de ton courroux
M^efl plus douce que le miel^
Et cela me femble doux
Qui aux autres efl du fieh
Les injuftes crudute^j
Les Jeux qui me font mmcrir.
Les orguUleufes béautei
Ne m^dnt laffé de fouffrir.
Soit le mal^ ou fait le bien^
Je Vaime en venant de toy :
Ton yre n? emporte rien
Qui nefoit trop doux pour moy.
Je fucce le demourant
De mes toutmans inhumains ^
Je me plais en endurant
Les coups de tes blanches mains.
Mais pourtant retire un peu
Tes poignans enfanglantei^
Et fay' plus durer le feu
De tes douces cruautei^
Car je veux foufrir tous jour s ^
Je ne vis que de douleurs :
ODES. 151
Que /> baigné Mes amours
Dans les ndjjeaux de mes pleurs !
Ceux qui Iqffèj de fouffrir
Et laffei d^une beauté
Se veullent faire mourir
D'un courroux enfanglantéj
Ceux là n'ont Jamais aimé
Les maux & la paffion.
Ill ont le doux ejh'mé
Etfuy VaBUélion,
Car qui ayme pour joïr
D'un heureux contentement.
Il n'aime que fon plaifir
Et ne fuit que fon tourment.
De foupirs & de douleurs
U amour nous efmeut le fianc^
L'amour s'abreuve de pleurs
Et foulle fa faim de fang,
Celuy qui aime le doux
Et craint de goufler l'amer
Et qui meurt pour un courroux.
Comment pour r oit-il aimer?
Celuy là ayme le mieux
Qui vit afin d'endurer ^
Sans efperance de mieux j
Efperant fans efperer,
O amans! foui d'eflimer
Mourans pouvoir trouver mieux ^
Si vous fouffrei pour aimer ^
Que peut la mort fur les Dieux?
Jamais l'amour ne perifl^
Et noflre malheur eft tel
Que l'amour loge en l'efprit^
Et l'efprit eft immortel.
152 LE PRIMTEMS DU SIEUR D^AUBIGNÉ.
Donc(f faire mourir le cueur
Et faire Pâme endurer ^
C'eft aider le malfaiteur
Et V innocent mar tirer.
XV.
Tes yeux vaincueurs & languiffans^
Tes ris de perles Jloriffans^
Ta joue & ta bouche de ro^es
Me bruflent ainfi peu à peu
Que fans les pleurs dont tu m^arrofes^
Je fuffe en bluette de feu.
Je fuis noie de tant de pleurs
Que fi tes yeux doux & vaincueurs ^
Si ta Joue & ta bouche encore
N^eufent efpris de leurs Jlambeaux
En moy le feu qui me dévore ^
Je ferois fondu en ruiffeaux»
Ainfi tell f'^Jnedes crueli
Font mes feux y mes pleurs immortel\ :
Las! de quelle forte éoffence
Ay je péché pour tant foujfrir ?
Que ce foit peu de pénitence
Pour me faire une fois mourir.
XVI.
Vous dites que je fuis muable^
Que je ne fers pas conflemmentj
Comment pour rois je fur le fable
Faire un ajfeuré fondement?
ODES. • 153
Vous babUlei de ma froidure
Et je fuis de feu toutefois :
Le feu eft de telle nature
Qu'il ne peut brufler fans le bois.
Comment voulef vous que Je face?
Mon ardeur en vous trouve lieu^
Le feu n'embrafe point la glace ^
Mais la glace amorti fl le feu.
Tel efl le bois, telP efl la Jlamme^
Telle beauté & telle ardeur :
Le cors eft pareil â fon ame^
 la dame le ferviteur.
Voulei vous donc favoir^ rebelles ^
Qui a noie tant de chaleurs
Et tant de vives étincelles?
Ce font les ruiffeaux de mes pleurs,
Onfe moque de ma mifere
Quant f aime affeéîueufement^
Et on me tourne à vitupère
Quant je met i fin à mon torment,
[Vous] voudriei ^^^^ 9"^ faimajfe
Pour vousfervir de paffe temps y
Vraiment vous auriei bonne grâce.
Friande y vous auriei bon temps.
Vous m^avei fait perdre courage
D^aymer^ en m'accablant d^ ennuis :
Ne blafmés don(f point voftre ouvrage^
Vous m'aveifait tel que je fuis,
XVII.
 ce boixy ces preti ^ ^^ft ^^^''^
Offrons les jeux y les pleurs, les fonsy
i%k f# i^i^^n^tUlfw^ tt^ HTfixiii n'jtsjvusm^
fyim fMf»y S mm amam. Sum dbaora.
XVllL
Dm bref ymém wmé^mmi,
Câf tm f^effHmàterms mm jre
Mé/âifimi qmejmr Ir mefékwj
Dijfus tsfmremr tm de^,
D^fuê U lum ta frmiefè.
De fus U renard ta ftmefe
Et km feninfur un nfpù.
Je ms de Mai s quant par contrainte
îl famt que ma peine joit teinte
Au fang iun venimeux ferpent.
Comme eeluy qt^un crapaut fâche y
Quant des pied^ la tefte il luy cache ^
tl /envenime en le crevant»
Pourtant fi je hay le me/dire^
Ce n*ejl patf me/difante, à dire
Que tu mejdies impunément :
On médit en louant le vice,
Cetuy qui hlafme la juflice
Il mejdit auffl, car il ment.
ÔI>£S. 155
Cefte juftice au Hf de terré
A permis dé faire la guerre
A celuy qtd lé va foulant ^
Moy je ne veux que la pdfûlle
Pour chaftiér un peu la folle
Qui ne m*a fafché qui en parlant.
Mon Dieu y qtielle cruelle injure
Cette petite créature
Trouva après un bon repas!
Soulle, yvre comme une chouette^
Elle dit que j^eflois un poète ^
Et je dis qu'elle ne Vejî pas.
Mais encore luy veux j^aprendre
Au moins ^ scelle peut le comprendre ^
Comment on doibt nommer chacun,
Et quant par le mejHer on nomme
Plus toft que par le nom un homnie,
Que ce foit pour le plus cofnmun.
Je T^ay pas tousjours fait dei carmes,
J^ay eftéfoldat, homme (larmes,
Enfurché fur un grand courder
Qui ejlonnoit tout un village.
Tu me penfois plus éPadventage
De gendarrr^ ou arquebuiier ,
Puifque fay doncq^ g^^g^^ ^^ ^^
Pauvre foldat de compaignie.
Tu pouvoisj fans m^ injurier
D'une fi très piquante injure,
Me baptifer, petite ordure,
Argolet ou arquebouiier ,
Il euft eflé plus convenable
Faire d'une efcurie eflable,
Et me reprochant le fumier
De noflre royalle efcurie,
156 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Dire que fy gagne ma vie
Et dire : Monfieur VEfcuier!
Mais fi vulgairement on nomme
Soit une fille ^f oit un homme ^
Par le meftier le plus certain^
Dame! il faudra que je t^ appelle
Ou madame la maquerelle^
Ou pour te complaire^ putain.
Tu as bien vefcu quelque année
N'eftant que fraîche abandonnée^
Donnant de ton cors pajfe temps ^
Mais depuis ta féconde couche
Que perfonne plus ne te touche ^
Tu produis à dix fept ans.
C'efl fans injure & fans cholere^
Je t^eujfe bien nommé lingere^
Car comme j^ayme bien les vers^
Tu aimes bien la lingerie^
Mais tu îten gagnes pas ta vie
Si bien que du lue à Venvers.
Tu pouvois nommer fans reproche
Ce joueur de lut ^ui t^acroche
Ou ce baladin qui ravit
En te montrant ton pucelage
Du nom dont chacun tire gage
Et du meflier dequoy il vit.
XIX.
D'une ame toute pareille
Furent honorei nos cors.
Car tu veille fi je veille^
Et j'ay fommeil fi tu dors.
OD£S.
157
Rien que la vertu r^affemble
Et nos defirs & nos veux
Qui ne foupirent enfemble
Rien quinefoit vertueux.
Une envie porte envie
A ces deux conformitei
Et ne peut rendre fa vie
Pareille à nos volunte^.
La ver u nous a fait faire
Uunion qui luy defplaift^
Si elle ayme fon contraire^
Vous pouvei pencer que <^efl,
XX.
Que je te plains^ beauté divine!
Ha ! que ta fortune eft maligne^
Ha! que ton fort eft malheureux.
Ha! qu^ inhumains te font les Cieux
Et le deflin qui vous affemble^
Le clair jour & la nuit enfejnble^
Le fier^ le faux^ V aveugle fort
Qui met la vie avectf la mort !
Enragée j aveugle Fortune
Qui met cefte vieille importune
Sur les talions de ma beauté!
Comme en un pais furmonté
On met les garnifons cruelles ^
On y baftit des citadelles^
Et de mille autres inventions
On y fait mille extor fions.
Le jour t^eft plain de fafcherie
Pour la fafcheufe compagnie
158 LE P&IMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE.
De ce vieux ferpent plain d'effroy
Que tousjours on couple avec toy^
Qui en grondant deffend ta portç
Des peftes d^une alêne forte ^
Sur lejeuil de Vuif enhrenéy
Comme un i^ieux barbet enchaifiié,
Ainji tu es une Andromède,
Et fi je ne trouve remède
Pour te délivrer, tu feras
A tout jamais entre les brtts
De ce morce marin preffee.
Mais je veux eflre ton P^rfie
Et faire ce monflre nouveau
Trébucher un jour dedans Peau,
Elle fait, mon ange dyvine,
En ton cabinet fa cuifine
Et fait ^un mefme cabinet
Et fa cuifine tr fon retrait.
Là vous voiei par ordonnance
Chopines, jambons de Mayance,
Formages (r vous voiei là
ha quinte ejfance de cela.
Mais fi toft que la nuit s^ approche.
Uirey Vinjure, le reproche
Pouffent du gofier fon venin
Parmy les vapeurs de fon vin :
Dans le lit lui fault la parolle.
Les mains en fa profiterolle,
Et en rottant neuf ou dix fois
Finit le banquet & la vois.
Lors de poudre de cypre & d'ambre,
En un petit coin de la chambre,
Ma mignonne de doiti mignons
Couvre fes cheveux fins & blons,
ODES. 159
Et puis fi tofl quelle a mangée
Sa cuilleretfe de dragée,
Soupirant trois fois fon malheur,
Par force aprochefon horreur.
Là, ma vieille truie endormie
Croife la place de ma mye,
Et a de Jf us fon oreiller
Son cul qu^on ne peut réveiller :
Uhorreur de l'une & Vautre feffe
Fait fi grand peur à ma maitreffe
Qu'elle choifift en quelque coin
Son adventage le plus loin.
Elle veille avecq' fon martire,
Et fon petit cueur lui foupire
Et dit en deftournant fon œil :
Ce n'eft pas icy mon pareils
U autre charrette mal graiffee
Ronjle & n'a rien en fa penfee
Que les vins [ou^ mauvais ou bons,
Les cervelais ou les jambons.
Or tout cela n'efl rien encore
Qui ne voit au point de Faurore,
Si tofl que le jour efl venu.
Dormir Fun & Vautre corps nu :
L'un à qui par trop la nuit dure
Des pied{ pouffe la couverture,
L'autre par l'indigeflion
Tormente fa collation.
La douce blancheur de ma mye.
Et non fon ame efl endormye.
Et le plus fouvent fes cheveux
Sont defployés fur les linceux.
Flot tans à treffelettes blondes.
Comme au gré des ^ephirs les ondes,
l6o LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ,
Et ne fouffrent d'autres odeurs
Que celles du baume & des Jleurs,
L'autre a la perruque taigneufe
D'une acquenee faryneufe^
Un combat deffus & deffoubi
De punaifes avecc^ les pous :
Tout grouille & tout cela s'affemble,
Et tout ce gros amas refemble
Au poil d'un vieux barbet croté^
Au fruit d'un ferpent avorté.
Qui voit les yeux de ma mignonne,
Lorfque fa paupière befonne
Et fes petis bors bien couvers
Les fait defirer eftre ouvers^
Qui voit fa bouche vermellette.
De fes dens la blanche rangette,
Tout cela ne femble point mal
Aux perles deffoubi ^^ cour al.
Auprès les paupières fermées
De la vieille où les araignées
Ont fait leurs nidi depuis le foir.
On a V odeur de V entonnoir
De fa gueule pafle & pourrie
Que rmlle chancres ont Jletrie^
Et la chaffie de fes yeux y
Et Vegout defon nei morveux,
Conjiderei pour un martire
Un petit teton qui foupire^
Qui s'enjlant repouffe orguilleux
De deux bons pouces les linceux,
Une main s'eftend my fermée
Sur la cuiffe la mieux aymee.
Et dedans l'entre deux du fein
Se loge une autre blanche main.
ODES. l6]
Pour oreiller on voit la befte
Qui met un teflin foubi fa tefte,
Qui grouille ainfi en Je mouvant
Qu'une cornemuse fans vent,
Sur la peau de l'autre tetace
Un matin fe couche en la placé ^
Et en fort pour le paindre tout
Un flus d'apojîume du bout.
Ma fillette monjlre fa hanche.
Et un peu de fa cuiffe blanche
Plus que lis, que neige & fatm^
Et fes tétons fur le matin
Ont paffé le bout de fa couche,
Helas! qui retiendra fa bouche^
Pour en la trompant doucement
Le baifer cent fois en dormant!
Ce cul ridé à ma maitreffe
Imprime^ touchant à fa fejfe ^
Mille coches en un monceau
De gringuenaudes de pourceau
Grouffes comme grojfes fumées ,
Mille mouches empoifonnees^
Et le plus patient efprit
Y mettroit le feu par defpit.
Mais ma mignonne cache encore
Ce que je cache Ù" que j'honore,
Et qui ^ fans nommer ^ eft aujlanc
Environné de cotton blanc ^
Comme un petit bouton de roie
Non encor à demy defcloie.
Mais j'en parle fans avoir feu.
Elle mefme ne l'a pas veu,
Ouy bien les barbes entraffees,
Et mille peaux repetaffees,
III. 1 1
l62 LE PRIMTEMS DU SIEUR D^AUBIGKÉ.
Et je ne Jais quoy de couleur
De vieux codinde en fa chaleur y
Une plaie & unefavatte
De boyaux pendant y une ratte
Et deux feuilles rouges de chous
Qui luy barbouillent les genous.
Puions t ta vil laine ha voymie
Sti gorgé auprès de mon amie
Ok m amas rouge de vin
t^tiit balle r la chair & le pain
Catnme un porceau dedans la boue :
Là dedans la vieille fe joué,
Kt en la mefme fauce qu'on met
En Allemagne un vieux brochet.
C'eft ainfi que fortune ajfemble
La Gorgonne & Venus enfemble,
Ainfi le miferable fort
Méfie la vie aveccf la mort.
Que je te plains, beauté divine
Et que ta fortune eft maligne !
Ah y qit inhumains te font les deux!
Ah, qii inhumains te font les Dieux!
XXI.
Ceulx là qui aiment la louange
Se verront louej par efchange.
Mais je n'ayme pas à louer
Les langues qui ont ejlimee
Plus que ta dextre renommée
La gauche & ne font qu'en jouer.
Or, mtifdifantë, toutes celles
Qui ont efchapé tes querelles
OD£S. 163
Et tant de propos odieux
Se banderont pour ma deffence^
C'eji cela qui fait que je pence
N'avoir pas beaucoup d'envieux.
Je n'epeluche point la vie
De ma dejloyale ennemie ^
Les ruies de fes jeunes jours ^
U impudence de fa jeunejfe^
Et fon renom point je ne bleffe
Pour efcrire [ici] fes amours.
Je ne me plains pas de grand chofe^
Seulement d'une rage enclofe
Elle mef dit pour fe jouer y
Mentant & Jlattajit elle caufe
Et diffame ceulx là fans caufe
Qui mentiroient pour la louer.
Parmy les vertueufes croiffent
Ses vices y & plus nous paroiffent
Aifés à voir & clairs à l'oeil
Soubi les beautei qi^elle fréquente^
Car la charogne eji plus puante
Tant plus on la met au foleil.
Je dis qu'elle n'en fuit encore
La troupe qu'Ole deshonore
De fes vices & de fes mœurs ^
Parmi les vertus vicieufe
Où elle fe fait venimeufe
Comme un ferpent entre lesjleurs.
Je dirois bien qu'elle ruine^
Qu'elle tue de medecyne
Ses germ£Sj & que plus d'un coup
Trompans après eflre trompée
EU' a en jument efchapee
Donné un coup de pied au loup.
164- I-E PRIMTEMS DV SltUR D AUBIGKÉ.
Je me plamt de quoy la traitrsffe
Enchante tr fafche ma maitreffe
De propos (t éun air pwtais.
Ses propos me mettent en haine
Et des peftes de fon allaine
Elle luy fait boucher le nej.
Mais ne l'efcoute plus^ mignonne.
Car le dejplaifir que te donne
Une fi mal plaifante odeur
Ne bleffe tant que fa parolle :
L'une Jufqttâ Famé rajfblle
Et Fautre ne paffe le cueur.
Qui ne croiroit avoir fa face
Et V effrontément de fa grâce
Le bon naturel de fon cueur :
La nature Fa fait camufe.
Et veult dire pour fon excufe
Que c'efi fon nej qui efl moqueur.
Les beaux cors ont des ornes belles
Et les nourriffent toutes telles
Que les defcouvre le dehors.
Hors mis ton ame defguifee^
Car elle efl plus cauterifee
Et plus infeéle que le cors.
Et ta menfonge & ton mefdire
Et tout le mal que tu peux dire
Ne peuvent troubler mes efpritj :
FaV donc du pis que tu puis faire.
Ta louange m' efl vitupère^
Je fuis prifé par ton me f pris.
ODES. 165
XXII.
Alarroquin^ pour te faire vivre ^
J'avois entaffë un gros livre
Envenimé d^un gros dijcours
De tes chaleurs y de tes amours.
Et par tes aages impudiques
Arrangé tes fureurs Japhiques,
Là je contois que ton berceau
A peine fut jamais puceau^
L'horofcope de ta naijfance^
Les pajfe temps de ton enfance^
Comme onfaifoit^ quant tu criois,
Changer en un rire ta vois
Au branle gay d'une chopine^
A voir chaucher une gefyne^
La chienne & le chien enbejej^
Deux poux l'un & l'autre entaffej.
Jamais tu îteftois resjouie
Q^en contemplant la vilenie.
Une cane foub\ un canard y
Une oy^ enveiee d'un jard.
Puis je contois au fécond aage
Le fegond progrej de ta rage.
Comme à fix & fept & huit ans.
Tous les garçons petis enfans
Tordans autour du doit leurs guilles.
Fourgonnilloient tes efpondrilles ,
Trois ans apre^ en un garet
Tu leur fis un haran fauret
Ou un monjîre prefque femblable.
Et puys pour te rendre agréable ^
l66 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Comment tu fis ton marroquin
Paroiflre de loin chevrotin^
Qiien trois cens fortes de me/nage
Tu revendis ton pucelage ^
Que tufeui à trois cens gafcons
Le vendre de trais ceiu façons.
Et depuis croijfant ton courage
Et ta chaleur ainfi que Vaage,
Tu eflallois ton marroquin^
Tirant du noble & du coquin
Le plaifir & la recompence.
Je n'oubliois pas ta prudence
Qui eft de vendre ta beauté
Autant que tu as achaté
Le blanc cheuj un apoticaire^
Et prenant autant pour le faire ^
Mais puis apreiy avectf le temps ^
Diminua ce paffe temps.
Tu enrageois alors que Vaage
T^afoiblift le cors^ non la rage^
Les attraitij ^ ^^^ ^^ chaleur.
T'ofta les amans ^ non le cueur.
Au lieu de louer ton bagage j
Te força de prendre à louage.
Et te fit en mordant tes doits
Acheter ce que tu vendois.
Je T^oublioys que qui fe joue
A toy & fe frotte à ta joué^
Il fe levé blanc & beaufil^^
Et Je contois comme tu fis
Un autre chauve de la tefte
Emporter du poil de la befle
En luy donnant de tes cheveux.
Et à un vieillard chaleureux
ODES. 1^7
|_T_ _ I III
Tu fis grand proffit^ ce mefemhle^
Alors que vous frottons enfemble
Lors quHl îiavoit plus que deux dans^
Tu luy en crachas trois dedans.
Je contois que fay ouy dire
Que tu pleures^ que tu foupire^
Que tu gémis ^ que tu te plains y
Efprouvant les faitj des^ humains.
Je fais là un héraclitique
Et un dif cours philofophique^
Puis Je conclus qu^aiant goufté
Des hommes Fimbecilité^
Tu pleures fur la créature
Et fur les defaux de nature.
Enfin je fis* dire à mes vers
Ta brave defcent* aux Enfers ^
Que tu voulus payer la barque
Comme d^une letre de marque
Et ofrant ton cas à Caron^
Mais luy du plat d'un aviron
Te bailla tel coup fur la feffe
Qu'il te Jeta hors de la prejfe^
Puis alors tout VEnfer qui voit
Qu^une grand' putain arrivoit
Court en gros^ chaqu'un fe depefche
Comme à la marchandife frefche.
Tout VEnfer fur toy fut laffé^
Tout fut recreUy tout haraffé^
Et tout à la fin de la dance
Fut boir' au fleuve d'oubliànce^
Car au combat réitéré
Chaqu'un fe fentit altéré ^
Et chaqu'un perdit la mémoire.
Hormis maroquin qui pour boire
l68 LE PRIMTEMS DU SIEUR D*AUBIGNÉ.
Ne "pouvait fon train oublier ^
Mais Radamant la fit noyer :
Marroquin fut demy noyée
Avant fa chaleur oubliée.
Il y a mille autres difcours
De tes folles chaudes amours.
Tavoys imité V Enéide^
Les nommaru Maroquineide ^
Mais lorfque ce livre fut faitj
Checun le trouva fi infait ^
Les vocables d'art fi eflr anges ^
Que fay enterré tes louanges ^
Et n'eftant plus femblable à moy
Ores Je m'en excufe à toy
Et je t'advife que mon ttage
AT a fait moins heureux & plus fage.
Et fi ce jiefioit que je veux
Que des filles les chafies yeux
Ne s'offencent lifans mjon livre.
A jamais je ferois revivre
D*ords & d'impudiques difcours
Tes ordsy impudiques amours.
XXIII.
Mignonnes^ venei chanter^
Race du grand Jupiter^
Et diun mignardelet ftille
Louans mon jardin fertille^
Mon fertille jardinet ^
De mes pleurs le cabinet^
Qui tous les matins aporte
Apetis de toute forte
ODES. 169
Et qui ne peut defnier
Ses fruiti à fon jardinier.
Là fioriffent entajfees
Mille bigarres penfees^
Qui de nuantes couleurs
■ Naiffent de mefmes humeurs^
Là les incarnattes rofes
Ouvrent leurs beauté^ defclofes.
Làjloriffent les oeillet^
Cramoijis & vermeilleti^
Là prend acroijfance & vie
La violette^ encholie^
Marjolenne^ tims^ perfili^
Les romarins y les foucili^
Uafpic & les violettes ^
Et les pommes d'amourettes.
Et l'herbe cui au foleil
Tourne Ùr retourne fon oeil.
Mais tu n'as rien de fauvage^
Petit jardin mon ouvrage^
Tu as de toute façon
De falades^ le crefon^
Serfeuil^ laithue^ pommées,
PimprenelleSj ficourees.
Il n'y a^ comme je croy^
Plaifir qui ne foit en toy^
Petit jardin qui arrofes
Tes grofeliers & tes roies
De ce petit ruiffelet
Murmurant^ argentelet^
De cefle unde crijîaline
Qui trotte j fuit & chemine
Et s'efchappe entre les fleurs ^
Et aroie les couleurs
170 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Des allées droites^ unies ^
De telles "perles garnies y
Comme des aftres le ciel,
Voiei là la mouche à miel
Qui vivant à fa coutume ^
Bourdonnant y pille & efcume
La fieur^ la feuille laiffant.
Et puis effore en repaffant
Ses elles é or fur la feule.
Lâj dije^ fe paifi V abeille
De tim & boy la rofee.
Lày la vigne^ Vefpoufee
De VhormeaUy fe fait courber
Et du foUil deftourner
Vient la chaleur de fa branche :
Uhormeau foubj elle fe panche^
Et s' accolant de leur bras
Font cent mille amoureux las.
« Puis fentens dans leurs umbrages
Les doux chansy les doux langages
De mille mignardi oifeauxj
Citoiens de ces rameaux.
Ces doux chans & ces umbrages ^
Ces umbres & ces ramages
Au coing de mon jardinet
Font un petit cabinet.
C'eft là deffoubi ^^^ j^ donne
Rendei vous à ma mignonne ^
C'eft là deffoubi 9"^ ^^^ ^^^^
Font d^ autres amoureux las^
D'autres prifes amoureufes^
Des unions plus heureufes
Que ne font les rameaux pris
De vignes & leurs maris.
ODES. 171
Là^ noftre amoureux langage
Nous plaift plus que le ramage
De ces mujtcùns oifeaux
Qui font là nos maquereaux.
Je cueille mieux que V abeille
La Jleur en laijfant la feille^
Là (fun éternel baifer
Puiffe ma bouche arrofer
D'une plus douce ro^ee
Que la Jleur r^eft arrofee^
Là les ruijfeaux de nos pleurs
Mouillent les vives couleurs
De la beauté qui fait honte
Aux Jleur s & les Jleur s fur monte ,
Au paradis de fon teint ^
Comme en mon jardin eji paint
Un beau printemps de Jleurettes,
Les œilleti^ les violettes^
Les rofes & les boutons
Fleuriffent fur fes tétons :
Là^ je cuille Vencholie
Qui martirife ma vie^
J'y prensy j'y metj mon foucy.
La penfee y ejï auJJH,
L'herbe au foleil s'y efpreuve^
Car tousjours m^n œil fe treuve
Suivant ma dame & fon œilj
De mon humeur le foleil.
Douces Jleurs efpanouies^
Que mes amours & vos vies.
Vos beautés & mon amour
Ne f oient fene^ en un jour !
lyZ LE PRIMTEMS DU SliiUR d'aUBIGN'É.
XXIV.
Petit iivrej le nugno/ij
Le fili & le compagnon
De ton maijhe^ petit livre
Qui dedans toy fais revivre
De ton maiftre les amis,
Souffre que mon nom f oit mis
En ce coin pour tefmoignage
Que mon cueur y eft en gage.
Si ton maiftre avoit Joucy
D^or & de perles aujfiy
Ce que le nocher mandie
Des coftej chaux de l'Indie^
Euft ejclaté promptement :
Teuffe mis un diamant
Pour parer ta couverture.
Ton maijire, de fa nature,
Aymé mieux les vers, at^ffi
J^ay efcrit tes vers icy,
Et par ces vers Je engage
Plus d* amour que de langage,
Efcris tu quelle arrogance
A ce Mœcenne des ars,
Circuy de toutes pars
Des foleili de noftre France f
Pence comme il fera beau
Après la voix doux coulante
Du cigne qui fa mort chante
Oyr l'enroué corbeau.
Ceux qui ont tousjours leur table
Plaine de vivre plaifans.
ODJiS. 173
Qui ont de tourtes^ de faifans
Et d^embroijie aimable^
Commant trouveroient ilj bon
Les viandes du village^
Les fridtj aigres^ le laitage.
Le bouquet fur le janbon?
Pourquoy non ? tout ainfi comme
Les perdris fafchent noj Roys
Qui vont aux chams quelquefois
Manger les choux du bonhomme.
Tu feras doncq' aifement
Pa là^ ma mufe^ efiimee
Et au moins feras aimée
Par le fimple changement.
XXV.
POUR UNE MOUCHE SUR LE FRONT DE [DIANE].
Tout ce qui naift des elemens^
Tous animaux font efportei
A faire croiflre mes tourmens.
Comme ils accroiffent vos beauté^.
Voies vous cefte mouche noire
Qui croifty en aprochant tousjours
Son ebenne de voftre yvoire.
Et vos beaute\ & mes amours, ^
Si tofl que vqflre blanche main
La dechaffe de voflre front.
Elle s^ enlevé & puis fe font
Tout auJJH tofl fur voftre fein.
C'efl voflre indijJUble puiffance
Qui la rend fenfible & la point.
174 ^^ HRIMTKMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Dotêmamt Vanu & la congnoiffance
Mêfm0 aux ckofts qui tten ont point.
Amfi yh>s hihÊUX trtti /acroiffans
t\Hàs fansÊt fuitrw puis après
Aux mtmsy aux rocj & aux forefti^
AuxMti & aux vtnsfremijfans.
Mais nN^ >fi>us fucor^ la mouche
Qui m^ttU^aut pour fon plaifir^
vV<|l 9tp^/ur voftre bouche^
^mêMH Jaloup^ & defr.
N^ f ma Uiamj, yV me plains
IV <[y yM4^ itop vous fupportej :
iSk È\?^f if"^ i;^igtantes mains
^Hm f^Ui^nt mes privautei?
I^mesfuoy ne hruflei-vous fon aefle.
v\V vy nefi que vous aimej nueux
i^e^u là pour moy que pour elle.
(V f0U brujlant de voi beaux yeux?
\h OfMjir* QUif voiant arr^er
l^¥ fnml qui lui donne la mort,
t'ile pe^fe A^rfiV mi fort
Snr yi\llte fein pour fon rver :
l*{mr Pieu^ chajjfèi^a^ ma mignonne.
I*\^ér PieUx mignonne X i,^jfti^as
Oh ie meurs ù om ne me donne
iuiaut d^ <^edit que cela.
\ Ou bienjam vk^s y amuser ^
Il mejemble qu\lkra mieinx.
Sk vs^^i /%vv*»H>( un peu les veux.
iW >y U v^^^ d'un ^4lf#r.
J^ U^è.\ ^H^ u/^v %i vs'i^^re gk^re
Ohv tsk m^^^f^À^ %i v^^tére gfondeur.
{ \k* W V\^\ /%H^' aW4f ViN^Miv
♦ *H K>^s X tite d'um kV^Ueur.
ODES. 175
XXVI.
Ainji puiffent tous les Jours
Vos beaux & nouveaux amours ^
De Jleurs nouvelles & belles^
Flammes belles & nouvelles^
Douces & aigres douleurs^
De riij de jeui & de pleurs.
Mille peurs ^ mil F algarades.
De mille claires œillades ^
Et mille mignardi propos^
Mignarder voflre repos!
Fonlebon] je porte envie
Au doux foucy de ta vie :
Anne y je tenvye auffy
Ton doux amoureux foucy.
Les plaifirs de voflre braife
Et les Jlammes de voflre aife^
Vos impatiens defirs.
L'atente de vos plaifirs
Font que d'un pareil martire
L'un & l'autre cueur foupire,
Haflej donc y haflei vos jours
O mignardei les amours^
Qijten trop long printemps l'attente
De l'aymant & de Vaymante
Ne Jleuriffent les defirs
Sans tirer fruit des plaifirs,
Fonlebon^ Anne ta mye
T'efl plus chère que ta vie^
Que ton cueur & ton amour.
Que tes yeux & que ton jour.
fj6 tt ftifUTiUS nu SI£UK DAlTBIGîrt.
Fcmletwmy fcfs luy fidellej
Tu if es fos trompé en elle :
Atme r'ayme cent fois mieux
Que um cueur, ne que tes yeux.
Ainfi, dejlammes nouvelles.
Pe fieurs nouvelles tr belles.
Vfiê beaux ir nouveaux amours
Puifent craifire tous les Jours!
XXVII.
J^ay le fang efcumeux attaâtt
lyun mal qui pourtant liefi pas feint
Et m rient éune canfe featte^
MajaJoufie en croift tous four s y
Et alume une JUunme fainu
De vos feintes f ointes amours.
J^aymefans beauanqf defoucy^
Je viens furieux & tranfy :
V amour libre & la jaloufie
QmJUute^ qui hrufle les cueurs
Et de Pandore & de Thelie
Me preffe éaife & de rigueurs.
Pandolphe en bruflant enfLammCy
Et fans martire bien aime^
La beauté que tu fers t' adore ^
Et tu peus à ton gré choifir
En ta Thelie, en ta Pandore
Le libre & te geenné plaifr.
Potwet geennes & libertej
De deux cueurs efpris, enchantej.
Tu as, ($ douée Ù" Jlere envie,
Fièrement, doucement efpris
ODES.
Et de Pandore & de Theliè
Les beau» cors & les beaux e/prâj,
Voftre Pandolphe efl par vous fait
Accomply^ divin & parfait y
Et en le voulant tel congnoiftre^
Vos jugemensy vos paffions
Àujfi, accomply le font eftre
En heur^ comme en perfeéïions,
Pandolphe y je brujle envieux
De la louange^ & de m£s yeux
Flamboie la rage & l'envie^
Mais la louange n^eji plus rien^
U amour de Pandore & Thelye
Sont le feul & fouverain bien.
Pandolphe parfait & heureux^
Vertueux^ aimé beaucoup mieux
Que toutes les vertus enfemble
Ne vallentj tu en es doué^
Mais ton heur d^eflre aimé me femble
Plus que celuy (Peflre loué.
Mon efprit fent un dur combat^
Mon cueur contre luy fe débat ^
Voici une difpute eflrange^
Car V efprit efl ambitieux :
Que pourroit'il fouhaitter mieux
Sur le parfait de la louange ?
U amour de la louange efprit
Si furieufement V efprit ^
Que f on amour efl plus parfaite;
Or pour apaifer leur douleur
Il efl force que je fouhaitte
Le mérite auffi, bien que Vheur,
Encor^ ne fai^ je que choijtr
De ce beau furieux dejir.
III. 12
177
178 LE PR1MT£MS DU SIEUR d'aUBIGNE'.
De ctfle douce jaloufie^
De la feinte (r fainte fureur
Qui hrufiamt dévora Thalye^
Ne vient que de force de cueur :
Ou fi en e fiant bien aymé^
Ej^anunant fans efire enflammé
D^une rage qui me dévore ^
Aferviffant^ non affervy^
Il vault bien mieux aymer Pandore ^
La ravir fans efire ravy.
ha prifon a tant de beauté
Et fi douce efi la liberté^
Je fuis fi f riant de martire
Et fayme tant le franc plaifir
Je ne puis que je ne defire
Pojfeder le tout fans choifir.
Ain fi) Dames y vous ave^ fait
En y amour fouhait fi parfait y
Que ^immortel qui voudrait dire
Et paindre un immortel defir
Ne peult plus que quant je defire
Efire Pandolphe^ puis mourir.
XXVIII.
Non^ Je n^ayme pas le pefant^
Mais bien le léger ^ le luifant :
Je me fens affei de courage
Pour voullçir & pour voiler mieux j
Et mon efprit qui efi volage
Voile tous jour s vers les deux (fie).
Je defdagne ce gros fardeau
De la terre pefante & d'eau
•
ODES. 179
Et encor^ ce quifent la terre :
Je voile haultj fay en mefpris
Cefle maffe qui fait la guerre
Aux beaux & volages e/prù^.
Quant le chaos fut demejléj
Tout le pefant fut dévalé
Au centre j les ferpens^ lapefle^
Les enfers j le vice^ les maux :
Le doux y le fubtil fut celefle
Et voila dans les lieux plus haux.
Le Ciel y pais de nos efpriti^
Les aiant à voiler apris
Au lieu oit ili ont prins naiffance^
Les fait vivre icy eflrangers :
Comme légère efi leur fubflance
lll font volages & légers.
Les efpriti qui ont moins du cors
Et moins du pefant font plus fort^ :
^Le cors qui efl le plus terreflre
Et plus pefant n^eft plus maifon
Propre à Vefprit & ne peult efire
Rien que fa fafcheufe prifon.
Toute vertu efl née aux Cieux;
Tout cela qui efl vicieux
Recongnoifl la terre pour msre^
Checun fon pareil elifant :
Toute vertu efl donc légère^
Tout vice conflant & pefant.
Confiderei encor^ un peu
Que nos âmes ne font que feu
Qui efl plus léger que les JiammeSy
Lesjlammes ne peuvent aller
Au Cielj au vray pais des ames^
Que laiffant le cors pour voiler.
l8o LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNE'.
Vous voiei les cors animei
De braves efpriti confommei^
Et ceux, qui ont moins de fub fiance^
De chair & de pois envieux
Ont des efpriti de telle effance
Qu^ill fouillent le fecret des deux,
La confiance eft abfurdité^
La celefle légèreté
Change lafaifon morne & bief me :
Je preuve cela par les Jleurs^
Par moy^peult eflre par vous mefme^
Qui v^ avons en terre que pleurs.
Bien qu'au contraire m'eflimant
Immobile^ endurcy amant ^
Comme huit ans le pourroit dire^
Vous avei bien voulu choifr
Ce paradoxe pour en rire^
Je le deffendi pour mon plaifr.
XXIJi
Celuy là qui a congneuë
Ta grâce & ta beauté neuë
Eft forcé de defirer^
Qu'ainfi comme elle eft prifee^
Elle fuft aujji aifee
A enfuivre qi/admirer.
Ta gloire reft emplumee
Des pannes de renommée
Pour efcumer Punivers^
Dorant le plis de fes aelles
Et fes beautei non pareilles
Et fa gorge de mes vers.
ODES. l8l
Ta T^as befoin que je îouë^
Tu n^as befoin que je voué
A toy mes vers^ mes efpriti^
Car ta vertu n^efi pas telle
Qu'elle ne foit immortelle
Sans Vaide de mes ejcrit\.
Je te loué & veux ejlire
Ce fuhjeél pour en bien dire^
Mais non félon Vargument^
Et je Tten crains repentance^
Sinon que par Vignorance
Je parle trop froidement.
Ne trouve pourtant eflrange^
Si tu voiois que la louange
Que je ^ay voulu vouer
Ne monflre que le courage
D'un efprit affei volage
Efl léger pour te louer.
Que me fert^ cruellement belle ^
Que me fer t y doucement cruelle^
Ton euil doux en fes cruautei^
Le fiel foubi le miel de ta grâce ^
Si tu defcoches de ta face
Aultant de mortj que de Beautei!
Ta main doucement me repoulce^
Et ta parolle encores plus douce
Glace mon cueur en Venjiammant :
Tu me refufes fans cholere^
Et en riant de ma prière
Tu me fais mourir doucement.
Mais fiere quant tu me repouffe ^
Ta vois & fi rude & fi douce
De ton courroux monflre Feffort^
Ainfi qu^un juge impitoiable
l82 LE P&IMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Qui apelle un pauvre coupable
• Monfili • en le jugeant à mort.
Ton ris y ainfi qi^une eau riante^
li/TembraJe d^une foif ardente
Où rien que mon efpoir ne boit^
Et alors tu me trompes comme
On fait un enfant d^une pomme
En ne lui laijfant que le doit,
Ainfi la mer nous efpouvente
D^une impitoiable tourmente
Qtielle cachoit dejfoubj un ris.
Tu fais mentir mon efperance
Comme Parbre qui trop s^advance
Et fieuriflfans porter les fruiti.
Ne gajhj en riant inhumaine^
Les fruiti demy meurs de ma peine
Et V efpoir de mon amitié^
Ne me fois plus fi gratieufe^
Mais d'une face rigoteufe
Fay^ moi congnoiflre ta pitié.
Ne me ris plus pour me defiruire^
Mais me fais heureux fans me rire^
Carj ma Deejfe^ fayme mieux
Voiant & f entant le contraire^
Recevoir un ouy en collere
Qu'un nenny d'un œil gratieux,
XXX.
Je vous ai dit que les chaleurs
Du Ciel font celles de ma vie^
Et que de Famé de mes pleurs
Naiffent les caufes de la pluie,
ODES. 183
De mes feu\j commettes mouvans^
De m£s humeurs font les nuages ^
De mes foupirs viennent les rages
Des efclairsj des fouldres^ d^s vans :
Il pleut comme vous pouvei voir^
Des excremens de ma frifteffe.
Ce î^efl pour couvrir mon devoir ^
Ne pour m^excufer de promeffe^
Qj£il m^efi force de demourer
Privé du bien de voftre veuë
Tant que faye crevé la nue
Et que Je fois las de pleurer.
En pleurant il me femble mieux
De m'excufer & vous efcrire :
Je ne veux vous monftrer les yeux
Que rians pour vous faire rire^
Mes pleurs me deplaifent dequoy
lll nuifent à voflre mefnage^
Mes larmes vous portent dommage
Et vous nuifent affeifans moy.
XXXI.
La douce^ agréable Cybelle
Du doux Avril fe faifoit belle ^
Efmaillant de mille couleurs
Et embaumant de mille Jleurs
Et de mille beauté^ defclofes
D^oielleti cramoifis & de rofes
Un verger d^ amour en fon fein^
Et pilloit de fa blanche main
fur FEflé^ fur Ceres Vheureufe^
Uefpicj la glenne planteureufe.
184 L£ P&IMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Rehauffant fon beau fein paré
De l'or & du faune doré^
Coulleur de Cibelle amiable ^
Coulleur à Phebus agréable;
Et puis quant Vautomne eft venuj
Cuillant le riche revenu^
Les rentes que luy doit Pommone^
Encore elle pare Vautonne,
Le printemps a heu les defirs
Et Vautonne prend les plaijirs^
C^efl lors qu^elle prejfe & agence
Aux cornes de fon abondance
Un million de fruiti preffei
De fa blanche main agencei»
Et puis, quant Vyver plain de glace
• Pence triumpher de fa face,
Maffacrant Vhonneur de la branche,
Elle prend une robe blanche
Plus belle que les prei Jloris,
De plus d!efclat que les efpis,
Et lors en pais elle /adonne
A goufler les fruiti de Vautonne,
Et deffoubi fa blanche beauté
Joifl du chault labeur d'eflé.
Et en pais fent la joiffance
Du printemps & de Vefperance,
Toute blancheur, tout ornement
S'acompare à fon veflement.
Son Saturne, plus froid que glace.
Fronçant le moify de fa face.
Gratte d'ongles crochui & longs
Les craffes de fes gros filions.
Le vieillard ne peult faire chère
A la belle Opis, noflre mère.
ODES. 185
Et elle d'un œil defdaigneux
Tourne le dos au rechigneux^
EfpanouiJ/ant à la veue
Du beau foleil fa beauté nuë^
Luy fait voiler mille foupirs
Deffus les aelles des Zephirs,
Cependant que Saturne affemble
La tefte & les genoux enfemble
Et autour du feu fe plaignant ^
Regarde tout en rechignant ^
Apollo à la barbe blonde
Vijîte la beauté du monde^
Donne à la terre f es beaux Jours ^
Croifl fes beauté^ de fes amours^
Luy donne de mille eftincelles
Ses feujj fes chaleurs naturelles j
Prend la moitié de fon ennuy.
Il eft fon amey elle de luy
Qui recongnoiffant bien les chofes^
Luy ouvre fon beaufein de rofes
Et en loier de fes chaleurs
Luy offre du baume & des fleurs.
Elle le retire & defguife^
Lorfqiiil fe fait pafieur d'Amphrife^
Et pour le fouldre defcoché
En fon fein elle Fa caché.
Puis le foleil anime encore
Les perles que la nuit adore y
Offrant mille & vingt deux feui
A la belle Ops & à fes yeux^
Nei à la fervir^ à luy plaire.
De là vient mainte nuit plus claire
Qui favorife leurs amours
Et qui incline par leurs cours
x^ "il ^I^IMTIMS r>v siEira d'aubic^bté.
Ifts humêvrs de leur injbuatces
IÊ.1 favorife Uurfemences
\ Uë leur vapeurs^ de leur beauté,
tyOps vient leur caufe de clarté
Et fêcotveju l'humeur montée
Par la voie blanche hatee.
Afollo chamte force vers
Suf gaillards fubgeétj tr divers
ÛU U contoit fes migmardifes.
Son efpoir & fes entreprifesj
Et fait fur f on luth tous les jours
Babiller fes douces amours :
Et la terre produit la plante
Dont lors que fa vîâtnre chante y
Pour fes armes & pour fes vers
Il fe pare de rameaux rers;
Le foleU quant le temps la tue,
La fait revivre de fa verni.
Toutes les Deités un jcfur
P renoient plaifir à ce fi amour :
Les Dieux aiment les armomies
Et aiment les beautej unies.
Il{ virent en un tableau feint
Que Phebus le doéie avoit peint
Saturne qui trembloit la fUhvre.
On luy fait bien des piedi de chèvre ^
Mail tout eft permis au pinceau^
Il mit les cornes au chapeau.
Tous les Dieux fe prindrent à rire
Quant Saturne fut un Satire^
Luy difant : tu as de ton fili
Cela qi£à ton père tu fis.
Le vieillard blapheme de rage^
Et refolu en cocuage
ODES. 187
Souffre que Cibeîle Je vange
De ce que fes enfans il mange.
PAUSB.
La douce & blanche Cibelle
Se pare de nege & faiéi belle
De perles de criflaL d^ atours
Pour recommencer les amours
De Voeil & de Famé du monde ^
D^ Apollon à la barbe blonde^
D'Apollon qui veut de nouveau
Marier fon beau chef rouffeau
A fa Cibelle delaijfee
Par fon Saturne re glacée.
Au lieu des glaçons rigoureux.
De mille rayons mille feux
Sont d'elle honorés & Vadorent^
La rechauffent & la redorent.
Deffus la perle Vor efl beau^
Deffus la nege le Jlambeau^
Uor qui plus or au feu fe treuve^
Le cueur qui au danger fe preuve
Et fe faiél plus beau peu à peu.
La foy d'or & la foy de feu .
Plaifent à la belle Cibelle,
Et pour cefle couleur fi belle
Apollon luy a confacré
Son beau chef de jaune doré.
PAUSE.
Alors Cibelle va pleurant,
La terre lors fe va mourant
Quand une epeffe & noire nuë
Luy ofte du foleil la vue,
l88 LE P&IMTEMS DU SIEUR d'aUBIONJ^.
Et alors le trifte foleil
Obfcurcit le feu de fon oeil
Quand le deuil d'une epejfe nue
Ofte la terre de fa vue.
Le teint de Cibelle efl plus beau
Aux rays du foleil fon Jlambeau.
Apollon 7^ a fa face belle
Qu'en voiant fa chère Cibelle :
De tous deux les feux^ les amours^
Font des deux les clairs & beaux jours.
Quand la riche & belle Cibelle
Montre fa face riche & belle ^
Apollon clair efi bienhureux
Qui de Cibelle efl amoureux :
Cibelle belle efl bienhureufe
Lorfque d^ Apollon amoureufe^
Elle voit le feuy l'or & Vœil
De fon cher^ cler & beau foleil.
Jamais donq' ne vienne Fautonne
Qui toutes les Jleurs ébourgeonne
Et Jamais ne puiffe arriver
Le frilleux^ le fâcheux yver^
Mais tousjours un printemps Jleuriffe
Qui tant de Jleurs epanouiffe;
Uun & Vautre foit contenté
Des Jleurs d'un éternel été.
Toutefois en yver encore
Le foleil Cibelle redore^
Apollon faiâï de fa clarté
D'autonne & dyver un été.
Que jamais la nuiél tenebreufe
De leur bien ne foit envieufe^
Mais tousjours le clair & beau jour
Soit amoureux de leur amour I
ODES. 189
Pourtant des rayons de fa face
Apollon perce yver & glace
Et pourtant ce foleil reluit
Au plus noir de la noire nuiâi.
Et la belle en la nuiél plus brune
Voit dans le miroir de la lune
Le clair & le parfaiél amour
De fon foleil & de fon jour,
Apollon en la lune blême
Remire aujfy fa face mefme
[£«] la terreftre obfcurité
De fa chère & douce beauté.
Jamais V amour riefl eclipfee
De F un' & de Vautre penfee,
Calmei pour jamais leur ennuis ^
Yver s froidi & vous noires nuiéli^
Et à leur amour favorable
Ouvrei un printemps deleélable :
Jouiffent leur f ointes amours
Des chauds eftés & des beaux jours !
XXXII.
Premier que (Taborder les Cieux
Et d'acofler le front des Dieux ^
L'Alcide purgé par la Jlamme
Quiéla ça bas tout le mortel^
Et quant il rteut plus rien de tel
Eflonna les deux de fon ame,
J'ay bruflé au feu de vos yeux
Ce que l'homme tr le vicieux
Se refervoient en moy de refle,
Adoncje voile de mon cueur
I5)0 L£ PRIMTEMS DU SICUR d'aUBIGNÏ.
Porté éP une Jaimie fureur
Au plus hault de voflre celefte.
Mon efprit comme enfevely
S'em4uicipe & enorguilly
Contre le Ciel brife la crefte^
Et repurgé de vos beaux yeux^
Vole auffi. haut que les haulti Cieux
Et voit fous fes piedi la tempefte.
PAUSE.
Mais comme le fier quifon ail
Aux raions brillons dufoleil
Demi nu dédaigneux affronte ^
Le voit (t fi ne le voit pasy
Forcé de laiffer choir en bas
Le front & le nei à fa honte :
Hardiy émerveillé Je voy
LH^finy & ne fay de quoy
Je fuis doue & faprins encore j
Plain if un lelle devotieux^
J^ admire le fecret des Dieux
Et fans comprendre Je ? adore.
Quel efclat de divinité^
Quel raion doré de beauté!
iJ efprit honoré de la face^
Comme la face des efprit^^
Sont tous les poins qui m'ont furpris
De Vinfiny de voflre grâce.
PAUSE.
Pourtant à voi efclairs dorés
Tous mes fens planent effvrei
D'une voilée autre qu^humaine
Des aifles de voflre beauté
ODES. 191
Le Ciel effl de moy furmonté^
Comme voftre grâce me meinei
Ma force /efclave foubi vous
Et le fervice m' effl fi doux
Que mon heur Je ne puis comprendre.
Vous n^epurei ainfi que Vor :
Nefoujffrei que voftre trefor
Par trop de feu Je mette en cendre!
De vous vient mon mal ou mon bien^
Ou je puis ou je ne puis rien^ ,
Par vous ou j'enlève ou j^aterre
Ma vie aux hault^ ou aux bas lieux^
Pour vous je voile dans les Cieux
Ou je traine le ventre à terre.
XXXIII.
Aux rocqs venimeux^ crevajfeij
Oii les tortillons amaffei
De viperillons parricides
Grouillent en leurs fentes humides^
L'Envie loge & fait dedans
Craquer & feigner de fes dens
Mille couleuvres etripees^
Dedans l'eau de l'oubly trempées ^
Et les crapaux jaunes & noir s ^
Les rages & les defefpoirs
La bourrellent & la fubftantent^
La nourriffent & la tourmentent.
Ces jrm'tij fes bourreaux inhumains^
Uapaifent des peaux de fes mains
Qu^elle déchire j qu'elle tire
En s^ affamant de fon martire^
192 L£ PILIMTEMS DU SIEUR D AUBIGKE.
Conjervam jufqti au fons des os
Sa moelle en fon trifte repos.
Le Soubçon^ la Doute & la Crainte
En Vobfcur la tiennent contrainte.
La vie & la vertu fouvent
Luy deffendent Vair & le ventj
Et Vempefchent qu'elle ne forte ^
Mais la Mort luy ouvre la porte,
Renferme la Crainte au dedans
• Et donne pour curée aux dens
Venimeufes & affamées
Des plus entières renommées,
Des belles âmes, des bons cueurs,
Des beaux efpriti & des valleurs
Dont la maigre Pefte friande
Fait fon poifon & fa viande.
AuJJi tofl fon cueur enragé
Crevé comme il en a mangé.
Son eflommac qui n'a coutume
De dévorer que Vapàflume,
Le froid venin & les fureurs,
Appelle poifon les douceurs,
Quant, changeant ce qui Va nourrie.
Elle ofle la caufe à fa vie.
Car la douceur luy eft venin.
Du temps que le mortel divin
Immortel démon & terreflre
A peu par f es enfants paroift$e.
Pour contre le vice tortu
Les équiper de fa vertu.
Tant qu un mefdifant miferable
A veu le père redoutable
Duquel I efprit pareil au cueur
E^ffoit fur fon fccle vaincueur :
ODES. 193
Alors les enfans de Jodelle
Couvers de Vumbre de fon aelle
Ont pieu & refifti aux Grans,
Les dodes^ confiii ignorans^
Ont hay^ chery cefte race
Et a leur agréable audace
Les fi II pour le père chéris.
Le père parut par les fili
Lefquel{ en vie & fans envie
Referroient la langue ennemie
Aîorce & remorce par f es dens
Aux rocqs crevajfei & dedans
Grouilloient ces âmes venimeufes^
Ces vieilles pefles rechigneufes
De qui les gros cueurs endurcis
Eftoient les rochers obfcurcis;
Les Jerpens de V Envie mefme
li^ eftoient rien que leur rage mefme.
Mais fi toft que Jodelle eft mort,
Voicy la canaille qui fort ^
Et voicy la troupe ennemie
De mille langues de V Envie
Quifuians de l'obfcurité^
Arrachent au lion dompté
Eftendu mort deffus la terre
La barbe ^ & luy font telle guerre
Que les petits chiens au fanglier
Qm] les faifoit fuir yer.
Ainfi je me plains ^ Charbonnières ^
Que ceux qui adoroient nagueres
Le Pindare de noi François
S'arment de For de fon harnoisj
Et au lieu de fondre de larmes
Font un triumphe defes armes,
m. 13
Ai-hd Ses imsmsjB^mts pincs,
L'kswuair et Fï!0^ dt Pîkxù^
Et ftmifiti ejpris eiHiwrM^
De me moi^^r nem ^jpçnemt
Aûmi dewmtjèj dimamirs^
Les tremr\e petjMS Ù" faenturs*
y'sÙMi le i^gis ^x'a éeaumit^
CkoMgeoMi em pMhcm/M lùndr.
Le nui psâr le temps «nmeriA.
Et ceUe race trean^r^
Amis de là rœe tr dm pert^
Apres tey^ docie Cherhmiùerey
^mUe plmmtes ty mîJie Jers
Qmî ferdetu remirer emx Emièrs
UEmrre & .êmx tiaues hmmddts.
Fmir des rq^ereaujc parriiides
Manger Us tcrtilhms lafti
Aux rocqs vemimeux. crera0èj,
XXXIV.
Au feu des chafles amours
Qui it ont fin qtiavec les Jours ^
Aîa première ardeur salume
Et ma première coutume
De brufler heureufement
Au feu d'un heureux torment
S'efveille & s'efl augmentée
A la fureur tormentee^
ODES. 195
Tormentee heureufement
De Lavaly heureux ornant^
Qui lorfqu'il fent fon courage
Brujler une chafle rage^
Son ejprit chafle enfiammé
Bien aimer ir eflre aimé,
Immole àfon Yfabelle,
A fa dame chafle & belle j
Les fruiti de fes premiers jours ,
De beaux & chafles amours,
Avecq' luy me prend envye
De brufler Famé & la vie
Au chafle feu amoureux,
Pour comme luy eflre heureux,
Laval, tu es miferable
Si une rigeur tacable,
Laval, je voy^ ton malheur
Si tu ploie à la rigueur :
Mais auffi, chafle Yfabelle,
Si tu veux eflre cruelle.
Tu maudiras ta rigeur
Comme Laval f on malheur :
Mais fi V amour vous affer%ble.
Vous efles heureux enfemble,
Laval, tu es bien heureux.
Si, chaflement amoureux.
Tu brufles d'un chafle lelle
Ta belle & chafle Yiabelle,
Si voi communes rigueurs
Uniffent auffi voj cueurs :
Yfabelle bien heureufe
Si comme chafle amoureufe.
D'un feu chafle & amoureux.
Tu fais Laval bien heureux,
196 Llî PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Si tu veux rendre les armes
A fes pitoiables larmes^
Bienheureux fi vous aimés
Tous deux chafles en/lammej^
Si que la Parque envieufe
Ne fera tant rigoreufe
Que de de/unir vos cueurs
Bruflei de chafles rigeurs,
Voflre amour Jloriffe telle
Que Zerbin & qu^Yiabelle,
Et pareilj de chafteté^
Et femblables en beauté :
Mais la fin ne foit femblable
A la couple mijferable^
Mif érable heureufement y
De Vun & de Vautre amant !
XXXV.
Qui vouldra voir comme Vinjure
Qui vient divifer la nature
Par la gature Je refait ^
Comment le naturel parfait
Ne trouve rien de fi extrême
Qu'il n'ait le remède en foy mcfme^
Que fans luy on efpere en vain
A l'artifice de la main :
D'autre coflé comme nature
Sans Fart ne f aurait faire cure^
Que de nature l'imparfait
Par l'art feulement fe refait ^
Et que l'art au danger extrême
Fait autant que nature mefme^
ODES. IP7
Que fans luy Peffait des humains
N* enfante que des fonges vains ^
Qu\il] liie pour fe fatisfaire
Le paradoxe & fon contraire
Voy* appuier la nouveauté
D'une doéle fubtiliti
Par les raifons & la fcience.
Par nature & Vexperiance^
Et dire contre le nouveau
Le doéïey le fuhtily le beau :
Puis à l'un & l'autre contraire
Par tant de raifons fatisfaire
Que la nature des humains
Et des ars ne demeurent vains ,
Que l'art foit la nature extrême
Et la nature f oit l*art mcfme,
De l'un & Vautre l'imparfait
Par l'un & l'autre f oit refait^
L'art f oit fuffifant à la cure
Et fuffifante la nature*
XXXVI.
Mignonne y pourquoy donne s^tu
A l'Amour ta celefle grâce
Et tous les beaux traiàij de ta face
Dont cet enfant m^a combatu?
Si tu me prefies ta faveur j
Le vaincu fera le vainqueur.
Des dars qui partent de tes yeux y
De leur belle Jlamme divine
Il m* a tranfpercé la poidrine
Et bruflé le cueur amoureux :
Qae faas luy P^ait des humains
N'enfante que des fongei vains,
(l^{il\Uie pour Je Satisfaire
Le foradoxe & fon contraire
Foy" appuier la nouveauté
D'une doéle fubtiîiti
Par Us raifons tr la fcience,
Par nature & l'experianctj
El dire contre le nouveau
Le doâe, lefubtilj le beau :
Puis à l'un & l'autre contraire
Par tant de raifons fatisfaire
Que la nature des humains
El des ars ne demeurent vains,
Que l'art foû la nature extrême
El la nature fait l'art mefm£,
De l'un & l'autre l'imparfait
Par l'un ir l'autre f oit refait,
L'art f oit fuffifant à la cure
Etfnfifante la nature.
Mignonne, pourquoy donnes-lu
A l'Amour ta celej!e grâce
Et tous les beaux traiûj de tafac<
Dont cet enfant m'a combatu?
fprejîes ta faveur,
—tcu fera le vainqueur.
Uqui partent de tes yeux,
Wj^elle Jlam.me divine
^^^^perçé la poiclrine
cuevr amoureux :
196 ^^ .^^ 7. u, armes
Situveuxre ^^^
Que de à'S'^^Ses rig^'"''-
^^ ^TdTchV^' . .
EtF^'^Vui.^enbeautc:
^ ^ '""fu^eufemenh ,
me;;%'Z^uSreanu.nt'.
•Je pu» *=^ '*^
De
XXXV
Comment l'.'^' /extrême
Que S<^ *"V I, ma« •
A V'^rtificed^ll^ nature
jyautrecofié^^^^^t faire cure.
S-^' '? .Tare l'imp'"-/'''' -,
nue de nature ^ r yj„t^
Fait autant q^
ipS L£ PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGN^.
Mais fi tu me prefle faveur^
Le vaincu fera le vaincqueur.
Il n?eufl fceu ravir mon repos
Et le defrober par Voreille^
S'il T^eufl emprunté la merveille
Et le charme de tes propos :
Si tu me prefiois ta faveur^
Le vaincu feroit le vaincqueur. -
De quoy euft^il faiél tant de neuds
A m^enchefner pour fon efclave^
Si tu ne Veujfe rendu brave
Des trejfes de tes longs cheveux ?
Et fi n'euft eu ce fie faveur^
Le vaincu feroit le vaincqueur,
Qu^eufl pu faire cefl inhumain^
Dequoy euft^il drefféfa gloire
Sans emprunter ta main d'yvoire.
Vyvoire de ta blanche main?
Sy elle n'euft ravy mon cueur^
Le &c
Tout le pis efl que c'efl â luy
Qi/il a fa vidloire eftoffee
Le galant baftit fon trojf.ee ^
Des faiéli & des forces d'autruy
Et ne croit que fans ta faveur
Le &c
Reprans tes yeux & tes cheveux^
Tes propos & ta main d'yvoire
Et je combatray pour ta gloire^
Et fi je furmontCj je veux
Monflrer que c'efl par ta faveur
Que le &c
ODES. Ipp
N
XXXVII.
Où va cefl enchefné avec ce brave port?
On le treifne à la mort.
Comment eft-ce qu^ainji Joyeux il s'y convie?
Il n'aymoit pas fa vie.
Quel Juge Ji cruel hajie fon dernier Jour?
L'inpitoyable Amour,
De quel crime Ji grand peult^il ejire blafmé?
C'ejl d'avoir trop aymé.
De quel genre de mort veult^on punir ce vice?
Le feu ejl fon fuplyce^
juge trop cruel y o trop cruel tormant!
O myferable amant !
Mais de quoy font les poins du prifonnier liei?
De cheveux deliei,
D^oii doit fortir le feu qui le tue & Fe^flamme?
Des beaux yeux de fa dame,
amour pitoyable^ o torment gratieux !
O amant bien heureux!
XXXVIII.
Veux tu que Je facrifie
A ton ombre mon corps ^ t'immolant tous les Jours
Ma vye après ta vye ?
Ton corps qui efi fans ame
N^efi plus corps ^ mms un ombre y & Vefprit des amours
Eflfa vye &fajlamme.
^X- 1< miMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ.
Donq' après la mort tiene
?i brifas Ptunon de mon ame & de may^
Et ta fin efl la miene»
L'ame avec moy ravie
fÊieux qwun corps oublieux veut maintenir fa foy :
Son amour eftfa vye.
Mon ame divifee
D'un volontaire joug s^efclave foubi tes fers ^
De fon corps epouiee,
m
Il efl fa moytié chère :
La veux'tu arracher aux amours des Enfers^
Et la rendre adultère?
Veux~tu qu^aprés ta vycy
Aux Champs Elifiens elle aime autre que moy
Où elle efl affervye^
Que la mort defuniffe
Nos veux^ nos cueurs^ nos fensy ma promeffe & ta foy ^
Afin que tout periffe?
Je ne fuis point muable :
J^atacheray mon corps à fuivre fa moitié
Et chercher fon fsmblable,
Vien donq^ aux rives creufesy
Vien voler avec moy des aifles d'amitié
Aux ombres bienhureufes ,
ODES. 20I
XXXIX.
L. C — Bon jour y petit enfant. A, — Bonjour.
L. C. — Qui es'^tu mon mignon? A. — Amour,
L. C. — Amour! où eft la connoijfance
Et V effort de mes trifles yeux?
A. — Tu ne m^ as pas connu j me voyant fans puiffance^
Sans carquois tr fans arc^ fans Jleches tr fans feux.
L. C. — Mais qui t'enchefne icy? A. — Le Sort.
L. C. — Que pleures'tu ainfy? A. — ha Mort.
L. C. — La Mort! & Je cherche mon ame
Par les horreurs des noirs tombeaux.
A. — Ton ame eji là dedans quifoubs la froide lame
Bayfe le corps qui vif luy donna tant de morts.
L. C. — Que trouver ay'^Je là? A. — Un corps.
L, C. — Qui ayme mon ame? A. — Les morts!
L, C — Les morts! elle meurt infenfee^
Tandis que fans elle Je meurs.
^' — Va & fais qi^au retour Vamytié foit cajfee
Qui de fes chefnons d'or m'enchefr^ àfes malheurs.
XL.
VISION FUNEBRE DE SUSANE.
fpeélre gratieux y
Nuiély favorable mère à mes trifles penfees y
Qui tire mes rideaux? Un meffager des Cieux :
Plus d^ amours que de peurs en mon ame tracées
Ont reveillé mes yeux.
202 LE PRIMTEMS DU SIEUR d'aUBIGNÉ,
Encor efpouvanté
L'ail que tu as furpreins d^une fi douce guère
Voyt les lignes & traiti ^^^^ ^'if^g^ g^fi^?
Et bien qi^il n'y paroift que les os & la fièvre
Il y voit ia beauté.
Car de toy le plus beau
Efl vif& ne pouvoit Je perdre avecq' la vie^
Ton bel ail en la mort efl encor un Jlambeau :
Mon ame en te fuyvant Je plaift enfevelye
Dans le poudreux tombeau,
Ayes de moy pitié ^
Doux efprit.de doux corps ^ fi Vamoureufe Jiame
Efl vive après la mort en ta chère moytié :
Tu voy^ entre les os & les cendres mon ame
Animer Vamytié.
Vien ma bouche arouier
Tout en feu de defirs^ de foupirs afechee.
Bouche qui de baiiers fouloi^ apreivoiier
Mes amours voletan^^ & leur donner bechee
Au moins d'un froid baiier.
En vain des mains je veux
V rendre ce vent léger ^ cefl ombre & ce nuage :
Ame fuyarde^ tourne encore ces beaux yeux^
Tourne à mes cris piteux Foreille & le vif âge ^
Pour entendre ces voeui,
J'aracheray mon oeil
S'il voyt une beauté^ mon coeur s'il la defire^
Je banys mon efprit s^il veut quitter le dueil^
Mon ame^ fi mon ame un feul foupir foufpire
En baiyint le cercueil.
ODES. 203
A quoy cet euil qui luit
S'il ne n^aproche? à quoy ces bras s'ili ne m^ accolent?
Helas! elle ieflogne & s* enlevé & s'en fuit^
PareilV aux vens légers & aux fonges qui volent
Au vague de la nuit!
XLI.
INVECTIVE d'impatience d'aMOUR.
Aftres pareffeux^ dorme i vous?
Hajiei voi ambles^ vieilles Heures^
Que Je ne pique voi demeures
Des aiguillons de mon courroux.
Courei au fecours de V amant ^
Tournei le fable ou au moins Vurne,
Baftardes du coqu Saturne
Qui vous fit yvre ou en dormant.
Vous volei la nuiél & le jour
Quand la Mort par vous eft fervie.
Vous ferviei à regret ma vie^
N'ayant point d^aelles pour F Amour.
Rien n'efl au brave combatant
Sifafcheux (fune longue trêve,
Il n^y eut Jamais nuiél Jî brève,
Jamais un Jour ne dura tant!
Volans impatiens Amours,
Phebus vous apelle en Jujlice,
Car il dit que c'ejîfon office
D'abréger ou croiflre les Jours.
Mais qu'eji ce qui peut retarder
Des Cieux la cour Je mefuree?
Cachei la beauté dejîree,
— - " -!*.^^^^*^^ ^^ "EUR d'aUB^GNE.
Tout s>amufe à la regarder.
^u contraire que de fes yeux
Y Soleil puyfe voir la belle :
^«y penfant coucher avec elle
•> ira coucher en amoureux.
Aujn^ fait^il tout à rebours
L'Equateur dedans le Tropique^
Je le feus au chaut qui me pique ^
Aux courtes nuiti & aux longs jours.
XLII.
f? ^^«f armées y o combien à gré me font
Tes facrés pavillons^ comme le ceur me fondy
Tout mon fens me trejfault quand tu me fais venir
""De ton temple le fouvenir.
Dieu qui des ojîllons la demeur^ as trouvé^
L'hirondelle â Vabrit fes petii a couvé^
Où fais tu de ce temps ^ Roy de Veternité^
Les auteli de la fainteté.
qu^eureux à jamays efl (r fera celuy
Qui en Dieu feulement cherche le fort apuy^
Pour en luy cheminant paffer avanturé
Des meuriers le val altéré.
D'un très riche labeur les puis y cavera
Qun dous ciel pluvieu fur le coup emplira
Pour marcher refolus d'ardeur & pajîon
Content arriver en Sion,
Des CieuXy ton Jiege haut^ efcoute nous & fays
Ton ferf portier heureux en ton heureux palays :
Mieulx vault la feule clef des cabinet^ de Dieu
Qu'un hoftel riche en autre lieu.
Car DieUy noftre fecours efl l'apui fngulier
'>"-\
Tome III, page 204.
ODES. 205
Des fiensy c^eft luy quiefl unfoleilj un bouclier I
C'efl lui feul qui unit par fon éternité
Les fplendeurs à lafeureté,
Ouxj noftre Empereur efl fort bouclier^ haut foleU^
Soit pour l'humble défendre ^ ou refveiller fon œiî^
Gloire & grâce donner : bref très heureux^ je crois,
Quiconque efl appuyé de toi!
Leéleurj pour m'excufer qu'efl ce
Que je pour rois dire? — Rien,
Si j'allègue ma jeuneffe^
Tu diras : je le voit bien !
POESIES DIVERSES.
I.
Vers faits à feiz'ans
A M. DE RONSARD.
Cette vertu ^ Ronfard^ hautement emplumee^
Ce Pegaie fur qui ta dextre renommée
A desfait l'ignorance à la pointe des versp
Qui fait qu'aux quatre bouts de ce large univers
Du Canibal fans loy jufqués au Scite eflrange
Je n'entons que Ronfard^ Ronfard tr fa louange^
Ce nom qui fur tout nom tyrannife fameux
Me fit un jour le fang bouillonner efcumeux^
Sourciller y foupirer^ me fit de coller e yvre
Defchirer dix feillets^ les premiers de mon livre.
Je difois mutiné^ de ta gloir' envieux :
Qu'ay^jefait aux neuf Sœurs ^ qu'ay^je fait aux neuf Cieux
Qui ne m'ont accordé dominant ma naiffance
D'un Mercure affendant^ dunfoleil Vinfiuance^
Un quint ou trifne afpeél en la Maifoti d'honneur ?
Que ne fut mon deflain d'honneur pour tout bonheur ^
:K>8 POESIES DIVERSES.
D^mM lytrre honorant n^eflant pefee ma vie! (fie)
Ce dt/pùj ce courroux firent naiflre un' envie
Qm^efl pas loylique & ne fait foubs fes dents
Ejhiper les afpics de qui les yeux ardents
Imfodemt Jlamboyans mefme la chos' aymee^
i gangnent^ fans ravir ^ Pheur de la renommée^
\€ qui profite & qui Jamais ne nuiél^
Qm jt*a aucun acce{ aux Filles de la Nuiél :
Oefi une honnefle emie^ & cett' envie eft telle
Qu'on ne peut bonnement fentir au vif fans elle
Cet aiguillon piquant qui du vice tortu
Nous fait tourner les pas au trac de la vertu.
II.
[a DIANE.]
Encor le Ciel cruel à mon dernier fecours
M'a prolongé la vie & la force des Jours ^
M'a fait toucher le port & la fin defiree,
O plaie ^ mon bonheur^ qui 7^ êtes defferree
Que dans le doux giron de ma Dianne^ afin
Que fes yeux & fes pleurs accompagnent ma fin.
Je te bénis j â Jour^ qui de fi belle forte
Rends le cueur^ le martire & non l'amitié morte y
Je te bénis encore ^ ennemy incongnuj
A ta mort^ à la mienne & à mon heur venu !
En portant avecq'moy ma fin J'ay traverfee
La Beaujfe prefque' entière^ & mon ame prejfee
Prejfa le cors d'aller ^ de vivre & de courir
Pour entre fes doux bras fi doucement mourir.
Or achevés ma vie (r mes cruelles peines ^
Vous artères bouHlans couppés (r vous mes veines
POESIES DIVERSES. 209
Qui n'aviei acepté remède jufqu'icy^
Efpmfei moy de fang^ d'amour & de foucy,
La mer de mes malheurs ores crevé de rage^
IPaiant plus que ce coup pour fort dernier orage
Qui balance ma vie & ma nef au travers
De mille Jlot{ meurtriers & crollant à F envers.
Mon efpoir deffiré^ mes voiles deffirees^
Je ne crains plus d'Amour les vengeances ferrées^
Car Vefquif tout cajfé fur qui on voit armer
Les cieuX) les vens^ V orage & lafouldre & la mer
Efl quiéle du torment aiant ver ce fa charge.
Voici ma liberté^ mon efprit mis au large
Se fauve en fon repos & par un mefme effort
Je trouve patience au giron de la mort.
Il fault que le malheur finiffe fon envie
Et fefoulle à ce coup en dévorant ma vie,
Voicy mon calme doux^ un trefpas doucereux
Qui change nos travaulx en plaifirs bienheureux^
Qui me met en clere eau & calme ma torment e,
O vous qu'un tel bonheur froidement efpouvente,
vous qui aufeul nom de la mort fremiffeiy
Qui pour n'avoir cogneu voflre heur en gemiffei^
J'ay bien fouventefois redouté la venue
D'une fi douce fin pour ne l'avoir congneuëy
J'ay paly comme vous : je n'avois peu aimer
Ce qui au premier goufl efl fi aigre dr amer.
Mais qui vault mieux ^ le fruit qui nous donne à la bouche
Un goufl doux & plaifant & puis fi tofl qu^il touche
A i'efloumac trahi efl poifon dans le cueur^
Ou celuy qui après une première aigreur
Efl un baume au dedans? La mort efl effroyable
A ceux à qui la vie a eflé favorable^
A ceux qui fans avoir le cerveau martyre
Ont impetré plus tofl que d'avoir defiré,
m. 14
^^^ POESIES DIVERSES.
Ç'^ la raifon qui fait que fans regret je trieur e
vQur n^avoir en vivant trouvé une feule heure
P^ plaifir ajfuré. Tu es tefmoin^ Amour ^
•6» fuis dire pour moy que dés le premier jour
Çw tu as dans mon fang trempé Vor de ta Jieche^
*^s le jour que tu as par ta fecrette brèche
Kavagé mes efpriti^ je n'ay peu refpirer.
Au milieu des malheurs qui me font foufpirer
Tu as d^un defefpoir batu mon efperance^
Ma grande fermeté d'une grande inconflance^
Mon raijonnable amour Sun^ ire fans raifon ^
Ma jeune liberté d'une eflroite prifon^
Mon fein tendre à brufler d'une ardeur non pareille.
Tu ejlouffes mes cris par une fourde oreille^
lyun courroux dédaigneux ma douce humilité
Et d?une ingratitude unfervice emprunté ^
Somme qu'en bien aimant une rude adverfaire^
Tu oppofes tousjours le contraire au contraire.
Mais bien qu'une rigeur efprife fans propos
Ne m'ait jamais permis une heure de repos ^
Bien qu'une cruauté perfant ma patience
M'ait fait boire la mort pour toute recompence^
Ma paine me fera un doux contentement
Faifant plus douce fin que doux commencement.
Si ma beauté encor' ne peut ejire ajfouvie
De la fanglante fin d'une inconflante vie^
Je veux^ ne pouvant plus la contenter d*ennuis^
La fervir ejlant mort ainfi comme je puis !
Que les deux parts de moy^ Vune & l'autre à l'envie •
Facent fervir ma fin plus que n'a fait ma vie^
Que Vefprit vigilant qui fut emprifonné
Des amoureufes loix^ ayant abandonné
Le cors & n'eflant plus compagnon de ma peine ^
Jour & nuit^ fans ceffer^ travaille (r fe promenne
PO£SI£S DIVERSES. 211
A gouverner Diane & conduire fes pas
Pour garder que f on pied tendre ne gUffe pas.
Il fera un Genye à ma rude adverfaire
Et rendra pour le mal un fervice au contraire.
Le jour il fervira àfon œil cler & beau
D'un augure certain^ & la nuit du Jlambeau
Pour /avoir P advenir y & au lieu des menfonges
Quifoufflent aux cerveaux un million de fonges^
Tout ce que mon efprit dira divinement
Ne defmentira point fon jufte événement.
Sus! que mon ame doncq' aille fervir fon ame
Et que ce cors ne Joit inutille à fa dame.
Premièrement je prie à jointes mains les Dieux
Efmeui de mxyn ardeur qu'ili facent de mes yeux
Deux brillans diamans fur qui la molle audace
Du poinfon acéré ne laiffe aucune trace y
Non plus que fur mon cueur on r^a jamais peu voir
Que le fer ny le feu aient heu aucun pouvoir.
Ce fera pour complaire à la meurtrière veuë
Qui tira par mes yeux mon cueur à Fimpourveuë^
Ce fera pûur orner & les mains tr les doiti
Qui ferrèrent ma vie efclave fous fes loix.
Que m£s dens par les deux foient faites immortelles
Changées pour jamais en tout autant de perles
Sans tache ny obfcur^ comme fans tache auffi
Fut mon amour ^ mon ame^ & ma foy jufquHcy,
Ce fera pour lier cejl objîiné courage
A rendre pour V amour la penne & le dommage^
Ce fera pour lier fa cheveleure en rond^
Pour embellir fon chef& couronner fon front.
Ma peau lui fervira de véritable ocagne
Meilleure qu'il n'en vient de la mymaure Hefpagne.
Pour garent ir du chaud du foleil outra geux
Les mains de ma meurtrière^ en forte que je veux
212 POESIES DIVERSES.
Garder contre le feu ce qui me met en cendre
Et pour. mille forfai'ti telfervice luy rendre.
Et vous^ mes nerfs ^ ^^ff^l ^^ '"'^'' ^^^ malheurs^
Je veux que cy après vous chantiés mes douleurs
Sur le lut enchanteur que ma maitrejfe fiere
A Poutr de ma mort lafchera en cholere
Sur le dos defon lit. Change^ cueur endurcy^
Change j cueur obftiné^ change de nom auffi :
Tu as tousjours aimé les coups & les piqueures
Et tu prens à plaijir & faveur les blejfeures.
Quant mes yeux feront clos d'un éternel fommeil^
Tu auras un office (r fuplice pareil :
Tu ferviras Diane & fur les mefmes brèches
Que firent dedans toi mille fanglantes Jleches^
Tu feras gardien des efpingles qu'au foir
Sa délicate main te fera recevoir^
Celles qui remparoient d'un fatin noir fa face^
Ou qui piquoient mes doit^ punis de mon audace,
Croijfei^ mes tiedes pleurs^ fontaines de mes mauXj
Pour luy plaire croiffei en fourcesy en ruiffeauxy
Exalle\ vous au Ciel & vous changei en pluies
Et faites vos humeurs par celles de ma vie
Calmer les vens fafcheux & les bifes tranchans
Qui fafcheroient les jeux de ma Diane aux chans.
III.
[a DIANE.]
Nefiniffei vos jours auffi, tofl que mes peines^
Croijfei après ma fin ^ o vous tiedes halaines;
Change^ vous^ enfiei vous^ o mes triftes foupirs^
POESIES DIVERSES. 213
Esbranlei parmy Vaer les amoureux lephirs
Pour parer du foleil & de chaleurs cuifantes
Celle qui a feché ces veines tarijfantes,
Coulle^ fang irrité^ & après mon malheur
Ne change point encor^ ta naïve couleur ^
Fay^ toy fon vermillon j o plaie bienheureufe
Qui pouffant fur mon fang mon ame langoureufe^
Luy donne ce foulas qu'au but de mes douleurs
Renaiftront de ma mort tant de vives couleurs
Qui feront ma fevere^ à nulle autre pareille^
Au luflre de mon fang reluire plus vermeille,
Puis^ Je luy veux dreffer un lit pour fon repos
Enfié de mes cheveux & bafty de mes os :
Ce fera pour monflrer qu'elle s'efl endormie
A Vouir de mes cris tant que feftois en vie^ -
Que ma peine luy fut & repos & plaijtr.
Mais que veux tu encor' en mes reftes choifir
De ma trifle defpouUle offerte à ton fervice ? '
Tout f oit un holocaujie & pour doux facrifice
Je V offre ^ je le donne à ton fanglant autel :
Acepte mon offrande & afin que tout tel
Soit le rejie de moy, que je pviffe deffendre
Content au bas Enfers^ le refle mis en cendre
Lui ferve d'ambre gris^ de baume précieux
Et de poudre de Cipre^ afin qu'un malheureux
Qiion n'aimoit plus en vie en la mort puiffe plaire.
Il ne faudra doncq' point qu'on ait penne de faire
Sur mes os ^ piramide ou précieux tumbeau.
Je n'en veux de plus cher^ plus riche ne plus beau
Que celuy que j'eflis & qui encore affemble^
Ainfi qu'avant la mort^ l'ame & le cors enfemble.
Je fens desja mon ame & cefl efprit léger
Voltiger dedans moy^ dedans moy voltiger^
Pour faillir par la bouche & pour avec l'alaine
ai4 POESIES DIVERSES.
Emporter mes malheurs & ma vie & ma peine.
AiÛeUy chère Diane^ adieu ces beaux cheveux
Que tu mouilles de pleurs; mes foleili, ô beaux yeux^
Que Je vous bais' encor, que je baife la joué
Oà larme dejffus larme onde fur onde noué^
La bouche qui produit un orage de vens^
Le fein gros de fanglot^ de prés s'entrefuivans.
Je ne puis baifer Vame encore non emeuë
Et crains qu^elle ne foit moins tendre que la veuëj
Qv^elle ne quitte point fon projet endurcy
Nyfa feverité. Dy' moy s'il efl ainfi^
Pourquoy met{ tu la main à ferrer un artère^
Me fais tu endurer devant tous un cautère
Pour en vain fur le cors faire ce que tu puis?
Et tu ne veux guérir mon ame & fes ennuis^
Mon ame qui mourant ainfi que les A l'heure
Sa voix fe couppe là^ foubi la langue demeure.
Il figna de fon fang trois fois fon teflament :
Son oeil vivoit encor* qu'il darda longuement
Sur fa Diane efmeuê^ & non pas atendrie.
Quant fon oeilfe terni fï y fa force efvanouie
Laiffay fans que l'efprit pourtant fe fujl rendu ^
Le cors deffus un lit comme mort ejlenduj
Sans halenne & fans poux* Diane fe retire
Qui pleur oit de fa mort (r non de fon martire.
Trois heures & non plus il parut à fon oeil
Que l'exemple de mort l'ejlonnoit^ non le deuil;
Un remort du paffi l'inquiet^ & la trouble^
Au lieu d'un repentir fon courroux fe redouble :
Diane fut fi fiere & eut telle beauté
Et Diane très belle eut cefie cruauté.
POESIES DIVERSES. 215
IV.
[héroïde.]
f Regarde encore ung coup de cefle main armée
Les miferables traiéli & de ta bien aymee
Le bon jour envoyé du jour de fon ire/pas^
Le bonjour que t'efcrit celle qui ne Va pas.
Que fi en quelque lieu cefte lettre te laijfe
Place vuide de pleurs^ elV ha de fa maitrejfe
Oublié le formant qui à fon dernier jour
Sur lefeuil de la mort nourri fl encor V amour»
Telle eft en t'efcrivant ma pitoyable image^
Telle ma dure loy pour apaifer la rage
D'un père fans pitié. Ah! que fert^il à moy
D'arracher ung beau nom de la maifon £un Roy?
Que fert il au milieu de mes funèbres larmes
De voir tant de palays fe braver de nos armes?
Plus mon extraélion fe tire d'un lieu hault^
Plus la mort mefaiél faire en mourant ung grand fault^
Le coup plus violant d'une rouge tempefte
D'un traiél plus defpitéfe croule f^r ma te fie,
Traiflre ceur ajligéj pourquoy jamais n'as tu
Bleffé^ bleffé mon ame^ obfliné combatu ?
Pourquoy l'âge craintive ha elle eflé fans crainte?
Pourquoy^ mon fang eftaint^ ne fuft ma Jiame ejiainte^
Eflaint ce feu fegret que je fentis ung jour
ATaprandre fans le nom la rage de l'amour?
La blancheur fe ternir^ le pafle de ma face^
Le changer fi foudain^ l'incertain de ma grâce ^
Uapetit efgaréy le dormir fans repos ^
ai6 POESIES DIVERSES.
Sans mal me faifoyent plaindre & parler fans propos.
Sans fentir le malheur feftois donc malheur eufe;
Sans cognoiflre V amour je devins amoureufe.
Ma nourrice plus fine aprifl premièrement
A mon ceur tout enfant le nom defon formant ^
D'un enfant tormenté : qu'elle nie fift honteufe
La vieille^ en s' ef criant: Vous eftes amoureufe!
Mon œil voilé tomba plongé dans mon giron
Et de honte & d'amour le feu à V environ
De mes yeux s'efpandit : lorj que par le fillence
Mon efprit offencé avoua fon offence^
Des) à les fruiti trop meurs de ma trifte Venus
S'afprejhyent à ma mort y & trop gros devenus
Defcouvroyent mon larcin, Dieux! quel artifice ^
Quelle herbe y jus fegret^ n'a cherché ma nourrice
Pour à tort adjoufter ung noir crime à mon tortj
Et pour me faire vivre au pris d'une aultre mort!
Ah! miferable enfant^ la force de ta vie
En te rendant parfait^ parfit la tragédie,
Desja la lune blonde avoit veu par neuf foys
Le ciel contraire à moy & parfaiél fes neuf moys :
La faifon d! enfanter (r de mourir veneuë
Mefifl congnoiftre ajfés la douleur incogneuë.
Lors mes cris efclatans pouffei par ma douleur
Se rengorgoyent pr^jfei de honte & de terreur;
Je boys mes pleurs amers & ma nourrice boufche
De fa coupable main mon inocente bouche,
La pafle mort m'esfraye & fe monjlre à mes yeux,
Et la mort dejtree ejl ung crime odieux.
Qui me confollera fi elle ne confole ?
Et l'efpoir defolé d'un aultre me defole^
Et Lucine & le Ciel ont nié leurs fecours
A moy qui de deux mors couronne nos amours.
Que diras tu icy^ o miferable pere^
POESIES DIVERSES. 217
Qui as plus au forfaiél [pris pari^ qu'à la mifere^
Car à toy je me plains & je pouffe en mourant
Mon ame vers les lieux là oii le defmourant
De tes jours efgarei^ peult eflre à l'heure mefme
Que je baife la mort horrible ^ p^fle à' blefme^
S'en vont au changement de plus heureux amours;
Tu tiens entre tes bras pour plaijir de tes jours
L'oublieufe beaulté de quelque plus heureufe^
Plus heureufe en vivant & non plus amoureufe :
Et lors ton fils caché de branche & de feuillage
Ayant prefque ef chape & Voeil & le vif âge
D'un père trop cruel ^ d'un cri tout plain d'esfroy
Chanta la mort pour luy & l'afprefla pour moy.
Le yoila def couvert^ & dans les mains cruelles
D'un ayeulfans pitié il porta les nouvelles
De mes amours cache{. Soufdain Voeil animé
De l'ayeul inhumain fur l'enfant defarmé^
Sinon de cris piteux ^ changea par fa collere
En ungjuge tir an le mif érable père.
Furieux^ il cria : que ce fruiél foit livré
Aux lions afamei pour eflre defchiré!
A ces mots ton enfant piteux fe fifl entendre
Qui de fon tendre cri ne fifl fon père tendre.
Cependant que fur moy mes ongles inhumains^
Lors que fur mes cheveux j'enrage par les mains ^
Tandis qiien ma fureur ma face plus vermeille
De mon fang arraché fe faiél au fang pareille ^
Voicy le meffager de la fin de mes jours
Qui aporte la mort^ loyer de mes amours :
Tien^ diél ilj tout tranfi^ j'aporte de ton père
L'efpee entre tes mains; tufcays qu'il en fault faire?
Helas! ouy^je le fcay' ^ & d'une brave main^
Brave je cacheray . cefle efpee dans mon fain!
Eft ce là mon partage^ impitoyable pere^
^j^ rOESIES DIVERSES.
^f0rs «fc émk-pour moy aprefté ce douer e?
Éf^fyy' H^-mu^ /acre j font ce là tes Jlambeaux?
^fl^f^ig^^x ^portei les voflres bien plus beaux
jk T^4i^^ J^oleej Seurs inpitoyables
Â^ ^Nl^v cturs effrayei n'eftes pas effroyables.
JÎa^ tf Ht/ eft ton péché y en quoy as tu le tort^
l^^ll^l qui en ung jour prend la vie & la mort?
j(^*f|iffctf piteux pour ta mère aveuglée
âni i'a donné la vie & la mort defolee!
#ttt dernière douleur ^ mon cri dernier jeté
C^êfi te voir defchiré à ta nativité!
Faut^il que vive encor la moytié de mon ventre
Dans le ventre afamé des fier es beftes entre?
Ainfi mon ceur s^en va en prùye à d'aultres ceursy
Mon fang bouillant tout vif Jentira les fureurs
Des lions fans pitié (r mes entrailles chères
Rempliront en vivant les befles les plus fieres!
Ainfi j gage piteux de mon piteux amour ^
Voyci ton premier \jour]^ voici ton dernier jour.
Je n'ay verfé fus toy mes larmes enjlammees :
Ta rouge mort n'eji point des morts accouflumees^
Je n'ay point faiél bruller fus ton trifle tombeau
De mes cheveux coupe{ le prefant le plus beau.
Or adieuj je m'envoys du gage de ma vie
Rendre ton ombre auJjH de mon ombre fuivie^
Tu ne feras long temps ^ mon pauvre fili^ faits moy^
Long temps je ne feray pauvre mère fans toy.
Père trifle qui vis entre les miferables^
Ramaffe^ fi tu puisj les refies pitoyables
Du fili à qui tu donne & la vie & la mort.
Mets nos os feparei entaffeifur le port
De V océan loyntaùtj & faiâs fur le rivage
A ces corps immolés quelque dernière hommage :
N'aye honte de nous & ne meure ta foy
POESIES DIVERSES. 219
Avec nous qui mourons facrifiés pour toy.
Accomplis ma prière ainfi que m^ enferrant
J'accompliray la loy de mon pere^ en mourant. »
V.
[élégie.]
Sus mes vers bien aime^^ que vos juftes douleurs
Fondent une Elégie & une mer de pleurs
Des four ces de vos yeux y & qiià tefle baiffee^
Laffe de fe douloir ta paupière preffee
Def goûte fur la bouche en difant mon malheur l
Vous doncq^y vers languiffans^ tefmoins de ma langeur^
Deplorei voflre fort ^ foulages les colères
De celuy qui vous fit & celles de nos frères^
Et fi la plainte peut donner alegement^
Si les cris efclatans defchargent le tourment ^
Faites comme un bleffé qui pour guérir endure
Le fer du chirurgien & luy chantant injure
Penfe alléger fon mal : injuriés ainji
Le fiecle malheureux où le cruel foucy
Eft loier de vertu^ où, Vire refrongnee
Du noir vice boffu Va aux piedi trepignee
En la fange y au dédain. U amitié en prifon
Soubi les Alpes cornui quitte à la trahifon
Ceft air qui luy deplaifl^ V amitié ^ dije^ fainte
Et Vame de la vie eft des vivans efleinte;
Vatheifme trompeur a chaffé de fon lieu
La piété trop rude & la crainte de Dieu :
Siècle où le cueur gemift^ fe plaint de la parolle
Qui n'efl que fon en Vaer & maugré luy s^envolle^
èli> POESIES DIVERSES.
Où il H y iiform^t$s^ Dieux, ne autelifur quoy
Oi$ pmjfi^ pnmimQfr 0* promettre fa foy.
.««««.... M wrtH 0' K>/9 amitié belle, (fie)
Tu f^fi^i n»J» Ç'U^ur, ta promejfe fidelle
T'44i*%*v^M( (iiÀ vulgaire & fay trouvé auJjH
If H <^ çm^r Jeul logis pour mon afpre fouci,
Uh^^Ii (Mmteur de moy, tu aimas la mifere
^1 (Mtfpiaifant aux Grans pris plaijir à te plaire,
'|\w t^nije veult plaindre, entens beninement
(«V V^^ mes vers diront & tu verras comment
4<a nature me fut & douce & oportune
jutant comme ennemie & dure ma fortune :
i*^une me fit enclin aux lettres & aux ars,
1/ autre à force de coups m'endurcit aux haiars,
l4*ime me fit le cueur defîreux de paroiftre,
J/autre tout au rebous haineufe me fit naiftre
De lieu, pauvre de bien, & noble toutefois.
De race vertueufe, Ainfi à chafque fois
Que mon deftin efloit favorifé de Vune,
J'eflois comme à Venvy reverfé de fortune,
La cruelle me fit orphelin de moitié
Dés le matin natal, puis comme aiant pitié
Des coups qu^elle donnait, permit à mon enfance
Vivre un père duquel je tirois efperance.
Qui difoit tous les Jours, il m'en fouvient encor,
Qu^il ne vouloit mourant laijfer autre threfor
A fon fili que celuy qui parmy le naufrage
S'efchaperoit au front de fon maiftre à la nage.
Mais le ferme deftin qu^on ne peut ef mouvoir
Lui defroba fes jours fans qu'il luy eufl fait voir
Son fili tel qu'il vouloit, qui aveugle & folaftre
Pour faire rire plus fa fortune maraftre
Mit les livres à part à quinje ans, enchanté
De cefte peftifere & folle liberté
POESIES DIVERSES. 221
Et de tout changement dont la jeunejfe efmeuë
D'un fol defir de voir peu la vie & la veuë,
Parmy des gens de pied cinq ou fix ans entiers
Tapprins des enrage^ les dangereux mefliers
Et à T^ avoir dif cours que de jeui^ de querelles^
De bourdeaux^ de putains ^ verolles^ maquerelleSj
Renier Dieu de grâce & braver de bel aer^
Mefprifer tout le monde ^ arrogamment parler,
LÀ je femblois le fan que la ti greffe mère
Deffend contre la faim de la lionne fiere^
A voir commant nature entreprint de garder
Celuy que la fortune entreprint d^aiarder.
Je faifois tout ainji qv^un poulet au vilage
Qui demi emplumé tr demi hors de page
S'ejloigne de fa mère & veult aller manger
A fon plus loin butin^ ignorant du danger.
Mais quand les fauffes Paix chargèrent nos mifereSy
Mes deffeins contentoient mes efprit^ téméraires^
Car feflois Capitaine & parfait deffus tous
Aux vices adorés & du temps & de nous.
Dieu efloit mort pour moy & fon yre alumee,
A ce point foudroya fa main fevere armée ^
Me frappa infolent^ changeant de furieux
Sur un lit y en deux jours, le fens. Pâme & les yeux :
Je trouvay Dieu encor' & par la maladie
Qui me mit à la mort je re trouvay ma vie.
Je m'enfuis cafanier me cacher tout honteux
Au temps que je voiois s'ejlogner dans les deux
Le Chien qui affeté d*un venimeux courage
Avoit par trente jours là bavé de fa rage.
Lors les chevaux facrei aux grans nafeaux fumans
Et du labeur d'eflé fur le Jlanc efcumans
Mirent les pieds rebours & f râpèrent la voûte ^
Refufans ombrageux quelque chofe en leur route.
jaa POESIES DIVERSES.
Ly Ciel plus débonnaire & calme fe fendit
A caufe que dejuy en terre deffendit
Affls ûifivement fur un bouchon de nu'é
Cette qui de trois ans nous eftoit incongneué^
La Paix, fitle de Dieu^ de qui tous les humains
Cheriffoient la venue au tocquement des mains.
LasI par deux ans entiers une fiebvreufe vie
Qui ont mes ors pechei & la melancholie
Pour caufe de la caufe & pour caufe de fait
Me firent pour le Ciel trouver lejiecle infait ^
Àymer la folitude & mon affliélion^
Me fit hair des Grans Vefclat^ l'ambition,
Aymant mieux me cacher & baflir mon repos
En mon petit village où, favois à propos
Mon lever, mon repos, ou mon aife rompue,
N^ouir point le refveil de la trompette efmeuë,
Où les difcours fecreti d'un Roy & fes mignons
""N'enjloient mes yeux armei deffus mes compagnons.
Je difois : bien heureux qui a congneu les chofes
Et en les cognoiffant n'a ignoré les caufes,
Trépignant fous les pieds de Deftin & la peur
Et V avare Acheron! que plain de bonheur
Efl celuy qui cognoift nos petis Dieux terreftres :
Pan le vieillard, Silvain & les Nimphes champeflres.
Qui ne chaffe le vent du peuple & les honneurs
Des frères majfacreurs pour devenir Seigneurs!
Il attend les fruitj teli de Varbre qui boutonne
Que le champ [paternel^ defon bon gré luy donne,
Cefiuy là n'a pafly & ne craint de mourir
Pour le feptre envié qui doibt un jour périr.
Tandis que l'un ajjiege une ville affolée.
Un autre fend lefein de la mer aveuglée
Où l'avare à fon dam eftfouvent engagé,
U autre importunera le palais enragé.
POESIES DIVERSES. 223
L'autre hafarde fon droit par Vejfroy d'une guerre ^
L'autre dort deffus Vor qu'il a caché en terre^
U autre Je res jouit d^ avoir trempé fa main
Dans le fang innocent de fon frère germain.
Je dxfois bien ainfi, mais perfonne ne treuve
Le mal fi mal qu^il efl fans en faire la preuve.
L'homme heureux quifauroit &pourroit quand il veult!
L'homme heureux qui vouldroit & four oit quand ilpeultl
Nos Princes clairs voians me virent au village
Roy d'un petit hameau^ Prince de mon mefnage^
Et i^ eurent de repos tant que feuffe perdu
Mon aife trames raifons & que feuffe rendu
Ma liberté efclave à leurs vaines promeffes.
Pourtant jamais mon œil n'efclaira leurs riche ffes^
Mon ame ne beut oncq^ la mer de leurs honneurs,
J'ay porté du village à la court mes honneurs :
Je voulus ejire en court plus amy qiiacojlable
Et pour monjîre nouveau courtisan véritable^
Embraffer de mon Maiftre & la vie & Vennuy^
L'honneur & le fecret & les maux plus que luy^
N'avoir jamais de luy or^ vejîement^ ne terre ^
Jurer aux maquereaux une cruelle guerre ^
Ne Jlatter point mon Maifire & jamais ne louer,
J'eu Fefprit vif^ joieux^ plus folajlre à jouer
Que morne & renchery^ & foubi la froide lame
Je ne cachay jamais le froid venin : mon ame
Fut telle que ma vois. Un temps je prins plaifir^
Lorfque le Roy eftoit au lieu & au loijtr^
En tranchant devant luy entretenir fa table
Vhijloire^ de fentence^ & difpute notable,
Ejiant fon Efcuier, fes Pages commandei
N'ont pratiqué par moy les bordeaux & les de^.
Ne penfei pas icy que je pince
Uefprit & beau & grand de mon vertueux Prince
224 POESIES DIVERSES.
Qui defoy eft louable y acomply & parfait^
Mais de malheur vivant parmy ce Jiecle infait ^
Du Jiecle Je me plains & J^ay dedans ma tejle
Cefouvenir fafcheux^ Je vois une tempejle
De morts & d'ennemis qui portent loin en Vaer
Mes voiages guette^. Mon danger veult parler :
Mes fervices perdui^ ma JeuneJfe trompée ^
Mon fang perduy ma peau dix & fept fois coupée^
Mes Etati pojfedei & Jamais pretendui^
Un prép une maifon & trois moulins vendus^
La haine des plus Grans pour ceux qui me haijfenty
Les trahiflresy les ingrat^ que J'aime me trahijfent^
Les meurtriers^ les larrons ^ qui pour leur trahi/on
Exécuter fans bruit ^ chajfent de la maifon
Le plus fidelle chien^ luy mettent fus la rage^
Le guettent en tremblant ^ redoutent fon courage^
Tout cela fait enfemble un gros venteux nuage
Qui paffe fur ma tejle,& ne me fait dommage.
Je ris y de paffions & de mal defpouillé^
Quandy à couvert ^ J'en voi' Vautre monde mouillé.
Il y a des démons aufons de cejie nue
Par qui des fpeéîateurs J'offenferois la veuè;
C'ejl du fecret des Dieux là où V oreille & Fœil^
Sans langue y emportoient bien tout le cors au cercueil
Et là oit pencer bien ejl un crime ^ fans dire.
Je couve mon difcours^ Je n'en veux plus efcrire^
Car Je fuis de retour en mon village faint
Là oii l'ambition l'ambition ne craint^
Là où un Aéleon ne meurt quand il regarde^
Ny un Aleélrion faifant mauvaife garde.
Orloges de la court que Je vous ay hais !
Que Je vous aime^ franc & fauvage pais
Où Je jouis y ainji qu'avant la congnoijfance^
De la court y du repos ^ & mon heureufe abfence
POESIES DIVERSES. 225
Au lieu de me caufer un regret trop cuifant^
Pour congnoiflre Vamer me font le doux plaifant.
Je pefe l'un & l'autre & Je trouve ma vie
Plus belle que devant mon heur & ma folie :
Je fais mon Paradis de contempler les deuXj
Les Princes n^ont de moy mémoire^ ni moy d'eux.
VI.
[POEME DE l'inconstance.]
Qui vit jamais fauter une tour en ruine
Et la terre crever qu'une fecrette myne
Rempliffoit de poifons^ de poudres & de feu?
U artifice qui fut enfermé peu à peu
Obfcurcift tout à coup les plus fuperbes nues
Et ouvre en un inflant fes fureurs incogneuës :
Ainfi le mal caché qui celoit fes effort^
A fapper dans monfein^ précipité dehors
Par le feu viollant qui rage en ma poitrine^
Souffle d'un tel efclat qu'une poudreufe mine
Verfant les baflions efioffei ^^ raifons
Qui à mes fens géhennes fervirent de prifons.
On cache bien le cors d'une petite Jtamme^
Mais le fourneau d'Ethna rompt ^ desbrife & entame
Les mons apefantis^ & montrant fon effort
Tant plus fon fais eft grand^ fon feu eft tant plus fort.
Voila commant on voit qu^une douleur plus douce
Efl facille à cacher ^ mais un' afpre fe pouffe
Hors du fein par fangloti & puis V aigre tourment
Parle maugré fon ame & rompt l'empefchement.
Où puis je plus loger tant de fanglantes peines,
m. 15
226 POESIES DIVERSES.
Si les ouvrant au vent comme les noires veines^
Je n'allège ma fiebvre & cherche en mes propos
Quelque foulagement ou caufe de repos?
En monjufte courroux^ il fault que je commence
Un combat rigoreux contre cefte Inconftance^
Infernallé Furie & qui n^eft pas des trois
Qui tormentent là bas les trangrejfeurs des loix
Dufevere Pluton^ c^eft une quatriefme
Plus noire ^ plus cruelle & plus fiere & plus bief me
Que les autres enfemble, miferable Amour ^
Quant ^ enfant aveuglé^ tu entrepris un jour
De deffendre aux Enfers & pour ta prifonniere
Butiner un tel monftre ! ah ! Venus meurtrière^
Quel malheur te poujfoit^ quant aveugle tu fis
Defrober Vlnconftance aux Enfers par ton fils!
Dejpuù ce trifte jour^ la troupe malheureufe
Quifuivit tes brandons ne fit bru fier joieufe
Au temple Paphien fur tes fanglans auteli
Nul encens parfumeur des grands Dieux immorteli.
Defpuis que VInconfianee empoifonna lesjleches
Du carquois de V Amour ^ depuis qu'avec Us brèches^
Les plaies & les coups qu'il fait enfe riant ^
La gangrenne s^y met^ depuis qu'en effuiant
Uefcarre corrompu^ VInconfianee inhumaine
Met le feu en la plaie & nous ixiomenne^
Quant nous penfons quitter le lit pour nous guérir ^
Hors du lit nous "allons à lafoffe mourir.
L'Amour rie fi tel que lors que f on amitié faintê
Brufloit le Siècle d^or^ car là fans efire teinte
D'achonite caché le premier gouji d'aimer^
On ofroit la douceur ^ on promettait l'amer^
Sans veflir Varcenit d'une blancheur fucree.
Lors les amans heureux en leur aife efperee
Pourfuivoient leurs plaifirs^ ou voians leur malheur^
POESIES DIVERSES. 22J
Forcei ili s' efforçaient de commander leur cueur.
Mais les efpoirs trompei^ les divers changemens
Des efpriti féminins & leurs prompti mouvemens
Ont changé de F Amour Veffeél & la puiffance^
Si qu'aimer aujourduy c^efl eftre en Inconfiance.
Di^ moy^ Mufe^ qui fit deffendre des haulti lieux
L'Amour porté legier d'un vol audacieux^
Alors qu'il entreprint & félon l'entreprife
Il a des bas Enfers VInconftance conquife?
VouSj diéles moy commant^ à mon gauche malheur j
Il fut vaincu après qu'il eut eflé vaincueur?
Nymphes qui habitei les umbres inconfiantes
Des fecrettes forefiip les Jleurettes tremblantes^
Les ruiffeleti courons ^ les tertres efventei^
Je fuis vofire à jamais^ voilages Saintetei^
Si vofire oeil inconfiant ^ folafire favorife
L'heureux enfentement de ma folle entreprife!
Un jour comme Venus en fon palais luifant
Mefprifoit foubi fes piedi Mercure devifant
Et-Jiere de fe voir la tefie raiojmee
Du Souleil amoureux de perles couronnée y
Trifonjioit fes cheveux de cent mille couleurs
Et les paroit encor' d'un milion de Sieurs ^
Fleurs que les amoureux offraient en facrifice
En Cipre ou en Paphos^ en Chioj en Erice,
Les pouffaient jufqii en l'air des vens de leurs Jbupirs
Et enpruntoient de là les aefles des Zephirs :
' La beauté en parait fa beauté immortelle ^
Contemplait en riant la peine plus cruelle
Et les dons des amans, laiffant négligemment
Sur le dextre genou repofer l'ornement
De fon troifieme ciel^ ainfi qu'à l'impourveuë^
Se prefente folafire à fa joieufe veuë
L'Amour qui retournant de bleffer amoureux
228 POESIES DIVERSES.
Mille cueurs abatus s'en revenoit joieux
Et d*une hère gaie en faluant fa mère (fie)
Mille mots enfentins jafoit pour lui complaire^
La chatouilloit aux Jlancs^ mordoit^ faifant le fol^
De Je s bras potelei il tortilloit fon colj
Vapeloit fa maitreffe & embraffant fa cviffe
Faifoit un peu le froid^ prefentoit fon fervice^
Soupiroit fe moquant^ die petis poins fermei
Frottoit fes yeux ainji que de pleurs confommei^
Sanglot toit fe plaignant & je ne faurois dire
Comme il contrefefoit proprement un martire^
Dont la mère affolée^ ainji qu'elle fouloit^
Uembraffoit Veflraignant & le rechatouilloit.
Elle baife ardemment fon oeil^ fon front ^ fa bouche
Et pence dévorer l'endroit où elle touche^
Prend au pli des jarret^fon enfant à fon col :
f D'oà viens tu^ mon mignon^ d'où viens tu, petit fol^
Voie\ ce mauvais fili qui à bleffer fe joué ! t
Et le fait cliqueter & fa cuiffe & fa joue :
f C*ejî le mignon des Dieux fur les Dieux triomphant^ •
L'appelant le mauvais^ de fa mère l'enfant.
Bégayant fes douceurs fon fi Ij elP idolâtre ^
Le met à cafourchon fur fa cuiffe d'albajhe
Oit à bons fretillans elle cheriji celuy
Qui fit de fes beaux yeux découler tant d'ennuy^
Lorfqu'elle forcenoit pour Mars ou pour Anchife
D'une aimable fureur tout aufjH tojî defprife.
Un defir fans raifon incité de grandeur,
De nouvelle beauté & de nouvelle ardeur
Enflamma fes beaux yeux & d'amour maternelle
Dans ceux là defonfilj mirant fa face belle,
L'imprudente noioit fon cœur dans les foupirs
Qui doublés redoubloient le feu de fes dejirs,
A donc ferrant la main à l'enfant qui prend garde
POESIES DIVERSES. 22^
Aux fraîcheurs de fon teint & d^une main mignarde
Jouoit à fes cheveux ^ en pouffant deux fangloti
Chefi de fa paffion elle preffa ces moti :
f Monfilifoubi qui les deux tremblent pafles de crainte^
De qui la tendre main viéîorieufe eft teinte
Au fang plus pretieux des Dieux & des humains ^
Eft il temps de ploier en ton fein tes deux mains
Et nonchalant t'affoir^ deshonoré tes gloires ^
Puis que ne vaincre plus eft perdre tes viéîoiresf
Sus! que ces traiti mignards ne fe repofent plus!
Le champ vous eft acquis^ pourfuivons les vaincui
Et butinons fur eux le pris de la viéîoire:
D'un triumphe paré cachetons noftre gloire!
Mais puis tu triumpher^ aiant encore au cueur
Un fcrupule mordant^ indigne du vaincueur^
De voir dans les Enfers fe rire la cruelle
Qui abatit un jour ta mère deffoubi elle^
Vlnconftance^ qui fit^ quant ton dart tranf porté
De defpit tranfperca le Jlanc qui ia porté ^
Trois fois croiftre ma plaie & la fit eftre telle
Qu'elle m'eut mis à mort fi feuffe efté mortelle y
Elle fit V Immortelle encor' chercher la mort!
Vangej mon fili, d'un coup pour ta mère ce tort^
Et pour toy mefme auJJH : r^as tu pas veuë en terre
Aujfi cejF affetee à qui tu fais la guerre^
Seulle qui a tousjours à ton arc refiftéy
Qui poffede en defpit de toy mainte beauté ^
Changer; aux cours des Grands elle eft très mal venue ^
Mais elle eft pour Deeffe au village congneuë^
Elle y règne pour toy & les pudiques cueurs
Par cefte chafteté fur ton arc font vaincueurs.
Elle te foulle aux pied{^ veux tu que l'on t'adore
Pour Dieu y puifqu'enfouffrant?,,, » Elle voulut encore
Dire plus^ quant l'enfant à fes pleurs viollans
/
230 POESIES DIVERSES.
Refpondii d^unfoupir & fes lèvres tremblans
Lui ferroient le propos : la douleur le furmonte^
De crainte de pleurer il fe cache de honte ^
Ufuitp il fe defrobe & en planant en Pœr
Il forge le chemin par où. il doibt aller.
Le defpit viollant ef chauffa fan offence^
Il mâche entre fes dens le nom de la vengeance,
L^ alouette en yver fi vifte ne deffend^
L'autour du hault du Ciel fi vifte l'air ne fend^
Si vifte nfeft un trait comme Vaefle ploiee
De V Amour en courroux foudain fut dévalée.
Il me trouve en paffant^ & ainfi quHlpaffa
Il arrache un trait d'or & lefein m'en perfa^
Et lors qu'ainfi bleffé ceft enragé me laiffe
Il attend fon retour pour bleffer ma maitrefie.
Il en advint ainfi de vous tous qui aimei
Conftamment l'Inconftance & de glace enjlammej
Fondei de voftre foy les tours diamentines
Sur les fables mouvans des beautés feminynes^
Car V Amour vous bleffa lorfqu'il eftoit Amour
Tousjours aimant y & non tel qu'après fon retour^
Qui fit aimer y haïr^ changer & contrefaire
Les cueurs de voj beautés pour vous plaire & defplaire.
Ne fouffrei plus jamais ces volages beautei
Le gères ) fans avoir les efpritj efventei^
Appeller amitié cefte vaine fouffrance :
Qit elles ne plaident plus amour, mais Vinconftance,
En la Braconne on voit^ foreft de l'Angoumois^
Une foffe profonde où au plus chault des mois
Aufoltice éPefté jamais le foleil n'entre :
Il n'en voit point lefons qui touche prés du centre,
Ceft Vexalation des Enfers y le chemin
Par où les noirs Démons emportent leur butin,
U Amour perdit de Vaer en ceft endroit la veuëy
POESIES DIVERSES. 2^1
Menaçant & bravant arrive à Vimpourveuè
Aux hors de VAcheron où le vieil Nautonnier
Paffage ny bateau ne luy peut denier ^
Car ûfentit le feu en fa froide vieilleffe
D'un amour incongneu ; û pajfe de viteffe
Et fi tofl qi^ arrivé fut le Dieu conquérant
Au pais ennemy^ il courut quant & quant y
Perfant de l'œil, du trait la preffe efpouventee^
De lajleche meurtrit fans efire enfanglantee.
Mille brandons de feu par là voilent efpars,
Mille coups amoureux fe font de mille dars^
Si bien qu'en peu de temps tous les morts ont fentie
D^une féconde mort leur peine apefantie.
Les Efpriti condemnei reçeurent en ce jour
Pour un fécond enfer Vimpitoiable Amour,
Les trois Juges crueli changent leurs fier es rmn^s
En fangloti, en foupirs amoureux des Erynnes,
Les Efpriti plus hautains de l'Enfer ténébreux
Bruflent de Proferpine^ & Pluton amoureux
Voit fa femme au pillage & comme il pence prendre
Un croc deux fois pointu pour fon règne deffendre^
Voici tout le menu de l'Enfer mutiné
Par qui peu s'en fallut que leur Roy eftonné
Ne fut en pièces mis^ mais leur afpre courage
D' aimer f non de tuer^ fentoit la douce rage.
En ces combat^ divers l'Amour vint furieux
Oit fut mife en prifon l'Inconftance aux beaux yeux y
Quant Jupin prevoiant que noftre ame mortelle
Devait un jour fouffrir tant de tourmens par elle
U arracha de fon lieu & enchaina de fers
Ses piedi dans le profond des horribles Enfer s^
Du defpit qi/il reçeut alors que cefte folle
Le fit voiler cent fois de Vun à Vautre polie ^
N'embrafant de Vamour fon cueur, mais le changeant.
2^2 POESIES DIVERSES.
Luy qui en mille lieux forcenoit enrageant
Trouva cefte fafcheufe & lui fit en cholere
Endurer le forment deu à fon adultère.
Combien de fois la mère a troublé Aquilon,
Combien de fois a meu un orage félon
Père de ce malheur quant la mère Fortune
De tirer de prifon leur fille l'importune !
L'Amour voit cefte folle & fi toft qu'il la vit,
Effraie, du carquois une Jleche il ravit,
La blejfe, de l'Amour & elle aujfife blejfe.
n fut fait inconftant & elle fa maitreffe.
Il rompt fes forti liens & la tirant dehors,
Des Enfers obfcurcis il tira mille mort^.
Sa robe efl de changeant, de mainte Jleur vermeille
De fes cheveux fans loy le hault elle apareille.
Son teint a cent couleurs, elle a cent yeux ouvers.
Et autant de chemins qu'elle trouve divers
Autant de piedi elle a. Lors fes aefies fecrettes
Paroiffent à l'inflant que mille girouettes
Qui virent fur fon front changent d'air & de vent.
Elle mafquefaface & rechange fouvent
De plus de nouveautés que Metra l'adultère
Pour eftancher la faim d'Erifiéîhon fon père.
Elle eft jeune, agréable ir fon cors rieft pas nu.
Couvert, comme je dis, pour garder incongnu
Le charme de fes ans que la forciere fine
Couvre de mefme fart que la magique Alcyne.
De l'Enfer ténébreux noflre couple amoureux
Vindrent en la for efl, au for tir de leur creux.
Où eftendui fur l'herbe ili eurent jouiffance
Du fruit de leurs amours avecq' la congnoiffance.
L'Inconftance amoureufe & V Amour inconftant
Alloient de beaux prefens Vun de Vautre empruntant :
L'Amour de VInconftance aima les girouettes
POESIES DIVERSES. 2}}
Et FIncànftance aima de V Amour les fagettes.
Elle prit fon carquois & le mit enjbn col
Et faifoit mille coups desjieches de ce fol.
Venus fut en courroux au lieu d'eflre vangee;
Uyre £ Amour efloit en une amour changée.
Elle vit du hault Ciel ma maitreffe paffant
Et VInconftance après qui la va pourchajant.
Son courroux s^aluma^ & lors efprife d^yre
La mère de V Amour de V Amour fe retire.
Mais Aquilon voilant fur V Océan léger
Courut fidette 6* prompt & joieux meffager.
ha Fortune il trouva qui en la mer troublée
Sur deux camps combatans prejidoit aveuglée.
Il ji^eut pas fi tofl dit que l'amour enivré
De Pinconftant Amour leur avoit délivré
Leur fille de prifon^ (r qitelle feroit mère
D'Amour qui prifonnier eft de fa prifonniere :
Fortune quiûe là ces pauvres enragei
La plufpart mortj^ bruflej^ bleffei & fubmerge^.
Elu trouva au bois V agréable jeuneffe.
Là nefuft efpargné le ris^ ne la carejfe^
Et de ces inconflans les inconftans amours
Tout bruflei de plaifir durèrent peu de jours.
Fortune fe changeant plus tofl que la parolle
Aux mignons de la court favorable renvolle;
Le Vent sr enfuit ailleurs & V Amour inconftant
Ses petits moulinetj fait virer en trottant.
Ulnconftance poffede & le fer & les Jlammes
Dont au lieu de blejfer^ elle meurtrift les âmes.
Ainfi r Amour r^efl plus conduit par la beauté
Depuis que Vlnconftance a fon carquois porté
Et depuis que Venus & agréable & belle
A quitté les amours ^ mais Fortune rebelle
Commande Vlnconftance & commande V Amour.
234 POESIES DIVERSES.
Mais fi le bien & mal Je changent en un jour ^
Las! pourquoy mon forment a il tant de durée?
C^eft que je fus blejfé de la Jleche dorée
Avant que F Amour fuft léger & inconftant.
Si V Amour euft voulu faire fentir autant
A ma beauté légère ou bien que VInconftance
Euft fur moy malheureux^ non V Amour ^prins pmffance!
O divine Inconftance^ aie pitié de moy !
Guéris en me blejfant ma plaie & mon efmoy^
Pardonne le defpit de mon ame preffee^
Pardonne luy les maulx qu'au premier offencee
Elle a vomy fur toy^ frénétique en courroux.
Change fa volunté^ ton nom luy fera doux
Et comme j'ay tourné le mefdire en louange y
Fay^ qiiun cueur amoureux à n'aimer plus fe change.
Je te feray rouller un autel d'un balon^
JHmmoleray deffus des feuilles qu^Aquilon^
Ton pere^ nous fait choir au pluvieux automne;
Je t^offriray de Vaer £une cloche quifonne
Et le coq qui viroit fur le hault du clocher
Denfant de cent façons ; je courray te chercher
De l'eau & du favon & feray à merveilles
D^ une paille fendue envoler des bouteilles;
J'offriray du dubet^ plumes^ Jleurs & chardons
Et de l'eau de la mer 6* des petis glaçons ^
Un caméléon vif^ & au lieu de paroUes^
Je diray fans propos cent mille phariboles^
Et bruflant tout cela à ton nom immortel^
Je bruffleray encor* tr le temple & Vautel.
POESIES DIVERSES. 235
VII.
[constance — INCONSTANCE.]
Je veidx prendre aux cheveux la Fortune & le Sort
En opofant ma rage à leur droit ^ à leur tort^
Pour ce qi^ aveuglement (y plus toft de malice
III veullent la vertu ouir avec le vice^
Au mauvais & au bon ilj font uniquement
Sentir la recompence & fouffrir le tourment ^
Confondent le Midy en V Aquilon qui tremble^
.Font un chaos de l'eau & des Jlammes enfemble^
Veulent enfemble amour & la haine loger ^
Les venti parmi les rochs^ le ferme & le léger.
Gommant pourra V amour naiflre d'antipatye?
Si fait y dira quelqitun : tout principe de vie
Vient de deux qualité^ & d'acords difcordanSy
Car deuxfroidi & deuxfecj^ deux moites^ deux ardens
Sont fterûles de foi f mais V ardeur arrofee^
La douce humidité^ la chaleur compofee
Portent fruit & auffi, les âmes y les efprit\
De lafage Nature ont cefte règle apris.
Couplés deux ygnorans^ deux braves ^ deux coller es ^
Deux coquins j il^ feront femblables & contraires
Et ne fortira d'eux que fotije^ qjtorgueûy
Querelles y pauvretei : puis vous verrei à l'etil
Au corps que le default^ folution^ ouverture
Cachent les excremens & le trop de nature
L'excrément y le default; l'un à part ne peut riem.
Monfieur le Philojbphe^ helas! vous dites bien :
Pour moy qui v^ay jamais apris philoiophie
236 POESIES DIVERSES.
Autre que naturelle & celle qui convie
Uunion & Vacord de ma maitrejfe & moy^
Taymois une parjure & j'avois de la foy^
Teftois humble & craintifs elle plaine d'audace^
J' enrageais^ je hruflois^ elle devenait glace ^
J'aymoû la fermeté, elle le changement
Hors mis à me haïr qu'elle fit conflemment.
Pourtant noftre union Jamais ne fe peut faire
Quoy que nous fuJjHons bien l'un à F autre contraire,
J'aprins à difputer^ & je fuis bien d'accord
Que deux braves^ deux foti ne feront que difcord.
L'amour qui eft vertu nefe fait de deux vices ^
Car les feulles vertus des vertus font nourrices^
Mais faites union du doâle gratieux^
Paifible (r opulent y lors il proviendra d'eux
Sçavoir^ honnefteté^ patience & richejfe.
Bien heureux quife voit uni à fa maitrejfe
D'âme & de naturel! Celluy là eft heureux ^
Car il eft jouiffant & non plus amoureux ^
Sans regretyfans foupçon^ il n'a f oing ny pratique.
Encor' ce qui me fait trouver V amour inique y
C^eft que le plus fouvent nous voions bien contens
Sans perdre leurs labeurs^ leurs peines & leur tenu
Quelque homme fans honneur qui en fa bonne mine
Met lajlamme d^ amour (r non en la poitrine.
Un Prélat y un Abé, quelque bonnet cornu ^
Et Vapoftat fera plus toft le bien venu
Qu'il n'aura fouhait té y avec<f la congnoijfance
Aiant le cueur^ la main^ Vœil & la joijfance.
Ah! bien heureux Philon, ah! malheureux auffi!
Heureux d'avoir trouvé un amour fans foucy ^
Malheureux pour avoir coupable confcience
Que l'on pence de toy bien mieux que tu ne pence!
Ha! Philon tout enfemble heureux & malheureux
POESIES DIVERSES. 237
Qui ne puis bien vouloir ce que me/me tu veux!
Ha ! Philon bien heureux & malheureux enfemble
De qui Vamour^ Vardeur & Vefperance tremble ^
Heureux par la fortune & qui es en danger
D'avoir acquis fans caufe & fans caufe changer !
Tu aymes inconflant la confiance du monde^
Et ferme fefquairois fur une boule ronde
Une tour de ma foy^ mais quel malheur pourquoy
Toy qui es inconflant ne fers tu comme moy
Une humeur qui te femble & que pourrions nous faire ^
Efians & toy & moy l'un à Vautre contraire j
Contraires en rencontre (rfemblables d'un point ^
Que pas un de nous deux fon propre r^avoit point?
Je vis en mefme temps deux diffemblables vies
A deux rares beautei toutes deux affervies :
Toy qui as en Vefprit un vent de changemens^
Un orage de Jloti & de prompt^ mouvemensj
Tu fuivois aveuglé d'une gauche aventure
Une autre volunté & une autre nature.
Ta maitrejfe eut le fein remply de fermeté :
En elle la confiance^ en elle la beauté
Difputoient à Venvy & debatoient laquelle
Des deux perfeélions Jloriroit la plus belle ^
Moy qui ne fis jamais autre profejfion
Que brufler fans changer de mefme pafiion)
APendurcir aux malheurs^ obfiiner mon courage
Encontre les rigeurs^ comme contre Vorage
Un grand roch endurcy fait targe de fon dos
Et fend en fe mxyquant les rencontres des Jlot^.
Je fui afubjeély d'une inique fentence
De V Amour courroucé àfervir V Inconfiance
Que j' ay fervy feiie ans y & fervy tellement
Que Je fers F Inconfiance & la fers confiemment.
Ha ! beauté mal logée j ha ! trompereffe face^
238 POESIES DIVERSES.
Manque perfeéliony gratieufe & fans grâce ^
Indigne d'un teljerfy indigne d' amitié ^
Eftant trop pitoiable ou ejiantfans pitié ^
Trop pitoiable à tous & à moy feul rebelle^
Ayfee à ton malheur & à ton heur cruelle^
N'eft-^e pas un malheur de mettre à bon marché
L'or qui doibt eftre cher plus il eft recherché?
N'ejh-ce pas un bonheur de garder fa promeffe
A un feul & d'un feul vouloir eftre maitreffe ?
Aymer par la vertu efl^e pas un bonheur?
Aymer fans cognoiffance eft'ce pas un malheur?
Je v^ayme point une ame & parjure & cruelle
Et la dame auffi folle & volage que belle.
Or inconftante^ adieu! Adieuj folle beauté^
Je n'aff'erviray plus ma franche loiauté
Qj£à la loiauté mefme & jamais ce courage
Qui voilage v^eft point rû aimera le volage !
Va^ Philon^ fans cerveau^ léger & inconflant
Chercher cefte inconftante & je recherche autant
De revenches en moy que je laiffe au contraire
A la légèreté une chofe légère :
Et fi en gemiffant^ vefve de fon pareil^
ha tourterelle feulle a fait rouer fon au
Sur les autres oifeauXj ne trouvant agréable
Pour leurs panaches fiers autre que fon femblabhj
Regarde çà & là Olimpe & fes JlambeauXj
En courant l'Univers fois juge de nos maux.
De leur caufe fi jufte & de la mefme envié
Qui de nos cueurs unis martirife la vie.
Tu as perdu celuy qui de Vor defafoy
S'em%lliJfoit au feu. Tu puis trouver en moy
La fermeté y aiiffl l'amour loyale & bonne
Qui feulle tant de maux & de rage me donne.
Tu l'aimois conftemmentj j'avois aimé ainfi
POESIES DIVERSES. 239
Une inconfiante humeur^ mais qui euft peu auffi
D'un amour monflrueux tirer un fruit & faire
Germer deux natureli l'un à Vautre contraire.
Olimpej ton parfait faimoit bien conftemment^
Mais la mefme vertu te fit pareillement
Digne d'eftre chérie ^ efi'^e doncques merveille
De rendre à V amitié une amitié pareille ?
Il baftit fur ton roch une immobile tour^
Il t'aima^ tu efiois caufe de fon amour.
Mais fi fay prins à gré une dame fans grace^
Si mon ardeur brufloit les neiges (r la glace^
Si fembrajfois confiant les vens impétueux^
Si fay couru fans choir au chemin pierreux ^
Si fay feu efcouler avec la doéle rame
Un navire fans loy^ fans raifon^ une dame^
Par les Scirthes mouvans (r Scilles fans pitié ^
Quel fera le pouvoir d'une double amitié ^
Quant de deux cueurs unis la liaifon non feinte
Florira fans fecher inviolable ir f ointe?
Bienheureux Alidor^ fi Olimpe te veult
Faire goufier combien un amour ferme peult !
Alidor tefervantj Olimpe bien heureufe^
Efiant de fa confiance & fon heur amoureufe !
Va! Aurore volage ^ en ef change de moy
Acoller ton Philon aujfi léger que toy^
Va ! Philon inconfiant acoller ton Aurore y
Car fi tu es léger ^ elle Vefi plus encore!
Alidor malheureux fi l'Aurore au poil d'or
Eufi tous jours tourmenté ainfifon Alidor!
Olimpe^ je voiois maïheureufe ta vie
Si l' inconfiant Philon t^eufi encores fervie»
Laiffons ces malheureux & leurs defloiautei
Meller du fiel parmy leurs plaifirs tormentei»
Unifions nous^ Olimpe ^ afin que je t'honore
240 POESIES DIV£RS£S.
Plus que tant de coulleurs biiarres de VAurore^
Ferme comme le mont dont lefommet heureux
Se moque de lafouldre & voifine les deux.
Cependant V amitié des inconftants fe change
Selon les vens légers de leur humeur eflrange.
L'amour uni^ bien né & de toy & de moy
Ne branle^ ne fe meut non plus que noftrefoy,
Phiîoiophes trompeurs^ fopofe ma pratique
A voftre vain /avoir y à voflre teorique,
Choyfira qui voudra les accords difcordanSy
J'aime mieux Vunijfon des accors acordans :
Que tous jour s du premier mon ennemy jouiffe^
Du fécond ma maitreffe & mcy enfembV unijfe;
Lorfque je brufleray^ brufP Olimpe de moi
Ardent' à mon ardeur & fidèle à mafoy!
VIII.
[la SORCIERE.]
Des umbres de voi creus Ciclopes barbouillei^
Vous^ Geans enfumei^ de craffe tous rouillei^
Trouffei ^H ^^^^ nerveux ^ acordeifur l'enclume
Trois marteaux eunymei & vos coups en ma plume.
Forgeons un fer pointu^ deux crocheti de travers ^
Tel qiien porte un Plutonpour [Jon\ feptre aux Enfers ^
Prefque pareil au fouldre & le faifons de mefme
Celuy qu'Uliffe mit dans Vœil de Polipheme,
Faifons piffer deffus les filles de la Nuit,
Enbavé de ferpens pour trempe il foi t reluit.
Puis trempé par fept fois en Ponde Stigienne.
Voile de tous cofiés, à ce fpeéiacle vienne
POESIES DIVERSES. 241
Un rond noir de corbeaux^ il y aura pour eux
A manger à crever dans ceft horrible creux.
La pefte eft trop infeâle & ^enjie par trop groffe :
Que du bout de ce fer je crevé cefte boffe!
Fuieiy a/TziV^ ou bien d'un encens alumé
Vopiat prefervant voflre nei foit armé^
Pour T^eftrefufoquei d'une pefte fi forte,
J'ay pour prefervatif l'amour que je luy porte.
Le fer n^eft que trop chault: fus^ amis y qv^en deux mot\
Je voie def armer les Alpes de fon dos^
UAverne d'arfenic & la roche où l'Envie
Abecha de ferpens fes rages & fa vie!
Compagnon qui jadis ^ malheureux en amours ^
Fus trompé de ce dos defguifé de velours ^
Charmé comme Roger en la prifon d'Alcyne
Ne vit ce que cachoit le mafque de fa myne^
Prens ce fer à deux mains & pouffons bien avant
Et nous verrons fortir tous les diables au vent,
Pouffe\forty repouffei^ laforciere eft charmée ^
Non eft (fie). Ne vois^tupas que c'efl qu'elle eft armée?
Ho! ho! cuirace à part^ vous aimei les combati!
Monflre boffuy pourquoy i^armei vous donc le bas?
Putain dés le berceau^ dés fai\e ans maquerelle^
Ce i^eft pas pour cela^ mais elle avoit querelle.
Pouffons à cefte fois & chacun face unfault
A quartier^ comme quant on affomme un crapault.
Pouffons y gare y fuiei^ la plaie eft entamée!
Quel bruit y quelfiffiement^ quelle efpaife fumee^
Que de cris y que d'horreurs^ que de biiarres feux
Bleus (t vers vont vollans desja jufques aux deux!
Voila un air efpais qui s'enfuit ^ c^eft la rage
Qui s'exalle, iamaffe & fe fait un nuage.
Ois tu que de ferpens ^ que de moufches font bruit?
Vois^tu bien du midi faire une obfcure nuit?
III. 16
242 POESIES DIVERSES.
Voila deux cens Démons ^ efpriti ne^ à mal faire ^
Qui fort en t arrangei^ conduiti par un Cerbère,
De cent crapaux enfiei elle purge l'orgueil^
En mille vipereaux^ les plaifirs de fon œil^
En monflres contrefait^ elle purge fon vice^
En tortillons d'afpiti qui f fient fa malice.
Voicy fa villennie & par deux autres trous
La chenille^ les verSj la punaife & les pous! ^
Que de monflres cornui qui enfoncent leurs tefles
Entre les paierons ! Que de petites befles^
Mandragores^ tatous^ baiûics odieux^
Coquatres incongneui qui font mourir des yeux!
Je v^y congnois plus rien : voila des créatures
Que Je ne vis Jamais vives ne en peintures.
Je congnois bien encor* de Varfenic tout blanc ^
Du fûblimé pareil^ du riagua^ du fang
D'un taureau efchauffé. dangereufe pefle !
Donne moy ce crochet que j'arrache le refte !
Mais quoy! ellefe meurt iy la penfant guérir y
Nous lui oflons la vie & V avons fait mourir!
Elle efl morte y c'eft fait^ que de mon ennemie
Nous facions à ce coup la vraie anatomie^
Pour congnoiftre commantj fans lui avoir fait tort^
Aux caufes de la vie elle a fenty la mort.
Voions foigneufement fi fes nobles parties
Des pointes du crochet ont eflé départies.
Cherchons oà efl le foie. . . en autre endroit, , , point ^ point ^
Vous luy cherchei du noble ^ elle rCen avoit point.
Au moins où efl fon cueur? mais quant la main f y pajfe
Je ne rencontre rien que du fiel en fa place.
Ouvrons luy le cerveau : voicy d'autres poifons.
H fouffre cacochifme & efl plain de poifons.
Ses rognons font brufiej^ elP efl un peu lepreufe
Et fon fang monflre bien qi^ elle fut chaleur eufe.
POESIES DIVERSES. 243
Ouvrei luy la matrice : O! elle avoit dedans
Deux germes commancei de deux pauvres enfans!
Je voy de Veflommac défendre de Veau bleue
Que c'efl? Timelea & du jus de la rue.
Mes amis y je m'enfuis^ car je meurs Jans mourir.
Laijfons ce cors aux champs des orages pourrir^
Il troublera tout Vaer d'odeur & de defordre.
Les chiens tournent autour & ne peuvent y mordre ^
Ceux qui mordent un coup £en courent enrage\ :
En Vaer un noir amas de corbeaux arrangei
Croaffent tout autour^ mais nul d'eux ne fe baijfe.
Je fuis puifque tout fuit (t enfin je le laiffe.
CHANSON.
Adieu^ douces beautei^ fi doues à charmer :
Puifque je dis adieu^ oyei mes trifies plaintes;
Ce r^eft plus en mourant que les larmes font faintes^
La mort me femble douc^ & V adieu m'efl amer.
AdieUp beaux yeux divins ^ autheurs du trifte fort
Qui faiél naiftre des pleurs pour eftaindre ma fiame :
Tes pleurs ingrats s'en vont^ mais ce feu dans mon ame
Rend Vadieu plus am£r & plus douce la mort.
Adieu y bouche vermeille^ où vienent fe former
Tant de douces liqueurs (r la douce harmonie
De mes trifies accors. la mortelV ennemie
Qui me rend la mort doue' & V adieu tant amer.
Adieup mains ^ qui liei d'un infenfible effort
Les mains y les yeux^ le cœur^ le parler tr la vie
Tenant ma liberté foubi des loix ajfervie^
Qui rend amer Vadieu. mais bien douce la mort.
244 POESIES DIVERSES.
Adieu^ celefle voix^ puiffante â^ animer
Les rocs plus enduras & la plus dure efcorce;
Pourquoy ce doux accent^ mais trop cruel s^ejffbrce
De rendre la mort doue' & Vadieu tant amer?
Adieu ^fein tout d'albaflr^ où fajfeurois mon port :
Si je fais la defcente & faille que je meure ^
Metteifoubi un teton mon cœur (r dés cett* heure
Combien qiiamer Vadieu^ douce fera la mort!
HUITAIN.
POUR UNE COURSE DE BAGUE
SANS HABIS NOUVEAUX ET SANS MASQUES.
Nous nefommes vainquus & ne le voulons etre^
Nous n^efclavons aucuns (r n^ avons point de maitre^
Les plaijirs de noi yeux nous donnent les couleurs^
Nour f^ avons ^ ne voulons défaveurs ^ ny faveurs,
Noi niaitres & noi Roys^fans Roy & fans maitreffe^
Nous voulons éprouver votre heur par notre adreffe^
Noninfolens du bien^ non trifles du malheur^
Aujfi peu deguifei de Vhabit que du cueur.
POHSIIiS DIVERSES.
245
[VERS BRISÉS.]
Soit maftire en aimant
Qui efl friant de pleur
U amour fait naiflre au cueur
Le comble de torment
Teftime plus que Ver
La douce liberté
Je r^ay en ^olunté
Un plus riche trefor
qui vouldra prof peter *
neferve pas les Dames .
tout le repos des âmes
efl de ne point aimer,
la crainte & lefervice
Je fuis comme poifon.
qiiune douce prifon
m' efl un cruel fuplice !
I. Ces vers peuvent fe lire de deux façons : deux huitains
de vers de 6 pieds on un huitain de vers de 12. Les premiers
hémiftiches détachés des féconds, & les féconds des premiers
forment un fens complet : le poëte y déplore le malheur
des amants. Les hémiftiches réunis préfentent un fens con-
traire & célèbrent le bonheur des amants.
SONNETS*.
I.
Veulx tu /avoir qui peut faire la vie heureufe^
Folaftré (fAubigné^ ce font ces pointi icy :
Des biens non pas acquis j mais trouvei fans foucy^
Bonne chère ^ beau feuy la terre fruélueufe^
Point de procès^ de noife^ avoir Pâme joieufe^
Le cors difpos qui r^eft trop maigre ou trop farcy,
N'eftre point cauteleux^ ny point niais auffi.
Avoir pareili amis y table delicieufe^
Sans crainte y fans foupçon^ en fa bource un efcu,
Belle femme gaillarde & t^eflre pas cocu^
Un dormir fans ronjier^ un repos fans fe feindre
Qui face la nuit courte (r contente les yeux^
Eflre ce que tu veux^ i^affeéler rien de mieux ^
Ne defirer la mort^ la fuir fans la craindre.
1. On trouvera au tome IV une férié de fonnets fati-
riques.
SOKNETS. 247
IL
Je fuis celle qui veult^ je veulx celle qui nye :
U Amour dejtre vaincre & lion fe contenter^
Je mefprife le bien qi^on me vient prefenter^
Mais fayme encores moins celuy qu'on me defnye.
Je hay la trop laffive ou trop craintive amye^
Je ne veulx ny faouler ma . • • > ^ ny tormenter.
Je crains me Diane impqffible à dompter^
J^ay honte de Venus toute nuë endormye^
Car Fune trop vefluê a de plaifirs trop peu^
U autre dormant à nud vous offre trop beau Jeu,
Je veux donc(f que ma mye à regret abandonne
Son amour cher vendu & donné chèrement ^
Qui ait honte d'aimer^ qui refuje en aimant
Et qui jûoje nommer cela qiielle m^ donne,
III.
Je vous veux eflrener d'un rameau
Dont la Jourcey la fin^ la mort & la naiffance
Umbrent du clair Ladon : c'eft en recongnoijfance
Du lierre tortu qui ceint voflre chapeau.
J'en adore ceulx là qui fur le vert coupeau
Du Phabee Hellicon incitent à la danfe
La troupe des neuf Seurs^ je n'ay en ma puiffance
Prefent plus cher^ plus grand, plus riche ne plus beau.
Je veulx enrichir d'eau le chevelu Neptune^
Le Soleil de clarté^ d'humidité la Lune^
Le Printemps de couleurs ^ & mon outrecuidance
Veult encor^ enfoncer d'autres fruit\ parmy ceux
Que Von voit regorger du cornet d'abondance^
Ou fournir defangloti un amant angoiffeux.
248 POESIES DIVERSES.
IV.
A Phonnew de celuy dont la vie efloujfee
Fut à la rauche voix d^un enroué vineux.
Quiconque pouffera £un ton armonieux
Quelque fainte chanfon doucement efloffee^
Quiconque chantera^ imitateur d'Orphée,
Ou de guerre ou d'amours les regreti foucieuXy
Ou qui exaltera Varchiteéle des Cieux
Par les tons quHnventa Phebus le Coriphee,
Qui vouldra marier du luth voulté les fons
Et la corde fidelle aux odes & chanfons
Sera de mes efpris loue par l'Univers,
Que voftre luth foit doncf de mes vers la louange
Et mes vers chanteront voftre luth par efchange.
Les vers Jont pour le luth & le lutÏÏpour les vers,
V.
L'Amour armé d^attraits tr de traits iy de feux,
Paré de fes douceurs^ de Jleiches & de fiâmes,
Aélive^ brufle & pert le cœur, les yeux, les âmes
Par le nuifant poifon de fes ris, de fes Jeux:
L^ Amour ne craint la mer, la terre, ny les Cieux;
L#r Cieux, la terre & Ponde efprife pour fes charmes
N^a pour luy reftfter d^affe{ puiffantes armes,
Et ces armes ne font (ce dis^je) que tes yeux.
A ta mort finira de mes amours la vie.
Car la fiere Clotho nous donne un pareil cours.
Et rien de moy ne peut furvivre tes beaux jours
Que lefoufpir de l'ame en la mort non ravie.
SOKNKTS. 249
VL
U Amour voudrait à fan plaiftr
Ces chevaliers dont les penfees
Du gré de leur aflre preffees
H'ont defir qiiefire fans defir^
N'ont autre choix que ne choifir
Et fans entreprifes dreffees
Sentent qi^ Amour leur a dreffees
Ces peines par trop de loifir^
Celuy defguife fa parure
Qui efl defguife de nature;
Qui d'un mafque veut tromper l'oeil
Peut aujffl mafquerfon courage.
Heureux qui comme le vifage
Peut monftrer le cueur aufoleil!
VII.
Quoyl mon dernier foufpir finira mon forment,
J'eftaindray ma douleur en eflaignant ma vie;
Ma joye & mon aimée en mefme temps ravie
Fera que mon trefpas foit mon contentement.
Je meurs pour ton abfence & meurs heureufement :
Ainfi je ne fuis plus efclave de V envie ^
Je fens mon ame libre & non plus affervie
Trouver en la mort mefme un doux foulagement*
Non y pluftofl que je vive avec \rnd\ bien aimée!
Mais il faut que je meure afin d'eflre eflimee,
DoTuf que ma mort ne foit q\£un foudain changement ^
Je feray par ma mort tr par ma vie heureufe
Mon corps conjoint aufien en la mort tenebreufe.
Mon ame avec lafienne unie au firmament.
250 POESIES DIVERSES.
VIII.
Fault^il helas que J'ayme & ne joys point aimé !
Fault-il qweflant de feu tufoys toute de glace !
Fault^il que mon malheur je pour juive à la trace!
Fault^il que d'un tel feu mon cœur f oit allumé!
Heureux quand je me vis tellement enjlammé^
Plus heureux mes efprits efpris de telle grâce ^
Heureux d'eftre amoureux d'une Ji belle face^
Encor heureux aimant ^ heureux (feftre eflimé.
Tout de moy bienheureux^ bleffé de belle Siame,
Flame qui me brujlant ne confume mon ame,
Ame^ efprity cœur heureux fervans de fi. beaux yeux,
Mais fi le faux deftain ne veut que je pojfede
Le comble de moniteur, j^ay la mort feur remède
Par eflaindre mon mal, mes defirs & mes veux,
IX.
Quelquefois j'ay porté dans le Jlanc
Le coup d^un trait doré de l'amoureufe trouffe,
J^ay rendu les abois comme la befte rouffe
Qui tache les buiffbns des marques de fon fang.
De mes plus favoris j'ay veu au mefme rang
Qui ont fenty fon arc & fa rude fecoujfe.
Mais je n^en ay point veu qui comme toy repouffe
Le plaifir pour le pleur, & pour le noir le blanc.
Te voiant tout perclus des forces de ton ame,
Et brufler obftiné au milieu de la Jlamme
Dont je te veux tirer, te voiant efgairer
Au chemin que tu fais, & me voulant contraindre
De te laiffer périr, fay grand tort de te plaindre
Puifque pour ton plaifir tu te fais endurer.
SONNETS. 251
X.
Faut û vaùtcu qv^à ce coup je fuplie
Celle par qui fay eflé combatuf
Fouit il Jlefchir un genoil abatu
Au front efmeu de ma fier e ennemie?
Fault il y helas! redemander la vie.
Baifer le fer dont fay efté batuf
Fault il chercher au venin la vertu
De me guérir de cefte maladie?
Qui eft encor^ fi malheureux que moy
Qui prens contraint la force pour la loy.
Et qui ne puis le pardon requérir
Qu'à la rigeur de ma chère maitrejfe?
O coups mortelle fi je ne puis guérir
Que par les mains de celle qui me bleffe!
XL
Sufanne m'efcoutoit foufpirer pour Diane
Et troubla de fanglots ma paifible minuiél^
Mes foufpirs s'augmentoyent^ faif oient un tel bruit
Que fait parmi les pins la rude tramontane.
Mais quoy! Diane eft morte & comment, dit Sufanne.
Peut elle du tombeau plus que moy dans ton lit^
Peut bien f on oeil efteint plus que le mien qui luit?
Aimer encor les morts n'efl ce chofe profane?
Tire tu de V Enfer quelque chofe de faind?
Peut fon aflre efclairer alors qi^il ejl efteint
Et faire du repos guerre à ta fantaifie?
Ouy Sufanne. la nuit de Diane eft ung jour :
Pourquoy ne peut fa mort me donner de l'amour
Puifque morte elle peut te donner jaloufie?
252 POESIES DIVERSES.
XII.
Je te veulx mal^ Pandolfe^ & n'aye point raifon
Si fier ^ fi libéral du mal qui me tormente
Tu te baigne en mes pleurs : je n^y noyé & lamente^
Buvant à fi longs traiti mon amere poyjon.
Je hay^ ta blanche main qui tient ma gueri^on^
Je hay^ ton euil Jlambant dont la [flamme] s'augmente
En triumphant de moy qui péris languiffante
Et meurs Joufrant mourir le bien de ma raifon :
Mais plus qi^à ton bel euil & plus qi^à ta main belle
Je me veus mal à moy qui te fuis trop fidelle.
Lafchej rends moy mon ceur & pren fa fermeté
Où tigre y prefte moy de ce tygre courage ^
Qui enchefne mon ame au joug & aufervage
D'itn ingrat fans amour ^ tout plein de liberté,
XIII.
Kariclea voyoit fon efpoux Theagene
Que de fon tendre fain Von venait d' arracher ^
Et un peuple bigot obfliné à cercher
Pour elle des honneurs y & pour luy de la peine,
A quel point différent le hault deflin amené
Un couple précieux y par luy gardé fi cher^
Elle au fiege royal & luy fur le bufcher !
Luy devient une hoftie & elle devient Reynel
La belle s'efcria : Vous vous trompe^^ mortels^
Menei les deus au trofne ou les deus aux autels^
Ma moitié ne fe peut de fa moitié diftraire :
Deus cœurs fi bien unis veulent un pareil fort,
Apreftej les liriceuls du liai ou du fuaire,
Ilfault vivre en fa vie ou mourir en fa mort!
SONNETS. 253
XIV.
Pieça^ ton naturel^ ton eftude & ta race
Bien fage^ fort lettrée^ illufire noblement
De bonté j de /avoir ^ d^ajfeurance^ aifement
7^a rempli j comblé^ peint Vefprity le cueur^ la face :
Cette bonté j /avoir ^ a/feurance en ta grâce
Te fait reveremment^ grandement ^ bravement
Honorer y admirer ^ redouter me/mement
Au peuple^ aux Majeftei & à cil qui menace^
Et ainji honoré^ admiré^ redouté^
Tu vis heureux^ conneu^ partiiant affeélé
Au vilage^ aux citei^ aux cours & à la guerre,
Puiffes tUj bon /avant y affeuré à jamais
Te voir aymé^ chéri ^ craint par toute \la\ terre
Des gens de bien^ des Roy s & de tous ces mauvais!
XV.
Le plus de moy en moy tr hors de moy demeure.
Mon cueur que gémis tu? mes yeux que pleur ei vous?
Il n'y a point d'e/pace Cr de vuide entre nous^
Je vous fuis y je vous fuis ^ proche & loin en me/me heure j
Mon cueur ne gémis point , iapai/e Voeil qui pleure
De moy & de mon ame ab/enty pre/ent tous jour s.
Ce départ f ce lien ejl tant amer & doux
Que je vis en mourant pour qu'en vivant je meure :
J'ay donc^ chère dee/fe^ engagé avecq' toy
Et mon ame & mon cueur ^ les plus grans pars de moy.
Nous demeurons en/emble & ce corps /eulement
Arraché de fortune eft une fauche en fiamme^
Mais et où peult il avoir douleur^ ny fentiment^
N'aiant cueur que ton cueur j ny ame que ton ame ?
254 POESIES DIVERSES.
XVI.
Le feu tire le feu du corps qui eft ignée ^
Uaer par Vaer efchauffé va fouiller les chaleurs
Dedans un corps méfié de diverfes humeurs
Et en tire fubtil la Jlamme enprifonnee,
Uame de Vameprife^ ^fprife & enfeignee
Aprend ce qu'il efloit^ & les doubles fureurs
Des quatre pars dufang attirent les couleurs
Oil la braife eft prefante & la glace efloingnee.
Noflre ame eft feu ^ ce feu enfoy eft enfermé ^
Noftre ame eft bien amour ^ V amour n'eft alumé
Qv^en f entant endormy d'un autre amour la fiamme,
O beaux yeux par lefqueli nous recevons le jour,
O amour bien heureux qui alume\ V amour ^
Bell' ame qui donnei le feu, l'amour & l'ame !
XVII.
Veillansj aigui, fubtili regars, cerveaux, efpritj,
Tournei, vene{ voiler, voir, f avoir & comprendre
Ce qu'avei fans avoir veu, feu, ne peu aprendre,
Efpié, recherché, entrepris, non apris;
Au hardy, doéle & grand quel hier, gloire & pris
Pourrei vous fatisf ait i donner, dreffer & rendre
Que l'aer, le feu, le Ciel ouvre, brife & fait fendre.
Qui a tant & fi bien & fi hault entrepris
Au fain, fecret threfor, l'ame, Vaefle tr l'efchelle
Des Dieux, aftres & deux, haulte, heureufe, immortelle
Prétend, voile & attaint, fouille, defrobe & prend
Ce qui peut, donne & fait ayfe doux & utille,
Que l'oeil, lefens, Vefprit voit, comprend & aprend
Le hault, le long, Vobfcur, bas & brief & fa cille.
SONNETS. 255
XVIII.
Du plus fubnly du feuy de Vaêr plus agréable ,
Dufang plus pur tr net^ du corps plus pretieux^
Comme un aultre foleâ pour efclairer ces lieux ^
Tu fus faiél à nature un chef dteuvre amyable^
Tu es donq^ pur & beau^ redouté^ defirable
Du fang & de l'humeur^ du renom & des yeux
Et ton ame efpuifa tous les trefors des Cieux^
Et ton corps y le trefor de la terre habitable j
Mariage très fainél de Cybellcj du Ciel
Le neûar^ Venbrojie & lefucre & le miel :
O accomply repos d^une grâce éternelle
Qui en digne fubjeél efpuifant fes threfors^
De feu y d'aer^fangyd^humeur pure^ vive^ haulte & belle^
Créa y fi^^ mift, forma ame^ ^/p^^h ^^^^^ ^ corps,
XIX.
Prince y jamais ton cueur^ ta bouche ny ta main
N'ont ejfaié le fard ^ l'erreur ny Vinconftance :
Ils n'ont penféy promis ^ ni donné ajfeurance
De rien qui/oit changeant^ léger & incertain.
Le cueur qui v^a changé du Jour au lendemain j
La parolle qui n'a trompé une efperance^
La main & le ferment qui jamais ne balance
Sont les vertui d'un Dieu^ tr non pas <fun humain.
Puis que tu es Royal^ loyal & véritable^
Ufefouhi ^^fort doux^ bénin & favorable
EnjoyCy en bien y en heur long temps , les jours ^ les ans.
Sois conjianty feur & vray à pencer^ dire & faire :
Le cueur, la vois^ la foy, font joir, croiftre & parfaire
L'honneur y l'heur & le nom des Dieux, des Roy s, des Grans,
256 POESIES DIVERSES.
XX.
JULES CiBSAR SCALIGER
Le foir dont il mourut, diâa à fon fils Sylvius les dix vers
qui fuivent traduits en autant de vers : les quatre premiers
du fonnet ne fervent que de préface :
Egrederej è nùferis multis defunéia ridnis^
Egredere & fervis fervilia régna relinque,
Aude, hofpesj tenehris horrendi imponere flnem
Exilii^ & patriœ fperatas quœrere fedes.
Trifles exuviœ^ falfœque incommoda lucisj
Iflic nunc^ fera turba^ jace : nos^ libéra Cœli
Figttoray fperato jamjam potiemur Olympo.
Tu modo^ nate Deoj rerum pia viétima^ Jefu^
Afpice nos^ qui cunéia animas j fpes unica^ mortem
Exue morte nova^ atque nova vita indue vitam.
Quand le corps delaijfoit force & beauté naïfve^
Quand V acier de la Mort coupoit le dernier fil ^
Lors d'un efprit plus fort y plus libre ^ plus fubtil,
Ainji difoit PEfcale à fon ame fuitive :
Sors à bout d'habiter ta mafure chetive^
Mon ame y quitte auxferfs ce royaume fervile,
Eftrangere changeant ton ténébreux exil
Au pays habité desja par ta foi vive.
Adieu trifte defpouille^ adieu fauffe lumière :
Fiers y croupiffei ici : & nous^ la race chère
Du Ciely nous allons vivre au Ciel en nous mourant.
A ce coup, fils de Dieu Jefus, de tous V ho die,
Ame de tout, voi' nous; efpoir de Pefperant,
Tire un mort de la mort, donne au vif Vautre vie.
SOKNETS. 257
XXI.
EXTASE.
Ainfi V amour du Ciel ravit en ces hauts lieux
Mon ame fans la mort^ & le corps en ce monde
Va foupirant ça bas fa liberté féconde
De foupirs pourfùivans Vame jufques aux deux.
Vous courtiiei le Ciel^ foibles & trifles yeux^
Quand voftre ame n'ejl plus en cefle terre ronde :
Dévale^ corps laffé^ dans la foffe profonde^
Vole en ton paradis j efprit viéîorieux,
O la foible efperance^ inutile fouci^
Aujfi loin de raifon que du Ciel jufquHci^
Sur les ailes de foy délivre tout le refle.
Cetefte amour ^ qui as mon efprit emporté^
Je me voy dans lefein de la Divinité^
Il ne fault que mourir pour eflre tout celefte.
m. 17
258 POESIES DIVERSES.
COMPLAIKTE A SA DAME*.
Ne lifei pas ces vers^ fi mieux yous n^aimei lire
Les écrits de mon cœur^ les feux de mon martyre :
Non^ ne les lifei pas^ mais regardei aux Cieux^
Voyei comme ils ont joint leurs larmes à mes larmes ^
Oyei comme les vents pour moy lèvent les armes ^
A ce facré papier ne refufei vos yeux.
Boute-feux dont V ardeur inceffamment me tuëj
Plus rûefi ma trifie voix digne d'eftre entendue :
Amours^ venei crier de vos piteufes voixj
O amours efperdus^ caufes de ma folie ^
O enfans infenfés^ prodigués de ma vie^
Tordei vos petits bras^ mordei vos petits doigts.
Vous accufei mon feuy vous en eftes V amorce ^
Vous m'accufei ^ effort^ tr je v^ay point de force ^
Vous vous plaignei de moy^ & de vous je me plains^
Vous accufei la main^ & le cœur luy commande^
Uamowr plus grand au cœur^ & vous encor plus grande.
Commandei à l'amour^ & au cœur & aux mains.
iMon péché fut la caufe, & non pas V ent reprendre ;
Vaincu y j'ay voulu vaincre ^ &prisj'ay voulu prendre.
Telle fut la fureur de Scevole Romain :
Il mit la main au feu qui faillit à l'ouvrage j
Brave en fon defefpoir^ & plus brave en fa rage^
Brufloit bien plus fon cœur qu^il ne brufloit fa main.
Mon cœur a trop vouluj fuperbe entreprife^
Ma bouche d'un baifer à la voflre s'efl prife^
Ma main a bien ofé toucher à votre fein^
I. Cette pièce k les deux fuivantes font tirées d'un volume
intholé Le Séjour des Mufes ou la chrejine des bons vers
(iii-i«> Rouen, i6ii6)^ communiqué par M. E. Defpois, biblio-
thécaire à la Sorbonne.
POESIES DIVERSES. 259
Qjieufi il après laiffé ce grand cœur d^ entreprendre?
Ma bouche vouloit Vante à voftre bouche rendre,
Ma main f échoit mon cœur au lieu de voflrefein*
STANCES.
Ce font petits Amours y avortons de mes peines,
Emplumei de dejirs, fouflevei des haleines
Des plus mignards Zephirs,
Oifeaux d'une effence divine.
Qui ont eu pour nid ma poiélrine.
Et les autres amants les appellent foufpirs,
Volei petits Amours, mes poflillons fidelles.
Au fein de ma beauté, vollej à tire d'ailes,
Parei de vos couleurs :
Vos plumes & neufves & franches
Pour preuve de ma foy font blanches,
Et i incarnat au fan g de mes vives douleurs.
Ils avoient bien les traits de leur père au vif âge.
Comme luy peu de force, & beaucoup de courage,
Lorfqu^en ce rude effort
Pouffant dans le Ciel leur volée
La petite troupe affolée.
Avant la pafle peur fentit la froide mort.
Ils font morts les foufpirs qui bravoient la Fortune
Ucunas de leurs efprits dans le Ciel m'importune,
Leurs corps precipitej
Me font des vifions funejles.
Et Je pleure en voyant les refles
De ceux qui efcheloient le Ciel pour vos beautei.
Ah! foufpirs affajfins des enfants de mon ame,
Laiffei les repofer, allei trouver Madame,
Et luy dites le tort
â6o POESIES DIVERSES.
Qi^elle eut de tuer par Vabfence
Vojire amoureufe outrecuidance^
Et vanger mon amour au prix de voftre mort.
ODE PLEINE DE PRESOMPTION.
Quand Je voy ces monts four ciîleux
ButeSy boucliers de la tempefle.
Qui contre le Ciel orgueilleux
Dreffent les cornes de leur tefle^
Qui chef dejfus chef rehauffans
Veulent effrayer mon courage^
Et faire blefmir le vif âge
A mes fiers deffeins rugiffans :
Quand Je voy que par le péril ^
Pour ef branler mon entreprife,
Ils veulent baigner mon fourcil
Et le feu que F Amour attife^
Mon cœur enflé contre ces monts
Se fait luy mefme une montagne.
Si haut^ que comme en la campagne
Il void ces rochers dans un fonds,
Ainfi l'orgueil de la beauté
Qui me brave de l'impojjîble^
Se cuide rendre inaccejjîble
Au cœur amoureux indompté :
Mais ce cœur fe fait tout pareil.
Furieux de fa mefme rage^
Auffi beau comme fon image
Et orgueilleux de fon orgueil.
Ce brave cœur fe trouve en foy
Pour braver ce qui l'ef merveille^
Sa Jlamme à fa flamme pareille^
POESIES DIVERSES. 261
A fa légèreté fa foy :
Contre fon luftre il met au jour
L'ef clair de fa belle efperance,
Contre fa peine fa confiance^
Contre fa rigueur fon amour.
Au prix d^un bienheureux trefpas
Il efl temps que hardi je monte ^
Que le fécond plus bas furmonte
Le premier plus haut de mes pas :
Je marque du feu de mes yeux
La plus haute fuperbe roche ^
De mon deffein tous jours j^ approche
En approchant tousjours les Cieux,
Mais voicy au commencement
Le premier danger que je treuve^
De venin & de Jiffiement :
Le pied de ce mont quife crevé
Permet que ces rocs crevaffei
Montrent à mes belles penfees
Mille couleuvres amaffees
En leurs tourbillons enlaffei»
Ainji je void du premier jour
De ces monflres brulans l'envie
Quitter ma vie & mon amour ^
Sans vaincre l'amour ny la vie.
Monflres venimeux furieux^
Vous voulei donc me faire guerre!
Voftre ventre traine par terre j
Je monter ay juf que s aux deux.
Vous ferei traitres vipereaux^
Comme bnfej à mon audace^
Et vous fervirei de carreaux
A ceux là qui fuivront ma trace :
Si vous levei la tefle en haut^
Z62 POESIES DIVERSES.
* ri I ■ rr m ■ '' -
Enjlei d^une petite gloire^
Petits efchelons de viéioire^
Vous apportei ce qu^il me faut.
Une puanteur feulement
lyune charongne envenimée^
Au lieu de Vefpouvantement
Porte une fafcheufe fumée :
Mais fafy d^ Amour viélorieux^
La palme que jamais on r^ufe^
Qui vaincq la rufe par la rufe^
Et brife les nœuds par les nœuds.
Que veulent ces torrents^ ces eaux
Filles des neiges & orages^
Si la rage de leurs ruiffeaux
Ne bruit auffi fort que mes rages ?
U aveugle fureur de ces ours ?
Ces monftres veulent-ils abatre
Celuy qui a pour les combatre
Les feux & les fers des amours?
Je fens de mon front s^efcouler
Toutes mes vigueurs travaillées^
Et le feu de moy diftiler^
De moy les moelles diftilees;
Je me fonds ainft que fe fond
Uhumeur de la force chaleureufe (Cic)j
Et la moelle plus precieufe
Du plus précieux de ce mont.
Là d'un remède non commun
Se trouve la four ce divine
Des eaux d'or^ de foulphre^ d'alun
Qui naturelle médecine^
D'un pouvoir expérimenté^
Donne en vainquant la maladie^
La force au foible^ au mort la vie^
POESIES DIVERSES. ^63
Et aux foins laiffe lafanté.
Mais mon feu qui n^eft pas commun^
Eft cent fois plus chaud que le foulfrCj
Et fi aigre lie fi pas Valun
Que V aigreur qiien aimant je fouffre :
Coulei en la mer tiedes eaux^
Cachei vofire Océan fontaines^
Ce fi peine d'efieindre mes peines ^
Et c^efi mal de guérir mes maux.
Contre les chaleurs du grand Jour
Je treuve en fuivant mon voyage
Une couverture en amour ^
En la montagne quelque ombrage;
Plus haut le rocher montre au jour
Sa durté^ fa blancheur connue ^
Nulle feulle en la roche nuë^
Nulle couverture en amour.
Ces monts chauves & fans cheveux
Que je laiffe en bas en arrière y
Eurent des cœurs moins généreux
Qui ne purent franchir carrière ^
Ils eurent de fuperbes vœux^
Le Ciel effraya leur courage^
Leur brufla l'humeur & la rage^
Et les pela de leurs cheveux.
Voyei comme à force d'ennuis
Leurs branches fe chargent de mouffe
Et d'un grand mont quife courrouce
Leur donne dP éternelles nuiéls :
Comme on voit for tir du profonds
De leurs ventres creux les nuages ^
Refentent des plus hauts les rages
Comme valets des autres monts.
Je monte^je rencontre après
264 POESIES DIVERSES.
Du chaud foleU la vive face^
Qui devant moy fait fondre exprei
Les amas de neige & de glace :
Soleils d'amour j fondei aujp.
De ma beauté la froide glace ^
Qui comme neige tr comme glace
Efl blanche & froide tout ainji,
Voicy^ fi je veux fay trouvé
De mon travail la recompence^
Je trouve Vor bien e [prouvé^
Qui doit finir mon efperance :
N'eft'ce ajej de trouver d'or fin
Pour but de mes maux une mine^
Mais mon entreprife efl divine^
Et ne doit pas avoir de fin.
Pour le certain faut il mes pas
Pourfuivre une chofe incertaine?
Mais le nom de tourner en bas
Efl pis que V effet de la peine :
Tout cefl or^ mon affeélion
Efprife & non prife^ delaiffe
Si tofl qu'en fa belle richeffe
Se perd en la poffeffion:
Voicy au plus haut de ces lieux
La bute^ qui fans fe diffoudre
Ne fert que d'exercice aux Dieux
Pour apprendre à jetter le foudre;
La braverie de ce mont
A Vire des Dieux ennemie ^
Pour bouclier de fa braverie
Il ne leur montre que le front.
Les rameaux qui naijfent là haut
Ne font jamais fans la froidure^
Et n'ont de chaleur que le chaut
POESIES DIVERSES. 265
Que leur donne la roche dure :
Ils ont voulu leurs pieds cacher
Au ventre de la roche à peine ^
Mais la fureur du foudre vaine
Là dedans ne les peut cercher.
De leurs rameaux demy caffei
Des branches feiches & menues^
Comme de leurs bras enlacei
Ils accolent les tendres nuëSj
Et leurs pieds verds pour fe fauver
S^enfoncent en la roche dure^
Où la demeure efl aujji fure
Qi£elle fut pénible à caver,
Recroiffej amoureux boutons^
S'il efl quun doux vent vous foufpire^
Faites fuivre vos rejetions
La foudre aujjli qui fe retire :
Aujfi du haut Ciel la vigueur
Ne perd que les branches perdues^
Et les efperances efpanduës (lie)
Trop long du rocher de mon cœur.
Je n'ay peur qu'au haut de ce mont y
De cefluy~ci la fiere tefte
Ne foit que le pied d'un fécond ^
Et. d'une nouvelle conquefte :
Car de loin je la vis fi haut^
Mon ame ne peut incertaine^
Voir par une féconde peine
De la première le deffaut,
Ainfi l'invincible beauté^
Caufe de ma belle entreprife^
Fait qu^fl fes pieds efl furmonté
Le beau qi^ auparavant on prife :
O beaux (r valeureux efprits^
266 POESIBS DIVERSES.
•
Entreprenei de cette forte ^
Et Jamais voftre peine morte
Ne Je couronne de mefpris.
Mais pourquoy le Ciel pourfiùvy
A vouluy Je voyant pourjuivre^
Fuir plus que je n'ay Juivy^
Plus monter que je n'ay pujuivre?
Ha! combien Fejpoir m^a Jeduit!
EJpoir^ entreprije nouvelle^
O du Ciel impuijjante ejchelle^
Ou m^ave^-vous en Jin réduit?
Le Ciel de Joupçon refrongné^
Sipuijjant n'a-'t^il point de honte
Defuyr & s'eflre ejloigné^
Et monter ainjt que je monte?
Que ce travail me Jeroit doux
S'il eufl demeuré en Ja place ^
Car auparavant ma pourchajfe
Il ejloit appuyé Jwr vous.
En Jin il Jera dit de moy
Qu'aimant mieux mourir que dejcendre^
Plujîojî a manqué le dequoy
Que le cœur d'ojer entreprendre :
Mon cœur paroijl par le trejpas
Que la force & l'ejpoir ajfemble^
Si ne pouvois-je^ ce me Jemble^
Mourir plus haut^ vivre plus bas.
Si un moins brave & plus heureux
Le paijl de choje plus certaine^
Si quelqu'un contente Jes yeux
De moins de ver tu j moins de peine j
Que je mejprije Jon plaifir !
Je brujlerois où il repoje^
Car un tout^ non pas quelque choje^
POESIES DIVERSES. 267
IPeft pas la fin de mon defir.
Ceux là qui nagent à fouhait
En la paifible jouyffance
D^un fleuve de miel ou de laiél
Sans croiftre depuis leur naiffance,
CroiffanSy ne croiffent qi^à demy :
Us font en leur aife commune
Heureux valets de la Fortune,
Et j'en fuis le brave ennemy.
Ainfi jamais je rCay ployé ^
Rien que le Ciel ne me maiflrife^
Je tourne mort & foudroyé
Le vifage à mon entreprife :
Le brave mont oit je me jieds
Toute autre montagne fur monte ^
On V abhorre y je rien fay conte
Depuis que je le foule aux pieds.
Il manque au brave pourfuivant
Le fujetj & non V entreprendre ^
Au moins on dira qiien vivant
Il 7^ a fçeu que cTeft que def cendre^
Et mourant je cherche dequoy^
Le dernier qui meurt c'efl ma rage :
Si quelqu^un brave mon courage^
Qui meurt plus prej du Ciel que moy?
L'Amour du haut Ciel en courroux
Vid cette belle frenaisie :
La crainte ajfaillit le jaloux^
Et le craintif la jaloujîe :
Par terre il jet ta fe s brandons^
Il pouffe fa troupe en arrière^
Et fe repentit en colère
D'avoir irrité les chardons.
Il vid les Démons parmy l'air
268 POESIBS DIVERSES.
Qui preftoient au brave rebelle^
Pour au Ciel le faire voiler ^
Chacun une plume d'un aile :
U Amour defcend envenimé y
Trouve ce corps qi^ Amour allume
A demy reveflu de plume ^
Le cœur desjà tout emplumé.
De cent chainons de diamant
Il mit d'une fine furprife
Les pieds & les mains de l'amant
Hors Vefpoir de fon entreprife :
Mais moy^ malgré tous les efforts^
L'empoignay par fa bandoliere
Qui porte la Jleche meurtrière^
Et faifis V Amour par le corps.
C'efl force à F Amour de choijir
De me faire avec fa retraite
Voler où vole mon dejtr^
Et m' emporter où je fouhaitte :
Au Ciel qui de droit m'appartient^
Je veux qu'il m'enlève à cette heure^
Ou en terre il faut qu'il demeure
Où ma foibleffe le retient.
Alors le Ciel qui lui convient y
Sa force contre moy n'eft for te ^
Qui vid que vif & en aimant ^
Joint à l'Amour y l'Amour m' emporte ^
Le Ciel s'efcria : vois~tu pas^
Outrecuidance plus qu'humaine^
Que ton entreprife hautaine
N'efl Jifeure que ton trefpas.
J'achève ma courfe en parlant ^
Je n^ay peur q\£à laiffer ma prife^
Et je refpondis en volant :
POESIES DIVERSES. 26^
Heureufe mort^ belle entreprife^
Plus douXy plus heureux le trefpaSy
Ce font les Dieux qui me meurtrirent ^
JJame & le corps Je defunijfent
Avant que de toucher à bas.
QUATRAIN
POUR AVOIR DU BOIS
[Pour de Fargent qui étoit deu au Sieur de la Régie
par d'Aubigné] *.
Ces. vers tranjis de froid tremblent à voftre porte.
Et ne demandent pas ce qu'on vous a prefté ;
Efchangés en du bois ce prefl de telle forte
Que Vacquit entre nous en demeure arreflé.
Refponfe par le Sieur d'Aubigné au quatrain cy-deflus.
Tes agréables vers qu'on ne peult dire froids
M'adjournent^ doéle efprit, d'une telle femonce
Que je ne te dis rien pour toute ma refponfe.
Mais tu auras bien toft de V argent^ ou du bois.
Refponfe par le Sieur de la Régie au quatrain cy-deflus.
Tes vers tiffus d'un art enfeigné de Minerve
De ma Mufe tremblante ont fondu les glaçons,
Puifque dans Surimeau du gros bois on referve
Et que tu veux payer de toutes les façons,
I. Vers communiqués par M. A. Richard, archivifte de la
Vienne.
AUX CRITIQUES.
Correâîeurs^ Je veux bien apprendre
De vouSfje fubiray vos loix
Pourveu que pour me bien entendre
Vous me lifiei plus dHune fois.
POESIES RELIGIEUSES
ET VERS MESURES.
L'AUTHEUR AU LECTEUR*.
TANT trouvé les Pfeaumes qui
ont fervi de fujec à ces médita-
tions, en vers mefurés, je ne leur
ay pas refufé place en ce recueil :
meline je leur ay donné pour com-
paraifon quelques autres pièces de
meûne eftoffe. De là, fâchant que ce genre d'efcrire
eft goufté de fort peu de gens, j'ai pris occafion de
dire un mot des vers mefurés françois. Plufieurs fe
font vantés de les avoir mis au jour les premiers,
I. Nous n'avons pas cm pouvoir détacher & rejeter parmi
les œavres en profe cet avertiflement, qui eft une explication
indifpenfable des vers métriques fuivants.
2J2 LAUTHEUR AU LECTEUR.
■ . 1 ' ' '
comme Jodele , Baïf , & autres plus nouveaux : mais .
il me fouvienc d'avoir veu, il y a plus de foixante ans,
VIliade & VOdyJfee d'Homère compofees plus de
quarante ans auparavant en exametres ou héroïques,
par un nommé Mouflet, & encore puis -je dire un
commencement qui efloit en ces termes :
Chante j Deeffe^ le cœur furieux O* Vire d'AchilUs
FernicUufe^ qui fut CS^c,
Ce que Jodele en a fait & qui paroift, e(t bien
feant & bien Tonnant : ce que je ne dirai pas des
fadelTes de Baïf, & des premiers eflais de mes
amis.
MM. de la Noue & Rapin fe font mis aux champs
avec cet équipage, moi leur contredifant, n'efpe-
rant jamais qu'ils peuflent induire les François à ces
formes plus efpineufes de rigueur, que delicieufes
par leurs fleurs. Après plufieurs amiables difputes
que j'eus avec ces deux derniers, la dernière raifon
par laquelle il me fembla les avoir arreftés, fut telle :
Que nul vers mefuré ne pouvoit avoir grâce fans les
accens, non feulement d'eflevation, mais de produc-
tion; & que la langue françoife ne pouvoit foufirir ce
dernier des accens fans eftre ridicule, comme il
paroift aux prononciations des eftrangers, & fur tout
des Septentrionaux : de là, & de la quantité immenfe
des Pyrriches, rarité des Spondées, qui mefme ne fe
font pas par la multitude des confones, tout cela
LAUTHEUR AU LECTEUR. 273
ameina deux colères, la première de leur codé, & l'autre
du mien.
C'eft qu'ils dirent, que ces difficultés ne feroyent
propofees ni gouftees que par ceux qui ne les pou-
voyent vaincre, & qui pour en eftre incapables, les
rejettent. Certes ce deffi efmeut un peu ma bile,
& m'envoya de cbolere m'eflayer premièrement fur
le Pfeaume 88, & puis fur le troifleme, tels que vous
les verrez en ce recueil.
En ayant donc tafté, je puis vous en dire mon gouft :
c'eft que tels vers de peu de grâce à les lire & pro-
noncer, en ont beaucoup à eflre chantés; comme j'ay
veu en des grands conferts faits par les mufiques du
Roy, & notamment en un feftin célèbre fait par le
Sieur Payot en ma faveur, où je menai Monfieur de la
Noue arrivant de Holande. La fymphonie efloit de
prés de cent voix de tout le choix de Paris; là les
oreilles, laflees de diverfes & excellentes pièces, furent
refveillees & mifes en gouft par un des deux Pfeaumes
que j'ay allégués, de la compofition de Claudin le
jeune. Ce qui fit que du Courroi (condudeur de cette
affaire, & qui n'avoic jamais goufté les vers mefurés),
par émulation mit le mefme Pfeaume de Saphiques
en mufique & en lumière, toutesfois fans effacer le
premier; & que dix ou douze des principaux mufi-
ciens de la France prononcèrent, que les mouvements
de tels vers eftoyent bien plus puiffans que des rimes
Amplement.
m. i8
274 l'autheur au lecteur.
Le jugemeat en démeure libre à ceux qui les vou-
dront efTayer. Les œuvres des deux muficiens que j'ai
allégués eflans données au public, je finirai ce difcôurs
par cet epigramme que Claudin a voulu mettre à la
tefie de fon recueil de vers mefurés.
Quelque vers a fa mefurej
Et Vautre la va cerchant :
L'un àefirey Vautre endure
Le mariage au chant,
Voyei'-en la différence^
Et puis vous dires tousjours :
L'un fe Joint par violence j
L'autre s'unit par amours.
VERS MESURÉS*.
P&IEB.E AVANT LE REPAS
«/ «» M
Bon Dieu bénis nous^ en recueillant le pain.
La manne qu'efpend ta favorable main :
Car cette main fend prompte les deux
Quand le Ciel efl pénétré de nos yeux.
Toute ame (r tout cœur vers le Ciel ont recours j
Auffi ta bonté leur donne ton fecours.
Tu vois & fçais d'un throfne tant haut
Noflre çiande & le pain qt^il nous faut.
I. Les vers fnivants, jafqu'aa poème de la Création, à l'ex-
ception des trois dernières pièces de vers mefarés & des
vers fur la mort de Jodelle, font tirés du petit volume qui
a pour titre : Petites Œuvres méfiées &r que nous réimprimons
pour la première fois d'après l'édition de 1630.
276 . POESIES RELIGIEUSES
PRIERE APRES LE REPAS.
Rendons grâces à Dieu^ vous toutes nations j
Vous tous peuples ravis en benediélions :
Chantons tant que tout Pair plein refonne en ce lieu
D'un confert de louange à Dieu,
Haujfons Famé & le cœur vers le Ciel à la fois.
Accordons doucement ame (t cœur à la voix^
Chantons comme de Dieu dure à V éternité
La clémence (t la vérité,
C'efl Dieu dont la pitié au pitoyable fert :
C^eft Dieu dont la rigueur l'impitoyable pert :
En fes faits il paroifl vrai père , ou juge à tous
Entier y fainél f équitable & doux.
PSEAUME HUICTANTE HUICT.
Sauveur Eternel^ nuiéi & jour devant toi
Mes foupirs s'en vont relevés de leur foi.
SuSj foupirs^ montei de ce creux & bas lieu
Jufques à mon Dieu!
ET VERS MESURES. 277
Au milieu des vifs demi^mort je tfanfis :
Au milieu des morts derrd^vifje languis,
Oefi mourir fans mort^ & ne rien avancer ^
. Qu'ainfi balancer,^
Dans le ventre obfcur du mal~heur referiez
Ainfi qi^au tombeau Je mefens atterré^
Sans amis ^ fans jour qui me luife & fans voir
L'aube de Vefpoir,
Qui fe fouviendra de louer ta grandeur
Dans le profond creux d^oubliance & d'horreur?
Pourroit aux Enfers ténébreux ta bonté
Rendre fa clarté.
Quand le jour s^ enfuit^ le ferain bruniffant^
Quand la nuiél s'en va^ le matin renaiffant^
Aujilence obfcur ^ à Vefclair des hauts jours
JHnvoque toujours.
Mais voulant chanter je ne rends que fanglots^
En joignant les mains je ne joins que des os :
Il ne fort nul feu ^ nulle humeur de mes yeux
Pour lever aux Cieux.
VeuX'tu donc, ô Dieu^ que mon ombre fans corps
Serve pour chanter ton ire entre les morts ^
Et que ton grand Nom vénérable & tant beau
Sorte du tombeau?
Ou que les vieux tejis à lafoffe rangés
Soyent rejoinéls des nerfs que la mort a rongés^
Pour crier tes coups ^ & glacer de leurs cris
Nos foibles efprits ?
N'ejl'^ce plus au Ciel que triomphent tes faits?
N^as tu plus d^ autels que fepulchres infeéls?
Donc ne faut^il plus d'holocaujîes chauffer
Temple que l'Enfer?
Mes amis s'en vont devenus mes bourreaux^
Teljlattoit mes bieru quife rit de mes maux^
2j6 POESIES RELIGIEUSES
PRIERE APRES LE REPAS.
Rendons grâces à Dieu^ vous toutes nations ^
Vous tous peuples ravis en benediélions :
Chantons tant que tout Pair plein refonne en ce lieu
D'un confert de louange à Dieu,
Haujfons Famé & le cœur vers le Ciel à la fois.
Accordons doucement ame (r cœur à la voix^
Chantons comme de Dieu dure à l'éternité
La clémence & la vérité.
C'eft Dieu dont la pitié au pitoyable fer t :
C'eft Dieu dont la rigueur l'impitoyable pert :
En fes faits ilparoifl vrai père , ou juge à tous
Entier ^ fainél f équitable & doux.
PSEAUME HUICTANTE HUICT.
Sauveur Eternel ^ nuiél & jour devant toi
Mes foupirs s'en vont relevés de leur foi,
SuSj foupirs^ montei de ce creux & bas lieu
Jufques à mon Dieu!
ET VERS MESU&ÏS. 277
Au milieu des vifs demi^mort je tfanfis :
Au milieu des morts demi'^vif je languis.
Oefl mourir fans mortj & ne rien avancer ^
. Qu^ainfi balancer,^
Dans le ventre obfcur du mal^heur referré ^
Ainfi qu^au tombeau je mefens atterré^
Sans amisy fans jour qui me luife & fans voir
L'aube de l'efpoir.
Qui fe fouviendra de louer ta grandeur
Dans le profond creux d'oubliance & d'horreur ?
Pourroit aux Enfers ténébreux ta bonté
Rendre fa clarté.
Quand le jour s'enfuit^ le ferain bruniffant^
Quand la nuiél s'en va^ le matin renaiffant^
Aufilence obfcur ^ à Vefclair des hauts jours
J'invoque toujours.
Mais voulant chanter je ne rends que fanglots^
En joignant les mains je ne joins que des os :
Il ne fort nul feu ^ nulle humeur de mes yeux
Pour lever aux Cieux.
VeuX'tu donc, ô Dieuj que mon ombre fans corps
Serve pour chanter ton ire entre les morts ^
Et que ton grand Nom vénérable & tant beau
Sorte du tombeau?
Ou que les vieux tefls à lafoffe rangés
Soyent rejoinéls des nerfs que la mort a rongés^
Pour crier tes coups ^ & glacer de leurs cris
Nos foibles efprits?
N'ejl^ce plus au Ciel que triomphent tes faits?
N'as tu plus d'autels que fepulchres infeéls?
Donc ne faut'-il plus d'holocaujles chauffer
Temple que V Enfer?
Mes amis s'en vont devenus mes bourreaux^
Tel Jiattoit mes bieiu quife rit de mes maux^
2yS POESIES RELIGIEUSES
Mon liû efl un cep^ ce qui fut ma maijbn
M'efl une prifon.
Si jadis, forclos de ton œil^ le berceau
Dur me fut y moins dur ne fera le tombeau.
Or couleiy mes jours orageux ^ & mes nuiéls
Fertiles d^ennuis.
Pour jamais as^tu ravi d'entre mes bras
Ma moitié^ mon toutj & ma compaigne ? helas!
Las! ce dur penfer de regrets va tranchant
Mon cœur & mon chant.
LARMES!
POUR SUSANNE B£ LEZAI,
Efpottfe de l'Attthear
Pour attacher à la fin du Pfeaume huidante & hniâierme^
qui eft employé ci-deflus en deux façons.
J*ay couvert mes plaintes funèbres
Sous le voile noir des ténèbres ^
La nuiél a gardé mes ennuis ^
Le jour mes allegreffes feintes :
Cacher ni feindre je ne puisj
Pouf" ce que les plus longues nuiÛs
Sont trop courtes à mes complaintes.
Le feu dans le cœur d'une fouche
A la fin luy forme une bouche ^
Et luy ouvre comme des yeux^
I. Quoique cette pièce ne foie pas en vers métriques, nous
la plaçons ici fur la recommandation de l'auteur. ^
ET VERS MESUfLÏS. ^79
Par où Von void & peut entendre
Le brafier efpris enfon creux :
Mais lors qv^on void à clair f es feux ^
C^efl lors qi^elle efl demi en cendre^
Au printemps on coupe la branche j
Uhiverfans danger on la tranche :
Mais quand un acier fans pitié
Tire lefang qui efl la fève ^
JLors pleurant fa morte moitié^
Meurt en efté de V amitié
La branche de la branche vefve.
Que Vather foufpire à ma veuë^
Tire mes vapeurs en la nui ;
Le tifon fumant de mon cœur
Un pareil feu dans le Ciel mette ^
Qui de jour cache fon ardeur^
La nuit dt effroyable fplendeur
Flamboyé au Ciel un grand comette,
Plaindroi^Je ma moitié ravie
De quelque moitié de ma vie?
Non^ la vie entière n'efl pas
Trop pour en ces douleurs s^efteindre^
Soufpirer en paffant le pas
Par les trois fum^aux du trefpas^
C'eft plaindre, comme il faut fe plaindre.
Plus mes yeux affechei ne pleurent.
Taris fans humeur ils fe meurent:
L'ame la pleure y & non pas Vœil :
Je prendrai le drap mortuaire
Dans Vobfcurité du cercueil y
Les noires ombres pour mon dueil,
Et pour crefpe noir le fuaire.
28o POESIES RELIGIEUSES
PARAPHRASE
SUR LE PSEAUME CENT ET SEIZE.
SaphiqUes de mefine mefure qae les prece<fents.
J'aime mon Dieu , car lors que j*ai crié.
N^efl-^e pour brufler de V amour de mon Dîeu^
Quand du creux infeéi de ce dangereux lieu
Il mit en fon fein ma piteufe oraifon
Pour ma guerifon.
Quand la mort penfoit ravager mes efprits^
Quand elle eut mes pieds à fa toile furpris^
Sur ce point mon cœur fe ref chauffa tranjt
A crier ainji :
Sauve-moi j grand Dieu^ feur abord des chetifs^
Gloire des honteux^ animant les craintifs :
Auffi tofl luiftt lefecours de nos yeux^
L'aube des hauts deux.
Lors tu as changé de ma nef le compas j
Lors tu as gardé de la foffe mes paSj
Effui'é mes pleurs^ tu as oflé mon corps
Du roole des morts.
Or de nos forfaits le lien prolongeant^
Quand tu as fermé le fepulchre rongeant ^
Il paroifl combien precieufes tu tiens
* Les vies des tiens.
Mais de quoi faut^U payer un fi grand don?
lyun prefent tant haut oi^ feroit le guerdon^
Veu que Vhomme efifaux^ (r n^a rien que des vaux
Pour donner aux Cieux?
Or je prends en main le hanap beniffant^
Mon palais aux fainélsfa louange uniffant
ET VERS MESURÉS. zSl
Haut recognoiflra délivrance & fantéj
Dons de fa bonté.
Puis deffus V Autel je depofe mes fens^
Doux prefenty plus doux que du vefpre V encens :
C^eft ce qu'au grand Dieu de ma mort le vainqueur
J^ offre de franc cœur.
Toi y Syon qui fis ta requefle pour moi^
Il me faut ces biens recognoiftre avec toi :
Ouvre moi tes huis^ que je double cent fois
Ton cœur & tes voix.
Gardiens puiffans du troupeau qui Dieu fert^
Anges affemblés^ animei ce confert ^
Monte jufqiiau Ciel d'une fainéîe uniffon
L'air de ma chanfon.
PSEAUME CINQUANTE ET QUATRE.
La mefure eft elegiaque.
O Dieu tout-puilTant, fauve-moi.
Sauveur affijle ton oinél^ Dieu des Dieux ^ il ne te faut point
Pour le fecours d'un Roi^ autre fecours que de toi.
Rien Je ne cerche^jinon que le los & la gloire de ton Nom :
Mais feulement cette fois ^ baijfe V oreille à ma voix.
D'un cœur tout furieux ^ me recerche la bande des haineux:
Cent qui du Dieu Tresfort j^afouci^ cerchemamort,
DieUj lefupport àesfiensy prend rang dans la troupe des mieiu
Sur l'autheur du malheur rendra le mal le Seigneur.
Dieu véritable jdeflruis le mef chant ^ & je t'offre demêsfrmSSj
J'offre de voix & de cœur gloire^ louange & honmtmr»
28a POBSIES RELIGIEUSES
■ ■ ■ I . ■ »
Ouy^ le Seigneur tiendra- fon rang à ce combat, & rendra
Sur le deteftable chef du malheureux le mefchef,
Car d'ennui foucieux retiré m'a : mefme de mes yeux,
J'ai fur V ennemi veu plus que le cœur n'a voulu.
PSEAUME TROISIEME.
De mefme mefure.
Dieu quel amas heriffé de mutins, quel peuple ramaffé!
que de folles rumeurs, & que de vaines fureurs !
Ils ont dit : Cet homme efl mif érable, le pauvre nefent prefl
Rien de fecours de ce lieu, rien de la force de Dieu.
Mais c^efi mentir à eux : Dieu des miens contre mes haineux
Efl le pavois feur tr fort, contre le coup de la mort.
Par lui je haujfe le front, lui qui m'entend, lui qui du S. mont
Tant eflevé, chaque fois prefte l'oreille à ma voix.
Dont dormir m'en irai; de treffauts, ni de crainte je j^ aurai.
Puis refveillé ne m'ajfaut crainte, frayeur, ni trejfaut :
J'ai de fa main feur té , de fa main m' ont fans peine preflé
L'ombre dufon lefommeil, l'aube du jour le refveil.
Vienne la tourbe approcher, courir, enceindre, oufe retrancher.
Quand ils m'ajfiegeront, mille défile & de front,
Dieu qui a veu le dedans du Malin, lui brifera les dents,
D'ire le cœur efcumant, langue, palais blafphemant.
Dieufçaura le falut de S ion bien conduire àfon but,
Mefme le cœur des fiens remplir tr croiftre de biens.
Gloire fait au Père, & Fils & à VEfprit, fource des efprits :
Tel qu^ilfoit & fera-t-il, aux ftecles, ain fi f oit-il.
ET VERS MESURES. 283
PSEAUME CENT VINGT ET UN.
De mefme mefore que, Rendons grâces à Dieu, ftc.
Vers les monts je levai mes miferables yeux^
Cerchant quelque fecours des plus fuperbes lieux :
Mais en Dieu, qui ce tout baflii en un moment
Efl mon affeuré fondement.
Par lui ton pied fera trés-cherement choyé :
Dieu a aux bien aimés fon bel œil ottroyé^
Qui v^efi fermé jamais à qui lefommeiller
N^empefche un curieux veiller.
Dieu puijfant à ta dextre efl, & tousjours fera.
Aux grands chauts le Soleil point ne te bruflera :
Morfondante que f oit la Lune dans la nuiél,
A ton chef de rayons ne nuit.
L'Eternel de ton ame a le fecours de prés,
n la garde à prefent, & fera ci~aprés :
Tes faits il bénira continuellement
Au parfaire & commencement.
PSEAUME CENT BIXIESME.
Elegiaques comme Dieu quel, &c.
L^ Eternel de fa voix dit à mon Seigneur, à droit te foi.
Tant que dejfous tes pieds tu voye tes ennemis.
Il fera hors de Sion marcher la bande & battre aux chù
Tant que le maiftre tu fois des odieux & mefchans:
284 POESIES RELIGIEUSES
lyunfranccœurtajeuneffe aujourdela monflrefe rendant.
Comme la rofee naifl quand le jour efl évident.
U Eternel jure fans fe repentir qi^il t^a déformais
Oinél comme Melchifedec facrifiant à jamais,
Enfacholere ilfe tient à ta dextre^tr juge defes loixj
Rompra la tefle aux Chefs ^ froijfera Princes & Roisp
Exerçant jugement fur tous il brifera des forts
UEmpereur^ & pavera toute la terre de morts.
Au torrent du chemin haletant & vainqueur y boira^
Dontfon chef rayonnant tout glorieux lèvera.
PSEAUME CENT VINGT ET HUICT.
En tetrametres de la mefare qui fuit.
Bien-heureux eft qui volontiers
Va fuivant Dieu & fesfentiers^
Le labeur doux de ta main vient
Bénit au Ciel y qui te maintient.
Ta femme efl Pheur de ta maifon^
Qui a fon fruiél à la faifon
Pareille au fep^ où le Seigneur
Tire fon fruiél s'il le voit meur.
Ta table aura de tes enfants
Comme un entour d'oliviers francs :
Et ce grand heur ira croiffant
A qui craindra le Tout^Puiffant^
Qui te donra voir à tes ans
ET VERS MESURjfs. 285
Et les enfans de tes enfans^
Et beniffant tes heureux faits ^
Ta race en Jleur^ Sion en paix.
PRIERE POUR LE MATIN.
Tirée da PfAume 143, depuis le huiâieme verfet en bas.
Les vers font exametres, de mefmes pieds que le précèdent,
pour fe fervir de la muiiqae de Claudin le Jeune.
W W — ^ W V
Veilles au point du jour^ ô DieUj me prefenter
Ta grâce ^ en qui je fuis injiruit de m'arrefter :
Donne à mes pieds le chemin droit ^ fi je n'ai foi
Sinon en toi^
Lefeul efpoir de mes ennuis : que ta bonté
Ne me laiffant ne voye errer ma volonté :
Eternel^ guide mes pas^ & deffend~moi
Logé chés toi.
Redonne encor jour à mes yeux^ la vie au mort :
Fais rejentir que de ton bras le coup efl fort^
Et ta juftice fe montrant^ tire mon cœur
De la langueur.
Que le haineux^ qui va cerchant à nû accabler
FuyCy contraint de fe confondre & de trembler :
Que du parti de tes enfants le rejiom fainél
Ne f oit efleint.
d86 POESIES RELIGIEUSES
PSBAUME SEPTANTE TROIS.
Si eft-ce qae Dieu eft très -doux, 6c«
W w ^ W
Et ainfi de l'autre moitié du couplet*
Quoique ce/oit^ Dieu efi à fort Ifraêl extrêmement doux y
Et à qui craint en aimant. Or mes pieds ont eflé tous prefts
D'eflre couîans & faillir ^
Lorfque des infenfés & me/chants J'ai envié les biens ^
Sur la profperité de laquelle Je vante le Maudit,
Franc de Veflreinte de mort.
Point leur force ne manque ^ elleperfifle entière à tousjours:
Ils font francs de Vahan de travaux ^ de batures & dangers
Des miferables humains,
C'ejl ce qui croifl Vorgueil^ ce qui leur efchaufe les efpritSj
Ainfi qi/un carquant relevant la fraife & le menton
Des glorieux violents.
Leurs yeux dehors de la tefte de graijfe repouffés,
Par de là leurs penfers & courages ilsfe voyent JouyJJans
D^aife^ de biens & d'honneurs.
Ils font pernicieux is' fiers ^ leur parler eft enfié^
Vont de la langue trottans en terre ^ &penfent du haut Ciel
Tout le fecret defployer.
Or cela perce le cœur des bons & Fonde de Mara
Donne breuvage de fiel ^ & vont iangoiffe demandons ^
Efl^U croyable que Dieu
Voye du Ciel les humains avec intelligence de leurs faits?
ET VERS MESURÉS. 287
Les vauriens & maraus ravageons la richeffe de ces lieux
Sont héritiers du bonheur!
En vain ai^je lavé éP innocence ma penfee & mes mains ^
En vain ai-je nettoyé mon cœur y pour eflre de tes mains
Chaftié journellement.
Mais proférant ce propos je me fuis veu defloyal aux miens ^
Miens que je voi mefcogneus : car fans doute les innocensfont
Ton peuple y quoi que cefoit.
J'ai durement travaillé à pouvoir me refoudre de ces poinéls^
Jufques à tant que je fois entré aufanéiuaire exquis ^
Au cabinet du Tréffort.
Cejllà que j'ai defcouvert la fin mif érable de ces gens.
Quoi qi£il y ait^ ils font condamnés de loger es lieux
Fort périlleux & coulans.
Bien vifle précipités ils /en vont tranfis & perdus ^
FarmiVair efvanouySj ainfi qi/un fonge qui r^eft rien
Lors que Von eft refveillé.
Or quand mon cœur eftoit percé d'angoiffes & aigri^
Lors j'ejlois abrutij &n'eftois qu'une befle devant toi^
Sans cœur & fans jugement.
Dieu à la dextrem^a pris à me conduire j& eflre le conf eu
Prés lequel eft feurté : je fuivrai fans en rien abufer
Pour recevoir gloire ^ & prix;
Car quelle divinité pourroi^je en un autre recercherf
Qu^a la terre & le Ciel^ qui puijffe remettre à fon entier
Mon cœur eftant abbatu.
Autre que Dieu ne me peut monftrer un partage bienfeur^
En toife trouvera mon rocj mon plaifir & mon but.
Qui ce but efloignera
Sans doute trebufchera ; /eflant desbauché de tes loix^
Des bien^heureux parvis à jamais fe trouve retranché ^
Et rejette de ta main.
Quant à ma partj approcher mon Dieu eft monfouverain bien,
Prés de lui n^ entretenir pour f es merveilles annoncer
288 POESIES RELIGIEUSES
Mieux ne peut advenir.
Rien ne me peutfeparer, fer, perte, hautefe, ou profondeur:
Tout ce qrj^il ordonnera, mort, exil, géhennes, & torments,
Quoi que ce foit, fera doux.
PSEAUME CINQUAN TE -UN.
Mifericorde au paavre vicieux , &c.
En exatnetres héroïques.
Avec la licence des fpondees & dadtiles.
Dieu, aye pitié du pécheur qui demande ta merci.
Et félon elle effaçant mes plus noirs crimes & forfaits.
Purge mon iniquité, abolis le péché qui me confond,
Car je cognois le malheur qui paroi ft fans ceffe devant moi.
Troublant à la minm'él mesfens & mon ame defon front,
J^ ai péché contre la loi en ta prefence & à tes yeux,
Si que donnant jugement tu feras pour jufle reclamé»
Car je fuis en crime né, à péché ma mère m^a conceu.
Voila, tu veux vérité, tu veux fapience & loyauté :
Moi injlruiél de ta main ces vertus n'ont paru en moi :
Pour cela Dieu de pitié, ne delaiffe à prendre de tes mains
Uhyffope à me faire net plus blanc que la neige de Salmon,
Fai moi nouvelles ouyr de ma grâce, & en la prononçant
Rend ma première vigueur à mes os brifés & disjoints;
Plus ne revoile procès, ne relis que le titre du pardon :
Vueilles donner. Créateur, de nouveau des forces à mes os.
Un cœur net, vif & prompt, & un efprit bien remis en mçi :
' ET VERS MESURlfS. 289
Point ne repoujfe ma voix; pm's ton 5. Ejprit accordé^
Rends la lieje que feus en tonfalut^ & que cet efprit
Principal^ entier Cr franc conduife mon ame à tous jours, mais
J^enfeignerai le chemin aux errans pour Je repentir,
Dieu^ Dieu de falut^ que je fois premier entièrement pur^
Puis après ouvre ma bouche^ elle chantera ta gloire tout haut :
Car tu neprensplaijtraufangj l'holocaufle ne plaiji point
A toi^ qui mieux aimerois V efprit tout contrit & froijfé :
Point tu ne mefpriferas un bon cœur fubmis & brifé,
F ai du bien à ta Sionj & rebaftisfon mur& fes tours :
R'affeure Jerufalem^ & la ceins encore de rempars.
Là l'holocaufle fera tout confumé : là di-je nos vœux
Enfumeront j comme il efl enjoint^ ton temple & ton autel.
PSBAUME CENT TRENTE TROIS,
O combien efl plaifant, &c.
Adoniques.
Voici le plaijir
Entier & parfait ^
C'efl de voir en paix
Frères dr voifins
Tous biens accordés
S'efgayer entr'eux,
C^eft cette douceur
Qu^a reprefenté
Un riche parfum
m. M
2pO POESIES RELIGIEUSES
Qui coulait en bas
De la tiare
lyAaroïij & fondant
Parfumoit entier
Barbe & habit fainél
Jufques à/es bords.
Tel bon^heur en paix
Eft pareil auffi,
A l'humeur^ à Veau
Qui coule d'Hermon
Et roule des monts
Sur Sion en bas :
Car là l'Eternel
Ordonne fans fin
Grâces 6* bienfaits
En vie à tousjours.
CANTIQUE DE SAINCT-AUGUSTIN.
Te Deum Laudamus, âfc.
Sur la mefure de, Rendons grâces à Dieu, &c.
Grand Dieu^ nous te louons^ nous i? adorons^ Seigneur^
Eternel^ F ère haut^ terre te porte honneur :
Les puiffants Chérubins ^ tout le Ciel à la fois
Méfiant des Séraphins la voix :
Sainéljfainélj fainél le Seigneur (dit ce volant troupeau)
Sainél des armes le Dieuj Dieu qui pour efcabeau
Tiens du monde le rond^ foubj qui le Ciel heureux
Porte un throfne majeflueux.
ET Y£&S MESU&ÏS. api
Des Prophètes le chœur ^ chœur des Apofires fainéis^
Martyrs veftus à blanc ^ Chefs de triomphes ceints
Leur chant viélorieux chante de haute voix
Un Roi prince des autres Rois»
UEglife en P Univers hauffe F Eternité
lyunfeul Dieu trine & un^ V entière vérité
Par Vefprit Paraclet nous adorons ravis j
Confeffans le Père & le Fils.
Sauveur j qui de Phumaùi ri as dédaigné le fangy
Mais Pas pris éPune vierge au pur & chafie Jlancj
Pour ouvra" de la grâce & de falut le portj
Tu vainquis Faiguillon de mort.
Tu diras de la dextre^ où Juge tu te Jieds^
Uarrefi des Eléments y tes riches marchepieds :
Soit lors ton peuple j dont ta vie fat le prix^
Gardé cher comme il efl acquis.
Aujourd'hui jour heureux qiià bruire nous vouons^
Ton grand Nom de fiecle en Jiecle nous louons.
Soutiens-nous y que ce jour point ne f oit entaché
D'erreur y ni de nouveau péché.
Or donc aye pitié ^ aye pitié de nous^
Sur nous tourne ton œil favorable & doux.
Confondus ne feront ceux qui en autre lieu
N'ont foi qt^ en la faveur de Dieu.
Soit gloire au Père & Filsj au Paraclet^ Fhonneur
Deu au Dieu trine & au perpétuel Seigneur,
Dieu tel qu'il fut & eji fera fans finir
Par tous lesfiecles à venir.
2^2 POESIES RELIGIEUSES
CANTIQUE DE SIMEON.
^ ^ ^ W V «M w W ^ ^ «M ^ ^ «M ^
w w ^ «# w
Créateur j tu repais & remets tonjerviteur en paix^
Comme promettre te pleut ^
Puifquejefuisji heureux ^Ji joyeux de cognoiftre de mts yeux
Du peuple tien lefalut,
C^eft lefalut mis avant ^ falut aidant tout peuple vivant ^
A qui le voit & le croit :
Des Gentils la lueur ^ des petits Vheur^ Ifraël au ùaur
Gloire & triomphe reçoit.
PSEAUME SEIZIESME.
Sois-moi Seigneur, &c.
En vers meforés phaleuces.
Dieu fort y garde moi qui tous jours mè fuis mis^
Et tousjours retiré dejbus ta bonté.
Ma pauvre am^^ tu as dit à l'Eternel :
Tout mon bien ne peut eflre haujfé vers toi^
Mais bien mon vouloir eji d^aJjUjîer à tes Sainélsj
Qui pour vivre bien ont acquefté bon bruit.
Ceux qui ont couru^ ou courent abufés^
£T Y£&S MESURÉS. 293;
Proflernés après autres Dieux que du Ciel^
Verront multiplier malheurs & torments
Sur leur chef : je ne veux y avoir jamais part
Aux offertes de fang^ ni mejm£s à leurs noms.
Dieu efi V entière part de mx)n lot exquis.
Plus plaifant héritage rieufi peu m^efchoir :
U arpenteur rrCa tracé la Jleur du plus beau.
Or Dieu f oit louéj qui me confeille ainjty
Qui rr^ apprend de jour y & m^efclaire les nuiâls.
Sa force efi à ma dextre pour me garder :
Mon cœur s' en resjouit^ ma langue s^en ritj
Ma chair s'affeure^ car tu es lejauveur.
Tu 7^ abandonneras mon ame au tombeau^
La corruption à ton oinél ne nuira,
Pluftofl tu me feras cognoiflre & garder
Les /entiers de vie & de joye qui font
Au Cielj car ta veuë efi le comble parfait ^
En ta dextre logeant le fouverain bien.
294 VERS MESUREES.
/
^ W W ^ W V ^
W «/ ^ W «M W
Ha! je me rends ^ je me rends!
Mon ceur foible ne peult P Amour repoujfer :
Las^ en terre abatu le trijîe langmjij
Honteux en Je mourant de voir cefi enfant
Vaincre triomphant.
Ha! je me rends ^ je me rends!
Mon ceur traiftre ne veult V Amour repoujfer :
Captif foubs ce cruel Vaveugle s'en rit^
Il diél qi^il ne pouvoit avoir triumphe
D'aultre que d'un Dieu.
Ha! &c.
O fier y fubtil Amour ^ le Roy de mon ceur^
Foible ou traiflre qu'il eji^ reçois V à m£rci.
Tu vaincras de rechef Ji tu te fais voir
Vaincqueur & vaincu.
Nous mettons à la fuite cette pièce & les deux fuivantes de
la jeunefTe de Tauteur, bien que d'une infpiration toute diffé-
rente. Elles font encore un eflai d^ vers métriques.
TE&S MESURÉS. 295
Cefte noire niaéi fi tenebreufe
Et ce champ fenéy fterilîe^ fans Jleursj
Ceft Iver quifaiéi la forefi languir ^
Et ce fiecle vef de la Jcience
En ruine font à la mort courir
Noftre feu^ la Jleur^ la feuille & les ars.
Mais un aflre cler reluit à Vobfcury
Soubs le lis la marguerite Jtorifl^
Aux forefls je voy le ciprei entier^
Et revivre Vœil de la fcience :
D'une y tout a^ tient, reçoit & reprend
Tant de feu y d'humeur ^ de vigeur^ d'honneur,
Qffreij aflres haultj. à ce beaufoleil^
Fleurs^ à cefte Jleur efpanouiffe\y •
Vous y foret\ fuperbesy reverdiffeiy
Nimphesy Mufes^ entonnei à cefte Pallas :
AftreSy JieurSy foreti^ Mufes^ prefentei
Vos rayons y odeurs ^ feuillages & vers!
49$ VERS MSSU&É&,
A bontSj à petis fauti capn'oller Je veux
Pour braver P Amour envieux^
fPayant loy que mon heur^ borne que mon plejtr
Ny gefne aulne que mon dejir.
Tay rompu laprifon & le lien éP Amour :
doux y o trop heureux ce jour
Où brifant le filet dont je fus attrapé
Ten ris gay^ l^g^r^ efchapé!
Où mon ceur amoureux tant défais a gemi^
Defoy mefme dur ennemy^
Mes pieds vont s'efgayant & je repaifls defieurs
Mon ceur qui vivoit en douleurs l
L'HIVER DU SIEUR D'AUBIGNE.
Âllafion des Irondelles, qui changent de demeure
pour l'hyver, aux delirs laffifs qui s'efloignent
pour la vieillefle.
Mes volages humeurs plus fteriles que belles
S'en vont^ & je leur dis : vous fenteiy IrondelleSjf
S'ejloigner la chaleur & le froid arriver^
Allei nicher ailleurs^ pour ne fafcher impures
Ma couche de babil ^ & ma table d'ordures :
Laifei dormir en paix la nuiél de mon hyver.
D'un feul poinél le Soleil rtejloigne Phemifphere^
Il Jette moins d'ardeur ^ mais autant de lumière.
Je change fans regrets^ lors que Je me repens
Des frivoles amours & de leur artifice.
J'aime Vhyver^ qui vient purger mon cœur du vice^
Comme de pejle l'air ^ la terre de ferpens.
Mon chef blanchit dejfous les neiges entaJfeeSj
Le Soleil qui me luit les efchauffe glacées^
Mais ne les peut diffoudre au plus court de ces mois,
Fondei^ neiges^ venei dejfus mon cœur defcendre^
Qjiencores il ne puiffe allumer de ma cendre
Du bra\iery comme il fit des Jlammes autrefois,.
298 POESIES RELIGIEUSES.
Mais quoipferai~je efteint devant ma vie efteinte?
Ne luira plus en moy la Jlamme vive & fainâle?
Le lele Jlamboyant de lafainéie màifon?
Je fai aux fainéîs autels holocauftes des reftes
Déglace aux feux impurs^ & de naphte aux celefles :
Clair & facré JlambeaUj non funèbre tiion.
Voici moins de plaijtrs^ mais voici moins de peines :
Le roJJUgnol fe tait^ fe taifent les Syrenes :
Nous ne voyons cueillir ni les fruiéîs ni les Jleurf :
L'efperance n'efi plus bien fouvent tromper effe^
L'hyver jouyt de tout^ bien heureufe vieillejfe^
Le faifon de Vufage^ Cr non plus des labeurs.
Mais la mort n^eft pas loin : cette mort efl fuivie
D'un vivre fans mourir^ fin d'une faujfe vie :
Vie de noftre vie^ & mort de noftre mort.
Qui haït lafeureté pour aimer le naufrage.
Qui a jamais eflé fi friand de voyage^
Que la longueur en foit plus douce que le port?
PRIERE DU MATIN.
Le Soleil couronné de rayons & de Jlammes
Redore noflre aube à fon tour :
fainél Soleil des Sainéîs^ Soleil du fainél amour ^
Perce de Jlefches d'or les ténèbres des âmes
En y rallumant le beau Jour,
Le Soleil radieux Jamais ne fe courrouce ,
Quelque fois il cache fes yeux :
POESIES RELIGIEUSES. 2^
C^efi quand la terre exhalle en amas odieux
Un voile de papéurs qu^au devant elle pouffe^
En fe troublant^ & non les Cieux.
Jefus efl tous jours clair y mais lors Jon beau vif âge
' Nous caché f es rayons fi doux ^
Quand nos peckei fumans entre le Ciel & nous^
De vices redouble^ enlèvent un nuage
Qui noircit le Ciel de courroux.
Enfin ce noir rempart fe diffout & iéfgare
Par la force du grand Jlambeau*
Fuyei^ pechei^ fuye\ : le Soleil clair & beau
Voftre amas vicieux & diffipe & fepare^
Pour nous ofler noflre bandeau.
Nous reffufciterons des fepulchres funèbres^
Comme le Jour de la nuiél fort :
Si la première mort de la vie eft le port^
Le beau jour efl la fin des efpaiffes ténèbres^
Et la vie efl fin de la mort.
PRIERE DU SOIR.
Dans Vefpais des ombres funèbres^
Parmi Vobfcure nuit^ image de la mortj
Aftre de nos efprits^ fois Feftoile du Nort,
Flambeau de nos ténèbres.
Délivre nous des vains menfonges^
Et des illusions des foibles en la foi :
Que le corps dorme en paix ^ que Vefprit veille à toi,
Pour ne veiller à fonges.
300 POESIES RELIGIEUSES.
Le cœur repofe en patience^
Dorme la froide crainte & le preffant ennui :
Si Fail eft clos en paix ^ fait clos ainfi que lui
Vaû de la confaience.
Ne fauffire pas en nos poiéirines
Les fur faut s des mef chants fommeillans en frayeur.
Qui font couverts de plomb, & fe courbent en peur
Sur un chevet d^efpines,
A ceux qui chantent tes louanges
Ton vif âge eft leur ciel, leur chevet ton giron,
Abriei de tes mains, les rideaux d'environ
Sont le camp de tes Anges.
MEDITATION ET PRIERE.
Pour communiquer à la Cène du Seigneur.
Lors qi/au banquet précieux
Je favoure les viandes
Salutaires & friandes
Et des Anges & des deux,
Adreffe vers toy mes pas.
Ma main, afin qu'elle touche.
Ton haleine ouvre ma bouche
Pour manger à ce repas.
Que ton efprit, ô mon Dieu,
Efprit (Punion m'uniffe.
POESIES RELIGIEUSES. 3OI
Et tout entier me raviffe
De fi bas en fi haut lieu.
Haujfe-moy dejfus le rang
De la pauvre humaine race^
Ma chair de ta chair fe fajffèj
Et mon fang de ton pur fang.
Que ta main tout de nouveau
AVatache^ ferre & arreflcj
Comme le corps à fa tefte^
Ou la vigne à fon ormeau.
Que mon cœur enfelonné
Ne s^ enfle contre perfonne :
Donne moy que je pardonne^
Afin d^eftre pardonné.
Comme jadis à Phoflie
On arrachoit tout le fiel^
Fay que je ne facrifie
Rien d'amer au Dieu du Ciel.
PRIERE ET CONFESSION.
Je porte dans le Ciel mes yeux & mes defirs^
Joignant^ comme les mains ^ le cœur à ma requefte^
Je ployé mes genoux atterrant mes plaifirs^
Je te def couvre^ 6 DieUj mes peche^ & ma te fie.
30?
POESIES RELIGIEUSES.
Mes yeux de mes defirs corrupteurs ont cerché
Uhorreur^ mes mains lefangj & mon cœur les vengeances :
Mes genoux ont ployé au piège de péché ^
Et ma tefte a bien moins de cheveux que d^offenfes.
Si je me def gui/ois ^ tes clairs yeux font en moy^
Ces yeux qui percent tout^ & deffont toutes rufes :
Çui pourroit s^excufer accufé par fon Roy?
Je m^accuferay doncj afin que tu mUxcufes,
Mais qui cuide tirer un frivole rideau^
Pour celer fes pechei^ fe prive de ta face.
Et qui penfe donner à tes yeux un bandeau
Efl veu^ & ne voit plus ta face ny ta grâce.
Père plein de douceur y comme auj/ijufle Roi^
Qui de grâce & de loi tiens en main les balances^
Comment pourrai-Je faire une paix avec toi^
Qui ne puis feulement faire trefve aux offences?
Je fuis comme aux Enfers par mes faiéls vicieux :
Je fuis noir & fanglant par mes peche^^ fi ai-je
Les ailes de la foi pour revoler aux Cieux^
Et Veau de Siloé me blanchit comme neige,
Exauce~moi du Ciel, feul fort^ bon, fage & beau^
Qui donne au Jour le clair ^ & le chaut à la Jlamme^
Ueflre à tout ce qui efl ^ au Soleil fon fiambeau^
Moteur du grand mobile ^ & ame de tout ame*
Tu le feras ^ mon Dieu^ mon efpoir efl certain^
Puis que tu Vas donné pour arre & pour avance :
Et ta main bienfaifante efl cette feule main^
Qui parfaxéi fans faillir V œuvre qu^ elle commence.
\
POESIES RELIGIEUSES. 36^
Ne defploye fur moy ce grand vent confumant
Tout ce qui luy rejifie^ & ce qu'il veufl atteindre :
Mais pour donner la vie au lumignon fumant^
SouJUe pour allumer ^ & non pas pour efteindre»
La langue du me/chant defchire mon honneur ^
Quand de plume & de voix le tien fefcris & chante.
Delivre-moy de honte, & nefouffi-e^ Seigneur^
Au vaijfeau de ta gloire une fenteur puante:
Je me fauve chei toy, les mains & le cœur mis
Aux cornes de Vautel; Fort des forts y jufle Juge^
Ne fouffre par le fer des meurtriers ennemis
Enfanglanter tonfein en hrifant ton refuge.
Cet efprit qui me rend haineux de mx>n péché ^
Geft le ConfolateWy qui m'apprend Abba père :
De contraires ejfeéîs je fuis par lui touché ^
Car il fait que je crains^ & fi fait que jUfpere,
Tu m^arroufes du Cielj ingrat qui ne produis
Qu^amers chardons au lieu de douces médecines,
Pren ta gaule ^ Seigneur^ pour abbatre ces fruits y
Et non pas la coignee à couper les racines.
Ufe de chaftimensy non de punition :
Ef monde mes jetions y laiffe la branche tendre ^
Ainfi que pour chaffer Vair de Vinfeékion^
Mettant le feu partout on ne met rien en cendre.
304 POESIES RELIGIEUSES.
PRIERE Dï l'aUTHBUR
Prifonnier de guerre & condanné à mort.
Lors que ma douleur fecrette
D'un cachot aveugle jette
Maint foufpîr emprifonnéj
Tu m^ entends bien fans parole ^
Ma plainte muette vole
Dans •ton fein desboutonné.
Je veux que mon ame Juive ^
Ou foit libre ^ ou foit captive.
Tes plaijîrs : rien ne me chaut;
Tout plaiji pourveu qu'il te plaife^
O Dieuj pour me donner Vaife^
Donne-moi ce qi/il me faut.
Ma chair qui tient ma penfeè
Sous fes clefs eft abaijfee^
Sous la clef d'un geôlier :
Dont foit en quelque manière
Cette prifon prifonnierej
Moins rude à fon prifonnier.
Que Ji mon ame captive
Eft moins allègre & moins vive
Lors que fes membres germains
U enveloppent de mes peines^
De mes pieds ofte mes chaines^
Et les manottes des mains.
Mais ft mon ame au contraire
Fait mieux ce qitelle veut faire
POESIES RELIGIEUSES. 305
Quand fon ennemi pervers
Pourrit au fonds defes grottes.
Charge mes mains de manottesy
Et mes deux jambes de fers.
Si le temps de ma milice ^
Si les ans de mon fervice
Sont prolongeij c^eft tant mieux :
Cette guerre né nC envie ^
Douce me fera la vie^
Et le trefpas ennuyeux,
AiaUj mon DieUj fi tu treuve
Qt^il efl temps qt^on me relevé^
Je fuis tout preft de courir^
De tout quiter pour te fuivre :
Le mourir me fera vivre.
Vivre me fera mourir.
REVEIL.
Arriéres de moi vains menfonges.
Veûlans & agréables fonges^
Laiffei~moy^ que je dorme en paix:
Car bien que vous foye\ frivoles ^
C'efi de vous q\âon vient aux paroles^
Et des paroles aux effeûs,
Voyei au jardin les penfees
De trois violets nuancées^
Du fond rayonne un beaufoleil :
ni. 20
306 POESIES RELIGIEUSES.
Voila bien^des miennes Vimage^
Sans odeur j fans fruit ^ fans ufage^
Et ne plaifent qu'un jour à VœiL
Ce v^eft qi£ Amour en Vapparence^
Ce j^eft qiiune verde efperance^
Que rayons & vives clartei :
Mais cette efperance efi trop vaine j
Ce plaifir ne produit que peine,
Etfes rayoHs obcurités.
Mes dejtrs s'engayent fans^ceffe
De la fureur à la fineffe^
Le milieu eji des cœurs bénins :
On peint la Chimère de mefmes^
On luy donne àfes deux extrêmes
Ou les lions^ ou les venins»
Ce qui fe digère par Fhomme
Se faiâi puant; voyei^vous comme
Cefl un dangereux animal^
Changeant le bien enfon contraire :
Car ce qui ejl vain à bien faire j
Ne Vefl pas à faire du mal.
f
SUR L ADIEU DE MONSIEUR LA RAVAUDIERE
Partant pour aller fur mer, & demandant la benedidioii
de Tautheur.
Allei cueillir fous le Canope
Uor^ les honneurs j & les plaifirs^
POESIES RELIGIEUSES. 307
Puis que les homes de V Europe
Ne font celles de vos defirs.
Au calme, parmi les tempefles^
Et en tout temps ^ & en tout lieu^
Souvene^-vous bien que vous efles
Dedans lefein de voflre Dieu.
DE LA PAIX.
Voici une fuite eflrange
D'un def ordre ^ &fes effeéls :
Il tire Mars y Mars Anange^
Et cet Anange la Paix :
La Paix y qui a pour nourrice
La dure Neceffité^
Tire après foi la Juftice^
Et la blanche Pieté,
LA PRINCESSE DE PORTUGAL,
AVEC SIX FILLES
Eftant retirée à Genève, fut traidee par Tauthear, & en un
grand concert de muâque les vers qui fuivent prononcez.
Vous avei donc ^f âge Princeffe^
Sur le vent mauvais qui nous preffe,
Choifi Genève comme un lieu
3o8 POESIES RELIGIEUSES.
Qidjufques au fiecle où nous fommes ^
Au prix de la haine des hommes»
A fenti l'amour de fon Dieu.
Voici la cité des merveilles^
Vous avei les Anges pour veilles ^
Le guet d^Ifraël efl icy :
Si vous ne trouve^ les délices^
Uejclat des pompes & des vices.
Vous ne les cerchei pas aujfi.;
• Pluflojl un' ombre folitairej
A pourfmvre les pleurs cPun frère
Que les Sainéls pleurent avec vous.
Vos larmes font de tel ufage^
Si douces^ comme dit le Sage^
Que le rire n^eflpasji doux.
Des fept Sœurs la troupe dolente
Verfa tant de pleurs pour Hyante
Et gémit fi. amèrement y
Que félon les fables anciennes^
Jupiter efmeu de leurs peines
Logea les fept au firmament.
Entre les aflres ou brigades
Des efloiles font les Hyades^
Qui donnent leur dueil à VjEther :
Et c^efl cet aflre qui convie
Le Ciel aux pleurs ^ Pair à la pluye^
Et VUnivers à lamenter.
Six Frinceffes de compagnie,
Qui de vous ont receu la vie
POESIES RELIGIEUSES. 309
Et r exemple de pieté ^
Qui ont eu part à vos defaftres^
Avec vous pafferont les afires
En luftrej en honneur^ en clarté.
O quelles feront ces Efloûes^
Quand fans entredeux & fans voiles ^
Elles iemhrajferont à Vaû^
Qui fait les clartei éternelles.
Dieu fe faifant un miroir d^ elles
Comme des Aftres le Soleil. "
HTMNB
SUR LA MERVEIUBUtE DE&IVRAKCE DE GEMBVE.
Pour chanter fur le chant : Rendex à Dieu loiiange h gloire.
A ce beau jour nous efl donnée
Matière d^ exultation .'
La voici Vheureufe journée
Oit Dieu fit merveille à S ion.
Quittei vos couches emplumees
Aupoinél de F aube ^ Genevois^
Pour chanter au Dieu des armées
Cantique de cœur & de voix.
Quand les ennemis de vos vies
Vous preparoyent la mort^ alors ,
Ames & armes endormies ^
Vous eftiei en eftat de morts.
Une confiance mortelle
De mefpris vous avoit charmés j
Quand d^Ifr ail la fentinelle
A veillé pour fes bienniimés.
3IO POESIES RELIGIEUSES.
Venei^ tous fexes & tous aages^
Chanter avec nous. en ce lieu
Les grands ejfeéls des hauts ouvrages,
Et les délivrances de Dieu.
Dieu qui dans les dangers extrêmes
Dreffa nos cœurs & nos efprits,
Et à nous reprendre nous^mefmes,
Et ceux-là qui nous avoyent pris.
Ce T^eft pas feulement au Temple,
Vieillards, Seigneurs de la Cité,
Que vous avei fervi d'exemple,
De miroir & de pieté :
Mais les premiers à vous refoudre,
Et aux armes plus diligens,
, Dieu vous a fait mettre la poudre
Dans le nei de vos jeunes gens.
Soldats, qui ne vous donne^ peine
Des ennemis à millions,
Donnei en gloire au Capitaine
Qui d^ agneaux vous a faiél lions.
Ce fut Jefus doux & propice,
Qui vous efmeut & vous guida,
Lorfque d?agneau du facrifice
Il fe fit lion de Juda,
Mères, matrones vénérables,
Prenei vos enfants condamnei
Par les tyrans impitoyables
A mourir, premier qu^eflre nés*
Apportei ces chères enfances
Dedans le temple, Genevois,
Pour accorder vos confonances
Avec leurs innocentes voix.
POISISS B.EUGI£Uf£S. |II
Et vous^ Genevoifes fillettes y
Puis que les cordeaux inhumains
'N'ont peu garrotter vos mains nettes^
Faites claquer ces blanches mains:
Et que ces voix pures &fainéleSj
Qui aux fers des malicieux
Euffent percé Voir de leurs plaintes^
Percent de louange les deux.
Dites : ô Dieu^ tu vois la guerre
De ces geans avantureux^
Fais voir aux enfants de la terre
Que le Ciel efl trop haut pour euXj
Fais que ces fols ^ ces infidèles .
Brifei de la verge de fer
Trouvent au bout de leurs efchelles
Le cordeau^ la mort & Venfer,
TOMBEAUX
PREPARATIF A LA MORT
En allégorie msuitime.
Oeft un grand heur en vivant
ly avoir vaincu tout orage ^
ly avoir au cours du voyage
Tousjours en poupe le vent :
Mais ^eft bien plus de terrir
A la cofie defireey
Et voir fa vie affeuree
Au havre de bien mourir.
Arrière craintes & peurs ^
Je ne marque plus ma oourfe
Au Canope^ ni à VOurJe^
Je T^aifouci des hauteurs :
Je T^ejpie plus le Nord^
Ni pas une des eftoiles^
Je v^ai qi£à baijfer les voiles
Pour arriver dans le port.
TOMBEAUX ET VERS FUNEB&BS. 313
POUB. METTRE A LA POB.TB DU TOMBEAU
Baili dans on efpron, à la defenfe duquel il vonloit obliger
Tes enfants.
EnfanSy fi vos ennemis ofênt
Travailler oà mes os repofent^
Rendei là voftre vie à Dieuj
Donnei au vrai honneur la vie^
Car voftre pe^e vous convie
De P accompagner en ce lieu.
POUB. UNE BELLE FILLE
Morte an berceau.
Cette grand' beauté fi exquife^
En bref temps efclofe & reprife^
Ne fut à nous que par depoft :
Le Ciel la monftra par merveille
Comme une perle fans pareille
Qtton defcouvrCj & ferre aujfi toft.
TOMBEAU DE M. DE LA CAZE
Trouvé en fa pochette quand il fut tué,
(Traduit du Utia).
Paffant ne pleure que pour toi^
Si Je pajfe en meilleure vie^
Je T^ai befoin de ma patrie^
Mais elle aura faute de moi.
314 TOMBEAUX ET VERS FUKBB&BS.
ELOGE DE SIMON GOULART
• ENIISI&N.
SIMON GOULART SENLISIEN ayant employé LX. années,
de LXXXVI. qa'il a vefcu, à prefcher la vérité à Genève,
rempli l'Europe de plafiéurs livres, en la dodrine & mul-
tiplicité defquels chacun admire celle des dons qu'il avoit
receus du ciel, cependant tousjours fourni à fa charge,
julques à la dernière femaine de fa vie : les fept jours du
filence de fa chaire remplacez par l'efchole de fon chevet :
en fin en une faifon où les fiens avoyent befoin d'exemple
de confiance, il a juflifié fes efcrits fur le mefpris de la
mort par fes contenances joyeufes & propos d'exultation
continuez parmi les hoquets & derniers fumeaux :
Ainfi la mort le délivre
Plein de joye & nous £ennuy^
Lui rajfafié de vivre
Et nous affamés de lui. ,
EPITAPHE
DE M. d'aÙBIGNÉ OCTOGENAIRE.
Pajfant, arrefle & voy que tout fe pajfey
Que le nàijîre efl au mourir engagé^
Fuijqiiicy gift en un corps tant aagé
Une vertu plus tofl morte que laffe.
^
Vers funèbres
DE TH. A. D'AUBI-
gné Gentil-homme
Xantongois.
SUR LA MORT D'ESTIENNE
Jodelle Parifien Prince des Poètes Tragiques.
A Paris
Par Lucas Breyer Libraire tenant fa boutique
au fécond pillierde la grand falle du Palais.
Ï574
Avec Privilège,
\1
Tu as ce mefemble grand tort y
AubigTiéj de pleurer Jodette^
Ta plainte eflfi doue tr fi belle
QjLfellefaiél oublier fa mort.
rOLUSJEN.
Vers funèbres
DE TH. A. D^AUBIGNÉ
SUR LA MORT D'ESTIENNE
Jodelle Parifien Prince dei Poece« Tragique*.
Trottei lambe-t ejloffei
De creve-caur ir d'amerlumej
Fai&es regorger à ma plume
Les moli qui vous ont efckauffei :
Efcîate\ majujle querelle^
Ridei voflre face d'horreur j
Plearej dejureur la fureur.
Et de vers te vers de JodtlU,
Mon ode enfangloMt tes doit\
Des plaies de ta chevelure;
Jl8 • VfiUS Yt/NBBRBS
JL^
Grate en ta facécefte injure j^
Qifon la U{e de' tous endroiti :
Que 'ta Jufte forcenerie
CtMifaigne forcener de pleurs
De tes ^oûiques moqueurs
La loUique moquerie.
Ce papier f oit le porte^fais
Qui pâtira de ta cqlere;
Fais lui porter la folle enchère
Des folles plaintes que Je fais :
Etji la douleur te furmonte^
La douleur mefurmonte aujjiy
Je te laijferay le fqucy
De racompter ce que je conte.
Chante doncy Chetive^ comment
C'efl de la perte de la France ^
De la gloire de l'ignorance,
Qu^ejl conceu mon jufle tourment :
Je me plains de voir l'avarice
Régner en ce fiecle tortu^
Je me plains de voir la vertu
Foulée aux pieds du cruel vice.
•
Si le doéle r^eft artiyin^
Il rneurt pauvre avec fa doâlrine^
Ou /il ne fcait feindre la mine
Et le mafque d^un courtiian :
On mefprife l'homme de guerre^
Le fcavoir nous eft ennemy^
Onfifche le coude endormy
Sur Vor qiion a caché en terre.
SUB. LA MOB.T D ESTIBNNB JODBLLE. 319
Le peuple liameja viûoire
De libres wy de lauriers :
Le peuple ne marque fa gloire
Ny des letrei ny des guerriers :
Heureux cebiyfeul qui peult faire
Sa courfefans Paide d^oMiiruy;
Heureux cduy feul aujeurd^huy
Qui ne fcait rien^ finon fe taire !
Siècle malheureux & maudit ^
Où Aîammon pour feul Dieu ^ adore :
Siècle plus mif érable encore
Cent mille fois que je v^ay dit :
La nohleffe demeure ferve
Soubi le populaire ejuiobly;
Noifervices font en oubly :
Les pourceaux enfeignent Minerve,
Jodelle efl mort de pauvreté;
La pauvreté a eupuijance
Sur la richeffe de la France;
O Dieux ^ que II traiéli de cruauté!
Le Ciel avoit mis en Jodelle
Un efprit tout autre qu^humain;
La France lui nia le pain^
Tant elle fut mère cruelle.
La Mort pleura de fon tourment^
Luy faifant office de m£re^
Et pour Vofler de fa mif ère
Luy ravit le corps feulement :
U efprit aux ombres plutoniques
Se faiél de P Enfer adorer^
320 VERS FUNEBRES
Le faiéi pafmer^ le faiéi pleurer
Aufon de fes plaintes tragiques,
La Mort a desbandé fes yeux y
Quoyque les poètes vueillent dire^
Puifqu^elle a fi bien fceu eflire
Tout ce que nous avions de mieux :
O morti^ n'ayei donc plus d' envie j
Ayant avec vous nofire honneur^
De revenir en la douleur
D'une fi deteflable vie!
AmySy ne pleurons plus le fort
De ceux qui ne font plus en eftre;
Noftre vie commence à efire
Mille fois pire que la mort :
La mort ne fcauroit élire pire;
Mourons^ nous ferons immortelle
Et noi efcripti nous feront teli
Que noftre fi ecle voudra dire.
Je ne fonde pas ma douleur
Sur la mort de ce grand Jodelle^
Car fi je me complaignois d'elle^
Je ferois marry defon heur^
Mais que ceux que la perte touche j
Desja ingrati ont oublié
Celuy qui avoit deflié
Tant defileti dedans leur bouche.
Si on reproche la grandeur
A Jodellcj & qu'il fut trop grave ^
Puifque Fefprit efloit fi brave ^
Pouvoit il avoir autre cœur?
SUR LA MORT D ESTIENNE JODELLE. 321
Quelque abatu de confcience
Eufl deguifé ce qv^Ufçavoù^
Mais Jodelle ne le pouvait
Avaler d^ un poltron Jilence,
Cela ne debvoit point ofler
Aux doéles efpriti de la France
La pitoiable fouvenance
De celuy qu'ils debvoient chanter :
Si peu jamais ne debvoit faire
Le moindre de tous commencer^
Mais fay mieux aymé m' avancer^
Pour garder quelque un de Je taire.
Lors que les petiot^ enfans
Crient au tombeau de leur père,
Cefte douleur efl plus amere
Que le defefpoir des plus grandie
Bien qu'ils ne logent dans leur cœur
Un fi grand amas de triftejfe :
Peult eftre que ma petitejfe
Servira de telle couleur,
Va^ mon Ode^ pour refveiller
Du dormir quelque doéle ouvrage^
Le trifte effroy de ton orage
Les gardera de fommeiller :
Abreuve de pleurs l'Univers^
Fay faigner ta Jufle querelle ^
Que mes vers vivent par Jodelle^
Jodelle vivra par mes vers.
VI. ai
322 VERS FUNEBRES
SONNETS.
Quand Jodelle arriva foufiant encor fa peine ^
, Le front plein de fueur des refies de la mort^
Quand dis^je^ il eut attaint VÀcherontide bord^
Attendant le bateau^ il reprint fon haleine.
Il trouva VÀcheron plus plaifant que la Seine ^
UEnfer plus que Paris : auffl Pair de ce port^
Quoy qu^il fuft plus obfcur, ne luy puoit fi, fort
Que luy faifoit ça haut une vie incertaine.
Le Paffager le prend au creux de fon bateau ^
Et Jodelle eftonné difoit en paffant Peau :
Pourroy-je me noyer ^ qu* encor un coup je meure.
Pour proffiter autant à mon fécond trefpas
Que fay fait au premier; mais il ne pouvoit pas
Augmenter fon bonheur pour changer de demeure.
Au faillir du batteau où Pâme fe defole
D'un ufurier tranfi^ d'un Epicurien
Pleurans leur bien paffé^ Jodelle n'ayant rien
Regretté à Paris fit une capriole :
Maù s^il eftoit joyeux^ plus le fut la carole
De tous ceux qui avoient en leur temps ancien
Efpanché les threfors de Vantre Thefpien^
Du Canope incognu Jufques â l'autre Pôle.
Tous les Rois qui avoient favorifé les vers
Environnaient fon front de mille rameaux vers^
De nu'rthe^ [de] ciprés^ de lierre^ & iTefrable^
Heureux qui le pouvoit couronner de fes doits!
Voyei donc comme il efl honoré des grands Rois :
Il n'eufl ofé vivant aprocher de leur table.
SUR LA MORT D ESTIENNE JODELLE. 323
Jodelle errant aux bars de la rive cruelle^
Treforiere de Por & de l'heur des François^
Se plaint qiiil a efté la gloire de noi Roisj
Et que noi Rois liront peu cognoiflre leur Jodelle,
U Enfer creux retentit defajufte querelle y
Tous blafment noflre France & d'une mefme voix
Les mirthes ombrageux^ rives ^ rochers & bois
Blafonnent noflre temps cPune injure nouvelle.
Ils oyent attentifs que Jodelle difcourty
Comment il eft mort pauvre ^ & comment à la court
On cache la vertu pour eftaler le vice :
Il eft mort pauvre y ayant enrichi V Univers
De ce qu'il poffedoit : Jodelle mit aux vers
Sa richeffe^ fon cueur^ fon or^ fon avarice.
Riche eft^il mort^ mais quoy? oit eft cefte richeffe?
Qui en eft héritier? J^ay peur qu^avecques luy
Son trefor fe pourrit j Je ne voy aujourd'huy
Aucun qui le pojfede^ aucun qui le careffe :
Uun en tient un lopin^ dont il bave fans ceffe^
L'autre en tient un cayer enfermé dans l'eftuy^
Un autre à qui V argent ne feroit tant d'ennuy^
Le vent à beaux teftons pour mettre fur la preffe.
Pauvres vers orphelins ^ voftre père eut grmd tortj
Ne vous laijfant au moins nourrir après fa mort
A quelque bon tuteur ^ mais quand bien Je regarde,
n vouloit que fon temps & le voftre fuft un,
Pource qu^il ne voyoit autour de luy aucun
Qui meritaft l'honneur S une fi chère garde.
224 VERS FUNEBRES.
•
Il y a quinie jours que je te mauiolife^
Jodelle^ j^ay pincé la plume de trois doits ^
Je V ai prinfe cent fois p & remife cent fois ^
Autant de fois failly que de fois je Vay prife.
Je ne puis voir comment ma faute je defgmfe^
Jamxds pour uàfubjeél ma plume je n'avois
Importuné ainfi : mais quoy? Je ne pouvois
Choifir de tes vertus celle que plus je prife.
J^eujfe bien dit comment tu avois honoré
La France en luy donnant le cothurne doré
Que la Grèce gardait plus cher que^fes deux yeux
J'eujfe bien dit encor )ce qui rend immortelle
Ta vie après ta mort^ mais je riay peu^ Jodelle,
Pour louer ta fureur eftre ajfe\ furieux.
Les corps qui font nés de terre
S'eterniient par la pierre :
Mais les celefles efpri^
S^etemiient par efcrii.
AUBIGKÉ.
^^M
V
LA CREATION
(Poëme inédit, publié diaprés le manufcrit original de la colleâion
Tronchin. Mss. d'Aubigné, T. X, f« i]
CREATION
CHq4V^T ■p%eimie%
Dt l'btsrnité et puissance de dieu.
Quoyque le tems chenu d'un fuperbe pouvoir
Semble bien rriouphsr de lout ce ifon peut vc
Et que Fhome^ Seigneur de la terre 6" de l'm
Soyt reduyt par fa fjux en la fojfe profanât^.
Bref que loul foyl Jubmis à la rigueur du tesq
Comme dominateur; touiesfays je prêtera
Monfirer^Joyt par les deux <T leur grand M
Soyt par Us deux Jlaml/eaux, du monde la-Ci
Auffi par Pair fulil efpari en chacun lieu,
Et par ce monde rond, planté ferrrte au mûi»
Arec cent mille corps, qui jatu qi/aueu» m
Sont nourù det prefant f> '
328 LA CREATION.
Surtout voyant le cœur de l'home eftre affeéïé
D'un naturel inftingt à une pieté^
Qu'il eft un Souverain^ un Dieu lequel prejide
Sur tout^ et qui d'unfrain droyturier ce tout guyde.
Que Ji quelque corps eft par le fier temps dompté^
Cela provient de luy & de fa volonté^
Tellement qu'il convient foubi fon pouvoir fuprefme
Que toute chofe ployé avecques le temps me/me.
Ce grand & puijfant Dieu duquel parler j'entens
C'eft cetuy là qui eftj c'eft l^ Eternel fans temps ^
Et lequel par le tems^ d'une gloyre admirable
Monftre qi£ après le temps fon eftre eft perdurable.
Tel donc eft l'Eternel du tems rongeart dompteur ^
Duquel Je veux chanter Vexcellance & hauteur^
Les merveilleux effeéîi tel^ qu'il les faiél paroyftre^
Tant en ce Ciel voulté comme en ce val terreftre.
Divine Aîufe^ vien efpendre deffus moy
Tes grâces & faveurs^ & me donne de quoy
Exalter par mes vers & par ces miens cantiques
De ce grand Dieu des Dieux les aéles magnificques.
Mays quoy y dira quelq'un^ c^eft beaucoup entrepris^
Tes cordes fonnent bas & l'œuvre eft de grand pris :
Quiquonques l'entreprend^ atendu fa hauteffe^
Qi^ïlfoyt doncques femblable à David en fageje.
A mon vouloir qu^il fuft ainfi que tu le di\y
Toutesfoys comme on voyt es orgues des peti^
Tuyaulx defqueli le fon n'eft pourtant inutille^
J'en peux dire de mefme au reguard de mon ftille^
Lequel quoy qi£û foyt bas & mené peu de bruytj
J'efpere néanmoins qu'il fera quelque fruyt :
Joint que le tout Puijfant qui mes fens ayguillonne
Eft le mouvement feul de ma volonté bonne.
CHANT PREMIER. 329
Oefi ce qui m^enhardift en cela que je fais,
Xajfeure de ne poùufucomber foubi le faix.
Som fecowrs me fera plus pront à le bien dire
Que Je ne rendre prefle à ce faire ma lire.
Debout, reveûle toy, ma lire, & commençon
En ton armonieux cefle miene chanfon,
Faifon la refonner toute autre en mélodie.
Car c^eft au Dieu vivant auquel Je la dédie !
(Peft à ce Dieu duquel les aéles merveilleux
Dignes de tout honneur fe monjlrent à nos yeux.
Ce Dieu duquel Pefprit pleinement nous informe
Qt^il ejl le Créateur en matrice & en forme.
Que tout ce qui s^ejl veu & qu'on voyt aujourd^huy,
La caufe efficiente & finalle ejl en luy,
Que toutes chofes font, foyt en forme & fujlence.
Comme elles refdoyent en fa feule puiffance.
Cefi ce Dieu qui a feu créer & mètre à point
Ce qui au par avent en efire riefloit point.
De rien faire unfubjeél, d'urte chofe eftant vuide
Et fans forme en tirer une chofe folide.
D'une chofe ejlant vacque & fans nul fentiment
Créer & faire un ejire avecques mouvement.
D'une chofe confufe & du tout inutille
Seu le tout difpofer d'une ordre tant gentille :
Ce Dieu qui fans confeil, fans moyen, ni fecours
Fiji le Ciel & F enclos d'iceluy en fx jours,
Afon mendement feuly car la parolle diéle.
Ce qui ejl receut lors ejfence auffi fubite,
hors & au tems prefix qitil avoyt refolu
Et félon le protraiél en Jby mefme voulu,
Monjirant là un pouvoir glorieux & infigne
Et lequel à bon droyt eft de V ouvrier bien digne.
Que cela ne foyt vray, V oeil fans ejionnement
Peut'Hl bien contenpler ce large firmament
330 LA CREATION.
Semé & enrichi de mainte efloylle belle ^
Veyr la lune en fon plain & le decours dHcelle^
Voir aujfi du foleil Valer & le retour^
Borne de Vanfuyart^ des fayfons & du jour^
Peut^il (dis je) les voir^ fans juger en courage
Qu'il y a un principe ^ auteur d'un tel ouvrage?
Si me/mes on reguarde aux mouvemens divers
De ces celeftes corps entourons V Univers^
Haut & clair on entant combien ceft exercite
Raconte en tout endroyt la gloyre qu'il mérite,
SHl efl ainfi que Vair fe puiffe tranfpercer
Par le vol de Voyfeau^ d'autre part balancer
La terre en iceluy^ maffe pefante & large^
Qui le faiél fubjifter foub^ fi pefante charge?
Quel efl ce naturel en l'home qui Vinduyt
A recongnoyflre Dieu? Quel objeél le conduyt
A croire que du Ciel il ayt pris origine
Sans fe perfuader une effence divine?
S' efl û jamays congneu aucune région
Qui fe foyt feu paffer d'une religion?
Uinfullayre eflongné^ voyre des plus fauvages
Ne fe font point trouve^ fans génie ou images.
Qui prejfe Vidollatre^ ores qt^ il foyt hautain^
Faire homage à l'image^ œuvre eftant de fa main?
N'efl ce à la .vérité une force divine
Qui fur l'afeélion naturelle domine?
Joint qi^il ne peut fouffirir qu'il luyfoyt imputé
D'eftre fans fentimant d'une Divinité^
Ce qui demonftre bien l'humaine créature
Avoir un Dieu en elle inprimé de nature.
Bien qv^elle & ces haux deux merveilleux 6* luyfans
Soyent aux homes tefmoins trop plus que fv^fifans^
Il s* efl y luy libéral & d'amour non petite ^
Manifeflé à eux par fa parolle efcripte
CHANT PREMIER. JJl
En laquelle on aprend à le congnoitre mieux.
On y voyt tf autre part qi^il fe prejante à eux
Afiiuelletneatj uSin qu'en affeurence
Sur luy onfe repaie en toute obeijfence :
Là dedans on y voyt auffi comme ce Dieu
Efl d'effence infinie en tous lieux & fans lieu,
Que tous les deux des deux avecques celé terre
Ne le Jauroyent comprendre Ùr moins tenir en ferre :
Que c'ejl le Dieu, le fort, impaffible, immortel,
3ufie, inconprehenfble. Outre plus il eji tel
Enfoy, qu'il /t'a nul corps ou femblable figure
Pour le reprefanter comme une créature,
Laquelle a forme tr corps mais bien diverfemeni,
Car le vent furieux, le feu, chaut élément,
Légers ont corps ayri : l'eau, élément humide
Et froid efl faid d'un corps trenfperceaat & liquide :
L'home j image de Dieu, oy féaux volons en l'air,
Tous animaux auffi, ont un corps faiéi de chair :
L'Ange, l'ame de l'home' & Diables mif érables,
Comme ce font efpnf, ont corps à eux femblabUt.
Dieu feul refle fans corps, mefmement c'ejl celuy
Qui ne peut endurer divifion en luy.
Infini comme il efl, cete nature efl telle
De ne pouvoir fouffrir divifion en elle:
Or qi^Ufoyi véritable en ee que»
Dieu ejhe de nature infini^
De n'imaginer chofe en M
De charnel nu reguard di
Pour la rendre efpendnë em f
Cosienant un' efpace
Que deux infimj foyen
L'am contenant enftty tr Pm
332 LA CREATION.
En quelque efpace & lieuy tant grand fauroyt il efire^
Rien moins qui peut enclore un qui comprend tout eflre.
Ce que je dis r^empefche aucunement que Dieu
Ne face fa demeure en quelque certain lieu ^
Ainfi qu^il le peut faire en fes efleus par grâce ^
Vrays temples âUceluy quand foy leurs cœurs enbrajfe.
Autre chofe efl de Dieu^ confiderans fes faiéli^
Sa grandeur^ fa vertu ^ dont on voyt tant d'effeéli
Merveilleux & hautains dont à pêne du moindre
Le foyhle fens humain n^eft capable d'atteindre.
La terre ^ mer & Cieux de fa Divinité
Sont remplis & n'y a lieu de vacuité^
Qui plus efl^ on y voyt quelle efl fa providence
Et des points excellans de fa beneficence.
Tel qu'il e ft oit jadis y tel il efl orendroyt :
Il 7^ efl point en un lieu plus qu'en un autre endroytp
Il efl tout en tous lieux ^ en mefme eflat & forte^
Sans que mutation aucune le tranfporte :
Et d'autant qu'il n'efl pas pojjible à nos efprits
Le dire tel qu^il efl^ en foy mefme compris ^
La grandeur nous contraint le déclarer par chofes
Lefquelles font de luy^ & non en luy enclofes.
Comme cil qui diroyt cefle terre qui efl
En toute efpace & lieu où la terre aparoyfl
Se monflre en quelque endroyt de plus grande eflenduë
Qu^en Vautre^ ce qu'on juge ayfement par la veuë»
Une ifle ne peut eflre en forme ny grandeur
Comme toute la terre efparfe en fa rondeur;
L'humeur vital à tous gênerai fe remontre^
Foyble dedans un corps ^ fort en l'autre il fe monflre.
Uoeyl gênerai du monde autour du jour efpend
Sa lumière par tout, mays comme elle defpend
D'iceluy^ la clarté en fon corps plus abonde
Qv^elle ne fauroyt eflre en nulle part du monde»
CHANT PREMIEB..
333
Uair lequel efi de Joy irtpalpable iT léger
Se peut en petit lieu enclore <T fe renger,
Emcores que du tout la terre H eitnromu
Et qi^à toiu animaulx lay de refpirer donne :
Ce qui demoaflre bien un corpi ejlre en fon tout
Plut grand & en partie ejlre moindre en beaucoup.
Afayt o Dieu! tu es tout & partout en toy mefme,
Seul tu es en la terre Ù-feul au Ciel fuprefme!
Or luy comme éternel, ranpli de magefii
Avecquei la parolle en tous tems a ejlé;
Elle efloyi dedans luy éternelle Ùr divine
Dont tout ce qui Je voyt a pris fon origine.
Combien que cela Joyt, il ne faut touiesfoys
L'imaginer femblable à nojire humaine yoyXj
Laquelle ains que d'avoir fes effeél^ efi formée
Au cerveau j fuys après en l'efpril imprimée :
El lors le Jugement prononce & met avent
Sa conception prife en luy au par avent.
Afin que fes deffaingi il puiff'e faire entendre
Par le fan de la voix qu'on oyi par l'air s'ependre.
Rien moins que cela foyt en ce Dieu fouverain,
En luy, efpril qu'il efi, n'a tefte, bras ni main,
Non plus delangue&bûucheù' àuiùnl peu d'aureille.
Ni parolle qui foyt à ta noJlre pareille :
Et en cela deffauhs font fign^t fvidau
Que Dieu n'a pas befoign dt tOM fiff^eHant.
Mays guoy! peuls il p ' — _ .
Chofe aucune oà te loal e
■ Peuii'
Peut il avoir Vefpritfay, _
Peui il fe déclarer avea^-ff
Noos l'oyons rt
Taues t*s aâions, tellet p
334 ^^ CREATION.
De le juger avoir parolle en luy mentale ^
Ou qv^elle foyt ejcrite^ ou comme on àiB^ vocale»
Cela eft trop abfurde & ne peut avoir lieu
Au reguard de Pejfence éternelle de Dieu^
Et quand ce mot parolle eft leu en VE/cripture^
La caufe eft en nosfens groffiers de leur nature
De rechercher pn Dieu aucun parler charnel.
Rien moins il r^efl en luy autre qu'ejfenciel^
Incongneu de nous tous jufques au tems & heure
Que nous pojfederons V éternelle demeure.
En attendant ce jour & heure^ fayfon mieux :
Adorons le d'efprit fans eflre curieux
De f avoir quel il eflj aprenans foub^ ftlence
Pojfeder nos efprits avecques patience.
Car cil qui tafche entrer au dedans des profonds
Secrei de VEtemel, qui n'ont rives ni fonds ^
Reffemble le poylier qui bat la poylerie^
Qui martelant fans ceffe^ au grand bruyt perd Pùuye :
Ou comme l'hydropicque altéré qui ne prend
Playfir qu'à boyre bien, va tousjours enpirent
Plus il cuyde eftancher la foyf qui tant l'opreffe :
Le boyre caufe en luy plus grande fay cher effe*
Ainfi cil qui s^enquiert trop curieufement
Et plus qiiil n'apartient, y perd ^entendement :
Plus il y eft entré & plus il s'en enquefte^
Plus £ altération fon efprit il molefte,
Celuy qui tafcheroyt de mettre Maine à fec.
Outre Sarte (r le Loyr qui fe joignent avec
Y vouluft faire entrer le grand Jleuve de Loyrej
Un tel entreprenant ri eft il pas fol notoyref
Comme il eft à bon droyt^ ainfi eft il de ceux
Qui guidei dlun efprit léger & curieux^
S^enquierent où eftoit la divine prudence ^
Ains que la terre & deux fuffent en évidence.
CHANT PREMIER. 335
O que c^eft grand? fagejfe à Vhome de pouvoir
Et vouloir ignorer ce qv^il ne faut f avoir !
combien eft heureux celuy qui Je contente
De ce que VEfprit Saint par efcript luy prefente!
CHq47^T SECOCtsC^.
D£ LA CREATION DE LA LUMIERE
ET DE l'air.
Du Souverain chanté la grandeur par mes vers^
Ores Je veux toucher de ce grand Univers
Et la création des chofes qui ont eflre :
Comment y à quelle fin tant de corps ilfift naiftre.
Or comme il foyt un Dieu à nul autre pareil j
Et qu'il eufl de tout temps preveu en fon confeil
Cefle création f luy de vertu fuprefme
Créa cefl Univers pour V amour de foy mefme.
Pour V amour donc de foy il créa les haux Cieux^
Uhome & tout animal vivant en ces bas lieux^
Le Levant^ le Ponnànt & Vun & Vautre Pole^
Pour demonflrer en eux Veffeéi de fa parole^
Pour monflrer la grandeur de fa Divinité,
Pour monflrer qu'il efl Dieu rempli de mageflé^
Pour monflrer qu'en luy feul conjtfle toute chofe
Et que dedans fon fein toute eflre efloyt enclofe,
Defaiél^ que pouvoit il en ce caos avoir
D'excellant qui le deufl aucunemant mouvoir^
Veu qi£il ne s'y trouvoyt que ténèbres epejfes^
Au lieu de la matière à créer tant d'efpeces?
CHANT SECOND. 337
Ce tout fut donc de Dieu bafti & façonné^
Voyre félon le temps qiiil avoyt ordonné^
Il le fift voyre tel à ce que nul jt ignore
Que le but & la fin tend à ce qiton l'honore.
Or luy qui prevoyt tout fift f on œuvre au parfait
Sans qu'il y manquaft nen^ ains que V homme fuflfaiét,
Pour luy eftre logis & à ce qu'il ne penfe
Avoyr en rien aydé à faire quelque effence^
Car F homme de nature audacieux & fier
Euft Ole dire ainfi pour fe glorifier :
Je fuys premier créé pour eftre fai^ un ayde
A créer l'Univers, bien que Dieu y prefide.
Combien qu'il foyt defoy é^efprit ingénieux^
Prompt^ imaginatify d'unfoign laborieux
A rechercher les ars avecques diligence.
L'office de créer ne gifl en fa puiffance.
Tant bien apris foyt ilj en f avoir nonpareil^
Sa force ne reftant à faire un tout feul poil;
U efl pour cejl effisél^ quoy qu'il foyt tris abille^
En tout art & fcience impotent & débile.
Que peut Vhome baftir & faire dextrement ^
SHl n^a quelque fubjeél avecques inftrument?
Un paintre ne fauroyt fans un crayon protraire ^
Ou matière qui foyt propice pour ce faire,
Quoy que le menufier bon ouvrier fâche bien
Baftir quelque beau liél, fans boys il ne peut rien^
Et lorsque le fubjeél défaut ^ le meilleur maiftre
Au reguard de fon art inutille on voyt eftre,
Mefmes fouventefoys on voyt comme il ne peut
Le deftain entrepris acomplir quand il veut^
Temongnage affeuré & qui demonftre comme
L'office de créer ne confifte dans V homme.
Ce point là gift en Dieu qui feul a le pouvoir
De donner à tous corps lefoujle & le mouvoir^
m. aa
338 LA CREATION.
Tout ainji quHl efl Dieu & la vie éternelle^
De luy dépend toute eftre & entretien d^icelle.
D'autre part quand on vient à méditer en foy .
Ce monde & fon enclos pareillement^ de quoy
Tout efl & comment faiélj fur quel plant & modelle
L'édifice fut pris^ certes la chofe efl telle
Que foudain elle efmeut tous nos fens & le cœur
Pour dire & confeffer (fun Dieu en efl auteur.
Auffi que V œuvre efl tel & de telle nature
Qu^il efl digne d'un Dieuj non d'une créature»
Aîefmesfy on avife à l'ordre maintenu,
En cela pour certain l'ouvrier efl recongneu
Puiffant & fouverain^ ayant faiél la lumière
Mère de jugement & d'ordre la première :
Non fans occafion telle je la maintien^
Veu qiion ne peut jouyr fans elle d'aucun bien.
Où les ténèbres font & la lumière encloie^
Uoil ne fauroyt au vray dicerner quelque chofe.
Tout luy efl interdiél, tout plaifir efcarté;
Sans eflre prévenu de lumière & clarté j
Quelque chofe que puiffe un excellant orfeuvre,
Où la lumière ceffe auffi ceffe fon œuvre,
Ainfi cete lumière à bon droyt l'ornement
Et la grande beauté du large firmament.
Dieu quifavoyt combien elle efloyt neceffayre,
Âvent que rien créer ^ il la voulut bien faire.
Première elle fut faiéle & le foleil après,
Ce que l'Eternité eflablit tout exprés
A caufe que tout homme ayfement atribuê
La force aux inflrumens qui aufeul Dieu efl deuë.
Ce vice efl aparent, voyre au plus groffier oeyl^
D'enclore la puiffance & force en ce foleil,
De tout iluminer comme caufe première
Et principal objeéi de toute la lumière.
CHANT SECOND.
339
Que la terre s^ échauffe en f entant Jes chaleurs ^
Faiél Verbe verdoyer y efpanouir lesjieurs^
Faiél produire les fruyt\^ les cuifl & afefonney
Que tout eft infertille où fa chaleur ne donne :
Somme ces infencei font le foleil auteur
Des biens que rend la terre ^ & non le Créateur ^
Lequel comme il foyt Dieu auquel tout eft notoyre
Seut prévenir ce mal pour maintenir fa gloyre.
Car premier^ û créa V arbre avecques fon fruyty
Semblablement Varbage & la plante il conftrm't^
Leurs Jleurs^ feilles & fruyti avecques vie & eflre,
Avent que le foleil fi d f es rayons paroydre :
Non pas mefme créé, en cela on peut voir
Que c'eft le tout Puiffant quifeul a le pouvoir
lyHuminer la terre (r la faire produyre,
Sans que deffus icelle un foleil vienne luyre.
Non que Je veille dire ou nier qu^il n'ayt heu
De cefte Eternité pour acroyft la vertu
D'eclarer ces bas lieux j (t fa chaleur utille
Pour efchaufer la terre & la rendre fertille :
AuJJî que fes rayons ne rendent Pair plus pur,
Le tems clair & ferain plus plaifant que Vobfcur,
Que luy faifant fes tours par la ^one celefle,
L*an, les fayfons, les mois il ne nous manifefle.
Cela eft très certain, mays de croire autrement
Que ce foyt rien de luy autre (fun inftrument
Eflabli pour ce faire, on feroyt grand outrage
A Dieu duquel il eft comme la vive image
Laquelle chacun jour fe prefante à nos yeux,
Afin qu'en le voyant nos fens contemplent mieux
Combien eft grand l'ouvrier qui feut tirer de Ponde
Et d'un obfcur manoyr la lumière du monde.
Pour laquelle créer tout auffi toft qu'il heut
Diéi : Que lumière foyt, promptement elle fut
340 LA CREATION.
Sa majefté alors d'icelle s^ environne :
Ce faiél^ il la benift voyant qu'elle eftoyt bonne.
Comme cefte lumière heufl fon entier effeél
Du foir & du matin le premier jour fut faiél^
Et Dieu appella Jour cette clarté tant belhj
Uobfcurité contrayre au jour nuyél il apelle,
UaiTy corps de la clarté^ necejfayre élément
A tous pour refpirer fut faiél femblablement.
Quant à fon naturel û eft chaut & humide
Pour eftre entre le feu & V océan liquide.
En ceft ayr efpendu on voyt plujieurs effeéli
Qui font par le moyen des fept planètes faiâl^y
Et du vent froyt & fec^ comme F éclair j l'orage^
La grejle^ les f rimât i^ les pluyes & la nege :
Parce que le cœlefle alanbic de foy chaut
Tire de la grand' mer maintes vapeurs en hault;
Alors le vent s* y méfie ^ & comme le temps porte ^
Saillent en la nuée en Pune & Vautre forte.
Tout ainji que tu voys comme d'un mefme laiél
Les caillés^ le fourmage tr le beure fe faiél^
Ou que d'un mefme fucre on voyt l'apoticayre
Un liquide firop ou des penides faire :
Bien que d'une main mefme & fuget ils foyent faiéti.
Différent neantmoins tant en formes qu' effeéli;
Sy tu cherche la caufe^ il eft ayfé à dire
Le temps ^ le mouvement & ta façon de cuyre.
De là vient notenment cete diverfité :
Auffi quand le foleil remplit d'humidité
Par fa chaleur de Pair la région moyenne^
Le vent allors y entre & de fa froyde halene
Caille le tout enfemble^ & de cela fe faiél
Negej grejlej frimat^^ comme le temps permet,
Puys la nuée eftant pefante de fa charge^
Agittee du vent^ en terre fe defcharge.
CHANT SECOND. 34I
AmOU femblablement de la fouldre ou ef clair :
Uimprejfion s'en faiél en ce lumineux air ,
De Vinjlamation cPun efprit ou fumée ^
De quoy fe faiél un feu fortant de la nuée,
C^efl la raifon pour quoy ce qui peut refifler
Pour fa grand' dureté^ on le voyt molefter
De Veclatente fouldre y alors que Dieu la lance
De fon bras indigné d^une jufle vengence.
AuJJî que quelques foy s ^ voyre tr le plus fouvent^
On la voyt précéder oufuyvre du fort vent
Qui faiél que ce qui doyt eftre touché dHcelle
Tombe bas^ ou du corps tout ef branlé chancelle.
Outre de ce grand Dieu la puiffance on peut voir
Créant tous elemans par ce qiâ il f eut pourvoir
A les unir Ji bien que la chofe contrayre
En nature eft à l'autre entretien neceffayre^
Et où leur naturel efi ejlongné d'acordj
Tant y a qu'on les voyt rengés fans nul difcord^
Eflans du tout Puijfant reduys & mis en forte
Que diferans (Peffeélj^ l'un l'autre ayde & comporte,
Mefmes V excès de Vun fert ordinayrement
Pour eftre à fon contraire un vray temperemment^
Et le mal que l'excès violant pouroyt faire
Se convertifl en bien voyre par fon contrayre.
Le froyt ne peut fans chaut ^ fec fans humidité^
Quoy qu^ili fayent diferans en tout de qualité.
Le chaut pouroyt fans froid corrompre la nature j
L'humide fans le fec n'eft rien que pouriture.
Le froyt guafte les nerfs s'il rteftoyt tempéré
Du chaut ^ & l'humide efi par le fec altéré
Pour coriger le reume où nature eft encline
Quand l'humeur billieux dedans le corps domine.
Ores que les uns foyent aux autres oppofej^
Cependant on les voyt fans eftre divifei
342
LA CREATION.
Enfemble compatir en mefme lieu fans eflre
En rien endommagei du propre de leur eflre.
Que cela ne foyt vray^ on voyt le chaut & froyt
Eftre avecques humide & fec en ung endrovt;
Du feuy de Pair, de l'eau Je trouvent dedans terre^
Outre dedans f on ventre elle conçoyt la pierre^
Luy donne acroyffement d'autant que c'efljbn os
En laquelle il Je trouve avoir un feu enclos
Qui n'eftant tiré d'elle, o fecret admirable !
CefeUy quoy qu'il foyt feu, r^èfl à rien dommageable^
May s tiré de fon lieu^ cela qu'il confervoyt
Entier auparavent confommer on luy voyt.
Ilfe trouve de Veau es puysy creux & fonteines
Que la terre y tranfmet par fes four ces (r veines.
Qu'il y ayt en la terre un ayr humide & chaut,
Les exallations qui s^elevent en haut
Par la force du clair & chaut fouleil font preuve
Que l'air femblablement en la terre fe treuve.
Quand nous conjiderons & voyons un chacun
De ces quatre elemans divers reduiyi à un^
Sans que Veau face au feu fon ennemi la guerre.
Que l'air fubtil & chaut n'ofence point la terre ^
N'eft ce un faiél merveilleux & de quoy s'eflonner
Et digne de celuy qui les f eut ordonner,
Et fi bien q^un chacun publiquement confeffe
Que Dieu efl en fes faiéli d'admirable fageffef
Wmf6^7rf&^^M
CHq4^T TIEIIS.
DE L'ESTENDUE du CIEL, SEPARATION
DES EAUX.
La lumière eftani falûe, il voulut des deux haulx
L'eflendiii créer, & feparer les eaux
Qui foubj icelle efloyent des eaux au deffus d'elle .
Dieu dit Que cela foyt ir la ckqfe fut telle.
Dieu doncfifi l'ejiendui & Ciel il l'appella.
Or fa toute puyffance on peut remarquer là
Plus qi^em nul autre lieu, ai(^ par excellance
La. paralle U did fiege de fa puigance.
Lorsdufoir & mati n fut faia U jwr ^
PuysDieu dili: Qu( " " "^
Se rengent en un lieu &
X foudain l'an
Le fec lors aparut , favoir ejl h
Les câlines, les prei, les plat
' ' e <T la mer du fec
Dufoir & du matin fut la lieregj^
Cela faiéi, il voulut le fec ti
Et des e. - - - -
344* ^^ CREATION.
Qui vouldroyt enplement de cete large mer
Les effeéii merçeilleux deduyre & exprimer
Et les corps monftrueux & autres qu'elle enfante^
Je croys que n'y a langue au monde fuffifante.
Or comme elle foyt mère & four ce de toute eau
Et que toute eau s^y renge ainfi qi£en un vaiffeau^
Comment je faiél cela que d'une grojfe pierre
Elle donne de Veau pour abreuver la terre?
De qui prend la fontaine un mouvement & cours
Dont procèdent tant d' eaux qi£ elle rend tous les jours?
Outre plus qui lui faiél comme fource première
Engendrer le ruijfeau qui cauje la rivière ^
La rivière le Jleuve^ & le Jleuve e/i la mer
D^un cours impétueux tomber & s'abijmer^
Laquelle toutesfois^ quand bien toute eau y entre^
N'a jamais d'unfeul point enjlé fon large ventre^
Non plus forcé le lieu qui luy efl pour arefl
Donné du Souverain depuys que le monde eft^
S'eftant toujours tenue au dedans de ja rive
Soyt d'arène ou de roc prijonniere & captive ?
Et ores que jes Jloti grands & impétueux
Heurtent contre jes bords Jimplement areneux^
Mejmes quand ja fureur de fubmerger menace
Cefte terre ^ on la voyt conjijîer enja place.
Qui faiél que cela joit? La parolle de Dieu
A diél : Que toutes eaux demeurent en leur lieu.
Luy puijfant en parolle & du tout inmuable
Il veut que jon arefl demeure irevocable,
Sy on entre aux effeéli differans qu'ont les eaux
Selon leurs qualite^^ argumans tous nouveaux
Se viennent prejanter avecques des merveilles
Où l'Immortel faiéi voir fes vertui non pareilles.
Quand d'im ordre incongneu tu voys d'un mefme lieu
Sortir une froyde eau^ P autre chaude que feu^
CHANT TIERS.
345
Une aon feulement par fa chaleur cuyfante,
Mays d'elle on aperçoyt forlir la fiante ardente.
Une dont la vertu fes ruiffeauA
JJargille molle faiél en pie)
Une qui fe congelle enfel, manne tris bonne.
Pour autant qu'à tout vivre un bon goujl elle donne.
Une qui vaguabonde ores croyfl, pays decroyjl.
Et comme va la lune en mefme ejlal elle eji,
Une dont le limon Ù" defbord de fon onde
Sert de greffe à la terre & la rend très féconde.
Une qui feat le fouffre ou l'alun ou Vayrain,
Une bonne à nier, l'autre qui ne vaut rien.
Une ayant l'eau fort claire en fon fond & rivage.
Une eflant limoneufe, enfes bords force herbage,
Une qui au printems renfie (r l'efié avec
Ores que les torens d'alentours foy en t àfec,
Par contrayre en l'auionne & l'iver tousjours beffe,
Quoy que plufieurs torens tombent dedans fans ceffe,
Une qui en fes bords paifiblemene fe lient
Et là maint bon poyffonfe nourijl & maintient,
Une d mûrir poyjfon n'eji nulement encline,
Une par trop s'enplù- gajle tout ir ravine.
Le Sodamite lac un bitume gommeux
Prodayt : femblablement il croyfl en plujieu
D'une fontaine on voyt outre fon
A gros boulions fortir une poix
Or fi en pourfuyva
De l'abifme profond, & ce qui f ai
Par un deparre
Lefoyefaiéi le fan g dans les v
Comme ejl ce que la mer gui les donne & f
A feu faire ir percer leur c,
L'un largCf l'autre eflroyt, qvi incite la-Hnw
Jetter d gros bouûoat « ~
346 LA C&BATIOK.
Qui pouce le ruiffeau de Varains à courir
Troys heures fans ceffer & par troysfe tarir?
Qui caufe VOcean éejleverfans orage
Ses ondes au milieu & baffes au rivage?
Or fi de tell effe^i & fecrei merveilleux
Je t'enquiers pour /avoir l'entière rayfon d?euXy
Pour n^en voyr refolu^ je crain bien une chofe^
Que je face de toy une methamorphoie :
Savoir efl un poyfon^ non de corps toutesfoysy
May s bien que tu perdras la paroïle & la voix y
Pour autant que je fens nos efpriti trop debilles^
Caufe qui rend fouvent muet^ les plus habilles.
S^û quelques foys avient que te prene un defir
De vifiter lesprei par efbat & plaifir^
Careffant tes dif cours ^ fi cela (dis je) arivê
Que tes pas foyent dreffe\ joygnant Vherbeufe rive
De quelque fieuve grand ^ marche un petit tout beau^
Conquérant à toy mefme & di : qui pouce Veau,
Qui la tire du fein de cefte large terre ^
Quelle caufe Vefmeut à courir fi grand erre?
D'autre part confidere oÀ eft ce celier grand
Auquel tant d'eau s'afemble&qui tant d'eaux nous rend^
Sans jamays s'epuifer^ qùoy que tousjours il tire
Defes profonds vaiffeaux autant d'eaux qu'on defir e.
Cela bien médité^ confidere aufurplus
Veu que jà par le temps de cinq mil ans ou plus
hoyrcy Maine & le Touet cour ans aval fans ceffe
N'ont ili eflé reduyi à quelque feichereffe ,
Ou que le lieu auquel leur eaux fe vont renger
N'eft par le laps du tems plain jufqu'à regorger :
Note auffl d'autre part^ quoy qu^il hume & engoulle.
Pour cefte quantité fes bords i7 ne refoulle.
Outre confiderons les grands biens (r trefors
Qtion peut prendre & tirer de fon large & grand corps ^
CHANT TIERS. 347
Seule/neni en un point pour nourir la perfanne,
Qmlx prefatts ir quel^ metj efi ce qa'tlU[rKius]donne.
Conienphn d'autre part quelles commoditej
Cefle nature humaine en fes nec^tej
Reçoyt par chacun Jour au moyen du commerce
^ua trqficqueur marchant dejfus fon dos exerce :
Aie/mes que tout pays, tant habondant foyt il,
Ne peut qi/en quelque ckofe il ne foyt ùifenil.
Pour à ce fupleer, une affeiîiott renge
L'habitant faire voyle en quelque terre effrange.
De laquelle affeuri qièen ce qui leur deffault
Il trouvera remède autant que luy en fault,
Faid fingler fes vaiffeaux fur l'onde ir là il lire
Sans crainte pour avoir la chofe qu'il âefire.
Auffi fouventefoys on a veu ariver
Par l'injure du tems entièrement priver
De tout grain un pays, lors au travers de Fonde
Plufieurs cherchent les lieux où plus de grain habonde,
El ceux là qui n'avoyent par la calamité
Autre efpoir que fe voir à telle extrémité
D'eflre en bien peu de tenu acablei de famine.
De toutes pars leur vient des grains par la marine.
Bref le monde fans eau eonffier ne fauroyt,
Etfansceji elemant tout efire periroyt.
D'eau s'empafie le pain, cuire elle ejl propre â boyre,
Entretien de ce corps fngullier & notoyre.
La terre d'humeur vuide à caufe des chaleurs
Ou du vent froyt ir fec. les herbages &■ S
Playtriffem fur le pié, toute verdure e
Sans pouvoir profiter à caufe du grand hafieJl
Que fi la pluye vient fur elles dégoûter
En tems ir en fayfon. on les voyl profiter
Caufe un acroyffement ir les fniyii afaifon,
Efmeut la terre ronde aux biens qu'elle .
34^ LA CREATION.
Outre plus le cour al dont on orne le- col
Et bon médicament en mer croyfl tendre & mol^
Autant ployable qu'eft un petit jetton d'arbre
Quifurpris de l'air prend un corps dur comme marbre.
Si d^un chien enragé quelg^un Je trouve mords ^
L'eau de mer luy eft propre en s'y baignant le corps.
Par art l'eau de la mer en douce eft convertie
Dont au befoign la foif de l'home eft amortie.
De noftre temps on a ce qui au par avent
N'eftoyt congneu^ congneu pour faire voylle au vent
Et du grand Océan fendre Vecumeufe onde,
Defcouvert maints trefors, trouvé un nouveau monde,
Conclufion : les eaux faiéles du Dieu des Dieux
Sont une ocafion de grands biens en tous lieux,
D^iceïles en partie on y aperçoyt comme
L'Eternel f eut pourvoir de ce qiiilfaut à Fhomm^,
^mi^^m:^^
CH<i4^r QUq/Î711IES^E.
DE LA TERB,E ET DES PIERRES.
Tout ainfi que des eaux les effeétj merveilleux
J'ay ci'dejus chanté^ le femblable je veux
Faire de cete terre 6- des biens qu'elle ameine
' Vuit affidu travail pour la nature humaine,
Monjlrer que fi l'eau efl un bénéfice heureux
Aux humains, beaucoup plus la terre efl envers i
Nourice favorable ir qui de fa i
LesfouUe, Ù- loge auffi comme
Le mefmes elle faia envers tous a
Ranpens deffus fa face es plai
Car félon que l'efpece & direrjéa
Defire l'alimantj elle y tromtiM,
En forte qu'il n'y a
Senti du Souverain la fav
t la terre. ayatttM
De les entretenir
Au centre de ce rond (T hautain firit
JjOuvrier de toutfeut bien affolT
Qui reffembh àM
Ou
enfans ijfui d'elle.
mmits & V
350 LA CREATION.
- ' ? ■ . ■ ■ ■ ■
En ce fuperbe ouvrage apert le doy de Dieu
Pour le voir balencer juftement au milieu
Du Ciel & fans apuy^ qui plus eft en fon eflre
Fixe & fans fe mouvoir à dextre n'a feneflre.
Quand je viens à penfer comme fur l'air ou F eau
Peut ferme confifter un fi pefant fardeau j
Tant plus je peuft avoir quelque raifon conceuë
De ferme en ceji endroyt^ & moyns j'y trouve iffuê.
Lors comme le pillote tr bien expert nocher
Cherchant nouvelle terre ^ aperçoyt le rocher
Ou quelques bancs couvers en Pincongneu rivage
Faiél ourfe à Vautre part craignant faire naufrage^
Ainji en delaiffant ce que je ne puys pas
Bien comprendre^ atendu l'excellence du cas^
Je demeure là court en difant à moy mefme ,
Combien font merveilleux les faitz du Dieu fuprefme,
Combien eft le bras fort qui foucienc un tel faix !
En élevant mes yeux au Ciel j'entre aux effeéli
Produyi par cete terre ^ aujji à fa largeffe^
Mère & four ce à bon droyt de toute la richeffe^
Car de fon abondence arive un entretien
Tel que tous animaux n'ont faute d'aucun bien.
Que fi fa face efl veuë à l'homme favorable^
Le dedans n' efl pas moins envers luy profitable;
Que fi le deffus dorme habondence de fruit^j
Defes entrailles fort l'or & l'argent produyt^
Et plufieurs minéraux^ mefmes dans fa poytrine
Toute pierre de pris naifl & prend origine»
C'eft à la vérité tant dedans que dehors
Un grenier fourniffeur de tous biens pour le corps ^
Qui ne fe diminué encore que tout eflre
Se jeté en iceluy affin de s'y repaiflre.
Or la neceffité nous faiél apercevoir
Quelles commoditei on en peut recepvoir :
CHAHT QUATaiSSME. jjl
Encore! qi^elk fiyt froyde & Jeche, elle engetidte
Enfonjein caverneux la pierre dure tr tendre
D'un limo/i plus terrejhe & trouble en fon endroyt,
Que Tion pas aquatique, tr neantmoins le froyt
Véhément Pendurcii qui tient plus de l'humide
Que non pas de la terre enjoyfeche & aride.
Ce limon endurci pouce à l'air faiél tors
Que d'un humeur pierreux la pierre prend un corps
Dont aucunes on voyt obflines & pe/antes
Créer d'humeur vifqueux d'autres qui font luyfaxtes,
Prenàns lujlre d'une eau fort pure, 6" la chaleur
Dufoleil leur départ le lujlre & la couleur.
La terre donc de foy les concayt & enfante,
Du chaut & froyt provient la caufe efficiente.
Qaoy que la pierre foyt dure de qualité
Par fa création d'extrefme fcciti,
Et qit'à faute d'humeur elle foyt infertille.
Ce nonobJJant elle ejl aux hommes très utille.
Car comme il foyt foubmis dés fa nativité
El donné comme en proye à la calamité,
Pour bienfe garentir du mal qui luy faiû guerre
Au tems injurieux, il ufe de la pierre
De laquelle il baftit mayfons, villes & fors
Pour luy ejhe retraite encontre les effors
Qui pouroyentfurvenir, comme il fayt qu'à toute heur»
Il avient : joint auffi qu'il y faiél fa demeure.
La tneule brife grain ejl de piei
Necepiyre à la vie & propre
Dicelle, car ejlantfoy de vent ou n
Efmui, rend le grain enfariné légère,
Dequay le pain eji faiéi, nourrijfon ér fuport
De cejle vie humaùte & qui rend l'homme fort;
Sujeéi d'un petit corps, mays ayant une grâce
Qi^en benedidhtm tout alimant furpaffc.
352 LA CREATION.
De Veau on voyt fortir du gros & dur rocher^
De quoy V homme en tout temps peut fa foif eftancher.
Il r^efi pas jufqu^au feu au corps humain propice
Que la pierre n'en donne avecques artifice.
Davantage d'un roc une claire huy lie fort
Chaude de qualité & d'odeur affei fort.
Pour les nerfs refroidii elle efl grandement bonne
Car f on naturel chaut une chaleur leur donne,
La pierre au lieu de boys mefmes efl à beaucoup
Utille à faire feu, au forgeron fur tout,
D^ autant que fa chaleur rend le fer mol & tendre
Plus que charbon quifoyt, & mieux fe laiffe eftendre.
Le fuperbe palais & le royal manoir
Sont du marbre luyfant, foyt de blanc ou foyt noir
Baflii, Venphiteatre aujji on voyt conftruyre
Et fes arcs enrichi^ d'un Jafpe ou de prophire.
De pierres & cailloui deffoubi au feu fe fai^
Par art ingénieux le voyre clair & net.
Il s'en baflit maint va^e excellant en ouvrage,
Le miroyr qui au vif defmonflre le vif âge,
L'ayir, Vorpin, la craye & femblables couleurs
Par la variété de certaines chaleurs
Et exalations qui leur divers taint donne,
La terre les conçoyt, nourifl & affaifonne :
Et combien qi^elle foyt d'un corps fort ténébreux,
Tant y a qu^il fe trouve en fon eflomac creux
La pierre q'un chacun repute precieuie,
Dont Vafpec nayf rend la perfonne joyeufe
Voyant une eau tant belle, un taint ft gracieux
Qui tire Vhomme à foy pour contenter fes yeux.
Car de les contempler peu fouvent il fe laffe.
Tant il trouve ce taint remply de bonne grâce,
Ainji comme la vierge en la fieur de fes ans
De fa rare beauté ravit efprit & fens
CHANT QUATRIESMB. y
Du Jouvenceau peu fin, tant plut il la regarda
Et plus il prend plaijir en fa grâce mignardé.
Le gage de la foy au mariage pris
C'efi l'aneau, auquel efi une pierre de pris.
De la feme reçeu en Jigne & lemangnage
De ne point violler les loix de mariage.
Le royal diadefme Ù- des Ducs les chapeaux
Dignes font enrichij de pierres ir joyaux.
On voyt auffi combien fe/nmes font curieujes
De parer leurs beauté^ de pierres precieaies.
Nature a des effeét^ merveilleux ir divers ,
Qui font Jufqu'à prefani aux homes fort couvert
Es pierres mefmement, car l'une a une chofe.
L'autre direilemeat contre icelle s'opofe.
Efl il homme qui puiffe au vray bien propofer
La caufe qui les faiél l'une à l'autre opofer,
Ny moins bien déclarer les vertui naturelles
Etfecrej merveilleux endos dedans icelles?
Une pierre efl utile & propre à guerifon
Qui broyée fur bronze ejl mortelle poyfon.
Une de fa nature efl poyfon très mortelle.
Une autre prife en poudre ejl la cure d'icelîe.
N'efî ce point anfecret merveilleux & bien grand
(^une pierre dans l'eau mife, le feu s'y prend/
Aucontrayre fy tojl qu'elle efl dhuylie teul o.
Quoy qir elle fianbe fort, efl auji t ~ ~
Une jettes au feu brtde foudeinnenu
L'autre y peut confjfler fan.
En-l'aulre on aperçoyt d'un
Tirer le fer à foy, l'autre qui le rejtt
Par la pierre de louche on peut à taifg nW''
Le fin d'or ou d'argent & a
Tant du vray q
Et l'orfem '
354 ^^ CREATION.
De rendre la raifon de ces effeéij divers^
Qui enfayt le pourquoy? U auteur de VUnivers
Seul le fayt & congnoyft^ cependant fachon comme
Les pierres font de Dieu & pour fervir à Vhomme,
Au ventre obfcur & creux de ce te terre font
Engendre^ tous métaux dont les artifans font
D'ouvrage infini nombre^ eftranges d'artifice ^
Et comme le requert l'home pour f on fervice,
D'elemantayre humeur tout minerai eftfaiél^
Et comme il ejî plus pur d'autant plus efl parfaiél^
Et que la quantité & qualité des chofes
Sont en proportions eguaïlement enclofesj
Puys le chaut quifurvient les cuyfl par fon ardeur
Et le froyt les congelle avecquesfa froydeur
Et félon que leur mère acorde à leur effence^
Tant plus le minerai y croyfl en habondence.
Entre tous minéraux l'or efl le plus exquis
Qui d'excès exceffif efl des homes requis^
Et combien que par luy on change tout à Vaife^
ha convoytife rend la bonne œuvre en mauvayfe.
L'argent^ minerai clair ^ tient le lieu après Vor^
Non pas moins recherché pour en faire trefor^
Bien moindre quant au poisj toutesfoys neceffayre,
D'autant qiiil efl de l'or le changeur ordinayre.
D'argent l'orfeuvre expert baflit plufieurs vaiffeaux,
Semblablement de l'or chainesy carquans, joyaux
Qui d'induftrie & d'art fi richement façonne
Que le fubjeél n'efl rien au pris de la befongne.
L'or & l'argent font bons & creej du grand Dieu
Pourle fervice humain^ mais le mal efl qu'au lieu
D'en uier comme il faut on fe rend d'eux efclave^
Et forcé ^ plus que n'efl la befle qu'on entrave.
L'home trop defireux du periffable argent
Se vend à qui plus donne & faiél voylle à tout vent.
CHQ47<iT CI^QUIESmE.
DES ARBRES, PLANTES, HERBES
ET CE QUI EN DEPEND.
UOcean retiré en fes profonds vayffeauXy
ha terre s'aparut pour limites des eaux.
N'ayant deffous fa face autre taint ni painture
Fors celle qui luy fut aquife de nature,
Neantmoins peu après Dieu qui fe deleéloyt
En V œuvre de fes mains vit que cela efloyt
Bon, difl : Qu'elle ayt en foy de produire puiffance
Arbres, herbes, verdure, ayans fruyt & femence.
A ce commendemant la terre fans arefl
Faiél fortir de fon fein Vomhrageufe foreft^
Tout arbre portant fruyt ^ plantes^ herbes^ verdure
Avecques leur femence en eux félon nature^
Au reguard de Vefpece en nombre merveilleux
Et autant de fujei aparans à nos yeux y
If ayant mefmes effeéli^ ne de forme pareûle^
De troncs y de Jleurs irfruyti^ moins encores defeille.
Tout ainfi que tu voys plufieurs enfans conceu\
Et faiéïi d'un mefme fang^ d^un mefme ventre iffui
Suceant un mefme [laiâf] de leur unique mere^
Ce nonob fiant chacun en naturel diffère.
CHANT QUATEIESME. 357
Lt Semblable Je voyt : aucuns aymeni les vaux.
L'un (Ufire la plaine, un autre les mont kauli,
Aucun le terroir gras, un le dejire aride,
Un autre tsmperi, l'autre froyt ir humide.
Le pays chaut aucuns défirent, non le froyt,
D'autres ne peuvent pas vivre hors certain endroyt.
Vers en tout temps les uns, les autres en autonne
Perdent leurs vers cheveux que le printems leur donne.
Plujieurs je trouvent bas fur un large & gros tronc.
Aucuns cherchent la veuë & droyj plante^ if un jonc,
Non touffui autrement q'un peu de chevelure
Née pour paremant plus que pour couverture.
Il y en [a] auffi de nature tù^ui
Et leur branchage long en un rond non confus :
Soubj leur ombre fouvent Zéphyr bruyt iT forme
Qui au îaffi pajjam le frais ir repos donne.
D'une ejpineuje rame aucuns jemblem armés
Contre le nuyfant brouJJ des troupeaux affame^.
Un qtà de pii en cap ejl couvert par nature
D'un branchage en un rond tiré d'ordre & mefure,
Chofe non moins plaifanle â l'oeil que quand tu voys
Le poyl blond de la vierge efpars en tous endroys,
Defon corps droyt q'un pin qui ondoyant l'enjeri
Jufques au demy pié aprockant de tt
Un qui au lieu de branche a lefellaà
D'ombrage gracieux partant du 6
Ayant ce naturel que tant plus
Plus il refile au faix, mejmes
Certes pour le reguard de leur acoujlre
Leur mère s'ejl por/,-'-
Prévoyant les diri^f
Leur pouroyt a'poricr u
Ainjï que notre corps n'u
Ou trop ajpre chaleur, (
358 LA CREATION.
Sur cela elle donne aux uns Vecorce tendre ^
Aux autres une epejfe & propre à leur deffendre.
Comme le naturel des arbres eft divers^
Tel leur fellage aujfi^ pource qu'aucuns font vers
En tout temsyfans tomber ; Vautre chacune année
Au choir change fon vert en couleur bafanee.
De forme tout ainfiy car l'un efl efpineuXy
Un comme un font picquant^ Vautre rond & nerveux^
Un large & dur en maùiy Vautre epés^ Vautre large ^
U autre grand à merveille & faiél conme une targe.
Un Va petit & dur qui fe ronpt au plier ^
L'autre long & polyj fort doux au manier ;
Un menu retranché vient en rameaux s'étendre^
L'autre fans fe picquer à peine fe peut prendre,
SHli différent en feille^ autant efl il du fruyty
Car toute efpece en foy fon propre fruyt produyt
Et peu fouvent voyt on qu'en goufl^ couleur & forme
On puiffe voir Vun dteux efire à Vautre conforme^
Plufieurs d'eux ont le fruyt veflu de fmple peau^
Plufieurs Vont fort epejfe^ autres font en noyau^
Plufieurs ont le noyau dedans eux dur & ferme ^
Les autres ont pépins où confifîe leur germe.
Arbres on voyt parei en tout temps de leurs fieurs
Avecques doubles fruyti^ differans en couleurs.
L'un vert pour v^efire pas afaifonné encore^
L'autre doré par cil qui talonne l'Aurore,
Aucuns ont cocque & peau où le fruyt efl enclos ^
Un l'a dans une canne ou pour mieux dire un os.
Aucuns ont peau aride, un Va fur tous poygnante^
Mieux peau d'un heriffon que de fruyt d^une plante.
Un a outre fa cocque un habit gros (r roux^
Plufieurs ont un poyl ras^ au manihient fort doux;
Beaucoup fe font armei d! écaille forte & dure^
Autres de grains ferrei enfemble par mefure.
CHANT CIMQUIESME.
35S»
Sur la ftille d'aucuns la roujee du Ciel
S'afiei & Je congeUe ea un corps doux que miel
Que le médecin fage affeifouvem ordonne
Pour mieux chaffer le mal qai greffe la perfonne.
Le naturel d'un arbre ejl lel qu'il ne produyt
Quant il vivroyt cent ans, qu'une feule foys fruyt
Lequel, quand il feroyC en l'arbre qui le donne
Plujieurs ans & fayfons, jamais ne s'affayfonne.
D'un arbre peu touffu ir qui a le tronc creux
S'engendre un certain vin au palais amoureux :
Tiré frays de /on lieu, mays guardé quelque efpace
Tome chofe aygre au goufl en aygreur il furpaffe.
Leurs frai j femblable ment en couleur font divers.
Car les uns font dorej, les autres blancs ou vers,
L'un rouge, l'autre roux ou couvert de Jtoree
Laquelle au manier efl de peu de durée.
Déforme ir de fa^on aucuns font plaij & ronds,
Beaucoupfontfai^lpetiti, quelques grandement longs.
Les uns en tous fens ronds, autres tienent Vovalle
EtplufUurs la rondeur non en tous fens egalle.
Le femblable efl au goufl, car tous l'ont diferant,
Pource qu'aucuns l'ont doux ir odoriférant.
360 LA CREATION.
Ce qu^on voit en Damas où la Perficque eft telle
Que c^eft une poyfon à l'home très mortelle.
Un arbre pour tout fruyt produyt un gros noyau
A merveilles rempli d'un cothon blanc & beau.
D'un autre une noix fort d'une grojfeur eflrange
De laquelle la chair en un clair laiéî fe change.
Aucuns^ foyt de nature ou d'une fie cité y
Portent fruiti qu'on diéï cloui afpres en qualité.
Une petite noix certain arbre nous donne
Tant en pouldre qu^en huylle utille à la perjonne.
Contre le mal nuyfant de la belle Cipris
Un arbre eft fort utille en decoélion pris.
Un autre infruélueux nous fournift d'une efcorce
D'un odeur fingullier^ d'un bon goufl avec force.
De ce nombre tant grand il s'en voyt l'un d'entr'eux
Duquel le tronc récent eft d'odeur gracieux.
Un porte mefme nom^ de fenteur non efgale^
Qui n'efl moyns eftimé en pouldre cordialle.
Certain arbre eft fi hault & brancheu tellement
Que cent hommes foub^ luy s'onbragent ayfement^
Qui de fon naturel le camphre gommeux donne
En fa blancheur luifant & d'une fanteur bonne.
ha meleie^ arbre fort y produyt un excrément
Qjj^on appelle boulet y bon en médicament y
Propre pour le cerveau y les fens aujfi il purge
Et pour l'humeur vif queux on a vers luy refuge.
Un profitable fruyt croyft d'un arbre petit
Qui vert pris au repas donne à l'home apetity
Mays outre d'iceluy on tire & fe diftille
^vecques artifice une claire & bonne huylle.
Aucuns ne portent fruyt y neantmoins font gommeux y
Les uns ont faculté de produyre les deux.
L'ancensy le benjouiny ftyraxy terebentiney
L'adragantf l'arabicy mafticy poix & reiine
CHANT CINQUIESMÉ. 361
Des arbres font produyiy non fans utillité^
Dont bienfouvent l'home uie en fa neceffité.
D'aucuns la fenteur eft fort facheufe & puante^
Des autres au contrayre agréable & plaifante.
Rien de F arbre il ne fort quifoyt à rejeéler^
Car jufques au fellage il peut mort profiter :
Mis en tas à pourir^ les f cillons on en greffe^
Efchauffei^ lors des grains ili donnent à largeffe,
Nul ne fauroyt des fruitj dire ce qui en eft^
Non plus nombrer tout corps qui d'iceux fe repdifl *
L'home vray héritier de tout ce qiion peut voir
Luy efîre neceffaire en ce large manoir y '
De l'arbre il fayt baftir pour fon bien maint ouvrage
Soyt mayfons^ foyt vaiffeaux propres à fon ufage.
Outre cela on voyt Vefquif long tiré d'eux
Dont le navire eft faièi prompt & aventureux^
Qui animé du vent lors qu'es voyles il entre y
Faiél cefte mer terrible efcumer foub^ Jon ventre.
Somme toute ^ il ri y a es arbres tant foyt peu
Qui ne foyt pour fervir^ ne fufl qu'à faire feu
Propre à cuyre tout vivre & contre la froydure
Ennemye des nerfi tendres de leur nature^
Sur tout à la vieilleffe où la challeur défaut
Pour n'avoir plus en elle un fang bouillant & chaut :
Bref l'home ne fauroyt conftfter^ car fa vie
Sans feu feroyt à maux infini\ afervie.
I. Les deux vers fuivants ont été effacés, de même qu'une
ébauche de corredion; le tout eft illifible à travers les ratures.
CHoâ^NiT SIXIESmE.
DES PLANTES ET HERBES ET DE LEURS
QUALITEZ.
De la plante & de Verbe ores il me convient
Déclarer par mon chant le bien qui en revient^
Leurs vertueux effe6ï\ & le commun u^age
Soyt de la domeflicque ou qi^elle foyt fauvage,
Sy l'argument efl beau^ plus il eft copieux^
Car cent mile fugeti Je prefantent aux yeux
D^effeéli & qualitei fort differens en fomme^
Creei de V Eternel au fervice de V homme:
Car encores q\£il foyt Jain de corps & bien né^
Parce qv?il efl mortel^ Nature a ordonné
Qjj^il fufl pour ce reguard fubjeél à médecine»
Àufimple il a recours foyt de feille ou racine.
D'un petit arbriffeau contemptible à nos yeux
Naifl & voyt on couler le baulme précieux :
D'un petit plant le viii^ liqueur tant célébrée^
Sortj dont le plaifant goufl le cœur humain recrée.
Outre ce f riant goufl ^ cefle noble liqueur^
Vray fouflien de la vie & entretien du coeur ^
Engendre un fang bien pur^ le cerveau mondifie^
Donne courage à Vhome & fes fens vivifie.
CHANT SIXIESME. 363
D^une canne aquatique un fuc naifl entre tous
Agréable & begnin pour autant qu'il efl doux :
D^iceluy maint ouvrage excellant on voyt faire ^
Simple pour la fanté de l'home necejfaire;
Un foyble & petit plant des grapes il produyt
En nombre coppieux^ es quelles pend f on fruyt
Qui font petii grains noirs ^ ridei^ d'un chaut extrefme^
D'un goufl brûlant en bouche^ en Vejîomac de mefme.
Sur un pié tendre & foyble aucunes plantes font^
Ayant felage large & le branchage long
Qui rempans fur la terre ou montei fur les treilles,
Uun aporte long fruyt ^ Vautre gros à merveilles,
D^iceux en gênerai on en peut fans danger,
Soyt qu'ili foyent crui ou cuijj modejîement manger.
Leurs graines, bien que foyent d'une froydeur infigne,
lyicelles bien fouvent on uie en médecine,
Pour la majfe du fang, le cerveau dr le coeur
Purger de tout collere & flegmatique humeur.
Le felage d'un plant petit qui porte gouffes
Conime un croyffant eft bon tr fes aélions douces.
Certaine graine croyfl dedans un petit plant
Duquel la feille picquCy outre il porte du gland :
Une rouge couleur de cefle graine efl faiéle
Non moindre que le pourpre & de beauté parfaiéle.
D'une plante commune il fe cueille une Jleur
D'une fenteur fort douce & plaifante en couleur,
Simple utille en plufieurs medicamens qu^on donne
A l'home indifpoié, l'eau de fanteur fort bonne.
D'une plante ayant feille efpeffe en demy rond,
Longue & verte en tout temps & dentelée au long,
Des feilles il en fort certaine amere gomme
Rouffe & f raille, fort propre à l'eftomac de l'homme.
De ces plantes il fort un bon nombre de fieurs
D'un odeur fingullier & rares en couleurs.
CHq4U^T SIXIESmE.
DES PLANTES ET HERBES ET DE LEURS
QUALITEZ.
De la plante & de Verbe ores il me convient
Déclarer par mon chant le bien qui en revient^
Leurs vertueux effe£l\ & le commun uiage
Soyt de la domeflicque ou qu'elle foyt fauvage,
Sy l'argument efl beauy plus il efl copieux^
Car cent mile fugeti Je prefantent aux yeux
D'effe6ï\ & qualité^ fort differens en fomme^
Creei de V Eternel au fervice de Fhomme :
Car encores qi^il foyt fain de corps & bien né^
Parce qi/il efl mortel^ Nature a ordonné
Qu'il fuft pour ce reguard fubjeél à médecine.
Au fimple il a recours foyt de feille ou racine.
D'un petit arbriffeau contemptible à nos yeux
Naifl & voyt on couler le baulme précieux :
D'un petit plant le vin^ liqueur tant célébrée j
Sort y dont le plaifant goufl le cœur humain recrée.
Outre ce f riant goufl ^ cefle noble liqueur ^
Vray fouflien de la vie & entretien du coeur ^
Engendre un fang bien pur^ le cerveau mondifie^
Donne courage à F home & fes fens vivifie.
CHANT SIXIESME. 363
D'une canne aquatique un fuc naifl entre tous
Agréable & begnin pour autant qi^il eft doux :
lyiceluy maint ouvrage excellant on voyt faire ^
Simple pour la famé de l'home neceffaire;
Un foyble & petit plant des grapes il produyt
En nombre coppieuXy es quelles pend fon fruyt
Qui font petii grains noirs ^ ridej^ d'un chaut extrefme^
D'un gouft brûlant en bouche ^ en Feflomac de mefme.
Sur un pié tendre & foyble aucunes plantes font^
Ayant felage large & le branchage long
Qui rempans fur la terre ou monte^fur les treilles ^
Uun aporte long fruyt ^ Vautre gros à merveilles,
D^iceux en gênerai on en peut fans danger^
Soyt qu^ili foyent crui ou cuii^ modeflement manger.
Leurs graines y bien que foyent d'une froydeur infigne^
D'icelles bien fouvent on uie en médecine ^
Pour la majfe du fang^ le cerveau & le coeur
Purger de tout collere & flegmatique humeur»
Le felage d'un plant petit qui porte gouffes
Comme un croyffant eft bon &fes aéïions douces.
Certaine graine croyft dedans un petit plant
Duquel la feille picque^ outre il porte du gland :
Une rouge couleur de cefte graine eft faiéle
Non moindre que le pourpre & de beauté parfaiéle.
D'une plante commune il fe cueille une Jieur
D'une fenteur fort douce & plaifante en couleur y
Simple utille en plufieurs medicamens qu'on donne
A l'home indifpoié^ l'eau de fanteur fort bonne.
D'une plante ayant feille efpeffe en demy rond^
Longue & verte en tout temps & dentelée au longy
Des feilles il en fort certaine amere gomme
Roujfe & f raille y fort propre à l'eftomac de l'homme»
De ces plantes il fort un bon nombre de Jleurs
D'un odeur ftngullier & rares en couleurs ^
364 l'A CREATION.
Aucunes non es fieurs^ mays bien en la. racine
Qui faichee au temps chaut efl d'odeur très begnine.
Soubi deux petiti phnts font un nombre de meftiers
Urgens^ & ce qui fort d'eux Vhome volontiers
Faiéi le premier habit quifon corps envelope :
Eux avecques le vent font voguer la chalope.
De vouloir rechercher chacun fimple herbageux
Cete carrière eji longue oit entrer je ne veux.
Je quite cefl honneur au doéle Mathiolle^
Car le nombre me faiéi perdre cœur & parolle ;
Seulement pour donner gloyre à Dieu de fes faiti
Et luflre à mon ouvrage ^ il me faut les effeéli
Des fimples plus exquis diéler & les merveilles
Qju^on voytfoyt en leurs Jleurs^ grains^ racines &feiïles.
Qui fauroyt contempler les larges champs couver s
Et tappiffe\ d'un nombre infini d'epi\ vers
Uni\ en leur hauteur y fans joye, quand Valeine
D'un Zephire à plaifir ondoyans les pour mené?
Lors que le grand fambeau celejle vient forcer
Cete terre au primptems pour fin germe avencer^
Et baftir d'un vert guay l'unie & large pree
Et de tant belles fleurs richement diaprée^
Quifemble^ tapiffee ainfi, de tant de Sieurs ^
Un relief emaillé de dix mille couleurs ^
Je nefauroys penfer que l'oeyl humain le voye
Sans que le cœur ne foyt efmeu de quelque joye.
Ores que defesjleurs le taint foyt tout divers ^
Leurs fruytifemblablement fiyent Jaunes^ blans ou versj
Ou quelque autre couleur^ cela ne part au refte
Que âun mefme foleil^ d'une mefme eau celefte.
Venons à leurs effaiéîi & voyons le fecours
Que l'home peut avoir de l'herbe chacun jours y
Mefmes les animaux dont la part la plus grande
Font d'herbes & des grains ordinayre viande.
CHANT SIXIESME. 365
La vigueur de ce corps ne fauroyt confifter
A pêne un jour^ fi faim vient à le molefler :
Dun tel mal le remède eft au pain qui a force
Non feuïle à le nourir^ mays fa force il renforce.
Le pain fe faiél de blé que Vherbe nous produyt^
Et là Dieu fe congnoyfl quand d'un fy abjeél fruyt
Et corps inanimé il anime nqftre ame
Qui autrement feroyt en peu dejfoubi ^^ i^fne.
Davantage au pays auquel le blé deffautp
Comme aux lieux oit l'home eft tout bafanné de chaut,
La terre leur produyt (r donne une racine
Qui feichee au foleil fe reduyt en farine
De quoy leur pain fe faiélj affei bon à menger , ^
Et propre à leur uiage en ce qi^il eft léger ^ *
D'autant que le climat mal ayfemant endure
Un eftomac repeu de groffe nouriture :
Et combien que ce pain leur foyt utille au corps ^
L'herbe eft de foy maligne à cil qui r^en met hors
Un fuc afpre & mordant que s^ il n'eft tiré d^elle.
Son effeél eft toujours comme poyfon mortelle,
combien admirable eft le fecret de Dieu
Quifayt la vie & mort enclore en mefme lieu^
Qui en mefme fujeély V entretien de la vie
Peut renger & celuy duquel elle eft ravie!
La terre outre le blé aporte plufieurs grains
Creei pareillement pour eftre aux corps humains
Un vivre nourijfant & propre à leur uiage :
D'aucuns z7j font du pain^ des autres du potage.
Plufieurs medicamçns Vieeux auffi font faiéli
Pour avoir de nature en eux divers effeéli :
Par leurs decoélions fouvent le mal fe ceffe^
Apliquei fur douleur chaffent auffi Vopreffe,
Un fruyt d'un petit plant eft d^un gouft odorant ^
Rouge auffi de couleur (fun printems meur nous rend.
366 LA CREATION.
A cela propre en luy que fa femence il porte
Sur foy^ non au dedans : bien peu font de la forte.
Aucune herbe fe trouve amere jufqu*au bout
Qui Vapetit perdu faiél recouvrir du tout :
D'i celle on faiél du vin dont la force confomme
Tout colericque humeur en Vefioumac de Vhomme.
Un petit ongnon roux difpoié par coflons
Tout ainfi comme un pin ayant feleiges longs ^
Troys rouges flllamens defajleur on voyt naifire
Dont toutesfoys le taint efi j aulne de fon eflre.
Tout herbage ayant laiél que la terre foufiientp
Hors le nombre de cinq^ venimeux on le tient :
Des cinq on peut uier^ les autres font enfomme
D*un fuc pernicieux pour le reguard de Phomme.
Aucunes herbes font manifefie poyfon^
Autres p ayant effeél d^en donner ^ guerifon.
Quel effeél merveilleux efl ce quant à nature
De deux herbes qi/on voyt pareilles en flruélure^
De tiges pfeillesj Jleurs fe reffembler fy bien
Que Vune à Vautre n^efi diffemblable de rien^
Fors un peu en hauteur ^ Vune efl mortelle pefle^
U autre fon anthidote & cure manifefie!
Tout poyfon fe peut bien manier feurement^
May s Vherbe de Mailherne on ne peut autrement
Du bout du doyt toufcher qv^ef carre ne foyt faiéle
Au menbre^ tant elle efi de fa nature infeéle.
Manger Vhironque verte enpoyfonne le corps ^
Qui cuite fous la brayfe ou bien boullie^ efl lors
Pure de tout venin : fa decoélion mife
Avec certain poyffon luy fert de fauce exquife.
Une racine d^herbe on cueille Van troys foys
Faiéle par petii neudi de longueur de troys doys :
Lorfque fa feille efl feiche^ elle efi mure & propice
A mettre en confiture & bonne à faire efpice.
CHANT SIXIESME. 367
Au pays de Suggiar afpre & tout montueux^
Une racine croyfl en nombre copieux
Qu^on aporte en Aleps : elle efl en médecine
Excelante en bonté & fur toutes begnine.
Entre tous les effeéli que la terre produyt
Un grand & merveilleux Je voyt en quelque fruyt^
Lequel en terre enclos Je concoyt fans femence^
Sans fillets^ fans racine^ ains de fa feule effence.
ly autres femblablement de la terre on peut voir
Sans femence fortir , & fans racine avoir
Non autre qiiune bulbe au pié qui les fuflente :
De Fun on peut manger ^ Vautre poyfon nuyfante»
Valanbic convertifl les feilles de plufieurs
En liquide & claire eau : pareillement les Jleurs
Des unes on enfaiél auffi de la conferve^
Affin que de ce corps la fanté fe preferve.
Beaucoup Serbes de goujl font bonnes à menger :
Aucunes le gros fang elles peuvent purger^
Uune pour rafrefchir le foye efl propre & bonne ^
Uune efl aperitive^ Vautre caufe le fomne.
Des graines & racine & des feilles & Jleurs
Uapotiquayre en u^e encontre les douleurs
Et toute maladie à la fanté contraire^ »
Par juillepi^ par Jîropi & huylles quHl fayt faire.
Somme cete terre efl un magafîn de biens
Dont V Eternel fongneux entretient tous les fiensy
Mère qi^elle efl begnine ^ elle donne & entaffe
Tous biens aux animaux fans que jamays fe laffe.
CHoâV^T SETTIESiME.
DES LUMINAYRES ET DE LEURS ACTIONS.
-^ i^uoy que du tout Puiffant la lumière euft efté
Efparce en tout endroyt de la concavité
De ce rond firmament faiêïy les jours ordinayres
Jà coule^j il créa & fifl les luminayres^
Voyre en nombre fi grand qu'inpojfible efl aux yeux
Morteli le raporter^ tant il efl coppieux.
De leur rare beauté la mageflé divine
Orna fon pavillon & celefle courtine.
Es deux donc Dieu pofa la lune & lefoleîl
Duquel la refplandeur fert à ce monde d'oeyl :
Tous deux il les créa & ordonna pour eflre
Diflinélion des temps ^ pour mieux les recongrtoyflre ^
Pour eflre mefmementy les efloylles avec^
Caufe dufroyty du chaut ^ de Vhumide & dufec^
Caufe femblablement utille à geniture
Et de coruption des chofes en nature.
Comme le clair foleil enfante par fon cours
L'an entier en troys cens & foyxante cinq jours
Et fix heures avecj auffy la lune oppacque
Les moys en vingt & neuf& quelques heures marque.
CHANT SEPTIESME. 369
Ainfi les moysy les ans Vun & Vautre faifans
Ce foleil comme auteur des jours beaux & luyfans
Nous aportent ce bien de f avoir & comprendre
Par memoyre les tems & les dattes entendre :
Soyt combien il y a que le monde eft planté ^
Ou que le MeJJias d'une vierge enfanté
Voulut venir au monde; outre ili nous font congnoyftre
Quand toute monarchie heut en iceluy eftre,
Brefili nous font favoir mainte commodité j
Soyt qu'ilifoyent vrayi tefmoings de la Divinité j
Soyt par la loy moralle ou politicque^ en fomme
Tout cela qui retient en focieté l'home.
Ce Jlambeau faiél auffi^ tant il efi vijte & promt^
En un Jour naturel V enceinte de ce rond
Elemant terrien^ Veclayre & fi amené
Le jour aux habitans de ce large domene.
La lune^ non de foy^ faiél bien ejlat pareil^
Illuminant la nuyty empruntant du foleil
La clarté qi^elle rendj pource que de nature
Le corps d'iceïle efi faiél d'une nature obfcure.
Cefte borne des jours toute efioylle en grandeur
Surpaffe^ & plufieurs foys la terre en fa rondeur ^
Corps ardant compofé alun feu qui d'ordinaire
Echauffé tempéré tout corps élémentaire.
Outre pour engendrer^ pour nourir & donner
Aux corps acroijfement & tout affejfonner^
Des afiresj en cela ayde^ il y a befongne^
Comme de luy chacun d'eux s'aproche ou /elongne
De là vient qu^il nous marque avec ordre & maintien
Quatre fayfons en Van par le mouvement fien^
Et félon qu*il eft proche ou loign de nous^ il borne
Primtemsj Veflé^ Vautonne & le froyt Capricorne.
Tout ainfi qu'il efchauffe & defayche emplement
Les elemans^ les jours ^ comme commencement
m. 24
370 LA CREATION.
Au monde de chaleur ^ la lune qui prefide
Deffus Vobfcure nuyt la rendfroyde & humide.
Oultre ces deux Jlambeaux^ cinq autres moindres font ^
Erratiques nommei ou planettesj qui ont
Un cours divers entr^euXj environnant ce monde^
Centre du ciel bafti comme une boule ronde :
Et comme à leur lever ou coucher on peut voir
Leurs conjonéiions eftre ou autre afpeél avoir
En Vaflre fignalé^ tous en ce qu'ûi s^enclinent
Les jours brefs & coulons endurent qu^il^ dominent,
Quefy Vun tend aufec^ un autre bien fouvent
Rend le tems pluvieux ou bien concoyt le vent,
Un autre la chaleur véhémente au poffiblcj
Vautre au glacé yver ennuyeux & nuyfible.
De là donc il ^enfuyt que du corps qui fe faiél
Inpreffions en Vair font la caufe & Peffe^y
Bien que ces mefmes corps puys après aparoyftre
Autres caufes nous font plus proches de noftre efhre.
Leur mouvement Journel eji utille & plain d'heur,
Obferve de bien prés fur tous au laboureur
Qui ruié fayt tenter la faifon oportune
Par le cornu croyffant ou decours de la lune :
Soyt qi£il dreffe jardins ou veille enfemencer,
U cherche le decours pour mieux les avencer,
Idays s^il dejire enter ou que Varbre il tranfporte.
Il reguarde au croyffant & la lune un peu forte.
Par quoy en obfervant leur cours il fer t auffi.
A ceux qui defreux de f avoir , ontfouci
Les caufes de Nature & raifon de toute eftre,
Autant que PEternel leur permet d'en congnoyflre,
Mefmes il eft befoing pour Ventretenement
Du corps humain f avoir leurs cours & mouvement.
Le médecin expert en Part jamays ne donne
Rien fans necej/ité^fy la lune 7^ eft bonne.
CHANT SSPTIESME. 371
Uexperience enfeigne aux corps inférieurs
Defpendre aucunement des corps fuperieurs.
Le croyjfant peut donner par humide fujience
Propre à luy un acroyft de vigueur & puijfence,
ê Somme les afires font enfeignes qui ont fus
La région moyene influence au par fus.
L'air en tutelle tient toute température
Et le temperemment les mains de la Nature,
Mays quelle utillité en Vobfervation
De leur cource recoyt la navigation !
Il efl certain qu'il a de tous ces luminayres
Beaucoup de fur s moyens en leur art neceffayres.
Cil qui veut voyager deffus la large mer
Et faire fes vaiffeaux fur fon dos efcumer^
La hauteur dufoleil au parfaiâl lui enfeigne
Le moyen de tenir une route certaine.
Le pillote rufé note diligemment
Û ombre que le foleil faiél enfin mouvement ^
Ores qi^il coure au Nord^ ou Sudy ou vers la ligne
Diéle Equinoxialle^ affin qiiil ne décline^
jy autant que la hauteur par icelle il congnoyfl
Prife au midi prefis^ en remarquant où c'eft
Que ce Jlambeau fe voyt; l'ombre aujfi du maft veué
Efl la règle fur tout des hauteurs entendue,
La raifon qui Vinduyt à chercher la hauteur
Tend à voir s'il efl prés ou loign de VEquateur^
Ce qu'il fayt furement pour entendre le nombre
Des degrei qi^il congnoyt aparoyflre par l'ombre.
Quant aux declinayfons l'ombre auffi enfay foy^
Le foleû eflant hors par le cours propre à foy
Dufufdiél Efquateur de fix moys vers l'Ar tique
Et pour le mefme temps vers le pôle Antartique,
On peut auJfi juger du temps par ce foleil :
Lumineux au lever y à fon coucher vermeil
37* LA CREATION.
Amené le temps fec^ & fy fes rayi il cueille
Au Levant ou Ponant, la pluye il apareille.
S'il èfl net en fon rond^ pf^fag^ <^ l>^^^ tems^
SHlfe levé e fiant creux y pluye ennuyeufe & vent;
Eflant environné de nuees^ il aprefte^
Tant moins a de clarté^ une forte tempefie.
Sy le bord d'iceluy efi circuy de blanc ^
Il dénote le mefme en la nuyt enfuyvant.
Que fi le temps efi chaut ^ ce n^efi que vent fijur terre ^
Jaulne pale au lever ^ ST^fi^y p^uye & tonnerre.
Alors que la nuée efi des ardans rayons
Du fi)leil traverfee efiendui & fort longs ^
Au fortir de fa couche ^ il nous annonce pluye.
Voir fes rayi ains qj£û forte y eau & vent fignifie.
ha lune or qjielle foyt variable en fon cours
Faiél que le laboureur peut prefager des jours.
Mefmes au marinier fouvent ce luminaire
Faiél qu^ il Juge au certain du tems qu^il poura faire.
Comme la lune rouge aporte un tems venteux j
Noyre efi figne evidant qu^ il fera pluvieux.
Sy fes cornes croyfant grojfieres elle aporte ^ '
N'efperei rien du temps q'une tempefie forte.
Sy lors qu'elle efi nouvelle ^ à fon lever elle a
La corne de deffus tenebreufe^ û pleuvra.
Sur le dernier quartier ^ fy c'efi la corne baffe
Avent qu'entrer au plain^ de pluye nous menace.
Sy on luy voyt drejfer fes cornes contre montj
Sur le qûatriefme Jour vens prefage^ nous font.
Sy au fixiefme elle efi d'une couleur ardente^
On fe peut affeurer d^une grande tourmente.
Or combien que ces deux Jlambeaux foyent lumineux^
Ils peuvent s'eclipfer par la terre & l'un d'eux
Prés la ligne eclipticque eux conjoints^ l'autre caufe
C'efi quant en mefme lieu l'un à l'autre s'oppofgj
CHANT SEPTIESME. 373
Car quoy que ce foleû foyt aftre très ardant
Et de lumière auteur^ tombe en cefl accidant^
Lorfque la lune obfcure efl droytement tendue
Au devant defon corps fplandide & noflre veuë,
Auffi quand ce Jlambeau efl au corps ténébreux
De la lune oppofé^ la terre entre les deux
DvreBe empefche lors qu'il ne luy communique
Sa clarté^ fi elle efl prés la ligne eclipticque.
Outre en ciel d^a^ur on voyt de toutes pars
Reluyre autres Jlambeaux deçà delà efpars^
Le/quel^ n'y font pofei fans qi;^ aucun ne nous face
De leurs unii pouvoirs fentir quelque efficace.
Non que je veille dire aucun d^eux pouvoir rien
De foy caufer à Vhome afpeél de mal ou bien^
May s bien V ouvrier dHceux tout puiffant & tout f âge
Comme il luyfemble bon il les met en ufage :
Car c'eft une folie à Vhome de penfer
Que Vafire puiffe Vun plus que Vautre avencer,
L'orofcoppe trompeur ne peut en affeurence
Affoir un feur deflin fur Vhome à fa nayffence:
Poiur autant que des lieux aux aftres affignei
Jadis ^ ores ili font d'iceux fort efiongne\y
Mefme que le foleil en pourfuyvant fon erre
D'un grand nombre de lieux s' efl abeffé en terre,
Ainfi Vorofcoppeur ne peut juger par eux
Sûrement du deflin^ car r^eflans plus aux lieux ^
Leur afpeéli ne font teli comme autre foy s ils furent
Dontils^enfuyt qu'ili n'ontpareili effeéli qu^il^ eurent.
Que fi cela eufl lieu^ qui pouroyt empefcher^
Quand à mefme heure &jour on voyt naiflre au porcher
Un enfant^ Vautre au roy^ d^avoir à leur naiffance
Semblable traiélement^ tel heur^ telle abondance :
Mefmes que le malheur avient bien fouvent
L'home pour fon forfaiél- d'eflre pendu au vent^
374 ^^ CREATIObT.
L'autre né à mefme heure & jour y heureux ne ceffe
En grands honneurs haulcer^ plain de toute richeffe,
Difon femblablement tout ajire n'avoir lieu
Ny pouvoir fur les meurs de l'home^ ains le f eut Dieu
Qui les fayt policer plus outre que nature
Par loixj enfeignemens & bonne nouriture.
De ces moindres Jlambeaux eflincelans aux deux
Entre tous le naucher en a remarqué deux^
Pour luy eflre guidons tant vers le Pôle Artique
Que tirant au Midy pour trouver VAntartique :
L'un efloille du Nord^ petite Ource autrement ^
Seure marque du Pôle Artique^ mefmement
Des heures de la nuyt^ ùr quant à VAntartique
Droyt au pié du croy^é Canope il fe pratique.
Ces Pôles ne font corps ^ mais points imaginei^
Qui leur font par ces deux eftoylles enfeignei
Et par Femanté dart enclos en la boujfolle^
Lequel fans décliner pourfuyt V Artique Pole^
Tellement qiion ne peut fe jeter à Vefcart
De la route qv^on tient : Pillote^ par ce dart
Il faut trouver les ports ^ s'enboucher aux paffages^
Aborder en feurté aux incongneus rivages !
Conclujton : ces corps celefles & luy fans
Sont au fervice humain faiéls aptes & duyfans
Par le Dieu qui tout peut^ entretient & domine
D^empire fouverain ce te ronde machine.
CHa47iT HUYTIES^E.
DBS POTSSOKS ET DE LEUR NATUREL.
Dnffé qu'eujl l'Eiernel en ordre & bataillon
Cete brillante troupe en ce haut pavillon,
Et que jà par cinq foys la clarté vint patoyflre,
Ati monde ilji<î des eaux poyjfans fr Voyjeau naiflre,
Pour Ufquelj eftablir il fijt commendemem
Aux «aux de les produyre : elles tout promplenuni
Oyans ce gros tonnerre ejclater obéirent,
ItOrspoyjfons de leur feins grands Ù- peti^ produyrent,
Uame efiant dedans eux, on les voyt par les eaux
En nageant Je jover par troupes Ù- monceaux,
Et Dieu prenant plaifir grand en fa créature
Les béait, les rendit propres à geniture.
Tant efi de ces poyffons le nomlnc merveilleux
Que ^efi vn vray miracle apurent à nos yeux,
Et ce que plus J'admire & de prêt je amiempir .
En chacun, c'ejl l'ydee à quoy Pieu prinl VX\
Pource qi^entr'eux on voyt gra/idn diverfiié,
Non feullement en forme ains en Id qualité,
La veui en peut juger : l'un " pttil coifage,
Vn l'a moyen, l'autrt tfi un monjlre d i'aventagê.
37^ ^^ CB.SATl01f.
Ce Créateur puiffant^ merveilleux en ces faiéli^
A voulu qv^en nature on congneufl fes effeéli^
Mefmement es poyffons : car quifauroyt comprendre
Ce que la mer en foy^ non defoy elle engendre^
D'autant que le moyen de leur création
Eft merveilleufement divers en aélion^
Car un peutj en frayant coquille fur coquille^
Engendrer d^un humeur vifcueux qui luy diftille.
Un poyffon long produyt des oeus teli 9*^ f^^ corps
Foyble pour leur grojfeur ne les peut jeter horSj
Ains le ventre luy part pour les lâcher en terre ^
May s enfantei qu'ili font^ la playe fe referre.
Miracle merveilleux^ atendu la façon
Telle que fans moyen il s* engendre un poyffon
Duquel jufqiiau jourd^huy on ignore fon eftre^
Aujfifon origine en vérité congnoyftre.
Les uns par le tems doux ont eftre & mouvement^
Les autres dHun limon ou fable Jimplement,
Un en raclant fa peau contre un roc, fa raclure
Suffit pour ^entretien de Vefpece en nature.
Quelques poyffons auffi defcharge^ de leurs oeus,
Le mafle par fon fouffle admet la vie en eux.
Une faifant fes oeus, le mafle lors délivre
Son laiél fur eux, moyen feul pour les faire vivre.
Entre tous un feul eft qui en la terre enclos
LaiJife fes oeus un an avent que £ eftre eclos.
Aucuns en qm'nie jours, les autres en cinquante,
D^ autres en moins de troys font en ame vivante.
Aucuns ne font petiiFan q'une feule foys,
Plufteurs plus abondens produyfent tous les moys.
Les uns de troys en troys, autres ftx foys P armée,
Vun au printems les faiâ. Vautre la glace née,
fingulier effeél tr merveilleux à voir,
Q^un rocher froyt & fec puiffe enfoy concepvoir
Î77
Porfôm*, fr Ja wavir nWxf «* Jâ foytrùm,
Qti cTvjfamSj et roAtt Uarfaâ plaet trjt aiàmi
Um lœeamt dejkipûj Us mareamx famIUmeM
Defafemdlt em rmyt amcoytftwi nwtrwwnml
Frayer; n amire rmd fiamiU fa fanglU,
Se baifant bec à bec taame lu colombell*.
Tota amâmal mari» efiamt de poyl refiu^
A dx foH maiarel eefte propr* yertu
QaeJanfrMjrt eft nraat au partir dejom ^fentrty
Dont Fu» ^il r^a àix jours, jamays en mer il /Centre,
Bien foopent il orient par aecidant q'un tteux
^fi contraint agité det fiotj lâcher fes oetu,
. {ifi q'iat ifwie autre efpece e/pendra fa femtnct
Sot eux dont H protient poyjbns contre l'egine».
Toàt ainfi que le Dieu tout ptàjfant & tout bo»
Par moyent incongneu^ entretient U poyjfon
En Imtr forme de corps enti' eux fort diffemblaMt^
Il ne s'ejl moins monftré de graxdew admirable
En ce qii aucuns font faiéii ronds de corps ir fort longs ^
D'autres larges & platj, d'autres en tousfens ronds.
Aucuns ont le dos rond, le ventre plat au refit,
Et le plus de leur corps confifie dans la. tefiê.
D'autres font platj & ronds, le dos gibeux un peu.
Aucuns longs ir quare\ qui fe pefehent au feu.
Autres dont tefie (T pie\ on \oyi conjoint enfembh,
Un en forme de corps à une roe il fimble.
Outre on en voyt de gras beaucoup plus que p
Lefquel^ it une fureur fe lancent hors dti a
D'autres qui font ^uttcorps de grandeur B
Dont fomient la rencontre aux nef\ ejl pifh
Un reffemble au cheval, l'outre au loup, l'aumm
Un le bélier cornu. Dans la mer de nouveau '
Un grand poyffon /ejl prit, demy p"yfi"> i
A*ec un capichoa & quelque for
378 LA CREATION.
Du tems que Charles^Quint vint France traverffer
Pour le peuple Guantoys Jouh\Jon Jeptre ahaiffery
II luy fut prefanté, luy eftant à Brucelle^
Une feraine vive & de fexe femelle.
Somme tout corps qui peut s'aparoyflre à noflre oeyl
Dejfus terre y la mer enfante le pareil y
Jufqi^à reprefanter P arbre ^ Verbe & la plante
En corps dont aucuns éPeux font en ame vivante.
Aucuns ont mufeau long^ tout autour dentelé^
Uautre Va faiél en glaive eflroyt & affilé
Et d^icelluy court fus aux vivres qu^il prochaj/e.
Un autre a [un] bec tel que porte la becajfe.
Plufieurs on voyt care{ de corps ^ ou peu ^en faut^
Qui ont le ventre plat^ le dos quelque peu hault^
Leur dos & queue armei d'efpiïies par ranc mifes^
ly autres ont en leur lieu taches rouffes & grifes.
Quant à leurs peaux & fors dont il^ font renpare^y
III furent à chacune efpece prépare^
Ainfi que V Immortel congneut leur eftre utille^
Soyt qu^elle aye peau dure ou bien tendre & debUle.
lyefchardes font couvers poyffons une grand part
Oit Nature n^a heu tousjours au corps efguardy
Car Vun veu fa grandeur petite efcharde porte^
L'autre moindre beaucoup Va plus grande & plus forte.
Quelques uns ont le corps du tout environnei
De très pougnans picquons par rancs bien ordonne^^
D'autres auffi couvers d'efcaille faiche & rude.
Un a receu un fort puijfant pour habitude.
Aucuns font entre deux efcalles enferme^j
Plufieurs d'entr^eux auffi de coquilles arme^^
Tous differans déforme au regard du corfage;
Tell ^f'^tix fouvent demeurent au rivage.
En mer maints animaux font de poil tout couvers ^
N'ayons un taint efgualy mays chacun Va divers.
CHAKT HUTTIESME. 379
AucwÊS cmi peau mom peau^ 6* Vautres Fomi gt^kmu,
Amtres pour leur gramdeur Font epefe ir puifamie.
Le tamt de leur habù diffère tellement
Qu*ou les peut dicemer F un de Poutre ayfememt.
Car F un efi argenté & rayé fur F ef chine
D^UM vert guay rehauffe ^une candreefine.
Autres d^un tanne brun & quelque peu doreij
Aucuns tout argentei tr d^ autres higare\
D^iai blanc tr rouge au dos^ F un de couleur obfcure
Et opecques cela mejlé d'une verdure.
Beaucoup ont le dos roux^ le ventre gris ou blanc ^
Un noir en tout endroyt^ Vautre rouge que fang, •
Aucuns ont le dos noir ou gris y ventre blanchafirey
Un changeant en couleur ^ F autre clair comme albaftre.
Merveilleux font tesfaiél^y o Dieu! quand par chaleur j
On voyt certain poyjfon prendre taint & couleur ^
Qui affailly du froyt regette fa parure
Et la change foudain en nouvelle tainture!
Aucuns font marqueté^ de tanne gris & noir^
D'autres le dos rayé d'un or pale on peut voir.
Somme il eft impojfible entièrement defcrire
Le taint de tout poyffon qi£on voyt des eauxproduyre.
Or combien que le fang foyt du corps nouriffon
Et des corps la vigueur ^ il fe trouve poyffon
Conjîfter & mouvoir ^ quoy que de fon effence
Il n^y ayt fang en luy rù femhlahle fuflence^
Comme auffi en fon corps on ne voyt rien qui foyt
Qu^on peut dire eflomac qui le vivre recoyt^
Et dHnteflins non plus oii F excrément fe range :
Pour tout il n^a au corps (fune eau noire que fange.
Or ce qui efi en eux plus à confiderer,
C'efl qiion les voyt es eaux fans poulmons refpirer^
Le deffaut d^eux n^enpefche en eux d^ avoir halainey
Leur ouyé en faiél foy^ veu qu'elle fe demeine.
380 LA CREATION.
Rùn rfeft foubi ce foleil oà du Seigneur le los
Ne foyt auton'ié^ me/me en ce que fans os
Ny arefle unpoyffonp defon naturel tendre^
Le cours des eaux tant royde il peut forcer & fendre.
Or entre ces poyffons il y en [a] beaucoup
Fort gros qui rûont en euotk (fune arefle pour tout^
Comprenant tout le corps peu efpineux au refle :
Leur liayfon confifle en leur peau & arefle,
Auffi plujieurs d^entr^eux outre Varefle ili ont
Des cofles par mefure ainfi que leurs corps font.
Les autres ont la chair de nature epineufe^
• Aucuns monflres ont os de grandeur merveilleufe.
Comme tous les poyffons^ foyt d'eau doulce & de mer^
Ne fauroyent fans moyen en icelles ramer ^
Dieu leur a eflabli nagoyres pour ce faire ^
Selon qi^il a congneu leur eflre neceffaire,
A ux unsp quoy qi/ilifoyent grands^ il r^en donne que deux^
A plufieurs autres quatre (t le dos efpineux ^
Aux autres du tout point ^ aux uns doubles & jointes
Avecques une queue affei large & deux pointes.
Aucuns rien ayant point ont pie^ longs & crochu^y
D'autres femblablement les ont longs & fourchu{^
Et mefmement ceux là auquel^ Nature baille
Un rempart à leurs corps d'une affei dure efcaille.
Certain poyffon fans yeux confifle & peut mouvoir.
Un quoyqiiil en ayt deux^ hors de Peau ne peut voir^
Pource que fur ces yeux deux écailles s'abeffent
Qui remis dedans Veau foudain en haut fe dreffent.
D'autres ne peuvent pas vivre ne confifler
Un long temps hors des lieux qi£on leur voyt habiter.
Aucuns^ [bien] que l'eau foyt leur domicilie & gifte^
Roydes on voyt lancer à Vaùr & voler vifle.
Tous poyffons de nature habitent dans les eaux y
Aucuns ce nonobflant portant poil en leurs peauxy
CHANT HUYTIKSME. 381
Se logent dans des creux comme connil^ fauvages
Par eux me/mes fuy^j joygnant quelques rivages,
La mer large & profonde efl nourice de tous
Excepté quelques uns fuyvant les Jleuves doux^
A rayfon que chacun y trouve la viande
Comme le naturel propos à eux le demande»
L'un Je paifl de limon bourbeux^ Vautre pourfuyt
Et faiél guerre aux poyffons moindres de/quel^ il vit^
L^un ayme le gravier avecques Veau courante^
U autre une terre franche & Veau calme & dormante,
Plujteurs prennent leur proye en nageant de coflé^
Plujteurs auffi auxqueli tout moyen efl oflé
De vivre j s'ili ne font à V envers ^ car leur bouche
Efl affile fi prés du ventre qi^elle y touche.
Un fe paifl en roulant^ car tel efl f on nager;
Un auffi bien fouvent par trop vifle & léger
Faut à faifir fa proye ^ allors fans la pourfuyvre^
La laiffe dépité pour quefler autre vivre.
Aucuns monflres ayant humé d'eau quantité^
Engloutiffans leur vivre ont cefle faculté^
Que par conduys qui fur leurs fronts fe manifeflent.
Comme d'une feringue en haut il^ la rejeélent,
Entr^eux il y en a qui fans autre aliment
Qu'à fucer de Veau claire ont vie & mouvement.
D'autres^ quoyqiienVeaufoyt leur demeure ^ il\ne laijfent
De courir fus à Verbe & blei dont ilifepaiffent.
Ores que des poyffons le genre doux ne foyt
Capable de rayfon^ tant efl qi^on apercoyt
En plufieurs une afluce & prudence bien telle
Qu'il y a quelque point de raifon naturelle,
Defaiél il y en a de f y fins & prudens
Qui pris à Vameçon coupent la corde aux dens.
Quelque autre pris vomit fes boyaux & en tire
Le crochet^ cela fait^ à foy il les retire.
382 LA CREATION.
Congnoyffant un poyjfon dejfus fa queue avoir
Un ayguillon nuyjanty lors qj£il fe veut pourvoir
Court fus à tout poyffon de cefte arme méchante^
Qui d^icelle navrei meurent & /enfuflente.
Un fâchant de nature avoir cefte vertu
Que tout cela qu^il touche êft foudain abatu
D'un certain tremblement^ le poyffon il efpie
Et touché court Varefte & en maintient fa vie,
May s quoy^ il y a plus^ luy pris à Vameçon^
Tant grande eft fa vertu qu?à pêne fauroyt on
Tirer la corde à foy q'un tremblement 7^ aborde
Et faifflie le bras duquel on tient la corde.
Si la mer entretient en foy de bon poyffon^
Ne laiffe d'en nourir aucuns plains de poyfon :
Le reguard de Fun d'eux faiéï que la femme enceinte
Par un vomiffement ^enfanter eft contrainte.
Aucuns poyffons marins ont entr^eux amitié,
Les autres au contraire ont telle inimitié
Que fans relafche ili ont entr'eux la guerre efmuë,
Dontfouvent il avient (fun des deux Vautre tuë,
Oin eft celuy quipuiffe entendre la rayfon
Pourquoy la pefche âHeux a fon temps & fctyfon,
Qui faiéï y quand lefoleil entre au Bouc, mettre en voye,
Remonter devers nous Falote & la lanproye?
De la plus grande part des poyffons fans danger
L'homme, comme eftansfaiélipour luy, en peut manger,
Mefmes le délicat gouftplain de friandife
L'invite & ce luy eft viande très exquife,
Ceft grand cas que la perle, en forme, luftre & taint,
Surpaffe tout joyau, d'autant qi£elle v^a point
Ses dons par artifice, ains receus de nature.
Et toutesfoys elle eft de huyftre geniture.
Que fi cefte huyftre tient dé la mer le profond.
Mieux la perle eft nourie & plus belle s'y font;
CHANT HUYTIESME. 38}
Telle kayjfre affei fouvent en produit & amtiae
Dans/on creux ejlomac Ju/qu'à une doujei'ae,
Ilfe trouve poyjjons avoir piàffa/ice en eux
De guérir duferpant le mars pernicieux.
■ La coquille des uns redayte en pouldre fint^
D'elle fottventefoys on M^e en medxdne.
Bien que h pourpre foyi de tout tenu en grand pris.
D'un coquillart poyffon il efl tiré <T pris.
Qu'on pefche devers Tir, laini que Ji on Pegalle
A quelque autre couleur^ il la rend blejme (y paie,
01 que l'home eft heureux lorfqi^il voyt tant d'effaiélj
Que Dieu pour fon ufage en ces poyffons a faiàlj,
Et mefme quand il voyt leur naturel efirange,
Il luy en rend de cttur 6* de bouche louange!
CHoâT^T T^EUFVIESmE,
DES OISEAUX,
DE LEUR BEAUTÉ ET CHANT.
L'Immortel pourfuyvani fort œuvre fifl des eaux
Sortir pareillement toutes fortes ^oy féaux
Surpayant en beauté touspoyffons^ toutes befles^
Ayans cela de plus en eux qi/ili font celeftes
A caufe de leur vol, en quoy le Dieu vivant
Demonflre fa vertu quant à Pair & au vent.
On voyt ces corps mouvoir ^ s'y maintenir en forte
Qu'aile^ pour fendre Vair^ Vaile en Pair les fuporte,
Quoy qiieux & lespoyffons d'un mefme corps foyentfai£l\y
Différent néanmoins de nature & d'effeéli^
Car Pun furpris de Pair il faut foudain qi^û meure ^
A l'autre Pair luy efi ordinayre demeure.
Outre plus le poyffon eft muet &fansfon^
L'oyfeau va guafouillant mainte douce chanfon^
Fredonnant de la gorge avecques harmonie^
Heur qi/à tous animaux le naturel dénie.
Et quand il n'y auroyt que le pannage beau
Marqueté de couleurs dont eft veflu l'oyfeau^
Et comme il fe maintient net de corps ^ il mérite
Eftre^ comme f ai diélj des animaux l'élite.
CHANT NEUFVIESME. 385
Davantage Poyfeau comme il fayt bien voler -^
Il peut auffi par art & fiffier & parler^
Me/mes il contrefaiél^ qui veut prendre la peine
De le veiller un peuy au vif la voix humaine,
U entretien de leur eflre efl commun par entr^eux
Et le feul moyen efl de produyre des oeufs
Qui^ couvei quelque temps par une challeur lante^
Uefpecefe conçoyt^ puys faiél ame vivante;
Non que cela leur foyt en mefmè quantité^
Aîays comme ilifont remplis d^ une fécondité ^
Car tell airent troys foys durant qi£on voyt la lune
Renouveler cinq foys^ les autres r^en font qu'une.
Aucuns chauti de nature ont petiti tous les moys^
Aucuns foybles de corps font quinie oeufs à la foys ^
Un grand & fort en faiél troys feuïlement ^ puis ceffe^
Le commun quatre ou cinq, ou plus félon Vefpece,
Un éentr^eux pajfager a cefle afluce en luy
Que y lorfqiiil veut ayrer^ il pond au nid d^autruy
Et ce qui fort de Voeuf^ de nature rapajfe^
La vie de celuy qui l'a noury prochajfe,
A la plus grande part on voyt leur nid planter
Sur V arbre ou fur le roc dificile à monter;
Aucuns dedans V herbage ili le^fbnt & leur ayre
Les autres es fablons ou 'creux baflii en terre.
Aucuns viennent vers nous anoncer le primtems
Lefqueli on voyt ayrer es maifons^ non es chams.
Un en V arbre le faiél fufpendu & penjtlle
Sur la branche qu'il voyt eflre la plus debille.
La crainte que Poyfeau a de perdre fes oeus^
Le plusfouvent il niche en F arbre haut & creux ^
Ou bien es fors buiffbns^ comme garde très feure
Contre la main qui veut ravir fa geniture»
Combien que F home foyt d'efprit & avifé,
Uoyfeau fe faiél un nid tellement difpofé
m. . 2$
386 LA CREATION.
Qu'à pêne fauroyt-il ce petit édifice
En rondeur & mefure imiter d^ artifice y
Comme à la vérité il efl fi dextrement
Agencé de tous poins & conjoint tellement
De poil y de mouffe & laine & foin lie^ en ferre
Qu'impqffible de mieux ^ Pun efl luté de terre.
En quantité de corps tous oy féaux ne font pas
Efgaulxj car les uns font de corps foybles & bas;
Entr^eux il y en a debilles de corfage^
Eflenceifur un grand & fort grefle janbage,
Plufieurs éHeux au contrayre ont un janbage court ^
Ores quHlifoyent de corps merveilleufemant lourd.
Un efl d!une groffeur & de grandeur extrefme
Lequel félon le corps a la jambe de mefme.
On voyt que de nature aux uns font deniei
En leur création les jambes & les piei^
Pour tout ont obtenu au coflé quelque ferre
Pour fe griper aux murs^ car ils ne vont fur terre.
A caufe qiieflans basj ili ne peuvent aller
Ni ielencer de terre s'il efl befoing voiler j
Quoy que leur aille foyt merveilleufement royde,
Criars vivent en l'air ^ fuyent la fayfon f royde.
Dedans Pifle Efpagnolle^ & non ailleurs ^ fe voyt
Un oyfeau plus petit que rHefl le moindre doyt
D'un enfant de fix ans : au refle de corfage
De tous poins bien formé ^ veflu d'un roux pennage.
Or efl Voeyl tant fubtil qui feufl bien dxcerner
Au vray le veflemant que Dieu leur f eut donner ,
Pincelé de couleurs fy luyfantes & belles
Que tout efmail ternifl eflant aproché d'elles.
Et fy du plus petit on reguarde au plus grande
L'ordre & la grâce efl telle en eux que cela rend
Eflonnei les efpris^ car plus on les conteinple,
Plus Dieu demonflre là une vertu très emple.
CHANT NEUFV
387
Que cela ne foyt vray, venons au plus petit.
On voyra que celuy qui pend à l'air fon nid
Avoir un taint fy riche au vejiemant qi/il porte^
Qu'il ir'eft jaulne, bleu, rouge, au monde de la forte.
Sy on vient à celuy qui a d'Argus les yeux.
Son habit ejl bien plus fplandide (T précieux
Que r^efl celuy du Roy, car il a de nature.
Et le Roy au moyen de la manufaéiure.
L'email tant foyt il haut en couleur eji terni,
Non feullement l'email, mays aujfi l'or bruni
Seront trouvei obfcurs fy on les aconpare
Au îufire merveilleux de ce veflement rare.
Au reguard du total, leur habit eji divers
A caufe qtion en voyt de rouges, jaunes, vers,
De blancs, roux, gris & noirs ù- d'une couleur perffe
Comme le naturel à chacun le difperfe.
Chacune efpece en foy a un humeur à part :
Un defre un pays, l'autre habite autre pan.
Aucuns font pajfagers fans certaine demeure.
L'un venu devers nous retourne en temps tr heure,
L'un comme confiné habite unfeul endroyt.
Les autres en tous lieux, foyt qi^ilfoyt chaut oufroyl :
ayme le taillis, l'autre un defer fauvage.
L'un ayme le champ large (r l'i
Le vivre ir entretien à la pli
Sont les grains efpendut
. Ou de grains par trop fi
Quandpour les entafferdat'
Piujîeurs pov!
Les autres vont de nuyt par
X oyfeletj : autres
Tant aux barbolj qi/aux vert
Aucuns d'eux ont le
Qt^ilf prei
tfeage.
^88 LA CREATION.
Pourfe repaiftre aucuns la charongne ils prochajfeni^
Aucuns vivans de proye à tous oy féaux il^ chajfent.
Le vénéneux reptille eft aux uns alimant
Sans que leur venin face à leur corps détriment^
Mefme il n'enpefche point que la chair n^enfoyt bonne
Et de quoy fans denger peut uier la perfonne.
Un feul menge le fer^ le digère & reduyt
En un mol excrément; autres vivent de fruyty
Plufieurs outre le grain mengent petites pierres
Que ça & là vaguans ili trouvent par les terres.
Quelque naturel propre on y voyt qui les rend
N^eftre tous d^un humeur ^ mays beaucoup diferentj
Car on voyt les pigeons des uns bourer & prendre
Oit l'autre comme amy vifte les vient deffendre.
Aucuns d'eux vivent peu^ aucuns affei long temps^
Un eft qu'on diél pouvoir vivre du moins cent ans^
Et combien qiien leur vivre il y ayt modefHe^
Leur corps eft toutesfoys fujeél à maladie,
Ayfemant maint oyfeau aprivayfer fe peut
Où un fa liberté affubjetir ne veut^
Ores que pour ce faire on le referve en cage^
Aymé mieux dépité mort que d'eftre en fervage,
D'innimitié qu'aucuns ont de leur naturel
Dreffer entr'eux on voyt combat perpétuel.
Les uns tant feullemant pour la proye combatentj
Aucuns à pourfuyvir chaffeurs aux champs s'ebatent.
D'aucuns la prudence eft grandemant à louer ^
Car eflans aterre^ crainte les faiéï veiller :
Pour guet^ peur de dormir ^ d'un pié tient une pierre
Pour s'éveiller au bruyt quand elle tombe en terre.
L'oyfeau royal eft tel qu'il ne peut endurer
Ses petii eflevei prés de luy demeurer^
De crainte que la terre en laquelle il habite
D'oyfeaux defqueli il vit ne foyt par eux deflruyte.
CHANT NEUFVIESME. 389
L'orphraye ejl un oyfeau d'un humeur non pareil :
S'il voyi que fes pelij n'endurent dufoleil
ha clarté fani Jleckir de leurs yeux, mays qt^Hl pleurent,
Du nid Us jeté en bas affn qu'au choir JÏj meurent.
Certaine efpece en troupe amajfee, leur voix
Croaffente tr criarde anonce quelquejhyi
La tempefle prochaine; autres la pluye enjeignenl
Quand dedans les ruijfeaux leur corps lavent & baignent.
Qui peut fans s'ejlonner ouyr la charité
D'un ayjeau envers ceux lefguelj luy ont ejlé
Pères & nour^ons, quand vieux il leur aporte
Vivres & fur fon dos à l'ejbat il les porte.
En eecy tout enfant un jugement re^oyt
(Comme ame rayfonnable) un blafme, quand il voyt
La bejie fans rayfon ejlre pajjionnee
D'une amitié vers ceux dont elle Je Jent née.
Aucutu n'ont point de fiel tr de langue non plus.
Un comme /il mordoyl prend/on boyre aufurplus,
Un depuys quelque temps en recherchant les terres,
Dia l'oyjeau de Dieu, s'efl trouvé fans pief ni/erres.
Primptems venu, l'oyjeau de changer ne faiâl cas
De famille pour foy, chofe que ne faiél pas
Durant le temps que vît la grife tourterelle,
El veufve fe maintient fans que rien entfe en elle.
Un d'un panage blanc & d'un corps grand & fort,
Alt lieu de peur il chante aprockant^ V» a
Autres au pas de mort de leurs a'" ~
Eux fors contre l'effort de la n
La moufche à miel je laiffe au MatuA
X faire que luy je ;
Mays bien les papillons, petites^
Qui en moins dejix moys changM
Aucuns ont bec crocheuj barbe en. n
Les fourciia'
390
LA CREATION.
Qui en geftes du corps & fur tout de la tefle
Surpajfent le bouffon tant en mine qù!en gefte.
Venu le primtemps guay^ un oyfeau entre tous
Faiél en fon chant couler mile f redons tant doux
Qi^il n'y a inflrument en cela qui le paffe^
Ny me/me Varmonie avoir de telle grâce.
Plujieurs chantent fans ceffe en cage oufoyt au champ ^
Et le tems n'a pouvoir leur ofter voix ne chant ^
Ce que r^ont pas aucuns qui vers le temps d'autoune
Ceffent jufques au moys que le primtems retourne.
Aucuns font enroue^ ^ autres mueti du tout;
Un croyaffe^ ou les uns font criars jufqi^au bout^
Les uns au cry d'un d'eux qi£ entre tous il\ congrtoyffent
S'amaffent en un rond^ fi rengei qu'ili f^ preffent.
ha graiffe de plufieurs efi utille en onguent
Et pour le mal des yeux des uns on prend le fang.
A Fhome exténué d'un mal qui le pénètre
Les tefticulles d'un font bons pour le remettre.
Le lion furieux on voyt s'épouvanter
Oyant certain oyfeau de nuyt & jour chanter :
Domejb'que qu'il efl le ruftique le loge
Pour autant qu^il luy eli une très feure orloge,
A parler rondement & à la vérité j
Entre tous animaux V oyfeau a mérité
Le pris pour avoir faiél à Noé le meffage
De la retraiéle & fin de l'Univers naufrage.
Au defert le Prophète heut de V oyfeau le pain.
Au batefme de Crift on vit du Ciel hautain
Sur le chef d'iceluy le Saint Efprit def cendre :
Pour ce faire il voulut le corps de V oyfeau prendre.
Alors que de Brennus^ roy Gauloys^ Rome fut
Prinfe & le Cappitolle efchaller il voulut^
Les chiens furent muetj^ au lieu defqueli un oye
Criant fifi éveiller à point la morte paye.
CHAKT MKVrTIlSME.
»'
Le premier Roy Tartare en baîaUle deffàiét
Et tout fes coiabataxt reduyj jufqves à Jeply
Rems en un halier, mt duc fur luy Je perche,
Cauje que le vainqueur n'y fifi radie recherche.
Somme toute il noui fault confeffer let oyfeaux,
D'auianl qu'Ali /ont de Voir, de la terre & des eaux
Habitons, efire plus excellons en leur efire
Que r^efi tout ammal aquatique ou terreftre.
CHq47^T "DIXIESSME.
DES BESTES A QUATRE PIEZ
ET DES REPTILLES.
Tout poyjfon^ tout oyfeau des mers tirei & pris^
L' Eternel j pourfuyvant fin defaign entrepris^
Voulut fimblablement de cette terre f ombre
D'autres corps tous nouveaux tirer infini nombre^
Par le mefme moyen duquel au par avant
Il avoyt le poijfon faiél animal vivant^
Et heurent ejhe allors qu^ Aurore fafranee
Vint au monde enfanter la Jixieme journée,
Ainfij disje^ creei furent tous animaux
Qu'on voyt marcher fur terre ^ es mons^pre^j chams & vaux;
Tous avecques une ame^ ores qu'elle foyt vive
Et mouvente elle n'eft autre que fanjîtive^
Et combien qu'en aucuns on pui]fe apercevoir
La faculté d'entendre & congnoyffence avoir ^
Tant y a que rayfon en eux n'efl la metrejfe^
Mays dons particuliers que nature leur laijfe
Pour le fervice humain ^ car tant grans que petii^
Le tout Puiffant les fift pour eflre afugettii
Soubi le joug, & pouvoir de Vhome fon image ^
Sans nul en excepter jufque au lion fauvage.
CHANT DIXIESME. 393
Or tous ces animaux^ voyre jufque aux rampanSy
Marchent Jur quatre piei^ hors mis quelques ferpans
Qui au deffaut d'iceux vont coulans fur V arène
Avecques uri alleure aucunement foudàine,
lLa*forme de leurs pie^ diffère fort entr^eux^
Pour autant que plufeurs les ont fendui en deux.
Aucuns non : tout es fois tous [/o/^^] d'ongle forte ^
Fors un qui non ongle ^ cinq doux de corne porte.
ly autres ont plufteurs doyti au bout defquel^ il^ ont
Ongles ronds & pointuj defqueli aucuns d^eux font^
Comme il\ vivent de proye^ aux animaux la guerre^
Les autres à grater leur logis dedans terre.
Des uns la jambe eft large & courte vers le corps ^
Et tell font au travail ordinayrement fors :
On les voyt en apis qui tirant la charué^
Fend du contre tranchant la terre & la remué.
Aucuns d'eux y quoy qi^ilifoyent fur janbes hautmontei^
Sont pour porter fardeaux bons quand ilifont domtei :
De cefie ordre font ceux qui portent comme un cigne
Un col long y recourbé & fourcilleufe efchine.
D'autres moindres en force & de corps neantmoins
Agilles & puijans^ aufervice non moins
Profitables à Vhome^ à caufe quHl en tire
Continuel travail & tel qu'il le defire.
Cefle efpece de foy^ non fans un jugement^
Son maiflre recongnoyt & ceux femblablement
Qui remplirent fa crèche & de la main la traiélentj
Ce qui le faiél foubmetre à tel point qu^il^fouaytent.
Un animal moyen en Afrique efl trouvé
D'un long janbage ayant fon devant eflencé^
Cil du derrière court & fa croupe fy baffe
Que fa forme le rend d'affei ^nauvayfe grâce.
Ainji que la nature en foy mefme a congneu
Fifi félon fon vouloir aux uns le chef cornu y
3J^, LA CREATION.
I
Armes au gênerai utilles pour deffenfe^
Soubmiffion des uns au joug d^obeijfence,
D'icelles Vajfiette eft commune^ tous tes ont
Sur le fommety fors un qui la porte enfon front.
Un auffy Va au bout de fon gros muffle afiie •
Que^ s^ il faut fe combatre^ aux pierres il aguyfe.
Une feule efpece efl dont les cornes fouvent
Sont contraires en ply^ les unes en avent
Se courbent j autres font qui tirent en ariere^
Autres tendent au front ^ autres vers la lumière.
Une autre efpece on voyt agille de fon corps ^
Que comme elle eft petite elle reçoytfes cors.
Un feul efl qui les a longues & déliées
Qui de nature font Vune à Vautre liées.
Le montagnart chamoys craignant d^eflre furpris
Par le ruié venneur^ de nature efl apris
De fes cornes fe pendre à quelque haute roche
De difficile accès ^ s'il congnoyfl qt^il aproche.
Les bennes on voyt choir à Vun quand pn'ntems vient ^
Que s'il n'en fayt avoir d'autres^ honteux fe tient
Caché ^ la crainte feule à ce faire Vincline;
De luy jeune la corne efl bonne en médecine.
Quelques befles les ont pliees en un rond^
Faifant tour & demy aux deux coflei du front;
Au contrayre on en voyt les ayons recourbées
Vers le dos y aux furplus de bout en bout ondées.
Couver s de peaux & poil il^font pour refifler
A Vinjure du temps qui peut les molefler.
Aux uns le poil efl court ^ aux autres long & royde,
Quelques uns Vont pendant mefme en région froyde.
Les tatoui d^ Arabie ^ les rinocerous fors
Ont armé y non de poil y d^efcaUles tout le corps.
Le le\ard Nillien qui feul efpend fes larmes
Quand à Vhome il court fus y porte pareilles armes.
CUAKT DIXIESME. 395
U Afrique y pays grand ^ enfes plus dtfers lieux
Enlevé des dragons j monftres très furieux,
Armel femblablemeni dtecaûles dont la force
Refifte au fier efloc qui contre elles sreforce.
Il yen a aujfi d^aguillons tous couvers :
Ces armes rendent Pun fy méchant (r pervers
Que fi Vhome sTavence à luy faire nuyfance^
Royde contre iceluy fes gros picons il lance.
Des animaux le roy & le plus fier de tous
Sur fon devent il a un long poil (r rebous.
Le refle de fon corps jt a autre couverture
Qu^un poil efpés & court couché de fa nature.
De poil F un a le corps couvert ir toutesfoys
Sa queue eft écaillée auffi, comme tu vois
Une carpe moyene en groffeur^ qui au refle
A le gouft de poyjfon plus que de chair de befle.
En ce nombre aucuns font £une grande beauté
Pour ce qu'ili ont le poil divers ir marqueté
De taches en bon ordre : aux uns la tache eft noyre^
Aux autres elle eft roujfe ou blanche comme yvoyre.
Ceux qui Vont roujfe ont poil plus que la neige blanc
Au ventre y & fa blancheur obtient le premier ranc.
D'autres font fur le dos marqueté^ â leur naiftre
Et néant moins ce taint ^evanouyft au croyftre.
De cefte troupe grande aucuns d'iceux voyt on
Reveftui dun poil long ir barbu\ aw- menton.
Comme Vunfoyt privé ^ Vautre eft autant fauvagêj
Difficile à dompter & reduyre en fervage.
La génération eft caufe bien fouvent
D^un changement de poil^ car tous ne vont fuyvent
Leurs pères en couleur qui^ blancs de leur nature.
Engendrent des petit^ gris ou noirs de tainture.
Les uns font blancs du tout^ autres blancs & tannei^
Aucuns font noirs ir blancs ou un peu bafanei;
39^ LA CREATIOK.
Toutesfoys plujieurs font qui leurs couleurs ne changeni
Et ceux là volontiers au Joug point ne Je rangent.
Comme un caméléon prend le taint tel qu'il veut^
Nature en une befte un cas femblable peut
Que fy quelque Jubjet Je prefante à fa veut
Son poil naturel lors en mefme taint fe mue.
Je ne trouve qui en terre un autre ayt fon pareil^
D'autant que vers la te fie on voyt coucher fon poil.
On en voyt de petiti & doux qui portent laine
Neceffayre à couvrir cefte nature humaine,
U artifice qu^on faiél de leurs toyfons & peaux ^
Soyent fargesj draps ^ tapii excellantement beaux ^
Chapeaux^ bonneti^ ribans^ mitaines & fourure^
Et de leurs cuyrs tennei le nombre efl fans mefure,
paijible animal^ des biens que tu efpens
Combien d'hommes morteli vivent à tes defpens!
Combien voyt^on d'eftai que de toy l'home exerce
Et quel profit luy vient au moyen du commerce !
Des animaux le genre en efîre fe maintient -
Selon qu'un naturel les pouce & entretient^
Faifant que toute befle à quatre piei foyt telle
Qu'en foy elle Réchauffe à fentir fa femelle,
' Pour parier les uns à l'envers font couchei^
D'autres font cul à cul quelque temps atachei.
Pour joindre leur femelle aucuns font en manière
Qu'eflevei fur leur piei Vembraffent par derrière.
Aucun à parier fécond va tour par tour
Ses femelles faillir^ cela fait ^ fans fejour^
Retourne à la première & tousjours continué
Tant que chacune foyt de femence pourvue.
Un animal parie à tourner feullement
Le cul vers la femelle ; aucuns qui nullement
Ne laiffent aprocher les maies qui prochaffent
{Eftans plenes) les joindre f ainsau loin ili les chaffent.
CHANT DIZIESME. 397
Nature lâefi femblable en tous quant à FeffeS,
Pour ce qi/un animal à voir femble qi^iï wayi
Beceu de concepvoir de lay feul la puiffence.
D'autant que Jans le hatre il ne retient femence.
D'autres font tant féconds & promps à concepvoir,
'Quoy que leurs fans au ventre on fente jà mouvoà-.
Ne ïaiffent d'engendrer tous les moys 6* de fuyte.
Aucun de fa nature ejl faiéi kermafrodite.
Plus l'animal ejl grand & moins de fans ilfaia.
Plut l'animal ejl gros avent qu^ejire parfaiél^
Dedans le ventre enclos plus longtemps il demeure
Et pour s'en décharger plus afprement labeure.
L'animal furieux qui debout peut marcher
Donne à f es fans la forme à force de lécher^
Car lefruyt qu'il produyt <T qui fort de fa hanche
A le voir i^efi un corps, mays lopin de chair blanche.
Tous animaux ayans Us pie\fendui en deux
N'engendrent volontiers qitunfan, hors mis l'un d'eux
Lequel en peut avoir quatre d^'une liitee :
N'en ayant rien que deux c'efi fa droyte portée.
Ceux qui ont plufieurs doyj en portent beaucoup plus.
Car aucuns Jufqu'à douie ils en ont au furplus :
Ils ont cela qu'djfonl de promte délivrance.
Aux uns leurs petij font aveugles de naiffance.
Les uns portent petij de fx moys en fx moys,
Aucuns qui plus hâtifs en ont de iroys en troys,
Autres les portent neuf, l'autre l'année entière,
Un fans faire peiij ne laijfe un moyt a
Quelque fan eflant ni efi deux moys fan 1 .
Et peufouvent chemine fur fes piej fans avoir [ttc]
Six moys, ir /û ne fent fes onglet dan de pointa ,
Car de les efpmnter il ejl toiujourt
Vn autre de fon fan amoureux outre hard
Par trtrp fort embraffer fotivtni il le "nd
398 LA CREATION.
Ung perdant fa littee^ animal fier & vifle
A toute outrance il faiéi de f es fans la pourfuyte.
Uun d^eux de fa femelle eft tellement Jaloux
Qu^au lieu que comme père û deuft eflre auxfiens doux^
S^il fent un mafle né de nouveau en la troupe^
Saifi qi^il Fa des dens^ fes natures luy coupe.
Aux uns le naturel ne permet en tous lieux
Vivans fe maintenir; aucuns vivent tant vieux
Qu^ill en perdent les dens. Un efl quifouvent paffe
Un fiecUy voyre plus^ l'autre vit peu d'efpace.
Pour vivre aux uns le broufl eft de grand apetit^
Les autres vont pinceant le ferpolet petit.
Uherbe courte à plufieurs eft pafture plaifante^
Uerbe bonne à beaucoup leur eft indifférante.
Le grain eft à plufieurs un nouriffement bon^
Aucuns nageans es eaux fe paiffent de poyffon^
Les uns vivent de fruyt^ un vit^ fy faim le preffe^
L'iver fuceant lefang de fes ongles fans ceffe.
Le naturel contraint tout animal d'user
De viende à luy propre^ outre de repofer
Et dormir : or Vun d'eux^ autant que la froydure
Preffe fes tendres nerfs ^ autant fon dormir dure.
Rien moins qi^ il mange ou boyve autant de temps qiiildort
Non plus que s*il eftoyt eftouffé par la mort^
Ce pendant ce dormir tant s? en faut qui Vabeffe
Qi^il le rend en bon point &' donne haute greffe.
Tous animaux en fomme ont befoign de menger :
Pour ce faire ils ont dens pour mafcher & ronger,
Celuy qui vit de proye en rugiffant gourmende.
Mais le paifible ronge à Vaife fa viende.
Combien qu^à mefme fin tout animal ayt hei^
Les dens y ce nonobftant comme Dieu a vouleu
Subvenir à Vefpece^ il les a difpencees
Et toutes par bon ordre en leur lieux agencées.
«»
Auuat jULUe ^^Jt la àem fr ir àernàer^
Fh^atrs irimî àem àe^u qm mmohBme we JaU^A
Ar hr^BT tr jâmoer T^rit àam H^Jt pmffèmu
Le méfie ^jibu gnadpart^ jnaam pett^ fut ^^BU.
Om àefai ^ Âê^bs^ Jàitm Jeun carjn^ Jet dbu.
D^emcei mac ^ie^ mtcma nm qui hors Jtftusm
Ei d'jatrei mm àeMmtfart trjmdumtes lesfonemu
en ^d mijemi humant JeahJe sq/rnàter heâiDtn^
Es fuî ce fÊ^uB îuy uumfire emtem <T redem tmu
A éei éems mix ajtei £ume grmiàeur neicjfte
Es ^iceOei Je fâd le uet Ù" hleuc yvtyTe,
D'émue dkevrejuu»a^ ejt le vrnj umfc proàuyt
Cmm m i uu humeur bourbeux, eu v^fies reduyt
Qme Jimbi feu veutre eW a. L'odoreuu crt^ne
De lu uuturejbrt £uue certaîue beje,
Quifaiâ cdu qttaucuus d'uu uaxwrd Ay gueux
Nepeu9em demeurer fous avoir guerre eMir*emxf
AucuMSy mou de uature, aius jaloux des jemdUs
Lors qatelles ftmi eu ruyt Je combauut pour Mes*
Aunaul itejt fy graud eu qui crainte me foyî :
Sy^ le flus graud de tous la fourij aperçoyt^
n tremble de grand peur : le plus jUr repouveute
Et fremifl eftouné alors que le coc chante,
Aunms animaux font fuje^i à enrager :
De cete forte F un glouton eu fou meuger
Souvent met en oubli la proye qtril a prife
Et de la rechercher jamays il ne sravife
De cete forte aujfi l'un guarde la maifon^
Eft chaffeur volontaire à toute venayfon
De nature il cherift fon maiftre & le careffe;
Luy facûe il fe renge à tout ce qu'on le dreffe*
Un fe voyant chaffé du veneur fans merci ^
Sachant bien pourquoy c'efl quon le prochaffe ainfi^
400 LA CREATIOK.
Ses genitores tranche aux dens & prend la fuyte :
Le venneur les ayans delaiffe fa pourfuyte.
Il rCy a animal defoubi le firmament
Qui n^ayt crainte de Vhome avecques tremblement.
Sa main par laps de temps les foumet^leur commende^
Plufieurs aujji creei pour lui eftre viende.
Neantmoins Dieu voulut d'une infigne bonté ^
Affin que Vhome fufl au monde en feureté,
Chaffer dans les defers les venimeufes befles^
Comme il les congnoyffoyt cruelles & molefles :
Qui faiél que le dragon^ pour mieux eftre à Vefcart^
Ayw^ mieux le defert d'Affricque qi^ autre part^
Qui faiél le bafilic fe cacher dedans terre
Oit dans le fond d'un puyi Dieu qui le tient enferre.
V eftre on voyt confifter à la plus part dHceux^
Ainfi que faiél Voyfeau^ en produyfant des oeus.
Leur morfurefur tout eft très pernifieufe
Pour ce qu'ili ont la dent mauddéle & venimeufe.
Celuy qui faiél demeure au Jluve Menphien^
Ains que faire fes oeus il juge de combien
Le Jluve doybt hauffer & le bord qu'il doyt faire ^
Choyfiffant lieu où Veau ne leur pmffe mal faire.
Combien qu'il foyt d'un corps horible & monftreuXj
Son eftre toutesfoys prouvient de petii oeus.
Il a un cas en luy que n'a befte vivente^
C'eft qv^il a la machoyre en fon deffus mouvente,
Quoy qu'il foyt grand^ un rat^ fon mortel ennemy
L'efpie^ s'il le voyt^ lors qu'il eft endormy^
Avoir la geulle ouverte^ au dedans ilfe rue
Et foudain il le navre au cœur tant qu'il le tué,
Ainfi que la torpille engendre un tremblement j
' Un reptille le peut faire femblablement :
Que fi d'un long bafton de le tuer t' efforce ,
En le touchant tu tremble &pers vigueur & force.
CHAVT DIXISSME. 4OI
Uum éeux efl emtre tous éefiramge naturel ^
Car félon Us couleurs qttil Toyt il dewient tel.
Son renâuj la' pajrfibUj eft de force petite^
Néanmoins dangereux aufy toft qtton Firite,
Un ferpent iritéy srû voyt que pour remper
Ne puyffe la perfonne affêj toft atraper^
Darde fan corps en Pair & vers elle fe lance ^
Tachant à fon pouvoir de luy faire nuy fonce.
Un roux reptille on voyt ayant regard ardent ^
Tout rempli de vemm qui confifte en la dent^
La chair duquel efl bonne ^ eftant en vin nouiie.
Pour guérir cU qui eft taché de ladrerie.
En Malabar aucuns ferpans font fi infeél^
Que de leur foufle feul les homes font defaiB\,
ÎJ Arabie en produyt dont la morfure efl telle
Qi^elle efl fans nul remède ^ aux perfonne s mortelle.
n /en trouve qiion voyt d^ arbre en arbre voiler;
ly autres font fi pef ans qu'ils ne peuvent aller.
Aucuns ont quatre piej vivons aux marefcagesj
Qui font à tout paffant en merveilleux dommages.
Aucuns font grands de corps ^ autres grefles & longs ^
Autres ont le corps court ^ tous communément ronds.
Aucuns on a trouvé de naguère à deux tefles^
Un efl qui cornes porte ainfy qit aucunes befles,
Sy les fauvages font entr^eux quelque banquet ^
Ul ne prifent pas tant la chair du perroquet
Comme d'un gros leyird habillé à leur guife
La chair duquel entr'eux leur efl viende exquife,
Entr^eux aujfi fon fiel ili tiennent chèrement ^
A caufe qiiil leur fert en maint médicament ^
Sur tout méfié en vin (r puys prins en bruvage
La morfure il guerifl du chien efmeu de rage.
m. 26
CHq4V^T UV^ZIEmE.
DE LA CREATION DE L^HOME
ET DIGNITÉ D^ICELUY.
Ce Ciel d'aïur luifant^ ces luminayres beaux^
Cefl air par tout efpars^ tout ce grand amas £eaux^
La terre avec f es osj toute arbre ^ toute plante ^
OyfeauXj befteSj poyjfonsj & toute ame vivante^
En fomme ce qui efl dejfoubi ce Ciel hautain^
Quoy qu^il foyt difpofé de la puijfante main
De Dieu le Créateur ^ que V œuvre foyt infigne
Et à bonne rayfon de fon ouvrier bien digne ^
Il ne fervoyt de rien^ quoy qu^il heuji fon effeéi^
Sans reguarder le but pour lequel il fut faiél^
Et là le raporter^ car il efl tout notoyre
Que Dieu a tout créé pour F home & pour fa gloyre,
Contemplon donc cefl home en fa création
Comme un chef d^ œuvre exquis d^ autre condition
Que tout autre animal. Puys que Dieu délibère
En foy pour le créer ^ cefl œuvre efl flngulliere,
Mays qvlefl ce que ceci^ a Dieu créant les Cieux
Et tout ce qui fe voyt en ces terreflres lieux!
Tu efloys fans Confeil^ tu efloys feul^ à Pheure
Et à ton parler feul tout eut eflre & demeure.
csASir xnfzrsMjr.
4C?
^dfoÊt cmr CmMlÊrxf (^m vnur m irrjr— irr
^-f
Mm: Fu^umcm G* Vertu qm lafait <if àitm ^
(^m nor camcaptâma: Jk m amfii amt OÉtmnttl^
Em cm Caifi^Jimt orrrs &- ks trays j»jQmt tfum^
Et^ (£vm x^oB fâi^ trays tijùi^s^ coni^iîo» qu"*iu
EFtax jmjbytjêparé^ éamt s^^mfityt qtut imtr
Et rgfaàamm jmfipmtt cumûtt&r^^
Im mmtam^bré tr ««b bwtm mu ntr m M
Em etfaarà Cai^înl Faniifitt cel m Jhma»:
FafbiL le odL opuL 2^ empire toureraîa
Sur Q3ot ceqai fe Toyt« que tout loyt loubs £4 msÙD^
Sayt le poytfbn de mer ou foyt Toyleau cdiefie
Ec le pooldreax repcEe aTeci]ue$ tCKice bcfte.
Qœ QXix cda Inj fbvt fbubz loa pouvoir résous
Pdar dlceuz dtfpozer comme tl lui eft permi^^
Qa'E domine far coût ce qui a vie & etfare
CxBme coofticaé d keux Seigneur & Maiâre*
Affin de rincrodayre & mieux le mÂÙitexxir
En ce fooverain droyt^ fidioa ores venir
Tous animaux vers luy & que tous il les XK>mme>
En figne qu'ilz font tous aiubjedîz à Thomme*
Aimfi comme le père a ctjh amiorù*
De mommerfom emfamt à fa maiitiU,
Ou quandpar mariage umeftmmefe Ke
Prend du mary le mom & U fi^m elle oublie y
Ou hiencùmme un guerrier y foyt Grand, Seigneur &Hoyy
Vainceur donne au vaincu & U nom & la loy^
404 l'A CREATION.
Tout ainfi qu'il luy plaifl^ toutes marques en fomme
D'une fûbjeéiion deffus tous ceux qiCon nomme :
Tout ainfi Vhome a pris par Finpofition
Des noms qv^il a donnei vraye poceffion
De tous les animaux^ leur naturel féroce ^
Paifible & doux rengé au joug d'humaine force.
Pour tant il ne faut pas juger pour le jourd'huy
La domination eflre femblable en luy
Ni telle quand f on coeur marchoyt en inocence^
Et lors que tout ployoit foub^ fon obeyffance^
Car le Dieu fouverain^ à caufe du péché
Et mefaiél d'iceluy^ a beaucoup retranché
De ces excellans dons^ pour avoir l'exécrable
Malheureux abufé de ce tiltre honorable :
Comme un Roy du vaffalpar lequel a efté
Quelque crime commis de le^e magefté^
Les armes il renverfe & grades de noblejfe^
Le banifl du Royaulme^ abat fa fortereffe.
Jugeons donc de cefl home ainfi comme il efioyt
Lors qiien fa dignité première il confifloyt^
Et partant il te faut raifonner en toy comme
Le degré (f honneur fut excellant dedans l'homme.
Car encores qi^ilfoyt decheu de cefl honneur^
Le lou cruel ne va de jour fans crainte & p^vr^
Le petit berger ot de fa voix l'epouvente^
La bergère conduyt fon troupeau feuUe & chante.
Quoy qi/en Vair & fort haut puiffe voiler VoyfeaUy
Le poyffon foyt caché au plus profond de Veau^
La fauvagine au boys & cavernes s'en fuye^
L'home en efl toutes foys maiftre par induflrie.
Que fi les animaux ne peuvent éviter
De Vhome ores la main^ qui fauroyt reciter
Que (^efloyt à'iceluy lors que cefle lumière
Reluyfoyt en fon front de fon eflre première?
CHANT UNZIEME. 405
Par quoy quand nousvoyon le beuf^ tant foyt il grand.
Pris & lié au joug & mené d^un enfant^
(^un cheval brave (r fier d'unfrain dompter fe laiffe^
Q^un lion furieux devant Fhomme s^abaijfe^
Alors non fans regret & d'un gemiffant coeur
Chacun de nous peut dire : où efi cefle grandeur
De laquelle je voy encores quelque trace?
O fignes finguUiers de ma première grâce l
Ainfi faiél le prodigue après qjiû n'a plus rien
Pour avoir folement dicipé tout f on bien^
Detefte fon erreur: nous auffi aufemblable
Pouvons bien déplorer nojlre eftat miferable.
Or de toute la terre & lors que Dieu voulut
Créer le corps humain^ il choyjît & efleut
Certaine pouldre roufe^ affin que de nature
Ce corps fufl excellant fur toute créature.
Non pas, que la matière eufl quelque luftre exquis^
Provenant de nature ou autre point aquis
Par art & induftrie^ en quoy s'enrichifl l'oeuvre^
Ainfi comme peut faire un potier ou maneuvre.
Rien moins que cela foyt y mays tout ainfi <fun Roy
Donne tant à For fin^ comme au bas^ tiltre tr loy^
Et monnoye qu'il ait^ Fefpece eft aprovee
Par le tiltre & Vymage en icelle engravee :
Ainfi eft il de Dieu qui de pouldre feut bien
Form£r le corps de l'home ^ or qu^elle ne fut rien
Que pouldre y mays l'image en elle heut telle grâce
Que toute créature en dons elle furpaffe^
Soyt en forme ou façon ^ ou qu'il foyt droyt planté
Et d'art ingénieux divinement hanté.
Tant en lignes que traii^ là le grand Architeéle
Batijfant cefle ouvrage ouvrier fe manifefte^
Car rien ne fe peut voir en ce chef d'oeuvre exquis
Qui n'y foyt agencé ainfi qu'il eft requis.
406. LA CREATION.
Plufieurs membres y font aptes à fon fervice
Lefqueli tous (Tun acord exercent leur office.
Que fi quelq'un d^entr'eux on dejtre offencer^
U autre membre furvient pour le mal devencer;
La mutuelle peur q^un d'eux foufre molefte
Faiél pour le guarantir émouvoir tout le refie.
Ses membres font la tefle^ epaulles^ bras & mains j
Les cuiffes^ Jambes j piei^ le col^ cofles & reins ^
Tous lefqueli font batii d^os fecs^ fors de nature ^
Pour tenir ce corps ferme en fon plant & firuélure^
Agencei & conjoins félon leur mouvemens
Par cartilages^ nerfs ^ mufcles & liguamens^
Tous reveflui (fun cuyr nerveux & faiél fenjible
Qui faiél que chacun fent ce qui luy efl nuyfible,
Troys chofes font au corps dont le refle defpend^
C'eji à f avoir le foye origine du fang^
Le coeur. & le cerveau^ parties principales
Et le vray entretien des effences vitalles.*
On en peut dire quatre à bon droyt^ car du corps
Ce n'efl rien ou bien peu^ les tefliculles hors :
Non qu'en par ticullier fans eux r^ayt habitude^
May s bien pour conferver Vefpece & multitude,
ly autre part on les tient plus nobles que le coeur ^
Quoy qiiil foyt le motif & don de la vigueur j
A caufe qu^ili font l'home acord^ promp & à deftre^
Et le coeur fimplement luy donne vie & eftre.
Retranchei de ce corps ^ quoy qi^ il foyt mafle né^
Cela le rend confus ^ couhard, efféminé ^
Sans barbe^ fans couleur^ fans voix digne d^un homme ^
Comme Veffeélfe monftreen cilqu'eunucque on nomme.
Or d? autant qiie le foye efl le premier parfaiéi
Des membres principaux^ je vien à fon effeél
Qui efl de convertir par fa vertu le chille
Receu de Veftoumac en fang pur & utille.
CHANT UNZIEME. 407
Humide & chaut il efl de fa condition ^
Ayant par troys moyens au corps coneéiion :
Savoir à l'eftoumac par la vene il adhère ^
Au cerveau par les nerfs ^ au coeur par fon artère.
D'un gros fang congelé en lobes difpofé^
D'artères (r de nerfs ce foye efl conpofé
Lequel de fa fuftence engendre toute vene^
Vay féaux par qui le fang par tout le corps fe mené.
L'une efl la vene porte où le chillus rengé
Demeure jufqji au tems qi£il foyt en fang changé;
Tout fang melancolicque efl purgé par icelle
Repouffant Fhumeur gros du fang à la râtelle^
Laquelle efl d'une chair faiéle du plus gros fang.
Rare & fpongieufe en icelle deffant
L'humeur non naturel par temps & par mefure.
Le chaffe par conduyi qu'elle a heuz de nature.
Uautre vene efl la cave utille à recevoir
Le fang eflant parfaiél^ puys elle faiél debvoir
Que d^iceluy partie aux efpri^ elle envoyé;
L'autre /epand au corps par la veneufe voye,
Mère d'icelle en tant que toute vene part
De fon tronc : outre plus c'efl elle qui départ
Le fang par tout le corps ^ comme elle voyt bon eflre^
Afin d'entretenir ce petit monde en eftre.
Comme un Maiflre d'hoflel de quelque grancfmaifon
Sayt difpencer les biens d'icelle par raifon
Et félon qu^il congnoyt que porte l'ordinayre^
Ainji envers ce corps le foye le fayt faire»
A ce foye efl conjoint un fiel y vaiffeau nerveux ^
Retraite & partiteur de l'humeur billieux
Et vray fang. La matière eflant en luy comprife^
Nuyfante en quantité fe def charge en Vecphife.
De l'ame le manoir ordynayre efl le coeur ^
Principe de la vie^ organe de vigueur ^
408 LA CREATION.
De Vefprit diéi vital la caufe efficiente ^
Guarde de la chaleur naturelle & Jluente,
lyun fang propice efpars par chaleur comprimé
Il eft faiâl une chair dont le coeur efl formé ^
Membre noble duquel tout artère procède^
Premier vivant de tout & dernier qui decede.
Or cefl efprit vital dont le mouvement part
Au ventriculle enclos de la feneftre part,
De ce coeur liefi en foy tfune pure fuftence
Moyenne entre le fang & l'air en concurence.
Un autre ventriculle eft au dextre cofté
Du coeur femblablementy lequel faiél a eflé
Tant pour eftre aux poulmons ufage neceffayre
Que ce vital efprit dans le feneftre faire.
D^apophifes au coeur Nature en a mis deux
De fuftence nerveufe & mole^ pour bien mieux
Suyvre fon mouvement^ rompre & pouffer arrière^
Lorfqu^U eft dilaté^ V excès de la matière: j
Car eftant introduyte en luy trop largement
Luy pouroyt amener un promp fuffocquement^
Mays Nature a uié de telle diligence
Qu^il rien peut recepvoir qui à Vaife & fuffifance.
Ainfi comme la mère a de fon enfant foign
De luy aprefter vivre autant qu^il eft befoign^
Craignant que quelque excès ne luy foyt dommageable.
Ainfi Nature faiâl au coeur chofe femblable^
Pour éviter qv^en luy r^y ayt vacuytè,
Pour recepvoir chaleur propre à fa qualité
Et mieux s'entretenir en fuftence propice^
Comme Vaymant^ la Mme & fouffieti faiél office :
Car tout ainfi qi£on voyt les fouffieti duforgeur
Dilater^ humer Vair^ ainfi en faiél le coeur
Qui enfe dilattant, & alors qu^il refpire^
Tant le fang que Vefprit dedans foy il at"
CHANT UKZIEMK. 4O9
Ainfi comme à la Jlame atirer Vuylle on voyt
Au moyen de la mèche ^ oinfy le coeur reçoyt
Et tire la chaleur & Vair qui V environne ;^
Ainfi que Vaymant tire un fer^ il le Je donne.
Or Nature a donné à ce coeur pour hoftel
Le péricarde efpés duquel l^ufage eft tel
D'entretenir ce coeur d'humidité fereufe
Par celle qui luy efl propre & aventageufe^
Lequel comme ilfoyt faiél habitacle du coeur
Eft du mediaflin royde eftandu^ de peur
Qj£il ne tumbe fur luy^ par confequent qu^il tiene
Ferme y fans décliner pour mouvement qui viene,
Eftant (pour ne pouvoir confifter fans prendre air}
Embrajfé de poulmons defpongieufe chair ^
Ou d'un fang billieux efpendu comme efcume^
Preparans Pair au coeur qi^en refpirant il humej
Car Pair par fa froydeur ou autre qualité
Le pouroyt offencer^ mays par leur rarité
Uair eft fans violance admis dedans luy^ powrce
Que la quantité peut Voffencerpar la cource.
Du torax mufculleux provient leur mouvement ^
D'un fang fubtil du coeur prenent nourijfement.
Ce font les inflrumens de la voix qui refonne
Par Vair que la trachée artère en eux entonne.
Ce torax efl partie offu^ aujfy charnu
Et cartilagineux y auquel eft contenu
Le coeur ^ les deux poulmons & la trachée artère.
Laquelle par deux fors rameaux en eux s'incere
Neceffayre à la voix & refpiration ;
D'qporter aux poulmons Vair eft fon aélion^
Pareillement au coeur : elle eftant comprimée
Raporte en haut tout ayr converti en fumée.
Voeiophague^ voye & du boyre & [du\ manger ^
En ce large torax aujji fe vient renger^
CHANT UNZIÈME. 4I I
Pour la plus grande part de Vhumeur billieux
Et fereux repurger ^ du foye font les deux
Reins ^ faiéli ^^"^« chair denfe & de leur origine
oar les lombes pofei dechajfent hors V urine.
*^^ ces reins font produyi & fortent deux vaiffeaux
Uretères nommei ^" conduéleurs des eaux^
Pour autant que Vitrine efl par eux atiree
Jufques à la vejfie & en elle enferrée.
Pour porter la femence aux tefliculles font
Six vayjfeaux eflabli{j duquel nombre deux ont
Office de VqjBfrir^ les autres la préparent ^
Etpource qi^ilifont deux en deux pars fe feparent ,
Dedans cet epigaftre on voyt femblablement
Plujieurs mincies rengei qui donnent mouvement ^
Plujieurs tendons & nerf s ^ fibres ^ artères^ venes^
/Smkt maintenir ce corps aptes & très ydoynes.
Ces corps (t vaiffeaux^ dit^ ventre inférieur ^
dams un perùoyne enclos comme en lieu feur^
Pexcremant fortir ^ en comprima ce ventre^
^fehe d^ autre part qv^ aucun vent en eux entre.
4IO LA CREATION.
Propre pour atirer les viendes^ au rejîe
^ Rejeder ce qui donne à Pejlomac molejîe.
Une grande menbrane apellee plevra
S^ajoint à iceluy : Putillité qu^elle a
C'ejî que tous ces vitaux membres enfemble lie
Baillant une tunique à chacune partie.
lyun diaphragme oblicque en Jttuation
Eflfaide des vitaux lafeparation
D'avec les naturels : outre il efl necejfayre
Au corps plus librement refpiration faire ^
Mufcle fond & oblong^ nerveux & menbranèux^
Enfon incçrtion charnu & tendineux^
De deux tuniques faiéï : Vune vient de la plèvre^
U autre du peritoyne e fiant inférieure.
JJepigafire qui efi mefmemant feparé
Du diaphrame va Jufques à Vos baré.
Vers la plus haute part d^iceluy on voyt efire
Le foye au droit cofiéj Vefiomac à fenefire^
Réceptacle du vivre & de tout aliment
Necejfayre à ce corps ^ le cuyt femblablement
Après qi/il efi du foye eflabouré en chille^
Tant à luy comme au corps entretien très utille,
Defoubi cet efiomac fix intefiins voyt on :
Uun nommé ecphifis^ ileum^ jéjunum^
Cecumj colon p reélum^ diél tel pour fa droytwe,
Tous ayant lomentum grejfeux pour couverture.
Par le milieu dHceuxpaffe un particullier
Membre y di£l mejfantere^ utille pour lier
Et contenir chacun intefiin en fa place ^
Affin que Pun à Vautre empefchement ne face.
Quant à leurs aélions propres j c'efi recepvoir
En eux les excremxms^ & faire tout debvoir
En tenu d^en expeller & rejeéler ariefe
Du corps ces excremens d'indigefie matière.
CHANT UNZIEME. 41 1
Pour la plus grande part de Vhumeur bûlieux
Et fer eux repurger ^ du foye font les deux
Reins ^ faiéli d'une chair denfe & de leur origine
Sur les lombes pofe^ dechajfent hors Vurine.
De ces reins font produyi & fortent deux vaiffeaux
Uretères nommei ou conduéleurs des eaux^
Pour autant que Vurine eft par eux atiree
Jufques à la vejfie & en elle enferrée.
Pour porter la femence aux tefliculles font
Six vayffeaux eftablii^ duquel nombre deux ont
Office de Voffirir^ les autres la préparent^
Etpource quHlifont deux en deux pars fe feparent .
Dedans cet epigaftre on voyt femblablement
Plufieurs mincies rengei qui donnent mouvement^
Plufieurs tendons & nerf s ^ fibres ^ artères ^ veneSj
Pour maintenu ce corps aptes & très ydoynes.
Tous ces corps & vaiffeaux^ diti ventre inférieur ^
Sont dans un peritoyne enclos comme en lieufeur^
Faiâl V excremant fortir y en comprima ce ventre y
Empefche d'autre part qu^ aucun vent en eux entre.
4IO LA CRSATIOI^.
Propre pour a tirer les viendes^ au refle
^ Rejeéler ce qui donne à Ve3-omac mole fie. .
Une grande menbrane apellee plevra
S^ajoint à iceluy : Vutillité qu^elle a
C'efi que tous ces vitaux membres enfemble liei
Baillant une tunique à chacune partie.
lyun diaphragme oblicque en fituation
Eftfaide des vitaux lafeparation
D'avec les naturels : outre il efi necejfayre
Au corps plus librement rejpiration faire ^
Mufcle rond & oblong^ nerveux & menbraneux^
Enfon incçrtion charnu & tendineux^
De deux tuniques faiél : P une vient de la plèvre^
U autre du peritoyne e fiant inférieure,
Uepigafire qui efi mefmemant feparé
Du diaphrame va Jufques à Vos baré.
Vers la plus haute part d^iceluy on voyt eftre
Le foye au droit cofté^ Vefiomac à fenefire^
Réceptacle du vivre & de tout aliment
Necejfayre à ce corps j le cuyt fembtablement
Après qu^il efi du foye eflabouré en chilUj
Tant à luy comme au corps entretien très utille.
Defoubi cet efiomac fix inteflins voyt on :
Uun nommé ecphifis^ ileum^ jéjunum^
Cecum^ colon j reélum^ diél tel pour fa droyture.
Tous ayant lomentum grejfeux pour couverture.
Par le milieu dHceuxpaffe un particullier
Membre^ diél mejfantere^ utille pour lier
Et contenir chacun intefiin en fa place ^
Affin que F un à F autre empefchement ne face.
Quant à leurs aélions propres j c^efi recepvoir
En eux les excremxins^ & faire tout debvoir
En tems d^en expeller & rejeéler ariere
Du corps ces excremens d'indigefte matière.
CHANT UNZIEME. 41 1
Pour la plus grande part de Vhumeur bûlieux
Et fereux repurger ^ du foye font les deux
Reins j faiéli d'une chair denfe & de leur origine
Sur les lombes pofei dechaffent hors V urine.
De ces reins font produyi & fortent deux vaiffeaux
Uretères nommei ou conduéleurs des eaux^
Pour autant que Vurine eji par eux atiree
Jufques à la veffie & en elle enferrée.
Pour porter lafemence aux tefliculles font
Six vayffeaux eflablii^ duquel nombre deux ont
Office de Voffirir^ les autres la préparent^
Et pour ce quHlifont deux en deux pars fe feparent ,
Dedans cet epigaftre on voyt femblablement
Plujteurs mufcles rengei 9^^ donnent mouvement j
Plufieurs tendons & nerf s ^ fibres ^ artères y veneSy
Pour maintenir ce corps aptes & très ydoynes.
Tous ces corps & vaiffeaux^ dit^ ventre inférieur j
Sont dans un peritoyne enclos comme en lieu feur^
Faiél V excrément fortir y en comprima ce ventre ^
Empefche d'autre part qu^ aucun vent en eux entre.
CHQ4:NiT rDOUZIEmE.
DU CHEF, DU CERVEAU ET DE LEURS ACTIONS.
SHl y a quelque point (Pexcelant & de beau
Dedans ce -petit monde ^ il confifte au cerveau^
Principal inftrument de Pâme rayfonable^
. Seule caufe que Vhome efl faiéi home capable.
Or ce difcret efprit^ de Vhome conduéieur^
Procède du vital par le moyen du coeur ^
Des artères porté qu^on nomme carotides
Au reti entrant au teft joygnant les clinoides,
D^une dhifion d^ artères en fileti
Enfemble entrelaffei il fe batifl un ret^
Admirable & fubtil^ vaijfeaux faiéli de nature
Où Vefprit ^élabore en fufience très pure :
Car il eft bien requis que fa nature foyt
Faiéle en perfeâlion^ à caufe qu^il s'y voyt
Une aéiion plus noble & de plus d'efficace
Que celle du vital ^ quoy que vivre il le face.
Ce fiege de rayfon^ membre pituyteux^
Mol & froyt de fort eftre efl divifé en deux^
Non pourtant feparé & s'il efl en partie j
C^efl la dijonéîion qiien faiâl la mère pie^
CHAKT DOUZIEME. 413
Car comme Ufoyt dreffé dPum ordre afe^ divers
Mefme enfonfuperfice^ eftami femblable à vers
Enfemble eniortilUij cefte mère fincere
Enfes profondttei & par fibres Fenferre.
Ce cerveau excellant fur tout membre efl enclos
Dedans un crâne rond compofé defepi os
Puyjfant pour refifier contre toutes injures^
Uun dedans Vautre entei par diverfes futures.
Aucuns crânes les ont jointes eflroytement^
D'autres qui le font moins faides non feullement
Pour donner â toute heure aux fumées poffag^)
Mays (fun des os froyjfé^ l'autre v^aye dommage.
Ce crâne doncques efl comme un rempar très fort
Ordonné aux efprii animaux pour un fort
Reduyi & campei ^^ comme en lieu d'affeurence^
De pour que Vaccidant ne leur face nuyfance.
Nature a faiél ainfi que Pavare amaffeur
Lequel j pour conferver & cacher en lieu feur
V Son trefor précieux ^ il cherche lieu duyfible^
Sur tout fecret & fort^ & le moins acej/ible.
Et d'autant que ce crâne ^ os d^epejfeur & fort^
Pouroyt par fa durté luy faire quelque effort^
La dure mère vient à caufe qu'il efl tendre^
Pour bien le guarentir Vembrajfer & comprendre;
Puys pajfant par la nucque elle devalle au dos^
Enveloppant Vefpine affin qt^aucun des os
Du metaphrene & tombe au mouvoir ne luy nuyfe.
Tout nerfj toute menbrane efl d'elle atiffi comprife.
Dedans ce cerveau font quatre concavité^
Ou ventriculles joinéls par f entier s dxlate\y
Par lefqueli les efpn\ informe^ vont & vienent
Conmuniquer enfemble es chofes qui furvienent^
Defqueli les deux plus grands font au devant logei^
Affin que par eux foyent les excremans purgef '
414 l'A CREATION.
De Vimaginatif efprit^ pour riefire encore
En tel efiat qi^il faut y & là il /élabore
Pource que par V artère & vene un excrément
S^ engendre en luy qui peut luy nuyre grandement ^
Synon que la futture ou ne^ le mondifie^
. Autrement il pouroyt choir en apoplexie.
May s la particulliere utillité d'eux tend
De contenir ce fens^ lors que Pâme prétend
Examiner par luy la chofe prefantee
Auxfens extérieurs & par eux raportee :
Puys en la conférant enfemble^ minfe elle eft
En ordre pour avoir jugement & areft
De la raifonj balence unique de droyture^
Au ventriculUj lieu tiers oit tout fe mefure^
Duquel la forme v^efi telle que des premiers ^
Ains eft comme une voulte affiie fur pilliers^
Afin que V animal efprit en cefle efpace
Son mouvement plus libre & à Vayfe fe face.
Dedans ce ventriculle eft le conarion
Faiél tant pour renfprcer la feparation
D'aucuns vaiffeaux conduyt^ là par la mère pie^
Que donner au cerveau la nouriture ir vie.
Le vermiforme aujji eft dedans luy compris^
Lequel en tems & lieu laiffe aller les efprii
Au ventriculle quart par compas & mefure^
Craignant que la memoyre heuft d'eux trop prompt' blef/ure.
Pour porter les efprii^ leur décret & arefl^
Du ventriculle tiers au quart ^ un conduyt eft
Qui les donne au trefor de memoyre & les livre
Pour les enregiftrer comme dedans un livre.
Au dedans d'iceluy un conduyt on peut voir
Apellé choana^ faiél comme un entonnoir ^
Par lequel le cerveau rejeéle par la bouche
Les groffiers' excremans lorfque le nei fe boufche.
CHANT DOUZIEME. 415
Sur Vendroyt où deffend la nucque ejijtiué
Le dernier ventriculle ou quart atribué
Au cerebelle en tout^ car la nucque fujdiéle
Semble mieux d^iceluy que du cerveau produyte:
De tous le plus petit ^ mais plus folide & dur^
Faid plus petit Sautant que lors Pefprit eft pur
Qu^il reçoytj & partant en quantité bien moindre^
Plus dur pour feurement le contenir & joindre.
Duquel Vujage eft tel de mètre en feureté
Ce que Vefprit aura conclud & arefté.
Afin que la perfonne en tems & lieu retire
De ces conclufions les poinéls qu^elle defire.
Ce cerveau mol & tendre engendre les nerfs fors
Qui tienent royde & fort & font mouvoir ce corps ^
Luy donnent fentimenty lejquel\ en confiflence
Ne diferent enclos au cerveau de fuflence :
May s du crâne forti^^ puys eftans reveftu^
Des mères pie & dure acroyffent en vertui
Par une dureté ; les venes cappillayres
Et artères leur font nourices ordinayres.
Or de luy comme auteur immédiatement
Sont produytes de nerf s fept paires notemment :
Outre ce nombre efgual^ au moyen de Vefpine^
Trente autres dHceluy prenent leur origine.
Des fept couples premiers nature les a faiâli
Avec utilité & pour divers effeâli^
Dont quatre ÔUceux font au reguard de Vufage
Particullierement donne^pour le vif âge.
Le premier donne voye à Vefprit qui faiél voir^
Le fécond diflribue aux mufcles le mouvoir
Des yeux^ & par le tiers la narine apreftee
A fentir toute chofe à elle prefantee.
Outre il fort un rameau de luy^ diél guftatifj
De la langue^Tnobille un vray preparatif
4l6 LA CILEATIO^r.
A goujîer toute chofe^ & le quart couple mande
Au palays mefme effeél qi^à la langue friande.
D'origine le quint eft double au crâne dur
Dont la plus grande part donne paffage feur
Au Jens auditif faiél de Vair qui réverbère^
Et Vautre portion aux temporaux adhère.
Quant aujixieme couple ^ hors du crâne for ti^
^prés avoir au col & larùix départi
Quelques petii rameaux^ dans le torax il entre j
Faiél les nerfs reverJtSy chet au plus bas du ventre.
Le feptiefme fe perd inféré & enclos
Aux mufcles de la langue & de Vioïde oSj
Et mefmes en aucuns du larinx û fe lace
Pour faire que dHceux le mouvement fe face.
Le lieu où ce cerveau confifte fut de Dieu^
Comme chef de tout membre ^ affis au plus haut lieuj
Chef diély & le donjon où gifl la fentinelle
Quifaiél de tout le corps guarde continuelle.
Dedans ce chef les fens ont leur fie ge arefléj
Comme membre aprochant plus qu'autre au Ciel voûté ^
D'autant que par iceux plus qu'en chofe qui refte
Bien mieux nous contemplons tout ce qui eft celefte.
Or affin que ces fens puijfent excecuter
Leurs €ffeâlifur Vobjeél quife vient prefanter^
Une face eft en luy différente en figure
Et feparee auffi de toute créature.
Ce vif âge contient depuis les deuxfourcû^
Jufqi^au bout du menton ^ auquel on voyt affis
Les yeux clairs & luy fans y une bouche riante^
Un nei bien agencé ^ une façon conftante,
Iceluy compofé de membres tous divers ^
May s à Vufage uni^^ c'eft afavoir de nerfs ^
De mufcles y d'os^ de cuyr^ de menbranes^ de veneSj
D'artères y cartilage en fa fabrique idoynes.
CHANT DOUZIEME. 417
Pencher en t0rre on voyt la face aux animaux :
May s celle de ce chef s* élevant aux deux hauts
S^eftonne en contemplant du monde les merveilles
Et defon Créateur les œuvres non pareilles.
Or toute befle jeéle en terre f on reguard^
Uame d^icelle auffi n'a que la terre en partj
May s Fhome ijfu du Ciel f on oeyl vers luy fe tourne ,
Pour autant que fa vie en ce haut Ciel retourne.
En cete face gift certaine gravité
Et douceur y dont fouvent elle efl (F humanité
Et de juflice auffi prife pour vraye image ^
Plus de l'intérieure affeéiion mefage :
Chofe facille à voir^ d'autant que fi le cœur
Eft joyeux ou preffé de trifteffe & langueur j
Ou fayji d'une crainte^ ou qiien luy il s'affeure^
La face efl de cela le portraiéi & tainture.
Car orres que du trayftre ou de l'home pervers
Ou du diffimulé les deffains foyent couver s ^
Nul d'eux faire ne peut que fon méchant courage
Ne foyt aucunement congneu par le vifage.
Souvent on a veu Juge^ à voir un criminel^
Lire dans fon vifage & le Juger pour tel^
Tant il efl difficille à faire que la face
De tout crime commis quelque preuve n'en face,
Auffi par cefle face excellante en beauté
L'home de fol amour efl fouvent tourmenté^
De libre rendu ferf de joyeux trifle & blefme^
Qui ne vit pas & vit ennemy de foy mefme.
C'efl un cas merveilleux qu'entre tant de milliers
De vifages qv^on voit^ par trai6l\ particulliers
Différent l'un de l'autre^ & confere\ enfemble^
Un feul entre un milier à l'autre ne refemble.
Des fens le plus certain utile & précieux
Pofé en ce vifage efl aparant aux yeuXj
m. 37
4l8 LA CREATION.
Polir autant qu'en eux efl la vertu Jingulliere
De conduyre ce corps à droyt par leur lumière.
En ces lucides yeux de la veué ïnftrumens
Sept mufcles en chacun font pour leur mouvemens^
Et outre envelope^ chacun de cinq tuniques.
Quant à Peffeél d^iceux il vient des nerfs optiques j
Sontfaiéli de troys humeurs^ l'un d'entr'eux diéi aqueux j
Le fécond criftalin^ le tiers albugineuxj
U aqueux non tant donné pour remplir le lieu vuide
Que pour le criflalin tenir tousjours humide.
Ce criflalin de foy efl dur aucunement ^
Sa figure en rondeur non pas parfaitement
Sert comme de mirouer au vifuel ufage^
Entre au vitreux moytié^ s'y nourrift daventage.
Par les yeux Vhome peut mainte affaire ordonner ^
Par les yeux on luy voyt la chofe dicerner^
Par les yeux il admire ^ il reguarde & contemple
Le total ef pendu au dedans du Ciel emple.
Par le reguard des yeux ^imagination
Forme en foy une idée à fon intention^
Par le reguard des yeux fiche^ defus Viftoyre
Le paffé efl prefant & Foublié notoyre.
Rien n^efl dedans ce chef que Voeil tant gracieux^
Rien ni efl plus tofl efpris d'amour que font les yeux^
Rien j^efl fi vigûlant en toute la perfonne^
Rien n'efl fy convoyteux & qui plus d'envy donne;
Auffi voyt on que Uoeil & le faiél ou deffaiâl.
Ce qui ne luy plaifl pas il le juge inparfaiél.
Somme <lefl le niveau^ le conpas & la règle
Par lefqueli efl conduyt ce corps eflant au fiecle.
Que fi Pefprit ou corps endurent paffion^
Les yeux font promps tef moins de leur ajliâlionp
Carfachei de leur mal^ leurs groffes larmes roullent
Et fur la face blefme en ruiffelant s^ecoullent.
CHANT DOUZIEME. 419
L'home privé des yeux a bien peu de plaifir :
Le beau d^entre le laid il ne peut pas choifir^
Il eft forclos des ars & de la jouijfance
De ce qui peut donner aux yeux re jouijfance :
Bref c^efl un corps fans corps ^ confiné & reduyt
A telle extrémité que fans eflre conduyt
n n^oie pas feulet habandonner fa place ^
Pour ce que Paccidant fans ceffe le menace.
Dedans ce chef auffy le fens auditif eft ^
Le naturel âkquel c^efl d'eflre tous jours prejî
A recepvoir le fon diftingt de la parolle
Et tout autre refon qui parmi l'air s^en voile :
Second entre les fens qu'on diél extérieurs^
Mejfager ordynaire aux fens intérieurs
De tout ce qui fe did & qui fe peut comprendre^
On le voyt préparé à [lé\ leur faire entendre.
Or comme cela foyt faiél par le fon de Vair^
Pour le recepvoir font deux aureilles de chair
Deffus les temporaux de ce chef^ agencées ^
Et pour leurs aélions ejîrangement percées :
Car elles ont un trou tornoyant en façon
Qu^on voyt une coquille où gifl le limaçon^
Ainfy faiâl pour que d'air par fa force & froydure
Uinflrument auditif violence n'endure,
UaÙTy moyen de l'ouyéj entre dans ce conduyt j
Faiél la membrane enfler qui frapee du bruyt^
Au dedans du econd enclos vient alors prendre
Uobjeél qui eft la voixj la faiél aux fens entendre.
Ce fens eft cil qui faiél capable la rayfon
D'afoir un jugement deffus toute oraifon.
Tout orateur fans luy^ quoy qu^il heuft la parole
Et le bien dire en main^ feroyt vain & frivolle.
Par luy les enfans font apris des précepteurs ^
Par luy tout à la fois quatre mil auditeurs
420 tA CB.BATXON.
duré d» doûettr peuvent ouyr à Vayfe
Et fa conclu/ton fuger bonne ou mau»ayfe^
Sans luy toute mufique^ art divin plus qi^kumain^
Seroyt pareillemant faiét inutÙle & vain.
Le chant & Vinftrument^ Pacord & harmonie
N'ont en eux autre but qu^â contenter Pouyé.
May s quel plaifir peut prendre un chaffeur par les boys
Plus grand que de fa meut te entendre les haboysf
Son plaifir n'eft point tel à prendre quelque befte
Comme lajape & Pouyt des chiens qui font en quefle,
SommCj Nature aprend â tous les animaux
Giftei aux fors buiffons , foreti & rochers haulx^
Oyans fonner la trompe & du veneur la fuyte^
D^un pié léger & promp eux fauver à la fuyte.
Le fon de la trompette ^ avis feur au guerrier^
Du cheval entendu le rend beaucoup plus fier ^
Marche dPun pié fuperbe^ efmeu il fe tempefie,
Efcumant de fureur à combatre il s^aprefle.
Et d^ autant que ce corps reçoyt force & vigueur
Par le manger & boyre^ un gouft, une faveur
Au palays de la bouche il a qui le convie
lyapeter la viende^ entretien de fa vie.
Ce gouft eft fort requis^ car ores que la foin
Preffe quelqu^un^ fans luy il a comme en defdaign
La viende qu^il prend & combien qu'il la mache^
De V avaler rien moyns pour le gouft qui fe fâche.
Au contrayre ce corps reçoyt contentement
Quand avec un bon gouft il prend fon aliment
Et (Ticeluy repeu avecques modeftie^
Telle nouriture eft enfanté convertie.
Ce gouft quelque foys eft aux uns pernicieux
Pour avoir le palays par trop délicieux.
Uapreft trop délicat^ les exquifes viendes
Rendent fouvenufoys les perfonnes gourmendes;
CHAVT IIOVZISMX. 4tl
eft emlmy fâj^ em
SiUwitmJ€€0damUe
Si eUepecke tmfd mi
Sâmsce gamfi mmqitd €^ €mU wertu
le cartiUggmx mésj ^Imfû
Nemjè^ememi U ^ éoàatmt imfhwmem,
Aims pomr reffiro' fâr, emm WÊoyem & wmym
Par leqmd U cerwemm ft fmrge & Je metutjre,
Smr Ufmeg ejÊné ââmf qttmm timmi cm à/Mj
^ fy €^ compofé de emyr^ de temfcUsj £ùSy
De wenesy de membnae & ployami cartilage^
D^arteres tr de merf s propres à fom ufage :
LefMperfice tr Iwui créé cartilaygemx
Paar le remdre mobiUe & fupieer bien mùemx
A Umte extrême îmjvrey tr mefine plus capable
A coadayre aux e/pri^ Voir à eux coaremable.
Outre plus pour porter tam odeur aux efprii
Soudam qt^en refpirant il a receu & prisj
Creux de nature û efl tr double en orifice ^
Afin que Vun boufchéj l'autre fuplaye au vice»
Quoy que ce nés ne foyt tel comme font les yeuXj
Neantmoins la beauté conjifte beaucoup mieux
En luy que non en Poeil^ car fPefi chofe certaine
Qt^une face fans nés efl diforme & rûlayne^
Or combien que la voix entre les fens ne foyt y
Si faut il confeffer que d^icelle on reçoyt
Un bien ineftimable tr plus que neceffayre^
Car que peut fans parler l'home en ce monde faire?
Le cœur fans cete vqix^ ne fauroyt mètre avent
Ce qi^il auroyt compris en luy au par avent
Et non plus enfeigner la grâce evengelicque
Ou chanter du grand Dieu quelque falme ou canticqme*
Toute focietéj tout commerce n^ auroyt
Entre les homes lieuj outre nul ne pouroyt
422 . LA CREATION.
Confoller l'ajligé en fa grande detreffe:
Cela manque du tout oà la parolle ceffe.
Cete voix autre cas jiefi (fune qualité
Permanente qui -part d^un bris d'air agité
Qui rencontre deux corps d'une matière dure^
L'un defqueli vient f râper ^ Vautre le coup endure»
jyicelle organes font les poulmons bilieux
Moyenant la trachée artère joinéle à eux^
La langue Varticulle & mefme la confirme :
L'un a parolle à main^ l'autre bègue & infirme.
m?.
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9tS QSj. XXITBKSS KT SHTSCILKS
l^mfég ê MJÊmam P^^r^ msûun f «i mamy
Et fmar m ét ÊâmfMUM am carfs ânufir jM|/&rc>^
Et iiii|i— , fmfimi et mç/tcief. ^er^ àf duHt^
ITmntrmSj wtmes. utrfsj et hgwBmtMÊS,, éf ,
Fmàes ér ^mme f^nm jpâr otxààtmt (fjftf^*
Dtdmms e€U mamjiamt tre^e MKmfcUs tmdiSj.
Sûr rmmemmx de FoFUrWy. tftttrt vûst à^ fitp4 ^«
Smtmr eji fMâ^e mmjc dffyj C* ^tttrzv «ca «w4»»Br|M>,
Hmyt dedams U pemgmtt^ amtrfmumt ék^ U otf|nr«
Partie de ces corps famt émJAçe cemoBUOÊy.
Ummtre tta faapiem»emt em jietQe ^0M tfmm
Comme le ligmamemtj FoSj, mafcie & catnLigf^
Le matmrel de/qatlj tiemt Hem em ctji ovrmgo*
Le tofter tr toucher j propre mjàgt des m^ims^
Des feus ex t entes , fmm ejt mtille eMX kmMMms^
lyautamt que tout efpece à ce corps peeftmteo
De ces deux mams elle efi receut om rofe^^oe^
4ii LA Cft^SÀtlON.
JC
La main efl convenable en temps de guerre ou paix^
Très necejfayre aux ars^ agille en tous jes fai&s ^
Prompte au fecour s ducorps^ au travail tousjoursprefte^
Du vivre le requeil & guarde manifefte,
Sy la trachée artère & la langue n'ont Vheur
De faire leur office en cela que le cœur
Defire déclarer pour ne pouvoir le dire^
La main vient fupleer foyt par Jigne ou ejcrire.
Or foubi ce mot de main généralement pris^
Le bras en Jon total eft à bon droyt compris^
Pource qu'il la conjoint ^ la rend promte ou mobille :
Luy offencéj elle eft en Je s effeéli debille.
En ce bras Jont troys osy un grand^ deux plus peti^^
Six nerfs dont aucuns Jont en rameaux departi^^
De mujcles vint & deux pour fon mouvement faire ^
D^ artères unefeulle apelee axillayre.
Deux venes il reçoyt notables & d'effeél
Des quelles la moyenne entièrement Je faiél :
Vune eft diSe du chef^ autrement cephaliquej
Et F autre propre au foye eft diéle baftlicque.
Pour rendre le plus grand os de ce bras meuvent^
Soyt en kaut^ foyt en basj Joyt derrière ou devent^
Nature luy donna huyt mujcles neceffayresy
Savoir efl deux comrnuns & fix proprietayres.
Du bras Vautre partie a de coude le nom^
Pour un os qui y efl Vautre os eft diéï rayon^
Lefqueli Jont atachei par liguamens très fermesy
Tant aux bras •comme au carpe ^ aux quels Ueuxjànt leurs termes
Pour eftendre & ployer le coude en gênerai^
Quatre mujcles il a^ Vun diél le brachial ^
Et Vautre le biceps^ tous deux àfonply tendeniy
Les mujcles longs & courts au contrayre Veftendent.
Le coulde inférieur autrement diél pongnet
Pour Vo^ioH externe il a des mufclesfepty
CHANT T&IZIEME. 4^5
Ei pomr Fùnenntn mmgL mombn foÊbUbU
Qû tous farmemi em Imy h mom^oir am^emmhU.
lyasfopt gxiermes^ demxfomi la mam rmaferfèty
Deux autrus pour Fefiemdrêy mbefer & humeur
Obl^uememiy & éeuxfomi pour ks doyi ofiumâru,
UobUcquateur Us fuiB fur U éerriero romdru.
Ceux de Pâuerieur domi Fuu efi diéè puulmkr
Ei émx orbiMexeurs fimi tous le poigm plyerj
Deux autres promuteurs em tout i7^ fe dediemt
A coucher cete mam^ le refie les doyj phemt.
A peme Juuroyt on déclarer au certam
Qui rend le bras tant fort, tant agille la wuàm
A tout œuvre haflùr : que fy Vefprit invente ^
De le rendre en eflat la maùi efi diligente,
Oefi chofe merveileufe a voir comme le dos
Soyt fi robufte & fort compofé de tant iFoSy
Et luy feul le foutien ferme de F édifice^
Du corps pour le reguard du haut & fupetflce^
D^iceluy le total efi depuys F os eoccis
En montant jufqiiau lieu où le chef efi ^fiSy
Faiét de trente & quatre os Jointes par fix prejjhfes
Connexions qui font faiéles par apophyfes.
Tous ces os Fun fur Foutre en bon ordre agence{
Ont e fié par nature en plufieurs lieux perce^.
Par le plus grand des trou^ la meduleufe ejpme
Sortant du teft, decend tout au long de VechinOy
Et par les plus petij ordonne^ pour les ners
La cervicale vene a paffage au travers:
U artère intercoflale auffy, ce que nature
Faiû pour à cefte efpine envoyer nouriture;
Et combien que ce dos ne foyt point dtviféy
Ce nonobftant il efl en cinq pars difpofé,
C^eft à f avoir le col, le metaphrene, Pombe,
Uosfacron, F os eoccis qui vers le reâtum tombe,
426 LA CREATION.
Tous nerfs fors que ce col & le metaphrene ont
De la Jixiefme paire ijfantes qu? elles font ^
Celles du Vombe non^ ains ont leur origine '
Du cerveau^ moyennant cete medulle efpine.
Les coftes de ce corps faiéles en demy rond
Os fors au metaphrene atachés elles ont^
Dou^e en chacun coflé dont quatorie font jointes
Auflernonj & le refle efl fans afiette aux pointes.
Or leur utûlité efl de contreguarder
Les principes de vie^ aujfi, acommoder
Enfemble & recepvoir les mufcles qui refpirentj
Comme au but principal auquel droyt elles tirent.
Les larges palerons fur les cofles couche^^
Auquel^ les tourillons des bras font atachej^
Ont fix mufcles chacun pour leur mouvement faire
Et toute autre aélion à eux propriétaire^
Defquel^ quatre leur font propres^ les autres deux
Communs quant û Vufage aux deux bras comme à eux :
Uun qiion dit dentelé joint le coracoïde.
Un autre à luy contraire efl nommé romboïde.
Ce dentelé le tire & le meine en avent^
Uopofite en ariere^ le tiers diél relevant (fie)
Avecques le trapeie ou capichon de moyne^
Soyt en haut^ foyt en bas^ un chacun d^eux le meine.
Au reguard des communs un peéloral nommé
Faiéè que ce palleron en avent efl mené.
Pareillement le bras : le fécond diél très large
Luy efl du tout contraire [exécutant fd\ charge.
Ce mufclefe divife en deux^ auffl par deux
Tendons fe joint y V un fort & Vautre menbraneux^
Sur qtioy il faut noter quand quelque mal le grefie^
Bien dificilement le bras en haut Relevé.
Ce fuperficiel corps ennexcé au dos
Efl porté dHceluy qui fur les emplons os
CHANT T&EZIBMB. 4S7
Camjoimtspar Vos facron ferme droyi s'y oomporie^
Comme /ûfufi planté fur une bafe forte :
Lefqueli emplons^ porteurs du dos & corps ma/tfj
Deffus deux jaidyes font phuue\y du progrejtf
Mouvement inftrumens qui font aimfi que termes
Puifans, font du total foutien & piliers fermes^
Bn\e^ en deux endroyti pour mieux faire debvoù-
Et â Payfe au reguard dealer ou de mouvoir.
Ores que par ce nom la cuyjè ne foyt prife^
En gênerai elle eflfoubi la Jambe conprife,
La Janbe eft fai&e entière avec trente & un os :
IJun efl le femoris de la cuyffe fort gros,
De grandeur plus que nul^ enboyfté par fa tefle
Dedans Pos ifchion; un autre diél palette,
Os rond fur le genoil ajisj dont Padion
Eft de tenir la Janbe en deué extantion,
Enpefchant que le ply éPelle à Panterieure
Part ne fe face ainji qu'à la pofterieure,
Soubs ceft os femoris, un autre ayant le nom
De Janbe eft agencé avec un diél Pefpron
Tant haut que bas, rengej d'une hauteur ef galle, '
Joints au genoil par haut, en bas par Paftragalle.
Ceft aftragalle eft os premier des vingt & fix
Contenu^ dans le pié, ennexcé & affis
Tant fur Pos du talon que fur le fcaphoide
Et pour les contenir ont Pos diél ciboide.
Le refte de ces os dans le pie^ contenu^
Wontparticuliers noms, combien qu^il^foyent congneui.
Mefmes les doy{ du pié lefqueli font quinie enfomme
Du membre auquel il^ font d^iceluy on les nomme.
Et comme P entretien du menbre foyt au fang,
Pour celuy de la Janbe une vene y deffent,
Apellee cruralle & de cete grand^ vene
Sontproduyti deux rameaux dont Pun eft diéèfaphene.
4a8 LA C&BATION.
De et rameau plufieurs autres font e/peadu^
Dont aucuns vont en bas^ autres au cuir perdui.
De Vautre vene fort la vene popleticque^
La mufculle & furalle avec la fiaticque.
Pour mefme effeél auffl une artère voyt on
Decendre en cete janbe ayant le mefme nom
De cruralle^ & d'icelle atiffi cinq rameaux fortent
Qui félon le fubjeû ça &làfe tranfportent.
Des nerfs de Vos facron & lombes font produyi
Quatre nerfs fort puiffans en quatre pars reduyi
Selon que Vaélion de chacun eft propice ^
Dont le premier fe pert es mufcles de la cuyffe.
Deux rameaux du fécond font faiéli^ dont Vun defcend
Par deffus le genoil^ là mefmes finiffani ;
U autre va droyt au pié lequel comme il s'abeffe^
Certains petii rameaux dedans le cuyr il laiffe;
Le tiers aux aines baille aucuns rameaux ^ ce fai^
Joint les mufcles boucheurs^ met fin àfon effeâ
AuxcuijfeSy & le quart tant aux feffes qu'aux hanches ,
Qu^au genou j janbe y pié Méfiant en plufieurs branches.
Pour cete janbe auffi faire aller & mouvoir ^
Tourner p virer ^ ployer & Veflandre^ on peut voir
Des mufcles nombre grand eftabh'i en icelle
Selon le lieu requis & force naturelle.
D'autre part pour la cuiffe eflandre eft efiabli
Troys mufcles p outre iceux deux autres pour fon pli^
Troys qui la font mouvoyr au dedans ^ fy qu'à Vaife
L'une janbe fur Vautre au moyen d'eux fe croyfe*
Quatre autres diéli gémeaux pour leur egualitéy
D'une mefme origine^ aétion^ qualité^
Et deux obturateurs^ tous lefquel^ font (ifice
De ramener dehors en déployant la cuyfi,
La janbe en fpecial a des mufcles prefis :
On^e en elle inferei^ duquel nombre font fix
CHANT TItBZIEME. 439
Antérieurs qui font le crural^ droyt^ Us vaflesj
Le long y U menbraneux^ pour la mouvoir tous aptes.
Ce long la faiéè croyfer créé à cefl effeâ^
Ayde au mujcle à troys chefs en tout cela qu^ilfaiél.
Le menbraneux la chaffe au dehors davantage,
Les gémeaux & luy font aux cuijfes mefme ufage.
Quatre d'iceux rejians, à favoir le crural,
Les vafles & le droyt, eux tous en gênerai
Font dejfus la palette un tendon gros & large
Qui faijiffant la janhe, ont de Vefiendre charge.
Cinq autres mufcles font nommei pojierieurs
Dont troys fe vont pofer es lieux inférieurs,
Qui en elle rengei tous enfemble s'infèrent,
La tirent au dedans & vers Vautre la ferrent.
Le quart nommé biceps de Vos pubis il part,
Vient la Janbe ferrer deffus V externe part.
Le cinqmefme & dernier apellé poplitee
Faiài qu^elle efi au dedans à torner incitée.
Pour chacun pié font neuf mufcles femblablement
Convenables à faire en luy le mouvement :
Troys pour Vanterieur, deux donnai pour Vinduyre
A ployer, mays disjoins chacun à foy le tire.
Le tiers par cinq tendons faiél les doyi d'iceluy
Eflendre & unjtxiefme ayde à lui donner pli.
Quant aux pojierieurs, un s'apelle plantayre^
Deux gémeaux, un janbier, un Jlexent, un folayre.
Le gémeau fur le bout de ce pié marcher faiél.
Le folayre Veflant, auffi. à mefm£ effeél
Opère le janbier, *mays de façon oblique.
Le fiexent à ployer les doyi du pié /aplicque.
Outre plus en ce pié fe^e mufcles tu voys,
Huyt d'eux font eftablii aux mouvemens des doyi
Defqueli Vun diél tenard mené le poulce joindre.
Aux doys un opojite en ramené le moindre.
430 LA CREATION.
Le mujcle pedieux au dehors faiéi haucer
Les doyi^ un autre en bas les ployé & faiâï bejfer.
Les quatre lemproyons^ mufcUs aujfi, licites,
Sont à ce pedieux en u^age oppojîtes.
Les huyt interojfeli qui tant en aélion
Que de leur origine auJfi d'infertion
Différent^ aux fufdiéls quatre d^iceux amènent
Ce pii dedans y le refte au dehors le ramènent.
La membrane qvlon diéï paniculle charneux
Comprend ce corps entier hors la bouche & les yeux^
Vtille à conferver, renforcer & conduyre
Tous vaijfeaux qui fe vont au vray cuyr introduyre.
Comme ce panicule envelope ce corps,
Le vray & faux cuyr font le femblable au dehors :
Les menbres par le vray font en union bonne
Contenui & le faux poliffement luy donne.
Combien efl VImmortel admirable & hautain,
Combien font grands les faiéls de fa puiffante main.
Combien voyt^on en luy de fageffe profonde
Au baftimant du corps noble, du petit monde!
m^M
V
Di l'ami, tii du corps humaik,
^^ATS IMAGI DI DIIU.
Comme de PEiermel ce corps fayt em pjurfM^
Dijpoféy moiÊobJÊamt il êfi fjms mml ##M«
Smu amcmme oâùm^ fams qme riem U rtcLame^
Sy ce Wtfioyt fttû fmfi Toi/Li d^mme eme.
Em cefFoMme dôme gift la force & le potrtoù'
Qmi peut f astre ce corps refptrer & moearorr^
De laquelle il me faut comme urne efire gemttlle
Chanter fes aâioms tr comme elle tjl utille^
Dre/im doucques un chamt excellant en ce Heu^
De Pâme heureufe ymage tr chefd^oemrre de Dieu*
Chanton en plat/ont ion cefi^ame qui anme
Ce corps qui amretneni demeureroyi inMrme*
Or doncques il me fault chanter â mon pouvoir
Les ejfèéls merveâletix que Famé peut avoir.
Difpofe ioyj ma plume ^ ores que foys petite^
Pour ce divin fubjet traicier comme il mérite*
Mufe divine y vien, vien me donner fecours ^
Puis que faire me faut de Pâme emple dif court,
Vien Mufe y je te pry, qui de bien dire as grace^
Afin qu^heureufement 6* à mon gré le face.
43^ I.A CILXATION-
n iw m w w iM. — TB»rt-"i— r— y
May S o\eroys je bien faire cela fans toy^.
Ame y unique vigueur de ce qui vit en moy?
Seroys je tant hardy d^ entrer en la carier e
Et que par un mefpris je te laijfajfe ariere ?
Rien moins ^ mays tant s^en faut que j'entreprene rien
Sans toy^ ame celeftej où giji mon plus grand bien!
Aproche-toy de moy^ ame tant excellante^
Puis que Vocafion à mes yeux fe prefante.
Que fi tu aymes mieux toy mefme le chanter ^
C^eft beaucoup le meilleur^ car qui peut mieux diéler
Ton naturel divin que toy mefme qu^il touche^
Ny qui feufl F exprimer mieux que ta propre bouche?
Que rien ne te retarde^ ame^ car je fuys feur
Qu^û ne t^en peut venir rien autre qu^un bon heur,
Vien^ heureufe ame^ ici & nous chante un cantique
De toy y comme tu es celefle & magnifique.
Je lieui pas plus tofl diél ce propos qu'à Pinftant
Tentans Vame venir cefaint ode chantant :
Ame^ je fuys d'un nom qui fans fang fignifie^
Je fuys cejie ame auffi. que le corps vivifie.
Ame^ ornement du corps ^ de plufieurs diéle vent
Par mes émotions ^ lefquelles bien fouvent
Trotent de çà de là d'une légère cource^
Soyt au Midy ardant ou foyt vers la froyde Ourffe.
Je fuys diéle mentalle ou lune^ à parler mieux,
Car encor que la lune en rondiffant les deux
Soyt d'un cours variable & qui change à toute heure^
Neantmoins fa fuftence en fon entier demeure :
Ainfi eft-il de moy qui change en un clain d'oeil
Tout cela que je puys poujfer foubi cefoleil^
Ores je fuys en terre ^ ores au Ciel fuprefme^
Toutes foy s je demeure en ma fuftence mefme.
rare dignité y o divine vertu!
Si tu n^eftoys celefle ^ ame^ helas! pourroys~tu
CHAKT QUATO&riEME. 4}]
D ^im m à teii pnpasf Ssms toy qmî wUms ^tmérm
L^mè em moy^ mkts fau me tejamnywmt emùmdn.
O toy^ wire foÊUmÔÊe^ cm aÊesfau nmi ckercker
De qÊ€j Umr Jioyf terrejtre Uj pmijfau ejUmcàer,
Mom emreUJe par toy emtemtj mmm oeyi mtt^cimre^
Hesjêms petœmi temcker ce f^îl{ me pomreyem fa
Tm WÊe faits wioUmce^ ame^ tr fy mte amneims
De réciter et iay qmelqmes mfgmes paimts.
OnÊemÊemt de um hear^ tu es efprit tr teile
De ia creatiom qme tm es imimorteiU.
Tm esy ame, ûaiifMe à Ums coqforeli y eux,
Tm es y orne y wraymemt fubjed ijfu des Cimue.
Lm raifom efi em toy y tm as àueUigemce,
Tm me pemx eftre domc qme de diwima ejèmce*
Hays qmefamroysje dire afei bÙMj mipemfer
Qmifyfi digne de toy pour tom los awemcert
Le pommir me defaxdt que plus tofi je me c^Oj
D*amtaMt que le fubjed furmomte UÊufoybltfè.
Alkeifie mfenft, père de tout erreur.
Qui as la pieté en defdaign & horreur ,
Prefle PaureUle ici & vien entendre comme
Tu as une orne en toy Sautant que tu es homme j
Laquelle ame eft divine & Foeyl ne la peut voir.
Sur icelle la mort i^a force ne pouvoir.
Oefl celle^ qui rend tout homme rayfonable.
Outre cela elle eft de bien & mal capable:
Vien, monftre épouvantable, entendre les pn^os
De cefle voix celefle enfilence & repos,
Efcoute ceft efprit avecques diligence
Et à f es f oints difcours prefle bonne audience:
Bien quejefoys ferré comme en une prifon,
Sy fuis je, efprit humain, capable de rayfon,
Efprit créé ïen haut, doué dP intelligence,
Efprit qui aparoyfl par efféd & puiffence.
m. a8
434 ^^ CREATION.
Que cela ne foyt vray^ tu voys l'homme injencé,
Quoy que Fe/prit en foyt de mal fort qffenci.
La rayfon y efl bien^ mays Veffeéi & praticque
Sont de luy eflongne^^ pour eflre phrenetique.
Tu voys auffi V enfant^ quoy quil foyt d^age. bas,
Que f on corps molet foyt bien petit de cas,
La rayfon neantmoins efl en fon orne enclofe.
Ores que les effeâli lien monflrent nulle chofe.
Laifferon nous pourtant, fy Vhome dort dUennuy,
A dire que les fens corporel\ foyent en luy,
Jugeron nous auffi qu'il n'ayt en luy la vie
Et que par le dormir elle luy foyt ravie?
Le Créateur de tout, notemment des efpris.
Alors que pour fa gloire à créer il s* efl pris.
De troys fortes d*efprii luy puiffant il f eut faire,
Ainfi qiien fon confeil il trouve necejfaire.
De ces troys je fuys Vun & ne fuys point de ceux
Qui fi habitent es corps comme Vange des deux
Ou le diable maudiél, ny de ceux qui poffedent
Un corps conjoint à eux qui enfemble décèdent,
Mays d'autre qualité, car j^abite & tiens lieu
Dans le corps des humains, temple du très haut Dieu
Duquel je fuys y mage & feule créature
En qui Dieu ayt pofé fon y mage (r figure.
Et combien que ce Dieu, très libéral donneur
De tous ces dons exquis, me face cefl honneur
. De pren^dre mefme nom que moy, quand il s'abeijty
Que tel qu'il efl chacun par ce nom le congnoyjfê,
LorfquHlfe diél efprit, n'eflime toutesfoys
Que nourir je me veille au vice d'autresfbys.
Quand d'image de Dieu Dieu mefme voulut eflre.
Bien moins, car j'ay apris depuys â me congnùyfbre,
De Fejfence de Dieu je ne m'eflime faiA:
Cela, quoy fue je foys efprit, ri a nul effeél.
CHAMT QUATORZIEME. 435
S'amfi €fioyty peehé & la mdfere extrefme
fPmmtwytmtfomoirfmr moy. carftferoys Dieu mefme.
S y des quatre demams fefioys creéy allors
Une ueeeJfUé n^aporHroyî um corps ^
Ou quejefufe iffu de la fanemce humame^
La mon auroyt fur moy puifemce fouwaraine.
Encore moins drun corps, orres qi^û pvàfe bien
Engendrer dFauires corps, en moy il ne peut rien :
Je nefuys engendré, ains de Jimple nature
Et non comme le corps fubjeél à nouriture.
Si tel comme je fuys je ne puys reciter.
Et tel que ne fuys pas je le puys bien éiâer :
Ne fen ebays point, plus tofl congnoys en ce
Que ce qui J^eft en moy caufe mon excellence.
Bref je ne fâche rien qui feux [rendre^ compris
Comment & de quoyfont compofei les efpris :
Oeft chofe dificûle & qt^on ne peut congnoyftre,
U Etemel feul le fayt, comme auteur de mon effre.
Or fy plus emplement tu deftre favoir
Mes vertueux effeéhi, il fefi befoign de voir
Un tableau de grand pris où mon ymage efl pointe.
Mis au temple de Dieu comme chofe trésfainte:
Iceluy faprendra en le contemplant bien
Tout ce qui efl en moy (Fexcellant & de bien.
Pren y guarde de prés, voy le bien & obferve
Chacune ligne & trayt, fien nrefl là qui neferv^.
Voulant voir quel il efl (Vmterrompu dif cours
De Famé) incontinant yeui au tableau recours.
Soubi efpoir par le voir mieux dif courir U refte.
D'autant que le fubjeât n'eftoyt là manifitfld.
Entré que fus au temple, incontinant je voy
Ce tableau tant exquis, oeuvre digne de foy^
De tous poinéls compaffé d^un fuperbe art(f(cr^
Voyre tel qu^on y voyt de lame un vray imùW.
43^ LA CREATION.
Rien il ne refle en l'ame^ en fy peu que ce foyt,
Qiion ne voye protraiét^ fy bien qu'on aperçoyt
Que l'œuvre jieft humain^ car tout ce qui eji rare y
De beau & d'excellant en l'ame il le déclare.
Premièrement on voyt en iceluy protraiéè
Ce que Pâme a voulu difcourir faiél d'un traiél
Sy artificiel f que la chofe diélee
Efl en perfeélion au vif reprefantee,
Àujfy comme cefP ame efl par neceffité
Sans corps j car qui a corps a fa profonditéj
Sa longueur j fa largeur j que de luy donner forme
Cela ne luy peut eflre aucunement conforme ^
En après on y voyt qiielle s'exerce à voir
Le pafféj le prefant^ & l'avenir prévoir^
Sur tout le Dieu du Ciel &fa gloyre éternelle
Faiéle pour ce reguard d'iceluy immortelle ^
Qv?elle traiéle du Ciel autour de nous efparsy
Dicerne par raifon & enfeigne les ars^
Difpoie toute chofe^ engrave & détermine^
Pource qu^elle efl fuflence entièrement divine.
CHe47^T QUIV^ZIESME.
COMTIJfUATIOy DES ACTIOVS PAK.TICULI.IKm.ES
.»
DE LAME ET DERKIER CHAVT.
Comme le changement amené du plaiiêr^
Aufi poar ne frauder mon rouloù- du deJa-
Qi^û aurayt de Fe/prù fmtHr la nature emple^
Je me trenfporte voir F autre cojlé du tempU,
Sur la feneftre part tirant vers le ndUeu^
Là je voy l'e^rrit faiâ à Fimage de Dùem.
Et partant immortel, que le corps ne peut ejfre
Vierge de fon ymage en tant qtiû efl terrtfirt,
Qt^on ne le fauroyt voir, moins contempla des yeux
Que y il eftoyt mortel ou fubjecl à tous deux.
Quelle Jimilitude ir quelle convenence
Auroyt il entre luy ir la divine efencef
Ce tableau monftre auji de quelle forme U ejf^
En tant que toute forme ainfi qitil did paroyjf.
Soyt par lineamens ou couleurs darentage
En la fuperficie & façon de corfage.
Là Fefprit n'a de corps ni de couleurs mon plms.
D'avoir lineamens moins encore aufurplus^
D'avoir fuperficie on j^en voyt traid ny Hgme^-
Temongnage qiiû efl de nature divine*
438 LA CREATION.
Prés de ce lieu^ on voyt que par neceffité
Uame ne fauroyt eflre en nulle quantité
Et que la quantité fe monflre par contrainte
En chofe continue ou qu^elle jfoyt disjointe :
Tout ainfi comme un peuple^ ou des grains entajfej
Qui font autant de corps en monceaux amajfei.
Ou comme on voyt un mont hautain^ ou quelque place ^
Subjeéli divers reduyi au dedans d'une efpace*
Or l'ame rCefi point telle en fa condition
D'avoir en premier lieu corps ny proportion ^
Ou de tenir efpace; il fe voyt du contraire^
Autrement il fauldroyt qu'elle fufl ocullaire.
Davantage on pouroyt la divifer par points ^
D'eflre toute en lieu mefme & enfemble^ rien moins
Que fy cela eftoyt en corps mortel reduyte
Seroyt ce qui n'eft point ^ & par fon opojite
On peut voyr comme un corps toufcher ne fauroyt pas
Un corps en fon total. May s quoy^ c'eji autre cas
Des mouvemens de Vame : elle^ quoy qu'elle face^
Peut eftre toute enfemble en mefme lieu & place.
Il s'y voyt outre plus l'ame avoir lieu certain^
Car eflant dans le corps ^ n'abite au Ciel hautain :
Sy au contrayre elle eft dans les deux contenue^
Elle ne peut pas eflre icy bas retenue.
Cependant là deffus faut méditer ce point ^
Que fa fuflence en tout ne fe limite point
Par quantité humaine^ eflant tant admirable
Que Dieufeul de fon eflre efl Juge véritable.
On y voytj quoy que l'ame, en fon corps foyt partout
Durgente qualité^ <iuffy comme beaucoup
De gens doues fe font travaillei pour congnoyflre
Où le fiege d'icelle en ce corps pouroyt eflre.
Enfin d'acord Vont mis avec neceffité
Dedans l'intelligence & en la volonté ^
CHANT QUINZIEME. +;
Laquelle tarelligeace a dans le chef fan fege.
Au caur la volonté comme de Itiy coafitrge.
Là cejle intelligence a fas paritcalliers
Bien expers Prefidans tr privej Conjeillers,
Aymej & ckerij d'elle, à caufe qu'elle penfe
S'entretenir par eux en toute fapience.
Ce eonfeil ejl bafiy des fens intérieurs
Confirme^ grandemani par les extérieurs.
Pour fervù- un chacun, félon leur propre ujage,
De certains raporteurs en faifant tout mefage,
Qu'eux donnons un fidelle tf vray raport d'tin fai&,
Ce eonfeil) grand amy de rayfon, foadain faiél
. Que eejle intelligence incontinent commende
A volonté de faire ainf que le ctzar mende,
El afin qu^un cka/cun comprene cecy mieux,
Il monftre Dieu par tout 6- noiemment aux Citux,
Il le di£l refider pour autant que fa face
Et vertu reluyt plus au Ciel qu'en terre baffe.
Là l'orne dans le corps fes facultej efpend,
Sur tout tiedans le chef duquel le corps defpend,
Lequel eftant ajfts en degré d'econrwme ,
Entretient les efpriii vitaux au corps de l'home.
Tout ainft que le Ciel par fa face conduyt
Chacun eflre joyeux ou à irijieji induyf,
Ainfy eji il du chef, car U efl mnniftfl'
Que par la face on peut Juger d^ luui le refit
Neanimoins on *oyt là que l aine ocup» tout
Le corps en fon entier jufijaëi au moindre An
Et avecques cela jamays nf i'en altfante,
Difpofant d'iceluy comme Uonu
Tmuetfoy comme an Hoy a 'juel'ji
Où ordinayrenuat il l'ayi'f l-e
L'amt aaji dans le chef ty —i >
Plut qi/au rejle habiter, • "i"""-
44^ LA CREATION.
En pourfidvant^ Je voy à Pâme recepvoir
Maintes rares vertus du grand Dieu^ à f avoir
Une egualle juflice avec une prudence^
La magnanimité avecques temperence,
La juflice efl le lieu oU le droyt fe maintient^
Rendant à un chacun ce qui luy apar tient.
Prudence fayt juger de tout ce qui conjifle;
La magnanimité à tous ennuyj refifle.
Tempérance s^y voyt avecques le pouvoir
De ferme dominer ^ de modérer ^ de voir
Sur les defordonnei apetii qui fans ceffe
Avec les voluptej Vame troublent d!opreffe.
Là l'homme ne peut pas acomplir ces vertui^
Sy preàùer le cerveau & chef ne font veflui
De troys chofes par force organes principallesj
De fes quatre vertus qi^on nomme cardinalles :
La première conjifle en contenplation
Qui incite Vefprit^ luy donne affeâlion
De bien confiderer tout^ fans y faire faute ^
Et fingullierement la chofe grave & haute,
U autre efl un jugement pour favoir dicerner
Entre le bien & mal^ bien ratiociner j
En foy foyt d'aconplir ou foyt de ne le faire ^
Ainji que la rayfon peie de prés l'affaire.
La tierce efl la memoyre heureufe qui leur faiél
Ses contemplations mètre en fon cabinet
Leurs refolutions^ chofe qui rend facille
Pour méditer fouvent la chofe dijicille,
Mays l'homme bien fouvent^ quoy qu'il ayt le pouvoir
En luy de s'en ayder^ il ne les peut avoir ^
A rayfon qi^il efl faiû de chair qui n'efl que terre
Qui rend leurs facultei detennuës en ferre,
C'efl ainfi que celuy qui court légèrement^
Sa promptitude on peut par enprifonnement
CHANT QUINZIEME. 441
Retarder^ non Vofler en aucune numere^
Aufemblable de Vame en ce corps prifonniere ;
Ou comme un feu v^a pas telle force & ver tu j
Enclos dedans un pot^ qu^il pouroyt avoir heu
Eftant libre & à l'air qu^il peut rendre une JUune,
Ainfi peut on juger quant aux effeéli de Pame^
Car fon feu enfermé en ce terreftre corps
Captif qi^û eft ne peut demonflrer fes effors*
Ce pendant quoy qu'il foyt^ on y peut recongnoyfire^
De ce corps afranchi^ quel il pouroyt bien eflre*
Le tout revient que Vhome eft par conparayfon
Un monde ^ Javoir eft à l'air par la raifon^
A Veau par fes difcourSj au Ciel éP intelligence^
Par fes externes fens à la terreftre effence,
L'ame outre ces vertui deduytes cy deffus.
En montre cinq qu'elle a de nature receus :
Uwi eft le fentiment^ Vautre ce qui commende
Aux organes du corps d^acomplir fa demende^
La tierce eft le pouvoir & domination
Qu'on a de commender à toute affeélion^
Sy bien qi^on puijfe myeux contenpler en droyture
Le pafféy le prefant & la chofe future;
L'autre eft diâle vitalle à caufe que le cœur
Par le moyen de Vame envoyé une chaleur
En tout endroyt du corps naturelle & humaine^
Duquel le corps reçoyt mouvement & halene;
La vertu dernière eft un affeélé plaifir
Qui enporte avec foy un pecullier deftr
De connoytre la chofe ou foyt bonne ou mauvayfe^
Ainfi que le fubjet s'y plaift & prend fon ayfe.
De plus en ce tableau on voyt depaint fort bien
Ce que l'ame en fon corps faiél pour fon entretien^
Comme elle atire à foy de tout ce que nature
Produyt ce qi^elle fent propre à fa nouriture^
442 LA CREATION.
Pris qu'elle a le retient^ tr par Veftomac cuyt^
En tout endroyt du corps ^ du foye il eft conduyt^
Qui eftant trenfmué d^une fecrete force
En fang^ le corps Je tient vigoureux & s^ efforce.
Outre plus on le voyt pour le foulagement
De ce corps rejeâler au loign tout excrément
Qui peut V endommager^ d'où vient ce commun dire :
L'ame ejlant faine j on voyt le corps difpos & rire,
Quiquonques tafcheroyt de vouloir achever
Ce qui là efl compris & le tout obferver^
Il fembleroyt celuy qui veut en une page
De papier bien defcrire un monde grand & l^fg^»
Je puys bien affeurer quand fauroys entrepris
De rechercher le tout en ce tableau conpris
Pour en faire un raport certain & bien fidelle^
Mes ans feroyent trop cours pour entreprife telle.
L'art & traiél pratiqué fy bien me raviffbyt^
Le fuget d'autre part mes fens eblouyffoyt :
En voyant quelque effeél exquis l'autre s'avence^
Ueffeéî par autre effeél efl mis en oublience^
Car à la vérité le nombre merveilleux
Des vertui de l'efprit là contenui^ mes yeux
Légers ne pouroyent pas en faire raport emple,
A mes fens le tableau conprenoyt tout le temple^
Et de faiéî j'avoy mis^ en voulant m'avencer^
Les fignes vrayi d'une ame en oubli fans panfer^
Qui toutesfoys font bien dignes qu'on les propofe»
Comme qui faiéi un corps vif V ame en luy enclofe.
Vouloir ou ne vouloir à l'efprit apartient^
DHgnorer ou favoir du fens commun il vient ^
D'aprendre ou d*oublier^ c'efl chofe bien notoyre
Qi^il ne peut convenir qJà la feule memoyre^
De favoir bien juger ou ne dif cerner point
Le fens de la rayfon commende fur ce point ^
CHANT QUINZIEME. 443
De refpirer ou non c^efl la vertu vitalle^
De fentir ou mouvoyr provient de la mentalle.
Par toutes fes façons de parler on peut voir
Les marques éPun efprit & non pas le pouvoir
D'en façonner plufieurs^ mays bien que cela trame
Par le vouloir de Dieu plufieurs effeéli en Pâme,
Nous congnoyffon auffi que Vame abite en nous
Par fes ajfeélions^ comme paix & couroux;
D'aymer ou de hayr^ de crainte ou d'ajfeurence^
Ou foyt par defefpoir ou bien d*une efperance^
D'eflre joyeux de^ coeur ou bien trifle de foy^
D'ur^ incredullité ou bien d'avoir lafoy^
D'un effronté vif âge ou craindre le diffame ^
Ou autres teli fujeâii font recongnoyflre une ame.
Vers la fin on y voyt fort bien point où. ira
U efprit fartant du corps ^ ne que c^efl qu'il fera^
Ou il faut qu'il reçoyve unejoye indicible ^
Ou bien une douleur voyre inconprehenfible.
Pour autant qiion y voyt que Dieu s'efl refervé
Pour faire jugement de Vame au reprouvé
En des douleurs fans fin^ en pênes qui l'opreffent^
En des affliélions qui jamays ne le laiffent.
Tout ainfi que tu vois la falemendre .au feu
Sans brûler y ainfifont les reprouvei de Dieu^
D'autant que leur malheur & pêne tant ejlrange.
Sans efpoir de falut^ n'acourcijl ni ne change.
Mays Pâme du fidelle exemte d'un mechef
Sy miferable^ va chercher Jefus fon chef
Droyt au fein d'Abrahan^ repos heureux d'icelle^
Pour recepvoir un jour la couronne immortelle.
Pays qu'ainfi efl qu'en l'ame habite la rayfon^
Corps terrejîre & mortel qui la tiens en prifon^
Quel' efl l'ocafion qui t'empefche de fuyvre
Cefte ame en fa raifon qui fans fin te faiél vivre?
444 ^^ CREATION.
Car tu ne peux nier qu^elle r^ayt le vouloir
De finduyre à raifon^ de la faire valoir^
En toy par fes effeéli ce pendant on voyt comme
Raifon i^a ennemy en ce monde que l'homme.
Or comme cela foyt^ <^eft fans doubte qv?il faut
Que l'home ayt dédaigné V heur eux fejour d'en haut
Celuy efl malheureux qui fe prive foy mefme
De poffeder un jour cete gloyre fuprefme!
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CB
LE PRINTEMPS DU SIEOR D'AUBIGNÉ.
Prtmitr livre.
Hécatombe à Diane ij
Deweitme livre.
Stances 67
Confolation à h"" (te Saint- Germain pour la mort de
M"" de Saint-Angel iia
A M™ de B..., qnadraiiu iij
Traifieme livre.
POESIES DIVERSES.
I. A H. de Ronfird tof
II. (A Diane]. m8
III. [A Diane] iia
44^ TABUE DES MATIERES.
Pages.
IV. pieroïde]. * . . 215
V. [ÉI^^] 219
VI. [Pnëine de riacoaftanoe] 22s
▼n. (Conftaiice. — Inconftance] s}5
. VIII. [La Sorcière] 240
Chanfon 243
Huitain pour une courfe de bague, &c 244
[Vers brifés] 24$
Sonnets 246
Complainte à fa Oaoïe 2$8
Stances 259
Ode pleine de prefomption 260
Quatrain pour avoir du bois 269
Aux Critiques 270
POESIES RELIGIEUSES ET VERS MESURES.
L'autheur au leéleur 271
Prière avant le repas 27$
Prière après le repas 276
Pfeaume huiélante huiél 276
Larmes pour Suzanne de Lezai 278
Paraphrafe fur le Pfeaume cent & feize 280
Pfeaume cinquante fr quatre 281
Pfeaume troifîème 282
Pfeaume cent vingt & un 281
Pfeaume cent dixiefme ... « 283
Pfeaume cent vingt & huidl 284
Piiere pour le matin 28s
Pfeaume feptante trois 28a
Pfeaume cinquante-un 288
Pfeaume cent trente-trois 289
Cantique de Saindl Auguftin 290
Cantique de Simeon. . 292
Pfeaume feiziefme 292
Trois pièces fans titre 294
L'Hiver du Sieur d'Aubigné , . 297
Prière du matin 298
TABLE DES MATIERES. 44.7
Pages.
Piiere du foir. ......••. -. • • . ^9
Méditation & prière |oo
Prière & confeffion 101
Prière de Taatheur, prifonnier de guerre &. condamné
à mort • • . 104
Réveil joS
Sur r Adieu de M. la Ravaudiere |o6
De la paix 307
La Princeflê de Portugal avec fîx filles, &c 307
Hymne fur la merveilleufe délivrance de Genève. . . 309
Tombeaux.
Preparatif à la mort 312
Pour mettre à la porte du tombeau, <rc 313
Pour une belle fille morte au berceau. ........ 313
Tombeau de M. de la Gaze 313
Éloge de Simon Goulart, Senlifien 314
Épitaphe de M. d'Aubigné octogénaire 314
l^ers funèbres de Th.-A. JTAubigné fur la mort d'Ejtienne
Jodelle, Parifien, Prince dis Poètes Tragiques.
Ode 317
Sonnets 3aa
LA GRÉATION.
Chants,
I. De Petemité & puiflance de Dieu 327
H. De la Création de la lumière & de l'air .... 336
III. De Teftendue du Ciel, réparation des eaux . . . 343
IV. De la Terre & des pierres 349
V. Des arbres, plantes, herbes & ce qui en dépend. 3 $6
VI. Des Plantes & herbes, & de leurs qualitez. . . 362
VII. Des Luminayres & de leurs avions 368
VIII. Des Poyflbns & de leur naturel 3 75
IX. Des Oifeaux, de leur beauté & chant 384
X. Des Beûes à quatre pieds & des reptiles . . ... .392
44S TABLE DES HATIERXS.
XI. De U Cic&boD de l'home ft dignitâ dlcch^. . ^m
XII. Di Chef, da cerreiD A de leeri attont .... 41s
XIII. De* ot, menbret ft mofcle*, A de Imn Mil-
XIV. De TAete, rie 4b corps '■""""', mje inage de
DicB ^I
XY. CoQtimitian dei lAîam particallieref de Faine
fr dernier dunt 4*7
r. T, ne Silil Imk. — (iitl
/'•.
C0£LtCTr9H VtMEttMB
PLÉIADE FRANÇOIS!
Pii,C>W HARTr-LAVSAUX
C.litqn* l>oUa>«, Vf* * »tD
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LA RRUTClIt. !■• C>»kart»t u> Lit Hwvai
• tinta, «Ttc Mitice t NoM pv Cmatta A>*i»tBk*a,
k Virfunt* »-B'. ClWi(uc VahlM M fr.
JlONTAtGKK. L«t Eii~»i>, «v*c Nulke, KMn ft CfUMlN
par UM. COukati ARavtB, j «uluinet is^B*. < U* 4M«
pi«aiieii TulaniM MNit i-n tratB^ ChafM rulam». .1 lefr,
ACKirrA P'AUBICKE. SiivBii aaMfâtTti, j *al«m
iii^. |Lm dMa pr«nuan volnnw) suM «1 TMle.) CIm^> m^
(«■% . !• fr.
ViUoit, — ne^iiMr. — Corarilht. — Molière. — Rwânc.
La FmitaiiM. — UoUau. ~ Smunc- — Tdoeton. - PaMcl.
U RoclnfoucMiM , Al., Ac, ftc.
U titfëit, dt ttllf iflifcti»», an fuj^i («r grmi fa^ttt
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