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Full text of "Oeuvres de Blaise Pascal; publiées suivant l'ordre chronologique, avec documents complémentaires, introductions et notes"

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UNIVERSITY  of 

CONNECTICUT 

LIBRARY 


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LES 

GRANDS    ÉCRIVAINS 

DE   LA    FRANCE 


A  LA  MÊME  LIBRAIRIE 


Pascal  (Biaise)  :  OEuvres  complètes,  édition  des  Grands  Ecrivains  de 
la  France,    publiées   suivant   l'ordre  chronologique,   avec   docu- 
ments, introductions  et  notes.  i4  vol.  in-8°  brochés. 
Chaque  volume 7  fr.  5o 

II  a  été  tiré  200  exemplaires  de  chaque  volume  sur  papier  grand  vélin, 
à  20  francs  le  volume. 

PREMIÈRE    SÉRIE    : 

Œuvres  jusqu'au  Mémorial  de  i654,  par  MM.  Léon  Brunschvicg  et  Pierre 
Boutroux,  3  vol.  Chaque  vol.  in-8°,  br.,  7  fr.  5o. 

I  :   Biographies.  —  Pascal  jusqu'à  son  arrivée  à  Paris  (1647). 
II  :   Pascal  depuis  son  arrivée  à  Paris  (16^7)  jusqu'à  l'entrée  de 
Jacqueline  à  Port- Royal  (1 65a). 

III  :  Pascal  depuis  l'entrée  de  Jacqueline  à  Port-Royal  (i652)  jus- 
qu'au Mémorial  (iG54). 

DEUXIÈME    SÉRIE   : 

Œuvres  depuis  le  Mémorial  de  i654.  Lettres  provinciales.  Traité  de  la  Rou- 
lette, etc.,  par  MM.  Léon  Brunschvicg,  Pierre  Boutroux  et  Félix 
Gazier,  8  vol.  Chaque  vol.  in-8°,  br.,  7  fr.  5o. 

IV  :   Depuis  le  mémorial  du  23   novembre    1 654  jusqu'au  miracle 
de  la  Sainte-Épine  (fin  mars  i656). 

V  :   Depuis  le  10  avril  i656  (sixième  Provinciale)  jusqu'à  la  fin  de 
septembre  1 656. 

VI  :  Depuis  le  3o  septembre  i656  (treizième  Provinciale)  jusqu'en 
février  1657. 

VII  :  Depuis  le   2k  mars  1657  (dix-huitième  Provinciale)  jusqu'en 

juin  i658. 
VIII  :  Depuis  juin  i658  jusqu'en  décembre  i658. 
IX  :   Depuis  décembre  i658  jusqu'en  mai  1660. 
X  :   Pascal  depuis  juillet  1660  jusqu'à  sa  mort  (19  août  1662). 
XI  :   Abrégé  de  la  vie  de  Jésus-Christ  et  écrits  sur  la  grâce. 

TROISIÈME    SÉKIE   : 

Pensées,  par  M.  Léon  Brunschvicg,  3  vol.  Chaque  vol.  in-8°,  br.,  7  fr.  5o. 
XII  :   Sections  I  et  IL 

XIII  :   Sections  III  à  VIL 

XIV  :  Sections  VIII  à  XIV. 


Pascal  :  Pensées  et  Opuscules,  publiés  avec  une  introduction,  des 
notices  et  des  notes,  par  M.  Brunschvicg.  —  1  vol.  petit  in-16, 
cartonné 3  fr.  5o 

Édition  couronnée  par  l'Académie  française. 


Reproduction  en  photottpie  du  Manuscrit  des  Pensées  de 
Blaise  Pascal.  N°  9202  fonds  français  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale (Paris)  avec  le  texte  imprimé  en  regard  et  des  notes,  par 
M.  Léon  Brunschvicg.  —  Un  volume  in-folio  (45  X  32)  com- 
prenant environ  260  planches  en  phototypie  et  260  pages  de  texte 
et  variantes  :  200  fr. 

Pascal,  par  M.  E.  Boutroux,  membre  de  l'Institut  (Collection 
des  Grands  Ecrivains  français).  —  1  vol.  in-16,  broché.      .        2  fr 


ŒUVRES 


DE 


BLAISE  PASCAL 


CHARTRES,  IMPRIMERIE  DURAND 
rue  Fulbert,  9 


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UVRES 


DE 


BLAISE  gASCAL 

PUBLIÉES 

SUIVANT  L'ORDRE  CHRONOLOGIQUE 

AVEC  DOCUMENTS   COMPLÉMENTAIRES,  INTRODUCTIONS  ET  NOTES, 


Léon  BRUNSCHVICG,  Pierre  BOUTROUX 
et  Félix  GAZIER 


X 

depuis  juillet   1660 
jusqu'à  la  mort  de  blaise  pascal  (19  août  1662), 


PARIS 
LIBRAIRIE   HACHETTE  ET  Gie 

79,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,    79 

1(9.1,4 
Tous  droits  réservés. 


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OEUVRES 

DE  BLAISE   PASCAL 
x 

PASCAL  DEPUIS  JUILLET  1660 
JUSQU'À  SA  MORT 

(19   AOÛT    1662) 


CLVIII 

LETTRES  DE  FERMAT  A  PASCAL 

ET  DE 

PASCAL  A  FERMAT 

a5  juillet  et  10  août  1660. 


I.  —    Copie    au    premier    recueil    manuscrit    du    Père    Guerrier, 

p.      LXXXXVIII. 

II.  —    Varia    Opéra    Mathematica   D.   Pétri   de  Fermât,    Toulouse, 

1679,    p.     200. 


2e  série.  VII 


I 

LETTRE  DE  FERMAT  A  PASCAL 

A  Tolose  le  î5.  Juillet  1660. 

Monsieur, 
Des  que  j'ay  sçeu  que  nous  sommes  plus  proches  l'un  de 
l'autre  que  nous  n'estions  auparavant,  jen'ay  pu  résister  à 
un  dessein  d'amitié  dont  j'ay  prié  Monsieur  de  Carcavy 
d'estre  le  médiateur:  en  un  mot  je  pretens  vous  embras- 
ser, et  converser  quelques  jours  avec  vous  ;  mais  parce 
que  ma  santé  n'est  guère  plus  forte  que  la  vostre,  j'ose 
espérer  qu'en  cette  considération  vous  rne  ferez  la  grâce 
de  la  moitié  du  chemin,  et  que  vous  m'obligerez  de  me 
marquer  un  lieu  entre  Glermont  et  Tolose,  où  je  ne 
manqueray  pas  de  me  rendre  vers  la  fin  de  Septembre  ou 
le  commencement  d'Octobre.  Si  vous  ne  prenez  pas  ce 
parti,  vous  courez  hasard  de  me  voir  chez  vous,  et  d'y 
avoir  deux  malades  en  mesme  temps.  J'attends  de  vos 
nouvelles  avec  impatience,  et  suis  de  tout  mon  cœur,  tout 
à  vous... 

Fermât. 


II 

LETTRE  DE  PASCAL  A  FERMAT 

De  Bienassis  le  10.  Aoust  1660. 

Monsieur, 
Vous  êtes  le  plus  galant  homme  du  monde,  et  je 
suis  assurément  un  de  ceux  qui  sçay  le  mieux  recon- 
noistre  ces  qualitez  là  et  les  admirer  infiniment,  sur 
tout  quand  elles  sont  jointes  aux  talens  qui  se  trou- 
vent singulièrement  en  vous  :  tout  cela  m'oblige  à 
vous  témoigner  de  ma  main  ma  reconnoissancepour 
l'offre  que  vous  me  faites,  quelque  peine  que  j'aye 
encore  d'écrire  et  de  lire  moyméme:  mais  l'honneur 
que  vous  me  faites  m'est  si  cher,  que  je  ne  puis 
trop  me  hâter  d'y  répondre.  Je  vous  diray  donc, 
Monsieur,  que  si  j'étois  en  santé,  je  serois  volé  à 
Toiose,  et  que  je  n'auroispas  souffert  qu'un  homme 
comme  vous  eût  fait  un  pas  pour  un  homme  comme 
moy.  Je  vous  diray  aussi  que,  quoy  que  vous  soyez 
celuy  de  toute  l'Europe  que  je  tiens  pour  le  plus 
grand  Géomètre,  ce  ne  seroit  pas  cette  qualité  là  qui 
m'auroit  attiré  ;  mais  que  je  me  figure  tant  d'esprit 
et  d'honéteté  en  vôtre  conversation  que  c'est  pour 
cela  que  je  vous  rechercherois.  Car  pour  vous  parler 
franchement  de  la  Géométrie,  je  la  trouve  le  plus 
haut  exercice  de  l'esprit,  mais  en  même  temps  je  la 


LETTRE  DE  PASCAL  A  FERMAT 


connois  pour  si  inutile,  que  je  fais  peu  de  différence 
entre  un  homme  qui  n'est  que  Géomètre  et  un  habile 
artisan.  Aussi  je  l'appelle  le  plus  beau  métier  du 
monde,  mais  enfin  ce  n'est  qu'un  métier  :  et  j'ay  dit 
souvent  qu'elle  est  bonne  pour  faire  l'essay,  mais 
non  pas  l'emploi  de  nôtre  force  :  de  sorte  que  je  ne 
ferois  pas  deux  pas  pour  la  Géométrie,  et  je  m'assure 
que  vous  êtes  fort  de  mon  humeur1.  Mais  il  y  a  main- 
tenant cecy  de  plus  en  moy,  que  je  suis  dans  des 
études  si  éloignées  de  cet  esprit-là,  qu'à  peine  me 
souviens-je  qu'il  y  en  ayt.  Je  m'y  étois  mis  il  y  a 
un  an  ou  deux  par  une  raison  tout  à  fait  singulière, 
à  laquelle  ayant  satisfait2,  je  suis  en  hazard  de  n'y 
plus  penser  jamais,  outre  que  ma  santé  n'est  pas 
encore  assez  forte  ;  car  je  suis  si  foible  que  je  ne  puis 
marcher  sansbaston  ny  me  tenir  à  cheval.  Je  ne  puis 
même  faire  que  trois  ou  quatre  lieues  au  plus  en 
carrosse  ;  c'est  ainsi  que  je  suis  venu  de  Paris  icy  en 
vingt-deux  jours.  Les  Médecins  m'ordonnent  les  eaux 
de  Bourbon  pour  le  mois  de  Septembre,  et  je  suis 
engagé  autant  que  je  puis  l'être,  depuis  deux  mois, 
d'aller  de  là  en  Poitou  par  eau  jusqu'à  Saumur,  pour 
demeurer  jusqu'à  Noël  avec  Monsieur  le  Duc  de 
Roanes,  Gouverneur  de  Poitou3,  qui  a  pour  moy 
des  sentimens  que  je  ne  vaus  pas.  Mais  comme  je 
passeray  par  Orléans  en  allant  à   Saumur  par  la 


i.  Cf.  Pensées,  fr.  36,  T.  I,  p.  46,  et  fr.  i44,  T.  II,  p.  70. 

2.  Vide  supra  T.  VII,  p.  33g  et  suiv. 

3.  Nous  n'avons  aucun  document  qui  nous  fasse  connaître  si  ce 
projet  fut  mis  à  exécution. 


ŒUVRES 


rivière,  si  ma  santé  ne  me  permet  pas  de  passer  outre, 
j'iray  de  là  à  Paris.  Voilà,  monsieur,  tout  l'état  de 
ma  vie  présente,  dont  je  suis  obligé  de  vous  rendre 
compte,  pour  vous  asseurer  de  l'impossibilité  où  je 
suis  de  recevoir  l'honneur  que  vous  daignez  m'ofïrir, 
et  que  je  souhaite  de  tout  mon  cœur  de  pouvoir  un 
jour  reconnoître  ou  en  vous,  ou  en  Messieurs  vos 
enfans,  ausquels  je  suis  tout  dévoué,  ayant  une  véné- 
ration particulière  pour  ceux  qui  portent  le  nom  du 
premier  homme  du  monde.  Je  suis,  etc. 


CLIX 

LETTRE 

DE    JACQUELINE    PASCAL 

A  LA  MÈRE  ANGÉLIQUE 

Ier  septembre  1660. 
Copie  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.  17790,  f°.  307. 


INTRODUCTION 

Aux  lettres  déjà  publiées,  supra  T.  IX,  p.  377  sqq.,  nous 
devons  joindre  ici  cette  lettre  de  la  Mère  Angélique,  adressée 
à  la  prieure  de  Port-Royal  des  Champs  et  à  la  sous-prieure, 
Jacqueline  de  Sainte  Euphémie  (Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr. 
17790,  f°.  3og): 

Du  Vendredy  27.  Février  1660. 

Ma  très  chère  Mère 
Nous  arrivasmes  hyer  à  trois  heures  et  demie  sans  aucune 
peine.  Les  chemins  n'estoient  pas  encore  rompus,  les  glaces 
n'estant  pas  fondues,  de  sorte  que  nous  allions  aussi  viste  qu'au 
beau  temps.  J'eus  moins  froid  que  dans  nôtre  chambre,  mais 
le  grand  brouillard  qui  nous  reprit  dés  Voisin  m'obligeant  à 
laisser  tous  nos  voiles  baissez  j'eus  fort  mal  à  la  teste  jusqu'à 
proche  de  Paris  que  je  fus  obligée  de  les  lever  etc.  Je  n'ay 
pas  laissé  de  dormir  quoy  que  ma  teste  ne  soit  pas  encore 
bien,  ni  mon  corps  délassé.  Au  reste  je  ne  suis  pas  encore  icy 
n'en  ayant  pas  pris  les  idées,  mais  à  P.  R.  proche  de  vous, 
de  ma  Sr  Euphemie  et  de  tout  nôtre  monde  ;  Dieu  me  fasse 
la  grâce  de  vous  avoir  toujours  présente  devant  luy,  et  d'aller 
sans  cesse  à  luy  avec  vous  pour  y  trouver  tous  nos  besoins  et 
la  force  pour  luy  rendre  ce  que  nous  luy  devons.  Je  vous 
suplie,  ma  chère  Mère,  de  saluer  toutes  nos  Sœurs  et  de  les 
assurer  que  je  ne  m'éloigne  d'elles  que  de  corps.  Je  les  suplie 
très  humblement  de  renouveller  leur  attention  à  la  pénitence 
véritable  et  essentielle  du  Caresme  contenue  dans  la  première 
partie  du  chapitre  de  nostre  Règle.  Je  suis  fâchée  de  n'avoir 
point  dit  adieu  à  ma  Sr  N.  je  vous  suplie  de  luy  dire,  et  que 
cela  m'oblige  de  prier  plus  particulièrement  pour  elle.  Je  vous 


10  ŒUVRES 

conjure,  ma  chère  Mère,  de  tenir  vôtre  esprit  fortement  atta- 
ché à  Dieu,  de  le  regarder  par  tout  et  en  toutes  choses,  invo- 
quant son  secours  avec  un  désir  entier  que  ce  soit  son  esprit 
et  non  pas  le  vôtre  qui  agisse.  J'en  dis  autant  à  ma  Sœur 
Euphemie,  parlez  ensemble  autant  qu'il  sera  nécessaire  et  que 
vous  en  aurez  le  temps  pour  vous  entre-soutenir,  et  concerter 
les  choses,  mais  toujours  sérieusement,  s'il  est  possible,  et 
donnant  le  moins  de  part  que  vous  pourrez  à  la  satisfaction 
de  la  nature.  Ayez  soin  de  vos  santez  pour  le  service  de  la 
maison,  et  soyez  simples  à  prendre  vos  besoins  tant  pour  la 
nourriture  que  pour  le  repos.  Veillez  surtout,  sans  négliger 
les  petites  choses,  puisque  les  moindres  se  doivent  référer  à 
Dieu  comme  les  plus  grandes,  c'est  pourquoy  il  faut  que 
toutes  soient  bien  réglées  et  ordonnées.  A  Dieu,  ma  très  chère 
Mère,  et  ma  très  chère  Sœur. 


n 


LETTRE    DE  LA   SOEUR   JACQUELINE    DE   SAINTE- 
EUPHEV1IE     PASCAL    A    LA     MERE     ANGELIQUE, 
ACCOMPAGNÉE  DE    LA   RÉPONSE1. 


Ce  icr  Sept.  1660. 

Ma  très  chère  Mère, 
Mp  Singlin  m'a  ordonné 
de  vous  dire  que  nous  nous 
accommoderons  fort  bien  de 
sœur  N.  si  petite  et  man- 
chote soit  elle.  Il  y  a  une 
infinité  de  choses  où  elle 
nous  sera  bien  utile,  et  en 
vérité  nous  sommes  si  cour- 
tes de  monde  avec  toutes 
nos  malades  que  nous  ne 
sommes  pas  en  état  de  refuser 
aucun  secours. 


Du  2.  Septembre. 

Ma  très  chère  Sœur, 
Vous  n'avez  pas  considéré 
qu'en  acceptant  cette  fille  pour 
le  très  petit  secours  que  vous 
en  pourrez  recevoir  vous  vous 
engagez  à  la  garder  toute  sa 
vie  et  à  la  faire  Rse.  Car  si 
estant  dehors  c'est  une  impor- 
tunité  continuelle  qu'elle  fait 
à  M.  S.,  si  une  fois  elle  est 
dedans  on  ne  pourra  jamais 
s'en  défaire,  et  on  aura  sur  les 
bras  tous  les  Rx  de  N.  qui  ont 
importuné  pour  elle  avec  une 
violence,  s'il  faut  ainsi  dire, 
aussi  grande  que  si  on  y  eut 
esté  vraiment  obligé.  Je  ne 
doute  pas  de  vos  besoins, 
mais  certes  ils  ne  diminueront 
gueres,  et  ils  pourront  estre  se- 
courus par  d'autres  voyes.  Il  en 
sera  pourtant  tout  ce  qu'il  plai- 


1.  Cette  lettre,  encore  inédite,  est  disposée  sur  deux  colonnes.  A  la 
demande  de  la  Mère  Angélique,  les  religieuses  laissaient  une  moitié 
de  la  page  libre  pour  la  réponse. 


12 


OEUVRES 


J'ay  admiré,  ma  chère 
Mère,  combien  la  charité  et 
l'humilité  sont  ingénieuses 
dans  le  moien  que  vous 
trouvez  de  vous  loger  au 
Parloir.  Mais  vous  pouvez 
penser,  ma  chère  Mère,  que 
cela  n'a  levé  aucun  des  obs- 
tacles de  vôtre  retour,  je  le 
souhaite  de  tout  mon  cœur, 
et  avec  impatience,  mais 
neantmoins  je  ne  le  demande 
point  encore,  Dieu  veut  que 
nous  soions  privées  de  cette 
consolation  et  de  cet  appuy 
dans  nôtre  besoin.  Si  neant- 
moins vous  dormiez  mieux 
icy  ce  seroit  une  grande  ten- 
tation, et  en  ce  cas  vôtre 
ch [ambre]  seroit  bientôt  vui- 


ra  à  M.  S. ,  estant  preste  de  re- 
noncer à  la  répugnance  que  j 'ay 
à  cette  fille  pour  luy  obéir. 
Notre  Mère  et  ma  Sr  Angélique 
n'y  en  ont  pas  moins  que  moy. 
Vraiment,  ma  chère  Sœur, 
je  vous  admire  bien  plus,  et 
avec  plus  de  raison  de  ce  que 
vous  estimez  que  ce  seroit 
humilité  à  moy  de  coucher  au 
Parloir  qui  est  une  des  meil- 
leures chambres  de  la  maison, 
et  de  ce  que  vous  prenez  cela 
pour  un  sujet  que  je  ne  retour- 
ne pas.  Je  ne  suis  point  du  tout 
sujette  à  gagner  la  fièvre,  et 
puis,  je  ne  verrois  point  les 
malades  si  on  ne  vouloit.  Mais 
je  laisse  cela  à  la  volonté  de 
Mr  Singl. 
en  tout. 


que 


Dieu  conduit 


CLX 

ARRÊT    DU    CONSEIL  D'ÉTAT 

CONDAMNANT    L'ÉDITION 
LATINE    DES    PROVINCIALES 

23  septembre  1660. 
Archives  Nationales,  E  171 1,  f°  129. 


m 


INTRODUCTION 


La  traduction  des  Provinciales  par  Wendrock  obtint  aussitôt 
un  grand  succès;  une  seconde  édition  parut  en  octobre  i658 
et  fut  vite  épuisée  :  (deux  mille  exemplaires  en  avaient  été 
débités  en  septembre  i65g);  la  préface  de  la  troisième  est 
datée  du  i5  mars  1660;  celle  de  la  quatrième,  du  27  août. 
En  vain,  pour  arrêter  le  cours  de  ce  livre,  fit-on  un  procès 
criminel  au  libraire  Le  Petit,  et  à  l'imprimeur  Préveray  qui, 
conduit  au  Châtelet  et  à  la  Bastille  en  octobre  i658,  ne  fut 
relâché  qu'en  janvier  1660. 

On  profita  aussi  du  séjour  que  le  roi  fit  à  Bordeaux  au 
moment  de  la  paix  des  Pyrénées  pour  dénoncer  le  livre  de 
Wendrock  au  Parlement  de  cette  ville.  Le  5  septembre  t65q, 
l'ouvrage  fut  déféré  par  l'avocat  général,  au  nom  du  roi, 
afin  qu'il  lût  brûlé  par  la  main  du  bourreau.  La  discussion 
fut  très  vive,  et  l'affaire  fut  remise  à  une  nouvelle  session.  Le 
3  mai  1660,  à  la  majorité  des  voix,  on  repoussa  les  accusations 
de  crimes  de  scandale  et  de  lèse-majesté;  pour  l'examen  de 
la  doctrine,  on  renvoya  le  livre  à  la  Faculté  de  Théologie  de 
Bordeaux.  Le  6  juin,  trois  professeurs,  dans  un  rapport 
approuvé  par  toute  l'Université,  conclurent  qu'il  n'y  avait 
aucune  trace  d'hérésie.  Ces  trois  professeurs  furent  vivement 
pris  à  partie;  Arnauld  et  Nicole  les  défendirent  dans  deux 
écrits  publiés  en  juillet  et  en  août.  Le  5  novembre,  le  Conseil 
du  Roi  leur  interdit  d'exercer  leurs  fonctions  dans  la  Faculté 
de  Théologie  et  ils  furent  suspendus  jusqu'en  1662  *. 

1.  Sur  cette  affaire,  cf.  Paul  Courteault,  Les  Provinciales  au  Parle- 
ment de  Bordeaux  {Revue  historique  de  Bordeaux,  mars-avril  1909, 
p.  i3i). 


16  ŒUVRES 

Malgré  cet  échec  à  Bordeaux,  on  n'abandonna  pas  l'affaire  : 
au  moment  où  l'Assemblée  du  Clergé  s'apprêtait  à  pousser 
à  bout  les  jansénistes  et  parlait  à  nouveau  du  Formulaire,  le 
Conseil  du  Roi,  par  un  arrêt  du  12  août  1660,  désigna  des 
commissaires  ecclésiastiques  pour  examiner  le  livre  de 
Wendrock  ;  leur  rapport  fut  remis  le  7  septembre;  le  23,  le 
Conseil  condamna  le  livre,  qui  fut  brûlé  sur  la  place  publique, 
le  A  octobre  *. 

Voici  l'ordonnance  préliminaire  du  Conseil  {Archives 
Nationales,  E  171 1,  f°  106)  et  le  jugement  des  commissaires 
ecclésiastiques  {Bibliothèque  Mazarine,  A.  i5g45)  : 


1.  A  cette  occasion  Arnauld  écrit,  le  19  octobre  1660,  à  Florin 
Perier  (2e  recueil  du  Père  Guerrier,  p.  62)  :  «  J'ay  reçu  celle  que 
vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m 'envoyer  avec  les  papiers  qui  regar- 
dent l'affaire  de  ce  pauvre  homme,  mais  comme  il  y  a  des  raisons 
qui  m'obligent  de  me  tenir  plus  caché  que  jamais,  je  me  trouve  dans 
l'impuissance  de  pouvoir  presque  faire  aucune  affaire  qui  demande 
quelque  sollicitation,  et  ainsi  M.  Pascal  a  eu  la  bonté  de  s'en  charger, 
et  ne  pouvant  voir  la  Marquise  a  cause  de  la  petite  vérole  qui  a  esté 
chez  luy,  il  verra  Mr  le  Nain  avec  qui  il  concertera  de  tout  ce  qu'il 
faudra  faire. 

«Vous  pourrez  apprendre  par  la  Gazette  de  samedy  dernier  qu'enfin 
le  pauvre  Wendrock  a  esté  condamné  par  des  Commissaires  du  Conseil, 
qui  est  une  nouvelle  forme  de  faire  juger  des  livres,  surtout  en 
matière  d'heresie.  S'il  y  avoit  quelque  vigueur  dans  l'Assemblée,  elle 
ne  souffriroit  pas  l'introduction  d'une  nouveauté  si  dangereuse,  mais 
il  n'y  a  que  de  la  lâcheté  et  de  la  faiblesse  à  attendre  de  la  part  des 
hommes.  Cependant  la  deffense  des  Professeurs  de  Bordeaux  que  vous 
avez  vue  (et  dont  nous  vous  envoierons  un  autre  exemplaire,  quand 
nous  le  pourrons  joindre  avec  un  second  écrit  sur  le  meame  sujet),  est 
fort  bien  reçue,  et  ainsi  le  jugement  de  ces  Commissaires  dévoués  au 
P.  Annat  se  trouve  ruiné  avant  que  de  l'avoir  rendu.  On  nous  mande 
aussi  de  Bordeaux  que  cet  Ecrit  y  fait  des  merveilles,  et  que  les  Pro- 
fesseurs se  mocquent  de  ce  nouveau  jugement,  et  n'en  sont  que  plus 
fermes  dans  le  leur.  Je  suis  tout  à  vous;  mes  recommandations  s'il 
vous  plaist  à  M  le  vostre  femme,  à  la  bonne  Mlle  Baudoin,  et  je  vous 
suplie  d'assurer  Mr  Domat,  quand  vous  le  verrez,  que  je  ne  l'ay  pas 
oublié,  mais  il  faut  un  peu  de  tems  pour  lui  pouvoir  rendre  réponse 
de  l'affaire  qu'il  m'a  recommandée.  » 


ARRÊT  DU  CONSEIL  D  ÉTAT  17 

Ordonnance  du  Conseil  d'État. 

12  Août  1660. 

Le  Roi  en  son  Conseil,  ayant  receu  plusieurs  plaintes 
qu'encor  que  les  Constitutions  des  Papes  Innocent  X.  et 
Alexandre  VII.  condemnent  la  doctrine  de  Jansenius,  Evesque 
d'Ypre,  contenue  dans  le  livre  intitulé  A ugustinus,  et  queles- 
dites  Constitutions  aient  été  receuës  par  l'Assemblée  générale 
du  Clergé  de  France,  publiées  par  les  prelatz  dans  leurs 
diocezes,  exécutées  par  les  Universitez  et  mesme  confirmées 
par  les  déclarations  de  Sa  Majesté,  lesquelles  ont  esté  regis- 
trées  dans  les  Cours  de  Parlement  ;  néanmoins,  on  veoid  tous 
les  jours  dans  le  public  de  nouveaux  ecritz  et  imprimez  qui 
tendent  à  soutenir  ladite  doctrine  condamnée  et  un  entr'autre 
sous  le  titre  de  Ludovioi  Montaltii  LiAterœ  Provinciales,  etc., 
lequel,  outre  les  propositions  hérétiques  qu'il  contient,  est 
outrageux  à  la  réputation  du  feu  Roy  Louis  1 3e  de  glorieuse 
mémoire,  et  à  celle  des  principaux  ministres  qui  ont  eu  la 
direction  de  ses  affaires,  à  quoy  estant  nécessaire  de  pourvoir 
incessamment,  afin  d'en  prévenir  les  mauvaises  suites,  Sa 
Majesté,  estant  en  son  Conseil,  a  ordonné  et  ordonne  que 
ledit  livre  intitulé  Ludovici Montaltii  Litterœ Provinciales,  etc., 
sera  remis  pardevers  le  sieur  Baltazar,  commissaire  à  ce  député, 
pour  estre  vu  et  examiné  par  les  sieurs  evesques  de  Rennes, 
Rodez,  Amiens  et  Soissons,  assistez  des  sieurs  Grandin, 
Lestoc,  Morel,  Bail,  Chapellas1,  Chamillard,  du  Saussoy,  et 
des  Pères  Nicolaï  et  Gaugy,  docteurs  en  Théologie  de  la  Fa- 
culté de  Sorbonne,  que  Sadite  Majesté  a  commis  à  cet  effet, 
pour  donner  leur  avis,  et  être  dressé  procez-verbal,  et  le 
tout  rapporté  à  Sadite  Majesté,  y  estre  pourveu  ainsi  qu'il 
appartiendra  par  raison.  Signé:  Seguier,  Baltazar. 


1.   Les   noms   des    cinq   derniers   docteurs   ont  été   ajoutés  sur  la 
minute  par  une  apostille  signée  de  Séguier. 

2e  série.  VII  2 


18  ŒUVRES 


Avis  et  Jugement  des  Prélats  et  autres  Docteurs  et  Professeurs 
de  la  Sacrée  Faculté  de  Théologie  de  Paris. 

Nous  soub-signez,  qui  avons  esté  nommez  par  Arrest  du 
Conseil  de  sa  Majesté,  pour  porter  jugement  d'un  Livre  inti- 
tulé :  Les  Lettres  au  Provincial,  par  Louis  de  Montalte,  etc.  ; 
après  avoir  diligemment  examiné  ledit  Livre,  déclarons  que 
les  hérésies  de  Jansenius  condamnées  par  l'Eglise  y  sont  con- 
tenues et  défendues,  tant  dans  les  Lettres  dudit  Louis  de  Mon- 
talte, que  dans  les  Notes  de  Guillaume  Wendrock  sur  les- 
dites  Lettres,  comme  aussi  dans  les  Disquisitions  de  Paul 
Irenée,  qui  y  sont  jointes.  Ce  qui  est  si  manifeste,  que,  si 
quelqu'un  le  nie,  il  faut  nécessairement  ou  qu'il  n'ait  pas  lu 
ledit  Livre,  ou  qu'il  ne  l'ait  pas  entendu;  ou  ce  qui  pis  est, 
qu'il  ne  croie  pas  hérétique  ce  qui  est  condamné  comme  héré- 
tique par  le  Souverain  Pontife,  par  l'Eglise  Gallicane,  et  par 
la  sacrée  Faculté  de  Paris.  Nous  déclarons  en  outre,  que  ces 
trois  Autheurs  sont  si  insolens  et  si  hardis  à  médire,  que,  si 
l'on  en  excepte  les  Jansénistes,  ils  n'épargnent  la  condition 
de  personne,  non  pas  mesme  du  Souverain  Pontife,  ni  des 
Evesques,  ni  du  Roy,  ni  des  principaux  Ministres  du  Royaume, 
ni  la  sacrée  Faculté  de  Paris,  ni  les  Ordres  Religieux  ;  et  que 
par  ainsi  ledit  Livre  est  digne  de  la  peine  ordonnée  de  droit 
contre  les  Libelles  diffamatoires,  et  les  Livres  hérétiques.  Fait 
à  Paris,  le  7.  Sept.   1660. 

Henry  de  La  Mothe,  E.  de  Rennes;  Harduin,  E.  de  Rodez; 
François,/?.  d'Amiens;  Charles,  E.  de  Soissons;  Chapelas, 
Curé  de  S.  Jacques;  C.  Morel;  L.  Bail;  Fr.  Jean  Nicolaï,  de 
l'Ordre  des  FF.  Presch.  ;  M.  Grandin  ;  Saussoy  ;  Fr.  Matthieu 
de  Gaugy,  Carme;  Chamillard  ;  G.  de  Lestocq. 


19 


ARRÊT  DU  CONSEIL  D'ÉTAT  CONTRE  LES  LETTRES 
AU  PROVINCIAL 


23.  Septembre  16G0. 

Veu  par  le  Roy  estant  en  son  Conseil,  l'Arrest  donné  en 
iceluy  le  12.  aoust  dernier,  sur  le  subjet  de  plusieurs 
plainctes  rendues  à  sa  Majesté,  de  ce  qu'encor  que  les 
constitutions  des  Papes  Innocent  X.  et  Alexandre  VIIme 
condemnent  la  doctrine  de  Jansenius  Evesque  d'Ipre, 
contenue  dans  le  livre  intitulé  A ugastinus,  et  que  lesdites 
conclusions  ayant  esté  receuës  par  l'assemblée  generalle 
du  clergé  de  France,  publiées  par  les  prelatz  dans  leurs 
diocezes,  exécutées  par  les  Universitez,  mesmes  confir- 
mées par  les  déclarations  de  Sa  Majesté,  lesquelles  ont  esté 
registrées  dans  les  cours  du  parlement.  Neantmoins  on 
voioit  tous  les  jours  dans  le  public  de  nouveaux  écrits  et 
imprimez,  qui  tendoient  à  soustenir  laditte  Doctrine  con- 
damnée :  et  un  entr'autres  soubz  le  titre  de  Ludovici 
Montaltii  Litterœ  Provinciales,  etc.,  lequel,  outre  les  pro- 
positions héréticques  qu'il  contient,  est  outrageux  à  la  ré- 
putation du  feu  Roy  Louis  i3me  de  glorieuse  mémoire,  et 
à  celle  des  principaux  ministres  qui  ont  eu  la  direction 
de  ses  affaires  ;  par  lequel  arrest  Sa  Majesté,  pour  y 
pourveoir  incessemment,  à  fin  d'en  prévenir  les  mau- 
vaises suittes,  a  ordonné  que  ledit  livre,  intitulé  Ludovici 
Montaltii  Litterœ  Provinciales,  etc.,  seroit  remis  par  de- 
vers le  sieur  Baltazar,  commissaire  à  ce  deputté,  pour 
estre  veu  et  examiné  et  avoir  le  sentiment  des  sieurs  eves- 


20  ŒUVRES 

ques  de  Rennes,  Rodez,  Amiens  et  Soissons,  ensemble 
des  Srs  Grandin,  L'Estocq,  Morel,  Bail,  Chapelas, 
Chamillard,  du  Saussoy,  et  des  peres  Nicolaï  et  Gaugy, 
docteurs  en  théologie  de  la  Faculté  de  Sorbonne,  que  Sa 
Majesté  a  commis  à  cet  effet  pour  donner  leur  advis,  et 
estre  dressé  procez- verbal,  et  le  tout  rapporté  à  Sa  Ma- 
jesté, et  y  estre  pourveu  ainsi  qu'il  appartiendra  ;  le  procez- 
verbal  desdits  commissaires  du  7me  du  présent  mois  de 
septembre,  par  lequel,  aprez  avoir  diligemment  examiné 
ledit  livre,  ils  déclarent  que  les  hérésies  de  Jansenius,con- 
demnées  par  l'Eglise  sont  soustenues  et  défendues  tant 
dans  lesdites  Lettres  de  Louis  Montalte  et  dans  les  Notes 
de  Guillaume  Wendrok,  que  dans  les  Disquisitions  ad- 
jointes de  Paul  Irenée;  que  cela  est  si  manifeste,  que,  si 
quelqu'un  le  nye,  il  faut  nécessairement,  ou  qu'il  n'ait 
pas  leu  ledit  livre,  ou  qu'il  ne  l'ait  pas  entendu,  ou,  ce 
qui  pis  est,  qu'il  ne  croye  point  hereticque  ce  qui  a  esté 
comme  hereticque  condemné  par  les  sainctz  pontifes,  par 
l'Eglise  gallicane,  et  par  la  sacrée  Faculté  de  théologie 
de  Paris  ;  que  la  detraction  et  pétulance  est  tellement  fa- 
milière à  ces  trois  Auteurs,  qu'ils  ne  pardonnent  à  la  con- 
dition de  personne,  et  non  pas  mesme  au  souverain  pon- 
tife, aux  ^ois,  aux  evesques,  2et  aux  principaux  ministres 
du  royaume,  à  la  sacrée  Faculté  de  théologie  de  Paris,  ny 
aux  familles  religieuses;  et  que  ledit  livre  est  digne  de  la 
peyne  ordonnée  de  droit  pour  les  libelles  diffamatoires 
et  livres  hereticques. 

Ouy  le  rapport  du  sieur  Baltazar  :  Et  tout  considéré, 
Sa  Majesté  estant  en  son  conseil,  a  ordonné  et  ordonne 
que  ledit  livre,  intitulé  Ludovici  Montaltii  Litterœ  Pro- 


i.   rois,  aux,  addition  autographe. 
î.  et,  addition  autographe. 


ARRÊT  DU  CONSEIL  D'ÉTAT  21 

\inciales,  etc.,  sera  remis  par  devers  le  sieur  D'Aubray, 
lieutenant  civil  au  Ghastelet  de  Paris,  pour,  à  la  diligence 
du  procureur  gênerai  de  Sa  Majesté,  le  faire  lacérer  et 
brusler  à  la  Croix  du  Tirouër  par  les  mains  de  l'exécuteur 
de  la  haulte  justice,  dont  Sadite  Majesté  sera  certifiée 
dans  huictaine.  Faisant  cependant  tres-expresses  inhibi- 
tions et  défenses  à  tous  imprimeurs,  libraires,  colporteurs 
et  autres,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient, 
d'imprimer,  vendre  et  débiter,  ny  mesme  retenir  ledit 
livre  sans  notes,  ou  avec  les  notes,  additions  et  disquisi- 
tions  desdits  Wendrock  et  Paul  Irenée,  sur  peine  de  pu- 
nition exemplaire.  Et  sera  le  présent  arrêt  exécuté  nonob- 
stant oppositions  ou  appellations  quelconques,  dont  si 
aucunes  interviennent,  Sadite  Majesté  s'est  réservé  la 
cognoissance  dicelle,  interdite  à  tous  autres  juges.  Fait 
au  conseil  d'Etat  du  roi,  Sa  Majesté  y  estant,  tenu  à 
Paris,  le  vingt- troisième  de  septembre  mil  six  cent 
soixante.  Signé  :  Seguier,  Baltazar,  Phelippeaux. 


22 


APPENDICE 

Exécution  de  l1  arrêt  du  Conseil. 

A.  —  Ordonnance  royale. 

Louis  par  la  grâce  de  Dieu,  Roy  de  France  et  de  Navarre, 
à  nostre  amé  et  féal  Conseiller  en  nos  Conseils,  le  sieur  Dau- 
bray,  Lieutenant  Civil  au  Chastelet  de  Paris  :  Salut.  Nous 
vous  mandons  et  ordonnons  par  ces  présentes  signées  de  nostre 
main,  que  l'arrest  de  nostre  Conseil  d'Estat,  dont  l'extrait  est 
cy-attaché  sous  le  contrescel  de  nostre  Chancellerie,  vous  ayez 
à  mettre  à  deuë  et  entière  exécution,  selon  sa  forme  et  teneur. 
De  ce  faire  vous  donnons  pouvoir,  commission  et  mandement 
spécial  par  cesdites  présentes.  Commandons  au  premier  nos- 
tre Huissier  ou  Sergent  sur  ce  requis  signifier  ledit  arrest  à 
tous  Libraires,  Colporteurs  et  autres  que  besoin  sera,  et  leur 
faire  les  défenses  y  contenues  sur  les  peines  y  déclarées,  sans 
demander  autre  permission  :  Car  tel  est  nostre  plaisir.  Donné 
à  Paris  le  23.  jour  de  Septembre  l'an  de  grâce  1660.  et  de 
nostre  Règne  le  dix-huitieme.  Signé.  Louis,  et  plus  bas,  Par 
le  Roy,  Phelyppeaux,  et  scellé. 

B.  —  Extrait  des  Registres  du  Châtelet. 

A  tous  ceux  qui  ces  présentes  Lettres  verront,  Pierre  Se 
guier  Chevalier  Marquis  de  S.  Brisson,  Conseiller  du  Roy, 
Gentilhomme  ordinaire  de  sa  Chambre,  et  Garde  de  la  Ville, 
Prévôté  et  Vicomte  de  Paris  :  Salut.  Sçavoir  faisons,  Que  veu 
l' Arrest  du  Conseil  d'Estat  du  Roy  du  vingt-troisième  Sep- 
tembre dernier  :  portant  que  le  livre  intitulé,  Ludovici  Mon- 
taltii  Litterœ  Provinciales,  seroit  remis  pardevers  Nous,  pour 
à  la  requeste  du  Procureur  du  Roy  en  cette  Cour,  estre  lacéré 
et  bruslé  à  la  Croix  du  Tiroir  par  les  mains  de  l'Exécuteur  de 


ARRÊT  DU  CONSEIL  D'ÉTAT  23 

la  haute  Justice,  dont  sa  Majesté  seroit  certifiée  huitaine  après 
et  défenses  à  tous  Imprimeurs,  Libraires,  Colporteurs  et 
autres  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient  d'impri- 
mer, vendre  ni  débiter,  ni  mesme  retenir  ledit  livre  sans 
Notes  ou  avec  les  Notes,  Additions  et  Disquisitions  de  Guillaume 
Wendrok,  et  Paul  Irenée,  sur  peine  de  punition  exemplaire  ; 
ledit  Arrest  signé  Phelyppeaux.  La  Commission  de  la  grande 
Chancellerie  attachée  audit  Arrest  sous  le  contre-scel  d'icelle, 
dudit  jour  23.  dudit  mois  de  Septembre,  signée  Louis,  et  plus 
bas,  Par  le  Roy,  Phelyppeaux,  et  scellée  du  grand  seau  de  cire 
jaune.  Les  Conclusions  dudit  Procureur  du  Roy  tendantes  à  ce 
que  pour  l'exécution  dudit  Arrest  il  fust  informé  à  sa  requeste 
par  un  Commissaire  de  cette  Cour,  tant  contre  les  Auteurs 
dudit  Livre,  qu'Imprimeurs  qui  l'auront  imprimé,  et  Colpor- 
teurs, qui  se  trouveront  l'avoir  débité,  lequel  Commissaire  se 
transportera  es  maisons  des  Libraires,  Imprimeurs,  et  Col- 
porteurs de  cette  Ville  et  Faux-bourgs,  et  par  tout  où  besoin 
sera,  pour  à  sa  requeste  saisir  et  arrester  tous  les  exemplaires 
dudit  Livre  qui  se  trouveront,  pour  estre  le  procès  fait  et  par- 
fait aux  coupables,  suivant  la  rigueur  des  Ordonnances,  et 
cependant  le  Livre  en  question  bruslé  par  l'Exécuteur  de  la 
haute  Justice  à  la  Croix  du  Tiroir  ;  Nous,  oiiy  sur  ce  le  Pro- 
cureur du  Roy,  auquel  le  tout  a  esté  monstre  et  communi- 
qué, et  tout  veu  et  considéré,  avons  déclaré  qu'il  sera 
informé  à  la  requeste  dudit  Procureur  du  Roy  par  le  premier 
Commissaire  de  cette  Cour  sur  ce  requis,  tant  contre  les  Au- 
teurs du  livre  intitulé,  Ludovici  Montaltii  Litterse  Provinciales, 
qu'Imprimeurs  qui  l'auront  imprimé,  et  Colporteurs  qui  se 
trouveront  l'avoir  débité  ;  lequel  Commissaire  se  transportera 
es  maisons  des  Libraires,  Imprimeurs,  et  Colporteurs  de  cette 
Ville  et  Faux-bourgs,  et  par  tout  où  besoin  sera,  pour  à  la 
requeste  dudit  Procureur  du  Roy,  saisir  et  arrester  tous  les 
exemplaires  dudit  Livre  qui  se  trouveront,  pour  estre  le  pro- 
cès fait  et  parfait  aux  coupables  suivant  la  rigueur  des  Ordon- 
nances ;  et  cependant  que  ledit  Livre  en  question  sera  bruslé 
à  la  Croix  du  Tiroir  par  les  mains  de  l'Exécuteur  de  la  haute 


24  ŒUVRES 

Justice;  et  défenses  à  tous  Imprimeurs,  Libraires,  Colpor- 
teurs, et  autres  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient, 
d'imprimer,  vendre  ni  débiter,  ni  mesme  retenir  ledit  Livre 
sans  Notes  ou  avec  les  Notes,  Additions  ou  Disquisitions  de 
Guillaume  de  Wendrok,  et  Paul  Irenée,  sur  peine  de  puni- 
tion exemplaire.  En  tesmoin  de  ce  avons  fait  sceller  ces  pré- 
sentes. Ce  fut  fait  et  donné  audit  Chastelet  par  Messire  Dreux- 
Daubray,  Conseiller  d'Estat,  et  Lieutenant  Civil,  le  8.  Octobre 
1660.  Signé,  Berthelot. 

L'an  mil  six  cens  soixante,  le  quatorzième  Octobre,  Nous 
soubs-signé  Greffier  de  la  Chambre  Civile,  Tournelle,  et  Po- 
lice du  Chastelet  de  Paris,  en  conséquence  de  l'Arrest  du  Con- 
seil du  Roy  du  vingt-troisième  Septembre  dernier,  Signé  : 
Phelyppeaux,  et  scellé,  portant  entre  autres  choses  que  le 
Livre  intitulé,  Ludovici  Montaltii  Litterœ  Provinciales,  etc., 
seroit  bruslé  par  les  mains  de  l'Exécuteur  de  la  haute  Justice, 
à  la  Croix  du  Tiroir;  avec  défenses  à  tous  Imprimeurs,  Li- 
braires, Colporteurs,  et  autres  de  quelque  qualité  et  condition 
qu'ils  soient,  d'imprimer,  vendre  et  débiter,  ni  mesme  rete- 
nir ledit  Livre;  pour  l'exécution  duquel  Arrest  sa  Majesté  a 
renvoyé  pardevant  Monsieur  le  Lieutenant  Civil,  pour  à  la 
diligence  de  Monsieur  son  Procureur  audit  Chastelet,  estre 
exécuté;  auquel  Arrest  est  attachée  la  Commission  dudit  jour, 
avec  contrescel;  et  en  vertu  de  la  Sentence  rendue  par  mon- 
dit  sieur  le  Lieutenant  Civil  le  huictiéme  du  présent  mois,  sur 
les  remonstrances  et  Conclusions  de  mondit  sieur  Procureur 
de  sa  Majesté,  portant  que  ledit  Livre  cy-dessus  mentionné 
seroit  brûlé  audit  lieu  de  la  Croix  du  Tiroir  par  l'Exécuteur 
de  la  haute  Justice,  conformément  audit  Arrest  :  Et  que  pour 
sçavoir  les  autheurs,  ceux  qui  ont  fait  iceluy,  imprimé,  et 
vendu,  qu'il  en  seroit  informé  à  la  requeste  dudit  sieur  Pro- 
cureur de  sa  Majesté,  saisir  et  arrester  les  exemplaires  dudit 
Livre,  pour  estre  le  procès  fait  aux  coupables,  suivant  la 
rigueur  des  Ordonnances,  et  icelle  Sentence  leuë,  publiée,  et 
affichée  à  son  de  trompe  et  cry  public,  es  lieux  et  places 


ARRÊT  DU  CONSEIL  D'ÉTAT  25 

accoustumées  :  Nous  sommes  transportez  sur  l'heure  de  midy 
au  carrefour  de  ladite  Croix  du  Tiroir,  où  estant,  et  après 
avoir  fait  allumer  un  feu  par  ledit  Exécuteur  de  la  haute  Jus- 
tice, aurions  par  la  bouche  d'iceluy,  à  haute  et  intelligible 
voix  fait  repeter  tout  le  contenu  en  ladite  Sentence  cy-dessus 
dattée,  et  ensuite  fait  mettre  dans  le  feu  ledit  Livre  intitulé, 
Ludovici  Montaltii  Litterœ  Provinciales,  par  les  mains  dudit 
Exécuteur,  lequel  après  avoir  esté  converty  en  cendre,  nous 
serions  retiré.  Dont  et  de  ce  que  dessus  avons  dressé  le  présent 
nostre  procès- verbal,  pour  servir  et  valoir  ainsi  que  de  rai- 
son. Signé,  Berthelot. 


CLXI 

LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL 

A  LA  SOEUR  ANGÉLIQUE 

DE  SAINT-JEAN 

7  octobre  1660. 
Copie  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.   17797,  f°  5^7. 


29 


RELATION    DE   MA    SŒUR    EUPHEMIE, 

SUR  LA  MORT  DE  MA  SOEUR 

ANNE-MARIE  DE  SAINTE-EUGENIE  ARNAULD1 


[7.  Octobre  1660]. 


Ma  très  chère  Sœur, 


Vous  auriez  sujet  de  vous  plaindre  de  moy  si  je  ne 
vous  allois  trouver  pour  me  consoler  avec  vous  de  la  perte 
commune  de  nostre  pauvre  Enfant.  Je  vous  puis  asseurer 
que  peu  de  choses  sont  plus  capables  de  me  toucher,  et 
que  j'ay  vivement  ressenti  les  souffrances  de  sa  maladie, 
et  encore  plus  sa  séparation,  quoy  que  je  vous  avoue  que 
l'un  et  l'autre  sont  accompagnées  de  tant  de  sujets  de 
consolation,  que  je  ne  sçay  en  vérité  lequel  est  le  plus 
grand  et  le  plus  juste  de  la  douleur  que  je  sens  en  per- 
dant une  personne  à  qui  j'estois  bien  plus  unie,  ce  me 
semble,  que  par  la  chair  et  le  sang,  ou  de  la  joie  et  de  la 
reconnoissance  des  grâces  que  Dieu  a  faites  à  une  per- 
sonne à  qui  j'estois  si  obligée  d'en  désirer.  Sa  bonne  dis- 
position a  paru  principalement  au  plus  fort  de  son  mal,  et 
il  semble  que  Dieu  n'ait  soutenu  sa  vie  durant  ces 
derniers  huit  jours,  contre  toute  apparence,  que  pour 
nous  faire  connoistre  ce  qu'il  a  fait  en  sa  faveur.  Elle  n'a 


1.  Jacqueline  fait  ici  la  relation  de  la  mort  de  la  Sœur  Anne 
Marie  de  Sainte-Eugénie,  fille  d'Arnauld  d'Andilly,  morte  au  monas- 
tère des  Champs,  le  7  octobre  1660.  Cette  lettre  a  été  imprimée, 
avec  d'assez  nombreuses  modifications,  dans  les  Mémoires  pour  servir 
à  l'histoire  de  P.  R.,  17^2,  T.  III,  p.  5o6. 


30  ŒUVRES 

esté  pleinement  persuadée  qu'elle  ^ourroit  que  deux 
heures  avant  sa  mort;  et  cela  fait  mieux  voir  que  ces 
bonnes  dispositions  estoient  solides,  et  qu'elles  ne  nais- 
soient  pas  de  cette  crainte  que  donne  un  péril  que  l'on 
void  présent.  Car  elle  a  toujours  espéré  d'en  revenir: 
mais  elle  ne  l'a  point  souhaité  ;  et  particulièrement  de- 
puis le  dernier  voyage  de  M.  Singlin  elle  a  eu  plus  d'envie 
que  de  crainte  de  la  mort.  La  pauvre  Enfant  se  trouvant 
fort  mal  le  jour  de  la  Ste-Croix,  alla  communier 
comme  en  Viatique,  avec  un  peu  de  crainte  pour  le 
succès  d'un  mal  qui  commençoit  violemment,  mais 
d'ailleurs  bien  disposée  principalement  en  ce  qu'elle  avoit 
de  la  joie  d'estre  malade,  regardant  la  maladie  comme  une 
pénitence,  et  sa  plus  grande  crainte  après  celle  de  la  mort, 
estoit  de  n'user  pas  bien  de  sa  maladie  et  de  ne  souffrir  pas 
assez  patiemment.  Dieu  luy  a  fait  la  grâce  dans  la  suite  de  luy 
oster  entièrement  la  première,  et  tout  le  sujet  qu'elle  avoit 
de  l'autre.  Car  elle  a  esté  si  douce  et  si  bonne  malade 
qu'elle  a  donné  une  édification  générale  à  toutes  celles  qui 
l'ont  servie.  Et  ce  qui  nous  donne  sujet  de  croire  qu'elle 
ne  le  faisoit  que  par  vertu,  et  que  c'estoit  plus  un  ouvrage 
de  la  grâce  qu'un  effet  de  l'abbattement  de  la  nature, 
c'est  que  m'estant  apperceue,  il  y  eut  lundy  huit  jours, 
qu'elle  faisoit  grande  difficulté  de  prendre  une  tisanne  à  qui 
selon  toutes  les  apparences  l'on  doit  le  reste  de  sa  vie 
depuis  ce  jour  là  jusques  à  aujourd'huy,  et  qu'au  lieu 
qu'elle  beuvoitson  eau  ordinaire  avec  empressement  pour 
se  rafraichir,  elle  ne  prenoit  celle-cy  que  goutte  à  goutte,  je 
luy  dis  doucement  néanmoins  que  puis  que  Dieu  luy  avoit 
envoyé  cette  maladie  comme  une  pénitence,  elle  devoit  y 

i.  Une  copie   faite  au  xvne   siècle    pour    Mlle  de  Théméricourt 
porte  :  mourait. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  31 

contribuer  en  prenant  de  bon  cœur  tous  les  remèdes  qui 
en  estoient  des  suites  nécessaires.  Cela  fit  tant  d'impression 
sur  son  esprit,  que  depuis  ce  temps,  elle  a  pris  tout  ce 
qu'on  luy  a  donné,  et  Dieu  luy  a  fait  la  grâce  de  luy  donner 
un  si  grand  sentiment  de  pénitence,  qu'elle  ne  pouvoit 
souffrir  qu'on  la  plaignît  sans  faire  violence  à  la  grande 
difficulté  qu'elle  avoit  à  parler,  pour  dire  qu'elle  ne  souf- 
froit  rien,  et  pour  comparer  son  mal  à  celuy  de  quelques 
autres  qu'elle  croyoit  estre  plus  grand,  pour  dire  que  le 
sien  n'estoit  rien.  Elle  a  témoigné  jusqu'à  la  fin  une  grande 
reconnoissance  des  services  qu'on  luy  rendoit,  et  cela  par 
esprit  d'humilité  et  de  pénitence  ;  elle  regardoit  vraye- 
ment  cela  comme  une  chose  qui  ne  luy  estoit  pas  deiïe. 
Elle  se  plaignoit  souvent  de  ce  que  son  abbattement  l'em- 
peschoit  de  s'appliquer  assez  à  Dieu,  et  hier  elle  me  dit 
avec  grand  scrupule  :  «  Mais  ne  diray-je  donc  pas  une 
heure  d'office?  »  Je  luy  dis  que  sa  maladie  luy  tenoit 
lieu  de  tout  ;  elle  me  dit  en  soupirant  :  «  Cela  seroit  vray 
si  je  la  souffrois  comme  il  faut;  mais  j'y  fais  bien  des 
fautes.  »  Et  sur  cela  elle  me  dit  quelque  impatience 
qui  n'estoit  rien.  Je  luy  dis  que  le  mesme  mal  qui  luy 
faisoit  faire  ces  sortes  de  fautes  en  estoit  le  remède,  et  que 
pour  son  office  il  suffiroit  qu'elle  fît  le  signe  de  la  Croix 
quand  elle  auroit  l'esprit  assez  présent  pour  penser  qu'il 
est  heure  de  le  dire.  Cela  la  mit  en  paix,  ou  plustost  cela 
la  laissa  en  paix,  car  par  la  grâce  de  Dieu  elle  ne  l'a 
jamais  perdue.  Elle  se  confessa  hier  au  soir  par  occasion, 
car  nous  ne  la  croyions  pas  si  proche  de  sa  fin,  et  je  crois 
qu'elle  le  fit  avec  une  présence  d'esprit  toute  entière,  car 
mesme  la  dernière  fois  qu'elle  vit  M.  Singlin,  elle  luy 
parla  avec  autant  d'estenduë  et  de  lumière  qu'elle  ait 
jamais  fait,  et  ce  matin  elle  en  avoit  tant  et  parloit  si 
librement  que  rien  ne  m'a  plus  surprise  que  lors  que  l'on 


32  ŒUVRES 

nous  a  dit  en  sortant  de  la  grande  Messe  qu'elle  com- 
mençoit  à  rasler.  Nous  y  avons  couru  et  nous  l'avons 
trouvée  commençant  son  agonie,  mais  avec  tant  de  con- 
noissance  que  j'en  ay  eu  grand  peur,  craignant  que  la 
veuë  et  l'approche  de  la  mort  ne  la  troublât,  mais  Dieu 
luy  a  fait  bien  plus  de  grâce  que  je  n'eusse  osé  espérer. 
Depuis  cela  je  ne  l'ay  plus  quittée  ny  la  Mère  prieure 
aussi,  ce  qui  la  consoloit  beaucoup,  parceque  nous  luy 
disions  de  fois  à  autres  quelques  paroles  pour  la  faire 
pensera  Dieu.  Sur  le  midy  elle  s'est  tournée  vers  moy, 
connoissant  bien  que  j'estois  touchée  de  son  estât,  elle 
m'a  dit  :  «  Voila  vostre  pauvre  Enfant  bien  mal.  »  Je  luy 
ay  dit  :  «  Il  est  vray,  elle  souffre  beaucoup,  »  car  elle  estoit 
dans  une  grande  agitation.  «  Ouy,  ce  m'a  t'elle  dit,  mais 
cela  n'est  rien,  pourvu  que  je  puisse  espérer  de  pouvoir 
satisfaire  à  Dieu.  »  J'ay  tasché  sur  cela  de  luy  donner 
confiance,  et  un  peu  après  elle  m'a  dit  :  «  Que  je  suis 
consolée  de  mourir  entre  vos  mains  !  »  Gela  m'ayant  fait 
voir  qu'elle  connoissoit  Testât  où  elle  estoit,  je  luy  ay  dit 
que  la  Mère  prieure  estoit  allée  quérir  M.  de  Sacy.  Elle 
en  a  eu  grande  joye,  et  quelque  temps  après  elle  nous  a 
dit  :  «  M.  de  Sacy  ne  vient  point;  »  et  puis  aussitost  elle 
s'est  reprise  et  nous  a  dit  qu'il  ne  falloit  pas  le  presser  de 
peur  de  l'incommoder.  Je  l'ay  pourtant  fait,  voyant 
qu'elle  abbaissoit  tousjours.  Pendant  qu'on  Falloit  avertir, 
elle  m'a  dit  :  «  Commencez  toujours  les  prières  »,  ce  que 
j'ay  fait.  La  pauvre  Enfant  y  a  tousjours  répondu,  baisant 
tousjours  la  Croix  qu'elle  tenoit.  Le  poux  luy  estant  revenu 
plus  fort,  on  a  creu  que  cela  pourroit  encore  durer,  de 
sorte  que  M.  de  Sacy  et  la  Communauté  se  sont  retirez. 
Apres  cela  je  luy  ay  demandé  si  elle  n'avoit  pas  grande 
confiance  en  la  miséricorde  de  Dieu.  Elle  m'a  repondu 
avec  un  grand  sentiment  :  «  Je  ne  sçay  si  je  suis  digne  de 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  33 

l'avoir.  »  Je  luy  ay  dit  que  l'on  ne  pouvoit  en  avoir  trop 
puisqu'elle  estoit  infinie.  Elle  Fa  bien  compris.  Et  en 
suite  je  luy  ay  demandé  si  elle  n'avoit  pas  grande  joye  de 
mourir  Religieuse,  elle  a  fait  effort  pour  témoigner  com- 
bien elle  reconnoissoit  cette  grâce.  Peu  de  temps  après,  la 
Mère  Prieure  a  dit  auprès  d'elle  une  oraison  qu'elle  a 
ecouttée  fort  attentivement.  La  voyant  en  cet  estât,  nous 
avons  creu  devoir  luy  faire  encore  recevoir  le  Saint  Via- 
tique, qu'elle  avoit  déjà  receu  avec  l'Extrême  Onction  le 
quatorsiemejour  de  sa  maladie.  Elle  en  a  témoigné  grand 
désir,  et  je  crois  que  ce  sont  les  dernières  paroles  qu'elle  a 
dites.  Car  aussitost  après,  comme  on  apprestoit  la  chambre 
pour  cela,  elle  s'est  tournée  à  la  mort  si  viste  qu'on  n'a 
eu  le  loisir  que  d'appeller  M.  de  Sacy  et  la  Communauté, 
qui  n'ont  pas  plustost  esté  dans  la  chambre  qu'elle  est 
expirée  si  doucement  qu'on  ne  l'a  presque  pas  apperceu. 
Voila,  Ma  chère  sœur,  ce  me  semble,  de  grands  sujets  de 
consolation.  Je  ne  puis  vous  en  dire  davantage  parce  qu'on 
attend  les  lettres.  De  Port-Royal-des-Ghamps,  ce  7. 
Octobre  1660. 


2e  série.  Vil 


GLXII 

LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL 
A  BLAISE  PASCAL 

16  novembre  1660.- 
Copie  au  deuxième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  p.  £7. 


:\7 


LETTRE  DE  LA  SOEUR  JACQUELINE  DE  SAINTE- 
EUPHEMIE  PASCAL  A  M.  PASCAL  SON  FRERE 

Gloire  à  Jésus  au  Très  Saint  Sacrement. 

Ce  16.  Novembre  16601. 

Bonjour  et  bon  an2,  montres  cher  Frère  ;  vous  ne 
doutez  pas  que  je  ne  vous  Paye  souhaité  de  bon  cœur 
dés  le  commencement,  quoy  que  je  n'aye  peu  vous  le 
dire  qu'à  la  fin.  Je  m'asseure  que  vous  vous  estonnez 
d'estre  prévenu;   mais  il  estoit  raisonnable  que  le  vœu 


1.  Pascal  était  à  Paris  le  19  février  16605  le  23  juin,  il  se  trou- 
vait à  Bien-Assis  depuis  un  mois  ou  deux,  et  il  y  était  encore  le 
10  août;  le  19  octobre,  il  était  à  Paris  (Cf.  la  lettre  d'Arnauld  à  Perier, 
supra  p.  16,  n.  1).  Un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Troyes  date 
cette  lettre  du  26  novembre  i653  (Cf.  Ch.-H.  Boudhors,  Pascal  et 
Mère,  Revue  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France,  janvier-mars  19 13, 
p.  k  1)  ;  mais  cette  indication  d'une  copie  des  manuscrits  Guerrier 
n'a  pas  d'autorité.  —  Les  neveux  de  Pascal  étaient  élèves  de 
Wallon  de  Beaupuis  aux  Petites  Ecoles  du  Ghesnay  ;  après  la  dispersion 
de  mars  1660,  Pascal  prit  chez  lui  l'aîné,  Etienne,  et  lui  fit  faire  sa 
philosophie  au  collège  d'Harcourt.  Wallon  de  Beaupuis,  vers  1661, 
continua  à  diriger  leur  instruction  à  Paris,  où  Perier  était  venu  de- 
meurer à  la  fin  de  1660  (Cf.  la  vie  de  Wallon  de  Beaupuis  dans  les 
Vies  intéressantes,  1761,  T.  V,  p.  i3o).  —  Pascal  avait  déjà  eu  en  i658 
à  s'occuper  de  son  neveu,  Louis,  très  ignorant  malgré  ses  sept  ans  et 
sachant  à  peine  son  Pater  :  «  Ma  chère  mère,  écrit  Marguerite  Perier, 
le  mena  à  Paris  en  i658,  à  mon  oncle,  à  qui  elle  dit  qu'elle  ne  pouvoit 
rien  luy  apprendre.  Mon  oncle  se  chargea  de  son  éducation,  et  cet 
enfant  devint  en  peu  de  temps  fort  sérieux  »  (Cf.  Faugère,  Lettres, 
Opuscules  et  Mémoires,  p.  438). 

2.  Formule  courante  que  l'on  retrouve  au  début  d'une  lettre  de 
Gui  Patin  à  Spon  du  6  janvier  i654. 


38  ŒUVRES 

finist  par  où  il  avoit  commencé,  et  que  je  vous  asseu- 
rasse  que  cette  année,  que  j'ay  donnée  à  Dieu  de  bon 
cœur,  ne  vous  a  rien  osté  de  tout  ce  que  vous  pourriez 
attendre  de  moy  devant  luy.  Mon  Dieu!  quand  je  pense 
combien  cette  séparation1,  qu'il  sembloit  que  la  nature 
devoit  appréhender,  s'est  passée  doucement,  et  com- 
bien cette  année  a  esté  tost  passée,  je  ne  puis  m'empes- 
cher  de  désirer  l'éternité,  car  en  vérité  le  temps  est 
peu  de  chose.  Mais  je  ne  veux  pas  m'engager  dans  un 
discours  qui  nous  meneroit  bien  loin,  et  où  je  suis 
entrée  sans  y  penser,  car  je  ne  vous  escris  ny  pour  cela 
ny  mesme  pour  me  donner  cette  consolation,  puis  qu'elle 
seroit  bien  indigne  d'une  Religieuse,  qui  n'en  doit  cher- 
cher qu'en  Dieu,  ny  aussi  pour  vous  donner  quelque 
satisfaction,  car  je  ne  croy  pas  estre  digne  de  cela  ; 
mais  c'est  seulement  et  uniquement  pour  vous  congra- 
tuler de  ce  que  vous  estes  devenu  père  de  famille,  en 
une  des  manières  dont  Dieu  mesme  est  nostre  père,  et 
pour  vous  demander  pardon  en  mesme  temps  de  la 
peine  que  je  vous  ay  donnée  en  cela;  car  c'est  moy  qui 
vous  l'ay  procuré,  et  j'ay  bien  peur  que  vous  en  soyez 
incommodé.  Je  l'ay  fait  dans  l'asseurance  que  j'avois  que 
vous  en  auriez  bien  de  la  jo\e,  et  que  le  soin  et  l'in- 
commodité que  vous  en  auriez  ne  dureroit  pas,  parce 
que  M.  R.2  seroit  bientost  en  estât  de  reprendre  ces  en- 
fans  ;  et  en  effet  je  croy  que  vous  pouvez  les  renvoyer 
quand  vous  voudrez,  pourveu  seulement  que  vous  luy 
en  donniez  avis.   Je  vous  supplie  très  humblement  de 


i.  Jacqueline  fut  envoyée  à  Port-Royal-des-Champs  le  6  ou  le 
7  novembre  i65g. 

2.  Victor  Cousin  croit  qu'il  s'agit  de  Charles  deRebergues;  mais 
Rebergues  n'avait  que  seize  ans  en  1660,  et  Marguerite  Perier  nous 
dit  qu'il  ne  s'occupa  de  ses  frères  qu'en  i664. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  39 

les  saluer  de  ma  part  et  M.  du  Lac1  aussi.  Pour  vous, 
je  ne  vous  dis  rien;  vous  devez  juger  de  mes  senti- 
mens  par  les  vostres,  et  vous  asseurer  que  je  suis  toute  à 
vous  en  celuy  qui  nous  a  plus  unis  par  sa  grâce  que  par 
la  nature. 


i.  François  Akakia  du  Lac,  frère  d'Akakia  du  Mont  qui  fut  confes- 
seur de  Port-Royal;  après  la  dispersion  des  Solitaires  en  i656  il  vint 
loger  à  Paris,  rue  des  Postes,  avec  son  frère  et  Thomas  du  Fossé 
(Cf.  le  Supplément  au  Nécrologe,  p.  522). 


CLXIII 

LETTRE    DE    PASCAL 
A    MADAME    DE    SABLÉ 

date  présumée  :  fin  1660. 


Lettre  originale,  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.   17045 
(2e  Portefeuille  Vallant),  f°  234- 


43 


INTRODUCTION 

Pascal,  avant  et  après  sa  conversion  de  1 654,  a  fréquenté 
le  salon  de  Madame  de  Sablé  ;  nous  ne  possédons  malheu- 
reusement que  très  peu  de  renseignements  sur  ces  relations. 
Nous  entrevoyons  par  les  consolations  que  la  Mère  Agnès 
après  la  mort  de  Pascal  adresse  à  la  marquise,  quelle  influence 
Pascal  exerçait  sur  elle  (cf.  infra,  p.  325  sq.).  La  lettre  écrite 
le  19  octobre  1660  à  Perier  par  Arnauld  (cf.  sujorap.  16,  n.  1.) 
nous  montre  Pascal  transmettant  une  recommandation  à  la 
marquise,  mais  refusant  d'aller  la  voir,  de  crainte  de  lui 
transmettre  le  germe  de  la  petite  vérole  ;  Mme  de  Sablé  était 
en  effet  fameuse  au  xvne  siècle  par  sa  peur  de  la  contagion. 

Le  billet  qui  suit,  original,  mais  non  pas  autographe,  n'est 
ni  signé,  ni  daté;  il  nous  a  été  conservé  dans  les  Portefeuilles 
de  Vallant1.  Ce  médecin,  attaché  à  la  personne  de  la  mar- 
quise, a  recueilli  tous  les  billets  qu'il  avait  trouvés;  les  let- 
tres conservées  ont  été  annotées  de  sa  main,  et  il  a  écrit  en 
tête  de  celle  -ci  :  «  Mr  Pascal  sur  Mons.  Menjot.  »  Après  la 
mort  de  Pascal,  qu'il  avait  soigné  dans  sa  dernière  maladie, 
il  resta  longtemps  encore  le  correspondant  fidèle  de  Madame 
Perier  (cf.  cette  correspondance  infra  T.  XI,  Ier  supplément). 

Menjot  était  un  médecin  protestant.  Nous  le  connaissons  en 
particulier  par  une  discussion  théologique  que  Madame  Perier 
soutint  un  jour  avec  lui,  et  dont  nous  reproduisons  le  récit 
d'après  une  note  ajoutée  par  Marguerite  Perier  au  Nécrologe  de 
Port  Royal  (Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.  1891 3,  p.  266)  : 
«  ...  Il  arriva  quelques  années  après  que  Mme  Perier,  sœur 

1.  Sur  Vallant  et  sur  Menjot,  cf.  l'étude  du  docteur  Potel  :  Noël 
Vallant  (France  médicale  du  10  octobre  ic)i3). 


44  ŒUVRES 

de  M.  Pascal  se  rencontra  chez  Madame  la  marquise  de  Sablé, 
laquelle  avoit  un  médecin  M.  Menjot  qui  estoit  huguenot, 
homme  très  habile  et  fort  estimé  à  Charenton  qui  s'y  trouva 
aussi.  Me  de  Sablé  qui  estoit  pleine  de  pieté,  entra  en  ma- 
tière avec  luy  sur  la  Religion  ;  il  soutenoit  très  fort  son  opi- 
nion sur  la  présence  réelle.  Madame  de  Sablé  et  Madame 
Perier  le  combattoient.  M.  Menjot  enfin  leur  dit  :  Si  on  me 
fait  voir  que  c'est  la  foy  des  t\.  premiers  siècles,  je  me  ren- 
dray.  Mme  Perier  qui  avoit  connoissance  de  l'écrit  de 
M.  Arnauld,  luy  dit  qu'elle  croyoit  qu'elle  pourroit  luy  faire 
voir  un  écrit  qui  prouveroit  cette  vérité,  et  estant  sortie  elle  alla 
trouver  M.  Arnauld  et  luy  raconta  cela.  M.  Arnauld  crut 
qu'il  devoit  porter  cet  écrit  pour  gagner  cet  homme-là  ; 
mais  comme  il  n'avoit  pas  dessein  de  s'engager  à  une  contro- 
verse, il  exigea  de  Mme  Perier  de  ne  le  porter  à  M.  Menjot 
qu'à  condition  qu'il  n'en  prendroit  point  de  copie  et  qu'il  le 
rendroit  dans  tel  temps. 

«  Mme  Perier  luy  donna  cet  écrit  chez  Mme  de  Sablé,  à  ces  con- 
ditions qu'il  accepta.  Le  temps  passé  et  au  jour  marqué,  il 
revint  et  rapporta  l'écrit,  mais  il  ne  tint  pas  sa  parole,  car  il 
dit  qu'il  est  vray  que  cet  écrit  prouvoit  bien  que  c'estoit  la 
créance  des  quatre  premiers  siècles  ;  mais  qu'il  falloit  prouver 
que  c'estoit  la  créance  des  Apostres.  Mme  Perier  luy  dit  qu'on  ne 
pouvoit  pas  mieux  faire  voir  la  créance  des  Apostres  que  par 
celle  de  leurs  disciples  ;  mais  il  ne  se  rendit  pas.  11  assura 
qu'il  n'avoit  point  pris  de  copie  de  l'écrit.  Mme  Perier  le  rendit 
à  M.  Arnauld1....  » 

Menjot  publia  en  1660  un  écrit  intitulé:  Febrium  mali- 
gnarum  historia  et  curatio.   Accesserunt  dissertationes  patholo- 

gicœ  :  ...de  delirio  in  génère Parisiis,  apud  G.  Meturas, 

1660.   cum  privilegio    régis    (le   privilège    a   été   registre   le 


1 .  Dans  la  suite  de  cette  note,  Marguerite  Perier  explique  comment 
fut  publié  le  livre  De  la  Perpétuité  de  la  Foy,  cf.  Faugère,  Pensées, 
1897,  T.  I,  p.  436. 


LETTRE  DE  PASCAL  A  MADAME  DE  SABLÉ  4o 

26  mai  1660)  *;   et,  comme  l'a   noté  M.    Potel,  Vallant  a 
recueilli  au  ms.  f.  fr.  17047,  p.  37,  un  Discours  du  délire  en 

1.  Dans  les  Opuscules  posthumes  de  Mr  Menjot,  conseiller  et  médecin 
ordinaire  du  Roy  à  Paris,  contenant  des  discours  et  des  lettres  sur  divers 
sujets  tant  de  Physique  et  de  Médecine  que  de  Religion,  publiés  à 
Amsterdam,  chez  Desbordes  en  1697,  ire  partie,  p.  1 15,  dans  une  lettre 
de  Menjot  à  son  confrère  Puerari,  se  trouve  cette  indication  : 
«  Feu  M.  Paschal  appeloit  la  philosophie  cartésienne  le  Roman 
de  la  Nature,  semblable  à  l'histoire  de  Don  Quichot  »  (cf. 
Ch.-H.  Boudhors,  Notes  sur  Pascal  et  son  temps,  Revue  de  l'Ensei- 
gnement secondaire,  Ier  décembre  1909,  p.  388).  —  La  seconde  partie 
de  ce  recueil  contient,  à  la  page  221,  une  lettre  qui,  en  raison  de  sa 
suscription  et  de  certains  détails  de  son  contenu,  devait  arrêter  l'at- 
tention des  éditeurs  de  Pascal.  Elle  est  adressée  à  Monsieur  P...; 
Menjot  y  fait  allusion  à  un  billet  qu'il  écrivait  à  Monsieur  de  R...;  de 
plus,  continuant  une  discussion  qu'il  eut  avec  son  correspondant  sur 
l'Eucharistie,  il  fait  cette  citation  remarquable  :  «  Le  texte  que  vous 
alléguez  que  Dieu  révéla  par  fois  aux  petits  et  aux  simples  les  choses 
du  salut,  en  mesme  temps  qu'il  les  cacha  aux  sages  et  aux  entendus 
de  la  terre...  »  Enfin,  passant  à  une  consultation  médicale  qui  parait 
lui  avoir  été  demandée,  il  prescrit  que  l'on  évite  les  «  veilles,  les 
jeûnes  et  les  applications  d'esprit.  »  L'hypothèse  que  Pascal  serait  le 
destinataire  de  cette  lettre  se  présente  d'elle-même.  —  Pourtant, 
l'examen  de  l'ensemble  de  la  lettre  ne  nous  a  point  paru  de  nature  à 
confirmer  cette  supposition.  Il  y  a  dans  le  ton  de  Menjot  une  rudesse 
qui  va  jusqu'à  la  brutalité  à  l'égard  de  «  l'Eglise  romaine  »,et  il  n'est 
pas  vraisemblable  qu'il  ait  pu  prendre  une  pareille  attitude  en  s'adres- 
sant  à  Pascal.  En  outre,  si  les  discussions  théologiques  qui  mirent  aux 
prises,  vers  1664,  Menjot  et  Àrnauld  avaient  commencé  du  vivant  de 
Pascal,  on  devrait  s'attendre  à  ce  que  Menjot  fît  au  moins  allusion  aux 
personnes  qui  l'auraient  mis  en  rapport  avec  Pascal,  Madame  Perier, 
Vallant,  ou  Madame  de  Sablé;  or,  à  la  différence  du  billet  cité 
à  la  page  suivante,  la  lettre  à  Monsieur  P...,  ne  nous  offre  rien 
de  pareil.  D'autre  part,  Menjot  dit  que  son  correspondant  lui  avait 
fait  «  le  panégyrique  de  l'esprit  de  vin  «  et  lui  avait  donné  le  conseil 
«  d'ajouter  à  la  fin  de  chaque  dissertation,  un  renvoi  aux  Médecins 
célèbres,  tant  Anciens  que  Modernes,  qui  ont  le  mieux  écrit  de  la 
cure  des  maladies...  »  (conseil  que  Menjot  suivit  d'ailleurs  lorsqu'il 
réimprima  ses  Dissertationes  en  i665)  ;  il  est  bien  douteux  que  ce 
panégyrique  et  ce  conseil  viennent  de  Pascal  :  le  livre  de  Menjot, 
si  on  en  juge  par  le  billet  adressé  à  Madame  de  Sablé,  l'intéressait  à 
un  tout  autre  point  de  vue. 


46  ŒUVRES 

gênerai,  qui  est  la  traduction  légèrement  modifiée  de  la  dis- 
sertation latine,  et  qui  a  été  réimprimée  dans  les  Opuscules 
posthumes.  D'autre  part  les  recueils  de  Vallant  renferment 
une  lettre  d'un  médecin  de  Lyon  écrite  sur  le  même  ouvrage, 
et  datée  du  25  décembre  1660.  Ces  indications  permettent  de 
dater  de  façon  approximative  la  lettre  de  Pascal. 

Menjot  remercia  Madame  de  Sablé  par  ce  billet  qu'a  con- 
servé le  même  recueil,  à  la  page  243  :  «  Dimanche  matin. 
J'eus  le  bonheur,  Madame,  de  rencontrer  il  y  a  trois  ou 
quatre  jours  Monsieur  Valan  duquel  j'appris  avec  bien  de 
la  joie  la  continuation  de  vostre  santé.  Je  souhaite  de  tout 
mon  cœur  que  l'occasion  de  vous  servir  manque  tousjours  à 
mon  zèle,  mais  le  contraire  arrivant,  je  vous  supplie, 
Madame,  de  croire  que  mon  zèle  ne  manquera  jamais  à 
l'occasion.  Monsieur  Valan  me  fit  voir  la  lettre  de  Monsieur 
Paschal  laquelle  est  la  plus  obligeante  du  monde;  Mais, 
Madame,  je  ne  sçay  que  penser  d'un  tesmoignage  si  advan- 
tageux,  car  si  je  considère  d'une  part  la  sincérité  et  le  sçavoir 
sublime  de  ce  grand  homme,  de  l'autre  aussi  je  sçay  que  la 
charité  est  la  première  des  vertus  chrestiennes,  de  sorte  que 
j'ay  de  la  peine  à  distinguer  entre  la  justice  et  la  grâce  prin- 
cipalement en  une  personne  qui  sans  doute  la  met  en  pra- 
tique avec  autant  de  chaleur  qu'il  la  soustient.  Quoy  qu'il  en 
soit,  je  luy  suis  extrêmement  obligé  d'avoir  daigné  jetter  les 
yeux  sur  un  ouvrage  si  peu  considérable,  et  je  vous  rends 
très  humbles  grâces,  Madame,  de  m'avoir  procuré  cet  hon- 
neur. J'espère  au  commencement  de  cette  semaine  vous  aller 
tesmoigner  ma  gratitude  de  toutes  les  bontés  que  vous  avés 
eues  pour  moy  pendant  ma  maladie  et  lesquelles  je  n'ou- 
blieray  jamais.  » 


M 


LETTRE  DE  MONSIEUR  PASCAL 
A  MADAME  DE  SABLÉ  SUR  MONSIEUR  MENJOT 

Encore  que  je  sois  bien  embarrassé  je  ne  puis  dif- 
férer davantage  à  vous  rendre  mille  grâces  de  m'a- 
voir  procuré  la  connoissance  de  Mr  Menjot,  car  c'est 
à  vous  sans  doute  Madame  que  je  la  dois  ;  et  comme 
je  l'estimois  desja  beaucoup  par  les  choses  que  ma 
sœur  m'en  avoit  dittes,  je  ne  puis  vous  dire  avec 
combien  de  joye  j'ay  receu  la  grâce  qu'il  m'a  voulu 
faire,  il  ne  faut  que  lire  son  espistre  pour  voir  com- 
bien il  a  d'esprit  et  de  jugement  ;  et  quoyque  je  ne 
sois  pas  capable  d'entendre  le  fonds  des  matières 
qu'il  traitte  dans  son  livre  je  vous  diray  néanmoins 
madame  que  j'y  ai  beaucoup  apris  par  la  manière 
dont  il  acorde  en  peu  de  mots  l'imaterialité  de  l'ame 
avec  le  pouvoir  qu'a  la  matière  d'altérer  ses  fonc- 
tions et  de  causer  le  délire1,  j'ay  bien  de  l'impatience 
d'avoir  l'honneur  de  vous  en  entretenir. 

(Pour  Madame  de  Sablé.) 


i.  Voici  ce  que  Menjot  écrit  sur  ce  sujet  dans  sa  Dissertatio  patho- 
logica  de  delirio  in  génère:  «  Mens...  penitus  obbrutescit  in  amenda; 
hebescit  in  fatuitate,  corrumpitur  in  delirio.  E  limine  difficultas  gra- 
vissima  venit  enodanda,  quo  pacto  ratio  violari  queat.  Impium  esset 
opinari  delirii  causas  migrare  in  mentem,  hancque  corporeis  telis  atque 
ictibus  esse  vulnerabilem...  Credendum  ergo  Rationem  per  se,  ac 
instrument  sui  invaletudine  utpote  quod  nullum  sit,  more  caeterarum 
facultatum  non  laborare,   sed  accidentariô    tantum   et  ob    errorem 


48  ŒUVRES 

externum,  id  est  objecti,  scilicet  phantasmatis  culpâ  ..  Proindeque 
nonnisi  per  svmpathiam  sensuum  ceu  exploratorum,  testiumve 
infidelium  Ratio  offendit;  ac  eclipsin  patitur  non  verè,  sed  per  acci- 
dens,  instar  Solis  deficientis  non  Lunae.  Sicuti  Duces  sapientissimi 
multa  temerè  aggrediuntur  falsô,  nec  opportune  moniti,  ita  mens 
a  phantasià  hallucinante  seducitur;  excipit  enim  quod  offertur,  at 
offeruntur  vitiosa.  »  (op.  cit.  p.  225-229). 


CLXIV 

LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL 
A  MADAME  PERIER 

24  mars  1661. 
Copie  au  deuxième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  p.  2Ï\. 


2e  série.  VII 


:>i 


LETTRE  DE  LA  SŒUR 

JACQUELINE  DE  SAINTE-EUPHEMIE  PASCAL 

A  MADAME  PER1ER,  SA  SŒUR 

Gloire  à  Jésus  au  Très  Saint  Sacrement. 

A  Port-Royal  d  s  Champs,  ce  i!\.  Mars  i66r. 
La  retraite  de  ce  temps1  peut  bien  m'empescher  de 
vous  faire  une  ample  lettre,  ma  chère  Sœur,  mais  elle 
ne  peut  pas  me  dispenser  de  vous  escrire,  puisque  je  n'ay 
rien  à  vous  mander  que  de  saint  et  des  effets  de  la  grâce 
de  Dieu,  dont  il  nous  a  donné  les  arrhes  en  un  tel  jour 
qu'aujourd'huy  ;  car  vous  sçavez  que  la  guerison  des 
corps  n'est  que  comme  un  morceau,  pour  parler  ainsi,  qui 
nous  promet  infiniment  plus  que  ce  qu'il  vaut.  Cela 
commence  à  se  trouver  vray  en  deux  manières,  car  au 
lieu  que  par  cet  espouvantable  miracle  il  n'y  a  eu 
qu'une  de  vos  filles  guérie,  nous  avons  sujet  d'espérer 
que  toutes  les  deux  seront  préservées  de  la  corruption  du 
monde.  L'ainée2  a  fort  bien  parlé  à  M.  de  Rebours  ;  et  pour 
la  jeune3,  elle  est  si  fervente  que  si  cela  continue  on  ne 
pourra  pas  se  dispenser  de  la  mettre  au  noviciat  devant 
l'âge,  si  vous  avez  tous  deux  dessein  de  la  donner  à  Dieu 
comme  je  le  croy.  Elle  dit  que  son  miracle  est  un  privi- 
lège particulier,  et  en  effet  difficilement  cela  tirera-t-il  à 


i.  Pâques  tombait  le  17  avril  en  1661. 

2.  Jacqueline,  née  en  i64/j. 

3.  Marguerite,  née  en  i646,  guérie  en  i656  par  le  miracle  dont  la 
lettre  de  Jacqueline  Pascal  rappelle  l'anniversaire. 


52  OEUVRES 

conséquence.  Et  pour  vostre  fils  aine1,  il  a  esté  trouver 
M.  de  S2...  à  qui  il  a  déclaré  son  cœur,  et  luy  a  tesmoigné 
qu'il  a  un  eloignement  entier  du  monde  et  qu'il  ne 
pense  qu'à  se  donner  à  Dieu.  M.  S...  fit  tout  ce  qu'il  put 
pour  le  tenter,  jusques  à  luy  dire  que  M.  son  Père 
estant  si  honneste  homme  et  si  grand  justicier,  ilyavoit 
tout  sujet  d'espérer  qu'il  l'imiteroit,  et  que  ce  n'estoit 
pas  un  service  peu  agréable  à  Dieu  que  de  rendre  bien  la 
justice;  tout  cela  ne  l'ebranla  point,  et  il  le  fut  encore 
moins  après  ;  car  M.  S...  le  voyant  si  ferme  se  mit  de  son 
costé,  et  le  confirma  autant  qu'il  put  dans  son  dessein 
qui  est  fort  bon,  car  sa  veue  est  de  se  joindre  à  M.  de 
Tillemont  et  à  M.  du  Fossé3,  qui  sont  deux  aussi  hon- 
nestes  gens  qu'il  s'en  puisse  voir.  M.  S...  m'a  ordonné  de 
vous  mander  cela  nonobstant  le  Carême,  pour  vous 
réjouir  tous  deux,  et  vous  porter  à  rendre  grâces  à 
Dieu,  etc. 


i.  Etienne  Perier,  né  en  i6/(2. 

2.  Singlin. 

3.  Le  Nain  de  Tillemont  (1687-1698)  et  Thomas  du  Fossé  (i634- 
1698)  étaient  alors  au  château  des  Troux,  non  loin  de  Port-Royal 
des  Champs. 


CLXV 

LETTRE    DE    BLAISE    PASCAL 
A  MADAME  PERIER 

date  présumée  :  1661 

Lettre  autographe,  apud  Victor  Cousin  :  Études  sur  Pascal,  5e  édition, 
Paris,  Didier,  1857,  p.  456. 


LETTRE  DE   BLAISE   PASCAL  A   MADAME  PERIER, 
SA  SŒUR1 

Ma  chère  sœur, 

Je  ne  croypas  que  ce  soit  tout  de  bon  que  tu  sois 
faschée  ;  car  si  tu  ne  l'es  que  de  ce  que  nous  t'avons 
oubliée,  tu  ne  dois  point  l'estre  du  tout.  Je  ne  te  dis 
point  de  nouvelles,  parce  que  les  générales  le  sont 
trop  et  les  particulières  le  doivent  toujours  estre. 
J'en  aurois  beaucoup  à  te  dire  qui  se  passent  dans 
un  entier  secret,  mais  je  tiens  inutile  de  te  les  man- 
der ;  tout  ce  que  je  te  prie  est  de  mesler  les  actions 
de  grâces  aux  prières  que  tu  fais  pour  moy,  et  que 
je  te  prie  de  multiplier  en  ce  temps.  J'ay  moy-mesme 
avec  l'aide  de  Dieu  porté  ta  lettre,  afin  qu'on  la  fist 
tenir  à  Madame  de  Maubuisson2.  Ils  m'ont  donné  un 


i.  Cette  lettre,  dont  la  trace  a  été  perdue,  a  été  publiée  par  Victor 
Cousin  d'après  l'autographe  qui  appartenait  à  la  famille  Hecquet 
d'Orval,  descendant  de  Hecquet,  le  médecin  janséniste  du  xvne  siècle. 
Une  annotation  manuscrite,  assez  réce'te,  portait  :  «  M.  Pascal  entend 
ici  ce  qui  se  traitait  à  Paris  dans  les  Assemblées  qui  s'y  tenaient  sur 
la  signature  du  Formulaire.  »  L'indication  nous  paraît  assez  suspecte  ; 
en  1661,  Madame  Perier  demeurait  à  Paris  avec  ses  enfants,  et  elle 
ne  semble  pas  avoir  été  en  Auvergne.  Le  ton  même  de  Pascal  semble- 
rait, d'autre  part,  fort  peu  convenir.  Ne  pourrait-on  penser  que 
cette  lettre  fait  allusion  aux  progrès  accomplis  par  Pascal  en  i654 
dans  la  voie  de  la  conversion  ? 

2.  En  1661,  l'abbesse  de  Maubuisson  est  Catherine  Angélique 
d'Orléans.  —  Si  la  date  de  i654  était  admise,  Pascal  désignerait  peut- 
être  ici  la  Mère  Marie  des  Anges  Suyreau,  ancienne  abbesse  de  Mau- 


56  ŒUVRES 

petit  livre  où  j'ay  trouvé  cette  sentence  écrite  à  la 
main.  Je  ne  sçay  si  elle  est  dans  le  petit  livre  des 
sentences1,  mais  elle  est  belle.  On  me  presse  telle- 
ment que  je  ne  puis  plus  rien  dire.  Ne  manque  pas 
à  tes  jeudis.  Adieu,  ma  chère. 

A  Mademoiselle  Perier  à  Clermont  (en  Auvergne). 

buisson,  qui  en  i6/j8  revint  comme  simple  religieuse  à  Port-Royal, 
fut  nommée  abbesse  en  novembre  i654  et  mourut  en  i658. 
L'année  même  de  sa  mort,  elle  avait  été  réélue  abbesse,  et  à  cette  occa- 
sion la  Relation  àe  la  Mère  Marie  des  Anges,  p.  276,  rapporte  un 
propos  de  Jacqueline  Pascal  :  «  Quelques  sœurs  qui  remarquoient 
ses  actions  virent  une  si  extrême  douleur  dans  la  Mère  quand  on 
luy  annonça  qu'elle  etoit  continuée  dans  la  charge  d'Abbesse,  qu'il 
leur  sembloit,  selon  l'expression  de  quelques-unes  et  surtout  de  la 
sœur  S.  Euphemie,  que  c'etoit  une  criminelle  à  qui  on  avoit  signifié 
sa  sentence.   » 

1.  En  1675  et  en  1680  le  duc  de  Luynes,  sous  le  pseudonyme  du 
sieur  de  Laval,  publia  deux  livres  intitulés  :  Sentences,  Prières  et 
Instructions  Chrestiennes  tirées  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament.  — 
Sentences  et  Instructions  Chrestiennes  tirées  des  anciens  Pères  de 
l'Eglise.  Ces  livres,  composés  longtemps  auparavant,  avaient  peut-être 
été  déjà  imprimés  ou  distribués  en  manuscrit  (cf.  supra  T.  VI,  p.  2i5, 
n.  3). 


CLXVI 

EXTRAITS    DE 
LETTRES  D'ANTOINE  ARNAULD 

i5  avril  1661. 
Œuvres  d'Arnauld,  édition  de  Paris-Lausanne,  T.  I,  pp.  233  et  23a. 


INTRODUCTION 


La  correspondance  d'Arnauld  contient  deux  lettres  du 
i5  avril  1661,  intéressantes  pour  la  vie  intérieure  de  Port- 
Royal,  et  pour  les  rapports  de  Pascal  avec  les  «  Messieurs  ». 
Il  y  est  fait  allusion  à  des  contestations  auxquelles  celui-ci  ne 
fut  pas  étranger  et  dont  nous  avons  à  faire  connaître  le  détail. 

Deux  différends  survinrent  en  effet  vers  cette  époque  entre 
Barcos  et  Singlin  d'une  part,  Arnauld  et  Nicole  de  l'autre. 
La  relation  que  nous  reproduisons  ici  en  fait  l'historique; 
elle  se  trouve  dans  le  3e  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier; 
elle  a  été  publiée  en  grande  partie  par  l'abbé  Goujet, 
dans  la  Vie  de  S  ngJin  qui  parut  en  1736.  Attribuée  à  tort 
par  les  éditeurs  d'Arnauld  à  Marguerite  Perier,  elle  ne  peut 
être  l'œuvre  que  d'un  ami  et  d'un  collaborateur  immédiat  de 
Nicole;  elle  a  été  écrite  vers  169/i. 

La  première  contestation  entre  les  «  Messieurs  »  eut  lieu  en 
novembre  i65g;  Pascal  ne  semble  pas  y  avoir  été  mêlé.  Mais 
il  joua  un  rôle  décisif  dans  la  seconde,  en  intervenant  vivement 
en  faveur  d'Arnauld.  Il  est  malaisé  de  déterminer  la  date  de 
cette  nouvelle  discussion,  soulevée  à  propos  d'un  écrit  que 
demandait  à  Singlin  la  duchesse  de  Longueville.  La  relation 
semble  la  reporter  vers  mai  1660.  Mais,  dans  un  des  écrits 
qu'Arnauld  compose  à  cette  occasion,  il  parle  du  jugement 
porté  sur  Wendrock  par  les  Théologiens  de  Bordeaux  le 
6  juin  1660;  d'autre  part,  en  1660,  Pascal  séjourna  en 
Auvergne,  sans  doute  depuis  avril  jusqu'en  août.  Faut-il 
admettre  avec  les  éditeurs  d'Arnauld,  qui  s'appuient  sur  les 
Mémoires  de  Fontaine,  que  Mme  de  Longueville  ne  se  mit  sous 
la  direction  de  Singlin  qu'après  sa  sortie  de  Port-Royal,  le 
8  mai  1 661,  et  peut-être  seulement  au  mois  de  septembre?  ce 


60  ŒUVRES 

serait  reporter  la  querelle  au  moment  de  toutes  les  discus- 
sions soulevées  par  le  mandement  des  Grands  vicaires  :  la  date 
paraît  bien  invraisemblable.  Nous  penserions  que  tous  les 
écrits  dont  il  est  question  doivent  être  datés  ou  de  la  fin  de 
1660,  ou  plutôt  du  début  de  1 66 1  ;  les  deux  lettres  écrites  par 
Arnauld,  le  i5  avril  1661,  pourraient  bien  en  ce  cas  faire 
allusion  à  ces  dissensions  apaisées  depuis  peu. 

Mémoire  sur  les  contestations  de  Port-Royal1. 

Je  ne  suis  nullement  déterminé  à  laisser  aucun  mémoire 
à  la  postérité  de  cette  contestation,  qu'on  a  eue  avec  M.  l'abbé 
de  Saint  Cyran  ni  d'aucune  autre,  pour  ce  que  je  doute  s'il 
n'est  point  meilleur  d'en  abolir  absolument  la  mémoire; 
ainsi  ma  pensée  est  de  n'en  juger  pas  par  moi-mesme  et  de 
laisser  seulement  ces  écrits  à  des  personnes  de  conscience  et 
d'esprit,  en  me  remettant  à  eux  de  résoudre,  s'il  est  meilleur 
de  les  abolir  entièrement,  ou  de  les  garder  ou  mesme  de  les 
publier. 

Je  ferai  seulement  ici  une  histoire  abrégée  de  certains  écrits, 
afin  que  ceux  qui  en  jugeront,  n'en  ignorent  pas  entièrement 
le  sujet. 

Il  arriva  une  fois  que  M.  Singlin  directeur  des  deux  monas- 
tères du  Port-Royal  (l'un  qui  est  aux  Champs  proche  de  Che- 
vreuse,  l'autre  qui  est  dans  Paris  au  faubourg  S1  Jacques) 
homme  sage,  spirituel  et  de  bon  sens,  qui  cherchoit  Dieu 
véritablement,  et  qui  gouvernoit  la  conscience  non  seulement 
des  Religieuses,  mais  aussi  celle  de  tous  ceux  qui  estoient  reti- 
rez à  Port-Royal,  et  mesme  de  ceux  qui  s'appliquoient  à  écrire 
des  matières  ecclésiastiques,  et  mesme  de  M.  Arnauld,  allant 
un  jour  à  P.  R.  des  Champs  de  P.  R.  de  Paris  fut  rencontré 

1.  Copie  au  troisième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  Biblio- 
thèque Nationale,  ms.  f.  fr.  i()i3,  p.  2o4,  avec  cette  note  :  «  Je  n'ai 
trouvé  que  cette  préface  dans  mon  manuscrit  ;  les  ouvrages  dont  il 
est  parlé  sont  perdus,  au  moins  ne  les  ai  je  pas  encore  pu  trouver. 
J'ai  copié  cet  écrit  aussi  bien  que  les  précédents  sur  des  mss.  de  la 
biblioth.  des  PP.  de  l'Orat.  de  Clermont.  » 


LETTRES  D  ARNAULD  61 

[environ  i658  ou  i65g]i  par  M.  le  Marquis  de  Sourdis,  sei- 
gneur de  qualité  qui  le  pria  de  monter  dans  son  carosse  en 
quittant  une  charrette  où  il  estoit  ;  il  le  fit  par  civilité  ;  et 
leur  entretien  s'estant  porté  sur  les  matières  du  tems,  dont  la 
plus  ordinaire  etoit  alors  la  dispute  emuë  sur  les  5.  proposi- 
tions que  des  Evoques  de  France  avoient  défini  estre  de  Jan- 
senius, et  que  des  théologiens  soutenoient  n'y  estre  pas,  M.  de 
Sourdis  blâma  les  théologiens  qui  avoient  soutenu  qu'elles 
n'y  estoient  pas.  M.  Singlin  dit  que  ces  théologiens  croyoient 
avoir  de  bonnes  raisons  sur  cela.  M.  Sourdis  s'olïrit  de  les 
convaincre  qu'elles  y  estoient  ellectivement.  En  effet  il  ne  fut 
pas  si  tost  à  Paris  qu'il  fit  un  écrit  de  k-  pages  in  folio  rempli 
de  passages  de  Jansenius,  qu'il  pretendoit  contenir  les  5.  pro- 
positions, et  l'envoya  à  M.  Singlin. 

Cet  écrit  fut  apporté  peu  de  jours  après  à  P.  R.  des  Chams, 
où  M.  Arnauld  demeuroit  avec  M.  Nicole.  Il  le  donna  à  ce 
dernier,  et  le  pria  d'y  repondre.  Il  le  fit  en  peu  de  tems,  et 
sa  réponse2  fut  approuvée  par  M.  Arnauld,  qui  conclut  à  la 
donner  à  M.  de  Sourdis;  mais  ayant  esté  montrée  à  M.  de 
Barcos  abbé  de  S1  Gyran,  il  la  condamna  pour  deux  rai- 
sons. La  première  parce  qu'il  crut  qu'on  y  oublioit  le  princi- 
pal moyen  de  défendre  Jansenius  ;  la  2e  parce  qu'on  defen- 
doit  Jansenius  comme  conforme  aux  Thomistes,  et  de  la 
mesme  manière  que  l'autheur  qui  a  pris  le  nom  de  Denis 
Raimond  l'a  fait  ;  et  de  plus  parce  qu'on  y  citoit  rarement 
S*  Augustin,  ce  qu'il  jugeoit  honteux  à  l'Eglise.  M.  Singlin 
qui  avoit  une  déférence  entière  à  l'authorité  de  M.  de  S.  Gy- 
ran, ne  doutant  pas  qu'il  n'eut  raison,  luy  repondit  qu'il  ne 
falloit  point  se  servir  de  la  réponse  qu'on  luy  avoit  fournie 
pour  M.  de  Sourdis  ;  mais  qu'il  le  prioit  donc  de  le  dégager 

i.  Addition  ajoutée  en  note  dans  le  manuscrit. 

2.  Cette  réponse  avait  pour  titre  :  Réponse  au  Mémoire  d'une  per- 
sonne de  grande  condition  par  lequel  il  prétend  montrer  que  les  V.  Pro- 
positions sont  dans  Jansenius,  1 15  pages  in-4°  de  grosse  écriture;  elle 
est  demeurée  manuscrite  (note  des  éditeurs  d' Arnauld,  1778,  T.  XXI, 
p.  cxx).  Cf.  ibid.  un  résumé  de  cet  écrit. 


62  ŒUVRES 

de  cet  embaras  en  faisant  luy  mesme  une  réponse  telle  qu'il 
jugeroit  à  propos.  M.  de  S.  Cyran  trouvant  cette  demande 
raisonnable  s'y  rendit,  fit  une  réponse  en  l'espace  de  10.  ou 
12.  jours;  après  quoy  M.  Singlin  l'apporta  à  P.  R.  des 
Ghams  pour  la  faire  voir  à  M.  Arnauld  et  à  M.  Nicole1. 

Il  crut  de  bonne  foy  qu'ils  la  trouveroient  admirable,  comme 
il  l'avoit  luy-mesme  trouvée.  Et  en  effet  ils  estoient  très  dis- 
posez à  en  juger  ainsi,  l'authorité  de  M.  de  S.  Cyran  n'estant 
encore  en  aucune  sorte  affoiblie  dans  leur  esprit.  Mais  la  lec- 
ture de  cet  écrit  fit  un  très  grand  fracas  dont  je  rapporteray 
icy  quelques  suites. 

M.  Nicole  qui  le  vit  le  premier  fut  aussi  celuy  qui  en  fut 
le  premier  choqué. 

Il  estoit  divisé  en  2.  parties,  la  première  contenoit  à  peu 
près  les  mesmes  choses  qui  sont  refutées  dans  l'écrit  auquel  ce 
discours  sert  de  préface.  C'est-à-dire  que  M.  de  S.  Cyran 
montroit  que  les  propositions  n'estoient  pas  dans  Jansenius, 
parce  qu'il  n'avoit  eu  dessein  que  de  rapporter  historique- 
ment les  sentimens  de  S.  Augustin,  et  qu'ainsi  il  n'y  avoit 
aucune  proposition  dogmatique  dans  son  livre  ;  cette  partie 
estoit  divisée  en  7.  conclusions  qui  rouloient  sur  ce  principe. 
Dans  la  2.  partie  il  passoit  plus  avant  et  entreprenoit  de  prou- 
ver par  S.  Augustin  que  les  5.  propositions  n'estoient  point 
en  effet  contenues  dans  le  livre  de  Jansenius. 

Le  jugement  que  M.  Arnauld  et  M.  Nicole  avant  luy  firent 
de  cet  écrit  est  que  la  première  partie  qui  estoit  réduite  comme 
j'ay  dit  à  7.  conclusions  dépendantes  du  mesme  principe  estoit 
toute  fausse  ;  et  que  la  seconde  où  il  y  avoit  de  bonnes  choses 
ne  laissoit  pas  d'estre  dangereuse,  parce  que  M.  de  S.  Cyran 
n'avoit  pas  eu  soin  d'y  éviter  des  propositions  que  les  adver- 
saires accusent  d'erreur,  et  de  les  exprimer  dans  les  termes 
de  S.  x\ugustin,  au  lieu  qu'estant  exprimées  d'une   manière 


1.  Singlin  envoya  cet  écrit  à  Saci  le  22  novembre  (ou  octobre?) 
1669  (cf.  une  lettre  d'Arnauld  à  Singlin,  OEavres  d'Arnauld,  T.  XXII, 
p.  672). 


LETTRES  D'ARNAULD  63 

scolastique,  ils  les  jugent  eux-mesmes  orthodoxes,  et  c'est  de 
quoy  M.  de  S.  Cyran  retiré  depuis  longtems  n'estoit  pas  assez 
instruit. 

Ce  jugement  répandu  dans  P.  R.  parmi  les  religieuses  et 
les  ascètes  y  causa  un  grand  scandale.  On  accusa  M.  Nicole 
d'avoir  gâté  l'esprit  de  M.  Arnauld,  de  l'avoir  rendu  tout 
scolastique,  de  l'avoir  éloigné  de  citer  les  Pères  pour  se  défen- 
dre par  lesscolastiques.  Ce  fut  ce  qui  luy  donna  sujet  de  faire 
l'écrit  intitulé  Examen  des  deux  méthodes1.  Mais  cet  écrit  ne 
suffit  pas  pour  appaiser  le  scandale. 

11  fit  ensuite  un  autre  écrit  intitulé  Difficultez  qui  conte- 
noit  ce  qu'il  trouvoit  à  redire  dans  l'écrit  de  M.  de  S.  Cyran, 
et  cela  dans  l'intention  de  l'examiner  en  un  autre  tems  lors 
qu'il  ne  pourroit  avoir  aucun  soupçon  que  la  passion  l'eut 
pu  éblouir  dans  le  jugement  qu'il  a  voit  porté  de  l'écrit  de 
M.  de  S.  Cyran.  Ces  difficultez  estoient  au  nombre  de  29.  et 
M.  Arnauld  les  ayant  vues  les  approuva  toutes,  et  y  en  ajouta 
encore  20.  autres  de  sorte  qu'il  s'en  fit  un  écrit  composé  de 
4q.  difficultez2. 

Le  bruit  de  ce  différent  estant  venu  aux  oreilles  de  M.  Sin- 
glin,  il  crut  qu'il  devoit  aller  à  P.  R.  des  Champs  pour  y 
remédier  et  dans  ce  dessein  il  y  mena  avec  luy  un  docteur  de 
Sorbonne  qui  avoit  autrefois  enseigné  la  philosophie  à  Paris 
avec  grand  éclat3,  et  qui  demeuroit depuis  longtems  avec  M. 
de  S.  Cyran.  C'estoit  un  homme  d'une  pieté  eminente,  et 
très  édifiant  dans  toute  sa  conduite. 

11  vint  donc  à  P.  R.,  y  eut  conférence  avec  M.  Arnauld,  et 


1.  Examen  des  deux  méthodes  qu'on  peut  prendre  pour  justifier  Jan- 
senius,  48  p.  in-4°  ;  cet  écrit,  demeuré  manuscrit,  est  résumé  dans 
l'édition  des  Œuvres  d'Arnauld,  T.  XXI,  p.  cxxm. 

1.  Difficultez  sur  une  Response  de  M.  de  Barcos  abbé  de  S.  Cyran,  à 
un  Ecrit  de  quatre  pages  de  M.  le  Marquis  de  Sourdis,  touchant  les  cinq 
Propositions.  Cf.  cet  écrit  dans  les  Œuvres  d'Arnauld,  T.  XXII, 
p.  678. 

3.  «  N'est-ce  pas  M.  Bourgeois?  »  (note  marginale  du  manuscrit).  Il 
s'agit  en  réalité  de  Guillebert. 


64  OEUVRES 

comme  on  ne  Je  persuada  pas  dans  la  conférence  de  vive 
voix,  on  se  réduisit  à  luv  communiquer  l'écrit  des  4a.  diffi- 
cultez,  qui  fut  lu,  examiné  et  condamné  par  4-  personnes, 
sçavoir  M.  [Guillebert],  M.  Singlin,  M.  de  Sacy  et  M.  du 
Mont  frère  de  Messieurs  Akakia,  sur  cette  seule  raison  que  si 
M.  de  S.  Cvran  avoit  fait  4o-  fautes  dans  un  petit  écrit,  il  ne 
seroit  pas  le  plus  habile  homme  de  l'Eglise  ;  or  qu'on  ne 
pouvoit  nier  qu'il  ne  le  fut,  et  par  conséquent  que  les  au- 
theurs  de  ces  difficultez  avoienttort. 

M.  Arnauld  repondit  que  si  de  ces  4o-  difficultez  il  y  en 
avoit  une  de  fausse,  il  les  abandonnoit  toutes,  mais  que  si 
elles  estoient  toutes  vraves  cette  réponse  n'estoitpas  raisonna- 
ble. Enfin  jamais  gens  ne  se  persuadèrent  moins  les  uns  les 
autres.  M.  Arnauld  et  M.  Nicole  demeurèrent  persuadez  que 
M.  de  S.  Cvran  et  ceux  qui  avoient  approuvé  son  écrit 
avoient  non  seulement  tort,  mais  évidemment  tort,  que  cet 
écrit  estoit  insoutenable,  et  qu'il  seroit  jugé  tel  par  tous  les 
théologiens  de  l'Eglise.  Et  ces  autres  messieurs  demeurèrent 
persuadez  que  M.  Arnauld  et  M.  Nicole  s'estoient  gâté  l'esprit 
par  la  scholastique  et  comme  on  attribuoit  cet  effet  à  M.  Ni- 
cole pour  soulager  M.  Arnauld,  il  demeura  odieux  à  plu- 
sieurs personnes,  et  ne  s'en  est  jamais  relevé  à  leur  égard.  Ce 
qui  luy  fit  prendre  la  resolution  de  ne  plus  se  mêler  d'une 
querelle  qu'il  n'avoit  point  emuë,  et  à  laquelle  il  n'estoit 
point  obligé  de  prendre  part.  De  sorte  que  depuis  ce  tems  là 
il  s'abstint  autant  qu'il  put  d'écrire  sur  les  matières  de  la 
grâce,  et  il  ne  s'en  dispensa  que  lors  qu'on  eut  enfermé  les 
religieuses  de  P.  R.  en  divers  monastères,  et  encore  ne  fut-ce 
que  pour  assez  peu  de  tems.  x\pres  quoy  il  se  sépara  abso- 
lument de  cet  employ  pour  s'appliquer  à  d'autres  matières. 

On  convint  neantmoins  pour  satisfaire  M.  Arnauld  qu'on 
ne  donneroit  à  M.  de  Sourdis  ny  l'une  ny  l'autre  de  ces 
2.  réponses.  Mais  les  menagemens  que  M.  Singlin  gardoit 
allèrent  jusques  à  ne  montrer  point  à  M.  de  S.  Cvran  nv 
T  écrit  des  Difficultez  ny  celuy  de  Y  Examen  des  deux  méthodes 
qui  faisoient  voir  clairement  les   fausses  mesures  que  M.  de 


LETTRES  D'ARNAULD  65 

S.  Cyran  prenoit  pour  la  défense  de  Jansenius.  Les  choses 
en  demeurèrent  là  environ  5.  ou  6.  mois  pendant  lesquels 
chacun  demeura  dans  son  sentiment,  ceux  que  l'authorité  de 
M.  de  S.  Cyran  entrainoit  parlant  assez  librement  au  desa- 
vantage de  M.  Nicole,  que  l'on  faisoit  autheur  de  toute  cette 
contrariété  de  sentimens,  jusques  là  qu'un  des  ascètes  luy  dit 
un  jour  quily  avoit  deux  cent  personnes  qui  gemissoient  de  sa 
vanité  ;  et  luy  faisant  depuis  satisfaction  de  cette  espèce  d'em- 
portement, sa  satisfaction  consista  à  luy  dire,  que  ce  qu'il  luy 
avoit  dit  estoit  très  vray,  mais  qu'il  n'avoit  pas  dû  le  luy  dire. 

Quelques  mois  après  il  arriva  un  incident  qui  renouvella 
cette  dispute,  non  plus  avec  M.  Nicole  (car  il  ne  voulut  plus 
s'en  mêler  aïant  esté  si  mal  traité  la  première  fois  qu'il  n'a 
jamais  voulu  depuis  avoir  part  dans  aucune  contestation  avec 
M.  de  S.  Cyran)  mais  entre  M.  Arnauld  et  M.  de  S.  Cyran. 
En  voicy  le  sujet. 

Madame  de  Longueville  se  mit  en  ce  temps  là,  c'est-à- 
dire  en  1659.  sous  la  direction  de  M.  Singlin,  et  comme  elle 
estoit  très  timide  touchant  la  foy,  elle  luy  demanda  quelque 
éclaircissement  sur  cette  dispute  du  fait  de  Jansenius.  M.  Sin- 
glin pensa  incontinent  qu'il  ne  falloit  plus  l'adresser  à  ces 
gens  scolastiques,  parce  qu'ils  ne  sçavoient  pas  écrire  d'une 
manière  proportionnée  aux  gens  du  monde.  C'estoit  son  im- 
pression ;  ainsi  il  eut  recours  d'abord  à  M.  de  S.  Cyran, 
comme  beaucoup  plus  capable  de  traiter  cette  matière  d'une 
manière  plausible. 

En  effet  M.  de  S.  Cyran  fit  un  assez  gros  écrit1  à  sa  ma- 
nière et  cette  manière  fut  de  repeter  14.  fois  l'argument,  que 
Jansenius,  n'ayant  avancé  aucune  proposition  dogmatique  ne 
pouvoit  avoir  avancé  les  5.  propositions  ;  et  d'y  joindre  plu- 
sieurs  autres  prétentions,    comme   que   le   pape   Alexandre 


1.  «  Ecrit  de  52  p.  in-4°  qui  débute  par  La  question  dont  on  parle 
tant  aujourd'hui  touchant  les  V.  Propositions  de...  »  (note  des  éditeurs 
d'Arnauld). 

2e  série.  VII  5 


66  ŒUVRES 

n'avoit  point  jugé  du  fait,  et  quil  falloit  le  faire  juger  de  nou- 
veau. Cet  écrit  avant  que  d'estre  livré  à  celle  à  qui  il  estoit  des- 
tiné fut  montré  en  passant  à  M.  Arnauld,  sans  presque  luy  en 
demander  son  sentiment.  M.  Arnauld  y  voïant  tout  ce  qui 
l'avoit  si  fort  choqué  dans  l'autre  écrit,  le  desapprouva  fort, 
mais  n'osa  s'y  opposer.  Ce  fut  M.  Pascal,  qui  l'estant  venu 
voir,  et  ayant  appris  le  procédé  de  M.  Singlin  ne  le  put  souf- 
frir, et  résolut  d'empêcher  que  cet  écrit  ne  fut  donné  ;  il  alla 
voir  pour  cela  Madame  de  Sablé  qui  en  estoit  la  dépositaire, 
retira  d'elle  cet  écrit,  et  remontra  très  fortement  à  M.  Sin- 
glin, qu'ayant  aussi  peu  d'intelligence  dans  ces  matières  qu'il 
en  avoit,  il  n'avoit  pu  sans  témérité  donner  dans  une  cause 
commune  des  écrits  desapprouvez  par  des  personnes  plus 
intelligentes  que  luy  dans  ces  matières.  M.  Singlin  homme 
fort  sage  souffrit  très  patiemment  cette  remontrance  d'un 
jeune  homme  qui  avoit  esté  son  pénitent1.  Mais  en  estant  tou- 
ché il  fit  remontrer  à  M.  Arnauld  qu'il  falloit  donc  qu'il 
écrivit  ses  raisons  afin  qu'on  les  put  examiner.  M.  Arnauld 
le  fit2,  mais  si  amplement  que  M.  Singlin  n'osa  encore  les 
donner  à  M.  de  S.  Gyran  ;  et  ainsi  M.  de  S.  Cyran  ne  les 
vit  point.  Au  lieu  de  cela  il  pria  M.  Nicole  de  le  venir  voir  ;  il 
luy  fit  des  plaintes  de  la  longueur  de  ces  écrits,  et  voulut  à 
toute  force  qu'il  entreprit  de  les  réduire  à  4-  pages.  M.  Nicole 

i .  Le  fils  de  Racine,  dans  les  Diverses  Particularités  concernant  P.  R. 
recueillies  par  mon  père  de  ses  conversations  avec  M.  Nicole,  rapporte 
ainsi  cette  entrevue  «  ...M.  Arnauld  fit  un  écrit...  M.  de  S1  Gyran  fit 
une  réponse...  M.  Pascal  leva  l'embarras  :  il  prit  le  mémoire  de 
M.  de  S.  Gyran,  alla  trouver  M.  Singlin  et  luy  dit  que  jamais  il  ne 
rendroit  ce  mémoire  qu'il  traita  de  ridicule.  —  M.  Pascal  étoit  res- 
pecté parce  qu'il  parloit  fortement,  et  M.  Singlin  se  rendoit  lors  qu'on 
luy  parloit  avec  force  »  (Cf.  Racine,  Abrégé  de  l'Histoire  de  Port- 
Royal,  édition  A.  Gazier,  p.  200). 

2.  Cet  écrit  a  pour  titre  :  Remarques  sur  un  Ecrit  composé  par  M.  de 
Barcos,  abbé  de  S.  Cyran  pour  Madame  la  duchesse  de  Longueville  (cf. 
OEuvres  d'Arnauld,  T.  XXII,  p.  7 10).  A  la  fin  de  cet  opuscule,  Arnauld 
exprime  la  crainte  que  la  tactique  suivie  lors  de  la  18e  Provinciale  ne 
soit  ruinée. 


LETTRES  D'ARNAULD  67 

luy  remontra  qu'il  ne  le  pouvoit  faire  sans  en  oter  toute  la 
force  ;  que  ce  n'estoit  pas  assez  aimer  la  vérité  que  de  ne  la 
pouvoir  souffrir  quand  elle  estoit  étendue  et  dans  sa  force. 
Mais  il  fut  contraint  de  contenter  M.  Singlin  et  réduisit  ces 
preuves  du  grand  écrit  de  M.  Arnauld  à  4-  pages,  et  c'est  à 
ces  4-  pages  que  M.  de  S.  Cyran  entreprit  de  repondre  dans 
l'écrit  intitulé  Réponse  à  ce  qui  est  rapporté  icy. 

On  jugea  par  cette  réponse  que  sa  prévention  estoit  irré- 
médiable, et  que  l'on  perdoit  le  tems  de  contester  avec  luy. 
Ainsi  M.  Arnauld  n'y  repondit  pas  ;  l'écrit  demeura  entre  les 
mains  de  M.  Nicole  qui  y  fit  une  réplique  qu'il  supprima 
pour  ne  se  pas  commettre  inutilement  avec  M.  de  S.  Cyran. 
C'est  cette  réplique  qu'on  a  transcrite  ici  environ  34-  ans  de- 
puis qu'elle  a  esté  faite. 

Cette  contestation  finit  par  la  suppression  de  l'écrit  fait 
pour  madame  de  Longueville.  Ensuite  vinrent  les  conférences 
avec  le  P.  Ferrier  qui  produisirent  d'autres  contestations 
entre  M.  Arnauld  et  M.  de  S.  Cyran,  entre  autres  une  sur  la 
signification  du  mot  subjicimus  ;  une  autre  sur  la  signature 
des  constitutions  d'Innocent  X.  et  d'Alexandre  VII.  que 
M.  de  S.  Cyran  conseilloit.  Il  se  fit  de  part  et  d'autre  divers 
écrits,  où  M.  Nicole  ne  voulut  avoir  aucune  part,  pour  ne 
pas  s'attirer  M.  de  S.  Cyran  sur  les  bras. 

L'écrit  que  fit  M.  Arnauld  sur  la  signature  des  constitu- 
tions pour  repondre  à  un  écrit  de  M.  de  S.  Cyran  est  très 
beau  et  il  est  entre  les  mains  de  M.  [un  blanc  au  ms.]  avec  tous 
ceux  qui  ont  esté  faits  pour  Madame  de  Longueville.  M.  de  S. 
Cyran  repondit  depuis  à  ces  écrits  de  M.  Arnauld,  et  mit  cette 
réponse  entre  les  mains  de  Messieurs  Akakia  qui  le  [sic]  montrè- 
rent à  diverses  personnes.  On  ne  doit  pas  s'étonner  que 
M.  Arnauld  n'y  ait  point  repondu,  car  il  ne  l'a  point  vu,  et 
ne  l'a  pas  voulu  voir.  Je  scay  bien  qu'en  ayant  lu  une  partie 
je  l'ay  trouvé  très  aigre  et  qu'il  me  parut  que  M.  Arnauld 
s'en  seroit  démêlé  très  facilement.  Il  estoit  entre  autres  tout 
fondé  sur  le  principe  qu'il  y  a  un  langage  de  l'Eglise  dans 
les  signatures  tout  différent  du  langage  commun,  que  les  en- 


68  ŒUVRES 

fans  de  l'Eglise  le  doivent  sçavoir  et  qu'ils  estoient  obligez  de 
parler  à  l'Eglise  ce  langage,  quoy  qu'il  parût  faux  selon  le  lan- 
gage commun.  A  quoy  il  estoit  ce  me  semble  facile  de  repon- 
dre que  ce  langage  extraordinaire  de  l'Eglise  estoit  peu 
prouvé  et  peu  connu,  mais  que  quand  cela  seroit  vray,  si  les 
choses  estoient  venues  en  un  état  auquel  ce  langage  porteroit 
une  fausse  idée  dans  l'esprit  de  la  pluspart  du  monde,  on  ne 
pourroit  obliger  les  gens  à  s'en  servir,  sans  l'expliquer,  ou 
sans  que  l'Eglise  en  eut  expliqué  le  sens. 

Les  écrits  qui  suivent  cette  préface  sont  : 

i.  Examen  des  deux  méthodes  qu'on  peut  prendre  pour 
justifier  Jansenius.  Il  contient  48.  pages. 

2.  Réponse  de  M.  de  S.  Cyran  à  des  difficultez  qu'on  luy 
avoit  envoyées  par  ordre  de  M.  Singlin. 

Gela  est    entremêlé   par   articles  des    répliques   faites  par 
M.  Nicole  à  cette  réponse,  et  le  tout  contient  26.  pages. 
L'écrit  de  M.  Nicole  estoit  sous  le  nom  de  Constant. 

3.  Réflexions  sur  l'écrit  pour  la  justification  de  M.  Janse- 
nius eveque  d'Ypres.  Gela  est  de  M.  Arnauld  et  contient  6. 
pages. 

4.  Ecrit  de  M.  Nicole  à  la  prière  de  M.  Arnauld  pour  ser- 
vir de  réponse  aux  preuves  de  M.  de  Sourdis  envoyé  à 
M.  Singlin.  Cet  écrit  fut  fait  sous  le  nom  de  Constant.  On 
m'en  a  fait  voir  il\.  pages  écrites  de  ma  main  ;  il  faut  qu'il  y 
ait  plus  de  3o.  ans.  Je  ne  scay  pas  encore  où  en  est  la  suite. 
M.  Nicole  y  a  mis  récemment,  si  je  ne  me  trompe,  un  aver- 
tissement aux  termes  suivans  : 

Avertissement. 

Cet  écrit  est  le  commencement  de  la  réponse  que  le  sieur 
Constant  fit  à  M.  de  Sourdis  par  ordre  de  M.  Singlin.  Mais 
la  première  partie  n'y  estoit  pas  quand  il  fut  vu  et  con- 
damné par  M.  de  S.  Cyran.  Il  l'y  a  depuis  ajoutée  ad  duri- 
tiam  cordis  afin  qu'on  ne  dit  plus  que  l'on  n'y  parloit  point 
de  S.  Augustin  ;  mais  on  en  parle  d'une  manière  fort  diffé- 
rente de  celle  dont  on  se  sert  ordinairement  en  alléguant  les 


LETTRES  D'ARNAULD  69 

passages  de  ce  S.  Docteur.  On  prouve  que  Jansenius  est  con- 
forme aux  expressions  de  S.  Augustin  et  l'on  en  conclud, 
non  qu'on  ne  peut  condamner  Jansenius,  mais  qu'on  ne  le 
peut  condamner  sans  avoir  des  preuves  qu'il  ait  pris  ces 
expressions  qui  luysont  communes  avec  S.  Augustin,  ce  qui 
est  bien  conclu. 


I 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  D'ARNAULD  A  X*** 

[i5.  Avril  1661.] 
....  Je  vous  suis  bien  obligé  de  ce  que  vous  avez  eu  la 
bonté  de  faire  pour  lever  les  petits  sujets  de  mécontente- 
ment qu'on  avoit  pris  de  nostre  conduite. . .  Mais  ayant  com- 
mencé à  vous  ouvrir  mon  cœur,  je  ne  vous  puis  cacher 
que  je  suis  fort  blessé  d'un  nouveau  sujet  de  plainte  qu'on 
a  pris,  sur  la  chose  du  monde  la  plus  innocente.  Nous 
entretenant  avec  M.*  sur  les  violences  qu'on  pourroit faire, 
il  nous  vint  en  pensée  que  ce  n'estoit  pas  une  chose  impos- 
sible, que  si  l'on  avoit  changé  les  personnes  qui  sont  au- 
dehors  à  P.-R-,  et  peut-estre  mesme  la  Supérieure,  on 
n'arretast  la  pension  qu'elles  me  doivent  ;  d'où  nous  con- 
clusmes  qu'il  ne  seroit  pas  inutile  de  voir  si  on  ne  pour- 
roit point  prendre  quelque  précaution  contre  une  violence 
semblable.  Et  ainsi  je  priay  M.  Pascal  d'en  parler  à 
M.  Singlin,  ce  qu'il  fit;  et  il  en  parla  aussi  à  ma  nièce, 
qui  trouva  cette  pensée  fort  bonne.  Je  ne  sçay  mesme  si 
on  ne  vous  en  a  point  parlé.  Car  je  ne  sçaurois  dire  si  vous 
estiez  encore  à  Paris  lorsqu'il  fut  à  Port-Royal  pour  cela. 
Mais  il  est  vray  que  M.  Singlin  ne  trouva  pas  cette  pré- 
caution nécessaire,  ne  croyant  pas  qu'on  en  pust  jamais 
venir  là.  Mais  comme  les  gens  d'affaires  sont  plus  intelli- 
gens  dans  ces  choses,  M.  Pascal  crut  que  M.  Gallois1  estant 
aussi  homme  de  bien  et  aussi  lié  à  Port-Royal  qu'il  est, 
il  ne  pouvoit  manquer  de  luy  en  parler,  ce  qu'il  fit  ;   et 

1 .   Sur  ce  notaire  et  sur  cette  question,  cf.  les  Mémoires  de  Fontaine, 
T.  II,  p.  187  sqq. 


LETTRES  D  ARNAULD  71 

M.  Gallois  témoigna  que  cette  précaution  luy  paroissoit 
raisonnable.  Voilà  dans  la  vérité  comment  la  chose  s'est 
passée.  Je  n'ay  jamais  vu  et  je  ne  vois  pas  encore  que 
j'eusse  sujet  d'appréhender  qu'on  ne  se  blessast  de  ce  pro- 
cédé. Cependant  M.  Singlin  m'en  fit  faire  hier  des  plaintes 
par  M.  de  Beaupuys;  et  tout  ce  que  j'en  ay  pu  compren- 
dre est,  qu'il  a  trouvé  mauvais  que  j'aie  dit  à  M.  Pascal 
ce  qu'il  auroit  trouvé  bon  que  j'eusse  dit  à  M.  Akakia1.  Or 
je  vous  avoue  que  cela  ne  m'entre  point  dans  l'esprit,  et 
que  je  suis  horriblement  choqué,  pour  vous  dire  les  choses 
comme  elles  sont,  du  traitement  que  l'on  fait  en  cela  à 
M.  Pascal,  après  toutes  les  bontez  qu'il  a  eues  et  qu'il  a 
encore  pour  la  maison,  de  vouloir  qu'on  ait  pour  luy  des 
reserves  en  des  affaires  mesme  purement  extérieures,  qu'on 
ne  prétend  pas  qu'on  doive  avoir  pour  M.  Akakia.  Je  n'en- 
tens  point  tous  ces  mystères,  et  je  croirois  blesser  la  cha- 
rité et  l'amitié  chrétienne,  si  j'estois  dans  ces  pensées  de 
cachette  et  de  défiance  en  ce  qui  me  regarde,  et  non  les 
secrets  des  autres.  J'en  ay  écrit  à  M.  Singlin  avec  toute  la 
douceur  qu'il  m'a  esté  possible.  Mais  pour  vous,  j'ay  cru 
que  vous  deviez  sçavoir  tout  ce  que  j'ay  dans  le  cœur,  et 
je  ne  trouveray  point  mauvais  que  vous  me  disiez  franche- 
ment si  fay  eu  tort  d'avoir  parlé  à  M.  Pascal  de  cette 
affaire.  Je  suis  tout  à  vous.  J'ay  pensé  que  je  devois  vous 
envoyer  la  copie  de  la  lettre  que  j'ay  écrite  à  M.  Singlin. 
Je  vous  prie  de  me  la  renvoyer  quand  vous  l'aurez  lue.  Il 
me  fâche  bien  d'avoir  esté  réduit  à  tant  écrire  en  ce  jour, 
mais  j'ay  cru  que  la  charité  m'y  obligeoit,  et  que  je  ne 
devois  pas  différer  plus  long  tems  à  remédier  à  ce  qui  pou- 
voit  avoir  blessé  M.  Singlin. 

t     Siméon  du  Plcssis  Akakia  s'occupait  des  affaires  de  Port-Royal. 


72 


II 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  D'ARNAULD  A  SINGLIN 

[i5.  Avril  1661.] 

....Pour  la  lettre  à  laquelle  vous  vous  étonnez  que  je 
n'aie  pas  repondu,  je  ne  vous  dissimuleray  point  que  ce 
qui  m'en  a  empesché,  a  esté  le  trouble  où  elle  m'a  mis, 
ne  pouvant  d'une  part  l'attribuer  qu'à  un  effet  de  la  cha- 
rité que  Dieu  vous  a  donnée  pour  moy,  et  ne  pouvant  de 
l'autre  me  persuader  que  ny  ma  conduite,  ny  celle  de  M. 
N.  fussent  aussi  reprehensibles  que  vous  les  représentez. 
Ainsi  ne  croyant  pas  vous  devoir  parler  qu'avec  toute 
sorte  de  sincérité,  je  n'ay  pu  trouver  le  moyen  de  le  faire 
en  cette  rencontre,  parce  que  je  ne  me  sentois  pas  disposé 
à  reconnoistre  que  nous  eussions  tant  de  tort,  et  que  je 
craignois  d'entrer  en  de  nouvelles  justifications,  dans  l'ap- 
préhension que  j'avois,  qu'estant  prises  encore  pour  des 
contestations,  elles  ne  servissent  plutost  à  aigrir  les  cho- 
ses qu'à  les  adoucir.  Mais  de  plus  m'ayant  marqué  expres- 
sément que  je  pouvois  ouvrir  mon  cœur  à  M.  d'Andilly, 
et  l'ayant  fait  en  partie  le  jour  mesme  que  je  receus  vostre 
lettre,  je  m'estois  imaginé  que  m'ayant  promis  de  vous 
entretenir  de  ce  que  je  luy  avois  dit,  cela  valoit  bien  une 
réponse  ;  et  l'assurance  qu'il  m'a  donnée  depuis  par  divers 
billets,  qu'il  vous  avoit  parlé,  et  que  ce  n'avoit  esté  que 
faute  de  se  voir  et  de  se  pouvoir  eclaircir  de  vive  voix,  que 
toute  cette  petite  mésintelligence  estoit  arrivée,  m'avoit  un 
peu  remis  l'esprit  en  repos. 


LETTRES  D  ARNAULD  73 

Mais  je  vous  avoue  que  la  nouvelle  plainte  que  M.  de 
Beaupuys  me  fît  hier  de  vostre  part,  touchant  ce  qui  a 
esté  dit  à  M.  Gallois,  m'a  rejette  dans  une  nouvelle  peine, 
estant  impossible  que  je  ne  sois  pas  dans  une  gêne  conti- 
nuelle, et  dans  la  crainte  de  blesser  les  personnes  pour  qui 
j'ay  le  plus  de  respect,  par  des  actions  si  innocentes,  qu'il 
n'y  a  rien  que  je  ne  pusse  penser  plustost  que  de  me  figu- 
rer qu'on  en  pût  estre  offensé.  Il  faut  donner  des  combats 
pour  se  voir  en  deux  mois  une  fois,  et  encore  plus  pour 
aller  à  P.  R.  Et  il  est  vray  que  je  me  rebute  à  demander 
ce  que  je  vois  qu'on  ne  m'accorde  qu'avec  tant  de  peine. 
Je  ne  puis  donc  proposer  les  choses  par  moy-mesme  ;  et 
il  est  fort  importun  de  faire  par  escrit  des  propositions, 
sur  lesquelles  il  faut  s'entretenir  pour  se  bien  entendre. 
Ainsi  j'ay  cru  que  je  le  pouvois  faire  par  l'entremise  de 
ceux  qui  me  viennent  voir.  Et  comme  il  n'y  vient  personne 
qui  ne  soit  dans  la  dernière  confiance  avec  nous,  il  ne 
m'est  jamais  venu  en  la  pensée  de  mettre  entr'eux  aucune 
différence  en  ce  qui  regarde  des  affaires  extérieures,  telle 
qu'est  celle  dont  on  a  parlé  à  M.  Gallois.  C'est  pourquoy 
je  ne  puis  encore  trouver  de  raison  pourquoy  on  se  soit 
plustost  blessé  de  ce  que  j'en  ay  parlé  à  M.  Pascal,  que  si 
j'en  avois  parlé  à  M.  Akakia  ;  et  je  ne  vois  pas  aussi  ce  qu'on 
peut  trouver  à  redire  en  la  manière  dont  M.  Pascal  a  agi 
dans  cette  affaire.  Il  en  a  esté  parler  à  P.  R.  selon  que  je 
l'en  avois  prié.  N'ayant  pu  vous  voir  le  premier,  il  en  a 
parlé  à  ma  nièce,  qui  entra  tout-à-fait  dans  cette  propo- 
sition; et  vous  en  ayant  parlé  depuis,  il  est  vray  que  vous 
luy  temoignastes  que  ce  qu'on  craignoit  ne  vous  sembloit 
pas  à  appréhender.  Mais  comme  il  s'agissoit  d'une  chose 
où  les  gens  d'affaire  sont  plus  intelligens,  il  crut  que  M.  Gal- 
lois, estant  aussi  homme  de  bien  et  aussi  lié  à  la  maison 
qu'il  est,  il  ne  pouvoit  faillir  en  luy  en  parlant,  et  j'ay  sceu 


74  ŒUVRES 

que  M.  Gallois  avait  Irouvé  la  proposition  fort  raisonnable, 
et  qu'il  s'estoit  étonné  qu'on  n'y  eust  pas  pensé  plus- 
tost.  Si  c'est  là  un  sujet  de  s'offenser  de  mon  procédé,  il 
faut  que  je  sois  dans  une  continuelle  inquiétude,  et  une 
continuelle  appréhension  que  l'on  ne  se  blesse  de  ce  que 
je  feray  le  plus  simplement....  Mais  ce  qui  me  touche 
est  de  voir  qu'on  se  soit  choqué  de  ce  que  j'en  ay  fait 
dire  par  une  personne  qui  ne  mérite  pas,  ce  me  semble, 
qu'on  la  mette  au  rang  de  celles  à  qui  il  ne  seroit  pas 
bon  de  communiquer  ces  sortes  d'affaires,  et  que  je  m'es- 
tois  imaginé  estre  propre  à  parler  d'une  chose  qu'il  eust 
esté  assez  difficile  d'expliquer  par  lettres.  Si  j'ay  fait  en 
cela  une  faute,  elle  m'est  tout-à-fait  cachée,  et  je  prie  Dieu 
que  je  n'en  fasse  jamais  de  plus  grande.  J'agis  fort  sim- 
plement, et  je  voudrois  que  tout  le  monde  agit  de  mesme, 
ne  croyant  point  que  l'amitié  chrétienne  demande  tant  de 
reserve  et  tant  d'égards.  Si  je  me  trompe  en  cela,  j'espère 
que  Dieu  éclairera  mes  ténèbres,  et  sur-tout  qu'il  ne  souf- 
frira point  que  de  si  petits  sujets  altèrent  en  rien  l'union 
qu'il  a  mise  entre  nous,  et  que  je  suis  résolu  à  conserver 
aux  dépens  de  tout  ce  que  j'aurois  de  plus  cher  en  cette 
vie. 


CLXVII 

ORDONNANCE 

DES  VICAIRES  GÉNÉRAUX 

POUR  LA  SIGNATURE  DU  FORMULAIRE 

ATTRIBUÉE  A  BLAISE  PASCAL 
8  juin  1661. 

Ordonnance  in-f°  affichée  en  1661. 


77 


INTRODUCTION 

I.  —  LA  SOUSCRIPTION  DU  FORMULAIRE 

Depuis  la  séparation  de  l'Assemblée  du  Clergé,  on  n'avait 
plus  guère  parlé  du  formulaire,  dressé  le  17  mars  1657 
(cf.  supra  T.  Vil,  p.  4).  Mazarin,  après  avoir  obtenu  l'enre- 
gistrement de  la  bulle,  le  19  décembre  de  la  même  année 
(cf.  supra  T.  VII,  p.  221)  n'avait  pas  paru  se  préoccuper 
davantage  de  la  question  des  signatures.  La  plupart  des 
évêques  n'avaient  pas  tenu  compte  des  prescriptions  arrêtées 
en  commun;  Hermant  pouvait  écrire  à  Arnauld  le  19  mai 
i658  :  «  Ceux  qui  ont  voulu  faire  passer  l'Assemblée  du  Clergé 
pour  un  Concile  national  quand  ils  estoient  à  Paris  avec  les 
autres  ne  font  rien  eux-mesmes  dans  leurs  diocèses  de  ce 
qu'ils  avoient  résolu.  »  En  juillet  1659,  quatre  ou  cinq  pré- 
lats tout  au  plus  avaient  demandé  des  signatures  dans  leurs 
diocèses  ;  le  général  de  l'Oratoire  avait  fait  souscrire  les  mem- 
bres de  son  ordre  ;  mais  seuls  quelques  chanoines  de  Beauvais, 
malgré  la  protection  déclarée  de  leur  évêque  et  les  arrêts  du 
Parlement,  furent  pour  ce  motif  persécutés  et  privés  de  leurs 
prébendes. 

La  question  fut  reprise  au  début  de  1660  dans  les  Assem- 
blées Provinciales  préparatoires  à  l'Assemblée  générale  du 
Clergé.  L'archevêque  de  Rouen  notamment,  jusque-là  pour- 
tant favorable  aux  Jansénistes,  se  montra  très  ardent,  et  il 
prit  la  résolution  de  faire  signer  le  formulaire  dans  son  dio- 
cèse. Sous  son  inspiration,  l'Assemblée,  réunie  à  Pontoise  à 
la  fin  de  mai  et  transférée  le  23  septembre  à  Paris,  délibéra 
aussitôt  sur  ce  sujet.  Le  roi  d'ailleurs  exigeait  que  l'on  prît 
des  mesures  énergiques  ;  le  i3  décembre,  faisant  pour  la 
première  fois  acte  d'autorité  personnelle,  il  convoqua  chez 
Mazarin  malade  les  trois  présidents  de  l'Assemblée  et  leur  fit 
savoir  que  sa  conscience,  le  soin  de  son  honneur  et  du  bien 


78  ŒUVRES 

de  l'État  l'obligeaient  à  exterminer  le  Jansénisme.  L'arche- 
vêque de  Rouen  désigna  aussitôt  douze  commissaires  ;  le 
10  janvier  1661,  l'archevêque  de  Toulouse,  Marca,  lut  son 
rapport  à  l'Assemblée  ;  le  Ier  février,  on  acheva  de  voter  les 
quinze  articles  du  règlement  préparé  :  tous  les  ecclésiastiques 
et  maîtres  d'école  du  royaume  devront  souscrire  le  formu- 
laire de  i656,  sous  peine  d'être  taxés  d'hérésie  et  châtiés; 
les  évêques  devront  signer  et  faire  signer  en  diligence  la  for- 
mule et,  s'il  y  a  lieu,  une  rétractation  des  écrits  publiés; 
ils  devront  rendre  compte  de  ce  qu'ils  auront  fait  à  l'As- 
semblée qui  transmettra  au  roi  les  avis  reçus.  Des  peines 
rigoureuses  étaient  prévues  contre  les  réfractaires.  Le  roi  en 
outre  était  prié  d'interdire  les  appels  comme  d'abus,  de  dis- 
soudre les  communautés  ou  écoles  où  l'on  enseignait  la 
doctrine  du  Jansénisme,  et  de  faire  supprimer  tous  les  écrits 
suspects  de  favoriser  la  doctrine.  Enfin  toute  personne  était 
contrainte  de  dénoncer  secrètement  aux  évêques  ce  qui,  à  sa 
connaissance,  aurait  été  dit  ou  fait  au  préjudice  des  Consti- 
tutions. L'Assemblée  rédigea  une  ordonnance  à  laquelle  tous 
les  évêques  devaient  se  conformer  pour  publier  ces  décisions. 
Toutes  ces  résolutions  furent  transmises  au  roi,  lorsque, 
après  la  mort  de  Mazarin  (9  mars  1661),  il  administra  direc- 
tement les  affaires  d'après  les  délibérations  des  quatre  mem- 
bres de  son  Conseil  de  conscience  (le  grand  aumônier, 
Marca,  Péréfixe  et  le  Père  Annat)  ;  il  fit  sanctionner  par 
un  arrêt  du  Conseil  d'État  du  i3  avril  et  par  des  lettres  de 
cachet  envoyées  aux  évêques  tout  ce  qui  avait  été  fait.  La 
première  de  ces  lettres  fut  adressée  à  la  Faculté  de  Théologie 
qui,  le  2  mai,  décida  de  souscrire  le  formulaire  dressé. 

II.  —  ATTITUDE  D'ARNAULD  ET  DE  SES  AMIS 

Port-Royal  s'attendait  aux  plus  rudes  persécutions;  l'année 
précédente,  les  quelques  élèves  des  Petites  Écoles  du  Chesnay 
et  des  Troux  avaient  été  dispersés  ;  le  7  avril  1 66 1 ,  de  Bernières 
devait  partir  en  exil,  et  Taignier  l'infatigable  agent  des  Jan- 


ORDONNANCE  DES  VICAIRES  GÉNÉRAUX.  79 

senistes  était  contraint  de  se  cacher  ;  le  23,  le  lieutenant-civil 
allait  porter  à  l'abbesse  de  Port-Royal  l'ordre  de  renvoyer  toutes 
les  pensionnaires  et  postulantes  des  deux  maisons,  au  nom- 
bre de  près  de  soixante-dix  ;  peu  après  il  revenait  exiger  que 
l'on  enlevât  le  voile  à  sept  novices  qui  venaient  de  le  rece- 
voir. On  semblait  interdire  au  monastère  de  se  recruter 
dans  l'avenir  ;  c'était  la  ruine  décidée,  contre  laquelle  la 
Mère  Agnès  proteste  avec  douleur  dans  une  lettre  qu'elle 
écrit  au  roi;  le  17  mai,  en  violation  des  privilèges  octroyés 
à  l'abbaye,  Singlin  était  remplacé  comme  directeur  et  réduit 
lui  aussi  à  s'éloigner  en  secret,  pour  éviter  une  lettre  de  cachet. 
Depuis  ï658,  Arnauld  avait  pour  ainsi  dire  été  contraint 
par  ses  amis  au  silence  ;  mais  quand  il  vit  que  cette  attitude 
n'avait  point  été  utile,  que  Port-Royal  n'en  était  pas  moins 
condamné,  que  les  persécutions  allaient  atteindre  tous  les 
ecclésiastiques,  et  surtout  que  quelques-uns  faiblissaient,  il 
reprit  la  plume,  rédigea  plusieurs  Mémoires  pour  les  évêques, 
revit  et  augmenta  le  livre  de  Denis  Raymond,  fit  paraître  des 
Difficultés  proposées  à  l'Assemblée  du  Clergé  et  à  la  Faculté 
de  Théologie.  On  envisagea  ensuite  la  situation  dans  laquelle 
allaient  se  trouver  ceux  à  qui  le  formulaire  serait  présenté. 
Déjà  l'évêque  d'Orléans,  sur  la  fermeté  de  qui  l'on  comptait, 
avait,  l'un  des  premiers,  exécuté  les  ordres  de  l'Assemblée,  et 
tous  les  ecclésiastiques  de  son  diocèse  avaient  signé.  Déjà  même 
quelques  amis  de  la  première  heure,  et  qui  avaient  été  frap- 
pés depuis  longtemps,  Duhamel,  curé  de  S'-Merry,  Sainte- 
Beuve,  professeur  de  Sorbonne,  le  Père  Séguenot,  de  l'Ora- 
toire, avaient  signé  ;  leur  attitude  remplissait  de  douleur  les 
Jansénistes.  Arnauld  et  tous  ses  amis  étaient  unanimement 
opposés  à  une  signature  pure  et  simple,  les  lettres  nom- 
breuses qu'ils  écrivirent  alors,  d'avril  à  juin,  en  font  foi.  Ils 
voulurent  aussi  réfuter  publiquement  les  <x  donneurs  de  con- 
seils affaiblissants».  Le  6  juin  1661,  Arnauld  termina  un 
long  opuscule  intitulé  :  De  la  Signature  du  Formulaire,  où  Von 
montre  :  I.  Que  ceux  qui  ne  croyenl  point  le  fait  de  Jansenius 
contenu  dans  le  Formulaire,  ne  peuvent  le  signer  sans  restric- 


80  ŒUVRES 

tions.  II.  Qu'on  n'est  point  obligé  de  croire? ce  fait.  III.  Qu'on 
ne  peut  empescher  sans  injustice  la  distinction  du  droit  et  du 
fait  dans  la  signature  du  Formulaire.  Pour  servir  d'Apologie 
à  ceux  qui  refusent  de  signer  le  Formulaire  sans  restriction. 

Mais  si  tous  s'accordaient  à  refuser  une  signature  pure  et 
simple,  la  plupart  d'entre  eux,  et  Arnauld  en  particulier, 
acceptaient  de  souscrire  un  mandement  avec  restriction.  Dès 
le  27  mai,  Arnauld  écrivait  à  Hermant  qu'il  s'était  resigné  à 
ce  un  mandement  où  on  declarast  nettement  et  clairement 
qu'on  ne  demande  la  signature  du  formulaire  que  pour  ce  qui 
regarde  la  foy  et  qu'on  se  contente  pour  le  fait  du  silence  res- 
pectueux ».  Le  6  juin,  il  écrivait  dans  la  préface  de  l'opus- 
cule cité  plus  haut  :  «  Il  faut  observer  avant  toutes  choses, 
que,  lors  que,  dans  cet  Ecrit,  l'on  parle  contre  ceux  qui  ne 
crovant  pas  le  point  de  fait  contenu  dans  le  Formulaire,  ne 
laissent  pas  de  le  signer,  l'on  n'entend  que  ceux  qui  le 
signent  sans  explication  ny  restriction.  Et  par  cette  expli- 
cation, l'on  entend  celle  qui  seroit  marquée  par  l'Evesque 
qui,  proposant  le  Formulaire  à  signer  tel  qu'il  est  distingue- 
roit  dans  son  mandement  ou  dans  quelque  autre  acte  public 
et  écrit  le  droit  d'avec  le  fait,  en  déclarant  expressément  qu'il 
demande  la  créance  sur  le  droit,  et  le  respect  deu  au  Pape  sur 

le  fait Et  par  la  restriction,  l'on  entend  celle  qui  seroit 

faite  par  ceux  ausquels  le  Formulaire  seroit  proposé  tel  qu'il 
est,  sans  qu'il  y  eust  d'explication  ou  distinction  expresse, 
faite  par  l'Eveque,  et  qui  en  signant  ajouteroient  quelque 
clause,  par  laquelle  ils  temoigneroient,  qu'ils  croyent  et  re- 
connoissent  que  les  cinq  Propositions  sont  hérétiques  ;  mais 
non  pas  qu'elles  soient  contenues  dans  le  livre  de  Jansenius, 
ny  que  cet  auteur  en  ait  enseigné  le  sens  condamné » 

III.  —  LE  MANDEMENT  DES  GRANDS-VICAIRES 

On  espérait  bien  alors  obtenir  un  mandement  favorable 
des  Grands-vicaires  de  Paris.  Tout  le  monde  en  effet  avait 
les  yeux  tournés  de  leur  côté  ;  l'Assemblée  du  Clergé  les 
soupçonnait   de   n'être  pas  hostiles    aux    Jansénistes,    et  le 


ORDONNANCE  DES  VICAIRES  GÉNÉRAUX        81 

roi  était  préoccupé  au  plus  haut  point  de  l'attitude  du  cardi- 
nal de  Retz,  l'archevêque  fugitif.  De  leur  côté,  les  Grands- 
vicaires  qui  avaient  été  en  conflit  avec  l'Assemblée  à  propos 
de  la  traduction  française  du  missel,  —  approuvée  par  eux  et 
qu'elle  avait  censurée,  —  ne  se  pressaient  pas  de  donner 
l'exemple  de  l'obéissance  aux  injonctions  des  évêques.  Enfin, 
le  8  juin,  ils  achevèrent  un  mandement  prescrivant  de  signer 
le  formulaire,  mais  établissant  aussi  la  distinction  désirée  entre 
le  droit  et  le  fait.  Cette  ordonnance  fut  publiée  le  19  juin. 

Ce  premier  mandement  avait  été  concerté  et  rédigé  par  les 
«  Messieurs  »  de  Port-Royal.  Arnauld  reconnut  plus  tard,  dans 
un  mémoire  secret  adressé  aux  religieuses  de  Port-Royal  en 
octobre  1668,  «  que  l'on  [c'est-à-dire  :  lai  et  ses  amis]  l'avoit 
fait,  approuvé  et  soutenu».  Il  a  même  été  dit  que  Pascal  l'avoit 
rédigé.  Le  recueil  d'Utrecht  de  1740  écrit,  p.  3n  :  «  on  croit 
que  M.  Paschal  l'a  dressé  ».  Le  catalogue  de  Fouillou  note 
en  marge:  «  Pascal  »,  comme  il  le  fait  d'ailleurs  aussi  pour  la 
Déclaration  signée  par  les  Curés  de  Paris  le  20  juillet,  pièce 
très  courte  qu'il  est  bien  difficile  d'attribuer  à  Pascal  ou  même 
àArnauld.  Clémencetdonnedesindicationssemblables.  D'autre 
part,  quand  Jacqueline  écrit  à  Arnauld  le  23  juin,  en  parlant 
d'un  écrit  qu'elle  lui  adresse  (infra  p.  1 14)  '  «  vous  verrez,  mon 
Père,  bien  fulminer  contre  ce  qui  a  esté  fait  ;  il  m'a  semblé, 
outre  qu'en  ces  matières  chacun  abonde  en  son  sens  et  appuie 
ses  raisons  comme  il  peut,  que  je  le  pouvois  faire  plus  li- 
brement qu'un  autre  à  cause  de  celuy  qui  y  a  eu  bonne  part.  Je 
suis  dans  une  joye  incroyable  de  son  zèle,  et  je  croy  après 
tout,  que  c'est  Dieu  qui  le  luy  a  fait  faire  pour  mettre  en 
seureté  la  conscience  d'une  infinité  de  personnes —  »,  —  et 

elle  ajoute  :  «  ma  sœur est  capable  de  voir  [ces  lettres]  et 

peut-estre  mon  frère,  s'il  se  porte  bien  »,  —  il  semble  que 
l'allusion  ne  peut  convenir  qu'à  ce  frère  à  qui  elle  vou- 
drait épargner,  s'il  est  malade,  la  douleur  de  lire  une  protes- 
tation «  fulminante  ». 


Il  ?rfct> 


82 


Ordonnance  de  Messieurs  les  Vicaires  Généraux 
de  Monseigneur  l'Emiinentissime  et  Reveren- 
dissime  Cardinal  de  Retz,  Archevesque  de 
Paris. 

Pour  la  signature  du  Formulaire  de  Foy,  dressé  en  exécution 
des  Constitutions  de  nos  SS.  Pères  les  Papes  Innocent  X. 
et  Alexandre  VIL 

Jean  Baptiste  de  Contes,  Prestre,  Docteur  es  Droits, 
Doyen  de  l'Eglise  Métropolitaine  de  Paris,  Conseiller  ordi- 
naire du  Roy  en  ses  Conseils  d'Estat  et  Privé,  et  Alexan- 
dre de  Hodencq,  aussi  Prestre  Docteur  en  Théologie  de 
la  Société  de  Sorbonne,  Curé,  et  Archiprestre  de  S.  Seve- 
rin,  Conseiller  du  Roy  en  sesdits  Conseils,  Vicaires  Géné- 
raux de  Monseigneur  rEminentissime  et  Reverendissime 
Cardinal  de  Retz,  Archevesque  de  Paris.  A  tous  ceux  qui 
ces  présentes  Lettres  verront  ;  Salut  en  nostre  Seigneur. 
Comme  il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu  sans  la  Foy,  et 
de  vivre  de  la  vie  d'un  véritable  Chrestien  sans  cette  vertu, 
qui  est  le  fondement  de  ce  qu'on  espère,  et  la  démonstra- 
tion des  choses  qu'on  ne  voit  pas  :  Aussi  est-il  très-im- 
portant que  les  Prélats  de  l'Eglise  veillent  de  telle  sorte 
sur  ceux  que  Dieu  a  commis  à  leur  conduite,  que  cette 
Foy  de  laquelle  ils  sont  les  principaux  dépositaires  ne 
puisse  estre  aucunement  altérée  par  des  contentions  de 
doctrine,  qui  souvent  ne  blessent  pas  moins  la  Foy  qu'elles 
détruisent  la  charité;  Laquelle,  comme  dit  S.  Paul,  est 
la  fin  du  précepte,  et  procède  d'un  cœur  pur,  d'une  bonne 
conscience,  et  d'une  Foy  non  feinte,  adjoûtant  que  ceux 


ORDONNANCE  DES  VICAIRES  GÉNÉRAUX  83 

qui  s'en  départent  s'emportent  à  des  discours  de  vanité, 
et  des  questions  inutiles,  qui  ne  produisent  que  des  que- 
relles, de  l'envie,  de  la  médisance  et  des  mauvais  soup- 
çons :  Et  quand  il  arrive  de  telles  contentions  dans  l'Eglise, 
il  n'est  pas  moins  du  devoir  Episcopal  d'en  arrester  le 
cours  de  bonne  heure,  et  reprimer  la  témérité  de  ceux 
qui  en  sont  les  autheurs,  ou  qui  entreprennent  de  les  sou- 
tenir, qu'il  est  de  la  pieté  et  charité  chrestienne  de  tascher 
par  tous  moyens  de  les  réunir  en  un  mesme  esprit  dans  le 
centre  de  l'unité  Catholique,  qui  est  l'Eglise  Romaine. 
C'est  ce  que  le  Pape  Innocent  X.  d'heureuse  mémoire  a 
voulu  faire  au  sujet  des  cinq  Propositions  concernant  la 
matière  de  la  Grâce,  qui  luy  avoient  esté  présentées  de  la 
part  de  plusieurs  Evesques  de  France,  par  sa  Constitution 
du  dernier  May  i653.  après  la  publication  de  laquelle  Nous 
espérions  que  chacun  demeureroit  dans  le  respect  et  la 
soumission  deuë  au  S.  Siège;  Et  que  toutes  ces  conten- 
tions et  disputes  touchant  lesdites  Propositions  cesseroient. 
Mais  le  malin  esprit  qui  envie  toujours  la  paix  de  l'Eglise, 
et  s'efforce  d'y  entretenir  la  division  a  renouvelé  ces  dis- 
putes :  Et  quoy  qu'il  ne  s'agist  du  temps  d'iNNocENT  X. 
que  de  sçavoir  si  lesdites  Propositions  estoient  véritables 
et  Catholiques,  ou  si  elles  estoient  fausses  et  hérétiques  ; 
Et  que  ce  Pape  les  ayant  condamnées  comme  hérétiques, 
il  n'y  eust  plus  rien  à  désirer,  et  que  chacun  dust  se  sou- 
mettre à  la  décision  qu'il  en  avoit  faitte  par  sadite  Cons- 
titution. Néanmoins  on  auroit  meû  une  autre  question  de 
fait,  et  prétendu  que  ces  Propositions  n'estoient  pas  de 
Cornélius  Jansenius  Evesque  dYpre,  et  n'avoient  point 
esté  condamnées  au  sens  de  cet  Autheur;  Ce  qui  ayant  de 
nouveau  troublé  la  tranquilité  de  l'Eglise  auroit  donné 
sujet  à  N.  S.  P.  Alexandre  VIL  de  prononcer  sur  cette 
question  par  sa  Bulle  du  16.  Octobre  i656.  Laquelle  nous 


84  ŒUVRES 

aurions  fait  publier  en  cette  ville  et  dioceze  de  Paris  par 
nostre  Mandement  du  douzième  Avril  1657.  Et  ordonné 
de  la  recevoir  avec  tout  l'honneur  et  révérence  qui  est 
deue  au  S.  Siège  Apostolique,  et  de  l'observer  de  point  en 
point  selon  sa  forme  et  teneur  sous  les  peines  y  portées  ; 
Ce  qui  eust  deii  entièrement  calmer  les  esprits.  Néanmoins 
le  contraire  est  arrivé,  et  les  disputes  ont  continué  comme 
auparavant,  ce  qui  a  obligé  le  Roy  par  sa  pieté  accous- 
tumée,  et  le  zèle  qu'il  a  pour  procurer  et  maintenir  la  paix 
et  l'union  dans  l'Eglise  ainsi  que  dans  son  Estât,  de  dési- 
rer que  Messieurs  les  Evesques  advisassent  entr'eux  à  trou- 
ver des  moyens  convenables  pour  faire  cesser  toutes  ces 
divisions,  et  restablir  la  paix  en  l'Eglise  sur  le  sujet  des- 
dites cinq  Propositions.  A  quoy  lesdits  Sieurs  Evesques 
ayant  travaillé,  et  proposé  à  sa  Majesté  de  faire  signer  un 
Formulaire  de  profession  de  Foy  ;  Sa  Majesté  auroit  iceluy 
authorisé  par  Arrest  de  son  Conseil  d'Estat  du  treizième 
du  mois  d'Avril  dernier;  Et  nous  auroit  fait  l'honneur  de 
nous  escrire  le  vingtième  du  mesme  mois,  et  exhorté  de 
nous  conformer  à  ce  moyen  proposé.  A  ces  causes,  Desi- 
rans  satisfaire  aux  bonnes  intentions  de  sa  Majesté,  et 
contribuer  autant  qu'il  nous  est  possible  à  ses  pieux  et 
louables  desseins,  Nous  avons  ordonné  et  ordonnons  par 
ces  Présentes  que  ledit  Formulaire  cy-apres  transcrit  sera 
signé  par  tous  les  Doyens,  Chanoines,  Chapitres,  Abbez, 
Prieurs,  Convents,  Communautez  Séculières  et  Réguliè- 
res, Monastères  de  Religieux  et  Religieuses,  Curez,  Vi- 
caires, Prestres,  Habituez,  Beneficiers  et  généralement  de 
tous  Ecclésiastiques,  Principaux  des  Collèges,  Docteurs, 
Régents,  Professeurs  et  Maistres  d'Escoles  de  cette  Ville, 
Faux- bourgs  et  Diocèse  de  Paris,  soy-disans  exemts  et 
non  exemts,  ou  de  nul  Diocèse;  et  ceux  qui  composent 
lesdits  corps  Ecclésiastiques  Séculiers  ou  Réguliers,  feront 


ORDONNANCE  DES  VICAIRES  GÉNÉRAUX  85 

mettre  sur  leur  Registre  nostre  présente  Ordonnance,  et 
ledit  Formulaire,  et  y  souscriront,  et  nous  rapporteront 
un  acte  original  et  authentique  de  leurs  soubscriptions  au 
bas  des  Présentes,  dans  quinze  jours  après  la  publication 
et  signification  d'icelles.  Et  quant  aux  autres  particuliers 
Ecclésiastiques  qui  ne  font  Corps  ou  Communauté,  et 
autres  cy-dessus  exprimez;  Ils  viendront  signer  dans  ledit 
temps  au  Secrétariat  de  l'Archevesché  de  Paris,  autrement 
à  faute  de  ce  faire  et  ledit  temps  passé,  sera  procédé  contr'eux 
par  les  voyes  de  droit,  conformément  auxdites  Constitu- 
tions et  Arrest,  sans  néanmoins  que  par  ledit  Formulaire 
et  la  signature  d'iceluy  il  soit  innové  ausdites  Constitu- 
tions ;  Et  pour  oster  tout  prétexte  de  dispute  et  de  conten- 
tion à  Fadvenir  sur  ces  questions,  et  tâcher  par  toutes 
voyes  de  réunir  les  esprits  :   Nous  ordonnons  et  enjoi- 
gnons qu'à  l'égard  mesme  des  faits  décidez  par  lesdites 
Constitutions  et  contenus  audit  Formulaire,  tous  demeu- 
rent dans  le  respect  entier  et  sincère  qui  est  deû  ausdites 
Constitutions,  sans  prescher,  escrire  et  disputer  au  con- 
traire, et  que  la  signature  que  chacun  fera  dudit  Formu- 
laire en  soit  un  témoignage,  promesse  et  asseurance  publi- 
que et  inviolable,  par  laquelle  ils  s'y  engagent,  comme  de 
leur  croyance  pour  la  décision  de  Foy,  après  laquelle  signa- 
ture, la  foy  de  chacun  estant  reconnue,  Nous  faisons  très 
expresses  inhibitions  et  défenses  à  tous  les  Diocezains  de 
Mondit  Seigneur  l'Archevesque,  sous  peine  d'Excommu- 
nication de  se  diffamer  l'un  l'autre  du  nom  de  Janséniste 
et  de  Semipelagien  ;  Et  leur  enjoignons  de  Nous  advertir  de 
ce  qu'ils  sçauront  avoir  esté  dit  ou  fait  au  préjudice  des- 
dites Constitutions  et  de  nostre  présente  Ordonnance,  pour 
y  estre  pourveu  ainsi  que  de  raison.  Si  mandons  à  l'Archi- 
prestre  de  sainte  Marie  Magdelaine,  aux  Doyens  ruraux 
de  ce  Diocèse,  au  premier  Prestre  ou  Appariteur  sur  ce 


86  ŒUVRES 

requis,  que  ces  Présentes  ils  signifient  à  tous  Doyens,  Cha- 
noines..., à  ce  qu'ils  n'en  prétendent  cause  d'ignorance, 
et  ayent  à  y  satisfaire  dans  le  temps  y  porté  sous  lesdites 
peines,  de  ce  faire  leur  donnons  pouvoir.  Et  seront  les 
Présentes  publiées  au  Prône  des  Messes  Parroissiales,  et 
affichées  aux  Portes  des  Eglises,  et  ailleurs  où  besoin  sera. 
Donné  à  Paris  sous  le  Sceau  des  Armes  de  Mondit  Sei- 
gneur l'Archevesque,  le  huitième  jour  de  Juin  mille  six 
cent  soixante-un.  Signé,  de  Contes,  et  de  Hodencq. 

Ensuit  ledit  Formulaire. 

Je  me  soumets  sincèrement  à  la  Constitution  du  Pape 
Innocent  X.  du  3i .  May  i653.  selon  son  véritable  sens,  qui 
a  esté  déterminé  par  la  Constitution  de  nostre  saint-Pere 
le  Pape  Alexandre  VIL  du  16.  Octobre  1606.  Je  reconnois 
que  je  suis  obligé  en  conscience  d'obéïr  à  ces  Constitutions  : 
Et  je  condamne  de  cœur  et  de  bouche  la  doctrine  des  cinq 
Propositions  de  Cornélius  Jansenius,  contenues  dans  son 
Livre  intitulé  Augustinus,  que  ces  deux  Papes  et  les  Eves- 
ques  ont  condamnées  ;  laquelle  doctrine  n'est  point  celle  de 
saint  Augustin,  que  Jansenius  a  mal  expliquée  contre  le 
vray  sens  de  ce  saint  Docteur  (Signé.)  Baudouyn. 


CLXVIII 

LETTRE 

DE  JACQUELINE  PASCAL 

A  MESDEMOISELLES  PERIER 

17  juin  1661 . 
Copie  au  premier  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  p.  390. 


INTRODUCTION 

Au  temps  où  Port-Royal  se  sentit  à  nouveau  menacé,  la 
Mère  Angélique  écrivit  souvent  à  la  prieure  et  à  la  sous- 
prieure  du  monastère  des  Champs.  Les  lettres  que  nous  pu- 
blions ci-dessous,  avant  celle  que  Jacqueline  Pascal  adresse 
à  ses  nièces,  sont  données  d'après  le  ms.  17792,  p.  388  sq. 
de  la  Bibliothèque  Nationale  ;  une  copie  faite  au  xvme  siècle 
pour  Mlle  de  Théméricourt  indique  que  les  billets  du  29  avril 
et  du  2  mai  étaient  particulièrement  adressés  à  Sœur  de 
Sainte-Euphémie * . 

Extraits  de  Lettres  de  la  Mère  Angélique  à  la  Maîtresse 
des  Novices  de  Port  Royal  des  Champs. 

29  avril  1661. 

J'ay  une  pensée,  que  si  nous  nous  convertissions  vrayment 
à  Dieu,  en  quittant  tout  amusement  pour  vouloir  vivre 
comme  des  personnes  qui  veulent  mourir  entièrement  au 
monde,  Dieu  fera  un  miracle  en  nostre  faveur,  et  sur  tout, 
qu'il  conservera  M.  Sing. . .  et  c'est  tout  pour  nous,  le  reste  qui 
ne  nous  sert  pas  pour  nous  conduire  à  Dieu  n'est  rien.  Re- 
doublons nos  prières,  ma  très  chère  [Sœur],  et  nostre  confiance 
en  la  miséricorde  de  Dieu. 

2  may  1661. 

C'est  une  nouvelle  affliction  que  vostre  maladie  ;  il  la  faut 
porter  come  tout  le  reste  dans  la  paix,  et  la  soumission  à  Dieu. 
Enfin  ma  chère  [Sœar],  jusques  à  ce  temps  nous  n'avons 
point  porté  la  croix,  sans  quoy  pourtant,  on  n'est  point  vray 
disciple  de  J.-G.  Ne  devons-nous  pas  nous  resjouir  de  ce  que 

1.  Les  mêmes  recueils  donnent  encore  d'autres  lettres  du  même 
ton,  adressées  du  3  au  11  mai  à  la  Mère  du  Fargis,  mais  qui  étaient 
aussi,  semble-t-il,  destinées  à  Jacqueline  Pascal. 


90  ŒUVRES 

Dieu  nous  l'envoyé,  et  estimer  comme  dit  saint  Jacques  à 
grande  joye  d'avoir  beaucoup  de  diverses  tentations.  Nous  ne 
sommes  pas  assez  avancées  pour  quecette  joye  aillejusque  dans 
les  sens,  mais  prions  Dieu  que  cette  joye  soit  au  fond  de  nostre 
cœur. 

4  niay  1661. 
Mr  N. 1  vous  va  voir,  s'il  n'arive  rien  qui  l'en  empêche. 
S'il  y  peut  aller,  je  m'en  rejouïs  pour  l'amour  de  vous,  s'il 
ne  le  peut,  il  ne  faut  pas  s'en  fascher,  mais  donner  cela  à 
Dieu  comme  tout  le  reste.  Dans  la  tristesse  naturelle  où  nos- 
tre état  nous  met,  je  voy  dans  des  momens  une  si  grande 
grâce  de  Dieu,  de  nous  y  réduire,  et  une  dignité  si  au-dessus 
de  nous,  d'estre  traittées  de  sa  divine  majesté  comme  l'a  esté 
son  Fils,  que  j'en  demeure  confuse,  et  dans  la  crainte  de 
n'estre  pas  fidelle  à  correspondre  à  cette  faveur.  Il  me  semble 
que  nous  devrions  souvent  nous  dire  :  hodie  si  vocem  Domini 
audieritis,  etc.  et  que  nous  aurions  besoin  de  cette  visite  et 
espreuve  de  Dieu.  Il  me  semble,  ma  très  chère  sœur,  que  jus- 
qu'à cette  heure  nous  n'avons  fait  que  nous  jouer  et  amuser 
dans  les  grâces  que  Dieu  nous  a  faittes  et  jouir  d'un  faux 
repos  dans  l'abondance  des  veritez  qui  ne  servoient  qu'à  sa- 
tisfaire nos  esprits,  et  que  nous  ne  nous  appliquions  point  à 
les  mortifier,  et  cependant  c'est  pour  cela  que  Dieu  nous  les 
donnoit.  Nous  avons  esté  comme  les  avaricieux  qui  ne  son- 
gent qu'à  amasser  de  l'argent,  sans  en  faire  usage.  Nous  desi- 
rions toujours  de  nouvelles  lumières,  et  ne  pensions  point  à 
accroistre  la  charité,  et  diminuer  la  cupidité,  au  moins  autant 
que  nous  le  devions.  Il  y  a  long  tems  que  je  vois  avec  peine 
que  nous  n'estions  point  appliquées  ni  fidelles  à  retrancher 
les  inutilitez,  curiositez,  espanchemens  d'esprit,  et  tout  ce  qui 
donne  la  vie  et  entretient  le  vieil  homme,  et  qui  afîoiblit 
le  nouveau  qui  par  ce  moyen  estoit  si  foible  en  nous,  que 
la  moindre  tentation  le  faisoit  tomber.  Je  voiois  dans  les  au- 
tres et  dans  moy  plus  que  dans  pas  une,  des  esprits  si  distraits, 

1.   Singlin,  qui  dut  se  cacher  le  17  mai. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  91 

qu'ils  estoient  toujours  prêts  à  estre  surpris  par  les  occasions 
que  la  cupidité  et  le  démon  offre  sans  cesse  pour  nous  trom- 
per. Enfin  bien  de  la  foiblesse  et  peu  de  vray  zèle  à  recourir 
à  Dieu  pour  demander  plus  de  force.  Et  ce  qui  est  pis  une 
certaine  malheureuse  crainte  d'entreprendre  tout  de  bon  à 
retrancher  toutes  les  satisfactions  de  la  nature,  n'estant  pas  assez 
persuadées  de  l'obligation  indispensable  que  nous  y  avons. 
Dieu  soit  beny,  ma  très  chère  sœur,  de  nous  obliger  de  telle 
sorte  que  nous  ne  sçaurions  plus  reculer,  nous  réduisant  en 
tel  estât  que  nous  ne  devons  plus  attendre  que  toutes  sor- 
tes de  privations  des  biens  temporels  et  spirituels  pour  le 
corps  et  pour  l'esprit.  Bienheureuses  seront  celles  qui  les  em- 
brasseront de  tout  leur  cœur,  comme  une  médecine  que  la  mi- 
séricorde leur  donnera,  pour  le  remède  de  leurs  âmes,  et  très 
malheureuses  celles  auxquelles  elles  sembleront  trop  dures 
et  qui  prendront  cette  faveur  de  Dieu  pour  une  disgrâce.  Dieu 
visite  sa  vigne  ;  il  arrachera  celle  qui  ne  porte  point  de  fruit 
et  taillera  celle  qui  en  porte,  afin  qu'elle  en  porte  davantage. 
J'ay  moins  peur  de  la  mort  que  je  n'avois,  dans  la  pensée 
que  l'infinie  bonté  de  Dieu  m'envoie  cette  affliction  pour  m'y 
préparer.  Je  vous  supplie,  ma  très  chère  sœur,  de  le  prier  qu'il 
soit  ainsi  et  que  je  coresponde  tidellement  à  sa  miséricorde. 
Attachons-nous  à  Dieu  inséparablement  et  nous  le  serons  en- 
tre nous,  quoy  que  le  démon  et  le  monde  puisse  faire  pour 
nous  en  séparer.  Nous  sommes  la  fable  et  le  mespris  du 
monde,  n'est-ce  pas  un  heureux  estât  qui  nous  rendra  sem- 
blables à  J.-G.  si  nous  l'acceptons  pour  l'amour  de  luy  ;  nous 
n'avons  pas  esté  assez  heureuses  pour  désirer  d'estre  baptisées 
de  ce  baptesme.  Priez  sa  divine  bonté  qu'au  moins  nous  le  re- 
cevions avec  une  parfaite  soumission.  Ne  vous  amusez  point 
à  m'ecrire  que  ce  qui  est  absolument  nécessaire;  ne  songeons 
qu'au  retranchement  de  toutes  satisfactions.  A  Dieu,  ma  très 
chère  mère  et  sœur.  Mère  et  sœur,  je  ne  vous  sépare  point 
l'une  de  l'autre.  Je  suis  plus  à  vous  que  jamais.  Soyons  toutes 
à  Dieu  au-dessus  des  sens. 


92 


LETTRE  DE  LA  SŒUR  JACQUELINE 

DE  SAINTE-EUPHEMIE   PASCAL, 

A  MESDEMOISELLES  PERIER,  SES  NIECES1 

Gloire  à  Jésus  au  Très  Saint  Sacrement. 

Ce  17.  [Juin  1661]. 

Mes  très  chères  Sœurs, 
Je  ne  sépare  point  ma  lettre  parce  que  Dieu  me  donne 
cette  consolation  dans  ma  douleur  de  vous  voir  parfaite- 
ment unies  dans  le  dessein  d'estre  entièrement  à  Dieu.  Je 
le  supplie  de  tout  mon  cœur  de  vous  affermir  de  plus  en 
plus  dans  cette  disposition;  mais,  mes  chères  Sœurs,  vos 
actions  et  vostre  fidélité  à  suivre  les  lumières  que  vous 
avez  receues  doivent  estre  les  plus  efficaces  prières  de 
toutes,  et  il  est  sans  doute  que  sans  celles-là  les  nostres 
seront  peu  écoutées  de  Dieu.  Je  sens  une  joye  extraordi- 
naire quand  je  me  souviens  des  bonnes  dispositions  qui 
sont  marquées  dans  vos  lettres,  et  comme  je  ne  souhaite 
aucuns  biens  ny  aucuns  avantages  à  mes  amis  que  les 
éternels,  j'ay  une  grande  joye  quand  je  les  y  vois  tendre. 
Mais,  mon  Dieu,  mes  chères  Sœurs,  qu'il  y  a  encore 
peu  que  vous  estes  dans  le  monde  !  Je  loue  Dieu  de  ce 
que  le  peu  que  vous  en  avez  déjà  veu  vous  deplaist  ;  mais 
si  vous  n'y  prenez  garde  et  si  vous  ne  vous  armez  d'une 
prière  et  d'une  vigilance  continuelle,  vous  vous  trouverez 
insensiblement  déchues   des   sentimens   où   vous  estes  à 


1 .  Jacqueline  et  Marguerite  Perier  avaient  dû  quitter  le  monastère 
de  Paris  le  23  avril,  en  même  temps  que  les  autres  pensionnaires. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  93 

présent.  C'est  pourquoy,  mes  chères  Sœurs,  separez-vous 
du  monde  le  plus  qu'il  vous  sera  possible.  Vous  estes  avec 
des  personnes  si  remplies  de  pieté  et  qui  sont  si  affec- 
tionnées à  Saint  Bernard,  qu'elles  ne  s'offenseront  pas 
que  vous  suiviez  son  conseil.  Il  avertit  les  âmes  qui 
veulent  estres  vrayes  épouses  de  J.-G.  de  ne  pas  se  con- 
tenter de  fuir  le  monde,  mais  mesme  leurs  amis  et  ceux 
delà  mesme  maison,  et  enfin  toutes  les  créatures,  par  ce 
que  le  fils  de  Dieu  veut  nous  trouver  dans  la  solitude  pour 
parler  à  nostre  cœur.  Je  n'entends  pas  néanmoins  que 
vous  deveniez  farouches  et  que  vous  fuyiez  tout  le  monde, 
mais  que  vous  soyez  fidelles  à  le  faire  aussitost  que  la  né- 
cessité absolue  ne  vous  y  retiendra  plus  ;  et  que  dans  le 
tems  que  vous  serez  dans  les  compagnies,  vous  y  dérobiez 
souvent  de  petits  moments  pour  parler  à  Dieu,  comme  il 
est  dit  si  admirablement  dans  le  Cœur  nouveau1.  Je  ne 
m'aperçois  pas,  mes  chères  Sœurs,  que  je  fais  une  chose 
bien  estrange  de  vous  donner  des  advis  au  lieu  où  vous 
estes;  je  n'y  viens  que  de  penser.  Profitez  bien  des  advis  et 
des  secours  que  vous  recevez  de  monsieur  vostrehoste  ;  c'est 
le  meilleur  que  je  puisse  vous  donner  dans  le  lieu  où  vous 
estes.  Priez  Dieu  pour  moy,  je  vous  en  supplie,  mes  chers 
enfans,  et  vous  asseurez  que  je  suis  de  tout  mon  cœur  toute 
à  vous.  La  mère  prieure  vous  salue  et  vous  asseure  qu'elle 
ne  vous  oubliera  point  devant  Dieu.  Saluez  M.  Perier  de 
ma  part,  je  vous  en  supplie. 

(Pour  mes  chères  sœurs  Perier,  à  Paris.) 

i.  Traité  de  S{  Cyran,  publié  à  la  suite  de  la  Théologie  Familière. 
Voici  le  passage  auquel  Jacqueline  fait  allusion  (p.  1 1 8  de  la  1 3e  édition , 
i6g3)  :  «  ...  [La personne  convertie]  se  résoudra  à  faire  tous  les  jours 
quelque  chose  facile  pour  fortifier  son  amour  ;  comme  une  petite 
lecture,  une  Oraison,  une  retraite,  un  silence  dérobé  au  milieu 
d'une  compagnie,  avec  un  saint  artifice  et  déguisement...  » 


CLXIX 

LETTRES 

DE  JACQUELINE  PASCAL 

A  LA  SOEUR  ANGÉLIQUE  DE  SAINT-JEAN 

ET  A  ANTOINE  ARNAULD 

22-23  juin  1661. 
Copies  au  deuxième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  pp.  igSet  201 . 


97 


INTRODUCTION 

Le  premier  mandement  des  Grands-vicaires  fut  publié  aux 
prônes  le  19  juin,  et  accueilli  de  façon  très  diverse  par  les 
amis  de  Port-Royal.  Arnauld,  qui  avait  protesté  avec  tant 
d'énergie  contre  ceux  qui  signaient  purement  et  simplement 
le  formulaire,  trouvait  satisfaisante  V explication  donnée  par 
le  mandement  :  le  fait  et  le  droit,  pensait-il,  y  étaient  assez 
clairement  distingués  pour  permettre  aux  religieuses  de  Port- 
Royal  et  aux  ecclésiastiques  directement  exposés  à  la  persécu- 
tion de  signer,  sans  trahir  la  vérité.  Il  conseillait  par  conséquent 
à  ses  amis  une  signature  «  sans  restriction  ni  explication  »,  de 
façon  à  éviter  les  commentaires  fâcheux  :  «  car  s'il  y  en  a  qui 
ne  signent  qu'avec  restriction,  ils  témoignent  par  là  qu'ils  ne 
jugent  pas  le  mandement  assez  clair.  Et  ainsi  ce  sera  comme 
un  préjugé  contre  ceux  qui  auront  signé  simplement,  qu'ils 
donneront  occasion  par  là  de  les  mettre  au  rang  de  ceux  qui 
auront  condamné  Jansenius,  ce  qui  seroit  très  préjudiciable  à 
la  réputation  de  ce  prélat  »  (Lettre  à  Le  Roy  de  Hautefontaine, 
du  22  juin).  Singlin,  Hermant,  Noël  de  la  Lane  et  Girard 
pensaient  de  même.  Arnauld  d'Andilly  et  Taignier  considé- 
raient ce  mandement  comme  un  «  miracle  »  qui  donnait  inopi- 
nément la  paix  à  l'Église.  Les  signataires  affluaient  à  l'arche- 
vêché pour  apporter  leur  adhésion.  —  D'autres  pourtant 
protestaient  avec  passion.  Perrault  et  Varet,  absents  de  Paris, 
ne  pouvaient  se  résigner  à  céder  à  la  tyrannie  des  évêques  qui, 
en  exigeant  une  signature,  s'attribuaient  une  autorité  qu'ils 
n'avaient  pas.  Plus  que  tous  les  autres,  Le  Roy,  abbé  de  Haute- 
fontaine,  accablait  Arnauld  de  lettres  pressantes,  demandait 
qu'on  ne  signât  qu'avec  une  restriction  formelle.  Hermant 
2e  série.  VII  7 


98  ŒUVRES 

a  conservé  les  lettres  pathétiques  qu'il  écrivit  alors:  «...  J'ay 
considéré  toutes  choses  en  elles-mesmes,  et  sans  vouloir  faire 
tomber  mes  pensées  et  mes  sentimens  sur  personne;  mais  en 
voulant  écrire  moy-mesme  la  condamnation  que  je  crois  que 
je  meriterois  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  si  j'avois 
signé  sans  restriction,  je  me  trouve  si  fortement  persuadé  que 
c'est  une  très  grande  et  très  épouvantable  tentation  que  les 
sentimens  que  l'on  a  sur  cette  signature,  et  d'un  autre  coté  j'ay 
tant  de  respect,  d'estime  et  de  déférence  pour  les  personnes 
qui  déclarent  ces  sentimens,  que  je  pense  qu'il  faudra  que 
je  m'aille  cacher  au  bout  du  monde  si  Dieu  n'apporte  un 
changement  à  l'état  où  les  choses  sont  maintenant...  Je  vous 
conjure,  Monsieur,  en  me  prosternant  à  vos  pieds  en  esprit, 
et  ayant  le  cœur  tout  plein  de  larmes,  je  vous  conjure  de  nou- 
veau de  vous  mettre  encore  de  nouveau  en  prière  sur  cette 
affaire,  de  considérer  si  c'est  une  justification  d'une  profession 
publique  de  foy  que  ce  mandement.  Mais  il  faut  que  Dieu  vous 
le  fasse  voir  luy-mesme  :  maneat  fidei  robur  immobile.  Renon- 
çons à  tous  les  accommodemens  humains;  ne  trahissons 
point  nostre  foy,  sous  des  couleurs  et  des  prétextes  qui  se  dis- 
siperont et  qui  ne  nous  laisseront  que  la  douleur  et  la  honte 
d'avoir  fait  ce  que  nous  avons  fait...  »  (Lettre  du  24  juin, 
apud  Hermant,  Mémoires,  T.  V,  p.  54)- 

La  première  signature  qu'il  fallait  obtenir  était  celle  des 
religieuses  de  P.  R.,  atteintes  déjà  par  la  persécution.  Sainte- 
Marthe,  l'un  des  confesseurs  qui  avaient  dû  se  retirer  le  12 
juin,  et  qui  voyait  tout  le  monastère  «  prêt  de  souffrir  pour 
l'innocence  et  la  vérité  »,  n'approuvait  guère  le  mandement. 
Les  religieuses  se  montraient  fort  embarrassées  ;  elles  envoyaient 
des  lettres  fréquentes  aux  docteurs  amis,  qui  se  réunirent 
pour  étudier  en  commun  la  réponse  qu'il  fallait  transmettre. 
Enfin,  le  22  juin,  les  religieuses  de  Port-Royal  de  Paris  signè- 
rent, mais  en  faisant  précéder  leur  signature  d'une  «  tête  où 
elles  déclaroient  qu'elles  embrassoient  absolument  et  sans 
réserve  la  foi  de  l'Eglise  catholique,  qu'elles  condamnoient 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  99 

toutes  les  erreurs  qu'elle  condamne,  et  que  leur  signature 
étoit  un  témoignage  de  cette  disposition  ». 

Le  résumé  de  cette  explication  est  emprunté  à  l'Apologie 
pour  les  Religieuses  de  Port-Royal  du  S*  Sacrement,  contre 
les  injustices  et  les  violences  du  procédé  dont  on  a  usé  envers 
ce  monastère,  2e  partie,  i665,  que  rédigèrent  Arnauld,  Nicole 
et  Sainte-Marthe.  Le  même  livre  nous  fait  connaître  la  résis- 
tance plus  vive  encore  de  Port-Royal  des  Champs  (p.  t3  et  i4). 

«  [Ce  mandement]  produisit  bien  encore  d'autres  agitations 
à  Port- Royal  des  Champs.  Quoy  que  les  Religieuses  de  Paris 
eussent  grand  soin  de  les  avertir  de  tout,  et  de  respondre  à 
toutes  leurs  difficultez,  je  ne  sçay  néanmoins  comment  il  estoit 
arrivé  qu'on  avoit  esté  plus  négligent  qu'à  l'ordinaire.  Elles 
receurent  donc  le  mandement  par  une  autre  voie.  Elles  ap- 
prirent que  tout  le  monde  le  signoit  et  qu'on  les  vouloit  obli- 
ger à  le  signer  tel  qu'il  estoit.  On  leur  dit  que  c'estoit  l'avis 
de  leurs  principaux  amis  sans  leur  donner  aucun  éclaircisse- 
ment sur  les  doutes  qui  s'esleverent  en  foule  dans  leur  esprit. 
Cela  les  mit  en  des  peines  si  extrêmes  et  si  violentes  qu'on 
peut  juger  par  là  quel  crime  c'est  que  d'inquiéter  les  filles 
consacrées  à  Dieu  et  de  gesner  leurs  consciences  en  les  mes- 
lant  sans  raison  en  des  affaires  qui  ne  les  regardent  point... 

«  ...  [Loicy]  ce  que  je  me  sens  obligé  de  rapporter  de  la 
peine  que  ce  mandement  fit  à  une  Religieuse  qui  est  morte 
présentement,  qui  estoit  alors  Sousprieure  à  Port-Royal  des 
Champs.  Elle  estoit  sœur  de  feu  Monsieur  Paschal  et  s'appel- 
loit  en  Religion  la  sœur  Euphemie.  Ceux  qui  l'ont  connue  dans 
le  monde  sçavent  qu'elle  avoit  un  esprit  si  éminent  qu'il  a 
passé  avec  raison  pour  un  espèce  de  prodige...  Mais  ceux  qui 
l'ont  connue  dans  la  Religion  ont  encore  beaucoup  plus  admiré 
la  grandeur  de  sa  pieté  que  celle  de  son  esprit,  y  ayant  esté 
dés  le  commencement  un  modèle  parfait  de  toutes  les  vertus 
Religieuses.  Sur  tout  il  n'y  a  jamais  rien  eu  de  plus  édifiant 
que  sa  douceur,  son  humilité,  sa  soumission,  son  obéissance, 
sa  modestie.  Tous  les  talens  de  son  esprit  estoient  tellement 
couverts  de  l'éclat  de  ces  vertus  qu'on  avoit  peine  à  les  apper- 


100  ŒUVRES 

cevoir.  Ses  Supérieurs  et  ses  Confesseurs  n'ont  jamais  éprouvé 
en  elle  aucune  contradiction,  quelque  chose  qu'il  leur  ait  pieu 
de  luy  commander,  ce  qui  doit  faire  juger  combien  violente 
devoit  estre  la  douleur  qui  la  poussa  à  écrire  la  lettre  dont  je 
m'en  vais  rapporter  l'extrait.  Elle  avoit  dessein  en  l'écrivant 
de  l'addresser  à  la  sœur  Angélique  de  S.  Jean,  et  c'est  à  elle 
à  qui  elle  parle.  Mais  ensuite  elle  crut  la  devoir  envoyer  à 
Mr  A[rnauld]  luy-mesme  dans  l'asseurance  qu'elle  avoit  qu'il 
ne  se  blesseroit  pas  de  la  dureté  des  termes  dont  elle  se  ser- 
voit,  quoy  qu'ils  le  regardassent  plus  que  personne.  Elle  l'ac- 
compagna néanmoins  d'une  lettre  fort  obligeante  dans  laquelle 
elle  témoignoit  qu'elle  l'avoit  écrite  tout  de  suite  dans  le 
transport  d'une  douleur  excessive  dont  elle  avoit  esté  saisie 
après  la  Communion  par  la  pensée  que  la  Signature  à  laquelle 
on  les  vouloit  obliger  estoit  contraire  à  la  sincérité  Chrestienne. 
On  ne  peut  bien  juger  de  cette  lettre  qu'en  supposant  qu'elle 
a  esté  écrite  par  une  fille  qui  estoit  naturellement  tres-éloi- 
gnée  de  toute  sorte  d'emportement,  et  on  ne  doit  pas  s'eston- 
ner  qu'elle  paroisse  fort  instruite  de  toutes  ces  contestations, 
parce  qu'elle  estoit  entrée  assez  âgée  dans  la  Religion,  et  qu'elle 
avoit  leu  dans  le  monde  une  partie  des  livres  qui  ont  esté 
faits  en  nostre  langue  sur  ces  matières,  qui  avoient  beaucoup 

contribué  à  luy  donner  le  désir  de  la  vie  Religieuse1 

«  La  Prieure  de  Port-Royal  des  Champs  [la  Mère  du  Fargis] 
qui  ne  souffroit  point  de  moindres  peines  qu'elle  sur  la  Signa- 
ture, envoyant  cette  lettre  à  Mr  A.  l'accompagna  d'une  des 
siennes  dont  voicy  la  copie2  :  «  ...  Mais  je  vous  ennûirois  peut- 
estre  si  je  vous  disois  toutes  mes  pensées  sur  ce  sujet,  qui  ne 

i .  La  même  Apologie  publie  un  long  extrait  de  la  première  lettre  de 
Jacqueline;  en  1725,  la  lettre  fut  donnée  en  entier  dans  les  Divers  Actes, 
Lettres  et  Relations  des  Religieuses  de  P.  R.  du  S1  Sacrement,  mais  ces 
deux  imprimés  atténuent  souvent  la  pensée,  ou  corrigent  le  style  de 
Jacqueline.  Nous  donnons  les  deux  lettres  d'après  le  texte  que  Guer- 
rier a  transcrit. 

2.  Nous  avons  rectifié  le  texte  de  cette  lettre  d'après  le  premier 
recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  dOi 

sont  autres  que  celles  de  ma  sœur  Euphemic  a  marquées  dans 
la  lettre  qu'elle  vous  envoie,  à  laquelle  je  ne  trouve  rien  à 
redire  sinon  qu'il  semble  en  quelques  endroits  qu'elle  parle 
un  peu  trop  librement  de  ceux  pour  qui  nous  devons  avoir 
toute  sorte  de  respect.  Mais  sans  doute  Mr  vous  pardonnerez  à 
son  zèle  puisqu'il  n'y  a  que  cela  qui  la  porte  à  parler  en 
cette  manière.  Je  croy  qu'on  luy  peut  attribuer  la  parole 
de  S.  Paul:  sive  mente  excedimus  Deo,  sive  sobrii  sumus  vobis. 
Car  en  vérité  elle  est  tellement  pénétrée  de  l'amour  de  la  sin- 
cérité, que  c'est  ce  qui  l'empesche  de  se  modérer  dans  une 
occasion  où  il  semble  qu'on  nous  veut  obliger  à  ne  la  pas 
confesser  aussi  librement  que  nous  le  devrions. 

«  ...  M.  A.  à  qui  ces  lettres  furent  envoyées,  bien  loin  de  se 
blesser  de  la  dureté  apparente  des  termes  de  la  sœur  Euphe- 
mie,  connoissant  parfaitement  l'extrême  modération  de  son 
esprit,  jugea  par  là  de  l'excez  de  sa  douleur.  Et  quoy  qu'il 
crust  que  l'une  et  l'autre  se  choquoit  trop  de  ce  mandement, 
il  admira  leur  disposition  qui  paroissoit  en  ces  lettres,  et  cet 
ardent  amour  pour  la  sincérité  qu'elles  y  témoignoient.  Il  leur 
récrivit  donc  avec  le  plus  d'humilité  et  de  netteté  qu'il  pût 
pour  les  éclaircir  sur  les  doutes  qu'elles  avoient  sur  ce  man- 
dement. Mais  avant  qu'elles  eussent  receu  sa  réponse,  elles 
s'estoient  dé-jà  délivrées  de  cet  embarras  en  signant  le  man- 
dement avec  la  teste  qu'on  y  avoit  mise  à  Port-Royal  de  Paris, 
et  qui  leur  fut  envoyée  lors  qu'on  leur  en  demanda  la  signa- 
ture, et  y  ajoutant  encore  à  la  fin  une  queue  pour  plus  grand 
éclaircissement.  La  réponse  de  M.  A.  ne  fut  pas  néanmoins 
inutile  ;  et  elle  servit  à  leur  lever  plusieurs  difiBcultez. 

«  On  eut  donc  pour  lors  le  bon-heur  de  remettre  dans  le 
calme  l'esprit  de  ces  deux  Religieuses,  et  de  quelques  autres 
qui  n'avoient  pas  de  moindres  peines  qu'elles  sur  ce  mande- 
ment, en  les  satisfaisant  par  les  raisons  les  plus  solides  que 
l'on  pût.  Mais  on  ne  pût  pas  empescher  que  la  santé  de  leur 
corps  ne  fust  tellement  ébranslée  par  la  violence  de  la  peine 
que  leur  avoit  causé  cette  signature,  qu'elles  tombèrent  toutes 
deux  en  mesme  temps  dangereusement  malades,  en  sorte  que 


102  ŒUVRES 

la  Mère  Prieure  de  Port-Royal  ayant  esté  jusques  aux  portes 
de  la  mort,  et  n'en  estant  revenue  qu'avec  une  extrême  peine, 
la  sœur  Euphemie  fut  emportée  par  la  violence  de  son  mal, 
comme  elle  l'avoit  bien  prédit  dans  sa  lettre  que  nous  avons 
rapportée,  ayant  esté  ainsi  la  première  victime  de  la  Signature, 
ce  qui  doit  causer  à  tous  ceux  qui  ont  connu  la  vertu  tres- 
extraordinaire  de  cette  religieuse  une  juste  indignation  contre 
les  auteurs  de  cette  cruelle  invention  qui  luy  a  causé  la 
mort.  » 


103 


I 

LETTRE  DE  LA  SŒUR  JACQUELINE 

DE  SAINTE  EUPHEMIE  PASCAL 

A  LA  SOEUR  ANGELIQUE  DE  SAINT  JEAN l 

[22-23.  Juin  1661.] 

Ma  très  chère  Sœur, 
Le  peu  (Testât  qu'on  a  fait  jusqu'icy  de  nos  difficultez 
sur  toutes  les  affaires  qui  se  passent  m'empescheroit  de  les 
proposer  encore  à  présent,  voïant  combien  peu  on  s'entend 
de  loin,  si  la  chose  pouvoit  se  différer.  Je  croy  estre  obligée 
de  vous  dire  que  toutes  celles  que  j'écrivis  à  nostre  Mère 
ne  regardoient  que  le  mandement  qui  nous  estoit  tombé 
entre  les  mains  par  le  plus  grand  hazard  du  monde,  et  je 
dirois  par  un  effet  de  la  providence  de  Dieu,  si  on  avoit 
quelque  égard  à  nos  peines  et  si  cela  eust  eu  quelque 
effet;  car  tout  le  monde  se  trouve  présentement  dans  le 
mesme  sentiment,  encore  que  nous  entendions  fort  bien  que 
l'on  prétend  que  nostre  Signature  ne  nous  demande  que  le 
respect,  c'est  à  dire  le  silence  pour  le  fait,  et  la  croyance 
pour  ce  qui  est  de  la  foy2,  mais  il  n'est  plus  temps,  et  la 
pluspart  3desiroient  de  tout  leur  cœur  qu'il  fust  pire, 

1.  «  J'ay  transcrit  cette  lettre  sur  une  copie  assez  difficile  à  déchif- 
frer »  (note  du  Père  Guerrier). 

1.  Le  manuscrit  de  Troyes,  n°  2  2o3,  ajoute  :  «  ce  que  nous  avions 
toujours  été  prêtes  de  témoigner;  nous  voyons  néanmoins  que  cela  est 
exprimé  en  termes  ambigus  et  indignes  de  la  sincérité  chrétienne. 
Ainsi  la  plupart  désireroient... .  »  (note  de  Victor  Cousin). 

3.   Édition  de  i665  :  [désireroient]. 


lui  ŒUVRES 

sçachant  bien  qu'il  n'en  falloit  pas  espérer,  dans  le  temps 
où  nous  sommes,  un  meilleur,  parce  que  néanmoins  on 
le  rejetteroit  avec  une  entière  liberté  ;  au  lieu  que  plusieurs 
seront  comme  contraints  de  le  recevoir,  et  qu'une  fausse 
prudence  et  une  véritable  lascheté  le  fera  embrasser  à 
plusieurs  autres  comme  un  moyen  favorable  de  mettre 
aussi  bien  leur  personne  que  leur  conscience  en  seureté; 
mais  pour  moy  je  suis  persuadée  que  ny  l'une  ny  l'autre 
n'y  sera  par  ce  moïen.  Il  n'y  a  que  la  vérité  qui  délivre 
véritablement,  et  il  est  sans  doute  qu'elle  ne  délivre  que 
ceux  qui  la  mettent  elle-mesme  en  liberté  en  la  confessant 
avec  tant  de  fidélité  qu'ils  méritent  d'estre  confessez  eux- 
mesmes  et  reconnus  pour  de  vrais  enfans  de  Dieu. 

Je  ne  puis  plus  dissimuler  la  douleur  qui  me  perce  jusques 
au  fond  du  cœur  de  voir  que  les  seules  personnes  à  qui 
Dieu  a  confié  sa  vérité  luy  soient  si  infidelles,  si  je  l'ose  dire, 
que  de  n'avoir  pas  le  courage  de  s'exposer  à  souffrir  quand 
ce  devroit  estre  la  mort  mesme,  pour  la  confesser  haute- 
ment. 

Je  sçay  le  respect  qui  est  deu  aux  puissances  de  l'Eglise  ; 
je  mourrois  d'aussi  bon  cœur  pour  le  conserver  invio- 
lable, comme  je  suis  preste  à  mourir,  avec  l'aide  de  Dieu 
pour  la  confession  de  ma  foy  dans  les  affaires  présentes  ; 
mais  je  ne  voy  rien  de  plus  aisé  que  d'allier  l'un  à  l'autre. 
Qui  nous  empesche  et  qui  empesche  tous  les  Ecclésias- 
tiques qui  connoissent  la  vérité,  lors  qu'on  leur  présente 
le  Formulaire  à  signer  de  répondre  :  Je  sçay  le  respect 
que  je  dois  à  MM.  les  Evesques,  mais  ma  conscience  ne 
me  permet  pas  de  signer  qu'une  chose  est  dans  un  livre 
où  je  ne  l'ay  pas  veùe  ;  et  après  cela  attendre  ce  qui  en 
arrivera?  Que  craignons -nous?  Le  bannissement1  et  la  dis- 

i.   L'édition  de  i665  ajoute  :  [pour  les  Séculiers]. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  40'i 

persion  pour  les  Religieuses,  la  saisie  du  temporel,  la 
prison  et  la  mort  si  vous  voulez  :  Mais  n'est-ce  pas  nostre 
gloire  et  ne  doit-ce  pas  estre  nostre  joye? 

Renonçons  à  l'Evangile,  ou  suivons  les  maximes  de 
l'Evangile  et  estimons-nous  heureuses  de  souffrir  quel- 
que chose  pour  la  justice.  Mais  peut-estre  on  nous  re- 
tranchera de  l'Eglise?  Mais  qui  ne  sçait  que  personne 
n'en  peut  estre  retranché  malgré  soy,  et  que  l'Esprit  de 
Jesus-Christ  estant  le  lien  qui  unit  ses  membres  à  luy  et 
entre  eux,  nous  pouvons  bien  estre  privez  des  marques, 
mais  non  jamais  de  l'effet  de  cette  union,  tant  que  nous 
conserverons  la  charité  sans  laquelle  nul  n'est  un  membre 
vivant  de  ce  saint  Corps?  Et  ainsi  ne  voit-on  pas  quêtant 
que  nous  n'érigerons  point  Autel  contre  Autel,  que  nous 
ne  serons  pas  assez  malheureuses  pour  faire  une  Eglise 
séparée,  et  que  nous  demeurerons  dans  les  termes  du 
simple  gémissement,  et  de  la  douceur  avec  laquelle  nous 
porterons  nostre  persécution,  la  charité  qui  nous  fera  em- 
brasser nos  ennemis  nous  attachera  inviolablement  à 
l'Eglise,  et  qu'il  n'y  aura  qu'eux  qui  en  seront  séparez  en 
rompant  par  la  division  qu'ils  voudront  faire,  le  lien  delà 
charité  qui  les  unissoit  à  Jesus-Christ  et  les  rendoit 
membres  de  son  Corps?  Hélas,  ma  chère  Sœur,  que  nous 
devrions  avoir  de  joye  si  nous  avions  mérité  de  souffrir 
quelque  notable  confusion  pour  Jesus-Christ.  Mais  on 
donne  trop  bon  ordre  pour  l'empêcher,  lorsqu'on  peint 
avec  tant  d'addresse  la  vérité  des  couleurs  du  men- 
songe qu'elle  ne  peut  estre  reconnue,  et  que  les  plus  ha- 
biles ont  de  la  peine  à  la  voir.  J'admire  la  subtilité  de 
l'esprit,  et  je  vous  avoue  qu'il  n'y  a  rien  de  mieux  fait  que 
le  mandement.  Je  croy  qu'il  est  bien  difficile  de  trouver 
une  pièce  aussi  adroite  et  faite  avec  tant  d'art.  Je  louerois 
très-fort  un  Hérétique  en  la  manière  qu'un  Père  de  famille 


106  OEUVRES 

loiïoit  son  dépensier  s'il  estoit  aussi  finement  échappé  de 
la  condamnation  sans  désavouer  son  erreur,  que  nous  con- 
sentons par  là  au  mensonge  sans  nier  la  vérité.  Mais  des 
Fidelles,  des  gens  qui  connoissent  et  qui  soutiennent  la 
vérité  et  l'Eglise  Catholique  user  de  déguisement  et  biaiser, 
je  ne  croy  pas  que  cela  se  soit  jamais  veu  dans  les  siècles 
passez.  Et  je  prie  Dieu  de  nous  faire  mourir  tous  aujour 
d'huy  plustost  que  de  souffrir  qu'une  telle  abomination 
s'introduise  dans  l'Eglise.  En  vérité,  ma  chère  Sœur,  j'ay 
bien  de  la  peine  à  croire  que  cette  sagesse  vienne  du  Père 
des  lumières,  mais  plustost  je  croy  que  c'est  une  révé- 
lation de  la  chair  et  du  sang.  Pardonnez-moy,  je  vous  en 
supplie,  ma  chère  Sœur  ;  je  parle  dans  l'excez  d'une  dou- 
leur à  quoy  je  sens  bien  qu'il  faudra  que  je  succombe, 
si  je  n'ay  la  consolation  de  voir  au  moins  quelques  per- 
sonnes se  rendre  volontairement  victimes  de  la  vérité,  et 
protester  par  une  vraye  fermeté  ou  par  une  fuitte  de 
bonne  grâce  contre  tout  ce  que  les  autres  feront,  et  con- 
server la  vérité  en  leur  personne.  Ce  n'est  pas  que  je  vou- 
lusse, dans  l'aigreur  et  le  pouvoir  où  l'on  voit  les  ennemis 
de  la  vérité,  que  l'on  se  declarast  trop  expressément  ;  car 
par  parenthèse,  je  croy  que  vous  ne  sçavez  que  trop  qu'il 
ne  s'agit  pas  icy  seulement  de  la  condamnation  d'un  saint 
Evesque,  mais  que  sa  condamnation  enferme  formellement 
celle  de  la  grâce  de  Jesus-Christ,  et  qu'ainsi  si  nostre  siècle 
est  si  malheureux  qu'il  ne  se  trouve  personne  qui  ose 
mourir  pour  deffendre  l'honneur  d'un  juste,  c'est  le  comble 
de  ne  trouver  personne  qui  le  veuille  pour  la  justice 
mesme.  Je  ne  voudrois  pourtant  pas  que  l'on  fist  hau- 
tement une  profession  de  foy  ;  car,  en  Testât  où  sont  les 
choses  et  les  personnes  que  Dieu  a  livrées  à  leur  sens  et  à 
leurs  passions,  il  est  indubitable  à  moins  que  d'un  mi- 
racle que  la  vérité  seroit  condamnée  :  et  plus  on  se  seroit 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  107 

clairement  expliqué,  plus  on  feroit  de  tort  à  ceux  qui  con- 
damneroient  une  vérité  si  claire.  Mais  je  voudrois  que, 
demeurant  tousjours  dans  les  termes  du  respect  pour  ce 
qui  est  de  ne  point  dire  d'injures  ny  faire  des  reproches, 
on  demeurast  ferme  à  ne  donner  aucun  sujet  de  croire 
qu'on  eust  ou  condamné  ou  fait  semblant  de  condamner 
la  vérité:  car  je  vous  demande,  ma  tres-chere  Sœur,  au 
nom  de  Dieu,  dites-moy  quelle  différence  vous  trouvez 
entre  ces  deguisemens  et  donner  de  l'encens  à  une  idole 
sous  prétexte  d'une  croix  qu'on  a  dans  sa  manche. 

Vous  me  direz  peut-estre  que  cela  ne  nous  regarde  point, 
à  cause  de  nostre  petit  Formulaire  particulier  ;  mais  je  vous 
diray  deux  choses  sur  cela  :  l'une  que  saint  Bernard  nous 
apprend,  dans  ses  manières  admirables  de  parler,  que  la 
moindre  personne  de  l'Eglise  non-seulement  peut,  mais 
doit  crier  de  toutes  ses  forces  lorsqu'elle  voit  les  Evesques 
et  les  Pasteurs  de  l'Eglise  dans  Testât  où  nous  les  voyons, 
quand  il  dit,  Qui  peut  trouver  mauvais  que  je  crie  moy  qui 
suis  une  petite  brebis,  pourtascher  d'éveiller  mon  Pasteur 
que  je  voy  endormi  et  prest  à  estre  dévoré  par  une  beste 
cruelle?  Quand  je  serois  assez  ingrate  pour  ne  le  pas 
faire  par  l'amour  que  je  luy  porte  et  la  reconnoissance 
que  je  lui  doy,  ne  doy-je  pas  le  faire  par  la  crainte  de  mon 
propre  péril?  Car  qui  me  défendra  quand  mon  pasteur 
sera  dévoré?  Ce  que  je  ne  dis  pas  pour  nos  pères  et 
pour  nos  amis,  je  sçay  qu'ils  ont  autant  d'horreur  que 
moy  des  deguisemens  pour  eux-mesmes;  mais  je  le  dis 
pour  Testât  gênerai  où  est  l'Eglise  et  pour  me  justifier 
envers  vous  et  envers  moy-mesme  de  Tinterest  que  je 
prens  à  cela. 

L'autre  chose  que  je  vous  répons  est  que  je  n'ay  pu 
jusques  icy  approuver  entièrement  vostre  Formulaire  tel 
qu'il  est  et  que  j'y  voudrois  quelque  changement  en  deux 


108  ŒUVRES 

endroits.  Le  premier  est  au  commencement  ;  car  il  semble 
dur,  estant  ce  que  nous  sommes,  de  nous  offrir  si  librement 
à  rendre  compte  de  nostre  foy.  Je  le  voudrois  faire  néan- 
moins avec  un  petit  préambule  qui  en  ostast  la  consé- 
quence et  le  scandale  ;  car  ne  doutez  pas  que  le  procédé  de 
signature  et  de  déclaration  de  foy  est  une  usurpation  de 
puissance  d'une  conséquence  tres-dangereuse,  principale- 
ment cela  se  faisant  par  l'autorité  du  Roy  ;  à  quoy  pourtant 
les  particuliers  ne  doivent,  je  croy,  pas  résister  ;  mais  au 
moins  faut-  il  qu'il  y  ait  quelque  marque  que  l'on  ne  le  fait 
pas,  nesçachant  ce  que  l'on  fait  ou  comme  chose  deue,  mais 
que  c'est  une  violence  à  quoy  l'on  se  rend  pour  éviter  le  scan- 
dale. Le  second  est  sur  la  fin,  où  je  ne  voudrois  pas  que  nous 
parlassions  des  décisions  du  Saint-Siège  ;  car  encore  qu'il 
soit  vray  que  nous  nous  soumettions  à  ses  décisions  en  ce 
qui  regarde  la  foy,  le  commun  confond  tellement  par 
ignorance,  et  les  intéressez  veulent  tellement  confondre 
par  passion,  le  fait  et  le  droit,  que  vous  sçavez  qu'on  n'en 
fait  qu'une  mesme  chose.  Quel  est  donc  l'effet  de  vostre 
Formulaire  sinon  de  faire  croire  aux  ignorans  et  de 
donner  sujet  aux  malicieux  d'asseurer  que  nous  sommes 
demeurez  d'accord  de  tout,  et  que  nous  condamnons  la 
doctrine  de  Jansenius,  qui  est  clairement  condamnée 
dans  la  dernière  Bulle  ? 

Je  sçay  bien  que  ce  n'est  pas  à  des  filles  à  deffendre  la 
vérité,  quoy  que  l'on  peut  dire,  par  une  triste  rencontre 
que  puis  que  les  Evesques  ont  des  courages  de  filles,  les 
filles  doivent  avoir  des  courages  d' Evesques;  mais  si  ce 
n'est  pas  à  nous  à  deffendre  la  vérité,  c'est  à  nous  à 
mourir  pour  la  vérité  et  à  souffrir  plustost  toutes  choses 
que  de  l'abandonner. 

Pour  vous  expliquer  mieux  ma  pensée  sur  ces  décisions 
du  Saint-Siège,  voicy  une  comparaison  qui  me  vient  en 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  109 

l'esprit.  Quoy  que  tout  le  monde  sçache  que  le  Mystère 
delà  Sainte-Trinité  est  un  des  principaux  points  de  nostre 
foy  et  que  Saint  Augustin  confesseroit  sans  doute  et  si- 
gneroit  très-librement,  néanmoins  si  son  pays  estoit 
occupé  par  un  prince  infidelle  qui  voulust  faire  nier  l'unité 
de  Dieu  et  faire  croire  la  pluralité  des  dieux,  et  que 
quelques-uns  des  fidelles  pour  pacifier  les  troubles  que 
cela  exciteroit  faisant  un  formulaire  de  foy  sur  ce  point 
où  il  y  eust,  Je  croy  qu'il  y  a  plusieurs  personnes  à  qui 
l'on  peut  donner  le  nom  de  Dieu  et  leur  rendre  les  ado- 
rations etc.  sans  autre  explication,  Saint  Augustin  le  si- 
gneroit-il  ?  Certainement,  je  ne  le  croy  pas,  et  je  croy  encore 
moins  qu'il  le  dust  faire,  quoy  que  ce  soit  une  vérité  qu'il 
n'y  a  point  de  fidelle  qui  puisse  mettre  en  doute  ;  mais 
il  ne  seroit  pas  le  temps  de  le  dire  en  cette  manière.  Vous 
faites  aisément  l'application  de  la  comparaison.  On  dira  peut 
estre  que  notre  authorité  n'est  pas  du  poids  de  celle  de  Saint 
Augustin,  et  qu'elle  estnulle.  Je  reponsà  cela  premièrement 
que  je  n'ay  parlé  de  Saint  Augustin  que  par  réponse  à  la 
seule  que  vous  fîtes  ces  jours  passez  à  toutes  mes  difficultez, 
qui  estoit  que  l'on  se  rioit  de  nos  craintes,  et  que  Saint 
Augustin  signeroit  ce  que  nous  craignons.  Mais  ce  que 
je  dis  de  Saint  Augustin,  je  le  dis  de  vous  et  de  moy  et 
des  moindres  personnes  de  l'Eglise,  car  le  peu  de 
poids  de  leur  authorité  ne  les  rend  pas  moins  cou- 
pables, s'ils  l'emploient  contre  la  vérité.  Chacun  sçait,  et 
M.  de  Saint-Cyran  le  dit  en  mille  lieux,  que  la  moindre 
vérité  de  la  foy  doit  estre  deffendue  avec  autant  de 
fidélité  que  Jesus-Christ.  Qui  est  le  fidelle  qui  n'auroit 
point  d'horreur  de  soy-mesme,  s'il  se  pouvoit  faire 
qu'il  se  fust  trouvé  présent  au  conseil  de  Pilate  où  il 
auroit  esté  question  de  condamner  Jesus-Christ  à  la  mort, 
s'il  s'estoit  contenté  d'une  manière  d'opiner  ambiguë  par 


110  ŒUVRES 

laquelle  on  eust  pu  croire  qu'il  estoit  de  l'avis  de  ceux  qui 
le  condamnèrent,  quoy  qu'en  sa  conscience  et  selon  son 
sens  ses  paroles   tendissent  à  le  délivrer? 

Le  péché  de  Saint  Pierre  n'est-il  pas  infiniment 
moindre  que  ne  seroit  une  si  extresme  timidité;  et 
cependant  de  quelle  manière  l'a-t-il  regardé  durant 
le  reste  de  sa  vie?  Et  ce  qui  est  bien  considérable, 
c'est  qu'encore  qu'il  fust  destiné  pour  estre  le  chef  de 
l'Eglise,  il  ne  l'estoit  pas  encore.  Ce  n'est  donc  que 
le  péché  d'un  simple  fidelle  qui  ne  dit  pas  comme  à 
présent:  C'est  un  méchant,  il  est  digne  de  mort,  cru- 
cifiez le,  et  qui  ne  fait  pas  mesme  semblant  de  le  dire, 
mais  simplement  :  Je  ne  connay  point  cet  homme. 
Poussez  la  comparaison  jusques  au  bout,  je  vous  en  sup- 
plie. Ma  lettre  n'est  déjà  que  trop  longue.  Ainsi,  ma 
chère  Sœur,  voilà  ma  pensée  pour  le  Formulaire  que  je 
voudrois  clair  en  tout  ce  qu'il  contiendra,  quoy  que  je  voie 
bien  qu'il  ne  doit  pas  tout  contenir.  «  Comme  dans  l'igno- 
rance où  nous  sommes,  tout  ce  qu'on  peut  désirer  de  nous 
pour  la  signature  qu'on  nous  propose  est  un  témoignage  de 
la  sincérité  denostrefoy  et  denostre  parfaite  soumission  à 
l'Eglise,  au  Pape  qui  en  estleChefet  à  M.  l'Archevesque  de 
Paris  qui  est  nostre  Supérieur;  quoy  que  nous  ne  croions 
pas  qu'on  ait  droit  de  demander  en  cette  Matière  raison 
de  leur  foy  à  des  personnes  qui  n'ont  jamais  donné 
aucun  sujet  d'en  douter,  néanmoins  pour  éviter  le  scan- 
dale et  les  soupçons  que  nostre  refus  pourroit  faire  naistre, 
nous  témoignons,  par  cet  acte  que  n'estimant  rien  de  si 
précieux  que  le  thresor  de  la  foy  pure  et  sans  meslange 
que  nous  voudrions  conserver  aux  despens  de  nostre  vie, 
nous  voulons  vivre  et  mourir  humbles  filles  de  l'Eglise 

i.  Edition  de  i665  :  [manière]. 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  lii 

Catholique,  croiant  tout  ce  qu'elle  croit,  et  estant  prestes 
de  mourir  pour  la  confession  de  la  moindre  de  ses  veri- 
tez.  » 

Si  on  s'en  contente,  à  la  bonne  heure;  si  non,  pour 
moy,  je  ne  feray  jamais  autre  chose  s'il  plaist  à  Dieu. 
C'est  ce  me  semble  tout  ce  que  nous  pouvons  accorder; 
du  reste  arrive  ce  qui  pourra,  la  pauvreté,  la  dispersion,  la 
prison,  la  mort;  tout  cela  me  semble  rien  en  comparaison 
de  l'angoisse  où  je  passerois  le  reste  de  ma  vie  si  j'avois 
esté  assez  mal  heureuse  pour  faire  alliance  avec  la  mort 
en  une  si  belle  occasion  de  rendre  à  Dieu  les  vœux  de  fi- 
délité que  nos  lèvres  ont  prononcez. 

Prions  Dieu,  ma  chère  Sœur,  les  unes  pour  les  autres 
qu'il  nous  fortifie  et  nous  humilie  de  plus  en  plus,  puis- 
que la  force  sans  humilité  et  l'humilité  sans  force  sont 
aussi  pernicieuses  l'une  que  l'autre.  C'est  icy  plus  que 
jamais  le  temps  de  se  souvenir  que  les  timides  sont  mis 
au  mesme  rang  que  les  parjures  et  les  exécrables. 

Ne  vous  scandalisez  pas  de  mes  reproches  sur  le  peu 
d'estat  qu'on  a  fait  de  nos  difficultez.  Je  n'en  ay  pas  eu 
la  moindre  peine  ;  je  suis  accoutumée  à  estre  traittée  en 
enfant  et  Dieu  veuille  que  je  le  sois  toute  ma  vie.  Mais  le 
discours  m'y  a  portée  sans  dessein  et  je  n'en  ay  pas  esté 
faschée  afin  que  s'il  arrivoit  jamais  quelque  chose  de 
semblable,  on  sçache  qu'on  ne  sous  satisfait  pas  en  disant 
qu'on  se  rit  de  nos  difficultez,  sans  en  alléguer  aucune 
raison.  Adieu,  ma  chère  Sœur,  en  Testât  où  est  nostre 
chère  malade1,  si  la  chose  ne  pressoit  autant  qu'elle  le 
fait,  je  n'en  aurois  pas  dit  un  mot. 

Je  croy,  ma  chère  Sœur,  n'avoir  pas  besoin  de  vous 
dire,  que  je  ne  m'arreste  nullement  aux  parolles  de  nostre 

1.  Il  s'agit  de  la  Mère  Angélique. 


112  ŒUVRES 

Formulaire,  et  qu'il  m'est  indiffèrent  de  quels  termes 
on  use,  pourveu  qu'on  ne  donne  nul  sujet  de  penser  que 
nous  condamnons  ny  la  grâce  de  Jesus-Christ  ny  celuy 
qui  l'a  si  bien  expliquée. 

C'est  pour  cela  qu'en  mettant  ces  mots,  croire  tout  ce 
que  l'Eglise  croit,  j'ay  omis,  et  condamner  tout  ce  qu'elle 
condamne,  quoy  qu'il  soit  vray  que  je  condamne  tout  ce 
que  l'Eglise  condamne;  mais  je  croy  qu'il  n'est  pas  le 
temps  de  le  dire,  de  peur  qu'on  ne  confonde  l'Eglise  avec 
les  décisions  présentes,  comme  feu  M.  de  Saint-Gyran  dit 
que  les  payens  ayant  mis  une  idole  au  mesme  lieu  où 
estoit  la  croix  de  Notre-Seigneur,  les  fidelles  ne  l'alloient 
point  adorer,  de  peur  qu'il  ne  semblast  qu'ils  adoroient 
l'idole. 


113 


II 


LETTRE  DE  LA 

SOEUR  JACQUELINE  DE  SAINTE-EUPHEMIE  PASCAL 

A  M.  [ARNAULD]  • 

Gloire  à  Jésus  au  Très- Saint  Sacrement. 

Ce  23.  au  soir  [juin  1661]. 

Mon  Père, 

Selon  l'ordre  ordinaire  de  la  civilité,  je  devrois  vous 
faire  bien  des  complimens  et  vous  tesmoigner  ma  joye  de 
ce  que  j'ay  une  occasion  de  vous  escrire,  qui  est,  comme 
vous  sçavez,  une  grâce  bien  rare;  mais,  en  vérité,  Testât 
de  l'Eglise  et  celuy  de  la  chère  Mère  m'en  ostent  le  cou- 
rage et  puis,  mon  Père,  je  feray  grand  tort  à  vostre  cha- 
rité de  penser  que  vous  me  puissiez  croire  changée  à 
vostre  égard.  L'ordre  que  vous  nous  avez  donné  par 
vostre  billet  qui  nous  a  esté  rendu  ce  matin,  est  venu  fort 
à  propos  me  donner  mission  pour  une  chose  à  quoy  je 
n'en  avois  que  par  un  mouvement  intérieur  qui  n'est  pas 
une  chose  bien  seure  :  c'est,  mon  Père,  qu'hier,  après 
avoir  communié  dans  une  grande  amertume  de  cœur  sur 
tout  ce  qui  se  passe,  tandis  que  je  faisois  mon  action  de 
grâces,  ou  plustot  que  je  gemissois  devant  Dieu,  il  me 


1.   «  J'ay  transcrit  cette  lettre  sur  une  copie  de  la  mesme  main  que 
la  précédente.  Je  ne  sçay  à  qui  elle  s'adresse  »  (note  du  Père  Guerrier). 

2e  série.  VII  8 


114  ŒUVRES 

vint  une  forte  pensée  d'escrire  toutes  mes  pensées  sur  ce 
sujet  ou  au  moins  les  principalles,  car  plusieurs  mains  de 
papier  ne  suffiroient  pas  ;  et  ne  sçachant  à  qui  je  m'ad- 
dresserois,  je  jettay  les  yeux  sur  ma  Sœur  Angélique  à 
qui  j'escrivis  dés  le  moment  cette  longue  lettre,  après 
avoir  invoqué  Dieu  et  son  Saint-Esprit  pour  les  per- 
sonnes qui  dévoient  y  respondre,  sans  après  cela  pres- 
que penser  à  ce  que  j'avois  à  dire  que  j'ay  mis  tout  du 
cours  de  la  plume.  Je  l'ay  achevée  aujourd'huy  avec  plus 
d'asseurance  depuis  vostre  billet  et  je  vous  l'envoie,  mon 
Père,  parce  que  je  n'ay  pas  pu  prendre  le  temps  de  la 
récrire  pour  vous  l'addresser. 

Vous  verrez  qu'elle  est  escrite  en  marge.  Si  vous  avez 
la  bonté  d'y  respondre  à  chaque  article  sur  la  marge 
mesme  je  vous  en  seray  bien  obligée;  mais  si  vous  aimez 
mieux  faire  une  response  à  part,  si  vous  jugez  à  propos 
de  l'envoyer  à  ma  Sœur  Angélique  quand  vous  l'aurez 
veue,  je  luy  mande  que  je  vous  en  supplie.  Si  néanmoins 
vous  mettez  les  responses  sur  la  lettre  mesme,  renvoyez- 
la  moy  tout  droit  à  moy-mesme  s'il  vous  plaist,  car  je  ne 
désire  qu'elle  l'ayt  qu'au  cas  qu'elle  ne  soit  pas  respon- 
due,  afin  qu'elle  y  mette  ses  responses  ;  et  pour  celles  que 
vous  me  ferez,  mon  Père,  soit  sur  la  lettre  ou  à  part,  je 
les  luy  enverray  si  vous  me  le  permettez,  mais  je  seray 
bien  ayse  que  nous  les  voyions  les  premières.  Vous  ver- 
rez, mon  Père,  bien  fulminer  contre  ce  qui  a  esté  fait;  il 
m'a  semblé,  outre  qu'en  ces  matières  chacun  abonde  en 
son  sens  et  appuyé  ses  raisons  comme  il  peut,  que  je  le 
pouvois  faire  plus  librement  qu'un  autre  à  cause  de  celuy 
qui  y  a  eu  bonne  part.  Je  suis  dans  une  joye  incroyable 
de  son  zèle,  et  je  croy  après  tout,  que  c'est  Dieu  qui  le 
luy  a  fait  faire  pour  mettre  en  seureté  la  conscience  d'une 
infinité  de  personnes  qui  se  laissent  conduire  à  la  bou- 


LETTRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  H5 

chérie  comme  des  agneaux  ;  et  que,  dans  un  temps  où  il 
ne  falloit  pas  espérer  que  ceux  qui  ont  l'authorité  de 
l'Eglise  de  Paris  eussent  assez  de  force  pour  exhorter  par 
leur  exemple  tous  leurs  diocésains  au  martyre,  c'a  esté 
une  chose  digne  de  leur  pieté  de  leur  donner  moyen, 
sans  mesme  que  la  pluspart  d'entre  eux  le  sçachent,  de  ne 
rien  faire  directement  contraire  à  la  vérité  ;  et  qu'ils  ont 
fait  comme  un  père  sage  qui  émousse  le  tranchant  d'un 
couteau  qu'il  donne  à  son  enfant;  enfin,  pour  dire  ma 
pensée  en  un  mot,  on  a  empesché  par  cette  voye  de  faire 
tout  le  mal  qu'on  pouvoit,  et  c'est  une  grande  louange 
puisque  l'Eglise  mesme  la  donne  aux  Saints,  Qui  potest 
transgrecU  et  non  est  transgressus.  Mais  il  me  semble,  mon 
Père,  que  ce  qui  est  assez  pour  les  uns,  seroit  un  horrible 
défaut  aux  autres.  A  la  bonne  heure  que  les  choses  soyent 
de  celte  sorte,  pourveu  que  l'on  permette  à  ceux  qui  en 
auront  le  courage  d'aller  plus  avant  et  que  l'on  ne  pré- 
tende pas  que  nous  nous  sauverons  en  voilant  la  vérité, 
et  en  nous  contentant  de  ne  la  pas  condamner  en  effet, 
quoy  que  nous  semblions  la  condamner  en  apparence.  En 
vérité,  mon  Père,  il  semble  que  c'est  un  peu  faire  en 
cette  matière  comme  ceux  qui  disent  qu'on  n'est  pas  obligé 
d'aimer  Dieu,  et  qu'il  suffit  qu'on  ne  le  haïsse  pas.  Mais 
si  je  me  remets  en  discours,  je  n'en  sortiray  pas  ayse- 
ment  ;  pardonnez-le  moy,  mon  Père,  et  ne  croyez  pas,  je 
vous  en  supplie,  quelque  forte  que  je  paroisse,  que  la  na- 
ture n'appréhende  beaucoup  toutes  les  suittes  ;  maisj'espere 
que  la  grâce  me  soustiendra,  et  ilestvray  qu'il  me  semble 
quasi  que  je  la  sens.  Je  vous  supplie  tres-humblement,  mon 
Père,  de  la  demander  pour  moy.  Je  me  remets  entière- 
ment à  vostre  discrétion  pour  ces  lettres  :  mon  inclination 
seroit  qu'elles  ne  fussent  veues  que  de  vous,  mon  Père,  et 
de  ma  sœur  Angélique.  Néanmoins,  si  vous  jugez  à  pro- 


116  ŒUVRES 


pas  de  les  faire  voir  à  M.  de  Gournay1,  vous  le  pouvez, 
mon  Père.  Ma  sœur  aussi  est  capable  de  les  voir,  et  peut- 
estre  mon  frère,  s'il  se  porte  bien.  Je  vous  demande  vos 
prières,  mon  Père,  au  nom  de  Dieu. 


Pseudonyme  de  Le  Maître  de  Saci 


GLXX 

RELATION 

DE  JACQUELINE  PASCAL 

CONCERNANT  LA  MÈRE  ANGÉLIQUE 

date  présumée  :  août  1661. 
Copie  manuscrite  à  la  Bibliothèque  Nationale  ms.  f.  fr.  17797,  ^°*  66. 


119 


RELATION  DE  LA    SOEUR  JACQUELINE 

DE  SAINTE  EUPHEMIE  PASCAL 

CONCERNANT   LA  MERE  MARIE  ANGELIQUE1 

(Addition  au  récit  de  quelques  discours  que  la  sœur 
Euphemie  a  entendu  tenir  à  la  Mère  Angélique  en  diffé- 
rentes occasions.) 

Parlant  une  fois  à  la  Mère  Angélique  d'une  personne 
dont  le  père  avoit  exercé  la  vacation  de  faire  joiïer,  elle 
me  dit  avec  sa  force  ordinaire  que  le  bien  de  cette  per- 
sonne estoit  plus  mal  acquis  et  plus  sujet  à  restitution  que 
celuy  des  voleurs  de  grands  chemins  ;  et  la  raison  en  est 
que  les  voleurs  ne  sont  auteurs  que  du  mal  qu'ils  font 
aux  passans,  mais  ces  brelandiers  sont  auteurs  des  péchez 
innombrables  que  font  ceux  qui  jouent,  des  blasphèmes, 
des  tromperies,  de  la  ruine  des  familles  et  de  tous  les  de- 
sordres qui   s'en    suivent,  des   querelles,  des  meurtres, 


i.  La  Mère  Angélique,  après  une  assez  longue  maladie,  mourut  le 
6  août  1661  :  «  Aussitôt  après  [sa]  mort....  la  mère  Agnes,  sa 
sœur,  ordonna  que  toutes  les  Sœurs  écrivissent  chacune  à  part  ce 
qu'elles  auroient  pu  sçavoir  de  particulier,  afin  que  cela  servit  de  mé- 
moires lorsqu'il  plairoit  à  Dieu  de  donner  à  quelqu'un  la  pensée  d'en 
composer  une  Histoire  toute  entière,  et  c'est  ce  qui  fut  fait,  et  l'on  a 
conservé  toutes  ces  Relations  »  (Note  de  la  Mère  Angélique  de  S* 
Jean,  écrite  à  Port-Royal  des  Champs  le  26  février  1673,  et  impri- 
mée en  tête  des  Relations  sur  la  Vie  de  la  Mère  Angélique,  1787, 
p.  vi).  La  relation  de  Jacqueline  Pascal  a  été  imprimée  dans  les  Mé- 
moires pour  servir  à  l'histoire  de  P.  R.  et  à  la  vie  de  la  Révérende  Mère 
Marie  Angélique  de  Ste  Magdeleine  Arnould...  Utrecht,  17/12,  T.  III, 
p.  io5;  une  copie  se  trouve  dans  le  ms.  f.  fr.  17797  ^e  ^a  Bibliothèque 
Nationale,  manuscrit  qui  provient  de  Port-Royal. 


120  ŒUVRES 

souvent  enfin  d'une  infinité  de  crimes.  Ils  sont  cause  de 
tout  cela,  et  si  cette  personne  ne  s'humilie  d'avoir  un  tel 
père,  elle  est  aussy  coupable  que  luy,  et  doit  estre 
regardée  comme  luy;  car  il  est  vray  que  les  enfans  ne  doi- 
vent pas  porter  l'iniquité  de  leurs  pères,  mais  c'est  pour- 
veu  qu'ils  en  ayent  de  l'aversion,  car  s'ils  ne  s'en  humi- 
lient, s'ils  ne  le  condamnent  dans  leur  cœur,  s'ils  n'en 
ontuneextresme  confusion,  cela  leur  sera  imputé  comme 
au  père  mesme. 

C'est  une  chose  terrible  que  les  jugemens  de  Dieu,  on 
n'y  pense  point  assez;  on  ne  les  redoute  point  assez,  et 
c'est  pour  cela  qu'on  ne  tasche  point  de  les  éviter.  Voyez- 
vous,  ma  fille,  il  n'y  a  point  d'autre  moyen  pour  les 
éviter  que  de  s'humilier,  mais  profondement  devant  Dieu, 
pour  toutes  choses,  mais  principalement  pour  les  taches 
qui  sont  dans  sa  famille;  et  au  lieu  de  cela,  combien  s'en 
eleve-t-on?  On  ne  devroit  penser  qu'à  ce  qui  peut  nous 
humilier,  soit  dans  la  nature  ou  dans  la  fortune  ou  dans 
la  grâce;  et  au  lieu  de  cela,  s'il  y  a  quelque  petit  avan- 
tage dans  sa  famille,  s'il  y  a  quelque  petite  chose 
un  peu  considérable  on  sçait  fort  bien  prendre  son  temps 
pour  le  dire  et  pour  le  faire  sçavoir;  et  au  contraire,  s'il  y 
quelque  chose  qui  fasse  honte,  comme  il  y  en  a  tousjours, 
on  sçait  fort  bien  s'en  taire,  et  souvent  mesme  le  déguiser, 
et  les  plus  stupides  ont  assez  d'esprit  pour  cela.  Qu'est- 
ce  que  cela?  N'est-ce  pas  un  fonds  d'orgueil  insupporta- 
ble? Ce  n'est  pas  qu'il  faille  décrier  sa  maison,  personne 
n'est  obligé  à  cela,  ce  seroit  une  folie  de  le  dire.  Mais 
aussi  ne  faut-il  pas  vouloir  publier  le  peu  de  bien  qu'il  y  a, 
en  cachant  le  mal  :  il  faut  s'en  taire  tout  à  fait,  mais  s'en 
taire  de  telle  sorte  qu'on  ne  le  fasse  pas  à  cause  de  la  con- 
fusion qu'on  auroit  à  dire  ce  qui  en  est,  et  comme  n'osant 
en  parler  autrement  ;  on  penseroit  faire  grande  chose  en 


RELATION  DE  JACQUELINE  PASCAL  121 

ne  disant  rien    du  tout,  au  lieu  que  ce  n'est  rien  faire 
que  son  devoir  tout  simplement. 

Une  fois,  parlant  d'une  personne  qui  estoit  prévenue 
d'une  fausse  dévotion,  dont  il  seroit  difficile  de  la  dé- 
tromper, la  Mère  Angélique  me  dit  :  Il  n'est  pas  seule- 
ment difficile,  il  est  tout  à  fait  impossible  si  Dieu  mesme  ne 
le  fait,  et  il  ne  le  fera  que  dans  ses  temps  et  dans  ses 
momens.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  doive  faire  ce  qu'on  peut, 
parce  qu'on  ne  sçait  pas  s'il  ne  voudra  point  se  servir  de 
ces  moiens-là  pour  exécuter  ce  qu'il  a  résolu  ;  mais  de 
s'empresser  de  s'ingérer  par  soy-mesme,  de  vouloir  faire 
comprendre  les  veritez  aux  âmes  qui  ne  sont  pas  encore 
meures,  c'est  vouloir  faire  luire  le  soleil  à  une  heure  in- 
due au  milieu  de  la  nuit.  Tous  les  princes  et  tous  les  plus 
puissans  Rois  de  la  terre  joints  ensemble  n'ont  pas  le  pou- 
voir de  faire  lever  le  soleil  à  une  heure  plus  matin  qu'il 
ne  doit  et  tous  les  hommes  ensemble  avec  toute  l'élo- 
quence et  toutes  les  persuasions  qu'on  se  peut  imaginer, 
ne  sçauroient  faire  voir  la  vérité  à  une  personne  qui  n'est 
pas  encore  éclairée  de  Dieu. 

Une  personne  ayant  dit,  en  sa  présence,  qu'elle  ne  vou- 
loit  point  prendre  connoissance  d'une  affaire  qui  se  pre- 
sentoit,  où  une  personne  affligée,  mais  qui  estoit  suspecte 
de  défauts  notables,  demandoit  qu'on  la  retirast,  elle  re- 
leva beaucoup  cette  parole,  et  dit  qu'elle  ne  voyoit  pres- 
que personne  qui  ne  se  délivrast  autant  qu'il  pouvoit  du 
soin  des  choses  où  il  y  avoit  quelque  péril  à  courir,  et 
qu'excepté  M.  Singlin,  elle  en  voyoit  fort  peu  qui  n'en 
fist  autant  que  cette  personne.  Quelqu'un  luy  dit  qu'il 
falloit  qu'elle  s'exceptastaussy  elle-mesme,  puisque  jamais 
il  ne  luy  arrivoit  de  refuser  d'entendre  ny  de  soulager 
personne.  Non,  dit  elle,  pourmoyje  ne  suis  qu'une  mi- 
sérable qui  ne  fait  jamais  aucun  bien.  Mais  il  est  vray 


12-2  ŒUVRES 

que  dans  ces  occasions-là  je  me  représente  que  si  une  per- 
sonne que  nous  aimassions  beaucoup  estoit  perdue,  qu'on 
ne  sceust  si  elle  est  morte  ou  vivante,  ny  en  quel  lieu  elle 
est,  par  exemple  ma  sœur  Catherine  de  Saint  Jean, 
voyez,  je  vous  prie,  quand  il  viendroit  comme  cela  une 
personne  inconnue  et  misérable  nous  demander,  si 
nous  ne  courrions  pas  pour  la  voir,  et  si  nous  ne  dirions 
pas:  Helas!  mon  Dieu,  c'est peut-estre  ma  pauvre  sœur; 
mais  avec  quelle  affection,  avec  quel  empressement,  j'en 
suis  seulement  toute  emeuë  d'y  penser  ;  hé  bien  !  si  c'est 
une  personne  qui  est  à  Dieu,  et  qui  est  persécutée  in- 
justement, n'est-ce  point  une  chose  qui  nous  doit  autant 
toucher  que  si  c'estoit  nostre  sœur?  et  que  sçavons- 
nous  si  ce  n'est  point  une  de  nos  sœurs  que  J.  G.  nous 
envoyé,  c'est  à  dire  une  personne  pour  qui  il  veut  que 
nous  ayons  charité,  et  que  nous  assistions  en  ce  que  nous 
pourrons?  C'est  pourquoy  il  ne  faut  jamais  refuser  devoir 
ny  de  s'instruire  des  choses.  Ce  n'est  pas  que  cela  fasse 
faire  des  folies,  et  se  charger  de  tout  le  monde  sans  dis- 
tinction ;  car  si  nostre  sœur  estoit  perdue,  nous  ne  pren- 
drions pas  pour  cela  la  première  venue  pour  elle,  mais 
nous  aurions  grand  empressement  pour  voir  si  ce  ne 
la  seroit  point,  et  c'est  ce  que  je  demande  qu'on  ait  désir 
et  affection  de  sçavoir  et  de  connoistre,  si  ce  n'est  point 
quelque  personne  que  Dieu  nous  envoyé,  et  non  pas  qu'on 
s'y  engage  inconsidérément. 

On  luy  fit  entendre  que  la  personne  qui  avoit  témoi- 
gné ne  vouloir  point  prendre  part  à  cette  affaire  ne  le  fai- 
soit  pas  par  dureté,  mais  qu'elle  s'en  dechargeoit  sur 
elle,  et  que,  ne  s'y  croyant  pas  nécessaire,  elle  fuyoit 
de  s'y  entremettre  pour  éviter  les  affaires  superflues.  La 
Mère  l'aprouva  beaucoup,  et  dit  qu'il  estoit  tres-bon 
de  le  faire  par  ce  motif-là,  pourveu  qu'on  fut  tout  prest 


RELATION  DE  JACQUELINE  PASCAL  123 

de  s'y  engager  au  cas  qu'il  fut  nécessaire,   comme  elle 
sçavoit  que  c'estoit  l'esprit  dans  lequel  elle  le  faisoit. 

Une  sœur  ayant  tiré  dans  l'Evangile  une  parole  qui 
l'effrayoit,  la  Mère  luy  dit,  pour  la  consoler  ;  Toutes  les 
fois  que  Dieu  menace,  c'est  à  dessein  que  l'on  s'humilie; 
et  lorsqu'on  le  fait,  on  évite  tousjours  ses  menaces,  jus- 
ques  aux  plus  mechans  ;  cela  se  voit  par  les  Ninivites  qui 
receurent  le  pardon  de  Dieu  et  l'empescherent  d'exécuter 
ses  menaces,  parce  qu'ils  firent  pénitence.  Il  est  vray 
que  ce  fut  un  pardon  temporel  ;  mais  ils  ne  desiroient 
pas  autre  chose.  Dieu  vous  menace,  humiliez-vous,  et 
priez  le  qu'il  vous  donne  des  grâces  qui  soient  éternelles  ; 
il  vous  l'accordera. 


124 


APPENDICE 

Histoires  écrites  par  la  Mère  Angélique  de  Sf  Jean  de  quel- 
ques actions  faites  par  la  Révérende  Mère  Angélique  sa  tante 
(ms.  du  xvne  siècle,  intitulé  :  Extraits  de  quelques  lettres  de 
la  R.  M.  Marie  Angélique  Arnauld,  p.  1981,  communiqué  par 
M.  A.  Gazier). 

La  sœur  de  Monsieur  Pascal,  qui  devoit  avoir  vingt  cinq 
mille  écus  en  mariage,  quitta  le  monde  pour  aller  à  Port- 
Roïal,  se  fit  Religieuse,  et  estant  pressée  de  faire  profession, 
témoigna  à  la  Mère  Angélique  pour  lors  Abbesse,  qu'elle  eust 
bien  souhaitté  donner  vingt  mille  francs  à  la  Maison  ;  qu'elle 
ne  feroit  pas  de  tort  à  ses  parens.  puisqu'il  luy  écheooit  beau- 
coup plus  par  son  partage.  L'Abbesse  luy  demanda  si  ses 
parens  y  consentoient.  La  sœur  Euphemie  luy  répondit, 
qu'elle  n'estoit  pas  obligée  de  demander  leur  consentement  ; 
que  c'estoit  sa  légitime,  qu'ils  ne  pouvoient  pas  la  luy  refuser. 
La  Mère  Angélique  luy  dit,  Qu'elle  ne  connoissoit  pas  l'esprit 
de  la  Maison,  et  qu'elle  ne  prendroit  rien  sans  le  consente- 
ment de  ses  parens.  Elle  leur  en  parla  donc  et  fut  bien  tou- 
chée de  voir  qu'ils  n'y  donnèrent  point  leur  consentement. 
Sur  quoy  la  Mère  Angélique  luy  dit  :  Quoy  !  ma  fille,  vous 
n'estes  pas  touchée  de  toutes  les  injustices  qu'on  nous  fait 
tous  les  jours,  et  vous  Testes  d'un  consentement  qu'on  refuse 
de  donner,  sur  un  don  que  vous  voulez  faire  ?  Reconnoissez 
que  vous  avez  encore  de  l'orgueil,  que  vous  voulez  entrer  icy 
comme  riche,  et  que  vous  n'avez  pas  l'humilité  d'y  vouloir 
estre  receùe  comme  pauvre.  Oh  bien  !  vous  y  entrerez  comme 

1.  Ce  document  qui  offre  l'intérêt  particulier  de  nous  faire 
connaître  la  dot  de  Jacqueline  Pascal  doit  être  rapproché  de  la  Rela- 
tion imprimée  supra  T.  III,  p.  5i  sqq. 


RELATION  DE  JACQUELINE  PASCAL.  —  APPENDICE      125 

pauvre,  car  je  ne  recevray  pas  une  obole  de  vos  parens.  De 
sorte  que  la  fille  fit  profession,  et  on  ne  demanda  rien  aux 
parens.  C'est  ainsi  qu'on  en  use  à  l'égard  de  toutes  les  autres, 
en  qui  on  ne  regarde  ny  le  bien  ny  la  naissance,  mais  la 
vocation. 

Les  parens  furent  tellement  touchez  de  cette  conduite, 
qu'ils  voulurent  donner  ensuite,  plus  mesme  que  la  fille 
n'avoit  proposé.  Mais  on  se  contenta  de  recevoir  sa  première 
volonté. 


CLXXI 

INTERROGATOIRE 
DE  JACQUELINE  PASCAL 

22  août  1661 


Copie  dans  un  manuscrit  intitulé  :  Interrogatoire  des  Religieuses  de 
Port-Royal  des  deux  Monastères,  1661,  p.  36g;  communiqué  par 
M.  A.  Gazier. 


129 


XIe  INTERROGATOIRE  ■ 

SŒUR  JACQUELINE  DE   SAINTE-EUPHEMIE    (PASGHAL) 
SOUS-PRIEURE  ET  MAITRESSE  DES  NOVICES. 


Apres  m'avoir  demandé  mon  nom,  et  fort  loué  Ste  Eu- 
phemie,  il  me  demanda  si  depuis  que  j'estois  dans  la 
Maison  je  n'avois  point  veu  quelque  changement  dans  la 
doctrine.  Je  luy  dis  qu'il  n'y  avoit  pas  bien  long- temps 
que  j'y  estois,  mais  que  tout  ce  que  je  pouvois  luy  dire, 
estoit  que  l'on  ne  m'avoit  rien  dit  icy  touchant  la  Foy, 
que  je  n'eusse  appris  dés  mon  enfance. 

Demande.  Avez-vous  appris  en  vostre  enfance  que  Jesus- 
Christ  est  mort  pour  tous  les  hommes? 

Réponse.  Il  ne  me  souvient  pas  que  cela  fut  dans  mon 
Catéchisme. 

D.  Depuis  que  vous  estes  icy,  ne  vous  a-t-on  rien  en- 
seigné là-dessus? 


i .  Singlin  avait  dû  se  retirer,  le  8  mai ,  pour  éviter  une  lettre  de  cachet  ; 
le  roi  fit  présenter  aux  Grands-vicaires  une  liste  de  sept  personnes, 
parmi  lesquelles  ils  désignèrent  un  nouveau  supérieur  de  Port-Royal  : 
le  docteur  Bail,  sous-pénitencier  de  Notre-Dame  ;  ils  vinrent  l'instal- 
ler le  17  mai.  Accompagné  du  Grand-vicaire  de  Contes,  il  commença, 
le  11  juillet,  une  visite  des  deux  monastères,  et  interrogea  successi- 
vement toutes  les  religieuses.  La  visite  fut  achevée  le  2  septembre, 
et  les  enquêteurs  s'en  déclarèrent  satisfaits.  Les  religieuses  écrivirent 
aussitôt  les  relations  de  leurs  interrogatoires  ;  ces  pièces  ont  été  im- 
primées dans  l'Histoire  des  persécutions  des  religieuses  de  Port  Royal, 
Villefranche,  1753,  in-4°.  Nous  reproduisons  la  relation  de  Jacque- 
line Pascal  d'après  une  copie  faite  au  début  du  xvme  siècle  pour 
Mlle  de  Théméricourt  et  annotée  par  elle  ;  de  légères  modifications 
ont  été  apportées  par  les  éditeurs  de  1753. 

2e  série.  VII  9 


130  ŒUVRES 

R.  Non. 

D.  Qu'en  pensez-vous? 

R.  Je  n'ay  pas  accoustumé  d'approfondir  ces  matières, 
qui  ne  vont  point  à  la  pratique  ;  néanmoins  il  me  semble 
que  l'on  doit  croire  que  N.  S.  est  mort  pour  tout  le 
monde:  car  je  me  souviens  de  deux  vers  qui  sont  dans 
des  Heures  quej'avois  estant  au  monde,  et  que  j'ay  gardées 
long-temps  depuis  que  je  suis  icy,  où  il  y  a  en  parlant 
à  N.  S.: 

Tu  n'as  pas  desdaigné,  pour  sauver  tout  le  monde, 
D'entrer  dans  l'humble  sein  d'une  vierge  féconde. 

Il  se  sourit  un  peu  à  cela,  et  me  dit:  Voilà  qui  est  bien. 
Mais  d'où  vient  donc  qu'il  y  en  a  tant  qui  se  perdent 
éternellement  ? 

R.  Je  vous  avoue,  Monsieur,  que  cela  me  met  souvent 
en  peine,  et  que  d'ordinaire  que  je  suis  à  la  prière,  et 
particulièrement  quand  c'est  devant  un  Crucifix,  cela  me 
vient  à  l'esprit,  et  je  dis  à  N.  S.  en  moy  mesme  :  Mon 
Dieu,  comment  se  peut-il  faire  après  tout  ce  que  vous 
avez  fait  pour  nous,  que  tant  de  personnes  périssent  misé- 
rablement? Mais  quand  ces  pensées-là  me  viennent,  je  les 
rejette,  parce  que  je  ne  croy  pas  que  je  doive  sonder  les 
secrets  de  Dieu  :  C'est  pourquoy  je  me  contente  de  prier 
pour  les  pécheurs.  Il  répliqua  :  Cela  est  fort  bien,  ma 
Fille  ;  quels  livres  lisez- vous? 

R.  Présentement  c'est  les  Morales  de  S1  Basile  qui  est 
traduit  depuis  peu1,  et  le  plus  souvent  ma  Règle. 

D.  Quel  employ  avez-vous  ? 

R.  Avant  qu'on  eust  fait  sortir  les  Novices  et  les  Pos- 


i.  Les  règles  de  la  morale  chrétienne  recueillies  du  Nouveau  Testa- 
ment par  S'  Basile —  et  accompagnées  d'explications  (par  Guillaume 
Le  Roy),  Paris,  Savreux,  1661,  517  p.  in-16. 


INTERROGATOIRE  DE  JACQUELINE  PASCAL  131 

tulantes,  j'avois  le  soin  de  celles  qui  estoient  icy.  Mais 
pour  à  cette  heure,  il  n'y  a  au  Noviciat  que  quelques  Pro- 
fesses, une  Novice  et  quelques  Sœurs  Converses. 

D.  C'a  esté  une  rude  espreuve  pour  vous,  de  vous  oster 
vos  Novices  P 

Pour  reponce,  je  m'estendis  beaucoup  là  dessus,  sans 
pourtant  paroistre  aigrie,  mais  seulement  touchée  de  la 
douleur  qu'elles  avoient  eue  et  du  danger  où  elles  estoient 
dans  le  monde. 

Il  en  parut  aussy  attendry,  et  en  suite  il  me  dit  : 
Aprenez  vous  aux  Novices  que  N.  S.  est  mort  pour  tous 
les  hommes,  et  pourquoy  il  y  a  des  bons  et  des  mes- 
chans  ? 

R.  Comme  je  ne  m'embarasse  point  de  ces  choses-là, 
je  n'ay  garde  d'en  embarasser  les  Novices.  Je  tasche,  au 
contraire,  à  les  tenir  le  plus  que  je  puis  dans  la  simpli- 
cité. 

Il  répliqua  :  Cela  est  fort  bien  :  Mais  ne  leur  dittes-vous 
pas  que  quand  on  pèche  c'est  par  sa  faute?  et  ne  le  croyez- 
vous  pas? 

R.  Ouy,  Monsieur,  et  je  le  sens  bien  par  ma  propre 
expérience  ;  je  vous  assure  que  quand  je  fais  des  fautes,  je 
ne  m'en  prends  qu'à  moy  seule,  et  c'est  pourquoy  je 
tasche  d'en  faire  pénitence. 

Il  dit  :  Voilà  qui  est  fort  bien,  Dieu  soit  beny,  car  je 
croy  que  vous  parlés  sincèrement. 

R.  Oui,  Monsieur,  comme  devant  Dieu. 

D.  Je  le  croy,  j'en  suis  assuré.  Dieu  soit  beny,  ma  Fille, 
demeurez  toujours  dans  cette  Foy-là,  quoy  qu'on  vous 
dise,  et  aprenez  bien  cela  aux  Novices.  Je  remercie  Dieu 
de  tout  mon  cœur  de  vous  avoir  préservée  de  toute  erreur: 
car  cela  est  horrible,  qu'il  y  en  a  qui  disent  que  Dieu  tire 
les  uns  de  la  Masse  corrompue  et  qu'il  y  laisse  périr   les 


132  ŒUVRES 

autres,  selon  qu'il  luy  plaist,  cela  est  horrible.  Mais  Dieu 
soit  loué  de  vous  avoir  garentie  d'une  si  grande  erreur. 
N'avez- vous  point  de  plaintes  à  faire? 

R.  Non,  Monsieur,  par  la  grâce  de  Dieu,  je  suis  parfai- 
tement contente. 

Il  me  dit  :  mais  cela  est  estrange,  quand  je  vais  quelque 
fois  voir  des  Religieuses,  elles  me  tiennent  des  deux  heures 
de  suite  à  me  faire  des  plaintes,  et  je  ne  trouve  point  cela 
icy. 

R.  Il  est  vray,  Monsieur,  que  par  la  grâce  de  Dieu  nous 
vivons  dans  une  très  grande  paix  et  une  grande  union.  Je 
croy  que  cela  vient  de  ce  que  chacune  fait  son  devoir 
sans  se  mesler  des  autres. 

Il  s'escria  sur  cela  :  Ha  I  que  cela  est  bien  !  Dieu  en  soit 
beny,  ma  Fille!  faites-moy  venir  celle  qui  vous  suit. 

INTERROGATOIRE  DE  LA  MERE  MARIE  DE  SAINTE 
MAGDELEINE  DU  FARGIS  PRIEURE  DE  P.  R.  DES 
CHAMPS. 

....  Ma  Sœur  Euphemie  a  oublié  de  mettre  dans  sa  re- 
lation qu'il  [Mr  Bail]  luy  demanda  fort  si  on  alloit  souvent 
à  confesse.  Elle  repondit  :  autant  qu'on  en  a  besoin,  et  il 
fut  content  de  cela.  Apres  il  luy  demanda,  en  son  parti- 
culier si  on  ne  luy  donnoit  point  quelques  fois  pour  péni- 
tence d'estre  plusieurs  mois  sans  communier.  Elle  luy 
repondit  un  grand,  Jésus  !  non,  Monsieur,  dont  il  de- 
meura satisfait.  Il  luy  demanda  beaucoup  aussi  si  on  ne 
differoit  point  de  luy  donner  l'Absolution  jusqu'à  ce  qu'elle 
eut  fait  la  pénitence  qu'on  luy  avoit  donnée.  Elle  luy  dit 
que  non,  et  il  ne  l'interrogea  pas  davantage  là  dessus. 


CLXXII 

LETTRES  ÉCRITES 

A  L'OCCASION  DE  LA  MORT 

DE  JACQUELINE  PASCAL 

(l\  octobre  1661). 


135 


I 

LETTRE  DE  NICOLE 
A  MADEMOISELLE  PERIER,  A  PARIS1 

C'est  assurément,  Mademoiselle,  une  preuve  convain- 
cante que  je  suis  dans  une  entière  impuissance  de  sortir, 
de  ce  que  je  n'ay  pas  accepté  l'offre  que  vous  m'avez  faite 
de  vous  pouvoir  voir  chez  vous  avant  vostre  départ  et  vous 
témoigner  les  sentimens  que  j'en  ay.  Mais  il  y  a  certaines 
nécessitez  qui  ne  reçoivent  point  de  dispense,  et  la  mienne 
estoit  alors  de  ce  genre.  Les  choses  estant  néanmoins  un  peu 
changées  cette  nuit,  je  ne  perds  pas  l'espérance  de  vous 
voir  demain,  et  je  vas  pour  cela  me  procurer  lieu  de  dîner 
chez  M"e  de  La  Faye  (?),  si  ce  peut-estre  un  moyen  de 
vous  voir  après.  Cependant,  Mademoiselle,  je  ne  sçay  si 
vous  trouverez  bon  que  je  vous  dise  qu'il  me  paroist  tant 
de  sujets  de  consolation  dans  la  mort  de  mademoiselle 
vostre  sœur,  que  je  suppose  morte  comme  vous  en  parlez, 
que  je  ne  sçay  si  la  pieté  permet  de  s'en  affliger.  Il  y  a 
certaines  personnes  pour  lesquelles  il  y  a  toujours  beau- 
coup à  craindre  ;  mais  entre  les  asseurances  que  l'on  peut 
avoir  en  ce  monde  de  la  prédestination  d'une  personne, 
je  ne  sçache  point  de  plus  grande  que  celle  que  nous 
fournit  une  pieté  non  discontinue,  et  qui  n'a  point  eu  d'in- 
terruption, une  dévotion  sans  éclat  et  toute  solide,  accom- 
pagnée de  la  plus  austère  pénitence,  et  d'une  pénitence 

t  .  Cette  lettre  a  été  publiée  par  Victor  Cousin  :  Jacqueline  Pascal, 
3e  édition,  i856,  p.  335,  d'après  l'autographe  que  possédait  M.  Hecquet 
d'Orval.  Elle  semble  bien  répondre  à  un  billet  où  Madame  Perier 
annonçait  à  Nicole  l'état  désespéré  de  sa  sœur,  et  son  départ  pro- 
chain pour  Port-Royal  des  Champs. 


136  ŒUVRES 

toute  volontaire  et  couverte  mesme  du  voile  de  régime. 
Ce  qui  me  la  fait  encore  plus  estimer  sont  les  biens  que 
Dieu  donne  à  ses  élus  et  à  ceux  d'entre  ses  élus  qu'il  daigne  le 
plus  favoriser.  Ainsi  je  ne  sçay  presque  si  Ton  doit  souhaiter 
que  vous  la  retrouviez  encore  en  vie  plutost  que  le  sacrifice 
déjà  consommé.  La  foy,  ce  me  semble,  nous  doit  partager 
là-dessus.  Mais  je  souhaite  beaucoup  que  vous  serviez  à 
consoler  monsieur  vostre  frère,  à  qui  la  nature  aura  fait 
sentir  ce  coup,  malgré  qu'il  en  ait,  et  que  vous  succédiez 
à  une  si  chère  sœur  dans  les  offices  de  charité  qu'elle  luy 
rendoit  et  qu'elle  recevoit  de  luy.  Il  y  a  tant  de  marques  de 
la  bénédiction  de  Dieu  sur  vostre  famille  que  je  mets  entre 
les  grâces  qu'il  m'a  faites  de  l'avoir  connue  et  de  ce  que 
vous  m'avez  mis  au  nombre  de  vos  amis.  C'est  une  qua- 
lité, Mademoiselle,  que  je  conserveray  chèrement  toute 
ma  vie  de  ma  part  et  dont  je  vous  demande  instamment 
la  continuation  de  la  vostre. 

II 

LETTRE  DE  LA  MÈRE  ANGÉLIQUE 

DE  SAINT-JEAN   A    MADAME   PERIER 

SUR  LA  MORT 

DE  LA  SŒUR  DE  SAINTE-EUPHÉM1E  PASCAL 

ARRIVÉE  LE  4  OCTOBRE  1661  1 

[5.  Octobre  1661.] 

Je  n'ay  point  de  paroles  encore,  ma  très  chère  sœur, 
pour  vous  entretenir  de  nostre  douleur  commune.  Vérita- 
blement vostre  billet  d'hier  me  donna  un  coup  dans  le 

1.  Victor  Cousin  a  publié  cette  lettre  (Jacqueline  Pascal,  Paris, 
Didier,  3e  édition,  p.  33 1),  d'après  l'autographe  que  possédait 
M.  Hecquet  d'Orval,  et  dont  la  trace  est  aujourd'hui  perdue. 


MORT  DE  JACQUELINE  PASCAL  137 

cœur  que  j'attendois  aussi  peu  que  je  me  suis  attendue 
infailliblement  ce  matin  à  la  dernière  nouvelle  qui  comble 
toutes  nos  afflictions  passées.  Je  viens  de  voir  M.  Perier, 
à  qui  je  n'ay  rien  osé  dire  que  ce  qu'il  sçavoit  par  vostre 
billet  d'hier  au  matin,  parce  qu'Hilaire  m'a  dit  que  vous 
vouliez  qu'on  en  usât  ainsi.  Il  en  est  si  touché  que  je  le 
plains  d'avoir  à  en  apprendre  davantage,  et  la  trop 
grande  espérance  dont  il  voudroit  quasi  se  flatter  encore 
ne  servira  qu'à  luy  rendre  le  coup  plus  sensible.  Il 
n'avoit  rien  dit  à  M.  Pas....  M.  de  Rouanez  est  icy  ;  j'en 
suis  bien  aise;  mais  néanmoins,  si  la  consolation  ne  vient 
de  Dieu  et  de  la  foy  dans  ces  rencontres,  il  est  bien  impos- 
sible d'en  prendre  en  quoy  que  ce  soit  et  en  qui  que  ce  soit 
au  monde.  Helas!  je  le  dis  comme  je  le  sens  avec  trop  de 
douleur;  car  j'en  attendois  beaucoup  dans  toutes  nos 
afflictions  présentes  et  futures  de  celle  que  Dieu  nous  oste 
de  peur  que  nous  eussions  encore  cet  appuy.  Qu'il  soit 
loué  éternellement  de  ses  miséricordes  !  Il  sçait  pourquoy 
il  fait  toutes  choses,  et  tout  réussit  au  bien  de  ses  eslus, 
qui  doivent  adorer  ses  ordres  sans  pénétrer  ses  desseins. 
Je  ne  puis  dire  combien  je  ressens  vostre  douleur,  ma  très 
chère  sœur,  ny  à  quel  point  je  me  sens  plus  que  jamais 
unie  et  liée  avec  vous  par  cette  triste  séparation. 

III 

LETTRE  DE  SINGLIN 
AUX  RELIGIEUSES  DE  PORT  ROYAL1 

5.  Octobre  1661. 

Il  me  seroit  bien  difficile  de  vous  rien  dire  sur  un  sujet 
qui  vous  est  sans  doute  très  sensible,  aussi  bien  qu'à  ma 
sœur  Angélique  de  S*- Jean,  à  toutes  celles  qui  la  connois- 

1.   Cette  lettre  a  été  publiée  dans  le  Recueil  d'Utrecht,  17^0,  p.  3i3,  et 


138  ŒUVRES 

soient,  et  à  toute  la  Maison.  Je  n'en  suis  touché  que  pour 
l'amour  de  vous  ;  car  pour  elle  on  s'en  doit  rejouir,  et 
pour  moy  je  ne  m'en  dois  pas  attrister.  Elleavoit,  comme 
vous  le  sçavez,  beaucoup  de  confiance  en  moy.  Je  crains 
toujours  pour  ceux  et  celles  qui  s'y  confient.  Mais  quand 
Dieu  les  prend  dans  une  bonne  et  sainte  disposition,  telle 
qu'a  esté  la  sienne,  j'ay  sujet  d'en  louer  Dieu,  et  par 
conséquent  de  m'en  rejouir.  Je  n'en  ay  de  la  tristesse  que 
parce  que  je  sçay  qu'il  s'est  fait  un  vuide  dans  vostre  Mai- 
son qu'il  est  difficile  de  remplir.  Mais  rien  n'est  impossi- 
ble à  Dieu,  qui  sçait  mieux  ce  qu'il  nous  faut  que  nous- 
mesmes.  Il  y  a  quelques  jours  que  je  suis  frappé  d'une 
pensée  dont  je  ne  sçay  si  je  la  diray  bien.  C'est  sur  nostre 
impertinence  de  désirer  une  chose,  d'en  craindre  une  autre, 
de  souhaiter  que  cela  arrive  ou  n'arrive  pas,  que  celles-cy 
vivent,  que  celles-là  ne  vivent  pas.  Gomme  si  la  souve- 
raine sagesse  et  équité  ne  voyent  pas  toutes  choses,  et  si 
nous  avions  des  lumières  et  des  vues  particulières  dont 
Dieu  auroit  besoin  pour  bien  régler  et  disposer  toutes 
choses  dans  une  parfaite  justice.  Tout  est  si  bien  com- 
passé en  luy  et  hors  de  luy  que  nous  n'avons  qu'à  l'ado- 
rer dans  les  choses  où  nous  ne  voyons  goutte,  et  où  nous 
ne  voyons  pas  cette  harmonie  merveilleuse  qui  se  trouve 
jusque  dans  la  vie  et  les  actions  des  mechans,  qui  est  le 
sujet  de  l'admiration  et  de  l'adoration  de  tous  les  Esprits 
bienheureux.  Cette  pensée  m'arreste  tout  court  dans  tant 
de  vues  de  ce  que  nous  pensons  qu'il  seroit  à  désirer  que 
Dieu  fist  ou  ne  fist  pas.  La  mort  des  bons  et  des  mechans 
y  entre  :  l'édification  et  la  destruction  des  meilleurs  des- 
seins pour  son  service  y  sont  renfermées,  et  nous  tous 

dans  V Histoire  des  Persécutions  des  Religieuses  de  Port-Royal,  écrites 
par  elles-mêmes,  1 753,  p.  3i.  C'est  ce  dernier  texte  que  nous  avons 
suivi. 


MORT  DE  JACQUELINE  PASCAL  139 

ensemble  pour  ce  qu'il  luy  plaira  faire  et  disposer  de  nous. 
Nous  n'avons  donc  qu'à  luy  dire  que  sa  sainte  volonté  soit 
faite  en  toutes  choses,  se  soumettre  à  toutes  sortes  d'eve- 
nemens  :  le  consulter  pour  connoistre  cette  volonté  et  ce 
qu'il  désire  de  nous  ;  ne  trouvant  de  peine  qu'en  ce  que 
nous  devons  prendre  part  et  agir  par  nostre  charge  ou  par 
la  charité,  dans  la  crainte  d'y  mettre  du  nôtre  et  de  nostre 
Providence  par-dessus  celle  de  Dieu.  Heureux  celuy  qui 
n'a  qu'à  souffrir  et  à  adorer  Dieu  en  toutes  choses,  sans 
y  prendre  autre  part  que  de  le  bénir  en  tout  ce  qui  arrive 
et  en  tout  temps,  aussi  bien  dans  les  maux  que  dans  les 
biens,  qui  ne  sont  très  souvent  maux  que  dans  nostre  ima- 
gination et  nostre  ignorance  I  II  faut  finir  pour  donner  les 
lettres  et  pour  prier  Dieu  pour  Vostre  défunte,  quoy 
qu'elle  en  ait  encore  moins  besoin  que  moy  des  siennes. 
Car  je  m'estimerois  très  heureux  d'estre  avec  elle,  et j'es- 
pererois  de  pouvoir  assister  ceux  que  je  laisserois  après 
moy  mieux  que  je  ne  le  sçaurois  faire  durant  ma  vie. 
Nous  sommes  à  Dieu  à  la  vie  et  à  la  mort,  il  disposera 
comme  il  luy  plaira  de  nous  tous. 

IV 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE 

DE  L'ABBÉ  LE  ROI  DE  HAUTE  FONTAINE 

AUX  RELIGIEUSES  DE  PORT-ROYAL2 

5.  Octobre  1661. 
Mes  Révérendes  Mères  et  mes  très  chères  Sœurs, 
Je  ne  sçaurois  vous  exprimer  combien  je  sens  la  perte 
que  vous  avés  faite,  et  combien  la  liaison  que  nostre  Sei- 
gneur me  fait  avoir  avec  vostre  sainte  Communauté  me 

1.  Recueil  d'Utrecht  :  [nostre]. 

2.  Publiée  en  1754  dans  le  Recueil  de  Pièces,  qui  n'ont  pas  encore 


140  OEUVRES 

fait  prendre  de  part  à  toutes  vos  peines.  Mais  n'est-ce 
point  parler  trop  humainement,  et  suivre  trop  les  mouve- 
mens  de  la  nature,  que  d'appeller  une  perte  la  mort 
Sainte  et  heureuse  par  laquelle  Jesus-Christ  retire  ses 
Servantes  et  ses  Epouses  des  misères  de  cette  vie  pour  les 
establir  dans  son  bienheureux  repos?... 


LETTRE  DE  LA  MERE  AGNES  A  M.  PASCAL 
SUR  LA  MORT  DE  SA  SOEUR1 

Gloire  à  Jésus  au  Très  Saint  Sacrement. 

7.  Octobre  1661. 
Monsieur, 

Encore  que  les  consolations  soyent  importunes  dans  une 
grande  affliction  comme  est  la  vostre,  j  e  me  promets  que  vous 
recevrez  ce  billet  comme  une  marque  du  respect  qui  me 
porte  à  vous  rendre  mes  très  humbles  devoirs  dans  une 
occasion  où  il  est  impossible  que  vous  ne  croyiez  pas  que 
je  suis  extraordinairement  touchée,  nostre  perte  nous  es- 
tant commune,  et,  si  je  l'ose  dire,  plus  grande  pour  les  per- 
sonnes qui  avoient  à  passer  leur  vie  avec  cette  chère  sœur. 
Feu  nostre  mère  l'eust  extrêmement  regrettée,  et  cependant 
elle  l'aura  receue  avec  joie,  parce  que  ses  pensées  ne  sont 
plus  nos   pensées,  et  qu'elle  regarde  nos  interests  d'une 


paru,  sur  le  Formulaire,  les  Bulles,  et  les  Constitutions  des  Papes  dont 
on  exige  des  Fidèles  l'Acceptation.  A  Avignon,  chez  Pierre  Verax,  à 
l'Enseigne  de  la  Sincérité,  1754  (composé  par  Leclerc  et  imprimé  en 
Hollande),  6e  pièce. 

1 .  La  copie  de  cette  lettre  se  trouve  au  second  recueil  manuscrit 
du  Père  Guerrier,  p.  29. 


MORT  DE  JACQUELINE  PASCAL  141 

autre  manière  qu'elle  ne  faisoit  estant  avec  nous,  et  cette 
mesme  chère  sœur  que  nous  pleurons  ne  peut  plus  pleurer 
nos  pertes,  mais  elle  désire  seulement  que  nous  nous  per- 
dions entièrement  dans  la  volonté  de  Dieu  comme  elle  a  fait. 
L'Evangile  que  l'on  disoit  le  jour  de  sa  mort1  nous  a  marqué 
ce  que  nous  devons  faire  dans  cet  événement  et  dans  tous  les 
autres  qui  sont  si  contraires  à  nostre  raison,  dans  les  atta- 
ches les  plus  justes  qu'on  puisse  avoir,  quand  Jesus- 
Ghrist  nous  apprend  à  consentir  à  tout  ce  que  Dieu  fait, 
parce  qu'il  luy  a  semblé  bon  d'en  user  de  la  sorte.  C'est  la 
seule  parole  que  nous  avons  à  dire  en  cette  occasion,  et 
pour  rendre  à  cette  chère  défunte  ce  que  nous  devons  à 
l'extresme  charité  qu'elle  a  eue  pour  nous  de  remercier 
Dieu,  pour  elle  et  avec  elle,  de  ce  qu'il  luy  avoit  fait  con- 
noistre  le  mystère  de  l'humilité  de  Jesus-Christ;  en  sorte 
qu'elle  fust  dans  ses  qualitez  naturelles  du  nombre  des 
sages,  Dieu  luy  ayant  fait  la  grâce  de  renoncer  entière- 
ment à  tout  ce  qu'il  avoit  mis  d'excellent  en  elle,  et  de 
ne  s'en  servir  que  pour  l'abaisser  plus  que  toutes  celles 
qui  n'avoient  pas  tant  de  connoissance  de  Dieu  et  de  soy- 
mesme  qu'elle  en  avoit2.  Vous  connoissiez  son  mérite,  Mon- 
sieur, beaucoup  mieux  que  nous  ne  le  faisions  ;  et,  estant 
aussi  chrétien  que  vous  Testes,  vous  ferez  un  présent  à 
Dieu,  qui  sera  tout  volontaire,  encore  que  vous  soyez 
tout  prévenu  de  la  nécessité  que  Dieu  nous  impose,  afin 
que  nous  ne  nous  éloignions  pas  de  l'acceptation  de  ses 
desseins.  Je  le  supplie,  Monsieur,  qu'il  vous  donne  tout 
ce  qu'il  vous  demande,  et  qu'il  me  rende  digne  de  vous 
rendre  devant  luy  tout  ce  que  je  dois  à  vostre  charité  et  à 

i.  Matth.  XI,  26.  Évangile  de  la  fête  de  S1  François  d'Assise 
(Note  de  l'édition  Gillet-Faugere ,  T.  II,  p.  12). 

2.  Rapprocher  cette  pensée  de  celle  qu'exprimait  la  Mère  Agnès 
dans  sa  lettre  du  20  mai  i65i,  cf.  supra,  T.  II,  p.  45o. 


142  ŒUVRES 

la  mémoire  d'une  personne  qui  vous  estoit  si  intime  comme 
à  nous. 

C'est,  Monsieur,  vostre  très  humble  et  très  obéissante 
servante  en  Jesus-Christ, 

Soeur  Catherine  Agnes  de  Saint  Paul, 
Religieuse  indigne. 


VI 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  M.  PAULON1 
A  LA  Rde  MERE  ABBESSE  DE  PORT-ROYAL  DE  PARIS 

Ce  i3.  Octobre  1661. 

...  Si  je  n'estois  convaincu  de  ces  veritez, je  serois  beau- 
coup plus  affligé  que  je  ne  suis  de  la  perte  (si  je  la  puis 
appeler  aynsi)  de  ma  sœur  Euphemie.  Je  puis  vous  dire 
que  j'ay  désiré  si  ardemment  qu'il  pleut  à  Dieu  nous  la  con- 
server, qu'il  ne  me  paroit  rien  de  difficile  que  je  n'eusse 
bien  voulu  faire  pour  obtenir  cette  faveur  ;  mais  Dieu  qui 
a  voulu  faire  sa  volonté  et  non  pas  la  nostre,  a  trouvé  bon 
de  recompenser  dans  le  ciel  celle  que  sa  bonté  très  libe- 
ralle  avoit  chargée  de  mérites  sur  la  terre.  Je  crois,  ma 
Mère,  que  vous  avez  apris  tout  ce  qui  arriva  de  particulier 
à  l'extrémité  de  sa  maladie.  J'ay  la  consolation  de  l'avoir 
reconciliée  et  communiée  pour  la  deuxiesme  fois  une 
heure  devant  sa  mort. 


1.  Paulon,  établi  en  1661  comme  confesseur  des  religieuses  de 
Port-Royal  par  le  Grand- vicaire  de  Contes,  traita  les  religieuses  avec 
beaucoup  de  douceur.  Cette  lettre  se  trouve  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, ms.  f.  fr.  17808,  f°  80. 


MORT  DE  JACQUELINE  PASCAL  143 


VII 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  LA  MERE  AGNES l 
A  LA  MERE  RENEE  DE  SAINT-PAUL,  A  SAUMUR 

21.  [Octobre]  1661. 

...  Depuis  cette  privation,  qui  tiendra  toujours  le  pre- 
mier lieu  de  toutes2,  nous  avons  fait  une  seconde  perte 
qui  nous  a  beaucoup  affligées,  c'est  la  mort  de  ma  chère 
sœur  de  Sainte-Euphemie,  qui  estoit  sous-prieure  et 
maitresse  des  novices  à  Port-Royal-des-Champs,  et  que 
nous  regardions  comme  une  personne  qui  devoit  quelque 
jour  remplir  les  premières  places.  Nous  avons  eu  en 
mesme  temps  la  peur  de  perdre  la  mère  prieure,  qui  est 
ma  sœur  Marie  de  Sainte  Madeleine3,  et  nous  ne  sommes 
pas  encore  hors  d'appréhension  que  la  grande  maladie 
qui  luy  a  commencée  il  y  a  trois  mois,  et  dans  laquelle 
elle  est  retombée  depuis  six  semaines,  ne  l'emporte  enfin. 
Jugez  après  cela,  très  chère  sœur,  où  nous  en  serions,  et 
le  besoin  que  nous  avons  que  Dieu  nous  regarde  en  sa 
miséricorde,  comme  je  vous  supplie  très  humblement  de 
luy  demander.  Je  fais  en  toute  humilité  mes  excuses  à  la 
révérende  mère  prieure  de    ce  que  je  ne  me  donne  pas 

1.  Nous  donnons  cette  lettre  d'après  l'édition  Gillet-Faugère, 
T.  II,  p.  16. 

2.  La  mort  de  la  Mère  Angélique. 

3.  Le  i4  septembre,  la   Mère  Agnès  écrivait  à   Madame  de  Foix, 

coadjutrice  de  Saintes:  «  Nous  sommes  dans  la  crainte  de  perdre 

la  mère  prieure  et  la  sous-prieure  de  Port-Royal-des-Champs,  qui 
sont  fort  malades  depuis  quelque  temps  et  toujours  en  péril  :  que  si 
Dieu  nous  les  ostoit,  je  ne  vois  personne  qui  puisse  remplir  la  place 
aussi  dignement  qu'elle  l'est  par  ces  deux  filles,  qui  sont  excellentes 
en  vérité.  » 


144  ŒUVRES 

l'honneur  de  luy  écrire   pour  recommander  à  ses  prières 
cette  chère  défunte... 


VIII 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  Mlle  DE  VERTUS 
A  MADAME  DE  SABLÉ1 

[Octobre  1661.] 

...  Je  suis  faschée  de  la  mort  de  ma  sœur  Eufemie, 
comme  si  elle  m'estoit  quelque  chose  de  bien  proche. 
Et  il  me  semble  que  j'ay  fait  une  vraye  perte,  tant  je 
me  suis  liée  aux  personnes  qui  en  sont  à  la  mort.  Si 
j'osois,  je  vous  supplierois  de  dire  un  petit  mot  de  moy 
à  M.  Pascal  et  à  Mlle  Perié,  je  l'y  rois  voir  si  j'estois  dans 
autre  estât.  Je  suis  toute  à  vous,  ma  bonne  Madame, 
et  à  nos  Mères  s'il  vous  plaist. 

1.  Cette  lettre  a  été  publiée  par  Victor  Cousin,  Madame  de  Sablé, 
p.  370.  Elle  se  trouve  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.  i^oôo 
(portefeuilles  Vallant),  p.  71. 


CLXXIII 
ACTE  NOTARIÉ 

SIGNÉ  PAR 

BLAISE  PASCAL 

6  novembre  1661. 


Publié  par  M.  Ch.  Samaran,  Journal  des  Débats  du  2  janvier  1912, 
d'après  les  archives  de  Me  Blanchet,  notaire,  successeur  de 
Gallois. 


2e  série.  VII  10 


147 


CONVENTION  RELATIVE 

A  L'ENTREPRISE  DES  CARROSSES  PUBLICS 

A  ETABLIR  A  PARIS 

Nous  soussignés  duc  de  Rouannez  et  marquis  de  Cre- 
nan,  reconnoisons  qu'ayant  esté  depuis  deux  ou  trois 
ans  trouvé  par  ledit  seigneur  duc  de  Rouannez  et  le  sieur 
Pascal  l'invention  d'establir  des  carrosses  à  l'instar  des 
coches  dans  la  ville  et  fauxbourgs  de  Paris,  où  chacun  ne 
payera  que  sa  place  pour  un  prix  tout  à  fait  modique 
allans  incessament  d'un  quartier  à  l'autre,  et  ayant  esté 
par  eux  pensé  à  plusieurs  et  divers  moyens  pour  rendre 
plus  utile  cette  invention,  l'ayant  pour  cet  effet  considé- 
rée ensemble  en  grand  nombre  de  manières  et  estant 
enfin  arrivez  à  celle  qu'ils  ont  jugé  la  plus  parfaitte,  ledit 
seigneur  duc  de  Rouannez  proposa  cette  pensée  à  Monsieur 
le  marquis  de  Sourches,  grand  prevost  de  l'hostel,  et 
audit  seigneur  marquis  de  Crenan,  et  leur  offrit  de  leur 
y  donner  part,  à  quoy  ayant  consenti1  nous  susnommez 
reconnoissons  et  déclarons  avoir  convenu,  traitté  et  ac- 
cordé entre  nous  et  ledit  sieur  Pascal  que  dudit  droit,  s'il 
plaist  au  roy  nous  l'accorder,  il  en  appartiendra  par  cy 
après  au  marquis  de  Sourches  six  mille  livres  par  an  (sui- 
vant la  convention  précédemment  résumée),  et  que  le 
surplus  appartiendra   sçavoir  trois  sixiesmes  parties   fai- 

i.  Cette  convention  avait  été  passée  le  29  octobre  1661,  à  Fontai- 
nebleau, entre  le  duc  de  Rouannez  et  le  marquis  de  Crenan,  d'une 
part,  contractant  au  nom  de  tous  les  intéressés  —  et  le  marquis  de 
Sourches.  Le  marquis  de  Sourches  ne  devait  être  engagé  en  aucun 
frais,  ni  dans  le  présent,  ni  dans  l'avenir. 


148  OEUVRES 

sant  la  moitié  au  dit  seigneur  duc  de  Rouannez,  ses  suc- 
cesseurs et  ayant-cause,  une  sixiesme  partie  audit  seigneur 
marquis  de  Crenan,  ses  successeurs  et,  ayant  cause,  et 
une  autre  sixiesme  partie  audit  sieur  Pascal,  ses  succes- 
seurs, etc.,  etc.,  l'autre  sixiesme  partie  estant  réservée  au 
sieur  Arnauld  de  Pomponne  avec  lequel  en  sera  fait  un 
traitté  particulier,  à  la  charge  qu'il  sera  fourny  par  ledit 
seigneur  duc  de  Rouannez  et  par  lesdits  sieurs  marquis  de 
Grenan,  Pomponne  et  Pascal  chacun  leur  part  et  portion 
des  frais  et  avances  qu'il  conviendra  faire  pour  ledit  es- 
tablissement  à  proportion  de  la  part  et  portion  qu'a  cha- 
cun d'eux  audit  droit,  et  a  esté  de  plus  convenu  entre 
nous  que  les  originaux  de  toutes  pièces  concernant  cette 
affaire  seront  mis  es  mains  dudit  seigneur  duc  de 
Rouannez,  dont  il  sera  tenu  d'en  donner  des  copies  colla- 
tionnées  auxdits  sieurs  intéressez,  mesme  et  par  exprès 
leur  en  représenter  les  originaux  quand  ils  en  auront  be- 
soin, comme  aussy  de  l'accord  fait  avec  ledit  seigneur 
marquis  de  Sourches,  dont  la  copie  est  cy-dessus  et  de 
ceux  qu'il  pourra  passer  en  conséquence  d'icely  par  de- 
vant notaires.  Fait  à  Paris  le  sixiesme  de  novembre  mil 
six  cent  soixante  et  un.  Fait  triple  celuy  cy  pour  ledit 
sieur  Pascal.  Signé:  Artus  Gouffier  duc  de  Rouannez, 
Pierre  de  Perrien,  Pascal1. 


i.  Le  i^  juillet  1661,  Pascal  signa  les  reçus  des  sommes  prêtées 
auparavant  aux  religieuses  de  Port- Royal.  A  ce  moment  on  craignait 
la  persécution,  et  on  voulait  éviter  sans  doute  que  les  amis  delà  mai- 
son ne  fussent  privés  de  leurs  rentes.  Arnauld  et  Nicole  reprirent  leurs 
fonds  et  les  placèrent  dans  l'île  de  Nord-Strand  (cf  infra  p.  33o,  n.  3.); 
Saci  les  mit  aux  Incurables  ;  Pascal  put  les  engager  dans  l'entre- 
prise des  carrosses.  Nicole  mentionne  aussi  dans  son  testament  qu'il 
possède  une  «  petite  part  dans  l'affaire  des  Garosses  »  sous  le  nom  de 
M.  de  Nainvilliers,  demeurant  dans  la  rue  Ste  Croix  de  la  Bretonnerie. 


CLXXIV 

FRAGMENT  D'UNE  LETTRE 

DE  BLAISE  PASCAL 

A   UN    AMI  DE  CLERMONT 

date  présumée  :  1661. 
Copie  au  deuxième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  p.  210. 


1S1 


INTRODUCTION 


Le  Père  Guerrier,  après  avoir  copié  le  fragment  qui  suit, 
ajoute  :  «  J'ai  transcrit  cette  lettre  sur  l'original  écrit  de  la  main 
de  M.  Pascal.  Le  dernier  feuillet  est  perdu.  Il  y  a  trois  mots 
que  je  n'ai  pu  déchiffrer,  et  j'ai  eu  bien  de  la  peine  à  lire  les 
autres.  »  Nous  ne  savons  pas  à  quelle  date  cette  lettre  a 
été  écrite  ni  à  qui  elle  était  adressée.  On  a  conjecturé  que 
l'ami  de  Clermont  était  ou  Perier,  ou  Domat;  que  les 
«  frondes  »  de  Paris  dont  parle  Pascal  pourraient  être  les 
querelles  qu'il  soutenait  contre  Arnauld  et  Nicole  au  sujet  de 
la  signature  ;  que  les  luttes  de  Clermont  seraient  celles  que 
le  chapitre  de  la  cathédrale  et  les  amis  de  Pascal  avaient 
engagées  contre  les  jésuites  du  collège  de  Montferrand,  luttes 
dont  on  parlait  déjà  en  i656,  et  qui  se  prolongeaient  encore 
en  1662. 

Ces  diverses  hypothèses  sont  vraisemblables  ;  il  faut  cepen- 
dant noter  que  Domat  se  trouvait  à  Paris  à  la  fin  de  1661 
et  en  1662,  et  que  Perier  semble  y  avoir  séjourné  aussi  en 
novembre  1661  *. 

En  1661  (après  le  mois  d'avril)  fut  écrite  une  Relation  de 
Vétat  présent  du  Jansénisme  dont  nous  donnons  un  extrait.  Le 
Père  Guerrier  l'a  trouvée  dans  les  papiers  de  Marguerite  Perier, 


1 .  Ne  pourrait-on  supposer  aussi  que  cette  lettre  fait  allusion  aux 
difficultés  que  Perier  eut  en  1657  avec  quelques  Sulpiciens  du  sémi- 
naire de  Clermont,  et  qu'il  raconte  dans  des  lettres  écrites  le  25  mai 
et  le  8  juin  1657  (cf.  le  sommaire  qu'en  fait  Hermant,  Mémoires, 
T.  III,  p.  £52  sqq.)?  Dans  ce  cas,  nous  retrouverions  ici  l'écho  de  la 
colère  qui  dictait  à  Pascal  les  notes  très  vives  écrites  en  marge  de  sa 
19e  Provinciale  (cf.  supra  T.  VII,  p.  173). 


i52  OEUVRES 

et  croit  qu'elle  a  été  composée  par  un  jésuite  de  Montfer- 
rand.  Elle  se  trouve  dans  le  ms.  f.  fr.  1891 3  de  la  Bibliothèque 
Nationale  (3e  recueil  Guerrier),  p.  J98  sqq.  ;  elle  a  été 
publiée  en  extrait  dans  la  seconde  édition  Faugère  des  Pensées, 
1897,  T.  I,  p.  437;  et  in-extenso  dans  Jovy,  Pascal  in  édit, 
T.  I,  p.  345. 

Extrait  d'une  «  Relation  de  l'état  présent  du  Jansénisme 
dans  la  ville  de  Clermont  en  1661  ». 

La  secte  est  composée  de  plusieurs   laïques  des   deux 

sexes.  Les  plus  considérables  sont  les  sieurs  Montorcier,  Pré- 
sident en  la  Cour  des  Aydes,  le  sieur  Perier,  Conseiller  en 
ladite  Cour,  et  la  demoiselle  Pascal  sa  femme,  le  sieur  Guer- 
rier, avocat,  et  la  nommée  Baudoin  sage-femme,  mais  le 
plus  signalé  est  le  sieur  Domat,  avocat  du  Roy  au  Presidial 
dudit  Clermont,  lequel  ayant  quelque  vivacité  d'esprit  et 
s'estant  employé  uniquement  à  l'étude  de  ces  matières,  passe 
pour  le  plus  habile,  fait  leçon  à  ses  confederez,  et  corrompt 
une  partie  de  la  jeunesse  qui  fréquente  le  palais.  Il  ne  paroist 
pas  que  les  Ecclésiastiques  soient  engagez  dans  ce  parti  à  la 
reserve  du  sieur  Courtin,  Doyen  de  l'Eglise  Collégiale  de 
S1  Amable  àRiom,  lequel  est  un  fameux  janséniste  et  qui  vient 
souvent  à  Clermont  pour  rendre  ses  assistances  à  la  cabale. 
Il  faut  taire  quelques  communautés  ecclésiastiques  dont  plu- 
sieurs particuliers  donnent  un  juste  sujet  de  soupçon —  Ils 
tiennent  ces  discours  non  seulement  dans  les  compagnies  et 
dans  les  cercles,  mais  encore  dans  les  places  publiques,  dans 
le  palais  et  presque  sur  les  fleurs  de  lys. 

Pour  fomenter  leur  liaison  factieuse,  ils  font  beaucoup 
d'assemblées  secrètes  dans  leurs  maisons  et  dans  celles  de  quel- 
ques communautés  suspectes,  mais  le  lieu  des  conventicules 
ordinaires  et  réglez  est  la  maison  de  Bienassis,  hors  et  à  200. 
pas  des  murailles  de  la  ville,  appartenant  audit  Perier.  C'est 
là  où  ils  s'assemblent,  hommes  et  femmes,  les  dimanches 
et  jours  de  festes.  On  n'a  pas  pu  découvrir  jusques  icy  quels 
sont  leurs  exercices.  L'assiduité  neantmoins  des  personnes,  le 


LETTRE  DE  BLAISE  PASCAL  153 

temps  qu'ils  y  emploient,  et  les  précautions  qu'ils  prennent 
pour  le  secret,  font  conjecturer  quelque  mystère  d'iniquité. 
Il  est  à  croire  qu'on  y  débite  les  plus  belles  maximes  de  la 
cabale,  et  que,  pour  délasser  les  esprits,  on  fait  lecture  de 
certaines  gazettes  écrites  à  la  main  qui  leur  viennent  règle- 
ment deux  fois  la  semaine  de  la  part  de  leurs  Confrères  de 
Paris  et  qui  contiennent  les  récits  avantageux  au  party.  Par 
cette  correspondance  ils  amusent  la  crédulité  des  foibles  et  se 
liguent  plus  fortement  contre  l'unité  de  l'Eglise... 


154 


EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  BLAISE  PASCAL 

Vous  me  faites  plaisir  de  me  mander  tout  le 
détail  de  vos  frondes,  et  principalement  puisque  vous 
y  estes  intéressez.  Car  je  m'imagine  que  vous 
n'imitez  pas  nos  frondeurs  de  ce  païs-cy  qui  usent 
si  mal,  au  moins  en  ce  qui  m'en  paroist,  de  l'avan- 
tage que  Dieu  leur  offre  de  souffrir  quelque  chose 
pour  l'establissement  de  ses  veritez.  Car,  quand  ce 
seroitpourl'establissement  de  leurs  veritez,  ilsn'agi- 
roient  pas  autrement  ;  et  il  semble  qu'ils  ignorent 
que  la  mesme  Providence  qui  a  inspiré  les  lumières 
aux  uns,  les  refuse  aux  autres  ;  et  il  semble  qu'en 
travaillant  à  les  persuader,  ils  servent  un  autre  Dieu 
que  celuy  qui  permet  que  des  obstacles  s'opposent  à 
leur  progrés.  Ils  croient  rendre  service  à  Dieu  en 
murmurant  contre  les  empeschemens,  comme  si 
c'estoit  une  autre  puissance  qui  excitast  leur  pieté, 
et  une  autre  qui  donnast  vigueur  à  ceux  qui  s'y 
opposent. 

C'est  ce  que  fait  l'esprit  propre.  Quand  nous  vou- 
lons par  nostre  propre  mouvement  que  quelque 
chose  réussisse,  nous  nous  irritons  contre  les  obsta- 
cles, parce  que  nous  sentons  dans  ces  empeschemens 
ce  que  le  motif  qui  nous  fait  agir  n'y  a  pas  mis,  et 
nous  y  trouvons  des  choses  que  l'esprit  propre  qui 
nous  fait  agir  n'y  a  pas  formées. 

Mais  quand  Dieu  fait  agir  véritablement,  nous  ne 


LETTRE  DE  BLAISE  PASCAL  155 

sentons  jamais  rien  au  dehors  qui  ne  vienne  du 
mesme  principe  qui  nous  fait  agir  ;  il  n'y  a  point 
d'opposition  au  motif  qui  nous  presse  ;  le  mesme 
moteur  qui  nous  porte  à  agir  en  porte  d'autres  à 
nous  résister,  au  moins  il  le  permet  ;  de  sorte  que, 
comme  nous  n'y  trouvons  point  de  différence  et  que 
ce  n'est  pas  nostre  esprit  qui  combat  les  evenemens 
étrangers,  mais  un  mesme  esprit  qui  produit  le  bien 
et  qui  permet  le  mal,  cette  uniformité  ne  trouble 
point  la  paix  d'une  ame  et  est  une  des  meilleures 
marques  qu'on  agit  par  l'esprit  de  Dieu,  puisqu'il 
est  bien  plus  certain  que  Dieu  permet  le  mal,  quel- 
que grand  qu'il  soit,  que  non  pas  que  Dieu  fait  le 
bien  en  nous  (et  non  pas  quelque  autre  motif  se- 
cret) quelque  grand  qu'il  nous  paroisse  ;  de  sorte 
que  pour  bien  reconnoistre  si  c'est  Dieu  qui  nous 
fait  agir,  il  vaut  bien  mieux  s'examiner  par  nos  com- 
portemens  au  dehors  que  par  nos  motifs  au  dedans, 
puisque  si  nous  n'examinons  que  le  dedans,  quoy 
que  nous  n'y  trouvions  que  du  bien,  nous  ne 
pouvons  pas  nous  asseurer  que  ce  bien  vienne  véri- 
tablement de  Dieu.  Mais  quand  nous  nous  exami- 
nons au  dehors,  c'est-à-dire  quand  nous  considérons 
si  nous  souffrons  les  empechemens  extérieurs  avec 
patience,  cela  signifie  qu'il  y  a  une  uniformité  d'es- 
prit entre  le  moteur  qui  inspire  nos  passions  et  ce- 
luy  qui  permet  les  résistances  à  nos  passions  ;  et 
comme  il  est  sans  doute  que  c'est  Dieu  qui  permet 
les  unes,  on  a  droit  d'espérer  humblement  que  c'est 
Dieu  qui  produit  les  autres. 


156  ŒUVRES 


Mais  quoy  !  on  agit  comme  si  on  avoit  mission 
pour  faire  triompher  la  vérité,  au  lieu  que  nous 
n'avons  mission  que  pour  combattre  pour  elle.  Le 
désir  de  vaincre  est  si  naturel  que  quand  il  se  cou- 
vre du  désir  de  faire  triompher  la  vérité,  on  prend 
souvent  l'un  pour  l'autre  et  on  croit  rechercher  la 
gloire  de  Dieu,  en  cherchant  en  effet  la  sienne1.  Il 
me  semble  que  la  manière  dont  nous  supportons  les 
empeschemensenestlaplus  seure  marque  ;  car  enfin 
si  nous  ne  voulons  que  l'ordre  de  Dieu,  il  est  sans 
doute  que  nous  souhaiterons  autant  le  triomphe  de 
sa  justice  que  celuy  de  sa  miséricorde,  et  que,  quand 
il  n'y  aura  point  de  nostre  négligence,  nous  serons 
dans  une  égalité  d'esprit,  soit  que  la  vérité  soit  con- 
nue, soit  qu'elle  soit  combattue,  puisqu'en  l'un 
la  miséricorde  de  Dieu  triomphe  et  en  l'autre  sa 
justice. 

Pater  juste,  mundus  te  non  cognovit2.  Père  juste, 
le  monde  ne  t'a  pas  connu.  Sur  quoy  Saint  Augus- 
tin dit  que  c'est  un  effet  de  sa  justice  qu'il  ne  soit 
point  connu  du  monde3.  Prions  et  travaillons  et  re- 
jouissons-nous  de  tout,  comme  dit  saint  Paul  *. 


i.  Cf.  la  lettre  écrite  à  Jacqueline  Pascal  par  la  Mère  Agnès,  supra 
T.  II,  p.  45 1,  et  la  note. 

2.  Joan.  XVII,  25. 

3.  In  Joan.  Evang.  Tr.  CXI,  n.  5.  ...Quia  justus  es,  ideo  te  non 
cognovit.  Mundus  quippe  ille  damnationi  prœdestinatus  merito  non 
cognovit:  mundus  vero  quem  per  Christum  reconciliavit  sibi,  non  merito, 
sed  gratiâ  cognovit.  Quid  est  enim  eum  cognoscere,  nisi  vita  seterna  ? 

k.  I  Thess.  V,  i5-i8:  Sed  semper  quod  bonum  est  sectamini  in  in- 
vicem,  et  in  omnes.  Semper  gaudete.  Sine  intermissione  orate.  In  omni- 
bus gratias  agite. 


LETTRE  DE  BLAISE  PASCAL  157 

Si  vous  m'aviez  repris  dans  mes  premières  fautes, 
je  n'aurois  pas  fait  celle-cy,  et  je  me  serois  modéré. 
Mais  je  n'efïâceray  non  plus  celle-cy  que  l'autre  : 
vous  l'effacerez  bien  vous  mesme  si  vous  voulez.  Je 
n'ay  pum'enempescher  tant  je  suis  en  colère  contre 
ceux  qui  veulent  absolument  que  l'on  croye  la  vérité 
lorsqu'ils  la  démontrent,  ce  que  Jesus-Christ  n'a 
pas  fait  en  son  humanité  créée.  C'est  une  moquerie 
et  c'est  ce  me  semble  traiter  le. . . 

Je  suis  bien  fasché  de  la  maladie  de  M.  de  La- 
porte  *.  Je  vous  asseure  que  je  l'honore  de  tout  mon 
cœur.  Je  etc. 


i.  Laporte,  ami  de  la  famille  Perier  et  ami  de  Port-Royal, 
médecin  à  Glermont,  mourut  en  1681.  Il  est  question  de  lui  dans  les 
lettres  de  Madame  Perier  (cf.  infra  T.  XI,  Ier  supplément). 


CLXXV 
ÉCRIT  DE  PASCAL 

SUR 

LA   SIGNATURE  DU  FORMULAIRE 

fin  novembre  ou  décembre  1661. 


Copie  à  la  bibliothèque  municipale  de  Glermont-Ferrand, 
ms.  120,  pp.  1  à  8. 


161 


INTRODUCTION 


I.  —  LE  SECOND  MANDEMENT  DES  GRANDS-VICAIRES 

Les  discussions  soulevées  entre  les  amis  de  Port-Royal  à 
l'occasion  du  premier  mandement  des  Grands-vicaires  du  car- 
dinal de  Relz  (cf.  supra  p.  77  sqq.)  se  trouvèrent  arrêtées  court  ; 
car  les  partisans  les  plus  actifs  du  formulaire  attaquèrent  vigou- 
reusement cette  ordonnance.  Le  Conseil  du  Roi,  saisi  dès 
le  il\  juin,  décidait  qu'il  fallait  surseoir  à  la  signature  ;  le 
26  juin,  une  assemblée  d'évêques  tenue  à  Fontainebleau 
concluait  à  la  nullité  du  mandement  ;  le  29,  les  Grands- 
vicaires  mandés  à  la  cour  voyaient  leurs  explications  re- 
poussées; le  i4  juillet,  le  Conseil  supprimait  le  mandement 
par  un  arrêt,  et  décidait  de  demander  au  pape  un  bref  de 
condamnation.  En  vain  les  curés  de  Paris  réunis  le  20  juillet 
déclarèrent-ils  que  cette  ordonnance  avait  édifié  les  fidèles1. 
Le  Ier  août,  un  bref  fut  expédié  de  Rome,  enjoignant  aux 
Grands-vicaires  de  révoquer  leur  mandement,  sous  peine  de 
déposition.  Le  bref  fut  remis  au  roi  par  le  nonce,  le  21  août. 

Voici  une  traduction  qui  en  fut  faite  à  cette  époque  : 

A  nos  chers  fils  Jean  Baptiste  de  Contes  et  Alexandre  de  Ho- 
dencq,  Vicaires  généraux  de  l'archevêque  de  Paris.  Alexandre 
PP.  VII. 

Nos  chers  fils,  salut  et  bénédiction  Apostolique.  Nous  avons 
leû  le  Mandement  qui  a  esté  publié  sous  vostre  nom  le  8.  de 
Juin  de  cette  année,  avec  un  très-grand  estonnement  et  avec 

1.  On  a  parfois  pensé  que  Pascal  avait  rédigé  cette  déclaration, 
mais  cette  attribution  n'a  aucune  valeur;  il  s'agit  ici  d'un  court  acte 
notarié  où  l'on  ne  trouve  que  des  clauses  de  style,  et  qui  fut  dressé, 
au  sortir  même  d'une  réunion,  par  les  curés  délégués. 

2e  série.  VII  11 


162  ŒUVRES 

une  juste  douleur  de  nostre  ame  qui  a  meû  entièrement  les 
affections  que  nous  avons  de  Père  :  dans  lequel  il  est  exposé 
par  une  narration  qui  n'est  pas  moins  téméraire  que  fausse, 
que  du  temps  d'Innocent  X.  d'heureuse  mémoire  on  n'avoit 
traité  d'autre  chose  que  de  rechercher  si  l'on  devoit  tenir  les 
Cinq  Propositions  de  la  Grâce  vrayes  et  Catholiques,  ou  bien 
fausses  et  hérétiques.  Au  lieu  qu'en  ce  temps-là  on  ne  jugea 
pas  seulement  avec  connoissance  de  cause  de  ces  Cinq  Propo- 
sitions, mais  aussi  qu'elles  estoient  extraites  du  livre  de  Jan- 
senius,  intitulé  Augustinus  et  que  par  mesme  moyen  elles 
estoient  condamnées  au  sens  que  Jansenius  les  entendoit, 
comme  nous  mesme  l'avons  déclaré  nettement  et  expressé- 
ment par  nostre  Constitution  en  date  du  16.  Octobre  i656. 
C'est  pourquoy  comme  vous  n'avez  pas  eu  honte  de  soustenir 
un  si  faux  et  si  évident  mensonge  en  une  matière  de  cette 
importance,  vous  estes  manifestement  coupables  de  semer  de 
mauvaises  yvroyes  dans  le  champ  du  Seigneur,  de  troubler 
l'Eglise  Catholique,  etd'estre  auteurs,  autant  qu'il  est  en  vous 
d'un  très  vilain  schisme.  Et  quoy  que  l'on  reconnoisse  en  vous 
une  très-grande  outrecuidance,  qui  s'oppose  par  des  cavil- 
lations  et  chicanes  trompeuses,  et  par  des  circuits  et  détours, 
aux  définitions  de  l'Eglise,  qui  sont  appuyées  par  l'obéis- 
sance, et  le  zèle  des  Evesques  de  toute  la  France  et  proté- 
gées si  vigoureusement  par  la  pieté  singulière  du  Roy  tres- 
Chrestien  ;  Néanmoins  nous,  estant  meus  par  la  douceur  et  la 
charité  que  nostre  charge  désire,  n'avons  point  voulu  encore 
procéder  par  la  voie  de  droict,  mais  nous  avons  trouvé  bon 
d'employer  plustost  nostre  clémence  et  bonté  paternelle,  espé- 
rant qu'il  arrivera  que  vous  écouterez  à  tout  le  moins  la  voix 
du  Pasteur  Universel  et  qu'après  avoir  receu  ces  lettres,  vous 
révoquerez  incontinent  vostre  Mandement;  afin  que  vous 
n'expérimentiez  point  la  juste  indignation  et  la  vigueur  de 
l'autorité  de  ce  saint  Siège,  vous  ressouvenant  des  paroles  du 
Seigneur  :  Celuy  qui  tombera  sur  cette  pierre,  sera  froissé;  et 
elle  brisera  celuy  sur  lequel  elle  tombera.  Au  surplus,  nous 
prions  Dieu  qu'il  vous  donne  l'esprit  d'entendement,  et  de 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  INTRODUCTION  163 

résipiscence  ;  et  à  cet  effet  nous  vous  départons  nostre  béné- 
diction Apostolique.  Donné  à  Rome  à  Sainte  Marie-Majeure, 
sous  l'anneau  du  Pescheur,  le  premier  d'Aoust  mil  six  cens 
soixante-un,  l'année  septième  de  nostre  Pontificat. 

Les  Grands-vicaires  résistèrent  d'abord  avec  énergie;  mais, 
se  voyant  abandonnés  par  le  cardinal  de  Retz,  qui  se  récon- 
ciliait alors  avec  le  roi,  ils  cédèrent  ;  le  3i  octobre,  ils  signaient 
un  second  mandement  que  l'archevêque  de  Toulouse  Marca 
avait  rédigé,  et  que  le  nonce  leur  avait  enjoint  de  publier. 

Extrait  du  second  mandement  des  Grands  Vicaires. 
—  Parce  que  les  paroles  de  notre  Ordonnance  publiée  le 
8.  jour  de  Juin  de  cette  présente  année,  ont  été  entendues 
contre  notre  intention,  qu'Innocent  X.  d'heureuse  mémoire  a 
condamné  seulement  comme  hérétiques  les  5.  Propositions 
de  la  grâce,  qui  lui  ont  été  présentées  par  plusieurs  Evêques 
de  France;  et  qu'au  tems  dudit  Souverain  Pontife  on  ne  fit 
autre  chose  que  rechercher  si  lesdites  5.  Propositions  étoient 
véritables  et  catholiques  ou  bien  fausses  et  hérétiques:  et  de 
plus  qu'il  a  voit  été  meû  une  question,  à  sçavoir,  si  elles 
etoient  ou  n'etoient  pas  de  Jansenius,  laquelle  a  été  définie 
par  notre  saint  Père  le  Pape  Alexandre  VII.  par  sa  Consti- 
tution du  16.  Octobre  de  l'année  i656.  et  qu'encore  par 
d'autres  circuits,  notredit  Mandement  est  opposé  ausdites 
définitions  de  l'Eglise,  ainsi  que  Notre  très-Saint  Père  le  Pape 
Alexandre  VII.  nous  l'a  fait  entendre  avec  une  remontrance 
paternelle,  par  ses  Lettres  en  forme  de  Bref,  du  premier  jour 
d'Août  de  la  présente  année,  quoique  pourtant  il  soit  très- 
certain  qu'au  tems  dudit  Pape  Innocent  X.  on  n'a  pas  seu- 
lement pris  connoissance  des  5.  Propositions,  mais  encore 
qu'elles  étoient  extraites  du  Livre  de  Jansenius  intitulé, 
Augustinus,  et  condamnées  comme  hérétiques  dans  le  sens 
entendu  parle  même  Jansenius,  parla  Constitution  du  même 
Innocent  X.  du  dernier  jour  de  Mai  de  l'année  i653.  comme 
encore  nous  l'a  déclaré  par  exprès  et  plus  clairement  N. -S.  P.  le 


164  ŒUVRES 

Pape  Alexandre  VII.  dans  sadite  Constitution  du  16.  Octobre 
de  l'an  i656.  A  ces  causes,  afin  que  nous  donnions  un 
bon  exemple  de  notre  obéissance  et  soumission  d'esprit, 
que  doivent  tous  les  Catholiques  à  semblables  déclarations 
apostoliques  sans  avoir  aucun  égard  à  notre  Ordonnance 
ci-dessus  mentionnée,  laquelle  nous  cassons  comme  con- 
traire ausdites  Constitutions  des  Souverains  Pontifes  et 
révoquons  avec  tout  ce  qui  s'en  est  ensuivi,  ainsi  que  pareil- 
lement Sa  Sainteté  nous  a  avertis  et  admonetés  de  faire  par 
sondit  Bref.  Nous  ordonnons  par  ces  présentes  à  tous  Doyens — 
dans  quinze  jours  après  la  signification  desdites  présentes, 
de  souscrire  sincèrement  et  de  cœur  ausdites  deux  Consti- 
tutions Apostoliques,  en  usant  de  la  formule  mise  au  bas  de 
ce  Mandement,  lequel,  ceux  qui  composent  lesdits  Corps 
Ecclésiastiques  Séculiers  ou  Réguliers,  feront  mettre  sur  leur 
Registre  avec  lesdites  Constitutions,  et  y  souscriront  en  usant 
de  ladite  formule,  et  nous  rapporteront  un  Acte  original  et 
authentique  de  leurs  souscriptions  dans  ledit  tems Autre- 
ment et  à  faute  de  ce  faire,  et  ledit  temps  passé,  sera  procédé 
contre  eux  par  les  voyes  de  droit,  conformément  ausdites 
Constitutions.... 

II.  —  LA  SIGNATURE  DES  RELIGIEUSES  DE  PORT-ROYAL 

Le  mandement  fut  connu  aussitôt,  mais  ne  fut  publié  au 
prône  que  le  20  novembre.  A  nouveau  se  posa  la  question  de 
savoir  si  les  religieuses  de  Port-Royal  pouvaient  signer.  Tous 
les  amis  du  monastère,  sauf  Le  Roi,  admettaient  encore  que 
l'on  fît  une  signature  expliquée,  mais  ils  ne  s'entendaient 
pas  sur  les  termes  de  l'explication.  Les  religieuses  ne  crai- 
gnaient pas  la  persécution,  mais  elles  avaient  peur  d'altérer 
la  vérité  ;  les  discussions  durèrent  un  mois  ;  les  lettres  nom- 
breuses de  la  Mère  Angélique  de  S1  Jean  montrent  combien 
elles  furent  animées 1 .  Enfin  les  religieuses  de  Port-Royal  de 

1 .   Perier   est  indiqué  dans  une  de  ses  lettres  comme  servant  d'in- 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  INTRODUCTION  105 

Paris,  le  28  novembre,  celles  de  Port-Royal  des  Champs,  le 
29,  se  resignèrent  à  signer  avec  cette  déclaration  : 

«  Nous,  Abbesse,  Prieures  et  Religieuses  des  deux  monastères 
de  Port-Royal  de  Paris  et  des  Champs  assemblées  capitulaire- 
ment  en  chacune  des  deux  Maisons  pour  satisfaire  à  l'ordon- 
nance de  Messieurs  les  Vicaires  généraux  de  Monseigneur  le 
Cardinal  de  Retz  du  dernier  octobre  de  la  présente  année 
1661.  Considérant  que  dans  l'ignorance  où  nous  sommes  de 
toutes  les  choses  qui  sont  au-dessus  de  nostre  profession  et  de 
nostre  sexe,  tout  ce  que  nous  pouvons  faire  est  de  rendre  té- 
moignage de  la  pureté  de  nostre  foy,  déclarons  tres-volontiers 
par  nostre  Signature  qu'estant  soumises  avec  un  très-profond 
respect  à  nostre  Saint  Père  le  Pape,  et  n'ayant  rien  de  si  pré- 
cieux que  la  foy,  nous  embrassons  sincèrement  et  de  cœur 
tout  ce  que  Sa  Sainteté  et  le  Pape  Innocent  X.  en  ont  décidé, 
et  rejettons  toutes  les  erreurs  qu'ils  ont  jugé  y  estre  con- 
traires. » 

Beaucoup  regrettèrent  aussitôt  cette  signature  :  «  ma  sœur 
Flavie  —  écrit,  le  2  décembre  1661,  la  Sr  Angélique  de  S*  Jean 
—  pleure  nuit  et  jour  depuis  qu'elle  a  signé  et  si  les  larmes 
estoient  tombées  sur  sa  signature,  elle  seroit  bien  lavée  et  il 
n'en  resteroit  point  de  trace  assurément  ».  Cette  signature 
fut  tenue   secrète  jusqu'au  3o  décembre;  en  janvier  1662, 

termédiaire  entre  Arnauld  et  sa  nièce  (Hermant,  Mémoires,  T.  V, 
p.  347>  Le  24  décembre  1661,  la  Mère  Magdeleine  de  Ste  Agnès 
de  Ligny,  abbesse,  écrivait  encore  à  Perier  (ier  recueil  Guerrier, 
p.  6 1 4)  :  «  Monsieur,  M.  le  Doyen  vient  d'envoyer  présentement 
nous  prier  d'envoyer  quelque  personne  de  confiance  à  qui  il  pourroit 
communiquer  une  affaire  qui  nous  regarde.  Nous  avons  cru,  Mon- 
sieur, que  vous  auriez  bien  la  bonté  de  vouloir  prendre  la  peine  de 
l'aller  trouver,  vostre  charité  et  vostre  affection  vous  rendant  infa- 
tigable pour  tout  ce  qui  nous  peut  servir.  C'est  ce  qui  me  donne 
la  liberté  de  vous  faire  cette  très  humble  supplication.  M.  le  Doyen 
désire  que  ce  soit  cette  apres-disnée,  ou  demain  au  matin  sur  les  8. 
heures,  désirant  de  ne  pas  perdre  l'Office.  Nous  croyons  que  cette 
heure  du  matin  vous  sera  la  plus  commode,  estant  bien  tard  après 
Vêpres.  Je  suis  avec  respect,  Monsieur  vostre —  » 


166  ŒUVRES 

la  cour  déclara  ne  pas  s'en  contenter,  et  exigea,  mais  en  vain, 
une  addition  à  la  déclaration.  Sur  ces  entrefaites,  fut  soulevée 
la  grosse  affaire  de  la  thèse  des  jésuites  sur  l'infaillibilité  du 
pape  ;  Relz  donna  sa  démission  d'archevêque  ;  Marca,  désigné 
pour  le  remplacer,  mourut  le  29  juin  sans  avoir  reçu  ses 
bulles.  Le  3o,  les  six  ^caires  généraux  nommés  par  le  cha- 
pitre firent  un  troisième  mandement  prescrivant  la  signature 
pure  et  simple  du  formulaire  qu'avait  exigée  un  arrêt  du 
Ier  mai.  Ce  nouveau  mandement,  porté  à  Port-Royal  le  7  juil- 
let, fut  repoussé  par  les  religieuses,  et  attaqué  de  nullité  par 
de  nombreux  écrits.  L'affaire  en  demeura  là  jusqu'en  1664. 


III.  -  LE  ROLE  DE  PASCAL 

Pascal  prit  une  part  active  aux  luttes  appelées  les  «  guerres 
civiles  »  de  Port-Royal.  Lui  qui  venait  de  soutenir  Arnauld  et 
Nicole  dans  leurs  discussions  avec  Barcos  et  Singlin  (cf.  supra 
p.  5g  sqq.)  proteste  avec  véhémence  à  un  moment  donné  contre 
la  signature  qu' Arnauld  et  Nicole  avait  conseillée  aux  reli- 
gieuses, et  composa  même  un  écrit  à  ce  sujet.  A  quel  mo- 
ment prit-il  cette  attitude?  Avant  le  mandement  du  8  juin, 
il  acceptait  (comme  tous  les  amis  de  Port-Royal,  à  très  peu 
d'exceptions  près)  que  l'on  signât  avec  restriction  ;  nous  en 
avons  une  preuve  dans  la  lettre  écrite,  le  24  juin  1661,  par 
Girard,  docteur  de  Sorbonne,  à  Varet,  vicaire  général  de  Sens 
et  au  docteur  Perrault,  tous  deux  hostiles  à  la  signature  pure 
et  simple  du  premier  mandement.  A  la  fin  de  ce  long  écrit  de 
181  pages  qu'Adrien  Le  Paige  a  résumé  et  reproduit  en  partie 
dans  ses  manuscrits1,  Girard  écrivait  :  «...  En  attendant  je 
diray  à  Mr  N.  [Varet  oa  Perrault]  qu'il  est  le  seul  de  son  avis. 


1.  Cette  copie  que  possède  M.  A.  Gazier  a  été  faite  par  l'avocat 
Le  Paige  d'après  un  manuscrit  communiqué  par  Mr  L.  R  .(sic);  la 
plupart  des  autres  pièces  signalées  par  Le  Paige  ont  été  imprimées 
dans  le   Recueil  de  pièces  de  Leclerc,  1754,  cité  supra  p.  i3g,  n.  3 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.   -  INTRODUCTION  167 

Car  y  ayant  en  tout,  parmi  les  disciples  de  S.  Augustin, 
deux  personnes  qui  ne  sont  pas  contents  du  mandement,  ils 
ne  demandent  autre  chose,  sinon  qu'on  leur  permette  de 
signer  avec  une  restriction  plus  expresse  que  celle  qui  est 
portée  par  la  clause.  Ces  personnes  ont  peu  de  nom,  ce  sont 
MM.1  ...  M.  Arnauld  a  écrit  deux  belles  lettres  pour  cette 
signature;  l'une  à  M.  l'abbé  [Le  Roi],  l'autre  aux  filles  de 
Port-Royal.  J'ay  vu  la  première  et  non  la  deuxième.  Pre- 
nons garde  de  ne  pas  nous  diviser.  Je  vous  assure  que  j'ay 
autant  d'eloignement  que  vous  pour  toute  signature,  et  que 
je  ne  me  determineray  qu'après  avoir  prié  et  fait  prier  Dieu 
longtemps  et  avoir  écouté  tout  le  monde.  Mr  N.  [Varet  ou 
Perrault]  ne  se  souvient  pas,  lorsqu'il  m'écrit  que  je  l'ay 
assuré  que  nos  amis  ne  signeroient  quoy  que  ce  soit. 

«  Il  me  fera  justice  quand  il  se  souviendra  que  je  luy  ay 
témoigné  que  tout  le  Port-Royal,  S*  Cyran,  et  MM.  Pascal  et 
de  Lalane,  estoient  pour  la  signature  avec  restriction,  et  mesme 
on  s'est  offert 2  à  signer  le  formulaire  pourvu  que  les  Evesques 
l'interprétassent  eux-mesmes,  ou  qu'ils  permissent  aux  parti- 
culiers de  l'interpréter  par  leurs  restrictions...  A  Dieu,  nos 
très  chers...  on  me  demande  vos  deux  lettres  de  la  part  de 
nos  amis  ;  je  croy  qu'il  n'y  a  pas  de  mal  à  les  leur  communi- 
quer. Je  pars  après  midi  pour  Méranci  [Meranlais]  et  le  Port- 
Royal  des  Champs3...  » 


i.   Sans  doute,  Sainte-Marthe  et  peut-être  l'abbé  Le  Roi. 

2.  «  Dans  l'écrit  des  Difficultés  »  (note  de  Le  Paige,  ou  du  premier 
copiste). 

3.  Varet  ne  répondit  pas  par  écrit  ;  il  fit,  avec  Perrault  sans  doute, 
un  voyage  à  Paris  et  s'entretint  avec  Girard.  Mais  le  recueil  de  1754 
(16e  pièce)  publie  une  lettre  de  Varet  au  P.  de  Moissey,  de  l'Oratoire, 
du  i5  juillet  1661  (date  indiquée  par  le  manuscrit  de  Le  Paige),  où 
il  réfute  point  par  point  la  longue  lettre  de  Girard.  Sans  discuter 
l'indication  précise  qui  concerne  Pascal,  il  se  borne  à  dire  «  je  sou- 
tiens qu'il  y  a  beaucoup  plus  de   personnes  qui  sont  du  sentiment 

qu'on  ne  doit  point  signer,  que  non  pas  deceluy  qu'on  le  doit  faire 

Je  ne  vous  nomme  point  un  grand  nombre  de  personnes  fort  pieuses 


168  ŒUVRES 

Il  semble  aussi  très  probable,  quoique  le  fait  ne  soit  pas 
certain,  que  Pascal  avait  pris  part  à  la  rédaction  du  premier 
mandement,  et  Jacqueline  paraissait  s'en  plaindre  dans  la 
lettre  du  23  juin;  vide  supra  p.  81. 

On  a  cependant  pensé  que  l'écrit  que  nous  donnons  ci- 
dessous  avait  été  composé  aussitôt  après  le  premier  mande- 
ment. Une  lettre  de  décembre  1 665,  qui  semble  être  de  Noël  de 
La  Lane  (cf.  infra  p.  180  sqq.)  dit,  sans  autre  explication,  que 
cet  opuscule  fut  fait  après  la  «  première  signature  »  des  reli- 
gieuses; et  Ghamillard,  en  1667,  reprend  cette  expression. 
Hermant,  d'ailleurs  absent  de  Paris  et  qui  ne  paraît  pas  avoir 
pris  directement  part  à  ces  querelles,  dit  dans  ses  Mémoires, 
T.  V,  p.  5i4,  que  l'écrit  dont  il  s'agit  avait  été  fait  «  vers  la  fin 
du  mois  de  juin  »  ;  mais  cette  indication  a  été  barrée  par  lui 
ou  par  le  reviseur  de  son  manuscrit.  Dans  un  autre  passage, 
T.  V,p.  3o2,  ce  même  Hermant  place  la  dispute  secrète  entre 


et  fort  éclairées  que  je  sçay  d'original  estre  dans  la  resolution  de  ne 
point  signer  ».  —  Ce  même  Varet,  en  son  nom  et  au  nom  d'un  ami 
qui  doit  être  Perrault,  écrivait  à  Girard  avant  le  premier  mandement, 
vers  la  fin  de  mai  ou  le  début  de  juin  1661,  au  moment  où  Arnauld 
et  tous  ses  amis  protestaient  contre  la  signature  pure  et  simple  :  «  Si 
on  ne  peut  se  tenir  d'écrire,  il  semble  qu'on  devroit  se  servir  du 
moyen  qui  a  déjà  réussi  en  pareille  occasion,  qui  seroit  de  ne  faire  les 
Ecrits  que  d'une  feuille  seulement  sur  la  seule  matière  de  la  signature 
du  Formulaire,  en  y  mêlant  les  maximes  de  la  morale  des  Jésuites, 
sur  lesquelles  cette  intrigue  de  la  signature  est  fondée....  »  Et  il  don- 
nait un  canevas  détaillé  de  cinq  lettres  ou  «  Ecrits  qui  soient  assez 
courts  pour  être  lus  et  achetés  de  tout  le  monde  »  {Recueil  de  1754, 
i5e  pièce).  Perrault  avait  le  premier  suggéré  à  Arnauld  et  à  ses 
amis  l'idée  d'écrire  les  Petites  Lettres  (cf.  supra  T  VII,  p.  59).  Ne 
pourrait-on  croire  que  Pascal  faisait  allusion  à  ce  projet  nouveau 
lorsqu'il  déclarait,  au  dire  de  Beurrier  qui  a  pu  mal  interpréter  ses 
paroles,  «  qu'on  l'avoit  voulu  engager  dans  ces  disputes,  mais  que 
(depuis  deux  ans)  il  s'en  etoit  retiré  prudemment —  et  qu'ainsy 
n'ayant  point  estudié  la  scolastique —  il  avoit  jugé  qu'il  se  devoit 
retirer  de  ces  disputes  et  contestations  qu'il  croyoit  préjudiciables  et 
dangereuses,  car  il  auroit  pu  errer  en  disant  trop  ou  trop  peu —  »  ? 
(cf.  infra  p.  387  sq.). 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  INTRODUCTION  169 

Arnauld  et  Pascal  au  milieu  des  événements  de  septembre  de 
cette  même  année,  sans  indiquer  la  date  avec  précision. 

A  ces  indications  bien  vagues  s'opposent  les  affirmations 
formelles  de  tous  Jes  amis  de  Port-Royal,  de  ceux  qui  secondè- 
rent Pascal  comme  de  ceux  qui  le  combattirent,  notamment  de 
Madame  Perier,  de  Marguerite  Perier,  de  La  Lane  (qui  est  très 
affirmatif  dans  un  second  écrit),  de  Nicole  et  de  Domat.  Il 
faut  remarquer  aussi  que  les  paroles  de  Pascal  dans  cet  écrit 
et  celles  de  Nicole  et  d'Arnauld  dans  leurs  réponses  ne 
peuvent  s'appliquer  qu'au  second  mandement  des  Grands- 
Vicaires,  où  n'était  plus  faite  la  distinction  du  droit  et  du 
fait1. 

L'Écrit  sur  la  Signature  nous  a  été  transmis  par  deux 
voies.  La  sœur  Flavie  Passart  se  l'était  fait  remettre  par  les 
nièces  de  Pascal  (cf.  infra  p.  1 95  sqq.).  Quand  elle  fit  sa  soumis- 
sion à  l'archevêque  Peréfixe,  elle  remit  sa  copie  entre  les 
mains  de  Ghamillard,  le  directeur  imposé  à  Port-Royal  ;  celui- 
ci  la  publia  en  partie,  en  1667,  dans  sa  Déclaration  de  la  con- 
duite... (cf.  infra  p.  355).  D'autre  part  Nicole  lit  précéder 
chaque  partie  de  sa  réponse  manuscrite,  du  texte  même  de 
Pascal  auquel  il  répliquait,  et  il  semble  bien  que  l'écrit  ainsi 
reproduit  soit  complet.  Nous  avons  trois  copies  de  la  réponse 
de  Nicole  :  l'une  est  à  Clermont-Ferrand  (bibliothèque  muni- 
cipale ms.  i4o).  Ce  manuscrit,  où  les  noms  des  auteurs  ont 
été  ajoutés  par  un  correcteur,  où  le  nom  de  Pascal  ne  figure 
même  pas,  paraît  bien  être  celui  que  Marguerite  Perier  a 
donné  aux  Oratoriens  de  Clermont  et  qu'a  transcrit  Guerrier 
dans  le  ms.  f.  fr.  i3gi3  de  la  Bibliothèque  Nationale  (f°.  1  à 
21),  avec  cette  note  :  «  J'ai  copié  cet  écrit  sur  un  ms.  qui  se 
trouve  parmi  ceux  que  Mlle  Perier  a  donné  à  la  bibliothèque 
des  PP.  de  l'Oratoire  de  Clermont.  Cet  écrit  est  de  M.  Nicole 


1.  Pour  l'interprétation  de  cet  écrit,  cf.    Petitot  :  Pascal.   Sa  vie 
religieuse  et  son  Apologie  du  Christianisme,  Paris,  Beauchesne,  191 1, 

p.    123. 


170  ŒUVRES 

et  celui  qui  est  refuté,  de  M.  Pascal.  »  Une  troisième  copie 
enfin,  prise  manifestement  sur  la  précédente  pour  Domat,  est 
au  ms.  2477  de  la  Bibliothèque  Mazarine.  Nous  suivons  ici 
le  texte  de  la  bibliothèque  de  Clermont,  en  donnant  en  note 
les  variantes  tirées  de  la  publication  partielle  faite  par  Cha- 
millard. 


171 


ECRIT 

Sur  la  signature  de  ceux  qui  souscrivent  aux  consti- 
tutions en  cette  manière  :  Je  ne  souscris  à  ces 
constitutions  qu'en  ce  qui  regarde  la  foy,  ou  simple- 
ment :  Je  souscris  aux  constitutions  touchant  lu  foy, 
quoad  dogmata. 

Toute  la  question  d'aujourd'huy  estant  sur  ces  pa- 
roles, Je  condamne  les  cinq  propositions  au  sens  de 
Jansenius,  ou  la  doctrine  de  Jansenius  sur  les  cinq 
propositions  ;  il  est  d'une  extrême  importance  de 
voir  de  quelle  manière  on  y  souscrit. 

Il  faut  premièrement  sçavoir  que  dans  la  vérité  des 
choses,  il  n'y  a  point  de  différence  entre  condamner 
la  doctrine  de  Jansenius  sur  les  cinq  propositions, 
et  condamner  la  grâce  efficace,  S1  Augustin,  S1  Paul. 

C'est  pour  cette  seule  raison  que  les  ennemis  de 
cette  grâce  s'efforcent  de  faire  passer  cette  clause. 

Il  faut  sçavoir  encore  que  la  manière  dont  on 
s'est  pris  pour  se  défendre  contre  les  décisions  du 
Pape  et  des  Evesques  qui  ont  condamné  cette  doctrine 
et  ce  sens  de  Jansenius,  a  esté  tellement  subtille, 
qu'encore  qu'elle  soit  véritable  dans  le  fonds,  elle  a 
esté  si  peu  nette  et  si  timide,  qu'elle  ne  paroit  pas 
digne  des  vrais  défenseurs  de  l'Eglise. 

*Le  fondement  de  cette  manière  de  se  défendre, 

i .   Chamillard  n'avait  fait  que  résumer  ce  qui  précède.  Il  commence 
ci    ses  citations  :    «  Le    fondement    de    cette  Signature    a    esté    la 


172  ŒUVRES 

a  esté  de  dire  qu'il  y  a  dans  ces  expressions  un  fait  et 
un  droit  ;  et  qu'on  promet  la  créance  pour  l'un,  et 
le  respect  pour  l'autre. 

1  Toute  la  dispute  est  de  sçavoir  si  il  y  a  un  fait  et 
un  droit  séparé,  ou  s'il  n'y  a  qu'un  droit  ;  c'est-à- 
dire  si  le  sens  de  Jansenius  qui  y  est  exprimé,  ne 
fait  autre  chose  que  marquer  le  droit. 

Le  Pape  et  les  Evesques  sont 2  d'un  costé,  et  préten- 
dent que  c'est  un  point  de  droit  et  de  foy  de  dire, 
que  les  cinq  propositions  sont  hérétiques  au  sens  de 
Jansenius  ;  et  Alexandre  VII,  a  déclaré  dans  sa  con- 
stitution, que  pour  estre  dans  la  véritable  foy,  il  faut 
dire  *que  les  mots  de  sens  de  Jansenius  ne  font  qu'ex- 
primer le  sens  hérétique  des  propositions,  et  qu'ainsi 
c'est  un  fait  qui  emporte  un  droit,  et  qui  4fait  une 
portion  essentielle  de  la  profession  de  foy,  comme 
qui  diroit,  le  sens  de  Calvin  sur  l'Eucharistie  est  héré- 
tique*, ce  qui,  certainement,  est  un  point  de  foy. 

distinction  que  l'on  a  faite  du  Droit  d'avec  le  Fait,   lorsqu'on  a  promis 

la  créance 

i.  Ch.  :  Or  la  dispute  est  de  sçavoir  s'il  y  a  en  ce  ta  un  Fait  et  un  Droit; 
c'est-à-dire  si  le  Fait  qui  y  est  ne  fait  autre  chose  que  déterminer  et 
marquer  un  Droit. 

2.  Gh.  :  tous  d'un  côté....  de  Foy  et  de  Droit....  et  Alexandre  VII 
déclare....  vraye  foy. 

3.  Ch.  :  que  les  cinq  Propositions  sont  hérétiques  au  sens  de  Jansenius  ; 
en  sorte  que  les  mots,  au  sens  de  Jansenius, — 

4.  Ch.  est  proprement  un  Droit  luy-mesme,  et  qui  fait  lapartie  essen- 
tielle.... 

5.  Ch.  ou  le  sens  de  Nestorius  sur  l'Incarnation,  ce  qui  est  assuré- 
ment un  point  de  Foy.  Les  autres  sont  en  petit  nombre  des  personnes 

inconnues,  qui  font  à  toute  heure où  ils  disent  que  ce  fait  est  de  sa 

nature  séparé  du  Droit,  et  qu'il  n'en  fait  pas  une  partie.  —  Chamillard 
ajoute  ici  :  «  Ce  sont  ses  termes  »,  puis  il  interrompt  ses  citations 
jusqu'à  :  Les  uns  prétendent.... 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE  173 

Et  un  très  petit  nombre  de  personnes,  qui  font  à 
toute  heure  des  petits  escrits  volans,  disent  que  ce 
fait  est  de  sa  nature  séparé  du  droit. 

Il  faut  enfin  remarquer  que  ces  mots  défait  et  de 
droit  ne  se  trouvent,  ny  dans  le  mandement,  ny  dans 
les  constitutions,  ny  dans  le  formulaire,  mais  seu- 
lement dans  quelques  escrits  qui  n'ont  nulle  relation 
nécessaire  avec  cette  signature  ;  et  sur  tout  cela  exa- 
miner la  signature  que  peuvent  faire  en  conscience 
ceux  qui  croyent  estre  obligez  en  conscience  à  ne  point 
condamner  le  sens  de  Jansenius. 

Mon  sentiment  est,  pour  cela  que  comme  le  sens 
de  Jansenius  a  esté  exprimé  dans  le  mandement,  dans 
les  bulles  et  dans  le  formulaire,  il  faut  nécessaire- 
ment l'exclurre  formellement  par  sa  signature  ;  sans 
quoy  on  ne  satisfait  point  à  son  devoir.  Car  de  pré- 
tendre qu'il  suffit  de  dire  qu'on  ne  croit  que  ce  qui 
est  de  la  foy,  pour  prétendre  avoir  assez  marqué  par 
là  qu'on  ne  condamne  point  le  sens  de  Jansenius, 
par  cette  seule  raison  qu'on  s'imagine  qu'il  y  a  en 
cela  un  fait  qui  est  séparé  du  droit  ;  c'est  une  pure 
illusion  :  on  en  peut  donner  bien  des  preuves. 

Celle-cy  suffit ,  Que  le  fait  et  le  droit  estant  des  choses 
dont  on  ne  parle  en  aucune  manière  en  tout  ce  qu'on 
signe,  ces  deux  mots  n'ont  nullement  assez  de  rela- 
tion l'un  à  l'autre,  pour  faire  qu'il  soit  nécessaire  que 
l'expression  de  l'un  emporte  l'exclusion  de  l'autre. 

S'il  estoit  dit  dans  le  Mandement,  ou  dans  les  con- 
stitutions, ou  dans  le  formulaire  qu'il  faut  non  seu- 
lement croire  la  foy,  mais  aussy  le  fait  ;  ou  que  le 


174  ŒUVRES 


fait  et  le  droit  fussent  proposez  egallement  à  sous- 
crire ;  et  qu'enfin  ces  deux  mots  de  fait  et  de  droit 
y  fussent  bien  formellement  marquez  :  on  pourroit 
peut-estre  dire  qu'en  mettant  simplement  que  l'on  se 
soumet  au  droit,  on  marque  assez  que  l'on  ne  se  sou- 
met point  à  l'autre.  Mais  comme  ces  deux  mots  ne 
se  regardent  que  dans  nos  entretiens,  et  dans  quel- 
ques escrits  tout  à  fait  séparez  des  constitutions,  les- 
quels peuvent  périr,  et  la  signature  subsister  ;  et 
qu'ils  ne  sont  relatifs,  ny  opposez  l'un  à  l'autre,  ny 
dans  la  nature  de  la  chose,  où  la  foy  n'est  pas  natu- 
rellement opposée  au  fait,  mais  à  l'erreur  ;  ny  dans 
ce  qu'on  fait  signer:  il  est  impossible  de  prétendre 
que  l'expression  de  la  foy  emporte  nécessairement 
l'exclusion  du  fait. 

Car  encore  qu'en  disant  qu'on  ne  reçoit  que  la 
foy,  on  marque  par  là  qu'il  y  a  quelque  autre  chose 
qu'on  ne  reçoit  pas,  il  ne  s'ensuit  pas  que  cette  autre 
chose  qu'on  ne  reçoit  pas  soit  nécessairement  le  sens 
de  Jansenius  ;  et  cela  se  peut  entendre  de  beaucoup 
d'autres  choses,  comme  des  récits  qui  sont  faits 
dans  l'exposé,  et  des  deflPenses  de  lire  et  d'escrire. 

Il  y  a  cela  de  plus,  que  le  mot  de  foy  estant  icy 
extrêmement  équivoque,  Ues  uns  prétendant  que  la 
doctrine  de  Jansenius  emporte  un  point  de  foy,  et 
les  autres  que  ce  n'est  qu'un  pur  fait,  il  est  indubi- 
table qu'en   disant  simplement  qu'on  reçoit  la  foy, 


i.  Gh.  :  Les  uns  prétendent  ...  en  disant  simplement  que  Ton  reçoit 

la  Foy que  Von   ne  reçoit  pas  la  condamnation  de  la  doclrine  de 

Jansenius,....  la  reçoit  mais  on  marque  plustost  qu'on  la  reçoit. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE  175 

sans  dire  qu'on  ne  reçoit  point  le  point  de  la  doctrine 
de  Jansenius,  on  ne  marque  pas  par  là  qu'on  ne  le 
reçoit  pas,  mais  on  marque  plustostparlà  qu'on  le  re- 
çoit ;  puisque  l'intention  publique  du  Pape  et  des 
Evesques  est  de  faire  '  recevoir  la  condamnation  de 
Jansenius,  comme  une  chose  de  foy,  tout  le  monde 
le  disant  publiquement,  et  personne  n'osant  dire  pu- 
bliquement le  contraire. 

Il  est  hors  de  doute  que  cette  profession  de  foy 
est  au  moins  équivoque  et  ambiguë,  et  par  con- 
séquent meschante. 

D'où  je  conclus  que  ceux  qui  signent  purement 
le  formulaire  sans  restriction  signent  la  condamna- 
tion de  Jansenius,  de  S1  Augustin,  de  la  grâce 
efficace. 

Je  conclus  en  second  lieu  que  qui  excepte  la  doc- 
trine de  Jansenius  en  termes  formels,  sauve  de  con- 
damnation, et  Jansenius,  et  la  grâce  efficace. 

Je  conclus  en  troisiesme  lieu  que  ceux  qui  signent 
en  ne  parlant  que  de  la  foy,  n'excluant  pas  for- 
mellement la  doctrine  de  Jansenius,  prennent  une 
voye  moyenne,  qui  est  abominable  devant  Dieu, 
mesprisable  devant  les  hommes,  et  entièrement  inu- 
tile à  ceux  qu'on  veut  perdre  personnellement. 


i.   Gh.  :  rejetter  le  sens  de  Jansenius,  sous  ce  nom,  d'une  chose  de 

Foy contraire.   El  quelques-uns  le  disant  seulement  en  secret,  qui 

n'est  rien  en  matière  de  Foy  ou  la  lumière  doit  estre  mise  en  évidence 
devant  les  hommes,  au  dire  de  Jesus-Christ,  et  nonpas  sous  le  boisseau. 

Et  ainsi  il  est  hors  de  doute au  moins  ambiguë,  et  par  conséquent 

méchante,  puisque  toute  ambiguité  est  horrible  en  matière  de  Foy. 


176  ŒUVRES 


APPENDICE 
Discussions  sur  la  signature. 

(décembre   i66i-juin(?)   1662). 

Nous  donnons  ci-dessous  :  i°  les  documents  qui  peuvent 
nous  faire  connaître  les  détails  de  la  querelle  qu'avait  soulevée 
Pascal  par  son  Écrit  sur  la  signature  ;  20  l'analyse  des  écrits 
que  d'une  part  Domat  approuvé  par  Pascal,  d'autre  part 
Arnauld  secondé  par  Nicole  écrivirent  à  cette  occasion,  à  la 
fin  de  1661  et  au  début  de  1662.  Le  dernier  écrit,  qui  était 
composé  par  Pascal,  a  complètement  disparu. 

I 
Documents  sur  le  débat1. 

i°  Lettre  de  la  Mère  Angélique  de  S1  Jean  à  Arnauld  (?) 
(6  avril  1662). 

20  Lettre  de  Nicole  à  Taignier  sur  l'attitude  de  Pascal  (3 
juin  i663). 

3°  Écrit  de  Ghamillard,  où  il  parle  de  l'écrit  de  Pascal  sur 
la  signature  (fin  i665). 

4°  Réponse  de  Noël  de  la  Lane  (?)  à  Ghamillard  (décembre 
i665). 

5°  Mémoire  anonyme  sur  cette  querelle  (vers  1669). 

1 .  Il  faut  rapprocher  de  ces  documents  quelques-uns  de  ceux  que 
nous  reproduisons  plus  loin,  parce  qu'ils  ont  eu  pour  occasion  les 
déclarations  de  Pascal  à  Beurrier  (vide  infra  p.  384  sqq.)  ;  notamment 
la  Lettre  d'un  Théologien  de  Nicole,  du  i5  juillet  1666  (p.  34o  sqq.), 

la  Déclaration  de  la  conduite deChamillard(mars  1667)  (p.  354  sqq.), 

le  Mémoire  de  Marguerite  Perier  (p.  3o5  sqq.). 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  177 

6°  Mémoires  de  Rapin,  rédigés  d'après  les  indications  de 
Chamillard. 

7°  Lettres  de  Pavillon  sur  les  manuscrits  de  Pascal  (1676). 

8"  Mémoires  de  Marguerite  Perier  sur  le  rôle  joué  par  la 
sœur  Flavie  (écrit  vers  1723). 

i°  Extrait  d'une  lettre  de  la  Mère  Angélique  de  S1  Jean  à  Ar- 
nauld  (?),  du  jeudi  saint  6  avril  1662  1  (Copie  clans  un  recueil 
manuscrit  appartenant  à  M.  A.  Gazier). 

Je  crois  que  mon  frère  de  Luzancy  vous  aura  dit  tout  ce 
que  je  n'ay  osé  vous  écrire  sur  ce  que  nous  avons  encore 
entre  les  mains  et  que  nous  vous  renvoierons  bien  tost. 
J'avois  voulu  vous  en  mander  mes  sentimens,  mais  l'alarme 
dont  il  vous  a  parlé  estant  survenue,  je  retins  ma  lettre  et 
creus  que  de  peur  d'accident,  le  plus  seur  estoit  de  ne  rien 
confier  au  papier,  et  qu'il  suffisoit  qu'il  vous  temoignast  nos- 
tre  extrême  reconnoissance,  comme  je  m'asseure  qu'il  l'aura 
fait  ;  elle  va  plus  loin  que  je  ne  vous  le  pourois  dire  quand 
j'oserois  m'en  expliquer.  Mais  vous  sçavez  néanmoins  qu'afin 
que  vous  ajoustiez  une  preuve  tout  à  fait  convaincante  que  vous 
avez  fait  cela  par  une  pure  charité  et  tout  à  fait  pour  l'amour 
de  nous,  il  faut  que  vostre  présent  soit  tout  à  fait  à  nous  et 
incommunicable  à  tout  autre.  Car  autrement  nous  le  per- 
drons et  il  nous  perdra.  Vous  le  voiez  assez  ;  je  ne  m'expli- 
que pas  davantage.  Nous  sommes  donc  attaquées  à  droit  et 
à  gauche.  On  nous  a  appris  que  nous  passerons  par  les  mains 
du  provincial  qui  ne  nous  épargnera  pas  plus  du  costé  qu'il 
nous  entreprend,  que  l'on  a  fait  de  l'autre,  nous  deffendrez- 
vous  aussy  bien  ?  Je  le  veux  croire  ;  mais  selon  mon  peu  de 
lumière,  les  raisons  ne  sont  pas  si  fortes  d'une  part  qu'elles 
sont  de  l'autre,  et  la  vérité  est  si  puissante  que  lorsque  l'on 
voit  seulement  son  ombre  dans  un  zèle  peut-être  indiscret  de 

1.  Dans  cette  lettre  de  ton  mystérieux,  le  «  provincial  »  au  «  zèle 
peut-estre  indiscret  »  pour  défendre  les  intérêts  de  la  vérité  semble 
bien  être  Pascal.  Une  lettre  écrite  par  la  même  à  Madame  de 
Sablé,  à  la  fin  de  mars,  montre  qu'à  cette  date  on  s'occupait  encore 
de  la  signature  des  religieuses. 

2e  série.  Vil  12 


178  ŒUVRES 

deffendre  ses  intérêts,  on  ne  peut  s'empêcher  que  la  con- 
science ne  tremble  et  qu'on  n'ait  peur  :  mais  on  s'appuye  sur 
vous  pour  justifier  vostre  conseil,  et  vous  ne  nous  abandonne- 
rez pas... 

2°  Extrait  d'une  lettre  adressée  par  Nicole  à  Taignier  le 
3  juin  1663  ». 

L'aigreur  de  Louis  de  Montalte  a  esté  en  effet  très  vio- 
lente et  très  mal  fondée  ;  mais  elle  venoit  néanmoins  d'un 
bon  fond,  et  d'une  passion  très  sincère  pour  la  vérité,  jointe 
à  quelques  légèreté  qui  le  faisoit  juger  très  vite  et  sans  s'in- 
former du  détail.  Mais  quoy  qu'il  n'ait  pas  changé  de  senti- 
mens  à  la  mort,  il  a  néanmoins  changé  son  aigreur  appa- 
rente en  tesmoignage  d'affection,  et  cela  s'est  fort  bien  passé. 

Il  y  a  plus  à  craindre  sur  la  division  qui  peut  naistre  sur 
les  temperamens  des  signatures  parce  qu'au  lieu  que  Louis  de 
Montalte  avoit  la  multitude  contre  luy 2,  et  ne  pouvoit  nuire 
en  ne  reprochant  qu'un  excès  de  condescendance,  ceux-cy  au 
contraire  auront  le  monde  pour  eux  et  tous  les  amis  laïques, 
et  ne  manqueront  pas  de  prétextes  pour  spiritualiser  terri- 
blement leur  conduite — 

3°  Ghamillard.  — Response  aux  raisons  que  les  Religieuses 
de  Port-Royal...  proposent  contre  la  signature  du  Formu- 
laire, avec  leurs  maximes  et  leur  Esprit,  par  Monsieur  Gha- 
millard, Docteur  de  Sorbonne.  Paris,  i665,  54  p-  in-4°  (achevé 
d'imprimer  du  g  décembre  i665). 


i.  Cette  lettre  se  trouve  dans  les  Mémoires  d'Hermant,  T.  VI, 
p.  263.  Nicole  se  plaint  de  l'opiniâtreté  de  Barcos,  de  Singlin,  de  La 
Lane,  de  Girard,  et  de  ceux  qui,  malgré  Arnauld  et  quelques  autres, 
se  sont  prêtés  aux  propositions  d'accommodement  et  de  soumission 
faites  par  l'évêque  de  Gomminges. 

2.  Arnauld,  dans  un  écrit  où  il  réfute  les  arguments  de  Domat,  parle 
de  l'opposition  faite  par  trois  ou  quatre  personnes  :  Pascal,  Domat, 
sans  doute  aussi  le  duc  de  Rouannez,  à  qui  Pascal  confia  une  copie  de 
ses  écrits,  et  peut-être  le  fils  Perier. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  179 

Ch.  m.  Réponse  à  la  troisième  Raison  des  Religieuses  de 
Port-Roial,  qui  disent,  qu'elles  signeront  le  Formulaire, 
pourveu  qu'on  leur  permette  de  le  signer  avec  restriction. 

p.  22....  S'ils  [les  Amis  de  P.  R.]  ne  signent  ce  Formu- 
laire simplement,  clairement  et  pleinement,  comme  parle 
saint  Léon,  c'est-à-dire,  sans  restriction,  leur  Foi  sera  tou- 
jours suspecte. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  conduite  ordinaire  de  l'Eglise 
qui  nous  oblige  de  le  croire  ;  c'est  le  témoignage  mesme  de 
ceux  de  leur  parti.  Je  laisse  à  ceux  qui  se  voudront  donner 
la  peine  de  lire  tous  leurs  écrits  ;  d'en  remarquer  les  con- 
tradictions, qui  font  voir  que  le  mensonge  ne  peut  jamais  se 
soutenir,  et  de  prouver  qu'eux-mesmes  ont  reconnu  que  les 
Cinq  Propositions  estoient  dans  le  Livre  de  Jansenius,  au 
mesme  sens  que  le  Saint  Siège  les  condamne.  Je  me  contente 
de  ce  que  j'ai  appris  de  plus  particulier  dans  la  conduite  de 
cette  affaire,  et  rapporte  seulement  le  témoignage  de  ceux  de 
leur  parti  qui  ont  esté  plus  sincères  que  les  autres,  pour  dé- 
couvrir ce  qu'ils  tiennent  caché  depuis  plusieurs  années  sous 
cette  restriction,  qui  abuse  les  simples,  et  plusieurs  autres  qui 
ne  les  connoissent  pas.  L'une  des  Religieuses  qui  ont  signé, 
qui  avoit  autrefois  beaucoup  de  part  au  secret  du  parti,  et 
qui  présentement  est  soumise  à  l'Eglise,  a  eu  deux  manu- 
scrits. J'en  ai  veu  un,  où  l'autheurqui  ne  pouvoit  souffrir  cet 
artifice,  leur  reproche  que  la  Restriction  dont  ils  se  servent, 
quand  ils  promettent  la  Foi  divine  pour  le  Droit,  le  respect  etle 
silence  pour  le  Fait,  est  une  invention  de  leur  esprit,  ou,  pour 
mieux  dire,  une  foiblesse  de  leur  courage  qui  leur  fait  aban- 
donner honteusement  la  vérité,  lors  qu'ils  dissimulent  ce 
qu'ils  en  pensent.  Ces  écrits,  qui  sont  de  feu  M.  Pasqual1,  et 
quelques  autres  semblables,  que  les  Religieuses,  qui  ont  signé, 
nous  ont  communiquez,  et  qu'elles  ont  mis  entre  les  mains 
de  Monseigneur  l'Archevesque  de  Paris,  font  voir  la  peine  que 

i.  Ghamillard,  dans  son  écrit  de  1667,  cite  la  plus  grande  partie  de 
l'écrit  de  Pascal  (cf.  infra  p.  355). 


180  OEUVRES 

ces  personnes,  qui  sça voient  le  secret  du  parti,  et  qui  estoient 
plus  sincères  que  les  autres,  avoient  de  voir  la  mauvaise  foi 
de  leurs  Confrères,  qui  se  servoient  de  cette  restriction,  pour 
dissimuler  au  public  leurs  véritables  sentimens. 

4°  [Noël  de  la  Lane.]  —  Lettre  d'un  Théologien  à  un  de 
ses  amis,  sur  le  livre  de  M.  Chamillard  contre  les  Religieuses 
de  Port-Royal,  22  décembre  i665,  22  p.  iiWj0  (attribué  à 
de  la  Lane  par  Fouillou  et  par  Dom  Clémencet). 

p.    3 N'admirez-vous   pas,    Monsieur,   qu'après    avoir 

avancé  par  une  imposture,  qui  a  esté  tant  de  fois  refutée,  que 
les  Jansénistes  prétendus  ont  reconnu  que  les  cinq  proposi- 
tions sont  dans  le  livre  de  Jansenius  au  mesme  sens  que  le  S. 
Siège  les  condamne,  et  qu'ainsi  ils  agissent  de  mauvaise  foy, 
sans  en  rapporter  aucune  preuve  comme  il  ne  le  sçauroit 
faire,  il  ne  s'arreste  qu'à  ces  contes,  qu'il  en  fasse  des  preuves 
capitales,  et  qu'une  histoire  de  feu  M.  Paschal  rapportée  tout 
de  travers  et  tres-infîdelement,  et  un  discours  prétendu  de 
la  sœur  Angélique  de  S.  Jean,  attesté  par  la  seule  sœur  Fia- 
vie,  soit  toute  la  preuve  que  la  restriction  ne  se  doit  pas 
souffrir  comme  n'estant  pas  sincère,  Secondement,  dit-il, 
parce  qu'elle  n'est  pas  sincère  selon  le  tesmoignage  de  ceux  de 
leur  parti,  et  ce  tesmoignage  se  réduit  à  cette  histoire  et  à  ce 
discours.  Mais  si  ces  choses  sont  faussement  rapportées,  la 
restriction  est  sincère  puisqu'il  ne  se  fonde  que  sur  la  vérité 
de  ces  faits  pour  monstrer  qu'elle  ne  l'est  pas.  Or  voicy  la 
vérité  de  l'histoire  de  M.  Paschal. 

Les  Religieuses  dans  leur  première  signature  tesmoigne- 
rent  simplement  qu'elles  recevoient  tout  ce  qui  avoit  esté 
défini  de  la  foy.  M.  Paschal  dit  qu'il  y  avoit  de  la  foiblesse, 
de  la  timidité,  et  de  l'équivoque  à  signer  ainsi,  parceque  les 
propositions  pouvant  estre  prises  dans  le  sens  de  la  grâce 
efficace  par  elle-mesme,  et  estant  condamnées  dans  le  sens 
de  Jansenius  qui  n'avoit  enseigné  que  ce  sens  de  la  grâce  effi- 
cace par  elle-mesme,  souscrire  simplement  à  ce  qui  avoit  esté 
deûni  de  la  foy,  c'estoit  s'exposer  au  péril  de  condamner  la 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  181 

grâce  efficace  par  elle-mesme,  et  n'agir  pas  assés  sincèrement, 
puisqu'on  ne  vouloit  donner  aucune  atteinte  à  cette  doctrine, 
et  que  par  conséquent  les  Religieuses  n'avoient  pas  deu  signer 
ainsi  dans  des  termes  généraux,  mais  excepter  en  signant  le 
dogme  de  la  grâce  efficace  par  elle  mesme  qui  faisoit  le  sens 
de  Jansenius. 

Les  Docteurs  qui  avoient  approuvé  la  signature  des  Reli- 
gieuses en  ces  termes,  soutenoient  au  contraire,  qu'il  n'y  avoit 
ny  foiblesse  ny  équivoque,  ny  péril  ;  parce  que  le  sens  de  la 
grâce  efficace  par  elle-mesme  ayant  esté  excepté  par  le  Pape 
mesme  dans  un  Décret,  et  par  le  consentement  gênerai  de 
toute  l'Eglise,  il  n'y  avoit  nulle  nécessité  et  nulle  raison  aux 
inférieurs  de  l'excepter  dans  la  signature,  et  qu'il  y  avoit 
mesme  du  péril,  parce  que  c'estoit  donner  occasion  de  dire 
que  tous  ceux  qui  ne  l'avoient  pas  excepté  en  signant  avoient 
consenti  à  la  condamnation  de  cette  sainte  doctrine,  Que  si 
Jansenius  n'avoit  enseigné  que  ce  sens  sur  cette  matière 
comme  on  le  croioit,  on  ne  devoit  point  craindre  qu'on  put 
tirer  de  la  condamnation  que  le  Pape  avoit  faite  du  sens  de 
Jansenius  la  condamnation  de  ce  sens,  parce  que  le  Pape 
n'avoit  condamné  que  le  sens  propre  et  naturel  des  cinq 
propositions  entièrement  différent  de  ce  sens  de  la  grâce  effi- 
cace par  elle-mesme,  comme  les  Jésuites  mesmes  le  recon- 
noissoient,  et  qu'il  n'avoit  condamné  ces  propositions  dans  le 
sens  de  Jansenius,  que  parce  qu'il  avoit  cru  que  Jansenius 
avoit  enseigné  le  sens  propre  et  naturel  de  ces  propositions, 
ce  qui  n'estoit  qu'un  fait,  et  qu'ainsi  on  ne  pouvoit  pas  pré- 
tendre que  les  Religieuses  eussent  aucunement  consenti  à  la 
condamnation  du  sens  de  la  grâce  efficace  par  elle-mesme, 
ny  qu'elles  eussent  rien  fait  contre  la  sincérité,  encore 
qu'elles  n'eussent  point  fait  d'exception  formelle  du  sens  de 
Jansenius,  et  que  tout  ce  qu'on  pouvoit  dire  estoit  qu'elles 
avoient  condamné  les  propositions  dans  leur  sens  propre  et 
naturel,  et  qu'elles  n'avoient  rien  signé  sur  le  fait,  et  qu'ainsi 
elles  ne  l'avoient  point  reconnu,  et  n'en  avoient  porté  au- 
cun jugement,  ce  qui  suffisoit.  Voila  tout  le  sujet  de  cédille- 


182  ŒUVRES 

rent  qu'on  eut  avec  M.  Paschal,  et  des  escrits  qui  furent 
faits  de  part  et  d'autre  ausquels  sa  maladie  l'empeschant  de 
s'appliquer  assez  il  demeura  dans  son  sentiment1,  sans  toute- 
fois s'éloigner  en  aucune  sorte  de  l'union  qu'il  avoit  avec 
ces  Théologiens.  Car  non  seulement  ils  continuèrent  aie  voir 
mais  dans  la  pensée  qu'il  avoit  de  mourir,  outre  les  devoirs 
qu'il  rendit  à  son  Curé  en  recevant  de  luy  les  derniers  Sacre- 
mens  avec  une  dévotion  exemplaire,  il  n'eut  point  de  plus 
grande  consolation  pendant  sa  maladie  que  d'estre  assisté  de 
l'un  d'entr'eux,  entre  les  bras  duquel  il  mourut. 

C'est  pourquoy  ou  M.  Chamillard  n'entend  point  ce  qu'il 
lit,  ou  il  le  rapporte  tres-malicieusement  et  de  très-mauvaise 
foy.  Car  il  n'a  point  veu  dans  ces  manuscrits  de  M.  Pascal 
que  la  sœur  Flavie  a  donnez,  et  que  M.  de  Paris  garde,  qu'il 
y  ait  eu  d'autre  question  que  celle-là Et  ainsi  cette  his- 
toire de  M.  Paschal  rapportée  fidèlement  et  sans  falsifi- 
cation, prouve  tout  le  contraire  de  ce  que  M.  Chamillard 
en  conclut. 

Il  paroist  que  la  sœur  Flavie  qui   avoit  ces  escrits  de 

M.  Pascal  avoit  eu  part  à  ses  pensées  et  à  ses  entretiens  sur 
ce  sujet....  C'est  pourquoy  préférant  le  jugement  d'un  Laïque, 
quoy  que  très  grand  homme  à  celuy  des  Docteurs  et  de  tous 
leurs  Directeurs,  elle  avoit  grande  peine  de  cette  première 
signature.  Or  la  sœur  Angélique  de  S.  Jean  estoit  dans  un 
sentiment  tout  opposé  qui  estoit  celuy  de  M.  Arnauld  et  de 
tous  les  Théologiens  :  car  aucun  d'eux  n'entra  dans  le  senti- 
ment de  M.  Pascal.... 

5°  Extraits  d'un  mémoire  anonyme  sur  la  question  de  la 
signature2.  (Bibliothèque  Nationale,  ms.  f-fr.  i3gi3,  3e Recueil 
Guerrier,  p.  168.) 

i.  Dans  la  2e  partie  du  même  ouvrage  p.  3o,  l'auteur  dit  «  que 
M.  Pascal  est  mort  dans  son  sentiment  ». 

2.  «  Je  ne  sçai  qui  est  auteur  de  cet  écrit;  je  l'ai  trouvé  parmi  les 
papiers  donnez  à  la  maison  de  l'Oratoire  de  Clermont  par  Mademoi- 
selle Marguerite  Perier  nièce  de  M.  Pascal  »  (Note  du  Père  Guerrier). 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  183 

Ensuite  du  second  mandement  des  grands  Vicaires  de  M.  le 
Cardinal  de  Rets,  Archevêque  de  Paris,  les  Religieuses  de 
P.  R.  ayant  offert  de  signer  qu'elles  souscrivoient  les  constitu- 
tions en  ce  qui  regarde  la  foy,  M.  Pascal  s'éleva  contre  cette 
signature,  prétendant  qu'elle  estoit  obscure  et  ambiguë,  qu'elle 
manquoit  de  sincérité,  et  que,  le  sens  de  Jansenius  n'estant 
autre  dans  la  vérité  que  celuy  de  la  grâce  efficace,  cette  sous- 
cription retomboit  sur  la  grâce  efficace  et  sur  la  personne  de 
Jansenius,  à  moins  qu'on  exceptast  formellement  l'une  et  l'au- 
tre, ce  que  les  Religieuses  ne  faisoient  pas. 

On  repondit  par  deux  écrits  que,  quoy  que  le  sens  de  Jan- 
senius ne  fut  pas  différent  dans  la  vérité  de  celuy  de  la  grâce 
efficace,  il  en  estoit  pourtant  très  différent  dans  l'esprit  du 
Pape,  des  Evesques  et  généralement  de  tous  ceux  qui  avoient 
receu  les  Bulles  ;  que  tout  le  monde  sçavoit  qu'il  y  avoit  un 
décret  de  l'Inquisition  signé  du  Pape,  par  lequel  il  declaroit 
avoir  laissé  les  disputes  au  mesme  état  où  elles  estoient  sous 
Clément  VIII.  et  Paul  V.  que  dans  un  bref  adressé  à  la  Fa- 
culté de  Louvain  il  appeloit  les  dogmes  de  Saint  Augustin 
et  de  Saint  Thomas  sanissima  et  tutissima  dogmala  ;  que  par 
toute  l'Eglise  il  souffroit  qu'on  enseignast  cette  doctrine  ou 
qu'on  la  soutint  mesme  dans  les  ordres  qui  estoient  soumis 
aux  constitutions;  qu'il  avoit  fait  deffense  aux  Jésuites  d'en 
prendre  avantage  contre  la  grâce  efficace  ;  que  le  P.  Annat, 
dans  des  écrits  publics  sur  cette  matière,  avouoit  qu'elle  n'avoit 
point  esté  condamnée  et  que,  par  conséquent,  le  sens  de  la 
grâce  efficace  estant  exclu  du  consentement  de  toute  l'Eglise 
du  sens  condamné  dans  les  propositions,  il  estoit  clair  que  le 


—  C'est  là  un  mémoire  composé  sans  doute  en  1669.  Ce  mémoire 
historique  et  polémique  était  peut-être  adressé  à  Etienne  Perier; 
on  l'avait  déjà  consulté  en  juin  i665  dans  un  cas  semblable,  parce  que 
l'on  savait  «  qu'il  étoit  très  au  fait  des  sentiments  qu'avoit  eus  Mon- 
sieur Paschal  son  Oncle  sur  la  matière  des  signatures  ».  Dans  la 
réponse  qu'il  avait  faite  alors,  Perier  reprenait  les  arguments  de  Pascal, 
et  se  montrait  partisan  résolu  de  la  résistance  ouverte  (cf.  le  Recueil 
d'Utrecht,  17^0,  p.  3/|i). 


iSi  ŒUVRES 

Pape  et  toute  l'Eglise  avoient  eu  en  vue  un  autre  sens  qu'ils 
croyoient  estre  de  Jansenius,  et  qu'ils  appeloient  pour  cela  le 
sens  de  Jansenius  ;  que  les  Religieuses  en  se  soumettant  au 
droit,  rejettoient  cette  doctrine  différente  de  la  grâce  efficace 
et  condamnée  dans  les  propositions,  et  qu'en  ne  recevant  que 
le  droit,  elles  marquoient  assez  ne  vouloir  pas  prendre  part 
au  fait,  leur  ignorance  ne  le  permettant  pas. 

M.  Domat  voulut  prouver  que  le  Pape  et  les  Evesques  ayant 
défini  expressément  que  les  propositions  avoient  esté  condam- 
nées au  sens  de  Jansenius,  et  non  dans  l'idée  qu'ils  en  avoient 
eue,  il  falloit  chercher  quel  estoit  ce  dogme  condamné. 

Tous  ces  raisonnemens  furent  réfutez  par  un  autre  écrit  où 
l'on  fit  voir  que  le  Pape  ayant  appliqué  la  qualité  particu- 
lière d'heretique  au  sens  de  Jansenius  qui  est  un  terme  gêne- 
rai, il  falloit  qu'il  eust  l'idée  particulière  d'un  dogme  distinc- 
tement énoncé  auquel  il  auroit  jugé  que  convenoit  la  qualité 
d'heretique. 

M.  V. 1  attaqua  la  signature  par  un  autre  endroit.  Il  preten- 
doit  qu'elle  estoit  un  abus  intolérable,  un  asservissement  de 
l'Eglise,  un  avilissement  de  l'episcopat,  etc.. 

Le  Pape  et  les  Evesques  vouloient  donc  que  Ton  signast,  et 
que  l'on  signast  sans  restriction. 

M.  Arnauld  et  M.  Nicole  vouloient  bien  une  signature, 
mais  ils  vouloient  une  restriction  et  approuvoient  celle  des 
religieuses. 

M.  Pascal  approuvoit  la  signature  avec  restriction,  mais  il 
condamnoit  celle  des  Religieuses. 

J'ay  dit  que  M.  Pascal  approuvoit  la  signature  avec  res- 
triction et  n'improuYoit  que  celle  des  Religieuses  :  c'est  ce 
qu'il  est  aisé  de  juger  par  les  écrits  que  l'on  a  entre  les  mains. 

i.  M.    P.  ne   reproche  jamais  aux  Religieuses  et  à    leurs 


i.  «  Mlle  Perier  m'a  dit  qu'elle  croyoit  que  c'est  de  M.  Varet  dont 
on  parle  icy  et  qu'on  désigne  par  la  lettre  V.  »  (Note  du  Père 
Guerrier).  —  Il  s'agit  en  effet  de  Varet,  qui  avait  déjà  présenté  des 
objections  après  la  publication  du  premier  mandement. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  18o 

directeurs  la  signature  en  gênerai,  mais  seulement  les  mau- 
vaises qualitez  de  leur  signature  particulière  :  Elle  est  équivo- 
que, dit-il,  ambiguë,  et,  par  conséquent,  méchante. 

2.  M.  Arn.  et  M.  Nie.  repondant  à  M.  P.  ne  disent  pas  un 
seul  mot  pour  la  signature  en  gênerai,  mais  tous  leurs  efforts 
tendent  à  justifier  la  signature  particulière  des  religieuses 
comme  le  point  en  question,  et  M.  D[omat]  leur  réplique  de 
mesme,  supposant  qu'ils  prenoient  fort  bien  le  sentiment 
de  M.  P. 

3.  M.  P.  avoue  luy-mesme  en  termes  exprès  qu'on  pou- 
voit  signer,  pourvu  qu'on  le  fit  avec  certaines  conditions. 
Mon  sentiment  est,  dit-il  dans  le  premier  écrit,  que,  comme  le  sens 
de  Jansenius  est  exprimé  dans  le  mandement,  dans  les  bulles  et 
dans  le  formulaire,  il  faut  l'exclure  formellement  par  sa  signa- 
ture, sans  quoy  on  ne  fer  oit  pas  son  devoir. 

On  feroit  donc  son  devoir  en  signant,  selon  M.  P.,  si 
par  sa  signature  on  excluoit  formellement  le  sens  de  Janse- 
nius; et  un  peu  plus  bas,  après  avoir  fait  quelques  raisonne- 
mens  :  D'où  je  conclus,  continue- t-il,  que  ceux  qui  exceptent  la 
doctrine  de  Jansenius  en  termes  formels  sauvent  la  condamna- 
tion de  J.  et  la  grâce  efficace.  Et  dans  le  grand  écrit,  ayant 
fait  voir  que  les  Jésuites  n'avoient  obtenu  la  bulle  et  ne 
l'avoient  signée  que  pour  faire  condamner  la  grâce  efficace,  il 
ajoute  :  On  ne  peut  se  mesler  à  cette  foule  en  ne  se  discernant  par 
aucune  marque  extérieure  et  sensible.  On  retrouve  presque  la 
mesme  chose  en  deux  ou  trois  autres  endroits  du  mesme  écrit, 
et  M.  Domat  conclut  le  sien  par  ces  paroles  :  Il  y  a  une  voye 
meilleure  pour  défendre  la  vérité,  ou  en  refusant  la  signature, 
ou  en  la  faisant  telle  qu'elle  sauve  expressément  et  sans  quon  en 
puisse  douter,  et  la  doctrine  et  la  personne  de  Jansenius. 

Ces  passages  justifient  que  M.  P.  n'estoit  pas  contraire 
à  la  signature,  pourveu  qu'elle  eust  certaines  conditions  et  ces 
conditions  sont  aussi  renfermées  dans  ces  passages,  sçavoir 
d'exclure  formellement  le  sens  de  Jansenius,  ou,  ce  qui  revient 
au  mesme,  excepter  la  doctrine  de  Jansenius  en  termes  formels. 
Avec  ces  deux  qualitez,  non  seulement  une  signature  seroit 


186  ŒUVRES 

permise,  mais  mesme,  selon  M.  P.,  elle  sauveroit  la  grâce 
efficace  en  la  personne  de  Jans.  Examinons  sur  cette  règle 
les  formulaires  des  Evesques  et  commençons  à  voir  si  la  grâce 
efficace  y  est  à  couvert 

(Suit  une  longue  citation  de  passages  tirés  des  mandements  des 
quatre  Evesques  publiés  en  i665.) 

Que  pouvoit  souhaiter  M.  P.  après  cette  déclaration  ?  Ce 
n'est  pas  icy  une  exception  de  la  grâce  efficace  sous  les 
noms  obscurs  et  équivoques  de  sens  et  de  doctrine  de  Janse- 
nius  ;  ce  n'est  pas  une  simple  exclusion  faite  par  quelques  par- 
ticuliers sans  nom  et  sans  conséquence.  Ce  n'est  pas  une  res- 
triction cachée  dans  l'obscurité  d'un  greffe  et  d'un  registre, 
connue  de  quelques  personnes  seulement.  C'est  une  exception 
de  la  grâce  efficace  par  son  nom  propre  et  singulier  de  grâce 
efficace  par  elle-mesme,  nom  sous  lequel  elle  ne  peut  estre 
méconnue,  ny  l'exception  qu'on  en  fait  détournée  aux  sens 
étrangers  de  quelque  autre  grâce  que  ce  puisse  estre 

Pour  ce  qui  est  de  la  personne  de  Jansenius,  on  peut  l'ex- 
cepter en  deux  manières,  ou  en  contredisant  formellement  le 
Pape,  et  niant  en  propres  termes  que  les  propositions  soient 
dans  son  livre,  ou  en  le  niant  en  termes  équivalents  qui  diroient 
la  mesme  chose  nettement,  clairement,  et  sans  que  per- 
sonne en  pust  douter,  mais  pourtant  d'une  manière  plus  hon- 
neste  et  plus  proportionnée  au  respect  qu'on  doit  à  l'Eglise 
et  à  l'autorité  du  Saint-Siège  d'où  les  constitutions  sont  éma- 
nées. 

La  première  voie  de  sauver  Jansenius  n'est  ny  possible,  ny 
permise.  L'Eglise  ne  le  souffriroit  jamais,  car  quoy  qu'elle 
n'ait  pas  droit  d'exiger  une  créance  intérieure  sur  les  faits 
non  révélez,  elle  a  pourtant  droit  d'exiger  qu'on  ne  s'eleve 
point  contre  la  décision  qui  en  a  esté  faite,  et  que  l'on  con- 
serve l'ordre  et  la  discipline,  en  demeurant  dans  le  respect  et 
le  silence  au  moins  pour  le  temps  où  les  questions  sont  agitées. 

M.  Pascal  estoit  trop  instruit  des  règles  de  l'Eglise  pour  le 
prétendre  autrement,  et,  par  conséquent,  quand  il  a  voulu 
que  l'on  sauvast  la  personne  de  Jansenius,  il  l'a  voulu  sans 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  187 

doute  en  la  manière  que  ces  mesmes  règles  le  permettent,  et 
voicy  comme  les  /j.  Evesques  ont  cru  le  devoir  faire. 

i°  Us  ont  déclaré  que  l'Eglise  n'estoit  pas  infaillible  dans 
les  faits. 

2°  Qu'elle  ne  pretendoit  point  obliger  par  sa  seule  autorité 
à  les  croire. 

3°  Qu'à  l'égard  du  fait  contenu  dans  le  Formulaire,  on 
estoit  seulement  obligé  à  une  soumission  de  respect  et  de  dis- 
cipline. 

à0  Que  ce  respect  consiste  à  ne  se  point  élever  contre  la 
décision  qui  a  esté  faite  et  à  demeurer  dans  le  silence  pour 
conserver  l'ordre  et  la  paix1 

6°  Rapin.  —  Mémoires,  édition  Aubineau,  T.  II,  p.  2^82. 

Ce  fut  aussi  à  l'occasion  de  cette  prétendue  soumission  [à  la 

bulle  d'Innocent  X]   dont   ce   docteur  [Arnauld]  faisoit  de  si 

i.  Arnauld,  dans  un  mémoire  secret  adressé  en  octobre  1668  aux 
religieuses  de  Port  Royal  (cf.  Œuvres  d'Arnauld,  édition  de  Paris-Lau- 
sanne,T.  XXIV,  p.  56)  écrivait:  «  ....  Il  est  remarquable  qu'encore  que 
M.  Pascal  se  soit  porté  à  de  grands  excès  sur  le  sujet  de  la  signature, 
et  qu'il  ait  condamné  tres-durement  celle  que  les  Religieuses  avoient 
faite  durant  sa  vie,  il  ne  s'est  jamais  néanmoins  fondé  sur  cette  raison, 
qu'un  proces-verbal  ou  Mandement  ne  pouvoit  pas  déterminer  le  sens 
du  Formulaire.  Mais  tout  ce  qu'il  objectoit  estoit,  que  le  sens  de 
Jansenius  (qui  est,  disoit-il,  la  grâce  efficace)  estant  condamné  par  le 
Formulaire,  il  falloit  excepter  formellement  la  grâce  efficace,  afin 
qu'on  ne  pust  pas  dire  que  l'on  consentoit  à  sa  condamnation.  De 
sorte  que  les  proces-verbaux  satisfaisant  à  cette  condition  qu'il 
jugeoit  essentielle,  et  qui  estoit  l'unique  qui  l'arrestoit,  on  le  peut 
compter  entre  les  Approbateurs  des  signatures  faites  ensuite  des 
procés-verbaux,  pareils  à  ceux  dont  il  s'agit.  » 

2.  Le  Père  Rapin  tire  tous  ces  renseignements  deChamillard  et  de 
la  sœur  Flavie.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  relever  les  affirmations  inexactes 
qui  s'y  trouvent  :  par  exemple,  Rapin  prétend  que  Pascal  était  brouillé 
avec  Arnauld  dès  février  i655,  deux  mois  après  sa  conversion,  parce 
qu'il  ne  retrouvait  plus  alors  dans  les  déclarations  qu'il  entendait 
«  la  doctrine  dont  on  lui  avoit  tant  de  fois  rempli  l'esprit  »  (Le 
Père  Rapin  parle  ailleurs  encore,  T.  II,  p.  36o,  de  cette  brouille  qui 
ne  cessa  qu'au  jour  où  Pascal,  après  les  trois  premières  Provinciales 


188  ŒUVRES 

grands  trophées  en  sa  lettre  [Lettre  à  une  personne  de  con- 
dition], que  la  division  se  mit  à  Port-Royal;  car,  sur  l'avance 
qu'il  avoit  faite  en  sa  lettre  qu'on  y  tenoit  les  cinq  proposi- 
tions bien  condamnées,  Pascal  luy  résista  en  face  d'une  force 
qui  l'etonna  plus  que  tout  le  reste,  se  croyant  assez  fort  pour 
repondre  à  tout  ce  qu'on  luy  objectoit  dans  les  écrits  qui  ve- 
noient  de  paroître  contre  luy.  Mais  il  ne  s'attendoit  pas  de 
trouver  parmy  les  siens  de  la  résistance  en  la  démarche  qu'il 
avoit  faite  de  convenir  de  la  censure  de  cette  doctrine,  et  la 
desunion  dans  les  chefs  sur  la  conduite  qu'on  avoit  à  prendre 
luy  paroissoit  plus  à  craindre  que  toutes  les  forces  de  ceux  qui 
l'attaquoient.  Ce  fut  à  la  vérité  la  première  fois  qu'on  enten- 
dit d'une  bouche  de  Port-Royal  et  de  la  bouche  du  chef  de 
party  qu'on  y  condamnoit  les  cinq  propositions.  On  ne  doute 
pas  que  cette  resolution  ne  fût  bien  violente  ;  mais,  dans  l'état 
présent  des  affaires,  il  n'y  en  avoit  point  d'autre  à  prendre, 
à  moins  de  lever  le  masque  pour  soutenir  un  schisme  déclaré. 
On  ne  sait  pas  bien  précisément  si  ce  fut  dans  une  conférence 
réglée  et  dans  une  délibération  des  principaux  chefs  que  l'on 
prit  cette  resolution,  ou  si  elle  ne  fut  concertée  qu'avec  Sin- 
glin,  Bourzeys,  Le  Maistre  et  ceux  qu'on  croyoit  y  devoir  être 
favorables,  lesquels  jugèrent  sagement  qu'on  pouvoit  aban- 
donner en  apparence  la  doctrine  qu'on  avoit  tenue  jusques  à 
présent,  pour  amuser  les  esprits  de  ceux  qu'il  falloit  ménager 
et  s'accommoder  au  temps.  Ce  fut  en  effet  le  seul  tempéra- 
ment qu'il  y  avoit  à  prendre  dans  la  conjoncture  présente,  car 
sans  cela  tout  etoit  perdu  :  et  l'on  trouvoit  dans  cet  expédient 
le  moyen  de  sauver  un  reste  de  bienséance  qu'il  y  avoit  à  gar- 
der avec  Rome,  pour  ne  pas  effaroucher  les  esprits  qui  n'au- 

d'Arnauld,  acheva  de  poursuivre  l'œuvre  commencée).  Mais  si  l'on 
reporte  la  scène  de  i655  à  1662,  et  si  l'on  fait  la  part  de  toutes  les  er- 
reurs accumulées  peu  à  peu  par  tous  les  intermédiaires  et  par  la  fan- 
taisie ordinaire  de  Rapin,  on  retrouve  ici  l'écho  des  luttes  soutenues 
par  Pascal,  lorsqu'il  écrivit  à  la  fin  de  sa  vie  le  «  grand  écrit  »  aujour- 
d'hui perdu.  La  version  de  Rapin  est  celle  que  Fénelon  reprit  en 
171 1,  et  que  railla  Quesnel. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  189 

roient  pu  se  résoudre  à  une  séparation  d'éclat  avec  l'Eglise. 

Un  pas  si  hardy,  où  il  s'agissoit  d'approuver  le  jugement 
du  Saint-Siège  dans  un  party  où  l'on  ne  pensoit  dans  le  fond 
qu'à  se  révolter  contre,  fut  soutenu  de  tout  l'art  et  de  toute 
la  politique  dont  la  cabale  estoit  capable  ;  car  il  estoit  question 
de  changer  de  langage  sans  changer  de  sentiment,  qui  est  un 
des  artifices  les  plus  ordinaires  de  l'erreur  :  ce  qui  se  fit  dans 
la  resolution  qu'on  avoit  prise  de  convenir  que  les  propositions 
estoient  bien  condamnées  et  de  le  publier  hautement.  Car, 
selon  le  plan  qu'on  avoit  dressé  des  trois  colonnes,  on  avoit 
donné  à  ces  propositions  trois  sens  diflerens  :  un  sens  calvi- 
niste, un  sens  pelagien  et  un  troisième  sens  conforme  à  la 
doctrine  de  l'evesque  d'Ipres  ;  on  avouoit  qu'elles  estoient  bien 
condamnées  dans  le  sens  de  Calvin  ou  dans  celuy  de  Pelage, 
sans  penser  à  celuy  de  l'evesque  d'Ipres,  à  quoyon  ne  touchoit 
pas,  pour  n'y  rien  changer.  Ainsy  ce  fut  par  le  seul  déguise- 
ment qu'on  se  tira  d'affaire  dans  un  party  dont  on  pronoit 
tant  la  morale.  On  ne  pensa  qu'à  imposer  au  public,  et  tout 
le  procédé  qu'on  y  garda  fut  de  parler  d'une  autre  manière 
sans  changer  de  sentiment. 

Mais  ce  party  n'estoit  pas  encore  si  corrompu  qu'il  ne  s'y 
trouvât  quelque  reste  d'honneur  et  de  conscience  ;  Pascal  fut 
des  premiers  à  trouver  à  redire  à  un  expédient  si  peu  hon- 
nête. C'estoit  un  homme  d'un  sens  droit,  nullement  accou- 
tumé à  ces  biais  honteux  dont  la  nécessité  oblige  quelquefois 
les  gens  de  cabale  à  se  servir  pour  se  soutenir  dans  les  occa- 
sions où  l'on  les  presse.  Le  génie  admirable  qu'il  avoit  pour 
toutes  les  mathématiques  en  gênerai,  et  surtout  pour  la  géo- 
métrie, luy  avoit  imprimé  dans  l'esprit  un  caractère  de  soli- 
dité et  de  droiture  qui  luy  faisoit  rechercher  la  vérité  en  toutes 
choses,  ne  pouvant  la  connoître  sans  l'embrasser,  ny  l'aban- 
donner quand  une  fois  il  l'avoit  reconnue.  «Pourquoy,  dit-il 
au  docteur  Arnault,  changer  de  langage?  IN'eat-ce  pas  la  doc- 
trine qu'on  a  toujours  enseignée  à  Port-Royal  que  celle  des 
cinq  propositions  ?  Ne  sont-ce  pas  les  principes  où  nous  avons 
esté  élevés  ?  Car  pour  moy  qui  n'ay  pas  coutume  de  me  trom- 


190  ŒUVRES 

per  ou  de  prendre  le  change  dans  les  choses  qu'une  fois  j'ay 
trouvées  établies,  j'avoue  que  ce  sont  les  premières  impres- 
sions que  j'ay  prises  icy  parmy  vous,  que  c'est  ce  que  j'ay 
entendu  prêcher  à  vos  prédicateurs  et  enseigner  à  vos  théolo- 
giens ;  c'est  ce  que  je  vous  ay  souvent  ouy  dire  à  vous-mesme 
quand  vous  nous  expliquiez  ce  que  nous  devions  croire.  C'est 
la  doctrine  que  vous  nous  disiez  que  l'evesque  d'Ipres  avoit 
puisée  dans  la  lecture  qu'il  avoit  faite  toute  sa  vie  de  saint 
Augustin  ;  que  la  grâce  du  Sauveur  estoit  toujours  efficace 
par  elle-mesme,  et  qu'ainsy  la  grâce  suffisante  qu'on 
enseignoit  dans  l'école  estoit  une  grâce  tout-à-fait  vaine  et 
chimérique  ;  que  les  commandemens  de  Dieu  estoient  quel- 
quefois impossibles,  mesme  aux  justes,  en  certaines  circons- 
tances où  ils  n'accomplissoient  pas  le  précepte  ;  et  qu'enfin 
Jesus-Christ  n'estoit  pas  mort  pour  tous  les  hommes.  Et  c'est 
là  tellement  la  doctrine  de  l'evesque  d'Ipres  qu'il  ne  faut  que 
lire  les  seuls  titres  des  trois  volumes  de  l'apologie  de  Jansenius 
pour  en  estre  entièrement  persuadé.  »  Ilajoutoit  à  cela  le  der- 
nier livre  cte  la  Grâce  victorieuse  par  elle-mesme,  fait  par  l'abbé 
de  Lalane,  dont  tout  le  dessein  ne  rouloit  que  sur  les  cinq 
propositions;  que  cet  auteur  avoit  écrit  dans  ce  livre,  en  ter- 
mes formels,  que  ces  propositions  estoient  tres-vrayes,  tres- 
orthodoxes,  dans  le  sens  auquel  les  disciples  de  saint  Augus- 
tin les  soutiennent;  que  l'abbé  de  Boursays  convenoit,  dans 
un  écrit  contre  l'extrait  des  cinq  propositions  qui  devoit  estre 
examinées  en  Sorbonne  l'année  1648,  qu'elles  estoient  tirées 
du  livre  de  l'evesque  d'Ipres,  et  que  ce  n'estoit  que  pour  sou- 
tenir ces  propositions  qu'on  avoit  envoyé  à  Rome  Saint-Amour 
avec  les  autres  députés  ;  que,  si  cette  doctrine  qu'on  avoit 
toujours  tenue  à  Port-Royal  comme  la  vraye  doctrine  de  saint 
Augustin  estoit  bonne,  pourquoy  pensoit-on  à  la  desavouer? 
Si  elle  estoit  mauvaise,  pourquoy  la  soutenir?  «Agissons, 
dit-il,  avec  plus  de  franchise,  et  ne  renonçons  jamais  à  la  sin- 
cérité, toute  desavantageuse  qu'elle  nous  puisse  estre.  » 

La  force  de  ce  discours  eût  peut-être  ébranlé  le  docteur 
Arnault,  si  d'ailleurs  il  n'eût  esté  persuadé  que  le  party  qu'il 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  191 

avoit  pris  estoitle  seul  qu'il  y  avoit  à  prendre  ;  qu'on  ne  pou- 
voit  plus  retenir  les  esprits  que  par  la  déclaration  qu'il  avoit 
faite  de  la  soumission  à  la  bulle,  sans  laquelle  le  Port-Royal 
alloit  entièrement  se  déserter  ;  que  le  sentiment  des  chefs 
estoitd'en  user  delà  sorte  par  la  nécessité  qu'il  y  avoit  de  se 
ménager  avec  Rome,  et  qu'enfin,  n'y  ayant  pas  d'apparence 
de  se  révolter  contre  le  pape  et  de  se  séparer  de  l'Eglise  par 
un  schisme,  l'un  menant  à  l'autre,  il  n'y  avoit  plus  à  délibé- 
rer. Pascal  entra  dans  son  sentiment  sur  le  schisme  qu'il 
falloit  éviter  sur  toutes  choses  ;  mais  il  n'entra  pas  dans  ses 
autres  raisons,  qui  estoient  de  se  ménager  avec  Rome  et  de 
s'accommoder  au  temps  ;  il  déclara  qu'il  n'entendoit  point  ce 
langage  dans  une  affaire  où  il  s'agissoit  de  la  religion  ; 
qu'ainsy  il  estoit  d'avis  que,  les  propositions  estant  bien  con- 
damnées, comme  Arnault  en  convenoit,  il  falloit  tout-à-fait 
renoncer  à  la  doctrine  de  l'evesque  d'ipres,  puisque  les  pro- 
positions condamnées  estoient  sa  véritable  opinion.  Mais  Ar- 
nault qui  avoit  d'autres  intérêts  que  luy  en  cette  affaire, 
parce  qu'il  estoit  le  chef,  n'en  convenant  pas,  il  se  tint  un 
conseil  des  importans  du  party  à  Saint-Merry,  où  l'on  mit  en 
délibération  la  resolution  qu'il  y  avoit  à  prendre  dans  la  pré- 
sente conjoncture.  Il  y  en  eut  qui  furent  d'avis  de  ne  rien 
précipiter,  qu'en  temporisant  on  trouveroit  des  ouvertures. 
Les  uns  opinèrent  qu'il  falloit  s'en  tenir  à  la  doctrine  de 
saint  Augustin,  qui  ne  pourroit  jamais  courir  de  risques  ; 
d'autres  qu'il  falloit  s'arrester  au  party  qu'avoit  pris  Arnault. 
11  y  en  eut  qui  s'avancèrent  de  dire  qu'il  ne  seroit  pas  im- 
possible d'obtenir  une  bulle  de  Rome  contraire  à  celle  d'In- 
nocent, et  que,  moyennant  cinquante  mille  ecus,  on  en  vien- 
droit  à  bout.  Pour  Pascal  qui  avoit  l'esprit  plus  droit,  non 
seulement  il  ne  changea  point  de  sentiment,  mais  il  fit  un 
écrit  fort  ample  pour  soutenir  son  avis,  et  quoyqu'il  ne  soit 
resté  aucun  vestige  de  cet  écrit,  la  sœur  de  Sainte-Flavie  qui 
fut  une  des  religieuses  des  plus  zélées  de  Port-Royal  pour  la 
nouvelle  doctrine  et  une  de  celles  qui  se  convertit  des  pre- 
mières, m'a  souvent  assuré  que  cet  écrit  de  Pascal  luy  avoit 


192  OEUVRES 

passé  par  les  mains,  qu'elle  l'avoit  copié  de  sa  main,  et  qu'elle 
donna  cette  copie  à  l'abbé  de  Chamillart,  docteur  de  Sor- 
bonne,  que  l'archevêque  de  Paris,  Hardouin  de  Perefixe, 
avoit  nommé  supérieur  à  Port-Royal  quand  le  changement 
se  fit  en  l'année  1666,  ce  que  ce  docteur  m'a  confirmé  depuis 
m'assurant  qu'il  l'avoit  longtemps  gardé,  mais  qu'il  le  brûla 
avec  d'autres  papiers  qu'il  croyoit  devoir  luy  estre  inutiles.  Il 
m'ajouta  que,  selon  les  idées  qui  luy  restoient  de  cet  écrit,  il 
alloit  à  faire  voir  qu'il  seroit  honteux  de  changer  de  senti- 
ment par  politique  pour  s'accommoder  au  temps  dans  une 
affaire  de  cette  nature  où  il  s'agissoit  de  la  foy  ;  qu'il  estoit 
indigne  de  la  générosité  des  disciples  de  Saint  Augustin  de 
faire  paroistre  de  la  légèreté  dans  la  chose  du  monde  qui  doit 
estre  la  plus  inébranlable,  qui  estoit  la  religion  ;  qu'au  reste 
la  doctrine  des  cinq  propositions,  qu'on  s'avisoit  présentement 
de  condamner,  estoit  celle  dont  on  luy  avoit  tant  de  fois  rem- 
ply  l'esprit,  et  qu'on  n'en  avoit  jamais  enseigné  d'autre  à 
Port-Royal  depuis  qu'il  y  estoit  ;  que  tout  ce  qu'on  avoit  im- 
primé depuis  dix  ans  pour  la  défense  de  l'evesque  d'Ipres 
pouvoit  servir  de  preuves  à  ce  qu'il  disoit  ;  que  pour  luy  il 
ne  voyoit  pas  quel  inconvénient  il  y  auroit  de  dire  que  le  pape 
s'estoit  trompé  dans  le  jugement  qu'il  venoit  de  faire  des  pro- 
positions, après  l'affaire  du  pape  Honorius  qui  estoit  connue 
à  toute  la  terre.  Enfin,  zélé  qu'il  estoit  pour  la  gloire  de  Port- 
Royal,  qu'il  croyoit  intéressée  par  un  procédé  si  peu  droit  et 
si  peu  sincère,  il  ne  pouvoit  estre  du  sentiment  d'Arnault,  ny 
consentir  que  dans  un  party  ou  l'on  faisoit  profession  d'une 
sincérité  si  austère,  on  eust  si  peu  d'égard  à  la  bonne  foy  que 
de  parler  autrement  qu'on  ne  pensoit  et,  quoy  qu'on  fit,  il 
eut  toujours  tant  d'honneur  luy-mesme  et  tant  de  zèle  pour 
l'honneur  du  party  qu'on  ne  put  jamais  luy  faire  changer 
d'opinion.  Il  blâma  le  reste  de  ses  jours  la  resolution  qu'on 
avoit  prise  de  convenir  que  les  propositions  estoient  bien  con- 
damnées. Et  il  avoit  raison,  car  il  est  si  vray  qu'on  ne  le 
croyoit  pas  qu'il  ne  s'imprima  rien  depuis  à  Port-Royal  qui 
n'allât  à  les  défendre.... 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  193 

Cette  résistance  que  fit  Pascal  avec  tant  de  vigueur  au 
procédé  d'Arnault  n'étoit  donc  pas  sans  raison  ;  elle  fut  aussy 
secondée  de  ceux  qui  ne  pouvoient  se  résoudre  à  déguiser  et 
qui  a  voient  de  la  droiture  comme  Pascal,  entre  lesquels  se 
signala  davantage  un  ecclésiastique  nommé  Giroust,  qui 
avoit  esté  gagné  des  premiers  au  party  par  les  airs  affirmatifs 
de  Singlin  en  ses  sermons  :  car  c'estoit  en  cela  que  consistoit 
toute  son  éloquence.  Ce  Giroust  estoit  un  homme  tout  d'une 
pièce  comme  on  dit,  ne  biaisant  jamais,  allant  droit  où  il 
croyoit  que  son  devoir  l'appeloit  et  d'un  zèle  outré  en  tout  ; 
ce  qui  le  faisoit  souvent  se  plaindre  des  relâchemens  de  Port- 
Royal,  disant  que  le  premier  esprit  s'y  affoiblissoit  de  jour  en 
jour,  que  les  anciens  disciples  de  Saint-Cyran  comparés  aux 
derniers  n'estoient  pas  reconnaissables  ;  et  comme  il  en  gemis- 
soit,  on  l'appeloit  le  Jeremie  de  Port-Royal 

70  Extrait  d'une  lettre  de  Pavillon  à  Domat '  (copie  au  2* re- 
cueil manuscrit  du  Père  Guerrier,  p.  244)- 

26.  7bre  1676. 
...  Il  y  a  encore  un  autre  point  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  cette  affaire,  et  qui  peut  néanmoins  beaucoup  nuire  ou 
beaucoup  contribuer  à  vostre  parfaite  reconciliation.  C'est  tou- 
chant certains  écrits  de  feu  M.  Pascal  qui  vous  ont  esté  confiez. 
On  croit  par  la  qualité  de  ces  écrits  et  vu  Testât  de  vostre  fa- 
mille2 qu'il  y  a  beaucoup  d'inconvénient  que  vous  les  gardiez 

1 .  De  faux  rapports  avaient  donné  occasion  à  des  difficultés  graves 
entre  Madame  Perier  et  Domat  (Cf.  les  lettres  de  Madame  Perier 
à  Vallant,  infra  T.  XI,ier  supplément).  Pavillon  s'entremit,  et  Domat 
était  «  parfaitement  réuni  »  avec  la  famille  Perier  le  2  août  1677, 
comme  le  montre  une  nouvelle  lettre    que  Pavillon  lui  écrivit  alors  ; 

il  signa  comme  témoin  l'acte  de  décès  de  Mrae  Perier  en  1687. 

2.  Domat  avait  un  frère  jésuite  à  Clermont  (cf.  la  lettre  qu'il  lui 
adressa,  apud  Faugère,  Pensées,  1897,  T.  II,  p.  523).  Dans  un  mémoire 
manuscrit  sur  Domat,  reproduit  dans  le  2e  recueil  du  Père  Guerrier, 
p.  2  33,  il  est  écrit:  «Personne  ne  fut  plus  parfaitement  uni  desentimens 
avec  M.  Pascal  sur  les  affaires  de  la  Religion  que  M.  Domat.  C'est 
sans  doute  ce  qui  engagea  M.  Pascal  à  lui  confier  preferablement  à 
tout  autre  quelques  écrits  qu'il  avoit  faits  sur  la  signature  du  formu- 

2e  série.  VII  i3 


194  ŒUVRES 

et  comme  on  ne  voit  pas  quelle  utilité  on  en  pourroit  tirer  à 
l'avenir,  et  qu'il  y  a  au  contraire  tout  sujet  de  craindre  qu'on 
en  abusât  d'une  manière  préjudiciable  à  la  vérité  et  à  la  mé- 
moire de  M.  Pascal,  on  pense  que  vous  estes  dans  l'obligation 
de  les  remettre  à  ses  parens  entre  les  mains  desquels  ils  ne 
courent  pas  le  mesme  risque,  ou  de  les  brûler  en  leur  pré- 
sence, sans  en  retenir  de  copie,  comme  a  fait  une  personne  de 
qualité  et  de  mérite,  amy  de  M.  Pascal,  qui  avoit  une  copie 
des  mêmes  écrits1.  C'est,  Monsieur,  ce  que  je  crois  que  vous 
devez  faire  par  principe  de  conscience  et  d'honneur,  et  mesme 
vous  servir  de  cette  occasion  comme  d'un  moyen  pour  faciliter 
et  affirmer  vostre  reconciliation  ;  je  prie  Dieu  de  tout  mon  cœur 
qu'il  vous  remplisse  les  uns  et  les  autres  de  l'esprit  de  paix, 
de  douceur  et  de  charité,  et  qu'il  soit  luy-mesme  le  principe  de 
vostre  reconciliation  et  du  renouvellement  de  vostre  amitié. 
C'est  la  grâce  que  je  continuera)-  à  luy  demander  pour  vous 
dans  mes  prières,  et  je  n'auray  pas  peu  dejoyeetde  consola- 
tion si  j 'apprend  que  vous  soyez  dans  la  mesme  union  et  la 
mesme  familiarité  que  cy-devant.  Je  suis  en  son  amour  avec 
beaucoup  d'estime  et  de  cordialité.... 

8°  [Marguerite  Perier].  —  Additions  au  Necrologe  de 
Port-Royal  (Bibliothèque  Nationale,  ms.f.fr.  i3gi3,  3e  Recueil 
Guerrier,  p.  2$i,  écrites  vers  ij23). 

Environ  dans  ce  tems  là  [août  1664]  une  Religieuse  nom- 


laire. Mademoiselle  Perier  m'a  dit  que  son  oncle  avoit  prié  M.  Domat, 
en  luy  remettant  ces  papiers  de  les  brûler  si  les  religieuses  de  P.  R. 
se  soutenoient  dans  la  persécution  qu'elles  souffroient  à  ce  sujet,  et 
de  les  rendre  publics  si  elles  plioient.  M.  Domat  fut  aussi  tres-lié  avec 
la  famille  de  M.  Pascal,  et  avec  Messieurs  de  P.  R.  qui  l'estimoient 
beaucoup  et  prenoient  ses  avis  sur  des  matières  de  théologie  M.  Do- 
mat s'étant  trouvé  à  Paris  durant  la  dernière  maladie  de  M.Pascal,  après 
luy  avoir  rendu  les  devoirs  d'un  ami  sincère,  il  reçut  ses  derniers 
soupirs.  »  Le  Recueil  d'Utrecht  deiy4o,  p.  322,  suppose  que  ces  pa- 
piers furent  brûlés.  Dès  cette  époque  on  ne  connaissait  aucune  copie 
du  second  écrit  de  Pascal.  Sur  Domat,  cf.  infra  p.  370,  note  1. 
1.   Le  duc  de  Rouannez. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  195 

mée  sœur  Catherine  de  Ste  Flavie  Passart  fille  d'un  tanneur 
de  la  Ferté  Milon,  qui  avoit  esté  religieuse  à  Gif  et  qui  estoit 
venue  à  P.  R.  pour  se  mettre  dans  la  grande  règle  de  S1  Be- 
noit, y  avoit  esté  reçue  gratuitement  et  estoit  si  aimée  qu'on 
l'avoit  établie  maîtresse  principale  des  pensionnaires  ;  Cette 
religieuse  forma  le  dessein  de  trahir  la  vérité  et  sa  commu- 
nauté pour  parvenir  à  y  estre  supérieure,  et  pour  cela  elle  en- 
tra en  liaison  avec  Mr  Chamillard,  mais  si  secrètement  que 
personne  ne  s'en  aperceut  ni  dedans  ni  dehors,  et  voulant  se 
rendre  recommandable  à  Mr  de  Perefixe,  elle  s'avisa  de 
luy  dire  qu'il  en  falloit  retirer  12.  des  plus  fermes,  et  qu'elle 
viendroit  bien  au  bout  des  autres  ;  mais  voyant  que  cela 
n'avoit  pas  réussi,  elle  demanda  qu'on  en  ôtat  encore  4  ; 
c'est  ce  qui  fait  la  différence  du  manuscrit  qui  porte  16.  et  de 
l'imprimé  [Nécrologe  de  P.  R.]  qui  porte  £2.  Elle  ne  put 
cependant  en  gagner  que  9.  ou  10.  mais  elle  fut  fort  surprise 
lorsqu'on  enleva  d'abord  les  12.  le  26.  août  1664.  Car  elle 
croyoitque  pour  les  services  qu'elle  rendoit  a  Mr  de  Perefixe, 
il  la  feroit  supérieure  à  la  place  de  celle  qui  estoit  sortie. 
Cependant  elle  fut  fort  étonnée  de  voir  qu'il  y  établit  6.  Reli- 
gieuses de  la  Visitation  pour  gouverner  la  maison.  Elle  avoit 
commencé  sa  trahison  dès  la  fin  de  1661 .  ou  au  commen- 
cement de  1662  :  Et  comme  2.  demoiselles  nièces  de  M1  Pascal 
avoient  esté  élevées  dans  la  maison  et  mestne  entre  ses  mains 
elles  alloient  la  voir  très  souvent  ;  elle  leur  faisoit  des  confi- 
dences sur  la  crainte  qu'elle  feignoit  d'avoir  que  les  Reli- 
gieuses ne  se  laissassent  aller  à  consentir  de  signer  le  formu- 
laire, et  les  prioit  de  parler  à  Mr  Pascal  pour  luy  demander 
ce  qu'elle  leur  devoit  dire  pour  les  soutenir  et  les  fortifier, 
elles  le  faisoient  de  bonne  foy  et  luy  alloient  porter  les 
réponses.  Enfin  un  jour  elle  leur  dit  qu'elle  avoit  ouï  dire  que 
M'  Pascal  avoit  fait  là  dessus  un  petit  écrit  et  les  pria  avec 
instance  de  le  prier  de  le  luy  prêter  afin  de  se  bien  instruire 
là  dessus  pour  elle  et  pour  les  autres.  Elles  le  demandèrent 
à  Mr  Pascal  qui  eut  bien  de  la  répugnance  à  le  luy  prêter  ; 
il  y  consentit  cependant  sur  l'assurance  qu'elles  luy  donne- 


196  ŒUVRES 

rent  que  non  seulement  elle  n'en  prendroit  point  de  copie, 
mais  mesme  qu'elle  ne  le  montreroit  à  personne  et  le  leur 
rendroit  dans  six  semaines.  Elle  le  rendit  en  effet,  mais  elle 
le  fit  voir  à  Mr  Chamillart  et  en  garda  une  copie.  Ce  fut  en 
1662.  et  il  parut  en  i665.  un  écrit  du  Père  Annat  où  cet  écrit 
estoit  rapporté,  non  pas  en  entier,  mais  par  extrait.  Alors  ces 
Demlles  allèrent  la  voir.  Elle  vint  au  parloir  et  fut  très  hon- 
teuse de  les  voir,  elles  luy  firent  reproche  de  toutes  ses  trahi- 
sons, et  sur  tout  de  celle  qu'elle  leur  a  voit  faite  au  sujet  de  cet 
écrit  ;  elle  n'osa  le  désavouer  ;  elles  luy  reprochèrent  aussi 
qu'elle  a  voit  trahi  la  maison  et  fait  sortir  16.  Religieuses.  Et 
comme  on  commencoit  alors  de  projetter  la  séparation  des  2. 
Abbayes,  elles  luy  dirent  qu'on  connoissoit  bien  qu'elle  vou- 
loit  estre  Abbesse  de  celle  de  Paris,  mais  que  Dieu  ne  le  permet- 
troit  pas.  Elle  estoit  fort  embarassée  parce  qu'elles  elevoient 
leurs  voix,  et  elle  les  pria  de  parler  bas,  à  cause  que  ce 
parloir  n'avoit  qu'une  cloison  de  bois  et  qu'elle  craignoit 
qu'on  ne  les  entendit  ;  mais  elles  luy  dirent  que  c'estoit  tout 
ce  qu'elles  souhaitoient,  qu  elle  fut  connue  de  toute  la  mai- 
son comme  une  traitre.  Là  dessus  elles  luy  reprochèrent  une 
trahison  qu'elle  avoit  faite  à  Madelle  de  Roûannez  qui  fut 
depuis  Made  de  la  Feuillade.  Et  voicy  ce  que  c'estoit  :  MeIle 
de  Roûannez  avoit  une  Demlle  à  son  service  qui  s'appeloit 
Madlle  Ratier  ;  cette  demoiselle  avoit  pris  l'habit  avant  les 
7.  que  l'on  fit  sortir  en  1661.  elle  estoit  donc  restée  dans  la 
maison.  Elle  envoya  prier  Madlle  de  Roûannez  de  la  retirer 
lorsqu'on  enleva  les  12.  premières  Religieuses  au  mois  d'août 
1664.  Madlle  de  Roûannez  pria  les  deux  demlles  Perier  d'y 
venir  avec  elle,  et  elles  demandèrent  d'abord  la  sœur  Flavie 
qu'elles  croyoient  fort  affligée  de  cet  enlèvement.  Elle  vint 
toute  en  pleurs  au  parloir  témoignant  sa  douleur  dont  elles 
ne  sçavoient  pas  la  cause  ;  c'est  qu'elle  estoit  au  desespoir 
de  ce  qu'on  avoit  mis  des  filles  de  Ste  Marie,  et  elles  pen- 
soient  qu'elle  fust  affligée  de  ce  qu'on  avoit  fait  sortir  les  12. 
Religieuses.  Mad1,e  de  Roûannez  luy  dit  :  Ma  sœur,  je  vous 
prie  de  dire  à  la  sœur  Anastasie  (c'estoit  le  nom  de  sa  de- 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  197 

moiselle),  que  je  ne  veux  pas  la  retirer  sitôt,  parcequ'il  est 
bon  qu'elle  reste  icy  encore  quelque  tems  pour  observer  tout 
ce  qui  s'y  passera,  et  par  ce  moyen  nous  sçaurons  par  elle 
bien  des  choses  que  nous  ne  pourrions  sçavoir  autrement. 
Enfin  après  bien  des  pleurs,  Madlle  de  Roùannez  et  ces 
demlles  pleuroient  aussi  avec  elle,  elles  se  retirèrent.  Huit 
jours  après  il  vint  un  Exempt  des  Gardes  du  corps  qui  porta 
à  Madlle  de  Roùannez  une  lettre  de  cachet  pour  se  retirer  en 
Poitou.  Mr  de  Roùannez  fut  fort  surpris  de  cela  et  alla  voir 
Mr  l'Archevêque  pour  sçavoir  de  luy  d'où  estoit  venue  cette 
disgrâce  à  Madlle  sa  sœur.  Mr  de  Paris  repondit,  Monsieur, 
Madlle  vostre  sœur  se  mesle  de  choses  dont  elle  ne  devroit  pas 
se  mesler  ;  elle  a  une  Demue  à  P.  R.  qui  est  Novice  et  qui  l'a 
priée  de  la  retirer,  elle  luy  a  fait  dire  d'y  rester  pour  observer 
tout  ce  qui  se  passera  et  en  rendre  compte.  Mr  de  Roùannez 
fort  surpris,  pria  Mr  de  Paris  de  faire  révoquer  l'ordre  et  il 
l'obtint.  Ensuite  il  vint  raporter  tout  cela  aux  demoiselles 
Perier  et  lorsqu'elles  allèrent  en  i665.  luy  faire  les  repro- 
ches dont  j'ay  parlé  cy-dessus,  elles  luy  reprochèrent  cela, 
qu'elle  n'osa  nier,  elles  ne  la  virent  plus  depuis  et  elles  sçu- 
rent  qu'elle  avoit  signé,  et  en  avoit  fait  signer  8.  ou  10.  Mais 
ce  qu'elles  luy  avoient  prédit  arriva  qu'elle  ne  seroit  point 
Abbesse.  Ce  fut  la  sœur  Dorothée  que  Mr  l'Archevesque  fit 
élire  par  les  Religieuses  qui  avoient  signé,  et  qu'il  fit  ensuite 
nommer  par  le  Roy,  lorsqu'il  eut  séparé  les  deux  maisons 
et  repris  son  droit  de  nomination  sur  celle  de  Paris  en  1669, 
elle  mourut  l'année  d'après1. 

II 

Écrits  de  1661-1662. 

i°  Nicole.  —  «  Examen  d'un  Écrit  sur  la  signature » 

(demeuré  manuscrit). 

20  Arnauld.  —  «  De  la  véritable  intelligence »  (publié 

1.  Les  dernières  phrases  de  ce  texte  ne  se  trouvent  pas  dans  le 
ms.  i3gi3;  nous  les  citons  d'après  une  copie  faite  pour  Mlle  de 
Théméricourt. 


198  ŒUVRES 

dans  l'édition  des  Œuvres,  de  Paris-Lausanne,  T.  XXII, 
p.  ,35). 

3°  Domal.  —  «  Raisons  qui  empêchent....»  (publié  dans 
Jovy,  Pascal  inédit,  T.  I.  p.  234). 

4°  Arnauld.  —  Réfutation  de  l'écrit  de  Domat,  du  7  jan- 
vier 1662  (?)  (publié  dans  l'édition  de  Paris-Lausanne, 
T.  XXII,  p.  759). 

5°  Arnauld.  —  «  Écrit  contenant  quelques  considérations 
générales...  »  (publié  ibid.,T.  XXII,  p.  820). 

6°  Nicole.  —  «  Petit  écrit  de  M.  Constant...  »  (publié  ibid., 
T.  XXII,  p.  83i). 

70  Pascal.  —  «  Grand  écrit  »  sur  les  variations  des  défenseurs 
de  Jansénius  (perdu). 

I 

Nicole.  —  Examen  d'un  «Ecrit  sur  la  signature  etc.  *  » 

(Écrit  de  Pascal  :  «  Toute  la  question  d'aujourdliuy  estant  sur 
ces  paroles  :  Je  condamne  les  cinq  propositions  au  sens  de 
Jansénius,  ou  la  doctrine  de  Jansénius  sur  les  cinq  proposi- 
tions; il  est  d'une  extrême  importance  de  voir  de  quelle  manière 
on  y  souscrit.  ») 

Response.  Il  est  bon  de  remarquer  en  passant  que  ces  termes 
ne  sont  point  dans  le  formulaire  selon  lequel  on  souscrit, 
comme  on  le  dit  en  deux  ou  trois  endroits  de  cet  écrit.  On  les 
tire  seulement  par  conséquence  des  constitutions  où  le  Pape 
Alexandre  déclare  que  les  propositions  sont  extraites  de  Jansé- 
nius et  condamnées  dans  son  sens,  d'où  l'onconclud  qu'en  sous- 
crivant aux  constitutions,  on  souscrit  à  cette  clause  :  mais  cette 
clause  dans  les  constitutions  n'est  pas  à  beaucoup  près  si  équi- 
voque que  si  on  l'en  detachoit,  et  qu'on  obligeastde  dire  sim- 
plement qu'on  condamne  la  doctrine  et  le  sens  de  Jansénius.  La 

1.  Bibliothèque  municipale  de  Clermont-Ferrand,  ms.  i/jo,  p.  I. 
Dans  cette  réponse,  demeurée  manuscrite,  Nicole  reproduit  phrase 
par  phrase  l'écrit  de  Pascal  (cf.  supra  p.  171  sqq.). 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  199 

raison  en  est  qu'en  disant  comme  le  Pape  fait  dans  sa  Bulle, 
que  les  Propositions  sont  extraites  de  Jansenius,  avant  que  de 
dire  qu'elles  sont  condamnées  en  son  sens,  on  porte  l'esprit  à 
une  chose  qui  est  certainement  un  fait,  sçavoir,  ces  proposi- 
tions sont  extraites  de  Jansenius.  Et  on  luy  donne  lieu  d'envi- 
sager cette  autre  clause,  qu'elles  sont  condamnées  dans  son  sens, 
comme  un  autre  fait  qui  resuite  et  qui  suit  du  premier;  puis- 
que l'Eglise  n'extrait  point  des  propositions  d'un  autheurpour 
les  condamner  en  un  autre  sens  que  celuy  de  cetautheur.  Mais 
quand  on  dit  simplement  qu'on  condamne  les  propositions  au 
sens  de  Jansenius,  on  suppose  plus  facilement  que  ces  paroles 
marquent  un  droit  et  un  dogme. 

Cette  remarque  néanmoins  n'est  pas  décisive  ;  car  on  veut 
bien  supposer  qu'il  y  ait  dans  le  mandement,  dans  le  formu- 
laire et  dans  les  constitutions,  qu'on  condamne  les  cinq  propo- 
sitions au  sens  de  Jansenius. 

(Pascal:  ail  faut  premièrement  sçavoir  que  dans  la  vérité  des 
choses  il  ny  a  point  de  différence  entre  condamner  la  doctrine 
de  Jansenius  sur  les  cinq  propositions,  et  condamner  la  grâce 
efficace,  S1  Augustin,  S1  Paul,  etc.  ») 

Response.  On  ne  comprend  pas  bien  quel  est  le  sens  de  ce 
principe  sur  lequel  néanmoins  on  establit  ensuite  toutes  les 
conclusions  qu'on  tire  dans  cet  escrit. 

Car  si  l'on  a  prétendu  dire,  que  quiconque  dit,  Je  condamne 
le  sens  de  Jansenius,  condamne  la  grâce  efficace  dans  la  vérité, 
il  n'y  a  rien  de  moins  véritable  que  ce  prétendu  principe. 

Le  Père  Amelote  dit  qu'il  condamne  le  sens  de  Jansenius 
et  il  ne  condamne  pas  la  grâce  efficace. 

Tous  les  Dominicains,  les  Pères  de  l'Oratoire,  les  Carmes 
deschaussez,  les  chanoines  réguliers  disent  qu'ils  condam- 
nent le  sens  de  Jansenius  ;  et  ne  condamnent  point  en  vérité  la 
grâce  efficace,  puisqu'on  la  soutient  tous  les  jours  dans  leurs 
Echoles. 

Tous  les  Evesques  disent  qu'ils  condamnent  le  sens  de  Jan~ 


200  OEUVRES 

senius,  et  ne  condamnent  pas  la  grâce  efficace,  que  l'on  sous- 
tient  tous  les  jours  avec  leur  approbation. 

Que  si  on  réplique  qu'il  faut  bien  qu'ils  la  condamnent 
en  effet  puisque  le  sens  de  Jansenius  n'est  rien  en  effet  et  dans 
la  vérité  des  choses  que  la  grâce  efficace,  on  fera  un  faux  rai- 
sonnement fondé  sur  une  équivoque  ;  car  encore  qu'il  soit 
vray  que  le  sens  de  Jansenius  n'est  rien  que  la  grâce  efficace 
dans  la  vérité  des  choses,  il  ne  s'ensuit  pas  que  celuy  qui  dit, 
Je  condamne  le  sens  de  Jansenius,  condamne  la  grâce  efficace, 
parce  qu'il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  entende  Jansenius  dans  la  vé- 
rité des  choses,  et  qu'il  s'en  est  pu  former  une  fausse  idée  à 
laquelle  il  donne  le  nom  de  sens  de  Jansenius,  comme  tous 
les  interprètes  de  S*  Paul  donnent  le  nom  de  sens  de  S1  Paul 
à  toutes  les  interprétations  qu'ils  luy  donnent,  qui  ne  lais- 
sent pas  d'estre  souvent  fausses  et  éloignées  de  la  pensée  de 
l'Apostre. 

Ainsi  ce  raisonnement  est  à  peu  près  semblable  à  celuy 
d'une  personne1  qui  prouvoit  que  Jansenius  estoit  incapable 
d'erreur,  parce  qu'il  faisoit  profession  de  ne  rapporter  que  les 
sentimens  de  S1  Augustin,  qui  sont  exempts  d'erreur.  Car 
comme  il  ne  s'ensuit  pas  qu'un  homme  qui  dit:  Je  ne  rap- 
porte que  les  sentimens  de  S1  Augustin,  n'en  rapporte  et  n'en 
approuve  point  d'autres  en  effet,  parce  qu'il  peut  entendre 
mal  S1  Augustin  ;  ainsi  il  ne  s'ensuit  pas  que  celuy  qui  dit, 
Je  condamne  le  sens  de  Jansenius,  condamne  en  effet  son  sens 
véritable  qui  est  la  grâce  efficace  ;  parce  qu'il  peut  mal  enten- 
dre Jansenius. 

Si  ce  raisonnement  avoit  lieu  on  prouveroit  sans  peine  que 
tous  les  Molinistes  sont  deffenseurs  de  la  grâce.  Car  il  n'y  au- 
roit  qu'à  faire  cet  argument  :  il  n'y  a  point  de  différence  dans 
la  vérité  des  choses  entre  le  sens  de  S1  Augustin  et  la  grâce 
efficace.  Or  tous  les  Molinistes  font  profession  d'approuver  le 


i.   «  M.  de  Barcos,  abbé  de  S.  Cyran  »  (Note  de  la  copie  Guerrier) 
Vide  supra  p.  61  sqq. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  201 

sens  de  S*  Augustin.  Donc  ils  font  profession  d'approuver  la 
grâce  efficace. 

Mais  pour  eclaircir  davantage  toute  cette  matière,  il  est  bon 
d'examiner  quel  est  le  sens  de  ces  paroles  dans  la  bouche  du 
Pape  :  Je  condamne  les  propositions  au  sens  de  Jansenius  ;  ou 
Je  condamne  le  sens  de  Jansenius,  et  si  l'on  peut  dire  que  la 
grâce  efficace  soit  comprise  dans  la  condamnation  que  le  Pape 
fait  de  ce  sens  de  Jansenius. 

Et  premièrement  on  doit  supposer  comme  constant  que  le 
Pape  en  disant,  Je  condamne  le  sens  de  Jansenius,  a  deu  conce- 
voir quelque  dogme  distinct  et  déterminé  sous  ces  mots.  Au- 
trement cette  définition  seroit  ridicule  et  extravagante. 

Il  n'est  donc  question  que  de  sçavoir  quel  est  ce  dogme  qu'il 
a  appelle  sens  de  Jansenius,  si  c'est  la  grâce  efficace,  ou  quel- 
qu'autre  dogme  auquel  il  ait  donné  ce  nom. 

Or  pour  reconnoistre  le  sens  des  paroles  d'une  constitution 
on  se  peut  servir  de  deux  principes. 

i°  De  l'usage  et  de  l'intelligence  commune  de  l'Eglise,  qui 
est  extrêmement  considérable  dans  les  Constitutions  des 
Papes,  parce  que  tirant  leur  principale  authorité  de  l'accep- 
tation de  l'Eglise  elles  n'ont  de  force  qu'estant  prises  dans 
le  sens  auquel  l'Eglise  les  a  receuës. 

2°  Par  diverses  circonstances  qui  font  voir  l'intention  que 
le  Pape  a  eue  dans  sa  Constitution. 

Si  l'on  examine  le  sens  de  ces  paroles,  Je  condamne  le  sens 
de  Jansenius,  par  l'usage  et  l'intelligence  de  l'Eglise,  il  est 
visible  que  le  dogme  de  la  grâce  efficace  n'y  est  point  com- 
pris ;  puisqu'au  mesme  temps  que  l'on  condamne  partout  le 
sens  de  Jansenius,  l'on  soutient  partout  la  grâce  efficace  :  d'où 
il  est  clair,  que  l'Eglise  recevant  la  condamnation  du  sens  de 
Jansenius,  n'a  point  prétendu  s'obliger  à  condamner  la  grâce 
efficace. 

Et  cette  notoriété  publique  est  aussi  forte  pour  prouver 
qu'on  ne  condamne  point  la  grâce  efficace  en  condamnant  le 
sens  de  Jansenius,  que  si  l'on  faisoit  dire  à  ceux  qui  signent  : 
Je  condamne  le  sens  de  Jansenius  qui  n'est  pas  la  grâce  efficace. 


202  ŒUVRES 

Et  partant  il  est  clair  que  l'Eglise  se  peut  bien  tromper 
en  expliquant  mal  Jansenius  ;  mais  qu'on  ne  peut  pas  dire 
qu'elle  condamne  la  grâce  efficace  sans  la  vouloir  condamner  ; 
puisque  ne  la  vouloir  pas  condamner,  c'est  ne  la  condamner 
pas. 

Cette  vérité  est  si  constante  que  les  Jésuites  mesmes  en  de- 
meurent d'accord.  Ce  qui  a  fait  faire  cet  argument  au  Père 
Annat  dans  ses  Cavilli  :  Le  sens  de  Jansenius  est  condamné  : 
la  grâce  efficace  n'est  pas  condamnée  :  donc  la  grâce  efficace 
n'est  pas  le  sens  de  Jansenius  ;  ce  qu'il  entend  de  la  vraye 
grâce  efficace  telle  qu'elle  est  soustenuë  par  les  Thomistes. 

Cela  suffit  pour  montrer  que  ceux  qui  signent  les  Constitu- 
tions des  Papes,  ne  condamnent  point  en  effet  la  grâce  effi- 
cace, parce  qu'ils  ne  les  signent  que  dans  le  sens  auquel 
l'Eglise  les  a  receuës,  selon  lequel  elles  ne  blessent  point  cette 
doctrine. 

Si  l'on  examine  de  mesme  ces  mesmes  paroles  des  Constitu- 
tions par  les  diverses  circonstances  qui  marquent  l'intention 
du  Pape,  on  n'en  conclura  pas  avec  moins  de  certitude,  que 
le  dogme  condamné  sous  le  nom  de  sens  de  Jansenius  n'est 
point  la  grâce  efficace. 

Entre  ces   circonstances,  les  unes  sont  connues  de  toute 
l'Eglise  ;  et  les  autres  seulement  de  toute  la  ville  de  Rome. 
Celles  qui  sont  connues  de  toute  l'Eglise  sont  :  i°.  que  le  Pape 
a  déclaré  par  un  décret  de  l'Inquisition,  signé  de  luy,  qu'il 
avoit  laissé  les  disputes  au  mesme  estât  qu'elles  estoient  sous  le 
Pape  Clément  8.  et  Paul  5.  où  non  seulement  la  grâce  effi- 
cace n'estoit  pas  condamnée,  mais  où  elle  estoit  triomphante  et 
victorieuse.  2°  Que  dans  un  autre  Bref  adressé  à  la  Faculté  de 
Louvain  il  appelle  les  dogmes  de  S1  Thomas,  sanissima  tutissi- 
maque  dogmala.   3°  Que  par  toute  l'Eglise  il  souffre  que  l'on 
enseigne  cette  doctrine  sans  inquiéter  personne  sur  ce  sujet. 
Celles  qui  sont  connues  de  toute  la  ville  de  Rome,  et  mesme 
de  tous  ceux  qui  ont  eu  soin  de  s'instruire  de  ces  matières, 
sont  :  Premièrement,  Que  le  Pape  ne  s'est  point  engagé  dans 
l'examen  des  propositions  que  sur  l'assurance  qu'on  luy  donna 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  203 

qu'elles  ne  regardoient  point  la  grâce  efficace.  Secondement, 
Que  tous  ceux  qui  ont  accusé  les  propositions  à  Rome,  ne 
l'ont  fait  qu'en  protestant  en  tous  leurs  escrits  et  mémoriaux, 
Qu'ils  n'attaquoient  point  la  grâce  efficace.  Troisièmement, 
qu'ils  ont  protesté  au  contraire  à  toute  la  ville  de  Rome  qu'ils 
la  deffendoient.  Quatriesmement,  Que  le  Pape  dans  toutes  les 
Congrégations  a  déclaré  qu'il  n'y  vouloit  point  toucher.  Cin- 
quièmement, Qu'il  n'a  refusé  d'écouter  les  Dominicains  qui 
luy  demandèrent  dix  sept  fois  audience,  que  sur  l'assurance 
qu'il  leur  donna  qu'il  estoit  bien  esloigné  de  vouloir  donner 
atteinte  à  cette  doctrine.  Sixièmement,  Qu'il  l'a  déclaré  de 
vive  voix  après  la  constitution  et  aux  Docteurs  Augustiniens,  et 
à  M.  l'Ambassadeur  de  France  qui  l'aescrit  à  la  Cour.  Septies- 
mement,  Qu'il  fit  deffense  aux  Jésuites  de  tirer  aucun  advan- 
tage  des  Constitutions  contre  la  grâce  efficace.  Et  de  là  il  est 
aisé  de  conclure  que  la  grâce  efficace  n'est  point  ce  dogme 
qu'il  a  voulu  condamner  sous  le  nom  du  sens  de  Jansenius. 

Mais  on  dira  peut-estre  que  ceux  qui  ignoreront  cet  usage 
de  l'Eglise  et  toutes  ces  circonstances  et  qui  ne  prendront  le 
sens  des  Constitutions  que  des  paroles  mesmes  des  Constitu- 
tions expliquées  selon  leur  sens  naturel,  en  doivent  conclure 
que  la  grâce  efficace  y  est  condamnée,  puisque  le  Pape  con- 
damne le  sens  de  Jansenius  et  que  ces  mots  de  sens  de  Jan- 
senius signifient  le  véritable  sens  de  Jansenius,  c'est-à-dire  la 
grâce  efficace. 

Voilà  tout  ce  qu'on  peut  dire  de  plus  fort.  Et  cependant 
il  est  visible  que  ce  n'est  qu'une  pure  illusion,  et  pour  le 
développer,  il  faut  sçavoir  que  le  Pape  en  condamnant  le 
sens  de  Jansenius  a  eu  nécessairement  dans  l'esprit  un  dogme 
distinct  et  distinctement  connu,  et  qu'il  n'a  condamné  que 
ce  dogme,  et  non  celuy  qu'il  n'a  pas  conceu.  Ainsi  on  ne 
peut  estre  assuré  qu'il  ait  condamné  le  véritable  sens  de  Jan- 
senius, qu'on  ne  soit  assuré  qu'il  a  connu  le  véritable  sens 
de  Jansenius. 

De  mesme  quand  un  homme  dit,  J'approuve  le  sentiment 
de  Tertullien;  j'approuve  la  doctrine  de  S1  Augustin  sur  la  grâce; 


204  ŒUVRES 

je  condamne  le  sens  dHonorius  ;  on  ne  peut  estre  assuré 
ny  [sic]  que  ces  approbations,  ou  ces  condamnations  tombent 
sur  la  véritable  doctrine  de  Tertullien,  de  S*  Augustin, 
et  d'Honorius,  à  moins  qu'on  ne  soit  asseuré  que  ceux  qui 
parlent  de  la  sorte  entendent  bien  Tertullien,  S1  Augustin  et 
Honorius.  Or  on  a  quelquefois  cette  asseurance  ;  et  quelque- 
fois on  ne  l'a  pas.  On  l'a,  quand  par  l'usage  constant  de 
l'Eglise,  nous  sommes  assurés  que  tout  le  monde  a  la  mesme 
idée  de  la  doctrine  d'un  autheur,  comme  tout  le  monde  entend 
de  mesme  sorte  la  doctrine  de  Calvin  sur  la  transsubstantia- 
tion. Et  on  ne  l'a  pas,  quand  nous  n'avons  pas  cette  certitude 
et  que  la  chose  est  de  soy  obscure  et  difficile. 

C'est  pourquoy  si  l'on  veut  suivre  exactement  la  raison  on 
ne  peut  jamais  tirer  de  ces  propositions  des  conclusions  abso- 
lues, mais  seulement  des  conclusions  alternatives. 

Si  un  homme  dit,  J'approuve  la  doctrine  de  S1  Augustin, 
en  concevant  un  certain  dogme  par  cette  doctrine,  il  n'en 
faut  pas  conclure  précisément  :  donc  il  approuve  la  grâce  effi- 
cace ;  mais  alternativement  :  donc  il  approuve  la  grâce  effi- 
cace, ou  il  entend  d'une  autre  manière  la  doctrine  de  S1  Au- 
gustin. Et  de  mesme  le  Pape  disant  qu'il  condamne  le  sens  de 
Jansenius,  c'est  conclure  témérairement  que  de  tirer  cette 
conséquence  :  donc  la  grâce  efficace  est  condamnée.  L'on  ne 
peut  conclure  qu'alternativement,  Ou  il  a  condamné  la  grâce 
efficace,  ou  il  a  entendu  quelqu'autre  dogme  sous  le  mot  de 
sens  de  Jansenius. 

Ainsi  la  raison  en  ne  regardant  mesme  que  le  sens  propre 
des  paroles  des  Constitutions  ne  porte  point  à  condamner  la 
grâce  efficace,  mais  elle  forme  seulement  un  doute  qui  oblige 
à  en  chercher  l'esclaircissement  dans  l'usage  et  l'intelligence 
commune  de  l'Eglise,  par  laquelle  on  apprendra  incontinent 
que  ce  dogme  condamné  sous  le  mot  de  sens  de  Jansenius 
n'est  point  la  grâce  efficace. 

Et  ce  qui  engage  encore  davantage  dans  cet  examen,  est  que 
ce  doute  paroist  tout  formé  par  l'Acte  mesme  que  l'on  signe, 
qui  est  les  Constitutions,  où  il  est  marqué  qu'il  y  a  des  per- 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  205 

sonnes  qui  disent  que  ces  Propositions  ne  sont  point  tirées  de 
Jansenius  ny  condamnées  dans  son  sens. 

Et  par  la  manière  mesme  de  la  signature  dont  il  est  question, 
qui  marque  qu'on  ne  s'engage  qu'à  ce  qui  est  de  foy  dans  les 
Constitutions,  et  qu'on  exclud  ainsi  nettement  tout  ce  qui 
n'est  pas  de  foy. 

Que  s'il  plaist  à  une  personne  de  supposer  que  le  Pape  a 
bien  entendu  le  sens  de  Jansenius,  et  qu'il  a  enfermé  sous  ce 
nom  la  grâce  efficace,  pour  en  conclure  qu'elle  est  condamnée  ; 
comme  il  fera  des  suppositions  téméraires,  on  ne  repond  pas 
de  la  témérité  de  ses  conclusions. 

Mais  de  plus  c'est  un  cas  si  métaphysique,  qu'une  personne 
assez  habile  pour  sçavoir  que  le  sens  de  Jansenius  est  la  grâce 
efficace,  ne  sçache  pas  que  l'on  soustient  communément  dans 
l'Eglise  que  le  dogme  condamné  sous  ces  mots  de  sens  de 
Jansenius  n'est  pas  la  grâce  efficace,  qu'il  est  fort  inutile  de 
le  prévoir. 

Et  de  tout  cela  il  s'ensuit  que  soit  qu'on  examine  le  sens  de 
ces  paroles  :  Je  condamne  le  sens  de  Jansenius,  par  l'intelligence 
commune  de  l'Eglise,  ou  par  les  circonstances  qui  font  voir 
l'intention  du  Pape,  ou  par  les  paroles  mesmes  qui  conduisant 
au  doute  obligent  à  en  chercher  l'esclaircissement,  on  doit 
conclure  que  la  grâce  efficace  n'est  point  ce  dogme  que  le 
Pape  a  prétendu  condamner  sous  ces  mots,  et  qu'ainsi  que 
celuy  qui  dit  qu'il  condamne  le  dogme  condamné  par  le 
Pape,  ne  condamne  pas  la  grâce  efficace. 

(Pascal  :  «  C'est  pour  cette  seule  raison  que  les  ennemis  de 
cette  grâce  s'efforcent  de  faire  passer  cette  clause.  ») 

Response.  On  peut  bien  dire  cela  parce  qu'il  y  a  quelque 
vérité  dans  ce  discours  en  l'entendant  des  Jésuites  ;  mais  on 
n'en  peut  pas  faire  un  fondement  bien  solide  ;  car  outre  qu'il 
y  a  un  très  grand  nombre  de  personnes  qui  s'efforcent  de 
faire  passer  cette  clause,  sans  estre  ennemis  de  cette  grâce, 
ceux  mesme  que  l'on  regarde  comme  en  estant  ennemis,  desa- 


206  OEUVRES 

vouent  cette  intention,  et  protestent  qu'ils  n'ont  point  des- 
sein de  ruiner  la  grâce  efficace. 

(Pascal  :  «  71  faut  sçavoir  encore  que  la  manière  dont  on 
sest  pris  pour  se  défendre  contre  les  décisions  du  Pape  et  des 
Evesques  qui  ont  condamné  cette  doctrine  et  ce  sens  de  Jansenius, 
a  esté  tellement  subtille,  qu'encore  quelle  soit  véritable  dans  le 
fonds,  elle  a  esté  si  peu  nette  et  si  timide, quelle  ne  paroit  pas 
digne  des  vrais  défenseurs  de  l'Eglise.  ») 

Response.  Il  est  facile  d'entrer  dans  ces  pensées  quand  on 
ne  considère  toutes  ces  choses  que  par  des  veuës  superficielles, 
et  qu'on  n'envisage  pas  toutes  les  circonstances  auxquelles  il 
a  fallu  proportionner  la  voye  de  se  deffendre  que  l'on  a  choi- 
sie. Mais  l'on  croit  que  lorsqu'on  les  considérera  bien,  on 
n'en  trouvera  gueres  de  plus  propre  pour  sauver  tout  ensemble 
la  vérité  et  l'unité  de  l'Eglise  et  le  respect  que  l'on  doit  à 
ses  ministres. 

On  peut  voir  ce  qu'on  a  dit  sur  ce  sujet  à  la  fin  de  cet 
escrit  qui  fait  voir  que  la  conduite  qu'on  a  tenue  n'est  ti- 
mide qu'en  apparence,  et  qu'on  l'a  deu  couvrir  de  cette  appa- 
rence de  timidité,  qui  n'est  en  effet  qu'une  générosité  humble 
et  respectueuse  envers  l'Eglise. 

(Pascal  :  «  Le  fondement  de  cette  manière  de  se  défendre  a 
esté  de  dire  qu'il  y  a  dans  les  expressions  un  fait  et  un  droit  ; 
et  qu'on  promet  la  créance  pour  l'un,  et  le  respect  pour  l'autre.  ») 

Response.  On  ne  distingue  pas  asses  dans  ce  discours  la  ma- 
nière dont  l'on  s'est  servi  pour  deffendre  la  vérité  de  celle 
qu'on  a  prise  pour  deffendre  les  personnes. 

Pour  la  vérité  qui  est  celle  de  la  grâce  efficace  on  l'a  def- 
fenduë  en  publiant  hautement  que  cette  doctrine  estoit  celle 
de  l'Eglise,  et  en  faisant  entendre  partout  que  le  Pape  ne 
l'avoit  point  blessée  par  sa  Constitution,  en  forçant  mesme  les 
ennemis  de  l'avouer. 

Pour  les  personnes,  on  les  a  deffendûes  en  la  manière  qu'on 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  207 

a  pu  pour  éviter  tout  ensemble  le  reproche  d'heresie,  et  n'a- 
bandonner pas  l'innocence  de  Jansenius. 

Il  a  fallu  repondre  à  cet  argument:  Lesens  de  Jansenius  est 
hérétique  par  le  jugement  du  Pape  :  vous  soustenez  le  sens  de  Jan- 
senius. Donc  vous  soustenez  une  hérésie.  Et  il  n'estoit  pas  pos- 
sible de  le  faire  autrement  qu'en  faisant  voir  que  le  Pape  et 
les  Evesques  par  le  sens  de  Jansenius  qu'ils  ont  condamné 
n'ont  pas  entendu  son  véritable  sens,  qui  est  la  grâce  efficace; 
mais  quelqu'autre  sens  qu'ils  luy  ont  attribué;  et  qu'ainsi 
c'est  une  question  de  fait  que  de  sçavoir  si  ce  dogme  con- 
damné est  ou  n'est  pas  de  Jansenius. 

(Pascal  :  «  Toute  la  dispute  est  de  sçavoir  si  il  y  a  un  fait  et  un 
droit  séparé,  ou  s'il  n'y  a  quun  droit  ;  c'est-à-dire,  si  le  sens 
de  Jansenius  qui  y  est  exprimé,  ne  fait  autre  chose  que  marquer 
le  droit.  ») 

Response.  On  ne  pouvoit  pas  représenter  la  question  d'une 
manière  moins  juste  et  moins  claire. 

On  dispute  bien  si  le  sens  de  Jansenius  est  attributif,  ou 
déterminant,  c'est  à  dire,  si  ces  mots  ne  font  que  marquer 
que  les  propositions  sont  dans  Jansenius  ;  ou  s'ils  marquent 
dans  la  Constitution  le  dogme  que  le  Pape  veut  qu'on  con- 
damne :  mais  on  dispute  de  cela  comme  d'une  question  peu 
importante  et  qui  ne  décide  nullement  le  différent. 

Car  quand  il  seroit  vray  que  le  Pape  et  les  Evesques  se  seroient 
servis  de  ces  mots,  sens  de  Jansenius,  pour  marquer  un  droit 
et  un  dogme,  comme  il  est  d'ailleurs  certain  que  ce  dogme 
quel  qu'il  soit  n'est  pas  la  grâce  efficace,  il  nous  importe 
très  peu  qu'ils  l'ayent  pris  ou  ne  Payent  pas  pris  de  cette 
sorte. 

Et  de  plus  il  ne  s'ensuivroit  pas  de  là  qu'il  n'y  eust  qu'un 
droit  enfermé  dans  ces  mots  ;  parce  que  encore  que  l'on  prenne 
les  mots  de  sens  de  Jansenius  comme  marquant  un  certain 
dogme,  c'est  toujours  une  question  de  fait,  si  ce  certain 
dogme  est  dans  Jansenius,  et  l'on  ne  sçauroit  nier  que  ce  fait 
ne  soit  séparé  du  droit. 


208  ŒUVRES 

Ainsi  il  ne  faut  point  establir  d'estat  de  question  où  il  n'y  a 
point  proprement  de  question.  On  escrit  et  l'on  parle  d'un 
costé  sans  qu'on  fasse  aucune  réponse  à  ces  paroles  et  à  ces 
escrits,  et  l'on  condamne  de  l'autre  sans  avoir  égard  à  ces 
escrits  ny  à  ces  paroles  en  faisant  telles  suppositions  que  l'on 
veut,  sans  considérer  si  elles  sont  véritables  ou  non. 

Les  suppositions  de  ceux  qui  ont  dressé  le  formulaire  sont 
Premièrement,  Que  le  sens  de  Jansenius  qu'ils  n'expliquent 
point,  et  qui  est  selon  eux  quelque  chose  de  différent  de  la 
grâce  efficace,  est  un  certain  dogme  clair  et  connu  qu'il  suffit 
de  nommer  pour  le  faire  entendre.  Secondement,  Que  qui- 
conque soustient  le  sens  de  Jansenius  ou  qui  refuse  de  le 
condamner,  soustient  en  effet  ce  dogme  comme  différent  de 
la  grâce  efficace.  D'où  ils  concluent  qu'il  les  faut  traittercomme 
hérétiques. 

Et  quoy  qu'on  proteste  de  ne  sçavoir  pas  quel  est  ce  certain 
dogme,  quoy  qu'on  proteste  de  le  condamner  quel  qu'il  soit, 
ils  n'escoutent  aucune  de  ces  remonstrances,  et  ne  font  pas  sem- 
blant de  les  entendre  ;  mais  ils  demeurent  dans  leurs  suppo- 
sitions, que  quiconque  ne  dit  pas  Je  condamne  le  sens  de  Jan- 
senius tient  en  effet  ce  certain  dogme  condamné. 

Voila  le  véritable  état  de  la  contestation  présente  dans 
laquelle  il  ne  faut  pas  chercher  des  oppositions  d'opinions  : 
parce  que  ceux  qu'on  persécute  n'ont  point  véritablement 
d'opinions  que  ceux  qui  ont  dressé  le  formulaire  n'approu- 
vent ;  mais  supposer  qu'il  y  a  des  raisons  évidentes  et  non 
contestées  d'un  costé,  et  de  l'autre  des  voyes  de  fait  et  des 
suppositions  fausses  et  arbitraires. 

Ces  autheurs  du  formulaire  ne  nient  pas  ce  que  disent  ces 
personnes  ;  et  ces  personnes  ne  voyent  pas  ce  que  les  autheurs 
du  Formulaire  leur  attribuent  ;  mais  les  auteurs  du  Formu- 
laire ne  veulent  pas  écouter,  et  ils  veulent  condamner. 

(Pascal  :  «  Le  Pape  et  les  Evesques  sont  d'un  costé,  et  pré- 
tendent que  c'est  un  point  de  droit  et  de  foy  de  dire,  que  les  cinq 
propositions  sont  hérétiques  au  sens  de  Jansenius  ;  et  Alexandre 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  209 

\ II.  adeclaré  dans  sa  constitution,  que  pour  estre  dans  la  véritable 
foy ,  il  faut  dire  que  les  mots  de  sens  de  Jansenius  ne  font  qu'ex 
primer  le  sens  hérétique  des  propositions,  et  qu'ainsi  c'est  un  fait 
qui  emporte  un  droit  et  qui  fait  une  portion  essentielle  de  la  profes- 
sion de  foy,  comme  qui  diroit,  le  sens  de  Calvin  sur  l'Eucharistie 
est  hérétique,  ce  qui,  certainement,  est  un  point  de  foy.  Et  un 
très  petit  nombre  de  personnes,  qui  font  à  toute  heure  des  petits 
escrits  volans,  disent  que  ce  fait  est  de  sa  nature  séparé  du  droit.  ») 

Response.  Tout  cela  n'est  pas  bien  représenté.  Quand  les 
mots  de  sens  de  Jansenius  enfermeroient  un  droit  et  mar- 
queroient  un  dogme,  il  y  auroit  néanmoins  en  cela  un  point 
de  fait  séparé  du  droit,  qui  est  de  sçavoir  si  ce  dogme  est 
dans  Jansenius,  ce  que  les  Molinistes  ne  nient  pas.  Comme 
dans  cette  proposition  qui  marque  un  droit  :  Le  sens  de  Calvin 
est  hérétique,  il  y  a  un  fait  qui  est  séparé  du  droit,  qui  est, 
que  cette  doctrine  hérétique  est  de  Calvin. 

Et  ces  faiseurs  d'escrits  volans  ne  s'amusent  pas  à  prouver 
que  ce  sens  de  Jansenius  n'est  pas  déterminant  et  qu'il  ne 
marque  pas  un  droit,  ce  qui  leur  est  fort  indiffèrent,  mais  ils 
soustiennent  que  ce  droit  et  ce  dogme  quel  qu'il  soit  n'est  pas 
la  grâce  efficace,  ce  que  tout  le  monde  leur  accorde  ;  et  que  ce 
dogme  déterminant  quel  qu'il  soit  n'est  pas  dans  Jansenius,  ce 
qui  n'est  qu'un  fait,  comme  tout  le  monde  l'avoue.  Et  ainsi 
ils  ne  disent  rien  qui  soit  contesté.  Cependant  ils  ne  laissent 
pas  d' estre  condamnés,  parce  que  le  principe  des  autheurs 
du  Formulaire  est  que  quiconque  ne  signe  pas  sans  restriction, 
doit  estre  traité  d'heretique,  quoy  qu'il  dise  et  qu'il  croye. 

(Pascal  :  «  //  faut  enfin  remarquer  que  ces  mots  de  fait  et  de 
droit  ne  se  trouvent,  ny  dans  le  mandement,  ny  dans  les  consti- 
tutions, ny  dans  le  formulaire,  mais  seulement  dans  quelques 
escrits  qui  n'ont  nulle  relation  nécessaire  avec  cette  signature  ;  et 
sur  tout  cela  examiner  la  signature  que  peuvent  faire  en  con- 
science ceux  qui  croyent  estre  obligez  en  conscience  de  ne  point 
condamner  le  sens  de  Jansenius.  ») 

2e  série.  VII  i4 


210  ŒUVRES 

Response.  Il  n'est  pas  question  des  mots  ;  il  est  question  des 
choses.  Or  les  choses  de  droit  et  les  choses  de  fait  se  trouvent 
dans  le  Mandement,  dans  les  Constitutions,  et  dans  le  Formu- 
laire: et  celuyqui  limite  sa  signature  aux  choses  de  droit  et  de 
foy,  exclud  par  là  tout  ce  qui  n'est  pas  de  foy  :  et  par  con- 
séquent toutes  les  choses  de  fait,  lesquelles  certainement  ne 
sont  point  de  foy. 

Et  en  second  lieu,  les  mots  défait  et  de  droit  ne  sont  pas 
seulement  dans  des  escrits;  ils  sont  dans  l'esprit  de  tous  ceux 
qui  ontleuces  escrits  et  qui  sont  tant  soit  peu  informez  de  ces 
questions;  et  tous  ces  personnes  entendent  parfaitement  bien 
qu'en  disant  qu'on  ne  soutient  que  la  foy,  on  ne  souscrit 
point  aux  faits.  Or  la  signature  n'a  pas  véritablement  relation 
à  ces  escrits  dont  on  parle;  mais  elle  a  relation  à  l'intelligence 
commune  que  ces  escrits  ont  pu  préparer. 

(Pascal  :  «  Mon  sentiment  est,  pour  cela,  que  comme  le  sens 
de  Jansenius  a  esté  exprimé  dans  le  mandement,  dans  les  bulles 
et  dans  le  formulaire,  il  faut  nécessairement  ïexclurre  formelle- 
ment par  sa  signature  ;  sans  quoy  on  ne  satisfait  point  à  son 
devoir.  Car  de  prétendre  quil  suffit  de  dire  quon  ne  croit  que 
ce  qui  est  de  la  foy,  pour  prétendre  avoir  assez  marqué  par  là 
qu'on  ne  condamne  point  le  sens  de  Jansenius,  par  cette  seule 
raison  qu'on  s'imagine  quil  y  a  en  cela  un  fait  qui  est  séparé  du 
droit  ;  c'est  une  pure  illusion  :  on  en  peut  donner  bien  des  preuves.  » 

Response.  On  verra  par  l'examen  de  ces  preuves  si  c'est  une 
illusion. 

(Pascal:  «  Celle-cy  suffit,  Que  le  fait  et  le  droit  estant  des 
choses  dont  on  ne  parle  en  aucune  manière  en  tout  ce  qu'on  signe, 
ces  deux  mots  n'ont  nullement  assez  de  relation  l'un  à  l'autre, 
pour  faire  qu'il  soit  nécessaire  que  l'expression  de  l'un  emporte 
l'exclusion  de  Vautre.  ») 

Response.  Geluy  qui  signe  qu'il  ne  croit  que  ce  qui  est  de 
ioy  exclud  certainement  tout  ce  qui  n'est  pas  de  foy  ;  parce 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  211 

que  cette  proposition,  Je  ne  croy  que  lafoy  signifie  qu'on  croit 
tout  ce  qui  est  de  foy,  et  qu'on  ne  croit  pas  tout  ce  qui  n'est 
pas  de  foy. 

Il  n'est  donc  pas  nécessaire  que  les  mots  défait  et  de  droit 
ou  de  foy  soyentdans  le  Formulaire  et  les  Constitutions  ;  mais 
il  suffit  qu'il  y  ait  dans  les  Constitutions  et  le  Formulaire 
des  choses  qui  ne  soient  pas  de  foy,  pour  en  conclure  que 
celuy  qui  tesmoigne  ne  recevoir  dans  ces  actes  que  ce  qui  est 
de  foy  exclud  par  cette  sorte  de  signature  ce  qui,  dans  son 
opinion  et  dans  celle  de  tout  le  monde,  n'est  pas  de  foy. 

Ainsi  cette  raison  prise  de  ce  que  les  mots  de  fait  et  de 
droit  ne  sont  point  exprimez  dans  les  actes  que  l'on  signe, 
ne  conclud  rien  du  tout;  puisque  l'exclusion  n'est  pas  fondée 
sur  les  mots,  mais  sur  les  choses. 

(Pascal  :  «  S'il  estoit  dit  dans  le  mandement,  ou  dans  les  cons- 
titutions, ou  dans  le  formulaire,  qu'il  faut  non  seulement  croire 
la  foy,  mais  aussy  le  fait,  ou  que  le  fait  et  le  droit  fussent  pro- 
posez egallement  à  souscrire  ;  et  qu'enfin  ces  deux  mots  de  fait  et 
de  droit  y  fussent  bien  formellement  marquez  :  on  pourroit  peut- 
estre  dire  qu'en  mettant  simplement  que  l'on  se  soumet  au  droit, 
on  marque  assez  que  l'on  ne  se  soûmetpoint  à  l'autre.  Mais  comme 
ces  deux  mots  ne  se  regardent  que  dans  nos  entretiens,  et  dans 
quelques  escrits  tout  à  fait  séparez  des  constitutions,  lesquels 
peuvent  périr,  et  la  signature  subsister  ;  et  qu'ils  ne  sont  relatifs, 
ny  opposez  l'un  à  l'autre,  ny  dans  la  nature  de  la  chose,  où  lafoy 
n'est  pas  naturellement  opposée  au  fait,  mais  à  l'erreur,  ny  dans 
ce  qu'on  fait  signer,  il  est  impossible  de  prétendre  que  l'expres- 
sion de  lafoy  emporte  nécessairement  l'exclusion  du  fait.  ») 

Response.  Ce  n'est  point  seulement  dans  nos  entretiens» 
mais  dans  la  nature  des  choses  que  foy  est  opposée  à  tout 
ce  qui  n'est  pas  de  foy,  par  la  plus  grande,  la  plus  commune, 
et  la  plus  connue  de  toutes  les  oppositions  qui  est  la  contra- 
dictoire. Or  le  membre  de  non  foy  comprend  certainement 
tous  les  faits,  selon  l'opinion  de  tout  le  monde  ;  et  par  con- 


212  ŒUVRES 

sequent,  en  disant  qu'on  ne  souscrit  qu'à  la  foy,  on  exclud 
aussi  formellement  tous  les  faits  que  si  on  disoit  qu'on  ne 
souscrit  point  aux  faits. 

(Pascal  :  «  Car  encore  qu'en  disant  qu'on  ne  reçoit  que  la  foy, 
on  marque  par  là  qu'il  y  a  quelque  autre  chose  qu'on  ne  reçoit 
pas,  il  ne  s'ensuit  pas  que  cette  autre  chose  qu'on  ne  reçoit 
pas  soit  nécessairement  le  sens  de  Jansenius,  et  cela  se  peut  en- 
tendre de  beaucoup  d'autres  choses,  comme  des  récits  qui  sont 
faits  dans  l'exposé,  et  des  dépenses  de  lire  et  d'escrire.  ») 

Response.  Il  s'ensuit  très  bien  de  ce  qu'on  ne  reçoit  que  la 
foy,  qu'on  ne  reçoit  pas  tout  ce  qui  n'est  point  de  foy  dans 
ce  que  l'on  signe.  Donc  on  ne  reçoit  point  que  les  cinq  pro- 
positions soyent  extraittes  de  Jansenius  (ce  qui  est  porté  par 
les  Constitutions  et  le  Formulaire),  parce  que  cela  n'est  pas 
de  foy.  Donc  on  ne  reçoit  point  aussy  que  les  dogmes  con- 
damnez et  exprimez  ou  par  les  propositions,  ou  par  le  sens  de 
Jansenius  soient  effectivement  de  Jansenius,  ce  qui  est  encore 
un  fait  qui  resuite  des  Constitutions  et  du  Formulaire.  Car 
il  est  clair  par  le  sentiment  commun  de  tous  les  Théologiens, 
que  cela  n'appartient  pas  à  la  foy. 

Que  si  l'on  dit  que  l'on  n'excepte  pas  le  sens  de  Jansenius 
dans  l'opinion  de  ceux  qui  disent  qu'il  enferme  un  dogme,  on 
repond  :  i  °  Qu'on  ne  l'exclud  pas  davantage  en  disant  excepta 
quœstione  facti,  parce  qu'on  n'exclud  par  là  que  les  faits,  et 
ainsi  on  n'excluroit  pas  ce  qui  ne  seroit  pas  un  fait,  mais  un 
droit;  i°  ceux  qui  disent  qu'il  y  a  un  dogme  enfermé  dans  ces 
paroles  de  sens  de  Jansenius,  ne  disent  pas  qu'il  n'y  a  qu'un 
dogme,  comme  on  le  suppose  toujours  dans  cet  escrit,  mais 
ils  disent  qu'il  y  a  un  dogme  et  un  fait.  Or  à  l'égard  du 
dogme,  il  n'est  pas  besoin  de  l'exclure,  parce  qu'il  est  notoire 
que  ce  dogme  quel  qu'il  soit,  entendu  sous  les  mots  de  sens 
de  Jansenius  par  le  Pape  et  l'Eglise,  n'est  pas  la  grâce 
efficace,  et  par  conséquent  on  le  peut  condamner  et  souscrire 
à  la  condamnation  que  le  Pape  en  fait,  pourveu  qu'on  ne 


ÉCRIT  SUR  SIGNATURE.  —  APPENDICE  213 

connoisse  pas  qu'il  soit  de  Jansenius,  ce  qui  n'estant  qu'un 
fait  est  exclu  par  la  déclaration  qu'on  fait  de  ne  recevoir  que 
la  foy. 

(Pascal  :  «  Il  y  a  cela  de  plus,  que  le  mot  de  foy  estant  icy 
extrêmement  équivoque,  les  uns  prétendant  que  la  doctrine  de 
Jansenius  emporte  un  point  de  foy,  et  les  autres  que  ce  n'est  qu'un 
pur  fait,  il  est  indubitable  qu'en  disant  simplement  qu'on  reçoit 
la  foy,  sans  dire  qu'on  ne  reçoit  point  le  point  de  la  doctrine  de 
Jansenius,  on  ne  marque  pas  par  là  qu'on  ne  le  reçoit  pas,  mais 
on  marque  plustost  par  là  qu'on  le  reçoit  ;  puisque  l'intention 
publique  du  Pape  et  des  Evesques  est  de  faire  recevoir  la  condam- 
nation de  Jansenius,  comme  une  chose  de  foy,  tout  le  monde 
le  disant  publiquement,  et  personne  n'osant  dire  publiquement  le 
contraire.  ») 

Response.  On  n'a  pas  besoin  d'expliquer  l'équivoque  d'un 
mot,  lors  qu'il  nous  est  indiffèrent  en  quel  sens  on  le  prenne. 
Si  on  prend  le  sens  de  Jansenius  comme  un  pur  fait,  ce  fait 
est  exclu  par  la  clause  qui  dit  qu'on  ne  reçoit  que  la  foy.  Et 
si  on  le  prend  pour  un  dogme  et  un  fait,  selon  l'intention  de 
quelques  Evesques,  on  condamne  ce  dogme  avec  le  Pape  ; 
parce  qu'il  est  certain  que  ce  n'est  point  la  grâce  efficace  ;  et 
le  fait  qui  reste  si  ce  dogme  est  de  Jansenius,  est  enfermé 
dans  l'exclusion  générale  de  tout  ce  qui  n'est  pas  de  foy. 

(Pascal  :  «  77  est  Jiors  de  doute  que  celte  profession  de  foy  est 
au  moins  équivoque  et  ambiguë,  et  par  conséquent  meschante.) 

Response.  Le  sens  de  la  grâce  efficace  estant  exclu  par  le  con- 
sentement de  toute  l'Eglise  de  l'idée  du  sens  de  Jansenius 
condamné  par  le  Pape,  il  n'y  aucune  équivoque  à  dire  qu'on 
condamne  le  dogme  que  le  Pape  a  entendu  sous  ces  mots  ;  parce 
que  ces  mots  ne  sont  point  équivoques  à  l'égard  de  la  grâce 
efficace  ;  parce  qu'elle  en  est  excluse  dans  l'intelligence  com- 
mune de  l'Eglise. 

Mais  déplus  je  croy  qu'on  abuse  beaucoup  de  cette  maxime 


214  ŒUVRES 

qu'une  confession  de  foy  ne  doit  point  estre  équivoque  :  car 
elle  est  vraye  de  la  signature  qui  doit  marquer  clairement 
quelle  est  la  nature  du  consentement  que  l'on  donne  à  l'acte 
que  l'on  signe,  la  sincérité  demandant  qu'on  ne  trompe  pas 
l'Eglise,  et  qu'on  ne  luy  rende  pas  un  respect  purement 
extérieur,  lorsqu'elle  croit  qu'on  luy  en  rend  un  intérieur  et 
véritable.  Mais  elle  ne  paroist  pas  vraye  generallement  à  l'égard 
de  la  chose  qu'on  signe. 

Car  il  s'ensuivroit  de  là  qu'on  ne  pourroit  souscrire  le  Con- 
cile de  Trente  qui  est  équivoque  en  plusieurs  définitions, 
comme  dans  celles  qui  regardent  l'attrition  et  la  contrition, 
l'intention  nécessaire  aux  sacremens,  et  tous  les  articles  delà 
grâce:  ce  qui  n'est  pas  seulement  arrivé  par  hazard,  mais  de 
dessein;  ces  articles  ayant  esté  communiquez  aux  théologiens 
de  differens  sentimens  pour  choisir  des  expressions  équi- 
voques que  chacun  expliquast  à  son  avantage,  comme  il  est 
remarqué  dans  l'histoire  du  Concile.  Ainsy  les  Jésuites  pré- 
tendent que  la  grâce  efficace  est  condamnée  par  le  Concile  de 
Trente;  et  les  Dominicains  qu'elle  y  est  establie.  Les  Jésuites 
prétendent  que  le  Concile  définit  que  l'attrition  sans  amour 
suffit  avec  le  sacrement  ;  et  d'autres  prétendent  qu'il  deffinit 
le  contraire  ;  et  estant  les  uns  et  les  autres  en  des  sentimens 
si  differens,  ils  signent  egallement  le  concile. 

On  peut  dire  la  mesme  chose  de  tous  les  autres  conciles,  y 
en  ayant  peu  qui  ne  soyent  équivoques  à  l'esgard  des  articles 
qu'ils  n'ont  pas  voulu  décider,  et  sur  tout  le  concile  d'Ephese, 
où  les  Anathematismes  de  S1  Cyrille  furent  approuvez,  dont 
les  Eutichiens  ont  estrangement  abusé. 

Cette  maxime  a  donc  besoin  de  distinction,  et  il  semble 
que  la  véritable  est  qu'il  faut  distinguer  entre  les  erreurs 
compatibles  avec  la  communion  de  l'Eglise,  et  les  erreurs  in- 
compatibles avec  cette  communion.  Les  erreurs  compatibles 
avec  la  communion  de  l'Eglise  sont  celles  qui  sont  véritable- 
ment erreurs,  mais  pour  lesquelles  l'Eglise  ne  retranche  pas 
de  sa  communion,  comme  l'erreur  de  l'attrition,  l'erreur  de 
la  supériorité  du  Pape  sur  les  Conciles,  et  ainsi  des  autres. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  215 

Les  erreurs  incompatibles  sont  de  deux  sortes  ;  car  les  unes 
sont  incompatibles  par  leur  nature  mesme,  et  ce  sont  celles 
qui  regardent  les  points  fondamentaux  sans  lesquels  creus  de 
foy  distincte  on  ne  peut  estre  sauvé,  comme  l'Arianisme  qui 
destruisoit  la  divinité  du  Fils  de  Dieu,  ou  le  Manichéisme  qui 
destruisoit  l'unité  et  la  nature  de  Dieu,  et  plusieurs  autres 
de  cette  nature. 

Mais  il  y  en  a  d'autres  qui  ne  sont  criminelles  que  parce 
que  l'Eglise  a  décidé  expressément  le  contraire,  et  qu'elle  a 
retranché  de  son  corps  ceux  qui  les  tiennent  ;  comme  pouvoit 
estre  la  question  du  baptesme  des  hérétiques. 

Dans  les  uns  et  dans  les  autres  il  ne  faut  pas  souffrir  de 
définition  équivoque,  et  la  raison  en  est  claire,  parce  que  le 
propre  d'une  confession  de  foy  estant  d'unir  dans  la  mesme 
communion  ceux  qui  la  signent,  si  elle  est  équivoque  à 
l'égard  de  ces  erreurs  incompatibles  avec  la  communion  de 
l'Eglise,  elle  uniroit  à  l'Eglise  tous  ces  membres  retranchés 
sans  leur  faire  changer  de  sentiment.  C'est  pourquoy  on  n'a 
point  dû  signer  ny  le  concile  de  Rimini,  ny  l'Enoticon  de  Ze- 
non, ny  le  Type  de  Constant,  ny  l'Ecthese  d'Heraclius,  parce 
que  c'estoient  des  professions  de  foy  équivoques  à  l'esgard 
de  ces  erreurs  incompatibles  avec  la  communion  de  l'Eglise, 
et  qui  faisoient  régner  la  vérité  et  des  erreurs  formellement 
condamnées  generallement  dans  l'Eglise. 

Mais  quand  l'Eglise  ne  retranche  pas  de  son  corps  ceux  qui 
tiennent  certaines  erreurs,  elle  n'evitte  pasaussy  que  les  défi- 
nitions de  foy  qu'elle  fait  ne  soyent  équivoques  à  l'égard  de  ces 
erreurs;  pourveu  qu'elle  ne  les  favorise  pas.  Ainsy  le  Concile 
de  Trente  n'a  pas  évité  les  expressions  équivoques  à  l'égard 
de  l'attrition  et  de  la  grâce  soumise  au  libre  arbitre  ;  et  dans 
ces  rencontres  ces  équivoques  ne  doivent  pas  empescher  les 
fidelles  de  signer  la  profession  de  foy  qu'on  leur  propose  ; 
parce  qu'ils  doivent  souffrir  dans  la  communion  de  l'Eglise 
ceux  qui  tiennent  l'erreur  opposée  ;  et  il  leur  suffit  qu'ils 
ayent  lieu  de  se  deffendre  quand  on  les  voudra  rendre 
approbateurs    de   cette    erreur.    Ainsi   encore    qu'on    puisse 


216  ŒUVRES 

faire  cet  argument  contre  ceux  qui  signent  le  Concile  de 
Trente  : 

Geluy  qui  signe  le  Concile  de  Trente,  signe  la  doctrine 
qu'il  contient  ;  Or  le  Concile  de  Trente  enseigne  que  l'at- 
trition  suffit  sans  amour;  Donc  celuy  qui  signe  le  Concile  de 
Trente  signe  cette  doctrine  de  l'attrition  ; 

On  ne  doit  pas,  dis-je,  estre  empesché  de  signer  le  Concile 
de  Trente  par  cet  argument,  parce  qu'on  y  peut  repondre  en 
niant  la  mineure,  et  en  soutenant  que  le  Concile  de  Trente 
ne  contient  point  cette  erreur  de  l'attrition  sans  amour. 

Il  est  facile  de  conclure  de  là  qu'encore  que  les  Constitu- 
tions du  Pape  fussent  équivoques  à  l'égard  delà  grâce  efficace, 
et  que  l'on  peut  faire  cet  argument  :  Le  Pape  condamne  le 
sens  de  Jansenius  :  le  sens  de  Jansenius  est  la  grâce  efficace: 
donc  il  condamne  la  grâce  efficace, 

Ce  ne  seroit  pas  une  raison  de  ne  le  pas  signer,  parce  qu'on 
peut  repondre  très  raisonnablement  à  la  mineure,  que  le 
sens  de  Jansenius  n'est  pas  la  grâce  efficace,  dans  le  sens 
auquel  le  Pape  et  l'Eglise  entendent  ces  mots. 

(Pascal  :  «  D'où  je  conclus  que  ceux  qui  signent  purement  le 
formulaire  sans  restriction  signent  la  condamnation  de  Jansenius, 
de  Saint  Augustin,  de  la  grâce  efficace.  ») 

Response.  Cette  conclusion  est  notoirement  contraire  à  la 
vérité  puisque  des  Ordres  entiers  signent  la  condamnation  de 
ce  sens  en  soustenant  la  grâce  efficace. 

Elle  est  calomnieuse  contre  le  Pape  et  les  Evesques  à  qui 
elle  impose  de  condamner  la  grâce  efficace  contre  la  protes- 
tation qu'ils  en  font. 

Elle  est  préjudiciable  à  la  grâce  efficace,  puisqu'elle  suppose 
qu'elle  est  condamnée  presque  par  toute  l'Eglise,  ce  qui  seroit 
une  très  grande  preuve  de  fausseté. 

Elle  est  scandaleuse  à  l'égard  des  hérétiques  à  qui  elle 
donne  sujet  d'accuser  l'Eglise  d'erreur  en  la  foy. 

Et  à  l'égard  des  catholiques,  parce  qu'elle  les  porte  à  con- 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  217 

damner  la  grâce  efficace,  en  leur  faisant  croire  qu'elle  est 
condamnée  par  ceux  qui  condamnent  simplement  le  sens  de 
Jansenius,  c'est-à-dire  presque  par  toute  l'Eglise. 

Ainsi  le  mal  de  la  signature  simple  n'est  pas  qu'elle  con- 
damne la  foy,  mais  qu'elle  condamne  un  innocent,  ce  qui  est 
exclu  par  la  restriction  :  quant  à  la  foy. 

(Pascal  :  «  Je  conclus  en  second  lieu  que  qui  excepte  la  doc- 
trine de  Jansenius  en  termes  formels,  sauve  de  condamnation,  et 
Jansenius,  et  la  grâce  efficace.  ») 

Response.  Si  l'on  ne  le  fait  que  par  ces  termes  ordinaires 
salva  quœstione  facti,  on  a  tort  de  tirer  cette  conclusion  sui- 
vant les  principes  de  cet  escrit.  Car  cette  exception  n'exclud 
que  les  faits,  et  il  reste  en  question  si  le  sens  de  Jansenius 
est  un  fait  ou  un  droit.  Il  est  donc  vray  en  mesme  tems  et 
que  cette  sorte  de  signature  est  bonne  selon  les  principes 
véritables,  et  qu'on  n'a  pas  deu  la  juger  bonne  suivant  ceux 
de  cet  escrit. 

(Pascal  :  «  Je  conclus  en  troisiesme  lieu,  que  ceux  qui  signent 
en  ne  parlant  que  de  la  foy  n'excluant  pas  formellement  la 
doctrine  de  Jansenius,  prennent  une  voye  moyenne,  qui  est 
abominable  devant  Dieu,  mesprisable  devant  les  hommes,  et 
entièrement  inutile  à  ceux  quon  veut  perdre  personnellement.  ») 

Response.  Cette  conclusion  est  aussy  fausse  que  tous  les 
principes  sur  lesquels  elle  est  establie. 

Quant  à  ces  hommes  à  l'égard  desquels  cette  signature  est 
méprisable,  peut  estre  seront-ils  en  plus  petit  nombre  qu'on 
ne  pense,  et  qu'il  y  en  aura  bien  plus  qui  en  seront  édifiez, 
ou  qui  la  blasmeront  moins  que  si  on  avoit  voulu  expliquer 
en  détail  des  choses  que  des  Religieuses  doivent  ignorer. 

Mais  à  ces  fausses  conclusions  on  en  peut  opposer  de  véri- 
tables. Car  on  conclud  des  principes  establis  en  cette 
response  : 


218  ŒUVRES 

Premièrement,  que  cette  restriction  qui  tesmoigne  qu'on 
ne  reçoit  les  Constitutions  que  quant  à  la  foy  est  bonne  et 
légitime. 

i°,  Parce  qu'elle  exclue!  réellement  tout  ce  qui  n'est  pas  de 
foy  comme  le  sont  les  faits  que  ces  propositions  soyent  conte- 
nues dans  Jansenius  et  que  le  sens  condamné  de  ces  propo- 
sitions soit  dans  son  livre. 

2°,  parce  qu'elle  est  très  aisée  à  soustenir,  ne  pouvant 
estre  combattue  que  par  cet  argument  : 

Le  sens  de  Jansenius  pris  pour  un  dogme  déterminant  est 
la  grâce  efficace  :  Or  cette  signature  engage  à  condamner  le 
sens  de  Jansenius  pris  pour  un  dogme  déterminant;  puisque 
le  Pape  le  condamne  ainsi,  et  que  l'on  condamne  par  la  signa- 
ture tous  les  dogmes  condamnez  par  le  Pape  :  Donc  elle 
engage  à  condamner  la  grâce  efficace.  Or  en  cet  argument 
la  majeure  est  certainement  fausse,  et  la  mineure  incer- 
taine. 

3°,  parce  qu'elle  exprime  parfaitement  la  disposition  des 
Religieuses  en  ce  qu'elles  sçavent  et  doivent  sçavoir  de  cette 
contestation.  Car  que  sçavent-elles  autre  chose  sinon  qu'on 
demeure  d'accord  de  part  et  d'autre  que  le  Pape  n'a  point  blessé 
la  foy  de  l'Eglise  par  sa  Constitution,  et  que  l'on  dispute  s'il 
n'y  a  point  meslé  des  faits  qui  soyent  faux  ?  Et  que  peuvent 
elles  faire  de  mieux  suivant  cette  connoissance  que  de  déclarer 
en  gênerai  qu'elles  reçoivent  la  Constitution  du  Pape  tou- 
chant la  foy,  puisque  toute  l'Eglise  en  convient  ;  et  qu'elles 
ne  prennent  part  qu'à  la  foy,  pour  s'exempter  de  prendre 
part  dans  ces  autres  disputes  qui  ne  les  regardent  pas  ? 

4°,  parce  que  tous  les  Catholiques  et  principalement  les 
Religieuses  devant  un  grand  respect  à  l'authorité  de  l'Eglise, 
il  est  de  leur  devoir  d'exprimer  cette  résistance  qu'elles 
font  à  un  ordre  qui  les  engage  à  prendre  part  à  des  choses 
qui  ne  les  regardent  point,  dans  les  termes  les  plus  respec- 
tueux qu'il  est  possible;  ce  qu'on  ne  pouvoit  gueres  mieux 
faire  que  par  les  termes  de  cette  signature. 

On  conclud  en  second  lieu  que  cette  sorte  de  signature  est 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  219 

meilleure  que  celle  où  l'on  diroit  salva  quœstione  facti;  parce 
que  cette  exception  salva  quœstione  facti  a  tous  les  mesmes 
inconveniens  que  ceux  qu'on  a  proposés  contre  celle-cy,  et 
qu'elle  n'a  pas  l'avantage  de  n'engager  pas  mesme  au  silence 
à  l'égard  du  fait  ce  qui  est  assez  considérable. 

On  conclud  en  troisiesme  lieu  qu'elle  est  meilleure  que  celle 
où  l'on  diroit  salua  doctrina  Jansenii;  parce  que  cette  sorte 
d'exception  rend  suspects  ceux  qui  la  font,  de  tenir  ce  que  le 
Pape  entend  par  la  doctrine  de  Jansenius;  et  comme  c'est 
une  erreur,  elle  les  rend  suspecls  d'erreur,  et  donne  lieu  de 
les  pousser  avec  plus  d'apparence  de  raison. 

On  conclud  en  quatriesme  lieu  qu'elle  est  meilleure  que  si 
l'on  meltoit  salua  doctrina  gratiœ  efficacis  ;  parce  que  cette 
exception  en  marquant  que  l'on  ne  condamne  pas  la  grâce 
efficace,  marque  en  mesme  tems  indirectement  que  ceux  qui 
ne  l'exceptent  pas  la  condamnent;  et  ainsi,  en  donnant  un 
tesmoin  à  cette  grâce,  elle  luy  en  oste  cent  mille. 

Que  si  on  objecte  qu'on  pourroit  dire  la  même  chose  à 
l'égard  de  Jansenius,  on  repond  que  non,  parce  que  l'on  n'a 
pas  les  mesmes  raisons  de  prétendre  que  la  signature  que  l'on 
fait  n'enferme  pas  la  condamnation  de  Jansenius,  qu'on  en  a 
de  croire  qu'elle  n'enferme  pas  la  grâce  efficace  ;  et  ainsi  l'ex- 
ception de  Jansenius  est  nécessaire,  et  non  libre;  parce  qu'il 
n'est  pas  permis  de  témoigner  par  des  paroles  le  contraire  de 
ce  que  l'on  a  dans  le  cœur,  quand  nous  en  pourrions  espérer 
de  l'avantage. 

Toutes  les  restrictions  devant  estre  apparamment  con- 
damnées, celles  qui  engagent  la  vérité  davantage  sont 
les  plus  mauvaises,  et  celles  qui  l'engagent  moins  sont  les 
meilleures.  Quand  on  verra  condamner  une  signature  où 
l'on  aura  excepté  la  grâce  efficace,  n'aura-t-on  pas  quelque 
sujet  d'en  conclure  que  l'on  veut  donc  que  l'on  condamne 
cette  grâce  efficace?  Mais  quand  on  condamnera  ceux  qui  ont 
mis  pour  restriction  qu'ils  recevoient  les  Constitutions  quant 
à  la  foy,  on  ne  pourra  conclure  raisonnablement  autre  chose, 
si  non  qu'on  lésa  voulu  obliger  de  les  recevoir  aussy  en  ce  qui 


220  ŒUVRES 

n'est  pas  de  foy,  ce  qui  n'engage  point  la  vérité  dans  leur 
condamnation. 

C'est  ce  qui  donne  lieu  de  remarquer  icy  la  différence 
extresme  qu'il  y  a  entre  souffrir  pour  la  vérité  de  la  part 
des  ministres  de  l'Eglise,  et  souffrir  pour  la  vérité  de  la  part 
des  ennemis  déclarez  de  l'Eglise. 

Car  les  souffrances  pour  la  vérité  qui  arrivent  de  la  part 
des  ennemis  de  l'Eglise  sont  toutes  glorieuses  et  utiles  à 
l'Eglise,  parce  qu'elles  rendent  la  vérité  pour  laquelle 
on  souffre  plus  éclatante  et  en  quelque  manière  plus  cer- 
taine ;  puis  qu'on  conclud  qu'il  faut  bien  que  cette  vérité  soit 
bien  constante  puisque  ces  personnes  se  sont  exposées  à  la 
persécution  pour  la  soustenir.  Mais  quand  on  souffre  de  la 
part  de  l'Eglise  mesme,  le  tesmoignage  qu'on  rend  par  la  souf- 
france est  souvent  plus  contraire  à  la  vérité  qu'il  ne  luy  est 
avantageux  ;  parce  qu'au  lieu  d'en  conclure  qu'il  faut  bien 
qu'une  opinion  qu'on  a  soustenue  au  péril  de  tant  de  souf- 
frances soit  véritable,  on  en  conclud  au  contraire  qu'il  faut 
qu'elle  soit  fausse,  puisque  l'Eglise  a  tant  fait  souffrir  ceux 
qui  la  soustenoient. 

Ainsi  ceux  qui  n'ont  pour  but  ou  dans  les  souffrances  ou 
dans  la  recherche  de  leur  seureté  que  l'avantage  de  la  vérité 
ne  doivent  pas  garder  la  mesme  conduite  en  des  rencontres 
si  différentes. 

Quand  il  s'agit  de  deffendre  la  vérité  contre  les  ennemis  de 
l'Eglise,  ils  ont  toute  liberté  de  le  faire  avec  force  sans 
appréhender  les  persécutions  ;  parce  que  ces  persécutions  ne 
sçauroient  qu'estre  utiles  à  la  vérité  ;  mais  quand  il  s'agit  de 
la  défendre  contre  les  ministres  de  l'Eglise,  l'interest  mesme  de 
la  vérité  les  oblige  de  prendre  une  conduite  plus  tempérée, 
de  peur  que  se  faisant  condamner,  leur  condamnation  ne 
retombe  sur  la  vérité  qu'ils  soustiennent,  et  ils  ne  doivent  pas 
éviter  de  couvrir  leur  générosité  d'une  apparence  de  timidité, 
si  cette  timidité  est  en  effet  utile  à  la  vérité,  en  prenant  pour 
devise  cette  parole  de  S.  Paul,  cum  infirmor,  tune  polens  sum  : 
au  lieu  qu'en  suivant  impétueusement  les  mouvemens  de  son 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  221 

esprit,  on  s'engage  quelques  fois  en  des  maux  infructueux 
pour  ceux  qui  les  souffrent  et  préjudiciables  à  la  vérité, 
pour  laquelle  on  s'imagine  de  les  souffrir. 


II 

Arnauld.  —  (Analyse  de  récrit  intitulé)  :  Si  on  a  droit  de 
supposer  que  les  mots  de  sens  de  Jansenius  dans  la  Bulle  d'A- 
lexandre VIL  signifient  plus  naturellement  la  grâce  efficace  que 
toute  autre  chose  ;  de  sorte  que  ce  soit  donner  un  juste  soupçon 
qu'on  la  condamne,  que  de  souscrire  à  cette  Bulle  sans  l'excepter, 
quand  mesme  on  diroit  qu'on  ne  la  souscrit  que  quant  à  la  foy  l. 

«  Il  y  a  des  personnes  de  fort  bon  esprit  qui  se  le  sont  ima- 
giné sur  des  raisons  qu'ils  estiment  très  solides,  mais  que  je 
crois  n'estre  que  de  purs  sophismes. 

«  Je  ne  proposeray  point  ces  raisons,  de  peur  qu'ils  ne  se 
plaignent  qu'on  ne  les  représente  pas  dans  toute  leur  force; 
mais  je  me  contenteray  d'establir  des  maximes  qui  feront  voir, 
si  je  ne  me  trompe,  très  évidemment,  que  tous  les  argumens 
qu'on  peut  faire  pour  appuyer  cette  prétention  ne  sçauroient 
estre  que  sophistiques. 

«  Et  comme  il  ne  s'agit  icy  que  de  la  sincérité  d'une  signa- 
ture, qui  dépend  de  la  signification  des  termes  de  l'acte  que 
l'on  souscrit,  il  ne  faut  pas  s'estonner  si  pour  débrouiller  cette 
matière,  qui  est  assez  embarrassée,  j'établis  avant  toutes 
choses  des  règles  certaines  pour  juger  de  la  véritable  signifi- 
cation des  mots.  » 


i.  La  copie  de  cet  écrit  d' Arnauld  se  trouve  dans  le  ms.  i4o  de  la 
bibliothèque  de  Glermont-Ferrand,  p.  n.  —  Il  a  été  publié  en  1696 
par  Quesnel  dans  la  Tradition  de  l'Éylise  Romaine  sur  la  grâce,  et 
réimprimé  dans  la  grande  édition  d' Arnauld  de  Paris-Lausanne, T.  XXII, 
p.  735.  En  tête  du  manuscrit  se  trouve  cette  note  d'Arnauld  :  «  On 
prétend  qu'il  n'y  a  que  le  deffaut  d'attention  qui  puisse  empêcher 
un  esprit  raisonnable  de  se  rendre  à  ces  raisons.  » 


222  ŒUVRES 

Première  maxime. 

«  Les  mots  généraux  ne  signifient  proprement  et  litteralle- 
ment  que  les  idées  générales  des  choses,  et  n'en  peuvent  signi- 
fier de  plus  distincte  et  plus  particulière,  qu'estant  détermi- 
nez ou  par  d'autres  mots,  ou  par  la  suite  du  discours,  ou  par 
d'autres  circonstances.  » 

(Ainsi  les  mots  de  sens  de  Jansênius  tout  seuls  ne  peuvent 
marquer  que  la  doctrine  de  Jansênius  en  général  ' .) 

Seconde  maxime. 

«  Si  [un  homme]  voit  clairement  que  l'attribut  [d'une 

proposition]  ne  peut  convenir  au  sujet  pris  generallement,  il 
est  impossible  qu'il  fasse  cette  proposition  en  laissant  ce  sujet 
dans  son  idée  generalle  ;  mais  il  faut  nécessairement  qu'il  ter- 
mine dans  son  esprit  cette  idée  generalle  à  une  idée  plus  dis- 
tincte et  plus  particulière,  qui  le  rende  capable  de  cet  attri- 
but, soit  qu'il  marque  cette  nouvelle  idée  par  d'autres  mots, 
soit  qu'il  ne  la  marque  pas.  » 

(C'est  ainsi  que  dans  cette  proposition  :  le  sens  de  Jansênius 
est  hérétique,  les  mots  sens  de  Jansênius  sont  nécessairement, 
dans  la  pensée  de  celui  qui  parle,  déterminés  et  liés  à  une 
idée  distincte  et  particulière  de  quelque  dogme.) 

Troisième  maxime. 

«  La  détermination  d'une  idée  générale  à  une  idée  plus 
distincte  se  peut  former  en  deux  manières  :  ou  par  une  con- 
noissance  claire  de  cette  idée  distincte,  ou  par  une  connois- 
sance  confuse.  » 

(Ainsi  cette  proposition  :  le  sens  de  Jansênius  est  hérétique, 
ne  peut  pas  ne  pas  être  déterminée  ;  elle  peut  l'être  par  ceux 
qui  n'en  jugent  que  par  déférence  aux  lumières  des  autres 

i.  Voir  la  Logique  de  Port-Royal,  première  édition,  1662,  part. 
I,  chap.  vu  :  Des  termes  complexes,  et  de  leur  universalité  ou  parti- 
cularité. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  223 

avec  cette  signification  :  Il  y  a  un  dogme  particulier  que  je  ne 
connais  point  et  que  le  Pape  connaît,  qui  a  été  enseigné  par  Jan- 
sénius  et  qui  est  hérétique.  Elle  peut  l'être  aussi,  par  ceux  qui 
jugent  par  leur  propre  lumière  avec  cette  signification  :  un 
tel  dogme  qui  a  été  enseigné  par  Jansénius  est  hérétique,  et 
voilà  nécessairement  comment  l'ont  comprise  le  pape  et  ses 
officiers  qui  l'ont  dressée.) 

Quatrième  maxime. 

«  Dans  toutes  les  propositions  où  on  attribue  à  un  terme 
gênerai  ce  qu'on  sçait  bien  ne  luy  convenir  pas  généralement, 
ce  terme  gênerai  estant  alors  déterminé  par  une  idée  distincte, 
se  doit  résoudre  en  deux  termes:  l'un  conceu  et  non  exprimé, 
qui  marque  cette  idée  distincte  ;  l'autre  exprimé,  qui  marque 
cette  idée  générale,  en  tant  qu'elle  comprend,  ou  qu'elle  est 
jugée  comprendre  cette  idée  distincte.  Et  de  là  il  s'ensuit,  que 
ces  propositions  sont  de  celles  qu'on  peut  appeller  complexes, 
au  moins  dans  le  sens,  dont  le  sujet  enferme  une  proposition 
incidente1.  » 

(Ainsi  quand  le  pape  dit:  Le  sens  de  Jansénius  est  hérétique, 
cela  veut  dire  nécessairement  :  Un  certain  dogme  en  particu- 
lier, lequel  a  été  enseigné  par  Jansénius,  est  hérétique.) 

Cinquième  maxime. 

(Toute  proposition  de  cette  sorte  :  Le  sens  d'un  tel  auteur  est 
hérétique,  contient  deux  propositions  :  l'une  qui  est  enfermée 
dans  le  sujet,  par  laquelle  l'idée  générale  du  sujet  est  affir- 
mée de  l'idée  distincte,  c'est-à-dire  d'un  tel  dogme  en  parti- 
culier ;  l'autre  qui  affirme  de  cette  idée  distincte  qu'elle  est 
hérétique.  La  dernière  seule  appartient  à  la  foi  et  contient 
un  droit  ;  la  première  contient  un  fait,  sans  nécessaire- 
ment contenir  une   question   de  fait,   car  ce  fait  peut  être 

i.  Cf.  la  Logique  de  Port-Royal,  part.  II,  chap.  iv  :  De  la 
nature  des  propositions  incidentes,  qui  font  partie  des  propositions  com- 
plexes. 


224  ŒUVRES 


indiscutable.  Ainsi  cette  proposition  :  la  doctrine  d'Arius 
est  hérétique,  veut  dire  :  La  doctrine  qui  nie  la  consubslantia- 
lité  du  Verbe,  doctrine  qu'Arius  a  enseignée,  est  hérétique,  ce 
qui  enferme  deux  propositions.) 


UXIEME    MAXIME. 


(De  ce  qui  précède,  il  resuite  que)  «  quiconque  dit  qu'il  ne 
reçoit  ces  sortes  de  propositions:  Le  sens  d'un  tel  Auteur  est 
hérétique  que  quant  au  dogme  et  quant  à  la  foy,  tesmoigne 
assez  par  là  qu'il  ne  s'engage  point  à  croire  le  fait  qui  y  est 
enfermé.  » 

Septième  maxime. 

a  Lors  qu'un  mot  gênerai  est  pris  pour  une  idée  distincte 
et  particulière,  la  signification  de  ce  mot  pris  pour  cette  idée 
particulière,  ne  dépend  point  de  la  vérité  des  choses  comme 
vérité  ;  mais  de  l'opinion  des  hommes,  ou  particulière  quand 
c  est  un  seul  homme  qui  détermine  cette  idée  générale,  ou 
publique  si  plusieurs  autres  se  sont  accordés  à  la  déterminer 
de  la  mesme  sorte.  » 

(Ainsi  l'expression  de  Prince  des  Philosophes  désigne 
Aristote,  même  pour  ceux  qui  considèrent  Descartes  comme 
le  plus  excellent  de  tous  *.) 

«  Mais  quand  c'est  la  première  fois  qu'un  mot  gênerai  a 
esté  déterminé  à  une  idée  distincte,  ce  qui  le  détermine  alors 
ne  peut  estre  autre  chose  que  l'opinion  de  celuy  qui  le  déter- 
mine, et  non  la  vérité  de  ce  que  cette  idée  générale  com- 
prend, ou  ne  comprend  pas.  » 

(Il  en  est  ainsi  de  l'expression  sens  de  Jansénius  qui  ne 
peut  être  déterminée  que  par  l'opinion  du  pape.  Or  on  a  des 
preuves  très  fortes  que  le  pape  n'a  pas  entendu  par  ces  mots  la 
grâce  efficace.) 

i.  Dans  la  Logique  de  Port-Royal,  part.  II,  chap.  vin  (De  la 
jausseté  qui  se  peut  trouver  dans  les  termes  complexes,  et  dans  les  pro- 
positions incidentes,  p.  i49),  le  même  exemple  est  repris;  mais 
c'est  Gassendi  qui  est  mis  en  parallèle  avec  Aristote. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  225 


D 


IXIEME    MAXIME 


ou  la  Première  des  générales,  qui  servent  de  fondement 
aux  précédentes. 

...  «  La  signification  des  mots  ne  dépend  point  de  la  vérité 
des  choses,  mais  de  l'opinion  des  hommes  :  de  sorte  qu'on  est 
en  danger  de  faire  beaucoup  de  sophismes,  lors  qu'on  argu- 
mente de  la  vérité  des  choses  à  la  signification  des  mots,  en  pré- 
tendant que  la  dernière  doit  estre  conforme  à  la  première.  » 

(Arnauld  donne  quelques  exemples  des  sophismes  que  l'on 
pourrait  faire  ainsi.) 

Onzième   maxime 
ou  Seconde  des  générales. 

«  L'imposition  des  noms  est  publique  ou  particulière,  et 
comme  la  signification  des  mots  dépend  de  l'opinion  publi- 
que, quand  l'imposition  en  a  esté  publique;  ainsi  elle  dépend 
de  l'opinion  particulière,  quand  l'imposition  en  a  esté  parti- 
culière   et  cette  imposition  particulière  est  plus  commune 

qu'on  ne  pense.  » 

(Les  géomètres  indiquent  par  leurs  définitions  l'idée 
qu'ils  joignent  aux  mots  ;  mais  dans  d'autres  circonstances  on 
ne  peut  souvent  connaître  cette  idée  que  par  la  suite  du  dis- 
cours. Arnauld  cite  l'exemple  d'un  grand  seigneur  qui  di- 
sait :  Le  cardinal  Mazarin  a  ici  ses  hémisphères  au  lieu 
d'émissaires. 

De  là  on  peut  tirer  quatre  règles)  : 

«  i°  Quand  on  est  suffisamment  averty  que  celuy  qui  parle 
ne  donne  pas  à  un  mot  sa  signification  ordinaire,  mais  une 
particulière,  on  doit  juger  de  la  vérité,  et  de  la  fausseté  de 
son  discours,  non  par  la  signification  ordinaire  de  ce  mot, 
mais  par  sa  signification  particulière 

«  2°  Si  on  est  suffisamment  averty  que  celuy  qui  parle  ne 
prend  pas  les  mots  dans  leur  signification  ordinaire,  et  que 
neantmoins  on  nesçache  pas  quelle  est  la  signification  parti- 
culière qu'il  leur  donne,  il  ne  faut  pas  pour  cela  les  vouloir 
2e  série.  VII  i5 


226  ŒUVRES 

entendre  dans  la  signification  ordinaire  ;  mais  avouer  qu'on 
ne  sçait  pas  ce  qu'il  a  voulu  dire. 

«  3°  Que  s'il  nous  est  important  desçavoirle  sens  des  mots 
de  cet  homme,  nous  ne  le  pouvons  rechercher,  qu'en  devi- 
nant sa  pensée 

«  4°  Si  dans  cette  recherche  il  se  trouve  une  chose  que 
celuy  qui  parle  n'a  point  eu  certainement  dans  l'esprit,  nous 
devons  estre  certains  que  ce  n'est  point  ce  que  ces  termes  signi- 
fient, quoique  nous  ne  sçussions  pas  encore  ce  qu'ils  signifient 
en  particulier. 

«  L'application  de  ces  règles  au  sujet  présent  se  fera  mieux 
en  repondant  à  quelques  difficultés  que  peuvent  faire  ceux 
pour  qui  cet  écrit  a  esté  fait.  ».... 

Réponse  à  quelques  difficultés. 

i°  «  On  dira  peut-estre  :  Mais  si  c'est  de  l'opinion  du 
Pape,  et  non  de  ce  que  Jansenius  a  enseigné  en  effet,  que 
dépend  la  signification  des  mots  de  sens  de  Jansenius  dans  la 
Bulle  du  Pape,  d'où  pourray-je  connoistre  ce  que  le  Pape  en 
a  crû,  puisqu'il  ne  me  le  tesmoignepas,  et  qu'il  me  dit  seule- 
ment que  le  sens  de  Jansenius  est  hérétique,  sans  s'expliquer 
davantage  ? 

«  Je  reponds  que  cela  vous  donne  plus  de  droit  de  vous 
plaindre  du  Pape,  de  ce  qu'il  a  parlé  trop  obscurément  dans 
sa  Bulle,  et  non  pas  de  remettre  en  doute  des  choses  aussi 
constantes  que  sont  celles  qui  sont  establies  par  ces  maximes, 
et  qui  comprennent  tous  les  fondemens  de  la  parole.  » 

(Arnauld  répond  qu'on  peut,  par  la  voie  positive,  voir  ce 
que  le  pape  a  voulu  condamner  et  il  ajoute  :) 

cr  Cette  voye  est  très  bonne  et  très  raisonnable,  mais 
à  cause  de  l'ambiguïté  des  Propositions,  elle  n'est  pas  si 
seure  que  la  négative,  quoy  qu'elle  suffise,  au  moins  à 
l'égard  de  beaucoup  de  propositions,  pour  montrer  que 
ce  que  le  pape  a  entendu  sous  le  mot  de  sens  de  Janse- 
nius, n'est  pas  le  vray  sens  de  Jansenius  ;  parce  que  le  vray 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  227 

sens  de  Jansenius  n'est  point  conforme  à  celuy  des  Proposi- 
tions, puisque  Jansenius  enseigne  formellement  le  contraire, 
surtout  de  la  2e,  de  la  3e  et  de  la  4e-  » 

(Par  la  voie  négative,  on  voit  clairement,  d'après  de  nom- 
breux faits  non  discutés,  que  le  pape  n'a  pas  voulu  por- 
ter atteinte  à  la  grâce  efficace  en  condamnant  le  sens  de 
Jansenius  «  encore  que  [la  grâce  efficace]  puisse  estre  ce  que 
M.  d'Ypre  a  effectivement  et  uniquement  enseigné  ».) 

Seconde  difficulté. 

«   —  Pourquoy,  dit-on,  ne  se  pourra-t-il  pas  faire que 

le  Pape  n'ait  pas  en  effet  voulu  condamner  la  grâce  efficace, 
et  que  neantmoins  il  l'ait  condamnée  par  ignorance,  en  con- 
damnant la  doctrine  de  M.  d'Ypre,  qui  n'est  en  effet  que 
la  grâce  efficace.   » 

(Arnauld  répond  que,  des  maximes  établies  au  début  de  son 
écrit,  il  résulte  qu'on  ne  peut  en  aucune  façon  avoir  la  volonté 
d'approuver  un  dogme  et  néanmoins  le  condamner.) 

Troisième  difficulté. 

«  Si  cela  est,  dira-t'on,  pourquoy  donc  a-t'on  tant  crié  et 
dit  tant  de  fois  que  les  Jésuites  abuseroient  de  cette  Bulle 
pour  faire  condamner  la  grâce  efficace,  en  disant  que  c'est 
tout  ce  que  Jansenius  a  enseigné,  et  que  ce  que  Jansenius  a 
enseigné  a  esté  condamné  par  toute  l'Eglise.  » 

(Arnauld  répond  que  cette  crainte  a  été  et  est  encore  très 
légitime,  mais  cela  n'empêche  pas  le  raisonnement  des  Jé- 
suites d'être  un  pur  sophisme,  et  il  conclut  ainsi  tout  son  écrit  :) 

«  Voilà  ce  qui  a  fait  craindre  avec  sujet  que  les  Jésuites  ne 
se  serviroient  de  ce  sophisme,  pour  faire  condamner  la  grâce 
efficace  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  sophisme  pour  cela,  comme 
on  espère  que  ceux  qui  l'ont  jugé  solide  le  reconnoistront  par 
cet  écrit  :  de  sorte  que  c'est  icy  l'un  des  exemples  du  monde 
le  plus  propre  à  leur  faire  voir  que  la  vraye  Logique  n'est  pas 
si  inutile  qu'ils  se  l'imaginent;  puisqu'elle  lesauroit  empeschez 
d'estre  éblouis  par  des  raisons  sophistiques,  qui  les  ont  portez 


228  ŒUVRES 

ensuite  à  deux  maux  considérables.  L'un  de  condamner  trop 
facilement  de  lascheté  et  de  prévarication  ceux  qu'ils  dévoient 
croire  n'avoir  pas  moins  de  zèle  qu'eux  pour  la  vérité  ;  mais 
qui  prétendent  avoir  eu  plus  de  lumières  en  cette  rencontre, 
pour  discerner  ce  qui  la  blesse  de  ce  qui  ne  la  blesse  pas. 
L'autre,  de  faire  cette  injure  à  toute  l'Eglise,  que  de  vou- 
loir que,  hors  quatre  ou  cinq  personnes,  elle  soit  toute  enga- 
gée, si  non  dans  la  créance,  au  moins  dans  la  profession  exté- 
rieure et  publique  de  la  condamnation  de  la  grâce  efficace, 
c'est-à-dire  de  l'erreur  et  de  l'heresie,  ce  qui  est  seulement 
horrible  à  penser,  et  qui  engageroit  plus  que  toutes  choses 
les  fidelles  à  croire  que  cette  grâce  est  vrayement  hérétique. 
«  Je  scay  bien  qu'on  pourra  répondre  que  c'est  au  contraire 
icy  une  occasion  à  faire  voir  que  la  Logique  gaste  le  jugement  ; 
mais  il  y  aura  cette  différence  entre  cette  réponse,  et  ce  qu'on 
a  dit,  que  l'on  n'a  avancé  que  la  Logique  estoit  utile,  qu'après 
l'avoir  fait  voir  par  tout  cet  escrit,  au  lieu  que  l'on  ne  dira 
jamais  qu'en  l'air,  qu'elle  est  préjudiciable  en  cette  occasion, 
à  moins  qu'on  ne  prenne  la  peine  de  marquer  en  particulier 
sur  chaque  raison  de  cet  escrit,  en  quoy  on  prétend  que  l'on 
s'est  trompé.  On  avoue  que  l'on  ne  le  voit  pas,  et  il  est  cer- 
tain au  moins  que  jamais  on  ne  se  trompa  de  meilleure  foy  ; 
puisqu'on  n'a  pas  le  moindre  doute  que  tout  ce  que  l'on  a 
dit  icy,  ne  soit  très  certain  et  très  véritable.  » 

III 

Domat.  —  Raisons  qui  empeschent  que  je  ne  me  rende  à 
Vescrit  intitulé  «  Si  on  a  droit  de  supposer,  etc.  »*. 

Sur  la  première  maxime  de  cet  escrit. 

Je  demeure  d'accord  que  ces  mots  seuls  :  le  sens  de  Janse- 
nius,    sans  autre    addition    expresse    ou    sous-entenduë,  ne 

I.  Bibliothèque  municipale  de  Clermont-Ferrand,  ms.  i£o, 
p.  a3.  Cette  réponse  à  l'ouvrage  d'Arnauld  a  été  composée  par  Domat 
et  approuvée  par  Pascal. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  229 

signifient  et  ne  marquent  aucune  doctrine  en  particulier, 
mais  je  prétends  de  faire  voir  par  la  suite,  que  pour 
déterminer  cette  proposition,  il  n'est  pas  nécessaire  de 
spécifier  aucune  doctrine  en  particulier  et  qu'il  suffit  de 
marquer  un  endroit  de  Jansenius  ou  une  matière  qu'il  ait 
traitée. 

Sur  la  deuxième  maxime  de  Vescrit. 

Je  fais  la  mesme  remarque  sur  cette  deuxième  maxime  que 
sur  la  première  et,  quoy  que  l'une  ny  l'autre  ne  soit  pas  déci- 
sive du  différent,  je  crois  qu'il  est  nécessaire  d'observer  sur 
celle-ci  qu'il  est  vray  que  le  sens  d'aucun  autheur  n'est  essen- 
tiellement hérétique,  ny  mesme  catholique  hors  des  autheurs 
canoniques,  mais  que  cela  n'empesche  pas  qu'on  ne  puisse 
faire  hypothèse  d'un  autheur  mort  qui  n'auroit  enseigné  que 
quelques  propositions,  qui  toutes,  seroient  hérétiques,  et 
que  dans  cette  hypothèse  on  ne  puisse  dire  avec  vérité  : 
Le  sens,  et  mesme  tout  sens  d'un  tel  autheur  est  hérétique, 
comme  on  peut  aussi  dire  avec  vérité  et  dans  une  hypothèse 
réelle  :  Tout  sens  de  saint  Thomas,  tout  sens  de  saint  Bernard 
est  catholique,  quoy  que  l'un  ny  l'autre  ne  le  soient  essen- 
tiellement, mais  parce  qu'ils  sont  l'un  et  l'autre  dans  la 
vérité. 

Sur  la  troisième  maxime. 

Cette  maxime  n'est  qu'une  division  de  la  manière  de  dé- 
terminer une  idée  générale  à  une  idée  plus  distincte  et  cette 
division  ne  me  semble  pas  entière.  Ainsi  je  ne  la  juge  pas 
vraye  :  car  il  y  a  une  manière  de  déterminer  très  détermi- 
nante, qui  n'enveloppe  aucune  connoissance,  et  non  pas  mesme 
aucune  veue  de  l'idée  distincte,  en  prenant  ces  mots  d'idée 
distincte  et  de  connoissance  au  sens  de  l'autheur  de  l'écrit, 
c'est-à-dire  en  prenant  l'idée  distincte  pour  l'objet  particu- 
lier ou  particularisé  pour  ainsi  dire  dans  son  individu  regardé 


230  ŒUVRES 

clairement  ou  confusément.  C'est  ainsi  que  l'autheur  entend 
ces  termes.  Il  s'en  explique  dans  l'hypothèse  dont  il  se  sert, 
car  il  veut  que,  pour  déterminer  cette  idée  générale  :  Le  sens 
de  Jansenius  est  hérétique  à  une  idée  plus  distincte,  on  appli- 
que cette  idée  générale  à  l'idée  particulière  d'un  tel  dogme 
dans  l'individu  connu  clairement  ou  confusément. 

En  prenant  donc  ces  deux  mots  d'idée  distincte,  et  de  con- 
noissance  claire  ou  confuse  au  sens  de  l'autheur,  je  dis  que  sa 
division  est  imparfaite,  car  il  y  a  une  autre  manière  de  dé- 
terminer, qui  n'a  aucune  veue  de  l'individu,  de  l'objet  parti- 
culier déterminé,  qui  est  ce  que  l'autheur  appelle  Vidée  dis- 
tincte, mais  qui  regarde  un  autre  objet  qui  est  le  déterminant 
et  qui  le  regarde  comme  tel  ;  et  cet  autre  objet  peut  estre 
appelle  Vidée  distinguante,  pour  user  de  ce  terme.  En  voicy  un 
exemple  :  Cette  proposition-cy:  La  gazette  est  fausse  est  une 
idée  générale.  La  voici  déterminée  :  La  Gazette  de  Marseille 
d'un  tel  jour  est  fausse.  Par  cette  dernière  proposition  la  pre- 
mière est  déterminée  à  une  idée  plus  distincte,  puisque  cette 
dernière  arreste  l'esprit  et  le  restreint  de  toute  l'estenduë,  du 
temps,  et  des  lieux  de  la  gazette  à  l'endroit  de  Marseille  et  à 
un  tel  jour,  et  cela  sans  doute  c'est  déterminer.  Cependant 
cette  proposition  déterminante  ne  donne  aucune  veue  de  la 
fausseté  individuelle,  qui  est  dans  cette  gazette,  non  pas 
mesme  de  la  chose  dont  il  est  parlé. 

On  pourroit  encore  donner  beaucoup  d'autres  exemples 
semblables,  celuy-là  suffit  avec  l'application  qui  en  est  faite  à 
nostre  hypothèse.  Cette  proposition  :  Le  sens  de  Jansenius  est 
hérétique,  est  une  proposition  générale  et  indéterminée;  nous 
en  sommes  d'accord,  si  rien  de  plus  n'est  joint  à  cette  propo- 
sition, mais  l'autheur  prétend  que  cette  proposition  générale 
ne  peut  estre  déterminée  que  par  l'une  ou  l'autre  des  deux 
propositions  qui  suivent  ou  leurs  équivalentes.  La  première  qui 
est  propre  à  celuy  qui  connoist  le  dogme  de  Jansenius  et  qui 
est  ainsi  :  Un  tel  dogme  de  jansenius  est  hérétique.  La  seconde 
qui  est  propre  à  celuy  qui  ne  connoist  point  le  dogme  de  Jan- 
senius et  qui  dit  ainsi  :  Il  y  a  un  dogme  de  Jansenius  que  je 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  231 

ne  connois  point  et  que  le  Pape  connoist  qui  a  esté  enseigné  par 
Jansenius  et  qui  est  hérétique.  Or  je  dis  que  cette  mesme  pro- 
position, Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique,  peut  estre  détermi- 
née par  une  autre  toute  différente  des  deux  de  l'autheur  :  et 
ce  qui  est  remarquable,  c'est  que  cette  autre  proposition  dé- 
terminante sera  commune  et  à  celuy  qui  ne  connoist  pas  et  à 
celuy  qui  connoist  la  doctrine  de  Jansenius,  ce  qui  découvre 
en  particulier  le  vice  que  je  crois  estre  dans  la  division  de  l'au- 
theur. Voicy  cette  proposition  déterminante  et  commune  à 
celuy  qui  sçait  et  à  celuy  qui  ignore.  La  doctrine  de  Janse- 
senius,  et  mesme  la  doctrine  qu'on  prend  pour  celle  de  Jansenius, 
sur  une  telle  matière,  ou  en  un  tel  endroit,  est  hérétique. 

Cette  proposition  est  déterminante  de  l'autre,  puisqu'[e//e] 
forme  une  idée  plus  distincte  et  borne  indubitablement  l'es- 
prit à  quelque  chose  de  moins  estendu,  cependant  elle  ne 
parle  nullement  du  dogme  particulier  de  Jansenius,  ny 
d'aucun  autre. 

Non  seulement  cette  proposition  est  déterminante,  mais 
elle  est  déterminante  dans  l'esprit  de  qui  que  ce  soit  qui 
l'entende,  [soit]  qu'il  sçache  ou  ne  sçache  pas  la  doctrine  de 
Jansenius,  et  soit  aussi  qu'il  ayt  ou  n'ayt  pas  aucun  dogme 
en  veuë,  ce  qui  suffit  pour  faire  voir  que  la  division  de  l'au- 
theur n'est  pas  juste. 

Non  seulement  cette  proposition  est  déterminante  de  cette 
autre  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique  dans  l'esprit  de  qui 
que  ce  soit,  mais  je  crois  pouvoir  encore  montrer  qu'elle  seule 
ou  autres  équivalentes  en  sont  déterminantes  dans  l'esprit 
encore  de  qui  que  ce  soit,  ou  de  ceux  qui  ne  connoissent  pas 
clairement  et  avec  certitude  quel  est  en  particulier  le  sens  de 
Jansenius  en  soy-mesme  et  dans  la  vérité,  ou  de  ceux  mesme 
qui  le  sçavent.  Car  dans  l'esprit  mesme  de  ceux  qui  le  sçavent, 
cette  proposition  :  Un  tel  dogme  de  Jansenius  est  hérétique  ne 
termine  celle-cy  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique  que  par  la 
liaison  nécessaire  qu'ils  font  de  ces  deux  propositions  :  Ce 
dogme  est  hérétique,  et  ce  dogme  est  dans  la  vérité  de  Jansenius 
et  il  se  trouve  dans  son  livre. 


232  OEUVRES 

Tout  cela  se  verra  plus  clairement  par  les  preuves,  mais 
auparavant  je  répète  encore  ma  thèse.  Je  prétends  prouver 
que  cette  proposition  :  Le  sens  de  Jansenias  est  hérétique  ne 
peut  jamais  estre  déterminée  par  aucune  autre  proposition, 
que  par  celle-cy,  ou  autres  semblables  et  équivalentes.  Ce 
que  dit  Jansenius  en  un  tel  endroit  ou  sur  un  tel  sujet  est  héré- 
tique, et  je  dis  qu'elle  n'est  nullement  déterminée  par  l'indi- 
cation de  quelque  dogme  particulier  que  ce  puisse  estre,  fut-il 
celuy  de  Jansenius,  si  l'indication  n'est  accompagnée  de  la 
vérité  en  soy-mesme  et  de  la  connoissance  qui  en  soit  donnée 
à  celuy  que  l'on  prétend  déterminer,  en  sorte  qu'on  luy 
fasse  voir  que  le  sens  indiqué  soit  celuy  de  Jansenius,  ou 
qu'on  le  mette  en  estât  de  le  voir  luy-mesme.  Je  prétends 
qu'à  moins  de  cela  nostre  proposition  générale  demeure 
indéterminée,  mais  qu'elle  sera  déterminée  par  l'indication 
du  livre  de  Jansenius  ou  de  la  matière  qu'il  a  traitée.  Il  est 
vray  que  je  ne  nie  pas  que  cette  proposition  :  Un  tel  dogme  est 
hérétique  ne  détermine  à  un  dogme,  mais  elle  ne  détermine 
pas  cette  proposition  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique.  C'est 
ce  que  je  prouveray. 

Il  s'ensuivra  de  ma  preuve  que  cette  proposition  du  Pape 
et  des  Evesques  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique  sur  la  ma- 
tière des  cinq  propositions  est  une  proposition  très  déterminée; 
et  en  deuxième  lieu  qu'elle  est  uniquement  déterminée  par 
le  sens  et  au  sens  véritable  de  Jansenius.  Voicy  mes  preuves  : 

Une  proposition  ne  peut  estre  bien  déterminée  que  lors 
qu'on  la  détermine  dans  le  point  ou  dans  le  terme  précis 
dans  lequel  elle  estoit  indéterminée  :  car  si  on  ne  détermine 
pas  précisément  ce  qui  estoit  indéterminé,  il  est  évident  qu'on 
le  laisse  indéterminé.  Voyons  en  quoy  est  indéterminée  cette 
proposition  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique. 

Une  proposition  peut  estre  indéterminée  ou  dans  le  sujet  ou 
dans  l'attribut  ou  dans  l'un  et  l'autre.  Par  exemple  nostre 
proposition  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique,  responduë  à  ce- 
luy qui  demanderoit  de  quelle  hérésie,  ou  de  Calvin  ou  de 
Pelage  est  accusé  le  sens  de  Jansenius,  seroit  une  proposition 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  233 

déterminée  dans  le  sujet,  et  indéterminée  dans  l'attribut.  La 
mesme  proposition  responduë  à  celuy  qui  demanderoit  ce 
qu'il  y  a  d'heretique  dans  Jansenius,  seroit  une  proposition 
déterminée  dans  l'attribut  et  indéterminée  dans  le  sujet.  Et 
la  mesme  proposition  enfin  responduë  à  celuy  qui  demande- 
roit de  quelle  sorte  d'heresie  est  accusé  Jansenius,  et  en 
quoy,  seroit  une  proposition  indéterminée  et  dans  le  sujet  et 
dans  l'attribut. 

Dans  nostre  hypothèse,  cette  mesme  proposition  qui  est  celle 
dont  il  s'agit,  est  assez  déterminée  quant  à  l'attribut;  car  nous 
ne  sommes  pas  en  peine  de  sçavoir  de  quelle  sorte  d'heresie 
Jansenius  est  accusé  :  de  Pelagianisme  ou  de  Calvinisme,  ou 
autre.  Elle  est  donc  seulement  indéterminée  dans  le  sujet,  et 
entre  nous,  et  mesme  dans  toute  l'Eglise.  Donc  pour  la  dé- 
terminer, il  en  faut  déterminer  le  sujet  :  ce  qui  est  indéter- 
miné dans  le  sujet  de  cette  proposition,  n'est  pas  le  mot  de 
Jansenius  qui  en  fait  partie  ;  ce  mot  est  dans  l'individu,  et 
ne  sçauroit  estre  plus  déterminé;  il  ne  reste  donc  que  le  mot 
de  sens  qui  se  trouve  indéterminé  ;  il  faut  voir  comment  et  en 
quoy.  Il  est  certain  qu'il  n'est  pas  indéterminé  quant  à  son 
autheur,  car  la  proposition  qui  le  détermine  est  en  si  propres 
termes  qu'elle  ne  sçauroit  estre  plus  expresse  qu'en  ces  deux 
mots  :  sens  de  Jansenius,  qui  signifient  en  bonne  grammaire, 
et  en  bonne  logique,  et  selon  la  notion  connue  :  le  sens  qui  est 
de  Jansenius. 

Tout  ce  qui  se  pourra  dire  de  ce  qui  signifie  le  mot  de  sens 
dans  cette  proposition  se  pourra  dire  de  ce  qui  est  le  sens  de 
Jansenius. 

Il  ne  peut  donc  rester,  dans  cette  proposition,  aucune  au- 
tre chose  indéterminée  que  ces  deux  mots  ensemble:  le  sens 
de  Jansenius,  qui  ne  peuvent  plus  estre  séparés  l'un  de  l'autre. 
Et  ces  deux  mots,  ou  ce  mot  de  sens  de  Jansenius  en  quoy  est  il 
indéterminé?  Est-ce,  comme  prétend  l'autheur  de  l'escrit,  en 
ce  qu'on  ne  marque  pas  un  sens,  ou  une  doctrine  particu- 
lière, un  tel  dogme?  Non  seulement  ce  n'est  pas  cela,  mais 
ce  ne  le  peut  estre,  car  quand  on  aura   marqué  un   certain 


234  OEUVRES 

dogme  et  qu'on  aura  dit  :  Un  tel  dogme  est  hérétique,  aura-t-on 
déterminé  par  là  ces  mots  icy  :  Le  sens  de  Jansenius  est  héré- 
tique ?  On  aura  bien  déterminé  le  mot  de  dogme  en  gênerai 
à  un  dogme  particulier,  mais  on  n'aura  pas  déterminé  le  sens 
de  Jansenius  en  particulier,  à  moins  qu'on  adjoute  à  cette  pro- 
position icy,  qui  est  celle  qui  semble  la  plus  déterminante  : 
Un  tel  dogme  de  Jansenius  est  hérétique,  que  l'on  suppose  que 
ce  tel  dogme  que  l'on  exprime,  soit  constament  et  dans 
l'esprit  de  celuy  qui  entend  la  proposition  et  encore  dans  la 
vérité,  un  dogme  enseigné  par  Jansenius  ;  car  puisque  la 
proposition  générale  est  déjà  déterminée  au  sens  d'un  tel  au- 
theur,  qui  est  Jansenius,  et  qu'il  faut  de  nécessité  que  la  pro- 
position déterminante  soit  comprise  dans  la  déterminée, 
comme  l'espèce  dans  le  genre,  ou  l'individu  dans  [l'espèce,  il 
faut  que]  le  prétendu  déterminant  du  sens  ou  du  dogme  de 
Jansenius,  soit  l'un  des  sens  ou  des  dogmes  de  Jansenius;  et 
cela  est  d'autant  plus  certain  en  cette  rencontre  que  le  mot  de 
sens  est  un  mot  dont  le  rapport  est  bien  plus  précis  à  estre 
d'un  tel  autheur  que  n'est  pas  le  mot  de  dogme,  doctrine,  ny 
autre  ;  parce  que  ce  mot  de  sens  enferme  dans  sa  notion,  la 
pensée  d'un  tel  sur  un  tel  sujet.  Quoy  qu'il  en  soit,  il  n'y  a 
rien  qu'un  véritable  sens  ou  une  véritable  doctrine  de  Janse- 
nius dont  on  puisse  [dire]  que  l'esprit  s'y  puisse  et  arrester  et 
déterminer,  le  connoissant  tel,  lorsqu'il  cherche  non  quelque 
sens  et  quelque  doctrine,  mais  un  sens  et  une  doctrine  de 
Jansenius. 

Je  veux  bien  demeurer  d'accord  qu'à  la  vérité  cette  propo- 
sition :  Un  tel  dogme  de  Jansenius  est  hérétique,  détermine 
l'esprit  à  quelque  chose,  mais  je  soutiens  qu'elle  ne  le  déter- 
mine pas  en  ce  qu'il  y  a  précisément  d'indéterminé  dans 
nostre  proposition  générale  :  Le  sens  de  Jansenius  est  héré- 
tique :  car,  après  ce  que  je  viens  d'observer,  l'indétermination, 
pour  ainsi  dire,  qui  est  dans  cette  proposition  générale,  ne 
consiste  plus  qu'en  ce  que  Jansenius  a  plusieurs  sens,  et  pour 
le  déterminer,  il  faut  marquer  précisément,  non  un  certain 
dogme  que  l'on  attribue  à  Jansenius,  mais  un  certain  sens, 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  235 

c'est-à-dire  sa  pensée  sur  un  tel  sujet,  sur  une  telle  proposi- 
tion que  l'on  indique  dans  la  multitude  de  celles  qui  sont 
dans  son  livre,  et  c'est  ce  qu'a  fait  ma  proposition  détermi- 
nante ;  car  je  suis  dans  une  certitude  infaillible,  qu'elle  me 
restreint  à  un  véritable  dogme  et  à  un  véritable  sens  de  Jan- 
senius,  puisqu'elle  m'indique,  non  un  tel  sens  qu'elle  me 
propose,  qui  pourroit  n'estre  pas  de  Jansenius,  mais  le  sens 
propre  de  Jansenius  qui  ne  peut  pas  n'estre  pas  de  luy. 

Mais  pour  mieux  entendre  cecy,  il  faut  remarquer  la  diffé- 
rence de  ces  deux  mots  de  serin,  et  de  dogme  et  que,  quand  on 
dit  qu'il  y  a  plusieurs  sens  dans  Jansenius,  ce  n'est  pas  de 
mesmeque  quand  on  dit  qu'il  y  a  plusieurs  dogmes.  Car  Jan- 
senius peut  bien  avoir  plusieurs  dogmes  sur  une  mesme  pro- 
position ;  mais  il  n'y  peut  avoir  plusieurs  sens.  Par  exemple 
sur  cette  proposition  :  Dans  Vestat  de  la  nature  corrompue,  on 
ne  résiste  jamais  à  la  grâce,  Jansenius  n'a  qu'un  seul  sens  qui 
est  que  toutes  les  grâces  intérieures  qui  sont  données  à 
l'homme  après  le  péché  d'Adam  produisent  infailliblement 
l'effet  pour  lequel  Dieu  les  donne,  quoy  que  toutes  ne  sur- 
montent pas  toute  la  résistance  de  la  volonté,  Dieu  ne  les 
donnant  pas  pour  cela.  Et  sur  cette  mesme  proposition,  Janse- 
nius a  plusieurs  dogmes  ;  un  dogme  de  la  toute-puissance  de  Dieu 
sur  la  volonté  ;  un  dogme  de  la  nécessité  de  cette  grâce,  à 
cause  de  la  foiblesse  de  la  volonté,  un  dogme  de  la  nature  de 
la  grâce  intérieure,  et  médicinale,  un  dogme  de  la  différence 
de  cette  grâce  d'avec  l'extérieure,  un  dogme  de  la  concupis- 
cence. 

Cette  remarque  confirme  en  passant  ce  que  j'ay  dit  de  la 
différence  de  ces  deux  mots  de  sens  et  de  dogme,  mais  elle 
sert  aussi  pour  faire  voir  que  quand  on  dit  :  Le  sens  de  Jan- 
senius est  hérétique,  cela  ne  s'entend  pas  de  l'un  de  plusieurs 
sens  que  Jansenius  pourroit  avoir  sur  une  mesme  proposition, 
comme  quand  on  dit  :  Le  dogme  de  Jansenius  est  hérétique, 
cela  se  peut  entendre  de  l'un  de  plusieurs  dogmes  que  Janse- 
nius peut  avoir  sur  une  mesme  proposition  ;  mais  que  cela 
s'entend  par  nécessité  d'un  sens  unique  sur  une  certaine  pro- 


236  OEUVRES 

position  ou  une  certaine  matière  qui  peut  bien  estre  meslée 
dans  le  grand  nombre  de  plusieurs  propositions  ou  de  plu- 
sieurs matières  de  Jansenius,  mais  qui  n'est  qu'une.  D'où  il 
s'ensuit  que,  si  le  Pape  dit  :  Le  dogme  de  Jansenius  sur  la  troi- 
sième proposition  est  hérétique,  on  pourroit  prétendre  que  cela 
ne  seroit  pas  assez  déterminé,  parce  qu'il  y  a,  comme  j'ay  fait 
voir,  plusieurs  dogmes  de  Jansenius  sur  cette  troisième  pro- 
position, mais  quand  il  a  dit  que  le  sens  de  Jansenius  sur  la 
troisième  proposition  est  hérétique,  il  a  déterminé  ce  qu'il  con- 
damnoit  jusqu'au  dernier  point  dans  l'individu,  puisque  Jan- 
senius n'a  et  ne  peut  avoir  qu'un  sens  unique  sur  cette  troi- 
sième proposition.  Et  pour  confirmer  encore  ce  raisonnement, 
il  faut  considérer  que  l'esprit  cherche  naturellement  à  se 
déterminer  sur  ce  qui  luy  paroist  indéterminé.  Il  en  cherche 
luy-mesme  d'abord  le  point  déterminant.  Ainsi,  pour  sçavoir 
ce  qu'il  y  a  d'indéterminé  dans  ces  paroles  seules  et  détachées 
de  toute  autre  proposition,  et  de  tout  discours  :  Le  sens  de 
Jansenius  est  hérétique,  il  ne  faut  que  voir  ce  que  l'esprit  de- 
mande naturellement,  et  quelle  question  il  formera  d'abord 
sur  cette  proposition,  or  il  est  sans  doute  que  si  l'on  dit  sim- 
plement à  quelqu'un  :  le  sens  de  Jansenius  est  hérétique, 
il  ne  demandera  point  quel  dogme  de  Jansenius  est  héréti- 
que, et  on  ne  le  satisferoit  nullement  en  luy  assignant  un  cer- 
tain dogme  particulier,  mais  il  demandera  sur  quoy  le  sens 
de  Jansenius  est  hérétique,  sur  quelle  matière,  sur  quel  su- 
jet, sur  quelle  proposition,  et  la  seule  manière  de  luy  satis- 
faire est  de  luy  repondre  :  Sur  une  telle  proposition  en  un  tel 
endroit  :  car  alors  il  ne  demandera  plus  en  quoy  le  sens  de 
Jansenius  est  hérétique,  pourveu  qu'il  ait  la  liberté  de  voir  le 
livre  :  car,  sçachant  que  le  sens  de  Jansenius  est  hérétique 
dans  ce  livre,  il  luy  suffit  de  sçavoir  sur  quelle  matière  il  est 
hérétique,  ou  en  quel  endroit,  puisqu'alors  il  verra  par  soy- 
mesme  et  trouvera  par  sa  lecture  cet  unique  sens  qui  est  héré- 
tique et  déterminé,  et  il  se  rendra  luy-mesme  le  juge  avec 
une  détermination  bien  plus  grande  que  si,  pour  détermi- 
ner ce  sens  de  Jansenius,   on   luy  avoit  assigné  un  certain 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  237 

dogme  qu'on  attribuast  à  Jansenius,  sans  luy  donner  ce  livre 
de  Jansenius.  Car  alors  il  ne  pourroit  juger  de  ce  dogme,  si 
ce  seroit  un  sens  de  Jansenius,  qu'en  le  rapportant  aux  paro- 
les et  aux  propres  termes  de  Jansenius,  puisque  le  mot  de 
sens  enferme  dans  sa  notion,  non  seulement  telle  pensée  d'un 
tel  auteur  en  gênerai,  mais  sa  pensée  sur  un  tel  sujet,  sur 
une  telle  proposition  dont  il  a  parlé. 

Il  s'ensuit  donc  de  la  différence  de  ces  deux  mots  de  sens 
et  de  dogme  que  cette  proposition  :  Un  tel  dogme  de  Jansenius 
est  hérétique,  laquelle  l'autheur  prétend  estre  déterminante  de 
nostre  proposition  générale,  ne  l'est  point  du  tout  dans  la 
vérité  ;  car  le  mot  de  dogme  est  un  mot  qui  n'est  pas  uni- 
voque  deceluy  de  sens.  Ny  tout  sens  n'est  pas  dogme,  ny  tout 
dogme  n'est  pas  sens.  Ainsi  il  est  certain  que,  quand  on  assi- 
gne un  dogme  de  Jansenius,  on  n'indique  pas  pour  cela  un 
sens  de  Jansenius,  et  de  mesme  quand  on  indique  un  sens 
de  Jansenius,  on  n'indique  pas  pour  cela  un  dogme.  Car  on 
pourra,  par  exemple,  indiquer  le  sens  de  Jansenius  sur  une 
définition  ou  sur  une  hypothèse  qu'il  prendroit,  ce  qui  ne  seroit 
pas  un  dogme,  et  par  conséquent  cette  proposition  :  Un  tel 
dogme  de  Jansenius  est  hérétique  ne  détermine  point  du  tout 
nostre  proposition  générale  et  ne  la  détermine  non  plus  que 
cette  proposition  icy  :  Une  telle  hypothèse  que  fait  Jansenius  est 
fausse,  ou  celle-cy  :  Le  sens  de  Jansenius  sur  une  telle  hypothèse 
est  faux,  détermine  cette  autre  :  Les  dogmes  ou  les  maximes 
de  Jansenius  sont  fausses,  ou  mesmes  celle-cy  :  Le  dogme  de 
Jansenius  est  faux. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  je  me  suis  un  peu  étendu  sur 
la  différence  de  ces  deux  mots  de  sens  et  de  dogme,  d'où  je 
pourrois  bien  encore  tirer  d'autres  conséquences  sur  nostre 
sujet.  Car  encore  qu'on  dira  peut  estre  que  c'est  subtiliser  sur 
les  mots,  il  est  certain  qu'il  est  d'une  extresme  importance  en 
cette  rencontre  de  bien  prendre  la  signification  propre  des 
mots  des  bulles  et  des  formulaires.  Ce  sont  des  définitions  de 
foy,  des  condamnations  de  doctrine:  il  faut  donc  bien  voir  et 
bien  examiner  et  leurs  bornes  et  leur  étendue.  Ainsi  il  est 


238  ŒUVRES 

de  la  dernière  importance  d'y  prendre  chaque  mot  en  parti- 
culier dans  son  sens  propre,  naturel  et  littéral  ;  cecy  pourroit 
s'étendre  et  s'appliquer,  mais  les  personnes  à  qui  je  parle 
verront  bien  jusques  où  cela  va  et  que,  quand  le  Pape  a  dit 
qu'il  condamnoit  le  sens  de  Jansenius,  il  faut  de  nécessité 
qu'il  ait  condamné  son  vray  sens,  ou  qu'il  n'ait  rien  fait  si  ce 
mot  de  sens  est  pris  comme  il  faut  le  prendre,  selon  ce  que 
j'en  ay  marqué,  c'est-à-dire  selon  la  notion  universelle  de  tout 
le  monde. 

Je  voudrois   bien  icy  demander  à  ces  Messieurs   en  quoy 
consiste  la  force  de  leur  argument  qui  estoit  à  la  vérité  très 
touchant  quand  ils  disoient  dans  tous  leurs  escrits  :  «  Les  Papes 
et  les  Conciles  ont  déclaré  que  la  doctrine  de  S.  Augustin  sur 
la  grâce  et  sur  la  prédestination  estoit  catholique  ;  donc  cette 
doctrine  de  S.  Augustin,  telle  qu'elle  est  en  elle-mesme  et 
dans  ses  livres,  est  catholique  »  ;  quoy  qu'en  ce  temps  elle 
fût  aussi  diversement  et  bien  plus  odieusement  expliquée,  et 
par  plus  de  personnes  que  n'estoit  le  sens  de  Jansenius,  lorsque 
les  Papes  l'ont  condamné  ;  n'estoit-cepasen  ce  que  le  mot  de 
doctrine  de  S.  Augustin  dans  la  bouche  de  ces  Papes  et  de  ces 
Conciles,  non  seulement  ne  signifioit,  mais  ne  pouvoit  signi- 
fier autre  chose  que  la  réelle  et  véritable  doctrine  de  S.  Au- 
gustin ?  Car,  si  ce  mot  eût  pu  signifier  quelque  autre  chose, 
leur  argument  estoit  vitieux.  Qu'est-ii  donc  arrivé  depuis  à 
cet  argument,  qu'il  ne  vaille  plus  rien  aujourd'huy  ?  Car  je 
m'en  vais  le  faire  voir  très  vitieux,  selon  les  principes  mesmes 
de  ces  MM"  qui  le  faisoient,  qui  sont  les  mesmes  à  qui  je  parle. 
Je  n'ay  qu'à  leur  dire  qu'il  est  très  certain  et  démontré  par 
eux  dans  l'écrit,  que  ces  Papes  et  ces  Conciles,  lorsqu'ils  ap- 
prouvoient    la    doctrine   de    S.   Augustin,   a  voient   certains 
dogmes  en  vue,  lesquels  ils  jugeoient  catholiques,  et  attri- 
buoient  à    S.  Augustin,   sçavoir,   par  exemple,  la  grâce  de 
prière  de  M.  Le  Moine  ou  quelque  autre  dogme,  mais  non 
aucun  de  ceux  que  ces  MMrs  attribuent  aujourd'huy  à  S.  Au- 
gustin, c'est-à-dire  de   ceux  qui  sont  véritablement  de  luy. 
Par  cette  voye  je  renverseray  avec  seureté  toutes  les  décisions 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  239 

de  la  foy,  quelles  qu'elles  soient,  hors  celles  qu'on  me  fera 
voir  en  propres  termes  dans  les  autheurs  canoniques;  car  pour 
les  Papes  et  les  Conciles,  je  n'ay  qu'à  leur  mettre  un  dogme 
en  veuë  tel  qu'il  me  plaira,  partout  où  ils  n'exprimeront  point 
autrement  la  doctrine  qu'ils  approuvent,  ou  qu'ils  condamnent 
que  par  ses  autheurs.  Je  ne  m'etendray  pas  davantage  sur  cette 
raison.  Je  serois  trop  long,  je  n'en  ay  pas  le  temps  et  je  m'as- 
seure  qu'on  en  fera  de  bonne  foy  toute  l'application  entière  à 
nostre  sujet. 

Mais  auparavant  qu'on  la  fasse,  je  supplie  ces  Messieurs  de 
prendre  la  peine  de  lire  et  d'examiner  les  termes  des  Bulles 
et  du  Formulaire  en  ce  qui  regarde  Jansenius,  et  particuliè- 
rement la  Bulle  d'Alexandre  VII.  La  question  sur  laquelle 
cette  bulle  est  intervenue,  estoitde  sçavoir  :  premièrement,  si 
les  cinq  propositions  estoientde  Jansenius  ;  et,  en  second  lieu, 
si  elles  estoient  condamnées  au  sens  auquel  cet  autheurles  sou- 
tient. Il  meriteroit  une  réflexion  particulière  que  je  n'ay  pas 
le  temps  défaire.  Cet  estât  de  la  question  est  establi  en  propres 
termes  dans  la  bulle  d'Alexandre  VII.  Que  fait  le  Pape  sur 
ces  deux  questions?  Sur  la  première  il  décide,  déclare,  définit 
que  ces  cinq  propositions  ont  esté  tirées  du  livre  de  Jansenius  : 
voila  une  définition  et  une  déclaration.  Sur  la  deuxième,  il 
déclare  aussy  et  définit  qu'elles  ont  esté  condamnées  dans  le 
sens  auquel  cet  autheur  les  a  expliquées.  Voila  une  autre  dé- 
claration, et  définition.  Gela,  me  semble,  pouvoit  suffire  pour 
faire  entendre  l'intention  et  la  pensée  du  Pape,  aussi  bien  et 
beaucoup  plus  encore  que  les  approbations  d'Innocent,  de  Bo- 
niface,  d'Hormisdas  suffisoient  pour  faire  entendre  ce  qu'ils 
vouloient  dire  de  la  doctrine  de  S.  Augustin  sur  la  grâce  et 
sur  la  prédestination.  On  prendra  la  peine  d'en  faire  le  paral- 
lèle; et  on  trouvera  que  ce  Pape  s'est  bien  plus  nettement, 
plus  particulièrement  et  plus  determinement  expliqué  sur  la 
condamnation  de  Jansenius  que  n'ont  fait  les  autres  sur  l'ap- 
probation de  S.  Augustin.  Cependant  on  ne  se  contente  pas 
de  cette  explication  du  Pape.  On  fait  naistre  encore  une  nou- 
velle question,  et  l'on  a  demandé  si  le  Pape  ne  faisoit  qu'at- 


240  ŒUVRES 

tribuer  à  Jansenius  un  sens  hérétique  ou  s'il  determinoit  un 
sens  équivoque  des  cinq  propositions  au  sens  unique  de  Jan- 
senius. 

Il  me  semble  encore  une  fois  que  le  Pape  s'estoit  assez  expli- 
qué sur  cela  mesme,  mais  je  trouve  encore,  non  seulement 
dans  le  Formulaire,  mais  aussi  dans  la  Bulle  d'Alexandre,  la 
détermination  en  bien  propres  termes.  Est-il  question  de 
sçavoir  quel  est  le  sens  hérétique  des  propositions  ?  Le  Pape  a 
dit  une  fois  dans  sa  Bulle  que  c'est  celuy  que  leur  donne  Jan- 
senius. Que  faut-il  de  plus  précis  et  de  plus  exprès,  et,  selon 
mes  preuves,  de  plus  déterminant  ?  Qu'on  lise  ce  qu'a  dit 
Jansenius  sur  la  première  proposition  au  i3.  chapitre  d'un 
tel  livre,  on  trouvera  à  point  nommé  ce  que  le  Pape  a  con- 
damné dans  cette  proposition.  N'est-ce  pas  assez?  Voicy  le 
mot  de  détermination  que  l'on  demande.  Qu'on  prenne  la 
peine  de  lire  le  dernier  article  de  la  Bulle  commençant  par 
ces  mots  :  C'est  pourquoy  ;  on  y  verra  que  le  Pape  ordonne 
qu'on  fasse  observer  la  Bulle  d'Innocent  selon  sa  présente  dé- 
termination de  luy  Alexandre  VII.  et  que  l'on  chastie  etc.  les 
desobéissans  et  les  rebelles.  A  quoy  rebelles  ?  A  la  définition 
d'Innocent.  Selon  quoy?  Selon  la  détermination  d'Alexandre, 
et  c'est  cette  détermination  d'Alexandre  qu'il  a  faite,  et  qu'il 
a  dit  qu'il  faisoit,  lorsqu'il  a  non  seulement  déterminé,  mais 
qu'il  a  dit  qu'il  determinoit,  c'est  cela,  dis-je,  qui  a  fait  que 
l'Assemblée  du  Clergé,  et  dans  ses  actes,  et  encore  dans  le 
Formulaire,  a  déclaré  que  le  sens  d'Innocent  X.  estoit  déter- 
miné par  celle  d'Alexandre  VII. 

Je  ne  crois  pas  après  tout  cela  qu'il  en  faille  davantage  pour 
dire  que  la  condamnation  est  déterminée  au  sens  de  Janse- 
nius et  qu'il  n'y  a  plus  rien  au  monde  où  il  faille  chercher 
l'heresie  condamnée  que  là  ;  et  je  crois  aussy  qu'il  n'en  faut 
pas  d'avantage  pour  repondre  à  toutes  les  maximes  de  l'escrit. 
J'ajousteray  neantmoins,  mais  succinctement  et  en  passant, 
quelques  petites  reflexions  sur  le  reste  de  cette  troisième 
maxime  del'autheur  et  sur  les  autres  :  mais  auparavant  il  faut 
que  je  dise  un  mot  d'une  objection  qu'on  a  desjà  faite  et  que 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  241 

l'on  pourroit  faire  encore,  quoy  qu'elle  soit  tout-à-fait  détruite 
par  ce  que  j'ay  dit:  Le  Pape,  dit-on,  ayant  un  certain  dogme 
enveuequi  n'estoit  pas  celuy  de  Jansenius,  n'a  pas,  à  la  vérité, 
déterminé  le  sens  de  Jansenius  véritablement,  mais  il  l'a  dé- 
terminé faussement.  Gela  encore  une  fois  ne  meritoit  pas  de 
réponse  après  ce  que  j'ay  dit.  Mais  il  n'y  a  qu'à  remarquer 
qu'une  fausse  détermination  n'est  pas  une  détermination,  et 
ne  détermine  pas,  et  que  d'ailleurs  il  n'y  a  icy  aucune  fausse 
détermination  au  sens  mesme  que  l'on  l'entend  ;  car  le  Pape 
n'a  indiqué  aucun  dogme,  qu'il  ait  pris  mesme  faussement 
pour  celuy  de  Jansenius.  Ainsi  il  n'a  rien  déterminé  mesme 
faussement,  mais  il  a  déterminé  véritablement  sa  condam- 
nation au  véritable  sens  de  Jansenius. 

L'autheur  met  en  parenthèse  sur  la  fin  de  cette  troisiesme 
maxime  qu'i7  ne  sépare  jamais  la  Bulle  da  Pape  de  l'avis  de 
ceux  qui  luy  ont  servi  à  la  dresser.  Ce  terme  qu'on  prend  en 
passant,  ne  peut  estre  accordé.  La  Bulle  est  publique,  authen- 
tique, et  ne  peut  être  désavouée,  et  l'avis  de  ceux  qui  l'ont 
dressée,  est  inconnu,  sujet  à  [es/re]  desavoué,  sans authorité  et 
déclaré  apocryphe  et  condamné  par  le  Pape,  et  il  faut  encore 
remarquer  sur  ces  avis  qu'ils  sont  tous  differens  entre  eux, 
de  sorte  qu'il  faut  bien  les  séparer  de  la  Bulle  par  nécessité. 
Que  s'il  y  avoit  quelque  manière  d'expliquer  la  Bulle,  il  est 
certain  que  ce  ne  pourroit  estre  que  celuy  qui  l'a  faite  qui 
l'expliquast  ;  or  il  n'en  fait  rien,  encore  qu'il  sçache  fort  bien 
les  difficultez  qu'on  y  fait,  puisqu'il  en  est  averty  par  les 
Evesques  et  les  grands  vicaires.  Aussi  il  veut  que  tout  le  monde 
demeure  persuadé  de  la  véritable  signification  des  termes, 
dont  il  s'est  servy  selon  la  notion  commune. 


Sur  la  quatrième  maxime. 

Il  se  pourroit  faire  que  le  Pape  eût  mal  entendu  Janse- 
nius, mais  cela  n'importe.  Que  ne  disoit-il  ce  qu'il  entendoit? 
Toujours  est-il  bien  certain  qu'il  a  voulu  que  l'on  crût  qu'il 
avoit  condamné  Jansenius  et  le  vray  sens  de  cet  autheur  bien 
2e  série.  VII  16 


242  ŒUVRES 

pris,  bien  entendu,  bien  examiné  ;  car  il  ne  prétend  pas 
qu'on  juge  de  luy,  qu'il  a  voulu  condamner  le  sens  de  Janse- 
nius  bien  ou  mal  examiné.  Il  a  parlé  un  langage  que  tout  le 
monde  entend  fort  bien,  et  les  Jésuites  à  mon  sens  mieux  que 
personne.  Mais  il  se  pourroit  faire  aussy  que  le  Pape  ayt  voulu 
condamner  Jansenius,  quelque  sens  qu'il  eût  et  qu'il  n'en 
voulût  qu'à  sa  personne.  J'avoue  que  cette  hypothèse  est  fort 
dure,  et  même  je  croy  bien  que  cela  n'est  pas,  mais  cela  pour- 
roit estre,  supposant,  comme  nous  en  sommes  d'accord,  que 
le  Pape  n'est  pas  infaillible,  qu'il  n'aime  gueres  Jansenius, 
qu'il  aime  les  Jésuites,  et  que  leurs  maximes  de  morale  ne  luy 
déplaisent  pas  beaucoup.  Au  moins  est-il  bien  certain  que  le 
Pape  n'a  rien  condamné,  et  n'oblige  personne  à  rien  condam- 
ner; S'il  n'a  pas  condamné,  et  n'oblige  pas  à  condamner  le 
véritable  sens  de  Jansenius  tel  qu'il  est  dans  son  livre  et  qu'il 
y  subsistera  éternellement,  puisque  non  seulement  il  n'ex- 
plique, mais  n'indique  pas  mesme  aucune  autre  chose  à  quoy 
il  soit  possible  d'appliquer  sa  condamnation  :  car  encore  que 
l'on  puisse  demeurer  d'accoid  de  ce  que  l'autheur  conclut  dans 
cette  quatrième  maxime,  que  le  Pape  a  attribué  la  qualité 
d'heretique  à  une  certaine  doctrine  en  particulier  qu'il  a 
jugée  estre  de  Jansenius,  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'il  ait 
pensé,  ny  qu'on  ait  aucune  liberté  de  croire  qu'il  ait  pensé 
autre  doctrine  que  la  véritable  de  Jansenius  et  son  vray  sens  : 
car,  comme  il  est  vray  qu'on  feroit  un  grand  tort  aux  deux 
Papes  de  prétendre  qu'ils  n'eussent  eu  aucun  dogme  en  veùe, 
on  leur  en  fera  aussy  un  très  grand  de  prendre  la  liberté  de 
s'imaginer  qu'ils  n'auroient  pas  entendu  ny  sceu  prendre  le 
vray  sens  de  Jansenius,  après  qu'Alexandre  déclare  contre 
cette  prétention  en  termes  exprès,  que  cette  mesme  cause  a 
esté  en  vérité  examinée  avec  la  plus  grande  diligence  qu'on 
put  souhaiter. 

Que  si  l'autheur  fait  cette  hypothèse,  comme  il  faut  qu'il  la 
fasse  de  nécessité,  qu'avec  toute  cette  diligence  et  toute  cette 
exactitude  avec  laquelle  le  Pape  déclare  qu'il  a  estudié,  re- 
cherché et  examiné  le  vray  sens  de  Jansenius,  il  n'a  sceu  pren- 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  243 

dre  que  tout  le  contraire  de  son  vray  sens,  non  seulement  sur 
une  matière  et  sur  une  proposition,  mais  sur  plusieurs  et  en 
plusieurs  endroits  de  son  livre,  sans  qu'en  aucun  d'eux  il  ait  pu 
l'entendre,  ny  rencontrer  son  sens  véritable,  cette  hypothèse 
est  d'une  part  très  injurieuse  au  Pape,  mais  de  l'autre  elle 
l'est  encore  plus  à  Jansenius.  Car  on  ne  peut  supposer  qu'une 
personne  que  tout  le  monde  croit  aussy  raisonnable  qu'on  croit 
le  Pape,  n'ayt  pu  comprendre  le  vray  sens  d'un  auteur  en  une 
matière  de  théologie,  après  l'avoir  examiné  avec  toute  la  dili- 
gence et  toute  l'exactitude  possible,  quel'on  neconcluëenmesme 
temps  que  cet  autheur  n'a  sceu  luy-mesme  ce  qu'il  vouloit 
dire  et  que  la  seule  obscurité  qui  donne  lieu  à  si  mal  prendre 
sa  doctrine  dans  l'esprit  des  juges  les  plus  équitables,  suffit 
pour  en  fonder  la  condamnation  ;  et  il  y  aura  sans  comparai- 
son bien  plus  de  sujet  d'accuser  ceux  qui  soutiennent  cet 
autheur  comme  catholique,  de  l'entendre  mal  lorsqu'ils  luy 
donnent  un  autre  sens,  eux  qui  sont  partie,  et  sans  aucune 
a  uthorité  dans  l'esprit  universellement  de  tous  les  fidelles,  que 
de  prétendre  qu'un  juge,  et  un  juge  tel  que  le  Pape,  l'ayt 
mal  entendu  après  un  si  grand  soin  pour  l'examiner. 

Et  encore  que,  dansla  vérité,  les  choses  puissent  estre  ainsy: 
que  le  Pape  eût  mal  entendu  Jansenius,  comme  il  n'y  a  qu'un 
très  petit  nombre  de  personnes  qui  puissent  le  croire  et  que 
tout  le  reste  se  rendroit  comme  on  se  rend  effectivement  et 
avec  raison  au  party  du  Pape,  en  soutenant  qu'il  a  fort  bien 
entendu  le  vray  sens  de  Jansenius,  ne  s'ensuit-il  pas  que 
ceux  qui  prétendent  que  le  véritable  sens  de  Jansenius  n'a 
point  esté  l'objet  du  Pape,  ne  peuvent  le  sauver  de  condam- 
nation dans  le  public,  qu'en  déclarant  que  le  Pape  l'a  mal 
entendu  ? 

Mais  il  est  important  de  remarquer  en  ce  lieu  l'excès  ter- 
rible des  conséquences  pernicieuses  qui  s'ensuivroient  de  cette 
hypothèse.  Jamais  on  ne  pourra  s'asseureravec  vérité  d'aucun 
autheur,  hors  les  canoniques,  qu'il  fut  catholique,  ny  d'aucun 
autre,  qu'il  fut  hérétique,  quelques  approbations  et  quelques 
condamnations  de  Papes  et  de  Conciles  qu'il  y  en  eut. 


244  ŒUVRES 

Je  dis  bien  plus  :  On  ne  sçauroit  dire  d'aucune  doctrine 
qu'elle  fut  ny  catholique,  ny  hérétique.  Il  n'y  auroit  qu'à  dire 
que,  par  les  termes  dont  on  se  serviroit  pour  énoncer  cette 
doctrine,  les  Papes  ou  les  Conciles,  qui  l'auroient  ou  approu- 
vée ou  condamnée,  auroient  entendu  un  certain  sens  qui  ne 
seroit  pas  le  véritable,  comme  on  dit  que  le  Pape  Alexandre 
n'a  point  entendu  le  véritable  sens  de  Jansenius  sur  la  pre- 
mière proposition,  quoyqu'expliqué  très  au  long  dans  le  lieu 
de  son  livre  où  il  en  parle. 

On  mettra  partout  des  faits,  partout  des  chicannes,  partout 
de  l'obscurité  et  du  mal  entendu. 

On  mettra  les  Papes  et  les  Conciles  dans  l'impossibilité  ab- 
solue et  métaphysique  de  condamner  jamais  la  doctrine  d'au- 
cun autheur  ;  s'ils  disent  qu'ils  condamnent  une  telle  doctrine 
qui  est  de  luy  en  la  rapportant,  on  dira,  et  avec  fondement, 
que  ce  n'est  qu'une  attribution,  et  qu'ils  ont  mis  un  fait  dans 
leur  décision;  mais  si,  sans  la  marquer,  ils  disent  qu'ils  ont 
bien  examiné  la  doctrine  de  cet  autheur  avec  toute  sorte  de 
diligence  et  qu'ils  condamnent  son  sens  tel  qu'il  l'a  expliqué 
et  soutenu  (ce  sont  les  paroles  de  la  Bulle),  alors  on  dira 
qu'ils  n'ont  pas  laissé  de  le  mal  entendre,  qu'ils  ont  condamné 
quelque  autre  chose,  quelle  qu'elle  soit,  mais  nullement  le 
sens  véritable  de  cet  autheur. 

Qu'on  s'imagine  donc,  si  l'on  peut,  quelqu'autre  voye  par 
laquelle  les  Papes  et  les  Conciles  puissent  mettre  en  repos  l'es- 
prit des  fidèles  sur  la  doctrine  de  chaque  autheur,  c'est  ce  que 
je  soutiens  impossible,  et  si  ce  qu'a  fait  Alexandre  ne  suffit 
pas  pour  condamner  Jansenius,  et  le  faire  passer  dans  toute 
l'Eglise  pour  condamné,  je  soutiens  encore  une  fois  qu'il  est 
impossible  de  toute  impossibilité  à  toutes  les  puissances,  et  à 
toute  l'authorité  de  l'Eglise  de  faire  jamais  passer  aucun  au- 
theur pour  condamné  véritablement,  car  on  ne  sçauroit  faire, 
et  j'oserois  dire  que  jamais  il  ne  s'est  fait  une  sentence  et  une 
condamnation  plus  claire,  plus  nette,  plus  précise,  plus  ex- 
presse, plus  décisive,  plus  contradictoire,  plus  arrestée,  plus 
exprimée  et  plus  entendue  que  la  condamnation  de  Jansenius 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  245 

et  de  sa  doctrine  dans  les  Bulles  et  le  Formulaire.  Et  j'ose  dire 
qu'on  ne  sçauroit  trouver  aucun  moyen  de  condamner  un  au- 
theur  et  sa  doctrine,  auquel  l'on  ne  reponde  aussy  raisonnable- 
ment qu'on  fait  dans  l'écrit  pour  Jansenius,  aux  Bulles  et  au 
Formulaire. 

Sur  la  cinquième  maxime. 

L'exemple  de  la  doctrine  d'Arius  ne  se  peut  rapporter  à 
nostre  sujet.  Quand  il  a  esté  condamné,  il  l'a  esté  pour  une  telle 
doctrine  expliquée,  et  qu'il  avouoit  sienne.  Ainsi  il  n'y  a  qu'à 
dire  cette  doctrine  pour  marquer  et  ce  qui  est  d'Arius  et  ce 
qui  est  condamné;  mais  pour  dire  ce  qui  a  esté  condamné  par 
Alexandre,  il  n'y  a  point  d'autre  clef  que  le  sens  de  Janse- 
nius, et  ce  mot  de  sens  de  Jansenius  ne  peut  indiquer  que  sa 
véritable  doctrine  qui  est  celle  de  la  grâce  efficace. 

On  peut  demeurer  d'accord  que  cette  proposition  du  Pape  : 
Le  sens  de  Jansenius  sur  les  cinq  propositions  est  hérétique,  ou 
celle-cy  qui  est  la  mesme  :  Les  propositions  sont  hérétiques  au 
sens  auquel  Jansenius  les  soutient,  ou  si  l'on  veut  encore,  celle- 
cy  :  Le  sens  de  Jansenius  est  hérétique,  sont  des  propositions  qui 
enferment  un  fait;  mais  quel  est  ce  fait?  Est-ce  que  Jansenius 
enseigne  une  telle  doctrine  qu'on  voudra  luy  attribuer?  Nul- 
lement, ces  propositions  ne  luy  attribuant  quoy  que  ce  soit 
que  deux  choses,  l'une  qu'il  a  un  sens,  et  qu'il  a  un  sens  sur 
tel  sujet,  c'est-à-dire  qu'il  en  a  parlé.  Voilà  tout  le  fait  que 
l'on  peut  trouver  dans  ces  propositions.  L'autre  chose  qu'elles 
attribuent  à  Jansenius,  c'est  l'heresie,  attribuée  non  à  un  cer- 
tain sens  qui  ne  seroit  pas  celuy  de  Jansenius  (cela  change- 
roit  les  propositions),  mais  au  sens  véritable  de  Jansenius.  Je 
dis  que  pour  mettre  dans  ces  propositions  ce  fait  icy  :  Janse- 
nius enseigne  un  tel  dogme  qui  seroit  autre  que  le  sien,  il 
faudroit  les  changer  de  nécessité  et  dire  ces  paroles,  non  le 
sens  de  Jansenius,  car  son  sens  est  celuy  qui  est  de  luy  et  qu'il 
a  enseigné  dans  la  vérité,  et  il  ne  peut  estre  autre,  mais  il  fau- 
droit dire  ainsy  nettement  et  expressément  :  Jansenius  enseigne 
un  tel  dogme,  et  ce  tel  dogme  est  hérétique.  On  prendra  la  peine 


246  OEUVRES 

de  marquer  icy  l'exemple  que  j'ay  rapporté  de  la  proposi- 
tion des  Papes  et  des  Conciles  qui  ont  approuvé  la  doctrine  de 
Saint  Augustin.  L'on  verra  qu'il  faudra  aussy  mettre  un  fait 
dans  cette  proposition  de  ces  papes  :  La  doctrine  de  saint  Au- 
gustin est  catholique  ;  ce  qui  fera  abandonner  à  l'hérésie  la  ve- 
table  doctrine  de  Saint  Augustin.  On  entendra  assez  mon  ex- 
plication. 

Sur  la  sixième  maxime. 

Geluy  qui  dit  qu'il  ne  croit  que  le  dogme  des  Bulles,  en 
reçoit  tout,  si  ce  n'est,  suivant  ce  que  je  viens  de  dire,  qu'il 
ne  voulût  pas  demeurer  d'accord  que  Jansenius  eût  un  sens, 
mais,  comme  personne,  en  cela,  ne  pourroit  l'entendre,  il 
faudroit  qu'il  s'en  expliquast. 

Il  faut  remarquer  icy  que,  dans  la  maxime  précédente  que 
l'on  lie  avec  celle-cy,  on  a  donné  pour  faire  un  exemple  du 
fait,  et  du  droit  qui  se  trouve  dans  ces  sortes  de  proposition, 
cette  proposition-cy  :  La  doctrine  d'Arius  qui  est  celle  qui  nie  la 
consubstantialité,  est  hérétique.  Et  dans  cette  sixiesme  maxime, 
on  met  seulement  cette  proposition  icy  :  Le  sens  d'un  tel  au- 
theur  est  hérétique.  La  différence  est  essentielle.  La  première 
proposition  qui  parle  d'Arius,  luy  attribue  une  doctrine  expri- 
mée, dont  tout  le  monde  est  informé,  et  dont  on  convient. 
Dans  la  deuxiesme,  on  n'attribue  quoy  que  ce  soit  à  l'autheur 
que  son  propre  sens,  avec  l'heresie. 

Quand  on  a  voulu  dire  qu'il  y  avoit  un  fait  dans  la  con- 
damnation d'Honorius,  estoit-on  dans  cette  hypothèse  :  Le 
concile  a  condamné  le  sens  d'Honorius?  Point  du  tout.  Mais 
voicy  l'hypothèse  d'Honorius  :  Honorais  a  enseigné  Vheresie  des 
Monothelites,  etc.  On  entend  bien  ce  que  je  veux  dire. 

Je  feray  voir  sur  la  dixiesme  et  onziesme  maxime  que  celuy 
qui  signe  le  dogme  de  la  proposition  en  question,  signe  la 
condamnation  particulière  de  Jansenius,  et  que  sa  signature 
ne  peut  estre  prise  en  un  autre  sens  que  par  luy  seul  et  des 
amis  preocupez. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  247 

Sur  la  septième  maxime. 

L'autheur  suppose  toujours  que  le  Pape  a  eu  en  pensée  un 
autre  sens  que  celuy  de  Jansenius.  Il  a  esté  suffisamment  re- 
pondu pour  faire  voir  que  cette  hypothèse  n'est  pas  vraye. 
On  n'a  aucune  raison  de  prétendre  que  le  Pape  n'ait  pas  voulu 
condamner  la  véritable  grâce  efficace.  Il  n'y  a  qu'à  dire  pour 
le  prouver  contre  la  preuve  qui  resuite  de  la  condamnation 
de  Jansenius  que  le  Pape  peut  avoir  entendu  par  la  grâce  ef- 
ficace celle  de  M.  Le  Moine  précédée  de  la  grâce  suffisante  de 
prier,  ou  quelqu'autre  grâce  efficace  que  ce  soit,  hors  la  véri- 
table :  car  ce  mot  de  grâce  efficace  est  commun  à  tous  les  par- 
tis jusques  aux  Molinistes. 

Je  puis  encore  ajouterque  si  ce  que  dit  1  autheur  dans  cette 
maxime  est  véritable,  ce  ne  sera  pas  par  la  vérité  de  la  doc- 
trine de  Saint  Augustin  en  elle-mesme  qu'il  faudra  juger  de 
ce  que  les  Papes  ont  approuvé,  mais  il  faudra  chercher  comme 
l'on  pourra  quel  estoit  le  dogme  ou  quels  estoient  les  dogmes 
qu'ils  avoient  en  veuë. 

Sur  la  huitième  maxime. 

Il  n'y  a  rien  dans  cette  maxime  à  quoy  ce  que  j'ay  dit  ne 
reponde  suffisamment. 

Il  est  bon,  quoy  que  peu  nécessaire,  de  remarquer  en  pas- 
sant que  cet  argument  de  l'écrit  :  «  Le  Pape  a  deffendu  la  lec- 
ture de  Jansenius;  donc  il  n'a  pas  déterminé  sa  condamna- 
tion au  sens  de  Jansenius,  qu'il  ne  veut  pas  que  l'on  voye  », 
est  un  argument  qui  ne  conclut  pas,  car  le  Pape  permet  à 
certaines  personnes  de  lire  les  livres  deffendus.  Ce  livre  a  esté 
assez  lu  avant  les  bulles;  on  ne  laisse  pas  de  le  lire  après,  et 
il  en  est  de  mesme  de  tous  les  autheurs  condamnez. 


Neuvième  maxime. 

Il  n'y  a  rien  dans  cette  maxime  qui  mérite  de  nouvelle  ré- 
ponse. 


248  ŒUVRES 


Dizieme  et  onzième  maxime. 

Si  le  Pape,  voulant  dire  le  sens  de  Jansenius,  avoit  dit  par 
exemple  :  Le  sang  de  Jansenius  sur  les  propositions  est  héréti- 
que, ce  qui  se  rapporte  tout  à  fait  aux  exemples  qu'on  allègue 
dans  cet  écrit,  alors  la  suite  expliqueroit  fort  bien  ce  que  le 
Pape  avoit  voulu  dire,  et  ce  ne  seroit  pas  esîre  sincère  de  pré- 
tendre qu'il  auroit  voulu  dire  :  le  sang,  et  non  pas  :  le  sens. 
Tout  le  monde  entendroit  aussi  bien  le  mot  de  sens  que  celuy 
de  sang,  que  l'on  faisoit  émissaire  par  hémisphère;  car  de  la 
mesme  sorte  que  si  on  eut  dû  si  bien  entendre  :  émissaire 
qu'on  devoit  mesme  l'entendre  par  hémisphère  :  de  mesme, 
quand  le  Pape  a  dit  :  le  sens  de  Jansenius,  on  doit  tellement 
entendre  le  sens  qu'on  devroit  mesme  l'entendre  quand  il  au- 
roit dit  le  sang  de  Jansenius,  puis  qu'il  a  usé  d'un  mot  univer- 
sellement connu  et  entendu  de  toat  le  monde  :  de  la  mesme 
sorte  il  a  indubitablement  entendu  le  mot  de  sens  comme  tout 
le  monde  et  nous  l'entendons.  Que  si  l'on  prétend  qu'il  a  mal 
entendu  ce  sens  de  Jansenius,  que  s'ensuit-il?  Que  son  ex- 
pression estant  contraire  à  son  sentiment,  il  ne  faut  ny  ap- 
prouver, ny  souscrire  son  expression  qu'en  luy  donnant 
l'interprétation  du  sens  que  l'on  croit  que  le  Pape  a  eu. 

Mais  je  dis  qu'il  n'y  a  nullement  à  douter  de  l'intention 
du  Pape,  et  je  soutiens  que  son  intention  formelle  (s'il  m'est 
permis  d'user  de  ce  terme)  a  esté  de  condamner  le  vray  sens 
de  Jansenius,  jusques-là  qu'il  en  a  fait  un  dogme  exprès.  De 
sorte  que,  puisqu'on  demeure  d'accord  qu'il  n'est  permis  de 
signer  quant  au  dogme,  que  parce  qu'on  prétend  que  cette 
manière  excepte  Jansenius,  je  dis  qu'on  ne  peut  signer 
mesme  quant  au  dogme,  puisque  la  condamnation  de  Janse- 
nius est  un  vray  dogme  dans  la  Bulle.  Et  voicy  comment  le 
Pape  Alexandre  ordonne  pour  réunir  tous  les  fidèles  dans 
une  mesme  foy  :  Que  Von  observe  la  condamnation  d'Innocent  X. 
selon  sa  détermination  de  luy  Alexandre  et  qu'on  chastie  les 
desobeissans  comme  hérétiques.  Donc  il  fait  des  hérétiques  de 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  249 

ceux  qui  veulent  sauver  le  sens  de  Jansenius.   Il  seroit  facile 
d'en  faire  des  argumens  en  forme. 

Et  il  n'importe  pas  que,  dans  la  vérité  de  la  chose,  ce  ne 
soit  pas  un  dogme  que  Jansenius  est  hérétique  comme  l'au- 
theur  de  l'écrit  a  fort  bien  dit  qu'il  ne  faut  pas  regarder  la  vé- 
rité des  choses,  mais  la  signification  des  mots  de  ceux  qui 
nous  parlent,  telle  qu'elle  est  dans  leur  bouche,  et  dans  leur 
esprit  pour  entendre  ce  qu'ils  veulent  dire,  mais  il  suffit  dans 
notre  sujet  de  sçavoir  que  le  Pape  a  appelle  dogme  dans  son 
langage  que  tout  le  monde  voit  et  entend,  la  condamnation 
du  véritable  sens  de  Jansenius;  car,  puisqu'il  faut  repondre 
naïvement  et  sans  équivoque  selon  l'intention  de  ceux  qui 
nous  parlent,  il  faut  dire  au  Pape  que,  signant  son  dogme,  on 
n'entend  pas  comme  luy  que  c'en  soit  que  la  doctrine  de 
Jansenius  soit  condamnée.  Et  l'on  y  est  d'autant  plus  obligé 
en  cette  rencontre  qu'avec  la  vérité  de  la  chose  que  je  viens 
de  monstrer,  on  sçait  fort  bien  quelle  est  la  prétention  publi- 
que et  notoire  de  ceux  qui  exigent  la  signature  qui  est  de  la 
faire  tomber  sur  Jansenius,  et  non  seulement  sur  Jansenius, 
maissur  sa  doctrine  qu'ils  entendent  fort  bien  en  elle-mesme, 
telle  qu'elle  est;  au  moins  on  le  peut  dire  ainsy  de  ce  dernier 
fait,  de  beaucoup  des  leurs. 

Réplique  à  la  réponse  sur  la  première  objection. 

Quand  on  supposeroit  que  ce  que  je  viens  de  prouver  n'estre 
pas  vray,  que  le  Pape  a  parlé  obscurément,  il  ne  faudroitpas 
parler  du  tout,  au  moins  sans  s'expliquer,  de  la  chose  qu'on 
entend  condamner.  Autrement  on  se  mettroit  en  péril  de 
condamner  la  vérité  ;  car  il  se  pourrait  faire  que  le  Pape  qu'on 
suppose  n'estre  pas  infaillible,  auroit  voulu  condamner  une 
vérité  de  foy. 

Et  quand  on  demeurerait  aussy  d'accord  de  ce  qui  n'est  pas 
vray  non  plus,  que  le  Pape  n'aurait  pas  voulu  condamner  la 
grâce  efficace,  je  dis  mesme  la  véritable  grâce  efficace,  il  ne 
s'ensuivrait  pas  qu'il  n'eust  point  condamné  le  sens  de  Janse- 


250  ŒUVRES 

nius  sur  la  dernière  proposition  ;  car  encore  que  le  véritable 
sens  de  Jansenius  sur  cette  proposition  ait  une  liaison  néces- 
saire avec  la  doctrine  de  la  grâce  efficace,  neantmoins  cette 
dernière  proposition  n'enferme  pas  précisément  la  notion  de 
grâce  efficace. 

Et  dans  la  mesme  hypothèse  que  le  Pape  n'ayt  pas  voulu  con- 
damner la  véritable  grâce  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ne  l'ayt  pas 
condamnée  effectivement.  Voicy  un  exemple  qui  fera  voir  ce 
que  je  dis  :  Tous  les  Juges  ont  esté  d'avis  de  condamner  le  def- 
fendeur,  et  par  megarde  ils  ont  signé  la  sentence  [de]  l'arrêt 
qui  prononce  hors  de  cour  sur  la  demande.  Voilà  le  deman- 
deur condamné,  quoyque  contre  leur  intention,  et  il  faut  de 
nécessité  retracter  la  condamnation,  ou  l'interpréter.  On  voit 
où  va  l'application  de  cet  exemple. 

Au  reste  il  n'y  a  rien  qui  me  semble  si  faible  que  toutes  les 
preuves  qu'on  prétend  tirer  de  l'intention  du  Pape  pour  dire 
qu'il  n'a  point  voulu  condamner  la  grâce  efficace,  surtout  si 
on  les  met  en  parallèle  des  Bulles  et  de  tout  ce  que  nous 
voyons  qui  se  passe  dans  l'Eglise  sur  ce  sujet,  et  si  l'on  consi- 
dère, ce  qu'il  me  semble  qu'on  ne  considère  pas,  que  ce  mot 
de  grâce  efficace  est  commun  à  tous  les  partis;  car  il  n'y  a 
pas  jusques  aux  Molinistes  les  plus  éloignez  de  la  vérité  qui 
n'admettent  la  grâce  efficace.  L'on  verra  bien  évidemment 
que  l'on  peut  supposer,  et  supposer  raisonnablement,  que  le 
Pape  ayt  voulu  sauver  la  grâce  efficace  opposée  à  toute  autre, 
à  laquelle  on  donne  faussement  ce  nom. 

Réplique  à  la  réponse  sur  la  deuxième  difficulté. 

L'exemple  que  j'ay  rapporté  dans  l'Article  précèdent  de 
l'Arrêt  qui  condamne  celuy  [ga'ori]  vouloit  absoudre,  sert  de 
réplique  à  cette  réponse  et  fait  voir  qu'une  personne,  ou  un 
dogme  ne  laisse  pas  d'estre  condamné  dans  le  public,  et  mesme 
dans  la  vérité,  encore  que  ce  soit  contre  l'intention  de  celuy 
qui  l'a  condamné  par  megarde,  ou  par  ignorance,  surtout 
quand  on  ne  découvre  pas  cette  megarde  et  qu'on  n'a  aucunes 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  251 

preuves  pour  la  découvrir,  comme  il  arrive  dans  nostre  hypo- 
thèse, et  que,  d'ailleurs,  le  Juge  mesme  ne  l'explique  pas, 
quoy  qu'on  se  soit  adressé  à  luy. 

Réplique  à  la  réponse  sur  la  troisième  difficulté. 

L'argument  des  Jésuites  qui  conclud  la  condamnation  de  la 
grâce  efficace  par  la  condamnation  de  Jansenius,  est  assuré- 
ment un  bon  argument,  et,  quand  on  souscrira  quant  au 
dogme,  on  leur  dira  dans  leur  langage  qu'on  condamne  la 
grâce  efficace  suivant  ce  que  j'ay  desjà  prouvé  et,  si  on  pré- 
tend qu'il  y  ait  un  fait  dans  le  Formulaire  et  dans  les  Bulles, 
les  Jésuites  ne  seront  nullement  en  peine  de  faire  voir  d'une 
part,  que  c'est  un  dogme  dans  l'esprit  du  Pape  que  le  véri- 
table sens  de  Jansenius  est  condamné,  et  de  l'autre  qu'il  y 
a  plusieurs  autres  faits  et  dans  les  Bulles  et  dans  le  Formu- 
laire auxquels  on  pourra  appliquer  l'exception  de  fait,  quand 
mesme  il  seroit  vray  que  ce  seroit  excepter  le  fait  que  de  dire 
que  l'on  signe  quant  au  dogme. 

Et  quand  ce  raisonnement  des  Jésuites  seroit  douteux,  au 
lieu  qu'il  ne  l'est  nullement,  est-ce  dans  les  occasions  de 
cette  importance  qu'il  faut  dissimuler  ses  sentimens,  et  ne 
faut-il  pas  an  contraire  parler  hardiment  et  faire  sa 
confession  ?  Que  ne  dit-on  sincèrement  et  comme  on  le 
pense  :  Je  crains  que  cette  condamnation  qu'on  me  fait 
signer  ne  tombe  sur  la  grâce  de  Jesus-Ghrist,  de  laquelle 
je  trouve  le  sens  et  dans  les  propositions  condamnées  et 
dans  la  doctrine  de  Jansenius.  Qu'on  m'explique  le  dogme 
qu'on  a  condamné  ;  car  dans  le  doute  où  je  suis  que  le 
témoignage  qu'on  me  demande  ne  se  tourne  contre  la 
grâce  de  Jesus-Ghrist  par  ses  adversaires  et  ses  ennemis, 
j'aime  mieux  mourir  que  de  rien  signer  qui  fasse  juger  ou 
mesme  douter  que  j'aye  condamné  la  grâce  efficace.  Je  la  croy 
dans  le  cœur  pour  ma  justification,  je  veux  la  confesser  de- 
vant tout  le  monde  pour  mon  salut,  et  non  pas  me  contenter 
de  la  justifier  dans  le  secret  en  la  croyant  dans  mon  cœur  ou 


252  OEUVRES 

dans  mon  esprit,  et  me  sauver  devant  les  hommes  en  confes- 
sant ce  qu'ils  me  demandent  ou  quelque  chose  qui  les  satis- 
fasse, et  qui  déguise,  ou  qui  reserve  la  moindre  partie  de  mes 
sentimens. 

Pour  moy,  puisqu'on  me  donne  la  liberté  de  proposer  mes 
sentimens  en  cette  rencontre,  je  déclare  que  je  ne  suis  nulle- 
ment persuadé  de  l'écrit,  quoy  que  je  l'aye  entendu 
comme  je  pense,  et  que  je  l'aye  lu  et  relu  avec  toute 
l'attention  qui  m'a  esté  possible  et  que  je  devois  à  l'au- 
teur, par  le  très  profond  respect  que  j'ay  pour  lui  et  par  la 
très  grande  estime  que  j'ay  de  son  jugement,  et  de  sa  doc- 
trine ;  et  je  le  supplie  de  considérer  que  quand  il  croiroit  que 
son  écrit  auroit  prouvé  que,  signant  le  dogme  des  constitu- 
tions on  ne  signe  pas  pour  cela  la  condamnation  de  Janse- 
nius  ny  de  sa  doctrine,  la  voye  dont  il  s'est  servy  f/?o«r]  en 
persuader  des  personnes  qu'il  juge  luy-mesme  très  raison- 
nables est  une  voye  si  recherchée,  si  abstruse,  si  métaphy- 
sique, si  pleine  de  subtilitez,  et  si  difficile  à  entendre  que,  si 
l'on  ne  peut  sauver  Jansenius  et  sa  doctrine  qu'en  cette  ma- 
nière, il  doit  estre  persuadé  que  cet  autheur  et  cette  doctrine 
demeureront  toujours  condamnez,  et  dans  l'esprit  de  tous 
ceux  qui  ne  voyent  pas  ces  raisons  ou  qui  ne  peuvent  les  en- 
tendre, qui  font  la  plus  grande  partie  du  monde,  et  encore 
dans  l'esprit  de  ceux  qui  les  entendent,  et  n'en  sont  pas  per- 
suadez, et  qu'ainsi  toutes  les  raisons  de  l'écrit  vont  et  à  expo- 
ser la  réputation  de  Jansenius  et  la  vérité,  du  moins  selon  le 
jugement  de  la  plus  grande  partie  du  monde,  qui  n'entend 
point  autre  chose  par  les  Bulles  et  le  Formulaire  que  la  con- 
damnation de  Jansenius  et  de  sa  doctrine  ;  d'où  l'on  doit 
craindre  qu'il  n'arrive  beaucoup  de  scandale.  Et  quand  il  n'y 
en  auroit  point  d'autre  que  celuy  que  je  déclare  que  je  sen- 
tirois,  et  d'autres  aussy,  il  me  semble  que  cette  considération 
doit  retenir  ceux  qui  sont  avertis  du  scandale  qu'ils  peuvent 
causer,  surtout  puisqu'ils  reconnoissent,  comme  on  en  est  de- 
meuré d'accord,  qu'il  y  a  une  autre  voye  meilleure  pour  dé- 
fendre la  vérité,  ou  en  refusant  la  signature,  ou  en  la  faisant 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  253 

telle  qu'elle  sauve   expressément,  et   sans  que  personne  en 
puisse  douter,  et  la  doctrine,  et  la  personne  de  Jansenius  *. 


IV 

Arnauld.  —  (Extraits  d'un  écrit  intitulé)  :  Réplique  ou  réfu- 
tation de  la  réponse  à  un  écrit  touchant  la  véritable  intelligence 
des  mots  de  sens  de  Jansenius  dans  la  constitution  du  Pape2. 

i .  Dans  sa  réponse,  Arnauld  cite  plusieurs  passages  de  l'écrit 
de  Domat,  et  ses  citations  présentent  avec  ce  texte  de  nombreuses 
variantes.  Il  semble  mêmeque  le  mémoire  qu'Arnauldavaitsousles yeux 
était  plus  complet.  Ainsi,  au  Second  défaut  général  (T .  XXII,  p.  769  de 
l'édition  de  Paris-Lausanne),  Arnauld  cite  cet  exemple  «  que  ces 
Messieurs  jugent  si  propre  à  nostre  sujet»  et  que  ne  donnent  point  les 
copies  manuscrites  :  «  Si  un  père,  disent-ils,  laisse  par  son  Testament  à 
son  fils  aîné  le  diamant  qui  est  dans  sa  cassette  rouge,  et  à  son  puîné 
le  diamant  qui  est  dans  sa  cassette  noire,  qu'a-t-on  autre  chose  à  faire 
que  d'ouvrir  ces  cassettes,  et  donner  à  chacun  le  diamant  qui  se  trouvera 
dans  ces  cassettes,  selon  que  le  père  les  a  marqués  PEtneseroit-cepasune 
chose  ridicule,  d'avoir  recours  à  l'intention  du  père,  pourne  pasdonner 
au  cadet  le  diamant  qui  se  trouveroit  dans  la  cassette  noire,  parce 
qu'il  seroit  plus  beau  que  l'autre  ?  Le  Pape  de  même  a  dit,  que  le 
sens  de  Jansenius  sur  une  telle  Proposition  contenoit  une  hérésie  : 
je  n'ai  besoin  que  d'ouvrir  la  cassette,  d'examiner  ce  que  dit  Janse- 
nius sur  cette  Proposition  5  et  n'aurai-je  pas  sujet  de  croire,  que  le 
sens  que  j'y  trouveray  sera  celui  que  le  Pape  dit  être  hérétique  ?  Donc 
si  je  n'y  trouve  que  la  grâce  efficace,  j'auray  sujet  de  dire  que  le  Pape 
a  condamné  la  grâce  efficace.  »  Arnauld  ajoute  un  peu  plus  loin  : 
«  Ils  rapportent  encore  l'exemple  d'un  homme  qui,  ayant  fondé  un 
Hôpital,  auroit  ordonné  qu'il  seroit  conduit  selon  les  statuts  de  l'Hô- 
pital gênerai  de  Lyon.  Y  auroit-il,  disent-ils,  autre  chose  à  faire,  que 
de  consulter  ces  statuts,  et  de  juger  de  la  volonté  de  cet  homme  par 
la  véritable  intelligence  de  ces  statuts  ?  »  (ibid,  p.  770). 

2.  Cet  écrit  est  sans  doute  du  7  janvier  1662.  Arnauld  par  deux 
fois  donne  cette  date  en  reprenant  un  «  exemple  »  choisi  par  Domat 
dans  sa  discussion  :  «  La  gazette  de  Marseille  d'un  tel  jour  est  fausse,  »  et 
en  le  développant  sous  cette  forme  plaisante  :  «  Je  vous  parle  de  la  Ga- 
zelle de  Bruxelles  du   7.  janvier  1662,  en   la  quatrième  page  où  il  est 

parlé  de  ce  qui  se  passe  à  Paris,  dites-moisi  elle  est  fausse Et  alors 

si  vous  luy  disiez,  qu'elle  contient  que  M.  de  Guise  a  esté  fait  Chevalier 
de  l'Ordre  du  S.  Esprit,  il  vous  repondroit  avec  assurance  qu'elle  est 


254  ŒUVRES 


ire  Partie. 


Je  ne  puis  dissimuler  qu'avant  que  d'avoir  vu  cette  ré- 
ponse, ayant  ouï  dire  que  des  personnes,  dont  j'estime  beau- 
coup l'esprit,  en  faisoient  un  jugement  fort  avantageux,  et 
qu'ils  pretendoient  qu'elle  ruinoit  l'Ecrit  sans  ressource,  et 
qu'elle  en  faisoit  voir  la  fausseté  par  des  preuves  convain- 
quantes, et  démonstratives,  je  me  suis  trouvé  dans  une  dispo- 
sition d'esprit  assez  extraordinaire.  Car  ne  pouvant  d'une 
part  m'imaginer  que  je  me  fusse  trompé  en  des  choses  qui 
me  parroissoient  très  claires,  et  qui  avoient  paru  telles  à  des 
personnes  intelligentes  ;  je  ne  pouvois  de  l'autre  comprendre 
comment  il  se  pouvoit  faire,  que  d'autres  personnes  très  ha- 
biles, et  qui  sçavent  fort  bien  ce  que  c'est  qu'une  véritable 
démonstration,  eussent  pu  donner  ce  nom  à  des  raisons  fausses 
ou  peu  solides.  Tout  ce  que  je  fis  donc  dans  ce  double  eton- 
nement,  fut  de  me  disposer  à  céder  à  la  vérité,  si  on  me  la 
decouvroit  contre  mon  attente,  et  de  sçavoir  gré  à  ceux  qui 
m'auroient  servy  à  me  retirer  de  l'erreur,  s'il  se  trouvoit  que 
j'y  fusse  sans  y  penser. 

Je  n'eus  pas  peine  à  me  mettre  dans  cette  disposition, 
pouvant  dire  avec  vérité,  que  je  me  suis  toujours  senty  très 
porté  à  changer  de  sentiment,  pour  en  embrasser  un  meilleur; 
mais  la  lecture  de  cette  réponse  ne  m'a  pas  donné  lieu  de 
pratiquer  une  resolution,  dont  il  me  semble  que  Dieu  m'avoit 
donné  un  mouvement  très  sincère. 

Je  l'ai  leuë  une  fois,  deux  fois,  trois  fois  ;  etcommejecroirois 
faire  tort  à  ceux  qui  l'ont  faite,  ou  approuvée,  de  m'imaginer 
qu'ils  pussent  trouver  mauvais  que  je  leur  en  dise  ma  pensée 

fausse,  supposant  qu'elle  contient  cette  nouvelle.  »  Aucune  raison 
n'explique  le  choix  de  cette  date,  qui  ne  peut  être  que  celle  du  jour  où 
Arnauld  écrivait.  (Dans  La  Logique  de  Port-Royal,  1662,  part. 
II,  chap.  iv,  p.  1 43,  le  même  exemple  est  repris,  avec  la  date  du 
\[\  janvier  1662.)  Il  n'y  a  pas  de  nouvelles  de  Bruxelles  dans  les 
Gazettes  du  7  et  du  il\  janvier  1662;  il  y  avait  eu  grande  promo- 
tion de  chevaliers  du  S1  Esprit  le  3i  décembre  1661. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  255 

avec  toute  sorte  de  liberté,  je  ne  craindray  point  de  les  offenser, 
en  leur  disant  franchement,  que  plus  je  l'ay  leuë,  moins  je 
l'ay  trouvée  solide,  et  plus  je  me  suis  persuadé  que  l'escrit 
qu'on  y  a  voulu  réfuter  ne  contient  que  des  veritez  certaines  et 
manifestes. 

Ainsi  des  deux  etonnemens  où  j'estois  avant  cette  lecture, 
l'un  a  entièrement  cessé,  n'ayant  plus  à  rechercher,  comment 
il  se  seroit  pu  faire  que  j'eusse  pris  pour  des  veritez  claires, 
des  faussetez  évidentes  :  mais  l'autre  a  redoublé,  me  trouvant 
plus  que  jamais  dans  la  difficulté  de  concevoir  ce  qui  pouvoit 
estre  cause,  que  des  personnes  d'ailleurs  éclairées ,  prissent  pour 
vray  ce  qui  estoit  évidemment  faux,  et  pour  faux,  ce  qui  estoit 
évidemment  vray.  C'est  ce  que  j'ay  tasché  de  découvrir,  en  re- 
marquant les  principaux  défauts  qui  régnent  dans  cette  ré- 
ponse, et  qu'on  peut  dire,  selon  la  parole  de  l'Evangile,  avoir 
esté  comme  un  œil  ténébreux,  qui  a  répandu  des  ténèbres  sur 
tout  le  corps  de  cet  ouvrage. 

Premier  défaut  de  cette  réponse. 

De  n'avoir  pas  compris  quelle  est  la  détermination  d'une 
idée  générale  à  une  idée  plus  distincte,  dont  il  est  parlé  dans  la 
seconde  maxime  de  VEcrit. 

(Reprenant  les  exemples  donnés  par  Domat,  Arnauld  éta- 
blit que  seule  peut  être  utile  la  détermination  qui  précise  ce 
qui  est  obscur  dans  l'idée  générale,  et  que  l'on  ne  détermine 
pas  utilement  la  proposition  :  Le  sens  de  Jansénius  est  héré- 
tique, quand  on  dit  :  Ce  que  dit  Jansénius  en  un  tel  endroit,  ou 
sur  telle  matière  est  hérétique,  et  il  conclut  :) 

«...  J'avoue  seulement  icy  que  la  cause  de  l'erreur  de  ces 
Messieurs  est  sans  doute  que,  faute  d'attention,  ils  n'ont  pas 
pris  garde  que  la  détermination  que  l'on  cherche  n'est  pas  la 
détermination  du  sens  de  Jansénius,  auquel  cas  les  détermi- 
nations qu'ils  apportent  ne  seroient  pas  mauvaises  ;  mais  la 
détermination  du  sens  de  Jansénius  comme  hérétique  ;  c'est- 
à-dire  qu'on  cherche  une  idée  à  laquelle  le  mot  de  sens  soit 


256  ŒUVRES 

lié,  et  qui  donne  moyen  de  juger  qu'il  est  hérétique.  Sur 
quoy  l'on  pense  avoir  monstre  invinciblement,  que  tout  ce 
qu'ils  allèguent  n'est  point  une  \eritable  et  suffisante  déter- 
mination à  cet  égard,  et  qu'il  est  impossible  de  s'en  imaginer 
d'autre,  que  l'idée  d'un  tel  dogme  en  particulier,  que  l'on 
croit  avoir  esté  enseigné  par  Jansenius.  Cette  seule  observa- 
tion auroit  pu  suffire  pour  faire  reconnoistre  que  tout  ce  dis- 
cours qui  est  le  fondement  de  toute  la  réponse,  n'est  qu'un 
perpétuel  égarement  :  car  il  n'est  pas  estrange  que  plus  on 
marche,  plus  on  s'égare,  lors  qu'on  ne  sçait  où  l'on  doit  aller. 
De  sorte  que  le  premier  défaut  se  peut  rapporter  à  cette 
espèce  de  sophisme,  qui  est  appellée  par  Aristote,  ïgnoratio 
elenchi,  l'ignorance  de  ce  qu'on  a  à  montrer.  » 

Second  défaut  gênerai. 

De  n'avoir  pas  compris  que,  quoy  qu'un  terme  marque  une 
chose  individuelle,  s'il  ne  le  marque  [que]  coufusement,  il  ne 
laisse  pas  d'estre  capable  d'une  généralité  équivoque,  qui  auroit 
nécessairement  besoin  d'eslre  déterminée  par  une  idée  plus  dis- 
tincte, quand  on  le  voudra  joindre  à  de  certains  attributs. 

« Voicy  des  exemples  plus  propres.  Si  un  homme  laissoit 

dix  mil  escus  au  plus  grand  Géomètre  de  Paris,  ou  comme  a 
fait  Ramus,  fondoit  une  chaire  pour  le  plus  habile  Géomètre, 
il  est  certain  que  cela  se  devroit  entendre  de  celuy  qui  seroit 
en  effet  le  plus  habile  Géomètre,  autant  que  les  hommes  en 
pourroient  juger  ;  parce  que  cela  auroit  esté  affecté  au  plus 
habile  géomètre  comme  tel  et  non  pas  comme  une  telle  per- 
sonne :  mais  si  un  homme  disoit  :  le  plus  grand  Géomètre  de 
Paris  est  l'homme  du  monde  le  plus  désagréable  dans  la  conver- 
sation, je  soutiens  qu'alors,  comme  il  auroit  esté  nécessaire 
que  celuy  qui  auroit  parlé  de  la  sorte,  eût  [eu]  dans  l'esprit 
une  personne  particulière,  qu'il  auroit  designée  par  ces  mots, 
de  plus  grand  Géomètre  de  Paris;  parce  qu'il  ne  convient 
point  à  un  habile  Géomètre ,  comme  Géomètre ,  d'estre  désagréa- 
ble dans  la  conversation ,  ce  ne  seroit  point  par  la  vérité  des 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  257 

choses  qu'on  devroit  juger  de  celuy  qu'il  auroit  estimé  estre 
désagréable  dans  la  conversation,  mais  par  l'opinion  de  cette 
personne.  De  sorte  [que]  que  si  je  sçavois  d'ailleurs  que  cette 
personne  ou  ne  connust  pas  M.  Pascal,  ou  l'eust  en  estime 
d'un  homme  d'un  entretien  fort  agréable,  quoy  que  je  lusse 
persuadé  que  M.  P.  est  dans  la  vérité  le  plus  grand  géomètre 
de  Paris,  je  ne  croirois  point  que  cet  homme  eust  mal  parlé 
de  M.  Pascal;  Mais  si  je  connoissois  Roberval,  et  que  jesceusse 
que  cette  personne  le  connoist  aussy,  je  croirois  sans  peine 
que  c'est  de  luy  qu'il  a  voulu  parler,  quelque  inférieur  que  je 
le  crusse  à  M.  P.  dans  la  science  de  la  Géométrie,  et  le 
jugement  que  je  porterois  de  cette  proposition  est,  qu'elle 
seroit  vraye  dans  le  fond,  parce  qu'il  n'auroit  pas  mal  jugé 
de  la  personne  qu'il  auroit  eu  dans  l'esprit,  mais  qu'elle  seroit 
fausse  dans  l'attribution  qu'il  auroit  laite  à  cette  personne, 
d'estre  le  plus  grand  Géomètre  de  Paris1.  » 

(Arnauld  donne  ensuite  un  second  exemple  tiré  de  l'Héra- 
clius  de  Corneille  :  «  Quand  Phocas  se  plaignoit  que  son  fils 
ne  vouloit  pas  épouser  la  fille  de  Maurice,  cela  s'entendoit 
et  se  devoit  entendre  d'Heraclius,  par  ceux  mesmes  qui  sça- 
voient  qu'Heraclius  n'estoit  pas  son  fils.  ») 

Troisiesme  défaut  gênerai. 

Qui  consiste  en  la  fausse  et  imaginaire  distinction  qu'on  a 
voulu  eslablir  entre  les  mots  de  sens  et  de  dogme. 

(Pris  dans  leur  usage  courant,  en  théologie,  les  mots  de 
sens,  dogme,  doctrine,  opinion,  sont  synonymes,  et  à  ce  pro- 
pos Arnauld  reprend  les  règles  de  logique  sur  la  définition 
des  mots.) 

Quatrième  défaut  gênerai. 

Pétition  de  principe,  en  ce  qu'on  suppose  par-  tout,  sans  le 
prouver  nulle  part  au  moins  à  dessein,  ce  qui  fait  tout  le  sujet 

i.  Même  exemple,  mais  sans  désignation  de  personnalités,  dans  la 
Logique  de  Port-Royal,  part.  I,  chap.  vm. 

2e  série.  YII  17 


258  OEUVRES 

de  la  dispute,  qui  est  ;  que  la  signification  des  mots  de  sens 
de  Jansenius  dans  la  Bulle  du  Pape,  dépend  uniquement 
de  la  vérité  des  choses,  et  non  de  la  pensée  et  de  l'intention  du 
Pape. 

«  Tous  les  philosophes  remarquent  qu'il  n'y  a  point  de 
plus  grand  vice  dans  les  discours  de  raisonnement  et  de  con- 
testation, que  celuy  qu'ils  appellent  Pétition  de  principe 

C'est  le  vice  qui  règne  par  tout  cet  Ecrit. 

«   N'est-il  donc  pas  visible  que  c'est  faute  d'attention 

que  ces  Messieurs  ont  mal  pris  le  point  du  différend,  s'amu- 
sant  à  prouver  beaucoup  de  choses  tort  inutiles,  et  ne  prou- 
vant point  ce  qu'ils  avoient  uniquement  à  établir  ?  » 

Cinquième  défaut  gênerai. 

De  s'estre  imaginé  qu'une  fausse  détermination  n'est  pas  une 
détermination:  ce  qui  est  la  mesme  chose  que  siondisoil,  qu'une 
fausse  proposition  n'est  pas  une  proposition  :  d'où  ils  s'ensui- 
vroit  que  les  hommes  ne  se  tromperoient  jamais 

Sixième  défaut  gênerai 

Renversement  de  l'ordre  par  lequel  on  doit  juger  que  le  sens 
d'un  aulheur  est  hérétique 

Septième  défaut  gênerai. 

De  n'avoir  pas  compris  la  différence  qu'il  y  a  entre  juger 
d'une  vérité  de  Mathématiques  et  juger  d'une  vérité  de  fait. 

(Arnauld  veut  prouver  que  la  vraisemblance  et  la  possi- 
bilité peuvent  permettre  de  juger  d'une  vérité  de  fait,  par 
exemple  que  le  Pape  a  bien  approuvé  la  vraie  doctrine  de 
S1  Augustin.) 

Maxime  posée:  «  Pour  juger  de  la  vérité  d'un  fait,  et  nous 
déterminer  à  le  croire  ou  à  ne  le  pas  croire,  il  ne  le  faut  pas 
considérer  nuement,  et  en  luy-mesme,  comme  on  feroit  une 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  259 

proposition  de  géométrie;  mais  il  le  faut  prendre  avec  toutes 
les  circonstances  qui  l'accompagnent,  tant  intérieures  qu'ex- 
térieures. J'appelle  circonstances  intérieures,  celles  qui  appar- 
tiennent au  l'ait  mesme;  et  extérieures,  celles  qui  regardent 
les  personnes  par  le  témoignage  desquelles  nous  sommes 
portez  à  le  croire.  » 

(Arnauld   prend    comme   exemple    le   miracle   de   la   Ste 
Épine.) 

Huitième  défaut  gênerai. 

Peu  d'exactitude  à  repondre  précisément  à  ce  qu'on  a  entre- 
pris de  réfuter. 

Conclusion. 

Il   y  auroit   bien    d'autres  choses  à  reprendre  dans  cette 

Réponse Mais   on    s'est    contenté   d'en    remarquer   les 

principaux  défauts;  c'est-à-dire  ceux  qu'on  a  crû  tels.  Car 
quelque  persuadé  que  l'on  soit  qu'on  n'avoit  rien  avancé 
dans  l'Ecrit,  qui  ne  fût  très  évident,  et  que  l'autheur  de  la 
Réponse  n'y  a  rien  opposé  qui  ne  soit  ruiné  par  cette  répli- 
que, néanmoins  on  est  encore  très  disposé  à  écouter  ses  nou- 
velles instances,  s'il  n'en  est  convaincu  ;  et  on  le  supplie  de 
croire  que  si  l'on  ne  se  peut  empescher  de  désirer,  que  faisant 
plus  d'attention  à  des  raisons  qui  nous  paroissent  si  claires, 
il  change  de  sentiment,  on  ne  prétend  pas  toutefois  qu'il  le 
fasse  autrement  que  par  la  lumière,  et  on  ne  trouvera  jamais 
mauvais  que  s'il  luy  reste  encore  quelque  obscurcissement 
dans  l'esprit,  il  propose  de  nouveau  ses  dilficultez  et  ses  doutes, 
quand  mesme  il  les  proposeroit,  non  comme  de  simples  diffi- 
cultez,  mais  comme  une  nouvelle  conviction  de  l'erreur,  dans 
laquelle  il  supposeroit  que  nous  soyons  demeurez.  On  n'a- 
jouste  point  que  cette  diversité  d'opinions  peut  bien  partager 
les  esprits,  mais  qu'elle  ne  sera  point  capable  de  diviser  les 
cœurs,  puisqu'on  ne  le  pourroit  appréhender  sans  faire  un 
jugement  bien  desavantageux  des  uns  ou  des  autres. 


260  ŒUVRES 


Seconde  Partie. 
Responses  à  quelques  objections. 

Art.  IeT.  Que  l'argument  tiré  de  V approbation  de  S.  Augustin 
est  bon  ;  mais  qu'il  nest  pas  fondé  sur  ce  qu'on  s'est  imaginé. 
Comme  il  n'y  a  rien  de  plus  important  dans  l'Ecrit  de  ces  Mes- 
sieurs que  l'argument  qu'on  y  tire  de  l'approbation  de  S.  Augus- 
tin, on  a  cru  y  devoir  repondre  avec  plus  de  soin. 

Art.  II.  Quand  on  peut  supposer,  et  quand  on  ne  doit  pas  sup- 
poser qu'un  auteur  a  esté  bien  entendu. 

Art.  III.  Que  si  les  mesmes  circonstances  que  l'on  remarque 
dans  la  condamnation  de  Jansenius  estoient  arrivées  dans  l'appro- 
bation de  S.  Augustin,  on  devroit  juger  que  l'approbation  que 
des  Papes  en  auroient  faite,  ne  tombe  point  sur  sa  véritable  doc- 
trine, et  qu'ainsy  l'on  doit  juger  que  la  condamnation  du  sens 
de  Jansenius  ne  tombe  point  sur  son  véritable  sens. 

Art.  IV.  Que  ces  preuves  non  seulement  sont  bonnes,  mais 
qu'elles  sont  démonstratives. 

Art.  V.  Réponse  à  quelques  autres  objections  à  cette  objection. 

(Arnauld  oppose  ici  ce  qui  est  dit  dans  cet  écrit  et  ce  qui 
est  dit  dans  la  18e  Provinciale.) 

Art.  VI.  Réfutation  de  ce  qu'on  dit,  que  cette  justification  du 
sens  de  Jansenius  est  abstraite,  et  qu'elle  ne  peut  servir  qu'à  un 
petit  nombre  de  personnes  ;  et  qu'ainsi  si  on  na  point  d'autre 
manière  de  le  deffendre,  que  celle-là,  il  demeurera  condamné 
dans  l'esprit  de  la  pluspart  du  monde. 

(Reprise  de  l'objection  tirée  de  ce  qu'a  bien  fait  comprendre 
l'auteur  de  la  18e  Provinciale.) 

Art.  VII.  Du  scandale  que  l'Auteur  tesmoigne  du  sentiment 
oà  l'on  est,  et  quel  égard  on  y  doit  avoir. 

«  ....  De  plus  [l'auteur  de  cet  Écrit]  doit  considérer  que  ce 
scandale  est  réciproque,  et  que  s'il  est  scandalisé  de  ce  qu'il 
luy  semble  qu'on  a  abandonné  la  grâce  efficace  en  signant  les 
Constitutions  quant  aux  dogmes,  on  est  aussy  scandalisé  de  voir 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.    -  APPENDICE  2G1 

qu'ayant  travaillé  tant  qu'on  a  pu  à  persuader  à  tout  le  monde 
que  la  grâce  efficace  n'est  pas  condamnée,  ceux  qui  sont  dans 
son  sentiment  veulent  au  contraire  prouver  et  établir  qu'elle 
l'est,  et  donner  lieu  aux  Jésuites  de  les  citer  comme  tesmoins 
de  la  condamnation  de  cette  grâce  :  ce  qui  est  sans  doute  faire 
un  tort  extrême  à  la  vérité  et  à  l'Eglise,  et  qui  est  plus  grand 
en  quelque  sens  que  celuy  que  les  Jésuites  font;  puisqu'en 
combattant  cette  grâce,  ils  reconnoissent  néanmoins  qu'elle 
n'est  pas  condamnée,  et  que  ces  Messieurs,  en  prétendant  la 
deffendre  de  cette  sorte,  veulent  faire  croire  que  toute 
l'Eglise  la  condamne  d'heresie  :  non  tali  auxilio  nec  defensori- 
bus  istis  tempus  eget. 

«  ....  L'on  doit  considérer  que  l'on  n'a  pas  seulement  deux 
ou  trois  personnes  à  satisfaire;  mais  que  la  charité  oblige 
d'étendre  ses  vues  plus  loin,  et  d'avoir  encore  plus  de  soin  de 
ne  scandaliser  pas  les  personnes  foibles,  que  les  personnes 
plus  fortes  et  plus  éclairées.  Or  si  on  avoit  suivi  une  autre 
conduite,  il  y  auroit  eu  [un]  beaucoup  plus  grand  nombre  de 
personnes  qui  s'en  seroient  scandalisées,  qu'il  n'y  en  a  qui 
le  soient  de  celle  que  l'on  a  suivie.  Et  l'on  peut  dire  de  plus 
que  celles  qui  ont  signé  de  la  sorte,  estant  assez  fortes  pour 
se  soustenir  dans  ce  milieu,  ne  Festoient  peut-estre  pas  assez 
pour  aller  plus  avant  ;  non  par  faute  de  courage,  mais  parce 
que  leur  lumière  n'alloit  qu'à  faire  ce  qu'elles  ont  fait  ;  c'est- 
à-dire,  qu'à  protester  de  n'avoir  point  d'autre  foy  touchant 
ces  questions,  que  celle  de  l'Eglise  Catholique,  et  à  ne  prendre 
point  de  part  à  tout  le  reste.  Or  je  ne  sçay  si  ces  Messieurs 
approuveroient  que  l'on  detournast  des  personnes  d'un 
chemin  que  l'on  croit  bon,  et  dans  lequel  elles  entrent 
d'elles-mesmes  et  par  leur  propre  lumière,  pour  les  faire 
entrer  dans  une  autre  voye  que  l'on  croit  plus  dangereuse,  non 
seulement  pour  les  personnes,  mais  pour  la  vérité  mesme, 
avec  un  très  grand  sujet  de  se  deffier  qu'elles  pussent  subsis- 
ter, et  qu'elles  ne  se  plaignissent  peut-estre  qu'on  les  avoit 
poussées  trop  avant,  sans  en  avoir  d'autre  raison,  sinon  que 
cet  avis  n'est  pas  approuvé  par  trois  ou  quatre  personnes.   » 


262  ŒUVRES 


Arnauld.  —  (Extraits  d'un  écrit  intitulé)  :  Petit  Ecrit  conte- 
nant quelques  considérations  générales1. 

«  On  supplie  ces  Messieurs  pour  abréger  le  temps,  pour 
traiter  solidement  la  matière  dont  il  s'agit,  et  pour  rendre 
leurs  escrits  plus  capables  de  persuader,  d'avoir  égard  aux 
considérations  suivantes. 

«  La  première  est  ;  qu'il  est  impossible  que  des  personnes  qui 
ont  pensé  dix  ans  durant  à  une  mesme  matière  avec  quelque 
application,  n'ayent  formé  diverses  pensées  qu'ils  ont  rejet- 
tées  ensuite,  en  ne  les  jugeant  pas  solides. 

«  Or  encore  qu'elles  se  soyent  pu  tromper  dans  le  discerne- 
ment de  ces  raisons  et  de  ces  pensées,  en  jugeant  solides  celles 
qui  ne  l'estoient  pas,  et  rejettant  au  contraire  celles  qui  estoient 
véritablement  solides  ;  néanmoins  il  est  certain  qu'elles  ne 
sont  pas  en  estât  d'estre  persuadées,  si  l'on  ne  fait  que  leur  pro- 
poser les  pensées  qu'elles  ont  rejettées,  à  moins  qu'on  ne  des- 
truise  en  mesme  temps  les  raisons  par  lesquelles  ils  les  ont 
rejettées. 

«  On  ne  peut  néanmoins  obliger  avec  justice  ces  Messieurs  de 
prévoir  quelles  sont  ces  pensées  qu'on  a  déjà  rejettées,  à 
moins  qu'ils  n'ayent  eu  lieu  de  le  juger  par  les  divers  escrits 
qu'on  a  desjà  faits  sur  ce  point. 

«  Mais  il  semble  juste  d'exiger  d'eux  que,  quand  ils  propo- 
seront une  raison,  et  qu'ils  auront  lieu  de  juger  quelle  est  la 
réponse  qu'on  y  peut  faire,  suivant  les  principes  où  l'on  est, 
ils  prennent  la  peine  en  mesme  temps  de  réfuter  cette  réponse. 
Car  il  y  a  sans  doute  du  deflaut  à  ne  pas  prévoir  une  réponse 


i.  Bibliothèque  municipale  de  Clermond-Ferrand,  ms.  i^o,  p.  67, 
imprimé  dans  les  Œuvres  d'Arnauld,  éd.  cit.,  T.  XXII,  p.  820.  Il 
semble  qu'Arnauld  répond  ici  à  un  nouvel  écrit  de  Domat  et  de 
Pascal,  écrit  perdu  et  dont  les  historiens  de  cette  querelle  ne  parlent 
pas  d'une  façon  précise. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  263 

naturelle  qui  nait  des  principes  de  celuy  que  l'on  combat, 
comme  il  y  en  a  eu  sans  doute  à  ne  pas  prévenir  celle  que  l'on 
a  faite  à  l'argument  tiré  de  l'approbation  de  S.  Augustin  dans 
la  seconde  partie  de  la  réponse,  quand  mesme  cette  response 
ne  seroit  pas  bonne.  Ils  doivent  donc  prendre  pour  principe, 
que  les  raisons  qu'ils  produiront  seront  jugées  justement  dé- 
fectueuses, si  elles  souffrent  des  réponses  qu'ils  ayent  dû  pré- 
voir, et  qu'ils  n'ayent  pas  refutées. 

«  La  seconde  considération  est  ;  que  la  pensée  qu'ils  ont,  con- 
forme à  M.  de  Thoulouse  et  aux  Jésuites  dans  la  manière  dont 
ils  prouvent  que  le  sens  de  Jansenius  est  un  droit,  ne  nous 
paroist  pas  véritable,  et  qu'il  nous  semble  qu'ils  n'ont  pu 
entrer  dans  cette  pensée,  que  parce  qu'ils  ne  comprennent 
pas  assez  le  sentiment  de  M.  de  Toulouse  ny  des  Jésuites. 

«  Car  il  est  vray  qu'ils  sont  conformes  en  apparence  dans  la 
conclusion  ;  mais  c'est  par  des  principes  si  differens,  que  ces 
Messieurs  doivent  juger  ceux  des  Jésuites  et  de  M.  de  Tou- 
louse très  faux  ;  comme  les  Jésuites  et  M.  de  Toulouse  juge- 
roient  très  faux  ceux  dont  ces  Messieurs  se  servent  pour  la 
tirer » 

(Arnauld  fait  l'examen  des  principes  de  Marca  et  des 
Jésuites.) 

«  Mais  de  supposer,  comme  font  ces  Messieurs  que  le  Pape 
s'est  pu  tromper  dans  l'intelligence  de  Jansenius  ;  que  son 
sens  n'est  pas  évident,  et  qu'on  l'explique  en  diverses  maniè- 
res, et  qu'il  y  a  mesme  de  l'apparence  que  le  Pape  ne  l'a  pas 
entendu  ;  et  d'en  conclure  néanmoins,  que  soit  qu'il  l'ait  bien 
ou  mal  entendu,  on  doit  croire  qu'il  a  condamné  le  véritable 
sens  de  Jansenius,  parce  qu'il  a  dit  qu'il  condamnoit  le  sens 
de  Jansenius,  et  que  ces  paroles  ne  peuvent  signifier  que  le 
véritable  sens  de  Jansenius  ;  c'est  une  manière  de  raisonner 
qui  leur  est  si  particulière,  qu'on  ne  croit  pas  qu'ils  puissent 
produire  une  seule  personne  qui  ait  raisonné  sur  ces  prin- 
cipes.... 

«  Pour  faire  comprendre  à  ceux  qui  croyent  que  l'interest  de 


261  ŒUVRES 

la  vérité  les  oblige  de  dire  que  la  grâce  efficace  est  condamnée 
par  les  constitutions  et  par  la  signature  des  constitutions, 
les  dangereuses  suites  de  ce  sentiment,  que  l'on  croit  d'ail- 
leurs très  faux  en  soy,  on  les  supplie  de  considérer  Testât  pré- 
sent de  l'Eglise 

«  4°  Il  n'y  a  que  trois  voyes  présentement,  de  soustenir  que 
la  grâce  efficace  n'est  pas  une  doctrine  hérétique,  mais  que 
c'est  au  contraire  une  vérité  de  foy. 

«  i°  En  disant  qu'il  est  très  vray  que  cette  doctrine  est  ortho- 
doxe, et  qu'il  est  très  vray  aussy  que  le  Pape  a  condamné  le 
sens  de  Jansenius  ;  mais  que  ce  sens  est  très  différent  de  la 
grâce  efficace. 

(C'est  là  la  voie  embrassée  par  les  Dominicains,  etc.  etc.) 

«  La  seconde  consiste  à  dire  que  la  grâce  efficace  est  une  doc- 
trine très  orthodoxe,  que  Jansenius  n'en  a  point  enseigné 
d'autre,  mais  que  ses  ennemis  luy  en  ayant  imputé  une  autre, 
le  Pape  a  suivi  leurs  sentimens,  et  a  condamné  son  sens,  en 
supposant  qu'il  avoit  eu  véritablement  les  opinions  qui  luy 
estoient  attribuées,  ces  personnes  reconnoissent  dans  la  Bulle 
une  erreur  de  fait;  mais  nulle  de  droit. 

«  La  troisième  voye  est  de  dire  que  la  grâce  efficace  est  une 
doctrine  tres-orthodoxe,  que  Jansenius  n'en  a  point  eu 
d'autre,  en  quoy  ceux  qui  suivent  cette  voye  conviennent 
avec  ceux  de  la  seconde  opinion  que  le  Pape  condamne  la 
grâce  efficace  par  sa  Constitution,  en  condamnant  le  sens  de 
Jansenius  qui  n'est  autre  que  la  grâce  efficace  puisqu'il  n'a 
point  eu  d'autre  sens  que  celuy-là  ;  ces  personnes  ne  connois- 
sent  dans  la  Bulle  du  Pape  aucune  erreur  de  fait,  mais  ils  pré- 
tendent qu'elle  en  contient  une  de  droit,  qui  est  la  condam- 
nation de  la  grâce  efficace.  Cette  opinion  n'est  suivie  que 
par  trois  ou  quatre  personnes,  dont  nulle  n'a  encore  publié 
son  sentiment.   » 

(Ceux  de  la  première  opinion  sont  très  applaudis  dans 
l'Eglise  ;  ceux  de  la  seconde,  quand  ils  croient  pouvoir  signer  sim- 
plement sont  laissés  en  repos  ;  quand  ils  signent  avec  restric- 
tion ils  sont  parfois  persécutés,  mais  sur  la  foi  ils  se  sentent 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  265 

d'accord  avec  toute  l'Église  et  peuvent  espérer  qu'on  rendra 
justice  un  jour  au  scrupule  qui  les  retient.  —  Ceux  de  la 
troisième  ne  défendent  la  grâce  efficace  qu'en  accusant  le  pape 
de  l'avoir  condamnée  et  toute  l'Église  d'avoir  paru  en  rece- 
voir la  condamnation  ;  et  c'est  là  compromettre  à  tout  jamais 
cette  grâce,  puisque  tous  les  théologiens  affirment  l'infaillibi- 
lité de  l'Église  et  que  le  plus  grand  nombre  tient  l'infaillibi- 
lité du  pape  sur  les  questions  de  droit.) 

«  Ainsy  il  est  clair  que  cette  manière  n'est  pas  un  moyen  de 
defïendre  la  grâce  efficace,  mais  un  moyen  de  la  destruire  et 
de  l'étouffer,  et  de  ruiner,  et  cette  doctrine,  et  ceux  qui  la 
soutiendront  de  cette  sorte. 

«  Que  c'est  le  plus  grand  avantage  qu'on  puisse  donner  aux 
Jésuites,  que  de  l'embrasser  ;  puisque  c'est  le  moyen  de  leur 
faire  dire  avec  vérité  ce  qu'ils  n'ont  pas  la  hardiesse  de  dire 
présentement  ;  que  les  propres  deffenseurs  de  la  grâce  efficace 
ont  reconnu  qu'elle  estoit  condamnée  par  l'Eglise;  et  ainsy 
ils  transféreront  la  question  de  ce  point  à  la  thèse  géné- 
rale de  l'infaillibilité  non  du  Pape,  mais  de  l'Eglise,  dans  la 
question  de  droit,  dans  laquelle  ils  auront  toute  l'Eglise  pour 
eux. 

«  Si  ces  Messieurs  ne  trouvent  rien  d'horrible  dans  ces  con- 
séquences, j'avoue  que  je  ne  sçay  ce  qu'ils  appellent  horrible  ; 
et  je  ne  vois  qu'un  seul  exemple  dans  l'antiquité  qui  est  ecluy 
de  Facundus,  l'un  des  plus  grands  esprits  de  l'antiquité,  et 
qui  a  soustenu  au  commencement  une  très  bonne  cause,  contre 
le  procédé  le  plus  injuste  et  le  plus  violent  qui  fût  jamais  ; 
mais  la  haine  de  l'injustice  l'emporta  ensuite  en  des  opinions 
excessives  qui  estoient  non  seulement  opposées  à  la  vérité, 
mais  aussi  à  luy-mesme 

«  Il  me  semble  qu'il  arrive  quelque  chose  de  semblable  en 
cette  occasion.  Car  après  avoir  soustenu  dans  la  dix-septieme 
et  la  dix-huitieme  Lettre,  que  les  mots  de  sens  de  Jansenius 
estoient  équivoques,  et  que  des  personnes  estant  dans  les  mesmes 
sentimens  touchant  la  foy,  et  condamnant  les  mesmes  erreurs, 
il  se  pouvoit  faire  néanmoins  que  les  uns  disoient  qu'ils  ap- 


266  ŒUVRES 

prouvoient  le  sens  de  Jansenius,  et  les  autres  qu'ils  le  con- 
damnoient  sans  estre  diïïerens  que  dans  les  termes  ;  on  sous- 
tient  présentement  que  tous  ceux  qui  disent  :  Je  condamne  le 
sens  de  Jansenius,  condamnent  réellement  la  mesme  doctrine 
individuelle,  qui  seroit  approuvée  par  celuy  qui  diroit:  j'ap- 
prouve le  sens  de  Jansenius  ;  et  qu'ainsy  ils  sont  differens 
dans  la  chose  mesme. 

«  On  les  supplie  de  remarquer  qu'on  ne  leur  impute  pas  de 
dire  que  le  corps  de  l'Eglise  soit  hérétique  ;  mais  seulement 
qu'il  y  a  dans  l'Eglise  une  profession  de  foy  vrayement  héré- 
tique, approuvée  par  le  Pape  et  tous  les  Evesques  sans  contra- 
diction ;  et  c'est  ce  que  je  soustiens  que  tous  les  Théologiens 
déclareront  contraire  à  l'infaillibilité  de  l'Eglise,  et  ce  qui 
certainement  n'est  jamais  arrivé.   » 

(Apres  cette  sorte  de  préface,  Arnauld  fait  trois  rapides 
raisonnements  avec  principes,  démonstrations,  et  corollaires.) 

(Le  premier,  «  pour  monstrer  que  ces  mots:  le  sens  de 
Jansenius  est  hérétique,  contiennent  un  fait  et  un  droit  et 
que  ce  fait  qui  est  un  certain  dogme  hérétique  est  de  Janse- 
nius ». 

(Le  second,  «  pour  monstrer  que  celles  qui  ont  signé  qu'elles 
ne  recevoient  les  constitutions  que  quant  à  la  foy,  ont  excepté 
ce  fait,  que  le  dogme  condamné  soit  de  Jansenius  ». 

(Le  troisième  «  où  l'on  monstre  que  l'on  doit  croire  que  ces 
paroles  :  le  sens  de  Jansenius  est  hérétique,  ne  signifient  point 
que  la  grâce  efficace  soit  hérétique  ».) 


VI 


A  l'opuscule  d' Arnauld  qui  précède  est  joint  un  «  Petit 
Ecrit  de  Monsieur  Constant  »  [Nicole],  publié  dans  la  grande 
édition  de  Paris-Lausanne,  T.  XXII,  p.  83 r-833.  Il  renferme 
quelques  définitions  de  logique  et  montre,  par  un  tableau, 
en  quel  endroit  apparaît  la  faute  de  raisonnement  trouvée 
dans  l'argumentation  de  Domat  et  de  Pascal. 


ÉCRIT  SUR  LA  SIGNATURE.  —  APPENDICE  267 


VII 

Le  «  grand  écrit  »  que  Pascal  a  composé  alors,  d'après  des 
mémoires  fournis  par  ses  amis,  est  perdu  (cf.  les  lettres  de 
Pavillon,  supra  p.  io,3  sq.).  On  retrouve  quelques  indications 
sur  ce  qu'il  renfermait  dans  Nicole,  Lettre  d'un  théologien,  1666 
(cf.  infra  p.  344  sqq-)  ;  —  dans  le  mémoire  anonyme  écrit  vers 
1669  (cf.  supra  p.  i85);  —  et  même  dans  les  Mémoires  du 
Père  Rapin  qui  recueillit  les  souvenirs  de  Chamillard  (cf. 
supra  p.   f 92). 


CLXXVI 

LETTRE  DE  MADAME  PERIER 
A  ARNAULD  DE  POMPONNE 

21  mars  1662. 
Lettre  autographe,  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  ms.  66 13,  f°.  186. 


271 


INTRODUCTION 


Après  avoir  intéressé  à  l'entreprise  des  carrosses  publics 
le  marquis  de  Sourches,  et  réglé  les  droits  de  chacun  par 
l'acte  du  6  novembre  1661  (cf.  supra  p.  147),  les  quatre 
associés  firent  accorder  par  le  Conseil  du  roi  un  privilège  à 
leur  compagnie.  Les  lettres  patentes  furent  enregistrées  au 
Parlement  le  7  février  1662.  Les  deux  pièces  que  nous  don- 
nons ci-dessous  sont  empruntées  à  l'étude  très  attentive  que 
Monmerqué  a  publiée  sur  cette  question  :  Les  Carrosses  à  cinq 
sols  ou  les  Omnibus  du  dix-septième  siècle.  Paris,  F.  Didot, 
1828,  74  p.  '. 

Extrait  des  registres  du  Parlement.  —  Établissement  des 
Carrosses  en  la  ville  de  Paris  en  faveur  des  sieurs  ducs  de 
Roanès,  marquis  de  Sourches,  et  marquis  de  Crenan. 

Louis,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France  et  de  Navarre, 
à  tous  presens  et  à  venir,  salut.  Nostre  très  cher  et  bien  amé 
cousin,  le  duc  de  Roanes,  pair  de  France,  gouverneur  et 
nostre  lieutenant  gênerai  de  nostre  province  du  Poitou,  et 
nos  chers  et  amez  les  marquis  de  Sourches,  chevalier  de  nos 
ordres,  grand  prevost  de  nostre  hostel,  chevalier  et  marquis 
de  Crenan,  grand  echanson  de  France,  nous  ayant  tres-hum- 
blement  supplié  de  leur  vouloir  accorder  la  permission  de 
faire  un  establissement  dans  la  ville  et  faubourgs  de  Paris, 
pour  la  commodité  d'un  grand  nombre  de    personnes  peu 


1.   Cf.  aussi  un  intéressant  article,  paru  le  16  août  1907,  dans  le 
journal  Le  Temps  :  Véhicules  d'aujourd'hui  et  véhicules  d'autrefois. 


272  ŒUVRES 

accommodées,  comme  plaideurs,  gens  infirmes  et  autres  qui, 
n'ayant  pas  le  moyen  d'aller  en  chaises  ou  en  carrosse,  à 
cause  qu'il  en  couste  une  pistole  ou  deux  ecus  pour  le  moins 
par  jour,  pourront  estre  menez  en  carrosse  pour  un  prix  tout 
à  fait  modique,  par  le  moyen  de  l'establissement  des  carros- 
ses qui  feroient  tousjours  les  mesmes  trajets  de  Paris  d'un 
quartier  à  autre  :  sçavoir  les  plus  grands  pour  cinq  sols 
marquez,  et  les  autres  à  moins,  et  pour  les  fauxbourgs  à 
proportion,  et  partiroient  toujours  à  heures  réglées,  quelque 
petit  nombre  de  personnes  qui  s'y  trouvassent  auxdites 
heures,  et  mesme  à  vuide,  quand  il  ne  s'y  presenteroit  per- 
sonne, sans  que  ceux  qui  se  serviroient  de  ladite  commodité 
fussent  obligez  de  payer  plus  que  leurs  places  ;  nous  aurions 
sur  le  placet  qu'ils  nous  en  auroient  présenté,  renvoyé 
l'affaire  à  nostre  conseil,  le  vingt-cinquiesme  novembre  der- 
nier, pour  donner  son  avi*  sur  le  contenu  en  iceluy,  surquoy 
nostre  dit  conseil  ayant  par  son  résultat  du  dix-neuf- 
viesme  janvier,  mois  présent,  cy  attaché  sous  nostre  contre 
scel,  déclaré  que  nous  pouvons  accorder  à  nostre  dit  cousin 
le  duc  de  Roanès  et  auxdits  marquis  de  Sourches  et  de 
Grenan  la  permission  et  concession  d'establir  des  carrosses 
publics  dans  la  ville  et  fauxbourgs  de  Paris,  à  l'instar  des 
coches  de  la  campagne,  et  que  à  cet  effet  toutes  lettres 
nécessaires  peuvent  estre  expédiées.  A  ces  causes  desirans 
reconnoistre  les  services  de  nostre  dit  cousin  le  duc  de 
Roanès  et  desdits  marquis  de  Sourches  et  de  Grenan,  qui 
nous  sont  en  très  particulière  recommandation,  et  faciliter 
autant  qu'il  nous  est  possible  la  commodité  de  nos  sujets,  de 
nostre  grâce  spéciale,  pleine  puissance  et  autorité  royale, 
nous  avons  donné  et  octroyé,  donnons  et  octroyons  à  nostre 
dit  cousin  le  duc  de  Roanès  et  auxdits  marquis  de  Sourches 
et  de  Grenan,  par  ces  présentes  signées  de  notre  main,  la 
faculté  et  permission  d'establir  en  nostre  dite  ville  et  faux- 
bourgs de  Paris,  et  autres  de  nostre  obéissance,  tel  nombre 
de  carrosses  qu'ils  jugeront  à  propos,  et  aux  lieux  qu'ils 
trouveront  le  plus  commode,  qui  partiront  à  heures  réglées 


LETTRE  DE  MADAME  PERIER  273 

pour  aller  continuellement  d'un  quartier  à  autre,  où  chacun 
de  ceux  qui  se  trouveront  auxdites  heures  ne  payera  que  sa 
place,  pour  un  prix  modique  comme  il  est  dit  cy-dessus  ; 
pour  jouir  dudit  privilège  par  nostre  dit  cousin  le  duc  de 
Roanès  et  marquis  de  Sourches  et  de  Crenan,  leurs  succes- 
seurs et  ayant  cause,  pleinement  et  paisiblement  et  à  tous- 
jours  ;  faisant  très  expresses  inhibitions  et  défenses  à  toutes 
personnes  de  quelque  qualité  et  condition  qu'elles  soient,  de 
faire,  ni  souffrir  estre  fait  aucun  establissement  de  carrosses, 
coches,  ou  autres  voitures  différentes,  sous  prétexte  qu'elles 
fussent  d'autre  forme,  figure,  nombre  de  chevaux,  et  autres 
différences,  ni  de  toutes  autres  sortes  de  voitures  roulantes 
généralement  quelconques,  qu'on  voudroit  faire  aller  à 
l'instar  des  coches  de  la  campagne,  et  à  l'imitation  du  présent 
establissement,  dans  nostre  bonne  ville  de  Paris  et  autres, 
sans  la  permission  de  nostre  dit  cousin  le  duc  de  Roanès,  et 
des  dits  marquis  de  Sourches  et  de  Crenan,  ou  de  ceux  qui 
se  trouveront  estre  valablement  autorisez  d'eux  ou  de  leurs 
successeurs  et  ayant  cause,  à  peine  contre  les  contrevenans  de 
trois  mil  livres  d'amende  et  de  confiscation  de  leurs  chevaux, 
carrosses  et  autres  voitures.  Si  donnons  en  mandement  à  nos 
amez  et  féaux  conseillers,  les  gens  tenant  nostre  cour  de 
Parlement  de  Paris,  et  autres  qu'il  appartiendra,  que  ces 
présentes  ils  fassent  enregistrer  et  du  contenu  en  icelles  jouir 
et  user  nostre  dit  cousin  le  duc  de  Roanès  et  lesdits  marquis 
de  Sourches  et  de  Crenan,  leurs  successeurs  et  ayant  cause, 
pleinement  et  paisiblement  et  à  toujours,  cessant  et  faisant 
cesser  tous  troubles  et  empeschemens  au  contraire,  car  tel 
est  nostre  plaisir  ;  et  afin  que  ce  soit  chose  ferme  et  stable, 
nous  avons  fait  mettre  nostre  scel  à  ces  présentes,  sauf  en 
autres  choses  nostre  droit  et  l'autruy  en  toutes.  Donné  à 
Paris,  au  mois  de  janvier  l'an  de  grâce  mil  six  cent  soixante 
deux  et  de  nostre  règne  le  dix-neufviesme.  Signé  Louis  et 
sur  le  reply,  de  par  le  Roy,  de  Lomenie,  et  scellé  du  grand 
sceau  de  cire  verte. 

Registrées,  ouy  et  ce  consentant  le  procureur  gênerai  du 
2e  série.  VII  18 


274  OEUVRES 


Roy,  pour  jouir  par  les  impetrans  de  l'effet  et  contenu  en 
icelles  aux  modifications  portées  par  l'arrest  de  ce  jour,  à 
Paris,  en  Parlement,  le  sept  février  mil  six  cent  soixante 
deux.  Gollationné  à  son  original.  Signé  :  Du  Tillet. 


Du  mardi  sept  février  mil  six  cens  soixante  deux. 

Veu  par  la  Cour,  les  lettres  patentes  du  Roy,  données  à 
Paris  au  mois  de  janvier  1662.  signées  Louis,  et  sur  le 
reply,  par  le  Roy,  de  Lomenie,  et  scellées  sur  laz  de  soie  du 
grand  sceau  de  cire  verte,  obtenues  par  messire  Artus 
Gouffier  duc  de  Roanès,  etc.,  Jean  de  Bouschet,  chevalier 
des  ordres  du  Roy,  marquis  de  Sourches,  grand  prevost  de 
l'hôtel,  et  Pierre  de  Perrien,  chevalier,  marquis  de  Grenan, 
grand  eschaason  de  France,  par  lesquelles  et  pour  les  causes 
y  contenues,  ledit  seigneur  leur  auroit  donné  et  octroyé  la 
faculté  de...  (suit  l'extrait  des  lettres  patentes) 

Requête  présentée  à  la  Cour  par  lesdits  impetrans  à  fin 
d'enregistrement  des  dites  lettres,  conclusions  du  procureur 
gênerai  du  Roy,  ouy  le  rapport  de  M.  Pierre  de  Brilhac, 
conseiller  du  Roy  en  la  Cour,  tout  considéré,  la  cour  a 
ordonné  et  ordonne  que  lesdites  lettres  seront  registrées  au 
greffe  d'icelle  pour  estre  exécutées,  et  jouir  par  les  impetrans 
de  l'effet  et  contenu  en  icelles  à  la  charge  que  les  soldats, 
pages,  laquais  et  autres  gens  de  livrées,  mesmes  les  manœu- 
vres et  gens  de  bras,  ne  pourront  entrer  esdits  carrosses,  et 
sans  que  lesdites  lettres  puissent  nuire  ni  prejudicier  à  la 
liberté  de  ceux  qui  louent  des  carrosses  dans  la  ville  et 
fauxbourgs  de  Paris,  et  sans  préjudice  des  voitures  bien  et 
duement  establies  en  icelle,  ny  de  celles  qui  pourront  estre 
establies  à  l'avenir. 

Dans  les  papiers  provenant  d'Arnauld  de  Pomponne  que 
possède  la  Bibliothèque  de  V Arsenal,  ms.  661 3,  p.  190,  se 
trouve,  à  côté  de  la  lettre  de  Madame   Perier,   ce  billet  qui 


LETTRE  DE  MADAME  PERIER  278 

est,  comme  l'indique  une  note  manuscrite,  écrit  par  le  mar- 
quis de  Grenan. 

Ce  26.  février  [1662]. 

Nous  avons  creu  que  vous  seriez  bien  ayse  de  sçavoir 
l'essay  que  nous  avons  fait  de  la  force  des  chevaux  de 
louage.  Nous  en  avons  loué  deus,  deus  jours  de  suitte,  qui 
ont  parti  à  six  heures  du  matin  et  ont  fait  leurs  huit  routes 
gaillardement,  quatre  le  matin  et  finissant  devant  unze 
heures  n'allant  qu'au  pas  et  ayant  mesme  rencontré  des 
ambaras,  l' après  dinée  ils  commençoient  à  deus  heures  et 
demie  et  finissoient  à  six.  G'estoit  un  mesme  carosse  de 
louage  et  les  mesmes  chevaux  qui  ont  travaillé  tous  les  deus 
jours  et  n'estoient  point  harassés,  de  là  vous  jugerés  du 
reste  ;  nous  avons  fait  marché  à  huit  tours  à  cent  escus  par 
mois  pour  une  route  laquelle  seroit  desja  establie  sans  la 
raison  principale...  [ici  une  rature].  Nous  espérons  y  remédier 
dans  peu  de  jours.  Nous  sommes  persécutés  de  tout  le  monde 
pour  l'establir  où  un  chacun  dit  qu'il  ira,  et  nostre  affaire 
est  maintenant  creûe  aussi  bonne  qu'elle  passoit  au  commen- 
cement pour  ridicule.  Nous  la  tenons  tous  maintenant  indu- 
bitable. Mandés  nous  je  vous  supplie  des  nouvelles  de  vostre 
santé  et  nous  croyez  absolument  à  vous  ' . 


1 .   Au  bas  de  cette  lettre  se  trouvent  trois  signatures  par  initiales  : 
R.  — C.V.  —  et  aussi  peut-être,  d'une  écriture  toute  tremblée  :  B.  P. 


276 


LETTRE  DE  MADAME  PERIER 
A  ARNAULD  DE  POMPONNE1 

A  Paris,  ce  21e  Mars  1662. 

Gomme  chacun  s'est  chargé  d'un  employ  particulier 
dans  l'affaire  des  carrosses  j'ay  brigué  avec  empressement 
celuy  de  vous  faire  sçavoir  les  bons  succez  et  j'ay  eu  assez 
de  faveur  pour  l'obtenir.  Ainsy  Monsieur  toutes  les  fois 
que  vous  verrez  de  mon  escriture  vous  pourrez  vous  asseurer 
qu'il  y  a  de  bonnes  nouvelles.  L'establissement  commencea 
samedy 2  à  3sept  heures  du  matin  mais  avec  un  esclat  et  une 
pompe  merveilleuse.  On  distribua  les  sept  carrosses  dont 
on  a  fourny  cette  première  route.  On  en  envoya  trois  à 
la  porte  S1  Antoine  et  quatre  devant  Luxembourg  où  se 
trouvèrent  en  mesme  tems  deux  commissaires  du  Chas- 
telet  en  robe,  quatre  gardes  de  Monsieur  le  grand  prevost, 
dix  ou  douze  archers  de  la  ville  et  autant  d'hommes  à 
cheval.  Quand  toutes  les  choses  furent  en  estât  Mrs  les 
commissaires  proclamèrent  l'establissement  et  en  ayant 
remontré  les  utilitez  ils  exortherent  les  bourgeois  de  tenir 
mainforte  et  déclarèrent  à  tout  le  petit  peuple  que  si  on 
faisoit  le  moindre  insuit  la  punition  seroit  rigoureuse  et 
dirent  tout  cela  de  la  part  du  Roy.  En  suitte  ils  desli- 
vrerent  aux    cochers  chacun  4leur   casaques    (qui    sont 

1 .  Arnauld  de  Pomponne  atteint  dans  la  disgrâce  de  Fouquet  était 
alors  exilé  à  Verdun. 

2.  Le  18  mars. 

3.  [huict],  barré  au  manuscrit. 

4.  sic  dans  le  manuscrit. 


LETTRE  DE  MADAME  PERIER  277 

bleues  des  couleurs  du  Roy  et  de  la  ville  aveques  les 
armes  du  Roy  et  de  la  ville  en  broderie  sur  l'estomac) 
puis  ils  commandèrent  la  marche.  Alors  il  partit  un  car- 
rosse avec  un  garde  de  Monsieur  le  grand  prevost  dedans, 
*un  demy  quart  d'heure  après  on  en  fit  partir  un  autre  et 
puis  les  deux  autres  dans  des  distances  pareilles  ayans 
chacun  un  garde  qui  y  demeurèrent  tout  ce  jour  là.  En 
mesme  tems  les  archers  de  la  ville  et  les  gens  de  cheval  se 
répandirent  dans  toute  la  route.  Du  costé  de  la  porte 
S1  Antoine  on  pratiqua  les  mesmes  cérémonies  à  la  mesme 
heure  pour  les  trois  carrosses  qui  s'y  estoyent  rendus  et 
on  observa  les  mesmes  choses  qu'à  l'autre  costé  pour  les 
gardes,  pour  les  archers  et  pour  les  gens  de  cheval.  Enfin 
la  chose  a  esté  si  bien  conduitte  qu'il  n'est  pas  arrivé  le 
moindre  desordre  et  ces  carrosses  là  marchent  aussy  pai- 
siblement comme  les  autres.  Cependant  la  chose  a  reussy 
si  heureusement  que  des  la  première  matinée  il  y  eust 
quantité  de  carrosses  pleins  et  il  y  alla  mesme  plusieurs 
femmes,  mais  l'apres  disnée  ce  fut  une  si  grande  foule  qu'on 
ne  pouvoit  en  aprocher  et  les  autres  jours  ont  esté  pareils, 
de  sorte  qu'on  voit  par  expérience  que  le  plus  grand  incon- 
vénient qui  s'y  trouve  c'est  celuy  que  vous  aviez  apre- 
hendé,  car  on  voit  le  monde  dans  les  rues  qui  attend  un 
carrosse  pour  se  mettre  dedans,  mais  quand  il  arrive  il  se 
trouve  plein;  cela  est  fascheux  mais  on  se  console,  car  on 
sçait  qu'il  en  viendra  un  autre  dans  un  demy  quart 
d'heure.  Cependant  quand  cet  autre  arrive,  il  se  trouve 
qu'il  est  encore  plein  et  ainsy  quand  cela  est  arrivé 
plusieurs  fois  on  est  contraint  de  s'en  aller  à  pié  et  afin 
que  vous  ne  croyiez  pas  que  je  dis  cela  par  hyperbole 
c'est  que  cela  m'est  arrivé  à  moy  mesme.  J'attendois  à  la 

i.   [et],  barré  au  manuscrit. 


278  ŒUVRES 

porte  de  S1  Merry  dans  la  rue  de  la  Verrerie  ayant  grand 
envie  de  m'en  retourner  en  carrosse,  parceque  la  traitte 
est  un  peu  longue  de  là  chez  mon  frère,  mais  j'eus  le  de- 
plaisir  d'en  voir  passer  cinq  devant  moy  sans  pouvoir  y 
avoir  place  parcequ'ils  estoyent  tous  pleins  et  pendant  ce 
tems  là  j'entendois  les  bénédictions  qu'on  donnoit  aux 
autheurs  d'un  establissement  si  avantageux  et  si  utile  au 
public  et  comme  chacun  disoit  son  sentiment  il  y  en  avoit 
qui  disoyent  que  cela  estoit  parfaittement  bien  inventé 
mais  que  c'estoit  une  grande  faute  de  n'avoir  mis  que  sept 
carrosses  sur  une  route  et  qu'il  n'y  en  avoit  pas  pour  la 
moitié  du  monde  qui  en  avoit  besoin  et  qu'il  falloit  y  en 
avoir  mis  pour  le  moins  vingt.  J'escoutois  tout  cela  et 
j'estois  si  en  mauvaise  humeur  d'avoir  manqué  cinq  car- 
rosses que  j'estois  presque  de  leur  sentiment  dans  ce 
moment  là;  enfin  c'est  un  aplaudissement  si  universel 
que  l'on  peut  dire  que  jamais  rien  n'a  si  bien  commencé. 
Le  premier  et  le  second  jour  le  monde  estoit  rangé  sur  le 
pont  neuf  et  dans  toutes  les  rues  pour  les  voir  passer 
comme  le  mardy  gras  pour  voir  passer  et  c'estoit  une 
chose  plaisante  de  voir  tous  les  artisans  cesser  leur  ou- 
vrage pour  les  regarder  en  sorte  que  l'on  ne  fit  rien  sa- 
medy  dans  toute  la  route  non  plus  que  si  c'eust  esté  une 
feste.  On  ne  voyoit  par  tout  que  des  visages  riants  mais 
ce  n'estoit  pas  un  rire  de  moquerie  mais  un  rire  d'agrément 
et  de  joye  et  cette  commodité  se  trouve  si  grande  que  tout 
le  monde  la  souhaitte  chacun  dans  son  quartier  :  les 
marchands  de  la  rue  S1  Denis  demandent  une  route  aveques 
tant  d'instance  qu'ils  parloyent  mesme  de  présenter  re- 
queste.  On  se  disposoit  de  leur  en  donner  une  dans  huict 
jours  mais  hyer  au  matin  Monsieur  de  Rouanez  Monsieur 
de  Crenan  et  Monsieur  le  grand  prevost  estants  tous  trois 
au  Louvre,  le  Roy  s'entretint  de  cette  nouvelle  avec  beau- 


LETTRE  DE  MADAME  PERIER  279 

coup  d'agrément  et  en  s'adressant  à  ces  Messieurs  il  leur 
dit  :  Et  nostre  route  ne  l'establirez  vous  pas  bien  tost. 
Cette  parole  du  Roy  les  oblige  de  penser  à  celle  de  la  rue 
S1  honnoré1  et  de  différer  de  quelques  jours  celle  de  la  rue 
S1  Denis.  Au  reste  le  Roy  en  parlant  de  cela  dit  qu'il  vou- 
loit  qu'on  punit  rigoureusement  ceux  qui  feroyent  la 
moindre  insolence  et  qu'il  ne  vouloit  point  qu'on  trou- 
blast  en  rien  cet  establissement.  Voila  en  quel  estât  est 
présentement  l'affaire.  Je  m'asseure  que  vous  ne  serez  pas 
moins  surpris  que  nous  de  ce  grand  succez  ;  il  a  surpassé 
de  beaucoup  toutes  nos  espérances.  Je  ne  manqueray  pas 
de  vous  mander  exactement  tout  ce  qui  arrivera  de  bon 
suivant  la  charge  qu'on  m'en  a  donnée  pour  supléer  au 
défaut  de  mon  frère  qui  s'en  seroit  chargé  avec  beaucoup 
de  joye  s'il  pouvoit  escrire.  Je  souhaitte  de  tout  mon 
cœur  d'avoir  2matiere  pour  vous  entretenir  toutes  les  se- 
maines pour  vostre  satisfaction  et  pour  d'autres  raisons 
que  vous  pouvez  bien  deviner.  Je  suis  Vostre  très  obéis- 
sante servante. 

G.  Pascal. 

3Ce  mecredi   22. 

J'adjousteray  à  ce  que  dessus  qu'avant  hyer  au  petit 
couché  du  roy  une  baterie  dangereuse  fut  entreprise  contre 
nous  par  deux  personnes  de  la  Cour  les  plus  eslevées  en 

1.  Le  n  avril,  fut  établie  une  seconde  lirjne,  «  de  la  rue  Saint-An- 
toine à  la  rue  Saint-Honoré  »  ;  le  22  mai,  une  autre  fut  organisée  «  de 
la  rue  Montmartre  à  Luxembourg».  Monmerqué,  op.  cit.,  publie 
les  placards  qui  furent  affichés  alors  pour  en  informer  le  public,  et 
pour  lui  faire  connaître  les  améliorations  apportées  au  service. 

2.  [sujet  de],  barré  au  manuscrit. 

3.  En  comparant  l'écriture  de  cette  apostille  avec  celle  de  la  lettre 
citée  supra  p.  275,  on  voit  que  cette  addition  est  du  marquis  de 
Grenan  ;  Monmerqué  avait  cru  qu'elle  était  de  Pascal. 


280  ŒUVRES 

qualité  et  esprit  et  qui  alloit  à  la  ruine,  en  la  tournant  en 
ridicule  et  qui  eust  donné  lieu  d'entreprendre  tout,  mais  le 
roy  y  repondit  si  obligemment  et  si  sèchement  [?]  pour 
la  beauté  de  l'affaire  et  pour  nous,  qu'on  rengaigna  et 
promptement.  Je  n'ay  plus  de  papier.  Adieu  je  suis  tout 
à  vous. 

(Pour  Monsieur  de  Pomponne.  A    Verdun.) 


1  ^  4y 


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5 
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-282 


APPENDICE 

La  correspondance  de  Huygens  permet  de  compléter  l'his- 
toire des  inventions  pour  lesquelles  Pascal  s'était  associé 
avec  le  duc  de  Rouannez.  Dans  une  lettre  du  18 
septembre  i665,  il  écrit  à  R.  Moray  :  «  Pour  ce  qui  est  de  la 
pensée  de  Monsieur  Hook,  dont  il  a  pieu  me  faire  part, 
d'appliquer  dans  les  horologes  un  ressort  au  lieu  de  pendule, 
je  vous  diray  qu'estant  en  1660  à  Paris  Monsieur  le  Duc  de 
Roanais  me  parla  de  la  mesme  chose  et  mesme  me  mena 
chez  l'horologer  à  qui  luy  et  Monsieur  Pascal  avoient  commu- 
niqué cette  invention,  mais  soubs  serment  et  promesse  devant 
Notaire  de  ne  le  point  révéler  ni  se  l'attribuer1,  mais  je  ne 
trouvay  leur  manière  d'application  nullement  bonne...  » 
(Œuvres,  T.  V,  p.  465).  D'autre  part,  on  voit  que  quelque 
temps  avant  la  mort  de  Pascal,  le  duc  de  Rouannez  avait 
proposé  à  Huygens  de  demander  privilège  afin  d'organiser 
un  service  de  carrosses  publics  à  Amsterdam  (Lettre  de 
Huygens,  du  20  juillet  1662,  Œuvres,  T.  IV,  p.  180). 
Huygens  déclina  l'offre  ;  en  revanche,  pendant  un  nouveau 
séjour  fait  à  Paris  au  cours  de  l'hiver  1 663-1 664,  il  manifeste  un 
grand  intérêt  pour  les  essais  d'une  chaise  de  poste  à  un 
cheval  qu'il  appelle  la  «  machine  roanesque'2  ».  Huygens  parle 

1.  La  précaution  était  dictée  à  Pascal  par  le  souvenir  des 
«  ouvriers  »  qui  avaient  tenté  de  contrefaire  la  machine  arithmétique 
(vide  supra  T.  I,  p.  3 10,  et  T.  II,  p.  /402). 

2.  Plus  tard,  le  duc  de  Rouannez  prit  une  part  importante  à  l'en- 
treprise de  la  navigation  de  la  Seine  (privilège  concédé  en  novembre 
1676),  et  dans  la  concession  du  remontage  des  bateaux  sur  toutes  les 
rivières  de  France  dont  le  privilège  avait  été  donné  à  M.  de  Feu- 
quières,  en  i65i.  M.  A.  de  Boislisle  mentionne  à  cet  égard  un  contrat 
passé  le  26  juin  1696,  quelques  mois  avant  la  mort  du  duc,  survenue 


LETTRE  DE  MADAME  PERIER  283 

tantôt  des  «  inventeurs  »  (ibid,  T.  V,  p.  6),  tantôt  de 
«  l'inventeur  et  de  ses  associez  »  (p.  28)  ou  de  «  Messieurs 
les  intéressez  »  (p.  61).  Parmi  ces  derniers,  se  retrouve  le 
marquis  de  Crenan,  qui  envoie  à  Huygens  une  longue  lettre 
sur  les  perfectionnements  de  la  machine  (p.  90) !.  L'idée 
première  de  cette  chaise  est-elle  due  à  Pascal  ?  En  tout  cas  il 
doit  y  avoir  un  lien  entre  la  nouvelle  entreprise  de  Rouannez 
et  la  tradition  recueillie  par  Bossut  :  «  Je  finis,  écrit-il  dans 
Y  Avertissement  de  son  édition  de  Pascal  (1779,  T.  I,  p.  127), 
par  une  anecdote  que  je  viens  d'apprendre,  l'impression  de 
tous  les  volumes  de  cette  édition  étant  achevée. 

«  M.  le  Roy,  de  l'Académie  Royale  des  Sciences,  tient  du 
célèbre  M.  Julien  le  Roy,  son  père,  qui  connoissoit  bien 
l'histoire  des  Arts  et  des  inventions  méchaniques,  que  Pascal 
est  l'inventeur  de  deux  machines  très-simples  et  très-usuelles. 
La  première  est  cette  espèce  de  chaise  roulante,  traînée  à 
bras  d'homme,  que  l'on  appelle  Brouette  ou  Vinaigrette,  et 
dont  la  suspension  est  fort  commode.  La  seconde  est  le 
Haquet,  charrette  à  longs  brancards,  sans  ridelle,  qui  font 
bascule,  quand  on  veut  :  à  l'extrémité  antérieure  est  placé 
un  moulinet  qui  sert  à  faire  glisser  par  le  moyen  d'un  cable, 
des  tonneaux  pleins,  des  ballots  pesants,  etc.,  le  long  des 
brancards,  qui  forment  alors  des  plans  inclinés.  Il  y  a 
d'autres  espèces  de  Haquets  :  celle-là  est  la  principale  ;  elle 
contient,  comme  on  voit,  une  combinaison  ingénieuse  du 
tour  et  du  plan  incliné. 

«  On  trouve  dans  la  Vie  de  Pascal,  par  Madame  Périer,  sa 
sœur,  le  trait  suivant,  qui  semble  faire  allusion  à  la  première 
de  ces  inventions  :  Des  que  Vaffaire  des  Carrosses  (qui  est  de 
son  invention,  ajoute  une  copie  manuscrite)  fut  établie,  mon 
frère  me  dit  quil  vouloit  demander  mille  francs  par  avance  sur 
sa  part  à  des  Fermiers Pascal  avoit   aussi    inventé   une 


le  4  octobre  (Note  à  l'édition  de   Saint-Simon,  T    III,  p.  3 16,  n.  5 
et  ibid.  p.  535). 

1.  Cf.  d'Avenel,  Revue  des  Deux  Mondes,  i5  décembre  191 3,  p.  819. 


284  ŒUVRES 

machine  fort  simple  pour  le  puits  de  Port-Royal-des-Champs 
qu'on  appelloit  par  cette  raison,  le  Puils  de  Pascal  ;  mais 
nous  n'avons  pas  pu  nous  procurer  une  description  de  cette 
machine.  » 

Le  puits  est  mentionné  en  ces  termes  dans  la  Préface  du 
Nécrologe  de  1723,  p.  lxv  :  «  Au  milieu  étoit  un  grand  puits 
aux  sources  de  vingt  sept  toises  de  profondeur  avec  une 
machine  de  l'invention  de  M.  Pascal  parle  moïen  de  laquelle 
un  garçon  de  douze  ans  pouvoit  monter  un  volume  d'eau 
pesant  deux  cens  soixante  et  dix  livres,  sans  compter  le  poids 
du  seau.  » 


CLXXVII 
ACTES  NOTARIES 

SIGNÉS  PAR 
BLAISE   PASCAL 

[\  avril  et  23  juillet  1662. 

Minutier  de  Me  Blanchet,  notaire,  successeur  de  Me  Gallois  (commu- 
nication de  M.  Gh.  Samaran)  ;  et  minutier  de  Me  Mouchet,  suc- 
cesseur de  Me  Guneau. 


287 


ELECTION  DE  DOMICILE   DES  QUATRE 
CONTRACTANTS  DE  L'AFFAIRE  DES  CARROSSES 


Aujourd'hui  sont  comparus  par  devant  les  notaires 
garde  nottes  du  roy  nostre  sire  au  Châtelet  de  Paris 
soussignez  hault  et  puissant  seigneur  messire  Artus 
Goufier,  duc  de  Roannez,  pair  de  France,  gouverneur  et 
lieutenant  gênerai  pour  sa  majesté  du  haut  et  bas  Poictou, 
demeurant  à  Paris  Cloistre  et  paroisse  S1  Mederic, 
Messire  Pierre  de  Perrien  chevalier,  marquis  de  Crenan, 
grand  eschanson  de  France,  demeurant  à  S1  Germain 
des  Prez  lez  Paris,  rue  S1  Dominique,  parroisse  S1  Sulpice, 
et  Biaise  Pascal  escuyer  demeurant  hors  et  proche  la 
Porte  S1  Michel,  parroisse  S1  Gosme,  lesquels  ont  reconnu 
et  confessé  avoir  signé  les  traittez  et  conventions  cy  devant 
escrittes  dont  ils  sont  demeurez  d'accord1,  promettant 
respectivement  l'entretenir,  y  satisfaire  et  n'y  contrevenir, 
eslisants  leurs  domicilies  en  cette  ville  de  Paris  sçavoir 
ledit  seigneur  duc  de  Roannez  en  la  maison  deMe  Jacques 
Le  Vassor  procureur  en  Parlement,  rue  et  devant  l'Eglise 
S1  Anthoine  ;  le  dit  seigneur  marquis  de  Crenan,  en  la 


i.  La  minute  renvoie  ici  aux   conventions  du  6  novembre  1661 
(cf.  supra  p.  i4 5). 


288  ŒUVRES 

maison  de  Me  Travers,  procureur  en  Parlement  rue 

de  la  Parcheminerie,  et  le  dit  sieur  Pascal  en  la  maison 
de  Me  de  Paris  procureur  au  Chatelet,  rue  de  Sor- 

bonne,  et  ledit  sieur  de  Pomponne  en  la  maison  de 
Me  Hubert  de  Vignes,  procureur  au  Chatelet  rue  de  la 
Verrerie,  ausquels  lieux,  etc.  mettant  etc.  procurant  etc., 
chacun  endroit  son  etc.  Fait  et  passé  à  Paris  en  la 
maison  du  dit  sieur  Pascal  devant  déclarée  le  quatrième 
jour  d'avril  après  midi  Tan  mil  six  cent  soixante  deux, 
et  ont  signé  ces  présentes  quatruplées,  ceste  présente  pour 
le  dict  sieur  Pascal. 

Signé  :  Artus  Gouffier,  duc  de  Rouannes, 
Pierre  de  Perrien  G.  Ladvocat 

Lecaron         Pascal  Galloys. 

Aussy  par  ces  mesmes  présentes  les  dits  seigneur,  duc  de 
Roannés,  seigneur  marquis  de  Crenan  et  Sr Pascal  en  execut- 
tant  ce  qui  est  porté  par  le  dict  traicté  concernant  le  dit  Sr 
de  Pomponne  y  nommé,  ont  déclaré  qu'il  appartient  un 
sixiesme  du  dit  don  et  establissement  au  dit  Sr  de  Pom- 
ponne, ses  successeurs  et  ayant  cause  pour  les  raisons  y 
desduites  et  à  la  charge  de  contribuer  pour  ledit  sisiesme  à 
tous  les  fraiz  etadvances  et  d'acomplir  touttesles  charges  et 
conditions  dudit  traicté,  ce  qui  a  esté  accepté  par  dame  Cat- 
terine  Ladvocat,  espouze  et  procuratrice  du  dit  Mre  Symon 
Arnault,  Sr  de  Pomponne,  conseiller  du  roy  en  ses  con- 
seils, fondée  de  sa  procuration  generalle  pour  agir  en 
touttes  les  affaires  demeurant  à  Paris  rue  de  la  Verrerie 
paroisse  S1  Medericq,  laquelle  a  promis  et  s'est  obligée 
audit  nom  de  procuratrice  de  satisfaire  pour  le  dit  sisiesme 
à  tout  ce  qui  est  porté  par  le  dit  traicté  duquel  elle  a  eu 
communication  et  d'abondant  lecture,  et  de  faire  le  tout 


ACTE  NOTARIÉ 


ratiffier  par  ledit  Sr  de  Pomponne  incessamment  et  au 
surplus  lesdites  partyes1. 


i.  La  note  suivante  a  été  ajoutée  à  cet  acte  :  «  Le  présent  original 
a  esté  rapporté  à  Galloys  l'un  desdits  notaires  soubsignés  par 
M.  Me  Florin  Perier,  conr  du  Roy  en  la  cour  des  aydes  de  Clermont- 
Ferrand,  pour  garder  en  ses  minuttes  et  luy  en  deslivrer  expédition 
le  vingt  deuxième  jour  de  décembre  Mvie  soixante  deux  et  a  signé  : 
Perrier,  Lecaron,  Galloys.  » 


2e  série.  VII 


290 


II 


ENGAGEMENT  LOCATIF 
CONSENTI  PAR  PASCAL  AU  NOM  DE  M.  PERIER 

Fut  présent  en  sa  personne  Messire  Michel  Bonnart, 
chevalier,  seigneur  de  Fourquaux,  Conseiller  du  Roy  en 
ses  conseils  et  en  sa  cour  de  Parlement  de  Paris,  y  de- 
meurant, hors  et  près  la  porte  Saint  Michel,  paroisse 
Saint-Cosme,  lequel  a  recongneu  et  confessé  avoir  baillé, 
et  délaissé  à  titre  de  loyer  et  prix  d'argent  à  partir  de  la 
Saint-Remy  prochain,  pour  trois  années  aussi  prochaine- 
ment finir  et  accomplir  pendant  le  dit  temps,  à  M.  Florin 
Perrier,  Seigneur  de  Bien-Assis,  Conseiller  du  Roy  en 
sa  Cour  des  Aydes  de  Clermont-Ferrand,  et  dame  Gilberte 
Pascal,  sa  femme,  lesdits  preneurs  absents,  et  acceptant 
pour  eux  audit  titre,  ledit  temps  durant,  M.  Biaise  Pascal, 
ecuyer,  demeurant  hors  et  près  la  porte  Saint-Michel,  sus- 
dite paroisse,  et  ladite  dame  Pascal,  demeurant  sur  le  fossé 
de  la  porte  Saint-Victor,  paroisse  Saint-Etienne-du-Mont, 
à  ce  présent  du  nom  et  comme  se  disant  avoir  charge  du 
sieur  Perier  en  cette  partie,  auquel  il  promet  faire  ratifier, 

etc s'oblige  au  payement...  Une  maison  à  porte  co- 

chere,  audit  bailleur  appartenant,  sise  hors  et  près  la  porte 
Saint-Michel,  appelée  l'Hôtel  Saint  Denisjoignantet  atte- 
nant la  maison  où  demeure  ledit  bailleur,  consistant  en 
cave,  sallette,  cour,  quatre  chambres  au  premier  étage, 
quatre  chambres  lambrissées  au  second  étage,  et  grenier 
au-dessus,  sans  autre  déclaration,  ladite  dame  l'ayant  vi- 


ACTE  NOTARIÉ 


291 


sitée  à  loisir...  moyennant  le  prix  de  sepl  cent  livres  que 
ledit  preneur  payera  avec  quatre  termes  accoutumez  à 
partir  de  Noël  prochain... 


îkJ^pr^rJTr* 


Fait  et  passé  à  Paris...  en  la  maison  de  ladite  dame 
Perier,  le  vingt-troisième  de  juillet  mil  six  cent  soixante 
deux  et  pour  le  dit  sr  bailleur  aussy  en  sa  maison  le 
vingt  six...  et  ont  signé  : 

BoNNART    DE    FoURQUAUX  G.    P  ASC  AL 

Pascal  Guneau1. 

De  Saint- Waast 


i  .  Le  25  janvier  1 663,  la  maison  est  louée  par  le  même  propriétaire 
à  un  autre  locataire  ;  ce  qui  prouve  que  les  Perier  ne  s'y  sont  pas 
installés.  Le  27  septembre  1662,  ils  signent  un  autre  bail  à  dater  de 
la  Saint-Rémy  (ier  octobre)  pour  une  maison  sise  au  faubourg 
S1  Marcel,  rue  Neuve,  paroisse  S1  Etienne-du-Mont. 


CLXXVIII 

TESTAMENT  DE   PASCAL 

3  août  1662. 
Minutier  de  Me  Mouchct,  notaire  à  Paris,  successeur  de  Me  Guneau. 


295 


TESTAMENT  DE  PASCAL 

Fut  présent  en  sa  personne  Biaise  Pascal,  escuier, 
demeurant  ordinairement  à  Paris,  hors  et  près  la 
porte  S1  Michel,  paroisse  S1  Cosme  ;  de  présent  es- 
tant au  lict,  mallade  de  corps,  en  une  chambre  au 
second  étage  d'une  maison  sise  à  Paris,  sur  le  fossé 
d'entre  les  portes  S*  Marcel  et  S1  Victor,  paroisse 
S1  Etienne  du  Mont,  en  laquelle  est  demeurant 
Mre  Florin  Perier,  conseiller  du  roi  en  sa  cour  des 
aides  de  Clermont-Ferrand,  en  Auvergne  ;  touttefois, 
sain  d'esprit,  mémoire  et  entendement,  comme  il 
est  apparu  aux  notaires  soussignez,  par  ses  parolles, 
gestes  et  maintien  ;  lequel  considérant  qu'il  n'y  a  rien 
plus  certain  que  la  mort,  ny  chose  plus  incertaine 
que  le  jour  et  heure  d'icelle,  ne  désirant  en  estre 
prévenu  sans  tester,  pour  ces  causes  et  autres,  à  ce 
le  mouvant,  a  fait,  dicté  et  nommé  aux  notaires  sous- 
signez son  testament  et  ordonnance  de  dernière  vo- 
lonté, en  la  forme  et  manière  qui  en  suit. 

Premièrement,  comme  bon  chrétien,  catholique, 
apostolique  et  romain,  a  recommandé  et  recom- 
mande son  ame  à  Dieu,  le  suppliant  que,  par  le  me- 
ritte  du  précieux  sang  de  nostre  Sauveur  et  Ré- 
dempteur Jesus-Christ,  il  luy  plaise  luy  pardonner 
ses  faulteset  colloquer  son  ame,  quand  elle  partira  de 
ce  monde,  au  nombre  des  bienheureux,  implorant 


296  ŒUVRES 

pour  cet  effet  les  intercessions  de  la  glorieuse  Vierge 
Marie  et  de  tous  les  saints  et  saintes  du  paradis. 

Item,  veult  et  ordonne  ses  debtes  estre  payées  et 
toutes  faultes,  sy  aucune  y  a,  reparées  et  amendées 
par  le  sieur  son  exécuteur  testamentaire  soubs 
nommé. 

Item,  désire  son  corps  mort  estre  enterré  en  ladite 
église  Saint  Etienne  du  Mont  de  cette  dite  Ville  de 
Paris.  Pour  le  regard  des  cérémonies  de  son  convoi, 
service  et  enterrement,  ensemble  pour  les  messes, 
prières  et  aulmosnes  à  faire  pour  le  repos  de  lame 
dudit  sieur  testateur,  s'en  remet  et  repose  de  tout  à 
la  discrétion  et  volonté  de  son  dit  exécuteur  soubs 
nommé,  ou  s'il  estoit  lors  absent  de  cette  ville  de 
Paris,  à  la  discrétion  de  damoiselle  Gilberte  Pascal, 
sa  femme,  et  sœur  du  dit  sieur  testateur. 

Item,  donne  et  lègue  à  Françoise  Delfante1  (sic), 
femme  du  sieur  Pinel,  la  somme  de  douze  cents  li- 
vres, une  fois  payée. 

Item,  donne  et  lègue  à  Anne  Polycarpe2,  femme  de 
chambre  de  ladite  damoiselle,  la  somme  de  mille 
livres,  aussy  une  fois  payée. 

Item,  donne  et  lègue  à  la  nommée  Esdune,  ser- 
vante de  cuisine  dudit  sieur  testateur,  la  somme  de 
cent  livres  tz.  de  pension  par  chacun  an,  la  vie  du- 
rant d'icelle  Esdune. 


i.  Françoise  Delfaut,  sœur  de  Louise  Delfaut  dont  Pascal  fut  l'exé- 
cuteur testamentaire  (cf.  supra  T.  IX,  p.  207  sq.). 

2.  Par  son  testament  du  5  août  i663,  Madame  Perier  faisait 
aussi  un  legs  à  cette  servante  (cf.  infra  T.  XI,  Ier  supplément). 


TESTAMENT  DE  PASCAL  297 

Item,  donne  et  lègue  à  la  nourrice  qui  a  nourry 
de  mamelle  Estienne  Perier,  nepveu  du  dit  sieur 
testateur,  la  somme  de  trente  livres  de  pension  par 
chacun  an,  la  vie  durant  d'icelle  nourrice,  demeu- 
rant en  Normandie. 

Item,  donne  et  lègue  à  Biaise  Bardout1,  fdleul  du 
dit  sieur  testateur,  la  somme  de  trois  cents  livres 
pour  estre  employée  à  luy  faire  apprendre  mestier,  et 
jusques  à  ce  demeurera  es  mains  du  dit  sieur  exé- 
cuteur testamentaire,  qui  luy  en  fera  intérêt. 

Item,  donne  et  lègue  au  dit  Etienne  Perier,  son 
neveu,  la  somme  de  deux  mil  livres  tz.  une  fois 
payée. 

Item,  donne  et  lègue  le  dit  sieur  testateur,  à  l'hô- 
pital gênerai  de  cette  ville  de  Paris,  un  quart  du 
droit  appartenant  au  dit  sieur  testateur,  sur  les 
carrosses  publiques,  établies  depuis  peu  en  la  dite 
ville  de  Paris2,  à  la  charge  néanmoins  de  consentir, 
s'il  y  eschet,  qu'au  lieu  de  la  part  appartenant  de 
présent  à  M.  le  grand  prevot  sur  lesdites  carrosses, 
il  appartienne  à  l'avenir  au  dit  sieur  grand  prevot 
un  sixième  au  total  d'iceux,  en   telle    sorte    qu'au 


i.  Dans  son  testament  de  i663,  Madame  Perier  léguait  à  «  Biaise 
Musnier,  filleul  du  défunt  Biaise  Pascal  son  frère,  la  somme  de 
3oo  1.  t.  qui  produira  interest,  laquelle  demeurera  entre  les  mains 
du  sieur  Perier  pour  estre  payée  lorsqu'il  aura  atteint  l'âge  de  majo- 
rité, pour  luy  faire  apprendre  mestier » 

2.  «  aprez  que  le  traitté  deffinitif  qui  est  à  faire  pour  raison  des 
dites  carrosses  entre  Monsieur  le  duc  de  Rouannais,  Monsieur  le  Grand 
Prévost  et  Monsieur  le  Marquis  de  Grenan  auroist  esté  conclu  et 
arresté  —  la  présente  apostille  rayée  du  testament  du  sieur  testateur  » 
(apostille  commencée,  puis  rayée). 


298  ŒUVRES 

lieu  d'un  pareil  sixième,  qui  appartient  à  présent  au 
dit  sieur  testateur,  au  total  des  dites  carrosses,  il  ne 
luy  appartiendra  plus  qu'un  sixième  aux  cinq  sixiè- 
mes restants  ;  ou  à  condition  de  contribuer  par  le- 
dit hôpital,  proportion  aux  mesmes  frais,  charges, 
clauses  et  conditions  dont  le  dit  sieur  testateur  est 
tenu. 

Item,  donne  et  lègue  le  dit  sieur  testateur  (aux 
conditions  dessus  énoncées  pour  l'hôpital  gênerai  de 
Paris)  à  l'hôpital  gênerai  de  la  ville  de  Clermont  en 
Auvergne,  un  autre  quart  du  mesme  droit,  sy  mieux 
n'aime  le  dit  hospital  de  Clermont,  dans  trois  ans 
prochains  du  jour  du  deces  du  dit  sieur  testateur, 
prendre  la  somme  de  trois  mille  livres  (une  fois 
payée),  pour  ladite  portion,  laquelle  en  ce  faisant, 
retournera  à  la  dite  damoiselle,  sœur  du  dit  sr  testa- 
teur, qui  ne  pourra  rien  prétendre  à  la  jouissance 
qu'aura  eu  le  dit  hôpital  de  la  dite  portion  pendant 
le  dit  temps1. 

Item,  donne  et  lègue  le  dit  sieur  testateur  aux  con- 


i .  Perier  écrivit  aux  administrateurs  de  l'hôpital  de  Clermont  la 
lettre  suivante,  qu'a  publiée  Faugère  :  Lettres  Opuscules  et  Mémoires, 
i845,  p.  48i  : 

De  Paris,  ce  5.  septembre  [1662]. 
Monsieur  [sic] 

Je  m'adresse  à  vous  comme  ayant  une  connoissance  particulière  de 
l'honneur  de  vostre  amitié,  et  ayant  aussi  celuy  d'estre  vostre  con- 
frère, pour  vous  pryer  de  porter  au  premier  bureau  de  messieurs  les 
administrateurs  de  l'hospital  gênerai  l'extrait  du  testament  de  feu 
M.  Pascal,  que  je  vous  envoyé,  affin  qu'ils  poursuive  [sic]  le  légat 
qu'il  a  fait  à  cet  hospital  gênerai  et  qu'ils  y  mettent  tel  ordre  qu'ils 
adviseront.  Son  droit  aux  carosses  consistoit  en  un  sixième  des  cinq 
sixièmes,  c'est-à-dire  en  ung  septième  du  total.  Il  a  disposé  d'autres 


TESTAMENT  DE  PASCAL  299 

ditions  devant  énoncées  pour  l'hôpital  de  la  ville  de 
Paris,  à  Mre  Jean  Domat,  avocat  du  roy  au  presidial 
du  dit  Glermont,  un  autre  quart  du  sus  dit  droit 
pour  en  jouir  sa  vie  durant,  et  après  son  deces  le  dit 
quart  retournera  à  la  dite  damoiselle. 

Item,  désire  le  dit  sieur  testateur  qu'il  soit  fait 
restitution  pour  les  deux  tiers,  dont  il  pourroit  estre 
tenu  1  (à  cause  des  biens  de  feu  monsieur  son  père) 
des  arrérages  et  intérêts  reçus  sans  juste  titre  par  le 
dit  feu  sieur  son  père  (et  pour  le  total  de  ceux  qui 
ont  esté  ainsi  reçus  par  ledit  sieur  testateur),  le  tout 
selon  qu'il  sera  convenu  et  réglé,  tant  pour  la  somme 
que  pour  les  personnes  à  qui  elle  doibt  estre  distri- 
buée, par  le  dit  sieur  Florin  Perier,  la  dite  damoi- 
selle sa  femme,  et  par  le  dit  sieur  Daumat  (sic).  Ce 
qui  sera  réglé  dans  six  mois  au  plus  tard  par  eux 
tous  ou  au  moins  par  ceux  qui  se  trouveront  en  vie 
dans  ledit  temps  et  exécuté  par  le  dit  sieur  exécuteur 
testamentaire  soubs  nommé,  au  plus  tard  dans  un 
an  après  le  deces  du  dit  sieur  testateur. 


deux  quarts  en  d'autres  œuvres  pies,  et  en  a  laissé  le  quatrième  quart 
à  ma  femme.  J'ay  creu,  messieurs,  estre  obligé  de  vous  donner  cet 
advis  tant  en  qualité  de  son  héritier  des  biens  qu'il  a  laissé  et  de  son 
exécuteur  testamentaire  qu'en  celle  que  j'ay  l'honneur  d'avoir,  quoy- 
que  je  m'en  acquitte  tres-mal,  d'administrateur  aussy  de  vostre  hos- 
pital  gênerai.  Si  je  puis  contribuer  quelque  chose  pour  le  service  des 
pauvres  et  pour  le  vostre,  messieurs,  en  particulier,  je  vous  prye  de 
disposer  en  toute  liberté  de 
Messieurs, 

Vostre  tres-humble  et  tres-obeissant 
serviteur  et  confrère. 
Perier. 
i.  «  Gomme  héritier  de  feu  monsieur  son  père  »  (mots  rayés). 


F 


TESTAMENT  DE  PASCAL  301 

Et  pour  executter  et  accomplir  le  dit  présent  tes- 
tament, le  dit  sieur  testateur  a  nommé  et  esleu  le  dit 
sieur  Florin  Perier,  son  beau-frere,  qu'il  prie  en  voul- 
loir  prendre  la  peine,  revocant,  par  le  dit  sieur 
testateur,  tous  autres  testaments  et  codicilles  qu'il 
pourroit  avoir  fait  auparavant  cestuy  auquel  seul  il 
sarreste,  comme  estant  son  intention  et  dernière 
vollonté  ;  et  fut  ainsy  fait,  dicté  et  nommé  par  le  dit 
sieur  testateur,  aux  sus  dits  notaires,  puis  à  luy  par 
l'un  d'iceux  notaires  présents,  leu  et  releu,  qu'il  a 
dist  bien  entendre,  en  la  dite  chambre,  le  troisiesme 
jour  d'aoust  seize  cent  soixante-deux,  avant  midy, 
et  a  signé  : 

Pascal. 

QuARRÉ.  GUNEAU. 


CLXXIX 

LETTRES  ÉCRITES  A  L'OCCASION 
DE  LA  MORT  DE  PASCAL 

(19  août  16G2.) 


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30S 


INTRODUCTION 

Avant  de  publier  les  lettres  qui  furent  écrites  après  la 
mort  de  Pascal  par  Wallon  de  Beaupuis,  la  Mère  Agnès,  l'abbé 
de  la  Lane,  Arnauld  d'Andilly,  Saci,  la  Mère  Angélique  de 
S*  Jean,  Nicole,  le  duc  de  Rouannez  et  Chapelain,  nous  ras- 
semblons les  divers  documents  qui  nous  ont  été  transmis  sur 
la  maladie  et  sur  l'inhumation  de  Pascal  ;  —  nous  y  joignons 
les  éloges  composés  alors  pour  honorer  sa  mémoire,  —  une 
courte  notice  iconographique,  —  enfin  les  indications  que 
nous  avons  pu  recueillir  sur  la  bibliothèque  de  Pascal.  Nous 
reproduisons  en  appendice  tous  les  documents  qui  se  rap- 
portent aux  déclarations  que  Pascal  mourant  fit  au  curé 
Beurrier.  Le  plan  ci-contre  montre  où  se  trouvaient  la  maison, 
voisine  de  la  porte  Saint-Michel  (cf.  supraT.  VII,  p.  61 ,  n.  i), 
que  Pascal  quitta  le  29  juin,  et  celle  de  sa  sœur,  où  il  mourut 
le  19  août  (rue  des  Fossés-Saint- Victor). 

I.  —  DOCUMENTS  RELATIFS    A  LA  MALADIE  DE  PASCAL 

Dans  les  Portefeuilles  du  médecin  Vallant  (Bibliothèque  Natio- 
nale, ms.  f.  fr.  17047,  f°  65;  17053,  f°35o;  17054,  f°  nosqq.  ; 
17055,  f°  3i4)  se  trouvent  des  fragments  de  cahiers  écrits  par 
Vallant  lui-même  ;  ce  sont  des  recueils  de  recettes  variées,  avec 
l'indication  des  cures  opérées  par  ces  remèdes  sur  divers  malades . 
Parmi  les  notes,  dont  beaucoup  sont  de  i663,  quelques-unes 
concernent  Mlle  Perier,  «  Mlle  Jacqueline  »,  Mr  Perier  fils, 
«  Mlle  Margot»,  Mlle  Gadeau,  M.  Domat,  etc.  On  rencontre  di- 
verses consultations  tenues  au  sujet  de  Pascal  entre  les  méde- 
cins Hommets,  Brayer,  Guenaut,  Eusèbe  Renaudot  et  Valot. 
Nicolas  Brayer  (1 605-1678)  était  alors  également  renommé 
2e  série.  VII  20 


306  ŒUVRES 

pour  son  habileté  de  praticien  et  pour  sa  charité  ;  en  1 67 1 ,  il  re- 
fusa la  place  de  médecin  du  roi.  Gui  Patin  parle  dans  ses 
lettres  de  Pierre  Hommets,  oncle  de  Hamon,  qui  mourut  en 
1666  ;  il  fut  le  beau  père  du  fils  de  Gui  Patin.  Antoine  Valot 
(1 596-1 671)  fut  premier  médecin  du  roi  ;  Gui  Patin  le  men- 
tionne souvent.  Eusèbe  Renaudot  (16 18-1679)  fut  premier 
médecin  de  la  dauphine.  François  Guenaut  qui  mourut  en 
1667,  fut  premier  médecin  de  la  reine. 

Nous  classons  les  divers  documents  qui  concernent  Pascal1, 
d'après  l'ordre  chronologique  indiqué  par  le  D1'  Maurice  Potel 
dans  l'étude  très  complète  et  très  pénétrante  qu'il  a  consacrée  à 
la  maladie  de  Pascal  au  cours  de  ses  articles  sur  Noël  Vallant, 
France  médicale,  à  partir  du  2  5  juillet  iqi3  2. 

Mr  Pascal  laborat,  selon  M.  Guenaut3,  infarctu  viscerum 
ab  humore  melancolico  ;  qui  humor,  dum  fermentatur,  va- 
pores  emittit,  symptomata  producentes  varia,  prout  partes 
quas  attingunt,  diversse  sunt;  ideo  fermentantur,  quia  ebul- 
liunt  et  a  calore  fit  hœc  ebullitio  ;  ideo  mittendus  sanguis  ex 
utroque  brachio,  postea  purgandus  sicut  in  magna  quantitate 
jusculifol[ionim]senn[ae]  infundantur  jûj  [2  drachmes]  cumjfi 
[//5c?rac/ime]cremor[is]tartar[i]donectincturaextractasit,cole- 
tur  postea  et  detur  mane  per  sex  dies  vel  infundantur  ^ij  [2  gros] 
senn[ae]  in  îbij  [2  livres]  aquae  ;  facta  infusione,  addantur  pruna 
accidaadîbjS  [1/2  Hure];  coquantur  ad  médias,  colentur  et  utatur 

1.  Ces  documents  ont  été  publiés  dans  E.  Jovy,  Pascal  inédit,  T.  V, 
Vitry-le-François,  191 2,  p.  i5i  sqq.  et  dans  l'étude  citée  du  Dr  Potel. 

2.  Cf.  le  remarquable  travail  du  Dr  Just-Navarre  :  la  Maladie  de 
Pascal,  étude  médicale  et  psychologique,  Lyon,  191 1,  I24p-  in-4°  et 
Deux  notes  additionnelles  au  chapitre  de  la  psychologie  de  Pascal, 
Brignais,  191 2.  Voir  aussi  du  même  auteur,  les  Médecins  de  Pascal, 
Lyon,  191^. 

3.  En  interprétant  le  récit  que  Mme  Perier  nous  a  laissé  des  der- 
nières semaines  de  la  vie  de  Pascal  (supra  T.  I,  p.  io5  et  suiv.), 
M.  le  Dr  Potel  montre  que  «  la  date  de  la  consultation  »  de  Guenaut 
«  doit  être  bien  voisine  du  3  juillet  »  (France  médicale,  25  août  191 3, 
p.  20I1). 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  307 

ad  coclearia  decem  per  sex  dies  mane  ;  hoc  peracto  mittatur 
sanguis  ex  pede  ;  deinde  purgetur,  ut  supra,  ter  aut  quater 
et  tandem  utatur  aquis  mineralibus  vitriolatis  inter  quas 
prsefert  aquas  S11  Mion  reliquis. 

Colique  de  M.  Pascal  de  trente  jours  :  les  lavements  d'huille 
et  de  vin  au  commencement  l'un  (?)  luy  osta  entièrement  la 
douleur,  mais  elle  revint  sur  le  soir,  trois  ou  4  heures 
après,  trois  saignées  rien  pour  la  douleur  pour  régler  le 
pouls,  la  seconde  fit  cet  effet.  (Ceci  paraît  noté  dans  une  con- 
versation avec  Domat.^) 

Lavement  de  [V  hôpital  de]  la  Charité  pour  la  colique.  ...M.  Ho- 
mes l'a  fort  conseillé  à  M.  Pascal,  10  grains  ou  douze  avec 
demy  once  de  diaphœnic  ou  bien  six  grains  de  scamonnée  et 
X.  de  mercure  doux  dans  la  conserve  de  rose  et  un  verre  de 
ptisane  de  senne  par  dessus 

—  M.  Pascal  a  été  saigné  cinq  fois  des  bras  pour  sa  colique. 

M.  Brayer  a  proposé  de  le  purger  avec  trois  5mes  [3  drachmes] 
de  senne  infusées  dans  une  chopine  d'eau  de  veau  fort  légère, 
c'est-à-dire  l'eau  de  veau  ou  bien  l'eau  de  casse  l . 

M.  Renodot  est  d'avis  qu'on  le  purge  avec  deux  ou  trois 
drachmes  de  senne  dans  une  décoction  de  tamarind  et  de  ci- 
chorrée,  c'est-à-dire  chopine,  et  dissoudre  dedans  lamoesle  et 
les  pépins  d'un  quarteron  de  casse  pour  deux  prises,  une  à  six 
heures,  un  bouillon  à  8.  et  l'autre  à  midy. 

M.  Homes,  de  le  purger  dans  une  infusion  de  deux  drachmes 
de  senne  et  dissoudre  dedans  six  drachmes  de  catholicon 
double  pour  une  prise 

M.  Pascal  a  esté  purgé  avec  trois  drachmes  de  senne,  une 
once  de  tamarind  infusées  dans  une  chopine  d'eau  de  ci- 
chorée  dans  laquelle  on  faisoit  dissoudre  deux  onces  de  manne. 
Il  en  prit  une  prise  dans  de  grandes  douleurs,  qui  osta  les 
douleurs  comme  un  enchantement,  l'autre  une  heure  après, 

i.  Le  a3  décembre  1666,  Brayer  disait  à  Vallant  qu'il  ne  se  souve- 
nait plus  d'avoir  vu  M.  Pascal. 


308  ŒUVRES 

et  cela  le  purgea  bien.  (Les  douleurs  revindrent1.)  On  changea 
et  on  donna  la  première  prise  sans  manne  et  une  heure  après 
l'autre  avec  une  once  de  manne  seulement.  Gela  fit  plus  faire 

de  glaires 

Pour  la  colique,  M.  Homes  a  dit  chez  M.  Pascal  qu'une 
once  de  lenitif  fraichement  prise  dans  la  boutique  du  frère 
apotiquaire  des  Minimes  par  un  Minime  qui  avoit  une  coli- 
que depuis  longtemps  très  violente  fut  guary.  [Il  a  proposé 
pour  Mr  Pascal  i  o  grains  (barré)] ...  un  verre  de  petit  laict  dans 
lequel  on  avait  dissous  six  drachmes  de  syrop  de  nénuphar 
et  autant  de  syrop  violât  guérit  un  homme  de  la  colique... 

M.  Pascal  sera  demain  8  aoust(?)  purgé  avec  ?ij  [2  drachmes] 
senn[œ],  Hi  [/  once]  medull[œ  ]cass[iœ]  cam  acinis  infus[is]  in 
cyato  ptysanœ  :  in  colatura  diss[olve]  mann[œ]  jvj  [6  drachmes]; 
il  a  esté  purgé  4  fois  avec  cela  avec  quelques  tranchées. 

(Lettre  d'Eusèbe  Renaudot.)  11  n'y  a  aucun  risque  à  faire  rece- 
voir à  Monsieur  Pascal  un  lavement  avec  deux  onces  de  vin  eme- 
tique,  une  once  de  lenitif  fin  et  deux  onces  de  miel  de  nenu- 
far  dans  la  décoction  cy  devant  ordonnée,  mais  je  prefererois 
le  purgatif  sans  lequel  vous  n'aurez  jamais  raison  de  l'im- 
monde de  tout  le  bas-ventre  qui  ne  demande  qu'à  estre  éva- 
cué par  vostre  médecine  demain  matin  en  deux  prises  dans 
quatre  heures  d'intervalle  entre  la  première  et  la  seconde.  Il 
faut  qu'il  y  ait  de  notables  obstacles  pour  vous  empescher  de 
le  donner  comme  nous  avons  résolu.  Et  vous  n'en  demeurerez 
pas  là  ;  si  besoin  est,  nous  l'aiguiserons  mesme  aux  autres 
fois  avec  quelques  onces  de  nostre  vin.  Je  suis  tout  à  vous  et 
vostre  très  obéissant  serviteur.  E.  Renaudot. 

(Lettre  d'Hommets 2.)  Si  les  douleurs  continuent  et  empeschent 
le  dessain  de  la  purgation,  il  est  nécessaire  que  les  lavemens 
la  supléent,  mais  j'aurois  peur  dans  les  grandes  douleurs  d'y 

1.  Cette  indication  est  donnée  en  surcharge. 

2.  Cette  lettre  d'Hommets  serait,  selon  le  Dr  Potel,  une  réponse  à 
l'avis  de  Renaudot. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  309 

mettre  le  vin  emetique,  car  le  dessain  doit  estre  seullement(?)  en 
ce  tems  la  de  les  adoucir  :  si  n'estoit  dans  quelque  intervalle 
plus  doux,  auquel  cas  on  pourroit  y  en  adjouster  deux  ou 
trois  onces.  Homes.  (Au  dos  :  Pour  l'emetique  :  M.  Homes  et 
M.  Rcnodot  sur  le  sujet  de  M.  Pascal.) 

La  médecine  que  Mr  Valot  ordonna  à  Mr  Pascal,  le  vin  et 
la  poudre  emetique  n'ayant  rien  fait  dans  son  transport  ^iij 
[3  drachmes]  de  senne,  le  poids  d'un  escu  de  crème  de  tartre  et 
autan  de  cristal  minerai  ;  mettre  cela  dans  un  bouillon  ordi- 
naire, le  faire  boullir  après  deux  ou  trois  bouillons  ;  et  y 
dissoudre  en  suitte  deux  onces  de  manne  et  en  donner  au 
malade  deux  ou  trois  comme  cela  dans  le  jour1. 

II.  —  DOCUMENTS  RELATIFS  A  L'INHUMATION  DE  PASCAL 
ET  ÉLOGES  FUNÈBRES 

io  CARTE  D'ENTERREMENT  DE  PASCAL* 

Vous  êtes  priés  d'assister  au  Convoi,  Service  et  Enterrement 
de  défunt  Biaise  Pascal,  vivant  Escuyer,  fds  de  feu  messire 
Estienne  Pascal,  conseiller  d'Estat  et  Président  en  la  Cour  des 
Aydes  de  Clermond-Ferrand  ;  decedé  en  la  maison  de 
M.  Perier  son  beau-frere  et  Conseiller  du  Roy  en  ladite  Cour 
des  Aydes,  sur  les  fosses  de  la  porte  Saint  Marcel,  près  les 
Pères  de  la  doctrine  Chrétienne;  qui  se  fera  lundy  21e jour 

1.  Cette  consultation  date,  semble-t-il,  du  17  août.  La  note  manus- 
crite suivante  écrite  sur  un  exemplaire  des  Pensées,  édition  de  1670, 
qu'a  signalé  l' Intermédiaire  des  chercheurs  et  curieux,  1875,  T.  VIII, 
col.  383  (cité  par  Jovy,  Pascal  inédit,  T.  I.  p.  267)  indique  que  l'au- 
topsie fut  faite  par  Vallant.  «  Monsieur  Pascal  estant  mort,  M.  Val- 
land,  médecin  de  Mme  la  princesse  de  Conti  (sic),  fit  la  dissection 
de  sa  teste.  Il  la  trouva  sans  suture,  comme  le  sont  celles  des  femmes, 
ce  que  j'ai  appris  de  Monsieur  Perier,  beau-frere  de  feu  M.  Pascal.  » 
—  Sur  cette  autopsie  cf.  la  Vie  de  Me  Perier,  supra  T.  I,  p.  i35  sq. 

2.  Ce  billet,  qui  se  trouvait  mis  sous  verre  «  dans  le  Cabinet  d'un 
Magistrat  »  avec  le  billet  d'enterrement  de  Descartes,  fut  publié 
poui  la  première  fois  dans  le  Journal  de  Paris  du  4  avril  1783  (n°  9/1). 


3i0  ŒUVRES 

d'Aoust  1662  à  dix  heures  du  matin  en  l'Esglise  de  Saint- 
Estienne-du-Mont  sa  Paroisse  et  lieu  de  sa  sépulture,  où  les 
Dames  se  trouveront  s'il  leur  plait. 

a»  ACTE  D'INHUMATION  DE  PASCAL  1 

Le  lundi  21.  d'aoust  1662  fut  inhumé  dans  l'église  deffu  net 
Biaise  Pascal,  vivant  Escuyer  fds  de  feu  Me  Etienne  Pascal, 
conseiller  d' Estât  et  président  de  la  Cour  des  Aydes  de  Cler- 
mond-Ferrand.  5o  prêtres.  Reçu  :  20  francs  (Saint-Etienne- 
du-Mont,  Etat  civil  de  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris). 

3o  ÉPITAPHES 
A.  —  Copie  de  l'épitaphe  qui  est  sur  le  tombeau  de  M.  Pas- 
cal, gravée  sur  une  tombe  de  marbre,  dans  l'Eglise  de  Saint- 
Etienne-du-Mont,  à  Paris  (Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr. 

12449,  P-  9'9)- 

Hic  jacet  Blasius  Pascal  Glaromontanus,  Stephani  Pas- 
cal, in  suprema  apud  Arvernos  subsidiorum  Curia  Praesidis, 
filius,  post  aliquot  annos  in  severiori  secessu  et  divinse  legis 
meditatione  transactos  féliciter  et  religiose  in  pace  Ghristi 
vita  functus,  anno  1662.  aetatis  3g.  die  19.  Augusti.  Optas- 
set  ille  quidem  prse  paupertatis  et  humilitatis  studio  etiam 
his  sepulchri  honoribus  carere,  mortuusque  etiamnum  latere 
qui  vivus  semper  latere  voluerat.  Verum  ejus  hac  in  parte 
votis  cedere  non  potuit  Florinus  Perier,  in  eadem  Subsidio- 
rum Curia  Gonsiliarius  ac  sorori  Gilbert^:  Pascal  matrimo- 
nio  junctus,  qui  hanc  ipse  tabulam  posuit,  indicem  sepulchri 
et  suae  in  illum  pietatis.  Parcet  tamen  laudibus  quas  ille 
summopere  semper  aversatus  est,  et  Christianos  ad  Christiana 
precum  officia,  et  sibi,  et  defuncto  profutura,  cohortari  satis 
habebit. 

Cette  épitaphe   n'était  sans  doute  pas    encore   gravée,   le 

1.  Note  7019  de  Rochebilière,  Bibliothèque  Nationale,  ms.  n.  acq. 
f.  3621,  apud  Jovy,  Pascal  inédit,  T.  I,  p.  436. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  311 

5  août  i663!.  A  cette  date,  dans  son  testament,  MmePerier  prie 
son  mari  de  faire  poser  à  Sl-Étienne-du-Mont  «  une  tombe 
de  pierre  où  sera  mis  le  nom  du  défunt  sieur  son  frère,  en  la 
manière  qu'il  sera  avisé  par  ledit  sieur  Perier,  sans  qu'il  soit 
fait  aucune  mention  de  ladite  testatrice  ».  Mais  l'inscription 
était  en  place  à  la  fin  de  i665,  puisque  ce  fut  à  cette  occasion 
que  l'archevêque  de  Paris  fit  une  enquête  auprès  de  Beurrier. 
En  1684,  l'édition  des  Pensées  dit  que  Pascal  est  enterré  «  près 
la  Chapelle  de  la  Vierge  à  main  droite,  près  du  coin  du  Pi- 
lier de  la  mesme  Chapelle  :  l'Epitaphe  est  à  terre,  mais  elle 
est  effacée  ». 

B.  —  Bossutdonne  le  texte  d'une  autre  épitaphe,  légèrement 
différente  de  celle-ci  et  qui  paraît  avoir  été  apposée  plus  tard. 
Elle  était  d'abord  appliquée  au  pilier  de  la  chapelle  de  la 
Vierge  ;  elle  fut  placée  ensuite  au  bas  de  l'église,  au-dessus 
de  la  porte  latérale,  à  droite  : 

Pro  columnâ  superiori, 
Sub  tumulo  marmoreo, 

Jacet  Blasius  Pascal  Claromontanus,  Stephani  Pascal  in 
Supremâ  apud  Arvernos  Subsidiorum  Curiâ  Praesidis  films, 


1.  Sur  l'histoire  de  ces  épitaphes,  cf.  Raunié,  L'epitaphier  du  Vieux 
Paris,  igoi,T.  III,  p.  633;  et Jovy,  Pascal  inédit,  T.  I,  pp.  4i2  et 
56o.  —  Le  2  ventôse  an  VIII,  l'administration  municipale  du  12e  ar- 
rondissement de  Paris  écrivit  à  l'administration  centrale  du  départe- 
ment :  «  Citoyens,  votre  temple  décadaire,  ci-devant  l'église  S  t-E  tienne 
du  Mont,  renferme  les  restes  de  Biaise  Pascal  et  de  Jean  Racine.  Le 
citoyen  Lenoir,  conservateur  des  monuments  français,  nous  a  demandé 
le  24  pluviôse  dernier  l'autorisation  d'exhumer  ces  deux  hommes  cé- 
lèbres et  de  les  placer  dans  le  jardin  Elysée  destiné  à  cet  usage  par 
l'arrêté  du  Directoire  exécutif  du  iï\  germinal  an  VII.  Le  motif  est 
trop  respectable  pour  ne  pas  mériter  votre  assentiment,  dès  que  nous 
l'aurons  obtenu  nous  nous  empresserons  de  nous  rendre  au  vœu  du 

citoyen  Lenoir.  Salut  et  fraternité »  Le  i4  septembre   181 7,  le 

ministre  de  l'Intérieur  ordonna  que   la  pierre   tumulaire  de  Biaise 
Pascal  fût  retirée  du  dépôt  des  Petits-Augustins   «  pour  être  relevée 


312  ŒUVRES 

post  aliquot  annos  in  severiori  secessu  et  divinae  legis  me 
ditatione  transactos,  féliciter  et  religiosè  in  pace  Christi  vitâ 
functus  anno  1662.  aetatis  39,  die  19.  Augusti.  Optasset 
ille  quidem  pra3  paupertatis  et  humilitatis  studio  etiam  his 
sepulchri  honoribus  carere,  mortuusqueetiamnùmlatere,  qui 
vivus  semper  latere  voluerat.  Verùm  ejus  hac  in  parte  votis 
cùm  cedere  non  posset  Florinus  Perier  in  eâdem  Subsidiorum 
Curiâ  Consiliarius,  ac  Gilbertae  Pascal,  Blasii  Pascal  sororis, 
conjux  amantissimus,  hanc  tabulam  posuit,  quâ  et  suam  in 
illum  pietatem  significaret,  et  Christianos  ad  Ghristiana  pre- 
cum  officia  sibi  et  defuncto  profutura  cohortaretur. 

G.  —  D'autres  épitaphes  ont  été  composées,  qui  ne  furent  pas 
gravées  sur  la  pierre.  Celle  qui  suit  a  été  imprimée  en  1662, 
puis  réimprimée  dans  l'édition  des  Pensées  de  1684.  Elle  a  été 
composée  par  Aimonius  (ou  Aimé)  Proust  de  Ghambourg, 
professeur  de  droit  à  l'Université  d'Orléans,  mort  en  1706. 

NOBILISSIMI  SCUTARII   BlASII   PaSCALIS  TuMULUS. 

D.   0.  M. 

Blasius  Pascalis  Scutarius  Nobilis, 

Hic  jacet. 
Pietas  si  non  moritur,  seterne  vivet  : 

Vir  Gonjugii  nescius, 
Religione  sanctus,  virtute  clarus, 

Doctrinâ  celebris, 
Ingenio  acutus, 
Sanguine  et  animo  pariter  illustris, 


dans  l'Eglise  de  Sf-Etienne  du  Mont  où  reposent  les  cendres  de  cet 
illustre  écrivain  »  (Bibliothèque  municipale  du  XVIe  arrondissement, 
ms.  61,  pp.  96  et  97,  collection  Parent  de  Rosan,  copies  prises  dans  les 
Archives  de  l'Hôtel  de  Ville,  carton  1574). 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  313 

Doctus,  non  Doctor, 
^Equitatis  amator, 
Veritatis  deflensor, 
Virginum  ultor, 
Christianae  Moralis  Corruptorum  acerrimus  hostis. 
Hune  Rhetores  amant  facundum, 
Hune  Scriptores  norunt  elegantem, 
Hune  Mathematici  stupent  profundum, 
Hune  Philosophi  quœrunt  sapientem, 
Hune  Doctores  laudant  Theologum, 
Hune  Pii  venerantur  austerum, 
Hune  Omnes  mirantur,  Omnibus  Ignotum 

Omnibus  licet  Notum: 
Quid  plura  viator,  quem  perdidimus  Pascalem, 
Is  Ludov.  erat  Montaltius  ! 
Heu! 
Satis  dixi,  urgent  lacrymae, 
Sileo. 
Ei,  qui  bene  precaberis,  bene  tibi  eveniat, 
Et  vivo  et  mortuo. 

Vixit  an.  3g.  m.  2.  obiit  an.  rep.  sal.  1662.  14.  Kal.  Sept. 
Qasto  nasxocAtoç  ; 
Osu  ;  «peu;  nevxoç  ogov. 

Posuit  A.  P.  D.  G.  mœrens  Aurelian.  Ganonista. 


D.  —  Hermant  attribuait  à  tort  l'épitaphe  qui  précède  à 
un  lyonnais,  Costar,  chevalier  d'Ossari.  Peut-être  Costar  est-il 
auteur  de  cette  autre  épitaphe  que  nous  a  transmise  le  ms. 
f.  fr.  12449  de  la  Bibliothèque  Nationale,  f°  A. 

D.  0.  M. 
Epitaphium. 
Siste  gradum  Viator, 
Attende,  Lege,  Profitere. 


314  ŒUVRES 

Heu  !  jacet  in  tenui  monumento  Blasius  ille 

Pascalis,  Saecli  gloria,  honorque  sui. 
Invida  Mors  vita?,  qua?  debuit  esse  perennis, 

Ultima  prsecipiti  stamina  falce  scidit  ; 
Auratam  avulsit  Linguam,  vocemque  repressit, 

Gui  fandi  semper  copia  danda  fuit  ; 
In  tenebras  jecit  Lumen,  quod  ubique  micare 

Debuit,  et  radios  pandere  ubique  suos  ; 
Quem  nibil  in  tota  potuit  corrumpere  vita, 

jVIox  tandem  in  cineres  ipsa  redegit  Eum. 
Si  qua  movet  pietas,  hic  paulum  siste,  Viator, 
Te  precor,  et  tanti  tu  memor  esto  Viri  ! 

h°  ÉLOGES  FUNÈBRES 

A.  —  Nicole.  Elogium  D.  Blasii  Paschalii  (ier  Recueil 
Guerrier,  p.  70)*. 

Ingenium  Paschalii  etsi  communis  eruditorum  fama  cele- 
braverit,  quale  tamen  et  quantum  esset  paucis  omninô  notum 
fuit.  Non  enim  eruditione  multiplici  laborisque  diligentiâ 
censendum  est  ;  sit  doctorum  vulgaris  illa  laus,  non  ejus  sane 
qui  ad  inveniendas  potius  quam  ad  discendas  scientias  natus 
erat  :  quippe  quod  aliis  ex  antiquorum  monumentis  haurien- 
dum  est,  ex  uberrimo  proprii  ingenii  fonte  patebat. 

Valuit  quidem  memorià  ad  prodigium  usque,  sedeàrerum 
potius  quam  verborum,  ut  niliil  unquam  semel  ratione  com- 
prehensum  sibi  excidisse  non  jactanter  diceret.  Propria  ergo 
Paschalii  praestantia  in  mente  sita  est,  quamita  vastam,  luci- 
dam  et  sagacem  habuit,  ut  haud  scias  an  ullum  fais  animi 


1.  «  J'ai  transcrit  cet  éloge  sur  le  ms.  de  M.  Nicole  où  il  y  a  plu- 
sieurs ratures  ;  j'en  ai  trouvé  une  copie  où  on  lit  ce  que  j'ai  écrit  à  la 
marge  de  la  page  précédente.  La  traduction  française  de  cet  éloge 
que  j'ai  trouvée  parmi  les  papiers  de  Mlle  Perier  s'accorde  avec  cette 
copie.  Je  l'ai  transcrite  dans  un  autre  caver.  »  (Note  de  Guerrier.)  — 
Un  texte  plus  court  se  trouve  au  ms.  12^9  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  315 

dotibusparemhabuerit,  superiorem certe non  habuit.  Ilinc  illa 
existcbat  incredibilis  pcrspicacia  et  stupendus  in  indaganda 
veritate  et  penetrandis  rei  cujusque  recessibus  sensus  acutus 
adeo  exquisitus  ut  quantum  alios  videtur  fugere,  tantum  se 
veritas  illi  facilem  et  nudam  ultro  prœbere  videretur.  Hinc 
illa  in  explicandis  seu  voce  seu  scripto  scnsibus  eloquentia 
ardens  et  incitata  non  contentione  quadarn,  sed  ipsa  vi  et 
luce  veritatis  exquisitis  item  ac  vividis  verbis  et  sententiis 
abundans,  iisdemque  sponte  fluentibus  et  naturœ  potius 
facilitatem  quam  artis  industriam  redolentibus. 

Nec  deerant  tamen  artis  prœcepta,  non  illa  quidem  vul- 
garia  qua3  in  libris  exlant,  sedalia  longe  severiora  et  recon- 
ditiora  quœ  sibi  ipse  ex  ipsâ  naturâ  expressa  formaverat,  qui- 
busque  in  dijudicandis  et  suis  et  aliorum  scriptis  féliciter 
utebatur.  Atque  adeô  eum  in  nonnullorum  scripta  qua3  pro 
elegantibus  circumferuntur,  severius  libebat  inquirere,  tôt  in 
illis  nsevos  ad  oculum  demonstrabat  ut  judicium  ultrô  suum 
reprehenderent  quibus  illa  nimiùm  placuerant.  Sed  quam  rarô 
in  alienis  operibus,  liane  in  suis  semper  adhibebat  severita- 
tem,  uteamdem  saspe  scriptionem,  quam  vel  ab  initio  abso- 
lutam  undique  casteri  judicaverant,  sexies  ac  decies  facere  de 
integro  non  cunctaretur  :  adeô  ex  fecundissimae  mentis  sinu 
novae  subinde  cogitationes  alias  aliis  ornatiores  efïlorescebant. 

Geometriam  ac  cœteras  Matheseos  partes  cum  puerulus 
sine  magistro  didicisset,  et  pêne  dixerim  excogitasset,  ado- 
lescens  supra  omnes  magistros  excoluit,  nec  impari  gradu  pro- 
vehebatur  in  Physicis,  ni  illarum  disciplinarum  inanitatem 
pertœsus,  earum  studia  juvenis  penitus  abjecisset,  exinde  se 
totum  in  Theologiam  morumque  disciplinam  contulit,  quam 
unam  Christiano,  immo  homine,  dignam  esse  censebat.  Nec 
verô  in  illa  aut  ostentationem  doctrinae  aut  curiositatis  vo- 
luptatem  quœsivit,  sed  vivendi  tantum  normam  et  caritatis 
alimcntum.  In  Sacris  Litteris  tractandis  ac  meditandis  sic 
assiduus  fuit,  ut  illas  pêne  memoriter  teneret.  Supplente 
vires  imbecillocorpori  Religionis  amore,  quam  unam  habe- 
bat  in  animo,  colebat,   amplectebatur.  Eam  quantum  mente 


316  ŒUVRES 

penetravit,  tam  sedulo  moribus  exprimere  conatus  est  :  quos 
ipsa  natura  ingenuitate  mire  suaves,  sinceros,  castos,  in  pro- 
clivi  fecit,  aspirante  gratiâ  habere  Ghristianos. 

Quanquam  autem  post  relictas  vigesimo  quinto  aetatis  anno 
saeculares  litteras,  ad  quindecim  insuper  annos  vitam  pro- 
traxerit,  vix  tamen  tribus  aut  quatuor  tolerabili  valetudine 
usus  est,  atque  in  iis  lucubrationibus  collocavit,  quas  nullum 
licet  auctoris  nomen  praeferentes,  ipsi  tamen  non  ambiguus 
doctorum  consensus  asseruit  :  ita  proprio  nec  ullis  imitabili 
dicendi  caractère  insignitae  sunt.  Sed  longe  majora  ad  Pieli- 
gionis  gloriam  moliebatur,  cum  praematura  morte  intercep- 
tus,  anno  1662.  aetatis  4o.  ingens  bonis  omnibus  sui  deside- 
rium  reliquit. 

B.  —  Excerpta  ex  »  Heroum  poemate  »  encomia  l  (Biblio- 
thèque Nationale,  ms.  12449,  P-  9*7Y- 

Nunc  aperi,  Montalte,  diu  ignoravimus  omnes, 

Et  nomen,  patriamque  ;  tuos  dicemus  honores. 

Te  lepidus  cselo  tollit  jocus.  Aspera  tractas 

Molliter,  insanos  doctus  suspendere  naso 

Doctorum  mores  risuque  retexere  fraudes. 

Nam  tibi  quam  nitida  est,  felix,  simplexque  venustas  ! 

Plaudite  nunc,  nomen,  novus  incola  misit  ab  astris 

Nil  sibi  jam  metuens  Pascalius.  Ille,  magister 

Et  dux  ipse  sui,  totas  in  se  invenit  artes. 

Non  illum  docuere  anni,  non  improba  cura, 

Sedulitasque,  laborque.  Ànimis  vulgaribus  illa  est 

Débita  laus.  Gognata  altse  sapientia  menti 

Effudit  sese,  caelestis  prodiga  doni. 

Posterior  doctrina  venit,  nam  sponte  latentes 

Explicuit  natura  sinus,  non  ausa  repostas 

Glaudere  opes  ;  illi  sese  ultro  cuncta  profundunt. 


1.  Nous  ignorons  l'origine  de  cette  pièce,  que  reproduit  aussi  le 
Ier  recueil  Guerrier,  p.  5o. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  3i7 

Religio  blandis  dudum  velata  sub  umbris 
Sese  nudam  aperit  veteremque  agnoscit  alumnum. 
Quin  quoque  deposito  Mathesis  penetralia  vélo 
Exhibuit,  variae  inde  artes  et  mille  stupendi 
Prodigia  ingenii,  priscis  incognita  sœclis. 
Tum  mihi  musa  inquit  :  «  Nil  vidi  doctius  unquam. 
Nam  totos  hausit  nostro  sine  numine  libros. 
Sed  me,  quandoquidem  docuisti  plura,  docebis 
Quid  vult  illa  recens  operosae  fabrica  mentis. 
Hanctenet  in  manibus.  »  —  «  Parva  est  ea  machina,  dixi, 
Sed  longe  Archimedem  superat,  licet  ille  figura 
iEmulus  in  parva  totum  collegerit  orbem. 
Artis  majus  opus  fuit  ultima  meta  laborum. 
Machina  mille  rôtis  implexa,  et  mille  caducis 
Ponderibus,  numéros  facili  motu  exprimit  omnes 
Sunt  propriae  sedes  numerorum,  sedibus  illis 
Respondet  rota,  quse  motum,  si  postulet  ordo, 
Omnibus  aut  paucis,  dextra  vertente,  ministrat  ; 
Nam  diversa  omnes  faciunt  commercia  gyri. 
Si  tibi  centenis  collecta  pecunia  surgat 
Jugeribus,  poteris  totam  tibi  sistere  summam. 
In  sphœra  moti  orbiculi  sua  puncta  révélant. 
Quosque  nequit  toties  cruciatus  calculus,  implet 
Difficiles  numéros,  et  temporis  amputât  omnes 
Prompta  moras,  domino  semper  secura  rotanti. 
Bisdenos  juvenis  nondum  compleverat  annos, 
Cum  mentis  locuplete  sinu  illas  eruit  artes. 
Mens  tandem  ruptis  solvit  se  libéra  vinclis, 
Corporis  impatiens,  et  sese  reddidit  astris. 

III.  —  LES  PORTRAITS  ET  LA  BIBLIOTHÈQUE  DE  PASCAL 

Iconographie  de  Pascal.  —  Aussitôt  après  la  mort  de  Pas- 
cal, on  prit  un  moulage  de  ses  traits,  aujourd'hui  encore  con- 
servé,  grâce   auquel  fut  fait  le  portrait  du  peintre  Quesnel, 


318  ŒUVRES 

souvent  reproduit.  Ce  portrait  appartient  aujourd'hui  à  M.  le 
marquis  Doria1.  Edelinck  en  fit  la  gravure.  On  connaît  encore 
un  dessin  à  la  sanguine,  fait  par  Domat  sur  la  couverture  inté- 
rieure d'un  Digeste  et  une  peinture  d'Aurillac  qui  porte  sur 
la  toile  la  date  de  i658  (cf.  A.  Gazier,  Port-Royal  au  xvne  siècle. 
Paris,  Hachette,  1909,  et  Albert  Ojardias  :  Divers  portraits  de 
Pascal  et  des  siens,  Paris,  Champion,  19 10). 

Bibliothèque  de  Pascal.  —  Cette  bibliothèque  avait  été 
transmise  à  Marguerite  Perier  et  elle  fut  donnée  par  elle,  sans 
doute  vers  1 7 1 5,  au  bénédictin  dom  Jean  Guerrier,  prieur 
de  l'abbaye  de  Saint-Jean-d'Angély.  Il  envoya  tous  les  manu- 
scrits de  Pascal  à  Saint-Germain-des-Prés,  à  l'exception  de  la 
première  copie  des  Pensées,  qu'il  ne  donna  qu'en  1731 2.  Il  fit 
relier  les  brochures  et  les  feuilles  volantes,  et  installer  les 
livres  dans  des  bâtiments  qu'il  fit  construire.  Là  fut  trans- 
portée aussi  en  1744  la  bibliothèque  de  Fénelon.  Vers  i855, 
Faugère  rechercha  ce  qu'avaient  pu  devenir  les  livres  de 
Sf  Jean-d'Angély  ;  il  apprit  qu'au  début  de  la  Révolution  ils 


1.  Le  Père  Guerrier,  dans  son  3e  recueil,  p.  2g3,  note  une  con- 
versation qu'il  eut,  vers  1782,  avec  Marguerite  Perier  :  «  Mademoi- 
selle Perier  m'a  dit  que  M.  Pascal,  son  oncle,  portoit  toujours  une 
montre  attachée  à  son  poignet  gauche.  Quand  M.  Quesnel,  frère  du 
Père  Quesnel,  eut  fait  le  portrait  de  M.  Pascal  qui  estoit  mort 
depuis  plusieurs  années,  on  montra  ce  portrait  à  un  grand  nombre 
de  personnes  qui  avoient  connu  ce  grand  homme.  Tous  le  trou- 
vèrent parfaitement  ressemblant.  MUe  Perier  le  fit  voir  à  un  horloger 
de  Paris  qui  avoit  travaillé  assez  souvent  pour  son  oncle,  et  lui  de- 
manda s'il  reconnoissoit  ce  portrait.  C'est,  dit  l'ouvrier,  le  portrait 
d'un  monsieur  qui  venoit  icy  fort  souvent  faire  raccommoder  sa  mon- 
tre, mais  je  ne  sçai  pas  son  nom.  » 

2.  Cf.  domTassin,  Histoire  littéraire  delà  Congrégation  de  S1  Maur, 
Bruxelles,  1770,  p.  786  :  «  Il  se  réserva  le  manuscrit  des  Pensées  de 
M.  Pascal,  parce  qu'il  en  contenoit  qui  n'avoient  pas  pu  être  imprimées. 
Il  envoya  ce  recueil  à  Dom  Alaydon  Général  de  la  Congrégation, 
quelques  jours  avant  sa  mort  ».  Il  s'agit  évidemment  de  la  première 
copie  des  Pensées  que,  dès  1723,  dom  Guerrier  entendait  léguer  à 
S1  Germain  des  Prés  (cf.  Pensées,  T.  I,  p.  iv,  et  la  note). 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  319 

avaient  été  transportés,  les  uns  à  Saintes,  quelques  autres 
à  La  Rochelle.  Il  se  fit  même  donner  alors  par  l'évêque  de 
La  Rochelle  treize  ou  quatorze  recueils  de  pièces  provenant  de 
l'ancienne  abbaye,  qui  étaient  considérés  comme  ayant  appar- 
tenu à  Pascal  et  qui  se  trouvaient  alors  dans  la  «  Salle  infer- 
nale »  du  grand  séminaire.  Le  plus  grand  nombre  des 
livres  de  Pascal  fut  sans  doute  transporté  à  la  bibliothèque 
municipale  de  Saintes,  détruite  en  grande  partie  par  un 
incendie  en  1871.  De  très  nombreux  livres  de  théologie 
ont  été  sauvés  des  flammes,  et  il  est  probable  qu'il  y  a  encore 
là  quelques  débris  du  dépôt  de  1710  ;  mais  les  recherches 
qu'ont  bien  voulu  faire  M.  A.  Perrot  et  le  bibliothécaire  de 
Saintes,  M.  Dangibeaud,  n'ont  permis  de  relever  aucune 
indication  d'origine  sur  les  volumes,  examinés  d'après  les 
indications  du  catalogue  dressé  en  i885. 


320 


1 
LETTRE  DE  WALLON  DE  BEAUPUIS  A  HERMANT  i 

[19.  Août  1662.] 

Le  malade  que  nous  avions  icy  a  quitté  ce  monde  envi- 
ron une  heure  après  minuit,  ayant  esté  vingt-quatre 
heures  en  léthargie,  dans  laquelle  il  estoit  tombé  lors 
qu'on  ne  s'en  defioit  nullement,  les  médecins  ayant  avoué 
qu'ils  n'avoient  jamais  esté  plus  surpris,  quoy  que  plu- 
sieurs des  plus  habiles  l'eussent  veu  le  soir  mesme  avant 
que  cela  arrivast.  Elle  commença  par  une  horrible  convul- 
sion, qui  luy  prit  hier  après  minuit,  une  heure  ou  deux 
après  que  ceux  qui  avoient  accoutumé  d'estre  auprès  de 
luy  se  furent  couchez,  hors  deux  personnes  qui  estoient 
restées  pour  le  garder.  Ces  personnes,  merveilleusement 
étonnées  d'un  accident  si  épouvantable,  et  si  inopiné, 
éveillèrent  toute  la  maison  en  sursaut.  On  y  entendit  aussi- 
tost  de  grands  cris  et  des  gemissemens  tout  à  fait  pitoya- 
bles. Je  m'eveillay  à  ce  bruit,  et  estant  descendu  au  plus 
vite,  je  vis  tout  le  monde  dans  la  plus  grande  désolation 
que  l'on  se  puisse  imaginer.  Je  m'approchay  du  malade, 
que  l'on  tourmentoit  pour  tascher  de  le  reveiller  de  son 
assoupissement.  Cela  réussit.  Je  luy  dis  quelque  parole  et 
2envoyay  aussi-tost  quérir  M.  le  Curé...,  qui  l'avoit  déjà 

1.  La  copie  de  cette  lettre  se  trouve  dans  les  Mémoires  d'Hermant, 
T.  V,  p.  5i5.  Wallon  de  Beaupuis,  revenu  à  Paris  après  la  dispersion 
des  Petites  Ecoles  de  Port-Royal,  s'était  chargé  de  l'éducation  des 
deux  plus  jeunes  enfants  de  Madame  Perier,  et  demeurait  chez  elle. 

2.  Variante  de  la  copie  ancienne  des  Mémoires  d'Hermant  :  II  envoya 
chercher. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  321 

vu  et  à  qui  il  s'estoit  confessé  plusieurs  fois  durant  sa 
maladie,  pour  luy  apporter  les  sacremens.  Il  les  luy  apporta 
incontinent,  et  le  malade  les  ayant  receus  avec  connois- 
sance  et  beaucoup  de  dévotion,  il  perdit  un  quart  d'heure 
après  la  parole  et  la  connoissance,  et  n'en  a  point  eu 
depuis.  Ce  qui  nous  a  donné  lieu  de  croire  que  Dieu  ne 
les  luy  avoit  rendues  durant  ce  petit  intervalle  que  pour 
luy  faire  recevoir  les  sacremens,  qu'il  avoit  commencé  de 
demander,  au  moins  celuy  de  la  Sainte-Eucharistie,  plus 
de  quinze  jours  auparavant,  et  que  les  médecins  avoient 
tousjours  empesché  de  luy  donner,  ne  jugeant  pas  qu'il  y 
eust  rien  qui  pressast.  M.  le  Curé  a  tesmoigné  avoir  esté 
extraordinairement  édifié  de  sa  mort,  aussi  bien  que  M.  de 
Sainte-Marthe,  qui  l'a  vu  quelques  fois  durant  sa  maladie. 
C'est  un  grand  sujet  de  se  consoler  de  sa  mort;  mais  cela 
n'empesche  pas  que  sa  sœur  n'en  soit  touchée  à  un  point 
que  je  ne  puis  exprimer.  G  est  encore  une  personne  d'im- 
portance que  Dieu  nous  a  enlevée.  Il  n'est  pas  aisé  de 
comprendre  ses  desseins  ;  mais  il  faut  estre  persuadé  qu'ils 
sont  très  justes  et  les  adorer. 

II 

LETTRE  DE  LA  MÈRE  AGNÈS  À  MADAME  PERIER  2 

Gloire  à  Jésus  au   Saint- Sacrement. 

[Ce  20.  Août  1662.] 
Je  desirerois  que  vous  vissiez  mon  cœur  ;  vous  y  ver- 
riez, ma  tres-chere  sœur,  les  sentimens  de  douleur  que  je 
dois  avoir  de  la  perte  que  nous  avons  faite,   et  l'extrême 
compassion  que  j'ay  de  la  vostre  qui  est  incomparable. 

1 .  Leçon  de  l'autographe  d'Hermant  ;  la  copie  ancienne  donne  devant. 

2 .  La  copie  de  cette  lettre  se  trouve  dans  le  premier  recueil  manu- 
scrit du  Père  Guerrier,  p.  625. 

2e  série.  VII  21 


322  ŒUVRES 

J'aurois  sujet  de  croire  que  ce  billet  vous  seroit  plustost 
une  peine  qu'un  soulagement,  n'ayant  que  des  paroles 
foibles  et  trop  inégales  au  sujet  pour  lequel  je  vous  le  fais, 
si  je  n'avois  prié  Dieu  auparavant  de  vous  le  rendre 
agréable,  et  de  souffrir  que  je  vous  représente  ce  que  vostre 
foy  vous  met  devant  les  yeux,  mais  qu'ils  ne  peuvent  voir 
parce  qu'ils  sont  trop  offusquez  de  larmes  qui  noyent  en 
vous  toutes  ces  consolations  que  vous  pourriez  prendre 
dans  une  mort  aussi  heureuse  que  celle  que  nous  pleu- 
rons. Mais  je  n'ay  garde  de  croire  que  le  fond  de  vostre 
cœur  ne  soit  dans  la  soumission  que  vous  devez  à  Dieu, 
qu'ainsi  vous  ayant  fait  luy-mesme  une  si  grande  et  si 
profonde  plaie,  il  ne  trouve  moyen  de  la  guérir,  en  vous 
faisant  profiter  d'une  occasion  aussi  extraordinaire  et  aussi 
unique  que  celle-cy.  Ce  sera,  ma  chère  sœur,  lorsque  par 
un  effet  de  sa  grâce,  qui  est  aussi  puissante  qu'elle  est 
incompréhensible,  il  changera  vostre  trouble  en  une  paix, 
en  considérant  que  l'affection  que  vous  aviez  pour  ce  cher 
frère,  quelque  grande  et  extrême  qu'elle  fut,  ne  pouvoit 
aller  jusques  à  luy  procurer  autant  de  bonheur  que  celuy 
qu'il  a  receu  en  immolant  sa  vie  à  Dieu  dans  des  disposi- 
tions toutes  chrestiennes  et  toutes  saintes.  Ces  pensées,  ma 
chère  sœur,  n'empeschent  pas  que  la  nature  ne  souffre, 
puisqu'il  est  impossible  qu'elle  ne  soit  déchirée  par  une 
si  rude  séparation  ;  mais  elles  calment  l'esprit  et  empes- 
chent  les  raisonnemens  qui  se  présentent,  quiproduiroient 
toujours  de  nouvelles  douleurs.  Et  c'est  encore  ce  qui 
oblige  une  ame  qui  écoute  Dieu  dans  ces  rencontres,  de 
luy  dire  avec  le  prophète  :  Je  me  suis  tu,  et  je  n'ay  point 
ouvert  la  bouche,  parce  que  vous  l'avez  j ait. 

Vous  estes  seule,  ma  chère  sœur,  à  recueillir  la  succes- 
sion d'un  frère  et  d'une  sœur  qui  estoient  riches  des  biens 
de  Dieu,  qui  sans  doute  les  fera  passer  en  vous,  si  vous 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  323 

voulez  bien  les  acheter  au  prix  de  vostre  solitude,  et  de  la 
privation  où  il  vous  met  de  ces  chères  personnes  ;  si  ce 
n'est  qu'on  ne  peut  appeler  une  privation,  ny  un  vérita- 
ble eloignement,  une  absence  qui  vous  les  rend  plus  pre- 
sens  qu'ils  ne  pourroient  estre  estant  dans  le  monde,  puis- 
que Dieu  estant  partout,  vous  les  trouverez  toujours  en  luy 
dans  lequel  ils  vivent.  Et  de  mesme  que  vous  tiendrez  la 
place  de  ces  deux  personnes  qui  nous  ont  esté  si  intimes, 
c'est  ce  qui  nous  obligera  de  recueillir  en  vous  tous  les  senti- 
mens  d'affection  et  de  respect  que  nous  avions  pour  elles. 
Faites-nous  l'honneur,  ma  chère  sœur,  d'accepter  l'offre  que 
je  vous  en  fais,  et  de  croire  que  je  seray  tousjours,  avec 
une  entière  sincérité,  ma  chère  sœur,  vostre...  en  J.  G. 

Sœur  Agnes,  Rse  ind. 

III 

LETTRE  DE  M'  DE  LALANE  ABBÉ  DE  VALGROISSANT 
A  MUe  PERIER,  SOEUR  DE  M'  PASCAL  i 

ce  20.  d'Aoust^ 

Mademoiselle, 
Si  j'avois  la  liberté  de  sortir,  et  que  je  ne  fusse  pas 
maintenant  si  éloigné  de  vostre  quartier,  je  ne  manque- 
rois  pas  d'aller  pleurer  avec  vous  la  perte  si  affligeante  de 
M.  Pascal,  et  vous  tesmoigner  combien  je  suis  touché 
d'un  si  terrible  accident  et  pour  vous  et  pour  nous  tous. 
Je  n'y  puis  penser,  ny  vous  en  écrire  que  les  larmes  à 
l'œil.  C'est  peu  de  le  regretter  pour  ses  proches  et  ses 
amis,  il  le  faut  regretter  pour  toute  l'Eglise.  Tous  ceux 
qui  sçavent  ce  qu'il  avoit  fait  et  ce  qu'il  pouvoit  faire 
et  auroit  fait,  ne  peuvent  s'en  consoler  qu'en  adorant  la 

1 .  Copie  au  deuxième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  avec 
cette  note  :  «  copié  sur  l'original  » . 


3i4  ŒUVRES 

Providence  de  Dieu,  qui  l'a  voulu  oster  de  ce  monde  pour 
sa  gloire,  et  pour  recompenser  sa  pieté  et  ses  travaux.  Je 
vois,  Mademoiselle,  que  toute  autre  veue  que  celle-là  ne 
peut  que  vous  accabler,  et  qu'on  ne  peut  avoir  plus  de 
raison  que  vous  d'estre  affligée.  Dieu  nous  sépare  tous  et 
nous  sépare  de  tout.  C'est  luy  seul  que  nous  devons  re- 
garder pour  posséder  tout  en  perdant  tout.  Je  le  prie 
d'estre  vostre  consolateur  et  vostre  appuy.  Disposez  de 
moy  et  de  tout  ce  qui  est  en  moy.  Je  vous  asseure  que 
rien  ne  peut  m'estre  plus  cher  que  la  mémoire  de  Mon- 
sieur vostre  frère  et  l'interest  de  tous  les  siens.  Je  n'avois 
point  besoin  de  lettre  pour  vous  le  faire  connoistre  ;  vous 
connoissez  mon  cœur,  et  ne  pouvez  pas  ignorer  que  je 
suis  et  seray  toute  ma  vie,  vostre,  etc. 

IV 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  LA  MÈRE  AGNÈS  À  MADAME  DE 
FOIX,  COADJUTRIGE  DE  SAINTES  » 

[Ce  20.  Août  1Ô62.] 

Nous  sommes  d'ailleurs  dans  une  douleur  sensible 

de  la  mort  d'un  de  nos  meilleurs  amis  que  nous  perdis- 
mes  hier.  G'estoit  un  vray  serviteur  de  Dieu,  fort  zélé 
pour  la  vérité,  encore  qu'il  ne  fust  que  laïque  ;  Dieu  luy 
a  fait  des  grâces  singulières  en  sa  mort  dont  le  Curé,  qui 
l'a  assisté  est  dans  l'admiration,  encore  qu'il  ne  soit  pas 
janséniste,  comme  on  appelle  les  gens  de  bien.  Nous 
recommandons  tres-humblement  à  vos  prières  le  deffunt, 
qui  en  a  besoin  pour  effacer  ses  taches,  afin  qu'il  soit 
digne  de  se  présenter  devant  Dieu  :  et  une  sœur  qu'il 
laisse  dans  une  affliction  inconsolable  parce  qu'elle  i'ai- 
moit  uniquement 

1.  Copie  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  n°  3544,  lettre  271. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  325 


EXTRAIT  D'UNE  LETTRE 
DE  LA  MÈRE  AGNÈS  À  MADAME  LA  MARQUISE  DE  SABLÉ  i 

Gloire  à  Jésus  au  Tres-Saint-Sacrement . 


Ce  mardi  22.  Août  [1662]. 

Pourriez-vous  croire,  ma  tres-chere  sœur,  que  je  fusse 
insensible  à  la  perte  que  vous  avez  faite  et  qu'en  pleurant 
la  nostre  propre  et  celle  que  l'Eglise  a  faite  d'un  de  ses 
plus  fidèles  défenseurs,  je  ne  me  fusse  pas  représenté  le 
regret  que  vous  auriez  de  vous  trouver  privée  d'une  con- 
solation si  douce  comme  celle  que  vous  receviez  d'une 
personne  qui  vous  honoroit,  non  pas  comme  tant  d'autres 
qui  ne  considèrent  que  ce  que  vous  méritez  par  des  qua- 
lités singulières,  mais  qui  vous  regardoit  par  les  yeux 
de  la  foy,  ce  qui  luy  donnoit  un  zèle  et  un  amour  pour 
vostre  ame  qu'il  auroit  voulu  servir  aux  dépens  de  sa  vie? 
Et  c'est  ce  qui  vous  fait  ressentir  cette  solitude  terrible, 
de  vous  voir  délaissée  d'un  ami  si  fidèle  qui  ne  laisse  point 
son  semblable  après  luy,  excepté  les  autres  qui  ont  le  ca- 
ractère aussi  bien  que  la  charité  et  l'affection  pour  vostre 
salut.  Je  prie  Dieu  ma  chère  sœur,  qu'il  remplisse  ce 
vide,  et  qu'il  fasse  par  luy-meme  ce  qu'il  faisoit  par 
cet  instrument  de  sa  grâce  et  de  sa  miséricorde  sur 
vous... 


1.  Lettre  donnée  d'après  l'édition  Gillet-Faugère,  T.  II,  p.  68. 
— L'abbessede  S1  Àmand  de  Rouen,  Eléonore  de  Souvré,  nièce  de  la 
marquise  de  Sablé,  lui  écrivait,  peu  de  jours  après  la  mort  de  Pascal  : 
«  J'ay  apris  avec  douleur  la  mort  de  M.  Pascal,  parce  que  je  n'ay 
point  douté  qu'elle  ne  vous  touchât  »  (Bibliothèque  Nationale,  ms.  f. 
fr.  17048,  f.  60,  apud  Potel,  op.  cit.  p.  32/i). 


326  ŒUVRES 

VI 

LETTRE  DE  M.  DE  SACY  A  MADEMOISELLE  PERIER  » 

Ce  24.  Août  1662. 

Mademoiselle,  si  nous  estions  en  un  autre  temps  que 
celuy-cy,  je  n'oserois  pas  me  donner  l'honneur  de  vous 
dire  ce  que  je  vous  escris  dans  cette  lettre.  L'affliction  qui 
vous  est  arrivée,  Mademoiselle,  est  si  grande,  que  les 
paroles  des  hommes  sont  sans  doute  peu  utiles  pour  la 
soulager  ;  car  encore  qu'il  y  ait  quelque  satisfaction  dans 
nostre  douleur  de  voir  qu'elle  soit  sensible  à  beaucoup 
d'autres,  néanmoins  lorsqu'elle  est  aussi  grande  et  aussi 
juste  qu'est  la  vostre,  il  est  bien  difficile,  sur  tout  dans  les 
commencemens  que  l'esprit  s'occupe  d'aucune  autre 
chose  :  les  circonstances  mesme  d'une  si  grande  perte  sont 
encore  pénibles  et  affligeantes  ;  car  la  mort  d'une  Sœur 
qui  vous  estoit  chère  pour  tant  de  raisons,  et  dont  la  vie 
pouvoit  estre  si  utile,  a  esté  suivie  de  bien  près  de  celle 
d'un  frère  que  tant  d'excellentes  qualités  avoient  rendu 
digne  de  l'estime  et  de  l'amitié  que  vous  avez  eue  toujours 
pour  luy.  Je  ne  doute  pas,  Mademoiselle,  que  vous  n'ayez 
éprouvé  en  cette  rencontre  l'avantage  que  Dieu  vous  a 
donné  de  vous  avoir  attirée  à  luy  depuis  si  long  temps.  A 
moins  de  cela  il  vous  auroit  esté  bien  difficile  de  trouver 
quelque  soulagement  à  un  si  grand  mal  ;  mais  Dieu  vous 
ayant  fait  la  grâce  de  vous  donner  toute  à  luy,  vous  luy 

1.  Copie  au  deuxième  recueil  du  Père  Guerrier,  p.  108  ;  avec  cette 
note  :  «  copié  sur  l'original  ».  Le  17  mars  1678,  Saci  écrivait 
encore  à  M>  Perier  :  «  Je  vous  supplie,  Madame,  d'estre  persuadée 
que  je  crois  devoir  à  la  mémoire  de  Mr  Pascal  et  de  feu  Mr  Perier 
qui  ont  tant  aimé  la  vérité  et  ceux  qu'ils  ont  crû  l'aimer,  tout  ce  qui 
peut  dépendre  de  moy » 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  327 

avez  donné  en  mesme  temps  celuy  qui  ne  vous  estoit  pas 
moins  cher  que  vous-mesme  ;  et  quoy  que  les  ressentimens 
de  la  nature  étouffent  d'abord  ceux  de  la  foy,  néanmoins 
je  ne  doute  pas  que  Dieu  ne  devienne  vostre  consolateur, 
selon  que  l'Ecriture  dit  qu'il  guérit  lui-mesme  la  playe  qu'il 
a  faite  :  il  aimoit  celuy  que  vous  aimés  et  c'en  est  mesme 
une  marque  que  de  l'avoir  tiré  à  luy  par  une  fin  si  chres- 
tienne,  en  un  tems  où  ceux  qui  le  connoissent  véritable- 
ment ne  voyent  presque  rien  que  de  pénible  ou  de  dan- 
gereux dans  le  monde,  il  l'a  traité  en  cela  comme  d'autres 
que  vous  connoissiez,  dont  la  mort  est  bien  affligeante  pour 
les  leurs  et  heureuse  pour  eux-mesmes.  J'espère,  Made- 
moiselle, que  Dieu  recevant  la  soumission  avec  laquelle 
vous  luy  avez  fait  un  si  grand  sacrifice,  vous  donnera  part 
à  la  grâce  qu'il  a  faite  à  celuy  que  vous  regrettez,  et  qu'il 
remplira  luy-mesme  le  vuide  que  la  privation  d'une  per- 
sonne si  chère  fait  dans  vostre  cœur.  C'est  ce  que  nous 
continuerons  à  luy  demander  pour  vous  et  pour  luy,  afin  que 
Dieu  achevé  de  luy  donner  le  parfait  repos,  et  à  vous  cette 
paix  et  cette  consolation  qui  n'est  connue  que  de  ceux 
qui  l'aiment.  Je  suis  en  luy  de  tout  mon  cœur,  Made- 
moiselle, vostre  etc. 

Signé,  Sacy. 

VII 

LETTRE  DE  M'  D'ANDILLY  A  M?  PERIER, 
BEAU-FRÈRE  DE  M'  PASCAL  * 

Ce  28.  Aoûst. 

Je  vous  escris  de  Paris  où  je  suis  venu  pour  voir 
Mlle  vostre  femme,  et  Mr  et  MUe  Roanez  sur  le  sujet  de  nos- 
tre  commune  perte.   En  vérité  je  puis  bien  la  nommer 

1.  Copie  au  deuxième  recueil  du  Père  Guerrier,  p.  88,  avec  cette 
note  :  «  copié  sur  l'original  » . 


328  OEUVRES 

ainsi,  puis  que  quelque  douloureuse  qu'elle  vous  soit,  je 
ne  sçay  lequel  de  nous  tous  la  ressent  le  plus  ;  et  quoy 
que  ce  que  je  dis  semble  d'abord  assez  étrange,  il  n'y  a 
pas  lieu  néanmoins  de  s'en  étonner  ;  un  homme  aussi 
extraordinaire  qu'estoit  celuy-là  devant  estre  regretté  d'une 
manière  toute  extraordinaire  par  ceux  qui  connoissent 
comme  nous  la  grandeur  presque  incroïable  de  son  mé- 
rite, sans  mesurer  nostre  affection  par  les  sentimens  du 
sang  et  de  la  nature,  comme  l'on  feroit  pour  un  homme 
d'un  esprit  et  d'une  vertu  ordinaire.  La  sienne  a  si  fort 
paru  telle,  aussi  bien  dans  les  dernières  heures  de  sa  vie 
que  dans  le  temps  qui  les  avoit  précédées,  que  nous  ne 
l'aurions  pas  aimé  véritablement,  si  nous  ne  répandions 
des  larmes  de  joye  aussi  bien  que  de  douleur  dans  la  veuë 
de  la  félicité  dont  nous  avons  sujet  de  croire  qu'il  jouit 
maintenant.  J'ay  tant  de  choses  à  vous  dire  sur  cela,  et 
touchant  son  extrême  amour  pour  la  vérité  qui  luy  estoit, 
comme  vous  sçavez,  plus  chère  que  sa  vie,  que  je  ne 
sçaurois  assez  vous  tesmoigner  quelle  est  mon  impatience 
de  vous  voir,  de  vous  embrasser,  de  pleurer  avec  vous  ; 
et  de  me  consoler  avec  vous  ;  les  larmes  et  les  consola- 
tions s'accordent  fort  bien  ensemble  en  de  semblables  ren- 
contres. Hatez-vous  donc,  s'il  vous  plaist,  M.,  de  venir, 
et  si  lorsque  vous  serez  arrivé,  j'estois  retourné  dans  le 
désert,  je  vous  supplie,  ne  pensez  pas  vous  pouvoir  dis- 
penser de  m'y  donner  une  visite.  Car,  comment  que  ce 
soit,  je  ne  puis  du  tout  me  passer  de  vous  voir,  estant 
aussi  absolument  à  vous  et  du  fond  du  cœur  que  j'y 
suis. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  329 

VIII 

EXRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  LA  MERE  ANGÉLIQUE  DE   St  JEAN 
[A  ARNAULD  DE  POMPONNE,  SON  FRÈRE,  EXILÉ  A  VERDUN*] 

29.  Août  1662. 
Puisque  nous  vivons  encore,  il  est  juste  que  nous  nous 
consolions  ensemble,  mon  cher  frère,  de  la  mort  de  nos 
amis2.  Je  n'ay  pas  douté  que  vous  ne  Payez  d'autant  plus 
ressentie  que  Testât  où  vous  estes  ne  favorise  que  trop  la 
tristesse  que  des  pertes  semblables  causeroient  aux  plus 
heureux.  Mais  il  faut  bien  vouloir  que  Dieu  comble  de 
tout  ce  qui  luy  plaira  la  mesure  de  nos  souffrances  et  de 
nos  douleurs,  puisqu'elle  fera  la  proportion  de  ses  conso- 
lations et  de  ses  recompenses  qu'il  a  promis  d'y  égaler,  si 
l'on  peut  appeller  égalité  de  nous  donner  cent  pour  un;  et 
la  vie  bienheureuse  et  éternelle  pour  une  affliction  légère 
et  d'un  moment.  Tout  ce  que  je  trouve  d'avantageux  à 
vostre  solitude  dans  ces  tristes  occasions,  est  qu'elle  vous 
donne  lieu  d'y  faire  plus  de  reflexion  que  vous  ne  pour- 
riez faire  au  milieu  des  occupations  et  des  amusemens  de 
la  vie  du  monde,  qui  emportent  d'ordinaire  de  l'esprit  la 
semence  que  Dieu  y  jette  par  ces  rencontres  où  il  nous 
parle  plus  intelligiblement  si  nous  l'ecoutions  qu'il  ne  fait 
par  la  voix  extérieure  de  l'Ecriture  et  des  Sermons,  qui 
ne  frappent  d'ordinaire  que  l'oreille;  mais  les  afflictions 
touchent  le  cœur  et  frappent  à  sa  porte,  il  ne  reste  qu'à 
l'ouvrir  afin  que  Dieu  y  entre,  et  qu'il  [le]  remplisse  de 
la  joye  et  de  la  consolation  qu'il  a  promise  aux  larmes.  Il 
faut  que  je  vous  avoue  que  j'ay  si  fort  souhaitté  ce  bon- 
heur pour  vous  en  vous  voyant  dans  l'accablement  où  il 

1.   Copie    dans  un  manuscrit  du  xvine  siècle  ayant  appartenu  à 
Mlle  de  Théméricourt. 

a.  Maignard  de  Bernières,  mort  le  3i  juillet,  et  Pascal. 


330  ŒUVRES 

est  facile  que  vous  vous  trouviez  quelque  fois,  que  lisant 
un  Ecrit  de  80  *.  en  55.  pages  qu'il  avoit  fait  au  com- 
mencement qu'il  fut  touché  dans  une  grande  maladie,  il 
m'a  semblé  que  c'estoit  une  peinture  de  Testât  où  vous  estes, 
pourvu  que  Dieu  y  achevé  les  derniers  traits  qui  est  de 
vous  y  donner  les  mesmes  sentimens.  J'ay  cru  que  l'es- 
time  que  vous  faisiez  de  l'auteur,  et  l'utilité  du  sujet  vous 
donneroit  de  la  consolation  de  pouvoir  vous  entretenir  avec 
luy  mesme  après  sa  mort,  et  l'entendre  vous  ouvrir  le 
fonds  de  son  cœur;  c'est  pourquoy  je  vous  l'envoyé,  et 
vous  le  pouvez  garder  si  vous  voulez,  quoyque  900. -  m'eust 
dit  que  quand  vous  l'auriez  vu,  il  seroit  bien  aise  que 
vous  luy  envoyassiez  ;  mais  je  croy  que  ce  n'est  que  pour 
ne  m'en  pas  demander  une  copie  qu'il  m'a  dit  cela,  et  il 
est  facile  de  luy  en  faire.  Il  a  esté  cinq  ou  six  jours  pour  ce 
triste  sujet,  et  en  s'en  retournant  hier  il  me  laissa  ce  petit  bil- 
let pour  vous,  que  je  luy  dis  que  je  mettrois  dans  mon  pa- 
quet... Dans  ce  retardement  Dieu  vous  peut  délivrer  aussi 
bien  que  nos  deux  amis  qu'il  a  retirez  dans  le  secret  de  sa 
face  du  trouble  des  hommes,  et  il  n'y  a  de  véritable  repos 
que  celuy  où  l'on  entre  par  la  mort  qui  est  la  porte  d'une  vie 
exempte  des  troubles  et  des  changemensde  celle-cy... 

IX 

LETTRE  DE  M.  NICOLE  A  M.  DE  SAINT-CALAIS3. 

Ce  3  Septembre  [1662]. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  extraordinaire  que  ma  paresse.  Je 
pense  six  fois  le  jour  que  je  vous  dois  une  response,  et 

1 .  Le  numéro  80  désigne  Pascal  ;    il  s'agit  de  l'écrit  sur  le  Bon 
usage  des  maladies,  cf.  supra  T.  IX,  p.  32 1. 

2.  Numéro  qui  désigne  Arnauld  d'Andilly,  leur  père. 

3.  Apud  dom  Denis,  Lettres  autographes  de  la  collection  de  Troussures, 
191 2,  p.   58o,   n°    592.    11  nous   paraît  très  probable  que  tous  les 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  331 

ainsi  ce  n'est  pas  par  oubli  :  j'ay  peu  d'affaires  depuis 
nostre  retour,  et  ainsi  ce  n'est  pas  manque  de  loisir; 
c'est  donc  une  paresse  toute  pure  et  un  abatement  où  me 
mettent  tant  d'estranges  accidens,  qui  fait  que  je  ne  sçau- 
rois  presque  m'appliquer  à  rien  :  le  dernier  mort  sera 
regretté  de  moins  de  personnes,  parce  qu'il  estoit  moins 
connu,  mais  il  sera  encore  plus  regretté  de  ceux  qui  le  con- 
noissoient.  Enfin  l'on  peut  dire  avec  vérité  que  l'on  a  perdu 
un  des  plus  grans  esprits  qui  ait  peut  estre  jamais  esté. 
Je  n'en  voy  point  de  comparables  à  luy  :  Pic  de  la  Mirancle 
et  tous  ces  gens  que  le  monde  a  admirez  estoient  des  niais 
auprès  de  luy.  Vous  sçavez  comment  il  a  vescu  depuis  sa 
retraitte,  mais  il  n'y  a  rien  de  plus  édifiant  que  sa  mala- 
die. Sa  patience  dans  des  douleurs  extraordinaires  a  esté 
tout  à  fait  admirable,  il  a  fait  de  grandes  charitez  durant 
sa  maladie  et  a  presque  tout  donné  son  bien  à  sa  mort.  Il 
sera  peu  connu  dans  la  postérité,  ce  qui  nous  reste  d'ou- 
vrages de  luy  n'estant  pas  capables  de  faire  connoistre  la 
vaste  estendue  de  cet  esprit  ;  mais  il  n'y  pert  pas  grande 
chose  en  vérité  :  c'est  bien  peu  de  chose  que  les  hommes, 
leur  réputation  et  leur  jugement.  Quand  je  voi  disparoistre 
en  un  moment  ceux  que  nous  avons  le  plus  admiré,  il  me 
semble  que  ce  sont  de  ces  vagues  que  nous  venons  de  voir 
en  nostre  voyage   qui  s'estendent  et  se  dissipent  en  un 


noms  cités  dans  cette  lettre  —  à  l'exception  de  celui  de  Conrart  —  sont 
des  pseudonymes,  et  que  le  destinataire  en  est  un  ami  très  intime  de 
Nicole,  peut-être  Arnauld.  L'ouvrage  dont  il  est  question  semble 
être  la  Logique  qui  parut  en  juillet  1662,  chez  Savreux.  A  la  fin  de 
la  lettre,  il  faut  sans  doute  lire  Pérou  (et  non  Sérou).  Le  Pérou  dési- 
gnerait l'île  de  Nord-Strand  dont  Arnauld,  Nicole,  Saint-Amour, 
Lalane,  Pontchâteau,  Angran  étaient  actionnaires  {Vide  supra  p.  1^8, 
n.  1,  et  cf.  Sainte-Beuve,  Port-Royal,  5e  édition,  1888,  T.  IV, 
p.  374,  378,  379).  L'affaire  des  Gardes  Corses  dont  il  est  question 
est  du  20  août  1662. 


332  ŒUVRES 

moment,  avec  cette  seule  différence  que  les  vagues  après 
s'estre  abaissées  se  peuvent  élever  encore  une  fois,  au 
lieu  que  les  hommes,  après  avoir  paru  dans  la  vie,  rentrent 
par  la  mort  dans  Testât  d'une  éternelle  stabilité.  Pardonnez 
cette  comparaison  à  un  homme  qui  vient  de  voir  la  mer 
et  qui  a  passé  deux  jours  sur  le  rivage  à  admirer  ces 
montagnes  d'eaux  qui  se  fondent  en  un  moment,  dans 
lesquelles  il  luy  sembloit  voir  l'image  des  grandeurs  du 
monde,  aussi  bien  de  l'esprit  que  de  la  fortune.  Geluy 
que  nous  regrettons  estoit  Roy  dans  le  royaume  des 
esprits  et,  s'il  y  avoit  quelque  chose  d'estimable  dans  le 
monde,  cette  Royauté  le  seroit  sans  doute  davantage  que 
celle  des  Roys  de  la  terre.  Cependant  que  reste-t-il  de  ce 
grand  esprit  que  deux  ou  trois  petits  ouvrages  dont  il  y 
en  a  de  fort  inutiles  :  mais  ce  qui  nous  doit  consoler  est 
qu'il  emporte  avec  luy  un  très  grand  nombre  de  bonnes 
œuvres,  de  charitez,  de  soufrances  qu'il  a  beaucoup 
aimées,  c'est  ce  qui  luy  reste  et  qui  luy  demeurera  éternel- 
lement, ce  qui  nous  fait  bien  voir  qu'il  n'y  a  que  cela  de 
solide  et  de  véritablement  estimable1 


i.  Voici  la  fin  de  cette  lettre  :  «  Pour  la  lettre  de  M.  Conrart,  je 
l'ay  égarée.  Je  me  paye  peu  de  ces  fanfares.  J'aimerois  mieux  que  le 
monde  louast  moins  cet  ouvrage  et  l'achetast  davantage  ;  néanmoins 
j'espère  que  nous  en  aurons  bientost  retiré  nos  frais.  Je  vous  prie  de 
mander  à  Saurien  que  je  me  suis  loué  de  luy  envers  vous  et  que  je 
suis  très  content  du  soin  qu'il  a  de  débiter,  et  en  mesme  temps  y 
adjouster  quelque  petit  mot  pour  l'encourager  à  se  défaire  bientost 
de  cette  impression. 

a  J'oubliois  à  vous  parler  du  Sérou  ;  celuy  qui  a  passé  la  mer  pour  y 
aller  doit  revenir  dans  cinq  ou  six  jours,  plein  d'espérances  très 
grandes,  mais  au  cas  que  ce  tesmoin  oculaire  fasse  un  rapport  aussi 
avantageux  que  ses  lettres  et  qu'il  y  ait  quelque  chose  à  y  mettre,  pour 
combien  vous  contez-vous.  M.  Lautrec  y  met  12  mil  livres  ou  mesme 
i/iooo.  M.  Marsigni  y  voudroit  bien  mettre  3oooo  francs,  Maubert 
cherche  à  y  mettre  ce  qu'il  a  sur  Lion  ;  enfin  il  ne  croit  rien  de  plus 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  333 

X 

LETTRE  DU  DUC  DE   ROUANNEZ   A  MONSIEUR  DE  POMPONNE  i 

[10.  Septembre  1662.] 

Je  n'ay  pas  douté  que  vous  n'aies  esté  bien  touché  de 
la  mort  de  Mr  Pascal.  Vous  y  aves  asurement  beau- 
coup perdu,  car  il  vous  estimoit  très  particulièrement 
et  dans  les  entretiens  que  j'ay  eu  avec  luy  sur  vostre  sujet 
il  temoignoit  prendre  plaisir  à  dire  du  bien  de  vous.  Je 
vous  avoue  que  cette  perte  est  un  coup  pour  moy  au- 
quel je  n'etois  point  préparé  et  dont  je  ne  me  puis  consoler. 
La  bonté  que  vous  aves  de  me  plaindre  et  les  témoignages 
d'amitié  que  j'ay  rescu  de  Mr  vostre  père  en  cette  occasion 
sont  assurément  les  choses  du  monde  qui  me  pouvoient 
autant  soulager  dans  ma  douleur. 

J'ay  bien  de  l'impatience  de  voir  la  fin  de  vostre  exil. 
Je  soueteres  fort  de  vous  trouver  icy  à  mon  retour  de 
Poitou.  Je  pars  dans  huit  jours  pour  y  aler.  J'espère 
que  je  seray  ases  à  tant  pour  voir  jujer  le  procès  que 
nous  avons  avec  MrdeGuitaut2.  Mr  deCrenan  demeure  icy 
qui  aura  soin  de  nos  affaires.  Je  vous  prie  de  croire  qu'il 
n'y  a  persone  qui  vous  soit  plus  aquis  que  moy  ny  désire 
plus  mériter  l'honneur  de  vostre  amitié. 

Ce  10  septembre 

(A  Monsieur,  Monsieur  de  Pomponne.) 

assuré.  Mais  que  dittes-vous  du  différent  entre  le  Roy  et  le  Pape,  et 
que  vous  en  mande-t-on  ?  On  parle  encore  d'une  lettre  du  pape  à 
M.  de  Reims  touchant  M.  Dalet,  qui  est  assez  bonne,  je  veux  dire 
très  bien  ;  mais  tous  ces  gens  s'accorderont  tousjours  à  nos  despens  à 
leur  ordinaire.  Je  suis  tout  à  vous,  (pour  Monsieur  de  Saint-Calais)  » 

1.  Lettre  autographe  à  la  Bibliothèque  Mazarine,  ms.  455i,  dans 
les  papiers  légués  par  Faugère. 

2.  Ce  procès  était  relatif  à  l'affaire  des  carrosses. 


334  ŒUVRES 


XI 


EXTRAIT  D'UNE  LETTRE  DE  CHAPELAIN  A  M'  BERNIER, 
MÉDECIN  DU  GRAND  MOGOL  * 

De  Paris,  ce  g.  novembre  1662. 

...  Nous  avons  perdu,  l'esté  passé,  un  de  nos  compa- 
triotes qui  n'excelloit  pas  moins  que  le  Hollandois  entre 
les  géomètres  et  les  machinistes.  Vous  le  connoissés  au 
moins  de  réputation  :  l'admirable  Mr  Paschal,  qu'une 
colique  mortelle  nous  a  enlevé  dans  la  fleur  de  son  âge  et 
lorsqu'on  avoit  sujet  d'attendre  des  choses  dans  les 
mathématiques  et  dans  la  métaphysique  que  personne 
n'avoit  encore  imaginées  que  luy. 

XII 

EXTRAIT  D'UNE  LETTRE 
DE  M'  ARNAULD  D'ANDILLY  A  Me  PERIER  2 

Ce  7.  Décembre  [1662]. 

Je  vous  suis  très  obligé,  Mlle,  de  la  bonté  que  vous  avez 
eue  de  vouloir  bien  me  dire  à  Dieu  d'une  manière  si  obli- 
geante, quoy  que  j'aurois  fort  souhaité,  si  la  saison  l'eust 
permis,  que  c'eust  esté  d'une  autre  sorte,  afin  de  vous  pou- 
voir entretenir  de  vive  voix  de  tant  de  choses  que  nous 
avions  à  dire,  et  qui  seront  comme  je  l'espère  de  la  grâce 
de  Dieu,  le  sujet  de  nos  consolations  à  venir,  comme  elles 
le  sont  de  nos  déplaisirs  et  de  nos  peines  présentes.  Mon- 
sieur vostre  frère  dont  le  souvenir  est  si  fortement  gravé 
dans  mon  coeur,  voit  maintenant  avec  joye  du  haut  du 


1.  Lettre  donnée  d'après  l'édition  Tamizey  de  Laroque. 

2.  Copie  au  deuxième  recueil  du  Père  Guerrier,  p.  69. 


MORT  DE  BIAISE  PASCAL  335 

ciel  ce  qui  nous  fait  répandre  des  larmes,  et  nous  devons 
espérer  de  la  miséricorde  de  celuy  qui  a  recompensé  son 
ardent  amour  pour  la  vérité,  qu'il  nous  fera  la  mesme 
grâce,  si  nous  luy  sommes  fidèles,  et  la  préférons  à  toutes 
choses.  Je  le  prie  de  tout  mon  cœur  d'ajouter  à  cette 
grâce  celle  de  répandre  ses  bénédictions  sur  toute  vostre 
famille  que  je  seray  ravy  de  pouvoir  servir,  et  de  vous 
témoigner  au  moins  en  cette  manière  combien  j'estime 
vostre  mérite  et  vostre  vertu.  Mes  fils  et  ma  fille  vous  ren- 
dent mille  remercimens  de  la  faveur  de  vostre  souvenir, 
et  Made  Hippolyte  a  peine  à  se  consoler  de  n'avoir  pas  pu 
vous  dire  adieu,  et  à  mesdemoiselles  vos  filles.  Je  salue, 
Mademoiselle,  de  tout  mon  cœur,  Monsieur  vostre  mary, 
et  suis  plus  à  luy  et  à  vous  que  nulles  paroles  ne  sont 
capables  de  vous  l'exprimer. 


336 


APPENDICE 
Discussions  sur  les  déclarations  de  Pascal  mourant. 

Les  déclarations  faites  par  Pascal  mourant  sur  le  différend 
qu'il  avait  eu  avec  les  a  Messieurs  »  de  Port-Royal,  —  sur  sa 
soumission  au  pape,  —  sur  le  jugement  qu'il  portait  de  sa 
conduite  lors  des  Provinciales,  —  ont  été  interprétées  de  façon 
très  diverse  peu  après  sa  mort,  et  ont  donné  lieu  à  des  discus- 
sions qui  se  sont  poursuivies  jusqu'à  nos  jours1.  Nous  avons 
réservé  pour  notre  Introduction  l'éclaircissement  et  le  jugement 
de  ces  discussions.  Conformément  au  principe  de  notre 
édition,  nous  donnons  ici,  en  suivant,  autant  qu'il  est  possible, 
l'ordre  chronologique,  les  différents  documents  de  sources 
diverses,  tirés  des  déclarations  faites  par  sa  famille,  par  ses 
amis,  par  les  amis  d'Arnauld,  par  le  Père  Beurrier,  et  par  les 
amis  des  Jésuites. 

I.  La  discussion  fut  reprise  en  i6g5  dans  l'Histoire  des  cinq  Pro- 
positions de  Dumas;  en  171 1,  par  Fénelon  dans  ses  Lettres  au  P. 
Quesnel,  que  celui-ci  réfuta.  —  Cf.  aussi  Jovy,  Pascal  inédit,  T.  I  et  II, 
1908,  1910;  Henri  Brémond,  Notes  et  aperçus:  Le  secret  de  Port- 
Royal,  La  pauvresse  de  Pascal  (Correspondant  des  10  septembre  19 10 
et  a5  août  191 1);  E.  Jaloustre,  Le  vrai  Pascal  (Bulletin  historique  et 
scientifique  de  l'Auvergne,  novembre  1910);  Petitot,  Pascal,  sa  vie 
religieuse  et  son  Apologie  du  Christianisme,  Paris,  Beauchesne,  191 1  ; 
A.  Gazier,  Les  derniers  jours  de  Biaise  Pascal,  étude  historique  et 
critique,  Paris,  Champion,  191 1  ;  E.  Faguet,  La  Rétractation  de  Pascal 
(Revue  du  Ier  février  191 1,  p.  358);  A.  Hallays,  Pascal  a-t-il  abjuré  le 
Jansénisme?  (Journal  des  Débats  du  10  mars  191 1);  Ch.  Urbain,  D'une 
récente  controverse  touchant  Pascal  (Revue  du  Clergé  français,  i5  ivril 
191 1)  ;  l'abbé  Monbrun,  Les  derniers  sentiments  de  Pascal  (Bulletin  de 
littérature  ecclésiastique,  Institut  catholique  de  Toulouse,  avril-mai  191 1)  ; 
Ch.-H.  Boudhors,  Pascal  et  le  P.  Beurrier  (l'Enseignement  secon- 
daire, août  et  octobre  1911);  A.  Ojardias,  Le  vrai  Pascal —  et  le 
jaux  Pascal  (Bulletin  historique  et  scientifique  de  l'Auvergne,  juillet 
191 1);  Yves  de  la  Brière,  L'Apologétique  de  Pascal  et  la  mort  de 
Pascal  (Études,  5  décembre  1911)- 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  337 


LISTE    DES    DOCUMENTS    CITÉS 

i.  Déclaration  de  Beurrier  à  l'archevêque  Péréfixe  (7  jan- 
vier 1660). 

2.  Annat.  — Lettre  de  M.  Jansénius (avril  [?]    1666). 

3.  Nicole.  — Lettre  d'un  théologien...  (1 5  juillet  1666). 

4.  Lettre  de  Mme  Perier  à  Beurrier  (i665  ou  1666). 

5.  Lettre  de  Florin  Perier  à  l'archevêque  Péréfixe. 

6.  Ghamillard.  --Déclaration de  la  conduite (mars  1667). 

7.  Sainte-Marthe.  —  Défense  des  Religieuses. .  .(1667). 

8.  De  la  Lane.  —  Défense  de  la  foi (8  mai  1667). 

g.  Bouhours.  —  Lettre  à  un  seigneur  de  la  cour...  (1668). 
Renvoi  à  diverses  pièces  de  Perier  et  de  Péréfixe  (  1 669  et  1 670). 

10.  Lettre  de  Beurrier  à  Me  Perier  (12  juin  167 1). 

11.  Lettre  d'Etienne  Perier  à  Beurrier  (17  novembre 
i673). 

12.  Lettre  de  Rebergues  à  Etienne  Perier  (27  novembre 
.6,3). 

i3.  Lettre  de  Beurrier  à  Etienne  Perier  (27  novembre 
,6,3). 

i4-  Mme  Perier  —  Addition  à  la  vie  de  Pascal  (1677). 
Renvoi  à  diverses  lettres  de  Mme  Perier  et  de  Domat  (1682). 

i5.  Déposition  de  Nicole  (19  août  1684). 

16.  Autre  attestation  de  Nicole. 

17.  Déposition  de  Domat  (3  septembre  1684). 

18.  Déposition  de  Rouannez  (4  septembre  1684). 

19.  Déposition  d'Arnauld  (21  décembre  1684). 

20.  Lettre  de  Sainte-Marthe  à  Louis  Perier  (4  déc.  1688). 

21.  Lettre  du  P.  Coquebert  à  Marguerite  Perier  (25  mars 
1701). 

22.  Relation  anonyme. 

23.  Mémoires  de  Rapin. 

24.  Mémoires  de  Beurrier. 

25.  Mémoire  de  Marguerite  Perier. 

26.  Autre  récit  de  Marguerite  Perier. 

2e  série.  Vil  22 


338  ŒUVRES 

I .  Déclaration  faite  à  M.  de  Perefixe,  Archevesque  de  Pa- 
ris, par  le  Révérend  Père  Beurrier,  Chanoine-Régulier,  Curé 
de  St-Etienne  du  Mont,  au  sujet  de:  la  mort  de  M.  Pascal 
(3e  Recueil  Guerrier,  p.  i83). 

[7  janvier  i665]. 

Aujourd'hui  7.  Janvier  i665.  Nous  Hardoùin  de  Perefixe, 
Archevesque  de  Paris  ;  sur  ce  que  Nous  aurions  apris  que 
Mr  Pascal,  lequel  avoit  la  réputation  d'avoir  esté  fort  attaché 
au  parti  des  Jansénistes,  estoit  decedé  dans  la  Paroisse  de 
S1  Etienne,  et  qu'il  y  estoit  mort  sans  recevoir  les  Sacremens, 
avons  désiré  sçavoir  de  Mr  Paul  Beurrier,  Religieux  de  Ste 
Geneviève  et  Curé  de  Sc  Etienne,  si  ce  qu'on  Nous  en  avoit 
rapporté  estoit  véritable,  et  s'il  estoit  vray  qu'il  fut  mort  atta- 
ché au  parti  des  Jansénistes.  Sur  quoy  aïant  interrogé  ledit 
Sieur  Curé  de  ST  Etienne  et  sommé  de  dire  la  vérité  ;  après 
l'avoir  promis  a  repondu  :  Qu'il  avoit  connu  ledit  Sr  Pascal 
six  semaines  avant  son  deces  ;  qu'il  l'avoit  confessé  plusieurs 
fois,  et  administré  le  saint  Viatique  et  le  S1  Sacrement  d'Ex- 
trême-Onction ;  et  que  dans  toutes  les  conversations  qu'il  a 
eues  avec  luy  pendant  sa  maladie,  il  a  remarqué  que  ses  sen- 
timens  estoient  toujours  fort  orthodoxes,  et  soumis  parfaite- 
ment à  l'Eglise  et  à  Nostre  Saint  Père  le  Pape.  De  plus  il  luy 
a  tesmoigné  dans  une  conversation  familière,  qu'on  l'avoit  au- 
trefois embarassé  dans  le  parti  de  ces  Messieurs,  mais  que 
depuis  deux  ans1  il  s'en  estoit  retiré,  parce  qu'il  avoit  remar- 


1 .  Dans  les  écrits  qui  suivent,  revient  souvent  cette  même  indication 
«  depuis  deux  ans  »  qu'il  semble  difficile,  au  premier  abord,  de  con- 
cilier avec  les  faits  de  la  vie  de  Pascal.  M.  Petitot  estime  qu'il  faut 
comprendre  non  pas  «  depuis  une  durée  de  24  mois  »  mais  «  dans 
les  deux  dernières  années,  1661  et  1662,  c'est-à-dire  depuis  novembre 
16Ô1  jusqu'en  juillet  1662  ».  Il  est  à  remarquer  d'ailleurs  que,  pour 
calculer  la  période  de  la  dernière  maladie  de  Pascal  (mars  i65û- 
aoùt  1662),  on  dit  toujours,  suivant  le  même  procédé  :  quatre  ans 
(cf.  sapra  T.  I,  p  83  ;  et  Pensées,  T.  I,  p.  clxxxix). —  Cette  explication 
est  évidemment  la  seule  qui  puisse  rendre  compte  de  cette  expression 
lorsqu'il  s'agit  de  la  querelle  sur  le  formulaire.  Maison  peut  l'interpréter 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  339 

que  qu'ils  alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la  Grâce, 
et  qu'ils  paroissoient  avoir  moins  de  soumission  qu'ils  ne 
dévoient  pour  Nostre  Saint  Père  le  Pape;  que  néanmoins  il 
gemissoit  aussi  de  ce  qu'on  relâchoit  si  fort  la  Morale  Chré- 
tienne, et  que  depuis  deux  ans  il  s'estoit  tout-à-fait  attaché 
aux  affaires  de  son  Salut,  et  à  un  dessein  qu'il  avoit  contre 
les  Athées  et  Politiques  de  ce  tems  en  matière  de  Religion. 
Enfin  a  déclaré  qu'il  estoit  mort  en  fort  bon  Catholique  ;  et 
après  que  lecture  luy  a  esté  faite  de  ce  que  dessus,  a  signé  sa 
déclaration  contenant  vérité.  Donné  à  Paris  le  jour  et  an 
que  dessus.  Ainsi  signé  avec  paraphe. 

F.  P.  Beurrier. 

2.   Annat.  —  Lettre  de  Monsieur  Jansenius au  pape 

Urbain  VIII.  Contenant  la  dédicace  de  son  livre  intitulé  Au- 
gustinus,  supprimée  par  ceux  qui  eurent  soin  de  la  première 
édition  de  ce  Livre,  et  quelques  autres  pièces,  qui  peuvent 
décider  la  question  de  fait.  Le  tout  avec  les  Reflexions  du 
P.  François  Annat,  de  la  Cie  de  Jésus.  Paris,  Cramoisy,  1666 
(privilège  du  6  avril),  122  p.  in-4°« 

Remarques  sur  la  quatrième  partie  de  V Apologie  des  Filles 
révoltées  de  Port-Royal. 

p.  96...  Et  pourquoy  donc  enfin  le  Secrétaire  du  Port- 
Royal  a-t-il  escrit  tant  de  boufonneries  dans  les  premières 
lettres  au  Provincial  pour  se  jouer  de  la  doctrine  des  Tho- 
mistes, touchant  la  Grâce  suffisante,  et  le  pouvoir  prochain  ? 
Mais  pour  cetui-cy,  il  faut  que  je  luy  rende  cette  justice,  de 
publier  ce  qu'il  dit  hors  de  confession  à  celuy  qui  l'assista 
en  la  maladie,  dont  il  mourut,  Que  depuis  environ  deux  ans, 
il  s'estoit  retiré  de  ce  parti,  pour  avoir  reconnu  que  ces  Théolo- 
giens alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la  Grâce,  et 
n'avoient  pas  assez  de  soumission  et  de  respect  pour  le  S.  Siège 


aussi  en  disant  que  depuis  deux  ans  complets,  c'est-à-dire  depuis  l'année 
1660,  Pascal  a  renoncé  à  traiter,  dans  des  écrits  publics,  les  matières 
de  la  grâce. 


340  ŒUVRES 

et  pour  l'Eglise.  Monseigneur  l'Archevesque  en  a  la  déclara- 
tion escrite  et  signée  de  la  main  de  ce  Directeur,  et  j'en  ay 
une  copie  signée  de  la  main  de  Monseigneur  l'Archevesque. 

3.  [Nicole].  —  Lettre  d'un  Théologien  à  un  de  ses  amis, 
sur  le  sujet  de  la  Déclaration  de  M.  le  Curé  de  S.  Estienne 
rapportée  par  le  P.  Annat  dans  son  livre  intitulé,  Lettre  de 
M.  Jansenius  Evesque  d'Ipre,  etc.  i5.  Juillet  1666  (Cette  lettre 
est  publiée  p.  78,  à  la  suite  de  la  Réfutation  du  Livre  du 
P.  Annat  contenant  des  Reflexions  sur  le  Mandement  de 
M.  l'Evesque  d'Alet  et  sur  divers  écrits,  où  l'on  défend 
contre  ce  Père  les  Mandemens  et  les  Procez  verbaux  de  plu- 
sieurs Prélats  qui  ont  distingué  le  fait  et  le  droit  sans  exiger 
la  créance  du  l'ait.  1666,  in-4°). 

Monsieur, 

Ce  n'est  pas  une  chose  fort  extraordinaire  de  voir  répandre 
dans  le  monde  des  histoires  qui  ont  à  la  vérité  quelque  fon- 
dement, mais  dont  on  change  tellement  les  circonstances, 
qu'elles  donnent  des  impressions  toutes  contraires  à  ce  qu'elles 
auroient  fait  si  on  les  avoit  rapportées  avec  une  entière  fidé- 
lité   Cependant  c'est  ce  qui  arrive  sur  le  sujet  de  la  con- 
testation que  M.  Pascal  eut  avec  MIS  de  Port-Royal  les  deux 
dernières  années  de  sa  vie. 

11  y  a  plusieurs  personnes  de  qualité  qui  sont  témoins  de 
ce  qui  s'est  passé  dans  cette  contestation.  Les  écrits  qui  ont 
esté  faits  de  part  et  d'autre  subsistent  encore  qui  en  peuvent 
faire  connoistre  le  véritable  sujet.  Et  néanmoins  non  seule- 
ment M.  Ghamillard  et  les  Jésuites  ont  eu  la  hardiesse  de  la 
rapporter  d'une  manière  toute  fausse1,  mais  mesme  M.  le 
Curé  de  S.  Estienne  que  l'on  ne  peut  nier  estre  une  personne 
sincère  et  exempte  de  passion  en  a  donné  une  attestation  à 
M.  l'Archevesque  de  Paris,  qui  ne  peut  pas  estre  plus  oppo- 
sée à  la  vérité  qu'elle  l'est,  puisqu'elle  attribue  et  à  M.  Pascal 

1.    Vide  supra  p.  178  sqq. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  341 

et  à  Mrs  de  Port-Royal  tout  le  contraire  de  leurs  sentimens. 

Cette  attestation  est  citée  dans  le  nouveau  livre  du  P.  An- 
nat [Suit  la  citation.] 

Que  pensez-vous  qu'il  y  ait  de  vrav  en  tout  cela?  Rien 
autre  chose  si  ce  n'est  qu'il  y  a  eu  en  effet  de  la  contestation 
entre  M.  Pascal  et  Mrs  de  Port-Royal.  Mais  pour  trouver  la 
vérité  de  tout  le  reste  vous  n'avez  qu'à  prendre  justement 
tout  le  contraire  de  ce  qui  est  porté  dans  cette  attestation.  Il 
y  est  dit  que  M.  Pascal  s'estoit  retiré  d'avec  Mrs  de  Port- 
Royal,  parce  qu'ils  n'avoient  pas  assez  de  soumission  pour  le 
S.  Siège  et  pour  l'Eglise.  Et  au  contraire  l'unique  sujet  de 
cette  dispute  estoit  que  M.  Pascal  trouvoit  de  l'excès  dans  la 
soumission  qu'ils  avoient  pour  le  Pape  et  pour  les  Evesques, 
et  qu'il  croioit  que  cette  soumission  les  avoit  fait  relascher 
dans  ce  qu'ils  dévoient  à  la  sincérité  chrestienne.  Il  y  est  dit 
qu'il  croyoit  qu'ils  alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la 
grâce  ;  Et  la  vérité  est  que  le  seul  reproche  qu'il  leur  faisoit, 
estoit  qu'ils  n'en  parloient  pas  assez  fortement,  et  que  la  con- 
descendance leur  faisoit  trop  accorder  aux  ennemis  de  la  grâce 
non  dans  le  fond  des  opinions,  mais  dans  les  expressions  dont 
ils  se  servoient  dans  leurs  signatures. 

Pour  vous  convaincre  de  tout  cela  je  n'ay  qu'à  vous  faire 
l'histoire  de  la  naissance  et  de  la  suitte  de  ce  différend.  Ce 
qui  y  donna  occasion  fut  la  signature  que  firent  les  Reli- 
gieuses de  Port-Royal  en  suitte  du  second  Mandement  des 
grands  Vicaires  de  M.  le  Cardinal  de  Rets,  dont  voicy  les 

termes1 Mais  l'idée  que  M.  Pascal  avoit  de  la  sincérité 

chrestienne  leur  [sic]  fit  trouver  de  la  difficulté  dans  les  pa- 
roles qui  estoient  également  bien  entendues  de  part  et 
d'autre.  Il  se  persuada  que  la  disposition  des  Religieuses  n'y 
estoit  pas  assez  clairement  marquée;  et  comme  il  estoit  ex- 
traordinairement  exact  pour  tout  ce  qui  regarde  la  Religion, 
il  commença  non  seulement  à  blasmer  librement  cette  signa- 
ture, mais  mesme  il  fit  un  écrit  où  il  pretendoit  prouver 

i.  Voir  ce  Second  mandement,  supra  p.  160  sq. 


342  ŒUVRES 

qu'elle  manquoit  de  sincérité,  et  qu'elle  ne  mettoit  pas  la  vérité 
assez  à  couvert.  Cet  écrit  est  fondé  sur  ce  qu'il  prétend  que 
comme  dans  la  vérité  le  sens  de  Jansenius  n'est  autre  chose 
que  la  grâce  efficace,  le  Pape  Alexandre  VII.  ayant  condamné 
ce  sens  de  Jansenius,  on  ne  pou  voit  empescher  que  cette 
condamnation  ne  tombast  sur  la  grâce  efficace,  ny  mesme  se 
défendre  d'y  avoir  consenti  en  la  souscrivant,  à  moins  que 
d'excepter  formellement  et  la  grâce  efficace,  et  le  sens  de 
Jansenius,  d'où  il  concluoit  que  les  Religieuses  ne  l'ayant 
pas  fait  et  s'estant  contentées  de  marquer  qu'elles  ne  souscri- 
voient  qu'à  la  foy,  leur  signature  pouvoit  estre  prise  pour 
une  condamnation  de  la  véritable  grâce1. 

On  repondit  à  cet  écrit  que  quoyque  dans  la  vérité  le  sens 
de  Jansenius  fut  la  mesme  chose  que  la  grâce  efficace,  néan- 
moins il  estoit  clair  que  ce  n'estoit  point  la  mesme  chose  ny 
dans  l'esprit  du  Pape  qui  le  condamnoit,  ny  dans  l'esprit  des 
Evesques  qui  reçoivent  cette  condamnation  :  qu'il  estoit  no- 
toire au  contraire  de  toutes  les  manières  dont  une  chose  le 
peut  estre,  que  le  Pape  et  les  Evesques  en  condamnant  le 
sens  de  Jansenius  n'entendoient  pas  la  grâce  efficace,  mais 
un  autre  dogme  qu'ils  supposoient  estre  dans  Jansenius,  et 
qu'ils  appelloient  par  cette  raison  le  sens  de  Jansenius.  Que 
c'estoit  un  point  de  droit  de  sçavoir  si  ce  dogme  estoit  catho- 
lique ou  hérétique,  mais  que  c'estoit  un  point  de  fait  de 
sçavoir  s'il  estoit  effectivement  de  Jansenius. 

Qu'estant  donc  certain  que  par  ce  dogme  condamné  le 
Pape  et  les  Evesques  n'avoient  point  entendu  la  grâce  effi- 
cace, on  pouvoit  recevoir  leur  jugement  quant  au  droit  et 
quant  à  la  foy,  et  que  c'estoit  ce  que  les  Religieuses  avoient 
fait;  mais  qu'estant  faux  que  ce  dogme  fût  de  Jansenius,  on 
ne  le  pouvoit  recevoir  quant  au  fait  ;  qu'aussi  les  Religieuses 
ne  l'avoient  point  receu  en  cette  manière,  puisqu'elles  avoient 
déclaré  que  leur  ignorance  ne  leur  permettoit  de  prendre  part 
qu'à  ce  qui  regarde  la  foy. 

i.    Vide  supra  cet  écrit  de  Pascal  et  ceux  qui  suivirent  p.   171  sqq. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  343 

La  dispute  ne  fut  point  terminée  par  cette  réponse  ny 
mesme  par  un  autre  écrit  encore  plus  fort,  où  l'on  prouvoit 
qu'en  disant,  Je  souscris  aux  Constitutions  quant  à  la  foy,  on 
ne  s'engageoit  nullement  à  condamner  la  grâce  efficace. 

Un  ami  de  M.  Pascal  estant  entré  dans  ses  sentimens  en- 
treprit de  réfuter  ces  écrits  pour  soulager  son  arny  que  ses 
maux  avoient  alors  réduit  dans  une  faiblesse  extrême.  Il  se 
fit  encore  de  part  et  d'autre  divers  écrits  dont  tout  le  succez 
fut  que  chacun  demeura  dans  ses  sentimens. 

Mrs  de  Port-Royal  crûrent  toujours  que  M.  Pascal  alloit 
trop  avant,  et  que  la  grande  crainte  qu'il  avoit  de  blesser  la 
sincérité  l'empeschoit  de  voir  non  seulement  qu'il  ne  rendoit 
pas  au  Pape  et  aux  Evesqucs  le  respect  qui  leur  est  deu,  mais 
mesme  que  c'estoit  leur  faire  une  injure  que  de  donner  lieu 
de  les  accuser  d'avoir  condamné  la  grâce  efficace,  et  qu'il  n'y 
avoit  rien  de  plus  desavantageux  à  cette  sainte  doctrine  que 
de  laisser  les  peuples  dans  cette  impression,  qu'elle  fust 
réduite  à  un  petit  nombre  de  défenseurs,  et  qu'elle  eust  esté 
abandonnée  de  la  plus  grande  partie  des  Pasteurs  de  l'Eglise. 

M.  Pascal  au  contraire  apprehendoit  que  ce  ne  fust  le  désir 
de  conserver  la  maison  de  Port-Royal  qui  eust  réduit  ces 
Messieurs  à  ce  qu'il  appelloit  du  nom  de  relaschement,  et  qui 
les  eust  portez  à  ces  condescendances  qu'il  ne  pouvoit  ap- 
prouver1. Il  crut  mesme  que  ce  n'estoit  pas  seulement  dans 
cette  occasion  de  la  signature  des  filles  de  Port-Royal  qu'on 
avoit  paru  peu  sincère,  mais  qu'on  pourroit  encore  trouver 
le  mesme  défaut  dans  les  divers  écrits  qui  avoient  esté  faits 
dans  la  suitte  de  l'affaire  qui  trouble  la  paix  de  l'Eglise  depuis 
si  longtemps  :  Qu'on  avoit  eu  égard  en  écrivant  à  l'utilité 
présente,  et  que  comme  elle  avoit  changé  selon  les  divers 
temps,  les  écrits  ne  paroissoient  pas  tout-à-fait  conformes. 
Ainsi  il  luy  sembla  qu'il  eût  esté  à  propos  de  les  revoir  tous, 
et  de  les  réduire  à  une  parfaite  conformité  d'expressions. 

i.  Cf.  Pascal,  Pensées,  fr.  920,  T.  III,  p.  344  :  «  Le  Port-Royal 
craint...   » 


344  ŒUVRES 

Pour  y  exciter  plus  fortement  Messieurs  de  Port-Royal  il 
fit  un  autre  écrit  dans  lequel  il  pretendoit  leur  faire  voir 
l'avantage  qu'ils  donnoient  à  leurs  ennemis  par  cette  diver- 
sité, et  qu'on  les  pourroit  convaincre  d'avoir  parlé  plus  foi- 
blement  depuis  les  Bulles  qu'auparavant. 

Je  croy,  Monsieur,  qu'en  voilà  assez  pour  vous  faire  voir 
combien  l'attestation  rapportée  par  le  P.  Annat  est  éloignée 
de  la  vérité,  et  que  bien  loin  qu'on  puisse  croire  que  M.  Pas- 
cal eût  rompu  avec  Messieurs  de  Port-Royal  sur  ce  qu'ils 
alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la  grâce,  et  qu'ils 
n'avoient  pas  assez  de  soumission  pour  le  Pape,  il  est  visible 
au  contraire  qu'il  n'y  a  eu  de  contestation  entre  eux  que 
parce  qu'il  les  accusoit  de  relaschement  et  de  trop  de  con- 
descendance. 

Mais  comme  je  ne  voudrois  pas  que  vous  demeurassiez 
dans  cette  impression  que  Mrs  de  Port-Royal  fussent  effective- 
ment coupables  de  ce  que  M.  Pascal  leur  reprochoit,  il  est  à 
propos  de  vous  dire  que  comme  il  n'avoit  pas  fait  cet  écrit 
pour  estre  publié,  et  que  tout  son  but  n'estoit  que  de  repré- 
senter ce  que  l'on  auroit  pu  dire,  et  le  tour  fascheux  que 
l'on  pourroit  donner  à  certaines  choses,  il  ne  s'estoit  pas  mis 
en  peine  d'y  garder  une  fort  grande  exactitude,  et  que  sans 
consulter  luy-mesme  les  écrits  dont  il  tire  les  preuves  de  ce 
qu'il  avance,  ce  qui  luy  eût  esté  fort  difficile  dans  la  foiblesse 
où  il  estoit  qui  le  rendoit  presque  incapable  de  lire,  il  se 
contenta  des  mémoires  que  luy  fournissoient  quelques-uns 
de  ses  amis,  qui  ne  regardèrent  pas  assez  prés  aux  passages 
dont  ils  les  composoient. 

Ainsi  quoyque  l'addresse  de  son  esprit  a  mettre  les  choses 
dans  leur  jour  paroisse  dans  cet  écrit  comme  dans  tous  ses 
autres  ouvrages,  comme  il  n'est  pas  possible  que  l'ouvrier 
quelque  habile  qu'il  soit  supplée  au  défaut  de  la  matière,  il 
n'a  pu  éviter  de  tomber  dans  un  assez  grand  nombre  de  mé- 
prises, dont  je  crov  qu'il  ne  sera  pas  inutile  de  marquer  icy 
quelques  causes  principales. 

Premièrement  ceux  qui  luy  fournissoient  ces  mémoires  ont 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  345 

eu  si  peu  de  soin  de  s'informer  du  temps  où  chaque  écrit  a 
esté  fait,  que  les  extraits  qu'ils  ont  donnez  à  M.  Pascal  pour 
faire  voir  qu'on  a  parlé  plus  foiblement  depuis  les  Bulles 
sont  tirez  la  pluspart  des  écrits  qui  se  trouvent  faits  avant  les 
Bulles,  et  que  ceux  où  ils  ont  trouvé  cette  fermeté  dans  la- 
quelle ils  vouloient  qu'on  demeurast  sont  pris  des  écrits  faits 
depuis  les  Bulles,  c'est  à  dire  dans  le  temps  où  ils  prétendent 
qu'on  estoit  déjà  aflbibly. 

Secondement,  ils  ne  sçavoient  presque  rien  de  la  manière 
dont  les  choses  s'estoient  passées  à  Rome  (le  Journal  de  M.  de 
S.  Amour  n'estant  pas  encore  imprimé)  ny  mesme  de  ce  qui 
s'estoit  fait  à  Paris  où  ils  n'avoient  eu  aucune  part,  ce  qui  leur 
a  donné  lieu  d'en  faire  des  histoires  toutes  fabuleuses  qui  ser- 
vent de  fondement  à  ces  prétendues  contrarietez,  et  de  com- 
poser des  dialogues  où  l'on  fait  dire  aux  gens  de  part  et 
d'autre  des  choses  dont  il  n'a  jamais  esté  parlé. 

3.  Comme  ils  ne  sçavoient  pas  les  temps  ausquels  les  écrits 
avoient  esté  faits,  ou  qu'ils  n'y  prenoient  pas  garde,  et  que 
d'ailleurs  ils  ignoroient  qui  en  estoient  les  auteurs,  ils  les 
regardent  tous  comme  ayant  esté  faits  de  concert,  et  comme 
si  chacun  devoit  répondre  pour  tous  les  autres.  De  sorte 
qu'ils  attribuent  le  peu  de  conformité  qu'on  y  trouve  dans 
quelques  expressions  à  la  diversité  des  temps,  au  lieu  qu'elle 
ne  vient  pour  l'ordinaire  que  de  la  diversité  des  auteurs. 

Pour  en  donner  un  exemple  sensible  sur  un  point  où  ceux 
qui  ont  dressé  ces  mémoires  croyoient  avoir  trouvé  les  plus 
grandes  contrarietez,  il  faut  remarquer  que  les  Propositions 
que  Mr  Cornet  avoit  dressées  pour  les  faire  censurer  estant  sus- 
ceptibles de  divers  sens,  elles  furent  aussi  diversement  regar- 
dées dés  le  temps  mesme  qu'elles  commencèrent  à  paroistre 

Car  ils  soutenoient  tous  la  mesme  doctrine  de  la  grâce 
efficace  par  elle-mesme,  enseignée  par  S.  Augustin,  par 
S.  Thomas,  et  par  Jansenius. 

Ils  condamnoient  tous  les  erreurs  enfermées  dans  le  sens 
littéral  des  propositions. 

Mais  les  uns  les  réduisant  au  sens  de  la  grâce  efficace  les 


346  ŒUVRES 

appelloient  bonnes,  et  ils  disoient  qu'elles  estoient  de  S.  Au- 
gustin et  de  Jansenius  :  les  autres  considérant  le  mauvais  sens 
les  appelloient  mauvaises,  et  soutenoient  qu'elles  n'estoient 
point  de  S.  Augustin,  ny  de  Jansenius  :  et  les  autres  les  rap- 
portant à  tous  leurs  sens  les  appelloient  bonnes  et  mauvaises, 
et  disoient  qu'elles  estoient  et  n'estoient  pas  de  Jansenius. 

Il  est  vray  que  toutes  ces  personnes  sont  convenues  depuis 
la  Bulle  de  les  appeller  mauvaises  ;  parce  qu'ils  ont  veu  que 
le  Pape  et  l'Eglise  convenoient  de  ne  point,  rapporter  ces 
propositions  à  la  grâce  efficace  :  Et  de  là  il  s'ensuit  que  ne 
pouvant  estre  attribuées  à  Jansenius  que  dans  ce  sens  de  la 
grâce  efficace,  elles  ne  luy  peuvent  plus  estre  attribuées, 
parce  qu'elles  sont  déterminées  par  le  consentement  de  l'Eglise 
à  un  autre  sens. 

Il  ne  faut  qu'une  médiocre  intelligence  pour  démesler  ainsi 
ces  petites  équivoques  et  plusieurs  autres  semblables  dont 
ces  mémoires  estoient  remplis.  Mais  on  ne  doit  pas  néan- 
moins s'étonner  que  M.  Pascal  s'en  soit  servy  dans  cet  écrit; 
puisque,  comme  j'ay  dit,  non  seulement  il  n'estoit  plus  en 
estât  de  rien  examiner  avec  soin,  mais  qu'elles  luy  estoient 
utiles  pour  son  dessein,  qui  estoit  plustost  de  représenter  la 
manière  dont  un  homme  plus  habile  que  les  Jésuites  pour- 
roit  tourner  les  choses,  que  non  pas  celle  dont  un  homme 
sincère  les  doit  entendre.  Et  c'est  pourquoy  il  a  toujours 
tenu  cet  écrit  secret,  et  il  avoit  mesme  ordonné  à  ses  amis 
de  le  supprimer. 

Les  soupçons  mesmes  qu'il  avoit  conceus  du  relaschement 
de  Mrs  de  Port-Royal  se  dissipèrent  entièrement  avant  sa 
mort,  et  la  fermeté  que  les  Religieuses  firent  paroître  en 
refusant  le  troisième  Mandement  dressé  par  les  grands  Vi- 
caires du  Chapitre1,  l'obligea  de  reconnoître  qu'il  n'avoit  point 


i.  Ce  mandement  fut  publié  le  2  juillet  1662  ;  il  exigeait  la  signa- 
ture sans  aucune  explication  ;  il  fut  porté  le  7  aux  Religieuses,  qui 
refusèrent  de  signer  ;  Arnauld  et  Nicole  firent  plusieurs  écrits  pour 
démontrer  la  nullité  de  cette  ordonnance. 


MORT  DE  BLA1SE  PASCAL  347 

deu  les  accuser  de  foiblesse.  Aussi  quoyque  cette  diversité 
de  sentimens  n'ait  jamais  interrompu  le  commerce  d'amitié 
qu'il  avoit  avec  ces  Messieurs,  leur  union  parut  néanmoins 
d'une  manière  toute  particulière  durant  sa  dernière  maladie. 
M.  Arnauld  qui  estoit  alors  à  Paris  luy  rendit  visite,  et 
M.  Pascal  le  receut  avec  toute  sorte  de  témoignage  de  ten- 
dresse et  d'affection.  Il  se  confessa  plusieurs  fois  à  M.  de 
Sainte  Marthe  durant  le  cours  de  son  mal,  et  la  veille  mesme 
de  sa  mort,  n'ayant  pas  cru  en  ce  temps  où  l'on  a  moins 
d'égard  que  jamais  à  toutes  les  considérations  humaines, 
pouvoir  choisir  une  personne  qui  luy  pust  estre  plus  utile 
pour  le  bien  de  sa  conscience. 

Voilà,  Monsieur,  un  récit  abrégé  de  toute  cette  histoire; 
je  ne  m'arreste  pas  à  vous  en  produire  des  preuves  ;  parce 
que  je  n'ay  qu'à  vous  renvoyer  pour  cela  aux  amis  particu- 
liers de  M.  Pascal  qui  vous  en  confirmeront  la  vérité.  Il  est 
vray  qu'il  paroist  par  là  qu'il  n'y  eut  jamais  rien  de  pris 
plus  à  contresens  que  ce  que  M.  le  Curé  de  S.  Estienne  a 
rapporté  de  sa  disposition  :  mais  il  paroist  en  mesme  temps 
qu'il  luy  a  esté  très-facile  de  tomber  innocemment  dans  cette 
surprise.  Car  ayant  oùy  dire  à  M.  Paschal  qu'il  avoit  eu 
depuis  deux  ans  quelque  contestation  avec  ces  Messieurs  sur 
les  matières  de  la  grâce,  et  sur  le  respect  qui  estoit  deu  au 
Pape,  comme  le  commun  du  monde  les  accuse  plûtost  de 
manquer  de  soumission  que  d'en  avoir  trop,  il  a  pu  croire 
aisément  que  c'estoit  ce  que  M.  Pascal  reprenoit  en  eux,  au 
lieu  qu'il  ne  les  a  jamais  blasmez  que  d'un  excès  de  con- 
descendance envers  le  Pape  et  les  Evesques,  qui  sont  des  dé- 
fauts dont  le  reproche  mesme  leur  est  glorieux  ;  puisqu'estant 
accusez  par  d'autres  d'un  défaut  contraire,  c'est  une  grande 
marque  qu'ils  sont  demeurez  en  ce  point-là  dans  les  bornes 
d'une  juste  modération.  Je  suis,  etc. 


348  OEUVRES 

[\.  Lettre  de  Madame  Perier  à  M.  Beurrier,  Curé  de  Saint- 
Etienne  du  Mont,  à  Paris  l. 

Monsieur, 

Si  je  n'avois  tout  sujet  de  croire  que  vous  estes  persuadé 
du  profond  respect  que  j'ay  pour  vous,  et  de  la  reconnois- 
sance  que  je  conserve  des  obligations  sensibles  que  nous  vous 
avons,  je  n'oserois  pas  prendre  la  liberté  de  vous  écrire  en 
cette  occasion.  C'est,  Monsieur,  sur  le  sujet  de  l'entretien 
que  vous  avez  eu  avec  M.  l'Archevesque  de  Paris,  touchant  la 
disposition  de  feu  mon  frère  sur  les  contestations  présentes. 
Je  ne  suis  pas  surprise,  Monsieur,  de  ce  que  mon  frère  vous 
ayant  témoigné  qu'il  estoit  mal  satisfait  de  la  conduite  de 
MM.  de  P.  R.,  vous  en  avez  conclu  qu'il  n'approuvoit  pas 
leur  doctrine  ;  tous  ceux  à  qui  il  a  fait  le  mesme  discours 
qu'à  vous,  et  qui  ne  sçavoient  pas  ce  qui  leportoità  en  parler 
de  la  sorte,  en  ont  fait  un  pareil  jugement. 

Cela  m'oblige,  Monsieur,  de  vous  eclaircir  de  la  vérité  de 
toutes  choses.  Mon  frère  a  toujours  eu  une  estime  très  parti- 
culière pour  ces  messieurs  ;  il  les  a  toujours  regardez  comme 
des  personnes  non-seulement  tres-catholiques,  mais  encore 
tout  a  fait  zélées  pour  la  défense  des  principales  veritez  de  la 
morale  et  de  la  foy,  et  il  est  toujours  demeuré  parfaitement 
uni  avec  eux  jusqu'au  mois  de  novembre  de  l'année  1661. 
que  les  religieuses  ayant  signé  le  second  mandement  de 
MM.  les  grands  vicaires  avec  une  restriction,  mon  frère 
trouva  qu'elle  n'estoit  pas  assez  claire,  parce  qu'elles  n'y 
avoient  pas  mis  en  termes  exprès  qu'elle  ne   condamnoient 

1.  La  copie  de  cette  lettre  se  trouve  dans  le  premier  recueil  du 
Père  Guerrier,  p.  118,  avec  cette  note.  «  Copié  sur  l'original  écrit  de 
la  main  de  Me  Perier  »  «  J'ai  transcrit  toutes  les  pièces  qui  sont 
dans  ce  caïer  sur  les  originaux  et  même  cette  dernière  lettre  dont 
Me  Perier  avoit  gardé  une  copie  écrite  de  sa  main.  »  —  Cette  lettre 
fut  sans  doute  transmise  à  Beurrier  par  le  fils  Perier.  Elle  a  été  écrite 
quatre  ans  après  la  mort  de  Jacqueline  ;  elle  est  donc  de  i665  (ou 
peut-être  seulement  de  1666). 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  349 

pas  le  sens  de  Jansenius,  ou  la  grâce  efficace,  ce  qu'il  voyoit 
estre  la  même  chose,  et  ces  messieurs  soutenant  qu'il  n'estoit 
pas  nécessaire  de  faire  cette  exception.  La  diversité  de  leurs 
sentimens  en  cette  rencontre  produisit  entre  eux  une  con- 
testation qui  alla  si  avant,  qu'il  y  eut  des  écrits  de  part  et 
d'autre;  dont  je  ne  vous  puis  rapporter  autre  chose,  sinon 
que  tous  ceux  qui  furent  laits  par  mon  frère  se  reduisoient 
à  ce  point;  que  quiconque  est  persuadé  que  le  sens  de  Jan- 
senius et  la  grâce  efficace  sont  la  mesme  chose,  ne  peut,  en 
conscience,  signer  la  condamnation  de  Jansenius,  parce  que 
cette  condamnation  enferme  celle  de  la  grâce  efficace.  Et  ces 
messieurs  s'estant  toujours  tenu  fermes  dans  leur  première 
pensée,  qu'il  n'estoit  pas  nécessaire  de  s'expliquer  là-dessus, 
mon  frère  en  fut  extrêmement  touché  ;  et  comme  il  avoit  un 
amour  et  un  zèle  extraordinaire  pour  la  vérité  et  pour  la  sin- 
cérité, il  ne  put  s'empescher  de  s'en  plaindre  à  tous  ses  amis, 
et  il  se  servoit  mesme  de  paroles  si  fortes,  comme  de  dire  qu'il 
estoit  fâché  de  s'estre  engagé  si  avant  dans  les  affaires  de  ces 
messieurs,  et  autres  discours  semblables,  que  cela  faisoit  croire 
à  ceux  à  qui  il  en  parloit  toute  autre  chose  que  ce  qu'il  vouloit 
dire.  Cependant  il  est  certain,  et  il  est  aisé  de  le  juger  parle  récit 
que  je  viens  de  faire  du  sujet  de  leur  différent,  qu'il  n'a 
jamais  douté  de  la  sincérité  de  leur  foy,  et  ne  les  a  jamais 
soupçonnez  d'aucune  erreur  contre  la  foy  ;  mais  qu'il  a  cru 
que  la  tendresse  qu'ils  avoient  pour  les  religieuses  de  P.  R., 
et  la  crainte  de  les  voir  exposées  à  tous  les  périls  dont  on  les 
menaçoit  les  portoit  à  consentir  à  ces  teinperamens  pour 
sauver  la  maison. 

Voila,  Monsieur,  le  véritable  sujet  des  plaintes  que  mon 
frère  a  faites  contre  ces  Messieurs.  Vous  sçavez  que  je  n'ay  plus 
en  cela  d'autre  interest  que  celuy  de  la  vérité,  puisque  ma 
sœur,  qui  estoit  religieuse,  est  morte  il  y  a  quatre  ans,  et  que 
mes  filles,  qui  n'y  estoient  que  pensionnaires,  en  sont  sorties 
avec  toutes  les  autres;  d'ailleurs,  Monsieur,  je  croy  qu'ayant 
l'honneur  d' estre  connue  de  vous  autant  que  je  le  suis,  vous 
me  faites  bien  la  justice  de  croire  que  je  ne  suis  pas  capable 


350  ŒUVRES 

d'avancer  un  fait  de  cette  importance  contre  la  vérité.  Il  y  a 
cent  personnes  d'honneur  et  de  toutes  les  conditions  qui 
peuvent  vous  dire  la  mesme  chose  ;  et  je  suis  certaine  que  la 
sœur  Flavie  mesme,  qui  meconnoist  et  qui  a  sçu  tous  les  sen- 
timens  de  mon  frère  pendant  ce  différent,  ayant  lu  une 
partie  des  écrits,  ne  sçauroit  dire  que  mon  frère  ait  accusé  ces 
Messieurs  d'aucun  sentiment  hérétique,  mais  seulement  de 
s'estre  relâchez  dans  leurs  expressions,  et  de  ne  pas  soutenir 
présentement  les  choses  avec  la  mesme  vigueur  qu'ils  avoient 
fait  autrefois.  Au  reste,  Monsieur,  je  vous  assure  que  ces 
contestations  n'ont  jamais  altéré  la  charité  entre  ces  Mes- 
sieurs et  mon  frère.  M.  Arnauld  le  vint  voir  pendant  sa  ma- 
ladie, à  qui  il  fit  toutes  sortes  de  protestations  d'amitié  ;  et  la 
veille  de  sa  mort,  vous  ayant  demandé  plusieurs  fois,  on  luy 
dit  que  vous  estiez  à  Nanterre  ;  et  comme  il  vit  qu'il  estoit 
tard,  et  que  vous  ne  veniez  point,  il  envoya  quérir  M.  de 
Sainte-Marthe  à  qui  il  se  confessa,  et  vous  luy  donnâtes  les 
sacremens  la  nuit  suivante.  Ce  procédé  vous  doit  faire  juger 
combien  il  estoit  éloigné  de  la  pensée  que  ces  Messieurs  fus- 
sent engagez  dans  des  sentimens  hérétiques,  puisqu'il  mettoit 
sa  conscience  entre  leurs  mains  lorsqu'il  se  voyoit  prest  de 
mourir.  J'ay  cru,  Monsieur,  estre  obligée  en  conscience  de 
vous  donner  ces  eclaircissemens,  parce  que  j'ay  sçu  qu'on 
pretendoit  de  se  prévaloir  de  ces  differens  contre  ces  Mes- 
sieurs qui  ne  manqueront  pas  d'alléguer  pour  leur  justifica- 
tion tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire,  parce  que  c'est  la 
vérité.  Et  je  serois  faschée  que  cela  arrivast  sans  que  je  vous 
en  eusse  averti.  Je  puis  vous  assurer,  Monsieur,  que  mon 
frère  ne  les  a  jamais  accusez  d'aucune  mauvaise  doctrine, 
mais  seulement  d'un  trop  grand  amour  pour  la  paix  et  d'un 
excès  de  rabaissement  dans  l'approbation  qu'ils  ont  donnée 
pour  les  signatures;  et  je  dis  que  je  puis  vous  en  asseurer, 
parce  que  mon  frère  m'a  tousjours  fait  la  grâce  de  vivre  avec 
moy  sans  aucune  reserve,  et  de  me  communiquer  les  plus 
secrets  sentimens  de  son  cœur.  Ainsi,  Monsieur,  je  vous 
supplie  très  humblement  d'avoir  la  bonté  de  repasser  dans 


MORT  DE  BLA1SE  PASCAL  3ol 

vostre  mémoire  toutes  les  paroles  que  mon  frère  vous  a  dites, 
et  vous  verrez  que,  quoy  que  la  conséquence  que  vous  en  avez 
tirée  que  mon  frère  croyoit  que  ces  Messieurs  alloient  trop 
avant  dans  les  matières  de  la  grâce,  soit  tout  a  fait  juste  à 
cause  des  expressions  dont  il  se  servoit,  néanmoins  il  avoit 
dessein  de  vous  faire  entendre  le  contraire,  et  qu'il  vouloit 
dire  qu'ils  reculoient  et  qu'ils  n'y  alloient  plus  si  avant  qu'au- 
trefois, ses  paroles  estant  aussi  capables  d'un  sens  que  de 
l'autre,  quand  on  sçait  ce  qui  s'estoit  passé  entre  eux. 

J'abuse  longtemps  de  vostre  patience,  Monsieur,  mais  j'ay 
cru  que  l'importance  du  sujet  me  serviroit  d'excuse,  et  que 
vous  ne  trouveriez  pas  mauvais  que  je  vous  ouvrisse  mon 
cœur  en  cette  occasion  comme  à  une  des  personnes  du  monde 
pour  qui  j'ay  plus  de  respect  et  d'estime,  et  que  je  me  serve  de 
cette  occasion  pour  vous  demander  la  continuation  de  vostre 
souvenir  dans  vos  saintes  prières,  pour  moy  et  pour  toute  ma 
famille  qui  vous  est  très  parfaitement  acquise.  Je  suis,  etc. 

5.  Lettre  de  M.  Perier,  Conseiller  à  la  Cour  des  Aides  de 
Clermont-Ferrand  à  M.  de  Perefixe,  archevêque  de  Paris1. 

Monseigneur, 

Nous  avons  appris  que  M.  le  Curé  de  S1  Etienne  vous  avoit 
déclaré  que  M.  Pascal  luy  avoit  témoigné  avant  que  de  mou- 
rir qu'il  s'estoit  séparé  de  ces  MM.  de  Port-Royal,  parce  qu'il 
avoit  reconnu  qu'ils  alloient  trop  avant  sur  la  matière  de  la 
grâce  et  de  la  soumission  que  l'on  doit  au  pape.  C'est  une 
chose  M.  qui  a  tout-à-fait  surpris  tous  ceux  qui  ont  connu 
Mr  Pascal,  et  qui  ont  eu  quelque  habitude  particulière  avec 

i.  Copie  au  troisième  recueil  du  Père  Guerrier,  p.  178,  avec  cette 
note  :  «  Le  ms.  sur  lequel  j'ay  copié  cette  lettre  est  écrit  de  la 
main  de  M.  Perier,  beau-frere  de  M.  Pascal.  Elle  n'est  point  datée  ». 
—  Dans  son  récit,  Marguerite  Perier  ne  parle  pas  de  cette  lettre. 
Selon  le  Recueil  d'Utrecht,  p.  368,  ce  doit  être  là  un  «  projet  dressé 
vers  le  tems  que  l'Ecrit  du  P.  Annat  parut,  et  dont  M.  Perier  n'aura 
pas  cru  devoir  faire  usage.  » 


352  ŒUVRES 

luy  ;  parce  qu'ils  ont  toujours  vu  en  luy,  et  particulièrement 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie  une  disposition  toute  con- 
traire et  toute  opposée  à  cette  déclaration  qu'on  luy  fait  faire. 
Mais  comme  Mr  le  Curé  de  S1  Etienne  est  une  personne  de 
vertu  et  de  probité,  et  que  l'on  ne  peut  pas  soupçonner 
d'avoir  voulu  dire  une  chose  si  peu  vraisemblable  et  si  éloi- 
gnée de  la  vérité,  il  est  nécessaire  d'expliquer  toutes  choses 
et  ce  qui  a  pu  donner  sujet  à  Mr  le  Curé  de  S1  Etienne  de 
croire  ce  qu'il  vous  a  déclaré,  et  d'interpréter  les  paroles  de 
M.  Pascal  au  sens  qu'il  vous  les  a  rapportées.  11  est  vray,  M., 
qu'il  y  avoit  eu  depuis  2.  ans  avant  la  mort  de  M.  Pascal 
quelque  peu  de  division  et  quelque  petite  diversité  de  senti- 
mens  entre  ces  MM.  de  Port-Royal  et  luy,  et  qu'il  leur  avoit 
mesme  témoigné  quelque  mécontentement  de  leur  conduite, 
et  comme  la  pluspart  du  monde  croit  qu'ils  vont  trop  avant 
sur  ces  matières,  et  qu'ils  pèchent  plustost  par  excez  que  par 
défaut  en  demeurant  trop  attachez  à  leurs  sentimens,  c'estoit 
une  chose  si  ^difficile]  à  s'imaginer  qu'il  y  eut  encore  des 
personnes  qui  les  trouvassent  trop  relâchez,  qu'il  n'est  pas 
étrange  que  l'on  ait  cru  que  ceux  qui  n'approuvoient  pas 
tout  à  fait  leur  conduite,  ne  le  faisoient  que  parce  qu'ils 
estoient  trop  attachez  à  soutenir  leur  doctrine  sur  la  grâce  et 
qu'ils  resistoient  trop  au  pape  etauxevesques,  et  que  M.  Pas- 
cal ayant  peut  estre  témoigné  quelque  chose  de  sa  disposition 
à  M.  le  Curé  de  S1  Etienne,  il  l'ait  entendu  dans  le  mesme 
sens.  Cependant,  Monseigneur,  il  n'y  a  rien  de  plus  vray 
que  c'estoit  là  tout  le  contraire  de  ce  qu'il  trouvoit  à  redire 
à  leur  conduite,  et  qu'il  ne  l'improuvoit  que  parce  qu'elle  ne 
luy  sembloit  pas  assez  conforme  à  la  simplicité  et  à  la  sin- 
cérité chrétienne  et  qu'il  jugeoit  qu'ils  s'estoient  trop  relâchez 
dans  la  défense  des  veritez  qu'ils  soutenoient,  quoy  qu'ils  le 
fissent  à  bonne  intention  et  pour  procurer  autant  qu'il  estoit 
en  eux  la  paix  de  l'Eglise  par   cette  condescendance  qu'il 


On  lit  au  manuscrit  :  [facile]. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  353 

trouvoit  trop  excessive.  Il  avoit  pour  principe  que  pour  dé- 
fendre la  vérité  d'une  manière  digne  d'elle,  il  falloit  le  faire 
sans  aucune  considération  humaine,  et  n'en  estre  détourné 
par  la  crainte  d'aucune  puissance  qui  soit  sur  la  terre,  non 
pas  mesme  de  celle  du  pape,  quoyqueson  autorité  soit  la  plus 
grande  de  l'Eglise,  parce  qu'il  est  homme,  et  par  conséquent 
sujet  à  faillir  et  à  se  tromper  comme  les  autres;  c'estoit  là 
l'idée  qu'il  avoit  des  véritables  défenseurs  de  la  vérité,  et 
comme  il  ne  voïoit  pas,  ce  luy  sembloit,  cette  vigueur  et  cette 
fermeté  inébranlable  dans  ces  MM.  à  soutenir  la  doctrine  de 
la  grâce,  et  qu'il  luy  sembloit  au  contraire  qu'ils  accordoient 
trop  aux  puissances  de  la  terre,  il  ne  pouvoit  s'empescher  de 
leur  en  témoigner  son  mécontentement,  en  sorte  mesme  qu'il 
y  a  eu  quelques  petits  écrits  de  part  et  d'autre  sur  ce  sujet; 
et  ces  MM.  luy  soutenant  qu'estant  les  seuls  défenseurs  de  la 
vérité,  on  ne  pouvoit  rien  trouver  à  redire  à  leur  conduite, 
pourvu  qu'ils  la  missent  à  couvert,  et  qu'il  parust  dans  les 
siècles  à  venir  qu'elle  avoit  toujours  esté  défendue,  il  leur  vou- 
lut montrer  dans  un  écrit  qu'il  fit  pour  cela,  que  ce  n'estoit 
pas  assez,  et  que  Dieu  pouvoit  susciter  un  jour  des  delenseurs 
plus  généreux  de  la  vérité  qui  leur  reprocberoient  leur  relâche- 
ment, et  toutes  les  fautes  qu'ils  faisoient  dans  leur  conduite. 
Quelques  amis  de  M.  Pascal  estant  fâchez  de  le  voir  dans 
cette  petite  division  avec  ces  MM.  voulurent  tacher  de  le 
détourner  d'avoir  d'eux  ces  sentimens  là,  en  luy  représentant 
leur  sincérité,  et  que  s'ils  se  trompoient  en  croyant  pouvoir 
agir  comme  ils  agissoient,  leur  cœur  estoit  toujours  droit  et 
porté  à  faire  tout  ce  qu'ils  croiroient  devoir  faire  selon  Dieu 
et  selon  leur  conscience:  il  repondit  à  cela  que  l'expeiience 
s'en  pouvoit  faire  bientost  ;  qu'il  estoit  bien  certain  qu'on  ne 
recevroit  point  leurs  restrictions,  et  qu'on  les  voudroit  obli- 
ger de  s'expliquer  plus  clairement,  et  qu'on  verroit  alors  s'ils 
souffriroient  plustost  la  persécution  que  de  rien  faire  qui  put 
blesser  la  vérité  ;  que  si  cela  estoit  ils  seroient  d'accord  et  les 
meilleurs  amis  du  monde.  Et  en  effet  il  commençoit  déjà 
lors  qu'il  mourut  à  estre  fort  satisfait  des  Religieuses  de  Port- 
2e  série.  VII  a3 


35i  ŒUVRES 

Royal,  voïant  la  manière  dont  ils  [sic]  en  avoient  usé  au 
Mandement  des  Grands  Vicaires  du  chapitre  en  refusant  ab- 
solument de  le  signer.  Et  ainsi  il  n'y  a  point  de  doute  que 
s'il  estoit  vivant,  il  approuveroit  de  tout  son  cœur  leur  con- 
duite présente  sur  le  sujet  de  la  signature;  puis  qu'elle  est 
entièrement  conforme  à  ses  sentimens;  et  qu'il  seroit  plus 
uni  que  jamais  avec  les  MM.  de  P.  R.  voyant  la  manière  si 
généreuse  dont  ils  défendent  la  vérité  dans  un  tems  où  ils  se 
voyent  menacez  de  la  plus  grande  persécution  qu'on  leur  ait 
encore  fait  souffrir. 

Voilà  la  vérité  de  toutes  choses,  et  voilà  la  véritable  dispo- 
sition dans  laquelle  M.  Pascal  a  tousjours  esté,  particulière- 
ment dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  et  dans  laquelle  il 
est  mort.  L'on  n'en  manque  pas  de  preuves  pour  le  montrer 
si  clairement  que  personne  n'en  pourra  douter,  et  l'on  pro- 
duira cent  témoins  et  des  personnes  les  moins  suspectes  et 
les  plus  attachées  aux  Jésuites,  qui  rendront  témoignage  de 
cette  disposition.  M.  le  Curé  de  S1  Etienne  a  peut  estre  pu 
interpréter  en  la  manière  qu'il  a  fait  les  paroles  de  M.  Pascal  ; 
l'on  ne  le  peut  point  croire  capable  de  déguiser  et  de  falsifier 
à  dessein  une  chose  de  cette  importance,  et  qui  ayant  esté 
dite  en  confession  devoit  mesme  estre  gardée  sous  un  secret 
inviolable,  à  moins  que  M.  Pascal  luy  eut  donné  une  charge 
expresse  de  la  divulguer.  Mais  il  a  pu  se  tromper  dans  cette 
interprétation,  et  particulièrement  ne  sçachant  pas  la  dispo- 
sition où  il  estoit.  Il  estoit  bien  plus  naturel  de  les  expliquer 
en  cette  manière  qu'en  l'autre.  Mais  comme  il  est  difficile 
qu'il  se  souvienne  des  propres  termes  de  M.  Pascal,  il  ne  les 
peut  plus  rapporter  à  présent  que  dans  le  sens  qu'il  les  a 
entendu,  etc. 

6.  Chamillard.  —  Déclaration  de  la  conduite  que  Mgr. 
l'Archevesque  de  Paris  a  tenue  contre  le  Monastère  de  Port- 
Royal...,  par  M.  Chamillard,  Docteur  de  Sorhonne,  Paris 
1667  {achevé  d'imprimer  le  3o  mars)  \il\  p-  in-4°. 

4e  Contradiction,  p.  120.  Monsieur  Pasqual  a  reconnu  qu'il 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  355 

ne  s'agissoit  pas  d'un  Fait,  mais  d'un  Droit  selon  V intention 
publique  du  Pape  et  des  Evesques  :  Les  Jansénistes  disent  le 
contraire  présentement. 

Monsieur  Pasqual  parlant  de  la  première  signature  des 
Religieuses  de  Port  Royal,  dit  dans  un  manuscrit  que  nous 
avons  entre  les  mains  que  cette  manière  de  signer  pour  se 
deffendre  contre  les  définitions  du  Pape  et  des  Evesques  qui 
ont  condamné  la  doctrine  de  Jansenius,  est  si  peu  franche  et 
si  peu  sincère,  qu'elle  est  indigne  de  la  grandeur  du  courage 

des  vrais  deffenseurs  de  l'Eglise.  —  Et  après  il  adjoute 

[ici  Chamillard  copie  les  2J3  environ  de  l'écrit  de  Pascal]1. 
Ce  sont  les  paroles  de  feu  Monsieur  Pasqual,  qui  prouvent  ce 
que  j'ay  dit  de  luy  dans  mon  premier  écrit  :  Car  il  reconnoist 
que  selon  l'intention  publique  du  Pape  et  des  Evesques,  le 
Fait  dont  il  s'agit  n'est  pas  un  pur  Fait,  mais  un  Fait  qui 
détermine  et  qui  marque  un  Droit,  et  qui  est  un  Droit  luy- 
mesme  :  Il  reconnoist  encore  que  la  restriction  dont  les  Reli- 
gieuses de  Port-Royal  s'estoient  servies  dans  leur  première 
signature,  et  dont  les  Jansénistes  se  servent  encore  présente- 
ment, n'est  pas  sincère. 

Je  ne  sçay  pas  si  le  différent  que  les  Jansénistes  eurent  sur 
ce  sujet  avec  Monsieur  Pasqual  rompit  entièrement  l'union 
qu'il  avoit  avec  eux  :  Mais  je  sçay  bien  que  M.  le  Curé  de 
Saint  Estienne  a  déclaré  juridiquement  dans  une  déposition 
qu'il  a  faite  entre  les  mains  de  Monseigneur  l'Archevesque  de 
Paris,  que  M.  Pasqual  son  Paroissien  luy  avoit  déclaré  avant 
que  de  mourir  qu'on  l'avoit  autresfois  embarassé  dans  le  party 
des  Jansénistes  ;  mais  que  depuis  deux  ans,  il  s'en  estoit  re- 
tiré, parce  qu'il  avoit  remarqué  qu'ils  alloient  trop  avant  dans 
les  matières  de  la  grâce,  et  qu'ils  paroissoient  avoir  moins  de 
soumission  qu'ils  ne  dévoient  pour  N.  S.  P.  le  Pape;  J'ay 
veu  l'original  de  cette  déposition,  qui  est  entre  les  mains  de 
Mgr.  l'archevesque  de  Paris,  signée  Beurier  et  datée  du  sep- 
tième de  Janvier  i665. 

I.    Vide  supra  p.  169. 


356  ŒUVRES 

7.  [Sainte-Marthe],  —  Deffense  des  Religieuses  de  Port- 
Royal  et  de  leurs  directeurs  sur  tous  les  faits  alléguez  par 
M.  Chamillard  Docteur  de  Sorbonne  dans  ses  deux  libelles 
contre  les  Religieuses,  adressée  au  mesme  M.  Chamillard.  s.  1. 
1667.  176  p.  in-4° f. 

p.  3o.  ...  Je  vous  dis  cela  à  l'occasion  du  fait  de  M.  Paschal 
que  vous  renouveliez  encore,  comme  si  on  n'y  avoit  point  ré- 
pondu. Je  ne  prétend  point  que  M.  le  Curé  de  S.  Estienne 
que  vous  nommez  ait  manqué  de  sincérité,  il  est  vrai  pour- 
tant qu'il  a  pris  tout  ce  que  luy  a  dit  M.  Paschal  à  contre 
sens,  puis  qu'il  estoit  si  éloigné  de  nous  regarder  comme  un 
parti,  que  pour  me  donner  des  marques  de  sa  [sic]  parfaite 
confiance  qu'il  avoit  en  moy,  il  m'envoya  quérir  plusieurs 
fois  dans  sa  dernière  maladie,  et  me  communiqua  les  plus 
secrets  mouvemens  de  sa  conscience.  Si  je  temoignois  une 
chose  et  M.  le  Curé  de  S.  Estienne  une  autre,  il  y  auroit  de 
la  peine  à  discerner  lequel  de  nous  deux  se  tromperoit,  mais 
je  produis  des  faits  dont  on  ne  peut  douter,  puis  que  les  pro- 
ches et  les  amis  de  M.  Paschal  sont  témoins  du  désir  qu'il 
eut  de  me  parler,  et  ils  sont  asseurez  par  eux  mesmes  et  par 
des  écrits  qu'ils  ont  en  main  que  ses  dispositions  estoient  tou- 
tes contraires  à  ce  qui  est  rapporté  de  luy  dans  cette  Déclara- 
tion que  vous  alléguez. 

8.  [De  Lalane].  —  Défense  de  la  foy  des  Religieuses  de 
Port  Royal  et  de  leurs  directeurs.  Contre  le  Libelle  scandaleux 
et  diffamatoire  de  M.  Chamillard  intitulé  :  Déclaration  de  la 
conduite,  etc.  (ire  partie  23  p.,  26  avril  1667.  —  2e  partie 
34  p.,  8  may  1667). 

2e  Partie  p.  3o-3i.  Réfutation  de  la  4-  Contradiction  —  La 
4.  et  dernière  contradiction  objectée  par  M.  Chamillard  est 
une  impertinence  insigne.  Il  la  fonde  sur  un  discours  de  feu 


1.   Cf.  infra  p.  373  sq.  une  lettre  de  Sainte-Marthe  à  Perier,  du 
4  décembre  1688. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  357 

M.  Pascal  touchant  la  première  signature  des  Religieuses. 
M.  Pascal  a  reconnu,  dit-il,  que  dans  le  sens  de  Jansenius  il  ne 
s'agissoit  pas  d'un  fait  mais  d'un  droit,  et  les  Jansénistes  disent 
présentement  le  contraire.  Mais  si  ces  prétendus  Jansénistes  ont 
esté  en  cela  entièrement  opposez  à  M.  Pascal,  et  s'ils  ont  sou- 
tenu contre  luy  qu'il  ne  s'agissoit  que  d'un  fait,  et  non  d'un 
droit,  comme  ils  le  disent  encore  maintenant,  et  comme  ils 
l'ont  toujours  dit,  où  sera  la  contradiction  ?  Car  la  contradic- 
tion doit  estre  des  mesmes  personnes  qui  disent  en  un  temps 
ce  qu'ils  nient  en  un  autre.  Or  par  ce  Manuscrit  mesme  de 
M.  Pascal  que  M.  Chamillard  cite  il  est  évident  qu'il  avoit 
sur  ce  sujet  une  opinion  singulière  opposée  à  tous  les  Théo- 
logiens qui  estoient  à  Port-Royal  et  qui  y  avoyent  quelque 
liaison  :  qu'il  a  fait  quelque  escrit  pour  son  opinion  et  que 
ces  Théologiens  en  ont  fait  d'autres  pour  la  réfuter.  L'histoire 
de  ce  différent  a  esté  parfaitement  éclaircie  dans  une  lettre 
faite  exprés  par  un  Théologien  à  un  de  ses  amis  qui  est  à  la 
fin  de  la  réfutation  du  livre  du  P.  Annat  contre  le  Mande- 
ment de  M.  d'Alet.  Il  n'y  eut  donc  jamais  moins  de  lieu  à 
reprocher  une  contradiction  puis  que  M.  Pascal  est  mort  dans 
son  sentiment,  et  que  ces  Théologiens  ont  toujours  eu  celuy 
qu'ils  ont. 

M.  Chamillard  avoit  déjà  parlé  de  cette  histoire  dans  son 
premier  escrit,  on  a  refuté  ce  qu'il  en  a  dit,  il  ne  respond  rien 
à  tout  cela. 

Le  P.  Annat  ayant  rapporté  une  certaine  déclaration  de 
M.  le  Curé  de  S1  Estienne  sur  ce  sujet,  on  a  fait  voir  évidem- 
ment dans  le  récit  de  ce  différent  que  ce  Curé  avoit  pris  dans 
un  sens  tout  contraire  ce  que  M.  Pascal  luy  en  avoit  dit. 
M.  Chamillard  ne  laisse  pas  encore  de  rapporter  froidement 
cette  déclaration,  comme  si  on  n'y  avoit  pas  respondu.  Mais 
la  malice  ou  l'aveuglement  de  M.  Chamillard  paroit  davantage 
en  ce  que  ce  Manuscrit  mesme  de  M.  Pascal  qu'il  cite,  fait 
connoître  que  c'esloit  M.  Pascal  qui  accusoit  Messieurs  de 
Port-Royal  d'avoir  trop  de  soumission  et  trop  de  condes- 
cendance pour  le  Pape  et  pour  les  Evesques  ;  Et  qu'ainsi  il 


358  ŒUVRES 

n'avoit  eu  garde  de  dire  à  M.  le  Curé  de  S1  Estienne  qu'ils 
alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la  grâce,  et  qu'ils  ne 
paroissoient  pas  avoir  assez  de  soumission  pour  le  Pape.  C'est 
ce  qu'on  voit  tres-clairement  dans  le  récit  de  ce  diflerend. 

M.  Chamillard  voit  encore  dans  ce  Manuscrit  de  M.  Pascal 
qu'il  cite  et  qu'il  dit  avoir  entre  les  mains,  qu'il  croioit  que 
Jansenius  n'avoit  enseigné  sur  le  sujet  des  cinq  propositions 
que  le  dogme  de  la  grâce  efficace  par  elle-mesme,  qu'on  ne 
pouvoit  souscrire  au  Formulaire  qui  contenoit  la  condamna- 
tion du  sens  de  Jansenius,  et  qu'on  ne  devoit  mesme  sous- 
crire à  la  condamnation  des  propositions  qu'on  exceptast  la 
grâce  efficace,  ou  au  moins  le  sens  de  Jansenius,  et  M.  Pascal 
n'avoit  fait  cet  escrit  que  quelque  temps  avant  sa  mort,  puis 
qu'il  ne  l'avoit  fait  qu'après  la  signature  des  Religieuses  qui 
est  du  mois  de  novembre  1661.  et  qu'il  est  mort  neuf  mois 
après.  Comment  donc  ce  que  M.  Chamillard  dit  estre  dans 
cette  déclaration  de  M.  le  Curé  de  S1.  Estienne  pourroit-il 
estre  vray,  sçavoir  que  M.  Pascal  luy  avoit  déclaré  avant  que  de 
mourir  qu'on  Vavoit  autrefois  embarassé  dans  le  parti  des  Jan- 
sénistes, mais  que  depuis  deux  ans  il  s'en  estoit  retiré,  parce  qu'il 
avoit  remarqué  qu'ils  alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la 
grâce.  Car  est-ce  estre  retiré  de  ce  parti  prétendu  que  de  croire 
que  Jansenius  n'a  enseigné  que  le  dogme  de  la  grâce  efficace 
par  elle-mesme  sur  le  sujet  des  cinq  propositions?  Est-ce  en 
estre  retiré  que  de  croire  qu'on  ne  peut  souscrire  au  Formu- 
laire en  ce  qu'il  contient  la  condamnation  du  sens  de  Janse- 
nius? Et  n'est-ce  pas  aller  plus  avant  que  les  Théologiens 
dans  cette  matière  que  de  croire  qu'on  ne  puisse  souscrire 
simplement  à  la  condamnation  des  propositions  sans  excepter 
la  grâce  efficace  ou  au  moins  le  sens  de  Jansenius?  Il  n'y  eut 
jamais  rien  de  si  visiblement  contraire  à  la  vérité  que  ce  que 
M.  Chamillard  rapporte  de  cette  déclaration.  Mais  ce  qui  a 
esté  une  pure  méprise  dans  M.  le  Curé  de  S1  Estienne  qui  a 
mal  entendu  ce  que  M.  Pascal  luy  a  dit,  est  en  M.  Chamil- 
lard une  très-mauvaise  foy,  puis  que  voyant  dans  ce  Manu- 
scrit les  véritables  sentimens  de  M.  Pascal  avant  sa  maladie, 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  359 

il  ne  peut  pas  douter  que  ce  qui  est  dans  cotte  déclaration  n'y 

soit  contraire,  et  qu'ainsi  il  ne  soit  manifestement  faux 

J'adjoûterai  encore  ici  à  tout  ce  qui  a  esté  rapporté  de  cette 
histoire  que  quand  M.  Pascal  disoit  que  dans  la  question  du 
fait  et  du  sens  de  Jansenius  il  s'agissoit  d'un  droit,  il  le  pre- 
noit  en  un  sens  différent  de  celuy  des  Jésuites  et  de  M.  Gha- 
millard.  Car  il  supposoit,  ce  qui  est  tres-vray,  que  le  sens  de 
Jansenius  n'estoit  que  celuy  de  la  grâce  efficace  par  elle-mesme, 
d'où  il  concluoit  que  le  Pape  ayant  condamné  le  sens  de  Jan- 
senius, on  ne  pouvoit  empescher  en  souscrivant  à  la  condam- 
nation du  droit  que  cette  condamnation  ne  tombast  sur  cette 
doctrine  de  la  grâce  efficace  par  elle-mesme,  à  moins  que  d'ex- 
cepter formellement  la  grâce  efficace,  ou  le  sens  de  Janse- 


9.  [Bouhours].  —  Lettre  écrite  à  un  Seigneur  de  la  Cour 
sur  la  Requeste  présentée  au  Roy  par  les  Ecclésiastiques  qui 
ont  esté  à  Port-Royal.  Paris,  1668,  in- 4°  (ire  édition  p.  21-22). 

Qui  ne  sçait  présentement  que  Mr  Paschal  est  l'Auteur 
des  Provinciales,  et  qu'il  estoit  engagé  dans  le  parti  lors  qu'il 
ecrivoit?  Si  quelqu'un  doutoit  d'une  vérité  aussi  constante 
que  celle-là,  il  seroit  aisé  de  l'en  convaincre  par  le  témoignage 
de  Mr  Paschal  mesme,  que  nous  sçavons  de  bonne  part  avoir 
abjuré  le  Jansénisme  à  sa  mort. 

(En  note  à  la  marge.)  Cela  est  attesté  par  un  Ecrit  signé  de 
la  main  de  M.  le  Curé  de  S.  Estienne  du  Mont,  qui  assista 
M.  Paschal  à  la  mort.  Cet  Ecrit  est  entre  les  mains  de 
M.  l'Archevesque  de  Paris1. 


1 .  Cette  nouvelle  affirmation  fut  repoussée  à  nouveau  par  Arnauld 
dans  sa  Réfutation  de  la  lettre  à  un  Seigneur  de  la  Cour,  4  août  1668, 
60  p.  in-4°,  p.  48.  Lorsque  Bouhours  inséra  sa  Lettre  à  un  Sei- 
gneur de  la  Cour  dans  ses  Opuscules  sur  divers  sujets,  en  i684,  p.  76, 
il  supprima  le  passage  qui  concernait  Pascal.  —  Au  moment  où  allait 
paraître  l'édition  des  Pensées,  l'archevêque  de  Paris,  au  cours  d'un 
entretien  qu'il  eut  avec  le  libraire  Desprez,  le  24  décembre  1669, 
lui  montra  la  déclaration  de  Beurrier.  Desprez   envoya  à   Madame 


360  ŒUVRES 

10.  Lettre  du  Père  Beurrier,  à  Madame  Perier  (3e  Recueil 
Guerrier,  p.  189). 

A  Paris,  le  12.  Juin  167 1 . 
Madame, 

Ayant  apris  de  Mr  Perier  que  vous  estiez  fort  touchée 
de  l'abus  qu'on  a  fait  d'une  Déclaration  que  feu  Monsei- 
gneur l'Archevesque  avoit  tirée  de  moy  sur  le  sujet  de  feu 
Mr.  vostre  Frère,  et  que  vous  seriez  bien  aise  de  sçavoir 
au  vray  ce  qu'il  m'avoit  dit  dans  sa  dernière  maladie,  qui 
avoit  donné  lieu  à  l'explication  de  sa  pensée,  telle  que  je  luy 
donnay  alors;  il  est  vray,  Madame,  que  quand  je  parlay  à 
M1*  de  Paris,  je  crus  de  très-bonne  foy  qu'il  m'avoit  fait  en- 
tendre ce  que  j'ay  mis  dans  ma  Déclaration,  aïant  pris  en  ce 
sens  ce  qu'il  m'avoit  dit  dans  une  conversation  particulière, 
qu'il  avoit  eu  quelque  diférent  avec  ces  Messieurs  sur  le 
sujet  des  matières  du  tems,  et  qu'il  n'estoit  pas  entièrement 
dans  leurs  sentimens.  Mais  sur  ce  que  j'ay  apris  des  disposi- 
tions de  Mr.  vostre  Frère,  par  ceux  qui  l'ont  connu  très  par- 
ticulièrement et  par  quelques  Ecrits  du  sujet  de  la  dispute 
qu'il  avoit  eue  avec  eux  quelque  tems  avant  sa  mort;  j'ay 
bien  reconnu  que  ses  paroles  pouvoient  avoir  un  autre  sens 
que  celuy  que  je  leur  avois  donné  :  comme  aussi  je  croy 
qu'elles  l'avoient,  puisque  le  sujet  de  leur  contestation  estoit 
tout  diférent  de  ce  que  je  m'estois  imaginé.  Voilà,  Madame, 
tout  ce  que  je  vous  diray  de  cette  Déclaration,  que  je  souhai- 
terois  de  bon  cœur  n'avoir  jamais  donnée,  puisqu'elle  ne  pa- 
roist  pas  conforme  à  la  vérité  de  ses  sentimens,  et  qu'on  en 
abuse  contre  mon  intention  et  contre  la  parole  qu'on  m'avoit 
donnée,  pour  décrier  des  personnes  pour  qui  j'ay  beaucoup 


Perier  la  relation  de  cette  entrevue,  en  lui  décrivant  cette  pièce 
(cf.  Pensées,  T.  I,  p.  clxiii).  —  Perier  écrivit  une  lettre  que  nous 
n'avons  pas.  L'archevêque  répondit  le  2  mars  1670.  Perier  lui  écrivit 
à  nouveau  le  12,  et  Arnauld  adressa  sur  ce  sujet  à  Perier  une  lettre, 
datée  du  a3  mars  1670  (cf.  ces  pièces,  Pensées,  T.  I  p.  clxx  sqq.). 


MORT  DE  BLATSE  PASCAL  361 

d'estime,  aussi  bien  que  de  vostre  chère  Famille,  de  laquelle 
je  seray  à  jamais,  Madame, 

Le  tres-humble  et  tres-obeissant  Serviteur, 
P.  Beurier,  Curé  de  S1.  Etienne. 

il.  Lettre  écrite  [par  Etienne  Perier]  à  M?  le  Curé  de 
S1  Etienne  du  Mont  à  Paris  (Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr. 
2og45,  p.  27 4). 

Le  17.  Novembre  1673. 
Monsieur, 

Il  y  a  ici  un  ecclésiastique  nommé  Mr  Pourrat  qui  est  de 
ce  pays-cy,  lequel  a  demeuré  quelque  temps  à  Paris  et  qui 
en  est  revenu  depuis  peu.  Estant  un  jour  en  conversation  avec 
une  personne  de  qualité  de  cette  ville,  et  le  discours  estant 
tombé  sur  le  sujet  de  feu  mon  oncle  et  de  ses  Ecrits,  cet  Ec- 
clésiastique dit  qu'il  s'estoit  rétracté  de  tout  cela  avant  que 
de  mourir,  et  que  vous  en  aviez  donné  vostre  déclaration  à 
feu  Mr  de  Paris;  et  voyant  que  la  personne  à  qui  il  raportoit 
cela  avoit  de  la  peine  à  croire  que  mon  oncle  eut  changé  de 
sentimens  et  qu'il  trouvoit  plus  d'apparence  qu'il  se  fut  mal 
expliqué  en  vous  parlant  ou  que  vous  aviez  pu  prendre  les 
choses  qu'il  vous  avoit  dites  dans  un  autre  sens  que  celuy 
auquel  il  les  avoit  voulu  dire,  il  soutint  toujours  que  cela 
estoit  très  véritable,  et  que  pour  s'en  assurer  davantage  il 
s'estoit  donné  l'honneur  de  vous  aller  voir  luy  mesme  avec  un 
Ecclésiastique  que  l'on  dit  avoir  esté  autrefois  de  S1  Sulpice 
nommé  Mr  Ghenart  ;  que  vous  leur  aviez  confirmé  à  l'un  et 
à  l'autre  tout  ce  qui  est  porté  par  vostre  déclaration  et  que 
vous  leur  aviez  ajouté  que  mon  oncle  estoit  venu  luy  mesme 
chez  vous  pour  faire  entre  vos  mains  sa  retractation.  Cette 
dernière  circonstance  qui  est  certainement  fausse  puisque 
mon  oncle  n'a  eu  le  bien  de  vous  voir  qu'en  sa  dernière  ma- 
ladie et  lorsqu'il  gardoit  le  lict,  nous  fit  juger  qu'apparem- 
ment tout  le  reste  de  l'histoire  n'estoit  pas  plus  véritable,  et 
mesme  il  nous  eut  esté  facile  d'en  détromper  tous  ceux  ausquels 


362  ŒUVRES 

le  discours  de  cet  Ecclésiastique  avoit  donné  des  impressions 
assez  desavantageuses  pour  la  mémoire  de  mon  oncle  en  leur 
faisant  voir  la  lettre  que  vous  eustes  la  bonté  d'écrire  à  ma 
mère  sur  ce  sujet  il  y  a  environ  2.  ou  3.  ans,  dans  laquelle 
vous  vous  expliquez  d'une  manière  bien  différente  de  celle 
dont  cet  Ecclésiastique  vous  fait  parler.  Mais  nous  n'avons 
pas  voulu,  Monsieur,  nous  servir  de  cet  avantage  et  divul- 
guer vostre  lettre  sans  sçavoir  auparavant  si  cela  ne  vous  feroit 
point  quelque  peine,  quoy  que  nous  ayons  sujet  de  croire 
que  depuis  la  mort  de  feu  M.  l'Archevesque  cela  ne  vous  en 
doit  pas  tant  faire  qu'auparavant  et  ce  n'est  pas  là  la  seule 
occasion  dans  laquelle  il  nous  eut  esté  avantageux  d'avoir 
cette  liberté.  Il  nous  en  est  arrivé  depuis  2.  ou  3.  mois  dans 
lesquelles  des  personnes  fort  considérables  nous  ont  objecté 
cette  prétendue  retractation  et  entr'autres  Mgr  l'Evesque  de 
Tulle  qui  passa  par  cette  ville  il  y  a  quelque  tems  et  lequel 
nous  desabusasmes  le  mieux  qu'il  nous  fut  possible  en  luy 
expliquant  le  sujet  de  la  contestation  qui  estoit  entre  mon 
oncle  et  ces  MM.  et  en  luy  faisant  voir  les  Ecrits  qui  avoient 
esté  faits  de  part  et  d'autre  sur  ce  sujet  là.  Tout  cela,  Mon- 
sieur, nous  fait  beaucoup  de  peine,  et  nous  souhaiterions  bien 
pouvoir  fermer  la  bouche  à  tous  ceux  qui  font  de  semblables 
discours.  Sur  tout  vous  nous  obligerez  extrêmement  si  vous 
voulez  bien  prendre  la  peine  de  nous  mander  si  le  discours 
fait  par  Mr  Pourrat  a  quelque  fondement  ou  s'il  n'en  a  point, 
et  s'il  est  vray  qu'il  vous  ait  esté  trouver,  ainsi  qu'il  dit,  avec 
Mr  Ghenard  pour  vous  parler  de  cette  affaire.  Ma  mère,  Mon- 
sieur, qui  a  tout  cela  fort  à  cœur  auroit  bien  voulu  pouvoir 
se  donner  l'honneur  de  vous  en  écrire  elle  mesme  ;  mais  il  y 
a  environ  six  semaines  qu'elle  a  une  fièvre  quarte  dont  les 
accès  sont  longs  et  violens  et  qui  ne  luy  laisse  pas  des  inter- 
valles assez  bons  et  asses  libres  pour  cela.  Ainsi  elle  m'a 
chargé  de  le  faire  pour  elle,  et  de  vous  prier  de  sa  part  de  luy 
vouloir  continuer  et  à  toute  la  famille  la  bonté  dont  vous  nous 
avez  toujours  donné  des  marques  dans  toutes  sortes  d'occa- 
sions, et  de  l'assister  de  vos  prières  dans  l'Etat  où  elle  est 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  363 

12.  Lettre  de  M.  de  Rebergues  à  Mr  Etienne  Perier1. 

A  Paris,  ce  lundy  27.  Novembre  1673. 

Enfin,  Monsieur,  j'ay  rencontré  M.  le  Curé  de  Saint- 
Etienne  et  je  luy  ay  rendu  vostre  lettre  en  main  propre, 
n'ayant  pas  voulu  la  confier  à  un  autre.  Apres  m'avoir  de- 
mandé de  vos  nouvelles  et  de  toute  vostre  famille,  il  lut  vostre 
lettre  en  ma  présence  tout  de  suitte  sans  y  faire  aucune  ré- 
flexion et  à  peu  près  avec  le  mesme  visage  qu'il  l'avoit  receue 
lors  que  je  la  luy  avois  présentée.  Mais  à  peine  eut-il  achevé 
de  lire  que,  m'ayant  demandé  si  je  sçavois  le  sujet  de  cette 
lettre,  et  moy  luy  ayant  tesmoigné  que  je  sçavois  biendequoy 
il  s'agissoit,  il  me  dit  fortement  que  tout  ce  qu'elle  conte- 
noit  estoit  absolument  faux,  et  me  fit  connoistre  qu'il  estoit 
impossible  qu'il  eut  jamais  dit  ce  que  cet  ecclésiastique  dont 
vous  luy  parliez  avoit  voulu  faire  croire  ;  qu'à  la  vérité  il  ne 
pouvoit  asseurer  que  M.  Pourrat  et  M.  Chenard  ne  fussent 
venus  chez  luy,  mais  qu'il  ne  s'en  souvenoit  pas,  et  que 
mesme  il  ne  les  connoissoit  ny  l'un  ny  l'autre;  que,  quand 
ils  y  seroient  venus,  il  ne  se  pouvoit  pas  faire  qu'il  leur  eust 
dit  sur  le  sujet  de  M.  Pascal  les  choses  qu'ils  avoient  avan- 
cées, puisqu'elles  estoient  très  fausses  ;  qu'à  l'égard  de  cette 
prétendue  retractation  il  avoit  esté  bien  éloigné  de  leur  pou- 
voir dire  que  M.  Pascal  en  ait  jamais  fait  puisqu'il  ne  l'avoit 
pas  dit  mesme  à  M.  de  Paris,  et  que  cela  n'estoit  pas  non  plus 
dans  l'écrit  que  l'on  avoit  tiré  de  luy  par  surprise  ;  qu'enfin 
il  estoit  tellement  faux  que  M.  Paschal  fût  venu  chez  luy 
quelque  tems  avant  sa  mort  pour  y  faire  une  retractation, 
que,  tout  au  contraire,  il  estoit  très  constant  qu'il  n'y  avoit 
jamais  mis  le  pied  en  quelque  tems  que  ce  fut.  Il  me  dit  de 
vous  mander  tout  cela,  parce  qu'estant  accablé  d'affaires,  sur- 


1.  Ier  recueil  Guerrier,  p.  5/j,  avec  cette  note  :  «  copié  sur  l'ori- 
ginal. »  —  Claude  de  Rebergues  fut,  après  Wallon  de  Beaupuis,  le 
maître  d<-s  enfants  Perier,  jusqu'en  mars  1673.  Il  se  relira  ensuite  à 
Sb  Lambert  auprès  de  Tillemont,  et  mourut  en  1676. 


364  OEUVRES 

tout  depuis  que  le  P.  General  est  fort  mal,  il  n'estoit  gueres 
en  état  de  vous  faire  réponse,  mais  il  ajouta  que  la  lettre 
qu'il  avoit  ecritte  autrefois  à  Mme  Perier  sur  cette  matière 
est  suffisante  pour  détromper  le  monde,  et  que  vous  pou- 
viez la  montrer  à  qui  il  vous  plaira  puisqu'il  ne  l'avoit  escrite 
que  pour  cela.  Ainsi  vous  ne  devés  faire  aucune  difficulté  de 
vous  en  servir  selon  le  besoin  que  vous  en  aurés,  puisque  c'est 
l'intention  mesme  de  M.  le  Curé  de  Saint-Etienne.  Estant  sur 
le  point  de  le  quitter,  et  m'ayant  fait  entendre  qu'il  tache- 
roit  de  prendre  le  tems  de  vous  escrire,  je  pris  cette  occasion 
de  luy  témoigner  qu'il  vous  feroit  un  très-grand  plaisir.  En 
un  mot,  je  ne  me  separay  d'avec  luy  qu'après  qu'il  m'eut  dit 
qu'il  se  donneroit  l'honneur  de  vous  faire  réponse,  mais  qu'il 
ne  pouvoit  pas  dire  quand  ce  pourroit  estre  et  qu'il  auroit 
soin  luy-mesme  de  vous  envoyer  la  lettre.  Je  crus  qu'il  n'estoit 
pas  à  propos  de  luy  en  demander  davantage,  et  je  ne  doute 
pas  qu'il  ne  le  fasse.  Il  me  chargea  de  vous  faire  ses  compli- 
mens  en  attendant  et  à  Madame  Perier.  Voilà,  Monsieur,  de 
quelle  manière  je  me  suis  acquité  le  mieux  qu'il  m'a  esté 
possible  de  la  commission  que  vous  m'avez  donnée.  J'eusse 
souhaité  le  pouvoir  faire  dés  la  semaine  passée,  mais  je  vous 
ay  déjà  mandé  que  je  ne  l'avois  pu,  parce  que  j'avois  man- 
qué M.  le  Curé  toutes  les  fois  que  j'y  avois  esté.  Je  suis,  Mon- 
sieur, vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur.  — 
Signé  :  De  Rebergues. 

i3.  Lettre  du  Père  Beurrier,  à  Monsieur  Perier  le  fils  (3* 
recueil  Guerrier,  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.  i3gi3, 
p.33i). 

à  Paris  ce  27.  Novembre  1673. 
Monsieur, 

J'ay  douleur  de  la  maladie  de  Madame  vostre  mère,  et  prie 
Dieu  de  luy  rendre  la  santé  et  à  Mademoiselle  vostre  Sœur, 
et  qu'il  conserve  vostre  sainte  Famille  pour  sa  gloire.  Pour 
repondre  à  la  vôtre,  tout  ce  qu'on  vous  a  dit  est  asseurement 


MORT  DE  RLAISE  PASCAL  3G;> 

contre  la  vérité  :  car,  i°  Je  ne  connois  point  ces  Ecclésiasti- 
ques ;  2°  Jamais  je  n'ay  avancé  ny  dit  que  feu  Mr  Pascal  se 
soit  retracté  ;  3°  Jamais  il  n'est  venu  chez  moy,  mais  je  l'ay 
esté  voir  plusieurs  fois  durant  sa  maladie;  4°  Jamais  je  ne  l'ay 
bien  connu  comme  Auteur  des  Lettres  au  Provincial  qu'à  sa 
mort,  et  ce  fut  par  le  feu  Père  l'Allemand1  ;  5°  Tout  ce  que 
j'ay  dit,  c'est  qu'il  est  mort  tres-bon  Catholique  après  avoir 
receu  les  Sacremens,  et  qu'il  avoit  une  patience  consommée 
et  une  très-grande  soumission  à  l'Eglise,  et  à  nostre  Saint 
Père  le  Pape  ;  et  que  depuis  deux  ans  devant  sa  mort  il  avoit 
voulu  se  retirer  pour  songer  à  son  salut  et  travailler  contre 
les  Athées.  Tout  ce  détail  est  expliqué  dans  la  lettre  que  j'ay 
eu  l'honneur  d'escrire  à  Madame  vostreMere,  que  vous  pouvez 
faire  voir  à  qui  il  vous  plaira.  Je  suis  pour  jamais, 

Monsieur,  vostre  tres-humble  et  tres-obeissant  serviteur, 
F.  P.  Beurrier,  Curé  de  S1  Etienne. 


i4-  Gilberte  Perier.  —  Addition  à  la  vie  de  Pascal.  1611 2. 

Apres  avoir  parlé  de  sa  maladie,  de  sa  mort,  et  du  lieu  où 
il  est  enterré,  l'on  voudroit  parler  de  l'affaire  dont  il  s'agit, 
environ  de  cette  manière. 

Monsieur  le  Curé  de  S1  Etienne  le  recommanda  le  dimanche 
suivant  à  son  prosne  aux  prières  des  assistans,  et  il  en  fît  un 
éloge  qui  marquoit  l'estime  qu'il  faisoit  de  sa  pieté  et  com- 
bien il  regrettoit  la  perte  que  l'on  avoit  faite  à  sa  mort.  Il  en 
parla  de  la  mesme  manière  à  feu  Mr  l'Archevêque  de  Paris 
qui  luy  en  demanda  des  nouvelles  ayant  sceu  qu'il  l'avoit  as- 
sisté à  la  mort.  Et  quoy  que  ce  qu'il  luy  rapporta  dans  la 
mesme  occasion  d'une  conversation  qu'il  avoit  eue  avec  mon 
frère  dans  sa  maladie  ait  donné  lieu  à  quelques  personnes 
qui  auroient  voulu,  s'ils  avoient  pu,  noircir  sa  mémoire  et  sa 

1.  Lallemant,  chanoine  régulier  de  Ste  Geneviève. 

2.  Copie  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.  200,45,  p.  275. 
Cf.  sur  cette  addition  la  lettre  adressée  à  Madame  Perier  par  ses 
fils  Louis  et  Biaise,  le  8  mars  1677  (supra  T.  I,  p.  4i)- 


366  ŒUVRES 

réputation  de  faire  courir  le  bruit  qu'il  avoit  fait  avant  que 
de  mourir  une  retractation  entre  les  mains  de  M.  le  Curé  de 
S1  Etienne,  neantmoins  il  y  a  peu  de  gens  à  présent  qui  ne 
soient  entièrement  desabuzez  de  cette  calomnie,  dont  Mr  le 
Curé  de  S1  Etienne  luy  mesme  qui  est  encore  vivant  et  qui  est 
présentement  abbé  et  gênerai  de  cet  ordre  pourra  détromper 
tous  ceux  qui  ne  le  seroient  pas  encore  suffisamment  et  qui 
luy  en  voudront  demander  l'éclaircissement.  11  s'en  est  déjà 
asses  expliqué  par  avance  dans  plusieurs  lettres  qu'il  nous  a 
fait  l'honneur  de  nous  escrire  sur  ce  sujet  et  que  nous  avons 
en  nos  mains  par  lesquelles  il  déclare  qu'il  n'a  jamais  dit  de 
bouche  ni  par  escrit  à  qui  que  ce  soit  que  Mr  Pascal  se  fut 
retracté  comme  en  effet  cela  estoit  très  faux  ;  et  il  demeura 
mesme  d'accord  qu'il  avoit  pris  dans  un  sens  contraire  ce  que 
M.  Pascal  luy  avoit  dit  dans  cet  entretien  duquel  il  avoit  fait 
rapport  à  M.  l'Archevesque  et  qui  avoit  donné  sujet  à  ce  faux 
bruit,  quoy  que  neantmoins  il  ne  contienne  rien  d'approchant 
de  cela.  J'ay  crû  qu'il  estoit  nécessaire  d'en  faire  connoistre  la 
fausseté,  et  de  justifier  la  mémoire  d'une  personne  qui  n'a 
jamais  eu  des  sentimens  qui  ne  fussent  très  catholiques  et 
dont  il  ait  eu  besoin  de  se  retracter,  qui  a  tousjours  eu  un 
très  grand  respect  et  une  très  parfaite  soumission  pour  toutes 
les  veritez  de  la  foy,  et  dont  l'entière  application  et  l'unique 
travail  pendant  les  cinq  ou  six  dernières  années  de  sa  vie  a 
esté  de  combattre  les  ennemis  de  la  Religion  et  de  la  morale 
chrestienne1. 


i.  Toujours  préoccupée  de  cette  «  calomnie  »  selon  laquelle 
Pascal  se  serait  rétracté,  Madame  Perier  écrivit  en  1682  sur  ce  sujet 
deux  lettres  à  Audigier  et  à  M.  de  la  Taitière;  et  Domat  écrivit  de 
son  côté  le  i5  janvier  1682  à  Audigier  une  lettre  où  il  disait:  «  per- 
sonne au  monde  n'a  jamais  sçu  mieux  que  moy  les  sentiments  de 
M.  Pascal  sur  ce  sujet  et  pendant  sa  maladie  et  à  sa  mort  »  (Cf. 
supra  T.  I,  pp.  43,  45  et  46). 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  367 

i5.  Déposition  de  M.  Nicole1. 

[19.  Août  168/i.l 

Gomme  j'ay  esté  témoin  de  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  le 
différent  que  feu  M.  Pascal  a  eu  avec  Messieurs  de  Port- 
Royal  les  deux  dernières  années  de  sa  vie,  que  je  l'en  ay 
entretenu  plusieurs  fois,  que  j'ay  eu  part  aux  divers  escritsqui 
ont  esté  faits  de  part  et  d'autre,  que  je  l'ay  veu  mesmedans  sa 
dernière  maladie,  et  qu'il  m'a  tousjours  parlé  de  la  mesme 
sorte,  je  puis  rendre  un  témoignage  certain  et  assuré  que  ce 
qui  est  dit  du  sujet  de  ce  différent  dans  la  Lettre  d'un  Théo- 
logien à  un  de  ses  amis  du  quinzième  juillet  mil  six  cent 
soixante  et  six  sur  la  déclaration  de  M.  le  Curé  de 
S1  Etienne  est  exactement  véritable,  et  que  M.  le  Curé  de 
S1  Etienne  quoy  qu'à  bonne  intention,  a  pris  néanmoins 
tout  le  contraire  du  sens  de  M.  Pascal,  ayant  compris  qu'il 
blasmoit  Messieurs  de  Port-Royal  d'estre  trop  peu  respec- 
tueux envers  le  pape,  au  lieu  qu'il  ne  les  a  jamais  accusez 
que  de  porter  ce  respect  trop  loin,  et  de  s'estre  servi  de  quel- 
ques termes  qui  luy  paroissoient  équivoques,  et  que  Messieurs 
de  Port-Royal  soutenoient  ne  l'estre  en  aucune  sorte,  comme 
ils  n'ont  point  paru  tels  en  effet  au  commun  de  l'Eglise. 
C'est  ce  que  je  déclare  avec  une  entière  sincérité  par  forme 
de  codicille  et  disposition  de  vérité.  Signé  :  P.  Nicole. 

Fait  à  Paris  ce  dix  neuviesme  Aoust  mil  six  cent  quatre 
vingt  quatre.  Signé  :  P.  Nicole. 

Opisthographe  de  l 'attestation  donnée  par  Mr  Nicole  tou- 
chant Mr  Pascal  (/er  recueil  ms.  Guerrier,  p.  120). 

Aujourd'huy  22.  Aoust  l'an  1684.  est  comparu  par  devant 

1.  La  copie  de  cette  déposition  se  trouve  au  troisième  recueil  du 
Père  Guerrier,  pp.  328  avec  cette  note  :  «  J'ai  transcrit  ceci  sur  l'ori- 
ginal. Ceci  est  signé  de  la  main  de  M.  Nicole,  cacheté  de  [\  cachets 
et  signé  par  deux  notaires  ».  Dijà  en  1677,  le  duc  de  Rouannez 
avait  pensé  à  faire  dresser  devant  notaire  des  actes  authentiques  sur 
le  sujet  du  différend  qui  sépara  Pascal  et  ses  amis  de  Port-Royal  (Cf. 
supra  T.  I,  p.  £2). 


368  ŒUVRES 

les  notaires  au  Chatelet  de  Paris  soussignez  en  l'étude  de 
Galloys  l'un  d'eux  Mr  Pierre  Nicole  bachelier  en  théologie 
demeurant  rue  Copeau  faux  bourg  S1  Marcel  paroisse  Saint 
Medard,  lequel  a  déclaré  et  reconnu  avoir  escrit  et  signé  le 
contenu  de  cette  feuille  de  papier  cacheté  sur  la  première 
page  qu'il  a  déclaré  être  un  codicille.  Et  ont  signé  P.  Nicole. 
Galloys.  Gaillet. 

16.  Autre  Attestation  de  Nicole1. 

La  liaison  intime  que  j'ay  eue  avec  feu  M.  Pascal  pendant 
les  9.  ou  10.  dernières  années  de  sa  vie  m'ayant  donné  lieu 
d'estre  parfaitement  informé  de  ses  sentimens  sur  les  matières 
qui  estoient  agitées  dans  l'Eglise  en  ce  tems  là,  je  n'ay  pu 
supporter  qu'avec  indignation  les  bruits  que  l'on  a  fait  cou- 
rir de  son  prétendu  changement  sur  ce  sujet,  à  l'occasion 
d'une  certaine  déclaration  que  Mr  Beurrier  curé  de  S  Etienne 
du  Mont  donna  à  feu  M'  de  Perefixe  arche vesque  de  Paris. 
Car  je  scay  que  rien  n'est  plus  opposé  à  la  vérité  que  ce  qui 
est  dit  dans  cette  déclaration  touchant  le  différent  qui  fut 
entre  M'  Pascal  et  Messieurs  de  Port-Royal  deux  ans  avant  sa 
mort,  dont  le  sujet  estoit  tout  contraire  à  celuy  que  M'  Beur- 
rier s'estoit  imaginé,  comme  il  l'aluy  mesme  reconnu  depuis. 
Ainsi  je  n'ay  pas  eu  de  répugnance,  et  mesme  je  me  suis  porté 
volontiers  à  accorder  à  madame  Perier  sœur  de  M1  Pascal 
l'attestation  qu'elle  m'a  demandée  instamment  de  ce  qui  est 
de  ma  connoissance  sur  ce  fait,  afin  de  pouvoir  se  servir  de 
mon  tesmoignage  pour  dissiper  ces  mauvais  bruits. 

Je  déclare  donc  et  je  proteste  avec  la  mesme  sincérité  que  si 
j'estois  prest  à  paroitre  devant  Dieu,  que  je  puis  attester  les 
circonstances  suivantes  comme  en  ayant  esté  tesmoin  avec  plu- 
sieurs amis  de  M.  Pascal. 

r°  Que  ce  qui  donna  occasion  à  la  dispute  qu'il  eut  avec 
Messieurs  de  Port  Royal  fut  une  signature  des  religieuses  de 

1.  Copie  au  3ft  recueil  Guerrier,  p.  177,  avec  cette  note  «  Sur 
l'original  signé  de  la    main   de  M.  Nicole.  » 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  369 

ce  monastère,  dont  il  ne  fut  pas  satisfait,  parce  qu'il  preten- 
doit  qu'elle  manquoit  de  sincérité  en  ce  qu'elle  ne  marquoit 
pas  bien  clairement  leur  disposition,  et  qu'il  trouvoit  qu'elle 
ne  mettoit  pas  la  vérité  assez  à  couvert,  n'exprimant  pas  net- 
tement qu'elles  ne  condamnoient  pas  la  grâce  efficace  ny  le 
sens  de  Jansenius,  qui  n'estoit  autre  chose  que  la  grâce  effi- 
cace. 

2°  Sur  cela  M.  Pascal  fit  quelques  escrits  dans  lesquels  il 
reprochoit  à  ces  MM.  de  s'estre  relâchez,  non  pas  dans  le  fond 
des  opinions,  ce  qu'il  ne  leur  a  jamais  imputé,  mais  dans  les 
termes  par  lesquels  ils  l'exprimoient  dans  leurs  escrits  et  leurs 
signatures,  et  d'avoir  parlé  plus  faiblement  depuis  les  bulles 
qu'auparavant,  attribuant  ce  changement  et  ces  condescen- 
dances au  désir  qu'ils  avoient  de  conserver  la  maison  de 
Port-Royal.  A  quoy  ces  MM.  repondoient  par  d'autres  escrits 
que  je  ne  rapporte  pas  icy,  parce  qu'il  ne  s'agit  pas  de  juger 
du  différent,  mais  seulement  d'en  marquer  le  sujet. 

Aussi,  bien  loin  que  M.  Pascal  blamast  ces  MM.  de  man- 
quer de  soumission  au  pape  et  d'aller  trop  avant  dans  les 
matières  de  la  grâce,  comme  M.  Beurrier  ledit  dans  sa  décla- 
ration, il  trouvoit  au  contraire  que  la  soumission  qu'ils  vou- 
loient  rendre  au  S1  Siège  les  avoit  fait  relâcher  de  ce  qu'ils 
dévoient  à  la  sincérité  chrestienne,  en  accordant  trop  aux 
ennemis  de  la  grâce,  par  les  expressions  dont  ils  se  servoient 
dans  leurs  signatures. 

Enfin  cette  contestation  ne  regardoit  nullement  le  fond 
des  matières,  sur  quoy  ils  etoient  parfaitement  d'accord,  et 
comme  elle  n'avoit  point  d'autre  principe  que  la  charité  et 
l'amour  de  la  vérité,  elle  n'a  jamais  aussi  altéré  l'union  que 
M.  Pascal  a  eue  avec  ces  MM.  jusqu'à  la  mort  ;  en  sorte  que 
M.  Arnauld  le  vint  voir  pendant  sa  dernière  maladie  et 
M.  de  Ste  Marthe  aussi  à  qui  il  se  confessa  plusieurs  fois 
durant  ce  tems  là,  leur  tesmoignant  à  l'un  et  à  l'autre  une 
confiance  entière  et  une  sincère  estime,  et  les  regardant 
comme  les  défenseurs  de  la  véritable  doctrine.  Signé  : 
P.  Nicole. 

2e  série.  VII  2 4 


370  ŒUVRES 

17.    Déposition  de  M.  Bornât  sur  le  même  sujet1. 

[3.  Septembre  1684.] 
Je  soussigné  Jean  Domat  Conseiller  et  Avocat  du  Roy  en 
la  sénéchaussée  et  Siège  Presidial  de  Clermont  ayant  esté  prié 
de  la  part  de  Made  Perier  sœur  de  deffunt  Monsieur  Pascal, 
de  donner  mon  tesmoignage  par  escrit  de  la  vérité  des  faits  qui 
sont  de  ma  connoissance  sur  le  sujet  d'une  déclaration  qui 
fut  faite  par  M.  Beurrier  Curé  de  S1  Etienne  du  Mont  à 
défunt  Monsieur  l'archevesque  de  Paris  en  l'année  1660.  con- 
tenant que  M.  Pascal  luy  avoit  tesmoigné  dans  une  conversa- 
tion, pendant  la  maladie  dont  il  mourut,  qu'il  s'estoit  retiré 
delà  compagnie  des  Ecclésiastiques  de  Port-Royal,  parce  qu'il 
avait  remarqué  qu'ils  alloient  trop  avant  dans  les  matières  de 
la  grâce  et  qu'ils  paroissoient  avoir  moins  de  soumission 
qu'ils  ne  dévoient  pour  le  Pape,  déclare  et  atteste  qu'ayant  eu 
l'honneur  d'estre  lié  d'une  amitié  très  étroite  avec  M.  Pascal 

1.  Copie  au  3e  recueil  Guerrier,  p.  33o,  avec  cette  note  :  «  Ecrit 
et  signé  de  sa  main  sur  du  papier  marqué.  »  Au  xvuie  siècle,  le  juris- 
consulte Prévôt  de  la  Jannès,  professeur  de  droit  français  à  l'Univer- 
sité des  lois  d'Orléans  et  prédécesseur  de  Pothier,  écrivit  une  Histoire 
de  la  vie  et  des  ouvrages  de  J.  Domat,  avocat  du  roi  au  siège  Presidial 
de  Clermont.  Il  voulut  la  faire  imprimer  en  17^2,  mais  le  censeur 
royal  Hardion  s'y  opposa,  voulant  obtenir  de  l'auteur  le  retranche- 
ment absolu  de  tout  ce  qui,  dans  cet  écrit,  avait  trait  à  Pascal.  Le 
manuscrit  qui  contenait  cette  Vie  et  quelques  autres  ouvrages  de 
jurisprudence  fut  déposé  à  la  bibliothèque  d'Orléans,  et  figure  sur  le 
catalogue  dressé  en  1777;  il  y  était  encore  en  1789.  Il  disparut  à 
cette  époque,  ainsi  que  quelques  autres  manuscrits  de  jurisprudence, 
et  n'est  plus  mentionné  sur  le  catalogue  de  1820  (Cf.  Biographie 
Universelle  de  Michaut,  art.  Prévôt  de  la  Jannès).  —  Cousin,  à  la 
suite  de  son  livre  Jacqueline  Pascal,  a  consacré  une  étude  impor- 
tante à  Domat  et  publié  un  mémoire  sur  sa  vie,  écrit  semble-t-il  par 
Guerrier.  Domat,  né  à  Clermont  le  3o  novembre  1625,  fut  lié  de 
bonne  heure  avec  Pascal  et  fit  avec  lui  des  expériences  sur  la  pesanteur 
de  l'air,  vide  supraT.  II,  p.  478,  n.  1.  Il  faut  rapprocher  de  la  dé- 
position donnée  ci-dessus  les  termes  très  précis  de  sa  lettre  à  Audi- 
gier  du   25  janvier  1682  (Cf.  supra  T.  I,  p.  46). 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  371 

et  m'estant  rencontré  en  cette  ville  de  Paris  à  la  fin  de  Tannée 
1661.  et  dans  le  tems  du  différent  qui  a  donné  sujet  à 
cette  déclaration  de  M.  Beurrier,  j'eus  une  connoissance  très 
particulière  de  ce  qui  se  passa  dans  ce  différent  dont  le  sujet 
estoit  une  signature  des  Religieuses  de  Port-Royal  après  la 
Bulle  du  Pape  Alexandre  septième,  laquelle  signature  avoit 
esté  faite  de  l'avis  de  ces  ecclésiastiques  et  que  M.  Pascal 
n'approuvoit  pas,  parce  qu'il  estimoit  qu'elle  n'estoit  pas  assez 
nette  pour  la  défense  de  Jansenius  et  de  la  doctrine  de  la 
grâce  efficace.  Sur  quoy  il  fut  fait  quelques  escrits  de  part  et 
d'autre  dont  j'eus  aussi  connoissance.  Et  ayant  continué  mon 
séjour  à  Paris  jusqu'à  la  mort  de  M.  Pascal  et  l'ayant  vu 
presque  tous  les  jours  pendant  ce  temps  là  et  tous  les  jours 
pendant  la  maladie  dont  il  mourut,  j'atteste  aussi  que  je 
l'ay  vu  persévérer  dans  le  mesme  sentiment  jusqu'à  sa  mort, 
de  sorte  qu'il  est  très  certain  que  M.  Beurrier  a  pris  en  un 
autre  sens  ce  que  M.  Pascal  peut  luy  avoir  dit  sur  ce  diffé- 
rent, et  aussi  M.  Beurrier  luy  mesme  l'a  reconnu  par  une 
lettre  qu'il  a  depuis  escrite  à  Me  Perier.  C'est  le  tesmoignage 
que  je  dois  rendre  à  la  vérité  et  le  mesme  que  je  rendrois  si 
j'en  avois  fait  le  serment  en  justice.  Fait  à  Paris  le  troisiesme 
septembre  1684.  Signé  :  Domat. 

18.  Déposition  de  M.  le  duc  de  RouannezK 

[4-  Septembre  i684.] 

Nous  soussigné  Artus  GoufïierDuc  de  Rouannez  ayant  esté 
prié  par  Madame  Perier  sœur  de  deffunt  Mon  s.  Pascal  de  vou- 
loir bien  luy  donner  nôtre  témoignage  de  ce  que  nous  sçavons 
touchant  une  déclaration  donnée  en  l'année  i665.  par  Mon- 
sieur Beurrier  alors  Curé  de  S1  Etienne  du  Mont  à  feu  Mon- 
sieur de  Perefixe  Archevesque  de  Paris,  par  laquelle  il  decla- 
roit  que  ledit  S1  Pascal  luy  avoit  dit,  pendant  la  maladie  dont 


1 .  Copie  au  3e  recueil  Guerrier,  p.  32g,  avec  ces  notes  :  «  Ecrit  sur 
du  papier  marqué  et  signé  de  sa  main;  —  ou  Roiïanez,  car  la  signa- 
ture est  difficile  à  lire  » . 


372  ŒUVRES 

il  estoit  decedé,  que  depuis  deux  ans  il  s'esloit  séparé  des 
Ecclésiastiques  de  Port-Royal,  parce  qu'il  avoit  remarqué 
qu'ils  alloient  trop  avant  dans  les  matières  de  la  grâce  et 
qu'ils  paroissoient  avoir  moins  de  soumission  qu'ils  ne 
dévoient  pour  le  Pape,  déclarons  qu'aiant  eu  une  liaison 
intime  avec  ledit  feu  sieur  Pascal  jusqu'à  sa  mort,  nous  avons 
eu  une  connoissance  particulière  de  ses  sentimens  sur  ce 
sujet,  et  pouvons  attester  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  déclara- 
tion plus  contraire  à  la  vérité  que  celle  de  M.  le  Curé  de 
S1  Etienne  qu'on  ne  peut  imputer  qu'à  une  mesprise.  Il  est 
vray  que  le  sujet  de  ce  différend  estoit  de  ce  que  M.  Pascal 
n'approuvoit  pas  une  signature  qui  fut  faite,  de  l'avis  de  ces 
Ecclésiastiques,  par  les  Religieuses  de  Port-Royal,  sur  le 
sujet  de  la  doctrine  de  Jansenius  après  la  bulle  du  pape 
Alexandre  septième.  Mais  au  lieu  que  M.  le  Curé  de 
S1  Etienne  a  cru  que  M.  Pascal  les  blamoit  d'aller  trop  avant 
dans  les  matières  de  la  Grâce,  et  de  manquer  de  soumission 
au  Pape,  il  disoit  au  contraire  qu'ils  en  avoient  trop  et  que 
les  termes  dont  ils  se  servoient  pour  la  marquer  pouvoient 
estre  pris  par  des  personnes  qui  n'entendroient  pas  leur  sens, 
pour  une  condamnation  de  Jansenius.  C'est  ce  que  nous  attes- 
tons estre  véritable.  Fait  à  Paris  le  quatrième  septembre  mil  six 
cent  quatre  vingt-quatre.  Signé  :  Artus  Gouffier  de  Roannez. 

19.  Déposition  de  Mr  Arnauld  le  docteur1. 

[21.  Décembre  1684.] 
Gomme  je  suis  parfaitement  informé  de  tout  ce  qui  s'est 
passé  dans  le  différent  que  feu  M.  Pascal  a  eu  avec  MM.  de 

1.  Copie  au  3e  recueil  Guerrier,  p.  328,  avec  cette  note  :  «  J'ai  pris 
ceci  sur  l'original  écrit  et  signé  de  la  main  de  M.  Arnauld.  »  Cette  dé- 
position était  accompagnée  de  ce  billet  adressé  à  l'abbé  Louis  Perier 
(2e  recueil  ms.  Guerrier,  p.  63):  «C'est  de  grand  cœur,  Monsieur,  que 
je  vous  envoie  l'attestation  que  vous  me  demandez  :  mais  je  ne  vois 
pas  de  quelle  utilité  il  seroit  qu'elle  fut  reconnue  par  devant  Notaires  : 
car  ces  Notaires  ne  pourroient  pas  attester  de  la  vérité  du  fait,  n'en 
sçachant  rien;  et  pour  ce  qui  est  de  ma  signature,  elle  est  plus  connue 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  373 

Port-Royal,  les  deux  dernières  années  de  sa  vie,  que  nous 
nous  en  sommes  entretenus  plusieurs  fois,  et  que  j'ay  eu  part 
à  divers  escrits  qui  se  sont  faits  sur  ce  sujet,  que  je  l'ai  vu 
mesme  pendant  sa  dernière  maladie,  et  qu'il  m'en  a  tousjours 
parlé  de  la  mesme  sorte:  je  puis  rendre  tesmoignage  que  ce 
qui  est  dit  du  sujet  de  ce  différent  dans  la  Lettre  d'un  Théo- 
logien à  un  de  ses  amis  du  i5.  Juillet  1666.  sur  la  déclaration 
de  M.  le  Curé  de  Saint  Etienne  du  Mont,  est  exactement  véri- 
table. Et  ainsi  je  puis  assurer,  aussi  bien  que  l'Auteur  de 
cette  lettre,  que  M.  le  Curé  de  S.  Etienne  aiant  mal  compris 
ce  que  luy  disoit  un  malade,  qui  avoit  beaucoup  de  peine  à 
parler,  a  déclaré  de  bonne  foy  ce  qu'il  s'est  imaginé  qu'il  luy 
avoit  dit  ;  mais  qu'il  avoit  pris  tout  le  contraire  du  sens  de 
M.  Pascal,  aiant  compris  qu'il  blamoit  MM.  de  Port- Royal 
d'estre  trop  peu  respectueux  envers  le  Pape,  au  lieu  qu'il  ne 
les  a  jamais  repris  que  de  porter  ce  respect  trop  loin,  et  de 
s'estre  servi  de  quelques  termes  qui  luy  paroissoient  équi- 
voques, et  que  MM.  de  Port-Royal  soutenoient  ne  l'estre  en 
aucune  sorte,  comme  ils  n'ont  point  paru  tels  en  effet  au 
commun  de  l'Eglise.  C'est  ce  que  je  déclare  avec  une  entière 
sincérité.  Fait  ce  21.  Décembre  1684.  Signé:  Antoine  Ar- 
nauld,  Docteur  de  Sorbonne. 

20.  Lettre  de  M'  de  <Ste  Marthe  à  MT  Louis  Perier  (Biblio- 
thèque Nationale,  ms.  f.  fr.  20940,  f°  262). 

Ce  [\.  Décembre  1688. 

Monsieur,  il  y  a  maintenant  plus  de  20.   années  que  me 
trouvant  engagé  à  deffendre  les  Religieuses  de  P.  R.  contre 

que  ne  seroit  la  leur,  qui  mesme  ne  feroit  pas  foy  en  France,  si  elle 
n'estoit  légalisée  par  le  magistrat.  Tout  cela  de  plus  seroit  inutile  ; 
car  les  reconnoissances  par  devant  Notaires,  servent  principalement 
pour  arrester  la  date  des  Actes,  et  pour  empescher  qu'on  ne  les  puisse 

antidater.  Or  la  date  ne  fait  rien  du  tout  à  celuy-cy »  Voir  encore 

un  passage  d'une  lettre  écrite  par  Arnauld  en  mai  1688,  supra  T.  I, 
p.  4i,  n.  1. 


374  OEUVRES 

les  libelles  de  Mr  de  Chamillard,  je  fus  obligé  de  parler  de 
Monsieur  Pascal  vostre  oncle  sur  ce  que  ce  docteur  produisoit 
une  relation  du  P.  Beurrier  Curé  de  S1  Etienne  dans  laquelle 
il  exposoit  que  M.  Pascal  luy  avoit  déclaré  avant  de  mourir 
qu'on  l'avoit  autrefois  embarrassé  dans  le  parti  des  Jansé- 
nistes, etc..  Je  soutins  à  ce  Docteur  que  ledit  Sr  Curé  avoit 
pris  à  contre  sens  ce  que  M.  Pascal  luy  avoit  dit,  puisqu'il 
estoit  si  peu  vray  qu'il  se  fut  retiré  des  prétendus  Jansénistes, 
qu'il  m' avoit....  [cf.  cet  écrit  de  i66y,suprap.  356]...  Voila,  Mon- 
sieur, ce  que  j'escrivois  alors  pour  rendre  tesmoignage  à  une 
vérité  très  constante.  M.  le  Curé  de  S1  Etienne  n'a  eu  garde  de 
contester  un  fait  dont  on  avoit  des  preuves  convaincantes.  Je 
croymesme  qu'il  a  retracté  l'escrit  qu'on  luy  avoit  fait  signer 
par  surprise.  Pour  moy  au  contraire  j'atteste  et  je  confirme  les 
choses  que  j'écrivis  alors.  Elles  me  sont  très  présentes,  et  je 
les  assure  avec  la  mesme  sincérité.  Ce  qui  est  une  fois  vray, 
l'est  tousjours,  et  nous  luy  devons  le  mesme  tesmoignage.  Mais 
avant  de  finir  ma  lettre,  vous  voulez  bien  que  je  vous  rap- 
porte les  dernières  paroles  de  M.  Pascal.  Il  avoit  un  si  grand 
mouvement  de  mourir  en  Pénitent  qu'après  m'avoir  tesmoi- 
gné  qu'il  estoit  assisté  avec  un  très  grand  soin,  et  qu'il  ne 
manquoit  d'aucun  secours  ny  d'aucun  soulagement,  il  me 
proposa  le  dessein  qu'il  avoit  de  se  faire  portera  l'Hôtel  Dieu 
pour  y  souffrir  et  y  mourir  avec  les  pauvres.  C'est  très  vo- 
lontiers, Monsieur,  que  j'atteste  ces  faits,  il  ne  me  reste  plus 
qu'à  vous  assurer  que  je  suis  tout  à  vous  et  à  Mesdelles  vos 
Sœurs.  Signé  :  C.  de  Ste  Marthe. 

P.  S.  Il  y  a  un  autre  escrit  fait  par  Mr  l'abbé  de  la  Lane 
en  mesme  tems  que  le  mien  qui  a  pour  titre  Défense  de  la 
foy  des  Religieuses  de  P.  R.  où  il  est  parlé  de  cette  mesme  dé- 
claration de  M.  le  Curé  de  S1  Etienne  et  où  elle  est  refutée 
en  ces  termes  pp.  3o  et  3i.  «  Le  P.  Annat  ayant  rapporté — 
[suit  la  citation,  cf.  supra  p.  35j\  Je  suis,  Monsieur,  vostre 
très  humble  et  obéissant  serviteur.  Signé  :  C.  de  Sainte 
Marthe. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  375 

2 1 .  Lettre  de  M.  P.  Coquebert,  prieur  de  S^-Foy  de  Char- 
tres à  M"e  Periert. 

A  Chartres,  ce  25.  Mars  1701. 

Mademoiselle, 

J'aurois  repondu  il  y  a  longtems  à  celle  que  vous  m'avez 
fait  l'honneur  de  m'escrire,  si  j 'a vois  esté  bien  seur  des  choses 
dont  vous  desirez  eslre  instruite  :  mais  n'estant  pas  tout  à  fait 
assuré  d'avoir  entendu  de  la  bouche  du  P.  Beurrier  Curé  de 
S.  Etienne,  tout  ce  que  vostre  lettre  marque  estre  arrivé  à  la 
mort  de  feu  M.  Pascal,  j'ay  voulu  m'en  eclaircir  et  m'en  as- 
surer davantage.  J'ay  donc  parlé  à  plusieurs  de  nos  Pères 
qui  autrefois  ont  connu  plus  particulièrement  le  Père  Beur- 
rier. J'ay  mesme  escrit  sur  cela  à  Ste  Geneviève,  et  j'ay  appris 
que  les  personnes  ausquelles  je  me  suis  adressé  ont  eu  recours 
à  vous.  Après  toutes  ces  enquêtes  je  ne  me  suis  trouvé  ny 
mieux  instruit  ny  plus  seur  qu'auparavant.  Ainsi  tout  ce  que 
je  puis  vous  dire  est  que  je  me  souviens  d'avoir  fait  le  récit 
de  ce  qui  s'est  passé  à  la  mort  de  M.  Pascal  au  sujet  des  Pro- 
vinciales à  peu  prés  tel  qu'il  est  dans  vostre  lettre  fondé  sur 
ce  que  j'avois  entendu  raconter  partie  au  Père  Beurrier,  partie 
à  d'autres  à  qui  il  en  avoit  aussi  parlé,  sçavoir  qu'après  l'avoir 
confessé  au  tems  de  sa  maladie,  ayant  appris  qu'il  estoit  l'au- 
teur des  Provinciales  il  retourna  le  voir  et  luy  en  ayant 
parlé,  et  demandé  s'il  n'avoit  rien  à  se  reprocher  là  dessus, 
M.  Pascal  luy  repondit  qu'il  pouvoit  l'asseurer  comme  estant 
sur  le  point  d'aller  rendre  compte  à  Dieu  qu'il  n'avoit  eu  dans 
cet  ouvrage  aucun  mauvais  motif,  ne  l'ayant  composé  que 
pour  l'interest  de  la  gloire  de  Dieu  et  la  deffence  de  la  vé- 
rité sans  jamais  y  avoir  esté  poussé  par  aucune  passion  contre 
la  Société  et  que  sa  conscience  ne  luy  reprochoit  rien  sur  cet 
article.  Voilà  autant  que  je  m'en  puis  souvenir  ce  que  j'ay 
entendu  du  Père  Beurrier  et  de  quelques  autres  de  nos  Pères 


i.  Copie  au  Ier  recueil  Guerrier,  p.  4o,  avec  ces  notes  :  «  Je  ne 
sçay  s'il  faut  lire  Coquevert  ou  Coquebert.  —  Copié  sur  l'original.  » 


376  ŒUVRES 

à  qui  il  en  avoit  aussi  parlé.  Comme  cela  n'a  esté  dit  qu'en 
conversation  et  qu'il  y  a  du  tems,  on  n'est  plus  si  certain. 
Qui  auroit  cru  avoir  un  jour  à  en  repondre,  y  auroit  fait  plus 
d'attention.  Au  reste  c'a  esté  avec  plaisir  quej'ay  rendu  ce 
témoignage  à  feu  M.  Pascal.  Et  jevoudroisen  sçavoir  davan- 
tage et  estre  mieux  informé  de  toutes  les  circonstances  de  ce 
fait  pour  pouvoir  satisfaire  à  vos  justes  désirs  et  vous  témoi- 
gner l'estime  et  la  considération  avec  laquelle  je  suis,  Made- 
moiselle, vostretres  humble  et  très  obéissant  serviteur.  Signé  : 
Coquebert,  prieur  de  Ste  Foy  de  Chartres  et  cy  devant  de 
S1  Léger  de  Soissons. 

22.  Relation  anonyme  sur  les  déclarations  du  P.  Beurrier 
(Bibliothèque  Nationale,  ras.  f.fr.  12449-,  p-  8g5). 

Le  bruit  qui  s'est  répandu  dans  le  monde  que  M.  Pascal 
a  fait  une  retractation  quelque  tems  avant  sa  mort  est  absolu- 
ment faux. 

Ce  qui  a  donné  lieu  à  ce  bruit  est  une  déclaration  que 
M.  Beurrier,  Curé  de  Sb  Etienne-du-Mont,  donna  en  i665.  à 
feu  Monsr  l'Archevesque  de  Paris  qui  le  fit  venir  pour  sçavoir 
de  luy  dans  quelles  dispositions  M.  Pascal  estoit  mort  3.  ans 
auparavant  en  1662.  parce  qu'il  l'avoit  assisté  pendant  sa 
dernière  maladie. 

Cette  déclaration  est  citée  dans  un  livre  du  P.  Annat  inti- 
tulé: Lettre  de  M.  Jansenius,  Evesque  d'Ypres,  au  Pape  Ur- 
bain VIII.  etc.  Voicy  comme  il  est  parlé,  p.  96.  «  Mais  pour 
cettui-cy....  » 

11  est  vray  que  ce  sont  là  à  peu  près  les  termes  de  la  décla- 
ration et  que  cette  déclaration  est  signée  de  la  main  de 
M.  Beurrier  Curé  de  S1  Etienne. 

Mais  il  y  a  bien  des  reflexions  à  faire  là-dessus  : 

i°  Ce  n'est  pas  agir  de  bonne  foy  que  de  vouloir  faire 
passer  cette  déclaration  pour  une  retractation  de  M.  Pascal, 
puisque  ce  n'est  au  plus  qu'une  interprétation  de  ses  senti- 
mens,  M.  Beurrier  reconnoissant  luy-mesme  qu'il  n'a  pas  dit 
à  M.  de  Paris  que  M.  Pascal  eust  fait  une  retractation  et  que 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  377 

cela  n'estoit  pas  non  plus  dans  l'escrit  que  l'on  avoit  tiré  de 
luy  par  surprise.  C'est  ce  qu'il  a  dit  à  celuy  qui  luy  porta  une 
lettre  de  M.  Perier  le  fds,  comme  on  le  peut  voir  dans  la  ré- 
ponse de  cet  ami  à  M.  Perier  du  27.  Novembre  1673 

20  Ces  paroles  de  M.  Beurrier,  que  l'on  avoit  tiré  de  luy 
cet  escrit  par  surprise,  et  ces  autres  qu'il  dit  encore  dans  sa 
lettre  à  M.  Perier  du  12.  Juin  1671.  «  qu'on  abuse  de  cette 
déclaration  contre  son  intention  et  contre  la  parole  qu'on  luy 
avoit  donnée,  pour  décrier  des  personnes  pour  qui  il  a  beau- 
coup d'estime  »,  marquent  assez  qu'on  l'a  engagé  à  cela  mal- 
gré luy,  et  qu'il  ne  l'a  pas  fait  avec  une  entière  liberté. 

3°  M.  Beurrier  n'ayant  pas  dicté  luy-mesme  cette  déclara- 
tion, mais  l'ayant  seulement  signée,  et  ayant  esté  dressée  par 
des  personnes  qui  avoient  peut-estre  dés  ce  temps-là  le  des- 
sein de  s'en  servir  comme  ils  ont  fait  depuis,  on  pourroit 
craindre  qu'ils  n'eussent  tourné  la  réponse  de  M.  Beurrier 
d'une  manière  qui  favorise  davantage  leurs  desseins. 

4°  Mais,  supposant  que  ce  soit  les  mesmes  paroles  que 
M.  Beurrier  a  dites  à  M.  FArchevesque,  comme  cela  peut  estre, 
puisqu'il  semble  luy-mesme  en  demeurer  d'accord  dans  sa 
lettre  à  Me  Perier,  il  est  au  moins  très  constant  que  ce  ne 
sont  les  mesmes  paroles  que  M.  Pascal  luy  a  dites,  mais 
l'explication  qu'il  leur  a  donnée,  puis  qu'il  déclare  dans  sa 
lettre  à  Me  Perier  qu'il  a  pris  en  ce  sens  ce  que  M.  Pascal 
luy  avoit  dit  dans  une  conversation  particulière,  sçavoir  qu'il 
avoit  eu  quelque  différend  avec  ces  Messieurs  sur  le  sujet  des 
matières  du  temps  et  qu'il  n'estoit  pas  entièrement  de  leur  senti- 
ment. Or  qui  ne  voit  que  ces  paroles  sont  fort  différentes  de 
celles  qui  se  trouvent  dans  la  déclaration,  puis  que  ce  sont 
des  termes  généraux  qui  ne  déterminent  rien  et  qui  peu- 
vent estre  pris  dans  un  sens  tout  contraire  à  celuy  que  la 
déclaration  fait  entendre  d'abord,  comme  en  effet  M.  Pascal 
les  entendoit  en  ce  sens  là  et  ceux  qui  sçavent  les  dispositions 
où  estoit  M.  Pascal  et  les  différends  qu'il  y  avoit  eu  entre  luy 
et  ces  Messieurs  n'en  peuvent  douter.  Ce  qu'on  a  fait  voir 
clairement  dans  un  escrit  du   i5.  juillet  1666.  qui  fut   fait 


378  ŒUVRES 

pour  servir  de  response  à  ce  que  le  P.  Annat  en  avoit  publié, 
où  l'on  rapporte  l'origine  et  la  suite  de  ce  différend. 

Mais  comme  M.  Beurrier  n'estoit  pas  instruit  de  tout  cela, 
il  n'y  a  pas  lieu  de  s'estonner  qu'il  ait  donné  à  ces  paroles  un 
sens  tout  différent,  surtout  si  l'on  considère  qu'il  croyoit  en 
cela  rendre  service  à  M.  Pascal  dont  la  mémoire  luy  estoit 
chère,  parce  qu'il  avoit  connu  sa  pieté  et  son  mérite.  Mais  il 
n'eust  pas  eu  garde  de  parler  de  la  sorte  s'il  eust  esté  mieux 
instruit.  Et  en  effet,  après  qu'on  luy  eust  expliqué  les  choses 
et  qu'on  luy  eust  fait  voir  les  escrits  qui  avoient  esté  faits  sur 
le  sujet  de  ce  différend,  il  en  demeura  tellement  persuadé  que, 
dans  sa  lettre  à  Me  Perier,  il  déclare  qu'il  a  bien  reconnu  que 
ces  paroles  pouvoient  avoir  un  autre  sens  que  celuy  qu'il  leur 
avoit  donné,  comme  aussi  il  croit  qu'elles  l'avoient,  puisque 
le  sujet  de  leur  contestation  estoit  tout  différent  de  celuy 
qu'il  s'estoit  imaginé. 

5°  Enfin  il  faut  ajouter  encore  que  cette  diversité  de  senti- 
mens  n'a  jamais  interrompu  le  commerce  d'amitié  qu'il  avoit 
avec  Messieurs  de  Port-Royal,  leur  union  ayant  paru  encore 
d'une  manière  toute  particulière  mesme  durant  sa  dernière 
maladie.  Car  M.  Arnaud  qui  estoit  alors  à  Paris  luy  rendit 
visite,  et  M.  Pascal  le  reçut  avec  toute  sorte  de  témoignages 
de  tendresse  et  d'affection.  Il  se  confessa  plusieurs  fois  à 
M.  de  Sainte-Marthe  durant  le  cours  de  son  mal  et  la  veille 
mesme  de  sa  mort,  n'ayant  pas  cru  en  ce  temps-là  où  l'on  a 
moins  d'esgard  que  jamais  à  toutes  les  considérations  hu- 
maines, pouvoir  choisir  une  personne  qui  luy  pustestre  plus 
utile  pour  le  bien  de  sa  conscience. 

23.  Rapin.  —  Mémoires,  édition  Aubineau. 

T.  II,  p.  395.  — Il  n'y  eut   pas  mesme  jusqu'à    la 

Marquise  de  Sablé  qui  se  trouvant  dans  les  interests  de  Port- 
Royal  plutôt  par  l'estime  qu'elle  avoit  pour  les  personnes  qui 
en  estoient  que  pour  la  doctrine,  qu'elle  n'entendoit  pas  comme 
les  autres  femmes  du  party,  ne  put  toutefois  s'empêcher  de 
reprocher  à    Pascal,    qui  l'estoit  allé   voir,    la  liberté  qu'il 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  379 

prenoit  de  décrier  une  compagnie  célèbre,  qui  servoit  bien 
l'Eglise.  «  Car  que  seroit-ce,  luy  dit-elle,  si  ce  que  vous  leur 
reprochez  estoit  faux,  comme  on  le  dit  depuis  que  les  Impos- 
tures que  le  P.  Nouet,  jésuite,  a  commencé  à  donner  au  public 
ont  détrompé  le  monde?  »  Pascal  luy  repondit  que  c' estoit  à 
ceux  qui  luy  fournissoient  les  mémoires  sur  quoy  il  travailloit 
à  y  prendre  garde  et  non  pas  à  luy,  qui  ne  faisoit  que  les 
arranger.  C'est  une  particularité  que  j'ay  apprise  de  cette 
marquise,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  la  voyant  assez 
souvent  *. 

—  Rien  ne  diminua  davantage  le  grand  crédit  des  jésuites 
ny  ne  decredita  plus  leur  morale  que  cette  sanglante  satire 
qu'en  fit  cet  auteur,  qui  le  sentit  tellement  par  luy-mesme  et 
par  les  avis  que  luy  en  donnèrent  la  plupart  des  gens  de  bien, 
qui  avoient  reconnu  ses  impostures  et  ses  faussetés  par  les 
escrits  du  P.  Annat,  qu'il  en  eut  d'étranges  remords  de  con- 
science, dont  il  s'expliqua  à  une  des  amies  de  la  marquise  du 
Vigean,  de  qui  je  l'appris  ;  qu'il  l'avoua  à  la  marquise  de 
Sablé,  comme  elle  mêle  dit  elle-mesme  ;  qu'il  en  ouvrit  son 
cœur  à  une  demoiselle,  son  amie,  nommée  de  Periqués  2,  cé- 
lèbre alors  à  Paris  parmy  les  beaux-esprits,  l'ayant  elle  mesme 
très-beau,  et  qu'en  mourant  il  s'en  déclara  au  Curé  de  Saint- 
Etienne-du-Mont,  religieux  de  Sainte-Geneviève,  nommé 
Paul  Beurrier. 


1.  Le  P.  Daniel,  qui  reproduit  ce  passage  parfois  dans  les  mêmes 
termes  (il  dit  un  peu  plus  haut  qu'il  a  vu  «  certains  mémoires  ma- 
nuscrits »)  ajoute  :  «  Je  scay ce  point  en  particulier  de  deux  per- 
sonnes très  dignes  de  foy,  à  qui  la  Marquise  de  Sablé  l'a  raconté  plus 
d'une  fois  elle-mesme  les  dernières  années  de  sa  vie  »  (Entretiens  de 
Cléandre  et  d'Eudoxe,  1696,  p.  19). 

2.  Marie  Perriquet,  née  en  1624,  précieuse,  amie  de  Me  de  Sablé  ; 
elle  se  mit  en  1669  sous  la  direction  de  Vincent  de  Meur,  l'un  des 
membres  de  la  Cabale  des  Dévots  et  adversaire  du  Jansénisme,  fon- 
dateur du  séminaire  de  Missions  étrangères.  Elle  mourut,  semble- 
t-il,  vers  1669  (Voir  Jovy,  Pascal  inédit,  II,  19 10,  p.  355  et  suiv. 
et  Boudhors,  L'Enseignement  secondaire,  Ier  mai  191 1,  p.  i55b). 


380  ŒUVRES 

Ce  bon  père,  qui  n'estoit  pas  fâché  de  voir  les  jésuites  hu- 
miliez par  ces  lettres,  en  ménagea  un  peu  l'auteur,  son  péni- 
tent, et  il  ne  luy  fit  pas  sentir  toute  la  grandeur  de  son  crime 
d'avoir  calomnié  sans  raison  et  avec  tant  d'amertume  et  tant 
d'aigreur  une  compagnie  célèbre  dans  le  monde,  qui  ne 
l'avoit  jamais  offensé.  Car  si  une  calomnie  faite  à  un  particu- 
lier, qu'on  deshonore  injustement  est  un  grand  crime,  quel 
jugement  doit-on  faire  d'un  particulier  qui  viole  tous  les 
principes  delà  probité,  de  la  bonne  foy  et  de  la  charité  chres- 
tienne,  pour  diffamer  un  ordre  de  religieux  tout  entier  ;  qui 
falsifie  des  citations  d'auteurs  ;  qui  impute  des  opinions  odieu- 
ses à  des  gens  d'une  réputation  établie  dans  le  monde  pour 
la  doctrine  et  pour  les  sentimens;  qui  les  fait  auteurs  d'une 
morale  que  les  dominicains  et  les  sorbonistes  ont  enseignée 
longtemps  avant  leur  naissance  ;  enfin  qui  ne  cherche  qu'à 
les  deshonorer  par  toutes  sortes  de  calomnies  et  de  faussetés, 
parce  qu'ils  ont  eu  assez  de  zèle  pour  s'opposer  aux  erreurs 
de  l'Evesque  d'Ipres  et  de  Saint-Cyran?  Ce  fut  en  effet  là 
Testât  où  se  trouva  l'auteur  des  Lettres  au  Provincial  à  l'article 
de  la  mort  ;  et  dans  ces  derniers  momens,  où  il  se  preparoit  à 
aller  rendre  compte  à  Dieu  de  sa  vie,  il  en  fut  effrayé  luy- 
mesme  par  les  reproches  que  luy  en  fit  sa  conscience,  comme 
il  s'en  expliqua  à  ses  amis  quelques  années  avant  que  de 
mourir,  car  on  sut  alors,  à  n'en  pas  douter,  que  ce  confesseur 
ne  luy  fit  aucun  scrupule  sur  un  procédé  si  injuste,  ny  ne 
l'obligea  à  aucune  réparation,  ny  mesme  à  aucune  ombre 
d'excuse,  qui  auroit  du  moins  esté  une  espèce  de  satisfaction 
à  ceux  qu'il  avoit  si  cruellement  outragez  ;  ce  qui  paroist  par 
un  acte  public  dont  Hardouin  de  Perefixe,  alors  archevesque 
de  Paris,  me  mit  l'original  entre  les  mains  pour  marquer  les 
sentimens  dans  lesquels  mourut  Pascal  quelques  années  après. 
Voici  la  copie  de  cet  acte 

En  quoy  il  paroist  ou  que  le  curé  se  soucia  peu  de  l'interest 
des  jésuites,  à  qui  il  ne  procura  aucune  satisfaction  qu'il  pou- 
voit  aysement  tirer  de  son  pénitent  par  quelque  honnesteté 
dont  il  se  fust  chargé  ou  qu'il  savoit  peu  son  mestier  de  laisser 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  381 

mourir  un  si  grand  calomniateur,  après  tant  d'impostures  et 
de  faussetés,  sans  luy  parler  de  satisfaction,  en  luy  admi- 
nistrant les  derniers  sacremens. 

Au  reste  je  laisse  à  juger  aux  desintéressés  si  ce  grand 

réformateur  de  morale,  abjurant  le  jansénisme  en  mourant, 
comme  nous  dit  son  confesseur,  est  mort  en  bonne  conscience, 
après  avoir  volé  l'honneur  de  son  prochain  sans  aucun  vestige 
de  réparation,  et  si  l'absolution  est  bonne  dans  une  confes- 
sion où  il  ne  paroist  aucun  signe  de  reconciliation  après  tant 
d'inimitié  et  de  vengeance,  ny  aucune  apparence  de  restitution 
après  tant  de  calomnies  et  tant  d'impostures.  Quoy  que  c'en 
soit,  ce  fut  là  la  fin  de  Pascal,  qui  s'alla  cacher  dans  le  fau- 
bourg Saint-Marceau,  après  s'estre  assuré  d'un  curé  pour  ne 
pas  tomber  entre  des  mains  qui  luy  auroient  fait  de  la  peine 
sur  ses  outrages  et  ses  médisances,  et  pour  mourir  plus  tran- 
quillement dans  l'obscurité  qu'il  cherchoit  pour  y  mettre  à 
couvert  les  desordres  d'une  conscience  qui  devoit  estre  bien 
embarrassée.  Il  y  eut  en  cela  de  la  providence  qu'il  fut  trompé 
par  la  molle  complaisance  de  ce  directeur,  luy  qui  n'avoit  dé- 
clamé contre  le  relâchement  des  casuistes  que  par  un  esprit 
faux,  pour  soutenir  une  hérésie.  Au  reste  on  n'a  point  su 
précisément  pourquoy  il  renonça  à  Port-Royal,  où  il  a  voit  une 
sœur  qu'il  aymoit  fort  et  qui  fut  celle  qui  l'engagea  dans  le 
party.  Le  bruit  courut  qu'il  ne  s'accommodoit  pas  de  l'esprit 
d'Arnault,  ny  de  ses  deguisemens.  On  peut  après  tout  s'en 
tenir  au  tesmoignage  du  confesseur,  qui  déclare  que  deux  ans 
avant  sa  mort,  il  avoit  quitté  ce  party,  trouvant  à  redire  au 
peu  de  soumission  qu'on  y  avoit  pour  le  pape  et  pour  ses  dé- 
cisions  

T.  III,  p.  186.  — Vers  le  mois  d'août  de  cette  année  1662. 
le  célèbre  auteur  des  Lettres  au  Provincial  tomba  malade  au 
faubourg  Saint-Germain 1 .  L'affaire  de  Feydeau  estoit  si  récente, 

1 .  Pascal  demeurait  paroisse  S*  Corne  ;  le  curé  de  cette  paroisse 
avait  signé  les  Écrits  des  curés,  comme  Beurrier  l'avait  fait  ;  peu  de 
temps  avant  la  mort  de  Pascal,  Madame  Perier  avait  loué  une  maison 
pour  aller  demeurer  près  de  son  frère. 


382  ŒUVRES 

à  qui  on  contesta  les  sacremensdans  la  paroisse  de  Saint-Sulpice, 
une  des  plus  pures  de  Paris  sur  les  opinions  nouvelles  et  la  seule 
presque  zélée  contre  les  jansénistes  par  un  attachement  sin- 
cère au  Saint-Siège,  que  les  amis  de  Pascal,  crainte  qu'on  ne 
l'inquietast  en  cette  paroisse  si  la  maladie  devenoit  considéra- 
ble, le  firent  transporter  en  la  paroisse  de  Saint-Etienne,  sur 
le  fossé  de  Saint-Marceau,  dont  on  esperoit  meilleure  compo- 
sition que  de  Saint-Sulpice  ;  car  le  curé,  Paul  Beurrier,  reli- 
gieux de  Sainte-Geneviève,  quoyque  non  janséniste,  ne  lais- 
soit  pas  d'estre  gouverné  par  leurs  amis,  sans  toutefois 
s'embarrasser  de  leurs  maximes.  Il  couroit  alors  un  bruit  secret 
à  Paris  que  Pascal  estoit  mécontent  du  party,  qu'il  n'avoit, 
depuis  deux  ans  ou  environ,  eu  aucun  commerce  avec  le  doc- 
teur Arnault,  son  amy,  et  j'ai  su  du  curé  de  Saint-Etienne 
qu'il  se  plaignoit  de  luy  et  de  Port-Royal  de  ce  qu'ils  avoient 
porté  trop  loin  leur  dispute  sur  la  grâce,  qu'ils  avoient  passé 
les  bornes  et  qu'il  ne  pouvoit  leur  pardonner,  les  louant 
d'ailleurs  d'avoir  fait  leur  devoir  parle  zèle  qu'ils  avoient  fait 
paroistre  contre  la  morale  relaschée,  qu'on  ne  pouvoit  assez 
décrier,  tant  elle  estoit  pernicieuse  aux  mœurs.  En  quoy  il  se 
flattoit  un  peu  ;  car,  comme  il  avoit  pris  le  party  d'attaquer 
cette  morale  par  les  Lettres  an  provincial,  que  c' estoit  son  ou- 
vrage, et  qu'il  croyoit  y  avoir  reussy,  l'amour-propre  luy  fit 
croire  qu'il  n'y  avoit  que  luy  qui  eust  bienservy  dans  les  con- 
troverses présentes,  blasmantles  autres  de  leurs  emportemens 
sur  la  doctrine  et  sur  leur  mauvaise  foy  à  nier  que  les  propo- 
sitions condamnées  par  les  papes  Innocent  et  Alexandre  fus- 
sent de  Jansenius,  et  prétendant  ou  qu'on  devoit  soutenir  les 
propositions  de  cet  auteur  si  la  doctrine  estoit  bonne,  ou  se 
soumettre  au  pape  si  elle  ne  l'estoit  pas.  Quoy  que  c'en  soit,  il 
mourut  environ  ce  temps-cy,  peu  visité,  à  ce  qu'on  dit,  des 
gens  du  party,  dont  il  estoit  mal  satisfait,  et  il  mourut  avec 
tous  ses  sacremens,  âgé  seulement  de  trente-six  ans.  On  pré- 
tend que,  quelques  années  avant  sa  mort,  il  s'estoit  tellement 
desséché  le  cerveau  par  un  problème  de  mathématique,  où  il 
estoit  fort  savant,  qu'il  appela  depuis  la  RonUette  ou  un  moyen 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  383 

de  trouver  toute  sorte  de  combinaisons  de  nombres  par  un 
seul  tourde  roue,  ce  qui  n'avoit  jamais  esté  imaginé  avant  luy, 
qu'il  abrégea  ses  jours  par  ce  travail,  qui  l'epuisa.  Fier  qu'il 
estoit  d'y  avoir  reussy,  il  proposa,  à  ce  qu'on  dit,  ce  problème 
à  tous  les  savants  de  l'Europe  ;  et  ayant  envoyé  à  Fermât, 
grand  mathématicien,  conseiller  du  parlement  de  Toulouse, 
son  intime  amy,  ce  problème  à  proposer  aux  savants  de 
ce  pays-là  avec  une  promesse  de  cinq  cents  ecus  à  celuy  qui 
le  devineroit,  il  se  trouva  qu'un  jésuite  d'une  grande  réputa- 
tion en  Languedoc  et  dans  toute  la  France  pour  les  mathéma- 
tiques, nommé  de  la  Louvere,  ayant  deviné  son  problème,  et 
son  amy  Fermât  luy  ayant  mandé  à  Paris,  il  en  conçut  tant 
de  dépit,  que  pour  mettre  à  couvert  sa  honte,  il  taschade  pré- 
venir la  démonstration  du  jésuite  par  un  effort  extraordinaire 
d'étude  et  d'application  pour  produire  la  sienne.  Ainsy  il  acheva 
de  ruiner  tout  à  l'ait  sa  santé,  et  peu  de  temps  après  il  tomba 
malade  d'une  lièvre  chaude  qui  luy  brûla  les  entrailles  en  luy 
altérant  notablement  le  cerveau  ;  c'est  ce  qui  se  disoit  alors, 
parmy  les  savants,  de  sa  maladie  et  de  sa  mort.  Il  est  vray 
que,  du  tempérament  ardent  dont  il  estoit,  il  ne  pouvoitpas 
soutenir  tout  le  poids  d'une  si  grande  confusion  où  l'exposa 
la  bonne  opinion  qu'il  avoit  de  luy-mesme.  Il  avoit  eu  la  pré- 
somption de  défier  toute  la  terre  avec  un  orgueil  de  savant 
sur  son  problème  qu'il  jugeoit  inexplicable  à  d'autres  qu'à 
luy;  et  il  se  trouve  un  jésuite,  c'est-à-dire  un  homme  de 
cette  compagnie  qu'il  avoit  traitée  d'un  si  grand  mépris  dans 
ses  Lettres  au  provincial,  qui  s'offre  à  le  déchiffrer  du  pre- 
mier coup  d'œil  qu'iljetta  sur  cet  escrit.  Pascal  ne  croyoitrien 
de  plus  impénétrable  dans  la  géométrie,  ny  de  plus  caché  aux 
anciens  mathématiciens  et  aux  modernes,  comme  en  parle 
Carcavy  dans  la  lettre  qu'il  luy  en  escrit  sous  le  nom  du  sieur 
Dettonville,  et  comme  parle  Pascal  luy-mesme  sous  le  mesme 
nom  en  sa  réponse,  imprimées  l'une  et  l'autre,  l'année  i65q. 
à  Paris,  chez  des  Prés. 

Ce  fut  ainsi  que  mourut  ce  fameux  escrivain  de  Port-Royal, 
qui,  après  avoir  en  quelque  façon  abjuré  le  jansénisme  quel- 


384  ŒUVRES 

ques  années  avant  sa  mort,  fut  obligé  de  se  cacher  dans  un 
trou  de  faubourg  et  de  chercher  un  curé  commode  pour 
mourir  avec  ses  sacremens,  craignant  que  son  nom  ne  fît 
peur  en  cette  occasion  à  des  gens  aussy  bien  intentionnez  que 
les  prestres  de  Saint-Suipice,  tout  épuré  qu'il  se  trouvoit  du 
jansénisme,  par  l'eloignement  de  ses  anciens  amis  qui  en 
estoient  à  la  teste  et  qu'il  ne  pouvoit  plus  souffrir  parce  qu'il 
avoit  le  cœur  plus  droit  qu'eux;  car  il  avoit  commencé  à  s'en 
défier,  les  appelant  des  brouillons,  et  on  luy  a  entendu  dire 
quelquefois,  quand  on  le  pressoit  de  dire  ses  sentimens  sur 
la  grâce  de  l'evesque  d'Ipres,  que,  dans  les  principes  de  cette 
doctrine,  quand  on  nous  parle  de  la  miséricorde  de  Dieu,  que 
l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  épuisent  leur  éloquence 
pour  nous  jeter  dans  l'illusion  :  les  entrailles  du  Sauveur  se 
sont  émues  de  bonté  et  de  miséricorde  à  la  vue  d'un  scélérat 
qu'il  couronne  à  la  croix,  et  M.  d'Ipres  nous  dit  qu'il  prend 
plaisir  de  nous  perdre  avant  que  de  connoistre  si  nous  avons 
mérité.  G'estoit  là  le  fond  de  son  cœur. 

i[\.  Beurrier.    —   Mémoires1.  T.    II,  p.  i5og. 

Livre  3.  Des  choses  les  plus  Remarquables  qui  se  sont  pas- 
sées en  vingt  et  deux  ans  que  fay  esté  Curé  de  Saint  Eslienne, 
que  fay  veu,  ou  qui  sont  arrivées  dans  la  parroisse  et  dont  j'ay 
eu.  une  connoissance  certaine.  Ch.  4o.  De  la  maladie  et  de  la 
mort  de  Monsr  Paschal  et  de  ce  qui  s'est  passé  à  cette  occasion. 

i.  Jesus-Christ  nous  apprend  par  ses  exemples,  et  par  ses 
parolles,  que  nous  sommes  obligez  de  rendre  témoignage  à  la 
vérité,  quand  nous  en  sommes  requis  par  nos  supérieurs  ; 
ainsi  que  luy-meme  l'a  pratiqué  à  l'endroit  de  Pilate  ;  lors 
qu'il  l'a  interrogé  sur  sa  royauté,  en  luy  disant  :  Vous  estes 
donc  roy,  Jesus-Christ  luy  respondit  :    Vous  le  dittes,  je  suis 

i.  Bibliothèque  Ste  Geneviève,  ms.  1886,  publié  pour  la  première 
fois  par  E.  Jovy,  Pascal  inédit,  T.  II,  p.  486.  Le  manuscrit  est  une 
copie  où  se  trouvent  çà  et  là  des  corrections,  sans  doute  autographes. 
La  première  partie  des  mémoires  de  Beurrier  fut  écrite  en  1681.  Ce 
chapitre  semble  avoir  été  écrit  vers  1 69 1  - 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  385 

roy,  c'est  pour  cela  que  je  suis  né,  et  que  je  suis  venu  dans  le 
monde  affin  de  rendre  témoignage  à  la  vérité. 

Or  comme  après  la  mort  de  monsieur  Paschal,  que  j'avois 
assisté  dans  sa  maladie  qui  dura  six  sepmeines  entières,  et 
luy  avois  rendu  les  derniers  devoirs  chrestiens  après  son 
deces,  comme  à  mon  paroissien,  monsieur  de  Perefixe 
Archevesque  de  Paris,  m'envoia  quérir,  et  m'interrogea  sur 
la  manière  de  sa  mort,  et  sur  les  sentimens  qu'il  avoit  tou- 
chant la  religion,  et  les  matières  du  temps  qui  faisoient  tant 
de  bruit,  et  de  division  entre  les  catholiques,  m'adjoustant 
que  plusieurs  personnes  luy  avoient  dit,  qu'il  etoit  mort  sans 
sacremens,  et  d'une  manière  peu  chrestienne,  et  j'appris 
d'autre  part,  qu'il  etoit  fort  pressé  par  les  ennemis  du 
deffunt,  de  faire  lever  la  tombe  qui  estoit  sur  son  corps,  ou 
au  moins  de  faire  effacer  l'epithafe  qui  estoit  dessus  ;  ce  qui 
fut  cause  que  je  creu  être  obligé  de  luy  faire  sçavoir  tout  ce 
qu'il  m'avoit  dit  sur  ce  sujet,  et  ce  qui  s'estoit  passé  dans  sa 
maladie,  et  à  sa  mort,  ainsy  que  je  le  raporteray  en  ce  cha- 
pitre par  ordre  pour  satisfaire  au  désir  que  plusieurs  m'ont 
fait  paroistre  en  avoir,  m'interrogeant  sur  cette  matière,  qui 
a  fait  du  bruit,  non  seulement  à  Paris,  mais  par  tout  le 
roiaume,  et  jusques  à  Rome,  comme  je  le  remarqueray  incon- 
tinent. Voicy  ce  qui  en  est. 

2.  Je  n'ay  point  connu  monsieur  Paschal,  que  six  semei- 
nes  avant  sa  mort,  lors  qu'estant  tombé  malade  (dans  la 
maison  que  monsieur  Perier  Conseiller  à  la  Cour  des  Aides 
de  Glermont  en  Auvergne  son  beau  frère,  qui  avoit  épousé 
sa  sœur,  avoit  loué  dans  ma  paroisse  au  fauxbourg  Saint 
Marcel),  il  m'envoia  quérir  pour  me  consulter  sur  les  affai- 
res de  sa  conscience,  et  après  le  salut  mutuel,  il  me  dit 
qu'ayant  eu  tousjours  bien  de  l'amour  pour  l'ordre  que  Dieu 
avoit  estably  dans  son  église1,  il  m'avoit  fait  prier  de  le  venir 

i.  Les  règlements,  rappelés  par  l'Assemblée  du  Clergé  de  i656, 
recommandaient  de  se  confesser,  en  cas  de  maladie,  au  curé  de  la  pa- 
roisse (Cf.  Hermant,  Mémoires,  T.  III,  p.  333). 

2e  série.  YII  a5 


386  ŒUVRES 

voir,  pour  remettre  sonameet  sa  conscience  entre  mes  mains, 
puisque  j'estois  son  pasteur,  et  après  quelque  entretien  sur 
Testât  de  sa  maladie,  qui  etoit  une  colique  billieuse  et  nefre- 
tique,  qui  luy  causoit  de  très  grandes  douleurs  avec  des 
accès  de  fièvre  qui  n'estoit  pas  encore  bien  réglée,  il  me 
demanda  conseil  s'il  se  disposeroit  à  faire  une  confession 
générale,  ou  s'il  en  feroit  seulement  une  ordinaire,  à  quoy  je 
luy  respondis  que  cela  dependoit  de  sa  conscience,  et  de  sa 
dévotion,  et  que  s'il  avoit  fait  depuis  peu  quelque  confession 
générale  qui  fut  entière,  accompagnée  des  conditions  requi- 
ses, et  suivie  de  l'amendement  de  ses  fautes,  et  de  change- 
ment de  vie  en  une  plus  sainte,  et  qu'il  sentit  la  véritable 
paix  en  Dieu,  je  ne  luy  conseillois  pas  d'en  faire  une  nou- 
velle, veu  Testât  de  sa  maladie,  qui  estoit  très  aiguë,  qui  ne 
luydonnoit  aucun  relâche,  et  que  la  recherche,  et  l'examen 
sérieux  qu'il  feroit  pour  cognoitre  le  détail  de  toute  sa  vie 
passée,  pourroit  notablement  augmenter  son  mal,  et  qu'il 
luy  suffisoit  de  faire  une  reveùe  depuis  sa  confession  géné- 
rale. 

3.  Il  me  repartit  à  cela  qu'il  y  avoit  deux  ans  qu'il  avoit 
fait  une  retraitte  spirituelle,  et  une  confession  générale  fort 
exacte,  en  suitte  de  laquelle  il  avoit  entièrement  changé  de 
vie,  et  pris  resolution  de  fuir  toutes  les  compagnies,  pour  ne 
plus  songer  qu'à  son  salut,  et  à  combattre  fortement  les 
impies  et  les  athées,  qui  estoient  en  grand  nombre  dans 
Paris,  comme  pareillement  les  véritables  hérétiques  ;  qu'il 
avoit  desja  ramassé  des  matereaux  et  des  armes  très  puis- 
santes pour  les  convaincre  de  la  vérité  de  la  religion  Catho- 
lique ;  qu'il  sçavoit  par  expérience,  ayant  conversé  et  conféré 
autrefois  avec  les  plus  opiniâtres,  il  connoissoit  leur  fort  et 
leur  foible,  qu'ils  avoient  croyance  en  luy,  et  qu'il  sçavoit 
comme  il  falloit  les  prendre  et  les  convaincre  :  que  ces  mate- 
reaux estoient  diverses  pensées,  argumens,  et  raisons  qu'il 
avoit  couché  par  escrit  en  peu  de  mots  en  divers  temps  et 
sans  ordre,  mais  selon  qu'il  les  avoit  formez  dans  son  esprit, 
dans  le  dessein  qu'il  avoit  d'en  faire  un  livre  entier  en  les 


MORT  DE  BLAISK  PASCAL  387 

exposant  par  ordre,  et  les  expliquant  fort  clairement,  et  leur 
donnant  toute  la  force  qu'il  pourroit,  espérant  que  ce  livre 
seroit  très  utile,  et  que  Dieu  y  donneroit  sa  bénédiction,  veu 
la  pureté  de  ses  intensions,  qui  n'estoient  autres  que  de  rame- 
ner au  bercail  de  l'Eglise  tant  de  brebis  égarez,  et  ainsi 
étendre  le  royaume  de  Jésus  Christ,  et  de  procurer  la  gloire 
de  Dieu  et  le  salut  des  âmes. 

Il  me  mit  en  suitte  sur  les  matières  du  temps,  qui  faisoient 
tant  de  bruit  entre  les  doctes  Catholiques  sur  la  doctrine  de 
la  grâce,  de  la  puissance  et  authorité  du  pape,  sur  les  cas  de 
conscience,  et  la  morale  chrestienne  ;  et  me  dit  qu'il  gemis- 
soit  avec  douleur  de  voir  cette  division  entre  les  fidèles, 
qui  s'echaufîoient  si  fort  dans  leurs  disputes  soit  de  vive 
voix,  soit  par  escrit,  qu'ils  se  decrioient  mutuellement  les 
uns  les  autres,  avec  tant  de  chaleur,  que  cela  prejudicioit  à 
l'union  et  à  la  charité,  qui  les  devoit  porter  plus  tost  à  join- 
dre leurs  armes  spirituelles  contre  les  véritables  infidèles  et 
hérétiques,  que  de  se  battre  ainsy  les  uns  les  autres,  m'ad- 
joustant  qu'on  l'avoit  voulu  engager  dans  ces  disputes,  mais 
que  depuis  2.  ans  il  s'en  etoit  retiré  prudemment,  veu  la 
grande  difficulté  de  ces  questions  si  difficiles  de  la  grâce  et 
de  la  prédestination  selon  l'adveu  même  de  Saint  Paul  qui 
s'écrie  :  0  altitudo  divitiarum  sapientiœ  et  scientiœ  Dei,  quam 
incomprehensibilia  sunt  judicia  ejus,  et  investigabiles  viœ 
ejus.  Quis  novit  sensum  Domini,  etc.  Rom,  XI,  33,  etc.  0  pro- 
fondeur des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  de  Dieu  !  que 
ses  jugemens  sont  impénétrables  et  ses  voies  incompréhensibles  ! 
car  qui  a  cognu  les  desseins  de  Dieu,  ou  qui  est  entré  dans  le 
secret  de  ses  conseils  ? 

Et,  pour  la  question  de  l'autorité  du  pape,  il  l'estimoit 
aussi  de  conséquence,  et  très  difficile  à  vouloir  cognoistre  ses 
bornes  ;  et  qu'ainsy  n'ayant  point  estudié  la  scolastique,  et 
n'ayant  point  eu  d'austre  maistre,  tant  dans  les  humanités 
que  dans  la  philosophie  et  dans  la  théologie,  que  son  propre 
père  qui  l'avoit  instruit  et  dirigé  dans  la  lecture  de  la  bible, 
des  conciles,  des  saints  pères,  et  de  l'histoire  ecclésiastique,  il 


388  OEUVRES 

avoit  jugé  qu'il  se  devoit  retirer  de  ces  disputes  et  contesta- 
tions, qu'il  croioit  prœjudiciables  et  dangereuses,  carilauroit 
pu  errer  en  disant  trop  ou  trop  peu,  et  ainsy  qu'il  se  tenoit 
au  sentiment  de  l'Eglise  touchant  ces  grandes  questions  et 
qu'il  vouloit  avoir  une  parfaite  soumission  au  vicaire  de 
Jesus-Christ,  qui  est  le  souverain  pontife.  Je  luy  respondis 
qu'il  avoit  agy  fort  sagement  et  que  ces  questions  difficiles 
ne  contribuoient  point  à  la  sanctification  des  fidèles,  et  des 
peuples,  et  qu'il  suffit  de  crere,  et  de  parler  comme  l'écriture 
et  le  commun  des  saints  pères  et  comme  parle  l'Eglise. 

4.  Il  adjousta  que,  pour  ce  qui  est  de  la  morale  nouvelle, 
et  relâchée,  qu'elle  n'estoit  point  conforme  à  l'Evangile,  aux 
canons  des  conciles,  et  aux  sentimens  des  pères  de  l'Eglise 
et  qu'il  la  falloit  asseurement  condamner  ;  qu'elle  estoit  très 
dangereuse,  parce  qu'elle  favorisoit  la  lâcheté,  le  vice,  le  liber- 
tinage, et  la  corruption  des  mœurs,  qu'elle  etoit  très  pré- 
judiciable à  l'Eglise  et  qu'il  en  avoit  une  très  grande 
horreur. 

J'entray  dans  ses  sentimens,  que  j'estimois  très  justes  ; 
enfin  il  me  dit  que  depuis  deux  ans,  il  avoit  commencé  à 
mettre  par  escrit  ses  pensées  pour  combattre  toutes  sortes 
d'impies,  et  pour  monstrer  clairement  la  vérité  de  la  religion 
catholique  apostolique  et  romaine,  pour  les  estendre  au  long 
dans  le  livre  qu'il  avoit  dessein  de  composer,  si  Dieu  luy 
rendoit  la  santé,  et  luy  prolongeoit  la  vie  à  laquelle  il  n'avoit 
point  d'attache,  qu'autant  qu'il  plairoit  à  Dieu,  et  dans  cette 
seulle  veùe  de  travailler  à  la  conversion  des  impies,  si  Dieu 
l'agreeoit,  en  le  priant  de  vouloir  appaiser  ces  contestations 
fâcheuses  entre  des  personnes  doctes,  et  de  probité  pour  se 
joindre  ensemble  dans  son  même  dessein  de  détruire  l'infi- 
délité et  l'hérésie  ;  en  suitte  il  me  demanda  plusieurs  avis 
que  je  luy  donné  pour  se  disposer  à  recevoir  saintement  les 
sacremens  de  pénitence,  et  de  la  sainte  Eucharistie,  qu'il 
souhaittoit  ardemment,  et  cette  conférence  finit  par  la  prière 
qu'il  me  fit  de  le  bien  offrir  à  Dieu,  et  de  demander  à  sa 
divine  majesté  qu'il  luy  fist  la  grâce  de  vivre  et  de  mourir 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  38£ 

en  bon  chrestien,  et  en  toutes  choses  d'accomplir  sa  sainte 
volonté,  ce  qu'il  desiroit  uniquement.  Le  lendemain  je  le 
fus  confesser  et  il  me  fist  une  reveuë  depuis  sa  dernière  con- 
fession générale,  qu'il  avoit  fait  durant  sa  retraitte  ;  et  le 
jour  suivant  je  luy  porté  le  saint  sacrement,  qu'il  receut  avec 
une  singulière  dévotion. 

5.  Comme  j'eù  l'honneur  de  cognoitre  mademoiselle  Per- 
rier  la  sœur  propre  de  monsieur  Paschal,  et  sa  famille  que 
j'ay  confessée  plusieurs  années  au  sortir  du  Port-Royal,  aussi 
bien  que  quelques  novices  de  ce  monastère  qui  furent  obligez 
d'en  sortir  avec  toutes  les  pensionnaires  par  ordre  du  roy,  et 
louèrent  une  maison  dans  ma  paroisse  assez  près  de  l'église 
pour  avoir  plus  de  commodité  d'assister  au  service,  et  aux 
autres  exercices  qui  se  faisoient  dans  ma  paroisse  :  elle  me 
fist  mieux  cognoistre  quelques  particularités  de  la  vie  de 
monsieur  Paschal,  son  frère1.  J'appris  doncde  cette  vertueuse 
damoiselle  et  de  son  filz  aisné,  qui  estoit  aussi  mon  pénitent, 
qui  estudioit  en  philosophie,  que  monsieur  son  père  estoit 
Mre  Estienne  Paschal  président  de  la  cour  des  Aides  de  Gler- 
monten  Auvergne  lieu  de  sa  naissance,  qui  avoit  un  si  excel- 
lent esprit  qu'il  avoit  appris  par  son  propre  père,  sans  avoir 
eu  autre  maistre,  les  langues  grecque,  et  latine,  la  philosophie, 
les  mathématiques,  l'histoire,  le  droit  canonique  et  civil,  et 
sur  tout  la  théologie  positive  par  la  lecture  de  la  Bible  et  des 
Saints  Pères,  et  fist  la  même  charité  à  son  filz  aisné  nommé 
Blaize  Paschal  duquel  nous  écrivons,  de  l'instruire  luy  même, 
et  de  luy  enseigner  toutes  les  mêmes  sciences,  sans  qu'il  l'ait 
envoie  aux  escholles  et  aux  collèges,  pour  luy  oster  l'occasion 
des  desbauches  communes  aux  escolliers,  qui  souvent  se  gas- 
tent  les  uns  les  autres  :  aussi  toute  sa  famille  estoit  aussi  bien 
réglée  comme  si    c'eust   été   une   maison    religieuse  sous   la 


i.  Dans  ce  qui  suit,  il  y  a  de  manifestes  réminiscences  de  la  Vie 
écrite  par  Madame  Perier,  et  de  la  Préface  mise  en  tête  des  Pensées  en 
1670.  Parfois  même  on  retrouve  dans  le  texte  de  Beurrier  des 
expressions  et  des  phrases  exactement  reproduites. 


390  ŒUVRES 

conduitte  de  Monsieur  le  président  qui  faisoit  l'office  d'un 
bon  père,  et  d'un  bon  supérieur  Chrestien  ;  aussi  sesenfans 
ont  très  bien  profité  sous  un  si  bon  maistre,  et  particulière- 
ment son  filz  qui  avoit  un  très  bon  esprit,  un  fort  bon  natu- 
rel, et  une  mémoire  si  heureuse,  qu'il  n'a  jamais  rien  oublié 
de  ce  qu'il  avoit  appris. 

6.  Pendant  sa  jeunesse  Dieu  l'a  préservé  par  une  particu- 
lière providence  des  vices  où  tombent  la  plus  part  des  jeunes 
gens1,  et,  ce  qui  est  surprenant  pour  un  esprit  aussi  curieux 
que  le  sien,  il  ne  s'est  jamais  porté  au  libertinage  d'esprit,  en 
ce  qui  regarde  la  religion,  ayant  toujours  borné  sa  curiosité 
aux  choses  naturelles,  et  a  dit  souvent  qu'il  en  avoit  obliga- 
tion à  monsieur  son  père,  qui  ayant  luy  même  un  très  grand 
respect  pour  la  religion,  [le]  luy  avoit  inspiré  des  son  enfance, 
en  luy  donnant  pour  maxime,  que  tout  ce  qui  est  l'objet  de 
la  foy  ne  devoit  pas  être  soumis  à  la  raison  naturelle,  comme 
estant  bien  au-dessus. 

Dès  l'aage  de  onze  à  douze  ans,  il  apprit  d'une  manière  sur- 
prenante la  géométrie  et  les  mathématiques  faisant  de  petits 
ouvrages  qui  surpassoient  beaucoup  la  portée  des  en  fans  de 
cet  aage,  mais  l'effort  de  son  esprit,  et  de  son  imagination 
parut  singulièrement  dans  une  machine  d'arithmétique,  qu'il 
inventa  à  l'aage  de  dix-neuf  à  vingt  ans,  et  chacun  admira  les 
belles  expériences  du  vuide,  qu'il  fist  à  Rouen  en  présence  des 
personnes  les  plus  considérables  de  la  ville,  pendant  que  mon- 
sieur le  président  Paschal  son  père  y  faisoit  la  fonction  d'in- 
tendant de  la  part  du  Roy,  mais  les  dix  dernières  années  de 
sa  vie,  il  a  plus  fait  paretre  la  grandeur,  et  la  solidité  de  sa 
vertu  et  de  sa  pieté,  qu'il  n'a  monstre  auparavant  la  force, 
l'estendue,  et  l'admirable  pénétration  de  son  esprit,  car  après 
avoir  passé  sa  jeunesse  dans  des  occu  pations  et  des  divertisse- 
mens,  qui  paroissoient  assez  innocens  aux  yeux  du  monde,  il 
fut  si  fortement  touché  de  Dieu  qui  luy  fist  connoitre  parfai- 
tement que  la  religion  chrestienne  nous  oblige  à  ne  vivre  que 

i.  Cf.  la  Vie  de  Pascal,  par  Madame  Perier,  supra  T.  I,  p.  5g. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  391 

pour  luy,  et  à  l'aimer  uniquement  comme  nostre  souverain 
bien,  de  toute  l'estendue  de  nostre  ame  et  de  tout  nostre  cœur, 
ce  qui  luy  parut  si  clairement  vray,  utile  et  absolument  néces- 
saire, qu'il  prist  une  ferme  resolution  de  se  dégager  de  toutes 
les  choses  visibles  et  corruptibles,  et  de  soy  même  autant  qu'il 
le  pourroit. 

Cela  luy  fist  quitter  entièrement  l'estude  des  sciences  pro- 
phanes,  pour  ne  s'appliquer  plus  qu'à  celles  qui  pouvoient 
contribuer  à  son  salut,  et  à  celuy  des  autres  :  il  avoit  alors 
trente  ans,  quand  il  rompit  tous  les  liens,  qui  le  pouvoient 
empêcher  d'estre  et  de  vivre  tout  à  Dieu  ;  il  changea  pour  cela 
de  quartier  pour  perdre  les  habitudes  qu'il  avoit  au  monde, 
et  en  suitte  il  se  retira  à  la  campagne  où  il  demeura  quelque 
temps,  d'où  estant  de  retour,  il  tesmoigna  si  bien  qu'il  vou- 
loit  quitter  le  monde,  qu'enfin  le  monde  le  quitta1. 

7.  Il  fist  une  seconde  retraitte  bien  plus  parfaitte  que  la 
première  deux  ans  devant  sa  mort,  Dieu  le  voulant  par  là 
disposer  à  la  pretieuse  mort  des  saints,  car  il  passa  plusieurs 
semeines  dans  les  grands  exercices  spirituels,  dans  la  péni- 
tence, la  mortification,  le  silence,  et  l'examen  ou  reveuë  très 
exacte  de  toute  sa  vie,  et  en  suitte  il  fist  une  confession  géné- 
rale, il  fist  de  grandes  aumosnes,  et  vendit  son  carosse,  ses 
chevaux,  ses  tapisseries,  ses  beaux  meubles,  son  argenterie, 
et  même  sa  biblioteque  ;  à  la  reserve  de  la  Bible,  de  saint 
Augustin,  et  fort  peu  d'autres  livres,  et  en  donna  tout  l'argent 
aux  pauvres  ;  il  renvoia  tous  ses  domestiques,  et  se  mit  en  pen- 
sion chez  sa  sœur  mademoiselle  Perrier 2  pour  n'avoir  plus  de 
soin  d'un  mesnage,  je  le  sçay  d'elle-mesme.  Il  fonda  le  règle- 
ment de  sa  vie  sur  les  principes  evangeliques,  qui  sont  i°  de 
renoncer  à  soy  même,  à  tout  plaisir,  à  toute  superfluité,  et  à 
la  vaine  gloire ,  i°  de  faire  tout  ce  qu'on  peut  faire  de  bien 
dans  une  pure  veùe  de  Dieu,  pour  son  amour,  et  pour  nous 


1.  Cf.  la  Vie  de  Pascal,  par  Madame  Perier,  supra  T.  I,  p.  65. 

2.  Pascal  ne  vint  habiter  chez  sa  sœur  que  le  27  juin  1662.  Cf. 
supra  T.  I,  p.  106,  note  1. 


392  ŒUVRES 

perfectionner;  3°  d'aymer  son  prochain,  et  sa  propre  ame 
d'un  amour  désintéressé  dans  la  veûe  de  Dieu. 

Il  les  a  voit  sans  cesse  devant  les  yeux,  et  tachoit  de  s'y  per- 
fectionner tousjours  de  plus  en  plus,  comme  je  l'ay  remarqué 
dans  tout  le  temps  de  sa  dernière  maladie,  qui  dura  six  semei- 
nes,  que  je  le  voiois  très  souvent,  aussi  estoit-ce  là  les  entre- 
tiens que  nous  avions  ensemble.  Cette  application  continuelle 
de  son  esprit  à  ces  grandes  vérités1,  luy  faisoit  témoigner  une 
si  grande  patience  dans  ses  maux  qui  estoient  très  aigus  et 
qui  ne  Font  presque  jamais  laissé  sans  douleur,  principale- 
ment pendant  les  deux  dernières  années  de  sa  vie,  et  encor 
bien  plus  dans  sa  dernière  maladie. 

Elle  le  conservoit  encor  dans  une  grande  soumission  aux 
ordres  de  Dieu,  et  une  indiference  pour  la  vie  et  pour  la 
mort  ;  il  me  disoit  qu'il  n'avoit  aucune  affection  de  vivre 
davantage,  que  pour  rachever  le  dessein  qu'il  a  voit  com- 
mencé, de  mettre  en  ordre  dans  un  livre  les  pensées  que  Dieu 
luy  avoit  donné  pour  combattre  les  athées,  les  libertins,  et  les 
hérétiques,  et  neantmoins  qu'il  ne  le  desiroit  qu'autant  que 
Dieu  le  voudra. 

Depuis  sa  retraitte  il  fist  plusieurs  mortifications  corpo- 
relles, et  refusoit  à  ses  sens  tout  ce  qui  pou  voit  leur  être 
agréable,  et  prenoit  avec  joye  tout  ce  qu'on  luy  faisoit  pren- 
dre, ce  qui  luy  deplaisoit,  il  se  retranchoit  tous  les  jours  de 
plus  en  plus  tout  ce  qu'il  ne  jugeoit  pas  luy  être  absolument 
nécessaire  pour  le  vestement,  pour  la  nourriture,  pour  les 
meubles  et  pour  tout  le  reste.  Il  avoit  un  amour  tout  parti- 
culier pour  la  pauvreté  qu'il  tachoit  de  pratiquer  en  toute 
occasion,  et  il  aimoit  si  tendrement  les  pauvres  qu'il  ne  leur 
a  jamais  rien  refusé  2.  Il  ne  pouvoit  souffrir  qu'on  cherchât 
avec  soin  toutes  ses  commodités,  disant  que  c'estoit  une  déli- 
catesse opposée  aux  sentimens  de  l'Evangile. 

Enfin  j'ay  admiré  la  patience,  l'humilité,  la  charité  et  le 

h   Cf.   pour  ce  qui  suit,  la  préface  des  Pensées,  T.  I,  p.  cxcviii. 
i.  Cf.  la  Vie  de  Pascal,  par  Madame  Perier,  supra  T.  I,  p.  85. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  393 

grand  dégagement  que  je  remarquois  en  monsieur  Pascal 
toutes  les  fois  que  je  l'ay  été  voir  durant  les  six  dernières 
semeines  de  sa  maladie  et  de  sa  vie.  Je  l'ay  confessé  plusieurs 
fois  durant  ce  temps  là  et  luy  ay  administré  ses  derniers 
sacremens  de  viatique,  et  d'extreme-onction  qu'il  a  receu  avec 
de  grands  sentimens  de  pieté  et  de  dévotion  :  et  après  qu'il 
les  eut  receu,  il  tomba  dans  un  transport  d'esprit,  et  dans 
l'agonie  qui  luy  dura  jusques  à  sa  mort. 

8.  Monsieur  Paschal  deceda  le  samedy  19.  du  mois  d'aoust 
1662.,  aagé  de  39.  ans,  et  fut  inhumé  dans  notre  église  par- 
roissiale  de  Saint-Estienne  du  Mont  derrière  le  cœur,  devant 
le  sépulcre  de  Notre-Seigneur  ;  il  fut  regretté  de  tous  les  gens 
de  lettres  ses  amis.  Il  avoit  prié  monsieur  Perier,  son  beau 
frère,  et  sa  sœur  qu'on  l'enterast  sans  cérémonie,  et  sans  pompe 
comme  un  pauvre  et  qu'on  ne  mit  aucune  epitaphe  sur  sa 
fosse  voulant  être  incognû  des  hommes  aussi  bien  après  sa 
mort  comme  il  avoit  fait  son  possible  pour  l'estre  durant  les 
dernières  années  de  sa  vie  depuis  sa  retraitte,  par  principe 
d'humilité.  Ce  qui  n'a  pas  pourtant  empêché,  que  Monsieur 
son  beau  frère  ne  l'ait  fait  enterrer  avec  honneur,  et  n'ait  fait 
graver  sur  une  tombe  de  marbre  noir  cet  epitaphe  qui  est  sur 
sa  fosse  : . . . 

9.  Cet  epitaphe  donna  de  la  jalousie  à  ses  ennemis  qui 
furent  trouver  monsieur  l'Archevesque,  et  luy  dirent  ce  qu'ils 
voulurent,  pour  le  persuader  de  faire  lever  la  tombe  de  mon- 
sieur Paschal  ou  de  faire  effacer  son  epitaphe  ;  ce  qui  fut 
cause  que  monsieur  l'Archevesque  m'envoia  quérir  pour  sça- 
voir  de  moy  ce  qui  s'estoit  passé  à  sa  maladie,  et  à  sa  mort; 
s'il  avoit  receu  tous  ses  sacremens,  et  estoit  decedé  en  bon 
catholique  dans  la  soumission  qu'il  devoit  à  l'Eglise,  et  dans 
sa  communion,  aiant  ouy  dire  qu'il  estoit  mort  sans  sacre- 
mens, et  d'une  manière  peu  chrestienne.  Je  le  desabusé,  et 
luy  dis  qu'il  etoit  mort  en  très  bon  chrestien,  qu'il  etoit  très 
soumis  au  Souverain  Pontife  et  à  l'Eglise  ;  que  je  Pavois  plu- 
sieurs fois  confessé,  et  luy  avois  donné  la  sainte  communion, 
le  viatique  et  l'extrême  onction,  qu'il  avoit  receus  avec  beau- 


394  OEUVRES 

coup  de  sentimens  de  pieté,  et  de  dévotion,  et  que  j'estois 
tesmoin  et  admirateur  de  sa  patience,  de  sa  charité,  de  son 
humilité,  et  du  zèle  qu'il  avoit  pour  la  conversion  des  athées 
et  des  hérétiques  ;  et  pour  ce  qui  est  des  matières  du  temps, 
je  luy  dis  qu'en  la  première  conférence  que  j'eus  avec  luy,  il 
m'avoit  tesmoigné  bien  de  la  douleur  de  voir  la  division  entre 
les  enfans  de  l'Eglise  sur  ces  matières  de  la  grâce,  de  la  pré- 
destination, et  de  l'authorité  du  Pape  ;  qu'on  l'avoit  voulu 
engager  dans  ces  partis  et  que  prudemment  il  s'en  estoit  retiré, 
pour  travailler  à  son  salut  et  à  la  conversion  des  impies,  et 
des  hérétiques,  s'excusant  sur  la  difficulté  de  ces  matières,  et 
sur  ce  que  n'ayant  point  estudié  la  scolastique,  il  pourroit  en 
dire  trop  ou  trop  peu,  qu'il  se  soumettoit  parfaittement  à 
l'Eglise,  et  au  Souverain  Pontife,  vicaire  de  Jesus-Christ,  mais 
que  pour  l'Apologie  des  casuistes  et  la  morale  relâchée,  il  ne 
la  pouvoit  souffrir  disant  qu'il  la  falloit  condamner,  et  même 
la  hrusler,  puisqu'elle  etoit  très  contraire  à  l'Evangile  et 
très  préjudiciable. 

10.  Monsieur  l'Archevesque  m'obligea  de  luy  donner  ma 
responce  par  escrit  signée  de  ma  main,  et  comme  j'y  faisois 
quelque  difficulté  pour  les  conséquences,  veu  que  n'ayant 
point  pris  aucun  party  dans  toutes  ces  disputes,  je  tachois, 
autant  qu'il  m'estoit  possible,  de  reunir,  et  d'accorder  ceux 
de  l'un  et  de  l'autre  party,  qui  estoient  mes  paroissiens, 

Monsieur  l'Archevesque  me  jura  qu'il  ne  feroit  voir  mon 
escrit  qu'aux  filles  religieuses  de  Port-Roial,  qui  avoient  bien 
de  l'estime  pour  monsieur  Paschal,  et  suivroient  son  exemple 
et  sa  soumission,  ce  qui  fut  cause  que  je  luy  donné,  mais  un 
mois  après,  il  m'envoia  monsieur  Chamillart  vicaire  de  Saint- 
Nicolas  pour  me  prier  et  presser  fortement  que  mon  escrit 
fut  publié,  ce  que  je  refusé  pour  bonne  raison,  parce  que 
j'avois  donné  jour  et  parolle  pour  une  conférence  dans  laquelle 
se  dévoient  trouver  les  plus  intéressez,  pour  terminer  à  l'amia- 
ble ce  grand  différent,  et  pour  pacifier  toutes  ces  disputes,  ce 
qui  fut  empêché  par  la  publication  de  mon  escrit,  qui  fut 
même  envoie  à  Rome,  parce  que  les  personnes  des  deux  par- 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  395 

tis  se  mirent  à  glozer  sur  mon  escrit,  un  chacun  l'expliquant 
à  sa  mode  et  selon  son  sentiment,  et  plusieurs  me  vinrent 
voir  pour  me  demander  si  c'estoit  la  responce  de  Monsieur 
Paschal  et  l'expression  de  son  sentiment;  et  je  respondis  que 
ouy  asseurement;  plusieurs  me  dirent  que  j'avois  mal  pris  sa 
pensée  en  me  priant  de  ne  pas  trouver  mauvais,  si  ils  l'expli- 
quoient  d'une  autre  manière  que  je  le  faisois.  Je  leur  res- 
pondis qu'ils  le  pou  voient  faire,  et  que  je  me  contentois  d'avoir 
escrit  ce  que  j'avois  escrit:  quod  scripsi,  scripsi,  que  je  ne 
respondrois  à  aucun  escrit  qui  paroistroit  contraire  à  l'expli- 
cation et  au  sens  que  j'avois  ouy  moy  mesme  de  la  bouche  de 
monsieur  Paschal,  que  j'aymois  et  estimois  beaucoup,  et  plus 
pour  sa  charité,  son  humilité,  sa  modestie,  et  sa  soumission  à 
l'Eglise  et  au  Souverain  Pontife,  que  pour  la  grandeur  de  son 
esprit,  veu  que  comme  luy  mesme  le  dit,  la  distance  inGnie 
des  corps  aux  esprits,  figure  la  distance  infiniment  plus  infi- 
nie des  esprits  à  la  charité,  car  elle  est  surnaturelle  ;  et  c'est 
par  elle  que  les  saints  ont  leur  empire,  leur  esclat,  leur  gran- 
deur, leurs  victoires,  et  n'ont  nul  besoin  des  grandeurs 
charnelles  ou  spirituelles,  qui  ne  sont  pas  de  leur  ordre, 
et  qui  n'adjoustent,  n'y  n'ostent  rien  à  la  grandeur  qu'ils 
désirent,  Dieu  leur  suffisant  avec  grande  raison,  car  il  est  tout 
bien:  ostendam  tibi  omne  bonum.  Gen.  Requiescat  in pace — 

25.  Marguerite    Perier.    —   Sur  M.   Pascal1. 

On  a  fait  courir  un  faux  bruit  que  M,  Pascal  s'estoit  re- 
tracté avant  sa  mort  et  avoit  déclaré  qu'il  s'estoit  entièrement 
séparé  de  M.  Arnauld  et  de  MM.  de  P.  R. 

Cela  est  fondé  sur  une  déclaration   que  feu  M.   Beurrier 


i.  Copie  au  troisième  recueil  Guerrier,  p.  248.  Ce  mémoire,  écrit 
après  1696,  se  trouvait  sans  doute  dans  les  Additions  au  Nécrologe 
que  Marguerite  Perier  écrivit  en  1723.  Le  Père  Guerrier  ajoute  à  la 
fin  de  sa  copie  :  «  Tout  ce  qui  est  dans  ce  recueil  depuis  la  page  221 
a  été  transcrit  sur  le  manuscrit  de  Mlle  Perier.»  Aussitôt  après,  il 
note  «  Mlle  Perier  m'a  dit  aujourd'hui  27  février  1782....  » 


396  ŒUVRES 

curé  de  S.  Etienne  donna  à  feu  M.  de  Perefixe  archevesque 
de  Paris,  et  voicy  comment  il  la  donna. 

M.  Pascal  qui  demeuroit  dans  la  paroisse  de  S*  Cosme,  se 
trouva  obligé  de  sortir  de  chez  luy  par  les  raisons  qui  sont 
marquées  dans  sa  Vie  escrite  par  Made  Perier  sa  sœur  ;  il 
mourut  chez  elle  le  19.  Août  1662.  et  sa  maison  estoitdans  la 
paroisse  de  S1  Etienne  du  Mont. 

Deux  ans  et  demi  après  la  mort  de  M.  Pascal,  le  7.  Jan- 
vier i665.  M.  F  Archevesque  envoya  quérir  M.  Beurrier  et  luy 
dit  :  «  Est-il  vray  que  M.  Pascal  est  mort  dans  vostre  paroisse, 
et  qu'il  est  mort  sans  sacremens.  »  M.  Beurrier  luy  dit  qu'il 
estoit  vray  qu'il  estoit  mort  dans  sa  paroisse,  mais  qu'il  n'estoit 
pas  vray  qu'il  fut  mort  sans  sacremens,  qu'il  les  luy  avoit 
administrez  luy-mesme:  M.  l' Archevesque  luy  dit:  «  Gomment 
les  luy  aves-vous  administré,  ne  scaviez-vous  pas  que  c'estoit  un 
Janséniste?  »  M. Beurrier  fut  effrayé  et  crut  qu'on  alloit  luy 
faire  une  affaire  là-dessus  et  que  peut  estre  on  feroit  déterrer 
le  corps  de  M.  Pascal  (c'est  ce  qu'il  dit  luy-mesme  à  M.  Perier 
le  fils).  Là  dessus  M.  Beurrier  se  souvint  que  dans  une  con- 
versation qu'il  avoit  eue  avec  M.  Pascal,  il  luy  avoit  marqué 
qu'il  n'estoit  pas  tout-à-fait  d'accord  avec  M.  Arnauld  au  sujet 
de  la  signature  du  formulaire,  et  comme  il  n'estoit  pas  fort 
instruit  du  fonds  de  ces  matières,  et  qu'il  croyoit  que  M.  Ar- 
nauld estoit  de  tous  ces  MM.  celuy  qui  estoit  le  plus  ferme,  il 
ne  croyoit  pas  qu'il  put  y  avoir  différence  de  sentiment,  qu'en 
pensant  qu'il  estoit  trop  ferme.  Cette  idée  le  porta  à  dire  ce 
qu'il  pensoit  là-dessus  :  que  M.  Pascal  blamoit  M.  Arnauld 
et  ces  MM.,  et  qu'il  croyoit  qu'ils  alloient  trop  avant  dans  les 
matière  de  la  grâce  ;  et  qu'ils  paroissoient  avoir  moins  de 
soumission  qu'ils  ne  dévoient  pour  Nostre  S.  P.  le  Pape; 
M.  l'Archevesque  aussitost  dressa  une  déclaration  qu'il  obligea 
M.  Beurrier  de  signer;  il  résista  un  peu,  ne  voulant  pas  la 
signer  ;  mais  M.  l'Archevesque  luy  dit  que  cela  estoit  ou  que 
cela  n'estoit  pas,  que  si  cela  n'estoit  pas,  il  ne  devoit  pas  le 
dire,  et  que  si  cela  estoit,  il  ne  devoit  pas  faire  difficulté  de  le 
signer,   que  d'ailleurs   il  luy  promettoit  que  cela  resteroit 


MORT  DE  BLA1SE  PASCAL  397 

dans  son  cabinet,  et  qu'on  ne  le  verroit  jamais,  il  la  signa 
donc  et  n'y  pensa  plus.  Un  an  après  il  parut  un  écrit  du 
P.  Annat  intitulé  :  Lettre  de  M.  Jansenius  Evesque  d'Ypres  au 
Pape  Urbain  VIII.  et  dans  laquelle  cette  déclaration  estoit  em- 
ployée. Voicy  comme  il  en  parle 

MM.  de  P.  R.  repondirent  à  cet  écrit  du  P.  Annat  par  un 
autre  sous  le  titre  :  Lettre  d'un  Théologien  à  un  de  ses  amis, 
qui  eclaircit  cela  et  explique  le  différent  qui  estoit  entre 
M.  Pascal  et  ces  MM.  et  dans  lemesme  temsM.  et  Made  Perier 
ayant  eu  connoissance  de  l'écrit  du  P.  Annat  mandèrent  à 
M.  Perier  leur  fils  aine  qui  estoit  à  Paris  alors,  d'aller  voir 
M.  Beurrier  et  de  luy  faire  voir  les  écrits  qui  avoient  esté  faits 
de  part  et  d'autre  ;  là  dessus  il  connut  bien  qu'il  s'estoit 
trompé  et  en  demeura  d'accord  *  :  on  ne  poussa  pas  cela  plus 
loin,  parce  qu'on  sçavoit  que  M.  Beurrier  estoit  un  homme 
fort  timide.  Depuis  cela  M.  l'Archevesque  de  Paris  escrivit  à 
M.  Perier  le  père,  pour  le  remercier  de  ce  qu'il  luy  avoit  fait 
faire  un  présent  du  livre  des  Pensées  de  M.  Pascal,  et  en 
mesme  tems  il  luy  offrit  de  donner  son  approbation  pour  une 
nouvelle  édition,  pour  y  insérer  une  chose,  disoit-il,  qui  luy 
feroit  beaucoup  d'honneur,  qui  estoit  une  déclaration  du  Curé 
de  S.  Etienne  contenant  etc.2.  M.  Perier  luy  repondit  fort 
respectueusement  et  le  remercia  de  cette  déclaration,  disant 
que  M.  Pascal  n'avoit  jamais  donné  lieu  de  douter  de  sa  foy, 
et  que  ce  seroit  en  quelque  façon  la  faire  révoquer  en 
doute  d'y  insérer  cela.    La  chose  en  demeura  là. 

L'année    suivante    1671.     M.  l'Archevesque  estant   mort, 

1.  Hermant  (Mémoires,  T.  V,  p.  5i4)  dit  que  Beurrier  remit  à 
l'archevêque  une  nouvelle  déclaration,  contraire  à  celle  de  166 5. 
Racine,  dans  les  notes  qu'il  recueillit  auprès  de  Nicole,  dit  aussi 
que  Beurrier  «  voulut  en  vain  revenir  contre  sa  signature.  M.l'ar- 
chevesque  se  moqua  de  luy  »  (Cf.  Abrégé  de  l'Histoire  de 
Port-Royal,  édition  A.  Gazier,  p.  202).  Ce  renseignement  semble 
inexact. 

2.  Guerrier  renvoie  aux  pièces  qu'il  avait  recopiées  aupara- 
vant, et  que  le  mémoire  de  Marguerite  Perier  reproduisait. 


398  ŒUVRES 

M.  Perier  le  père  alla  à  Paris  pour  des  affaires  au  mois 
d'avril  et  comme  le  bruit  de  cette  retractation  continuoit  tous- 
jours  à  se  répandre,  M.  Perier  crut  qu'il  devoit  voir  M.  Beur- 
rier, et  luy  représenter  la  peine  et  l'affliction  où  estoit  Made 
Perier  de  voir  répandre  ces  bruits  si  peu  conformes  à  la 
vérité;  luy  faisant  l'aire  attention  sur  les  escrits  qu'on  luy  avoit 
montré,  qui  faisoient  connoistre  combien  les  sentimens  qu'il 
avoit  attribué  à  M.  Pascal  estoient  différons  de  ses  véritables 
sentimens,  et  l'abus  qu'on  faisoit  de  sa  déclaration.  M.  Beur- 
rier, qui  alors  ne  craignoit  plus  les  reproches  que  M.  l'Ar- 
chevesque  auroit  pu  luy  faire  escrivit  à  Madame  Perier  la  lettre 

dont  voicy  la  copie Deux  ans  après,  c'est  à  dire  en  1673. 

deux  Ecclésiastiques  de  cette  province  nommés  M.  Pourrat 
et  M.  Chenard  venant  de  Paris  débitèrent  encore  cette  nou- 
velle déclaration  de  M.  Pascal  et  avancèrent  que  c' estoit 
M.  Beurrier  Curé  de  S1  Etienne  qui  le  leur  avoit  dit,  et 
mesme  que  M.  Pascal  avoit  esté  chez  luy  pour  faire  cette  retrac- 
tation. M.  Perier  le  fils,  M.  son  père  estant  malade,  escrivit 
là-dessus  à  M.  Beurrier  et  envoya  sa  lettre  à  Paris  à  un  de 
ses  amis  pour  la  porter  luy-mesme  à  M.  Beurrier.  Cet  ami  y 
alla  plusieurs  fois,  et  après  l'avoir  vu  il  escrivit  à  M.  Perier 
et  M.  Beurrier  écrivit  aussi  au  mesme  M.  Perier  i. 

Mais  pour  faire  voir  en  quoy  consistoit  cette  différence  de 
sentimens,  il  faut  expliquer  ce  qui  donna  lieu  a  ce  différent 
entre  M.  Arnauld,  MM.  de  Port-Royal  et  M.  Pascal2.... 

...  M.  Pascal,  qui  estoit  extrêmement  exact  pour  tout  ce  qui 
regarde  la  religion,  desapprouva  beaucoup  cette  restriction, 
disant  qu'elle  n'estoit  point  suffisante  ;  qu'elle  manquoit  de 
sincérité  et  qu'elle  ne  mettoit  pas  la  vérité  assez  à  couvert. 

1.  Ici  Guerrier  écrit  en  note:  «  J'ay  vu  ces  2.  lettres  qui 
disent  en  substance  la  même  chose  que  celle  du  même  M.  Beurier 
page  181,  mais  comme  je  ne  les  ai  pas  actuellement  entre  les  mains, 
et  qu'elles  ne  sont  pas  transcrites  dans  la  relation  écrite  de  la  main 
de  Mlle  Perier  je  ne  puis  les  insérer  ici  ». 

2.  Ici  Marguerite  Perier  reproduit  en  partie  le  récit  fait  par  Nicole 
dans  sa  Lettre  d'un  Théologien,  en  1666  ;  cf.  supra  p.  34i- 


MORT  DE  13LAISE  PASCAL  399 

Il  fit  mesme  un  petit  escrit  par  lequel  ilmonstroit  que  comme 
dans  la  vérité  le  sens  de  Jansenius  n'est  autre  chose  que  la 
grâce  efficace,  le  pape  Alexandre  VIL  ayant  condamné  le  sens 
de  Jansenius  et  le  formulaire  l'exprimant  ainsi,  on  ne  pou- 
voit  empescher  que  cette  condamnation  ne  tombast  sur  la  grâce 
efficace  ny  mesme  se  défendre  d'y  avoir  consenti  en  le  sous- 
crivant, à  moins  que  d'excepter  formellement  la  grâce  effi- 
cace et  le  sens  de  Jansenius  ;  d'où  il  concluoit  que  les  reli- 
gieuses ne  l'ayant  pas  fait  et  s'estant  contentées  de  marquer 
qu'elles  ne  souscrivoient  qu'à  la  foy,  leur  signature  pouvoit 
estre  prise  pour  une  condamnation  de  la  grâce  efficace,  puis- 
qu'elles se  soumettoient  à  tout  ce  que  les  papes  en  ont  décidé; 
et  il  disoit  que  les  papes  ayant  condamné  le  sens  de  Jansenius 
sans  l'expliquer,  et  le  sens  de  Jansenius  estant  certaine- 
ment le  sens  de  la  grâce  efficace,  il  falloit  nécessairement 
excepter  formellement  le  sens  de  la  grâce  efficace  et  celuy  de 
Jansenius. 

Ces  MM.  firent  aussi  un  petit  escrit  pour  combattre  celuy 
de  M.  Pascal,  où  ils  disoient  entre  autres  choses  que  les  papes, 
en  condamnant  les  5.  propositions,  n'avoient  point  eu  inten- 
tion de  condamner  la  grâce  efficace;  qu'ils  l'avoient  mesme 
déclaré  ;  qu'il  estoit  certain  que  le  pape  et  les  evesques,  en 
condamnant  le  sens  de  Jansenius,  n'entendoient  pas  la  grâce 
efficace,  mais  un  autre  dogme  qu'ils  supposoient  estre  dans 
Jansenius  et  qu'ils  appelloient  pour  cette  raison  le  sens  de 
Jansenius.  M.  Pascal  disoit  qu'il  falloit  donc  expliquer  quel 
estoit  ce  dogme  qu'ils  condamnoient  pour  ne  point  laisser  un 
doute  que  ce  fut  le  sens  de  Jansenius,  qui  contient  la  grâce 
efficace,  qui  fut  condamné;  et  il  disoit  :  «  Je  veux  bien  croire 
que  les  papes  n'ont  point  eu  intention  de  condamner  la  grâce 
efficace  et  mesme  qu'ils  l'ont  déclaré,  mais  comme  il  n'y  a 
point  d'acte  authentique  qui  atteste  cela,  et  que  le  formulaire 
qui  est  un  acte  authentique  condamne  le  sens  de  Jansenius 
sans  expliquer  quel  est  ce  mauvais  dogme  qu'on  luy  attribue, 
le  sens  de  Jansenius  estant  certainement  le  sens  de  la  grâce 
efficace,  on  ne  peut  point  signer  le  formulaire,  mesme  pour 


400  ŒUVRES 

ce  qui  regarde  la  foy,  sans  excepter  formellement  le  sens  de 

la  grâce  efficace  et  celuy  de  Jansenius.  » 

Ces  MM.  de  leur  costé  disoient  que  c'estoit  faire  injure  au 
pape  et  aux  evesques  que  de  donner  lieu  de  les  accuser  d'avoir 
condamné  la  grâce  efficace,  et  qu'il  n'y  avoit  rien  de  plus 
désavantageux  à  cette  doctrine  que  de  laisser  croire  qu'elle 
fut  réduite  à  un  petit  nombre  de  défenseurs,  et  qu'elle  fut 
abandonnée  de  la  plus  part  des  evesques. 

M.  Pascal  soustenoit  tousjours  qu'il  ne  falloit  point  laisser 
de  doutes  et  rien  d'équivoque  dans  ce  qui  regarde  la  foy, 
comme  paroissoit  estre  la  condamnation  du  sens  de  Jansenius, 
et  qu'il  falloit  lever  ce  doute,  sur  tout  pour  les  personnes 
ignorantes,  dont  le  nombre  est  plus  grand  que  celuy  des  per- 
sonnes sçavantes;  et  qu'il  falloit  absolument  excepter  le  sens 
delà  grâce  efficace  par  elle-mesme.  M.  Arnauld  disoit  :  «Si  on 
fait  cela,  ils  condamneront  la  grâce  efficace.  »  M.  Pascal  repon- 
doit  :  «  Ils  y  regarderont  à  trois  fois  avant  que  de  la  condam- 
ner, et  enfin  s'ils  la  condamnent,  ce  sera  leur  faute  et  non 
pas  celle  de  ceux  qui  l'auront  soutenue.  Ainsi  il  le  faut 
faire.  » 

Ces  MM.  ayant  donc  fait  ainsi  quelques  petits  escrits  pour 
prouver  chacun  la  vérité  de  son  opinion,  M.  Arnauld,  M.  Ni- 
cole et  quelques  uns  de  ces  MM.  s'assemblèrent  un  jour  chez 
M.  Pascal  pour  examiner  cela.  Chacun  expliqua  son  senti- 
ment. M.  Pascal  représenta  l'importance  du  sien,  et  que 
l'amour  que  l'on  devoit  avoir  pour  la  vérité  ne  permettoit 
pas  de  laisser  ce  doute  dans  une  signature  ;  que  dire  n'ayant 
rien  de  si  précieux  que  la  foy  nous  embrassons  sincèrement  et 
de  cœur  tout  ce  que  les  papes  en  ont  décidé,  c'est  dire  nous  con- 
damnons les  propositions  au  sens  de  Jansenius,  puisque  les  papes 
le  prononcent  ainsi  dans  le  formulaire.  Or,  le  sens  de  Jan- 
senius estant  le  sens  de  la  grâce  efficace,  c'estoit  tacitement 
condamner  la  grâce  efficace,  et  il  soutint  toujours  très  for- 
tement qu'il  falloit  nécessairement  mettre  cette  exception  ; 
que  sans  cela  on  ne  pouvoit  signer  en  conscience,  et  que 
c'estoit  abandonner  la  vérité. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  401 

1  II  arriva  à  M.  Pascal  dans  cette  occasion  une  chose  fort 
extraordinaire.  Tous  ces  MM.  qui  estoient  là  dont  je  ne  puis 
pas  dire  les  noms,  car  je  ne  les  sçay  pas  sûrement,  sinon 
M.  Arnauld  et  M.  Nicole  ;  tous  ces  MM.  donc,  après  avoir 
entendu  les  raisons  de  part  et  d'autre,  par  déférence  ou  par 
conviction  se  rendirent  au  sentiment  de  M.  Arnauld  et  de 
M.  Nicole  ;  car  c'estoient  eux  qui  avoient  trouvé  cette  restric- 
tion. M.  Pascal,  qui  aimoit  la  vérité  par-dessus  toute  chose, 
qui  d'ailleurs  estoit  accablé  d'un  mal  de  teste  qui  ne  le  quittoit 
point,  qui  s'estoit  efforcé  pour  leur  faire  sentir  ce  qu'il  sen- 
toit  luy-meme,  et  qui  s'estoit  exprimé  très  vivement  malgré  sa 
foiblesse,  fut  si  pénétré  de  douleur  qu'il  se  trouva  mal,  perdit 
la  parole  et  la  connoissance.  Tout  le  monde  fut  surpris.  On 
s'empressa  pour  le  faire  revenir  ;  ensuite  tous  ces  MM.  se 
retirèrent.  Il  ne  resta  que  M.  de  Roùannez,  Madame  Perier, 
M.  Perier  le  fils  et  M.  Domat,  qui  avoient  esté  presens  à  la 
conversation.  Lorsqu'il  fut  tout-à-fait  remis,  Madame  Perier 
luy  demanda  ce  qui  luy  avoit  causé  cet  accident;  il  repondit: 
«  Quand  j'ay  vu  toutes  ces  personnes  là  que  je  regardois 
comme  estant  ceux  à  qui  Dieu  avoit  fait  connoistre  la  vérité  et 
qui  dévoient  enestre  les  défenseurs,  s'ébranler  et  succomber,  je 
vous  avoue  que  j'ay  esté  si  saisi  de  douleur  que  je  n'ay  pas  pu 
le  soutenir,  et  il  a  fallu  y  succomber.  » 


i.  Voici  le  texte  que  donne  le  manuscrit d'Adry  (Bibliothèque  Maza- 
rine,  ms.  4552,  p.  8)  :  «  Il  luy  arriva  environ  deux  mois  avant  sa  mort 
qu'ayant  assemblé  chez  luy  plusieurs  personnes  pour  conférer  sur 
l'état  présent  des  affaires  de  l'hlglise,  après  leur  avoir  représenté  des 
difficultez  sur  certaines  choses  il  trouva  que  ces  personnes-là  n'alloient 
pas  aussi  droit  qu'il  avoit  voulu,  et  lachoientle  pied,  sur  quelque  chose 
qu'il  croyoit  important  pour  la  vérité  ;  cela  le  pénétra  de  telle  sorte 
qu'il  tomba  evanouy  et  perdit  la  connoissance  et  la  parole,  il  demeura 
assez  longtems  en  cet  état  et  quand  on  l'eut  fait  revenir  avec  bien  de 
la  peine,  et  que  ma  mère  qui  y  etoit  présente  luy  demanda  ce  qui  luy 
avoit  causé  cela,  il  luy  dit  :  quand  j'ay  vu  toutes  ces  personnes,  que  je 
regardois  comme  les  colonnes  de  la  vérité,  qui  fléchissoient  et  qui  man- 
quoient  à  ce  qu'elles  dévoient  à  la  vérité,  cela  m'a  saisi,  je  n'ay  pas  pu 
le  supporter  ;  il  a  fallu  succombera  la  douleur  que  j'ay  ressentie.  » 

2e  série.  VII  26 


402  ŒUVRES 

Depuis  néanmoins  il  ne  laissa  pas  de  voir  ces  MM.  comme 
auparavant,  chacun  soutenant  son  sentiment,  mais  sans 
aigreur.  Peu  de  temps  après,  il  ne  fut  plus  question  de  ce  qui 
avoit  causé  leur  diiTerent,  car  on  ne  lut  pas  content  de  cette 
restriction.  On  vouloit  que  les  Religieuses  signassent  pure- 
ment et  simplement  sans  aucune  restriction.  Cette  diversité 
de  sentimens  ne  rompit  nullement  l'union  qui  estoit  entre 
eux  ;  M.  Pascal,  à  la  vérité,  apprehendoit  que  ce  ne  fut  le 
désir  de  conserver  la  maison  de  Port- Royal  qu'ils  croy oient 
fort  utile  à  l'Eglise,  comme  en  effet  elle  l'estoit,  qui  les  por- 
toit  à  ces  condescendances  qu'il  appeloit  du  nom  de  relâche- 
ment. Ces  MM.  au  contraire  pretendoient  que  ce  qu'ils  vou- 
loient  accorder  ne  faisoit  point  de  tort  à  la  vérité. 

L'union  de  ces  MM.  avec  M.  Pascal  parut  encore  dans  sa 
dernière  maladie  dune  manière  toute  particulière,  car 
M.  Arnauld,  quoy  qu'il  fut  alors  caché,  ne  laissa  pas  de  l'aller 
voir  plusieurs  fois  incognito.  M.  Nicole  y  alla  aussi  plusieurs 
fois,  et  M.  Pascal  les  receut  toujours  avec  toute  sorte  de  mar- 
ques de  tendresse  et  d'affection.  Il  se  confessa  plusieurs  fois  à 
M.  de  Sainte-Marthe  qui  estoit  un  de  ces  MM.,  et  mesme  la 
veille  de  sa  mort,  etc. 

26.  Marguerite  Perier.  —  Récit  de  ce  que  j'ay  ouï  dire 
par  M.  Pascal,  mon  Oncle,  non  pas  à  moy,  mais  à  des  personnes 
de  ses  amis  en  ma  présence.  J'avois  alors  16  ans  1/2  l. 

i°  On  me  demande  si  je  ne  me  repens  pas  d'avoir  fait  les 
Provinciales.  Je  respons  que  bien  loin  de  m'en  repentir,  si 
j'avois  à  les  faire  présentement  je  les  ferois  encore  plus  fortes. 

20  On  me  demande  pourquoy  j'ay  nommé  les  noms  des 
auteurs  où  j'ay  pris  toutes  les  propositions  abominables  que 
j'y  ay  cité.  Je  respons  que  si  j'estois  dans  une  ville  où  il  y 
eust  12.  fontaines,  et  que  je  sceusse  certainement  qu'il  y  en  a 

1.  Copie  au  troisième  recueil  Guerrier,  p.  260,  avec  cette  note: 
«J'ai  copié  ceci  sur  un  manuscrit  delà  main  de  Mlle  Marguerite  Perier». 
—  Marguerite  Perier  naquit  le  5  avril  i646  ;  la  scène  qu'elle  raconte 
se  passa  donc  très  peu  de  temps  avant  la  mort  de  Pascal. 


MORT  DE  BLAISE  PASCAL  403 

une  qui  est  empoisonnée,  je  serois  obligé  d'avertir  tout  le 
monde  de  n'aller  point  puiser  de  l'eau  à  cette  fontaine  ;  et 
comme  on  pourroit  croire  que  c'est  une  pure  imagination  de 
ma  part,  je  serois  obligé  de  nommer  celuy  qui  l'a  empoi- 
sonnée, plustost  que  d'exposer  toute  une  ville  à  s'empoisonner. 

3°  On  me  demande  pourquoy  j'ay  employé  un  style  agréa- 
ble, railleur  et  divertissant.  Je  respons  que  si  j'avois  escrit 
d'un  style  dogmatique  il  n'y  auroit  eu  que  les  sçavans  qui 
l'auroient  lu,  et  ceux-là  n'en  avoient  pas  besoin,  en  sçachant 
autant  que  moy  là-dessus.  Ainsi  j'ay  creu  qu'il  lalloit  escrire 
d'une  manière  propre  à  faire  lire  mes  lettres  par  les  femmes 
et  les  gens  du  monde,  afin  qu'ils  connussent  le  danger  de 
toutes  ces  maximes  et  de  toutes  ces  propositions  qui  se  repan- 
doient  alors  partout,  et  ausquelles  on  se  laissoit  facilement 
persuader. 

4°  On  me  demande  si  j'ay  leu  moy-mesme  tous  les  livres 
que  je  cite.  Je  respons  que  non  :  certainement  il  auroit  fallu 
que  j'eusse  passé  ma  vie  à  lire  de  très  mauvais  livres  :  mais 
j'ay  leu  deux  fois  Escobar  tout  entier  ;  et  pour  les  autres,  je 
lesay  fait  lire  par  de  mes  amis  ;  mais  je  n'en  ay  pas  employé 
un  seul  passage  sans  l'avoir  leu  moy-mesme  dans  le  livre  cité 
et  sans  avoir  examiné  la  matière  sur  laquelle  il  est  avancé, 
et  sans  avoir  leu  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit,  pour  ne  point 
hazarder  de  citer  une  objection  pour  une  response  ;  ce  qui 
auroit  esté  reprochable  et  injuste. 


OPUSCULES  DE  PASCAL 
NON  DATÉS 


CLXXX 

COMPARAISON  DES  CHRÉTIENS 

DES  PREMIERS  TEMPS 

AVEC  CEUX  D  AUJOURD'HUI 

Copie  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.  12/1/19,  f°  ^99- 


409 


INTRODUCTION 


Cet  écrit,  dont  on  ignore  la  date,  a  été  publié  pour  la  pre- 
mière fois  dans  l'édition  de  l'abbé  Bossut,  1779,  T.  II, 
p.  5 10  et  suiv.  ;  il  nous  a  été  transmis  par  quatre  manuscrits  : 

i°  Le  ms.  12449  ^u  f°nds  français  de  la  Bibliothèque  Na- 
tionale, qui,  avec  la  seconde  copie  des  Pensées,  renferme 
des  pièces  plus  anciennes  et  même  des  autographes  de  Pascal. 
A  la  fin  de  l'opuscule,  se  trouve  cette  note  «  On  pourroit 
donner  à  cet  écrit  un  titre  semblable  à  celui-cy  :  Quelles  sont 
les  causes  de  la  nonchalance  et  du  peu  d'instruction  des 
chrétiens  d'aujourd'huy  *.  » 

20  Le  premier  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier,  p.  227, 
qui  le  fait  précéder  de  cette  indication  :  «  Autre  écrit  de 
M.  Pascal  »,  et  suivre  de  cette  note  :  «  J'ai  transcrit  ce  petit 
écrit  sur  deux  copies  très  peu  lisibles  et  presque  pourries.  » 

3°  Le  petit  manuscrit  in-8°  que  Sainte-Beuve  a  communi- 
qué à  Faugère,  mais  que  nous  n'avons  pu  retrouver.  Cette 
copie, peu  correcte  au  dire  de  Faugère,  porte  le  titre  :  «  Reflexions 
sur  la  manière  dont  on  estoit  autrefois  receu  dans  l'Eglise  ; 
comme  on  y  vivoit  ;  comme  on  y  entre  et  comme  on  y  vit 
aujourd'huy.  » 

4°  Dom  Clémencet  recopie  cet  écrit  en  entier  dans  son 
Histoire  littéraire  manuscrite  ;  il  le  divise  en  i5  parties  et  lui 
donne  le  même  titre  que  le  manuscrit  de  Sainte-Beuve2. 


1.  Faugère  a  pensé  que  cet  opuscule  était  l'un  de  ceux  dont  parle 
le  bénédictin  dom  Touttée  dans  une  lettre  adressée  à  l'abbé  Perier,  le 
12  juin  171 1,  cf.  supra  T.  IX,  p.  23 1,  n.  3. 

2.  En  marge,  il  a  noté  cet  autre  titre:  Différence  des  chrétiens 
d'autrefois  et  de  ceux  d'aujourd'hui.   Cette  copie  présente  de   nom- 


410  ŒUVRES 

Nous  suivons  le  texte  du  ms.  i244g,  le  plus  ancien,  que 
nous  désignons  par  P.  Nous  avons  donné  les  variantes  du  ms. 
Guerrier  en  les  désignant  par  G. 


breuses  interversions  et  transformations-  elle   est  plus   récente  crue 
les  autres,  et  n'a  pas  grande  autorité. 


411 


[COMPARAISON  DES  CHRETIENS  DES  PREMIERS 
TEMPS  AVEC  CEUX  D'AUJOURD'HUI] » 

2  [A  la  naissance  de  l'Eglise]  on  ne  voyoit  que  des 
Chrestiens  parfaitement  consommés  dans  tous  les 
points  nécessaires  à  salut. 

Au  lieu  que  l'on  voit  aujourd'huy  une  ignorance 
si  grossière  qu'elle  fait  gémir  tous  ceux  qui  ont  des 
sentimens  de  tendresse  pour  l'Eglise. 

On  n'entroit  alors  dans  l'Eglise  qu'après  de  grands 
travaux  et  de  longs  désirs. 

On  s'y  trouve  maintenant  sans  aucune  peine, 
sans  soin  et  sans  travail. 

On  n'y  estoit  admis  qu'après  un  examen  très-exact. 

On  y  est  receu  maintenant  avant  qu'on  soit  en 
état  d'estre  examiné. 

On  n'y  estoit  receu  alors  qu'après  avoir  abjuré  sa 
vie  passée,  qu'après  avoir  renoncé  au  monde,  3et  à 
la  chair,  et  au  Diable. 

On  y  entre  maintenant  avant  qu'on  soit  en  état 
de  faire  aucune  de  ces  choses. 


i.  Ce  titre,  généralement  adopté  depuis  Bossut,  ne  se  trouve  dans 
aucune  des  copies  ;  le  manuscrit  original  n'avait  aucun  titre. 

2.  Mots  mis  en  surcharge  par  un  correcteur  de  P.  ;  G.  [Dans  les 
premiers  tems]  les  chrétiens  estoient  parfaitement  [instruits]  dans  tous 
les  points  nécessaires  [au]  salut. 

3.  G.  et,  manque. 


412  ŒUVRES 

Enfin  il  falloit  autrefois  sortir  du  monde  pour 
estre  receu  dans  l'Eglise. 

Au  lieu  qu'on  entre  aujourd'huy  dans  l'Eglise  au 
mesme  tems  que  dans  le  monde. 

On  connoissoit  alors  par  ce  procédé  une  distinc- 
tion essentielle  du  monde  avec  l'Eglise. 

On  les  consideroit  comme  deux  contraires,  comme 
deux  ennemis  irréconciliables,  dont  l'un  persécute 
l'autre  sans  discontinuation,  et  dont  le  plus  foible 
en  apparence  doit  un  jour  triompher  du  plus  fort. 
En  sorte  que1  [de]  ces  deux  partis  contraires  on  quit- 
toit  l'un  pour  entier  dans  l'autre  ;  on  abandonnoit 
les  maximes  de  l'un,  pour  embrasser  les  maximes 
de  l'autre  ;  on  se  devestoit  des  sentimens  de  l'un, 
pour  se  revestir  des  sentimens  de  l'autre. 

Enfin  on  quittoit,  on  renonçoit,  on  abjuroit  le 
monde  où  l'on  avoit  receu  sa  première  naissance, 
pour  se  vouer  totalement  à  l'Eglise  où  l'on  prenoit 
comme  sa  seconde  naissance  :  et  ainsy  on  concevoit 
une  différence  épouvantable  entre  l'un  et  l'autre, 
au  lieu  qu'on  se  trouve  maintenant  presque  au 
mesme  2 moment  dans  l'un  et  dans  l'autre;  et  le 
mesme  moment  qui  nous  fait  naistre  au  monde, 
nous  fait  renaistre  dans  l'Eglise,  De  sorte  que  la 
raison  survenant  ne  fait  plus  de  distinction  de  ces 
deux  mondes  si  contraires.  Elle  Veleve  dans  l'un, 
et  dans  l'autre  tout   ensemble.   On  fréquente   les 


i.  Leçon  de  G.  ;  manque  dans  P. 

2.  G.  [temps]. 

3.  G.  [est  élevée]. 


COMPARAISON  DES  CHRÉTIENS  413 

Sacremens,  et  on  jouit  des  plaisirs  de  ce  monde, 
'etc. 

Et  ainsy,  au  lieu  qu'autrefois  on  voyoit  une  dis- 
tinction essentielle  entre  l'un  et  l'autre,  on  les  voit 
maintenant  confondus  et  meslez,  en  sorte  qu'on  ne 
les  discerne  quasi  plus. 

De  là  vient  qu'on  ne  voyoit  autrefois  entre  les 
Chrestiens  que  des  personnes  très  instruites. 

Au  lieu  qu'elles  sont  maintenant  dans  une  igno- 
rance qui  fait  horreur. 

De  là  vient  qu'autrefois  ceux  qui  avoient  esté 
2renez  par  le  baptesme,  et  qui  avoient  quitté  les 
vices  du  monde,  pour  entrer  dans  la  pieté  de  l'Eglise, 
retomboient  si  rarement  de  l'Eglise  dans  le  monde  ; 
au  lieu  qu'on  ne  voit  maintenant  rien  de  plus  ordi- 
naire que  les  3[vices]  du  monde  dans  le  cœur  des 
Chrestiens. 

L'Eglise  des  Saints  se  trouve  4tant  souillée  par  le 
mélange  des  mechans  ;  et  ses  enfans,  qu'elle  a  con- 
ceus  et  portez  des  l'enfance  dans  5ses  flancs,  sont  ceux- 
là  mesme  qui  portent  dans  son  cœur,  c'est-à-dire 
jusqu'à  la  participation  de  ses  plus  augustes  mis- 
teres,  le  plus  cruel  de  ses  ennemis,  c'est  à  dire  l'es- 
prit du  monde,  l'esprit  d'ambition,  l'esprit  de  ven- 
gence,  l'esprit  d'impureté,  l'esprit  de  concupiscence. 


i.   G.  etc.,  manque. 

2.  G.  [régénérez]. 

3.  Ici  au  ms.  I2A49  une  ligne,  coupée  par  le  relieur  du  recueil,  est 
rétablie  en  surcharge;  une  déchirure  se  trouve  à  la  place  du  mot  vices. 

[\.  G.  [maintenant  toute]  souillée. 
5.  G.  [son  sein]. 


414  ŒUVRES 

Et  l'amour  qu'elle  a  pour  ses  enfans  l'oblige  d'ad- 
mettre jusques  dans  ses  entrailles  le  plus  cruel  de 
ses  persécuteurs. 

Mais  ce  n'est  pas  *à  l'Eglise  à  qui  l'on  doit  impu- 
ter les  malheurs  qui  ont  suivi  un  changement  de 
discipline  si  salutaire,  car  2 comme  elle  a  veu  que  la 
3dilationdubaptesmelaissoit  un  grand  nombre  d'en- 
fans  dans  la  malédiction  d'Adam,  elle  a  voulu  les 
délivrer  de  cette  masse  de  perdition,  en  précipitant 
le  secours  qu'elle  leur  donne.  Et  cette  bonne  mère 
ne  voit  qu'avec  un  regret  extrême  que  ce  qu'elle  a 
procuré  pour  le  salut  de  ses  enfans  4  devienne  l'oc- 
casion de  la  perte  des  adultes. 

Son  véritable  esprit  est  que  ceux  quelle  retire  dans 
un  âge  si  tendre  de  la  contagion  du  monde  3  s'écartent 
bien  loin  des  sentimens  du  monde.  Elle  prévient 
l'usage  de  la  Raison,  pour  prévenir  les  vices  où  la 
raison  corrompue  les  entraisneroit;  et  avant  que 
leur  esprit  puisse  agir,  elle  les  remplit  de  son  esprit, 
afin  qu'ils  vivent  dans  6  l'ignorance  du  monde  et 
dans  un  état  d'autant  plus  éloigné  du  vice  qu'ils  ne 
l'auroient  jamais  connu. 

i.   G.  à,  manque. 

2.  G.  [elle  n'a  pas  changé  d'esprit,  quoiqu'elle  ait  changé  de  con- 
duite. Ayant  donc]  vu  que. ...  —  Cf.  la  Fréquente  Communion  d'Arnauld, 
part.  II,  ch.  xviii  :  «  Il  est  certain  que  l'Eglise  peut  bien  quelquesfois 
changer  d'usages  et  d'actions  extérieures  ;  mais  il  est  aussi  peu  possible 
qu'elle  change  de  sentimens,  qu'il  est  impossible  qu'elle  cesse  d'estre 
la  colonne  de  la  vérité.  » 

3.  Dans  le  ms  P.,  un  correcteur  a  écrit  :  le  [delay]  — 
4-  G.  [est  devenu]. 

5.  G.  [prennent]  des  sentimens  [tout  opposez  à  ceux]  du  monde. 

6.  G.  [une]  ignorance. 


COMPARAISON  DES  CHRÉTIENS  415 

Gela  paroist  par  les  cérémonies  du  baptesme,  car 
elle  n'accorde  le  baptesme  aux  enfans  qu'après 
qu'ils  ont  déclaré,  par  la  bouche  des  parains,  qu'ils 
le  désirent,  qu'ils  croyent,  qu'ils  renoncent  au 
monde  et  à  Satan.  Et  comme  elle  veut  qu'ils  con- 
servent ces  dispositions  dans  toute  la  suite  de  leur 
vie,  elle  leur  commande  expressément  de  les  garder 
inviolablement,  et  ordonne  par  un  commandement 
indispensable  aux  parains  d'instruire  les  enfans  de 
toutes  ces  choses.  Car  elle  ne  souhaitte  pas  que  ceux 
qu'elle  a  nourris  dans  son  sein  'depuis  l'enfance 
soient  aujourd'huy  moins  instruits  et  moins  zelez 
que  2  ceux  quelle  admettoit  autrefois  au  nombre 
des  siens.  Elle  ne  désire  pas  une  moindre  perfec- 
tion dans  ceux  qu'elle  nourrit  que  dans  ceux 
qu'elle  reçoit 

Cependant  on  en  use  d'une  façon  si  contraire  à  l'in- 
tention de  l'Eglise  qu'on  n'y  peut  penser  sans  hor- 
reur. On  ne  fait  quasi  plus  de  réflexion  sur  un  3aussi 
grand  bienfait,  parce  qu'on  ne  l'a  jamais  4  demandé, 
parce  qu'on  ne  se  souvient  pas  mesme  de  l'avoir 
receu 

Mais  comme  il  est  évident  que  l'Eglise  ne  de- 
mande pas  moins  de  zèle  dans  ceux  qui  ont  esté 
élevez  domestiques  de  la  foy5  que  dans  ceux  qui 


i.  G.   depuis  l'enfance,  manque. 

2.  G.  [les  adultes]  qu'elle  admettoit. 

3.  G.  [si]. 

4.  G.  [souhaité]. 

5.  Paul.  Galat.  VI,  io:  Ad  domesticos  Jîdei. 


416  ŒUVRES 

aspirent  à  le  devenir,  il  faut  se  mettre  devant  Hes 
yeux  l'exemple  des  catéchumènes,  considérer  leur 
ardeur,  leur  dévotion,  leur  horreur  pour  le  monde, 
leur  généreux  renoncement  au  monde;  et  si  on  ne 
lesjugeoit  pas  dignes  de  recevoir  le  haptesme  sans 
ces  dispositions,  ceux  qui  ne  les  trouvent  pas  en 
eux2 


Il  faut  donc  qu'ils  se  soumettent  à  recevoir  l'ins- 
truction qu'ils  auroient  eue  s'ils  commençoient  à 
entrer  dans  la  communion  de  l'Eglise  3et  il  faut  de 
plus  qu'ils  se  soumettent  à  une  pénitence  4telle  qu'ils 
n'ayent  plus  envie  de  la  rejetter  et  qu'ils  ayent  moins 
d'aversion  pour  l'austérité  de  la  mortification  "°  [des 
sens]  qu'ils  ne  trouvent  de  charmes  dans  l'usage  des 
délices  vicieux  du  péché6. 

Pour  les  disposer  à  s'instruire,  il  faut  leur  faire 
entendre  la  différence  des  coustumes  qui  ont  esté 
pratiquées  dans  l'Eglise  suivant  la  diversité  des 
temps. 


i.  Ici  encore  une  ligne  coupée  par  le  relieur  a  été  rétablie  en  sur- 
charge. 

2.  Tel  est  le  texte  de  P.  et  de  G.  Un  correcteur  ancien  de  P.  a  réuni 
ainsi  les  deux  paragraphes  :  «  ceux  qui  ne  se  trouvent  pas  en  eux 
doivent  donc  se  soumettre.  » 

3.  G.  et,  manque. 

k.  G.  [continuelle]  et  qu'ils  aient  moins  d'aversion  pour  l'austérité 
de  [leur]  mortification,  qu'ils  ne  trouvent  de  charmes  dans  l'usage 
des  délices  [empoisonnez]  du  péché.  —  Il  semble,  d'après  l'édition  de 
Faugère,  que  le  manuscrit  de  Sainte  Beuve  donne  la  leçon  de  P. 

5.  P.  des  sens,  en  surcharge. 

6.  Ecclesiastic.  XXVII,  i4  :  Narratio  peccantium  odiosa  et  risus 
illorum  in  deliciis  peceati. 


COMPARAISON  DES  CHRÉTIENS  417 

Qu'en  l'Eglise  naissante  on  enseignoit  les  caté- 
chumènes, c'est  à  dire  ceux  qui  pretendoient  au 
baptesme,  avant  que  de  leur  conférer;  et  on  ne 
les  y  admettoit  qu'après  une  pleine  instruction  des 
mystères  de  la  Religion,  qu'après  une  pénitence  de 
leur  vie  passée,  qu'après  une  grande  connoissance 
de  la  grandeur  et  de  l'excellence  de  la  profession  de 
la  foy  et  des  maximes  chrestiennes  où  ils  desiroient 
entrer  pour  jamais,  qu'après  des  marques  eminentes 
d'une  conversion  véritable  du  cœur,  et  qu'après 
un  extrême  désir  du  baptesme.  Ces  choses  estant 
connues  de  toute  l'Eglise,  on  leur  conferoit  le  Sacre- 
ment d'incorporation  par  lequel  ils  devenoient  mem- 
bres de  l'Eglise. 

Au  lieu  qu'en  ces  temps  le  baptesme  ayant  esté 
accordé  aux  enfans  avant  l'usage  de  raison,  par  des 
considérations  très  importantes,  il  arrive  que  la  né- 
gligence des  parens  laisse  vieillir  les  Ghrestiens  sans 
aucune  connoissance  de  la  grandeur  de  nostre  Reli- 
gion. 

Quand  l'instruction  precedoit  le  baptesme,  tous 
estoient  instruits  ;  mais  maintenant  que  le  baptesme 
précède  l'instruction,  l'enseignement  qui  estoit  né- 
cessaire pour  le  Sacrement  est  devenu  volontaire, 
et  ensuite  négligé  et  enfin  presque  aboli. 

La  véritable  raison  *est  qu'on  est  persuadé  de  la 
nécessité  2[du  baptesme,  et  on  ne  l'est  pas  de  la  ne- 


i.   G.  [de  cette  conduite]. 

2.   Ce  membre  de  phrase  donné  par  G.  est  omis  dans  P. 
2  e  série.  VII  27 


418  ŒUVRES 

cessité]  de  l'instr action.  De  sorte  que  quand  l'ins- 
truction precedoit  le  baptesme,  la  nécessité  de  l'un 
faisoit  que  l'on  avoit  recours  à  l'autre  nécessaire- 
ment; au  lieu  que  le  baptesme  précédant  aujour- 
d'huy  l'instruction,  comme  on  a  esté  fait  Chrétien 
sans  avoir  esté  instruit,  on  croit  pouvoir  demeurer 
Ghrestien  sans  se  faire  instruire  et  qu'au  lieu  que 
les  premiers  Chrestiens  temoignoient  tant  de 
reconnoissance'fpour  une  grâce  qu'elle  n'accordoit 
qu'à  leurs  longues  prières],  ils  témoignent  aujour- 
d'huy  tant  d'ingratitude  pour  cette  mesme  grâce, 
qu'elle  leur  accorde  avant  mesme  qu'ils  ayentesté  en 
estât  de  la  demander. 

Et  si  elle  detestoit  si  fort  les  chutes  des  premiers, 
quoy  que  si  rares,  combien  doit-elle  avoir  en  abomi- 
nation les  chutes  et  les  rechutes  continuelles  des 
derniers,  quoy  qu'ils  luy  soyent  beaucoup  plus  rede- 
vables, puis  qu'elle  les  a  tirez  bien  plus  tost  et  bien 
plus  libéralement  de  la  damnation  où  ils  estoient 
engagez  par  leur  première  naissance. 

Elle  ne  peut  voir,  sans  gémir,  abuser  de  la  plus 
grande  de  ses  grâces,  et  que  ce  qu'elle  a  fait  pour 
assurer  leur  salut  devienne  l'occasion  presque  assu- 
rée de  leur  perte,  car  elle  n'a  pas 2 


i.  G.  [envers  l'Eglise].  —  Ici  dans  P.  une  ligne  rétablie  en 
surcharge. 

2.  Dans  G.  la  phrase  est  inachevée.  —  Un  correcteur  de  P.  a  ajouté  : 
changé  d'esprit,  quoiqu'elle  ait  changé  de  coutume,  phrase  déjà  énoncée 
plus  haut,  et  qui  se  retrouve,  comme  les  deux  corrections  déjà  signa- 
lées, dans  le  texte  de  l'édition  Bossut. 


CLXXXI 

ÉCRIT  SUR  LA  CONVERSION 
DU  PÉCHEUR 

ATTRIBUÉ     A     BLAISE     OU     A     JACQUELINE     PASCAL 

Copie  au  troisième  recueil  manuscrit  du  Père  Guerrier, 
Bibliothèque  Nationale,  ms.  f.  fr.i3c)i3,  p.  3oo. 


421 


INTRODUCTION 

Cet  opuscule  nous  a  été  transmis  par  le  Père  Guerrier  dans 
son  troisième  recueil,  avec  cette  note  de  sa  main  :  «  J'ai 
transcrit  ceci  sur  une  copie  qui  est  parmi  les  papiers  que 
M1Ie  Perier  a  donnez  aux  PP.  de  l'Orat.  de  Glermont.  J'y  ai 
trouvé  les  lacunes  telles  que  je  les  ai  marquées.  Je  ne  sçayde 
qui  est  cet  écrit.  »  Le  ms.  f.  fr.  12988  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, copie  faite  d'après  Guerrier,  le  reproduit,  p.  3o8,  et  ajoute 
«  Cet  écrit  a  esté  transcrit  sur  une  copie  qui  est  parmi  les 
papiers  que  MUe  Perier  a  laissés —  on  y  a  trouvé  les  lacunes 
telles  qu'elles  sont  marquées,  le  nom  de  l'autheur  n'y  est 
pas.  Je  le  crois  de  Mlle  Pascal  avant  qu'elle  se  fist  Religieuse.  » 
Il  figure  enfin  dans  le  ms.  in-8°  que  possédait  Sainte-Beuve 
et  dont  nous  n'avons  pas  retrouvé  la  trace;  selon  Faugère, 
qui  en  a  eu  communication,  ce  manuscrit  ne  contiendrait 
que  des  écrits  de  Pascal.  Clémencet,  d'autre  part,  ne  signale 
pas  cet  opuscule  dans  le  Catalogue  des  écrits  de  Pascal  qu'il  a 
dressé  dans  son  Histoire  littéraire  de  Port-Royal. 

Malgré  toutes  ces  incertitudes,  Bossut  a,  sans  autre  expli- 
cation, inséré  cet  écrit  dans  son  édition  de  1779.  La  plupart 
des  critiques  qui  ont  suivi  ont  estimé  avec  Faugère  que  c'était 
bien  «  la  pensée  et  le  style  de  Pascal  »  ;  ils  ont  émis  diverses 
hypothèses  sur  la  date  à  laquelle  il  avait  été  composé,  les 
uns  le  rapportant  à  l'époque  de  la  première  conversion 
(1647  ou  I^48),  les  autres  croyant  y  retrouver  les  sentiments 
que  Pascal  décrivait  à  sa  sœur  Jacqueline  au  cours  de  l'année 
i654-  Ces  hypothèses  demeurent  bien  fragiles,  et  il  semble 
prudent  d'imiter  la  réserve  du  Père  Guerrier. 


n 


422 


SUR  LA  CONVERSION  DU  PECHEUR 

La  première  chose  que  Dieu  inspire  à  l'ame  qu'il  dai- 
gne toucher  véritablement,  est  une  connoissance  et  une 
vue  toute  extraordinaire  par  laquelle  l'ame  considère  les 
choses  et  elle-mesme  d'une  façon  toute  nouvelle. 

Cette  nouvelle  lumière  luy  donne  de  la  crainte,  et  luy 
apporte  un  trouble  qui  traverse  le  repos  qu'elle  trouvoit 
dans  les  choses  qui  faisoient  ses  délices. 

Elle  ne  peut  plus  goûter  avec  tranquillité  les  choses  qui 
la  charmoient.  Un  scrupule  continuel  la  combat  dans 
cette  jouissance,  et  cette  vue  intérieure  ne  luy  fait  plus 
trouver  cette  douceur  accoutumée  parmi  les  choses  où 
elle  s'abandonnoit  avec  une  pleine  effusion  de  son  cœur. 

Mais  elle  trouve  encore  plus  d'amertume  dans  les  exer- 
cices de  pieté  que  dans  les  vanitez  du  monde.  D'une 
part,  la  présence  des  objets  visibles  la  touche  plus  que 
l'espérance  des  invisibles,  et  de  l'autre  la  solidité  des  invi- 
sibles la  touche  plus  que  la  vanité  des  visibles.  Et  ainsi 
la  présence  des  uns  et  la  solidité  des  autres  disputent  son 
affection  ;  et  la  vanité  des  uns  et  l'absence  des  autres  exci- 
tent son  aversion  ;  de  sorte  qu'il  naît  dans  elle  un  desordre 
et  une  confusion  qu [deux  lignes  en  blanc]. 

Elle  considère  les  choses  périssables  comme  périssantes 
et  mesme  déjà  peries  ;  et  dans  la  vue  certaine  de  l'anéan- 
tissement de  tout  ce  qu'elle  aime,  elle  s'effraye  dans  cette 
considération,  en  voïant  que  chaque  instant  luy  arrache 
la  jouissance  de  son  bien,  et  que  ce  qui  luy  est  le  plus 
cher  s'écoule  à  tout  moment,  et  qu'enfin  un  jour  certain 


SUR  LA  CONVERSION  DU  PÉCHEUR  423 

viendra  auquel  elle  se  trouvera  dénuée  de  toutes  les  choses 
auxquelles  elle  avoit  mis  son  espérance.  De  sorte  qu'elle 
comprend  parfaitement  que  son  cœur  ne  s'estant  attaché 
qu'à  des  choses  fragiles  et  vaines,  son  ame  se  doit  trouver 
seule  et  abandonnée  au  sortir  de  cette  vie,  puisqu'elle  n'a 
pas  eu  soin  de  se  joindre  à  un  bien  véritable  et  subsis- 
tant par  luy-mesme,  qui  pust  la  soutenir  et  durant  et 
après  cette  vie. 

De  là  vient  qu'elle  commence  à  considérer  comme  un 
néant  tout  ce  qui  doit  retourner  dans  le  néant,  le  ciel,  la 
terre,  son  esprit,  son  corps,  ses  parens,  ses  amis,  ses  en- 
nemis, les  biens,  la  pauvreté,  la  disgrâce,  la  prospérité, 
l'honneur,  l'ignominie,  l'estime,  le  mépris,  l'authorité, 
l'indigence,  la  santé,  la  maladie  et  la  vie  mesme  ;  enfin 
tout  ce  qui  doit  moins  durer  que  son  ame  est  incapable 
de  satisfaire  le  dessein  de  cette  ame  qui  recherche  sérieu- 
sement à  l'establir  dans  une  félicité  aussi  durable  qu'elle- 
mesme. 

Elle  commence  à  s'étonner  de  l'aveuglement  où  elle  a 
vécu  ;  et  quand  elle  considère  d'une  part  le  long  temps 
qu'elle  a  vécu  sans  faire  ces  réflexions  et  le  grand  nom- 
bre de  personnes  qui  vivent  de  la  sorte,  et  de  l'autre  com- 
bien il  est  constant  que  l'ame,  estant  immortelle  comme 
elle  est,  ne  peut  trouver  sa  félicité  parmi  des  choses  pé- 
rissables, et  qui  luy  seront  ostées  au  moins  à  la  mort, 
elle  entre  dans  une  sainte  confusion  et  dans  un  etonne- 
ment  qui  luy  porte  un  trouble  bien  salutaire. 

Car  elle  considère  que  quelque  grand  que  soit  le  nom- 
bre de  ceux  qui  vieillissent  dans  les  maximes  du  monde, 
et  quelque  autorité  que  puisse  avoir  cette  multitude 
d'exemples  de  ceux  qui  posent  leur  félicité  au  monde,  il 
est  constant  néanmoins  que  quand  les  choses  du  monde 
auroient  quelque  plaisir  solide,  ce  qui  est  reconnu  pour 


424  ŒUVRES 

faux  par  un  nombre  infini  d'expériences  si  funestes  et  si 
continuelles,  il  est  inévitable  que  la  perte  de  ces  choses, 
ou  que  la  mort  enfin  nous  en  prive,  de  sorte  que  l'ame 
s'estant  amassé  des  trésors  de  biens  temporels  de  quelque 
nature  qu'ils  soyent,  soit  or,  soit  science,  soit  réputation, 
c'est  une  nécessité  indispensable  qu'elle  se  trouve  dénuée 
de  tous  ces  objets  de  sa  félicité  ;  et  qu'ainsi,  s'ils  ont  eu 
de  quoy  la  satisfaire,  ils  n'auront  pas  de  quoy  la  satis- 
faire tousjours  ;  et  que  si  c'est  se  procurer  un  bonheur 
véritable,  ce  n'est  pas  se  proposer  un  bonheur  bien  dura- 
ble, puisqu'il  doit  estre  borné  avec  le  cours  de  cette  vie. 

De  sorte  que  par  une  sainte  humilité,  que  Dieu  relevé 
au-dessus  de  la  superbe,  elle  commence  à  s'élever  au- 
dessus  du  commun  des  hommes  ;  elle  condamne  leur 
conduite,  elle  déteste  leurs  maximes,  elle  pleure  leur  aveu- 
glement, elle  se  porte  à  la  recherche  du  véritable  bien  : 
elle  comprend  qu'il  faut  qu'il  ait  ces  deux  qualitez,  l'une 
qu'il  dure  autant  qu'elle,  et  qu'il  ne  puisse  luy  estre  osté 
que  de  son  consentement,  et  l'autre  qu'il  n'y  ait  rien  de 
plus  aimable1. 

Elle  voit  que  dans  l'amour  qu'elle  a  eu  pour  le  monde 
elle  trouvoit  en  luy  cette  seconde  qualité  dans  son  aveu- 
glement, car  elle  ne  reconnoissoit  rien  de  plus  aimable  ; 
mais  comme  elle  n'y  voit  pas  la  première,  elle  connoist 
que  ce  n'est  pas  le  souverain  bien.  Elle  le  cherche  donc 
ailleurs,  et  connoissant  par  une  lumière  toute  pure  qu'il 
n'est  point  dans  les  choses  qui  sont  en  elle,  ny  hors  d'elle, 
ny  devant  elle  (rien  donc  en  elle,  rien  à  ses  costez),  elle 
commence  de  le  chercher  au-dessus  d'elle. 

Cette    élévation   est   si  eminente   et  si  transcendante, 

i.  Pensée  prise  de  S1  Augustin,  de  Mor.  Eccl.  cath.  I.  3.  (note 
de  Havef). 


SUR  LA  CONVERSION  DU  PÊCHEUR  425 

qu'elle  ne  s'arreste  pas  au  ciel  (il  n'a  pas  de  quoy  la  satis- 
faire) ny  au-dessus  du  ciel,  ny  aux  anges,  ny  aux  es  très  les 
plus  parfaits.  Elle  traverse  toutes  les  créatures,  et  ne  peut 
arrester  son  cœur  qu'elle  ne  se  soit  rendue  jusqu'au  trône 
de  Dieu,  dans  lequel  elle  commence  à  trouver  son  repos 
et  ce  bien  qui  est  tel  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  aimable,  et 
qu'il  ne  peut  luy  estre  osté  que  par  son  propre  consen- 
tement. 

Car  encore  qu'elle  ne  sente  pas  ces  charmes  dont  Dieu 
recompense  l'habitude  dans  la  pieté,  elle  comprend  néan- 
moins que  les  créatures  ne  peuvent  estre  plus  aimables 
que  le  Créateur,  et  sa  raison  aidée  de  la  lumière  de  la 
grâce  luy  fait  connoistre  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  aimable 
que  Dieu  et  qu'il  ne  peut  estre  osté  qu'à  ceux  qui  le  re- 
jettent, puisque  c'est  le  posséder  que  de  le  désirer,  et  que 
le  refuser  c'est  le  perdre. 

Ainsi  elle  se  rejouit  d'avoir  trouvé  un  bien  qui  ne  peut 
luy  estre  ravi  tant  qu'elle  le  désirera,  et  qui  n'a  rien  au- 
dessus  de  soy.  Et  dans  ces  reflexions  nouvelles  elle  entre 
dans  la  vue  des  grandeurs  de  son  Créateur,  et  dans  des 
humiliations  et  des  adorations  profondes.  Elle  s'anéantit 
en  conséquence  et  ne  pouvant  former  d'elle- mesme  une 
idée  assez  basse,  ny  en  concevoir  une  assez  relevée  de  ce 
bien  souverain,  elle  fait  de  nouveaux  efforts  pour  se  ra- 
baisser jusqu'aux  derniers  abimes  du  néant,  en  considé- 
rant Dieu  dans  des  immensitez  qu'elle  multiplie  sans 
cesse;  enfin  dans  cette  conception,  qui  épuise  ses  forces, 
elle  l'adore  en  silence,  elle  se  considère  comme  sa  vile  et 
inutile  créature,  et  par  ses  respects  réitérez  l'adore  et  le 
bénit,  et  voudroit  à  jamais  le  bénir  et  l'adorer.  Ensuite 
elle  reconnoist  la  grâce  qu'il  luy  a  faite  de  manifester  son 
infinie  majesté  à  un  si  chetif  vermisseau  ;  et  après  une 
ferme  resolution  d'en  estre  éternellement  reconnoissante, 


426  ŒUVRES 

elle  entre  en  confusion  d'avoir  préféré  tant  de  vanitez  à  ce 
divin  maistre,  et  dans  un  esprit  de  componction  et  de 
pénitence,  elle  a  recours  à  sa  pitié,  pour  arrester  sa  colère 
dont  l'effet  luy  paroist  épouvantable.  Dans  la  vue  de  ces 
immensitez [5  lignes  en  blanc]. 

Elle  fait  d'ardentes  prières  à  Dieu  pour  obtenir  de  sa 
miséricorde  que  comme  il  luy  a  plu  de  se  découvrir  à  elle, 
il  luy  plaise  la  conduire i  et  luy  faire  connoistre  les  moyens 
d'y  arriver.  Car  comme  c'est  à  Dieu  qu'elle  aspire,  elle 
aspire  encore  à  n'y  arriver  que  par  des  moïens  qui  vien- 
nent de  Dieu  mesme,  parce  qu'elle  veut  qu'il  soit  luy- 
mesme  son  chemin,  son  objet  et  sa  dernière  fin.  Ensuite 
de  ces  prières,  elle  commence  d'agir,  et  cherche  entre 
ceux [5  lignes  en  blanc]. 

Elle  commence  à  connoistre  Dieu,  et  désire  d'y  arriver  ; 
mais  comme  elle  ignore  les  moïens  d'y  parvenir,  si  son 
désir  est  sincère  et  véritable,  elle  fait  la  mesme  chose 
qu'une  personne  qui  désirant  arriver  en  quelque  lieu, 
aïant  perdu  le  chemin,  et  connoissant  son  égarement, 
auroit  recours  à  ceux  qui  sçauroient  parfaitement  ce  che- 
min et [4  lignes  en  blanc]. 

Elle  se  résout  de  conformer  à  ses  volontez  le  reste  de 
sa  vie  ;  mais  comme  sa  foiblesse  naturelle,  avec  l'habitude 
qu'elle  a  aux  péchez  où  elle  a  vécu,  l'ont  réduite  dans 
l'impuissance  d'arriver  à  cette  félicité,  elle  implore  de  sa 
miséricorde  les  moïens  d'arriver  à  luy,  de  s'attacher  à  luy, 
d'y  adhérer  éternellement [7  lignes  en  blanc]. 

Ainsi  elle  reconnoist  qu'elle  doit  adorer  Dieu  comme 
créature,  luy  rendre  grâce  comme  redevable,  luy  satisfaire 
comme  coupable,  le  prier  comme  indigente. 

1.   ms.  :  à  luy,  barré. 


TABLE   DES  MATIÈRES 


Pages. 

CL VIII.  Lettres  de  Fermât  à  Pascal  et  de  Pascal  à  Fermât 

(25  juillet-10  août  1660) 1 

GLIX.   Lettre  de  Jacqueline  Pascal  à  la  Mère  Angélique 

(ier  septembre  1660) 7 

GLK.  Arrêt   du   Conseil    d'Etat    condamnant    l'édition 

latine  des  Provinciales  (23  septembre  1660).  .  i3 

CLXI.   Lettre  de  Jacqueline  Pascal  à  la  Sœur  Angélique 

de  Saint-Jean  (7  octobre  1660) 27 

GLXII.  Lettre    de    Jacqueline    Pascal    à    Biaise    Pascal 

(16  novembre  1660) 35 

CLXIII.  Lettre  de  Pascal  à  Mme  de  Sablé  (fin  1660  ?).      .         4i 
GLXIV.   Lettre  de   Jacqueline   Pascal  à  Mme   perier  (24 

mars  166 1) 49 

GLXV.  Lettre  de  Biaise  Pascal  à  Mme  perier  (1661  ?).     .         53 
GLXVI.  Lettres  d'Antoine  Arnauld  (i5  avril  1661).     .      .         57 
CLXVII.   Ordonnance  des  Vicaires-généraux  pour  la  signa- 
ture du  formulaire  (8  juin  166 1) 75 

GLXVIII.  Lettre  de  Jacqueline   Pascal  à  Mlles  Perier  (17 

juin  1661) 87 

GLXIX.  Lettres  de  Jacqueline   Pascal  à  la   Sœur  Angé- 
lique de  Saint-Jean  et  à  Arnauld  (2  2-23  juin 

1661) 95 

GLXX.  Relation    de    Jacqueline    Pascal    concernant    la 

Mère  Angélique  (août  1661  ?) 117 

GLXXI.  Interrogatoire  de  Jacqueline  Pascal  (22  août  1661).        127 
GLXXII.   Lettres  écrites   à  l'occasion   de  la   mort  de  Jac- 
queline Pascal  (4  octobre  1661) i33 

CLXXTII.  Acte  notarié  (6  novembre  1661) i45 


428 


GLXXIV. 
CLXXV. 


GLXXVI. 

CLXXVIL 

GLXXVIII. 

GLXXIX. 


CLXXX. 
GLXXXI. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

Lettre  de  Pascal  à  un  ami  de  Clermont  (1661  ?).  149 
Ecrit  de  Pascal  sur  la  signature  du  formulaire 

(fin  novembre  ou  décembre  1661) i5g 

Appendice  :    Discussions    sur   la    signature    (dé- 
cembre i66i-juin(?)  1662) 176 

Lettre  de   Madame    Perier  à   Arnauld  de   Pom- 
ponne (21  mars  1662) 269 

Actes  notariés  (4  avril-23  juillet  1662).      .      .      .  285 

Testament  de  Pascal  (3  août  1662) 293 

Lettres  écrites  à  l'occasion  de  la  mort  de  Pascal 

(19  août  1662) .  3o3 

Appendice  sur  les  déclarations  de  Pascal  mourant.  336 

Comparaison  des  chrétiens £07 

Écrit  sur  la  conversion  du  pécheur 4 19 


CHARTRES. 


IMPRIMERIE    DURAND,    RUE    FULBERT. 


University  of 
Connecticut 

Libraries 


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