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Full text of "Oeuvres de Guillaume de Machaut"

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SOCIETE 


ANCIENS  TEXTES  FRANÇAIS 


ŒUVRES 


GUILLAUME    DE    MACHAUT 


TOME  PREMIER 


Le  Puy,  imp.  Marohessou.    —  Peyrillcr,  Rouchon  et  Garuon.  successeurs. 


OEUVRES 


DE 


GUILLAUME  DE  MACHAUT 


PUBLIEES    PAR 


Ernest    HŒPFFNER 


TOME  PREMIER 


PARIS 

LIBRAIRIE    DE    FIRMIN-DIDOT   ET  O 

RUE    JACOB,     56 


M  DCCCCVIII 


m  1 7 1956 

873/ 


Publication  proposée  à  la  Société  le  3o  mai  1906. 

Approuvée  par  le  Conseil  dans   sa  séance  du  14  décembre  1906, 

sur  le  rapport  d'une  Commission  composée  de  MM.  Meyer,  Raynaud 

et  Thomas. 

Commissaire  responsable  : 
M.  G.  Raynaud. 


PQ 

I4-Ô3 
.G- 5 
1908 


INTRODUCTION 


TRAVAUX    RELATIFS    A    GUILLAUME    DÉ    MACHAUT 

L'avènement  des  Valois,  en  i328>  ouvre  une  nou- 
velle phase  dans  l'histoire  de  la  littérature  française, 
«  longue  période  de  transition  qui  va  du  vrai  moyen 
âge  à  la  Renaissance  '  ».  Le  premier  nom  marquant 
qui  se  présente  ici  est  celui  du  poète  Guillaume  de 
Machaut.  Son  œuvre  exerce  une  influence  puis- 
sante et  durable  sur  le  développement  littéraire  du 
xive  siècle.  Poète  lyrique,  il  fait  triompher,  s'il  ne  les 
crée  pas  lui-même,  les  genres  à  formes  fixes,  la  ballade, 
le  chant  royal,  le  virelai,  le  rondeau  et  le  lai,  qui,  avec 
quelques  variations  et  certaines  modifications,  régne- 
ront jusqu'au  xvie  siècle.  C'est  donc  lui  qui  inaugure 
véritablement  ce  nouvel  art  lyrique,  tout  différent  de 
la  production  poétique  des  siècles  précédents.  Musi- 
cien et  compositeur,  il  introduit  des  changements  non 

i.    G.    Paris,    La   littérature  française  au  moyen  âge  (1890}, 
p.  in. 

Tome  I.  ai 


II  INTRODUCTION 

moins  considérables  dans  la  musique  dont  il  accom- 
pagne une  partie  de  ses  poésies.  Dans  ses  œuvres  de 
longue  haleine,  dans  les  dits,  poèmes  didactiques  et 
narratifs,  il  subit,  il  est  vrai,  comme  tous  ses  contem- 
porains, l'influence  profonde  du  Roman  de  la  Rose  :  il 
lui  emprunte  le  cadre  de  ses  fictions  ;  il  se  sert  des 
éléments  allégoriques  dont  avaient  usé  Guillaume  de 
Lorris  et  Jean  de  Meun;  comme  ce  dernier  surtout,  il 
aime  à  faire  montre  d'une  érudition  aussi   vaste  que 
superficielle;   et  enfin,  il   reprend   encore    pour    son 
compte    les    principaux    sujets   mis    à    la    mode   par 
ses  illustres    devanciers.    Mais,    s'il  lui  a  été  impos- 
sible de  se  soustraire  complètement  à  la  domination 
que  le  Roman  de  la  Rose  exerça  sur  toute  cette  époque, 
il  a  cependant  réussi  à  se  créer  une  certaine  originalité 
qui  lui  appartient  en  propre  et  qu'il  ne  tient  que  de 
lui-même,  en  ce  qu'il  a  mêlé  à  la  fiction  abstraite  et 
générale  des  éléments  tout  personnels  et  individuels. 
Pas  un  seul  parmi  ses  dits  où  il  ne  joue  lui-même  un 
rôle  ;  même  dans  le  Confort  d'ami,  où  il  prodigue  ses 
conseils  et  ses  consolations  au  roi  Charles  II  de  Na- 
varre, même  dans  la  Prise  d'Alexandrie',  chronique 
rimée  qui  raconte  la  vie  de  Pierre  Ier  de  Lusignan,  roi 
de  Chypre,  il  trouve  moyen  de  nous  entretenir  de  sa 
propre  personne  et  de  donner  quelques  détails  biogra- 
phiques sur   lui-même.   Dans   ses  premières  œuvres, 
la  tendance    à    se  mettre    en    scène    est    encore   peu 
marquée  :  le  poète  se  montre  déjà  en  personne,  mais 
son    rôle  est  modeste   et  effacé.  A  mesure   que  son 
renom    s'établit   plus   solidement  et  qu'en  raison    de 
ses  succès  littéraires  le  sentiment  de  sa  propre  valeur 

i.  Le  poème  est  appelédans  tous  les  manuscrits  Prise d'Alixandre. 


INTRODUCTION  III 

s'affirme  en  lui,  il  devient  plus  hardi  et  s'attribue 
le  premier  rôle  dans  les  récits  qu'il  nous  conte.  Pres- 
que aussitôt,  on  voit  Froissart  le  suivre  dans  cette 
voie1  ;  peu  après  lui,  Eustache  Deschamps  qui  se 
proclame  son  disciple2,  produit  des  poésies  toutes  per- 
sonnelles et  subjectives,  et  les  poètes  et  auteurs  du 
xve  siècle,  Christine  de  Pisan  en  tête  3,  écrivent  dans  ce 
qu'on  peut  appeler  sa  manière.  Ils  lui  empruntent 
encore  certain  genre  littéraire,  dont  Machaut  est  le  véri- 
table créateur  :  ce  sont  les  «  débats  »  ou  «  jugements 
d'amour  »,  qui  sont  en  quelque  sorte  le  prolongement 
et  le  développement  de  l'ancien  «  jeu  parti  »,  où  le  poète 
seul,  dans  des  pièces  d'une  certaine  étendue  empruntant 
les  formes  des  «  dits  »,  expose,  tant  au  moyen  de  person- 
nages fictifs  que  par  sa  propre  bouche,  les  deux  aspects 
d'une  question,  tranchée  finalement  par  le  jugement 
d'un  tiers.  Ce  genre  eut  une  vogue  considérable,  si  bien 
que  les  auteurs  contemporains  autant  que  les  poètes 
postérieurs  du  xve  siècle  s'empressèrent  de  l'imiter  de 
leur  mieux. 

On  n'hésita  pas,  d'ailleurs,  à  reconnaître  en  Guil- 
laume de  Machaut  comme  un  chef  d'école,  un  maître, 
et  on  lui  donna,  pendant  plus  d'un   siècle,  sa  place 

i .  Certains  détails  du  Dit  dou  bleu  chevalier  ou  du  Traittié 
de  la  prison  amoureuse,  détails  absolument  extérieurs,  sont 
déjà  suffisants  pour  démontrer  l'influence  directe  que  Machaut 
a  exercée  sur  Froissart,  quoique  celui-ci  ne  l'ait  avoué  nulle 
part;  ce  fait  ressortira  mieux  encore  d'une  étude  plus  appro- 
fondie que  nous  nous  réservons  de  faire  paraître  plus  tard. 
Notons  aussi  que  toute  la  production  lyrique  de  Froissart  adopte 
les  formes  consacrées  par  Guillaume. 

2.  Œuvres  complètes,  III,  25g  (N.  447,  v.  5)  :  «  Machaut. . .  qui 
m'a  nourry  et  fait  maintes  douçours.  » 

3.  Romania,  XXI II  (1894),  58 1-586. 


IV  INTRODUCTION 

parmi  les  meilleurs  poètes  et  musiciens  de  l'époque. 
Gillon  le  Muisit,  dans  ses  Méditations,  nomme  parmi 
ceux  qui  a  or  sont  vivant  biaus  dis  faisant»,  en  pre- 
mière ligne  «  de  Machau  le  boin  Willaume  »,  en  ajou- 
tant que  «  si  fait  (=  poésies)  redolent  si  que  bausme  '  ». 
Ëustache  Deschamps,  énumérant  les  grands  hommes 
de  sa  province  natale,  la  Champagne,  cite  «  Vittry, 
Machault,  de  haulte  emprise,  poètes  que  Musique  ot 
chier 2  ».  Il  consacre  deux  ballades  à  «  la  mort  Machaut, 
le  noble  rethorique  »  qui  était  la  «  fleur  des  fleurs  de 
toute  mélodie  »,  le  «  très  doulz  maistre  qui  tant  fu 
adrois  »,  le  «  mondain  dieu  d'armonie  »,  et  qui  «  com- 
plains  sera  de  princes  et  de  roys  »,  car  «  sa  chanterie  a 
moult  pleii  aus  grans  seigneurs,  a  dames  et  bour- 
gois  3  ».  Ceci,  il  l'avait  déjà  proclamé  du  vivant  même 
du  maître.  Il  vient  de  remettre  à  Louis  de  Maie,  comte 
de  Flandre,  au  nom  de  l'auteur  un  exemplaire  du  Voir 
Dit)  et  c'est  sous  l'impression  immédiate  de  l'accueil 
fait  à  l'ouvrage,  qu'il  envoie  à  Guillaume  ces  lignes  : 

.......  Tous  voz  faiz  moult  honourablement 

Chascuns  reçoit  en  maint  païs  estrange, 

Et  si  n'y  a  nul,  a  mon  jugement, 

Qui  en  die  fors  qu'a  vostre  louenge. 

Les  grans  seigneurs,  Guillaume,  vous  ont  chicr, 

En  voz  choses  prannent  esbatemcnt  ''. 

i.  Édit.  Kcrvyn  de  Lettenhove,  I  (1882),  88.  La  pièce  est  de 
i35o;  Machaut  avait  alors  produit  quelques-unes  de  ses  meil- 
leures œuvres  et  jouissait  déjà  sans  doute  d'une  réputation  con- 
sidérable. 

2.  Œuvres  complètes,  VIII,  178  (Bail.  1474). 

3.  Loc.  cit.,  I,  243-46  (Bail.  123  et  124). 

4.  Loc.  cit.,  I,  249  (Bail.  127).  Ces  vers  sont  postérieurs  a 
l'année  1364  où  Machaut  termina  son  poème.  Datent-ils  réelle- 
ment, comme  lèvent  M.Gaston  Raynaud  {lbid.,Xl,  22  et  224)  de 


INTRODUCTION  V 

L'éloge  de  Deschamps,  disciple  et  peut-être  neveu 
de  Machaut,  pourra  paraître  suspect.  Mais  d'autres 
témoignages  viennent  s'y  ajouter  auxquels  on  peut, 
nous  semble-t-il,  hardiment  se  fier.  Une  courte  pièce 
latine,  écrite  environ  au  milieu  du  xive  siècle,  dont 
l'auteur  est  inconnu,  cite  parmi  les  musiciens  de 
l'époque  de  Mâchait  Gnillelmo* .  L'auteur  anonyme  des 
Règles  de  seconde  rhétorique,  faisant  précéder  son 
traité  de  versification  de  quelques  brèves  notices  sur 
ceux  qu'il  considère  comme  les  meilleurs  auteurs 
depuis  Guillaume  de  Lorris,  mentionne  après  Phi- 
lippe de  Vitry  «  maistre  Guillaume  de  Machault,  le 
grant  rethorique  de  nouvelle  fourme,  qui  commencha 
toutes  tailles  nouvelles,  et  les  parfais  lays  d'amours  2  ». 
Martin  Le  Franc,  dans  le  Livre  du  Champion  des 
dames,  cite  «  Machaut,  grant  rhethorique  »,  dont 
«  les  facteurs  amoureux  lamentent  »  la  mort,  avec 
Froissart,  Christine  de  Pisan,  Alain  Chartier  et 
d'autres  3.  Achille  Caulier  accorde  à  «  Machaut,  poethe 
renommé  »  une  place  dans  son  Ospital  d'amour  à  côté 
d'Alain   Chartier,  de  Boccace  et  de  Pétrarque   '.    Le 

l'année  i3y5,  ce  qui  les  placerait  deux  ans  avant  la  mort  de 
Guillaume  et  onze  ans  après  la  rédaction  du  Voir  Dit?  Nous 
n'osons  l'affirmer  trop  catégoriquement.  La  question,  d'ailleurs, 
dans  ce  cas  particulier,  est  sans  importance. 

i .  Voy.  la  notice  de  P.  Meyer  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des 
anciens  textes  franc.,  XXXIV  (1908),  46  ss. 

2.  E.  Langlois,  Recueil  des  arts  de  seconde  rhétorique  (1903), 
p.  12.  L'ouvrage  a  été  écrit  entre  141 1  et  1432. 

3.  Voy.  G.  Paris,  Romania,  XVI  (1887),  415.  La  pièce  fut  ter- 
minée vers  1442. 

4.  Edit.  des  Œuvres  du  Roi  René  par  le  comte  de  Quatrebarbe 
(1846),  p.  128.  Sur  l'attribution  de  ce  poème  à  Achille  Caulier, 
voy.  A.  Piaget,  dans  la  Romania,  XXXIV  (1905),  563-5f>4. 


VI  INTRODUCTION 

poème  étant  daté  de  l'année  1457,  on  trouve  donc 
encore  vivants  le  souvenir  et  le  renom  de  Guillaume 
quatre-vingts  ans  après  sa  mort.  Pour  le  moyen  âge  où 
les  gloires  littéraires  sombrent  si  rapidement,  c'est 
une  longue  survivance. 

Mais  il  ressort  clairement  des  vers  donnés  dans  ce 
dernier  ouvrage  comme  épitaphe  de  la  tombe  de 
Machaut  ',  que,  si  le  nom  du  poète  et  le  titre  de 
l'un  de  ses  plus  célèbres  poèmes  sont  encore  connus, 
ses  œuvres  ne  sont  plus  lues  et  que  la  tradition  seule 
a  conservé  son  souvenir  de  grand  poète  et  d'amant 
malheureux.  Par  contre,  dans  les  œuvres  des  poètes 
antérieurs  on  trouve  bien  des  traces  d'une  connais- 
sance sérieuse  des  pièces  de  notre  auteur.  Frois- 
sart,  nous  l'avons  dit,  l'a  imité,  sans  toutefois  le 
nommer.  Eustache  Deschamps  lui  doit  beaucoup.  La 
preuve  la  plus  sûre  en  est  que,  dans  Y  Art  de  dictier,  les 
rondeaux  donnés  comme  modèles  du  genre,  sont  em- 
pruntés à  l'œuvre  de  Machaut.  Christine  de  Pisan 
reprend  dans  le  Dit  de  Poissy  le  débat  soulevé  tout 
d'abord  par  Guillaume  dans  le  Jugement  dou  Roy  de 
Behaingne,  tandis  que  son  Livre  des  vrais  amans  «  pré- 
sente plus  d'une  ressemblance  avec  le  Voir  Dit  de  Guil- 
laume 2  »;  mais,  non  plus  que  Froissart,  elle  n'indique 

1.  J'eus  le  renom 

D'estrc  fort  embrasé  de  penser  amoureux 

Pour  l'amour  d'une  Voir,  dont  pas  ne  fus  heureux 

Ma  vie,  seulement  tant  que  la  peusse  voir  •>.  (loc.  cit.) 

L'auteur  fait  évidemment  allusion  au  Voir  Dit  ;  mais  en  commet- 
tant la  singulière  méprise  de  prendre  l'adjectif  Voir  pour  le  nom 
de  la  dame  du  poète,  il  prouve  bien  qu'il  ne  connaissait  du  poème 
que  le  titre. 

2.  Annie  Reese  Pugh,  Roman ia,  XXIII  (1894),  586. 


INTRODUCTION  VII 

la  source  de  son  inspiration.  Oton  de  Granson,  dans 
son  Lai  de  désir  en  complainte,  invoque  directement 
l'autorité'  du  vieux  maître  : 

Maistre  Guillaume  de  Machault 

Dit  bien  que  revengier  n'y  vault,  etc.  ', 

et  dans  une  Complainte  de  Van  nouvel  il  reproduit  une 
situation  imaginée  par  Machaut  dans  la  Fontaine  amou- 
reuse,dont  Froissart  s'était  déjà  inspiré  dans  \e  Dit  dou 
bleu  chevalier.  Martin  le  Franc  déclare  qu'il  n'est  pas 
d'accord  avec  Machaut  sur  la  décision  du  débat  qui 
fait  l'objet  du  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne  :  «  Je 
ne  m'accorde  au  jugement  Machaut  2  ».  On  trouve 
encore  une  mention  de  notre  poète  dans  le  Débat  du 
Reveille  matin  d'Alain  Chartier  qui  lui  emprunte  éga- 
lement le  cadre  et  le  fond  du  Livre  des  quatre  dames  \ 
Les  œuvres  de  Guillaume  étaient  connues  même  au 
delà  du  domaine  de  la  langue  française.  Chaucer,  le 
grand  poète  anglais,  s'est  inspiré  du  Dit  de  la  Fon- 
taine amoureuse  pour  son  Boke  qf  the  Duchesse  et  a 
fait  des  emprunts  encore  à  d'autres  poèmes  de  Ma- 
chaut 4.  Sa  vogue  dans  les  pays  catalans  est  déjà  attestée 
en  i36j  par  la  mention  d'un  manuscrit  «  Méchant  ô 

i.  Edit.  Schirer  (igo5),  p.  3j.  L'éditeur,  de  même  que  M.  Pia- 
get  {Romania,  XIX,  424  et  426),  trompé  par  le  manuscrit, 
a  vu  deux  lais  là  où  il  n'y  en  a  qu'un  seul.  Ce  n'est  qu'en  réu- 
nissant les  deux  pièces  qu'on  obtient  le  nombre  réglementaire  de 
douze  strophes,  dont  la  dernière  est  pareille  à  la  première,  sui- 
vant la  théorie  du  lai. 

2.  G.  Paris,  Romania,  XVI,  409. 

3.  A.  Piaget,  Romania,  XXI,  616-617;  G.  Paris,  Villon,  p.  9?. 

4.  Sandras,  Étude  sur  Chaucer  (1859),  p.  75  ss.;  89-95;  tcn 
Brink,  Chaucer-Studien,  I  (1870),  7-1 1. 


VIII  INTRODUCTION 

Mechaud  »,  et  par  un  billet  de  la  reine  Yolande  (du 
18  juin  1389)  qui  remercie  son  cousin,  le  comte  de 
Foix,  de  l'envoi  d'un  «  libre  molt  bell  é  bo  de  Guillem 
Maixant  '  ».  En  1449,  le  marquis  de  Santillane,  dans 
sa  fameuse  lettre  au  «  Condestable  de  Portugal  »,cite  le 
poète  parmi  les  cinq  grands  auteurs  français  en  compa- 
gnie de  Guillaume  de  Lorris,  Jean  de  Meun,  Oton  de 
Granson  et  Alain  Chartier  2.  En  Italie,  Ugolino 
d'Orvieto,  aux  environs  de  1400,  fait  son  éloge  en  tant 
que  musicien  et  chef  d'école  3,  et  ce  témoignage  est 
confirmé  par  des  manuscrits  italiens  qui  contiennent 
en  effet  des  compositions  musicales  du  maître  français". 
Quant  à  ses  poésies,  elles  ne  pouvaient  dans  la  Pénin- 
sule soutenir  la  comparaison  avec  celles  des  grands 
poètes  contemporains  comme  Pétrarque  et  Boccace. 
Dans  la  seconde  moitié  du  xve  siècle,  Machaut  est 
oublié.  Après  le  roi  René  qui  ne  paraît  déjà  plus  con- 

1.  Morel-Fatio,  Remania,  XXII,  275-76. 

2.  Obras  (publ.  par  A.  de  los  Rios,  i852),  p.  9  : Michaute 

escriviô  asymesmo  un  grand  libro  de  baladas,  canciones,  ron- 
deles,  lays,  virolays,  é  asonô  muchos  dellos  ».  Cela  répond  bien 
à  Machaut,  malgré  la  forme  «  Michaute  »  qui  semble  s'appli- 
quer plutôt  à  Pierre  Michaul.  M.  Piaget  a  fort  bien  établi  que 
les  manuscrits  du  xve  siècle  ont  plusieurs  fois  substitué  «Michaut» 
à  «  Machaut  r>{Romania,  XXI,  616-17). 

3.  Le  chapitre  qu'il  lui  consacre  est  intitulé  Ratio  dicti  Guil- 
lelmi  et  suoriim  sequaciitm.  L'auteur,  auparavant,  s'exprime  ainsi  : 
«  Iste  Guilielmus  in  musicis  disciplinis  fuit  singularis  et  multa 
in  ea  arte  optime  composuit,  cujus  cantibus  temporibus  nostris 
usi  sumus  benepoliteque  compositis  ac  dulcissimis  harmoniarum 
mclodiis  ornatis  ».  Ambros,  Geschichte  der  Musik,  III  (1891), 
26. 

4.  Voy.  F.  Ludwig,  Die  mehrstimmige  Musik  des  14.  Jahr- 
hunderts,  dans  Sammelbânde  der  internationalen  Musikgesell- 
schaft,  IV  (1902-03),  37-38. 


INTRODUCTION  IX 

naître  ses  œuvres,  on  ne  trouve  aucune  mention  du 
poète.  Ce  n'est  qu'au  xvme  siècle  que  l'abbé  Lebeuf 
découvre  un  manuscrit  de  Machaut,  sur  lequel  il 
rédige  une  «  notice  sommaire  '»  .  Le  comte  de  Caylus  a 
et  l'abbé  Rive  3 ,  à  leur  tour,  essaient  de  fixer  la  bio- 
graphie et  la  physionomie  littéraire  du  vieil  auteur, 
mais  ils  n'y  réussissent  qu'imparfaitement.  Roquefort, 
dans  son  étude  sur  l'Etat  de  la  Poésie  franchise  dans  les 
xne  et  xme  siècles  (i8o5)4  et  Amaury  Duval,  dans 
V Histoire  littéraire  de  la  France^  le  mentionnent. 
En  1849,  Prosper  Tarbé  publie  un  choix  des  poé- 
sies de  Machaut0;  l'essai  biographique  dont  il  fait  pré- 
céder cette  édition  constitue  un  sérieux  progrès  sur 
toutes  les  études  précédentes  \  Dans  un  volume,  con- 
sacré à  Agnès  de  Navarre,  il  fait  paraître  encore  d'autres 
œuvres  du  poète  8.  Les  erreurs  commises  par  l'éditeur 
dans  la  préface  de  cette  dernière  publication  sont 
redressées  par  Paulin  Paris  dans  l'édition  qu'il  donne 

1 .  Mémoires  de  V Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
XX  (1753),  377-98. 

2.  Ibid.,  p.  399-439. 

3.  De  la  Borde,  Essai  sur  la  musique,  IV  (1780),  Appendice. 

4.  P.  io5  ss. 

5.  Tome  XVI  (1824),  272,  274,  275,  note  2. 

6.  Les  Œuvres  de  Guillaume  de  Machaut,  t.  III  delà  Collection 
des  poètes  de  Champagne  antérieurs  auxvr  siècle,   (1849). 

7.  Ce  travail  semble  avoir  passé  à  peu  près  inaperçu.  Les  arti- 
cles consacrés  à  Machaut,  dans  la  Nouvelle  biographie  générale 
(XXI,  71 2-1 3),  dans  le  Grand  Dictionnaire  universel  de  La- 
rousse (VIII,  1625),  dans  la  Biographie  universelle  des  musi- 
ciens de  Fétis  et  autres,  se  basent  tous  sur  les  essais  du  xvine  siècle 
et  ignorent  les  résultats  des  recherches  de  Tarbé.  Celui-ci  n'est 
pas  même  cité  dans  le  Dictionnaire  universel  des  Littératures  de 
Vapereau  (1884). 

8.  Les  Poésies  d'Agnès  de  Navarre  (i856). 


X  INTRODUCTION 

du  Voir  Dit  de  Machaut  '.  Mas  Latrie,  en  1877,  publie 
la  Prise  d'Alexandrie  2  ;  sa  préface,  malheureusement, 
en  tant  qu'elle  s'occupe  de  l'auteur  du  poème,  contient 
de  nombreuses  et  graves  erreurs.  Quelques  nouvelles 
dates  pour  la  biographie  du  poète  ont  été  données  par 
les  heureuses  découvertes  de  M.  A.  Thomas  au  Vati- 
can 3 .  Notre  poète  a  désormais  sa  place  dans  les  traités 
d'histoire  littéraire  de  la  France,  de  Lanson,  Faguet, 
Petit  de  Julleville,  Gaston  Paris,  Grôber,  Suchier,  etc.; 
Molinier,  dans  les  Sources  de  V Histoire  de  France 
(IV,  1 10-12),  en  donne  une  courte  notice  biogra- 
phique. Au  moment  de  publier  les  œuvres  de  Machaut, 
il  peut  être  utile  de  fixer,  comme  point  de  départ  pour 
des  recherches  ultérieures,  les  renseignements  biogra- 
phiques que  nous  possédons  aujourd'hui  sur  lui. 

1 .  Le  Livre  du  Voir  Dit,  publié  pour  la  Société  des  bibliophiles 
françois  [par  Paulin  Paris],  (1875). 

2.  La  Prise  d'Alexandrie,  publiée  pour  la  Société  de  l'Orient 
Latin,  par  M.  L.  de  Mas  Latrie  (1877). 

3.  Romania,  XfiSSi),  325-33;  Mélanges  d'archéologie  et  d'his- 
toire de  l'École  Française  de  Rome,  IV  (1884),  36-46. 


INTRODUCTION  XI 

II 

NOTICE    BIOGRAPHIQUE    SUR    GUILLAUME    DE     MACHAUT 

Guillaume  de  Machaut,  qu'Eustache  Deschamps 
nomme  parmi  les  grands  hommes  de  la  Champagne, 
tire  son  origine  et  son  nom  du  village  de  Machault, 
actuellement  chef-lieu  de  canton  du  département  des 
Ardennes.  Les  documents  latins  l'appellent  de  Mascau- 
dio,  de  Machandio  ou  de  Machaudo.  Par  là,  il  se  dis- 
tingue de  plusieurs  homonymes  contemporains  avec 
lesquels  on  l'a  longtemps  confondu.  Ceux-ci  se  nom- 
ment de  Machello  ou  de  Macholio,  du  village  de  Ma- 
chault en  Brie  (dép.  de  Seine-et-Marne);  ce  serait  en 
français  Macheau  ou  Machiau  ',  tandis  que  le  nom  du 
poète  était  bien  de  Mâchant  (orthographié  Machault  au 
xve siècle),  comme  l'attestent  des  vers  où  il  rime  avec 
chaut  {=  calet,  Jug.  dou  Roy  de  Nav.,  373-74,  1499- 
i5oo)  et  les  anagrammes  de  ses  poèmes  \  Il  faut 
écarter,  par   conséquent,    certain  Guillelmus  de  Ma- 

1 .  Cette  forme  Machiau  existe  en  effet  dans  un  document  de 
l'année  i3io,  relevé  par  M.Antoine  Thomas,  qui,  après  Gaston 
Paris  (Revue  crit.,  IV,  216),  a  nettement  séparé  le  nom  du  poète 
de  celui  de  ses  homonymes  (Romania,  X,  327,  note  4).  Le  raison- 
nement de  G.  Paris,  en  tant  qu'il  s'appuie  sur  la  prononciation 
du  t  final  dans  Machaut,  n'est  pas  absolument  décisif,  car  l'un 
des  meilleurs  manuscrits,  écrit  encore  du  vivant  de  Guillaume  et 
sans  doute  même  revu  par  lui,  donne  toujours  Mâchait,  sauf  à  la 
rime.  Le  t  ne  se  faisait  donc  plus  entendre  que  devant  une  voyelle 
ou  à  la  pause. 

2.  Voy.  Zcitschr.fiir  roman. Phil.,  XXX  (1906),  404  ss. 


XII  INTRODUCTION 

chello,  valet  de  chambre  de  Philippe-le-Bel,  un  Guil- 
lelmus  de  Macholio,  valet  de  chambre  de  la  reine  Jeanne 
de  Navarre  en  i3oi,  et  un  Guillaume,  fils  de  Pierre  de 
Machau,  encore  mineur  en  1 3 1 8  '.  Par  cela  même,  toutes 
les  hypothèses  qui  s'appuyaient  sur  ces  personnages 
pour  déterminer  la  date  de  naissance  du  poète  doivent 
être  rejetées2. Cependant,  il  est  permis  de  fixer  sa  nais- 
sance aux  environs  de  i3oo;  nous  en  donnerons  les 
raisons  dans  la  suite.  Nous  ignorons  tout  de  sa  famille; 
et  l'on  ne  saurait  dire  s'il  appartenait  vraiment  à  la 
noblesse,  comme  l'ont  admis  Tarbé,  P.  Paris  et 
M.  Suchier  3,  ou  s'il  était  d'une  origine  plus  modeste, 
comme  le  veulent  l'abbé  Rive  et  Mas  Latrie.  Le  fait 
est  que  le  poète,  dans  aucun  document,  n'est  qua- 
lifié de  «fidelis,  dominus,  miles,  armiger  »4;  ce  qui 
dénote  plutôt  une  extraction  roturière.  Par  contre, 
il  est  qualifié  de  «  clerc  »  et  de  «  maître  ».  Il  a  donc  fait 
ses  études  de  théologie,  puisqu'il  devient  plus  tard  cha- 
noine, et  a  obtenu  le  grade  universitaire  de  «  magis- 
ter  ».  S'il  a  vécu  dans  l'intimité  des  grands  seigneurs,  il 
le  doit,  sans  doute,  non  à  son  origine,  mais  à  l'habit 
ecclésiastique  devant  lequel  s'effaçaient  les  différences 
de  caste  et  de  naissance.  Lui-même,  en  s'adressant  au 
roi  de   Navarre,  qu'il  traite   d'  «  ami  »  —  ce  dont  il 

i.  Dans  les  études  de  l'abbé  Lebeuf,  de  Tarbé,  de  Mas  Latrie, 
signalées  plus  haut,  ces  différents  personnages  sont  plusieurs  fois 
confondus  avec  notre  poète. 

2.  L'abbé  Rive  et,  après  lui,  Mas  Latrie  fixent  la  naissance 
de  Machaut  en  1282  ou  1284;  Tarbé,  que  suit  P.  Paris,  se  décide 
pour  l'année  1295,  croyant  le  poète  encore  mineur  en  i3i8. 

3.  Geschichtc  der  fran-xàsischen  Littcratur  (1900),  p.  235. 

4:  Ce  raisonnement  de  Mas  Latrie,  quoiqu'appliqué  à  des  docu- 
ments où  il  n'est  pas  question  du  poète,  n'en  subsiste  pas  moins 
pour  les  pièces  qui  se  rapportent  en  eflet  à  notre  auteur. 


INTRODUCTION  XIII 

s'excuse  d'ailleurs  —  déclare  n'être  ni  des  meilleurs  ni 
des  pires  '.  En  sa  qualité  de  clerc  lettré  il  occupait,  en 
effet,  un  rang  intermédiaire  entre  la  haute  noblesse  et 
les  simples  serviteurs  et  valets.  A  la  question  posée 
dans  les  derniers  vers  du  Dit  de  l'Alerion, 

Se  cils  est  clers  ou  damoisiaus 
Qui  fist  ce  Dit  des  quatre  Oisiaus, 

Guillaume  lui-même  donne  la  réponse  dans  le  Livre 
de  la  Fontaine  amoureuse  :  il  s'y  qualifie,  avec  cette 
fausse  modestie  qui  était  alors  de  rigueur,  de  clers 
rudes,  nices  et  malapers  (v.  139-140). 

Machaut  ne  parle  jamais  de  ses  études.  Nous  ne 
savons  ni  où,  ni  comment  il  les  fit.  Il  obtint  le  grade 
de  maître-es-arts  3,  et  prit  sans  doute  ses  inscriptions  à 
la  Faculté  de  théologie.  Y  poussa-t-il  ses  études  très 
loin  ?  On  peut  en  douter.  Nulle  part,  on  ne  trouve  men- 
tionné quelque  autre  grade  universitaire.  D'ailleurs,  le 
voilà  bientôt  loin  de  l'Université.  C'est  aux  environs 
de  1 323  qu'il  entra  au  service  de  Jean  de  Luxembourg, 
roi  de  Bohême.  A  en  croire  le  poète,  il  aurait  été  atta- 
ché à  la  personne  du  roi  pendant  plus  de  trente  ans  "'. 

1.  Confort  d'ami,  v.  23-25  : 

Car  bien  sçay  que  tu  yes  mes  sires, 
Et  je  des  mieudres  ne  des  pires 
Ne  suis... 

2.  Machaut,  dans  ses  poésies,  ne  se  donne  jamais  ce  titre  qui 
ne  figure  pas  non  plus  dans  les  manuscrits  de  ses  œuvres.  Mais 
il  est  qualifié  de  maître  dans  un  document  de  l'année  1 36 r 
(voy.  p.xxv),dans  un  autre  document  de  l'année  1 3y  1  (voy.  p.xxxix) 
et  par  l'auteur  anonyme  des  Règles  de  seconde  rhétorique  (voy. 
p.  v). 

S.  Prise  d'Alexandrie,  v.  785  :  «  Je  fu  [l.  fui)  ses  clers  ans  plus 
de  trente  ». 


XIV  INTRODUCTION 

Jean  étant  mort  à  Crécy  en  1346,  c'est  en  î  3 16  au  plus 
tard  qu'il  aurait  retenu  Guillaume  à  ses  gages.  Mais 
l'affirmation  de  Machaut  qui  date  des  dernières  années 
de  sa  vie  et  qui  est  postérieure  à  la  mort  de  Jean  de 
plus  d'un  quart  de  siècle,  est  formellement  contredite 
par  un  document  officiel,  plus  digne  de  confiance  que 
le  vers  du  poète  \  En  i335,  Jean  de  Luxembourg  de- 
mande au  pape  Benoît  XII  la  confirmation  d'une 
prébende  pour  son  serviteur  qu'il  a  à  son  service 
depuis  une  douzaine  d'années  2,  donc  depuis  environ 
1 323.  Il  serait  intéressant  de  savoir  comment  Guil- 
laume fut  mis  en  relation  avec  le  roi  de  Bohême;  mais, 
en  vérité,  nous  l'ignorons.  Tant  qu'on  avait  pu  le 
croire  d'abord  au  service  de  Philippe-le-Bel  ou  de 
sa  femme,  on  pouvait  admettre  que  Jean  l'eût  rencontré 
à  la  cour  de  France  \  Mais  cette  hypothèse  s'applique 
à  un  autre  personnage;  nous  le  savons  aujourd'hui. 
Peut-être  est-ce  par  l'entremise  de  l'Eglise  que  le  roi 
entra  en  rapport  avec  le  poète.  Guillaume,  en  effet, 
à  cette  date,  appartenait  sans  doute  déjà  au  vaste  monde 
ecclésiastique  où,  seul  alors,  toutes  les  ambitions  pou- 
vaient encore  être  satisfaites,  où  la  valeur  personnelle 
pouvait,  jusqu'à  un  certain  point,  corriger  les  diffé- 
rences d'origine  et  permettre  d'arriver  même  aux 
hommes  de  la  plus  basse  condition. Machaut  faisait 
partie  du  clergé  du  diocèse  de  Reims,  où  il  était  né. 

1.  C'est  probablement  le  souci  de  trouver  un  vers  bien  frappe 
et  une  rime  facile  qui  est  la  cause  de  cette  affirmation  inexacte 
et  exagérée  du  poète. 

2.  A.  Thomas,  Romania,  X,  332  :  «  ...  clerico  suo  secretario 
et  familiari  domestico  quem  asserit  duodecim  annis  vel  circa 
suis  obsequiis  institiss»  ». 

3.  C'est  l'opinion  de  Tarbé  et  de  Mas  Latrie. 


INTRODUCTION  XV 

En  effet,  quand,  en  1324,  Guillaume  de  Trie  devient 
archevêque  de  Reims,  Machaut  compose  un  motet 
en  l'honneur  du  nouveau  dignitaire;  celui-ci  était 
probablement  son  chef  dans  l'ordre  hiérarchique  '. 
Parmi  les  œuvres  de  Guillaume,  c'est  la  plus  ancienne 
poésie  qu'on  puisse  dater  avec  certitude.  On  peut 
admettre  que  ses  talents  de  poète  et  de  musicien,  révélés 
à  cette  occasion,  le  signalèrent  à  l'attention  de  ses 
supérieurs  et  lui  valurent  leur  recommandation  auprès 
du  roi  de  Bohême  qui,  on  le  sait,  était  en  rapports 
suivis  avec  le  royaume  de  France  2. 

Machaut  remplissait  auprès  de  Jean  de  Luxembourg 
les  fonctions  d'aumônier  et  de    secrétaire  3.  Comme 

1.  Le  motet  Boue  pastor  Guillenne  (inédit).  Le  personnage  dont 
il  s'agit  y  est  clairement  désigné  dans  les  vers  suivants  :  «  O 
Guillcrme,  te  decenter  Ornatum,  rex  qui  potenter  Cuncta  régit. 
Sue  domus  ad  decorem  Remensium  in  pastorem  Preelegit.  »  La 
dissertation  sur  la  mitre  et  la  crosse  que  le  poète  a  mise  à  la  suite 
ne  laisse  pas  le  moindre  doute  à  cet  égard.  Or,  à  l'époque  de  Ma- 
chaut, il  n'y  eut  à  Reims  qu'un  seul  archevêque  du  nom  de 
Guillaume,  Guillaume  de  Trie,  nommé  le  28  mars  1324  et  mort 
le  26  septembre  i334;  il  ne  prit  possession  du  siège  épiscopal 
qu'en  juin  \Zi\{Gallia  christiana,  IX,  123-4). 

2.  En  i322,  Jean  de  Luxembourg,  occupé  par  les  affaires 
d'Allemagne,  ne  paraît  pas  avoir  été  en  France.  En  i323,  il  y 
fut  peut-être  au  commencement  de  l'année  (pèlerinage  à  Roca- 
madour,  contesté  par  A.  Leroux,  Relations  politiques  de  la  France 
avec  VAllemagne  de  i2Q2  à  i3y8  1882,  p.  162,  note)  et  sûre- 
ment en  mai  et  en  juin,  à  l'occasion  du  couronnement  de  la  reine 
Marie,  sa  sœur  (i5  mai  1 323)  ;  en  1324,  en  février,  avec  le  roi 
Charles  IV  à  Toulouse,  et  en  mars  à  Paris,  pour  les  obsèques  de 
la  reine  (voy.  J.  Schôtter,  Johann  Graf  von  Luxemburg  und 
Kônig  von  Bôlimen,  I,  263  ss.;  283-84;  Th.  de  Puymaigre, 
Jean  l'Aveugle  en  France,  dans  la  Revue  des  questions  histo- 
riques, LU,  400  ss.). 

3.  Dans  les  documents  publiés  par  M.  A.  Thomas,  Machaut  est 


XVI  INTRODUCTION 

tel,  il  était  étroitement  attaché  à  la  personne  du  souve- 
verain.  Celui-ci  le  qualifie  volontiers  de  domesticus  et 
familiaris  '  ;  c'est  dire  qu'il  l'avait  admis  dans  son 
entourage  immédiat.  Or,  le  roi  Jean  était  un  person- 
nage extrêmement  remuant  et  turbulent,  toujours  en 
route,  qu'il  s'agît  d'entreprendre  quelque  expédition 
guerrière,  d'assister  à  quelque  tournoi  ou  simplement 
de  visiter  ses  domaines  disséminés  dans  toute  l'Europe. 
Guillaume  dut  l'accompagner  le  plus  souvent  dans  ces 
folles  équipées  et  ces  courses  vagabondes  qui  le  me- 
naient en  France  ou  dans  l'Empire  allemand,  en  Italie, 
en  Pologne  ou  en  Prusse.  Mais,  contrairement  à  ce 
qu'on  voit  chez  son  disciple  Eustache  Deschamps,  ses 
voyages  à  travers  l'Europe  n'ont  laissé  que  très  peu  de 
traces  dans  la  vaste  production  littéraire  de  Machaut. 
Cependant,  certains  passages  de  ses  œuvres  contiennent 
des  témoignages  directs  ou  indirects  de  la  part  qu'il 
prit  aux  déplacements  et  aux  expéditions  aventureuses 
de  son  maître.  Dans  le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne 
il  nous  parle  d'un  séjour  qu'il  fit  avec  le  roi  au  château 
de  Durbuy  dans  le  comté  de  Luxembourg,  château 
dont  il  donne  une  description  exacte  et  minutieuse  *. 

qualifié  en  i33o  de clericus  elemosinarius, en  1 33s  de  notarius,  en 
1 333  de  notarius  secretavius,  en  1 335  de  secretavius .  Dans  la  Prise 
d'Alexandrie  il  déclare  lui-même  avoir  été  le  clerc(v.  785)  ou  le  se* 
cretaire  (v.  789)  du  roi.  Plus  de  cinquante  fois  il  a  distribué  de 
l'argent  au  nom  de  son  maître  (Confort  d'ami,  v.  2946  ss.). 

1.  Documents  de  i33o,  i332,  1 333,  1 335  [Romania  X). 

2.  V.  1 365-67  '• 

Car  vraiement,  je  mangay  ver  et  bui 

Avec  ses  gens  (se.  du  roi)  en  chastiau  de  Durbui, 

Et  il  (le  roi)  y  est. 

Durbuy,  aujourd'hui  dans  la  province  belge  de  Luxembourg. 


INTRODUCTION  XVII 

Dans  le  Confort  d'ami,  il  nous  apprend  qu'il  a  été  au 
château  de  Bruguelis,  où  «  n'a  fleur  de  lis,  car  il  y  fait 
froit  en  esté  '  »,  preuve,  de  ses  séjours  en  Bohême  \ 
Il  fait  avec  le  roi  la  campagne  de  Silésie  en  i32j  et 
assiste  à  la  prise  de  Breslau  et  à  la  soumission  de  qua- 
torze seigneurs  du  pays3.  Pendant  l'hiver  de  1328-29, 
il  l'accompagne  contre  les  païens,  en  Lithuanie,  où  l'on 
s'empare  de  Medonagle  et  où  Ion  fait  «  crestienner  des 
mescrëans  plus  de  sis  mille4  ».  «  Je  fui,  dit  le  poète,  pre- 

était  la  «  résidence  favorite  de  Jean  de  Luxembourg  »  (Puy- 
maigre,  Revue  des  questions  historiques  XLII,  174). 

1.  Confort  d'ami,  v.  30:4-1 5  ;  3oi6  :  «  Bien  le  sçay,  car  j'y  ay 
esté.  »  C'est  le  château  de  Bûrglitz,  en  Bohême,  où  le  roi  Jean, 
comme  dit  Machaut  (ibid.),  avait  tenu  prisonnier  son  adversaire, 
le  duc  Henri  d'Autriche. 

2.  D'après  P.  Paris  [Voir  Dit,  p.  xv,  n.  1),  une  autre  preuve  des 
séjours  de  Guillaume  en  Bohême  serait  donnée  dans  ce  même 
Confort  d'ami  (v.  3969-70),  où  il  est  question  de  Burglost,  «  châ- 
teau des  rois  de  Borjême,  à  six  lieues  de  Prague  »,  d'après  le 
savant  éditeur.  Mais  cette  explication  doit  être  écartée,  car  les 
manuscrits  donnent  Glurvost,  Gluvost,  Gluroust,  et  c'est,  en  effet, 
Glurvost  seul  qui  peut  fournir  les  éléments  nécessaires  à  l'ana- 
gramme où  Machaut  se  nomme  avec  le  roi  de  Navarre.  Ce  Glur* 
vost  que  nous  n'avons  pas  réussi  à  identifier  est,  au  dire  du 
poète,  «  une  villette  en  l'Empire  qui  n'est  gueres  dou  Bourget 
pires  »  (vv.  3971-72).  C'est  évidemment  le  nom  estropié  et  devenu 
méconnaissable  de  quelque  petite  localité  allemande  ou  autri- 
chienne que  Machaut  —  et  voilà  ce  qu'il  faut  retenir  —  a  connue 
jadis. 

3.  Confort  d'ami,  v.  3027  :  «  Je  le  vi  ;  pour  ce  le  tes- 
moing.  » 

4.  Ibid.,  v.  3o33-34<  La  forteresse  de  Medewageln,  forme  recons- 
tituée d'après  les  documents  contemporains  par  Voigt  (Geschichte 
Preussens,  IV  [i83o],  365,  n.  4  et  429,  n.  3)  n'est,  d'après  les 
éditeurs  des  Script,  reriim  Frussicarum,  I  f  1861],  182,  n.4)«  nicht 
uâher  nachweisbar  ».  La  chronique  de  Petrus  von  Dusburg  dit 
en  effet  :  «  VI.  milia  hominum  dicti  castri  sunt  in  nominc  dominî 

Tome  I.  h 


XVIII  INTRODUCTION 

sens  a  ceste  feste;  Je  le  vi  des  yeus  de  ma  teste  '.  »  A 
l'en  croire,  il  suivait  son  maître  jusqu'au  plus  fort  de 
la  bataille,  brave  malgré  lui,  ajoute-t-il,  car  la  fuite 
dans  ce  pays  sauvage  et  étranger  eût  été  plus  dangereuse 
que  le  combat  lui-même2.  Prit-il  part,  en  i33i,  à  la 
guerre  d'Italie,  à  la  rencontre  avec  les  Hongrois  devant 
Laa  et  à  la  seconde  campagne  de  Prusse  à  la  fin  de 
la  même  année?  Il  parle  de  ces  événements,  sans  affir- 
mer qu'il  en  ait  été  témoin3.  Dans  l'énumération  des 
hauts  faits  de  son  maître,  il  ne  va  d'ailleurs  pas  plus 
loin  que  celte  année  1 33 1,  quoique  le  poème  où  il  en 
est  parlé  ait  été  écrit  en  1 3 57,  une  dizaine  d'années 
après  la  mort  du  roi  Jean.  Mais  on  ne  peut  rien  conclure 
de  ce  silence,  car  c'est  précisément  des  années  i33o 
à  1 335  que  datent  les  documents  qui  le  montrent  au 
service  du  roi.  Si  le  poète  s'arrête  là,  c'est  qu'il  ne 
pourrait  «  dire  ou  compter  en  jour  et  demi  »  toutes  les 
prouesses  de  ce  modèle  des  rois.  Enfin,  la  description 
minutieuse  de  l'entrée  en  Quaranteinne  (Carinthie) 
«  par  deus  destrois  Qui  sont  rostes,  longs  et  estrois  4  » 
pourrait  bien  avoir  pour  bases  des  souvenirs  person- 
nels :  c'est  à  Trente  par  exemple  que  Jean  prépare  en 

baptizati  »  {Script,  rerum  Pruss.,  I,  21 5),  et  c'est  le  roi  de  Bohême 
qui  leur  a  sauvé  la  vie,  tandis  que  le  grand-maître  de  l'ordre 
teutonique  voulait  tous  les  massacrer. 

1.  Confort  d'ami,  vv.  3049-50. 

2.  Fontaine  amoureuse,  v.  141  ss.  Au  lieu  de  :  «  S'ay  je  esté 
par  mes  deus  fois  »  (v.  141),  Caylus  a  lu  :  «  S'ay  j'este  prisonés 
deus  fois  »  et  en  a  conclu  à  une  double  captivité  du  poète  et  de 
son  maître.  Or,  Jean  de  Luxembourg  n'a  jamais  été  fait  prison- 
nier. Déjà  Tarbé  avait  reconnu  en  ce  passage  une  mauvaise  lec- 
ture de  Caylus. 

3.  Confort  d'ami,  vv.  3o5i  ss. 

4.  Prise  d'Alexandrie,  vv.  1518-19. 


INTRODUCTION  XIX 

1 33 1  son  expédition  en  Italie,  et  Ton  sait  que  la  pos- 
session de  la  Carinthie  et  du  Tirol  était  alors  l'objet  de 
longues  et  laborieuses  négociations,  les  maisons  de 
Luxembourg  et  de  Habsbourg  ayant  jeté  toutes  deux 
leur  dévolu  sur  ces  provinces.  Enfin,  plus  tard  Machaut 
se  plaît  à  rappeler  l'insécurité  qui  régnait  autrefois 
dans  l'Empire  et  dont  il  a  été  témoin  '. 

Tout  en  étant  au  service  du  roi  de  Bohême,  Machaut 
avait  soin  de  rester  en  relation  avec  l'Église  de  France. 
Les  bulles  découvertes  par  M.  A.  Thomas  fournissent 
là-dessus  des  renseignements  précieux.  On  y  apprend 
qu'avant  i33o,  Guillaume  était  déjà  pourvu  d'un  béné- 
fice ecclésiastique  et  possédait  la  chapellenie  perpé- 
tuelle de  l'hôpital  de  Houdain  (Pas  de  Calais)  \  Le 
3o  juillet  1 33o,  il  se  fait  donner  une  provision  de  cano- 
nicat,  en  expectative  de  prébende,  dans  la  cathédrale  de 
Verdun  3  ;  le  17  avril  i33a  une  autre  dans  la  cathédrale 
d'Arras  4;  le  4  janvier  1 3 3 3,  une  troisième  à  Reims  \ 
L'avènement  du  pape  Benoît  XII,  en  1 3 3 5,  renversa 
toutes  ces  espérances  :  désireux  de  réformer  les  abus 

1.  Prise  d'Alexandrie,  vv.  1044  ss.  :  actuellement,  en  1 364,  «  on 
y  porte  (dans  l'Empire)  Seûrement  l'or  en  la  main...  Et  je  vi  que 
nuls  n'i  savoit  Aler,  se  grant  conduit  n'avoit.  » 

2.  Bulle  du  3o  juillet  i33o:  ...  «  liberam  perpetuam  capella- 
niam  hospitalis  béate  Marie  de  Husdinio,  Atrebatensis  diocesis, 
nosceris  obtinere.  »  Les  bulles  de  i332,  1 333  et  1 335  répètent  le 
même  fait.  Voy.  A.  Thomas,  Mélanges  d'arcliéol.  et  d'hist.  (de 
l'Ecole  française  de  Rome),  IV  (1884),  43  ss. 

3.  Bulle  du  3o  juillet  i33o  :  ...  «  canonicatum  ecclesie  Vir- 
dunensis...  tibi  conferimus  »  (/.  c,  p.  43). 

4 «  canonicatum  ecclesie  Atrebatensis...   tibi  conferimus  » 

(/.  c,  p.  43-44). 

5.  ...  «  canonicatum  ecclesie  Remensis...  tibi  conferimus  » 
(/.  c,  p.  44). 


XX  INTRODUCTION 

introduits  dans  l'Eglise  sous  ses  prédécesseurs,  le  nou- 
veau pape  tenta  de  supprimer  entre  autres  le  singulier 
abus  des  «  expectatives  ».  Guillaume  n'était  encore 
entré  en  possession  d'aucun  de  ses  bénéfices.  Le  pape 
lui  supprima  ceux  de  Verdun  et  d'Arras,  et  ne  main- 
tint que  celui  de  Reims.  Il  lui  laissa  aussi  la  chapelle- 
nie  de  Houdain  jusqu'au  moment  où  il  aurait  effecti- 
vement pris  possession  du  canonicat  promis  '.  On  voit 
à  cette  occasion  que  Guillaume  était  encore  chanoine  à 
Saint-Quentin  en  Vermandois  \  Ce  bénéfice  lui  resta, 
n'étant  pas  dû  à  la  faveur  pontificale.  Nous  ne  savons, 
ni  quand,  ni  comment  Machaut  l'obtint.  Faut-il  con- 
clure du  silence  qu'observent  là-dessus  les  bulles  des 
années  précédentes,  dont  aucune  cependant  n'omet  la 
chapellenie  de  Houdain,  que  le  canonicat  de  Saint- 
Quentin  ne  lui  échut  qu'après  le  4  janvier  i333?3 
Peut-être  dut-il  cette  place,  comme  cela  est  certain  pour 
toutes  celles  que  nous  venons  d'énumérer,  à  l'influence 
de  son  maître  Jean  de  Luxembourg.  Pour  celui-ci 
c'était  évidemment  une  façon  de  récompenser  son  clerc 
que  de  lui  faire  obtenir  quelque  canonicat  lucratif. 
D'ailleurs,  d'après  ce  que  nous  savons  du  roi  de 
Bohème,  le  service  auprès  de  lui  ne  pouvait  être  que 

1 <  canonicatum  ejusdem  ecclcsie  Remeneis  ...    tibi  con- 

ferimus;  ....  volumus  quod,  quamprimum  vigore  presentis  gra- 
tic  hujusmodi  prebendam  pacilicc  fueris  assecutus,  prcdictam 
pcrpetuam  capellaniam,  quem  obtines,  ut  fertur,  quamquc  ex- 
tunc  vacare  decernimus,  omnino  dimitterc  tcncaris  »  (/.  c, 
p.  45-4G). 

2.  ...«  nonobstantc  ...  in  Sancti  Quintini  in  Viromandia  eccle- 
sia  canonicatum  et  prebendam  nosceris  obtinere  »  (/.  c,  p.  45). 

3.  Machaut  a  composé  un  motet  en  l'honneur  de  saint  Quentin 
[Martyrum  gemma  latria).  Malheureusement;  on  ne  peut  rien  en 
tirer  pour  la  biographie  du  compositeur. 


INTRODUCTION*  XXI 

largement  rémunérateur.  Les  auteurs  de  l'époque  ne 
savent  assez  vanter  sa  «  largesse»,  autrement  dit  sa 
folle  prodigalité,  qui  l'a  rendu  presque  légendaire. 
Machaut  lui-même,  avec  quelque  exagération  sans 
doute,  nous  fait  savoir  qu'il  lui  est  arrivé  plus  de  cin- 
quante fois  de  distribuer,  au  nom  de  son  maître,  en  un 
seul  jour  quelque  200,000  livres  '.  Il  a  bien  dû  béné- 
ficier, lui  aussi,  de  cette  pluie  d'or.  La  preuve  s'en 
pourrait  peut-être  trouver  dans  ce  fait  qu'en  1 3 33  Jean 
de  Machaut,  frère  cadet  de  Guillaume,  est  également 
aumônier  du  roi;  c'est  probablement  Guillaume  qui 
l'avait  engagé  à  venir  auprès  de  lui  2. 

En  i337,  Machaut  obtient  enfin  son  canonicat  à 
Reims;  il  prend  possession  de  sa  charge  par  procura- 
tion; il  était  sans  doute  encore  retenu  au  loin  par  son 
service  auprès  du  roi  de  Bohême  \  On  a  admis  que  le 

1.  Confort  d'ami,  vv.  2g3o  ss. 

2.  Le  4  janvier  1 333,  le  pape  accorde,  en  même  temps  qu'à 
Guillaume,  un  bénéfice  ecclésiastique  «  Johanni  de  Machaudio, 
clerico  diocesis  Remensis  a,  également  sur  la  demande  du  roi 
Jean  qui  l'appelle  «  dilectum  familiarem  et  domesticum  elemo- 
sinarium  suura  »  (A.  Thomas,  Romania,  X,  32g).  N'étant  alors 
que  simple  clerc  sans  bénéfice,  Jean  devait  être  le  cadet  de  Guil- 
laume, comme  le  suppose  M.  A.  Thomas  (f.  c). 

3.  Dans  le  Livre  ronge  du  chapitre  de  Reims,  qui  donne  la 
liste  des  prébendes  et  des  chanoines,  dressée  depuis  le  commen- 
cement du  xive  siècle  (Archives  de  Reims,  cartulaire  A),  on 
trouve  au  f°  54  r°,  d'une  écriture  du  temps,  la  mention  suivante  : 
«  Nunc  Guillermus  de  Machaudio;  receptus  fuit  per  procuratio- 
nem  anno  domini  1 337,  feria  quarta  post  Conversionem  sancti 
Pauli.  »  Cette  notice  a  été  reproduite  par  le  chanoine  de  Reims, 
Jean  Herman  Weyen  (mort  vers  1732),  dans  un  recueil  manus- 
crit de  notices  sur  les  archevêques  et  les  dignitaires  du  chapitre 
d«  Reims,  sur  les  chanoines  et  sur  les  diverses  prébendes  dont 
ils   étaient  titulaires  (Ribl.    de  Reims.   n°  1773).   L'ouvrage    fait 


XXII  INTRODUCTION 

poète  n'est  rentré  en  France  qu'après  la  mort  de  son 
maître,  en  1346.  Il  n'en  est  rien,  car  on  le  trouve  à 
Reims  longtemps  avant  cette  date.  Dans  les  comptes  de 
l'échevinage  de  la  ville  (1 340-1 341)  on  lit  parmi  les 
dépenses  de  1340  :  «  Item,  .xxiv.  livres,  pour  un  cheval 
acheté  a  Guillaume  de  Machaut,  pour  ce  que  on  ne  peust 
recouvrer  de  cheval  a  louier,  pour  porter  la  malle  Hue 
le  Large,  quant  il  fust  en  l'ost  devant  Escaudeuvre,  pour 
parler  au  roy  '.  »  La  valeur  du  double  d'or  ayant 
augmenté  de  deux  sous,  il  fallut  plus  tard  rembourser 
«  .xvm.  sols  pour  frais  de  neuf  doubles  d'or  a  Hue  le 
Large,  qu'il  presta  pour  un  cheval  acheté  a  Guillaume  de 
Machaut  2  ».  Il  est  fort  probable  que  ce  Guillaume  de 
Machaut  est  notre  chanoine,  bien  qu'il  n'ait  ici  aucune 
qualification  permettant  de  l'identifier  d'une  façon  cer- 
taine et  de  le  distinguer  sûrement  de  quelque  homo- 
nyme. Le  personnage  devait  être  assez  important  pour- 
qu'on  pût  le  reconnaître  sans  peine  \  Il  serait  donc 

avec  soin  d'après  les  sources  originales  est  digne  de  confiance, 
mais  non  exempt  d'erreurs.  Weyen  donne,  par  exemple,  feria  5 
au  lieu  de  feria  qaarta.  C'est  ainsi  que  Tarbé  a  reproduit  cette 
notice  (/.  c,  p.  ix).  Weyen  ajoute  que  Guillaume  «  legitur  jam 
receptus  1 33 1  et  1 335  in  praebendis.  »  Je  suppose  qu'il  s'agit 
là  des  expectatives  de  prébendes  accordées  au  poète  par  les 
papes  Jean  XXII  et  Benoît  XII,  dont  Weyen  a  eu  connaissance; 
au  lieu  de  1 33 1  il  faut  lire  i333.  —  Nous  devons  la  plupart  de 
ces  renseignements  ainsi  que  quelques-uns  de  ceux  qui  suivront 
à  l'obligeance  de  M.  L.  Demaison;  nous  tenons  à  lui  en  exprimer 
ici  tous  nos  remerciements. 

1.  Archives  communales  de  Reims,  compte  de  l'échevinage 
1340-1341,  fol.  25  v°,  reproduit  par  Varin,  Archives  administra- 
tives de  Reims,  II,  833. 

2.  Varin,  /.  c,  p.  834. 

3.  Du  manque  même  de  toute  qualification,  on  peut  déduire 
que  Guillaume  devait  être  seul  de  son  nom  à  Reims;  autrement 


INTRODUCTION  XXIII 

venu  occuper  personnellement  sa  place  de  chanoine  à 
Reims  et  résider  dans  cette  ville  au  plus  tard  trois  ans 
après  sa  nomination,  probablement  même  plus  tôt  '.  Il 

on  l'aurait  sans  doute  distingué  de  quelque  homonyme  par  son 
titre  de  maître  ou  de  chanoine.  Les  documents  de  l'époque  con- 
naissent plusieurs  personnages  du  nom  de  Machaut  à  Reims; 
mais  aucun  d'eux  n'a  le  prénom  de  Guillaume  :  il  y  a  Jean  de 
Mâchant,  le  frère  du  poète,  devenu  chanoine  le  i3  septembre 
1 355,  Johannes  Raulini  de  Machaudio,  chanoine  depuis  le  der- 
nier février  1 354  (manuscrit  de  Weycn,  fol.  291  r°);  le  cordier 
Guiot  de  Mâchant  (Compte  de  l'échevinage  de  1340-41,  f"  9  V0; 
Toy.  Varin,  Arch.  administr.  de  Reims,  II,  824). 

1.  Un  poème  de  Machaut,  la  Complainte  a  Henri,  semble  tout 
d'abord  confirmer  ce  fait.  Guillaume  s'adresse  à  un  ami  que 
nous  ne  connaissons  pas,  du  nom  de  Henri.  On  peut  écarter  les 
différentes  tentatives  faites  pour  identifier  ce  personnage  (Henri 
de  Navarre,  d'après  Caylus;  Henri  de  Brabant  et  Henri  de  Trans- 
tamare  sont  écartés  par  Tarbé,  p.  179,  s.  v.  Henry).  L'auteur  est 
à  Reims;  il  se  plaint  amèrement  des  nombreuses  vexations  qu'il 
a  à  subir  :  «  Il  m'estuet  mettre  aus  murs  de  la  ville;  Et  si  vuet 
on  que  je  veille  a  la  porte  Et  qu'en  mon  dos  la  cote  de  fer  porte.  » 
Ensuite  il  y  a  «  maletoste  et  subside  et  gabelle,  flebe  monnoie 
et  imposition  et  dou  pape  la  Visitation  »  ;  puis  il  «  faut  paier  pour 
huit  ans  les  trentismes  et  sans  delay  pour  le  roi  trois  disismes  ». 
L'Eglise  est  détruite  et  a  perdu  sa  franchise;  et  pour  comble 
«  dit  on  que  li  rois  d'Angleterre  vient  le  seurplus  de  ma  subs- 
tance querre.  »  11  est  malade  et  sans  argent;  son  frère  de  même; 
et  de  son  «  borgne  oueil  »  il  aperçoit  «  qu'a  court  de  roy  chas- 
cuns  y  est  pour  soy.  »  Aussi  est-il  décidé  à  quitter  cette  ville  où 
il  est  «  comme  uns  prestres  et  lais  et  en  main  de  commun  »  et, 
à  s'en  aller  «  demourer  en  l'Empire,  en  essil.  »  Ce  poème,  d'après 
P.  Paris  [Voir  Dit,  p.  383)  fut  écrit  en  1340.  Machaut,  dans  les 
premiers  vers,  se  plaint  de  ne  plus  courir  «  ne  mont  ne  plain  », 
car  «  a  piet  sui  sans  cheval  et  sans  selle  ».  Ce  serait  une  allu- 
sion à  l'achat  de  son  cheval  par  l'échevinage  de  Reims  en  1340. 

Il  faut  avancer  la  date  de  cette  complainte  de  près  de  vingt  ans. 
Tarbé  la  place  entre  i35G  et  1 358,  après  la  bataille  de  Poitiers 
et  avant  le  siège  de  Reims  par  les  Anglais.  On  peut  mc*me  aller 


XXIV  INTRODtyCTION 

n'y  a  pas  lieu  d'admettre  qu'il  ait  pour  cela  abandonné 
ses  fonctions  auprès  du  roi  de  Bohême;  car  ces  béné- 
fices n'obligeaient  pas  à  la  résidence,  et  Machaut  n'avait 
même  pas  besoin  d'une  dispense  particulière  à  ce  sujet, 
le  roi  de  Bohême,  comme  *ous  les  souverains,  ayant 

jusqu'en  1 35g,  car  la  menace  d'une  invasion  anglaise  ne  put  se 
produire   qu'après  le   25   mai    1 35g,  quand  les  Etats-Généraux 
repoussèrent  le  projet  de  traité  passé  à  Londres  entre  les  rois 
Jean  et  Edouard.  Reims,  plus  menacée  qu'aucune  autre  ville  de 
France,  déploya  une  activité  infatigable  pour  se  mettre  en  état 
de  défense.  Les  travaux  étaient  dirigés  par  un  conseil  de  six 
bourgeois    à  qui  l'archevêque  Jean  de  Craon  avait  dû  abandon- 
ner, depuis  i356,   le  soin  de  «   prendre  garde  des  ouvrages  et 
autres  nécessités,  sûreté  et  tuition  de   la  ville  »,  et  qui  fut  con- 
firmé par  le  régent,  le  9  septembre  1 358.  Voilà  sans  doute  ce  que 
Machaut  appelle  être  «  en  main  de  commun  ».  Ce  conseil  avait 
été  autorisé  à  imposer  l'obligation  de  contribuer  à  la  défense  de  la 
ville  atout  le  monde,  «  de  quelque  estât  ou  condicion  qu'il  soient»  ; 
et  il  n'avait  sans  doute  pas  ménagé  le  clergé.  Le  12  mars  de  la 
même  année,  les  seigneurs  hauts  justiciers  de  Reims  avaient  con- 
senti à  la  levée  d'une  gabelle  pour  un  an,  cet  impôt  détesté  entre 
tous  et  qui  fut  étendu  aussi  «  aux  gens  d'église  et  aux  clercs.  » 
(Voy.   Varin,  Arclt.  administr.  de  Reims,  III,  pass.).   Aux  Etats 
Généraux  de  mai  1 35g, à  Paris,  le  clergé  avait  accepté  les  mêmes 
impôts  que  les   deux  autres  états,  et  d'un  autre  côté,  jamais  la 
valeur  de  l'argent,  par  suite  des  mutations  de  monnaie,  n'était 
tombée  aussi  bas.  Quant  à  la  menace  du  poète  de  quitter  Reims 
et  d'aller  en  exil  dans  l'Empire,  ce  n'est  sans  doute  qu'une  simple 
boutade  qu'on   ne  prendra    pas  au  sérieux.    Enfin,  Guillaume 
parle  de  son  frère  malade  et  pauvre  comme  lui.  Nous  ne  lui  con- 
naissons comme  frère  que  Jean  de  Machaut.  Or,  celui-ci  devient 
chanoine  à  Reims,  auprès  de  son  frère,  le  i3  sept.   1 35 5  (Livre 
ronge  du  chapitre,  fol.  29  r°).  Tout  concorde   donc  à    assigner 
à  cette  pièce  une  date  assez  tardive,  peut-être  la  seconde  moitié 
de  l'année   i35g,   entre  les  mois  de  mai  et   de   novembre.  Par 
suite,  elle  ne  peut  témoigner  de  la  présence  de  Machaut  à  Reims 
en  1340,  présence  qui  cependant  est   assurée  par  l'acte  de  l'éche- 
vinage. 


INTRODUCTION  XXV 

obtenu  du  pape  ce  privilège  pour  les  clercs  de  son  en- 
tourage. Le  poète  pouvait  encore  partager  son  temps 
entre  le  service  du  roi  et  le  service  de  l'Église,  résider 
à  Reims  et  ne  s'absenter  que  pour  un  certain  laps  de 
temps  qu'il  passait  auprès  de  son  seigneur.  Nous  igno- 
rons, par  conséquent,  le  moment  où  il  quitta  le  roi. 
Lui  resta-t-il  attaché  jusqu'à  la  funeste  journée  de 
Crécy  qui  vit  la  mort  de  Jean  l'Aveugle  sur  le  champ 
de  bataille?  On  peut  en  douter.  Cette  année-là  (1346), 
Guillermus  de  Machaudio  figure  parmi  les  chanoines 
de  Reims  et  est  taxé  à  60  sous  pour  sa  prébende.  D'un 
autre  côté,  il  est  bien  surprenant  qu'on  ne  trouve  dans 
ses  œuvres  aucun  écho  de  la  fin  glorieuse  de  son 
maître,  tandis  qu'il  n'a  pas  manqué  de  déplorer  la  cap- 
tivité du  roi  Jean  après  la  bataille  de  Poitiers  et  de 
consoler  le  roi  de  Navarre,  quand  il  fut  fait  prisonnier 
par  le  duc  de  Normandie.  Ce  silence  est  assez  signifi- 
catif; il  permet,  nous  semble-t-il,  de  conclure  que  le 
poète  avait  définitivement  quitté  le  roi  avant  l'année  de 
sa  mort. 

A  partir  de  1340,  on  rencontre  de  temps  en  temps 
le  nom  de  notre  poète  dans  des  actes  relatifs  à  la 
ville  ou  au  chapitre  de  Reims.  Nous  avons  déjà  cité 
celui  de  1346.  Il  figure  dans  un  acte  capitulaire  du 
18  août  1 352  accordant  au  chanoine  Hugues  de  Châ- 
tillon  la  permission  «  de  almutia  et  sindone  portandis 
in  choro  et  extra  »  '.  Lorsqu'au  mois  de  décembre  1 36 1 , 
Charles  V,  alors  duc  de  Normandie,  est  à  Reims,  il 
mande  «  les  eschevins  dudict  Reims  l'aller  veoir  en 
son  logis  chez  maistre  Guillyaume  de  Machault  »  2. 

1.  Varin,  Arch.  administr.  de  Reims,  III,  3i. 

2.  Mémoires  manuscrits  de  Jean  Rogier,  Rib!.  de  Reims, 
ras.  1629,  f°  1 55  V;  Varin.  /.  c,  p.   206, 


XXVI  INTRODUCTION 

Dans  une  sentence  arbitrale  du  23  mai  1372,  énumé- 
rant  les  maisons  canoniales  extra-claustrales  qui  exis- 
taient alors,  paraît  la  maison  «  in  qua  inhabitat  Guil- 
lermus  de  Machaudio  sitam  prope  Pourcelettam  »  '. 
C'est  donc  à  Reims  que  Machaut  avait  sa  résidence 
ordinaire.  On  est  même  arrivé  à  déterminer  exacte- 
ment l'emplacement  de  la  maison  qu'il  habitait,  le 
n»  4  actuel  de  la  rue  d'Anjou  \ 

Machaut,  dans  ses  œuvres  mêmes,  ne  fait  jamais  la 
moindre  allusion,  ni  à  son  canonicat,  ni  à  Reims  ;  cela 
n'était  guère  de  mise  dans  des  poèmes  où  il  n'est  ques- 
tion que  d'amour  et  de  galanterie.  Par  contre,  il  nous 
renseigne  assez  exactement  et  avec  une  certaine  com- 
plaisance sur  ses  relations  avec  les  princes  et  les 
grands  seigneurs  de  son  époque.  Comme  ses  contem- 
porains, Froissart  ou  Deschamps,  notre  poète  se  plai- 
sait dans  la  société  des  grands,  tant  pour  l'honneur  que 
pour  le  profit  matériel  qui  en  résultait.  Et  les  princes, 
de  leur  côté,  amateurs  de  belles-lettres,  favorisaient 
volontiers  les  travaux  de  l'esprit  et  aimaient  déjà  à  jouer 
le  rôle  de  protecteurs  des  poètes.  Guillaume  leur 
accorde  une  place  dans  ses  poèmes,  dans  le  Jugement 
dou  Roy  de  Behaingne,  dans  le  Jugement  dou  Roy  de 
Navarre,  dans  la  Fontaine  amoureuse,  profitant  de 
cette  occasion  pour  faire  leur  éloge;  ou  bien  il  associe 
leur  nom  au  sien  dans  des  anagrammes  qui  révèlent  au 
public  contemporain  et  conservent  à  la  postérité  les 
noms  de  l'auteur  et  de  celui  à  qui  l'ouvrage  est  destiné; 
ou  encore  il  fait  exécuter  de  superbes  copies  de  ses 
œuvres  pour  les  leur  offrir.  Lui-même,  dans  le   Voir 

1.  Archives  de  Reims,  G.  3 18,  n°  5;  Varin,  /.  c,  p.  3(59 . 

2.  Voyez  la  note  de  M.  L.  Demaison  dans  la  Revue  de  Cham- 
pagne et  de  Brie,  XIX  (i885),  93  ss. 


INTRODUCTION  XXVII 

Dit,  écrit  à  sa  dame  qu'il  lui  eût  porté  son  livre  «  ou 
toutes  les  choses  sont  que  je  fis  onques  ;  mais  il  est  en 
plus  de  .xx.  pièces  ;  car  je  l'ay  fait  faire  pour  aucun  de 
mes  seigneurs  »  '.  Eustache  Deschamps  nous  fait 
savoir  qu'il  a  remis  de  la  part  de  l'auteur  un  exemplaire 
du  Voir  Dit  à  Louis  de  Maie,  comte  de  Flandre,  ajou- 
tant à  ce  propos  cette  précieuse  remarque  que  les  grands 
seigneurs  chérissent  notre  poète  et  prennent  «  esbate- 
ment  »en  ses  «  choses  »,  c'est-à-dire  en  ses  poèmes2.  Amé- 
dée  VI,  comte  de  Savoie,  fait  remettre  à  Machaut  une 
somme  de  3oo  écu>  pour  un  poème  (nous  ne  savons 
lequel)  que  celui-ci  lui  a  dédié  3.  C'est  donc  à  ses  talents 
de  musicien  et  de  poète  que  Guillaume  doit  ses  rela- 
tions avec  les  plus  hauts  personnages  de  son  époque. 
De  temps  en  temps,  sans  doute,  il  quitte  sa  paisible 
retraite  de  Reims  pour  se  rendre  auprès  de  l'un  ou  de 
l'autre  de  ces  seigneurs  qui  l'admettent  dans  leur  inti- 
mité et  font  appel  à  ses  bons  services.  Il  nous  dit  encore 
dans  son  Voir  Dit,  que  son  départ  de  certaine  ville 
qu'il  ne  nomme  pas  (ce  n'est  pas  Reims,  dans  ce  cas 
particulier)  est  motivé  par  le  «  commandement  d'un 
seigneur  qu'en  France  n'a  point  de  greigneur  fors 
un  4  ».  Il  ne  peut  s'agir  que  de  Charles  V,  alors  duc  de 
Normandie,  qui  le  mande  auprès  de  lui  et  qui  lui  fit 
«  grant  honneur  et  grant  feste  *  ».  Et,  ajoute  le  poète, 
«  moult  de   biaus  dons  me   donna  et  le  sien    moult 

i.  Livre  du  Voir  Dit  (éd.  P.  Paris),  p.  69. 

2.  Œuvres  complètes  d' Eustache  Deschamps,  1,87-88  (voy.  plus 
haut,  p.  iv). 

3.  Oton   de  Granson  and   seine   Dichtungen,  von   L.    Schirer 
(jgoS;,  p.  XIV. 

4.  Livre  du  Voir  Dit,  p.  71. 
b.  Ibid.,p.  i3i. 


XXVIII  INTRODUCTION 

m'abandonna  '.  »  Il  est  inutile  de  chercher  à  détermi- 
ner les  charges  que  le  poète  aurait  occupées  auprès  des 
princes  dans  l'entourage  desquels  on  le  rencontre  ;  il  ne 
paraît  en  vérité  avoir  eu  d'autre  emploi  que  celui  de 
divertir  et  de  glorifier  ses  maîtres  dans  les  poèmes  qui 
faisaient  sa  gloire.  On  verra  pourtant  qu'il  portait 
encore  auprès  d'un  autre  souverain  ce  titre  de  secré- 
taire qu'il  avait  eu  chez  le  roi  de  Bohême,  ce  qui 
n'était  probablement  qu'une  manière  honorable  de 
se  faire  rémunérer  ses  services. 

Sa  renommée  de  poète  remonte  certainement  encore 
à  l'époque  où  il  se  trouvait  au  service  du  roi  de 
Bohême.  A  vrai  dire,  parmi  ses  dits,  le  plus  ancien 
qu'on  puisse  dater  sûrement  est  le  Dit  dou  Lion,  écrit 
en  1342.  A  cette  date,  nous  l'avons  vu,  il  avait  sans 
doute  déjà  quitté  son  premier  maître.  Mais  ce  poème 
n'occupe  que  la  quatrième  place  dans  la  série  des  œuvres 
du  poète  \  Or,  nous  espérons  démontrer  ailleurs  que  ses 
longs  dits  au  moins  se  succèdent  dans  l'ordre  chrono- 
logique. Le  Dit  dou  Vergier,  le  Jugement  doit  Rcy  de 
Behaingne  et  le  Remède  de  Fortune  sont,  par  conséquent, 
antérieurs  à  l'année  1342.  Parmi  ceux-ci,  le  Jugement 
dou  Roy  de  Behaingne  qui  contient  un  éloge  pompeux  de 
ce  souverain  est  évidemment  écrit  à  l'époque  où  le  poète 
était  encore  son  secrétaire,  puisque  Guillaume  y  déclare 
expressément  séjourner  avec  son  maître  au  château  de 
Durbuy.  Et  c'est  précisément  ce  poème  qui  a  établi  la 
renommée  littéraire  de  son  auteur.  Le  problème  que 

1.  Livre  du  Voir  Dit,  p.  i3s. 

2.  Il  se  trouve,  en  réalité,  à  la  cinquième  place;  mais  le  Juge- 
ment dou  Roy  de  Navarre,  qui  est  plus  récent,  a  été  placé  immé- 
diatement après  le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne  qu'il  com- 
plète et  corrige  et  auquel  il  est  intimement  lié. 


INTRODUCTION  XXIX 

Machaut  y  traite  a  soulevé  des  discussions  et  des  cri- 
tiques qui  eurent  pour  conse'quence  de  faire  revenir 
plus  tard  notre  poète  sur  le  même  sujet  et  qui  l'enga- 
gèrent à  donner  au  débat  une  solution  exactement 
opposée  à  sa  première  décision  (Jugement  dou  Roy  de 
Navarre)  C'est  aussi  de  tous  les  dits  de  Machaut  celui 
qui  a  été  reproduit  le  plus  souvent,  et  nous  avons 
rappelé  plus  haut  que  Christine  de  Pisan  et  Martin  Le 
Franc  avaient  repris  le  même  débat.  Enfin,  ici  le  poète, 
pour  la  première  fois,  cache  son  nom  sous  un  ana- 
gramme, ce  qui  fait  présumer  qu'il  jouissait  déjà  d'une 
certaine  notoriété.  A  partir  de  ce  moment  sa  réputation 
de  poète  est  consacrée,  et  sa  faveur  auprès  des  grands 
seigneurs  solidement  établie. 

Machaut  ne  paraît  pas  avoir  conservé  de  relations 
avec  Charles,  fils  de  Jean  de  Luxembourg  et  empereur 
d'Allemagne.  Il  fait  cependant  de  lui  un  éloge  pom- 
peux dans  la  Prise  d'Alexandrie  '  ;  mais  ces  vers,  dans 
leur  froide  banalité,  ne  révèlent  aucune  trace  de  rap- 
ports plus  intimes  ou  de  souvenirs  personnels.  Et  si, 
dans  la  suite,  le  poète  donne  des  détails  minutieux  et 
précis  sur  l'accueil  fait  au  roi  de  Chypre  par  l'empe- 
reur et  sur  leurs  délibérations,  il  peut  les  devoir, 
comme  presque  toute  la  «  matière  »  de  son  poème,  aux 
témoins  oculaires  qu'à  d'autres  occasions  il  invoque  à 
plusieurs  reprises  2.  Eût-il  assisté  en  personne  à  ces 
événements,  il  est  à  peu  près  certain  qu'il  aurait  pris 
soin  de  nous  le  faire  savoir.  Il  faut  donc  supposer  que 
Machaut,   après  avoir    quitté    le    service    du    roi    de 

i.  Prise  d'Alex. ,  v.  987  ss. 

2.  L.  c,  v.  2427  :  «  le  me  dist  uns  chevaliers  »;  v.  3228-29  : 
«  si  com  dire  Poy  celi  qui  y  esloit  »;  v.  5937  ss.  :  «  Cils  Jehans... 
m'aprent  et  m'enseingne  et  m'esaole  et  m'amenistre  ma  matière.  » 


XXX  INTRODUCTION 

Bohême,  ne  sortit  plus  de  France,  où  nous  devons  dès 
lors  rechercher  les  seigneurs  qu'il  servit  et  qui 
devinrent  ses  bienfaiteurs. 

Son  attachement  à  la  maison  de  Luxembourg, 
Machaut  pouvait  le  manifester  en  France  même;  car 
depuis  1 332,  Bonne,  fille  de  Jean  de  Bohême,  était 
l'épouse  de  Jean,  duc  de  Normandie,  le  futur  roi  de 
France.  Guillaume,  en  effet,  fut  au  service  de  cette 
dame,  «  la  milleur  qu'on  peust  trouver  en  ce  monde  '  ». 
«  Moult  la  servi  »,  nous  fait-il  savoir  dans  la  Prise 
d'Alexandrie  2.  Bonne  mourut  en  1349.  Le  service  du 
poète  auprès  d'elle  se  place  donc,  soit  en  même  temps 
que  ses  fonctions  auprès  de  Jean  de  Luxembourg,  soit 
immédiatement  après. 

En  1349,  un  autre  personnage  apparaît  dans  la  vie 
de  Machaut,  Charles  le  Mauvais,  roi  de  Navarre.  On 
sait  les  terribles  fléaux  qui  venaient  de  s'abattre  sur  la 
France  :  la  persécution  des  Juifs,  la  folie  religieuse  des 
Flagellants,  enfin  la  terrible  peste  qui  ravagea  toute 
l'Europe  chrétienne.  Guillaume  vit  de  près  toutes  ces 
misères.  Dans  l'introduction  du  Jugement  doit  Roy  de 
Navarre,  il  en  donne  des  détails  nombreux  et  très  précis, 
très  exacts  aussi,  comme  le  fait  voir  la  comparaison 
avec  les  chroniques  contemporaines.  Lui-même,  nous 
raconte-t-il,  a  passé  le  terrible  hiver  de  1 348-1 349 
enfermé  dans  sa  maison,  sans  en  sortir,  sans  voir  per- 
sonne, sans  trop  savoir  ce  qui  se  passait  autour  de  lui. 
Il  ne  nous  dit  pas  où  il  était  alors  :  probablement 
dans  sa  maison  canoniale  de  Reims,  où  il  se  cloîtrait 
ainsi,  loin  de  la  cour  et  du  service   des  princes.  C'est 

r,  L.  c,  v.  764-65- 
2.  L.  c,  v.  769. 


INTRODUCTION  XXXI 

immédiatement  à  la  suite  de  ces  événements  que  le 
poète  place  sa  fiction  du  Jugement  dou  Roy  de 
Navarre.  Le  débat  porte  sur  le  même  sujet  que  dans 
le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne,  avec  la  différence 
qu'ici  la  décision  première  est  renversée  et  que  le  juge- 
gement  est  placé  dans  la  bouche  du  roi  de  Navarre. 
Or,  c'est  précisément  en  1349  que  ce  prince  qui  n'avait 
pas  encore  vingt  ans  fut  déclaré  majeur  par  Jean  le 
Bon  et  qu'il  prit  possession  de  son  royaume.  Le  poème 
où  Guillaume  ne  manque  pas  de  chanter  les  louanges 
du  «  roi  des  Navarrois  »,  est  évidemment  un  hom- 
mage du  poète  au  nouveau  souverain.  Quoique  Ma- 
chaut  ne  nous  en  dise  rien,  il  y  avait  peut-être  à  ce 
moment  déjà  entre  le  jeune  roi  et  notre  Guillaume  des 
rapports  plus  étroits  de  seigneur  à  serviteur.  Ces  rela- 
tions remontent-elles,  comme  le  pense  M.  A.  Thomas  *, 
à  l'année  1346, après  la  mort  du  roi  Jean?  C'est  ce  qu'on 
ne  saurait,  ni  affirmer,  ni  nier  avec  certitude.  Mais  du 
moment  que  ce  n'est  pas  nécessairement  la  mort  du 
roi  qui  a  rendu  à  Guillaume  sa  liberté,  il  n'y  a  pas  lieu 
de  dater  de  cet  événement  son  entrée  au  service  du  roi 
de  Navarre  qui  alors  n'avait  que  14  ans.  Il  nous  paraît 
plus  probable,  d'accord  en  cela  avec  M.  Suchier3,  d'ad- 
mettre que  ces  rapports  ne  s'établirent  pas  avant  1349, 
alors  que  Charles  devint  roi  de  Navarre  ;  peut-être  même 
furent-ils  la  conséquence  du  poème  composé  en  son 
honneur.  Machaut  resta  fidèle  au  roi  pendant  de  longues 
années.   Lorsqu'en  1 3 56  Charles  devint  prisonnier  du 

1.  Romania,  X,  329,  n.  1. 

2.  Geschichte  der  fran\.  Lit.,  p.  a35.  M.  Suchier  songe  aussi 
à  1 353,  année  où  Charles  de  Navarre  devint  le  gendre  de  Jean 
le  Bon  ;  mais  la  date  du  Jugement  don  Roy  de  Navarre  nous 
reporte  plus  haut. 


XXXII  INTRODUCTION 

roi  de  France  et  fut  tenu  en  captivité  pendant  près  de 
deux  ans,  Guillaume  composa  pour  lui  un  long  poème 
destiné  à  donner  au  captif  royal  courage  et  patience, 
le  Confort  d'ami.  Le  poète  y  confirme  en  toutes  lettres 
son  attachement  au  roi  :  «  sans  riens  retenir  suis  tiens  » 
(v.  24),  et  cela  malgré  les  accusations  qui  pèsent  sur  son 
maître,  accusations  que  Guillaume  taxe  de  calomnies. 
Le  roi  était  en  prison  depuis  dix-huit  mois,  quand 
le  poème  lui  parvint.  Celui-ci  doit  donc  se  dater 
du  mois  d'octobre  1357.  Entre  les  deux  dates  de 
1349  et  ^e  ! 35j  se  place  un  document  qui,  sans  se 
rapporter  à  Guillaume  lui-même,  peut  cependant 
fournir  une  preuve  indirecte  de  son  service  auprès  de 
Charles  de  Navarre  :  le  14  octobre  1 354,  Jean  de 
Machaut,  le  frère  du  poète,  obtient  un  canonicat  à  Toul 
sur  la  demande  de  Charles,  roi  de  Navarre  '  .  Il  avait 
donc  passé,  lui  aussi,  au  service  du  roi.  Ces  deux 
frères  qu'on  trouve  ensemble  chez  le  roi  de  Bohême, qui 
plus  tard  sont  l'un  et  l'autre  chanoines  à  Reims  *,  qui 
sont  enterrés  dans  la  même  tombe  et  dont  les  noms 
sont  réunis  de  nouveau  dans  Tépitaphe,  qui,  par  consé- 
quent, dans  leur  vie  et  jusque  dans  leur  mort,  sont 
intimement  liés  l'un  à  l'autre,  ont  dû  évidemment  servir 
ensemble  ce  roi  de  Navarre  qui,  dans  le  document 
conservé,  récompense  au  moins  l'un  d'eux.  Tout  nous 
permet  de  supposer  que  Guillaume,  aussi  bien  que  Jean, 
servaient  alors  le  même  souverain. 
Après  i35j,  il  n'est  plus  fait  aucune   mention   de 

1.  A.  Thomas,  lue.  cit.,  p.  329,  n.  t. 

2.  Le  i3  septembre  1 355,  Johannes  de  Macimudio  prend  pos- 
session in  propria  de  la  prébende  44  du  chapitre  de  Reims 
(Livre  rouge  du  chapitre.  f°  291  r°).  En  février  1 358  il  figure  parmi 
les  membres  du  chapitre  (Varin,  Arçli.  admin.  de  Reims,  111,  io3). 


INTRODUCTION  XXXIII 

Charles  le  Mauvais  dans  les  œuvres  de  Machaut.  Par 
contre,  on  y  voit  apparaître  désormais  des  membres 
de  la  famille  royale  de  France.  Le  silence  du  poète  sur 
le  roi  de  Navarre,  —  Guillaume  ne  lui  accorde  pas 
même  un  souvenir,  lui  qui  jusque  dans  son  dernier 
poème  rappelle  encore  la  mémoire  de  Jean  de  Bohême, 
de  sa  fille  Bonne,  du  roi  Charles  V,  —  ce  silence  est-il 
l'œuvre  d'un  simple  et  pur  hasard?  Et  l'apparition  de 
Charles  et  de  Jean,  fils  de  Jean  le  Bon,  à  la  place  de 
Charles  le  Mauvais,  est-elle  toute  fortuite?  Charles  de 
Navarre,  bientôt  après  avoir  repris  sa  liberté,  s'était  mis 
en  guerre  ouverte  contre  Charles,  duc  de  Normandie, 
régent  du  royaume  de  France  en  l'absence  de  son  père, 
et  ce  n'est  qu'au  mois  de  mars  1 365  qu'un  traité  défini- 
tif fut  conclu  entre  eux  à  Avignon.  Or,  c'est  précisé- 
ment durant  la  période  de  1 3 58  à  i  365  que  se  placent 
les  poèmes  en  question,  où  figurent  les  princes  de  la 
maison  de  France.  Le  fait  est  assez  significatif  pour 
permettre  de  supposer  que  Guillaume,  fidèle  au  Navar- 
rais  tant  qu'on  ignorait  encore  ses  menées  hostiles 
et  funestes  et  qu'on  pouvait  croire  à  sa  bonne  foi, 
se  détacha  de  son  protecteur,  quand  celui-ci  décou- 
vrit son  jeu  et  se  rallia  ouvertement  aux  adversaires  de 
la  royauté  française.  Guillaume  alors  s'attache  à  ses 
seigneurs  légitimes  de  la  maison  royale  de  France. 
Ce  n'est  pas  que  le  sentiment  patriotique  du  poète 
ait  été  ardent  et  vivace.  On  ne  rencontre  pas,  en 
effet,  dans  l'immense  étendue  des  œuvres  de  Machaut 
d'accent  ému  au  spectacle  des  malheurs  de  la  France 
que  le  poète  pourtant  a  vus  de  bien  près;  on  n'y  trouve 
pas  la  moindre  trace  d'une  joie  causée  par  les  exploits 
d'un  du  Guesclin  ou  par  le  relèvement  du  royaume, 
auxquels  Deschamps  s'est  associé  dans  des  vers  vigou- 

Toine   I.  c 


XXXIV  INTRODUCTION 

reux  et  presque  éloquents.  Dans  le  Confort  d'ami,  Guil- 
laume ne  va-t-il  pas  jusqu'à  féliciter  le  roi  de  Navarre 
de  son  emprisonnement  lors  de  la  bataille  de  Poitiers 
qui  ne  lui  aurait  valu  que  la  mort,  la  captivité  ou  la 
honte  de  la  fuite?  Et  lui-même,  ne  songe-t-il  pas  à  quit- 
ter Reims  devant  la  menace  d'une  invasion  anglaise  et 
ne  se  plaint-il  pas  des  charges  onéreuses  que  nécessite 
la  défense  de  la  ville?  Les  malheurs  que  Guillaume 
déplore,  ce  sont  ceux  dont  il  a  à  souffrir  personnelle- 
ment :  la  peste  de  1349  qui  le  menace  de  mort,  ou  les 
exactions  des  routiers  qui  désolent  les  campagnes  fran- 
çaises et  qui  l'empêchent,  lui,  de  voyager  à  sa  guise. 
Nous  avons  bien  un  lai  où  il  maudit  Fortune  qui  a 
livré  le  roi  de  France  aux  mains  des  Anglais  ;  mais  il 
est  peu  probable  que  ce  poème  qui  ne  figure  que  dans 
un  seul  manuscrit,  notre  ms.  E,  et  qui  manque  dans 
les  exemplaires  les  plus  complets,  A  et  F-G,  soit 
l'œuvre  de  Machaut.  Guillaume,  rimeur  aimable  et 
galant,  ne  se  soucie  guère  plus  de  la  politique  que  ne 
le  fait  un  siècle  plus  tard  le  plus  fameux  et  le  plus  doué 
de  ses  disciples,  Charles  d'Orléans.  Mais  la  rupture 
survenue  entre  les  rois  de  Navarre  et  de  France  mit  le 
poète  dans  la  nécessité  d'opter  pour  l'un  des  deux  par- 
tis ;  il  se  décida  pour  la  maison  de  France  à  qui  appar- 
tenaient Reims  et  la  Champagne. 

Il  est  assez  probable  que  Machaut  ayant  été  au  ser- 
vice de  Bonne  de  Luxembourg  a  eu  des  rapports  person- 
nels avec  son  mari,  le  roi  Jean  le  Bon;  cependant  nous 
n'en  avons  pas  de  preuves  certaines.  L'abbé  Lebeuf,  et 
d'autres  après  lui,  attribuent  à  Guillaume  la  charge  de 
secrétaire  de  ce  roi  '.  Mais  dans  les  vers  de  la  Prise 

1.  Mèm.  de  l'Acad.  des  luscr.  et  Belles-Lettres,  XX,  39S. 


INTRODUCTION  XXXV 

d'Alexandrie1 ,  sur  lesquels  se  base  cette  affirmation, 
Machaut  a  certainement  en  vue  le  roi  Jean  de  Bohême, 
et  non  Jean  II  de  France.  Dans  un  passage  du  Voir 
Dit  où  il  est  question  du  duc  de  Normandie  2,  il  s'agit 
du  futur  roi  Charles  V,  puisque  le  poème  prend  sa  date 
aux  environs  de  1364,  et  non  de  Jean,  son  père,  comme 
le  suppose  Tarbé  qui  place  la  pièce  en  1348.  On  a 
encore  cité  un  autre  témoignage  d'où  il  ressortirait 
avec  toute  l'évidence  désirable  que  Machaut  avait  en 
effet  été  nommé  secrétaire  du  roi  Jean  le  Bon.  C'est 
une  complainte  de  Guillaume.  L'abbé  Lebeuf,  le  pre- 
mier, s'en  est  servi  dans  ce  sens  ;  Tarbé  a  reproduit  cette 
hypothèse  et  Mas  Latrie  l'a  adoptée  sans  discussion  3. 
Machaut,  s'adressant  à  un  roi  dont  il  est  le  secrétaire,  se 
plaint  à  lui  du  comte  de  Tancarville  qui  lui  a  envoyé 
un  cheval  aveugle  et  boiteux.  Cette  «  clameur  »  ne  peut 
avoir  été  écrite  qu'après  1 352,  car  à  cette  date  seulement 
Jean  II  de  Melun,  souverain  maître  de  l'hôtel  du  roi, 
devient  comte  de  Tancarville.  Mais  il  n'est  pas  néces- 
saire d'admettre  qu'elle  ait  été  composée  avant  1 3 56, 
comme  le  veut  Tarbé,  par  la  raison  que  le  comte  fut 
Jait  prisonnier  à  Poitiers.  Après  son  retour  d'Angle- 
terre, Jean  continua  à  jouer  un  rôle  brillant  à  la  cour 
jusqu'à  sa  mort  survenue  en  1 382.  La  pièce  peut  donc 
aussi  avoir  été  écrite  après  la  captivité  du  comte.  Le  poète 
s'y  plaint  de  la  goutte  qui  le  tourmente  et  de  l'affaiblis- 
sement de  sa  vue.  C'est  exactement  son  portrait  du  Voir 

1.  V.  83 1  ss.  Machaut  y  parle,  sans  préciser,  du  bon  roi  qui 
le  nourrit,  «  dont  les  os  sont  pieça  pourris  et  dont  l'ame  est  en 
paradis  ». 

2.  Voir  Dit,  p.  1 36. 

3.  Lebeuf,  loc.  cit.,  p.  38t;  Tarbé,  p.  xxvi  et  197;  Mas  Latrie) 
Prise  d'Alexandrie,  p.  xvi,  n.  2. 


XXXVI  INTRODUCTION 

Dit,  qui  se  place  aux  environs  de  1364.  Comme  ici 
encore  l'insécurité  des  routes  due  aux  violences  et  aux 
exactions  des  «  pilleurs  »  est  pour  lui  une  des  raisons 
de  ne  pas  se  risquer  hors  de  chez  lui,  ce  fait  place  la  com- 
plainte vers  la  même  époque.  Sans  aller  aussi  loin  que 
P.  Paris  qui,  dans  une  note  manuscrite  (ms.  ^4),  adopte 
franchement  la  date  de  1  365,  on  peut  en  tout  cas  consi- 
dérer la  complainte  comme  écrite  à  peu  près  vers  le 
même  temps  que  le  Voir  Dit.  Mais  quel  est  le  roi  rési- 
dant à  Paris  à  qui  s'adresse  le  poète  et  qu'il  veut  aller 
rejoindre  en  France?  On  peut  écarter  Charles  de 
Navarre,  l'un  des  seigneurs  de  Guillaume  :  à  cette 
époque,  ses  rapports  avec  la  maison  de  France  étaient 
trop  tendus  pour  permettre  de  supposer  que,  dans  ce 
cas,  il  ait  pu  faire  obtenir  un  cheval  à  Machaut  par 
l'entremise  du  roi  de  France,  seul  autorisé  à  donner  des 
ordres  au  comte  de  Tancarville  '.  Mais  en  France 
même,  on  a  le  choix  entre  Jean  le  Bon,  revenu  d'An- 
gleterre, et  son  fils  qui  lui  succède  en  1364;  la  pièce 
peut  être  écrite  aussi  bien  avant  qu'après  cette  date,  de 
sorte  que  la  complainte,  malgré  les  renseignements 
qu'elle  fournit  sur  la  personne  du  poète  et  sur  ses  rap- 
ports avec  ses  seigneurs,  nous  laisse  dans  l'incertitude 
sur  le  personnage  royal  dont  il  déclare  ici  avoir  été  le 
secrétaire.  Il  n'est  pas  permis,  par  conséquent,  d'y  trou- 
ver une  preuve  sûre  des  relations  de  Machaut  avec  Jean 

1.  L'autre  supposition  de  P.  Paris,  à  savoir  que  la  complainte 
a  été  adressée  au  roi  de  Navarre  en  r  358,  est  insoutenable  parla 
raison  que  le  comte  de  Tancarville  é'. ait  à  cette  époque  avec  le  roi 
Jean  en;Angleterre  d'où  il  ne  revint  une  première  fois  que  pour  peu 
de  temps,  au  mois  de  mai  1 359,  et  définitivement  avec  son  maître 
à  la  fin  de  l'année  i36o,  pour  retourner  de  nouveau  avec  lui  à 
Londres  en  janvier  1364. 


INTRODUCTION  XXXVII 

le  Bon.  Ces  relations  ont  sans  doute  existé;  mais  la 
seule  preuve  qu'on  en  puisse  vraiment  invoquer,  le  lai 
où  le  poète  déplore  la  défaite  de  Poitiers  et  la  captivité 
du  roi,  est  un  témoignage  de  médiocre  valeur,  comme 
nous  l'avons  fait  voir  plus  haut. 

Par  contre,  Machaut  a  fourni  des  preuves  certaines 
de  ses  rapports  avec  au  moins  deux  des  fils  du  roi 
Jean,  Charles,  le  futur  roi  de  France,  et  Jean,  duc 
de  Berry.  A  différentes  reprises,  Guillaume,  dans  le 
Voir  Dit,  nous  parle  du  duc  de  Normandie  qui  le  mande 
auprès  de  lui,  chez  lequel  il  séjourne  pendant  quelque 
temps,  qui  lui  fait  fête  et  honneur  et  le  comble  de  beaux 
dons.  «  Fais  suis  »,  déclare-t-il,  «  de  sa  nourreture 
Et  suis  sa  droite  créature  »  ;  il  qualifie  le  duc  de  «  mon 
droit  seigneur.  »  Aussi,  lorsque  le  régent,  en  i36i,  se 
rend  à  Reims  pour  trancher  le  différend  survenu  entre 
les  bourgeois  de  la  ville  et  l'archevêque,  il  prend  logis 
dans  la  maison  canoniale  de  Machaut  et  c'est  là  qu'il 
convoque  «  les  eschevins  dudict  Reims  '  ».  Ce  sont  ces 
rapports  intimes  du  futur  héritier  de  la  couronne  de 
France  avec  le  poète  qui  font  supposer  que  la  plainte 
dirigée  contre  le  comte  de  Tancarville  a,  en  effet,  été 
adressée  à  Charles  après  son  avènement  au  trône. 
Machaut,  naturellement,  a  dû  assister  au  sacre  de  son 
maître  à  Reims  «  le  jour  de  la  Trinité,  l'an  mil  trois 
cens  soissante  et  quatre  2  ».  C'est  à  cette  occasion  qu'on 
aurait  chanté  la  messe  conservée  parmi  les  œu- 
vres de  Guillaume.  L'abbé  Rive,  le  premier,  a 
fait   cette   supposition  3,   sans   malheureusement  nous 

i.  Voyez  plus  haut,  p.  xxv. 

2.  Prise  d'Alexandrie,  v.  806-07. 

3.  «  Une  messe  en  musique...  que  l'on  croit  avoir  été  chantée 
au  sacre  de  Charles  V  »(loc.  cit.  p.  11). 


XXXVIII  INTRODUCTION 

faire  connaître  les  données  sur  lesquelles  il  s'appuie. 
Celles-ci  existent-elles  seulement?  Et  n'est-ce  pas  là 
tout  simplement  une  hypothèse  hasardée  sans  aucun 
fondement?  D'autres  auteurs,  Fétis,  Mas  Latrie,   l'ont 
répété  d'après  lui,    sans   fournir  la  moindre  preuve. 
Il  s'agit  donc  ici  d'un  fait  dont  rien  ne  prouve  l'exacti- 
tude et  qu'on  ne  peut  accueillir  que  sous  toutes  réserves. 
Ce  sont  encore  des  suppositions  gratuites  que  celles  de 
Tarbé  prétendant  que  ses  ennemis  firent  bannir  le  poète 
de  la  cour1,  ou  que  celle  de  Mas  Latrie,  prétendant  qu'à 
l'époque  où   Charles  devint  roi  de   France,  Machaut 
«  prit  le  parti  de  fixer  sa  résidence  loin  de  Paris  et  de 
vivre  le  plus   qu'il    pourrait    dans  ses   propriétés  de 
Champagne  ou  du  Gâtinais  2  ».  En  vérité,  rien  ne  nous 
autorise  à  avancer  des  hypothèses  de  ce  genre,   qu'il 
faut  définitivement  écarter  de  la  biographie  du  poète. 
Machaut,  on  l'a  vu,  jouissait  de  la  faveur  de  Charles, 
duc  de  Normandie.  Pourquoi  n'aurait-il  pas  continué 
à  en  jouir  après  l'avènement  de  Charles  au  trône,  même 
s'il  ne  nous  en  parle  pas  expressément? 

Ce  que  nous  savons  des  relations  de  Guillaume  avec 
Jean  de  Berry,  le  frère  du  roi,  peut  confirmer  ce  que 
nous  avançons  ici.  Ce  prince  ne  paraît  qu'une  seule  fois 
dans  l'œuvre  de  Machaut  :  avec  le  poète,  il  est  le  per- 
sonnage principal  du  Livre  de  la  Fontaine  amoureuse . 
Ce  poème  ne  peut  avoir  été  commencé  avant  la  fin  de 
l'année  i36o  \  Nous  y  assistons  au  départ  d'un  grand 
seigneur  qui  se  rend  comme  otage  en  Angleterre,  et  ce 

i.  Loc.  cit.,  p.  xxvin,  à  cause  des  vers  :  «  a  mon  borgne  oucil 
perçoi  Qu'a  court  de  roi  chascuns  y  est  pour  soi  «,  dans  la  Com- 
plainte à  Henri. 

2.  Loc.  cit.,  p.  xvi. 

3.  Voy.  P.   Paris,  dans  le  Voir  Dit,  p.  53,  n.  3  et  p.  69,  n.  1. 


INTRODUCTION  XXXIX 

seigneur,  l'anagramme  à  la  fin  de  l'œuvre  nous  le  révèle, 
est  Jean,  duc  de  Berry  et  d'Auvergne,  qui  alla  à  Londres 
au  mois  de  novembre  de  l'année  i36o.  Jean  vient  de 
recevoir  son  titre  de  duc  ;  ce  fut  évidemment  pour 
Machaut  la  raison  d'écrire  son  poème  à  cette  occasion. 
D'un  autre  côté,  rien  ne  fait  encore  prévoir  le  retour 
du  duc  qui  eut  lieu  vers  la  fin  de  l'année  i3Ô2.  C'est 
donc  entre  la  fin  de  1 36o  et  la  fin  de  1 362  que  fut  écrite 
la  Fontaine  amoureuse  en  l'honneur  de  Jean  de  Berry. 
Celui-ci  ne  paraît  plus  désormais  dans  les  œuvres  de 
Guillaume.  Et  pourtant  leurs  relations  n'ont  pas  dû 
s'en  tenir  là;  car  dix  ans  plus  tard,  dans  un  document 
du  i5  octobre  1 37 1 ,  «  mestre  »  Guillaume  de  Machaut 
figure  parmi  les  nombreux  créanciers  du  duc  '.  Il  s'agit 
très  probablement  de  la  gratification  que  Jean  avait 
nécessairement  dû  allouer  au  poète  pour  son  œuvre  et 
qui  n'aurait  jamais  été  payée.  Le  plus  beau  des  manus- 
crits des  œuvres  de  Machaut,  le  manuscrit  E  (B.  N. 
fr.  9221),  a  été  exécuté  pour  ce  même  duc  de  Berry, 
grand  amateur  de  livres  et  d'objets  d'art.  L'exemplaire, 
il  est  vrai,  est  trop  fautif  pour  qu'on  puisse  supposer 
que  Guillaume  lui-même  le  lui  ait  offert;  mais  il 
remonte  à  une  source  plus  ancienne,  et  c'est  ce  premier 
manuscrit  que  Guillaume  peut  avoir  fait  faire  pour  ce 
prince. 

D'autres  seigneurs  encore  paraissent  dans  l'œuvre  de 
Machaut,  sans  qu'il  soit  possible  d'établir  si  et  quand 
le  poète  a  eu  avec  eux  des  relations  personnelles. 
Il  devait  forcément  au  moins  les  rencontrer  dans  l'en- 
tourage de  ses  protecteurs  royaux,  tel  le  comte  de 
Tancarville  dont  il  a  déjà  été  question    voy.    p.  xxxv), 

1.  Prise  d'Alexandrie,  p,  xvn,  n.  2. 


XL  INTRODUCTION 

tel  monseigneur  le  duc  de  Bar  qui,  avec  plusieurs  autres 
seigneurs,  logea  à  Reims  dans  la  maison  de  Machaut 
lors  d'un  passage  du  roi  Jean  dans  cette  ville,  sans  doute 
en  1 363  %  tel  aussi  monseigneur  de  Loupy,aubon  sou- 
venir duquel  le  poète  se  fait  rappeler  par  l'entremise  de 
dames  qu'il  prétend  n'avoir  jamais  vues  et  qu'il  a  cepen- 
dant longtemps  servies,  honorées  et  chéries2.  Il  s'agit  ici 
sans  doute  de  Raoul  de  Vienne,  sire  de  Loupy,  qui  fut 
gouverneur  du  Dauphiné  d'octobre  1 36 1  à  septem- 
bre 1369.  Le  Voir  Dit,  si  riche  en  renseignements  sur 
les  rapports  de  Machaut  avec  la  haute  aristocratie, 
nous  fait  encore  connaître  un  autre  genre  de  relations 
qui,  de  la  part  d'un  chanoine,  peuvent  paraître  surpre- 
nantes. Le  poète  y  raconte  l'histoire  de  ses  amours  avec 
une  jeune  fille  de  haute  et  noble  extraction.  Un  ana- 
gramme nous  donne  son  prénom  :  Peronne  ou  Peron- 
7ielle,ce  qui  est  confirmé  par  Deschamps  \  Il  faut  donc 
écarter  le  nom  d'Agnès  de  Navarre,  proposé  par  de 
Caylus  et  Tarbé.  D'un  second  anagramme  P.  Paris  4 
a  cru  pouvoir  dégager  le  nom  d'origine  ou  de  famille  i 
d'Armentières.  Malgré  les  contestations  de  M.  Su- 
chier  \  dont   la  solution  est  peu   satisfaisante  fi,  et  de 

1.  Voir  Dit,  p.  262  :  Machaut  à  sa  dame  :  «  Monseigneur  le 
duc  de  Bar  et  pluseurs  autres  seigneurs  ont  esté  en  ma  maison.  » 
Ibid.,  p.  2  5q  :  «  Monseigneur  le  duc  de  Bar  qui  a  geu  en  ma 
maison.  » 

2.  Bal.  191  :  «  Mes  dames  qu'onques  ne  vi,  Je  vous  pri  Qu?a 
mon  signeur  de  Loupy  Faciez  depri  Qu'il  li  souveingne  de  mi... 
Car  lonc  temps  vous  ai  servi  Et  oubeï  Et  honnouré  et  chieri 
De  cuer  d'ami.  » 

3.  Œuvres  complètes,  III    259-60. 

4.  Voir  Dit,  p.  xx  ss. 

5.  Zeitschrift  filv  rom.  Philologie,  XXI.  541-45. 

6.  Cf.  Romani».  XXVII,  i6a-3. 


INTRODUCTION  XLI 

M.Hanf1  qui  ne  voit  dans  le  poème  qu'une  pure  fiction 
sans  fond  réel,  l'identification  proposée  par  P.Paris  est 
sans  contredit  jusqu'ici  la  meilleure  et  la  plus  accep- 
table. D'après  ce  poème,  l'habit  ecclésiastique   n'em- 
pêche pas  Machaut  d'avoir  aussi  des  relations  avec  des 
dames,   et  même,  à   en   croire  l'auteur,   des  relations 
très  intimes.    D'autres  encore  ont  dû  se  partager  le 
cœur  du  poète  :  il  nous  parle  à  diverses  reprises  de 
ses  anciennes   amours,   et  un   anagramme  dans   une 
ballade  nous  donne   le  nom  de    Jehanne9.  Enfin,  le 
dernier   grand    poème   de   Guillaume  est  entièrement 
consacré  à  la  mémoire  de  Pierre  Ier  de  Lusignan,  roi 
de  Chypre  et  de  Jérusalem.   La  Prise  d'Alexandrie 
n'est  autre  chose  que   le   récit    minutieux  et   détaillé 
de  la  vie  de  ce  seigneur  depuis  sa  naissance   jusqu'à 
sa  mort  et  particulièrement  de  ses  hauts  faits  d'armes 
en    Orient   dans    ses    guerres   contre  les  Musulmans- 
A  plusieurs   reprises,    Pierre    était  venu    en  France  ; 
il  avait  assisté  au  sacre  de  Charles  V  à  Reims  en  1364, 
fait  que  Machaut  relève  spécialement,  et  à  cette  occa- 
sion le  poète  l'avait  peut-être  approché.  Mais  il  serait 
bien  surprenant  que  Guillaume,  dans  ce  long  poème,  ne 
nous  eût  pas  clairement  parlé  de  ses  relations  person- 
nelles avec  Pierre,  si  elles  avaient  réellement  existé.  La 
carrière  aventureuse  et  quelque  peu  romanesque  de  ce 
roi  oriental  et  surtout  sa  mort  tragique,  un  régicide, 
l'un  des  crimes  les  plus  odieux  et  les  plus  atroces  pour 
les  consciences  du  moyen  âge  et  qui  causa  dans  l'Eu- 
rope chrétienne   une    émotion    profonde,  c'étaient   là 
pour  le  poète  des  raisons  suffisantes  pour  écrire   un 

i.  Zeitschrift  fur  rom.  Philologie,  XXII,  145-96. 
2.  Zeitschrift  fur  rom.  Philologie,  XXX.  409. 


XLII  INTRODUCTION 

poème  à  la  justification  et  à  la  gloire  du  roi.  Si  d'ail- 
leurs Machaut  n'était  pas  directement  en  rapport  avec 
Pierre  lui-même,  il  connaissait  au  moins  l'un  ou  l'autre 
de  ses  officiers  et  de  ses  serviteurs  :  il  dit  de  Bermond 
de  la  Voulte,  chevalier  du  Vivarais,  chambellan  du  roi 
de  Chypre,  que  chacun  l'aimait  et  que  lui,  Machaut, 
l'aimait  aussi  '  ;  Perceval  de  Cologne,  autre  chambellan 
du  roi,  était,  d'après  notre  auteur,  bien  connu  à  Paris2, 
ce  qui  implique  évidemment  que  Machaut  le  connais- 
sait également.  Tarbé  et  P.  Paris  ont  émis  l'hypothèse 
que  le  Dit  de  la  Marguerite  a  été  composé  par  Machaut 
pour  le  roi  de  Chypre,  le  premier  rappelant  que  Pierre 
de  Lusignan  fit  bâtir  dans  l'île  de  Chypre  une  maison 
de  plaisance  qu'il  nomma  La  Marguerite  \  l'autre 
inscrivant  cette  note  sur  un  manuscrit  de  Machaut, 
sans  dire  ses  raisons.  Mais  aucun  des  poètes  de 
l'époque  n'a  manqué  de  chanter  la  marguerite, 
Froissart  aussi  bien  que  Deschamps,  unissant  dans 
ce  même  nom  l'éloge  et  de  la  fleur  et  de  leur  dame 
qui  s'appelait  ainsi;  Machaut  lui-même,  dans  le  Dit  de 
la  Fleur  de  Lis  et  de  la  Marguerite,  traite  une  seconde 
fois  ce  sujet.  Il  n'y  a  donc  là  rien  qui  vise  tout  particu- 
lièrement le  roi  de  Chypre.  Mais  dans  le  corps  même 
du  poème,  il  est  dit  qu'alors  même  que  le  poète  est  en 
Chypre  ou  en  Egypte,  son  cœur  continue  à  habiter  en 
sa  marguerite.  Pierre  de  Lusignan  pourrait,  en  effet, 
s'exprimer  ainsi;  mais  il  nous  semble  que  ce  n'est  là 
qu'un  lieu  commun  de  la  poésie  amoureuse,  et  l'on 
aurait  tort  d'attribuer  à  ces  mots  un  sens  plus  précis  et 


i.  Prise  d'Alexandrie,  v.  3668. 

2.  Ibid.,  v.  7612. 

3.  Loc.  cit.,  p.  xxix,  n.  1. 


INTRODUCTION  XLIII 

une  signification  littérale,  et  de  voir,  par  conséquent, 
dans  ce  poème  la  preuve  de  relations  personnelles  entre 
le  roi  de  Chypre  et  le  chanoine  de  Reims. 

Le  17  janvier  1369,  eut  lieu  l'assassinat  de  Pierre  de 
Lusignan  qui  inspira  à  Machaut  sa  Prise  d'Alexandrie. 
C'est  son  dernier  poème  de  longue  haleine.  En  1372, 
le  poète  habitait  encore  sa  maison  canoniale  à  Reims. 
Il  mourut  au  mois  d'avril  de  l'année  1  377',  et  fut  enterré 
dans  son  église,  la  cathédrale  de  Reims  ;  son  frère  Jean 
partagea  sa  tombe  fans  qu'on  sache  s'il  mourut  le 
premier.  C'est  ce  que  nous  fait  savoir  leur  épitaphe, 
gravée  sur  une  plaque  de  cuivre,  fixée  à  un  pilier 
de  la  cathédrale  et  disparue  sans  doute  à  l'époque  de 
la  Révolution.  Elle  débute  par  ces  vers  : 

Guillermus  de  Machaudio 
Suusque  Johannes  frater 
Sunt  in  loco  concordio 
Juncti,  sicut  ad  os  crater  etc.  '. 


1.  Manuscrit  de  J.  Weyen,  f.  284  r°  :  «  Obiit  canonicus  remensis 
april.  1377  »  (Tarbé,  p.  xxxiv). 

2.  Le  texte  en  est  donné  par  J.  Weyen  dans  son  manuscrit.  Il  a 
été  publié  par  Tarbé,  p.  184-85,  et  depuis  par  le  Dr  H.  Vincent, 
Les  inscriptions  anciennes  de  V arrondissement  de  Vou^iers 
(Reims,  1892),  p.  266-68  (avec  un  commentaire)  et  par  H.  Jadart, 
Les  inscriptions  de  Notre-Dame  de  Reims  (Reims,  1907),  p.  255- 
56  (Communication  de  M.  Demaison). 


XLIV  INTRODUCTION 


III 


LES     MANUSCRITS 

La  présente  édition  des  œuvres  de  Guillaume  de 
Machaut  est  faite  d'après  les  manuscrits  suivants  : 

Paris,  Bibl.  Nat.  f.    fr.  1584  =  4  (xive  siècle). 

—  —  —  i585=J3  (xive  s.). 
_  _  _  l586  =  C  (xv  s.). 
_                _  _  l587  =  jD  (xve   s^ 

—  —        —      9221  =  ir  (xive  s.). 

—  —  —       22545=  F    (xive  s.). 

—  —  —       22546  =  G     (xivc  s.)  '. 

—  843  =  M  (xv«  s.). 

Berne,  218 =  K    (xive  s.). 

Paris,  Bibl.  de  l'Arsenal  52o3  . .  =  «7     (xive  s.). 

Tous  ces  manuscrits  dont  nous  nous  réservons  de 
donner  une  description  détaillée  plus  tard,  contiennent 
exclusivement  des  œuvres  de  Machaut.  Nous  n'avons 
pas  consulté  un  autre  manuscrit  qui  appartient  à  la 
famille  de  Vogué  et  dont  Mas  Latrie  a  donné  une 
courte  description  dans  son  édition  de  la  Prise 
d'Alexandrie  (p.  xvm-xix).  Nous  le  désignons  par  la 
lettre  V. 

Des  œuvres  isolées  de  notre  poète,  mêlées  à  des  pro- 

1.  Les  deux  manuscrits  F  et  G  ne  forment  en  réalité  qu'un  seul 
et  mûme  manuscrit,  divisé  en  deux  volumes.  L'abbé  Rive  (dans 
Laborde,  Essai  sur  la  musique,  IV)  en  a  donné  une  description 
assez  exacte  et  suffisamment  complète. 


INTRODUCTION  XLV 

ductions  étrangères,  se  trouvent  encore  dans  les  manus- 
crits suivants  : 

Paris,  Bibl.  Nat.  f.  fr.  88 1  —  H  (xv«  s.)  :  une  partie 
du  recueil  des  ballades  sans  musique. 

Paris,  Bibl.  Nat.  f.  fr.  2166  =  P  (xvc  s.)  :  Le  Juge- 
ment dou  Roy  de  Behaingne. 

Paris,  Bibl.  Nat.  f.  fr.  223o  =  R  (xve  s.)  :  Le  Juge- 
ment dou  Roy  de  Behaingne. 

Berne,  A  g5  =  S  :  fragment  du  Confort  d'ami. 

Clermont-Ferrand,  249  =  T  :  Dit  de  la  Harpe  '. 

L'examen  complet  des  rapports  qu'ont  ces  manuscrits 
entre  eux  ne  pourra  être  fait  en  détail  qu'après  la  publi- 
cation de  l'œuvre  entière  de  Machaut.  Pour  le  moment, 
nous  nous  bornerons  à  exposer  brièvement  la  filia- 
tion de  ces  manuscrits  telle  qu'elle  résulte  des  textes 
publiés  dans  ce  premier  volume,  nous  réservant  de 
faire  connaître  plus  tard,  dans  l'étude  d'ensemble,  les 
faits  sur  lesquels  se  base  notre  classification. 

Le  Prologue  ne  se  trouve  en  entier  que  dans  les 
manuscrits  A  et  F  ;  la  première  partie,  c'est-à-dire  les 
quatre  ballades,  existe  seule  dans  E  et  H. 

Le  Dit  dou  Vergier  paraît  dans  les  manuscrits  ABC 
DEFMKJV. 

Le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne  figure  dans  les 
mêmes  manuscrits  que  le  Dit  dou  Vergier,  et,  en  plus, 
dans  P  et  R. 

1.  Signalé  par  M.  P.  Meyer  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des 
anciens  textes,  XV  (1899),  1 14.  Des  refrains,  publiés  par  le  même 
savant  (ibid.,  I,  1874,  25  ss.),  l'ont  supposer  qu'il  y  a  encore 
quelques  poésies  lyriques  de  Machaut  dans  un  manuscrit  français 
de  Westminster  Abbey  sur  lequel  nous  n'avons  pu  obtenir  de 
renseignements  plus  précis. 


XLVI  INTRODUCTION 

Le  Jugement  doit  Roy  de  Navarre  ne  se  trouve  que 
dans  les  manuscrits  ABDEFMV. 

Un  premier  groupe  (a)  est  formé  par  les  trois  manus- 
crits A,  F-G  et  M.  Les  manuscrits  A  et  F-G  sont  les 
plus  riches  et  les  plus  complets  de  tous;  leurs  leçons 
sont  d'ordinaire  les  meilleures;  ils  semblent  avoir  été 
écrits  l'un  et  l'autre  du  vivant  du  poète,  peut-être  même 
sous  sa  surveillance.  Ils  forment,  par  conséquent,  la 
base  de  toute  édition  des  œuvres  de  Machaut.  Indépen- 
dants l'un  de  l'autre,  ils  remontent  nécessairement  à 
une  source  commune  (a)  qui  pourrait  bien  être  le 
manuscrit  personnel  de  Machaut  dont  le  poète  nous 
parle  dans  le  Voir  Dit,  c'est  à-dire  O,  le  manuscrit  ori- 
ginal. M  oscille  entre  les  deux,  sans  dépendre  plus 
directement  de  l'un  que  de  l'autre;  dans  quelques  rares 
cas  il  s'écarte  même  complètement  du  groupe  a  et  offre 
les  leçons  du  second  grand  groupe  (P),  formant  ainsi  en 
quelque  sorte  un  intermédiaire  entre  a  et  p.  Il  ne  sau- 
rait, dans  ces  conditions,  dériver  directement  de  l'ori- 
ginal; il  ne  pourrait  en  provenir  que  par  l'intermédiaire 
d'un  manuscrit  perdu,  m. 

Les  autres  manuscrits  BDEKJ  forment  ensemble  le 
groupe  (3.  Parmi  eux,  les  deux  manuscrits  B  et  D  sont 
plus  étroitement  apparentés,  sans  cependant  dériver  l'un 
de  l'autre.  Ils  ont  une  source  commune  \b)  qui,  quoique 
généralement  d'accord  avec  EKJ,  s'accorde  aussi  quel- 
quefois avec  le  groupe  a  contre  les  autres  manuscrits  du 
groupe  p.  Gomme  m,  b  joue  donc  un  rôle  d'intermé- 
diaire entre  a  et  jî,  mais,  différent  en  cela  de  m,  il  est 
plus  près  de  (3.  Le  manuscrit  B  a  subi  plus  tard,  au 
xve  siècle,  des  corrections  de  seconde  main  ;  nous  les 
désignons  par  B1.  On  les  reconnaît  à  l'encre  plus  foncée. 
Ces  corrections  ne  tendent  généralement  qu'à  un  rajeu- 


INTRODUCTION  XLVH 

nissement  de  l'orthographe  et  de  la  flexion;  rarement, 
la  leçon  primitive  a  été  changée,  sauf  dans  le  cas  de 
fautes  évidentes  '. 

K  et  J,  de  leur  côté,  sont  étroitement  apparentés  l'un 
à  l'autre.  J  dérive  directement  de  K.  Pour  l'établisse- 
ment du  texte,  ils  peuvent  compter  pour  un  seul  manus- 
crit, puisque  /  n'est  que  la  reproduction  pure  et 
simple  de  K. 

E  est  le  plus  complet  des  manuscrits  du  groupe  fi  et, 
comme  exécution,  le  plus  beau  de  tous  nos  manus- 
crits; malheureusement,  il  est  loin  d'être  le  meilleur; 
ses  leçons  sont  souvent  mauvaises,  sa  valeur  pour 
la  constitution  du  texte  est  médiocre.  Dans  l'ordre  des 
pièces,  il  s'écarte  parfois  et  de  [3  et  de  a;  dans  ses  leçons, 
il  se  rapproche  beaucoup  de  K  et  de  J.  Il  offre  une 
parenté  plus  étroite  encore  avec  le  manuscrit//,  dont  il 
ne  nous  est  resté  qu'un  fragment.  E  et  H  ne  dérivent 
pas  l'un  de  l'autre;  ils  exigent  l'admission  d'une  source 
commune  (e).  C'est  cet  e  qui  devait  déjà  offrir  des  leçons 
communes  avec  Ket  J;  aussi  e  etK(J)  font-ils  supposer 
une  source  commune  (k).  Ce  sont  donc  les  groupes  b 
et  k  avec  leurs  dérivés  qui  forment  ensemble  le 
groupe  p. 

Enfin  le  manuscrit  C  ne  rentre  dans  aucun  des  deux 
groupes.  Dans  certaines  parties  il  s'accorde  avec  a,  dans 
d'autres  avec  p.  Dans  l'ordre  des  pièces,  il  diffère  abso- 
lument de  tous  les  autres  manuscrits;  il  ne  remonte  en 
tout  cas  pas  directement  à  l'original.  Il  ne  semble  pas 
avoir  été  copié  d'après  un  seul  manuscrit,  mais  plutôt 
avoir  été  composé  de  pièces  isolées  qui  ont  dû  exister  à 

i.  Le  manuscrit  F  doit  rentrer  dans  le  groupe  6,  à  en  juger  par 
le  contenu  et  l'ordre  des  pièces  donnés  par  Mas  Latrie.  Il  est  en 
cela  en  tous  points  d'accord  avec  B. 


XLVIII  INTRODUCTION 

côté  des  œuvres  complètes  de  Machaut  (les  manuscrits 
P  et  R  en  fournissent  la  preuve)  et  qui  ont  été  réunies 
par  quelque  amateur  de  poésie  dans  un  recueil  c,  d'où  C 
est  dérivé;  car  l'uniformité  d'exécution  de  C  ne  permet 
guère  d'admettre  que  ce  soit  ce  manuscrit  lui-même  qui 
ait  été  le  premier  recueil  de  ce  genre. 

Parmi  les  manuscrits  qui  ne  contiennent  que  des 
œuvres  isolées  de  Machaut,  H  est  tout  près  de  if,  comme 
nous  l'avons  établi  plus  haut  déjà.  R  est  apparenté  à 
EKJ,  sans  toutefois  dériver  de  l'un  de  ces  manuscrits. 
Nous  devons,  par  conséquent,  le  rattacher  à  leur  source 
commune  k,  peut-être,  vu  sa  date  assez  récente,  par  un 
intermédiaire  r.  P  se  montre  assez  étroitement  lié  à  C; 
mais  des  divergences  assez  sérieuses  l'en  éloignent  suffi- 
samment, pour  nous  obliger  à  admettre  pour  eux  une 
source  commune  c,  ce  qui  confirme  le  résultat  de  nos 
recherches  sur  C.  Voici  donc  le  tableau  généalogique 
des  manuscrits  de  Machaut  : 


m  b 

jf    Bt&)~pVQ)  c        (>■■)     K    C  (P) 


E  (H)  (R) 

Les  signes  x  et  [i  ne  désignent  pas  nécessairement 
quelque  manuscrit  perdu  qui  serait  la  source  commune 
des  manuscrits  conservés  que  nous  plaçons  sous  ces 
lettres;  ils  servent  plutôt  à  faire  voir  d'une  façon  plus 
nette  les  deux  grands  groupes  de  manuscrits  que  nous 
avons  cru  pouvoir  reconnaître.  De  môme  a,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  source  d'où  dérivent  A  et  F-G, 


INTRODUCTION  XLIX 

n'est  peut-être  tout  simplement  rien  autre  que  l'ori- 
ginal lui-même  dans  la  dernière  phase  de  son  déve- 
loppement. Par  conséquent,  comme  manuscrits  pro- 
cédant immédiatement  du  manuscrit  original,  nous 
comptons  ceux  que  nous  avons  désignés  par  les 
lettres  m,  b  et  k  (manuscrits  perdus),  A  et  F-G  (manus- 
crits conservés);  quant  à  c,  la  question  reste  pendante. 
Mais  si  ces  manuscrits  si  différents  l'un  de  l'autre 
remontent  tous  au  même  original,  comment  expliquer 
leurs  divergences?  En  voici  l'explication  dont  nous 
aurons  à  donner  les  raisons  plus  tard  :  O,  l'original, 
était  sans  doute  le  manuscrit  qui  appartenait  à  Machaut 
lui-même  et  où  il  mettait  «  toute  ses  choses  »,  comme 
il  nous  le  fait  savoir  dans  le  Voir  Dit.  Or,  ce  manuscrit, 
naturellement,  ne  fut  constitué  que  peu  à  peu,  au  fur  et 
à  mesure  que  le  poète  achevait  ses  poèmes  et  les  insérait 
dans  la  collection  de  ses  œuvres.  C'est  d'après  son 
propre  manuscrit  que  Machaut  lui-même,  à  diverses 
reprises,  fit  exécuter  des  copies  destinées  à  ses  protec- 
teurs et  seigneurs  ;  telle  la  copie  dont  il  nous  parle  au 
début  du  Voir  Dit  et  qui,  par  conséquent,  ne  pouvait 
contenir  que  des  œuvres  antérieures  à  1364.  Il  existait 
donc  du  vivant  même  du  poète  des  manuscrits  qui  ne 
contenaient  qu'une  partie  de  ses  œuvres,  partie  plus  ou 
moins  considérable  selon  l'époque  où  ils  furent  écrits, 
d'après  l'état  plus  ou  moins  avancé  de  l'original  de 
Guillaume.  Ces  copies  présentaient  les  œuvres  de 
Machaut  dans  les  différentes  phases  de  leur  déve- 
loppement, et  les  manuscrits  que  nous  possédons 
encore  aujourd'hui  reproduisent  en  quelque  sorte 
quelques-unes  au  moins  de  ces  étapes  dans  le  progrès 
de  l'œuvre  du  poète.  La  première  de  ces  étapes  est 
représentée   par  le  manuscrit    C,  une  seconde  par  le 

Tome  I.  d 


L  INTRODUCTION 

groupe  p  ',  une  troisième  par  M,  enfin  la  dernière  par 
A  et  F-G.  Nous  avons  là  comme  plusieurs  éditions 
d'un  même  recueil,  des  éditions  considérablement  aug- 
mentées l'une  par  rapport  à  l'autre,  et  aussi  revues  et 
corrigées  par  le  poète  lui-même  dans  le  texte  qu'elles 
offrent. 

Pour  la  constitution  du  texte,  il  faut,  par  conséquent, 
s'attacher  aux  manuscrits  les  plus  complets,  qui  con- 
tiennent en  quelque  sorte  la  dernière  rédaction  des 
œuvres  de  Machaut,  la  forme  définitive  que  l'auteur 
voulait  leur  donner  :  ce  sont  A  et  F-G.  Aux  leçons  com- 
munes à  ces  deux  manuscrits  on  donnera  la  préférence 
sur  toutes  les  autres;  non  pas  que  celles-ci  soient  néces- 
sairement fautives  ou  moins  bonnes  (comme  celles  de 
A  et  de  F-G,  elles  peuvent  être  dues  à  Machaut  lui- 
même);  mais  le  poète,  dans  les  éditions  plus  récentes, 
les  a  rejetées  et  remplacées  par  d'autres  qui  lui  parais- 
saient préférables.  Y  a-t-il  par  contre  désaccord  entre 
A  et  F-G,  c'est  la  leçon  commune  à  l'un  de  ces  deux  ma- 
nuscrits et  aux  manuscrits  du  groupe  p  qui  prévaudra 
généralement,  les  copistes  de  A  et  de  F-G  n'étant  pas 
infaillibles.  Quelquefois  même  la  leçon  que  donne  l'en- 
semble des  manuscrits  demande  à  être  corrigée.  Dans 
le  groupe  p,  ce  sont  B  et  D  qui  donnent  les  leçons  les 
plus  sûres;  dans  E  [H)  et  K  (J)  les  copistes  ont  très 
souvent  introduit  des  leçons  qui  leur  sont  personnelles 
et  qu'on  a  le  droit  de  rejeter  sans  examen.  L'accord 

i.  Dans  le  groupe  p,  les  manuscrits  E  et  H  paraissent  s'opposer 
à  ce  que  nous  avançons  ici,  car  ils  contiennent  plus  de  matière 
qu'il  ne  pouvait  s'en  trouver  dans  b  ou  /t  (par  exemple,  une  partie 
du  Prologue).  Mais  ce  sont  là  des  manuscrits  plus  récents,  écrits 
après  la  mort  de  Guillaume;  les  parties  plus  nouvelles  ont  été 
ajoutées  plus  tard  d'après  d'autres  manuscrits  plus  complets. 


INTRODUCTION  LI 

entre  A  F-G  et  B  D  nous  offre  la  garantie  de  la  bonne 
leçon  ;  en  cas  de  désaccord,  A  -f-  BD  prévaudront  géné- 
ralement contre  F-G,  F-G  -\-  BD  contre  ,4,  A  -\-F-G 
contre  BD.  Ce  n'est  là  qu'une  règle  générale  qui, 
comme  toute  règle,  a  ses  exceptions. 

Pour  l'orthographe,  nous  avons,  comme  pour  le 
texte,  suivi  les  manuscrits  A  et  F-G  datant  de  la 
seconde  moite  du  xive  siècle  et  ayant  été  écrits  du 
vivant  du  poète  qui  en  a  sans  doute  surveillé  l'exécu- 
tion. Nous  n'avons  pas  tenté  l'essai  inutile  et  in- 
fructueux d'unifier  la  graphie  de  notre  texte;  mais 
nous  avons  donné  dans  les  variantes  les  graphies  d\A 
ou  de  F-G,  quand  pour  quelque  raison  nous  avons  cru 
devoir  nous  en  écarter.  Quant  aux  autres  manuscrits, 
nous  n'en  donnons  que  les  variantes  de  sens;  les  parti- 
cularités de  leur  orthographe  seront  relevées  en  détail 
dans  la  description  que  nous  donnerons  plus  tard  de 
ces  manuscrits.  C'est  ailleurs  aussi  que  nous  présente- 
rons le  résultat  de  notre  étude  sur  la  langue  du  poète. 


LU  INTRODUCTION 

IV 

LES  ŒUVRES 

Ce  n'est  ici  ni  le  lieu  ni  le  moment  de  juger  dans 
son  ensemble  l'œuvre  de  Machaut  et  de  déterminer 
la  place  qui  lui  revient  dans  l'histoire  littéraire. 
Les  œuvres  de  Guillaume  de  Machaut  que  nous  nous 
proposons  de  publier,  à  l'exception  du  Voir  Dit  et  de  la 
Prise  d'Alexandrie  qui  ont  fait  l'objet  de  publications 
séparées  facilement  abordables,  occupent  dans  la  littéra- 
ture française  du  moyen  âge  une  place  considérable  ;  elles 
se  partagent  nettement  en  deux  catégories  différentes  : 
les  poésies  lyriques,  comprenant  les  ballades,  rondeaux, 
virelais,  lais,  complaintes  et  motets,  et  les  poésies  nar- 
ratives et  didactiques,  c'est-à-dire  les  dits.  C'est  par 
ceux-ci  que  doit  commencer  l'édition  des  œuvres  de 
Machaut  d'après  «  l'ordenance  que  Guillaume  de  Ma- 
chaut vuet  qu'il  ait  en  son  livre  »  '.  Nous  nous  bor- 
nons en  tête  de  ce  premier  tome  à  faire  figurer  les 
notices  des  poèmes  qui  y  sont  publiés.  On  retrouvera 
de  même  dans  chacun  des  volumes  suivants  les  obser- 
vations nécessaires  relatives  aux  pièces  qu'ils  contien- 
dront. 

/.  —  Le  Prologue. 

Dans  les  meilleurs  manuscrits,  qui  sont  en  même 
temps  les  plus  complets,  les  manuscrits  A  etF-G2,  le 

i.  Termes  de  la  rubrique  qui  précède  la  Table  de  notre  ma- 
nuscrit A. 

2.  Les  manuscrits  E  et  H  ne  contiennent  du  Prologue  que  les 
ballades,  et  non  la  partie  en  rimes  plates. 


INTRODUCTION  LUI 

recueil  des  poésies  de  Machaut  est  précédé  de  plusieurs 
pièces  en  vers,  dont  l'ensemble  forme  comme  la  pré- 
face, le  Prologue,  des  œuvres  complètes  du  poète  ' . 
Ce  Prologue  comprend  quatre  ballades  et  une  courte 
pièce  de    184  vers  octosyllabiques  en  rimes  plates.  Les 
ballades  forment  deux  groupes    :   dans    le    premier, 
Nature  offre  à  Guillaume  ses  enfants  Scens,  Retorique 
ex  Musique,  afin  de  lui  faciliter  son  œuvre  de  poète,  et 
Machaut  répond  en  la  remerciant;  dans  l'autre,  Amours 
lui  présente  Doits  Penser,  Plaisance  et  Espérance  qui 
lui  fourniront  la  matière  de  ses  chants,  et  Guillaume 
remercie  encore  de  cet  autre  don.  Dans  la  partie  en  rimes 
,  plates,  le  poète,  s'étendant  sur  la  valeur  des  dons  de 
|  Nature  et  d'Amours,  en  profite  pour  exposer  ses  théo- 
ries littéraires  :  il  énumère  les  différents  genres  poé- 
tiques   qu'il    cultive    (v.    11- 18);    il   prouve    que    la 
pratique  de  la  poésie    rend  l'homme  bon  et   joyeux 
(v.   26-84);  il  vante  les  mérites  de  Musique,  citant  à 
l'appui    des    exemples    bibliques    et     mythologiques 
(v.  85-146);  il  dénombre  les  variétés  de  rimes  que  lui 
enseigne  Rhétorique  (v.  147-158);  et  finalement,  pour 
obéira  Nature  et  à.  Amours,  et  pour  plaire  aux  dames, 
il  annonce  qu'il  va  commencer  le  Dit  dou  Vergier.  Ces 
derniers  vers  paraissent  rattacher  le  Prologue  au  Dit 
dou  Vergier  qui  est,  comme  nous  le   ferons  voir  ail- 
leurs, le  premier  et  le  plus  ancien  des  dits  de  Machaut. 
Dans  ce  cas,  cette  introduction  aurait  été  écrite,  avant 

1.  Tarbé  avait  déjà  donné  ce  titre  de  Prologue  à  l'ensemble  de 
ces  premières  poésies  qui  ouvrent  l'œuvre  de  Machaut.  Le  mot 
ne  se  trouve  que  dans  la  Table  du  manuscrit  E  :  Cy  fine  le  pro- 
logue. C'est  là  que  nous  nous  sommes  permis  de  prendre 
cette  désignation  aussi  exacte  que  commode  qui  n'a  qu'un  défaut 
celui  de  ne  pas  provenir  de  Machaut  lui-même. 


UV  INTRODUCTION 

même  que  le  poète  n'ait  commencé  son  véritable  travail 
littéraire.  Or,  cela  ne  peut  être;  au  contraire,  l'auteur, 
lorsqu'il  écrivait  ces  vers,  avait  sous  les  yeux  son 
œuvre  poétique  tout  entière,  ou  au  moins  à  peu  près 
terminée,  et  c'est  sur  l'ensemble  de  ses  productions  ly- 
riques, sur  ses  dits,  sur  ses  compositions  musicales, 
que  porte  le  jugement  qu'il  émet  dans  le  Prologue.  La 
preuve  matérielle  de  ce  fait  est  donnée  dans  notre 
manuscrit  A.  D'après  l'ancienne  pagination,  ce  ma- 
nuscrit commençait  par  le  Dit  doit  Vergier  ;  lorsqu'il 
fut  complètement  terminé,  on  en  dressa  la  table, 
qui  fut  placée  en  tête  du  volume.  Mais  le  même  cahier, 
qui  par  suite  n'a  pu  être  écrit  qu'après  la  constitution 
définitive  du  manuscrit,  contient  aussi  le  Prologue. 
Celui-ci,  par  conséquent,  a  été  composé,  comme  la  table, 
au  moment  où  l'activité  littéraire  et  poétique  de  Ma- 
chaut  touchait  à  sa  fin.  Cela  est  confirmé  par  l'absence 
du  Prologue  dans  les  manuscrits  BDVKJ :  les  sources 
d'où  dérivent  ces  manuscrits  remontent  à  une  époque 
où  Machaut  n'avait  pas  encore  écrit  son  Prologue, 
comme  le  prouve  aussi  l'état  incomplet  de  ces  manus- 
crits, où  manquent  les  dernières  œuvres  du  poète.  Une 
autre  raison  qui  empêche  encore  d'admettre  entre  le 
Prologue  et  le  Dit  dou  Vergier  une  relation  plus  étroite 
est  que  dans  le  Dit  dou  Vergier  il  n'existe  ni  poésie 
lyrique,  ni  musique,  tandis  que  le  Prologue  s'étend 
longuement  sur  ces  deux  points.  En  écrivant  son  Pro- 
logue, Machaut  n'a  donc  pas  eu  en  vue  ce  Dit  dou 
Vergier,  mais  bien  l'ensemble  de  ses  œuvres. 

Ce  Prologue  est  comme  un  raccourci  de  toute 
l'œuvre  du  poète,  tant  dans  la  forme  que  dans  le  fond  : 
les  ballades  représentent  sa  poésie  lyrique,  la  partie 
en  rimes  plates  sa  poésie  narrative  et  didactique  ;  on 


INTRODUCTION  LV 

y  trouve  des  allégories  empruntées  au  Roman  de  la  Rose 
et  des  «  exemples  »  tirés  de  la  Bible  ou  des  auteurs  an- 
ciens, qui  servent  à  instruire  le  lecteur  et  à  prouver  les 
assertions  de  l'auteur  ;  et  c'est  le  poète  lui-même,  nommé 
en  toutes  lettres,  qui  occupe  le  premier  plan  de  l'action 
et  qui  nous  entretient  de  ses  idées  et  de  ses  sentiments 
personnels.  Or,  ce  sont  bien  là  les  trois  éléments  prin- 
cipaux de  la  poésie  de  Machaut  :  l'allégorie,  le  récit 
biblique  ou  mythologique,  et  l'attribution  du  rôle 
principal  à  la  propre  personne  du  poète  en  un  bizarre 
mélange  de  fiction  et  de  réalité.  Ainsi,  le  Prologue 
suffit  déjà  à  nous  faire  connaître  dans  ses  grandes 
lignes    le  poète   et  son  œuvre. 

//.  —  Le  Dit  don  Vergier. 

Le  Prologue  datant  des  dernières  années  de  Machaut, 
c'est  le  Dit  dou  Vergier  qui  ouvre  la  série  de  ses  dits. 
Le  poète  lui-même,  d'après  les  derniers  vers  du  Pro- 
logue, veut  que  ce  dit  soit  placé  en  tête  de  ses  œuvres, 
et  c'est  bien,  en  effet,  une  œuvre  de  jeunesse,  sans  doute 
le  premier  essai  littéraire  de  longue  haleine  du  jeune 
poète  '.  La  place  qu'il  occupe  2,  l'absence  de  l'ana- 
gramme habituel  où  le  poète  se  nomme  3,  l'infériorité 

i.  Ge  n'était  pas  l'avis  de  Tarbé  qui  dit  expressément  (/.  c, 
p.  xi)  :  «  Le  Dit  du  Vergier  ne  nous  paraît  pas  une  œuvre  de 
jeunesse;  c'est  un  second  prologue  ». 

2.  Nous  espérons  démontrer  ailleurs  que  les  dits  —  et  sans 
doute  aussi  les  poésies  lyriques  de  Machaut  — se  succèdent  dans 
l'ordre  chronologique.  Le  Dit  doit  Vergier  occupant  la  première 
place  serait  donc  le  plus  ancien  des  dits  du  poète. 

3.  L'anagramme  ne  pouvait  avoir  une  raison  d'être  qu'à  partir 
du  moment  où  le  poète  avait  acquis  un    certain  renom.  Il   est 


LVI  INTRODUCTION 

technique  de  ce  poème  par  comparaison  avec  les  autres 
dits1,  enfin  son  contenu  auquel  manque  presque  com- 
plètement la  note  personnelle  et  originale  qu'on  trouve 
par  tout  ailleurs,  tout  cela  contribue  à  nous  confirmer 
dans  cette  pensée  que  le  Dit  doit  Vergier  marque  le 
début  littéraire  de  Machaut. 

Comme  tous  les  poètes  de  son  époque,  Guillaume  de 
Machaut  a  subi  l'influence  profonde  du  Roman  de  la 
Rose.  Son  Dit  doit  Vergier  n'est  qu'une  imitation  ser- 
ville  du  chef-d'œuvre  de  Guillaume  de  Lorris  et  de  Jean 
de  Meun;  il  lui  emprunte  et  ses  principaux  éléments  et 
sa  donnée  fondamentale.  C'est,  de  même  que  dans  son 
grand  modèle,  une  vision  que  le  poète  raconte.  Cette 
vision,  il  l'a  eue  dans  ce  merveilleux  verger  d'Amours 
où  se  passait  aussi  l'action  du  Roman  de  la  Rose.  Guil- 
laume y  rencontre  le  Dieu  d'Amours  accompagné  de 
les  servantes  et  servants  que  lui  avait  déjà  attribués 
Guillaume  de  Lorris  :  Franchise,  Pitié,  etc.  Le  dieu 
lui  énumère  toutes  ses  qualités  et  dépeint  sa  puis- 
sance, en  expliquant  les    attributs  symboliques  dont 

assez  probable  que  dans  son  premier  poème  cette  façon  de  se 
déclarer  Fauteur  de  la  pièce  n'a  pas  dû  venir  à  Guillaume  ,  alors 
inconnu. 

i.  C'est  notamment  par  la  pauvreté  des  rimes  que  le  Dit  doit 
Vergier  se  distingue  des  autres  poèmes  de  Machaut.  La  propor- 
tion des  rimes  léonines  dans  le  Dit  doit  Vergier  est  de  19  0/0, 
dans  le  Roy  de  Navarre  de  35  o/o,  dans  le  Remède  de  Fortune 
de  3i  0/0,  dans  le  Dit  doit  Lion  de  34  0/0.  Ajoute-t-on  les 
rimes  féminines,  considérées  comme  léonines  par  les  poètes  du 
moyen  âge,  leur  nombre  n'atteint  cp.c  5o  0/0  dans  le  Dit  doit 
Vergier  contre  une  moyenne  de  71  à  840/0  partout  ailleurs, 
Les  rimes  suffisantes  dans  le  Dit  doit  Vergier  sont  de  14  0/0 
dans  le  Remède  de  Fortune  de  3  0/0,  dans  le  Roy  de  Navarre  et  le 
Dit  doit  Lion  de  0,4  et  0,6  0/0. 


INTRODUCTION  LVII 

il  était  déjà  revêtu  longtemps  avant  notre  poète.  Le 
sujet  principal  du  récit  est  la  description  de  la  lutte  de 
ses  partisans  contre  ses  ennemis  bien  connus:  Danger, 
Peur,  Honte,  et  la  victoire  finale  du  dieu.  Tous  ces 
éléments  —  et  c'est  là  à  peu  près  tout  le  poème  — , 
Machaut  les  a  empruntés  au  Roman  de  la  Rose  \  Mais, 
en  les  combinant,  il  est  resté  inférieur  au  modèle  dont 
il  s'inspirait.  L'heureuse  idée  de  Guillaume  de  Lorris, 
de  remplacer  un  exposé  froid  et  morne  par  une  action 
vivante  et  mouvementée,  Machaut  l'a  abandonnée  :  tout 
son  poème  n'est,  sauf  l'introduction  et  le  dénouement, 
qu'un  seul  et  interminable  discours  du  Dieu  d'Amours, 
une  simple  énumération  de  règles  et  de  préceptes,  véri- 
table œuvre  d'école  sans  originalité,  sans  note  intime, 
ni  personnelle.  Nulle  part  ailleurs,  Machaut  ne  se  mon- 
trera, comme  ici,  simple  et  médiocre  imitateur  d'un 
remarquable  modèle. 

Cependant,  quelques  rares  changements  introduits 
dans  les  emprunts  faits  au  Roman  de  la  Rose,  déno- 
tent déjà  les  traits  caractéristiques  de  Machaut.  A  la 
place  du  personnage  abstrait  de  l'Amant,  créé  par  Guil- 
laume de   Lorris,  le  poète  du  xive  siècle  met  sa  propre 

i.  Certains  vers  du  Dit  don  Vergier  sont  presque  des  emprunts 
directs  au  Roman  de  la  Rose,  p.  ex.  les  vers  65-66  :  «  Je  ne  say 
que  ce  pôoit  estre  Fors  que  le  paradis  terrestre»,  qui  répètent  ces 
vers  de  Guillaume  de  Lorris  :  «  Et  sachiez  que  je  cuiday  estre 
Pour  voir  en  paradis  terrestre  »,  ou  bien  les  vers  38-3g  :  «  ..tous 
seus,  sans  conduit  M'en  alay  parmi  le  vergier  »,  dans  le  Romande 
la  Rose:  «  Si  m'en  alay  seus  esbatant  Par  le  vergier  de  ça  en  la  ». 
Ailleurs,  dans  son  Dit  de  la  Rose,  Machaut  résume  en  106  vers 
la  donnée  fondamentale  du  roman  de  Guillaume  de  Lorris,  dont 
il  conserve  alors  l'allégorie,  abandonnée  dans  le  Dit  dou  Ver- 
gier. Il  nous  montre  par  là,  ce  qu'on  devait  supposer  a  priori, 
qu'il  avait  étudié  à  fond  ce  roman. 


LVIII  INTRODUCTION 

personne  :  c'est   avec  Guillaume   lui-même   que  s'en- 
tretient le  Dieu  d'Amours,  et  ce  sont  les  questions  du 
poète  qui  provoquent  les  explications  du  dieu.  Ce  n'est 
pas  là  précisément  une  innovation  de  Machaut;  déjà 
d'autres  poètes  avant  lui  s'étaient  ainsi  mis  eux-mêmes 
en  avant  en  des  œuvres  qui  gravitaient  également  dans 
l'orbite  du  Roman  de  la  Rose.  Mais  le  fait  mérite  d'être 
signalé,   parce   qu'il  répond  à  cette  tendance  si  parti- 
culière de  notre  poète  de  s'attribuer  à  lui-même  un  rôle, 
et  le  plus  souvent  le  rôle  principal,  dans  ses  poèmes. 
Le  but  que  Machaut  poursuivait  ainsi  était  de  donner  à 
ses   fictions  poétiques   une  plus  grande  apparence  de 
réalité.  C'est  le  même  souci  qui  l'incite  à  émailler  ses 
poèmes  de  traits  empruntés  à  la  vie  réelle,  de  petits  dé- 
tails propres  à  donner  à  ses  inventions  le  caractère  de 
quelque  chose   de  vrai,   de  vécu.    Le    Dit  dou    Ver- 
gier  nous  en  offre  un    exemple    dans  la  façon   dont 
Machaut  raconte  son  réveil  après  sa  conversation  avec 
le  Dieu  d'Amours.  Celui-ci,  qui,  pendant  la  conversa- 
tion avec  le  poète,  était  perché  sur  un  arbrisseau,  dispa- 
raît finalement,  en  s'élançant  dans  les  airs.  Le  mouve- 
ment est  assez  violent  pour  ébranler  tout  l'arbre,  si 
bien  que  la  rosée  en  tombe  sur  le  visage  du  dormeur  et 
le  tire  de  son  rêve,  du  «  transissement  »  où  il  avait  été  si 
longtemps.  Il  est  tout  étonné  de  ne  plus  rien  trouver  de 
ce  qu'il  avait  vu  et  entendu;  heureusement,  il  lui  reste 
les  leçons  et  les  exhortations  du  dieu.  Qu'on  compare  ce 
réveil  de  Machaut  au  brusque  dénouement  que  Jean  de 
Meun  donne  au  Roman  de  la  Rose,  et  l'on  verra  sans 
peine  qu'ici  notre  auteur  est  supérieur  à  son  modèle. 
L'étude  des  œuvres  suivantes  prouvera  que  ce  mélange 
de  fantaisie  et  de  réalisme,  comme  on  le  rencontre  ici 
déjà,  est  l'un  des  traits  caractéristiques  du  génie  poé- 


INTRODUCTION  LIX 

tique  de  Machaut,  et  qu'il  lui  doit  parfois   des  effets 
heureux  et  charmants. 

III.  —  Le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne. 

D'après  la  place  qu'il  occupe  dans  tous  nos  bons 
manuscrits,  le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne  est  le 
deuxième  en  date  des  grands  poèmes  de  Machaut.  Il 
fut  composé  du  vivant  de  Jean  de  Luxembourg^  roi  de 
Bohême,  c'est-à-dire  avant  1346  '.  Le  quatrième  dit  de 
Guillaume,  le  Dit  dou  Lion,  étant  écrit  en  1342,  il  faut 
placer  notre  Jugement  avant  cette  date  2.  Cette  date  se 
trouve  confirmée,  assez  vaguement  du  reste,  par  ce  fait 
que  le  poète  nomme  Jeunesse  parmi  les  personnages 
allégoriques  qui  entourent  le  roi  et  qui  personnifient 
ses  qualités.  Or,  le  roi  Jean  est  né  en  1296;  par  consé- 
quent, le  poème  peut  parfaitement  remonter  encore  à 
quelques  années  avant  1342,  peut-être  même  avant 
1 340,  année  où  Machaut  est  en  possession  de  son  cano- 
nicat  et  réside  à  Reims,  loin  du  roi. 

L'étude  des  rimes,  d'un  secours  si  utile  pour  le  Dit 
dou  Vergier,  ne  peut  rien  nous  apprendre  ici;  carie 
poème  n'est  pas  écrit  dans  la  forme  ordinaire  des  dits 
de  Machaut,  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  plates, 
mais  dans  une  forme  demi-strophique  3  qui  ne  reparaît 

1.  Seul  notre  manuscrit  M  semble  s'opposer  à  cette  hypothèse; 
car  le  titre  porte  dans  ce  manuscrit  :  Jugement  dou  Roi  de  Be- 
haingne dont  Dieus  ait  l'ame.  Mais  le  manuscrit  date  du  xve  siè- 
cle, et  le  titre  doit  être  mis  au  compte  du  copiste.  Tarbé, 
cependant,  s'est  laissé  induire  en  erreur  et  place  le  poème  entre 
1 347  et  1349. 

2.  Voyez  plus  haut,  p.  xxvm. 

3.  C'est  la  forme  que  M.  Grôber  (Grundriss,  II,  1,  706)  appelle 
Privilegstrophe,  et  M.  Suchier,  Richeutform  (Geschichte  der  franc. 
Literatur,  p.  21 5). 


LX  INTRODUCTION 

plus  ailleurs  sous  la  plume  du  poète,  sauf,  avec  quelques 
modifications,  dans  certaines  pièces  lyriques,  les  Com- 
plaintes '.  La  strophe  se  compose  de  quatre  vers  :  les 
trois  premiers,  de  dix  syllabes,  sont  reliés  entre  eux  par 
la  même  rime;  le  quatrième  n'a  que  quatre  syllabes  et 
introduit  une  nouvelle  rime  qui  est  reprise  par  les  trois 
grands  vers  de  la  strophe  suivante  ;  et  puis  le  quatrième 
vers,  plus  court,  amène  de  nouveau  une  autre  rime 
répétée  dans  les  vers  décasyllabiques  qui  lui  succèdent, 
etc.,  (ajoaioaio d^.  —  bio  bjo  bioC^.  ~~ ~Cio  CioCiou^,  etc.}.  L,es 
strophes,  de  cette  façon,  sont  indissolublement  enchaî- 
nées l'une  à  l'autre  en  une  suite  ininterrompue  d'après 
le  principe  qui  préside  au  système  plus  ingénieux 
encore  de  la  ter\a  rima  de  la  Divine  Comédie  2.  La 
même  rime  paraît  quatre  fois  de  suite;  il  était  donc 
bien  plus  malaisé  pour  le  poète  de  construire  des  vers  à 
rime  riche,  et  on  ne  saurait  raisonnablement  comparer 
les  rimes  de  ce  poème  à  celles  des  autres  dits. 

Le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne  rentre  dans  la 
catégorie  des  débats  amoureux,  «  sortes  de  développe- 
ment tout  nouveau  des  anciens  jeux-partis  »  3.  Une 
dame  dont  l'amant  vient  d'être  enlevé  par  la  mort,  et 
un  seigneur,  trahi  et  délaissé  par  son  amie,  prétendent 
chacun  avoir  plus  à  souffrir  que  l'autre.  La  querelle, 
sur  le  conseil  de  Guillaume,  est  portée  devant  le  roi  de 
Bohême  et  tranchée  en  faveur  du  chevalier.  Dans  les 

i .  Le  Dit  dou  Cerf  blanc  écrit  dans  la  même  forme  ne  peut 
être  l'œuvre  de  Machaut.  Il  ne  se  trouve  que  dans  notre  manus- 
crit J  et  manque  dans  nos  bons  manuscrits. 

2.  Si  l'on  ne  retrouve  plus  cette  forme  chez  Machaut,  on  la 
rencontre  chez  Froissart,  chez  Christine  de  Pisan  et  ailleurs  ; 
elle  a  donc  évidemment  joui  d'une  certaine  faveur  auprès  des 
poètes  de  cette  époque. 

3.  G.  Paris,  François  Villon  (1901),  p.  92. 


INTRODUCTION  LXI 

Cercles  courtois  du  moyen  âge,  on  raffolait  de  ces  pro- 
blèmes de  casuistique  amoureuse  ;  on  ne  les  traitait  pas 
seulement  en  jeux-partis,  on  leur  consacrait  aussi  des 
poèmes  de  plus  d'étendue  et  de  caractère  narratif.  Le 
cas  le  plus  fameux  et  le  plus  souvent  débattu  était  celui 
de  savoir  si,  pour  une  dame,  il  était  préférable  de  don- 
ner son  amour  à  un  clerc  ou  à  un  chevalier.  Cette 
question  était  discutée  en  langue  latine  dès  le  commen- 
cement du  xiie  siècle  (notamment  dans  YAltercaiio 
Phillidis  et  Florae  et  dans  l'ouvrage  d'André  le  Chape- 
lain) ;  elle  se  retrouve  dans  plusieurs  poèmes  français 
{Florence  et  Blanche/Ior,  Haeline  et  Aiglantine,  Me- 
lior  et  Idoine)1 .  Dans  VAltercatio  et  dans  les  œuvres 
françaises,  le  sujet  est  toujours  traité  de  la  même 
manière  :  la  discussion  naît  entre  deux  dames,  dont 
l'une  aime  un  clerc,  l'autre  un  chevalier;  la  décision  est 
donnée  à  la  cour  du  Dieu  d'Amours,  soit  immédiate- 
ment parle  dieu  lui-même,  soit  à  la  suite  d'un  duel  ju- 
diciaire entre  deux  oiseaux  de  la  cour  ;  le  poète,  le 
plus  souvent,  assiste  ou  rêve  d'assister  en  cachette  aux 
événements.  Machaut  a  fidèlement  suivi  ces  données 
fondamentales  dans  son  poème.  Il  n'a  donc  pas  inau- 
guré ce  genre,  comme  l'a  dit  G.  Paris3;  mais  il  y  a 
introduit  certaines  innovations,  et  c'est  certainement  lui 
qui  l'a  en  quelque  sorte  rajeuni. 

Ces  modifications  sont  un  nouveau  trait  bien  carac- 
téristique de  l'œuvre  de  Guillaume.  Il  ne  reste  pas 
témoin  impassible  de  l'aventure  ;  il  prend  lui-même 
part  à  l'action  :  c'est  lui  qui  propose  l'arbitrage  du  roi 
de  Bohême,  après  avoir  entendu  dans  sa  cachette  toute 

i .  Voy.  Romani  a,  XXXVII;  221  ss. 
2.  Loc.'cit.,  p.  92. 


LX1I  INTRODUCTION 

la  discussion,  et  qui  introduit  auprès  de  son  maître  les 
deux  parties  adverses.  Au  lieu  du  Dieu  d'Amours,  c'est 
le  roi  Jean  de   Luxembourg,   personnage  historique, 
réel  et  vivant,  qui  prononce  le  jugement.   L'élément 
allégorique  passe  au  second  plan  ;  on  ne  le  retrouve 
plus  que  dans  les  personnages  dont  se  compose  la  cour 
du  roi,  dans  lesquels  le  poète  a  personnifié  les  qualités 
et  les  vertus  qu'il  attribue  à  son  seigneur  (Amours,  Jeu- 
nesse, Hardiesse,  etc.).  Les  deux  principaux  interlocu- 
teurs, la  dame  et  le  chevalier,  ne  sont,  eux  aussi,  que 
de  pures  abstractions,  comme  l'Amant  de  Guillaume  de 
Lorris.  Mais  les  personnages  du  roi  de  Bohême  et  de 
son  secrétaire  placent  le  poème  en  pleine  réalité.  De 
même,  le  théâtre  de  l'action  est  transporté  du  royaume 
imaginaire  du  Dieu  d'Amours  dans  le  site  bien  réel  de 
Durbuy,  domaine  appartenant  au  roi  Jean,  dont  le  poète 
donne  une  description  très  exacte.  Dans  de  nombreux 
détails  de  mise  en  scène,  on  retrouve  toujours  le  même 
souci  de  donner  au  récit  une  apparence  de  vérité  et  de 
réalité.  C'est  par  exemple  le  cas  pour  la  façon  dont 
Machaut  fait  s'engager  la  discussion  entre  la  dame  et  le 
chevalier  :  les  deux  personnages  se  rencontrent  par 
hasard  ;  le  chevalier,  plein  de  courtoisie,  salue  la  dame, 
mais  celle-ci  ne  lui  rend  pas  son  salut.  «  Mise  à  rai- 
son »  par  le  seigneur,  elle  s'excuse  en  alléguant  le  noir 
chagrin  dans  lequel  elle  est  plongée  au  point  de  ne  pas 
avoir  remarqué  l'acte  poli  de  son  interlocuteur.  «  Quelle 
que  soit  votre  peine,  madame,  elle  ne  saurait  égaler  la 
mienne  »,  lui  répond  l'autre,  et  la  discussion  s'engage 
tout  naturellement.  Plus  loin,  c'est  la  manière  dont  le 
poète  entre  lui-même  en  scène.  Caché  dans  le  «  breuil  » , 
il  a  entendu  toute  la  conversation;  voyant  que  les  deux 
parties  n'arrivent  pas  à  se  mettre  d'accord,  il  aimerait 


INTRODUCTION  LXIII 

bien  leur  proposer  l'arbitrage  de  son  maître,  mais  il  ne 
sait  comment  les  aborder,  un  peu  honteux  de  son  indis- 
crétion. Or,  voilà  qu'un  petit  chien  qui  accompagnait 
la  dame  l'aperçoit  et  se  précipite  vers  lui  en  aboyant. 
Aussitôt,  le  poète  s'en  empare  et  va  le  rendre  à  sa  maî- 
tresse; c'est  l'occasion  cherchée  pour  se  mêler  à  l'entre- 
tien. Le  chevalier,  alors,  à  voix  basse,  exprime  à  la 
dame  sa  crainte  que  ce  clerc  n'ait  tout  entendu,  et  Guil- 
laume confirme  en  effet  ses  soupçons.  Il  peut  donc  tout 
de  suite  leur  conseiller  de  soumettre  leur  différend  au 
roi  de  Bohême.  Le  nombre  de  traits  analogues  est  con- 
sidérable; et  tous,  ils  contribuent  à  donner  au  poème 
le  caractère  d'une  aventure  vraie  et  vécue. 

Une  autre  qualité  qui  distingue  encore  à  son  avan- 
tage Machautde  la  plupart  de  ses  confrères  du  moyen 
âge,  c'est  l'unité  de  composition  dans  la  plupart  de  ses 
poèmes.  Les  longues  digressions  intercalées  par  Jean 
de  Meun  dans  le  Roman  de  la  Rose  avaient  précisé- 
ment été  l'une  des  causes  du  succès  prodigieux  de  cette 
œuvre,  et  cet  exemple  a  nécessairement  dû  exercer  une 
influence  considérable  sur  les  auteurs  des  générations 
suivantes.  D'autant  plus  grand  est  le  mérite  de  Machaut 
d'avoir  su  résister,  quelquefois  du  moins,  à  cette  habi- 
tude si  commune  aux  poètes  de  son  temps  et  d'avoir 
observé  dans  quelques-uns  de  ses  dits  une  parfaite  unité 
d'action  et  de  pensée,  qui  n'apparaît  que  rarement  dans 
les  productions  littéraires  du  moyen  âge.  Le  Juge- 
ment dou  Roy  de  Behaingne  est  du  nombre.  La  thèse 
une  fois  énoncée,  la  discussion  se  poursuit  continue, 
serrée,  sans  jamais  perdre  de  vue  son  objet  et  sans 
s'égarer  en  d'inutiles  détours  ;  tout  est  naturellement 
motivé  et  un  enchaînement  logique  réunit  entre  elles 
les  différentes  parties  du  débat.  Seules,  quelques  des- 


&!^ 


INTRODUCTION 


criptions  entraînent  Fauteur  parfois  trop  loin  et  en- 
travent le  développement  régulier  de  l'action  et  de  la 
discussion.  Celle-ci  même,  un  moment,  semble  vouloir 
dévier  de  son  but  :  on  abandonne  la  question  fonda- 
mentale pour  discuter  cet  autre  problème,  à  savoir  si 
l'amant  trahi  doit  malgré  cela  rester  fidèle  à  la  dame 
volage.  Mais  Guillaume  fait  presque  aussitôt  constater 
cette  digression  par  le  juge,  et  il  ramène  l'entretien  à 
son  véritable  sujet. 

Ce  sont  sans  doute  moins  les  qualités  que  nous  ve- 
nons d'énumérer  que  l'heureux  chois  du  problème 
discuté,  qui  firent  le  grand  succès  de  ce  débat.  Ce  succès 
est  attesté  de  différentes  manières  :  c'est  le  seul  dit  de 
Machaut  qui  soit  reproduit  encore  au  xve  siècle  dans  des 
manuscrits  contenant  un  choix  d'œuvres  de  différents 
auteurs;  Guillaume  lui-même,  dans  le  Jugement  dou 
Roy  de  Navarre,  reprend  le  débat  sur  la  même  ques- 
tion ;  au  xve  siècle,  Christine  de  Pisan,  dans  le  Dit  de 
Poissy,  discute  à  peu  près  le  même  problème,  et  vers  la 
même  époque  Martin  le  Franc  déclare  ne  pas  s'accorder 
au  jugement  de  Machaut.  Quant  aux  qualités  de  forme 
qu'on  y  rencontre,  l'unité  de  l'action  et  la  recherche  de 
la  vraisemblance  qui,  réunies,  contribuent  à  donner  au 
poème  une  allure  presque  dramatique,  je  ne  crois  pas 
que  les  contemporains  et  les  imitateurs  s'en  soient 
beaucoup  souciés. 

IV.  —  Le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre. 

Dans  tous  les  manuscrits,  le  Jugement  dou  Roy  de 
Navarre  suit  immédiatement  le  Jugement  dou  Roy  de 
Behaingne.  Chronologiquement,  cependant,  ils  sont 
séparés  l'un  de  l'autre  par  un  intervalle  de  temps  assez 


INTRODUCTION  LXV 

considérable,  car  le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre  ne 
peut  avoir  été  écrit  avant  1349;  nous  >'  voyons  que  la 
peste  noire  qui  désolait  l'Europe  en  1348  et  1349  vient 
de  prendre  fin  et  que  Charles  le  Mauvais  occupe  le  trône 
de  Navarre.  Or,  Charles  devient  roi  en  1349  après  la 
mort  de  sa  mère,  et  il  semble  bien  que  c'est  à  l'occasion 
même  de  cet  événement  que  Guillaume  composa  ce 
poème  où  il  rend  hommage  au  jeune  souverain.  D'un 
autre  côté,  nous  savons  qu'entre  les  deux  Jugements 
Machauta  écrit  au  moinsdeux  autres  dits,  leRemede  de 
Fortune, dont  nous  ne  connaissons  pas  la  date  d'origine, 
et  le  Dit  dou  Lion,  composé  en  1342.  Ces  deux  poèmes, 
dans  nos  manuscrits,  suivent  les  deux  Jugements .  L'or- 
dre chronologique  dans  lequel  doivent  se  succéder  les 
dits  est  donc  ici  interverti,  et  c'est  le  Jugement  dou  Roy 
de  Navarre  qui  a  abandonné  la  place  qui  lui  revenait 
après  le  Dit  dou  Lion,  peut-être  même  après  le  Dit  de 
VAlerion  \  Car,  si  les  deux  pièces  qui  se  placent  entre 
nos  Jugements  avaient  été  antérieures  au  Jugement  dou 
Roy  de  Behaingne,  il  n'y  avait  aucune  raison  pour  ne 
pas  leur  donner  dans  les  manuscrits  la  place   qui  leur 

1.  Dans  les  manuscrits,  le  Dit  de  VAlerion  se  place  entre  le  Dit 
doit  Lion  (de  1342)  et  le  Confort  d'ami  (de  1 357),  sans  qu'aucun 
indice  positif  nous  fasse  savoir  s'il  fut  écrit  avant  ou  après  l'année 
1349.  Nous  avons  cependant  une  raison  pour  considérer  ce  dit 
comme  antérieur  au  Jugement  dou  Roy  de  Navarre  :  le  manus- 
crit C  offre  cette  particularité  de  ne  contenir  que  les  premières 
pièces  de  chaque  genre  poétique  cultivé  par  Machaut.  Or, ce  ma- 
nuscrit donne  les  dits  depuis  le  Dit  don  Vergier  jusqu'au  Dit  de 
VAlerion  ;  mais  il  ne  donne  ni  le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre, 
ni  les  dits  postérieurs.  L'original  du  manuscrit  remonte  donc  à 
une  époque  où  ce  Jugement  n'existait  pas  encore.  Le  Dit  de 
VAlerion,  alors,  était  déjà  écrit  ;  il  est  donc  antérieur  au  Juge- 
ment dou  Roy  de  Navarre. 

Tora«  L  e 


LXVI  INTRODUCTION 

convenait.  Par  contre,  il  y  avait  une  raison  puis- 
sante pour  mettre  le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre 
immédiatement  à  la  suite  du  Jugement  dou  Roy  de 
Behaingne  :  c'est  que  le  second  de  ces  deux  poèmes  est 
exactement  la  contre-partie,  la  palinodie,  du  premier. 
Machaut  lui-même,  dans  le  corps  du  dit,  résume  à  di- 
verses reprises  le  premier  débat  auquel  il  renvoie  plu- 
sieurs fois  ;  dans  quelques  manuscrits,  le  titre  du 
Jugement  dou  Roy  de  Navarre,  est  complété  par  cette 
indication  :  contre  le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne, 
et  le  manuscrit  D  fait  même  se  suivre  les  deux  pièces 
sans  aucun  intervalle,  comme  si  elles  n'en  faisaient 
qu'une.  C'est  évidemment  cette  relation  étroite  entre  les 
deux  débats  qui,  en  cette  occasion,  a  fait  renoncer  le 
poète  à  l'ordre  chronologique  de  ses  dits. 

Le  poème  commence  par  une  longue  introduction  de 
43o  vers,  où  Guillaume,  faisant  œuvre  de  chroniqueur, 
raconte  en  détail  les  terribles  événements  des  années 
1348  et  1349:  la  persécution  des  Juifs,  le  mouvement 
religieux  des  «  Flagellants  »  et  les  effets  désastreux  de 
la  peste  noire.  En  retraçant  ce  tableau  aux  sombres  cou- 
leurs, Machaut  se  montre  historien  sobre,  fidèle  et 
exact.  Une  comparaison  minutieuse  de  son  récit  avec 
les  chroniques  contemporaines  nous  a  permis  de  cons- 
tater que  chaque  détail,  donné  parle  poète,  est  en  effet 
confirmé  parlesrenseignements  de  nos  sources  histori- 
ques. Ce  sont  en  partie  ses  souvenirs  personnels  que 
le  poète  a  consignés  ici  :  il  a  dû  voir  de  près  les  ravages 
de  l'épidémie  à  laquelle  il  échappa,  en  se  tenant  soi- 
gneusementenfermé  chez  lui,  sans  doute  dans  sa  maison 
canoniale  de  Reims;  en  partie,  il  tient  ses  rensei- 
gnements de  récits  oraux  de  témoins  oculaires  :  «  Ce 
dient   pluseurs  qui  ce   virent  »  (v.   173).  Ces   vers  fu- 


INTRODUCTION  LXVII 

rent  écrits  sous  l'impression  immédiate  de  ces  événe- 
ments même  qui  avaient  frappé  de  stupeur  et  d'effroi 
le  monde  chrétien  tout  entier  '.  Mettre  ce  tableau  en 
tête  de  son  poème,  c'était  placer  sa  fiction  dans  un  cadre 
bien  vivant  et  bien  réel;  sur  ce  fond  sombre  et  tragique, 
la  gracieuse  aventure  allait  se  détacher  en  couleurs 
d'autant  plus  vives.  Guillaume,  en  cela,  s'est  rencontré 
avec  l'un  des  plus  grands  poètes  de  son  temps,  avec 
Boccace,  dont  le  Décaméron,  comme  on  sait,  débute 
également  par  la  peinture  de  la  peste  à  Florence.  Si  la 
description  de  notre  Champenois  n'est  pas  comparable 
pour  l'éloquente  énergie  au  célèbre  préambule  des  cent 
nouvelles  italiennes,  comme  l'a  prétendu  un  autre 
Champenois,  P.  Paris  3,  l'idée  au  moins,  conçue  par 
chacun  des  deux  contemporains,  indépendamment  l'un 
de  l'autre,  est  assurément  d'un  vrai  poète. 

Cette  introduction  historique  reste  sans  aucune  rela- 
tion avec  ce  qui  fait  le  véritable  sujet  du  poème,  le 
débat  amoureux.  Il  existe  même  entre  ces  deux  parties 
du  poème  une  certaine  contradiction.  C'est  au  com- 
mencement de  l'hiver  de  l'année  1349,  plus  exactement 
le  9  novembre,  que  notre  poète,  retenu  dans  sa  chambre 
par  le  froid  et  les  brouillards  de  l'automne,  se  laisse 
aller  à  ses  lugubres  méditations  sur  les  misères  dont 
Dieu  semble  poursuivre  l'humanité.  Nous  avons  là  sans 

1.  Les  traces  si  nombreuses  que  ces  événements  ont  laissées 
dans  la  littérature  de  l'époque  en  font  foi.  En  France  seule,  oh 
peut  citer  un  poème  latin  du  médecin  Simon  de  Couvin,  des  vers 
latins  et  français  de  Gillon  le  Muisit,  une  chanson  française  des 
«  Flagellants  »,  une  allusion  à  la  peste  noire  au  début  du  poème 
anonyme,  Le  Songe  Vert,  sans  parler  des  traités  scientifiques  et 
des  récits  des  chroniqueurs. 

2.  Notice  sur  le  poème  du  Voir  Dit^  p.  xxvhi. 


LXVIII  INTRODUCTION 

doute  la  date  où  fut  commencé  le  poème.  La  fiction  elle- 
même,  par  contre,  se  place  au  printemps,  quand  l'épi- 
démie a  enfin  disparu  et  que  l'air  doux  et  chaud  engage 
notre  auteur,  enfermé  chez  lui  pendant  toute  la  froide 
saison,  à  se  risquer  de  nouveau  au  dehors  et  à  s'adonner 
à  sa  passion  pour  la  chasse  aux  lièvres.  Il  n'est  guère 
admissible  que  Machaut,  ici,  nous  renseigne  exacte- 
ment et  reste  dans  la  stricte  vérité.  Lui  qui  était  capable 
d'écrire  une  centaine  de  vers  par  jour  —  son  Voir  Dit 
nous  le  fait  savoir  '  —  ne  peut  avoir  mis  des  mois  à  com- 
poser cette  introduction  de  430  vers.  Restent  deux 
hypothèses  :  ou  bien  cette  chronique  rimée  et  le  débat 
amoureux  étaient  d'abord  indépendants  l'un  de  l'autre 
et  n'ont  été  soudés  ensemble  qu'ultérieurement,  ou 
bien,  ce  qui  est  beaucoup  plus  probable,  le  poème  entier, 
introduction  historique  et  débat  proprement  dit,  exis- 
tait tel  quel  dès  l'origine;  mais  avec  les  motifs  du 
renouveau  de  la  nature  et  de  sa  sortie  dans  la  campagne 
le  poète  a  déjà  quitté  le  sol  de  la  réalité  et  se  trouve  en 
pleine  fiction  poétique;  à  ce  moment,  il  a  perdu  de  vue 
la  donnée  première  de  son  poème  et  a  oublié  le  point 
de  départ  qu'il  lui  avait  fixé  et  qui  sans  doute  s'était 
trouvé  répondre  à  la  réalité. 

Les  deux  personnages  entre  lesquels  s'engage  la  nou- 
velle discussion  sont  encore  des  représentants  des 
deux  sexes.  L'un  d'eux  au  moins  est  un  personnage  réel 
et  vivant,  le  poète  lui-même,  Guillaume  de  Machaut. 
Après  le  rôle  effacé  qu'il  s'était  donné  dans  le  premier 
Jugement,  le  voici  qui  passe  au  tout  premier  plan  et 
qui  occupe  la  place  principale  dans  ce  second  débat.  Il 

1 .  Lettre  xxvn  de  Machaut  à  sa  dame  (p.  202)  :  «  Vostres  livres 
se  fait  et  est  bien  avanciés  ;  car  j'en  fais  tous  les  jours  .c.  vers  ». 


INTRODUCTION  LXIX 

n'essaie  pas  de  nous  faire  prendre  le  change:  à  diverses 
reprises,  il  se  nomme  en  toutes  lettres  dans  le  corps 
même  de  la  pièce,  contre  son  habitude  qui  est  de  ne 
donner  son  nom  que  par  anagramme.  Pourquoi  ici  cette 
exception?  Il  faut  encore  l'expliquer  par  le  rapport  qui 
relie  ce  poème  au  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne.  Le 
jugement  attribué  au  roi  Jean,  mais  qui  eh  réalité  était 
de  Machaut  lui-même,  a  dû  se  heurter  à  des  critiques 
violentes  et  nombreuses,  surtout  de  la  part  des  dames  ;  le 
poète,  dans  sa  pièce  même,  nous  l'a  bien  fait  entrevoir  '• 
C'est  pour  leur  plaire  et  se  concilier  de  nouveau  leurs 
bonnes  grâces  qu'il  a  composé  ce  nouveau  poème,  où, 
tout  en  ayant  l'air  de  défendre  son  premier  jugement, 
il  finit  par  se  prononcer  dans  le  sens  exactement  con- 
traire 2.  Or,  afin  de  faire  savoir  nettement  à  tout  le 
monde  que  c'est  lui,  Guillaume,  qui  se  soumet  ainsi  au 
bon  plaisir  des  dames,  il  importait  d'éviter  toute  équi- 
voque :  un  anagramme  aurait  pu  laisser  subsister  des 
doutes;  force  lui  était  donc  de  se  nommer  clairement, 
comme  il  l'a  fait. 

C'est  un  portrait  bien  vivant  et  finement  nuancé  que 
Guillaume  donne  ici  de  lui-même,  se  montrant  d'abord 
soucieux  des  maux  dont  est  frappée  l'humanité  autour 
de  lui  et  inquiet  pour  sa  propre  vie  au  milieu  des  ravages 

i.  Cela  ressort  clairement  du  vers  8  r  ï  :  «  Vers  les  dames  estes 
forfais  ».  On  a  vu  que  plus  tard  Martin  Le  Franc  proteste  égale- 
ment contre  la  décision  de  Machaut.  Un  siècle  après  Guillaume, 
ja  Belle  dame  sans  merci  d'Alain  Chartier  eut  absolument  le 
même  sort. 

2.  Ce  n'est  pas  là  un  fait  isolé  à  cette  époque  :  avant  Machaut, 
Nicole  Bozon  écrit  De  la  bonté  des  femmes,  pour  atténuer  son 
Char  d'orgueil;  et  plus  tard,  Jean  Le  Fevre,  après  avoir  traduit  en 
vers  français  les  Lamentations  de  Matheolus,  réfute  point  pour 
point  cet  ouvrage  dans  un  nouveau  poème,  le  Livre  de  Leesce. 


LXX  INTRODUCTION 

de  la  peste,  puis,  le  danger  passé,  oublieux  de  ses  soucis 
et  de  ses  angoisses  et  passionné  de  la  chasse  au  point  de 
négliger  le  plus   élémentaire  de  ses  devoirs  d'homme 
galant  et  courtois  qui  était  de  présenter  ses  hommages 
à  la  haute  dame  qui  passe  tout  près  de  lui.  Dans  la  dis- 
cussion même,  il  défend  avec  acharnement  et  opiniâ- 
treté ses  positions;  il  avoue  cependant  qu'à  la  vue  de 
la  noble  société  qui  entoure  son  adversaire,  il  a  un 
instant  l'idée  d'abandonner  sa    cause,    mais    Raison 
l'exhorte  à  persister,  et  désormais  il  ne  fléchira  plus.  Au 
début,  il  s'efforce  de  ne  pas  se  départir  de  cette  cour- 
toisie qu'on  doit  toujours  observer  vis-à-vis  des  dames; 
mais  peu  à  peu  il  se  laisse  emporter  par  l'impatience  et 
la  colère;  il  devient   ironique,  moqueur,  et  finalement 
franchement  injuste  et  méchant,  en  osant  accuser  Fran- 
chise de  mensonge  et  de  déloyauté,  et  en  lançant  des  pa- 
roles sacrilèges  contre  le  sexe  féminin,  lui,  connu  jus- 
qu'ici comme  l'humble  serviteur  d'A  moars  et  des  dames. 
Enfin,  quand  la  condamnation  du  poète  est  prononcée, 
il  fait  bonne  mine  à  mauvais  jeu  et  se  tire  avec  autant 
de  bonne  grâce  que  possible  de  la  position  délicate  où 
il  s'était  mis.  Ce  portrait,  esquissé  ici  dans  ses  grandes 
lignes,  est  complété  par  de  nombreux  traits   de   détail 
qui  donnent  au  personnage  une  individualité  nettement 
marquée  et  en   font   un   personnage    réel    et   vivant. 
Nous  n'avons  pas  lieu  de   douter  que  ce  ne  soit  là  en 
effet  un  portrait  assez  ressemblant  du  poète  lui-même. 
Ses  adversaires,  par  contre,  Machaut  les  emprunte 
de  nouveau  à  ce  monde  de  l'allégorie  évoqué  par  le 
Roman  de  la  Rose;  mais  il  a  su  leur  prêter  des  traits 
qui   leur  donnent  l'air   d'être  vivants.    Cela  est  vrai 
surtout  de  la  dame  qui  provoque  le  nouveau  débat. 
Machaut  nous  l'a   peinte  de    telle  façon    que   nous 


INTRODUCTION  LXXI 

croyons  voir  devant  nous  quelque  personnage  histo- 
rique de  l'époque.  De  bons  juges,  comme  P.  Paris,  ont 
pu  s'y  laisser  tromper  '.  Ce  n'est  que  tout  à  la  fin  que 
l'on  apprend  qu'il  s'agit  ici  de  dame  Beneilrté,  c'est-à- 
dire  d'une  simple  allégorie.  Les  demoiselles  qui  cons- 
tituent son  entourage  et  qui  remplacent  leur  maîtresse 
à  tour  de  rôle,  sont  caractérisées  par  leur  nom  comme 
personnifications  de  pures  abstractions  :  Connoissafice, 
Avis,  Raison,  etc.  Même  ici,  l'auteur  s'est  visiblement 
efforcé  de  leur  attribuer  à  chacune  un  rôle  individuel 
selon  le  caractère  qu'elles  devaient  avoir  :  Foy,  par 
exemple,  est  chargée  d'examiner  l'exactitude  des  faits 
avancés  par  Guillaume;  c'est  à  Charité  qu'incombe  la 
tâche  difficile  d'excuser  la  femme  qui  a  manqué  de 
parole  à  son  fiancé,  et  c'est  le  devoir  d'Honnesté 
de  blâmer  la  vie  honteuse  du  clerc  d'Orléans.  Leurs 
façons  d'agir  sont  celles  de  personnes  vivantes  :  elles 
grondent,  elles  menacent,  elles  s'emportent,  et  quand 
finalement  le  poète  lance  sa  fameuse  accusation  contre 
les  femmes  et,  en  se  moquant  d'elles,  les  engage  à  parler 
toutes  à  la  fois,  pour  en  avoir  fini  d'autant  plus  vite, 
elles  se  mettent  en  effet  toutes  à  pérorer  en  même  temps, 
de  sorte  que  le  juge,  en  souriant,  doit  leur  imposer 
silence. 

Enfin,  le  poème  tout  entier  est  émaillé  de  nombreux 
traits  de   ce  genre,  empruntés  à  la  vie  quotidienne  et 

i.  Dans  la  Notice  sur  le  poème  du  Voir  Dit  (p.  xv,  note  i), 
P.  Paris  déclare  que  cette  dame  était  Béatrix  de  Bourbon,  veuve 
du  roi  de  Bohême.  Mais  le  savant  éditeur  a  commis  ici  une  sin- 
gulière erreur  :  l'anagramme  sur  lequel  il  se  base  est  celui  du 
Confort  d'ami  qui  n'a  avec  le  Jugement  don  Roy  de  Navarre 
d'autre  rapport  que  celui  d'être  dédié  au  même  personnage,  le 
roi  Charles  de  Navarre.  On  ne  saurait  donc  en  tirer  aucune  indi- 
cation relative  à  la  dame  du  débat  amoureux. 


T.XXII  INTRODUCTION 

aux  coutumes  de  l'époque,  qui  servent  à  donner  au 
récit  un  caractère  vraisemblable  et  pittoresque.  C'est,  par 
exemple,  l'écuyer  qui  doit  appeler  Guillaume  auprès  de 
la  dame  et  qui,  pour  l'effrayer,  s'amuse  à  lui  annoncer 
qu'il  aura  à  faire  un  voyage  de  trois  jours,  alors  que  sa 
maîtresse  se  trouve  à  quelques  pas  de  là;  ce  sont  les 
assauts  de  politesse  entre  Guillaume  et  la  dame,  et  plus 
tard  entre  la  dame  et  le  roi  de  Navarre;  c'est  encore  la 
gradation  savante  avec  laquelle  la  dame  fait  entendre  à 
Guillaume  les  reproches  qu'il  a  encourus,  le  remplis- 
sant d'une  vague  inquiétude;  c'est  l'attitude  des  inter- 
locuteurs qui  se  parlent  à  l'oreille  ou  se  coupent  brus- 
quement la  parole,  etc.  Tout  cela  donne  à  cette  fiction 
le  caractère  d'une  aventure  réelle. 

La  question  litigieuse,  dans  le  Jugement  don  Roy  de 
Navarre,  est  débattue  avec  plus  d'ampleur  que  dans 
le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne  qui  est  plus 
court  de  moitié.  Malgré  son  étendue,  le  dit  offre, 
comme  le  précédent,  une  unité  d'idée  et  d'action  pres- 
que complète.  Les  digressions  inutiles  et  n'ayant  pas 
de  rapport  avec  ce  qui  est  l'objet  même  du  débat  sont 
rares,  sans  toutefois  faire  complètement  défaut.  Ce  sont 
encore  à  notre  avis  les  descriptions  qui  ont  entraîné 
le  poète  au  delà  des  limites  permises.  Mais  il  faut 
se  rappeler  que  le  public  de  l'époque  en  jugeait  autre- 
ment et  goûtait  fort  des  digressions  de  ce  genre.  D'un 
autre  côté,  Machaut  semble  avoir  mis  un  soin  tout  par- 
ticulier à  préparer  et  à  motiver  les  événements  dont  il 
nous  entretient,  ayant  surtout  à  cœur  de  justifier  sa 
défaite  finale.  C'est  ainsi  que,  presque  dès  le  début,  il 
fait  prévoir  l'issue  du  procès  qui  tournera  à  son  désa- 
vantage, en  déclarant  :  «  Je  ne  sui  mie  si  fors...  que  je 
ne  puisse  estre  veincus;...  se  je  ne  puis  (vaincre),  je 


INTRODUCTION  LXXIII 

soufferray  »  ;  ou  bien  il  a  soin  de  nous  faire  savoir 
que  le  clerc  d'Orléans  n'a  pas  lu  à  haute  voix  la  lettre 
qui  causa  sa  folie,  lettre  qui  contenait  plusieurs  secrets 
sur  lesquels  il  ne  nous  renseigne  pas;  or,  ce  sera  là  un 
des  principaux  arguments  de  ses  adversaires  et  la  cause 
de  l'une  de  ses  condamnations.  Comme  les  auteurs 
dramatiques,  Machaut  se  montre  maître  consommé 
dans  l'art  des  préparations.  L'unité  de  composition  du 
poème  n'en  est  que  plus  solide. 

Dans  la  discussion  même,  Machaut  fait  entrer  un 
nouvel  élément,  inconnu  au  dit  précédent  :  ce  sont  les 
«  exemples  »,  c'est-à-dire  des  récits,  empruntés  de  pré- 
férence à  la  Bible  ou  à  la  littérature  gréco-romaine, 
destinés  à  servir  de  preuves  aux  assertions  du  poète. 
C'est  dans  le  Dit  de  l'Alerion  que  Guillaume  en  use 
pour  la  première  fois;  depuis  lors,  il  n'écrira  plus  de 
poème  où  ces  exemples  n'occupent  une  place  considé- 
rable ;  on  a  vu  qu'on  les  retrouve  jusque  dans  le  Pro- 
logue. Des  poètes  contemporains  de  Machaut  nous  ren- 
seignent sur  l'importance  qu'on  accordait  alors  à  ces 
récits  aussi  amusants  qu'instructifs,  qui,  dans  les  dis- 
cussions et  disputes,  étaient  des  arguments  de  haute 
valeur  '.  Machaut  tire  ses  exemples  de  sources  diverses  : 
La  plupart  en  sont  empruntées  à  la  mythologie  et  à 
l'histoire  de  l'antiquité.  Ce  sont  les  récits  suivants  : 

i.  Voy.  par  exemple  Watriquet  de  Couvin,  dans  le   Dit  de  la 
Noix  (v.  3-4)  : 

On  doit  touz  jours  son  sens  moustrer 
Par  biaux  examples  demoustrer, 

et  Jehan    Le  Fevre,  dans   les    Lamentations  de   Matheolus  (II, 
v.  2675-76)  : 

Pour  ce,  qui  veult  a  droit  plaidier, 
D'exemples  se  convient  aidier. 


LXXIV  INTRODUCTION 

i°  L'abandon  et  la  mort  de  Didon  (v.  2095-2 i3o). 
Grâce  au  Roman  d'Enéas,  l'histoire  des  amours  d'Énée 
et  de  Didon  était  assez  connue  dans  la  société  élégante 
du  temps,  pour  que  notre  poète  pût  se  dispenser  de  la 
raconter  dans  tous  ses  détails.  Il  se  contente  donc  de  la 
résumer  en  quelques  vers  et  ne  s'étend  longuement 
que  sur  le  suicide  de  la  reine.  Il  reproduit  la  scène  avec 
les  détails  tels  qu'il  a  pu  les  trouver  dans  le  Ro- 
man d'Enéas  "  et,  plus  près  de  lui,  dans  le  Roman  de  la 
Rose  2,  Didon  se  frappant  avec  l'épée  de  son  amant  et 
expirant  dans  les  flammes  d'un  bûcher.  Mais  Machaut 
ajoute  au  récit  traditionnel  un  trait  que  ne  lui  fournis- 
sait, ni  l'épopée  latine  ni,  autant  que  je  sache,  aucun 
auteur  de  langue  française  avant  lui,  c'est  que  Didon 

..ne  morutpas  seule, 

Einsois  a  deus  copa  la  gueule, 

Car  d'Eneas  estoit  enceinte  (v.  21 19-21) 3. 

Cependant  ce  détail  d'un  goût  plutôt  douteux  n'est  pas 
de  l'invention  de  notre  poète.  Il  paraît  déjà  dans  les 
Héroïdes  d'Ovide,  Didon,  écrivant  avant  sa  mort  à 
Enée,  qu'elle  est  peut-être  enceinte  de  lui4.  Or,  les 
Héroïdes  n'étaient   pas    inconnues    aux  poètes  fran- 

1.  Enêas,  (éd.  Salverda  De  Grave,  1890),  v.  2025  ss. 

2.  Roman  de  la  Rose  (éd.  F.  Michel,  1864),  II,  v.  141 35  ss. 

3.  Virgile  {En.,  IV,  327-30)  et  son  traducteur  français  (Ene'as, 
v.  1739-46)  admettent  plutôt  le  contraire;  les  autres  poètes  fran- 
çais avant  Machaut  n'en  disent  rien  Par  contre,  peu  après  lui, 
Jehan  Le  Fevre,  dans  son  Livre  de  Leesce  (éd.  Van  Hamel,  igo5,  v. 
2435-60)  reproduit  ce  détail  qu'il  a  sans  doute  directement  em- 
prunté à  Machaut. 

4.  Ovide,  Héroïdes,  VII,  1 33-38. 


INTRODUCTION  LXXV 

çais  du  moyen  âge';  Machaut  peut  avoir  puisé  directe- 
ment à  cette  source,  en  transformant  en  fait  réel  ce 
qui  n'était  qu'une  supposition  chez  le  poète  latin. 

2°  L'histoire  de  Thésée  et  d'Ariane  (v.  2707-69  et 
2805-08).  Les  aventures  de  Thésée,  son  combat  avec  le 
Minotaure,  le  rapt  et  l'abandon  d'Ariane,  ne  paraissent 
pas  avoir  été  traitées  en  langue  française  avant  Machaut  \ 
Aussi  le  poète  se  voit-il  dans  la  nécessité  d'en  donner 
un  récit  complet  et  détaillé.  Il  reproduit  fidèlement  les 
données  essentielles  de  la  tradition  gréco-romaine  : 
Androgeus,  fils  du  roi  de  Crète,  Minos,  est  tué  par  les 
Athéniens.  Son  père  impose  à  la  ville  vaincue  un  tribut 
de  victimes  humaines  qui  sont  dévorées  «  par  un  mous- 
tre  trop  mervilleus  »  (le  Minotaure  que  Machaut  ne 
désigne  pas  par  son  nom).  Theseus,  fils  du  roi  d'Athènes, 
va  combattre  le  monstre  et  remporte  la  victoire,  grâce 
au  secours  d'Adriane,  la  fille  de  Minos,  à  qui  il  pro- 
met le  mariage.  Il  l'enlève,  mais  l'abandonne  en  route, 

1.  G.  Paris,  Histoire  littéraire  de  la  France,  XXIX  (i885), 
488-89. 

2.  R.  Dernedde,  dans  son  étude,  malheureusement  fort  incom- 
plète, Ueber  die  den  altfran^.  Dichtern  bekannten  epischen  Stoffe 
ans  dem  Altertum  (1887,  p.  96),  relève  une  allusion  à  ce  récit 
pour  la  première  fois  dans  les  Œuvres  du  roi  René  (éd.  Quatre- 
barbe,  III,  108),  un  siècle  après  Machaut.  Jean  de  Meun 
[Roman  de  la  Rose,  v.  8898-8904)  avait  parlé  de  la  descente  de 
Thésée  aux  enfers,  empruntant  probablement  ses  renseignements 
aux  mythographes  latins  (voy.  Langlois,  Origines  et  sources  du 
Roman  de  la  Rose,  1890,  p.  134).  Rappelons  aussi  que  certains 
traits  de  la  légende  de  Tristan  offrent  une  analogie  si  frappante 
avec  la  légende  de  Thésée  qu'il  est  difficile  d'écarter  l'hypothèse 
d'emprunts  directs  faits  par  quelque  poète  médiéval  à  la  légende 
grecque  (voy.  Bédier,  Le  Roman  de  Tristan,  par  Thomas,  II, 
135-140).  Nous  ignorons  si  le  récit  ne  figure  pas  déjà  dans 
YOvide  moralisé  (voy .  plus  bas,  p.  lxxix  ss.). 


LXXVI  INTRODUCTION 

pendant  qu'elle  dort  «  seulette  en  estrange  contrée  », 
et  épouse    la  sœur  cadette,   Phedra.  Ariane  devient 
l'épouse  de  Bacus  et  roïne  couronnée.  Machaut,  on  le 
voit,  a  supprimé  quelques  détails.  Il   n'explique  pas 
comment  Ariane  secourt  Thésée,  en   lui  donnant  le 
moyen  de    sortir  du   Labyrinthe;    peut-être,  le  poète 
français  n'avait-il  pas  compris  ce  trait  de  la  légende  et 
n'avait-il  su  qu'en  faire.  Il  ne  dit  rien  non  plus  de  l'his- 
toire de  la  voile  blanche  et  noire  ;  ce  détail  pouvait 
paraître  inutile,  quoiqu'il  ne  fût  guère  dans  les  habi- 
tudes de  notre  poète  de  s'arrêtera  des  scrupules  de  ce 
genre.  Sur  d'autres  points  il  s'écarte  nettement  des  don- 
nées traditionnelles,  communes  aux  auteurs  anciens  : 
au  lieu  du  tribut  annuel  de  sept  jeunes  gens  et  d'autant 
de  jeunes  filles,  les  Athéniens,  d'après  Guillaume,  n'en- 
voyaient qu'un  homme  tous  les  ans.  Ce  qui  est  plus 
significatif,  c'est  que  Thésée,  dans  Machaut,  est  désigné 
par  le  sort  pour  se  rendre  en  Crète,  ce  qui   provoque 
l'étonnement  de  ses  concitoyens,  fait  sur  lequel  le  poète 
insiste  tout  particulièrement,  quand  au  contraire  les  au- 
teurs gréco-romains  sont  d'accord  pour  présenter  le  sa- 
crifice de  Thésée  comme  volontaire,  à  la  suite  du  mécon- 
tentement du  peuple  athénien.  Enfin,  dans  les  textes 
latins,  le  dieu  qui  épouse  Ariane  est  unanimement  dési- 
gné par  le  surnom  de  Liber.  On  admettra  difficilement 
que  Guillaume  ait  été  assez  versé  dans  la  mythologie  ro- 
maine,pour  substituer  Bacus  à  Liber;  il  a  déjà  dû  trouver 
ce  nom  dans  la  source  où  il  a  puisé.  Cette  source,  nous 
ne  la  connaissons  pas  :  parmi  les  anciens,  aucun  auteur 
ne  présente   les  faits  tels  que  les    donne  Machaut1. 


i.  Il  est  évident  que  seuls  les  auteurs  latins  peuvent  être  pris 
en  considération.  Les  brèves  allusions  des  œuvres  d'Ovide  (Me- 


INTRODUCTION  LXXVU 

C'est  donc  dans  la  littérature  latine  du  moyen  âge 
qu'il  aura  trouvé  son  récit  des  aventures  de  Thésée. 
Cependant,  Ovide,  dans  laxe  lettre  des  Héroïdes,  traite 
de  l'abandon  d'Ariane  par  Thésée.  Il  est  possible,  par 
conséquent,  que  pour  cet  exemple  encore,  Machaut  ait 
puisé  à  la  source  qui  lui  avait  déjà  fourni  l'histoire  de 
Didon  et  d'Énée. 

3°  Jason  et  Médée  (v.  2770-2804).  Benoît  de  Sainte- 
More,  dans  l'introduction  de  son  Roman  de  Troie  \ 
avait  le  premier  en  France  fait  connaître  les  aventures 
merveilleuses  de  Jason  à  la  quête  de  la  Toison  d'or  ; 
mais,  pressé  d'arriver  à  son  véritable  sujet,  il  avait 
interrompu  le  récit  avant  le  dénouement  tragique 
des  amours  de  Jason  et  de  Médée,  se  contentant 
d'en  faire  vaguement  entrevoir  la  lamentable  issue. 
Plus  tard,  Jean  de  Meun  à  son  tour  avait  raconté 
les  exploits  de  Jason  qui  «  conquit  par  l'art  de  Médée 

tamorph.,  VIII,  02  ss.\  Fastes,  III,  45g  ss.)ne  pouvaient  suffire  à 
nos  poètes  du  moyen  âge.  On  trouve  des  récits  plus  détaillés  chez 
les  mythographes  (Mythographi  Vaticani,  éd.  Bode,  1834,  I>  4-3; 
II,  124),  dans  le  commentaire  de  Servius  sur  l'Enéide  (III,  74; 
VI,  14;  28  ss.),  dans  les  Fables  d'Hygin  (N.  41  et  42).  C'est  delà 
version  de  ce  dernier  que  le  récit  de  Guillaume  se  rapproche  le 
plus,  quoiqu'il  y  ait  entre  les  deux  quelques  notables  différences. 
Il  faut  remarquer  que  les  Fables  d'Hygin  n'étaient  pas  tout  à  fait 
inconnues  aux  poèt&s  français  du  moyen  âge  :  l'auteur  du  Roman 
de  Thèbes  pourrait  avoir  exploité  les  fables  66  ss.  et  Benoît  de 
Sainte-More  paraît  avoir  puisé  à  la  fable  92  des  détails  que  ne 
lui  fournissait  pas  sa  source  principale  (voy.  Grôber,  Grundviss 
der  roman.  Phil.,  II,  1,  583  et  84);  Risop,  dans  Florimont, 
constate  des  emprunts  faits  à  la  fable  192  (Abhandlungen  fur 
Tobler,  p.  441,  n.  2).  Cependant,  il  n'est  pas  certain  qu'il  s'agisse 
là  d'emprunts  directs  aux  œuvres  d'Hygin  ;  ils  pourraient  bien 
avoir  passé  par  quelque  intermédiaire  médiéval. 
1.  V.  715-2060  (éd.  I...  Constans,  I,  1904). 


LXXVIII  INTRODUCTION 

en  Colcos  la  toison  dorée  '  ».  Machaut  a  donc  pu 
se  contenter  pour  ce  fait  d'un  court  résumé  de  quel- 
ques vers.  Par  contre,  il  s'étend  plus  longuement, 
comme  l'exigeait  son  sujet,  sur  la  trahison  de  Jason  et 
l'atroce  vengeance  de  Médée  que  Benoît  avait  passées 
sous  silence  et  que  Jean  de  Meun  n'avait  traitées  que 
très  sommairement.  C'est  encore  Ovide  qui  a  fourni  à 
Machaut  tous  les  éléments  de  son  récit  :  la  xne  épître 
des  Héroïdes  (Médée  à  Jason)  rappelle  le  meurtre  du 
frère  de  la  magicienne  (v.  1 1 3- 1 1 6)  et  de  Pélie 
(v.  1 29-130);  elle  cite  le  nom  de  Creusa  (v.  53)  ;  elle 
fait  connaître  l'existence  des  deux  enfants  de  Jason 
(v.  192)  et  signale  leur  grande  ressemblance  avec  leur 
père  (v.  189).  Le  vne  livre  des  Métamorphoses  complète 
l'histoire  :  le  meurtre  des  enfants  (v.  396),  l'incendie  du 
palais  (v.  395),  la  fuite  de  la  magicienne  à  l'aide  de  ses 
dragons  ailés  (v.  398),  ses  secondes  noces  avec  Egée, 
roi  d'Athènes,  qui  est  «  déçu  »  par  elle,  allusion  évi- 
dente au  meurtre  que  le  roi,  à  l'instigation  de  Médée, 
allait  commettre  sur  la  personne  de  Thésée,  son  fils 
inconnu  (v.  402  ss.j.  C'est  de  la  combinaison  de  ces 
deux  œuvres  du  poète  latin  qu'est  entièrement  sorti 
F  «  exemple  »  de  Guillaume. 

40  Pyrame  et  Thisbê  (v.  3171-79).  L'histoire  des 
deux  amants  de  Babylone,  telle  que  la  raconte  Ovide 
dans  les  Métamorphoses  (IV,  v.  5 5- 166),  avait  été  tra- 
duite en  vers  français  longtemps  avant  Machaut  \  Elle 

t.  Roman  de  la  Rose,  v.  14170-203. 

2.  Voyez  Barbazan-Méon,  Fabliaux  et  Contes,  IV  (1808),  326-54; 
Histoire  littéraire  de  la  France,  XIX,  765-67.  G.  Paris,  dans  La 
littérature  française  au  moyen  âge  (3e  éd. ,1905,  p.  273),  assigne  au 
poème  le  troisième  tiers  du  xne  siècle;  M.  Grôber,  dans  leGrun- 
driss  der  roman.  Philologie,  (II,  i,  5o3),  ne  le  place  guère  avant 
'a  première  moitié  du  xme  siècle. 


INTRODUCTION  LXXIX 

formait  un  gracieux  petit  poème,  bien  connu  encore  à 
l'époque  de  Guillaume,  car  c'est  précisément  un  peu 
avant  ce  temps-là  qu'un  certain  Chrétien  (Legouais?) 
l'inséra  dans  la  vaste  compilation  de  Y  Ovide  moralisé  \ 
Notre  poète,  en  effet,  rappelle  en  quelques  lignes  seule- 
ment la  triste  aventure  qu'il  peut  supposer  connue  de 
de  la  plupart  de  ses  auditeurs  et  lecteurs. 

5°  Héro  et  Léandre  (v.  3221-98).  Le  roman  de  Fla- 
menca nous  fait  savoir  qu'on  chantait  «  d'Ero  e  de 
Leandri  »  déjà  au  xme  siècle,  au  moins  dans  le  Midi  de 
la  France  2.  Dans  la  littérature  du  Nord,  le  sujet  ne 
paraît  pas  avant  l'époque  de  Machaut 3.  Peu  avant  notre 
poète,  Chrétien  Legouais  avait  raconté  l'histoire  des 
deux  amants,  bien  qu'elle  ne  figurât  pas  dans  les  Méta- 
morphoses d'Ovide,  dans  le  quatrième  livre  de  YOvide 
moralisé  \  Mais  cette  œuvre  n'était  sans  doute  pas  en- 

1.  G.Paris,  Histoire  littéraire  de  la  France,  XXIX  (1 885), 
497-498;  Grôber,  /.  c,  p.  5g2. 

2.  Le  Roman  de  Flamenca,  p.  p.  P.  Meyer  (2*  éd.,  1901,  I,  25)  : 
«  L'autre  (comtet)  d'Ero  e  de  Leandri  ». 

3.  Dernedde  (/.  c,  p.  u3),  ne  connaît  aucune  allusion  à  l'his- 
toire de  Héro  et  de  Léandre  avant  Froissart  qui  est  postérieur  à 
Machaut  et  qui  doit  à  celui-ci  sans  doute  sa  connaissance  de  la 
légende.  La  Cantilena  de  Leandrico,  citée  dans  le  Verbum  abbre- 
viatum  de  Pierre  le  Chantre  de  Paris,  ne  se  rapporte  pas  néces- 
sairement à  la  légende  grecque  (voy.  G.Paris,  Hist.  litt.,  XXIX, 
765).  L'auteur  du  Roman  de  Tlièbes  a  supprimé  dans  son  adap- 
tation française  le  passage  de  la  Thébaïde  (VI,  535  sà.J,  où 
Stace  rappelait  brièvement  cette  aventure.  Mais  le  roman  d'Ider 
cite  Ero  parmi  les  grandes  amoureuses  de  l'antiquité,  et  le 
couple  d'amants  qu'il  appelle  Eco  (lisez  Ero)  et  Leander  quel- 
ques vers  après  désigne  évidemment  les  amants  d'Abydos  (Hist. 
litt.  de  la  France,  XXX,  212). 

4.  G.  Paris,  Hist.  litt.  de  la  France,  XXIX,  516-17.  Le  passage 
en    question,    faussement   attribué    à  Philippe  de    Vitry,  a   été 


LXXX  INTRODUCTION 

core  très  répandue  au  moment  où  Machaut  écrivit  son 
Jugement  doit  Roy  de  Navarre,  car  Guillaume  se  voit 
dans  la  nécessité  de  narrer  l'aventure  dans  tous  ses  dé- 
tails. Elle  était  donc  inconnue  au  public  auquel  il 
s'adressait,  et  lui-même  peut-être  alors  ne  connaissait- 
il  pas  non  plus  la  vaste  compilation  de  Chrétien  '. 
C'est,  par  conséquent,  un  récit  original  que  donne 
Machaut,  et  c'est  de  nouveau  dans  Ovide  qu'il  en 
trouve  les  données  principales.  Les  épitres  xvm  et 
xix  des  Héroïdes,  apocryphes  en  réalité,  mais  attri- 
buées à  Ovide  par  les  auteurs  médiévaux,  contenaient 
presque  tous  les  éléments  de  son  «  exemple  »  :  les  noms 
de  Hero,  de  Leandre  devenu  Leandus,  et  d"Abidois,  la 
nourrice  qui  seule  est  initiée  au  secret  de  leur  amour 
(xvm,  97  ;  1 1 5  ;  xix,  19),  Leandre  traversant,  «  tous 
nus  »,le  bras  de  mer  à  la  nage  (xxm,  57-58)  et  Hero 
l'attendant  sur  sa  tour  et  le  guidant  par  la  lueur 
d'  «  un  sierge  ardant  »  (xvm,  3i;  io5-io6;  xix, 
33  ss.),  puis  la  mer  en  colère  (xvm,  7-8;  26),  la  lutte 
de  l'amant  entre  son  amour  et  la  crainte  du  danger 
(xvm  pass.),  les  angoisses,  le  désespoir  et  les  prières 
de  l'amante  (xix  pass.)  \  Cependant   le  dénouement 

publié  par  P.  Tarbé  dans  la  Collection  des  poètes  de  Champagne 
antérieurs  au  XVI'  siècle,  VIII  (i85o),  p.  46-62. 

1.  Il  existe  entre  le  long  récit  de  Chrétien  et  le  passage  plus 
court  de  Guillaume  certaines  différences  qui  témoignent  de  l'in- 
dépendance de  ce  dernier  vis-à-vis  de  l'Ovide  moralisé.  Le  fait 
est  d'autant  plus  significatif  qu'ils  ont  puisé  l'un  et  l'autre  à 
la  même  source,  aux  Hèroides  d'Ovide. 

2.  Certains  vers  de  Machaut  rapnellent  d'assez  près  les  termes 
même  du  poète  latin  :  p.  ex.  la  mer  démontée  (v.  3249-52)  les 
«  fréta  ventis  turbida  »  d'Ovide  (xvm,  7-8),  les  vers  3263-4 
le  vers  i3y  de  l'Epître  xvm  :  «  Fluctibus  immodicis  Athaman* 
tidos  aequora  canunt  ». 


INTRODUCTION  LXXXI 

même  n'y  est  que  vaguement  indiqué  (xvin,  196  ss.  ;  xix, 
193  ss.),  et  c'est  ailleurs  que  notre  poète  a  dû  se  rensei- 
gner. On  peut  songer  avec  G.  Paris  à  quelque  commen- 
taire explicatif,  accompagnant  le  texte  des  Héroïdes, 
ignoré  ou  perdu  aujourd'hui1;  mais  cette  supposition  est 
inutile  :  le  commentaire  bien  connu  des  auteurs  du 
moyen  âge  que  Servius  a  joint  aux  œuvres  de  Virgile2 
donne  en  quelques  mots  le  dénouement  tel  que  le 
raconte  Machaut3.  Il  est  pour  le  moins  très  possible  que 
Guillaume  ait  trouvé  là  toute  la  fin  de  son  récit. 

Il  est  aisé  de  reconnaître  le  procédé  dont  use  Machaut 
dans  l'emploi  de  ces  «  exemples»,  tirés  de  la  littérature 
gréco-romaine.  Le  poète  poursuit  un  double  but:  d'un 
côté,  il  y  cherche  des  preuves  et  des  arguments  capables 
de  démontrer  la  justesse  de  ses  opinions  ou  de  celles  de 
ses  adversaires;  de  l'autre,  il  s'agit  pour  lui  d'inté- 
resser et  d'instruire  ses  lecteurs,  en  leur  offrant  des  récits 
amusants  et  inédits.  Telle  de  ces  narrations  [Pyrame  et 
Thisbé)  était-elle  connue  de  son  public  par  des  versions 
françaises  antérieures  :  Guillaume  se  contente  d'un 
simple  renvoi.  D'autres (Énée  etDidon,  JasonetMédéé) 
avaient  au  moins  partiellement  été  traitées  en  langue 
française  avant  lui  :  il  résume  ces  parties  en  quelques 
lignes  et  ne  s'étend  longuement  que  sur  la  partie 
moins  connue,  celle  qui  en  même  temps  importait  le 

1.  G.  Paris,  /.  c,  p.  489. 

2.  Voy.,  sur  Servius  au  moyen  âge,  Bédier,  Le  Roman  de  Tris' 
tan  par  Thomas,  II,  1 3g. 

3.  Commentaires  sur  les  Géorgiques,  III,  258  «....  cum  ...juve- 
nis  oppressi  tempestate  cadaver  ad  puellam  delatum  fuisset,  illa 
se  praecipitavit  e  turri  ».  Machaut  (v.  3292-3)  fait  également 
Héro  se  jeter  du  haut  de  sa  tour  sur  le  cadavre  de  son  amant,  tan- 
dis que  Chrétien  se  sépare  précisémeut  ici  de  Guillaume  et  donne 
une  version  légèrement  modifiée. 

Tome  I  / 


LXXXII  INTRODUCTION 

plus  à  son  sujet,  le  dénouement.  D'autres  fois  enfin,  il 
les  présente  ou  croit  les  présenter  pour  la  première  fois 
à  des  auditeurs  français  [Thésée  et  Ariane,  Héro  et 
Léandre)  ;  il  en  donne  un  récit  complet  et  détaillé.  De 
cette  façon,  il  nous  renseigne  assez  exactement  sur  l'état 
des  connaissances  du  public  français  contemporain  en 
matière  de  légendes  antiques.  Il  a  rigoureusement  appli- 
qué le  même  procédé  aux  autres  récits  tirés  de  l'an- 
tiquité qui  sont  intercalés  dans  les  poèmes  sui- 
vants; là  encore  nous  puiserons  de  précieux  ren- 
seignements sur  la  vogue  que  pouvait  avoir  certaines 
productions  littéraires  d'auteurs  anciens  dans  les  cercles 
courtois  de  la  France  du  xive  siècle. 

Pour  ses  histoires  inédites,  ainsi  que  pour  les  nou- 
veaux détails  qu'il  ajoute  aux  récits  antérieurs,  Machaut 
a  puisé  directement  aux  sources  latines.  Chacun  de  ces 
«  exemples  »  nous  ramène  à  Ovide.  Ce  ne  peut  être 
un  pur  hasard  que  les  quatre  récits  qui  contiennent  des 
données  nouvelles  aient  tous  pour  base  les  Héroïdes  de 
ce  poète  et  que  Machaut  ait  rappelé  tous  les  prin- 
cipaux éléments  de  ses  «  exemples  ».  Il  ressort  de  là 
avec  beaucoup  d'évidence  que  Guillaume,  à  la  quête 
d'exemples  d'amour  malheureux,  s'est  inspiré  de  cette 
œuvre  du  poète  latin,  connue  pour  fournir  le  nom- 
bre le  plus  considérable  de  couples  d'amants  infor- 
tunés, avec  leurs  noms  et  leurs  aventures,  nouvelle 
preuve  ajoutée  aux  autres  que  les  Héroïdes  d'Ovide, 
augmentées  peut-être  de  quelque  commentaire  médié- 
val ayant  puisé  encore  à  d'autres  ouvrages  latins 
(Hygin,  Servius),  étaient  connues  des  poètes  savants  du 
xive  siècle  aussi  bien  que  les  Métamorphoses  et  le  traité 
sur  V Art  d'aimer. 

Fidèle  à  son  principe  de  ne  s'étendre  longuement  que 


INTRODUCTION  LXXXIII 

sur  les  sujets  qui  étaient  vraiment  neufs  et  inédits  pour 
ses  lecteurs,  Machaut  ne  s'arrête  guère  aux  poèmes 
français  du  moyen  âge  qu'il  a  l'occasion  de  citer  dans 
son  œuvre. Il  lui  suffit  de  nommer  simplement  Lancelot 
et  Tristan  (v.2841)  qui  étaient  pour  tout  le  monde  alors 
les  types  du  parfait  amant  et  dont  nul  n'ignorait  les 
exploits  héroïques  et  galants.  S'il  insiste  sur  le  gracieux 
roman  de  la  Chastelaine  de  Vergy,  dont  d'ailleurs 
«  chascuns  scet  bien  ce  qu'il  avint  »  (v.  2836),  c'est  pour 
critiquer  certaines  conclusions  qu'on  pouvait  en  tirer, 
non  pour  en  racontei  l'aventure.  On  a  là,  s'il  en  était 
besoin,  une  preuve  de  plus  de  la  vogue  dont  jouissaient 
ces  œuvres  vers  le  milieu  du  xive  siècle  dans  les  cercles 
aristocratiques  de  la  société  française. 

D'autres  «  exemples  »  encore  sont  tirés  de  la  vie  des 
animaux,  telle  que  la  présentaient  aux  lecteurs  du 
moyen  âge  les  Bestiaires,  qui  mêlaient  d'une  façon  si 
bizarre  à  des  données  exactes  les  inventions  les  plus 
extravagantes,  et  établissaient  des  rapports  étroits  entre 
les  mœurs  des  bêtes  et  les  habitudes  humaines.  Notre 
poète  trouve  également  dans  des  traits  qu'il  croit  pro- 
pres à  certaines  espèces  animales  des  analogies  frap- 
pantes avec  la  vie  physique  et  morale  des  hommes,  et  y 
puise  des  arguments  sérieux  à  l'appui  des  thèses  qu'il 
soutient.  La  douleur  que  cause  à  la  femme  la  mort  de 
l'époux  ou  de  l'amant  ne  saurait  être  démontrée  d'une 
façon  plus  décisive  que  par  les  souffrances  de  la  tour- 
terelle qui  a  perdu  son  mâle  (v.  i635-52).  La  fidélité 
de  la  tourterelle  était  proverbiale,  les  bestiaires  en 
parlent  tous,  et  on  rencontre  ce  trait  jusque  dans 
une  chanson  populaire  du  xve  siècle';  il  avait   donc 

1.  Chansons  françaises  du  XV'  siècle,  p.p.  G.  Paris  (Soc.  des 
anc.  textes],  N.  1  3q,  p.  142. 


LXXXIV  INTRODUCTION 

passé  dans  le  domaine  des  croyances  populaires,  et  on  ne 
saurait  indiquer  exactement  où  Machaut  a  pu  le  trouver. 
L'  «  exemple  »  suivant,  la  cigogne  trompée  assou- 
vissant sa  colère  en  condamnant  et  en  mettant  à  mort 
la   femelle   coupable  (v.    1671-88),    se  rencontre  bien 
moins  souvent.    Nous  ne  l'avons  pas  trouvé  dans  les 
bestiaires  français  ;  seuls  Alexandre  Neckam  "  et  Bru- 
netto  Latini  2  relatent  le  fait,  mais  non   comme  une 
chose  généralement  admise;  au  contraire,  ils  sont  d'ac- 
cord pour  ne  le  présenter  que  comme  un  phénomène 
singulier,  observé  une  fois  seulement  par  quelque  indi- 
vidu particulier.  Cependant,  plus  près  de  Machaut,  le 
poète  Watriquet  de   Couvin,  dans  son  Dit  de  la  Cigo- 
gne, écrit  en  1 327%  avait  rapporté  cette  particularité  de 
la  vie  de  la  cigogne.  Rien   ne  nous  permet  d'admettre 
qu'il  y  ait  eu  entre  les  deux  poètes  quelque  relation,  et 
nous  ne  croyons  pas  que  Watriquet  ait  été  la  source  de 
Guillaume.    Le  fait  permet  du  moins  de  supposer  que 
c'est  encore  là  une  croyance  qui,  nous  ignorons  com- 
ment, s'était  assez  répandue  au  début  du  xive  siècle   et 
était  admise  dans  le  monde  des  savants  de  l'époque. 
C'est  également  sur   une  opinion  accréditée  auprès 
des  érudits  du  moyen  âge  que  repose   1'  «  exemple  » 
donné   par  Guillaume  en  réponse  aux  arguments  de 
dame  Honncsté  (v.  2657-85).  Les  douleurs  d'un  homme 

1.  De  naturis  rerunt,  éd.  Wright  (i863),  p.  11?. 

2.  Li  Livres  dou  Trésor,  éd.  Chabaille  (i863),  p.  212. 

3.  Voy.  les  Œuvres  de  Watriquet  de  Couvin,  éd.  Scheler  (1868), 
p.  283  ss.  Ces  poèmes  étaient  assez  répandus  dans  les  cours 
princières  du  commencement  du  .ave  siècle  (voy.  Grôber,  Grund- 
riss  der  roman.  Phil.,  II  1,  85 1),  et  Machaut  pouvait  les  con- 
naître. Mais  on  ne  saurait  relever  dans  l'œuvre  de  Guillaume 
aucun  rapport  direct  avec  celle  de  Watriquet  dont  les  tendances 
littéraires  suivaient  une  tout  autre  direction. 


INTRODUCTION  LXXXV 

qui  est  frappé  de  folie  ne  se  sentent-elles  vraiment  que 
pendant  le  court  instant  qui  marque  la  transition  de 
l'état  de  santé  à  l'état  de  la  maladie?  Non,  réplique 
le  poète,  la  cause  première,  celle  qui  occasionne  la 
maladie,  est  bien  plus  terrible  et  plus  douloureuse.  Et, 
comme  preuve,  il  cite  le  cas  du  chien  enragé  dont  la 
maladie  est  causée  par  un  ver  qui  «  la  langue  li  perse  ». 
Les  bestiaires,  ici  encore,  font  défaut,  et  ce  n'est  que 
dans  un  passage  interpolé  d'un  manuscrit  de  Brunetto 
Latini  qu'on  lit  :  «  Par  dessous  la  langue  dou  chien  gist 
aucuns  vermissiaus  qui  le  fait  enragier,  et  qui  le  puet 
oster,  il  le  garist  de  la  rage  »  * .  C'était  bien  là  une  opi- 
nion répandue  autrefois  notamment  dans  les  cercles 
de  chasseurs  que  certaine  partie  cartilagineuse  de  la 
langue  du  chien,  de  la  forme  d'un  ver,  était  la  cause  de  la 
rage,  et  on  croyait  en  effet  préserver  les  chiens  de  l'a- 
troce maladie,  en  leur  enlevant  cette  partie  que  le 
langage  populaire  appelle  le  ver  sublingal.  Or  Ma- 
chaut,  précisément  dans  notre  poème,  se  présente 
comme  versé  dans  l'art  de  la  vénerie,  de  même  que 
dans  le  Dit  de  l'Alerion,  il  se  montre  connaisseur  delà 
chasse  au  vol.  Habitué  des  cours,  il  fréquentait  le 
monde  des  chasseurs  et  était  au  courant  de  leurs  usages. 
C'est  donc  ainsi  qu'il  a  eu  connaissance  de  la  croyance 
qui  lui  sert  d'argument  contre  ses  adversaires.  Quant 
à  l'histoire  même  qu'il  raconte  à  ce  propos,  du  chien 
instantanément  guéri  par  l'opération  et  léchant  les 
mains  de  l'opérateur  en  signe  de  reconnaissance,  il  l'a 
peut-être  trouvée  dans  quelque  ouvrage  de  médecine  ou 
de  vénerie;  mais  il  se  pourrait  aussi  qu'il  s'agît  là  de 
quelque  anecdote  qui  circulait  oralement  dans  les 
milieux  où  se  mouvait  le  poète. 

i.  Li  Livres  dou  Trésor,  p.   23y. 


LXXXVI  INTRODUCTION 

L'«  exemple  »  de  la  jeune  pousse,  Vente,  qui,  après 
quelques  années,  devient  arbre  et  porte  fleurs  et  fruits  à 
la  surprise  et  satisfaction  du  maître  du  jardin  (v.  2434- 
70),  n'est  en  réalité  pas  autre  chose  qu'une  comparai- 
son, une  image  un  peu  développée  et  mise  dans  un 
cadre  particulier.  C'est  évidemment  dans  sa  propre 
imagination  que  Guillaume  a  trouvé  cette  parabole  pré- 
sentée par  lui  sous  forme  de  récit  détaché. 

C'est  également  le  cas  pour  l'histoire  du  clerc  d'Or- 
léans que  sa  fiancée  trahit  et  qui  de  douleur  perd  la 
raison  (v.  2215-2307).  Ce  récit  est  si  intimement  lié  au 
développement  ultérieur  du  poème,  il  joue  dans  la  con- 
damnation finale  de  Guillaume  un  rôle  si  important, 
qu'il  ne  peut  être  qu'une  invention  du  poète,  ayant  dou- 
ble but  :  fournir  la  preuve  de  ce  qu'il  a  avancé  et  ame- 
ner et  motiver  l'une  de  ses  condamnations.  On  cher- 
cherait sans  doute  en  vain  la  source  de  cette  anecdote 
ailleurs  que  dans  l'esprit  de  l'auteur. 

Faut-il  en  dire  autant  de  l'épisode  de  la  jeune  fille 
dont  l'amant  est  enlevé  par  la  mort  et  qui  en  meurt 
malgré  l'art  des  médecins  et  la  tendresse  d'une  mère 
angoissée  (v.i863-2oi2)?  Le  poète  en  commençant  son 
récit  par  les  mots  :  «  Il  n'a  pas  lonc  temps  qu'il  avint  », 
veut  nous  donner  ce  fait  comme  une  chose  réelle,  arri- 
vée de  son  temps,  et  en  effet  il  pourrait  bien  s'agir  de 
quelque  fait  divers  dont  il  aurait  entendu  parler.  Le 
contenu,  en  tout  cas,  en  est  trop  mince  pour  avoir 
jamais  pu  constituer  quelque  conte  indépendant.  Mais 
l'histoire  s'adapte  si  bien  à  la  thèse  qui  forme  le  sujet 
du  débat  qu'elle  semble  plutôt  avoir  été  forgée  par 
Guillaume  lui-même  pour  les  besoins  de  sa  cause.  La 
façon  détaillée  et  minutieusement  exacte  dont  elle  est 
présentée  prouve  suffisamment  que  ce  conte  était  in- 


INTRODUCTION  LXXXVII 

connu  et  inédit  pour  le  public  du  poète,  ce  qui  ne  peut 
que  confirmer  la  supposition  qu'il  a  été  inventé  par 
Guillaume.  On  a  vu  déjà  et  on  verra  dans  la  suite 
combien  Machaut  cherchait  précisément  à  donner  aux 
récits  qu'il  inventait  un  air  de  vérité  et  de  réalité. 

Enfin,  un  dernier  récit  est  relatif  à  l'action  folle  et 
chevaleresque  du  seigneur  qui,  prié  par  sa  dame  de  lui 
rendre  une  bague  qu'elle  lui  avait  donnée,  lui  envoie 
avec  l'anneau  le  doigt  qui  le  portait,  afin  de  ne  pas  man- 
quer à  la  promesse  faite  que  jamais  la  bague  ne  quitte- 
rait son  doigt  (v. 285  1-98).  Cette  fois-ci  encore,  Machaut 
s'étend  longuement  et  complaisamment  sur  tous  les 
détails  du  conte.  C'est  donc  de  nouveau  un  récit  neuf 
et  inédit  qu'il  offre  à  ses  lecteurs.  S'il  se  fût  agi  de  quel- 
que aventure  connue  et  répandue,  Guillaume  l'aurait 
traitée  tout  aussi  brièvement  et  succinctement  que  celle 
par  exemple  de  la  Chastelaine  de  Vergy.  Si  par  consé- 
quent, ce  n'est  pas  là  une  nouvelle  que  quelque  poème 
antérieur  avait  fait  déjà  connaître,  il  est  probable  que 
nous  avons  de  nouveau  devant  nous  une  histoire 
inventée  de  toutes  pièces  par  Guillaume  lui-même. 

Le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre  mérite  donc  d'atti- 
rer l'attention  à  un  plus  haut  degré  que  les  pièces  pré- 
cédentes, non  seulement  pour  ses  qualités  littéraires, 
mais  encore  pour  l'intérêt  tout  particulier  qu'il  offre  en 
nous  permettant  d'entrevoir  en  quoiconsistait  le  bagage 
littéraire  d'un  poète  savant  vers  le  milieu  du  xive  siècle 
et  quelles  pouvaient  être  lesconnaissances  littéraires  des 
cercles  courtois  et  cultivés  de  cette  même  époque.  Les 
dits  suivants  permettront  de  compléter  le  tableau. 

V.  —  Le  Lai  de  Plour. 
Par  jugement  du  roi  de  Navarre,  Guillaume  de  Ma- 


LXXXVIII  INTRODUCTION 

chaut  a  été  condamné  aune  triple  amende  ;'elle  consiste 
en  un  lai,  une  chanson  et  une  ballade  qu'il  doit  compo- 
ser. Pour  payer  son  amende,  le  poète  va  commencer  sans 
délai  «  un  amoureus  lay  »  ;  c'est  le  poème  qu'il  intitule 
Le  Lai  de  Plour.  Cette  poésie,  en  effet,  se  rattache  étroi- 
tement au  dit  qui  la  précède:  elle  contient  les  plain- 
tes d'une  dame  à  qui  la  mort  vient  d'arracher  son  ami. 
Le  sujet  répond  exactement  à  l'une  des  données  du  dé- 
bat précédent.  Nous  pouvons  donc  ajouter  foi  au  dire 
du  poète,  quand,  dans  les  derniers  vers  du  Jugement 
dou  Roy  de  Navarre,  il  nous  fait  savoir  que  le  lai  a  été 
composé  immédiatement  à  la  suite  de  ce  dit.  Il  a 
été  fait  en  1349  ou  ï35o,  si  vraiment,  d'après  les  ren- 
seignements de  Froissart,  la  confection  d'un  poème  de 
ce  genre  était  un  travail  de  quelques  mois.  Nous 
aurons  à  examiner  les  lais  de  Machaut,  quand  nous 
publierons  ses  poésies  lyriques.  Ici  nous  voulons 
nous  borner  à  faire  remarquer  que  cette  pièce  répond 
tout-à-fait  aux  règles  du  genre,  telles  que  Deschamps 
les  énoncera  plus  tard  dans  Y  Art  de  dictier.  Elle  se 
compose  de  douze  strophes  dont  chacune  diffère  des 
autres  dans  le  choix  et  la  succession  des  rimes  et  dans  la 
forme  des  vers,  sauf  la  dernière  strophe  qui  doit  être 
exactement  pareille  à  la  première.  Chaque  strophe  par 
contre  est  formée  de  deux  parties  identiques. 

Le  rapport  intime  qui  relie  le  Lai  de  Plour  au  Juge- 
ment dou  Roy  de  Navarre  justifie  suffisamment  la  place 
que  nous  lui  donnons  dans  cette  publication.  C'est  à  ce 
même  endroit,  à  la  suite  du  Jugement  dou  Roy  de  Na- 
varre, que  le  lai  est  placé  dans  les  manuscrits  B,  E  et 
M  ;  et  dans  KetJ,  qui  ne  possèdent  pas  le  débat  en  ques- 
tion, il  suit  le  dit  précédent,  le  Jugement  dou  Roy  de 
Behaingne.   Sauf  M,  ce  sont    là,  les    manuscrits    de 


INTRODUCTION  LXXXIX 

notre   groupe  [3.  Dans  les  manuscrits  du  groupe  a,  A, 
F-G  et  M,  l'ordre  des  pièces  est  différent  :  dans  F-G,  le 
lai  manque  complètement  ;  dans  A,   il   se  trouve  au 
milieu   du   recueil  des   lais;  dans  M,  il   existe  deux 
fois,    une    fois    mêlé    aux    autres    lais    comme  dans 
A,  une  seconde  fois  à  la  suite  du  Jugement  dou  Roy 
de  Navarre,  comme  dans  les  manuscrits  du  groupe 
p.  Cela  s'explique  par  ce  fait  que  le  lai  qui  en  quel- 
que  sorte    faisait  encore    partie   du  Jugement,  venait 
primitivement  immédiatement  à  la  suite  de  ce  poème  ; 
l'état  de   choses   ancien   s'est  conservé  dans   les  ma- 
nuscrits  du   groupe  [3.  Plus  tard,  Machaut   eut  l'idée 
de   réunir  ce  lai   aux  autres  productions  de  ce  genre 
qui  formaient  toutes  ensemble  le  recueil  de  ses  lais. 
Le  manuscrit  M   dont  la   source   est    plus  ancienne 
que  celle  de  A  et  F-G,  marque  une  étape  intermédiaire  : 
le  lai  y  occupe  encore  la  place  primitive,  mais  il  repa- 
raît une  seconde  fois  à  la  nouvelle  place  que  Guillaume 
lui  avait  fixée.  A  donne  le  fait  accompli:  le  lai  ne  se 
trouve  plus  que  dans  le  recueil  des  lais.  F-G  devaient  lui 
donner  la  même  place  que  A  :  ils  le  suppriment  à  la 
suite  du  débat,  seulement  ils  oublient  de  l'ajouter  au 
groupe  des  lais,  de  sorte  que  la  pièce  manque^complè- 
tement  dans  ces  manuscrits.  Quoique  nous  suivions  en 
règle  générale  les  manuscrits  A  et  F-G,  nous  avons  dans 
ce  cas  particulier  donné  la  préférence  au  groupe  (3  et 
réuni  ce  lai  au  dit  auquel  il  se  rattache  si  étroitement  et 
que   les   derniers  vers  de  la  pièce  annoncent  en  toutes 
lettres. 

Nous  ne  voulons  pas  terminer  cette  introduction 
partielle  que  compléteront  successivement  des  notices 
placées  en  tête  de  chacun  de  nos  volumes  suivants,  sans 


XC  INTRODUCTION 

remercier  M.  Gaston  Raynaud,  notre  commissaire  res- 
ponsable, du  précieux  secours  qu'il  a  bien  voulu  nous 
accorder  au  cours  de  ce  travail,  nous  aidant  gracieuse- 
ment de  ses  conseils  et  de  sa  longue  expérience,  et  se 
prêtant  avec  une  patience  inlassable  et  souriante  aux 
nombreuses  vérifications  des  leçons  de  nos  manuscrits 
qu'exigeait  l'établissement  du  texte. 


PROLOGUE 


i 


Comment  Nature,  volant  orendroit  plus  que  onques 
mais  révéler  et  '  faire  essaucier  les  biens  et  honneurs 
qui  sont  en  Amours,  vient  a  Guillaume  de  Machaut  et 
li  ordonne  2  et  encharge  a  faire  seur  ce  nouviaus  dis 
amoureus,  et  li  baille  pour  lui  conseillier  et  aidier  s 
a  ce  faire  trois  de  ses  enfans,  c'est  assavoir  Scens, 
Retorique  et  Musique.  Et  li  dit 4  par  ceste  manière  : 

Je,  Nature,  par  qui  tout  est  fourme 
Quanqu'a  ça  jus  et  seur  terre  et  en  mer, 
Vien  ci  a  toy,  Guillaume,  qui  fourme 
4  T'ay  a  part,  pour  faire  par  toy  fourmer 

Nouviaus  dis  amoureus  plaisans. 
Pour  ce  te  bail  ci  trois  de  mes  enfans 

Qui  t'en  donront  la  pratique, 
Et,  se  tu  n'ies  d'euls  trois  bien  congnoissans, 
g  Nommé  sont  Scens,  Retorique  et  Musique. 

I.—  i.  A  a  —  2.  AF  ordene  —  3.  EH  aduiser  —  4.  E  dist. 
2  AF  ca  vis  —  3   ci  manque  dans  FEH  —8/1  nés;  H  diaus. 
Tome  I.  1 


2  PROLOGUE 

Par  Scensaras  ton  engin  enfourmé 
De  tout  ce  que  tu  vorras  confourmer; 
Retorique  n'ara  riens  enfermé 
i3  Que  ne  t'envoit  en  mètre  et  en  rimer; 

Et  Musique  te  donra  chans, 
Tant  que  vorras,  divers  et  deduisans. 

Einsi  ti  fait  seront  frique, 
N'a  ce  faire  ne  pues  estre  faillans, 
18  Car  tu  as  Scens,  Retorique  et  Musique. 

Ti  fait  seront  plus  qu'autre  renommé, 
Qu'il  n'i  ara  riens  qui  face  a  blasmer, 
Et  si  seront  de  toutes  gens  amé, 
22  Soutis,  loyaus,  jolis  et  sans  amer. 

Pour  ce  vueil  que  soies  engrans 
D'en  faire  assez,  petis,  moiens  et  grans. 

Or  fay  tost,  si  t'i  aplique  ! 
Tu  ne  m'en  dois  pas  estre  refusans, 
27  Qui  te  bail  Scens,  Retorique  et  Musique. 


II 

Comment  Guillaume  de  Machaut  respont  '  a  Nature  : 

Riens  ne  me  doit  excuser  ne  deffendre 
Que  ne  face  le  bon  commandement 
De  vous,  dame,  se  je  vous  say  entendre, 
4  Par  qui  j'ay  corps,  vie  et  entendement. 

II.  —   î.  H  respont  doucement    a  N. 

10  F  P.  ceuls  —  1 1  EH  enfourmer  —  i3  EH  Qui;  E  tenoit 
—  14  F  M.  qui  te  d.  des  ch.  —  i5  EH  T.  quen;  A  deduians  — 
16  F  seront  foy  que  —  17  A  A  —  19  A  autres  —  21  H  toute 
gent  nomme  —  22  A  Soutieus  leaulz  —  23  F  vueil  je  que  tu 
s.  e. 


PROLOGUE  6 

Dont  drois  est,  quant  vous  m'ordenez 
A  faire  dis  amoureus  ordenez, 

Qu'a  ce  faire  je  me  soutive. 
Et  je  vueil  bien  estre  a  ce  fait  donnez, 
9  Tant  qu'en  ce  mont  vous  plaira  que  je  vive. 

Mais  si  grant  fait  n'oseroie  entreprendre, 
Se  je  n'avoie  avec  moy  prestement 
Vos  trois  enfans  pour  moy  duire  et  aprendre, 
i3  Com  dit  m'avez  ici  présentement. 

Et  de  ce  qu'einsi  m'onnourez, 
Grâces  de  moy  que  de  vos  biens  n'arez, 

Qu'avis  n'autre  chose  soutive 
N'ay  ne  n'aray,  se  ne  m'en  pourveez, 
18  Tant  qu'en  ce  mont  vous  plaira  que  je  vive. 

Si  me  vueil  dont  dou  tout  mettre  et  entendre 
A  ces  dittez  faire  amoureusement 
Et  de  pluseurs  l'un  grant  et  l'autre  mendre, 
22  Et  les  aucuns  chanter  bien  plaisanment. 

Et  certes,  se  ne  me  cassez 
Vos  trois  enfans,  des  dis  feray  assez, 

Car  mes  voloirs  a  ce  s'avive, 
Ne  dou  faire  ne  seray  ja  lassez, 
27  Tant  qu'en  ce  mont  vous  plaira  que  je  vive. 


III 


Comment  Amours  qui  a  oy  Nature  vient  a  Guillaume 
de  Machaut  et  li  ameinne  trois  de  ses  enfans,  c'est 
assavoir  Doits  Penser,  Plaisance  et  Espérance,  pour 

8  F  Mais;  H  f.  mené  —  9  F// monde  —  10-18  La  strophe  man- 
que dans  H  —  10  E  fais  —  16  F  Quamours  —  20  F  ce  ditie 
—  21  F  pluseur;  E  pluiseurs  —  22  A  chantez;  H  très  pi.  —  24 
F  Les  —  27  H  monde. 


4  PROLOGUE 

lui  •  donner  matere  2  a  faire  ce  que  Nature  li  a  en- 
char  gié.  Et  li  dit  par  ceste  manière  3  : 

Je  sui  Amours  qui  maint  cuer  esbaudi 

Et  fai  mener  douce  et  joieuse  vie. 

Si  ay  oy,  Guillaume,  je  te  di, 
4  Que  Nature,  qui  tout  fait  par  maistrie, 

T'a  dit  qu'a  part  t'a  volu  faire 

Pour  faire  dis  nouviaus  de  mon  affaire. 

Pour  ce  t'ameinne  ici  en  pourvéance, 

Pour  toy  donner  matere  a  ce  parfaire, 

Mes  trois  enfans  en  douce  contenance  : 
10        C'est  Dous  Penser,  Plaisance  et  Espérance. 

Seur  Dous  Penser  tout  premiers  t'estudi  : 

C'est  li  premiers  qui  mes  biens  signefie. 

A  Plaisance  t'estude  n'escondi, 
14        Car  c'est  celle  qui  plus  les  multeplie; 
Et  Espérance  fait  atraire 

Joie  en  mes  gens  et  mon  service  plaire. 

Or  pues  tu  ci  prendre  grande  sustance 

Dont  tu  porras  figurer  et  retraire 

Moult  de  biaus  dis,  et  par  mainte  ordenance, 
20        Seur  Dous  Penser,  Plaisance  et  Espérance. 

Mais  garde  bien,  sur  tout  ne  t'enhardi 
A  faire  chose  ou  il  ait  villenie, 
N'aucunement  des  dames  ne  mesdi  ; 
24        Mais  en  tous  cas  les  loe  et  magnefie. 
Saches,  se  tu  fais  le  contraire, 
Je  te  feray  très  cruelment  detraire. 
Mais  en  honneur  fay  tout  et  si  t'avance  : 

III. —  1.  A  li  —  2.  F  voie —  3.  Et  li  dit  p.  c.  m.  manquent  dans  E. 

1  cuer  esb.  manque  dans  E —  10  F  pensers  —  1 1  F  Leur;  A 
premier —  14  FH  le;  F  monteplie  —  17  FT/grant  —  26  A  cruele- 
ment. 


PROLOGUE 


Aide  as  assez,  matere  et  exemplaire. 

Il  ne  te  faut  qu'avoir  persévérance 

3o       En  Dous  Penser,  Plaisance  et  Espérance, 


IV 

Comment  Guillaume  '  de  Machaut  respont 2  a  Amours  : 

Grâces  ne  say,  loange  ne  merci 
N'autre  chose  qu'on  sceiist  proposer 
Dont  vous,  Amours,  assez  gracier  ci 

4  Vous  pelisse,  n'a  mon  voloir  loer, 

Car  vos  trois  enfans  vis  a  vis 
Ci  m'amenez  pour  moy  donner  avis 
Et  matere  dont  ç'ordener  porray 
Dont  Nature  de  vous  m'a  fait  devis, 
Et  par  son  gré  je  m'y  emploieray 

10       A  mon  pooir,  tant  comme  je  vivray. 

Et  nientmeins  humblement  vous  merci 
Par  plus  de  fois  qu'on  neporroit  nombrer, 
Car  vous  et  vos  enfans  moult  esclarci 

14        M'avez  ces  fais  que  j'ay  a  ordener, 
Pour  lesquels  arrière  tous  mis 
Seront  autres,  puis  qu'a  ce  sui  commis, 
N'a  autres  fais  jamais  jour  n'entendray, 
N'onques  amans,  tant  fust  bien  vos  amis, 
Ne  vous  servi  mieus  que  vous  serviray 

20       A  mon  pooir,  tant  comme  je  vivray. 

IV.  —  1.  F  guillaumes —  2.  H  r.  doucement  a  a.  —  H  ajoute  la 
rubrique  Autre  balade. 

i  F  mérite  —  2  H  quen  ;  F  peust  —  5  A  Qui;  H  deux  enf. 
vis  aduis — 6  F  Que  ;  moy  manque  dans  H —  io.Fcomje  viueray 
{de  même  aux  v.  20  et  3o)  —  1 1  EH  neantmoins  —  i3  F  enf. 
mont  esclarci  —  14.  F  Mains  de  ces  f.  —  17  H  autres  fins  ;  FE 
ne  tendray  —  18  EH  amant. 


6  PROLOGUE 

Ne  plus  n'aray  riens  triste  n'oscurci, 
Mais  lié  et  gay  me  vorray  démener 
Et  faire  que  maint  dur  cuer  adouci 

24        Soit  par  mos  dous  et  plaisans  aûner 

Des  biens  qui  en  vous  sont  compris, 
Qui  me  seront  par  vos  enfans  apris. 
Et  des  dames  blasmer  me  garderay, 
Ne,  se  Dieu  plaist,  ja  n'en  seray  repris, 
Mais  honnourer  et  loer  les  vorray 

3o        A  mon  pooir,  tant  comme  je  vivray. 


Puisque  Nature  Retorique 

Me  présente,  Scens  et  Musique, 

Et  li  dieus  d'Amours,  qui  mes  sires 

4  Est  et  des  maus  amoureus  mires, 

Vuet  que  j'aie  bonne  Espérance, 
Dous  Penser  et  douce  Plaisance 
En  faisant  son  très  dous  service 

8  Bonnement,  sans  penser  a  vice, 

Et  leur  commande  travillier 
Pour  moy  aidier  et  consillier 
A  faire  dis  et  chansonnettes 

12  Pleinnes  d'onneur  et  d'amourettes, 

Doubles  hoquès  et  plaisans  lais, 
Motès,  rondiaus  et  virelais 
Qu'on  claimme  chansons  baladées, 

16  Complaintes,  balades  entées, 

A  l'onneur  et  a  la  loange 
De  toutes  dames  sans  losange, 

V.  —  2  F  Ay  —  10  F  a  c.  —   i3  F  pluseurs  lais. 

21  FEHDq  —  22  F  liez  et  gais  —  23  EH  Et  faire  tant  que 
maint  cuer  a.  —  24  F  pi.  amer;  EH  pi.  rimer  —  25  F  sont  en 
vous  —  28  F  dieus;  F  je  nen  s. 


PROLOGUE 

Et  ne  doy  mie  desvoloir 

20  Leur  plaisant  gracieus  voloir, 

Einsois  y  doy  mon  sentement 
Mettre  et  tout  mon  entendement, 
Cuer,  corps,  pooir  et  quanque  j'ay. 

24  Ne  je  ne  pris  un  bec  de  jay 

Ceuls  qui  s'en  vorroient  ruser, 
Car  je  ne  puis  mon  temps  user 
En  milleur  n'en  plus  bel  usage 

28  Pour  avoir  noble  et  lié  corage 

Et  pour  estre  gais  et  jolis, 
Gens,  joins,  apers,  cointes,  polis. 
Car  tout  homme  qui  ad  ce  pense, 

32  II  ne  riote  ne  ne  tense 

N'il  ne  porroit  penser  a  chose 
Ou  villenie  fust  enclose, 
Haine,  baras  ou  mesdis. 
36  Je  le  say  trop  bien  par  mes  dis, 

Car  quant  je  sui  en  ce  penser, 
Je  ne  porroie  a  riens  penser 
Fors  que  seulement  au  propos 
40  Dont  faire  dit  ou  chant  propos; 

Et  s'a  autre  chose  pensoie, 
Toute  mon  ouevre  defferoie. 

Et  s'on  fait  de  triste  matière, 
44  Si  est  joieuse  la  manière 

Dou  fait,  car  ja  bien  ne  fera 

Ne  gaiement  ne  chantera 

Li  cuers  qui  est  pleins  de  tristesse, 
48  Pour  ce  qu'il  het  et  fuit  leesse. 

Mais  quant  li  cuers  est  pleins  de  joie, 

Il  se  délite  et  se  resjoie, 

En  faisant  son  chant  et  son  dit 

35  AF  barat;  F  ne  m.  —  42  A  Certes. 


8  PROLOGUE 

52  En  douce  Plaisance;  et  s'on  dit 

Que  li  tristes  cuers  doit  mieus  faire 
Que  li  joieus,  c'est  fort  a  faire, 
Ne  je  ne  m'y  puis  acorder. 

56  Car  quant  Souvenirs  recorder 

Fait  l'amant  par  douce  pensée 
La  très  belle  et  la  bien  amée 
A  qui  il  est  mis  et  donnez 

6o  Et  ligement  abandonnez, 

Plaisant  ymagination 
Met  en  son  cuer  l'impression 
De  sa  douce  plaisant  figure 

64  Et  dous  Pensers  qui  la  figure, 

Dont  son  fait  cent  fois  embelist  : 
Sages  est  qui  tel  vie  eslist. 

Mais  quant  li  tristes  ymagine 

68  La  grant  biauté,  la  douceur  fine 

De  celle  qui  n'a  de  li  cure, 
Dont  li  venroit  envoiseùre, 
Que  elle  aimme  un  autre  que  li? 

72  Je  ne  me  tien  pas  a  celi, 

Qu'il  a  tant  de  dueil  et  de  rage 
Que  c'est  merveille  qu'il  n'enrage, 
Ou  qu'il  ne  se  tue  ou  se  pent, 

76  Ou  que  d'amer  ne  se  repent  ; 

Si  qu'il  ne  porroit  nullement 
Riens  faire  si  joliement 
De  sa  matière  dolereuse 

80  Com  li  joieus  de  sa  joieuse, 

Pour  ce  qu'il  n'a  riens  qui  l'esgaie 
Ne  matière  lie  ne  gale, 
Et  s'a  désir  et  povre  espoir 


66  eslist  omis  dans  A  —  71  A  Ou  —  74  A  merueilles  —  79  F 
De  la  m.  —  82  A  matere  —  83  F  et  pour  cespoir. 


PROLOGUE  9 

84  Qui  sa  doleur  empire,  espoir. 

Et  Musique  est  une  science 

Qui  vuet  qu'on  rie  et  chante  et  dance. 

Cure  n'a  de  merencolie 
88  Ne  d'homme  qui  merencolie 

A  chose  qui  ne  puet  valoir, 

Eins  met  tels  gens  en  nonchaloir. 

Partout  ou  elle  est,  joie  y  porte  ; 
92  Les  desconfortez  reconforte, 

Et  nés  seulement  de  Foïr 

Fait  elle  les  gens  resjoïr. 

N'instrument  n'a  en  tout  le  monde 
96  Qui  seur  musique  ne  se  fonde, 

Ne  qui  ait  souffle  ou  touche  ou  corde 

Qui  par  musique  ne  s'acorde. 

Tous  ses  fais  plus  a  point  mesure 
100  Que  ne  fait  nulle  autre  mesure. 

Elle  fait  toutes  les  karoles 

Par  bours,  par  citez,  par  escoles, 

Ou  on  fait  l'office  divin 
104  Qui  est  fais  de  pain  et  de  vin. 

Puet  on  penser  chose  plus  digne 

Ne  faire  plus  gracieus  signe 

Com  d'essaucier  Dieu  et  sa  gloire, 
108  Loer,  servir,  amer  et  croire, 

Et  sa  douce  mère,  en  chantant, 

Qui  de  grâce  et  de  bien  a  tant 

Que  le  ciel  et  toute  la  terre 
112  Et  quanque  li  mondes  enserre, 

Grant,  petit,  moien  et  menu 

En  sont  gardé  et  soustenu? 

J'ay  oy  dire  que  li  angles, 
116  Li  saint,  les  saintes,  les  archangles, 

98  F  seur  musique  —    io3  A  Ou  en  fait  —  116  F  archanges. 


I O  PROLOGUE 

De  vois  délie,  seinne  et  clere, 

Loent  en  chantant  Dieu  le  père, 

Pour  ce  qu'en  gloire  les  a  mis 
120  Com  justes  et  parfais  amis, 

Et  pour  ç'aussi  que  de  sa  grâce 

Le  voient  adès  face  a  face. 

Or  ne  puelent  li  saint  chanter, 
124  Qu'il  n'ait  musique  en  leur  chanter  : 

Donc  est  Musique  en  paradis. 

David  li  prophètes  jadis, 

Quant  il  voloit  apaisier  l'ire 
128  De  Dieu,  il  acordoit  sa  lire, 

Dont  il  harpoit  si  proprement 

Et  chantoit  si  dévotement 

Hympnes,  psautiers  et  orisons, 
i32  Einsi  comme  nous  le  lisons, 

Que  sa  harpe  a  Dieu  tant  plaisoit 

Et  son  chant  qu'il  se  rapaisoit. 

Orpheiis  mist  hors  Erudice 
1 36  D'enfer,  la  cointe,  la  faitice, 

Par  sa  harpe  et  par  son  dous  chant. 

Cils  poètes  dont  je  vous  chant 

Harpoit  si  très  joliement 
140  Et  si  chantoit  si  doucement 

Que  les  grans  arbres  s'abaissoient 

Et  les  rivières  retournoient 

Pour  li  oïr  et  escouter, 
144  Si  qu'on  doit  croire  sans  doubter 

Que  ce  sont  miracles  apertes 

Que  Musique  fait.  C'est  voir,  certes. 

Retorique  versefier 
148  Fait  l'amant  et  metrefîer, 

145  F  soit    — •   147  AF  Théorique  ;  dans  A  corrigé  en   Reto- 
rique. 


PROLOGUE  I  I 

Et  si  fait  faire  jolis  vers 

Nouviaus  et  de  mètres  divers  : 

L'un  est  de  rime  serpentine, 
i52  L'autre  équivoque  ou  léonine, 

L'autre  croisie  ou  rétrograde, 

Lay,  chanson,  rondel  ou  balade; 

Aucune  fois  rime  sonant 
1 56  Et,  quant  il  li  plaist,  consonant  ; 

Et  li  aourne  son  langage 

Par  manière  plaisant  et  sage. 

Car  Scens  y  est  qui  tout  gouverne 
160  En  chambre,  en  salle  et  en  taverne; 

Dous  Penser  et  bonne  Espérance 

Li  font  avoir  douce  Plaisance 

Et  li  amenistrent  matière, 
164  Dont  il  fait  a  plus  lie  chiere 

Et  de  plus  joli  sentement 

Que  cils  qui  vit  dolentement; 

Car  joie  et  doleur,  ce  me  samble, 
168  Puelent  petitement  ensamble. 

Et  quant  Nature  me  commande 

Et  li  dieus  d'Amours,  que  j'entende 

Aus  choses  dessus  proposées, 
172  Seur  l'onneur  des  dames  fondées, 

Bien  est  raison  que  je  m'aplique 

A  faire  leur  bon  plaisir,  si  que 

Je  n'i  mesprengne  ne  mefface. 
176  Or  pri  a  Dieu  qu'il  me  doint  grâce 

De  faire  chose  qui  bien  plaise 


149  F  Et  li  f.  —  i5o  F  mètre  —  i52  AF  leolime  —  173-175 
Dans  F  le  commencement  de  ces  vers  est  enlevé;  un  bout  de  par- 
chemin, ajouté  plus  tard,  donne  les  leçons  suivantes  :  173  Me 
donne  r.  —  174  A  sa  amor  bon  pi.  —  175  Je  ne  meprengne  — 
176  AF  dieu  qui  me  d. 


I 2  PROLOGUE 

Aus  dames;  car,  par  saint  Nichaise 
A  mon  pooir,  quanque  diray, 

180  A  l'onneur  d'elles  le  feray. 

Car  vraiement  trop  mefferoie 

En  cas  qu'einsi  ne  le  feroie. 

Et  pour  ce  vueil,  sans  plus  targier, 

184  Gommencier  le  Dit  don  Vergier. 


LE  DIT  DOU  VERGIER 


12 


16 


Quant  la  douce  saison  repaire 
D'esté  qui  maint  amant  esclaire, 
Que  prez  et  bois  sont  en  verdour 
Et  cil  oisillon  par  baudour 
Chantent  et  par  envoiseiire 
Chascuns  le  chant  de  sa  nature, 
Pour  la  douçour  dou  temps  seri, 
Ou  dous  mois  d'avril  le  joli, 
Me  levay  par  un  matinet 
Et  entray  en  un  jardinet 
Ou  il  avoit  arbres  pluseurs, 
Flouris  de  diverses  coleurs. 
Si  trouvay  une  sentelette 
Pleinne  de  rousée  et  d'erbette, 
Par  ou  j'alay  sans  atargier, 
Tant  qu'a  l'entrée  d'un  vergier 
Me  list  aventure  aporter. 


4  M  Et  si  —  5  et  6  intervertis  dans  C  —  6  le  manque  dans  E 
7  E  Pour  lamour  —  16  E  du  v. 


14  LE   DIT   DOU   VERGIER 

S'entray  ens  pour  moy  déporter, 
Pleins  d'amoureuse  maladie, 

20  Et  pour  oïr  la  mélodie 

Des  oisillons  qui  ens  estoient 
Qui  si  très  doucement  chantoient 
Que  bouche  ne  le  porroit  dire, 

24  N'onques  homs  vivans  n'ot  tant  d'ire 

Que,  s'il  peust  leur  chant  oïr, 
Qu'il  ne  s'en  deiist  resjoïr 
En  son  cuer  et  que  sans  séjour 

28  N'entroubliast  toute  dolour, 

Tant  avoit  en  euls  de  delis. 
Et  dessus  une  flour  de  lis 
Li  dous  rossignolès  estoit 

32  Qui  renvoisiement  chantoit 

Et  s'efforçoit  si  de  chanter 
Que  par  dessus  tout  le  chanter 
Des  autres  oisillons  l'oï, 

36  Dont  mes  cuers  moult  se  resjoï. 

Et  quant  j'eus  oï  le  déduit 

Des  oisiaus,  tous  seus,  sans  conduit, 

M'en  alay  parmi  le  vergier, 

40  Pour  ce  qu'onques,  a  droit  jugier, 

Nul  si  très  bel  veu  n'avoie  ; 
Car  il  n'i  avoit  lieu  ne  voie 
Qui  ne  fust  semez  de  flourettes 

44  Blanches,  jaunes  et  vermillettes 

Ou  d'aucune  estrange  colour. 
Si  m'abeli  tant  le  demour 
Ou  vergier  par  la  grant  planté 


23  £  Que  bonté  —  26  ABDEKJ  Qui  —  29  K  aroit  —  3i  D 
Estoit  li  doulz  roussignolot  ;  C  roussignoulz —  32  K  Qui  par 
r.;  J  Qui  par  renuoisement  —  34  D  tous  —  36  £  sen  ;  J  me  r. 
—  43    KJ  sumez  —  46  M  li  d.  —  47  B"  Du. 


LE   DIT   DOU    VERGIER  l5 

48  Des  arbres  qu'on  y  ot  planté 

Qui  estoient  vert  et  flouri, 

Qu'en  un  praielet  m'embati. 

S'ot  en  mi  lieu  un  arbrissel 
52  De  fleurs  et  de  fueilles  si  bel, 

Si  bel,  si  gent,  si  aggreable, 

Si  très  plaisant,  si  delitable 

Et  plein  de  si  très  bonne  odour 
56  Que  nuls  n'en  aroit  la  savour, 

Tant  fust  ses  cuers  desconfortez, 

Qu'il  ne  fust  tous  reconfortez  ; 

Et  tant  estoit  de  joie  pleins 
60  Li  lieus  dont  il  estoit  enseins 

Et  a  vëoir  si  gracieus, 

Si  nobles  et  si  amoureus, 

Car,  quant  je  l'os  par  bon  loisir 
64  Resgardé  tout  a  mon  désir, 

Je  ne  say  que  ce  pooit  estre 

Fors  que  le  paradis  terrestre. 

Et  comment  que  li  lieus  fust  gens, 
68  Assis  en  sus  de  toutes  gens, 

Delitables  et  pleins  de  joie, 

Certes,  nul  solas  n'i  avoie; 

Car  a  ma  gracieuse  dame, 
72  Qui  a  mon  cuer,  mon  corps  et  m'ame, 

Me  fist  Amours  adès  penser 

Loyaument,  sans  vilein  penser. 

Et  ce  fu  drois,  qu'onques  Nature 
76  En  créer  nulle  créature 

Ne  mist  si  trestoute  s'entente, 

Comme  a  sa  douce  façon  gente. 

48  DKJ  quen  ;  C  que  —  49  et  manque  dans  E  —  5i  B'DEJKC 
ou  milieu;  KJ  arbretel  —  53  F  Si  dous  {correction  de  seconde 
main)  —  54  J  si  agréable  —  58  AEKJD  Qui  —  60  £  ou  ile.  en- 
tains  —  68  M  toute  —  70  M  nulz;  K  aroie  —  76  C  En  corps  de 
n.  —  78  E  fachon. 


10  LE    DIT   DOU    VERGIER 

Car  souvereinne  est  de  biauté, 
80  Enrichie  de  loiauté, 

De  haute  noblesse  parée, 

De  scens,  d'onneur  enluminée  ; 

Fine  douçour,  grâce,  pité, 
84  Franchise  et  debonnaireté 

Rengnent  en  li  ;  bonté  l'affine 

Et  loyal  amour  la  doctrine 

Avec  raison  et  courtoisie. 
88  Ces  trois  vertus  l'ont  si  norrie 

Qu'elle  est  de  trestoute  valour 

Entre  les  mieudres  la  millour  ; 

De  tous  est  seur  toutes  prisie, 
92  Et  c'est  drois,  que  je  ne  cuit  mie 

Que  Nature  qui  tout  conçoit 

Soutieument  si  soutive  soit 

Qu'onques  figurer  la  sceiïst, 
96  Se  Dieus  proprement  n'i  eiist 

Mis  la  main  a  la  figurer  ; 

Car  Dieus  la  volt  faire  sans  per 

Seur  toute  créature  humeinne. 
100  De  toutes  bonnes  meurs  est  pleinne, 

De  dous  regart,  de  simple  chiere 

Et  de  gracieuse  manière. 

Dieus  et  Nature  l'ont  si  faite, 
1 04  Car  elle  est  en  tous  biens  parfaite, 

Seur  toutes  plaisant,  nette  et  pure 

Fors  tant  qu'elle  est  vers  moy  trop  dure. 


80  D  Encheric  —  83  BDEKJ  pitié  —  85  K  la  fine  —  86  D 
En  —  88  M  Des;  si  omis  dans  D  —  89  KJ  très  douce  —  90  A 
micudre  ;  KJ  mendres —  91  KJ  De  t.  fais  —  92  C  car  je  ;  D 
omet  que  —  g3  E  Que  créature  —  94  FM  Soustieument;  CE 
Soutiuement  ;  KJ  Soutilment  ;  D  Subtilment  (de  même  dans  la 
suite)  —  g5  B  Nonques  —  97  D  sa  main  —  98  BDE  veult;  C 
voust;  KJ  vost  (de  même  dans  la  suite)  —  io5  MEplaisans  —  106 
BD  si  dure. 


LE    DIT   DOU    VERGIER  17 

Vraiement,  c'est  tout  le  deffaut 
108  Qui  en  son  gentil  corps  deffaut. 

Einsi  longuement,  sans  doubtance, 

Pensay,  qu'onques  je  n'os  plaisance 

A  chose  qu'où  vergier  veïsse, 
1 12  Par  quoy  mon  penser  y  tenisse; 

Car  par  pensée  remiroie 

La  grant  biauté  qui  me  maistroie, 

Le  scens,  la  valeur  et  le  pris 
1 16  Par  qui  je  sui  d'amer  espris, 

Et  le  pk.isant  viaire  dous 

De  ma  dame  a  qui  je  sui  tous. 

S'estoit  mes  cuers  certeinnement 
120  Seurpris  si  amoureusement 

De  joie,  quant  penser  pooie 

Et  quant  appertement  vëoie 

Qu'Amours,  pour  moy  plus  amender, 
124  Me  fait  servir  et  honnourer 

Loyaument,  sans  penser  folour, 

De  toutes  les  dames  la  flour, 

Que  nuls  cuers  penser  ne  porroit 
128  La  joie  que  li  miens  avoit. 

Mais  quant  je  pensay  ensement 

Comment  je  l'aim  très  loyaument, 

Et  elle  n'a  cure  de  moy, 
1 32  Einsois  me  fait  peinne  et  anoy 

Et  me  fait  en  dolour  languir, 

Pour  ce  que  je  l'aim  et  désir, 

Et  qu'elle  me  deust  par  droit 
1 36  Des  biens  amoureus  orendroit 

107  M  sest;  D  le  meffait  —  108  D  deffait  —  1 1 1  KJ  qui  ou  — 
112  DE  Pourquoi  —  1 1 3  D  Par  p.  je  r.  —  119  MBDE  Cestoit- 
D  mon  cuer —  1 25  manque  dans  J  —  127  KJ  Nuls  —  128  KJ 
reçoit —  129  C  jai  pensai  ;  KJ  jo  pense  —  i32£'asnoy—  1 33 
BDEKJ  ad.—  i36  FM  ci  endroit. 

Tome  I.  2 


l8  LE   DIT    DOU    VERG1ER 

Faire  aucune  joie  espérer, 

Et  elle  me  fait  desperer, 

Et  s'est  a  tous  de  dous  acueil 
140  Fors  a  moy  qui  pour  li  me  dueil, 

J'eus  tel  doleur,  a  dire  voir, 

Que  nuls  n'en  porroit  concevoir 

La  moitié  toute  ne  demie, 
144  Non  pas  la  centisme  partie  ; 

Car  tant  fui  en  mon  mal  pensis 

Que  je  fui  en  doleur  transis, 

Si  que  je  ne  sos  ou  j'estoie, 
148  Ne  bien  ne  mal  je  ne  sentoie. 

Einsi  fui  transis  longuement 

Sans  avoir  joie  ne  tourment, 

Fors  tant  qu'une  joie  me  vint 
1D2  D'une  vision  qui  m'avint 

Si  très  plaisant,  a  grant  merveille, 

Qu'onques  mais  ne  vi  sa  pareille. 

Car  il  m'iert  vis  que  je  vêoie 
1 56  Ou  joli  praiel  ou  j'estoie 

La  plus  très  belle  compaingnie 

Qu'onques  fust  veûe  n'oie. 

La  avoit  il  sis  damoisiaus 
160  Juenes,  jolis,  gentils  et  biaus; 

Et  si  avoit  sis  damoiselles 

Qu'a  merveilles  estoient  belles  ; 

Et  dessus  le  bel  arbrissel 
164  Qui  estoit  en  mi  le  praiel 

1 38  CDE  désespérer—  1I-Î9  M cest  a  t.  le  d.  a.;  D  de  tous  déduis 
a.;  KJ  Et  fait  (K  a  corrigé  sest  en  fest)  a  tous  si  d.  a.  —  142  D 
nul  —  144  C  centiesme  —  140  KJ  sui  ;  D  fu  —  146  KJ  jen  sui  ; 
E  sui  ;  D  f u —  147  BDEKJ  sceus  ;  M  soy  ;  C  sai  —  149  -D  Ainsois; 
CDJ  fu;  E  sui  —  1.S4  K  Que  o.;  mais  manque  dans  KJ  ;  DE  la 
par.  —  1 56  A  En;  FM  prael  —  160  D  genlis  jolis;  KJ J .  gentilz 
plaisans  et  b .  —  1 62  D  Qui  m.  —  1 63  M  aubrissel  ;  C  arbruissel  ; 
KJ  a rb recel. 


LE   DIT   DOU    VERGIER  IQ 

Se  sëoit  une  créature 

De  trop  mervilleuse  figure  ; 

Car  nulle  goûte  ne  vëoit; 
168  Et  en  sa  destre  main  tenoit 

Un  dart  qui  bien  estoit  ferré 

De  fer  tranchant  et  acéré  ; 

Et  en  l'autre  avoit  un  brandon 
172  De  feu  qui  getoit  grant  randon  ; 

Et  s'avoit  pour  voler  deus  eles 

Si  belles  qu'onques  ne  vi  teles. 

La  face  avoit  clere  et  moult  belle 
176  Et  la  coulour  fresche  et  nouvelle, 

Et  tout  le  remenant  de  li 

Estoit  de  maintien  si  joli, 

Car  on  ne  porroit  souhaidier 
180  Un  aussi  bel,  a  mon  cuidier. 

S'ot  un  chappellet  de  rosettes, 

De  muguet  et  de  violettes, 

Par  cointise  mis  en  son  chief. 
184  Mais  encor  vi  je  derechief 

Que  tuit  li  gentil  damoisel, 

Qui  estoient  plein  de  revel, 

Et  les  damoiselles  aussi, 
188  Tous  ensamble  et  chascun  par  h, 

Li  faisoient  feste  et  honnour 
Comme  a  leur  souverein  signour, 
Grâce  et  loange  li  rendoient 
192  Et  comme  leur  Dieu  l'aouroient. 

Et  quant  j'eus  tout  cela  veù, 

i65  K  Ce  —  166  BD  très  (B'  rétablit  trop)  —  171  BD  Et  en  lau- 
tre  main  un  b.  ;  F  comble  une  lacune  au  commencement  du  vers 
par  Et  de  feu  en  1.  —  173  E  voloir  —  175  E  a.  belle  et  moult 
clere  —  176  MKJ  et  vermeille  —  178  KJ  E.  douurage  —  i83  D 
mise  —  184  A  vis;  D  encore  vi  d.  —  186  Ce  vers  dans  B  a  été  ajouté 
au  bas  de  la  colonne —  188  MJ  chascuns  —  191  et  192  intervertis 
dans  AM  ;  AMJ  Grâces  ;  C  et  loyauté  —  192  K  Si  ;  M  corn. 


20  LE    DIT    DOU    VERGIER 

Ymaginé  et  conceii, 

J'en  os  en  moy  moult  grant  frëour 

196  Pour  le  feu,  doubtance  et  paour, 

Qu'adès  vraiement  me  sambloit 
Que  vers  moy  lancier  le  voloit. 
Pour  ce  ne  savoie  que  faire, 

200  D'aler  avant  ou  d'arrier  traire. 

Mais  je  m'avisay  toute  voie 
Que  vers  la  compaingnie  iroie, 
Pour  ce  que  savoir  de  leur  estre 

204  Voloie,  et  que  ce  pooit  estre 

Dou  damoisel  qui  se  séoit 
Seur  l'arbre  et  goûte  ne  véoit. 

Adont  ne  demouray  je  pas, 

208  Einsois  vers  euls  le  petit  pas 

Tout  couvertement  m'en  alay. 
Et  quant  je  vin  près,  je  parlay 
Et  les  saluay  sans  demeure. 

212  Mais  cils  qui  sëoit  au  deseure 

Seur  l'arbre  entreprist  le  parler 
Et  encommença  a  parler, 
Et  me  rendi  si  doucement 

216  Mon  salu,  que  le  hardement 

Qui  estoit  en  moy  tous  perdus 
Me  fu  par  son  parler  rendus. 
Lors  li  priay  je  sans  attendre 

220  Qu'il  me  vosist  dire  et  apprendre 

Comment  appeller  le  saroie, 
Car  durement  le  desiroie, 
Et  pourquoy  il  ne  véoit  goûte, 


5  K  Jeus  en  moy  —  200  K  ou  arrier  —  210  KJ  si  parlay  — 
212  D  qui  se  seoit  d.  —  214  £  Et  commença  ;  D  Et  commençai; 
KJ  Et  corn.  lors  a  p.  —  2i5  FM  moult  d.  —  216  E  hardiemcnt 
—  217  Dtout  —  218  ./fut. 


LE   DIT    DOU    VERGIER  21 

224  Et  la  signefiance  toute 

Dou  brandon  de  feu  qui  ardoit 

Et  dou  dart  qui  ferrez  estoit, 

Et  de  quoy  ses  eles  servoient, 
228  Et  pourquoy  cil  qui  la  estoient, 

Qui  estoient  bel  a  devis 

De  corps,  de  façon  et  de  vis, 

Li  darrein  et  li  premerein, 
232  Comme  a  leur  signour  souverein, 

Feste,  honneur  et  grant  révérence 

Li  faisoient  de  leur  puissance. 

Et  quant  je  li  eus  ma  prière 
236  Toute  ditte  en  tele  manière, 

Moult  doucement  me  respondi 

Tantost,  que  plus  n'i  attendi, 

Que  moult  volentiers  me  diroit 
240  Tout  ce,  ne  ja  n'en  mentiroit. 

Si  me  commanda  que  j'oïsse 

Ce  qu'il  diroit  et  retenisse; 

Car  se  retenir  le  voloie, 
244  A  honneur  venir  en  porroie. 

Lors  parla  gracieusement 

Et  dist  einsi  premièrement  : 

«  Je  sui  cils  qui  a  le  pooir 
248  De  faire  le  riche  doloir 

Et  de  lui  faire  dolouser, 

Plaindre,  plourer  et  souspirer 

Et  de  lui  tenir  en  dangier, 
252  Si  que  riens  ne  li  puet  aidier, 

Ors,  ne  argens,  ne  grant  richesse, 

Donner,  promettre,  ne  noblesse, 


225  E  du  feu  —  226  D  ferre  —  227-8  manquent  dans  J  —  227  A 
ces  —  228  B'  cilz  —  23 1  A  Le  d.  et  le  p.  —  235  C  proiere  —  247 
D  Je  suis  cil  —  253  BDEKJ  Or  ne  areent. 


22  LE   DIT    DOU    VERG1ER 

Grant  force  ne  pooir  d1amis. 
256  Ja  pour  cela  ne  sera  mis 

Hors  de  mes  las,  quoy  qu'il  aveingne  ; 

Einsois  couvient  que  de  moy  veingne 

Sa  joie  et  son  aligement. 
260  Et  quant  il  est  miens  ligement, 

Sachiez  que  je  puis  de  legier 

Toutes  ses  dolours  aligier; 

Et  si  puis  le  povre  acomplir 
264  Son  désir  et  lui  enrichir 

De  ce  dont  li  riches  mendie. 

Et  s'ay  si  noble  signourie 

Qu'au  monde  n'a  prince  ne  roy, 
268  Tant  soit  ses  cuers  de  grant  desroy, 

Durs  ou  hauteins  ou  pleins  d'orgueil, 

Que  ne  le  face,  se  je  vueil, 

De  fin  cuer  loial  sans  amer 
272  Cent  fois  mendre  de  lui  amer, 

Sans  ce  qu'il  en  ait  ja  solas  ; 

Eins  sera  loiez  en  ses  las, 

Ne  ja  pour  scens  ne  pour  avoir 
276  Ne  porra  de  li  joie  avoir, 

Se  de  moy  ne  vient  proprement. 

Et  si  sachiez  certeinnement 

Qu'il  n'est  royne  ne  contesse 
280  Ne  dame  de  si  grant  noblesse, 

Que  je  ne  la  fasse  doloir 

Et  resjoïr  a  mon  voloir, 

Et  que,  s'il  me  vient  a  plaisir, 
284  Que  son  penser  et  son  désir, 

2  59  C  En  joie  —  260  DJ  mien  —  261  BDJ  Saches  —  263  C  li 
poure  —  264  M  en  lui —  265  M  Et  de  ce  —  266  J  compaignie  — 
267  K  Queu  ;  J  Qucn;  J  roys  —  268  D  son  cuer  ;  C  en  gr.  d.;  J 
desroys  —  269  KJ  Deurs  —  272  KJ  mendres  ;  FM  de  li  —  273  B 
Sans  quil;  B'  ja  ses  solas  —  274  C  liée  ;  M  mes  las  —  278  D  Et 
se  sache  ;  B'  J  saches  ;  E  Et  se  face. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  23 

Son  corps,  s'amour  et  tout  son  cner 
A  un  homme  de  petit  fuer 
Ne  li  face  dou  tout  donner 
288  Et  ligement  abandonner. 

«  J'ay  seur  tous  cuers  humeins  puissance; 

Il  sont  tuit  en  m'obeïssance; 

Je  les  donne,  vueil  haut,  vueil  bas, 
292  Sans  garder  raison  ne  compas. 

Il  ne  pueent  riens  contredire 

Que  je  vueille  faire  ne  dire. 

De  deus  cuers  puis  et  de  deus  corps 
296  Qui  seront  plein  de  tous  descors 

Et  en  tous  cas  seront  contraire  : 

Feray  tant  l'un  a  l'autre  plaire 

Que  c'iert  toute  une  volenté, 
3oo  Une  doleur,  une  santé, 

Uns  cuers,  uns  corps  et  une  vie, 

Une  mort,  une  maladie, 

Uns  désirs  et  une  pensée, 
304  Par  moy  conjointe  et  année. 

«  Je  puis  faire  d'un  fol  un  sage, 

Se  je  le  met  en  mon  servage; 

Car  nuls  n'iert  ja  si  desapris, 
3o8  Se  jel  pren,  qu'il  ne  soit  apris 

De  scens,  d'onneur,  de  courtoisie, 

Et  que  ne  mette  s'estudie 

En  bien  et  en  toute  valeur, 
3i2  Et  qu'il  ne  tende  a  haute  honneur, 

Et  que  deshonneur  enhaïr 

290  C  tous;  BD  mobedience  —  293  D  II  ne  le  pueuent  c;  C  rien 
—  295  cuers  manque  dans  M;  et  manque  dans  C —  299  MBDEKJ 
tout  —  3oi  ABDEKJ  Un  cuer  —  3o3  ABDEKJ  Un  désir  —  304  D 
coniointer  a  vnee:  C  et  muée  —  3o6  K  Se  il  ce  met  —  3o8  DE 
Se  le  ;   K  Se  la  ;   E  qui. 


24  LE   DIT   DOU   VERGIER 

Ne  vueille  et  tous  vices  fuir. 

Einsi  d'un  fol  desmesuré 
3 1 6  Fais  un  sage  homme  amesuré. 

Et  si  fais  le  sage  mesure 

Trespasser,  raison  et  droiture  ; 

Car  si  tost  com  je  le  vueil  prendre, 
320  II  ne  se  puet  vers  moy  deffendre 

Qu'il  ne  face  ma  volenté, 

Tant  soit  pleins  de  soutiveté  ; 

Et  de  tant  qu'il  iert  plus  soutis, 
324  Haus,  nobles,  puissans  ou  gentils, 

De  tant  sera  il  plus  batus, 

S'il  est  en  mes  las  embatus, 

Et  plus  estroitement  laciez, 
328  Ne  sans  moy  n'en  iert  deslaciez. 

«  Je  suis  comparez  a  la  mort, 

Car  je  pren  le  foible  et  le  fort, 

Que  nuls  ne  m'en  puet  eschaper, 
332  Qu'il  ne  le  couveingne  passer 

Par  mes  las  ou  par  mi  mes  mains. 

Mais  de  cela  soiez  certeins 

Que  j'y  ay  un  bel  avantage, 
336  Que  j'ay  par  droit  et  par  usage  ; 

Car  adès  pren  je  li  premiers, 

Et  de  ce  suis  je  coustumiers, 

Et  puis  la  mort  si  prent  après 
340  Sans  riens  espargnier  loin  ne  près. 

Mais  je  ne  pren  pas  a  tel  guise 

314  A  tout  vice  —  3 1 5  BD  du  fol  —  3 16  homme  manque  dans 
D  —  3 17  et  3 18  intervertis  dans  D  —  3 17  D  s.  meisme  —  3 18  D 
et  dottrine  —  322  A  soustiuete  —  323  D  tant  comme  est  ;  C  quil 
pert  —  324  £  Hault  ;  J  et  gentil/  —  325  D  sera  plus  tost  batus  — 
33o  J  prenge  ;  D  ricble  —  33 1  D  me  —  332  D  ne  me  c;  J  li  — 
335  C  Que  jay;  K  Que  je  ay  —  336  manque  dans  D  —  340  C 
Sans  e.  boys  ne  prez  —    341  B  en  tel  g.  ;  M  a  la  g. 


LE   DIT    DOU    VERGIER  2  5 

Com  fait  la  mort  qui  riens  ne  prise; 

Car  puis  que  j'ay  pris  mon  prison, 
344  Je  le  met  dedens  ma  prison 

Qui  est  appellée  joieuse  ; 

Delitable  est  et  gracieuse. 

La  aprent  il  sans  mespresure 
348  De  tous  biens  la  bonne  apresure, 

Et  la  parfaite  congnoissance 

D'onneur  et  de  toute  vaillance. 

Car  je  le  met  en  la  maistrie 
352  De  Science  qui  le  maistrie; 

Cremour  et  Honte  de  meffaire 

Et  Congnoissance,  a  lui  parfaire, 

Sont  ordené  et  establi. 
356  Ces  quatre  vertus  en  oubli 

Ne  sont  pas  pour  lui  detrier. 

Et  encor,  pour  lui  affermer. 

Met  j'en  son  cuer  un  desirier 
36o  Qui  d'onneur  le  met  en  sentier, 

Et  une  volenté  jolie 

Qui  tousjours  le  semont  et  prie 

Qu'il  soit  jolis  et  pleins  de  joie. 
364  Biaus  dous  amis,  que  te  diroie? 

Einsi  les  prisons  que  je  preng 

En  joie  et  en  solas  maintieng 

Et  les  fais  a  honneur  venir; 
368  Mais  la  mort  prent  sans  revenir. 

Or  t'ay  je  dit,  se  Dieus  me  gart, 

De  ma  puissance  une  grant  part. 

Mais  encor  te  diray  je  plus, 

342  mort  manque  dans  E  —  346  est  manque  dans  E  —  348  K 
esprisure;  J espresture  ;  D  présure  —  35 1  BDE  en  ma  maistrise 
—  352  BDE  maistrise  —  353  D  bonté;  KJ  mal  faire  —  35y  CKJ 
doctriner  —  359  EJ  Mais;  E  désir;  AEBDKJ  désirer  —  36 1 
D  En  —  364  C  diroie  je  —  365  M  Einsis  —  368  F  mors  —  369 
C  Or  te  dirai. 


26  LE   DIT    DOU    VERGIER 

372  Se  tu  vues  oïr  le  seurplus. 

Et  si  te  diray  de  mon  nom, 
Se  tu  le  vues  savoir  ou  non, 
Je  ne  te  le  quier  ja  celer  : 

376  Dieus  d'Amours  me  fais  appeller.  » 

Quant  je  vi  que  c'estoit  mes  sires, 
Qui  des  maus  amoureus  est  mires, 
Onques  de  lui  ne  m'esloingnay, 

38o  Mais  devant  lui  m'ageloingnay, 

Et  li  requis  en  souspirant, 
A  mains  jointes  et  en  plourant, 
Qu'il  me  vosist  reconforter 

384  Dou  mal  que  j'avoie  a  porter, 

Et  que  donner  meilleur  espoir, 
Me  vosist,  ou  de  desespoir 
Estoie  près  ou  de  morir, 

388  Et  qu'il  me  feïst  remerir, 

Se  j'avoie  riens  desservi, 
Ad  ce  que  j'avoie  servi 
Ma  douce  dame  simple  et  coie. 

392  Mais  einsi  comme  a  lui  parloie, 

Moult  doucement  me  respondi 
Li  dieus,  que  plus  n'i  attendi, 
Que  de  ce  me  responderoit, 

396  Quant  li  lieus  et  li  temps  seroit. 

Lors  ne  me  volt  plus  escouter, 
Pour  ce  qu'il  me  yoloit  compter 
De  tous  les  autres  l'ordenance 

400  Et  de  lui  la  signefiance. 

Après  me  dist  :  «  Scez  tu  pour  quoy 


374  KJ  tu  veulz  le  s.  ;  FD  nom  —  3y5  D  Ne  je  ne  le  te  quier 
c.  ;  C  le  te  —  38o  KJ  Mais  humblement  li  suppliay  —  383  M 
resconforter  ;  E  conforter  —  384  K  Ou  —  386  KJ  car  de  d.  ;  de 
manque  dans  E  —  3q5  KJ  Qua  ce  ;  D  respondroit. 


LE   DIT   DOU    VERGIER  27 

Sans  yeus  sui  et  goûte  ne  voy? 

C'est  pour  ce  que,  quant  il  avient 
404  Qu'un  cuer  assener  me  couvient, 

Nulle  goûte  ne  doy  vëoir 

Au  donner  ne  a  l'asseoir; 

Nulle  raison  n'i  doy  garder 
408  Ne  nulle  chose  regarder, 

Biauté,  richesse,  ne  lignage, 

Scens,  manière,  ne  cuer  volage. 

Car  s'a  tels  choses  regardoie, 
412  Certes  trop  grant  pechié  feroie; 

Car  li  meins  bel  et  li  meins  riche, 

Li  povre  d'amis  et  li  nice, 

Cil  qui  ont  volenté  legiere 
416  Et  cil  qui  ont  po  de  manière, 

Dou  tout  en  tout  honni  seroient, 

Se  de  moy  oublié  estoient; 

Et  s'en  seroit  trop  meins  prisie 
420  Ma  signourie  et  amenrie, 

Dont  j'aroie  damage  grant  : 

Car  vraiement,  d'ore  en  avant, 

Jamais  povres  homs  n'ameroit 
424  Hautement,  car  il  n'oseroit, 

Dont  ce  seroit  trop  grans  dommages  ; 

Car  de  tous,  quanque  j'ay  d'ommages, 

Tant  soient  haut,  a  mon  devis, 
428  Je  ne  suis  gueres  mieus  servis 

Com  dou  povre  qui  aimme  haut; 

Car  de  riens  qui  soit  ne  li  chaut, 


402  CS.  y.  fai;  Cni  —  404  D  asseir  —  40  5  FDKJ  m;D  garder  — 
406-7  manquent  dans  D  —  408  manque  dans  KJ  —  410  D  de  cuer 
—  41 1  D  Que;  M  chose;  KJ  entendoie  —  414  BDEKJ  damours; 
D  li  riche  —  419  £>  trop  mieus  —  42 1  AFC  jauroie  ;  BDEK  dom- 
mage —  422  FM  or;  DE  doresenauant  —  424  D  et  il  —  426  CE 
tout  —  428  K  guieres  —  429  M  Com  dun  —  43o  E  quil. 


28  LE    DIT    DOU   VERGIER 

Fors  que  d'adès  considérer 
432  Comment  il  me  puist  honnourer. 

Et  c'est  drois,  quant  il  recongnoit 

Que  de  li  nulle  riens  n'estoit, 

Quant  premièrement  je  le  pris, 
436  Pour  le  tenir  en  mon  pourpris  ; 

Et  d'autre  part,  il  scet  moult  bien 

Que  toute  l'onneur  et  le  bien 

Qu'il  a  li  vient  toute  de  moy . 
440  Pour  ce  te  di  en  bonne  foy, 

Car  il  me  sert,  croit,  aimme  et  crient 

Et  fait  tout  ce  qu'a  gré  me  vient 

A  son  pooir  de  cuer  loial, 
444  Honneur  quiert  et  si  fuit  tout  mal. 

«  Je  nel  di  pas  pour  faire  pires 

Les  biaus,  les  sages,  ne  les  riches, 

Car  on  ne  les  puet  esprisier, 
448  Puis  que  les  vueille  tant  prisier 

Qu'en  mon  service  les  maintieng, 

Ne  nuls  n'est  de  si  fol  maintieng 

Que  bon  nel  face  devenir, 
452  S'avec  moy  le  vueil  retenir. 

Mais  je  l'ay  dit,  pour  mon  propos 

Ravoir,  car  trop  seroie  sos, 

Se  li  sages,  riches  et  biaus 
456  Sus  les  povres,  nices,  loiaus 

Avoient  pooir,  ne  maistrie, 

N'avantage  de  don  d'amie. 

Mais  je  te  fais  bien  assavoir, 
460  Que  tu  saches  de  ce  le  voir, 

43 1  DEK  que  ades  —  482  D  Comme  —  433  E  Car  ;  M  sest  — 
434  D  nulles  riens  —  436  AV  a  mon  p.  —  439  DJ  toute  li  vient 
—  441  D  Que  ;  et  manque  dans  KJ  —  445  M  ne  dis  —  446  D  b.  et 
sages  —  447  B  le  —  451  DE  ne  —  454  E  fos  —  455  E  les  —  457 
D  maistrisc  —  460  K  sachies. 


LE   DIT   DOU   VERGIER  29 

Que,  puis  que  ce  vient  a  amer, 
Je  vueil  chascun  mon  serf  clamer, 
Quel  qu'il  soit,  soit  contes  ou  rois; 

464  Et  se  sachiez  tant  de  mes  drois 

Que  tout  tel  droit  a  li  petis 
Comme  li  haus  et  li  gentils. 
Mais  cils  qui  sert  plus  loiaument, 

468  Cils  a  le  milleur  paiement. 

Et  pour  cela  point  ne  regarde, 
Quant  je  preng  un  cuer  en  ma  garde, 
S'il  est  parfais  ou  non  parfais. 

472  Mais  je  te  diray  que  je  fais  : 

Je  regarde  la  grant  franchise 
Qui  en  li  est  mise  et  assise, 
Et  comment  il  vuet  sans  fausser 

476  En  moy  servir  sa  vie  user; 

Et  puis,  selonc  ce  qu'amer  vuet, 
Soit  bas,  soit  haut  mettre  Testuet, 
Car  raison  n'y  iert  ja  gardée, 

480  Puis  que  mise  y  iert  sa  pensée. 

Lors  le  m'estuet  énamourer 
Et  puis  baillier  sans  demourer 
A  ceaus  que  la  voy  qui  le  prennent, 

484  Qui  dou  tout  en  tout  li  aprennent 

Comment  il  se  doit  maintenir, 
Puis  qu'il  vuet  a  honneur  venir. 
Et  s'il  est  povres  de  biauté, 

488  Je  l'enrichi  de  loiauté, 

De  douceur,  et  li  donne  grâce 
Qui  pluseurs  biautez  veint  et  passe. 
Grâce  et  douceur,  ces  deus  ensamble, 


461  KJ  p.  reuient  a  —  462  D  pour  serf —  463  F  Quelz;  D  quil 
soient  ;  ./soit  ou  c.  ou  r.  —  464  BDEJ  saches  —  466  KJ  t.  tant  d. 
—  477  KJ  amours  —  478  M  mestre  —  483  B'DKJ  vois  —  491  D 
Grâce  doucour. 


3o  LE    DIT    DOU    VERG1ER 

492  Valent  bien  biauté,  ce  me  samble. 

Et  s'il  est  po  riches  d'avoir 

Ou  d'amis  ou  de  grant  savoir, 

Je  l'enrichi  de  loiauté 
496  Et  de  grant  debonnaireté. 

Volenté  li  doing  d'entreprendre 

Quanque  cuers  oseroit  atendre  ; 

Force,  hardement  d'achever 
5oo  Li  doing  pour  s'onneur  eslever. 

Par  ces  cinc  vertus  puet  conquerre 

Grant  avoir  et  amis  acquerre, 

Et  par  ce  science  conquiert 

504  De  retenir  ce  qu'il  acquiert; 
Dont  li  cuers  li  est  revestus 
De  ces  cinc  très  nobles  vertus. 
Par  moy  n'est  pas  trop  empirez, 

5o8  Car  bien  puet  estre  comparez 

A  celui  qui  tant  est  puissans 

D'avoir,  de  lignage  et  de  scens. 

Et  s'il  a  en  lui  cuer  muable 
5  12  Ou  manière  descouvenable, 

Fine  amour  le  dottrinera, 

Et  tout  son  cuer  li  muera 

Honte  et  grant  désirer  de  plaire 
5 16  A  s'amie,  pour  grâce  attraire. 

Cil  troi  le  feront  par  nature 

Ferme,  de  manière  meure. 

Or  as  tu  oi  grant  partie 
520  Pour  quoy  c'est  que  je  ne  voy  mie. 

Mais  encor  vueil  que  tu  escoutes  : 

Dire  te  vueil  mes  vertus  toutes. 

493  BDEKJ  est  trop  pourcs  da.  —  493  E  en  surcharge  dumilité 

—  499  M  escheuer  —  5oi    C  .vi.  vertus  —  5o2  C  Grant  amis  — 

505  CDEK  cuers  (D  cuer)  qui  est  —  5o6  C  Par  ;  Mss.  ces  .vi.  t. 
n.  v.  —  5og  KJ  luissans  —  5u   M  si  —  5i2  BD  En  —  5 1 3  E  la 

—  5 1 5  KJ  Bonté  ;  DK  désir  —  5 18  M  F.  et  de  ;  C  et  meure. 


LE   DIT    DOU    VERGIER  3l 

Or  met  t'entente  au  retenir, 
524  Car  je  ne  t'en  quier  ja  mentir. 

«  Je  te  di  que  celle  saiette, 

Que  je  tien,  en  pluseurs  cuers  gette. 

Mais  nuls  cuers  ateins  ne  férus 
528  N'en  sont  qui  ne  soient  tenus 

Et  mis  en  ma  prison  joieuse, 

Delitable  est  et  gracieuse, 

Et  qu'amer  tous  ne  les  couveingne, 
532  Soit  tors,  soit  drois,  comment  qu'il  prengne. 

Et  comment  que  li  fers  tranchans 

En  soit  devers  les  fins  amans, 

Si  n'est  mie  le  cop  mortel, 
536  Einsois  le  tesmoingne  pour  tel 

Que  nuls  n'en  voit  la  blesseiire  ; 

On  y  sent  sans  plaie  pointure 

Douce,  plaisant  a  soustenir 
540  Et  delitable  a  maintenir  ; 

Com  plus  fort  point,  et  plus  agrée. 

C'est  fins  déduis,  joie  esmerée, 

Qui  vient  d'une  douceur  parfaite 
544  Qui  tous  en  déduit  les  affaite, 

Jusques  a  tant  qu'une  chaleur, 

Qui  naist  d'une  amoureuse  ardeur, 

De  ceste  pointure  s'engendre 
548  Es  cuers  qui  aimment  sans  mesprendre  ; 

Car  chascun  d'euls  d'amer  esprent 

Par  Désir  qui  ce  leur  aprent. 

Et  quant  Désirs  si  les  a  pris 

523  E  mes  ;  BD  a  —  324  D  Car  nen  quier  ja  a  toy  m.  —  535  M 
li  cops  mortelz  —  537  C  voie  —  538  CE  Ou  il;  A'  On  en;  J  Ou 
en  —  539  BDE  D.  et  p.  —  540  KJ  P'esant  tout  amant  resioir  — 
542  A  fins  désirs;  KJ  Cest  aus  amans  j.  (K  avait  fins,  corr.  en 
aus)  —  546  K  odour  —  549  C  Car  saucuns  —  55 1  D  qu.  dessus; 
K  ci. 


32  LE    DIT   DOU   VERGIER 

552  Qu'il  sont  de  la  chaleur  espris, 

Souvent  leur  fait  coleur  muer, 
Taindre,  pâlir  et  souspirer. 
Et  lorsqu'il  sont  mis  en  tel  point, 

556  Sachiés  que  je  n'y  aten  point, 

Einsois  laisse  aler  le  brandon, 
Que  tu  ci  vois,  par  abandon, 
Que  tout  leur  esprent  doublement 

56o  Cuer  et  corps  amoureusement. 

Cils  brandons  les  tient  et  destreint, 
Le  cuer  leur  art,  le  corps  leur  teint, 
Si  que  raison  est  oubliée 

564  Et  mesure  s'en  est  alée. 

Adont  sont  il  en  tel  ardure 

Et  en  pensée  si  obscure, 

Car  uns  chascuns  d'euls  tous  vorroit 

568  Sa  joie  eschever,  s'il  pooit. 

Mais  cils  feus  ne  s'en  puet  partir, 
Tant  que  je  l'en  fais  départir  ; 
Et  quant  je  voy  que  li  temps  vient 

572  Qu'a  euls  revenir  appartient, 

Pour  joie  d'amours  recouvrer, 
Je  lais  Grâce  et  Franchise  ouvrer 
Et  Pitié  la  très  débonnaire. 

5j6  Ces  trois  leur  donnent  tel  salaire 

Qu'il  reçoivent  de  jour  en  jour 
Cent  joies  pour  une  dolour. 
Or  t'ay  je  moustré  la  raison 

58o  De  la  saiette  et  dou  brandon. 


552  D  de  grant  chaleur  —  555  BDEKJ  est  mis  —  556  DKJ 
Saches  ;  M  entens  —  558  ci  manque  dans  M  —  55g  C  tout  ce  leur 
—  56 1  F  le;  D  dcffraint  —  5Ô2  E  le  corps  estaint  —  567  A  un 
chascun  ;  C  Car  chascuns  deulz  deulz  vous  v.  ;  tous  manque  dans 
E;  D  verroit  —  568  AD  acheuer  —  569  D  foulz  ;  E  pot  —  571 
D  Et  que  je;  J  vois  —  577  M  recouuient. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  33 

«  Et  de  mes  eles  que  tu  vois 

Dire  t'en  vueil  a  ceste  fois 

Par  quoy  tu  en  soies  certeins. 
584  Saches  qu'il  n'est  nuls  si  lonteins 

Pais,  règne  ne  région 

Que  tuit  en  ma  subjection 

Ne  soient  souvereinnement 
588  Pour  faire  mon  commandement. 

Si  que,  quant  j'ay  les  amans  pris 

Et  dou  mal  amoureus  espris, 

Je  les  doy  souvent  viseter 
592  Et  de  leur:  maus  reconforter, 

Sans  plus  faire  de  guerre  don, 

Mais  de  joie  et  de  guerredon, 

Quant  bien  et  loiaument  me  servent  : 
596  Faire  le  doy,  s'il  le  desservent. 

Et  quant  devers  euls  vueil  aler, 

Telement  y  vois  par  voler 

Qu'en  une  heure  et  en  un  moment 
600  Vois  tout  par  tout  le  firmament, 

Pour  reconforter  mes  amis 

Qui  en  moy  tous  leurs  cuers  ont  mis. 

Or  t'ay  de  mes  eles  compté 
604  Le  pooir  et  la  vérité. 

Mais  de  ces  nobles  damoisiaus 

Qui  jouent  parmi  ces  praiaus, 

Et  de  ces  damoiselles  gentes 
608  Qui  mettent  toutes  leur  ententes 

A  moy  honnourer  et  servir 

Te  vueil  je  les  noms  descouvrir, 

582  DK  te  v.  —  583  D  Pour  —  584  K  qui  —  5g2  CKJ  leur  —  5g3 
et  594  manquent  dans  C —  594  KJ  de  j.  les  guerredon  —  5g5  et 
5g6  manquent  dans  F  —  596  MK  le  don;  M  si  le;  K  sil  me  d. 
—  598  C  pour  —  600  C  tout  entour  —  602  KJ  tout  leur  cuer  — 
606  K  joient;  A  preaus  —  608  BDE  leurs  —  610  K  Je  te  vueil 
les  n.  ;  D  les  mains. 

Tome  I.  3 


34  LE    DIT    DOU    VERGIER 

Car  ja  ne  te  seront  celé. 
612  Je  te  di  qu'il  sont  appelle 

Voloir,  Penser  et  Dous  Plaisir, 

Loiauté,  Celer  et  Désir. 

Or  t'ay  dit  les  noms  sans  demour 
616  Des  damoisiaus  de  noble  atour. 

Mais  je  te  vueil  aussi  nommer 

Les  noms  qui  tant  font  a  amer 

Des  damoiselles  honnourées. 
620  Saches  qu'elles  sont  appellées 

Grâce,  Pitié  et  Espérance, 

Souvenir,  Franchise,  Attemprance. 

Par  ces  douze  nobles  vertus 
624  Sui  j'honnourez  et  soustenus. 

C'est  mes  avoirs,  c'est  mes  trésors, 

C'est  mes  chastiaus,  c'est  mes  ressors. 

Par  euls  sui  sires  de  mon  règne, 
628  Si  que  par  tout  le  monde  règne. 

Or  te  vueil  dire  brief  et  court 

De  quoy  il  servent  a  ma  court. 

«  Je  te  di  tout  premièrement 
632  Que,  quant  li  homs  nouvellement 

Entreprent  l'amoureuse  vie, 
Il  couvient,  quoy  que  nuls  en  die, 
Que  Franche  Volenté  contreingne 
636  Son  cuer,  par  quoy  l'amer  empreingne. 

Et  quant  Frans  Voloirs  l'a  contreint, 
Très  Dous  Pensers  en  li  empreint 
Par  sa  force  et  par  sa  contrainte 
640  De  ce  qu'il  vuet  amer  l'emprainte 

611  D  ten  —  61 3  FMC  Voloirs  pensers  —  614  FMC  Celers 
—  618  E  sont  —  620  FMC  Sachiez  —  620  KJ  Cest  mes  chas- 
tiaux  —  626  KJ  Cest  mes  auoirs  ;  D  et  m.  r.  —  627  A  resne  — 
634  quoy  manque  dans  M  —  635  C  Que  franchise  v.  —  636  man- 
que dans  D  —  638  E  cmpaint    —  640  F  qui. 


LE   DIT    DOÙ    VERGIEk  35 

Qui  le  justice  main  et  tart. 

Adont  un  amoureus  regart 

Et  un  très  dous  ris  li  présent, 
644  Qu'il  tient  a  moult  noble  présent. 

Lors  le  tien  pris  com  mon  prison 

Dedens  ma  joieuse  prison. 

La  ne  fait  il  fors  que  penser 
648  A  sa  dame  au  viaire  cler, 

Et  la  ramembrance  a  toudis 

Dou  regart  et  dou  très  dous  ris 

Par  quoy  il  a  l'amoureus  fais 
652  Empris,  sans  ja  estre  retrais. 

Et  cils  Dous  Regars  en  li  double 

S'amour  et  son  voloir  adouble. 

Einsi  Penser  et  Franc  Voloir 
656  Font  l'amant  d'amer  esmouoir. 

Et  Dous  Regars  en  fait  la  prise, 

Dont  je  l'aim  durement  et  prise. 

Mais  Plaisance  qui  maint  cuer  maire 
600  Fait  que  riens  ne  li  puet  desplaire 

Qu'en  mon  service  puist  sentir; 

N'il  ne  se  porroit  assentir 

Que  nuls  amis  en  amer  sente 
664  Amer  ne  riens  qui  le  tourmente  ; 

Einsois  tient  a  fine  douceur 

Ce  qu'uns  autres  tient  a  doleur. 

Einsi  Plaisance  le  soustient 
668  Et  en  mon  service  le  tient 

Et  fait  en  lui  monteplier 

Voloir,  Penser  et  Desirier; 

641  D  qui  le  contraint  et  m.  —  644  E  Qui  —  647  il  manque 
dans  D  —  649  a  manque  dans  D  —  65o  D  A  dou  r.  et  du  doulz  ris 
—  65 1  D  Pour  —  652  E  E.  et  a  estre  r.  —  653  M  Et  si;  KJ  la  — 
654  C  au  double  —  655  F  Pensers  et  frans  voloir —  657  D  Et  fait 
le  doulz  regart  lemprise  —  658  D  doucement  —  660  D  puist  — 
663  J  amans  —  667  D  Aincois  —  670  J  pensée;  AFDK  désirer. 


36  LE    DIT    DOU    VERGIER 

Car  si  plaisanment  assaveure 
672  Mes  biens  que  Désirs  li  court  seure. 

«  Lors  Désirs  petit  a  petit 

Voloir  li  donne  et  appétit 

De  plus  grant  joie  recouvrer, 
676  S'en  dame  le  pooit  trouver. 

Mais  einsois  la  faut  desservir 

Et  lui  laissier  moult  asservir. 

Car  vraiement,  ja  desservie, 
680  Tant  peiist  dame  estre  servie, 

Ne  seroit  de  tous  les  servans 

Qui  en  ce  monde  sont  vivans. 

Et  si  est  de  moult  près  gardée 
684  Et  en  moult  fort  lieu  enserrée 

Ceste  joie,  sans  nul  séjour, 

Car  adès,  de  nuit  et  de  jour, 

Gardée  est  de  sis  adversaires 
688  Qui  tuit  au  donner  sont  contraires  : 

Ce  sont  Dangier,  Paour  et  Honte, 

Durté  et  Cruauté,  qui  donte 

Mains  cuers  et  fait  mainte  laidure, 
692  Et  Doubtance  de  mespresure. 

Ce  sont  li  sis  grief  annemi 

Qui  sont  contraire  a  l'ami. 

«  Or  te  diray  je  de  Désir, 
696  Quant  il  vient  l'amant  assaillir, 

672  biens  manque  dans  C  ;  D  que  dessus  li  —  673  D  Lors  desus 

—  674  et  manque  dans  E  —  677  C  le;  KJ  fait  d.  —  678  D  Et  soi 
lessier  —  680  Mss.  puet;  BDEKJ  estre  dame  ;  E  desseruie  —  683 
C  de  moult  riches  gardes  —  684  C  enserres  —  688  KJ  Qui  trop 
sont  a  donner  c;  C  Qui  tout  ;  BDE  sont  au  donner  —  689  C  Cest 

—  690  BD  Loyauté;  EKJ  Loyautez;  D  qui  doubte  —  691  CE 
Maint  ;  D  Maint  cuer  et  mainte  l'ait  1.  —  6g3  C  Cest;  D  ennemis 

—  694  M  sont  au  contr.;  D  sont  contraires  aux  vrais  amis. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  Z'] 

Comme  il  le  demeinne  et  debrise, 

Et  comment  il  l'art  et  atise. 

Désirs  l'esprent,  Désirs  l'assaut, 
700  Désirs  li  fait  maint  divers  saut  ; 

Sans  froidure  le  fait  trembler 

Et  sans  chaleur  le  fait  suer; 

Souspirer  li  fait  maint  souspir; 
704  Dementer  le  fait  et  gémir  ; 

Il  l'art,  il  l'alume,  il  l'esprent, 

Et  puis  d'autre  part  le  reprent, 

Car  il  le  fait  pâlir  et  teindre  ; 
708  En  ardeur  le  tient,  sans  esteindre, 

Qui  de  plus  en  plus  monteplie; 

Comme  mort  le  tient  a  la  fie, 

Ne  ja  il  ne  l'ara  si  chier 
712  Qu'il  ne  le  face  tout  sechier 

Et  qu'il  ne  li  toille  vigour 

Par  sa  force  et  par  sa  rigour. 

Dont  il  avient  auques  souvent 
716  Qu'il  le  presse  si  durement 

Que  tous  désespérez  morroit, 

S'Espoirs  ou  Souvenirs  n'estoit. 

Mais  Souvenirs  li  va  aidier 
720  Et  moult  très  humblement  prier 

Et  ramentevoir  qu'il  repreingne 

Dous  Penser,  et  qu'il  li  souveingne 

De  la  très  noble  biauté  fine 
724  Qui  toutes  autres  veint  et  fine, 

697  A  Com  ;  KJ  Comment  ;  KJ  et  brise  —  698  C  comme;  1 
manque  dans  M  —  699  D  Dessus  [deux  fois)  —  700  C  m.  dur 
assaut;  E  assaut  —  701  D  fraidure  —  703  D  le  —  705  CJ  1  man- 
que les  trois  fois  —  708  D  estraindre  —  709  K  Et  ;  D  de  plus 
monteplie  en  plus  —  710  E  la  ;  D  tient  ou  partus  —  71 1  D  il 
naura  si  ch.  —  712  D  se  face  ;  E  la  —  yi3  E  qui  ;  D  que  —  716 
D  Qui  —  718  A  souuenir  —  720  J  treshonorablement  —  722  K 
qui. 


38  LE   DIT    DOU    VERGIER 

Et  dou  très  gracieus  viaire 

Qui  dou  dous  regart  le  vint  traire, 

Et  de  la  manière  jolie 
728  Qui  en  loial  amour  le  lie, 

Si  qu'il  met  dou  tout  en  oubli 

Le  désir  qui  l'a  assailli. 

Car  Souvenirs  l'en  met  en  voie 
732  Par  Dous  Penser,  qui  le  ravoie 

De  penser  a  la  ramembrance 

De  la  gracieuse  samblance 

De  celle  a  cui  il  est  donnez 
736  Ligement  et  abandonnez. 

Lors  y  pense  si  doucement 

Et  de  si  parfait  sentement, 

Quant  einsi  puet  bien  remirer 
740  Sa  dame  et  li  en  lui  mirer, 

Qu'une  gracieuse  espérance 

Pour  son  bien  et  pour  s'aligence 

S'engendre  de  ceste  pensée 
744  Que  Souvenirs  li  a  moustrée. 

Et  quant  il  est  d'espoir  garnis, 

Sachiez  qu'il  est  sains  et  garis 

Et  tous  de  joie  repeiis 
748  Pour  les  maus  qu'il  a  receiis. 

Car  Espérance,  la  seiire, 

Li  promet  et  bien  l'asseiire 

Qu'onques  biauté  si  affinée 
752  Ne  pot  estre  sans  Pitié  née  ; 

Et  puis  que  douceur  est  en  li, 

Franchise  y  doit  bien  estre  aussi  ; 

726  KJ  Qui  dun  d.  ;  le  manque  dans  E  —  780  D  quil  la  — 
73 1  C  le;  E  les  met  —  7^2  E  la,  D  reuoie  —  734  CBDEKJ 
De  la  tresdouce  saoulance  —  740  M  Sa  dame  en  lui  et  li  m.  ; 
AFMKJE  et  lui  en  li  ;  BD  et  lui  en  lui  —  743  M  celle  —  745 
BDE  garis  —  746  BD  Saches  —  747  D  tout;  E  Et  de  toute  joie 
r.  —  74g  DE  lasseure  —  750  K  la  seure. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  3g 

Pour  ce  ne  croiroit  a  nul  fuer 
756  Que  Pitié  ne  fust  en  son  cuer. 

Einsi  Espoir  le  reconforte, 

Qui  moult  doucement  li  enorte 

Qu'il  soit  pleins  de  bon  reconfort, 
760  Car  il  ara  joie  et  confort, 

Mais  qu'il  soit  loiaus  et  secrez, 

Dous,  humbles,  courtois  et  discrez, 

Et  qu'il  endure  en  pacience 
764  Tout  ce  qui  iert  a  la  plaisance 

De  sa  dame  pour  qui  il  vuet 

Auques  valoir,  se  valoir  puet. 

Einsi  Dous  Espoir  le  garit, 
768  Si  qu'en  joie  et  en  solas  vit. 

«  Mais  quant  einsi  énamourez 
Est  et  d'espoir  asseiïrez, 
Et  il  a  servi  longuement 
772  Et  obeï  desiranment, 

Ja  soit  ce  qu'en  bon  espoir  vive, 
Adès  Désirs  en  lui  s'avive 
Et  Volenté  de  recouvrer 
776  La  joie  qu'il  ne  scet  rouver. 

Si  que,  quant  je  le  voy  couart, 
S'il  a  desservi  nulle  part 
Des  amoureus  biens  que  je  doin 
780  Aus  fins  amans  et  abandoin, 

Voloirs  de  joie  savourer 
Et  très  grans  désirs  d'achever, 
Et  ce  qu'il  ne  puet  plus  attendre 
784  Li  font  la  requeste  entreprendre 

Et  li  donnent  le  hardement 

755  BDEKJM  croiroie  —  756  D  soit  —  764  BD  est;  D  Tout 
quil  est  a  la  p.  —  770  E  Et  desespoir  ass.  —  773  boa  manque 
dayis  E  —  776  D  soit  trouuer;  J  qui  ne  soit  r.  —  777  E  la  —  779 
BDEKJ  Des  biens  amoureus  —  781  M  Doloir  —  783  D  De  ce. 


40  LE    DIT    DOU    VERGIER 

De  requérir  couardement. 
Mais  quant  il  a  le  don  requis 

788  A  celle  a  qui  il  est  acquis, 

Certes,  désespérez  seroit, 
Si  que  jamais  joie  n'aroit, 
Se  ces  damoiselles  n'estoient 

792  Qui  par  leur  force  le  resjoient. 

Car  cil  qui  la  joie  ont  en  garde 
De  ce  se  prennent  si  près  garde 
Que  nuls  ne  te  saroit  despondre 

796  Le  débat  qui  est  au  respondre  : 

Car  Dangiers  orguilleusement 
Respont  et  despiteusement 
Tout  premiers  que  celle  requeste 

800  N'est  bonne,  belle,  ne  honneste, 

Eins  est  outrages  et  folie; 
Et  dit  que  moult  bien  emploiie 
Seroit  une  très  grant  vergoingne 

804  A  celui  qui  point  ne  ressoingne 

Si  haute  joie  a  demander 
Com  celle  qu'il  devroit  garder  ; 
Et  moult  est  ore  outrecuidiez, 

808  Quant  il  est  de  lui  tant  cuidiez 

Que  tels  cuide  estre  et  tant  valoir 
Çom  pour  la  joie  recevoir; 
Et  dit  qu'assez  mieus  ameroit, 

812  Qui  de  ce  a  chois  le  mettroit, 

Qu'on  le  pendist  ou  traïnast, 
Qu'on  l'ardist  vif  ou  escorchast, 
Que  ce  qu'il  fust  en  la  saisine 

816  De  la  joie  qui  tant  est  fine. 


787  E  acquis  —  791  M  ses  —  795  D  respondre  —  796  D  Le 
délit  —  800  D  bonne  ne  belle — ■  802  KJ  dist  —  807  DE  ores;  E 
entrecuidies  —  809  K  Car  —  811  M  dist  —  812  BM  met- 
teroit  —  81 3  E  Que  Ion  (sur  rature). 


LE   DIT    DOU    VERGIER  41 

«  Après  ce  Cruautez  respont, 

Qui  son  parler  point  ne  repont, 

Einsois  se  débat  et  raisonne 
820  Si  que  tous  les  autres  estonne, 

Et  dit  qu'onques  ne  fu  veue 

Tel  merveille  n'aperceiie 

Com  dou  chetif  maleureus 
824  Qui  par  son  cuidier  est  si  preus 

Qu'il  cuide  la  joie  emporter 

Que  nuls  ne  porroit  raporter; 

Il  a  ou  corps  la  rage  esprise 
828  Que  tors  les  gardiens  si  po  prise 

Qu'il  cuide  que,  par  son  parler, 

On  li  laisse  la  joie  aler  ; 

Et  jure  que,  se  li  gardien 
832  A  ce  tuit  s'assentoient  bien 

Qu'il  eiist  le  don  et  l'ottroy 

De  la  grant  joie,  ja  par  soy 

Ne  li  iert  li  dons  ottroiez, 
836  Mieus  ameroit  estre  noiez. 

Après  ce  Durtez  durement 

Respont  et  moult  crueusement 

Le  honteus  amant  despita, 
840  Car  en  li  dueil  et  despit  a 

De  la  joie  qu'il  a  rouvée, 

Et  dit  que,  s'elle  avoit  trouvée 

Tel  mille  joies  a  denier, 
844  Que,  se  ja  Dieus  li  puist  aidier 

Ne  s'il  ne  puist  estre  enroez, 

N'iert  il  ja  saisis  ne  doez 

818  BDC  respont  —  822  E  Telle  —  828  DKJ  Qui  les  gardiens 
—  829  D  Qui  c.  —  83oJEn  —  83 1  K  jurt  —  832  A' A  ce  tint;  M 
assentoient —  835  BDEJ  est  —  836  ACE  ameroie —  841  D  joie 
qua  demandée  —  843  D  Telles  mil  j.;  BEKJM  millier  —  844 
D  ja  se  d.  —  845  MDKJ  Et;  E  Se  il;  ne  manque  dans  KJ  ;  M 
en  puist;  KJ  honnourez  —  846  K  et  doez. 


42  LE    DIT    DOU    VERGIER 

De  la  plus  mendre  qu'il  aroit, 

848  Se  tout  le  monde  li  donnoit; 

Et  au  plus  chetif  de  ce  monde 
La  joie  qu'en  douceur  abonde 
Ameroit  mieus  cent  fois  donner, 

852  Ce  dit,  qu'a  celui  la  moustrer. 

«  Après,  Doubtance  de  meffaire 

Dit  qu'a  nul  fuer  de  tel  affaire 

Entremettre  ne  se  vorroit, 
856  Et  que  mieus  mourir  ameroit 

Que  ce  qu'elle  fust  consentans 

Que  nuls  en  la  joie  partans 

Fust,  qui  seur  toutes  est  loée 
860  Douce,  plaisant  et  affinée. 

Et  vraiement,  trop  mefferoit 

Qui  au  donner  s'assentiroit, 

Dont  empirie  estre  y  deiist, 
864  Puisque  rescousse  estre  peiist; 

Car  la  joie  qui  n'a  grigneur 

Est  de  si  très  haute  valeur 

Qu'on  n'en  porroit  si  po  oster 
868  Qu'on  ne  la  feïst  empirer 

Et  que  la  flour  n'en  fust  perie. 

Pour  ce  Doubtance  ne  vuet  mie 

Que  nuls  homs  y  doie  partir, 
872  Car  la  flour  en  feroit  partir. 

«  Après  dient  isnellement 
Honte  et  Paour  couardement 
Que  deshonnourées  seroient, 

852  ACBD  que  celui  —  824  D  de  celle  aff".  —  860  FKJC  plai- 
sans  —  861  KJ  mefferont —  862  À7a  donner  sassentiront  — 
863  BD  Donc  an  pitié;  y  manque  dans  KJ  —  865  na  manque 
dans  J  —  866  KJ  Et  —  867  D  ne  pourroit  —  868  C  len  —  869 
M  ne  —  873  C  die  —  875  M  deshonnourez. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  /\.3 

876  S'a  ce  faire  se  consentoient; 

Car  vraiement  on  le  saroit; 

Si  qu'einsi  la  joie  seroit 

De  tous  a  tousjours  meins  prisie, 
880  Et  s'en  seroit  la  flour  perie; 

N'il  n'a  ou  monde  si  grant  honte, 

Qui  bien  saroit  a  quoy  ce  monte, 

Com  de  la  joie  abandonner. 
884  Pour  ce  ne  vuelent  accorder 

Que  la  joie  soit  ottroiie 

Au  fin  amant  qui  en  mendie. 

Einsi  Paour  de  révéler 
888  Et  Honte  de  joie  donner, 

Duriez,  Cruautez  et  Dangier 

Et  Doubtance  font  eslongier 

L'ami  de  joie  qu'il  atent, 
892  Pour  qui  peinne  et  doleur  a  tant. 

Mais  quant  il  ont  tuit  debatu 

Le  don  de  toute  leur  vertu 

Et  il  ont  l'amant  villené 
896  Villeinnement  et  ramposné 

Et  despité  par  leur  envie 

Com  villeins  pleins  de  villenie, 

Sachiez  que  ces  sis  damoiselles, 
900  Qui  sont  juenes,  gentis  et  belles, 

Sont  champions  et  advocas 

Pour  l'amant  qui  est  si  très  mas 

Qu'il  est  de  toute  doleur  pleins 
904  Pour  la  doubtance  des  villeins. 

Car  Grâce,  ma  très  chiere  amie, 

Va  a  Dangier,  et  se  li  prie 

Qu'il  ne  soit  pas  si  dongereus 

880  D  Si  en  s.  —  883  K  la  ja  ab.  —  886  D  A  —  891  D  de  la 
joie;  M  qui  —  8g3  C  tout;  E  tant  —  899  BKJ  Saches  —  901 
AC  champion  —  903  D  Qui;  M  toutes  doleurs. 


44  LE    DIT    DOU    VERGIER 

908  Au  fin  amant  qui  est  honteus, 

Et  qu'atant  se  vueille  souffrir 
De  lui  ramposner  et  laidir, 
Et  que  plus  ne  li  soit  contraires, 

912  Car  il  est  dous  et  débonnaires, 

Et  s'a  servi  moult  humblement 
Et  enduré  pacienment; 
Et  pour  le  bien  qui  est  en  li, 

916  Dit  elle,  qu'il  a  desservi 

De  la  joie  moult  grant  partie, 
Et  que  mieus  seroit  emploiie 
En  lui  qui  vuet  vivre  toudis 

920  Amoureus  en  fais  et  en  dis 

Qu'en  celui  qui  d'amours  porroit 
Son  cuer  oster,  quant  il  vorroit. 
Einsi  de  Dangier  desloial 

924  Deffent  Grâce  l'ami  loial. 

«  Après  Grâce,  Pitié  revient 

Qui  moult  doucement  se  maintient, 

Et  dit  que  Cruautez  a  tort 

928  Qui  l'amant  vuet  mettre  a  la  mort, 

Pour  ce  qu'il  a  rouvé  le  don 
De  la  joie,  car  en  pardon 
Ne  doit  mie  tousjours  servir, 

932  Et  qu'il  fait  mal  de  retenir 

Son  guerredon  et  son  salaire; 

Et  encor  dit  la  débonnaire 

Que  ce  seroit  trop  grans  péchiez, 

936  S'uns  amis  si  bien  entechiez 

Com  cils  est  morroit  par  deffaut 
De  la  joie  qui  si  to?t  faut; 


908  C  amant  qui  en  mendie  —  909  MBDEKJ  sen  vueille  — 
919  C  vueil  —  926  C  sagement  —  928  E  a  mort  —  929  D  quil 
refuse  le  don  —  g32  D  qui. 


LE   DIT    DOU    VERGIER  4b 

Car  la  joie  n'est  ordenée 
940  Sans  plus  que  pour  estre  donnée 

Aus  amans  qui  de  cuer  entier 

Aimment  pour  leurs  corps  avancier; 

Et  s'il  aimme  sans  décevoir, 
944  Si  doit  la  joie  recevoir. 

Einsi  encontre  Cruauté 

Deffent  l'amant  douce  Pité. 

«  Mais  Franchise,  la  très  courtoise, 
948  Dit  a  Durté  sans  faire  noise 

Qu'il  ne  se  doit  point  entremettre 

De  retolir  ne  de  promettre 

Les  dous  biens  plaisans,  savoureus, 
952  Qui  sont  fait  pour  les  amoureus  ; 

Car  par  Franchise  sont  acquis 

Et  par  Franchise  départis. 

Et  quant  départir  on  les  vuet, 
956  Ja  Durté  venir  n'i  estuet, 

Cruauté,  Dangier  ne  Paour, 

Honte  ne  Doubtance  d'errour, 

N'on  n'i  doit  nelui  appeller 
960  Qui  la  joie  puist  destourner, 

Ne  par  quoy  li  très  dous  delis 

De  la  joie  soit  amenris. 

Einsi  Durté  fait  foie  emprise 
964  De  ce  faire,  ce  dit  Franchise. 

«  Après  ce  revient  Attemprance 
Et  Hardemens  devers  Doubtance 
Qui  li  dient,  sans  arrester, 
968  Que  nulle  riens  ne  doit  doubter 

943  M  cil  —  g5 1  D  amoureus  —  g53  D  Quer  —  g58  D  Honte 
doubtance  ne  reour  ;  KJ  H.  et  d.  —  959  E  Nen  —  961  C  Et;  E 
pourquoy;  D  le  tr.  d.  —  962  BDEKJC  soient;  E  anientis — 
964  D  Pour  —  965  ce  manque  dans  E  ;  J  reuint. 


46  LE   DIT    DOU    VERGIER 

A  faire  le  don  de  la  joie  ; 

Car  puis  que  li  amis  ottroie 

Cuer  et  corps  tout  entièrement 
972  Pour  faire  le  commandement 

De  celle  en  qui  la  joie  maint, 

Et  Amours  a  ce  le  destraint, 

On  li  puet  donner  sans  mesprendre 
976  Et  doit  la  joie,  sans  attendre. 

Mais  on  la  doit  celéement 

Donner  et  attempréement, 

Quant  li  lieus  et  li  temps  eschiet; 
980  Car  cils  de  s'onneur  trop  dechiet 

Qui  par  trop  folement  parler, 

Ou  par  mauvaisement  celer, 

Ou  par  sa  hastiveté  pert 
984  La  joie  et  le  bien  qu'il  dessert. 

«  Après,  Loyauté  sans  demour 

Et  Celers  vers  Honte  et  Paour 

Viennent  moult  debonnairement 
988  Et  leur  dient  courtoisement 

Qu'il  ne  font  mie  bien  a  point 

De  tenir  l'amant  en  tel  point  ; 

Car  puis  qu'il  est  d'amer  espris, 
992  Si  qu'il  n'en  vuet  estre  despris, 

Et  il  a  tousjours  loiaument 

Servi  et  celé  sagement, 

On  ne  doit  point  paour  avoir 
996  De  faire  vers  lui  son  devoir, 

Ne  ce  n'est  mie  honte  aussi, 

S'on  li  donne  joie  et  merci  ; 

Eins  est  honneur  et  grans  vertus, 

969  M  le  bon  —  975  A  Et;  BD  le  —  976  AFB  doint  —  979  KJ 
li  temps  et  li  lieus  y  chiet  —  980  FD  cil  ;  D  de  souuenir  —  982 
KJ  Trop  souuent  venir  ou  aler  —  g83  sa  manque  dans  F  —  992 
M  Et;  MBDKJ  ne  —  999  FDEKJ  grant. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  47 

iooo  Quant  on  est  au  faire  tenus. 

Et  cestui  toudis  a  esté 

Secrez  et  pleins  de  loyauté  : 

Si  ne  li  devez  faire  anui 
1004  Ne  de  riens  estre  contre  lui, 

Eins  li  devez  la  joie  tendre 

Que  vous  volez  vers  lui  deffendre  ; 

Car  nous  le  tesmoingnons  pour  digne 
1008  En  tous  cas,  sans  nul  mauvais  signe. 

Einsi  te  di  je  vraiement 

Que  Grâce  a  Dangierse  deffent 

Et  Pitié  ^ontre  Cruauté, 
1012  Si  que  sachiez  en  vérité 

Que  Cruautez  n'a  tant  pooir 

Qu'il  ne  le  couveingne  chëoir. 

Et  Franchise  ra  grant  débat 
1016  Qui  contre  Durté  se  combat. 

Et  si  appertement  le  tient 

Que  Durtez  point  ne  se  soustient. 

Et  Attemprance  et  Hardement 
1020  Tiennent  Doubtance  fermement, 

Loyauté,  Celers  a  Paour 

Et  a  Honte  font  tel  estour 

Qu'il  ne  se  pueent  plus  tenir, 
1024  Qu'il  ne  les  couveingne  obéir 

Au  voloir  de  ces  damoiselles 

Que  tu  vois  gentes  et  isnelles. 

Lors  ces  damoiselles  leur  font 
1028  Jurer  que  jamais  ne  seront 

A  nul  loial  ami  contraire, 

Ne  ne  feront  riens  qui  desplaire 

1007  D  le  tenons —  1008  nul  manque  dans  M  —  1012  D  ques; 
DKJ saches —  10 1 5  KJ  Fr.  y  met  grant  d.  —  10 16  E  Encontre 
—  1018  ne  manque  dans  D;  BDEKJ  le  soustient —  1021  M  et 
paour —  1023  A  puelent  —  1026  C  veiz  ;  C  et  belles  —  1029 
E  A  my   loial. 


48  LE    DIT    DOU    VERGIER 

Leurdoie,  ne  doleur  ne  peinne 
io'32  Ne  que  la  joie  souvereinne 

Jamais  ne  leur  deffenderont. 

Et  quant  li  villein  einsi  sont 

Vaincu  par  leur  maie  aventure 
io36  Et  tourné  a  desconfiture, 

Ces  damoiselles  devant  mi 

Viennent  et  m'ameinnent  l'ami, 

Et  aussi  tuit  cil  damoisel 
1040  Qui  sont  juene,  gent  et  isnel. 

Si  me  viennent  trestuit  prier 

Que  la  joie  vueille  ottrier 

A  l'ami  ;  et  si  le  tesmoingnent 
1044  Pour  tel  qu'en  lui  riens  ne  ressoingnent 

Qu'il  ne  soit  secrez  et  loyaus, 

Pleins  de  tous  biens,  vuis  de  tous  maus. 

Et  quant  je  puis  apercevoir 
1048  Qu'il  est  dignes  de  recevoir 

La  joie  qui  est  nompareille, 

Sachiez  que,  qui  vueille  ou  ne  vueille, 

Moult  très  liement  li  ottroy 
io52  De  la  joie  don  et  ottroy. 

Mais  c'est  toudis  sauve  l'onneur 

Des  dames  et  sans  deshonneur  ; 

Car  a  nul  fuer  n'ottrieroie 
io56  Joie  a  nul  amant  ne  donroie 

Dont  dame  fust  deshonnourée; 

Eins  vueil  que  l'onneur  soit  sauvée 

Des  dames,  quel  part  que  ce  soit. 
1060  Et  s'aucuns  autrement  faisoit, 

io3i  D  doloir  —  io33  KJ  deffendront,  D  detf'ront  —  io35  E 
leur  noble  au.  —  1037  M  Ses  —  io38  E  maintiennent  —  1040 
J  gentil  ynel  —  1042  joie  manque  dans  F —  1043  E  Que  laim 
—  1044  D  Pour  lui  que  riens  —  io5i  D  Mon;  E  Mon  cuer 
tresliement  —  io53  E  saine  Ion.  —  io56  E  deuroie  —  io58  A 
gardée. 


LE    DIT    DOU    VERGIER  49 

Ja  ne  seroit  tant  mes  privez 
Qu'il  ne  fust  de  ma  court  privez. 

«  Or  t'ay  je  dont  tout  descouvert, 
1064  Que  je  ne  t'y  ay  riens  couvert, 

De  ceuls  que  vois  en  ma  présence, 

Qui  tuit  me  font  obéissance, 

Les  noms,  la  force,  le  servise, 
1068  Et  si  t'ay  dit  toute  la  guise 

De  moy,  et  comment  li  amis 

Est  de  joie  par  moy  saisis.» 

Quant  li  dieus  m'ot  tout  cela  dit 
1072  Et  moustré  sans  nul  contredit, 

Rien  me  souvint  de  la  prière 

Que  faite  avoie  darreniere, 

Si  qu'encor  li  renouvelay, 
1076  Et  humblement  prié  li  ay 

Pour  Dieu  qu'il  me  vosist  aidier 

Et  de  mes  doleurs  aligier, 

Et  qu'il  vosist  le  cuer  muer 
1080  De  ma  dame  au  viaire  cler, 

Par  quoy  j'eusse  aucune  aïe 

De  li  qui  me  toldra  la  vie, 

S'endurer  me  fait  longuement 
1084  Ma  doleur  sans  aligement, 

Et  qu'il  li  vosist  anoncier 

Comment  je  l'aim  de  cuer  entier 

Et  comment  je  n'ay  nul  pooir 
1088  Ne  que  je  ne  puis  riens  valoir, 

io63  BDEKJ  du  tout  —  1064  KJ  Ne  je  nen  ay  riens  c;  D 
ni  ti  —  io65  M  voy  —  1067  D  lafaire;  EKJ  et  le  —  1071  K 
mot  ce  dit,  corrigé  en  ot  cela  dit  —  107J  KJ  souuient  ;  K  de 
la  première  —  1074  M  fait  —  1081  D  Pour;  D  aide  —  1082  E 
tandra  —  1086  D  du  —  1087-8  intervertis  dans  BDEKJ  — 
1087  K  nul  espoir  —  1088  A  rien. 

Tome  I.  4 


DÛ  LÉ   DÎT    DOU    VËRGIER 

Se  de  li  proprement  ne  vient 
Qui  a  son  voloir  me  maintient. 
Et  pour  ce  que  dous  le  trouvay, 

1092  Encor  humblement  li  priay 

Qu'il  me  vosist  dire  le  voir 
Que  c'est,  ne  que  je  puis  avoir, 
Quant  je  vueil  faire  ma  clamour 

1096  A  ma  dame  de  ma  dolour, 

Je  ne  la  puis  araisonner 
Ne  je  ne  puis  un  mot  sonner, 
Einsois  pers  toute  contenance, 

1 100  Scens,  vigour,  manière  et  puissance, 

Tant  sui  dou  vëoir  esperdus, 
Et  tout  aussi  comme  homs  perdus 
Sui,  ne  je  ne  li  puis  gehir 

1 104  Les  maus  qu'elle  me  fait  sentir. 

Adont  li  dieus  me  respondi, 
Tantost  que  plus  n'i  attendi, 
Que  il  m'aideroit  et  diroit 

I  108  Tout  ce,  que  ja  n'en  mentiroit. 

Lors  me  dist  que,  se  je  voloie 
Des  haus  biens  amoureus  la  joie, 
Qu'il  me  couvenoit  loyauté 

I I  1  2  Maintenir  par  neccessité. 

Ne  ja  li  homs  qui  se  mainteingne 
Loyaument,  comment  qu'il  aveingne, 
Ne  puet  faillir  qu'il  n'ait  secours 
11 16  De  dame,  d'amie  et  d'Amours  ; 

Mais  il  couvient  que  secrez  soit, 
Pour  celer  les  biens  qu'il  reçoit, 
Et  qu'il  soit  secrez  esprouvez, 

1 100  E  vig.  maide  et  p.;  et  manque  dans  KJ  —  1 102  FM  tout 
ainssi  —  1  io3  E  Suis  je  ne  le  puis  g.  ;  je  manque  dans  KJ  —  1 109 
FD  dit  —  1 1 1 1  K  conuenroit  —  1 1 1 3  C  ce  —  1 1 14  D  L.  quoi 
quil  en  a.  —  m5  K  quil  nest  s. 


LE   Dit   DOU   VERGIÈR  !)  t 

î  1 20  Eins  qu'il  ait  les  biens  savourez; 

Et  cils  qui  en  son  cuer  norrit 

Loyauté,  Celer,  le  délit 

Puet  avoir  moult  legierement 
1 124  Qu'il  a  désiré  longuement. 

Lors  me  commanda  que  je  fusse 
Loyaus,  secrez,  et  que  j'eusse 

Mémoire  des  autres  vertus 
1 128  Qu'il  m'avoit  moustré  par  dessus, 

Se  je  voloie  ja  joir 

De  ce  que  j'aim  tant  et  désir; 

Et  dist  que,  s'einsi  le  faisoie, 
1 1 32  Que  de  riens  ne  me  mefferoie, 

Et  que,  se  loyal  esprouver 

Me  pooit  et  secret  trouver, 

Que  de  ma  dame  couvertir 
11 36  Feroit  le  cuer  et  adoucir, 

Si  que  ma  doleur  cesseroit 

Et  ma  grant  joie  doubleroit, 

Et  que  je  seroie  aligiez 
1 140  Des  maus  dont  mes  cuers  est  chargiez. 

Mais  encor  dist  il,  sans  attendre, 

Qu'il  me  voloit  dire  et  aprendre 

Comment  einsi  perdus  estoie, 
1 144  Quant  ma  douce  dame  vëoie. 

Lors  me  dist  qu'il  n'est  nuls  vivans 

Qui  soit  amis,  s'il  n'est  doubtans  ; 

Car  on  doit  sa  dame  doubter, 
1 1 48  Et  li  de  courrous  eschever, 

N'on  ne  li  doit  dire  ne  faire 

Chose  qui  li  puisse  desplaire. 

ii2o  Z)  ait  secret  sau.  —  1 123  E  moult  auoir  —  1 124  E  Ce 
quil  ad.  —  1 125  K  que  feusse  —  1 129  E  ja  oir  —  1  i3o  D  jaim 
ja  tant  —  1 1 3 1  que  manque  dans  KJ  —  1 1 36  E  Feroie  —  1 1 38 
A   grant  dolour  —  1141  A  Mais  einsois  —  1146  D  Quil. 


02  LE    DIT    DOU    VERGIER 

«  Et  pour  c'iés  tu  einsi  péris 
1 1 52  De  scens  et  de  force  amenris 

Et  perdus  de  manière  toute, 

Quant  tu  la  vois,  car  tu  as  doubte 

Que  tu  ne  doies  faire  ou  dire 
1 1 56  Chose  qui  ta  besoingne  empire. 

Et  d'autre  part  ton  grant  désir, 

Quant  tu  pues  sa  douceur  veïr, 

Te  navre,  t'assaut  et  destreint, 
1 160  Et  le  pooir  de  toy  si  vaint 

Qu'il  te  couvient  ou  cuer  couvrir 

Ce  que  tu  cuides  descouvrir. 

Et  Biautez  dont  elle  est  garnie 
1 164  Et  Amours  qui  t'a  en  baillie 

Te  font  la  chose  entroublier 

Que  tu  li  voloies  compter. 

Et  quant  tu  la  pues  vis  a  vis 
1 168  Regarder  tout  a  ton  devis, 

Tu  ne  scez  qu'il  t'est  avenu 

Pour  la  biauté  qui  t'a  féru, 

Ne  tu  ne  scez  quel  part  tu  iés 
1 172  Pour  l'amour  dont  tu  iés  loiés. 

Et  avec  ce  tant  iés  honteus 

Devant  li  et  si  paoureus 

Qu'aucune  personne  ne  sache 
1 176  L'amour  qui  en  ton  cuer  s'atache, 

Et  que  ne  soies  perceùs, 

Dont  estre  puisses  deceus, 

Que  cela  dou  tout  bestourner 
1 180  Fait  ton  voloir  et  destourner 

Le  hardcment  que  tu  avoies 

1  1  3 1  A.'  ainsi  pris  —  1 1 5g  ^4  tassaut  te  destraint  —  1 160  CDE 
KJ  Qui...  sen  vaint  —  1162  AMCEKJ  Et  —  1  i63  BD  De  — 
1  i65  KJ  tel  chose  —  1 169  t  manque  dans  K —  1 170  C  sa  biauie 
—  1 1 75  E  Chascune  —  1 1 76  F  en  son  cuer  —  1 1 77  KJ  Que  ne  s.; 
CBDEKJ  apperceus  —  1 180  FBK  Fait  tout  voloir;  C  bestourner. 


LE    DIT    DOIT    VKIU'.IKR  53 

Ou  cuer,  quant  dire  li  voloies; 

Car  Bontez,  Biautez  et  Amour, 
ii  84  Honte,  Paour  et  Grant  Douçour 

Te  font  par  leur  noble  victoire 

Perdre  scens,  manière  et  mémoire. 

Or  t'ay  je  dit  et  devisé 
1 188  Tout  ce  que  tu  m'as  demandé. 

Maintenant  plus  ne  t'en  diray. 

Tu  demourras;  je  m'en  iray; 

Mais  je  t'apenray  au  partir, 
1 192  Se  tu  vues  aus  dous  biens  partir 

Et  estre  garis  de  tes  maus, 

Que  secrez  soies  et  loiaus». 

Einsi  li  dieus  se  départi, 
1 196  Qui  de  joie  me  reparti, 

Pour  ce  qu'il  me  moustra  la  voie 

Comment  maintenir  me  dévoie. 

Et  einsi  comme  il  s'en  vola, 
1200  Tous  li  biaus  arbrissiaus  crosla, 

Si  qu'adont  la  froide  rousée 

Est  seur  mon  visage  avalée, 

Que  li  dieus  y  fist  dechéoir 
1204  Par  la  force  de  son  mouvoir. 

Et  quant  je  senti  la  froidure 

Qui  chut  de  dessus  la  verdure, 

Elle  me  fist  tout  tressaillir, 
1208  Si  qu'a  moy  me  fist  revenir 

Et  mist  hors  dou  transissement 

Ou  j'avoie  esté  longuement. 

1 1S2  RDEKJ  En  ;  D  le  —  1 183  E  Car  biaute  hontes  et  a.  — 
1 188  F  corrige  en  mas  deuise  —  1  ig3  A  M  de  telz  m.;  D  de  tous 
m.  —  1 194  F  soiez  —  1 197  me  manque  dans  D  —  1201  D  Quer 
adonc;  E  Si  que  dont  —  1202  DE  Et  —  i2o3  y  manque  dans 
D;  KJ  dieus  il  fit  —  1206  JK  cheoit  dessus;  C  chuit  —  1*209 
KJ  hors  de  t. 


54  LE   DIT    DOU    VERGIER 

Et  quant  a  moy  fui  revenus, 
1212  Certes,  je  fui  tous  esperdus 

Et  si  fui  en  moult  grant  effroy, 

Car  je  regarday  entour  moy 

Et  de  tout  cela  riens  ne  vi 
1 2 1 6  Que  veù  avoie  et  oy. 

Mais  adès  bien  me  ramembroie 

Que  li  dieus  dist,  se  je  voloie 

Venir  a  mon  entendement, 
1220  Que  toudis  souvereinnement 

Loiaus,  secrez  en  tous  cas  fusse 

Et  que  bonté  en  moy  eusse. 

Et  pour  ce  toudis  maintenir 
1224  Vueil  bonté  et  moy  maintenir 

Loyaument,  tant  com  je  vivray, 

Car  mis  en  Amours  mon  vivre  ay 

D'une  volenté  si  très  vraie 
1228  Que  ja,  pour  nul  mal  que  j'en  traie 

Ne  pour  nul  bien,  n'en  partiray  : 

Plus  chier  mon  cuer  a  partir  ay. 

Et  quant  mes  cuers  en  partiroit, 
1232  Helas!  li  las,  quel  part  iroit? 

Certes,  il  le  faudroit  partir, 

Se  de  li  se  vëoit  partir, 

Car  autre  nulle  en  li  ne  part 
1*36  Fors  celle  qui  en  tous  biens  part. 

Pour  ce  n'en  quier  faire  partie, 

Car  trop  seroit  grief  départie 

De  ma  très  douce  dame  chiere 
1240  Qui  par  sa  gracieuse  chiere 

Me  fait  amer  très  chierement 

12 14  C  regardoy  —  1 2 1 5  AC  rien;  E  vey  —  12 16  C  Quauoie 
veu  et  oy  —  12 18  D  dit  que  se  v.  —  1221  KJ  en  tous  temps  — 
1222  C  loyauté  —  1224  AFM  et  ma  main  t.;  C  et  mon  cuer  t. 
—  1226  D  mise;  E  amour  —  1237  A  ce  ne  q.  —  1 238  manque 
dans  D, 


LE    DIT    DOU    VERGIER  55 

De  loial  cuer  si  chierement 
Qu'elle  est  vers  moy  seul  enchierie, 
1244  Et  s'est  seur  tous  de  moy  chierie, 

Qui  tant  l'aim,  pris,  serf  et  tien  chier 
Que  ja  ne  m'en  quier  destachier. 
Et  vraiement,  se  bien  savoie 
1  248  Qu'en  son  dous  service  morroie, 

Et  que  bien  peùsse  garir 
D'un  autre,  s'aim  je  mieus  morir 
Dessous  son  gracieus  voloir 
1252  Que  de  nulle  autre  joie  avoir. 

Or  est  a  ce  faire  ordenée 
Ma  volenté  et  atournée, 
Et  j'aussi  sui  a  ce  tournez, 
12  56  Q'envers  Amours  sui  si  tournez 

Que  nulle  riens  ne  me  destourne 
Que  tousjours,  quel  part  que  je  tourne, 
Mes  cuers  ne  preingne  son  retour 
1260  Vers  ma  dame  au  plaisant  atour 

Qui  fait  mon  cuer  mettre  et  tourner 
A  li  servir,  sans  retourner. 
Pour  ce  l'ameray  loyaument 
1264  Et  serviray  celéement 

Com  vrais  amis  loyaus,  parfais, 
Qui  vueil  et  par  dis  et  par  fais 
Dou  tout  en  tout  son  voloir  faire 
1268  Et  li  honnourer  sans  meffaire 

Jusques  a  mon  definement 
De  bon  cuer  si  très  finement 


1245  C  Que  —  1246  K  dastachier  —  i25o  K  Dune  —  1 25 r 
RDEKJ  grac.  dangier;  B'  corrige  en  voloir —  1202  KJ  Que 
dune  (A'  dame)  autre  joie  espérer;  D  nul;  E  autre  acointier  — 
1  253  C  Ore  —  1  255  j  manque  dans  KJ  ;  D  Et  aussi  je  sui  —  1  256 
manque  dans  D  —  1  257  E  mi  —  1258  KJ  que  je  soie  —  1  262  Afss. 
lui  —  1264  D  secrètement  —  1266  BD  veult  —  12G8  J  ennou- 
rer  —  1270  E  De  mon  cuer. 


56  LE   DIT    DOU    VERGIER 

Qu'einsois  sera  mes  corps  finez 
1272  Et  mes  cuers  li  très  affinez 

Partis  en  deus  pars,  que  je  fine 

D'amer  de  loyal  amour  fine 

Li  et  s'onneur,  de  cuer  si  fin 
1276  Qu'elle  me  mettra  a  ma  fin, 

S'elle  n'est  de  tele  fin  née 

Et  par  Pitié  si  affinée 

Que  le  mal  face  definer, 
1280  Qui  Paour  me  fait  definer. 

Einsi  jamais  ne  fineray; 

Car  plus  chier  a  definer  ay, 

Et  toudis  je  vueil  endurer, 
1284  Tant  comme  je  porray  durer, 

Son  très  dous  voloir,  sans  mesprendre, 

Humblement,  et  de  cuer  attendre 

Le  don  qui  m'a  esté  promis 
1288  Dou  dieu,  se  je  sui  vrais  amis, 

Qui  dessus  tous  est  pleins  d'onnour. 

Pour  c'en  doubtance  et  en  cremour 

Vueil  ma  douce  dame  obéir, 
1292  Servir,  celer,  et  sans  partir 

Vivre  en  son  amoureus  dangier. 

Cifenist  le  Dit  dou  Vergier. 

1272  MB'E  si  tresaff.  —  1275  KJ  et  honnour —  1 278  AFMDEK 
Que  —  1 280  manque  dans  J  ;  B  defuier  —  1 282  D  a  finer  —  1  286 
E  H.  de  cuer  et  at.  —  1289  D  et  plain. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY 
DE   BEHAINGNE1 


Au  temps  pascour  que  toute  riens  s'esgaie, 
Que  la  terre  de  mainte  colour  gaie 
<a<r— m>-  Se  cqintoie,  dont  pointure  sans  plaie 

4  Sous  la  mamelle 

Fait  Bonne  Amour  a  mainte  dame  belle, 
A  maint  amant  et  a  mainte  pucelle, 
Dont  il  ont  puis  mainte  lie  nouvelle 

8  Et  maint  esmay, 

A  ce  dous  temps,  contre  le  mois  de  may, 
Par  un  matin  cointement  m'acesmay, 
Com  cils  qui  très  parfaitement  amay 

12  D'amour  seùre. 

i.  F....  du  bon  roy  de  b.;  M....  dou  bon  roy  de  beghaigne 
dont  dieus  ait  lame;  B  Le  temps  pascour.  Le  titre  manque  dans 
R,  mais  on  lit  à  VExplicit  Jugement  damours. 

i  D  En;  E  Ou;  R  toute  gent  ;  les  vers  1-325  .manquent  dans 
K  —  2  E  Et  que  —  4  R  Sus  —  7  R  ont  prins;  D  ont  pis;  J 
mainte  joie  n.  —9  B'EJR  En;  FME  de  moy  —  10  C  mache- 
minai;  R  massenay  —  11  R  Comme  celui  qui  parf.  amay. 


M  (s/~ 


58  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Et  li  jours  fu  attemprez  par  mesure, 

Biaus,  clers,  luisans,  nés  et  purs,  sans  froidure. 

La  rousée  par  dessus  la  verdure 
16  Resplendissoit 

Si  clerement  que  tout  m'esbloïssoit, 

Quant  mes  regars  celle  part  guenchissoit, 

Pour  le  soleil  qui  dessus  reluisoit. 
20  Et  cil  oisel, 

Pour  la  douceur  dou  joli  temps  nouvel, 

Si  liement  et  de  si  grant  revel 

Chantoient  tuit  que  j'alay  a  l'appel 
24  De  leur  dous  chant. 

Si  en  choisi  en  l'air  un  voletant 

Qui  dessus  tous  s'en  aloit  glatissant  : 

«  Oci!  oci  !  »  Et  je  le  sieui  tant 
28  Qu'en  un  destour, 

Sus  un  ruissel,  près  d'une  belle  tour, 

Ou  il  avoit  maint  arbre  et  mainte  flour 

Souéf  flairant,  de  diverse  colour, 
32  S'ala  seoir. 

Lors  me  laissay  tout  bellement  chéoir 

Et  me  coiti  si  bien,  a  mon  pooir, 

Sous  les  arbres,  qu'il  ne  me  pot  vëoir, 
36  Pour  escouter 

Le  très  dous  son  de  son  joli  chanter. 

Si  me  plut  tant  en  oïr  déliter 


i3  E  attrempre  —  14  C  Biaus  clers  nés  luisans  sans  fr.  ;  E 
sans  ordure  ;  P  purs  et  nez  —  1 5  E  Et  la  —  17  J  me  bleuissoit  — 
18  J  regardoit  —  20  FMC  Et  si  ;  DJR  Et  li  —  2  1  J  joli  chant 
n.  —  22  P  Si  doucement  —  2 3-2 3  effacés  dans  F  —  25  E  ch. 
un  en  my  lair  volant  —  26  tous  manque  dans  D;  J  ajoute  (d'une 
autre  main)  :  A  haulte  vois  en  son  duulz  chant  disant  —  27  J  et 
le  sui  tant  -  3i  i'  diuerses  —  32  D  Salay  veir  —  33  D  cheir  — 
34  E  Et  moy  couuri  ;  B'J  quati;  R  boute  —  35  E  Dessoubz  ;  FM 
aubres;  D  quon  —  37  EJ  tresdous  chant  —  38  E  Si  me  pris 
lors  si  fort  a  d. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 


59 


Son  dous  chanter,  que  jamais  raconter 
40  Ne  le  porroie. 

Mais  tout  einsi,  com  je  me  delitoie 

En  son  très  dous  chanter  que  j'escoutoie, 

Je  vi  venir  par  une  estroite  voie, 

44  Pleinne  d'erbette, 

Une  dame  pensant,  toute  seulette 
Fors  d'un  chiennet  et  d'une  pucelette  ; 
Mais  bien  sambloit  sa  manière  simplette 

48  Pleinne  d'anoy. 

Et  d'autre  par,  un  petit  loing  de  moy, 
Uns  chevaliers  de  moult  très  noble  arroy 
Tout  le  chemin  venoit  encontre  soy 

52  Sans  compaingnie  ; 

Si  me  pensay  qu'amis  yert  et  amie. 
Lors  me  boutay  par  dedens  la  fueillie 
Si  embrunchiez  qu'il  ne  me  virent  mie. 

56  Mais  quant  amis, 

En  qui  Nature  assez  de  biens  a  mis, 
Fu  aprochiez  de  la  dame  de  pris, 
Com  gracieus,  sages  et  bien  apris 

60  La  salua . 

Et  la  dame  que  pensée  argua, 

Sans  riens  respondre  a  li,  le  trespassa. 

Et  cils  tantost  arrière  rappassa, 

64  Et  se  la  prist 

Par  le  giron,  et  doucement  li  dist  : 

«  Très  douce  dame,  avez  vous  en  despit 


r\ov^- 


2* 


3g  E  En  son  doulz  ch...  recorder  —  41  FD  aussi  —  42  A  jes- 
coute  —  47  £  s.  a  sa  chiere  simpl.;  C  m.  seulete  —  5o  A  Un 
cheualiers  ;  E  tresbel  —  53  R  Lors  mauisay  ;  P  mapensai  —  54 
R  Si  ;  J  par  dessouz  —  55  AF  embunchiez  ;  BR  embuschez  ; 
CDP  embuschiez  ;  E  embuschie  —  b-;  J  n.  hut  assez  de  b.  mis; 
E  des  b.  ot  mis  ;  BDP  bien  —  58  J  dame  gentilz  —  5g  E  Comme 
courtois  —  60  P  Le  —  61  AFBE  qui  —  62  E  riens  rendre  a  lui 
—  63  R  cellui  ;  J  arr.  tantost  si  r.  —  64  P  le  —  66  J  Douce. 


60  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Le  mien  salut  ?  »  Et  quant  elle  le  vit, 

68  Se  respondi 

En  souspirant,  que  plus  n'i  attendi  : 
«  Certes,  sire,  pas  ne  vous  entendi 
Pour  mon  penser  qui  le  me  deffendi  ; 

72  Mais  se  j'ay  fait 

Riens  ou  il  ait  villenie  ou  meffait, 
Vueilliez  le  moy  pardonner,  s'il  vous  plait.  » 
Li  chevaliers,  sans  faire  plus  de  plait, 

76  Dist  doucement  : 

«  Dame,  il  n'affiert  ci  nul  pardonnement, 
Car  il  n'y  a  meffait  ne  mautalent; 
Mais  je  vous  pri  que  vostre  pensement 

80  Me  vueilliez  dire.  » 

Et  la  dame  parfondement  souspire 

Et  dist  :  «  Pour  Dieu,  laissiez  m'en  pais,  biau  sire; 

Car  mestier  n'ay  que  me  faciez  plus  d'ire 

84  Ne  de  contraire 

Que  j'en  reçoy  ».  Et  cils  se  prist  a  traire 
Plus  près  de  li,  pour  sa  pensée  attraire, 
Et  li  a  dit  :  «  Très  douce  débonnaire, 

88  Triste  vous  voy. 

Mais  je  vous  jur  et  promet  par  ma  foy, 
S'a  moy  volez  descouvrir  vostre  anoy, 
Que  je  feray  tout  le  pooir  de  moy 

92  De  l'adrecier  ». 

Et  la  dame  l'en  prist  a  mercier, 

Et  dist  :  «  Sire,  nuls  ne  m'en  puet  aidier, 


67  J  elle  loyt  —  71  E  P.  le  penser  —  j3  J  Chose;  A  villonnie 
—  78  P  a  courrous  ne  —  79  E  quen  —  82  B'  C  moy  en  paix  ;  J 
1.  mestre  ;  biau  effacé  dans  B'  —  83  J  Que  nay  mestier;  E  que 
plus  me  f.j  dire  manque  dans  D  —  84  C  du  —  85  CEP  je  rec; 
C  prent  —  86  R  Près  délie  pour;  FM  de  soy  ;  E  pour  son  pense; 
F  pense  —  87  R  Et  si  lui  dist  —  90  D  Se  vous  veulles  ;  R  Se  me 
voulez  —  94  E  me  ;  C  puist. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  6l 

Ne  nuls  fors  Dieus  ne  porroit  alegier 
96  La  grief  dolour 

Qui  fait  pâlir  et  teindre  ma  colour, 

Qui  tient  mon  cuer  en  tristesse  et  en  plour, 

Et  qui  me  met  en  si  dure  langour 
100  Qu'a  dire  voir 

Nuls  cuers  qui  soit  n'en  porroit  plus  avoir  ». 

—  «  Dame,  et  quels  maus  vous  fait  si  fort  doloir  ? 
Dites  le  moy;  que  je  cuit  recevoir 

104  Si  très  grief  peinne, 

Si  dolereuse,  si  dure,  si  greveinne, 

Si  amere,  que  soiez  bien  certeinne, 

Il  n'est  dame,  ne  créature  humeinne, 
108  Ne  n'iert  jamais, 

Qui  tele  peinne  endurast  onques  mais  ». 

—  «  Certes,  sire,  je  croy  bien  que  tel  fais 
Ne  portez  pas  a  vo  cuer  que  je  fais. 

1 12  Pour  ce  sarez 

Ma  pensée  qu'a  savoir  desirez. 

Mais  tout  avant,  vous  me  promènerez 

Que  sans  mentir  la  vostre  me  direz  ». 

116  —  «  Tenez,  ma  dame  : 

Je  vous  promet  par  ma  foy  et  par  m'ame 
Que  le  penser  qui  m'esprent  et  enflame 
Et  qui  souvent  mon  cuer  mort  et  entame 

120  Vous  gehiray 

De  chief  en  chief,  ne  ja  n'en  mentiray  ». 


95  EJ  ne  me  (J  men)  puet;  FC  aligier  —  96  DJ  grant  —  99 
me  manque  dans  D  —  101  R  Nuls  corps;  AE  ne  —  102  D  que 
maulz;  C  font  —  io3  BPR  car  —  104  D  tresgrant  —  io5  MDEJ 
et  si  gr.  —  106  P  Et  si  ;  E  Si  tresamere  ;  EJ  que  bien  soyes  — 
107  CPR  Quil  ;  J  ame  —  1 10  J  je  say  bien  —  1 1 1  J  en  cuer 
comme  je  f.;  EPR  com  —  1 1 3  JPR  que  —  1 14  J  auant  ce  vous 
me  prometres;  me  manque  dans  D  —  11 5-6  manquent  dans  F 
(parchemin  déchiré/  —  n5  E  moy  —  1 19  C  mon  cuer  souuent; 
J  mort  mon  cuer  —    121  P  De  mot  en  mot. 


02  LE  JUGEMENT    DOÙ    ROY    DE    BEHAÎNGNÉ 

—  «  Certes,  sire,  et  je  le  vous  diray  ». 

—  «  Or  dites  donc  ;  je  vous  escouteray 
124  Moult  volentiers  ». 

—  «  Sire,  il  a  bien  set  ans  ou  huit  entiers, 
Que  mes  cuers  a  esté  sers  et  rentiers 

A  Bonne  Amour,  si  qu'apris  ses  sentiers 

128  Ay  très  m'enfance. 

Car  dès  premiers  que  j'eus  sa  congnoissance, 
Cuer,  corps,  pooir,  vie,  avoir  et  puissance 
Et  quanqu'il  fu  de  moy,  mis  par  plaisance 

1  32  En  son  servage. 

Et  elle  me  retint  en  son  hommage 
Et  me  donna  de  très  loial  corage 
A  bel  et  bon,  dous,  gracieus  et  sage, 

1 36  Qui  de  valour, 

De  courtoisie  et  de  parfaite  honnour 
Et  de  plaisant  maintien  avoit  la  flour, 
Et  des  très  bons  estoit  tout  le  millour. 

140  Et  s'ot  en  li 

Gent  corps  faitis,  cointe,  apert  et  joli, 
Juene,  gentil,  de  manière  garni, 
Plein  de  tout  ce  qu'il  faut  a  vray  ami  ; 

144  Et  d'estre  amez 


iî3  M  et  je  vous  e.;  P  et  je  lesc.  —  12b  D  .vu.  ou  .vin.  ans  — 
127  F  que  après;  BDEJC  si  qua  ses  s.;  B'  corrige  en  si  qua- 
prans  ses  s.  —  129  D  de  premier:  E  depuis  ce;  J  je  oy  —  i3o 
C  Cuers;  P  Mon  cuer  mon  cors  vie...;  pooir  manque  dans  J  ; 
auoir  manque  dans  C;  EJ  auoir  vie  (J  et)  puissance  —  1 3 1  J 
quanque  fu;  C  mais  par  pi.  —  1 33  J  me  reçut;  J  seruage,  corr. 
en  hommage  —  1 35  E  A  bon  et  bel  ;  D  a  bon  a  gr.  —  1 38  et  1 3g 
intervertis  dans  C  —  1 38  F  auoir  la  1.  —  1 3g  manque  dans  J  (la 
lacune  est  indiquée  avant  le  vers  i38);  R  Entre  les  bons  estoit 
tous  dis  meliour;  E  de  tresbon  ;  tout  manque  dans  D  —  140  R 
Et  sont  en  lui  —  140-143  manquent  dans  J  —  142  E  Jeusne 
joieux  —   143  P  Et  de  tout;  E  que  ;  MCDP   qui. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  63 

Par  dessus  tous  estoit  dignes  clamez, 

Car  il  estoit  vrais,  loiaus  et  secrez, 

Et  en  trestous  fais  amoureus  discrez, 
148  Et  je  l'amoie 

Si  loiaument  que  tout  mon  cuer  mettoie 

En  li  amer,  n'autre  entente  n'avoie  ; 

Qu'en  li  estoit  m'esperance,  ma  joie 
i52  Et  mon  plaisir, 

Mon  cuer,  m'amour,  mon  penser,  mon  désir. 

De  tous  les  biens  pooit  mes  cuers  joïr 

Par  li  vëoir  seulement  et  oïr. 
1  56  Tcus  mes  confors 

Estoit  en  li  ;  c'estoit  tous  mes  depors, 

Tous  mes  solas,  mes  déduis,  mes  trésors; 

C'estoit  mes  murs,  mes  chastiaus,  mes  ressors. 
160  Et  il  m'amoit, 

Par  dessus  tout  me  servoit  et  cremoit  ; 

Son  cuer,  s'amour,  sa  dame  me  clamoit  ; 

Tous  estoit  miens  ;  mes  cuers  bien  le  savoit; 
164  Ne  riens  desplaire 

Ne  li  peust  qui  a  moy  deiist  plaire. 

De  nos  deus  cuers  estoit  si  juste  paire 

Qu'onques  ne  fu  l'un  a  l'autre  contraire; 
168  Einsois  estoient 

Tuit  d'un  acort;  une  pensée  avoient  ; 

De  volenté,  de  désir  se  sambloient; 

Un  bien,  un  mal,  une  joie  sentoient 
172  Conjointement, 

145  B  tout;  tous  manque  dans  M  —  146  C  vrais  et  loyaus  — 
147  D  En  ;  CEJ  en  tous  fais;  P  en  tous  cas;  FMB  et  discrez 
(B'  a  effacé  et)  —  i5o  M  amer  autre  —  1  5 1  J  En  lui;  CBDJP 
et  ma  joie  —  1 53  J  mi  désir  —  154  E  De  trestous  biens  —  07 
J  E.  trestous  cest.  —  i58  J  Touz  mes  déduis  cestoit  tous  mes 
trésors;  D  Tout  ;  D  mon  déport  —  i5o.  C  mes  murs  ma  tour  et 
mon  resors —  161  CEKJ  tous  ;  P  toutes  —  1 63  JKP  siens —  166 
E  est.  tout  une  p.  —  169  Tuit  manque  dans  M  ;  DP  Tout  —  170 
KJ  de  dit  ce    ressambl.;  P  sassembloient. 


64  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

N'onques  ne  fu  entre  eaus  deus  autrement, 

Mais  c'a  toudis  esté  si  loiaument 

Qu'il  n'ot  onques  un  villein  pensement 
176  En  nos  amours. 

Lasse,  dolente  !  Or  est  bien  a  rebours  ; 

Car  mes  douceurs  sont  dolereus  labours, 

Et  mes  joies  sont  ameres  dolours, 
180  Et  mi  penser, 

En  qui  mes  cuers  se  soloit  déliter 

Et  doucement  de  tous  maus  conforter, 

Sont  et  seront  dolent,  triste  et  amer; 
184  En  obscurté 

Seront  mi  jour,  plein  de  maleurté, 

Et  mi  espoir  sans  nulle  seurté, 

Et  ma  douceur  sera  dure  durté  ; 
188  Car  sans  faillir 

Teindre,  trambler,  muer  et  tressaillir, 

Pleindre,  plourer,  souspirer  et  gémir, 

Et  en  paour  de  desespoir  frémir 
192  Me  couvendra; 

N'a  mon  las  cuer  jamais  bien  ne  vendra, 

N'a  nul  confort  n'a  joie  n'ateindra, 

Jusques  atant  que  la  mort  me  prendra, 
196  Qui  a  grant  tort 

Par  devers  moy,  quant  elle  ne  s'amort 

173  E  ne  furent  eux  deux  —  174  KJ  Ains  a  este  ;  P  Ainz  a  tou- 
diz  este;  AKJ  este  toudis  ;  D  tousiours;  E  M.  a  t.  —  175  manque 
dans  KJ,  ajouté  plus  tard  dans  J  (par  une  seconde  main)  —  177 
EJ  au  reb.  —  179  J  joie  ;  E  mes  grans  joies  ;  KJ  agues  dolours 
—  180  D  mon  —  182  KJ  de  ses  maus  —  i83  C  Souuent  se- 
ront; ME  seront  dolour  —  1 85  C  Seront  un  jour  —  186  K 
securte  —  187  KJ  ma  dolour;  KJ  dure  adurte  —  189  E  Crain- 
dre tr.  muet  —  191  E  paour  de  sc^poir  —  192  E  Moy  —  ig"3  E 
Ne  jamaiz  bien  en  mon  cuer  ne  v.  ;  D  Namais  du  cuer  ja  mes 
bien  ne  v.;  KPR  nauendra  —  194  KJ  Ne  nul  confort  de  joie  nat- 
tendra;  P  Ne.,  ne;  E  Ne. .  ma  joie  nattendra  ;  DP  nattendra  — 
195   la    manque  dans  J. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 


65 


A  moy  mordre  de  son  dolereus  mort, 
Quant  elle  m'a  dou  tout  tollu  et  mort 

200  Mon  dous  ami 

Que  j'amoie  de  fin  cuer  et  il  mi. 
Mais  après  li,  lasse!  dolente!  eimy  ! 
Ne  quier  jamais  vivre  jour  ne  demi 

204  En  si  grief  dueil, 

Eins  vueil  mourir  dou  mal  dont  je  me  dueil. 
Et  je  qui  fui  boutez  dedens  le  brueil 
Vi  qu'a  ce  mot  la  dame  au  dous  acueil 

208  Cheï  com  morte. 

Mais  cils  qui  fu  de  noble  et  gentil  sorte 
Souventes  fois  li  deprie  et  enorte 
Moult  doucement  qu'elle  se  reconforte  ; 

212  Mais  riens  ne  vaut, 

Car  la  dame  que  grief  doleur  assaut 
Pour  son  ami  sent  un  si  dur  assaut 
Qu'en  li  vigour  et  aleinne  deffaut. 

216  Et  quant  il  voit 

Que  la  dame  pas  ne  l'entent  ne  oit, 

Tant  fu  dolens  qu'estre  plus  ne  pooit; 

Mais  nonpourquant  tant  fait  que  bien  perçoit 

220  Qu'elle  est  pasmée. 

Lors  en  sa  main  cueilli  de  la  rousée 
Sus  l'erbe  vert  ;  si  l'en  a  arrousée 
En  tous  les  lieus  de  sa  face  esplourée 

224  Si  doucement 


199  manque  dans  R  —  201  KJ  que  )a.  loiaument — 202  li  man 
que  dans  D  —  2o3  E  vivre  jamais  —  204  si  manque  dans  F;  EKJ 
grant  —  2o5  manque  dans  KJ  —  206  P  fui  répons;  J  dessouz  le 
br.  —  207  C  cest  mot;  D  de  bel  acueil  ;  KJ  ajoutent  :  De  descon- 
fort de  doleur  et  de  dueil  —  209  et  manque  dans  BC,  rétabli  par 
B' ;  KJ  et  gente  force  —  212  EK  ni  —  21 3  CDE  qui  —  214 
manque  dans  C;  E  font  —  2i5  C  Qui  la  vigour;  E  si  faut —  217 
E  ooit  —  218  KJ  porroit  —  219  K  Et;  D  non  obstant;  KJ  fait 
(J  et)  appercoit  —  220  D  paumée  —  222  a  manque  dans  D  —  223 
KP  Par;  KJ  yeus. 

Tome  I.  5 


8T.   NUCHAEL'8 
COLLEGE 


66  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Que  la  dame  qui  avoit  longuement 
Perdu  vigour,  scens  et  entendement 
Ouvri  les  yeus  et  prist  parfondement 
228  A  souspirer, 

En  regretant  celui  qui  désirer 

Li  fait  la  mort  par  loiaument  amer. 

Mais  cils  qui  ot  le  cuer  franc  sans  amer 

232  Dist  :  «  Dame  chiere, 
Pour  Dieu  merci,  reprenez  vo  manière, 
Vous  vous  tuez  de  faire  tele  chiere, 

Car  je  voy  bien  que  moult  comparez  chiere 

236  L'amour  de  li. 

Si  n'aiez  pas  le  cuer  einsi  failli, 

Car  ce  n'est  pas  preus,  ne  honneur  aussi.  » 

—  «  Vous  dites  voir,  sire  ;  mais  trop  mar  vi 

240  L'eure  et  le  jour 

Qu'onques  amay  de  si  parfaite  amour, 
Car  je  n'en  puis  eschaper  par  nul  tour; 
Eins  y  congnois  ma  mort  sans  nul  retour.  » 

244  —  «  Dame,  or  oiez 

Ce  que  diray  et  a  mal  ne  l'aiez  : 
N'est  merveille  se  vous  vous  esmaiez, 
Car  bien  est  drois  que  dolente  soiez. 

248  Mais  vraiement 

On  trouveroit  plus  tost  aligement 
En  vostre  mal  qu'en  mien  ».  —  «  Sire,  et  com- 
ment? 
Dites  le  moy,  et  de  vo  sairement 

252  Vous  aquitez.  » 

229   KJ   qui  souspirer  —    23o    KJ  par   lardanment    amer   — 

233  C  dieu  a  mercy;  P  refrénez  —  235  KJ  que  trop  comp.; 
D  que  vous  comp.  —  i"h~]  M  ainssi  le  cuer  —  238  KJ  nest  preux 
bien  ni  honneur  —  239  DEKJ  mal  vi  —  243  nul  manque  dans 
E  —  245  KJ  ne  soiez  —  246  CBDEKJR  Nest  pas  meru.  —  247 
KE  Ains  est  bien  drois  —  249  KJ  En  ;  D  Ou  —  2  5o  E  quou 
mien;  KJ  sire  comment  —   25 1  E  vostre;  R  vostre  serment. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  67 

— «  Moult  voulentiers,  mais  que  vous  m'escoutez, 
Et  que  vo  cuer  de  tristesse  gettez, 
Par  quoy  toute  vostre  entente  mettez 
2  56  A  moy  oïr.  » 

—  «  Certes,  sire,  po  me  puis  resjoïr. 
Mais  j'en  feray  mon  pouoir,  sans  mentir.» 

—  «  Dont  vous  diray  quels  maus  j'ay  a  sentir, 
260  Sans  plus  attendre  : 

Dame,  très  dont  que  je  me  sos  entendre, 
Et  que  mes  cuers  pot  sentir  et  comprendre 
Que  c'est  amsr,  je  ne  finay  de  tendre 
264  A  estre  amez  ; 

Si  que  lonc  temps,  pour  estre  amis  clamez, 
Eins  que  mes  cuers  fust  assis  ne  donnez 
N'a  dame  nulle  ottroiez  n'assenez, 

268  A  Bonne  Amour 

Par  maintes  fois  fis  dévote  clamour 

Qu'elle  mon  cuer  asseïst  a  l'onnour 

De  celle  en  qui  il  feroit  son  séjour, 
272  Et  que  ce  fust 

Si  que  loange  et  gloire  en  receiist 

Et  que,  se  ja  mes  cuers  faire  peiist 

Chose  de  quoy  souvenir  li  deûst 
276  Ou  desservir 

253  D  mes  se  vous  —  2J4  KJ  Dame  et  vo  cuer  de  tr. 
ostez  —  255  D  Pour;  KJ  Affin  que  toute;  E  trestoute  —  256 
CP  En  —  25y  C  raen;  M  esjoir  —  258  C  je  feray  —  25g  E 
diray  je;  C  quel  mal;  D  quel;  E  que  —  261  E  D.  depuis;  P 
treslors  —  262  C  sot;  P  savoir  et  c;  FMBDK  ne  compr.  — 
263  P  Questoit  amer  ;  KJ  ciert;  DEKJ  damer;  KJ  datendre  ;  R 
Quest  vraye  amour  mes  mon  cuer  sans  reprendre  —  267  C  Na 
nulle  dame;  KJ  A;  D  ne  donnes;   KJ  nagraiez  —  268  C  Na  — 

269  E  Fis  m.  f.  devottement  cl.  —  271  D  mon  séjour;  son  man- 
que dans  C  —  273  E  et  grâce  —  274  que  manque  dans  R;  BD 
se  jamais  cuers  (D  cuer;  B'  corrige  en  que  jamais  mes  cuers); 
KJ  que  mon  cuer  se  ja  f.  sceust;  R  si  peust  —  275  KJ  Chose  a 
son  vueil  qui  plaire  li  deust  —   276  E  En  ;  KJ  Ne. 


68     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Nul  guerredon  de  dame  par  servir, 
Qu'en  aucun  temps  li  deingnast  souvenir 
De  moy  qui  vueil  estre  siens,  sans  partir, 

280  Toute  ma  vie. 

Tant  qu'il  avint  qu'en  une  compaingnie 
Ou  il  avoit  mainte  dame  jolie, 
Juene,  gentil,  joieuse  et  envoisie, 

284  Vins  par  Fortune, 

Qui  de  mentir  a  tous  est  trop  commune. 
Si  en  choisi  entre  les  autres  l'une 
Qui,  tout  aussi  com  li  solaus  la  lune 

288  Veint  de  clarté, 

Avoit  elle  les  autres  seurmonté 

De  pris,  d'onneur,  de  grâce  et  de  biauté, 

Et  tant  estoit  humble  et  simple,  a  mon  gré, 

292  Car,  a  voir  dire, 

On  ne  porroit  en  tout  le  monde  eslire 
Sa  pareille,  ne  tous  li  mons  souffire 
Ne  porroit  pas,  pour  sa  biauté  descrire 

296  Parfaitement. 

Car  je  la  vi  dancier  si  cointement 
Et  puis  chanter  si  très  joliement, 
Rire  et  jouer  si  gracieusement, 

3oo  Qu'onques  encor 

Ne  fu  veù  plus  gracieus  trésor. 
Car  si  cheveus  ressambloient  fil  d'or 
Et  n'estoient  ne  trop  blont  ne  trop  sor  ; 


278  P  En;  AV  li  deust  s.  —  281  qu  manque  dans  E  —  283 
KJ  J.  g.  de  manière  garnie  —  285  EP  est  a  tous —  286  M  autre; 
CDEKP  une  —  287  EKJ  ainsi  —  288  ABD  V.  la  cl.  ;  R  Veu  que 
de  cl.  —  28g  E  Par  auoit  ;  K  celle  ;  D  toutes  les  autres  —  290 
E  do.  de  senz;  et  manque  dans  KJ  —  291  £  Tant  fu  h.  —  292 
EKJP  Quau  voir  dire  —  293  AV  En  —  294  C  La;  E  par.  très- 
tout  le  m.  ;  D  eslire  —  295  AV  a  sa  b.  —  298  très  manque  dans 
E  —  3o2  Car  manque  dans  KJ ;  F  cil  ch.  ;  B'  cilz  ch.;  KJ  nlz  ; 
E  a  rin  or  —  3o3  E  Et  si  ne.  ;  D  blanc. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  69 

304  Son  front  estoit 

Blanc  et  poli,  ne  fronce  n'i  avoit, 
Sans  vice  nul  compassé  si  a  droit 
Que  trop  large  n'estoit,  ne  trop  estroit  ; 

3o8  Et  si  sorcil 

Qui  estoient  de  taille  très  gentil 
Dessus  le  blanc  sambloient  un  noir  fil, 
Dont  il  fussent  prisié  entre  cent  mil. 

3i  2  Mais  si  dui  oueil 

Qui  de  mon  cuer  vorrent  passer  le  sueil 
Par  leur  rigour  et  par  leur  bel  accueil, 
Pour  moy  donner  le  mal  dont  je  me  dueil, 

3 1 6  Furent  riant, 

Nom  pas  moult  vair,  pour  estre  plus  poingnant 
Et  plus  agu,  dous,  humble  et  attraiant, 
Tous  pleins  de  las  pour  loier  un  amant 

320  En  amour  pure; 

Et  s"estoient  clungnetant  par  mesure, 
Fendus  a  point,  sans  trop  grant  ouverture, 
Tout  acquérant  par  leur  douce  pointure  ; 

324  N'a  l'entrouvrir 

Ne  se  peiist  nuls  homs  qui  soit  couvrir 
Qu'en  mi  le  cuer  ne  l'alassent  ferir, 
S'il  leur  pleûst,  et  pour  euls  retenir. 

328  Mais  leurs  regars, 

Merci  donnant  par  samblant,  aus  musars 
N'estoit  mie  folettement  espars  ; 


307  manque  dans  J  ;  E  Que  point  trop  1.  ;  FMB  larges  —  309 
E  x\ussi  est.;  C  taille  si  gentil  —  3 10  D  sembloit  ;  C  sembloient 
bien  voir  fil  —  3i  1  D  furent  —  3 1 2  J  Et  —  3 1 3  D  vouloient  — 
3 14  D  Pour  1.  acueil  et  pour  leur  rigour;  KJ  Par  leur  regart  — 
3 1 7  JKP  trop  veir;  D  pou  vair;  E  pour  plus  estre  —  3 19  P 
pour  lacier  —  32  1  D  clinans  tant;  K  clinent  et  p.  m.;  J  clinet 
et  p.  m.  —  323  KJ  Tous  —  325  KJ  Ne  saperceust—  326  D  Que 
mi;  le  manque  dans  E  —  327  B'  remplace  la  leçon  de  B  eux  par 
lui  —  329  KJ  au  —  33o  CB'DEKJPR  Nestoient;  KJ  pas. 


70  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Car  quant  lancier  voloit  un  de  ses  dars, 
332  Si  sagement 

Le  savoit  faire  et  si  soutivement 

Que  nuls  savoir  nel  peiist  bonnement, 

Fors  cils  seur  qui  il  chéoit  proprement. 
336  Net,  odorant, 

Lonc  et  traitif,  de  taille  bien  séant 

Avoit  le  nés  au  viaire  afferant  ; 

Car  il  n'estoit  trop  petit,  ne  trop  grant. 
340  Mais  sa  bouchette, 

Petite  a  droit,  vermillette,  grossette, 

Toudis  riant,  savoreuse,  doucette, 

Me  fait  languir,  quant  mes  cuers  la  regrette. 

344  Car  qui  l'oïst 
Parler  a  point,  et  rire  la  veïst, 

Et  les  douceurs  par  saveur  recueillist, 
Il  la  prisast  seur  toutes  et  deïst; 

348  Que  deus  fossettes 

En  sousriant  faisoient  ses  joettes 
Qui  estoient  blanches  et  vermillettes 
Pour  embelir,  et  un  petit  grassettes. 

352  Et  encor  plus  : 

Les  dens  avoit  blans,  sarrez  et  menus, 
Et  ses  mentons  estoit  un  po  fendus, 
Votis  dessous  et  rondez  par  dessus. 

356  Mais  a  merveille 

33  1  D  vouloit  lancer  —  333  KJ  Le  voloit;  EKJ  si  tressubtil- 
ment  —  335  KJ  il  venoit  —  336  KJ  Et;  DE  Nés;  B'P  Nez;  M 
Nef  eudourant  —  33j  CEKJP  traitiz;  KJ  bien  faisant  —  338  C 
aufferrant  —  33g  B  ne  trop  petit  —  IÎ41  CDEP  et  gross.  —  342 
E  samoreuse  ;  CDP  et  doue.  —  342  et  343  intervertis  dans  E  — 

345  a  point  manque  dans  D;  D   ou   rire;  C  et  si  ne   la   veist  — 

346  P  la  douceur;  AV  par  sauoir  —  34g  E  En  son  riant;  K  En 
soulz  riant  —  35o  E  Qui  moult  est.  ;  M  blanche  —  35 1  et  man- 
que dans  EP;  P  petitet  :  CJP  grossetez  ;  E  crassetes  —  352  KJ 
Encore  —  353  C  ot  blans;  D  blanches;  E  et  serrez;  C  serrez  et 
menues  —  354  &  Son  mentonnet;    C  un  petit  f. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  7  I 

Fu  sa  couleur,  des  autres  nompareille, 

Car  elle  fu  vive,  fresche  et  vermeille, 

Plus  que  la  rose  en  may,  eins  qu'on  la  cueille, 

36o  Et,  a  briés  mos, 

Blanche  com  noif,  polie,  de  biau  gros 

Fu  sa  gorge,  n'i  ot  fronce  ne  os  ; 

Et  s'ot  biau  col  dont  je  la  pris  et  los. 

364  Aussi  est  drois 

Que  je  parle  de  ses  bras  Ions  et  drois 
Qui  estoient  bien  fais  en  tous  endrois  ; 
Car  elle  avoit  blanches  mains  et  Ions  dois. 

368  A  mon  devis 

Avoit  le  sein  blanc,  dur  et  haut  assis, 
Poingnant,  rondet,  et  si  estoit  petis, 
Selonc  le  corps,  gracieus  et  faitis. 

372  Sans  nul  mestret 

Avoit  le  corps  par  mesure  pourtret, 
Gent,  joint,  joli,  juene,  gentil,  grasset, 
Lonc,  droit,  faitis,  cointe,  apert  et  graillet. 

376  Très  bien  tailliez 

Hanches,  cuisses,  jambes  ot,  et  les  piez 
Votis,  grossez,  bien  et  bel  enjointiez, 
Par  maistrise  mignotement  chauciez. 

38o  Dou  remenant 

Que  pas  ne  vi,  dame,  vous  di  je  tant 
Qu'a  nature  tout  estoit  respondant, 

357  C  autre  separeille  ;  P  despareille  —  35c  KJ  en  moy  quant 
on  la  c.  —  3Ô2  KJ  Ot  la  gorgete  ;  E  gueorgete  —  363  C  biau  corps; 
C  le  —  364  M  Aussis  —  365  E  parole  —  366  KJ  Quelle  auoit; 
E  estoient  faiz  en  trestous  endrois;  J  en  t.  droiz  —  367  MCEKJ 
Et  si  —  369  blanc  effacé  dans  D;  dur  manque  dans  C —  372  CDKJ 
mal  trait  —  373  KJ  joli  rondelet  et  crasset —  374  apert  manque 
dans  E;  et  manque  dans  D  —  377  CBDR  Blanches;  R  cuissettes; 
C  et  jambes  ;  E  Auoit  les  jambes  et  autressi  les  pies  —  378  E  gras- 
ses ;  KJP  bel  et  bien  entailliez;  C  entailliez  —  379  E  Et  par 
maistrie;  KJ  Par  mesure  —  38 1  EKJ  vous  diray  t.  {KJ  dire)  — 
382  B'  Que  par  nature;  C  toute;  KJ  estoit  tant  r.;  P  estoit  fait  r. 


72  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Bien  fassonné  et  de  taille  excellent. 

384  Et  ce  seurplus 

Dont  je  ne  vueil  maintenant  dire  plus 

Devoit  estre  sans  comparer  tenus 

A  plus  très  dous  et  a  plus  biaus  que  nuls. 

388  Délié  cuirien 

Blanc  et  souèf  avoit,  sus  toute  rien 
Resplendissant,  si  qu'on  si  mirast  bien  ; 
Vice,  tache  n'i  avoit  fors  que  bien. 

392  Douce  et  serrée 

Avoit  la  char,  tendrette  de  rousée, 
Mais  de  manière  humble  et  asseùrée 
Et  de  très  biau  maintien  estoit  parée. 

396  Et  vraiement, 

Tant  fu  belle,  que  je  croy  fermement, 
Se  Nature  qui  tout  fait  soutilment 
En  voloit  faire  une  aussi  proprement, 

400  Qu'elle  y  faurroit 

Et  que  jamais  assener  n'i  saroit, 
Se  l'exemple  de  ceste  ci  n'avoit 
Qui  de  biauté  toutes  autres  passoit. 

404  Et  se  vous  di 
Qu'onques  encor  en  ma  vie  ne  vi 
Corps  de  dame  si  très  bien  assevi. 
Mais  elle  avoit  quatorze  ans  et  demi 

408  Ou  environ. 

Si  que,  dame,  quant  je  vi  sa  façon 

383  KJ  De  la  {K  sa)  façon  et  de  t.  plaisant  —  384  DEdes.; 
EKJ  Et  du  s.  —  385  ne  manque  dans  F  —  387  DE  Au;  D  au; 
KJ  doulz  que  veoir  peust  nus.  —  3g  1  E  Vilte  chaste  ny;  P  ne 
tache  —  392  E  sucrée  —  3g3  D  plus  tendre  que  r.  ;  EKJ  tendre 
comme  {KJ  com);  P  com  —  3g4  C  simple  et  acesmee  —  397  E 
Tant  par  fu  —  398  K  Que;  J  Que  se  ;  D  tant  —  3qg  C  une  faire  — 
400  B'  Elle  —  401  KJ  Ne;  E  pourroit  —  402  E  lexemplaire  — 

405  E  encores  —406  E  Si  gentilz  corps  ne  si  bien  asseruy —  409 
E  ma  dame. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  *j?> 

Qui  tant  estoit  belle  sans  meffaçon, 
Dedens  mon  cuer  la  douce  impression 

412  De  sa  ligure 

Fu  telement  empreinte  qu'elle  y  dure, 
Ne  onques  puis  n'en  parti,  dont  j'endure 
Meinte  doleur  et  meinte  durté  dure. 

416  Et  sans  doutance, 

Eins  que  partis  fusse  de  sa  présence, 
Dedens  mon  cuer  se  ficha  si  Plaisance, 
En  remirant  sa  douce  contenance, 

420  Que  sachiez  bien, 

Se  j'eusse  l'avoir  Othevién, 
Et  sceûsse  le  scens  de  Galién, 
Et  avec  ce  tuit  li  bien  fussent  mien, 

424  Je  tout  eusse 

Guerpi  par  si,  que  vèoir  la  peiisse 
A  mon  voloir  ou  que  faire  sceiisse 
Chose  a  son  vueil,  dont  plaire  li  deusse. 

428  Mais  Fine  Amour 

Qui  vit  que  pris  estoie  par  le  tour 
De  Plaisance  qui  m'ot  mis  en  sa  tour, 
En  remirant  son  gracieus  atour, 

432  Sans  menacier 

Un  dous  regart  riant  me  fist  lancier 

Par  mi  le  cuer,  et  moy  si  enlacier, 

Qu'il  me  sousmist  en  son  très  dous  dangier, 

436  Sans  repentir. 

Si  me  plut  tant  cils  dangiers  a  sentir, 

410  manque  dans  J  —  412  KJ  De  sa  douce  f.  —  41 3  C  que  el 
dure;  y  manque  dans  E  —  415  KJ  peine  dure  —  421  D  Que  se; 
KJ  otinien  ;  M  dothonien  —  422  P  Et  si;  E  Et  se  eusse  ;  CK 
tout  le  sens  galien;  J  Et  avec  ce  sceusse  tout  le  sens  galien  — 
423  E  tous  les  biens;  CP  tout;  J  Et  tuit  li  bien  du  monde  f.  — 
427  et  428  effacés  dans  F  —  427  D  De  chose  faire  donc,  peusse  ; 
C  mon  vueil;  KJ  que  plaire;  M  li  pleusse  —  43o  E  Et  ;  E  si 
mot  —  43 1  CKP  En  regardant;  K  precieus  —  437  E  ce  dan- 
gier; C  li  dangier;  DKJ  son  dangier. 


74  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Quant  cils  regars  se  deingnoit  assentir 
A  descendre  seur  moy,  que,  sans  mentir, 

440  Je  ne  savoie 

Qu'il  m'avenoit  ne  quele  part  j'estoie  ; 
Car  scens,  vigour  et  manière  perdoie, 
Si  durement  par  ses  yeus  me  sentoie 

444  Enamourez. 

Adont  désirs  d'estre  de  li  amez 

En  mon  cuer  fu  si  très  fort  enflamez 

Que  puis  m'en  suis  cent  fois  chetis  clamez 

448  En  souspirant  ; 

Car  tel  doleur  sentoie  en  désirant 
Que  ma  vigour  en  aloit  empirant 
Et  meint  penser  avoie,  en  remirant 

452  Son  dous  viaire  ; 

Car  volentiers  li  alasse  retraire 
Comment  de  cuer  l'amoie,  sans  retraire. 
Mais  la  paour  d'escondire  ce  faire 

456  Me  deffendoit; 

Et  d'autre  part  Bel  Acueil  m'appelloit, 
Son  Dous  Regart  riant  m'asseùroit, 
Et  Dous  Espoirs  doucement  me  disoit 

460  En  loiauté 

Et  m'affermoit  qu'onques  si  grant  biauté 
Ne  pot  estre,  qu'il  n'i  eust  pité. 
Si  m'ont  cil  troi  tant  dit  et  enorté 

464  Que  toutevoie 


438  D  Que;  E  son  regart;  KJP  ses  regars;  M  me  d.  ;  D  dai 
gnast  —  489  E  car  s.  m.  —  441  C  Qui  me  menoit;  E  quelque 
part  ;  M  quel  part  ou  jest.  —  442  D  manière  et  vigour  —  443  K 
Tant;  D  ces  — 445  C  Adonc  cuiday  estre  de  li  amez  —  446  C  Et; 
E  fui  —  447  P  Que  men  sui  puiz  —  449  E  doucour  —  460  E 
aloie;  D  aloit  en  empirant  —  45 1  E  en  désirant  —  454  KJP  du 
cuer  —  455  D  desconfire  —  457  E  maccueilloit  —  458  AV  masa- 
uouroit  —  439  E  moy  —  462  E  Si  ne  pourroit  estre  qui  ny  — 
463  C  Si  moult;  K  si  troy  ;  E  les  trois. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAJNGNE      7 5 

Je  m'acorday  que  m'amour  li  diroie. 
Helas  !  einsi  tous  seuls  me  debatoie. 
Mais  quant  mes  maus  retraire  li  cuidoie, 

468  Si  paoureus, 

Si  veins,  si  mas,  si  las,  si  engoisseus, 
Si  desconris,  si  tramblans,  si  honteus 
Estoit  mes  cuers  et  dou  mal  amoureus 

472  Si  fort  espris, 

Qu'en  li  n'avoit  scens,  manière,  n'avis, 
Einsois  estoit  com  transis  et  ravis, 
Quant  bien  vëoir  pooie  vis  a  vis 

476  Sa  biauté  pure. 

Lors  estoit  mors  d'amoureuse  morsure 
Mes  cuers  et  poins  de  joieuse  pointure 
Et  repeùs  de  douce  nourreture 

480  Par  Dous  Penser 

Qui  ma  doleur  faisoit  toute  cesser 
Et  garison  me  faisoit  espérer. 
Einsi  souvent  avoie  pour  amer 

484  Joie  et  tourment. 

Si  demouray  en  ce  point  longuement, 
Une  heure  liez  et  l'autre  heure  dolent, 
Qu'onques  n'osay  requerre  aligement 

488  De  ma  dolour. 

Mais  nompourquant  grant  destresse  d'amour, 
Ardant  désir,  la  crueuse  langour, 
Ou  j'avoie  demouré  par  maint  jour, 


465  EP  donroie   —   466  PJ  tous  seulz  ainsi  —  467  E  vouloie 

—  469  P  Si  vils;  E  si  mas  si  mors;  P  dolereus  —  478  DKJ 
Quen   moy  ;  CP  sens  mesure  na.  —  474  K  estoie  —  475  K  Que 

—  477  C  Lors  yere  —  478  E  damoureuse  —  479  et  480  effa- 
cés dans  F  —  481  J  Que  —  483  E  Ains;  D  auoir  —  485  K 
La  ;  C  demourra  —  486  CP  et  autre  ;  E  et  une  autre  dolent  ;  KJ 
et  une  autre  en  tourment;  D  lautre  h.  tresdolent  —  487  D 
Onques;  CKJ  ne  soy  ;  D  acquerre  —  489  KJ  la  destr.  —  490  E 
Dardant;  KP  désir  et  crueuse  1.  —  491  j  manque  dans  C. 


76  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHA.INGNE 

492  Son  bel  acueil, 

Espérance  de  terminer  mon  dueil, 

Sa  grant  biauté,  si  dous  riant  vair  oueil, 

Et  ce  qu'en  li  n'avoit  goûte  d'orgueil, 

496  Le  hardement 

De  requerre  merci  couardement 
Me  donnèrent  ;  si  li  dis  humblement, 
Moult  tresmuez  et  paoureusement  : 

5oo  «  Ma  chiere  dame, 

Vostre  biauté  mon  cuer  art  et  enflame, 

Si  que  seur  tout  vous  aim,  sans  penser  blâme, 

De  cuer,  de  corps,  de  vray  désir  et  d'ame. 

504  Si  vous  depri, 

Douce  dame,  qu'aiez  de  moy  merci; 
Car  vraiement,  je  morray  d'amer  ci, 
Se  de  vo  cuer,  qui  a  le  mien  nerci, 

5o8  N'ay  aligence.  » 

Et  quant  einsi  li  os  dit  ma  grevance, 
Un  pou  muer  vi  sa  douce  samblance, 
Ce  me  fu  vis;  dont  je  fui  en  doubtance 

5i2  D'estre  escondis; 

Mais  ses  regars  m'asseùroit  toudis, 
Et  sa  douceur,  et  son  gracïeus  ris, 
Si  que  par  euls  encor  fui  enhardis 

5 16  De  dire  :  «  Helas! 

Gentil  dame,  pour  Dieu,  n'ocièz  pas 
Vostre  loial  ami,  qui  en  vos  las 


492  F  Mon  —  493  KJP  vueil  —  494  D  La  ;  E  vert  —  495  D 
Et  pour  ce  que  li  —  497  A  requérir  —  499  K  cresmeuz  ;  J  tres- 
meuz  —  5oi  KJ  art  mon  cuer  ;  P  entame  —  5o2  E  Si  que  seruir 
vous  vueil  sanz  p.  bl.  ;  DKJP  tous  —  5o5  KJ  Gentilz  dame  aiez 
—  5o6  E  damour  —  507  de  manque  dans  D;  KJ  nourri  —  5 1 1 
AFM  je  fu;  E  je  sui;  vis  manque  dans  KJ  —  5  14  CK  vis  —  5 1  5 
AFDKJ  fu;    E  sui  —  517    BD   nohliez. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  77 

Est  si  laciez  qu'il  en  pert  tout  solas 
520  Et  toute  joie.  » 

Lors  se  treï  vers  moy  la  simple  et  coie, 

Pour  qui  Amours  me  destreint  et  maistroie, 

Et  dist  :  «  Amis,  certes,  riens  ne  vorroie 
524  Faire  a  nelui, 

Dont  il  eiist  grevance  ne  anui; 

Ne  l'en  ne  doit  faire  chose  a  autrui 

Qu'on  ne  vosist  que  l'en  feïst  a  lui. 
528  Et,  biaus  amis, 

Il  n'est  nuls  biens  qui  ne  soit  remeris, 

N'il  n'est  aussi  maus  qui  ne  soit  punis. 

Si  que,  s'Amours  vous  a  d'amer  espris, 
532  Son  guerredon 

Vous  en  rendra  en  temps  et  en  saison, 

Se  vous  l'amez  sans  penser  traïson. 

Et  s'elle  vous  trouvoit  autre  que  bon, 
536  Ne  doubtez  mie 

Qu'elle  ne  fust  vo  mortel  anémie, 

Ne  que  jamais  garison  ne  aïe 

Vous  fust  par  li  donnée,  n'ottroïe 
540  De  vos  dolours. 

Si  que,  biau  sire,  alez  devers  Amours, 

Si  li  faites  vos  plains  et  vos  clamours; 

Car  en  li  gist  vos  mors  et  vos  secours, 
544  Nom  pas  en  moy, 


5 ig  D  Est  enlacies  ;  MEKJP  tous  —  52i  C  Et  lors  se  traist; 
KJP  traist  (J  treist);  M  traihi  —  522  P  Par;  EKJ  amour—  525 
J  ny  —  526  KJE  Ne  on;  C  doit  riens  faire  a  a.  —  527  E  Que 
on  voudroit;  EP  que  on  —  53o  KJ  aussi  nul  mal  ne  soit  p.  — 
53 1  D  que  damours  —  532  MCKJP  Bon  —  533  E  rendre  —  534 
P  Se  le  seruez;  KJ  lamer  —  535  J  Et  elle;  C  trueue  ;  D 
trouuast  —  538  £  garnison  —  53g.  CDE  donne  —  540  BD  amours  ; 
C  dolour  —  541  CP  Pour  ce  —  542  E  Et  si  li  f.;  K  Et  li  f.  ;  P 
plaintes  et  cl.  —  543  A  vos  mort;  P  vo  mort;  KJ  vo  maux; 
FMC  ou  vos  sec;  J  ou  v.  dolours. 


78  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Et  pas  ne  sui  cause  de  vostre  anoy, 
Ce  m'est  avis,  si  que  souffrir  m'en  doy. 
Plus  ne  vous  say  que  dire,  en  bonne  foy  : 
548  Adieu  vous  di.  » 

Adont  de  moy  la  belle  se  parti 

Qui  de  si  grant  doleur  me  reparti 

Que  par  un  po  que  mes  cuers  ne  parti 
552  De  son  départ. 

Mais  la  douceur  de  son  plaisant  regart 

Par  son  dous  art  fist  que  j'en  os  regart  ; 

Qu'au  départir  de  moy,  se  Dieus  me  gart, 
556  Si  doucement 

Me  regarda  qu'il  m'iert  vis  proprement 

Que  ses  regars  me  disoit  vraiement  : 

«  Amis,  je  t'aim  très  amoureusement.  » 
56o  Si  que  je  fu 

Tous  confortez  par  la  noble  vertu 

De  ce  regart  qui  puis  m'a  tant  valu 

Qu'il  m'a  toudis  norri  et  soustenu 
564  En  bon  espoir. 

Et  s'il  ne  fust,  certeinnement  j'espoir 

Que  je  fusse  cheiis  en  desespoir, 

Mais  riens  qui  soit  ne  me  feïst  doloir, 
568  Quant  ses  regars 

Estoit  seur  moy  en  sousriant  espars, 

D45  C  Ne;  E  Qui;  F  suis  —  546  E  pour  ce  souffrir  —  547  CP 
Rien  ne  v.  say  plus  dire  —  55o  E  Qui  si  très  grant;  D  men  parti  ; 
CP  départi  —  55 1  £  po  le  mien  cuer;  KJ  po  li  cuers  (J  le  cuer) 
ne  me  parti  —  554  ^D  fis  ;  C  fist  que  vostre  regart  —  555  E  Au 
partir;  C  Que  au  partir;  KJ  Quant  départi  —  556  E  Car  si 
d.  —  557  J  met  vis  —  558  D  proprement  —  56o  D  jen  —  56s 
C  qui  tant  ma  puis  valu;  EP  q  .i  puiz  ma  tant  valu:  KJ 
trop  valu  —  563  E  Que  toudis  ma  n.;  P  tous  jours  —  567  KJ  PC 
qui  fust;  P  fist  tant  d.  —  568  ses  manque  dans  D  ;  CP  espars  — 
56q  KJ  Estoient;  P  Quant  sur  moy  ert  ;  KJ  moy  et  souucnt  et 
csp. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  79 

Si  que,  ma  dame,  einsi  de  toutes  pars 
Me  confortoit  et  aidoit  ses  regars 
572  De  ma  dolour. 

La  demouray  tous  seuls  en  grant  fréour, 
Si  qu'en  pensant  commensay  son  atour, 
Sa  grant  douçour,  sa  colour,  sa  valour 

576  A  remirer, 

Son  biau  maintieng,  son  venir,  son  aler, 
Son  gentil  corps,  son  gracieus  parler, 
Son  noble  port,  son  plaisant  regarder, 

58o  Et  son  viaire 

Qui  tant  estoit  dous,  humble  et  débonnaire 
Que  de  toute  biauté  fu  l'exemplaire. 
Et  quant  j'eus  tout  remiré  son  affaire, 

584  Certes,  j'avoie 

Moult  grant  déduit  et  moult  parfaite  joie, 

Et  pour  très  boneiireus  me  tenoie, 

Pour  ce,  sans  plus,  que  loiaument  l'amoie. 

588  Si  que  depuis 

A  li  servir  sui  si  tournez  et  duis, 

Qu'en  li  servir  s'est  mis  tous  mes  déduis, 

N'autre  labour  ailleurs  faire  ne  puis. 

392  Si  la  servi, 

Amay,  celay,  doubtay  et  obeï 

Moult  longuement,  que  riens  ne  me  meri. 

Mais  en  la  fin  tant  l'amay  et  chieri 


570  et  571  intervertis  dans  KJ  —  570  K  aussi  ;  M  toute  —  by  1 
D  et  ait  ses  r.  ;  K  ardoit  —  by3  J  errour  —  374  E  en  penser  — 
575  KJ  gr.  valour  sa  douceur  sa  colour  —  58 1  dous  manque 
dans  E  ;  D  humble  douz;  et  manque  dans  J  —  582  E  Et;  KJ 
bonté;  P  fust;  1  manque  dans  KJ  —  583  E  retraitie  —  585  D 
Mon  —  586  KJ  a  tresbien  eureuz;  D  tresbien  —  587  D  ce  que 
sans  plus  loy.  —  589  KJ  A  lui  amer  ;  K  fu;  JP  fui  —  590  KJ 
fu  mis  ;  E  ay  mis;  P  seruir  estoit  tous  —  592  P  le  —  5g3  CP 
doubtay  celay  —  594  KJ  men. 


80  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

596  Qu'elle  vit  bien 

Que  je  tendoie  a  s'onneur  et  son  bien, 
Et  que  mes  cuers  l'amoit  seur  toute  rien  ; 
Si  que  tant  fis  qu'elle  me  tint  pour  sien 

600  En  tel  manière 

Que  de  bon  cuer  riant,  a  lie  chiere, 
Me  dist  :  «  Amis,  vesci  t'amie  chiere 
Qui  plus  ne  vuet  envers  toy  estre  fiere; 

604  Qu'Amours  le  vuet, 

Qui  de  bon  cuer  ad  ce  faire  m'esmuet. 
Et  vraiement,  estre  autrement  ne  puet; 
Car  moult  grant  chose  a  en  faire  l'estuet. 

608  Pour  ce  m'amour 

Avec  mon  cuer  vous  doin,  sans  nul  retour; 
Si  vous  depri  que  vous  gardez  m'onnour, 
Car  je  vous  aim  dessus  tous  ethonnour.  » 

612  Et  quant  je  vi 

Que  ma  dame  m'appelloit  son  ami 
Si  doucement,  et  que  le  dous  ottri 
M'avoit  donné  de  s'amour,  sans  nul  si, 

616  Se  je  fui  liez, 

Douce  dame,  ne  vous  en  mervilliez. 
Car  j'estoie  devant  desconsilliez, 
Povres,  perdus,  despris,  et  essilliez, 

620  Sans  nul  ressort, 

Quant  je  failloie  a  son  très  dous  confort. 
Mais  recouvrez,  ressuscitez  de  mort, 
Riche  au  dessus,  pleins  de  grant  reconfort, 

597  CEKJ  son.  a  son  bien  —  601  C  Que  de  moi  riant;  E  du 
bon  C.J  P  cuer  loyal  a  lie  ch.;  E  a  bonne  chiere  —  6o5  KJ  me 
sueust  —  606  E  Et  pour  ce  questre  —  607  E  Et  quainsi  faire  le 
mesteut;  KJ  a  ce  faire  —  608  E  Du  tout  mamour  —  610  et  611 
intervertis  dans  D  —  6io£)pri  —  611  D  sus  —  61 5  de  manque 
dans  D  ;  D  fi  —  616  AFMBDC  Si  ;  C  Si  fu  moult  liez  ;  R  Je  fu  1. 
—  618  J  Car  estoie  —  621  D  son  dous —  Ô23  D  confort  ;  MJ  des- 
confort. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHA1NGNE  8l 

624  Et  sans  anoy 

Fui,  quant  me  dist  :  «  Amis,  a  ti  m'ottroy 
De  très  bon  cuer.  »  Et  ce  très  dous  ottroy 
Cent  mille  fois  me  fist  plus  grant  qu'un  roy  ; 

628  Si  que  la  joie 

Ne  porroit  nuls  raconter  que  j'avoie. 
Car  tant  fui  liez  que  je  ne  l'en  pooie 
Remercier  ne  parler  ne  savoie.  ' 

632  Mais  en  la  fin, 

Com  fins  loiaus  amoureus,  de  cuer  fin 
Espris  d'amer,  sans  penser  mal  engin, 
Moult  humblement  li  dis,  le  chief  enclin, 

636  Et  sans  effroy  : 

«  Dame  que  j'aim  plus  qu'autre,  ne  que  moy, 
En  qui  sens,  temps,  cuer,  vie,  amour  employ, 
Tant  com  je  puis,  nom  pas  tant  com  je  doy, 

640  Vous  remerci 

Dou  noble  don  de  vo  douce  merci. 
Car  tant  m'avez  puisamment  enrichi, 
Tant  resjoï,  si  gari,  tant  meri, 

644  Que  vraiement, 

Se  quanqu'il  a  dessous  le  firmament 
Et  quanqu'il  fu  et  sera,  quittement 
Me  fust  donnez  pour  faire  mon  talent, 
648  Je  ne  l'amasse 

Tant  de  cent  pars,  que  je  fais  vostre  grâce. 
Si  pri  a  Dieu  que  jamais  ne  metface 

623  DEP  toy;  C  a  ce  —  626  DEK  et  de  ;  KJ  tresbon  arroy  — 
627  KJ  fist  greigneur  quains  roy  ;  D  que  roy  —  63o  P  sauoie  — 
63 1  P  pooie —  533  KJ  Com  fu  loial  —  634  et  635  intervertis  dans 
E —  635  P  doucement  —  636  ./esroy  —  637  M  autrui  —  638  E 
c.  bien  a.;  P  vie  et  amour;  cuer  manque  dans  KJ;  KJ  vie  a  mort 
employ  —  640  D  Tant;  KJ  Je  vous  mercy —  641  M  noble  merci 
—  642  E  richement  ;  J  noblement    —  643   KJ   si  ame  si  gari  — 

645  a  manque  dans  D,  P  il  est  —  646  KJ  quanque  fu  —  647 
E  Mestoit  donne  —  649  P  cent  tans;  MBEK  com  je  fais  —  65o 
CM  prie;  C  que  je    jamais  ne   face;  P  que  jamez  rien  ne  face. 

Tome  I.  6 


82  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Chose  envers  vous  qui  nostre  amour  efface, 

652  Et  que  vo  vueil 

Puisse  acomplir,  einsi  com  je  le  vueil 
Faire,  humblement,  sans  hautesse,  n'orgueil. 
Car,  se  je  puis,  assez  mieus  que  ne  sueil, 

656  Vous  serviray 

Très  loiaument  de  cuer  et  ameray, 

Et  vostre  honneur  en  tous  cas  garderay, 

N'en  dit,  n'en  fait,  n'en  penser  ne  feray 

66o  Chose  envers  vous, 

N'envers  autrui  dont  vous  aiez  courrous  ; 
Einsois  serez  ma  dame  et  mes  cuers  dous, 
Mes  dieus  terriens,  aourez  dessus  tous; 

664  Et  sans  doubtance, 

Se  je  fais  riens  contre  vostre  plaisance, 

Ne  dont  vos  cuers  ait  courrous  ne  grevance, 

Sachiez  de  voir  que  c'iert  par  négligence. 

668  Ma  dame,  einsi 

La  merciay  com  vous  avez  oï, 
Dou  noble  don  de  sa  douce  merci. 
Et  elle  aussi  me  jura  et  plevi 

672  Moult  durement 

Qu'a  tous  jours  mais  m'ameroit  loiaument, 
Sans  moy  guerpiret  sans  département. 
Einsi  regnay  en  joie  longuement, 

676  Que  je  n'avoie 

Nulle  chose  qui  fust  contraire  a  joie, 


65 1  manque  dans  J;  E  que;  CDEK  vostre  ;  K  meftacc  —  652 
E  Si  —  653  C  aussi  com  je  sueil  —  654  P  dorgueil  —  657  E  et 
de  cuer  a.  —  65g  E  diz  nen  fais  —  661  D  autre;  KJ  aucun  — 
663  K  Mais;  KJ  dieux  en  terre;  C  dieus  humains;  E  honnoures; 
KJ  orez  par  dessus  tous  —  665  KJ  Se  je  meffais  encontre  vo  pi. 

—  666  P  Dont  ;  E  ait  doulour  ;  D  ait  ne  doulour  ;  P  ne  courrous 

—  667  DE  vray;  KJ  cest;  KJ  ignorance  —  669  E  Len;  P  Le; 
D  comme  —  671  D  ainssi  ;  P  a  pleui  —  672  MC  doucement; 
KJ  humblement—  675  A  resnay  —  677  C  Quelle. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE      83 

Mais  envoisiez  et  reveleus  estoie, 
Jolis  et  gais,  trop  plus  que  ne  soloie; 

680  Et  c'estoit  drois 

Qu'a  mon  pooir  fusse  gens  et  adrois, 
Car  par  cuidier  estoie  en  tous  endrois 
Li  mieus  amez  des  amans  et  li  rois. 

684  Mais  quant  Fortune, 

La  desloial,  qui  n'est  pas  a  tous  une, 
M'ot  si  haut  mis,  com  mauvaise  et  enfrune, 
Moy  ne  mes  biens  ne  prisa  une  prune; 

688  Eins  fist  la  moe, 

Moy  renoia  et  me  tourna  la  joe, 
Quant  elle  m'ot  assis  dessus  sa  roe, 
Puis  la  tourna,  si  cheï  en  la  boe. 

692  Mais  ce  fist  elle, 

La  traître,  toudis  preste  et  isnelle 

De  ceaus  traïr  qu'elle  met  dessous  s'elle, 

Pour  ce  que  Dieus  et  Nature  la  belle, 

696  Quant  il  formèrent 

Celle  que  j'aim,  si  fort  se  délitèrent 

En  la  très  grant  biauté  qu'il  li  donnèrent 

Que  loyauté  a  mettre  y  oublièrent. 

700  Et  bien  y  pert  ; 

Que  je  say  bien  et  voy  tout  en  apert 

Que  ma  dame,  qui  tant  a  corps  apert, 

Que  mes  cuers  crient,  aimme,  obeïst  et  sert, 

704  A  fait  ami 

Nouvellement,  sans  cause,  autre  que  mi. 


678  EKJP  renuoisiez;  CP  et  resueilliez;  KJ  et  amoureux;  D 
et  enuoieus  —  680  M  Et  sest.  —  681  KJ  fusse  {K  feisse)  jeux 
esbanois  ;  E  et  drois  —  685  E  que  —  686  E  comme  mauuaise 
enfrune;  D  enfronne  —  689  D  roe  —  691  K  Plus  ;  E  et  chei  — 
693  E  Le  traitre  conduis  prest  et  ynele;  F  traite;  P  tous  jours 
—  694  K  met  dessoulz  sesselle;  J  met  souz  sesselle  ;  B'  dessuz 
elle  —  697  E  si  bien  ;  KJ  si  del.  —  699  E  Car  —  701  CK  Car  — 
7o5  E  de  my. 


84  LE   JUGEMENT   DOU    ROY    DE   BEHA1NGNE 

Si  que,  dame,  se  je  pleure  et  gémi 
Parfondement  et  di  souvent  :  «  Aimy!  », 

708  N'est  pas  merveille, 

Quant  sa  fine  biauté  qui  n'a  pareille 
Et  sa  colour  vive,  fresche  et  vermeille, 
Et  son  très  dous  regart  qui  me  traveille, 

712  M'ont  eslongié, 

Et  qu'elle  m'a  dou  tout  donné  congié 
Et  de  tous  biens  privé  et  estrangié. 
Helas  !  comment  aroie  je  cuer  lié? 

716  Et  a  grant  tort 

M'a  retollu  ma  joie  et  mon  confort, 
Et  si  m'a  mis  en  si  grant  desconfort 
Que  je  say  bien  que  j'en  aray  la  mort; 

720  Ne  riens  deffendre 

Ne  m'en  porroit,  nés  un  seul  confort  rendre. 
Mais  ce  qui  fait  mon  cuer  partir  et  fendre, 
C'est  ce  que  je  ne  me  say  a  qui  prendre 

724  De  mon  anui. 

Car  il  m'est  vis,  se  par  Fortune  sui 
Jus  dou  degré  ou  jadis  montez  fui 
Par  li  en  qui  je  ne  me  fi,  n'apui, 

728  A  dire  voir, 

Que  nul  mal  gré  ne  li  en  doy  savoir, 
Car  elle  fist  dou  faire  son  devoir, 
N'elle  ne  doit  autre  mestier  avoir 

732  Fors  de  traïr 

Ceaus  qu'elle  voit  monter  et  enrichir, 


706  E  ma  Jame  —  707  E  et  souucnt  dy  —  709  M  Que  —  710 
KJ  Las  et  corn.;  CDKJP  a.  le  cuer;  M  je  le  cuer  —  716  C  Car 
—  717  C  Ma  tolu  ;  KJ  Ma  joie  ma  tolu;  E  déport  —  718  et  719 
intervertis  dans  KJ  —  721  BD  ne;  P  non;  KJ  ne  nul  bon  con- 
seil rendre  —  722  E  que  ;  D  quil  ;  KJ  pâlir  et  frandre  {J  frein- 
dre);  C  rendre  —  723  KJ  plaindre  —  723  P  que  par  f.  —  726 
A"  du  dangier;  Dsui  —  727  KJ  je  me  ne  et  apui  —  728  K  Au  — 
732  KJ  Que    —  733    CDKJP  fait  monter. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  85 

Et  de  faire  le  bas  en  haut  venir, 

N'elle  ne  puet  personne  tant  chierir 
736  Que  seurté 

Li  face  avoir  de  sa  bonneûrté, 

Soit  de  joie,  soit  de  maleùrté, 

Que  sus  ou  jus  ne  l'ait  moult  tost  hurté. 
740  C'est  sa  nature  : 

Si  bien  ne  sont  fors  que  droite  aventure; 

Ce  n'est  qu'uns  vens,  une  fausse  estature; 

Une  joie  est  qui  po  vaut  et  po  dure  ; 
744  C'est  fols  s'i  fie  ! 

Chascun  déçoit  et  nelui  ne  deffie. 

Et  se  je  di  que  la  mort  qui  m'aigrie 

Puis  demander  a  ma  dame  jolie, 
748  Par  quel  raison 

Le  feray  je,  ne  par  quel  occoison? 

Elle  s'est  mise  en  la  subjection 

D'Amours  a  qui  elle  a  fait  de  li  don 
752  Entièrement, 

Et  vuet  qu'elle  ait  très  souvereinnement, 

Com  ses  souvreins,  seur  li  commandement 

Si  qu'el  ne  puet  contrester  nullement 
756  A  son  plaisir, 

Eins  li  couvient  en  tous  cas  obeïr. 

Dont,  se  ma  dame  a  plaisance  et  désir 

De  moy  laissier  pour  un  autre  enchierir, 


7I14  CKJ  en  haut  les  bas;  E  les  bas  —  736  E  securte  —  739 
K J  sus  an  {J  au)  niant;  M  laist;  K  heurte  —  742  E  Si;  DE 
que;  KJ  qun  veux;  P  quune;  KJ  estadure  —  743  est  manque 
dans  EKJ  —  746  E  Et  si  di  je;  D  Et  si  dit;  KJ  Et  se  di; 
BDEKJ  magrie  —  747  KJ  Vueil  d.  a  dame  —  748  E  Pour  — 
749  P  et  par  ;  B'DKJP  achoison  —  750  KJ  Quelle  soit;  E  sub- 
mission —  753  KJ  quil  —  754  KJ  Com  ses  seruans;  P  Com 
souuerainnc;  A  souuereins  —  755  CDE  quelle —  757  KJ  Qui  — 
757  et  758  intervertis  dans  KJ  —  jbg  KJP  chierir  (J  chérir); 
DE  enrichir. 


86  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

760  Ce  fait  Amour, 

Nom  pas  ma  dame,  en  qui  tout  a  valour; 
Car  elle  fait  son  devoir  et  s'onnour 
D'obeïr  a  son  souverein  signour. 

764  Si  qu'il  m'est  vis, 

Quant  par  Amour  d'amer  estoie  espris, 
Qu'en  ce  faisant  Amours  a  plus  mespris 
Par  devers  moy  que  ma  dame  de  pris, 

768  C'est  a  entendre, 

S'Amours  pooit  par  devers  moy  mesprendre. 
Mais  nullement  je  ne  puis  ce  comprendre; 
Car  longuement,  com  douce  mère  et  tendre, 

772  M'a  repeû 

De  ses  dous  biens  au  mieus  qu'elle  a  peu, 
Ne  je  n'ay  pas  encor  aperceû, 
Pour  nul  meschief  que  j'aie  receii, 

776  Que  tout  adès 

Elle  ne  m'ait  com  amie  esté  près 

Et  qu'el  ne  m'ait  servi  de  tous  mes  mes, 

De  plours  devant  et  de  souspirs  après. 

780  C'est  ma  viande  ; 

Mes  appetis  plus  ne  vuet  ne  demande, 
Ne,  par  m'ame,  riens  n'est  a  quoy  je  tende 
Fors  seulement  a  ce  que  mes  cuers  fende. 

784  Einsi  Amour 

Croist  en  mon  cuer  au  fuer  de  ma  dolour, 
Ne  ne  s'en  part,  ne  de  nuit,  ne  de  jour, 


760  J  amours  —  761  CDEP  tant;  KJ  toute  v.  -  762  KJ  Maint 
quelle  ;  E  son  désir  —  763  FM  souurein  —  764  E  auis  —  7C5  M 
dame  jestoie;  E  estoit  —  766  E  Quay  —  769  KJ  entendre  — 
770  C  puis  recomprendre  —  771  E  mère  tendre  —  77?  M  ces 
—  775  KJ  Par;  FM  meschies;  D  jai;  E  apperceu  —  778  BDCE 
elle  ;  KJ  met  —  779  D  auant  —  781  EKJP  vueil  —  782  C  Ne  ma 
vie  rien  nest;  E  a  qui  jentende;  D  a  quoy  entende  —  783  KJ 
tende  —  785  en  manque  dans  E  ;  D  a  fuer  de  d.;  KJ  cuer  moult 
crueuse  d. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  87 

Eins  me  compaingne  en  mon  dolereus  plour 
788  Par  sa  bonté; 

Si  que  je  di  que  c'est  grant  amisté 

Qui  m1a  esté  mère  en  prospérité, 

Et  encor  est  en  mon  adversité. 
792  Si  ne  me  puis 

Plaindre  de  li,  se  trop  mauvais  ne  suis, 

Car  sans  partir  de  moy  toudis  la  truis. 

Ne  je  ne  suis  mie  par  li  destruis; 
796  Qu'elle  ne  puet 

Muer  les  cuers,  puis  que  Dieus  ne  le  vuet. 

Car  quant  Dieus  fist  ma  dame  qui  me  suet 

Clamer  ami,  dont  li  cuers  trop  me  duet, 
800  S'il  et  Nature, 

Quant  il  rirent  sa  biauté  fine  et  pure, 

Plaisant  a  tous  seur  toute  créature, 

Eussent  lors  en  sa  douce  figure 
804  Loyauté  mis, 

Je  fusse  encor  appeliez  ses  amis, 

Et  ses  cuers  qui  tant  bien  m'avoit  promis 

N'eust  jamais  esté  mes  anemis. 
808  Pour  ce  di  qu'en  ce 

Nature  et  Dieus  feïrent  ignorance, 

Sauve  l'onneur  d'eaus  et  leur  révérence,    ■ 

Quant  il  rirent  si  très  belle  samblance 
812  Sans  loyauté. 


787  KJP  macompaingne  ;  D  me  comprent  en  moy  d.  —  790 
KJP  Quel  —  791  E  est  encore  —  792  M  Je  ne  men  p.  —  793  KJ 
si  tresmauuais  —  794  KJ  Quamie  et  près  de  moy  —  797  C  le 
cuer  ;  KJ  depuis  que  dieux  (./dieu)  le  veult  —  798  KJ  mestuet 
—  800  KJ  Quil;  D  est  —  801  KJ  f.  samblance  —  802  E  PI.  sur 
toutes  a  toute  cr.  —  806  E  tant  des  biens;  CKJP  qui  maint  (K 
moût;  J  mont)  bien  mauoit  pr.  —  808  KJ  Si  di  ;  E  quausse  — 
809  C  si  firent  ;  EKJP  firent  grant  ign.  {KJ  oubliance)  ;  D  furent 
en  ign.  —  810  D  et  de  leur  —  811  P  il  fourmerent  si  très  douce 
s.;  E  tresnoble. 


88      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Car  s'elle  eust  cent  fois  meins  de  biauté, 
Et  elle  fust  loial,  la  grant  bonté 
De  loiauté  l'etist  plus  honnouré 
816  Que  s'elle  fust 

Cent  mille  fois  plus  belle  et  mieus  pleiist; 
Et  en  tous  cas  trop  mieus  plaire  deùst, 
Pour  ce  qu'en  li  riens  a  dire  n'eûst. 
820  Si  que  je  croy 

Qu'a  bonne  Amour,  a  Fortune,  n'a  soy 
Riens  demander  de  mes  dolours  ne  doy. 
Et  en  puis  je  riens  demander  a  moy? 
824  Certes  oïl  ! 

Car  je  me  mis  de  richesse  en  essil, 
De  seiïrté  en  un  mortel  péril, 
De  joie  en  dueil,  par  son  regart  soutil, 
828  Et  de  franchise 

En  servitute  ou  on  n'aimme,  ne  prise 
Moy,  ne  m'onnour,  m'amour,  ne  mon  servise, 
Ne  ma  vie  vaillant  une  cerise. 
832  Et  nompourquant, 

Il  m'est  avis  que  pas  ne  mespris,  quant 
Je  l'enamay,  qu'en  ce  monde  vivant 
N'avoit  dame  qui  fust  si  excellent, 
836  Ce  disoit  on. 

Si  devins  siens  en  bonne  entention, 
Ne  jamais  n'i  cuidasse,  se  bien  non, 
Pour  la  grandeur  de  son  très  bon  renon 
840  Qui  m'a  destruit. 

81 5  J  Sa;  P  amonte  —  817  E  Mil  cent  foiz;  M  mil  —  818  KJ 
En  irctous  ;  D  Car  ;  J  et  mieus;  E  faire  —  819  D  que  —  KJ  ajou- 
tent après  le  v.  Si  g  les  vers  848-855  —  821  E  Car;  DEP  na  f.  — 
823  KJ  Et  puis  —  825  C  a  essil  —  827  C  par  un  reg.;  KJ  son 
engin  —  828  KJ  servise  —  829  KJ  en;  C  en  aimme  —  83o  A  ne 
mes  biens;  C  ne  mon  cuer  —  833  CE  tant  —  834  KJ  ce  siècle 
—  835  ME  fu;  E  plus  exe;  AV  si  suffisant  —  836  D  Et  —  83g 
KJ  tresgrant. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  89 

Mais  ce  n'est  pas  tout  d'or  quanque  reluit, 
N'on  ne  doit  pas  tant  amer  son  déduit 
Qu'on  ne  s'en  puist  retraire,  quant  il  cuit. 

844  Et  se  je  fusse 

Tous  li  mieudres  dou  mont,  je  n'esleusse 
Autre  que  li,  ne  mieus  je  ne  peiïsse, 
Se  loyauté  en  li  trouvé  eusse. 

848  Si  ne  m'en  say 

Que  demander  et  a  qui  m'en  penray 

Des  griés  doleurs  et  des  meschiés  que  j'ay. 

S'on  m'en  demande,  a  tous  responderay 

852  Qu~  c'a  fait  Dieus 

Et  Nature;  dont  c'est  meschiés  et  dieus, 
Quant  il  firent  son  corps  en  trestous  lieus 
Si  bel,  si  gent,  si  dous,  qu'on  ne  puet  mieus, 

856  S'il  fust  loiaus. 

Si  me  penray  a  eaus  deus  de  mes  maus? 
Je  non  feray,  car  il  me  sont  trop  haus, 
Eins  soufferray,  c'est  mes  milleurs  consaus, 

860  D'ore  en  avant. 

Or  vous  ay  dit  la  manière  comment 
Amours  me  flst  estre  loial  amant, 
L'estat,  la  guise  et  tout  le  couvenant, 
864  Ce  qui  m'avint, 

Gomment  pris  fui,  comment  on  me  retint, 

841  CKJP  tout  or;  AFMC  quanqui;  Jluist—  842  COn;E  tout 

—  843  manque  dans  F  {parchemin  déchiré);  C  se;  C  on  cuit;  KJ 
est  cuit  ;  E  ains  quil  cuit—  844-847  manquent  dans  KJ  —  845  E 
Com  le  meilleur  du;  C  ou  mont  ;  D  monde;  E  ne  eusse  —  848 
KJ  Ainsi  nen  say  —  84g  D  ne  a  qui  ;  KJ  ne  a  qui  men  plaindray 

—  85o  KJ  grans  ;  E  du  meschief  —  85 1  D  me  ;  B'DEP  je  respon- 
dray;  C  en  respondray;  KJ  a  trestous  respondray  —  852  J  la; 
P  ce  f.  —  854  D  en  tous  lieu  —  855  BDE  si  dous  si  gent;  P  Si 
bel  si  bon  si  gent  —  857  M  men  ;  E  a  tous  ;  D  a  cez  —  858  D  nen 
859  K  Mes  —  860  manque  dans  J;  D  Doresenauant  —  865  D 
Comme  prins  sui  ;  CEKJ  tu. 


90  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Comment  de  moy  ma  dame  ne  souvint, 
Les  biens,  les  maus  qu'endurer  me  couvint 

868  Jusqu'au  jour  d'ui, 

Comment  je  n'ay  aïe  de  nelui, 
Comment  vengier  ne  puis  mon  grief  anui, 
Dont  a  par  mi  me  mourdri  et  destrui; 

872  Si  que  je  di, 

Se  bien  m'avez  entendu  et  oy, 

Que  la  doleur  dont  en  morant  langui, 

Qui  mon  viaire  a  desteint  et  pâli 

876  Par  sa  rigour, 

Est  de  vos  maus  cent  mille  fois  gringnour; 
Car  fine  joie  et  parfaite  douçour 
Sont  vostre  mal  encontre  la  dolour 

880  Qui  me  martire  ». 

—  «  Certes,  sire,  pas  ne  vous  vueil  desdire 
Que  vous  n'aiez  moult  de  dolour  et  d'ire, 
S'einsi  perdez  ce  que  vos  cuers  désire. 

884  Mais  toute  voie, 

Il  m'est  avis,  et  dire  l'oseroie, 

Considéré  vo  dolour  et  la  moie, 

Qu'il  a  en  vous  meins  dolour  et  plus  joie 

888  Qu'il  n'ait  en  moy. 

Si  vous  en  vueil  dire  raison  pourquoy  : 
Vous  m'avez  dit  que  vous  amez  en  foy 
Ceste  dame  qui  tant  vous  fait  d'anoy, 

892  Et  amerez 


866  BD  ma  dame  de  moy;  B'  ajoute  rien  entre  moy  et  ne  — 
868  A  a  —  869  MDKJP  aide  —  Dans  C  l'ordre  des  vers  est  le 
suivant  :  871,  870,  869,  872;  dans  P  869,  871,  le  vers  870  man- 
que; après  le  vers  871  on  lit  :  Et  si  ny  voy  ne  secours  ne  refui 
—  870  E  grant  —  871  A  mourdris:  me  manque  dans  D  —  87b  J 
destraint;  C  destruit  —  876  KJ  vigour  —  881  C  biau  sire;  M 
pas  je  ne;  E  veul  dire  —  883  J  Ainssi  —  887  D  maint  doulour — 
888  DEKJP  na  —  889  D  veul  rendre  —  890  vous  manque  dans 
M;  D  vous  amee;  en  foy  manque  dans  B. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE      CI 

De  loial  cuer,  tant  comme  vis  serez. 
Et  puisqu'il  est  einsi  que  vous  Tamez, 
Certes,  je  croy  que  s'amour  desirez. 

896  Car  avenir 

Voy  po  souvent  qu'amours  soit  sans  désir, 
Ne  que  désirs  d'amours  se  puist  souffrir 
D'espérance;  et  s'avez  souvenir 

900  Aucune  fois. 

Dont,  quant  vos  cuers  est  par  désir  destrois, 
Il  vous  souvient  de  la  belle  aus  crins  blois, 
Dont  vous  avez  des  pensers  plus  de  trois. 

904  Si  ne  puet  estre 

Que  vous  n'aiez  aucun  penser  qui  nestre 
Aucune  joie  face  en  vous,  qui  remestre 
Fait  la  dolour  qui  si  vous  tient  a  mestre, 

908  Si  qu'a  la  fie 

Par  souvenir  avez  pensée  lie 

Qui  vo  dolour  espart  et  entroublie. 

Mais  la  mienne  jour  et  nuit  monteplie 

912  Sans  nul  séjour, 

Et  toudis  croist  li  ruissiaus  de  mon  plour, 
N'avoir  ne  puis  pensée  par  nul  tour, 
N'esperance  de  recouvrer  m'amour. 

916  Mais  par  servir, 

Par  honnourer,  par  celer,  par  cremir, 

8g3  KJ  comme  vous  viurez  —  8g5  manque  dans  F  (parchemin 
déchiré)  —  897  KJ  Voit  on  s.  que  mort;  P  quamans;  D  sont  — 
901  M  désirs  —  902  la  manque  dans  J;  FM  as  ,*  E  clins  ;  F  blons 
—  9o3  P  auez  pensées  —  904  E  peust  —  go5  A  que  —  906  KJ 
Aucune  fois  en  vous  faut  qua  remetre  (K  que  remerte)  ;  C  en 
vous  fait  ;  BD  fait  ;  qui  manque  dans  E  —  906  et  907  intervertis 
dans  KJ  —  907  Fait  manque  dans  E  ;  E  ci  ;  si  manque  dans  D; 
B'  qui  vous  tient  comme  mestre  ;  KJ  tient  et  mètre  —  911  KJP 
la  moie  ;  ME  KJP  nuit  et  jour  —  912  P  Et  sanz  s.  —  91 3  E  lui 
ruisseaux  —  914  K  par  ma  tour  —  917  manque  dans  P;  KJ 
Par  bien  amer  et  du  cuer  obéir;  D  honnour  ;  DE  par  seruir 
par  cr. 


92  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Par  endurer  liement  et  souffrir, 

Par  bien  amer  de  cuer  et  obeïr 
920  Très  humblement 

Pouez  encore  avoir  aligement, 

Joie  et  l'amour  de  celle  ou  vos  cuers  tent. 

Si  que  je  di  que  j'ay  plus  de  tourment. 
924  Et  moult  visible 

Est  la  raison,  ce  m'est  vis,  et  sensible  : 

Car  de  ravoir  vo  dame,  c'est  possible; 

Mais  mon  ami  ravoir,  c'est  impossible 
928  Selonc  nature  ». 

—  «  Dame,  d'onneur,  de  sens  et  de  mesure 

A  plus  en  vous  qu'en  autre  créature; 

Car  par  vo  sens  mis  a  desconfiture 
932  Moult  tost  seroie, 

S'a  vos  raisons  respondre  ne  pooie. 

Car  vraiement,  faire  ne  le  saroie 

Si  sagement,  com  mestier  en  aroie. 
936  Mais  repeter 

Vueil  vos  raisons,  se  j'y  puis  assener. 

Vous  arguez  que  j'aimme  sans  fausser 

Et  ameray,  tant  com  porray  durer, 
940  Sans  repentir; 

Et  puis  que  j'aim,  il  faut  qu'aie  désir 

Qui  ne  se  puet  déporter  ne  souffrir 

D'espérance  ;  et  si  ay  souvenir 


918  C  et  par  s.  —  919  KJ  Et  par  franchise  cuer  et  corps  H  {K 
lui)  offrir;  A  oubeir  —  Après  le  vers  919  P  ajoute  :  Et  de  vo 
dame  faire  tout  le  plaisir.  —  921  D  auoir  encore  —  922  E  et 
amour  —  923  D  Si  di  je  que  ;  E  jay  moult  —  924  D  Tretout  v. 
—  925  E  est  ;  M  visible  —  926  E  vostre  dame  est  —  927  c  man- 
que dans  KJ  —  g3o  P  nulle  créature  —  933  MCBDKJ  sauoie  — 
934  DK  Et;  le  manque  dans  J  ;  C  pourroie  —  g33  C  comme  — 
937  D  se  puis  y  ass.;  E  se  je  puis;  KJP  jy  scay  ass.  —  939  C 
puisse  —  940  KJ  repartir  —  941  P  Et  puis  quil  faut  que  je  aie 
désir;  EKJ  que  je  désir  ;D  que  jaie. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  93 

944  Qui  esmouvoir 

Me  fait  souvent  a  maint  penser  avoir. 
Certes,  dame,  ce  vous  ottroi  pour  voir, 
Fors  seulement  que  je  n'ay  point  d'espoir. 

948  Mais  sachiez  bien, 

Dame,  comment  qu'il  n'ait  partout  que  bien, 
Qu'en  ce  vostre  entendement  et  le  mien 
Ne  se  joingnent,  ne  acordent  en  rien, 

962  Eins  sont  contraire, 

Einsi  com  je  le  vous  pense  a  retraire, 
Quant  poins  sera.  Mais  ce  ne  vueil  pas  taire 
Que  vous  dites  qu'encor  puis  je  tant  faire 

936  Par  honnourer, 

Par  bien  servir,  par  souffrir,  par  doubter, 
Par  obéir,  par  loiaument  amer, 
Qu'en  joie  puis  ma  dame  recouvrer. 

960  Maisceseroit 

Moult  grant  maistrie  au  garder  qui  l'aroit. 
Car  en  un  lieu  son  cuer  n'arresteroit 
Nés  que  feroit  un  estuef  seur  un  toit. 

964  Et  vostre  amour, 

Qui  tant  avoit  de  pris  et  de  valour, 
Ne  pouez  mais  recouvrer  par  nul  tour, 
Dont  vous  avez  veinne  et  pale  colour. 

968  Si  qu'einsi  dites 

Que  mes  dolours  sont  assez  plus  petites 
Que  les  vostres,  dont  je  ne  sui  pas  quites, 


945  KJP  et  maint  —  946  P  je  vous —  950  D  Que  se  ;  E  Quen 
vostre  —   951    DP  de  rien  —  953  P  les  ;  vous  manque  dans  E 
a  manque  dans  C —  9^4  EP  Quant  temps  ;  C  mais  pas  ce  ne  v.  t., 
P  mais   ne  me  v.  pas  t.;  E  pas  atraire  —  957  D  A  ;  E  par  celler 

—  958  E  Pour  o.  et  1.  —  95g  P  Quencores  ;  D  de  mamour  rec. 

—  961  KJ  gr.  chose  ;  P  maistrise  ;  DEKJ  a  g.  —  962  D  en  bon 
lieu  ;  KJ  ne  sesteroit  —  96?  DK  Ne  ;  P  estuet  ;  C  doit  —  969  E 
doulcours. 


94      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Ne  que  pas  n'ay  acquis  par  mes  mérites. 
972  Si  respondray 

A  ces  raisons  au  mieus  que  je  porray, 

Et  sus  chascune  un  po  m'arresteray  ; 

Si  en  diray  ce  que  j'en  sens  et  say 
976  De  sentement. 

Dame,  il  est  voirs  que  j'aim  très  loiaument 
Ce  qui  me  het,  c'est  ma  dame  au  corps  gent, 
Qui  est  ma  mort  et  mon  destruisement, 

980  Quant  je  li  voy 

Autrui  amer,  et  n'a  cure  de  moy 

Qu'elle  deust  amer  en  bonne  foy, 

Si  qu'a  peinne  que  tout  ne  me  marvoy 

984  De  ceste  amour. 

Car,  s'elle  amast  ma  vie,  ne  m'onnour, 
•    En  la  doleur  ou  je  vif  et  demour 
Ne  me  laissast  languir  l'eure  d'un  jour 

988  Pour  tout  le  monde; 

Mais  en  vertu  font  monteplier  l'onde 
De  la  doleur  qui  en  mon  cuer  habonde 
Amours  premiers  et  ma  dame  seconde. 

992  Pour  ç'ay  désir. 

Mais  quels  est  il?  Il  est  de  tost  morir, 
Car  il  n'est  riens  qui  me  peiist  venir 
Dont  je  pelisse  espérer  le  garir. 

996  Et  se  j'avoie 

971  D  pas  nen  ay  ;  K  apris  ;  par  manque  dans  E  ;  mes  manque 
dans  C  —  973  KJ  ses;  K  saray  —  975  K  Et;  KP  je  sens  —  977 
E  yray  ;  KJ  jaimc  loyaument  —  979  KJ  est  mamour  ;  C  deffine- 
ment  —  980-983  Ces  vers  ne  se  trouvent  que  dans  CEKJPR  — 
983  E  painez  ;  me  manque  dans  E  ;  R  que  tout  mort  ne  me  voy 
—  985  P  et  ma  vie;  CP  et  mo.;  D  mon  honnour  —  989  P  en 
dolour,  à  la  marge  en  vertu;  RJ  vertus;  E  fait  —  990  manque 
dans  KJ  —  Après  le  vers  991  KJ  ajoutent  :  Corps  joint  joli  jeune 
deue  faconde  —  992  D  cy  —  993  E  Et:  EKJ  fenir  —  994  KJ  r. 
dont  il  me  puist  v.  —  995  J  puisse. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  95 

L'amour  de  li  mieus  que  je  ne  soloie, 

Ne  say  je  pas,  se  je  m'i  fieroie. 

Certes,  nennil  !  Pourquoy  ?  Je  n'oseroie. 
iooo  Car  nourreture, 

Si  com  on  dit,  veint  et  passe  nature, 

Et  toudis  va,  s'il  ne  se  desnature, 

Li  leus  au  bois;  c'est  la  vérité  pure. 
1004  Et  par  ce  point 

En  mon  désir  d'espérance  n'a  point, 

Mais  en  li  gist  desespoir  si  apoint 

Que  je  seray  matez  en  l'angle  point 
1008  Dou  souvenir 

Que  vous  dites,  qui  fait  en  moy  venir 

La  pensée  qui  me  fait  resjoïr. 

Certes,  de  lui  ne  puis  jamais  joïr, 
1012  Ne  n'en  joï, 

Ne  ne  le  vi,  ne  senti,  ne  oi, 

Puis  que  ma  dame  ot  fait  nouvel  ami  ; 

Car  adonques  se  parti  il  de  mi. 
1016  Si  vueil  prouver 

Que  c'est  la  riens  qui  plus  me  puet  grever 

Et  qui  plus  fait  mon  cuer  désespérer 

Que  souvenir.  Vous  savez,  et  est  cler, 
1020  Chascuns  le  voit, 

Que,  se  jamais  il  ne  me  souvenoit 


997  EKJ  de  lui  (K  li)  ainsi  com  je  soloie  —  999  D  C.  je  nen- 
nil; F  nanil;  KJ  je  ne  pourroie  —  Les  vers  1000- 1047  ne  se  trou- 
vent que  dans  CEKJPR  —  1001  Ce.  len  ;  on  manque  dans  J  — 
1002  C  tousjours  —  ioo3  KJ  ou  ;  P  de  sa  propre  nature,  à  la 
marge  cest  la  vérité  pure;  la  manque  dans  C  —  ioo5  E  Eus  — 
1006  PR  a  li  {R  lui)  joint  d.;  C  a  lui  tout  d.  —  1007  KP  jen  ;  R 
mat  ou  aueugle  a  p.  —  1008  KJ  Dont  —  1009  R  quil  —  1010  C 
ma  —  101 1  C  ne  puisse  mais  ;  P  ne  puiz  je  mes  joir  —  1012  P 
3e;KJ  Ne  ne  —  ioi3  C  Ne  uere  (sic);  KJ  ne  oy  ne  senti—  ioi5 
KJ  adont;  KJ  p.  el  demi  —  1019  E  s.  cest  tout  cler;  KJ  que 
cest  cler  ;  R  vous  le  veez  au  cler. 


96  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAIXGNE 

De  ma  dame  qui  me  tient  si  destroit, 

Que  ma  doleur  oubliée  seroit. 
1024  Et  s'elle  estoit 

Oubliée,  Poubliance  feroit 

Qu'elle  dou  tout  morroit  ou  cesseroit; 

Et  ce  garir  de  tous  maus  me  porroit. 
1028  Mais  qu'avient  il  ? 

Cils  souvenirs,  par  son  engin  soubtil, 

Me  ramentoit  le  viaire  gentil 

Et  le  gent  corps  pour  qui  mon  cuer  essil, 
io32  Mes  engendrez, 

Nez  et  fenis  est  et  continuez 

Tous  en  doleur.  Pour  quoy?  Pour  ce  qu'amez 

Cuiday  estre,  quant  amis  fui  clamez 
io36  Très  doucement. 

Helas!  dolens  !  or  est  bien  autrement, 

Quant  ma  dame  aimme  autre  nouvellement. 

Et  puet  on  pis,  dame,  s'on  ne  se  pent? 

1040  Certes,  nennil  ! 

Car  c'est  pour  mettre  un  amant  a  essil  ; 
N'eschaper  hors  de  si  mortel  péril 
N'en  devroit  pas  un  d'entre  cinq  cent  mil. 
1044  Dont  il  avient 

Par  maintes  fois,  quant  de  ce  me  souvient, 

1022  E  qui  moult  me  t.  destr.;  KJP  t.  moult  destroit;  R 
moult  estroit  —  1023  PMa  grant  dolour;  E  ma  dame —  1023  C 
loyauté  feroit;  KJR  seroit  —  1026  KJ  moctroit  ou  seleroit  — 
1027  R  Ainsi;  P  ne  p.  ;  CPR  pouoit  —  1029  R  Se  —  io3o  R  la 
manière  —  io3i  Et  manque  dans  R:  P  le  corps  gent  ;  KP  par 
qui;  P  mon  corps;  KJ  au  cuer;  R  p.  quoi  le  mien  en  exil  — 
io32  E  Met;  KJ  Maist;  R  Mest—  io33  R  Naist  —  1034  E  do- 
lours;  pourquoi  manque  dans  E  —  io35  C  Cuidoie  ;  KJ  bien 
estre  —  io36  EKJ  humblement  —  1037  CP  d.  et  ore  est  a.  — 
io38  KJP  Que —  io3g  manque  dans  A'./;  R  qui  ne  se  p.  —  Les 
vers  1041-1043   dans  KJ  sont  remplaces  par  les  vers  1805-7  — 

1041  P  en  exil  —  1042  P  dun  tel   mortel  —   1043   E  Ne;  EPR 
entre;  cinq  manque  dans  R  —    1044  KJ   Et. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  97 

Que  mes  las  cuers  dedens  mon  corps  devient 
Si  dolereus  que  pasmer  me  couvient. 

1048  Et  se  pensée 

Par  souvenir  est  en  moy  engendrée, 
Quelle  est  elle?  Elle  est  desconfortée, 
Triste,  mourne,  lasse  et  désespérée. 

io52  Et,  par  ma  foy, 

Je  n'ay  penser  qui  ne  soit  contre  moy  ; 
Et  si  le  pren  au  pis.  Savez  pour  quoy  ? 
Pour  ce  qu'aler  ma  dame  en  change  voy. 

io56  Et  se  la  joie 

Que  j'avoie,  quant  en  sa  grâce  estoie, 
Ne  fust  plus  grant  que  dire  ne  saroie, 
N'ymaginer  ne  penser  ne  porroie, 

1060  La  grief  dolour 

Qui  me  destreint  en  fust  assez  menour. 
Mais  de  tant  plus  que  j'eus  joie  grignour, 
De  tant  est  plus  crueuse  ma  langour. 

1064  Et  que  ravoir 

Puisse  ma  dame,  ou  je  n'ay  nul  espoir, 

Ymaginer  ne  le  puis,  ne  vëoir. 

Se  vous  diray  ce  qui  m'i  fait  doloir  : 

1068  Dame,  il  me  samble 

Qu'une  chose  qui  se  part  et  assamble 
En  pluseurs  lieus,  et  avec  c'elle  tramble 
Et  n'arreste  ne  que  fueille  de  tramble, 

1072  Et  n'est  estable, 


1046  AV  sesteint  —  1049  M  Par  mo>'  —  io5i  CP  T.  lasse 
mourne  (C  morte)  —  io53  E  pensée  —  10^4  A  se;  BD  se  je  le 
—  io55  FMCJ  au  change  —  1060  E  Ma  —  1061  C  destruit  ;  E 
destaint;  EKJ  et  fait  assez  —  1062  D  tant  pris;  E  corn  jay;  KJ 
com  la  joie  iert  —  io63  C  cruelle;  E  dolour —  io65  P  dame  je  ny 
ai  nul  e.  —  1066  BDFJK  la  —  1067  KJP  me;  CP  mouuoir  — 
1069  D  Se  une  —  1070  et  manque  dans  D\  c  manque  dans  P  ;  C  el; 
E  ce  il  me  semble;  KJ  ce  se  change  —  1071  MBEKP  Ne;  P 
sarr.  ;  M  nés;  C  neiz  ;  E  qui  tramble  —  1072  J  Ne. 

l'ome  1 .  7 


98  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGXE 

Eins  est  toudis  changant  et  variable, 
Puis  ci,  puis  la,  or  au  feu,  a  la  table, 
Et  puis  ailleurs,  c'est  chose  moult  doubtable, 

1076  Car  nullement 

On  ne  la  puet  avoir  seurement  : 

C'est  droitement  li  gieus  d'enchantement, 

Que  ce  qu'on  cuide  avoir  certeinnement, 

1080  On  ne  l'a  mie. 

Einsi  est  il,  dame,  quoy  que  nuls  die, 
De  ma  dame  qui  se  change  et  varie, 
Donne  et  retolt,  or  het,  or  est  amie, 

1084  N'en  une  part 

N'est  tous  ses  cuers,  et  s'aucuns  y  repart, 
Certes,  je  croy  qu'il  en  a  povre  part. 
Et  que  de  li  celle  part  tost  se  part. 

1088  N'a  droit  jugier, 

Amans  ne  puet  avoir  homme  si  chier 

Qu'il  le  vosist  avoir  a  parsonnier 

En  ses  amours,  sans  plus,  nés  par  cuidier. 

1092  Et  pour  c'a  plein 

Ne  puis  avoir  son  cuer,  dont  je  me  plain  ; 
Car  cuers  qui  va  einsi  de  main  en  main, 
S'on  l'a  ennuit,  on  ne  l'a  pas  demain  ; 

1096  Et  toute  voie 

Est  vrais  amans  li  drois  oisiaus  de  proie, 
Car  il  ne  vuet  avoir  pour  toute  joie 

1073  P  E.  est  ch.  muant  et  v.  —  r  <"■  7 4  CKJ  ca  ;  or  manque  dans 
C;  EKJ  ore  a  [E  au)  table;  P  et  a  la  t.  —  1078  ADEKJP 
le  gieu  —  1079  EJ  Car;  EKJ  seurement  —  1082  EKJ  Dune 
dame  —  io83  E  Puis  rit  puis  pleure  puis  het  —  1086  M  ait 
—  1087  E  de  celi;  C  dautre  part;  KJ  de  lui  tantost  celle  se  [K 
ce)  part;  P  tost  départ  —  1089  CP  Au  mains  ;  P  puet  elle  home 
auoir  si  ch.  —  1090  P  Quel  ne  vaù&ist  auoir  .1.  p.  —  1091  KJ 
Aincois  am.  et  vers  li  parconnier;  E  am.  et  neys  par  cuidier  — 
1092  EKJ  Pour  ce;  C  pou  a  pi.  —  1098  C  Puet  on  a.  —  1095 
FEKJ  a  nuit  —  1097  KJ  drois  (K  droit)  am.;  P  drois  amez  ; 
KJ  li  uns  oys.  ;  P  li  dous  ;  E  li  vrais  —  1098  F  puet  ;  ./  proie. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  99 

Fors  tout  le  cuer  de  celle  ou  il  s'otroie. 

1 100  Si  que  je  di 

Que  vous  rariez  aussi  tost  vostre  ami, 
Comme  on  aroit  mué  le  cuer  de  li 
Ad  ce  qu'il  fust  entièrement  en  mi 

1104  Mis  sans  retraire  ; 

Car  on  ne  puet  le  leu  de  sa  piau  traire, 

Sans  l'escorchier,  n'on  ne  puet  d'un  buef  faire 

Un  esprivier,  ne  aussi  le  contraire. 

1108  Et,  douce  dame, 

La  coustume  est  partout,  d'omme  et  de  famé, 
Que,  quant  dou  corps  s'est  départie  l'ame 
Et  li  corps  est  en  terre  sous  la  lame, 

1 1 1 2  Qu'en  petit  d'eure 

Est  oubliez,  ja  soit  ce  qu'on  en  pleure. 
Car  nul  n'en  voy  ne  nulle  qui  demeure 
Tant  en  son  pleur  qu'a  joie  ne  requeure, 

1 1  16  Eins  que  li  ans 

Soit  acomplis,  tant  soit  loiaus  amans, 
Ne  excepter  n'en  vueil  petis  ne  grans. 
Et  vraiement,  je  croy  que  ce  soit  sens. 

1 120  Si  en  ferez 

La  coustume  ;  pas  ne  la  briserez, 
Car  ja  de  nul  reprise  n'en  serez, 
Et  de  bon  cuer  pour  l'ame  prierez. 

1  124  Mais  en  oubli 

Ne  puis  mettre  celle  que  pas  n'oubli. 


1099  D  celle  a  qui  —  1101  P  raurez  —  1 102  J  Com  ;  C  Que  on 
nauroit  —  1  io3  DE  ami  —  1 104  D  Et  —  1  io5  K  Mais  —  1 106 
1  manque  dans  EKJ ;  C  nen;  P  ne  con  puet;  C  de  buef;  E  du 
buef —  1107  C  Bon;  KJP  et  aussi  —  nog  C  est  domme  hu- 
main et  de  f.  —  1 1 10  CDEKJP  c.  est  —  1  1 1 1  P  gist  ;  E  enter- 
rez —  11 14  AFMBKJ  nuls  —  1 1 1 5  EKJ  que  joie;  E  que  je 
ne  recueure  —  1 1  18  D  ne  vuel  ;  DK  petit  —  1 122  et  ua3  inter- 
vertis dans  EKJ  —  1122  KJ  de  moy  ;  M  nulz  —  1 1 23  C  cuer 
dieu  pour  lui  pr. 


IOO  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Car  Souvenir  Ja  tient  moult  près  de  mi 
Sans  départir  jour,  heure,  ne  demi, 

1 1  28  Et  si  la  voy 

Assez  souvent,  dont  tous  vis  me  desvoy, 
Quant  longuement  de  mes  yeus  la  convoy 
Et  je  n'en  ay  joie,  ne  bien,  n'avoy, 

1 1 32  Eins  vov  autrui 

Qui  joie  en  a.  C'est  ce  dont  me  destrui  ; 
Car  s'elle  amer  ne  vosist  moy  ne  lui, 
Les  maus  que  j'ay  ne  pleingnisse  a  nelui, 

11 36  Eins  les  portasse 

Dedens  mon  cuer  humblement  et  celasse, 

El  en  espoir  de  joie  demourasse, 

Si  que  meschief  ne  doleur  ne  doubtasse. 

1 140  Ne  départir 

N'en  vueil  mon  cuer,  pour  doubte  dou  partir, 
Qui  trop  demeure  en  vie,  et,  sans  mentir, 
Je  ne  saroie  amer  a  repentir. 

1  144  Et  si  seroie 

Faus  amoureus,  se  je  m'en  departoie  ; 
Car  sans  nul  si  li  donnay  l'amour  moie. 
Si  l'ameray,  que  qu'avenir  m'en  doic  ; 

1 148  Et,  par  ma  foy, 

Si  loiaument  l'aim  que  j'ay  plus  d'anoy 
Cent  fois  pour  li  que  je  n'aie  pour  moy, 
Quant  s'onneur  voy  amenrir  ;  car  au  doy 


1  126  moult  manque  dans  D;  B'  trop  près  —  1  127  DP  repen- 
tir ;  DK  heure  jour  —  112g  EKJ  dcsroy  —  u3i  EKJ  ay  bien 
ne  joie  nen  (E  ny)  voy;    B  nen  nay  ;  C  bien  nen  ay;  FD  nanoy 

—  11 32  P  Et  —  1 1 34  M  moy  nautrui  —  11 35  C  nen  — 
11 38  C  Si  —  11 3g  P  dolour  ne  meschief  —  1141  C  Ne;  KJ 
den  —  1 142  et  manque  dans  J ;  KJ  partir  —  1  143  A.'  Ne  ;  M  Ja; 
E  pour  rep.  —  1 1 45  P  me;  EKJP  repentoie  —  1 146  D  sans 
si  nul  —  1147  C  Et;  D  quil  qua.;  MKP  quoy  qua.  —  n5o 
MCBDEKJ  His;  E  que  nay  une  pour  moy  ;  D  na]  :  KJ  de  moy 

—  n5i  C  voy  sonnour;  /•.'  Quar  souuent  voy  auenir  et  au  doy. 


LE   JUGEMENT    HOU    ROY    DE    BEHAINGNE  101 

1 1  52  La  mousterront 

Ceuls  et  celles  qui  ceste  ouevre  saront, 
Et  meins  assez  en  tous  cas  la  croiront, 
Qu'a  tous  jours  mais  pour  fausse  la  tenront. 

i  i  56  Car  de  meffait 

C'est  un  vice  si  villein  et  si  lait, 
Car  qui  le  fait,  ja  de  pooir  qu'il  ait, 
N'iert  de  tous  poins  effacié  ne  deffait. 

ii  60  Pour  ce  conclus, 

Dame,  que  j'ay  de  doleur  assez  plus, 
El  que  plus  tost  a  garison  venus 
Seroitvos  maus  que  cils  dont  sui  tenus. 

1 164  Et  jugement 

En  oseroie  attendre  vraiement, 
Se  nous  aviens  juge  qui  loiaument 
Vosist  jugier,  et  véritablement.  » 

1  168  —  «  Par  m'ame,  sire, 

Et  de  ma  part  jevueil  et  ose  dire 
Que  de  mon  cuer  le  jugement  désire. 
Or  regardons  qui  nous  volons  eslire 

1 172  Qui  sans  déport 

Sache  jugier  li  quels  de  nous  a  tort; 

Car  avis  m'est  que  li  maus  que  je  port 

Est  si  crueus  qu'on  ne  puet  plus  sans  mort.  » 

1 176  —  «  Dame,  je  vueil 

Que  li  juges  soit  fais  tout  a  vo  vueil.  » 
—  «  Mais  au  vostre,  biau  sire,  et  si  conseil 
Qu'il  ne  soit  fais  fors  par  vostre  conseil, 

1 1 55  manque  dans  F  (parchemin  déchiré);  EK  Et  —  1 1 56  E  de 
mes  fait  —  1 1 58  E  Que  quil  ;  KJ  ja  pour  pouoir  —  1  i5g  E  Nest 
—  1 161  P  Qui  jay  dame —  1 1 65  E  entendre  —  1  166  C  vous  auez; 
E  auons;  À'  veons;  J  voions  —  1  169  EKJ  Et  de  mon  cuer  — 
1  170  D  Qui  de  bon  cuer;  EKJ  Que  brief  mon  c.  —  1 171  EKJP 
regardez  ;  E  que;  EKJ  vous  voudrez  —  1 174  E  Or  mest  il  vis  — 
11 75  D  Et  —  1176-9  manquent  dans  KJ  —  1 1 77  E  le  juge- 
mens:  fait  tout  manquent  dans  D —  1 1 79  MBEPC  fais  que  par. 


102     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHA.INGNE 

1 180  Car  vous  l'avez 

Premiers  requis;  pour  ce  dire  devez  ». 
—  «  Certes,  dame,  or  ne  vous  en  lavez, 
Mais,  vous,  dites,  pour  ce  que  plus  savez 

i  184  Que  je  ne  fais.  » 

Et  quant  je  vi  qu'il  voloient  que  fais 
Fust  jugemens  de  leurs  dolereus  fais, 
Mes  cuers  en  fu  de  joie  tous  refais. 

1  1  88  Si  ne  savoie 

De  deus  choses  la  quelle  je  feroie, 
D'aler  vers  eaus,  ou  se  je  m'en  tenroie. 
Car  volentiers  mis  les  eusse  en  voie 

1  192  De  juge  prendre 

Tel  qu'a  jugier  leurs  fais  peiist  entendre, 
Si  souffissant  qu'il  n'i  eiist  qu'aprendre, 
Et  qu'après  lui  n'i  eûst  que  reprendre. 

1  196  Si  m'avisay 

Moult  longuement,  et  pris  mon  avis  ay 
Que  j'iroie  a  eaus.  Lors  sans  delay 
Je  me  levay  et  devers  eaus  alay 

1200  Tout  le  couvert 

Parmi  l'erbe  qui  estoit  drue  et  vert  ; 

Et  quant  je  vins  si  près  d'eaus  qu'en  apert 

Les  pos  vëoir  et  tout  a  descouvert, 

1204  Le  petit  chien 

Prist  a  glatir  qui  ne  me  congnut  rien, 
Dont  la  dame  qui  moult  savoit  de  bien 


1180  KJ  Et  —  1181  CDEKJP  Premier;  C  si  que  dire — 
1 182  C  dame  mais  vous  lottroy  auez  —  1 1 83  dites  manque  dans 
D;  E  direz;  CP  le  dittes  —  1 185  £"  vouloie  —  11 86  KJ  de  si 
dol.  —  1 187  D  c.  si  fu  —  1  189  D  lesqueile  —  1 19 3  E  que;  J 
qui;  CDKJ  leur;  B'  peut  —  1194  C  Et;  DEKJ  qua  {KJ  que) 
reprendre  —  1 195  manque  dans  D;  KJ  Et  après  —  1  197  E  Lon- 
guettement;  D  long  prins  après  auis;  CKP  et  puis  —  1198  BD 
lors  a  eulz  —  1201  J  dure  et  v.  —  1202  KJ  Et  que  —  i2o3  M 
po;  C  pou;  KJP  poy  —  1205  C  conneust. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHA1NGNE  IC>3 

En  tressailli  —  je  m'en  aperçu  bien  ;  — 
i  208  Si  l'appella. 

Mais  moult  petit  prisié  son  appel  a, 

Qu'en  abaiant  li  chiennes  m'aprocha, 

Tant  que  ses  dens  a  ma  robe  acrocha. 
1  212  Si  le  hapay, 

Dont  il  laissa  de  paour  son  abay. 

Mais  en  mon  cuer  forment  m'en  deportay, 

Pour  ce  qu'a  sa  dame  le  reportay, 
12 16  Pour  avoir  voie 

Et  occoison  d'aler  ou  je  voloie  ; 

Si  que  toudis  son  poil  aplanioie. 

Mais  quant  je  vins  ou  estre  desiroie, 
1 220  Je  ne  fui  mie 

Mus,  n'esbahis;  einsois  a  chiere  lie 

A  y  salué  toute  la  compaingnie, 

Si  corn  faire  le  sos  de  ma  partie. 
1224  Li  chevaliers 

Qui  sages  fu,  courtois,  et  biaus  parliers, 

Grans,  Ions,  et  drois,  biaus,  et  gens,  etlcgiers, 

Et  d'onneur  faire  apris  et  coustumiers, 
1228  Sans  plus  atendre, 

Courtoisement  me  vint  mon  salut  rendre. 

Et  la  dame  ou  Nature  volt  entendre, 

Si  qu'on  ne  puet  sa  grant  biauté  comprendre, 
1232  Vers  moy  se  trait 

Moult  humblement,  doucement,  et  a  trait. 


1209  EKJ  prisa  son  appella  {K  apel  a)  —  12 10  L  Quant;  J 
chenet  —  121 1  D  qua  ses  dens  ma;  C  en  ma  robe  —  1 2 1 4 
EKJP  me  —  12 15  E  De;  Ï)EKJ  raportay  ;  C  portay  —  1218 
C  Et;  CEKJP  son  poil  toudis  —  1220  D  fus  mis  —  1222  KJ 
Jay  —  1223  KJ  say —  1223  DKJ  Qui  fu  sage;  D  parleur —  1226 
C  G.  bons;  K  G.  homs  et  dr.  ;  R  1.  et  bel  droit;  D  beaus  et  lonc  : 
Pb.  gentilz  et  I.  ;  £  Beaux  Ions  et  droiz  grans  et  gros  et  1.  — 
i23i  EP  pot  ;  D  la  gr.  b.  —  12^2  A  traist  —  1233  MCBDEKJP 
M.  bellement;  Mss.  attrait. 


104     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Car  elle  avoit  moult  gracieus  attrait 

Et  le  maintien  humble,  dous  et  parfait, 
ia36  Et  cheveus  blons, 

Les  yeus  rians,  plus  vairs  que  nuls  faucons  ; 

Et  ses  corps  fu    gens,  joins,  gentils,  et  Ions, 

Et  plusapers  que  nuls  esmerillons. 
1240  Et  s'ot  l'entrueil 

Grandet  a  point,  manière   et  dous  acueil, 

Mais  son  attrait  et  son  gent  appareil 

Qui  simples    fu  n'avoit   point  de  pareil; 
1244  Et  si  fu  blanche 

Plus  que  la  noif,  quant  elle  est  sus  la  branche, 

Sage,  loial,  courtoise,  et  de  cuer  franche, 

Et  si  parfaite  en   toute  contenance 
1248  Qu'en  loiauté 

Estoit  assez  plus  belle  que  biauté; 

N'en  li  n'avoit  orgueil,  ne  cruauté, 

Ne  riens  qui  fust  contraire  a  amisté. 
1252  Mais  esplourée 

Fu  moult  forment  sa  face  coulourée  ; 

Et  nompourquant  de    coulour  esmerée 

Et  de  fine  douçour  estoit  parée. 
1256  Si  m'appella 

La  dame,  et  puis  m'enquist  et  aparla 

Moult  sagement  dont  jevenoie  la. 

Et  je  qui  fui  desirans  d'oïr  la, 
1260  La  vérité 

De  chief  en  chief  li  ay  dit  et  conté, 

1235  CD  doulz  et  humble  —  1237  CDEKJ  vers  —  1238  KJ 
Son  c;  D  gentil  et  joint  et  1.  ;  KJ  joint  droit  g.  ;  gentils  manque 
dans  E  —  1  2  3g  CKJ  espers  —  1242  EKJPR  atour  ;  C  doulz  a.  — 
1246  et  manque  dans  C—  1247  D  congnoissance  —  1249  manque 
dans  F  ;  E  KJ  que  clarté  —  12.i1  A  ar  ite  —  I252-I255  manquent 
dans  KJ  —  1253  E  Estoit  f.  ;  C  souuent  —  1  255  Et  manque  dans 
E—  1257  m  manque  dans  KJ  ;  C  emparla;  EKJP  demanda 
—  12  5g   je  manque  dans   Ë;  D  qui  je  tu. 


LE    JUGEMENT    HOU    ROY    DE    BEHAINGNE  Iû5 

Comment  la  vins  et  ou  j'avoie  esté, 
En  tant  qu'il   ont  leur  meschief  raconté. 

1264  Lors  dist  en  bas 

Li  chevaliers  par  manière  de  gas  : 

«  Je  croy  qu'il  ait  oy  tous  nos  debas.  » 

Et  je  li  dis  :  «  Sire,  n'en  doubtez  pas, 

1268  Que  voirement 

Les  ay  j'ois  moult  ententivement 

Et  volentiers  ;  mais  n'aiez   pensement 

Que  j'y  pense  fors  bien  ;  car  vraiement 

1  272  Venus  estoie 

Sus  un  ruissel,   par  une  herbue  voie, 

En  ce  vergier  ou  je  me  delitoie 

Es  oisillons  que   chanter  escoutoie. 

1276  Et  quant   einsi 

Y  fui  venus,  sire,  je  vous  choisi, 
Et  d'autre  part  ma  dame  venir  vi. 
Si  vousdiray,  comment  je  me  chevi  : 

1280  Je  regarday 

Le  plus  fueillu  dou  brueil;  si  m'i  boutay, 
Car  de  vous  faire    anui  moult  me  doubtay  ; 
Et  la  vos  biens  et  vos  maus  escoutay 

1284  De  chief  en  chief. 

Or  m'est  avis  que  de  vostre  meschief, 
Et  ma  dame  qui  tient  enclin  son  chief 
Dou  sien,  sariez  volentiers  le  plus  grief 

1288  Par  jugement. 


1262  E  C .  je  vins  ;  C  ou  auoie  —  1 26'i  J  Et  ;  C  out  —  1 267 
D KJE  ne  —  1268  CCar;  CKJ  vraiement —  1269  j  manque  dans 
FM;  E  aie  ;  D  bien  ent.  ;  F  ententieuement  —  1270  B  na.  pas  p. 
—  127 iy  manque  dans  J;  EKJ  que;  AVetvr.  —  1275BDAUS  — 
1277  E  sui  —  1279  BD  men  —  l2$°  KJ  Et  —  1281  M  feilli  du 
bois;  E  nie  —  1282  moult  manque  dans  KJ  —  1285  EKJ 
Si  —  1280  CD  de  ma  d.  ;  EKJ  du  ma  d.  —  1287  Dou  sien 
manque  dans  C;  D  Vous  en  scaures;  EKJ  Des  deus  sariez  [E 
sauriez). 


IOÔ  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Si  ne  volez  penre  premièrement 
Vostre  juge,  ne  ma  dame  ensement. 
Pour  ce  venus  sui   aviséement, 

1292  Pour  vous  nommer 

Un  chevalier  qui  moult  fait  a  amer; 
Car  de  ça  mer  n'a  pas,  ne  de  la  mer, 
Plus  gentil  cuer,  plus  franc,  n'a  meins   d'amer; 

1296  Car  de  largesse 

Passe  Alixandre  et  Hector  de  prouesse. 
C'est  li  estos   de  toute  gentillesse, 
N'il  ne  vit  pas  corn  sers  a  sa  richesse, 

1  3oo  Eins  ne  vuet  rien 

Fors  que  l'onneur  de  tout  le  bien  terrien, 

Et  s'est  plus  liés,  quant  il  puet  dire  :  «  Tien  » 

Qu'uns  couvoiteus  n'est  de  penre  dou  sien. 

1  304  Dieu   et  l'église 

Et  loyauté  aimme,  et  si  bien  justise 
Qu'on  le  claimme  l'Espée  de  justise. 
Humbles  et  dous  est  et  pleins  de  franchise 

1  3o8  A  ses  amis, 

Fiers  et  crueus  contre  ses  anemis. 

Et,  a  briés  mos,  de  sens,  d'onneur,  de  pris 

En  porte  adès  au  dit  des  bons  le  pris, 

i3i2  Quel  part  qu'il  veingne. 

Et  s'il  avient  que  son  anemi  teingne 
A  son  dessous,  Nature  li  enseingne 
Et  ses    bons  cuers  que  pité  li  en  prengne. 

1289  K  vostes  ;  J  voustes  —  1291  J  venus  si  a.  ;  E  a  aduisc- 
ment  —  129?  EKJ  a  loer  —  1295  CE  ne  m.;  C  amer:  KJ  et 
sanz  amer  —  1297  D  hestor  —  1298  C  Cest  lestoc  ;  D  estour  ; 
KJ  escoz  —  I299  Pas  manque  dans  M;  CE  en  sa  r.  —  i3oi 
manque  dans  E;  le  manque  dans  CBDP:  R  de  tous  biens  ter- 
riens —  i3o2  CDEKJPR  Et  est  —  i3o5  E  ayme  quoy  que  non 
dise;  si  manque  dans  C  —  1  3oG  manque  dans  P,  remplacé  après 
le  v.  i3oj  par  :  N.l  ne  vaurroit  mesprendre  en  nulle  guise  — 
1307  B'  ajoute  gr;:n  devant  franchise  —  1  3o8  P  Vers  —  1  309  C 
Ici  —  1  3  1 2  D  qui  —  1  3  1  3  E  lin  ;  J  lie. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  07 

1 3  1 6  C'est  noble  sorte, 

Car  Prouesse  partout  s'espée  porte, 
Hardiesse  le   conduit  et  enorte. 
Et  Largesse  si  li  ouevre  la  porte 

i32o  De  tous  les  cuers. 

A  ceaus  qui  sont  bon  (je  n'en  met  nuls  fuers), 
Avec  euls  est  com  sont  frères  et  suers, 
Grans  et  petis,  moiens,  et  a  tous  fuers. 

1  324  Sire,  et  d'Amours 

Congnoist  il  tous  les  assaus,  les  estours. 
Les  biens,  les  maus,  les  plaintes  et  les  plours 
Mieus  qu'Ovides  qui  en  sot  tous  les  tours. 

1 3 28  Et  s2  son  nom 

Qui  tant  est  bons  et  de  noble  renom 
Volez  savoir,  dites  le  moy,  ou  non.  » 
—  «  Certes,  amis,  dou  savoir  vous  prion, 

1  332  Car  onques  mais, 

Si  com  je  croy,  ne  fu,  ne  n'iert  jamais 
Homme  qui  fust  en  tous  cas  si  parfais, 
Comme  cils  est,  et  par  dis  et  par  fais.  »  — 

1  336  —  «  Sire,  s'enseingne 

Crie  Lembourc,  et  est  roys  de  Behaingne, 
Fils  de  Henry,  le  bon  roy  d'Alemaingne, 
Qui  par  force  d'armes,  qui  que  s'en  plaingne, 

i3qo  Comme  emperere 

Fu  couronnez  a  Romme  avec  sa  mère. 

Dont  s'il  est  bons,  c'est  bien  drois  qu'il  appere  : 

i3i8AVla —  1 32 1  D  A  tous  les  bons  je  nen  ment  nul  fuers; 
EKJ  huers  —  i322  D  Auant;  CEKJ  Auec  lui  (C  li)  sont  —  1 3^3 
D  Gr.  petis;  M  moien  ;  EKJ  G.  et  moyens  loyaux  (KJ  et)  a 
tous  f.  —  1324  D  est  —  1 325  D  C.  aussi  tous;  CP  il  les  as- 
saus;  D  et  tours;    CEKJP  et  les  tours    —    1327   FM   scct   — 

1329  EKJ  beaux  [K  biaux)  —  1 334  FM  Hommes;  CP  soit  — 
1 335  KJ  en  dis  et  en  f.  —  i33-  D  Et  crie  Iembrut;  C  brehen- 
gne  —  1 3 38  F  roy  de  behaingne  —  1 339  M  que  qui;  P  qui 
qui  —  1340  DKJ  emperiere  —  1 341  KJ  auant  sa  m.  —  1342 
s  manque  dans  J  ;  A"  cil;  CEKJP  cest  raison  :  EKJ  qu'il  y  pcre. 


T08  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Car  il  le  doit  ei  de  mère  et  de  père. 

1344  Si  que,  biau  sire, 

Uns  tels  juges  seroit  bons  a  eslire 

Qui  vous  saroit  bien  moustrer  et  descrire 

Li  quels  de  vous  suerTre  plus  de  martire  ; 

1348  Si  le  prenez.  » 

Li  chevaliers  respondi  com  senez  : 

«  Je  croy  que  Dieus  nous  ait  ci  amenez.  » 

Et  dist  :  «  Dame,  s'a  juge  le  tenez, 

1 352  Je  m'i  ottroy.  » 

Et  la  dame  respondi  sans  desroy  : 
«  Sire,  tant  oy  dire  de  bien  dou  roy, 
Tant  est  sages,  preus  et  de  bon  arroy, 

1  356  Que  je  l'acort.  » 

—  «  Grant  merci,  dame;  or  sommes  en  acort. 

Si  pri  a  Dieu  que  le  bon  roy  confort 

Et  qu'il  nous  maint  temprement  a  bon  port, 

i36o  Si  que  parler 

Puissiens  a  lui,  ou  il  nous  faut  aler.  » 
Je  respondi  :  «  Bien  vous  say  assener 
La  ou  il  est  et,  s'il  vous  plaist,  mener. 

1 3Ô4  Certeins  en  sui, 

Car  vraiement,  je  mengay  ver  et  bui 
Avec  ses  gens  en  chastiau  de  Durbui. 
Et  il  y  est,  ne  n'en  partira  hui  ; 

1  368  Ne  ce  n'est  mie 

Loing,  qu'il  n'i  a  ne  lieue  ne  demie, 


1343  A  doit  de:  FCDEKJ  père  et  de  mère  —  1345  KJ  Tel 
juge  vous  s.  —  1346  KJ  Qui  bien  s.  vous  m.;  D  mouster  — 
1 348  i4  Et  —  1 35o  CEKJ  vous  a  ci  ;  P  a  ci  —  1 354  D  tant  av  °y 
—  1 355  D  Et  tant;  preus  manque  dans  D;  P  de  bel  arroy;  EKJ 
sages  et  plains  (KJ  plain;  de  b.  a.  —  i35y  A  mercis  ;  CEP  a 
acort;  KJ  dun  a.  —  1 35g  D  qui  n.  muine  bien  briefment  — 
i36i  BDEKJPR  Puissons  ,  C  Puisson  —  i362  K  resp.  je  vous; 
KJ  vueil  a.  —  1  363  C  est  s.  v.  p.  et  mener —  1 365  EKJ  hier  o 
lui  :  C  et  hui  —  1  366  E  sa  gent  ;  BDEKJ  ou  —  1 367  D  et  nen. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE     1 09 

Nom  pas  de  ci  le  quart  d'une  huchie.  » 
Li  chevaliers  d'aler  la  dame  en  prie 

\'}-j2  Sans  plus  attendre. 

La  dame  dist  :  «  Je  ne  m'en  quier  delîendre, 
Mais  je  ne  say  quel  part  la  voie  prendre.  » 
Je  dis  :  «  Dame,  bien  le  vous  vueil  aprendre. 

1376  Venez  adès. 

J'iray  devant  et  vous  vêtirez  après.  » 
Si  qu'au  chemin  me  mis,  d'aler  engrès. 
Et  quant  il  ont  veù  Durbui  de  près, 

i38o  Si  s'arrestoient , 

Et  dou  vëoir  forment  se  mervilloient, 
Car  onques  mais  en  leur"  vie  n'avoient 
Veiï  si  bel,  ne  si  gent,  ce  disoient. 

i38q  Et,  sans  doubtance, 

Il  est  moult  fors  et  de  très  grant  plaisance, 

Biaus  et  jolis  et  de  po  de  deffence. 

Car  se  li  rois  d'Alemaingne  et  de  France 

1  388  Devant  estoient, 

Cil  de  dedens  ja  pour  ce  ne  lairoient 
Qu'il  n'alassent  hors  et  ens,  s'il  voloient, 
Toutes  les  fois  qu'a  besoingnier  aroient 

i3o,2  En  la  contrée. 

C'est  une  roche  en  mi  une  valée 


i3jo  KJ  archie;    E   haschie  —   i3yi    E     la    dame    daler;    on 
manque  dans    CKJP  —  072  E  Et  sans  a.  —  i3j3  EKJ  Et  elle 

—  i3j5  CKJ  la  —  1377  K  Siray  ;  E  vous  yres  —  1378  A  en  ch.  ; 
K  aler  en  paiz;  J  aler  empres  —  ^79  EKJP  quant  durbui 
orent  veu  de  près  ;  C  durbui  veu  —  1  38 1  CE  sesmervilloient  — 
i382  mais  manque  dans  C  ;  J  naient  —  1 383  M  se  dis.  ;  E  et  dis. 

—  1 385  A*  Il  yert;  EP  beaus  ;  KJ  bel  et  de  moult  grant  pi.; 
C  poissance  —  i386  manque  dans  KJ  ;  E  Gays;  B'  et  de  forte 
detïense  —  1387  DKJ  ou  de  f.  —  i38g  EKJ  Ycil  dedans;  de 
manque  dans  CDP ;  KJ  pour  riens  —  i3qo  et  i3gi  inter- 
vertis dans  M  —  i3go  M  ou  ens  —  i3qi  D  que  besoing  en 
a.:  EKJ  que  mesticr  en  a.  —  1393  une  manque  dans  C  ;  E 
au   mi. 


110  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Qui  tout  entour  est  cTiaue  environnée, 
Grande,  bruiant,  parfonde,  roide  etlée; 

i  396  Et  li  vergier 

Sont  tout  entour  si  bel  qu'a  droit  jugier, 
On  ne  porroit  nuls  plus  biaus  souhaidier. 
Mais  d'oisillons  y  a  si  grant  frapier 

1400  Que  jour  et  nuit 

La  valée  retentist  de  leur  bruit  ; 
Et  Tiaue  aussi  seriement  y  bruit, 
Si  qu'on  ne  puet  en  nul  milleur  déduit. 

1404  Et  puis  après 

A  grans  roches  tout  entour,  nom  pas  près, 
Eins  sont  si  loing  dou  chastel  qu'il  n'est  fers, 
Engiens,  ne  ars  qui  y  getast  jamès. 

1408  Mais  la  maison 

Sus  la  roche  est  si  bien  qu'onques  mais  hom 
Ne  vit  autre  de  plus  belle  façon; 
Car  il  n'y  a  nesune  meffaçon. 

141  2  Et  la  fonteinne 

Est  en  la  court,  qui  n'est  mie  villeinne, 
Eins  est  vive,  de  roche  clere  et  seinne, 
Froide  corn  glace  et  plus  douce  que  Seinne. 

141 6  Mais  le  vaissel 

Ou  elle  chiet  est  tailliez  a  cisel 


1IÎ94  MP  auironnee  —  i?q5  manque  dans  D ;  B'  et  roide;  C 
ronde  ;  EKJ  longue  et  lee  —  1  ^97  C  Est;  si  bel  manque  dans  E ; 
qu  manque  dans  C  —  1398  C  Quon  ;  CDEKJ  nul  pi.  beau  (EKJ 
bel)  —  1 399  B'D  y  ot  —  1401  E  retantir  —  1402  D  fièrement  ; 
C  souefuement  ;  P  serreement;  E  si  br.  —  140'j  EKJP  puet  oir 
{E  ouir)  m.  d.;  C  puet  estre  en  m.  d.  —  1405  D  roches  enuiron 
non  —  1406  D  Ainssi  sont  il  loing;  DK  qui  ;  E  quil  ne  f.  — 
1407  C  Nengin  ;  EKJ  qui  y  treist  (K  traistj  —  1409  E  A  sur  la 
roche  et;  mais  manque  dans  EK  '  —  1410  ME  si  belle  —  141  1 
KJ  Et  si  ;  E  Et  si  ne  veis  une  malc  façon  ;  K  malfaçon  — 
141 3  KJ  tour  —  1414  manque  dans  KJ  ;  E  est  muée  —  141 5  D 
douce  plus  —   1417  manque  dans  KJ  ;  E  siet. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  I  I 

D'un  marbre  fin,  blanc  et  bis  et  si  bel 
Que  tels  ne  fu  depuis  le  temps  Abel. 

1420  Sus  la  rivière 

Est  la  prée  large,  longue  et  pleniere, 
Ou  on  trueve  d'erbes  mainte  manière. 
Mais  revenir  m'estuet  a  ma  matière  : 

1424  Quant  la  maison 

Orent  veii,  je  les  mis  a  raison 

Et  si  leur  dis  :  «  De  l'aler  est  saison. 

Alons  nous  en;  car  ci  riens  ne  faison.  » 

1428  Si  en  alames 

Tout  le  chemin  et  le  pont  trespassames, 
Ne  ça  ne  la  nulle  part  n'arrestames 
Jusques  a  tant  qu'a  la  porte  hurtames. 

1432  Mais  li  portiers 

La  porte  ouvri  de  cuer  et  volentiers. 
Je  qui  hurtay  et  qui  fui  li  premiers 
Et  de  laiens  estre  assez  coustumiers 

iq36  Parlay  cinsi  : 

«  Cils  chevaliers  et  ceste  dame  aussi 
Viennent  parler  au  roy,  s'il  est  yci.  » 
Et  li  portiers  tantost  me  respondi 

1440  Qu'il  y  estoit. 

Je  dis  :  ><  Amis,  pren  garde,  s'on  porroit 
Parler  a  li.  »  Et  il  dist  qu'il  iroit. 
Mais  tout  einsi  com  de  nous  se  partoit 

1444  Pour  aler  sus, 


141 S  KJ  marbre  tu  ;  et  [entre  blanc  et  bis)  manque  dans  BDE, 
ajouté  par  B'  ;  C  bl.  et  vif  —  14:9  KJ  Que  puis;  F  albel  —  142  1 
CBDEKJ  longe  large  —  1422  E\on;  CMBDKJ P  derbe  ;  E 
darbez;  D  de  mainte  m.  —  1423  E  mestoit  —  1425  CP  veue  — 
1427  A  rien;  K  riens  ci  —  143 1  KJ  quan  (J  que)  la  porte  entras- 
mes  —  1432  E  Et  —  1433  E  de  gre  ;  KJ  et  bien  et  vol.  —  1435 
Et  manque  dans  KJ  ;  CEKJP  iere  [E  ère)  assez  c.  —  1437  EKJ 
dame  cy  —  143N  KJ  Veullent  —  1439  KJ  Et  cil  ;  A  t.  li  resp.  — 
1440  ^4CQui;  C  il  est.  —  1443  C  aussi;  P  que. 


112     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Uns  chevaliers,  biaus  et  gens  et  corsus, 
Jolis  et  gais,  en  est  a  nous  venus; 
Honneur  ot  nom,  et  s'en  sot  plus  que  nuls. 

1448  N'il  ne  vint  mie 

Tous  seuls  a  nous,  eins  li  fist  compaingnie 
Une  dame  belle,  gaie  et  jolie  ; 
Si  ot  a  nom  la  dame  Courtoisie. 

1452  Bien  y  parut  ; 

Car  aussi  tost  qu'elle  nous  aperçut, 
Nous  salua,  et  puis  biau  nous  recul. 
Si  fist  Honneur,  si  com  faire  le  dut. 

1456  Adont  andoy 

Courtoisement,  en  riant,  sans  effroy, 
Prirent  chascun  l'un  des  deus  par  le  doy. 
Mais  Courtoisie,  einsi  com  dire  doy, 

1460  Le  chevalier 

Acompaingnà  liement,  sans  dangier, 

Et  Honneur  volt  la  dame  acompaingnicr  ; 

Lors  se  prirent  ensamble  a  desraisnier. 

1464  Si  s'en  alerent, 

Tout  en  parlant,  la  ou  il  les  menèrent, 

Par  les  degrez  de  marbre  qu'il  montèrent, 

Tant  qu'en  la  chambre  au  bon  roy  s'en  entrèrent. 

1468  Et  li  bons  rois, 

Qui  moult  estoit  sages  en  tous  endrois, 

Loiaus,  vaillans,  liberaus  et  adrois, 

Et  envers  tous  dous,  humbles  et  courtois, 


1445  et  [entre  biaus  et  gens'  manque  dans  C  —  '44-6  D  sen  ; 
KJ  auant  venus  —  1447  K  senz  ;  .7  cens  —  '449  KJ  A  nous  tous 
seulz  —  1460  DE  belle  et  gaie:  C  gaie  et  bcle  —  1401  D  Qui  ot 
en  nom;  B  Si  a  ;  D  belle  court.  —  1453  KJ  ainssi;  D  comme  — 
1454  EKJ  et  moult  bel  —  1435  D  corne  ;  EKJ  ainsi  com  faire 
dut  —  1456  MDE  au  doy:  A  en  doy;  C  eulz  doy  —  1458  A 
deaus  deus  ;  D  de  deus  —  j 45g  C  aussi  —  1462  C  vint;  CKJ  com- 
paingnier  —  1463  K  au  d.  —  1467  D  du  bon  roy  ;  bon  manque 
dans  M:  C  se  montèrent  —  '471   Clifiz  h. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  1  3 

1472  En  moult  grant  joie 

Estoit  assis  sur  un  tapis  de  soie, 
Et  ot  un  clerc  que  nommer  ne  saroie 
Qui  li  lisoit  la  bataille  de  Troie. 

1476  Mais  Hardiesse 

L'acompaingnoit,  et  sa  fille  Prouesse, 
Et  doucement  tint  par  la  main  Largesse, 
Une  dame  de  moult  grant  gentillesse. 

1480  S'i  fu  Richesse, 

Amour,  Biauté,  Loiauté  et  Leësse, 
Désirs,  Pensers,  Volenté  et  Noblesse, 
Franchise,  Honneur,  Courtoisie,  Juenesse. 

1484  Cil  seize  estoient 

Avec  le  roy,  n'onques  ne  s'en  partoient. 

Dieus  et  Nature  ottroié  li  avoient, 

Dès  qu'il  fu  nez;  pour  ce  tout  le  servoient. 

1488  C'estoit  grant  grâce. 

Et  s'il  y  a  nul  ne  nulle  qui  face 
Chose  dont  nuls  puist  dire  qu'il  mefface, 
Raisons  y  est  qui  le  meffait  efface. 

1492  Einsi  se  sist 

Li  gentils  rois.  Et  quant  la  dame  vit, 
Il  se  leva,  et  par  la  main  la  prist, 
Car  Courtoisie  a  faire  li  aprist. 

1496  Après  pris  a 

Le  chevalier,  et  forment  l'esprisa 


1472  EKJ  A  —  1473  EKJ  les  tapis  —  H74  EKJ  Si  —  H77 
KJ  Le  comp.  —  1478  manque  dans  BD,  remplacé  après  le  vers 
147g  par:  Honnour  ot  nom  qui  de  tous  fu  mestresse  —  1478 
C  en  sa  main  —  147g  grant  manque  dans  D  —  1482  manque  dans 
2s,  remplacé  après  le  vers  1483  par  :  Et  puis  raison  qui  de  tous 
fu  maistresse;  A  Désir  penser  —  1483  CDEP  et  j.;  A  largesse 
—  1485  C  ne  point  sen  p.  —  1487  C  Des  que;  CDKJP  tous;  E 
*uit  —  1488-91  manquent  dans  E  —  1489  y  a  manquent  dans  D; 
MP  nulz  —  1492  CD  fist  —  1493  A  vist  —  1494  KJ  Si  —  1497 
CBDKJ  le  prisa. 

Tome     li  « 


114    LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHA1NGNE 

Dedens  son  cuer,  et  puis  leur  demanda 

Moult  sagement  dont  il  venoient  la, 
i5oo  Et  leur  enquist 

De  leur  estre  qui  moult  li  abelist. 

Li  chevaliers  a  la  dame  requist 

Qu'elle  li  vosist  dire;  et  elle  dist 
i  5o4  Que  non  feroit, 

Einsois  deïst,  que  mieus  li  afferoit. 

Il  respondi  adont  qu'il  li  diroit 

De  chief  en  chief  tout  einsi  qu'il  estoit, 
i  5o8  Jusqu'à  la  fin. 

«  Sire,  »  dist  il,  «  ci  près  a  un  jardin 

Vert  et  flouri  ou  il  a  grant  tintin 

De  rossignols  ;  s'i  vins  hui  a  matin, 
i  5i2  Pour  escouter 

Leur  biau  service  et  leur  joli  chanter, 

Comment  que  po  s'i  peiist  déporter 

Mon  cuer  que  riens  ne  porroit  conforter. 
1 5 1 6  Mais  toute  voie 

Einsi  venus  d'aventure  y  estoie, 

Pleins  et  pensis  des  maus  qu'Amours  m'envoie. 

Si  vi  venir  par  une  estroite  voie 
i  520  Verde  et  herbue 

Ceste  dame  qu'avec  moy  est  venue. 

Si  me  sambla  de  manière  esperdue, 

Si  que  tantost  pris  parmi  l'erbe  drue 


1498  C  li  dem.  —  1499  C  venoit  —  i5oi  E  estât;  C  et  moult; 
KJ  leur  ab.  —  i5o3  EKJP  elle  {KJ  el)  li  d.  —  i5o5  J  dist  ;  P  li 
dist;  E  quar:  C  dist  elle  que  miulz  li  a.  —  i5o6  D  adonques 
quil  diroit  —  i5o8  D  Jusques;  CKJP  en  la  fin  —  i5io  EKJ  et 
foillu  ;  KJ  hutin  —  1 5 1 1  FM  rossignos  ;  EKJ  si  y  vins  (EJ  viens) 
hui  m.;  MCB'P  au  —  i5i4  CMEKJP  se;  EJ  déliter  —  i5i5 
KJ  pooit  —  1 5 16  £■  Et  —  i5i7y  manque  dans  K  —  1 5 1 8  KJ  des 
biens —  i52o  EKJ  Vert —  1 52 1  C  quauant  ;  EKJ  qui  est  o  moy 
v. —  i523  KJ  ques;  pris  manque  dans  CEKJ ;  C  parmi  lerbette 
drue;  E  tout  parmi  ;  KJ  tout  par  tout. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE     I  I  0 

i  524  Mon  adresse  ay, 

Et  mon  chemin  droit  vers  li  adressay. 

Et  quant  je  fui  près,  je  la  saluay, 

Mais  mot  ne  dist,  dont  je  me  mervillay, 
1528  Ne  onques  chiere 

Ne  fist  de  moy,  ne  d'oueil,  ne  de  manière. 

Et  je  qui  fui  mervilleus  pour  quoy  c'iere, 

Dis  bellement  :  «  Très  douce  dame  chiere, 
1  5 32  Pour  quel  raison 

Ne  volez  vous  entendre  a  ma  raison?  » 

Et  la  tiray  par  le  pan  dou  giron. 

S'en  tressailli,  dont  sa  belle  façon 
1  536  Coulour  mua. 

Si  respondi,  que  plus  n'i  arresta, 

Et  durement  envers  moy  s'escusa 

De  son  penser  a  quoy  elle  musa. 
1540  Et  li  enquis 

Pourquoy  son  cuer  estoit  einsi  pensis. 

Finablement  tant  parlay  et  tant  fis 

Qu'elle  me  dist  tout  ce  que  je  li  quis, 
1  544  Voire  par  si 

Que  par  ma  foi  li  juray  et  plevi, 

Quant  elle  aroit  son  parler  assevi, 

Que  le  penser  li  diroie  de  mi. 
ID48  Et  dist  einsi 

Qu'elle  soloit  avoir  loial  ami 

Ô24  EKJ  Men  adrecay;  D  La  moie  adresse;  F  adera  ay  — 
1  525  dans  KJ  vient  après  1527  —  1 5 25  EKJ  chemin  enuers  li 
(AU  lui)  —  Ô26  P  le  —  îD2j  E  di;  E  mesmeru.  —  Ô29  MK 
moy  de  oeil;  CD  ne  deul;  E  ne  doel  —  i53o  A  fu;  CKP  raer- 
ueilliez;  C  chiere  —  1 53 1  D  Dit;  EKJ  humblement  —  i534  KJ 
latray  —  1 535  P  Dont  la  dame  qui  a  clere  façon;  dont  manque 
dans  KJ  ;  KJ  sa  trcsbelle  f.  —  1 538  DEKJ  doucement  —  i53o. 
EKJ  Pour  —  1540  CEKJ  Si;  M  requis —  1041  FM  si  fort  p.  — 
043  P  que  li  requis  —  Ô46  manque  dans  E  ;  M  parle;  C  affeni 
—  Après  1 547  E  ajoute  :  Sanz  aler  contre  et  je  li  ay  promis  — 
1348  C  Si;  P  Lors. 


Il6  LE   JUGEMExXT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Qui  loiaument  l'amoit,  et  elle  li. 
Mais  la  mort  l'a  de  ce  siècle  parti, 
i  552  Et  la  valour, 

Le  sens,  le  pris,  la  prouesse,  l'onnour, 
Qui  fu  en  li,  si  comme  elle  dist,  flour, 
Le  fîst  des  bons  estre  tout  le  millour. 
1 556  Pour  ce  pensoit 

Parfondement,  ne  onques  ne  cessoit, 
Et  en  pensant  le  plouroit  et  plaingnoit, 
Si  que  son  vis  en  larmes  se  baingnoit. 
i  56o  Pour  ce  maintient 

Que  la  dolour  est  plus  griés  qui  li  vient 
Pour  son  ami  que  celle  qui  me  tient. 
Sire,  et  je  di,  faire  le  me  couvient, 
064  Tout  le  contraire. 

J'aim  loiaument  de  cuer  et  sans  retraire 
La  plus  très  belle  et  le  plus  dous  viaire 
Qu'onques  encor  Nature  peiïst  faire, 
1  568  Qui  me  donna 

Jadis  son  cuer  tout  et  abandonna. 
Son  cuer,  s'amour,  son  ami  me  clama 
Et  par  son  dit  seur  tous  autres  m'ama. 
I  572  Or  est  einsi, 

Sire,  qu'elle  n'a  mais  cure  de  mi, 
Eins  m'a  guerpi,  et  fait  nouvel  ami. 
Et,  par  m'ame,  pas  ne  l'ay  desservi. 
1576  Et  d'autre  part, 

Mon  guerredon  ailleurs  donne  et  départ, 

1 55 1  manque  dans  KJ  ;  P  mors;  C  cest  —  1 553  CEKJP  Le 
pris  le  scens  ;  EKJ  et  Ion  —  i554  K  com  el  dit  aor;  J  si  comme 
dit  or—  1 555  AB  estre  des  bons  —  1 558  le  manque  dans  KJ;  KJ 
et  se  pi.  —  i56i  P  plus  grieue  est  —  1 563  EKJ  que  faire  me  c. 

—  1 565  J  Jamay —  1 566  très  manque  dans  D  —  1567  EK  encore 

—  1 56g  tout  manque  dans  E;  et  manque  dans  M  —  1570  EKJ 
Auec  samour  ;  C  Auuec  son  cuer  et  ami  ;  P  Amant  —  1 575  B  mon 
ame  —  1577  C  Bon;  CBDP  gu.  a  li  donne;  E  gu.  donne  a  li 
et  d.;  KJ  gu.  lui  donne. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE    I  I  ~ 

Ne  je  n'en  puis  avoir  ne  part  ne  hart  : 
C'est  ce,  sire,  pour  quoy  li  cuers  me  part. 

i58o  Si  m'est  avis, 

Considéré  mes  raisons,  que  j'ay  pis 
Que  la  dame,  comment  que  ses  amis 
Soit  trespassez,  Dieus  l'ait  en  paradis  ! 

i  584  Sire,  et  cils  clers 

Qui  me  samble  gais,  jolis  et  apers, 

Fu  atapis  ou  jardin  et  couvers 

En  plus  espès  dou  brueil  qui  est  tous  vers. 

1  588  Si  sailli  hors, 

Quant  il  ot  bien  oy  tous  nos  descors. 
Si  nous  loa  que  li  drois  et  li  tors 
Fust  mis  seur  vous,  et  ce  fu  nos  acors. 

092  Car  longuement 

Avoit  duré  de  nous  le  parlement, 

Et  si  aviens  fait  maint  arguement, 

Si  comme  il  est  escript  plus  pleinnement 

1596  Ici  dessus. 

Or  sommes  ci  par  devers  vous  venus, 
Par  quoy  li  drois  soit  jugiez  et  sceiis, 
Et  que  vos  dis  soit  de  nous  deus  tenus. 

1600  Si  que  ce  plait 

Pouez  tantost  terminer,  s'il  vous  plaist; 
Car  nous  avons  de  vous  no  juge  fait. 
Sire,  or  avez  oy  tout  nostre  fait 

1604  Entièrement; 

Si  en  vueilliez  faire  le  jugement, 

1579  CP  pourquoy  sire;  KJ  ce  dire  pour  quoy  —  i58i  EKJ 
ces  —  i583  P  dieus  li  face  mercis  —  1584  M  et  si  cl.  —  1 585 
KJ  samble  gens  j.;  C  et  jolis;  K  espars;  J  espers  —  1 586  et 
Ô87  intervertis  dans  C  —  1 586  EKJP  Se  fu  tapis  —  1587  C  est 
ouuers  —  1589  bien  manque  dans  D  —  1590  KJ  Et  —  \bgi  P 
sur  vous  mis  —  1594  CD  argument  —  i5g5  KJ  com  ;  E  comme 
yci  il  est  plus  pi.;  escript  manque  dans  D  —  Ô99  KJ  noz  diz 
soient  —  1600  C  cest  —  1601  MDK  si    —  1602  D  Et. 


I  1 8     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Car  nous  l'avons  désiré  longuement, 
Et  ceste  dame  et  moy  dévotement 
1608  Vous  en  prions.  » 

Quant  cils  li  ot  moustrées  leurs  raisons, 
Qui  bien  le  sot  faire  corn  sages  homs, 
Li  gentils  rois  qui  moult  estoit  preudons 
161 2  Li  respondi  : 

«  Se  Dieus  me  gart,  vous  avez  pris  en  mi 
Juge  ignorant  et  de  sens  desgarni, 
Ne  onques  mais  je  n'oy,  ne  ne  vi 
1616  Tel  jugement  : 

S'en  saroie  jugier  petitement. 
Mais  nompourquant  le  conseil  de  ma  gent 
En  vueil  avoir;  car  je  l'ay  bel  et  gent.  » 
1620  Lorsappella 

En  sousriant  Loiauté  qui  fu  la, 
Amour,  Juenesse  et  Raison,  qui  parla 
Premièrement,  et  puis  leur  demanda 
1624  Li  gentils  roys  : 

«  Que  diriez  vous  qui  savez  tous  les  drois? 
Cils  chevaliers  qui  gens  est  et  adrois 
Et  ceste  dame  aussi  a  ces  crins  blois 
1628  Sont  venu  ci 

Par  devers  moy,  dont  je  les  remerci, 
Et  jugement  vuelent  oïr  de  mi, 
Li  quels  a  plus  de  mal  et  de  sousci  : 
1 632  La  dame  avoit 

Ami  loial  qui  l'amoit  et  servoit, 
Et  elle  lui,  tant  comme  elle  pooit. 

1608  D  Nous  vous  pr.  —  1609  C  moustre;  C  les  r.  ;  DEKJP 
ses  r.  —  161 5  EKJ  mes  en  ma  vie  noy  ;  D  ne  vi  ne  oy  —  161 7 
EP  Si  en;  KJ  Si  nen;  K  présentement —  16 18  EKJ  Et  —  1620 
B  Si  —  1622  CE  Amours  —  1625  CDEKJP  dittes  (K  ditez)  — 
1626  CE  qui  est  gens;  KJ  qui  est  gentilz  et  drois  —  1627  C 
dame  icy  a  ;  F  ses  ;  EKJ  dame  qui  porte  ses  crins  [EJ  clins)  bl . 
—  i63o  EKJ  v.  auoir —  1634  C  tant  que  plus  ne  pouoit. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  1 9 

Or  est  einsi  que  Mors  qui  tout  reçoit 
1 636  Li  a  tollu. 

S'en  a  le  cuer  dolent  et  irascu, 

Car  a  son  temps  ot  il  si  grant  vertu 

Que  nul  milleur,  ne  nul  plus  bel  ne  fu. 
1640  Le  chevalier 

Sans  repentir  aimme  de  cuer  entier 

La  plus  belle  qui  vive,  a  son  cuidier  ; 

Et  elle  foy  sans  muer,  ne  changier 
1644  Li  a  promis, 

Et  retenus  fu  de  li  comme  amis 

Et  bien  amez  ;  il  en  estoit  tous  fis. 

Or  a  la  dame  en  autre  son  cuer  mis 
1648  Et  li  guerpi 

Dou  tout  en  tout,  et  n'a  cure  de  li. 

Et  a  ses  yeus  voit  la  belle  et  celi 

Qui  les  dous  biens  a  qu'il  a  desservi. 
i652  Or  vous  ay  dit 

Pour  quoy  il  sont  venu  oir  mon  dit. 

Et  sans  doubte,  cuers  qui  einsi  languit 

Se  destruit  moult  et  a  grant  doleur  vit. 
1 656  Si  m'en  devez 

Donner  conseil  au  mieus  que  vous  poez; 

Car  chascuns  est  mes  drus  et  mes  privez, 

Et  moult  me  fi  en  vous,  bien  le  savez. 
1660  Dites,  Raison. 

Premiers  oïr  vueil  vostre  entention; 

Car  vous  m'avez  maint  conseil  donné  bon.  » 

Raisons,  qui  fu  belle  et  de  bon  renom, 
1664  Einsi  respont  : 

i638  B'KJ  Car  en  —  i63g  KJ  nulz  —  1643  BDC  elle  soy; 
EKJ  elle  lui  [E  li);  P  elle  aussi  sanz  —  1644  K  a  ymis  {sic); 
J  ay  —  1646  KJ  tout  —  1649  D  lui  —  l65°  CDKJ  celui  —  1654 
J  doubter  —  1 655  et  manque  dans  J ;  KJ  en  gr.  —  i636  DP  me 
—  1657  M  a  mieus;  EKJ  sauez  —  i65g  KJ  men  —  1660  KJ  Si 
est  r.  —  1661    C  veuil  oir. 


I  20  LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

«  Sire,  je  di  que  cil  dui  amant  sont 
Moult  engoisseus,  quant  einsi  perdu  ont 
Ce  qu'il  aimment,  et  que  li  cuers  leur  font, 

1668  Si  com  la  cire 

Devant  le  feu  se  degaste  et  empire. 
Mais  qu'il  soient  tuit  pareil  de  martire 
Et  de  meschief,  ce  ne  vueil  je  pas  dire. 

1672  Ce  qui  me  muet 

Vous  vueil  dire,  puisque  faire  l'estuet  : 
Ceste  dame  jamais  vëoir  ne  puet 
Son  ami  vray,  einsi  comme  elle  suet. 

1676  Si  avenra 

Einsi  que,  puisque  plus  ne  le  verra, 
Je  feray  tant  qu'elle  l'oubliera. 
Car  li  cuers  ja  tant  chose  n'amera 

1680  Qu'il  ne  l'oublie 

Par  eslongier.  Certes,  je  ne  di  mie 
Qu'une  pièce  n'en  ait  peinne  et  hachie; 
Mais  Juenesse  qui  tant  est  gaie  et  lie 

1684  Ne  soufferroit 

Pour  nulle  riens  qu'entroubliez  ne  soit. 
Car  Juenesse,  sire,  comment  qu'il  voit, 
Met  en  oubli  moult  tost  ce  que  ne  voit. 

1688  Après  je  di 

Qu'Amours  n'a  pas  tant  de  pooir  en  li 
Que  soustenir  se  peiist  sans  ami 
L'eure  d'un  jour,  ne  sans  amie  aussi. 

i665  AFMBD  amans  —  1667  E  amoient;  KJ  et  qui;  P  les 
cuers;  leur  manque  dans  E  —  1669  se  manque  dans  A;  FM  ce; 
KJ  gaste  —  1670  tuit  manque  dans  M;  KJ  dun  mart.  —  1671 
EKJ  Ne  —  1672  E  Et  ce  qui  men  muet;  KJ  mesmeut  —  1673 
D  vueil  je  dire  ce  que  f .  ;   E  dire  lest.;  KJ  pourquoi  dire  lest. 

—  1675  vray  manque  dans  D;  P  com;  K  sceust   —    1676-1 71 5 
manquent  dans  D  —    1677  K  puis  plus;    P  la;   KJ   reuerra   — 

1681  KJ  certes  ne  dire  mie;  P  certes  ne  di  je  mie  —  1682  ÀVp. 
on  ait;  E  hastie  —  i683  E  gay  —  1686  P  soit  —  1687  EKJ  qui! 

—  1689  E  o  li  —  1691  ACD  du  jour. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  2  I 

1692  Et  se  l'un  faut 

Des  trois,  li  dui  autres  aront  deffaut  ; 
Qu'Amours,  ami  et  amie  estre  faut 
Tout  ensamble,  ou  l'amour  riens  ne  vaut. 

1696  Et  puisqu'amie 

Et  Amours  ont  perdu  la  compaingnie 
D'ami,  certes,  je  ne  donroie  mie 
De  leur  amour  une  pomme  porrie, 

1700  C'est  assavoir, 

Quant  a  l'amour,  qui  est  mondeinne,  avoir. 
Car  c'est  très  bon  de  faire  son  devoir, 
Si  que  l'ame  s'en  puist  apercevoir. 

1704  Mais  il  n'est  ame, 

N'homme  vivant  qui  aimme  si  sans  blâme, 

S'il  est  tapez  de  l'amoureuse  flame, 

Qu'il  n'aimme  mieus  assez  le  corps  que  l'ame. 

1708  Pour  quel  raison  ? 

Amour  vient  de  charnel  affection, 
Et  si  désir  et  sa  condition 
Sont  tuit  enclin  a  délectation. 

1712  Si  ne  se  puet 

Nuls,  ne  nulle  garder  qui  amer  vuet 
Qu'il  n'i  ait  vice  ou  pechié  ;  il  l'estuet  ; 
Et  c'est  contraire  a  l'ame  qui  s'en  duet. 

1716  Et  d'autre  part, 

Tout  aussi  tost  com  l'ame  se  départ 

Dou  corps,  l'amour  s'en  eslonge  et  espart. 


169?  EKJ  en  aront  (E  auront;  K  ont)  —  1694  EKJ  Car 
tous  trois  {E  tout  troy)  estre  en  une  amour  leur  faut  —  1695 
EKJ  Tous;  C  ou  amours  —  1697  CEKJ  leur  c.  —  1698  EKJ 
Dame  —  1701  KJ  est  ma  dame  auoir  —  1702  KJ  trop  bon  — 
1704  KJ  famé  —  1705  CEKJ  Ne  homs  viuans  ;  P  Domme  — 
1708-11  manquent  dans  P —  1708  CKJ  Par;  E  quelle  —  1709  M 
effection  —  1711  C  tout;  B  eslit;  E  en  del.  —  1713  E  qui  amour 
—  1714  M  pechier;  MK  il  estuet  —  171 5  E  a  la  dame;  KJ  se 
deust  —  1717  KJ  ainsi  ;   C  autressi  com  —  1718  KJ  départ. 


122     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Einsi  le  voy  partout,  se  Dieus  me  gart. 
1720  Si  que  l'amour 

De  ceste  dame  ou  tant  a  de  valour 

Apetise  toudis  de  jour  en  jour; 

Et  aussi  fait  a  ce  fuer  la  dolour. 
1724  Mais  cils  amis 

Qui  folement  s'est  d'amer  entremis 

Sans  mon  conseil,  et  se  s'i  est  si  mis, 

Li  dolereus,  qu'il  en  est  tous  remis, 
1728  Les  maus  d'amer 

Sont  en  son  cuer  qui  li  sont  trop  amer  ; 

Qu'Amours  le  fait  nuit  et  jour  enflamer, 

N'il  ne  vorroit,  ne  porroit  oublier 
1732  Son  anémie. 

Savez  pourquoy?  Pour  ce  que  Compaingnie, 

Amour,  Biauté  et  Juenesse  la  lie, 

Et  Loiauté,  qu'oublier  ne  vueil  mie, 
1736  En  grant  folie, 

En  rage,  en  dueil  et  en  forcenerie 

Le  font  languir,  et  en  grant  jalousie, 

Et  en  péril  de  l'ame  et  de  la  vie. 
1740  Car  main  et  tart 

Son  dolent  cuer  de  sa  dame  ne  part, 

Eins  la  compaingne  en  tous  lieus  sans  départ  ; 

Et  cils  qui  est  plus  près  dou  feu,  plus  s'art. 
1744  Et  Loiauté 

Si  li  deffent  a  faire  fausseté. 

Mais  s'il  eiist  par  mon  conseil  ouvré, 

Quant  sa  dame  ot  nuef  ami  recouvré, 

1720  D  ques  —  1721  CEKJ  moult  a  —  1722  KJ  tous  jours  — 
1723  C  cel  ;  D  feu  —  1725  P  damer  sest;  K  entrepris  —  172G  se 
manque  dans  D  —  1729  KJ  font;  J  damer  —  '734  C  le  —  1735 
qu  manque  dans  CP  —  1736  ZP  Et  —  1740  EJP  ne  —  1742 
EKJ  Mais;  AFMEKJ  le  comp.  ;  F  déport  —  1743  P  plus  est 
près;  MEKJ  pi.  art.  —  1745  Si  manque  dans  M;  KJ  d.  de  f.  — 
1747  C  Q.  ot  la  dame  ;  nuef  manque  dans  D. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE     123 

i  748  II  n'eiist  pas 

Continué  l'amour  ;  car,  en  tel  cas, 

Se  la  dame  chante  en  haut  ou  en  bas, 

On  doit  aler  ou  le  trot  ou  le  pas. 
ij52  Après  li  dist 

Biauté  qu'il  fait  mieus  assez,  s'il  languist, 

Pour  li  amer,  que  se  d'autre  joïst. 

Si  fait  Amour.  Juenesse  le  norrist 
17 56  Avec  folour 

En  ce  meschief,  en  celle  foie  errour; 

Car  il  en  pert  le  sens  et  la  vigour. 

Einsi  languist  li  dolens  en  dolour; 
1760  Car  quant  il  voit 

Que  de  s'amour,  présent  li,  autres  joit, 

Qui  son  ami  appeler  le  soloit, 

Il  a  le  cuer  si  jalous,  si  destroit, 
1764  Que  c'est  merveille 

Qu'il  ne  s'occist,  ou  qu'il  ne  s'apareille 

D'occirre  ce  qui  einsi  le  traveille  ; 

Et  ce  li  met  jalousie  en  l'oreille. 
1768  Et  s'il  avoit 

L'amour  de  li,  einsi  comme  il  soloit, 

Qu'en  feroit  il  ?  Certes,  riens  n'en  feroit. 

Car  jamais  jour  il  ne  s'i  fieroit. 
1772  Et  pour  c'espoir 

N'a  de  jamais  autre  solas  avoir, 


1749  E  C.  amour;  EKJ  quant;  D  quer  —  1750  EKJ  Car  se; 
M  ou  en  haut;  C  ch.  haut  ou  bas;  KJ  ch.  ou  haut  ou  bas  — 
1762  D  A.  il  dit  —  1753  DKJ  qui;  CKJ  assez  mieus;  KJ  qui 
languist —  1755  CEKJ  faite;  C  la;  KJ  jouuencelle  nourr.  — 
1757  C  cest;  K  que  celle;  en  manque  dans  D  —  1758  E  il  em- 
porte —  1759  EKJ  cilz  dolens;  EKJ  langour  —  1763  C  et  si  d. 
—  1767  E  Et  si  li  —  1769  K  si  comme—  1 770-1  dans  KJ  :  Ne 
sai  je  pas  se  (K  ce)  il  si  fieroit.  Certes  nennil  pourquoy  il  nose- 
roit  —  1770  D  ne  —  1771  P  Car  jamaiz  en  li  ne  se  fieroit;  C  ne 
se  firoit  —  1772  J  Pour  —  1773  E  Ne. 


I  24  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAIXGNE 

Puisque  mettre  ne  puet  en  nonchaloir 
Geste  dame  qui  tant  le  fait  doloir. 

1776  Si  que  je  di 

Qu'il  a  plus  mal  que  ceste  dame  ci, 

Et  que  son  cuer  est  en  plus  grant  sousci, 

Par  les  raisons  que  vous  avez  oï. 

1780  Et,  a  mon  gré, 

Cils  chevaliers  en  a  moult  bien  parlé  — 
Car  en  escript  l'ay  ci  dessus  trouvé  — 
Et  par  raison  s'entention  prouvé, 

1784  Ce  m'est  avis.  » 

Quant  Raisons  ot  conté  tout  son  avis, 
Amours  parla  qui  fu  biaus  a  devis, 
Et  gracieus  de  manière  et  de  vis, 

1788  Et  dist  :  «  Raison, 

Moult  bien  avez  moustrée  vo  raison. 
Si  m'i  ottroy,  fors  tant  que  mesprison 
Feroit  d'oster  son  cuer  de  la  prison 

1792  A  la  très  belle 

Pour  qui  il  sent  l'amoureuse  estincelle. 
Si  vueil  qu'il  l'aint  et  serve  comme  celle 
Dont  eu  a  mainte  lie  nouvelle. 

1796  Car  s'il  pooit 

Vivre  mil  ans,  et  toudis  la  servoit, 

Ja  par  servir  il  ne  desserviroit 

Les  grans  douceurs  que  faire  li  soloit. 


1774  KJ  Puisquil  ne  puet  mètre  ;  E  en  un  chaloir  —  1775  D 
Celle;  E  qui  trop  —  1778  EKJ  en  greignour  s.  —  1781  C 
Cest;  BD  moult  haut  p.  —  1782  EK  la  cy  —  1785  A  ot  moustre 
—  1  786  C  b.  et  a  lis  ;  fu  manque  dans  J  —  1 787  D  et  vis  ;  P  et  de 
diz  —  1789  CBDEJ  moustre  vostre  r.  —  1790  que  manque  dans 
D—  1791  J  Seroit  —  1792  E  Qua  —  1793  BD  Pour  ce  quil 
sent;  EKJ  Pour  quil  aimt  sceust  xauoureuse  est.  (estincelle  man- 
que dans  J)  —  1794  E  Maiz;  1  manque  dans  K;  P  laime;  E  et 
aime;  KJ  et  quil  serue  {K  serre)  ycelle —  1795  EKJ  a  eu; 
D  en  a  eu;  C  eue  ;  D  liée  —  1797  P  le  —   1798  DEP  pour. 


LE  JUGEMENT    DOtl    ROY    DE   BEHAINGNE  1  25 

1800  Et  se  Plaisance 

Qui  faire  fait  mainte  estrange  muance 
Li  fait  estre  de  sa  dame  en  doubtance, 
Doit  il  estre  pour  c"en  désespérance? 

1804  Certes!  nannil! 

Qu'en  mon  service  en  a  encor  cent  mil 
Qui  aimment  tuit  près  aussi  fort  comme  il, 
Et  si  n'en  ont  la  monte  d'un  fusil. 

1808  Et  s'ay  pouoir 

De  li  garir  et  de  li  desdoloir. 

Mais  il  n'a  mais  fiance,  ne  espoir, 

En  moy  ;  c'est  ce  qui  plus  le  fait  doloir.  » 

181 2  —  «  Comment,  Amours?  » 

Ce  dist  Raisons,  «  est  ce  dont  de  vos  tours 
Qu'il  amera,  sans  avoir  nul  secours, 
Celle  qui  a  donné  son  cuer  aillours  ? 

18 16  Et  qui  vous  sert, 

Il  n'a  mie  le  loier  qu'il  dessert  ? 

Certes,  fols  est  qui  a  servir  s'aert 

Si  fait  maistre,  quant  son  guerredon  pert.  » 

1820  Après  ce  fait 

Devers  Amours  Loiauté  se  retrait, 
Et  dist  einsi,  que  riens  n'eùst  meffait, 
Se  d'autel  pain  li  eiist  soupe  fait. 

1824  «  N'il  n'est  raisons 

Pour  ce,  s'il  est  vrais,  loiaus  et  preudons, 


1801  EKJ  fait  faire  —  1802  D  Lui  fait  faire;  MEJ  Le;  en 
manque  dans  D  —  i8o3  MD  pour  ce  estre  —  1806  près  manque 
dans  KJ  ;  CD  daussi  ;  M  cil  —  1807  E  Et  sil;  E  le  —  1809  C 
ou;  E  doloir;  KJ  redoloir  —  181  3  Ce  dist  raisons  manquent  dans 
D;  KJ  dist  amours;  P  sont  ce  —  1814  MK  nulz;  E  recours; 
KJ  retours  —  1 81 5  C  Que  elle;  donne  manque  dans  D  —  Les 
vers  i8i6-g  ne  figurent  que  dans  CEKJP  —  18 16  C  nous  — 
1817  C  Quil  —  1819  E  Si  f<  mestier  ;  KJ  que;  C  quant  gu.  y 
pert  —  1822  C  que  de  rien  —  1828  E  souppes  —  1825  B  et 
loyaux;  D  loyal  et  vray  prodoms:  E  loyaux  vrais. 


12b  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Qu'il  soit  de  ceuls  qui  bâtent  les  buissons 
Dont  li  autre  prennent  les  oisillons. 

1828  Car  se  la  dame 

Que  je  repren  moult  durement  et  blâme,  — 
Et  c'est  bien  drois,  car  elle  acuet  grant  blâme 
De  muance  faire  en  la  fausse  game,  — 

i832  Premièrement 

N'eiist  osté  son  cuer  de  cest  amant 
Qui  tous  estoit  en  son  commandement, 
Amours,  Amours,  je  parlasse  autrement. 

1 836  Mais  sans  doubtance, 

Quant  il  l'aimme  de  toute  sa  puissance, 

Et  sans  cause  le  met  en  oubliance, 

Il  doit  dancier  einsi  comme  elle  dance, 

1840  Nom  pas  qu'il  face 

Chose  de  quoy  il  puist  perdre  ma  grâce; 
Car  s'il  la  laist,  et  ailleurs  se  pourchace, 
Je  ne  tien  pas  qu'envers  moy  se  mcfface. 

1844  Et  si  m'acort 

Dou  tout  en  tout  de  Raison  a  l'acort, 

(Car  elle  fait  bon  et  loial  raport) 

Que  cils  a  droit,  et  ceste  dame  a  tort.  » 

1848  Et  quant  Juenesse 

Qui  moult  fu  gaie  et  pleinne  de  lëesse, 
Et  qui  n'aconte  a  don,  ne  a  promesse, 
Fors  seulement  que  ses  voloirs  adresse, 

i852  Ot  escouté 

Ce  que  Raisons  ot  dit  et  raconté 

1829  M  doucement  —  i83o  KJP  elle  acquiert;  E  je  acquier 
un  gr.  bl.;  grant  manque  dans  D  —  1 83 1  C  De  la  muance;  D 
faire  muance;  ADEKJC  haute  game  —  1834  EP  a  son  -1-  i835 
KJ  A  mon  auis  je  parlasse  (J  je  parlaisse)  —  i83y  1  manque  dans 
KJ —  1841  E  par  quoi  y  puct;  LP  sa  (C  ca)  grâce  —  1842  KJ 
sel  le  laist;  P  le  laist;  D  lcsse  —  1843  EKJ  ne  di  pas  —  1846 
D  De;  C  a  raison  —  1846  KJ  elle  a  fait  —  i85o  KJ  a  veu  ny  a 
pr.  —  1 85 1  K  qui  son  vouloir  adr.  —  18D2  J  Et. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAIN'GNE  I  27 

Et  Loiauté,  pou  y  a  aconté, 

Car  moult  pleinne  fu  de  sa  volenté, 

1 856  Et  dist  en  haut  : 

«  Certes,  Raison,  vostre  science  faut, 
Et  Loiauté,  sachiez,  riens  ne  vous  vaut. 
Car  cils  amis,  pour  mal,  ne  pour  assaut 

1860  Qu'Amours  li  face, 

N'iert  ja  partis  de  la  belle  topasse 
Qui  de  biauté  et  de  douceur  tout  passe, 
Et  de  fine  colour;  ja  Dieu  ne  place 

1864  Qu'il  li  aveingne 

Que  ja  d'amer  la  belle  se  refreingne  ! 

Car  s'a  présent  ne  le  vuet,  ne  n'adaingne, 

Au  moins  l'aimme  il,  et  son  cuer  la  compaingne. 

1868  Dont  n'est  ce  assez  ? 

Doit  il  estre  de  li  amer  lassez  ? 
Certes,  nennil  !  Car  on  n'est  pas  amez, 
Ne  conjoïs  toudis,  n'amis  clamez  : 

1872  Non  est,  sans  doute. 

Raison,  fols  est  amans  qui  vous  escoute, 
Ne  qui  ensuit  vos  dis,  ne  vostre  route. 
Et  qui  le  fait,  je  di  qu'il  ne  voit  goûte. 

1876  Et  par  ma  foy, 

Nous  ferons  tant,  Amours,  ma  dame  et  moy, 
Que  son  cuer  yert  si  pris,  et  en  tel  ploy, 


1854  M  y  a  po  —  1 855  E  Car  pleine  fu  moult  de  sa  v.  ;  P  Car 
moult  fu  plaine  et  de  sa  v.  —  i856  CP  Si  —  i858  et  1859  inter- 
vertis dans  KJ —  i858  DEKJ  certes  riens;  vous  manque  dans  C 
—  i85g  C  cest  ami  —  1861-84  ne  se  trouvent  que  dans  EKJR  — 
1861  E  compassé  —  1862  manque  dans  R  —  i863  E  ne  dieu  — 
i865  R  sestreingne  —  1866  KJ  Car  son  penser;  R  ne  lui  vault; 
KJ  ne  daingne;  n  manque  dans  R —  1871  KJ  Ne  conjoinz;  R  Ne 
comme  roy;  R  mauez  cl.  —  1872  KJ  N.  et  s.;  R  s.  doubtance  — 
1873  R  Raison  raison  fols  est;  amans  manque  dans  ER  —  1874 
K  vous  dis  —  1877  tant  manque  dans  R  —  1878  R  cuer  y  est; 
R  a  tel  pi. 


128    LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHA1NGNE 

Que  nuit,  ne  jour  ne  partira  de  soy. 
1880  Ne  vos  effors, 

Ne  doubtez  pas,  ne  sera  ja  si  fors 
Que  li  fins  cuers  de  cest  amant  soit  hors 
De  la  très  belle  ou  po  treuve  confors. 
1884  Qu'Amour,  ma  dame, 

Qui  son  cuer  art,  teint,  bruit  et  enflame, 
Et  moy  qui  sui  encor  a  tout  ma  flame, 
En  ceste  amour  le  tenrons  ;  car,  par  m'ame, 
1888  II  le  couvient. 

Et  se  des  maus  dolereus  plus  li  vient 
Qu'a  la  dame  qui  dalez  lui  se  tient, 
Fors  est  assez;  bien  les  porte  et  soustient.  » 
1892  Lors  s'avisa 

Li  gentils  rois,  et  bonnement  ris  a 
De  Juenesse  qui  einsi  devisa  ; 
Mais  onques  meins  pour  ce  ne  l'en  prisa, 
1896  Qu'elle  faisoit 

Tout  son  devoir  de  ce  qu'elle  disoit, 
Et  de  son  vueil  plus  chier  denrée  avoit, 
Que  dis  livres  de  son  profit  n'amoit. 
1900  Si  dist  :  «  Juenesse, 

Belle  dame,  vous  estes  grant  maistresse 
Qui  cest  amant  tenez  en  grant  destresse, 
En  povreté,  en  misère,  en  tristesse, 
1904  Vous  et  Amours. 


1881  E  seroit;  si  manque  dans  J  —  1882  et  i883  intervertis  dans 
R  —  1 882  R  Qui  le  sien  cuer  ;  R  soit  fort  —  1 885  KJ  mon  cuer  ; 
K  art  tant;  C  et  bruit;  P  cuer  taint  et  bruit  et  entache  —  1886 
et  1887  dans  P  :  Ne  guerpira  sa  dame  ne  sa  fâche  Et  je  di  bien 
et  voeil  que  chascun  sache  —  1887  C  cest  —  1888  P  Quil  —  1889 
EP  Et  de  ses  maux  {P  malx)  ;  BD  de  maux  (D  maulz)  —  1890  E 
Car;  KJ  Par—  1891  D  Forte;  C  le  —  1892  F  sacusa  —  1894 
D  qui  a   d.  —  i8g5    DE  le  —  1897   KJ  faisoit   —   1898  C  amoit 

—  1899  KJ  Qui  .xv.  de  ;  CBDEKJ  auoit;  P  aroit  —  1900  C  Et 

—  1902  KJ  Quant;  EKJ  en  tel  d. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  2Q 

Vez  que  li  las  a  perdu  tout  secours, 
Ne  ses  cuers  n'a  refuge,  ne  recours, 
Fors  a  la  mort  qui  a  li  vient  le  cours. 

1908  Car  travillier 

Le  volez  trop,  et  dou  tout  essillier. 
Or  a  trouve,  s'il  vous  plaist,  consillier 
Bon  et  loial  ;  laissiez  le  consillier; 

1912  Si  ferez  bien. 

Car  il  est  pris  en  si  estroit  lien 

Qu'il  n'i  scet  tour  d'eschaper,  ne  engien.  » 

—  «  Certes,  sire,  de  ce  ne  faire  rien . 

1916  Eins  amera 

La  très  belle  pour  qui  tant  d'amer  a. 
Et,  s'il  y  muert,  chascuns  le  clamera 
Martir  d'amours,  et  honneur  li  sera, 

1920  S'il  muert  pourli.  » 

Quant  Juenesse  ot  son  parler  assevi, 
Li  rois  parla  a  euls  et  dist  einsi  : 
«  Nous  ne  sommes  pas  assemblé  ici 

1924  Pour  desputer 

S'il  doit  amer  sa  dame  ou  non  amer. 
Mais  pour  savoir  li  quels  a  plus  d'amer, 
Et  qui  plus  sent  crueus  les  maus  d'amer, 

1928  Si  com  moy  samble. 


1905  D  Vees  li  las  ;  C  tous  ;  P  p.  son  secours;  KJ  tout  le 
cours  —  1906  D  Que;  KJ  Nen  son  cuer;  BDE  secours  —  1907 
C  vient  a  li  ;  M  qui  li  vient  tout  le  cours  —  1910  M  si  ;  D  se  — 
191 3  C  destroit  —  1914  DEKJP  Quil  ne  scet  ;  E  tout;  d  manque 
dans  D;  KJ  ni  engien  —  191 5  KJ  feray  ;  P  ferons  —  1918  KJ  en 
muert  —  19 19  DKJP  fera  —  1921  E  son  penser;  KJ  feni  — 
1922  a  euls  manque  dans  D;  D  aussi  —  192?  DE  ci  —  1924  D 
discuter  —  1925  EKJ  sa  (KJ  la)  dame  amer;  D  doit  ou  nom  sa 
dame  amer  —  1927  D  Et  li  quel  sent  plus  cruelz  mal  damer; 
C  qui  sont  plus;  J  qui  plus  sont  cr.  —  1928  C  Si  comme  sem- 
ble; D  qui  me;  P  me. 

Tome  I.  ,, 


IOO     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  BEHAINGNE 

Or  estes  vous  en  acort  tout  ensamble 
Que  plus  de  mal  en  cest  amant  s'assamble 
Qu'en  la  dame;  ne  pas  ne  me  dessamble 

ig32  De  cest  acort, 

Einsois  m'i  tieng  dou  tout  et  m'i  acort, 
Que  cils  amans  est  plus  loing  de  confort 
Que  la  dame  ne  soit,  que  Dieus  confort. 

1936  Si  en  feray 

Le  jugement  einsi  com  je  saray. 
Car  tel  chose  pas  acoustumé  n'ay, 
Et  uns  autres,  vraiement,  bien  le  say, 

1940  Mieus  le  feroit. 

Je  di  einsi  :  Considéré  a  droit 

L/entention  de  Raison  ci  endroit, 

Et  les  raisons  de  vous  qui  volez  droit, 

1944  Et  Loiauté 

Qui  en  a  dit  la  pure  vérité, 
Ne  n'i  chasse  barat  ne  fausseté, 
D'Amours  aussi  qui  en  a  bien  parlé, 

1948  Et  de  Juenesse, 

Que  cils  amans  sueffre  plus  de  tristesse. 
Et  que  li  maus  d'amours  plus  fort  le  blesse 
Que  la  dame,  ou  moult  a  de  noblesse, 

1952  Et  que  plus  loing 

Est  de  confort,  dont  il  ont  bon  besoing, 
Et  pour  ce  di  mon  jugement  et  doing. 
Qu'il  a  plus  mal  qu'elle  n'a,  plus  de  soing 


192g   P  dun  acort  tuit  eus.  ;  C  a  acort;  EKJ  ac.  ce  me  semble 

—  1930  s  manque  dans  J —  1933  EKJ  du  tout  mi  tieng  [E  tiens); 
D  et  du  tout  —  1934  EKJ  cest  amant  —  1935  manque  dans  J  : 
D  comport  —  1937  EKJ  an  mieus  que  je  s.  —  1938  E  Qua  — 
1939  KJ  vous  autres  —  1941  KJ  Si;  C  et  cons.  —  1942  C  cy  a 
ilroit  —  1945  D  Qui  a  ditte  —  1949  EKJ  Que  cest  amant  est 
plus   près  de  tr.  —    19.S0  CP  uamer  —    1931  a  manque  dans  M 

—  1953  K  il  a  ;  CDP  bien  —  1954  E  dit  —  1955  C  plus  de  mal; 
DP  et  plus  (P  de)  soing;    C  na  de  besoing  ;  KJ  et  grant  soing. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE  I  D  I 

1956  Et  de  grevance.  » 

Quant  li  bons  rois  ot  rendu  sa  sentence 

Dont  par  Raison  fu  faite  l'ordenance, 

Li  chevaliers  iluec,  en  sa  présence, 
1960  L'en  mercia. 

Et  en  pensant,  la  dame  s'oublia 

Si  durement  que  nul  mot  dit  n'i  a. 

Mais  nompourquant  en  la  fin  ottria 
1964  Qu'elle  tenoit 

Le  jugement  que  li  rois  fait  avoit; 

Car  si  sages  et  si  loiaus  estoit 

Qu'envers  nelui  fors  raison  ne  feroit. 
1968  Adont  li  rois 

En  sousriant  les  a  pris  par  les  dois 

Et  les  assist  seur  le  tapis  norois, 

Loing  des  autres,  si  qu'il  n'i  ot  qu'euls  trois. 
1972  Si  leur  enorte 

Et  deprie  chascun  qu'il  se  conforte  ; 

Car  se  le  cuer  longuement  tel  mal  porte, 

Il  en  porroit  mors  estre,  et  elle  morte, 
1976  Que  ja  n'aveingne, 

Mais  chascuns  d'eaus  bon  corage  reprengne. 

Car  li  cuers  trop  se  destruit  et  mehaingne 

Qui  en  tel  pleur  et  tel  doleur  se  baingne  ; 
1980  Et  recorder 

Voit  on  souvent  qu'on  doit  tout  oublier 

Ce  qu'on  voit  bien  qu'on  ne  puet  amender, 

1967  C  donne  —  1969  KJ  ch.  se  lieue  en  —  i960  KJ  Le  — 
1961  KJ  loublia  —  1963  KJ  Et;  J  loctroia  —  1964  C  venoit  — 
196D  C  Li  jugemens  —  1967  E  Que  pournului;  C  Que  vers 
nulz;  KJ  faisoit  (J  t  fesoit)  —  ]9'39  a  manque  dans  J  —  '97° 
E  sous;  CDEKJP  les  tapis  ;  C  noirois  —  1971  D  qui  ni  ot  que 
.m.  —  1973  C  déporte  —  '974  K  ce;  KJ  leur  cuer;  E  leurs 
cuers;  CP  tel  mal  longuement  —  1975  P  porra  estre  mors  elle 
m.  —  1978  C  tr.  le  destraint;  D  mehaine  —  1979  CP  et  en  tel; 
se  manque  dans  P  —  1981  EKJ  Ot  ;  CP  tost  —  1982  C  quen. 


I  32  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Ne  recouvrer  par  pleindre  ne  plourer. 
1984  S'einsi  le  font, 

Vers  Loiauté,  ce  dist,  pas  ne  meffont; 
Mais  s'en  ce  plour  pour  amer  se  meffont, 
Homicides  de  leur  âmes  se  font 
1988  Et  de  leur  vie. 

Après  li  rois  appella  sa  maisnie  ; 
Si  vint  Franchise,  Honneur  et  Courtoisie, 
Biauté,  Désir,  Leësse  l'envoisie, 
1992  Et  Hardiesse, 

Prouesse,  Amour,  Loiauté  et  Largesse, 
Voloir,  Penser,  Richesse  avec  Juenesse, 
Et  puis  Raison  qui  de  tous  fu  maistresse. 
1996  Si  leur  commande 

Que  chascuns  d'eaus  a  honnourer  entende 
Ces  deus  amans,  et  qu'Amour  leur  deffende 
Merencolie.  Après,  que  la  viande 
2000  Soit  aprestée, 

Car  il  estoit  ja  près  de  la  vesprée. 
Et  il  ont  fait  son  vueil  sans  demourée, 
Com  bonne  gent  et  bien  endoctrinée. 
2004  Lors  se  sont  trait 

Vers  les  amans,  sans  faire  plus  de  plait; 
Et  chascuns  d'eaus  a  son  pooir  a  fait 
Ce  qu'il  pense  qui  leur  agrée  et  plait, 
2008  Qu'entalenté 

En  estoient  de  bonne  volenté. 

ig83  M  ne  par  pi.;  C  par  plaint  ne  par  pi.  —  ig8b  EKJ  pas 
ce  dist  {KJ  dit)  —  1986  K  tel  plour;  pour  manque  dans  D; 
EKJ  deffbnt  —  1987  D  armes;  CKJP  seront;  E  feront  —  1988 
D  vies —  1991  P  Loyauté  et  désir;  C  renuoisie  —  1993  BD  Pr. 
honneur;  P  souuenirs  et  larg.  ;  D  et  leesce  —  1994  C  et  jonesse 
—  1994  et  1995  intervertis  dans  KJ  —  1995  P  qui  sur  tous  est 
m.  —  1996  E  demande  —  1998  C  que  amer;  KJ  et  (K  et  que) 
moult  leur  deff.  —  20o3  E  bonnes  gens  —  2007  E  quilz  pen- 
sent; D  pensent  —  2008  C  atalante  —  2009  En  manque  dans 
EKJ. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    REHAINGNE  I  33 

Et  li  amant  ont  congié  demandé. 
Mais  on  leur  a  baudement  refusé, 
20 12  Car  Courtoisie, 

Franchise,  Honneur,  et  Largesse  s'amie, 

Li  gentils  rois  qui  pas  ne  s'i  oublie, 

Et  chascuns  d'eaus  moult  duremeut  les  prie 
2016  De  demourer. 

Et  il  estoit  près  heure  de  souper. 

Et  a  ce  mot  on  prist  l'iaue  a  corner 

Par  le  chastel,  et  forment  a  tromper  ; 
2020  Si  se  levèrent, 

Et  deus  et  deus  en  la  sale  en  alerent  ; 

Après  leurs  mains  courtoisement  lavèrent; 

Puis  s'assirent,  si  burent  et  mengierent, 
2024  Selonc  raison, 

Car  il  y  ot  planté  et  a  foison 

De  quanqu'on  puet  dire  n'avoir  de  bon. 

Après  mengier,  les  prist  par  le  giron 
2028  Li  gentils  rois, 

Et  si  leur  dist  :  «  Vous  n'en  irez  des  mois, 

Car  je  vous  vueil  oster  a  ceste  fois 

Les  pensées  qui  vous  font  moult  d'anois.  » 
20 3  2  Le  chevalier 

Moult  humblement  l'en  prist  a  mercier, 

Et  aussi  fist  la  dame  qui  targier 

Ne  pooit  plus,  ce  dist,  de  repairier. 
2o36  Et  finalment 

201 1  A  partir  de  ce  vers  la  fin  manque  dans  K  —  201 1  C  aban- 
donneraient —  2oi5  CEJP  doucement;  BD  len  ;  P  leur —  2017 
DJ  près  deure  ;  P  prez  de  leure  —  2018  C  cest;  J  leaus  —  2020 
D  lauerent  —  2021  M  11  a  11.;  en  manque  dans  C  —  2023  EJ  et 
burent;  D  bugent  —  202 5  M  ot  a  plante  ;  E  faison  ;  D  Quan- 
ques  y  fu  fu  plante  et  foison  —  2026  P  De  quanque  len  porroit 
auoir  de  bon;  E  quanqui  on  ;  CfcVpot;  C  dire  et  auoir  —  2027 
F  le;  E  les  gieron;  D  geron  —  2o3i  EJP  qui  moult  vous  font; 
J  destrois  —  m3?  P  Ne  se  pot  plus  ;  J  rapairier  —  2o36  EJ 
Finablement. 


]  34  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAINGNE 

Li  rois  les  tint  huit  jours  moult  liement 
Et  au  partir  leur  donna  largement 
Chevaus,  harnois,  joiaus,  or  et  argent. 

2040  Si  se  partirent 

Au  chief  d'huit  jours  et  dou  roy  congié  prirent, 
Ou  tant  orent  trouvé  d'onneur  qu'il  dirent 
Qu'ains  si  bon  roy  ne  si  gentil  ne  virent. 

2044  Mais  compaingnie 

Leur  fist  Honneur;  aussi  fist  Courtoisie, 

Juenesse,  Amour,  Richesse  l'aaisie, 

Et  meint  autre  que  nommer  ne  say  mie. 

2048  Car  il  montèrent 

Sus  les  chevaus  et  tant  les  convoierent 
Que  chascun  d'eaus  en  son  hostel  menèrent, 
Et  puis  au  roy  a  Durbui  retournèrent. 

2o52  Ci  fineray 

Ma  matière,  ne  plus  n'en  rimeray  ; 
Car  autre  part  assez  a  rimer  ay. 
Mais  en  la  fin  de  ce  livret  feray 

2o56  Que  qui  savoir 

Vorra   mon  nom  et  mon  seurnom  de  voir, 
Il  le  porra  clcrement  percevoir 
En  darrein  ver  dou  livret  et  vëoir, 

2060  Mais  qu'il  dessamble 

Les  premières  set  sillabes  d'ensamble 
Et  les  lettres  d'autre  guise  rassamble. 


2o3g  C  hernois  —  2040  C  Et  —  2041  E  des  .  vin.  :  P  A  .vin. 
jours  et  au  roy  —  2042  D  damour  —  2043  A  Queinc  ;  PD  Quonc  > 
J  roys  ;  J  gentilz  —  2045  C  et  si  fist  —  2046  B'  et  rich.  ;  C  li 
aisiee  ;  EJ  lenuoisie  ;  B  la  lie;  F  la  vie;  D  et  liesce  la  lie;  P 
leece  lenuoisie  —  2o5o  D  et  en  lostel;  J  en  leur  h.;  P  en  leurs 
chastel  —  2o53  MBD  et  plus;  J  ne  r.  — 2034  et  2o35  intervertis 
dans  D  —  2054  EP  dautre  part  ;  D  assez  en  rimeray  —  2o55  C 
cest;  BD  liure  —  2057  P  pour  voir  —  2059  CBEJ  Ou;  D  V;  P 
Au  derrcnier  ;  E  derrenier;  ver  manque  dans  P  ;  M  liure  — 
3061  P  s'arrête  ici;  E  premiers;  E  desamble. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    BEHAIXGXE  1 33 

Si  que  nulle  n'en  oublie  ne  emble. 

2064  Einsi  porra 

Mon  nom  savoir  qui  savoir  le  vorra. 
Mais  ja  pour  ce  mieus  ne  m'en  prisera. 
Et  nompourquant  ja  pour  ce  ne  sera 

2068  Que  je  ne  soie 

Loiaus  amis,  jolis  et  pleins  de  joie  ; 
Car  se  riens  plus  en  ce  monde  n'avoie 
Fors  ce  que  j'aim  ma  dame  simple  et  coie 

2072  Contre  son  gré, 

Si  ay  j'assez,  qu'Amours  m'a  honnouré 
Et  richement  mon  mal  guerredonné, 
Quant  a  ma  dane  einsi  mon  cuer  donné 

2076  Ay  a  tous  jours. 

Et  ce  mon  cuer  conforte  en  ses  dolours 

Que,  quant  premiers  senti  les  maus  d'amours, 

A  gentil  mal  cuide  humble  secours. 

Explicit  le  Jugement  doit  Roy  de  Behaingne'. 

i.  L'Explicit  manque  dans  D  ;  FMBC  du  bon  roy  ;  B  boeme; 
C  Ci  fenist  le  temps  pascour;  E  Explicit. 

2o63  M  nen  emble  —  2067  E  Maiz  —  2069  J  amans  joieux  ; 
E  joiaux  —  2072  E  Outre;  J  Et  de  son  gre  —  2076  a  manque 
dans  E  —  2077  MBDE  se  ;  F  ces  ;  BD  amours  —  2078  E 
Quant  au  premier;  J  le  mal  ;  D  le  mau  —  2079  EJ  Ou;  EJ 
cuiday. 


m 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 


CONTRE    LE. 


JUGEMENT   DOU    ROY  DE   BEHAINGNE  ' 


Au  départir  dou  bel  esté 

Qui  a  gais  et  jolis  esté, 

De  fleurs,  de  fueilles  faillolez, 

Et  d'arbrissiaus  emmaillolez, 

Arrousez  de  douce  rousée, 

Séchiez  par  chaleur  ordenée 

Que  le  soleil  li  amenistre, 

Et  qu'oisillons  ont  leur  chapitre 

Tenu  de  sons  et  de  hoquès, 

Par  plains,  par  aunois,  par  bosquès, 

Pour  li  servir  et  honnourer, 


i.  MBE  Ci  commence  le  jugement  du  roy  de  nauarre;  F  du 
bon  roy  de  B.  ;  D  n'a  pas  de  titre,  ce  Dit  y  étant  considéré 
comme  la  continuation  immédiate  du  Dit  précédent. 

1  E  Ou  —  3  D  flour  ;  DE  feulles  feulloles  —  7  D  leur  —  8  D 
tiennent  ch.;  B  chapistre  —  9  D  T.  desouz  —  10  E  annoys  et  par 
bocques. 


I 38  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

12        Que  tout  ce  couvient  demourer 
Pour  le  temps  qui,  de  sa  nature, 
Mue  sa  chaleur  en  froidure, 
Un  po  après  le  temps  d'autonne 

)6        Que  chascuns  vandange  et  entonne 
Qui  a  vingnes  a  vandangier, 
Et  qu'on  a  a  petit  dangier 
Pesches,  moust,  poires  et  roisins, 

20        Dont  on  présente  a  ses  voisins, 
Que  li  blez  en  la  terre  germe 
Et  que  la  fueille  chiet  dou  cherme, 
Par  nature,  ou  dou  vent  qui  vente, 

24        L'an  mil  trois  cens  nuef  et  quarante, 
Le  novisme  jour  de  novembre, 
M'en  aloie  par  mi  ma  chambre. 
Et  se  li  airs  fust  clers  et  purs, 

28        Je  fusse  ailleurs  ;  mais  si  obscurs 
Estoit,  que  montaingnes  et  plains 
Estoient  de  bruines  pleins. 
Pour  ce  me  tenoie  a  couvert  ; 

32         Car  ce  qu'estre  soloit  tout  vert 
Estoit  mué  en  autre  teint, 
Car  bise  l'avoit  tout  desteint 
Qui  mainte  fleur  a  decopée 

36        Par  la  froidure  de  s'espée. 

Si  que  la  merencolioie 
Tous  seuls  en  ma  chambre  et  pensoie 
Comment  par  conseil  de  taverne 
40        Li  mondes  par  tout  se  gouverne  ; 


12  D  se  —  18  F  dongier  —  19  E  moult;  D  pesches  et  raisins 

—  21  D  Que  ble  ;  FB  bief —  ~i  B  chierme;  D  chiesne  ;  E 
chcnnc  —  2  3  D  out  —  2  5  Mss.  Le  .ix*.  j.  —  26  E  alay  —  27 
D  tu  —  j>2  D    Que  ce  quaistre  —   33  D  Estre  —  35  D  deserpee 

—  38  £  ceulz;  et  manque  dans  D  —  3g  D  Comme. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  I  ÔO, 

Comment  justice  et  vérité 

Sont  mortes  par  l'iniquité 

D'avarice  qui  en  maint  règne 
44        Com  dame  souvereinne  règne, 

Com  maistresse,  comme  royne,  — 

Qu'avarice  engendre  haine, 

Et  largesse  donne  et  rent  gloire, 
48        Vraiement,  c'est  parole  voire, 

Qu'on  le  scet  et  voit  clerement 

Par  vray  et  juste  experiment,  — 

Comment  nuls  ne  fait  son  devoir, 
52         Comment  chascuns  quiert  décevoir 

Son  proisme;  car  je  ne  voy  père, 

Fil,  ne  fille,  ne  suer,  ne  frère, 

Mère,  marrastre,  ne  cousine, 
56        Tante,  oncle,  voisin,  ne  voisine, 

Mari,  mouillier,  amy,  n'amie 

Que  li  uns  l'autre  ne  cunchie  ; 

Et  s'un  en  y  a  qui  s'en  garde, 
60        Chascuns  de  travers  le  regarde, 

Et  dit  on  qu'il  est  ypocrites, 

Et  fust  sains  Jehans  li  Ermites  ; 

Com  li  signeur  leur  subgiez  pillent, 
64        Roubent,  raembent  et  essillent 

Et  mettent  a  destruction 

Sans  pitié  ne  compation, 

Si  que  grans  meschiés,  ce  me  samble, 
68        Est  de  vice  et  pooir  ensamble. 

Et  on  le  voit  assez  de  fait, 

Ne  riens  tant  cuer  félon  ne  fait 

41  D  Comme  — 43  A  aduarice;  M  main  —  44  ME  Comme;  D 
royne  —  45  et  46  intervertis  dans  BDE  —  45  E  Comme;  D  et 
com  —  48  FM  Voirement  —  49  -E  Quen  li  scet  —  5o  DE  vraie  — 
5i  et  52  D  Comme  —  53  A  peire  —  34  ne  {devant  suer)  manque 
dans  M  —  63  E  subget  —  64  F  raembrent  ;  M  raiembrent  ;  D 
rnon«nent  —  67   F  se  —  68  D  de  vies. 


I40      LI  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Com  grant  pooir  qui  mal  en  use. 
72        Or  voy  que  chascuns  en  abuse, 

Car  je  ne  voy  homme  puissant 

Qui  n'ait  puis  dis,  puis  vint,  puis  cent 

Tours,  manières,  engiens  ou  ars 
76        Pour  pillier  hardis  et  couars. 

Car  couvoitise  les  atrape, 

Si  que  nuls  de  leurs  mains  n'eschape, 

S'il  n'est  dont  tels  qu'il  n'ait  que  perdre. 
80        A  tels  ne  s'ont  cure  d'aërdre  : 

Car  qui  riens  n'a,  riens  ne  li  chiet  ; 

De  tels  gens  riens  ne  leur  eschiet. 

Mais  couvoiteus  ont  tel  défaut 
84        Que  quant  plus  ont,  plus  leur  deffaut, 

Et  quant  plus  sont  puissamment  riche. 

Tant  sont  il  plus  aver  et  chiche; 

Qu'avarice  ardant  qui  d'euls  vist, 
88         Com  plus  vivent,  plus  rajonnist. 

Et  de  ce  la  vient  la  tempeste 

Qui  destruit  le  monde  et  tempeste. 

Les  merveilles  et  les  fortunes 
92         Qui  au  jour  d'ui  sont  si  communes 

Qu'on  n'oit  de  nulle  part  nouvelle 

Qui  soit  aggreable  ne  belle; 

Car  il  a  plus  grant  différence 
96         Dou  temps  que  je  vi  en  m'enfance 

A  cestui  qui  trop  est  divers, 

Qu'il  n'ait  des  estez  aus  vvers. 

Mais  la  chose  qui  plus  m'est  grieve 

j5  E  maniers  —  76  D  Poures  pillars  hardis  couars  —  79  D  Si  ; 
D  qui  —  84  D  et  plus  leur  fault  —  85  D  quant  il  sont;  A  puis- 
sant et  r.  —  86  D  Tant  plus  sont  il  —  87  FM  nist;D  vit  — 
88  E  plus  muet  plus  remuist  —  go  manque  dans  DE  ;  dans  E 
au  bas  de  la  colonne  :  Qui  maint  lieux  deront  et  degueste  —  93 
D  Com  voit;  MD  nouuelles  —  94  D  et  belle  —  98  DE  nest  ;  B 
na;  FM  as  —  99  A  plus  me  grieue;  E  qui  pou  mest  griefue. 


LE   JUGEMENT    DOU    KOY    DE   NAVARRE  141 

100      A  souffrir,  et  qui  plus  me  grieve, 

C'est  rendre  a  Dieu  po  révérence, 

Et  ce  qu'en  riens  n'a  ordenance, 

Et  qu'au  jour  d'ui  chascuns  se  père 
104      De  ce  qu'on  claimme  vitupère. 

Pour  c'en  moy,  plus  que  dire  n'ose, 

Estoit  merencolie  enclose. 

Car  qui  le  scetist  a  demi, 
108      Assez  meins  en  tenist  de  mi. 

Et  pour  ce  que  merencolie 

Esteint  toute  pensée  lie, 

Et  aussi  que  je  bien  vëoie 
112      Que  mettre  conseil  n'i  pooie, 

Et  que,  s'on  sceùst  mon  muser, 

On  ne  s'en  feïst  que  ruser, 

Laissay  le  merencolicr 
116      Et  pris  ailleurs  a  colier, 

En  pensant  que  s'a  Dieu  plaisoit 

Qui  pour  le  milleur  le  faisoit. 

Si  cheï  en  autre  pensée, 
1  20      Pour  ce  que  folie  esprouvée 

Est  en  tout  homme  qui  se  duet 

De  chose  qu'amender  ne  puet  ; 

Et  me  pensai  que,  se  li  temps 
124      Estoit  encor  pires  dis  tans, 

Voire  cent  fois,  voire  cent  mil, 

N'i  a  il  conseil  si  soutil 

Comme  de  tout  laissier  ester, 
128      Puis  qu'on  ne  le  puet  contrester, 

Et  de  faire  selonc  le  sage 

100  A  mest  grieue  —  102  D  ordrenance  —  io3  D  Car  au 
jour  —  io5  ME  plus  dire  —  109  que  manque  dans  E  —  u3 
E  moy  muser  —  114  D  se  —  124  AB  encore;  E  encores  ;  D 
pires  encores;  A  .x.  temps  —  126  il  manque  dans  D  —  127  E 
du  tout. 


I4'2  I-E    JUGEMENT    D0U    ROY    DE    NAVARRE 

Qui  dit  et  demoustre  en  sa  page 

Que,  quant  il  a  tout  conceù, 
1 32      Tout  ymaginé,  tout  veii, 

Esprouvé,  serchié,  viseté 

Le  monde,  c'est  tout  vanité, 

Et  qu'il  n'i  a  autre  salaire 
1 36      Fors  d'estre  liez  et  de  bien  faire. 

Et  tout  einsi  com  je  cuidoie 

Laissier  le  penser  ou  j'estoie, 

Il  me  sourvint  une  pensée 
140      Plus  diverse,  plus  effreée, 

Plus  enuieuse  la  moitié, 

Et  de  plus  grant  merencolie. 

Ce  fu  des  orribles  merveilles, 

144      Seur  toutes  autres  despareilles, 

Dont  homme  puet  avoir  mémoire, 
Car  je  ne  truis  pas  en  histoire 
Lisant  nulles  si  mervilleuses, 

148      Si  dures,  ne  si  périlleuses 

De  quatre  pars,  non  de  dis  tans, 
Comme  elles  ont  esté  de  mon  temps. 
Car  ce  fu  chose  assez  commune 

1  52      Qu'on  vit  le  soleil  et  la  lune, 
Les  estoiles,  le  ciel,  la  terre, 
En  signefiance  de  guerre, 
De  doleurs  et  de  pestilences, 

1  56      Faire  signes  et  demoustrances. 
Car  chascuns  pot  vëoir  a  l'ueil 


i3i  D  Que  tant  que  il  a  conceu  —  i32  D  et  tout  —  134  D  ta. 
est  toute  v.  —  140  A  et  plus;  M  effraee  —  143  E  Se;  D  Et  — 
\$b  D  puist  —  146  E  ne  le  tr.  :  D  listoire  —  147  FM  Lisans  ; 
BD  nulle  si  merueilleuse  —  148  MDE  dure;  D  perileuse  — 
149  D  ou  de  ;  AF  temps  —  i5o  DE  elle;  B'  elles  furent —  i5i 
E  se  —  1 56  E  F.  figures  —  i  r»7  BD  puet. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  1 4 J 

De  lune  esclipce  et  de  soleil, 

Plus  grant  et  plus  obscur  assez 
160      Qu'esté  n'avoit  mains  ans  passez, 

Et  perdre  en  signe  de  douleur 

Longuement  clarté  et  couleur. 

Aussi  fu  l'estoile  coumée, 
164      En  semblance  de  feu  couée, 

Qui  de  feu  et  d'occision 

Faisoit  prenostication. 

Li  ciel  qui  de  leur  haut  vëoient 
168      Les  meschiés  qu'a  venir  estoient 

Au  monde,  en  pluseurs  lieus  plourerent 

De  pitié  sanc  et  dégoûtèrent, 

Si  que  de  leur  mervilleus  plour 

172  La  terre  trembla  de  paour, 

Ce  dient  pluseurs  qui  ce  virent, 

Dont  villes  et  citez  fondirent 

En  Alemaingne,  en  Quarenteinne, 
176      Assez  plus  d'une  quaranteinne, 

Dont  je  n'en  say  mie  la  somme  ; 

Mais  on  le  scet  moult  bien  a  Romme, 

Car  il  y  a  une  abeïe 
180      De  Saint  Pol  qui  en  fu  perie. 

Mais  li  sires  qui  tout  a  fait 
Par  expérience  de  fait, 
Com  sires  souvereins  et  dignes 
184      Seur  tous,  de  ces  mervilleus  signes 
Nous  moustra  la  signetiance, 
Et  nous  en  mist  hors  de  doubtance 
Si  a  point  et  si  proprement 

j  58  et  manque  dans  D  ;  F  dou  —  i5g  D  obscure  —  160  B' 
moins  —  1 63  F  tournée;  BDE  journée  —  1G4  D  tournée  —  167 
qui  effacé  dans  B'  —  168  i   Li  —  169  D  et  pi.  ;  D  ploroient  — 

173  E  dirent —  175  D  quarantomme  —  177  D  ne  sces  —  184  BD 
ses. 


144      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

1 88      Que  chascuns  le  vit  clerement. 

Car  les  batailles  et  les  guerres 

Furent  si  grans  par  toutes  terres, 

Qu'on  ne  savoit  en  tout  le  monde, 
192      Tant  comme  il  tient  a  la  rëonde, 

Pais,  règne,  ne  région, 

Qu'il  n'i  eust  discention; 

Dont  cinc  cent  mil  hommes  et  femmes 
196      Perdirent  les  corps  et  les  âmes, 

Se  cils  qui  a  tous  biens  s'acorde 

Ne  les  prent  a  miséricorde  ; 

Et  maint  pais  destruit  en  furent, 
200      Dont  encor  les  traces  en  durent; 

Et  des  prises  et  des  outrages 

Et  des  occisions  sauvages 

De  barons  et  de  chevaliers, 
204      De  clers,  de  bourgois,  d'escuiers, 

Et  de  la  povre  gent  menue 

Qui  morte  y  fu  et  confondue, 

De  rois,  de  duz,  de  bers,  de  contes 
208      Seroit  Ions  a  dire  li  contes. 

Car  tant  en  y  ot  de  perdus 

Qu'on  en  estoit  tous  esperdus, 

L'un  par  feu,  l'autre  par  bataille. 
212      Après  ce,  vint  une  merdaille 

Fausse,  traître  et  renoïc  : 

Ce  fu  Judée  la  honnie, 

La  mauvaise,  la  desloyal, 
216      Qui  bien  het  et  aimme  tout  mal, 

Qui  tant  donna  d'or  et  d'argent 

190  D  F.  plus  par  —  191  D  par  tout  —  192  BE  ronde  —  194  F 
Qui  —  19D  D  mille;  E  milles  —  196  M  le  cors  —  197  D  tout 
bien  —  198  F  print;  MBDE  prist  —  200  D  les  tr.  encore  durent 
—  207  E  pers  —  208  D  Seront;  A  a  faire  —  209  AM  desperdus; 
F  ost  _  210  E  Con  on  e.  tout  esp.  —  2 1 3  FMB  traite  —  214  B' 
fu  la  honnie  judee;  D  li  h.  —  2  i5  E  et  la  —  21G  A  het  bien. 


LE   JUGEMENT    D0U    ROY    DE    NAVARRE  I4D 

Et  promist  a  crestienne  gent, 

Que  puis,  rivières  et  fonteinnes 
220      Qui  estoient  cleres  et  seinnes 

En  pluseurs  lieus  empoisonnèrent, 

Dont  pluseurs  leurs  vies  finerent  ; 

Car  trestuit  cil  qui  en  usoient 
224      Assez  soudeinnement  moroient. 

Dont,  certes,  par  dis  fois  cent  mille 

En  morurent,  qu'a  champ,  qu'a  ville, 

Einsois  que  fust  aperceiie 
228      Geste  mortel  descouvenue. 

Mais  cils  qui  hiut  siet  et  loing  voit, 

Qui  tout  gouverne  et  tout  pourvoit, 

Ceste  traïson  plus  celer 
232      Ne  volt,  eins  la  fist  révéler 

Et  si  generaument  savoir 

Qu'il  perdirent  corps  et  avoir. 

Car  tuit  Juif  furent  destruit, 
236      Li  uns  pendus,  li  autres  cuit, 

L'autre  noie,  l'autre  ot  copée 

La  teste  de  hache  ou  d'espée. 

Et  meint  crestien  ensement 
240      En  morurent  honteusement. 

En  ce  temps  vint  une  maisnie 
De  par  leur  dame  Ypocrisie 
Qui  de  courgies  se  batoient 
244      Et  adens  se  crucefioient, 

En  chantant  de  la  lopinelle 

Ne  say  quelle  chanson  nouvelle, 

222  M  lors  ;  F  leur  vie;  E  vie  —  223  M  trestous  olz;  D  tres- 
tuit ceulz  —  228  FCest;  D  descongneue  —  229  D  Maiz  cil  qui 
loing  siet  et  bas  voit;  A  long  —  232  D  Ne  se  voult  ains  nst  r.  — 
236/1  Li  un  pendu  li  autre  c.;  E  tuit  —  237  ot  manque  dans  D 
—  243  B'DE  descourgies  —  244  D  as  dcns. 

Tome  I.  10 


I46     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Et  valoient  mieus,  par  leurs  dis, 
248      Que  sains  qui  soit  en  paradis. 

Mais  l'Eglise  les  entendi 

Qui  le  batre  leur  deffendi, 

Et  si  condempna  leur  chanson 
252      Que  chantoient  li  enfançon, 

Et  tous  les  escommenia 

Dou  pooir  que  Dieus  donné  li  a, 

Pour  itant  que  leur  baterie 
25  6      Et  leurs  chans  estoit  herisie. 

Et  quant  Nature  vit  ce  fait 
Que  son  oeuvre  einsi  se  desfait 
Et  que  li  homme  se  tuoient, 

200      Et  les  yaues  empoisonnoient 

Pour  destruire  humeinne  lignie 
Par  couvoitise  et  par  envie, 
Moult  en  desplut  la  belle  et  gente, 

264      Moult  se  coursa,  moult  fu  dolente. 
Lors  s'en  ala  sans  atargier 
A  Jupiter,  et  fist  forgier 
Foudres,  tonnoirres  et  tempestes 

268      Par  jours  ouvrables  et  par  festes. 
Car  ceste  ouevre  tant  li  tardoit 
Que  jour,  ne  feste  n'i  gardoit. 

Après  Nature  commanda 
272      Aus  quatre  vens  qu'elle  manda 
Que  chascuns  fust  aparilliez 
Pour  tost  courir,  et  abilliez, 
Et  qu'il  issent  de  leurs  cavernes 


247  E  leur  —  248  DE  quil  —  2*4  li  manque  dans  D  —  256  E 
champs  —  259  M  hommes  —  263  et  manque  dans  FM  —  264  E 
courousa  —  265  F  sens  ala  —  267  D  Tonnerres  foudres  —  268 
M  ouurales  —  269  D  Tant  ceste  lui  atardoit. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  1 47 

276      Et  facent  leurs  mervilleus  cernes, 

Si  qu'il  n'i  ait  resne  tenue, 

En  ciel,  en  terre,  en  mer,  n'en  nue, 

Qu'il  ne  soient  a  l'air  contraire 
280      Et  facent  pis  qu'il  porront  faire. 

Car  quant  ses  ouevres  voit  derompre, 

Elle  vuet  aussi  l'air  corrumpre. 

Et  quant  li  vent  orent  congié, 
284      Et  Jupiter  ot  tout  forgié, 

Foudres,  tempestes  et  espars, 

Qui  lors  veïst  de  toutes  pars 

Espartir  mervilleusement 
288      Et  tonner  très  horriblement, 

Venter,  gresler,  et  fort  plouvoir, 

Les  nues,  la  mer  esmouvoir, 

Bois  trambler,  rivières  courir, 
292      Et,  pour  doubtance  de  morir, 

Tout  ce  qui  a  vie  seur  terre 

Recept  pour  li  garentir  querre, 

C'estoit  chose  trop  mervilleuse, 
296      Trop  doubtable  et  trop  périlleuse  ! 

Car  les  pierres  dou  ciel  chëoient 

Pour  tuer  quanqu'elles  ataingnoient, 

Les  hommes,  les  bestes,  les  famés  ; 
3oo      Et  en  pluseurs  lieus  a  grans  fiâmes 

Cheï  li  tempes  et  la  foudre 

Qui  mainte  ville  mist  en  poudre  ; 

N'au  monde  n'avoit  si  hardi 
304      Qui  n'eùst  cuer  acouardi  ; 

Car  il  sambloit  que  décliner 

Vosist  li  mondes  et  finer. 

277  E  qui  ny   ait  règne  t.  —  279  Mss.  Qui  —  280  F  qui  —  281 
B  vit  —   282  D  voult   —  294  D  Reçoit;  DE  guerre   —    3oo   M 

grant;  D  plames  —  Soi  A  Cheirentli    temps;  DE   le  temps  — 
3oa  BDE  maintes  villes  —  3o3  E  Ne  m.  —  3o4  E  Quil. 


148  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Mais  nuls  endurer  ne  peiist, 
3o8      S'auques  durer  cils  temps  deust. 

Si  que  ces  tempestes  cessèrent, 

Mais  tels  bruines  engendrèrent, 

Tels  ordures  et  tels  fumées 
3 1  2      Qui  ne  furent  gaires  amées  ; 

Car  l'air  qui  estoit  nés  et  purs 

Fu  ors  et  vils,  noirs  et  obscurs, 

Lais  et  puans,  troubles  et  pus, 
3 16      Si  qu'il  devint  tous  corrompus, 

Si  que  de  sa  corruption 

Eurent  les  gens  opinion 

Que  corrumpu  en  devenoient 
320      Et  que  leur  couleur  en  perdoient. 

Car  tuit  estoient  mal  traitié, 

Descoulouré  et  deshaitié  : 

Boces  avoient  et  grans  clos 
324      Dont  on  moroit,  et  a  briés  mos, 

Po  osoient  a  l'air  aler. 

Ne  de  près  ensamble  parler. 

Car  leurs  corrumpues  alainnes 
328      Corrompoient  les  autres  sainnes- 

Et  s'aucuns  malades  estoit, 

S'uns  siens  amis  le  visetoit, 

Il  estoit  en  pareil  péril  ; 
332       Dont  il  en  morut  cinc  cent  mil  ; 

Si  que  li  fils  failloit  au  père, 

La  fille  failloit  a  la  mère, 

La  mère  au  fil  et  a  la  fille 
336      Pour  doubtance  de  la  morille; 

JÎ07  E  ne  le  peust  —  3o8  D  Se  longuement  dure  cust;  B  deust, 
corrigé  en  eus  par  B'  —  309  FM  ques  —  3 12  E  âmes  —  3i3  E 
nest  —  3 14  D  ort  vil  —  3 1 5  D  L;'it  puant:  E  prus  —  3i6  FFu 
il  de  nuit  —  3 17  BE  Et  de  sa  grant  c.  ;  D  De  sa  grande  c.  —  322 
D  dehaitie  —  324  M  Et:  E  en  m.  —  325  D  aler  a  lair  —  327  F 
leur  —  335  M  et  la  ri  lie . 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      149 

N'il  n'estoit  nuls  si  vrais  amis, 

Qui  ne  fust  adont  arrier  mis 

Et  qui  n'eiist  petit  d'aïe, 
340      S'il  fust  cheùs  en  maladie. 

Ne  fusicien  n'estoit,  ne  mire 

Qui  bien  sceiist  la  cause  dire 

Dont  ce  venoit,  ne  que  c'estoit 
344      (Ne  nuls  remède  n'i  metoit), 

Fors  tant  que  c'estoit  maladie 

Qu'on  appelloit  epydimie. 

Quant  Dieus  vit  de  sa  mansion 
348      Dou  monde  la  corruption 

Qui  tout  partout  estoit  si  grans, 

N'est  merveilles  s'il  fu  engrans 

De  penre  crueuse  vengence 
3  52      De  ceste  grant  desordenance  ; 

Si  que  tantost,  sans  plus  attendre, 

Pour  justice  et  vengence  prendre, 

Fist  la  mort  issir  de  sa  cage, 
356      Pleinne  de  forsen  et  de  rage, 

Sans  frein,  sans  bride,  sans  loien, 

Sans  foy,  sans  amour,  sans  moien, 

Si  très  fiere  et  si  orguilleuse, 
36o      Si  gloute  et  si  familleuse, 

Que  ne  se  pooit  saouler 

Pour  riens  que  peûst  engouler. 

Et  par  tout  le  munde  couroit, 
364     Tout  tuoit  et  tout  acouroit, 

Quanqu'il  li  venoit  a  rencontre, 


337  D  Quil  —  338  DE  Quil;  M  adonque  —  33o,  ME  quil;  D 
neust  donc  —  341  D  Fusicien  —  342  D  sccuent  —  344  F  mes- 
toit;  Destoit —  347  D  voult;  E  mention  —  35o  D  si  fu;  M  fust 
—  355  BD  la  cage  —  356  M  foursen;  D  forson;  E  forfeu  —  357 
D  et  sans  lien  —  36 1  B'  Quel 


l5o  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Non  ne  pooit  résister  contre. 

Et  briefment  tant  en  acoura, 
368      Tant  en  occist  et  devoura, 

Que  tous  les  jours  a  grans  monciaus 

Trouvoit  on  dames,  jouvenciaus, 

Juenes,  viels  et  de  toutes  guises, 
3j2      Gisans  mors  parmi  les  églises  ; 

Et  les  gettoit  on  en  grans  fosses 

Tous  ensamble,  et  tous  mors  de  boces, 

Car  on  trouvoit  les  cimatieres 
376      Si  pleinnes  de  corps  et  de  bières 

Qu'il  couvint  faire  des  nouvelles. 

Ci  a  mervilleuses  nouvelles. 

Et  si  ot  mainte  bonne  ville 
38o      Qu'on  n'i  vëoit,  ne  filz,  ne  fille, 

Femme,  n'homme  venir  n'aler, 

N'on  n'i  trouvoit  a  qui  parler, 

Pour  ce  qu'il  estoient  tuit  mort 
384      De  celle  mervilleuse  mort. 

Et  ne  gisoient  que  trois  jours 

Ou  meins  ;  c'estoit  petis  séjours. 

Et  maint  en  y  ot  vraiement 
388      Qui  mouroient  soudeinnement; 

Car  ceuls  meismes  qui  les  portoient 

Au  moustier,  pas  ne  revenoient 

—  Souvent  le  vit  on  avenir  — , 
392      Eins  les  couvenoit  la  morir. 

Et  qui  se  vorroit  entremettre 

De  savoir  ou  d'en  escript  mettre 

Le  nombre  de  ceuls  qui  moururent, 

366  E  Nen  —  369  E  morccaus  —  370  E  en  —  074  FM  en- 
sambles  —  376  E  plains  —  377  M  Qui;  des  manque  dans  D  — 
378  D  Ci  tresmerueilleusement  lees  —  379  E  si  y  ot;  D  ont  — 
38o  AB  fil  —  38 1  ne  (h.)  manque  dans  BD  —  382  BE  Quon  — 
386.4  secours  —  388  DE  moururent  —  392  B'  la  a  mourir  — 
3y3  D  vouloit  —  3g5  D  mouroient. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  1DI 

3q6      Tous  ceuls  qui  sunt  et  ceuls  qui  furent 

Et  tous  ceuls  qui  sont  a  venir 

Jamais  n'i  porroient  venir, 

Tant  s'en  sceiissent  encombrer; 
400      Car  nuls  ne  les  porroit  nombrer, 

Ymaginer,  penser,  ne  dire, 

Figurer,  moustrer,  ne  escrire. 

Car  pluseurs  fois  certeinnement 
404      Oy  dire  et  communément 

Que,  mil  trois  cent  quarante  et  nuef, 

De  cent  n'en  demouroit  que  nuef. 

Dont  on  vit  par  deffaut  de  gent 
408      Que  maint  bel  héritage  et  gent 

Demouroient  a  labourer. 

Nuls  ne  faisoit  les  chans  arer, 

Les  blez  soier,  ne  vignes  faire, 
412      Qui  en  donnast  triple  salaire, 

Non,  certes,  pour  un  denier  vint, 

Tant  estoient  mort;  et  s'avint 

Que  par  les  champs  les  bestes  mues 
416      Gisoient  toutes  esperdues, 

Es  blez  et  es  vignes  paissoient, 

Tout  partout  ou  elles  voloient, 

N'avoient  signeur,  ne  pastour, 
420      N'homme  qui  leur  alast  entour, 

N'estoit  nuls  qui  les  reclamast, 

Ne  qui  pour  siennes  les  clamast. 

Héritages  y  ot  pluseurs 
424      Qui  demouroient  sans  signeurs; 

Ne  li  vif  n'osoient  manoir 

Nullement  dedens  le  manoir 

390  D  et  qui  estoient  —  400  D  ne  pouoit  —  406  A  demorroit  ; 
DE  demoura  —  407  F  D.  vint;  M  D.  auint  —  409  JE  Demouroit  ; 
B'  Demouroit  sans  point  1.  —  410  E  erer  —  41 1  D  vigne  —  412 
D  treble  —  419  D  ne  seigneur  —  420  leur  manque  dans  D, 
effacé  dans  B'  —  424  D  demourerent  —  42  5  M  vis—  426  D  leur. 


I  D2  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Ou  li  mort  avoient  esté, 
428      Fust  en  yver,  fust  en  esté  ; 

Et  s'aucuns  fust  qui  le  feïst. 

En  péril  de  mort  se  meist. 

Et  quant  je  vi  ces  aventures 
432      Si  diverses  et  si  obscures, 

Je  ne  fui  mie  si  hardis 

Que  moult  ne  fusse  acouardis. 

Car  tuit  li  plus  hardi  trambloient 
436      De  paour  de  mort  qu'il  avoient. 

Si  que  très  bien  me  confessay 

De  tous  les  péchiez  que  fais  ay, 

Et  me  mis  en  estât  de  grâce 
440      Pour  recevoir  mort  en  la  place, 

S'il  pleiist  a  Nostrc  Signeur. 

Si  qu'en  doubtance  et  en  cremeur 

Dedens  ma  maison  m'enfermav 
444      Et  en  ma  pensée  fermay 

Fermement  que  n'en  partiroie 

Jusques  a  tant  que  je  saroie 

A  quel  fin  ce  porroit  venir  ; 
44.8      Si  lairoie  Dieu  couvenir. 

Si  que  lonc  temps,  se  Dieus  me  voie, 

Fui  einsi  que  petit  savoic 

De  ce  qu'on  faisoit  en  la  ville, 
452      Et  s'en  morut  plus  de  vint  mille, 

Cependant  que  je  ne  sceus  mie, 

Dont  j'eus  meins  de  merencolie  ; 

Car  riens  n'en  voloie  savoir, 
436      Pour  meins  de  pensées  avoir, 

433  D  fu;  E  suy  —  434  D  Que  mont  ne  f.  acordis  —  435  D 
estoient  —  436  M  Pour  ;  D  Tremblans  de  la  poour  quil  auoient 
—  437  FM  ques  —  442  D  Si  que  d.  —  443  M  ma  chambre;  D 
monte  moy  —  449  FM  ques  —  45o  D  Fu  ;  E  Fut  —  452  D  mou- 
rust  —  453  FA/sceu  —  454  de  manque  dans  D,  effacé  dans  B'  — 
455  E  ne  —  456  DE  pensée  auoir;  B'  pensée  en  auoir. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  I DÔ 

Comment  qu'assez  de  mes  amis 
Fussent  mors  et  en  terre  mis. 

Si  qu'einsi  fui  lonc  temps  en  mue, 
460      Si  comme  un  esprevier  qu'on  mue, 

Et  tant  qu'une  fois  entroy 

—  Dont  moult  forment  me  resjoy  — 

Cornemuses,  trompes,  naquaires, 
464      Et  d'instrumens  plus  de  set  paires. 

Lors  me  mis  a  une  fenestre 

Et  enquis  que  ce  pooit  estre  ; 

Si  que  tantost  me  respondi 
468      Uns  miens  amis  qui  m'entendi 

Que  ceuls  qui  demouré  estoient 

Einsi  com  tuit  se  marioient 

Et  faisoient  festes  et  noces; 
472      Car  la  mortalité  des  boces 

Qu'on  appelloit  epydemie 

Estoit  de  tous  poins  estanchie  ; 

Et  que  les  gens  plus  ne  moroient. 
476      Et  quant  je  vi  qu'il  festioient 

A  bonne  chiere  et  liement 

Et  tout  aussi  joliement 

Com  s'il  n'eussent  riens  perdu, 
480      Je  n'os  mie  cueresperdu, 

Eins  repris  tantost  ma  manière 

Et  ouvri  mes  yeus  et  ma  chiere 

Devers  l'air  qui  si  dous  estoit 
484      Et  si  clers  qu'il  m'amonnestoit 

Que  hors  ississe  de  prison 

Ou  j'avoie  esté  la  saison. 

460  un  manque  dans  D  —  461  D  entray  oy  —  464  D  .vi.;  E 
dune  paires —  467  et  468  intervertis  dans  D  —  467  D  Tantost  me 
dit  et  r.  —  476  DE  qui  {E  quil)  festoient  —  477  et  manque  dans 
D—  478  D  ainssi  —  479  D  Comment  —  483  F  que  —  485  A  lors  ; 
D  sausisse. 


ID4  *-E   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Lors  fui  hors  d'esmay  et  d'effroy, 
488      Se  montay  seur  mon  palefroy 

Grisart  qui  portoit  Tambleure 

Moult  souëf  et  de  sa  nature. 

S'alay  aus  chans  isnellement 
492      Chevauchier  par  esbatement, 

Pour  moy  jouer  et  soulacier 

Et  la  douceur  a  moy  lacier 

Qui  vient  de  pais  et  de  déduit, 
496      Ou  cuers  volentiers  se  déduit 

Qui  n'a  cure  de  cusançon 

Qui  touche  a  noise,  n'a  tenson, 

Mais  bien  vorroit  cusançonner 
5oo      Ad  ce  qui  puet  honneur  donner. 

En  celle  cusançon  estoie 

Pour  honneur  a  quoy  je  tendoie. 

Cusançon  avoie  et  désir 
504      Que  je  peùsse,  a  mon  loisir, 

Aucuns  lièvres  a  point  sousprendre, 

Par  quoy  je  les  peusse  prendre. 

Or  porroit  aucuns  enquester 
5o8      Se  c'est  honneur  de  levreter. 

A  ce  point  ci  responderoie 

Que  c'est  honneur,  solas  et  joie  ; 

C'est  uns  fais  que  noblesse  prise, 
5 1 2      Qui  est  de  gracieuse  emprise, 

Et  très  honneste  a  commencier, 

Dont  il  s'en  fait  bel  avancier; 

S'est  en  faisant  plaisans  a  faire. 

487  D  fu  h.  dennoy  et  deffray  —  490  M  souez  —  492  M  pour  — 
494  E  laissier  —  495  E  et  déduit  —  496  D  Qui  ammoneste  tout 
délit  —  497  D  Et  —  498  D  et  a  t.  —  499  D  verroit  ensensonner 
—  5oi  D  entencion  nestoie;  M  ou  jestoie  —  5o2  D  Fors  pour 
h.;  je  manque  dans  D  —  504  E  je  pesé  —  5o5  E  liures  —  5o6  E 
les  pense  —  307  D  Ou  —  5o8  D  Se  nest;  E  leurester  —  D09 
FE   respondroie  ;    D  je  respondroic  —  1 55  D  Cesr,  M  affaire. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  I  33 

5 1 6      Et  li  honneurs  gist  ou  parfaire. 

Dont  en  celle  perfection 

Avoie  si  m'entencion 

Qu'a  autre  chose  ne  pensoie. 
52o      Et  li  bon  lévrier  que  j'avoie 

Renforçoient  si  mon  solas 

Que  je  n'en  peusse  estre  las, 

Quant  je  les  os  mis  en  conroy, 
524      Et  je  les  vi  de  bel  arroy 

De  courir  a  point  sus  les  chans, 

Et  puis  des  oisillons  les  chans 

Qui  estoient  melodieus, 
528      Et  li  airs  dou  temps  gracïeus 

Qui  tout  le  corps  m'adoucissoit. 

On  puet  bien  croire  qu'einsi  soit 

Que,  se  pluseurs  gens  chevauchassent, 
532      A  fin  que  point  ne  m'araisnassent, 

Et  aucuns  bien  en  congneiisse, 

Que  ja  ne  m'en  aperceiisse, 

Tant  y  avoie  mis  ma  cure. 
536      Se  m'en  avint  une  aventure 

Qui  me  fu  un  petit  doubteuse, 

Mais  briefment  me  fu  gracieuse, 

Si  comme  tantost  le  diray 
540      Ci  après;  point  n'en  mentiray. 

Tandis  que  la  m'esbanioie 
Qui  en  moy  oublié  avoie 
Toutes  autres  merencolies, 
544      Tant  les  dolentes,  com  les  lies, 
Une  dame  de  grant  noblesse, 

5 16  li  effacé  dans  B' ;  B'  a  le  part'.;  D  au  ;  M  on  —  5 18  M  cy 

—  52  1  M  ci  —  522  E  pense  —  523  D  meut  —  524  A  change  tel 
en  bel  —  526  manque  dans  D  —  53o  bien  manque  dans  D  —  532 
ne  manque  dans  F;  E  narrainassent  —  533  M  aucun;   E   biens 

—  539  E  c.  briefment  le  d.  —  540  DE  ne  m.  —  542  A  Que. 


1 56     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Bien  acesmée  de  richesse. 

Venoit  a  belle  compaingnie. 
548      Mais  je  ne  les  vèoie  mie, 

Car  dou  chemin  estoie  arrière, 

Et,  d'autre  part,  pour  la  manière 

De  ce  que  j'estoie  entendus 
552      Et  tous  mes  engins  estendus 

A  ma  queste  tout  seulement. 

Mais  la  dame  premièrement 

Me  vit,  eins  que  nuls  me  veïst, 
556      Ne  que  nuls  semblant  en  feïst, 

C'est  assavoir  d'icelle  gent 

Qui  conduisoient  son  corps  gent. 

Lors  un  escuier  appella 
56o      Et  li  dist  :  «  Vois  tu  celui  la 

Qui  bel  se  déduit  et  déporte? 

Va  a  lui,  et  si  me  raporte 

Qui  il  est,  et  revien  en  l'eure, 
564      Sans  la  faire  point  de  demeure.  » 

Li  escuiers  n'en  failli  pas, 

Eins  vint  a  moy  plus  que  le  pas 

Et  hautement  me  salua. 
568      Mes  propos  de  riens  n'en  mua. 

Si  li  dis  :  «  Bien  veingniez,  biau  sire.  » 

Cils  s'en  retourna,  sans  plus  dire, 

Au  plus  tost  qu'il  pot  a  la  dame  : 
572      «  Dame  »,  dist  cils,  «  foy  que  doy  m'ame, 

C'est  la  Guillaumes  de  Macbaut. 

Et  sachiez  bien  qu'il  ne  li  chaut 

De  rien  fors  que  de  ce  qu'il  chace, 
5j6      Tant  est  entendus  a  sa  chace. 

546  D  atournee —  548  M  la  —  649  E  estoit;  D  derrière  —  552 
E  entendus  —  553  M  tant  —  55  5  D  vist  —  56o  li  manque  dans  M 
—  56i  M  ce  —  565  D  ne  —  567  D  humblement  —  572  M  dist  il  ; 
B  fois;  D  dois;  M  que  je  doy  —  bjl  D  li  guill'e  de  loris  —  574  D 
qui  —  575  F  fors  de  ce;  E  qui  —  576  B  entendens  ;  D  entendant. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE     1 5y 

Bien  croy  qu'il  n'entent  a  nelui 

Fors  qu'a  ses  lévriers  et  a  lui.  » 

Quant  la  dame  ces  mos  oy, 
58o      Samblant  fist  de  cuer  esjoy, 

Nom  pas  samblant  tant  seulement, 

Mais  de  fait  entérinement, 

De  cuer  joiant,  a  chiere  lie, 
584      Comme  dame  gaie  et  jolie. 

Nom  pour  moy,  ce  ne  di  je  point; 

Eins  y  avoit  un  autre  point, 

Pour  aucune  cause  certeinne, 
588      Dont  sa  volenté  estoit  pleinne. 

Si  le  me  voloit  prononcier 

Pour  li  déduire  et  soulacier 

Et  moy  mettre  en  merencolie. 
592      A  ce  point  ne  failli  je  mie, 

Car  je  fui  de  li  galïez, 

Ramposnez  et  contralïez, 

Aussi  com  se  j'eusse  fait 
596      Encontre  li  un  grant  meffait. 

Quant  li  escuiers  ot  compté 

De  moy  toute  sa  volenté, 

La  dame  dist  tout  hautement  : 
600      «  Or  vëons  un  petit,  comment 

Guillaumes  est  faitis  et  cointes. 

Il  m'est  avis  qu'il  soit  acointes 

De  trestoute  jolieté 
604      Apartenant  a  honnesté. 

De  nuit,  en  estudiant,  veille, 


D78  E  leuries  —  579  BE  ses  —  582  D  entièrement  —  583  D  et 
chiere  —  584  D  d.  joiant  et  lie  —  585  B'  Mais;  AFM  Nom 
pourquant;  BDE  Nom  pourquoy;  D  ce  ne  vi  point;  E  si  ne  — 
586  D  vne  —  588  PE  volentes  —  58g  B  la  —  5g3  E  sui  —  5g5 
MD  comme  —  6o3  MD  joliuetc  —  6o5  E  vueille. 


I 58  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Et  puis  de  jour,  son  corps  traveille 

En  travail  ou  li  bons  s'atire 
608      Qui  a  honneur  traveille  et  tire. 

Einsi  va  son  corps  déduisant 

Toutes  heures  en  bien  faisant. 

Si  fais  estas  donne  couleur 
612      De  maintenir  homme  en  valeur. 

Mais  je  li  osteray  briefment 

Grant  part  de  son  esbatement  ; 

Car  je  li  donray  a  ruser, 
616      Pour  li  bonne  pièce  muser. 

Lonc  temps  a  que  je  le  désir  : 

S'en  acompliray  mon  désir. 

Or  t'en  rêva  a  li  tantost, 

620      Car  je  me  merveil  qui  li  tost 
A  ci  venir.  Si  li  diras 
Par  plus  briés  mos  que  tu  porras 
Qu'il  veingne  ci  apertement. 

624      Et  se  li  di  hardiement 

Que  ce  soit  sans  quérir  essoingnes, 
Non  contrestant  toutes  besoingnes, 
Et  que  c'est  a  mon  mandement.  » 

628      —  «  Dame,  a  vostre  commandement,  » 
Dist  li  escuiers,  «  sans  nul  si, 
Je  li  vois  dire  tout  einsi 
Com  vous  dites,  ou  au  plus  près 

632      Que  je  porray;  j'en  sui  tous  près.  » 


606  manque  dans  D;  A  jours  —  607  B'  Ou;  E  bons  sa  cure 
—  609  D  le  corps  —  611  E  Sa  faiz  e.  donner  c.  —  612  D 
Quen  li  en  habonde  honnour  —  Gi3  D  lui  ottrie  —  614  D  G. 
paine  sans  esb.  —  616  D  auiser  —  G17  D  lui  —  619  D  ten  va  a 
celui  t.  —  620  je  manque  dans  D;  D  merueille;  E  je  ne  m. 
que  li  t.  —  622  M  brief — 623  et  624  intervertis  dans  D  —  623  D 
cnsoignes;  E  esloignes  —  626  manque  dans  D  —  628  a  manque 
dans  F  —  629  M  cy  —  63o  E  voy  —  632  D  tout  au  pi'  p's  p's  (sic). 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  I  5o, 

Lors  li  escuiers  chevaucha 

Devers  moy,  tant  qu'il  m'aprocha. 

Et  quant  il  me  vint  aprochant, 
636      II  m'appeila  en  chevauchant, 

En  galopant  d'uns  pas  menus, 

Tant  qu'il  fu  près  de  moy  venus. 

Et  si  tost  com  j'oy  sa  vois, 
640      Erraument  devers  lui  m'en  vois, 

Car  de  lonc  temps  le  congnoissoie. 

Et  il,  en  signe  de  grant  joie, 

Me  salua  de  Dieu  le  père 
644      Et  de  sa  douce  chiere  mère; 

Et  je  li  respondi  briefment 

En  saluant  courtoisement. 

Puis  li  demanday  quels  nouvelles 
648      Pour  moy  seront  bonnes  et  belles, 

Se  ma  dame  est  preus  et  haitie, 

En  pais,  sans  estre  courrecie. 

«  Guillaume,  de  riens  n'en  doubtez  ; 
652      Car  ma  dame  est  de  tous  costez 

En  pais,  preus,  et  haitie,  et  seinne  ; 

Et  que  ce  soit  chose  certeinne, 

Assez  tost  savoir  le  porrez, 
656      Selonc  ce  que  dire  m'orrez  : 

Il  est  bien  voirs  qu'elle  vous  mande, 

Nom  pas  qu'elle  le  vous  commande, 

Mais  d'un  mandement  par  tel  guise 
660      Qu'il  vaut  auques  près  commandise; 

Non  prier  et  non  commander, 

Einsi  li  plaist  il  a  mander, 

«33-4-  M  qui  —  635  D  vit  —  638  D  fust  —  640  men  effacé  dans 
B'  —  642  E  enseigne  —  647  D  quel;  E  quelles  —  648  BD 
Pourquoy;  B'  soient  —  649  F  et  pr.  ;  D  est  saine  et;  et  manque 
dans  E —  65o  E  courcie  —  65 1  D  ne  —  653  DE  pr.  haitie  (D 
hatic)  —  657  M  que  vous  —  658  le  manque  dans  E  —  660  ABDE 
Qui  —  662  M  pi.  elle  amander. 


lC>0  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Entre  le  vert  et  le  meùr. 
664      Mais  tenez  ce  point  pour  seiir, 

Que  c'est  bien  de  s'entencion 

Que,  sans  point  d'excusation, 

Venrez  a  li  moult  liement  ; 
668      Elle  le  croit  fiablement. 

Dont,  s'il  vous  plaist,  vous  y  venrez, 

Ou  vo  plaisir  responderez.  » 

Après  ces  mos  li  respondi  : 
672      «  Très  chiers  amis,  itant  vous  di 

Qu'a  ma  dame,  ne  quars,  ne  tiers 

Ne  sui,  mais  mes  pooirs  entiers 

Est  tous  siens,  sans  riens  retenir. 
6y6      Se  ne  me  porroie  tenir 

D'aler  a  li,  ne  ne  vorroie, 

Pour  tant  que  de  vray  sentiroie 

Que  ma  dame  le  penseroit  ; 
680      Dont,  quant  elle  me  manderoit, 

Ce  seroit  bien  folie  a  croire 

Que  point  en  vosisse  recroire. 

Mais  un  po  vous  vueil  demander, 
684      Afin  qu'il  n'i  ait  qu'amender, 

Combien  ma  dame  est  loin  de  ci?  » 

—  «  Guillaume,  je  respon  einsi, 

Qu'il  n'i  a  pas  bien  trois  journées. 

688  Bel  soient  elles  ajournées  !  » 
Dis  je  :  «  Or  alons  sans  séjour, 
Si  chevauchons  et  nuit  et  jour 
Pour  les  bons  ma  dame  acomplir. 

664^4  t.  ceci  pour  —  667  A  Verrez;  D  Venes  a  lui  —  668  ME 
croist  —  670  D  vous  respondres  —  672  E  amis  et  tant  —  674 
F  Ne  fu;  E  mes  trestous  entiers  —  675  EF  Et  —  678  que  man- 
que dans  D  —  682  D  retraire  —  684  D  que  mander  —  686  F 
respont  —  688  manque  dans  D:  B'  Selles  estoient  adiournees  — 

689  FM  or  en  alons  —  690  B'D  Et. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  101 

692      Je  ne  me  puis  mieus  raemplir 

De  joie  qu'en  son  plaisir  faire; 

Se  n'useray  point  dou  contraire.  » 

—  «  Guillaume,  j'ay  bien  entendu 
696      Ce  que  vous  avez  respondu. 

Je  vous  vueil  un  po  apaisier 

D'autre  chose  que  de  baisier. 

Resgardez  en  celle  grant  pleinne 
700      Un  po  delà  celle  verseinne  : 

C'est  ma  dame  a  grant  chevauchie 

Qui  pour  vous  s'  est  la  adressie. 

La  vous  atent,  soiez  certeins. 
704      Or  ne  soit  point  vostres  cuers  teins 

De  piiour  pour  trop  loing  aler; 

Car  la  porrez  a  li  parler.  » 

A  ces  mos  ma  chiere  dressay, 
708      Et  puis  mon  regart  adressay 

D'icelle  part  ou  cils  disoit. 

Et  quant  je  vi  qu'einsi  gisoit, 

Que  mes  chemins  yert  acourciez, 
712      Je  n'en  fui  mie  courreciez, 

Eins  en  fui  liez  ;  s'en  pris  a  rire, 

Et  puis  a  celui  pris  a  dire  : 

«  Biaus  amis,  par  merencolie 
716      M'avez  tenté  de  moquerie 

De  bourde,  et  de  parole  voire, 

Quant  vous  me  donnastes  a  croire 

Madame  loing  par  bel  mentir. 
720      II  me  plut  moult  bien  a  sentir 

692  E  mcn  ;  E  ranplir  —  693  A  que  —  694  D  Si  ni  mcttrey 
p.  de  c.  —  696  BE  Que  vous  mauez  ce  (E  si)  r.  —  701  D  com- 
paignie  —  702  FBE  cest;  D  est  —  705  D  De  pour  pour  —  707 
D  leuay  —  709  DE  De  celle  —  711  D  ch .  y  acourcics  ;  E  atour- 
nes  —  71  3  D  1.  et  prins  ;  B  sans  prins  —  714  D  pui  —  717  FMD 
bourdes;  FME  paroles;  E  vuires  —  718  E  croires  —  719  D 
tel  -  720  .4F  Y. 

Tome  I  1 1 


It>2      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Le  vray  de   ce  que  vous  mentistes, 

En  ce  qu'après  le  voir  déistes, 

Que  ma  dame  estoit  assez  près. 
724      Je  m'en  vois  ;  or  venez  après, 

Ou  vous  demourrez,  s'il  vous  plaist.  » 

—  «  Guillaume,  bien  heure  de  plait 

Est  encor  ;    ne  vous  hastez  point. 
728      Vous  y  venrez  assez  a  point, 

Se  ma  dame  y  puet  adrecier. 

Se  vous  saviez  un  po  tencier. 

Bon  seroit  et  pour  certein  cas 
7'32      Ou  vous  devenez  avocas  ; 

Car  on  vous  porra  bien  sousprendre, 

Se  vous  ne  vous  savez  deffendre.  » 

De  si  fais  mos  nous  debatiens, 
7'36      Par  gieu  si  nous  en  esbatiens; 

Dont  tant  en  parlant  chevauchâmes 

Que   la  gent  la  dame  aprochames. 

Lors  m'avansay,  et  quant  je  vi 
740      Son  gentil  corps   amanevi 

D'onneur,  de  grâce  et  de  science, 

En  signe   de  grant  révérence 

Vos  jus  de  mon  cheval  descendre  ; 
744      Mais  tantost  le  me  va  deffendre, 

En  disant  debonnairement  : 

«  Hola,  Guillaume,  nullement, 

Pour  certein,  ni  descenderez. 
748      A  cheval  a  moy  parlerez.  » 

Quant  je   l'oy,  je  m'en  souffri, 

725  M  si  —  726  M  bien  li   heure  —  727  M  Nest;  DE  encore 

—  728  DE  venes  —  730  E  Da  vous  parler  et  raisonner  —  732  A 
aduoeas —  735  D  debation;  E  debations  —  736  D  debation;  E 
esbations  —  737  AED  tout  —  738  M  ma  dame  —  740  FM  amc- 
neui  ;  BD  ame  ne  vi  (B  neuy)  ;  E  a    nienneny  —  744  E  le  mala  d. 

—  747  D  ne;  £  descendres  —  748  F  pallerez  —  749  D  Et  quant 
loy. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  1 63 

Et  si  bel  salu  li  otfri, 

Comme   je  pooie  et  savoie, 
-52      Et  comme  faire  le  dévoie, 

Einsi  comme   j'avoie  apris 

A  honnourer  gens  de  tel  pris. 

Et  elle  aussi,  sans  contrefaire, 
756      Sceut  moult   bien  le  seurplus   parfaire, 

En  respondant  par  amisté, 

Gardant  honneur  et   honnesté. 

Puis  me  dist  moult  rassisement  : 
La  Dame. 
760      «  Guillaume,  mervilleusement 

Estes  estranges  devenus. 

Vous  ne  fussiez   pas  ça  venus, 

Se  ce  ne  fust  par  mes  messages. 
764     Je  croy  que  vous  estes  trop  sages 

Devenus,  ou  trop  alentis, 

Mausoingneus  et  mautalentis, 

De  vos  déduis  apetisiez, 
768      Ou  trop  po  les  dames  prisiez. 

Quant  je  fui  la  dessus  montée 

En  celle  plus  haute  montée, 

Mon  chemin  tenoie  sus  destre, 
772      Et  je  regarday  vers  senestre. 

Tout  de  plain  vous  vi  chevauchier, 

Vos  lévriers  siffler  et  huchier. 

Tels  ouevres  faire  vous  ôoie, 
776      Tout  aussi  bien  com  je  vëoie 

Vous  et  vostre  contenement. 

Dont  je  croy  bien  certeinnement, 

Guillaume,  que  vous    nous  veistes. 

756  D  Sceust;  FMBDE  faire—  768  D  sonneur  et  soneste  — 
762  A  sa  ;  M  ci  —  j63  D  mon  message  —  766  D  moult  tal .  —  768 
D  âmes  —  772  M  resgardoie  ;  E  regarde  —  774  E  Les;  FB 
sifflier —  775  D  oyaye  —  776  E  comme  —  779  D  vous  me  v. 


164  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

780      Et  pour  quoy  dont,  quant  vous  oistes 

Nos  chevaus  passer  et  hennir, 

Et  si  ne  deingnastes  venir, 

Jusqu'à  tant  que  je  vous  manday 
784      Einsi  com  je  le   commanday  ? 

Dont  je   vous  merci  tellement 

Com  je  doy,  et  non  autrement.  » 
Guillaume. 

Lors  li  dis  je  :  «  Pour  Dieu  merci, 
788      Ma  dame,  ne  dites  ceci. 

Je  respon,  sauve  vostre  honneur, 

Car  foy  que  doy  Nostre  Signeur, 

Je  ne  vi  riens,  ne  riens  n'oy, 
792      Tant  avoie  cuer  esjoy 

De  ma  chace  a  quoy  je  pensoie, 

Pour  la  fin  a  quoy  je  tendoie  ; 

S'estoie  einsi  comme   ravis. 
796      Ma  dame,  je  feroie  envis 

Riens  encontre  vostre  voloir. 

Et  que  me  porroient  valoir 

A  faire  tels  menuz  despis  ? 
800      Bien  say  que  j'en  vaurroie  pis. 

Si  m'en  devez  bien   escuser.  » 
La  Dame. 

«  Guillaume,  plus  n'en  vueil  ruser. 

Puis  qu'einsi  va,  mes  cuers  vous  croit. 

804  Mais  d'une  autre  partie  croit 
Moult  durement   une  autre  chose 
Encontre  vous  qui  porte  glose. 

Se  vous  donray  assez  a  faire, 
808      Et  se  vous  feray  maint  contraire, 

780  FBE  nous;  A  corrige  nous  en  vous  —  782  A  daingnies  — 
788  BE  ce  si  —  796  E  Dame  —  797  DE  contre;  D  volunte  —  800 
D  vendroie  —  802  D  ne  —  8o3  E  voit  —  804  manque  dans  D  — 

805  D  Mais. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  l65 

Se  pour  confus  ne  vous  rendez. 

Guillaume,  oëz  et  entendez  : 

Vers  les  dames  estes  forfais, 
812      S'en  avez  enchargié  tel  fais 

Que  soustenir  ne  le  porrez, 

Ne  mettre  jus,  quant  vous  vorrez.  » 

Avec  ces  paroles  diverses, 
816      En  leurs  diversetez  perverses, 

Me  moustra  elle  une  manière 

Aspre,  crueuse,  maie  et  fiere, 

En  signe  de  grant  mautalent, 
820      Pour  moy  faire  le  cuer  dolent 

Et  mettre  ma  pensée  toute 

En  effroy,  en  soing  et  en  doubte. 

De  ce  se  mettoit  en  grant  peinne, 
824      Qu'elle  se  tenoit  pour  certeinne, 

Que  de  tant  bien  la  priseroie 

Que  son  courrous  moult  doubteroie. 

Et  si  fis  je;  je  le  doubtay, 
828      Quant  ces  paroles  escoutay, 

Nom  pas  pour  cause  de  meffait 

Qu'endroit  de  moy  eusse  fait, 

Mais  je  doubtay  pour  mesdisans 
832      Qui  sont  aucunes  fois  nuisans 

Par  fausseté  et  par  envie 

Aus  bons  qui  mainnent  bonne  vie. 

Si  doubtay  si  faite  aventure; 
836      Mais  seiïrs  fui  qu'enforfaiture 

N'avoie  fait  en  ma  vie  onques 

Envers  nulles  dames  quelsquonques. 

Se  li  respondi  par  avis. 

812  D  aures  ;  M  telz  —  814  D  Ne  meittre  jusqua  tant  voul- 
dres  —  818  E  Apres  —  824  D  ne  tenoit  ;  B  ce  tenoit  —  825  de 
manque  dans  F  —  83o  M  eusse  meffait  —  832  BDE  aucune  — 
835  E  si  fause  a.  —  836  MBE  sui;  D  sunre  ;  B'  que  forf.  — 
838  FMBDE  quelconques  —  839  D  deuisai. 


l66  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Guillaume. 

840      «  Dame,  fait  avez  un  devis 

Ou  ma  grant  deshonneur  moustrez, 

Mais  li  procès  n'est  pas  outrez, 

Ne  mis  en  fourme  justement. 
844      Pour  faire  certein  jugement, 

Vous  me  deussiez  dire  en  quoy 

J'ay  forfait,  et  tout  le  pourquoy 

Amener  a  conclusion. 
848      Or  est  en  vostre  entention 

Secrètement  mis  et  enclos. 

S'il  ne  m'est  autrement  desclos, 

Je  n'en  saveroie  respondre. 
852      Or  vueilliez,  s'il  vous  plaist,  espondre 

Le  fait  de  quoy  vous  vous  dolez  ; 

Et  s'einsi  faire  le  volez 

Vous  ensieurez  la  juste  voie 
856      De  droit,  ou  je  ne  saveroie 

Le  fait  congnoistre  ne  nier. 

Se  non,  vous  devez  ottriér 

Que  je  m'en  voise  frans  et  quittes 
860      De  ce  forfait  que  vous  me  dites  ; 

J'en  atenderoie  bien  droit.  » 

La  Dame. 

«  Guillaume,  sachiez,  orendroit 
N'en  arez  plus  de  ma  partie. 
864      Car  la  chose  est  einsi  partie  : 
Se  je  le  say,  vous  le  savez, 
Car  le  fait  devers  vous  avez 


85 1  E  saroie  ;  D  scaroie  que  r.  ;  que  ajouté  aussi  dans  B'  — 
852  D  Or  vous  plest  a  le  moy  e.  ;  E  respondre  —  854  s  manque 
dans  D  —  855  D  ensuiues  ;  E  suiures;  A  la  droite  voie  —  856 
DE  saroie  —  858  D  Si;  AE  Ce  —  860  D  déistes  —  86 1  DE  atten- 
droie  ;  BD  le  droit;  le  effacé  dans  B'  —  Après  ce  vos  on  lit  dans 
E  lacteur  au  lieu  de  la  dame  —  863  E  aues  —  865  D  Se  ne  le. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  1 67 

En  l'un  de  vos  livres  escript, 
868      Bien  devisié  et  bien  descript  : 

Si  resgardez  dedens  vos  livres. 

Bien  say  que  vous  n'estes  pas  ivres, 

Quant  vos  fais  amoureus  ditez. 
872      Dont  bien  savez  de  vos  ditez, 

Quant  vous  les  faites  et  parfaites, 

Se  vous  faites  bien  ou  forfaites, 

Dès  qu'il  sont  fait  de  sanc  assis 
876      Autant  a  un  mot  comme  a  sis. 

S'il  vous  plaist,  vous  y  garderez, 

Qu'autre  chose  n'emporterez 

De  moy,  quant  a  l'eure  présente. 
880      Soiez  certeins  que  c'est  m'entente.  » 

Guillaume. 

«  Dame,  qu'est  ce  que  dit  avez? 

Selonc  le  bien  que  vous  savez, 

Trop  mieus  savez  que  vous  ne  dites  : 
884      J'ay  bien  de  besoingnes  escriptes 

Devers  moy,  de  pluseurs  manières, 

De  moult  de  diverses  matières, 

Dont  l'une  l'autre  ne  ressamble. 
888      Considéré  toutes  ensamble, 

Et  chascune  bien  mise  a  point, 

D'ordre  en  ordre  et  de  point  en  point, 

Dès  le  premier  commencement 
892      Jusques  au  darrein  finement. 

Se  tout  voloie  regarder 

—  Dont  je  me  vorray  bien  garder  — 

Trop  longuement  y  metteroie  ; 

868  D  escript  —  869  B'  Si  y  r.  ;  BDE  a  vos  1.  —  872  manque 
dans  D  —  874  E  et  f.  ;  A  parfaites  —  877  D  Si  —  884  D  des  — 
886  E  materes  —  888  FBD  Considérer—  889  D  Est  —  890  et 
manque  dans  D  —  892  M  damier;  BDE  derrenier  —  894  man- 
que dans  D;  B  verray,  corrigé  en  vauray  dans  B'  —  8g5  FD 
mettroie . 


T  68  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

8q6      Et  d'autre  part,  je  ne  porroie 

Trouver  ce  que  vous  demandez, 

S'a  vos  paroles  n'amendez. 

Pour  tel  chose  ne  quier  ja  lire, 
qoo      Dame,  nom  pas  pour  vous  desdire. 

Mais  ce  n'est  pas  chose  sensible 

Que  vostre  pensée  invisible 

Puist  venir  a  ma  congnoissance, 
904      Fors  que  par  la  clef  d'ordenance 

Dont  vostres  cuers  soit  deffermez, 

Et  que  si  en  soie  enfourmez 

Que  vostre  bouche  le  me  die. 
908      Lorsqu'à  respondre  contredie, 

Quant  de  bouche  le  m'arez  dit, 

J'en  vueil  moult  bien,  a  vostre  dit, 

Estre  blasmez  et  corrigiez. 
912      Dame,  s'il  vous  plaist,  or  jugiez 

Selonc  la  vostre  opinion, 

Se  j'ay  tort  a  m'entencion.  » 

La  Dame. 

«  Guillaume,  puis  qu'il  est  einsi, 
916      Je  m'acort  bien  a  ce  point  ci. 

Orendroit  me  ren  je  vaincue; 

Mais  de  vostre  descouvenue, 

Qui  est  contre  dames  si  grande, 
920      Afferroit  bien  crueuse  amende, 

S'il  estoit  qui  la  vosist  prendre. 

Or  vueilllez  dès  or  mais  entendre 

Ad  ce  que  je  diray  de  bouche  ; 
924      Car  moult  forment  au  cuer  me  touche. 

Et  quant  dit  le  vous  averay, 

902  FMB  nuisible;  B'  inuysible  —  903  il/55.  Peust;  B'  Puet 

—  912  FE  si  ;  plaist  manque  dans  M  —  gi3  la   manque  dans  D 

—  918  D  descongneue  ;  E  esconuenue  —  919  MD  dame  —  92 5 
MBDE  dit  ce  v. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 


I()Q 


En  tel  lieu  le  reprocheray 
Que  vous  en  serez  moult  blasmez 
928      Et  vers  les  dames  diffamez. 

Une  question  fu  jadis 

Mise  en  termes  par  moult  biaus  dis, 

Belle  et  courtoisement  baillie, 

982      Mais  après  fu  trop  mal  taillie  : 
Premièrement  fu  supposé, 
Et  en  supposant  proposé, 
Qu'une  dame  de  grant  vaillance 

9  36      Par  très  amiable  fiance 
Ameroit  un  loial  amant. 
Si  que  toudis,  en  bien  amant, 
Seroit  de  cuer  loial  amie; 

940      Et  il,  en  gardant  courtoisie, 
Toudis  de  bon  cuer  l'ameroit 
Et  son  pooir  estenderoit 
En  li  chierir  et  honnourer  ; 

944      Et  pour  li  mieus  énamourer 
Il  maintenroit  toute  noblesse, 
Honneur,  courtoisie  et  largesse. 
Biaus  homs  seroit,  a  grant  devis, 

948      De  membres,  de  corps  et  de  vis 
Renommez,  de  grâce  parfais, 
Et  si  bien  esprouvez  par  fais 
D'armes,  comme  nuls  homs  puet  estre 

952  Qui  a  mis  sa  vie  et  son  estre 
En  sieuir  joustes  et  tournois 
Et  tous  amoureus  esbanois. 


927  D  Que  moût  v.  en  s.  bl.  —  929  E  Que  —  930  E  Cause: 
FDE  terme  —  93 1  F  Bel  —  937  E  .1.  loy  amant  —  g3g  A  Feroit 
—  940  A  Se  —  941  D  que  bon  —  942  D  Tout  en  son  pouoir 
estendroit  —  945  D  maintenoit  —  947  D  Biau  seroit  homme  — 
95o  manque  dans  D  —  95i  ME  corn;  homs  manque  dans  E  — 
953  D  A. 


IJO     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Cependant  qu'einsi  s'ameront 
956      Et  toudis  bien  se  garderont 

Les  courtois  poins  de  loiauté 

En  raison  et  en  vérité, 

Leur  avenroit  tele  aventure, 
960      Par  violence  ou  par  nature, 

Que  li  amans  devieroit; 

Et  celle,  quant  le  saveroit, 

Demorroit  lasse  et  esgarée, 
964      Loial  amie  non  amée. 

Car  ses  cuers  demorroit  espris, 

Et  li  cuers  de  l'amant  de  pris 

Seroit  selonc  nature  esteins, 
968      Dont  li  siens  cuers  seroit  plus  teins 

Pour  cause  de  la  départie. 

Plus  n'en  di  de  ceste  partie, 

Eins  vorray  d'une  autre  conter 
972      Pour  a  ceste  ci  adjouster, 

En  faisant  ma  comparison. 

Guillaume,  or  entendez  raison  : 

Uns  autres  amans  débonnaires, 
976      Aussi  vaillans  en  ses  affaires 

Comme  cils  de  qui  j'ay  conté, 

Tant  en  grâce  comme  en  bonté, 

Et  de  toutes  autres  parties 
980      En  honneur  a  point  départies, 

Amera  aussi  une  dame 

Sans  mal  penser  et  sans  diffame  ; 

Et  se  li  fera  a  savoir. 

955  D  sameroit  —  956  D  garderoit;  E  Et  que  t.  b.  garderont 
—  958  D  et  en  loyauté  —  962  D  quant  elle  le  scaroit  —  g63  A 
Demouroit  —  965  F  fos  cuers;  BE  folz  c.  ;  D  faulz  c.  ;  E  de 
mouuoir  espris  —  966  E  a.  espris  —  971  FME  dun  —  976 
FMBDE  a  ses  a.  ;  B'  rétablit  en  ses  a.  —  977  DE  Coin  —  98? 
BDE  ce. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      I  ~  I 

984      Et  quant  elle  en  sara  le  voir, 

Volentiers  le  recevera 

Et  s'amour  li  ottriera 

Lieraient,  sans  faire  dangier. 
988      Pas  ne  vueil  ce  ci  prolongier; 

Car  cils  l'amera  loiaument 

Et  se  la  croira  fermement 

Sans  erreur  et  sans  nulle  doubte, 
992      Car  il  cuidera  s'amour  toute 

Avoir  acquis  toute   sa  vie, 

Sans  jamais  faire  départie. 

Mais  il  ira  bien  autrement  ; 
996      Quant  il  sera  plus  liement 

Conjoins  a  li   et  affermez 

En  la  fiance  d'estre  amez, 

Elle  li  jouera  d'un  tour 
1000    Outréement,  sans  nul  retour, 

Ou  il  trouvera  fausseté 

Contre  lui,  et  desloiauté, 

Et  se  ne  le  porra  nier. 
1004    Si  doit  bien  celui  anuiër, 

Ce  n'est  mie  moult  grant  merveille. 

Mais  ce  n'est  pas  chose  pareille 

Au  fait  d'amours   qui  me  remort, 
1008    Qui  se  defenist  parla  mort. 

Guillaume,  s'entendu  m'avez, 

Assez  legierement  devez 

Vostre  meffaçon  recongnoistre 
i©i2    Pour  vostre  deshonneur  descroistre. 

Vous  avez  dit  et  devisié 

Et  jugié  de  fait  avisié 

985  D  Tresuolentiers  le   receura  —  987  FB  dongier  —  988   E 
ce  sy  —  989  D  Car  cil  le  scaura  —  990  D  Et  cela;  E   Et  cil  la 

—  996 Z)bien  liement  —  ioo3  BDE   Et  ce;  £  amer  —  1004  E  Ce 

—  ioo5  moult  manque  dans  D  —  1007   FMDE  Aus  fais  —  1008 
E  pour  —    [oi?  E  diuisie  —   1014  manque  dans  D. 


I72      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Par  diffinitif  jugement, 
1016    Que  cils  a  trop  plus   malement 

Grieté,  tourment,  mal  et  souffraite 

Qui  trueve  sa  dame  forfaite 

Contre  lui  en  fausse   manière, 
1020    Que  la  très  douce  dame  chiere 

Qui  avéra  son  dous  amy 

Conjoint  a  son  cuer,  sans  demy, 

Par  amours,  sans  autre  moien, 
1024    Puis  le  savera  en  loien 

De  la  mort  ou  il  demourra, 

Si  que  jamais  ne  le   verra. 

Et  comment  l'osastes  vous  dire, 
1028    Ne  dedens   vos  livres  escrire  ? 

Il  est  voirs  qu'einsi  l'avez  fait, 

Dont  vous  avez  griefment  merîait. 

Si  vous  lo  que  vous  tant  faciez 
io32    Que  ce  jugement  effaciez, 

Et  que  briefment  le  rapellez. 

Guillaume,  se  vous    tant  valez, 

Vous  le  pouez  bien  einsi  faire 
io36    Par  soustenir  tout  le  contraire. 

Car  li  contraires,    c'est  li  drois 

En  tous  bons  amoureus  endrois.  » 

—  «  Dame,  foy  que  doy  sainte  Eglise 
1040    En  qui  ma  foy  est  toute  assise, 

Pour  nulle  rien  ne  le  feroie; 

Eins  iray  tout  outre  la  voie 

Dou  fait,  puisque  j'y  suis  entrez. 
1044    Dès  que  mes  jugemens    outrez 

1017  M  Grietez;  D  Tristece;  mal  manque  dans  D  —  1022  BE 
C.  en;  B  sans  annuy  ;  E  sans  ami  ;  D  c.  son  ami  —  io23  D  autre 
lai  —  1024  D  scaura  de  bon  cuer  vrai  —  1025  D  Que  la  mort 
le  deuourera  —  1028  F  liurez  —  io3 1  D  los  —  io33  D  les  appel- 
les —  io38  E  bons  amours  en  drois  —  1040  F  cui;  ME  toute 
mise  —  1044  Jaques. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  178 

Est  de  moy,  je  le  soustenray, 

Tant  com  soustenir  le  porray. 

Mais  qui  vorroit  avant  venir 
1048    Pour  le  contraire  soustenir, 

Moult  volentiers   oubeiroie 

A  quanqu'oubeïr  deveroie. 

Car  je  ne  suis  mie  si  fors, 
io52    Ne  si  grans  n'est  pas  mes  effors, 

Ne  de  science  mes  escus, 

Que  je  ne  puisse  estre  veincus. 

Mais  se  je  puis,  je  veinqueray; 
io56    Se  je  ne  puis,  je  sourferray. 

Or  voit  einsi,  com    puet  aler; 

Je  n'en  quier  autrement    parler. 

Et  nompourquant,  ma  dame  douce, 
1060    Que  vostres  cuers  ne  se  courrouce 

A  moy,  nous  ferons  une  chose 

Ouvertement,  nom  pas  enclose, 

Ou  vostre  pais  soit  contenue, 
1064    Et  m'onneur  y  soit  soustenue. 

Car  ce  seroit  a  ma  grant  honte, 

Selonc  vostre  meïsme   conte, 

S'endroit   de  moy  contredisoie 
1068    Le  fait  que  jugié  averoie, 

De  mon  bon  droit,  tel  et  si  fait 

Que  tout  par  moy  aroie  fait. 

Nous  penrons  un  juge  puissant, 
1072    De  renommée  souffissant, 

Qui  soit  sages  homs  et  discrez. 

Se  li  soit  comptez  li  secrez 

Entièrement  de  la  besoingne 

1045  E  Et;  D  en  moy;  le  ajouté  par  B'  —  1046  A  T.  que  — 
1047  F  pourroit  —  io5y  A  quon  —  1060  se  manque  dans  D  — 
1062  E  Couuertement  —  1064  D  mon  honneur...  tenue  —  10G8 
A  qua  iugie;  D  que  tout  iugie  auroie  —  1069  D  bel  —  1070  E 
pour  —  1071  D  pourrons  —  1074  M  Sil  soit;  E  les  secres. 


174      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

1076    Qui  a  vous  et  a  moy  besoingne. 

Or  soit  einsi  fait  par  acort  ; 

Mais  vous  en  ferez  le  recort 

Dou  prendre  tel  que  vous  vorrez. 
1080    Contredire  ne  le  m'orrez, 

Eins  y  sui  acordans   dès  ci 

A  vostre  plaisir,  sans  nul  si. 

Mes  cuers  y  est  ja  tous  entiers, 
1084    Car  ce  sera  uns  biaus  mestiers 

D'oïr  les  raisons  repeter 

Et  les  parties  desputer 

Soutilment,  par  biaus  arguinens, 
1088    Qui  vaurront  auques  jugemens.  » 

La    Dame. 

A  ces  moz  prist  la  dame  a  rire 

Et  en  riant  tantost  a  dire  : 

«  Guillaume,  bien  suis  acordans 
1092    Ad  ce  qu'estes  ci  recordans; 

S'en  parleray,  comment  qu'il  aille. 

Et  nompourquant,  vaille  que  vaille, 

Je  nomme  et  pren  celui  qui  rois 
1096    Est  appeliez  des  Navarrois. 

C'est  uns  princes  qui  aimme  honnour 

Et  qui  het  toute  deshonnour, 

Sages,  loiaus  et  véritables, 
1 100    Et  en  tous  ses  fais  raisonnables. 

Il  scet  tant  et  vaut,  qu'a  droit  dire, 

Nul  milleur  ne  porroie  eslire. 

Li  fais  li  sera  savoureus, 
1 104    Pour  ce  qu'il  est  moult  amoureus, 

Sages,  courtois  et  bien  apris. 

Il  aimme  l'onneur  et  le  pris 

1076  M  et  moy  —  1079  M  tel  com  —  1082  E  cy  —  1086  F 
despitter  —  108g  E  Asses  prinst —  1092  D  A  ces  mos  que  aies 
comptant  —  1 102  B  pourroit;  D  esluire. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      I7D 

Des  armes,  d'amours  et  des  dames. 
1 108    C'est  li  rois  par  cui  uns  diffames 
Ne  seroit  jamais  soustenus  ; 
De  toute  villenie  est  nus 
Et  garnis  de  toute  noblesse 

I  1 12    Qui  apartient  a  gentillesse. 

Trop  de  biens  dire  n'en  porroie, 
S'ui  mais  tout  adès  en  parloie.  » 

Einsi  fumes  nous  acordé, 
11 16    Gomme  devant  est  recordé. 

Dont  puis  d'amours  assez  parlâmes, 
Et  en  parlant  tant  chevauchâmes 
Que  nous  entrâmes  es  drois  las 

I I  20    De  pais,  de  joie  et  de  solas, 

C'est  assavoir  en  un  dous  estre 

Ou  il  faisoit  si  très  bel  estre 

Qu'on  ne  porroit  mieus,  a  mon  gré  : 
1 124    C'estoit  en  souverein  degré, 

A  mon  avis,  de  bon  propos, 

De  déduit  et  de  bon  repos, 

Ou  uns  cuers  se  puet  reposer 
1 1  28    Qui  a  point  se  vuet  disposer. 

La  avoit  il  un  bel  manoir 

Ou  elle  voloit  remanoir. 

Assez  fu  qui  la  descendi 
11 32    Et  qui  entour  li  entendi  ; 
Et,  sans  atendre,  fu  menée 
Dedens  une  chambre  aournée 
Si  bien,  si  bel,  si  cointement 


1 1 1 1  D  Garnis  est  —  1 1 1 3  DDE  bien;  E  ne  —  1 1 14  D  Sun 
mois;  E  Se  vmais;  M  Sumais  —  1 1 16  M  Coin  ci  d.  —  1 1 17  D 
puis  après  damours  parlamz  —  11 24  DDE  ou  s.  —  1 129  il  maii- 
que  dans  D —  1  i3o  E  Quelle  vouloir,  la  r. 


1/6  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

1 1 36    Et  de  tout  si  très  richement, 

Qu'onques  mais,  dont  j'eus  grant  merveille, 

N'avoie  veu  la  pareille. 

Et  briefment  tuit,  grant  et  meneur, 
i  140    Li  faisoient  feste  et  honneur. 

Mais  bien  sambloit  estre  maistrcsse, 

Car  elle  fu  par  grant  noblesse 

Entre  coussins  de  soie  assise. 
1  144    Mais  moult  estoit  sage  et  rassise, 

Et  fu  d'aiige  si  seùr 

Qu'entre  le  vert  et  le  meiïr 

Estoit  sa  très  douce  jouvente, 

I  148    Plus  qu'autre  simple,  aperte  et  gente. 

Moult  bien  estoit  acompaingnie 
De  belle  et  bonne  compaingnie. 
N'i  fu  Margot  ne  Agnesot, 

I I  52    Mais  douze  damoiselles  ot 

Qui  jour  et  nuit  la  norrissoient, 
Servoient  et  endoctrinoient. 

La  première  estoit  Congnoissance 
11 56    Qui  li  moustroit  la  différence 

D'entre  les  vertus  et  les  vices 

Et  des  biens  fais  aus  maléfices, 

Par  Avis  qui  la  conduisoit 
11 60    Jusqu'à  un  miroir  qui  luisoit, 

Si  qu'onques  plus  cler  mirëoir 

Ne  pot  on  tenir  ne  vêoir. 

Raisons  le  tenoit  en  sa  destre, 
11 64    Une  balance  en  sa  senestre, 

1 1 36  D  de  trestout  si  rich.  —  1  1  38  DE  veuc  —  1  i3o,  tuit  man- 
que dans  F  —  1 143  B'DE  coissins  —  1 147  manque  dans  D  —  1  i5i 
B  annesot  ;  E  amelot  —  1 1 58  M  au  —  1 1  5g  E  lui  —  1 1G0  A  mi- 
roir; F.\fB  mireoir;  £  mireour;  D  mirouer;  id.  1161  et  1180  — 
1162  FM  post  on   (M  vn) —  1 1 63  Mss.  la. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      177 

Si  que  la  dame  s'i  miroit 

Plus  souvent  qu'on  ne  vous  diroit. 

La  vëoit  elle  clerement 

I  168    Sans  obscurté  n'empeschement, 

Quanque  Dicus  et  Nature  donne 
A  bonne  eùreuse  personne. 
C'est  le  mal  laissier  et  bien  faire, 

I I  72    Et  non  voloir  autrui  contraire  ; 

Car  fols  est  qui  autrui  pourchace 

Chose  qu'il  ne  vuet  qu'on  li  face. 

Et  s'il  eiist  en  son  atour, 
1 1  jb    En  son  gentil  corps,  fait  a  tour, 

Et  en  son  cuer  tache  ne  vice 

Ou  pensée  d'aucun  malice, 

Ja  ne  fust  si  fort  reponnue 
1  180    Qu'en  mirëoir  ne  fust  veiie. 

Et  la  vëoit  elle,  sans  doubte, 

La  guise  et  la  manière  toute, 

Comment  Raison  justement  règle 
1  184    Par  belle  et  bonne  et  loial  règle; 

Si  que  la  prenoit  exemplaire 

De  tout  ce  qu'elle  devoit  faire. 

Et  aussi  la  juste  balance 
1 1 88    Li  demoustroit  signefiance 

.    Qu'elle  devoit  en  tous  cas  vivre 

Aussi  justement  com  la  livre 

Ou  on  ne  puet,  par  nulle  voie, 
1 192    Mettre  n'oster,  qu'on  ne  le  voie. 

La  tierce  avoit  nom  Attemprance 

1 164  DE  a  sa  —  1 1 65  FM  ques  —  1 168  A  empecchoment  — 
1 171  M  et  le  b.  —  1 17IÎ  DE  qui  a  autrui  —11 74  Z)  quon  ne  v.; 
MB  Ch.  qui  —  1 176  manque  dans  D  —  1 1 77  MDE  Ou  —  1  178 
D  daucune  —  11S0  B'D  Quou;  E  Quen  au  —  1181  E  veist  — 
n83  F  rieugle  —  1184  D  P.  bonne  et  belle;  F  rieugle  —  1188 
ABDE  demoustrent  —  n 89  D  deuroit  —  1191  BE  Ou  en  — 
H92  FM  Mestre;  E  la. 

Tome  1.  12 


Il8  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Qui  un  chapelet  de  souffrance 

Avoir  sus  son  chief  par  cointise  ; 
1 196    Et  avec  ce,  dont  mieus  la  prise, 

Estoit  de  manière  seure 

Et,  en  parlant,  sage  et  meure, 

N'en  fait,  n'en  port,  n'en  contenence 
1200    N'ot  vice,  ne  desordenance. 

La  quarte,  se  bien  m'en  recorde, 

Estoit  Pais  qui  tenoit  Concorde 

Par  le  doy,  amiablement, 
1204    Et  li  disoit  moult  doucement, 

De  cuer  riant,  a  chiere  lie  : 

«  Ma  douce  suer,  ma  chiere  amie, 

Se  nous  volons  vivre  en  leësse, 
1208    En  pais,  en  repos,  en  richesse, 

De  tout  ce  qu'on  puet  faire  et  dire, 

N'en  mettons  a  nos  cuers  point  d'ire, 

Et  ne  nous  chaille  dou  dangier 
121 2    Qu'on  appelle  contrevangier, 

Car  tels  cuide  vangier  sa  honte 

Qui  l'acroist  et  qui  plus  s'ahonte. 

Tenons  les  bons  en  amitié, 
1216    Et  des  mauvais  aions  pitié, 

Car  onques  homs  ne  fu  parfais 

Qui  volt  vangier  tous  ses  tors  fais.  » 

La  cinquisme  fu  appellée 
1220    Foy,  qui  richement  endestrée 
Estoit  de  Constance  la  ferme 
Qui  si  l'affermoit  et  afferme 

1 199  E  ne  poir  —  1201  DE  si  —  i2o5  M  de  ch.;  EBD  et  ch. 
—  12 10  DE  Ne;  BD  en  nos  —  12  1 1  E  vous  —  1212  E  contredan- 
gCr  —  12 14  AE  lahonte  —  121?  E  a  amistie  —  1218  A  vost  — 
1219  A  cincisme  —  1220  E  au  destree  —  1221  D  forme  —  1222 
D  cnfourmc. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  I 79 

Que  riens  ne  la  branle  n'esloche, 
1224    Eins  estoit  corn  chastiaus  sus  roche, 
Fort  et  ferme  et  seiirement, 
Sans  variable  mouvement. 

La  setisme  fu  Charité 
1228    Qui  avoit  si  très  grant  pité 

Des  besoingneus  qu'elle  savoit 

Que  leur  donnoit  quanqu'elle  avoit. 

Mais  ja  tant  donner  ne  sceiist 
123  2    Qu'assez  plus  a  donner  n'eûst. 

Après,  Honncstez  doucement 
Se  séoit  moult  honnestement, 
Qui  parée  par  grant  noblesse 
1236    Estoit  d'un  mantel  de  simplesse. 

Mais  nette  estoit,  sans  nul  reprouche, 
De  cuer,  de  corps,  de  main,  de  bouche. 

La  novisme  estoit  Prudence  ; 
1240    En  son  cuer  portoit  Sapience, 

Et  si  fermement  la  gardoit 

Qu'après  li  d'amours  toute  ardoit. 

Bien  savoit  la  cause  des  choses 
1244    Qui  sont  ou  firmament  encloses, 

Pourquoy  li  solaus  en  ardure 

Se  tient,  et  la  lune  en  froidure, 

Des  estoiles  et  des  planettes 
1248    Et  des  douze  signes  les  mettes, 

Pourquoy  Dieus  par  nature  assamble 


1223. -1  bransle;  DE  ne  loche  —  1227  Mss.  sisieme  (.vi.);  M 
fu  chante  —  1228  D  si  grant;  E  poeste  —  1229  A  besongnes  — 
i23o  B'D  Quel  ;  Dce  quelle  —  1 236  FM  Cestoit;  D  du  —  1237 
SE  nés;  D  net;  M  ncste  ;  FM  nulz —  1239  D  si  fu  —  1242  E 
tout  —  1244  M  en  —  1249  E  ensemble. 


l8o  LE    JUGEMENT    DOU    KOY    DE    NAVARRE 

Humeur,  sec,  froit  et  chaut  ensamble, 

Et  pourquoy  li  quatre  élément 
1252    Furent  ordené  tellement 

Qu'adès  se  tient  en  bas  la  terre, 

Et  l'iaue  près  de  li  se  serre, 

Li  feus  se  trait  haut  a  toute  heure, 
1256    Et  li  airs  en  moien  demeure. 

Brief  des  ouevres  celestiennes 

Et  aussi  des  choses  terriennes 

Savoit  tant  qu'elle  estoit  experte, 
1260    D'engin  si  vive  et  si  aperte, 

Que  nuls  ne  le  porroit  despondre  ; 

Car  a  chascun  savoit  respondre 

De  quanqu'on  voloit  demander,. 
1264    Si  qu'on  n'i  sceùst  qu'amender. 

Après  Prudence  se  séoit 

Largesse  qui  riens  ne  vëoit, 

Einsois  donnoit  a  toutes  mains, 
1  268    A  l'un  plus  et  a  l'autre  meins, 

Or,  argent,  destriers,  oisiaus,  terre, 

Et  quanqu'elle  pooit  acquerre, 

Contez,  duchiez  et  baronnies. 
1  272    A  héritages  et  a  vies. 

De  tout  ce  riens  ne  retenoit, 

Fors  l'onneur.  Ad  ce  se  tenoit  : 

Noblesse  li  avoit  apris. 
1276    Et  avec  ce,  dont  mieus  la  pris. 

Elle  reprenoit  Advarice 

12.Î0  E  HoniKiur  et  IV.  :  sec  manque  dans  IlDE,  ajoute  par  B' 
et  manque  dans  B  —  1 2 5 3  /•,'  tiennent.,  en  terre  —  1  255  E  tout 
—  1256  BD  ou  —  1258  D  Aussi  —  I25g  E  Sauoir —  1361  D 
espondre  —  1263  D  on  lui  v.  —  1264  qu  manque  dans  A  —  1266 
AFBD  que  —  1267  E  donne  —  12Ù9  /)  destries  —  1270  F  quan- 
ques  elle  —  1272  héritage  —  \i~'h  D  receuoit  —  127G  E  Auec- 
ques  ce. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    HE    NAVARRE  I 8 I 

Comme  de  tout  le  pieur  vice. 

L'autre,  dont  pas  ne  me  vueil  taire, 
1280    Estoit  Doubtance  de  meffaire, 

Qui  tant  se  doubtoit  de  mesprendre 

Qu'a  peinne  pooit  elle  entendre 

A  riens,  fors  estre  sus  sa  garde. 
1 284    En  tous  ses  fais  estoit  couarde  ; 

Car  Honte  et  Pàour  la  gardoient, 

Qui  en  tous  lieus  l'acompaingnoient. 

La  dousisme  estoit  Souffissance 
1288    Qui  de  très  humble  pacience 

Estoit  richement  aournée 

Et  abondanment  saoulée 

Et  pleinne  de  tous  biens  terriens. 
1292    Elle  n'avoit  besoing  de  riens, 

Ne  li  failloit  chose  nesune  ; 

Hors  estoit  des  mains  de  Fortune 

Et  de  son  perilleus  dangier. 
1 296    De  po  se  paissoit  au  mengier, 

Car  plus  refaite  estoit  d'un  ouef 

Que  ne  fust  un  autre  d'un  buef. 

Tant  par  estoit  bonne  eûreuse 
1 3oo    Et  parfaitement  vertueuse  ; 

Encor  est  et  toudis  sera, 

Tant  corn  li  siècles  durera  ; 

Que  c'est,  a  droit  considérer, 
1304    Li  biens  qu'on  doit  plus  désirer. 

Mais  aussi  com  pluseurs  rivières 
Arrousent,  et  pluseurs  lumières 

1278  M  Com;  D  tous;  D  pire  —  1286  AIDE  t.  biens  —  1287 
A  douzième  —  1291  D  Plaine  —  129D  M  dongier  —  1296 
FMBDE  passoit  :  D  a  m.  —  i3oi  E  Encores  est  toudis  et  s.  — 
î3o2  A  li  mondes  —  i3o3  BD  Cest;  B'  Qui  est  —   i3o4  D  bien. 


Iô2     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Radient  et  leur  clarté  rendent 
i3o8    En  tous  lieus  ou  elles  s'estendent, 

Ces  douse  nobles  damoiselles 

Qui  de  tous  biens  furent  ancelles, 

Chascune  selonc  sa  nature, 
1 3 1 2    En  meurs,  en  maintieng,  en  figure, 

Embelissoient  ceste  dame 

De  cuer,  de  corps,  d'onneur  et  d'ame. 

Car  tant  estoit  d'elles  parée, 
1 3 1 6    Arrousée  et  enluminée, 

Que  chascune  l'embelissoit 

De  quanque  de  li  bel  issoit, 

Et  chascune  la  repartoit 
i32o    De  la  vertu  qu'elle  portoit. 

Et  encor  des  biens  de  nature 

Avoit  la  noble  créature 

Gente  manière,  loiauté, 
1324    Faitis  port,  debonnaireté, 

Grâce,  douceur  et  courtoisie, 

Dont  elle  estoit  moult  embelie. 

Mais  sa  souvereinne  bonté 
1 3 28    De  trop  loing  passoit  sa  biauté. 

Quant  je  la  vi  si  hautement 

Assise,  et  si  très  noblement 

De  grans  richesses  acesmée, 
1  33s    Et  si  servie  et  honnourée 

Chierement  de  tous  et  de  toutes, 

Dedens  mon  cuer  venirent  doubtes 

Qui  y  entrèrent  par  folie 
1 336    Et  par  droite  merencolie. 

Car  j'estoie  trop  esbahis 

1JS07  A  leurs  —  1 3 1 9  D  repparoit  —  1 32 3  E  G.  maintenant  — 
1  3^5  .EG.donnour —  1 3 2G  M  est  —  1  32<S  sa  manque  dans  BE, 
ajouté  par  B'  —  1 33 1  BD  asseuree  —  1  3 3 4  E  me  vinrent  d.  — 
1 3  3  7  D  tous  csb. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  l8! 

Et  aussi  com  tous  estahis 

Et  d'erreur  telement  temptez, 
i  340    Que  je  cuiday  estre  enchantez. 

Mais  en  si  fait  amusement 

Ne  demouray  pas  longuement; 

Car  j'usay  dou  conseil  d'Avis 
1  344    Qui  fist  retourner  mon  avis 

Justement  par  devers  Raison, 

Qui  est  tout  adcs  en  saison 

Des  loiaus  cuers  remettre  a  point 
1348    Qui  sont  issu  hors  de  leur  point. 

Adont  Raison  me  resgarda, 

Si  que  depuis  en  sa  garde  a 

Mon  cuer,  mon  sens  et  mon  penser, 
i352    Pour  résister  et  pour  tenser 

Aus  fausses  cogitations, 

Et  oster  les  temptations 

Qui  cuidoient  avoir  victoire 
1  356    A  moy  faire  faussement  croire. 

Or  fui  hors  de  celle  pensée. 
Mais  la  dame  bien  apensée 
Moult  sagement  m'araisonna, 
i36o    Et  en  parlant  sens  me  donna 
De  respondre  après  son  parler; 
Se  sceus  mieus  et  plus  biau  parler. 

La  Dame. 

Se  me  dist  :  «  Guillaume,  biau  sire, 
1364    Or  prime  fust  il  temps  de  dire 


1 338  M  comme  —  1 339  F  temprez  —  \Z\\  E  en  cy  f.  ;  F  an- 
nuisement —  i344  B'  Qui  me  f.;  M  recouurer;  B  mon  vis  — 
1348  manque  dans  D  —  1 352  D  penser  —  1 355  M  cuident  — 
1 357  E  Sy  sui  ;  D  fu  —  1 36o  D  temps  me  d.  —  1  362  F  Sen  ;  BE 
En;  D  sceut  ;  E  Si  sens  —  1 363  FMBDE  dit—  1 364  A  Au 
primes. 


184  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Ce  que  sus  les  champs  avons  dit. 
S'en  rafreschissons  nostre  dit, 
Présent  ces  douse  damoiselles 
i368    Qui  sont  sages,  bonnes  et  belles. 
Et  pluseurs  gens  qui  y  seront  : 
Volentiers  nous  escouteront.  » 

Guillaume. 

Je  ne  ris  pas  longue  demeure. 
1  372    Einsois  m'agenoillay  en  l'eurc. 

Et  humblement  li  respondi  : 

«  Ma  chiere  dame,  tant  vous  di  : 

Pletist  a  Dieu  de  paradis 
1376    Que  cils  qui  doit  oir  nos  dis 

Fust  ci  endroit  présentement, 

Li  bons  rois  qui  si  sagement 

Saveroit  oïr  et  entendre, 
i38o    Faire  a  point,  et  puis  raison  rendre. 

Quant  il  averoit  escouté 

Ce  qu'on  li  averoit  compte'  ; 

Bien  saveroit  examiner 
1384    Et  encor  mieus  déterminer. 

Et  si  croy  bien  qu'il  jugeroit 

Selonc  les  parlers  qu'il  orroit. 

Et  non  pour  quant,  puisqu'il  vous  plait, 
1  388    Bien  en  poez  dire  hors  plait, 

En  supposant  sans  préjudice. 

Et  je  qui  point  n'i  pens  malice. 

Volentiers  vous  escouteray, 
1  3q2    Et,  se  bon  m'est,  j'en  parlerav.  » 


1 365  E  Et  que.,  a  vous  dit  —  1 366  B  rafreschirons  ;  D   refre- 
chirons  —    1367  M  ses:  E  douces  —  1 368  D  sages  sont;  A  belle 

—  1 37 1  D  demoure  —  i3y2  AB  agelongnai  —   i3-]^  DE  Sauroit  ; 
D  et  oir  ent.  —  i382   E  quen  —  1  385  E  qui  —   1 386  D  le  parler 

—  1387  D  non  pourtant  —    1 388  E  pourres  dire  vo  plaist. 


le  jugement  hou  roy  de  navarre    l85 

La  Dame. 

«  Guillaume,  moult  bel  respondez. 

Mais  un  bien  petit  m'entendez. 

Levez  vous,  car  il  plaist  a  nous 
1396    Que  plus  ne  parlez  a  genous. 

Et  se  plus  ci  après  parlez, 

Parlez  einsi,  corn  vous  volez, 

Ou  en  séant,  ou  en  estant, 
1400    Car  il  nous  souffist  bien  a  tant.  » 

Guillaume. 

Lors  me  levay  hastivement 

Pour  faire  son  commandement, 

Quant  elle  ot  sa  parole  dite  ; 
1404    Et  puis  tout  droit  a  l'opposite 

De  li  m'en  alay  asseoir, 

Pour  li  en  la  face  vëoir. 

Car  qui  voit  personne  en  la  face 
1408    Qui  de  parler  doit  avoir  grâce, 

Le  parler  trop  mieus  en  entent 

A  quel  fin  sa  parole  tent. 

Lors  prist  la  dame  une  manière 
141 2    Able,  diligent  et  manière 

De  parler  par  si  bel  devis 

Qu'il  estoit  a  chascun  avis 

Qu'elle  veïst  tout  en  escript 
141 6    Ce  qu'elle  disoit  et  descript. 

Dont  mieus  diter  nuls  ne  porroit, 

Nés  que  ses  parlers  atiroit. 

Elle  ordena  son  parlement 

i3g3  E  responnes  —  1 3g5  A  L.  vos  yeus  il  pi.  —  1398  DE 
vouldres  —  1403  FM  eust  —  1405  E  Deles  lui  men  a.  —  1408 
grâce  manque  dans  D  —  140g  BE  De  ;  B  on  —  1410  A  la  —  141 2 
manque  dans  D;  E  et  legiere  ;  FMB  meniere  —  141 3  par  manque 
dans  E  —  1416  AFD  Et  —  1417  M  saroit  —  1418  B'DE  Ne  ;  FM 
ques  ;  BE  ces;  E  paroles  —   1419  D  ordrena. 


I 86  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

1420    Dès  le  premier  commancement, 

Qu'elle  m'avoit  envoie  querre, 

Et  puis  secondement  requerre, 

Et  comment  j'alay  devers  li, 
1424    Et  comment  elle  m'assailli 

De  parole  cusansonneuse. 

Et  comment  elle  fu  crueuse 

De  moy  rudement  ramposner, 
1428    Pour  moy  seulement  agoner 

Et  en  merencolie  mettre, 

Dont  bel  se  savoit  entremettre. 

Que  vous  iroie  je  comptant  ? 
1432    Elle  y  mist  de  biaus  parlers  tant 

Qu'elle  mena  l'entention 

Dou  fait  a  déclaration, 

De  point  en  point,  de  tire  a  tire, 
1436    Si  bien  qu'il  n'i  ot  que  redire. 

Par  quoy  les  damoiselles  toutes 

Furent  tantost,  sans  nulles  doubtes, 

Dou  fait  sages  et  avisées 

1440  Et  entièrement  enfourmées 
De  quanqu'on  avoit  recordé 
Dessus  les  chans  et  acordé. 

Après  ces  paroles  moustrées, 

1444  Bien  dites  et  bien  ordenées, 
Eus  tantost  le  cuer  esjoy, 
Car  tant  escoutay  que  j'oy 
Chevaus  venir  et  gens  debatre; 

1448    Dont  en  l'eure  se  vint  embatre 

Devers  nous  cils  bons  rois  de  pris 

1426  FM  fust  —  1427  E  durement  —  1428  D  anguer  —  1430 
M  sen  —  143 1  D  ir.  plus  c.  —  '482  D  beau  —  h34  manque 
dans  D  —  1435  M  en  tire  —   1436  D  qui  ot  —  1437  D  Pour  — 

1441  D  quanque  a.;  E  quanque  len  a.  —    1442  E  le  champ  — 

1445  FBE  Eux  —  1447  D  esbatre  —    1448  M  sen. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  1 87 

Que  nous  aviens  a  juge  pris. 

Et  la  dame  qui  resgardoit 
1452    Devers  l'uis  et  ne  s'en  gardoit, 

Le  vit  et  congnut  a  l'entrée  ; 

Se  s'est  tantost  en  piez  levée  ; 

S'ala  a  rencontre  de  lui, 
1456    Et  se  n'i  atendi  nelui. 

Quant  il  la  vit,  il  s'avansa 

Et  un  bien  petit  l'embrassa, 

Et  elle  lui  moult  humblement, 
1460    En  saluant  courtoisement, 

Liement  et  a  bonne  chiere. 

Et  il  li  dist  :  «  Ma  dame  chiere, 

Moult  me  poise,  quant  sa  venistes. 
1464    Pour  quel  cause  ne  vous  tenistes 

En  vostre  siège  toute  coie?  » 

—  «  Très  chiers  sires,  se  Dieus  me  voie, 

Jamais  ne  l'eusse  einsi  fait, 
1468    Car  trop  pensasse  avoir  meffait. 

Car  on  dit —  et  c'est  chose  voire 

Qu'il  est  assez  legier  a  croire  — 

Qu'entre  les  grans  et  les  meneurs 
1472    A  tous  seigneurs  toutes  honneurs. 

Mais  laissons  ces  parlers  ester, 

Petit  y  devons  arrester, 

S'alons  en  cest  siège  seoir. 
1476    La  me  vorray  je  pourvëoir 

De  vous  compter  une  merveille, 

D'autres  merveilles  nom  pareille. 

Alez  devant;  j'iray  après. 
1480    De  vous  me  tenray  assez  près.  » 


1450  F  Cui  ;  DE  auions  —  1452  D  lui  —  1455  D  Si  ala  enc.  ; 
B  en  lenc. —  1463  D  que  ca  v.  —  1473  E  cest  parler;  D  ce  par 
ester  —  1473  D  Alons;  M  ses  sièges  —  1476  D  Puis  nie  vouldrai 
—    1478  D  nom  pareilles. 


I 88  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

—  «  Par  Dieu,  madame,  non  ferav. 

Aussi  tost  com  j'y  monteray, 

Tout  d'encoste  moy  monterez. 
1484    Ja  a  ce  point  ne  me  menrez 

Qu'embedeus  n'en  alons  ensamble. 

Encor  fais  je  trop,  ce  me  samble.  » 

De  ce  point  si  bien  s'acorderent, 
1488     Si  qu'ensamble  tous  deus  montèrent. 

Et  quant  il  furent  haut  monté, 

Encor,  par  grant  humilité, 

D'asseoir  moult  se  debatirent. 
1492    Toutes  voies  il  se  seïrent. 

Et  quant  il  furent  la  assis, 

La  dame  dist  de  sens  rassis  : 

«  Sire,  entendez  un  bien  petit, 
1496    Et  se  prenez  vostre  apetit 

A  diligenment  escouter 

Ce  que  je  vous  vorray  compter. 

Vez  la  Guillaume  de  Machaut. 
1  5oo    C'est  uns  homs  a  cui  il  ne  chaut 

A  tort  ou  a  droit  soustenir; 

Tout  aussi  chier  s'a  il  tenir 

Vers  le  tort  comme  vers  le  droit, 
1504    Si  com  vous  orrez  orendroit. 

En  un  débat  sommes  entré 

Dont  nous  devons  de  fait  outré. 

Sire,  devant  vous  plaidïer, 
1  5o8    Mais  qu'il  ne  vous  doie  anuier. 

Moy  bien  meiie  et  il  meus, 

148 1  D  Pour  —  1482  D  je  monterai;  E  je  monsterray  —  148? 
FBDE  decoste  ;  BDE  monsteres  —  1484  D  merrez  —  148D  D 
Que  nous  deus;  M  aillons —  i486  E  feray  ;  je  manque  dans  E 
—  1487  D  Ad  —  1488  F  deulz  •  E  monsterent —  1491  D  Au 
seoir  —  1492  D  sasseirent  —  1493  A  rassis  —  H99  BEVeez  ;  D 
Vêla  —  i5o2  s  manque  dans  D  —  i5o3  F  tors  —  if>o8  F  qui  — 
1509  E  bien  meus;  D  cil. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  1 89 

Pour  juges  estes  esleiis  ; 

Dont  c'est  pour  nous  belle  avenue, 
1  5 1 2    Biau  sire,  de  vostre  venue. 

Et  vous  en  estes  eùreus, 

Se  de  riens  estes  amoureus. 

Car  de  cause  avons  nostre  plait 
1  5 1 6    Fourme  qui  aus  amoureus  plaist  : 

C'est  d'amours,  d'amant  et  d'amie, 

Et  de  leur  noble  signourie. 

Guillaumes  dit,  tient  et  afferme 
1  520    Pour  vray  et  que  c'est  chose  ferme, 

Quant  homs  qui  a  tout  son  cuer  mis 

En  dame,  tant  qu'il  est  amis 

Et  celle  s'amour  li  ottrie, 
1 524    Si  qu'il  la  tient  pour  vraie  amie, 

Puis  est  de  lui  si  esprouvée 

Qu'il  la  trueve  fausse  prouvée, 

Qu'il  a  de  ce  plus  de  grieté 
1528    Qu'une  dame  qui  loiauté 

En  son  vray  ami  trouvera  ; 

Et  elle  aussi  tant  l'amera 

Comme  dame  puet  homme  amer, 
i5?2    Entièrement,  sans  point  d'amer. 

Or  avenra  il  que  la  mort 

Qui  soutilment  sus  la  gent  mort. 

Torra  a  son  ami  la  vie. 
1  536    Et  quant  elle  scet  qu'il  dévie, 

Ou  qu'il  est  dou  tout  deviez, 

Il  est  a  la  mort  mariez, 

Lors  est  rinée  leur  querelle, 
1  540    Aroit  cils  aussi  grief  corn  celle? 

1  5 10  jF  juge  —  1  d  1 1  BD  venue  —  1  5  1  3  en  manque  dans  D  ;  E 
este  —  1 5 1 5  A  plest  —  i5i(5  D  amours  —  i52t>  et  manque  dans 
D —  Ô23  E  ottroye —  1324  M  qui  ;  D  que;  E  p.  amie  vraie  — 
102b  A  li  —  1627  E  Qui;  de  (gr.)  manque  dansBE,  ajouté  par  B' 
—  i??oE  celle —  1 536  E  qui  —  Ô40  M  gries. 


I90  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Nennil  !  Il  ne  puet  avenir  ; 

Cils  poins  ne  se  puet  soustenir. 

Dont  j'ay  fait,  et  fais,  et  vueil  faire 
1  544    Protestation  dou  contraire. 

C'est  auques  nostres  plaidiez. 

Pour  ce  volons  que  vous  soiez 

Juges;  si  en  ordonnerez 
1  548    Selonc  le  plait  que  vous  orrez .  » 

Le  Juge. 

«  Je  vous  respons,  ma  chiere  dame, 

Par  la  foy  que  doy  Dieu  et  m'ame, 

Selonc  la  mienne  entention, 
1 5 52    Que  d'estre  en  la  perfection 

De  juge  est  moult  noble  chose, 

Voire  qui  entrepenre  l'ose 

Si  hautement  comme  en  Amours. 
1 5 56    Mais  pour  les  très  douces  clamours 

Qui  y  sont,  j'entrepren  l'office, 

Sans  mal  penser  et  sans  malice. 

Se  j'ay  petit  sens,  j'apenray 
i56o    Parmi  les  parlers  que  j'orray; 

Et  s'estre  puis  bien  consilliez, 

Je  ne  seroie  pas  si  liez 

D'avoir  acquis  cinq  cens  mars  d'or. 
1564    Et  pour  tant  vous  di  je  desor, 

Chiere  dame,  que  j'esliray 

Tel  Conseil,  comme  je  vorray, 

De  vostre  belle  compaingnie 
1 568    Qui  a  vous  est  acompaingnie. 

Car  a  un  bon  juge  apartient 


1 541  FB  y  —  1 541-2  manquent  dans  M  —  i5_p  F  vostre;  D 
tout  nostre  plaidie  —  i55o  E  marmc  —  i553  D  ccst  —  1 555  M 
com  —  1  55(j  D  p.  temps  je  prendrai  —  1  56o  E  parolles  ;  BD  Par 
les  paroles  —  1 565  D  jesluirai  —  1 566  F  com  —  1 568  E  et  a.;  D 
t'ait;  BD  compaingnie. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  Ii)I 

Qui  jugemens  en  sa  part  tient 

Qu'il  ait  conseil  en  tous  endrois. 
i  572    Prenons,  qu'il  soit  ou  non  soit  drois. 

Se  vous  requier  je  qu'on  le  face, 

Soit  par  courtoisie  ou  par  grâce. 

Et  d'autre  part,  quoy  que  nuls  die, 
1  576    Bons  drois  a  bon  mestier  d'aïe, 

Par  quoy  grâce  ait  adès  son  cours, 

Pour  aidier  droit  en  toutes  cours.  » 

La  Dame. 
«  Biau  sire,  de  vostre  recort, 
1 58o    Que  ce  soit  drois,  bien  m'i  acort. 
Or  prenez  cui  que  vous  volez, 
Par  quoy  de  riens  ne  vous  dolez.  » 

Le  Juge. 

«  Ma  dame,  je  pren  Congnoissance 
1  584    Qui  est  de  bon  conseil  sustance; 

Avecques  li  sera  Avis 

Li  quels  n'i  sera  pas  envis, 

Pour  ce  que  c'est  sa  bonne  amie  ; 
1  588    Volentiers  li  tient  compaingnie. 

Et  se  me  plaist,  qu'aussi  y  soit 

Raison  qui  nelui  ne  déçoit, 

Eins  est  adès  en  sa  partie 
1592    De  bon  conseil  apareillie. 

Si  entendra  les  parlemens 

Pour  raporter  aus  jugemens. 

La  me  sara  bien  consillier  : 
i5gô    Pas  ne  m'en  faurra  resveillier. 


1570  B'D  jugement;  FM  par  —  i5y2  FMD  qui  —  ibfi  A  Je 
vous  requier  je;  FB  nous  —  1579  &  Cher;  FM  nostre  —  i58i 
D  vouldres  —  1682  Après  ce  vers  D  met  Le  roy  —  1 586  manque 
dans  F  —  1 5g3  F  Sen  tendra;  B'  Sentendera;  D  Si  entendes  — 
i5g4  BD  reporter  —  1 5g5    M  moy —  i5g6  D  scaura. 


IQ2     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Avecques  li  sera  Mesure; 

Car  qui  jugemens  ne  mesure, 

Il  ne  puelent  venir  a  point, 
1600    Afin  qu  "il  soient  en  bon  point 

Pour  les  parties  délivrer 

Et  chascune  son  droit  livrer.  » 

La  dame  bien  sï  acorda 
1604    Et  hautement  li  recorda  : 

«  Biau  sire,  bien  avez  ouvré 

D'avoir  bon  conseil  recouvré.  » 
Le  Juge. 

«  C'est  bon  pour  moy,  ma  dame  gente; 
1608    Dont  a  mon  cuer  bien  entalente 

Que  j'en  soie  einsi  bien  garnis  : 

Qui  n'est  garnis,  il  est  honnis. 

Juges  sui  par  commun  acort 
161  2    Especiaument  d'un  descort 

Qui  est  ci  entre  deus  parties, 

Pour  atendre  droit  de  parties. 

Or  est  la  court  garnie  et  pleinne; 
1616    Se  puet  on  bien  par  voie  pleinne, 

Ce  m'est  avis,  aler  avant. 

Dame,  vous  parlerez  devant, 

Se  fourmerez  vostre  demande, 
1620    Nom  pas  pour  ce  que  je  demande 

Que  li  fais  me  soit  refourmez, 

Car  j'en  suis  assez  enfourniez  ; 

Mais  d'aucuns  membres  dou  procès 
1624    Me  moustreroient  les  excès 

i5rj7  Mss.  Aucc,  B'  donne  seul   Aueques  lui  —  i5<)8  D  juste- 
ment mes.;  E  jug.  par  mes.  —   1600  AF  qui;  BDE  que;  E  soyc 

—  ]6û3-4  manquent  dans  D  —  1604  E  accorda —  i6o5  D  Chier 

—  1606  Après  ce  versD  met  Le  roy  —  1609  D  aussi  —  161  o  E 
Quil  —  1612  D  du  —  i6i3  F  deulz  —  1Ô14  E  entendre;  B'D 
des  —  161 5  F  cours  —  1617  FBDE  Se—  16 19  F  nostre  —  1624 
E  monsterront. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  I  fp 

Qui  vous  en  font  doloir  et  pleindre, 

Et  aussi  pour  Guillaume  ateindre 
En  son  tort,  se  tort  doit  avoir  ; 
1628    Autrement  ne  le  puis  savoir.  » 
La  Dame. 

«  Sire,  ceste  raison  me  plait. 

Dès  qu'entamé  en  avons  plait, 

Mon  fait  moustreray  par  figure 
i632    Selonc  les  ouevres  de  Nature, 

Tout  pour  Guillaume  qui  se  ton 

De  vérité  dont  il  a  tort. 

Vous  savez  que  la  turterelle, 
1 636    Qui  est  faitice,  gente  et  belle, 

Gointe,  gaie,  douce  et  jolie, 

Tant  com  ses  maies  est  en  vie, 

Et  s'il  avient  qu'elle  le  pert 
1640    Par  mort,  on  scet  tout  en  appert 

Que  jamais  joie  n'avéra, 

Et  par  signes  le  moustrera. 

Tant  est  li  siens  cuers  pleins  d'ardeur, 
1644    Jamais  ne  serra  sus  verdeur; 

Eins  quiert  tout  adès  obscurtez, 

Divers  lieus  et  pleins  de  durtez, 

Aubres  ses,  verseinnes  et  trieges  ; 
1648    En  tels  lieus  est  souvent  ses  sièges, 

Quant  elle  se  vuet  reposer. 

Autrement  ne  vuet  disposer 

Son  cuer  qu'en  vie  dolereuse, 
i652    Tant  est  de  son  maie  grieteuse. 

1626  D  attendre  —  1628  manque  dans  D  —  i63o  F  enterme; 
E  entérines  —  i63i  E  mousteray —  i635  manque  dans  F  —  1 61>7 
D  douce  gaie  —  i638  B  ces  —  1640  FMBDE  ou  soit  ;  B'  corrige 
en  scet  —  1642  F  moustera;  E  monsterra  —  1644  B  sera;  M 
saserra —  164D  tout  manque  dans  D  —  1647  B  verseingnes;  D 
versenges;  E  nesainnes;  DE  tierges  —  1648  DE  tel  lieu  —  i65a 
D  mal  ;  F  regrieteuse  ;  BDE  regreteuse. 

Tome  I.  i3 


194     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Tout  autel  d'une  dame  di  ge 

Qui  est  rendue  a  Amours  lige  : 

Quant  elle  a  son  amy  perdu 
1 656    Par  mort,  le  cuer  si  esperdu 

A,  que  jamais  n'avéra  joie, 

Eins  quiert  lieu,  temps,  et  gens,  et  voie, 

Ou  il  ait  tout  adès  tristesse, 
1660    Humble  habit  en  lieu  de  richesse, 

Ténèbres  en  lieu  de  clarté, 

Et  en  lieu  de  joliveté 

Pour  porter  chapelès  de  flours 
1664    Ist  de  son  chief  larmes  et  plours; 

Et  s'elle  quiert  aucun  repos, 

Il  est  pris  en  humble  propos. 

Einsi  la  dame  se  maintient 
1668    Qui  le  dueil  de  son  amy  tient, 

En  cas  qu'elle  soit  vraie  amie. 

Or  diray  de  l'autre  partie. 

«  Quant  la  segoingne  se  fourfait, 
1672    Et  ses  maies  en  scet  le  fait, 

Je  croy  bien  que  moult  s'en  aire 

Et  qu'il  en  a  au  cuer  grant  ire  ; 

Mais  trouver  en  puet  aligence 
1676    En  ce  qu'il  en  atent  vengence. 

Car  il  s'en  va  tantost  en  serche  ; 

Par  les  nis  des  oisiaus  reverche 

A  ceuls  qui  sont  de  sa  samblance, 
1680    Tant  qu'il  en  a  grant  habondance; 

Puis  entour  son  nif  les  assamble, 

1 656  D  a  le  cuer  si  perdu  —  16.S7  A  Na;£  namera;D  Que 
jamais  elle  naura  j.  —  i658  et  (gens)  manque  dans  E —  1659 
tout  manque  dans  E  —  1660  D  au  —  1 665  se  trouve  après  le 
vers  1666  dans  E;  FME  celle  —  166g  D  Ou;  E  Quou;  E  seroit 
—  1671  B'  sygne;  E  signe  ;  D  singesse;  D  méfiait —  1674  .4  ait; 
M  en   hai  —  1676  A  veingance  —  1681  DE  ni. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  I  g5 

Et  quant  il  sont  la  tuit  ensamble, 

Il  y  tiennent  un  grant  concire, 
1684    Puis  metent  celui  a  martire 

De  mort  qui  l'a,  ce  dit,  forfaite  ; 

La  est  devourée  et  deffaite. 

Or  a  cils  ses  maus  alegiés 
1688    Qui  en  ce  point  en  est  vengiés. 

Tout  autel  di  je  que  li  homs 

Doit  estre  fiers  com  uns  lions 

Contre  aucun  tort,  s'il  li  est  fais. 
1692    Et  cils  puet  trouver  moult  de  fais 

Aus  quels  il  se  puet  encliner 

Pour  son  mal  faire  terminer, 

Par  pluseurs  manières  de  tours. 
1696    Mais  la  dame  n'a  nuls  recours 

Es  quels  elle  se  puist  garir, 

Qui  son  a  m  y  verra  morir. 

Dont  elle  sent  pour  un  mal  cent 
1700    Que  cils  autres  amans  ne  sent. 

Guillaume,  après  moy  respondez  ; 

Se  tort  avez,  si  l'amendez.» 

Guillaume. 

Après  ces  raisons  me  dressay 
1704    Et  mes  paroles  adressay 

Au  juge  qui  bien  entendi 

Ce  qu'elle  ot  dit  et  que  je  di . 

Et  je  li  dis  :  «  Sire,  sans  faille 
1708    Ma  dame  a  bien,  comment  qu'il  aille, 

Son  fait  moustré,  et  sagement, 


i683  y  manque  dans  FBE  ;  B'  Hz  tiennent  la  vn  ;  E  II  treuue 
vn  gr.  contire;  D  concilie  —  1684  D  mettront  —  1 685  D  qui  a; 
FE  se  —  1686  DE  demource  —  1690  FE  comme  —  1691  FM 
sil  y  est;  D  si  lui  —  1692  D  Et  si  —  1696  D  nul  secours  — 
1697  FM  peust  —  1706  B  Et  —  1708  D  a  dit  —  1709  D  et 
moustre  s. 


I96  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Et  de  soutil  entendement 

Bien  baillié  par  vives  raisons, 
1712    Pour  fourmer  ses  comparisons 

Bien  faites  et  bien  devisées 

Et  si  justement  exposées, 

Que  qui  amender  y  vorroit, 
1716    Je  croy  moult  bien  qu'on  ne  porroit. 

Et  ce  qu'elle  en  a  devisé, 

Vous  l'avez  très  bien  avisé, 

Oy,  senti  et  entendu. 
1720    Car  de  sa  bouche  est  descendu 

En  vostre  cuer  par  escouter  ; 

Si  ne  le  faut  pas  repeter. 

Et  si  croy  bien  certeinnement 
1724    Que  c'est  de  droit  vray  sentement 

Ce  qu'elle  en  a  yci  compté, 

Gardant  sa  grâce  et  sa  bonté, 

Sans  point  de  vainne  entention. 
1728    Et  j'ay  une  autre  oppinion 

Qu'elle  n'a;  s'en  diray  m'entente. 

S'il  li  plaist  et  il  vous  talente, 

Nom  pas  pour  le  sien  fait  punir, 
1732    Mais  pour  ma  cause  soustenir. 

On  puet  bien  sa  cause  prisier, 

Sans  autrui  fait  apetisier.  » 
Le  Jtîgi:  . 

«  Guillaume,  ne  vueil  contredire. 
1736    Dites  ce  qu'il  vous  plaist  a  dire. 

Hastivement  ou  a  loisir; 

Ouvrez  en  a  vostre  plaisir. 

1712  E  fermer  —  171 3  A  diuisees —  171 5  £   Car  qui  amende 
y  voiroit  —  1717    E  Et  de  ce  —  1718  A   auisie  —    171g  D  sentu 

—  1722  E  fait  —  1725  en  manque  dans  D  —   1 727  D  de  maie  c. 

—  1728  E  joy;  D  vn  —  1729  B  sr  .is  —  17^0  MDE  Si  —  1734 
Apres  ce  vers  D  met  Guillaume  l.c  roy —  1737  manque  dans  D  — 
J738  a  manque   dans  E. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      197 

Je  vueil  bien  oïr  et  entendre, 
1740    Et  s'ay  assez  loisir  d'atendre.  » 

Guillaume. 

«  Grant  merci,  sire  !  Je  diray, 

Et  croy  que  point  ne  mentiray. 

Je  vous  di  que  la  forfaiture 
1744    De  dame  est  si  aspre  et  si  dure 

En  cuer  d'amant,  et  si  perverse, 

Que,  quant  elle  y  est  bien  aherse, 

Jamais  jour  ne  s'en  partira. 
1748    Or  ne  scet  cils  quel  part  ira 

Pour  quérir  son  aligement  : 

Se  prendre  en  voloit  vengement 

Par  mort,  et  bien  le  peûst  faire, 
1752     II  trouveroit  tout  son  contraire 

En  la  fourme  de  grant  folour, 

En  l'attrait  de  toute  dolour, 

Un  feu  pour  toute  ardeur  ateindre, 
1756     Une  yaue  pour  douceur  esteindre, 

Norrissemens  de  tous  meschiez; 

Car  dou  faire  seroit  péchiez. 

Et  péchiez  qui  en  cuer  remort 
1760    Est  uns  commencemens  de  mort, 

De  mort  qu'on  claimme  mortel  vie. 

Car  qui  languist,  il  ne  vit  mie. 

En  mon  fait  que  ci  vous  présent 
1764    Maintenant,  en  vostre  présent, 

A  plus  de  griés  et  plus  d'ardure 

Qu'en  l'autre  fait,  et  trop  plus  dure. 


1741  BE  je  vous  diray  —  1742  AME  nen  —  1744  E  De  ma 
dame  —  1743  E  est  si  p.  —  1762  AFME  Y  —  1755  E  atendre  . 
D  estaindre —  1756  D  .1.  autre  eaue;  E  Une  cause;  E  estandre 
—  1757  D  et  tous  —  1739  D  qui  encor  r.  —  1760  D  Cest  —  1766 
FD  grief. 


I g8     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Dont  je  vous  requier  orendroit 
1768    Sus  ce  point  ci  que  j'aie  droit.» 

Attemprance. 

Adont  se  leva  Attemprance 

Qui  tenoit  par  la  main  Souffrance. 

Si  parla  attempréement 
1772    En  disant  :  a  Guillaume,  comment 

Droit  pour  vous  demander  osastes  ? 

Je  me  merveil  que  vous  pensastes, 

Quant  vous  en  fustes  si  hastis. 
1776    Ou  vostres  scens  est  trop  petis, 

Ou  outrecuidiers  vous  demeinne. 

Ne  savez  vous  pas  bien  qui  meinne 

Le  droit,  quant  parties  y  tendent 
1 780    Qui  le  désirent  et  attendent  ? 

Je  vueil  moult  bien  que  vous  sachiez 

Que  Raisons  en  est  li  drois  chiez 

Et  avec  li  sa  compaingnie  ; 
1784    Chascune  y  a  bonne  partie 

D'entre  nous  damoiselles  toutes. 

De  ce  ne  faites  nulles  doubtes, 

Que  drois  ne  se  puet  délivrer, 
1788    Se  toutes  ne  sont  au  livrer, 

Afin  que  fait  soit  bonnement, 

Se  cils  qui  fist  les  drois  ne  ment. 

Je  meïsmes  y  ay  office 
1792    Pour  résister  a  tout  malice, 

Qui  maintes  fois  le  droit  destourne  ; 

Et  je  d'office  le  retourne. 

Quant  uns  bons  procès  vient  en  fourme, 

1770  B'  tint;  la  manque  dans  D;  BDE  souffissance  —  !77? 
FBDE  vous  oser  (D  aisier)  demandastes  —  1777  D  Oultrecui- 
dance;  E  autrecuidiers  —  1778  bien  manque  dans  D;  Mss.  quil 
—  1779  D  les  parties  —  1780  E  li  —  1782  D  Que  ma  dame  est 
sages  asses  —  1784  DE  Chascun  —   1785   FBE  noz. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  1 99 

1796    Et  je  perçoy  qu'on  l'en  deffourme, 

J'y  puis  bien  tellement  ouvrer 

Qu'il  puet  sa  fourme  recouvrer. 

Se  trop  y  a,  j'en  puis  oster. 
1800    (Or  vueilliez  bien  ce  point  noter!) 

Et  se  po  y  a,  j'y  puis  mettre, 

Quant  je  m'en  vueil  bien  entremettre. 

Et  se  la  chose  est  en  bon  point, 
1804    Je  la  puis  garder  en  ce  point. 

C'est  d'Attemprance  li  mestiers, 

Toutes  fois  qu'il  en  est  mestiers. 

Or  vueil  je  dire  d'autre  chose 
1808    Qui  contre  vostre  fait  s'oppose. 

«  Vous  avez  un  point  soustenu 

Dont  po  d'onneur  vous  est  venu, 

En  ce  que  ma  dame  de  pris 
181 2    Avoit  seur  la  segoingne  pris, 

Comment  elle  est  a  la  mort  traite, 

Quant  envers  son  maie  est  forfaite. 

Cuidiez  vous  qu'elle  vosist  dire 
18 16    Qu'on  meïst  la  dame  a  martyre 

De  la  mort,  qui  se  mefferoit 

Envers  celui  qui  l'ameroit  ? 

Nennil  !  voir  !  ce  seroit  folie. 
1820    Ne  ma  dame  ne  maintient  mie 

Qu'il  la  face  tuer  ne  tue; 

Mais  elle  tient  qu'il  s'esvertue 

Encontre  les  temptations 
1824    Des  fausses  cogitations 

Qui  porroient  en  lui  venir. 

1796  FE  le—  1797  D  Je  puis  —  1798  FM  Qui  —  1802  DE 
me  —  i8o3  la  manque  dans  E  —  1806  est  ajouté  par  B  au  bas  du 
feuillet  —  1808  DE  nostre  —  1809  D  Tous  —   1812  D  besoigne 

—  181  3  la  manque  dans  FBE  —    1821   FB  Qui;  AFMB  facent 

—  1824  BDE  De. 


2  00  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Encor  s'el  pooit  avenir, 

Qu'elle  fust  de  bonne  mort  morte, 
1828    Se  vaurroit  il  mieus,  drois  la  porte, 

Qu'elle  demourast  toute  vive. 

Car  tant  com  la  personne  vive 

Qui  se  mefferoit  par  folour, 
1 832    On  n'en  a  peinne,  ne  dolour, 

Grieté,  souffrance,  ne  meschief, 

Dont  on  ne  veingne  bien  a  chief. 

Quant  il  sent  aucune  grieté, 
1 836    II  doit  penser  par  vérité, 

Dès  qu'il  a  loiaument  servi, 

Qu'il  ne  l'a  mie  desservi. 

C'est  une  pensée  valable, 
1840    Pour  lui  conforter  profitable. 

Que  vous  iroie  je  comptant  ? 

De  remèdes  y  a  autant 

En  amours,  com  de  griés  pointures, 
1844    Soient  aspres,  poingnans  ou  dures. 

Chascune  son  remède  enseingne  ; 

Or  en  fait  bon  quérir  Tenseingne. 

Mais  une  dame  qui  verra 
1848    Que  ses  très  dous  amis  morra 

En  cui  en  nul  jour  de  sa  vie 

N'ara  trouvé  que  courtoisie, 

Estre  porra  si  fort  férue, 
1 852    Si  griefment,  et  si  abatue, 

Que  jamais  n'en  porra  garir, 

Einsois  la  couvendra  morir. 

En  l'escripture  est  contenu 

1828  B  dieux;  D  dieu;  FME  le  —  i832  DE  ne  a  p.;  D  na 
doulour —  i833  M  souffraite  ;  D  souffrete;  E  souffisance  —  i836 
FBDE  pour  —  i838  D  Qui  —  1839  D  vaillable  —  1841  vous 
manque  dans  E  —  1842  E  remède  ;  D  en  y  a  tant  —  1843  D  grief 
—  1844  BD  après;  F  et  dure  —  1846  A  querre  —  1847  B'  M. 
joyne  —  1 855  1  manque  dans  D. 


LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  20  1 

1 856    Que  pluseurs  fois  est  avenu. 

S'en  compteray  un  petit  compte 

Qui  vous  fera  avoir  grant  honte, 

Et  a  ma  dame  grant  honnour, 
1860    Et  grant  clarté  a  mon  signour, 

Dont  il  verra  plus  clerement 

Comment  vous  errez  folement. 

«  Il  n'a  pas  lonc  temps  qu'il  avint 
1864    Qu'une  grant  dame  a  Paris  vint, 

S'amena  une  sienne  fille 

Qui,  sans  penser  barat  ne  guille, 

Amoit  un  chevalier  gentil, 
1868    Sage,  courtois,  gay  et  soutil, 

Preus  aus  armes,  fort  et  puissant, 

De  toutes  grâces  soufhssant. 

De  lui  nouvelles  li  venirent 
1872    Qui  forment  au  cuer  la  poingnirent 

Qu'il  estoit  a  un  tournoy  mors. 

«  Lasse  !  »  dist  elle,  «  quel  remors 

Puis  avoir  de  ceste  nouvelle  !  » 
1876    A  cest  mot  chey  la  pucelle 

A  la  terre,  toute  estendue. 

Adont  sa  mère  y  est  venue 

Acourant  moult  dolentement; 
1880    S'en  prist  a  plourer  tenrement 

Et  la  fist  porter  en  un  lit. 

La  prist  elle  povre  délit; 

Car  au  cuer  estoit  fort  ateinte 
1884    Et  ou  viaire  pale  et  teinte 

Et  si  de  son  corps  amatie 

Et  de  ses  membres  amortie, 


i856  F  fais  —  1862  D  Comme  —  1864  grant  manque  dans  E 
—  1869  A  Preu  —  1872  B  li;  DE  lui  —  1874  M  quelz  —  1876 
DE  ce  —  1880  E  Se  —  1882  manque  dans  D  —  i883  BE  esteinte 


202  LE   JUGEMENT   DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Qu'einc  puis  ne  s'en  pot  soustenir, 
1888    Ne  des  mains  nulle  riens  tenir; 

Et  n'ot  einc  puis  tant  de  victoire 

Qu'elle  peust  mengier  ne  boire. 

Fusicien  furent  mandé, 
1892    Et  la  leur  fu  il  demandé 

S'elle  averoit  de  la  mort  garde, 

Et  que  chascuns  y  prenist  garde, 

S'on  li  porroit  donner  santé, 
1896    Et  qu'il  demandassent  planté 

Hardiement  de  leur  avoir, 

Tant  comme  il  en  vorront  avoir. 

Et  il  en  peinne  s'en  meïrent 
1900    Et  moult  volentiers  le  feïrent 

Pour  trouver  son  aligement, 

S'il  peûssent,  diligenment. 

Premiers,  s'orine  resgarderent, 
1904    Et  puis  après  si  la  tasterent  ; 

Li  uns  après  l'autre  tastoient 

Partout  ou  taster  la  dévoient, 

Les  piez,  le  pous,  et  puis  les  temples; 
1908    Et  puis  si  moustroient  exemples 

Des  cures  qu'il  avoient  faites 

En  pluseurs  lieus  et  bien  parfaites. 

Et  que  plus  d'exemples  moustroient, 
191 2    De  tant  plus  esbahi  estoient. 

L'orine  la  jugoit  haitie, 

Et  li  tasters  ne  jugoit  mie 

Cause  froide,  ne  de  chalour, 
19 16    En  quoy  il  prenissent  coulour 

1887  D  Que  puis;  FMBE  Queins;  FDE  se  —  1889  FMBE 
eins;  D  depuis  —  1891  FB  Fisicien  —  1898  FM  corn  ;  E  il  len; 
FMBE  vorroient  —  1899  MBDE  se  —  1900  D  Et  moût  tresuo- 
lentiers  le  firent  —  1908  DE  Premier  —  1907  E  les  pous;  D 
poins  —  1908  AB  li;  D  monstrerent  —  1  g  1 3  A  jugent;  D  la 
monstroit  haitiee  —  1916  D  poyssent. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  2û3 

D'où  ne  de  quoy  cils  maus  venoit, 

Ne  quel  remède  y  couvenoit, 

Pour  li  un  po  assouagier 
1920    Ou  dou  tout  ses  maus  aligier, 

Fors  tant  que  li  uns  s'avisa 

Et  sagement  le  devisa  : 

«  Signeurs,  j'ay  veû  en  s'orine 
1924    Einssi  comme  un  po  de  racine 

Qu'elle  est  en  l'esperit  troublée. 

Or  nous  est  la  science  emblée 

De  ce  point,  s'on  ne  s'en  avise. 
1928    Et  nous  savons  une  devise 

Que  li  bons  philosophes  dist  ; 

Il  afferme,  et  je  croy  son  dit, 

Que  les  maladies  quelconques  — 
1932    Et  qu'autrement  il  n'avint  onques  — 

Sont  curées  par  leur  contraire. 

Or  ne  pôons  a  ce  point  traire 

De  ceste  maladie  ci 
1936    Tant  seulement  que  par  un  si. 

Car  si  hastives  maladies 

Puelent  venir  de  deus  parties  : 

C'est  assavoir,  se  Dieus  me  voie, 
1940    De  grant  dueil  ou  de  trop  grant  joie. 

Et  cause  de  joie  désire 

Qu'on  la  courresse  et  qu'on  l'aire, 

Et  celle  de  dueil  autrement  : 
1944   Faire  couvenra  liement, 

Présent  li,  ce  qu'elle  vorra 

Et  quanqu'elle  commandera, 

1917  D  Donc  —  1918  A  il  —  1921  E  que  lui  vn  —  1924  AE 
Aussi  —  1926  BDM  yert;  E  (à  la  marge)  le  dont  quelle  soit 
sanc  mellee  —  iq3o  M  lafferme;  F  la  ferme  ;  A  dist  —  ig3 1  A 
quelconques  —  1982  BDE  il  naient  —  ig33  D  le  c.  —  1938 
BDE  trois  p.  —  1942  FBD  courrouce;  F  con  la  ire;  E  la  com- 
mence non  layre  —  1 943  D  De. 


204      LE  JUGEMENT  HOU  ROY  DE  NAVARRE 

Et  qu'on  li  ait  admenistrez, 

1948    Pour  faire  feste,  menestrés. 
Or  couvenra  il  qu'elle  die 
Dou  quel  li  vient  sa  maladie, 
Pour  li  donner  certein  conseil. 

1952    Je  le  lo  einsi  et  conseil. 

Se  voit  li  uns  tout  simplement 
Parler  a  li  secrètement.  » 
Seur  ce  point  furent  acordans; 

1956    Dont  li  uns  li  fu  demandans 
Ce  que  devant  avez  oy. 
Point  n'en  ot  le  cuer  esjoy, 
Eins  en  respondi  moult  envis, 

i960    Et  toute  voie  vis  a  vis 
Pure  vérité  l'en  conta, 
Si  bien  que  point  n'i  arresta. 
Lors  li  fist  cils  une  requeste 

1964    Au  mieus  qu'il  pot  par  voie  honneste  : 
«  Fille,  respondez  moy  d'un  point 
Que  je  vous  diray  bien  a  point  : 
Vorriez  vous  de  ci  en  avant 

1 968    Que  vous  le  veïssiez  vivant, 

Mais  que  ce  fust  par  tel  manière 
Que  jamais  ne  vous  moustrast  chiere, 
Parole,  ne  samblant  d'ami?  » 

1972    Et  elle  respondi  :  «  Aymi! 

Sire,  se  Dieus  me  doint  santé, 
Que  c'est  bien  de  ma  volenté 
Que  volentiers  le  reverroie 

1  976    Vivant,  et  fust  par  tele  voie 

Qu'il  eiist  fait  une  autre  amie, 


1948  E  festes;  D  menestries;  E  menestriers  —  1949  E  Et  ;  il 
manque  dans  BE ;  B'  quelle  nous  die  —  1950  D  vint;  A  la  — 
1953  A  voist  —  1955  D  riner  accordant  —  ig58  FE  ne  —  1961 
E  Pour;  F  leur;  B'  lui  enconta  —  1974  Car—  1976  E  celle. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  20D 

La  quele  fust  de  moy  servie, 

Mon  vivant,  jusqu'au  deschaucier. 
1980    Ne  m'en  vueilliez  plus  enchaucier; 

Car  tous  li  cuers  de  dueil  me  font 

Si  aigrement  et  si  parfont, 

Toutes  fois  que  j'en  oy  parole. 
1984    Si  ne  vueil  plus  qu'on  m'en  parole.  » 

Après  ce  mot,  cils  s'en  départ 

Et  s'en  ala  de  celle  part 

Ou  cil  estient  qui  l'atendoient, 
1988    Qui  desiroient  et  tendoient 

Savoir  quel  fin  celle  feroit. 

Et  il  leur  dist  qu'elle  morroit  : 

«  Je  n'y  puis  vëoir  nul  retour. 
1992    Ses  cuers  est  fermez  en  la  tour 

D'Amours,  sous  la  clef  de  Tristesse, 

Ou  elle  sueffre  grant  destresse, 

Si  que  morir  la  couvenra 
1996    Briefment  ;  ja  n'en  eschapera. 

Pour  quoy  nous  nous  départirons 

De  ci;  plus  n'i  arresterons.  » 

En  l'eure  de  la  se  partirent, 
2000    Et  puis  a  la  mère  deïrent  : 

«  Ma  dame,  on  n'y  puet  conseil  mettre. 

Mais  vueilliez  vous  bien  entremettre 

De  li  garder  et  tenir  près.  » 
2004    Euls  départis,  tantost  après 

Elle  cria  a  haute  vois  : 


197g  FM  jusques  a'u  —  1980  E  cnchantier —  1981  E  tùit  — 
ig83  FM  Toute;  A  os  ;  M  paroles;  D  parler  —  1984  F  Se  ;  D 
Si  nen  vueil  plus  oir  parler  —  U)85  FDsi.sen;  B  ci  scn  — .1986 
F  Se;  D  Si;  E  Cil  —  1987  DE  estoient  —  1988  E  et  attendoicnt 
1993  A  Damour  —  !997  FD  Par;  nous  manque  dans  D  une  fois 
—  2000  D  le  deirent  —  2001  E  Dame  —  2oo3  D  Tresbien  g.  ;  E 
la  —  2004-5  D  Euls  d.  a  haulte  vois  {le  texte  entre  ces  deux 
moitiés   de    vers  est  omis). 


2o6  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

«  Hé!  douce  mère,  je  m'en  vois. 

A  Dieu  vous  commant,  douce  dame!  » 
2008    Et  droit  a  ce  point  rendi  l'âme. 

Elle  fut  de  la  gent  criée, 

Et  sa  mère  en  fu  tourmentée. 

De  ce  ne  tieng  je  pas  mon  compte, 
2012    Car  a  mon  propos  riens  n'en  monte. 

'(  Guillaume,  ou  porrez  vous  trouver 

Comment  vous  peiïssiez  prouver 

Qu'uns  homs  seroit  a  mort  menez 
2016    De  ce  point  que  vous  soustenez, 

Dou  forfait  de  sa  bien  amée, 

Et  que  ce  fust  chose  prouvée 

Qu'elle  eiist  fait  la  villenie, 
2020    Et  qu'adès  demourast  en  vie? 

De  la  pucelle  est  chose  voire. 

Mais  ce  seroit  trop  fort  a  croire 

Que  plus  grans  fust  li  siens  meschiez 
2024    Que  de  celle.  Bien  le  sachiez!  » 

Guillaume. 

«  Attemprance,  moult  bel  parlez 

Toutes  les  fois  que  vous  volez. 

Ci  endroit  especiaument 
2028    Avez  parlé  moult  sagement. 

Et  quanqu'avez  ci  dit,  je  croy, 

Ne  dou  croire  point  ne  recroy. 

Car  c'est  pour  moy  en  aucun  point 
2032    Qui  vient  a  mon  propos  a  point, 

Quant  celle  damoiselle  gente 

Ot  mis  ou  chevalier  s'entente, 

2006  D  Cria  ma  mère  —  2008  E  larme  —  2009  BE  Celle  — 
201 1  E  tiengne  pas  —  2012  ME  en  mon  p.;  Z)  nem.;£  conte 
—  201  3  E  pouez  —  2014  A  trouuer  —  2017  D  Donc;  BD  et  de 
bien  a.  —  2018  D  Que  ce  —  2o3o  F  recroire  —  2034  A  en. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE     20J 

Et  il  estoit  ses  vrais  amis, 
2o36    Et  puis  se  fu  a  la  mort  mis, 

Dont  Amours  si  fort  l'atrapa 

Que  la  mort  tantost  la  hapa. 

Amours  en  fist  pour  li  assez; 
2040    Car  cils  cops  fu  tantost  passez. 

Aussi  a  morir  avoit  elle  : 

Nuls  contre  ce  point  ne  rebelle, 

Cui  la  mort  ne  veingne  haper  ; 
2044    Nuls  ne  li  porroit  eschaper. 

Quant  uns  homs  est  grieteusement 

Tauxez  a  mort  par  jugement 

D'un  bon  juge  sans  mesprison, 

2048  Et  il  le  met  en  grief  prison 
D'enfermeté  en  lieus  divers, 
Ou  estre  puet  rungiez  de  vers 
Et  de  planté  d'autre  vermine, 

2052  Et  il  y  est  un  lonc  termine, 
Chargié  col  et  les  bras  de  fers 
Et  les  jambes,  c'est  bien  enfers. 
La  est  il  de  foy  en  destour, 

2o5ô    Pour  renoier  son  creatour  ; 

Volentiers  lerenieroit 

Qui  de  la  le  delivreroit. 

Mais  en  celle  heure  qu'il  est  pris, 
2060    Jugiez  a  mort  par  juste  pris, 

Trop  mieus  li  vaut  qu'on  l'en  délivre 

Par  la  mort,  qu'en  tel  dolour  vivre. 

Einsi  est  il  d'un  vray  amant 

2o35  B  ces  —  2o36  A  si  fu;  D  fust  —  2o38  D  latrappa  —  2040 
FE  corps;  D  fust —  2043  D  Que  —  2045  D  est  trop  griefment;  E 
griefensement  —  2046  BD  Traitties  ;  E  Traittes  —  2048  F  gries  — 

2049  AM  Denfermetez;  D  lieu    —   2o5o  A  mengiez;  D  mengie 
—  2o5i  D  Et  dautre   plautre  de  vermine  —   2o52  E  est  par  I.  — 

2053  BDE  fer  —  2054  BE  enfer;  D  cest  vn  enfer  —  2o55  E  au 
destour—  2057  F  renienroit  —  2o58 FM  deliueroit;  D  deliuroit. 


2o8  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

2064    Qui  est  trahis  en  dame  amant, 

A  tel  tin  com  devant  est  dit. 

J'afferme  et  se  di  en  mon  dit 

Que  nuls  meschiez  ne  s'apartient 
2068    Aus  grietez  que  ses  cuers  soustient, 

Tant  comme  il  dure  et  elle  dure. 

Et  si  say  moult  bien  que  Nature 

A  de  son  bon  droit  establi 
2072    Qu'on  mette  celui  en  oubli 

Qui  est  mors  et  n'en  puet  ravoir 

Pour  grant  peinne,  ne  pour  avoir. 

Seur  ce  point  droit  atenderoie; 
2076    Mieus  estre  jugiez  ne  vorroie.  » 

Pais. 

Après  ces  mos  s'est  Pais  levée 

Et  dist,  comme  bien  avisée  : 

«  Guillaume,  assez  souffissanment, 
2080    Selonc  le  vostre  entendement, 

Avez  vostre  propos  baillié  ; 

Mais  vous  l'avez  trop  court  taillié 

Pour  avoir  droit  pour  vous  si  tost  ; 
2084    Car  uns  autres  poins  le  vous  tost. 

Vous  avez  de  Nature  trait, 

Pour  prouver,  un  assez  biau  trait, 

Lequel  on  a  bien  entendu. 
2088    Mais  j'ay  un  autre  las  tendu 

Contre  celui,  de  plus  grant  pris, 

Par  lequel  vous  serez  soupris, 

D'un  exemple  ancien  de  fait 
2092    Qui  bien  a  ramentevoir  fait. 

2o65  F  comme;  E  ay  dit;  D  dîtte  —  2066  si  manque  dans 
B'E  —  2068  E  griestes  —  2069  E  nelle  —  2070  E  Et  je  say 
moult  manque  dans  D  —  2071  A  manque  dans  D  —  2072  E 
Quen  ;  D  Quem  —  207?  E  et  non  ne  p.  —  2076  D  verroic  — 
2080  F  nostre;  E  S.  nostre  ent.  —  2090  A  sourpris  —  2091 
Mss.  aucun,  corr.  en  ancien  par  B'  —  2092  M  ramentoiure. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  209 

Et  pour  ceci  le  vous  propos. 
Car  il  sert  bien  a  mon  propos. 

«  Dydo,  roïne  de  Cartage, 
2096    Ot  si  grant  dueil  et  si  grant  rage 

Pour  l'amour  qu'elle  ot  a  Enée 

Qui  li  avoit  sa  foy  donnée 

Qu'a  mouillier  l'aroit  et  a  femme; 
2100    Et  li  faus  l'appelloit  sa  dame, 

Son  cuer,  s'amour,  et  sa  déesse, 

Et  sa  souvereinne  maistresse. 

Puis  s'en  ala  par  mer  nagent 
2104    En  larrecin,  lui  et  sa  gent, 

Qu'onques  puis  Dydo  ne  le  vit. 

Oiez,  comme  elle  se  chevit  : 

Quant  failli  li  ot  dou  couvent 
2i  08    Qu'eu  li  avoit  en  couvent, 

Einsi  corn  pluseurs  amans  font 

Qui  l'amant  loial  contrefont, 

La  désespérée,  la  foie, 
2 1 1  2    Qu'amours  honnist,  qu'amours  afole, 

L'espée  d'Eneas  trouva 

Et  en  son  corps  si  l'esprouva 

Qu'onques  ne  se  pot  espargnier 
21 16    Qu'en  soy  ne  la  feïst  baingnier. 

Dont  elle  morut  a  dolour 

Pour  amer,  et  par  sa  folour. 

Mais  elle  ne  morut  pas  seule, 
2120    Einsois  a  deus  copa  la  gueule, 

Car  d'Eneas  estoit  enceinte, 


2097  a  manque  dans  E;  D  onnee  —  2098  E  a.  samour  d.  — 
2099  -^  lamoit  ;  E  et  sa  f.  —  2100  D  Et  lui  i'aulz  —  2101  M 
dicucsse  —  2io5  M  Quonque;  E  pis  —  2106  AME  comment; 
M  el  —  2107  D  le  conuent  —  2108  D  Qui  en  lui  a.  ;  E  Que  on 
lui  a.  —  2109  E  que  pi.  —  21 17  E  mourust  —  21 18  D  Par;  E 
et  pour  —  21 19  ME  mourust. 

Tome  I  14 


210  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Dont  moult  fu  regretée  et  plainte. 

Mains  einsois  qu'elle  s'oceist, 
2 1 24    Elle  commanda  qu'on  feïst 

Un  ardant  feu  en  sa  présence. 

Et  quant  en  sa  désespérance 

S'ocist,  si  forment  s'envay 
2128    Qu'avec  le  cop  en  feu  chay, 

Dont  tantost  fu  arse  et  bruïe. 

Einsi  fina  Dydo  sa  vie. 

Bien  croy  que  ce  fu  chose  voire, 
21 32    Car  einsi  le  truis  j'en  histoire. 

«  Si  que,  Guillaume,  vraiement, 

Il  me  samble  tout  autrement, 

Veiies  et  considérées 
21 36    Mes  raisons  devant  devisées. 

Car  on  puet  vëoir  clerement 

Que  grieté,  peinne,  ne  tourment 

Ne  se  porroient  comparer 
2140    Ad  ce  que  celle  comparer 

Volt  pour  le  grief  de  son  amy. 

Et  fust  uns  homs  trestout  enmy 

Grant  planté  de  ses  annemis, 
2144    Qui  tuit  li  eussent  promis 

La  mort,  et  tuer  le  porroient 

A  leur  plaisir,  quant  il  vorroient, 

Lui  vivant  en  celle  pàour, 
2148    Non  obstant  grieté  ne  frëour, 

Se  trouveroit  il  reconfort. 

Encor  y  a  un  point  plus  fort  : 

2123  MB  que  soceist —  2126  D  desperance  —  2127  E  si  fort; 
FBDE  senhay  —  212S  BDE  ou  —  21 32  j  manque  dans  A;  A 
listoire  —  2i36  E  diuisees  —  2i38  E  grieste  ;  D  et  tourment  — 
2140  D  a  comparer;  E  ce  quelle  ot  a  comp.  —  2141  E  veult  le 
grief  —  2142  E  Ce  feust  ;  E  onny  —  2144  M  tant  —  2145  E 
poierent. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  211 

Qui  le  menroit  aus  fourches  pendre 
21 52    En  celle  heure,  sans  plus  attendre, 

Si  seroit  il  reconfortez 

Et  soustenus  et  déportez 

En  esperence  d'eschaper  ; 
21 56    Lors  ne  le  porroient  taper 

Maie  errour,  ne  desesperence, 

Tant  comme  il  aroit  esperence  ; 

Qu'esperence  le  conduiroit 
2160    Jusqu'à  tant  qu'il  trespasseroit. 

«  Aussi  avez  vous  dit  d'un  point 

Encontre  Amour  trop  mal  a  point  : 

C'est  que  Nature  a  commandise 
2164    Seur  la  gent  d'Amours  a  sa  guise, 

Et  se  Nature  le  commande, 

Nuls  n'obeïst  a  sa  commande. 

Elle  commande  qu'on  oublie 
2168    Et  mort  d'amant  et  mort  d'amie, 

Pour  ce  qu'on  n'i  puet  recouvrer 

Par  grant  avoir,  ne  par  ouvrer. 

Commande;  assez  nous  le  volons. 
2172    De  ce  point  pas  ne  nous  dolons, 

Qu'a  ami  riens  n'en  apartient; 

Car  Bonne  Amour  en  sa  part  tient 

Un  cuer  d'amant  tant  seulement 
2176    Sans  naturel  commandement. 

Qui  ne  vuet,  nuls  n'i  est  contrains; 

Mais  on  est  d'Amours  si  estrains, 

Qu'obéir  y  couvient  par  force  ; 
2180    S'est  fols  qui  contre  li  s'efforce. 

21 5i  D  merroit;  FM  as  ;  Z)  a  —  21 52  E  A  —  2137  E  Mai 
ncucur  —  2161  vous  manque  dans  E  —  2164  damours  manque 
dans  E  —  2167  Z)  et  on  —  2172  D  doubtons  —  2173  AM  Que  a 
moy;  BDE  amis;  nen  manque  dans  E  —  2174  D  Que  —  2178  E 
M.  en;  D  damis  —  2180  D  Folx  est. 


2  12  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Guillaume,  se  vous  loeroie 

A  laissier  ceste  povre  voie 

De  dire  que  Nature  ait  grâce 
2184    Que  propre  commandement  face 

En  amours,  qui  soit  de  valeur. 

Nature  donne  bien  couleur 

A  ami  d'un  plaisant  cuidier 
2188    Qui  li  fait  folement  cuidier 

Acomplir  ce  qu'Amours  desprise. 

Et  par  si  faite  foie  emprise 

Sont  fait  maint  incouvenient 
2192    Qui  valent  trop  meins  que  nient. 

Plus  desclairier  ne  m'en  couvient 

Pour  ce  que  point  d'onneur  n'en  vient. 

Pais  sui  qui  volentiers  feroie 
2196    Adès  bien,  et  si  defferoie 

Le  mal  ;  aussi  feroit  Concorde  ; 

Car  quanque  je  vueil,  elle  acorde, 

Toutes  heures,  et  soir  et  main. 
2200    Pour  ce  la  tien  je  par  la  main, 

Et  pour  faire  ce  qu'il  li  plait. 

Alez  avant  en  vostre  plait, 

Guillaume,  par  voie  deue, 

2204  Sans  naturel  descouvenue. 
S'ensieuez  d'avis  les  usages, 

Par  mon  los,  si  ferez  que  sages.  » 

Guillaume. 
«  Pais,  damoiselle,  pour  vous  croire 
2208    Viennent  tous  biens,  c'est  chose  voire. 

21 83  £  est  grâce  —  2187  BD  En  amis;  E  A  aucuns  —  Après 
le  vers  2188  D  intercale  les  vers  2205-2208  —  2189  FMBDE 
quamis  —  2191-2  manquent  dans  D  —  2191  E  maint  mal  inno- 
renment  —  2192  E  Quil  ne  vaillent  auques  nient  —  2195  A  Pas 
—  2196  D  Tousiours  —  2201  MBD  qui  ;  E  que  —  2202  AF  a 
vostre;  M  A.  quant   av.  —  2204  D   S.  nature  descongneuc  — 

2205  E  Soustcnez;  D   damis  —  2208   E  Vraiement. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  2  I  3 

Si  me  garderay  de  mesprendre. 
Mais  je  vueil  ma  cause  deffendre 
Tant  avant,  comme  je  porray. 
2212    Dont  un  exemple  compteray 

Qui  s'ensieut,  a  mon  fait  prouver 
Et  a  vostre  tort  reprouver. 

«  A  Orliens  ot  un  clerc  jadis 
22i 6    Qui  estoit  renommez  et  dis 

Nobles  clers,  vaillans  homs  et  riches, 

Et  si  n'estoit  avers  ne  chiches, 

Sires  de  lois,  et  de  decrez 
2220    Maistres,  et  uns  homs  bien  discrez 

De  bien  moustrer  ce  qu'il  savoit 

Et  la  vaillance  qu'il  avoit. 

S'avoit  esté  nez  en  Prouvence, 
2224    Et  bien  enlignagiez  en  France 

Estoit  de  princes  et  de  contes, 

Que  véritables  soit  mes  contes. 

De  gentils  gens  estoit  servis, 
2228    Preus  et  apers  a  grant  devis, 

Et  avoit  en  sa  compaingnie 

De  moult  noble  chevalerie, 

A  qui  riches  robes  donnoit. 
2232    Cils  poins  moult  bien  li  avenoit, 

Car  pour  sa  grâce  desservir 

Se  penoient  de  lui  servir. 

Or  estoit  moult  d'amer  espris 
2236    D'une  damoiselle  de  pris 

Qui  demouroit  vers  Montpeslier, 

Fille  d'un  vaillant  chevalier, 

Attrait  de  moult  noble  lignie. 


22i3  A  fait  premier  —  2214  E  tout  —  2218  D  siches  —  2236 
BDE  Une  —  2237  F  mon  paillier  ;  B'  monpeillier  —  223g  FME 
Aurais;  D  Extrait. 


214  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

2240    S'estoit  la  besoingne  lignie 

D'entr'eus  deus  si  entièrement 
Qu'on  ne  peûst  mieus  autrement. 
Il  s'estoient  entrepromis, 
2244    II  comme  ses  loiaus  amis, 
Et  elle  comme  vraie  amie  : 
A  tousjours  mais,  toute  leur  vie, 
Maintenroient  en  vérité 
2248    Les  courtois  poins  de  loiauté. 
Mais  si  loin  devint  leur  loiens 
Qu'il  s'en  vint  manoir  a  Orliens, 
Et  elle  en  Prouvence  manoit. 
2252    Mais  si  bien,  comme  il  couvenoit, 
Les  secrez  d'amours  maintenoient 
De  lettres  qu'il  s'entr'envoioient 
Par  leurs  especiaus  messages, 
2256    Honnestes  gens,  secrez  et  sages. 
Einsi  le  feïrent  grant  pièce. 
Mais  Fortune  qui  tost  depiece 
Maint  honneur  aval  le  pais 
2260    Fist  tant  que  cils  fu  esbahis, 

Plus  qu'a  perdre  .v  .c.  mars  d'or, 
Si  comme  je  diray  dès  or. 

«  Il  avint  a  une  journée, 
2264    Maie  pour  celui  adjournée, 

Qu'a  lui  s'en  vint  uns  messagiers 
De  Prouvence,  preus  et  legiers, 

2242  D  pouoit;  E  peut  —  2243  E  Hz  e.  en  ce  promis  —  -2244 
E  comment —  2245  E  comment  vrais  amie  —  2247  DE  Main- 
tenoient —  2249  F  si  Ions;  BD  leurs;  DE  liens;  A  loien  — 
225o  sen  manque  dans  E  ;  F  vient  —  225 1  E  Et  celle  ou  primiers 
m.  —  2264  AMD  Des;  E  qui  sentrenuoient  —  2255  D  messa- 
giers —  2256  D  H.  sages  et  secres  ;  E  H.  et  secres  et  s.  —  22bj  D 
tirent  il  —  2258  DE  tout;  BDE  despiece  —  2259  BE  Mainte;  D 
autel  le  p.  —  2265  A  li. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  21  5 

Qui  li  aportoit  lettres  closes, 
2268    En  un  petit  coffret  encloses. 

Il  les  prist,  si  les  resgarda 

Et  de  haut  lire  se  garda; 

Car  pluseurs  secrez  devisoient. 
2272    Et  ou  darrein  point  contenoient 

Que  s'amie  estoit  mariée 

Au  plus  vaillant  de  la  contrée, 

Et  estoit  ja  grosse  d'enfant. 
2276    «  Haro  !  »  dist  il,  «  li  cuers  me  fent. 

«  Hé!  Mors,  que  ne  me  viens  tu  prendre? 

«  A  po  que  je  ne  me  vois  pendre!  » 

Lors  prist  ses  cheveus  a  tirer, 
2280    Et  puis  sa  robe  a  dessirer. 

Quant  sa  gent  einsi  le  veïrent, 

Isnelement  avant  saillirent, 

Dont  chascuns  forment  l'agrapa; 
2284    Mais  par  force  leur  eschapa. 

Aval  la  ville  s'en  fui; 

Il  devint  sours  et  amuï; 

Car  dès  lors  qu'il  parti  de  la, 
2288    Aine  puis  de  bouche  ne  parla 

Parole  qu'entendre  peùst 

Homs  vivans,  tant  le  congneiist; 

Ne  dès  lors  que  ce  li  avint, 
2292    Onques  puis  a  li  ne  revint. 

Et  ne  dormoit  que  sus  fumiers, 

Et  de  ce  estoit  coustumiers. 

Et  quant  si  ami  le  prenoient 
2296    Qui  en  aucun  lieu  le  lioient, 


2271  E  contenoient  —  2272  FMD  en  —  2277  FBD  mort  — 
2278  E  prendre  —  2279  F  ces  —  2283  MB  lacrappa;  FD 
latrappa  ;  E  letrappa  —  2285  E  Au  my  la  v.;  A  se  —  2287  D 
Des  lors  qui  se  p.  —  2288  FMBE  Eins;  D  One  —  2291  E  de 
lors  —  2293  E  furmiers  —  2296  E  a  aucun. 


2l6  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Jamais  n'i  beùst  ne  menjast, 
Eins  est  certein  qu'il  enrajast, 
Si  qu'il  le  laissoient  de  plain 

23oo    A  son  voloir  aler  a  plain. 
Mais  il  ne  faisoit  a  nelui 
Nul  mal,  fors  seulement  a  lui. 
En  ce  point  fu  vint  ans  tous  plains  : 

2304    S'estoit  moult  regretez  et  plains 
De  la  gent  qui  le  congnoissoient 
Dont  li  pluseur  forment  plouroient. 
Si  fu  bien  mis  de  haut  au  bas. 

23o8    Se  n'afferroit  pas  grans  debas 
A  jugier  vérité  certeinne, 
Qu'il  ot  de  grieté  et  de  peinne 
Plus  que  cent  dames  n'averoient 

23 12    Qui  leurs  amans  mourir  verroient. 
Quant  il  vous  plaist,  si  resgardez, 
Et  de  mesjugier  vous  gardez  !  » 

Foy. 

Adont  s'est  Foy  en  piez  drecie 
23 16    Comme  sage  et  bien  adrecie 

De  droit,  de  coustume  et  d'usage  ; 

S'a  dit  :  «  Guillaume,  le  musage 

Avez  bien  paie  ci  endroit, 
2320    Par  dehors  la  voie  de  droit, 

Au  mains  en  aucune  partie. 

S'en  vorray  faire  départie, 

C'est  assavoir,  devisîon 


2297  E  ne  me  m.  —  2298  M  certains  —  2299  D  Si  que;  E 
laissierent  —  23oo  D  valoir  —  2 3o3  D  tout  —  2304  M  regrette 
—  23o6  FE  pluseurs;  D  plusieurs  —  2307  B  Ce  ;  DE  du  haut  — 
23o8  BDE  gens  debas  —  2309  D  De  —  23 10  D  Qui;  M  giette  — 
23 12  E  Quil;  ME  leur;  MDL  amis  —  23 1 3  E  Quant  vous 
plaira  —  2114  D  de  menseigner;  E  du  mesagier  —  23i6  DE 
auisee  —  232i  D  Amours  —  2322  D  verray  —  2323  DE  diuision. 


LE   JUGEMENT   DOU    ROY    DE   NAVARRE  2 I 7 

2324    Par  voie  de  distinction 

Des  choses  qui  ne  font  a  croire 

Et  d'aucunes  qui  la  victoire 

Puelent  avoir  d'estre  creûes 
2328    Ou  pour  possibles  soustenues, 

Dont  les  unes  essausseray 

Et  les  autres  confonderay, 

Au  los  de  m'amie  Constance 
2332    Qui  a  tous  mes  contraires  tense 

Et  me  soustient  et  fortefie 

Vers  chascun  qui  en  moy  se  fie. 

Que  cils  clers  fust  de  grant  vaillance, 
2336    Gentils  homs,  et  de  grant  puissance, 

Renommez  de  haute  noblesse, 

Et  de  temporelle  richesse 

Très  habondanment  assasez, 
2340    Espris  d'amours  et  embrasez, 

Amis  de  cuer,  amez  d'amie, 

Et  en  Testât  de  courtoisie 

Eussent  fait  leur  aliance 
2344    Par  très  amiable  fiance, 

Si  que  les  secrez  garderoient 

D'amours,  tant  comme  il  viveroient, 

Qu'a  Orliens  fust  amainnagiez, 
2348    En  France  bien  enlignagiez 

De  gens  si  honnourablement 

Qu'on  ne  peûst  plus  hautement, 

Ce  sont  toutes  choses  possibles. 
2352    Et  dou  mal  qui  fu  si  horribles, 

Qui  si  soudeinnement  li  vint, 

2324  F  distraction;  E  discrétion  —  2325  E  De  ;  E  sont  — 
2328  AM  possible;  D  paisibles  —  2332  E  mes  cointains  —  2334 
M  chascuns  —  2335  D  fu  ;  E  puissance  —  2336  E  vaillance  — 
2338  M  temporelez  —  233g  D  Habondanment;  E  Tresabandon- 
nement  —  2341  D  amis  damie  —  2346  tant  manque  dans  E  — 
2347  E  en  mesnagez  —  235 1  D  Et  —  2352  E  fust. 


2l8     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Qu'en  lisant  lettres  li  avint, 

Et  si  grandement  li  dura, 
2356    Que  vint  ans  entiers  l'endura, 

Encor  di  je  qu'il  pot  bien  estre. 

Car  Dieusence  siècle  terrestre 

A  mains  jugemens  si  enclos 
236o    Qu'estre  ne  porroient  esclos 

D'omme  mortel  par  sa  science. 

Aussi  de  vostre  conscience 

Avez  vous  présentement  dit 
2364    De  ces  lettres  par  vostre  dit, 

Que  pluseurs  secrez  contenoient. 

Or  ne  scet  on  dont  il  venoient. 

Dont  j'ay  en  droit  un  point  trouvé 
2368    Que  vous  n'avez  mie  prouvé, 

Que  de  s'amie  li  venist. 

Geste  raison  ci  defenist 

Qu'on  n'en  puet  faire  nullement 
2372    A  vostre  proufit  jugement. 

Et  se  say  bien  des  autres  choses 

Qui  seront,  se  je  puis,  escloses, 

Pour  vous  dou  tout  suppediter, 
2376    S'il  est  qui  le  sache  diter.  » 

Guillaume. 

«  Damoiselle,  vueilliez  laissier, 
S'il  vous  plaist,  vostre  menassier; 
Car  ce  ne  vous  puet  riens  valoir, 
2  38o    Et  il  me  fait  le  cuer  doloir.  » 


2  355  si  manque  dans  BE;  B'  Et  moult  gr.  —  2  358  D  cest  — 
2359  B'  moins  —  236o  E  desclos  —  236i  D  De  mortel  homme 
par  science  —  2368  D  esprouue  —  2370  D  deffine  —  2371  E 
peust  f.  jugement  —  2372  E  A  nostre  pourrit  nullement  — 
2378  E  Si  —  Ordre  des  vers  dans  D  :  2378.  238i.  238o.  2379. 
2382.  —  2379  D  Ne  ne  vous  puet  de  riens  v.  —  238o  D  Car  il 
nest  fait  de  cuer  d. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  2  10, 

Charité. 

Charitez  adont  s'avança, 
Si  a  dit  :  «  Foy,  entendez  sa! 
Je  vous  vueil  dire  une  merveille.  » 
2384    Lors  li  conseilla  en  l'oreille 
Ce  qu'elle  volt,  secrètement. 
De  quoy  Foy  debonnairement 
Prist  un  bien  petit  a  sousrire, 
2388    Et  en  sousriant  prist  a  dire  : 
«  Charité,  damoiselle  chiere, 
Liement,  de  bonne  manière, 
Ceste  besoingne  conterez. 
2392    Trop  mieus  conter  la  saverez, 
Pour  certein,  que  je  ne  feroie. 
Vous  en  estes  ja  en  la  voie  ; 
Car  en  vous  en  sentez  le  fait, 
2396    Se  vous  pri  qu'il  soit  einsi  fait.  » 

—  «  Foy,  ma  très  douce  chiere  amie, 
De  ce  ne  vous  fauray  je  mie, 
Eins  en  diray  ce  qu'il  m'en  samble. 
2400    Car  de  deus  personnes   ensamble 
Les  oppinions  en  sont  bonnes, 
Quant  loiaus  sont  les  deus  personnes. 
Si  qu'a  Guillaume  en  parleray 
2404    Et  tel  chose  li  moustreray 

Qu'il  se  tenra  pour  recrëans, 
S'il  n'est  trop  fols  ou   mescréans. 

«  Guillaume,  or  entendez,  amis  : 
2408    La  puissance  qui  m'a  commis 


238i  ABD  Charité;  A  sauisa  —  2384  D  se  cons.  —  2387  D  Se 
print  vn  petit  —  2388  D  En  souriant  si  print  —  2392  D  le 
scares  —  2395  DE  Car  vous;  E  saues  —  2396  D  prie  quainssi 
soit  fait  —  2399  F  qui  —  2400  M  personne  —  2404  E  De;  E 
monsterray  —  2405  D  sentendra  —  2408  E  que. 


2  20  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

A  estre  Charité  nommée 

Fait  que  par  ouevre  sui  prouvée, 

Dont  on  en  voit  les  apparans 
2412    En  tous  mes  plus  prochains  parans. 

Ce  sont  li  gentil  cuer  loial 

Qui  entrent  en  la  court  roial 

De  Bonne  Amour  qui  n'a  nul  per. 
2416    Or  entendez  en  quoy  j'aper  : 

J'aper  en  souffissans  promesses 

Et  en  raisonnables  largesses, 

Especiaument  par  donner 
2420    Et  d'aucuns  meffais  pardonner; 

Dont  eiireus  sont  cil  qui  donnent, 

Et  aussi  sont  cil  qui  pardonnent. 

Or  regardons  qu'Amours  demande 
2424    Qu'on  li  doint,  et  plus  ne  commande  : 

Elle  demande   expressément 

Les  cuers  des  bons  entièrement  ; 

Ce  demande  elle  qu'on  li  doint. 
2428    Et  se  vuet  aussi  qu'on  pardoint 

Aucuns  fais,  selonc  le  propos 

Pourquoy  ces  raisons  ci   propos. 

Se  le  moustreray  par  figure 
2432    Que  Bonne  Amour  en  moy  figure, 

Assez  briefment,  sans  prolongiez 

«  Uns  riches  homs  a  un  vergier 
Ou  il  a  arbres  grant  planté. 
2436    Enseurquetout  y  a   planté 

Une  moult  très   gracieuse  ente 

2410  D  que  leuure  soit  pr.  ;  M  prouue  —  241 1  E  nen  — 
2412  mes  manque  dans  D  —  2416  E  a  quoy  ;  j  manque  dans  D 
—  2417  D  Aper  —  2423  E  esgardons  —  2424.E  demande  —  2426 
E  de  —  2427  AE  Se  —  2430  Fr.  a  propos  —  2431  F  monste- 
ray;  E  monsterray  —  2434  E  ot  —  2435  a  manque  dans  D;  D 
abres  —  2436  D  En  fin  que  tout;   E  En  fur  que  tout. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      22  1 

Qui  au  riche  homme  mieus  talente 

Et  li  est  trop  plus  avenans 
2440    Que  ne  soit  tous  li  remenans  ; 

Et  est  einsi  de  lui  amée, 

Tant  comme  elle  est  ente  clamée. 

Or  avient  que  li  temps  trespasse 
2444   Tant  que  li  petis  jouvens  passe; 

Se  montent  ses  branches  au  vent 

Pour  entrer  en  secont   jouvent 

Qui  est  moiens  temps  appeliez. 
2448    S'estent  ses  branches  de  tous  lez, 

En  eslargissant  sa  biauté 

Et  en  acroissant  sa  bonté, 

Pour  traire  a  la  conclusion 
2452    Qui  est  dite  perfection, 

Pour  li  déduire  et  déporter, 

Fleurs,  fueilles  et  bon  fruit  porter. 

Or  dij'einsi  qu'il   avenra 
2456    Que  li  sires  demandera 

Comment  celle  ente  se  maintient 

Et  quel  qualité  elle  tient. 

Li  jardiniers  puet  dire  :  «  Sire, 
2460    Pour  vérité,  vous  en  puis  dire, 

Ce  m'est  avis,  bonne  nouvelle. 

Ne  demandez  plus  que  fait  elle, 

Mais  demandez  me  bien  qu'il  fait, 
2464    Car  vostre  ente  un  aubre  parfait, 

Et  en  tel  guise  se  déporte 
Que  fiours,  fueilles  et  bon  fruit  porte. 
Dont  perdu  a  d'ente  le  nom, 
2468    Et  d'aubre  a  recouvré  le  nom, 

2441  D  aussi  —  2444  D  li  p.  jenne  —  2446  £  ou  —  2448  A 
Se  sent;  D  Sesteut  —  2450  manque  dans  D  —  2453  D  dédire  — 
2458  E  quelle  —  2461  E  bonnes  —  2463  D  moi;  M  que  f.  — 
2464  AIE  arbre;  D  abre  —  2466  E  fueille  —  2468  manque 
dans  D;  E  darbre;  F  renon. 


2  22     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Sous  qui  on  se  puet   ombroier 
Plaisanment  et  esbanoier.  » 

Or  vueil  je  chanter  et  respondre, 
2472    Pour  mieus  m'entencion  espondre  : 

Dont  je  vueil  faire  une  demande, 

Se  de  la  chose  qui  amende 

On  doit  avoir  cuer  esperdu, 
2476    S'elle  a  un  petit  nom  perdu 

Pour  un  plus  grant  nom  recouvrer, 

Par  nature  ou  par  bien  ouvrer  ? 

Je  respon  qu'einsi  n'est  il  mie  ; 
2480    Car  ce  seroit  grant  derverie. 

Mais  ce  qu'on  aimme  chierement 

Ou  a  acheté  chierement, 

Qui  le  verroit  dou  tout  périr, 
2484   Si  que  ja  ne  peûst  garir, 

Venir  en  porroit  tel  meschief 

Qu'on  y  metteroit  bien  le  chief 

Et  tout  le  corps  entièrement. 
2488   Je  le  say  bien  certeinnement, 

Que  pluseurs  einsi  l'i  ont  mis, 

Tant  amie  com  vrais  amis. 

Or  vueil  dou  propre  fait  parler 
2492    Pour  quoy  j'ay  meû  mon  parler  : 

Celle  damoiselle  jolie 

Qui  es&oit  a  ce  clerc  amie, 

C'estoit  li  ente  faitissete 
2496    Comme  une  douce  pucelette, 

Ou  grant  vergier  d'Amours  plantée. 

La  pot  estre  si  eslevée 

Et  de  branches  si  estendue 

2470  .4F  esbanier  —  2472  D  Pou  —'2476  Mss.  Celle  —  2477 
D  Pour  faire  p.;  nom  manque  dans  D  —  2479  FMBDE  respons 
—  2480  D  reuerie  —  2482  D  On  acheté;  E  On  lâcheté  moult 
grandement  —  2483  D  pourir  —  2489  E  einsi  lui  ont  —  2491 
BD  dun  —  2497  AMB  En  —  2499  M  branche. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  2  23 

25oo    Et  de  fueilles  si  bien  vestue, 

De  fleurs  si  cointement  parée, 

Comme  estre  aus  milleurs  comparée. 

Si  me  vueil  un  po  aviser 
2504    Pour  les  parties  deviser  : 

Branches  de  bonne  renommée, 

Fueilles  d'estre  bel  emparlée, 

Fleurs  d'avoir  la  condition 
25o8    D'onneste  conversation, 

Tant  d'abit  comme  de  maintien. 

En  cest  estât  dist  :  «  Amis,  tien  ; 

Je  te  doing,  pour  toy  déporter, 
25 12    Grâce  dou  fruit  d'onneur  porter.  » 

Lors  pluseurs  pensées  li  viennent 

Qui  de  neccessité  couviennent, 

Pour  li  entrer  en  mariage 
25 16    Par  le  conseil  de  son  lignage. 

S'elle  le  fait,  ce  n'est  pas  fais 

Dont  cils  doie  enchargier  tel  fais 

Comme  de  lui  désespérer  ; 
2520    Eins  doit  penser  et  espérer 

Qu'elle  y  a  profit  et  honneur, 

Quant  en  la  grâce  d'un  signeur 

Seroit  de  droit  nommée  dame. 
2524    Ceste  raison  bon  cuer  enflame 

D'amer  mieus  assez  que  devant. 

Pourquoy  je  di  d'ore  en  avant 

Que  cils  ne  l'amoit  pas  pour  bien. 
2528    Vraiement,  il  y  parut  bien, 

Quant  bonne  amour  li  volt  souffrir 

25oi  D  fleur  —  25o2  F  as  nullis  c.  ;  E  a  nullys  c;  D  aus  lis 
c;  B'  a  uns  lins  {B  illisible)  —  2  5o6  E  bien  —  2507  D  Fleur  — 
a5io  D  dis  —  25i2  D  G.  de  fruit  damour  p.  —  2514  manque 
dans  D  —  25i8£  au  chargier  —  2622  M  a  la  gr.  ;  E  en  grâce  ; 
A  dou  s.  —  2 D26  FM  dor  ;  E  dores  —  2629  D  Que  ;  Mie  ;  E  lui 
font  s. 


2  24  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Son  corps  a  tel  martir  offrir. 
Plus  n'en  di,  Guillaume,  biau  sire. 
2532    Dites  ce  qu'il  vous  plaist  a  dire.  » 

Guillaume. 

«  Charité,  se  Dieus  me  doint  joie, 
Bien  avez  par  soutille  voie 
Pluseurs  propos  par  biaus  mos  dis. 

2536    Mais  je  ne  voy  pas  en  vos  dis 
Que  vous  m'aiez  de  riens  puni. 
J'ay  mon  procès  aussi  uni 
Gomme  devant  et  aussi  ferme 

2540    En  son  estât;  par  quoy  j'afferme 
Que  ja  ne  sera  abatus, 
Se  d'autres  mos  ne  suis  batus. 
Un  point  y  a  qui  gist  en  prueve, 

2544    Par  quoy  il  convenra  qu'on  prueve 
Le  contraire  de  mes  paroles, 
Ou  je  ne  tenray  qu'a  frivoles 
Ce  que  devant  avez  compté, 

2548    Nonobstant  vostre  grant  bonté, 

Et  que  pour  grant  bien  l'avez  fait, 
Pour  auctorisier  vostre  fait 
Et  pour  le  mien  suppediter. 

2552    Se  vueil  un  petit  reciter 

De  ce  clerc  qui  fu  vrais  amis 
Et  puis  en  tel  grieté  sousmis, 
Comme  j'ay  dit,  vint  ans  entiers. 

2556    Or  prouvez  seulement  le  tiers 

Qu'onques  nulle  dame  souffrist, 


253o  FM  martire  —  253  1  E  ne  —  2532  F  qui  —  2536  F  vois 
—  2538  D  propos...  fourni  —  253g  JE  est  —  2541  D  serai  —  2542 
M  Se  dautre  mos  nest  si  b.  —  2043  E  prcuure  —  2544  D  Pour  : 
E  preuure —  2548  grant  manque  dans  E  —  204g  que  manque 
dans  E  —  2552  M  Sen  ;  E  résister  —  2554  M  cel  —  2556  D  On- 
ques  nulle  ame  ne  seuffri  ;  ME  nulles  dames. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  220 

Tant  son  cuer  a  la  mort  offrist  ; 
Prouvez  ce  point  tant  seulement. 
256o    Mais  vous  ne  porriez  nullement.  » 

L'Acteur. 

Charitez  vout  après  parler, 

Et  pour  apointier  son  parler, 

Elle  avoit  ja  la  bouche  ouverte. 
2564    Mais  Honnesté  fu  si  aperte 

Que  tantost  fu  aparillie 

Et  dist  :  «  Charité,  douce  amie, 

Que  je  die,  mais  qu'il  vous  plaise  ; 
2568    Que  je  ne  seray  jamais  aise, 

Se  n'aie  dit  je  mon  talent 

Pour  lui  faire  le  cuer  dolent.  » 

Charitez  bien  s'i  acorda, 
2572    Et  puis  Honnesté  recorda 

S'entention  par  voie  honnesté, 

Dont  toute  la  court  fist  grant  feste. 

Honnesté. 

S'a  dit  :  «  Guillaume,  or  entendez  : 
2576    Pour  la  fin  a  quoy  vous  tendez, 

Fondez  estes  petitement  ; 

Se  vous  diray  raison  comment. 

Voirs  est  que  grans  griés  li  avint 
258o    Et  en  petit  d'eure  li  vint. 

Mais  tantost,  celle  heure  passée, 

Sa  grant  grieté  fu  trespassée. 

Car  combien  que  lonc  temps  dura, 
258q    Onques  puis  grieté  n'endura 

Qui  point  feïst  a  son  cuer  touche. 

2358  D  offri  —  256o  M  porrez  —  256o  Agrès  ce  v.  D  met  guil- 
laumc  ;  M  met  lamant  —  2262  D  apporter  —  2664  BE  cy  —  2568 
A  aaise  —  256g  E  Sen  aray;  D  aie  tout  dit  —  2072  D  répéta  — 
25y5   £  lia-   25yg  D  Vrais;  ADE  grant  grief —  2582   E  fust. 

Tome  I.  15 


2  26     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Et  s'aucuns  griés  au  cuer  li  touche, 
Il  n'i  a  point  de  sentement, 

2588    Dès  qu'il  n'i  a  consentement  ; 

C'est  chose  assez  legiere  a  croire. 
Il  avoit  perdu  sa  mémoire, 
Sens,  manière  et  entendement; 

2592    Dont  on  puet  vèoir  clerement 
Qu'il  n'avoit  point  de  volenté, 
Fors  que  le  cuer  entalente' 
Des  grans  soties  qu'il  faisoit. 

2596    Quant  en  un  fumier  se  gisoit, 
C'estoit  sa  pais;  c'estoit  ses  lis; 
C'estoit  de  tous  poins  ses  delis, 
Ou  il  dormoit  a  grant  repos. 

2600    Encor  y  a  autre  propos 

Que  vous  meïsmes  dit  avez. 
C'est  certein,  et  bien  le  savez, 
Que,  quant  si  ami  le  prenoient 

2604    Et  en  aucuns  lieus  l'enfermoient, 
Jamais  n'i  beiist  ne  mengast, 
Einsois  trestous  vis  enragast, 
Qui  le  retenist  malgré  lui  ; 

2608    II  n'en  feïst  rien  pour  nelui 

Et  vivoit  a  plain  comme  beste. 
C'estoit  vie  trop  deshonneste, 
Honteuse,  s'il  en  tenist  conte  ; 

2612    Mais  point  ne  congnoissoit  de  honte. 
Dont  j'ay  assez  mon  fait  prouvé 
Et  vostre  tort  bien  reprouvé 
Par  un  seul  point  qui  me  remort. 


2586  E  couche  —  25gi  D  m.  dentendement  —  2594  E  auta- 
lente  —  25g5  E  soitiez  —  2596  D  femier  —  2598  E  C.  sa  joie 
et  ces  delis  —  2600  D  repos  —  2604  MD  aucun  lieu  —  26o5  E 
ne  b.;  A  ne  ne  m.  —  2606  D  arragast  —  2607  E  Quil  le;  D 
maugre  —  261 1  D  H.  il  nen  t.  —  2614  £  csprouue. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      227 

2616    De  dame  qui  savera  mort 

Son  ami,  sera  plus  cent  tans 

En  un  jour,  que  cils  en  cent  ans, 

De  grieté  par  un  si  fait  trait, 
2620    Com  ci  devant  avez  retrait. 

Guillaume,  se  vous  soufferrez, 

Ou  d'un  autre  point  parlerez  ; 

Car  de  cestui  estes  vaincus, 
2624    Ne  vous  y  puet  valoir  escus.  » 

Guillaume. 

«  Honnesté,  pour  voir,  non  feray. 

Encor  un  po  en  parleray, 

Car  je  m'ay  bien  de  quoy  deffendre, 
2628    Mais  que  vous  le  vueilliez  entendre. 

Quant  tout  le  sens  de  lui  perdi 

Pour  le  mal  qu'a  lui  s'aërdi, 

Qui  dou  tout  le  deshonnoura, 
2632    Plus  perdi,  meins  li  demoura. 

Vous  dites  que  mal  ne  sentoit, 

Pour  ce  que  desvoiez  estoit 

De  manière  et  d'entendement; 
2Ô36    Mais  il  est  bien  tout  autrement  : 

Car  avant  que  homs  son  sens  perde, 

Ne  que  forsens  a  lui  s'aërde, 

Le  prent  et  seurprent  maladie 
2640    Qui  le  trait  a  forcenerie. 

Si  vueil  faire  un  po  d'argument 

Qui  vous  moustrera  vivement 

Comment  m'entente  prouvera}' 
2644    Dou  droit  que  pour  moy  trouveray. 

Quant  deus  causes  sont  assamblées 

2616  E  qui  aura  mort  —  2617  £  temps  —  2621  D  souffreres 
—  2628  A  me  v.  —  2629  D  tous  les  sens  —  2Ô3o  E  sahardi  — 
2632  D  parti  —  26I-Î9  M  et  le  s.  ,D  souprent  —  2641  A  vn  argue- 
raient; M  darguement. 


2  28  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Qui  se  sont  a  un  corps  fermées, 
Celle  qui  vient  premièrement, 

2648    Elle  attrait  le  commencement 

Dès  ce  point  par  la  premerainne, 
Pour  ce  que  c'est  la  souvereinne  ; 
Et  qui  la  première  osteroit, 

2652    La  seconde  s'en  partiroit. 
Or  puelent  dire  tel  y  a  : 
«  Guillaume,  verbi  gracia, 
A  entendre  si  comme  quoy?  » 

2656    Vesci  en  l'eure  le  pourquoy  : 

Nous  vëons  un  chien  qui  enrage, 
De  quel  cause  li  vient  la  rage? 
D'un  ver  qui  la  langue  li  perse. 

2660    Or  est  la  cause  si  desperse 

Qu'il  pert  le  boire  et  le  mengier, 
Et  puis  le  couvient  enragier. 
Or  est  dont  li  commencemens 

2664    De  quoy  vient  li  enragemens. 
Et  quant  il  en  pert  l'abaier, 
Adont  se  puet  on  esmaier 
Dès  ce  point,  que  la  gent  ne  morde. 

2668    Et  que  de  ce  mieus  nous  remorde, 
Je  vous  en  diray  qu'il  avint 
D'un  chien  qui  enragiez  devint, 
Amez  en  l'ostel  d'un  riche  homme. 

2672    Or  entendez,  s'orrez  la  somme  . 
Li  riches  homs  ot  oy  dire 
Dont  venoient  si  fait  martire  ; 
S'en  vout  vëoir  l'expérience 


2646  E  cop  —  2647  E  qui  muet  —  2649  D  De:  Par  manque 
dans  E  —  2Ô53  E  pouent  ;  D  pueut  —  2655  E  Antendre  —  2660 
B'  disperse  —  2662  D  li  —  2666  D  en  —  2667  E  De  —  2668 
que  manque  dans  D;  D  remordre  —  2670  F  enrachiez  —  2674  D 
venoit  ;  Mss.  (sauf  E)  matire  —  2675  M  sauoir. 


LE   JUGEMENT    HOU    ROY    DE    NAVARRE  220, 

2676    Pour  mieus  avoir  en  congnoissance. 

Se  fist  son  chien  par  force  prendre, 

Loier,  bersillier  et  estendre 

Et  sa  langue  sachier  a  plain, 
2680    Tant  qu'on  vit  le  ver  tout  a  plain. 

Lors  fu  li  vers  fors  esrachiez  ; 

Et  quant  il  fu  a  plain  sachiez, 

Les  mains  celui  prist  a  lechier 
2684    Cui  il  ot  senti  esrachier  ; 

Et  fu  la  garis  de  tous  poins. 

Aussi  di  je  que  cils  clers  poins 

Fu  d'une  maladie  obscure; 
2688    Dont  je  vous  di  que  la  pointure 

Dou  grant  mal  que  ses  corps  sentoit 

Le  tenoit  en  point  qu'il  estoit. 

Dont  mes  drois  est  assez  prouvez 
2692    Et  vostres  grans  tors  reprouvez.  » 
L'Acteur. 

Après  s'est  Franchise  levée 

Qui  ne  fu  pas  trop  effraée; 

Et  s'ot  bon  vueil  et  bonne  chiere 
2696    Et  très  gracieuse  manière. 

Si  encommensa  a  parler 

Et  dist  einsi  en  son  parler. 

Franchise. 
«  On  a  veu  generaument 
2700    Toudis  en  amer  loiaument 

Que  les  dames  se  sont  portées 

2676  D  en  auoir  c.  —  2678  B  bresillier  ;  E  bressillier  ;  D  bes- 
silier —  2680  M  de  pi.  —  2681  DE  hors  —  2Ô83  M  lichier  — 
2684  FM  il  lot;  F  arrachier;  A  atouchier  —  2686  E  si  clers  — 
2690  BDE  oue.;Z)  ou  il  —  2692  Après  ce  v.  D  met  guillaume  — 
269D  F  bon  oueil;  MB  bon  vent;  E  bon  veult;  AD  bon  voult 
(corr.  en  A  de  vent)  —  2696  manque  dans  D  —  2697  D  a  com- 
mence ;  E  a  commansa. 


230  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Micus  et  plus  loiaument  gardées 
Que  les  hommes  en  tous  endrois. 
2704    Je  le  vueil  prouver  —  et  c'est  drois  — 
Par  exemples  que  je  vueil  dire, 
Pour  ce  qu'il  font  a  ma  matire. 

«  Quant  cil  d'Athennes  eurent  mort 
2708    Androgeûs,  si  grant  remort 

En  ot  Minos,  li  rois  de  Crète, 

Que  par  voie  sage  et  discrète, 

Par  force  d'armes  et  de  guerre 
2712    Fist  essillier  toute  leur  terre; 

Et  les  mist  tous  pour  cest  outrage 

Minos  en  si  mortel  servage, 

Que  tous  les  ans  li  envoioient 
2716    Un  homme  ;  mais  il  sortissoient, 

Et  cils  seur  qui  li  sors  chéoit, 

Trop  mortelment  li  meschëoit; 

Car  li  rois  Minos  devourer 
2720    Le  faisoit  la,  sans  demourer, 

Par  un  moustre  trop  mf  rvilleus, 

Trop  félon  et  trop  perilleus. 

Mais  nuls  ne  se  doit  mervillier, 
2724    Se  Minos  vout  ad  ce  veillier, 

Ne  s'il  en  fu  fort  esmeûs, 

Car  pères  fu  Androgeûs. 

Or  avint  que  li  sors  cheï 
2728    Seur  Theseûs,  qui  esbahi 

Pluseurs;  car  il  fu  fils  le  roy, 

Preuz,  vaillans,  et  de  bel  arroy. 

Mais  pour  la  mort  Androgeûs 

2705  E  example  —  2707  E  furent  —  2708  D  andiogens  ;  M 
grans  —  2709  D  .1.  roy  de  grece  ;  BE  crece  —  2710  D  Qui  — 
2715  E  enuoient  —  2720  la  manque  dans  D —  2721  BD  tous 
meru.  —  2722  D  orgueilleus  —  2723  D  fust  —  2726  D  endiogeus 
—  2731  D  andiogeus. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  23 1 

2732    Ala  en  Crète  Theseiis, 

Pour  lui  faire  estrangler  au  moustre, 

Se  sa  prouesse  ne  li  moustre, 

Si  qu'envers  lui  se  puist  deffendre; 
2j36    Autrement  puet  la  mort  attendre. 

Et  se  Dieus  li  donne  victoire, 

Il  acquerra  honneur  et  gloire; 

Car  ceuls  d'Athennes  franchira 
2740    Et  le  servage  acquitera. 

Mais  riens  n'i  vausist  fer  ne  fust, 

Se  belle  Adriane  ne  fust, 

Qui  oublia  Minos,  son  père, 
2744    Et  Androgeûs,  son  chier  frère, 

Sa  terre  et  sej  charnels  amis, 

Pour  Theseiis,  ou  elle  a  mis 

Son  cuer,  si  qu'elle  li  moustra 
2748    Comment  occis  le  fier  moustre  a, 

Pour  lui  délivrer  dou  servage  ; 

Et  li  donna  son  pucelage 

Par  si  qu'a  femme  la  penroit 
2752    Et  qu'en  son  pais  l'en  menroit 

Avec  Phedra,  sa  chiere  suer, 

Qu'elle  ne  lairoit  a  nul  fuer. 

Theseiis  qui  se  parjura 
2756    Ses  dieus  et  sa  loy  li  jura 

Que  jamais  ne  li  fausseroit 

Et  qu'envers  li  loiaus  seroit. 

Il  se  menti,  li  renoiez. 
2760    Pour  quoy  ne  fu  en  mer  noiez? 

Quant  sa  besongne  ot  assevie, 

Il  les  charga  en  sa  navie. 


2732  D  grece;  E  crece  —  2748  D  C.  le  moustre  occira  —  2749 
M  de  —  27^1  F  cy  —  2732  D  la  merroit;  E  la  mauroit  —  2753 
D  sedra  —  2756  E  Et  ses  d.;  li  manque  dans  E  —  2760  ne  fu 
manquent  dans  D  —  2762  M  le. 


232     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Mais  vers  li  mesprist  si  forment 
2764    Qu'Adriane  laissa  dormant 

Seulette  en  estrange  contrée, 

Lasse,  dolente  et  esgarée, 

Et  en  mena  la  juene  touse, 
2768    Phedra  sa  suer,  s'en  fist  s'espouse. 

Ci  a  trop  mortel  traïson. 

Aussi  diray  je  de  Jason 

Qui  conquist  par  l'art  de  Medée 
2772    En  Colcos  la  toison  dorée, 

Et  sormonta,  li  bourderiaus, 

L'ardant  soufflement  des  toriaus, 

S'endormi  le  serpent  veillable, 
2776    Seur  toute  beste  espouentable, 

Et  desconfist  les  chevaliers 

Armez,  a  cens  et  a  milliers. 

Mais  nuls  ce  faire  ne  peiïst, 
2780    Se  Medea  fait  ne  l'eùst. 

Son  pais  laissa  et  son  père, 

Et  fist  decoper  son  chier  frère. 

Pelie  occist  a  grant  desroy, 
2784    Et  tout,  pour  Jason  faire  roy. 

Quanqu'elle  ot,  li  abandonna  ; 

S'amour  et  s'onneur  li  donna. 

Mais  Jason  Medea  laissa 
2788    Pour  Creusa,  dont  moult  s'abaissa, 

Et  mervilleusement  mesprist, 

Quant  la  laissa  et  autre  prist. 

Et  quant  elle  sot  la  nouvelle, 


276.S  li  manque  dans  D  —  2767  E  amena;  M  enuoya  —  2768 
BD  Phedais;  E  f.  espouse  —  2769  FMDE  Si  ;  D  raison  —  2770 
D  jasson —  2772  D  calos  —  2778  E  les;  A  bourdereaus  —  2774 
D  de;  A  toreaus  —  2776  D  toutes  bestes  —  2779  FM.  uns  — 
2780  D  medee  —  2783  D  derroi  —  2786  manque  dans  D  ; 
ajouté  dans  M  au  bas  du  feuillet  —  2787  D  medeas. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE     2  33 

2792    Qui  ne  li  fu  plaisant  ne  belle, 

Elle  fu  si  désespérée, 

Si  hors  dou  sens,  si  forcenée, 

Que  deus  enfans  qui  sien  estoient, 
2796    Pour  ce  que  Jason  ressambloient, 

Occist  en  despit  de  Jason, 

Puis  mist  le  feu  en  sa  maison. 

Après  s'en  ala  la  chetive 
2800    O  ses  dragons  par  l'air  fuitive. 

Mais  puis  en  estranges  contrées 

Furent  roïnes  couronnées. 

Car  rois  d'Athennes  Egeiis 
2804    Fu  de  Medée  deceus  ; 

Bacus  Adriane  nonnoura 

Fort,  car  en  li  grant  amour  a. 

Cil  dui  les  dames  espouserent 
2808    En  leur  pais  et  coronnerent. 

Si  que,  Guillaume,  c'est  la  somme, 

On  ne  porroit  trouver  en  homme 

Si  grant  loyauté  comme  en  femme, 
2812    Ne  jamais  d'amoureuse  flame 

Ne  seroient  si  fort  espris, 

Comme  seroit  dame  de  pris. 

Car  quant  il  y  a  meins  d'amour, 
2816    II  y  a  tant  meins  de  dolour, 

Puis  que  ce  vient  a  mal  sentir. 

Ne  je  ne  me  puis  assentir 

Qu'en  endurant  les  maus  d'amer 
2820    Qu'homs  ait  tant  com  dame  d'amer  ; 

Et  si  a  de  remèdes  cent 

2792  fu  manque  dans  D  —  2795  D  Pour;  FMDE  siens  — 
2796  D  qua  —  2799  F  chestiue  —  2800  FM  fuistiue  —  2801 
D  puis  que  —  2806  D  Fors;  MDE  a  (li;  D  lui)  —  2807  FB  Ci  — 
28i3  D  seroit  —  2816  E  tuit  —  2817  D  souffrir  —  2818  E  ab- 
sentir  —  2820  E  Que  homs  est  t.  —  2821  AD  remède;  £  si 
a  des  r. 


234  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Li  homs  tels  que  famé  ne  sent.  » 
Guillaume. 

«  Damoiselle,  la  traïson 
2824    De  Theseiis  ne  de  Jason 

Ne  fait  riens  a  nostre  matière, 

Ne  ce  n'est  mie  la  première 

Ne  la  darreinne  fausseté 
2828    Qui  es  amoureus  a  esté, 

Autant  es  famés  comme  es  hommes. 

Ne  je  ne  donroie  deus  pommes 

De  vostre  entention  prouver 
2832    Par  si  fais  exemples  trouver. 

Car  se  mon  fait  prouver  voloie 

Par  exemples,  j'en  trouveroie 

Plus  de  dis,  voire  plus  de  vint. 
2836    Chascuns  scet  bien  ce  qu'il  avint 

De  l'ami  a  la  Chasteleinne 

De  Vergi  :  d'amours  si  certeinne 

L'ama  qu'il  s'ocist  sans  demour, 
2840    Quant  morte  la  vit  pour  s'amour. 

«  Li  bons  Lancelos  et  Tristans 

Eurent  plus  de  peinne  dis  tans 

Que  femme  ne  porroit  souffrir, 
2844    Tant  se  peûst  a  peinne  offrir, 

Et  cent  fois  furent  plus  loiaus 

Que  Jason  ne  fu  desloiaus, 

Ne  Theseiis  qui  trop  mesprist 
2848    D'Adriane,  quant  Phedra  prist. 

2822  tels  manque  dans  M  —  2824  F  Ne  de  th.  —  2828-9 
manquent  dans  D  —  283 1  F  nostre—  2836  D  mauint  —  2838 
BDE  De  uergi  {effacés  par  B')  —  2839  M  qui  —  2841  M  tritans 
—  2842  D  poine  —  2845  D  plus  tarent  —  2846  E  feust  —  2847  D 
moult  mesprint  —  2848  B  Dadrienne;  E  Dadreanne  ;  D  cedra 
print. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  235 

Encor  vueil  d'un  autre  compter, 
Se  vous  me  volez  escouter. 

«  Une  dame  sans  villenie 
2852    D'un  chevalier  estoit  amie, 

Si  li  donna  un  anelet 

Trop  gent  (ne  fu  villein  ne  let), 

Par  si  qu'adès  le  porteroit 
2856    Et  que  jamais  ne  l'osteroit 

De  son  doy,  s'elle  ne  l'ostoit. 

Et  li  chevaliers,  qui  estoit 

Tous  siens,  bonnement  li  promist, 
2860    Et  la  dame  en  son  doy  le  mist. 

Or  avint  qu'elle  avoit  mari 

Qui  ot  le  cuer  triste  et  mari; 

Car  l'anel  a  recongnëu 
2864    Pour  ce  qu'autre  fois  l'ot  véu. 

Si  l'ala  tantost  demander 

A  la  dame  et  li  comander 

Qu'elle  li  baille  en  la  place 
2868    Seur  peinne  de  perdre  sa  grâce. 

La  dame  dist  qu'elle  l'avoit, 

Mais  ou,  pas  bien  ne  le  savoit. 

Si  fist  samblant  de  l'aler  querre 
2872    Et,  en  deffermant  une  serre, 

Comme  dame  avisée  et  sage, 

Dist  a  un  sien  privé  message  : 

«  Va  sans  arrest  a  mon  ami 
2876    Et  si  li  di  que  mal  pour  mi, 

Se  mon  anel  ne  me  renvoie. 

Et  ne  demeure  pas  seur  voie, 

2854  M  Tresgent  ;  FE  gens;  F  villains  —  2855  F  Pour;  E 
Pour  ce  ;  D  si  si  —  2857-8  manquent  dans  D  —  2860  manque 
dans  D;  E  li  —  2870  D  Mis  et  ou  pas  ne  sauoit  ;  le  manque  dans 
BDE  —   2873  M  auise  —  2876  D  pour  lui. 


2  36     LE  JUGEMENT  HOU  ROY  DE  NAVARRE 

Car  mon  signeur  le  vuet  avoir, 
2880    Sans  nul  essoinne  recevoir. 

Di  li  bien  qu'il  n'en  faille  mie  ; 

Car  s'il  en  faut,  je  sui  honnie 

Et  en  péril  de  perdre  honneur 
2884    Et  la  grâce  de  mon  signeur.  » 

Li  messages  n'atendi  pas, 

Eins  s'en  ala  plus  que  le  pas 

Au  chevalier  et  tout  li  conte 
2888    Ce  que  devant  ay  dit  en  conte. 

Quant  li  chevaliers  Tentendi, 

A  po  li  cuers  ne  li  fendi, 

Car  il  ot  pùour  que  sa  dame 
2892    Honte  pour  li  n'eùst  ou  blasme. 

Si  dist  :  «  Amis,  foy  que  li  doy, 

Avuec  l'anel  ara  mon  doy, 

Car  ja  par  moy  n'en  partira.  » 
2896    Si  que  lors  un  coutel  tira, 

Son  doy  copa  et  li  tramist 

Aveques  l'anel  qu'elle  y  mist. 

Puet  on  faire  plus  loiaument 
2900    Riens,  ne  plus  amoureusement? 

Certes,  nennil  !  Ce  m'est  avis. 

Car  trop  fu  loiaus  ses  amis. 

Si  que  bien  oseroie  attendre 
2904    Vray  jugement,  sans  plus  contendre, 

Qu'on  les  doit  plus  auctorisier 

Et  en  tous  estas  plus  prisier 

Que  les  dames,  de  qui  parole 
2908    Tenez  que  je  tien  a  frivole, 

Qu'on  dit  —  et  vous  le  savez  bien  — 


2887  M  tost  —  2891  D  Quer  —  2893  M  que  ie  doy  —  2894 
A  A.  sanel;  E  aras  —  2896  A  couatel  —  2898  lanel  manque  dans 
M  —  2899  D  Peust  —  2904  AID  attendre  —  2905  E  li;  A  aucto- 
riser:  D  attoriser. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  l'i'j 

Que  par  tout  doit  veincre  le  bien. 

Et  cil  furent  bon  et  loial 
2912    Tenu  en  toute  court  roial, 

Comment  que  les  dames  feïssent 

Moult  pour  leurs  amis  et  souffrissent. 

Mais  on  dit  —  et  c'est  veritez  — 
2916    Qu'adès  les  deus  extermitez, 

C'est  trop  et  po.  Einsi  l'enten  ge  : 

Ne  doivent  recevoir  loange  ; 

Mais  qui  en  Tamoureus  loien 
2920    Est  loiez,  s'il  tient  le  moicn, 

Il  ouevre  bien  et  sagement. 

Et  li  sages  dist  qui  ne  ment 

Qu'adès  li  bonneùreus  tiennent 
2924    Le  moien  partout  ou  il  viennent.  » 

L'Acteur. 

A  ce  Prudence  respondi, 

Qui  riens  n'enclôt  ne  repondi 

A  la  matière  appartenant, 
2928    Et  dist  :  «  Guillaume,  maintenant 

Voy  je  bien  vostre  entention  ; 

Mais  j'ay  contraire  opinion 

Qui  de  la  vostre  est  trop  lonteinne. 
2932    On  scet  bien  que  la  Chastelainne 

Fu  morte  pour  un  bacheler, 

Pour  ce  qu'il  ne  la  sot  celer. 

Car  il  dist  toute  leur  besoingne 
2930    A  la  duchesse  de  Bourgoingne  ; 

Et  la  duchesse  moult  mesprist, 


2914  FM  leur  —  2916  D  extrémités  —  2917  D  C.  pièce  et 
pou;  A  lentens  —  291g  D  lyen  —  2920  D  Ces  voies  cy  tien  — 
2922  D  quil  ne  vient  —  2924  E  Li  —  2924  Après  ce  v.  D  met  pru- 
dence; Lacteur  mq.  dans  A  —  292G  D  Que;  FMB  r.  enclos;  £ 
E  r.  au  clos;  AE  respondi  ;  D  r.  nauoit  espondi  —  2927  Afapper- 
tement  —    2g3o    jay    manque  dans  E  —    2931    FE  lointeinne. 


2  38     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Qu'a  une  feste  li  reprist 

Qu'elle  savoit  bien  le  mestier 
2940    Dou  petit  chiennet  afaitier. 

S'en  morut  en  disant  :  aymi  ! 

Par  le  deffaut  de  son  ami. 

Et  quant  li  amis  vit  s'amie 
2944    Par  sa  gengle  morte  et  perie, 

S'il  s'ocist,  il  fist  son  devoir, 

Qu'autre  mort  deùst  recevoir, 

N*il  ne  fist  fors  meins  que  justice, 
2948    S'il  s'ocist  pour  punir  son  vice  ; 

Qu'avoir  le  deiissent  detrait 

Chevaus  enragiez  pour  ce  trait. 

Si  m'est  vis  que  la  Chastelainne 
2952    Ot  plus  de  meschief  et  de  peinne, 

Quant  sans  cause  reçut  la  mort, 

Que  n'ot  cils  qui  se  fu  la  mort 

Qui  avoit  desservi  le  pendre  ; 
2956    Et  pour  c'en  fu  sa  dolour  mendre. 

«  Et  se  Tristans  ou  Lancelos 

Furent  vaillans,  bien  dire  l'os 

Que  leur  vaillance  et  leur  prouesse 
2960    Leur  fu  gloire,  honneur  et  richesse  ; 

N'il  n'est  homs  qui  peust  acquerre 

Tels  biens,  sans  avoir  peinne  en  terre. 

Si  que,  Guillaume,  j'ose  dire 
2964    Que  plus  de  peinne  et  de  martire 

Cent  fois  les  dames  soustenoient 

29^8  B'D  la—  2940  M  Dun  p.  chienne  —  2941  M  morust; 
E  ami  —  2943  D  Et  li  amis  quant  vi  s.;  A  vi  —  2944  E  sa 
gueulle  —  2947  D  11;  D  fors  miex;  M  de  just.  —  2950  D  arra- 
gies  ;  D  fait  —  295 1  ME  Ce;  D  auis  —  2g52  M  mcschies  ;  D 
poine  —  2966  en  manque  dans  D  ;  BD  la  d.  —  2957  FM  tritans; 
BD  et  1.  —  2960  E  fust  —  2961  E  quil  —  2962  et  2964  D 
poine. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      2^9 

Que  leurs  amis  qu'elles  faisoient, 
Qu'elles  avoient  les  griés  pensées 
2968    Et  les  piiours  desordenées, 
Les  paroles  de  mesdisans. 
Et  s'il  demourassent  dis  ans, 
Ja  n'eussent  parfaite  joie; 

2972  Car  qui  atent,  trop  li  anoie, 

N'a  cuer  humain  riens  tant  ne  grieve 
Gom  mesdis  et  pensée  grieve. 
Ne  autre  bienfait  n'en  portoient 
2976    Qu'un  po  de  joie  qu'elles  avoient. 
Einsi  est  il  de  pluseurs  dames 
Qui  mettent  les  corps  et  les  âmes 
Et  quanqu'elles  ont  en  leurs  amis, 

2980  Et  quant  tant  chascune  y  a  mis 
Qu'il  sont  en  vaillance  parfait, 
Apparent  par  ouevre  et  par  fait, 
Elles  n'en  ont  autre  salaire 

2984    Fors  un  petit  de  gloire  au  faire. 

Il  ont  le  grain  ;  elles  ont  la  paille  ; 

Car  l'onneur  ont,  comment  qu'il  aille. 

Et  s'aucune  fois  leur  meschiet, 
2988    Tout  premiers  seur  les  dames  chiet. 

Certes,  c'est  mauvais  guerredon, 

Quant  pour  bien  ont  de  guerre  don. 

«  De  l'autre  qui  son  doy  copa, 

2966  D  quelle  —  2967  M  Quelle  ;  B'  Quelz;  les  manque  dans  A 
—   2g68  D  Puis  paours  —  2969  FDE  des  —   2972  D  ennuie  — 

2973  riens  manque  dans  D  —  2974  manque  dans  D  —  2975  MDE 
Nautre  ;  E  nen  emp.  —  2976  de  manque  dans  D;  A  quelle;  D 
quil;  B'  quelz  —  2978  A  les  cuers;  E  armes  —  2979  B'  quan- 
quelz;  D   quanquil;   M    quanque   elle   —    2980   D   chascun  — 

2981  DE  Qui  —  2982  A  Appert,  corrigé  en  Appert;  D  Ou 
apparent  ou  deuure  en  fait;  M  ou  par  oeuure;  MB  ou  par  f.  — 
2984  au  faire  manquent  dans  F  —  2g85  B1  elz  ;  FMD  elle  — 
2988  BD  premier. 


2^0  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

2992    Vraiement  fait  un  let  cop  a. 

Car  Guillaume,  quoy  que  nuls  die, 

Je  le  tien  a  grant  cornardie, 

Si  m'en  pense  po  a  debatre. 
2996    Car  il  y  avoit  trois  ou  quatre 

Voies  qui  deùssent  souffire. 

Et  il  prist  de  toutes  la  pire. 

Et  d'autre  part,  je  ne  croy  mie 
3ooo    Que  celle  qui  estoit  s'amie, 

S'elle  l'amoit  d'amour  seiïre, 

N'eùst  trop  plus  chier  l'aventure 

De  son  mari  et  son  courrous, 
3004    Et  deiist  estre  entr'  eaus  deus  rous 

Li  festus  jusqu'à  une  pièce, 

Qu'oster  de  son  ami  tel  pièce, 

Qu'a  tous  jours  fu  desfigurez, 
3oo8    Meins  prisiez  et  plus  empirez.  » 
Guillaume. 

«  Certes,  Franchise,  vous  avez 

Bien  dit,  que  bien  dire  savez. 

Mais  je  say  sans  nulle  doubtance 
3oi2    Que  c'est  contre  vo  conscience, 

Et  que  dit  avez  le  contraire 

De  ce  qui  en  vo  cuer  repaire. 

Mais  je  vous  requier,  s'il  vous  plaist, 
3oi6    Que  nous  abregons  nostre  plait, 

Car  trop  esloingnons  la  matière 

Qui  meiie  a  esté  première. 

Il  est  certain  —  et  je  l'afferme  — 

2993  D  Guillaume  car  quoi  —  2994  DE  couardie  —  2998  E 
toute —  2999  part  manque  dans  M  —  3ooi  E  Elle  —  3004  F  Et 
deulz;  deus  manque  dans  BDE  —  3oo5  E  jusques  a  —  3oo6  E 
Quauoir  receu  de  lui  tel  p.  —  3007  D  Car  a  ;  F  j.  si  d.  ;  fu 
manque  dans  BDE  —  3oo8  D  et  bien  empires  —  3oi5  BE  si  — 
3017  A  alongons;  BD  eslongons  —  3oi8  F  Qui  mené  a  ;  D  Qui 
maine  a  ceste  pr. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  24 1 

3o2o    Qu'en  cuer  de  femme  n'a  riens  ferme, 

Rien  seiir,  rien  d'estableté, 

Fors  toute  variableté. 

Et  puis  qu'elle  est  si  variable 
3024    Qu'elle  en  rien  n'est  ferme  n'estable 

Et  que  de  petit  se  varie, 

Il  faut  que  de  po  pleure  et  rie. 

Dont  grant  joie  et  grant  tourment 
3028    N'i  puelent  estre  longuement, 

Car  sa  nature  li  enseingne 

Que  tost  rie  et  de  po  se  pleingne; 

Tost  ottroie,  tost  escondit; 
3o32    Elle  a  son  dit  et  son  desdit, 

Et  s'oublie  certainement 

Ce  que  ne  voit,  legicrement. 

Et  puis  qu'elle  ne  puet  ravoir 
3o36    Jamais  son  ami  pour  avoir, 

Pour  pleindre,  ne  crier,  ne  braire, 

Ne  pour  chose  qu'elle  puist  faire, 

Et  aussi  que  de  sa  nature 
3oqo    Oublie  toute  créature 

Legierement,  quant  ne  la  voit, 

On  puet  bien  penser,  s'elle  avoit 

De  ses  amis  damage  ou  perte, 
3044    Que  briefment  seroit  si  aperte 

Que  d'un  perdu  deus  retrouvez 

Li  seroit  encor  reprouvez. 

Mais  cuers  d'omme  est  fermes,  seùrs, 
3048    Sages,  esprouvez  et  meurs, 

3o2i  D  R.  sur  —  3o23  manque  dans  D  —  3o26  M  de 
petit  —  3027  M  ne  gr.  —  3o2<S  F  Ne  ;  D  pueut  —  3o3i  E  escon- 
duit;  F  escondie  —  3o33  D  Et  semble;  A  entérinement  — 
3o34  E  voy  ;  D  veult  —  3o35  D  auoir  —  3o37  ne  (crier)  man- 
que dans  M —  3041  D  quant  que  la  v.  ;  E  le  —  3042  M  Ou 
pour  b.  —  3o45  FBDE  recouurez  —  3046  D  seroient;  E  en- 
core ;  D   recouures  —  3047  ^  ferme  et  s. 

Tome  1.  ié 


242  LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Vertueus  et  fors  pour  durer. 

Et  humbles  pour  mal  endurer. 

Et  quant  de  l'amoureuse  ardure 
3o52    Est  espris,  tellement  l'endure 

Qu'einsois  morroit  dessous  l'escu 

Qu'on  le  veïst  mat  ne  veincu. 

Ce  que  je  di  n'est  pas  contrueve, 
3o56    Car  chascuns  le  dit  et  apprueve  ; 

Et  pour  ce  que  chascuns  le  dit, 

L'ay  je  recordé  en  mon  dit. 

Si  di  en  ma  conclusion 
3o6o    Que,  vëu  la  condicion 

D'omme  et  de  femme,  nullement 

Femme  ne  puet  avoir  tourment, 

Tant  braie  ne  se  desconforte, 
3064    Comme  uns  homs  en  son  cuer  le  porte, 

Qu'estre  ne  puet  en  sa  nature. 

Raison  s'i  acorde  et  droiture. 

Et  aussi  li  maus  qui  termine 
3oô8    Est  mendres  que  cils  qui  ne  hne, 

Einsois  dure  jusqu'à  la  mort, 

Tant  qu'il  a  son  malade  mort.  » 

Largesse. 

Largesse  qui  après  sèoit 
3072    Parla,  car  moult  bien  li  sëoit, 

Et  dist  :  «  Guillaume,  vraiement, 

Je  sui  mervilleuse,  comment 

Vous  osez  des  dames  mesdire  ; 
3076    Car  ce  ne  deiïssiez  pas  dire. 

Et  de  ce  qu'avez  dit,  li  blâmes 

Est  plus  seur  vous  que  seur  les  dames. 

3o5o  FMBDE  humble  —  ?o?4  E  Qucn;  D  mate;  M  mast  et  v. 
—  3064  BE  Comme  {B'  Corn)  tel  homme;  D  Tel  comme  homme 
en  son  cuer  porte  —  3o68  D  Cest  —  3069  D  jusques  a  —  3072 
D  P.  et  moult  —  3074  B'  merueillee  —  3078  M  Et  :  D  Cest. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  24.D 

Vous  avez  dit  en  vostre  dit  — 
3o8o    Dont,  certes,  vous  avez  mal  dit  — 

Que  chascuns  tient  pour  véritable 

Que  toute  dame  est  variable, 

Et  que  ce  n'est  de  leur  couvent 
3084    Nés  que  d'un  cochelet  au  vent. 

Mais  toute  ceste  compaingnie 

Tient  le  contraire  et  le  vous  nie. 

Et  pour  ce  bien  dire  pouez 
3o88    Que  vous  n'estes  pas  avouez; 

Si  devez  paier  la  lamproie. 

De  ce  plus  dire  ne  saroie, 

Qu'on  ne  puet  bon  argùement 
3092    Faire  seur  mauvais  fondement.  » 

Doubtance. 

«  Et  je  ne  m'en  porroie  taire,  » 

Ce  dist  Doubtance  de  meffaire, 

«  Eins  en  diray  ce  qu'il  m'en  samble; 
3096    Car  tous  li  cuers  me  frit  et  tramble, 

Quant  einsi  sans  cause  blâmer 

Oy  les  dames  et  diffamer. 

Or  entendez  a  ma  demande  : 
3 100    Biau  Guillaume,  je  vous  demande, 

Se  celle  change  ne  varie 

Qui  est  tous  les  jours  de  sa  vie 

Loial  amie,  sans  fausser, 
3104    N'en  fait,  n'en  désir,  n'en  penser?  » 

Guillaume. 

«  Certes,  damoiselle,  nennil  ! 
Mais  je  croy  qu'entre  cinq  cent  mil 


3o8u  D  mesdit  —  3087  D  Quer  pour  voir  dire  poes  —  ^089  D 
Que  paier  deues  —  3og5  FBE  qui  —  3og6  E  nst  —  3097  D 
blâmes  —  3oq8  D  Toutes  dames  et   diffames  —  3ioi  F  na  v» 


244     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

N'en  seroit  pas  une  trouvée  ; 
3  108    Car  tel  greinne  est  trop  cler  semée.  » 

DOUBTANCE. 

<c  Mon  biau  sire,  se  Dieus  me  gart, 

Moult  avez  estrange  regart, 

Et  s'avez  diverse  parole  ; 
3ii2    Et  s'avez  esté  a  l'cscole, 

Si  com  je  croy,  d'aler  en  change  ; 

Et  pour  ce  que  li  cuers  vous  change, 

Vous  cuidiez  que  chascuns  le  face 
3i  16    Si  com  vous;  mais  ja  Dieu  ne  place; 

Car  je  prouveray  le  contraire 

De  fait,  cui  qu'il  doie  desplaire.  » 

Guillaume. 

«  Damoiseile,  ne  vous  desplaise, 
3 120    Se  je  vous  resgarde  a  mon  aise, 

Car  pas  ne  vous  hé  si  forment 

Com  je  vous  regart  laidement; 

Et  se  ma  parole  est  diverse, 
3  1  24    Bons  cherretons  est  qui  ne  verse. 

Mais  je  cuide  vérité  dire, 

Comment  que  m'en  vueilliez  desdire; 

Si  me  sui  ci  mal  emhatus, 
3 128    Se  pour  voir  dire  sui  batus.  » 

SOUFFISSANCE. 

Adont  se  leva  Souffissance 
Et  dist  :  «  Guillaume,  sans  doubtance, 
Vous  estes  or  mal  empariez. 
3 1 32    Resgardez  comment  vous  parlez; 

Car  nuls  homs  qui  vueillc  voir  dire 

3  1 1 2  F  Vous  auez  —  3 1 1 3  MliDE  au  ch .  —  3 1 1 5  E  li  —  3 1 1 8 
D  qui  qucn  d.  ;  E  ce  qui  d.  —  3 120  A  aaise —  3  124  FM  char- 
rctons  ;    D  Bon  charretier;   E  quil  —    3127  FBE  si  —   3i3i  F 

csic. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  2_p 

Ne  porroit  des  dames  mesdire. 

Qu'en  elles  est,  ce  scet  on  bien, 
3 1  36    Tant  quanqu'on  puet  dire  de  bien. 

Si  que  je  vous  lo  et  conseil 

Que  plus  ne  parlez  sans  conseil; 

Car  vous  estes  trop  juenes  homs 
3140    Pour  dire  si  faites  raisons.  » 

Guillaume. 

Lors  entroy  une  murmure, 

Que  chascune  d'elles  murmure 

De  ce  que  si  fort  soustenoie 
3144    Ce  que  des  dames  dit  avoie  ; 

Et  vi  que  chascune  faisoit 

Samblant,  qu'il  li  en  desplaisoit. 

Et  quant  j'apcrçu  la  manière 
3148    De  leur  parler  et  de  leur  chiere, 

Et  que  meiïes  furent  toutes, 

Pour  bouter  le  feu  es  estoupes, 

Au  juge  fis  une  requeste 
3  1  52    Qui  me  sambloit  assez  honneste, 

Et  humblement  li  depriay 

Et  requis  en  mon  depri  ay 

Qu'elles  parlassent  tout  a  fait, 
3i56    Si  averoient  plus  tost  fait. 

Si  firent  elles,  ce  me  samble; 

Qu'elles  parloient  tout  ensamble, 

Dont  li  juges  prist  a  sousrire 
3i6o    Qui  vit  que  chascune  s'aïre. 

Et  certes,  j'en  eus  moult  grant  joie, 

Quant  en  tel  estât  les  veoie. 

Mais  li  juges  qui  sagement 

3 1 35  MBDE  Car  en  —  3r36  FBE  Tout  —  3  07  M  loe  — 
1m 38  M  nen  —  3 141  DE  L.  entrai  en  vne  m.  —  3 145  D  voy  :  E 
vis  —  3146  MD  qui  —  3147  FBE  ja  perceu  —  3 1 53  F  h.  il  d. 
—  3 1 54  D  r.  et  moult  depriai  —  3i  57  manque  dans  D  —  3 162  D  le. 


246      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

3  1 64    Voloit  faire  son  jugement 

Tantost  leur  imposa  silence, 
Fors  seulement  a  Souffissance 
Et  a  Doubtance  de  meffaire. 

3  168    Et  lors  prist  Doubtance  a  retraire 
Un  conte  propre  a  sa  matière, 
Et  commensa  par  tel  manière. 

Doubtance. 

«  Que  fist  Tisbé  pour  Piramus? 
3172    Quant  elle  vit  que  mors  et  nus 

Estoit  pour  li,  sans  nul  retour, 

A  doloir  s'en  prist  par  tel  tour, 

Que  d'une  espée  s'acoura 
3 1  yô    Seur  le  corps  et  la  demoura  ; 

Car  après  li  ne  volt  pas  vivre, 

Eins  tîna  s'amour  et  son  vivre 

En  pleins,  en  piours  et  en  clamours. 
3  180    Certes,  ce  fu  parfaite  amours; 

Car  il  n'est  dolour  ne  remort 

Qu'on  puist  comparer  a  la  mort. 

Ne  riens  ne  me  feroit  entendre 
3184    Que  nuls  homs  vosist  son  cuer  fendre 

Si  crueusement,  n'entamer, 

Comme  Tisbé  fist  pour  amer. 

Et  qui  diroit  uns  homs  est  fors 
3 188    Pour  souffrir  d'amours  les  effors, 

Et  s'a  cuer  plus  dur  qu'aymant 

Ou  que  ne  soit  un  diamant, 

Je  ne  donroie  de  sa  force 


3 169  matière  dans  D  pour  nature  —  8171  Ftibe;  M  tysbes  : 
B'  tisbee —  3174Z)  A  douleur —  3 178  D  Ainssi;  et  manque  dans 
D  —  3 [79  F  En  pleurs  en  piours:  D  A  plains  a  pi.  et  a  cl.: 
FBE  clftmour  —  3  180  FBD  amour  —  3 1 8 1  F  doleurs  —  3i82 
FMBDE  peust;  B'  peut;  BDE  a  mort  —  3i83  A  Ne  nuls  — 
5j86   M   Coni  —  3iSi|  fi  p|.  doulz  —  3  [go  D  nu   que   ce  s. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      247 

3192    Le  quart  d'une  pourrie  escorce, 

Ne  je  ne  pris  riens  sa  durté, 

Sa  vertu,  ne  sa  mëurté, 

Ne  chose  qu'il  endure  aussi. 
3  1 96    Mais  quant  une  dame  a  soussi 

Qu'en  son  cuer  secrètement  cuevre. 

Par  tel  guise  le  met  a  ouevre 

Qu'elle  y  met  le  corps  et  la  vie. 
3200    Mais,  Guillaume,  je  ne  croy  mie 

Que  on  veist  onques  morir 

Homme  par  deffaut  de  merir 

Et  qui  tost  ne  fu  confortez, 
3204    Tant  fust  ses  cuers  desconfortez  ; 

N'il  n'est  doleur  qui  se  compère 

A  mort,  corn  grieve  qu'elle  appere, 

Ne  que  li  feus,  fais  en  peinture, 
3208    Encontre  le  feu  de  Nature. 

Car  Nature  ne  puet  pas  faire, 

Tant  soit  a  corps  humain  contraire. 

Ne  cuers  ne  puet  riens  endurer 
3212    Qu'on  peùst  a  mort  comparer.  » 

Souffissanck  . 
«  Doubtance,  laissiez  le  plaidier, 
Car  un  petit  vous  vueil  aidier, 
Pour  mettre  vostre  entencion 
32i6    A  plus  vraie  conclusion, 

Comment  qu'aiez  si  bien  conclus 
Selonc  raison,  qu'on  ne  puet  plus.  » 

3192  E  dune  petite  esc.  —  3 1 93  et  3194  intervertis  dans  BDE, 
rétablis  par  B'  —  3200  E  croiz  —  3201  E  Quon  ;  B'  Que  len;  D 
Quil  v.  —  32o3  E  feust  —  3204  £  fu  —  32o5  M  qui  si  c.  ;  D 
compare  —  32o6  D  appare  —  3207  M  pointure  —  32 10  A  a 
cuer;  Al  humains  —  32 12  Après  ce  vers  on  lit  dans  AB  souffrance  ; 
[B  en  marge  ajoute  souffisance —  Les  vers  32i3-20  manquent 
dans  D;    32  1 5  A  —  nnstre. 


248  LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

Adont  commensa  Souffissance 
3220    Et  dist  ainsi  en  audiance  : 

«  Leandus,  li  biaus  et  li  cointes, 
D'une  pucelle  estoit  acointes 
Qui  belle  Hero  fu  nommée; 

3224    N'avoit  en  toute  la  contrée 
Nulle  si  cointe  damoiselle. 
De  trop  si  gente,  ne  si  belle  ; 
N'en  Abidois  n'avoit,  n'en  Crète 

3228    Nulle  amour  qui  fust  si  secrète, 
Car  nuls  ne  savoit  leur  couvine. 
Fors  seulement  une  meschine 
Qui  belle  Hero  norrie  avoit; 

3232    Celle  seulement  le  savoit. 

De  moult  parfaite  amour  s'amoient  : 
Mais  a  grant  peinne  se  vëoient, 
Qu'entre  Hero  et  Leandus 

3236    Fu  uns  bras  de  mer  espandus 
Qui  estoit  larges  et  parfons, 
Si  qu'on  n'i  preist  jamais  fons  ; 
Et  ce  leur  faisoit  trop  d'anuis. 

3240    Mais  Leandus,  toutes  les  nuis, 
Passoit  le  bras  de  mer  au  large, 
Tous  nus,  seuls,  sans  nef  et  sans  barge. 
Belle  Hero  au  gent  atour 

3244    Ot  en  sa  maison  une  tour 

Ou  toutes  les  nuis  l'atendoit, 
Et  un  sierge  ardant  la  tendoit, 
Auquel  Leandus  se  ravoie 


322i  B'  Leander;  et  manque  dans  M  —  3227  E  crece  —  3228 
AM  fu  —  323 1  E  haro;  BE  norri  —  3232  E  Elle  —  3234  D  poine 
—  3235  D  est  leaueduz  —  3242  D  Nu  tout  seul;  seuls  manque 
dans  E;  D  ne  sans  b.  —  3246  E  Et  la  vn  s.  a.  tenoit;  D  y  auoit  ; 
B  y  ardoit. 


LE  JUGEMENT  HOU  ROY  DE  NAVARRE      249 

3248    Souvent,  quant  la  mer  le  desvoie. 

Or  avint  que  la  mer  s'enfla 

Pour  le  fort  vent  qui  y  souffla, 

Si  qu'elle  en  devint  toute  trouble 
3252    Pour  le  vent  qui  l'esmuet  et  trouble. 

Leandus  se  tient  a  la  rive, 

Qui  fort  contre  son  cuer  estrive  : 

Qu'Amours  li  enjoint  et  commande 
3256    Et  ses  cuers,  qu'a  passer  entende, 

Et  la  plus  belle  de  ce  mont 

Voit  d'autre  part  qui  l'en  semont  ; 

Si  que  li  las  ne  sot  que  faire, 
3260    N'il  ne  voit  goûte  en  son  affaire. 

Car  il  voit  la  mer  si  orrible 

Que  de  passer  est  impossible  ; 

Et  de  sa  tempeste  et  son  bruit 
3264    Toute  la  région  en  bruit. 

Mais  finalment  tant  l'assailli 

Amours,  que  en  la  mer  sailli, 

Dont  briefment  le  couvint  noier; 
3268    Car  a  li  ne  pot  forsoier. 

Et  certes,  ce  fu  grans  damages, 

Car  moult  estoit  vaillans  et  sages. 

«  Belle  Hero  ne  scet  que  dire; 
3272    Tant  a  de  meschief,  tant  a  d'ire, 
Qu'en  nulle  riens  ne  se  conforte. 
Elle  vorroit  bien  estre  morte, 
Quant  son  dous  amis  tant  demeure. 

.1249  A  tourbla  —  325o  y  manque  dans  D  —  325 1  AM  tourble 

—  3255  B'  a.  le  semont  —  3256  D  Que  son  cuer  a  p.  —  325y 
de  manque  dans  M  —  32  58  D  Est  ;  E  de  lautre  part;  D  le  —  32 5g 
M  sceit;  DE  scet  —  3260  E  veoit  —  3263  MBE  en  son    bruit 

—  3264  E  religion  —  3265  D  Finalement  —  3268  D  Car  il  ne 
puet—  3269  E  dommages  —  3271  E  Celle;  D  que  faire  —  3272 
D   meschief   et   de  haire. 


2 DO  LE    JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

3276    Dou  cuer  souspire,  des  yeus  pleure  ; 

La  nuit  ot  plus  de  mil  pensées, 

Par  cinq  cent  mille  fois  doublées. 

Elle  ne  fait  que  reclamer 
3280    Nepturnus,  le  dieu  de  la  mer, 

Et  ii  promet  veaus  et  genices, 

Oblations  et  sacrefices, 

Mais  que  la  mer  face  cesser, 
3284    Par  quoy  Leandus  puist  passer. 

Einsi  toute  nuit  se  maintint 

Et  Tardant  sierge  en  sa  main  tint, 

Jusqu'à  tant  qu'il  fu  adjourné. 
3288    Mais  mar  vit  pour  li  ce  jour  né, 

Qu'entre  les  flos  vit  Leandon 

Qui  fioteloit  a  abandon. 

Et  quant  de  près  le  pot  vèoir, 
3292    Seur  le  corps  se  laissa  chëoir 

Au  pié  de  sa  tour  droitement  ; 

Si  l'embrassoit  estroitement, 

Forcenée  et  criant  :  «  Haro  !  » 
3296    Einsi  fina  belle  Hero, 

Qui  de  dueil  fu  noie  en  mer 

Avec  son  ami,  pour  amer. 

Si  qu'il  n'est  doleurs  ne  meschiez 
33oo    Dont  cuers  d'amans  soit  entechiez, 

Qui  soit  de  si  triste  marrien 

Com  celle  qui  n'espargna  rien 

Que  Hero  ne  meïst  a  mort 


3278  E  mil  —  3284  E  puisse  —  3286  E  serge  —  3287  E  Jusques 
a  ;  D  qui  —  3288  DE  mal  —  3289  AB  leandont;  D  leandus  — 
3290  D  fl.  la  mer  dessus  —  3291  D  Quant  elle  pot  de  près  veoir; 
Ce  vers  et  le  suivant  sont  intervertis  dans  D  —  3293  A  piet  ;  D 
doucement  —  3294  M  lembrassa-  D  lembracha  —  3296  Hero 
manque  dans  D  —  3297  D  se  noya  —  33oo  manque  dans  D;  FM 
damant;  M  entechief  —  33oi  BDE  merrien  —  33o2  manque 
dans  D  ;  B  nespargne;  E  nespairgne. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      23  I 

33o4    Pour  son  ami  qu'elle  vit  mort, 

Ne  nuls  n'en  porroit  par  raison 

Faire  juste  comparison, 

Ne  que  de  fiel  encontre  baume. 
3  3o8    Et  pour  ce  je  vous  lo,  Guillaume, 

Que  cils  debas  soit  en  déport  ; 

Car  vraiement,  vous  avez  tort.  » 

Guillaume. 

«  Damoiselle,  se  tort  avoie, 
33  12    Bien  say  que  condempnez  seroie 

Nom  pas  par  vous  ;  car  l'ordenance 

Ne  doit  pas  de  ceste  sentence 

Estre  couchie  en  vostre  bouche, 
33 16    Pour  ce  que  la  chose  vous  touche; 

Eins  la  doit  pronuncier  le  juge 

Qui  a  point  et  loyaument  juge. 

Mais  j'ay  le  cuer  moult  esjoy 
3320    De  ce  que  j'ay  de  vous  oy  ; 

Car  c'est  tout  pour  moy,  vraiement.  » 

SOUFFISSANCE. 

«  Pour  vous,  biau  Guillaume?  Et  comment?  » 

Guillaume. 

«  Damoiselle,  or  vueilliez  entendre, 
3324    Et  je  le  diray,  sans  attendre: 
Quant  Amours  si  fort  enlassoit 
Leandus,  que  la  mer  passoit 
A  no,  sans  batel  n'aviron, 


33o5  D  ne  —  3307  D  Ne  quel  fiel  ;  BDE  basme  —  33o8  D  v.  pri 
—  33  1 3  D  lordrenance  —  33  1 5  FMDE  touchie  —  3 3 16  F  nous  — 
33 1 7  D  E.  le  —  33 1 8  et  manque  dans  D  —  332o  E  que  je  de 
vous  oy  —  332i  manque  dans  D  —  332  2  Et  manque  dans  D  — 
3325  E  en  laissoit  ;  D  lenlachoit  —  3326  M  Leandon  ;  MDE 
qui. 


.252     LE  JUGEMENT  HOU  ROY  DE  NAVARRE 

3328    A  la  minuit  ou  environ, 

Li  fols  qui  tant  y  trespassa 
Que  d'amer  en  mer  trespassa, 
Il  fist  trop  plus  et  plus  souffri 

3332    Que  Hero  qui  a  mort  s'offii, 
Considérés  les  grans  péris, 
Ou  il  fu  en  la  fin  péris, 
Que  ne  fist  Hero  pours'amour, 

3336    Non  contrestant  mort  ne  clamour. 
Car  cils  qui  fait  premièrement 
Honneur,  on  dit  communément 
Qu'il  a  la  grâce  dou  bien  fait, 

3340    Nom  pas  cils  a  qui  on  le  fait; 
Et  plus  va  a  amour  tirant- 
Cils  qui  preste  que  cils  qui  rant. 
Einsi  est  il  de  tous  services 

3344    Et  aussi  de  tous  maléfices  : 

Car  qui  d'autrui  grever  se  peinne, 
Certes,  il  doit  porter  la  peinne. 
Si  que,  ma  chiere  damoiselle, 

3348    Qui  moult  amez  honneur  la  belle, 
Vous  devez  bien,  a  dire  voir, 
De  ce  cop  ci  honneur  avoir. 
Car  bien  et  bel  et  sagement 

3352    L'avez  dit;  et  certeinnement, 

Dieus  pour  moy  dire  le  vous  fit, 
Car  j'en  averay  le  profit. 

«  Si  que,  gentils  dame  de  pris, 
3356    Je  croy  que  bien  avez  compris 
L'entention  des  deus  parties. 


332.S  A  mienuit —  3332  E  souflri  —  3338/)  On  di  honneur  c.  : 
A  dist  —  333g  D  Qui  la  grâce  —  334!  M  plus  na  —  3342  D 
ou  cil  —  3345  D  poine  ;  id.  33^6  —  335o  ce  manque  dans  F;  BDE 
De  ce  coste  h.  —  3354  FM  pourfit  —  3357  E  de. 


LE   JUGEMENT    DOU    -ROY    DE    NAVARRE  UJ 

Et  se  celles  qui  ci  parties 

Sont  contre  moy  vuelent  plus  dire, 
336o    Ce  ne  vueil  je  pas  contredire. 

Mais  j'en  ay  dit  ce  qu'il  m'en  samble, 

Présent  elles  toutes  ensamble, 

Et  tant,  que  je  ne  doubte  mie 
33Ô4    Que  n'aie  droit  de  ma  partie.  » 

La  Dame. 

Adont  la  dame  souvereinne, 

Des  douze  droite  cheveteinne 

Qui  avoient  parlé  pour  li, 
3368    Dont  au  juge  moult  abelli, 

Prist  a  dire  tout  en  oiant  : 

«  De  riens  ne  me  va  anoiant 

Ce  qui  est  fait  de  nostre  plait, 
3372    Mais  moult  souffissanment  me  plait, 

Et  bien  m'en  vueil  passer  atant. 

Sires  juges,  jugiez  atant 

Que  sentence  sera  rendue. 
3376    Je  suis  de  moult  bonne  attendue 

Pour  attendre  vo»tre  jugier, 

Quant  il  vous  en  plaira  jugier. 

Bon  conseil  avez  et  seiir, 
338o    Bien  attempré  et  bien  meur. 

S'alez,  s'il  vous  plaist,  a  conseil, 

Je  le  lo  einsi  et  conseil, 

Et  vous  consilliez  tout  a  trait. 
3384    Faire  ne  pouez  plus  biau  trait 

Que  de  traitablement  attraire 


335g  M  veillent  —  336o  D  Si;  BE   Se  —  336i   FMBDE  qui 

—  3363  M  ne  me  doute  —  3366  F  douzes  —  3370  D  men  ; 
H  vat  —  3371  Ai  vostre  —  33j2  E  souffissant  —  3374  MBDE 
S.    juges    jusques    atant  —  3377   FD    nostre;    E  vo  jugement 

—  3378  E  Que  faire  deuez  bonnement  —  338 1  D  pi.  con- 
seiller. 


2 54      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Bon  conseil,  et  puis  de  retraire 

Les  articles  dou  jugement, 
3388    Selonc  le  vostre  entendement, 

En  gardant  toudis  vostre  honneur. 

Faire  le  devez,  mon  signeur. 

Et  vous  estes  bien  si  vaillans 
33p2    Que  point  n'en  serez  defaillans.  » 

L'Acteur. 

Li  juges  qui  bien  l'escouta 

Ses  paroles  si  bien  nota 

Qu'a  entendre  pas  ne  failli. 
3396    Tantost  son  conseil  acueilli, 

Et  puis  de  la  se  départirent. 

Or  ne  sceus  je  pas  qu'il  deïrcnt 

En  leur  secret,  quant  a  présent, 
3400    Mais  assez  tost  m'en  fist  présent 

Uns  amis  qui  tant  bien  m'ama 

Que  de  tous  poins  m'en  enfourma, 

Nom  pas  par  favourableté, 
3404    Mais  de  sa  debonnaireté, 

Afin  que  point  ne  variasse 

Et  que  de  riens  ne  m'esmaiasse, 

Par  quoy  je  preïsse  manière 
3408    Uniement  toudis  entière; 

Qu'autel  samblant  dévoie  faire 

Dou  droit  pour  moy  com  dou  contraire. 

Or  me  fonday  seur  ce  propos  ; 
3412    S'en  fu  mes  cuers  plus  a  repos. 

3386  BDE  Son  ;  FMBDE  le  r.  ;  À  le  contraire  —  3388  A  nostre 
—  338g  AB  nostre  —  33gi  D  si  bien  —  33g2  Après  ce  vers  on 
lit  dans  AFMBE  le  juge,  D  Guillaume  —  3394  E  Les  —  33g5  M 
Quen;  DE  point  —  3396  E  a  accueilli  —  3398  FB  sceu;  E  ne  ses 
je  pas  ;  D  que  il  dirent  —  33gg  BD  en  pr.  —  3401  M  auis;  ABD 
amans  —  3402  D  Qui  —  3404  E  Jebonncurete  —  ^407  M  pre* 
nisse  —  3408  DE  Viuement  et  t.;  B  toudis  et  eut.  —  3412  Après 
ce  vers  on  lit  dans  D  Le  juge. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  2 DO 

Quant  a  conseil  se  furent  mis, 

Li  juges  dist  :  «  Je  suis  commis 

A  estre  bons  juges  fiables, 
3416    Aus  deus  parties  amiables 

Justement  a  point,  sans  cliner. 

Si  doy  moult  bien  examiner 

Trestout  le  fait  par  ordenence 
3420    Qui  appert  en  vostre  audience, 

Afin  que  loiaument  en  juge. 

Einsi  doivent  faire  bon  juge. 

Et  vous  vous  devez  travillier 
3424    De  moy  loiaument  consillier. 

S'en  die  chascuns  son  plaisir, 

Tandis  corn  nous  avons  loisir.  » 

Dont  Avis  dist  tantost  après, 
3428    Qui  fu  de  Congnoissance  près  : 

«  Avis  sui  qui  doy  bien  viser 

Comment  je  vous  puisse  aviser. 

Car  on  puet  faire  trop  envis 
3432    Bon  jugement  sans  bon  avis. 

«  Je  vous  avis  que  bien  faciez 

Et  que  le  contraire  effaciez. 

S'il  vient  par  devant  vostre  face, 
3436    Afin  que  point  ne  se  parface, 

En  avisant  seur  quatre  choses 

Qui  ne  sont  mie  si  encloses 

Qu'on  ne  les  puist  assez  véoir, 
3440    Qui  un  po  s'en  vuet  pourvëoir  : 

3415  E  vos  juges  feables  ;  D  vo  juges;  F  hnables  —  341 7  D 
Jugement;  D  s.  cheir  —  3418  E  Si  vous  doy —  3420  A  nostre  — 
3423  Vun  des  deux  vous  manque  dans  D;  F  vous  nous;  E  nous 
nous  —  3426  AB  Toudis  com  non;  D  que  nous;  Après  ce  vers  on 
lil  dans  D  Auis  —  J427  Dont  manque  dans  D;  D  en  après  —  343 1 
D  bien  cnuis  —  3432  DE  Son  —  3434  que  manque  dans  D;  E 
affacies  —  3435  A  Si  bien;  F  Si  vien  —  3438  FD  ci. 


2  DO  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Se  jugement  avez  a  rendre, 

Premièrement  devez  entendre 

De  savoir  quels  est  li  meffais 
3444    Et  a  qui  il  a  esté  fais. 

Et  si  devez  aussi  savoir 

Et  enquérir,  par  grant  savoir, 

Quant  vous  saverez  le  forfait 
3448    Et  a  cui  cils  l'avera  fait, 

Que  vous  sachiez  dou  tout  l'affaire, 

Quel  cause  l'esmuet  ad  ce  faire. 

Or  avez  d  :  quatre  les  trois. 
3452    Et  li  quars  est  li  plus  estrois 

Auquel  on  doit  bien  regarder, 

Comment  on  le  puist  bien  garder  : 

C'est  que  vous  metez  vostre  cure 
3456    En  sieuir  les  poins  de  droiture 

Ou  coustume  attraite  de  droit  ; 

Si  jugerez  en  bon  endroit. 

Plus  n'en  di.  Qui  vuet,  si  en  die. 
3460    J'en  ay  assez  dit  ma  partie.  » 

CONGNOISSANCE. 

Congnoissance  qui  avisa 
Les  poins  qu'Avis  bien  devisa 
Dist  en  haut  :  «  Avis,  mes  amis, 
3464    A  orendroit  en  termes  mis 

Aucuns  poins  qu'il  a  devisé, 
Les  quels  j'ay  moult  bien  avisé, 
Pour  quoy  dont  je  sui  Congnoissance 

3443  ADE  Ce  —  3445  D  aussauoir  voir  —  3446  M  Ou;  D 
Enquérir  et  par  —  3447  D  Et  quant  v.  scaures  —  3448  D  Et  a  qui 
il  aura  este  fait  —  3430  E  Que  cause  les  muet  —  3453  MBDE 
micx  reg.  —  3^b^BDE  les  ;  D  pueut  —  3435  D  cuer  —  3456  A 
A;  ED  suir;  M Densuir;  6E11  ensuir  ;  E  En  ensuiuir;  A  nature 
—  3457  BDE  atlroitte —  3409  D  d\  siveult— 3463  Dauis  mest 
auis —  3464  D  Orendroit  a;  E  Orendroit    en   t. 


LE  JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARR 


3468    Qui  donne  a  bon  avis  substance 

Pour  deviser  ce  qu'il  devise, 

De  quoy  la  bonne  gent  avise. 

Je  fais  le  sens  d'Avis  congnoistre, 
3472    Et  il  fait  Congnoissance  croistre 

Par  le  courtois  avis  qu'il  donne 

De  son  droit  a  mainte  personne. 

Juges,  se  vous  apointerez 
3476    Comment  seûrement  tenrez 

D'avis  les  poins  et  les  usages. 

Faites  le,  si  ferez  que  sages. 

Et  de  moy  qui  sui  sa  compaingne 
3480    Entendez  que  je  vous  enseingne  : 

On  a  ci  ce  plait  démené, 

Tant  qu'on  l'a  par  poins  amené 

Jusques  au  jugement  oïr. 
3484    Resgardez  qui  en  doit  joïr. 

Jugiez  selonc  le  plaidïé 

Qu'on  a  devant  vous  plaidïé. 

Par  ce  point  ne  poez  mesprendre; 
3488    Car  s'on  vous  en  voloit  reprendre, 

Li  plaidïers  aprenderoit 

Le  scens  qui  vous  deffenderoit. 

Jugiez  einsi  hardiement 
3492    Et  le  faites  congnoissanment 

Au  condempné  bien  amender; 

Vous  le  pouez  bien  commander. 

Je,  Congnoissance,  m'i  acort  ; 
3496    Et  s'en  preng  aussi  le  recort 

De  Mesure  qui  la  se  siet 


3468  a  bon  manque  dans  E  —  3471  E  foiz  —  3472  D  Et  si  fai 
—  3475  ^4FJugiez  —  3477  D  Auis  —  3478  D  les  —  3481  D  le 
plait  —  3485  FM  J.  en  s.  —  3486  E  Nom  pas  selon  le  demene 
{en  marge)  —  3488  vous  manque  dans  D  —  3489  D  Le  plaidie 
les  apprendroit  —  3490  D  qui  vous  en  deftendroit;  E  deffau- 
droit. 


Tome  I. 


«7 


2  38     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Lez  Raison,  et  moult  bien  li  siet, 
Et  Raison  aussi  en  dira 
35uo    Ce  qui  bon  li  en  semblera.  » 

Mesure. 

Adont  s'est  Mesure  levée, 

En  disant  :  «  Ma  tresbien  amée 

Congnoissance,  dire  ne  vueil 
35o4    Riens  qui  soit  contre  vostre  vueil, 

Eins  sui  moult  très  bien  acordans 

Ad  ce  qu'estes  ci  recordans. 

S'en  parleray  a  vostre  honneur 
35o8    Au  juge,  ce  noble  signeur, 

Qui  est  courtois  et  amiables, 

Sages,  vaillans  et  honnourables.  » 

Lors  tourna  devers  li  sa  chiere 
35  12    De  si  amoureuse  manière, 

Qu'il  ne  s'en  pot  tenir  de  rire. 

Et  Mesure  li  prist  a  dire  : 

«  Biau  sire,  bien  eùreus  fustes 
35  1 6    Dou  conseil  que  vous  esleiistes. 

Vous  avez  tout  premièrement 

A  Avis  bel  commencement, 

Qu'on  faurroit  bien  en  court  roial 
352o    D'avoir  conseil  aussi  loial. 

Je  ne  di  pas  qu'aucune  gent 

Ne  moustrassent  bien  aussi  gent 

Conseil  et  aussi  bien  baillié 
3524    Et  d'aussi  bel  parler  taillié. 

Mais  vëons  la  condition 

D'Avis  selonc  s'entention  : 

Il  donne  conseil  franc  et  quitte 

3498  BDE  i  sict  —  35oo  MD  que  —  35o6  E  si  —  35o8  F  de 
noble  —  35 11  BDE  lui  —  35 12  D  matière  —  35i8  A  Auis  ; 
M  Dauis;  Mss.  si  bel  (E  ci  bel)  —  35io,  E  sauroit  —  3522  M 
monstrasse. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE  209 

3528    Et  n'en  attent  autre  mérite, 

Fors  ce  que  li  juges  tant  face 

Qu'il  en  ait  pais,  honneur  et  grâce. 

Et  Congnoissance,  sa  compaingne, 
3532    A  tel  salaire  s'acompaingne, 

Sans  demander  nulle  autre  chose. 

Dont  loiaus  juges  se  repose 

Qui  de  tels  gens  est  consilliez. 
3536    Sire,  s'en  devez  estre  liez. 

Comment  qu'il  aient  dit  a  point, 

Se  passeray  j'outre  d'un  point 

Qu'Avis  avoit  bien  avisé  — 
3540    Et  se  ne  l'a  pas  devisé  — 

Et  Congnoissance  congnëu. 

Mais  il  s'en  sont  en  cas  dëu 

Pour  moy  porter  honneur,  souffert; 
3544    Dont  de  moy  vous  sera  offert, 

Pour  ce  que  j'ay  bien  entendu 

Qu'il  s'en  sont  a  moy  attendu. 

Mais  einsois  averay  ditté 
3548    D'un  petit  de  ma  qualité. 

«  Je  sui  Mesure  mesurée, 

En  tous  bons  fais  amesurée, 

Et  aussi  sui  je  mesurans, 
355  2    Ferme,  seure,  et  bien  durans 

A  ceuls  qui  vuelent  sans  ruser 

Justement  de  mesure  user  ; 

Et  qui  non,  aveingne  qu'aveingne, 
3556    De  son  damage  li  souveingne. 

Dont  uns  maistres  de  grant  science 


352g  D  Fors  tant  que  —  3537  -F" qui  ;  E  ait  —  3544  M  moy  veu 
sera  —  3546  E  en  moy  —  3547  D  e.  maura  d.  ;  E  auoie  — 
3552  E  seurs  —  3553  Mss.  Et  —  3554  D  ouurer  —  3555  E 
quamenne. 


260     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Et  de  très  bonne  conscience 
A  un  sien  deciple  enseingne 
356o    Et  li  moustre  de  moy  l'enseingne, 
Disant  :  «  Amis,  je  te  chastoy  : 
Se  tu  ne  mes  Mesure  en  toy, 
Elle  s'i  mettra  maugré  tien. 
3564    Geste  parole  bien  retien. 
S'elle  s'i  met,  tu  es  péris  ; 
Se  tu  l'i  mes,  tu  es  garis.  » 
Or  vueil  passer  les  poins  tout  outre 
3568    Qu'Avis  et  Congnoissance  moustre. 
Il  ont  servi  courtoisement 
De  leur  bon  conseil  largement, 
Si  comme  on  sert  a  un  mengier, 
3572    Sans  rien  d'especïal  jugier; 
Et  de  ce  qu'il  ont  bien  servi, 
Dont  il  ont  grâce  desservi, 
J'en  vorray  l'escot  assener, 
3576    Et  a  chascun  son  droit  donner. 
Guillaumes  qui  en  ses  affaires 
Soloitestre  si  débonnaires, 
Si  honnestes  et  si  courtois, 
358o    Enclins  aus  amoureus  chastois, 
A  attenté  contre  Franchise, 
Et  tout  de  sa  première  assise, 
Quant  ma  dame  a  point  l'aprocha 
3584    Dou  fait  qu'elle  li  reprocha, 
Et  il  s'en  senti  aprochiez 
A  juste  cause  et  reprochiez. 
Il  ala  avant  par  rigueur, 
3588    Et  se  mist  toute  sa  vigueur 


3559  MBDE  Un  sien  disciple  <D  deciple)  lensaigne  (BM  li 
cns.)  — 356i  Z)chatay  —  3563  D  m.  toy  —  3565  FD  honnie  — 
356K  D  a  congn.  —  35yi  E  c.  len  —  35j2  M  mengier  —  35j5 
E  le  sort  ass. —  358o  DE  enam.  —  358i  D  Atcnte. 


LE   JUGEMENT    HOU    ROY    DE   NAVARRE  2Ôl 

Pour  lui  deffendre  encontre  li. 

Cils  poins  fort  me  desabeli, 

Pour  ce  qu'il  se  desmesura  : 
3592    Par  ces  raisons  de  Mesure  a 

Les  règles  et  les  poins  perdus, 

Dont  il  sera  moult  esperdus, 

Quant  a  moy  le  retourneray; 
3596    Car  d'onneur  le  destourneray, 

Quant  Congnoissance  li  dira 

Le  meffait  que  fait  avéra. 

Il  deùst  avoir  mesuré 
36oo    L'estat  dou  gent  corps  honnouré 

De  celle  dame  souvereinne  ; 

Qu'en  tout  le  crestïen  demeinne 

N'a  homme,  s'il  la  congnoissoit, 
3604    —  C'est  bon  a  croire  qu'einsi  soit  — 

Qui  hautement  ne  l'onnourast 

Et  qui  de  lui  ne  mesurast 

Humble  et  courtoise  petitesse 
36o8    Au  resgart  de  sa  grant  noblesse. 

Dont  Guillaumes  est  deceiis, 

Quant  il  ne  s'en  est  perceus. 

Car  trop  hautement  commensa, 
36 12    Dont  petitement  s'avansa, 

Pour  bien  sa  cause  soustenir; 

Eins  est  assez  pour  lui  punir. 

Or  vëons  au  fait  proprement 
36 16    Dès  le  premier  commencement, 

Pour  bien  deviser  les  parties, 

Comment  elles  sont  départies, 

A  savoir  la  quele  se  tort  : 

3590  A  poins  ci  me  d.  —  3591  E  desmeursa  —  3592  D  Par 
raisons  desmesurees  a;  BM  ses;  Bl  desmesure  —  35g6  D  lui 
descouurerai  —  36o3  MBDE  si  la  —  3604  E  quauise  —  36o5  M 
lenclinast  —  36o6  A  de  li;  D  mesmat  —  3607  E  et  courtoisie  p. 
—  36 12  M  sauisa  —  3614  A  li  —  36i5  D  ou  —  3619  D  a  tort. 


2Ô2  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

3620    Je  di  que  Guillaumes  a  tort; 

Car  de  tous  les  crueus  meschiez 

La  mort  en  est  li  propres  chiez  ; 

A  dire  est  que  tous  meschiez  passe, 
3624    Et  pour  ce  que  nuls  n'en  respasse  ; 

Car  on  se  puet  trop  mieus  passer 

De  ce  dont  on  puet  respasser. 

Plus  ne  vueil  de  ce  fait  espondre, 
3628    Car  j'ay  assez,  pour  lui  confondre, 

D'autres  choses  trop  plus  greveinnes, 

Simples,  foies,  vuides  et  veinnes. 

<(  Sires  juges,  or  m'entendez  : 
3632    Pour  la  fin  a  quoy  vous  tendez, 

De  rendre  loial  jugement, 

Je  vueil  un  po  viser,  comment 

On  a  alligué  de  ce  plait. 
3636    Et  vous  meïsmes,  s'il  vous  plait. 

Un  petit  y  resgarderez, 

Si  que  mieus  vous  en  garderez 

De  jugier  autrement  qu'a  point. 
3640    Car  vous  congnoisterez  le  point 

De  quoy  justice  est  a  point  pointe, 

Quant  juges  sus  bon  droit  s'apointe. 

Je  vueil  que  vous  soiez  certeins 
3644    Que  Guillaumes  doit  estre  attains 

De  son  plait  en  celle  partie 

Ou  sa  cause  est  mal  plaidoïe, 

Non  obstant  ce  qu'en  tous  endrois 
3648    Par  tout  est  contre  lui  li  drois; 

3621  M  le  —  3623  est  manque  dans  MBD —  3624  .£)  râpasse 
—  3625-6  manquent  dans  E  —  3625  D  on  ne  p.  —  362b  FD 
rapasser  —  3627  B  nen  —  3629  F  greueingnes  —  3635  D  On 
a  la  ligne;  E  Ou  a  aligne;  FMB  allègue  —  3636  M  si  —  3641 
M  et  a  point  —  3642  E  sus  bon  point  ;  D  sur  lcndroit  —  3645 
E  ceste  —    3646  FM  plaidie   —   3648  De.  lui  roys. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  200 

Dont  ma  dame  a  tout  sormonté, 

Tant  dou  plait  com  de  la  bonté 

De  sa  querelle  qui  est  toute 
3652    Mise  en  clarté  et  hors  de  doute. 

Ma  dame,  par  ses  damoiselles, 

A  alligué  raisons  très  bêles 

Et  toutes  choses  véritables, 
3656    Fermes,  seùres  et  estables, 

Toutes  traites  de  l'escripture 

Et  ramenées  a  droiture. 

Mais  qui  toutvorroit  deviser, 
366o    Trop  y  averoit  a  viser. 

Et  d'autre  part,  chose  est  certeinne, 

Que  la  court  en  est  assez  pleinne 

De  tout  ce  qu'on  a  volu  dire 
3664    De  par  ma  dame,  sans  mesdire  ; 

Si  que  de  ma  dame  me  tais. 

Et  de  Guillaume,  qui  entais 

A  esté  d'alliguer  s'entente, 
3668    Parleray  —  car  il  me  talente  — , 

De  son  plaidié  seulement, 

Et  se  m'en  passeray  briefment, 

Foy  que  devez  tous  vos  amis. 
3672    Vëons  qu'il  a  en  terme  mis  : 

Dou  clerc  qui  hors  dou  scens  devint, 

A  il  prouvé  dont  ce  li  vint, 

Que  ce  li  venist  de  sa  dame? 
3676    Sires  juges,  foy  que  doy  m'ame, 

Il  n'en  a  nulle  riens  prouvé; 

Se  li  doit  estre  reprouvé. 

Et  dou  chevalier  qui  par  ire, 

3652  D  M.  au  cler  —  3654  D  A  aligne;  M  alligner  —  366o 
D  auroit  a  auiser  —  3662  en  manque  dans  D  —  3663  E  quen  — 
3667  D  Este  a  dalignier  ;  E  sentence  —  3668  D  Par  le  roy  —  367 1 
Tatous  les  vos  amis  —  3672  MBD  termes  —  3677  E  nulles  — 
3678  M  Ce  ;  D  Celui  d. 


264  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE 

368o    Pour  ce  qu'il  ne  se  volt  desdire, 

Copa  son  doy  a  tout  l'anel, 

Il  fist  en  s'onneur  un  crenel 

De  honte  pleinne  de  sotie 
3684    Avec  très  grant  forcenerie, 

Quant  a  sa  dame  l'envoia. 

Car  bien  croy  qu'il  li  enuia  ; 

Au  mains  li  dut  il  ennuier 
3688    D'un  si  fait  présent  envoier. 

Car  quant  dame  son  ami  aimme, 

Dou  droit  d'Amours  pour  sien  le  claimme 

Et  puet  clamer,  ce  m'est  avis. 
3692    Or  resgardons  sus  ce  devis, 

Comment  li  chevaliers  meffist  : 

Ce  qu'elle  amoit,  il  le  deffist, 

Quiestoit  sien  dou  droit  d'Amour. 
3696    Dont  je  fais  ci  une  clamour 

Contre  Guillaume  de  ce  fait, 

Que  avis  m'est  qu'il  n'a  riens  fait, 

Car  cils  poins  qu'il  a  mis  en  prueve 
3joo    Sa  cause  punist  et  reprueve. 

Et  aussi  de  la  Chastelainne 

De  Vergi,  a  petite  peinne 

Assez  reprouver  le  porray 
3704    Par  les  raisons  que  je  diray  : 

Li  fais  que  Guillaumes  soustient, 

Sire,  vous  savez  qu'il  contient 

Qu'amans,  garnis  de  loiauté, 
3708    Truist  en  sa  dame  fausseté. 

Et  sus  ceste  devision 

3682  BEï.  ensouuenir   .1.  cruel;  D  f.  souuenir   en  son  treul 

—  3683  MD  et  de  s.  —  3686  DE  qui  lui  —  3687  FMBDE  deust 

—  36gi  M  puest;  E  peust  —  3694  M  elle  deffit;  E  la  d.;  D 
meffit  —  3698  MBDE  Car  —  3702  D  poine  — 3703  M  A  assez  ; 
A  li  —  3704  DPour  —  3707  D  Quamours  —  3708  E  Prinst  — 
0709  FBDE  diuision. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE      265 

Il  fait  une  allégation, 

Pour  prouver  par  un  fait  contraire  : 
3712    La  Ghasteleinne  débonnaire 

N'avoit  son  ami  riens  meffait; 

Mais  il  meïsmes  fist  le  fait, 

Pour  quoy  elle  se  mist  a  mort. 
3ji6    Quant  il  le  sceut,  il  se  remort 

Et  se  mist  en  la  congnoissance 

Qu'il  y  apartenoit  vengence  ; 

Dont  il  meïsmes  se  juga, 
3720    Punist  dou  tout  et  corriga. 

Dont  Guillaumes  a  par  son  dit 

Pour  son  profit  meins  que  nient  dit. 

Plus  n'en  di  ;  mais  Raisons  dira 
3724    Ci  après  ce  qu'il  li  plaira.  » 

L'Acteur. 

A  ces  mos  s'est  Raisons  drecie, 
Comme  sage  et  bien  adrecie, 

Raison. 

Disant  :  «  Râlons  en  consistoire. 
3728    La  porrons  par  parole  voire/ 

Ce  m'est  vis,  bon  jugement  rendre, 

S'il  est  qui  bien  le  sache  entendre.  » 

Atant  de  la  se  départirent. 
3732    Es  propres  lieus  se  rasseïrent 

Ou  il  avoient  devant  sis. 

Lors  dist  Raisons  par  mos  rassis: 

«  Sires  juges,  certeinnement 
3736    Chose  n'a  sous  le  firmament 

3710  D  Li  fist  —  371 1  un  manque  dans  D  —  3716  M  Qu.  il  se  il 
sceust;  D  sot  —  3718  FB  Qui  ly  ;  E  Qui  lui  ;  D  Quil  lui  —  3723  £ 
di  mains  r.  —  3724  B  qui  li  ;  DE  qui  lui.  Après  ce  vers  on  lit  dans 
D  Raison  —  3725  D  drecee  — 3726  D  auisee  — 3729  E  auis —  3730 
E  quil  le  s.  —  3732  D  Et  es...  rassirent  —  3735  ABDE  Sire. 


266  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Qui  ne  tende  a  conclusion  : 

Les  unes  a  perfection 

Pour  pluseurs  cas  de  leur  droit  tendent  ; 
3740    Et  si  a  autres  qui  descendent 

De  haut  ou  elles  ont  esté 

En  déclinant  d'un  temps  d'esté 

En  l'iver  qu'on  dit  anientir. 
3744    Dont  cils  plais  désire  a  sentir 

De  droit  conclusion  hastive 

Par  sentence  diffinitive, 

Pour  ce  qui  est  bien  pris  parfaire 
3748    Et  ce  qui  est  mal  pris  deffaire. 

Et  il  est  temps,  vous  le  savez, 

Que  désormais  dire  en  devez, 

Ou  ordener  qu'on  en  dira.  » 

Le  Juge. 

3752    «  Raison,  dame,  ne  m'avenra 

Que  j'en  die,  quant  ad  présent. 

Mais  je  reçoy  bien  le  présent 

D'ordener.  Et  de  m'ordenance, 
3736    Mais  qu'il  soit  a  vostre  plaisance, 

Dites  en  et  tant  en  faciez 

Que  le  tort  dou  tout  effaciez, 

Et  metez  le  droit  en  couleur 
3760    De  toute  honnourable  honneur, 

Qui  savez  en  tels  couleurs  teindre 

Ou  nuls,  fors  vous,  ne  puet  ateindre.  » 

Guillaume. 
Lors  Raisons  un  po  s'arresta 

3742  Ma.  le  temps—  3743  £  amentir;  D  anientis  —  3744 
E  Du  —  3745  M  droite  —  3747  D  bien  pour  faire  —  3748  D 
quil  —  3749  A  bien  le  s.  —  3750  Que  effacé  par  B'  ;  BF 
desores  mais;  E  De  desores  maiz  —  3753  j  manque  dans  E  — 
3754  BD  je  croy;  E  je  crois  —  3757  BDE  en  de  tant  —  3761 
MBDE  tel   couleur. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE     267 

3764    Et  puis  sus  destre  s'acota, 

En  regardant  devers  senestre, 
Pour  mieus  aviser  de  mon  estre. 

Raison. 

Se  me  dist  :  «  Guillaume,  biau  sire, 
3768    Vous  avez  piessa  oy  dire 

Que  c'est  folie  d'entreprendre 

Plus  que  pooirs  ne  puet  estendre. 

Et  toute  voie,  s'on  emprent 
3772    Aucun  fait  de  quoy  on  mesprent, 

S'on  s'en  repent  au  moien  point, 

Encor  y  vient  il  bien  a  point. 

Mais  qui  son  forfait  continue 
3776    Et  dou  parfaire  s'esvertue 

Jusqu'à  tant  qu'il  vient  au  derrièn, 

Et  a  ce  point  ne  trueve  rien 

Fors  que  son  dueil  et  son  damage, 
3780    Se  lors  recongnoist  son  outrage, 

Il  vient  trop  tart  au  repentir. 

Guillaume,  sachiez  sans  mentir, 

Qu'ensement  avez  vous  ouvré. 
3784    S'en  avez  un  dueil  recouvré 

Qui  vous  venra  procheinnement, 

Et  se  vous  durra  longuement, 

Voire,  se  ne  vous  repentez. 
3788    Mais  je  croy  que  vous  estes  telz 

Que  vous  ne  le  deingneriez  faire. 

Car  trop  fustes  de  rude  affaire, 

Quant  la  dame  vous  aprocha 
3792    D'un  fait  qu'elle  vous  reprocha 

3764  BDE  sur  coste  sacosta  (D  saconta)  ;  F  saconta  —  3767 
^iFbiaus  —  3774  D  Encore  ;  MD  il  vient;  B' ,  v.  on  b.  —  3776 
D  du  parfait;  A  continue  —  3777  E  Jusques;  M  viengne;  A  dar- 
rain  ;  DE  derrain  —  3780  D  courage  —  3786  F  duerra  —  3787 
DE  se  vous  vous  r.  —  3789  ne  manque  dans  D  —  3792  D  Du. 


268      LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Que  fait  aviez  ou  temps  passé. 

Se  vous  eussiez  compassé 

En  vous  aucune  congnoissance 
3796    Qui  fust  signes  de  repentence 

De  ce  que  vous  aviez  mespris 

Contre  les  dames  de  haut  pris, 

Vous  eussiez  fait  moult  que  sages. 
38oo    Car  d'Amours  est  tels  li  usages 

Que  s'aucuns  des  dames  mesdit, 

S'il  ne  s'en  refreint  et  desdit, 

Amender  le  doit  hautement 
3804    Ou  comparer  moult  chierement. 

Or  de  ce  meffait  premerein 

Vous  di  de  par  le  souverain 

Amours,  qui  est  maistres  et  sires, 
38o8    Des  plaies  amoureuses  mires: 

Jugemens  en  est  ordenez 

Dou  quel  vous  estez  condempnez, 

Si  qu'amender  le  vous  couvient: 
38 12    Hastivement  li  termes  vient. 

Encor  vous  puis  je  commander 

Si  qu'il  vous  couvient  amender 

Un  autre  fait  qui  me  desplait, 
38 16    De  ce  que  vous  prenistes  plait 

Contre  dame  de  tel  vaillance 

Et  de  si  très  noble  puissance, 

Que  je  ne  say  haute  personne, 
3820   Tant  com  li  siècles  environne, 

Prince  ne  duc,  conte  ne  roy, 

Qui  osast  faire  tel  desroy, 

3794  F  eussez;  D  eussiez  bien  c.  —  3795  F  nous  —  -$799 
manque  dans  B,  ajouté  par  B'  ;  D  f.  bien  que  —  38oo  D  est 
tout  li  vs.  —  38o2  MBE  Si  —  38o6  D  Vous  di  je  par  —  3807 
D  Amant —  38o8  F  amoureus  —  38io  M  Enquel  — 38i3  D 
demander  —  3814  Af  Ce  ;  -BE  Se —  38 1 6  D  prenes  le  pi.;  F 
prenitez;  E  preintes. 


LE   JUGEMENT   DOU    ROY    DE   NAVARRE  2bg 

Guillaume,  comme  vous  feïstes 
3824   Dou  plait  qu'a  li  entrepreïstes, 

Et  meïstes  force  et  vigueur 

En  aler  avant  par  rigueur. 

Einsi  l'avez  continué  ; 
3828    S'avez  vostre  sens  desnué 

De  courtoisie  et  d'ordenance. 

Se  ce  ne  fust  la  pacience 

Qui  est  en  li,  vous  perdissiez 
3832    Tant  qu'a  meschief  le  portissiez.  » 

Guillaume. 

Quant  j'oy  ce,  je  fui  dolens; 
Mais  je  ne  fui  feintis  ne  lens 
De  li  demander  humblement 
3836    Qu'elle  me  devisast  briefment 
De  la  dame  la  vérité 
D'un  petit  de  sa  poësté. 

Raison. 

Lors  dist  :  «  Guillaume,  volenticrs. 
3840    Mais  je  n'en  diray  hui  le  tiers, 

Non  mie,  par  Dieu,  le  centisme. 

Car  dès  le  ciel  jusques  en  bisme 

Ses  puissances  par  tout  s'espandent, 
3844    Et  de  ses  puissances  descendent 

Circonstances  trop  mervilleuses, 

Et  sont  a  dire  périlleuses, 

Qui  s'apruevent  par  leur  contraire. 
3848    Par  ces  raisons  s'en  couvient  taire 

3825  E  Et  me  feistes  —  0826  D  En  alant  —  3829  D  dordre- 
nancc  —  383o  E  Et  se  ne  feust  —  3832  F  porrissies  —  3838  D 
pooste;  BE  poète  —  3839  E  G.  moult  v.  —  3841  FMBDE  la  c. 
[B'  rétablit  le);  A  centiesme  —  3842  D  Que  ;  B'  jusquen  abisme  ; 
D  en  abisme  —  3843  D  sestendent  —  3844  B  ces  —  3846  manque 
dans  B,  ajouté  par  B'  —  3847  BD  Qui  sapprennent  —  3848  i?£  ses. 


•1~(J  LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE   NAVARRE 

Pour  les  entendemens  divers 
Qui  sont  aucune  fois  pervers. 
La  dame  a  nom  Bonneiirté 
3852    Qui  tient  en  sa  main  Seûrté 
En  la  partie  de  Fortune  ; 
Car  il  n'est  personne  nesune 
Cui  Fortune  peust  abatre, 
3856    Se  la  dame  le  vuet  debatre. 
Et  quant  elle  vuet  en  Nature 
Ouvrer  par  especial  cure, 
La  la  voit  on  sans  nul  moien, 
386o    Voire,  li  astronomien 

Qui  congnoissent  les  nacions 
Parmi  les  constellations, 
C'est  assavoir  es  enfans  nestre 
3864    De  quel  couvine  il  doivent  estre. 
Dont,  quant  la  chiere  dame  règne 
Et  uns  enfes  naist  en  son  règne, 
Se  Bonneurtez  l'entreprent, 
3868     Nature  point  ne  l'en  reprent, 

Eins  l'en  laist  moult  bien  couvenir, 
Comment  qu'il  en  doie  avenir. 
Voirs  est  que  Nature  norrit 
3872     Par  quoy  li  enfes  vit  et  rit  ; 
Et  Bonneurtez  le  demeinne 
Tout  parmi  l'eureus  demainne, 
Tant  qu'il  est  temps  qu'en  lui  appere 
38j6    Que  de  Bonneiirté  se  père. 

«  Or  sont  celle  gent  si  patent, 
Dont  elle  est  en  euls  apparent 

385o  DE  aucunes  —  3854  F  y  ncst  —  3855  B'  Que;  E  peut 
—  3859  F  nu's  —  386 1  D  mocions  —  3868  E  le  —  3869  moult 
manque  dans  E  —  3870  manque  dans  BD:  E  Et  faire  du  tout 
son  plaisir  —  3873  manque  dans  B,  ajouté  par  B'  —  3874  E  le 
meus  {sic) —    3875  MBE   qua  ;   D   apparc —  3876  D  pare. 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY    DE    NAVARRE  27  I 

Parmi  le  bien  qu'il  en  reçoivent, 
388o    Arin  que  ne  lui  n'en  déçoivent. 

Or  vous  vueil  je  dire  en  appert 

En  quels  manières  elle  appert, 

En  aucunes,  nom  pas  en  toutes  ; 
3884    Et  si  ne  faites  nulles  doubtes 

Des  paroles  que  j'en  diray; 

Car  de  riens  ne  vous  mentiray. 

Elle  appert  en  prospérité 
3888    Et  en  issir  de  povreté; 

Elle  appert  en  acquerre  amis 

Et  en  punir  ses  anemis 

Par  victoire,  sans  nul  tort  faire  ; 
3892    Elle  appert  en  tout  bon  affaire  : 

Et  quant  elle  appert  en  amours, 

C'est  quant  amans,  par  reclamours, 

Par  servir  ou  par  ses  prières 
3896    Et  en  toutes  bonnes  manières, 

Puet  en  pais  de  dame  joïr 

Dou  droit  especial  joïr 

Qu'amours  donne  de  sa  franchise. 
3goo    La  est  Bonneiirtez  assise 

Entre  ami  et  loial  amie 

Qui  ne  vuelent  que  courtoisie 

Et  ont  par  certeinne  affiance 
3904    Li  uns  a  l'autre  grant  fiance. 

La  les  tient  elle  en  moult  grant  point. 

Elle  est  a  tous  biens  mettre  a  point; 

S'en  est  moult  plus  gaie  et  plus  cointe  ; 
3908    Elle  est  de  tous  les  bons  acointe. 

Elle  appert  en  mains  esbanois, 

3878  D  Quant  ;  E  celle  —  388o  E  deceuoient  —  3882  BM 
quel  manière  ;  E  Comment  elle  euure  de  son  art  —  3884 
FME  Et  ce;  BD  De  ce  —  3887  et  388g  Mss.  Il  —  38gi  BF 
nulz  tort  ;  A  sans  accort  f.  —  3897  DE  ou  pais  ;  A  dames  — 
3<jo4  D  Lun  a   1.  tresgrant  f.  —  3908  A  les  biens. 


■Zf-l 


LE   JUGEMENT    DOU    ROY   DE   NAVARRE 


Tant  en  joustes  comme  en  tournois, 

Pour  chevalerie  essaucier 
3g  12    Et  les  fais  des  bons  avancier 

A  la  congnoissance  des  dames. 

La  croist  honneurs  ;  la  chiet  diffames. 

Car  tels  a  esté  diffamez 
3916    Qui  puis  est  chieris  et  amez 

De  ceuls  qui  ains  le  diffamoient, 

Pour  ce  qu'apertement  vëoient 

Qu'il  met  son  corps  en  aventure  ; 
3920    Dont  tels  fois  est  qu'il  aventure 

Dou  fait  d'armes  qu'il  a  empris, 

Tant  qu'il  vient  au  souverein  pris. 

Einsi  Bonneûrtez  avance 
3924    Les  siens  de  sa  haute  puissance. 

«  Se  Bonneiirtez  par  nature, 

Par  fortune  ou  selonc  droiture, 

Appert  en  la  chevalerie, 
3928    Elle  appert  aussi  en  clergie  : 

La  tient  elle  honneur  en  ses  mains. 

A  l'un  plus  et  a  l'autre  meins 

En  fait  ses  larges  départies  ; 
3932    S'en  donne  les  plus  grans  parties 

A  ceuls  qui  tiennent  mieus  l'adresse 

Ou  Bonneûrtez  les  adresse. 

Aussi  appert  elle  en  science, 
3936    Et  se  s'enclôt  en  conscience, 

Pour  garder  ceuls  aucune  fois 

En  cui  est  pais  et  bonne  fois, 

390g  ajouté  par  B'  dans  B  — 3910^/com  —  ^914  A  cr.  hon- 
neur; D  la  het  d  —  Sgiô^/Qui  plus—  3917  E  la  —  3918  BDE 
Pour  ce  (ce  manque  dans  BD)  que  congnoissaument  v.  (E  voient) 
—  3925  BD  Le;E  Debonneuretes  —  3g32  E  donnes  —  3934  FE 
En  —  3g35  B  Enssi  ;  E  Ainssi  —  3g37  EB  aucunes  —  3g38 
E  bonnes  foiz. 


LE   JUGEMENT   DOU   ROY    DE   NAVARRE  27D 

Qui  n'ont  pas  par  voie  autcntique 
3940    Mis  leur  scens  en  fourme  publique, 

Eins  sont  sage  secrètement. 

La  se  tient  elle  closement  ; 

La  li  tiennent  grant  compaingnic 
3944    Loiaus  secrez  et  bonne  vie. 

La  se  vuet  elle  reposer 

Et  les  cuers  a  point  disposer 

En  la  vie  contemplative. 
3948    Or  revient  par  la  voie  active 

Pour  esmouvoir  ceuls  de  parler 

Qui  tiennent  volentiers  parler 

Des  biens  de  contemplation  ; 
3q52    Dont  maint,  par  bonne  entention, 

S'enclinent  si  a  sa  doctrine 

Que  chascuns  par  soy  se  doctrine 

D'estre  diligens  et  hastis 
3956    De  devenir  contemplatis. 

Que  vous  iroie  je  contant? 

Bonneiirtez  a  de  bien  tant 

Que  jamais  n'aroie  compté 
3960    Le  centisme  de  sa  bonté. 

Dont  au  monde  n'a  grant  signeur 

Ne  dame,  tant  aient  d'onneur, 

Qu'il  ne  leur  fust  et  bel  et  gent, 
3964    S'estre  pooient  de  sa  gent. 

Atant  m'en  tais;  je  n'en  di  plus, 

Mais  que  venir  vueil  au  seurplus 

3r)3g  BDE  antiquité  ;  B'  corr.  en  autcntique  —  3940  BE 
leurs  —  3g43  li  manque  dans  E  —  3g44  B  a  bonne  vie  :  E 
cest  b.  vie  —  394.S  F  voult  —  0946  a  manque  dans  D  —  3948 
A  la  vie  a.  —  3g53  B  Enclincnt;  E  Enclinoient;  M  ci  —  3g58 
Mss.  En  bon.  [B  En  ben.)  ;  AM  biens  —  3g6o  D  La;  BE 
centiesme  —  3962  D  dames;  B'  aie  —  3963  AFBD  Qui  — 
3964-5  sont  intervertis  dans  D  —  3965  D  di  meut  —  3g66 
D  Mais  au  seurplus  venir  je  tent.J 

Tome  I.  1* 


274  LE   JUGEMENT   DOU    ROY   DE   NAVARRE 

Des  deus  poins  dont  condempnez  estes; 
3968    Et  s'ay  mes  raisons  toutes  prestes 
Dou  tiers  point  que  je  vous  diray, 
Dou  quel  je  vous  condempneray. 

«  Il  est  bien  véritable  chose 
3972    Que,  s'aucuns  a  un  plait  s'oppose, 

S'il  se  trait  a  production 

Et  il  vient  a  probation, 

Se  s'entention  bien  ne  prueve, 
3976    Vérité  de  droit  li  reprueve 

Qu'il  en  doit  estre  condempnez. 

Cils  drois  est  de  si  lonc  temps  nez, 

Qu'il  n'est  mémoire  dou  contraire. 
3980    Or  vëons  a  quoy  je  vucil  traire, 

Et  s'entendez  bien  a  mon  dit  : 

De  quanque  la  dame  vous  dit 

De  son  fait,  vous  vous  opposastes 
3984    Et  dou  prouver  vous  avansastes. 

Mais  vous  avez  si  mal  prouvé 

Qu'il  vous  doit  estre  reprouvé 

A  vostre  condempnation, 
3988    Selonc  la  mienne  entention. 

Vous  n'avez  ci  dit  que  paroles 

Qui  sont  aussi  comme  frivoles. 

Belles  sont  a  conter  en  chambre, 
3992    Mais  elles  ne  contiennent  membre 

Dont  pourris  vous  peiist  venir 

Pour  vostre  prueve  soustenir. 

Et  si  avons  si  bien  gardé 
3996    Com  nous  poons,  et  regardé, 

Pour  quérir  loyal  jugement. 

3968  D  jai  —  3973  E  producion  —  3975  DE  Et  —  3976 
MBDE  le  —  3980  M  veoions  —  3984  A  dou  premier;  D  annun- 
castes  —  3988  D  moie  —  3992  D  nombre  —  3993  D  p.  en  peust 
—  3996  D  Que. 


LE  JUGEMENT   DOU   ROY    DE   NAVARRE  2"jb 

S'il  vous  plaist  a  savoir  comment, 
On  vous  en  dira  les  parties, 
4000    Comment  elles  sont  départies, 

Et  de  vostre  erreur  tous  les  poins. 
Et  se  vous  veëz  qu'il  soit  poins 
Qu'on  vous  die  vostre  sentence, 

4004  Se  nous  dites  que  vos  cuers  pense; 
Qu'il  vous  en  plaist,  on  le  fera 

Si  a  point  que  bien  souffira.  » 

Guillaume. 

«  Dame,  bien  vous  ay  entendu, 
4008    Et  s'ay  bonne  pièce  attendu 

Que  je  fusse  sentenciez. 

Se  vous  pri  que  vous  en  soiez 

Diligens  de  moy  délivrer, 
4012    Quant  a  ma  sentence  livrer. 

Dès  que  mes  fais  est  si  estrois 

Que  je  doy  des  amendes  trois 

Et  qu'autrement  ne  puet  aler, 
4016    Je  n'en  quier  plus  faire  parler.  » 

Raison. 

«  Guillaume,  soiez  tous  certeins 

Que  de  droit  y  estes  ateins  ; 

Se  n'en  serons  point  negligens. 
4020    Or  soiez  aussi  diligens, 

Et  puis  maintenant  vous  levez 

Pour  faire  ce  que  vous  devez 

Vers  celui  qui  pour  juge  siet. 
4024    S'en  fera  ce  que  bon  l'en  siet. 

3998  BE  assauoir  —  3999  en  manque  dans  E  —  4001  D  tous  le 
point  —  4002  D  Et  se  vees  tous   les  poins  —  4oo3   E  Quen  — 

4005  D  Qui.,  on  lessera  —  401 1  F  Deligens  —  4015  M  nen  — 
4016  D  pas  f.  —  4018  D  en  estes  —  4019  M  Sen  nen  — 4020 
F  deligens  —  4024  D  bon  lui  siet. 


27O     LE  JUGEMENT  DOU  ROT  DE  NAVARRE 

Dès  or  mais  a  lui  appartient, 

Car  tout  le  droit  en  sa  main  tient.  » 

Guillaume. 

A  ce  mot  au  juge  en  alay 
4028    Et  d'un  genouil  m'agenouillay. 

La  li  presentay  je  mon  corps 

Par  si  couvenable  recors, 

Comme  je  peus  et  li  sceus  dire; 
4032    Dont  il  prist  un  petit  a  rire. 

Lors  pris  mes  gans,  si  li  tendi; 

Dont  il  qui  bien  y  entendi 

Les  prist,  et  puis  si  les  laissa  ; 
4o36    Après  un  po  se  rabaissa, 

Si  que  secondement  les  prist, 

Puis  les  laissa,  puis  les  reprist, 

En  signe  de  moy  moustrer  voie 
4040    Que  trois  amendes  li  dévoie. 

Moult  bien  le  me  signefia, 

Et  pour  vérité  m'affia 

Qu'il  les  me  couvenroit  paier. 
4044    Lors  me  dist  il,  sans  delaier, 

Que  je  me  râlasse  sëoirT 

Car  il  se  voloit  pourvëoir 

Quel  pénitence  il  me  donroit, 
4048    Et  que  brief  m'en  delivreroit. 

Lors  près  de  la  dame  se  trait, 
Et  Raison  aussi,  tout  a  trait, 
A  leur  secret  conseil  se  mist 
4052    Et  de  bas  parler  s'entremist. 

4028  D  du  —  4029  D  A  lui  ;  E  présente  —  4o3o  FME  couuena- 
blés  —  4o3i  F  Com...  et  le  sceu  d.  ;  D  et  sceu  dire  —  4o33  E 
si  les  tendi  —  4o36  E  rebaissa  —  4043  FMD  Qui  ;  M  conuenra  ; 
E  conuenoit  —  4044  E  dcloicr  —  4048  D  que  bien  men;  M 
deliueroit  ;  BE  deliuerroit  -*-  4o5o  Dt.  adroit. 


LE  JUGEMENT   DQU    ROY   DE  NAVARRE  277 

Mais  a  leur  parler  bassement 

Pris  un  petit  d'aligement, 
1  Pour  ce  que  je  bien  percevoie 
4<d56    Que  leurs  consaus  estoit  de  joie; 

Car  d'eures  en  autres  rioient. 

Et  a  ce  droit  point  qu'il  estoient 

Au  plus  estroit  de  leur  conseil, 
4060    Avis  me  dist  :  «  Je  vous  conseil 

Que  ceste  dame  resgardez 

Et  songneusement  entendez 

Aus  drois  poins  de  sa  qualité. 
4064    La  verrez  vous  grant  quantité 

De  sa  grâce  et  de  son  effort. 

S'en  avérez  le  cuer  plus  fort 

Pour  endurer  et  pour  souffrir 
4068    Ce  que  drois  vous  vorra  offrir.  » 

Lors  li  dis  je  :  «  Biaus  dous  amis, 

Mais  vous  m'en  faites  le  devis 

Qui  congnoissez  de  moult  de  choses 

4072  Les  apparans  et  les  encloses  ; 
Souvent  en  estes  a  l'essay, 
C'est  une  chose  que  bien  say.  » 
Adont  dist  Avis  :  «  Ce  vaut  fait. 

4076    Or  entendez  bien  tout  a  fait  : 

Quant  aus  parties  deviser, 

Se  bien  vous  volez  aviser, 

Elle  a  vestu  une  chemise 
4080    Qui  est  appellée  Franchise 

Pour  secrés  amans  afranchir 

Et  de  Sobreté  enrichir 

En  la  partie  de  Silence 

4057  D  deuers  lun  lautre;  E  demes  en  autres  — 4062  F  soi- 
gneusement —  4067-8  sont  intervertis  dansE—^o68D  quadroit  — 

4073  FM  lassay  —  4074  D  chose  bien  le  say  —  4076  E  tout  le 
fait  (sur  rature)  —  4078  D  vous  en  voules  —  4079  a  manque  dans 
FB,  ajouté  par  B'\  A   ot  —  4082  D  afranchir. 


2~b  LE  JUGEMENT   DOU   ROY    DE   NAVARRE 

4084    Parmi  Façon  de  Congnoissance. 

Car  pour  tant  qu'elle  n'est  veue, 

Sa  cause  doit  estre  teiie. 

Et  sa  pelice,  c'est  Simplesse 
4088    Si  souef  que  point  ne  la  blesse, 

Car  elle  est  de  Beniveillance, 

Orfroisie  de  Souffissance, 

A  pelles  de  douce  Plaisance 
4092    Qui  bons  cuers  en  tous  biens  avance. 

Et  li  changes  qu'elle  a  vestu 

Par  très  honnourable  vertu 

Fu  fais  de  loial  Acointance 
4096    Et  ridez  de  Continuance 

A  pointes  de  Persévérance 

Egalment,  sans  desordenance. 

Or  est  cils  changes  biaus  et  lez 
4100    Et  est  de  son  droit  appeliez 

Pour  certeinne  condicion 

Honneste  Conversation. 

Et  la  sainture  qu'elle  a  sainte 
4104    N'est  pas  en  amours  chose  fainte, 

C'est  propre  loial  Couvenance, 

Cloée  de  ferme  Fiance. 

Car  qui  couvenances  affie, 
4108    Neccessitez  est  qu'on  s'i  fie. 

Et  li  mordans,  pour  ce  qu'il  poise, 

Sert  d'abaissier  tençon  et  noise, 

Si  que  jusqu'à  ses  piez  li  bat. 

4086  BDE  tenue  —  4087  Fceste;  D  est  — 4088  la  manque 
dans  M  —  4089  A  bniueillance  (sic)  ;  F  beniuellance  ;  ME  bie- 
nueillance;  BD  bienuaillance  —  4090  A/Orfroisiez;  D  Orfresie  — 
4091  FMBDE  Appelles;  A  Appelle;  B'  Aperles  ;  D  de  souef  p. 
—  4092  D  bon  cuer;  D  bien  —  4093  BE  chainses;  D  les  chaus- 
ses., vestues  —  4096  D  continence —  4099  BDE  chainses;  Bl 
chainse  ;  M  si  chainges  —  4108  qu  manque  dans  FBE  —  41 10  F 
Ser;  Z)Sest;  FM  tensons  —  41 1 1  A/qucs;  FME  jusquesa;  FB  ces. 


LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE     279 

41 12    Et  si  piet  deffont  maint  débat 

Entre  amie  et  loial  ami, 

Quant  aucuns  amans  dit  :  «  Aimy  ! 

De  ma  dame  sui  refusez; 
41 16    Mais  mes  drois  n'est  pas  abusez, 

Car  je  croy  bien  qu'elle  le  fit 

A  s'onneur  et  a  mon  profit.  » 

Einsi  si  piet  la  gent  demainne, 
4120    Cui  elle  tient  en  son  demainne  ; 

Car  il  sont  chaucié  d'Aligence, 

Lacié  a  laz  de  Diligence. 

Et  s'a  mis  blans  gans  en  ses  mains, 
4124    Li  quel  sont  fait  ne  plus  ne  mains 

Entre  Charité  et  Largesse, 

Dont  elle  départ  la  richesse 

D'Amours  qu'on  ne  puet  espuisier 
4128    Ne  par  nul  jour  apetisier. 

Plus  en  prent  on,  plus  en  demeure 

De  jour  en  jour  et  d'heure  en  heure. 

Dou  mantel  vous  vueil  aviser 
4132    Comme  il  est  biaus  a  deviser, 

Et  mieudres  que  biaus  qui  s'en  cuevre 

Par  dit,  par  maintien  et  par  ouevre. 

Lainne  de  bons  Appensemens 
41 36    Avecques  courtois  Parlemens, 

Scienteuse  Introduction 

Et  amiable  Entention 


4112D    dcffent  —  411 3   D  E.  ami   — 41  iG    D  nest  mie    — 
41 17  le  manque  dans  F  —  4118  D  A  souuenir  de  mon    proutit 

—  41 19  D  cil  pie;  BE  silz  piez;   FM  piez  —  4121  A  chauciet 

—  4122  F  deligence  —  4123  FM  sa  uns  bl.,  coi-r.  dans  M  en 
mis  —  4124  DE  moins —  4126  D  sa  r.  —  4127  BDE  esprisier;  Bl 
espuisier  —  4129  A  prent  et  plus  —  4i3i  F  Son  —  4132  M 
Com  ;  D  il  bien  bcauz  est  d.  —  41 33  D  mendre...  qui  en  c  ;  E 
qui  son  c.  —  137  D  Sentente  introductions  —  41 38  D  entéri- 
nons. 


280     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

Furent  ensamble  compilées, 
4140    De  Bonté  proprement  drapées; 

Et  de  ces  choses  asamblant 

Fu  fais  li  dras  de  bon  samblant, 

Tains  en  une  gaie  couleur 
4144    De  très  honnourable  valeur 

Qui  est  appellée  Noblesse, 

Et  est  fourrez  de  Gentillesse. 

Or  est  Bonneurtez  couverte 
4148    Dou  mantel,  et  est  chose  apcrte 

Que  par  dessous  tous  biens  enclôt. 

Mais  véritablement  esclot 

Quanqu"il  a  sous  la  couverture 
41  52    Li  apparans  de  sa  figure, 

Si  comme,  en  sa  fisonomie, 

Li  bien  de  toute  courtoisie 

Très  souffissanment  y  apperent, 
41  56    Dont  ses  damoiselles  se  perent. 

Et  elle  est   aussi  bien  parce 

D'elles,  sans  estre  séparée 

D'elles  et  de  leur  bon  arroy; 
4160    Car  elles  souflissent  pour  roy 

Et  pour  souvereinne  royne. 

Pour  ces  raisons  vous  détermine 

Que  Bonneurtez  dou  tout  passe 
4164    Toutes  roynes  et'  trespasse. 

Se  je  voloie  sa  coronne 

Deviser  qui  est   belle  et  bonne, 

4109  FMBE  compellces  —  4141  AFMBE  ses  ;  D  en  sam- 
blant —  4142  manque  dans  D  —  4143  DE  gente  c;  B  goutee 
c.  —  4144  BE  Et  de  treshon.  :  D  Et  de  hon.  —  4148  et 
manque  dans  D;  M  m.  qui  est  —  4149  E  tous  les  biens  — 
41 5r  D  Quanque  a  dessous;  MBDE  sa  couuerture —  41 53 
BE  phinosomic;  D  en  la  filosomie  —  4167  D  ninssi  —  408 
E  Delez  —  4160  F  toy  —  4162  A  raison  —  41G4  F  royne  — 
416G  F  Deuisier. 


LE   JUGEMENT    I>OU    ROY    DE  NAVARRE  28 1 

Trop  longuement  vous  en  tenroie  ; 
4168    Car  je  voy  bien  la  droite  voie 
Que  leur  consaus  va  a  déclin. 
Atant  pais  de  ce  vous  déclin.  » 

Guillaume. 

Quant  leur  consaus    fu  affinez, 
4172    Li  juges  s'est  vers  moy  tournez, 

Le  Juge. 

En  disant  :  «  Guillaume,    par  m'ame, 

Itant  vous  di  de  par  ma  dame 

Et  de  par  raison  ensement, 
4176    Et  je  sui  en  l'acordement, 

Que  de  trois  amendes  devez 

Devisées,  et  eslevez, 

Lesqueles  vous  devez  sans  faille 
4180    Par  jugement,  comment  qu'il  aille. 

Il  vous  couvient,  chose  est  certeinne, 

Faire  un  lay  pour  la  premereinne 

Amiablement,  sans  tenson; 
4184    Pour  la  seconde  une  chanson 

De  trois  vers  et  a  un  refrein 

—  Oëz,  comment  je  le  refrein  — 

Qui  par  le  refrein  se  commense, 
4188    Si  comme  on  doit  chanter  a  danse; 

Et  pour  la  tierce,  une  balade. 

Or  n'en  faites  pas  le  malade, 

Eins  respondez  haitiement 
4192   Après   nostre  commandement 

4167  Dv.  entendroie  —  4168  E  vois  —  4169  ME  leurs  con- 
saulz  —  4171  -FSE1  leurs  ;  £  asinez  —  4172  s  manque  dans  D  ; 
ME  cest  —  4174  Mx.  di  je;  par  manque  dans  D  —  4*7^  D  Et 
de  par  mamie  raison  —  4176  Z)  en  accordoison  — 41 81  Bch.  et 
c.  — 4185  a  manque  dans  D — 4186  manque  dans  M —  41871e 
manque  dans  D  —  4188  M  DE  en  dance  —  4190  DE  ne  —  419 1 
M  hastiuement. 


28'2     LE  JUGEMENT  DOU  ROY  DE  NAVARRE 

De  tous  poins  vostre  entention  ; 
Je  fais  ci  ma  conclusion.  » 

Guillaume. 

Et  pour  ce  que  trop  fort  mespris, 
4196   Quant  a  dame  de  si  haut  pris 

M'osay  nullement  aastir 

De  plaît  encontre  li  bastir, 

Je,  Guillaumes  dessus  nommez, 
4200    Qui  de  Machau  sui  seurnommez, 

Pour  mieus  congnoistre  mon  meffait, 

Ay  ce  livret  rimé  et  fait. 

S'en  feray  ma  dame  présent, 
4204    Et  mon  service  li  présent, 

Li  priant  que  tout  me  pardoint. 

Et  Dieus  pais  et   honneur  li  doint 

Et  de  paradis  la  grant  joie 
4208    Tele  que  pour  moy  la  voudroie. 

Mais  pour  ce  que  je  ne  vueil  mie 

Que  m'amende  ne  soit  paie, 

Pour  la  paier  vueil  sans  delay 
4212    Gommencier  un  amoureus  lay. 

Explicit  le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre  contre  le 
Jugement  dou  Roy  de  Behaingne. 

4193  M  nostre  —  4197  B  Mose;  E  Nose;  F  aestir  —  4198  M 
contre  —  4200  DE  Machaut  —  4202  D  liure;  M  rimeyt  —  4203 
D  Sen  fais  a  ma  dame  pr.  —  4208  D  T.  com  —  4210  D  Que 
marne  ;  F  paiee  —  42 1 1  F  le. 

Explicit  :  D  Ci  fenist;  E  Cy  fine  ;  A  leroy  de  n.  ;  M  encon- 
tre; FBE  du  [B  dou)  bon  roy  de  b.  ;  M  au  bon  roy  de  b. 


— «+»tH-' 


LE  LAY  DE  PLOUR 


i 


12 


16 


Qui  bien  aimme  a  tart  oublie, 
Et  cuers  qui  oublie  a  tart 
Ressamble  le  feu  qui  art 
Qui  de  legier  n'esteint  mie. 
Aussi  qui  a  maladie 
Qui  plaist,  envis  se  départ. 
En  ce  point,  se  Dieus  me  gart, 
Me  tient  Amours  et  maistrie. 
Car  Plaisence  si  me  lie 
Que  jamais  l'amoureus  dart 
N'iert  hors  trait,  a  tiers  n'a  quart, 
De  mon  cuer,  quoy  que  nuls  die. 
Car  tant  m'a  fait  compaingnie, 
Que  c'est  niant  dou  départ, 
Ne  que  jamais,  par  nul  art, 
Soit  sa  pointure  garie. 


Les  vers  1-71  manquent  dans  K  avec  le  feuillet  —  2  B  cuer; 
Mss.  en  oublie  —  5  C  Ainsi  —  6  E  sen  —  11  MCJ  na  tiers; 
E  na  tier  —  1 3  E  de  comp.  —  14  E  Que  ce  nest  nient  du  d.  ;  J 
Qui  néant  mains  du  d.  —  16  .7 la. 


284  LE    LAV    DE    PLOTJR 


II 


Qu'envis  puet  on  déraciner 
Un  grant  arbre,  sansdemourer 
De  la  racine, 
20        Qu'on  voit  puis  flourir  et  porter 
Et  ses  branches  croistre  et  geter, 

En  brief  termine. 
Certes,  einsi  est  il  d'amer  : 
24        Car  quant  uns  cucrs  se  vuet  enter 
En  amour  fine, 
-     Envis  puet  s'amour  oublier, 
Einsois  adès,  par  ramembrer, 
28  A  li  s'encline. 


III 


Car  l'iaue  qui  chiet  desseure 

La  racine  qui  demeure 

Fait  renverdir  et  florir 
3  2  Et  porter  fruit  : 

Tout  einsi  mes  cuers  qui  pleure 

Parfondement  a  toute  heure 

Acroistre  mon  souvenir 
36  Fait  jour  et  nuit. 

Et  c'est  ce  qui  me  deveure  ; 

C'est  ce  qui  mon  vis  espleure  ; 

C'est  ce  pour  quoy  je  soupir; 
40  A  ce  me  duit 

Vraie  Amour  qui  me  court  seure 


20  C  Quon  port  —  23  E  aussi  —  27  J  sanz  remembrer  —  3i 
BEJ  reuerdir  —   41  J  Vo  vraie  a.  ;   CEJ  queurt. 


LE   LAY    DE   PLOUR  2<S5 


Et  Bonté  qui  l'assaveure  : 
Qu'en  moy  ne  puissent  venir, 
44  Ce  me  destruit. 


IV 


Raisons  et  Droiture, 
Plaisence  et  Nature 
Font  par  leur  pooir 

48  Toute  créature 

De  volenté  pure 
Tendre  a  mieus  valoir. 
Et  je  m'asseiire. 

52  Que,  tant  corn  je  dure, 

Ne  porray  vëoir 
Amour  si  seùre, 
Bonté  si  meure 

56  N'a  tant  de  savoir. 


Aussi  voit  on  clerement 
Que  li  cuer  qui  loyaument 
Et  sans  folour 
60  Aimment  de  très  fine  amour 

Cuident  souvent 
Qu'en  milleur  et  en  plus  gent 
Aient  séjour  ; 
64  Car  plaisence  et  sa  rigour 

Ce  leur  aprent  : 

42  CEJ  que  {E  qui)  si  saueure;  MB  qui  sa  saueure  —  43 
EJ  pcuent  ;  M  puellent;  B  puit  ;  C  pueut  ;  J  nourrir;  MCE 
mourir  —  44  M  destrait  —  5o  E  T  amer  auoir  ;  MBJ  auoir  — 
36  J  Ne  tant   —  58  CE  cuers  —  39  E  Est  —  Go  J  tresbonne. 


286 


LE    LAY     DE    PLOUR 


Or  say  je  certeinnement 

Que  mienne  estoit  ligement 
68  La  droite  flour 

De  ceaus  qui  ont  plus  d'onnour  ; 
Car  toute  gent 

Disoient  communément, 
72  Et  li  millour, 

Qu'il  avoit  toute  valour 
74  Entièrement. 


VI 

Et  quant  si  bon  ne  millour  ne  plus  cointe 
N'est,  ne  si  bel,  ne  d'onneur  si  acointe, 
A  droit  jugier, 
78  Mervillier 

Ne  se  doit 
80       Nulz,  se  ne  vueil  par  l'amoureuse  pointe 
Nouvellement  d'autre  amour  estre  pointe. 
Pour  ce  changier 
Ne  me  quier, 
84  Et  j'ay  droit  ; 

Qu'en  mon  cuer  est  si  très  ferme  et  si  jointe 
L'amour  de  li  qu'estre  n'en  puet  desjointe; 
Car  cuer  entier 
88  Qui  trichier 

Ne  saroit 
Par  souvenir  vuet  que  dou  tout  m'apointe, 
Si  qu'autre  amour  n'entrepreingne,  n'acointe  ; 
92  Qu'autre  acointier 

Empirier 
94  Me  feroit. 

67  E  moie;  J  mien  —  70  J  toutes  —  72  KJ  la  —  79  KJ  sen  — 
80  A  vuet  —  83  KJ  men  —  85  KJ  Quen  moy  est  —  86  M  ne  —  90 
KJ  que  doucement  macointe* 


LE    LA Y    DE   PLOUR  287 


VII 

Dont  le  bon  recort 
96  Que  de  li  recort 

Fait  qu'a  ce  m'acort 
Que  ja  ne  soie  en  acort 

D'avoir  autre  amy  ; 
100  Mais  en  desconfort, 

Sans  nul  reconfort 

De  tout  mon  effort 
Vueil  pleindre  et  plourer  sa  mort, 
104  En  disant  einsi  : 

«  Amis,  mi  confort, 

Mi  joieus  déport, 

Ma  pais,  mi  ressort, 
108         Et  tuit  mi  amoureus  sort 

Estoient  en  ty. 

O  ray  un  remort 

De  toy  qui  me  mort 
112  Et  point  si  très  fort 

Qu'o  toy  sont  tuit  mi  bien  mort 
1 14  Et  ensevely. 


VIII 

Dous  amis,  tant  fort  me  dueil  ; 
1 16  Tant  te  plaint, 

Tant  te  complaint 
Le  cuer  de  moy, 

Tant  ay  grief  que,  par  ma  foy, 


g6  KJ  Qui  —  101   M  nulz  —  108  manque  dans  KJ  —  n3  KJ 
Qua  toy;  E  tout  — *  1 16  EK  ce  ;  CJ  se  —  1 17  id> 


120 
124 
128 
132 

i36 

140 

142 


LE  LAY  DE  l'LOUR 

Tout  mal  recueil  ; 

Dont  mi  oueil 
Que  souvent  mueil, 
Et  cuer  estreint, 
Viaire  pâli  et  taint. 
Garni  d'effroy 

Et  d'anoy, 
Sans  esbanoy ; 
Moustrent  mon  dueil. 
Dous  amis,  seur  ton  sarcueil 
Sont  mi  plaint 
Et  mi  complaint  ; 
La  m'esbanoy, 
Par  pensée  la  te  voy  ; 
Plus  que  ne  sueil 

La  me  vueil  ; 
La  sont  mi  vueil; 
La  mes  cuers  maint. 
La  mort  pri  que  la  me  maint, 
Car  la  m'ottroy. 

La,  ce  croy, 
De  la  mort  doy 
Passer  le  sueil. 


IX 


148 


La  souspire, 
La  s'aïre 
Mes  cuers  qui  tant  a  martire 
Et  de  mortel  peinne 
Et  tant  d'ire, 
Qu'a  voir  dire 


123  KJ  estaint  —  126  manque  dans  KJ  —  129  K  serqueil  : 
E  saqueil  —  1 36  J  La  me  vueil  —  140  KJ  se  —  141  De  manque 
dans  C. 


LE   LAY  DE    PLOUR  289 


Son  mal  ne  porroit  descrire 
Créature  humeinne. 
La  s'empire 
1  52  Tire  a  tire; 

La  ne  fait  que  fondre  et  frire  ; 
La  son  dueil  demeinnc  ; 
La,  sans  rire, 
1  56  Se  martire  ; 

La  se  mourdrist;  la  désire 
1 58  Qu'il  ait  mort  procheinne. 


Dous  amis,  tant  ay  grevance, 
1 60  Tant  ay  grief  souffrance, 

Tant  ay  dueil,  tant  ay  pesance, 

Quant  jamais  ne  te  verray, 

Que  doleur  me  point  et  lance 
164  De  si  mortel  lance 

Au  cuer  qu'en  désespérance 

Pour  toy  mes  jours  fineray. 

En  toy  estoit  m'esperance 
168  Toute  et  ma  fiance, 

Ma  joie,  ma  soustenance. 

Lassette  !  or  perdu  les  ay. 

Bien  pert  a  ma  contenance 
172  Et  a  m'a  loquence, 

Car  manière  ne  puissance 
174  N'ay,  tant  me  dueil  et  esmay. 


1 5 1  KJ  soupire  —  1 52  J  Tir  a  tir  —  1 53  B  Le  —  îôy  KJ 
dessire;  E  la  se  désire  —  164  manque  dans  KJ —  169  K  et  ma 
s.  —  170  C  Lasse  te.,  perdus;  B  les  ray  —  170-1  manquent 
dans  KJ —    iy3  C  et  p.;    E  en  p. 

Tome  I.  19 


290  LE  LAY   DE    PLOUR 


XI 

A  cuer  pensis 
176  Regret  et  devis 

Ton  haut  pris 
Que  tant  pris. 
Einsi  le  couvient  ; 
180  Et  vis  a  vis 

Te  voy,  ce  m'est  vis, 
Dous  amis, 
Et  toudis 
184  De  toy  me  souvient. 

Mes  esperis 
Et  mes  paradis 
Estient  mis 
188  Et  assis 

En  toy  ;  s'apartient 

Que  soit  fenis 
Mes  cuers  et  péris, 
192  Qu'est  chetis 

Et  remis, 
194  Quant  vie  le  tient. 


XII 

Amis,  je  fusse  moult  lie, 
196  S'eusses  cuer  plus  couart  ; 

Mieus  vausist  a  mon  esgart 
Que  volenté  si  hardie. 


175  KJ  Ha;  E  cuers  —  176  KJ  R.  a  deuis  —  187  CKJ 
Estoient  —  191  MBEKJ  partis  —  192  KJ  Qui  est  —  193  KJ 
ramis  —  194  KJ  Quautre  —  19S   J  Mes;  KJ  liée  —  196  EKJ 

Sceussez  (./  -iez)  —  197  KJ  regart. 


291 


LE    LAY   DE     PLOUR 

Mais  honneur,  chevalerie 
200  Et  tes  renons  qui  s'espart 

Par  le  monde  en  mainte  part 

Ont  fait  de  nous  départie. 

Ta  mort  tant  me  contralie 
204  Et  tant  de  maus  me  repart, 

Amis,  que  li  cuers  me  part  ; 

Mais  einsois  que  je  dévie, 

Humblement  mes  cuers  supplie 
208  Au  vray  Dieu  qu'il  nous  regart 

De  si  amoureus  regart 
210  Qu'en  livre  soiens  de  vie. 

Explicit  le  Lay  de  Plour. 


2o3  KJ  Tamour  —  204  KJ  départ  —  208  Mss.  qui  —  209 
manque  dans  KJ —  210  BKJ  Quou;  E  Quevliure;  CBEK 
soions;  KJ  ajoutent  :  Qui  bien  aime   a   tart  oublie. 


TABLE  DES  MATIERES 


DU   PREMIER  VOLUME 


Introduction i 

Chapitre  premier.  — Travaux  relatifs  à  Guillaume 

de  Machaut i 

Chapitre  second.  —  Notice  biographique xi 

Chapitre  troisième.  —  Les  Manuscrits xliv 

Chapitre  quatrième.  —  Les  Œuvres  : 

Le  Prologue lu 

Le  Dit  don  Vergier lv 

Le  Jugement  doit  Roy  de  Behaingne lix 

Le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre lxiv 

Le  Lay  de  Plour i.xxxvn 

Prologue i 

Le  Dit  dou  Vergier 1 3 

Le  Jugement  dou  Roy  de  Behaingne 5/ 

Le  Jugement  dou  Roy  de  Navarre i3j 

Le  Lay  de  Plour 283 

Table  des  matières  du  premier  volume -m  3 


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Publications  de  la  Société  des  Anciens  Textes  Français 
[En  vente  à  la  librairie  Firmin-Didot  et  Cie,  56,  rue 
Jacob,  à  Paris.) 


Bulletin  de  la  Société  des  Anciens  Textes  Français  (années  1875  à  1908). 
N'est  vendu  qu'aux  membres  de  la  Société'  au  prix  de  3  fr.  par  année,  en 
papier  de  Hollande,  et  de  6  fr.  en  papier  Whatman. 

Chansons  françaises  du  xv«  siècle  publiées  d'après  le  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris  par  Gaston  Paris,  et  accompagnées  de  la  musi- 
que transcrite  en  notation  moderne  par  Auguste  Gevaert  (1875).    Epuisé. 

Les  plus  anciens  Monuments  de  la  langue  française  ^x",  x°  siècles)  pu- 
bliés par  Gaston  Paris.  Album  de  neuf  planchés  exécutées  par  la  photo- 
gravure (1875) 3o  fr. 

Brun  de  la  Montaigne,  roman  d'aventure  publié  pour  la  première  fois,  d'a- 
près le  manuscrit  unique  de  Paris,  par  Paul  Meyer  (1875) 5  fr. 

Miracles  de  Nostre  Dame  par  personnages  publiés  d'après  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  nationale  par  Gaston  Paris  et  Ulysse  Robert;  texte  com- 
plet t.  I  à  VII  (1876,  1877,  1878,  1879,  1880,  1881,  i883),  le  vol.  .     10  fr. 

Le  t.  VIII,  dû  à  M.  François  Bonnardot,  comprend  le  vocabulaire,  la 
table  des  noms  et  celle  des  citations  bibliques  (1893) i5  fr. 

Guillaume  de  Palerne  publié  d'après  le  manuscrit,  de  la  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal à  Paris,  par  Henri  Michelant  (1876).    Epuisé  sur  papier  ordinaire. 
L'ouvrage  sur  papier  Wathman 20  fr. 

Deux  Rédactions  du  Roman  des  Sept  Sages  de  Rome  publiées  par  Gaston 

Paris  (1876) Epuisé  sur  papier  ordinaire. 

L'ouvrage  sur  papier  Wathman 16  fr. 

Aiol,  chanson  de   geste  publiée  d'après  le  manuscrit  unique  de   Paris  par 

Jacques  Normand  et  Gaston  Raynaud  (1877).  Épuisé  sur  papier  ordinaire. 

L'ouvrage  sur  papier  Whatman 24  fr. 

Le  Débat  des  Hérauts  de  France  et  d'Angleterre,  suivi  de  The  Debate  be- 
Ureen  the  Heralds  of  England  and  France,  by  John  Coke,  édition  commen- 
cée par  L.  Pannier  et  achevée  par  Paul  Meyer  (1877) 10  fr. 

Œuvres  complètes  d'Eustache  Deschamps  publiées  d'après  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  nationale  par  le  marquis  de  Queux  de  Saint-Hilaire, 
t.  I  à  VI,  et  par  Gaston  Raynaud,  t.  VII  à  XI  (1878,  1880,  1882,  1884, 
1887,  1889,  1891,  1893,  1894,  1901,  igo3),  ouvrage  terminé,  le  vol.     12  fr. 

Le  saint  Voyage  de  Jherusalem  du  seigneur  d'Anglure  publié  par  François 
Bonnardot  et  Auguste  Longnon  (1878) 10  fr. 

Chronique  du  Mont-Saint-Michel  (1343-1468)  publiée  avec  notes  et  pièces 
diverses  par  Siméon  Luce,  t.  I  et  II  (1879,  i883),  le  vol 12  fr. 

Elie  de  Saint-Gille,  chanson  de  geste  publiée  avec  introduction,  glossaire 
et  index,  par  Gaston  Raynaud,  accompagnée  de  la  rédaction  norvégienne 
traduite  par  Eugène  Koelbing  (1879) 8  fr. 

Daurel  et  Béton,  chanson  de  geste  provençale  publiée  pour  la  première  fois 

d'après  le  manuscrit  unique  appartenant  à   M.  F.  Didot  par  Paul  Meyer 

.  (1880) ...  . 8  fr. 

La  Vie  de  saint  Gilles,  par  Guillaume  de  Berneville,  poème  du  xn»  siècle 
publié  d'après  le  manuscrit  unique  de  Florence  par  Gaston  Paris  et 
Alpnonse  Bos  (1881) 10  fr. 


L'Amant  rendu  cordelier  à  l'observance  d'amour,  poème  attribué  à  Martial 
cTAuvergne,  publié  d'après  les  mss.  et  les  anciennes  éditions  par  A.  de 

MoNTAIGLON  (l88l) 10   fr. 

Raoul  de  Cambrai,  chanson  de  geste  publiée  par  Paul  Meyer  et  Auguste 
Longnon  (1882) i5  fr. 

Le  Dit  de  la  Panthère  d'Amours,  par  Nicole  de  Margival,  poème  du  xiip  siè- 
cle publié  par  Henry  A.  Todd  ( 1 883) 6  fr. 

Les  Œuvres  poétiques  de  Philippe  de  Rémi,  sire  de  Beaumanoir ,  publiées  par 

H.  Suchier,  t.  I  et  II  (1884-85) 23  fr. 

Le  premier  volume  ne  se  vend  pas  séparément;  le  second  volume  seul     i5  fr. 

La  Mort  Aymeri  de  Narbonne,  chanson  de  geste  publiée  par  J.  Couraye 
du    Parc   (1884) 10  fr. 

Trois  Versions  rimées  de  l'Évangile  de  Nicodême  publiées  par  G.  Paris  et 
A.  Bos  (i885) 8  fr. 

Fragments  d'une  Vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  publiés  pour  la  première 
fois  d'après  les  feuillets  appartenant  à  la  collection  Goethals  Vercruysse, 
avec  fac-similé  en  héliogravure  de  l'original,  par  Paul  Meyer  (i885).     10  fr. 

Œuvres  poétiques  de  Christine  de  Pisan  publiées  par  Maurice  Roy,  1. 1,  II  et 
III  (1886,  1891,  1896),  le  vol 10  fr. 

Merlin,  roman  en  prose  du  xm»  siècle  publié  d'après  le  ms.  appartenant  à 
M.  A.  Huth,  par  G.  Paris  et  J.  Ulrich,  t.  I  et  II  (1886) 20  fr. 

Aymeri  de  Narbonne,  chanson  de  geste  publiée  par  Louis  Demaison,  t.  I  et 
II  (1887) 20  fr. 

Le  Mystère  de  saint  Bernard  de  Menthon  publié  d'après  le  ms.  unique  appar- 
tenant à  M.  le  comte  de  Menlhon  par  A.  Lecoy  de  la  Marche  (1888).      8  fr. 

Les  quatre  Ages  de  l'homme,  traité  moral  de  Philippe  de  Navarre,  publié 
par  Marcel  de  Fréville  (1888) 7  fr. 

Le  Couronnement   de  Louis,    chanson  de  geste, publiée  par   E.   Langlois, 

(1888).  Épuisé  sur  papier  ordinaire. 

L'ouvrage  sur  papier  Whatman 3o  fr. 

Les  Contes  moralises  de  Nicole  Bo\on  publiés  par  Miss  L.  Toulmin  Smith 
et  M.  Paul  Meyer  (1889) i5  fr. 

Rondeaux  et  autres  Poésies  du  XV"  siècle  publiés  d'après  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  nationale,  par  Gaston  Raynaud  (1889} 8  fr. 

Le  Roman  de  Thèbes,  édition  critique  d'après  tous  les  manuscrits  connus, 

par  Léopold  Constans,  t.  I  et  II  (1890) 3o  fr. 

Ces  deux  volumes  ne  se  vendent  pas  séparément. 

Le  Chansonnier  français  de  Saint-Germain-des-Prés  (Bibl.  nat.  fr.  2oo5o), 
reproduction  phototypique  avec  transcription,  par  Paul  Meyer  et  Gaston 
Raynaud,  t.  I  (1892) 40  fr. 

Le  Roman  de  la  Rose  ou  de  Guillaume  de  Dole  publié  d'après  le  manuscrit 
du  Vatican  par  G.  Servois  (1893) 10  fr. 

L'Escoufle,  roman  d'aventure,  publié  pour  la  première  fois  d'après  le  manus- 
crit unique  de  l'Arsenal,  par  H.  Michelant  et  P.  Meyer  (1894).  .       1 5  fr. 

Guillaume  de  la  Barre,  roman  d'aventures,  par  Arnaut  Vidal  de  Castel- 
naudari,  publié  par  Paul  Meyer  (189D) 10  fr. 

Meliador,  par  Jean  Froissart,  publié  par  A.  Longnon,  t.  I,  II  et  III 
(1895-1899),  le  vol 10  fr. 

La  Prise  de  Cordres  et  de  Sebille,  chanson  de  geste  publiée,  d'après  le 
ms.  unique  de  la  Bibliothèque  nationale,  par  Ovide  Densusianu 
(1896) 10  fr. 

Œuvres  poétiques  de  Guillaume  Alexis,  prieur  de  Bucy,  publiées  par 
Arthur  Piaget  et  Emile  Picot,  t.  I,  II  et  III  (1896-1908),  le  vo- 
lume      10  fr. 

L'Art  de  Chevalerie,  traduction  du  De  rv  militari  de  Végèce  par  Jean  de 
Meun,  publié,  avec  une  étude  sur  cette  traduction  et  sur  Li  Abrejance  de 
l'Ordre  de  Chevalerie  de  Jean  Priorat,  par  Ulysse  Robert  (1897).     10  fr. 


Li  Abrejance  de  l'Ordre  de  Chevalerie,  mise  en  vers  de  la  traduction  de 
Végèce  par  Jean  de  Meun,  par  Jean  Priorat  de  Besançon,  publiée  avec 
un  glossaire  par  Ulysse  Robert  (1897) 10  fr. 

La  Chirurgie  de  Maître  Henri  de  Mondeville,  traduction  contemporaine 
de  l'auteur,  publiée  d'après  le  ms.  unique  de  la  Bibliothèque  nationale 
par  le  Docteur  A.  Bos,  t.  I  et  II  (1897,  1898) 20  fr. 

Les  Narbonnais,  chanson  de  geste  publiée  pour  la  première  fois  par  Her- 
mann  Suchier,  t.  I  et  II  (1898) 20  fr. 

Orson  de  Beauvais,  chanson  de  geste  du  xne  siècle  publiée  d'après  le  ma- 
nuscrit unique  de  Cheltenham  par  Gaston  Paris  (1899) 10  fr. 

L'Apocalypse  en  français  au  XIII"  siècle  (Bibl.  nat.  fr.  4o3),  publiée  par 

L.  Delisle  et    P.  Meyer.   Reproduction   phototypique  (1900) 40  fr. 

—  Texte  et  introduction  (1901) i5  fr. 

Les  Chansons  de  Gace  Brûlé,  publiées  par  G.  Huet  (1902) 10  fr. 

Le  Roman  de  Tristan,  par  Thomas,  poème  du  xn°  siècle  publié  par  Joseph 
Bédier,  t.  I.et  II  (1902-1905),  le  vol 12  fr. 

Recueil  général  des  Sotties,  publié  par  Era.  Picot,  t.  I  et  11(1902,  1904), 
le  vol 10  fr. 

Robert  le  Diable,  roman  d'aventures  publié  par  E.   Lôseth  (1903). . .     10  fr. 

Le  Roman  de  Tristan,  par  Béroul  et  un  anonyme,  poème  du  xn°  siècle, 
publié  par  Ernest  Muret  (1903) 10  fr. 

Maistre  Pierre  Pathelin  hystorié,  reproduction  en  fac-similé  de  l'édition 
imprimée  vers  i5oo  par  M  irion  de  Malaunoy,  veuve  de  Pierre  Le  Caron 
(1904) 6  fr. 

Le  Roman  de  Troie,  par  Benoit  de  Sainte-Maure,  publié  d'après  tous  les 
manuscrits  connus,  par  L.  Constans,  t.  I,  II  et  III  (1904,  1906,  1907), 
le  volume 1  3  fr. 

Les  Vers  de  la  Mort,  par  Hélinant,  moine  de  Froidmont,  publiés  d'après  tous 
les  manuscrits  connus,  par  Fr.  Wulff  et  Em.  Walberg  (1905) 6  fr. 

Les  Cent  Ballades,  poème  du  xiv°  siècle,  publié  avec  deux  reproductions 
phototypiques,  par  Gaston  Ravnaud  (1905) 10  fr. 

Le  Montage  Guillaume,  chanson  de  geste  du  xn°  siècle,  publiée  par  W. 
Cloetta,    t.    I   (1906) i5  fr. 

Florence  de  Rome,  chanson  d'aventure  du  premier  quart  du  xin»  siècle, 
publiée  par  A.  Wallenskôld,  t.  II  (1907) 12  fr. 

Les  deux  Poèmes  de  La  Folie  Tristan,  publiés  par  Joseph  Bédier  (1907).     5  fr. 

Les  œuvres  de  Guillaume  de  Machaut,  publiées  par  E.  Hœpffner,  t.  I 
(1908) 12  fr. 


Le  Mistère  du  Viel  Testament,  publié  avec  introduction,  notes  et  glossaire, 
par  le  baron  James  de  Rothschild,  t.  I-VI  (1878-1891),  ouvrage  terminé, 
le  vol 10  fr. 

(Ouvrage  imprimé  aux  frais  du  baron  James  de  Rothschild  et  offert  aux 
membres  de  la  Société.) 

Tous  ces  ouvrages  sont  in-8°,  excepté  Les  plus  anciens  Monuments  de  la 
langue  française  et  la  reproduction  de  l'Apocalypse,  qui  sont  grand  in-folio. 

Il  a  été  fait  de  chaque  ouvrage  un  tirage  à  petit  nombre  sur  papier  Wliat- 
man.  Le  prix  des  exemplaires  sur  ce  papier  est  double  de  celui  des  exemplaires 
en  papier  ordinaire. 

Les  membres  de  la  Société  ont  droit  à  une  remise  de  25  p.  100  sur  tous 
les  prix  indiqués  ci-dessus. 

La  Société  des  Anciens  Textes  français  a  obtenu  pour  ses  pu- 
blications le  prix  Archon-Despérouse,  à  l'Académie  française,  en 
18S2,  et  le  prix  La  Grange,  à  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  en  i883,  i8g5,  igoi  et  igo8. 


Le  Puy,  imp.  R.  Marchessou.  —  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon,  successeurs. 


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THE  INSTITUTE  OF  MED1AEVAL  STUD1E3 

10  ELMSLEY  PLACE 
TORONTO  5,  OANADA. 

2731